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MOXTUEAL.
I
EEVUE
DES
SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES
IMPRIMATUR :
Atrebati, die 20 Janv. 18C3.
Y P.-L., Episc. Atrebatensis, Bolonien.
et Audomaren,
REVUE
DES
SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES
DIRIGEE
PAR M. L'ABBÉ D. BOUIX.
Ubi Pelrus, ibi Ecclesia
Saint Ambioisi.
• TOME SEPTIEME.
4^ Année. — f" Semestre.
.\
ARRAS :
IIBR.UHIE ROl]SSAEl!-LEROy, ÉJ
(bureaux de la hevoe)
rue St-îi!auricc, 2G.
PARIS :
MM. GAWIE FliÈRES KT DUPIiEY.
LIBRAIRES -ÉDITEURS,
, [rue Cassette, 4.
1863,
HEVUK
mmfM ECCLÉSIASTIQI]E
PHILOLOGIE ET EEVELATION.
Sixième article.
XIV.
Puisque la philologie est impuissante à nier l'unité origi-
nelle du langage/puisque, par le fait de Babel, la diversité
actuelle des langues a succédé à l'unité du commencement, il
est permis d'étudier la langue primitive, non qu'elle se soit
conservée et qu'on puisse aujourd'hui en retrouver les traces,
mais parce que les données scieutiflques et les données de la
Révélation nous permettent de conjecturer en quelque manière
quels ont dû être les caractères de cette langue à jamais dis-
parue. En bornant nos études aux caractères de la langue
primitive, nous évitons l'écueil qui a empêché plusieurs philo-
logues d'atteindre le but qu'ils se proposaient. On a voulu
retrouver la langue primitive. On a supposé que, même après
l'événement de Babel, elle a pu se conserver au milieu d'un
6 rniLOLOGlE r.T nÉVÉLAriON. [Tome VII.
peuple privilégié et restreint. La Révélation se tait pleinement
à cet égard, et s'il était loisible de risquer les conjectures qu'elle
semble autoriser^ on pourrait dire que la Révélation ne per-
met guère de supposer un pareil fait. La manière dont Moïse
explique l'événement de Rabel laisse peu de place à une opi-
nion qui changerait, pour ainsi parler, la nature de ce miracle.
Si la langue primitive se fût conservée au sein d'un des
peuples formés à Babel, on comprendrait difficilement que les
autres hommes n'aient pas pu l'entendre et s'entendre par
conséquent entre eux. Il faudrait dire que Dieu leur a fait
perdre la mémoire, en même temps qu'il donnait un libre cours
à la subjectivité par laquelle ils formaient d'autres langues,
et ce n'est pas ce que dit Moïse. Aussi nous est-il permis
de regretter que les efforts de la philologie comparée aient
porté directement sur la langue primitive, que l'on voulait
retrouver, au lieu de porter sur la question préalable des ca-
ractères de cette langue. Nous bornerons à cette étude l'objet
de notre travail. Cependant, comme une opinion autrefois
fort répandue (1), et qui compte encore aujourd'hui quelques
(1) Nous trouvons celte opinion clairement formulée dans les deux
Talmuds de Babylone el de Jérusalem .- l^S'I^^T ^"l'^l" ^2 ^IImI
lin ï^iï-np V'^''^^ ûiiïs ï^TH ^"ï^i nn bb^^T nn v^"^5
ïi'^'nïJ "l'a ïS'Sb!? "^lan^ nm ■j'^bb'ia'a Ei eram omms Imnncs ter-
rx lingua una el loquela una et populus unu», quoniain lingua
sancia cravt loqtienles, in qua crtalum est sœculum a prineipio. De
même Jarchi el Aben-Ezra : w1"pn "jVwî ^Im "i^ BJ. Saini Jean
Cbrysoslôme (hom. xxx. ingen.) : ÂCiT0JÔ"E6£p IjjiEvETrjV aijTr,v e^tdv
oia)»e;iv y^vTtsp xai xpÔTspov, tva xa\ touto (7r,ix£Îov Ivapy^? Y£vr,Tai ty;?
ciaipécjso);. Saint Aiigustm (De Civ. Dei I. xvi, cap. H) : Qux lingua
prius humano generi non immerito crediliir fuisse «ommunis, deln-
cpps hebrxa est nuncupala. Quanl à saint Jérôme, il dit simplement :
Linguam hebraicam omnium linguarum esse matricem (Comra. in
Soph. C. 3. rf. Orig. in Nuun. hom. xi), paroles qui pourraient s'ex-
pliquer dans le sens que nous avons donné au récit mosaïque de la
confusion des langues.
;aiiv. 1803.) PHILOLOGIE ET UÉVÉLATiO.M- 7
partisans (1), prétend retrouver dans Thébreu la langue pri-
mitive, il est bon de nous arrêter quelques instants à la dis-
cuter. Un coup d'œil sur l'organisation de l'hébreu peut
nous mettre sur la voie des recherches relatives aux carac-
tères qui, dans l'opinion d'un certain nombre desavants, ont
dû être ceux du langage primitif.
Ce qui a conduit les pères de l'Église à penser que l'hébreu
était la langue primitive, c'est que dans l'hébreu seulement la
valeur des noms des premiers hommes se retrouve telle que
l'explique l'Écriture. Telle est la pensée du vénérable Bcde
lorsqu'il écrit : Piu'ma lïngua fuisse g f^neri humano Hebrxa vide-
Iw in eo, quod nomina cunctay qux usque ad divisionem tingua-
rum in Genesi legimus, illius constat esse loquelx {2). Mais ce
fait par lui-même ne démontre absolument rien. 11 est à re-
gretter que, depuis deux mille ans, on n'imite pas Moïse, et
qu'en traduisant son livre on ne conserve pas à chaque
nom sa signification étymologique de façon qu'elle se re-
trouve dans la traduction. Ce ne serait pas toujours facile, il
est vrai; et si les langues synthétiques pouvaient se prêter à
ces formations de mots, les langues analytiques y répugne-
raient positivement. Dans ce dernier cas on aurait recours
à des périphrases que l'on inscrirait dans le texte, comme Ta
fait Rloïse, par manière d'exj)lication.
On trouve dans un autre auteur une seconde raison pour
laquelle on a pensé que l'hébreu était la langue primitive. II
dit à propos du ch. II, v. 15 de la Genèse : Fx hoc videtur, quod
nomina animaliui7i, proui apud Hebrxos vocabantur, fuerunt
eadem, qux et tempore Adx. Ex quo etiam patet, quod lingua
Adx Hebrxis mansit (3). A quoi ou peut encore répondre
avec Grotius : JSomina propria Adami , Evx et cxtera
(1) Molilor, Philosophie der ^reUgeschichle2 Aufl. Muasler, 1837.
^. Bi.
(2) Comment, in Gen. ad h. I.
(3) Thomas angl. Postilla super Gen., ad Gen. 2,19.
8 l'HILOI.OGIÎÎ ET r.ÉVÉLATIO.N. [Tome VII.
hebraico sermoiie a Mose expressa Hebj'xorum causa sunt eodem
significatu, gui in primxva lïngua fuerat (1 ) ; ou bien avec Huet :
His addo vulgatx scriptwx interpretis exemplum, qui istud
exponens : hœc vocabitur HSJïS, quorûam ©I^IS sumpfa est,
eomdem originationem nominibus latinis expressif : hsec vocabi-
tur virago, quoniam de vira sumpta est. Jsaacum, cujiis nomen
hebraicc risum sonat, yi\(.<noLappellat Alecander Polyhisto7\ Esaii,
cui et Edom, h. e. Rufo nomen fait, Erythrus a Grxcis d ictus
est, etc. (2).
Celte tradition, quoique erronée, n'en a pas moins été
constante pendant de longs siècles : or , c'est le propre de
semblables traditions, de n'être pas complètement dénuées de
fondement, quelque inexactes qu'elles soient en elles-mêmes.
La philologie comparée n'a pas toujours été cultivée avec le
soin que lui accorde notre époque. Une idée vague et confuse
sur les caractères de la langue primitive, la constatation de
plusieurs de ces caractères dans l'hébreu, telle est à notre avis
l'origine de cette tradition et la cause de la faveur qu'elle a
longtemps obtenue. On remarque, par exemple, que le nom des
"organes est dans toutes les langues exprimé par des sons que
l'on profère au moyen de ces organes, la bouche, les lèvres, le
gosier, les dents, le nez. Ces sons ont sans doute été l'objet
d'une préférence, parce qu'ils étaient de nature à indi(juer un
rapport organique, symbolique, ou comme l'appelle Steinthal,
patboguomique entre l'idée et la réalité que l'on a voulu repré-
senter. Le mot, en effet, est la représentation de l'idée appré-
hendée ou conçue, et non de la réalité. Mais si l'on peut former
des mots dans lesquels la réalité apparaisse avec certains de
ses caractères, la langue qui en résultera sera une langue
bien plus parfaite que celle qui ji'ofïrirait pas les mêmes res-
sources. Toutefois, dans les langues perfectionnées, un
(I) Hugo Grolius, a«,'iof. ad Gen. xi,2.
[% Hiiel, De7n. Ev^inrj. Pi op. iv.Cf. ClcriciPro/. î/i Pent.Diss \,de
ting. Heb., nar.LI.
Jenv. 18(î;}.J philologie et r.ÉVl5LATlO.\. 9
système conventionnel a suppléé ù ces relations symbolicjucs
entre les mots et les réalités qu'ils désignent. A mesure qu'où
s'éloigne du berceau des langues, on voit le rapport conven-
tionnel absorber la relation naturelle. On en conclut que cette
langue se rapproche davantage de la langue primitive, dans
laquelle les rapports naturels sont plus sensibles et les rapports
conveiitionneis moins fréquents. 11 n'y a pas loin de là à dire
que l'hébreu est la langue primitive. Dans sa fausseté cette
proposition ne laisse pas de révéler la persuasion de l'humanité
qui la formule relativement aux caractères de cette langue, et
c'est tout ce que nous cherchons en ce moment. L'hébreu, en
effet, semble atteindre ce but avec une i)erfection sauvée du
langage primitif. Tout un ordre de faits observés dans cette
langue et dans les mots qui la composent permet de découvrir
une relation entre les mots et les réalités qu'ils expriment, les
formes logiques et les catégories logiques de la pensée, qui se
rapproche beaucoup de l'union de l'àme avec le corps et des
faits qui en résultent.
M. Renan avoue lui-même que « le système grammatical
« des Hébreux sent l'enfance de l'esprit humain et qu'il est.
« permis, sans tomber dans les rêves de l'ancienne philologie,
a de croire que les langues sémitiques nous ontconservé, plus
a clairement qu'aucune autre famille, le souvenir d'un des
a langages que l'homme dut parler au premier éveil de sa
« conscience» (I). 11 est conduil à cette conclusion par des
considérations d'un grand intérêt sur la manière dont l'hébreu
exprime les sentiments de l'âme, par les mouvements organi-
ques qui en sont ordinairement le signe, et par l'expression
sensuelle que reçoivent les idées abstraites. «Il fautadmettre,
« dit-il ailleurs, chez les premiers parlants un sens spécial de
« la nature, qui donnait à tout une signification, voyant l'âme
a dans le dehors et le dehors dans i'àme. Ce serait un vrai
« malentendu de considérer comme un grossier matérialisme,
il) Histoire gén. des la?igues $ém., p. 24.
^0 PHILOLOGIE ET nÉVÉLATION. [Tomo VU
(( ne comprenant^ ne sentant que le corps, l'état sensitif où
« vécurent les créateurs du langage ; c'était au contraire une
a haute harmonie, grâce à laquelle l'homme voyait l'un dans
a l'autre, exprimait l'im par l'autre, les deux mondes ouverts
« devant lui (1).» Une faudrait cependant pas croire que cette
propriété soit exclusive aux langues sémitiques. Dans aucune
langue il n'y a des expressions immédiates pour les idées su-
prasensibles. Comme j'ob.^ervation nous montre dans ces mots
l'image sensible qui a servi à les former, ainsi l'iiabitude nous
apprend à leur appliquer les idées qu'ils expriment : conve-
nance, dépendance, ressemblance, etc. — Même dans l'ordre
sensible, il est des réalités qui sont désignées par l'analogie
qu'elles ont avec des réalités du même ordre. C'est ainsi que
nous parlons dos pieds d'une table, des flancs d'une montagne,
d'eaux vives, de couleurs pâles, etc. Or, dans bien des cas,
ces expressions métaphoriques renferment en même temps
une métaphore phonétique qui indique l'intention bien ar-
rêtée de créer pour l'objet de la pensée des mots qui produisent
sur l'ouïe des impressions analogues à celles que l'objet ex-
primé a produises sur l'âme. C'est donc là une tendance qui se
révèle chez les créateurs du langage, à se servir de la signifi-
cation pathognomique des sons, pour compléter et perfection-
ner, par une valeur organique, la puissance d'expi-im^r, qu'ils
reconnaissent à certains mots.
Toutefois, dans les langues perfectionnées, on s'est ordi-
nairement affranchi des lois de cette harmonie naturelle du
langage : il est rare qu'on en ait tenu compte, soit parce que
la signification naturelle des sons, qui en était le principe, a
été méconnue, soit parce que l'harmonie de l'homme et du
monde a été fatalement troublée. Une autre cause a pu pro-
duire aussi ce résultat : c'est la nécessité de faire céder les
métaphores phonétiques devant les métaphores logiques, et la
substitution des métaphores d'idées aux métaphores com-
(\) Orig'me du langage, pp. 130 el 131.
Janv. 18r.3.j PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. M
plcxes de sons et d'idées. H n'en est pas moins vrai que plus
une langue se rapproche de sou état primitif, plus elle est an-
cienne et informe, plus aussi la signification organique des
sons apparaît comme principe préformateur, et toutes les for-
mations dans les(]uelles on découvre encore «rujourd'hui un
rapport entre le son et l'idée sont des restes d'une période
historique du langage. « Dans la langue primitive, ditHeyse,
a tout est organique, c'est-à-dire compénétralion complète du
a son et de l'idée (l).»Telle est aussi l'opinion de Stt'iutlial(2).
Il est vrai que -quelques auteurs modernes, Benfey par
exemple (3), ne veulent pas admettre cette relation orga-
nique, à cause de l'insuffisance des moyens historiques qui
pourraient servir à la constater: ils font de celte question une
question réservée pour le moment. Toutefois, ces exceptions,
et la manière dont elles se formulent, ne sauraient nous em-
pêcher de reconnaître que dans la pensée de la philologie
ancienne et moderne la langue primitive a dû avoir pour ca-
ractère une relaiion organique entre l'expression phonétique
de l'idée et l'idée elle-même. Comme ce rapport est surtout
sensible en hébreu, on comprend que l'on ait pris pendant
longtemps l'hébreu pour ia langue primitive (4).
(Il Sprac/noiss. S. 209.
(2) Sleinlhal, Zeitsc/trift fur Vœlkerpsych. und Sprachiviss. I. S.
424.
(3) Brufey, SkizzeS. 40.
(4) Dans les passages que nous avons ciiés de M. tîonan, on re-
marquera une leiiiian e à (ié()rt''(ipr les ressources el les qiialilés de
la langue hébraïque. Le [irofesstur d'hébreu du Collège «le France re-
dressera ces erreurs du membre de l'hislilut. Nous n'aimons point,
par exemple, ce parallèle enlre les langues ariennes et les langues sé-
nii:i(iuts où on lit: « Les langi es ariennes nous transportent tout
tt d'abord en |)lein idéalisme el nous feraient envisager la créalion de
» la parole fomii.e un fait esscniiellemenl iranscendanl Si l'on ne eon-
> sidérait, au contraire, que les langues sémitiques, on pourrait croire
» que la sensation présida seule aux premiers a( tes de la pensée hu-
» maine et que le langage ne fut d'abord qu'une sorte de reflet du
» monde extérieur. » M. Renan aurait dû se laisser mieux inspirer
42 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [ Tome VU.
XV.
La philologie profane nous a dit dans ce qui prdcède tout
ce qu'elle enseigne au sujet delà langue primitive. La Révélation
va encore une fois confirmer ses données, les développer et les
compléter.
Le premier homme s'est manifesté dans son langage: une
étude sur son état primitif peut permettre d'apprécier quels
ont été les caractères de la langue primitive. C'est la Révéla-
tion qui nous conduit : elle s'unit au sens commun pour nous
empêcher de penser que l'homme ait jamais été dans un état
d'imperfection qui le distinguait peu des animaux. Dans le
sein de l'Eglise, un passage mal compris de saint Irénée (1)
a laissé croire à quelques auteurs qu'Adam avait été créé dans
l'état d'enfance, et que ses facultés étaient comme une table
rase qu'il était réservé à l'expérience de remplir. La saine
théologie enseigne que l'homme est sorti parfait des mains de
son auteur, pourvu de toutes les connaissances naturelles pos-
sibles et enrichi des dons surnaturels qui le rendaient créé à
l'image et à la ressemblance de Dieu. Les connaissances natu-
relles qu'il possédait lui étaient nécessaires à cause de l'état
exceptionnel dans lequel il se trouvait. Il fallait qu'il conniit
l'essence des choses, qu'il la connût d'une manière claire et
sûre. Ses facultés n'étaient ni contrariées, ni affaiblies par l'in-
fiuence du corps, dont la réaction est en nous si violente,
parce que le corps et l'àme étaient en lui dans une harmonie
parfaite. Il était le plus grand savant dans tous les ordres que
par Ilerder, qu'il cile du reste dans son livre sur l'origine du langage.
Un professeur d'Iiébreu de la facullé de llit^ologie dt; Lyon aurait aussi
pu lui imliquer tout ce qu'il y a de précieuses compensations dans la
pauvreté même de l'hi^breu el de beautés cachées sous ses défauts
apparents. [Éludes UUerairea sur les poêles bibliques, par l'abbé Plan-
lier, 22 leçon.)
(1) Jclv. Hœr. iv, 38.
Janv.1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 13
la terre ait jamais porté : ses inductions étaient instantanées,
ses déductions naturelles et promptes. La perfei tion de sa na-
ture et les dons surnaturels qui l'avaient ennobli en faisaient
l'homme parfait, Thomme par excellence (1).
Cela posé, nous pouvons nous faire une idée de ce qui a con-
stitué le langage primitif au paradis. Parlons d'abord de la ma-
tière de cette langue, des mots du premier homme et de leur
puissance de signification. Ses mots étaient comme les nôtres
des expressions phonétiques de ses idées : mais c'est- là tout le
principe de ressemblance qui existait entre le matériel de la
langue d'Adam et le matériel de nos langues actuelles; tan-
dis que sa capacité intellectuelle et la forme pliouélique des
mots s'unissaient pour créer entre elles de nombreuses diffé-
rences. D'abord les idées de l'homme au paradis n'élaient pas
comme les nôtres des images subjectives ne répondant qu'à
une cerlaiue manière d'être de la réalité: elles étaient des re-
présentations complètes de l'objet appréhendé, le reproduisant
avec tous ses caractères. Le rapport de l'expression phonétique
avec ses idées n'était ni inconscient comme dans nos langues
actuelles, ni conventionnel comme celui que peuvent pro-
duire les lois logiques; il était symbolique, ou pour mieux
dire organique, car le son, dans le langage primitif, n'est
pas un signe créé ad hoc, mais un signe capable de signifier par
lui-même et d'être compris. Il n'est donc pas un (tu;jl6oXov, mais
un opyavov (2), Par conséquent, les mots de la première
langue étaient des signes naturels [signa naluralia) de l'objet
pensé. Que ces mots aient été des sons monosyllabiques, comme
la science est portée à le croire des parties du discours les
plus anciennes, nous n'avons ni à le prouver ni à le contredire,
(1) Kleutgen, die Theol. der Forzdt, 2 Bd., p. rii7.— Chasiel, de
l'Origine des connaissances humaines d'après VÉcrilure sainte. Paris
-J852. p. 80 seqrj. — Suarez, de op. vi dierum et An. L. m, cap. tJ,
9, 10. S. Thom. 1 P. q. 94. a. 3.
(2) Slbeinthal, Zeitsch.Jûr Vœtfcerps. undSprachwiss. I. S. 424»
-14 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. ITorae V(l>
puisque les créations phonétiques les plus compliquées d'une
langue quelconque peuvent être ramenées par l'analyse à des
éléments monosyllabiques. Cependant la perfection de la
langue du paradis nous porte à croire a pj'iori que les moyens
les plus simples suffisaient à l'expression de la pensée. De plus,
la signification organique des sons ne devait pas être sans in-
fluence. Chaque mot.résultail de cet ensemble de sons qui
répondait à l'ensemble des caractères de l'idée de celui qui
parlait. Les idées et les conceptions humaines répondaient à la
réalité ; il devait donc exister une harmonie essentielle entre
les choses et les mots, et par là même le mot devenait une
image de l'objet : le nom désignait l'essence de la chose par
cela même qu'il était l'expression de la pensée humaine, et
que celle-ci se rapprochait autant que possible de la réalité.
Aussi dans le langage biblique le mot no7n, ta'j» est-il pris pour
la nature et l'èlre de l'objet. Invoquer le nom de Dieu, c'est
invoquer Dieu, et être appelé, c'est être (1).
Quant à la manière dont le supraseusible était exprimé
dans la langue du paradis, nous pensons qu'il l'était comme
dans nos langues actuelles, par une métaphore dont la base
était une comparaison qu'Adam avait dans l'esprit. Il serait
beaucoup plus facile, en effet, de former actuellement une ex-
pression immédiate pour les idées surnaturelles, qu'il ne
l'était au commencement. Alors l'homme était parfaitement
certain de la siguifîcation propre et organique des sons, tandis
qu'elle est aujourd'hui à peu près perdue. De plus, la manière
dont nous exprimons aujourd'hui les conceptions abstraites
n'a-t-elle pas son fondement dans la nature des choses et dans
la manière dont l'exprimait le langage primitif? Il semble dif-
ficile d'admettre qu'uu son matériel puisse arriver à peindre
(J) Steinlhal, Ursprungder Sprache 2 Ausg. -1858. S. 23. — Uebcr
Sprache Undihr Ferhxllniss zur Psych. Freiburg ira Bris. 1860. S. 43.
Exod. 32, 12. Lev. 24, \\. Deuier. 28, 58- \ Reg. 8, 29. Is. 30, 27
1, 26, Eccl. 6, 10 el dans le Nouv. Tesl. Luc. 1, 32 elc.
«nv. 1863.1 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 4^
une idée spirituelle autrement qu'à l'aide d'une image
sensible.
L'état de connaissances parfaites dans lequel l'homme se
trouvait au commencement a dû avoir pour conséquence de
lui permettre de percevoir simultanément la notion du p;énéral
et celle du particulier. « Dans la synthèse primitive de l'es-
« prit humain, l'accessoire ne se distinguait pas du principal;
« l'idée se produisait comme un tout, avec l'ensemble de ses
« circonstances » (1). Mais rien n'empêche de supposer, et
l'expérience confirme cette hypothèse, que le mot qui lui ser-
vait comme expression du particulier, renfermait un élé-
ment capable de devenir l'expression du général. Que cet élé-
ment ait réellement existé sous uue forme séparée, ou non, peu
importe à notre thèse. Le fait est qu'il est parfaitement recon-
naissable dans les langues sémitiques, comme aussi dans les
langues indo-européennes. Ce sera, par exemple, par, *ys, en
hébreu dans les racines Tnfi, &1S, Ï^IB, pS, pS, ^nS, Q1D,
ÏD'IB, SID, ÏIIS, qui ont la signification générique de briser.
Dans la première période des langues indo-germaniques, on
rencontre une quantité d'expressions qui désignent les notions
particulières, avant qu'il en existe une pour l'idée générale.
Par exemple, avant d'avoir un mot pour exprimer l'idée géné-
rale de voir, sehen, on rendait toutes les nuances de cette idée
par les racines skav^ schauen, spak, spxhen, ak (lat. oc dans
oc-ulus, grec otc dans O7r-(jo(xai), aufblicken, vid, gevaivhren,
dark (oéSopxa), durschauen, vor (opaoj), geioahren, lok (Xeudao)),
higen, thav {Qedo[i.on), betrachten, blek (6XéTro|jLat), blicken.
Ce que nous avons dit du matériel de la langue primitive
permet de conclure que cette langue a possédé une quantité
innombrable de mots. L'objet en effet se présentait à la pensée
sous une multitude de formes et de rapports ; et comme la
langue primitive offrait à l'homme une expression convenable
pour toutes ses pensées, l'expression devait être aussi multiple
(1) Renan, Hisl. gén. des langues sém., p. 97.
IC PHILOLOGIE ET RÉVÉLATFOIf. |TomoVlK
et aussi flexible que la peusée même. De plus la perfection
de l'état primitif, dans lequel l'harmonie la plus parfaite ré-
gnait entre le corps et l'âme, laisse supposer que le langage,
bien qu'élément matériel, devait participer à la régularité par-
faite de la pensée: et si l'on admet avec Humbold que la
langue n'est pas un epyov, mais une IvspYsiocjil faudra reconnaître
qu'elle n'a jamais mieux répondu à cette idée qu'au paradis.
L'idée et ison expression phonétique étaient alors dans un rap-
port tel, que chaque idée produisait un son: la langue était
par conséquent une faculté organique dans laquelle tout
l'homme, esprit et corps, se trouvait impliqué, et il était vrai
de (lire alors que l'homme se manifestait dans son langage,
tandis qu'aujourd'hui les caractères que la logique indique
comme essentiels au langage, ne se rencontrent qu'imparfaite-
ment dans nos langues modernes. En outre, l'usage de la
langue exige maintenant une certaine convention entre l'audi-
teur et l'interlocuteur; l'auditeur doit mettre son esprit en
mouvement pour saisir à l'aide des mots proférés, comme à
l'aide d'un matériel déjà existant, la pensée de l'interlocuteur,
plus ou moins enveloppée sous la forme nécessaire qu'elle re-
çoit de l'individualité de celui-ci. Mais au paradis, écouter et
comprendre n'étaient pas deux opérations particulières. Le parlé
était aussi clair à l'auditeur que ses propres pensées ; il l'ap-
préhendait par un seul et même acte, parce que la parole
était originellement l'expression immédiate et organique de la
pensée; elle ne contenait ni plus ni moins que ce qui était dans
l'esprit de l'interlocuteur. Aussi, dans bien des langues n'y a-
t-il pas de mot spécial pour exprimer l'idée de penser. Penser,
c'est parler, parler dans son cœur, parler intérieurement.
On peut attacher diverses significations au mot forme, lors-
qu'il s'agit de la langue primitive. Si l'on prend ce terme
dans le sens opposé à celui de matière, on comprend qu'il
ne puisse pas être question de la forme de la langue primitive.
Dans ce sens, en effet, la ferme de la langue est ce qui sert à
Janv. 1863.1 PHILOLOGIE ET Rf.VÉLATION. 17
désigner la forme des images ou des réalités. Or, comme le
remarque Sleinthal, dans le langage primitif, il suffisait d'of-
frir ù l'auditeur les éléments de l'idée, et on n'avait pas à se
préoccuper de lui faire saisir les rapports des parties de
l'idée entre elles: c'était un acte qu'il faisait tout naturellement,
placé qu'il était dans la même situation que l'interlocuteur par
rapport aux connaissances, lesquelles étaient aussi parfaites
et aussi étendues chez l'un quecbez l'autre. Ajoutons i(uedans
le monde réel les formes de Texistence ne sont nullement dis-
tinctes de l'essence des chose?, et que, dans un langage dont
les éléments répondaient au monde réel, la désignation des
formes n'avait pas de raison d'être.
De plus, il est clair aussi qu'à propos de la langue primitive
il ne saurait être question de ce que nous avons appelé plus
haut la forme intérituro de la langue. Il n'y avait au paradis
aucune idée subjective, aucune manière particulière de repré-
sentation. Pour l'homme d'alors, il n'existait qu'une forme de
pensée logique, laquelle était dans une parfaite harmonie avec
les formes de l'existence. La perception de ces formes produi-
sait la parole, et empêchait que le laugage fût caractérisé par
une forme intérieure particulière. L'homme ne pouvait parler
qu'à Dieu ou à sa compagne, et entre les trois êtres capables
de parler, il régnait une harmonie parfaite de volonté et de
connaissance. Toute subjectivité était donc exclue par cela
même, et ce que l'on eût pu appeler la forme intérieure du
langage, n'était que le caractère d'une connaissance immé-
diate et certaine, que leurs mots comme leurs pensées portaient
avec eux. Eu outre, il n'y avait rien dans la langue primitive
que l'on eût dû considérer, apprendre, éclaircir préalablement.
Toute hésitation, toute mésintelligence était impossible. L'acte
par lequel l'auditeur comprenait était tout aussi immédiat
que celui par lequel l'interlocuteur pailait. Il n'y avait par
conséquent qu'une seule langue possible sur la terre, et
d'autres couples eussent-ils existé à la même époque , tant
IS PHILOLOGIE ET RÉVÉLATIO!^. (Tome VIL
qu'ils auraient conservé leur perfection, ils n'auraient pas
cessé de parler le même langage. Toutefois, ce serait une
erreur que de regarder une telle nécessité comme une gène, une
imperfection pour la liberté humaine : c'était au contraire une
perfection, comme la plus haute expression de la liberté
consiste à ne pouvoir pas pécher, comme les connaissances
de l'homme étaient beaucoup plus complètes lorsqu'il n'était
pas sujet à l'erreur, ainsi le langage le plus parfait était celui
où l'on ne pouvait employer que certaines expressions déter-
minées pour la pensée, alors que ces expressions étaient les
plus convenables et les plus parfaites qu'il fût possible d'ima-
giner.
Faisons ici une observation dont l'importance résulte sur-
tout des faits qui vont suivre, mais qui peut, à son tour, les
faire briller d'un plus vif éclat. Dans le langage biblique, le
mot '^S^, verbum, a simultanément la signification de 7not et
d'objet, chose (1).-Cela ne vient certainement pas d'une mé-
toiiymie qui produit dans certains cas le changement du nom
en l'objet qu'il exprime ; car la signification chose est plus ori-
ginelle que celle de 77iot. Il vaut mieux penser que cette union
de deux significations sous une même expression phonétique,
provient de la persuasion qu'entre le mot et l'objet désigné il
existe un rapport nécessaire, et c'est cette persuasion qui a
permis de confondre ces deux idées dans une même expression
phonétique. Divers passages de l'Écriture nous enseignent la
manière dont cette persuasion a pu arriver à se former.
Avant de rien nous apprendre sur la langue des hommes,
l'auteur de la Genèse fait parler Dieu dans le premier chapitre.
Ici, comme dans tous les cas possibles, ime activité divine est
désignée par le nom de l'activité humaine qui lui répond, et
c'est de la puissance créatrice de Dieu qu'il s'agit. « Dieu dit :
« Que la lumière soit, et la lumière fut, etc. » Gela signifie
(]) V. Geseniiis, Thésaurus, à ce mol. — La même chose a lieu en
chalJéen, en syriaqiie, en arabe el en grec.
Janv. 1S63.I PHILOLOGIK ET RÉVÉLATION. ^^
d'après l'explication ortlinaire : Dieu réalisa l'idée de la lu-
mière qu'il avait pensée en lui-même, en informant d'une
manière déterminée la matière déjà existante {materia prx-
jacens). Cet acte divin ne peut être appelé un discours que s'il
y a dans le discours humain une analogie entre la réalisation
phonétique de l'objet pensé et son existence réelle. L'idée,
le conceplus mentis, prend, pour ainsi dire, par l'expression
phonétique une substance et un corps. Voudrait-on essayer de
trouver le fondement de cette analogie dans ce fait que le
discours humain entraîne après lui la réalisation de quelque
chose de voulu ? On se tromperait, parce que, dans l'acte de la
création, Dieu seul est actif, et il ne faut pas penser à une dé-
termination de sa volonté venue d'ailleurs que de lui. La for-
mation du discours humain est en un certain sens analogue à
l'opération créatrice de Dieu. Pour former le lan<jfage,en effet,
l'homme se sert de son souffle et de ses organes, comme d'une
matière déjà existante [materia prœjacens), et il leur donne telle
forme déterminée qui devient l'expression de sa pensée,
comme la création du monde répond à la pensée divine. Mais
l'analogie entre la création divine et le discours humain n'au-
rait pas eu de raison d'ètre;,si le langage n'eût jamais été autre
chose que ce qu'il est aujourd'hui; car les expressions phoné-
tiques dont il se compose actuellement répondent d'une ma-
nière très-imparfaite à la pensée humaine, tandis que le
monde répond d'une manière parfaite à la pensée divine.
Dira-t-on que cette imperfection de l'analogie provient de la
distance incommensurable qui sépare l'homme de Dieu ? Mais
il n'est pas contraire à la nature de l'homme de posséder le
moyen d'exprimer ses idées d'une manière parfaite : s'il est
actuellement privé de cette perfection, c'est qu'il a perdu
l'état de sainteté et de justice originelles dans lequel il avait
été créé, et tout ce que nous voulons, c'est qu'au paradis il
ait pu exister une analogie entre le discours humain et la
création divine. 11 a suffi pour cela que le langage ait donné
20 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tom9 TII.
alors à l'homme le moyen d'exprimer ses pensées d'une ma-
nière adéquate : nous retrouvons par là riiypoihèse déjà éta-
blie au sujet de la langue primitive et des sons qui la compo-
saient.
Un aulre passage du même chapitre de la Genèse nous con-
duit au même résultat par rapport à la langue primitive :
« Dieu appelle la lumiùre, jour; les ténèbres, nuit; les eaux,
« mer; le fn-mament, ciel, etc. n Ce que saint Augustin et
saint Thomas interprètent de la manière suivante : o Vucavit
« autem, idem dictum est ac vocari fecit: quia sic distinxit
« omuia et ordinavit. ut et disccrni possint et nomina acci-
a père (1). » — « Intelligitur autem nbique per hoc quod
a dicitur vocavit : dédit naluram vel proprictatem, ut possit
« sic vocari (2). » N'oublions pas qu'à l'époque dont il s'agit
il n'y avait sur la terre aucun homme qui eût pu donner ces
noms. Supposé donc que les propriétés données par Dieu à
ces divers objets dussent un jour recevoir un nom, il devait
exister entre l'essence des choses et leur expression dans le
langage humain une union objective, cette union en vertu de
laquelle nous voyons dans ce passage la communication de
l'essence des choses accompagnée du nom qu'elles reçoivent.
Une telle relation exclut l'arbitraire de l'homme dans l'usage
du langage, dans la dénomination des objets, pourvu que
l'application des facultés naturelles de l'homme ne fût point
sujette à l'erreur. Et c'est ce que nous savons de l'état primi-
tif. Donc à l'origine le langage était l'expression parfaite et
adéquate de la réalité. Ainsi s'explique ce que saint Thomas
pose comme un postulatum : « Nomina debent naluris rerum
0 congruere (3), » et ce qu'il ajoute : a Nomina non sequun-
« tur modum essemli, (|ui est in rébus, sed moJum essendi,
(i) Geii C. Man. i, 9.
(-2)1. P. q 69, art. I, ad 5.
(3,1 l. P. q. 9 5, arl. 3.
Janv. 1SG3.] PHILOLOGIE ET RÉYÉLATIOIÏ. 2î
« secundum quod in cognitione nostra sunt (1), » montre do
quelle manière, à l'origine, nne telle convenance a pn exister
entre le langage et la réalité : par la connaissance pénétrante
et parfaite que le premier homme avait de la nature des réa-
lités. En vertu de cette connaissance, ses conceiitions répon-
daient à l'être réel des choses, ses mots étaient dans un rap-
port de convenance parfaite avec SCS conceptions. D'où il suit que
dans la langue primitive, la signification organique des sons
était le moyen par lequel les réalités réfléchies dans la pensée
humaine trouvaient leur expression parfaite dans le langage
articulé.
Dans le psaume 146*, v.4, il est dit: «LeSeigneur compte la
a multitude des étoiles et leur donne à toutes des noms (2). »
D'après le parallélisme, l'action créatrice de Dieu par laquelle
il forme un nombre détermine d'étoiles, est ici exprimée par
l'action de leur donner des noms. C'est donc comme image de
la réalisation de sa pensée créatiice que l'écrivain sacré attri-
bue à Dieu la dénomination. Or, pour que ces mots, a donner
des noms, » puissent offrir une expression convenable de cet
acte créateur, il faut qu'ils signifient : ot exprimer ou répéter
pleinement une idée. » Mais dans la bouche d'un homme, un •
nom ne peut exprimer ou répéter pleinement une idée, que
sll existe une union nécessaire entre l'idée objectiv:? et la
forme subjective qu'elle reçoit par le moyen du nom. Cette
union elle-même s'oppose à tout arbitraire, à toute ln-sitalion
sur le choix du moyen. Donc le nom n'a été primitivement
que la manifestation naturelle et organique de la pensée
humaine.
Les mêmes conséquences relatives aux caractères de la
langue primitive dérivent encore, et peut-être avec plus de
plénitude, de l'examen d'un passage de la Genèse (2, 19) où il
est dit : « Dieu conduisit à Adam tous les animaux des champs
(1) l. P.q. 13, an. 9. ad 2.
(2) Confer Is. 40, 26.
22 l-niLOLOGIK ET UÉYÉLATION. [Tome VU.
« pour voir comment il les nommerait, et le nom qu'il leur
« donna est celui de ces divers animaux. » Ce passade se
trouve intercalé entre le verset 18 où on lit : « Et le Sei-
« gueur Dieu dit : Il n'est pas bon que l'homme soil seul;
« faisons-lui un aide semblable à lui; » et la conclusion du
verset 20 : « Mais Adam ne trouva point d'aide sembla])le à
« lui. )> Au lieu de considérer, avec un grand nombre d'in-
terprètes, les paroles qui nous oi'cuj>ent comme une incise qui
n'est point ù sa place, nous croyjns trouver dans le contexte
la manière naturelle de les expliquer. Après avoir donné à
Adam le moyen de conserver la grâce et la justice originelles.
Dieu ajoute : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. »
L'homme, en effet, n'était pas destiné à conserver la grùce et
la justice uniquement pour lui-même: il devait la communi.
quer ù d'autres, et pour cela il fallait instituer l'économie my-
stérieuse du mariage. Mais comme tout développement de
l'homme n'arrive que par sa volonté libre, ainsi devait-il en
être au moment où l'homme allait recevoir son développe-
ment le i)lus parfait dans le mystère de la génération. Dieu
devait donner à l'homme l'idée et le désir du mariage, idée
et désir qui durent naître en Adam à la vue des couples d'a-
nimaux (|ue le Seigneur faisait passer devant lui (1). 11 dut
être saisi par le contraste qui existait entre leur état et son
isolement. C'est ce que montre la réflexion : « Quant à Adam,
« il ne trouvait pas d'aide semblable à lui; » et surtout les
paroles du verset 2-2« : « Voilà maintenant l'os de mes os et la
a chair de ma chair. » Le mot hébreu û^sn constitue à lui
(I) Ang. de Gen. ad l./l. ix, C. 3: Sj auUm quairilur, ad quam
rem fieri opporluerit hoc îuljuloriijm : nihil aliud probabiliter occur-
rit, (luarii propler Glios prooreando^^, sicut adjulorium semini lerra
est, iil virgulliiui ex lilroque nascalur : hoc enim el in prima rciura
ron liiioiie dicluiii oral ; Masculuin i-l feminam fucil eos, el hencdixil
eisDcus (iicons ■.(.'ros(.'ile el ruulliplicaiiiini el iinpiole lemrn el doini-
namiiii ejus. — C. 5: Quapropier non invenio, ad quod adiulorium
fada sil mulier viro, si panendi causa sublrahalur.
;anv. 18(Î3.] miLOLOGlB ET RÉVÊLATIOK. 23
seul toute une antithèse entre l'état présent d'Adam et celui
dans lequel il était lorsque les diverses couples d'animaux
passaient devant lui : « Cette fois, maintenant, j'ai un aide
« semblable à moi.» Adam, pour affirmer qu'il n'avait pas de
semblable parmi les animaux, devait parfaitement connaître
sa nature et la leur : aussi la Vulgate traduit-elle similis ejus,
non similis et. C'est en les présentant à l'homme que Dieu lui
révéla en même temps et la nature des animaux, et les diffé-
rences d'avec la sienne (1). D'ailleurs, Moïse exprime le but
de Dieu eu ajoutant : li"ïj^1p'^"na niïi^'l^, ut viderct quid vo-
caret ea. Celui qui doit voir, c'est Adam : le texte se prêterait
difficilement à un autre sens; la grammaire ne permet guère
de traduire difféicmment, et c'est ainsi que la plupart des in-
terprètes ont compris ce passage. Pour nommer les animaux,
Adam devait les connaître, connaître leur nature. De plus,
comme l'Ecriture confond ces deux actions sous le fait général
de la dénomination,» afin qu'il vît comment il les nommerait, »
il fallait que dans la langue primitive la dénomination fût le
résultat immédiat d(>. la connaissance, et par conséquent qu'il
existît entre le nom et l'objet, la nature de l'objet et son ex-
pression phonétique, une union si étroite que le nom repro-
duisît, représentât les qualités essentielles de l'objet. Dans les
langues que nous connaissons, il n'en est point ainsi. Le mot
taurus, lin, par exemple, ne nous représente pas de celte ma-
nière l'animal qu'il désigne, lors même que nous savons qu'il
désigne réellement cet animal. Dans la langue primitive, au
(^) S. Tiiom. S. Ih. i P. q. 96, nrl. -1, ad. 3: Iloniines in slalu
innoccnliœ non indigebanl animalibiis ad nercssilalem corporalcrn;
neque ad legumeniiim, quia nudi erant (îl non enibescebani, nullo
inrilanle inordinalai fonciipisccnlise mol» ; neque ad cibiim, quia li-
gnis Paradis! vescebaniur; neqnead vthirulum, propler rorporis robur;
indigebanl lamen eis ad experimenlalem oogniiionem sumendam
de naluris eorura. Quoil signiûcalum csl per hoc, quod Deus
ad eum animalia adduxil, ut eis nomiiia imponerel, quae eorum na-
turas désignant.
21 rniLOLOGlE et UÉVÉLATION. [Tome mi.
contraire, le mot était la représentation de la chose, et c'est le
sens que nous proposons d'attacher à ce passage: aOmne f[uod
« vocavit Adam animœ viventis Ipsum est nomen ejus. » Par
cette explication, on voit disparaître l'amphibologie créée par
les derniers mots de ce texte, qui a laissé croire à certains
exégètes que, jusqu'au temps de Moïse, les noms donnés aux
animaux par Adam avaient été conservés (1). Ce texte ne nous
dit rien de précis au sujet de la langue d'Adam : tout ce que
nous y apprenons, c'est que les noms donnés par Adam con-
venaient parfaitement aux animaux.
En second lieu, les mots «ut videret quid vocaret ea,» nous
forcent à croire que l'imposition des noms partait d'une né-
cessité intérieure et non du choix ou de l'arbitraire. L'homme
ne devait pas inventer des noms, les choisir, les former : il
devait seulement voù- comment il appellerait les animaux qu'il
avait sous les yeux, fîïi'i n'a nulle part une autre signification
que celle d'une simple découverte intérieure ou extérieure.
Ce que l'homme vit quand Dieu lui conduisit les animaux, ce
fut en eux l'i lée objective qu'ils représentaient, et en lui-
même l'image subjective qu'ils y formaient. En les nommant,
il reproduisait subjectivement le mode de représentation sous
lequel il les avait appréhendés, et objectivement leur mode
d'existence. Il devait donc exister entre l'idée et le nom qui
l'exprimait une union naturelle, nécessaire et organique (2).
{\) Boflœ Comm. in Gen. ad h. I.
(2; Quelques auteurs onl pensé qu'Adam avait donné des noms
aux atiiniiiux en imitant leurs cris ou leurs cliaiiîs. IN s'appuyenl sur
ce que dans [ilu^ieurs ian^-ucs on trouve des onomatopées de cette na-
îure: en sanscrit kaka, corneille; en latin lurlur, en allemand et en
français uhu et coucou, en chiuois rniao, <'hat. ÎV'ous pensons que ces
onomaiopées sont des créations plus récentes : elles sont d'ailleurs
relaiivenient rares et n'expriuient pas la noiion e«scQlielle de l'ani-
mal. Suppo-é qu'Adam ait ainsi nommé plusieurs animaux au paradis,
nous devon-« penser qu'il a trouvé dans ce son la meilleure expression
de la uaiure de l'animal. Le texte biblique n'appuie en aucune façon
l'opinion de ceux qui ont pensé qu'Adam comprenait la voix des ani-
maux.
Janv. 18C3.] miLOLOGlE ET RÉVÉLATION. 2S
Nous avons d'autres exemples de noms donnés par Adam
(Gen. 4, 1 ; 2, 20 ; 5, 29, etc.). Le plus important est celui
qu'il donna à la femme. Il la vit, il reconnut son être et
il l'appela nsJSi. Dans ce mot hébreu qui est la tradnclion du
mot original, le rapport pathognomique du son avec l'idée d'A-»
dam est perdu. Mais nous pouvons encore apercevoir comment
l'être d'Eve trouvait dans ce mot son expression parfaite. Le
mol TilS'^ est compose de la racine j^iï;; et de la désinence fé-
minine abrégée du pronom i^in- La forme phonétique nous
donne donc Tidée d'un être qui est de la même nature que
l'homme et qui en diffère par le genre : l'homme avec le ca-
ractère du féminin. 11 eût été difiicile de trouver une forma-
tion de mot qui peignît la nature d'Eve d'une manière plus
complète et plus caractérisée.
Ajoutons en finissant que l'antiquité grecque avait soupçonné
la doctrine que nous venons d'exposer. 11 s'était élevé une
longue discussion sur l'origine des mots. On se demandait s'ils
avaient pris naissance spontanément, ouasi, par im rapport
intime avec l'idée, ou bien théoriquement, Oécci, d'après l'ar-
bitraire et les conventions humaines. De là, la question sur la
convenance, 6p6oTr,ç, des mots, qui consistait à savoir si le
langage était ou non dans un rapport intime et nécessaire avec
les essences des choses, de manière que la connaissance de la
langue fût nécessairement suivie de celle du monde réel (1).
Heraclite avait deviné que les sons particuliers avaient eu à un
moment donné une signification symbolique, et il soutint que
les mots s'étaient produits naturellement, oùcn, à la manière
des ombres ou des refractions dans l'eau, et ne devaient pas
leur origine à des représentations artistiques, comme les
slalues et les tableaux (2). Platon laisse aussi percer les
mêmes tendances dans le Cratyle, et, malgré le manque de
(I) Lersch, Sprachphilosophieder Allen. SBd.
(2; Ammonius Hcrmias ad Arid. de iiiierp. p. 2i b. éd. Aid.
26 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [TonioYll.
notions historiques, il n'en a pas moins mérité cet éloge d'un
de ses éditeurs: « Totani banc causam eo usque profligasse
« existimandus est, ut posteris sœculis nihil fere, quod gra-
« vioris momenti esset, excutiendum reliquerit (t). d Nous
ne partageons pas complètement cette manière de voir, et
nous pensons que l'antiquité manquait des éléments néces-
saires pour résoudre cette question. Ceux qui soutenaient
l'opinion de la production naturelle et convenable des sons,
se trouvaient évincés par l'expérience qu'on en faisait sur le
grec, dont l'éiat n'était pas de nature à accréditer ce sentiment.
Pour nous au contraire, il a une valeur réelle : le langage pri-
mitif portait en lui un moyen de connaître l'essence des
choses. La philosophie, la Révélation et la philologie viennent
tour ù tour de nous apprendre à lui reconnaître ce caractère.
L'abbé d'Autdn.
(J) Slallbaum. Cral. p. 24.
EXAMEN
DU
PASSAGE DE SAINT GREGOIRE DE TOURS SUR LA MISSION
DE SAINT SATURNIN A TOULOUSE.
Nous avons examiné les Actes du martyre de saint Saturnin,
et nous croyons avoir démontré qu'ils sont loin de prouver
que le premier évéque de Toulouse soit arrivé dans cette ville
vers le milieu du 111° siècle. Ils laissent soupçonner une épo-
que antérieure et par conséquent la date qu'un seul des ma-
nuscrits assigne est très-basardée (i). Si c'était là l'unique
monument qui déposât en faveur de nos adversaires, il serait
jpermis, sans crainte de ne point mériter le nom de critique éru-
dit, d'admettre que saint Saturnin a évangélisé Toulouse au I"
siècle. Mais ceux qui combattent cette dernière opinion ne
s'appuient pas sur un seul témoignage, et leur arsenal renferme
plus d'une machine de guerre. Pour corroborer l'assertion de
l'auteur anonyme des Actes et fortifier la certitude douteuse
de leur époque favorite, ils citent saint Grégoire de Tours qui
s'exprime ainsi : e Sous l'empire de Dèce, de grandes guerres
furent déclarées au nom chrétien, et le nombre des fidèles im-
molés fut si considérable, qu'il n'est pas possible de les comp-
ter. Sous sou règne, sept hommes ordonnés évêques furent
envoyés pour prêcher dans les Gaules, comme le raconte l'his-
{\) V. 1. 11 de celle Revue (aoûH860), p. ^60 elsuiv.
28 SA1>T GRÉGOIRE DK TOURS [Ton^eVIl.
toire du martyre desaint Saturnin; car elle dit : Sous le consulat
de Dèce ou de Grjtus, d'après un souvenir fidèle, Toulouse
avait commencé (ou commençait) à avoir Saturnin pour évê-
que. Voici donc ceux qui furent envoyés : à Tours, Galien,
évèque; à Arles, Trophime, évêque; à Narbonue, Paul, évèque;
à Toulouse, Saturnin, évèque ; à Paris^ Denis, évêiiue ; à Cler-
mont, Austrcmoine, évèque; à Limoges, Martial, évêque...
Sur de sou martyre, Saturnin dit à ses deux prêtres : a Voilà
« que je vais être immolé et que le moment de ma mort ap-
c proche. Ne m'abandonnez pas, je vous prie, jusqu'au terme
a de ma course. » Et commeonle conduisait au Capitole après
s'être saisi de lui, les prêtres l'abandonnèrent. Voyant cela,
Saturnin, assure-t-on, fît à Dieu cette prière : a Seigneur Jésus-
« Christ, exaucez-moi du haut du ciel, et faites que l'Église
« n'ait aucun de ces citoyens pour évêque, à perpétuité. » Ce
qui s'est accompli en cette ville, jusqu'à ce jour. Saturnin
ayant été attaché à un taureau furieux, fut précipité du Capi-
tole et termina ainsi son martyre (1). »
(^) Sub Dei'io imperaloremulta bella adversum noraen christianurn
exoi'iiinlur, el laula seges de credeiUibus fuil ul nec numcrari qiieanl.
Hujus tempore seplem viri episcopi ordinali ad praedicandura in Gal-
bas rnissi sunl, sicul hisloria passionis saniMi SaUimini denarrat. Ait
enim: Sub Decio el Gralo coosulibus, sicul fideli recordalioiie reti-
nelur, primuin ac suratnum Tolosana civiias sancluni Salurninum ha-
bere cœperai sacerdolem Hi ergo mis?! siuit, Turonicis, Galianus epi-
scopiis; Are'aleniib'j>,Trophimus episcopus; N.uborice, Paiilus episco-
pus; Tolosœ, Salurninus episcopus; Parisiacis, Dionysius ; Arvernis,
Slremonms episcopus ; Lemovicinis, Marlialis est deslinalus episco-
pus. Salurninus vero jam sccurus de raarlyrio dicit duobus presby-
leris suis: « Ecce jam immoler el lempus lesolulionis mea^ i^^tat.
Rogo ut usquedum debilum finem irai leam, a vobis peoilus non
relinquar. » Cumque coiapreliensus ad Capilolium dueereUir, rolictus
ab bis, solus allrahilur. Igilur cum se ab iUis cernerel dereliciun),
orasst; ferlur: Domine Jesu Cbrisie, exaudi me de cœlo sancio luo, ut
nunquam ecclesia debiscivibus mereatur habere Ponlificemin sem-
pilerniun. Qi;od usqiie nuno in ipsa civitaie iia venisse cognovimus.
Ilic vero laun furentis vesligiis alligatus el de Capilolio i raecipi-
latus, vilam finivit. Hitt. eccl. Francorum lib. l, cap. 28,
Janv. 1SC3.1 KT SAINT SATURMN DE TOULOUSE. 20
Tel est le témoignage de Grégoire de Tours. Si nous voulions
rapporter tous les commentaires dont ce célèbre passage a été
l'objet, lin volume entierne suffirait pas A la question de l'a-
postolat de saint Saturnin se rattache d'une manière intime
celle de l'origine des églises de France, puisque c'est un sen-
timent généralement admis, que ce saint a été un des pre-
miers évêques envoyés dans les Gaules. Discutons à notre tour
ce texte, et prouvons qu'il n'a pas assez de valeur pour établir
d'une manière certaine que saint Saturnin soit venu au III«
siècle. Mais auparavant faisons connaître Grégoire de Tours et
voyons quelle est son autorité comme historien.
§ I. Valeur de Grégoire de Tours comme historien.
« Florentins, qui hérita de son bisaïeul, évèque de Langres,
du nom de Grégoire, naquit en Auvergne en 539 d'une famille
sénatoriale déjà illustrée par plusieurs évoques. Une sauté déli-
cate le détermina à se rendre au tombeau de saint Martin de
Tours pour implorer de lui sa guérison ; et parla suite il fut
élu pour lui succéder. Il est appelé le Père de l'histoire de Fran-
ce, à raison de ses dix livres iniilxxXé's, Historia ecclesiastica Fran-
corum. Bien qu'il connaisse Virgile, Salluste, Aulu-Gellc, il
écrit dans un style inculte à la fois et afiecté, n'ayant ni force
ni couleur et sans aucun ordre chronologique, comme un hom-
me qui raconte au fur et à mesure ce qu'il entend dire. Il n'a
ni l'ingénuité des anciens, ni la critique des modernes ; négli-
geant les faits importants, il en accei)te de faux ou de douteux
et croit aveuglément tous les prodiges (1). »
Nous avons entendu une voix impartial'.'. Voici maintenant
un autre témoignage. Jean de Lannoy, dont la critique était
si sévère pourtant, embrasse chaudement le parti de Grégoire
de Tours, a Cet historien, dit-il, se montre très-studieux et très
(4) César Caaiu, //ts/. unlv.. l. ix, p. 477.
30 SAINT GRÉGOIRE DE TOURS [Tome VIL
diligent pour rapporter ce que l'on savait de son temps sur
les saints et les miracles de chaque église, et principalement
sur les miracles des saints de l'église gallicane. Tout ce que
Grégoire de Tours n'a pas raconté des saints qui ont vécu
avant lui en France; tout ce qu'il n'a pas dit de leurs vertus
ou do leurs actions, n'a jamais existé, ou bien n'a pas mérité
de voir le jour. Grégoire en a eu certainement connaissance,
mais il l'a méprisé (1). »
Néanmoins le même Launoy nous assure, dans un moment
où la passion ne l'cgarait pas et laissait toute liberté à son
esprit, que Grégoire de Tours a pu se tromper. «Je ne vomirais
certes pas me porter garant de tout ce que Grégoire raconte,
car il a corrigé plus tard dans son histoire bien des choses
qu'il avait apprises par de faux bruits ou des rumeurs incertai-
nes (2). D Tillemont prétend que Grégoire n'est ni fort exact
dans ses expressions, ni fort juste dans ses idées. « Il faut le suivre
cependant, ajoute-t-il, non comme un auteur fort assuré, mais
comme le meilleur et le plus ancien de ceux que nous avons
sur cela. Il a l'avantage de ne point combattre Sulpice-Sévère
et de se pouvoir accorder avec ceux qui semblent ne mettre
saint Denis que sous Dioclétien (3). » Baronius dit qu'il faut
pardonner beaucoup à la simplicité de saint Grégoire qui croil
si facilement les choses. Hilduiu se sert des mêmes raisons
(1) In commemorandis iis omnibus quae de uniuscujusque Ecclesia'
prseserlim Gallicaufe sanclorum miracuUs suo lempore dicebanlur,
sludiosissiraum eidiligeulissimura se preebel. Quidquiii emm de [.rœ-
cedenlium Galiiœ saaclorum virlulibus et geslis miai;luin reiiquit,
vel nusquam exlilil, vel si quoquo modo cxtilisse diceretur, coii-
lempsiL ilie, potius quam non vidil. [Dissert ai iones 1res Jjannls
Launoii, quaruni una Gregorii Turonensis de sepltm episuoporuin
adveiiiu in Galliau), elc. Ces dissertations ont été mises à l'index le 29
mai ^690.)
(2) Non quod velim singula quse narrai prcPslare ; saut enim
nonnulla quse ex incerlo ruiaore accepta in historiis posiea correxit
(Ibidem).
(3) Tillemoni, Mémoires ecclésiastiques, 1. 3, p. 008.
Janv. 1803.) ET SAINT SATURNIN DK TOULOUSE. 3ï
pour l'excuser, lorsqu'il s'exprime de la manière suivante: On
doit avoir une grande indulgence pour la simplicité de Grégoire
de Tours, homme d'ailleurs très-religieux, qui rapporte les
choses autrement qu'elles ne sont eu vérité, non par ruse et
avec l'intention de tromper, mais par excès de bonté et de
simplicité (1).» En un autre endroit, Baronius dit encore :
a Sans vouloir manquer de respect à Grégoire de Tours, nous
avon'3 montré plusieurs fois dans ce livre qu'Une s'est pas seu-
lement trompé pour les choses anciennes, mais qu'il a erré
même pour des faits arrivés en son temps (2). x>
En effet : 1° selon Grégoire de Tours, les martyrs d'Aisnay
à Lyon souffrirent après saint Irénée (3). Or il est certain que
ce saint docteur reçut la palme du martyre sous l'empereur
Alexandre Sévère, tandis que les confesseurs de la foi dont il
est ici question ont été martyrisés avec saint Pothin, sous l'em-
pereur Marc-Auréle, vers Fan 177.
20 Grégoire place Thérésie de Valentin ou Valeutiaien sous
l'empereur Dèce, vers Tan 230. Or, cet hérétique a été réfuté
par saint Irénée, successeur de saint Pothin, en 179, et mis à
mort vers l'an 202.
3° Grégoire dit que le pape saint Sixte, saint Laurent, et
saint Hippolyte ont souffert durant la persécution suscitée par
le même empereur. Or, ces saints n'ont pu être martyrisés sous
(\) Plurima auctoris Gregorii Turonensis simplicitali mulla tam
acile adraitlenli (lonanda sunt; proul eliarn excusai Hilduinus sic
diceiis: Cselerum parceniJum esl simpliciiatl viri religiosi Gregorii
Turonensis episcopi, qui mulla aliter quam verilas se Iiabel œstimans
non callidiialis aslu, sed benignitaiis el sitnplicilalis voie lilleriscom-
meniliivil. {Annales eccL, t. ii, p. -109.)
(2) Face Gregorii dixerim Ipsum non tanlum in remolis sed in Lis
elîam quae suorum sunt lemporum , aliquando esse ballucina-
lum, faepe 8U{ crius osteosum est. (Annotationes ad marlyrologium,
IX oclobris.)
(3) Hùt. eccl, Francorum, lib. i, cap, xxxn.
32 SAINT GRÉGOIRE DE TOURS. [Tome VII ,
ce prince, puisque Dèoe est mort en 2ol et que le pape saint
Sixte n'a succédé au pape saint Etienne qu'en 257 (I).
Maintenant que nous avons assez fait connaître Grégoire de
TourS; entrons dans la discussiondu passage rapporté plus haut.
§ '2. Les actes cités par Grégoire de Tours renferment deux cir-
constances qui ne se trouvant nulle part ailleurs rendent ce
actes très-suspects.
Première circonstance : la mission des sept évêques sous Dèce.
Le premier sentiment que l'on éprouve en lisant les paroles
de Grégoire de Tours, c'est qu'il y a là une erreur manifeste
ou un système insoutenable. II dit que sous l'empire de Dèce
on envoya des évêques pour prêcher l'Évangile dans les Gau-
les, déclarant ainsi que la foi n'avait pas été annoncée encore
dans ces contrées, ce qui est faux (2). Ensuite, il cite les actes
du martyre de saint Saturnin pour prouver que les premiers
sièges des Gaules ont été fondés sous cet empereur. Or, cela u'esi
pas plus exact, car aucun des manuscrits des Actes de saint Sa-
turnin ne parle des évêques qui vinrent avec lui. Voici ce que
portent les Actes que le P. Ruinart prétend être sincères et loués
par Grogoii"e de Tours : Ante annos L sicut actis publicis, \d est
sub Decio et Gi'ato consulibus, primura et sumtnum Tolosa civitas
sanctum Saturninum habere cœperat sacerdotem. Dans ces Actes
il n'est fait aucune mention des sept autres évêques. «Grégoire
de Tours se trompe donc, dit de Marca, archevêque de Tou-
louse, lorsqu'il prétend, à l'occasion de la Vie de saint Satur-
(1) OrUjinc de l" église deMende, jiar l'abbo CliarbonncI, p. 13.
(2) Erravil ergo Cregoiius prœiexUi vilse Saluruiiii, cujus verba
laU'Jal iii epOLlia Decii conslilueuda, quaui scriplor ille cum .-oli Sa-
luriiioo alfigerel, Gregoiius de suc, ad alios exlendil ex re>'epta jam
lum opinione de sepiem illorum sociela;e. De suo addidisse.ciixi,
quoniam in verbis aciorum san li Satuniini, qi.ce Gregorius
laaJat, niiUa lil sex Poalilicum mea;io. [4cta aanctorum, l. vjuui;,
JaDV. 1863-1 ET SAINT SATURNIN DE TOULOUSE. 33
nin dont il rapporte les expressions, que les sept évêques sont
venus au temps de Dèce. L'auteur des Actes ne parle que de
saint Saturnin, mais Grégoire applique de son auioritjé privée
ses paroles aux autres évêques, fidèle eu cela à la tradition
qui déclare qu'ils sont venus ensemble. Je dis de son autorité
privée, car les Actes dont Grégoire s'est servi ne fout aucune
mention des six autres évèqnes. » — « Grégoire de Tours, dit
aussi le P. Longueval, place la mission des sept évêques sous
Fempira de Dèce, parce que saint Saturnin fonda le siège de
Toulouse sous le consulat de cet empereur (1). » Tillemont
rend aussi le même témoignage : « Saint Grégoire de Tours,
voulant marquer le temps de la mission des sept évêques, n^al-
lègue que ce qui est dit dans les Actes de saint Saturnin (2). »
Ce passage de Grégoire de Tours tirant toute sa force d'une
citation fausse ne peut donc avoir une grande valeur ; que
sera-ce si nous démontrons que plusieurs de ces évêques dont
il retarde la mission jusqu'au milieu du IIP siècle sont venus
longtemps avant? En effet, dit Hugues Ménard, si nous pou-
vons prouver que la vérité de cette narration des sept évêques
chancelle à l'égard d'un seul, elle ne méritera plus aucune con-
fiance par rapport aux autres, puisque l'erreur qu'on y décou-
vrira ne s'attachera pas à une circonstance accessoire, mais
à la substance du récit (3).
Or, sur ce point, les hésitations des partisans de Grégoire de
Tours sont considérables. Après l'avoir exalté, ils l'abandon-
nent, ils retranchent à leur gré de ce nombre de sept qui de-
vrait être sacré pour eux, et varient encore quant h l'année
qu'il assigne à leur mission. Ainsi le P. Longueval, dans son
( I ) Hist. de l'Église Gallicane, discours prél.miuairG.
(2) Mémoires ecclésiastiques, l. m.
(3) Li cerie si vel in uno t-pisiopo veram non esse conslal uarra-
lione:ii, nihil eril quoil iu reliquis impelrare lidem luerealur; errore
tnim dcpreheaso non in aliqja circum^ianlia, sed in ipsa rein:irratee
subslanlia, elc. [Diatriba de unico Dionysio.)
RïVCI DES SCIENCES ECCLÉSUSTlQUEi. T VU- 3-4.
34 SAINT GRÉGOIRE DE TODRS [Tome VII.
Histoire de l'Eglise Gallicane, et Denis de Sainte-Marthe, dans
le Gallia christiana, reconnaissent que Grégoire s'est trompé
pour saint Trophirae. Immédiatement après avoir établi la tra-
dition qui regarde saint Trophime comme étant envoyé par
saint Pierre, Denis de Sainte-Marthe se fait cette objection :
Cette opinion communément reçue est en opposition avec le témoi-
gnage de Grégoire de Tours. Et il répond : Les évêques de la
seconde Narbonnaise, des Alpes maritimes, et de la province
d'Arles, qui vivaient au milieu du V« siècle, connaissaient mieux
l'origine de leurs églises- et le temps auquel elles avaient été
fondées que Grégoire de Tours qui florissait seulement vers la
fin du Vie siècle. Certes, si saint Trophime ne fût venu que vers
l'an 2o0 et si ces églises n'avaient été fondées qu'alors, com-
ment tant d'évêques dont quelques-uns déjà vieux n'étaient
pas très-élcignés de cette époque, auraient-ils pu l'ignorer, ou,
s'ils le savaient, comment se seraient-ils résolus à faire illusion
aux autres et à mentir ?(1) »
Les savants auteurs de Y Histoire du Languedoc font leurs ré-
serves à propos de saint Paul de Narbonne. a Nous suivons,
disent-ils, Grégoire de Tours, qui joint ensemble les sept évê-
ques.... C'est sans préjudice de l'ancienne tradition de l'église
de Narbonne, qui reconnaît pour son premier évéque Paul,
disciple des apôtres, lequel peut avoir été envoyé dans les Gau-
les longtemps avant (-2). » Labbe, éludiant la question de l'a-
postolat de saint Martialaul" siècla, disait, après avoir peséles
[\) Huic vu'gatae opinioni oppouHur Gregorii Turonensisauctoritas.
A't haîc respondemus, episcopos se^undae Narbonensis, Alpium marili-
marura,el Arelalensis provinciœ qui seiiebanl medio seculo V doc-
liores fuisse circa origines Ecciesiarum suarum el lenipus quo fundalaj
erant, quam Gregorius qui floruil seculo VI desinente. Certe si Tro-
phiinus ac<"essi>sct lanliim post médium secuhimlllum; nef: nisi postea
jacla essenl fundamenla diclaruin Ecciesiarum, quorao io totepiscopi,
quorum nonnulli jam seniores erant, nec longe ab lis aberanl lera-
poribus, in islis potuissenl cœcutire, aui si noveranl, menUri voluis-
sent, aut fucura facere. [Gallia Christ.^ i. i, col. 519.)
(2) Hisi. du Languedoc, l. i, p. 616,
Janv. 18G3 ] KT SAINT SATCRNIN DE TOULOUSE. 33
raisonspour et contre : «La chose est indécise et a besoin d'un
iuge,adhuc subjudice lis est (1). » Enfin, Bosquet place la mis-
sion de saint Denis sous saint Clément, et Tillustre Mabillon,
adoptant ce sentiment, dit qu'il ne faut pas refuser facilement
de s'en rapporter à Hincmar de Reims, quand il affirme avoir
lu dans les Actes de saint Denis que cet évéque n'était autre que
l'Aréopagite envoyé dans les Gaules par saint Clément (2).
Les partisans de Grégoire de Tours se séparent encore de
lui quand il s'agit de déterminer Tannée de la mission des
sept évêques. D'après lui, elle eut lieu en l'an 250; il le dit
d'une manière très-explicite, lorsque, parlant de Gatien, un
de ces sept, il le fait partir de Rome la prernière année du rè-
gne de Dèce (3).
D'abord^ tlirons-nous avec M. Paillon, si nous comparons
le récit de Grégoire de Tours avec les circonstances des temps
et des lieux, il paraîtra souverainement invraisemblable que
le Pontife romain ait envoyé dans les Gaules, comme le sup-
pose cet historien, une troupe si considérable de prédicateurs.
On tient que tous ces évoques ont eu un ou plusieurs compa-
gnons de leur apostolat. Saint Denis avait avec lui saint Rusti-
que, saint Eleulhère et même d'autres disciples , ce qui fait
dire au P. Longueval : « Ce fut une des missions les plus célè-
« bres dont l'histoire fasse mention, vu le nombre et la qualité
« des missionnaires, le pape saint Fabien ayant ordonné sept
« évêques et les ayant mis à la tête d'un grand nombre d'au-
« 1res ouvriers apostoliques (i).» Or, le temps de Dèce n'était
{!] De Scriploribu-ieccL, t. ii, p. 60.
(2) Non faillie clebemus ûJern abrogare Hiacmaro conteslanli in
islis aclis a se lectum Dionysiura priraum Parlsiorutn episcopuni non
alium esse q'iain Areopagitiim, qui in Gallias niissus sil a sancto Cie-
raenle. [Fuiera Analecla, p. 223.)
(3) Prmuis Gaiianus episcopus anno imperii Decii primo a Roma-
XiK sedis papa iransmissas. esl [Hist. eccles. Francorum lib. x,
cap. 31, n. I.)
(4) Hist. de r Eglise Gallicane, 1. 1, p. 61.
36 SAIN! GRÉGOIRE DE TOURS [Tome VIL
pas favorable pour une pareille mission. Car ce prince, auteur
de la septième persécution générale, commença à persécuter
cruellement les chrétiens dès son avènement à l'empire, puis-
que, élu vers la fin de l'année 249, il fit périr le pape saint
Fabien lui-même le 20 janvier 250. De plus, cette persécution
fut si cruelle, que le saint Siéj;:;e vaqua plus de 16 mois, c'est-à-
dire presque tout le temps que vécut encore l'empereur Dèce,
parce que ce tyran attaquait surtout les évêques et n'en voulait
point souffrir à Rome, comme l'observent les auteurs de l'Art
de vérifier les dates {\). Mais si le clergé romain, chargé du gou-
vernement de ri glise pendant la vacance du Siège, n'osait pro-
céder à l'éleetioR <î'unpape, commentsnpposer que l'on ait eu
la hardiesse d'ordonner néanmoins sept évêques, et de les en-
voyer encore avec plusieurs autres missionnaires pour fon-
der de nouvelles églises? Aussi, le P. Longueval, qui maintient
l'autorité du fameux passage, excepté pour ce qui concerne
saint Trophime, suppose que saint Grégoire a confondu les
temps et s'est trompé en jilaçant celte mission sous l'empire de
Dèce. et I! e?t probable, dit-il, que ces missionnaires furent en-
voyés quelques années ^lus lot, pendant la paix de l'Église,
sons le règne de Philippe (2). Tillemont, qui suit saint Gré-
goire sur la mission des sept évêques, l'abandonne cependant
quant au temps auquel elle a eu lieu : a On peut croire, dit-il,
qu'ils avaient été envoyés durant la paix dont l'Église jouit sous
Philippe.... n ne se faut pas arrêter absolument au règne de
Dète pour y mettre la venue de ces évêques; car la persécu-
tion horrible qu'il excita contre l'église, dès le commencement
de 250, n'était pas bien propre pour envoyer en France une
mis-ion de cette nature. Saint Fabien n'en eut pas beaucoup
le loisir en 250, puisqu'il fut martyrisé le 20 de janvier (3). »
D'autres remontent beaucoup plus haut, et tout en soute-
(t) Art de vérifier les dates, p. 212.
(2) Hisl. de C Eglise Gallicane (I. c.)
(ô) Mémoires, etc., l. iv, p, ^45.
Jany. 18031. ^^ SAINT SATURNIN DE TOULOUSE. 37
naut avec intrépidité qne Grégoire de Tours n'a pu se trom-
per, ils placent la mission des sept évêques vers l'an 213.
« Plusieurs, dit Godeau, évêque de Vence, mettent cette mis-
sion sous la première année de Dèce, Gratus étant consul avec
lui. D'autres estiment que ce fut sous ce consulat, que Saturnin
à Toulouse et Denis à Paris reçurent la couronne du martyre, et
que la mission fut faite au tem])s où nous sommes de cette nar-
ration qui est 213 (1). » C'est là le sentiment de M. l'abbé Sal-
van, qui s'exprime ainsi : a Nous admettons le célèbre passage
de Grégoire de Tours comme conforme à la vérité de l'histoire.
Nous donnons trente-huit ans environ d'épiscopat à saint Sa-
turnin. Nous plaçons le commencement de sa mission dans les
Gaules immédiatement après la persécution de Sévère, vers l'an
220 de l'ère chrétienne. Nous plaçons son martyre dans les der-
nières années du règne de Décius, vers l'an 251 ou 252 de
Jésus-Christ (2).» Enfin, Bosquet avoue qu'on ne sait ni qui a
envoyé ces évèques, ni en quelle année ils sont venus. Ces
sept évêques, dit-il encore, vinrent dans les Gaules à des épo-
ques diffférentes et non ensemble et en même temps (3).
En plaçant sous le consulat de Dèce et de Gratus la mission
des sept évèques, Grégoire s'est donc trompé, et il a été induit
en erreur parles actes du martyre de saint Saturnin, a Comme
c'était une tradition constante, dit Bosquet, que ces sept évê-
ques étaient venus ensemble, Grégoire, ignorant le temps pré-
cis de leur mission, et voyant que les actes de saint Saturnin le
faisaient venir sousle consulat de Dèce et deGratus, écrivit qu'ils
étaient tous venus sous ces consuls. Mais en faisant venir ces
évêques ensemble, Grégoire a rempli l'histoire d'erreurs. »
1-1} Hist. de l'Église, t. 1er, p. 528.
(2) Disserlalion sur la mission de quelques évêques, etc., p. 81-82.
(5) Iiicerlura lamen est quibus annis singuli venerini, vel a quibus
legaiioiiem aoceperiol... Diversis itaque leniporibus, illi episcopi in
Gallias venerunl, non uno eodemque, simul et semel. (Hist. eccl.
Gall. Uh. ni, c. 21.)
38 SAINT GRÉGOIRE DE TOURS [Tome VII
Bien n'est plus vrai, ajoute le bénédicliu Millet (t). C'est pour-
quoi nous dirons avec Hugues Méiiard : « Tout en respectant
Grégoire de Tours, je prétends que presque rien de ce qu'il
rapporte de Dèce n'est exact. De là vient que tout ce qu'il
avance touchant la mission des sept évêques sous le consulat de
Dèce et de Gatus n'est pas assez certain pour détruire et abo-
lir l'ancien ue tradition de l'église gallicane (2). t Et nous con-
cluons avec le cardinal Baronius : « Ce que Grégoire affirme
de saint Deius de Paris est aussi vrai que ce qu'il aifirme de
Trophime d'Arles, de Paul de Narbonne, et de Martial de Li-
moges. Il les fait venir sous Dèce alors qu'il est évident qu'il
ont été envoyés par les apôtres, ainsi qu'en témoignent leurs Ac-
tes et les anciens martyrologes (3). »
On nous demandera peut-être maintenant d'où vient l'erreur
de Grégoire de Tours. Voici comment M. Paillon l'explique (4).
Pour composer ce qu'il rapporte de la mission des sept évêques,
Grégoire a eu deux sortes d'Actes, ceux de saint Saturnin et
ceux de saint Ursin, évêque de Bourges. Il a pris des Actes de
{^) Cura auîem illos septem epi.scopos simul in Gallias venisse tra-
dert'tur, cerlumniissionis fempus ignorons Gregorias, Salurnini mar-
l.ynum ex AcUbus ejus cornperuun li;ibens, jara sub.illis consuiibus
fuisse scripsil. Episeoporimi illa in prseiiicau'io evangelio socittas,
mullos in noslram hisloriain indiisit crrores. [Ilist. eccl. Franc, lib. i,
cap. uli. Cfr. Millet, Vindicala DionysH gloria. lib.i, c. 9.)
(2) Pace Gregorii dixerim, in lus qUcR de imperio Decii scripsil, vix
aliqiiid sani disit; aiqiie ideo quidquid de septem Episcoporum mis-
sioiie tacUi Dei io ci Gralo consulibas dixil, non esl adeo rerlura, ut
veterem Gallicanœ Eccicsiae iradilionemextirpare valeat. [Diatviba de
unko Dlonyno, c 4.)
(3) Piceduiis de Dionysio opponitur quod Gregorius dical sanclum
Dionj sium rnis>um esse Parisios leniporibus Deeii : id quidera tain ve-
ram esl quani quod ibidem asseril, Trophimnrn Arelalem, Paulum
Karbonam,' el Marti. dem eisdem lemporibus Decii misses in Gal-
liam ; quos omnes liquido con:iial ah aposlolis illuc esse directes, proul
Acta el aQii_qua mariyrologia lestantur. [Annolationes ad Marlyrol.
IX oclobris.)
(4) Monuments incdUs, t. ii, col. 371-375. 423.
Janv. iSG3.] ET SAINT SATURNIN DE TOULOUSE. 39
saint Ursin le dénombrement des sept évêques, et de ceux de
saint Saturnin, l'époque de leur mission. Sept evêgues, dit-il,
furent envoyés dans les Gaules pour y prêcher la foi : Catien à
Tours, Trophime à Arles, Paul à Nar bonne, Saturnin à Toulouse.
Voilà les sept évêques mentionnés dans les Actes de saint
Ursin. Ce futy ajoute-t-il, sous Dèce que les sept évêques furent
envyés \ et voici le motif de cette date : a Ainsi que le marque
le niùrtyre de saint Saturnin, car on y lit: Sous le consulat de
Dèce et de Gratus, comme on le sait par un souvenir fidèle, la
ville de Toulouse eut pour évêque saint Saturnin. Or, c'est en
cela que se trahit l'inexactitude de Grégoire de Tours. Les
Actes de saint Ursin portent que les sept évêques ont été
envoyés, non sous l'empire de Dèce, mais parles saints apôtres
(Pierre et Paul), ce qui est bien différent. Pourquoi donc Gré-
goire de Tours, ayant puisé dans la légende de saint Ursin
cette tradition que les évêques étaient venus ensemble, n'a-
t-il pas dit aussi qu'ils avaient été envoyés par les saints
apôtres ? S'il l'eût fait, la tradition de nos églises se serait con-
servée intacte, et les ténèbres qui couvrent leurs origines pour-
raient être plus facilement dissipées. Néanmoins, les études
nouvelles dont celte importante question est l'objet, rendent
aux anciens documents l'autorité qu'ils méritent, et il est per-
mis d'espérer, grâce à elles, que le jour n'est pas éloigné où
l'on reconnaîtra que nos pères n'ont pas été induits en erreur
par des légendes sans valeur historique.
Seconde circonstance. — La prière que, d'après saint Gré-
goire, saint Saturnin adi^esse à Dieu avant d'être pris par les
vaïens.
Examinons la valeur et le sens de cette prière, et faisons
voir qu'on peut rejeter en toute sécurité le témoignage des
Actes qui la renferment.
1° Sa valeur. D'abord, on ne la trouve que là: aucun ma-
nuscrit n'en parle. Ensuite, il y est question c?e deux prêtres,
tandis que, selon Ruinart, saint Saturnin était accompagné
iO SAINT GKÉGOIRE DE TOURS [Tom; VII.
d'un prêtre et de deux diacres, contradiction importante entre
des Actes qu'on nous présente comme également sincères.
« Pour composer son histoire, Grégoire de Tours, dit M. Salvan,
s'est servi des Actes de saint Saturnin, auxquels on avait ajouté
les noms des six évoques envoyés avec l'apôtre de Toulouse,
et le discours qu'il tint aux clercs qui l'abaudonnèrent, lorsqu'il
était traîné au supplice. Il est important d'observer que ces
additions no se trouvent dans aucune des copies des Actes
autlientiques parvenue? jusqu'à nous.Ilfauten conclure qu'elles
n'étaient parvenues au temps de Grégoire de Tours que par la
voie (Je quelque tradition qu'il aura cru devoir recueillir et
rapporter (1). » Enfin Launoy, se basant sur le mot fertur,
prétend que Grégoire ne donne pas cette prière comme une
chose certaine ; il la rapporte seulement comme il l'a apprise
par un souvenir fidèle. S'il en est ainsi, si cette prière est
douteuse mal-;ré le souvenir fidèle d'où elle lire son origine, la
mission des sept évèques, qui n'est appuyée que sur ce souve-
nir^ sera nécessairement douteuse aussi et incertaine.
2° Sen$ de cette prière. Elle est susceptible de plusieurs si-
gnifications et elle a été diversement interprétée. Voici les
trois sens qu'elle peut avoir: 1" Que jamais l'Eglise n'ait aucun
Toulousain pour évèqiie. Entendue ainsi, elle serait absurde.
Tout le monde sait, en etfet, que Toulouse, surnommée la
sainte à cause de la piété de ses habitants, a donné de tout
temps de saints et de vénérables évèques à l'Église. L'histoire
contemporaine le prouve aussi bien que l'histoire ancienne,
2* Qu'aucun de ces deux prêtres qui m'ont si lâchement aban-
donné ne soit jamais promu à l'épiscopat. 3° Qu'aucun enfant
de Toulouse ne devienne jamais èvèque de celte cité.
Launoy a adopté la seconde interprétation. Il veut que
Grégoire ne comprenne dans son anathème que ses deux
prêtres et non tous les enfants de Toulouse, « Grégoire ne
(1) Dissertation, p. 71, Où est la preuve de celle tradition?
Janv. 18G3.J ET SAI^T GUÉGOIRIÎ DE TOULOUSE. 44
disant pas; Que FEglise n'ait jamais pour évêque un enfant de
celle cilé, ni: Que jamais un citoyen de Toulouse n'en soit
digne. » His civibus s'adresse donc, d'après lui, aux seuls
prêtres qui accompagnaient saint Saturnin. Mais telle ne
peut être l'intention de Grégoire; ce qui le prouve, ce sont les
paroles qu'il ajoute: « Et jusqu'à ce jour il en a été ainsi. » Si
l'anathème de saint Saturnin ne tombait que sur ses deux
prêtres, il ne serait pas nécessaire de faire remarquer que
jusqu'au VI» siècle sa prière avait été exaucée. Personne ne
peut songer à donner à ces deux prêtres une existence de près
de 300 ans. Il ne reste donc que le troisième sens: Qu'aucun
enfant de Toulouse ne devienne jamais évêque de cette cité. En
parlant ainsi-, Grégoire de Tours a voulu exprimer une chose
qu'il regardait comme très-certaine, puisqu'il la confirmait
par un miracle qui se continuait depuis plusieurs siècles. Quand
il aurait puisé cette persuasion dans les souvenirs, il la fait
sienne en ne la contredisant pas. Et ce qui montre bien encore
que c'est là le sens que l'on doit attacher à la prient de saint
Saturnin, c'est que de nos jours, comme du temps de Bosquet,
les Toulousains se vantent d'avoir vu sur le siège de Toulouse
des évêques qui étaient nés dans cette ville (1). «Ce discours
du saint évêque, dit M. Salvan, n'a point reçu son effet, et sa
prière n'a point été exaucée. Si elle le fut jusqu'au temps où
Grégoire de Tours a écrit son histoire, elle ne l'a pas été depuis
le Vr siècle jusqu'à nous (2). »
Or, cette prière interprétée en ce sens semble incroyable,
tant elle est extraordinaire. Jésus-Christ sur la croix était plein
de compassion pour ses bourreaux, et il demandait à son
Père de leur pardonner, parce qu'Us ne savaient pas ce qu'ils
faisaient. Saint Etienne, premier martyr, pendant qu'une
(1) Verum Tolosales episcopos se populares suos poslerioribus se-
culishiibuisse feruni. (Hist . eccl. lib. ui, c. 29.)
(2) Dissertation, p. 71.
.^2 SAINT GRÉGOIRE DE TOURS [Te me VU.
grêle de pierres fondait sur lui, élevait aussi la voix pour
ceux qui le lapidaient et disait à Dieu :« Seigneur Jésus-Christ,
ne leur imputez pas ce péché. » Tous les saints, marchant sur
leurs traces, ont prié pour leurs persécuteurs : et l'on veut que
saint Saturnin ait demandé à Dieu de punir ses prêtres cou-
pahles seulement de lâcheté. Ce n'est pas assez encore, on
veut que tous les enfants de Toulouse aient été enveloppés
dans le même châtiment et naissent souillés en quelque sorte
d'un second péché originel. El cela, non pas à cause du sang
de saint Saturnin injustement versé par leurs pères, mais en
punition de la fuite de deux prêtres dont le courage faiblit à
la vue de tout le peuple se précipitant avec furie sur notre
premier évêque. Non, cela n'est pas possible, car co ne serait
pas chrétien. Concluons donc en disant que la prière de saint
Saturnin est fausse, et que les Actes où Grégoire de Tours l'a
puisée n'ont aucune valeur.
§ 3. Grégoire de Tours adopte lui-même ailleurs V opinion qui
place au premier siècle la mission de saint Saturnin.
L'Histoire ecclésiastique des Francs n'est pas le seul ouvrage
de Grégoire de Tours. Dans son livre De la Gloire des martyrs,
il s'occupe encore de saint Saturnin, et il nous fournit une
preuve puissante en faveur de la mission de cet évêque au
premier siècle. Il s'exprime ainsi au chapitre 48* : « Saint Sa-
turnin, martyr, ordonné, dit-on, par les disciples des apôtres, fut
envoyé à la ville de Toulouse (1). » Interprétées dans ieui sens
naturel et obvie, ces paroles combattent l'opinion que Gré-
goire a rapportée dans sou Histoire. On peut donc conclure
qu'il tombe en contradiction avec lui-même, ou bieu qu'il
(1) Salurninus vere martyr, ut ferlur, ab apostolorum discipulis
ordiuatus, in urbem Toloiatium est directus.
Janv, 18G3.] ET SAINT SATURNIN" DE TOULOUSE. 43
adopte une opinion aussi probable et aussi fondée, à sou
avis, que la première. Pour échapper à cette conclusion
toute naturelle, ses partisans recourent à des explications la-
borieuses, qu'ils regardent néanmoins comme excellentes et
détruisant tous les doutes. Ne vous laissez pas surprendre,
disent-ils, par cette contrîi diction apparente, il est vrai,, mais
nullement réelle; Grégoire de Tours ne change pas de senti-
ment. 11 suffit d'un peu de science historique pour en être
convaincu. Entre ces deux opinions, si opposées à première
vue, règne l'harmonie la plus parfaite et on n'y trouve rien
qui ne s'accorde. « Pendant les premiers siècles de l'Église on
appelait disciples des apôtres ceux qui professaient la mûme foi
que les apôtres avaient enseignée à Rome. Ainsi, dans tous
ces temps primitifs, de même qu'on donnait aux simples fidèles
le nom de chrétiens, on donnait aussi aux évèques ou pasteurs
le nom de disciples des apôtres, c'est-à-dire, qui enseignaient
la même doctrine et exerçaient le môme ministère que les
apôtres. Ces mots ne doivent donc pas être pris en un sens
qui désigne les collaborateurs et les contemporains des apôtres,
mais ils ont une acception beaucoup plus étendue, telle tju'ou
l'entendait dans l'antiquité des disciples de plusieurs philo-
sophes, c'est-à-dire de ceux qui professaient leur doctrine,
quoique ayant vécu longtemps après leurs maîtres (1). » Ainsi
parle M. Salvan, commentant une phrase de D. lluinart.
Nous ne pouvons admettre cette explication, car elle n'a
rien de solide. Nous croyons avec Adon de Vienne et toute
l'antiquité chrétienne que, par disciples des apôtres, il faut
entendre leurs disciples immédiats, leurs contemporains. S'il
en était autrement, si les évêques des premiers siècles s'appe-
laient disciples des apôtres, non parce qu'ils avaient vécu avec
eux et avaient appris la véritable doctrine de leur bouche,
mais parce qu'ils exerçaient le même ministère qu'eux, pour-
quoi ne se disaient-ils pas disciples de Jésus-Christ? Us auraient
{i) Diisertation, p. ^5-iG.
41 SAINT GRÉGOIRE DE TOURS [Tome VII.
pu le faire avec autant de vérité, et certainement ce titre en leur
donnant plus de prestige aux yeux des fidèles, eût fait mieux
ressortir l'origine des enseignements qu'ils transmettaient et
conséquemmeut mieux assuré le succès de leur ministère.
Saint Honest, prêchant à Pampelune, comme le rapporte la
vie de saint Saturnin, se dit disciple de ce saint évêque qu'il
qualifie de disciple des apôtres. Pourquoi, afin de se donner
une autorité plus grande, ne prend-il pas, lui aussi, le titre de
disciple des apôtres ou de Jésus-Christ? Il le pourrait, s'il
suffit pour cela d'enseigner la même doctrine qu'ils ont ensei-
gnée : il ne le fait pas cependant, parce qu'il n'a pas eu avec
eux des rapports personnels. De l'explication de M. Salvan,
il faut nécessairement conclure que le nom de disciple des
apôtres n'indique pas du tout l'époque apostolique, mais sim-
plement et d'une manière indéterminée les trois premiers
siècles de l'Église. Mais alors à quoi reconnaîtrons-nous les
contemporains et les disciples immédiats des apôtres, car enfin
il y en a eu ?
Tillemont, que personne pourtant ne songera à placer parmi
ceux (]ui veulent favoriser notre opinion, a reculé devant cette
manière de raisonner. Il traduit littéralement le passage de
Grégoire de Tours, et prétend que cette façon de parler
obscure et confuse, ne doit pas étonner dans un auteur qui
n'est ni fort exact dans ses expressions, ni fort juste dans ses
idées {{). Il ne lui accorde donc pas toute sa valeur, mais il
donne une explication bien meilleure que les précédentes.
« Ce qull y a de fâcheux, dit-il, c'est que saint Grégoire de
Tours ne semble pas toujours s'accorder avec lui-même ; car
dans les livres de la Gloire des martyrs et des confesseurs, il dit
que saint Saturnin avait été ordonné par les disciples des
apôtres. On peut conclure de ce passage qu'il y avait alors
deux traditions différentes ; les uns mettant saint Saturnin peu
{\) Mémoires ecctésiast., t. m. p. 708-
Janv. 1863.1 ET SAINT SATURNIN DE TOULOUSE. 45
après les apôtres, et les autres du temps de Dèce, Or, dans ces
traditions opposées, les personnes habiles ont accoutumé, s'il
n'y a des raisons bien particulières, de s'arrêter à celles qui font
les saints moins anciens parce que les peuples se portent natu-
rellement à les croire plutôt trop anciens que trop nou-
veaux (1). » Donc, d'après l'habile Tillemont, il y avait, au
temps de Grégoire de Tours , deux traditions concernant
l'époque de la mission de saint Saturnin. Il suivit dans
VHistoire des Francs celle qui le faisait venir sous Dèce, et
dans la Gloire des martyrs, celle qui le mettait peu après les
apôtres. C'est aussi le sentiment du savant archevêque de
Toulouse, l'illustre Pierre de Marca. Il écrivait eu 1658 à
Henri de Valois : « Pour ce qui regarde saint Saturnin, il est
Lors de toute controverse que dès la fin du Vl« siècle, au temps
où florissait Grégoire de Tours, on reconnaissait une double
tradition. La première, suivie par cet historien dans son
Histoire des Francs, disait que ce saint avait souffert sous le
consulat de Dèce et de Gratus, au milieu du Ille siècle; la
seconde enseignait que saint Saturnin avait été ordonné par
les disciples des apôtres plus de 150 ans avant l'époque de
Dèce. Qu'il nous soit permis de suivre cette dernière tradi-
tion. Elle s'accorde d'ailleurs avec une autre que personne
n'a jamais contestée. Celle-ci rapporte que les premiers
évèques des Gaules qui, envoyés d'abord par saint Pierre et
saint Paul, et ensuite par saint Clément, ont répandu dans
nos contrées la semence de la foi, ne doivent pas être placés
une grande distance les uns les autres (2). » Nous embras-
(-!) Ibid., t. IV, p. 109.
(2) Quod ad Salurniniim altinel, conlroverliDon débet quiu Grego-
rii lempore duplex invaluisset opiiiio el qiiin ulraque sola relaiione
nileieiur. Allera est, qu;im sequitur Gregorius hoc loco, passurii esse
Salurninura Decii ronsulatu... Allera serilenlia, sua quoque relalione
fulla (cujus leslis ipso Gregorius, lib. i, o. 18 de Miraculn) Iradebat
missum S;iturniDum a discipulis apoitolorum, id est, plus quain ren-
lum et quinquagiDla annis anle Decium. Adeo ul io ancipili posilià
46 s. GRÉGOIRE DE TODRS ET S. SATCRNIN DE TOULOUSE. [Tome VII.
sons ropinion de de Marca. En disant que saint Saturnin a été
ordonné par les disciples des apôtres, ou bien Grégoire de
Tours rétracte ce qu'il avait avancé auparavant, quand il pla-
çait sa mission sous le consulat de Dèce et de Gratus ; ou bien
il donne comme également probables deux traditions suivies
de son temps et ne fait aucune difficulté d'adopter tantôt Tune
et tantôt l'autre.
Le passage de Grégoire de Tours, s'appuyant sur une cita-
tion fausse, rendu suspect encore par la mention qu'il fait de
deux circonstances qu'on ne trouve nulle part ailleurs, et con-
tredit par une tradition différente que le même auteur rapporte
également, n'a donc aucune autorité pour renverser l'ancienne
tradition de l'Église de Toulouse et prouver que saint Saturnin
soit venu au IJl^ siècle.
L'abbé Maxime Latou,
liceal uliimam Gregorii sententiam sequi quse roliasret priori illi apud
eum non conirovense, de non divellendis adeo prolixa leniporumiji-
tercapedine a se invirem prioribus episcopis, qui a Peiio et Paulo, et
deincepsa Clémente apo^lolorum discipulo non lor go iniervallomissî,
exordia lidei per Gallias propagarunl. [Jeta sandorum, l. v junii,
p. 5od.)
LITURGIE.
Quelques observations sur divers articles de liturgie publiés par
la Revue.
Depuis le moment où la Revue des Sciences ecclésiastiques a
été fondée, nous y avons donné un bon nombre d'articles sur
la liturgie. Nous n'avons eu d'autre but que de répondre à
un désir souvent manifesté de divers côtés. Ayant appris qu'ils
avaient été lus avec intérêt et même pris pour guide dans un
grand nombre d'églises, nous avons mis tous nos soins à
n'y rien insérer que de bien certain. Si parfois il nous est
arrivé de manquer de clarté, de précision ou d'exactitude,
nous nous sommes empressé de nous rectifier nous-mème.
Cependant, divers articles peuvent tomber sous les yeux de
nos lecteur sans qu'ils aient occasion de remarquer dans
d'autres une explication ou rectification qui nous a paru né-
cessaire: nous avons donc jugé convenable d'en donner ici un
aperçu général, en ajoutant encore plusieurs remarques qui
nous ont été adressées ou que nous avons eu l'occasion de
faire. Les personnes qui ont étudié ces matières ne s'étonne-
ront pas de nous voir ainsi revenir sur plusieurs de nos asser-
tions : elles verront là une preuve de notre sincère amour
de la vérité, et de notre respect pour la sainte liturgie.
I. Il est parlé trois fois du tabernacle où réside le trèsr
saint Sacrement: 1» t. I, p. 109; 2« t. VI, p. 492-530; Sn.VI,
p. 555. Ces articles doivent être rapprochés les uns des autres
si l'on veut bien connaître la vraie doctrine sur les divers
48 LITURGIE. [Ton :e YIL
points qui y sont traités, et particulièrement sur les deux
questions qui font l'objet du dernier article.
II. Nous avons donné dans une suite d'articles un petit
traité sur le? expositions du très-saint Sacrement. Ils ont été
publiés, t. I, p. 423 et 342; t. II, p. 186 et 245, et des additions
nombreuses ont été faites dans des articles subséquents. Nous
croyons devoir recommander : i" de joindre à la lecture du
passage où il est traité des expositions les jours de fête, § iv,
n. VI, t. T, p. 438, celle de la première question développée
t. II, p. 329; 2° d'ajouter à l'article de juin 1860, § v, u. iiï,
tout ce qui est dit dans ini autre de février 1861, et de recti-
fier le premier par le second.
III. La réponse donnée par un de nos collaborateurs t. IV,
p. 564, se trouve reproduite et développée dans un article du
numéro d'octobre dernier, sur les fêtes dont la solennité est
transférée à un dimanclie. Les principes qui y sont posés ex-
pliqueront la solution sur le cas proposé pour la solennité d(î la
saint André. Dans celte même réponse, il est dit que Ton peut
chanter la messe du dimanche avec la couleur noire. Celte
expression a surpris quelques lecteurs ; il serait plus exact
sans doute, de dire la couleur violette; mais, dans le sentiment
de l'auteur, la couleur violette et la couleur noire peuvent être
regardées comme une seule et même couleur. Ou peut, à cet
égard, voir ce que nous avons dit au t. VI, p. 49.
IV. Au tome m , p. 78 , on examine cette question :
a Lorsque, dans une même période, les rubriques prescrivent
plusieurs choses distinctes et séparables, faut-il nécessaire-
ment les faire dans Tordre indiqué? » La solution de cette
difficulté peut, sans doute, être affirmative ou négative, sui-
vant les circonstances. La chose, comme le dit avec raison
Fauteur, peut être prescrite sans que l'ordre à observer soit
de précepte. Nier ce principe, ce serait conclure de l'obliga-
tion de la substance à celle du mode ; mais si une pareille
question était faite à la S. G. des Rites, elle répondrait, nous
Janv. 1863.) LITURGIE. 4gp
n'eu doutons pas, qu'elle ne veut donner de décision que
sur les cas particuliers. Examinons donc les différents cas
proposés. 1° Le prêtre qui prend les ornements avant de
préparer le calice, viole-t-il la rubrique? Répomlre négative-
ment, suivant nous, serait inexact : agir ainsi, c'est assurément
violer la rubrique dont la lettre est complètement en harmonie
avec la nature des choses. Cependant, cette rubrique peut être
seulement directive, ou encore, elle peut n'être pas toujours
obligatoire, de sorte qu'un prêtre soit tenu d'attendre pour
prendre les ornements, que le calice dont il doit se servir ait
été rapporté à la sacristie par le prêtre qui termine la messe.
2° La divergence citée entre la rubrique du Missel et celle du
Rituel relativement aux cérémonies de l'absoute, n'a pas été ex-
pliquée de la même manière par tous les auteurs, et l'obliga-
tion de faire une seule inclination à la croix, ou d'en faire
deux, est une question au moins controversée. 3° Les auteurs
modernes, comme les auteurs anciens, admettent l'ordre indi-
qué par le Rituel pour l'ablution des doigts après la distribu-
tion de la sainte communion en dehors de la Messe, et nous
ne voyons pas en quoi M. Falise peut être blâmé, quand il
condamne le senti tnent contraire, (juant à l'ablution, il peut
arriver des cas où, contrairement au texte du Riiuel, le prêtre
ne pourra la jeter dans la piscine avant de remettre le Saint-
Sacrement dans le tabernacle ; mais il s'agit ici d'une inversion
nécessaire et d'une inversion appuyée sur des autorités telles
que Catalan et Barruffaldi ; Baldeschi n'en parle pas, et M. de
Conny la permet. 4° Les auteurs suivent aussi d'une manière
exacte la prescription de la rubrique du Missel, d'après la-
quelle le prêtre doit couvrir le calice avant de le replacer au
milieu de l'aut''! ; le P. Le Vavasseur fait même sur ce point
une observation particulière. Nous ne voyons donc pas pour-
quoi on soulèverait la question de savoir s'il ne serait pas fa-
cultatif d'intervertir ici l'ordre des cérémonies tel qu'il est
indiqué par la rubrique. Mais, ajoute l'auteur, quand même
I
50 LITURGIE. [Tome VU-
cet ordre serait prescrit, il ne faut pas une grande raison pour
excuser de tout péché. La violation de la rubrique peut abso-
lument être grave ou légère; bien des raisons peuvent dispen-
ser de l'observalion de certaines prescriptions ; mais ajoutons,
pour prévenir l'abus qu'on pourrait faire de ce principe;, que
ces raisons demandent à être appréciées avec la lumière de la
science liturgique et de la soumission totale à l'autorité qui a
dicté les règles du Cérémonial, Aussi avons-nous commencé
la série de nos articles par parler de l'importauce des moin-
dres prescriptions en matière de liturgie (v. t. I, p. 48), im-
portance plus grande encore chez nous que partout ailleurs,
dans les circonstances actuelles. L'article sur lequel nous reve-
nons ici a excité quelques réclamations, et nous avons tenu à
développer un peu ces explications, pour que personne ne
doute de notre désir de nous maintenir toujours dans le
vrai.
V. Nous avons publié en deux articles (t. III, p. 257 et 343)
les règles relatives aux Messes votives. On lit à la page 238,
ligne 2 : « La Messe queTévèque célèbre le samedi des Quatre-
Temps. » Après ces mots, il faut ajouter : « ou la veille du
dimanche de la Passion. » Pour compléter le § IV, p. 269, il
faut joindre aux principes qui y sout développés la règle indi-
quée t. VI p. 361 et 362, et ajouter au décret du "27 Mars 1789
les mots : in Dominicis primx classis, comme il est dit t. VI,
p. 363.
VI. On lit, t. IV p. 74, la réponse à quelques difficultés sur la
fête du Sacré-Cœur de Jésus, D'après cette réponse, le décret
qui rend celte tète obligatoire dans tout l'univers atteindrait les
églises qui la célèbrent à un autre jour en vertu d'un induit
apostolique. Nous avons rétracté ce sentiment t. V, p. 69.
VII. Un petit traité sur les Messes de Requiem, se trouve ren-
fermé dans cinq articles subséquents (t. V, p. 42, 260, 471 et
547, et t. VI, p. 34). On nous adresse une observation relative-
ment à la règle posée p. 552, et l'on demande si le privilège
Janv. 1863.1 LITURGIE. îjt
de chauter une Messe de Requiem,\xn jour de fête double, pour
une personne dont on vient d'apprendre la mort, peut s'appli-
quer aux séculiers, suivant l'enseignement des liturp^istes. La
raison de douter est le décret suivant ; Question. « In duplici
c( majori vel minori possuntneprouuo eodemque defnncto,in
« diœcesis Ecclesiis celebrari Missœ cantatse de Requie in die
« obilus, tertia, septima, et trigesima, ac anniversaria, uti fit
a apud regulart'S, in cunctis conventibus, ad nuntium mortis
« alicujus religiosi: quam gratiamauctorescommuniter, teste
« Cavalieri, ad quascumque Ecclesias etpersouas extendunt?»
Réponse. « Absque induite non licere. (Décret du 16 avril 4833,
n" 5183, q. 21.) Nous aurions de la peine à nous écarter du
sentiment des meilleurs auteurs, d'autant plus que le décret
du 3 mars 1761, cité t. V, p. 583, a une application générale;
nous aimons mieux dire que la réponse du 16 avril 1853 a pour
but d'exclure les Messes des troisième, septième, trentième
jour et anniversaire, qui ne sont admises par aucun auteur
comme pouvant avoir lieu dans plusieurs églises.
VIII. L'article les Liturgies françaises et la Liturgie romaine
(t. V. p. 579) doit être complété et rectifié par une lettre de
M. l'abbé Bergier insérée t. VI, p. 303.
IX. Nous avons publié (t. VI, p. ISi) une dissertation sur les
cloches, l'' La bénédiction des cloches ne peut pas être faite
par un simple prêtre, avons-nous dit, sans un induit aposto-
lique. Nous aurions dû, à l'appui de cette assertion, citer le
décret suivant : Question: « An... delegationem... episcopus...
« ad campanarum benedictionem ampliare valeal?» — Ré-
ponse: «Non posse. » (Décret du 16 mai 1744, n" 4159,
q. 5.) 2° A la p. 173, nous avons exprimé une pensée qui n'est
pas juste. Prise à la lettre et isolément, une phrase qui s'y
trouve renfermée pourrait nous faire regarder comme favori-
sant un sentiment que nous rejetons complètement. « Jamais,
« avons-nous dit, un esprit sérieux n'a attaché la moindre im-
« poiiance à des idées aussi puériles que celles de sonner une
52 LITCRGIE [Tome VII.
« cloche pour détourner la foudre, ou encore de s'en abstenir
« pour éviter de l'altirer. » Les textes rapportés à la suite du
même paragraphe se trouvent en contraditiou avec la phrase
citée, qui doit être remplacée par celle-ci : « On a quelquefois,
« mais à tort, traité de superstition l'usage de sonner les
a cloches pour détourner la foudre. Cet usage, est fondé sur
« l'autorité de l'Église et des meilleurs auteurs. » •
Telles sont, en quelques mots, les rétlexions que nous croj'ous
devoir ajouter aux articles liturgiques publiés jusqu'à ce jour.
Tout en remerciant nos lecteurs du bienveillant accueil avec
lequel ils les ont reçus, nous les prions de vouloir bien,
comme par le passé, nous faire part de leurs remarques, et
nous nous empresserons toujours de rectifier les inexactitudes
qui nous seraient échappées et de combler les lacunes que
nous aurions laissées subsister.
P. R.
APPROBATION DES LITANIES DU SAINT NOM DE JESUS.
I.
Nous lisons dans le journal le Monde deux articles relatifs à
cette approbation.
1° Au numéro du 13 novembre 1862, nous lisons d'abord
cet extrait de la Semaine catholique de Montauban :
« A la demande d'un grand nombre de prélats, cardinaux
« et évéques, au nombre desquels se trouve Mgr l'évêque de
« Montauban, la S. Congrégation des Rites a daigné approu-
« ver les litanies du saint Nom de Jésus, dans la forme ci-
« dessous, avec Iroïs cents jours d'indulgence à ceux qui les
« réciteront dévotement. Le rescrit, signé du cardinal Pa-
« trizzi, est du 21 août 1862.
Le Monde ajoute : « Les litanies dans la forme approuvée
Janv. 18G3.] LITURGIE. 53
et que la Semaine catholique reproduit ensuite, avec l'autorisa-
« tion de Mgr l'évêque de Montauban, sont exactement les
« mêmes que les litanies de nos livres d'heures, que suit
« l'oraison : Domine Jesu Christe, qui dixisti: Petite et accipie-
« lis, etc., avec l'addition suivante :
« Sancti Nominis tui, Domine, timorem pariter et amorem
« fac nos habere perpetuum : quia nunquam tua guberna-
« tionedestituis, quos insoliditate tuœdilectionisinstituis. Per
a Dominum. »
2° Le 21 octobre, le même journal publie ce second article
sur le même sujet.
a Nous avons reproduit, dans notre numéro du 13 octobre,
« une note de la Semaine catholique de Montauban, annonçant
o qu'à la demande d'un très-grand nombre d'évêques, la
« S, Cungrégation des Rites a daigné approuver les litanies
« du saint Nom de Jésus avec trois cenis jours d'indulgence
« accordés à ceux qui les réciteront dévotement. Un respec-
« table religieux nous écrit pour nous dire qu'en ces termes
a la nouvelle n'est pas complètement exacte et pourrait in-
« duire en erreur beaucoup de fidèles. Voici comment les
a choses se sont passées.
« Lors de la réunion des évêques à Rome pour la solennité
« de la canonisation, une supplique fut signée par quatre-
« vingts cardinaux, archevêques et évèques d'Europe, d'Asie,
« d'Afrique et d'Amérique pour demander l'approbation dont
« il s'iigit. Le Saint-Hère répondit à cette supplique en accor-
« dant trois cents jours d'indulgence aux fidèles des diocèses
« des signataires qui réciteront dévotement ces litanies. La
0 voie est donc ouverte, car très-certainement la même grâce
« sera accordée à tous les autres évèques, vicaires capitulaires
« et chefs d'ordre ou de congrégation qui en feront la de-
« mande. »
« Parmi les signataires de la supplique se trouvent un grand
« nombre des prélats français.
5i LITUBGIE. IToiieVlI.
« Gn nous prie de publier ces renseignements, afin que Ton
« sache qut^ les indulgences en question ne peuvent se gagner
a que dans les diocèses pour lesquels on les a demaudées. »
II.
Nous aurions déjà dû donner connaissance de cette appro-
bation. Elle est d'un trop haut intérêt pour la piété des fidèles
et trop intimement liée avec les matières traitées dans notre
Revue pour que sa publication puisse souffrir un retard. Mais
avant de le faire, nous avons dû éclaircir quelques points dou-
teux.
1° Ces litanies, dit le journal le Monde dans son numéro du
13 novembre, sont exactement les mêmes que les litanies de nos
livres d'heures. Ce n'est pas suffisant. Les litanies du saint
Nom de Jésus, en effet, ne sont pas tout-à-fait identiques dans
tous les livres publiés à l'usage des fidèles. Ou remarque dans
certaius livres des invocations qui ne sont pas dans d'autres.
On trouve quelquefois l'iavocation Jesu inspii^ator prophetarum,
qui parait avoir été insérée uniquement pour faire pendant à
l'invocation Regina prophetarum des litanies de la sainte Vierge.
On fait la même remarque sur l'invocation Jesu rex Patriar-
charum. Certains livres de piété contiennent 1 invocation Ab
omni mulo, omise dans d'autres. Enfin, le Manuel de piété à
l'usage des séminaires donne les deux invocations Jesu gloria
sacerdotum et Per dulcissimam Virginem Mariam matrem tuam.
La première fait pendant à l'invocaiion Regina cleti, qui se
trouve dans ce Manuel après Regina Virginum, et dont aucun
djcument que nous connaissions ne prouve la légitimité, .\vant
de parler de ces litanies, nous devions les vérifier et les donner
en entier. Ce point est fort grave. En effet, outre que toutes
les litanies du saint Nom de Jésus tant soit peu différentes de
celles indiquées ci-après sont réprouvées par le même décret
qui enrichit celles-ci de trois cents jours d'indulgences (1),
(1) Et non aiias quascuinque ab eis diversas, quas suprema aucto-
rilale ouiniuo abolevit.
Janv. 1803.] LITUHG1E. 53
l' toutes les litanies non approuvées sont prohibées par les
règles de l'Index, comme le démontre M. l'abbé Bouix {Tract.
de Curia romana, p. 559). Celles dont il s'agit ici, quoique non
approuvées jusqu'à ce jour, pouvaient seules ne pas être à
l'Index (Jb., p. 560 et suiv.). 2° Des litanies aux(]uelles on
aurait ajouté des invocations nouvelles sans autorisation de
la part de la Sacrée Congrégation des Rites seraient par con-
séquent à V Index, et les livres qui les contiennent seraient au
nombre des livres prohibés. 3° Aussi est-ce en vertu d'un
décret spécial de S. Pie V que fut ajoutée aux litanies de la
sainte Vierge l'invocation j4Mj:«7«Mm christianorum, comme l'at-
teste le décret qui institue pour Rome et les États de l'Egl se la
fête de Noire-Dame auxiliatrice (Décret du 16 septembre 1815,
no4514). C'est également par l'autorité du Saint-Siège que
fut ajoutée l'invocation Begina sine labeconcepta, et ces autres :
Mater immaculata, Regxna sanctissimi Rosarii, concédées pour
l'Espagne seulement. (Décrets du 16 juillet 1675 et du 12
septembre 1766, n°» 2741 et 4339.) 4° Ces additions, d'ail-
leurs, sont positivement réprouvées par la Sacrée Congréga-
tion des Rites. Les décisions sont trop nombreuses pour pou-
voir être rapportées en entier, surtout dans un article dont le
but se rapporte aux litanies du saint Nom de Jésus en parti-
culier. On peut les trouver dans la Collection de Garoellini
sous les no« 374 ad 16, 583, 751, 894, 906, 932, 1212, 1410,
1708, 1782, 1900, 1999, 2181, 2197, 2270, 3025 ad 3, 4578
ad 8, 4857 ad 3. La Sacrée Congrégation tient tellement à
l'intégrité des litanies qu'elle ne permet pas de les abréger
(Dé3ret du 3 mars 1674, n" 2581). — Toutes ces raisons nous
ont obligé d'attendre, pour parler de ces litanies, le moment
où nous pourrions les donner dans leur entier d'après un do-
cument authentique. Or, comme on le voit ci-après, les lita-
nies approuvées contiennent les invocations Jesu rex patriar-
charum, et Abomnimalo; mais ou n'y trouve ni Jesu inspirator
prophetarum, ni Jesu gloria sacerdotum, ni Per dulcissimam
virginem Mariam matrem tuam.
î)6 LITURGIE. ITomeVH.
2° On ne voit pas non plus très-clairement, dans les articles
cités du journal Le Monde, si l'oraison Sancti nominis doit rem-
placer l'oraison Domine Jesu Christe ou élre ajoutée à celle-ci.
On aurait pu mettre en doute encore si cette oraison était pré-
cédée ou non d'un verset. On peut se demander enfin si la con-
clusion de l'oraison Sancti nominis est réellement Pei^ Dominum
ou Qui vivis\ enfin si l'indication de la grande conclusion ne
serait pas aussi une erreur. Nous pouvons résoudre tous ces
doutes de la manière suivante : l» l'oraison Sancti nominis doit
être ajoutée à l'oraison Domine Jesu Christe, "2° ces oraisons ne
sont précédées d'aucun verset; 3° la conclusion PerDominum,
et la conclusion Quivivis sontégalementapplicables à l'oraison
Sancti nominis, et si l'on a donné la première, il n'y a pas de
raisons suffisantes de croire que ce soit par erreur. On aura pu,
même en la mettant à la suite des litanies du saint Nom de
Jésus, ne pas vouloir changer le sens de cette oraison, qui est
celle du deuxième dimanche après la Pentecôte. 4» Quant à la
conclusion Per Dominum, elle aura pu, sans doute, être indi-
quée par méprise : une erreur de ce genre est possible. Mais
conclure cette ornisou parla grande conclusion n'est pas con-
traire à la liturgie. Il peut en être de cette conclusion comme
de celle de la dernière des oraisons qui suivent les litanies des
saints, et de quelques autres qui se disent en dehors de la
Messe et des Offices.
III.
Nous avons donc cru devoir nous procurer un exemplaire
des litanies du saint Nom de Jésus telles qu'elles ont été ap-
prouvées avec le décret qui accorde trois cents jours d'indul-
gence aux fidèle du diocèse. La pièce suivante nous a été en-
voyée de Montauban, signée d'un vicaire générale! munie du
sceau de l'évèché, revêtue, par conséquent, de tous les ca-
ractères d'authenticité.
Janv. 1S6Ô.1
LITURGIE.
57
LITANIE SANCTISSIMI NOMINIS JESU.
Kyrie eleison.
Clirisle eleison.
Kyrie eleison.
Jesu auiti nos.
Jesu exaudi nos.
Paier de cœlis, Deus,
Fili redempior muiidi, Deus,
Spiritus sancle, Deus,
Sancia Triniins, unus Deus,
Jesu, fili Dei vivi,
Jesu, splendor Palris,
Jesu, oaiidor lucis aelernse,
Jesu, rex gloriee,
Jesu, sol jiistiliae,
Jesu, fili IVlariae virginis,
Jesu aiiiabiis,
Jesu aduiirabilis,
Jesu, Deus forlis,
Jesu, paier fuiuri sœculi,
Jesu, magni ronsitii angele,
Jesu pouniissime,
Jesu pHiientis.^ime,
Jesu obt'diemiss me,
Jesu miiis, ei huinilis corde,
Jesu, amalor caslilalis,
Jesu, amator nos'ier,
Jesu, Deus paris,
Jesu, aucior viise,
Jesu, exernplar virluUira,
Jesu, zelaior animarum
Jesu, Deus nosier,
Jcsi, refugiura nostrum,
Ji Si, paier pauperum,
Jisii, iliesaurus fidelium,
Jesu, boue paslor,
Jesu, lux vera,
Jesu, sapienliaœlerna,
Jesu, boniias infinila,
Jesu, via el vila nostra,
Jesu, gaudium aogelorum,
Jesu, rex patriarrharum,
Jesu, m^gisler aposiolorum,
Jesu, docior evangeliâtarum,
Jesu, loriiiudo manyrum,
Jesu, Ionien contessorum,
J' su, puriias virginum,
Jesu, corona sanriorum om-
nium,
Propilius eslo, parce nobis Jesu.
Propilius eslo, exaudi nos Jesu.
Ab omni malo,
Ab omni peccato,
Ab ira lua,
Ab insi'liis diaboii,
Aspirilu fornicalionis,
A moile perpelua,
A negleclu inspiraiionum tuarura
Per Miysleriutu sanciee lucarna-
lionis luae,
Per naliviiatcra luara,
Per lofanliam luam,
Per divinissirnam vitam luam,
Per labores luos,
Per agoniam el passionem luam, '
Per crucem et dereliclionem
luam,
Per ianguores luos,
Periiiorlem elsepulluramluam,
Per resurrectionera luam,
Per asrensionem luam,
Per gaudia lua,
Per gioriam luam,
Agnus DiM, qui lollis peccala
niundi, parce nobis, Je.>u.
Agnus Dei, qui loilis peccata
mundi, exaudi nos, Jesu.
Aguus Dei, qui toliis peccala
mundi, miserere nobis, Jesu.
Jesu, audi nos.
Jesu. exaudi nos.
OREMUS.
Domine Jesu Christe, qui dixisti: Petite, et accipietis, quaerite, et
invenietis, pulsate, et aperietur vobis : qusesumus, da nobis petenlibus
divinissirai tui araoris affectum, ut te toto corde, ore, et opère diliga-
mus, et a tua nunquam laude cessemus.
Sancti nominis tui. Domine, timorem pariter etamorem fac nos halicre
perpetuum: quia nunquam tua gubernatione destituis, quos in soliditate
tuae dilectionis inslituis. PerÛominum.
58 LITURGIE. [Tome VII.
Ces litanies ont été approuvées pour le diocèse de JMoulau-
ban par le décret suivant :
MoNTis Albani.
Praeter litanias illas S3. Nominis Jesu, quas S. R. C. ad preces
quorumdam Episcoporum et principum, piaesertim Germanise, prubari
posse rescripsit die 14 aprilis 1646, quatenus summo Poniifici placuis-
set, successu temporis in aliis orbis plagis non parum di versas a pri-
mis inlucem prodiere litaniae ejnsdem SS. Nominis Jesu, earumque iisus
adeo diffusus et propagatus est, ut absque fideJium offensione el scan-
dalo tolli nequeat, uti S3. D. N. Pio Papae IX ingénue exposucrunt
permulti exterarum genlium RRmi antistites, quorum aliqui cardinali-
tia etiam dignitate spectabiles,occasionesoIemnis canonizationis Romae
degenles. Etquoniam eosdem anlisiites non latebal monumenla deside-
rari, ex quibus deduci possil Summos Romanes Ponlificesabquandoad-
probasse Litanias diversas a Lauretanis, et ab illis Breviarii Romani, nec
recitanlibus litanias SS. Nominis Jesu concessisse nunquam indulgen-
tias, quae enunciantur ; hinc ne fidèles in errore versentur, eumdem
SS. D. supplices exoraverunt ut super hoc satis gravi negotio de Apo-
sioiica benignilate opportune providere dignaretur, ac decernere inler
varias Litanias SS. Nominis Jesu, quae unice recitari possint, easque
sacris indulgentiis ditare. Sanclitas porro Sua, perpensis exposilis re-
rum adjunclis ac instante inter alios RR. D. Jeanne Maria Doney epi-
scopo Montis Albani, ad relalionciii infrascripti S. R.C. secretarii, in-
duisit ut fileles utriusque sexus diœcesis Montis Albani qui supra adno-
tatas litanias de SS. noraine Jesu, et non alias quascumque ab eis diver-
sas, quas suprema aucteritate omnino abolevit, dévote recitaverint,
lucrari valeant induigentiam trecentorum dierum in forma Eccîesiae
consueta, contrariis non obstantibus quibuscumque. Die 21 Augusti
486-2.
G. Episc. Portuen. et S. Rufmae card. Patrizzi S. R.C. Praef.
L. S.
D. Bartolini S. R. C. Secretarius.
Cette pièce, comme il a été dit plus haut, estattesfëe con-
forme cl l'original par un de MM. les vicaires-généraux du
diocèse de Montauban. P. R.
UN MOT
SUR QUELQUES PROBLEMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE.
Quoi qu'il en dise, M. l'abbé Gros tient décidément à sa phi-
losophie !
La Revue catholique (l) nous apporte aujourd'hui un petit
factum destiné par son auteur à notre usage personnel et à
l'éditicatioa publique. M. Gros veut mettre ses lecteurs à même,
dit-il^ de juger entre lui et nous, en toute connaissance de cause.
Jusque là, point de difficulté.
M. Gros entre ensuite en matière et expose sa manière de
voir sur le développement naturel de l'àme. Il traite successi-
vement, en dix points, des substances spirituelles et de leurs
propriétés, de Dieu et de l'homme, de la fécondation de l'âme, de
l'origine des idées d'être, de substance^ de cause, de l'universel,
de la perception des qualités sensibles, et d'autres choses sem-
blables.
Puisque M. Gros tient visiblement à nous faire parler, il nous
permettra bien sans doute de le faire en toute simplicité.
Nous lui promettons sincèrement de n'être point minutieux,
et de n'avoir en vue que le seul intérêt de la science et de la
bonne philosophie.
I.
Donc, quand M. Gros parle des substances spirituelles et de
leurs propriétés, il nous dit gravement que a toutes les actions
(1) iNovembre ^862, p. 273-283.
60 UN MOT SUR QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS [Tome VII.
possibles des êtres intellectuels sont exprimées par ces trois mots :
Pouvoir, savoir, vouloir;» que a ces actions, différentes entre
elles, supposent trois facultés : puissance, intelligence, amour ou
volonté. »
Cela n'est point exact, et nous pensons que M. Gros confond
tout simplement l'acte et la puissance avec les notions du
concret et de l'abstrait. Car enfin pouvoir, savoir, vouloir ne
sont point des actions: ce sont les termes abstraits de puissance,
d'intelligence et de volonté, traduits en termes concrets.
Mais ceci a peu d'importance, et sans nous y arrêter plus
longtemps, passons droit à la grande question de la fécondation
de rame. Ici M. Cros pénètre plus profondément dans sa ma-
tière, et prend, comme il convient à son sujet, un ton plus
solennel, a Comment expliquer, dit-il, le passage des forces vé-
gétatives, sensitives et intellectuelles de l'homme de l'état de foyer
à celui de rayonnement? Il répond en renvoyant à ses Etudes
Cleitre VI, n. 3), que Dieu seul peut pénétrer le foyer des êtres
spirituels et les "vivi fier; que les créatures atteignent les facultés
sensitives, et frappent à coups redoublés à la porte de l'âme intel-
lect ive ; mais en vain, etc....
Vraiment M. Gros avait-il bien réfléclii qu'il s'exposait, en
écrivant ces lignes, à effacer d'un trait de plume la belle liar-
monie que les facultés de l'âme humaine ont entre elles, et à
introduire deux principes, l'un sensitif et l'autre intellectif,
contrairement à l'enseignement catholique et à l'unité de l'âme
humaine dans chaque individu?
Nous sommes bien convaincu pour notre part que M. Cros
recule devant un principe qui conduirait si visiblement à un
abime. Il admet comme nous que l'âme intellective est la
forme substantielle du corps humain ; qu'un seul principe, à la
fois sensitif et intellectuel, se trouve en nous; que ce qui pense
en moi et raisonne, si vous voulez, sur tel théorème de géomé-
trie ou sur telle thèse philosophique, ne diffère pointde cequi
souffre de la tête, du pied ou de la poitrine ! Mais si M. Gros
Janv. 1S63.I DB PHILOSOPHIE. 6^
admet comme nous celte unité de principe, pourquoi n'admet-
trait-il pas aussi qu'il est absurde de dire que « les créatures
atteignent les facultés sensitives, qu'elles frappent à coups redou^
blés, mais en vain, à la porte de l'âme intellective F» Donc, à quoi
bon cette a motion imprimée par Dieu au fond le plus intime de
notre être spirituel ?ï> Dieu n'a-t-il pas abondamment pourvu à
tontes cboses en nous donnant cette lumière de la raison qui
réfléchit les images sensibles, et que S. Thomas appelle, avec
quelque raison sans doute, intellect agent? C'est par elle, en
efifet,"que nous connaissons les premiers principes d'où l'on
fait ensuite dériver toutes les conséquences. Nobis est quo-
dammodo omnis scientia originaliter indita.
Mais non, réplique M. Gros, cette lumière de notre enten-
dement n'est point ce que vous croyez. Elle est obscure et
ténébreuse. A la bonne heure ! Une lumière ténébreuse /Mais com-
ment M. Gros nous expliquera-til alors ce prodigieux mystère
d'une Faculté inerte qui respire, d'un œil aveugle qui voit, et
d'une lumière ténébreuse qui éclaire ? Eh bien, le voici : « Notice
être spirituel, dit-il, possédait la lumière en puissance. A Dieu
ne plaise que nous blâmions M. Gros de se mettre ainsi en
opposition avec saint Thomas sur ce point ; nous ne sommes
plus au moyen-âge, et chacun dispose un peu de ses lumières
et de ses droits -^omme il l'entend ! Mais M. Gros ne sait donc
pas que la puissance passe toujours en acte par la seule pré-
sence de sou objet, sans avoir besoin de rien autre chose ! Et
s'il n'admet point ce principe élémentaire, classique, et devenu
en queltiue sorte banal à force d'être vrai, que vient-il nous
parler d'acte et de puissance?
II.
Du fait mal compris que les forces sensitives se développent
en nous avant les facultés intellectives, M. Gros a directement
conclu à l'impression divine, a Dans ce premier acte, dit-il,
62 UN MOT SUK QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS [Tome VII.
elle (notre âme) sent intellectuellement, mais d'une manière très-
confuse, l'impression de Dieu et celle des objets extérieurs, et ces
iînpi^essions lui manifestent, confusément aussi. Dieu et les créa-
tures qui les causent. » Sans doute, pour la manifestation des
créatures, cela est vrai, ainsi que le sens intime nous l'atteste.
Mais en est-il de même de la manifestation de Dieu, même
confuse? Nous ne le pensons pas, et M. Gros se trompe quand
il admet que toute cause, de quelque manière qu'elle agisse
sur notre âme, devient par cela même objet de notre connais-
sance. Non, cela n'est point vrai. Pour que notre âme connaisse
quoi que ce soit, il faut que ce quelque chose se présente à
elle comme objet de connaissance : Objiciatur ei in ratione ob-
jecti. En effet, si nous possédons en nous certaines capacités,
certaines facultés ou puissances qui agissent, il est impossible
de prétendre qu'elles nous sont connues autrement que par
une induction qui remonte de l'acte à la puissance, et qui
nous la présente comme objet de notre pensée. Donc, en sup-
posant même que Dieu agisse sur notre âme, notre âme ne
connaîtra point Dieu pour cela. Elle saura seulement qu'une
action l'impressionne, mais elle ne saura point si c'est Dieu
lui-même ou un eflet quelconque de l'action divine.
L'auteur se trompe encore un peu plus loin quand il dit que
notre intellect ne voit dans les choses sensibles que du parti-
culier, du relatif, du fini, de l'imparfait, du contingent, du va-
riable,des phénomènes seulement. Gomment M. Gros peut-il con-
fondre la connaissance sensible avec la connaissance intellec-
tuelle, ainsi que le font les matérialistes, dont l'erreur capitale
est de ne pas distinguer ces deux opérations de notre âme ? Non,
ce qui perçoit le particulier, le relatif, les qualités extérieures
des choses, ce n'est point l'intellect, c'est le sens : Sensus per-
cipit singulare, intellectus universale. Voyez les objets sensibles
qui nous environnent : ils existent, ils ont de la durée, ils
agissent, ils subsistent en eux-mêmes, etc.. Tous ces objuts
participent donc à Tètre, à l'existence, à la durée, à la sub-
Janv. 18C3.] DE PHILOSOPHIE. 63
stauce, à Taction, etc.. Eh bien, voilà ce que l'intellect aper-
çoit. Il étend son regard au delà de l'enveloppe fragile qui re-
couvre les objets, il pénètre dans le fond intime de leur
essence, et c'est précisément pour cela qu'on l'appelle m^e//ec^
{intus legit). Le sens ne perçoit pas comme l'intellect la quid-
dité des choses, la substance, l'universel. Il s'arrête, lui, aux
accidents extérieurs qui sont particuliers, relatifs, finis, impar-
faits, contingents, variables, phénomènes seulement.
A la page suivante, M. Gros dit que le particulier devient
universel; le relatif, absolu; le contingent , nécessaire; le te m-
porel, éternel; etc., etc. Nous aimons à croire qu'il a seulement
.voulu dire par là que nous montons du particulier à l'univer-
sel, du relatif à l'absolu. En ce sens, il aurait facilement rai-
son.
III.
Cependant, un peu plus loin, en discourant sur l'universel,
M. Gros ajoute : « [Jn seul fait suffit pour que nous nous élevions
à l'universel. Par cela seul que nous voyons un être, un rapport
quelconque, nous concevons une infinité d'êtres, de rapports sem-
blables comme possibles. » Gertes, nous eussions pensé que
M. Gros se rendait mieux compte de la manière dont se forme
l'idée universelle. Si, pour arriver à l'universel, il fallait,
comme il le prétend, concevoir une infinité d'êtres pos-
sibles, le moment serait venu, ce nous semble, d'en prendre
humblement sou parti et de renoncer à tout jamais à l'intelli-
gence de Tuniversel. Comment s'y prendre, en effet, pour con-
cevoir comme possibles une infinités d'êtres et de rapports
semblables, si l'on n'avait préalablement acquis l'idée univer-
selle des êtres possibles? En vérité, cela nous semble fort dif-
ficile ! De plus, si par hasard l'idée de rapport était par elle-
même une idée universelle, serait-il en réalité bien nécessaire
de concevoir une infinité de rapports possibles pour arriver à
l'universel, et ne suffirait-il pas pour cela à notre intellect de
faire simplement abstraction de toutes les notes particulières
64 UN MOT SUR QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS |TomeVII.
de l'objet pour le considérer en soi, en dehors de ses accidents?
M. Gros dit aussi que les idées de substance , de cause, d'unité, etc.
en tanl que particulières^ ne sont perçues que dans l'âme intellec-
tive. Mais, chose étonnante ! pourquoi donc notre entendement
ne pourrait-il pas percevoir toutes les idées dans les objets
extérieurs? Est-ce que les objets extérieurs ne sont pas eux-
mêmes substance et cause? N'ont-ils pas aussi pour apanage
l'unité, l'existence, la durée, la limite, l'ordre, la beauté, etc ?
« Partout ailleurs, poursuit iM. Gros, nous admettons ces idées
par application des principes universels. Ceux-ci ont donc pré-
cédé.* Certes, nous sommes étonné de voir M. Gros confondre
ainM l'universel méta|>hysique avec l'universel logique ou ré-
flexe. L'universel métaphysique, M. Gros ne peut l'ignorer,
s'obtient par la seule lumière de la raison, que saint Thomas
appelle toujours intellect agent, et que nous désignerons sans
scrupule par toute autre appellation qui nous conviendra
mieux. JNlais cet universel métaphysique n'exige nullement
que nous ayons la connaissance des principes universels; et
M. Gros doit savoir qu'une telle connaissance n'est requise
que pour la formation de l'universel réflexe, comme si l'on
Voulait, par exemple, en physique, généraliser un principe
quelconque d'après les faits particuliers qu'on aurait recueillis.
IV.
Nous n'aimons pas non plus que M. Gros dise que Vimpres-
sion divine nous représente l'éternité, la perfection, l'infinité, en
' un mot, les attributs de Dieu. Gette question est grave et aurait
besoin d'être étudiée à fond; car si la thèse ainsi énoncée était
véritable, cette impression divine existerait apparemment en
notre âme depuis que notre âme elle-même existe, ou depuis
qu'elle a conscience d'elle-même. Cependant ce n'est que bien
tard pour l'ordinaire, ce nous semble, à la suite de bien des
labeurs et après bien des réflexions, que nous arrivons à cet
heureux résultat que M. Gros estime si naturel et si ai.-^é !
Entin cette impression divine, eu toute hypothèse, ne pourrait
Janv 1863.) DE PHILOSOPHIE. 65
être qu'un effet produit par Dieu et capable, tout au plus, de
nous conduire à sa connaissance, à la façon de tant d'autres
choses qui sont, elles aussi, des effets de Taction divine.
C'est en ce sens, croyons-nous, qu'il faut entendre les textes
de saint Augustin et de saint Paul, parlant l'un et l'autre des
êtres visibles capables de nous conduire à la connaissance de
Dieu, sans qu'ils fassent aucune mention de cette action divine
dont il s'agit, et que nous regardons tout simplement comme
un effet de l'imagination des philosophes.
Enfin, M. Gros invite notre âme à détourner son regard des
choses créées f non pas tout-à-fait, mais à moitié, et à se tourner
vers le foyer de la lumière, là oie réside l' immuable vérité {Dieu
vivifiant et excitant l'âme).
Ceci encore est bien étrange ! M. Gros n'avait-il pas dit en
commençant que le foyer de la lumière, c'est le fond le plus in-
time de notre être spirituel? Dieu réside donc au fond de notre
être, non comme il est partout ailleurs, par riramensité de
son être et de sa puissance, per scientiam, potentiam et essen-
^«arw; car évidemment M. Gros veut parler ici d'une manière
de résider particulière de l'immuable vérité. Mais pourquoi
donc s'en va-t-il ensuite transformer cette immuable vérité
dans l'idée de Dieu, pour que le particulier devienne universel,
le relatif, absolu, etc.
Ce n'est pas tout ! et M. Gros ne peut pas nous savoir mau-
vais gré de signaler encore deux ou trois passages à nos lec-
teurs, avant de finir.
a Tout étant à l'image de Dieu, dit-il, tout réveille quelque sens
du modèle. » Parler ainsi, c'est confondre la cojinaissance d'un
objet qui est image avec un objet connu comme image. Ce sont
deux notions tout-à-fait différentes.
Puis il continue en disant que l'idéal de la créature revêtu
d'un caractère d'universalité, nous paraît nécessaii^e, immuable,
IlEV'UE nss Sciences ecclésiastiques, t. vu, b-6.
66 UN MOT SUR QUELQ. PROBLÈMES DE PHILOSOPHIE. [Tome VIU
absolu, éternel, mais il ne nous paraît pas infiniment parfaite
Mais non ! l'idéal de la créature, même revêtu d'un caractère
d'universalité, ne sera jamais que contingent, relatif, tempo-
rel.... par la même raison absolument que vous apportez vous-
même pour prouver qu'il ue sera jamais infiniment parfait,
c'est-à-dire qu'il sera toujours relativement imparfait.
Quand I\i. Gros veut ensuite nous rendre compte de certaines
expressions des docteurs catholiques qui voient les choses en
Dieu, il dit que le moyen de les concilier avec eux-mêmes est
de savoir saisir leur pensée, puis il ajoute que cette pensée
si peu comprise, il croit l'avoir saisie. C'est bien, mais noiis
avouons très-humblement que nous ne voyons pas ce qu'il
peut avoir saisi. Nous savons seulement que les docteurs
catholiques invoqués par lui ne forment point le sénat tout
entier des docteurs catholiques. Il en est d'autres, et en
grand nombre, qui réfutent et contredisent ex professa ce
système. Cependant M. Gros nous affirme que les docteurs
catholiques en question admettent que la lumière naturelle de
la raison devient lumineuse par la motion de Dieu. Or, tant
que cette assertion n'est pas prouvée, il nous est permis de la
traiter comme une assertion sans preuve, qui pourra bi'm ser-
vir au besoin d'un système, mais qui ne permet au fond de
rien saisir.
Enfin, à propos de la perception extérieure, M. Gros fait in-
tervenir le principe de causalité ! M. Gros ne regarde donc
point la perception des corps comme immédiate? C'est un tort,
car l'expérience jourualière de tous les hommes est ici mani-
festement contre lui.
Au surplus, si M. Gros avait raison, il faudrait en conclure
que nous avons la connaissance d'une cause eu général, mais
non point que nous connaissons tel objet eu particulier.
M. Gros conclut eu disant: a Tels sont nos préliminaires. »
Nous attendons ce qui va suivre.
P. P. Armand.
LA VIE INTELLECTUELLE
EN PROVINCE.
Déjà, beaucoup de bons esprits se sont élevés contre cette
absorption effrayante des forces vives de la France qui les fait
refluer toutes vers la capitale. Ce n'est point ici le lieu de trai-
ter la question dans son ensemble. Mais du moins nous ne
cesserons de protester contre le monopole que Paris s'adjuge
par rapporta la science et à l'enseignement; nous ne cesserons
d'engager la province à secouer le joug humiliant que les pré-
jugés lui imposent. Ici, la réforme est plus facile que sur tout
autre point : elle dépend presque en entier de notre initiative
et de nos efforts persévérants. Et pourtant quels résultats amè-
nerait cette résurrection à la vie scientifique ! Quels remèdes
sortiraient de là pour les plaies d'une société qui se perd par
la corruption du cœur et de l'esprit, par la soif des ricliesses et
des plaisirs, par l'abaissement des caractères et la prépondé-
rance des instincts sensuels?
Le clergé peut contribuer à ce résultat dans une laro^e
mesure, en réorganisant la science théologique. Que de talents
remarquables à consacrer à cette grande œuvre, s'il y avait
une direction et une impulsion en ce sens ! Que de loisirs à
occuper d'une manière utile ! En Allemagne, où les prêtres ne
sont pas plus nombreux, et oii le ministère est plus occupé
que dans la plupart de nos diocèses, la théologie catholique
tient sa place avec honneur dans le mouvement de l'époque. Il
faut que nous en arrivions là. Le clergé faillirait a sa mission
d'une manière bien triste, s'il abandonnait le dépôt sacré de
nos croyances à ce courant d'idées et de doctrines qui les bat
perpétuellement en brèche.
Au milieu d'une indifférence et d'une apathie, hélas ! bien
68 LA VIE INTELLECTUELLE [ToiiieVK
communes parmi les prêtres comme parmi les laïques, on est
heureux de saisir quelquefois un symptôme de retour à la vie.
C'est à ce litre que nous saluons un livre que nous regrettons
de n'avoir pas connu plus tôt, un livre plein de faits etd'uiiles
remarques, un livre qui respire partout l'enthousiasme des gran-
des et nobleschoses.il est intitutilé : Décentralisation intellec-
tuelle, par Adrien Peladan (1).
L'auteur de cet écrit est un vétéran de la presse catholique.
Il a surtout attaché son nom à un recueil hebdomadaire qu'il
publie à Lyon depuis plusieurs années, la France littéraire, ar-
tistique, scientifique. Organe de la décentralisation intellec-
tuelle (2). Cette Revue est rédigée avec talent et dans le meilleur
esprit. Elle fait une guerre acharnée à toutes les erreurs, à
toutes les platitudes, à toutes les infamies de l'époque : elle
cherche à réveiller dans les cœurs le culte du beau et du
bien. A ceux qui prétendent que la poésie est morte et qu'elle
a fait son temps, nous conseillons d'ouvrir la France littéraire :
ils y trouveront tantôt de gracieuses et suaves mélodies, tan-
tôt des accents énergiques, échos d'une conscience indignée.
Toutefois, si la poésie se montre assez souvent, c'est, on le con-
çoit, la prose qui domine. La Revue lyonnaise publie des
articles de critique et d'histoire littéraire, des nouvelles, des
légendes, même des articles de discussion religieuse, histori-
que ou philosophi|ue. C'est une des lectures les plus in-
téi^essantes et les plus utiles que l'on puisse conseiller aux gens
du monde.
Revenons à la Décentralisation intellectuelle. Ce livre se com-
pose de deux parties bien distinctes : l'une historique, où les
gloires intellectuelles de nos villes de France se déroulent sous
nos yeux comme une éloquente leçon ; l'autre, d'un caractère
plus didactique, examine notre état présent sous toutes ses
{]) Paris et Lyon, 1860. Ia-42 de 304 pp.
(2) Il [araîl tous les samedis un numéro de -16 pages gr. in-8o à
deux colonnes. Prix : 10 fr. par an. Bureaux à Lyon, rue Sainle-
Helène, 23.
Janv 1803.1 "^N PROVINCE- 69
faces et cherche les moyens d'y remédier. Bornons-nous à re-
lever, d'après M. Peladau, quelques traits de la physionomie
du siècle, et à enregistrer quelques unes de ses réflexions
en y joignant les nôtres.
L'éditeur est une puissance toute nouvelle, mais dont il est
impossible de contester l'importance : c'est l'intermédiaire
obligé entre le public et l'auteur. Or, qu'est-il en général? Un
négociant, ni plus ni moins, vendant des livres comme
d'autres venJent du sucre et de la cannelle, se souciant fort
peu de la science et de la littérature, mesurant la valeur des
ouvrages par leur succès mercantile, et spéculant trop souvent
sur les plus honteuses passions du cœur humain. Il y a ^îes
exceptions sans doute, mais il est douloureux de constater
qu'elles sont loin d'être la règle. La spéculation a tout en-
vahi. Nous sera-t-il permis d'ajouter que parmi les éditeurs
religieux eux-mêmes, parmi ceux qui possèdent la confiance
du clergé, il en est qui cultivent la littérature de commande,
à tant la toise ou le mètre, et qu'il se trouve des manœuvres
pour les servir, comme il y en a d'autres pour alimenter les
presses d'où sort chaque jour le flot boueux de la littératui'e à
bon marché ? La spéculation ici change de nature, mais si elle
exerce une action en fin de compte moins désastreuse, croit-
on cependant qu'elle serve les intérêts de la science et de la
religion? Il est temps que le clergé cesse d'être la dupe des
promes?es de prospectus, et de commis-voyageurs en librairie.
Alors, de pitoyables productions ne viendront plus usurper
dans nos bibliothèques la place des livres sérieux. On verra
disparaître ces procédés faciles de composition, dignes du
siècle de la vapeur et les chemins de fer.
M, Peladan fait remarquer avec raison que jusqu'à la Révo-
lution française, la librairie eut en province des centres impor-
tants. Mais quand le régime nouveau introduit à la suite de
nos bouleversements politiques eut privé les départements de
toutes leurs prérogatives, l'éditeur parisien sut profiter des
;0 LA VIE INTELLECTUELLE [Tome VU.
tendances à l'ordre du jour pour se créer un monopole inouï.
Dès lors, « rexécutiou intel'iectuelle de la province était signée,
il n'y aurait désormais qu'un écrit fait à Paris, venant de
Paris, ([ui aurait de la réputation et du succès (p. 226). » Tou-
tefois, l'arrêt n'a de valeur qu'autant que nous le ratifions
nous-mêmes, et c'est là ce qui nous rend inexcusables d'en
avoir subi jusqu'à présent les conséquences. Beaucoup de
livres mis en vente à Paris sont composés et imprimés dans les
départements : pourquoi ne pourraient-ils point se passer du
{:\x certificat d'origine avec lequel ils nous reviennent ensuite
delà ca[)itale? D'ailleurs, si le commerce des livres doit se
centraliser à Paris, u'cst-il pas facile aux éditeurs de province
d'y établir un comptoir commun qui leur permettra d'écou-
ler et d'échanger réciproquement leurs produits, à peu près
comme les libraires allemands le font à Leipzig ? Ce serait le
moyen de s'aS'ranchir de l'intermédiaire si dispendieux des
éditeurs parisiens; Il faudrait aussi, comme organe central,
un bulletin bildiographique rédigé avec soin par des hommes
capables et impartiaux, paraissant à des intervalles assez rap-
prochés et pour un prix modique qui en facilitât la grande dif-
fusion. Ainsi, les livres, en quelque endroit qu'ils parussent,
seraient immédiatement signalés à l'attention du public. Le
meilleur modèle à suivre ici serait V Handiveiser allemand,
dont nous avons eu occasion de parler plus d'une fois. Il y a
bien eu des essais, mais aucun ne se trouve dans les condi-
tions nécessaires pour réussir.
L'association est une force aujourd'hui bien puissante. 11
serait bon de s'en servir pour aider les publications d'un
canictère sérieux, les travaux scientifiques, comme on l'a fait
avec succès pour les livres populaires. En outre, il y a des
j.ersounes riches qui pourraient faire beaucoup, si leurs idées
se tournaient de ce côté : on consacre souvent des sommes
considérables à des œuvres bien moins importantes. Il ne
suffit pas de s'occuper du peuple. Si les classes éclairées s'é-
Janv. 1863.] EN PROVINCE. 71
loignent de christianisûie, elles entraîneront inévilablement
avec elles tout ce qui se meut dans leur orbite. Si nous aban-
donnons le terrain de la science, n'espérons pas conserver
celui de la vie pratique.
Les publications populaires et surtout les livres destinés à
la jeunesse sont édités en grand nombre dans la province. Ce
n'est donc pas un terrain nouveau à conquérir : il suffit de
conserver la position et d'en tirer tout le parti possible. Pour
cela, il reste beaucoup à faire. Laissons parler M. Peladan :
« Plusieurs villes comme Tours, Lille, Limoges, ont de
vastes imprimeries d'où sortent, il est vrai, des avalanches de
livres à l'usage des collèges, des institutions, des gens du
monde. Il existe là une pensée féconde en bons résultats; mais
lorsque Ton considère les œuvres venues de ces presses et
celles qui pourraient les remplacer utilement, on reconnaît
que ces établissements importants auraient une autre portée
à atteindre. Il est nécessaire d'avoir des livres pour l'enfance,
sans doute ; mais est-ce à dire que la jeunesse n'ait pas be-
soin d'ouvrage? plus sérieux, dans les classes supérieures
surtout, et ne pourrait-on pas songer à rendre les livres dis-
tribués propres à tous les âges, et avoir un vue les familles
aussi bien que les élèves? Dès-lors, trêve à cette multiplicité
de fadeurs littéraires et place à des travaux bien cboisis, plus
fortement faits. Pourquoi ne pas accepter une foule de pré-
cieux volumes qui restent en portefeuille, que l'on imprime
pour ne pas les vendre toujours, à cause de l'indifférence à la
fois de nos libraires, du public, el de Paris qui a ses attitrés?
Ici encore nous ne faisons qu'indiquer un progrès, laissant à
cbacun le soin d'eu déduire les avantages dans leur plénitude:
ils seraient proJigienx si l'on s'en occupait.
« Le mot de propagande de bons livres vient de lui-même à
la pensée, par suite de ce qui précède. A combien de person-
nages bonorables ne pourrions-nous pas nous adresser ici et
leur exprimer des vœux dont l'accomplissement serait une
72 LA VIE INTELLECTUELLE [Tome VII.
abondante moisson pour le bien ! Que de bonnes, de solides
publications seraient de nature à être recommandées au clergé,
aux écoles, aux institutions, aux collèges, aux familles ! Que
d'iuuliliiés à laisser là, pour les remplacer par des écrits qui
produiraient des fruits ! Qu'est-ce qu'un ouvrage qui ne donne
aucun mauvais résultat, mais qui ne profile pas non plus à la
morale, à la foi, à l'action restauratrice? Jusques à quand
s'engourdira-t-on dans une somnolence qui nous trahit et
nous ménage la mort? Ne sait-on pas assez que la presse dé-
m >ralisatrice a tout sapé, tout miné ; que les populations
sont sans croyances ou à peu près et que ces dévastations ont
eu pour agent principal les journaux et les livres ? Ne serait-
il pas temps d'aviser par de sages mesures et de prévenir les
cataclysmes sociaux dont on entend au loin les bruits avant-
coureurs? Allons ! vous qui avez de l'action sur tels et tels ;
vous qui par position, par étal, par dignité, savez, voyez, pou-
vez : de côté les mièvreries sans force, les errements suivis
sans profit pour l'œuvre de Dieu; stimulez, rejetez, choisissez,
agissez, et qu'enfin une action puissante s'introduise dans le
monde intellectuel et sauve une société qui agonise dans sa
vie morale (p. 287 s.). »
Le journal est une puissance plus grande encore que le
livre, parce qu'elle s'adresse â un nombre plus considérable
de lecteurs, et qu'elle opère d'une façon plus continue. Au-
jourd'hui, tout le monde lit les journaux, c'est une habitude
que l'on ne changera pas ; il faut donc Tutiliser à notre profit,
car autrement elle se tournera contre nous. « Le journal a
produit plus de mal que de bien, cela est incontestable; mais
la faute en est au public et la responsabilité aux publicistes.
Le jour où on le voudra, la presse périodique rachètera ses
torts, et s'élèvera véritablement à cette hauteur de mission
qui est la sienne dans une civilisation avancée (p. 230 s.). »
Cette question, pour être traitée selon son importance, de-
manderait un volume. L'auteur de la Décentralisation inteclle-
Janv. 1803.1 E"* PROYIJÎCE. 73
tuelle, dans les quelques pages qu'il lui consacre, a d'excellentes
vues sur les moyens propres à élever le journalisme à la hauteur
de sa mission. Celai qui prend la plume pour écrire dans un
journal doit être un homme rérieux, ayant des convictions,
un symbole, une conscience : il faut aussi qu'il ait une instruc-
tion suffisante, et qu'il approfondisse les sujets qu'il traite.
« N'est-ce pas ici le lieu, ajoute M. Peladan, de s'élever
contre la mauvaise coutume de laisser un organe de publicité
à la fécondité d'un petit nombre de rédacteurs et quelquefois
d'un seul ? Ne faut-il pas reconnaître sous cette façon d'agir,
quelque coterie, quelque vue étroite, la volonté de modifier
son langage selon que l'exige l'intérêt du moment, la crainte
d'être distancé par la valeur d'autrui, le parti-pris d'être mo-
notone et de n'avoir pas le temps <Ie se retremper dans l'étude
pour ne pas se répéter et pour bien exposer ce que l'on a à dire?
«Pour la province, il suffirait d'une direction éclairée, ferme,
s'appuyant sur un programme bien dessiné, pour que tous les
bons esprits d'un et de plusieurs départements pussent con-
courir à la rédaction d'un journal. C'est alors que cet organe
deviendrait réellement sérieux, varié, intéressant, utile. C'est
alors que finirait pour les villes autres que Paris, cette rédac-
tion anormale se composant de morceaux de rapport, de va-
riétés, de feuilletons empruntés à certains bureaux d'esprit
qui existent dans la capitale, et auxquels il ne faudrait prendre
que certains renseignements généraux, des notes utiles pour
les chroniques ou les articles courants, finalement certaines
correspondances.
« Il n'y aura de province intellectuelle émancipée que le jour
où celle-ci rompra avec le monopole parisien, avec cette ré-
daction toute faite qui vient des rives de la Seine et dont nous
savons parfois l'audace, souvent la viduité.
oPour les journaux de Paris, ces autocrates de la discussion
et de la littérature, il serait bien temps aussi de les arracher
à la manipulation de quelques prébendiers et de leur donner
74 LA VIE INTELLECTLELLE [Tome VII.
une vie qu'ils n'ont pas, en laissant venir à eux toutes les bonnes
productions des divers points du territoire, et en groupant
autour de chacun de ces grands organes autant de penseurs et
de littérateurs qu'il se pourrait. Il y aurait beaucoup à refuser
dans ce cas, et il faudrait froisser plus d'une susceptibilité.
Est-ce qu'une forte ilirectiou s'arrête à une difficulté aussi
puérile? Alors peut-être les journaux, certains du moins, cesse-
raient d'être une exploitation, une affaire «le capitaux et de
boursiers, et ils deviendraient des tribunes d'où la sagesse et
la vérité descendraient pour l'instruction des peuples et pour
la destruction des fausses idées (p. 233 s.).»
La presse de province, si elle veut acquérir de l'influence,
doit donc vivre de sa vie propre, et ne pas emprunter des ar-
ticles tout faits aux publications parisiennes, a 11 est utile sans
doute que la première ville de l'État où affluent les faits, les
uouvelles, d'où émaiient les actes du pouvoir, ait des bulle-
tins, des correspondances à l'usage de la presse provinciale ;
mais là devrait se borner, pour nos feuilles, l'action parisien-
ne. Les articles de fonds, la littérature, la critique peident
leur physionomie si elles n'appartiennent pas à la population à
laquelle elles s'adressent. Une rédaction propre serait d'ailleurs
le moyeu de réunir en un foyer les e>prils supérieurs d'un
département, d'un groupe de déparlements, et d'assr.rer à
nos organes de publicité une vitalité à pouvoir être opposée
sans désavantage aux grands journaux centralisateurs. La
science, l'art, les traditions, la morale surtout, gagneraient à
cette combinaison, et en même temps que beaucoup de jour?
naux seraient complets et bien remplis, ils se délivreraient de
ces feuilletons insipides, et même de bas étage, que nous som-
mes condamnés à voir au rez-de-chaussée de tant de feuilles.
«11 n'est pas besoin, pensons-nous, d'affirmer qu'un journal
se déshonore en spéculant sur le scandale des feuilletons, sur
la médiocrité de ses articles, sur le fond de ses principes,
parce qu'il suit le courant des goûts, des idées, en se consti-
Jaf.v, 18C3.] ' KN PIIOVINCE. 73
tuant puéril et vulgaire pourcultiver rabonnement et la vente
à numéros. Combien en est il cependant qui, au mépris de la
probité et de la morale publique, trafiquent de leur rédaction,
alors qu'ils devaient aulrement comprendre leur mission et la
considérer comme sainte ? Évidemment, dans la presse prise
pour respectable, il existe plus d'une plume socialiste sans
qu'elle y pense peut-être, ou du moins sans qu'elle veuille se
l'avouer. Aimons à reconnaître toutefois que l'exception n'est
pas la règle, et que plusieurs de nos premiers centres de popu-
lations ont des organes consciencioux, rédigés dans le sens
que nous désirons et qui n'auraient besoin, pour être plus
parfaits encore, que d'un concours plus actif des hommes de
principes (p. 283 s.). »
Nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici les chapitres
intitulés le Feuilleton (p. 236-242), et le Roman (p. 243-2.o0].
Espérons que les idées dont M.Peladan s'est constitué le dé-
fenseur feront leur chemin, et que la France entière, plus
grande que sa capitale, revendiquera enfin ses droits devant
le Moloch avide de tout engloutir. Ces idées germent, elles se
produisent cà et là : mieux encore, elles se traduisent en actes.
Il ne reste qu'à propager, à régler le mouvement, à discipliner
les forces qui se perdent dans leur action isolée et plus ou moins
confuse. La presse, et surtout la presse de province, peut
beaucoup pour atteindre ce but. L'influence des sociétés sa-
vantes ne sera pas non plus sans résultats. Il serait nr.ême à
désirer que tous les hommes animés de ces sentiments
pussent se réunir dans une vaste association qui étendrait ses
rameaux sur tout le pays, qui provoquerait des travaux sé-
rieux dans tous les genres, les rendrait possibles en formant
des bibliothèques, et fournirait aux auteurs le moyen de les
publier. Un pays comme la France ofi're tant de ressources en
tout genre ! Seulement, elles se perdent faute d'initiative et de
direction. L'association, en les réunissant, en les faisant fruc-
tifier toutes, amènerait d'immenses résultats.
E. Hautgoeur.
DECRETS
DE LA SACRÉE CONGRÉGATION DES INDULGENCES,
/. L'admission dans la Confrérie du Scapulaire est valide quand
le prêtre dûment autorisé gui raccomplit observe les choses es-
sentielles, alors même quil ne se servirait point de la formule in-
diquée par le Bréviaire et le Rituel des Carmes. Elle est nulle au
contro.ire, si les deux parties du scapulaire imposé sont attachées
à la même extrémité des cordons, et pendent d'un seul côté. Dé-
cret qui revalide toutes les réceptions faites de cette manière.
Decretum Urbiset Orbis. Exaudientia Sanctissimi,die i^sep-
tembris 1862.
Etsi per phira décréta, prsesertim vero sub diebns 12 fe-
bruarii, 7 martii 4840, et 2-4 aiigusti 1844 ab bac S. C. Indul-
gentiis sacrisque ReH(iuiis prseposita satis superque provisum
sit circa legitimam fidelium adtnissionem in sacri Scapularis
Sodalitatera, declarando inter alia pro ludulgentiarum ac pri-
vilej^iorum acquisitione, ut fidèles ipù in eamdem sodalitatem
ingredientes, habitum seu scapulare ab hnbentibus facultatem be-
nedictum légitime recipiant, ipsumque déférant continuo pendens
a collo unaque sui parte pectus, et altéra scapulas contegens ; et
licet a sacerdotibus facultatem habentibus non servetur forma in
Rituali et Breviario ordinis Carmelitarum prxscripta, rata ha-
beatur a iscriptio, dummodo prxfati sacerdotes non deficiant in
substantialibus, nempe in benedictione et impositione habitus, ac
inreceptione in confraternitatem, plures tameu bujusmodi fide-
Janv. 18G3 I DÉCRliTS DE LA S. C. DRS INDULGENCES 77
lium adscriptiones invalidée ac nullae prorsus inveniuntur, ita
ut fidèles sacris iudulgeiitiis, ac pi ivilegiis frustrentur ob ha-
bitus irapositioneiii peractain a non habenlibus facultatera,
vel ob ipsum babiuim diversa forma confectum. At vero ne
Christi fidèles eo modo in sodalitatem atlscripti nltrodecipian-
tur, sacerdos Jacobus Eleliepare, missionarius Bujoneiisis
diœcesis dubia huic S. C. enodanda proposait, videlicet :
i" An pro valida admissione ad confraternitatem B. M. V.
de Carmelo caîteraque omnia lucra suffîcial reliquis servatis
impositio habitus confeoti duobus pannis in unaeademque ex-
tremitate funiculorum positis, modo postea ad lucrura efifecti-
vum ludulgeutiarum, privilegiorum, etc., ipsemet admissus
quilibet sibi imponat babitum rite confectum juxta decretum
12 febriiani 1840?
2" An admissioues bujusmodi etiam bona fide bujusque
factœ sint invalidas donec ilereutur, vel a S. Sede in radiée sa-
nentur? Et quatenus affirmative.
3° Au ad prœcavenda pionim perlurbationes ac alia incom-
moda ipsi Etebcpare presbytero missionario liceat de taU sa-
natione pro tota Gallia quoad omae praeteritum Sanctitatem
Suam obsecrare?
Ita.jue in comitiis generalibus in ^de Vaticana die H au-
gnsti 186:2 babitis, Eminentissimi Patres, audito prias consul-
tons volo, respondendum esseduxerunt
Ad primum, Négative. — Ad secundum, Affirmative. — Ad
tertium, N(m expedire, et snpplicandum Sanctissimo pro sana-
tione omnium adscriptionum modo prsedicto bueusqueubique
factarum, et typis pnblicetur decretum.
Facta demum de bis omnibus Sanctissimo Domino nostro
PiO PP. IX fideli relatione in audientia babita die 18 septem-
bris ejusdem anni per meiufrascriptumSecretariaeS, C. Indul-
genliarum substitutum, Sauctitas Sua Emiuentissimorum Pa-
trum resolutiones benigue confirmavit, ac insuper de Aposto-
lica Sua beniguitate omnes et singulas adscriptiones modo
78 DÉCRETS DE LA S. C. DES INDULGENCES. [Tome VIL
prsedicto hucusque, non soîum in Gallia, verum etiam ubiqiie
peractas clementissime sanavil, et ut prsefatai resolutiones, et
hujusrriodi sanationis gratia ab universis Ghristifidelibus fa-
cilius digiioscantur, hoc générale decretum typis publicari
manda vit.
Datum Roma3 ex Secretaria S. C. Indulgentianum die 18
septembris 1862.
F. Gard. Asquinius, Prxfectus.
Loco t sig.
A. Archip. Prinzivalli, Substitutus,
II. La double obligation de communier et de visiter une église ^
imposée pour gagner les indulgences, peut être commuée par le
confesseur en faveur des personnes atteintes de maladies ou
d'infirmités chroniques, pourvu toutefois qu'elles ne demeurent
point dans une communauté.
DECRETUM Urbis et Orbis. Ex audientia Sanctissimi, die 18
septembris 186:2.
Est boc in more positum quod ab animarum pastoribus
sauclissimura Eucbaristise sacramentum in alii]uibus tautum
infra annum prœcipuis festivilalibus ad Gdeles babiluaiiter in-
firmes, chronicos, ob pbysicum permanens aliquod impedimen-
tum e domo egredi impotentes solemniter deferatur, proinde-
que bujusmodi fidèles toi plenarils Indulgentiis privantur,
quas consequerentur si conditionibus injnnctis adimpletis ad
sacram Eucbaristicam mensam freqiientius possent accedere.
Itaque quamplures animarum curatores, aliique permulti ee-
ecclesiastici viri bumillimas preces porrexerunt Sanctissimo
Domino Nostro Pio PP. IX ut de Apostolica benignitate super
hoc providere dignaretur, factoque per me infrascriptum Se-
cretariœ S. C. Indulgentiarum Substitntum eidem Sanctissi-
4tnv. 1863.1 DÉCRETS DR LA S. C DES INDULGENCES, 79
mo de his omnibus fideli relatione in audientia habita die 18
septembris 4862, Sanctitas Sua spirituali gregis sibi crediti
utilitati prosplciens clementer induisit, utpraîfati Christifideles,
«xceptis tamen illis qui in communitate morantiir, acquirere
possent omnes et singulas ludulgentias plenarias jam conces-
sasvel in posterura concedendas, quasque alias acquirere pos-
sent in locis iu quibus vivunt, si in eo physico statu non es-
sent, pro quarurn acquisitione praescripta sit sacra Communio
et visitatioalicujusecclesiae vel publici oratorii in locis iisdem,
dummodo vere pœnitenles, confessi, ac caeteris omnibus ab-
solutis conditionibus, si qiise injunctse fuerint, loco sacrse Com-
munionis et visitationis alia pia opéra a respectivo confessa-
rio injungenda, fideliter adimpleaut. Praesenti in perpetuum
valituro absque ulla Brevis expeditione. Non obstantibus in
contrarium facientibus quibuscumque.
Datum Romai ex Secretaria S. G. Indulgentiarum et SS.
Reliquiarum.
F. Gard. Asquinius, Prxfectus,
Loco t sig.
A. Archip. Prinzivalli, Substùutus.
BIBLIOGRAPHIE.
Œdyres inédites de BossueTj publiées d'après les manuscrits originaux
par M. F. Lâchât. Paris, Vives, 1862, in-8, VI-404 pp.
La nouvelle édition de Bossuet, revue sur les manoscrits
originaux par M. Lâchât, répond sous tous rapports à ce qu'on
était en droit d'espérer. Sept volumes ont paru. Le papier, le
caractère, le tirage, toute l'exécution matérielle en un mot,
nous reportent aux plus nobles traditions de l'art typogra-
phique : un voit que rien n'a été épargné pour faire de cet
ouvrage une publication remarquable. Mais, ce qui esi plus im-
portant encore, les soins apportés à la révision et à la correc-
tion des textes vont les rendre à leur pureté native -. pour la
première fois, nous pouvons lire, dans les volumes déjà pu-
bliés, les sermons du grand orateur tels qu'ils sont sortis de
sa plume, et bientôt peut-être, d'autres ouvrages, la Corres-
pondance surtout, nous révéleront d'une manière plus com-
plète et plus vraie certains côtés de son existence.
Nos lecteurs savent déjà que plusieurs ouvrages inédits, pro-
venant de la bibliothèque du séminaire de Meaux, font partie
de la nouvelle édition et ajoutent considérablement à sa va-
leur. Il en est dont l'autographe même a survécu. Pour les
autres, on a des copies d'une authenticité certaine. {V. t. iv,
Remarques historiques, p. v s.)
Parmi ces ouvrages inédits, deux ont déjà trouvé place
dans les Œuvres complètes'^ le reste viendra s'y ajouter suc-
cessivement. Le plus important sans contredit est le xiii' livre
JTaev. 1803.] BIBLIOCRAPUIB. 8f'
de la Défense de la tt^adition et des saints pères {Œuvres com-
plètes, t. iv). Il y a aussi une traduction française des notes
sur le Caulique des cantiques, traduction que Bossuet fit lui-
même pour les Ursulines de Moaux {Œuvres complètes, t. x).
L'éditeur a eu la bonne pensée de réunir en un volume,
pour servir de supplément aux éditions précédentes, toutes
les œuvres inédites. C'est \\ qu'il faut chercher ce qui n'a
point paru encore dans l'édition complète. En voici le con-
tenu.
1. Plan dhin Traité de théologie (p. i-76). Sous ce titre, nous
trouvons d'abord deux courtes notes : l'une oflFrant une liste
des Traites des pères les plus utiles pour commencer l'étude de la
théologie (p. 1-4), liste que Mabillon a eue sous les yeux, et
qu'il a r 'produite avec quelques additions dans son Traité des
études monastiques (partie II, ch, iv) ; l'autre intitulée Biblio-
thecx ordinandx séries, ébauche rudimentaire d'un système de
bibliographie (p. 4). Vient enfin, sous le nom de Questions par-
ticulières, une esquisse d'un plan de théologie conçu très-lar-
gement, mais qui n'embrasse pas toutes les parties de la
science, et qui, selon l'usage d'alors, mêle à la théologie pro-
prement dite beaucoup de questions qui appartiennent au
droit canon, à la liturgie, à l'archéologie clirétienne. Tout en
admirant cette synthèse majestueuse, on regrette de voir s'y
glisser, sous une forme un peu abrupte, les opinions que l'au-
teur avait puisées dans l'enseignement de l'école, et qu'il
devait contribuer à répandre par l'autorité de son génie. On
voudrait, par exemple, ne pas lui voir tracer une indication
comme celle-ci : Effusa et prostituta adulatorum curix romanx
xoXaxEt'a (p. 61).
2. Cantique des cantiques. Traduction française avec commen-
taire (p. 77-146). Outre qu'il rend dans un français admirable
ison commentaire latin, Bossuet traduit le texte biblique avec
cette touche supérieure qu'on lui connaît.
3. Deux Lettres de M. de Valincourt (p. 147-154), qm aident
82 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VU.
à comprendre les réponses de Bossuet à ce personnage, et qui
de plus, mettent dans son vrai jour l'Explication de la prophé-
tie d'Isaïe.
4. Défense de la Tradition et des saints Pères. Livre xiii, où est
traité ce principe de saint Augustin que la grâce n'est pas donnée
selon nos mérites {\s. 137-306). Nous ne nous arrêterons pas à
faire ressortir l'importance de cette addition au texte jusqu'ici
connu de la Défense.
5. Réflexion, ou dernier éclaircissement sur la réponse de
M. l'A)rhevêque de Cambray aux remarques de M. de Meaux
(p. 307-346). Dernière pièce de la controverse sur lequiétisme,
dont la décision intervenue arrêta la publication.
6. Lettre aux Religieuses de Port-Royal sur la signature pure
et simple du formulaire \p. 348-372). C'est une rédaction diffé-
rente de la lettre publiée par M, de Péréfîxe dans son man-
dement du 7 juin 1664, et reproduite depuis dans les mêmes
termes par tous les éditeurs.
7. Enfin, un Sermon sur la dévotion à la sainte Vierge, une
Méditation sur l'Assomption, et quelques courts Extraits de la
morale d' Aristote, terminent ce volume.
Déjà dans wue livraison précédente de ce recueil (voir t. v,
(p. .59-70), j'ai rendu bommage au soin consciencieux, à la
critique habile et éclairée que déploie M. Lacbat dans l'accom-
pli^^sement de sa tàcbe. Je me sens d'autant plus à l'aise pour
placer ici une observation. Le savant éditeur de Bossuet a sin-
gulièrement chargé le portrait de Richard Simon (1). Sans
doute, c'était un critique hardi jusqu'à l'excès : il a donné
dans des écaits qui lui ont attiré des censures parfaitement
légitimes, mais enfin, il est impossible de ne pas reconnaître
en lui un homme supérieur et un talent distingué, comme
aussi un prêtre vraiment attaché au catholicisme. Ce n'est
pas une apologie que je tente : ce sont des réserves que je
(1) Voir les Remarques historiques placées en lêle du lorae iv, et
aussi celles qui piécèdeni les œuvres inédites.
Janv. 1863 ] BIBLIOGRAPHIE. 8S
formule à Tégard d'uu jugement beaucoup trop sévère. Peut-
être un jour l'occasion se présentera-t-elie d'étudier plus à
fond ce personnage.
E. Hautcoedr.
Saint Grégoire VII, par V. Davin, prêtre, ancien chapelain de Sainte-
Geneviève. — PariSj chez Lelhielleux, libraire, 60, rue Bonaparte.
Ce livre que nous sommes heureux d'annoncer, n'est pas
seulement la vérité, toute la vérité sur saint Grégoire VIT;
c'est un cri de la conscience contre une gigantesque iniquité :
c'est contre ceux qui l'ont commise et prolongée, un jugement
terrible, un de ces arrêts dont on n'appelle pas ; c'est un flo! de
lumière illuminant de telle sorte une grande époque de l'iiistoire,
que d'habiles falsifications et de prudentes réticences ne pour
ront désormais l'obscurcir. Le saint Grégoire VII peint par
M. Davin est le véritable. Cette grande figure, esquissée avec un
talent si remarquable, n'est pas l'œuvre d'une imagination
enthousiaste, mais l'empreinte fidèle des documents authen-
tiques et de la réalité des faits. Un des mérites de l'auteur,
c'est d'avoir eu le courage de la vérité, c'est d'avoir répudié
enfin ces timides appréciations qui l'altéraient ou la voilaient
sous prétexte de servir l'Église. Un second mérite c'est de
l'avoir exposée si bien dans tout son jour, que désormais il
faudra nécessairement la voir, malgré les nuages amoncelés.
Plus d'un lecteur, nous n'en doutons pas, sera stupéfait de
voir se révéler à lui cette vérité qu'il ne soupçonnait pas ; plus
d'un s'indignera des odieuses falsifications qui avaient usurpé
sa place jusque dans nos livres de théologie. Ne serait-il pas
juste qu'il s'élevât en France une cathédrale sous le vocable
de saint Grégoire VIF, en expiation du torrent de c;.l unnies
et d'insultes dont notre pays a donné le déplorable seau lùle ?
En attendant cette réparation, un livre remarquable a rétabli
$4 BIBLIOGRAPHIE. [ Tome VU.
les droits de la justice et de la vérité; et ce livre, écrit de la
maia d'un prêtre français, révèle une puissance de talent qui
promet encore beaucoup pour l'avenir. C'était le monument
le plus urgent; il est érigé.
M. Davin n'est pas le premier qui soit entré dans cette car-
rière : déjà le protestant Voigt s'était le premier inscrit en
faux contre le jugement d'historiens passionnés. Toutefois,
sa Vie de Grégoire VII est elle-même entachée d'un défaut
capital qui nous force à la classer parmi les peintures de fan-
taisie.
Nous lui savons gré, sans doute, de ce qu'au nom de la
savante Allemagne il a réhabilité celte illustre victime, faisant
rougir ainsi, nous devons le dire, les catholiques de plus d'un
pays qui, par une indigne faiblesse, s'empressaient de la sa-
crifier aux ennemis de l'Église. Mais tout en défendant le
saint Pontife contre des calomnies séculaires, l'historien alle-
mand s'est arrêté devant la réalité intrinsèque : il ne Ta pas
pénétrée , il ne l'a pas soupçonnée. Il admire les grandes
choses accomplies par ce Pape, sans se douter qu'elles aient
pu avoir d'autre principe qu'un principe humain : il voit en
lui le prince, le grand homme, le génie politique : il n'y voit
pas le Pontife et le Saint. Grégoire VII, modèle de patience et
de mansuétude, vivait d'une vie surhumaine, dans un com-
merce ordinaire avec le ciel. Sa vie est pleine de miracles opé-
rés par lui et pour lui. Les intérêts de l'Église au milieu des
terribles assauts qui lui étaient livrés, il les comprenait et
les jugeait, non pas seulement avec la lumière de son esprit,
mais avec celie des révélations surnaturelles. 11 lisait au
fond des cœurs les pensées les plus secrètes. Les arrêts
qu'il dictait lui étaient inspirés d'en-Haut. La flamme de
l'amour de Dieu le dévorait sans cesse et le tenait presqu'ha-
bituellement en extase. De là ce zèle de la justice et cette in-
flexibilité de courage dans les épreuves que rien n'ébranlait,
et que la calomnie s'est efforcée de travestir en fougue et en
Janv. 1SC3.; BIBLIOGRAPHIE 85
entêtement. Il faut avoir étudié et compris le Saint sous cet
aspect, pour avoir la clef véritable de sa vie et de ses actes.
Le luthérien Voigt n'a point pénétré dans cette sphère du sur-
naturel. Il a supposé son héros dans celle de Thumain.
* Nous regrettons de ne pouvoir mettre ici en parallèle, soit
avec l'œuvre de Voigt, soit avec celle de M. Davin, le récent
ouvrage en sept volumes in-8° composé sur le même sujet
par M. Gfrœrer. Nous n'en avons pas encore pris connaissance.
On nous dit que ce travail est une magnifique apologie appuyée
de toutes les ressources de la science et de l'érudition. L'au-
teur y mettait la deruière main lorsque la mort (1) est venue
le surprendre l'année dernière (1861). Et, coïncidence remar-
quable ! pendant que ce monument grandiose s'achevait en
Allemagne, M Davin lançait en France son apologie, moins
étendue, mais vive comme une llamme; et nous-même nous ai-
dions à la même cause en publiant dans cette Revue nos
humbles articles sur Bossuet et saint Grégoire VIL Aucune en-
tente n'avait eu lieu.
Nous ne nous ari'êterons pas à développer notre appréciation
sur le livre de M. Davin, attendu que nous en avons de bien
autrement importantes à mettre sous les yeux du lecteur. Le
mérite et les défauts, tout a été dit, admirablement dit.
Nous trouvons en tête du volume les lettres suivantes adres-
sées à l'auteur :
Nîmes, 15 décembre 1861.
« Un jour, assistant à je ne sais plus quel cours de la Sorbonne, mon
cher abbé, j'entendis un professeur expliquer la Vie dé Ghégoike Vil
par une soif exagérée de doniinalion. Je fuscoolristé de tant d'iguorauce
et d'injustice, et quand je considérai l'auditoire pressé autour de la cliaire
d'où parlait l'expresaiou d'aussi j^raves erreurs, je me demandai ce qu'al-
lait devenir la jeunesse de notre patrie aiusi livrée à des maîtres df- men-
songe. Ce travestissement de l'histoire par l'enseignement supérieur
représente sans contredit une des pi des les plus meurtrières de notre
temps. On ne saurait dire combien l'Eglise eu a souffert. Presque louS
les nobles cara< lères qu'elle a produits, surtout parmi les Pontifes ro-
mains, ont été odieusement défigurés. Je vous sais gré d'avoir choisi le
plus outragé de tous, pour lui restituer avec la vérité de son caraclère,
celle de sa grandeur. C'est un acte de courageuse équité qui vous
86 BIBLIOGUAPHIE. ITome VU.
honorfi. C'est aussi donner une espérance à ceux dont la confiance hési-
terait à la vue des périls qui menacent le Salnt-Siége...
« On trouve dans votre travail, cher abbé, les traces et le témoignage
de recherches consciencieuses et d'un véritable talent de penseur et
d'écrivain. Mais je vous engage à porter plus de sobriété dans votre éru-
dition: vous pourriez aussi ramener à des limites plus reitreiotes les
considérations générales qui ne vont pas directement à votre but. Peut-
être aussi votre style est-il plus oratoire qu'historique. Je voudrais enfin
que vous missiez dans votre élocution un peu de cette simpHcité attique
et antique qui constitue un des grands caractères et la beauté la plus
réelle de la langue française.
« Vous voyez à la hardiesse de mes conseils, que je me rappelle un peu
trop sans doute que je fus autrefois votre maître. Mais je n'en pense pas
moins que le maître est maintenant dépassé par le disciple.
Monlauban, le i^' févrlei' ^ 62.
Monsieur l'Abbé,
« Une des plus belles et des plus honorables tâches que puisse s'impo-
ser aujourd'hui un écrivain catholique, c'est la réhabilitation des grands
hommes si indignement calomniés par les ennemis de la religi m et de
l'Église. Le comte de Maistre a dit, je crois, que l'histoire était devenue
une vaste conspiration contre la vérité, sous la plume des écrivains pro-
testants, philosophes et parlementaires, et il a eu bien raison. Mais»
grâce aux consciencieux travaux qui ont été entrepris depuis trente ans,
bieu des mensonges ont été dissipés, et la vérité s'est fait jour. Désor-
mais, à moins de faire preuve d'une ignorance grossière, il ne sera
plus permis de parler qu'avec respect et admiration des Boniface VIII,
des Grégoire VII, des Innocent III. Pour votre part, M. l'abbé, vous
aurez contribué à dégager des nuages dont le mensonge l'avait envi-
ronnée, la mémoire de cet illustre, coura^'cux et énergique Grégoire VII,
qui fut le plus grand homme et un des plus grands saints de son temps.
Je vous félicite des éloges que la Civiltà a donnés à votre ouvrage. Un
suffrage aussi fivorable, accordé par les savauts rédacteurs de cette
Revue, trop peu lue en France, suffirait lui seul pour vous donner la coc-
fiance que vous avez bien fait, et pour vous dédommager des critiques
précipitées ou iaiutelligentes dont vous seriez l'objet.
t J.-M. évêque de Montauban.
Versailles, le 15 février 1862.
Monsieur l'Abbé,
Je viens d'achever la lecture de Saint Grégoire VII, et j'ai bâte de
vous remercier du bonheur que cette lecture m'a donné.
Selon moi, vous avez jeté une vive lumière sur une époque qu'on
avait ob curcie à dessein. En rétablissant les faits dans leur vérité et
dans leur physionomie, vous avez montré un grand homme, un grand
pape, un grand saint dans celui qu'on s'èldt plu à calomnier^ à noircir.
Janv. 18:3.) BIBLIOGRAPHIE. 87
et qu'on ne rougissait pas de présenter au monde comme un tyran et
un barbare.
Il y a plus de vingt ans, je m'occupais d'hisîoire ecclésiastique dans
un séminaire ; je ne cessais de déplorer qu'on n'eût pas essaj'é d'une
manière sérieuse de réhabiliter 'a ménnoire de saint Grégoire Vil : or ce
que je désirais, vous venez de le faire. Vous n'avez pas hésité, vous
n'avez pas tremblé, vous avez abordé votre suj3t résolument, avec un
talent qui vous honore, et avec le courage qui se puise dans l'amour de
l'Eglise de Jésus-Christ.
Pourquoi donc votre ouvrape n'est-il pas encore en circulation?
Qu'est-ce qui vous retient? Je l'ignore. SI vous êtes tombé dans des
erreurs, vos adversaires sauront bien vous le dire ; le champ est libre.
Est-ce qu'on n'a pas un grand, un très-grand intérêt à examiner la vie
et les actes d'nn liomme tout au moins extraordinaire, qui a t.mt fait
pour l'Église et pour la société? Craindrait-on par hasard d'avoir à
défaire des jugements qu'on regarde comme des arrêts absolus? Ou bien
aurail-ou peur de nuire à de célèbres réputations ? Mais u'est-il pas
commandé de réparer l'injustice ? La réputation d'un pape tel que Gré-
goire VU n'est-elle pas plus précieuse aux yeux de? catholiques,
et en vérité, que celle d'un écrivain quelconque, s'appelât il Fleury ou
Bossue! ?
Quoi qu'il arrive, votre travail ne restera pas dans l'ombre : il est des-
tiné à faire un grand bien, je le crois. Ce travail que je béuis de tout
mon cœur, ce travail, premier jet d'une intelligence forte et d'un cœur
plein d'amour pour la sainte Église romaine, ce travail, dis-je, prélude
à d'autres travaux dans l'inlérêt de la grande cause de Dieu.
Je suis, Monsieur l'Abbé, avec des sentiments très-affectueux votre
dévoué servitenr.
t PIERRE, évêque de Versailles.
Nous avons aussi sous les yeux une lettre de Mgr l'évéque
de Poitiers, du 10 août 1862, qui félicite M. Davin de son
beau livre. Nous n'en reproduisons que cette phrase : « Con-
tinuez, M. l'abbé, vos utiles travaux. Dussent les conclusions
complètes n'en être jamais tirées pratiquement, les principes
doivent néanmoins être imperturbablement maintenus pour
le salut des sociétés. »
Nous y ajoutons l'appréciation de la Civiltà Cattolica du
48 janvier 1862, dont parle Mgr de Montauban.
«Dans ce temps où les ennemis de Dieu s'insurgent avec une âpre
fureur contre son Église et envahissent ses droits sacro-saints, il devient
très-utile de renouveler la mémoire de ceux qui, dans de semblables
crises, ont opposé leur poitrine comme un mur de bronze pour sa dé^
fense. Elle paraît doue très-sage la déterminatinn de M. Davin d'avoir
88 BIBLlOGnAPniK. [TonieVIl.
pris pour sujet de ses travaux littéraires et mis au jour la V[e de saint
Grégoire VII (1). En effet, ce glorieux Pontife fut non-seulement, un
grand homme et un grand saint; mais il fat l'un et l'autre au milieu
des plus féroces oppositions et dans l'exercice de la plus inébranlable
constance. Le génie et la vertu se réunirent en lui pour en faire un de
ces héros extraordinaires qui apparaissent très-rarement dans le cours
des siècles ; et l'on ne serait pas loin du vrai en disant qu'il est le plus
grand des successeurs de saint Pierre et celui qui a le plus travaillé et
souffert pour la cause de Dieu. Nous allons brièvement esquisser son
portrait en suivant la narration de M. Davin.
Suit l'analyse, qui se continue dans les n"^ des i*' et 15 fé
vrier.
D. Bouix.
Histoire d'Urbain V et de son siècle, par M. l'abbé Magnan. Paris
Bray, 1862, in-8. 7 fr.
L'histoire d'Urbain V est un travail sérieux, instructif et in-
téressant, un nouvel anneau ajouté à la chaîne précieuse de
livres consciencieux qui ont pour objet de bien faire connaître
les Souverains-Pontifes. Aj )utez à cela que le volume est par-
faitement imprimé, ce qui ne gâte rien, au contraire.
La vie d'Urbain V est connue. Né d'une noble famille dans
le Gévaudan (130it), après avoir étudié à Montpellier et à Tou-
louse, Guillaume de Grimoald prit l'habit de saint Benoît à
Chirac, devint abbé de Saint-Germain d'Auxerre et simultaué-
(1) « Saint Grégoire VU, par V. Davin. Paris 1861. Cet ouvrage, outre
le mérite littéraire et scientiqne, a celui d'êlre écrit avec un esprit plei-
nement catholique el romain, et une totale indépendance des préjugés
courants du siècle. L'auteur s'est proposé, en composant cette histoire, de
présenter Grégoire VU sous sou proiiro et véritable aspect. L'ouvrage de
Voigt, qui cependant a un très-grand mérite, ne répond pas pleinement
à l'idée qu'on doit se former de cet incomparable Pontife. Il le repré-
sente comme un grand réformateur, dominant sou siècle par la puissance
de la volonté et du génie. Mais Gréixoire fut principalement un grand
saint, honoré par Dieu d^s dons les plus extraordinaires ; et c'est de sa
sainteté principalement que sortait son aénie réformateur. Voigt était
protestant ; et un protestant est dans l'impossibilité morale de rendre
avec justesse le caractère d'un pape et d'un saint. C'est à ce défaut qu'a
voulu suppléer notre auteur, et il a réussi admirablement. »
Janv. 1863.] BIBLIOGRAPHIE. 89
ment de Saint- Victor de Marseille , légat d'Innocent VI en
Italie, et Pape en 1362. Huit ans de pontificat ne lui permirent
pas d'exécuter de très-grandes choses. Il prêcha la Croisade
contre les Turcs, qui menaçaient encore la Thrace et la Grèce ;
il fit partir contre eux, comme son légat dans la guerre sainte,
le B. Pierre Thomas, né à Sales ((), au diocèse de Sarlat, et
non à Salignac, comme on l'a dit parfois. Il envoya des mis-
sionnaires en Orient et reçut de précieuses abjurations. Il inter-
vint dans les querelles désastreuses qui divisaient les rois de
France et d'Angleterre. Il combattit les excès des princes du
Nord, excommunia Viscouti, despote de Milan, qui faisait à la
sainte Église romaine une guerre acharnée ; soutint l'intrépide
et admirable cardinal Albornoz ; travailla à la réforme des abus
et à l'amendement des mœurs; fonda des universités; proté-
gea les savants et les lettres, et prépara le retour des papes à
Rome en allant lui-même dans la Ville éternelle, centre néces-
saire de la papauté, qu'il quitta néanmoins pour venir mourir
à Avignon (1370), laissant une réputation bien méritée de
sainteté et illustrée par de grands miracles.
C'est l'histoire de ce pontificat que M. Magnan raconte au
public. Dans une introduction de 80 pages, consacrée à des
réflexions générales sur les Papes d'Avignon et sur la néces-
sité du pouvoir temporel pour l'indépendance spirituelle du
Chef de l'Église, l'auteur nous semble exagérer de beaucoup
l'influence que le séjour des Papes à Avignon (pp. ol et 72) a
(I) Il exisie en Périgord deux villages historiques porlant le nom
de Sales . -1° Sales, près de Cadouin, d'où élail origiaaire le B. Geraud
de Sales; 2° Sales, près de Belvès, d'où élail originaire le B. Pierre
Thomas. Si nos souvenirs ne nous Iroinpenl pas, le Propre des Car-
mes renferme une inexaclilude sur le lieu de la naissance de ce
saint persoimage. Ce n'est pas non plus â Villefranclie-de-Belvès
qu'est né Pierre Thomas, ainsi que le prétend M. l'abbé Sageiie : c'est
à une terlttine dislanee de Villefranche-de-Belvès, à Sales ou môme
près de Sales, au Breil-de-Sales. Ce point historique doit êirc soigneu-
sement remarqué.
90 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
pu exercer sur l'Église et sur la France. Il ne montre pas assez
l'état fâcheux de l'Italie et de Rome surtout privée de celui
qui est sou àme, sa gloire et même sa vie matérielle. 11 né-
glige lotalement de dire l'impression générale que ressentit
rÉglise entière de ce qu'on pouvait appeler une dislocation
longue et douloureuse. La place du Pape est à Rome, et nulle
contrée ne profite plus de sa présence que celle qui lui est le
plus étroitement unie en toutes choses. Nous aurions égale-
ment désiré que, profitant de la précieuse découverte du jour-
nal de Bertrand de Go'h, le respectable écrivain démontrât
mathématiquement l'impossibilité absolue de la prétendue
conférence de Saint-Jean-d'Angi-iy, où le premier des Papes
d'Avignon aurait, dit-on, fait à Philippe-le-Bel de si honteuses
concessions.
Nous aurions bien d'autres observations à faire sur ce livre.
Le titre : Histoire d%'rbain Vet de son siècle, est-il bien choisi,
bien justifié et bien rempli ? Ne trouve-t-on pas, de distance en
distance, non-seulement des incorrections, des inexactitudes,
mais encore des sentiments un peu hasardés?
(i 11 faut être injuste à l'excès, dit M. Magnan, pour voir
dans le séjour des Papes à Avignon la cause du grand schisme,
comme le fait Rohrbacher (p. 31). )^ Il nous semble que telle
n'est pas la pensée de l'auteur de l'excellente Histoire univer-
selle de l'Église catholique. A la fin du livre lxxx, cité par
M. Magnan, l'abbé Rohrbacher affirme que l'on peut dire à
peu près de tous les Papes d'Avignon ce qu'il dit de Gré-
goire XI, qu'il aeût été un excellent Pontife romain s'il avait été
moins fronçais et plus romain. • Et, quiuze pages plus haut,
expliijuant cette pensée, le vénérable auteur dit que ces Papes
français, composant le Sacré Collège de français (i7 sur 21),
indisposaient les autres nations, leur faisaient envisager le. Sa-
cré Collège, non comme le sénat vénérable et impartial de la
chrétienté, mais comme « une coterie nationale qui voulait ex-
ploitijr les autres peuples, particulièrement l'Italie, au profit de
Jmv. I8G3.] BIBLIOGRAPHIE. 91
la France. Aussi en verrons-nous sortir les plus grands maux.
Le cardinal Robert de Genève, de la promotion de Gré^^oire XI,
commencera, et le cardinal Pierre de Lune, de la seconde,
continuera le grand schisme (t. xx, p, 478, 3* édit.), » Et
même tout ceci n'est dit, le contexte le prouve, qu'à propos de
la recommandation faite à Grégoire XI par sainte Catherine
de Sienne de ne choisir pour cardmaux que des hommes ver-
tueux. La cause du grand schisme est donc dans le choix de
cardinaux français trop nombreux, et qui n'étaient peut-être
pas toujours assez dignes de cohaut rang. Telle est la pensée de
Rohrbacher. Nous croyons que si Je séjour des Papas a Avi-
gnon n'avait pas habitué la France à avoir les Papes chez elle,
s'il n'avait pas préparé à la papauté comme une seconde rési-
dence facile à occuper, notre pays n'eût peut-être pas ac-
cueilli le faux Clément VU et que, si la France ne l'avait pas
accueilli, les autres contrées auraient fait comme elle.
Nous pourrions ajouter encore quelques remarques, mais
nous préférons les passer sous silence, et nous nous bornons
à déclarer encore une fois que l'histoire d'Urbain V est un
excellent livre.
H. Girard.
Légende von dem seligen Hermann Joseph, voq Franz Kaulen. {Légende
du bieiiheureux Hermann Joseph, par M. Franz^KAULEN.) Mainz, Kir-
cheioi. 1862.
Ceux qui ont parcouru les bords du Rhin savent de quelle
faveury jouit un petit poème de Gœthe intitulé Hermann et
Dorothée. C'est une œuvre toute pleine de sentiments naturels,
capable d'amollir lésâmes de la jeunesse Allemande, et un
chrétien sérieux se prend à regretter que ce libelle reçoive
dans l'éducation les honneurs qu'on lui prodigue. Les pères le
recommandent aux enfants; ceux-ci l'apprennent par cœur :
on rougirait de ne pouvoir pas en réciter de longues tirades.
Aussi, que de pauvres jeunes gens dont l'unique aspiration est
92 BIBLIOGRAreiE. [TonipVIf.
de devenir de nouveaux Hermann, et que de jeunes filles trou-
vent leur plus beau type dans Dorolbée ! Le paganisme aurait
pu s'enorgueillir de cette œuvre de 1 "auteur de Faust : le chris-
tianisme, sans refuser d'y reconnaître certaines beautés litté-
raires, ne saurait s'empêcher d'y découvrir les principes d'une
vie dont l'œuvre la plus importante s'appellera Werther et
sera la glorification du suicide.
Le formai du petit livre dont nous voulons dire un mot, ?on
style élégant et simple, le plaisir que nous a procuré salef-ture^
son titre entîa nous ont suggéré une comparaison entre le
poème de Gœthe et la légende de M. Kaulen. Que l'on considère
la simplicité de la narration, l'élégance de la forme, la naïve et
touchante histoire qui fait le fond du récit, on ne trouvera
point notre parallèle déplacé Si au contraire on regarde à l'é-
lévatioa des sentiments, à la lorce des caractères, à la pureté
de cette vie qui n'a connu qu'uu seul amour, celui de la
Vierge très-pure et son divin Fils, on reconnaîtra sans peine
la supériorité de notre petit opuscule. Enfin, si l'on veut se
donner la peine de suivre la marche de? dons divins dans
l'àme d'Hermann, on verra que ce petit livre est un traité en
action de la perfection chrétienne. A mesure que l'àme du
jeune enfant est appeléeà l'union qui sera le couronnement de
sa vie, les consolations abondent, les dons se multiplient.
Puis, quand elle est affermie en Dieu, apparaissèTit les délais-
sements ordinaires, avec un mélange de rafraîchissement et
de paix. Nous ne ferons pas l'histoire du bienheureux Her-
mann Joseph. Nous avions eu la pensée de signaler certains
chapitres, mais notre plume s'y refuse, à cause de l'embarras
du choix. On voudra tout lire dès qu'on aura savouré les
premières pages.
M. Kaulen s'est proposé de faire servir ce récit aux exer-
cices du mois de Marie dans un couvent des bords du Rhin.
C'est une heureuse idée de montrer dans une vie toute d'union
avec la Mère admirable, la manière dont on s'achemine vers
Janv. 18P3.] CDRONIQUE. 93
runion bénie avec Dieu. Cela vaut mieux, ce nous semble,
qu'une série d'exemples pris un peu partout, et dont la réunion
est de uature à décourager les âmes, à la pensée qu'il faut les
vies de tant de saints pour avoir un modèle parfait de la sain-
teté où conduit le secours puissant de la très-sainte Vierge. Ici
Funité est mieux conservée : on voit la marche de la grâce
dans la même âme et l'on suit eu elle le développement des
dons de Dieu.
«
Le livre est dédié aux pauvres sœurs de saint François. Uan-
teur avait déjà fait passer en allemand les Fioretti, et dans la
littérature allemande on a signalé avec bonheur Tapparition
du Blûtengxrtlein, nom désormais presque aussi populaire en
Allemagne que celui des Fioretti en Italie. La légende du bien-
heureux Hermaun Joseph succède au beau livre auquel nous
faisons de fréquentes emprunts dans notre série d'articles Phi-
lologie et Béuélation, ce qui prouve que parmis nos doctes
voisins, il est des hommes qui savent allier les recherches de
la science avec la méditation des choses saintes. On a dit de
saint Bonaventure que dans ses ouvrages la piété anime la
doctrine et la doctrine soutient la piété : c'est là un bel exemple,
et nous félicitons M. Kaulen de l'avoir suivi. Puisse le même
courant se faire sentir à l'esprit des lecteurs ! Ils laisseront
Hermann et Dorothée pour la légende du bienheureux Her-
maun Joseph ; la poésie n'y perdra rien, la vie intérieure y ga-
gnera beaucoup, et en tous cas le naturalisme cessera de s'infil-
trer dans les âmes à l'aide de ces compositions malheureuses
qui, sou.s une vaine apparence de chasteté, recèlent les poisons
mortels de la mollesse et de l'alfa lissemenl. L'abbé d'AuTUN.
CHRONIQUE.
♦ . Livres mis aVindex. — Décret du 15 décembre 1862.
Sunto di lezioni di diritto ecclesiusiico ad uso degli studenti dell' Uni-
versità di Toriao. Toriuo, tip. G. Favale e Comp., 1861.
9 5 CHRONIQUE. [Tome Vil.
Catéchisme de l'Église du Seigneur, par le T. R. Bugnoin, évéque ho-
noraire de cette Église. Troisième éditioa. — Saiut-Deiiis (Réunion), lit.
et imp. de A. Roussin, rue de l'Église, 40, 1862. Opus prœdamnatum ex
Régula II Indids.
Einleiiimg in die Philosophie, etc., id est : Introductio in philosophiam
et fundamenlalis delineatio metapbysicae, ad philosopliiaereformationem.
Auctore Doctore T. Frohschammer, ordinario professore in Unlversitate
Monacensi. Monachii, 1858.
Ueber die Freiheii der Wissenschaft, von D. T. Frohschammf^r, ordentl.
Professer der PJiilosophie an der Universitaet Mûnchen. Mûnchen, 1861.
Verlag der J. J. Lentuer'scheu BuclihaLdlung. Latme vero: De libertate
in scientia. ' .
Aihenceum,philosophische Zeitschrift herausgegehen von Dr. T. Frohs-
chauimer, ordentl. Professor der Philosophie an der Universitaet Mûnchen.
Daninantur per epistolam Sanctissimi D. N. ad Archiepiscopum Monachen.
et Frisingen. sub die 11 decembris 1862.
La Cristiana procedura neW attuule Inquisizione romana, giustificazione
del parroco Pielro Mongini contro le menzogne dell' Armonia e con-
sorti. Décréta S, Officii, Feria IV. 10 septembris ISëi,
Auctor operis cui titulus: Défense des principales propositions de la
thèse soutenue à l'Université de Gênes, le 19 juillet 1860, par Voulhier,
laudabiliter se subjecit et opus reprobavit.
2. M. Ewald a donné récemment, dans les Gœttingisch". gelehrte Anzei-
gen (49 SLuck 1862, p. 1929 ss.), une curieuse appréciation de la dernière
brochure de M. Renan. [La Chaire d'hébreu au Collège de France. Expli-
cations à mes collègues. Paris, Michel Lévy. 8°. 32 p. 3' éd.) Il se livre
d'abord à des considérations sur la mesure d-mt M. Renan a été l'objet.
Sur ce terrain, nous ne pouvons ni ne voulons le suivre. Il dénoue le
tissus d'impossibilités et de contradictions sur lequel s'appuie la défense
du professeur suspendu. Prétendre que la science doit se séparer de la
reliaion, c'est avoir une idée bien fausse de cette dernière. Dire que le
professeur institué par l'Etat doit, en touchant aux questions religieuses,
l'aire abstraction de toutes les formes du culte, c'est le placer dans une
situation absolument impossible. Par exemple, M. Renan excuse sa
fameuse phrase sur Jésus-Christ en disant qu'il n'aurait pu parler
autrement sans « blesser la théologie israélite (p. 21.) » N'était-ce donc
rien, alors, que de blesser la théologie chrétienne en parlant comme
il l'a fais ? Ou bien, demande M. Ewald, les Juifs sont-ils les seuls auxquels
on doive des égards? M. Renan pourra faire sou profit de beaucoup de
réflexions inspirées par son factum au critique de Gœttingue. Venant d'une
telle plume, elles ue peuvent manquer d'autorité.
Il fera bien surtout de méditer ces lignes : « Il partage avec cette école
(celle de Tubingue), ses opinions bien connues sur le miracle, et s'ef-
force de démo. Il ler dans une longue dissertation (p. 22 ss.j qu'ilu'ya pas,
et qu'il ne peut y avoir de miracles : il paraît presque désirer qu'avec
l'idée le mot lui-même disparaisse de toutes les langues. On se demande
alors pourquoi il donne tant d'importance à la Bible, qui parle à chaque
page des miraiCles eidansiin certain sens (l)nous exhorte ày croire.» Ajou-
(I) Pourquoi cette restriction? La Bible ne suppose-t-elle pas la foi
Janv. 18C3.1 CHRONIQUE. 95
tODS qu'il u'est pas digne de la science d'écarter les questions qui la gênent,
de tout confondre à dessein comme le fait M. Renan quand il essaie de
discuter la question du miracle dont il avait déclaré autrefois vouloir
s'abstenir, sous prétexte qu'elle n'est pas scientifique et que la science la
suppose résolue d'avance. Ce procédé sommaire était plus commode, et
aussi plus sûr. Est-ce de la discussion, par exemple, que ceci : « Tout
calcul est une impertinence, s'il y a une force changeante qui peut mo-
difier à son gré les lois de l'univers, si des hommes réunis et priant,
ont le pouvoir de produire la pluie ou la sécheresse ; si on venait dire
au météorologiste : « Prenez garde, vous cherchez des lois naturelles là
« où il n'y en a pas. : c'est une divinité bienveillante ou courroucée qui
« produit ces phénomènes que vous croyez naturels ; » la météorologie
n'aurait plus de raison d'être, etc. » Que répondre à de pareilles pué-
rilités ?
a. La Persécution religieuse en Angleterre, sous le règne d'Elisabeth.
(Paris, Lecoffre 1803. S» cxviii-483 p. 6 fr.). Sous ce titre, M. l'abbé
DESTÛMBE3 vient de publier un récit complet de ce drame lamentable
dont les détails sout trop peu connus. On y verra par quelle suite de ruses,
de violences, de persécutions, d'atrocités, le protestantisme est parvenu
à s'implanter en Angleterre. On y verra comment malgré les efforts des
bourreaux, la religion conserva toujours des fidèles dans l'ancienne Ile
des saints, et comment le sacerdoce put s'y perpétuer. Il y a là des
scènes qui rappelleni l'héroïsme des martyrs de la primitive église, et
la barbarie des anciens persécuteurs;
4. L'apologétipe s'est enrichie récemment de deux nouveaux ouvrages.
La Divinité ducat ho licisme démontrée par la nécessité d'une religion révélée,
par l'abbé J. J. Gayol (Marseille, 1862, in-U de iv-378 p.), est un essai
court et populaire qui s'appuie principalement sur les doctrines du tra-
ditionalisme. Quelque opinion qne l'on ait à cet égard, c'est là un terrain
qui n'est pas bien solide pour y asseoir un système d'apologétique : ou
bien l'on tombera dans les erreurs de Baius en faisant de la révélation
surnaturelle un comiilémentobligé de la nature humaine ; ou bien l'on ne
démontrera pas autre chose que la nécessité d'un secours intellectuel ren-
fermé dans la limite des exigences de notre nature, ce qui n'établit
ni la nécessité, ni l'existence d'une révélation surnaturelle. M. Cayol
cherche à éviter ce double écueil par un détour assez compliqué, mais
il suffit de are avec attention son chapitre X (p. 132-142) pour voir com-
bien peu sa démonstration est satisfaisante. Ceci demanderait des déve-
loppements que nous devons remettre à un autre occasion.
Le sfConJ ouvrage dont nous voulions parler se place sur le terrain
historique. Il est intitulé : Jésus-Christ. La Question religiei'.se des temps
présents, par l'abbéCxnNEY (Paris, Guyot 1862. 8°. XXXil-483 p.). C'est une
étude sur la divinité de Jé.-<us-Christ et sur l'incarnation. Dans la partie
polémique de son œuvre, l'auteur s'est attaché principalement à réfuter
l'israélite Salvador dont le livre intitulé: Jésus-Christ et sa doctrine, \ni
pure et simple au surnaturel ? C'est encore là une de ces inconséquences
comme nous sommes habitués à en rencontrer si souvent chez ceux qui
désertent le terrain solide de la vérité chrétienne.
96 CHRONIQUE. [Tome VII.
semble résumer les attaques les plus dangereuses du rationalisme con-
temporain. Ce qu'il y a de certain, c'est que M. Salvador se montre fort
habile dans l'attaque ; mais il est loin de connaître tous les travaux qui ont
paru en Allemaiçae, ou même les plus importants et les plus nouveaux.
Nous trouvons dans l'introduclioa de M. Garney une réflexion qui con-
firme ce que nousavonseu occasion dédire blendes fois pour montrer la
sérieuse importance des éludes exéLjétiques. « Ce serait se tromper, dit-
il, que de penser que les erreurs des rationalistes allemands ne se ré-
pandeut que dans leur pays, et ue sont nuisibles qu'à ceux qui parlent
leur laugue. Elles nous arrivent par mille voies et se répandent en France
où elles séduisent deux sortes d'âmes, celles qui ignorent et celles qui
aiment l'extraordiuaire et ce qui est hardi » (p. xxix).
5. Le Guide de la parfaite religieuse, par l'abbé Sanson (2' éd. Tours,
Catiier 1802, in-12 de 444 p ) est un bon livre, puisé aux meilleures sour-
ces, que nous recommandons avec confiance aux religieuses et aux di-
recteurs de communautés.
L Eucharistie. Méditations pour chaque jour de l'année, d'après le R. P.
de Machault, de la Compagnie de Jésus, par M. l'abbé J. Sagette (Paris,
Bray, 186-2. 4 vol. iu-12 de xvi-49i, 447, 479. 484 p. 12 fr.). Le plan seul
de ce livre est emprunté au Thrésor des grands biens de la sainte Eucha-
ristie, par le P. de Machault. M. l'abbé Sagette a pensé que le Thrésurne
pouvait êlre réimprimé tel quel, parce qu'il a vieilli sous le rapport de
la forme, et que la composition n'est pas exempte de défauts. Le corri-
ger ne paraissait pas non plus très-praticable. U a donc préféré le refaire.
« J'ai pris du P. Machault, dit-il, le plan qui me semble très-beau, la
division, qui semble bien faite.; et sur ce plan, avec cette division, j'ai
disposé jour par jour, en suivant chaque partie de l'année liturgique,
chacune de ces réflexions, dont j'ai fait une méditation, ou, si l'on veut,
un eulretien. Le plan du Thrésor consiste... à prendre l'évangile du di-
manche ou de la fôte^ à méditer chaque parole, eu l'appliquaut'au divin
Sacrement, pendant chaque jour de la semaine ou Je l'octave. Les médita-
tions de l'Eucharistie ont été faites ainsi. Chaque jour, elles ont servi de
pain quotidien dans l'exercice de l'oraison ; elles ont été pratiquées, puis
composées à la suite, comme pour se rendre compte du travail de l'âme
et du fruit de la réflexion ; elles ont été écrites, non point avec le livre
et la pensée d'un autre, mais en suivant le mouvement de la pensée et
la flamme du cœur {Introduction, p. vu s.). » Ce que nous avons pu
lire des méJitations de M. Sagette nous a montré que c'est un livre fait
sârieusemeut.
6. Le manuel de liturgie pratique de M. Falise, si exact, si complet, si
bien disposé, vient d'être traduit eu latin par l'auteur lui-même, pour
l'usage des pays étrangers, comme aussi des établissements où les rites
sont enseignés dans cette langue. Peut-être même celte édition, qui est
très-belle, obtiendra-t-elle aussi quelque succès en France. {Sacrorum
Rituum, rubricarumque Missalts, Breviurii, et Rilualis Romani coinpendiosa
elucidatio. Âuclore J. B. Falise. Scaphusite, Hurler, 1S63. 8o xu-781 p.
7 fr.).
E. Hautcœur.
Arras. — Typographie Rousseau-Leroy, rue Saint-Maurice, 26.
PHILOLOGIE ET REVELATION.
Septième article.
XVL
Nous avons démontré l'existence d'une langue primitive :
nous avons découvert à la lumière de la philologie et de la
Révélation le caractère principal qui lui convenait. Avant
d'aborder la question de l'origine de cette langue, il nous pa-
raît nécessaire de faire connaître le rapport qu'elle avait avec
la mission du premier homme, les principes généraux de la
connaissance intellectuelle et les conséquences qui en découlent
pour la formation d'un langage organique ou pathognomique.
Ces considérations nous conduiront, par une voie que nous
croyons scientifique, à la question de l'origine du langage. La
solution que nous lui donnerons suivra ces prémisses par
manière de conclusion naturelle. Nous ne négligerons pas
l'exposition historique des divers systèmes relatifs à Torigine
du langage : mais nous lui donnerons moins d'importance
qu'elle n'en reçoit d'ordinaire dans des travaux analogues,
persuadé qu'une fois notre opinion établie, on comprendra
beaucoup plus aisément qu'elle est la résultante des divers sys-
tèmes connus^ et qu'elle renferme clans la simplicité de sa syn-
thèse la somme de vérités qu'ils contiennent. Si. la Révélation
nous conduit plus souvent que la philologie, dans la voie où
nous ei-trons, nous ne nous priverons cependant pas absolu-
ment des lumières de la science. Mais au point où nous en
sommes, ce serait méconnaître les résultats incontestables des
Revue des sciences scclésiastiques, t. yii. 7-H.
S8 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome Vll-
démonstrations précédentes, que de ne vouloir entendre que
les enseignements de la philologie. La Révélation a établi sa
conformité avec la science dans les questions qui précèdent.
On a vu la vérité du récit mosaïque de Babel, confirmé scien-
tifiquement et dans toutes ses parties. L'unité de ce récit, qui
ressort des explications proposées, nous autorise à profiter de
tout ce qu'il contient. D'ailleurs, que la science indépendante
ne s'effraie point d'une marche qui contraste avec ses habitu-
des. Peu importe que nous commencions parexposer les don-
nées de la philologie ou les données de la Révélation, pourvu
que nous arrivions à démontrer qu'il règne entre elles une
harmonie parfaite, et que si les unes sont plus incomplètes que
les autres, il faut s'en prendre uniquement à Timperfection de
nos connaissances, lorsqu'on les rapproche des connaissances
divines. Parlons d'abord de l'utilité du langage pour le premier
homme et des services qu'il en recevait.
XVII.
Dire que le langage est la manifestation de l'esprit qui pen-
se, c'est tout à la fois dire trop et pas assez. A ce compte, en
efifet, la musique serait la même chote que le langage, et celui
qui produirait ou qui ferait produire à un instrument des mo-
dulations musicales serait censé parler. Sans doute il y a une
analogie entre la musique et le langage. Le musicien met son
àme dans ses compositions, comme l'orateur la met dans son
discours. Mais le mode de manifestation est difierent, et si
l'on veut définir le langage comme il convient, il faut dire que
le langage est la manifestation de l'esprit qui pense, opérée par
le sujet pensant au moyen de sous articulés. Ce qui vit et
se meut dans son esprit, ce qui forme l'objet de ses représenta-
tions et de ses pensées, l'homme l'extériorise et le manifeste
par le langage. 11 serait inexact de croire que l'homme dans
son discours reproduit le monde extérieur : il ne manifeste que
Févr. ISfiS ] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 99
ses conceptions intimes, et les réalités extérieures sont dans
un rapport médiat avec la parole par les images intérieures
qu'elles forment dans l'esprit. En parlant, l'homme manifeste
donc l'état intime de sou âme, et il le fait par le moyen de
sons articulés. D'où il suit que le mot ou le discours humain
a en même temps un caractère spirituel, qui lui vient de la
manifestation de l'âme, et un caractère corporel formé par les
vibrations imprimées à l'air, desquelles résulte le son articulé.
A l'existence du mot, l'âme et le corps concourent simultané-
ment, ce qui fait que le mot est le résultat d'un fait individuel
et que sa création provient de l'action personnelle de celui qui
parle. Mais dès lors ne sail-on pas que deux voix humaines
données n^ont presque jamais un timbre pleinement identique,
que deux figures ne se ressemblent jamais parfaitement? Ainsi,
deux hommes ne parleront jamais d'une manière tout-à-fait
identique, parce que les idées qu^ils se forment de diverses
choses proviennent de connaissances diverses et ne sont jamais
identiquement les mêmes. Il y a trop d'éléments qui entrent
dans la formation d'un mot, ces éléments sont trop différents,
pour que leurs résultantes ne soient pas marquées des mêmes
diversités. Si donc on peut dire de la musique qu^elle est la
manifestation extérieure des sentiments humains, on dira du
langage qu'il est la manifestation intérieure des idées et des
sentiments de l'individu.
Le premier homme était comme le trait d'union du monde
corporel et du monde spirituel. Par son corps il appartenait à
la terre dont il avait été tiré, qui le nourrissait, mais par son
organisation merveilleuse il était bien au-dessus des animaux
qu'elle portait. Ce corps, uni à une âme immortelle, se trouvait
en rapport par elle avec le monde spirituel .Seul parmi les créa-
tures l'homme pouvait connaître son créateur et l'aimer ; seul
par sa volonté libre, il pouvait rendre à Dieu le tribut de re-
connaissance et d'amour que la création entière doit à son Créa-
eur. Telle était la vocation du premier homme. Elle est
iOO PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [ Tome VIL
clairement exprimée par un mot des Proverbes : « Universa.
« propter semetipsam operatus est Dominus (1). » Les échos
de son âme formée à l'image de Dieu répétaient la louange de
Dieu que chantaient à ses oreilles la nature et ses divers rè-
gnes. Il convenait que Dieu lui donnât un moyen de manifes"
ter ce qu'il éprouvait en lui. Ce moyen fut le langage. L'hom-
me le connut : il sentit le pouvoir qu'il avait d'offrir à Dieu un
sacrifice de louanges, et il voulut le lui offrir par une détermi-
nation libre de sa volonté. Rien d'étonnant dans ce fait, lors-
qu'on sait que ia volonté de l'homme était alors dans une
harmonie parfaite avec la volonté de Dieu. Mais ce qui est
digne d'observation, c'est la nécessité qu'il y avait pour l'hom-
me d'articuler sa pensée de louange et de reconnaissance
envers le Créateur. Le rôle que sou corps lui donnait dans le
monde était trop important pour que celui-ci n'eût point sa
part dans le sacrifice que l'homme devait à Dieu. Tandis que
sa pensée reconnaissante et aimante lui servait à être le pon-
tife des natures spirituelles, sa parole le rendait le pontife des
natures corporelles et inférieures. D'ailleurs, son corps et son
âme étaient dans une harmonie telle qu'encore ici la détermi-
nation du corps à exprimer les pensées de l'âme se produisait
naturellement, bien que toujours d'une manièi^e essentielle-
ment libre. Dès lors, lorsque le premier homme parlait, son
langage était comme une nouvelle création, ou une unité de
la création reconstituée, à laquelle le monde extérieur four-
nissait l'idée, Tesprit de l'homme la forme, ses organes corpo-
rels, la matière. Par le fait même de cette nouvelle création,
riiomme apparaissait encore une fois comme image de Dieu,
et comme l'usage de la liberté humaine avait pour but d'opé-
rer cette conformité entre l'homme et son Auteur, ainsi par le
langage et par l'acte libre quile déterminait à parler, l'homme
entrait dans la voie de sa perfection. Aussi est-ce la volonté
(i) Proo. XVI, 4.
Févr. 1863.] POILOLOGIE F.T RtVÉLATlON. 101
que l'homme avait d'atteindre sa perfection qui le détermina
à parler, et le premier langage que l'on entendit sur la terre
fut la prière d'amour de l'homme nui à son Dieu qui lui ma-
nifestait son amour.
Le premier et le seul acte par laquel Adam manifeste sa su-
périorité et son domaine sur la création, est l'imposition des
noms qu'il donne aux animaux. Ces noms leur conviennent
et leur restent, parce qu'Adam qui les a donnés connaissait
parfaitement leur nature et avait voulu la caraclériser dans
une expression phonétique (1). Le langage lui servait donc
comme d'un mo3'en capable d'établir sou domaine, et de
constater sa supériorité sur les êtres qui Tenvironnaient. lia
suffi à Moïse de raconter ce fait pour expliquer la mission de
l'homme qu'il avait fait connaître dès le premier chapitre (Gen.
1 , 26 ), « Ut prœsit piscibus maris et volatilibus cœli ; » et qu'un
autre écrivain inspiré exprimait plus tard: « Dédit illi(homini)
potestatem eorum quœ sunt super terram ; posuit timorem illi us
super omnem caméra, et dominatus est bestiarum et volati-
lium (Eccli. xvii, 3, 4). »
Quant à la facilité avec laquelle Adam parlait et à l'exacti-
tude avec laquelle il exprimait ses idées les plus élevées, elles
résultaient de toutl'ordre particulier de sa création. Bien qu'il
n'eût aucune idée purement surnaturelle, et que l'expression
de ses idées surhaturelles eût sou fondement dans une méta-
phore tirée du monde sensible, il était par l'union de l'âme et
du corps, et par les dons surnaturels^ le trait d'union entre
les deux mondes. Les perceptions de ses sens en revêtaient
un caractère de perceptions surnaturelles, et tandis qu'actuel-
lement le corps nous gêne comme un fardeau et comprime
notre essor vers les régions du suprasensible, son corps à Ini,
lui faisait trouver dans ses appréhensions purement naturelles
le principe supérieur de toutes les choses connues, et ses actions
(1) Oinne euim quod vocavil Adam animée vivenlis, ipsum est no
men ejus [Gen. u, -19).
102 l'P.ILOLOGFE ET r.ÉVÉLATION. |Tonio VU
les pins communes, boire, manger, revêtaient un caractère sur-
naturel et moral. Ainsi, le mouvement organique que provo-
quait le désir d'exprimer ses idées touchait au surnaturel de
deux côtés, et par ces idées mêmes qui en étaient imprégnées,
et parla forme phonétique qu'il leur donnait. Nous avons dans
les deux sens littéral et spirituel, des saintes Ecritures^ une
image de l'union du naturel et du surnaturel dans le lan-
gage primitif, avec cette différence toutefois, que tous les pas-
sages de l'Écriture n'ont pas un sens spirituel, tandis que la
langu5 d'Adam tenait au surnaturel par tous ses côtés (1).
Telles sont les ressources que la parole offrait à l'homme dans
sf s rapports avec Dieu et avec les êtres inférieurs de la création.
Nous n'avons pas encore parlé de celles qu'il y trouvait pour
entrer avec la première femme et avec sa postérité dans cette
union d'idées et de sentiments dont le principe était dans le
fonds de sa nature, et dont le développement devait être le fruit
de sa liberté. Il nous est impossible d'imaginer un moyen plus
capable de rapprocher deux âmes humaines. La parole, telle
qu'elle était au*Paradis, emportait avec elle toute l'âme du
premier homme, pour la mettre dans l'âme de la première
femme, et lorsque celle-ci parlait, il y avait entre les deux un
échange admirable d'idées, de sentiments, de tout leur être en u n
mot. De cet échange résultait l'union la plus parfaite dont nous
puissions avoir l'idée. L'univers entier passait d'une âme à
l'autre parle langage, et il y passait en y apportant cette
grande voix de la création qui chante la gloire de son auteur.
Il cstuue union qui nous rappelle cet échange admirable, c'est
celle de Jésus-Christ avec l'Eglise. La vois deTÉglise, c'est sa
prière, et sa prière se compose de la voix du Verbe manifesté
dans l'Ecriture et incarné dans le Christ, comme la voix de la
première femme était le Verbe du premier homme déposé en
elle par le langage articulé.
(i) Fred. Sdilegel, Geschichte der alten und neuen Lileratur,
2 Âufl. I. SS. 124, -l2o. Cilé par M. Kaulen, Sprachv. S. -137.
Fcvr. 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 103
XVIII.
Tous ces secours que l'homme recevait du langage étaient
merveilleusement servis par les facultés du premier homme, et
par les connaissances surémincntes qu'il possédait sur lui-mêmo,
sur le monde et sur Dieu. Rappelons ici quelques principes de
l'École sur la connaissance intellectuelle. Ils nous montreront
comment cette parole primitive, dont le facteur était l'ensemble
des connaissances humaines, était capable de produire les effets
que nous venons d'analyser et de répoudre à la dignité du
premier homme, pontife de la création, être social, auteur et
propagateur de la vie matérielle et spiiituelle qu'il possédait
avec une telle plénitude. L'ancienne philosophie avait enseigné
que toute connaissance est l'effet d'une ressemblance de l'objet
connu avec le sujet connaissant. En présence de ces appella-
tions de la seconde personne de la sainte Trinité : Verbe, image
de Dieu, les théologiens sesont demandé quelle était leur raison
d'être, et ils l'ont toujours trouvée dans la procession du Père
par voie de génération intellectuelle. La même essence est
dans le Père qui est dans le Fils, ou pour mieux dire, elle est
comme Père la connaissance génératrice, le dire, to dicere, et
comme Fils la connaissance engendrée, le Verbe. Aussi l'École
a-t-elle enseigné que le principe connaissant devient une cer-
taine similitude de l'objet connu, ce qui revient à l'axiome de
l'ancienne philosophie, en évitant les inconvénients qu'il pou-
vait présenter. En effet, la ressemblance entre le sujet connais-
sant et l'objet connu n'est pas de toute nécessité une conformité
d'essence. Personne ne l'a jamais enseigné, car c'eût été con-
tredire les faits, qui nous apprennent que nous pouvons con-
naître des choses qui diffèrent de nous par l'essence. 11 suliit
de la conformité des qualités ou des accidents. Aussi la véri-
table nature de la connaissance est-elle d'être une image qui
se forme dans le sujet comme la reproduction de l'objet connu.
^04 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [ Tome Vil.
pourvu que l'objet soit avec le sujet dans ces rapports de res-
semblance que les scolastiques ont appelée intentionnelle, par
opposition à la ressemblance réelle. Leur but n'a pas été d'en-
lever à la première sa réalité objective, mais de faire ressortir
la prérogative qn'ellea de former la connaissance, et qu'ils ont
appelée Vintelligibilité des choses, désignant par là la propriété
qu'elles ont de produire en nous un être intentionnel, que nous
pouvons à bon droit nommer idéal.
Tout acte de la connaissance suppose la ressemblance de
l'objet connu, mois cette ressemblance peut tout aussi bien
être un original qu'uue copie. La connaissance peut provenir
de l'objet préexistant, comme aussi l'objet peut être modelé sur
l'image placée dans le principe de la connaissance. Ainsi, la
représentation d'un objet de -la création est une image prise
de la réalité : au contraire, la peuséede l'artiste est le proto-
type de son œuvre. En Dieu, on ne trouve pas cette connaissance
venue deschoses extérieures. En contemplantsapropreessence,
il se connaît lui-même; il connaît toutesles réalités et possibili-
tés distinctes de son être, et le Verbe procédant de l'acte de
l'intelligence sera en même temps l'image de Dieu qui le pro-
fère et le prototype de toutes les existences réelles ou possi-
bles (1).
Mais suivant une loi que nous avons déjà posée, le Verbe de
Dieu est ainsi appelé par uue analogie prise de l'activité hu-
maine. Le Verbe de Thomme sera donc en quelque manière
la reproduction de lui-même et la représentation des réalités
extérieures ou intérieures qui auront concouru à sa formation.
Si donc l'homme est le pontife de la création, il trouvei'a dans
son langage le moyen de remplir sa destinée. Et remarquons
à cet égard qu'il y a dans l'acte de la connaissance une acti-
vité et uue passivité. L'activité est ce regard rétrospectif du
sujet sur lui-même; la passivité est l'aptitude qu'a le sujet
(1) S. Th. C. Gent. lib. iv, cap. ii.
Févr. 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. -105
d'arriver à la connaissance par lui-même et par les ressem-
blances intentionnelles des objets. Ainsi un corps lumineux
doit à sa nature d'être lumineux en lui-même, et aux fluides
qui l'environunent de pouvoir éclairer. L'bomme doit à sa
nature de pouvoir connaître, et à l'objet de sa connaissance le
fait même de son acte intellectuel. Si donc la connaissance n'est
pas essentiellement libre dans ses premiers éléments, elle l'est
au moins dans son perfectionnement et dans son application,
dans sa manifestation extérieure par la parole. De là cette li-
berté qui a passé de l'homme au monde extérieur se reflétant
en lui, et qui a caractérisé pour l'ennoblir le premier langage
humain, le premier sacrifice de louanges offert par la créature
à son Auteur.
Il nous reste à expliquer la manière dont la connaissance
peut arrivera se former en nous, et comment ce genre de per-
fection qui consiste pour un être à réunir en lui la perfection
des autres réalités, se trouve chez l'homme par le fait même
qu'il connait. SLa possibilité de la connaissance est dans l'ap-
titude de la chose connue à se trouver dans le sujet (1).
Mais quelle est exactement la nature de cette aptitude?
Saint Thomas distingue un double changement dans le sujet,
selon qu'il reçoit la forme (la propriété essentielle) de l'objet
dans son être physique (réel) ou dans son être spirituel
(idéal) (2). Le premier se produit dans les êtres matériels, au
point même que quelquefois ils ne peuvent pas recevoir un
être étranger sans perdre le leur. Le second changement rend
seul la connaissance possible, et suppose si peu le premier, que
plus celui-ci se trouve exclus, plus l'acte est parfait. Les sens
même nous offrent l'application et la vérification de ce princi-
pe : celui-là est le plus étendu dont l'organe subit le moindre
changement, et c'est le sens de la vue (3). Et nous disons :
(0 S. Th., dereritale, q. 2, a. 2.
(2) S. Th. S. p. d,q. 78, a. 3.
(3) \. Pan. q. 7.5, aa. 5, 6. — Contra Cent. I. 2, capp. 50, 53.
•i06 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome VU.
L'esprit humain est capable de recevoir en lui par la connais-
sance les phénomènes, la forme des objets dans leur être idéal,
à cause de son immutabilité essentielle. Aussi l'École s'est-elle
complue à répéter avec Aristote que notre nature intellectuelle,
c'est-à-dire, le principe indestructible et immortel de notre être,
peut tout devenir. C'est aussi la raison de ces paroles de saint
Thomas, dans un des passages cilés plus haut: « Tandis que
« chacune des créatures ne peut renfermer en elle qu'une
« partie très-minime de l'univers, l'àme raisonnable étend sa
c( connaissance à l'univers entier. »
Ceci explique suffisamment dans quel sensles scolastiques ont
attribué une certaine universalité au principe de nos connais-
sances. Ils n'ont pu entendre par laque cetle propriété du sujet
de recevoir en lui l'image intellectuelle de nombreux objets,
ou si l'on veut, leurs essences propres dans leur nature idéale
et non réelle. C'est là l'idée de saint Thomas, lorsqu' après avoir
montré les êtres privés de connaissance comme bornés à leur
propre forme, et les intelligences comme douéesde la faculté de
recevoir celles des autres êtres, il ajoute qu'elles les reçoivent
« en tant que l'image (species) de l'objet existe dans le sujet. »
Alors seulement il tire sa conclusion, qu'un être capable de
connaissance participe de l'être à un plus haut degré que celui
qui en est incapable. Cette dignité, toutefois, il ne faut pas la
considérer dans le sujet simplement comme l'effet de cette
possession de l'être idéal qui lui est étranger. La faculté même
de percevoir les objets extérieurs suppose en lui une perfection
qu'avec beaucoup de raison on peut nommer une certaine plé-
nitude de l'être. Les scolastiques aiment à revenir sur cette puis-
sance merveilleuse de l'esprit. Produire en soi les représenta-
tions vivantes fies objets avec la rapidité de l'éclair, s'approprier
par l'amour le bien et la perfection comme il le saisit par la
pensée, n'est-ce point là pour l'homme être un petit monde et
la véritable image de son Créateur? Dieu, océan immense de
l'èlre, contient originairement en lui toutes les créatures, toutes
Kévr. 1SG3.[ PUILOLOGiE ET lîÉVÉLATiOX. 107
les merveilles que sa parole a tirées du néant : l'esprit à saii
tour est comme une mer où aboutissent toutes les perfections
des êtres créés (1).
L'organisation intellectuelle de l'homme ainsi comprise, on
voit combien le langage était capable de lui servir dans le rôle
qu'il avait reçu à l'égard de la création. Tout ce qui se réllé-
chissait et se condensait en lui trouvait une extériorisation dans
sa parole ; et comme au fond l'éducation spirituelle et maté-
rielle de ses descendants^ n'était que leur participation par la
connaissance et par l'amour aux prérogatives du premier
homme, la forme nouvelle que ces prérogatives recevaient du
langage était le moyen le plus propre à obtenir ce résultat.
Ainsi, pour reprendre la même comparaison^ comme l'Océan
divin contenait originairement en lui toutes les créatures par
son Verbe, c'était aussi à son Verbe intérieur et extérieur que
l'homme devait sa plénitude de l'être et la manifestation de ses
plus nobles attributs. « Toutefois, dirons-nous avec saint Gré-
« goire de Nysse, autant la nature divine diffère de la nature
« humaine, autant leurs propriétés diffèrent les unes des
« autres. Notre Verbe est un néant comparé au Verbe con-
« substantiel du Père, car il a été créé avec notre nature, et
« n'a point existé de toute éternité comme le Verbe divin.
« Mais comme Dieu, qui nous a donné l'aptitude au travail,
« n'a pas pour cela créé chacun de nos travaux en parti-
« culier, ainsi, en nous donnant la faculté de produire notre
« Verbe, Dieu nous en a laissé l'application et la direction,
« Ce serait une puérilité, une niaiserie digne des Juifs,
a que de se figurer Dieu comme un maître qui a fait épeler
a par l'homme les noms destinés à former son langage. Les
c idées chrétiennes sur Dieu et ses perfections, sur le simple
a acte de sa volonté qui a tiré l'univers du néant répugnent à
a une conception semblable. Gomme Dieu a donné aux ariimaux
(1) Sylv. Maurus. Quœit. philos., q. A.
•108 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome VII.
a la faculté de se mouvoir, il a communiqué à la nature humaine
« la faculté déparier et d'articuler. A l'homme de déterminer
« les procédés organiques d'articulation qui conviennent à la
« nature des choses qu'il veut désigner. Dieu crée les choses,
« mais il ne crée pas les noms. Les choses et leurs propriétés
« sont le résultat de la puissance créatrice, taudis que les noms
« qui leur sont donnés sont le résultat de la puissance d'arti-
a culation, communiquée une fois pour toutes. Celle-ci est une
« création divine: son résultat provient de la liberté humaine
c( dirigeant la faculté reçue. Le langage humain est doue une
« invention de noire esprit. Car de même qu'au commence-
« ment, lorsque Thumanité tout entièreparlaitla même langue,
« la sainte Ecriture ne fait pas le moins du monde mention
(t d'un enseignement divin du langage, ainsi, lorsque l'huma-
« nité a été forcée de se diviser en plusieurs branches, à cause
« de la multiplicité des langues qu'elle a parlées, il n'est pas
a dit que Dieu ait établi uue loi d'après laquelle telle branche
« devait adopter tel langage déterminé (1).
Cette opinion de saint Grégoire de Nysse résulte si directe-
ment de tout ce que nous avons établi avant de l'exposer, que
nous croyons devoir l'adopter, saui à lui donner quelques dé-
veloppements qui ne s'éloiguerout pas de l'esprit du saint
Docteur.
L'opinion de l'innéité du langage a été l'opinion dominante
du paganisme, du judaïsme et des docteurs chrétiens. En ap-
pelant 1 homme Cwov Àoyixov xat TToXiTiicov, les Grecs indiquaient
que le langage est essentiel à sa nature (2). La paraphrase
chaldaique d'Oukelos traduit ainsi le passage de la" Genèse
(^) Gieg. Nyss. 0pp. éd. Par., ^630, l. n, p. 76S.
(2) ... Quje ulique homini nequaquam compelereut, nisi prgeler
ralionem eliam organum, quo raiionales concepius enuntiare posset,
Crea'.or ipsi dedissel. Nam sine hoc sermocinandi inslrumenio non
esset animal poliucum sive sociale. Briaa Wallon in Proteg. Bibl.
Polygl. Lond. p. -J .
\
Fé^r. tSf;3.1 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 109
(il, 7) : Et factiis est in animam vivenlem ; TfV^^ Ùl'^'2 T\MV\
ïSbb'Q^ : et fuit homini in animam loquentem. Donc, d'après la
tradition qui a dicté cette traduction, l'homme n'est pas seu-
lement un être raisonnable, il est encore un être parlant. Fras-
sen, docteur de Sorbonne, exprime la même opinion : «Nos
premiers parents, dit-il, ont à l'instant même de leur création
reçu de Dieu le langage en même temps que l'intelligence, »
et il appelle insensée, pour ne pas dire impie et hérétique, l'opi-
nion de ceux qui prétendent que l'homme est arrivé aux sons
articulés, par des sons inarticulés, et au langage par la réu-
nion des mots formés peu à peu (1).
Dire que le langage est inné à l'homme, ce n'est pas le ré-
duire à une faculté organique et purement matérielle. Ainsi
comprise, cette opinion reviendrait à celle d'Épicure qui veut
que les hommes aient parlé comme les chiens ont aboyé
cpuffiKw:; xivou[^.£voi (2). S'il n'eût été que cela, le langage n'eût
pas subi toutes les modifications par lesquelles nous savons
qu'il a passé : il eût été toujours le même, comme le chant
du rossignol ou le bêlement des agneaux. Car ce qui est inné
a, eu tant qu'inné, un caractère ineffaçable (3). Le langage a
prouvé par ses variations qu'il est affranchi des lois de Tim-
mutabilité naturelle, et qu'il a son principe dans une acti-
vité libre. Rappelons nous maintenant toque l'homme a, dans
son organisme, la faculté de produire des sons articulés, et
que c'est là une prérogative qui l'élève au-dessus des autres
créatures. Rappelons-nous 2° que les sons articulés par l'iiom-
rae, grâce à son organisme et à l'union qui existe chez lui entre
l'âme et le corps, sont capables de former une expression juste
et organique de l'objet de la pensée humaine. A qui appar-
(1) Cité parChasIel : de rOrigine, etc., p. -109.
(2) Prodi Scholia in Plat. Crat. éd. Boissonnade. Leipzig, 1820,
p. 9.
(3) Grimra, Urspr. der Spr., in den Abhand. der Berlin. Akad,
4851, p. HO.
•1-10 PHILOLOGIE ET EÉYÉLATION. jTome Vil.
tiendra l'usage de cette faculté et le choix de cette expression?
Qui fera passer en acte, pour nous servir des mots de l'Ecole,
cette puissance qui fait essentiellement partie de la nature hu-
maine ? Et si Dieu, eu donnant à l'homme le pouvoir de parler,
lui a révélé l'idée des formes phonétiques parfaites, quelle sera
la faculté à laquelle Thomme aura recours pour harmoniser sa
parole avec les formes phonétique idéales, et rendre la pa-
role la plus parfaite possible? Il en a été évidemment au Para-
dis de la faculté de parler, comme de la faculté de manger.
L'homme n'avait pas seulement la faculté de manger, il en
sentait aussi le besoin. C'était pour lui une nécessité innée, en
même temps que le fait de sa liberté. Aussi l'acte de manger
était-il un acte moral, un acte religieux, un acte par lequel
l'homme accomplissait unepartie de sa vocation. Lors donc que
l'homme, se sentant sollicité à parler par les besoins intimes
et par les aptitudes qu'il reconnaissait à ses organes, proféra le
premier discours, il accomplit un acte dont le principe était
dans les perfections innées déposées en lui par son Créateur, et
dont la détermination provenait de sa liberté. D'où il suit que,
pour donner à notre opinion une formule scolastique, nous pou-
vons dire, avec M. Kaulen : « Le langage est in potentia une des
perfections innées de l'homme, et in actu une activité libre (1).»
Le langage a donc été en partie un don de Dieu fait à l'homme
dans l'acte même delà création. Par là s'explique la parole
des Livres saints où il est dit que l'homme a été créé parfait ;
par là s'explique aussi tout ce que rapporte la Genèse de Tétat
primitif de l'homme au Paradis, et enfin cette doctrine s'accor-
de avec ce que nous avons établi de la langue primitive, à
savoir l'union organique entre les son? et les idées. Toutefois,
comme ce rapport organique avait son fondement dans l'exer-
cice le plus parfait de la liberté humaine, comme l'état primitif
et parfait du premier homme suppose la perfection de ses
[\) Die Sprachv., p. 124.
Févp. dSOS.) PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. ^^^
connaissances et de l'exercice de ses facultés, il faut admettre
que le langage a été aussi en quelque manière le produit des
facultés humaines, s'exerçant librement selon le but pour le-
quel elles avaient été créées.
XIX.
Est-ce trop présumer de potre opinion que de dire qu'elle
renferme tout ce qu'il y a de vrai dans les théories formulées
à propos de l'origine du langage, et qu'elle évite ce qu'elles
peuvent contenir d'exagéré dans le sens de la Révélation ou
de la liberté? C'est ce que va montrer un examen rapide de
ces divers systèmes.
II est remarquable d'abord qu'en dehors de la Révélation,
l'opinion qui a voulu faire à l'homme les honneurs de l'inven-
tion du langage, s'est crue obligée de commencer par dépri-
mer les origines humaines. Il n'y a pas de différence à cet
égard entre Diodore, Lucrèce, Vitruve, Horace et les philo-
sophes français du dix-huitième siècle. Tous font de l'huma-
nité un « mutum et turpe pecus » qui finit par mettre sa phy-
sionomie en jeu, son corps en mouvement, par produire
certaines intonations, desquelles résulte un premier langage
naturel qui va ensuite se développant peu à peu, jusqu'à
constituer le langage articulé. C'est sans doute aux besoins de
la thèse que l'on doit l'assimilation établie par cette école
entre le langage articulé et le langage artificiel,
M. Renan juge ainsi cette hypothèse : «Elle est peut-être de
toutes celles qui ont été essayées pour expliquer l'origine de
la parole, la plus fausse, ou, pour mieux dire, la moins riche
en vérité. Les philosophes qui la proposèrent avaient bien
compris, il est vrai, que l'homme a tout fait dans l'invention
du langage, que c'est de l'exercice naturel de ses facultés
et non du dehors qu'il a reçu le don de l'expression articu-
lée; mais ils commettaient une erreur en attribuant aux fa-
il2 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome VII-
cultés réfiéchies et à une combinaison voulue de l'intelli-
gence, un produit spoutané de cette force vive que révèlent
les facultés humaines, qui n'est ni la convention, ni le cal-
cul, qui produit son effet d'elle-même et par sa propre ten-
sion (1). » Il faudrait se garder d'oublier en parcourant ces
lignes que la vérité n'est que dans la nuance, et que la vraie
science consiste à ne point conc/ure. Cependant, nous aurions tort
de dissimuler que M. Renan avait déjà conclu dans sa pré-
face (p. 20) que « l'invention du langage ne fut point le résul-
tat d'un long tâtoiinement, mais d'une intuition primitive,
qui révéla à chaque race la coupe générale de sou discours
et le grand compromis qu'elle dut prendre une fois pour
toutes avec sa pensée. » On pourrait encore se demander
d'où est venue cette « intuition primitive, » ce qui pro-
duit cette (( force vive, » cette « spontanéité. » M. Renan
■ nous le dit dans un langage un peu plus intelligible, en
acceptant , sous quelques réserves , la manière ordinaire
de parler : « Sans doute, l'homme produit en un sens tout
ce qui sort de sa nature ; il y dépense de son activité : il
fournit la force brute qui amène le résultat ; mais la di-
rection de cette force ne lui appartient pas : il fournit la
matière, mais la force vient d'en-Haut. Le véritable auteur des
œuvres spontanées de la conscience, c'est la nature humaine,
on, si l'on aime mieux, \ a. cause supérieure de la nature. A
celte limite, \l devient indifférent d'attribuer la causalité à Dieu
ou à l'homme. Le spontané est à la fois divin et humain. Là
est le point de conciliation d'opinions incomplètes plutôt que
contradictoires, qui, selon qu'elles s'attachent à une face du
phénomène plutôt qu'à l'autre, ont tour à tour leur part de
vérité. » Oui, sans doute, en entendant le mot >.( spontané »
dans le sens que lui donne ce passage, et sans les malheureuses
restrictions que nous avons soulignées, on peut et l'on doit
(-1) De r Origine du langage, pp. 79, 80 et 239.
Févr. 18tJ3.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. U3
admettre que le langage est l'œuvre spontanée de la nature
humaine, dirigée par la cause supérieure de laquelle elle pro-
vient avec la plénitude de son organisation et de ses facultés.
Ainsi comprise, la solution de M. Renan ne diffère pas de
celle que nous avons proposée, mais, nous sommes obligés
d'en convenir, M. Renan n'admet pas l'existence de cette cause
supérieure, telle qu'est la divinité dans la théologie vulgaire.
« Nous sommes pleinement autorisés, ajoute-t-il, à dire qu'une
telle cause n'existe pas au-dessus de l'homme. » Et pour le
dire en passant, il est fâcheux pour le talent de M. Renan
qu'il se soit laissé aller, dans l'intérêt de cette dernière thèse,
à répéter contre les miracles de misérables objections tant de
fois résolues. Le trait piquant qui termine cette tirade ne suf-
fit pas k en rajeunir le contenu. Dès lors il n'y a pas de dififé-
rence entre le système de M. Renan et celui des philosophes
du dernier siècle. Ce n'était pas la peine de les réfuter et de
refuser d'admettre avec eux l'état monosyllabique du langage
primitif, pour mériter ensuite le reproche de M. Raulen
que nous citons à dessein sans le traduire : « Die Sprachen
sind sogleich auf der Stufe entstanden, welche die historische
Sprachkunde als eine Forlbildung frûherer aufgehobener
Standpuukteanerkennenmuss,undobwohlausderRenanschen
Welt die Wunder auf ewig verbannt sind, so bat doch der
menschliche Instinct bei ihm das Recht, Wunder des Unsinns
zu wirken » (i).
L'opinion de M. Grimm ne diffère pas au fond de <',elle que
nous venons d'exposer. Le but princip'al de ses eff'orts est de
réfuter la thèse de la révélation du langage. Il eu fait l'œuvre
unique de l'homme, une œuvre se développant peu à peu (2),
simple et pauvre d'abord, bornée quant à son matériel à
(^) Kaulen, Die Sprachv., p. 109.
(2) Ueber den Ursprung der Sprache. Berlin, 1852. Ein Mens-
chiiches, io unsrer Geschichle und Freiiieil berubendes, nicht plœts-
lich sondern stufenweise zu Slande gebrachles Werk (p. ^2).
•IJ4 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome Vil.
quelques centaines de racines, et passant ensuite per le déve-
loppement individuel et social à une plus grande perfection.
Celle de M. Steinthal consiste à dire que le langage naît dans
l'âme d'une manière nécessaire et pour ainsi dire aveugle, à
un certain degré de développement de la vie psychologique;
Cet auteur étudie surtout les influences réciproques de Tàme
sur le langage et du langage sur l'âme, et M. Renan dit de
son œuvre que « ses aperçus s'évanouissent parfois à force de
subtilité et de formalisme (t). » Tout cela, au fond, ne diffère
pas beaucoup de l'opinion de Meudelssolin, de Maupertuis, de
Jean-Jacques, de Condillac, et en général de tous ceux qui
ont voulu se placer en dehors de la Révélation. Malgré la
forme poétique qu'elle a revêtue chez Herder (2), et l'analyse
psychologique à laquelle l'a soumise WûUner (3), cette opi-
nion n'a pas acquis plus de créance. Il serait difficile, à travers
les incohérences, et les contradictions sous lesquelles elle se
produit, chez ces divers auteurs, de croire à la. possibilité de
l'invention humaine du langage, et quant au fait même de
cette invention, il n'est nullement démontré par des raisonne-
ments qui n'atteignent que la possibilité. En résumé, ces opi-
nions se réduisent à dire : L'origine du langage est due à la
(1) Der Ursprung der Sprache. Berlin, \%V'. — Grammafîk,
Logik und Psychologie, Berlin, -IS.^5. — Gfr. Uenau, de l'Orig.,
p. 30 ss.
(2) Herder. Ursprung (1er Sprache. « Die ganze h'erùber ges-
chriebene Abhandlung trpogt ilire besteKritik in don eigenen Worlen
Herders (Ilamann's Schriflen. Bd. b. Leipzig, 1824, S. 8) sie sei nur
als » Schrifl eiaes Wiiztœlpels » erschieuen, und die Denlcari dieser
Preisschrifl habe auf ihn so wenig Einfluss, alsdas Bild, das er gerade
an die Wand nagle. » M. Kaulen, à qui nous empruntons ces paroles,
cile fort à propos le passage suivant de Plalon : Toù; xà Tipoêara
jjLijjioujjiévouç TouTOuç xtti Toùç àXsxTpuovaç xa'i ràXXa ^wa àvayxa^oijjLeô'txv
é[JLo)vOY£Îv ovoijLaÇetv Tauxa aTTîp atfjLouvxai.
(3) Ueber die Ferivandlschafl des Indogerm., Sentit, und Tibefan.^
nebst einer Einhitung iiher den Ursprung der Sprache, Miiasler,
^838.
Févr. 18C3.) PHILOLOGIE ET RÉVÉLATiO.M- i\'6
nécessité où les hommes se sont trouvés de s'entendre entre
eux, de sorte que ce sont ces rapports quotidiens qui ont formé
la première langue; ou Lien : Le langage est un moyen de
développementderesprit particulier, dont l'iiomme a reconnu
Futilité, et qu'il a créé à cause de cela même (1). Nous nous
bornerons à cet égard à quelques réflexions.
Des faits prouvent qu'une société ne peut pas exister long-
temps sans un certain langage. Doux enfants élevés dans les
forêts aux environs de Chàlons-sur-Murne, et privés de toute
communication avec la société, étaient parvenus à se com-
prendre (2). Et d'ailleurs les sourds-muets, abandonnés à
eux-mêmes, arrivent à s'entendre au moyen de gestes très-
expressifs. De tels procédés ne constituent, il est vrai, un lan-
gage que si l'on prend ce mot dans le sens le plus large qu'il
puisse avoir. Il y a un abîme entre ces moyens et le langage
articulé, mais en tenant compte de l'abîme qui existe entre
(i) Quelques auleurs ont pensé que saint Augustin arait été du
premier sentiment. Il écrit : « îilud quoil in nobis est rationcile, id est
quod ratione utitur et ralionabilia vel facit, vel sequilur, quia nalurali
quodam viuculo in eorum socielate aslrlngebalur, cum quibus illi
erat ratio ipsa communis, nec homini homo firmissime sociari posset,
nisi colloquerentur alque ita sibi mentes suas cogitalionesqiie quasi
refunderenl, vidil esse imponenda rébus vocabuia, i. e. siguificanles
quosdam sonos : ut quoniam senlire animos suos non polerant, ad
eos sibi copulandos sensu quasi interprète ulerenlur • [De Ord., 1. n,
cap. xn). Sur quoi le R. P. Chasiel observe avec raison : » Le saint
docteur, dans ce livre, ne parle point directement du premier liomme;
il parle en général de la nature humaine. Peut-être donc est-il per-
mis de ne voir ici qu'un raisonnement a prioi'i, un argument de rai-
son, pour démontrer que l'homme, avec le privilège de la raison et
CCI inslincl de sociabilité qui le distingue, était capable d'inventer le
langage (et l'écriture). Ce qui ne prouverait aucunement que le pre-
mier homme n'ait pas reçu la parole d'une autre manière. (Chaste!,
de rOrig. des Conn. humaines. Paris, 1852, p. 100.) — La seconde
opinion est adoptée par Richard Simon. [Hist. crit. du V. Test.,
pp. 14 et 15.)
(2) Racine, ÉpUres sur l'homme. Ép. n. — Chastel, de la Valtur^
elc , p. 72.
1i& PHILOLOGIE ET UÉVÉLATION. [Tome VII.
notre état et l'état primitif, on pourrait peut-être croire qu'A-
dam et Eve seraient arrivés au langage articulé. Cela prouve-
rait donc tout au plus que, siipposifis supponendis, Adam et
Eve auraient pu inventer le langage. Mais des témoignages
historiques montrent qu'en réalité il n'en a point été ainsi.
Avant qu'Eve fût créée, Adam possédait déjà un langage
complet. C'est ce que prouvent les noms qu'il donna aux ani-
maux et mieux encore les mots qu'il prononça en voyant la
première femme.
En second lieu, l'isolement du premier bomme le mettait
dans l'impossibilité de créer un langage intelligible à des êtres
futurs. Et quant au fait de cette création, il est combattu par
des preuves très-importantes. La Révélation nous apprend
que Dieu avait créé l'homme parfait (1). Or, à cet état de
perfection appartient sans nul doute la possession du langage.
Car, bien que l'intelligence humaine puisse entrer en activité
sans ce moyen, c'est cependant du langage qu'elle attend son
plein développement. De plus, l'anatomie reconnaît en l'homme
des organes qui ne servent qu'au langage. Il appartenait
donc à la perfection de l'homme de pouvoir se servir de ces
organes pour le but déterminé auquel ils sont destinés. En-
fin, il faut supposer que la première femme était, dès le mo-
ment même de sa création, apte à remplir la fin pour laquelle
elle avait été créée. Cette fin était de former à l'homme une
société, chose qui était impossible sans le langage. Comme
elle s'est trouvée en pleine possession de son intelligence, ainsi
Eve a dii se trouver en possession du langage. Mais dès lors,
si Eve a été créée dans ces conditions, pourquoi vouloir
qu'Adam ait eu à inventer le langage? Ajoutons qu'il eût élé
fort difficile à Adam d'arriver à inventer le lajigage dans l'es-
pace de temps qui a séparé sa création de celle de sa com-
[]) Ecoles. 7, 30, 'lï»'^ Ûlï^rTnSÎ d^^ï^n W!>, Creavil Deus
hominem rectum.
Févp. 18G3.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. H7
pagne. Dans les desseins de Dieu, il n'était pas bon que
l'homme fût seul, ce qui a permis a de grands théologiens
d'enseigner qu'Eve fut créée le sixième jour avec Adam. Or,
quelles que fussent les perfections du premier homme, il lui
eût été impossible d'inventer en quelques instants un langage
tel que celui qu'il parle eu contemplant l'os de ses os et la
chair de sa chair (1).
(I) Qu'on nous perraelte de citer un passage un peu long de
M. Delitzsch dans son Commentaire sur la Genèse. 11 renferme, avec
les raisons dont nous venons de nous servir pour réfuler l'opinion de
l'invenlion humaine du langage, une exposition de l'opinion a laquelle
nous nous sommes arrêté. « Die Sprache ist, wie uns hier die
Schrifi belehrl, keine innerhalb der menschlichen Geselischaft fur
den Zweck des Verkehrs naoh und nach gemachte Erfindung, sie isl,
wie Wilh. V. Humboldt in seiner epochemachenden Abhandlung ûber
die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues Wissenschaftlich
dargelhan, eine unwillkûrliche Emanation des Geistes, der laulbare
menschliche Xo'yoç (im Unlerschiede von cpwvv) und TiC°Ç vernunflloser,
nichl mil "kôyoç begabler Wesen und Dinge) oder, wie Plalo im Soph.
sagt, der durch den Mund hindurcbgehende vernehmliche Ausfluss
der Verounft (tô àiro Stavoia; peu[^.a). Was uns hier die Schrifl berich-
let, isi iibrigens, genau geoommen, nichl die erste Genesis derSprache.
Wenn Jehova-EIohim 2, ^6 zum Menschen sprichl, so wird da schon
Sprachfaehigkeit auf Seilen des Mensihen vorausgeseizl; denn wer
nichl seibsl spreohen kann, kann auch Gesprochenes nichl verslehen =
DasSprechenGoUes zum Menschen ist das wodurch der dem Menschen
anerschaffene Sprachbildungslrieb geweckl wird. Die menschliche
Sprache dalirl also schon von 2, ^6. Hier aber Irilt, wie Dr. richlig
bemerkt, zu der weckenden Anleiiung Gotles ein zweiler die in den
Menschen gelegle Poïenz aciualisirender Faclor, neeralich die zur
Erweiterung, zur Ausbiidung durch Uebung und Anwendung anlei-
lende Aussenwelt. Man hal sich von dieser uranfaenglichen Sprache
keine niedrige Vorslellung zu machen. Sie benannie die Dinge nichl
nach abslrahirlen grossenlheils nur zufselligen Merkmalen, sondern
nach ihrem bei der Wurzel erfasslen Wesen (S. Job., Iti, 7 s.). Es
war einedurchaus idéale Sprache, obwohl ein enlwickelungsfsehiger
kindlicher Anfang. Denn der Mensch war vermœge seiner Gotles-
bildiichkeit zum Herrn der irdischen Crealuren berufen. Sie benen-
nend begann er die Vollziehung dièses Berufes. Denn die Sprache ist,
wie Kurlz (Gesch. i, 230) so schœn aïs wahr es ausdrûckt, das Scepler
derMenschheil. » (Commentar Ueber die Genesis, 3 Ausg. S. 158, 459.)
118 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [To ne VIL
L'opinion opposée à celle de l'invention humaine du lan"
gage, est celle de sa révélation divine. Cette dernière semble
devoir son origine à la merveilleuse organisation du langage,
qui a fait croire à l'impossibilité de son invention. Elle avait
cours chez les Grecs et chez les Hébreux. Dans l'Église, elle a
été produite pour la première fois par Eunomius, qui a été
aussitôt réfuté par S. Grégoire de Nysse, de la manière que
nous avons vu plus haut. Bien qu'elle n'ait point été partagée
par les savants les plus distingués qui ont vécu au sein de
l'Église, elle a été reproduite sous une autre forme par M. de
Bonald, adoptée et défendue par de Maistre, La Mennais, Gio-
berti, et l'école des traditionalistes, contre laquelle s'est formée
une école nombreuse de théologiens catholiques. Les soutiens
de cette opinion reconnaissent que l'homme primitif était doué
de facultés beaucoup plus promptes, de connaissances beau-
coup plus complètes que les nôtres, ce qui ne les empêche pas
de raisonner sur les lois qui ont dû présider alors à l'acquisi-
tion des connaissances parle développement desfacultés, exac-
tement comme on raisonne eu égard à l'état actuel de l'homme.
C'est là une contradiction manifeste. Puis, le principe fonda-
mental de cette opinion est celui-ci ; « L'homme a besoin de
« signes ou de mots pour penser comme pour parler; c'est à-dire
« que l'homme pense sa parole avant de parler sa pensée. Le
« langage est l'instrument nécessaire de toute opération intel-
« lectuelle et le moyen de toute existence morale. » Examinons
les faits tels qu'ils se passent aujourd'hui. L'homme naît capa-
ble de parler et cette aptitude se révèle en lui lors même
que, comme chez les sourds-muets, un obstacle organique
s'oppose à son développement. Toutefois, cette aptitude à la
parole n'est pas la même chez tous les individus, el; la preuve,
c'est que les uns arrivent à parler plus tôt, les autres plus tard.
Mais avant que l'enfant puisse parler, il manifeste une vie in-
(1) De Donald, Recherches philosophiques, etc., passim.
Fovr. 1S03 ] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. -119
térieure par des faits certains de perception, d'idées et de rap-
ports entre les unes et les autres. L'enfanl pense donc, bien
que d'une manière imparfaite : il juge, il compare, il se rap-
pelle, il reconnaît le visage de sa mère et manifeste ce juge-
ment par un sourire. Il y a plus, on voit en lui des efforts vers
une expression plus parfaite de ses idées. Si l'homme naissait
actuellement avec la perfection originelle que le premier hom-
me possédait au Paradis, il trouverait dans son organisme le
moyen d'unir ses idées à un son, et formerait une expres-
sion pathognomique de ses idées. Mais comme Tunion
organique entre les idées et leur expression phonétique
est actuellement perdue, l'enfant doit d'abord être initié à
trouver une union conventionnelle entre les sons orga-
niques et les idées, et apprendre les noms de ses idées tels
qu'ils existent dans une forme particulière de langage. Ceux
qui l'entourent observent les mouvements de son âme, remar-
quent les objets sur lesquels il porte son attention, lui disent
le nom de ces objets ou de ces idées, et la répétition fréquente
de cet enseignement conduit l'enfant à apprendre à extério-
riser les impressions de son âme par le moyen de sons déter-
minés. Dès qu'il est en possession de cet instrument, il est vrai
qu'il se développe avec une rapidité plus grande, mais cela
n'empêche pas qu'il ne soit tout-à-fait faux de dire que Thom-
me. apprend d'abord à penser par le moyen des mots qu'il
entend. Les sourds-muets ne se règlent certainement pas
seulement d'après les instincts des animaux, mais d'après des
jugements intelligents, avant même d'avoir reçu aucune édu-
cation. S'il était vrai, comme l'écrit M. de Donald, que l'esprit
n'existe ni pour les autres ni pour lui-même avant la connais-
sance de la parole qui vient lui révéler l'existence du monde
intellectuel et lui apprend ses propres pensées (p. i47), ni les
enfants, ni les sourds-muets ne seraient susceptibles d'éduca-
tion, car il manquerait au maître et à l'élève ce moyen-terme^
fondement et base de leur rapport, la pensée ou l'esprit présent
^2i) PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome VI!
à lui-même. Pour nous, nous avons tellement l'habitude de
nous servir de mots comme termes de nos pensées, que nous
les parlons presque nécessairement, bien que nous puissions
aussi penser sans ce moyen, comme cela nous arrive pour les
idées dont nous ne connaissons pas Texpression.
Toutes ces considérations montrent l'inexactitude du point
de départ de Topinion traditionaliste. Celle que nous avons
proposée laisse à la puissance divine le fait de la création du
langage, sans dire toutefois que pour cette création Dieu ait
fait un acte séparé de celui par lequel il a créé l'homme parfait,
et elle laisse à l'activité libre de Thomme le fait de la produc-
tion actuelle du langage. Nous pouvons donc conclure avec
Benloew : a Nous pensons que l'homme parla tout d'abord, né-
« cessairement poussé par un instinct naturel (ajoutons et par
« la conscience qu'il avait de sa mission dans ce monde), et en
« s'aidant des organes que la divine Providence avait mis à
« son usage. Nous n'admettons donc pas que la langue ait été
« communiquée à l'homme par une révélation nouvelle et
« particulière : nous pensons que le miracle de sa création
c( comprend aussi celui de la manifestation de sa pensée (1). »
L'abbé d'AuTUN.
(1; Benloew, Aperçu, p. 15.
DE L'UNITÉ ROMAINE.
Le P. Clément Schrader, de la Compagnie de Jésus, pro-
fesseur de théologie à Vienne, nous a donné en 1862 le com-
mencement d'un fort beau travail sur l'unité romaine : De
Unitate romana{\). Le premier livre^ le seul qui ait paru,
porte le titre de StoaxTtxo'ç. Il forme un petit in-4° de 205 pages.
Nous avons éprouvé une vive jouissance en lisant ce remar-
quable ouvrage, et nous sommes vraiment heureux de le faire
connaître à nos lecteurs.
De Unitate romana ! Ce titre nous plaît beaucoup. L'unité qui
constitue l'essence de l'être divin est la forme absolue du
vrai et la condition indispensable de la vie. Toutes les œuvres
de Dieu ont été faites dans le nombre, le poids et la mesure,
c'est-à-dire dans l'unité. La même loi d'ordre qui brille dans
l'univers, doit se retrouver dans la sainte Église, et s'y re-
trouve en effet. Unum corpus... unus Dominus, uno. fides, unum
baptisma (Eph. iv, 4, 5), unum caput (Concil. Florent.), unus
Deus, unus Christus, una Ecclesia, una Cathedra (S. Cypr.,
epist. XL) : cette formule nous a toujours paru résumer tout le
christianisme établi par Jésus-Christ sous forme d'Eglise, et
toute l'Église ramenée par Jésus-Christ à l'unité d'un pouvoir
fondamental, souverain et central. Ubi Petrus, ibi Ecclesia.
Mille textes de l'Ancien, et surtout du Nouveau Testament,
nous apprennent trop combien Notre-Seigaeur a aimé l'u-
nité ; la raison et l'expérience nous démontrent également
(Ij De Unitate romana comment ar lus. — Friburgi Brisgoviae,
Herder, MDCCCLXIL
122 DE L'LNITÉ romaine. [Tome VII.
trop combien ce pouvoir sagement établi dans l'unité produit
de biens, écarte de discussions et s^adapte parfaitement à lous
les besoins de l'homme, pour qu^indépendamment de plusieurs
autres données, nous ne soyions pas en droit d'affirmer que
le plan qui donne le plus à l'unité est le plus conforme à l'in-
stitution divine. Nous avions toujours pensé que les conseils
du Seigneur, le Christianisme, TÉglise, la théologie, toutes
choses en un mot, pouvaient et devaient être ramenées à un
point central, à un fondement et à une clef de voûte uniques.
L'ouvrage du P. Clément Scbrader semble être la démonstra-
tion de cette grande idée : son litre de Unitate romana est donc
très-heureusement choisi.
Ce livre emprunte aux circonstances présentes une impor-
tance particulière. On peut dire qu'aujourd'hui l'unité ro-
maine ne laisse personne indifférent. Nul ne peut le nier, il
s'est fait de nos jours un mouvement plus prononcé, plus uni-
versel, entraînant par un courant rapide hommes et choses
vers Rome. De grands, de mémorables événements se sont
produits, qui ont démontré qu'aujourd'hui, après une longue
suite de siècles, l'Église mère et maîtresse n'a rien perdu de la
puissance d'attraction que Jésus-Christ lui a communiquée
pour réunir les hommes en un seul bercail et en un seul
troupeau. Si, en difierenls points, des systèmes locaux et par-
ticuliers s'étaient accrédités sous l'empire de circonstances
spéciales, ces systèmes disparaissent peu à peu et tout devient
romain. Cette tendance vers une unité plus intime, plus com-
plète, plus étendue, est sans contredit l'un des signes les plus
consolants de notre époque. C'est encore un devoir sacré pour
tous de la seconder dans la mesure du possible. Rien n'est doux,
rien n'est beau, rien n'est puissant comme l'unité.
Mais, hélas! il faut bien l'ajouter, le Siège de Rome, qui est
le centre de l'unité pour tous les catholiques, est aujourd'hui,
plus encore que dans le passé, un signe de contradiction pour
ses adversaires : l'esprit des ténèbres s'efforce de renverser le
Févr. 1803.] DE L'UNITÉ ROMAINE. -123
boulevard de l'Église : « ... Dei hominumqué inimicus impetu
« facto in centrum totius visibilis regni Christi bellum christiano
« nomini universo infert, et apud romanam ipsam Cathedram
a totius pietatis arcem per suos mini&tros cum Pctri successore
« congrediendo Ckristum debellure in ejus Vicario attentat, atque
« romana eversa pontificia sede opus Christi pessumdare , a
a pastoi^e gregem, a doctore ac magistro discipulos omnesque
« docendos, a capite membra, a fonte rivulos, radios a sole
« atque ab Ecclesia matrice filias abstrahere ac avellere roma-
« namqiie unitatem radicitus dissipare prxsumit! » (p. 13).
Puisqu'en attaquant le Saint-Siège, c'est l'Église, c'est la reli-
gion, c'est Jésus-Christ, c'est la réden^ption des hommes
qu'on attaque, il faut donc dans ce dogme défendre tous les
dogmes et tous les biens dans ce bien. Il le faut par devoir et
non par crainte, car le ciel et la terre passeront, mais la pa-
role de Jésus-Christ ne passera pas! Tu es Pierre, et sur cette
pierre je bâtirai mon Église, et les portes de V enfer ne prévau-
dront point contre elle! Celui qui, par Simon, fils de Jean,
fonda l'unité romaine et triompha de l'impiété des vieux
païens, saura, par le successeur de Pierre, vaincre le paga-
nisme des nouveaux impies et protéger cette sainte unité. Es-
pérant tout du ciel, les fils de l'Église n'ont jamais cessé, néan-
moins, de défendre par les armes de la science les dogmes
contestés et de répoudre par d'admirables traités à d'ignobles
attaques. « De hac igitur unitate, conclut le P. Schrader, guam
« propterea dixi romanam, quod detei^minans ejusdem principiura
« ipsa est romana apostolorum principis sedes, a qua summa rei
« pendet quxque tantum valet quantum universa Christi œcono-
« mia. adeoque ipsa valet chrisliana veritas, auspice Petro, qui
« in romana Ecclesia jugiter vivit et régnât, disputare constttui »
(p. XIV).
L'ouvrage du P. Schrader a donc une valeur et une portée
spéciales. Bien lu, bien médité, il peut avoir les plus heureux
résultats, dissiper les restes de quelques erreurs et montrer
-124 DE l'unité romaine. [Tome vu.
que la vie pleine et parfaite de la sainte Église est dans l'u-
nité romaine. Nous ne pouvons mieux le louer qu'en présen-
tant à nos lecteurs l'ensemble des richesses thculogiques qui
s'y trouvent entassées.
I.
II fallait avant tout exposer la nature et l'étendue de l'unité
romaine : De ratione et amplitudine romanx unitatis. Cette
«nité s'étend aussi loin que les limites de l'Église, et l'Église
n'a d'autres frontières que les bornes du monde. Aussi, le
le titre de catholique lui est donné quoad sensum dans divers
passages du Nouveau Testament, et formellement, quoad no-
men, par saint Ignace d'Antioche, cet homme admirable, qui
fut, on peut le dire, l'apôtre de l'unité par la charité : « Ubi
« comparuerit episcopus, ibi et multitudo sit ; quemadmodum
« ubi fuerït Christus Jésus, ibi catholica est Ecclesia » (Epist.
ad Smyrn., n° 8). On le trouve aussi dans les actes du martyre
de S. Polycarpe, et dans le symbole des apôtres. Or, cette
Eglise catholique est la même que TÉglise romaine : « Sicut fides
a roinana a fide catholica nomine tenus dumtaxat apud antiquos
« differt ; ita appellatio cathedrx ecclesixque romanx apud
a eosdem (juvcovu[xoç est cum appellatione catholicx Ecclesiœ »
(p. 4). Ce principe résume, avec toute l'exactitude désirable,
la doctrine des anciens Pères de l'Eglise. « Communicare cum
« Cornelio, hoc est, cum catholica Ecclesia communicare^ » dit
saint Cyprien (ad Anton, ep. 55 al. 52). Pour ce grand saint,
qui, par ses actes aussi bien que par ses écrits, a été un des
plus illustres témoins de la nécessité de l'unité ecclésiastique,
l'évèque de Rome est la racine et la matrice de l'Eglise catho-
lique'.a Ecclosix catholicx radicem ac matricem» (ep.48 al. ^o].
Pour lui, c'est de la chaire de Pierre qu'est sortie l'unité sa-
cerdotale : « Ad Pétri cathedram.., unde unitas sacerdotalis
« exorta est » (ep. 59 al. 55). Il écrit à saint Corneille qu'il
Fcvr. 1Î563.1 DE L'UNITÉ ROMAINE. .{2^
s'est employé pour que ses collègues se tinssent étroitement
unis à sa communion, c'est-à-dire à la communion de l'É-
glise catholique : « Comtnunionem tuam, id est, catholicse Ec-
a clesix » (ep. 48 al. ^S). Ainsi parlent les autres Pères (p. 4-
5), ainsi saint Irénée, dans un splendide témoignage que nous
retrouverons par la suite : grande et salutaire doctrine que le
Formulaire souscrit par deux conciles œcuméniques et offert
à Hormisdas et à Adrien, a nettement répétée en disant : « In
« Sede apostolica inviolabilis sempercatholica custoditur religio...
« Sequentes in omnibus apostolicam sedem... Et per omnia
« spero, ut in una communione vobiscum, quam sedes apostolica
a prxdicat, esse merear, in qua est intégra et vera Christianas
« religionis et perfecta soliditas : promittens in sequenti tempore
« sequestratos a communione Eccle&ix catholicx, id est, non
« consentientes Sedi apostolicse, eorum nomina inter sacra non
a recitanda esse mysteria. » Donc, conclut le P. Schrader, la
foi de l'Église de Rome est la foi de toute l'Eglise de Jésus-
Christ, et la foi de TÉglise catholique et apostolique ne diffère
point de la foi de l'Église romaine. Non, non, disait saint Au-
gustin, s'adressant à l'hérésie arienne, on ne croit pas que tu
aies la vraie foi de FÉglise catholique, toi qui n'enseignes pas
qu^il faut garder la foi romaine : « Non crederis veram fidem
a tenere catholicx, qux fidem non doces esse servandam roma-
« nam » (p. 7). Devançant Ténergie de cette argumentation,
saint Cyprien, au Ille siècle, avait écrit cette pensée si remar-
quable : « Probatio est ad fidem facilis compendio veritatis,
c( loquitur Dominus ad Petrum... » (de Unit. Eccl.), où il fait
du Saint-Siège un moyen sur, proaipt et facile d'obtenir Tu-
nité de la foi.
Prétendre que la foi catholique u^a été appelée romaine que
depuis le schisme des Grecs et à son occasion, serait donc
une grossière erreur. Prétendre avec Launoi qu'il n^entre pas
dans la nature de l'Eglise d'être romaine, serait avancer une
énormité ; car les témoignages rapportés naguère montrent
-126 DE l'unité romaine, • [Tome vil.
qu'il est essentiel à l'Église d'être romaiue. Or, pour qu'elle
soit romaine, il lui est essentiel d'être gouvernée par le Pon-
tife romain. Déchirer l'unité romaine, c'est donc déchirer l'u-
nité catholique. Sortir de l'unité romaine, c'est donc sortir de
l'unité catholique.
Étant données les limites de l'nnité romaine, qui sont les
limites mêmes de l'Église catholique, il faut maintenant re-
chercher et décrire le caractère et la nature de cette unité.
Ici encore, nous devons aflBrmer de l'unité romaine ce qui de-
vra s'affirmer de la société ecclésiastique.
Sans entrer dans de longs détails, nous savons que, con-^
sidérée par rapport à sa fin, la société ecclésiastique est une
société nécessaire, dans laquelle toute créature humaine est
tenue d'entrer, soit parce que c'est l'ordre exprès de Jésus-
Christ, soit parce que le salut est inséparahle de l'Église,
Tanta est Fcclesise. nécessitas quanta est nécessitas cohxrendi cum
Christo novaque vita renascendi. Telle est la nécessité de l'unité
romaine : toute créature est tenue d'en faire partie, et il n'est
loisible à nul de ceux qui y sont entrés de s'en retirer. « Qui
« cathedram Pétri supra quarn fundata est Ecclesia deserit, in
« Ecclesia esse confidet? •>) demande saint Gyprien {de Unit.
eccL). « Ego nullurn primum nisi Christum sequens, y) s'écrie
saint Jérôme, dans le même sentiment et la même pensée,
(( Beatitudinituse, id est, cathedrx Pétri communione consocior...
« Quicumque tecum non colligit, spargit : hoc est, qui Christi
« non est, Antichristi est» (Ad. Dam., ep. xv, n° 2).
Examinée dans son origine, l'Église est une société légale,
déterminée qu'elle est quant à son existence et à sa nature par
la volonté du Maître et Seigneur absolu de toutes choses. L'u-
nité romaine est pareillement légale, établie et fondée comme
pierre angulaire par rArchitecte de FEglise, C'est ce que le
même saint Gyprien inculquait si fortement à son troupeau :
« Deus unus est, et Christùs unus est, et una Ecclesia et cathedra
« una, supra Pefruni Domini voce fundata... Quisquis alibi colle-
Févr. 1863.] DE l'uNITÉ ROMAINE. "127
« gei'it spargif. Adulterum est, irnpium est, sacrilegum est, quod-
« cumque Jiumano furore institmtur, ut dispositio divina viole-
« tur » (ep. XL, al. xliii).
Dans sa constitution, l'Église est une société inégale, n'of-
frant aucun rapport avec la démocratie. Or, l'unité romaine ne
fait et ne produit Tunité catholique de l'Église universelle, que
parce qu'elle est le pouvoir souverain et premier de l'Église.
Voilà pourquoi les Pères, d'une commune voix, enseignent
que, dans le collège apostolique, saint Pierre fut choisi de
droit divin pour être le chef des autres, afin de conserver l'u-
nité et d'éviter toute occasion de schisme (p. 13-14-). De là
cette belle parole de saint Grégoire de Nazianze : « Roma an-
« tiqua, ubi tota sancte custoditur divinx veritatis concordia. »
(De Vita sua carmen xi, xx, 570 et ss.) L'Église est essentiel-
lement visible (1); l'unité romaine est donc visible, elle est vi-
vante dans un pasteur unique : « Ut unitatem manifestaret,
« dit l'admirable saint Cyprien, unam cathedram constituit et
« unitatis orîginem ab uno incipientem sua auctoritate dispo-
« suit... Exordium ab unitate proficiscitur , ut Ecclesia Cfiristi
« una monstt^etur. » (de Unitate Eccl.)
II.
L'Église est une société surnatui'elle, spirituelle, dans laquelle
ou obtient le salut que Jésus-Christ est venu apporter au monde.
Le dogme, les préceptes, les sacrements, tout cela est dans
l'Église, tout cela y produit la grâce et partant la gloire. Or,
chose étonnante, c'est dans l'Église romaine que s'est conservée
et que se conserve la tradition ecclésiastique, la tradition de
tous ces biens! C'est rargumentation puissante de saint Irénée.
(1) Le P. Schrader rapporte un nouveau et beau passage de saint
Augusliu sur la visibililé de l'Église, que nous regrelions de ne pou-
voir Iranscrire ici.
128 DE l'unité romaine. [Toni». VII.
Nous ne connaissons rien de plus énergique et Je plus remar-
quable que les paroles du saint évêque de Lyon. Ce docteur,
voulant écraser les Gnostiques par la tradition ecclésiastique,
au lieu d'apporter les successions particulières de toutes les
é£;lises du monde, ne cite que la suite des évêques de TÉglise
ta plus grande et la plus ancienne, connue de tous, de l'Église
fondée par saint Pierre et saint Paul. Heureuse église, dira Ter-
tullien, en laquelle les saints apôtres ont versé avec leur sang
toute la doctrine, totam doctrinam, qui est là comme dans sa
source, comme dans sa plénitude. Et, chose à noter,, saint Iré-
née assure que cette démonstratiou est parfaite : « Ad hanc enim
a Ecclesiarn, propter potiorem principalitatem necesseest omnem
« convenire Ecclesiarn, hoc esteosgui sun( undique fidèles, in qua
« semper ab his qui sunt undique, conservala est ea qux est ah
Apostolis traditio! n Parole bien digue d'attention! c'est en
l'Église romaine, que les fidèles partout disséminés conservent
la tradition descendue des apôtres. Oui, poursuit le grand
évêque, c'est par cette succession que la vérité est parvenue
Jusqu'à nous. « Hac ordinatione et successione... veritatis prxco-
« natio pervenit usque ad nos! Et est flenissima h^eg ostensio,
« unam et eamdem vivificatricem fidem esse, qux in ecclesia ab
a apostolis usque nunc sii conservata et tradita inveritate. {Cou-
a tra hxres. 1. III, c. 3.) » Il n'est pas possible d'exalter davan-
tage l'autorité doctrinale infaillible de la succession des évê-
ques de Rome. Les explications plus ou moins étranges, plus
ou moins adoucies qu'on a essayé de donner bon gré mal gré
sur ce passage, montrent, sinon l'habileté des adversaires, du
moins l'extrêinc embarras où les jette une telle argumentation
d'un écrivain du second siècle. « Est ergo, conclut avec raison
« le P. Schrader, romana cathedra totius eclesiasticx societatis
« centrum et ejics fides est fidei socialis régula ac paradigma »
[p. 19j. Car, ajoute saint Irénée, cette foi ainsi reçue, l'Éghse
dispersée partout l'univers la garde comme si elle habitait une
seule maison, la croit comme n'ayant qu'un cœur et qu'une
Févr. 1863.] DE l'UNITÉ ROMAINE. H 29
âme, et la prêche consonanter, comme n'ayant qu'uno bouche,
quasi unum possidens os. {Adv. hxr. 1. 1 c. 10. n. 2.)
De celte confrontation doctrinale concluons que l'unité ro-
maine est ri^]glise catholique, non pas en ce sens que l'une
soit tout-à-fait l'autre, mais parce qu'en elle se concentre et
se personnifie, en quelque sorte, tout ce que l'on a coutume
d'affirmer de l'Église de Jésus-Christ. « Et illud in primis ob-
vium, romanam unitalem non utcumque converti ac promiscue
accipi cum Ecclesia Christi..,. In qua (l'unité romaine) carnem
prope habent et ossa qusecumque de vera Christi ecclesia prxdi-
cari soient (p. 26).
Cette conclusion n'est pas la seule que nous devions tirer,
11 faut aussi admettre que l'unité romaine est une société de
droit positif, et même de droit naturel hypothétique, tout-à-fait
éloignée de la démocratie indépendante, mais non séparée de
la puissance civile ; que la société humaine est, de droit natu-
rel absolu, une société religieuse, et, de droit naturel hypothé-
tique, société catholique romaine; que le pouvoir a des obliga-
tions à remplir envers l'unité romaine; que cette dernière, bien
qu'ayant un bien et des moyens spirituels, ne peut-être privée
des biens temporels ; que ses sujets ne sont pas de purs esprits,
des esprits seuls; que les effets qu'elle produit ne sont pas
simplement pour l'éternité ; qu'elle prend soin de la société
temporelle, dont elle procure l'ordre et la félicité, et que par
conséquent les liens extérieurs qui nous rattachent à l'unité
romaine ne peuvent être rompus sans qu'il s'ensuive bien des
ruines et des désastres. Le P. Schrader indique et développe ces
conséquences de la page 21 à la page 57. Ce côté de son travail
est un des plus importants : c'est celui qui expose les relations
de l'unité romaine avec toutes les chosesextérieures. Ici encore
nous devons nous attendre à trouver l'union, la paix produisant
la vie, l'ordre et la beauté.
Uevue des Sciences ecclésiastioues, t. vu. 9-10.
■*30 DE LL>-1TÉ KOMAINE. iTomeVIU
III.
Qael est le principe d'où découle l'uiiité romaine? A celte
unité dont nous venons de considérer les linaites et le caractère,
il faut évidemment une cause commune, objective, sociale et
publique. Cette cause c'est la sainte biérarchie. Aussi voit-on
les anciens Pères, saint Ignace, saint Irénée, saint Cyprien,
enseigner à plusieurs reprises que, hors de l'unité de. l'iilglise,
il n"y a pas de salut à espérer et que cette unité se personnifie
dans le pasteur légitime qui préside à celte Église. Rien n'est
plus fortement inculqué dans leurs écrits. Le peuple attaché à
un évèque, c'est là la vie et l'union de chaque église. Mais il
faut que cette unité particulière se résolve dans une unité gé-
nérale : il faut que tous ces évêques soient unis à leur tour
dans une fraternité universelle'^diVlQ. lien extérieur d'une même
communion. Le pasteur qui n'est pas dans cette réunion una-
nime n'est pas, ne peut pas être un évêque catholique : il est
illégitime, il est schismatique. Mais comment toutes ces égli-
ses, tous ces peuples tous ces pasteurs seront-ils réunis en
l'unité? « Multitude nisi unitate ligetur, dit saint Augustin,
« rixosa et litigiosa est ; multitudo autem concors unam animam
facit. [Serm. clyiii. de Pentec. n. 2. Mai, Bibl. II, p. 352.) Ce
principe, cette cause, cette tète, cet aimant, cette base, ce
père, ce docteur, ce centre, c'est le Pontife romain. Entre les
évêques, il y a, dit saint Léon, une dignité commune, quitus
quum dignitas sit cornmunis, il n'y a pas un ordre commun,
non est tamen ordo generalis. [Ep. ad Anast. Thessal.)
Divers degrés de pouvoirs plus étendus ramènent toutes les
affaires ecclésiastiques à l'unité de la chaire première : < Per
quos ad unam Pétri sedem universalis Ecclesixcura conflueret et
nihil usquam a suo capite dmideret (Ibid.) » C'est là le langage
ordinaire des Pères, qui donnent l'unité de chaire comme une
des notes de l'Lglise. C'est de là, dit saint Ambroise, que dé-
Tévr.l8Ci3|. DE L'UNITÉ ROMAINE. t^i
rivent pour tous les droits de la communion : inde in omnes ve-
neranda communionis jura dimanant (F pp. 1. i, ep. Xi, n. 4) ;
c'est de là que sortent les pures doctrines, selon la vigoureuse
expression du Concile de Chalcédoine, quand il disait à saint
Léon qu'il avait gardé la foi antique: aQuam... ipse servastt,
vocis B. Pétri omnibus constitutus interpres, ejus fidei beatifica-
tionem super omnes inducens {Hard. ï, p. 655). » L'Église uni-
verselle vient de parler. Voici le langage de l'église d'Afrique :
a Magnum et indeficientem omnibus christianis fluenta redun-
dantem apud apostolicam sedem consistere fontem nullus ambigere
possit, de qiio rivuli prodeunt affluenter. » (Act. ii Syn. Lat. sub
Martino \.) Belle image bien souvent employée par les Pères et
lesauteurs ecclésiastiques, « Inde, écrivait saint Innocent l*"" aux
évêques d'Afrique, helut de natali suo fonte aqux cunctss procé-
dèrent et per diversas mundi regiones puri capitis incorrupt.se ma-
narent {Hard. i, p, 1025). » Les évêques des Gaules écrivent à
saint Léon qu'ils ont reçu ses lettres comme un symbole de foi
et que dans le Siège apostolique est la source et l'origine de
notre religion : Unde religionis nostrx... fons et origo manavit.
(Labb. IV,, c. -378). C'est la même cbaire qui est, au témoignage
des Pères, la source de l'apostolat et de l'épiscopai (Schradcr,
p. 75).
L'évèque de Rome est donc le père des pères, le pasteur
des pasteurs, l'évèque des évêques; son Église est donc la
racine, la source, la matrice, la mère et la maîtresse des
autres. Et les énergiques expressions par lesquelles saint
Cyprien affirmait cette vérité fondamentale n'ont rien que
d'exact et de précis.
Dans les premiers jours de l'Église, la grande marque
que l'on était catholique, c'était d'être uni à la Chaire romaine.
Rien n'est plus touchant que ce respect de l'autorité dont
jouissaient dans ces temps primitifs les églises apostoliques,
les sièges où les apôtres semblaient encore assis environnés
de la vénération des fidèles. Et néanmoins, toutes ces églises
^32 DE l'unité ROMAINE. [Tome VIK
aussi bien que les autres devaient nécessairement rayonner
vers le centre, se tenir étroitement unies à l'Église romaine.
C'est là le nerf et la beauté de l'admirable raisonneuient de
saint Irénée (Scbrader, p. 81). C'estle sens de l'argumentation
de Tertullien qui, parmi les églises apostoliques, cite l'Église
romaine comme ayant reçu toute la doctrine avec le sang des
apôtres. Or, par une permission de la divine Providence, qui
tourne tout en faveur de l'unité, des anciennes églises apostoli-
ques, une seule est encore debout, une seule! C'est donc à elle
que, selon la méthode des Pères, il faut nous adresser. Si ces
grands hommes revivaient, avec quelle ardeur et quel pieux
respect ils accourraient au Saint-Siège apostolique, le seul
apostolique ! Saint Irénée ajouterait à sa Hste les papes qui
ont succédé à saint Eleuthère, et il maintiendrait son, raison-
nement. « Verum in prsesentia, dit le P. Schrader, non existit
« alla amplius apostoUca ejusmodi ecclesia originalis et matrix
a prxter ecclesiam romanam. Ergo apostoUca haberi nequit doc-
« trina qux non ronsonat cum romanx Cathedrse prxdicatione :
« neque christiana vcritas est quidquid ab eadem romana prxdi-
« catione dissonat (p. 89). » Reine parmi les églises aposto-
liques, il y a donc une double nécessité de s'accorder avec elle
en toutes choses !
Des schismes et des hérésies, excités par le démon, troublent
trop souvent la paix et l'unité de l'Église. D'où vient un si
grand mal ? « JIcc eo ftt dura ad veritatis originem non reditur, nec
« caput quxritur^ » répond l'admirable saint Cyprien. Où se
trouve le remède? a Tractatu longo atque argumentis opus non
« est. Probatio est ad fidem facilis compendio veritatis. » Quelle
est cette preuve facile menant à la foi. ce compeudium de la
vérité, qui dispense des longs traités, des argumentations pro-
lixes? C'est la Chaire romaine ! Et après avoir rapporté les di-
vines paroles adressées par Notre-Seigneur ù saint Pierre, le
grand évêque de Carthage ajoute cette sentence magistrale :
« Ut unitatem manifestaret, unitatis ejusdem originem ab una
Févr. 18C3.1 DE L' UNITÉ ROMAINE. 433
c( incipientem sua auctoritate disposuit » [De Dnit. Eccl.) Il
n'est pas possible de parler plus fortement en faveur de la
suprême autorité doctrinale de la chaire romaine.
Saint Optât de Milève argumente exactement comme saint
Gyprien. Dans l'Église, il n'y a qu'une chaire racine et matrice.
C'est la chaire placée m urbe Borna, in qua una cathedra unitas
ab omnibus servaretur; sur cette chaire unique se sont assis en
leur temps divers pontifes, depuis Pierre jusqu'à Sirice, cum
quo nobiscum talus orbis commercio formatarum in una commu-
nionis societate concordat. (De Sch. Don. L i, c. ii, n, 2.)
Saint Ambroise rapporte que son frère Satyre, jeté par la
tempête sur une côte étrangère, pour savoir si la foi catholique
y était prêchée et connue, ne trouva pas d'autre moyen que
de demander à l'évêque du lieu, utrum cum episcopis cathoUcis^
hoc est, cumsede lîomana conveniret [De Ob. frat. Sat. 1. 1, n. 47).
C'est le môme saint docteur qui a résumé le mystère de l'uni-
té dans ce mot, le plus énergique qui se puisse imaginer :
Ubi Petrus, ibi ecclesia ; mot que saint François de Sales a voulu
copier quand il a dit: Le Pape ou V Eglise, c'est tout un. « In
omnibus cupio sequi Ecclesiam Romanam »(De Sacr. 1. m, c. 171),
dit encore le grand évéque de Milan, traduisant pieusement
l'impression que le Saint-Esprit met au cœur des âmes fidèles
pour les diriger vers le centre de l'unité, et confirmer ce bien-
heureux mystère par un mouvement d'amour.
Saint Jérôme, placé entre les Lucifériens, les Origéui?tes, les
Mélétiens, les Vilaliens, les Pauliuieas, ne cesse de s'écrier :
« Brevem tibi apertamque animi mei sentent iam proferam, in
« illa ecclesia permanendum, qux ab Apostolis fundata usque ad
« diem hanc durât [Ado. Lucif.). » Il ajoute c< Fidem romanam
« apostolico ore laudatam (Ep. 65, n. 2). Quelle est la foi que
suit Rufin ? Si Romanam responderit, ergo catholici surnus !
{Adv. Ruf. 1, I, n. 4.) Il demande à saint Damase de lai fixer une
règle de foi, qu'il gardera sans crainte. (Ep. 58, al. i6. ; 57 al.
15; 130 n. 66 Aé? Demetriad.)
-Î34 DE l'unité ROMAIME. [Tome VII
Saint Augustin, ou le croit sans peine, a parlé plus d'une
fois du Siège où est dans sa pleine vigueur la principauté de
la Chaire apostolique, parole qui renferme tout ce qu'on peut
en dire de plus fort: Chaire d'unité en laquelle Dieu, dit-il,
a placé la doctrine de vérité. Argumentant contre les Donatistes,
il leur montre qu'ils sont hors de l'i'glise (Ep. 53, n. 2), car
ils ne s'accordent pas avec les évèques de Rome, dont aucun
ne fut donatiste, succession glorieuse et sans tache, qui est
elle-même la pierre que les portes de l'enfer ne vaincront en aucun
temps {Cont. port. Don.), suite puisssante qui retenait ce vaste
génie dans le sein de l'Eglise. «... Multa sunt alia qux in ejus
« gremiomejustissimeteneant... Tenet ab ipsa sede Pétri apo-
« stoli, cui pascendas oves suas post resurrectionem Dominuscom-
« mendavit usque ad prxsentemepiscopatum successio sacerdotum »
{Cont. ep. Fund., c. iv. n. 5). Rome a parlé, la cause est
finie ; tout doute a disparu, dubitatïo tota sublata est ! Si Cons-
tantin, après le concile de Rome, autorisa le concile d'Arles,
ce ne fut point parce que ce concile était nécessaire, non quia
necesse erai, mais pour céder aux importunités des dissidents.
Vieillard couvert degloire, Augustin envoie ses derniers écrits
à saint Boniface, le priant de les examiner, s'engageant à cor-
riger ce qui lui déplairait, et ubi forsitan displicuerit emendanda
constttuil
Nous trouvons la même doctrine chez les Pères moins an-
ciens, comme aussi chez ceux (jui appartiennent à l'Église
d'Orient (Schr., p. 101-109). Telle est la pratique des sectes sé-
parées ; telle est eniîu la raison de la nécessité et de la valeur
des lettres formées qni mettaient les évêqucsen communication
entre eux, parce qu'elles établissaient leur communion avec le
Siège principal, centre nécessaire de l'unité catholique.
Cctie belle et grande considération doctrinale a pour i)ase
un fait historique d'un(; importance capitale. Saint Pierre est
venu à Rome, y a été évêque, y est mort et n'a cessé d'y
avoir des successeurs: tout ceci, l'histoire l'affirme; c'est
Ftvr. 1863.1 DE l'uNITÉ R03IA1NE. , 135
même un fait dogmatique, lié à des dogmes de foi et qui re-
pose sur les données de la révélation, aussi bien que sur le té-
moignage de riiistoire. Saint Pierre reçut le pouvoir sur toute
l'Église : « C laves regnï cœlorum communicandas cxteris soins
« accepit [Cont. Parm, 1. viii, c. 3). » Les promesses faites
ans autres apôtres, il les reçut senl, et les apôtres n'en enten-
dirent aucune que Pierre ne fût avec eux: circonstances divi-
nement disposées afin d'assurer l'unité dans le gouvernement
ecclésiastique. Pierre vit dans chacun de ses successeurs : cha-
cun des évéques de Rome est donc un autre Pierre. Rien ne
revient plus souvent dans les ouvrages des Pères et les actes
des conciles que cette pensée : « Ipsa est Petra, dit S. Augustin
des successeurs de saint Pierre, quam non vincunt superbx in-
ferorum portx. »
IV.
Le plaisir que nous procure l'étude du livre du P. Schrader
nous ferait oublier et dépasser les bornes d'un article ordi-
naire, et volontiers sur un sujet aussi vaste qu'intéressant,
nous écririons avec lui un volume entier. Abrégeons.
Il nous reste à voir quelle est la disposition, Veconomie de
l'unité romaine. La Chaire romaine forme l'unité de l'épisco-
pat, l'unité de la chaire des docteurs, l'unité des pasteurs,
l'uuité de bercail des brebis (p. 114-122), Il est donc absolu-
ment nécessaire qu'on lui obéisse, c'est-à-dire, ce qui est tout
un, qu'on lui obéisse partout et toujours. Ce ne sont pas seu-
lement les Pères et les exemples de l'antiquité qui nous en-
seignent ces vérités capitales : ce sont les conciles qui nous af-
firment que l'Église de Rome a sur toutes les églises du monde
ordinarix potestatis principatwn (C. Lat. iv, an 1215), un pou-
voir, mais un pouvoir SUMMUM et PLEJNUM super universam ^cc/c-
siam calholicam... cum potestatis plenitudine [Cane. Lugd. sub
Greg. X) ; que son évèque est le père, le docteur de tous les
chrétiens, avec le plein pouvoir de nourrir, régir et gouverner
136 DE L'tNITÉ ROMAINR. [Tome VII.
l'Église universelle {Conc. Flor.). Écho puissant de tous les
conciles antérieurs, l'assemblée de Trente enseigne à diverses
reprises et en plusieurs manières que le Pontife romain a la
SUPRÊME autorité sur l'Église dans Dieu (Cf. Schraderp. 128).
Ces dogmes de foi dont le granit invincible résiste à tous les
efforts de l'esprit d'erreur, se retrouvent encore dans les actes
officiels émanés de la Chaire apostolique, dans le décret de
Gélase I, dans le formulaire d'Hormisdas, dans la formule de
Nicolas I, de Léon IX, dans la profession de foi de Pie IV,
dans celle que Grégoire XIII imposa aux Grecs et que renou-
velèrent Urbain VIII et Benoît XIV (p. 128-132). On voit les
Papes, combattant à un autre point de vue pour la même
vérité, condamner successivement les diverses erreurs qui ont
nié dans le cours des âges l'autorité du Siège romain. Le P.
Schrader cite Etienne I, Nicolas I, Jean XXII, Martin V, Léon X
et Pie VI (132-135). Un des articles condamnés par Martin V.
et le concile de Constance, nous a toujours paru digne d'être
recommandé à l'attention des esprits : « Non est de necessitate
a salutis credere Romanam ecclesiam esse supremam inter alias
» ecclesias. »
La racine et la source de ces dogmes se trouve dans les
saintes Lettres, dans trois passages fameux du S. Évangile, dont
on peut dire : funiculus triplex difficile rwnpitur, com.mentés
pratiquement par les Actes des Apôtres, Ces passages, le P.
Schrader les explique par la doctrine des Pères, et c'est ici
une des parties les plus émouvantes et les plus intéressantes de
sou livre. Cette triple couronne, rehaussée par les oracles des
Pères comme par des rubis, brille d'un éclat merveilleux sur
la tête de l'auguste Chef de l'Eglise, et fait du Saint-Siège une
sorte de colonne milliaire, de laquelle tout part et à laquelle
tout aboutit (p. 138-173). Ici les détails sont impossibles, il faut
lire. L'égalité prétendue des apôtres ne nuit pas à la primauté
d'un seul, pas plus que la séparation et les objections des
Phoiiens ne ruinent l'autorité romaine.
Fcrr. dSGô.l DE l'L'NITÉ ROMAINE. 137
A la fiu (le celivi'P, le P. Sclirader tire quelques conclusions
que nous indiquerons en peu de mots.
Le régime de l'Église n'est pas politico-laïque, il n'est pas
démocratique, il n'est pas aristocratico-épiscopal, il n'est pas
aristocratico-synodal. Il est ijionarcliique ; le Chef de l'unité
catholique est un roi. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit
despotique, arbitraire, capricieux et tyrannique. « Optima
« gubernatio est qux fit per unum, dit saint Thomas, cujus m-
« tio est quia gubernatio nihil aliud est quam directio guberna-
« torum ad fnem, unitas autem pertinet ad rationem bonitatis,
t teste Boetio, id ipsum probante : quia sicut omnia desiderant
« bonum, ita desiderant unitatem sine qua esse non possunt quia
« unumquodque in tantum est in quantum est unum. Unilatis
a autem causa per se unum est. Manifesfum est enim quod plures
« multa unire et concordare non possunt nisi ipsi aliquo modo
« uniantur. Illud autem quod est per se unum magis potest esse
« causa unitatis quam multi uniti{^. 103, n. 3). » Les évêques
établis de droit par Jésus-Christ pour régir les églises particu-
lières sont unis et soumis àrÉvêque de l'Ëglise catholique ; et
dans cette union et soumission se consomme le saint mystère
de l'unité catholique : Et eint unum ovile et unus pastor ! Et
cet Évoque des évêques, il est le père et le docteur des évêques
et des fidèles. Nulle part le pouvoir n'est plus doux, n'est plus
sage, ne s'entoure de plus de conseils et de lumières, nulle
part il ne procède avec plus de tact et d'égards qu'à Rome : le
roi disparaît sous le père et le docteur ne se fait presque pas
sentir.
Hors de l'unité romaine, il n'y a donc pas d'église une,
sainte, catholique et apostolique. L'unité romaine, voilà donc
le dernier terme des travaux de Dieu. L'Esprit-Saint a daigné
nous révéler par les prophètes le secret de la destinée des em-
pires fameux qui ont ébranlé le monde, et qui ont tous fait des
essais d'unité rentrant dans le plan divin. L'empire de Nabucho-
douosor fut une unité qui devait châtier Jérusalem coupable ;
13S DE lVnITÉ romaine. [;tmeVlI.
l'empire des Perses une unité qui devait délivrer et rétablir le
peuple captif à Babylone. Ces deux unités n'eurent qu'un but
accideutel et relatif aux Juifs. Les deux autres eurent une vo-
cation plus grande. Les Grecs firent l'unité dans l'Orient sur-
tout par la langue ; les Romains la firent plus profonde en
Occident, et, après ces empires, le royaume de Jésus-Christ^ par
l'unité romaine, a détruit tous les règnes précédents et leur a
substitué à toujours une unité qui s'étend de l'orient au cou-
chant jusqu'aux extrémités de l'univers. Tout a donc gravi vers
Rome, dès le principe, et depuis que saint Pierre y a été cru-
cifié, tout en est parti, tout y retourne.
V.
Tel est, rapidement exposé, l'ensemble du premier livre
du P. Schrader sur l'unité romaine. Ce travail complète
parfaitement l'ouvrage qu'il a publié autrefois avec un
prêtre, membre alors de la Compagnie de Jésus {de Ecclesia
Christi, Ratisbonne MDCCGLIII chez Joseph Manz) ; nous en
attendons la suite avec impatience. Il y a encore bien à dire,
mais le principal, dans un sens, a été dit. Quand on a démon-
tré que les bornes de l'unité romaine sont les bornes mêmes
de l'Église; que ce qui s'applique à l'nglise, s'applique égale-
ment et nécessairement à l'uni té romaine ; que cette unité est
un principe agissant par sa propre vigeur, et attirant de droil
divin tout à lui pour tout vivifier et tout assurer, on a beau-
coup fait, on a fait un beau travaiL
Les études du P. Schrader viendront liâter le mouve-
ment si remarquable que nous constatons depuis plusieurs
années dans le sens d'une union plus entière et plus parfaite
avec le Siège apostolique. Désormais entièrement d'acord, in
omnibus, avec les enseignement de la sainte Église de Rome,
pourquoi des dissidences ? Rome est la source ; Rome est la
seule église apostolique, là est notre père, là siège notre doc-
teur à tous. Et que l'on ne croie pas que c'est la servitude et
Févr. 1863.] DE L'LRITÉ ROMAINE 139
l'immobilité que nous enseignons. Dans le rayon tracé par le
dogme, la sience peut se mouvoir au large : quant aux rè-
gles disciplinaires, ou sait que l'union avec Rome est l'appui
le plus ferme de la liberté ecclésiastique. Renonçons de plus
en plus à de vieux préjugés. Que l'on n'entende plus donner
les noms odieux de secte et de coterie à ceux qui prêchent
Tunité avec la Cbairc apostolique. Demandons Tunité, travail-
lons pour l'unité. Là est la vérité, là se trouve la vie !
Une autre conséquence qui résulte de l'étude du P. Schra-
der, c'est que le grand dogme que les Pérès des cinq premiers
siècles ont le plus inculqué, c'est celui de l'unité dans la
Chaire romaine, matrice de l'Église. Saint Irénée, Tertullien,
saint Cyprien, saint Optât, saint Ambroise, saint Augustin ne
répètent rien tant. C'est donc par une inexplicable distraction
que bien des auteurs ont fait de saint Cyprien et de saint Au-
gustin des adversaires de la suprême autorité doctrinale du
Saint-Siège apostolique. Pour nous, c'est chose inexplicable
qu'une telle erreur ait pu se faire jour, quand elle est si gran-
dement en contradiction avec l'ensemble de la doctrine de
ces pères et même avec les textes particuliers sur lesquels on
cherchait à la baser.
Le travail du P. Schrader serait fort utile à plus d'un ra-
tionaliste qui ne voit dans les premiers siècles aucun vestige
de la puissance de l'Évêque de Rome : affirmation menteuse
dont il est impossible de se rendre compte !
Le P. Schrader a donc fait un beau livre. Eu travaillant
pour l'unité, 11 a travaillé pour l'œuvre de Dieu. Ainsi doivent
faire tous les chrétiens. Que si, parmi nous, un seul ne pou-
vait s'accommoder du Sequentes in omnibus sedem apostolicam
du Formulaire d'Hormisdas, et que l'unité lui parût onéreuse et
excessive, que du moins il ne la combatte pas ! ouplutôt, tous,
n'ayons qu'un cœur, qu'une bouche : labii unius et sermonum
eorumdem.
N.-C. Le Roy.
ESSAI
SUR LA VIE COMMUNE AU SEIN DU CLERGE.
Troisième et dernier article.
§XI.
RÉFORMES d'yVES DE CHARTRES ET DE PIERRE DE HONESTIS.
Laviecommuoe était éteinte dans un grand nombre d'églises
cathédrales et autres, quand le bienheureux Yves, depuis
évêque de Chartres, entreprit de la relever. L'évêque de Beau-
vais fit construire pour lui, dans un des faubourgs de sa ville
épiscopale, un monastère placé sous l'invocation de saint
Quentin (1078). Celte maison devint eu peu de temps très-flo-
rissante. Sans être précisément la tète d'une congrégation,
comme il y en eut par la suite, elle étendit au loin son in-
fluence. Aussi, son fondateur fut-il regardé à juste titre
comme le réformateur de l'ordre canonique (1). Le pape
Urbain II confirma ce monastère, et, en décernant aux reli-
gieux de justes éloges, il saisit cette occasion pour manifester
une fois de plus les sentiments du Siège Apostolique. Il rap-
pelait l'ancienne discipline de plus en plus oubliée : il
proclamait qu'il est tout aussi méritoire de relever ce genre
(1) Sigeh- Gembkic. ad ann. 1078; Ab hoc lenipore cœpit reflo-
rescere in ecclesia B. QuiDlini Belvacensi canonicus ordo, primura ab
aposiolis, postea a B, Auguslino episcopo regulariier insiiiulus,
sub luagisiro Ivone venerabili cjusdem ecclesiœ preeposilo, posleaCar-
noiensium eiiscopo.
■Févr. 1SP3.] ESSAI SUR IWIE COMMUNE AU SEIN DU Cl.EUGÉ. ^4^
de vie usité dans la primitive Église, que de conserver dans
sa ferveur l'ordre monaslii|ue demeuré florissant (1).
Dès cette époque, et par suite de la scission intervenue au
sujet delà vie commune, nous voyons se poser une question
longtemps débattue, et que la transformation des collèges ca-
noniques en instituts religieux fera décider enfin à leur préju-
dice. Dans le diocèse de Limoges, on voulait exclure des
bénéfices les membres des communautés canoniques. Yves prit
hautement leur défense : non -seulement, dit-il, cette pré-
tention n'est point fondée, mais de plus la discipline aposto-
lique, sanctionnée par les lois de l'Église universelle, oblige à
la vie commune tous les clercs sans exception, aussi bien ceux
qui desservent les églises de la campagne que ceux qui
exercent leurs fonctions dans la ville. L'usage contraire est un
abus né du lefroidissement de la charité (2).
Y\"es n'était pas seul à faire revivre dans tout leur éclat les
belles traditions de l'antiquité. Quelques années seulement
(^) Urbanus Ep. servus servorumDei dileciis in Christo Filiis in ec-
clesia B. Quiaiini secus Bellovaceasem urbem sila canonicam vitam
professis, eorumquesuccessoribus regularilerviciuris, in perpeluum...
Omnipotenli Domino, cujus melior esl misericorJia s(i.ier vitas, gra-
lias agiraus, quia vos esiis qui sanclorura Palrum vilain probabilem
renovalis et Aposlolicse inslilula doctrinœ primorciiis Ecclesiae sanctae
inolila, sed, crescenle Ecclesia, jam pêne delela insiinclu SaiicU Spi-
rilus susrilalis. .. Hanc martyr el poniifex Urbanus insiiluil, hanc Au-
gustinusSLiis regulis ordinavil, hanc Hierooyraus suis epistolis infor-
mavil. Itaque non minoris pêne aestimanium esl raerili vilam hanc
Ecclesiœ primilivam, aspirante ac proseqtienle Domini Spirilu, susci-
lare, quam florenlem monachoruin reJigionem ejusdeni Spirilus per-
severantia eus odire. (Ap. Lelarge, Du Canonic. ordine, p. 323 ss.)
(2) Hae senlenliee apostolicee nulium clericum a commuai viia exci-
piunl, nec civilis, nec suburbanse ecclesiae presbylerum. Quod vero
communis vlta in omnibus ecclesiis pêne defecit lam civilibus quam
diœcesanis, non auctorilaii sed desueludjni et defeclui ascribeadum
esl, refrigescenle carilate, quse omnia vuil habere communia, el ré-
gnante cupidilate, quse non queeril ea quee Del sunl el proximi, sed
tanlum quaesunl propria.
142 ESSAI SUR LA VIE COMMUNE ITomeVIS.
après la fondation de Saint-Quentin, Manegold érigeait à Mar-
bacli (1) cette abbaye célèbre qui eut sous elle par la suite plus
de trois cents monastères. Il nous reste d'anciennes constitutions
promulguées par Manegold lui-même ou par son successeur
Gernard. Elles se rapprochent beaucoup des formes mona-
stiques pour le noviciat, pour la profession, pour les usages in-
térieurs, les pratiques et les règlements de toute nature: elles
excluent rigoureusement le droit de propriété (2). Il est aisé
de voir que l'on s'achemine de plus en plus vers la transforma-
tion qui sera consommée au Xlle siècle. Il n'y a plus qu'un pas
à faire, et une limite bien faible à franchir pour que les cha-
noines vivant eu commun deviennent, sous le nom de cha-
noines réguliers, non pas des moines, mais des religieux dans
le sens que le droit canonique attache à ce mot.
Ces réflexions s'appliquent également à la règle de Pierre
de Honestis , plus célèbre et aussi, parait-il, un peu plus
ancienne que la précédente. Ce pieux personnage, qu'on a
quelquefois, mais à tort, confondu avec saint Pierre Damien,
fut le restaurateur et en quelque sorte le fondateur du mona-
stère canonial de sainte Marie de Porto, près deRavenne (3). Il
rédigea en commun avec ses frères une lègle destinée sans
doute avant tout à fixer et à maintenir l'observance du mona-
stère, mais aussi à raviver au loin l'esprit apostolique (4). Cette
règle obtint, en 1117, l'approbation de Pascal II (3).
(1) Berthollus Conslantiensis, ad ann. -1093 : Magisler Manegoldus
de Lulenbach monasterium clericorum apu i Marbach insliluere cœ-
pit, seque uimrn eorum canonicorum communiler el regulariier vi-
venlium esse voluii.
(2) Consfituliones Marbacenses (ap. Amort, Veiui dhciplina cano-
nicoru77i^ p. 383 ss,), § xxxm, cvni.
(3) V. Amort, op. cil., p. 334 s.
(i) C'eS' ce que prouvenl le prologue el difTérenies disposiiions de
celle règle, quon peut Hre dans Amort (p. 338 ss.) ou dans Migne
(Patrol. lai., t. CLXin, co'. 703 ss.).
(5) V. le do-umenl dans Amori, p. 382.
Fcvr !863.| AU SKIN DU CLERGÉ. 143
Dans la pensée du saint réformateur, toul l'ordre clérical
est astreint à suivre la vie apostolique (1). Il écrit à une
époque de transition, sans doute, mais le droit n'a pas encore
sanctionné les changements introduits dans beancoup
d'églises, et les lois sont toujours en vigueur, quoique géné-
ralement enfreintes.
Ici encore, nous rencontrons un noviciat, puis une profes-
sion ou promesse de stabilité {i). Dans Tintérieur du mona-
{^) L. I, c. I. Quod clericorum ordo leviiarum et aposlolorum vi-
ces teneat ; et eorum vttam imitari,propriis quoqus facultatibus, nec-
non voluntatibus renuntiare debeant.
Hsec levilis, el haec aposiolis mandata sunl uirisque ; una régula, et
eadem lex praecipilur; ulrisque possessio loUiiur, lerrena facullas in-
terdiciiur. Qui ergo alii régula el lege isla lenenlur, nisi clerici, qui
Jevitarum Domini, et discipulorum Chrisli locum teneni, minislerium
implent, vices servant, ordines habenl? Ad hoc eliam mandalam le-
nendum el perpeluo implendum, Ecclesiis suis preiia peccalorum.vota
et oblaliones fidelium, primilias ac décimas rerum Deus dari insliluil ;
quatenus ii qui divine cultui naanripali propriis faculiaiibus exspo-
lianlur, sibi staluta perpeluo stipendia haberent, unde vivant, Ecflesiee
serviant, et pauperum necessilatlbus subministrent, alque sludiosius
quseque sui ordinis ministeriaimpleant, nulliusque rei vel necessitalis
occasione ab his unquam se séparent, aul sseeularlbus negotiis inten-
dant. Ex bis igiiur patenter oslendiîur, Christo mililantibus Clericis
fore illicitum el terrenas facullales lenere el res Ecclesice sumere; in
saeculo palrimoniuni habere, et Ecclesiarura portionem suscipere. Cf.
cap.ui.
(2) C. IX : Qui ergo sui juris sunl, vel in se, vel in suc tradendo, el se
fréquenter ad clerunti vestrum suscipi postulaverint, non indiscrète
suscipiantur... Probatiouis aulem modum el lempus cerUim non sta-
lulmus, sed in prudeniia et arbiirio prions, vel [lariter fratrum semper
slaluendum dimillimus... Qui probali, si susripiendi videntur, îega-
lem anle omnia de palritnoniis el rébus suis, si habcanlur, disposiiio-
nem facianl ; ea vel propinquis relinquentes, velpauperibus erogan-
les, vel Ecclesiae offerenles. Qua fada el fréquenter prius régula quam
servaluri sunlaudita, deducantur in choro, el clerici secundumusum
et ordinem efQrianlur. Post haec prœsenlibus fnlribus, proslrati in
medio, leganl chartulam conlioenlem hsec vel similia verba: « Ego,
N..., meipsuin omnipotenti Deo ofiero, et servitium ac slabilitalem
meam his sanclorum pignoribus, oberiienliam quoque prselalis hujus
^44 ESSAI SUR LA VIB COMMUNE [Tome VIL
stère, après les offices divins, on s'occupe de pieuses lectures,
de l'étude des sciences sacrées, de travaux manuels (1) ;
ceux que l'ou croit pouvoir servir utilement l'Eglise par la
science y sont appliqués d'une manière exclusive (:2). Si
quelques-uns avaient le goût d'une vie plus austère et de la
solitude, on pourrait les autoriser à le suivre dans une partie
plus reculée du monastère, après un mûr examen toutefois,
et à condition que leur i^etraite ne fût en rien préjudiciable à
l'Église et à leurs confrères (3).
Ecclesi8e secundum Deum el ordinem vestrum la eo promiUo. » Mox-
que fratres, Deo gratias respondenles, subjunganl versum: Suscepi-
vius DeuSy elc.
(1) C. XXII ; Sanclis vero leclioûibus vacenl, divinis ofûciis aliisque
sacris doctrinis pro prioris jussu discendis ia&isiant : psalniis, hymnis el
canlicis spirilualibus incumbanl; privalisquoque oralionibus, si vacet,
cum licenlia lamen inlendant. Facianl quandoque el aliquid operis in
clausiro decenlis fieri, quod fralres legenles, vel psallentes, aul de di-
viaa scriplura medilantes, vel aliis sanis doclrinis insislentes, nequa-
quam impedial.
C. XXV : Quod si lalis sit locus, et prior ad usus fralrum aliquos
de Congregaiione sibi commissa quaadoque in borlis laborare, vel
aliquid laie quod oporleal alibi operari mandaveril, raandanlis fideli-
ter praeceplum el alacriler, et sine mora implealur acceplum. Cfr.
I. II, c. XIX.
(2) C. xviii: Si qui canonicoruni humilia senlienles.non arrogan-
tiam habenles, in lanlurn fuerint lilleris erudiii, el divinarum scri-
plurarum scienlia pleni, ul Inde aliquiJ ulililalls afli'rre vaieanl, et
prior juslum probaverit, el necessarium videril, omni prorsus invi-
disa el odii fomile lemolo, concédai eis vel prjecipial in bis laborare,
quorum scienliam raagis necessariam utilemque perspixerit. Cf. lib.
II, c. xxxviu.
(3) C. XXXI : Si qui fralres sub eodem canonico habilu arcliorem
vel soliiariam vilam ducere oplaverinl, praelalis suis devolionera pro-
priam insinuare debebunl ; quorum curée el sludio periinebil quali-
taiem respicere personarum, ue Uli forle hoc aggredi cupianl, qui ex
debililale naturse, aelalis, aul diulurnilale consuelee debililalis, ia-
suelum vigiliarum alque jejuniorum pondus porlare non possunt.,.
Verum si hoc Ecclesiae delrimenlum, vel confralribus spiriluale, vel
corporale infeial damnura, consulimus penilus denegandum.
Févr, 1863.] AU SEIN DU CLERGÉ. 145
Les chanoines ne sortent que rarement, avec la permission
du prieur, et toujours accompagnés (1). Une seconde enceinte
en deliorsde leur cloître doit renfermer toutes les dépendances,
y compris le quartier des étrangers (2), afin qu'eux-mêmes
jouissent d'nne tranquillité parfaite, et que rien ne vienne les
distraire de leurs saintes occupations. Les hommes seuls sont
admis à faire une courte visite dans l'intérieur (3).
L'histoire nous fournit un exemple remarquable des fruits de
bénédiction que porta la règle de Pierre de Honestis. Saint
Ubald, placé, jeune encore, en qualité de prieur à la tète du
chapitre de Gubbio, songea aussitôt à la réformer. La chose
n'était pas facile, car ce clergé, après s'être émancipé du joug
de la règle, avait fini par perdre toute religion, toute retenue.
(1) C. xxii : De clauslro vero sine prioris, vel ejus vices fungenlis
licenlia nequaquam exeant : egressi ullra quam sibi slalulum fuerit
absque iaevitabili necessilale morari non audeant. Soli nunquam eant,
bonosque eis prœlatus socios tribual, sine quibus nec ipsi alios, nec
alii ipsos alloquaniur.
(2) L. I, c. XX. L.ni, c.xxxii: Sludeanl nccesse est prselali ecclesia-
rum prœparare aliquod receplaculum parum disjunclum ab officinis
familiarium ex(eriu«, ubi hospiles et quique advenienles hoaesle ac
deceoler suscipianlur.
(3) L. 1, c. xxn; Clauslrum vero inlerius canonicis depuletur solum-
modo, ubi ipsi sine omnl inquietudine coramoranles, Dec fideliier ser-
viant propositi sui reclum trarailem leneant, etc. L. m, c.xxxi : Clau-
slrum aulem inlerius lanla semper observatione custodiatur, ul nulli
unquam inleriorum inde exeundi, sed et nulli exieriorum inlrandi in
60, nisi secundum slal-ulum ordinem facullalem habeant. Si qui lamen
fidèles, el religiosi laici, seu clerici ad interiora loca conspicieuda, et
fralrés visilandos ex devolione inlrare qusesierint, non negamus eos
exlra horam silenlii per priorera vel prseposilum ialromilli... Mulieres
aulera inofficinas clericoruni ialrare, nedum slare, penitus exsecra-
mur. Forisergo domus slatualur a fralrum ofQcinis disjuncla ubi ex
charitale eis exhibealur quod necessarium fueril. Quod si eis aliquid a
fratribus dici oporteat, et prier concesserit, plures simul ad cas accé-
dant nec soli cumeisloqui/îr^stiman^ nisitestes coram affuerinl. Cf.
iib. I , c. XX.
-US ESSAI SUR LA VIE COMMUNIÎ [Ton: VII
toute pudeur^ et par tomber dans la plus extrême abjection (1).
Le serviteur de Dieu ne se découragea point cependant. Il réussit
à faire entrer dans ses vues trois de ces malheureux clercs ;
puis, il alla séjourner quelques mois dans le saint monastère
de Porto, afin des'yformer à son observance, et d'en rapporter
la règle. Grâce à ses efforts, il se fit un changement complet
dans le clergé confié à ses soins, lequel, après avoir donné
le scandale d'une vie dissolue, devint un modèle de régu-
larité (2).
(1) Viia S. Ubaldi, per Tebaldum episcopum successorem [Acta
Sanctonim Maii, t. m, p. C30 ss.). N.3: Cura aulem Dei famulus
îidolescentioe annos senililer Iransissel, et morum illum gravitas
omnibus comraendaret, ia preedicla ecclesia sanciorum martyrum
Mariani et Jacobi prior efflcitur, et praelalionis ecclesiaslicee di-
gnitale communi omnium voie honorifloe subUmatur. Et quidem
suscepti prioralus dignitas salis eral hooorabilis : sed, qui su-
scepli fueranl ad regendum clerici, omni honore et reverenlia
erani indigni. Nam in prœdicta ecclcia nulla lune temporis or-
dinis observantia , nulla prorsus religionis colebatur memoria.
Mercede annua erat conductus, qui carapanas pulsarel in hora
Offlcii : el quia Clericorum unusquisque ia domo propria epulabatur
et dormiebal, Iota fera observanlia eoclesiaslici cullus custo iiebalur
ia pulsu nolarum. Clauslrum palebal oraoibus, viris scilicet ac mulie-
ribus, nec ullo ibi lempore porta claudebatur. Quisque habebal peJli-
cem suam, et relicta disciplina ecclesiaslici ordinis, turpiludini et
luxuriœ serviebat muliebri.
(2) Ibid. IN. 4 el 5 : Primum de omnibus illis clericis Ires
sibi cum adjulorio Domiai adjunxil, quos benignis suasionibus ser-
vaodo ordini sérum arctius copuiavil : cum quibus quantum polerat
regulariter vivere, et clauslrum, el mensara, et dormitoriura, et cho-
lum sludebai canonice tenere. Postmodum vero ad ecclesiam B. Ma-
riœ in Portu perrexit, ubi salis lionesle Aposlolicse servabalur régula
iaslitulionis, et splendor in omnibus fulgebat tolius sanclitalis. Ibi
ergo tribus mensibus sub disciplina fralrum illorum regulariler vixit :
qualeiius discipulus veritalis factus, sine errore poslea docerel, quod
primum visu el auditu veraciter didicisset. Scriplam iiaque canonici
ordinis egulara rediens atlulit...; eamque regulam fralribus omnibus
propooi ns, divino corailalus adjulorio servandam iojunxit. Faclumque
ut ex illo jam tempore cuncli regulariter viverent, el canonicum or-
dinem omnes dévote custodirent.
Févr,18ô3.| AU SEiN DU CLERGÉ. i'47
§X1I.
CHANOINES RÉGULIERS ET CHANOINES SÉCULIERS.
Déjà nous avons remarqué comme un double courant au sein
de l'ordre canonique : les uns clierclient à rejeter la vie com-
mune ; les autres, pleins de ferveur, en resserrent les liens, et
aspirent à une perfection plus haute. Vers la fin du XI^ siècle
et pendant le XII% ces deux courants aboutissent à une scission.
C'est alors que les noms de chanoines réguliers et de chanoines
séculiers commencent à être en usage; c'est alors que paraît
la règle de saint Augustin; alors aussi les chanoines qui
la suivent deviennent un ordre religieux proprement dit, qui
a ses supérieurs spéciaux, et forme des congrégations. D'un
autre côté, les partisans d'une vie plus libre se partagent les
biens autrefois destinés en commun à leur subsistance, et rom-
pent les liens de la communauté. Il reste cependant çà et là
quelques vestiges des anciens usages. Ainsi, l'on voit dans
beaucoup d'églises les chanoines habiter encore le cloître, où
ils se sont fait des demeures distinctes, et l'habiter à l'exclu-
sion des laïques. Ailleurs, on continuait à lire chaque jour,
soit au chœur, soit dans la salle capitulaire, une partie de la
règle d'Aix-la-Chapelle (1). Il y eut même des chapitres, mais
en petit nombre, qui conservèrent la vie commune d'une
manière plus ou moins complète, sans s'attacher à aucune
congrégation de chanoines réguliers. Ils finirent cependant par
accepter ce lien, du moins en général, ou bien par être sé-
cularisés.
Notre but n'est pas de poursuivre cette histoire dans ses
détails. Elle exigerait des recherches immenses, et un espace
beaucoup plus considérable que celui dont nous pouvons dis-
poser dans cette Revue: au lieu de quelques articles, il faudrait
(I) Mulanus, de Canonicis, I. i, c. xxi.
as KSSAI SUR LA VIE COMMUNE [Tome VII.
des volumes. Ce serait d'ailleurs nous écarter du plan que nous
•nous sommes prescrit. Il suffira d'indiquer à peu près l'époque
et le mode de cette transformation, et de retracer en peu de
mots les débals très-animés qui l'accompagnèrent.
L'origine de l'ordre des chanoines réguliers est intimement
liée à celle de sa constitution fondamentale, la règle de saint
Augustin. Quand nous voyons cette règle paraître, l'ordre lui-
même commence à se dessiner; c'est, pour ainsi dire, son dra-
peau qui se montre. Le premier teste qui en fait mention est
de l'an 1067 : Gervais, archevêque de Reims, établit dans une
église do sa ville métropolitaine, à Saint-Denis, des chanoines
qui suivent la règle et l'ordre de saint Augustin (1). A partir de
là, les mentions se multiplient (2). Le premier document pon-
tifical que l'on puisse citer est du pape Urbain II, en 1090 (3) ;
puis, vient Innocent II, dans les bulles de confirmation de dif-
férents monastères (4). Cependant, il n'est pas absolument cer-
tain que, dans le XI® siècle, par les expressions règle ou ordre
de saint Augustin, on voulût désigner ce que nous entendons
maintenant par là; il est possible que d'abord on ait eu seule-
ment eu vue l'institut clérical dont l'évèque d'Hippone nous a
laissé l'admirable exemple, et les deux sermons qui le décrivent.
Ce qui est propre à faire concevoir des doutes sérieux, c'est
qu'après la règle de saint Augustin on cite souvent celle de
saint Jérôme, celle des saints Pères; or, il est évident que ces
désignations s'appliquent à la règle d'Aix-la-Chapelle, com-
posée en très-grande partie d'extraits des saints docteurs , et où
(1) Canonicos ibidem ad laudem et honorem Dei conslilui Beali
Augusiini regulam ordinemque profitentes, quorum usui liane bo-
norura meorum parlera desiguavl. Metrop. Rein.^ l. u, p 140.
(2) V. Amorl, foetus dise. Canon. P. lu, c. n, p. 529 s.
(3) Lrbauus 11, in butia confirmatoria Canoniœ Rottenbuechensis
^apud Amort, p. 33^) : Quia Welfo et conjux ejus Canonicam fratrum
secundum Regulam B. Augusiini viventium B. Pelro obtulere.
(4) Ap. Amort, I. c.
Févr 1803. I AU SEIN DU CLERGÉ. 449
notamment les deux sermons de Vita et moribus Clericorum se
trouvent reproduits à côté de plusieurs extraits du solitaire de
Bethléem (1).
Quoi qu'il en soit, il est certain que c'est vers cette époque
qu'il faut placer l'introduction de la règle de saint Augustin.
Un décret du Concile de Reims en H31, sous Innocent II,
renouvelé dans les mêmes termes par le Concile de Latran de
1139, la suppose établie partout chez les chanoines régu-
liers (2).
Jacques de Vitry nous a laissé des détails intéressants sur
cette dernière période de la vie canonique et sur les formes
qu'elle revêtit alors. S'il y eut scission et perte d'un côté, on
ne peut nier que la vie sacerdotale et religieuse ne se soit dé-
ployée alors avec une grande puissance dans les monastères
des chanoines réguliers. Tout n'était point parfait, sans doute;
le pieux cardinal exprime ses plaintes avec une grande véhé-
mence, et toutefois, son admiration déborde quand il parle des
maisons de Saint-Jean des Vignes de Soissons, de Saint-Aubert
de Cambrai, de Notre-Dame de Blois, de Saint-Nicolas d'Oi-
gnies; il loue avec enthousiasme la ferveur des Préraontrés,
des chanoines d'Aroaise et de ceux de saint Victor (3). Un fait
considérable s'était produit : les monastères de chanoines,
auparavant isolés, s'étaient groupés en congrégations ayant
(1) V. Amort, p. 331 s., et Chaponnel, Hisloire des Chanoines^
p. 193 s.
(2) Conc. Rheni. can. IX, et Conc. Later. can. /^/ : Prava consue-
ludo et deteslabilis, prout accepimus, inolevit, quoniam monachi et
regulares canonici posl acceplum habitnra et professionem factam,
iprela Bealorum magistrorum Benedicli et Juguxtini Régula, leges
temporales ei medicinam gralia lucri lemporalis addiscunl... Ut ergo
ordo monaslicus et canonicus Deo p'acens in sancto proposito invio-
labdiler coaservelur, ne hoc ullerius prBesumalur, aucloritate Aposlo-
lica inlerdicimus. Episcopi autem, Abbales et Priores laalee enormi-
tali coasenlienles propriis honoribus spolleniur.
(3) Jacobi de Vitriaco H/se.occirf. c. 21-27.
-ioO ESSAI SUR LA. VIE COMMUNE [Tome Yll.
un lieu commua, une direction centrale et des assemblées
L'égulières. Jacques de Vitry expose d'une manière très-juste
les avantages de cette organisation nouvelle. C'est qu'il en
résulte une force incomparable pour le maintien de la disci-
pline et des garanties autrement impossibles. Une maison isolée
est à la merci de celui qui la dirige ; s'il tombe, elle partage le
plus souvent son sort, faute d'un point d'appui qui la soutienne,
ou d'une impulsion salutaire qui la relève. Dans une congré-
gation, au contraire, il y a l'autorité suprême, toujours prête
à parer aux éventualités de ce genre, et suffisamment armée
pour cela. Puis, l'action vigilante de cette même autoiité se
fait sentir au grand avantage de tout le corps ; enfin, les cha-
pitres généraux maintiennent, dirigent, modifient même au
besoin la discipline, et opposent aux causes particulières de
relâchement un remède souv'ent efficace (1).
§ XIII.
LUTTE EN FAVEUR DE LA. VIE CANONIQUE.
La séparation qui se fit au XII* siècle entre les chanoines
réguliers, fidèles à l'esprit de leur état, et les chanoines sé-
culiers, qui s'en écartèrent, mais dont la position fut ensuite
régularisée par le consentement du Saint-Siège, cette sépara-
tion, dis-je, ne se fit point sans amener de profonds déchire-
ments. On reprochait aux chanoines réguliei's la nouveauté de
leur nom et de leur ordre. Ceux-ci n'avaient pas de peine à se
défendre en montrant qu'ils étaient restés fidèles aux traditions
(1) Les principales congri-galions qui se formèrent ainsi furent
celles de S.iint-Sauveur-de-Lalran, de Sainl-Ruf, de Sainl-Viclor, de
Sainle-Geneviève, elf. On peut consulter sur leur histoire Helyot,
l. VIII. — Pennotlus, Generalis lotius sacri Ordinis Clericorum canoni~
corum historia tripartila. Coloniae, 1638. — Amort, Velus disciplina
canonicorum regularium et sacularium. Veneliis, 1747.
Févr. JS03.] AU SEIN DU CLERGÉ, 13)
vénérables de l'antiquité chrétienne : de là répithète de régu-
liers^ qui désigne cette observance plus exacte (1). Prenant à
leur tour l'ofifeusive, ils faisaient ressortir l'espèce de contra-
diction qu'il y a entre le nom de chanoines et celui de sécu-
liers (2) ; ils soutenaient l'obligation pour tous les clercs de
renoncer au droit de propriété ; ils voulaient que l'on excom-
muniât, ou du moins que l'on écartât des fonctions du mini-
stère ecclésiastique ceux qui refusei'aient de porter le joug de
la vie commune (3). Quiconque reçoit les ordres, ajoutaient-ils,
(l)AnselmiHavelbergensis episcopi Episfola apologetica pro ordine
canonicorum regularium {U\gne clxxxviu, col. HI7,ss.): • Causaris
eliam hoc nomcn regularis canonicus, et dicis illud esse novum, et
ideo coriterupiibile (col. ^2"i2). Et un peu plus loin : Ego lamen,
faleor, nescio libi super hoc verbo responclere, cum hoc verbum,
quod esl canonicus regularis, idem videatur significare, lanquam si
quis dicerel regularis regularis, sive canonicus canonicus, nisi
forte idem verbum in lalino el in grœco inodernus usus ideo gémi*
nare consueverit, ul significalionis ingeminatio anliquee et jam répa-
rai» religionis firmasil afûrmatio, vel aliquorum, qui non lam re-
gulariler vivuni, manifesta dislinilio (col. 1223)-. — Cfr. Gerliodi, pree-
posili Reiiherspergensis, Liber epistolaris, seu dialogus ad Innocen-
tium II Ponl. Max. de eo quoi distet inter clericos sœculares et re-
gularfs (Migne, Palrol. lat., I. cxciv, col. ^37o ss.; : Quod aulcm de
novilate nos arguis, maie facis. Nam si allendas quid sit in Chrislo se-
minalum, invenies Christum Pelro proprietatis, imo suimet abnega-
lori, Eeclesiam commisisse regendam, eic. (col. -1379).
(2) Adamus Praemonstratensis, de Ordine, habilu et professione ca-
nonic. Prxm. (Migne, Patrol. lat., t. cxcviii, col. 4-13) : Nequaquam
salis acute intelligunt qui quosdam clericos canonicos sœculares ap-
pellanl. JNam si canonici, quomodo sseculares? Si vero sœculares.quo-
modo canonici? Neque enim bene conveniunt, nec in una sede rao-
rantur quod regulareet quod sseculare est... Audiens igitur quosdam
vocari canonicos sœculares, sicsecundum quemdam modum accipere
soleo, ac si quis dicerel non esse rectum quod reclum est. Ut cygnos
nigros, sic aadio diei canoniros sseculares (p. -^62).
(3) Gerhodiis Reicherspergensis, Liber de asdi/îcio Dei, seu de stu-
dio et cura ecclesiasiicœ disciplinas (Migne, Patrol. lat., t. cxciv, p.
118" ss.), G. m : Non esl aulem verilas vel auclorilas, qiiœ centra
Christum et aposlolos, clericos proprielarios possil defendere : si
modo episcopi pravam eorum consuetudinem voluerinl irapugnare...
452 E.SAl isUR LA VIE COMMUî(E ITomo Vil.
est tenu de suivre la règle des Apôtres, de même que par le
baptême tous les chrétiens contractent l'obligatiou de suivre
la foi catholique et apostolique ; cette obligation est plus étroite
encore pour les chanoines que pour les autres clercs (1). Ceux
qui abandonnent tout pour le Seigneur recevront seuls les ré-
compenses éternelles ; à eux aussi il appartient de garder le
troupeau du Seigneur, et non aux acéphales, aux pseudo-
chanoines (2).
Ces ardents champions de la vie canonique se livraient avec
zèle aux fonctions du ministère des âmes : ils le revendiquaient
même exclusivement pour eux (3), et comme les petites pas-
Necesse est (clericos proprielarios) aut regulam suam regulœ Clirisli
non esse conlrariam probare, aul illa déserta, regulam aposlolorum
suscipere, eut rident omnes orlhodoxorumpatrum auclorilates conso-
nare. Quod si noluerint, sed suam sectatn defendere preesumpserint,
portabunt analhema, quoniam evangelizant apostolis contraria. Sunt
ergo ex^'ommunicandi ; aul si hoc prse niulliludine eorura atque inolita
malorum consuetudine fieri non poiest, ab ecciesiastico ministerio
siraul ac siipendio removendi (col. 1204).
{\) Ibid. G. xx: Qui ergo sacros ordlnes sortiunlur, debitores effi-
ciuntur ut leneant regulam aposiolicam. Ecce sicut omnes qui bapli-
zanlurdebitoresfiuniomnis obserTaniise quee perlinetad fidera catholi-
cam et aposiolicam : sic omnis qui ad sacros ordines légitime proraovelur,
débiter efficitur illiusobservanlieequœ perlinetad regulam aposiolicam,
maxime si congregationi alicujus Ecclesia:' socialur ; quœ, licel falso
Domine, lamen canonica vocalur (col. -I24S).
{2) Ibid. G. XXII : Solis quippe sua relinquenlibus et Dominum se-
quenlibus promittitur ut ei liic centuplum accipianl, et in future vitam
aelernam possideant (Malth. xix, 29). Talibus recte comraiilitur cus-
lodia gregis, quia légitime slant in porta gregis. Acephalorum vero
coDvenlicula non canonicis, sed pseudocanonicis plena, quaeilam sunt
porlae iuferi, qua; non pricvalebunt adversus istam gregis portara a
Domino in Petro fundalam (Col. 4252).
(3) Auselm. Haveib. de Ord. can., c. xxn : Et heec est pêne quoii-
diana mea ac meorum instantia, jejunium, abslinenlia, oratio, lectio
et opus, insuper et sol'.iciludo omnium, ac procuratio multarura
ecclesiarum. In quibus, dum verbum Dei preedicando, infirmes visi-
lando, morluos sepellendo, calechizando, et bapiizandodomeslici mei
laborando discurrunt, minislerium meum non minus quieli monasticee
Févr. 1KG3.] AU SEIN DU CLERGÉ. 183
sionsdeTliomme se retrouvent partout, quelques-uns prenaient
de làoccasion pour entonner les louanges de leur ordre au détri-
ment de l'ordre monastique. Les moines, de leur côté, reven-
diquaient la prééminence. L'aigreur était quelquefois poussée
assez loin. Mais, départ et d'autre, les esprits sages déploraient
ces querelles ; ils proclamaient que les deux ordres ont cha-
cun leur place marquée dans l'Église, et qu'il ne doit y avoir
entre eux que la sainte émulation des vertus (1). Et certes,
si l'on admire dans saint Martin et dans saint Benoit le don des
miracles^ la grâce de la science, unie à la sainteté, ne doit pas
moins attirer notre admiration dans Ambroise, dans Hilaire,
dans Augustin; ils ont évangélisé les pauvres, rendu la vue
aux aveugles, purifié les lépreux, et ces miracles, pour être
spirituels, n'en sont que plus grands (2).
Une lettre d'Etienne de Tournai nous retrace au vif l'état
général des choses vers la fin du XII'^ siècle. Il l'écrivit pen-
dant qu'il gouvernait comme abbé le monastère de Sainte-Ge-
neviève, à l'occasion de tentatives qui avaient lieu pour sécu-
lariser l'église de Reims, et qui aboutirent; en effet, un peu
plus lard, en 1206. H rappelle aux chanoines la gloire de leur
vel agresii labori monachorum Dec acceptum existirao ; sed nec
oralionum friigranliœ, hune veslimenlorum meorum odorem arbilror
adeo poslhaljendum, dicenle ipso sponsœ : Ef, odor veslimenlorum
tuorum sicul odor ihuris {Can[. iv, col. 1108).
(1) Rupertus Tuiliensis, de f^ita vers apostolica (Migne, Patrol.
lat., t. CLxx, col. 613 ss.) Roberli abbatis Epistola qua ratione
monachorum ordo prxcellit ordinem canonicorum (ib. col. 663 ss.).
Abcelardi Ep. xn, (Migne, l. cLxxvin, col. 5-^3 ss.) — Arnonis, prsepositi
Reicherspergensis, Sciitum canonicorum (ib. L cxciv, col. ^489ss.)
(2) Arno Reich. 1, c. : Quapropler mirenlur qui voluol in Mar-
tino et Benediclo miraculorum potentiam, ego non minus mirabor et
venerabor, siquidem leslificanle Domino minus non esl, in Ambrosio,
Hilario et Aiigusiino cum sanclitale vilsp doclrinœ el erudiiionis gra-
tiani, qua mulli pauperes evangelizaii, el mulli jamjam caeci illu-
minati, leprosi mundali et morlui resuscilali suiii, quae ulique mira-
cula quanlo spirilaliora, lanlo majora a recle judicanlibus non dubi-
lanlur (col. 1523).
^ol ESSAI SUR LA VIE COMMUNE fTome VII.
Église, qu'ils se disposent à fouler aux pieds (1) : s'ils vien-
nent à déchoir, que va dire la Germanie, qui s'est maintenue à
l'abri du relâchement et qui conserve encore les douceurs de
la communauté fraternelle? Les églises de France se prévau-
dront de cet exemple, elles qui préfèrent le soulagement de la
dispense aux rigueurs de la règle : elles s'en serviront pour
couvrir leur honte et leur négligence (2). On voit par là que
la vie commune avait cessé généralement dans nos églises,
Gerhodus de Reichersperborg nous apprend qu'en Allemagne
le parti de la sScularisation se prévalait de l'autorité des écoles
de France, alors très-fameuses (3).
Etienne de Tournai continue en adressant au doyen de
l'église de Reiras les prières les plus touchantes : il connaît la
douceur de l'archevêque ; ce prélat pourrait fléchir, alors sur-
tout que l'usage général des égUses de France a introduit la
division des biens, sans que le Saint-Siège ait réclamé. Mais
il connaît aussi sa prudence et sa vertu, et certes il ne laissera
point imprimer à son église une telle tache, si le doyen et
(-<) SlephanusTornacencis.e/j.cxLi (ap, Migne, Patro/. lal.A ccxi):
Exiil serino iater plures quod aoliqua Palrum vestigia sacris inslilula
Conciliis, el a gloriosa haclenus Remensi ecclesia diulius observiila
quidam ex vobis immiilare conletidunl, larainanique auream reli-
giosae consueludinis, quse in fronte ecclesise melropoieos apposita
lucet omnibus qui in regao sunl,quadam singularilale- sludeanl de-
lere, dejiiere, conculcare.
(2) Ib. In his el aliis observaniiis regularibus/ intedebal Remeosis
eeclesia, ternhilis ut caslrorum acies ordinala, amabilis suis, admi-
rabilis alienis. Si hsec iramuiari cœperini, quid dicel gerniaria ejus
loco el ordine Germania.quœ inler alias inslilulioces ecclesiaslicas
refeclionisadhuc el quielis fraleruam cornmunionem sic observai, ut
modernam dissolulionem non •adrailtat ? Clamabil vel compatiens vel
insultans : Quomodo obscuralum est aurum, mutatus est color opti-
mus? [Thren. iv.) Clamabunl el GallicanBB Ecclesise, dispensalionis le-
varaen libenlius admilteriles quam ausleritalis rigorem : « Ecce Re-
mensis Ecclesia facia esl quasi una ex nobis, consorlio suo verecun-
diam noslram operiens, auctorifale sua negligenliam nosiram
défend ens. »
(3; Liber epislolaris, etc., <;o!, 14-19.
Fc'vr. 1SG3.I AU SEIN DU CLERGÉ. 155
quelques-uns de ses collègues veulent bien agir auprès de lui
dans ce sens (1).
§X1V.
ÉPOQUE MODERNE. M. OLIER ET LA. COMMUNAUTE DE SAINT-SULPICE.
En dehors de l'ordre des chanoines réguliers, placé, comme
nous l'avons vu, dans les conditions spéciales d'un institut re-
ligieux, la vie canonique ne subsista bientôt plus qu'à Tétat
de souvenir : tout au plus en conserva-t-on çà et là quelques
vestiges effacés. Un dernier effort fut tenté par le concile tenu
à Cologue en 4260. On y ordonna de construire des maisons
canoniales auprès des églises qui n'en possédaient point en-
core, et l'on rappela aux chanoines qui la négligeaient, l'obli-
gation de vivre en commun (2). Mais en Allemagne comme
(1) OfCLirrile, Paler, expansis brachiis et aperlis visceribus perni-
ciosae novilali resislile, el virilem aniraum, queni de vobis opinio
praeilicabal commuais, erigile in ceriamen, ne juventuli singulariler,
ul non dicam sseculariler vivere volenli, decanus senescens obedial,
ne, quod absit ! alicujus gloriolse favore vel .nffeclu quispiara coneul-
cet in lerrafamam veslram, el gloriam vesiram in pulverem dedncat.
Scio mansueludineraDomini mei Remensis aroliiepiscopi lanlam esse,
ul ciiin charilale, quœ oninia siifiert, omnia susiinel, volunlati filio-
rutn cite cédai, maxime cum generalis Ecclesiaî Gallicanse consue-
ludo singulares poriiones canonicis suis dislribuendas concédai, et
approbei, et Sumrai Ponlificis auctoiitas non reclamel. Sed ilerum
scio lanlam ipsius honeslalem el prudenliam esse, quod anliquam
Remensis Ecrlesise diguilalem conservabil in omnibus, cl a conreplo,
ut aïunl, incœ|)ioque ptoposilo dcsisiet, si hoc ei cum aiiquibus de
sacro collegio veslro i)ersuadere voluerilis, el ne defortnem hanc no-
vilalis formam inducat, vel admoaere virililer, vel bumiliier su[;-
plicare. Loc. cil.
(2) Co?/c.Co/.anni I2d0.oap. vn:Prsecipimus quoil ecclesise canotii-
corum carenles dormiloriis, ea deinceps habeant de communi ecciesiae
aère seu pecunla conslruenda : el canonici qui babenies dormiloiia,
dormira in his aliquamdiu dissueveranl, in his dorraiani, proul hoc
t'onsuelura fuil anliquilus : his dunlaxal exceplis, quos inlirmitas, scu
-iSo ESSAI SUR LA VIE COMMUNE [Tomo \ I,
ailleurs l'impulsion était donnée, la décadence suivit son
cours.
Le moyen-âge ne nous présente aucune tentative nouvelle
pour ramener le clergé propre et ordinaire de l'Église à l'ob-
servation de règles sanctionnées par l'autorité de tant de
Papes et de tant de Conciles. Les Clercs et frères de la vie com-
mune firent beaucoup dans l'intérêt de la science et de la vie
chrétienne : toutefois^ ce n'était qu'une association restreinte,
s'occupant d'un ministère spécial et de l'éducation de la jeu-
nesse. II faut en dire autant des congrégations de clercs réguliers
qui se sont fondées en si grand nombre depuis trois siècles.
Ces pieux instituts ont rendu des services immenses et sont
appelés à en rendre encore, par la prédication, par l'ensei-
gnement, par les œuvres de charité, mais la conduite ordi-
naire des âmes et le ministère paroissial ne leur sont confiés
que dans des cas exceptionnels. En France surtout, ces excep-
tions sont très-rares. Quel que soit donc le rôle de ces con-
grégations, — "et personne, certes, n'est moins que nous dis-
posé à l'amoindrir, — on ne peut voir en elles qu'une milice
auxiliaire et une puissante réserve. Le corps de l'armée, c'est
le clergé séculier, qui a, sous la conduite des évèques, la
charge de diriger le troupeau de Jésus-Christ. A Dieu ne plaise
qu'en parlant ainsi nous voulions exciter des dissensions re-
grettables, ou nourrir de vaincs complaisances ! Nous voulons
seiileraent conclure que, pour porter un fardeau redoutable
aux anges eux-mètnes, la science et la sainteté nous sont né-
cessaires plus encore qu'aux religieux. Or, on conviendra
sans peine, et l'expérience est là pour le prouver au besoin,
que l'une et l'autre ne trouvent nulle part des secours plus
abondants que dans la vie commune.
C'est ce qui a été compris à merveille par beaucoup de saints
debililas.aul alia causa legilimBe oeressilatis excusai; cum a'ias vana
et cassa (uissel ipsorum dormitoriorum slrui lura, si non in ipsis
modo el more debilo, maxime causa ma'ulinaiis ofOcii, dormirelur.
Févr. 18i3.1 AU SEIN DU CLERGÉ. lo7
personnages qui, depuis le concile de Trente, ont entrepris la
réforme du clergé. Saint Charles essaya de délerminer ses
chanoines à renouer les anciennes traditions de l'Église de
Milan; il s'engageait à vivre avec eux et à faire entrer dans
la communauté tous les revenus de la mense épiscopale.
N'ayant pu réussir à les y déterminer, il fonda, pour le? he-
soins spéciaux de son diocèse, la congrégation des Oblats de
saint Anibroise. Barthélémy des Martyrs et Ximenès ne furent
pas plus heureux dans les tentatives analogues qu'ils firent au-
près de leurs chapitres.
Eufin, Dieu se servit de M. Olierpour atteindre ce résultat
sous une autre forme. Après d'humbles essais à Chartres et à
Vaugirard, il fonda, près de Saint-Sulpice, ce séminaire qui
occupe une si belle place dans l'histoire religieuse de notre
patrie, et qui a servi de type à tous les autrs érigés successes-
sivement en France. M. Olier avait accepté la cure de Saint-
Sulpice dans l'espoir de ramener à la vie chrétienne la paroisse
la plus dépravée de la capitale ; mais de plus, il voulait y
former un clergé modèle, dont Tinfluence se fit sentir à toutes
les paroisses de Paris, et se répandit même au-dehors par les
sujets qu'il formerait. C'était, dans sa pensée, un complément
du séminaire, une sorte de noviciat pour le ministère pasto-
ral (1).
Pour exécuter son dessein, M. Olier voulut tout d'abord
réunir en communauté les ecclésiastiques qui devaient le se-
conder dans les travaux du ministère paroissial, afin qu'affran-
chis de tous les soins temporels, ils pussent donner l'exemple
d'une vie vraiment évangélique. Mais les anciens prêtres de la
paroisse étaient peu disposés à entrer dans ses vues. Il
laissa néanmoins leurs emplois à ceux qui refusèrent de pra-
tiquer Ja vie commune, et se contelita de réunir autour de lui
«eux qu'il trouva dans des dispositions plus satisfaisantes. En
[\) fie de Hl. Olier (2e éil. Paris, I 53), t. i, p. 423 ss.
^bS ESSAI SUR LA VIE COMMUNE [Tome Vil.
peu de temps, riiumble communauté de Saint-Sulpice se dé-
veloppa d'une manière étonnante : elle comptait cinquante
membres, tous remplis de zèle et de ferveur. Ce nombre s'ac-
crut encore considérablement par la suite. Voici quelques
détails que nous empruntons textuellement au biographe de
M. Olier.
« Pour ôter aux libertins toute occasion de décrier la mai-
son, et la rendre inaccessible à la calomnie, il détendit qu'on
y laissât entrer les femmes, sous quelque prétexte et pour
quelque raison que ce fût : règle que saint Augustin avait
établie dans la communauté de ses clercs d'Hippone. Mais
sachant que le moyen le plus assuré pour mériter l'estime des
peuples était de leur offrir l'exemple d'une vie volontairement
pauvre et désintéressée, il régla que toutes les rétributions
que les ecclésiastiques de sa communauté recevraient des fi-
dèles seraient mises en commun, et que chacun se contente-
rait du vêtement et de la nourriture... Dieu bénit cette assem-
blée de prêtres et leur inspira l'amour et la pratique du
désintéressement, qui fut le caractère particulier de la mai-
son. Ils avaient tout en commun; on donnait abondamment
à ceux qui étaient peu aisés, et tous vivaient avec une con-
fiance en Dieu et une simplicité singulières (1). »
L'ordinaire était très-simple dans la communauté de
M, Olier : les vêlements étaient convenables, mais sans au-
cune rociierche. Pour entretenir cet esprit de simplicité, il
voulut que tous fussent employés successivement aux fonc-
tions même les plus humbles du saint ministère.
« 11 voulut aussi qu'on reçût les évèques dans la commu-
nauté, soit pour y faire de» retraites, soit pour y demeurer
quelque temps, lorsque les affaires de l'Église ou celles de
leurs diocèses les amèneraient à Paris, pourvu toutefois qu'ils
suivi ^sent lordre et la règle de la maison Personuc n'ea était
(i) f^;e de M. Olier, l. i, p. 'i28 ss.
tYvr. 18o3.] AU SKIN DU CLEKGÉ iol>
dispensé, a L'exactitude à tous les exercices était fort graude,
« dit M. du Ferrier, et on veillait soigneusement pour l'entre-
« tenir ; en sorte qu'on ne manquait jamais, sans nécessité,
a d'assister à l'oraison le matin, aux heures canoniales, et à
« tout le reste porté dans les règlements. » Ceux qui, durant
ce temps, étaient appelés auprès des malades ou ailleurs,
avaient soin de suppléer à leurs exercices dès qu'ils en trou-
vaient la liberté; cette fidélité, comme les en assurait M. Olier,
étant le moyen le plus sûr pour conserver l'esprit de recueil-
lement et l'union avec Dieu au milieu des occupations les plus
multipliées et les plus dissipantes. Sans cesse il les rappelait ù
cette vie d'oraison. « Prenons garde, Messieurs, leur disait-il
« souvent; faute de retraite et de récollection, tout se dissi-
« pera. » Et il leur faisait remarquer que sans cela on ne
ferait presque point de friàt dans la prédication, la confession,
la conversation et dans tous les emplois du saint mini-
stère (1). »
M. Olier avait divisé son immense paroisse en quartiers,
dont chacun était confié spécialement à un prêtre. C'était la
seule manière possible de connaître le troupeau et de veiller
de près à sa conduite. On comprend combien la vie commune,
abstraction faite de toute autre considération, était précieuse
pour donner de l'unité à ce vaste organisme. Les récréations
mêmes n'étaient pas ce qu'il y avait de moins utile pour at-
teindre ce résultat et pour former les prêtres de la commu-
nauté. « Après le diner, on proposait au supérieur les cas et
les difficultés extraordinaires qui se présentaient dans la pa-
roisse, soit pour la morale, soit pour la controverse avec les
hérétiques, ou pour la conduite des âmes. Quand le supérieur
ne savait pas y répondre, il chargeait quelque docteur de la
compagnie d'aller en Sorbonne en demander la solution, et le
soir il en faisait le rapport après le souper. Chaque jour il se
(1) Fie, t. I, p. 432.
^60 ESSAI SUR L.4. VIE COMMUNE ITome VU*
présentait uu grand nombre de questions, les plus difficiles
qu'on pût imaginer; a et il est certain, ajoute M. du Ferrier,
« que cette conversation se faisait avec uu grand profit des as-
« sistants, et valait une grande étude. » Un autre avantage pré-
cieux de ces conférences, c'est qu'elles tendaient à introduire,
parmi les membres de la communauté, les mêmes maximes
pour la conduite des âmes (1). »
M. Olier eut le bonheur, non-seulement de transformer sa
paroisse, mais encore de porter les curés de Paris à imiter son
exemple et à former des communautés sur le modèle de la
sienne. « Les autres grandes paroisses de Paris, écrivait, en
1660, Godeau, évêque de Vence, ont suivi l'exemple de la
communauté de Saiut-Sulpice, et la plupart des prêtres qu'on
nomme habitués, y vivent ensemble avec beaucoup d'édifica-
tion (2). »
Le saint fondateur avait ainsi réalisé un de ses vœux les plus
ardents, celui de travailler à la réforme de l'ordre sacerdotal.
§XV.
HOLZHAUSER ET l'iNSTITUT DES CLERCS SÉCULIERS VIVANT EN
COMMTJiNAUTÉ.
M. Olier, en fondant la communauté de Saint Suîpice, avait
voulu donner un modèle de vie sacerdotale qui put être
imité ailleurs, mais il n'avait pas songé à faire de cette maison
un centre pour rayonner et s'étendre au-dehors. Le but direct
de son institut, c'était, non le ministère p&roissial, mais la for-
mation du clergé dans les séminaires ; c'est à cela que la so-
ciété fondée per lui s'est attachée exclusivement, à part l'ex-
ception unique dont nous venons d'entretenir nos lecteurs.
(-1) Fie, t. I, p. 434 s.
(2) Traité des séminaires, p. !2.
Févr. 1863.] AU SEIN DU CLERGÉ. 161
Barthélémy Holzhauser conçut un projet plus vaste encore.
Lui aussi voulait régénérer le clergé par une éducation vrai-
ment sacerdotale, mais , de plus, il lui sembla nécessaire
de continuer aux prêtres ainsi formés, dans l'exercice même
du saint ministère, les secours, les consolations et les grâces
de la vie de communauté. C'est ce qu'il réalisa de la manière
la plus heureuse dans son célèbre Institut des clercs séculiers
vivant en communauté {{),
Il en jetait les premiers fondements vers 1640, époque où il
fut nommé chanoine de .la collégiale de ,Tittmoning, dans le
diocèse de Salzbourg, et où il réunit auprès de lui ses jjremiers
compagnons. En 1042, l'année même oùM. Olier prenait pos-
session de la cure de Saint-Sulpice, ils se lièrent par un vœu
de stabilité qui devait être renouvelé tous les ans, mais s'aper-
cevant ensuite que ce vœu leur donnait l'apparence d'une con-
grégation religieuse, ils convinrent de s en tenir à une pro-
messe de stabilité, dont le supérieur général seul pouvait les
relever pour des wotifs valables.
En effet, ce n'était point une nouvelle famille religieuse
qu'Holzbauser prétendait donner à TÉglise. Il voulait établir
une organisation qui, sans altérer les rapports du clergé avec
son évéque, sans le détourner en rien de ses fonctions ordi-
naires, lui assurât en grande partie les avantages de la vie com-
mune.
La première règle de l'Institut, c'est donc la soumission
pleine et entière à l'autorité des évoques, sans exemption
d'aucune sorte. Cela posé, voici les points fondamentaux qui
eu résument tout l'esprit.
l^Une vie réglée, les exercices de piété en commun, ainsi
que la récitation des heures canoniques ; le leste du temps
(1) On peul voir sur toul ceci l'excellente Vie d" Holzhauser, par
M. l'abbôGaduel (Paris, 1861), elles Oi)Uscula\ecclesiaslicaiV\\o\ûidi\x-
ser, (^'diiés par lui en même icmps,el comme complcmenl de son ou-
vrage. Ces opuscules coniiennenl les consiilulions del'lnslilut.
RiVUE DE5 ÇCIESCE^ ECCLÉSUST10UE3, T. Yll- 11 1^.
162 ESSAI SUR LA VIE COMMUNE [Tome VU,
employé à l'étude et aux fonctions du ministère. Des confé-
rences ont lieu de temps en temps sur l'Ecrilure saiute, les
cas de conscience, la théologie spéeulative et polémique, le
droit canon.
2° La communauté des biens. Tous les revenus ecclésia-
stiques entrent dans une masse commune pour être employés à
l'entretien de la communauté, aux autres nécessités de l'In-
stitut, et enfin à des œuvres pies. Chacun peut conserver la
disposition de son patrimoine ou des autres biens acquis en
dehors de l'Institut, à condition de ne point s'embarrasser d'une
gestion difficile et compliquée.
3° La cohabitation fraternelle. Les clercs de l'Institut doivent
demeurer toujours deux, trois ou davantage, à moins que dans
certains cas spéciaux cela ne soit tout-à-fait impossible. S'ils ont
à desservir, avec une paroisse, une ou plusieurs annexes qui
en dépendent, ils résideront tous ensemble auprès de l'église
principale, quand la distance ne sera point par trop con-
sidérable.
A° La séparation d'avec les femmes. 11 n'est point permis à
qui que ce soit d'avoir avec lui même sa mère ou sa sœur dans
une maison habitée par deux ou plusieurs clercs de l'Institut.
Le service sera confié en général à des hommes. Cependant,
si les nécessités d'une exploitation agricole, formant le revenu
de la cure, exigent que l'on emploie des femmes, on pourra le
faire, à condition qu'elles habitent un local distinct et sans
communication intérieure avec l'habitation du clergé.
S" La soumission à des supérieurs chargés du régime inté-
rieur de l'Institut et de ses maisons, comme aussi de la direc-
tion spéciale des individus qui en font partie. Pour tout ce qui
touche à leurs fonctions ecclésiastiques, les clercs séculiers
vivant en communauté sont soumis, comme nous l'avons vu, à
l'auiorité des ordinaires.
Telh'S sont les règles fondamentales qui résument tout l'es-
prit di-s constitutions d'Holzhauser. C'est un retour à l'an-
Fé.T. 1863.] AU SKIN DU CLERGÉ. 163
cienne vie canoniqiie, sauf certaines modifications déterminées
par les circonstances, sauf aussi l'organisation qui rattachait
les unes aux autres les maisons de l'Institut par une série de
pouvoirs hiérarchiquement subordonnés. Ainsi, il y avait un
supérieur général, des supérieurs provinciaux et diocésains,
et au-dessous d'eux les doyens et les curés qui présidaient
à leur circonscription décanale et au clergé de leur paroisse.
L'Institut avait en outre des séminaires pour l'éducation de
la jeunesse cléricale, et des maisons de retraite pour ceux que
la vieillesse, les infirmités ou d'autres raisons empêchaient de
s'appliquer au ministère actif.
Quand Holzhauser mourut en 1658, ses disciples étaient
répandus déjà dans les diocèses de Salzbourg, de Mayence, de
Chiemsée, de Freising, de Wurzbourg ; ils furent bientôt éta-
blis dans ceux d'Augsbourg, de Passau, de Gran, et d'autres
encore. Ils trouvèrent d'illustres protecteurs dans les princes
Ferdinand et Maximilien de Bavière, dans beaucoup de prélats,
évêques, nonces et cardinaux, dans l'empereur Léopold I, qui
sollicita vivement du Saint-Siège l'approbation de leur institut.
Cette grâce insigne leur fut accordée par bref d'Innocent XI,
en date du 7 juillet 1680. Ce même Pape adressa un grand
nombre de brefs à des évêques et princes d'Allemagne, pour
les prier de protéger l'Institut et de favoriser sa propa-
gation (1).
a A partir de cette époque, dit M. Gaduel, \esClercs séculiers-
vivant en communauté prirent de nouveaux et de plus grands
développements. Non-seulemeut ils continuèrent à se propager
en Allemagne et dans tout l'Empire ; mais nous les voyons,
dès 1682, établis en Espagne et dirigeant le séminaire Aie
{]] rie d' Holzhauser, p. \n\, 394-396. On peut voir ua grand
nombre (Je lémoign;ige.s en faveur de l'Inslitul dans riri'.roduilion du
M. Gé»dui!,el, d'une manière plus développée, daiis Vallauri, Sonï-
mario dcW /nslUuto de"" chierici secolari i;onviventi (Roma, K
p. 07 ss
1G4 ESSAI SUU LA VIE COMMUNE [Tome VIL
Gironne, en Catalogue. En 1683, on les appela eu Pologne,
où ils fondèrent leurs premières maisons dans les diocèses de
Posen et de Lucko. La diète de Pologne qui se tint en 1685 les
prit sous sa protection particulière, et approuva leurs établis-
sements dans ce royaume. Ils s'étendirent depuis en d'autres
diocèses, tant dans les pays allemands qu'en Hongrie et en Po-
logne, et ils se multiplièrent surtout dans les états héréditaires
de l'Empereur, lequel, par un décret de 1680, ordonna même
qu'ils seraient préférés dans la collation des bénéfices.
« Les documents me font défaut pour suivre le détail des
développements et de l'histoire des clercs séculiers au-delà de
cette époque. J'ai pu apprendre seulement par quelques corres-
pondances d'Allemagne que l'Institut continua d'avoir des
établissements dans ce pays pendant le XVIll^ siècle, et la der-
nière trace que j'en ai constatée est un petit séminaire dirigé
par ces prêtres, lequel subsistait encore au commencement du
siècle présent àlngolstadt. Quoi qu'il en soit des causes qui
amenèrent la décadence de cette remarquable institution, sa
ruine ne paraîtra jamais aux hommes judicieux un argument
suffisant pour conclure que l'Institut d'Holzhauser ne fût pas
excellent et de condition à durer. Son excellence est démon-
trée par ses constitutions mêmes, qui sont admirablement
sages, et par les Jgrands éloges que de saints Pontifes leur ont
donnés; et on ue pourra jamais dire qu'une œuvre qui a duré
plus d'un siècle n'était point viable. Il est, hélas ! dans la
condition de tout ce qui commence de pouvoir finir : les meil-
leures choses ne sont pas exemptes de cette loi: mais il est de
la nature aussi de »tout ce qui est bon, et qui a péri, de pouvoir
revivre, surtout quand les besoins qui le firent établir autrefois
subsistent encore. ^ Dieu veuille qu'il en soit ainsi, un jour, de
l'Institut d'Holzhauser. C'est le vœu ardent que je forme,
et que je me permets d'offrir humblement à Notre-Seigneur et
à la Très-sainte Vierge en terminant ce livre (1). »
|^) Fie d'Holzhauser, p. 387 s.
Févr. 1863.] AU SEIN DU CLERGÉ. '163
Ce vœu est partagé, nous n'en doutons nullement, par bien
des prêtres qui soupirent après une vie délivrée des sollicitudes
et des embarras du siècle, cause inépuisable de distraction, de
langueur et d'affaiblissement. Nous savons même qu'il y a déjà
de modestes essais. Puissent les bénédictions du Ciel faire croître
le grain de sénevé afin qu'il couvre un jour de son ombre salu-
taire tous ceux qui voudront s'y abriter ! Qui sait? Peut-être
sera-ce un des moyens dont la bonté divine se servira pour
amener une régénération sociale par le christianisme. Il est
certain que le clergé puiserait dans cette organisation des élé-
ments de force et de vie d'une puissance incomparable. C'est
ce que Mgr l'évêque d'Orléans a très-bien fait ressortir dans
son admirable lettre à M. l'abbé Gaduel (1), que nous avons
déjà citée dans une autre occasion, et à laquelle nous ren-
voyons de nouveau nos lecteurs.
E. Hautcqeur.
(1) Celle ieilre se trouve en tête de la Vie d'Holzhauser.
LITURGIE
ET THEOLOCxIE MORALE.
Du temps de la Septuagésime, du Carême et du temps
de la Passion.
Ou nous a proposé diverses questions relatives au temps de
la Septuagésime, à celui de la Passion et à celui du Carême,
soit sous le rapport de l'observance quadragésimale, soit sous
le rapport des prescriptions liturgiques. Nous aurions pu trai-
ter CCS diverses questions au fur et à mesure qu'elles nous ont
été faites ; mais nous avons préféré les réunir ensemble et of-
frir à nos lecteurs untravail plus complet, quoique très-succinct,
sur cette matière importante.
§ I. — DU TEMPS DE LA SEPTUAGESIME.
1 . L'Église a voulu préparer ses enfants au saint temps du
Carême, appelé par elle le temps favorable et les jours de
salut^ par la méditation des motifs qui doivent les engager à
embrasser avec reconnaissance et générosité les œuvres de
pénitence. Les leçons de l'Écriture occurrente sont tirées du
livre de la Genèse où est racontée l'histoire de la chute d'Adam ;
la pensée de la mort nous est rappelée par toutes les prières de la
Messe du dimanche de la Septuagésime. Ces pensées excluent
d'elles-mêmes les chants de joie et les remplacent par ceux
qui expriment la contrition et la douleur. « Non decet, dit
« Léon IX (c. Hi duo de Consecr. dist. 1) cantare Alléluia, quando
« lapsus protoplasti in Ecclesia recitatur, » On comprend
donc la dénomination spéciale donnée aux dimanches qui pré-
cèdent le Carême, dénomination qui rappelle une époque à
Féw. 1863.] LITURGIE. ^67
venir, vers laquelle se dirigent toutes les pensées et tous les
soupirs de l'Église.
2. On adonné le nom de Quinquagésime au dimanche qui se
trouve le cinquantième jour avant Pâques, comme si l'on sous-
entendait les mots dies ante Pascha, et l'on peut dire que les
deux dimanches qui précèdent la Quinquagésime ont reçu le
nom de Sexagésime et Septuagésime comme suivant immédia-
tement le soixantième et le soixante -dixième jour avant
Pâques. De plus, le dimanche de la Sexagésime est le soixan-
tième jour avant le mercredi de la semaine de Pâques,
dont la Messe commence par les mots Venite benedicti.
« Sexagesima coniinet dies sexaginta usque ad feriara quar-
« tara Paschee, cujus Missa iucipit Venite benedicti, ut per
« sex quasi dies quibus Deus operatus est in creatione
« mundi et nos operemur bonum, juxta decem prœcepta
« legis, usquequo nobis dicatur Venite benedicti, et prseser-
« tim nos monet Honorius in Gemma c. 59 ut operemur sex
« opéra misericordiœ de quibus Matlh. xxv, simul cum de-
ce calogo : sex enim decies componunt sexaginta » ( Gavautus,
t. 1, part. IV, tit. V, n. %. Le dimanche de la Septuagésime est
le soixante-dixième jour avant le samedi de la semaine de
Pâques : « A numéro dierum Ordo romanus Septuagesi-
« mam définit quasi cursum septuagiuta dierum usque ad
« sabbatum in Albis, cujus Missa 'iucipit Eduxit Dominus
« populum» (Ibid n. 4). L'auteur compare alors avec Al-
cuin ces soixante-dix jours aux soixante-dix années de la
captivité de Babylone. D'autres auteurs font le même rap-
prochement, et Durand de Mende envisage ce nombre sous
cinq points de vue différents. « Secundum autem est, dit-il
« {Rationale L. vi, c. xxiv), quod quinque sunt Septuage-
« simaî. Prima est Septuagesima annorum Judaicœ capti-
« vitafis, in qua fuerunt Judsei in Babylone septuagiuta
« annis... Secunda est septuagiuta dierum, quœ incipitiu hac
« dominica, qua cantatur Circumdederunt, et terminatur in
168 LITURGIE [Tome VII.
(( sabbato in albis, secundum alios iaPascba... Tertia estSep-
« tuagesima peregrinationis nostrsB, seu totuiii tempus bujus
« vitae, quod septem dierum revolutione agitur, Qaarta est
c( Septuagesima bebdoraadarum, quae similiter incipit a Cir-
a curndederunt me ; sed terminatur ia sabbato quo cantatur
« Sitientes (1). Quinta est Septuagesima aetatum, seu septem
a setates quaruni sex suut morientium et septima quiescen-
atium. »
3. Nous avons parlé, t. I, p. 432, des expositions du très-
saint Sacrement qni ont lieu pendant les jours qui précèdent
la Carême, et auxquelles on donne le nom de Quarante- Heures,
dénomination qui ne convient point dans le sens propre et
strict au triduum en usage. On nous adresse à ce sujet la con-
sultation suivante. « En France, les prières des Quarante-
« Heures n'ont lieu généralement que pendant les trois jours
a quiprécèdent le Carême. Mais quelle Messe faut-il cbanter le
« second jour? M, Falise ne paraît pas exact lorsqu'il dit dans
« son Cours de Liturgie p}'atique, -proT^re du temps, chap. II,
« § 3, n. 6 : Les deux autres jours, on peut cbanter la Messe
« du Saint-Sacrement ou pi'o pace, pourvu que ce ne soit pas
« une fête de première ou de seconde classe, avec Gloria et
« Credo;ei il s'appuie sur l'instruction de Clément XL Lorsque,
« le second jour, on célèbre une fête double, est-il permis de
a célébrer une autre Messe que celle de la fête ? » Tout en
rappelant que cette exposition est un triduum enricbi d'indul-
gences, et non les prières des Quarante- Heures, pour lesquelles
des règles spéciales ont été tracées, nous ne voyons pas en
quoi M. Falise peut être inexact en permettant, pendant cette
exposition, une Messe votive solennelle dans les fêtes du rit
double mineur ou majeur. On peut conclure, ce semble, du
texte de l'Instruction et des commentaires de Gardellini, que
cette exposition solennelle jouit des mêmes privilèges que celle
(I) On appelle samedi Sitientes le samedi de la qualrièrae semaine
du Carê.Tie, don! Tinlroït commence par le mol Sitientes.
Fcvr. ISOÔ.l LITURGIE. 169
des Qiiarantes-Heures. Cette Messe votive peut donc èlre mise
au nombre des Messes /)?'o re gravi ^ pro publica Ecclesix causa,
si l'ordinaire permet de la célébrer. On peut voir ce que nous
avons dit à cet égard t. m, p. 343 et suivantes, et un décret du
12 septembre 1840, cité au même lieu p. 348, d'après lequel
ou peut appliquer le privilège à toutes les expositions, mais
à celles-là seulement qui se font en forme de Quarante-Heu-
res. Or, l'exposition dont il s'agit se fait enformedeQuarante-
Heures, et c'est la plus solennelle après celle des prières des
Quarante-Heures proprement dites, comme il a été dit t. I,
p. 432. Quant au Gloria et au Credo, on doit le dire conformé-
ment aux règles données t. II, p. 348 et 352. On peut donc,
le deuxième et le troisième jour, célébrer une Messe votive
solennelle, soit du Saiut-Sacrement, soit pour la paix, soit pour
tout autre besoin, si Ton ne célèbre pas une fête da rit double
de première ou de seconde classe. Le Dimancbe de la Quinqua-
gésisme étant un dimanche privilégié de seconde classe, est
excepté par l'Instruction Clémentine, § 12.
§ 2.* Du Carême.
1. Notions préliminaires. 1" Le mot Carême vient de quadra-
gesima, qui lui même signifie quarantaine. Le preoaier diman-
che du Carême est quelquefois intitulé Quadragésiine , comme
l'on intitule Adventus le premier dimanche de l'Avent dans la
rubrique du Bréviaire :« Adventus Domini celebratur semper
« die Dominico quipropinquior est festo S. Andrese Apostoli.»
Pour la même raison, on donne le nom de Dimanche de la Pas-
sion au cinquième dimanche de Carême, le premier des jours
consacrés par l'Église à honorer la passion du divin Sauveur,
2". Il faut distinguer le rit quadragésimal de robservance
quadragésimale : celle-ci commence le mercredi après la Quin-
quagésime, mais le rit quadragésimal, ou le Carême considéré
sous le rapport purement liturgique, commence seulement aux
Vêpres du samedi suivant. Jusqu'à ce jour, la Messe seule se
-170 LITURGIE [TomoVIT.
dit avec les rites spéciaux au saint temps du Carême : l'office
du temps est celui des fériés de l'année, et dans la division du
Bréviaire eu quatre parties, c'est le samedi à Vêpres ou, en
d'autres termes, aux premières Vêpres du premier dimanche,
que l'on passe de la partie d'hiver à celle du printemps ; et c'est
à partir de ce jour seulement que les Vêpres se disent avant le
repas. Le rit quadragésimal se termine à la Messe du samedi
saint, mais l'observance ne cesse pas avant le jour de la fête de
Pâques. Ces différences sont faciles à expliquer. D'après l'an-
cienne tradition, le jeûne du Carême commençait seulement
le premier dimanche, comme cela se pratique encore à Milan.
Mais, comme on n'a jamaisjeûné le dimanche, on ajoute quatre
jours pour compléter le nombre de quarante. Cet usage est fort
ancien et l'on ne peut assigner l'époque précise de son origine.
Le rit quadragésimal se termine à la Messe du samedi saint,
puisque cette Messe est celle de la nuit de Pâques. Nous devons
traiter ici deux sortes de questions, les unes relatives au rit
quadragésimal, les autres, à l'observance du jeûne.
II. Rit quadragésimal. Les règles relatives au rit quadragé-
simal sont suffisamment développées et expliquées dans les
divers ti'aitésde liturgie pour qu'il soit inutile de les donner ici.
Nous nous arrêtons seulement sur certaines questions au sujet
desquelles on nous a demandé des éclaircissements. Elles se
rapportent \o à l'usage de la dalmatique et de la tunique pour
le diacre et le sous-diacre; 2o à la rubrique qui prescrit de
voiler les croix et les images pendant le temps de la Passion.
4. Nous ne pensons pas qu'il puisse jamais être permis au
diacre et au sous-diacre de porter la dalmatique et la tunique
.aux jours prohibés dans la rubrique du Missel, part, i, tit. xix,
n. 6. La rubrique est trop positive pour qu'on puisse ne pas
regarder comme abusif tout usage contraire. Aucune solennité
extrinsèque ne peut également dispenser de cette règle, ni
«ne fête patronale qui serait célébrée avec la Messe du diman-
che suivant les règles données t. vi, p. 361, ni une exposition
FO^r. 1863.) LITURGIE. ^^^
du très-saint Sacrement, ni la première Messe d'un prêtre nou-
vellement ordonné, ni une première communion. Si ces ex-
ceptions étaient admissibles, elles seraient mentionnées dans
la rubrique ; elles auraient également lieu, ce semble, à la
Messe pontificale, et le contraire est positivement exprimé dans
le Cérémonial des évêques en plusieurs endroits et spéciale-
ment 1. Il, c. xin, n. 7. Dans les cathédrales et les églises prin-
cipales, elles sont remplacées par des chasubles repliées à la
partie antérieure. Le diacre et le sous-diacre doivent les quit-
ter pour chanter Tépitre et l'évangile : la raison de ce rit est
que cet ornement n'est pas celui de leur ordre. Le diacre le
reprend seulement après la communion, pour pouvoir plus fa-
cilement servir le prêtre ; mais aussi il remplace la chasuble
pliée par la grande étole. On peut consulter sur cette question
Gavantus t. i, part, iv, tit. I . L'auteur'y donne d'intéressantes
explications qu'il serait trop long de rapporter ici.
2. La rubrique prescritde voiler les croix et les images avant
les Vêpres du samedi, veille du dimanche de la Passion. La
couleur de ces voiles n'est pas indiquée, mais d'après tous les
auteurs sans exception, ils doivent être violets. Si Ton n'avait
pas de voiles violets, pourrait-on se servir de voiles d'une
autre couleur? Sans doute, il serait préférable de couvrir les
croix et les images avec des voiles d'une couleur différente,
plutôt que de ne pas les couvrir du tout, et toute autre couleur
devrait être employée avant la couleur blanche à laquelle
l'Eglise attache une idée de joie et de solennité. La couleur
rouge est aussi une couleur festivale et ne serait pas convena-
blement employée ; elle serait cependant plus convenable que
la couleur blanche, puisqu'elle rappelle le mystère de la Croix.
—Doit-on aussi couvrir les tableaux du Chnminde le Croix? A
Rome, ils restent découverts. De plus, comme le témoigne l'au-
teur du Cérémopial des évêques expliqué, ou découvre les tableaux
ou statues des saints, au jour de leur fête, avec la permission
du cardinal-vicaire.
472 LITURGIE (Tome VII.
n. Questions relatives à l'observance du Carême, i. La loi de
l'Église touchant l'observance du carême a subi quelques va-
riations. Jusqu'au treizième siècle, le jeûne, qui devait être
gardé jusqu'après l'heure de none daus les jours de quatre-
temps et de vigiles, ne pouvait être rompu qu'après l'heure des
vêpres pendant le temps du carême, a In hoc quadragesimale
« jejunium a cseteris differt jejuniorum diebus, dit le Microlo-
0 gue((/e Beb. écoles, c. 39), quod inaliis posl nonam, et in hoc
« post vesperam relici debemus.» Le Vénérable Bède, parlant
d'un évêque d' Angleterre, rapporte qu'il gardait le jeûne pen-
dant tout le Carême jusqu'après vêpres, suivant l'usage :
« Ad vesperam juxta morem protelatus jejunium » (1. m,
e. xxi). Théodulplie écrivait au neuvième siècle :« Soient ple-
« rique qui jejunare patant, mox ut signum audiunt ad no-
ce nam, manducare; qui nullatenns jejunare censendi sunt,
« si ante manducaverint, quam vespertinum celebretur ofiî-
« cium»(c. xxxvii). Saint Bernard (Serm.v. de Quadrag .) , -^ds-
lant des jeûnes qu'observent les religieux en dehors du Carême,
dit : a Hactenus usque ad nonam jejuuavimus soli; » parlant
ensuite du carême, il ajoute : « Nuiic usque ad vesperam je-
« junabunt nobiscum simul universi ».
2. Cavalieri, d'où nous tirons les documents cités, rapporte
ensuite les diverses modifications apportées aux treizième, qua-
torzième et quinzième siècles. L'auteur s'exprime comme il
suit (Ibid. n. 3) : « Sœculo XIII ad nonam anticipata fuit co-
« raestio et cum ea Missa Quadragesimœ, et vesperarum offi-
« cium, Alexandro Alensi prsecipue adjuvante, qui propterea
a scripsit de prsefata refectione : Hora refectionis magis congrua
« temporejejunii est hora nona, quam usque ad vesperam ; et de
« Missa : Missa in Quadragesima, et diebus jejuniorum, hora
« nona. Saeculo XIV, ut tempus liicrific.ret, hora nona antici-
« pata est, Paludano potissimum auctore, et saeculo XV co-
• mestioad raeridiem reductafuit, et quemadmodumanticipa-
c( batur refectio, anticipatum est oiiicium, et ut moris anliqui
Févr. 1863.] LITURGIE. -173
a vestigium aliquod remaneret, et semper dici posset, quod
a quadragesimale jejunium non solveretur nisi pnst vesperas,
(( inducta consuetudine solvendi jejunium circa meridiem,
a invectus etiam extitit semperque retentus mos dicendi in
a Quadragesima vesperas ante prandium, non vero in aliis
« jejuniis extra Quadragesimam, quibus nec antiquitus vespe-
« rae praemittebantur ; sed dicta nona cuni Missa solvebntur
«jejunium, unde et nunc in iisdem jejuniis ante meridiem
« idipsumdumtaxat prœstatur. »
3. Aujourd'hui, dans presque tous les diocèses de France,
l'abstinence du Carême est levée le dimanche, le lundi, le
mardi et le jeudi de chaque semaine jusqu'à la semaine sainte,
et même dans certains diocèses jusqu'au mardi de cette se-
maine inclusivement. On fait aussi dififérentes concessions pour
les mets dont on peut user à la collation, et les évêques les ac-
cordent avec un induit du Souverain-Pontife. Ils prescrivent
en même temps des aumônes aux personnes qui usent des dis-
penses. Dififérentes questions nous ont été posées à cet égard
et nous les discutons en terminant cet article. Le cas est le sui-
vant : Un évêque, en vertu d'un induit apostolique, accorde la
permission de manger de la viande et de préparer les aliments
au gras certains jours du Carême. Après les deux articles con-
tenant ces permissions s'en trouve un autre ainsi conçu : « Ceux
qui useront des permissions énoncées dans les articles précé-
dents, ou de l'une d'elles, seront tenus, à l'exception des pau-
vres, pour compenser le mérite de l'abstinence, de faire, selon
leur dévotion, une aumône, qu'ils remettront à leur pasteur.»
Sur l'interprétation et la pratique de cet article se présentent
certains doutes.
1° Une aumône quelconque, même de la part d'une personne
riche, suffit-elle pour accomplir l'obligation imposée?
La réponse semble devoir être aflûrmative, si l'on considère
purement et simplement les termes du dispositif: selon leur dé-
votion. Le législateur use de son droit en commuant la loi,
et peut le faire comme il le juge à propos. Cependant, il repu
174 LITURGIE. [Tome VU.
gnerait d'admettre qu'une aumône minime de la part d'une
personne riche pût être considérée comme suffisante. Telîe
n'est pas, évidemment, la loi dans l'intention du législateur, et
donner un pareil sens à ces paroles : selon leur dévotion, serait,
ce semble, contraire à la loi naturelle. Une matière légère ne'
pouvant être l'objet d'une obligation grave, le législateur a dû
exiger une aumône assez considérable pour constituer une
obligation de cette nature,
2" Cette aumône est-elle gravement obligatoire?
Il semble que oui, pour les raisons données ci-dessus, et celui
qui ne pourrait pas donner une aumône assez forte pour être
matière grave relativement à ses facultés serait dispensé tota-
lement, les pauvres n'étant point tenus à la loi de l'aumône. Il
ne serait cependant pas impossible que, dans certains cas par-
ticuliers, l'omission de cette aumône fût un péché véniel. Pour
éclaircir ce dernier point, il faudrait pouvoir traiter ces cas en
particuher.
3° Les personnes dispensées de l'abstinence par l'impossibilité
de se procurer des aliments maigres ou par la maladie sont-
elle tenues à cette aumône?
Elles n'y sont point tenues. En efifet, pour être tenu à la
compensation d'une loi, il faut être atteint par la loi; or la loi
cesse d'exister pour les personnes dont il s'agit, et les paroles
du dispositif : pour compenser le mérite de l'abstinence, ne font
pas difficulté : l'œuvre seule et non le mérite tombant sous le
précepte.
4° L'abstinence étant une œuvre personnelle, l'aumône don-
née par un chef de famille pour les personnes placées sous sa
dépendance, décharge-t-elle celles-ci de toute obligation ?
Il ne parait pas que ces personnes puissent être déchargées
de toute obligation par l'aumône du chef de famille. Celui-ci
ne peut pas faire abstinence pour ses enfants : il ne peut pas,
conséquemment, offrir pour eux une compensation. Pour
ceux-ci, ils doivent, s'ils le peuvent, faire une aumône de
leur argent, qu'il leur soit, ou non, donné à cette fin. P. R.
A PROPOS
d'un nouvel essai de philosophie chrétienne.
La S. Congrégation de l'Index a prohibé, le 15 décembre der-
nier, trois ouvrages publiés en langue allemande :
1° Introductio in philosophiam, a D. Frohschammer, I808.
2» De Libertale scientix, eodem auctore, 1861.
2)^ Athenxum, scriptum leriodicum de philosophia. fasc. I.
1862.
M. le docteur Frolischammer, prêtre et professeur à FUni-
versité de Munich, peu satisfait de l'aîicienue philosophie, qui
se permettait de soumetlre la science à l'autorité et la raison
à la foi, a voulu nous donner une philosophie vraiment chré-
tienne, dégagée de toute servitude et libre de tout préjugé du
moyen-âge. A cette fin, il s'attache principalement à nous
éclairer sur les rapports de la raison et de la foi, aussi bien
que sur les droits de l'Lglise en fait d'enseignement, et sur les
devoirs des professeurs et des écrivains.
Or, ne sait-on pas ce qu'enseignent les docteurs catholiques
à cet égard ? Ils disent que la raison humaine peut connaître
et démontrer les vérités de l'ordre naturel , mais qu'il est
beaucoup d'autres vérités que nous ne connaissons que par la
révélation divine : vérités qui dépassent nos moyens naturels
de connaître, qui ne peuvent être déduites par le raisonnement
de principes déjà connus, et que nous ne percevons que par des
concepts impropres et analogues. Ils en concluent d'un accord
unanime que ces mystères constituent l'objet, non de la philo-
sophie, mais de la théologie, et que la raison, ayant une fois
démontré l'existence de la Révélation et le droit de l'Église
d'en être l'infaillible interprète, doit obtempérer aux jugements
de l'Église, de manière à ne jamais soutenir ce qu'elle rejette,
^76 NODVEL ESSAI [Tome VIF.
et à défendre avec amour ce qui s'accorde avec son enseigne-
ment .
M. Frobscliamuier semble peu disposé ù souscrire à ces
principes et il enseigne tout au long :
1° Que la vraie philosophie a pour objet propre, non-seule-
ment les vérités de la religion naturelle, mais tous les dogmes
du christianisme.
2" Que la force progressive de la philosophie est telle que
nous pouvons espérer comprendre un jour et démontrer les
mystères révélés, tout aussi facilement que nous comprenons
les vérités métaphysiques.
3° Que la vraie philosophie n'est point la servante de la
théologie, dont elle dépend aussi peu que de toute autre
science.
4" Que la philosophie ne doit point se régler dans la recher-
che de la vérité sur la révélation divine, mais juger de toutes
choses d'après les principes du vrai qui lui sont innés.
5" Qu'il appartient à la philosophie, non-seulement de dé-
montrer les préambules de la foi et les motifs de crédibilité,
mais encore de juger si les points de doctrine proposés comme
vrais et comme certains par la théologie sont tels en réalité.
6° Que la vieille distinction des théologiens entre connaissances
naturelles et connaissances surnaturelles n'est plus de saison.
7° Que l'infaillibilité du Pape, enseignée par la plupart des
théologiens, n'est fondée ni sur des faits ni sur des raisons.
8° Qu'il n'est ni du ressort de la théologie, ni de la compé-
tance de l'Église, de définir si tel dogme révélé est au dessus de
la raison, mais qu'il appartient à la seule philosophie de pro-
noncer en pareille matière.
9" Que l'Église ne peut rien définir, ni rien prescrire tou-
chant la méthode et les principes de la philosophie.
10° Que la méthode philosophique de saint Thomas et des^
scolastiques conduit au naturalisme et au rationalisme.
11» Que la philosophie a le droit naturel d'enseigner et de
défendre librement tout ce qu'elle découvre par ses propres
Févr. 1863.) DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. 177
forces, alors même qne ses découvertes seraient contraires
aux enseignements de la foi.
12° Qu'il ne convient pas et que c'est un tort de soumettre
les ouvrages scientitîques avant leur publication à la censure
ecclésiastique.
13* Que la Congrégation de l'Index ne se conforme plus,
dans les jugements qu'elle porte sur les livres, aux lois qui lui
ont été tracées, mais qu'elle agit d'une manière tout à fait
arbitraire.
On voit que tout cela n'est ai orthodoxe, ni philosophique.
Au reste, M. le docteur Frohschammer avait déjà fait ses
preuves, en écrivant il y a dix ans un livre sur l'origine de
l'âme humaine, où il établit de semblables principes. Ce
livre fut mis à l'Index après qu'on eut pris des ménagements
auxquels l'auteur n'a rien paru comprendre. Aujourd'hui,
M. Frohschammer insulte ses juges et soutient les mêmes er-
reurs que l'Église avait déjà flétries. Malheureusement, il n'est
pas seul de son avis, et nous croyons savoir que plusieurs de
ses confrères dans l'enseignement et dans le sacerdoce, sont
disposés comme lui à sacrifier la certitude des doctrines révé-
lées à la certitude philosophique, et à mettre la raison au des-
sus des enseignements de la foi et de l'Eglise.
Bref, M. Frohschammer prétend mesurer les choses de Dieu
à la grandeur de la raison humaine, et ce qui surprend davan-
tage, c'est qu'il donne à ce procédé étrange le nom de philoso-
phie chrétienne.
Sans doute à une époque de progrès comme la nôtre, où
l'on croit tout expliquer par la voie naturelle, où la réponse
aux plus grands problèmes de la vie intellectuelle et sociale
sort souvent d'un alambic, ou repose au fond d'une cornue, on
conçoit que la science naturaliste devienne superbe et osée.
Mais devait-on s'attendre à rencontrer sous la plume d'un
philosophe chrétien, prêtre et professeur d'une université ca-
tholique, l'exposé systématique et réfléchi d'une doctrine
subversive à la fois du christianisme et de la philosophie ?
^78 NOUVEL ESSAI DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. [Tome Vil,
Une telle tendance est assurément pleine de périls. Car prê-
cher l'indépendance absolue de la raison, fut à toutes les
époques du monde une chose dangereuse. Les moyens que l'on
prend et les chemins que l'on indique peuvent être divers,
mais tôt ou tard ils conduiront tous au même abime. L'expé-
rience est faite. La philosophie de Kaut ne disait-elle pas que
c'est à peine si nous connaissons quoi que ce soit avec certi-
tude en dehors des sens ? Et ne vit-on pas surgir aussitôt ce
rationalisme vulgaire, qui n'a que du mépris pour les plus au-
gustes mystères de notre foi ou qui les fait passer pour des
mythes, mis au service du déisme et de la religion naturelle ?
Ce rationalisme ne tarda pas à être suivi d'un autre pins sé-
duisant et plus spécieux encore, celui de SchcUing et de Hegel,
qui prétendirent créer la science, la science absolue et com-
plète par la simple intuition de l'Être suprême ou la connais-
sance absolue de toutes choses.
La doctrine de M. Frohschammer comme celle de Gûnther
elle-même, repose absolument sur le même principe. C'est
toujours la raison revêtue de lumière et de vérité qui vient
démontrer les dogmes de notre foi et nos mystères. C'est tou-
jours elle qui amène triomphalement le progrès de la science
universelle, absolue, et qui tend une main amie à la théologie,
en se glorifiant de connaître comme elle les enseignements les
plus élevés de notre foi.
Voilà, en peu de mots, une faible esquisse de la philosophie
chrétienne, telle que l'entend M. le docteur Frohschammer,
Ce n'est donc pas sans raison que le cœur vigilant du Pasteur
suprême s'en est ému, et s'est empressé de signaler au monde
ces pâturages dangereux. Le décret de l'Index avait été pré-
cédé d'un bref plein de douceur et de sévérité, adressé à Mgr
l'archevêque de Munich. Pie IX y rejette, avec l'autorité de la
parole apostolique, ces doctrines coupables et subversives qui
tendent à altérer notre symbole et à corrompre la pureté de
notre foi. P.-P. Armand.
DE LA GRAP^DE AUMO^ERiE
EN FRANCE.
Bref de Pie IX, déterminant à qui passe la juridiction du grand
aumônier, après son décès et en attendant quil lui ait été
donné un successeur.
Nous ne pensons pas que ce Bref ait encore été rendu pu-
blic. Après en avoir donné le texte, nous y joindrons quel-
ques aperçus, tant sur l'institution des grands aumôniers en
général, que sur l'organisation actuelle de la grande au-
mônerie, rétablie en France en 1857.
« Plus Papa IX. — Ad futurara rei memoriam. — Nosti'is
apostolicis litteris die 31 martii 1857 dalis, vota carissimi iu
Ghisto filii nostri Napoleonis III Francorumlmperatoris secun-
dantes, in Galliarum imperio Supremum Eleemosynarium sive
Majorera Capellanum constituimus; eidemque onera, jura,
privilégia, facultates, indulta opportune tribuimus atque con-
cessimus.
a Modo autem idem Imperator, per suum apud Nos et
Apostolicam Sedem oratorem, petit ut alterum sufficere veli-
mus, qui praefati muneris partes expleat cum per obitum An-
tistitis Eleemosynarii iliud vacare contingat.
« Nos igitur auctoritate Nostra Apostolica harum litterarum
vi concedimus atque decernimus, ut cum per obitum munus
Capellani Majoris sive Supremi Eleemosynarii in Galliarum
imperio vacet, alter Episcopus, juxta prœ dictas litteras Nostras
^80 DE LA GRANDE AUMONERIE EN FRANCE. [Tome VU.
eidem Eleemosynario Antistiti adjutor ad sacras functiones liu
quibus peragendis episcopalis cliaracter oinuino requiritur)
datus, bujus muueris vices expleat; ac proinde ipsi adjutori
Episcopo omnia et singula (in prsedicto tantum casu, et donec
memoratum munus vacet) deferimus jura, privilégia, indulta,
quibus par easdem litteras Nostras Supremum Eleemosyna-
rium auximus et cumulavimus.
« Hœc volumus atque indulgemus, servatis conditionibus
omnibus ac singulis, in prsefatis litteris, quarum initium Qux
Supremi adjectis, ac in contrarium facientibus, etiam speciali
atque individua mentione ac derogatione dignis, non obstan-
libus quibuscumque.
a Datnm Romœ apud sanctum Petrum,sub Annulo Piscato-
ris, die IX Augusti MDCCGLIX, Pontificatus Nostri XIV. »
Sous le nom de grand aumônier, (en latin supremus eleemo-
synarius ou major capellanus) on désigne le prélat qui a la ju-
ridiction épiscopale sur certaines églises ou cbapelles impé-
riales ou royales, sur le clergé attaché à ces églises, et sur les
personnes qui habitent les palais ou maisons appartenant à la
famille impériale ou royale. Ces grands aumôniers rentrent
par conséquent dans la catégorie des prélats qu'on appelle
nullius, c'est-à-dire, qui relèvent immédiatement du Pape, et
ne sont sous la juridiction d'aucun autre évêque.
L'usage a depuis longtemps prévalu de conférer au grand
aumônier le caractère épiscopal. On le consacre avec le titre
d'évêque in partibus, à moins qu'il ne doive être en même
temps évèquc d'un diocèse. Benoit XIV mentionne cet usage
comme ayant passé en quelque sorte en loi : « Dignitatem
« episcopalem cum munere Supremi Eleemosynarii seu Ga-
« pellani Majoris Regalis sacelli jungi oportere, testatur Pe-
a trus Galandius, in vita Pétri Castellani Galliarum Magni
a Eleemosynarii, bis verbis : Aulx totius regise, unicus Epi-
« scopus est : quocumque in loco per totum regnum rex versetur,
« ab eo sacramenta petere solet. *{Bn\\e Cum a Nobis, août 1747,
\
Févr. 48C3.] DE LA GRANDE AÏIMONERIE EN FRANCE. 181
Bullaire de Benoît XIV, tome II, n" 36). La bulle que nous
venons de citer concernait un grand aumônier nommé par
le roi de Sardaigne. Ce prélat était déjà cardinal-diacre, et
l'on mettait en doute s'il pouvait être sacré éyêqueinpartibus.
Benoît XIV donne une décision affirmative.
I. Au sujet des grands aumôniers en général, les cano-
nistes agitent les questions suivantes, qu'on trouvera discu-
tées plus au long dans mon traité de Episcopo (tome I, p. 524
et suiv.).
i» Quelle est la règle pour bien discerner jusqu'où s'étend
la juridiction d'un grand aumônier? — La meilleure règle à
cet égard, c'est la teneur même des bulles qui instituent
cette dignité, confèrent la juridiction et eu assignent l'objet.
Avant que la charge de grand aumônier soit établie, les person-
nes composant la famille régnante ou attachées à son service
se trouvent de droit commun, comme toutes les autres, sous la
juridiction de l'évêque du lieu. Pour qu'elles en soient exemptes
et passent sous la juridiction du grand aumônier, il faut que le
Souverain-Pontife s'en explique et le détermine ainsi. On peut
donc poser en règle générale que le grand aumônier n'a que
la juridiction exprimée dans les bulles. Dans le doute si telle ou
telle faculté se trouve comprise dans ses attributions, au pré-
judice de l'ordinaire, il faudrait conclure en faveur de ce der-
nier. Car la juridiction de l'évêque du lieu a pour elle la pos-
session. Pour qu'elle soit dépossédée, il faut prouver le fait de
l'exemption survenue. Néanmoins, ne peut-il pas arriver que
dans un pays les grands aumôniers acquièrent quelque aug-
mentation de pouvoir juridictionnel au préjudice des ordi-
naires, par voie de longue coutume ou de prescription ? Ce
point de droit a été agité en général pour les prélats nullius,
et la controverse a longtemps été vive entre les docteurs. Pour
bien saisir la vraie solution, il faut distinguer deux espèces de
prélats nullius : ceux de la première classe, c'est-à-dire, ceux
qui ont la juridiction épiscopale avec un territoire séparé ; et
-IS2 DE LA GRANDE AUMONERIE EN FRANCE. [Tome VII.
ceux de la seconde classe, qui ont aussi la juridiction épiscopale
sur certains lieux et sur les habitants de ces lieux, mais sans
territoii^e sépare, ^n d'autres termes, lorsque le Souverain-Pon-
tife confère à un prélat, autre que Tévêque du lieu, la juri-
diction épiscopale sur une partie territoriale du diocèse,
ou bien il distrait ce territoire du diocèse dont il faisait partie
et le déclare ainsi séparé, ou bien il le laisse incorporé au dio-
cèse. De là les deux espèces de prélats nullius : ceux qui ont
un territoire séparé, et ceux qui n'en ont pas.
S'il s'agit de la juridiction épiscopale sans territoire séparéy
il est certain qu'on peut l'acquérir, au préjudice de l'ordi-
naire du lieu, par une prescription de quarante ans, avec un
titre coloré. Mais une prescription moindre ne suffirait pas.
(Voir mon traité de Episcopo, tome i, p. 5-41.)
En est-il de même de la juridiction épiscopale avec territoire
séparé? La question fut vivement controversée jusqu'au pon-
tificat de Clémerit XI. « Famigerata est quaestio, dit le Cardi-
nal Petra, an et quomodo qualitas propria nullius, supremse
speciei, scilicet eu m vero separato territorio, pree^criptione
acquiri valeat. » (Tom. v, ad Constitutionem 4 Callixti III,
sect. 3, n. 1.) Une congrégation particulière de cardinaux,
chargée d'examiner la difficulté, décida que, pour acquérir la
juridiction épiscopale avec territoire séparé, il fallait un pri-
vilège du Pape, ou bien une coutume immémoriale dûment
prouvée ; ce qui fut confirmé par Clément XI. Voici les termes
de ce décret :
« In Congregatione particulari a Sanctissimo Domino nostro
die 3 augusti 1718 specialiter deputata...; ut in ea videlicet
examinaretur an ad tramites saerorum canonum, sacrique
prœserlim Concilii Tridentini, possit inferior prœlatus terri-
torium separatum et jurisdictionem ordinariam et quasi epi-
scopalem in clerum et popnlum, cum ipsius Episcopi exclu-
sione, in aliquo speciali loco acquirere per quadragenariam
prxscriptionem unacum titulo co/om^o .•prsedictiEminentissimi
Fcvr. 1803.1 DE LA GRANDE AUMONERIE EN FRANCE. ^83
Domini et Revcrendi Patres, particularem Congregationem
constituentes, insimul congregati..., die 3 januarii hujus anni
1721, post maturum et diligentissimum materise examen, iina-
nimiter responderunt : Non posse ; sed pro acquisitione terri-
torii separati prsedictaeque jurisdictionis oranino requiri, aut
clarum et undequaque subsistens Aposlolicum privilegium,
aut consuetudinem immemorabilem cum suis omnibus requi-
sitis rite probatam, por quam Apostolicum privilegium de jure
prsesumi valeat... Factaque per me prœdictomm omnium
sanctissimo Domino nostro relatione, die 14 januarii boc anno
1721, Sanctitas Sua approbare dignata est, et praesens decre-
tum publicari mandavit. » Cette pièce est relatée par le car-
dinal Pelra (t. v, ad Conslitulionem 4 Callixti III, sect. 3, in
fine).
2. Une autre question relative aux grands aumôniers en
général, concerne le cas où la famille régnante vient à chan-
ger. Les pouvoirs accordés par le Saint-Siège au grand au-
mônier d^me famille régnante et à ses successeurs, expirent-
ils lorsqu'une nouvelle famille régnante prend la place de la
première? Il suffira d'indiquer ici cette question délicate. Elle
est discutée dans mon traité de Episcopo (tome i, p. 526).
3. Les grands aumôniers ne sont pas révocables au gré
des familles régnantes. Leur charge étant instituée par le
Saint-Siège à l'instar de celles des évêques, pasteurs ordinaires
des diocèses, ne saurait être considérée comme révocable ad
nutum. Pour que le prince pût changer son grand aumônier
et lui en substituer un autre, il devrait obtenir, ou la destitu-
tion canonique, ou la cession volontaire du prélat. Nous ne
développerons pas davantage les notions générales sur les
grands aumôniers. Nous ajouterons seulement quelques re-
marques sur l'organisation actuelle de la grande aumônerie en
France.
IL Le Bref de Pie IX Quse, Supremi, du 31 mars 1857, qui
rétablit cette charge, et le Bref Consueverunt, de la même date,
-18i DE LA GRANDE AUMONERIE EN FRANCE. |Tome VU.
portant institution du chapitre de Saint-Denis et de la dignité
de primicier dans ce chapitre, ont été publiés dans le Bulletin
des lois. L'Ami de la Religion en a reproduit le texte dans ses
numéros du 8 et du 17 septembre 1857. Voici un aperçu des
principales dispositions de ces deux actes du Saint-Siège :
\ . La dignité de primicier du chapitre de Saint-Denis est
annexée pour toujours à la charge de grand aumônier. Digni-
tatem Primicerii perpetuo obtineb'it Supremus Galliarumimperii
Eleemosynarius pro t empare exislens (Bref Consueverunt). Le
même prélat doit donc être à la fois grand aumônier et pri-
micier.
2. La grande aumônerie n'est annexée à aucun des sièges
épiscopaux de l'empire. Rien n'empêche qu'un des évêques
de France, tout en gardant sou diocèse, soit en même temps
grand aumônier. Mais la grande aumônerie pourrait aussi
être s'?parée de tout autre siège épiscopal. Dans ce dernier
cas, le Saint-Siège conférerait un titre d'évêque inpartibus. Si
le grand aumônier est en même temps Tévèque d'un dio-
cèse, il est tenu d'y résider.
3. Le choix du grand aumônier appartient à l'Empereur;
mais il doit le choisir parmi les archevêques ou les évêques
de France : Inter Archiepiscopos et Episcopos ipsius imperii a
Serenissimo Imperalore deligendus.
4. Le grand aumônier doit avoir un coadjuteur, revêtu
lui-même du caractère épiscopal : il doit avoir en outre un
vicaire-général, un secrétaire et un pro-secrétaire. Le vicaire-
général doit être prêtre.
5. Le clergé attaché à la chapelle des Tuileries ne doit pas
excéder 12 prêtres chapelains, et 8 autres clercs.
6. Le grand aumônier est complètement exempt de la juri-
diction des ordinaires.
7. Il a juridiction épiscopale sur les chapelains et tous autres
employés à la chapelle impériale; sur la .famille impériale et
toutes les personnes attachées à son service, et cela quelque
Févr. <R..3.] DE LA GRANDE AlIMONERIE EN FRANCE. 183
part que l'Empereur réside ou tienne sa cour; enfin sur toutes
les personnes qui habitent les Tuileries, le château de Ver-
sailles, ou ceux de Saint-Cloud, de Fontainebleau, de Com-
piègne, de Rambouillet, de Pau, de Biarritz et de Strasbourg.
9. C'est au grand aumônier qu'il appartient de régler l'of-
fice divin dans la chapelle impériale, et d'instituer, pour les
habitants des châteaux indiqués, des prêtres chargés d'y rem-
plir l'office de curés. C'est de lui que dépendent, pour l'ordi-
nation et les lettres dimissoriales, ceux qui, faisant partie du
personnel soumis à sa juridiction, voudraient recevoir les
saints Ordres. En ce qui concerne le baptême, la confirmation,
le mariage, l'approbation des confesseurs, il est l'ordinaire
relativement aux personnes soumises à sa juridiction.
9. Quant aux aumôniers des troupes, ils sont soumis à la
juridiction des ordinaires des lieux, tant qu'ils séjournent en
France. Lorsqu'ils sont en campagne avec les troupes hors du
territoire français, le grand aumônier leur confère les pou-
voirs. Il faut excepter de cette dernière disposition le cas où
les troupes françaises se trouveraient sur le territoire des États
pontificaux.
40. Le chapitre de Saint-Denis se compose de chanoines
évêques et de chanoines prêtres. Il n'y a qu'une dignité, le
primicier. La nomination des chanoines et le droit de patro-
nage sur l'Église de Saint-Denis, appartiennent à l'Empe-
reur. L'institution du primicier et de chacun des chanoines-
évêques se fait par une bulle du Souverain-Pontife. Les cha-
noines prêtres sont iustitués par le primicier, au nom du
Pape.
H. L'Église de Saint-Denis, ainsi que le primicier, les cha-
noines et les personnes attachées au service de ladite Église
ou du chapitre, sont exempts de la juridiction de l'ordinaire.
11 en est de même de l'hospice des Quinze- Vingt, et des éta-
blissements de la légion d'honneur situés à Écouen et à Saint-
Germain-en-Laye, et des personnes qui les habitent. Pour
186 DE LA GRANDE AUMONERIE EN FRANCE. ITome VII.
toutes ces personnes et ces établissements, la juridiction ordi-
naire et le droit de visite pastorale appartiennent au primicier.
La clause qui réserve expressément ce droit de visite se
trouve seulement dans le Bref C onsueverunt , relatif au primi-
cier. Mais le Bref relatif à la grande aumônerie ne renferme
pas la clause analogue à l'égard des lieux et des personnes
soumis à la juridiction du grand aumônier. Cette omission
donnera pout-être lieu dans la pratique à une difficulté,
qu'on peut voir exposée dans mon traité de Fpiscopo (tome l,
page 531).
12. Le même prélat devant être à la fois grand aumônier
et primicier, les deux juridictions se trouvent réunies dans
sa personne tant qu'il est vivant. Mais à sa mort, et jusqu'à
ce qu'il lui ait été donné un successeur, ces deux juridictions
se séparent. Celle du primicier passe au chapitre. Cela ré-
sulte du droit commun. En outre, le Bref Consueverunt porte
expressément que le chapitre de Saint-Denis devra, dans les
premiers huit jours de la vacance, élire un vicaire capitulaire,
et que la juridiction appartiendra à ce vicaire capitulaire,
jusqu'à la prise de possession du nouveau primicier. Il n'en
est pas ainsi de la juridiction propre du grand aumônier.
Gomme t d, le grand aumônier n'a pas de chapitre. Pour les
diocèses érigés provisoirement sans chapitre cathédral ,
(commesoutactuellement ceux des colonies françaises, comme
sont aussi les vicariats apostoliques), le Saint-Siège pourvoit à
la difficulté en déterminant dans les bulles d'érection à qui
passera la juridiction pendant la vacance. D'ordinaire, les
bulles attribuent cette juridiction au vicaire-général de l'é-
véque défunt. Mais leBtQÏ Qux Supremi, qui institue la grande
aumônerie, n'avait rien statué à cet égard. C'était une la-
cune. S'il n'}^ avait pas été pourvu, aucun prélat en France
n'aurait eu après la mort du grand aumônier, la juridiction
sur la famille impériale, sur les lieux et le personnel soniris
au pouvoir juridictionnel de la grande aumônerie. C'est pour
Févr. 1863 ] JURISPRUDENCE CANONIQUE. -181
obvier à cet inconvéuient qu'a été donné le Bref Nostris Apo-
stolicis, que nous publions, et qui est postérieur de plus de
deux ans à celui qui avait établi la grande aumônerie. Il at-
tribue la juridiction, pendant la vacance, au prélat donné
comme coadjuteur au grand aumônier pour le remplacer, en
cas d'empêchement, dans les fonctions qui requièrent le ca-
ractère épiscopal. Ainsi, durant la vacance, la juridiction
propre du primicier passe immédiatement au chapitre de
Saint-Denis, puis au vicaire capitulaire aussitôt qu'il a été élu;
et la juridiction propre du grand aumônier appartient au
prélat qui lui a été donné précédemment comme coadjuteur
pour les fonctions épiscopales.
D. Bouix.
JURISPRUDENCE CANONIQUE.
Irrégularité ex defectii. Dispense demandée à la Sacrée Congré-
gation du Concile.
Joseph G., clerc du diocèse de Cephalu, a perdu presque
en entier le pouce de la main gauche. Il demande à être dis-
pensé de l'irrégularité ex defectu, et sa demande est appuyée
par l'évêque qui atteste que sa promotion sera utile, qu'il n'y
a aucun péril d'irrévérence ou de scandale, qu'eutiu le sup-
pliant peut s'acquitter convenablement des cérémonies de la
Messe, comme il résulte d'une expérience faite devant lui. G.
d'ailleurs a du talent, de la vertu et un vif désir d'entrer dans
l'état ecclésiastique.
Lacause aétéproposée^jer summariaprecum.'L'e.^LivoM suivant
du folium fera connaître les antécédents en pareille matière.
« Irregularem sane dicunt sacri Canones eum qui corpore
vitiatus nec secure propter debilitatem,nec sine scandalo prop-
♦l88 JURISPRUDENCE CANONIQUE. [TomeVII.
ter deformitatem celebrare posset, juxta text. in Can. Illite-
ratiis Dist. 36 et iu Cap. Presbyterum 1 de Cler. xgrot., et
in loto titulo Decretalium de corpor. vitiat. ordin. vel non. Et
in prœseuti casu irregularitatem adesse patet ex Cadurcen. 14
januarii 1663, in qua S. hsec Congregatio irregularem dixit sa-
cerdotem pollice iu sinistra manu carentem, quemadmodum
irregularem pariter judicavit alium Sacerdotem, cui digitus
poUex in manu dextera abscissus fuerat in Novomien. 1 1 sep-
tembris 1726.
«Etsiiu pressenti casu agatur de'clerico promovendo inquo
major dispensandi ratio merito requirilur quam si res esset de
jam promoto^ uou desunt tamen exempla hujusmodi dispeusa-
tionum cum clericis promovendis prsesertim ubi ex una parte
defectus non adeo gravis esset ut sacrisperagendis iaipedimen-
tum prœberet et admirationem in populo suscitaret, et ex al-
téra coucurrerent boni mores oratoris cum proprii Episcopi
commendatione et spes utilitatis Ecclesise ex clerici oratoris
promotioue obventurœ.
« Dejiegata profecto fuit ab hac S. Congrégation e dispensatio
his ullimis annis in l'ampilonen. 22 novembris 1856 et in Pa-
tavina 27 aprilis 186i persummariaprecum propositis; durio-
res tamen aderant circumstantiae quam in specie de qua nunc
agitur; in Pâm/;!'fone/?52 siquidem sinistra manus oratoris ve-
lut massa informis erat obtruncata digitis; et in Patavina
dextera manus duos tantum digitos, pollicem scilicet et indi-
cemliberos babebat, et peracto experimento clericus in plu-
rimis Misses rubricis exequendis omniuo deficiebat. Multo plu-
res preeterea afferri possunt H. S. 0. faventes precibus respon-
siones ; uti prae aliis ex Cameracen. 20 januarii 1821 in qua
dispensatio concessa fuit clerico, qui anleriori parte pollicis
sinistraî manus orbatus, dispensationem rogabat, ut promo-
veri posset ad sacros Ordines, et Missam cum digitali aureo vel
argenteo celebrare valeret. Item ex Comen. 21 februarii 1824
iuter supplices libelles relata^ ubi agebatur de eo qui prima
Févr. 1863] JURISPRUDENCE CANONIQUE. \ 89
phalange indicis Isevae manus carebat; nec non ex Januen. 6
augusti 1825, et Apuana 27 septembris 1860, pariter per sum-
maria precum propositis, in quarum prima clericus integro
sinistrée manus indice orbatus erat, et in altéra orator ob digi-
torum medii, annularis et minimi adustionem, difficiilime plu-
res sacrificii cseremonias perficere valebat...
« (Juibusexpositis abEminentiisVestrisjudicandum erit, (si
forte dispensationem oratori concedendam censuerint) utrum
expédiât aliquam adjicere ex clausulis ac cautelis in similibus
casibus apponi solitis ; ex. gr. adsistentiam alterius sacerdotis,
vel Missae celebrationem hora minus frequentata, aut cum di*
gitali aureo vel argenteo inaurato ita inbœrente, ut periculum
omne arceatur quod in sacro peragendo cadere possit, eodem-
que reverenter in capsula custodiendo, prout in superius allata
Cameracen. 20 Januarii 1821, ab bac Sac. Congregatione
mandatum fuit. »
l-a S. Congrégation n'a pas cru devoir s'arrêter à la de-
mande ainsi appuyée. Elle l'a renvoyée avec la formule :
Lectum. — In Ccphaluden. Die 10 maii 1862.
CHRONIQUE.
i . Nous n'avons pas voulu nous faire l'écho de certains bruits qui cir-
culaient depuis plusieurs mois au sujet d'un Manuel de philosophie ré-
pandu daus beaucoup de séminaires de France, celui de M. l'abbé
Branchereau. Mais plusieurs journaux et revues ont, dans l'intervalle, rom-
pu le silence. Il paraît aujourd'hui bien avéré que ce livre était menacé
d'une condamnation, et qu'il n'y a échappé que parce que l'auteur a
promis de retirer du commerce tous les exemplaires. Ces actes de prompte
soumission à l'autorité du Chef suprême de l'Église ou de ses délégués
sont un des signes les plus consolants de notre époque. Le temps n'est pas
bien éloigné encore où l'on se souciait assez peu des sentences de l'Index.
Le Catholique de Mayence fait précisément la même remarque pour
l'Allemagne, daus son n" de janvier.
2. Les questions philosophiques à l'ordre du jour ont provoqué plu-
sieurs écrits au nombre desquels nous citerons : Lettres au P. Dechamp^,
et pièces relatives à la question du Traditionalisme ; 2' éd. augmentée des
documents les plus récents publiée sur la même matière, et d'une étude
approfondie de l'Ontologisme, par M. l'abbé Pelt/er. Paris, Repos. 8°
288 p. — Du Principe vital et d'une Réponse de Pie IX, par M. l'abbé
Thibaudier. Paris et Lyon, Girard et Josserand. 8° 104 p. — Du Princi-
pe vital et de l'Ame pensante, ou Examen des diverses doctrines médicales
et psychologiques sur les rapports de Mme et de la vie, par M. F.Bouillier,
Paris, Baillière. 8''XlV-43l p. L'auteurdece dernierouvrage a traité la ques-
tion d'une manière approfondie, et bien que son point de vue ne soit
pas précisément le nôtre, nous nous trouvons ici tout-à-fait d'accord
avec lui, du moins pour les résultats.
3. Le beau travail de Dœlltnger, l'Eglise au temps de sa fondation,
vient d'être traduit par la plume exercée de M. l'abbé Bayle, et se trouve
actuellement sous presse à Tournai, chez Gasterman, Il formera un très-
fort volume grand iu-12. Nous ne rappellerons pas ici ce que nous
avons dit dans le temps de l'original allemand. C'est un livre que tous les
théologiens doivent lire, car les questions qu'il traite ont un immense
intérêt, et l'illustre historien les aborde avec celte supériorité de talent
et de vues qui lui est propre. M. Bayle a déjà traduit l'ouvrage du même
auteur qui a fait tant de bruit et qui a été apprécié si diversement l'année
dernière, mais il en a exclus la partie politique. Ce volume {l'Eglise et
les églises, iu-12 XSXlV-396 p. Paris, Lethielleux ; Tournai, Gasterman,
2 fr. 50) est un tableau saisissant du désordre daus lequel sont tombées
toutes les sectes par suite de leur séparation d'avec le principe de l'unité
et de la vie dans l'Eglise, c'est-à-dire la Papauté.
4. L'Allemagne, en même temps qu'elle enrichit tous les jours sa littéra-
ture théologique, réimprime les œuvres importantes du passé. En fait
de publications originales, citons l'Histoire des conciles de Hefele, qui
Févr.1863.] CDRONIQUE. 191
vient de s'augmenter d'un nouveau tome. [Conciliengeschichte. ¥reihurg,
Herder, 1862. 5 Bd. 1 Ablh. 8» 512 p. 1 thlr. 20 ngr.). Citons encore la
Dogmatique de Kiihn qui, bien qu'en voie de publication depuis de
longues années (1 Bd. 1. Abth. 1846, 2 Abth. 1849), ne se compose en-
core que de trois parties. (1 Bd. 1 Abth. Einleitung ,1 Aufl. 1859 ; 2 Abth.
Die allgemeine Gotteslehre, 2 Aufl. 1862. 2 Bd. Die Trinitœtslehre, 1857.
Tubingen, Laup.) II est bien à désirer que le savant professeur puisse
mener à bonne fin sa vaste entreprise. Nous aurons alors sur l'ensemble
de la dogmatique un travail très-complet, et répondant aux conditions
les plus rigoureuses de la méthode scientifique.
5. Le commentaire de Maldonat, sur les évangiles, revu par Mgr Martin,
arrive à sa troisième édition. (2 vol. gr. 8' dont un a paru. Mayence,
Kirchheim,1862.) Estius, sursaiut Paul, est également publiédanslc même
format, chez le même éditeur. On sait qu'il n'y a rien, dans notre littéra-
ture exégétique, que l'on puisse comparer à ces deux ouvrages. Aujour-
d'hui encore, ils peuvent être lus et consultés avec le plus grand fruit.
Nous signalerons aussi, dans un autre genre : Theologiœ gracorum Pa~
trum vindicalœ circa universani materiam gtatiœ lib. très, d'Isaac Habert,
œuvre d'érudition théologique réimprimée d'une manière élégante par
la maison Staliel, de Wurzbourg (8°, X-512 p. 2 Iblr. 12 ngr.).
6. Rome vengée, ou la Vérité' sur les personnes et les choses, par B.
Gassiat. (Paris, Douniol et bur&au du journal l'Eglise, rue du Bac, 57. j
Ce nouveau livre sur Rome, après bien d'autres, sera étudié avec intérêt.
Conçu dans un esprit catholique, il donne des notions précises sur les
principaux personnages romains, fait connaître la physionomie du peuple
et explique au point de vue chrétien une foule d'usages souvent mal in-
terprétés par les étrangers. Des reproches adressés au clergé surtout, sur
sa scienceet ses mœurs, tombent ici devant des faits incontestables. Tout
est d'ailleurs hautement pensé et écrit avec vigueur.
7. La Vie et les CEuvres de Marie Late^e, religieuse du Sacré-Cœur, pu-
bliées par M. l'abbé Pascal Dabbins. 3 vol. in-8°, Paris, Bray. Nous ren-
drons prochainement compte de cet ouvrage, que nous nous conten-
tons maintenant de signaler à l'attention de nos lecteurs.
E. Hautcœur.
Nous reproduisons la lettre suivante adressée à Monsieur lo Directeur
des Archives théologiques.
Monsieur le Directeur ,
Vous avez cru pouvoir insérer dans les Archives théologiques un article
signé Edm. de l'Hervilliers, relatif à un compte-rendu du premier volume
de l'Histoire générale de l'Église, publié par moi dans la lievuc des
Sciences ecclésiastiques. 3' espère que vous voudrez bien accueillir quelques
ob.servatiou3 que cet article m'oblige à vous présenter.
Si l'auteur s'était placé sur le terrain de la discussion scientifique, je
n'éprouverais nullemeni le besoin d'entrer en lice avec lui : je m'en
rapporterais à la décision des hommes tant soit peu versés dans les
questions d'exégèse. S'il s'était borné à essayer l'arme du ridicule, je
192 CHRONIQUE. [Tome VII.
l'aurais laissé docuer au public le speclaiilc de ses évolutions, et peut-
être m'y serais-je amusé tout le premier. Mais quand il se livre contre
ma personne et mon caractère à des insinuations aussi odieuses que
dénuées de fondement, je me vois obligé de protester. Toutefois, plus
généreux que celui qui s'est constitué si gratuitement mon adversaire»
je suis loin de suspecter sa bonne foi et sa sincérité, et j'aime à croire
qu'il a cédé à un sentiment honorable sans doute, mais qui ne doit ja-
mais faire oublier les droits de la justice et de la vérité.
M. de l'Hervilliers apprendra donc qu'il n'entre pas dans nos habitudes
de juger à priori les hommes et les choses. Nous n'appartenons, grâce
à Dieu, à aucune coterie, nous ne subissons aucune influence. Dans
l'article qui a été si singulièrement incriminé, j'ai porté un jugement
consciencieux, mûrement pesé: si c'est un crime, qu'on le dise. Des
hommes accessibles aux motifs que l'on semble vouloir nous prêter,
trouveraient plus commode de décerner à tout propos des éloges sans
fin, que de prendre au sérieux la tâche parfois si pénible de la critique.
De plus, si M. de l'Hervilliers m'avait lu avec un peu plus de calme
et d'attention, il aurait vu qu'il n'y a pas dans mou article la moindre
trace d'une accusation de plagiat portée contre M. Darras. J'ai dit que
l'auteur de la nouvelle Histoire de l'Église a utilisé la traduction du
Pentateuque (Genèse et Exode) publiée, il y a plus de vingl-ciuq ans,
par M. Glaire en collaboration avec J\l. Franck ; loin de lui en faire un
reproche, j'ai regretté qu'il n'ait pu consulter une foule de travaux
allemands oîr il aurait trouvé d'utiles renseignements. .le laisse à de
plus habiles que moi à expliquer cette énigme, à savoir comment M. de
l'Hervilliers a pu se figurer, contre toute raison, contre l'évidence des
textes, que j'accusais M. Darras d'avoir mis à contribution un manuscrit
que je ne connais pas, que je ne puis connaître.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, etc.
L. Danxoisne.
Douai, ce 30 janvier 18C3.
Nous avons accueilli en parfaite connaissance de cause, l'article de
M. l'abbé Dancoisne. Eu le publiant, nous croyons avoir bien mérité de
la science, du public, et de M. Darras lui-même. Si l'auteur de ^Histoire
de l'Église met à profit, pour la suite de son ouvrage, les observations
qui lui ont été faites par notre collaborateur et par d'autres, eu F'rauce
et à l'élrauger, personne ne sera plus heureux que nous de ce résultat.
Quant au premier volume, les critiques restent dans leur entier, car
M. de l'Hervilliers n'a prouvé qu'une chose: c'est qu'il ne les comprend
même pas. Certes, un laïque engagé dans des occupations d'un tout autre
genre, n'est pas tenu de connaître la théologie et l'exégèse, mais c'est
une obligation pour tout le monde de ne point parler de ce qu'on ignore,
et surtout de ne point employer des procédés de discussion qui font dé-
générer un article de revue en pamphlet du plus mauvais aloi. Nous
sommes persuadés que l'auteur de ces pages malheureuses regrette de-
puis longtemps de les avoir écrites et signées de son nom.
E. Hautcœub.
Arras. — Typogrardiie Roasieau-L'Toy, rue Saint-Maurice, 26.
PHILOLOGIE ET EEVELATION.
Huitième et dernier article.
XX.
Guillaume de Humboldt semble avoir voulu prévenir les
philologues contre les écarts dans lesquels peut les jeter la
philologie pure, lorsqu'il insiste sur les diverses circonstances
qui sont de nature à modifier les langues d'une même famille
de peuples, et même à les changer complètement. L'his-
toire et l'ethnographie positive sont les deux auxiliaires
indispensables du linguiste qui veut profiter de ses connais-
sances philologiques, pour déterminer les diverses familles
qui se sont partagé l'humanité. S'il se prive de leur secours,
le philologue s'exposera à ne point tenir compte des cir-
constances extérieures, de la commuuauté d'habitation, des
difterences de religion, du mélange des races, de la sujétion
ou de la domination politique^ qui toutes ont pu altérer la
langue d'une famille, ou même lui en faire adopter une autre
d'origine difi'érente (1). Il se trouvera ainsi en présence de
faits capables de le déconcerter, à moins qu'une hardiesse
plus que téméraire ne lui persuade qu'il peut formuler
quand même ses conclusions, et contredire ainsi tout ce qui
a été enseigné jusqu'à lui. De là des efi'orts pour tâcher
de se concilier l'ethuographie et l'histoire, auxquelles on fait
(1) Humboldl, A'oswo.9, -I Bil.
ReVue des sciences eCCLÉSIASTIQUES, T. VII. 13-14.
194 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. |Tome VIL
subir le sort que saint Jérôme indiquait comme celui de l'Écri-
ture entre les mains d'un interprète inhabile : Conaniur ad
suum sensum... traheré[repv.gnanlem. Nous allons tâcher de nous
tenir eu garde contre cet écueil dans les deux dernières études
qu'il nous reste à faire sur les langues et les peuples, les lan-
gues et les|religions.
XXI.
Dans son Histoire générale des langues sémitiques {{), M. Renan
se plaint de ce que Eichhorn a donné le nom de sémitique à la
famille des langues syro-arabes. Et il ajoute : « Le nom des
sémites n'a dans cet écrit qu'une signification de pure conven-
tion : il y désigne les peuples qui ont parlé hébreu, syriaque,
arabe ou quelque dialecte voisin et nullement les peuples qui
sont donnés dans le Xe chapitre de la Genèse comme issus de
Sem, lesquels sont, pour une bonne partie, d'origine arienne, o
Nous n'avons pas plus à nous occuper de savoir quelle a été
la pensée d'Eichhorn, que nous n'avons à discuter la manière
dont elle est interprétée par M. Renan. Ce que nous contestons,
c'est que les peuples qui sont donnés au X'' chapitre de la
Genèse comme issus de Sem, soient, pour une bonne partie,
d'origiue^ arienne, au moins si l'on établit les classifications
sur l'étude des langues qu'ils ont parlées. M. Renan nous
avait appris, quelques pages plus haut (2), qu'à s'en tenir au
X* chapitre de la Geuèse, la race sémitique se diviserait en
trois groupes : 1° groupe araméen ou syriaque ', 2° groupe
arphaxadique, c'est-à-dire venant d'Arphaxad, et se subdivi-
sant lui-même en Térachites (Iraélites, Madianites, Moabites,
Ismaélites, etc.) et en Jochtanides ou Arabes méridionaux.
Voilà bien des peuples qui ont parlé hébreu, syriaque, arabe.
(i) PP. 42 et 45.
(2) P. 36.
Mars 1803.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 195
OU quelque dialecte voisin. Moïse nous les donne comme issus
de Sem, et s'il prenait fantaisie à quelqu'un de leur assigner
une origine arienne, il est permisde douter qu'il pût réunir
en preuve de sa thèse des arguments philologiques, à moins de
ne tenir aucun compte des dénominations et des classifications
communément admises. Quant au groupe chananéen, ne
vient- il pas dans ce passage par l'effet d'une distraction de
rauteur, qui n'est pas même rachetée par l'addition, « rejeté
par l'ethnographe hébreu dans la famille de Cham?» Au
moins n'est-ce pas en s'en tenant au X* chapitre de la Genèse
qu'on peutle faire entrer dans la famille sémitique. On ajoute:
a Que l'analogie de langage le rattache nécessairement aux
Araméens, aux Térachites et aux Arabes. » C'est donc sur
l'analogie de langage que l'on se fonde, et c'est sur ce terrain
que nous avons à suivre la discussion.
« Par moments, dit M. Renan, le critique est tenté d'être de
l'avis des Hébreux qui ont obstinément repoussé toute fra-
ternité avec Chanaan.... Le caractère propre des Sémites est
de n'avoir ni industrie, ni esprit politique, ni organisation
municipale ; le navigation et la colonisation leur semblent
antipathiques ; leur action est restée purement orientale et
n'est entrée dans le courant des affaires de l'Europe qu'indi-
rectement et par contre-coup. Ici, au contraire, nous trouvons
une civilisation industrielle, des révolutions politiques, le
commerce le plus actif qu'ait connu l'antiquité, une nation
sans cesse rayonnant au dehors et mêlée à toutes les destinées
du monde méditerranéen. En religion, même contraste : au
lieu de ce monothéisme sévère, de cette haute idée de la divi-
nité, de ce culte épuré qui caractérise les peuples sémitiques,
nous trouvons chez les Phéniciens une mythologie grossière,
des dieux bas et ignobles, la volupté érigée en acte religieux.
Les mythes lés plus sensuels de l'antiquité, les cuites phalli-
ques, le commerce des courtisanes, les infâmes institutions
des galles et des hiérodules venaient en grande partie de la
Phéuicie, » Que conclure de ce contraste ? « Peut-être s'il
19G PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [ Tome VIL
fallait désigner parLûi les peuples antiques celui dont la phy-
sionomie contraste le plus avec celle des Sémites^ serait-ce
les Phéniciens qu'on serait tenté de nommer » (1).
Mais si la physionomie des Phéniciens ne ressemble en rien
à celle des Sémites, elle porte fortement accusé un air de fa-
mille commun aux races semitico-couschites de la Babylonie
et de l'Egypte: c'est le même développement dans l'industrie,
la même activité dans le commerce, le même esprit matéria-
liste dans la civilisation, la même couleur obscène dans la re-
ligion et les mythes ; les cultes^ les légendes se répondent aux
bords du Tigre et du bas Euplirate, sur les plages phénicien-
nes et aux rives du Nil. Les travaux de M. Moverset de récentes
découvertes (2) faites à Ninive et à Babylone rendent témoi-
gnage àcette analogie. Aussi la plupart des critiques modernes
se font-ils l'écho de l'antiquité tout entière, pour placei' le
berceau des Phéniciens sur le bas Euplirate, au centre des
grands établissements commerciaux et maritimes du golfe
persique (3). Est-ce là un berceau sémitique? Nous croyons
qu'il résulte au contraire de ces faits que les Phéniciens sont
de race chamitique. M. Renan est presque de notre avis lors-
qu'il écrit: «Nous tiendrons donc les Phéniciens pour une
branche de la grande famille sémitico-couschite » (4). Il
faut ajouter : couschite par la race, et sémitique par le lan-
Mais comment se fait-il que « le peuple que les données lin-
guistiques nous montrent comme ayant été dans la fraternité
la plus étroite avec les Hébreux, » soit précisément celui -qui
(1) PP. 181 et i82.
(2) Movers, Die Pliœii. u, -I, p, 276 el suiv. — Knobel, Die Fœl-
heriafel der Gen., p. 310-313. — Bansen, yEgi/pteti's Slelie,\. v,
3" partie.
(3) Beriheau, Zur Gesch. der hr., s. -Iij3, -186. — Knobe!, Gen.,
?. 31 'i fl".— Heroi'. i, 1 el yh, 89.— Slrab., 1. i, p. 42 el 1. xyi, p. 766,
784.
('.) P. 184. •
Uais 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. -197
diffère le plus des Hébreux par la culture et le développe-
ment, et qui diffère essentiellement d'eux par la race? Nous
ne pensons pas que la difficuté soit simplement reculée par
les preuves nombreuses qui établissent que les Phéniciens ne
sont pas les habitants primitifs de la terre de Gbanaan. Nous
pensons au contraire que c'est à ce fait qu'il faut en demander
la solution avec les anciens et les modernes commentateurs de
la sainte Écriture (1).
C'est la solution proposée par M. Franck. « M. Renan démon-
tre très-bien, dit-il, que l'hébreu était également en usage
chez les descendants de Taré qui passèrent l'Eiiphrate, chez
toutes les peuplades qui formèrent primitivement la race
hébraïque et chez les Ghananéens ou Phéniciens. Ce n'est
pourtant pas une raison de faire de ces derniers une nation
sémitique, au mépris de la Genèse qui les désigne expressé-
ment comme les descendants de Cham. Pourquoi donc les
Ghananéens n'auraient-ils pas pris l'usage de l'hébreu des
nations établies avant eux dans la Terre sainte? Pourquoi ces
nations d'une civilisation déjà avancée, qui contruisaieut de si
grandes villes et de si puissantes forteresses, qui savaient
tirer de la terre de si magnifiques fruiîs, ne passeraient-elles
pas plutôt pour des enfants de Sem? D'ailleurs, M. Renan ne
parle pas de tous les peuples qui ont précédé les Ghananéens
dans la Terre promise. Outre ceux qu'il a nommés, il y avait
(:l) On peut voir le résumé deî commenlaleurs ; nciens dans D. Cfd-
mel. Quant aux modernes, nous citerons enire autres Kurtz et Knobel.
Les opiiosiiions de Hengslenberg, de Moverset de IliUer qui ont suivi
celles de Bocharl, de Perizonius ei de Viu-inga, partent du silence
(îe la Genèse à cet égard. Il faut siinpleuictil observer que Moïse ne
prétend pas faire l'histoire de tous les peuples issus de Noé, mais
seulement de ceux de la famille de Sem, ei de relie branche en par-
ticulier à qui ont été confiées les promesses, et que par conséquent, il
n'a à parler que des peuples qui habitaient la terre de Chanaan au mo-
ment où les ilébreuif y ont fait leur première apparition avec
Abraham.
t98 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Torai VII
les Awéens, les Kénizites, les Kadmonites, et les Kénites, dont
les derniers subsistèrent longtemps parmi les enfants d'Israël.
Pour repousser ouvertement, dans une question de cette na-
ture, le témoignage de la Bible, il faudrait avoir pour soi l'é-
vidence, et cette qualité n'appartient pas à la métbode qu'em-
ploie M. Renan: il n'est pas toujours sûr de déterminer les
races par les langues (i). »
Mais ne trouverons-nous pas encore ici dans le livre même
de M. Renan quelque chose qui nous mette sur la voie de la
solution? Nous y lisons à la page 210 : « La civilisation Assy-
rienne est pour nous le résultat du mélange des Chamites ou
Couschites, avec les Sémites et les Ariens sur les bords du
Tigre, comme la civilisation Phénicienne est le résultat du
mélange des Sémites et des Chamites sur les côtes de la mer
méditerranée et de la mer rouge. » Nous ne différons plus
que par rappport à l'ordre des couches, et M Renan ne nous
dit pas quelles, sont les raisons qui l'empêchent d'accepter
celui que proclame l'histoire. Un peuple qui adopte la civilisa-
tion d'un autre peuple^ ne peut-il pas adopter aussi sa langue?
Comprend-on même qu'il puisse adopter l'une sans l'autre?
Sans doute cette adoption ne s'est pas faite tout d'un coup ;
elle a eu lieu peu à peu, à mesure que les nouveaux venus se
mêlaient davantage aux habitants primitifs. D'autant que
l'émigration n'avait pas un caractère de conquête. Elle était
toute pacifique et consistait comme en une infiltration de
peuple à peuple. Le temps n'avait pas encore fait oublier aux
diverses races leur Iraternité oiiginelle, ni creusé entre elles
ces coupures profondes qui deviennent de plus en plus carac-
térisées à mesure que l'humanité s'éloigne du moment de la
séparation. D'ailleurs, les tribus peu nombreuses et n'occu-
pant que peu d'espace, voyaient sans jalousie d'autres tribus,
même de familles différentes, s'établir auprès d'elles et parta-
(1) Éludes orientales, p. 414.
Mars 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 199
ger la vallée, le coteau ou la plage. De là l'absence de ces
haines éternelles que les vaincus vouent aux vainqueurs et
qui empêchent àjamais la compénétration mutuelle de deux
races. Et dans ces conditiousj il n'est pas douteux que les Phéni-
ciens n'aient fini par absorber les Sémites qui les avaient reçus.
C'est le moment de rappeler que plus on remonte vers l'ori-
gine de la langue phénicienne, plus on est frappé de sa ressem-
blance avec l'hébreu et d'un trait de physionomie locale qui la
rapproche des dialectes du nord de la Palestine. Si l'on admet
que les Phéniciens ont adopté la langue des Sémites primitifs,
sauf à lui donner plus tard, quand leur nombre s'est accru
et qu'ils ont absorbé les peuples, l'empreinte de leur génie,
ces deux faits philologiques s'expliquent très-bien. Si l'on pré-
tend qu'ils ont conservé leur langue originaire, on n'aura pour
ces faits que des explications plus ou moins ingénieuses, mais
ne reposant sur aucune preuve solide et capable de satisfaire.
Si donc les Phéniciens sont sémites par le langage, ils sont
couschites par l'origine, comme le veut Moïse, et comme
d'ailleurs ils l'ont souvent eux-mêmes proclamé (1).
Le groupe des langues sémitiques comprend encore l'hi-
myarite et l'éthiopien. « Ici, dit M. Renan, se manifeste une
contradiction dont nous ne pensons pas qu'ils soit donné à la
science de pénétrer le secret. D'un côté, le linguiste, eu voyant
les pays désignés comme couschites, la Babylouie, l'Yémen,
et surtout le pays de Gousch par excellence, l'Abyssinie, par-
ler des dialectes sémitiques fort analogues entre eux et consti-
tuant dans la famille une classe à part, serait porté à faire des
Couschites une subdivision fortement accusée dans le groupe
sémitique.... D'un autre côté, l'ethnographie et l'histoire
porteraient à séparer profondément les Couschites des Sémi-
(1) On peut voir ces témoignages dans Tuch, Kommenlar iiher die
Genesix, p, 244 et suiv. — Knobel, Die Fœlkerlafel der Gênais,
p. 300, 3i0, et dans VHisloire générale des langues sémiliques de
M. Uenan, p. 180, noie 4.
-00 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [TomoVI!.
tes » (1). Nous ne ferons à cet égard qu'une simple observa-
tion : c'est que dans les tables généalogiques de Moïse, Saba,
Avila et Lud, les pères de ces nations, figurent à la fois comme
descendants de Sem et comme descendants de Cliam. Cela n'a
î>as lieu d'étonner, lorsqu'on sait que Moïse a voulu donner
le tableau des descendants de Noé, d'après leur famille, leur
langue et le lieu de leur dispersion. Pouvait-il choisir un meil-
leur moyen de nous faire connaître que ces peuples, couschites
par les pays qu'ils ont habiles, étaient cependant sémitiques
par la race ?
L'état actuel de la philologie à l'égard des langues chamiti-
quesne nous permet pas de procéder avec la même précision
([ue nous venons de le faire à propos des langues sémitiques,
pour montrer que la philologie ne saurait contredire les don-
nées de la révélation. Toutefois, nous avons déjà indiqué le
secret des exceptions constituées par les peuples chamites qui
parlent une langue sémitique. Nous pouvons encore ajouter
que le réseau des langues chamites qui couvre l'Afrique dans
sa presque totalité et quelques points de la Babylouie et de
l'Arabie, suit les ondulations plus ou moins amples et pures,
plus ou moins restreintes et altérées des groupes ethniques
chamitico-couschites aux bords du Tigre et de l'Euphrate,
sur l'une et l'autre rive de la mer rouge, dans l'Abyssinie,
la Nubie, l'Afrique, depuis le Delta jusqu'au Sénégal, depuis
la Méditerranée jusqu'au Niger. Aussi M. Renan avoue-t-il
qu'il faut former pour la langue et la civilisation de l'Egypte
ime famille à part, à laquelle appartiendraient sans doute les
dialectes de l'Abyssinie et de la Nubie, et qu'on pourrait appe-
ler chamitique (2) .
La philologie ne troublera pas non plus le groupe japhétien
formé par Moïse. On reconnaît les Goths, les Celtes, les Armé-
la) P. 315, 3^ 6.
(5) P. 88. Voii>aussi l'indicalion des autorités sur lesquelles il s'ap-
puie, en noie.
Mars 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 20î
niens dans les fiis de Goraer, les Slaves dans ceux de Magog,
les Ariens dans ceux de Madai, les Grecs dans ceux de Javan,
et ainsi des autres, et la connaissance des langues indo-germa-
niques suffit pour monter que la philologie actuelle est loin
de repousser une communauté d'origine entre ces peuples di-
vers. Nous remarquons de plus dans le groupe japbétien l'ab-
sence de ces infiltrations étrangères qui troublent parfois
l'harmonie des groupes précédents. Cela tient h deux causes
principales : les émigrations primitives se dirigeaient vers le
sud, puis, lorsque plus tard nous en voyons qui prennent la
route du nord, les langues japhétiennes avaient atteint une
maturité qui les rendait impénétrables.
Il est donc démontré que le témoignage de l'ethnographe
hébreu n'est point contraire à celui de la philologie. Nous
constatons encore ici que les données de Moïse sont plus com-
plètes que celles de nos philologues. Il procède avec une sûreté
et une précision capables d'étonner les patients investigateurs
qui cherchent à remonter le cours des traditions primitives.
Souhaitons leur de s!inspirer de ses communications, et ne
craignons pas de leur promettre des progrès plus rapides, des
résultats plus satisfaisants. La science humaine, qu'elle s'ap-
pelle philologique ou autrement, n'est jamais que la science
de l'homme: la Révélation est la science de Dieu, à laquelle la
nôtre est appelée à participer, pour arriver au développement
qui ne craint pas de s'affaiblir, à la maturité qui n'aspire qu'à
son perfectionnement le plus complet.
XXII
Il nous reste à parler des langue?! et des religions, ou du
rapport qui a existé entre les croyances religieuses des peuples
et les langues qu'ils ont parlées. Nous suivrons dans cette
question la brillante exposition qui en a été faite par le R.
P. Gralry dans son ouvrage : De la Connaissance de l'âme, et
902 PHILOLOGIE ET HÉVÉLATION. [Tome VII
comme lui nous rapprocherons un fait philologique^, la classi-
fication des langues eu langues à flexion, langues agglutinées
et langues isolantes , et un fait historisque , l'existence de
trois systèmes principaux de religion qui ont divisé l'huma-
nité, le monothéisme, le panthéisme et l'athéisme. Sans con-
tredire ce que nous avons dit ailleurs de la possibilité du pas-
sage successif de ces langues par ces divers états, nous les
considérerons pour le moment telles qu'elles nous sont histori-
quement connues, et nous établirons : 4° que le monothéisme
répond à la forme des langues sémitiques: le culte d'un Dieu
un et distinct de la créature est la gloire des peuples araméens
et térachiles; 2° que le panthéisme répond à la forme des
langues indo-européennes : pour l'Inde tout est incarnation et
toute incarnation est divine ; 3" que l'athéisme répond à la
forme des langues chinoises : la Chine est la patrie par excel-
lence de l'abstraction.
1. 11 ne faut pas une longue étude des langues sémitiques
pour sentir courir sous leur forme cet esprit monothéiste dont
elles ont été l'organe. Ce qui frappe, en effet, d'abord quand
on considère cette famille de langues, c'est son homogénéité.
On n'y voit pas entre les dialectes qui la composent les diffé-
rences profondes qui existent entre les dialectes indo-euro-
péens. Ici il n'y a que des nuances tenant plutôt à la diversité
des lieux où vécurent ces peuples frère^, qu'à une constitu-
tion intellectuelle différente. Elles se fondent dans une indi-
vidualité unique, image de l'unité divine que proclame la
conscience des Sémites.
Si de l'extérieur de cette forme de langage nous pénétrons
à l'intérieur, l'organisme des mots et des phrases nous appa-
raît comme moulé sur les opérations d'une intelligence essen-
tiellement monothéiste. La manifestation la plus vraie comme
la plus éclatante du génie qui a présidé à la formation des
mots, se produit dans le verbe. C'est dans la physionomie du
verbe que vient se peindre l'âme qui vit sous les formes lin-
Mars 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 203
guistiques. « Par le verbe, dit G. Humboldt, la pensée aban-
donne sa demeure intérieure et passe dans la réalité. » Or le
verbe sémitique, merveilleusement propre par le flexibilité de
sa conjugaison à exprimer les relations des idées analogues
aux relations sensibles des choses, se renferme, quand il sort
du monde extérieur pour s'élever aux régions de l'être pur,
dans Texpression à peu près inflexible de l'actualité et de
l'universalité. Car, pour le sémite, derrière l'être limité dans
son étendue et dans sa durée, il y a l'être immense et éternel.
Voilà pourquoi la forme verbale de sa pensée, répondant avec
justesse à la nature des choses, d'une part exprime, par la
fluidité de la conjugaison, l'existence multiple et la succession
des êtres finis, et, de l'autre, par l'absence de temps et de
modes bien accentués, l'existence une et toujours identique
à elle-même de l'être infini.
Celte distinction de Dieu et de la création se laisse apercevoir
encore à travers les formes substantives de ces langues, et de
même qu'aux yeux du térachite, l'univers était un miroir
où il contemplait Celui qui a déployé la splendeur de son
ciel, la majesté de son désert, l'immensité de sa mer, donné
aux collines qui bornent ses vallées leurs suaves contours, aux
vents leur soufile léger, aux tempêtes leur grande voix ; de
même les termes dont il se sert pour nommer tout ce qu'il voit
ou entend, emportent, avec l'image de la nature, un rayon de
lumière qui les rend transparents, et à la faveur duquel nous
pouvons voir la révélation de leur Auteur produite dans son
âme par les objets extérieurs. De là ce qu'il faut appeler, non
point; avec M. Renan, le caractère physique et sensuel des
langues sémitiques, mais, avec Humboldt, le délicat symbo-
lisme qui les caractérise. Et telle est l'habitude de séparer Dieu
des êtres accidentels, tout en faisant de ceux-ci une représen-
tation de Dieu, que la forme sémitique nous montre à la fois
un esprit d'analyse et un esprit de synthèse: le premier, dans
l'absence de conjonction propre à relier les phrases entr'elles
204 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome Vil.
et de faire du discours uuc chaîne continue de pensées ; le
second^ dans l'unité parfaite qu'offre la proposition. Aussi la
phrase comme le mot nous révèle ce monothéisme sévère qui
a marqué d'une empreinte indestructible et les opérations in-
tellectuelles des Sémites et la langue qui en est le moule.
La construction de la phrase est simple. Elle ne connaît pas
celte ampleur de période et cette richesse de développement
qui suit une pensée dans son étendue la plus extrême et dans
ses ramifications les plus minutieuses. A quoi cela tient-il? A
cette clarté merveilleuse, dont parle M. Renan, avec laquelle
la race sémitique aperçut^ tout d'abord la distinction du
moi, du monde et de Dieu, et qui exclut cette phraséologie
indéfiuie nécessaire à l'Inde pour exprimer l'intuition pan-
théistique qu'elle avait des choses. Mais si le sémite ne fait
pas un tout de son discours, parce qu'il le modèle sur le
monde réel où tout être a sa limite déterminée, il fait tout
converger (dans la significatiou multiple de ses mots) vers une
idée principale, comme dans sou esprit tous les êtres conver-
gent vers un être unique. C'est d'après Herder que nous si-
gnalons cette analogie entre les procédés de composition des
mots sémitiques et la manière dont les Sémites conçoivent les
rapports de Dieu et de la création. « Chez nous, dit Herder,
des monosyllabes iuacceutués précèdent oii suivent, emboîtent
l'idée principale; chez les Hébreux, ils s'y joignent comme
inchoatif ou comme son final, et l'idée principale reste dans
le centre, formant, avec ses dépendances, un seul tout qui se
produit dans une parfaite harmonie. C'est ainsi que la forme
des langues des Sémites répond à la forme monothéiste de
leur génie.»
Us ignorent ces procédés d'imagination qui créent, par delà
la réalité, des mondes et des êtres chimériques : la fiction
leur est inconnue et la mythologie impossible. Ils ne connais-
sent pas cet esprit de fausse synthèse, qui réunit les unités
dispersées dans l'univers en une vaste unité dont l'extension
Mars 1863.] PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION ?03
indéfinie absorbe toutes choses. Personne plus que le sémite
ne s'éloigne de ce panthéisme universel. Ils ne connaissent
pas non plus cette métaphysique excessive qui dépouille ce
qui est de sa réalité : l'abstraction sans réserve leur est étran-
gère. Mais celte pénétration du regard qui sait apercevoir
la réalité à travers les ombres, l'idée à travers le symbole ;
ce sens infaillible des choses qui sait assigner à tout être sa
limite, cet esprit d'analyse qui sait arriver à l'unité à travers
la multiplicité : voilà les traits glorieux que le monothéisme a
imprimés à la physionomie des Sémites et dont nous avons
trouvé une éclatante révélation dans la forme de langage pro-
pre à cette race bénie.
II. On connaît la nature panthéistiqiie de l'esprit indien.
Pour lui, non-seulement tout vit et tout existe, mais tout
est personne et toute personne est une manifestation de Dieu»
La force divine, la force humaine, la force de la nature, se
pénètrent, s'identifient et se déploient à l'infini. Que le pan-
théisme ait laissé sa trace dans la forme des langues indo-
européennes, cela n'est pas douteux. Pour prendre nos exem-
ples dans la plus illustre de ces langues, voyez le sanscrit.
Quelle est la nature de ses mots, quel est l'ordre de sa phrase?
Le sanscrit communique à tout mot la vie, le mouvement ; il
en fait une personne et lui prête un genre, des actions, des
passions. Aussi quelle richesse et quelle délicatesse de flexions !
quelle abondance de formes grammaticales ! Les nuances les
plus insaisissables, les impressions les plus fugitives, le contour
le moins accusé des choses s'impriment dans le mot sanscrit;
grâce à sa merveilleuse flexibiUté, grâce aussi à l'articula-
lion variée qu'il sait donner à ses consonnes, et à la sonorité
plus ou moins intense dont ses voyelles sont suscepsibles, il
n'est rien qu'il ne puisse exprimer.
Cette puissance d'expression n'a d'égale que sa puissance de
composition. On admire comment dans un mot le sanscrit
renferme toute une phrase. Ses voyelles ne sont pas seulement
206 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. ITome Vil.
juxtaposées, mais fondues l'une dans l'autre, si bien qu'elles
forment un tout presque impénétrable à l'analyse, et dont les
parties sont muluellement complémentaires. Ainsi la nature
du mot sanscrit répond à ce caractère de l'esprit indien de
persounifier toutes choses et de communiquer à cette person-
nification une éternelle inJestructibilité.
L'arrangement que prennent les mots sanscrits est analogue
à la vue que l'indien a des rapports. Comme sa pensée iden-
tifiant Dieu, l'homme, l'univers, prend sur cette immense
unité qui va de la terre au ciel un déploiement sans limites,
sa phrase se développe à l'infini, et sa période marche avec
ampleur, suivant par une multitude de propositions subordon-
nées toutes les ramifications de l'idée, embrassant un discours
tout entier dans la majesté de son contour. Une variété éton-
nante de conjonctions et de pronoms relatifs, lui permet de
s'étendre ainsi, sans s'épuiser jamais. Tel est le reflet du
panthéisme que nous renvoie la forme de cette langue.
III. La forme du chinois nous révèle-t-elle à son tour cet
antique athéisme dans lequel les peuples de l'extrême Orient
dorment comme en un éternel sommeil? Assurément; et
voici en abrégé les principaux traits de cette forme de langage.
Ailleurs, nous avons trouvé des formes grammaticales. Ici
elles sont totalement absentes. Que s'ensuit-il ? Le chinois ne
répond pas aux catégories réelles des choses, puisque c'est
par les formes grammaticales que les catégories trouvent leur
expression dans la parole. Le chinois n'a pas de classes de
mots Uéterminées, de sorte que les mots sont sans vie, sans
mouvement, sans couleur et sans force. Le verbe, le substan-
tif, l'adjectif n'ont pas d'existence propre, et quand, en les
parlant, on leur donne une existence, cette existence est pure-
ment subjective : elle ne répond à rien dans la réalité des
choses. Le manque d'objectivité est surtout frappant dans le
verbe : on peut même dire que le verbe n'existe pas dans cette
>:atsl803.) PHILOLOGIE ET RÉVÉLATIOM. 207
langue. Il est vrai qu'elle donne à certains mots une forme
verbale, mais elle circonscrit son action dans d'étroites limites,
et ne lui permet pas de communiquer cette plénitude de vie
qui, dans les autres systèmes de langage, se transmet par le
verbe à la proposition. Aussi, bien souvent le verbe devient-il
inutile ; car il suffit au chinois d'éixoncer la convenance ou la
disconvenance métaphysique du sujet et de l'attribut, et il
sait se passer pour cela du verbe qui constitue cependant
l'unité de la proposition. Voilà pourquoi la proposition du
chinois, privée d'unité, ne connaît aucun de ces enroulements
synthétiques qui forment le discours. Il ne peut suivre sa
pensée dans ses nuances et dans son étendue. Obligé de la re-
vêtir d'une expression uniforme et invariable, la vie manque
au début de son discours; il s'arrête essoufflé.
Et maintenant, est-ce que cette forme de langage n'est pas
en harmonie avec cette forme de l'esprit athée du chinois,
qui fait du vide la première cause, du néant la fin suprême;
qui nie les plus hautes réalités. Dieu et Fârae ; qui ne voit
partout que des fantômes sans corps, menés par le hasard ;
de cet esprit enfin qui renferme sa vie dans une abstraction
universelle ?
XXIII.
Nous venons de voir le langage subissant les influences des
peuples et de leurs religions. Nous n'avons considéré que ses
formes principales, et nous avons constaté qu'elles répon-
daient aux Sémites, aux Chamites, aux Japhétiens, puis au
monothéisme, au panthéisme et à l'athéisme. Il entrait dans
le plan divin de laisser l'activité humaine se développer dans
les divers groupes formés par les nationalités, et épuiser ses
propres ressources dans les rêveries polythéistes auxquelles
la conduisait son éloignement de Dieu, tandis que les promesses
divines et le monothéisme se conservaient dans un peuple
208 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. [Tome YIU
choisi. Mais au moment où la force de concentration qui rete-
nait les enfants d'Israël dans le cercle restreint de la terre de
Clianaan, devait faire place à une force d'expansion dont le
résultat serait l'unité de peuple reconstituée, il convenait à la
puissance divine de simuler pour quelques instants cette unité
future, et de Topposer point par point à la dispersion rapide
qui avait eu lieu à Babel. Aussi, des représentants de tous les
peuples qui occupaient la terre se rencontrèrent-ils un jour
à Jérusalem; eux qui ne s'entendaient pas entre eux, furent
tout surpris d'entendre quelques hommes, qui tantôt parlaient
à chacun sa langue, tantôt n'en parlaient qu'une seule et
étaient entendus de tous leurs auditeurs, venus des divers
points du globe (1). Il n'y eut plus à un moment donné à
Jérusalem qu'un peuple et qu'une langue. Ajoutons qu'on
peut entendre ce miracle de la même manière que celui de
Babel. Là, les peuples cessèrent de s'entendre parce que
Dieu confondit la forme de leur langue, la matière restant la
même. A Jérusalem, les apôtres ne parlent qu'une seule
langue, mais ils la parlent sans lui donner la forme subjective
qui est le principe de la diversité : leurs auditeurs ajoutent à
la langue purement matérielle qu'ils entendent, la forme sub-
jective propre à chacune de leurs langues. Le tout se fait par
la puissance divine agissant à la fois sur ceux qui parlent et
sur ceux qui écoutent. L'unité est un moment reconstituée.
Ce symbole se conservera dans la langue de l'Église qui sera
parlée et entendue jusqu'aux extrémités du monde, et mieux
encore dans la doctrine de l'Église, inspiratrice de son lan-
gage, dont la propagation de jour en jour plus complète ar-
rivera à constituer sur la terre un seul troupeau et un seul
pasteur (2).
(Ij Ad. n, 3 ^^.
(2) Hoc aulem fecil semel per seipsum descemions de rœlo Dorai-
nus : hoc quolidie per predicalores suos in ecelesia facil : preecipitat et
dividii per doeiores ca liolicos linguas haereiicorum el eos ab iuvicem
dissociaas,ne centra Eccledam suam portas inferi érigera possinl.pro,
Marsi863.[ PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION. 20^
CONCLUSION.
Le travail que l'on vient de lire avait pour but de montrer
que la philologie, née dans le sein de l'Eglise, a tout à gagner
à redevenir chrétienne, et tout à perdre à affecter les atti-
tudes de a science séparée » qu'on se plaît trop souvent à^lui
donner. C'est l'histoire' qui a conduit nos premiers pas dans
cette démonstration. Les faits incontestables qu'elle nous a
fournis, étaient de nature à montrer que Dieu, dont la pro-
vidence gouverne et conserve le monde, étend sa direction sur
les fluctuations du langage humain. C'était entrer dans la voie
d'une étude plus positive encore, si l'on peut ainsi parler, d^me
étude qui considérerait le langage dans ses formes et dans sa
substance, et qui préparerait à reconnaître l'action divine
se manifestant dans les unes et dans les autres. Une démon-
stration a priori de l'action divine à Babel et à Jérusalem eût
été pour nous sans résultat. ïl fallait prendre la philologie
telle que l'ont faite ses progrès incontestables, et lui faire dire
ce que ses plus grands adeptes ont parfois formulé, ce que
d'autres s'obstinent à contester. Nous avons exposé dans un
premier article le plan de ce travail : nous n'y reviendrons
pas. Mais ce qu'on nous permettra de constater en finissant,
c'est que nous avons mis la philologie et la révélation en
présence : dans toutes les questions que nous avons examinées,
nos lecteurs ont pu juger à qui restait l'avantage de cette
hibet. Niilla est enitn heeresis, quse non ab aliis haerelicis impugne-
lur; nulla pliilosophiae seeciilaris secla, quin ab aliis œque slullaj
pliilosophise sectis mendacii redargiialur ; sicque fil ul, dum inler se
allerulrum confusas habeol linguas reprobi, ila ul nemo vocem pro-
ximi sui idem sapiendo cogooscal, et sibi noraen Babyloniee, id est
confusioniscongruereprobenl.elvisionern pacis, In quaEcclesiagloria-
lur, minus laeJanl. Constat enim, quia, quanlo iiequain doclores sive
operarii mali ab invicem diffilenle anirao secernun'ur, lanio magis
Ecclesiaj colligendse spalium Iribuanl. Beda Vener. Com. in Gen.^
p. iA9, éd. Giles.
210 PHILOLOGIE ET RÉVÉLATIOX. [Tomo VII
comparaison. D'une lumière pâle et indécise, nous les avons
conduits à un grand jour, qui du reste retrouvait son aurore
dans les premières lueurs de la science humaine : non certes
que ce fùl là son principe et sa source, mais parce que la ré-
vélation n'affirme rien qui ne puisse être confirmé par les in-
ductions quelquefois sûres, d'autrefois très-probables de la
philologie. Quand Moïse nous disait qu'au commencement il
n'y avait qu'un peuple et qu'une langue, la philologie nous
permettait de croire que les diverses langues du globe étaient
réductibles à l'unité. Lorsque la philologie nous accusait cer-
tains caractères du langage primitif, la révélation confirmait
ces caractères et leur en juxtaposait d'autres qui n'étaient que
leur complément ou leur application dans les faits. Moïse
nous parlait d'une époque où la diversité a brusquement
succédé à l'unité; il nous décrivait le mode de cette transfor-
mation, il la caractérisait du nom de « confusion. » Là philo-
logie, qui avait reconnu la possibilité de l'unité primitive,
constatait que le passage à la diversité doit avoir été
brusque et instantané, reconnaissant le mode selon lequel il
a dû s'opérer, et confessant même que le nom donné par
Moïse à ce fait est le plus convenable qu'il fût possible de
trouver. Enfin, tandis que la philologie classait les langues par
groupes déterminés et dont la dénomination est prise des
groupes ethniques ou des divers caractères que peut prendre le
langage, le document mosaïque nous montrait les mêmes
classifications, et la philosophie chrétienne les justifiait.
Le meilleur sort que l'on puisse souhaiter à ces pages c'est
d'atteindre le but pour lequel elles ont été écrites. Puissent-
elles montrer qu'il n'y a pas de science séparée, qu'il n'y a
pas de science indépendante dans le sens que l'on est trop
souvent porté à donner à ce mot, dans notre siècle de confu-
sion et d'incrédulité, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de science
opposée à la révélation. Toutes peuvent, au contraire, gagner
à profiter de ses lumières : Deus scientiarum Dominus est. Sint
omnes docibiles Deit L'abbé d'Autun.
LE CELEBRE CONFLIT
ENTRE
SAIJNT ETIENNE ET SAIJNT CYPRIEN,
Quand l'accord des érudits a proclamé certain un point
d'histoire, malgré quelques protestations isolées et restées
sans écho, il faut du courage et une hien forte conviction
pour venir plaider de nouveau en faveur de la thèse rejetée,
et en essayer la réhabilitation. C'est le cas de la fameuse con-
troverse entre saint Gyprien et le pape saint Etienne, au su-
jet du baptême conféré par les hérétiques. Les nombreux do-
cuments qui l'attestent ont été jusqu'ici regardés comme au-
thentiques par l'ensemble des érudits, sans en excepter les
catholiques les plus attachés aux doctrines du Saint-Siège. En
présence de celte imposante autorité, et de cette situation (si
l'on peut s'exprimer ainsi) de cause jugée, proclamer haute-
ment la thèse contraire, dire que ces documents sont apo-
cryphes et que la prétendue controverse n'est qu'une fable,
c'est hardi, nous en convenons; et nous trouvons juste que le
lecteur se tienne eu défiance. Mais serait-il raisonnable de re-
jeter sans lire? Certains procès n'ont-ils pas été mal jugés
par des magistrats aussi habiles qu'intègres ? N'a-t-on pas dû
aussi quelquefois reconnaître forcément, à la suite de re-
cherches nouvelles et d'une étude plus approfondie, que cer-
taines questions historiques avaient été de la part des érudits
l'objet d'une méprise ? Qu'on ne se le dissimulé pas : l'accord
des érudits se forme quelquefois, non par l'examen sérieux
212 SAINT ÉTIENNB [Tome VII.
et la vérificaiioii personuellement faite par cliacim d'eux,
mais par l'influence, la réputation et la grande autorité d'un
petit nombre, qui entraînent les autres dans leur sentiment.
Au polémiste qui vient, pièces en main, s'inscrire en faux
contre le sentiment des érudits antérieurs, on ne peut pas
dire Oyorzor/; il est impossible que vous ayez raison. 11 faut
d'abord l'écouter.
Nous avons en vue, dans ces réflexions, le remarquable ou-
vrage que vient de publier Mgr Tizzani, arcbe%'èque de Nisibe,
et professeur à la Sapience. Il est intitulé : La Célèbre Contesa
fra S. Stefano e S. Cipriano (1). Le savant prélat y soutient
que la prétendue controverse n'a jamais eu lieu, et que les do-
cuments à l'appui sont une frauduleuse invention des dona-
tistes. L'épigraphe est habilement choisie. C'est le mot de saint
Augustin révoquant en doute le fait même du sentiment attri-
bué à saint Cyprien : Quamquam non desint gui hoc Cyprianum
prorsus non sensisse contendant, sed sub ejus nominea prxsuynpto-
ribus atque mendacibus fuisse confîctum (epistolaad Vmcentium
Rogatianura), Saint Augustin, qui vivait sur les lieux, à 150 ans
de distance du fait controversé, loin de regarder comme cer-
taine l'histoire du conflit, atteste que plusieurs la traitaient
de falsification et de mensonge. Le lecteur entrevoit déjà par
ce témoignage que, malgré l'autorité du jugement des érudits,
il peut y avoir lieu à la révision de la cause.
Elle est trop importante pour qu'il soit permis de négliger
aucun des éléments qui peuvent l'éclaircir. Le fait de ce fa-
meux conflit est allégué triomphalement par tous les écri-
vains qui dénient au Pontife romain la primauté de juridic-
tion, et la prérogative de l'infaillibilité dans les décisions dog-
matiques. Il s'agit, disent-ils, d'une question de foi. Le Pape
saint Étiemie décida la validité du baptême conféré par les
hérétiques. Saint Cyprien, et avec lui les évèques d'Afrique
{^ ) In-S» de 365 pages (Roma, Salviucci, -1862).
Mars 18r.3.1 SAINT ETIENNE lîT PAINT CYPRIEN. 213
et de rOrieut, crurent pouvoir rejeter ce sentiment et soute-
nir le contraire. On n'admetlait donc pas à cette époque la
prérogative de l'infaillibililé dans le Pontife romain. En outre,
ajoutent-ils, le Pape donna des ordres : il défendit de rebap-
tiser les hérétiques convertis, et menaça d'excommunication
les contrevenants. Et toutefois ces évêques d'Afrique et d'Asie,
qui étaient des saints, ne se crurent pas obligés d'obéir. On
n'admeltait donc pas à cette époque la primauté de juridiction
de rÉvêque de Rome. Sans doute, les théologiens orthodoxes
réfutent victorieusement ces objections, dans l'hypothèse
même de la réalité historique de la controverse. Mais la solu-
tion serait pius radicale encore si le fait était démontré faux.
Pourquoi les savants catholiques n'entreprendraient-ils pas
une révision consciencieuse et impartiale des actes sur les-
quels tout repose?
Mgr Tizzani vient de prendre l'initiative : il appuie sa thèse
d'un volume de discussions et de preuves. Nous souhaitons
vivement quant à nous que son travail soit sérieusement étu-
dié, et nous croyons devoir en reproduire ici la substance
sous une forme libre, et sans nous astreindre à l'ordre suivi
par l'auteur. Il suffira d'avoir averti le lecteur, une fois pour
toutes, que nos matériaux et nos arguments sont pris à peu près
tout entiers de l'ouvrage que nous annonçons. Remarquons,
avant d'entrer en matière, que saint Cyprien n'a pas été seu-
lement loué par les catholiques de tous les siècles, mais qu'il
est le saint de prédilection des protestants et de tous les ad-
versaires du Saint-Siège, précisément à cause de sa prétendue
désobéissance à un Pontife romain. Les Bollandistes en ont
fait l'observation avant nous: « Non tantum, disent- ils, sancti
Patres ac catholici scripiores sanctum episcopum et martyrera
(Gyprianum) summis dignisque laudibus prosecuti fuere; sed
et hœretici aliique qnibus suprema in Ecclesia poteslas Ro-
mano Pontifîci divinitus concessa gravis est, eumdem certa-
tim celebrarunt, sed diverse sane animo ac fine, Hi enim po-
214 SAINT ETIENNE [Tome VII.
steriores non alia de causa tôt in illum laudes congerunt,
quam ut ex famosa sancti de hœreticorum baptismate cum
S. Stephano contentione arma sibi contra Ecclesiam compa-
rent; quam contentionem nemo sanctorum Patrum approbat,
et in qua excusanda sanctus Augustinus contra Donatistas
multum laboravit. » {Acta sanctorum, tom. iv septembris,
p. 193 et 194.)
§1-
■ Quelle serait l'histoire du célèbre conflit, s'il fallait admettre comme
autheatiques les documents qui l'attestent?
Les érudits sont loin de s'accorder entre eux sur plusieurs
points de cette bistoire, quoiqu'ils s'appuient sur les mêmes
documents. Les divergences viennent de la difficulté de conci-
lier ensemble et de disposer cbronologiquement les faits que
les documents signalent. Notre objeb, dans ce paragraphe,
n'est pas d'entrer dans ces discussions de détail, mais d'offrir
au lecteur un résumé des faits, qui représente le sentiment le
plus généralement reçu. Le voici. i° Dès le second siècle, le
baptême conféré par les hérétiques fut regardé comme inva-
lide dans un assez grand nombre d'églises ou de diocèses de
divers pays. L'usage de rebaptiser ceux qui abandonnaient
l'hérésie, conséquence de cette persuasion, y fut établi. Ou le
conclut, pour les églises d'Afrique, de ces passages de saint
Cyprien: Sententiam nostram non novam promimus, sedetjam
pridem ah antecessoribus nostins statutara et a nobis observatam,
(Epistola Lxx, édit. Baluze, ad Episcopos Numidise.) Apud
nos autem non nova aut repentina res est, ut baptizandos
censeamus eos qui ab hxreticis ad Ecclesiam veniunt, quando
multi jam anni sint et longa setas, ex quo sub Agrippino, bonx
memorix viro, convenientes in unum Fpiscopi plurimi hoc statue-
runtf atque exinde in hodiernum tôt millia hœi'eticorum in pro-
Mars 1863.] ET SAINT CYPRIEN. 2l5
vinciis nostris ad Eeclesiam conversi, non aspernati sint nec cun-
ctati, imo et rationabiliter et libenter amplexi sunt, ut lavacri
vitalis et salutaris baptismi gratiam consequeréntur. (Epistola
Lxxin, édit. Baliize, ab Jubaianum.) Quant aux Eglises d'Orient,
Firmilien, évêque de Césarée, en Cappadoce, atteste que la
même coutume y était suivie ab l'mmemorabilt. (Epistola Firmi-
liani interCyprianicas lxxv, éd. Balnze.) On cite encore à l'ap-
pui les conciles d'Icône et de Synnade, mentionnés dans la même
lettre, qui décidèrent qu'on devait baptiser de nouveau les
Cataphrygiens qui rentreraient dans Tî^glise catholique. De ces
documents on conclut que la coutume de rebaptiser les héré-
tiques avait été suivie depuis le second siècle jusqu'au temps
de saint Gyprien, tant en Orient que dans les églises d'Afrique^
sans qu'il en fût résulté aucune dissension fâcheuse.
2° L'an 255, les évêques de la' Numidie consultèrent saint
Gyprien sur cette réitération du baptême. De concert avec un
concile de trente-deux évêques, alors réuni à Garlhage, il leur
répondit qu'il fallait conserver la pratique de rebaptiser les
hérétiques convertis. \V. ep. lxx, édit. Baluze.)
3° Il lui vint une consultation semblable d'un évêque de
la Mauritanie, nommé Quintus, et il y répondit dans le même
sens. Dans cette lettre, quelques passages semblent attaquer
indirectement l'autorité du pape saint Etienne. (Ep.- Ad Quin-
tum, Lxxi, édit. Baluze.)
4° Gette lettre à Quintus ayant été publiée, ainsi que la dé-
cision synodale mentionnée ci-dessus, des oppositions se mani-
festèrent, en sorte que saint Gyprien crut devoir convoquer
un concile plus nombreux. Il fut célébré dans la seconde moi-
tié de l'année 236. Soixante et onze évêques s'y trouvèrent. On
y confirma la coutume de rebaptiser les hérétiques qui de-
mandaient à rentrer dans le sein de l'Église. Ce fut le second
des trois conciles célébrés à Garthage pour cette cause.
5° Saint Gyprien écrivit au pape saint Etienne une lettre
synodale pour lui rendre compte de ce qui avait été décidé par
216 SAINT ETIENNE [Tome VII.
le concile. Saint Augustin, toutefois, ne connut pas cette lettre,
comme il résulte du livre vi, chapitre xv de son traité de Bap-
tismo. (Édition des Bénédictins, tome ix, p. 171.)
60 En attendant la réponse du Pape, saint Cyprieu composa
son traité De Bono patientise.
1* Celte réponse n'était pas encore venue, lorsqu'un évè-
que, nommé Jubaianus, dont on ignore la pairie, écrivit à
saint Cyprien pour le consulter sur la question du baptême
des hérétiques. Il lui transmettait en même temps un écrit
qui combattait la coutume de rebaptiser, écrit attribué par
quelques-uns au pape saint Etienne. Saint Cyprien répondit
à Jubaianus en réfutant l'écrit en question.
8° La réponse du Pape arriva. Il défendait de rebaptiser les
hérétiques. Le seul fragment connu de cette lettre se trouve
dans Eusèbe (livre vu, chap. 3), et dans la lettre de saint Cy-
prien à Pompeius. Saint Augustin en fait aussi mention.
O^Pompeius, évêqiie de Sabrate, pria saint Cyprien de le
mettre au courant de toute la controverse. Saint Cyprieu lui
répondit longuement, et c'est dans cette lettre qu'il se laisse
entraîner cautre le pape saint Etienne à des expressious fort
vives.
10" Saint Cyprien convoqua un nouveau concile à Carthage,
le troisième sur la question du baptême. Il fut ouvert le 1*^ sep-
tembre 256. On y compta quatre-vingt-sept évêques. Saint
Cyprien y parla ainsi : « Audistis, collegae dilectissimi, quid
« mihi Jubaianus coepiscopus noster scripsit, consulens me-
« diocritatem nostram de illicito et prophano haereticorum
« baptismo, et quid ei rescripseriin, ceusens scilicet, quod se-
« uiel atque iterum et ssepe censuimus,h8ereticos adEccIesiam
« venientes,Ecclesi8e baptismo baptizariet sanctificarioportere.
« Item lectse sunt vobis et aliae Jubaiani litterse, quibus pro
« sua sincera et religiosa devotione ad epistolam nostram res-
« cribens, non tantum consensit, sed etiam iustructum se esse
« confessus gratias agit. Superest utdehacipsaresinguliquid
Mars 1803] ET SAINT CYPRJEN. 517
<i sentiamus proferamus, neminem judicantes, aut ajure corn-
et munionis aliquem, si diversum senserit, amoventes. Neque
« cnim quisquam nostrum Episcopum se esse Episcoporum
« constituit, aut tyrannico terrore ad obsequendi necessitatem
« coUegas suos adigit^ quando babeat omnis Episcopus pro li-
« centia libertatis et potestatis suae arbitrium proprium, tan-
« quam judicari ab alio non possit quam nec ipse potest
« alterum judicare. Sed expectemus univers! judiciumDomini
« Nostri Jesu Cbristi^ qui unus et solus babet potestatem et
« prœponendi nos in Ecclesise suae gubernatione et de actu
« nostro judicandi. » (Labbe, tome i, col. 786, édition de Pa-
risj671.)
La décision unanime de ce concile fut que le baptême con-
féré parles bérétiques devait être regardé comme invalide, et
qu'il fallait par conséquent rebaptiser ceux qui revenaient de
l'bérésie.
11° Deux évêques furent envoyés à Rome pour porter au
pape saint Etienne les actes de ce concile, ou du moins la lettre
synodale qui en exprimait le résultat. Le Pape ne voulut
pas leur donner audience et défendit même aux fidèles de leur
donner l'hospitalité.
12» Informé de cette conduite du Pape, saint Gyprien écrivit
à FirmiUen, évêque de Césarée, en Gapadoce, et fit partir le
diacre Rogatien pour lui porter cette lettre Rogatien quitta
Césarée à l'entrée de l'hiver et se remit en route pour Car-
thage, rapportant à saint Gyprien la fameuse lettre où Firmi-
lien, révéré comme saint chez les Grecs, accable de ses in-
vectives le pape saint Etienne, et dit qu'eu prétendant
excommunier les autres, il s'est séparé lui-même de TÉglise.
Un certain nombre d'érudits rapportent à cette époque la
lettre de saint Gyprien à Magnus.
Que se passa-t-il ensuite, et quelle fut l'issue de cette déplo.
rable collision? Aucun document ne l'indique. L'histoire du
conflit se trouve tout-à-coup interrompue, et se tait au mo-
2-18 SAINT ETIENNE iTomeVII.
ment où il est le plus ardent. Aucun indice ne fait entrevoir
par quels moyens il fut apaisé.
Tel est, à peu près, le résumé des faits, dans Fhypothèse,
communément admise jusqu'ici, de l'authenticité des docu-
ments cités.
IL
Sentiment des érudits relativement aux documents en question.
Nous l'avons dit précédemment, la thèse de Mgr Tizzani
vient heurter la persuasion générale des érudits. Néanmoins,
elle a été déjà soutenue par quelques écrivains de mérite.
Raimoud Missori, religieux franciscain de Venise, en entre-
prit la défense en 1733 dans un ouvrage in-4", intitulé : In
duas celeberrimas epistolas sanctorum Firmiliani et Cypriani
adversus decretum sancti Stephani papse, de non iterando hxreti-
corum baptismo, disputationes onticss, quitus unam et alteram
a Donatistis fuisse confictam nunc primo demonstrat frater Ray-
mondus Missorius Franciscanus conventualis (Venise, 4733).
Les mots nunc primo semblent indiquer que ce religieux a été
le premier à soutenir ce sentiment. Dans la Bibliothèque sacrée
des dominicains Richard et Giraud (article Missori), nous li-
sons au sujet de -son livre : u II prétend que les lettres de saint
Cyprien et de saint Firmilien, le concile d'Afrique où présida
saint Cyprien, et où l'on décida la nécessité de réitérer le bap-
tême donné par les hérétiques, et tout ce qui regarde cette
célèbre question, sont autant d'ouvrages supposés par quel-
ques donatistes imposteurs. Le Père Sbaraglia, religieux du
même ordre à Ferrare, a combattu cette opinion dans trois
dissertations, où il rétablit la foi des actes, défend le senti-
ment ordinaire, et répond aux arguments de son confrère. »
Mars 1863 1 ET SAINT CYPRIEN. 219
En 1790, la thèse de Missori fat de nouveau soutenue par
Marcellin Molkenbuhr, religieux franciscain d'AlIemague. Ses
deux dissertations ont été reproduites dans la Patrologie Migne,
tome III, col. 1357 et ss. Nous y trouvons cette note : « Scopus
clarissimi auctoris (Molkenbuhr) est in prima dissertatione,
post inanes Christiani Lupi et Raymond! Missorii conatus,
denuo verisimile reddere, sancti Firmiliani epistolara ad Cy-
prianum haud genuinam esse, sed a Donatista Afro eidem
suppositam. » On le voit, Mgr Tizzani a eu des devanciers.
Mais ils ont été peu nombreux; et, il faut bien l'avouer, leurs
tentatives pour changer l'opinion reçue sont restées impuis-
santes. Telle est la situation en face de laquelle Mgç Tizzani a
pris la plume, sans se décourager. Il n'hésite pas; il ne dé-
fend pas seulement la contre-thèse comme plus probable ; sa
conviction est entière. La question est de savoir si les argu-
ments qui la motivent, et qu'il développe dans son livre, sont
réellement victorieux.
§111.
Le fait que les documents en question se trouvent dans des manuscrits très-
anciens, et que leur style ressemble à celui de saint Cyprien, ne suffit pas
pour prouver leur authenticité.
Que l'ensemble de ces pièces se soit rencontré dans les ma-
nuscrits fort anciens à l'aide desquels Erasme, Latini, Pame-
lius, Morel, Rigault, Fell, Pearson et Baluze ont donné leurs
éditions des œuvres de saint Cyprien, nous ne le contestons
pas. Que ce soit là un préjugé favorable pour l'authenticité
de ces mêmes documents, nous ne le contestons pas non plus.
Mais nous disons que ce n'est point une preuve, comme on
semble facilement le supposer. En effet, il n'est nullement
impossible qu'un transcripteur fort ancien des œuvres d'un
auteur, y ait inséré, frauduleusement ou par ignorance, des
â20 SAINT ETIENNE [Tome VU.
pièces apocryphes. Il y a plus : les ériidits démontrent qu'il
en est ainsi arrivé, de fait, pour plusieurs anciens manus-
crits. Nous pouvons même citer en exemple ceux qu'on
nous objecte, c'est-à-dire, les antiques manuscrits à l'aide des-
quels les savants cités plus haut ont édité les œuvres de saint
Cyprien. On y trouve cinq opuscules, dont ces mêmes savants
déclarent raulhenticité au moins douteuse, savoir : de Di"
sciplina et bono pudicitix, de Laude martyrii, de Spectaculis, ad
Novatianum hxreticum, ei Exhortatioad pœnitentiam. Bien plus,
il s'en est trouvé cinq autres que les érudits d'un commun ac-
cord ont rangé parmi les apocryphes ; ce sont les opuscules
intitulés : de Aleatoribus, deMontibus Sina et Sion, de Cardinali-
bus operibus Christi.,de Singularitate clericorum, et de Duodecim
abusionibus sxculi. Ces exemples sont décisifs. L'antiquité des
manuscrits renfermant les pièces en question a d'autant moins
de signilîcation ici, que la falsification, selon nous, aurait
déjà eu lieu pa.r les Donatistes avant saint Augustin, c'est-à-
dire, avant l'an 400. Il n'est certes aucun des manuscrits al-
légués qui remonte à cette époque.
La ressemblance du style avec celui de saint Cyprien ne
suffit pas non plus pour prouver l'authenticité de ces pièces.
Des faussaii'cs un peu habiles, qui se sont rendus familiers
les écrits d'un auteur, n'ont pas de difficulté à imiter sou style,
à reproduire la terminologie, la coutexture des phrases et la
tournure d'expression qui lui sont propres. Les donatistes d'A-
frique, auteurs de la fraude, selon nous, avaient d'assez bons
rhéteurs pour donner à leurs pièces controuvées la physiono-
mie de style des écrits de saint Cyprien. L'imposture était
d'autant plus aisée, que les œuvres de saint Cyprien ne con-
sistent pas en des traités longs et suivis, mais dans une série
de lettres et d'opuscules. Les faussaires n'avaient pas à inter-
rompre quelque part le fil du discours pour y intercaler des
passages de leur façon, ce qui trahit plus aisément l'imposture
par la manière forcée de coudre le texte vrai au texte faux in-
Marâ 1863.) BT SAINT CYPRIEN. 22i
teicalé, et par la coufrontation avec d'autres exemplaires cir-
culant déjà dans le public ; il leur suffisait, dans les recueils
publiés par eux, d'intercaler une lettre fausse, un opuscule
fabriqué, entre les lettres et les opuscules authentiques. Ceux
qui n'avaient pas ces pièces pouvaient facilement être trompés,
en supposant que leurs exemplaires n'étaient pas complets.
Saint Augustin, comme nous le verrons plus loin, soupçonnait
la fraude pour les pièces dont nous nous occupons. JMais il se
contentait de révoquer en doute leur authenticité. H lui était
difficile d'aller plus loin. N'ayant pas en main les preuves ma-
térielles et complètes de la falsification, il acceptait ces pièces
comme douteuses, ruinant ainsi toute la force des conclusions
qu'on en tirait ; et de plus il montrait la fausseté de ces con-
clusions dans l'hypothèse même où rauthenticité serait dé-
montrée. Ni la ressemblance du style avec celui de saint Gy-
prien, ni le fait de la présence de ces pièces dans des exem-
plaires publiés alors, n'empêchèrent saint Augustin d'alléguer
le sentiment qui regardait les pièces en question, et toute This-
loire du prétendu conflit, comme l'œuvre des faussaires, suO
ejus nomine à prxsumptoribus atque mendaci bus fuisse conftctum.
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici a eu pour but do fixer
avec netteté l'état de la question. Elle roule tout entière sur
ce point : Les documents relatifs au célèbre conflit sont-ils
authentiques, ou sont-ils apocryphes? Dans le premier cas,
le conflit est incontestable. Dans le second cas, c'est nue fable.
Nous allons démontrer qu'ils sont apocryphes. Les éléments
de notre démonstration sont puisés à deux sources : la teneur
même de ces documents, et les écrits des auteurs contempo-
rains, ou peu éloignés de l'époque de saint Cy[>rien.
§ IV.
La teneur des documents relatifs aucélèbre conflit doit les faire regarder cjnime.
apocryphes.
Nous avons ici à examiner un à un ces documents, et à faire
222 SAINT ETIENNE [Tome VII.
ressortir, pour chaque pièce en particulier, les raisons qui
rendent inadmissible l'hypoilièse de l'authenticité. Le lecteur
doit se résigner à nous suivre dans cettte discussion de dé-
tails, attendu que la solution de la question en dépend.
I.
Lettre de saint Cyprien aux évêques de Numidie.
Elle porte ce titre : AdJanuarium et cœteros episcopos Numi-
das, de boptizandis hxreticis. C'est la 70* selon les éditions
des œuvres de saint Cyprien par Baluze, Pamélius et autres.
On la trouvera aussi dans la Collection de Labbe (tome I, col.
762, éd. cit.)
1 . Une première raison qui porte à la regarder comme apo-
cryphe, c'est qu'elle nous représente les évêques de Numidie
comme doutant et ne doutant pas tout à la fois, de la conduite
à tenir par rapport aux hérétiques rentrés dans le sein de
l'ÉgUse. Voici l'exorde de cette lettre : Cum simul in concilio
essemus, fratres dilectissimi, legimus litteras vestras quas ad nos
fecistis de iis qui apud hxreticos et sckismaticos baptizari viden-
tur, an ad Ecclesiam catholicam, qux una et vera est, venïentes
baptizari debeant. De qua re, quanquam et ipsi illic veritatem et
firmitatem catholicx regulx teneatis, tamen quoniam consulendos
nos pro communi dilectione existimatis, sententiam nostram, non
novam promimus, sed jampridem ab antecessoribus nostîis siatu-
tam et a nobis observatam vobiscum pari consensione conjiingimus ;
censentes scilicet et procerto tenentes, neminem foris baptizni^i extra
Ecclesiam posse. D'une part, les évêques de Numidie étaient,
parfaitement fixés sur la question; ils regardaient la pratique
de rebaptiser ceux qui revenaient de l'hérésie, comme la règle
catholique, fondée sur une incontestable vérité, vetitatem et fir-
mitatem catholicx regulx. Ils étaient en parfait accord avec le
sentiment de saint Cyprien, pari consensione. Ils ne pouvaient
Mars. 1863.1 ET SAINT CYPRIEN. 223
iguorer la décision donnée depuis longtemps par un concile
nombreux de l'Afrique, décision attestée en ces termes dans la
lettre de saint Cyprienà Jubaianus: Multi jam anni sunt et lon-
gaxtas, exquosub Agrippinobonx memorix viro, convenientes in
unum episcopi plurimi hoc staluerint. Car le même saint
Cyprien, dans sa lettre à Quintus, dit expressément que cette
décision avait été prise de concert avec les évêques de Numi-
die : « Quod quidem et Aggripinns bonae mémorise vir, cum
« cieteris coepiscopis suis, qui illo in tempore in provincia
« AMca et Numidia Ecclesiam Domini gubernabant staluit et
« librato consilii communis examine Grmavit.» Puisque, d'une
part, les évéques de Nuraidie étaient si bien fixés, on se de-
mande pourquoi, d'autre part, ils consultent saint Cyprien,
comme s'ils étaieut dans l'incertitude? On mettra peut-être en
avant l'hypothèse que quelqu'un, dans la province deNumidie,
s'était déclaré pour le sentiment contraire, et que les évêqnes
de ce pays, quoique ne doutant pas eux-mêmes, avaient voulu
avoir une décision de saint Gyprien et du concile alors
réuni, afin de réprimer par une autorité plus imposante la
nouveauté qu'on tentait d'introduire chez eux. Mais nous repro-
duirons la réponse que faisait saint Augustin, au sujet d'une
semblable consultation de Jubaianus : Cur enim Jubaianus de
novitate turbaretur, ut eum per auctoîitatem Aggrippini sanari
oporteret, si ab Aggrippino usque ad Cyprianum hoc tenebat Eccle-
sia (Contra Donatistas, lib. m, cap. 12, col. 414, éd. Mauriu.,
t. IX). Si l'on pèse attentivement ces circonstances, on verra
combien est invraisemblable cette consultation des évêques
Numides, et l'on sera bien plus porté à regarder la prétendue
lettre de saint Gyprien, qui la relate, comme un document
t'abriqué par les Douatistes. Pour avoir une occasion d'attribuer
cette lettre à saint Cyprieu, l'imposteur aura supposé une cor:-
sultation de la part de ces évêques. Mais comme, d'un autre
côlé, les Donatistes soutenaient comme généralement suivies eu
Afrique jusqu'au temps de saint Gyprien, la doctrine et la prali-
224 SAINT ETIENNE [Tome VII.
<iue de la réitération du baptême,, le faussaire ne pouvait pus
représenter les évèques consultants comme incertains sur ce
point. De là le fait bizarre d'évêques qui consultent, quoiqu'ils
sachent très -bien à quoi s'en tenir.
2. Autre indice de fraude. Selon cette lettre, saint Cyprien
serait tombé dans l'erreur qui fait dépendre la validité du bap-
tême, non-seulement de la foi, mais encore de l'état de grâce
du ministre. Les paroles de la lettre qui expriment cette erreur
sont tout-à-fait explicites : Quomodo autem, y est-il dit, mimdare
^t sanctificare aquam potest qui ipse immundus est, et apud quem
Spiritus Sanctus non est?... Aut quomodo baptizans dare alteri
remissionem peccatorum potest, qui ipse sua peccata deponere
■extra Ecclesiam non potest ?... Scire autem et meminisse debemus
scriptum esse :0\e\iïn peccatoris non ungat caput meum. Quod
ante in psalmis prxmonuit Spiritus Sanctus, ne quis exorbitans et
a via veritatis exerrans, apud hsereticos et Christi adversarios
ungeretur. Sedet pro baptizato quam precem facere potest sacer-^
dos sacrilegus et peccator ? Cum scriptum sit : Deus peccatorem
non audit; sed qui eum coluerit et voluntatem ejus fecerit,
illum audit. Quis autem potest dare quod ipse non habet, aut quo-
modo potest spiritualia agere qui ipse amiserit Spiritum Sanctum ?
Si baptizare potuit, potuit et Spiritum Sanctum dare ; si autem
Spiritum Sanctum dare non potest, quia forts constitutus cum
Spîritu Sanclo non est, nec baptizare venientes potest, quandoet
baptisma unum sit, et Spiritus Sanctus unus, et una Ecclesia a
Chris to Domino super Petrum origine unitatis et ratione fundata.
Ces paroles expriment clairement la nécessité de l'état de grâce
dans celui qui administre le baptême, pour que le sacrement
soit valide. Or, c'est là précisément une des erreurs que sou-
tenaient les Donatistes. Mais avant ces hérétiques, c'est-à-dire
avant Constantin, on n'en trouve pas de trace. Les quelques
paroles de Tertullien {de Baptismo, cap. 13), qu'on allègue
comme s'en approchant, ne la renferment pas d'une manière
explicite. On ne doit donc pas attribuer cette erreur à saint
Murs 1803.] ET SAINT CYPRIEN. 225
Cyprien, qui était si versé dans la connaissance des saintes
Ecritures, etne pouvait par conséquentignorer la doctrine con-
traire exprimée par saint Paul (Rora. 8, 33 ; Cor. 1, 12; 3, 4),
et par saint Jeanl'Évangeliste (1, 33).
3. Le texte oleum peccato7is non impinguet caput meum, est
encore un indice de fraude. Le douatiste Parménien l'opposait
à saint Augustin pour prouver la nullité du baptême conféré
par les hérétiques. Saint Augustin le réfute ainsi : « Apertissime
« psalmusindicatquemadmodum intclligeudumsit. Aitenim;
« Emundabit mejustus in misericordia et arguet me ; oleum autem
« peccatoris non impinguet caput meum. Unde manifestum est^
« oleo peccatoris blanditiasadulatoris esse signifîcatas, quibus
« repudiatis et detestatis, eligit a justo eraendari et argui. »
(Contra Parmenianum, lib. '±. c. 10, tora. ix edit. Maurin.,
col. 40.) Le sens donné à ce texte dans la lettre aux évêques
de Mauritanie est si évidemment faux, qu'on ne saurait
l'attribuer à saint Cyprien. Saint Augustin va jusqu'à tourner
en dérision l'ignorance de Parménien pour avoir entendu le
toxte dans ce sens.
4. 11 faut en dire autant du texte : Deus peccatorem non au-
dit. Saint Cyprien n'ig'.iorait pas que ces paroles, ayant été
prononcées par l'aveugle-né, étaient par cela seul sans autori-
té. D'ailleurs, elles sont complètement étrangères à la question.
C'est ce que saint Augustin répondait aux Doûalistcs, qui lui
objectaient aussi ce texte. Après en avoir exposé le sens, il dit :
Quid ergo sibi vult hoc testimonium, vel quomodo pro se arbitran-
iur {Donatistx) esse proferendum? ... Non a Domino dictum est,
sed ab illo ([ui ocidos corporis jmnpridem restitutos habebat (loc.
cil.). Que les hérétiques douatistes aient poussé l'ignorance ou
la mauvaise foi jusqu'à recourir à de pareils textes, on le con-
çoit. N'en trouvant pas de plus favorables à leur erreur, ils
alléguaient ceux-là avec leur interprétation absurde, et en im-
posaient ainsi à la multitude. Mais une pareille ignorance, une
pareille mauvaise foi, ne doit pas être attribuée à saint Cyprien.
Revue pes Sciences EccLÉsiASTiQUES, t. vu. 15-16.
226 SAINT ETIENNE [Tome VIL
(c En résumé, dit Mgr Tizzani, dans cette lettre aux évê-
« ques de Numidie, je ne trouve rien dont le saint martyr
« puisse être supposé l'auteur : ni la doctrine qui s'y trouve
a professée, ni les textes de l'écriture, ni l'historique de la
« controverse. On y voit une consultation sans motif, une ar-
« gumentation d'une extrême ignorance ou d'une insigne
a mauvaise foi. On doit donc la regarder comme apocryphe »
(ouvrage cité, page 9o).
IL
Lettre de saint Cyprien à Quintus.
C'est la LXXl* dans l'édition de Baluze et autres. On la trou-
vera dans la Palrologie Migne tome iv, col. 408. Voici les rai-
sous qui doiveut la faire regarder comme apocryphe.
1. C'est encore une consultation sans motif qui en aurait
été l'occasion. L'exordc est ainsi conçu : Retulit ad me, frater
ckarissime, Lucianus compresbyter noster te desiderasse ut signi-
ficaremus tibi quid sentiamus de his qui apud hsereticos et schis-
maticos baptizati videntur. De qua re quid nuper in concilia plu-
rimi coepiscopi, cum compresbyteris qui aderant, censuerimus ut
scires, ejusdem epistolss exemplum tibi misi. Quintus était un
des évêques de la Mauritanie, ainsi que l'atteste la lettre de
saint Cyprien au Pape saint Etienne. Or, les évêques de Mauri-
tanie connaissaient parfaitement le sentiment de saint Cyprien ,
comme nous l'avons fait observer à l'égard de ceux de Numidie.
En outre, Lucien, par l'entremise duquel Quintus aurait de-
mandé des éclaircissements, était un des prêtres de l'église de
Carthage, comme semblent l'indiquer les mots compresbyterno-
ster. Il ne pouvait donc ignorer la doctrine de saint Cyprien
et du concile où la question avait été examinée. Il lui était
par conséquent très-facile d'en informer Quintus, sans qu'il
Mars 1803.] ET SAINT CYPRIEN. 227
lût besoin d'une lettre de saint Cyprien. Bien plus, saint Cy-
prien dit qu'il a déjà envoyé à Quintus une lettre sur ce sujet
exprimant, non-seulement sa décision, mais encore celle du
concile. Pourquoi donc Quintus consultait-il, et demandait-il
qu'on lui dît ce qui lui avait été dit déjà ? La main du faussaire
se trahit là d'une manière visible. Si l'on objecte que proba-
blement cette lettre, antérieurement envoyée à Quintus, ne lui
était point parvenue, nous répondons: dans ce cas, saint Cy-
prien exprimerait le doute sur le sort de cette lettre envoyée,
et dirait qu'il écrit de nouveau, en cas qu'elle se soit perdue.
Ou plutôt, il n'écrirait pas une nouvelle lettre, mais il enver-
rait une copie de la première, qui était celle du concile et
avait p^r là même plus de gravité. En un mot, saint Cyprien
aurait fait ce qui se fait toujours eu pareil cas. Il se serait ex-
primé daus ce sens : Je vous avais déjà expédié la lettre synodale
relative à cette matière ; mais votre consultation récente me faisant
présumer que cette lettre ne vous est point parveiiue, Je vous en
envoie un nouvel exemplaire. Au lieu de cela, on suppose que
Quintus a reçu cette lettre synodale, et que néanmoins il de-
mande le sentiment de saint Cyprien. On le voit, le faussaire
s'est tralii par cet exorde maladroit.
2. Le passage, quidam de collegis nostris malunt hxreticis ho-
no7'em dare quam nobis consentire, fournit un nouveau motif de
suspicion. Il n'est pas vraisemblable qu'il y ait eu dès lors en
Afrique des évêques opposés à la doctrine de saint Cyprien :
cette doctrine, comme les documents le supposent, avait été
confirmée par un concile, et se trouvait d'ailleurs conforme à
la coutume générale de ce pays. L'opposition du pape saint
Etienne n'avait pas encore eu lieu, et l'autorité de saint Cyprien
était immense. Comment supposer que, dans cette situation,
certains évêques d'Afrique se soient déclarés les adversaires de
saint Cyprien? D'ailleurs, aucun de ces prétendus adversaires
n'est nommé. On dira peut-êlre que les mots, quidam de col-
legis nostris, peuvent s'entendre de saint Etienne^ et qu'il font
228 SAINT ETIENNE [Tome VU.
allusion au sentiment exprimé déjà par ce Pape aux évêques
d'Orient, sur cette même question du baptême. Mais, dans cette
hypothèse, saint Cypiieu n'aurait pas usé d'une expression
qui indique assez clairement une suprématie, quam nobis con-
sentire. Ces mots se conçoivent à l'égard des évêques d'Afrique,
dont il était le primat ; ils auraient été choquants à l'égard du
siège que saint Cyprien appelle VEgli&e mère et principale.
3. Parmi les textes apportés en preuve dans cette lettre, se
trouve celui-ci : Qui baptizatur a mortuo, quid proficit lavatio
ejus? Un pareil argument suppose trop d'ignorance ou de
mauvaise foi, pour qu'on puisse l'attribuer à saint Cyprien.
Voici le texte, rétabli dans son intégrité : Qui baptizatur a
mortuo et iterum tangit eum, quid proficit lavatio ejus? {Ec-
cli. XXXIV, 30). Le sens en est clair : lorsque celui qui a con-
tracté l'impureté légale en touchant un mort s'en est purifié
en se lavant, à quoi cela lui sert-il, s'il toudie de nouveau le
cadavre et contracte ainsi de nouveau la même souillure ? Un
pareil texte est complètement étrauger à la question de la va-
lidité du baptême conféré par les hérétiques. C'est ce que re-
mar([ue Rigauit dans son édition des œuvres de saint Cyprien:
Qux sententia nihil omnino facit ad mentem Cypriani. Dire que
saint Cyprien u'a connu que le texte tronqué et qu'il y a vu un
appui pour sa thèse, c'est supposer dans ce grand évèque une
ignorance contre laquelle ses ouvrages protestent hautement.
Dire qu'il a malitieusement tronqué le texte pour y adapter
un sens qu'il savait bien n'être pas le vrai, c'est une insulte
qui ne peut l'atteindre. Si quelque chose est constaté en his-
toire, c'est i'éminente sainteté de saint Cyprien, et cette belle
loyauté de caractère que saint Augustin nous a. si bien dé-
peinte par ces deux mots, candidissimi pectoris .
On objecte ici les hésitations de saint Augustin sur ce même
texte. On dit : saint Cyprien a pu ne pas s'apercevoir que le
texte cité par lui était tronqué, puisque saint Augustin ne s'en
est pas non plus aperçu. Aux Donatistes qui lui objectaient
Mars 1863.1 ET SaINT CYPRIEN. 229
ce passage trouqué, saint Augustin, an lieu de le rétablir
dans son intégrité et d'en exposer le vrai sens, a répondu
ainsi : « Et illiul quod scriptum est, qui baptizatur a mortuo
quid proficit lavatio ejus, ut intérim differam diligentiorem
istoruui verborum inquisilionem, tutissime accipio, pagano-
rum baptismata esse denolata, quia hoinines et ab justitia et
ab ista vita mortuos coluut, in quorum nomine baplizantur »
(Op. tomo IX, col. 39, éd. Maurin.).
Je réponds : il est vrai que saint Augustin, au moment où il
écrivait ces ligues, ne paraît pas avoir eu présent à la mé-
moire le texte entier; mais il se propose de rechercher s^il
est exact. Peut-être difFéra-t-il cette recherche, parce qu'il
n'avait pas en ce moment sous la main son exemplaire
des saintes Écritures. Ut intérim, dit-il, differam diligen-
tiorem istorum verborum inquisilionem . En attendant, il si-
gnale un sens orthodoxe que pouvait comporter le texte
tel qu'on le citait. Cette vérification , omise pour 1h mo-
ment, saint Augustin l'avait faite peu après, lorsqu'il écrivit
ce passage : « Sic et in alio testimonio, ubi dictum est,
qui baptizatur a mortuo quid proficit lavatio ejus, aut inspice
dili^enter codices antiquos et maxime grc3C03, ne forte ipsa
verba aliter conscripta, ex prœcedeuti et consequenti contex-
tione sermonis alium sensum intiment; aut certe mortuos in-
telligamus, sicut dixi, in quorum nomine baptizantur idolo-
rum cultores » (libro 2 ad Cresconium, cap. 27). Saint Augus-
tin a donc soupçonné l'altération du texte allégué. Il se pro-
pose de la vérifier; il la vérifie et la constate en eflet peu
après. Cet état d'esprit de saint Augustin se conçoit. Mais
dans saint Cyprien, si la lettre à Quintus était de lui, il fau-
drait supposer une complète méprise, ou une mauvaise foi
qui n'est pas admissible.
4. La fi'aude se manifeste encore par ce passage de la même
lettre : Non est autem de consuetudine presser ibendum, sed ra-
(ione vinceridum. Nam nec Petrus, quem primum Dominus ele-
Î30 SAINT ÉirENNE (Tome VU.
git, et super quem xdijîcavit ecclesiam suam, cum secum Pau-
lus de circumcisione postmodum disceptaret , vindicavit sibi ali-
quid insolenter aut arroganter assumpsit ,ut diceret se primatum
tenere et obtemperari a novellis et posteris sibi oportere. Nec
despexit Paulum quod Ecclesix prius persecutor fuisset, sed con-
silium veritatis admisit, et rationi légitima quam Paulus vindi-
cabat facile consensit.
Premièrement, saint Cyprien abandonne ici l'argument tiré
de la coutum'^, dont il fait son principal appui dans ses lettres
aux évèquGs Numides et à Jubaiauus. Ce n'est plus à la cou-
tume, à la tradition, qu'il en appelle, mais à la raison, serf ra-
tione vincendum ; il est peu vraisemblable que saint Cyprien
se soit ainsi contredit lui-même. On dit : saint Cyprien aurait
d'abord cru la coutume africaine de rebaptiser fort ancienne
et remontant jusqu'aux Apôlres. Puis il aurait reconnu qu'elle
ne datait pas de si loin, et voyant que ce moyen de preuve
était plutôt défavorable à sa cause, il l'aurait répudié pour
en appeler à la raison, c'est-à-dire à la discussion raisonnée
des vérités consignées dans les saintes Écritures. Il faut con-
A'enir au moins que ces variations sont bien peu vraisem-
blables et bien peu dignes de cette candeur dont parle saint
Augustin, candidissimi pectoris. Mais n'insistons pas, et pas-
sons à une preuve de fraude tout-à-fait péremptoire, que nous
offre le passage cité.
Secondement, il y a dans ce passage une allusion évidente
au jugement contraire prononcé par la pape saint Etienne
sur la question. A qui reprocbe-t-il de vouloir l'emporter par
l'autorité de la coutume ou de la tradition apostolique ? Evi-
demment au pape saint Etienne. Qui a-t-il en vue, en rappe-
lant que saint Pierre, dans son dissentiment avec saint Paul,
n'avait pas tranché insolemment et avec arrogance, qu'il n'avait
pas allégué sa primauté, ni prétendu que les autres, en qualité
d'inférieurs, dussent lui obéir? Evidemment, il veut parler du
pape saint Etienne, de son décret, et de la primauté de juri-
Mars 1863.1 BT SAINT CYPRIEN. 234
diction, rappelée saus doute dans ce décret, pour amener les
récalcitrants à la soumission. La tournure, nec Petnis vindi-
cavit sibi aliquid insolenter aut arroganter assumpsit ut diceret
se primatum tenere, etc., dit équivalemment que le pape saint
Etienne venait de tenir la conduite opposée. Or de ce sens,
qui est incontestable, résulte une manifeste contradiction : la
lettre à Quintus serait tout à la fois postérieure et antérieure
au décret du pape saint Etienne.
Elle serait posténew^e, puisque saint Cyprien y reprocherait
au Pape d'avoir agi insolemment et avec arrogance, et voulu for-
cer les autres à se soumettre à sa décision, en alléguant sa p)i-
mauté. Saint Cyprien connaissait donc le décret du Pape contre
le sentiment des évêques d'Afrique, lorsqu'il écrivait sa lettre
à Quintus. Cette lettre serait donc postérieure.
D'autre part cependant, la lettre synodale de saint Cyprien
à saint Etienne atteste le contraire. En efiet, dans cette lettre
synodale, qui est elle-même bien certainement antérieure au
décret connu de ce Pape, il est fait mention expresse de la
lettre à Quintus : Baptismum autem non esse quo hxreticiutuntur
diligenter nuper expressum est in epistola quse ad Quintum col-
îegam nostrum in Mauritania constitutum super ea rescripta est :
item inixtteris quas collegx nostri ad Episcopos m Numidia pré-
sidentes ante fecerunt, cujus utriusque epistolx exempta subdidi.
Il serait absurde de dire que le décret du pape saint Etienne
était connu en Afrique lorsqu'on expédia cette lettre synodale.
Car, dans cette hypothèse, la lettre roulerait principalement
sur ce décret, et sur les raisons que le concile africain préten-
drait avoir eues pour ne pas s'y soumettre. Or, il n'y a pas un
mot sur ce sujet. La lettre synodale suppose au contraire
qu'aucune décision du Pape n'était intervenue. Les Pères y
parlent comme s'ils consultaient le Saint-Siège sur la question,
et pour l'informer de ce qu'ils avaient cru devoir décider en
concile : Sed de eo vel maxime tibi scribendum et cum tua gra-
vitate ac sapientia conferendum fuit, etc. Cette manière de par-
":'32 SAINT ETIENNE ET SAINT CYPRIEN. [Tome Vil.
1er exclut Thypotlièse qu'ils connussent alors la décision pon-
tificale qui les conclamnait. Ainsi, la lettre synodale est anté-
rieure au décret de saint Etienne , et la lettre à Quintus est
antérieure à la lettre synodale, puisqu'elle y est mentionnée
comme telle. La contradiction ne saurait être plus manifeste.
Que conclure, sinon que cette prétendue lettre de saint Gy-
prien à Quintus est apocryphe ?
3. Une autre incohérence qui indique la fraude, c'est le lan-
gage contradictoire que les évêques d'Afrique auraient tenu
au pape saint Etienne, si la lettre à Quintus était de saint
Cyprien. Dans la lettre synodale, ils parlent de \a gravité et de
la sagesse du Pontife romain, cum tua gravito.te ac sapientia
conferendum fuit. Eten mêmetemps, ils auraient joint une copie
de la lettre à Quintus, où ils le déchirent indignement, Taccu-
sant d'insolence et d'arrogance.
D. Bouix.
LE SPIRITISME,
Premier article.
Il se produit de nos jours une sorte d'épidémie spirituelle,
un fléau dont la propagation universelle et subite constitue^
aux termes du R. P. Ventura, un des plus grands événements
de notre siècle. Ce phénomène porte assez communément le
nom plus ou moins heureusement choisi de Spiritisme, qui
signifie culle des esprits. En 1846, un esprit frappeur se fait
entendre pour la première fois, en Amérique, dans l'apparte-
ment de deux jeunes personnes. Sept ans plus tard, en 1853,
cinq cent mille sectateurs entretiennent avec les esprits un
système de relations fonctionnant comme une institution pu-
blique. Du Nouveau-Monde, ces pratiques singulières passent
dans le vieux continent. Elles sont constatées d'aborJ dans le
nord de l'Angleterre, ensuite dans le midi ; de là elles passent
en Allemagne, où elles occasionnent une fièvre générale. On
les retrouve bientôt après en Sibérie, et au même instant en
France, où se fait comme une explosion qui préoccupe vive-
ment l'opinion publique. Tout ce bruit paraît bientôt se calmer ;
mais loin de cesser, le culte des esprits s'établit alors, se ré-
gularise, se propage et prend les proportions d'une religion.
Ed ce moment, le mouvement spirite a gagné l'Autriche, la
Pologne, la Russie, l'Italie, l'Espagne, la Turquie, etc. En
France, plus de cent villes, parmi lesquelles Lyon et Bor-
deaux occupent le premier rang, ont des réunions spirites
régulièrement organisées.
23 î LE SPIRITISME. [Tome VU
Ou le comprend facilement, la Revue des sciences ecclésia-
stiques ne peut s'empêcher d'étudier cette grave question.
C'est le travail que nous entreprenons aujourd'hui. Pour le
réaliser, deux choses sont nécessaires : il faut d'abord bien
connaître le spiritisme. Or, c'est une tâche très-facile : les
livres spirites fourmillent. Outre la Revue spirite, nous avons
le Spiritisme à sa plus simple expression, Qu'est-ce que le spiri-
tisme, U Livre des médiums, le Livre des esprits, Voyage spi-
rite (1). Publiés par le chef du spiritisme, fruit de l'expérience
générale, ces travaux présentent dans toute leur sincérité les
doctrines de la secte. Si nous les citons, ce n'est certes pas
pour contribuer à leur dififusion. 11 n'y a point de raison pour
les particuliers de coopérer par des achats formels à la marche
des œuvres ténébreuses. Nous en dirons du reste assez pour
les faire suflBsainment connaître et pour en donner, dans l'in-
térêt du bien public, une étude approfondie.
Le spiritism.e étant connu par ses propres aveux et ses pu-
bhcations officielles, nous aurons en notre possession le premier
terme du prol)lème. Le second ne sera pas difficile à con-
naître : il n'y aura pour cela qu'à rappeler l'enseignement de
la sainte Église catholique avec qui Jésus-Christ sera tous les
jours, jusqu'à la fin des siècles, et à qui le Saint-Esprit suggé-
rera sans cesse toute vérité. Ce terme, bien que fort simple
en apparence, se trouve en réalité assez complexe, à raison
{{) Le Livre des Esprits, conlenant les principes de la doclrine
spiriie... selon l'enseignement donné par les esprits supérieurs à
l'aide de divers médiums, recueillis el mis en ordre par Allan
Kardec (neuvième édiiion). Paris. Didier el C», 1863. Le L'ivre de$
médiums ou Guide des médiums et des évocateurs, par le même
(quatrième édition), ibid. M. Allan Kardec a publié en outre quelques
ouvrages moins éieudus : Qu'est-ce que le spiritisme? guide de l'ob-
servaieur novice dans les mamfeslaiions des esprits (troisième édi-
tion) ; — le Spiritisme à sa plus simple expression, exposé sommaire
de l'enseignement des esprits el de leurs manifeslalioas, — F'oyage
spirite en ^862.
Mars 18031. ^^ SPIRITISME. 23 J
des affinités multiples du phénomène que nous voulons étudier.
Le spiritisme touche psr toutes ses limites à la question
des esprits. Nous étudierons d'abord la doctrine catholique
sur les esprits, c'est-à dire sur les bons anges, sur les mauvais
esprits, sur les âmes des fidèles trépassés, considérées soit
dans le ciel, soit dans le purgatoire, soit dans l'enfer. Nous
verrons ensuite la doctrine spirite posant comme axiome que
« les esprits ne sont autres que les âmes des hommes dépouillées
de leur enveloppe corporelle, » et donnant sur les esprits ainsi
entendus les plus étranges enseignements.
Le spiritisme se rapporte à la question des forces de la na-
ture. 11 emploie certains moyens qu'il faudra connaître et se
met eu relation immédiate avec les esprits. Nous rapproche-
rons des pratiques spiriles la doctrine de l'Église et de la
théologie §ur l'énergie de la nature et la proportion des eflFels
qu'elle peut amener.
Le spiritisme a produit plusieurs résultats divers. Ces résul-
tats, nous les examinerons au point de vue catholique. Les
effets que l'Esprit de Dieu réalise sont mentionnés dans la
théologie : rien ne sera plus facile que de constater s'ils sont
les mêmes que ceux qu'a obtenus le spiritisme. Notre-Sei-
gneur, nous mettant en garde contre les faux prophètes,
loups cachés sous des peaux de brebis, nous a dit : A fructi-
bus eorum cognoscetis eos, vous les reconnaîtrez à leurs fruits !
Toute la question pourrait être ramenée à cet unique point.
Quelque apparente nouveauté qu'il affecte, le spiritisme a
au fond des racines dans le passé. Il n'est qu'une manifesta-
tion contemporaine faisant suite à cette série non interrompue
de communications diverses que la superstition humaine n^a
cessé d'entretenir avec les esprits. Si, comme on le verra, les
pratiques spirites, à part quelques variantes, ne sont au fond
que des pratiques antiques mises en jeu dans tous les siècles,
il nous faudra savoir le jugement porté par l'ÉgUse à toutes
les époques sur les relations criminelles avec les esprits, et
236 LE SPiaiTISME. ameVlI.
constater si les R0uvell(3s évocations ne sont pas atteintes par
les condamnations qui ont proscrit les évocations précédentes.
Outre ces relations historiques avec le passé, le spiritisme
trouve dans le présent des affinités qui expliquent et son ap-
parition et ses succès. Il flatte tous les instincts de notre
siècle. Les esprits ont généralement horreur aujourd'hui
d'un grossier et répugnant matérialisme, mais ils ne veulent
pas s'accommoder du catliolicisme. Tout eu étant pleins d'un
respect extérieur pour ses dogmes et ses pratiques^ ils ont à
cœur de s'en affranchir. On se fait une religion naturelle plus
commode, mais aussi sûre que la religion révélée. Au vieux
catholicisme qui ne répond phis, dit-on, aux exigences mo-
dernes, on veut substituer un bien meilleur, une fraternité
universelle : la charité^ telle sera la religion future de toutes
les âmes. Expression d une évidente réaction contre le règne
du cathohcisme j On éprouve, en effet, des tendresses bingu-
lières pour les sorciers, pour les esprits infernaux, pour toutes
les victimes de l'ancien despotisme. On est allé jusqu'à pro-
poser la réhabilitation de Satan, ce révolutionnaire malheureux .
Il est évident que, sous des formes plus ou moins déguisées,
plus ou moins adoucies, toutes ces idées sont la négation du
dogme fondamental de l'autorité de l'Église et de la révéla-
tion faite par N.-S. Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Ce sont là
les illusions diverses qui entraînent loin du bercail de l'unité
et de la vérité trop d'àmes qu'un manque regrettable d'instruc-
tion première a laissées en proie à toutes les erreurs. Mais
comme l'homme est essentiellement religieux, à tout prix il
lui faut un Dieu, un dogme, un culte, des pratiques. S'il n'a
pas le Dieu véritable, le dogme, le culte et les pratiques au-
thentiques, il s'attachera à une fausse divinité, \ des dogmes,
à un culte, à des pratiques de contrefaçon. Et il n'échappera
à l'empire de son légitime Seigneur, que pour tomber sous la
tyrannie de celui que TertuUien appelait si justement ; le
singe de Dieu! Voilà pourquoi, puisque trop malheureusement
Mars 1863.) LE SPIRITISME. 237
les grands courants du siècle entraînent loin du vrai Dieu de
l'Évangile, la cause de l'adversaire de tout bien, formant un
culte ténébreux, vient flatter habilement les tendances des
hommes dévoyés de la vérité, et les âmes se livrent avec
la facilité la plus déplorable. Aussi, on le verra, extrêmement
coulant sur le point des religions, le spiritisme prêche sur-
tout une sorte de religion honnête et naturelle. Sa devise est :
Hors la charité, point de salut. Hors la cha)ntc, point de vrai
spirite.
Enfin, le spiritisme n'argumente pas ordinairement beau-
coup contre l'Église ou la révélation. On dirait qu'il s'est im-
posé à cet égard une sage réserve. Il y a pourtant des pas-
sages où il basarde quelques discussions. Il sera facile de
montrer en terminant que sa polémique est loin d'être heu-
reuse.
Tels sont les principaux aspects de cette élude. En les par-
courant successivement, nous ne ferons jamais qu'une con-
frontation du spiritisme et de la doctrine catholique, et nous
espérons arriver à cette conclusion : Le spiritisme est, au
fond, le culte des démons. C'est là, nous le savons, ce qui
blesse le plus vivement les spirites. « Une seule arme i^este en-
core suspendue : c'est Vidée du diable ; mais c'est le ridicule lui-
même gui en fait justice (1). » C'est là le mot qui découvre tout le
mystère d'iniquité, c'est là le mot que les esprits détestent le
plus et que les spirites écartent avec le plus d'éuergie. Le spi-
ritisme détruit le matérialisme, disent-ils. Or, il serait bien
inconcevable que Satan renversât une erreur qui lui assure-
rait tant de victimes. Mais, qui ne le voit ? le matérialisme a
relativement peu d'adeptes aujourd'hui. Lésâmes sont portées
en très-grand nombre vers des doctrines plus spiritualistes.
Or, c'est pour ces âmes que le spiritisme est un piège, puis-
qu'il les retient dans des idées et des pratiques réprouvées par
(\) Foyage spirite, p. 9,
238 LE SPIRITISME. (Tome VIL
la véritable Église. La destruction du matérialisme n'est donc
entre les mains de l'antique ennemi du genre humain qu'un
moyen nouveau d'arracher les âmes à une erreur grossière
et révoltante, pour les faire tomber plus profondément dans
une autre tout aussi dangereuse et peut-être plus dangereuse
au fond, quoique plus spécieuse en apparence : l'erreur la
plus nuisible aux esprits n'est pas toujours la plus révoltante,
mais celle-là en perd le plus qui donne au mal l'extérieur
rassurant d'un certain bien. Satan n'est jamais plus redou-
table que lorsqu'il se transforme en ange de lumière !
Le catholicisme est la forme absolue, complète, définitive
de toute vérité religieuse : tout ce qui ne s'accorde pas avec
lui est par là même convaincu de fausseté. Si le spiritisme,
tel qu'il est, tel qu'il s'avoue, est en désaccord avec la vérité
infaillible, il faut donc le rejeter, sous quelque apparence
qu'il se couvre. Fût-il à l'unisson avec la règle de foi sur tous
les points, un seul excepté, cette divergence seule devrait le
faire condamner. C'est le cas de faire l'iipplication des pa-
roles qu'écrivait saint Paul aux Galates : « Il y en a quebiues-
uns qui vous troublent et veulent changer l'Évangile de Jésus-
Christ. Mais quand bien même nous vous prêcherions nous-
mêmes ou quand un ange venu du ciel. Angélus de cœlo,
vous prêcherait une doctrine autre que celle que vous avez
reçue, qu'il soit anathème ! » (Ad Gai. i, 7, 8.)
Après cette vue d'ensemble, nous entrerons dans le détail.
C'est ce qui fera l'objet des articles suivants.
Il y a toujours eu des fautes, des erreurs, des pratiques
dignes de réprobation dont les débuts ont été simples, et qui,
se développant ensuite, ont été combattues. Quaud elles se
sont montrées ce qu'elles étaient, les écrivains ecclésiastiques
les ont signalées, et après un examen atleulif, l'Église les a
condamnées.
Chaque hérésie pourrait donc dire comme le spiritisme : On
m'attaque, tant mieux ! « Une idée qui s'élabUrait sans oppo-
W;.r3 1863.1 ^^ SPIRITISME. 239
« siliou serait un fait miraculeux; il y a plus : plus elle sera
« fausse et absurde, moins elle trouvera d'adversaires, tandis
« qu'elle en rencontrera d'autant plus, qu'elle sera plus vraie,
0 plus juste et plus utile.... De même, le spiritisme, que nous
a pouvons appeler sans présomption l'idée capitale du
« XIX* siècle, et l'on verra plus tard si nous nous sommes
« abusés, a commencé par l'innocent phénomène des tables
« tournantes ; c'était un enfant avec lequel ses plus rudes
« adversaires ont joué, et à la faveur de l'amusement, il a
« pénétré partout; mais il a vite grandi : aujourd'hui il est
a homme et a pris sa place dans le monde philosophique ; on
a ne joue plus avec lui : on le discute et on le combat ; s'il
« eût été mensonge, utopie, il ne serait pas sorti de ses
« langes (1). »
Le vrai et le faux pouvant être attaqués, et l'ayant été ainsi
que l'histoire le montre à chaque page, c'est aller contre la
logique que de dire : mon sentiment est attaqué, donc il est
vrai. Le poiut décisif à examiner est celui-ci : est-il attaqué
avec raison? Le vrai et le faux, le bien et le mal pouvant s'é-
tablir, se propager et grandir, le mal et le faux le pouvant
surtout avec la plus triste facilité, comme l'expérience n'a
jamais cessé de le démontrer, c/est n'avoir rien fait que de
dire : mon sentiment s'est établi, s'est fortifié, s'est étendu,
donc il est vrai. La question unique est celle-ci : comment et
pourquoi mon sentiment s'est-il ainsi propagé ? Le mahomé-
tisme s'est propagé, le christianisme s'est propagé : qui oserait
affirmer que l'un et l'autre sont également redevables ?
N. C. Le Roy.
(1) yoyage spirUe, p. 48.
DE LA
MÉTHODE APOLOGÉTIQUE
DU ?. DECHAMPS (O.
I. Exposé de la méthode.
La multiplicité des productions plus ou moins littéraires que
chaque jour voit éclore , n'est pas toujours favorable aux
études sérieuses. Le lecteur, avide de connaître les écrits
dont le bruit retentit dans le moment même autour de lui, se
laisse emporter trop facilement par l'attrait de la nouveauté.
Il oublie bien vite les impressions que lui ont laissées ses lec-
tures de la veille ou de Tavant-veille, et les ouvrages les plus
remarquables, qui mériteraient les honneurs de toutes les bi-
bliotbèijuesj sont bientôt ensevelis dans le même oubli que
ces écrits plus légers dont l'intérêt ne s'étend pas au delà du
jour qui les a vus naître, ou de la circonstance qui en a été
l'occasion.
Si nous nous permettons ces réflexions à propos des ou-
vrages du 11. P. Decbamps, ce n'est point qu'ils n'aient obtenu
un légitime succès. Les organes catholiques de la publicité
ont accueilli, il y a quelques années, cet illustre défenseur de
l'Église avec les plus chaudes félicitations, et plusieurs édi-
tions, rapidemeut écoulées, comme aussi de^ traductions en di-
, verses langues, ont fait voir que cet appel a été entendu. Mais,
(I) Entretiens sur la DèmonilTo.tion catholique de la vérité chré-
tienne. Tournai, Caslerman, 3"^ éd. 1 vol. gr. ia-12.
Mars 1863.] MÉTHODE APOLOGÉTIQUE DU P. DECHAMPS. 241
d'un côté, il nous semble que ces livres sont encore toujours
trop peu connus chez nous (I); d'un autre côté, la question
de l'apologétique chrétienne est telleaient capitale dans l'état
actuel des esprits, qu'on ne saurait Tétudier avec trop de
soin.
La religion conduit l'homme au salut éternel, et les ef-
forts de l'apologiste chrétien ont pour but de conduire les
hommes à la religion, de les faire entrer dans l'Église. Il
fait briller à leurs yeux la lumière qui se trouve dans la
société chrétienne, et par laquelle l'Église révèle, même à
ceux qui ne la considèrent que du dehors, la divinité de sa mis-
sion et de son institution. Plus les hommes se placent en de-
hors de FËglise, plus le rôle des apologistes grandit. Mais leur
œuvre n'est jamais terminée. En effet, l'Église est divine dans
tout son ensemble, divine dans son origine et dans sa iiu,
divine dans ses manifestations et dans son influence, divine
dans son dogme et dans sa morale, divine dans son histoire,
dans ses luttes, dans ses triomphes et dans ses souffrances.
L'apologiste peut donc se placer à tel point de vue qu'il
voudra, il aura toujours un vaste champ à explorer.
La première difficulté qui se présente à lui est le choix
mêma de son sujet. Par quel côté faut-il faire briller la divi-
nité de l'Église? A quels rayons de lumière les hommes aux-
quels il s'adresse ouvriront-ils plus volontiers leur esprit ? Il
faut ici consulter et leur situation intérieure, et la plus ou
moins grande somme de vérités qui peut être restée dans leur
âme. Nous avons abondance de richesses, qui, toutes, peuvent
être utiles ; il ne s'agit que de choisir celles qui le seront
davantage. Si nous ne nous trompons, la méthode apologé-
tique suivie par le P. Dechamps est parfaitement adaptée aux
besoins et aux dispositions d'un grand uombre d'esprits de
notre époque.
(1) Nous étudierons prochaiîiemeiit le Christ et les Jnfechrists, du
même auieur.
242 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE [TumeVlI.
Nous n'aurions pas à parler de l'auteur, si sa position ex-
ceptionnelle ne nous fournissait des présomptions très-fortes
en faveur de sa métliode. Son nom est populaire en Belgique
comme l'a été chez nous celui du P. Lacordaire, lorsque les
échos de Notre-Dame retentissaient encore de ses immortelles
conférences. Frère de l'illustre ministre d'État dans lequel
les catholiques belges voient leur chef le pins puissant, il est
comme orateur catholique et comme apologiste, la gloire de la
religion et de la Congrégation du Très-saint Rédempteur. Nul
plus que lui n'a connu le monde, nul n'a été à même de mieux
observer et connaître les maladies des âmes. 11 a été associé
autrefois à l'éducation des fils du roi des Belges, et cette
haute position l'a mis en relation avec l'élite de la société.
D'un autre côté, il est resté humble disciple de saint Al-
phonse, continuant à donner à ses frères eu religion l'exemple
des vertus du cloître. Joignez à cela un esprit distingué, des
études approfondies sur la théologie, et vous aurez toutes les
qualités qui rendent un homme parfaitement compétent pour
nous dire : « J'ai fait de la théologie l'étude de ma vie, et
tous les jours les âmes se sont révélées à jnoi avec leurs fai-
blesses et leurs langueurs. Considérant le monde à travers la
croix, frappant à la porte de tous les cœurs pour les ouvrir
à Jésus-Christ, j'ai trouvé une porte qui s'ouvre plus facile-
ment que les autres, et cette porte, je viens vous l'indiquer.
Que ceux qui s'appliquent à éclairer les esprits et à convertir
les cœurs me suivent. » C'est à ce point de vue surtout que les
ouvrages apologétiques du P. Dechamps nous paraissent re-
marquables; et si la démonstration qu'il nous donne est in-
trinsèquement valable aux yeux de la théologie, comme nous
allons le voir, nul doute qu'il n'y ait lieu pour les théologiens
de porter sur ces preuves tous leurs efforts pour les mettre
dans un jour de plus en plus grand. La méthode suivie par
le P. Dechamps ne diffère pas essentiellement de celle indiquée
par M. l'abbé Bourquard, dans un ouvrage qui a été l'objet
Mars 1863.] DU P. DECHAMPS. 243»
d'un examen spécial dans celte Revue même. Nous n'avons
point à intervenir dans le débat que cette étude a soulevé
entre M. Tabbé Bourquard et M. l'abbé d'Autun. Le débat a
été soutenu, d'une manière fort brillaute par l'un, et a été
l'objet, de la part do l'autre, d'observations non moins judi-
cieuses; mais il ne roulait que sur la méthode apologétique
savante, propre à faire entrer dans un traité de théologie où
l'on doit indiquer toutes les ressources que la défense de la
Religion offre au théologien. Ce n'est point de celle-là que
nous nous occupons. Nous sommes donc à l'aise avec M. l'abbé
d'Autun, qui écrivait (1) : « Quant à l'apologétique populaire
et à celle qui s'adresse simplement au public lettré, elles
peuvent suivre différentes marches, se borner à un ordre de
considérations ou se placer à un point de vue spécial, suivant
le but particulier qu'on se propose. »
Le livre est tout entier dans cette double épigraphe ;
« Écoute et regarde » ( Ps. xliv, 11 ); et : « Il n'y a que deux
faits à vérifier, un en vous et un hors de vous. Ils se recher-
chent pour s'embrasser, et de tous les deux, le témoin, c'est
vous-même. » [Premier enlretien.) C'est en interrogeant les
échos de notre cœur, en prêtant une oreille attentive h ses
aspirations, à ses postulata, que le P. Dechamps nous convie
à considérer l'Eglise. Ce premier pas fait, il n'a pas de peine
à faire jaillir de cette considération même la preuve de sa
divinité, et c'est sans effort qu'il nous amène ainsi à écouter
sa voix. Il ne fait donc que s'appuyer sur ce principe déjà
énoncé par Tertullien, que l'àme est naturellement chré-
tienne. Or, il n'est pas permis à l'apologiste de méconnaître
cette vérité. L'àme humaine étant le sujet destiné à recevoir
la révélation, il doit y avoir en elle quelque chose qui l'ap-
pelle, qui forme comme une pierre d'attente, et à quoi la reli-
gion viendra s'adapter comme la légitime satisfaction des as-
(1) Voir le numéro du 20 juiu 1862 (l. v, p. 574 ss).
244 MÉTBODE APOLOGÉTIQUE [Tome VII.
pirations que la grâce de Dieu a mises en nous. Mais s'il en
est ainsi de l'âme humaine en général, puisqu'il n'y en pas
une qui ne soit appelée à recevoir le bienfait de la religion
chrétienne, ce sera beaucoup plus vrai des âmes auxquelles
l'apologiste chrétien s'adresse. Ces âmes seront, si vous vou-
lez, plus ou moins étrangères à la pratique de la religion,
étrangères à la foi. Mais elles ne l'ont pas toujours été égale-
ment. Une éducation où la religion n'a pas été entièrement
absente, a laissé subsister comme une touche particulière
qu'on ne trouverait point ailleurs : elle a élevé chez elle à
une puissance supérieure le christianisme naturel, c'est-à-dire
la disposition à la foi et cette aptitude à discerner la vraie foi
que la grâce de Dieu met dans toutes les âmes. De plus, le
voile qui est venu s'interposer entre elles et les vérités de
la foi n'est point tellement épais que ces vérités ne conti-
nuent encore à projeter dans les esprits une lueur plus vive
qui peut les randre plus propres à recevoir cette foi, dont le
caractère sacré du baptême leur avait donné une première
habitude.
L'essence de cette méthode consiste donc à analyser, d'un
côté, les aspirations et les besoins de notre âme ; de l'autre,
ceux des caractères de l'Église qui, répondant le mieux à ces
besoins, nous font en même temps voir d'une manière plus
directe le cachet de la divinité.
Le fait intérieur qui sert de point de départ au P. Dechamps
consiste dans le désir et l'espérance qui existent chez l'homme
de recevoir une révélation divine sur les mystères de la vie
future. Il est certain d'abord que l'homme a une inclination
profonde et irrésistible vers cette vie. Nous voulons vivre,
vivre heureux, vivre toujours, et la vie présente, si elle mé-
lite le nom de vie, est loin, bien loin de répondre à cette
grande aspiration de notre âme. Aspiration immense, eu vé-
rité, puisqu'elle a été le soutien de l'espérance du geure hu-
main, même dans les plus profondes ténèbres de l'idolâtrie.
Mars 1503.] Ï^U P. DECHAMPS. 245
Jamais l'homme n'a cru à l'éternilé des adieux qu'il adressait
aux mourants. Jamais il n'a boiné ses espérances à la mo-
dique somme de bonheur qu'il peut trouver en deçà de la
tombe, et la mort lui aurait apparu avec un aspect infiniment
plus redoutable s'il l'avait regardée, non comme la trans-
formalion, mais comme letermefînal de son existence. Nous
désirons donc la vie future, et nous espérons ce que nous
désirons. Voilà un double fait universel et patent.
Mais, ce désir et cette espérance, à quel bien se rapportent-
ils? Notre cœur, qui en est le siège, ne saurait le nommer. Le
genre humain l'appelle de ses vœux, et n'a pas en lui-même
le pouvoir de le définir. Et cependant nous voulons savoir quel
est le bonheur que nous attendons, now^ voulons savoir quelle
est cette espérance que la mort, qui détruit tout, ne saurait
détruire. Nous voulons savoir, et notre cœur ne répond pas;
nous voulons savoir, et le genre humain, qui le veut aussi,
ne sait pas. Et quand il affirmerait qu'il sait, nous ne l'en
croirions pas. Jamais l'homme n'a cru à l'bomme sur les
mystères de la vie future. Toujours il a senti le besoin d'une
lumière supérieure qui n'tist point en lui, mais qui doit ve-
nir du dehors pour éclairer les sombres profondeurs de ses
désirs et de ses espérances. Cette lumière ne sera donc point
la lumière des hommes. Votre cœur, ô philosophe, ne peut
donner une réponse que le mien ne contient pas ; votre in-
telligence n'a point une lumière différente de la mienne. Je
ne croirai donc pas aux philosophes sur ces mystères; le
genre humain n'a jamais cru en eux, mais il demandait, pour
y croire, une voix qui se dirait descendue du ciel. Or, cette
voix, il a toujours cru l'entendre. De même que le désir d'être
heureux n'a jamais été séparé de l'attente de ce même bon-
heur, de même l'homme n'a jamais séparé le désir de connaître
de la confiancequ'ilconnaissait,etoette connaissance répondait
toujours au besoin d'entendre une voix d' en-Haut ou une
voix d'outre-tombe. C'est pourquoi ie déisme, avec ses lu-
246 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE. [To ne VII,
mières purement naturelles, n'a jamais pu, et ne pourra ja-
mais être la religion de l'humanité. 11 est une révolte radicale
contre le genre humain, contre le bon sens et contre la bonne
foi.
La bonne foi, en effet, ne saurait s'accommoder d'un sys-
tème qui étouffe le cri de noire âme. Lorsque je vois les
hommes qui m'entourent pleins de confiance, parce qu'ils ont
entendu cette voix surnaturelle que je désire , comme eux, '
entendre retentir à mes oreilles ; lorsque mon cœur, appelant
de tous ses vœux une voix du ciel, entend retentir autour de
lui, par toutes les bouches qui lui parlent, l'annonce d'une
réponse faite par le ciel à mes aspirations et à mes désirs,
puis-je alors me tenir dans le scepticisme et l'indifférence,
sans me mettre en révolte ouverte et avec le genre humain,
et avec inoi-mème ? Sur quoi m'appuierais-je, si je prenais
pareille position ? Ma nature s'y refuse, le genre humain me
condamne ! Le procédé du cœur et le procédé de l'intelligence
est de rechercher la révélation divine en demandant : Où est-
elle? Mais celte autre question : Est-elle? n'est ni la question
de la bonne foi, ni celle de la nature.
Telle est en effet la nature de l'homme, qu'il est essentiel-
lement confiant. C'est par là qu'il est surtout accessible à l'é-
ducation. Dès la première ouverture de son intelligence, il
s'abandonne sans défiance à sa mère, qui le porte dans ses
bras, qui le caresse avec amour, dont la langue devient
sa langue, dont les pratiques deviennent ses pratiques, dont
l'affection fait naitre l'amour dans son cœur. Et qui voudra
blâmer cette confiance de l'enfant? N'est-elle point une mer-
veilleuse manifestation de la sagesse du Créateur, qui, en
faisant naître l'enfant avec d'innombrables besoins, en pla-
çant à côté de lui une mère pleine d'affection et de tendresse
pour les satisfaire, fait de ces besoins mêmes le principe
d'une confiance et d'un abandon que rien ne saurait ébranler?
Mais nous avons aussi des besoins religieux, nous avons
Mars 1863.] DU P. DECHAMPS. 247
faim et soif d'une révélation qui nous éclaire sur les mystères
d'outre-tombe. Celte faim et celte soif, qui nous la donne?
Qui la fait naître en nous et avec nous ? N'est-ce pas Celui-là
même qui nous a faits ce que nous sommes ? Et en plaçant à
côté de nous une institution, une Église qui doit être aussi la
mère de nos âmes, n'a-t-il pas dû mettre en nous, avec le
désir de l'entendre, la confiance en sa maternité ?
C'est ainsi que l'homme est initié à la religion, devient
membre de l'Église, et par là, enfant de Dieu. La nature, le
bon sens, la bonne foi, se réunissent pour le conduire à elle.
Ah! si les hommes voulaient être plus ouverts, plus confiants,
plus enfants î Que cette réflexion est simple : Dieu serait-il
moins le père de nos âmes que le père de nos corps ? Et
seule, cependant, elle suffirait pour nous conduire à la reli-
gion, pour nous faire entrer dans l'Église et pour nous la
faire aimer de l'amour des enfants de Dieu.
II. Examen des pifficultés.
Cette méthode, si simple el si directe, peut faire naître deux
objections. La première, que le théologien seul pourra formu-
ler, est celle-ci : Ce point de départ ne suppose-t-il pas que la
religion révélée est le complément nécessaire de la nature
humaine, et n'y a-t-il pas là un levain de baïanisme?
La seconde,' qui peut être commune et au théologien, et à
un homme du monde entièrement étranger à l'élude de nos
mystères, est celle-ci : N'adtnet-on point ainsi le devoir pour
tout homme de s'attacher purement et simplement à la reli-
gion où il est né, et ne ferme- t-on point la porte aux prédica-
teurs de la religion qui travaillent à établir l'unité religieuse
sur la terre ?
En d'autres termes, les difficultés se rapportent soit jà la
légitimité du point de départ, soit à la légitimité de la con-
clusion.
248 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE jToiiio VU.
Nous ne pensons pas qu'on puisse formuler d'autre objec-
tion sérieuse contre cette méthode de P. Decîiamps. Or, il est
facile de les résoudre l'une et l'autre.
Et d'abord, il est vrai que la religion chrétienne est le
complément nécessaire de la destinée humaine prise dans l'é-
tat actuel de l'humanité. Dieu aurait pu nous créer sans fin
surnaturelle : il ne l'a point fait ; il aurait pu nous donner et
les mêmes organes et les mêmes facultés sans descendre jus-
qu'à nous par l'Incarnation et sans nous appeler à la vision
béatifique, mais il ne l'a point fait. Notre destinée terrestre
est d'être chrétien, de croître et de vivre sous l'empire de la
grâce, « jusqu'à la plénitude de l'âge de Jésus-Christ. » Tant
que nous ne sommes point dans cette voie, nous sommes des
hommes incomplets relativement à notre véritable destinée.
Autant et plus que la nature corporelle dont parle saint
Paul, notre âme est dans les douleurs et dans les anxiétés de
renfantemeut en attendant la révélation des euîauts de Dieu,
et il y aura en nous quelque chose qui ne recevra son complé-
ment, un vide (pi ne sera comblé, un besoin qui ne sera sa-
tisfait que par la réception du christianisme dans nos âmes.
L'erreur du baianisme a été de confondre la nature avec la
grâce, en établissant d'une manière absolue que la grâce est
le complément obligé de la nature, de telle manière, ({ue la
nature sans la grâce ferait de nous des êtres incomplets, in-
dignes de Dieu, et que Dieu ne pourrait, sans déroger à sa
sainteté et à sa jusdce, être satisfait d'une telle œuvre.
Dans ce système, l'état d'une àme sans la grâce sanctifiante
est un état de complet abandon. Il n'y a point d'appel de
Dieu au fond du cœur, il n'y a point d'aspiration supérieure
vers l'état surnaturel. Et, bien que cet état soit nécessaire •
pour l'achèvement des desseins de Dieu sur l'homme, néan-
moins il ne le sera pas comme quelque chose de surajouté à
sa nature. Il sera nécessaire pour que l'homme soit un être
complet, absolument comme l'union de l'âme et du corps est
Wcri 1833.] DU P- DECDAMPS. 249
nécessaire pour le constituer dans son essence propre, et si la
nature n'était pas trop corrompue pour éprouver d'une ma-
nière sensible ce besoin de vie surnaturelle, elle ne l'éprouve-
rait que pour autant qu'elle a le sentiment des autres nécessités
qui l'affligent.
Il n'y a rien de commun entre cette doctrine et la méthode
de démonstration du P. Dechamps. Son point de départ est en
parfait accord avec les données les plus rigoureuses de la théo-
logie.
La religion nous enseigne, en effet : 1° que tous les
hommes sont appelés à la grâce du salut; 2" que Dieu ne
laisse aucun homme ici-bas sans grâce actuelle. Mais où
vorrons-nous ceUe grâce, â laquelle aucun cœur n'est entiè-
rement étranger, si nous ne la voyons dans cette aspiration
intime de notre être vers une vie plus parfaite, une vie heu-
reuse et sans fin, en même temps que vers une religion qui
nor.s révèle les mystères de cette vie et qui nous donne les
moyens d'y parvenir ? Cette voix intérieure n'est-elle point
l'écho mystérieux et profond dans les âmes de la voix de
Dieu qui les appelle ?
Il n'y a donc point ici confusion du naturel et du surnatu-
rel. La distinction entre les deux ordres est maintenue d'une
manière rigoureuse. Mais celte distinction n'implique point la
séparation. Si Dieu veut établir pour l'homme un ordre
surnaturel, ne doit-il pas déposer en lui une prédisposition
proportionnée à cet ordre, c'est-à-dire surnaturelle aussi? Il
est vrai que la voix de l'âme, qui appelle cet ordre, ne peut
être distinguée au moyen de l'observation psychologique,
des aspirations inhérentes à la nature elle-même. Il est vrai
encore que l'analyse de nos phénomènes intérieurs ne dis-
tingue pas davantage la confiance surnaturelle par laquelle
l'homme s'abandonne à la doctrine et à la conduite de l'É-
glise, d'avec un sentiment purement naturel. Mais il n'est pas
besoin, pour admettre la distinction du naturel et du sur-
250 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE [Tome Yll.
naturel en nous, de pouvoir le reconnaître par l'expérience,
de surprendre en quelque sorte le jeu des deux principes qui,
du reste, n'agissent pas d'une manière séparée, mais ne
forment par leur action combinée qu'une seule cause totale.
Le surnaturel et le naturel coexistent donc en nous d'une
manière iDlime. L'observation de nos faits intérieurs ne nous
fait connaître que les actes et les sentiments de notre âme; mais
les deux principes naturel et surnaturel, qui produisent les
uns et les autres, nous échappent. La foi seule nous en révèle
la distinction profonde, mais en même temps elle nous ensei-
gne que les deux agissent en nous, non-seulement quand la
grâce sanctifiaule y est déjà, mais alors même que nous som-
mes encore complètemeut étrangers à la religion. La tendance
que la grâce produit en nous peut doue être aperçue en nous,
de même que les tendances purement naturelles, et nous pou-
vons parfaitement, sans nous laisser entraîner au baïanisme,
nous appuyer sur ce fait de conscience pour conclure que
l'homme doit se laisser aller avec confiance à la révélation
qui répond aux questions qu'il s'adresse à lui-même, et qui
satisfait les aspirations de sou âme.
La deuxième objection ne nous semble pas plus propre à
infirmer la valeur de cette méthode. Elle n'ouvre pas la voie
à toutes les religions et à tous les systèmes. En effet, nous
pouvons la considérer par rapport aux hommes qui vivent au
milieu des lumières du christianisme, ou par rapport à ceux
qr.i naissent en dehors du sein de l'Église catholique.
Et d'abord, cette méthode n'est proposée par le P. Dechamps
qu'aux premiers, qui se trouvent placés entre la religion catho-
lique et l'absence de religiou, entre l'Eglise et le déisme. Quel
est le langage qu'il faut faire entendre à ceshommes ? Ne faut-
il pas avant tout les faire rentrer eu eux-mêmes ; leur faire
entendre la voix de leur âme ou plutôt la voix de Dieu en eux;
leur faire comprendre la contradiction qu'il y a à admettre un
Dieu infiniment parfait, qui ne ferait rieu pour répondre au
Mi.ril8C3.| DU P. DECHAMPS. 281
cri de l'âme de ses créatures, et qui;, en les réservant à une
vie future, en meltaut en elles le désir de cette vie, le désir de
la connaître et de savoir ce qui peut la rendre heureuse, en
même temps que l'espoir de voir ce désir réalisé, ne ferait rien,
absolument rien pour dissiper l'illusion produite parces innom-
brables voix du dehors qui disent être les échos d'une révéla-
tion céleste , rien pour éclairer les ténèbres de .l'abîme vers
lequel l'humanité toute entière se précipite.
Une fois ces hommes rendus attentifs à cette voix inté-
rieure, que leur restera-t-il à failre auire chose que de se
donner à l'Église où ils trouveraient tout ce que leur cœur
depaaudait inutilement en dehors d'elle?
Cette méthode ferme donc d'abord toute voie au déisme.
Elle arrive au même résultat pour le panthéisme. Le pan-
théiste avec son dieu-chose semble plus conséquent que le
déiste qui n'admet un Dieu infiniment parfait que pour le relé-
guer dans un isolement contre lequel s'élève la voix du bon
sens. Mais ce même panthéiste ne sera pas moins désavoué
par les aspirations de notre âme. 11 est en révolte ouverte avec
le sentiment religieux qui est au fond de notre nature, avec ce
queliiue chose qui porte l'homme à s'élever à Dieu, à prier;
en révolte, lui aussi, contre le bon sens qui s'élève delà nature
à sju Auteur; en révolte contre la bonne foi, puisqu'il nie ce
qui est dans l'homme, le gémissement de la prière et le cri du
bon sens.
Donc, pour l'homme qui vit au sein de la société religieuse
à laquelle il est seulement devenu étranger eu laissant la foi
s'éteindre dans son âme, pour l'homme qui a laissé cette foi
s'afiFaiblir et qu'il s'agit deramener à l'humble soumission en-
vers l'Église; pour l'homme enfin que l'apologiste aujourd'hui
se propose spécialement d'atteindre, il suffit de faire entendre
la voix de l'Eglise afin qu'il reconnaisse la voix même de
Dieu. L'homme qui entend cette réponse de l'Église aux ques-
tions et à l'espérance de son âme;, reconnaît immédiatement
252 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE [Tome VII.
la fausseté des voix qui se font entendre à côté d'elle. Il y a
dans i'àme humaine un idéal de la vérité non moins qu'un
idéal de l'harmonie. Sans avoir fait aucune étude ni sur les
rapports des sons, ni sur les principes mathématiques qui en
sont la condition essentielle, l'homme sait distinguer un har-
monieux concert d^ui ensemble de binits où les lois de l'har-
monie sont tor.tes violées. De même, sans études philosophi-
ques sur la vérité de la religion, l'homme élevé dans le
catholicisme reconnaît aisément la justesse de la voix de
l'Église et peut s'y laisser aller en toute simplicité.
jNIais cette méthode a-t-elle la même valeur, relativement
aux hommes élevés en dehors de la religion catholique? Nous
ferons d'abord observer que cette question laisse intacte la
légitimité de l'emploi que le P. Dechamps en fait. jNous obser-
verons de plus que si celte question est embarrassante, elle
ne l'est pas plus qu'elle ne le serait pour toute autre méthode
apologétique,.
11 faut distinguer la valeur absolue de cette méthode consi-
dérée en elle-même, et sa valeur relativement aux hommes à
qui elle s'adresse. Au point de vue objectif, elle nous semble
rigoureusement exacte, vu que cette correspondance parfaite
sur laquelle elle se fonde entre la révélation divine et sa pierre
d'attente, qui est notre âme avec les aspirations, les désirs et la
forme idéale que la grâce divine y met d'une manière plus ou
moins obscure, celte correspondance, dis-je ne se rencontre
et ne peut se rencontrer que dans l'Église catholique. Quel que
soit le milieu religieux dans lequel l'homme ait été élevé, il
reste eu lui une faim inassouvie, une forme idéale à laquelle
il ne trouve aucune réalisation. Présentez-lui l'Eglise, énoncez-
lui les postulata de sou âme, et si les passions sont assez as-
soupies, et si le bon sens est assez développé, à chaque ques-
tion que vous formulerez devant lui il vous répondra: Oui,
cette question mon cœur la formule ; et quand à chaqne ques-
tion vous donnerez au nom de l'Eglise et au nom de Dieu la
Mar3l8C3.1 DU P. DECIIAMPS. 235
réponse catholique, il n'hésitera pas à recevoir cette réponse,
et à croire à la doctrine de l'I-^glise.
Si maintenant nous considérons cette méthode subjective-
mentj c'est-à-dire par rapport aux hommes à qui elle est
adressée, il faut reconnaître qu'elles ne sera point par elle-
même suffisante pour opérer une conversion, ni pour porter
tout d'abord une pleine et entière lumière dans les esprits. A
cela il y a deux causes ; Tune, que ces âmes sont généralement
en proie à de trop épaisses ténèbres et à un trop grand aveu-
glement des passions pour distinguer ce qu'il y a de plus pro-
fond et de plus intime en elles; l'autre, que cette méthode a
elle-même élé appliquée à faux, et que cette confiance née
avec nous pour la religion qui nous est enseignée a été pour
elles la voie qui les a conduites à admettre une foule d'erreurs.
En reconnaissant ce fait, nous n'infirmons point la valeur
objective de la méthode que nous venons d'établir. De ce que
beaucoup de parents enseignent à leurs enfants une religion
fausse, il ne s'ensuit pas que la religion véritable ne doive pas
être transmise des parents aux enfants. Nous remarquerons en
passant que la foi de tous les chrétiens qui out reçu la vraie
religion comme un héritage paternel, repose primitivement
sur le fait de cette confiance née avec nous et avec notre voca-
tion au surnaturel. Mais à mesure que nous grandissons, cette
loi s'éclaire de nouvelles lumières, et notre croyance à l'Église
s'appuiera ainsi sur des raisons plus claires et plus nombreuses
sans devenir intrinsèquement plus ferme, puisque, dès l'ori-
gine, elle est un assentiment plein et entier à ce que Dieu nous
révèle. C'est ainsi que Dieu fait durer la véritable religion, à
laquelle nul homme n'est étranger que par sa propre faute ou
par la faute de ses parents et ancêtres.
Que si les hommes abandonnent la religion véritable pour
enseigner des erreurs à leurs enfants, ces enfants seront pri-
vés d'un grand bonheur par la faute de leurs parents ; mais
le fait même de leur adhésion à cet enseignement qu'ils
254 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE. [Tome MI .
sucent avec le lait ne leur sera point imputé à péché. Ces
enfants suivent l'ordre providentiel autant qu'il est en eux, et
si nous admettons qu'il y a des hommes qui se sauvent sans
appartenir au corps de l'ÉgUse, ne faut-il pas les chercher
parmi ceux qui, recevant de confiance l'enseignement de leurs
parents, s'efforcent de suivre la lumière qui en est eux et à
laquelle répond si imparfaitement celle qu'ils reçoivent du
dehors? N'est-ce point parmi eux qu'on trouvera celte dispo-
sition implicite à suivre la lumière plus vive de l'Évangile
qu'ils ne connaissent point, disposition que Dieu récompense
par une grâce plus abondante?
Il semble que même pour ces hommes-là il doit y avoir un
élan d'amour vers cette vérité dès qu'elle leur est simplement
présentée. Mais pour eux pas plus que pour les autres il n'y a
lieu de se borner à annoncer seulement la vérité. Il faut la
faire briller de tout son éclat, et montrer que l'Eglise ne
répond pas à notre âme d'une manière quelconque, mais
qu'elle y répond divinement. C'est ainsi que le P. Dechamps
complète l'exposé de sa méthode en^nous faisant voir les deux
caractères de divinité que l'enseignement del'Église porte avec
lui : la catholicité et la sainteté. L'une et l'autre sont exigées
pour que la réponse aux désirs de notre âme soit satisfaisante,
et là où elles se présentent, l'àme qui cherche s'épanouit dans
la joie d'avoir trouvé le bonheur et la vérité qu'elle cherchait,
et se soumet sans crainte à «l'autorité vivante de Dieu dans la
grande famille qu'il élève. »
III. LA CATHOLICITÉ.
La divinité de l'Église se ' révèle par sa catholicité. Cette
preuve entre directement dans le plan de la méthode du P.
Dechamps. Si c'est Dieu qui nous révèle les mystères de
l'homme et de l'éternité, sa réponse doit s'étendre à tous les
hommes indistinctement. Le premier caractère constitutif de
Mars 1863.] DU P- DECHAMPS. 2o5
la catholicité doit donc être une universalité de nature. Rien
dans la vraie religion ne saurait être incompatihle avec la di-
versité des climats, des nations, comme rien ne peut l'être avec
la diversité des temps ou des âges du monde, en sorte que,
partout où ou la trouve, on doit la trouver la même, comme
elle doit être la même à quelque époque de son existence
qu'on veuille Téfudier. Or, c'est là le signalement de l'Église.
Elle passe au milieu des nations sans êtreétrangère nulle part;
elle traverse les siècles sans porter sur son front les rides de
la vieillesse, et le temps qui ronge jusqu'aux monuments cy-
clopéens, et les climats qui diversifient d'une manière si
étrange les mœurs, la couleur et le type des hommes, n'ont au-
cune prise sur elle. Fille du ciel, elle n'a de vie que celle qu'elle
a reçue au lieu de son origine, et sans rien emprunter à la
grossièreté des voix de la terre, elle répand partout la même
lumière, elle répand partout le même amour.
Eu second lieu, la vraie religion doit être universelle par
son amow\ Elle doit tendre les bras à tous les peuples, les ap-
peler tous à se réunir dans son sein pour n'y former qu'une
seule famille d'enfants de Dieu. Or, voyez l'Église. Partout
elle fait entendre sa voix par ses apôtres et ses missionnaires ;
seule elle a un apostolat catholique. f)otiée d'une force d'ex-
pansion qu'on ne trouve point ailleurs, il n'est pas un si petit
coin de terre qu'elle ne cherche à envahir, pas une île de
l'océan où elle ne dépose un missionnaire pour faire entendre
sa voix aux peuples encore plongés dans les ténèbres. L'Église
a donc l'universalité de l'amour, appelant tous les hommes de
ses vœux, et poursuivant, à l'exemple du bon Pasteur, les bre-
bis égarées jusque dans les déserts les plus arides.
Est-il nécessaire après cela, que la vérité divine produise
aussi la catholicité de la foi? Non. Les hommes et les peuples
sont toujours libres de lui résister, et il peut arriver airtsi,
comme il arrive de fait, que la chaîne de la tradition chré-
tienne soit souvent interrompue par telle famille ou telle na-
256 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE. [Tome VII.
tiou. De cette manière, un grand nombre d'hommes seront pri-
vés de la connaissaf.ee de la vérité par leur faute ou par celle
de leurs parents ; mais cela empcchera-t-il la vraie religion
d'avoir en elle-même le caractère de l'universalité, de posséder
un amour assez grand pour les presser tous sur son sein, une
constitution assez large pour les réunir tous dans un même
bercail, un dévouement assez sublime pour aller, à travers
tous les dangers et toutes les fatigues, les appeler, les presser,
les supplier de chercher leur bonheur et la paix de leurs âmes
dans la grande unité catholique ?
Mais, grâce à Dieu et à la fidélité des hommes, nous avons
plus que ce qui suffit, nous avons plus que l'apostolat catho-
lique, nous avons la catholicité de la foi. Si tous les peuples
n'obéissent pas à la vérité, chez tous les peuples du moins il y
y a des âmes d'élite qui y obéissent. L'Église catholique et elle
seule, compte des enfants au milieu des nations protestantes
et schismatiques, chez les peuples de la Chine et chez les
peuples de l'Inde, parmi les sauvages de l'Orégon et parmi
ceux des iles Océaniennes. Les deux cent millions de catho-
liques qui entendent la voix du Fape, ne sont point un peuple
occupant une portion déterminée du globe ; ils sont répandus
par l'univers entier, et c'est en face de toutes les fausses reli-
gions répandues sur le globe, en face de tous les temples protes-
tants et Sf.hismatiques, en face de toutes les pagodes et de
tons les faux autels que l'Église élève avec la chaire de vérité,
l'autel unique du Dieu qui vit dans son sein.
C'est dans ce triple caractère de sa catholicité que se mani-
feste la divinité de l'Eglise. En dehors d'elle, ces caractères ne
se retrouvent plus même isolés. Les sectes ne sont pas, ne
peuvent être caiholiques. Elles n'ont pas la catholicité de
nature. Où pourra-t-on trouver l'ÉgUse anglicane ailleurs que
sous le sceptre de la reine Victoria ?. où trouvera-t-on des sec-
tateurs du schisme russe là où ne s'étend pas le pouvoir du
czar ? où trouvera-t-on une église luthérienne, une église ré-
T^IarsISCS.] DU P. DECHAMPS. ^57
formée universelle ? Non seulement elles n'ont point ce carac-
tère, mais elles n'ont jamais aspiré à l'avoir, tant elles ont la
conscience de leur impuissance. L'idée de l'apostolat catho-
lique appartient exclusivement à l'Église catholique, et ce
nom, qui est sa gloire parce qu'il 1?, montre divine, ne lui
est disputé pas personne.
Le caractère des sectes, au contraire, est le nationalisme,
et ce nom seul est une condamnation pour elles.
Pour qu'il puisse y avoir catholicité, il faut une consistance
propre. Or, le protestantisme n'a de consistance que par la poli-
tique. L'esprit apostolique des sociétés bibliques n'est point
né des entrailles de la doctrine, mais de nouvelles convenances
politiques. L'idée même de l'apostolat exclut celle du protes-
tantisme, qui pourra bien fonder des colonies nationales, mais
non des églises filles de l'Église universelle. Comme religion,
il ne subsiste que par le catholicisme auquel il s'attache pour
le détruire, semblable, dit le comte de Maistre, à la gangrène
qui ronge tout le corps, et qui cesse d'exister du moment où
elle ne trouve plus rien à détruire.
Il sutht donc de montrer à l'ànie ce caractère de l'Église
pour lui faire reconnaître sa divinité, 11 suffit de la rendre at-
tentive pour lui faire comprendre combien ce caractère est
étranger aux sectes qui vivent en dehors d'elle. Une révélation
qui n'est point pour tous les hommes, une religion qui ne
réunit pas au moins l'universalité de nature et l'universalité
de l'amour ne vient pas de Dieu.
Mais voici qu'il y a en dehors des sectes d'autres voix plus
fausses encore. Les unes nous invitent à une parodie de la
catholicité; les autres veulent faire de cette gloire un crime à
l'Église.
Oui, il y a des voix qui nous prônent l'affranchissement
universel de l'humanité et de tout dogme et de toute religion
positive ; des voix qui prétendent nous unir tous dans la pra-
tique d'une morale universelle substituée à l'Eglise univer-
ReYUE des sciences ECCLÉSIASTIOUES. t. VII. 17.
258 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE [Tome Vit.
selle. Déjà nous avons constaté que ces voix sont éminemment
fausses, puisqu'elles sont la négation de tout ce qui se trouve
au plus profond de l'homme, la contradiction manifeste du
bon sens, de la bonne foi comme du genre humain. Mais, de
plus, elles se contredisent elles-mêmes. Une morale universelle
posée à l'écart des questions religieuses ! Mais si la question
religieuse est au fond de l'homme et remue tont le genre hu-
main, comment peut-on se placer en-dehors d'elle? Que sera
cette morale dont précisément l'homme demande à la religion
de lui donner le fondement, les lois et la sanction? Cette sé-
paration ressemble au jugement de cette mère dénaturée qui
aimait mieux voir son enfant coupé en deux que de le voir
vivre entre les mains d'une autre. La femme qui demandait
cette séparation n'était point la mère, et c'est à cette contra-
diction avec la voix de la nature que le »sage Salomon recon-
nut la mère véritable. Ceux qui veulent séparer ainsi la morale
du dogme se révèlent de même comme ennemis de la vérité,
ennemis ^e la nature, ennemis de Dieu.
D'un autre côté, la morale regarde Dieu et l'homme. Elle
nous impose des devoirs envers Dieu; mais quels seront-ils si
vous supprimez le dogme ' Elle nous impose des devoirs en-
vers nous-mêmes ; mais ces devoirs supposent deux grandes
questions religieuses, la révolte des passions et les moyens de
les combattre. Sur quoi appuyerez-vous ces devoirs? De quels
principes dériverez-vous les vertus morales? Elles fleurissent
admirablement à l'ombre des vertus religieuses surnaturelles,
des vertus divines ou théologales. Mais, privées de cette in-
fluence, elles sont infirmes dans notre nature déchue et s'af-
faissent bientôt sur elles-mêmes. Ne l'ont-ils pas compris ceux
qui prétendent trouver le remède à tous les maux de la société
dans la diffusion d'une morale mutilée qui se borne à l'indica-
tion de quelques devoirs vagues, dépouillés de tout principe
d'action et de toute sanction?
Nous avions donc raison de dire que ces voix ne font que
Mars 1863. 1 DU P- DECHAMPS. 2j9
parodier renseignement de l'Eglise; elles parodient de même
sa catholicité. Elles sortent des loges, et ont pour but de dé-
truire l'amour de la religion, le respect qui lui est dû, l'in-
fluence qu'elle exerce. Elles veulent y substituer la haine de
la vérité, haine qui sera toujours l'unique lien de l'infidélité,
et elles préparent le chemin à la catholicité de l'antichristia-
nisme. C'est là que nous conduisent les preneurs de la morale
universelle. Mais l'antichristianisme ne sera pas une foi com-
mune. Ce sera la grande union de la haine par laquelle son
prince, l'Antéchrist, fera partout la guerre à la vérité catho-
lique, qui seule lui résistera. L'àme qui cherche de bonne foi
la vérité se sent repoussée par ce spectacle, et ainsi, de quelque
côté qu'elle envisage les réponses qui lui viennent du dehors,
elle ne fait que se confirmer de plus en plus dans cette adhésion
qu'elle a donnée à la voix de l'Éghse du moment où elle l'a
entendue.
Ici le P. Dechamps s'impose une espèce de halte dans cette*
marche toujours si lumineuse pour regarder en face certaines
objections, et pour montrer l'inanité de ces grands mots au
moyen desquels on insulte l'Église dans ce qui fait sa gran-
deur et dans la manifestation même de sa divinité. Il voit
attaquer son unité au nom de la tolérance, sou universalité au
nom du patriotisme, sa perpétuité au nom du progrès. Nous
devons glisser sur ce beau chapitre qui n'est pas essentiel
^ à l'exposition complète de sa méthode. Mais tout en résistant au
vif désir que nous aurions de citer quelques-unes de ces élo-
quentes pages qui, mieux qu'une sèche analyse, feraient con-
naître la manière de l'auteur, nous indiquons sommairement
les réponses du P. Dechamps.
Il expose, d'après Mgr Parisis, la doctrine de l'Église sur la
tolérance, et nous montre comment, loin d'être persécutrice,
c'est elle qui est en butte partout à la violence et à la persé-
cution. 11 répond à la seconde objection en rappelant le grand
principe de la distinction des deux pouvoirs, et montre com-
260 MÉTHODK APOLOGÉTIQIE [Tome VU.
ment le reproche d'ultramontanisme tend à nous ramener à la
servilité païenne vis-à-vis du pouvoir, servilité dont nous
n'aurions plus même l'idée, si le protestantisme n'était venu
la rajeunir. Puis, dans un magnifique tableau dont la large
esquisse montrerait seule la main du maître, il fait voir que
l'Église a été le principe de tous les progrès qu'a jamais faits
l'humanité. Tout en constatant combien il y a dans le pro-
testantisme d'illustres individualités littéraires, il établit
P qu'on ne voit pas dans son sein de ces grands courants de
lumière qu'on appelle les siècles de Léon X, de ûlédicis, de
François I, de Louis XIV; S» que ces individualités sont elles-
mêmes une nouvelle preuve que les inspirations littéraires et phi-
losophiques manquent à l'hérésie et se retrouvent dans l'Église
catholique. Il finit pas nous montrer combien s'élèvent Stolberg,
Schlegel, Gœrres en revenant à la foi catholique, et de quelle
hauteur tombent La Mennais et d'autres écrivains de notre âge
lorsqu'ils perdent avec la foi de leurs pères la vie de leur âme.
Ce chapitre renferme de grandes beautés littéraires et de ma-
gnifiques aperçus.
IV. SAINTETÉ.
La preuve de la divinité de l'Église par sa sainteté est celle
qui va le plus droit à i'âme ; elle fait partie intégrante de la
méthode que nous avons exposée. Aussi c'est celle que l'auteur
traite avec le plus de complaisance. On voit dans son exposition
comme un reflet de ces jouissances ineffables que lui procure
le ministère des âmes qu'il a exercé dans plusieurs villes de la
Belgique, et il semble regretter que les apologistes, d'ordi-
naire, la laissent trop dans l'ombre.
L'ouvrage est en forme de dialogue. Les interlocuteurs
sont un magistrat, homme du monde, religieux au fond et
plein de bonne foi, un écrivain qui semble se jouer sur les
limites de la théologie et de la philosophie, et un théologien
vieilli dans l'étude de la religion. Celui-ci contrôle les doc-
Mars 18C3. DU P. DECHAMPS. 2t.|
triues de l'écrivain qui n'est autre que l'auteur lui-même.
Voici comment il entre en matière :
« L Écrivain. Jusqu'ici nous n'avons expliqué que cette seule
parole : Je crois l'Éf^lise catholique. Il faut aussi faire sentir ce
que contient cette autre parole : Je crois la sainte Église catho-
lique.
a Le Magistrat. A votre place je n'insisterais pas trop sur ce
point, car je n'y vois qu'un signe de contradiction, le défaut
de sainteté dans les fidèles et quelquefois dans les pasteur.'>
ayant fourni plus d'objections que de pi-euves.
a Le Théologien. Oh ! que vous êtes à côté de la question !
« L'Écrivain. Et de la plus belles de toutes!
Si cette preuve est la plus belle de toutes, la raison en est
qu'elle est d'un côté la plus éminemment divine , el eu
même temps la plus accessible à l'homme. Elle va surtout au
cœur, et non-seulement elle éclaire, mais elle attire. La foi
est un acte de l'àme tout entière ; il y entre autant d'amour que
d'intelligence. La religion doit donc parler aussi à toutes ces
facultés de l'àme, à l'intelligence par la vérité, au cœur par la
sainteté. Ces deux manières dont la religion nous parle ne
sont pas essentiellement différentes, la sainteté n'étant que la
vérité dans les affections, et la doctrine elle-même n'étant
vraie qu'autant qu'elle prescrit un amour vrai pour le vrai
bien, un amour vrai en lui-même et vrai dans son objet.
Il n'y a personne qui ne soit capable de discerner entre deux
doctrines opposées celle qui vient du ciel et celle qui vient de la
terre; celle qui fait sourdement écho aux passions déréglées
et aux vils penchants de celle qui répond à l'inclination divine
qui est en nous. Il n'y a personne qui ne comprenne que la
doctrine n'est vraiment sainte que si elle prescrit à l'homme
l'amour de Dieu, l'attachement à Dieu, l'élévation de l'âme
au-dessus des passions de ce monde qui passe et où il faut
passer eu faisant le bien. Comment en effet le monde s'y prend-
il pour contester la réalité des vraies vertus, des vraies dévo-
262 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE. [Tome VI 1
tiens, des vrais sacrifices? N'est-ce pas en leur cherchant im
motif tout humain, un motif tout terrestre, l'intérêt, l'ambition,
la vanité? Et quand il trouve chez des âmes prétendues saintes
quelque apparence d'une passion plus terrestre encore, quelle
heureuse découverte pour les yeux malades qui se sentent
blessés par une lumière trop vive! Le monde sait doncparfai-
ment, sans qu'il s'en rende compte, ce qui empêche d'être
saint, et par conséquent ce qui est requis pour l'être.
Eh bien ! regardez l'Église par quelque côté que ce soit; et
par sa sainteté qui est le caractère de sa vie intime, plus encore
que pas sa catholicité, qui est le caractère de son développement
extérieur, elle répondra à la recherche divine du vrai et du
bien que Dieu a mise en nous.
La sainteté consiste dans l'amour de Dieu. Cet amour, qui
est inséparable de l'amour du prochain et qui doit régler
notre amour pour nous-mêmes, la religion catholique nous le
commande. Donc elle est sainte. Aucune autre religion n'a
pensé à prescrire l'amour de Dieu, aucune autre ne l'a osé;
aucune n'a jamais demandé à Dieu de l'aimer et de le servir.
Donc, aucune autre n'a la sainteté de la doctrine.
Le paganisme n'a jamais songé à demander les dons de
l'àme. Il apparaît dans le monde comme le grand consentercent
à la tentation du désert : Jlsec omnia tibi dabo, sicadens adora-
veris me. Il n'a pas honoré les esprits qui nous conduisent à
l'amour et à l'adoration de Dieu, mais ceux qui nous en dé-
tournent.
Plus coupable est le panthéisme. Car il va au-delà de l'oubli
pratique de Dieu ; il confond Dieu avec le monde. Éminemment
impie s'il prend pour devise: Non est Deus, il ne l'est pas moins
s'il s'attache à cette autre ïovv^xAq'. Eintis sicut dii. De quelque
manière qu'il se présente, il est la formule doctrinale (\m exclut
la sainteté.
En dehors du paganisme il y a l'islamisme dont la doctrine
est entachée d'une double ignominie : le fatalisme et le sen-
Mars 1863.] DU P. DBCHAMPS. 263
sualisme. Sapant la morale parla base et la rongeant comme
un chancre, il en détruit jusqu'à la notion, puisqu'il nie l'em-
pire obligatoire de la volonté sur les passions comme il en
suppriûie le moyen en niant la liberté.
On voudrait au moins trouver la sainteté delà doctrine dans
ces débris du christianisme qui constituent le protestantisme.
Plus heureux que d'autres, les protestants connaissent Jésus-
Christ ; ils ont entre les mains le livre de l'Evangile, qui contient
le récit des paroles et des actions de l'Homme-Dieu ; il semble
impossible de ne pas avoir la sainteté de la doctrine quand on
possède ce trésor. Eh bien, les protestants qui aiment tant à
redire : Nous n'avons pourtant tous qu'un seul et même Dieu ;
les protestants ont une doctrine qui exclut, elle aussi, la sain-
teté. Cette doctrine, consignée dans leurs symboles, est toute
pharisaïque. Elle promet la sainteté à la condition d'être un
sépulcre blanchi. Elle nie le libre arbitre et avec lui l'obligation
et la possibilité de la sainteté. Dès son origine, le protestantisme
flétrit les trois plus belles vertus de l'Église, l'humiUté, la vir-
ginité et la sainteté du mariage, et son enseignement sur la
grâce ne pouvait que dessécher les sources de la prière, et étein-
dre cet esprit qui nous porte intérieurement à gémir sur nous-
mcmes et à demander humblement la guérison de notre âmei
Sera-ce peut-être la rationalisme qui nous apportera une
doctrine sainte? mais oblige-t-il véritablement à aimer Dieu?
Connaît-il la source de notre impuissance naturelle à l'aimer,
et le remède à cette faiblesse ? N'a-t-il point nié cette impuis-
sance, et j)ar conséquent le besoin d'obtenir par la prière
l'amour perdu avec la justice, l'amour qui est la justice ? Les
honnêtes gens du rationalisme n'ont-ils pas l'habitude de
concentrer toute la loi dans le second commandement qu'ils
ne comprennent pas mieux qu'ils ne le pratiquent :
Tu aimeras le prochaifi comme toi-même;
sans faire attention au premier qui en est la racine ^
Tu aimeras Dieu par dessus toutes choses.
264 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE ITonieVll.
Ils se croient justes parce qu'ils observent la justice commu-
tative, parce qu'ils ont payé leurs fournisseurs, et ils ont
tellement perdu le sens de la justice totale, qu'ils ne pensent
pas se devoir à eux-mêmes ce respect qu'on appelle chasteté,
et qu'ils ignorent absolument que l'amour de Dieu est la plus
grande et la première dette de l'homme.
Il n'est pas nécessaire assurément de passer ainsi en revue
toutes les doctrines qui se présentent en dehors de l'Église.
Une doctrine qui se présente à nous en réalisant l'idéal de la
sainteté que nous portons confusément en nous, ne peut être
que divine. Mais il nous semble tellement évident qu'une doc-
trine ne peut aucunement prétendre à une origine divine quand
elle ne porte pas la marque de la sainteté, que le cœur se re-
fuse à croire qu'il y a des hommes sans nombre qui admettent
comme célestes des doctrines où la notion de la sainteté est
entièrement oblitérée. Et quand on voit que l'Église catholique
seule possède la sainteté de la doctrine, l'âme n'en demande
pas davantage pour s'écrier : Oui, cette église nous vient de
Dieu; c'est la parole de cette église qui est l'organe perma-
nent de la révélation de Dieu parmi nous.
Mais il y a plus, l'Église est l'organe permanent de la grâce
dans sou culte, et si elle ose commander à l'homme d'aimer
Dieu, c'est parce qu'elle a la conscience du pouvoir divin
qu'elle nous communique à cet effet. L'étude des moyens
qu'elle emploie serait à elle seule une démonstration palpable
de sa divinité. Mais, pour ne pas trop prolonger ce trop long
article, nous terminerons eu indiquant, d'après leP. Dechamps,
les fruits de sainteté qui se produisent dans l'Église.
Ces fruits, nous les trouvons partout. N'est-il pas vrai, en
effet, qu'une multitude de fidèles, exposés comme tous les
hommes aux assauts des passions et des inclinations impor-
tunes de la nature déchue, conçoivent le désir et la résolution
de les combattre, emploient les moyens que Jésus-Christ leur
a donnés pour les vaincre, et remportent d'innombrables vie-
Mars 1Ç63.! BU P. DECHAMPS. i 6>
toires ? Il y a là quelque chose de divin. Ce n'est point par ses
propres forces que rhomme lutte contre lui-même. La raison
de l'homme, laissée à elle seule, n'est point en guerre déclarée
avec les passions de Thomme, et ces vertus de foi, d'espé-
rance et d'amour qui sont Tàme de la vie de l'Église, sont l'ef-
fet de la correspondance à des grâces qui luttent en nous
contre nous.
Partout aussi se rencontre dans l'Église la pratique de la
confession, où tout est divin : la loi qui prescrit au pécheur,
avec le repentir, l'aveu fait à un homme pour obtenir le par-
don de Dieu; raccomplissement de cette loi par l'univers ca-
tholique, et les conséquences de cette loi, puisque c'est au
sortir de la confession que l'homme se sent dans le cœur l'hor-
reur du péché, la force de le combattre, les saintes flammes
de l'amour de Dieu brûlant dans un cœur que consumaient
naguère des feux impurs.
Et ne voit-on pas tous les jours dans l'Église, et partout,
des actes touchants de résignation et de douceur, des dévoue-
ments admirables, les actes de charité les plus émouvants, la
patience daus la douleur, la joie, la paix et le bonheur jusque
dans la mort? Lorsqu'on voit un homme muni des sacrements
de l'Église, attendre la mortcomme une amie, quitter le monde
sans regret, et jouir, comme par anticipation, de la paix du
paradis, n'a-t-on pas devant soi un spectacle évidemment di-
vin? Or, ce spectacle se trouve partout.
Mais il y des exemples de sainteté plus excellents et qui
frappent encore plus les regards. La vocation religieuse est
quelque chose de divin, un appel adressé par la Providence
elle-même au cœur d'un homme. Placé en face des grandes
misères de l'humanité, cet homme se dévoue pour ses frères,
il se dévoue pour Dieu. Afin de ne vivre que pour ses frères et
pour Dieu, il meurt à lui-même, et il mourra à lui-même tous
les jours de sa vie, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de l'appeler
à lui. Or, la grâce d'en-Haut est nécessaire pour commencer
266 MÉTHODE APOLOGÉTIQUE ITomeVII.
cette mort, car on ne meurt pas sans agonie. Elle est néces-
saire pour la continuer à travers toutes les défaillances de
la nature.
Ce n'est que dans l'Église qu'on voit des institutions reli-
gieuses éprises du triple amour de Jésus-Christ pour l'enfance,
pour la pauvreté, pour le malheur. L'instruction de la jeu-
nesse demande une vocation d'en-Haut ; le soulagement de
toutes les infortunes une vocation d'en-Haut. « Ceux qui mé-
prisent les ordres religieux, dit Leibnilz, n'ont de la vertu
que des idées vulgaires. La sainteté est dans la charité divine.
La prière et le sacrifice sont les deux ailes de cet amour qui
s'élève à Dieu pour de lui revenir aux hommes. »
Les religieux ne sont encore dans l'Église que des braves ;
les saiîits sont des héros parmi les braves. L'Église, en les ca-
nonisant, fait écho aux prémices du jugement de Dieu. Le mérite
et le démérite, la vertu et les mérites de chaque homme se-
ront solennellement proclamés à la face de l'univers au jour
que Dieu appelle le sien. « Mais cette Providence, qui nous
porte ici-bas aux combats de la vertu par de grands exemples,
a voulu, pour rendre ceux-ci plus efficaces encore, nous don-
ner, dès cette vie même, une première vue de leur récompense,
en manifestant avant le dernier jour le salut de plusieurs de
ses saints par les prodiges nombreux, les miracles avérés
qu'elle opère pendant leur vie, et surtout à leur invocation
après leur mort. C'est cette manifestation divine de la gloire de
quelques élus que nous appelons justement les prémices du
jugement de Dieu. Et c'est quand elle est évidente, certaine,
que l'Église lui fait écho en la constatant par la canonisa-
tion. »
A la vue de ces grands spectacles, uniques dans le monde, il
semble que la divinité de l'Église est évidente, palpable. Ce
n'est pas le Pape seulement parlant au nom de Dieu, c'est
chaque fidèle digne de ce nom qui se sent comme eu commu-
nication directe avec le monde supérieur, avec le ciel. Ceux
MarslS(!3. DU P. DECHAMPS. 207
qui sont hors de l'Église, ou bien gémissent d'être étrangers à
cette fête qui relie le ciel avec la terre, ou bien sourient et
plaisantent. Nous comprenons le sentiment des premiers qui
sont de bonne foi, et chez lesquels il suffirait de déduire les
conséquences dece qu'ils éprouvent pour faire jaillir la lumière.
Mais pourquoi ce dédain des autres ? Vient-il de ce que l'Église
ne procède pas assez sagement? Non, mais ils ont peur de la
lumière qu'ils voient jaillir. Ce type d'hommes leur est in-
connu, et ils ne les méprisent que parce qu'ils sentent confu-
sément leur propre infériorité. Le surnaturel qui se produit
dans le miracle ne les épouvante pas moins; mais à quoi sert-
il de le nier quand on est soi-même en présence des innom-
brables miracles du monde moral? Ces hommes auraient moins
de peine à admettre les phénomènes de la vie surnaturelle s'ils
s'étaient jamais mis dans la disposition nécessaire pour en
éprouver eux-mêmes quelque chose.
L'exposé de cette preuve est complété par le témoignage
que les ennemis et les enfants dénaturés de l'Église rendent
malgré eux à sa sainteté. Quand il arrive un scandale dans
l'Église, la renommée n'a pas trop de ses cent bouches pour
en répandre le bruit en tous lieux. Pourquoi le monde atta-
cherait-il cette importance à un scandale commis par un
enfant de l'Église, s'il n'avait le sentiment de rénorme con-
traste qui existe entre le crime et la sainteté réelle de la famille
où il se rencontre? Et cette irritation antireligieuse que l'on
trouve chez les enfants dégénérés de l'Eglise, n'a t-elle pas son
principe dans la vue des vertus chrétiennes, dans la présence
des grands exemples de l'amour des saints et des œuvres qu'il
inspire? N'est-ii pas dû surtout à ce que, pour se plonger dans
la révolte, il a fallu lutter avec des grâces toujours plus abon-
dantes dans l'Église qu'ailleurs, et n'est-ce poiut la fureur
même de cette lutte intérieure qui se traduit par d'affreux
paroxismes au dehors ? Cette fièvre antireligieuse est inconnue
dans les pays où les sources de la grâce sont taries.
268 LITURGIE. 1 Tome VII.
Nous avons indiqué la méthode du P. Dechamps dans ses
caractères essentiels, et les principaux développements dans
lesquels il est entré. Les prêtres qui nous lisent et qui savent
par où les âmes sont 1 e plus accessibles à la vérité, comprendront
aisément tout le fruit qu'il y aura à en tirer. Nous ne préten-
dons point assurément qu'il n'y ait pas moyen de trouver encore
de grandes richesses dans cette mine inépuisable; mais nous
nous réjouissons que cette voie ait été ouverte par un homme
qui unit admirablement eu lui les sciences du monde et la
science des saints. J.-I. Simonis.
RÉPONSE
d'un LITURGISTE ROMAIN A DES QUESTIONS CONCERNANT DIVERSES
FONCTIONS PONTIFICALES.
On nous a communiqué certaines réponses données par uu
célèbre liturgiste, à Rome, sur des questions qui ne trouvent;
leur solution ni dans le Cérémonial des évêques , ni dans les
décrets de ia Sacrée Congrégation des Rites. Nous ne croyons
pas inutile de les transmettre à nos lecteurs.
I. La première question est relative aux cérémonies de la
bénédiction des cierges, des cendres et des rameaux qui se
fait avant la Messe le 2 février, le mercredi des cendres et le
dimanche des rameaux. Le Cérémonial des évèques indique
l'ordre à suivre dans ces cérémonies, quand elles sont faites
par l'évêque diocésain ou en son absence. Mais aucune ru-
brique, aucune décision n'établit ce qu'il faut observer quand
un évoque fait ces bénédictions hors du lieu de sa juridiction.
Il est seulement certain qu'il doit alors célébrer lui-même la
Messe solennelle. Mais où doit-il être placé ? Peut-il faire ces
fonctions au fauteuil comme l'ordinaire les accomplit au
trône? Le seul auteur qui suppose un cas analogue est Cliris-
tophe Marul, qui traite des fonctions faites à Rome par les
Mars IsrS] LITURGIE. 269
cardinaux. D'après lui, ces bénédictions se feraient à l'autel,
non pas au coin de l'épitre comme pour un simple prêtre,
mais devant le milieu de l'autei. Reste encore la question de
l'antienne /Tosanna, de l'épître, du répons et de l'évangile qui
précède la bénédiction des rameaux. Où le prélat doit-il être
placé pour lire ces prières et assister à l'évangile ?
D'après le liturgiste dont nous résumons les réponses, l'é-
vêque doit chanter les oraisons pour la bénédiction des cierges,
des cendres et des rameaux près du fauteuil placé comme
pour la Messe solennelle. Les cierges et les rameaux à bénir
se placent sur une petite crédence entre le fauteuil et l'autel.
Pour les cendres, le sous-diacre tient devant le prélat le vase
qui les renferme. Le jour des rameaux, l'évêque est au fau-
teuil, comme à la Messe, lit l'antienne Hosanna avant la pre-
mière oraison, puis l'épître, le répons et l'évangile pendant
qu'on chante le répons. « Il vescovo deve cantare le orazioni
« délia benedizione délie candele etc., al faldistorio posto in
« piano a cornu episiolse. come nella Messa solenne : ma nel
0 cantare dette orazioni sta il vescovo colla faccia verso l'al-
« tare, pouendosi tra l'altare ed il faldistorio una piccola cre-
a denza con sopra le candele o palme etc. : le ceneri perô
(( vi teugono in un vase che tienne il suddiacono in mano in
« piedi avauti al vescovo. — L'Bosanna, l'epistola, tratto, ed
« evangelo délia benedizione délie Palme, si leggono sub-
« missa voce dal vescovo stando a sedere, nel mentre si canta
« il tratto dopo l'epistola : eccetto che Vllosanna lo legge
« avanti l'orazione prima. »
IL A. l'office pontifical du jeudi-saint, le Cérémonial des
évêques n'indique pas positivement la place que doivent oc-
cuper le prêtre et les diacres assistants, le diacre et le sous-
diacre pendant que Te prélat bénit les saintes huiles. Un
auteur enseigne qu'ils doivent se tenir à genoux près de l'autel,
pour adorer le Très-saint Sacrement. Que doit-on penser de
cette pratique? Il n'estpasnon plus question de la cérémonie
270 LITURGIE. [Tome VU.
du dépouillement des autels. Doit-elle être faite par Tévêque,
et alors de quels ornements doit-il être revêtu ? Que doit-on
observer pour le dépouillement des autels, si la Messe solen-
nelle a été célébrée par un évêque au fauteuil?
On répond à ces difficultés de la manière suivante. l°Pendaut
que Tévêque fait la bénédiction des saintes huiles, il est con-
venable que le prêtre assistant, les diacres assistants, le diacre
et le sous-diacre se tiennent près de lui dans une place dis-
tincte comme témoins : c'est ce qui semble être indiqué dans
le Cérémonial. 2° Le dépouillement des autels ne paraît pas
devoir être fait par le prélat : il peut être fait par le prêtre
assistant, le diacre et le sous-diacre , revêtus del'amict, de
l'aube et du cordon, le prêtre et le diacre portant en outre
l'étole violette. Il n'est cependant pas contraire aux règles
liturgiques que l'évêque fasse le dépouillement des autels;
il prend alors l'étole pendante sur l'aube et la mitre simple.
L'usage de dépouiller les autels avec le surplis et l'étole est aussi
toléré. « Mentre il vescovo benedice gli ogli santi, convienne
« che il prête assistente, diaconi assistenti, ed il diacono e
« suddiacono ministranti slieno vicino al medesino vescovo
« in un posto distinto, corne testimoiij, e cosi pare accennarsi
0 nel ceiemoniale. In quanlo alla denudazione degli altari,
« non pare che debba farsi dal vescovo, ma puô farsi dal
« prête assistente , diacono e suddiaconno che hanno mini-
c< strato alla Messa, vestiti di amitto, camice, cingolo e stola tra-
0 versa pel diacono ed avanti al petto come alla Messa pel sa-
a cerdote, ambedue dicolor paonazzo. Che se il vescovo vorrà
« farlo, egli non essendo positivamente proibito, si vestirà
« nella stessa maniera , ma colla stola pendente dal coUo , e
a mitra bianca semplice. E pei'ô toUerato l'uso di spoliare gli
a altari colla colta e stola semplice.
III. A la fonction du vendredi-saint, si elle est faite par
l'évêque diocésain, doit-on mettre sur l'autel le septième chan-
delier, et le prélat peut-il porter la crosse ? Le Cérémonial des
Mar3l8G3.1 LITURGIE. 27 f
évêques n'en parle pas. Le pontife , au commencement de la
fonction, se prosterne sur son prie-Dieu qui doit être sans
aucun ornement. On n'indique pas si les ministres sacrés
doivent se prosterner comme on le fait quand un évêque ne
préside pas à cette fonction^ et si l'on doit préparer des coussins
pour eux, le prélat n'en ayant pas.
On répond ainsi à ces questions. 1» On ne se sert pas de la
crosse; 2° on ne met pas le septième chandelier; 3° les
ministres sacrés ne se prosternent pas, mais se mettent à
genoux sur des coussins posés à terre. « Il settimo candeliere
« ed il pastorale non debbono usarsi iiel venerdi santo. I rai-
« nistri nella prostrazione non procumbunt , ma riraangono
a geuuflessi sopra il cussino m /)/ano terrx. Il vescovo procum-
« bit super faldistorium nudum. »
V. Si l'évêque diocésain célèbre la Messe solennelle du
samedi-saint, il peut, d'après le Cérémonial des évêques, ne
pas faire lui-même la bénédiction du feu nouveau : il peut
aussi faire faire par un prêtre celle des fonts baptismaux.
Pour la bénédiction du feu, suivant Catalaui, si le prélat fait
cette cérémonie, on lui apporte près du trône le feu à bénir;
mais s'il ne fait pas lui-même la bénédiction des fonts bap-
tismaux, on ne dit pas s'il y assiste. Ou n'indique pas non plus
l'ordre à suivre dans cette fonction, si la Messe solennelle de
ce jour doit être célébrée par un évêque en dehors du lieu de
sa juridiction.
Le pontife doit-il alors faire tout l'Office? S'il doit faire lui-
même la bénédiction du feu, peut-il ou doit-il la faire dans le
chœur? Prend-il part à la procession du Lumen Christi? Oix
est-il placé pendant le chant de VExultet? Où se place le pré-
lat pour lire les prophéties et les oraisons qui les suivent ? On
demande encore en quel lieu l'évêque doit déposer les orne-
ments après les prophéties, et dans quelle position il doit être
pour recevoir les ornements blancs pour la Messe. Le prélat
doit-il retourner au fauteuil pour les Vêpres? On réitère en
272 LITURGIE. [Tome MI.
outre la question mentionnée ci-dessus, au vendredi -saint.
Ces diverses questions sont résolues comme il suit : 1° l'é-
vèque diocésain peut rester à son trône pour faire la bénédic-
tion du feu, comme l'indique le Cérémonial desévêques, mais
il peut aussi faire cette cérémonie en dehors de l'églisR. Il pa-
raît plus conforme au Cérémonial de la faire hors du chœur
et de l'autel dans un lieu convenable, qui doit être éloigné de
l'autel. Si le prélat ne fait pas lui-même la bénédiction des
fonts, il demeure à son trône avec ses assistants. 2° Si le pon-
tife célébrant est hors du lieu de sa juridiction, le fauteuil
est disposé comme pour la Messe solennelle. La bénédiction du
feu nouveau peut se faire près du fauteuil ou en dehors de
l'église; après cette bénédiction, l'évèqueserend à son fauteuil,
s'il n'y est pas déjà, et l'on commence alors la procession du
Lumen Ch^isti. Le prélat demeure près du fauteuil pendant
VExultet, lit les prophéties et chante les oraisons au même lieu.
S'il ne fait pas la bénédiction des fonts, il demeure au fauteuil.
On place le fauteuil prie-Dieu devant l'autel pour les Lilanies,
et au verset/^ecca^ores, l'évêque reçoit les ornements blancs, en
demeurant tourné vers l'autel. Il revient au fauteuil après
l'ablution des doigts. Pour la prostration, on observe ce qui est
indiqué ci-dessus, pour le vendredi-saint. « È ad libitum del
« vescovo di benedire o far benedire da altro sacerdote il
« fonte, ed in questo ultimo caso egli aspetta sedeudo sul
« trono, e gli assistenli vicini. Il faldistorio deve stare in piano
(( a cornu cpistolx, facie versa ad januam ecclesix, seu ad po-
« pulum, nel tempo délie profezie. Per la prostrazione del
« sabbato santo, come si è detto di sopra per il venerdi
« santo. La beuedizione del nuovo fuoco puô farsidal vescovo
« ext7^a ecclesiam, ovvero deve farsi avanti il trono o faldisto-
« rio : pare pero più conforme al Cere moniale che facciasi
« extra chorum et allare in alio decenti loco; non perè ail' altare.
a Di poi il vescovo va ad sedem ed allora si fa la processione
« per il Lumen Christi, Se il vescovo célébra al faldistorio,
Mars 1861.] LITURGIE. 273
a allora questo si pone corne si disse di sopra al n" 5. Quando
« il diacono canta VExultet, il vescovo si volta inverso il me-
« desimo facie versa ad cornu Evangelii. Riceve i paramenti al
« faldistorio e ivi legge le profezie facie versa ad popvMm. La
ft benedizione del fonte è ad libitum, corne sopra si è detto al
« u» 5. Aile litanie, come sopra al n» 5. Al Peccatores, si alza
« e riceve i parameuti blanchi al faldistorio posto in piano, in
a média altaris, facie versa ad altare, stando diritto colla persona.
« Al principio délia Messa, si pone il faldistorio come sopra si
s è detto al n» 5. Dopo ricevuta l'ablnzione délie dita, il ve-
« scovo torna al trono o faldistorio per il vespro. » P. R,
REPONSE
A QUELQUES QUESTIONS LITURGIQUES.
1° Est-il permis, comme l'auteur de ces questions l'a vu faire
aux chanoines de Santa Maria in Gosoiedin, de ne chanter l'in-
troït qu'une fois sans reprise après Gloria Patri ? Ap7'ès l'épitre
peut-on se contenter de chanter les deux Alléluia sans verset ?
2" La défense de chanter le même jour deux Messes du même
mystère ou du même saint dans la même église est-elle très-rigou'
reuse ? Faut-il, pour s' en dispenser, une permission de l'ordinaire?
Les éoèques même peuvent'ils donner cette dispense ?
3° Que peut faire un prêtre sujet au froid des mains pendant la
célébration du saint sacrifice? La défense de rien placer sur l'autel
va-t-elle jusqu'à lui interdire d'y mettre un réchaud convenable
ou une bouillotte ? Pourrait-il, en cas de nécessité, prendre le ca-
lice des deux mains pour la communion et les ablutions ?
Première question. — Doit-on chanter en entier l'introït et le
graduel?
IJans les églises où il y a un orgue, le sou de l'orgue peut
suppléer le chant de certaines parties de l'office ou de la Messe.
La rubrique du Cérémonial des évêques indique le moment
qui suit l'épitre comme un de ceux où l'on joue de l'orgiif',
REVI'E des sciences eCCLÉSIASTlQUES, T. VU. 18-19.
274 LITURGIE. [Tome VII,
item finita epistola. C'est assez dire qu'une partie du graduel
peut être suppléée par là, et si les paroles sont récitées dans le
chœur, Tobligation de ne rien omettre dans le graduel, suivant le
décret du 14 avril 1 733 (n" 4239, q.2), est suffisamment rem plie^
Cette observation répond seulement à une partie de la ques-
tion, et d'une manière imparfaite. On y constate seulementque
le sou de l'orgue après l'épitre peut suppléer une partie du
chant, comme pour le Kyrie, le Gloria in excelsis, le Sanctus et
VAgnus Dei. Cette remarque étant tirée du texte même de la
rubrique, devait être énoncée tout d'abord.
Si nous envisageons la question sous un point de vue plus
général, nous croyons pouvoir admettre comme licites certaines
pratiques qui peuvent faciliter beaucoup l'exécution des Messes
chautées dans certaines églises de paroisse où il est plus dif-
ficile de se procurer des chantres bien exercés, surtout en
dehors du dimanche. Elles peuvent offrir un grand avantage
pour l'édification des fidèles. On peut, ce semble, poser les
règles suivantes :
\o Les chantres ne doivent omettre complètement aucune
partie de la Messe. Ou excepte de cette règle l'omission de
quelques strophes de la prose Dies erœ aux Messes de Requiem,
suivant ce qui est dit t. VI, p. 45, et, d'après plusieurs auteurs
recommandables, une partie du trait s'il est long,
2° Il n'est pas obligatoire déchanter toutes les notes du chant
grégorien. Aucune règle liturgique ne le prescrit. On pourrait
même, d'après plusieurs auteurs, se contenter de lire à haute et
intelligible voix les prières de l'Office qui devraient être chan-
tées, comme il est indiqué dans le Rituel de Benoît XIII pour
les processions du 2 février, du dimanche des Rameaux, du
jeudi et du vendredi saints. Des usages de ce genre existent
en Italie.
3» On pourrait, à plus forte raison, se contenter de chanter
une partie des prières et psalmodier les autres sur un ton
convenable. On pourrait, par ce moyen, éviter bien des fautes
et doniier à toutes les Messes chantées une solennité suffisante.
Mari 1863.1 LITURGIE. 27b
sans qu'il fût nécessaire d'avoir un personnel de chantres
bien exercés.
Deuxième question. — De la prohibition de chanter deux fois la
Messe du jour dans la même église.
Nous avons déjà eu l'occasion de parler de cette règle. Elle
est appuyée sur plusieurs décrets, et doit être appliquée à
des Messes qui seraient célébrées par deux clergés diflerents.
1" Question. « Pro parte capituli Cathedralis expositum fuit,
« quod Episcopus cum assistentia canonicorum in collegiata
« ecclesia S. Secundi canit Missam solemnem in die festivita-
« tis ejusdem sancti, et ideo qugesitura fuit, an sine prsejudicio
« sui juris possit idem capitulum permiltere, ut a capitule
(( dictée collegiatœ ecclesise cantetur altéra Missa ejusdem
a sancli ? » Réponse. « Non licere eodem die canere alleram
« Missam ejusdem sancti. » 2* Question, Praipositus ecclesiae
« collegiatœ S. Laurentii Majoris, qui cum assistentia canoni-
« corum in ecclesia SS. Nazarii et Celsi canit Missam solem-
« nem in die eorum festivitatis , supplicavit declarari : An
<i reetor praidictœ ecclesise possit immediaie post Missam
« prœpositi caiiere alteram Missam eoriimdem sanctorum?»
Réponse. « Non licere canere eadem die alteram Missam eorum-
« dem sanctorum. » (Décrets du 3 août 4652, n"* 1645 et
4647.) M. de Conny, rapportant et commentant ces décrets,
s'exprime ainsi [Cér. rom., 3^ éd. p. 485) : «On ne doit cé-
« lébrer dans une église qu'une seule Messe solennelle corres-
« pondante à Tofiice ; si l'on chantait d'autres grand'Messes,
« ce ne pourrait-ètre qu'à roccasiou d'une rubrique particu-
« lière le demandant pour ce jour-là, ou pour acquitter quelque
<( fondation. » 11 ajoute ensuite cette noie :« Celte unité de la
« Messe solennelle est fort rationnelle et fort en rapport avec la
« tradition de l'antiquité : il n'y a qu'une seule assemblée so-
« lennelle des fidèles le même jour dans une église. » 11 suit
de là que la solennité extérieure dont peut jouir la Messe prin-
cipale dans une église^ ccmme d'être servie par deux clercs en
276 LITURGIE. [Tom&VIf.
surplis, ou célébrée avec plus de deux cierges allumés, n&
peut avoir lieu deux fois le même jour, dans la même église,
ni dans une église où roncélèbre le même jour unegrand'Messe.
On ne peut, pour le même motif, faire plusieurs fois raspersion
de l'eau bénite, le même dimanche, dans la même église.
La loi qui interdit de chanter deux Messes du même saint
le même jour dans une même église, étant portée par la S.
Congrégation des Rites, l'ordinaire n'en peut pas dispenser sans
un induit spécial.
Troisième question. — La défeme de rien placer sur l'autel pen-
dant le saint sacrifice de la Messe s'étend-elle à un réchaud
destiné à garantir les mains du py^ctre d'un trop grand froid ?
Le pjrètre pourrait-il, en cas de nécessité, prendre le calice des
deux mains pour la communion et les ablutions ?
i. 11 est des prêtres dont les mains sont tellement sensibles
aux atteintes du froid, que, sans un secours de ce genre , ils
seraient exposés à de graves accidents, surtout pour distribuer
la sainte communion. Il est donc permis de penser qu'on pour-
rait alors placer sur l'autel uu réchaud ou une bouillotte. Ajou-
tons cependant que, vu 1° la rubrique du Missel : Super altare
nihil omnino ponatur quod ad Missx sacrificium, vel ipsius alta-
ris ornatum non pertineat ; vu 2" l'obligation spéciale où se
trouve le prêtre célébrant d'éviter tout ce qui pourrait ressen-
tir une trop grande recherche de ses aises, et de ne rien faire
qui puisse détourner les fidèles de Taltention et du respect avec
lequel ils doivent assister au saint Sacrifice, il ne serait pas à
propos, ce semble, de recourir à ce moyen sans une nécessité
qui surpassât les inconvénients mentionnés.
2. Sile prêtre nepeut, sans s'exposer à un accident, prendre
le calice d'une seule main pour la communion et les ablutions,
il lui sera permis de le prendre des deux mains, et il sera dis-
pensé de tenir la patène ou le purificatoire comme le prescrit
la rubrique. Des raisons de nécessité supérieures aux règles
positives nous semblent l'y autoriser. P. R.
QUESTION
DE LA.
PLURALITÉ DES VICAIRES CAPITULAIRES.
DE LA SACRÉE CONGRÉGATION DU CONCILE
AUX CHANOINES DE CAHORS.
La controverse roulait uniquement sur ce point : Peut-on
aujourd'hui en France nommer plusieurs vicaires capitulaires pen-
dant la vacancedu siégel Nous avons soutenu la négative. D'autres
ont pris la plume pour faire prévaloir le sentiment contraire.
La divergence s'est manifestée, non-seulement dans les écrits^,
mais encore dans les actes. Plusieurs vacances de siège étant
survenues, certains chapitres ont cru ne devoir nommer qu'un
seul vicaire capitulaire ; d'autres en ont député plusieurs.
Telle était la situation, lorsque le siège de Caliors a vaqué
par la mort de Mgr Bardou, et que MM. Martin et Maury ont
demandé par dépèche télégraphique une décision à S. Con-
grégation du concile.
Voici le texte de la question et de la réponse, tel qu'il a été
communiqué au journal le Monde, par une lettre de M. Maury.
Question. — «A Son Éminence le Cardinal Préfet de la Sacrée
« Congrégation du Concile. — Le siège vaque. Le chapitre peut-
« il nommer deux vicaires, remplaçant deux vicaires généraux,
« selon la coutume française? — Signé : Martin, doyen.
« Maury, chanoine. » Réponse. — «Canonicis Martin, Maury.
« — Côngregatio Concihi, qusestioni quoad nominationem duo-
« rura vicariorum, sede vacante, respondet, posse tolerari. »
(Dans le journal le Monde, 11 mars 1803.)
278 VICAIRES CAPITULAIRES. [Tome VII.
Il nous semble qu'en vertu de cette réponse, les chapitres
de France peuvent désormais sans scrupule nommer plus d'un
vicaire capitulaire, et que la controverse se trouve ainsi suffi-
samment .terminée.
11 nous semble, en outre, résulter de la même réponse, que
la pratique de la pluralité n'était pas légitime, ainsi que nous
l'avons soutenu.
Nous allons essayer d'établir ces deux points, après avoir
rappelé les divers sens du mot toleramus, employé par le
Saint -Siège.
I.
Divers sens du mot tolérer.
Celte expression n'a pas toujours le même sens, et l'acte
qu'elle exprime n'a pas toujours les mêmes efîets. Il suffira
pour s'en convaincre de lire les passages suivants :
« Sed dices : Papa hic utitur verbo toleramus. Ubicumque
autem in facto specifico princeps respoudetido vel scribendo
àScW toleramus , videtur dispensare super illo actu alias illicite,
ut est textus in capite Quia circa (ju-ncta glossa ultima), d'e con-
sanguinitafe et af/înitate ; et hic déclarât Abbas, numéro 9.
Ergo, ut inquit glossa 3 hic, Papa toleravit hanc compositionem
ob causas in textu expressas, vidilicet quia facta fuit pro bono
pacis et utilitatis, et quia placuit omnibus j et si Papa composi-
tionem non tolerassetj auctoritas judicis non fuisset sufficienSf
quia de jure hoc facere non poterat. Unde dicit Papa : Nos eam
hoc adhibito moderamine toleramus, et ad tempus, ut sequitur.
Hactenus verba glossœ, qua?, ut vides, aperte sentit, sine tole-
rantia Papae rescrvationem peusiouis ctiam ad tempus non
sustineri.
« At respondetur contra glossam tenereHostiensem et com-
numiter doctores... Idcirco autem Papa hic dixit toleramus, ne
ex toto videretuc" approbare hoc factum, quia erat suspectum de
slmonia, nisi processisset a viris probis et honestis, et non
Mars 1803] VICAIRES CAPITULAIRES. '279
expediebat ut assumeretur in exemplum; iinde dicit se tole-
rare, quia mulla sunt toleranda, noulaudanda,proptermalum
quod potest subesse. »(Fagnauus, ad caputiVîst essent, de prx-
bendis, n. 29.)
Dans la décrétale Quia circa, formant le chapitre VI du titre
XIV deConsanguinitate, dans le quatrième livre des décrétales,
il est question d'un mariage qui se trouvait nul, parce que la
dispense d'empêchement de parenté avait été obtenue sur une
fausse allégation. Néanmoins le Pape écrit à l'évèque du lieu :
« Dissinmlare poteris ut remaneant in copula sic contracta,
cum ex separatione, sicut assois, grave videas scandalum im-
miner e. »
La tolérance exprimée par les mois dissimulare poieris, ren-
dît valide la dispense obtenue, qui, sans cela, aurait été nulle.
C'est le sentiment de la glose, qui s'exprime ainsi :
« Non credo quod valuisset isia dispensatio sic obtenta, nisi
haec decretalis postea emanasset. Et ita ex ista dissimulatione,
ex causa quse hic subjicitur, licite poterant (conjuges) simui
esse: alias non essent tati. »
C'est aussi le sentiment de Fagnan : « Nota verba illa, dis'
simulare poteris, quse Uabent vim dispensationis. Etenim cum
dispensatio ob expressionem falsae causas et matrimonium
exinde contractum non valerent, stultum esset dicere ut ma-
nerent in adulterio... Unde expone verba dissimulare poteris,
id est, ex certa scientia et nostra licentia quam damus aucto-
ritate prseseutium ; et sic quod nullum eratroboramus. » (Ad
caput Quia circa, de consanguinitate , n. 3.)
Pignatelli (dans la consultation 95 du tome x) examine la
question, si les réguliers peuvent entendre les confessions des
fidèles sans l'appropalion de l'ordinaire, et après avoir conclu
qu'ils ne le peuvent pas, il ajoute ;
« Et ita quidem, ut non obstet tolerantia Episcoporum, qua
interJum regulares confessiones secularium audiunt absque
illorum approbatione, quee per tolerantiam censetur remissa.
2S0 VICAIRES CAl'ITL'LAIRES. [Tome V![
Tsam tolerantia superioris nou tribuit jus aliquod inferiori,
per tcxtum in cupite fmali, ubi glossa verbo approbare, de sen-
tenlia excommunicationïs. Gfilensonus, consilio 157, n. 3 ; ubi
quod quando lolerantia habet vim concessionis, oportet quod
dependeat a superiore ita expresse volente... Quo oasu, ex
tolerantia non iuducitur consuetudo sive jus aliquod contra
tolerantem. »
Le même auteur (dans la consultation 3i du tome ii)^ dis-
cutaut la légitimité d'une certaine pratique, dit qu'on allé-
guerait en vain une longue coutume en sa faveur. Puis il
ajoute : « Imo neque ex tolerantia|Summi Pontificis (capite De
consuetudine m6). Plura enim non innotescunt, vel perpatien-
tiam, nccessitate cogente, tolerantur, quse si deducta fueriut
ia judicium, exigente justilia.jtolerari non debent, ut inquit
luiiocentius III (in cai^ite Cum jamdudum in ?inQ,de prœbendis;
ibique glosa fuialis, verbo per patientiam, recte infert quod
inde nou iuducitur approbatio seu dispensatio; ac pluribus
probat Surdus..., et Suarez, (De Legibus, libre vir, capite 13,
u. 12.) Quia tolerantia sola, supposita scientia, non indicat
sufïicienter consensum. Multa enim per patientiam tolerantur,
quee non approbantur, juxta dictum capul Cum jamdudum, de
prxbendis. Quapropter dixit Filiucius, quod simplex toleran-
tia, quando scilicet princeps nou potest commode providere,
non satis est ad dispensandum, ex^capite Denique distinctionis
-4. Et coUegium Bonouoniense (in Responso pro Ubertate eccle-
siastica, n. 57) asseruit^ lolerantiam Pontificis in liis casibus
non esse approbativam, animo inducendi vel confirmaudi
consuetudiuem, sed polius ut scandalum vitetur. Quod de-
sumptum est a Surdo, dicte consilio 301. »
Suarez [de Legibus, livre vii, chap. 13, n. H) s'exprime ainsi :
« Infero secundo, quando consuetudo non prœvalet exvi prses-
criptiouis, tune necessarium esse consensum principis perso-
^nalem, saltem lacitum, ac subinde necessarium etiam esse ut
scicntiam consuetudinis babeat...
Mars 1863.] VICAIRES CAPITULAIRES. 284
« An vero hic consensus principis debeat esse positivus et
expressus, vel sufficiat interpretativus, quia scit et tolérât
vel non impedit ? Antouinus, supra, indicat necessarium esbc
expressum, praîsertim in summo Pontifîoe. Et potest suaderi,
quia tolerantia sola, suppositascienlia, non indicat sufBcieuter
consensum, quia multa par patientiam tolerantur quse non
approbantur, juxta caput Cumjamdudum, de prxbendis. Nihi-
lominus divus Thomas^ supra, expresse docet sufficere tacituui
cousensum, et consenliunt ceeteri... Solum oportet ut mora-
liter constat, tolerautiam non esse tantum parmissivam, sed
operativam seu approbativam, quod ex circumstantiis et usu
facile constare poterit. »
a Tolerantia in génère describi potest : Affectio animi, indeque
fluens declaratio, qua^ ex justis causis et approbatis, illa qux
nobis adversa sunt vel a nobis non probantur et prohibei^e aut
dedinare non possumus vel non debemus, patienter ferimus, illis
non repugnamus aut resistimus ,imo aliquando, boni publici causa
aut mojoris tnali evitandi causa, expresse admittere cogimur.
Quaraobrem tolerantia supponit et scient iam et voluntatem,
quateuus ea, quœ toleramus, et sentinaus et ictelligimus, et
nos intelligere déclara mus, e.\\d,m^Qv voluntatem amplectitnur;
et ea quae non possumus vel non debemus averlere, patienter
ferimus. Hoc modo tolerantia differt a dissimulatione. Ea enim
quse dissimulamus, ignorare videmur et videri volumus ; ea
vero quae toleramus, nos scire et patienter ferre videri volumus
et quandoque publiée declaramus et ostendimus. Hiuc datur
tolerantia expressa et tacita , cum tamen dissimulatio expressa
dari nequeat. Diflfert quoque a conniventia, quse ferme cuqi
dissimulatione coincidere videtur. » (Ferraris, Bibliothecacanc-
nica, verbo tolerantia. edit. Cassin., tom. vu, p. 517.)
D'après ces divers passages, ou voit que la mot toleramus
peut se trouver employé par le Saint-Siège en trois sens diffé-
rents : en d'autres termes, qu'il peut y avoir trois sortes de to-
lérance de la part du Souverain-Pontife.
282 VICAIRES CAPITULAIRES. |Tonie VU.
1" Il peut se faire que la pratique tolérée soit légitime en
elle-même, quoique regrettable et dangereuse, à raison des in-
convénients qui s'y rattachent. Alors le Saint-Siège, au lieu de
la déclarer telle, se contente de dire qu'il la tolère. Nous voyons
un exemple de cette interprétation dans le premier passage
de Fagnan. Mais il nous semble que l'emploi du mot tolera-
mus dans ce sens doit être bien rare. Ordinairement ce terme
suppose que la pratique n'est pas légitime en elle-même.
2° Il peut se faire qu'une pratique étant illégitime, le Saint-
Siège la tolère, sans qu'elle cesse d'être illégitime. C'est ainsi
que les Papes déclarent tolérer à Rome le culte israélite. Il en
est ainsi toutes les fois que la pratique tolérée est intrinsèque-
ment mauvaise, ou contraire à la loi naturelle. Le Saint-Siège
peut la tolérer, mais non la rendre légitime. Dans ces cas, le
motif de la tolérance est que le Pape ne peut pas empêcher
l'abus, ou qu'il ne le veut pas, afin d'éviter un plus grand mal.
3" Enfin, il est des pratiques contraires à la loi, mais qui
peuvent être rendues vaHdes et licites par une dispense du
Sainl-Siége. Lorsqu'il s'agit d'une pratique de ce genre, le
Saint-Siège peut vouloir la légitimer en employant pour cet
efi'et le mot toleramus, qui dans ce cas équivaut à un induit.
Essayons maintenant de déterminer la portée et le sens de
la formule posse tolerari, employée dans la réponse aux cha-
noines de Gahors.
II.
En vertu de la réponse aux chanoines de Cahors, les chapitres de
France peuvent, ce semble, nommer désormais plusieurs vicaires
capitulaires.
i . Il est vrai que les deux mots tolei^ari posse, à les prendre
au pied de la lettre, ne disent pas précisément que la nomina-
tion de deux vicaires capitulaires à Gahors est tolérée, mais
KarslSOa.) VICAIRES CAPITULAinKS. 283
qu'elle peut l'être. Néanmoins, le contexte et les circonstances
indiquent suffisamment que la S. Congrégation a voulu dire.
qxxelle tolérait réellement cette nomination. En effet, il impor-
tait fort peu aux chanoines qui consultaient de savoir que la
nomination de deux vicaires capitulaires pouvait être tolérée
par le Souverain-Pontife. Ils le savaient. Ce qu'ils voulaient
connaitre, c'est la pensée du Saint-Siège sur la légitimité de
la nomination en question. Leur dire que la S. Congrégation
tolérait cette pratique , c'était leur répondre suffisamment.
Mais leur dire que le Saint-Siège pourrait, s'il le voulait, la
tolérer, c'eût été ne pas répondre à la quesition. Il serait éga-
lement déraisonnable de vouloir faire rapporter le mot poisc
aux deux chanoines qui proposaientle doute; en sorte que
la S. Congrégation ait voulu leur dire quils pouvaient, eux, to-
lérer que le chapitre nommât deux vicaires capitulaires. C'eût
été ne pas répondre ù la question, qui était celle-ci : Le chapitre
peut-il nommer deux vicaires? ha. tolérance exprimée dans lu
réponse est donc relative à l'acte du chapitre; et cette réponse
nous semble devoir être regardée comme équivalente à celle-
ci : La S. Congrégation tolère que le chapitre de Cahors nomme
deux vicaires capitulaires. On voit par la lettre adressée au
journal Le Monde, que les chanoines de Cahors l'ont entendue
ainsi. 11 y est dit que le chapitre a désigné deux vicaires capitu-
laires et qn'il ne l'a fait qu'en vertu d'une réponse de Rome.
2. La raison de tolérer la pluralité pour le diocèse de Cahors,
est la même pour les autres diocèses de France. On est donc
fondé à supposer que cette tolérance s'étend à tous nos dio-
cèses. Mais, comme nous l'avons vu plus haut, il est une tolé-
rance qui ne rend pas valide et licite une pratique illégitime,
et il en est une autre qui opère cet effet. Celle qu'exprime ia
réponse aux chanoines de Cahors, est-elle de cette dernière es -
pèce? Nous le croyons, et voici nos motifs.
3. Pour que la tolérance opère cet effet, dit Suarez, il faut
qu'on soit moralement sûr qu'elle n'est pas simplement per-
284 VICAIRES CAPITULAIRES. (Tome VU.
missive, mais opérative ou appy^obative. « Oportet ut moraliter
constet tolerautiam non esse tantum permissivam, sed opera-
tivam seu approbativam. » Quant au moyen d'acquérir cette
certitude morale, Snarez nous l'indique par ces mots : « Quod
ex circumstantiis et usu facile constare potest. » Appliquons
cette règle ; examinons les circonstances. Il s'agit d'une pra-
tique qui n'est point intrinsèquement mauvaise : la preuve,
c'est que, même aux termes du droit commun, elle devient
légitime par une coutume suffisamment établie. La loi qui la
prescrit est une loi positive, de laquelle le Saint-Siège peut
disppnser. D'autre part, des doutes s'étant élevés sur sa légi-
timité, les chanoines de Cabors consultent la S. Congrégation
pour savoir s'ils peuvent s'y conformer, et leur démarche même
prouve qu'ils sont disposés à suivre la décision qui leur sera
donnée. C'est eu de telles circonstances que la S. Congréga-
tion répond qu'elle veut tolérer, quelle tolère cette pratique.
On ne saurait douter qu'en même temps elle ne la rende légi-
time, que sa tolérance ne soit approbative, comme dit Suarez,
équivalente à une dispense de la loi contraire. En effet,
pour quelle raison la S. Congrégation, tout en tolérant cette
pratique, aurait-elle voulu qu'elle restât illégitime? Évidem-
ment, on n'en peut imaginer aucune. Donc ici, tolérer c'est
légitimer. Si le Saint-Siège n'avait pas voulu légitimer provi-
soirement, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il juge à propos de .-'a-
tuer autrement et d'une manière définitive sur cette matiù. e,
il aurait gardé le silence ; il se serait renfermé dans la tolé-
rance tacite ou simplement permissive, que les canonistes ex-
priment par le mot dissimulare, et la S. Coîigrégation n'aurait
pas formulé le posse tolerari.
Il nous semble donc qu'en vertu de cette réponse, on peut
désormais en France nommer légitimement plusieurs vicaires
capituiaires: sentimei^ toutefois que nous sommes prêt à
rétracter, si la S. Congrégation ne le trouvait pas fondé.
Nous ferons seulement observer que la réponse est relative
Mars 1863,] VICAlRRS CAPITULAIRBS. 285
à la nomination de deux vicaires capitulaires seulement. Pré-
tendre que la nomination d'un plus grand nombre est pareille-
ment tolérée, serait une assertion pour le moins contestable.
Toutefois, commela question ajoutait : remplaçant deux vicaires
généraux^ selon la coutume française, et que, dans les arclii-
diocèses, la coutume est qu'il y ait trois vicaires généraux, on
peut inférer que la nomination de trois vicaires capitulaires
dans les arcliidiocèses se trouve comprise dans la décision.
III.
// résulte de la réponse aux chanoines de Cahors que la pratique
de la pluralité n'était pas légitime, ainsi que nous l avons
soutenu.
1. Absolument parlant, il peut arriver que le Saint-Siège
use du mot toleramus à l'égard d'un acte qui serait légitime en
lui-même. Mais cela n'a lieu que pour un acte dangereux,
suspect, et favorisant des abus. Fagnan, qui mentionne un
de ces cas, n'explique le toleramus qu'au moyen de ces circon-
stances : '( Papa hic dixit toleramus, ne extoto videretur appro-
bare hoc factum, quia erat suspectum de simouia, nisi pro-
cessisset a viris probis et honestis, et non expediebat ut
assuraeretur in exemplum ; unde dicit se tolerare, quia multa
sunt toleranda, non laudanda, propter malum quod potest
subesse. »
Lorsqu'un acte est légitime, et que d'autre part il n'offre
rien de dangereux, rien de suspect et dont on puisse abuser,
le Saint-Siège n'a aucune raison de dire qu'il le tolère. Con-
sulté sur un tel acte, il le déclarera licite.
A plus forte raison le Saint-Siège n'emploiera-t-il point le
toleramus à l'égard d'une pratique prévue et autorisée par le
droit commun, et que lui-même aurait déjà plusieurs fois
déclarée légitime.
286 VICAIRES CAPITDLATRES. [Tomo VII.
2. Or, la pratique de la pluralité des vicaires capitulaires,
lorsqu'on peut alléguer en sa faveur une coutume légitimemmf
prescrite, fait partie du droit commun. Elle a été expressément
et à diverses reprises déclarée légitime par l'autorité du Saint-
Siège. Le 21 avril 1592, la S. Congrégation du Concile pro-
nonça cette décision : Sede vacante, unum tantiim vicarium esse
eligendum. Cseterum non esse eo decreto (celui du Concile de
Trente) sublatam consuetudinemduos aut plures eligendi, prxser-
tim immemorabilem.
On peut voir dans mon traité de Capitulis (page 490, 2* éd.),
plusieurs autres décrets dans le même sens. Ainsi la pratique
de la pluralité, pourvu qu^elle soit accompagnée d'une coutume
légitimement prescrite, est prévue et autorisée par le droit; sa
légitimité est depuis longtemps hors de toute controverse;
c'est le Saint-Siège lui-même qui a décidé qu'on devait enten-
dre ainsi la loi du concile de Trente, c'est-à-dire le chapitre xvi
de la 24* session, relatif à l'élection des vicaires capitulaires.
Par conséquent, la pluralité dans le cas d'une coutume légiti-
mement prescrite, n'a aux yeux du Saint-Siège rien de dan-
gereux, de suspect et dont on puisse abuser, puisque le
Saint-Siège lui-même Ta tant de fois déclarée purement et
simplement légitime.
3. 11 est donc absurde de supposer que le Saint-Siège em-
ploie l'expression toleramus pour la pratique do la pluralité,
dans le cas d'une coutume légitimement prescrite. Si le Saint-
Siège regardait comme légitimement prescrite la coutume d'un
diocèse de nommer plusieurs vicaires capitulaires, il ne répon-
drait pas qu'il la tolère, mais il la déclarerait légitime, comme
il l'a déjà fait tant de fois.
Donc si le Saint-Siège emploie \e toleramus pour la pratique
de la pluralité dans un diocèse, c'est une preuve rigoureuse
qu'il ne regarde pas la coutume de ce diocèse comme légiti-
mement prescrite. Dans ce cas la formule tolo^amus, ne peut
avoir d'autre sens que celui-ci : « Votre pratique de nommer
Har« 1863.1 VICAIRES CAPITULAIRKS. 287
plusieurs vicaires capitulaires n'est pas légitime, faute d'une
coutume légitimement prescrite; néanmoins je vous permets
de la suivre, et par cette autorisation je la rends valide et
licite. » Eu d'autres termes, la formule toleramus, tout en
rendant désormais légitime dans ce diocèse la pratique de la
pluralité, décide en même temps qu'elle avait été illégitime
précédemment.
4f. Appliquons ces principes à la réponse reçue par les cha-
noines de Cahors. La S. Congrégation répond qu'elle tolère; et
il s'agit de la coutume française de nommer deux vicaires rem-
plaçant deux vicaires généraux. D'après ce qui a été dit plus
haut, si la S. Congcégation avait regardé la coutume française
alléguée, comme légitimement prescrite, elle n'aurait pas ré-
pondu qu'elle la tolère. Une telle réponse serait absurde.
L'hypothèse de la coutume légitimement prescrite une fois
admise, la faculté de nommer plusieurs vicaires capitulaires
est de droit commun, ainsi que la S. Congrégation elle-même
l'a constamment déclaré. Donc, en disant qu'e//e tolérait, la
S. Congrégation a par là même déclaré implicitement, qu'elle
ne regardait pas la coutume française comme légitimement pre-
scrite. C'est ce que nous avons soutenu. Nous avons dit : les
diocèses et les chapitres de France ont été supprimés et com-
plètement éteints par les bulles de Pie VII. Les diocèses et les
chapitres érigés à la place, n'ont pas été la restitution ni la
continuation des premiers, mais une création nouvelle. Donc
l'ancien droit particulier de chaque diocèse et de chaque cha-
pitre a fini et s'est trouvé entièrement éteint et abrogé.
D'ailleurs, le pape Pie Vli dit expressément dans sa bulle qu'il
éteint et supprime tous les diocèses et chapitres avec tous leurs
droits et privilèges. Donc la coutume de nommer plusieurs
vicaires capitulaires ne peut dater pour les diocèses et les cha-
pitres actuels de France, que de 1802, époque de la création
de ces diocèses et de ces chapitres. Or, à partir de cette époque,
'élection de plusieurs vicaires capitulaires dans chaque diocèse
288 VICAIRES CAPITULAIBES. ITomeYlI
n'a pas eu lieu un assez grand nombre de fois pour constituer
une coutume légitimement prescrite. Dans le diocèsn d'Arras,
le siège n'a vaqué qu'une fois. Ailleurs on compte trois ou
quatre vacances, et par conséquent trois ou quatre élections de
vicaires capitulaires. Un si petit nombre d'actes ne suffît pas
pour former une coutume prévalant contre la loi. Tel a été
noire sentiment ; et il nous semble qu'il se trouve confirmé
par la réponse de la S. Congrégation aux chanoines deCahors.
5. Au reste, si nous sommes bien informé, une autre autorité
l'avait confiimé peu auparavant. Après la mort de Mgr r\Iorlot,
les trois vicaires capitulaires de Paris ayant écrit au Souverain-
Pontife pour lui aimoncer la vacance du siège et leur élection,
la réponse fut adressée à M. Buquet, vicaino capitulari légitime
electo; la teneur du rescrit l'autorisait à communiquer les pou-
voirs aux deux autres. C'était, ce semble, déclarer indirecte-
ment que les derniers n'avaient pas les pouvoirs en vertu de
leur nomination par le chapitre. Il ne sera pas inutile d'ajouter
que les chanoines de Paris ont procédé par trois scrutins suc-
cessifs, un pour chaque vicaire capitulaire, et que l'élection
de M. Buquet a été le résultat du premier scrutin.
La S. Congrégation du Concile avait déjà manifesté sa pen-
sée à cet égard par la lettre du 14 juillet 1858, à son Éminence
le cardinal Gousset, archevêque de Reims (publiée dans notre
numéro d'octobre 1860, p. 293). Le Cardinal préfet de la S,
Congrégation s'exprime ainsi: a Quod innuis istic, sede va-
cante, très vicarios capitulares eligi solere, animadvert^mtemi-
nentissimi Patres, capitula cathedralium infra octo dies post
obitum] Episcopi unum dumtaxat ex cap. 16, sess. 24,
de Reformatione, vicarium capitularem, non autem duos vel
plures deputare debere, quemadmodum de vieariis genera-
libus agere licitum est... Monebis itaquecapitulum, ut quando
vacatio ceciderit, quod longe sit, huic disciplinsB adhœreat,
cum preesertim idem capitulum non irapediatur vicario alium
virum adsciscere,qui opem adjutricem eidem prœbeat, quem-
Mars 1803.] VICAIRES CAPITULAIRES. ~ 2S0
admodum non ita pridem inculcatum est capitulo Molineusi iu
approbatione statutorum capitularium per litteras diei 10 jul.
18S4. »
Ou a fait valoir eu sens contraire quelques faits dont nous
n'avons pas contesté la gravité. Néanmoins, nous croyons
avoir donné à ces difficultés des réponses satisfaisantes dans
nos articles précédents. Nous n'y revenons pas.
Aujourd'hui, la controverse nous paraît suffisamment ter-
minée par la réponse aux chanoines de Cahors. Tout en fai-
sant clairement entendre que notre coutume de la pluralité
n'a pas été légitime jusqu'ici, cette réponse en inaugure la to-
lérance, et par conséquent implique une autorisation qui
subsistera jusqu'à ce que le Saint-Siège juge à propos de sta-
tuer plus expressément sur ce point important de discipline.
11 y a lieu peut-êli'e d'admirer encore ici cet heureux accord
du suaviier et fortiter qui caractérise constamment les actes de
l'Eglise romaine, mère et maîtresse de toutes les églises.
La pratique de la pluralité des vicaires capitulaires existait
dans nos diocèses : elle n'avait pas les conditions requises pour
la légitimité. Mais on y tenait. Cette mère des Églises déclare
la laisser subsister, tout en se servant d'un mot qui redressée
la fois l'erreur et l'irrégularité des actes.
D. .Bouix.
DECRETS
DE LA SACRÉE CONGREGATION DES INDULGENCES.
I. La s. C. vient de tracer des règles très-claires au sujet
des indulgences concédées pour les fêtes de Notre-Seigneur,
de la sainte Vierge et des Apôlres.
1° Les indulgences plénières, quelle que soit la formule
de la concession, sont bornées aux fêtes principales.
2° Ces fêtes sont, d'une part, Noël, la Circoncision, l'Épi-
phanie, Pâques, l'Ascension et le Saint-Sacrement; de l'autre,
la Conception, la Nativité, l'Annonciation, la Purification et
l'Assomption.
S*» L'indulgence partielle accordée pour les fêtes secon-
daires de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge, s'applique
seulement aux fêtes célébrées dans toute l'Église, et non aux
fêtes locales.
4° En ce qui concerne les fêtes d'Apôtres, l'indulgence
plénière n'est accordée que pour la nativité de chacun d'eux,
et non pour les fêtes secondaires.
Ces principes résultent des réponses à diverses questions
données le H aoiit 1862 et promulguées par un décret géné-
ral du 18 septembre de la même année. En voici le texte :
1. An quando invenitur concessa indulgentia plenaria om*
nibus et singulis festis Domini intelligenda sint festa praîcipua,
Nativitatis scilicet, Circumcisionis , Epiphaniae, Paschatis^
Asceusionis et Corporis Christi, juxta praxim S. Congregatio-
nis ; an vero intelligenda sint festa enuntiata in decisione
Mars 1803.1 DÉCRETS DE I.A S. C. DES INDULGENCES. 29f
Massiliensi sub die 5 raartii 1855; au omnia et singula festa
quae in aliquibus tantum locis celebrantur?
Et quatenus affirmative pro festis prsecipuis.
2. An quauiJoinvenitur concessa iudulgeutia partialis in re-
liquis omnibus Domini festivitatibus, de quibusuam festis in-
telligendum sit ?
3. An quando invenitiir concessa indulgentia plenaria in
omnibus et siugulis festis B, M. V. intelligenda sint festa
prsecipua, Conceptionis nempe, Nativitatis, Annuntiationis ,
Purificationis et Assumplionis, juxta praxim S. Congregationis,
an vero standum sit resolutioui diei 5 martii 1855? Au iutel-
ligautur inclusœ etiam festivitates peue innumerse quse per
orbem recoluntur, licet uon in omnibus sed in aliquibus tan-
tum locis celebrentur ?
Et quatenus affirmative pro prsecipuis.
4. An quando invenitur concessa indulgentia partialis in re-
liquis omnibus festis ejusdem B. M. V., de quibusuam festis
intelligendum sit ?
5. Au quando invenitur concessa indulgentia plenaria vel
partialis in omnibus et singulis feslis Apostolorum, intelli-
genda sint festa natalis uniuscujusque apostoli vel etiam festa
secundaria?
Super quibus consultores sua vota ediderunt, bisque auditis
Emiuenti?simi Patres in Congregatione prœdicta generali ha-
bita apud iEdes Vaticanas die H augusti 1862, responsiones
singulis dubiis dederunt, atque omnibus relatis Sanctissimo D.
N. Pio PP. IX in audientia habita die 18 septembris ab infra
scripto S. C. secretarise substituto, Sanctitas Sua responsiones
prœfatas Eminentissimorum Patrum confirmavit, nempe quoad
1 et 2 : Affirmative ad l^"» partim. Négative ad 2^"" et S^"», de-
claravilque expresse Sanctitas Sua ut quoties in concessione
inveniautur verba m festis, vel m omnibus et singulis festis
Domini, aut etiam m festis, vel m omnibus et singulis festis Do-
mini N. J. C, semper inleUigantur tantum festa Nativitatis,
2^2 DÉCRETS DE LA S. C. DES INDULGENCES. [Tome VU.
Circumcisionis , Epiphanise, Dominicae Paschatis Resurrec-
tionis, Ascensionis, et Corporis Christi, ac pariter declaravit,
lit quoties in concessione inveniantur verba in festis, vel m
omnibus festis, vel m omnibus et singulis festis B. M. V., sem-
perinteiligautur dumtaxat festa Conceptionis, Nativitatis, An-
nuntiationis, Purificationis et Assumptionis ; -quoad 2, intelli-
gendum esse de omnibus festis Domini quse celebrantur ab
universa Ecclesia ; quoad 4, pariter intelligendum esse de om-
nibus festis B. M. V. quœ celebrantur ab universa Ecclesia;
quoad 5, Affirmative ad l^"" partem. Négative ad 2*"°.
IL A une consultation venue du diocèse de Bourges, la même
Congrégation a répondu qu'il n'est point nécessaire de réciter
à genoux les prières prescrites pour gagner les indulgences,
à moins que cette condition ne soit expressément portée dans le
décret de concession.
4. Utrum preces prsescriptae ad lucrandas indulgentias
sive plenarias, sive partiales, sint recitandse flexis genibus?
2. Utrum specialiter preces prsescriptee pro Scapulari Im-
maculalse Conceptionis, scilicst sexies Pater et Ave et Gloria
flexis genibus sint recitandse?
Ad 1 , Négative, nisi aliter prxscriptum sit in documenta con-
cessionis.
Ad 2, Négative.
(In Bituricen. 18 septembris 1862=)
BIBLIOGRAPHIE.
UN PAPE AU MOYEN-AGE. — URBAIN U. par Adrien de Brimont.
Paris, Bray, 1862. In-S. Prix : 6 fr.
« La papauté a toujours lutté contre les institutions, quand
« elles étaient vicieuses ; contre les rois, quand ils opprimaient
« la liberté des peuples ; contre les peuples, quand ils sapaient
« les bases fondamentales de l'autorité. Elle a lutté contre le
a temps, le plus impitoyable des ennemis, et semble jeter un
o éternel défi aux passions humaines déchaînées contre une
« œuvre divhie (1). »
Or, au XI* siècle, pour soutenir ces grands combats, il fallait
sur le siège de saint Pierre des natures énergiques. Le clergé
avili devait être relevé par la continence. Les Césars reparais-
sent dans les empereurs d'Allemagne, qui aspiraient à être
aussi Souverains-Pontifes, et par les investitures faisaient des
évoques presque autant de simoniaques: il fallait détruire ces
trafics honteux, et en revendiquant la liberté de l'Église, ne pas
laisser inféoder à l'état l'épouse de Jésus-Christ. Les saintes
lois du mariage étaient foulées aux pieds et le divorce fréquent :
il faillait maintenir fermement les droits imprescriptibles de la
morale. Pour obtenir ces précieux résultats, de nobles carac-
tères étaientdonc nécessaires. Dieu y pourvoira, car il a promis
d'être avec son Église jusqu'à la consommation des siècles.
Il suscitera des papes qui deviendront les vaillants champions
de ces saintes choses outragées. Ils lutteront contre les prêtres
incoulinents, contre les évêques simoniaques, contre les rois
et les empereurs adultères, a lis ne céderont pas à l'jniquité
sous prétexte qu'elle est armée et soutenue d'une main royale ;
[\] Urbain II, p. viii.
294 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VIL
« au contraire, lui voyant prendre son cours d'un lieu éminent,
« d'où elle peut se répandre avec plus do force, ils se croiront
« plus obligés de s'élever contre, comme une digne que l'on
« élève à mesure que l'on voit les ondes enflées (1). » Saint
Grégoire Vil rendra le dernier soupir en exil, parcequ'// a aimé
la justice et haï l'iniquité. Urbain II sera chassé de Rome par
l'antipape Guibert, et n'y rentrera triomphant que pour y
mourir. Pascal II éprouvera le même sort que saint Grégoire VII.
« Quels défenseurs trouve l'Église dans sa faiblesse extrême !
<( Combien elle a raison de dire avec l'apôtre : Cutn infix-inor,
« tune potens sum. Ce sont ses bienheureuses faiblesses qui lui
a donnent cet invincible secours et qui arment en sa faveur
« les plus valeureux soldats et les plus puissants conquérants
a du monde : je veux dire les saints martyrs. Quiconque ne
« ménage pas l'autorité de l'Église, qu'il craigne ce sang pré-
« cieux des martyrs, qui la consacre et la protège (2). »
La lecture de l'intéressant ouvrage de M, de Brimont con-
vaincra tous ceux qui l'entreprendront de la vérité des réfle-
xions qui précèdent. Placé entre Pascal II et le grand saint
Grégoire VII, deux papes martyrs du droit et de la justice,
Urbain II ne renonce à aucun des vastes desseins de son illustre
prédécesseur. Doué de la patience qui sait attendre et de la
volonté qui sait exécuter, il plie la tête Sous les flots de l'adver-
sité, sans se roidir contre ses coups, mais la bourrasque passée,
il reparait avec calme et sérénité, le gouvernail à la main,
conduisant le vaisseau de l'Église vers ses immortelles desti-
nées.
L'ouvrage se divise en cinq livres. Dans le premier, qui a
pour litre : Le Moine de Cluny, l'auteur donne un aperçu sur
l'utilité des ordres religieux, indique rapidement l'origine de
l'abbaye de Cluny, dans laquelle Otton de Châtillou, né en
1042 en Champagne, se réfugia jeune encore. C'était l'époque
(^) Bossuet, Panégyrique de saint Thomas de Cantorbéry.
(2) Bossuet, ibidem.
Uarsl863.] BIBLIOGRAPHIE. 295
OÙ le saceriloce était aux prises avec l'empire. Grégoire VII,
qui avait besoin d'auxiliaires distingués par leurs lumières et
par leur vertu, l'appelle auprès de lui , le nomme évêque
d'Ostie, et l'envoie comme légat eu Allemagne atîn d'y remplir
de bien difficiles missions.
Le second livre : Urbain au pouvoir, montre Otton de Chàtil-
lon élu pape à Terracine, le 8 mars 1088, Rome étant occupée
par l'antipape Guibert. « 0 temps, ô mœurs ! s'écrie Tri-
« thème, l'idole Guibert est assise sur le trône de saint Pierre
« à Rome, tandis qu'Urbain, le vicaire de Jésus-Christ, erre
« proscrit et sans refuge. » Telle est cependant la force de la
papauté, que chassée de Rome et contrainte de résider dans
l'exil, elle attire néanmoins à elle tous les regards.
Le troisième livre : Luttes et réformes, fait voir Urbain II
accomplissant vaillamment l'œuvre du vicaire de Jésus-Christ.
Il prend la défense de la reine Berthe, répudiée par Philippe I
roi de France, et celle de l'impératrice Praxède, emprisonnée
par l'empereur Henri IV. Aidé de la grande comtesse Mathilde
de Toscane, il soutient Conrad luttant contre son père qui avait
été excommunié. Il condamne les hérésies de Bérenger et des
Nicolaïtes, règle des affaires innombrables, et encourage saint
Anselme de Cantorbéry, qui repousse les prétentions injustes
du roi d'Angleterre Guillaume-le-Roux.
Le livre quatrième, Voyage en France, raconte les grands
desseins exécutés par Urbain II. Au concile de Clermont, il
établit la Trêve de Dieu et fait décréter les Croisades, dont la
pensée était toujours présente à son esprit. Il parcourt ensuite
la France dans tous les sens, ici consacrant des églises, là ré-
formant des abus, quelles que soient les personnes qui le s
commettent, et avec les traces indélébiles de son passage,
laissant partout la bonne odeur de ses vertus.
Le livre cinquième est intitulé : Triomphe de la Papauté,
Urbain rentre en 1097 à Rome que l'antipape Guibert avait
été obligé de quitter. La dernière année de sa vie fut mêlée de
293 BIBLIOGRAPHIE. [ Tome VU.
vissicitudes diverses, qui toutes tournèreut à l'avautage de
l'Église. A sa mort arrivée le 29 juillet 1099, les Romains, qui
avaient si souvent repoussé le pouvoir paternel de leur souve-
rain, méconnu sa tendresse et son amour, lui firent de pom-
peuses funérailles, et on vit des pleurs amers baigner le visage
de ses ennemis.
Ce sommaire, quoique bien succinct, suffît pour faire com-
prendre l'intérêt que présente l'histoire d'Urbain II, le second
pape français qui s'est assis sur la chaire de saint Pierre.
Elle est précédée d'une introduction, étude éloquente sur la
papauté et le rôle qu'elle a joué dans le monde.
En nous disant ce qu'elle a été, en nous racontant ses luttes
et ses combats d'autrefois, M. de Brimont nous prédft la
victoire qui terminera la crise actuelle : le passé, en effet,
éclaire l'avenir, et jusqu'à un certain point l'histoire est une
prophétie. Un critique plus sévère que nous ferait sans doute
des restrictions à propos de quelques assertions de l'auteur; il
trouverait peut-être que plus d'une fois il entre dans des détails
minulieux qui gênent la marche du récit, et se livre à des di-
gressions qu'il eût pu facilement éviter. Nous ne nous y ar-
rêterons pas. Nous préférons remercier M. de Brimont de nous
avoir donné une histoire qui, parfaitement écrite et animée
partout du souffle catholique, nous fait mieux connaître un
Pape auquel les grandes choses accomplies sous son règne
assurent un impérissable souvenir dans la France sa patrie,
et dans l'Église sa mère. L'abbé Maxime Latou.
JURIS EGCLESIaSTICI PUBLICI INSTITUTIONES, auclore Camillo TAR-
QCINI e Soc. J. jur. can. professore iû Coll. Rom. ejusdem societatis
Romae 1862.
Le P. Tarquini vient de publier ses leçons de droit publie
ecclésiastique, que tant de ses élèves désiraient avoir enfin de
la main de leur maître. Ils y retrouveront ce style noble et
clair, cette forme concise et forte, cette exposition scientifique
Mars 4853.] BIBLIOGRAPHIE. 297
et simple, cette méthode sûre et rigoureuse du professeur,
qualités qu'une belle exécutioa typographique relève encore
par le plaisir qu'elle ajoute à la lecture. Faisons connaître en
quelques mots ce précieux ouvrage.
Le lecteur ne devra point perdre de vue le but de Fauteur.
Il veut, avant tout, donner à son œuvre une consistance scien-
tifique, et il ne traite que du droit public ecclésiastique, c'est-
à-dire de ce système de lois qui règlent la constitution de l'É-
glise. Peu préoccupé des questions de détail, ce sont surtout
des vues d'ensemble qu'il se propose de réunir : il laisse aux
professeurs qui adopteront son livre classique le soin de le dé-
velopper et de lui faire dire plus encore qu'il ne dit dans sa
forme laconique et serrée. On sait que dans son cours les
questions de détail avaient leur place, et trouvaient toujours
leur solution par manière de corollaire ou de déduction lo-
gique. Est-ce un mal d'avoir abandonné ici quelque chose au
lecteur ou au maître? Il nous semble que c'est plutôt un avan-
tage : l'esprit n'est pas fâché d'avoir à s'aiguiser quelquefois
sur des questions imprévues : on aime à voler de ses propres
ailes. Avec les éléments qu'on nous fournit, il n'y aura pas de
témérité à essayer nos forces. L'auteur y a pourvu par la sève
de doctrine qu'il distille à chaque page.
L'ouvrage se divise en deux livres : le premier est intitulé ;
De Ecclesix pofestate quss ex ejus natura deducitur; le second :
De Subjecto potestatis ecclesiasticx .
Premier livre. — Le pouvoir de l'Église, considéré en lui-
même, doit être proportionné à sa fin. Or, la fin prochaine de
l'Église, par laquelle elle atteint sa fin dernière, la vie éter-
nelle, est la sanctification des âmes. Celle-ci est due à son
tour à deux forces qui tendent au même but : la grâce sancti-
fiante, dont les sacrements sont la source, et la coopération
humaine que l'Eglise cherche â diriger et à entraîner en
quelque façon. De là, dans l'Église, les deux pouvoirs d'ordre
et de juridiction. Comme c'est à la théologie de s'occuper an
21,' 8 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
pouvoir d'ordre, il appartient à une discipline particulière de
traiter du pouvoir de juridiction.
Cette base une fois établie, l'auteur divise son livre en
deux chapitres. Dans le premier, il traite de ce pouvoir de
rÉt^lise qui ressort de sa nature même, et pour arriver à ses
déductions à cet égard, il considère la société parfaite dans
ses droits de législation, de justice et de coaction, par rapport
à ses propres sujets, et dans les divers droits qu'elle a même à
l'égard de ceux qui ne sont pas ses sujets et qu'il appelle
extranei pei' abstractionem ou extranei vel ex parte vel ex toto.
Cela lui fournit une majeure dont la mineure sera : Or, l'E-
glise est une société parfaite ; et dont les conclusions seront le
développement de tous les droits et de toutes les prérogatives
de l'Église, dans quelque situation qu'on la considère par rap-
port à la société civile, catholique, hérétique ou infidèle. '
Le second chapitre est consacré aux concordats comme dé-
terminant un droit particulier de l'Église à l'égard des socié-
tés qui s'engagent envers elle par ces sortes de conventions.
L'auteur donne d'abord la notion générale du concordat. Elle
résulte naturellement de ce qui a été établi dans la section se-
conde du premier chapitre, relativement au rang que l'Église
occupe dans la hiérarchie des sociétés. C'est là, en effet, une
notion indispensable sans laquelle tout ce qu'on pourrait dire
des concordats ne serait qu'un édifice sans fondement : il faut
connaître les parties contractantes avant de déterminer la no-
tion de leurs contrats. Puis l'auteur expose les conditions que
doit avoir un concordat pour être valide, et enfin il établit des
principes extrêmement clairs sur l'interprétation et la rescin-
dibilité des concordats. Un appendice est consacré à parler des
concordats conclus avec les sociétés civiles des hérétiques et
des infidèles.
Deuxième livre. — L'Église doit son institution à la volonté
de Jésus-Christ. C'est donc de cette volonté que dépend son
ordre et sa constitution. Aussi, dans un premier chapitre,
Ȕarsl863.) BIBLIOGRAPHIH. 299
l'auteur étudie-t-il la véritable constitution de l'Église. Dans
le second, il expose les principaux systèmes par lesquels on a
essayé de fausser la véritable notion de la constitution de l'p]-
glise, et il les réfute en établissant des thèses dont le but est
de frapper à la base les erreurs de Marsilli, de Richer, de
Febronius, des protestants et des légistes. Un troisième cha-
pitre sur les sources du droit privé ecclésiastique, ou du droit
canon proprement dit^apparaît à l'auteur comme un corollaire
véritable de tout ce qu'il vient d'exposer, et comme le germe
de tout ce qui constitue le droit privé ecclésiastique. Espérons
que cet auneau, comme il l'appelle encore, ne sera point le
dernier d'une chaîne que des institutions de droit privé ecclé-
siastique doivent nécessairement compléter, et que l'auteur,
placé à la source même du droit ecclésiastique, nous fera
profiter de ses études à cet égard et tranchera, dans la même
simplicité d'un livre élémentaire, les diverses questions que
les changements survenus dans la discipline par la pratique
des Congrégations onthérissé de difficultés presque insurmon-
tables. Si la science historique du droit peut perdre quelque
* chose dans les proportions d'un abrégé, l'étude du droit,
telle qu'on la fait dans nos séminaires, a beaucoup à y ga-
gner. On nous parlait deruièremeni de la publication d'un futur
ouvragede M. le professeur De Angelis sur cette même ma-
tière. Nous attendons ce livre avec une impatience bien lé-
gitimée par le mérite éminent et la position du savant profes-
seur. Toutefois, les espérances que nous donne le P.Tarquini
sont peut-être encore plus prochaines. Son premier ouvrage
est un service rendu qui en appelle un second, et qui porte en
lui-même le gage d'un nouveau succès. L'abbé d'Auton.
L'APOSTOLAT CATHOLIQUE et le Prosélytisme protestant, par le R. P.
Pkrrone, préfet des études au collège romain. 2 vol. m-12. Gènes,
; 1864 (en italien).
Le principe d'autorité est une condition nécessaire de toute
propagande religieuse. Cette vérité de sens commun réduit i
300 BlBLlOGIiAPHIE. [Tome VU.
néant tous les arguments du protestantisme. Deux voies bien
différentes s'offrent au prédicateur : simple bienfaiteur de l'hu-
manité, il emploie sa science et le fruit laborieux de ses re-
cherches à éclairer l'intelligence des ignorants et des faibles ;
missionnaire plein de charité, il peut communiquer aux hom-
mes mortels et bornés comme lui la doctrine du salut imposée
à son humble croyance. Mais les protestants reconnaissent
avec nous l'impuissauce de l'homme à se conduire par lui-
même dans l'ordre de la religion. C'est pour cela que le Christ
leur apparaît comme la manifestation de la volonté divine et
la source de toute vérité surnaturelle. Sur le Christ même, ils
n'acceptent cependant pas toutes les données de l'histoire. Ils
se renferment dans la lettre de l'Évangile. Ils l'adoptent
comme thème de leurs théories individuelles et délaissent le fil
conducteur de la Tradition, cette règle sûre imposée aussi par
le Christ, et qui, guidant la faible raison par une autorité su-
périeure, les retiendrait dans les lois de l'unité.
Jésus-Christ ayant accompli par sa mort l'œuvre de la ré-
demption, a voulu faire participer toutes les générations aux
bienfaits de sa grâce et de sa doctrine. Pour cela, il a établi
TÉglise dépositaire de ses trésors. Les apôtres, après avoir long-
temps enseigné de vive voix, écrivirent les Évangiles et tous
les livres du Nouveau Testament. Ce n'est pas le fruit germé
au milieu de la première assemblée et comme la consignation
empressée de doctrines trop lourdes pour des consciences
d'hommes. Tous avaient quitiéle cénacle emportant dans leur
cœur la parole de vie ; quelques-uns, sous l'inspiration du
Saint-Esprit, l'écrivirent pour le bien des peuples et à la de-
mande des églises. Aucun ne crut perdre ainsi ses droits à dé-
velopper les enseignements du Maître, et encore moins arrêter
la prédication des autres apôtres. L'Église ne meurt pas en
eux. Leurs successeurs dans la foi et dans l'autorité continuent
la Tradition, et si leurs livres, placés dans d'autres condi-
tions, ne comptent pas dans le corps des Écritures, ils n'en
Uars 1863 ] BIBLIOGRAPHIE 30f
conservent pas moins une place très-honorable. Dans l'Église,
en effet, la Tradition est la source principale de la vérité révé-
lée, c'est le commentaire vivant de rÉcriture, c'est la règle
de l'enseignement.
En dehors de l'Eglise établie par Jésus-Christ et parvenue
jusqu'à nous par la série non interrompue des Souverains-
Pontifes et des évèques, personne ne peut donc s'attribuer le
droit d'évangéliser les peuples. La Bible entre des mains étran-
gères devient une lettre morte à laquelle on demanderait en
vain <les titres etune mission : c'est un domaine usurpé qui ne
saurait transmettre le nom glorieux et Fautorité des maîtres
légitimes.
C'est là la grande question entre les catholiques et les pro-
testants : question de vie ou de mort que ces hérétiques se sont
toujours étudiés à éviter. Le R. P. Perrone, laissant de côté le
point de vue du droit, oùle sophisme peut se donner trop facile-
ment carrière, examine les deux principes dans leurs œuvres
et leur constitution extérieure. Ce livre, fruit de longues et
patientes recherches, met en lumière et rassemble dans un
petit nombre de pages une foule de documents propres à faire
juger la propagande prolestante.
Le premier volume est consacré à Tapostolat catholique.
La légitimité et l'autorité de sa mission divine apparaît dans le
fond même de sa doctrine, sa continuité féconde, ses moyens
d'action entièrement surnaturels. Comment ne pas admi-
rer les lois pleines de prudence et de sagesse qui fixent à cha-
que missionnaire le lieu de son dévouement, qui déterminent
ses obligations et ses droits ? Une foule d'institutions charitables
se relient à cette œuvre de conversion : les unes par leurs
prières, ou par leurs aumônes, d'autres par leurs écrits ou
par une collaboration plus éloignée encore, aident le prêtre
dans la propagation de l'Évangile. Cette vertu bienfaisante
qui autrefois changea la face de l'univers payen, n'est pas
aujourd'hui sans efficacité . Elle civilise et relève de leur mi-
302 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
sère les peuplades sauvages en leur faisant admirer le dévoue-
ment de la croix, et parmi nous elle imprime à la vie civile
€t politique des nations une marque de grandeur et de force
morales qui les distingue facilement des peuples infidèles, hé-
rétiques ou schismatiques. Les missionnaires et les néophytes
se montrent à la hauteur de leur foi et de leurs devoirs. Les
dangers de toutes sortes, le plus entier détachement de la terre
et des hommes n'effraient point leur courage, et le martyre,
récompense si ordinaire des maîtres et des disciples, fait l'ob-
jet de leurs désirs. Aussi Dieu récompense-t-il dès cette vie
par de fréquents miracles cette soif de soufirances et d'immo-
lation. Mais il lui donne aussi de voir ses efforts couronnés par
de nombreuses conversions au sein même des nations séparées
par le schisme ou l'hérésie.
Le prosélytisme protestant n'est pas animé de ce bel esprit
d'ordre et d'humilité qui fait concourir tous les travaux à un
seul et même but. Il ne faut point lui demander cette exten-
sion universelle et cette hiérarchie invariable qui exigeraient
trop de dévouement et de soumission. Ses caractères indiquent
l'œuvre de l'homme à côté de l'œuvre de Dieu représentée par
l'apostolat catholique. Son institution toute négative et privée
des signes d'une mission véritable, produit des missionnaires
dignes de la diversité et de l'incohérence de leur foi. C'est la
division et l'aniour-propre individuel qu'ils annoncent aux
peuples. Aussi ne reculent-ils devant aucune concession pour
faire des prosélytes. La Bible pour eux devient le secret d'une
morale commode, facile à se plier aux passions des maîtres et
des disciples.
Après cela, rien ne leur coûte pour attaquer l'Église catho-
lique. Us redoutent une condamnation dans ses dogmes et ses
institutions, et loin de consacrer leur grand principe de libre
examen, en la laissant en paix poursuivre sa carrière, il n'est
point de calomnie dont ils ne la noircissent, de moyens odieux
et bas qu'ils n'em])Ioient pour la perdre dans l'esprit des popu-
Mars 1863.1 CHRONIQUE. 305
lations. Sur les théâtres et dans les romans, ils parodient ses
cérémonies et ses croyances, et rien n'est comparable à leur
acharnement contre le Souverain-Pontife et la cour de Rome.
Il est bien d'autres points encore dont l'auteur ne fait pas
grâce au prosélytisme protestant. Le système avoué de violence
matérielle et morale dans l'acte des conversions, le malheu-
reux commerce des consciences, enfin les tristes fruits de per-
version intellectuelle et morale parmi les individus et les so-
ciétés: autant de résultats de cet apostolat dépourvu de mis-
sion et d'autorité.
Deux autres volumes du R. P. Perrone sont annoncés à la
même librairie. Le titre: Vidée de F Eglise conservée par le ca-
tholicisme et détruite par le protestantisme, nous promet la con-
tinuation du même sujet. Après avoir mis en regard les œuvres
des deux principes, l'infatigable écrivain remonte à la source
pour nous montrer l'origine et la raison de si grandes diver-
gences. Toujours l'œuvre de Dieu et l'œuvre de l'homme. Le
catholicisme continue à travers les siècles la doctrine et les.
enseignements de Jésus-Christ et des apôtres. Une lettre, morte
est la seule succession du protestantisme. Avec les générations
et les individus, son commentaire tout philosophique affecte
les formes les plus variées et les plus contradictoires. Il lui
reste cependant un mérite bien apprécié par la secte, c'est de
répondre aux désirs et aux inspirations intéressées de chaque
fidèle. H. Girard.
CHRONIQUE.
Le tenant de M. Darras continue à lancer ses pamphlets, les Archives
ihéotogiques les publient et Ai. Vives les répand, sous forme de prospec-
tus, aux quatre coins de la France. Le caractère de celte campagne lui
ôte lou.e portée sérieuse ; et, pour notre part, le seul sentiment qu'elle
nous inspire est celui d'une pitié profonde.
Malgré notre désir de garder le silence dans un débat qui n'a rien de
ficieulitique, nous ne pouvons laisser passer quelques assertions qui, si
elles n'éiaienl retirées par leur auteur, mériteraient les qualifications les
plus sévères.
Voici l'incroyable passage dont nous voulons parler et qui résume
toute la substance du dernier article : « Malheureusement pour M. Dan-
« coisnc, Tarlicle qu'il a publié au mois d'octobre 1862 contre ['Histoire
304 CHRONIQUE. [Tome VIL
« générale de l'Église du savant et laborieux abbé Darras, n'est point
« son œuvre personnelle. U n'est que la reproduction, complètement
« identique pour le fond, quoiqu'un peu allongée [lonr la forme, d'un
« article allemand paru dans le u" du mois de juillet d'une revue biogra-
« phique assez obscure, imprimée à Munster et intitulée : Literarischer
« HandwPAser. L'auteur allemand, qui pourrait bien habiter les rives de la
« Seine, a prudemment gardé Tanonyme : ce qui lui a permis de fleurir
« son style de grossièretés et d'injures telles qu'on les aime de l'autre
« côté du Rhin. M. Dancoisne n'a pu reproduire dans son article cette
« partie du pamphlet anonyme, mais il a pillé bravement tout le reste,
« parfois même il s'est coutentéde copier littéralement, sans prendre nulle
« part la peine d'en donner le moindre avis à ses lecteurs. En voici la
« prouve, etc.» (Archives théologiques, mars 1863, p. 236 s.) Suivent sept ou
huit phrases, prises çà et là dans l'article de M. Dancoisne, et mises en
parallèle avec le texte du Lit. Handvmiser, dont elles se rapprochent plus
ou moins. Sur cinq citations empruntées à notre collaborateur, trois sont
tronquées. Un peu plus loin, M. de l'Hervilliers ajoute : « Protégé par
« son anonyme et par son déguisement étranger, le pamphlétaire à gac>,es,
« dans un jargon semi-germain, semi -français, se donne la satisfaction
« d'insulter à son aise un écrivain de premier ordre. » {Archives, p.
238.) Vient alors une citation.
Là-dessus, M. de l'Hervilliers triomphe, affecte des airs victorieux et
superbes, et se croit eu toute sincérité plus poli qu'on ne l'est au-delà
du Rhin. Le digne homme î
Quelques mots de réponse nous suffiront.
lo. Il est FAUX que l'article de M. Dancoisne soit la reproduction de
celui du Lit. Hundweiser. Sans doute, les deux critiques s'accordent pour
le fond, et cela est tout naturel dans la mesure où cet accord se produit :
il serait étrange que chacun articulât sur un même ouvrage des griefs
tout différents. Mais pour la forme, la contexture, lesdétaiis, il y aune
différence complète. Si M. de l'Hervilliers avait eu soin u 'avertir qu'il
donne en entier celle de la feuille de Munster (relative au grand ouvrage),
sauf deux phrases sans importance, la différence eût sauté immédiatement
aux yeux de tous les lecteurs des Archives qui auraient pris la peine
d'ouvrir seulement la Revue des Sciences ecclésiastiques.
2°. 11 est puérile de faire ressortir l'identité d'une citation du Lit. Hand-
loeiser (la seule que renferme son article) avec une de celles qu'a faites
M. Dancoisne. Ce passage est tellement caractéristique, qu'il vaut à lui
seul toute une dissertation, et vraiment c'eût été dommage de l'omettre
sous prétexte qu'on l'avait déjà cité ailleurs. Si nous avons cardé le si-
lence sur l'article allemand, c'est qu'il n'y avait pas de motif de le citer.
D'ailleurs, le Lit. Handiveiser, cëiie revue obscure qui compte plus de 4,000
abonnés, est assez répandu en Fiance et dans la ville même que nous
habitons, pour que nous ayons su d'avance que l'on comparerait les deux
articles.
3°: Quant aux outrages déversés sur les honorables rédacteurs de
VHandvbeiser, transformés en pamphlétaires anonymes et stipendiés, alors
que chacun de leurs numéros porte leurs noms et qu'ils prennent hau-
tement la responsabilité de leurs appréciations, toujours si conscien-
cieuses et si justes, cela dépasse véiilablcmeut toute mesure.
C'est à MM. Hûlskamp et Rump à flétrir ces indignités et même, s'ils
le veulent, à demander par les moyens de droit une réparation qui ne
saurait leur être refusée. Au reste, l'estime de l'Europe savante, qu'ils se
sont acquise par leurs travaux, lesmet bien au-dessus de pareils outrages.
E. Hautcœur.
Arras. — Typogra[)hie Rousseau-Leroy, rue Saint-Maurice, 26,
LE CELEBRE CONFLIT
ENTRE
SAIJNT ETIENNE ET SAINT CYPRIEN
Deuxième article.
Nous allons continuer l'examen des documents relatifs au
célèbre conflit, en essayant de montrer qu'ils sont apocryphes.
Plus tard nous interrogerons les auteurs contemporains ou
peu éloignés de l'époque de saint Cyprien, et nous ferons voir
que l'ensemble de leurs témoignages est favorable à notre
conclusion.
m.
Lettre de saint Cyprien au pape saint Etienne.
Ou la trouvera dans dom Constant {Epistolx Romanorum Pon-
tificum, t. I, p. 216, Paris 1721); C'est la 72« dans l'édition de
Baluze. Voici les raisons qui doivent la faire rejeter comme
apocryphe.
1. Nous avons démontré que la lettre àQuintus et la lettre
aux évêques de Numidie sont controuvées. Or, celle dont nous
nous occupons ici mentionne ces deux-là. Donc, elle est elle-
même apocryphe.
2. Nous avons déjà fait ressortir la contradiction entre les
termes respectueux de cette lettre, et le ton tout différent
d'une autre lettre {ad Quintum) qui lui aurait été annexée.
Revue des Sciences ecclésiastiques, t. vu. 20-21.
306 SAINT ETIENNE ITome Vil.
Outre les paroles citées : Cum tua gravitate ac sapientia conferen.
dum fuit, ou lit vers la fiu : Credentes etiam tibi pro religionis
tusô et fîdei veritate placerequx et religiosa pariter et vey^a sunt.
Ce langage ludique le respect, la concorde, et l'espérance
même que le Pape approuvera et confirmera les décisions du
Concile africain. Et d'autre part, ou annonce dans cette même
pièce au Pape saint Etienne, qu'on y a joint un exemplaire de
la lettre à Quintus, où ce même pape est traité d'insolent et
d'arrogant ! Une telle incohérence dénote la fraude.
3. Voici une autre contradiction. D'une part, cette lettre
soutient que le baptême donné par les hérétiques est nul. Les
évêques d'Afrique n'ont aucun doute à cet égard. La consé-
quence naturelle de ce principe, c'est que les évêques sont
tenus de conférer ce sacrement à ceux qui reviennent de
l'hérésie. Puisque le baptême qu'ils ont reçu est nul, ils ne
sont pas baptisés ; il y a donc obligation de leur conférer le
baptême. C'est la conclusion qu'on attend. Eh bien, la lettre
conclut, au i;ontraire, que chaque évèque est libre de suivre
sur ce point son sentiment, c'est-à-dire de baptiser ou de
laisser sans baptême les hérétiques convertis. 11 u'est besoin
pour rendre évidente cette contradiction, que de rapprocher
les deux passages suivants :
« Baptismum autem non esse quo heeretici utuntur, née
queraquam apud eos qui Christo adversentur, per gratiam
Ghristi posse profîcere, dihgenternuper expressum est in epi-
stola quee ad Quintum collegam nostrum in Mauritania con-
stitutum super ea re scripta est, item in litteris quas collegse
nostri ad episcopos in Numidia prsesideutes ante feceruut. »
Voilà les évêques africains bien convaincus de la nullité du
baptême donné par les hérétiques. Us s'en réfèrent d'ailleurs à
deux lettres où cette même conviction est longuement exprimée.
L'obligation de réitérer le baptême à ceux qui reviennent de
Thérésie est donc pour eux un point de doctrine tout-à-fait cer-
tain. Et néanmoins, voici l'étrange couclusion de leur lettre ;_
Avri U863 1 ET SAINT CYPRIEN. 307
a Qiia in re necnos vim cuiquam facimus autlegem daiuus,
cum habeat in ecclesias administratione voluntatis suse arbi-
trium liberum unusquisque praepositus, rationem actus sui
Domino redditurus. » Ainsi chaque évêque est libre de ne
pas baptiser ceux qui reviennent de l'hérésie, quoique le bap-
tême précédemment reçu par eux soit certainement nul. Le
Concile de Carthage n'entend gêner en rien le libre arbitre de
chaque évêque. Il reconnaît que chacun d'eux ne doit raison
de ses actes qu'à Jésus-Christ seul; qu'aucun synode, aucune
autorité n'a droit de juger un évêque, de lui dicter des lois.
La contradiction ne saurait être plus manifeste. Pendant que
Ton décrète en Concile la nullité du baptême conféré par
les hérétiques, on déclare n'imposer de loi à personne,
legem non damus. Mais décréter la nullité du baptême reçu par
les hérétiques, c'est décréter l'obligation de lenr conférer ce
sacrement ; c'est parle fait même imposer une loi, legem dare.
4. Dans le dernier passage cité, les évêques africains profes-
sent un principe d'une hétérodoxie révoltante, à savoir, que
chaque évêque ne doit compte de ses actes qu'à Dieu seul ;
qu'aucune autorité ecclésiastique ne peut lui imposer de loi,
le juger, le condamner. Au temps de saint Gyprien, comme
avant et après, la doctrine et la pratique constante de l'Église
a été au contraire que tout évêque qui enseigne l'erreur ou
qui scandalise par une conduite criminelle, peut et doit être
mis en accusation, jugé et déposé, soit par les conciles, soit
par le Pontife romain. Il serait inutile de citer des faits à l'ap-
pui, toute l'histoire ecclésiastique en est remplie. Rappelons
seulement la démarche de saint Cyprien auprès du Pape, pour
qu'il écrivît aux évêques des Gaules de se réunir en synode, à
l'effet de juger et de déposer l'évèque d'Arles. La maxime que
chaque évêque est indépendant et ne relève que du tribunal
de Jésus-Ghristfut une des hérésies professées par lesDonatistes;
mais il est absurde de l'attribuer à saint Cyprien et aux évêques
calholiques de son temps. Le passage où une telle maxime est
308 SAINT ETIENNE [Tome VIL
exprimée, suffirait à lui seul pour prouver que la lettre est
apocryphe.
5. Relevons encore au sujet de cette lettre une circonstance
qui suffirait seule aussi pour la rendre fort suspecte. Ce n'est pas
après le premier concile de Cartilage qu'elle aurait été écrite,
mais après le second. L'ensemble des documents (en les suppo-
sant authentiques) ne permettrait pas d'en douter: et c'est du
reste la persuasion des érudits pour qui l'authenticité de ces
mêmes documents n'est pas douteuse. Or, on se demande pour-
quoi cette lettre synodale a été adressée au Pape seulement après
le second concile, et non pas après le premier. C'est dans le
premier que la question avait été pleinement discutée et nette-
ment tranchée, à la prière des évéques de Numidie, comme
il résulte de la lettre synodale envoyée à ces mêmes évêques.
Selon l'usage constant, la relation au Pape aurait dû se faire
après ce premier concile, et l'on aurait dû attendre la réponse
du Saint-Siège. Pourquoi un second concile, puisque le premier
a prononcé ? Pourquoi nnpremier Concile sans une lettre syno-
dale au Pape ? Et pourquoi dans la synodale du second concile
ne se rencontre-t-il pas un mot pour expliquer cette omission
étrange et si contraire aux usages de cette époque? Ces cir-
constances sont, sinon une preuve rigoureuse, au moins un
fort indice de fraude.
IV.
Lettre de saint Cyprien à Jubaianus.
C'est la 73« d'après l'édition de Baluze et autres (Patrologie
Migne, t. III, col. 1109). En voici le sujet. Jubaianus avait con-
sulté saint Cyprien sur la question du baptême des hérétiques,
eu joignant à sa lettre un écrit qui combattait le sentiment de
saint Cyprien. Dans sa réponse à Jubaianus, c'est-à-dire dans
la lettre que nous avons présentement à examiner, saint Cy-
Avril 1803. 1 ET SAINT CYPRIEN. ' 309
prien réfuta cet écrit. Nous disons de cette prétendue lettre
de saint Cyprien à Jubaianus comme des précédentes : c'est
une pièce apocryphe.
1. Elle fait mention de la lettre aux évêques de Numidie et
de la lettre à Quintus, toutes deux apocryphes^ d'après ce qui
a été dit précédemment. Donc, elle est elle-même apocryphe.
2. Jubaianus y joue, ce semble, un rôle contradictoire. Il
consulte saint Cyprien, comme s'il ignorait son sentiment,
quoique ce sentiment lui soit parfaitement connu. Scripsisti
mihi.., desiderans signifcari tibi motum animi nostri, quid no-
bis videatur de hxi'etkorum baptismo. Voilà bien Jubaianus
ignorant ce que pense saint Cyprien sur la question. D'autre
part, les paroles qui suivent attestent le contraire : Et quo-
niamjam super hac re quid sentiremus, ut compendium facereni,
exemplum earumdem litterarum tibi misi, quid in concilto, cum
complures essemus, decreverimus, quid item postea Quinfo colle-
gx nostro, de eadem re quserenti rescripserirn. Les paroles tibi
misi indiquent, ce semble, un envoi antérieur. Jubaianus con-
naissait donc déjà les lettres à Quintus et aux évêques de Nu-
midie, et par conséquent toute la pensée de saint Cyprien.
Nous avons déjà fait ressortir cette même contradiction dans
la lettre à Quintus. L'imposteur parait l'avoir reproduite ici.
Nous l'avouons toutefois, on peut, à la rigueur, nier la contra-
diction, en expliquant ainsi les faits : Jubaianus aurait écrit à
saint Cyprien; celui-ci n'aurait pas répondu sur le champ,
mais se serait contenté d'expédier à Jubaianus l'exemplaire
des lettres à Quintus et aux évêques Numides. Enfin, il lui au-
rait adressé la présente lettre.
3. La contradiction qu'on ne pourra pas contester et qui
dénote la fraude, c'est celle qui existe entre la doctrine sou-
tenue dans le cours de cette lettre, et celle qui se trouve dans
sa conclusion. En effet, l'auteur s'évertue à prouver que le
baptême coniféré par les hérétiques est certainement invalide ;
qu'on doit par conséquent baptiser ceux qui reviennent de
S-JO SAINT ETIENNE [Tome YII.
l'hérésie. Tenir la conduite contraire, ce n'est pas seulement
à ses yeux nne erreur, mais un crime, une abomination. Voici
en quels termes il stigmatise ses adversaires : Et nunc qui ta-
libus ad Ecdesiam venientibus sine baptismo communicandum
existimant, non putant de alienis, immo xternis peccatis commu-
nicare, admittentes sine baptismo eos qui non nisi in baptismo
possint blasphemiarum suarum peccata deponere ! Quam vanum
port'o et perversum, ut cum ipsi hseretici, repudiato et relicto vel
errorevelscelere inquopriusfuerant, agnoscant Ecclesix veritatem,
nos veritatis ejusdemjura et sacramentum mutdemus, et venien-
tibus ac pœnïtentibus dicamus eos remissionem peccaiorum conse-
cutos esse ! Qu'on le remarque bien, la nullité du baptême des
hérétiques n'est pas seulement soutenue par l'auteur de la
lettre comme une opinion libre et plus probable, mais comme
un dogme tellement certain^ que l'opinion et la pratique con-
traires doivent être tenues pour une prévarication, xmeperver'
site, A part la conclusion, toute la lettre est dans ce sens. Mais
après tant de violence contre la prétendue perversité, que con-
clut l'auteur de la lettre? — Que chaque évêque est libre de
suivre en cela son sentiment, c'est-à-dire, de baptiser ou de
ne pas baptiser ceux qui reviennent de l'hérésie : « Hsec tibi
breviter pro nostra mediocritate rescripsimus, frater charis-
sime, nemini prxscribentes aut prsejudicautes quominus unus-
quisque episcoporum quod putat faciat, habens arbitrii sui libe-
ram potestatem. Nos, quantum in nobis est, propter hsereticos
cum coUegis et coepiscopis nostris non contendimus, cum qui-
bus divinam concordiam et dominicam pacem tenemus. »
Inutile de faire observer que toute la lettre exigeait la con-
clusion opposée. Ce qui est une erreur, un crime, une perver-
sité, ne peut pas être laissé au libre arbitre de chaque évêque.
4. Le passage suivant nous offre un point de doctrine qu'on
ne saurait attribuer à saint Cyprien, et qui est par conséquent
une nouvelle preuve de la fraude : Frustra quidam, qui ratio-
ne vincuntur, consuetudinem nobis opponunt ; quasi consuetudo
AvriH8C3.] ET SAINT CYPRIEN. 3M
major sit veritate ,aut non ici sit inspiritualibus sequendum quod
melius fuerit a Sancto Spiritu revelatum... Prxsumptione enim
atque obstinatione quadam nititur, cum ratione superetur. Il
s'agit là de la tradition apostolique de l'Église de Rome. A.
cette tradition, saint Cyprien (si la lettre était de lui) préten-
drait qu'il faut préférer la lumière de la omison et des révéla-
tions faites par le Saint-Esprit. A Taide d'une telle maxime,
chaque hérétique pourrait rejeter la foi traditiouelle des apôtres ,
et dire, en s'appuyant sur l'autorité de saint Cyprien : Frustra
qui ratione vincuntur consuetudinem nobis opponunt. Nous disons
que cette monstrueuse doctrine ne peut pas être attribuée à
saint Cyprien. Elle est en opposition avec celle qu'il professe
dans son livre de Unitate Ecclesise, et avec la grande règle doc-
trinale des catholiques à cette époque. Pour toutes les questions,
pour toute les controverses, on en appelait avant tout à la tra-
dition des apôtres. Dès que cette tradition était constatée, la
contestation cessait: c'était la suprême autorité. L'Église ro-
maine s'y appuyait et l'alléguait sans cesse. Quiconque a un
peu exploré les monuments ecclésiastiques de ces premiers
siècles, verra clairement que la maxime ratione vinçendum ne
peut être attribuée à saint Cyprien, ni à aucun évèque catho-
lique de son temps.
5. Saint Augustin révoque en doute l'authenticité de cette
lettre de saint Cyprien à Jubaianus. Voici en quels termes il
en fait mention : Cum enim persuadera conaretur^ vel Cyprianus,
vel quicumque illam scripsit epistolum {ad Cresconium, 1. ir,
capite 33). On le voit, saint Augustin, à l'égard de toutes ces
pièces que lui objectaient les Douatistes, met en doute si elles
sont dfi saint Cyprien. 11 ne dit pas aux Donatistes : Vous les
avez fabriquées ; mais il laisse entrevoir qu'il le pense, et que
s'il ne va pas plus loin, c'est faute d'avoir eu main des preuves
de la fraude, qui puissent être saisies du pubhc. Si les Dona-
tistes avaient pu, de leur côté, lui prouver l'authenticité de ces
pièces, ils auraient rectifié quelque part son assertion. Nulle
312 SAINT ETIENNE [Tome VIL
part ils ne l'ont attaquée. Le seul fait de la controverse sur
l'authenticité de ces pièces au temps de saint Augustin, est un
fort in,dice de la fraude.
Ze fameux décret du pape saint Etienne^ Nihil innovetur nisi
quod traditum est, est pareillement apocryphe.
Dans riiypotbèse de l'authenticité des documents, le Pape
saint Etienne aurait répondu à la lettre synodale envoyée après
le second concile tenu à Carihage. De cette réponse on n'a
qu'un fragment cité dans la lettre de saint Cyprien à Pompeius,
et aussi dans l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe. C'est ce frag-
ment qu'on allègue sous le nom de décret ou de décision
du Pape saint Etienne. Voici les termes de ce fragment, tel
qu'il se trouve dans la lettre à Pompeius : Si quis ergo a qua~
cumque hxresi venerit ad pœnitentiam, nihil innovetur nisi quod
traditum est, ut manus illi imponatur ad pœnitentiam, cum ipsi
hxretici proprie alterutrum ad se venientes non baptizent, sed
communicent tantum. Tel est le fameux décret que le pape saint
Etienne aurait porté contre saint Cyprien et les é vaques
d'Afrique. Selon nous, on doit le tenir pour apocryphe.
1 . Cette lettre du Pape saint Etienne aurait eu la plus haute
importance, puisqu'elle aurait décidé une controverse des plus
vives, qui mettait en rumeur les églises de l'Afrique et de
l'Orient. Elle se serait par conséquent trouvée dans les archives
de Rome au temps du pape saint Damase, et saint Jérôme n'au-
rait pas manqué d'en faire mention dans son livre de Viris
illustribus. Vers l'endroit où il parle de saint Corneille et de
saint Cyprien, il aurait consacré aussi un chapitre au pape
saint Etienne et à son célèbre décret contre ce même saint
Cyprien et les autres évêques d'Afrique. Or, cette importante
décision dogmatique du pape saint Etienne, à l'occasion de
laquelle toutes les églises de l'Afrique et de l'Asie auraient été
Avril 1803) ET SAINT CYPRJEN. 313
en émoi, et qui serait un des faits culminants de l'histoire ecclé-
siastique de cette époque, saint Jérôme Ta ignorée, il l'a passée
complètement sous silence.
2. Saint Augustin aussi Fa complètement ignorée. Discutant
la question du baptême des hérétiques, il dit avoir connaissance
d'une certaine lettre du pape saint Etienne, mais qui n'a
ancun rapport à cette question : Prorsus ad prxsentem quxstio-
nem nonpertinet{DeBaptismOy lib. vi, c. 15, t. ix, éd. Maurin.).
Assurément-, s'il avait connu la lettre de saint Etienne, con-
tenant le passage cité, ou le célèbre décret, il n'aurait pas dit
qu'elle est entièrement étrangère à la question. Donc il n'a
point connu cette lettre. Que conclure du silence de saint
Jérôme, de l'ignorance de saint Augustin, si ce n'est que la
prétendue lettre et le célèbre décret qu'elle renferme sont
apocryphes ?
3. La fraude se manifeste en outre par cet argument que le
pape saint Etienne aurait employé à Tappui de son décret :
Cum ipsi hxretici ad se venienfes non baptizent. Est-il vraisem-
blable qu'un Pape, postérieur seulement de deux cents ans à
l'apôtre saint Pierre, ait allégué comme preuve la pratique
des hérétiques ? Ne devait-il pas prévoir l'accueil que les op-
posants feraient à cette preuve ? On peut voir dans la lettre de
saint Cyprien à Pompeius et dans celle de Firmilieu, avec quel
dédain elle est appréciée, non point (selon nous) par ces deux
personnages, mais par les faussaires qui ont aussi fabriqué ces
deux lettres.
Sans doute la pratique des sectes peut quelquefois servir à
prouver la vraie doctrine. Mais le pape saint Etienne ne serait
pas excusable d'avoir employé cette preuve comme il l'a fait,
c'est-à-dire en n'alléguant que cette raison : Cum ipsi hxretici
ad se venientes non baptizent. C'étaitdonner cette raison comme
la principale, comme la suprême autorité. Un tel acte de la
part d'un Pape, est en pleine contradiction avec la coutume
constante de l'Église romaine de s'appuyer toujours sur la
•14 SAINT ETIENNE [Tome VU.
tradition des Apôtres et de repousser avec horreur les héré-
tiques.
A. D'ailleurs ces mots du pape saint Etienne : Hxretici ad se
vmientes non baptizant, seraient une assertion fausse. Les Mar-
cionites rebaptisaient^ ainsi que l'atteste saint Épiphane :
Baptismo non semel, sed tertio apud illos initiantur {User. 42) .
Saint Jérôme, dans son Commentaire sur l'épître auxEphésiens,
chapitre iv, nous apprend que les Valentiniens réitéraient aussi
le baptême. Ceux qui regardent comme authentique la lettre
de saint Cyprien à Jubaianus, devraient admettre en outre la
coutume de rebaptiser chez les Novatiens, coutume clairement
exprimée par ces paroles : ISec nos movet, frater carissime,
quod in Utteris tuis complexus es, Novatianenses rebaptizare eos
guos a nabis sollicitant. Supposer que le pape saint Etienne ait
ignoré cette coutume des hérétiques, c'est inadmissible. Les
Novatiens avaient leur siège principal à Rome. Leurcoutumede
rebaptiser ne pouvait être inconnue du Pape saint Etienne. Ce
Pape aurait donc cru que les hérétiques rebaptisaient, et néan-
moins il aurait affirmé le contraire. C'est l'absurde hypothèse
qu'il faudrait admettre^, si l'on ne rejette pas cette lettre comme
apocryphe.
5. La décision qu'on prête à saint Etienne renferme une
erreur dogmatique. Il aurait enseigné que tout baptême conféré
par les hérétiques est valide, sans excepter les sectes qui
n'auraient pas employé la forme légitime. Les termes dont il
se sert ne comportent aucune exception : Si quis ergo a qua-
cumque hœresi venerit ad pœnitentiam, nikil innovetm\ Nous le
savons, les théologiens orthodoxes qui admettent ce décret
comme authentique s'efforcent d'en écarter l'erreur, en disant
que le pape saint Etienne sous-entendait, dummodo vitiata non
fuerit forma. Mais cette interprétation ne saurait être admise.
En effet, on doit regarder comme le vrai sens d'une loi, celui
dans lequel l'ont entendu les contemporains, pour qui la loi
a été faite, celui qu'ils ont trouvé si clair et si naturel, qu'ils
Avril 1852.] ET SAINT CYPRIEN. 3^5
n'out pas même songé à lui eu donner un autre. Or^ saint
Cyprien, à qui l'on suppose adressée la décision du pape
saint Etienne , l'entendit ( toujours dans Thypothèse de
Tauthenticilé des documents^ admise par nos adversaires) en
ce sens que le baptême était conféré validement par toutes les
sectes, sans en excepter celles qui baptisaient sans l'invocation
des trois personnes divines et qui ne croyaient pas à la Trinité.
Voici comment il entend et réfute ce célèbre décret : A qua-
cumque hxresi venientem baptizariin Ecclesiavetuit ; idest, om-
nium hxreticorum baptismatajusta ssse et légitima judicavit. Et
cum singulx hxreses singula baptismata et diversa peccata ha'
béant, hic cum omnium baptismo communicans universorum de-
licta in sinum suum coacervata congessit... Cur in tantum Stepha-
ni fratris nostri obstinatio dura prorupit, ut etiam de Marcionis
baptismo, item Valentini et Apelleiis, et cxterorum blasphe-
mantium in Deum Patrem, contendat filios Dei nasci, et illic in
nomine Jesu Christi dicat remissionem peccatorum dari, ubi
blasphematur in l'atrem et in Dominum Deum Chrisium? (Ep.
ad Pompeium.) Si l'on veut admettre comme authentique le
décret du pape saint Etienne, tel qu'il est relaté dans la lettre
à Pompeius, il faut dire que ce Pontife a donné une décision
erronée en matière de foi. Or, la maxime de toute l'antiquité
attribue l'infaillibilité à la foi professée et enseignée par l'église
de Rome. Un fait qui renverserait cette maxime, cette per-
suasion des premiers siècles, ne saurait être admis sur des
pièces suspectes. On doit donc rejeter comme apocryphe la
prétendue décision du pape saint Etienne et la lettre qui aurait
contenu cette décision.
VI.
La lettre de saint Cyprien à Pompeius est apocryphe.
C'est la 74e selon l'édition de Baluze et autres. {Patrologie
Migne, t. III, col. 1127.)
31G SAINT ETIENNE [Tome VII.
i. Les paroles violentes auxquelles l'auteur de cette lettre
se laisse emporter contre le Pontife romain, ne permettent
pas de l'attribuer à saint Cj^prien. Il y reproche au pape saint
Etienne de faille tous ses efforts en faveur des hérétiques , et de
prendre leur défense contre les chrétiens et contre l'Eglise de '
Dieu ; d'avoir écrit comme un imprudent et un ignorant {impe-
inte af que improvide], et allégué des raisons pleines d'orgueil^
étrangères à la question et contradictoires {superba, ad rem non
pertinentia et sibi contradictoria) , d'avoir accumulé dans son
sein les crimes de tous les hérétiques, en communiquant au bap-
tême de toutes leurs sectes {omnium baptismo communicans uni-
versorum delicta in sinum suum coacervata congessit) ; d'avoir
diffamé les apôtres, en prétendant qu'ils out approuvé le baptême
des hérétiques ; sur quoi l'on ajoute une ironie amère : prxclara
sane et légitima traditio, Stephano fratrenostro docente, proponi-
tur ! D'après l'auteur de la lettre, le décret du pape saint Etienne
a réduit l'Église de Dieu et l'épouse de Jésus-Christ à ce comble de
dégradation qu'elle en est venue à prendre pour règle l'exemple
des hérétiques, et que les chrétiens font l'œuvre de V Antéchrist.
Il a poussé l'obstination et \di présomption jusqu'à substituer une
tradition humaine à la loi divine. Son aveuglement {excitas) et sa
perversité (pravitas) sont telles, qu'il refuse de reconnaître l'unité
provenant de Dieu le Père et de l'ensei^ement de Jésus-Christ.
Le sentiment qu'il soutient est une ineptie {ineptum). Son
inflexible obstination {obstinatio dura fratris Stephani) va jusqu'à
prétendre que le baptême de Marcion, de Valentin et d'Apelles
fait naître des enfants de Dieu. Ami des hérétiques, ennemi des
chrétiens, ils'est imaginé d'excommunier les évêques de Dieu qui
défendent 'la vérité de Jésus-Christ et l'unité de l'Église. Se
soumettre à sa décision^ ce serait ye^er bas les armes, pi'ésenter
ses mains aux fers, livrer au diable la loi de l'Evangile, l'œuvre
de Jésus-Christ, la majesté de Dieu ; anéantir les sacrements de la
divine milice, livrer les drapeaux du camp céleste^ soumettre
l'Eglise aux hérétiques, la lumière aux ténèbres, la foi à la per-
A>Till803.; ET SAINT CYPRIEN. 317
fidie, l'espérance au désespoir, la raison à l'erreur, l'immortalité
à la mort, la charité à la haine, la vérité au mensonge, Jésus-
Christ à l'Antéchrist. Par sa présomption et son entêtement
(studio prxsumptionis et confumacix), il est cause que certains
s'obstinent dans l'erreur, au lieu de se rendre aux exhortations
de ceux qui défendent la bonne et vraie doctrine.
Par ces quelques -traits, et mieux encore par la lecture atten-
tive de la lettre entière, on verra jusqu'à quel excès la violence
des injures y est portée. C'est évidemment l'œuvre d'un furi-
bond, d'uninsolent, d'un homme qui ne reconnaissait aucun pri-
vilège de supériorité à l'Église romaine, au successeur de saint
Pierre. Or, nous savons que le grand saint Cyprien fut surtout
remarquable par son zèle et son amour pour la concorde, la
paix et la charité, par sa patience et la candeur de son âme,
par la profession qu'il a faite dans ses écrits authentiques de
reconnaître l'Église romaine pour l'Église principale, mère de
toutes les autres églises, de laquelle on ne peut se séparer
sans périr, et auprès de laquelle l'erreur ne Sfiurait avoir accès.
2. Il y a contradiction manifeste entre cette lettre et la
conclusion des lettres précédentes attribuées à saint Cyprien.
Ici, en effet, la nullité du baptême des hérétiques est soutenue
comme un dogme tout-à-fait certain. Les paroles suivantes ne
laissent aucun doute à cet égard:- Ut in illo mundi baptismo,
quo iniquitas antiqua pufgata est, qui in arca hac non fuit non
potuit per aquam salvatus fieri, ita nec nunc potestper baptismum
salvatus videri, qui baptizatus in Ecclesia non est, qux ad arcse
unius sacramentum dominica unitate fundata est. En outre,
la qualification de traîtres de la foi, proditores fidei, est
donnée à ceux qui soutiennent la validité du baptême con-
féré parles hérétiques. L'auteur delà lettre leur reproche leur
opinion et leur pratique comme une eri'eur dans la foi, un
crime, une abomination. Donc son enseignement bien formel
et soutenu, non-seulement avecla dernière clarté, mais encore
avec une grande véhémence et dureté de langage, est qu'au-
318 SAINT ETIENNE [Tome VU.
cun évêque ne peut licitement adopter cette opinion ni la suivre
dans la pratique.
D'autre part, dans la conclusion des lettres précédentes,
saint Cyprien aurait déclaré qu^il n'entendait nullement s'op-
poser à ce que chaque évêque pensât sur ce point comme
bon lui semblerait : Nemini prxscribentes aut pi'xjudïcantes,
quominus unusquisque episcoporum quod putat faciat, habens
arbitra sui liberam potestatem (ep. ad Jubaianum). La contra-
diction est manifeste. Elle prouve que ces pièces sont l'œuvre
de faussaires,
3. L'imposture se manifeste encore par ce passage : Beatus
apostolus Paulus ad Timotheum scribit et monet episcopum non
litigiosum nec contentiosum, sed mitem et docibilem esse debere.
L'auteur de la lettre venait de combattre la décision et l'ordre
du Pape saint Etienne; il venait de s'emporter violemment
contre lui ; il se trouvait, si l'on peut parler ainsi, en flagrant
délit de contestation et d'opposition la plus acbarnée, et voilà
que tout-à-coup il rappelle qu'un évêque doit être doux, patient,
docile, ennemi des altercations ! Il est impossible de supposer
que saint Cyprien ait écrit ainsi. Il n'était pas assez dépourvu
de sens pour ne pas voir que sa lettre était la violation la plus
manifeste de la recommandation de saint Paul. Non, le saint
et grand évêque de Garthage, cet bomme au cœur candide
[candidissimi pectoris, au dire de saint Augustin), n'est pas
l'auteur de ces indignes incohérences.
On objectera que cette lettre à Pompeius est mentionnée par
saint Augustin. Nous ne le contestons pas; mais nous disons
qu'en citant ces diverses pièces attribuées à saint Cyprien,
saint Augustin n'en admettait pas l'authenticité. Il la révoquait
en doute. Groupons ici les passages qui le prouvent : Quanquam
non desint qui hxc Cyprianum prorsus non sensisse contendanty
sed sub ejus nomine a prxsumptoribus atque mendacibus fuisse
eonfictum. Neque enim sic potuit integritas atque notifia littera'
'"'nm unius quamlibet iilustris Fpiscopi custodiri... (Ep. ad Vin-
Avril 1SC3.] ET SAINT CYPRIEN. ^ 319
centium Rogatiamim^ op. t. ii, col. 246, éd. Maurin.) En par-
lant de la lettre à Jubaianiis, il dit : Vel sanctus Cyprianus, vel
quicumque illam scripsit epistolam (contra Crosconium, 1. ii,
c. 32). Quandiu aliter sapuit Cyprianus, siscripta ejus ésse constat
quse pro vobis proferenda arbitramini (1, i. c. 31). Nam et vos
profertis concilium Cypriani, quod aut non est factum, aut
cœteris unitatis membris, àquibus ille non divisus est, merito su-
peratum. Neque enim propterea sumus Cypriano meliores, si
tamen censuit hxreticos denuo baptizari (contra Cresconium, 1. 1,
c. 32). Puisque saint Augustin révoquait en doute que saint
Cyprien eût jamais soutenu le sentiment qu'on lui attribue,
si tamen censuit hxreticos denuo baptizari; puisqu'il mettait gé-
néralement en question si les pièces qui attestent ce sentiment
n'étaient pas l'œuvre de faussaires, a prxsumptoribus atque men-
dacibus fuisse con/îctum, il est clair qu'il tenait aussi pour sus-
pecte la lettre à Pompeius. C'est donc en présupposant ce
doutequ'il faut entendreces deux passages qu'on nous objecte:
Ad Pompeium etiam scribit Cyprianus de hac eadem re, ubi
aperte indicat Stephanum, quem Romanx Ecclesix episcopum
tune fuisse didic'imus, non solum sibiad ista nonconsensisse, verum
etiam contra sc7npsisse ac prxcepisse {De Baptismo,\ïh. \, c.
23). Jam illa qux in Stephanum iratus effudit, retractare nolo,
quia et non opus est. Eadem quippe ipsa dicuntur qux jam satis
discussa sunt ; et ea prxterire melius est, qux periculum perni^
ciosx dissensionis habuerunt. Sfephanus auteyn et ahstinendos
putavcrat qui de suscipiendis hxreticis priscum consuetudinem
convellere conarentur : isteautem quxstionis ipsius difficultate per-
motus, et sanctis charitatis visceribus largissime prxditus, in
unitate cum eis manendum qui diversa sentirent. Ita quamvis corn-
motius sed tamen fi^aterne indignaretur, vicit tamen pax Christi
in cordibus eorum, ut in tali discrepatione nullum inter eos malum
schismatis oriretur (loc. cit. c. 25). Tout ce qu'affirme saint
Augustin dans ces deux passages, il ne l'affirme qu'hypothéti^
quement. Il a dit et redit que l'authenticité de ces pièces attri-
520 SAINT ETIENNE ET SAIN 2" CYPRIEN. [Tome VU
buées à saint Cyprien n'est point prouvée. Cela présupposé,
il explique comment on devrait entendre et juger la lettre à
Pompeius, dans le cas ou elle serait réellement de saint
Cyprien.
Nous écarterons encore ici une autorité sur laquelle on,
appuie l'authenticité de la lettre à Pompeius. Dans l'édition des
œuvres de saint Cyprien par Baluze, on trouve une note, au
sujet de cette lettre à Pompeius, où il est affirmé que
Facundus, évèque d'Hermiane en Afrique, en fait mention
dans son livre ad Mutianum. J'ai eu beau lire ce livre ad Mu-
tianum {Patrol. Migne, t. lxvii, col. 854), je n'y ai trouvé aucune
mention de la lettre de saint Cyprien à Pompeius. Il y a seu-
lement quelques passages où cet auteur suppose réelle la con-
testation entre saint Etienne et saint Cyprien. Facundus a
écrit vers le milieu du sixième siècle ; et nous avouons que les
auteurs de cette époque et ceux qui les ont suivis ont cru à la
réalité du conflit. Mais nous verrons plus loin que leur témoi-
gnage ne saurait être considéré comme une preuve. Ils furent
trompés par les nombreux exemplaires où les faussaires
avaient intercalé les documents apocryphes.
D. Bouix.
LE SPIRITISME.
Deuxième article.
I.
Un traité entier serait nécessaire pour étudier avec quelques
détails l'intéressante question des esprits au point de vue de
la doctrine catholique. Dans un si vaste sujet, nous ne pren-
drons que les principaux points : aussi bien, ils suflSront pour
montrer combien la doctrine spirite est en opposition avec les
dogmes de la foi.
Au commencement [ab initio temporis, dit le canon Firmiter
du quatrième concile deLatran, 1215), quand il voulut (quando
voluit, dit le décret donné aux jacobites par le concile de Flo-
rence), par sa bonté et sa puissance. Dieu, qui est un pur
esprit, natura simplex omnino, et l'unique principe de tout,
unum universorum principium (can. Firmiter), créa les choses
visibles et invisibles, les spirituelles et les corporelles : Utram-
que de nihilo condidit creaturam,spiritualem et corporalem : an-
gelicam videlicet et mundanam, ac deinde humanam, quasi com-
munem ex spiritu et corpore constitutam {ib.). Entre les esprits
et les corps se place, comme une sorte d'intermédiaire, la
nature humaine. L'homme clôt la série des corps. En lui se
résume la vie moléculaire, la vie végétative et la vie animale.
En lui commence la série des esprits : son âme est la sœur
des anges et l'image de Dieu. Les créatures étaient bonnes
dans le premier moment de leur création, mais, tirées du
322 LE SPIRITISME. [rcmeVlI.
néant, elles étaient changeantes. Placées dans l'état d'épreuve,
afin de mériter par le choix du hien la possession d'un souve-
rain honheur, elles pouvaient pécher : elles ont péché, Bonas
quidem, quia a summo bono factx sunt, sed mutabiles, quia de
nihilo factx sunt (Décr. aux Jacoh.). Diabolus entrn et alii dx-
mones a Deo quidem natura creati sunt boni, sed ipsi per se facti
sunt mali (can. Firmiter). Vu l'extrême pénétration de ces
esprits, l'état d'épreuve ne dura pas longtemps pour eux. En
un instant, ils fixèrent leur parti; et une fois fixé, leur libre
arbitre ne se rétracta pas. Lucifer et plusieurs anges pé-
chèrent par orgueil et furent précipités dans les feux de l'en-
fer, créé pour châtier à jamais leur inexcusable faute.
L'âme humaine est immatérielle, immortelle et la forme du
corps (conc. Lat. v). Orné de dons naturels, préternaturels et
surnaturels, le premier homme fut placé dans un état d'é-
preuve. Dieu, pour lui ménager une occasion de mérite, per-
mit au déman de le tenter, et par la suggestion de l'esprit
mauvais, Adam pécha, et toute sa postérité fut infectée dans
sa source. Homo vero diaboli suggestione peccavit (can. Firmi-
ter). De là vient que le démon est appelé menteur, homicide dès
le commencement. On n'en finirait pas, si ou voulait rappeler
les textes des saintes Écritures, des Conciles et des saints
Pères qui parlent de la rage et de la malice des esprits infer-
naux. Un des principaux caractères qu'ils leur assignent, c'est
la ruse et la fourberie ; c'est de se transformer en anges de
lumière pour séduire les âmes. Dieu, qui est fidèle et qui ne
permettra pas que des fidèles soient tentés au-dessus de leurs
forces, permet pour l'épreuve des siens que, dans une mesure
fixée par la sagesse et la bonté de sa Providence, les anges
mauvais éprouvent leur amour. Cette épreuve est appelée
tentation. Dans certains cas, se produit Y obsession; dans
d'autres, la. possession.
Les anges restés fidèles assistent en grand nombre devant
le trône du Seigneur et sont envoyés en message à cause des
Ayril 1863.] LE SPIRITISME. .323
âmes qui doivent être sauvées. Ils luttent contre les esprits de
ténèbres. Saint Michel, celui qui terrassa Satan, est le pro-
tecteur de rÉglise catholique, c'est-à-dire de l'Eglise mili-
tante. Admirable dignité de Tâme humaine, d'avoir pour sa
défense et les anges et la grâce même de Dieu, et de pouvoir
lutter, elle aussi, contre Satan et le terrasser à son tour. Rien
de tout cela n'abaisse le très-Haut. Dieu a pour principal at-
tribut la bonté. Tout ce qui montre la bonté est souveraine-
ment digne de lui. Voulant que l'âme mérite le bonheur qu'il
lui promet, il lui donne la liberté et lui ménage l'épreuve. Il
utilise le démon, qui est employé à éprouver les âmes. Satan
ne peut que les éprouver, et, d'un autre côté, ces mêmes
âmes sont puissamment secourues. Donc, tout sert aux vues
de Dieu, omnia serviunt tibi. Si Satan est déchaîné, il a une
grande colère, parce qu'il a peu de temps. Il rode toujours,
cherchant à dévorer quelqu'un ; il faut lui résister par la foi,
et il s'enfuira. Il ne peut même s'emparer des plus vils ani-
maux sans que le pouvoir lui en soit donné : le Fils de la
Vierge lui écrasera toujours la tête.
Placées dans un état d'épreuve et de liberté, sous l'influence
des bons et des mauvais esprits, les âmes des hommes choi-
sissent à leur gré le bien ou le mal, la vie ou la mort. Ce qui
leur plaît leur est donné. Mais à la mort tout sera fini. Il n'y
aura plus de temps, c'est-à-dire plus de succession, c'est-à-dire
plus de changement. Là où Tarbre sera tombé, là il restera.
L'homme aura décidé, il aura pris son parti. Respect sera
acquis à la chose jugée. Le temps est court, dit l'Apôtre. Il
faut donc, tant que nous avons le temps, faire le bien. Le
saint concile de Florence définit comme un dogme éternel :
Illorum animas qui in actuali peccato vel solo originali decedunt
inox in infernum descendere, pœnis tamen disparibus puniendas.
Celui qui meurt dans le péché mortel tombe à l'instant dans
l'enfer. Celui qui s'en va sans avoir souillé l'innocence baptis-
male ou qui a entièrement expié les fautes commises après le
324 LE SPIRITISME. [Tome VII.
baptême, entre de suite dans le ciel : In cœlum mox recipi et
intueri clare ipsum Deurn trinum et unum sicuti est, pro meri-
iorum tamen diversitate alium alio perfectius. Celui qui part de
ce monde vraiment pénitent dans Tamour de Dieu avant d'a^
voir entièrement satisfait par ses omissions pour ses fautes va
souffrir dans le purgatoire : Eorum animas pœnis purgatoriis
post morlem purgari (Bulla Eugen. iv. Lsetentur cœli).
Les peines du purgatoire sont passagères. La récompense
du ciel est éternelle. Le paradis est un oui, un amen, un aile-
luia, un plaisir qui ne finira jamais : Gaudium vestrum nemo
tollet a vobis. Le damné brûlera sans fin dans les flammes de
l'enfer : Vcrmis eorum non moritur. La parabole du mauvais
riche dans saint Luc montre en un tableau saisissant cette
double vérité de la fin qui attend les hommes. Le récit anti-
cipé que Notre-Seigneur a fait du jugement dernier, de la
double et définitive sentence qui tombera pour toujours sur
les bons et su^les méchants, rend impie et impossible toute in-
certitude sur un dogme si fondamental. Venturus in fine sxculi^
judicatv.rus vivos et mortuos, et redditurus singidis secundum
opéra sua, tam reprobis quam electis : quiomnescum suis propriis
résurgent corporibus, qux nunc gestant, ut recipiant secundum
opéra sua sive bona fuerinf, sive mala : illi cum diabolo pœnam
perpetuam,et isti cum Christo gloriam sempite?mam {can. Firmi-
ter). A la fin, le corps ressuscitera et se réunira à l'âme pour
partager ou son bonheur ou son malheur.
C'est là la fin ; fin dont saint Augustin dit quelque part : Talis
finis non habet finem. C'est, pour parler avec toute la théologie,
l'état de terme. L'origénisme, condamné notamment par le
V* concile œcuménique, enseignait contrairement à ces dogmes,
outre la fabuleuse préexistence des âmes, fabulosam animarum
prxexistentiam (Syn. v, can. i), une succession d'états angélique,
animal, humain, démoniaque : Si quis dixerit ex angelico et
archangelico statu animalem statum fieri, ex animali autem dss-
moniacum et humanum ; ex humano vero angelos iterum dsemo-
AviiH863.! LB SPIRITISME. 325
nesque fieri et singulos ordines cœlestium virtutum, etc. anathema
sit (can. 5). Le canon suivant frappe d'anatlième celui qui
soutiendrait entre autres choses qu'il a existé deux sortes de
démons composées des âmes des hommes et des esprits princi-
paux aussi tombés : Duplex extiiisse dsemonum genus constans ex
animabus hominum et ex prxstantioribus spiritibus ad hoc de-
lapsis...
L'enseignement catholique étant ainsi formulé par la sainte
Église et la théologie, que faut-il penser d'un système qui af-
firme qu'il n'y a pas de démons ; que les esprits ne sont autres
que les âmes des morts; que ces esprits, divisés en plusieurs
classes, s'améliorent tous, et qu'en ^'améliorant ils passent d'un
ordre inférieur dans un ordre supérieur ; « que Tincarnation est
imposée aux esprits, de sorte que l'âme avant d'être unie au
* corps existait et était un esprit ; que parmi les différentes
espèces d'êtres corporels, Dieu a choisi l'espèce humaine pour
l'incarnation des esprits arrivés à un certain degré de développe-
ment, » et que Tesprit ne revêtira point de nouveau le corps
qu'il avait animé ?
Or, telle est la doctrine spirite. Citons le livre fondamental
du spiritisme, intitulé \q Livre des Esprits. Au livre ii, chap.i,
n. 131 (9^ édit.), on demande à un esprit :Y a-t-il des démons
dans le sens attaché à ce mot? Voici la réponse : S'il y avait des
démons, ils seraient l'œuvre de Dieu. Et Dieu serait-il juste et bon
d'avoir fait des êtres éternellement voués au mal, et malheureux ?
Franchement, tout ceci n'est pas fort. L'esprit qui parle ainsi
doit être un des esprits de la huitième classe, appelés esprits
faux-savants. Mais, n'importe ! poursuivons. S'il y a des dé-
mons, c'est dans ton monde inférieur et autres semblables qu'Us
résident ; ce sont ces hommes hypocrites qui font d'un Dieu juste,
un Dieu méchant et vindicatif et croient lui être agréables par les
abominations quils commettent en son nom. Il y a ici une allu-
sion proférée avec une certaine vigueur. Comme s'il recon-
naissait la faiblesse humiliante de cette réponse, le Livre des
326 LE SPIRITISME. [fonie VII,
Esprits s'empresse de la fortifier par une glose de deux pages
(pp. 54 et 55). On commence par dire que le mot démon n'im-
plique ridée de mauvais esprit que dans son acception moderne,
car le mot oai'acov, d'où il est formé, signifie simplement génie,
intelligence. Or, avec une confiance qui n'est pas dépourvue de
courage, on démontre que les démons dans le sens d'esprits
mauvais n'existent pas. Et voici comment on raisonne : « Ils
seraient, comme toutes choses, la création de Dieu ; or, Dieu,
qui est souverainement juste et bon, ne peut avoir créé des
êtres préposés au mal par leur nature et condamnés pour
l'éternité. S'ils n'étaient pas l'œuvre de Dieu, ils seraient donc
comme lui de toute éternité, ou bien, il y auraitplusieurs puis-
sances souveraines. La première condition de toute doctrine,
c'est d'être logique ; or, celle des démons dans le sens absolu,
pêche par cette base essentielle. » Tout ceci exhale une forte
odeur de manichéisme, et repose sur cette hypothèse que le
démon a été créé mauvais comme il l'est actuellement. Or, la
foi enseigne que le mal n'est pas une chose existante physique-
ment et que toute créature en tant que créature, est bonne:
Nullamque mali asserit esse naturam, quia omnis natura^ in quan-
tum natura est, bona est (Décret, pro Jacob, in Cane. Flor.) Créé
bon et libre, le démon s'est rendu mauvais. Jésus-Christ, ajoute-
t-on, parle du démon, mais quel seus donnait-il à ce mot?
Qu'on relise les nombreux passages où le Fils de Dieu parle si
expressément du démon et au démon, et ce sens sera clair. Le
langage de Jésus-Christ est allégorique. Satan est évidemment
la personnification du mal sous une forme allégorique ^'^q démon
ne peut désigner que la catégorie inférieure des esprits, esprits
imparfaits qui murmurent contre les épreuves qu'ils subissent et
qui pour cela, les subissent plus longtemps, mais qui animeront à
leur tour, quand ils en auront la volonté.
D'où il résulte que le spiritisme posepour base de sa doctrine
une monstrueuse hérésie, la négation de l'existence des démons
entendus dans le sens de l'enseignement catholique.
Avril 1?G31. VR SPIRITISME. 327
Quant au second point, c'est un axiome, un dogme, une
règle de foi, l'épigraphe qui décore les livres élémentaires de
de la secte. On nie Texistence des démons, on ne nie pas
l'existence des esprits, mais on répète sans relâche : Les esprits
ne sont autres que les âmes des hommes dépouillées de leur enve-
loppe corporelle.
Plus de démons, plus d'anges selon la notion catholique,
mais des esprits distribués selon l'échelle spirite en trois ordres,
et subdivisés en impurs, légers, faux-savants, neutres, frap-
peurs, perturbateurs, bienveillards, savants, sages, supérieurs,
et en purs esprits du premier ordre. Créés égaux, mais ne sa-
chant pas d'où ils viennent, il faut que leur libre arbitre ait
son cours. « Ils progressent plus ou moins rapidement en intel-
ligence comme en moralité; Dieu leur impose l'incarnation dans
le but de les fair^e arriver à la perfection : pour les uns, c'est une
expiation; pour d'autres, c'est une mission. Mais pour arriver à
cette perfection, ils doivent subir toutes les vicissitudes de l'exi-
stence corporelle. Par l'incarnation, l'esprit supporte sa part de
travail dans l'œuvre générale de la création.
« Qu'est-ce que l'âme? » — « Un esprit incarné. » — «Qu'était
l'âme avant de s'unir au corps? » — a Esprit. » — « Les âmes et
les esprits sont donc identiquement la même chose ?» — « Oui;
les âmes ne sont que les esprits. Avant de s'unir au corps, l'âme
est un des êtres intelligibles qui peuplent le monde invisible
et qui revêtent temporairement une enveloppe charnelle pour
se purifier et s'éclairer (1). » Ces espiûts se purifient par les
épreuves qu'ils traversent et s'éclairent par l'expérience.
L'âme est la forme du corps, selon la doctrine catholique.
Selon le spiritisme, il existe dans l'homme une substance semi
matérielle, le périsprit, qui sert de première enveloppe â l'esprit
et unit l'âme au corps (2). Cum ipsa non solum vere per se et
essentialiter humanï corporis forma existât, etc. (Conc. Lat. v).
Ce que l'esprit n'a pu achever dans une existence, il l'achève
0) Le Livre des Esprits, p. 38. — (2) Ibid., p. 59.
328 LE SPIRITISME. [Tome VII.
dans d'autres en se réincarnant; ainsi il expie, il s'améliA-e,
il progresse. L'esprit qui avance vite s'épargne des épreuves.
Toutefois ces incarnations successives sont toujours très-nombreuses,
car le progrès est presque infini. Enfin, après sa dernière incar-
nation, l'esprit devient esprit bienheureux, il est pur esprit (1).
La résurrection des corps est donc niée par le spiritisme. Ainsi
est renversé un des dogmSs les plus beaux et les plus formels
de la doctrine et de la théologie catholiques. Par où l'on voit
laquelle de ces deux doctrines honore le plus la chair, ou de
celle qui, après l'avoir laissé souiller par tous les désordres,
la condamne ensuite au néant pour toujours, ou de celle qui
la purifie momentanément par des rigueurs raisonnables et
salutaires pour lui assurer à jamais la clarté, la beauté et les
jouissances de l'éternité.
N'insistons pas davantage sur un sujet trop évident. En ce
qui concerne la doctrine des esprits, le spiritisme est un tissu
d'erreurs contre la foi, que nul ne peut soutenir sans se placer
en dehors du christianisme.
II.
Le grand caractère de la vie chrétienne sur la terre, c'est la
lutte ; au ciel est la victoire. Nul ne sera couronné, s'il n'a lé-
gitimement combattu. Personne n'a le droit de se plaindre ni
de murmurer d'une telle condition, car les souffrances du
temps présent n'ont pas de rapport avec la gloire qui les ré-
compensera dans l'avenir, et une légère tribulation opère un
poids éternel de gloire. La lutte est, du reste, une délicate at-
tention de la bonlé de Dieu, qui nous ménage par e\\& une ré-
compense. La liberté et l'épreuve constituent le grand élément
de la vie présente. Voilà pourquoi tout homme, à l'exemple
de saint Paul, trouve en lui deux hommes, et s'il se plaint
des importunités du mauvais, il lui est répondu : Sufficit tibi
gratia mea (11 Cor., xii, 9); voilà pourquoi tout est double,
(l)/6id., p. 73.
AvriH863.] LE SPIRITISME. 329
unum cmtra unum; voilà pourquoi contre la vérité il y a l'er-
reur ; contre les mystères du salut, les mystères d'iniqui-
tés ; contre les bons anges envoyés pour ceux qui s'assurent
l'héritage du salut , les mauvais esprits qui ne cessent de
pousser les âmes à leur perte; contre l'Église, le monde.
Cette lutte est la condition miséricordieuse que Dieu a établie.
Il faut, dit l'Apôtre, qu'il y ait des divisions, afin que ceux
qui sont éprouvés soient connus. Celui qui n'a pas été éprouvé,
que sait-il ? On comprend le rôle précieux qu'en de semblables
circonstances, sous la main aussi puissante que miséricordieuse
de Dieu, Satan et les mauvais anges sont appelés à jouer
en travaillant malgré eux aux mérites des Saints. Mais
qu'on ne confonde pas ce que le Seigneur permet avec ce qu'il
veut. L'esprit qui trompa Achab vint avec la permission du
ciel (III Reg. xxii, 22). Dieu ne veut pas l'iniquité : il la permet,
il la tolère, elle entre dans le plan général de sa providence.
La question n'est pas de savoir si ce plan convient ou non
au spiritisme ; la question est de constater si ce plan est celui
que Dieu a établi. Nul doute n'est possible à se sujet ; tous les
monuments du catholicisme le proclament d'un commun ac-
cord. Gela étant, on peut facilement juger de la valeur du
bon sens que renferment les lignes suivantes : « Si le démon
seul peut se manifester, c'est avec ou sans la permission de
Dieu; s'il le fait sans sa permission, c'est qu'il est plus puis-
sant que lui; si c'est avec sa permission, c'es^ que Dieu n'est
pas bon; car, donner à l'esprit du mal, à l'exclusion de tous les
autres, le pouvoir de séduire les hommes, sans permettre aux
bons esprits de combattre son influence, ne saurait être un acte
ni de bonté ni de justice; ce serait pire encore si, selon l'opi-
nion de ces personnes, le sort des hommes devait être irrévo-
cablement fixé après la mort ; car alors Dieu précipiterait vo-
lontairement et en connaissance de cause ses créatures dans
les tourments éternels en leur faisant tendre des embûches...
Cette doctrine se réfute donc par elle-même (assurément, dirons-
S'ÎO LE SPIRITISME [Tome VII.
nous, mais le malheur est que cette doctrine est Tinvention des
spirites et nullement la doctrine catholique) ; aussi trouve-t-elle
trop peu de crédit, même parmi les indifférents, pour mériter
de s'y attacher davantage ; son temps sera bientôt passé, et
ceux qui la préconisent l'abandonneront eux-mêmes quand ils
verront qu'elle leur nuit plus qu'elle ne leur sert (1). »
Rien ne donne une plus grande idée de la liberté et de la
dignité de l'àme humaine que la grandeur de sa position sur
la terre : Dieu, Jésus-Christ, l'Église, la grâce, les sacre-
ments, les bons anges, les prières des saints, tout est à elle.
Les mauvais esprits, les hommes pervers, l'erreur, le men-
songe, le mal, tout conspire pour la vaincre! Mais Dieu est
avec elle, il ne souffrira pas qu'elle soit tentée au-dessus de
ses forces : elle ne sera vaincue que si elle veut capituler.
Toujours elle pourra dire : Je puis tout en Celui qui me fortifie!
Et pour récompenser quelques instants d'une lutte si prodi-
gieusement facilitée, une couronne qui ne se flétrira pas, un
poids éternel de gloire ! Qu'on l'avoue de bonne foi, cette
idée ne fùt-elle qu'une abstraction, n'est-elle pas grande et
Belle ? En quoi blesse-t-elle la raison ? Dieu est amour,
l'amour seul l'honore; or, l'amour étant essentiellement
choix , préférence , dévouement et union , il fallait que
l'hcmme fût libre pour pouvoir aimer; pour qu'il fût libre,
il fallait qu'il pût choisir ; pour qu'il pût choisir enfin, il
fallait qu'il eût devant lui le bien et le mal.
L'âme humaine, sur la terre, a donc des relations néces-
saires qu'il faut considérer afin de bien constater si ce sont
celles que le spiritisme consacre et approuve. Dieu, qui l'a
créée, la conserve et la gouverne en respectant son libre
arbitre : Magna reverentia disponens nos (Sap, xii 18). L'âme,
de son côté, doit connaître, aimer et servir Dieu. Les bons
anges sont envoyés pour aider les âmes, pour les garder. L'âme
doit les aimer, les respecter, les invoquer. La sainte Église
(1) Foyage spirite, p. 53.
Avril 1863.1 I-^ SPIRITISME. 331
chante dans sa liturgie : Smicte Michaël archangele, défende nos
in prxlio ut non pereamus in tremendo judicio! et elle enrichit
de ses indulgences la prière que chaque fidèle adresse, matin
et soir, à l'ange gardien. Les mauvais anges ne cherchent
qu'à perdre, en toutes manières, les âmes : Cum omni nequitia
eorum multifoi'mi, ainsi que parle le Pontifical ( de Ordin.
exorcist.). L'âme doit les hair, leur résister par la foi, la prière,
la grâce de Dieu, et n'avoir aucun autre rapport avec eux : on
ne peut participer à la table de Jésus-Christ et à la table des
démons. Il n'y a pas d'union entre la lumière et les ténèbres,
entre le Seigneur et Bélial. Quant aux âmes des damnés, leur
sort étant à jamais fixé, elles sont dans une prison éternelle.
Rien n'y pénètre. On ne doit pas prier pour celles qui y sont
enfermées. Pour ce qui concerne les âmes du purgatoire, on
peut et on doit les soulager par les prières, les aumônes et
autres bonnes œuvres qui contribuent à les tirer du lieu de la
souffrance pour les faire entrer dans celui du rafraîchissement,
de la lumière et de la paix. Touchées de devoir aux hommes
leur délivrance, ces âmes garderont un doux souvenir de cette
charité, et, parvenues dans la gloire, elles reconnaîtront effi-
cacement le plus grand des bienfaits. Car les saints, à jamais
établis devant Dieu, intercèdent pour les âmes qui militent
sur la terre, et, de leur côté, ces âmes les invoquent et les
imitent. D'âme à âme, il doit exister sur la terre des rapports
de charité fraternelle, de bonne édification, de prières et de
correction réciproques.
C'est en cela que consistent, c'est à cela que se bornent les
rapports de l'âme humaine avec les esprits. II serait facile de
justifier, par les preuves les plus décisives et les plus nom-
breuses, chacune des affirmations qui les établissent. Ce se-
rait peine inutile ; personne ne nie que ce soit là l'enseigne-
ment catholique. Ces relations, si clairement définies par
l'Église et la religion, sont les relations ordinaires dont les
fidèles ne doivent point s'écarter. Dieu, sans doute, peut ne
332 LE SPIRITISME. [Tome VU,
pas toujours les suivre : dans sa toute-puissance, il peut en
autoriser d'autres ; il peut vouloir^ dans son infinie sagesse
et sou inexprimable bonté, qu'il y ait des apparitions, des ma-
nifestations, des révélations extraordinaires et surnaturelles.
Qui sommes-nous, pour lui prescrire des règles ou lui poser
des limites? Il est le maître, il fait ce qu'il lui plait. Omnia
qusecumque voluit fecit, dit le psalmiste. Seulement, comme
l'illusion serait à craindre en pareille matière, l'Apôtre or-
donne d'éprouver les esprits, si ex Deo sint (I Jo., iv, i),
car il ne faut pas ajouter foi à tout esprit, dit le même Apôtre.
Voilà pourquoi il y a des règles tracées pour discerner
les esprits et pour reconnaître les opérations divines dans les
âmes. C'est la sainte Église qui prononce sur ces manifesta-
tions. Notre sujet n'exige pas que nous insistions sur ce
point.
La question se trouve en ce moment grandement simplifiée.
Il y a avec les esprits les relations extraordinaires que Dieu
autorise et qui ne doivent être tenues pour divines qu'après
examen et décision de l'autorité établie par le Seigneur pour
régir les âmes et leur enseigner toute vérité. Il y a les rela-
tions ordinaires qui sont nettement fixées par la doctrine ca-
tholique. La matière serait épuisée s'il n'existait que ces deux
sortes de rapports, mais il y en a une troisième. Il reste à par-
ler des relations criminelles avec les esprits, relations qui
diffèrent des précédentes.
Qu'il puisse exister un commerce criminel avec les esprits,
cela est hors de doute. L'Écriture-Sainte elle seule nous en
donnerait la plus irrécusable démonstration. Au chapitre vu
die,\' Exode, les sages et les magiciens d'Egypte contrefont par
leurs enchantements quelques-uns des prodiges de Moïse :
Fecerunt etiam ipsiper incantationes ^gyptiacas et arcana qux-
dam similiter. Au livre i des Rois, Saiil consulte la pythonisse.
U Exode défend de laisser vivre les magiciens (xxii, 18). Le
Lévitique défend d'aller les consulter (xix, 31) et ordonne de
Avril 18 3.) LE SPIRITISME. 333î
tuer rhomme ou la femme en qui sera un esprit de divina-
tion (xx, 27). Le Deutéronome apporte les mêmes prohibitions :
Nec sit maleficus, nec incantator, nec qui pythones consulat , nec
divinos, aïït qujîrat a mortuis veritatem (xviii, 10s.).
Avant de poursuivre, il est nécessaire de placer ici les sin-
gulières réflexions par lesquelles le spiritisme croit échapper
aux défenses si clairement portées par le Seigneur, « La pre-
mière conséquence à en tirer, dit-il, c'est qu'il est possible
d'évoquer lés âmes des morts et de s'entretenir avec elles... Il
est vraiment curieux de voir les ennemis du spiritisme reven-
diquer dans le passé ce qu'ils croient pouvoir leur servir, et
répudier ce passé toutes les fois qu'il ne leur convient pas.
Puisqu'ils invoquent la législation de Moïse en cette circonstance,
pourquoi n'en réclament-ils pas rapplication pour tout ? (Parce-
que, dans cette législation, selon la théologie et la doctrine
catholique, il y a une partie qui était transitoire, locale, figu-
rative et qui a cessé à la venue de Jésus-Christ ; et une partie
fondée sur le droit naturel qui est éternelle. Or, dans cette
partie est comprise la défense d'entretenir avec les esprits des
rapports qui tendent à leur rendre des honneurs qui ne sont
dus qu'au vrai Dieu.)... Par sa défense, Moïse fit acte de poli-
tique et de sagesse. Aujourd'hui, les choses ne sont plus les
mêmes, et ce qui pouvait être un inconvénient alors, ne l'est
plus dans l'état actuel de la société. Mais, nous aussi, nous
nous élevons contre l'abus qu'on pourrait faire des relations
d'outre-iombe et nous disons qu'il est sacrilège, non de s'en-
tretenir avec les âmes de ceux qui ont vécu, mais de le faire avec
légèreté, d'une manière irrévérencieuse ou par spéculation ;
voilà pourquoi le vrai spiritisme répudie tout ce qui pourra i
ôter à ces rapports leur caractère grave et religieux, car là est
la véritable profanation. Puisque les urnes peuvent se communi-
quer, ce ne peut être qu'avec la permission de Dieu, et il ne sau-
rait y avoir de mal à faire ce que Dieu permet (1). » Que les
(I) Foyage spirite, p. 54.
334 ' LE SPIRITISME. [Tome \ II
âmes des morts puissent se communiquer, cela est faux ; ce
sont les mauvais esprits qui peuvent le faire au moyen d'un
commerce coupable. Les âmes, après la mort, étant dans l'un
des états que leur a fixé la volonté du Seigneur, il n'est pas au
pouvoir des hommes, selon la doctrine catholique, de les ap-
peler et de leur faire rendre des réponses. Si l'âme de Samuel
apparut à Saiil, ce fut par un effet de la puissance de Dieu et
non par suite de l'évocation de la pythonisse. Non, les âmes
ne peuvent pas apparaître au gré de qui les évoque. Le
pussent-elles, la conclusion qu'on tire de là n'en serait pas
moins totalement fausse. Dieu permet qu'on abuse de sa liberté
pour voler : ne saurait-il y avoir de mal dans le vol?
Le Nouveau Testament et les actes authentiques de l'Église
s'opposent à cette doctrine. Au chapitre xxiv de S. Matthieu,
Notre-Seigneur assure qu'il s'élèvera un jour des faux-christs
et des faux-prophètes, qui feront de grands signes et des pro-
diges, de manière à induire en erreur même les élus, si cela
était possible. Vers ce temps-là sera aussi révélé cet impie
dont parle saint Paul (II Thess. ii, 8) : Cujus est adventus se-
cundum operationem Satanx, in omni virtute et signis et prodi-
giis mendacibus. Et sans aller jusqu'aux temps derniers, les actes
des Apôtres nous apprennent que Simon bouleversait par ses
opérations magiques toute la ville de Samarie (cap. viii), et
que saint Paul chassa purement et simplement un esprit de
python du corps d'une jeune personne : Prxcipio tibi in no-
mine Jesu Christi exire ab ea (xvi, 16 ss.).
Voilà donc la possibilité des opérations diaboliques établie :
les saints Pères enseignent d'une seule vois cette possibilité.
Parmi les choses possibles, il en est de légitimes, il en est de
défendues. Or, les relations avec les démons sont dans cette der-
nière catégorie, aussi bien d'après le Nouveau Testament que
d'après TAucien. Les bulles des Souverains-Pontifes, notam-
ment la constitution Cœli et Terrx de Sixte V (1586), le Rituel
romain {de Exorcizandis obsessis a dsemone) et les décisions ré-
Avri! 1863.] LE SPIRITISME. 33S
centes de la Sacrée Pénitencerie (du 21 avril 1841), et du
Saint -Office (du 25 juin 1840 et surtout du 4 août 1856),
ne laissent pas à ce sujet le moindre doute. Ces réponses
ont été rendues à l'occasion du magnétisme, mais elles
invoquent des principes décisifs contre le spiritisme. Étant
éloignés toute erreur , tout sortilège et toute invocation
explicite ou implicite du démon, Tacte simple d'employer des
moyens humains, d'ailleurs licites, n'est pas moralement dé-
fendu, pourvu qu'il ne tende pas aune fin illicite ou mauvaise
eu quoi que ce soit. Mais l'application de principes ou de
moyens physiques pour des choses et des effets vraiment sur-
naturels, n'est qu'une déception tout-à-fait illicite et hérétique.
Sur ces principes, qui sont ceux de toute la théologie, le
Saint-Office, c'est-à-dire la première de toutes les Congre gâ-
tions romaines, a déclaré illusion illicite, hérétique et scanda-
leuse, la pratique par laquelle certaines personnes parlent de
rehgion [ac de ipsa religione instituere], évoquent les âmes des
morts [animas mortuorum evocare) , reçoivent des réponses
{responsa accipere), découvrent des choses ignorées ou éloi-
gnées {ignota ac longinqua detegere), ou exercent d'autres su-
perstitions de ce genre [aliaque id genus supèrstitiosa exercere),
et cela quelque art ou quelque illusion qu'on emploie {quacum-
que demum utantur arte vel illusioné). Pour extirper un fléau
si nuisible à la religion et à la société civile, le Saint-Office
excite le zèle et la vigilance des évêqucs, et l'on sait que les
évêques ont parlé et réprouvé les pratiques récentes par les-
quelles on se met en rapport avec les esprits.
Parmi ces trois genres de relations miraculeuses, ordi-
naires, illioites, quelles sont celles que recherche le spiritisme?
a D'abord, ni les spirites ni les médiums ne se font passer
pour des christs ni des prophètes; ils déclarent qu'ils ne font
point de miracles pour frapper les sens et que tous les phé-
nomènes tangibles qui se produisent par leur influence sont
des effets qui rentrent dans les lois de la nature, ce qui n'e.st
336 LE SPIRITISME. [Tome VII.
pas le caractère des miracles... En donnant Texplication de
ces phénomènes, qui sans cela eussent pu passer pour sur-
naturels aux yeux du vulgaire, ils tuent la fausse ambition qui
aurait pu les exploiter à son profit (I). »
« Nous nous résumons dans les propositions suivantes ;
l» tous les phénomènes spirites ont pour principe l'existence
de l'âme, sa survivance au corps et ses manifestations;
2° ces phénomènes, étant fondés sur une loi de la nature, n'ont
rien de merveilleux ni de surnaturel dans le sens vulgaire de
ces mots (2) . » Tout le chapitre second du Livre des Médiums
est consacré à la démonstration de ces propositions et d'autres
semblables. Ce ne sont donc pas les relations miraculeuses
que recherche le spiritisme. Que ce ne soient pas les relations
ordinaires, cela résulte encore de la doctrine spirite. t Les
esprits peuvent se communiquer spontanément ou venir à
notre appel, c'est-à-dire sur évocation. Lorsqu'on désire com-
muniquer avec un esprit déterminé, il faut de toute nécessité
l'évoquer... On peut évoquer tous les esprits à quelque degré
de l'échelle qu'ils appartiennent : les bons comme les mau-
vais, ceux qui ont quitté la vie depuis peu comme ceux qui
ont vécu dans les temps les plus reculés, les hommes illustres
comme les plus obscurs, nos parents, "nos amis, comme ceux
qui nous sont indifférents; mais il n'est pas dit qu'ils veuillent
ou puissent toujours se rendre à notre appel; indépendam-
ment de leur propre volonté ou de la permission qui peut leur
être refusée par une puissance supérieure, ils peuvent en être
empêchés par des motifs qu'il ne nous est pas toujours donné
de pénétrer... Tout le monde peut évoquer les esprits, et si
ceux que vous appelez ne peuvent se manifester matérielle-
ment, ils n'en sont pas moins auprès de vous et vous écoutent.»
— « Comment des esprits, dispersés dans l'espace ou dans les
différents mondes, peuvent-ils entendre de tous les points de
{\) Voyage spirite, p. 55.
(2) Livre des Médiums, p. ^J.
Atril 1863.] LB SPIRITISME. 337
Tunivers les évocations qui sont faites ? d — a Souvent ils en
sont prévenus par les esprits familiers qui vous entourent et
qui vont les chercher... L'esprit que vous évoquez, quel-
qu'éloigné qu'il soit, reçoit, pour ainsi dire, le contre-coup de
la pensée comme une sorte de commotion électrique qui
appelle son attention du côté d'où vient la pensée qui s'adresse
à lui. » — a Le fluide universel est-il le véhicule de la pensée,
comme l'air est celui du son ?» — « Oui, avec cette différence
que le son ne peut se faire entendre que dans un rayon très
borné, tandis que la pensée atteint l'infini. L'esprit, dans l'es-
pace, est comme le voyageur au milieu d'une vaste plaine, et
qui, entendant tout-à-coup prononcer son nom, se dirige du
côté où on l'appelle. » — a La pensée de l'évocateur est-elle
plus ou moins facilement entendue selon certaines circon-
stances? » — a Sans aucun doute ; l'esprit, appelé par un sen-
timent sympathique et bienveillant, est plus vivement touché ;
c'est comme une voix amie qu'il reconnaît; sans cela il arrive
souvent que l'évocation ne porte pas. » — « L'esprit évoqué
vient-il volontairement, ou bien y est-il contraint ?» — « Il
obéit à la volonté de Dieu, c'est-à-dire à la loi générale qui ré-
git l'univers ; et pourtant, contraint n'est pas le mot, car il
juge s'il est utile de venir ; et là est encore pour lui le libre
arbitre. » — a Y a-t-il, pour l'évocateur, un moyen de
contraindre un esprit à venir malj^ré lui ?» — « Aucun, si
cet esprit est votre égal ou votre supérieur en morahté, — je
dis en moralité et non en intelligence, — parce que vous
n'avez sur lui aucune autorité ; s'il est votre inférieur, vous
le pouvez, si c'est pour son bien, car alors d'autres esprits
vous seconderont. » — « La précaution de faire la chaîne en
se donnant la main pendant quelques minutes, au commen-
cement des réunions, est-elle utile ?» — « La chaîne est un
moyeu matériel... Ce qui est plus utile que tout cela, c'est de
s'unir dans une pensée commune ou appelant, chacun de son
côté; les bons esprits. » — a Les évocations à jours et heures
Revue des sciences ecclésiastioubs, t. vu- 22-23.
338 - LK SPIRITISME. [Tome VU.
fixes soiit-ellespréférables(l)? » — «Oui, etsic'estpossibledans
le même lieu. » — «Peut-on évoquer l'esprit d'un animal ?» —
« Après la mort de l'animal, le principe intelligent qui était en
lui est dans un^état latent ; il est aussitôt utilisé par certains
esprits chargés de ce soin pour animer de nouveaux êtres
dans lesquels il continue l'œuvre de son élaboration. Ainsi,
dans le monde des esprits, il n'y a pas d'esprits d'animaux
errants, mais seulement des esprits humains. Ceci répond à
votre question. » — « Peut-on évoquer l'esprit d'une personne
vivante ?» — « Oui, puisqu'on peut évoquer un esprit incarné.
L'esprit d'un vivant peut aussi dans ses moments de liberté,
se présenter sans être évoqué. — « Est-il absolument impossible
d'évoquer l'esprit d'une personne éveillée? » — Quoique diffi-
cile, cela n'est pas absolument impossible. — «Deux personnes,
en s'évoquant réciproquement, pourraient-elles se transmettre
leurs pensées et correspondre? » — « Oui, et cette télégraphie
humaine sera un jour nn moyen universel de correspondance [^). »
«Toute personne qui ressent à un degré quelconque l'influence
des esprits est par cela|mème??2ec?/um. Cettefaculté estinbérente
à l'homme... On peut donc dire qxie tout le monde, à peu de
chose près, est médium. Toutefois, dans l'usage, cette qualifi-
cation ne s'applique qu'à ceux chez lesquels la faculté média-
nimique est nettement caractérisée... Les médiums ont géné-
ralement une aptitude spéciale pour tel ou tel ordre de phéno-
mènes, ce qui en fait autant de variétés qu'il y a de sortes de
manifestations. Les principales sont : les médiums à effets phy-
siques; sensi tifs ou impressibles ; auditifs ; parlants; voyants;
(1) a Quand les réuaions^onl lieu à 'our et heures Oxes, ils se dis-
posent en conséquence, el| il^(|esl rare qu'ils y manquent. Il en est
même qui poussent la ponctualité à l'excès; ils se formalisenl d'un
quart d'heure de relard et s'ils?assigaent eux-mêmes le moment d'un
entretien, on les appellerait en vain un quart d'heure plus tôt. »
[Livre des Médiums, p. AA'2.)
(2) Livre des Médiums, seconde partie, chap. xxv. Des évocations^
pp. 5o2-383 pa siw.
AvriM863.1 LE SPIRITISME. 339
somnambules ; guérisseurs ; fneumatographes ; écrivains ou
psychographes (1). Les médiums se multiplient, et il y a peu de
groupes qui n'en possèdent plusieurs, sans parler de la quan-
tité bien plus considérable de ceux qui n'appartiennent à
aucune réunion... Lyon a plusieurs médiums dessinateurs
remarquables; un médium peintre à Thuile qui n'a jamais
appris ni le dessin, ni la peinture. A Saint-Jean-d'Angély, nous
avons vu un médium mécanique qu'on peut regarder comme
exceptionnel : c'est une dame qui écrit de longues et belles
communications tout en lisant son journal ou en faisant la
conversation, et sans regarder sa main. Il lui arrive même
quelquefois de ne pas s'apercevoir quand elle a fini. Les mé-
diumsillettrés sont assez nombreux et l'on en voit assez souvent
qui écrivent sans avoir jamais appris à écrire... Mais ce qni
est caractéristique, c'est la diminution évidente des médiums
à effets physiques, à mesure que se multiplient les médiums
à communications intelligentes ; c'est que, comme l'ont dit
les esprits, la période de la curiosité est passée et que nous
sommes dans la seconde période qni est celle de la philosophie.
La troisième qui commencera avant peu, sera celle de l'appli-
cation à la réforme de l'humanité (2). »
« Les coups et les mouvements sont pour les esprits des
moyens d'attester leur présence et d'appeler sur eux l'attention,
absolument comme lorsqu'une personne frappe pour avertir
qu'il ya quelqu'un, II en est quinese bornent pas à des bruits
modérés, mais qui vont jusqu'à faire un vacarme pareil à celui
de la vaissellequi se brise, de portes qui s'ouvrent ou de meubles
que l'on renverse.
« A l'aide des coups et des mouvements de convention, ils
ont pu exprimer leurs pensées, mais l'écriture leur offre le
moyen le plus complet, le plus rapide et le plus commode raussi
est-ce celui qu'ils préfèrent. Par la même raison qu'ils peuveit
(1) Ih., chap. XIV. Des Médiums^ p. 495.
(2) Voyage spirile e» 1862, p. 5.
340 LB SPIRITISME. [Tome VIL
tous former des caractères, ils peuvent guider la main pour
faire tracer des dessins, écrire de la musique, exécuter un
morceau sur un instrument; en un mot, à défaut de leur
propre corps qu'il n'ont plus, ils se servent de celui du mé-
dium pour se manifester aux hommes d'une manière sen-
sible.
(( Les esprits peuvent encore se manifester de plusieurs ma-
nières, entre autres par la vue et par l'audition. Certaines
personnes, dites médiums auditifs, ont la faculté de les entendre,
et peuvent ainsi converser avec eux; d'autres les voient; ce
sont les médiums voyants. Les esprits qui se manifestent à la vue,
se présentent généralement sous une forme analogue à celle
qu'ils avaient de leur vivant, mais vaporeuse ; d'autres fois,
cette forme a toutes les apparences d'un être vivant, au point
de faire complètement illusion, et qu'on les a quelquefois
prises pour des personnes en chair et en os, avec lesquelles on
a pu causer et échanger des poignées de mains, sans se douter
qu'on avait affaire à des esprits, autrement que par leur dispa-
rition subite (1).
a ... L'on en est déjà à pouvoir communiquer avec les
esprits, aussi facilement et aussi rapidement que les hommes
le font entre eux, et cela par les mêmes moyens : l'écriture et
la parole (2). » On fait écrire les esprits, au moyen d'une cor-
beille, au fond de laquelle est attaché un crayon.
« L'écriture ainsi obtenue n'est pas toujours lisible, les mots
n'étant point séparés; mais le médium, par une sorte d'intui-
tion, la déchiffre aisément. » Cette corbeille s'appelle cor6e^7/e-
toupie. On lui substitue quelquefois un carton assez semblable
aux boites de dragées, a Plusieurs autres dispositions ont été
imaginées pour atteindre le même but. La plus commode est
celle que nous appellerons corbeille à bec (3). »
(1) Le Spiritisme à sa plus simple expression, p. 8.
(2) Livre des Médiums, p. i90.
(3) Jb., p. ivl.
Avril 1B63.I LE SPIRITISME. 34i
< On obtient ainsi des dissertations de plusieurs pages, aussi
rapidement que l'on écrirait avec la main... Au lieu de cor-
beilles, quelques personnes se servent d'une sorte de petite
table faite exprès (1). Toutes ces dispositions n'ont rien d'ab-
solu, la plus commode est la meilleure (2). »
« L'intelligence qui agit^, se manifeste souvent par d'autres
signes non équivoques. Arrive à la fin de la page, le crayon
fait spontanément un mouvement pour la retourner ; veut-il
se reporter à un passage précédent, dans la même page ou
dans une autre, il le cherche avec la pointe du crayon, comme
on le ferait avec le doigt, puis le souligne. L'esprit veut-il enfin
s'adresser à Tun des assistants, le bout de la tige de bois se
dirige vers lui. Pour abréger, il exprime souvent les mots oui
et non par les signes d'affirmation et de négation que nous fai-
sons avec la tète ; s'il veut exprimer la colère et l'impatience,
il frappe à coups redoublés avec la pointe du crayon, et souvent
il le casse (3). »
a Nous appelons psychographie indirecte l'écriture ainsi ob-
tenue, par opposition à la psychograpkie directe ou manuelle,
obtenue par le médium même... L'esprit étranger qui se com-
munique, agit sur le médium; celui-ci, sous cette influence,
dirige machinalement son bras et sa main pour écrire, sans
avoir (c'est du moins le cas le plus ordinaire) la moindre con-
science de ce qu'il écrit ; la main agit sur la corbeille, et la
corbeille sur le crayon. Ainsi, ce n'est point la corbeille qui
devient intelligente, c'est un instrument dirigé par une intelli-
gence; ce n'est en réalité qu'un porte-crayon... Supprimez cet
intermédiaire, vous aurez le même résultat avec un mécanisme
beaucoup plus simple, puisque le médium écrit comme il le
fait dans les conditions normales (4). »
(1) Livre des Médiums, p. H 92.
(2) /6., p. 193.
(3; Ib., p. 192.
(i) Ib., p. -i93.
3i2 LE SPIRITI^ME. ITomeVIl.
Il serait facile de traiter fort au long la questiou des médiums.
Bornons-nous à quelques détails significatifs. On les divise en
médiums à effets physiques et médiums à effets intellectuels.
Parmi ceux de la première catégorie, on distingue les trypteurs,
moteurs^k translations et suspensions (1) ; « Il en est qui peuvent
s'élever eux-mêmes (2) ; » à eff'ets musicaux : « Ils provoquent
le jeu de certains instruments sans contact (3) ; » à apparitions,
à apports, nocturnes^ pneurnatographes, guérisseurs^ excitateurs,
A la dernière classe appartiennent les auditifs, les parlants,
l^s voyants, les inspirés, les prophétiques, les somnambules, les
extatiques , les peintres , les polyglottes , — qui ont la fa-
culté de parler ou d'écrire dans des langues qui leur sont étran-
gères (4) ; — les illettrés, — qui écrivent cominê médiums, sans
savoir ni lire ni écrire dans l'état ordinaire (5) ; — les novices, les
improductifs, les formés, les laconiques, les explicites, les expé-
rimentés, les fexibles, les exclusifs, les versificateurs, les histO'
riens, les scientifiques, les religieux, ceux à communications
triviales et ordurières : — // faudrait une étrange aberration
d'idées et avoir divorcé avec le bon sens, pour croire qu'un pareil
langage puisse être le fait de bons esptnts (6). Cette phrase est
bien plus vraie que ne le croit celui qui l'a écrite. Mais pour-
suivons ; nommons encore les médiums calmes, les véloces, les
convulsifs, les obsédés, — qui ne peuvent se débarrasser d'esprits
imposteurs et trompeurs, mais ne s'abusent pas {!); — les fascinés
— qui sont abusés par des esprits trompeurs, et se font illusion
(1) Or, la suspension élhéréenne des corps graves est un fait expli-
qué par la loi spirile : nous en avons élé personnellement témoin
oculaire, et M. Home, ainsi que d'autres personnes, ont renouvelé à
pi isieurs reprises le phénomène produit parsainl Cuperlin. {Livre des
Médiums, p. i9.)
(2) Ib., p. 223.
(3) /ô., p. 226.
(i) Ib., p. 230.
(b) /ô, p.230.
(6) Ib., p. 233.
(7) /6., p. 237.
AvrU1863.] LE SPIRITISME. 3^iZ
sur la nature des communications qu'ils reçoivent {{); — les subju-
gués, — qui subissent une domination morale et souvent ma-
térielle de la part de mauvais esprits (2). Laissons également
les présomptueux, les orgueilleux, les susceptibles, les merce-
naires, les ambitieux, les jaloux, les sérieux, les modestes, les
sûrs et les dévoués.
Ajoutons, en terminant, quelques citations relatives aux ma-
nifestations visuelles des esprits. « Celui auquel un esprit
apparaît , pourrait-il engager une conversation avec lui ? »
— «Parfaitement^ et c'est même ce que l'on doit toujours faire
en pareil cas. » — a Gomment, dans ce cas, Fesprit peut-il ré-
pondre ?» — a II le fait quelquefois par des sons articulés,
comme le ferait une personne vivante ; le plus souvent, il y a
transmission de pensées. » — « Ceux qui voient les esprits, les
voient-ils par les yeux ? »»— « Ils le croient, mais en réalité c'est
l'âme qui voit; et, ce qui le prouve, c'est qu'on peut les voiries
yeux fermés.» — « Comment l'esprit peut-il se rendre visible?»
— « Le principe est le même que celui de toutes les manifesta-
tions; il tient aux propriétés du périsprit, qui peut subir diverses
modifications au gré de l'esprit.» — « Les esprits qui appa-
raissent, sont-ils toujours insaisissables et inaccessibles au tou-
cher? » — « Insaisissables comme dans un songe, dans leur
état normal ; cependant, ils peuvent faire impression sur le
toucher et laisser des traces de leur présence, et même, dans
certains cas, devenir momentanément tangibles. » — « Peut-
on provoquer l'apparition des esprits ?» — «Cela se peut quel-
quefois, mais très-rarement; elle est presque toujours sponta-
née. Il faut, pour cela, être doué d'une faculté spéciale (3). »
On pourrait multiplier ces citations. Celles qui viennent d'être
faites suffisent, et montrent que les relations du spiritisme avec
les esprits ne sont pas les relations ordinaires fixées par la
(I) là., p. 237.
r2)76., p. 237.
(3) Jb., chap. VI. Manifestations visuelles, pp. 121-126.
344 LE SPIRITISME. [Tome VII.
sainte Église catholique. « D'après cet axiome, que, si tout
efiet a une cause, tout effet intelligent doit avoir une cause
intelligente ; on conclut que la cause de ce phénomène devait
être une intelligence (1). »
Disons donc que ces prétendus fluides que l'on a décorés de
divers noms, ne peuvent nullement expliquer les effets désignés
ci-dessus. Il y a ici un commerce direct, formel et explicite
avec les esprits.
La conclusion qui reste à tirer est donc que le spiritisme
est un commerce illicite, coupable et hérétique, entretenu avec
les esprits. Il est essentiellement cette évocation des morts, ce
colloque sur la religion, cette recherche inquiète sur les choses
inconnues et éloignées dont parle le décret du Saint-Office cité
plus haut. C'est la forme de superstition désignée sous le nom
de nécromancie. C'est le cas démoniaque exprimé dans le Ri-
tuel romain. Rien ne serait plus facile que de le démontrer, en
résumant les enseignements théologiques donnés par tous les
moralistes traitant du premier précepte du décalogue.
N.-G. Le Rot.
(^) Le Spirilisme à sa plus simple expression, p. 4.
DE LA
VISION ONTOLOGIQUE.
Selon quelqiieséGrivains, le récent décret de la Congrégation
du Saint-OflBce aurait seulement rapport à une certaine doc-
trine qualifiée par eux de pseudo-ontologisme ; rontologisme
proprement dit non-seulement serait en tous points hors de
cause,mais encore resterait lavéritable expression du sentiment
de saint Augustin, de saint Bonaventure, etc., sur le grave et
difficile problème delà connaissance intellectuelle. Le pseudo-
ontologisme, véritable caper emissarius qu'on livre très-volon-
tiers à toutes les censures possibles, n'est autre chose en réalité
que le panthéisme dans sa formule la plus nette et la plus expli-
cite. C'est,' dit-on, a l'opinion de quelques catholiques qui se re-
« présentent Dieu comme une essence universelle qui se com-
« munique elle-même aux êtres finis en les rendant participants
« de sa propre essence à un degré fini, en sorte que, d'après
« cela, Dieu s'identifierait à toutes choses de la manière dont
c la notion abstraite de l'être en général entre dans toutes les
« autres notions. » Se trouvera-t-il un écrivain catholique qui
voudra bien reconnaître son opinion dans cet étrange ontolo-
gisme ? Il y a certes lieu d'en douter.
Cependant la S. Congrégation, ayant à apprécier cette doc-
trine détestable du panthéisme, doctrine pour laquelle l'Église
a si souvent manifesté son horreur, doctrine certainement la
plus hideuse qui ait jamais été formulée, s'est néanmoins abs-
tenue d'infliger aucune note théologique, se bornant à cette
346 DE LA. \'IS10X ONTOLOGIQUE. [Tome VII.
simple déclaration : Tuto tradi non posse'. Cette formule si
bénigne, dans de semblables conjonctures, indiquerait une
modération vraiment singulière et tout-à-fait inexplicable.
Il y a donc peu d'apparence que le Saint-Office n'ait eu en
vue que le pur pantbéisme.
L'ontologisme véritable qui, d'après les mêmes écrivains,
serait totalement étranger à la doctrine formulée dans les sept
propositions, revient à soutenir: « 1" que les vérités fonda-
« mentales de la métaphysique sont quelque chose d'identique
a avec Dieu, considéré comme l'être infiniment parfait; 2" que
« l'esprit humain peut percevoir ces vérités, sans interposition
« d'idées intermédiaires, dans l'idée de l'être infini qui les
« embrasse toutes et qui est ainsi la lumière immédiate de
« notre intelligence ; 3° que cette lumière et ces vérités, loin
« d'être quelque chose d'identique avec notre esprit, en sont
a aussi réellement distincts que la lumière physique est réel-
a lemeut distincte de notre œil. »
Or, si l'on comparait à la doctrine donnée comme suspecte
par le Saint-Office, ce double ontologisme, ainsi qu'il vient
d'être formulé, ne semblerait-il pas, en prenant le seul texte
du décret, et eu laissant de côté les gloses des commentateurs
ontologistes, qu'il s'agit, non de la contrefaçon, mais bien
de l'ontologisme lui-même ? La doctrine mise en suspicion est,
en effet, celle qui affirme entre autres choses : « Immediata
Dei eognitio, habitualis saltem...,est ipsum lumen intellectuale
(1^ prop.); omnes aliae idese non sunt nisi modificationes idese
qua Deus tanquam eus simpliciter intelligitur (o^prop.). »
Mais sans insister davantage à cet égard, et sans vouloir attri-
buer à quelijues auteurs particuliers une doctrine suspecte,
j'arrive immédiatement à mou objet.
Ils'agit d'examiner brièvement ici : l'si l'ontologisme, ainsi
qu'il vient d'être présenté, peut s'appuyer de l'autorité de
saint Bonaventure ; et 2» si la fameuse distinction entre la vue
naturelle de Dieu et la vue de l'essence intime de Dieu a quelque
Avril 1863.] DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 347
valeur, et fournit « une réponse décisive » aux objections
tirées des enseignements de la foi sur la vision intuitive de
l'essence divine.
I.
L'ontologisme véritable affirme donc : 1° que les vérités
perçues immédiatement par l'esprit sont quelque chose d'iden-
tique avec Dieu, ou les raisons éternelles elles-mêmes ; 2»
que la lumière immédiate de notre intelligence consiste dans
l'idée de l'être infii)i^ idée qui est également quelque chose
d'identique avec Dieu.
Or, cette doctrine se trouve-t-elle réellement dans les écrits
de saint Bonaventure, et le grand docteur dont on invoque
sans cesse l'autorité, serait-il solidaire du système en ques-
tion?
Nous ne pouvons évidemment rapporter ici tous les textes
qui montrent combien l'illustre théologien est étranger
à cette doctrine qu'on lui prête gratuitement ; aussi nous
contenterons-nous de signaler quelques passages sur lesquels
une certaine herméneutique, si redoutable au vrai sens des
auteurs, aura peut-être moins de prise.
I. Selon saint Bonaventure, Thomme peut-il percevoir les rai-
sons éternelles ou ces « vérités fondamentales de la métaphy-
sique qui sont quelque chose d'identique avec Dieu, » et cela
sans aucun intermédiaire?
1" Dans son commentaire sur le Livre des Sentences (lib. ir,
dist. III, part, ii, art. ii, quœst. ii), le grand docteur examine si
l'ange peut naturellement connaître l'essence divine « sine
medio et creaturae adminiculo, » et il répond négativement.
Ensuite, dans la réfutation des objections, il indique spéciale-
ment le mode selon lequel l'ange connaît. « Gognoscitur Deus
per effectus visibiles... et per influentiam luminis connaturalis po-
tentiœ coguoscentis quod est similitudo quœdam non abstracta
348 BE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome Vif.
sed infusa inferiorDeo. » Et c'est par cette explication qu'il re-
pousse l'objection tirée de ce que l'objet perçu, qui est ici l'être
cognoscible per se, ne peut être connu que de deux manières,
0 per sui essentiam et perspeciem, » en montrant que cette di-
vision est inadéquate, et que le véritable mode de connaître est
supprimé dans cette enumération (resp. ad 4 obj.). De plus,
quand il répond à la G* objection, qui consistée vouloir établir
que l'ange naturellement o cognoscebat divinam essentiam in
seipsa, sine medio, » il ne se contente pas de montrer que les
raisons alléguées n'ont aucune valeur, mais encore il déclare
positivement que l'ange connaît Dieu « per médium, scilicet
per effectum..., naturaliter videbatur per spéculum et per
vestigium; » et les termes de la réponse indiquent nettement
la valeur que le saint docteur attribue à ces termes speculuniy
vestigium. Enfin, il ajoute : a Necillud est contra Augustinum,
quia Auguslinus vult quod intra mentem et Deum nullum
cadit médium, scilicet in ratione causse, efficientis vel influentis:
cadit tamen médium manuductionis. » Il termine par ces
mots qui peuvent être de quelque utilité pour l'interprétation
de certains termes obscurs de saint Augustin et de saint Bona-
venture lui-même : a Quod tamen non habet rationem medii
proprie, quia magis subservit potentise quam prœsit. » Le
moyen proprement dit serait donc un principe supérieur à la
puissance cognitive, principe qui dirigerait celle-ci : or, les
effets visibles, qui constituent le médium manuductionis, ne sont
point un principe supérieur à l'intellect qui connaît. En toute
hypothèse, il est donc impossible que ce médium manuductionis
soit l'idée innée de l'être infini.
Dans tout le corps de l'article, le savant interprète indique
clairement que ce mode de connaître doit être entendu de la
connaissance humaine non moins que de la connaissance angé-
Ijque ; il déclare explicitement qu'il parle d'une manière ab-
solue de la connaissance naturelle de tout être créé. Au sur-
plus, quand même il ne ferait aucune réserve à cet égard, ses
A^TiUS63. DE L\ VISION ONTOLOGIQUE. 349
conclusions seraient toujours applicables « f ortio)' i au. mode
selon lequel nous connaissons, mode assurément moins parfait
que celui de la connaissance angélique.
La même doctrine se trouve également indiquée {Ibid.y
dist. IV, art. m, q. 1.)
Il est donc certain : 1* que l'ange ne connaît pas la divine
essence sine medïo, mais par un intermédiaire, qui consiste dans
les effets visibles de la puissance divine; et il importe de répéter
qu'il n'est question ici que de la seule connaissance naturelle.
2* Il n'est pas moins évident que Dieu ne concourt immédiate-
ment dans l'acte de connaissance que comme cause efficiente^
c'est-à-dire, amsi qu'il sera montré plus loin, comme cause
créatrice et conservatrice de l'intellect.
2* Mais ailleurs, saint Bonaventure s'occupe plus spéciale-
ment encore du mode selon lequel l'homme connaît. Il examine
d'abord (lib. ii, dist. xxiii, art. 2, quest. 3) si Adam dans l'état
d'innocence « Deum cognovit eo génère cognitionis quam exspec-
tamus in gloria, » et il répond en déclarant absolument et sans
distinction quele mode de connaissance est totalement différent;
et bien qu'à la vérité, dans cette question, il traite directement
de la connaissance surnatureUe, il parle néanmoins d'une ma-
nière absolue de la vision de Dieu. Après avoir énuméré les
divers modes selon lesquels Adam pouvait voir Dieu, per fidem,
per contemplationem, per apparitionem , per apertam visio-
nem, il indique assez comment l'homme in statu miserix peut
parvenir à cette vision. Parlant donc d'uue manière générale,
il déclare que nous voyons Dieu, non dans son essence, « sed in
aliquo effectu inferiori, » c'est-à-dire, comme ajoute le saint
docteur lui-même, mediante spécula, qui par conséquent ne
peut être quelque chose d'identique avec Dieu. Enfin il conclut
en déclarant qu'Adam, même dans l'état d'innocence, ne vit
nullement Dieu in sua essentia, mais que le mode le plus intime
et le plus direct selon lequel il a pu le voir, est la contempla-
tion et l'apparition.
350 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VII.
Maintenant, si l'on veut objecter que les textes cités en der-
nier lieu ne sont en aucune sorte applicables à la question
présente, puisqu'il s'agit spécialement de la connaissance sur-
naturelle, la réponse est facile. Si la vision immédiate n'a point
lieu ici-bas, même avec la lumière surnaturelle de la grâce, à
plus forte raison ne peut-elle pas avoir lieu par l'intuition
naturelle. Ensuite, saint Bonaventure lui-même (lib. 1 Sent.^
dist. 3, art. 4, quœst. 2) se charge de résoudre l'objection :
a Deus, dit-il, qui est artifex et causa creaturœ, per ipsam
cognoscitur. Et ad hoc duplex est ratio : una est propter con-
venientiam, alia est propter indigentiam... Propter indigentiam,
quia cum Deus tanquam lux summe spiritualis non possit
cognosci in sua spiritualitate ab inteliectu ; quasi materiali luce
indiget anima ul cognoscat ipsum, scilicet per crealuras. >
Il est donc évidentque, d'après saint Bonaventure, notre mode
soit naturel, soit surnaturel, de connaître Dieu ici-bas, diffère
totalement de celui selon lequel les bienheureux le contemplent,
et que cette différence n'est pas seulement quantitative, mais
vient de ce que ceux-ci voient immédiatement la divine es-
sence, taudis que nous ne pouvons la connaître que par
certains intermédiaires, par des effets extérieurs et visibles,
par les créatures, en un mot, par des opérations ad extra. Ce
n'est donc pas dans quelque chose d'identique avec Dieu que
nous connaissons Dieu.
II. La lumière immédiate de notre intelligence est-elle quel-
que chose d'identique avec notre esprit ou d'identique avec
Dieu ? Nous trouvons encore dans le même commentaire une
réponse claire et précise à cette question (lib. 2, dist. xxiv,
part, i, art. 2, q. 4). Saint Bonaventure examine entre autres
choses, en quoi consiste l'intellect agent « qui se habet sicut
lux intellectus (possibilis sicut quid iliuminatum a luce). »
Cette lumière intellectuelle, ou en d'autres termes, l'intellect
agent est-il quelque chose d'identique avec notre esprits une
de nos facultés, ou bien quelque chose d'identique avec Dieu
Avril 1863.] DE LA VISION ONTOLOGIQUi:. 331
lui-même, qui ey^a t lux vera qux illuminât omnem hominem...
etc ? Le sainl docteur, après avoir rapporté et condamné l'opi-
nion d'Averrhoès, qui fait de Tintellect agent une substance sé-
parée, arrive à examiner le sentiment de ceux qui prétendent
que l'intellect agent n'est autre chose que Dieu lui-même illu-
minant notre esprit ; il rapporte plusieurs textes de saint
Augustin sur lesquels, dit-il, cette opinion est fondée ; puis,
déclarant d'abord que les paroles de ?aint Jean, rapportées plus
haut, n'ont aucun rapport à la question présente, il arrive
enfin à la réfutation de ce sentiment. Bien que Dieu concoure,
dit-il, comme cause principale à l'opération de toutes ses créa-
tures, « dédit tameu cuilibet vim activam per quam exiret in
operationem propriam : sic credendum est indubitanter quod
animae humanse non tantummodo dederit intellectum possibi-
lem sed etiam agentem, ita quod ulerque est aliquid ipsius
animx, ».
Mais il ne se contente point de cette déclaration. Dans les
réponses à diverses objections qu'il rapporte encore (2®, 3''),
il explique nettement de quelle manière Tintellect agent est la
lumière de l'esprit. Il réprouve même (et ceci est digne de
remarque) une explication, parce qu'elle est contraire au sens
d'Aristote : a Iste modus dicendi verbis philosophi non con-
sonat, » ce qui indique qu'il n'entend point condamner l'opi-
nion de ce philosophe. Il montre donc que l'intellect agent
« ordinatur ad abstrahendum a phantasmatibus. » Dans sa
réfutation de la troisième opinion, il déclare en outre, d'après
saint Denys l'Aréopagite, que les substances intellectuelles
• lumina sunt, » et que l'intellect agent a est quoddam lumen
in ipsa anima, de quo lumine potest intelligi illud psalmi :
Signatum est super nos lumen vultus tui Domine. »
Insistant encore, dans l'épilogue de la question, sur le rôle de
l'intellect agent dans l'acte de la connaissance, il ajoute : et âem-
per est in actu non quia semper anima actu intelligat, sed quia,
sicut lumen corporale semper lucet et de se promptum est ad
352 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VIL
illuminandum,res autem illuminabilis non semper illuminatur,
etc. » Donc, dans la pensée du saint Docteur, ce n'est nulle-
ment l'idée de l'être infini qui est la lumière immédiate de notre
intelligence, ce n'est point quelque chose a d'aussi étranger à
notre esprit que la lumière physique l'est à notre œil. » Du
reste, il est bien évident que Dieu, dans notre acte de connais-
sance, nous prête le concours général, comme dans toutes nos
autres opérations, mais il n'intervient pas d'une manière dif-
férente. Quand donc saint Bonaventureet saint Thomas, et cela
d'après saint Augustin, appellent l'intellect agent lumen parti-
cipatum, lumen derivatum e lumine divino, quand ils lui appli-
quent les paroles du psalmiste, ces expressions, d'après ce
qu'on vient de voir, signifient que Dieu répand immédiatement
cette lumière dans notre âme par un acte créateur, et que cette
lumière est sa lumière comme notre être est son être : ce sont
des dons divins : cette action créatrice est immédiate : ce qui
revient à dire que l'effet produit ou l'intellect implique rela-
tion rée'.le et immédiate à sa cause, et nullement à un intermé-
diaire quelconque.
L'intellect agent est rapporté par appropriation à la lumière
divine, au Verbe di\iny lumen de lumine, attendu que c'est spé-
cialement en cette faculté, ainsi que le saint Docteur aime à
le répéter, que consiste la lumière de l'entendement. Ce sont
ces expressions métaphoriques qui ont causé toutes les mé-
prises des ontologistes contemporains sur la véritable pensée
de saint Augustin, de saint Bonaveuture, etc. De ce qu'il n'y
a aucun intermédiaire entre le Créateur et la faculté créée,
entre la lumière divine et la lumière de l'intelligence humaine,
ils concluent abusivement que l'objet immédiat de cette faculté
est ce même Créateur; et avec cette étrange règle d'interpré-
tation, il est facile de trouver partout des témoignages favo-
rables.
Mais il suflBt de lire avec un peu d'attention les écrits de
saint Augustin, de saint Bonaventure, de saint Thomas, etc.
ATriH863.1 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 355
pour reconnaître qu'ils savent faire une distinction entre le
principe et l'objet de la connaissance. Ils affirment tous que Dieu
est immédiatement présent à Tintelligence comme cause de la
lumière intelligible qui est en nous : mais nulle part ils n'affir-
ment que notre faculté illuminatrice se tourne vers sa cause
efficiente pour la percevoir immédiatement. Le texte de saint
Bonaventure, que nous venons de rapporter, ne peut laisser
aucun doute sur la pensée du docteur séraphique : l'in-
tellect agent est une faculté abstractive « quee se convertit
ad phantasmata. »
Le langage de saint Bonaventure est donc le même que
celui de saint Thomas. Il y a toutefois une différence entre
ces deux grandes lumières de l'Église : c'est que l'Ange de
l'École, avec son étonnante précision et sa profondeur incom-
parable, a exploré cette question dans toute son étendue, et
réfuté d'avance toutes les erreurs modernes ; sa terminologie
si nette et si rigoureusement déterminée, ne peut laiser au-
cune prise aux interprétations forcées. Saint Bonaventure, au
contraire, s'est occupé moins spécialement de la connaissance
intellectuelle, et de plus, bien que sa pensée soit nette et suffi-
samment exprimée, son langage n'a jamais toute la précision
de celui de saint Thomas.
III. Après avoir montré l'opposition qui existe entre la
doctrine de saint Bonaventure et l'erreur de Malebranche, ré-
habilitée de nos jours et diversement modifiée par Gioberti et
ses disciples, il nous reste à dire quelques mots de certains
passages de Vltinerariurn, sans cesse invoqués comme favora-
bles à l'ontologisme. Comme cette contradiction apparente
entre divers écrits du saint Docteur vient simplement d'une
fausse interprétation, nous commencerons par rappeler cer-
tains principes d'herméneutique trop souvent oubliés dans
ces matières.
L'école philosophique que nous combattons s'est attachée
à peu près exclusivement à un écrit ascétique de saint
334 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VIL
Bonaventure, V Itmei^ariiim mentis ad Deum, et a négligé, non
sans motifs, les ouvrages où la question est traitée ex professa
et au véritable point de vue dont il s'agit. Or, d'après un prin-
cipe certain d'exégèse, un auteur grave, comme saint Bona-
venture, ne peut être accusé de contradiction, qu'autant qu'il
est impossible de concilier les oppositions apparentes ou ré-
elles; les textes obscurs doivent être interprétés au moyen des
textes clairs, les termes vagues et indéterminés par les termes
précis et nettement définis, genus per speciem, et enfin, un
traité spécial et didactique est le critérium au moyen duquel
on doit déterminer le sens de tous les textes accessoires sur la
même matière. Mais dans le commentaire cité, l'auteur s'at-
tache à expliquer spécialement la nature même de la connais-
sance intellectuelle, tandis que, dans Vltinerarhim, il veut dé-
termiuer les lois elles moyens de la contemplation acquise (1).
Comment l'âme peut-elle utiliser tous ses moyens de connaître
pour s'élever graduellement, a ascensu cordiali, » et avec le
secours de la grâce, « per virtutem superiorem nos elevan-
tem (cap. 1), » jusqu'à la jouissance du bien suprême; telle
est la question qui constitue l'objet de Y Itinerarium. Le Com-«
mentaire est donc un traité spécial où le problème de la
connaissance est abordé directement et traité d'une manière
(1) Les auteurs ascétiques distinguenl la conlemplalion acquise de
la coDleraplation infuse: celle-ci est due à une action toute spéciale
de Dieu qui applique l'inielligence à considérer, et la voionlé à aimer
les vérités de la foi.
La contemplation acquise s'obtient, au contraire, par le travail per-
sonnel de l'homme aidé des secours ordinaires de la grâce, « cum
gratiee cooperatione ex magna animi industria, » selon l'expression
de Richard de Saint-Victor. Elle se subdivise en affirmalive et 7iéga-
tive; on la nomme alTirmalive lorsqu'elle s'ai;ache à attribuer à Dieu
toutes les perfections qui sont dans les créatures; négative, lorsque,
procédant via remotionis, elle nie de Dieu le mode selon lequel toutes
les perfections possibles peuvent se trouver dans les créatures.
C'est celte conlemplalion acquise qui fait l'objel principal de Vlti-
nerarium.
Avril 1863.] DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 355
didactique, tandis que l'Jtinerarium est un écrit mystique,
rempli de figures, de métapliores, et où il est question spéciale-
ment de l'ordre surnaturel. Il est donc incontestable que sur le
point qui nous occupe, c'est le Commentaire qui doit servir de
règle pour interpréter Vltïnerarium, s'il vient à toucher à la
même question. Et tel est le premier principe d'herméneutique
que nous tenions à rappeler.
Nous invoquerons en second lieu un autre principe d'une
évidence non moins palpable : Les textes n'ont de force pro-
bante qu'autant qu'ils ont rigoureusement rapport au point
précis qui est en question. Il importe donc de déterminer net-
tement quel est ce point controversé, qui devrait être établi
par l'autorité de saint Bonaventure.
1° Il résulte d'abord de ce qui a été dit plus haut par le doc-
teur séraphique lui-même, qu'il s'agit ici, non d'une intuition
quelconque des choses dans les raisons éternelles, mais de cette
intuition qui a lieu dans la lumière divine considérée objecti-
vement et non comme pinncipe de connaissance. Et comme
nous touchons véritablement ici à lasource principale de toutes
les méprises, il est nécessaire de préciser la nature de cette
distinction fondamentale ; nous allons donc dans ce but rap-
porter les paroles mêmes de saint Thomas, qui s'exprime sur
ce point avec sa netteté et sa profondeur habituelles (l p.,q. 4,
art. 5). Dans cet article, le saint docteur examine d'une ma-
nière spéciale si nous connaissons tontes choses dans les raisons
éternelles. « Aliquid in aliquo dicitur cognosci dupliciter,
dit-il. Uno modo sicut in objecta cognito : sicut aliquis videt in
speculo ea quorum imagines in speculo résultant; et hoc modo
anima in statu prœsentis vitee non potest videre omniainratio-
nibus seternis Alio modo dicitur aliquid cognosci in aliquo
sicut in cognitionis priucipio. Sicut si dicamus quod in sole
vWentur ea quse videntur per solem, et sic necesse est dicere
quod anima humana omnia cognoscat in rationibus seternis,
per quarum participationem omnia cognoscimus. Ipsum enim
3S6 DE LA. VISION ONTOLOGIQUE. [Tome Vil.
lumen intellectuale quod est in nobis nibil est aliud quam
qucedam participata similitudo luminis increati in que conti-
nentur rationes seternae. »
On voit par ce texte qu'aucun témoignage ne peut avoir de
valeur ici qu'autant que,dans ce témoiguage,il s'agira des rai-
sons éternelles ou de la lumière incrée considérée comme o6;'e^,
et non comme principe de notre connaissance. A toutes les
citations où il serait question d'une manière vague et générale,
soit de l'union de notre esprit à la vérité éternelle, soit de Dieu
comme source de toute intelligibilité, etc., on peut et on doit
répondre comme saint Bonaventure lui-même à l'objection
tirée du texte : E rat lux vera, elc. : Nihil ad propositum.
2° Mais cette première distinction ne suffit pas pour circon-
scrire la question dans ses véritables limites. Saint Tbom as as-
surément ne nie pas que l'essence divine, que les raisons
éternelles, etc., en un mot, que Dieu ne puisse être l'objet de
notre connaissance. Il est bien évident que nous connaissons
Dieu d'une manière quelconque, et par conséquent que notre
esprit peut avoir pour objet l'essence divine elle-même ; mais
ce que nie le saint Docteur, c'est que la lumière incréée, les
raisons éternelles, etc., en un mot, « tout ce qui est identique
avec Dieu, » soit pour nous ici-bas l'objet direct et immédiat
de l'intuition intellectuelle. De cette nouvelle distinction il ré-
sulte encore qu'aux textes qui déclareraient d'une manière
générale et indéterminée, « que notre connaissance a pour ob-
jet la vérité immuable, la lumière éternelle, l'intelligible di-
vin, etc., on peut opposer la même fin de non recevoir : Nihil
ad propositum. Il s'agit donc exclusivement de l'essence divine
vue en elle-même, et non in imagine, in spécula, in vestigio, in
sônigmate, in alïqua idea, et par suite d'une connaissance in-
tuitive et non discursive, de la perception directe et non de
la perception réflexe. •
3° Enfin, il y aurait encore une réserve importante à faire
sur ce qu'on a appelé l'illumination objective des créatures par
Avril 1863.] DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 357
Dieu^ source de toute lumière et de toute vérité. De mêine
que saint Thomas et saint Bonaventure nomment l'intellect
agent, lumen participatum^ lumen derivatum, participatasimili-
tudo luminis increati, etc., et par métonymie lumen vultus
Domini, ils désigneront également les créatures par les appel-
lations de miroirs, de vestiges, etc., de Dieu lui-même. N'est-
il pas évident que tout ce que les créatures possèdent, être,
vérité, intelligibilité, perfection, est une certaine participation
ou un reflet de l'être, de rintelligibilité, de la bonté de Dieu
lui-même ? Quand donc les auteurs ascétiques excitent l'àmeà
s'élever du spectacle du monde visible à la contemplation de
Dieu, sicut ex auditu citharx, comme dit S. Grégoire de Nysse,
mens ad cithm^œdum currit; quand ils s'efforcent de ne voir dans
le monde et les créatures que des images de la suprême per-
fection, leurs expressions, assurément, n'ont aucun rapport à
l'ontologisme. Ces auteurs expriment, dans un langage plus ou
moins imagé, la doctrine commune sur les rapports de la
créature avec le Créateur. De là il résulte encore que les
textes où il serait dit d'une manière générale et indétermi-
née que Dieu touche immédiatement la créature, qu'il lui
communique Têtre, la vérité ou rintelligibilité, et que celle-ci,
par conséquent, participe à la lumière céleste, à la vérité éter-
nelle, ces textes, dis-je, n'ont aucun rapport rigoureux et pré-
cis à la question: Nihil ad propositum. Ils ne peuvent être in-
terprétés dans le sens de la vision en Dieu, qu'autant qu'on
les interprétera en même temps dans le sens du panthéisme.
Ils n'auront donc de valeur pour confirmer l'ontologisme que
lorsqu'on aura démontré que cette vérité ou que cette intelli-
gibilité des créatures n'est point leur réalité ou leur vérité
propre, donum descendens a Pâtre luminum, mais « quelque
chose d'identique avec Dieu. »
Après avoir rappelé ces principes généraux qui, à mon sens,
suffisent pour faire disparaître bien des équivoques et couci-
338 DE L4 VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VU.
lier la plupart des contradictions apparentes, il reste à dire
quelques mots de VltineraiHum.
Comme nous l'avons dit plus haut, V itinerarium est un écrit
ascétique, dont le but, nettement indiqué dans le premier cha-
pitre, est d'élever^graduellement Thomme, « ascensu cordiali,»
à la possession du Bien suprême. Cette ascension ne peut
avoir lieu qu'avec le secours de la grâce : « Nihil fit nisi di-
vinum auxilium comitetur; » et ce secours, ajoute le saint
docteur, s'accorde à ceux « qui petunt ex corde humiliter et
devote^(c. 1). »
Par les sept degrés qui constituent V Itinerarium, l'homme
« disponere se débet ad conseendendum in Deum ut ipsum di-
ligat ex tota mente, ex toto corde, Qic.[Ibid.).yi Enfin, l'auteur
déclare encore que, pour s'élever ainsi à Dieu, il faut tendre à
sortir de la voie purgative {Ibid.). Il s'agit donc du mouve-
ment surnaturel de l'âme vers Dieu, qui est le Bien suprême;
il s'agit de ramener, sous l'impulsion de la volonté compénétrée
par la grâce, toutes nos connaissances â la contemplation de
la source primordiale de toute vérité ; il s'agit de considérer
toutes choses, les créatures, qui sont hors de nous, puis notre
âme, etc., sous la raison formelle d'image?, de miroirs, de ves-
tiges de Dieu; il s'agit enfin, non plus de l'intuition des objets,
qui sont images de Dieu, mais de la connaissance de ces ob-
jets, en tant qu'images de Dieu.
Ce mode de connaissance présuppose nécessairement la pré-
existeuce eu nous du type dont nous contemplons l'image, ou
de l'idée de Dieu ; aussi saint Bonaventure a-t-il eu soin de
déclarer qu'il s'adressait à l'âme déjà entrée dans les voies de
l'ascétisme (c. 4), et qui, par conséquent, aurait de Dieu une
connaissance très-parfaite. En un mot, il est manifeste qu'il
s'agit, non de voir tout en Dieu, mais de voir Dieu en toutes ses
ceuvres, de faire de Dieu non ïobjet immédiat, mais la fin et le
terme de toutes nos opérations, et cela, en remontant sans
cesse ab imis ad superiora, a temporalibus ad xterna, c'est-à-dire.
AvriH863.] "" DB I<A VISION ONTOLOGIQUE. 359
au principe et à la fin de toutes choses, à la raison première
et dernière de tout ce qui existe. C'est donc au développement
de ce procédé de réduction de toutes nos connaissances, pro-
cédé qui réforme graduellement toutes nos facultés, sens,
imagination, intelligence^ raison, etc., qu'est consacré Vltinera-
rium. Le saint docteur s'attache, par conséquent, à montrer la
relation réelle et nécessaire de tout être créé et même possible à
Dieu créateur, qui est la raison primordiale de tout ce qui est ;
il envisage donc directement, non l'ordre logique de la géné-
ration des idées, mais l'ordre ou la relation ontologique des
choses.- On retrouve le même procédé dans un autre opuscule
de saint Bonaventure : de Redudione artiumad Theologiam.
Ce simple et rapide coup d'œil sur la nature de V Itinerarium
suffit pour concilier toutes^les contradictions qu'on impute à S.
Bonaventure, à cette puissante intelligence, si versée dans toutes
les parties de la science théologique. Il n'y a donc pas lieu
de revenir ici sur les textes déjà expliqués plus haut par ce
simple énoncé du véritable état de la question; il nous reste
seulement à dire un mot de la grande objection tirée du ch.iii,
la seule qui puisse présenter un côté sérieux. Il s'agit dans ce
chapitre de Speculatione Deï per suam imaginera naturalibus
potentiis insignitam. La première partie qui, comparée au cha-
pitre v, fournit la difficulté en question, est consacrée à éta-
blir que les opérations de la mémoire et de l'intelligence ont
leur raison dernière dans l'exemplaire divin. L'auteur montre
d'abord que l'intelligence et la certitude complètes des termes,
des propositions et des déductions dépend du concept de l'être,
qui est le plus universel; mais comme l'être universalissimum
embrasse rêtrefini et l'être infini, l'être en puissance et l'être
en acte, etc., et d'autre part, comme tout ce qui est négatif ne
peut être connu que par ce qui est positif, il résulte de là que
le concept vraiment primordial est, non celui de l'être abstrait
et indéterminé, mais celui de l'infini, et acte pur.
Or, à cette prétendue difficulté on peut encore répondre :
360 DE Là vision ontologique. [Tome vil.
Nihil ad propositum. Il est évident, en effet, qu'il s'agit ici, non
d'une priorité logique dans la génération des idées en nous,
mais de l'antériorité de nature des notions ou plutôt des
choses conçues considérées en elles-mêmes; il s'agit de la
gradation naturelle de tous ces concepts considérés objective-
ment, et, partant, S. Bonaventure établit, non l'ordre psycho-
logique de nos connaissances, mais le rapport ontologique des
choses connues : ne procède-t-il pas, en effet, par voie d'ana-
lyse de l'élément objectif de nos conceptions ? Or, il y a une
grande différence entre l'ordre psychologique de nos con-
ceptions et Tordre ontologique des choses conçues. Ontologi-
quement, la cause est antérieure à l'effet, le principe à la
conclusion, les notions élémentaires, à la notion complexe qui
les embrasse dans sa compréhension; et néanmoins, nous
pouvons connaître la chose qui est effet avant de connaître
sa cause, la vérité qui est conclusion, avant son principe, la
notion complexe, du moins d'une manière confuse, avant de
percevoir distinctement les notions élémentaires qu'elle ren-
ferme; l'ordre psychologique peut donc être différent de
l'ordre ontologique.
Toutefois, la connaissance ne peut être complète et par-
faite ou adéquate, qu'autant qu'elle atteint l'effet dans sa
cause, la conclusion dans son principe, etc. : c'est la lumière
du principe qui illumine la conclusion ou lui donne sa certi-
tude; c'est l'intelligibilité des notions élémentaires qui con-
stitue rinteUigibilité de la notion complexe. On voit par là
que saint Bonaventure a entendu parler de cette connaissance
adéquate des choses, qui perçoit celles-ci selon leur ordre ou
leur antériorité de nature.
Ensuite, il n'est pas moins évident qu'il s'agit, dans ce
chapitre, non de la connaissance directe, mais de la connais-
sance réflexe; l'analyse des concepts, consistant en un retour
sur les notions acquises, appartient par conséquent à Tordre
des perceptions réflexes. Or, la question controversée entre
Mars 1863.] DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 361
les disciples de saint Thomas et ceux de Malebranclie et de
Gioberti, n'a rapport qu'à la seule intuition directe.
Ainsi, pour tout résumer en un mot, l'ordination naturelle
de tous les êtres réels ou logiques consiste en ce que Dieu est
la source primordiale et la raison dernière de toutes choses;
si donc nous connaissions immédiatement les êtres selon leur
loi hiérarchique, nous devrions les contempler d'abord dans
leur principe ou dans l'exemplaire divin ; nous connaî-
trions tous les possibles dans l'essence divine comme dans
leur exemplaire virtuel, et dans la sagesse éternelle comme
dans leur exemplaire formel ( Lessius, de Perf. div., lib. v,
cap. 2) : la connaissance n'est adéquate qu'à cette con-
dition. Aussi Dieu connaît-il de cette manière. Mais comme
notre esprit est borné, imparfait, comme notre connaissance
est discursive, il arrive que nous ne pouvons nous élever im-
médiatement à contempler cet ordre essentiel des choses, se-
lon le mode même d'après lequel l'intelligence infinie le con-
temple.
Enfin, le saint Docteur nous fait arriver, via remotionis, à
l'idée de Dieu, après le concept de l'être abstrait, ce qui
montre suffisamment de quel ordre il entend parler (1). Je passe
sous silence les textes nombreux qui, dans Vltinerarium, con-
firment clairement la doctrine du commentaire. Sans pouvoir
m'arrêter ici plus longtemps sur ces questions si vastes de la
(1) Il est inconteslable que dans l'ordre des principes intrinsèques
* si... ullimum quseris, Ipsum est entis ratio cum lis omnibus quae
entiuniversimspecialoconveûiunt. » (P. Tongiorgi, Inst.phil. Proleg).
Jhis comme Tordre mental et logique présuppose nécessairement
Tordre réel et physique, le terme dernier de notre analyse des prin-
cipes intrinsèques accuse immédiatement Tordre des principes extrin-
sèques. Or, « si quaeris ultimum in principiis extrinsecis, hoc est Ens
independens et necessarium quod est Deus (/6id.)-i Ces vérités, dont
saint Bonavenlure donne la démonstralion, n'ont rien de commun
avec Toûtoloeisme.
362 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VII.
source des possibles ou des pures essences, et des rapports de
l'exemplarisme divin avec l'idéologie, je me contenterai, en
terminant, d'appeler l'attention sur un chapitre de saint
Thomas, où le docteur angélique, tout en tenant la même
doctrine que saint Bonaventure, s'exprime avec une telle pré-
cision, que ses paroles sont le vrai commentaire des chap. iii
et V de Vltinerarium {Contra gent.,\\h. m, cap. 47 per totum).
Toute la pensée de saint Thomas se trouve résumée dans ce
passage, où, après avoir cité le texte de saint Augustin :
Scientiarum spectamina videntur in divina veritate, sicut visibi-
lia in lumine solis, il ajoute ; Qux constat non videri in ipso
corpore solis, sed per lumen, quod est similitudo solaris clari-
tatis.
E, Grandglaude.
DES SUPPLEMENTS AU RITUEL ROMAIN.
CONDITIONS DE LEUR LÉGITIMITÉ.
Pour éviter l'équivoque, précisons avant tout ce que nous
entendons ici par un supplément au Rituel romain. Il pourrait
se faire que, dans un diocèse, l'autorité ecclésiastique publiât,
à la suite du Rituel romain et sous le nom de supplément, cer-
taines formules de prôue, d'actes de baptême, de mariage,
de sépulture, certains décrets épiscopaux ou synodaux, cer-
taines exhortations, et autres pièces semblables. Une collection
de ce genre, qui n'ajouterait ni ne changerait rien aux pre-
scriptions du Rituel romain, n'est pas ce que nous désignons
sous le nom de supplément. Par ce terme, nous entendons ce
qui affecterait le Rituel lui-même , soit par voie d'addition,
comme en publiant de nouvelles bénédictions ecclésia-
stiques, en prescrivant des cérémonies ou des formules
en dehors de celles que prescrit le Rituel romain ; soit par
voie de dérogation, comme en assignant, pour certains points,
des cérémonies ou des formules autres que celles du même
Rituel.
C'est des suppléments entendus dans ce dernier sens, que
traite notre présent article. Nous disons qu'ils sont illégitimes
tant que la S. Congrégation des Rites ne les a pas approuvés.
1" Dans la série des ouvrages condamnés parles règles géné-
rales de l'Index, § rv, on rencontre les suivants : Benedictiones
364 DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. [Tome VII
omnes ecclesiasticsb, nisi appy^obatx fuerint a Saa^a Ritmim Con-
gregatione. — Rituali Romano additiones omnes factx aut fa-
ciendx post reformationem Pauli V, sine approbatione Sacr3&
Congregationis Rituum. Comment ne pas voir que cette con_
damnation frappe les suppléments au Rituel romain, à moins
qu'ils ne soient approuvés par la S. Congrégation des Rites?
Qu'on prenne séparément chacune des prescriptions dont se
composent ces suppléments. Ou elles sont en sus de celles que
contient le Rituel, et dès lors c'est une addition réprouvée par
le texte cité ; ou elles modifient la prescription du Rituel ro-
main, et alors ce qu'elles ofirent de différent est encore une
addition j ou enfin elles ordonneraient ou permettraient
d'omettre un point prescrit par le Rituel romain, et cet ordre
ou cette permission introduirait par là même un rit différent,
et serait aussi une addition. Toute addition au Rituel romain
se trouvant proscrite, tout supplément (entendu dans le sens
déterminé plus haut) se trouve par là même proscrit. Non-
seulement on ne doit pas s'y conformer dans la pratique,
mais on ne peut pas même le lire ni le garder, attendu qu'il
est au nombre des livres prohibés.
2° Un décret de Clément VIII, faisant également partie des
règles générales de V Index, s'exprime ainsi : Quse. autem cor-
rectione atque expurgatione indigent, fere hs&c sunt qux sequun-
tur .... qux contra sacramentorum rituè et cxremonias, contraque
receptum usum et consuetudinem sanctx Romanx ecclesix no-
vitatem aliquam inducuni. Ce qui représente authentiquement
la pratique et l'usage de l'Église romaine {receptum usum et
consuetudinem sanctx Romanx ecclesix), c'est le Rituel romain,
tel qu'il est, sans rien de plus, sans rien de moins. Ajouter ou
changer quelque chose au Rituel romain, c'est donc introduire
une nouveauté contre la pratique approuvée par l'Église romaine,
ce que condamne le décret cité de Clément YIII. Or, tout sup-
plément au Rituel romain ajoute ou change quelque chose à ce
Rituel ; sans quoi il ne serait pas un supplément çro^^rement dit.
Avril 1863.] DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. 365
3° Dans une cause relatée sous le numéro 4,684 de la der-
nière édition de Gardellini (Ariminensis, 7 aprilis 1832), on de-
mande à la S. Congrégation des Rites, si l'on peut user de cer-
tains livres contenant diverses formules de bénédictions,
quoique ces livres ne soient pas approuvés par la S. Congré-
gation. Voici les termes de la réponse : Illi soli libri adhibendi,
et in mis tantum benedictionibus, qux fBituali romano sunt con-
formes. On ne peut donc employer que des livres conformes au
Rituel romam. Si, par exemple, on imprime au bout d'un diurnal
ou dans un autre livre les formules de bénédictions du liituel
_romain, ou bien la partie qui concerne l'administration du
saint Viatique etdel'Extréme-Onction, etc., on pourra se servir
de ce livre, quoique ce ne soit pas le Rituel romain lui-même.
Ce livre est conforme au Rituel romain, puisque la partie ri-
tuelle qu'on y a insérée, est textuellement la même que celle
du Rituel romain. Mais il n'en est pas de même des supplé
ments. Ou par voie d'addition, ou par voie de modification et
de dérogation, ils diffèrent du Rituel romain, ils ne lui sont
pas conformes, et par «conséquent l'usage n'en est pas licite.
4o Dans une autre cause, relatée sous le numéro 4748 de la
dernière édition de Gardellini [Ordinis Minorum, 23 maii 1835),
le neuvième doute est ainsi conçu: Anformulx benedictionum quse
inveniuntur in libris ab Ordinariis tantum locorum, et non ab Apo-
stolica Sede approbatis, retinendx sint, adeo ut in benedictionibus
perficiendis iisdem uti valeant sacerdotes, cotta et stola induti?
il fut répondu : Detur decretum in Ariminensi, diei 1 aprilis
1832, ad quintum; nec alise, adhibeantur , dummodo non constet
ab hac Sacra Congregatione fuisse adprobatas. S'il est des supplé-
ments au Rituel romain qui contiennent des formules de béné-
dictions autres que celles du Rituel romain lui-même, et qui
portent l'autorisation de l'Ordinaire, mais non celle du Saint-
Siège, il est clair que, selon les deux dernières décisions rap-
portées, l'usage de ces bénédictions doit être regardé comme
illicite. Que conclure des eff'orts de certains ecclésiastiques pour
36G DFS SUPPLÉMEÎfTS AU RITDEL ROMAIN. [Tome VII.
maintenir ces sortes de suppléments, et même pour en ren-
dre Tiisage obligatoire! Nous ne doutons pas que leur inten-
tion ne soit louable ; mais assurément leur zèle en ce point
n'est pas selon la science. En alléguant sans cesse la déférence
due à Vautorité, comment ne s'aperçoivent-ils pas qu'ils se
condamnent eux-mêmes ? Si l'autorité principale, celle qui est
au-dessus de toutes les autres, celle du Saint-Siège, réprouve
ces suppléments, en quoi peut consister le devoir de l'obéis-
sance due à Vautorité, si ce n'est à s'abstenir de ces formules
illicites et réprouvées ? Uue loi générale de l'Église les met
au nombre des écrits prohibés : Rituali Romano additiones omj
nés, est-il dit dans l'énumération des livres déclarés proscrits
par l'autorité du Saint-Siège. Parlant au nom de la même au-
torité, une des Congrégations romaines décide dans le même
sens. (Qu'elle autorité opposera-t-on à cette autorité ?
D'ailleurs si l'on tient aux additions contenues dans un sup-
plément et qu'on les croie utiles, pourquoi ne pas remplir la for-
malité qui seule peut les rendre légitimes? Est-il si difficile
de demander l'approbation de la Congrégation des Rites ?
50 Dire que le Rituel romain n'est pas obligatoire, et que si
l'évêque peut imposer un Rituel particulier à son diocèse, il
peut à plus forte raison imposer un supplément au Rituel ro-
main, c'est défendre une erreur par une autre erreur. Les
autorités que nous venons de produire 'contre la légitimité des
suppléments, suffiraient pour prouver que le Rituel romain est
oliligatoire. En effet, toutes les formides de bénédictions autres
que celles du Rituel romain, et toutes les additions à ce Rituel
étant à l'Index, comme nous l'avons vu plus haut, il suit
évidemment que tout Rituel autre que le romain se trouve pro-
scrit. Car tout rituel diocésain, par cela seul qu'il différera du
romain , contiendra de ces bénédictions et de ces additions. Il
.contiendra aussi des rites et des cérémonies contraires à la
pratique approuvée par l'Église romaine (contra receptum usum
et consuetudinem sanctx Romanx Ecclesix), et tombera par con-
Avril 1863.] DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. ûC7
séquent, encore à ce titre, sous le coup de la condamnation
prononcée par les règles générales de l'Index. Les rituels dif-
férents du romain se trouvent encore atteints par ce décret
de la S. Congrégation des Rites ; Illi soli libri adhibencU et in
Mis tantum^ benedictionibus quse rituali Romano sunt conformes.
A ces autorités déjà citées nous ajouterons quelques nouvelles
preuves.
Le 7 septembre 1850, la S. Congrégation des Rites répondit
à un prêtre du diocèse de Troyes à propos de la bénédiction
du Saint-Sacrement : In ea Rituale Romanum^ cujus leges uni-
versahm afficiunt Ecclesiam, intègre servetur. (Voir mon Traité
de Jure lituryico, partie 4, chap. 3, § 5.) Nos antagonistes
avoueront au moins que l'enseignement de la S. Congrégation
des Rites est bien clair: Cujus leges universalem afficiunt Eccle-
siam. On peut remarquer aussi que la décision où il se trouve
inséré comme à dessein, concerne un diocèse de France où
l'on suivait alors un Rituel diflerent du romain. Déjà précé-
demment un curé de ce même diocèse ayant demandé, an in
administrandis Ecclesix sacramentis Rituali Romano utiposset?
la S. Congrégation lui répondit, le 22 mai 1841: In casu, affîr-
mative.
La réponse du 10 janvier 1832, adressée à M. Lottin, cha-
noine du Mans, n'est pas moins péremptoire. Cet ecclésiastique
avait demandé si l'Église du Mans pouvait se faire un Rituel
particulier, en sorte qu'il fût permis aux prêtres de ce diocèse
de s'écarter des prescriptions du Rituel romain, pour se con-
former à ce que l'évèque aurait statué à la place. Voici ses
propres expressions : Etiamsi Ecclesia Cenomanensis sibi de
, Rreviario et Missali iterum atque iterum ut libuerit providere
gueaf, an istiusmodi facultas extendenda sit ad Pontificale^ Cxre-
remoniale episcoporum, Martyrologium et rituale romanum; ita
videlicet ut prxceptivas prsedictorum librorum régulas, tolérante
nempeaut permittente, ant etiam aliter quidpiam statuente reve-
rendissimo episcopo, canonici ahive sacerdotes possint illxsa çoH"
368 DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. [Tome VII.
scientia infringere aut omittere, sicque reverendissimi episcopi
voluntas his in casibus sit pro ipsis sufficiem dispensatio. Il fut
répondu : Négative et amplius. (Dans Gardellini, n. 5165 de la
dernière édition.)
Il est vrai que le Pape Paul V, en publiant le Rituel romain,
se servit du mot kortamur, et que, prenant le change sur le
sens de cette expression, quelques auteurs émirent Topinion
que le Rituel romain n'était pas strictement obligatoire. Mais
on reconnut bientôt généralement que cette opinion était mal
fondée et qu'elle provenait de ce qu'on n'avait pas considéré
attentivement le contexte. En eiïet, Paul V exprime en premier
lieu très-clairement le précepte par les mots servari debent :
{( Restabat, dit-il, ut uno etiam volumine comprehensi sacri-
et sinceri Ecclesise ritus, qui in sacramentorum administra-
tione, aliisque ecclesiasticis functionibus servari debent ab ils
qui curara animarumgerunt, ApostolicseSedis auctoritate pro-
dirent. » C'est après avoir ainsi formulé ce précepte, qu'il
ajoute : « Hortamur in Domino venerabiles fratres patriar-
cbas, arcbiepiscopos, episcopos et dilectos filios eorum vica-
rios, necnon abbates, parochos universos , ubique locorum
existentes, et alios ad quos spectat , ut in posterum tanquam
Ecclesise Romanse filii, ejusdem Ecclesiae omnium matris etma-
gistrse auctoritate constituto Rituali in sacris functionibus
utantur, et in re tanti momenti, quœ catbolica Ecclesia et ab
ea probatus usus antiquitatis statuit, inviolate observent. »
De ce qu'un supérieur exhorte à observer fidèlement le pré-
cepte qu'il vient d'imposer, il ne s'ensuit pas que ce précepte
n'existe pas, et qu'il ne soit qu'un conseil. D'ailleurs, les cano-
nistes font observer que le mot hortamur a souvent le sens
préceptif.
Les paroles qui se trouvent au commencement du Rituel
romain montrent également que ce Rituel est obligatoire :
« Ut ea quae ex antiquis catholicai Ecclesioe institutis, et sa-
crorum Canonum Summorumque Pontiflcum decretis de sacra-
Arril 1863.] DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. 369
mentorura ritibus ac cœremoniis hoc libro prxscribuntur, qna
par est diligentia ac religione custodiantur, et ubique fideliter
serventur, illuJ ante omnia scire et observare convenit quod
sacrosancta Tridentina synodus de Us ritibus decrevit in hsec
verba : Si quis dixey^it, receptos et approbatos Ecclesix catholicx
rituSy in solemni sacramento7'um administratione adhiberi con-
suetos, aut sine peccato a ministris pro libito omitti, aut in novos
alios per quemcumque ecclesiarum pastorem mutari possê, anathe-
ma sit. » Ainsi, les cérémonies sacrées formulées dans le Ri-
tuel romain ne sont pas seulement conseillées, mais prescrites,
prxscribuntur. Elles sont prescrites pour qu'on les observe fi-
dèlement en tous lieux, ut ubique fideliter serventur. De plus,
pour mieux assurer cette fidèle observation, on rappelle l'ana-
thème cité du concile de Trente. Or, la mention de cet ana-
thème était inutile pour ce but, si le Rituel romain n'était pas
publié comme obligatoire. En efiet, si ce Rituel -n'est pas obli-
gatoire, chaque évêque peut s'en faire un différent, et no-
nobstant le canon du concile de Trente, on pourra n'observer
nulle part le Rituel romain. La mention de ce canon, dans le
but de faire observer fidèlement le Rituel romain, serait un non-
sens, si le Pape Paul V n'avait pas entendu rendre ce Rituel
obligatoire. Enfin, qu'on remarque ces mots, de Us ritibus. Ils
se rapportent à ceux-ci : Antiquis catholicx Ecclesix institutis
et sacrorum canonum Summorumque Pontificum decretis de sa-
cramentorum ritibus ac cxremoniis. Or de ces antiques rites il
est dit deux choses : 1° Que les prescriptions du Rituel romain
en /b«/;;orf/e; en d'autres termes que ce Rituel n'est qu'un
recueil authentique de ces antiques rites. 2° Que ces mêmes
anciens rites sont ceux dont parle le canon du concile de
Trente. La conclusion logique est celle-ci : Le canon du con-
cile de Trente s'applique au Rituel romain. En efî'et, s'il a pour
objet lesrites reçus et approuvés de TÉglise catholique, comment
ne s'appliquerait-il pas au Rituel romain, qui est publié par le
Saint-Siège, comme étant précisément le recueil sûr et ap-
Revue des scjences scclésiastiques, t. vu. 24-25.
370 DES SCPPL]5MENTS au rituel romain. ITomeVIl.
prouvé de. ces mêmes rites? Il y a plus : depuis que le Rituel
de Paul V est survenu, les rites qui lui sont contraires ont
cessé par le fait d'être du nombre de ceux que le concile de
Trente appelle receptos et approbatos Ecclesix catholicx ritus^
quand même auparavant ils auraient été de ce nombre. Pres-
crire la forme qu'on devra suivre désormais, c'est, de la part
du Saiut-Siégê, cesser (^'approuver les formes contraires.
On pourrait appuyer cette doctrine sur l'autorité de bien
des canonistes. Nous nous contenterons de citer les suivants :
« Certum etiam est (dit Pignatelli, t. viii, consultatione 73,
n. 45) Ritualeromanumconstituerejus, quia editum a Summo
Pontifice, qui mandat omnibus observari. Et licet Pontifex in
sua bulla utatur verbo hortamur, hoc tamen verbum œquipol-
let verbo mandamus.... Eoque prœcipue, quia prœmisit Ponti-
fex suam dispositionemdirectivam sacrorumrituum, tanquam
de materia omnino necessaria, ut constat ex proœmio ; et ad
manutenendam hanc suam dispositionem inducit dictam ex-
horta lionem. Ac proinde oportet quod eodem modo servari
velit quod ponit sub exhortatione, ac servari vult quod dispo-
nit. Certum estautem quod obligat ad servandum quod dispo-
nit; atque adeo etiam quod hortatur,cum hoc sit necessarium,
ad manutenendam ejus dispositionem. »
Glericati soutient la même doctrine et suppose qu'elle est
l'enseignement commun des canonistes : « Certum est apud
professores sacrorum canonum quod Rituale romanum est
liber habens vim legis, et quod ejus rubricee obligant sub prœ-
cepto. Lotterius, Menochius, Gratianus et Sperellus. In bulla
enim quam Paulus V prasmisit eidem Rituali, contestatur in
eo esse compreheusos sacros et sinceros catholicse Ecclesise
rilus^ qui in sacrameutorum administratione aliisque ecclesia-
sticis functionibus servari debent ab iis qui curam animarum
geruut. Ubi notandum est verbum illud debent, quod de jure
importât necessitatem et est prœceptivum. Fagnanus. Non
obstante quod in eadem bulla Summus Pontifex dicat : Horta-
Avril 18G3.] DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. 374
mur in Domino... Nam etiam verbum illud hortamur prolaliim
a Papa in re gravi habet vim prsecepti. Fagnanm. Potissimum
quia constat de ejus enixa voluntate, dum ibidem in fine sub-
dit, ut in re tanti momenti, quss cathoUca Ecclesia et ah ea pro-
batus usits antiquitatis statuit, inviolate observent. » {Décision,
sacrament., 1. 1, dec. 66, n. 19.)
Dans ses Commentaires sur le Rituel, Barufifaldi inculque la
même doctrine en plusieurs endroits. Au titre 2,n. 83, il cite
cette prescription du Rituel romain : Librum hune Ritualem
{ubi opus fuerit) semper cum ministrabit, secum habebit, ritusque
et csp-remonias in eo prxscriptas diligenter servabit. Puis, il s'ex-
prime ainsi : « Eliminandi sunt igitur quicumque alii libri ad
usum Rilualium elaborati... Advertant insuper, ut Rituali ro-
mano quo utunturdemptae sint omnes additiones faetse et for-
san faciendas post reformationem sanctae mémorise Pauli V,
sine approbatione Sacrœ Rituum Congregationis.» Au titre 2,
D. 4, il avait déjà dit : « Arcentur itaque omnes alii libri qui
ritus benedictionum statuant, qui a Romana Ecclesia approbati
non sint et vnlgati... Caute provisum fuit ne cuiquam liceret
immutare minimum verbum, vel introducere novas cseremo-
nias, absque expressa lioentia Sacrae Rituuin Congregationis.
Qui secus fecerint, eos animadversione dignos censuit Sacra
Rituum Congregatio, 12 novembris 1605, et 12 maii 1612. »
Dans la Colleclion de Gardellini (tom. viii, p. 131 de l'avant-
dernière édition), on lit ce passage d'un annotateur : a Post
reformationem, approbationem et evulgationemMissalis, Pon-
tificalis, Gaeremonialis, Ritualis, Breviarii, nihil addi, nihil
detrabi, nihil immutari potest... Hinc si quis quid addat, quid
detrabat, quid immutei, jam eo ipso et novitatem inducit, et
jure inobedientiœ notam incurrit. »
On doit donc regarder le Rituel romain comme certainement
obligatoire. Cette doctrine ressort clairement du texte même
de la bulle de Paul V, et de celui du Rituel publié par lui. Elle
est enseignée par les canonistes. Enfin l'autorité compétente,
572 DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. [ Tome VII.
la S. Congrégation des Rites, a parlé de manière à dissiper
tous les doutes à cet égard. Ainsi l'argument de nos antago-
nistes : Le Rituel romain n' est pas obligatoire, donc l'évêquepeut
y faire un supplément, est tout simplement l'affirmation d'une
erreur pour en déduire une autre.
6° Nous^n'ignorons pas ce que quelques ecclésiastiques fran-
çais opposent à l'argument tiré des règles générales de l'Index,
qui prohibent toutes les additions au Rituel romain. L'Index,
disent-ils, n^ est pas obligatoire en France. Il serait trop long de
réfuter ici cette autre erreur; contentous-nous de reproduire
ces mots de la bulle de Grégoise XVI, du 8 mai 1844 : « Nous
rappelons à la connaissance de tous, qu'on doit s'en tenir aux
règles générales et décrets de nos prédécesseurs placés en tète
de V Index des livres prohibés : et qu'ainsi, il ne faut pas seu-
lement se garder des livres mentionnés nommément dans cet
Index, mais encore des autres dont il est parlé dans lesdites pre-
scriptions générales. » ,
7. Une autre raison sur laquelle on a cru pouvoir appuyer
la légitimité des suppléments au Rituel romain, c'est la faculté
donnée par le concile de Trente, et reconnue par le Rituel ro-
main lui-même, de conserver dans la célébration du mariage
les lois et coutumes des diverses provinces ecclésiastiques : Si
qux provincix aliis ultra prsQdictas laudabilibus consueludinibus
et cxremoniis in celebrando matrimonii sacramento utantur, cas
sancta Tridentina synodus optât retineri. (Rituale romanum, de
Sacram.matrim.). Se fondant sur ce texte, les défenseurs dee
suppléments raisonnent ainsi : Les louables coutumes des pro-
vinces, quoiqu'en dehors de ce qui est prescrit daus le Rituel
romain, sont légitimes; or ces coutumes sont un supplément,
donc les suppléments sont légitimes,
La majeure de ce syllogisme n'est vraie que relativement au
point particulier dont parle en cet endroit le Rituel romain,
après le concile de Trente, in celebrando mati^imonii sacramento.
En déterminant un point particulier pour lequel il permet de
I
Avril 18G3.1 DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. 573
conserver les /omûô/é's coutumes des provinces, le Rituel romain
confirme par là-même la défense de suivre ces coutumes en
d'autres matières. Exceptio confirmât regulam. Ainsi le texte
cité autorise seulement à dire, qu'on peut, pour la célébration
du mariage, conserver les louables coutumes des provinces.
La mineure du syllogisme, ces coutumes sont un supplément,
n'est pas exate. Nous avons appelé supplément au Rituel romain,
ce qui ajoute à ce Rituel et ce qui le modifie ; en d'autres
terme?, ce qui est prxter ou contra. Or les coutumes louables
d'une province en ce qui concerne la célébration du mariage,
ne sont ni prxter, ni contra, puisque le Rituel romain les
mentionne et les autorise. Donc, l'énoncé des coutumes louables
d'un diocèse par rapport à la célébration du mariage, quoi-
qu'imprimé à la suite du Rituel romain, ne serait pas un sup-
plément proprement dit. Nous ne pensons pas qu'un tel énoncé
constitue une de ces additions au Rituel de Paul V, que les
les règles générales de Tlndex mettent au nombre des écrits
probibés.
Mais, qu'on le remarque bien, la faculté donnée par le Rituel
romain est restreinte aux cou tûmes /owaô/es dans la célébration
du mariage. S'il arrivait qu'un évêque se trompât en regardant
comme louables des usages qui ne le seraient pas, l'énoncé
de ces usages publié par lui à la suite du Rituel romain, serait
illégitime, et constituerait une de ces additions que ^proscrivent
les règles générales de l'Index. Aussi, dans la pratique, il est
prudent de faire juger et autoriser par la S. Congrégation de3
Rites ces sortes de cérémonies, qu'on a coutume en certains
diocèces d'ajouter à celles que prescrit le Rituel romain dans
la célébration du mariage. Sans cette précaution, des doutes
pourraient s'élever sur la légitimité de ces coutumes diocésai-
nes, et par suite sur la légitimité de l'acte épiscopal qui les
autoriserait. Prenons pour exemple le cérémonie du voile blanc
étendu sur les époux. En France, quelques prélats l'ont regar-
dée comme appartenant à la catégorie des coutumes louables.
S7à DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN. [Tome VII.
dont le Rituel romain et le concile de Trente autorisent la
conservation, et ils ont cru pouvoir statuer dans ce sens.
Mais on leur a objecté deux décisions de la S. Congrégation
des Rites : la première du 25 février 1606 (numéro 294 de la
dernière édition de Gardellini), rapportée dans notre Bévue (t.
II, p. 337); la seconde, publiée dans la Correspondance de Rome
(24 février 1854) et reproduite à l'endroit cité dans notre Bévue,
mais qui ne se trouve pas dans la Collection de Gardellini, la
seule qui fasse autorité. On peut dire ce semble que la première
ne prouve pas rigoureusement l'illégitimité de la cérémonie en
question, vu la forme spéciale de cette cérémonie dans le cas
proposé, et l'abus qui s'y rattachait. La seconde, si elle était
authentique, serait père mptoire. Elle est rapportée en ces ter-
mes : An ritus receptus veli albi explicandi super sponsos, annu-
merandus sit inter laudabiles consuetudines a Tridentina synodo
adprobatas, vel potius censeatur prohibitus sub nomine pallii de~
creto 23 februarii 1606 ? La Sacrée Congrégation aurait répondu :
Négative ad primatn partem, affirmative adsecundam. Il est vrai
que cette décision n'a pas été insérée dans la Collection de Gar-
dellini; mais son insertion dans la Correspondance de Borne rend
au moins son authenticité probable; il est difficile, en effet, que
le savant directeur de cette publication se soit mépris au point
de publier une décision apocryphe. De là au moins un doute
raisonnable et fondé, par rapport à la légitimité de la cérémo-
nie en question. Or, en présence de ce doute, un décret épisco-
pal pour le maintien de cette cérémonie, se trouverait sans
force : il ne serait lui-même que douteusement légitime. Pour
éviter ces inconvénients, le plus sur et le plus simple tout à la
fois, est de faire approuver par la S. Congrégation des Rites
les cérémonies d'usage local relatives à la célébration du ma-
riage, si l'on juge utile de les conserver.
D. Bouix.
LITURGIE.
REPONSES A DIVERSES QUESTIONS.
§ 1. CÉRÉMONIES DE LA. MESSE BASSE,
On demande s'il est bien exact de dire qu'il faille supprimer
l'usage suivi en certaines églises aux messes célébrées en pré-
sence du Saint-Sacrement exposé, où le prêtre se place en
dehors de l'autel pour recevoir Tablution, comme il le fait au
Lavabol — La raison de douter est le silence de la rubrique à
cet égard .
Nous ne croyons pas qu'on puisse admettre la pratique de
se placer en dehors de l'autel pour 1 ablution. Le silence de
la rubrique en est une preuve. Ce serait, en effet, ajouter aux
rubriques, ce qui n'est pas permis. Les auteurs s'accordent
à condamner cet usage, et ils indiquent trois manières d'a-
gir. Elles sont relatées en ces termes dans le Cérémonial selon
le rit romain, 2^ édition, p. 119 : « Pour prendre la dernière
« ablution, le prêtre ne doit pas se mettre eu dehors de l'au-
« tel ; mais, suivant les uns, après qu'il a pris la purification,
« il reçoit au même lieu Tablution des doigts sans se déranger,
« se tenant le plus qu'il peut vis-à-vis du Saint-Sacrement;
suivant d'autres, le prêtre, ayant fait la génuflexion, prend
a des deux mains le calice et va prendre l'ablution à l'ordi-
« naire; et enfin, d'après un troisième sentiment, le prêtre,
a avant de faire la génuflexiou, pose le calice hors du corpo-
a rai, du côté de l'épître, fait ensuite la génuflexion, et pre-
376 LITURGIE. [TùineVlI.
« nant le calice en passant, se rend à rordinaire au côté de
« l'épître pour l'ablution.»
§ 2. DE l'usage les bougies stéariques.
I. A une messe basse, lorsqu'il y a sur l'autel deux cierges de cire
allumés, peu{-on se servir d'une bougie stéarique pour s'éclairer?
II. Dans le cas où la bougie stéarique serait prohibée, lequel est pré-
férable d'avoir avec les deux cierges allumés à chaque côté de V au-
tel, une bougie de cire qui servirait à éclairer, ou de se contenter
de deux cierges sur l'autel pour éclairer le célébrant et satisfaire
en même temps aux prescriptions liturgiques?
m. A un salut du Irès-saint Sacrement, peut-on placer sur l'autel des
bougies stéariques, lorsqu'il y a, d'ailleurs, le nombre voulu de
cierges allumés?
IV. Dans l'hypothèse où cet usage des bougies stéariques serait prohibé,
ne pourrait-on pas faire une exception à cette défense en faveur des
fabriques pauvres?
I. L'usage de placer une bougie près du Missel pour s'éclai-
rerà la messe n'est prohibé par aucune règle liturgique. Il
faut seulement éviter de la placer sur un bougeoir qui ait
quelque similitude avec le bougeoir épiscopal. « Si un motif
a de nécessité, dit M. de Conny {Cér. rom. 3e éd. p. 34), obli-
« geait à ajouter aux lumières ayant un emploi liturgique un
« flambeau destiné à éclairer le prêtre dans les ténèbres, il
G faudrait prendre garde qu'il n'eût pas l'apparence d'un
« bougeoir, ni de rien qui ressemblât à un insigne. » Cette
observation est fondée sur un décret du 10 septembre 1701
(n. 3597, q. 5) relatif au chant des leçons de l'office de ma-
tines, pour lesquelles il n'est pas permis à un clerc d'éclairer
le lecteur en tenant une bougie à la main : s'il fait nuit, on
doit mettre la lumière sur un chandelier.
II. On peut aussi se contenter de deux bougies de cire qui
AvriU861.] LITURGIE. 377
serviraient à la fois de cierges et de lumière pour éclairer le
prêtre. Cette coutume, sous le rapport liturgique, équivaut à
la précède nie.
III. Pour le salut du Saint-Sacrement, un décret général, du
13 avril 1821, prohibe l'usage des bougies stéariques. Nous
l'avons cité t. I, p. 549, et nous avons ensuite discuté la ques-
tion proposée. Nous avons conclu, p. 551, en disant que l'usage
d'illuminer l'autel avec des bougies stéariques, bien que con-
traire aux termes du décret cité, ne nous paraissait pas assez
positivement condamné pour que nous crussions devoir lè
proscrire, pourvu qu'il y eût en outre le nombre de cierges pre-
scrit par les règles liturgiques. Ce décret, en effet, a été porté
pour interdire l'usage d'illuminer Tautelavec des lampes, sui-
vant la note de Gardellini rapportée au même lieu [Ibid. p.
549); et de plus le texte de l'Instruction Clémentine, § vi, [Ibid.
p. 551) est moins sévère sur cet objet.
IV. La quatrième question se trouve résolue par ce que nous
venons de dire.
§ 3. Rubriques du Bréviaire.
I. Si la Septuagêsime arrive le 18 om le i% janvier, doit-on faire
l'Office du deuxième dimanche après l'Epiphanie le 1 6 jan-
vier^ jour de fête semi-double?
II. Si la Septuagêsime aï^rive le 20 janvier, doit-on faire l'Of-
fice du deuxième dimanche aprè's l'Epiphanie le i9, jour de
fête semi-double ad libitum ?
III. Lorsqu'on anticipe l'Once d'un dimanche, peut-on le placer
au samedi occupé par une fête double de l'^ ou de 2* classe,
c'est-à-dire, en faire simplement mémoire, ou bien doit-on l'a-
vancer au vendredi ?
IV. Le jour de la Fête du Sacré-Cœur de Jésus, doit-on dire la
doxologie : Jesutibi...,qui natus es àeYirg'me, quoiqu'on dise
la Messe Miserebitur?
378 LITURGIE. [Tome VII.
V. Lorsqu'une fête ayant une doxologie propre concourt avec la
fête delà très-sainte Trinité, des SS. Anges et des SS. Apôtres,
gui n'ont pas de doxologie particulière, doit-on, aux hymnes
des Vêpres et des Complies, dire la doxologie de la fête dont
on ne fait que mémoire?
VI. Lorsque la fête de saint Gabriel archange se rencontre le
même jour avec la fête du précieux Sang, faut-il donner la
préférence à cette dernière, toutes deux étant du rite double
majeur?
VII. Les fêtes suivantes sont-elles primaires ou secondaires, à sa-
voir, l'Oraison de N.-S. Jésus-Christ au Jardin des Olives, la
commémoraison de la Passion, la sainte Couronne d^épines, la
sainte Lance et les saints Clous, le saint Suaire, les Cinq-
Plaies, le précieux Sang ?
I. D'après la rubrique géuérale du Brdviairc, tit. iv, n» 4, si
l'on est obligé d'ometlrc roilîce d'uu des dimanches après
l'Epiphanie, l'Office de ce dimanche se fait le samedi, veille
de la SepluagésimC;, du rit simple ; si ce samedi est empêché
par une fête à neuf leçons, on anticipe l'Office de ce dimanche
au dernier jour libre de la semaine ; et si tous sont empêchés,
on fait mémoire de cet Office le samedi, comme d'une férié
privilégiée.
i" S'il s'agit du deuxième dimanche après l'Epiphanie ou,
en d'autres termes, si la Septuagésime arrive le premier di-
manche après l'octave de l'Epiphanie, on anticipe de la ma-
nière indiquée l'Office du deuxième dimanche, mais cet Office
anticipé jouit de privilèges particuliers. Une rubrique spéciale,
à laquelle renvoie la rubrique générale {/bid.,n°6), est conçue
en ces termes :«Quando autem Septuagesima veuerit in prima
« dominica post octavam Epiphaniœ, tune in primo sabbato
« post octavam non impedito festo novem leclionum, alioquin
« prima die post octavam, fiât Officium de foria, iu qua po-
« uuntur responsoria primi nocturni dominicœ secundœ post
Avril 18G3.] LITURGIE. 379
a Epiphauiam, el très lectiones leguntur de homilia cjusdcm
« dominicaî cum ejus antiphona ad Benedictus et oratione.
« Festum vero semiduplex in ea occurrens transfertur ia pii-
a mam dicm simililer non impedilam. »
2° Avant l'élévation du rit de la fête de saint Ililaire ,
toutes les fois que le dimanche de la Septuagésiine arrivait le
18 ou le 19 janvier, l'Office du deuxième dimanche après l'É-
piphanie se faisait le 14!, et l'on transférait, suivant les règles
ordinaires, la fête du saint pontife. Mais, depuis que cette
fête est du rit douhle, on ne peut plus se conformer à cette
disposition. Le décret suivant le montre évidemment.
Question. « Rector seminarii Urgelleusis, ac iliius diœcesis
c( kalcndarii ordiuator,S. R. C... exposuit quod... in prœsen-
« tiarum ob elevationem ritus in festo S. Hilarii... nulla su-
a perest dies ritus seœ.iduplicis in...hebdomadapost octavam
a Epiphanise. Quibus posilis, orator sacram ipsani Congrega-
« tionem rogavit ut declarare dignaretur, utrum in hoc casu
a in primo sabbalo post octavam Epiphaniœ iieri debcat de
« festo duplici occurrente cum commem. dom. H post Epiph.
f et cum IX lectione de homilia, ceu rubrica disponit de ter-
« tia, quarta, quinta, et sexta domiuica post Epiphaniam,
« quando ex eis aliqua poui nequit ante Septuagesimam vel
« reponi post dom. XXIIl post Penlecoslen ? » Réponse. « Af-
a firmative. » (Décret du 17 septembre 1853, n« 5197.)
3" Pour répondre maintenant à la question proposée, il
s'agit d'expliquer le sens de ces mots de la rubrique du Bré-
viaire : Festum semiduplex in ea occurrens. Ces paroles se rap-
portent-elles uniquement à ces autres : Primadiepost octavam,
c'est-à-dire au 14 janvier, tellement qu'on ne puisse pas les
appliquer à un autre jour, si l'on célèbre une fête double le
14? On ne voit pas de motifs pour donner un sens aussi res-
treint à la rubrique. En outre, il paraît beaucoup plus naturel
et plus conforme au style ordinaire des rubriques d'entendre
par ces paroles le premier jour après l'octave de l'Epiphanie
380 LITURGIE. [Tome VII.
et avant la Septuagdsime qui ne soit pas empêché par une
fête, double avec translation d'un semi-double occurrent, s'il
n'y a pas de fête simple dans cet intervalle. Enfin, nous
pouvons citer à Tappui de celte interprétation un autre
décret de la S. C. : a Satis esse provisum per rubricas
<j Breviarii Romani de domiuicis num. 6, et per aliam rubri-
« cam propriam ante dominicam primam post octavam Epi-
« phaniœ, nempe in casu proposito Officiutn de dominica fa-
« ciendum esse iu primo sabbato post Epiphaniam festo
« duplici vel semiduplici non impedito; alioquin scilicet, si
« prœdictum sabbatum esset impeditum, faciendum in prima
« die post dictam octavam, quœ non reperitur impedita festo
« duplici : festum vero semiduplex in ea occurrens transfe-
« renduni in primam diem similiter non impeditam, » (Décret
du 10 janvier 1693, n° 330J[,q. 16.) On voit clairement par
ces paroles qu'il faut faire TOfiice du dimanche le 16 janvier,
et transférer la fête de saint Marcel toutes les fois que le di-
manche de la Septuagésime arrive le 18 ou le 19.
Il, La translation de l'Office do saint Marcel pour faire
place à l'Office anticipé du deuxième dimanche après l'Epi-
phanie ne peut avoir lieu que dans les deux cas ci-dessus indi-
qués. Car, si la Septuagésime arrive le 20 janvier, on supprime
l'Office semi-double ad libitum de saint Canut et l'Office du
dimanche se fait le 19, suivant cette décision : Question. « An
a Officia sanctorum ad libitum sive dupUcia, sive semiduplicia
« occurrentia in die quo fieri debeat Officia m de dominica
« anticipanda ante Septuagesimam vel ante dominicam XXIV
« post Pentocosten, sint transferenda, vel potius omittenda,
0 vel in die illa Officium ^raîdicti sancti ad libitum, recitan-
« dum, etsolum sit facienda commemoratio illius Dominicaî ?»
Réponse. « Esse omittenda Officia sanctorum ad libitum. »
(Décret du 4 août 1705, n» 3718, q. 5.) Si la Septuagésime
arrive le 21 janvier, ce dimanche est le troisième après l'Epi-
phanie et la question proposée n'a plus son application,
AvriH8C3.1 UTURGIE. 38 J
IK. D'après la rubrique du bréviaire, tit. iv, no A, quand tous
les jours de la semaine qui précède un dimanche dont l'Office
doit être anticipé, sont empêchées par une fête double ou semi-
double, s'il s'agit d'un des quatre derniers après l'Epiphanie
ou du vingt-troisième après la Pentecôte ; ou par une fête
double seulement, s'il s'agit du deuxième dimanche après
l'Epiphanie, suivant ce qui vient d'être dit, on fait mémoire de
ce dimanclie comme d'une férié privilégiée. Ni les rubriques,
ni les décrets de la S. C. ne font aucune exception à cette
règle. Si donc on célèbre ce jour-là une fête double de pre-
mière ou de seconde classe, on y fera mémoire de l'Office du
dimanche anticipé. Aucune fête, en effet, quelque solennelle
qu'elle soit, n'exclut la mémoire d'une férié privilégiée ou
d'un dimanche avec lequel elle se trouve en occurrence.
IV. Le jour de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, si l'on n'a
pas le privilège de dire la Messe Egredimini et l'Office qui y
correspond, on» doit dire à toutes les hymnes la doxologie
commune. On peut voir ce que nous avons dit à cet égard
t. IV, p. 185.
V. Quant à la question générale concernant les doxologieî
propres, on peut poser les principes suivants.
4« En règle générale, la doxologie la plus spéciale doit
toujours avoir la préférence. Cette règle parait résulter du
texte des rubriques du Bréviaire, tit. xx, n" 52, et des déci-
sions de la S. G. des Rites. En effet, par exemple, toutes les
hymnes qui ont une conclusion à elles propre la conservent
toujours; la doxologie propre au temps pascal est remplacée
par celle de l'Office de la sainte Vierge, si l'on fait un Office
ea son honneur pendant ce temps,. etc.
Cettepratique, d'ailleurs, se trouve en harmonie avec d'autre s
règles liturgiques relatives à la préface, au Communicantes^
au Credo, etc., règles d'oà il résulte que la célébration d'une
fête ne diminue en rien la solennité du jour ou du temps,
2o Pendant les octaves des fêtes de N. S. qui ont une doxo-
382 LITURGIE. jTome V(I.
logie propre et des fêtes de la très-sainte Vierge, on dit tou-
jours la doxologie de l'octave, quand même ou ne ferait pas
mémoire de l'octave à cause de la solennité du jour. Cette
règle résulte du décret suivant : Question. « An in festo S.
0 Hyacinlhi confessoris, ordinis Prsedicatorum, regni Poloniae
cr palroniprincipalis, quod... ritu duplici primée classis... infra
a octavam Assumptionis B. M. V. celebratur, in ejusdem S.
« confessoris ofEcio liymni ad horas termiuari debeant : Jesu
tibi sit gloria...? > — iïepo^jse.ctAflSrmative.» (Décret du 29nov.
i755. n«4259, q. 2.)
3° Lorsque deux fêtes qui ont une doxologie propre sont en
concurrence, on dit à complies la doxologie appartenant à la
fête dont on a dit les vêpres : ainsi l'a décidé la S. C. pour la
concurrence de la fête de N.-D. Auxiliatrice avec l'octave de
l'Ascension. Question, « In concursu diei octavae Ascensionis
(( Domini cum festo B. M. V. titulo Auxilium Christianorum
a die XXIV maii, totum fit de praecedenti et commemoratio
« sequeutis ; quomodo autem concludendus est hymnus corn-
et pletorii? » Réponse: « Cum stropb a hymni Ascensionis. »
(Décret du 23 mai 1835, n° 4746, q. 9.)
4° Quant à la question posée, à savoir si, quand une seule des
deux fêtes en concurrence a une doxologie propre, on doit
toujours dire cette doxologie à complies, quand même on n'au-
rait fait que mémoire de cette dernière fête, Gavantus (t. ii,
part VI, n. I5),suivipar plusieurs auteurs, est pour l'affirmative,
malgré le décret suivant : Question. « Capitulum et canonici
« Palermitanse Ecclesiae qui ex privilegio Apostolico singulis
a diebus sabbati non iinpeditis recitant officium B. M. sub ritu
« semidupl. petierimt declarari : An in secundis vesperis in
« quibus officium fit a capitule de dominica, bymnus con-
« cludendussit cum versu Gloria tibi Domine... Qui natusesde
« Virgine {\), vel alias ut notatur in hymno dominicae? Et
(-1) La doxologie Gloria iibi Domine a élé remplacée par Jesu,
tibi sit gloria dans la correction des hymnes faite par ordre du pape
Urbain VIII.
AvriH 863.1 LITURGIE. 383
« quid, si in dominica occurrat festum dup.^ cum nihilominus
« semper faciant commemorationem de B.M. ?» Réponse «Non
« esse hymnum termiuandum cum versu Gloria tibi Domine,
« cum officium fiât a capitulo de dominica et non de 13. V.,
a et tanto inagis id servandum esse in aliis festis duplicibus,
« quœ incidunt in dominica, in quibus liymnus terminatur
a prout notatur in hymne festi.» (Décret du 23 novembre 1602,
n° 177.) Cette décision paraît positive; cependant nous trou-
vons la pratique contraire indiquée dans VOrdo de Rome. Il
semble qu'elle peut être suivie.
VI. Lorsque la fête de saint Gabriel se trouve en concurrence
avec une des fêtes de la Passion, l'orc^o de Rome donne la pré-
férence à celle-ci, et transfère saint Gabriel. Comment expli-
quer cette disposition, la fête du précieux Sang étant une fête
secondaire? Peut-être les fêtes des anges n'ont-elles pas le
même privilège que les fêtes des saints? La raison eu serait que
rÉglise honore un saint au jour de sa mort. On pourrait donc
demander, pour déplacer la fête d'un saint, un motif plus
grave que pour mettre à un autre jour la fête d'un archange.
D'ailleurs, les fêtes auxquelles on donne la préférence en ce
cas, unies à celle de la Compassion de la sainte Vierge et au
vendredi saint, forment une neuvaine en l'honneur de la Pas-
sion.
VII. Les fêtes en l'honneur des instruments de la Passion de
N. S. ne peuvent, ce semble, être considérées comme des
fêtes primaires. Toutes, en effet, ont pour objet un même
mystère, et la S. Congrégation a positivement exprimé son
sentiment à cet égard au sujet de la fête du précieux Sang, en
donnant la préférence à la Visitation delà sainte Vierge, quand
ces deux fêtes se trouvent en occurrence ou en concurrence.
§ 4. DE l'administration du sacrement de baptême.
En quelle langue doit-on dire le Pater et le Credo?
Un décret de la Sacrée Congrégation des Rites (in Molmensi
384 LITURGIE. [Tome VII.
12 septembris 1857), déclare qu'aucune des interrogations
ne doit être faite en langue vulgaire. Il doit, ce semble, en
être de même de la récitation de TOraison Dominicale et du
Symbole des Apôtres. P, R.
DROIT LITURGIQUE.
LETTRE
de S. E. le Cardinal Patrizi à S. E, le Cardinal- Archevêque
de Lyon.
« Eminentissime et Reverendissime Domine, Domine obser-
vantissime,— Dum Sanctissimus Dominus noster Pins Papa IX
resciret et probaret Eminentiam vestram, in capitulari con-
ventu babito die \ 1° novembris anni mox elapsi, delegisse
commissiouem ad efformandnm , juxta régulas lilurgicas
sanctse Romanœ Ecclesiœ, Proprium sanctorum istius Lugdii-
nensis diœcesis, in usum directorum seminarii sancti Sulpitii,
capellanorum ecclesiarum parocbialium aliarumque ecclesia-
sticarum communitatum, qui intra fines diœcesis ipsius horas
canonicas jam recitant vel recitare desiderant juxta Brevia-
rium Romanum, non sine admiratione vidit contra saluberri-
mum consilium istud reclamasse parocbos Lugdunenses
numéro plures,qui,agmine veluti facto, nec servata canonum
disciplina, subscripserunt epistolœ circulari transmissse Direc-
tori seminarii sancti Sulpitii, canonicis ab Eminentia vestra
delectis ad concinnandum lioc Proprium, cseterisque capitula-
ribus. Haec porro inconsiderata circularis, prœter censuram
mandatorum proprii Ordiuarii, cui in sacra ordinatione reve-
rentiam pariter et obedieutiam professi sunt, nuilo sub respecta
conformis dici potest voluutati ejusdem Summi Poutificis, qui,
AvriH863.] LITURGIE. 3 83
ab anno ISo^ litteris datis ad Emineutiam vestram, apertissime
declaravit Breviarium et Missale Lugdunense a légitima au-
ctoritate minime prodire, acproinde omnino immiitanda. Quod
si deinceps Sanclitas Sua ea adhuc adhiberi permisit, veuiam
istam intra simplicis temporanese toleraiitiœ limites circum-
scripsit, nec unquam voluit eam esse perpetuam, veluti arbi-
trantur réclamantes parocbi; imo amantissimis verbis et
Emineutiam vestram et quos alloqui potuit de clero Lugdii-
nensi opportune cobortari non destitit ad assumptionem litur-
giœ Romanœ, ut sic plenius prœstarent obsequium Romanse
Ecclesiae, matri et magistr<e veritatis,
« Hisce prœnotatis, pro mei muneris ratione, oro obtestor-
que Eminentiam vestram, ut incœptum opus quam celerrime
ad optatum finem deducat, nuUa babita ratione questuum
illorum, quos sperare licet jam facti pœnituisse, et modo cum
reliquo spectabili et multis nominibus commendabili clero
Lugdunensi, felici semulatione adlaboraturos ut, ulteriore
quacumque difficultate remota, quantocius in diœcesi etiam
Lugdunensi in sua integritate inducatur et constabiliatur
liturgia sanctse Romanse Ecclesiœ. — Intérim Eminentiœ vestrse
mauus bumillime deosculor. — Eminentiœ vestrse humill,
demississimus servus verus. — G. Episcopus Portuensis et
sanctae Rufinse Cardinalis Patrizi, sacrœ Rituum Congregatio-
nis Praefectus. — Romœ, die 23 januarii 1863. — D. Bartolini,
sacrée Rituum Gougregationis secretarius. »
Ce document, dont l'importance n'échappera pas à l'attention
de nos lecteurs, n'a pas seulement un intérêt local. Il sera
désormais classé parmi les preuves qui démontrent l'illégiti-
mité des liturgies introduites en France contrairement aux
lois de saint Pie V. Il éclaire en outre un côté de la question
sur lequel on maintenait encore des nuages : on ne pourra
plus à l'avenir se faire illusion sur le sens de la tolérance pro-
•visoire du Sainl-Siége en attendant le retour à la liturgie légi-
386 LITURGIE [Tome VII.
time. II suffira de quelques lignes pour faire ressortir cette
double conséquence.
4. Dès l'année 1834, le pape Pie IX avait déclaré delà
manière la plus explicite [apertissime declaravït)^ que le bré-
viaire et le missel du diocèse de Lyon n'ont pas été établis
légitimement, et qu'on doit absolument les abandonner pour
prendre la liturgie romaine : « Breviarium et Missale Lugdu-
nense a légitima auctoritate minime prodire, ac proinde
omnino immutanda. i Ces paroles disent clairement que la
liturgie actuelle de Lyon a été illégitime dès le principe, c'est-
à-dire depuis son introduction par Mgr de Montazet. Elles
disent en outre qu'elle n'a pas cessé de l'être par le laps du
temps. Si le long usage l'avait légitimée, Pie IX n'ajouterait
pas qu'il faut absolument l'abandonner : « Ac proinde omnino
immutanda. » Dans l'hypothèse de la légitimation par l'usage,
cette conséquence serait fausse. On pourrait la combattre
ainsi : Il est vrai que cette Uturgie fut illégitime dès le prin-
cipe, mais le long usage l'a légitimée ; par conséquent, de son
illégitimité primitive, on ne peut pas conclure l'obligation ac-
tuelle de l'abandonner. Néanmoins, cette conclusion est préci-
sément celle de Pie IX. Donc, Pie IX déclare équivalemment
que cette liturgie n'est pas devenue légitime par voie d'usage
ou de prescription.
De là cette conséquence qu'on s'obstinerait vainement à
contester: l'autorité des Ordinaires qui se sont succédé à Lyon
depuis Mgr de Montazet, n'a pas pas suffi pour légitimer la
liturgie en question. Il n'y a rien là d'irrespectueux. Hier
c'était de la logique; aujourd'hui c'est en outre l'enseignement
du Saint-Siège. Mais cet enseignement n'intéresse pas exclusi-
vement le diocèse de Lyon.
2. En effet, la déclaration formelle adressée par Pie IX en
1854 à Mgr de Bonald, atteint évidemment toutes les autres
liturgies des diocèses de France qui ont en opposition avec les
bulles de saint Pie V. Si M. de Montazet n'a pas eu le droit d'in-
Avril 1863.] LITURGIE. 387
troduire à Lyon une nouvelle liturgie, il n'y a pas de raison
pour que d'autres évêques aient eu ailleurs ce pouvoir. Si la
liturgie introduite par M. de Montazet n'est pas devenue légi-
time en vertu du long usage, il n'y a pas de raison pour que le
temps ait légitimé les autres. Ainsi se trouvent indirectement
déclarées illégitimes, la liturgie de Belley (qui est la même
que celle de Lyon), la liturgie de Paris, celle de Besançon,
celle d'Orléans. Au reste, la réponse de la Sacré-Congrégation
des Rites à M. le chanoine Lottin par rapport à la liturgie du
Mans, avait précédemment donné lieu aux mêmes conclusions.
(Voir cette décision dans Gardellini, n" 5165, dernière édition.)
3. Nous appelons surtout l'attention du lecteur sur le pas-
sage où le cardinal Patrizi explique le sens de la tolérance ac-
cordée par Pie IX à laliturgie actuelle de Lyon. MM. les curés
lyonnais voyaient dans cette tolérance une autorisation à
perpétuité. Le Cardinal proteste contre cette fausse interpré-
tation. Il est vrai^ dit-il, que le Souverain-Pontife a permis de
faire encore usage de cette liturgie. Mais il a renfermé la
concession dans les limites d'une simple tolérance provisoire.
Jamais il n'a eu la pensée d'accorder l'autorisation pour tou-
jours. « Quod si Sanctitas Sua ea adhuc adhiberi permisit,
veniam istam intra simpHcis tolerantix temporanex limites cir-
cumscripsit; nec unquam voluit eam esse perpetuam, veluli
arbilrantur reclamantes parochi. » Les autres liturgies de
même condition, actuellement tolérées par Pie IX, le sont dans
le même sens. Nous ne pensons pas qu'il puisse s'élever le
moindre doute à cet égard, ni que, dans aucun diocèse, on soit
désormais tenté de renouveler l'interprétation des curés de
Lyon. Reste à déterminer ce qui résulte endroit d'une pareille
tolérance. Voici notre pensée à cet égard.
4. Par la simple tolérance du Souverain-Pontife, ces liturgies
sont rendues provisoirement légitimes, mais dans les limites du
temps moralement nécessaire pour opérer le changement, et
des autres conditions apposées par le Saint-Siège. Quand le
38S LITURGIE [Tome VU.
Souverain-Pontife a dit qu'il tolère, à la condition qu'on in-
troduira la liturgie romaine aussitôt qu'on le pourra, quarri'
primum, quantocius, il est clair que la concession a une limite
et ne dépasse pas un certain laps de temps. De ce- qu'on ne
peut pas assigner l'époque précise où la tolérance expire, de ce
que la durée du quamprimum se trouve laissée à une prudente
estimation, eu égard aux circonstances locales, ils ne s'ensuit
pas qu'on ne puisse assigner avec certitude des durées
auxquelles le quamprimum ne saurait s'étendre. Il en est ici
comme de la somme précise qui constitue le péché grave en
matière de vol. Les théologiens varient dans la manière de l'as-
signer ; mais tous sont d'accord que le vol de cent francs est
matière grave. L'autorité de l'ordinaire ne saurait proroger
le temps delà concession. Comme elle ne peut pas légitimer la
liturgie dont il s'agit, elle ne peut pas empêcher non plus
qu'elle cesse d'être légitime, lorsque le temps de la concession
papale aura expiré. Différer indéfiniment le retour à la litur-
gie romaine, en allongeant toujours le quamprimum, ce serait
se retrouver infailliblement, dans un temps donné, avec une
liturgie illégitime.
5. L'erreur des curés de Lyon signalée par le cardinal Patrizi
n'était pas la seule de leur circulaire. Si nous sommes bien
informés, ils en étaient encore à se persuader que leur liturgie
actuelle est sortie du cœur de saint Jean l'évangéliste, et leur a
été transmise par saint Irénée ! Ils ne paraissent pas s'être doutés
non plus que, d'après les dispositions du droit ecclésiatique,
les curés n'ont point le droit de délibérer et d'agir en corps
{collegialder). Leur intention a été louable, nous n'en doutons
pas, et ils seront les premiers à combattre leur erreur après
l'avoir connue.
D. Boïïix.
BIBLIOGRAPHIE.
sous le règne d'Elisabeth, par M. l'abbé c- J. Deatombes. — Paris,
Lecoffre et Cie, 1863. — Iq-8, csviii-483 pp.
Nous nous empressons de faire connaître le livre savant et
précieux dont M. l'abbé Destombes vient d'enrichir l'histoire
ecclésiastique. C'est un ouvrage sérieux, instructif et bienfait.
Il sera lu et fera le plus grand bien. La ville de Douai n'a jamais
cessé d'entretenir avec l'Angleterre des relations doctrinales ;
la Persécution religieuse est une suite de ces rapports et une
des manifestations les plus décisives qui soient parties depuis
longtemps de la vieille et savante cité. Les catholiques^, les in-
dififérents mêmes ou les ennemis, les Anglais surtout, trouve-
ront d'abondantes lumières dans cette publication vraiment
scientifique.
Notre compte-rendu se bornera à une analyse. M. Destombes
a pris pour épigraphe cette parole prophétique de l'Histoire
des Variations, qui semble recevoir de nos jours sa réalisation:
« Fn/in les temps de vengeance et d'illusion passeront, et Dieu
écoutera les gémissements de ses saints (liv. vu). » Son travail
contribuera à faire passer les jours mauvais et aidera le retour
de l'époque heureuse et désirée où, selon la prédiction de
Joseph de Maistre, l'Angleterre sera catholique.
I.
L'Introduction de M. Destombes est consacrée à retracer ra-
pidement l'histoire de l'Église d'Angleterre jusqu'à Elisabeth.'
390 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
Saint Grégoire-le-Grand voit vendre sur la place publique
de Rome des Angles, et il conçoit le projet d'en faire des anges.
Devenu Pape, il leur envoie des missionnaires : l'océan s'apla-
nit sous les pas des saints ; Augustin et ses compagnons
prêchent l'Évangile ; Éthelbert, roi de Kent, avec dix mille de
ses guerriers, demande le baptême. Ainsi commence l'Église
anglo-saxonnne. La foi était prêchée sans relâche, mais « les
progrès de l'apostolat étaient souvent contrariés par des
guerres que ne pouvaient empêcher, malgré leurs efforts, ces
pacifiques conquérants que Rome avait envoyés (p. v). »
Quatre vingts ans suffirent pour opérer la conversion des sept
peuples de THeptarchie. Pour régulariser et asseoir plus soli-
dement cette chrétienté, le pape Vitalien sacre à Rome, comme-
archevêque de Cantorbéry, un vieillard presque septuagénaire,
natif de Tarse en Cilicie, nommé Théodore. Théodore fut
l'homme de la Providence et 'un véritable présent de Dieu.
« Ce temps, dit le vénérable Bède, fut le plus heureux que la
Bretagne eût vu depuis l'époque où les Saxons abordèrent sur
ses côtes. » Durant son épiscopatde 21 ans, Théodore accom-
plit son œuvre. « Il fonde en divers lieux des écoles pour
l'éducation de la jeunesse, et, de concert avec sessufî"ragants,
il organise un système régulier d'administration et de disci-
pline pour la meilleure direction du clergé (p. viii). » On a
dit que les évêques avaient fait le royaume de France comme
les abeilles font leur ruche : cela est pareillement vrai de
l'Angleterre. « 11 n'est peut-être point de pays en Europe où
la main des moines ait été plus profondément empreinte que
dans ce royaume d'Angleterre. Les noms de ses villes, de ses
forteresses, de ses contrées les plus florissantes, rappellent
presque toujours la grotte d'un solitaire ou la petite cellule de
quelque cénobite bientôt changée en un vaste monastère... Ils
défrichent les terrains incultes, comblent les bas-fonds et les
marais, assainissent les étangs et les marécages et font sortir
partout, comme par enchantement, une végétation luxuriante
AvriH8G3.1 BIBLIOGRAPHIE. 391
là OÙ jusqu'alors les yeux n'avaient rencontré que des landes
arides. Les dons de la piété, les expiations du repentir, mul-
tiplient en tous lieux les maisons de prière, d'étude et de tra-
vail, autour desquelles les populations se groupent avec em-
pressement comme dans un port assuré (p. ix s.). » Rien n'est
touchant à lire comme le récit des heureux débuts de l'Égiise
naissante d'Angleterre et de son vif attachement à la chaire de
saint Pierre. Elle conserva principalement le souvenir de l'af-
fection que saint Grégoire avait témoignée à ses pères. On voit
de puissants monarques quitter tout généreusement, « hon-
neurs, richesses, famille, patrie, pour s'en aller, humbles pèle-
rins, au tombeau de saint Pierre et y terminer leurs jours
dans la solitude et la prière... Ils trouvaient honteux que le
Chef de l'Église éprouvât les incommodités du besoin, et chaque
nouveau monarque s'empressait, par de riches dotations, de
manifester son respect pour le successeur de saint Pierre et
de contribuer d'une partie de ses biens, au gouvernement de
l'Église universelle (p. x s.). » C'est ce pieux sentiment qui
amena l'institution du denier de saint Pierre. « Toute famille
qui possédait un certain revenu envoyait au Siège apostolique
son offrande annuelle d'un sou d'argent. Ina, roi de Wessex,
l'imposa le premier, pour associer ses sujets aux témoignages
de son attachement à Rome et leur rappeler sans cesse d'où
leur était venue cette éclatante lumière de l'Évangile qui bril-
lait à leurs yeux. Plus tard, Ofla l'étendit à son royaume de
Mercie, Éthelwulf, père du grand Alfred, à toutes les provin-
ces des Saxons, et enfin, Edouard le Confesseur porta lui-même
le statut qui réglait cette libéralité reconnaissante de toute la
nation envers la papauté (p. xi s.) », On peut le dire, cet atta-
chement au Saint-Siège était l'âme de l'Église d'Angleterre. Il
semblait que rien ne pouvait l'en extirper. Sous Elisabeth,
on martyrisait un saint prêtre. Le bourreau avait jeté au feu
les entrailles du martyr, et tenait dans sa main son cœur pal-
pitant : Saint Grégoire, priez pour moil s'écriait-il. — Fameux
392 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
papiste, s'écria le bourreau, j'ai son cœur dans ma main, et
Grégoire est encore dans sa bouche ! » C'était le cri de l'Église
expirante, et la prière pour des jours meilleurs.
L'Ile des pirates était devenue l'Ile des saints ; l'Heptarchie
donnait à Charlemagne des docteurs et des savants. « C'est là
qu'on venait chercher des pontifes et des dignitaires ecclé-
siastiques... Quels beaux noms à rappeler que ceux de saint
Cuihbert, de saint Chad, de saint Wilfrid, de saint Winfrid ou
Boniface... et de tant d'autres ! Et le vénérable Bède... à qui
Mélancthon reconnaît « une rare science du grec, du latin, des
mathématiques, de la philosophie et de la littérature sa-
crée ! (p. xrv s.) »
Les pirates danois ou normands ravagent cette belle Église.
Le sang du roi Edmond, percé de leurs flèches, cria vengeance
contre eux et appela un vengeur qui fut le grand Alfred.
Conduit à Rome, à l'âge de six ans, par son père Éthelwulf,
adopté et sacré roi par Léon IV, élevé auprès de la chaire apos-
lique, ce prince déploya sur le trône les qualités qui font les
meilleurs et les plus illustres monarques. Sa mort rendit aux
pirates leur audace et leurs succès. Ils s'emparèrent du pou-
voir ; Suénon couvrit l'Angleterre de sang et de ruines. Son fils
Canut quitta les bords de la Tamise et alla lui aussi, pèlerin
dévot, visiter Rome et le pape Jean. « Sachez-le bien, disait-il
à ses sujets en revenant, j'ai voué ma vie au service de Dieu.
Je veux gouvernermon peuple avec équité et observer la justice
en toutes choses. » Et il allait déposer sa couronne d'or sur
le christ du maître-autel de la cathédrale de Winchester.
« La race danoise, après une possession de 26 ans, laisse le
trône aux anciens rois saxons. Ces derniers, avant de dispa-
raître pour toujours de la scène, donneront encore un exemple
de dévouement éclatant au Saint-Siège dans la personne d'E-
douard le Confesseur (p. xxs.). » Ce prince avait fait le vœu
d'aller à Rome, mais, comme il en fut empêché par les affaires
de l'Etat, saint Léon IX l'autorise à remplacer son pèlerinage
Avril 18C 1 BIBLIOGBAPHIE 393
par la construction d'un monument digne de sa piété. « Telle
fut l'origine de cette majestueuse abbaye de Westminster^ à la-
quelle se rattachent taat de souvenirs religieux et patrioti-
ques, et qui fut comme le dernier, mais impérissable témoi-
gnage de la foi des rois anglo-saxons au déclin de leur puis-
sance (p. xxi). »
Guillaume-le-Bâtard, avec les Normands, conquit l'Angle-
terre. « Autant les dynasties anciennes avaient été reconnais-
santes envers le Saint-Siège et dévouées à l'Église romaine,
autant les rois normands se montrent pour l'ordinaire égoïstes,
jaloux et hautains (p. xxi). » C'est l'époque des persécutions
brutales exercées contre Lanfranc, saint Anselme, saint Tho-
mas Becket et tant d'illustres archevêques de Cantorbéry.
«Toutefois, au milieu de ces discussions et de ces débats irritant s,
le dépôt sacré de la foi n'eut jamais à souffrir. Aussi, quand
l'hérésiarque Wiclef commença à prêcher ses erreurs dans ce
royaume, un cri de réprobation et de colère s'éleva contre le
novateur sacrilège. Ce cri ne fut ni moins fort ni moins gé-
néral quand Luther osa s'attaquer audacieusement au Chef
suprême de la chrétienté, et l'Angleterre donna alors, dans la
personne de son jeune monarque, un témoignage de fidélité
à la chaire de saint Pierre, unique dans l'histoire et digne des
plus beaux siècles de l'Église (p. xxiii). »
II.
Une passion criminelle contrariée par le Saint-Siège change
l'amour et le respect envers la sainte Église romaine en colère
et vengeance. Une implacable animosité, tel a été le caractère
de la révolution religieuse en Angleterre sous Henri VIIF. Ce
prince qui, selon l'expression du protestant Burnet, fut « jus-
qu'à la fin de sa vie plus papiste que protestant, » accomplit
surtout le schisme, la rupture avec Rome. A ses côtés veillent
comme deux mauvais génies Thomas Cromwell et Thomas
394 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
Cranmer. Rien ne leur fut difficile avec une noblesse, et un
clergé « qui avaient abandonné l'un et l'autre le véritable sen-
timent de leur dignité et de leurs droits avec celui de leurs
devoirs.... Soit craiute, soit illusion ou séduction peut-être,
l'épiscopat d'Angleterx'e donna sous le règne d'Henri VIII
le plus triste comme le plus humiliant spectacle. La défection
fut générale : et si l'on excepte le noble et courageux évêque
de Rochester, pas un des évèques du royaume n'ouvrit la
bouche pour protester contre de sacrilèges violences et répéter
cette parole évangélique du Précurseur au nouvel Hérode :
Non licet, il ne vous est pas permis. Jean Fisher seul l'osa,
et sa tête, commme celle de Jean-Baptiste, tomba sous le fer
du bourreau (p. xxvi s.), »
On sait le fait : Henri est reconnu chef suprême de l'Eglise :
« il fait porter une loi qui interdit les appels à Rome ; il défend
au clergé de se réunir en convocation sans sa permission ; de
décider quoi que ce soit, même dans les matières purement
spirituelles, qu'il n'ait approuvé lui-même (p. xxx). » Ainsi l'É-
glise d'Angleterre se révolte contre le légitime Pontife et se
soumet au chef illégitime qui sera d'abord un tyran, puis un
enfant, puis une femme.
Les couvents et les églises sont pillés, mille vexations sont
inventées, et saint Thomas Becket est cité au tribunal de
Henii pour rendre compte de ses sacrilèges attentats contre la
royauté ! Les hérésies protestantes veulent s'introduire ;
Henri commande, et le bill du sang ou des six articles est
adopté dans le Parlement. La mort frappa enfin ; « Henri VIII
descendit au tombeau couvert du sang de deux épouses,
d'un cardinal, de douze ducs, marquis, comtes ou fils de
comtes, de dix-huit barons ou chevaliers, de^soixante-dix-sept
abbés, prieurs, moines ou prêtres, et d'une multitude d'indi-
vidus de moindre rang et de diverses croyances religieuses
(p. xxxix).»
L'auteur esquisse ensuite le règne d'Edouard VI, durant le-
Avril 1853.] BIBLIOGRAPHIE. 395
quel s'établit l'hérésie. Grâce à riufliience des sinistres génies
qui entouraient le trône, ou formule en tâtonnant un symbole
de foi, on pille, on détruit les belles abbayes. « Qui peut se
souvenir sans tristesse et sans indignation, s'écrie le D^ Sou-
they, de tant de monuments magnifiques qui ont été renversés
dans cette tumultueuse destruction ? » Les évêques «'- livrent
eux-mêmes une partie des biens de leurs églises pour en con-
server un faible reste avec leur siège déshonoré (p. xlvti). »
On purge les bibliothèques. Les missels, les légendaires et autres
livres choraux richement couverts sont enlevés ; on emporte
des chariots pleins de manuscrits qui sont livrés à des usages
scandaleux; on se débarrasse, comme de témoins importuns,
des Pères et des scolastiques qui sont mis au feu comme si les
flammes pouvaient étouffer la vérité. Il faut lire dans l'ouvrage
lui-même les effets sociaux produits par la réforme an-
glaise.
Marie voulut réconcilier l'Angleterre avec la sainte Église,
mais « presque tous, ses amis aussi bien que ses ennemis, par
leurs imprudences ou leurs prétentions, concoururent à faire
échouer son dessein (p. lxxxix). » Au moment où cette reine
allait recevoir dans le ciel la couronne destinée à ses vertus
méconnues, Elisabeth, qui était à ses côtés, s'écria spontané-
ment : c( Si je ne suis pas en toute sincérité catholique ro-
maine, je prie Dieu d'entr'ouvrir la terre sous mes pieds et de
m'ensevelir toute vivante. »
IIL
« Je ne puis m'empêcher d'observer avec autant d'indigna-
tion que de tristesse, dit un historien anglais, qu'Elisabeth,
grâce à toutes les ressources de sa malignité, semble avoir été
une femme excessivement méchante; qu'elle a uni au même
degré dans sa personne la corruption humaine dans ce qu'elle
à de sensuel et de malicieux, qu'elle l'a poussée à ses limites
396 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
extrêmes, comme l'hypocrisie qu'elle y a ajoutée, et qu'ainsi
elle a été entre tous un vrai prodige de scélératesse (p. 478). »
Ces paroles résument Tliistoire du règne d'Elisabeth. A
peine arrivée au pouvoir, elle travaille à établir, à régulariser
la réforme. Le Parlement lui confère la suprématie spirituelle
et consomme le schisme. Elisabeth exerce son pouvoir spiri-
tuel, fait visiter les diocèses, crée un nouveau clergé, des divi-
sions éclatent dans cette nouvelle église, une synode se tientà
Saint-Paul et les 39 articles sont adoptés. Le clergé catholique
est plus courageux qu'il ne l'avait été sous Henri VIIl. Les
Chartreux, les Bénédictins, les Brigittiues sont fidèles et
quittent l'Angleterre. Le peuple est opposé à la réforme, mais
la pression royale la fait triompher. Les puritains s'agitent,
Marie Stuartse rend en Écosse.^Des conspirations et des com-
plots s'ourdissent à l'intérieur. Il y a des catholiques faibles
qui, voulant tout concilier et éviter les extrémités sans pacti-
ser avec l'hérésie, se conforment à la séparation d'avec Rome.
Pie IV fait auprès d'Elisabeth les plus tendres et les plus vives
instances pour la ramener à l'unité catholique, saint Pie V
l'excommunie et la dépose. Un collège catholique anglais s'éta-
blit à Douai, puis est transporté momentanément à Reims,
pour être rétabli bientôt dans la cité où il subsiste encore de
nos jours. Il s'eu établit un autre à Rome.
Elisabeth ordonne de reconnaître sa suprématie. Des bills
successifs sont lancés contre ceux qui refusent ; des procla-
mations, poursuivent les catholiques, les rigueurs se déploient,
les missionnaires, les catholiques sont recherchés, mis en pri-
son, torturés physiquement et moralement, avec une cruauté
gu'auraient enviée les plus terribles proconsuls romains. Il
faut lire les noms, les supplices et les détails horribles de cette
persécution dans le livre de M. Destombes. Jamais l'inquisition
espagnole si accusée, si calomniée, n'a commis de pareilles
atrocités. Hume lui-même l'a reconnu. Rien n'est émouvant
comme un semblable tableau. C'est, d'une part, la cruauté ro-
Avrai863.1 BIBLIOGRAPHIE. 397
maine, de l'autre, le courage des saints martyrs. On dirait
une page de l'histoire sanglante de la primitive Eglise. Il
y a là des réminiscences du paganisme, et du plus cruel.
£nfin, Elisabeth tombe dans une sombre mélancolie, elle
dépérit de jour en jour et meurt tristement. Son règne de sang
et de boue tinit comme on avait lieu de le craindre; la fille de
Henri VIII et d'Anne Boleyn suit la voie de ses pères. « Ses
artifices et sa déloyauté sous le règne de sa sœur, dit en ter-
minant M. Destombes, son hypocrisie sacrilège et son parjure
au commencement de son règne, les statuts et les lois pénales
de sou parlement, la servilité des grands, l'iniquité des juges
et des jurés, la ruse des espions, la violence des poursuivants
et des hommes d'armes, la dureté des geôliers, la cruauté des
bourreaux, les gémissements, les larmes et le sang des oppri-
més et des martyrs, tout a passé successivement sous nos yeux
dans ces pages lamentables (p. 472). » A ce triste récit, on
aurait pu ajouter les machinations d^'Elisabeth pour fomenter
les dissensions, les rébellions chez les peuples voisins. Quand
on a assisté à ce triste drame, les émotions et les réflexions se
présentent eu foule. Nous voudrions insister sur Texécution
de Marie Stuart, qui, aux termes de Benoit XIV, rappelés par
Pie VI à propos de la mort de Louis XVI, fut un vrai martyre.
La nullité des ordinations anglicanes demanderait aussi à être
exposée, quoiqu'elle ait été abondamment démontrée par le
P. Le Gourrayer, que trop de faiblesses pour l'anglicanisme en-
traînèrent dans d'inexcusables erreurs. L'admirable figure du
cardinal Allen, si dévoué à la sainte Église et aux véritables
intérêts de sa patrie, fournirait de bien utiles instructions. La
bulle « Regnans in cœlis, » du 25 février 1570, nous montrerait
en plein XVl"^ siècle l'exercice du pouvoir pontifical. Enfin, la
question de l'emploi de la force, considérée soit au point de
vue absolu, soit au point de vue relatif, se rattacherait néces-
sairement aux violences d'Elisabeth. Mais une question si dé'
398 CHRONIQUE. [Tome VII.
licate et si étendue, nous entraînerait dans de trop longs déve-
loppements.
Tel est l'ensemble du livre de M. Destombes. Ce rapide
exposé en fait voir l'importance et l'utilité. -Quelques légères
négligences ne valent pas la peine qu'on les signale. Puisse sa
lecture produire les effets qu'elle est de nature à opérer!
Puisse-t-elle accélérer ce mouvement restaurateur qui se fait
remarquer dans l'Église anglicane ! Puisse l'Angleterre redeve-
nir catholique ! Puisse notre France se retremper dans la vi-
gueur de la foi qu'elle n'a jamais abandonnée! Alors ces deux
contrées, a filles bien-aimées d'une même mère, se dévoueront
^vec une généreuse ardeur à l'extension et à la gloire de l'É-
glise de Jésus-Christ! » (p. cxvn s.)
H. Girard.
CHRONIQUE.
1. Tout ce qui se rattache aux progrès de renseignement théologique
a, de nos jours pins que jamais, une extrême importance. Nous croyons
donc être utiles en faisant connaître ce qui se faitailleurs : trop heureui
si nous pouvions donner une plus forte impulsion au mouvement qui
porte vers les écoles étrangères ceux que leurs talents appellent à servir
utilement l'Église ; trop heureux surtout si nous pouvions hâter le
moment où la France verra cesser cette situation provisoire qu'elle subit
depuis tant d'années !
Nous recevons des détails pleins d'intérêt sur l'état de plus en plus
florissant de la Faculté de théologie d'Innsbruck. Malgré la date récente
de son rétablissement (1857), cette faculté compte déjà 154 étudiants
inscrits, dont sept français, tous du diocèse de Strasbourg. Ces derniers,
nous écrit-on, font tous honneur à leur patrie. Deux d'entre eux se sont
distingués de la manière la plus brillante dans les thèses mensuelles de
cette année : ce sont MM. Alexandre Zwicky, et Félix Korum. Nous
avons sous les yeux les thèses de Deocreatore, soutenues par M. Zwiky
Avril 18G3.] CHRONIQUE. 399
le 15 décembre 1862, et les thèses de Deo uno, soutenues par M. Korum
le 2 mars 1863. Trois autres français, MM. Schott, démens et Florence
ont payé leur dette de la même façon l'an dernier : tous ont fourni la
preuve publique et authentique de leur application, de leur talent et
de leur savoir. Nos compatriotes ont aussi figuré d'une manière hono-
rable dans une séance en l'honneur des saints Martyrs du Japon, séance
où l'on a lu des morceaux en vingt langues différentes.
On nous transmet encore un programme complet de théologie dog-
matique eu 271 propositions, qui ont fourni la matière d'un acte public
auquel assistaient un grand nombre de notabilités, entr'autrcs leurs
Altesses NN. SS. le prince-archevêque de Salzbourg, le prince-évêque
de Brixen, et le prince-évêque de Trente. Le soutenant était un scola-
stique de la Compagnie de Jésus, le P. Quarella. Il s'est montré digne de
paraître devant une assistance aussi illustre .
Outre les Jésuites, qui comptent 32 étudiants à Innsbruck, les Servîtes,
les Bénédictins, les Cisterciens y envoient des sujets. Les étudiants
en théologie sont, comme les années précédentes, presque tous réunis
au séminaire de Saint-Nicolas sous la direction des PP, Jésuites. Le
Souverain-Pontife s'est plu à manifester sa bienveillance pour les élèves
de cette maison par les faveurs spirituelles qu'il a répandues sur eux ;
il a même daigné leur adresser deux brefs, en réponse à des adresses
collectives. Voici le plus récent :
DlLECTiS FiLIIS
Alumnis Seminarii Sancli Ntcolai Œnipontem.
Plus PP. IX.
Dilecti "Filii, Salutem et Aposfolicam Benedictionem. Nuper Nobis red-
ditcp, fuere vestrae Littereedie 12 proximi mensis Octobris datae, quibus,
Dilecti Filii, ubi primum hoc anno istud Sancti Nicolai Seminarium in-
gressi siugularem vestram erga Nos, et banc Pétri Cathedram fidem,
amorem, et veneratiouem luculenter profiteri voluistis. Gratissimum
Nobis fuit hujusmodi eximiae vestrse filialis pietatis et observantiae testi-
monium omni certe lande dignum. Ac vos etiam algue etiam horlamur,
ut vesli œ vocationis semper memores velitis quotidie mngisvirtutum omnium
ornatu f'ulgere, ac sacras prœsertim disciplinas ab omni prorsus cujusqm
erroris periculo aliénas sludiosissime excolere, ut viiœ sanctiiate , ac salu-
taris doctiinœ laude speciati, possitis sub vestrorum antistitum ductu stre-
nue prœliari prœlia Domini et animorum saluti consulere. Jam vero
débitas Vobis agimus gratias pro munere, quod ad Nostras, et hujus
Sanclae Sedis sublevandas angustias mittere voluistis. ûenique omnium
cœlestium munerum auspicem et prœcipuse Nostrse paternoe caritatis
pignus Apostolicam Benedictionem intimo cordis affectu S'obis ipsis,
Dilecti Filii, peramanter impertimus.
Datum Romœ apud Sanctum Petrum die 20 Novembris auuo 1862.
Pontiiîcatus Nostri anno decimo seplimo.
Plus PP. IX.
4C0 CHRONIQUE. [Tome VU
En parlant plus haut des études, nous avons oublié de mentionner les
questions mises au concours, selon l'usage des universités d'Allemagne.
Celle de 18G2-1863, était celle-ci:
Instituatur disqmsilio, quo sensu Christus Malach. 3, 1, appelletur An-
gélus testamenti et utrum Angélus ille qui in Scripfuris V. T. Angélus
Domini vocatur [Gen. 16, 7, seqq.; 19, 19, seqq. ; 21, 27, seqq. : 22, 11,
seqq. ; 32, 25, seqq. Jos. 5, 13, seqq. Jud. 2, i, seqq. ; 6, il , seqq. ; 13, 3,
seqq.) y fuerit filins Dei.
La dissertation qui a obtenu le prix donné par la munificence des
états du Tj-rol est celle de M. Pierre Silvestri, du diocèse de Trente,
élève de la maison de Saint-Nicolas. Pour cette année (1863-1864), la
question proposée est celle-ci:
Conscribatur commentarius juridicus de concordalis, in quo accuratius
exponantur quœ ad naturam, auctoritatem, interpretationem, rescissionem
concordatorum inter Sedem Apostolicam et societates civiles initorum
pertinent.
2. Nous lisons dans le journal le Monde, la lettre suivante de M. le
doyen du chapitre de Périgueux, qui fait connaître une nouvelle décision
de la S. G. du Concile analogue à celle que nous avons publiée dans
notre dernier numéro (p. 277 ss.), et même plus étendue encore.
Périgueux, le 5 avril 1863.
Monsieur ,
Le chapitre de la cathédrale de Périgueux, après la mort de Mgr Baudry,
de vénérée mémoire, a nommé trois vicaires capitulaires; Userait proba-
blement utile qu'on sût qu'il ne l'a fait qu'en vertu d'une réponse de
Rome, sollicitée par dépêche télégraphique.
Voici, du reste, textuellement la demande et la solution obtenue :
« Le siège vaque. Le Chapitre peut-il nommer trois vicaires capitu-
« laires, à cause de l'étendue du diocèse, selon la pratique généralement
« suivie?
« Signé : du Pavillon, doyen. »
« DE MoNBRUN, chanoine. »
Canonicis du Pavillon, de Monbrun.
« Congregatio Concilii quaestloni quoad nominationem vicariorum sede
« vacante respondet: posse tolerari. Archiepiscopus Sardianus,
prosecretarius. »
Veuillez agréer, etc. A. du Pavillon.
Arras. — Typographie Rousseau-Leroy, rue Saint-Maurice, 26.
LE SPIRITISME.
Troisième et dernier article.
III.
Le plus rapide coup d'œil jeté sur l'histoire nous montre
que toujours il y a eu un commerce entretenu par les hommes
avec les esprits, que toujours les esprits se sont manifestés sur
la terre. Ce fait n'est pour personne le sujet du moindre doute.
Il a existé sous mille formes et dans toutes les contrées. Ma-
giciens, sorciers, sorcières, prophétesses , fées, convulsion-
naires, mystiques, théosophes ; possessions, somnambulisme,
magnétisme, mesmérisme, etc., tout cela se rapporte plus ou
moins directement aux relations illicitement entretenues avec
les esprits. Ce serait donner à notre travail l'étendue d'un
livre que de vouloir rapporter même rapidement les faits
déjà cités par'-Gœrres dans sa Mystique diabolique, par M. de
Mirville dans son livre des Esprits et de leurs manifestations
fiuidigues. par RI. Des .Mousseaux, par les compilateurs des
dictionnaires de sciences occultes, et par d'autres auteurs sa-
vants et estimables.
Un fait aussi éclatant et aussi incontestable que le premier,
c'est que l'Eglise n'a cessé d'impronver le commerce avec les
esprits, qu'elle l'a toujours taxé de péché contre la vertu de
religion ; que les Papes, les inquisiteurs, les docteurs, le Ri-
tuel l'ont expressément condamné, et que ce commerce lui-
même s'est toujours signalé par un caractère plus ou moins
Revue des scienxes eccuÉsiASiiQUES, t. vu. 26-27.
402 LE SPIRITISME [TomeVIK
manifeste d'opposition à la religion chrétienne. iYo^ vos socios
fieri dsemoniorum (I Cor., x, 20). Celte parole de l'Apôtre ré-
sume la pensée et la conduite de l'Église toutes les fois qu'il
s'est agi du démon.
Le spiritisme n'est qu'un anneau de cette longue chaîne de
superstitions. Ce n'est pas nous qui le disons : « Le spiritisme
n'est point une découverte moderne ; les faits et les principes
sur lesquels il repose se perdent dans la nuit des temps, car
ou en trouve les traces dans les croyances de tous les peuples,
dans toutes les religions, dans la plupart des écrivains sacrés
et profanes; seulement, les faits incomplètement observés ont
souvent été interprétés selon les idées superstitieuses de l'igno-
ratce, et l'on n'en avait pas déduit toutes les conséquences.
En effet, le spiritisme est fondé sur l'existence des esprits ;
mais les esprits n'étant autres que les âmes des hommes, de-
puis qu'il y a des hommes, il y a des esprits ; le spiritisme ne
les a ni découverts ni inventés. Si les âmes ou les esprits
peuvent se manifester aux vivants, c'est que cela est dans la
nature, et dès lors, ils ont dû le faire de tout temps j aussi,
de tout temps et partout, trouve-t-on la preuve de ces mani-
festations qui abondent surtout dans les récits bibliques. Ce
qui est moderne, c'est l'explication logique des faits, la con-
naissance plus complète de la nature des esprits, de leur rôle
et de leur mode d'actionj la révélation de notre état futur,
enfin, sa constitution en corps de science et de doctrine et ses
diverses applications. Les anciens connaissaient le principe,
les modernes connaissent les détails. Dans l'antiquité, l'étude
de ces phénomènes était le privilège de certaines castes, qui
ne les révélaient qu'aux initiés à leurs mystères ; dans le
moyen-âge, ?ceux qui s'en occupaient ostensiblement étaient jj
regardés comme sorciers, et on les brillait (1) ; mais aujour-
d'hui on ne brûle plus personne; tout se passe au grand jour,
(-1) Témoin le Parlement anglais qui, en plein prolestanlisrae, en flt
brûler plusieurs milliers.
Mai 18G31. I-B SPIRITISME. 403
et tout le monde est à même de s'éclairer et de pratiquer, car
les médiums se trouvent partout.
« La doctrine même qu'enseignent les esprits aujourd'hui
n'a rien de nouveau ; on la trouve par fragments chez la plu-
part des philosophes de l'Inde, de l'Egypte et de la Grèce (1). »
Il y a seize siècles, Tertullien décrivait, dans son célèbre
Apologétique, le phénomène qui se produit de nos jours. Au-
jourd'hui, on pourrait dire comme lui : a Magi phantasmata
edunt et jam defuncM^um infamant animas... habentes semel in-
vitatorum angelorum et dœmonum assistentem sibi potestatem,
per qiios et coprse et mensx divinare consueverunt. » [Apol. xxiii.)
Les chèvres n'ont encore, à notre connaissance du moins,
joué aucun rôle spirite,mais elles pourraient sans difficulté en
remplir un. « Un monsieur avait dans son jardin un nid de
chardonnerets, auxquels il s'intéressait beaucoup; un jour,
le nid disparut. S'étant assuré que personne de chez lui n'était
coupable du délit, comme il est lui-même médium, il eut
l'idée d'évoquer la mère des petits ; elle vint, et lui dit eu
très-bon français : « N'accuse personne, et rassure-toi sur le
« sort de mes petits; c'est le chat qui, en sautant, a renversé
« le nid; tu le trouveras sous l'herbe, ainsi que les petits, qui
«n'ont pas été mangés. » Vérification faite, la chose fut
trouvée exacte. Faut-il en conclure que c'est l'oiseau qui a
répondu? Non, assurément, mais simplement qu'un esprit
connaissait l'histoire (2). » Une chèvre aurait pu tout aussi
bien donner les renseignements désirés.
•Après Tertullien, nous trouvons des traces de relations avec
les esprits. Saint Augustin traite rapidement cette matière
dans sou livre de Divinatione qui se trouve dans la Patrologie de
M. Migne, au t. vi, col . 682. Au tome m de ses œuvres (col. 880),
ce saint docteur, argumentant de la perm.ission que les démons
demandèrent d'entrer dans des porcs, conclut que ces mau-
(1) Le Splrilisme à saplus i-mple expr^^sion^ p. 12.
(2) Livre des Médiums, p. 377.
404 LE SPIRITISME. [Tome VU.
vais esprits ne peuvent rien sans la permission de Dieu, ajou-
tant que cette permission est accordée par la justice qui régit
toutes choses, soit pour éprouver, soit pour punir. Et, queniad-
modum de porcis manifestum est, quod in eos non issent, sic intelli-
gendum est nihil eos in quemquam posse nisi permisses : permitti
autem justifia, quà reguntur oinnia, sive pi^obationis causa, sive
vindictx, vel ad damnât lonem vel ad correctionem irrogatx.
Un vieil auteur africain du vi« siècle, Eugyppius, par-
lant de certaines superstitions, les réprouve comme des
pactes établis avec les démons : Ad eadem illa quasi quxdam
cum dxmombus pacta et conventa, referendx sunt. Et il ajoute
ces paroles qui s'appliquent si parfaitement au spiritisme :
Hinc enim fit ut, occulto quodam judicio divino, cupidi malarum
rerum homines tradantur illudendi et decipiendi pro meritis vo-
luntatum suarum, illudentibus eos atque decipientibus prxvarica-
toribus a»gelis, quibus ista mundi pars infma, secundum pul-
cherrimum ordinem rei^m, divinx providentise lege, subjecta est :
quibus illusionibus et deceptionibus evenit, ut istis superstitiosis
et perniciosis divinationum generibus, multa prxterita et futura
dicantur, nec aliter accidant quam dicuntur, multaque observan-
tibus secundum observationes suas eveniant, quibus implicati
curiosiores fiant et sese magis magisque insérant multiplicibus
laqueis perniciosissimi erroris. Hoc genus fornicationis animse.
salubriter divina scriptura non tacuit... [Pati^ologie Migne,
t. Lxii, col. 930.)
Nous n'eu finirions pas si nous voulions suivre, dans les écri-
vains ecclésiastiques des différents siècles, l'histoire non inter-
rompue des relations avec les démons. Chose remarquable ! le
dogme favori du spiritisme est attaqué par les auteurs catho-
liques avec une vigueur particulière. Nicéphore Callisle, au
chapitre xxxiii du livre v, parle de ces esprits qui seraient de-
venus des âmes humaines, sentiment que saint Jérôme {In
Aggxum, cap. i), reproche aux origénistes et que saint
Sophrone^ évêque de Jérusalem, signale comme erroné dans
Mai 1853.) LE SPIRITISM!-. 403
sa lettre au patriarche de Consiantinople, Sergius, lettre
approuvée dans le sixième concile œcuménique. Saint Epi-
phane écrivait à Jean de Jérusalem : a Origèue prétend que
les âmes ont été des anges dans le ciel, » et saint Léon le
Grand s'exprime ainsi dans sa lettre xi^ : Jn Origene merito
damnatum est guod animarum, antequavi corporibus insérèrent
tur, nonsolum vitas sed et diversas fuisse asserit actiones.
Au xiii« siècle, saint Thomas d'Aquin, faisant allusion aux
pratiques de son temps, démontrait ces propositions qui n'ont
malheureusement rien perdu de leur actualité : Dxmones fin-
gunt se esse animas defunctoimm ut inducant in errorem, veletiam
divinadispensatione apparent animx defunctorum...Dxmon veri-
tatem dicit ut decipiat... Dxmones alliciuntur diversis generibus
herbarum, animalium, carminum et rituum, ut signis, non autem
ut rébus... Dxmones vocati sub certa constellatione veniunt...
Dxmones faciunt aliquas Ixvitates, ut sint familiares hominibus
quos conantur decipere... Non licet habere familiaritatem cum
dxmone, nec requirere veritatem ab eo ad cognitionem occultorum.
L'index de la Somme théologique fournit plusieurs indications
de ce genre.
Nous pourrions facilement trouver dans les scolastiques
bien des traces et bien des allusions à notre sujet. Les écrits
des premiers réformateurs eux-mêmes nous montreraient
leurs fréquents colloques avec les esprits des ténèbres, et
l'histoire nous assurerait que, depuis le protestantisme, l'action
des démons a été beaucoup plus déchaînée que dans les âges
précédents. Aujourd'hui, le dragon semble triompher. Spiritus
autem manifeste dicit, quia in novissimis temporibus, discedent
quidam a fidè, attendentes spiritibus erroris et doctrinis dxmo-
niorum (ITim., iv, î).
Parallèlement à cet enseignement des écrivains catholiques,
se déroule un mouvement ténébreux et non interrompu de
pratiques coupables qui se terminent toujours par le péché de
la chair, selon cette pensée de saint Thomas : Dxmones maxi-
^03 LE SPIRITISME. [Tome VIT
me gaudent de peccato luxunx, propter difficultatem evadendt.
11 n'est donc pas nécessaire d'insister beaucoup sur les ra-
cines et les antécédents du spiritisme. Son caractère et ses
aveux le placent parmi les phénomènes ténébreux qui ont
été, dans tous les temps, l'objet de l'abomination du Sei-
gneur, que l'Église n'a cessé de proscrire et que la théologie
catholique a rappelés et anathématisés dans tous les âges.
Les observations qui précèdent ne renferment rien de sur-
prenant. Dieu a ses dogmes, Satan a ses négations : Jésus
a ses rites, auxquels il a attaché des efifets surnaturels ; Satan
a ses pratiques, auxquelles sont attachés certains effets dont
il est l'auteur. Or, ces effets ne résultant de ces pratiques ni
par une vertu naturelle, ni par une vertu divine, quiconque
s'y livre, même en protestant qu'il ne veut à aacun prix être
en contact avec le démon, quiconque se met dans les conditions
voulues par le démon, à dessein de lier conversation avec les
espi'its qui viendront, le force à parler, devient comme son
obligé, lui accorde sur sa personne une certaine puissance
qui peut prendre les plus dangereuses proportions (1). 11 le
prend pour oracle, lui donne sa foi, et lai rend, en un mot,
réellement, expressément et formellement un véritable culte.
Le fait seul est donc un pacte équivalemment indépendant de
l'intention. Mais les livres spirites demandent plus. Rien n'y
est plus inculqué que la gravité, le sérieux, qui doivent être
apportés dans les relations avec les esprits. On y enseigne que
les esprits sont très-chatouilleux sur les questions qu'on leur
fait et sur le caractère de ceux qui leur parlent. Pour la for-
mation des groupes, on demande un noyau de personnes sé-
rieuses, quelque restreint quil soit ; ne fût-il que de cinq ou six
membres, s'ils sont éclairés, sincères, pénétrés des vérités de
LA DOCTRINE ET UNIS d'intention, cela vùut cent fois mieux que
[\] n ... Ce service même que l'on a sollicité, quelque minime qu'il
soit, est un véritable pacte conclu avec le mauvais esprit et celui-ci
ne lâche pas prise aisément. » [Liv. des Méd,, p. 359.)
MailSGSl LE SPIRITISME. 407
d'y introduire des curieux ou des indifférents (1). Pour les réu-
nions, on exigo la parfaite communauté de vues et de sentiments... ,
le désir unique de s'instruire et de s améliorer par l'enseigne-
ment des bons esprits et la mise à profit de leurs conseils..., le re-
cueillement et le silence respectueux pendant les entretiens avec
les esprits..., l'association de tous les assistants par la pensée à
l'appel fait aux esprits que l'on évoque (2). On donne enfin, pour
l'avantage des autres sociétés, le règlement de la société pari-
sienne des études spirites fondée le 1*'' avril 1858 et autorisée
par arrêté de M. le préfet de police en date du 13 avril 1858,
d'après l'avis de Son Exe. M. le Ministre de Tinlérieur (3).
a Telle est, s'écrie-t-on en terminant, la voie dans laquelle
nous nous sommes efiforcé de faire eiitrer le spiritisme. Le
drapeau que nous arborons hautement est celui du spiritisme
chrétien et humanitaire, autour duquel uons sommes heureux
de voir déjà tant d'hommes se rallier sur tous les points du
globe, parce qu'ils comprennent que là est l'ancre de salut, la
sauvegarde de l'ordre public, le signal d'une ère nouvelle pour
l'humanité. Nous convions toutes les sociétés spirites à concou-
rir à cette grande œuvre; que d'un bout du monde à l'autre
elles se tendent une main fraternelle, et elles enlaceront le mal
dans des filets inextricables (4).»
Le spiritisme est donc le dernier anneau de la chaine des
superstitions. Mais celte erreur nouvelle prend les proportions
d'une s'éritable religion, qui exige de ses adeptes l'union la
plus parfaite et qui veut enlacer tout ce qui n'est pas selon elle
dans des filets inextricables. C'est là ce qui forme son caractère
spécial.
(1) Foyage Spirile, p. 56.
(2) Livre des Médiums, p. 449-30.
(3) Ibid., p. 458.
(4) Ibid., p. 4.j7.
408 LE SPIRITISME. [Tome VII*
IV.
« Le spiritisme n'est pas seulement une question de faits
plus ou moins intéressants ou authentiques pour amuser les
curieux; c'est par-dessus tout une question de principes; il est
fort surtout par ses conséquences morales (1).» C'est à ce point
de vue surtout qu'il faut se placer pour se faire une idée juste
des résultats qu'il produit.
Il y a plusieurs sortes d'esprits, il y a par là même plusieurs
espèces de communications. « Les gt^ossières répugnent à toute
personne qui a la moindre délicatesse de sentiment ; car elles
sont triviales, ordurières, obscènes^ insolentes, arrogantes, mal-
veillantes et même impies (2). Celles-là sont jugées par le
fait même. L'arbre mauvais produit des fruits mauvais et la
sagesse d'en-Haut est d'abord pudique. Voilà pourquoi il est
expressément recommandé de ne pas publier toutes les ré-
ponses des esprits, mais de faire « un choix très-sévère et
d'écarter avec soin tout ce qui peut, par une cause quelconque,
produire une mauvaise impression (3).» Et comme il n'est pas
une évocation qui ne puisse attirer quelque esprit ordurier, il
n'y a pas une seule séance spirite où la morale ne puisse être
odieusement outragée. Par conséquent, le spiritisme constitue
un très-grave danger pour les mœurs.
ce Les frivoles émanent d'esprits légers, moqueurs et espiè-
gles, plus malins que méchants... La vérité est le moindre de
leurs soucis, c'est pourquoi ils se font un malin plaisir de mys-
tiSer ceux qui ont la faiblesse et quelquefois la présomption
de les croire sur parole (4). »
« Les communications sérieuses sont graves quant au sujet
(1) Voyarje Spirite, p. 13.
(2) Livre des Médiums, p. 172.
{34^yoyage Spirite^ p. 52.
(4) Livre des Médiums, p. ^72.
Mai 1803.] LE iPIRlTlSaE. 409
et à la manière dont elles sont faites... Les esprits sérieux ne
sont pas tous également éclairés,... c'est pourquoi les esprits
vraiment supérieurs nous recommandent sans cesse de sou-
mettre toutes les communications au contrôle de la raison et
de la plus sévère logique (d).» Sur quoi il est à remar-
quer qu^à la faveur de la gravité du langage « certains esprits
présomptueux ou faux savants cherchent à faire prévaloir les
idées les plus fausses et les systèmes les plus absurdes, » et
que, « pour se donner plus de crédit et d'importance, ils ne
se font pas scrupule de se parer des noms les plus respectables
et même les plus vénérés. » Il y a des communications sérieu-
ses-vraies et sé7ieuses- fausses. On voit que c'est-là « un des plus
grands écueils de la science pratique (2) . »
« La question de l'identité des esprits est une des plus
controversées, même parmi les adeptes du spiritisme ; c'est
qu'en etïet, les esprits ne nous apportent pas des actes de no-
toriété, et l'on sait avec quelle facilité certains d'entre eux
prennent des noms d'emprunt; aussi, après l'obsession, est-ce
une des plus grandes difficultées du spiritisme pratique (3).»
« L'identité de l'esprit des personnages anciens est la plus
difficile à constater, souvent même elle est impossible,
et l'on est réduit à une appréciation purement morale (4). »
« Il y a des faussaires dans le monde des esprits comme dans
celui-ci (5). » « On dira sans doute que si un esprit peut imiter
une signature, il peut tout aussi bien imiter le langage. Gela est
vrai... Que de médiums ont eu des communications apo-
cryphes signées Jésus, Marie ou d'un saint vénéré (6).» Enfin
tout se riîduit à ce principe : « Il n'y a pas d'autre critérium
(\) Livre des Médiums., p. 173.
(2) Ibid.
(3) /6Jd.,p. 327.
(4) Ibid.
(5) Ibid., p. 332.
(6) Ibid., p. 333.
4^0 LE SPIRITISME. [Torac Ml.
pour discerner la valeur des esprits que le bon sens (l). »
A notre avis, il ne faut pas d'autres aveux pour donner l'éveil
sur la gravité que présente une secte qui ne craint pas de
s'afficher ainsi.
La porte est ainsi ouverte au torrent de toutes les illusions.
Un ami consultera un esprit sur la fidélité de son ami, un
époux sur la fidélité de son épouse, un indiscret sur des se-
crets importants, des réponses malheureuses causeront d'ef-
froyables malheurs. Des esprits exciteront des époux a se don-
ner la mort, ils seront obéis. C'est l'abus, dit-on, mais l'abus
est presque inévitable quand chacun est juge, car ce sont les
passions, les préjugés de chaque particulier qui influent si
prodigieusement, on ne l'ignore pas, sur les décisions de
l'homme. Quod volmnus sanctum est. L'esprit privé qui a
trouvé dans la Révélation tant d'erreurs et de crimes, trou-
vera dans les réponses des esprits toutes les fantaisies qui lui
plairont pour insensées qu'elles soient. Et les esprits mau-
vais, qui sont si nombreux et qu'on peut à peine discerner des
bons, profiteront certainement des dispositions de leurs audi-
teurs et des diverses circonstances pour leur souffler les plus
déplorables résolutions.
Il serait facile de montrer par des exemples les fâcheux
résultats qu'amène le spiritisme par rapport à l'individu et à
la famille. Ne disons pas qu'il trouble les intelligences par une
doctrine nouvelle et bizarre. On l'a remarqué, depuis la
réforme, depuis la Révolution française, depuis l'apparition
des systèmes qui brisent le frein salutaire de la foi, le nombre
des aliénés a prodigieusement augmenté en Europe. Le spiri-
tisme est loin de calmer les esprits. Daus une seule des mai-
sons de santé de Lyon, on compte quarante personnes atteintes
d'aliénation mentale pour cause de spiritisme ! A ce sujet,
un journal disait naguère : « Le spiritisme conduit à la
« folie plus encore que la politique, et nous ne croyons pas
(1) Livre des Médiums, p. 337.
Mai I8C3.] LK srmiTISME. A\i
« qu'à aucune époque les maladies de l'intelligence aient été
« aussi répandues. Les grandes commotions sociales, d'ailleurs^
« sont toujours précédées ou accompagnées de ces invasions
« diaboliques. Ne faut-il pas que la raison humaine soit
« ébranlée pour pouvoir accepter les doctrines révolution-
« naires ? Les anciens ont pratiqué les sciences occultes et en-
« tretenu un commerce sans entraves avec les esprits, dieux
« impurs de leur Olympe impur, et quand l'Empire romain
.(( courait à sa perte, César n'avait plus foi que dans la magie.
« Une boule d'ivoire était suspendue au-dessus d'un bassin
« d'airain dont les bords présentaient un alphabet; l'esprit
« invisible agitait la boule, et la boule écrivait les réponses et
« prédisait l'avenir en frappant les diverses lettres de Talpha-
a bet. Il a été dit que deux augures ne pouvaient pas se re-
« garder sans rire, et tout le monde 4'accepter cette insinua-
« tion très maligne. Les augures, disciples du prince des
« ténèbres, ne riaient pas plus que les médiums de nos jours.
« Ils étaient marqués d'un sceau fatal. Mesmer, Cagliostro et
a la légion coupable des magnétiseurs* ont inauguré l'ère de la
« liberté; ils peuvent disputer à Voltaire, à Rousseau et aux
a écrivains philosophes du xviii* siècle, l'honneur d'avoir pré-
« paré les intelligences aux principes modernes. A cette heure,
« les ravages épouvantables du spiritisme nous annoncent les
« plus grands malheurs. Le monde est peuplé d'hommes qui
« acceptent les contradictions les plus flagrantes, qui con-
« fondent tout et se livrent tout entiers aux influences du mal.
« On voit ce que le spiritisme a fait du peuple américain, et
« quelle est eu réalité cette civilisation dont on a fait naguère
« des éloges si ridicules. Près de cinq millions dliommes ou
« femmes en Europe s'occupent avec une avide curiosité d'ex-
« périences spiritistes. La France, l'Allemagne, la Russie sur-
« tout, sont en proie à cette misère. Tout cela prépare une
« contagion de maladies mentales et une affreuse pluie d'âmes
« dans ce que l'Écriture appelle les abimes inférieurs, o
■^12 LE SPIRITISME. [TomeVn.
N'ajoutons pas que le spiritisme crée des sympathies, des
affections violentes, presque irrésistibles, et qu'il est dans les
familles une source de déshonneur ou une cause de sépara-
tion. Négligeons ce point. Ne parlons pas même de Vobsession,
qui est, comme on le sait, un des plus grands écueils du spiritisme [\).
L'obsession est l'empire que quelques esprits savent prendre
sur certaines personnes. Il y a en ce moment des populations
obsédées par de mauvais esprits. Bornons-nous à examiner les
affirmations reçues par le spiritisme comme sérieuses et vraies;
Habemus confitentem renm. « Le spiritisme combat, il est vrai,
certaines croyances, telles que réternité des peines, le feu
matériel de l'enfer, la personnalité du diable (2) etc. » A ces
erreurs, ajoutons celles qui ont été déjà relevées, touchant les
esprits, les âmes, la réincarnation, le péché originel, et la
résurrection de la chair, au sujet de laquelle on lit dans
le Livre des Esprits, p. -441 : « Ainsi l'Église par le dogme
de la résurrection de la chair, enseigne elle-même la doctrine
de la réincarnation ? — Cela est évident.. . (signé : Saint Louis!)
Le tout est suivi d'une glose qui commence en ces termes : «La
science, en effet, démontre l'impossibilité de la résurrection
selon l'idée vulgaire... » N'insistons pas sur bien d'autres hé-
résies dont fourmille la doctrine spirite.
Ces résultats doctrinaux, le spiritisme est souvent amené à
les avouer. D'autres fois, par un artifice dont rien ne masque la
ruse, il prétend ne professer que les grands dogmes reçus et
professés dans toutes les religions. « On peut donc être catho-
lique grec ou romain, protestant, juif ou musulman, et croire
aux manifestations des esprits, et par conséquent être spirite (3) . •
(1) Foyage Spirite, p. 9.
(2) Le Spiritisme à sa plus simple expression, ]). ^o.
(3) Ibid., p. 15. Il y a ici une obscurité qu'il faut éclairer. On peut
croire que les manifeslalions oui lieu, oui, mais y croire à la façon des
spiriles, ou ne le peut pas sous peine de cesser d'être caiholique
puisqu'il faudrait admettre des erreurs proscrites par la sainte Église.
Mai 1863.1 LE SPIRITISME. 413
Il ne prétend s'imposer qu'aux incertains et aux incrédules ;
« il ne les enlève pas à l'Église puisqu'ils s'en sont séparés
moralement, en tout ou en partie ; il leur fait faire les trois
quarts du chemin pour y rentrer; c'est à elle de faire le
reste (1). » Les dogmes ne sont pas des kilomètres; même en
niant un seul d'entre eux, on peut être aussi éloigné de l'Église
qu'en les niant tous eu presque tous. Donner à Dieu 1 démenti
sur un point ou le lui donner sur plusieurs, c'est tout un ; c'est
le même péché s'étendant à un ou plusieurs objets. Après avoir
avancé cette fausseté insigne que la foi catholi(jne est aveugle,
le spiritisme prétend donner des dogmes une interprétation
rationnelle qui ramène à la foi ceux qui la désertent. Il dit :
Voyez, touchez, comprenez et croyez! Système déplorable, qui
ronge jusqu'à l'écorce la substance des dogmes caholiques, ne
leur laissant que de stériles contours; illusion funeste autant
que grossière, dont le vice est de supposer que les vérités
catholiques ne peuvent s'accorder avec la raison ; inexplicable
prétention qui^ si elle se réalisait;, ferait que les catholiques se
pervertiraient, mais ne produirait pas la conversion des in-
crédules ! Par où l'on voit qu'après avoir détruit plusieurs des
affirmations catholiques par un grand nombre d'hérésies for-
melles, le spiritisme en vient à méconnaître la foi chrétienne
et à la détruire même! A fructibus eorum cognoscetis eos!
Il prétend enfin n'être quune morale. Comme morale, il se
dit exclusivement chrétien et prêche en toutes manières la
charité. La charité et la fraternité sont, en effet, des vertus
essentiellement chrétiennes, tellement chrétiennes, qu'en de-
hors de l'Eglise on n'en trouve que des contrefaçons plus ou
moins ressemblantes. Mais bien croire est le fondement de
bien vivre ; sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ; la
grâce seule peut aider l'homme à remplir toute la loi natu-
relle. D'où il résulte que le spiritisme, quoiqu'il semble
(l) Le Spiritisme à sa plus simple expression, p. 15.
i\^ LE SPIRITISME. [Tome VU.
prêcher la charité et la morale, ne peut et ne pourra en obte-
mr la pleme réalité, à raison de la position où il place les
âmes. La véritable Église, par ses dogmes, ses sacrements et
sa loi, produit et peut produire seule la grâce, et, avec la grâce,
la charité, qui est une vertu théologale et surnaturelle, bien
que certaines âmes volontairement pécheresses se privent par
leur faute de ces effets divins. C'est ici la faute des particu-
liers, ce n'est pas celle de l'institution. Mais le spiritisme est
radicalement empêché de produire ce qu'il désire tant pour
couvrir ses hérésies; et ce qu'il pourra obtenir en cette ma-
tière ne sera jamais qu'une fausse monnaie. En dehors de
Jésus-Christ qui est la voie, la véinté et la vie, il n'obtiendra
pas, ne pourra jamais obtenir des vertus surnaturelles; il n'ar-
rivera tout au plus qu'à certains effets rares, courts et partiels,
de vertus humaines et de morale vulgaire. La division est dans
son camp : deux Revues sont en divergence à Paris, et pour peu
qu'on lise le voyage fait en 1862 par le chef du spiritisme, on
y trouve la trace évidente de bien des dissonances intérieures.
Cet extérieur de fraternité qu'il affecte lui manquera, comme il
a manqué aux révolutionnaires qui criaient : fraternité ou la
mort; comme il a manqué et manque aux sociétés secrètes
qui s'intitulent sociétés de secours. Sans grâce, pas de vraie
charité, sans Jésus-Christ pas de grâce, sans la foi catholique
pas de Jésus-Christ !
Sans doute, Dieu, qui se sert de tout pour l'exécution de ses
desseins, a pu permettre que le spiritisme retirât certains
hommes des maux et des vices où ils étaient plongés, et les ame-
nât à ridée de l'âme, des esprits, de l'avenir, du bien et du
mal. Cela prouve que le spiritisme renferme certaines vérités,
mais cela ne prouve nullement qu'il concorde avec la religion
catholique. L'apparition des esprits peut amener par accident
quelques âmes à se convertir à un certain mieux, mais elle
est pour un nombre beaucoup plus considérable l'occasion de
la perte de la foi et peut-être de la vertu : c'en est assez pour
M«i 18 3.| LE SPIRITISME. 4^S
que le démon préfère la ruine de plusieurs à celle d'un moindre
nombre. Cet esprit infernal, ne disant la vérité que pour
romper, n'est jamais plus à craindre que lorsqu'il dit des
choses qui paraissent acceptables. On se défie moins du piège.
La doctrine spirite plaît , dit le Voyage spirite (p. 28),
« 1° parqu'elle satisfait l'aspiration instinctive de l'homme vers
l'avenir; 2° parce qu'elle présente l'avenir sous un aspect que
LA RAISON PEUT ADMETTRE ; 3" parce que la certitude de la vie
future fait prendre en patience les misères de la vie présente;
4» parce qu'avec la pluralité des existences, ces misères ont une
raison d'être, on se les explique et au lieu d'eu accuser la Pro-
vidence, on les trouve justes et on les accepte sans murmure;
5° parce qu'on est heureux de savoir que les êtres qui nous
sont chers ne sont pas perdus sans retour, qu'on les reverra
et qu'ils sont souvent auprès de nous ; 6» parce que TOUTES les
maximes données par les esprits tendent à rendre les hommes
meilleurs ; et bien d'autres motifs que les spirites seuls peuvent
co77iprend)'e {\). » A la page 30 : « La charité remplaçant
l'égoïsme, toutes les institutions sociales seront fondées sur le
principe de la solidarité et de la réciprocité; le fort protège
le faible au lieu de l'exploiter. C'est un beau rêve, dira-t-on ;
malheureusement ce n'est qu'un rêve ; l'homme est égoïste
par nature, par besoin, et le sera toujours. S'il en était aussi,
et ce serait triste, il faudrait alors se demander dans quel but
le Christ est venu prêcher la charité aux hommes; autant aurait
valu la prêcher aux animaux. »
Tels sont les effets doctrinaux, les effets moraux que pro-
duit le spiritisme, telle est la manière dont il s'y prend pour
cacher son mystère diabolique sous des dehors déguisés, sous
des apparences de raison, de progrès et de charité. Voilà pour-
quoi on lui fait pousser les hauts cris lorsqu'on le démasquant
(1) Ceci est peut-être une allusion à celte autre pensée : « Vavène-
menl du spiritisme marquera l'ère de l'émincipalion légale de la
femme [f^oyage Spirite, p. 57.)
4^6 LE SPIRITISME. ITomeVlL
OU lui crie : Arrière Satan ! tu ne nous offres que le culte hi-
deux de celui qui fut trompeur et homicide dès le corn mence-
ment.
Disons-le donc en terminant, le spiritisme n'a rien de com-
mun avec le catholicisme. Les points de contact qu'il semble
conserver, il les altère complètement. La Revue spiritualiste
était plus franche quand elle disait: « Non, cathoHques ou
spiritualistes, il faut choisir. » Et l'on n'i;^nore pas que des
hommes marquants de la secte ont refusé, à l'heure de la
mort, les sacrements de la sainte Église, malgré les plus vives
instances, et ont été privés des honneurs de la sépulture
chrétienne.
Nous aurions voulu, dans un dernier aperçu, dire les points
de contact que le spiritisme offre avec les idées courantes,
indiquer ses essais d'argumentation contre la doctrine catho-
lique. — Ce qui a été déjà exposé remplit équivalemment ce
but : idée de progrès, d'amélioration, exposition plus ration-
nelle de tout ce qui est surnaturel, charité remplaçant tout,
services signalés rendus à l'Église par le spiritisme, c'est là ce
que nous retrouverions.
Le progrès du culte des démons s'explique donc ainsi : ce
qui le propage, c'est ce qui a toujours propagé les erreurs et
les folies. L'homme est extrêmement curieux. Tout ce qui est
extraordinaire le sollicite à un très-haut degré. Le spiritisme
flatte au plus haut point ce penchant si vif. Le merveilleux, qui
n'est que le curieux à sa plus grande puissance, se trouvant
dans toutes les opérations spirites, la nature humaine s'y sent
comme eulrainée. De son côté, le démon y pousse, et on peut
dire que le spiritisme est aujourd'hui la tentation publique de
la société. Notre siècle est un siècle d'amoindrissement. Les
principes s'en vont ou se mitigent. Tout est plein d'esprits
mitoyens à qui toute conviction vigoureuse déplaît et qu'une
Mai 1863.] LE SPIRITISME. 4-17
afErmation nette et positive froisse et irrite. Or, voici le spiri-
tisme qui, admettant ou négligeant également tous les sym-
boles, comme autant de formes diverses et pareilles des
dogmes, ne s'attache qu'à la charité : Soyez justes ! aimez-
vous ! le reste est arbitraire! Voilà les dogmes ou supprimés ou
adoucis. Aujourd'hui, on veut tout réconcilier ou concilier; la
divine et nécessaire expression des affirmations catholiques, il
faut bien la faire accepter des hommes modernes, et le spiri-
tisme en donne une explication rationnelle, qui les détruit, il
est vrai, mais peu importe ! la réconciliation se fait ainsi. On ré-
concilie de nos jours la religion comme autrefois Luther la ré-
formait : on la tue. Le progrès est le grand mot, qui, à lui
seul, fait courir les esprits; le spiritisme, à son tour, s'annonce
comme le grand progrès et la dernière religion. Il aSranchit
toutes les âmes : pas de règles, sinon de s'aimer beaucoup!
Et nous disons, nous : Le spiritisme n'est pas la liberté, il
est l'asservissement de l'homme sous le joug du démon. Le
spiritisme n'est pas le progrès, il est un retour aux super-
stitions les plus surannées. Il n'est pas la conciliation, il
est la négation du dogme catholique et de la sainte Église, il
est la sentiue de toutes les hérésies. 11 n'est que le merveilleux
diabo ique et un piège de Satan.
Son progrès n'est pas plus étonnant que la marche du feu,
quand il dévore des champs couverts de moissons mûres et
desséchées. Ce élan rapide d'un système si effroyablement
dangereux, prouve de la manière la plus triste combien
l'ignorance religieuse est graude de nos jours. La religion
n'est pas connue, les passions ont grandi avec l'ignorance et
le démon prend dans les cœurs la place de Jésus-Christ.
Concluons donc que le spiritisme est une hérésie très-dan-
gereuse à tous les points de vue, qui doit vivement inquiéter
tous ceux en qui n'est pas éteint le désir du bien et de l'ordre
public.
Il a déjà occupé plusieurs Revues chrétiennes qui se sont
-Î^S LE SPIRITISME. ITomeVU.
émues de son apparition. Il a été combattu parle R. P. Matignon
{Les Mo7Hs et les vivants, Paris, 1865), par le R. P. Nampon
{DuSpiritisme,LjOTi, 1863), par M. le curé de Vaisse, {Instruc-
tion sur le spiritisme, Lyon, 1863), par M. l'abbé Gonet {Le
Spiritisme, précis historique et doctrinal, Avignon, 1863). Ces
ouvrages seront lus avec intérêt et profit.
Ceux de nos lecteurs qui nous ont demandé des détails sur
les démons, pourront en trouver, sans trop de difificultés, dans
S. Thomas, Somme Théologique (i p., q. 114-, a. 4, — et 2, — 2,
q. 93); — dans le D"" Klée, Histoire des Dogmes chrétiens, t. i,
p. 360 ; — dans M. Thiboudet, des Esprits et de leurs rapports
avec le monde visible; — dans les sermons de Bossuet. Nous in-
diquons ces ouvrages parce qu'ils sont assez faciles à consul-
ter. Il va sans dire que les grands théologiens seront lus
avec profit sur un sujet qui malheureusement acquiert trop
d'importance à cause de la ruine de tant de pauvres âmes.
« Populus meus IN ligxo suo interrogavit et baculus ejus an-
nuntiavil ci : spiritus enim fornicationum deccpit eos et fornicati
sunt a Deo suo. » (Osée, iv, 12.)
N. C. Le Roy.
LE CELEBRE CONFLIT
ENTRE
SAINT ÉTlENNi!: ET SAINT GYPRIEN.
Troisième article (i).
VIL
Le Concile de Carthage, dont on allègue les actes (2) , est
apocryphe.
l. Dans l'hypothèse que cet important concile eût été réel-
lement célébré, le fait de sa célébration et l'authenticité de
ses actes auraient été de notoriété publique au temps de saint
Augustin, c'est-à-dire i40 ans après; et lorsque les Donatistes
s'en firent une arme en faveur de leurs doctrines, saint
Augustin ne se serait pas trouvé dans une complète ignorance
par rapport au document allégué ; il n'aurait pas pu le révo-
quer en doute. Il s'agit, en efîet, d'une assemblée des plus con-
sidérables, puisque le nombre des évêques, selon la teneur des
actes, y fut de 87. Il aurait eu pour objet une cause des plus
célèbres, qui mettait en commotion les éghses d'Afrique, après
avoir agité celles de l'Orient. Il aurait jugé et condamné le
jugement du Pontife romain, qui décidait et ordonnait de ne
pas rebaptiser les hérétiques. En un mot, ce concile eût été
pour l'Église entière et surtout pour les chrétientés d'Afrique,
(^) Voir les numéros de mars et avril 1863.
(2) Voir ces actes dans Labbe, t. i, col. 786, éd. de Paris, 167^ .
420 SAINT ETIENNE [Tome VII.
un des plus célèbres événements du troisième siècle. Il était
donc impossible que, 140 ans après, l'bistoire d'un pareil
concile ne fût point connue des évèqnes du pays avec une
complète certitude. En supposant que les actes originaux en
eussent été détruits par suite des persécutions survenues, le
fait de sa célébration et de son décret opposé à celui du Pontife
romaiu, auraitjdû se transmettre, et par les écrits et même
par la seule tradition orale, de manière à exclure toute possi-
bilité de doute.
Eli bien, c'est le contraire qui a lieu. Lorsque les Donatistes
objectèrent ce Concile à saint Augustin, que répondit ce grand
évêque? Justement ce qu'on a coutume de répondre à ceux
qui allèguent un document dont l'authenticité n'est nullement
constatée, et dont on a droit de ne tenir aucun compte. Nam et
vos, leur dit-il, profei'tis concilium Ci/priani, guod aut non est
factunif aut cxteris unitatis membris a quibus ille non divisus
est metnto superatum. Neque enim propterea svmus Cypriano
meliores, si tamen censuit hsereticos denuo baptizari (contra Cres-
coniura, lib. !, c. 32) Ainsi, pour saint Augustin, le prétendu
concile était un fait ignoré, dont il ne trouvait aucune preuve.
Autrement il n'aurait jamais osé dire : Aut no7i est factum...
Si tamen censuit (Cyprianus) hxi^eticos denuo baptiza^^i. Loin de
trouver une preuve d'authenticité, il atteste que toutes ces
pièces attribués à saint Cyprien étaient regardées par plusieurs
comme l'œuvre de faussaires, sub ejus nomine a mendacïbus
fuisse confictum.
De cet état des esprits au temps de saint Augustin, on doit
conclure que le prétendu concile est apocryphe; et l'on peut
résumer ainsi la preuve : s'il était authentique, on en aurait
eu, au temps de saint Augustin, une connaissance certaine :
il fut au contraire alors l'objet du doute et de la dénégation ;
donc, il doit être tenu pour apocryphe.
2. Ce Concile fait mention de la lettre de saint Cyprien à
Jubaianus, laquelle de son côté mentionne la lettre aux évê-
Mai 1803 1 ET SATNT CYPRIEN. 421
ques de Numidie et à Quintus. Or, ces trois lettres sont apo-
cryphes, comme il a été prouvé précédemment; donc les actes
du prétendu Concile sont pareillement apocryphes.
3. Ces actes renferment une erreur dogmatique entièrement
opposée à la doctrine bien connue de saint Cyprien. On y lit :
f Neque eriim qnisquam nostrum episcopum se esse episco-
0 porum constituit, aut tyrannico terrore ad obsequendineces-
« sitatem coUegas suos adigit; quando habeat omnis Episco-
« pus pro licentia libertatis et potestatis su» arbitriura pro-
« pruim, tanquam judicari ab alio non passif, cum nec ipse
« possit alterum judicare; sed expectemus universi jndicium
a Domiui nostri Jesu Ghristi, qui unus et solus habet potestatem
« et prxponendi nos in Ecclesix sux gubernatione, et de actu
« nostro judicandi. » (Labbe, t. 1, col. 786.) Par ces mots, les
évèques sont déclarés radicalement indépendants les uns des
autres. Aucun ne reçoit son institution d'un autre; aucun n'a
le droit d'en juger et d'en déposer un autre. C'est la négation
lapins formelle de toute primauté de juridiction de l'évêque
de Rome, successeur de saint Pierre, et même la négation de
tout pouvoir des conciles sur chaque évêque. Or la doctrine
bien connue de saint Cyprien est complètement opposée à ces
erreurs. On sait combien son livre de Unitate Ecclesix fournit
de passages en faveur de la primauté de l'Église romaine.
Mais il suffit de mentionner la lettre au pape saint Etienne (la
67^, éd. de Baluze) relative à Marcien, évêque d'Arles, qui
favorisait l'hérésie des Novatiens : il l'exhorte à écrire aux
évêques de cette province, afin qu'ils se réunissent en Concile,
pour déposer Marcien et mettre un autre évêque à sa place.
C'était reconnaître à l'Église romaine un pouvoir sur les autres
églises, c'était reconnaître expressément qu'un évêque peut
être jugé et déposé par d'autres évêques. Comment supposer
que ce même saint Cyprien ait professé cette absurde maxime,
qu'aucun évêque ne peut en juger un autre !
En outre, les mots unus et solus (Ghristus) habet potestatem
ii'l SAIXT Érii;\NE [Tome VII.
prxponendi nos in Ecclesix gubernatione, excluent l'institution
des évêques par le Poutife romain, soit médiate soit immédiate',
ce qui est une autre erreur dont ou charge saint Cyprien en
regardant le Concile en question comme authentique.
4. Diverses circonstances nous fournissent encore, sinon
une preuve rigoureuse de fraude, au moins de forts indices.
Le Concile aurait commencé le i^»" septembre 256. Or, à cet^e
époque, régnait une peste qui dura dix ans, el qui avait com-
mencé en 252, comme le rapportent Gedrenus, Philostrate et
Zonaras. Il n'est pas vraisemblable que les évêques des trois
provinces d'Afrique, la Numidie, la Mauritanie et la Tripoli-
taine, aient quitté leurs églises en nombre si extraordinaire,
pendant que le fléau y sévissait, pour se rendre à Carthage,
lieu si éloigné pour la plupart d'entre eux, et cela, à l'époque
des grandes chaleurs.
Un autre indice de fraude est l'absence de neuf évêques
de la Numidie, dont les noms se retrouvent dans la lettre
synodale précédemment adressée aux évêques Numides, et
dont aucun ne se retrouve parmi les souscriptions ' du pré-
tendu Concile.
5. Le but de ce troisième concile aurait été de se prononcer
solennellement contre le décret du pape saint Etienne. Les
évêques d'Afrique avaient déjà manifesté dans deux conciles
leur sentiment sur la question du baptême. Ils eu avaient in-
formé le Pape par leur lettre synodale. Si saint Cyprien les
réunit de nouveau en plus grand nombre, c'est pour discuter
le décret survenu du Pontife romain, pour le rejeter, pour lui
opposer l'autorité d'un concde. Tel aurait été l'objet de ce
troisième synode, au sentiment de ceux qui le regardent comme
authentique.
Dans cette hypothèse, l'ensemble des débats a dû rouler sur
le décret du Poutife romain. Il devrait en être fait mention
dans presque tontes les lignes des actes. Or, on n'y trouve pas
une syllabe, ni sur le pape saint Etienne, ni sur son décret.
Mai)Sf3 1 ET SAINT CYPR)EN. .^23
On a dit : C'est par respect que les Pères n'en parlent pas
directement, mais ils y font assez allusion dans ce passage :
Neque enim quisquam nostrum episcopum se esse episcoporum
constitiiit, aiit tyrannico terrore ad obsequendi necessitatem col-
Icgas suos adigit, etc. — Étrange respect, que de rejeter un
décret du Saint-Siège sans en faire mention^ et d'ajouter une
allusion où le Pape est traité de tyrayi ! Au surplus, cette expli-
cation ne résout pas la difficulté. Puisque le concile a été con-
voqué à cause du décret de S. Etienne, il est impossible qu'il
n'y ait pas été question de ce décret. Les actes rapportant en
détail ce qu'a dit chacun des 87 évêques, devraient contenir
ce qui a été dit sur et contre le fameux décret. Or, ce sujet, le
principal, pour ne pas dire l'unique objet de tous les discours
et de tous les débats, ne se trouve pas mentionné par une
seule phrase. Nous eu concluons que ces actes sont apocryphes.
6. La contradiction signalée dans plusieurs pièces précé-
dentes se retrouve aussi dans ces actes. Les pères du Concile
se prononcent pour la nullité du baptême conféré par les héré-
tiques. Ils devaient en conclure que l'évêque ne peut pas, ne
doit pas refuser le baptême àceuxqui revienuent de l'hérésie.
Au lieu de cette conclusion, on trouve celle-ci : Neminem judi-
cantes, aut a jure communionis aliquem, si diversum senserit,
amoventes ; ce qui équivaut à dire que chaque évêque est libre
de laisser sans baptême les hérétiques convertis.
Ainsi, tout indique une œuvre de faussaires. Pour rendre vrai-
semblable l'histoire inventée du célèbre conflit, ils out imaginé
de confirmer les fausses lettres par un faux concile. La fraude
portant à la fois sur tant de pièces a dû en imposer. Néan-
moins, elle se trahit ; une critique attentive finira par la con-
stater complètement.
VIIL
La lettre de saint Cyprien à Magnus est apocryphe.
Cette lettre [PatroL Migne, t. m, col. H 37), aurait été écrite.
424 SAI^T ETIENNE iTonit VII.
non pas la première, comme quelques auteurs l'ont pensé,
mais la dernière, relativement aux autres dont il a été fait
mention. Nous le concluons de sou exorde : Consuluisti... an
inter cxteros hxreticos eos quoque qui a Novatiano veniunt..,
baptizari oporteat. Ces paroles supposent que la question avait
été précédemment discutée par rapport aux hérétiques en gé-
néral, puisque Magnus demande seulement s'il faut y com-
prendre aussi les Novatiens. Mais laissant de côté cette circon-
stance, voici les raisons qui nous font regarder aussi cette pièce
comme apocryphe.
l.L'auteurde la lettre s'évertue àprouver que les Novatiens
sont véritablement hors de l'Église catholique. Or, à l'époque
où elle aurait été écrite, c'est-à-dire après la mort du pape
Corneille, comme cela résulte du texte que nous aurons bientôt
à citer, les Novatiens avaient déjà été condamnés. Leur sépa-
ration de l'Église était un fait de notoriété publique, et n'avait
par conséquent besoin d'aucune preuve. L'auteur de la fraude
se trahit par cette preuve inutile.
2. On ne doit point supposer que saint Gyprien ait employé
un raisonnement que ses adversaires ne pouvaient manquer de
rétorquer, et par lequel il se serait condamné lui-même. C'est
néanmoins ce qu'il faudrait prêter à ce saint, si la lettre à
Magnus était authentique. Il y est dit ; Ecclesia una est, qu3&
una et intus esse et foris non potest; si enim apud Novatianum est,
apud Cornelium non fuit; si vei^o apud Cornelium fuit, qui Fa-
biano episcopo légitima ordinatione successit, et quem prsite)'
sacerdotii honorem martyrio quoque Dominus gloinficavit, Nova-
tianus in Ecclesia non est. D'autre part dans son traité de Uni-
tate Ecclesias., saint Cyprien s'exprime ainsi ; Qui Fcclesix
renititur et resistit., qui cathedram Pétri super quam fundata est
Ecclesia deserit, in Ecclesia se esse confidit?... Hanc Ecclesix
unitatem qui non tenet, tenere se fidem crédit ? En supposant
que la résistance de saint Cyprien au pape saint Etienne ne
soit pas une chimère, les Novatiens nauraient pas manqué de
Mail8C3.1* ET SAINT CYPRIEN. 423
lui appliquer son propre raisonnement. Ils lui auraient dit :
« S'il est vrai, comme vous l^afïirmez, qu'on n'est plus dans
l'Église quand on résiste à la chaire de saint Pierre, c'est-à-
dire au Pontife romain ; si Novat^ en résistant au pape
Corneille, s'est mis par là même hors de l'Église, vous-même
vous devez vous regarder comme séparé de l'Église, puis-
qu'actuellement vous résistez à cette même chaire de saint
Pierre, à Etienne, successeur de Corneille. » Si la lettre à
Magnus était authentique, si le célèbre conflit était réel, les
Novatiens auraient accusé saint Cyprien de contradiction. Il
aurait eu à s'en défendre ; ses écrits et les autres monuments
historiques attesteraient cette controverse. Or, il n'y en a pas
le moindre vestige.
3. On ne saurait admettre que saint Cyprien se soit oublié
jusqu'à traiter de fauteurs d'Antechrists, de prévaricateurs de
la foi, de traîtres à U Église, d'entêtés et d'indisciplinés, ceux
qui préféraient à son sentiment celui du Pontife romain. Illud
mirandum est, dit la lettre à Magnus, immo indignandum potius
et dolendum, christianos Antichristis assistere, et prxvaricatores
fideiatque E cclesix proditores intus in ipsa Ecclesia, contra Eccle-
siam stare. Qui, quanquam pertinaces alias et indociles, etc.
D'autre part, la conclusion de saint Cyprien exprimée, comme
nous l'avons vu, dans plusieurs pièces qui lui sont pareillement
attribuées, aurait été seulement que chaque évêque est libre
de suivre le sentiment contraire, et qu'il ne juge personne:
Nemini prœscribentes aut prssjudicantes, quominus unusquisque
Episcoporum quod putat faciat, habens arbïtrii sui liberam pote-
statem (ep. ad Jubaianum). Ainsi, saint Cyprien aurait dit au
pape saint Etienne et à ses adhérents : Je ne vous juge pas ;
chacun de vous est libre de suivre son sentiment ; et en même
temps il les aurait déclarés prévaricateurs de la foi, fauteurs
d'Antechrists, traîtres à l'Egli'^e, entêtés et indisciplinés. Pour
agir ainsi, il faut plus que de l'emportement et de la passion;
il faut une rare inconséquence. On ne saurait donc admettre
426 SAINT ETIENNE [Tome VII,
que le grand saint Cyprien soi^ l'auteur de la lettre à Maguus,
non plus que des autres pièces relatives au prétendu conflit.
IX.
La lettre de Firmilien à saint Cyprien est apocryphe.
Morel est le premier qui l'ait publiée. Latini n'avait pas cru
devoir l'admettre dans l'édilion des œuvres de saint Cyprien,
faite auparavant à Rome, ne jugeant pas qu'une pièce aussi
insolente méritât d'être imprimée. Pamelius avertit qu'il ne
l'aurait pas éditée, si elle ne l'avait déjà été par Morel. Erasme,
qui nous dit avoir suivi des manuscrits fort anciens, et quia
édité les lettres de saint Cyprien à Jubaianus et à Pompeius,
ne dit pas un mot de la lettre de Firmilien, ce qui suppose, ou
qu'il ne Ta point connue, ou qu'il l'a regardée comme cer-
tainement apocryphe. Quant au gallican Baluze, il l'édite plus
que volontiers, et comme un monument précieux, en nous
avertissant qu'on l'a trouvée dans 26 manuscrits. Nous disons
qu'elle est l'œuvre des mêmes faussaires.
1 . Elle est passée sous silence par trois auteurs qui auraient
dû la mentionner s'ils l'avaient connue, savoir : saint
Augustin, Eusèbe et Denys d'Alexandrie.
Saint Augustin parle des pièces qu'alléguaient les Do-
natistes pour prouver la résistance de saint Cyprien au pape
saint Etienne surla question du baptême. La lettre de Firmilien
eût été la plus saillante, celle qui aurait le plus eml)arrassé
saint Augustin. Néanmoins il n'en parle nulle part. Donc les
Donatistes ne la lui objectaient pas, ce qu'il n'auraient pas
manqué de faire s'ils l'avaient connue, et si, comme on le
prétend, saint Cyprien l'avait traduite en latin et publiée.
En supposant que le troisième chapitre du livre VII de
l'Histoire d'Eusèbe fût de cet auteur (question qui sera dis-
cutée plus tard), il devrait y être fait mention de la lettre de
Mai 1863.] BT SAINT CYPRIEN. 427
Firmilien. Car, en cetendroit, Eusèbe rapporte le conflit entre
saint Cyprien et saint Etienne; et comme la lettre de Firmilieu
est le monument le plus remarquable de cette célèbre contes-
tation, Eusèbe n'aurait pas manqué de la mentionner, s'il
l'avait connue. Sou silence fait conclure qu'il l'a ignorée.
Enfin, nous avons deux lettres d'un auteur contemporain,
Denys évêquc d'Alexandrie, où il est question de Firmilien et de
son opinion sur le baptême des bérétiques. L'une est adressée
au pape saint Etienne, l'autre à son successeur, le pape saint
Sixte. Denys s'entremet auprès de ces papes pour qu'ils n'agis-
sent pas avec rigueur à l'égard de Firmilien, mais il ne parle
pas de la lettre de ce dernier à saint Cyprien. Si Firmilien eût
réellement écrit cette lettre, dont l'insolence à l'égard du Saint-
Siège surpasse tout ce qu'on peut imaginer, Denys en aurait
eu connaissance, et dès lors il se serait bien gardé de se porter
en conciliateur. Nous reviendrons plus loin sur la démarche
de l'évoque d'Alexandrie. Ici nous disons seulement qu'il passe
sous silence la lettre de Firnwlien, et que, s'il l'avait connue,
il n'aurait pas écrit comme il l'a fait aux deux papes men-
tionnés. Faisons remarquer en passant qu'il y avait eu, en effet,
un dissentiment entre Rome et quelques évoques de l'Orient
au sujet de la rebaptisation de certains bérétiques. Les lettres
de Denys d'Alexandrie en sont une preuve. S'emparant de ce
fait vrai, les faussaires d'Afrique fabriquèrent la prétendue
lettre de Firmilien et complétèrent ainsi l'histoire controuvée
de la résistance de saint Cyprien. Tout ludique néanmoins que
ce complément frauduleux fut postérieur a saint Augustin,
tandis que les autres pièces apocryphes auraient déjà circulé
auparavant.
Une autre circonstance à remarquer, c'est qu'il n'est nulle-
ment fait mention de cette lettre de Firmilien dans les écrits
qui nous restent de saint Cyprien, quoique ce père n'ait cueilli
que trois ans après la palme du martyre. Au reste on n'a pas
le texte grec de la lettre de Firmilien. On en attribue la traduc-
428 SAINT ETIENNE [Tome MI.
lion latine à saint Cyprien; mais ce n'est qu'une conjecture des
érudits, qui n'eu donnent aucune preuve.
2.Lesévènemens qui, d'après la lettre deFirmilien, auraient
eu lieu depuis le 1" septembre 256 jusqu'au l^'' décembre de
la même année, n'ont pas pu s'accomplir dans un si court
espace de temps. La lettre est donc apocryphe. Le dévelop-
pement de cette preuve fait l'objet du § 5. Nous ne faisons
ici que l'indiquer.
3. Il est impossible d'attribuer cette lettre à saint Firmi-
lien comme auteur, ou à saint Cyprien comme traducteur, à
cause de l'insolence, de l'emportement et des injures dont elle
esL remplie à l'égard du pape saint Etienne, et dont elle sup-
pose que ce Pontife aurait usé le premier.
Firmilien est compté par Eusébe (1. vu, c. 5) au nombre des
plus illustres évèques de l'Orient. 11 assista, l'an 234, au
concile d'Icône, où il fut décidé que le baptême, tel que le con-
féraient les hérétiques appelés cataphrygeSy n'était pas valide. Il
présida le premier concile d'Antioche, qui condamna Paul de
Samosate. Les pères du second Concile d'Antioche l'appellent
beatx recordationis vïrum. Saint Basile en parle en termes
élogieux dans sa lettre à Amphiloque (Op. t. m, col. 63, éd.
Bened.). Eutin, les Grecs le mettent au rang des saints et cé-
lèbrent sa mémoire le i8 octobre. Tel fut Firmilien, évêque de
Césarée enCappadoce. Voici maintenant un aperçu de la lettre
qu'on lui attribue.
Dans l'exorde, l'auteur recommande l'uniou, rappelle le
passage de l'Ecriture : Ecce quam bonum et voluptabile est ut
habitent fratres in unum, et dit que les anges se réjouissent de
notre concorde et s'attristent de nos dissensions. Puis, tout-à-
coup, s'emportant contre le pape saint Etienne, il le remercie
ironiquement de sou inhumanité, sans la(iuelle il n'aurait pas
eu le plaisir de recevoir une lettre de saint Cyprien; il le com-
pare à Judas Iscariote, et le traite d'audacieux, d'insolent et de
malfaiteur : « iSisi quod nos gratiam referre Stephano in isto
Mai 18:2.] ET SAINT CYPRIEN. 42^
possumus, quod per illius inhumanitatem, nunc effectum sit ut
fidei et sapientiœ vestrœ experimeutum caperemus. Sed non
enim si nos propter Stephanam hanc beneficii gratiam cepi-
mus, statiin Sieplianus beneficio gralise digna commisit. Neque
enim et Judas perfidia sua et proditione, qua scélérate circa
salvalorem operatus est, dignus videri potest quasi causam
bonoi'um tantorum ipse prsestiterit, ut per illuni mundus et
gentium populus passione Dominiliberaretur. Sed hœc intérim
quse ab Stephano gesta sunt prœtereantur ; ne, dum audaciss
et insolentisô ejas meminimus, de rébus ab eo improbe gestis
longiorem mœàlitiam uobis inferamus.» {Patrol. Migne, t. m,
col. dl30.)
Peu après ce passage, on rencontre une erreur sur le sacre-
ment de pénitence. Le ministère sacerdotal y est réduit à
donner aux pécheurs l'intelligence de leurs fautes : « Non quasi
a nobis remissionem peccatorum consequautur, sed ut per nos
ad intelligentiam delictorum suorum convertantur, et Domino
plenius satisfacere cogantur. » {Ibid. col. H58.)
yauteui de la lettre reproche au pape saint Etienne d'avoir
osé rompre l'unité de l'Église, et d'avoir difîamé les apôtres
saint Pierre et saint Paul : a Quod nunc Stephanus ausiis est
facere, rumpeus adversuni vos pacem, quam semper anteces-
sores ejus vobiscum amore et honore mutuo custodieiunt, ad-
huc etiam infamans Petrum et Paulum beatos Apostolos, quasi
hoc ipsi tradiderint {ibid. col. 1159). » Ce qui avait été dit par
le pape saint Etienne est traité de ridicule {ibid. col. I IGO), et
d'absurde (col. 1162). L'auteur de la lettre parle de l'aveugle-
ment de ce pape., quanta sit excitas ejus {ibid. co]. 1168). II
s'indigne de sa sottise manifeste : « Atque ego in bac parte
juste indignor au hanc tam apertam et manifestam Stephani
slultitiam {ibid. col. 1 169). d II affirme qu'en agissant ainsi le
Pontife romain est entré en communication avec les hérétiques
[ibid.). Puis il s'écrie : Et non puuet Stephanum hoc asserere, ut
etc. {ibid. col. 1172). Nous allons transcrire, sans ajouter
430 SAINT ÉHENNE [Tome VII.
aucune réflexion, quelques autres extraits de celte lettre, en
nous contentant de souligner les mots lesplus injurieux.
« Non raetuis judicium Dei, hœreticis testimonium contra
Ecclesiam perhibens ?...Quin imo tu hxreticis omnibus pejor es...
Nec intelligis animas eorum de manu tua exquiri cum judicii
dies venerit ?... Et insuper iudignaris ! Vide qua imperitia
reprehendere audeas eos qui contra mendacium pro veritate
uituntur... Lites enim et dissensiones quantas parasti per eccle-
sias totius mundi ! Peccatum vero quam magmim tibi exagge-
rasti, quando te a tôt gregibus scidisti ! Excidisti enim teip-
swm; noli te fallere ; siquidem ille est \ere schistnaticus qui
se a communione ecclesiasticee unitatis apostatam fecerit.
Dum enim piitas omnes a te abstineri posse, solum te ah omni-
hus abstinuisti. Nec te informare ad regulam veritatis et pacis
vel Apostoli preecepta potuerunt monentis et dicentis : Obsecro
ergo vos ego vinctus in Domino, digne ambulare vocatione qua
vocati estis, cum omni bumilitate sensus et lenitate, cum
patieutia sustinentes invicem in dilectione... Hsec Apostoli
mandata et monita salutaria quam diligenter Stepbauus
implevit, liumilitatem sensus et benignitaiem servans ! Quid
enim humilius aut lenius quam tôt episcopis per totum mun-
dum dissensisse, pacem cum siagulis varie discordiae génère
rumpentem, modo cum orientalibus, quod nec vos latere con-
fidimus, modo vobiscum,quiin meridie estis ; a quibus legatos
episcopos patienter satis et leniter suscepit, ut eos nec ad ser-
monem saltem coUoquii communis admilteret ; adhuc insnper
dilectionis etcbaritatismemorprseciperet fraternitati univers»
ne quis eos in domum sua m reciperet, nt venientibus non so-
lum pax et communio, sed et lectum et liospitium negaretur !
Hoc est servasse unitatem Spiritus in conjnnctione pacis, ab-
scindere se acharitatis uuitate, et alienum se per omniafratri-
bus facere, et contra sacramentum et iîdem contumacis furore
discordix rebellare ! Apud talem potest esse unum corpus et
unus spiritus, apud quem fartasse ipsa anima unanon est, sic lu.
Mai 1863] ET SAINT CYPRIEN. 43f
brica et mobilis et incerta ?... Et tamen 7i07i pudet Stephanum
talibus adversus Ecclesiam palrocinium praêstare et propter
haereticos asserendosfraternitatem scindere; insuper et Cypri-
anura pseudo-christum etpsevÂo-apostolum et dolosum operurium
dicere. Qui omnia in se esse conscius, prsevenit ut alteri ea per
mendacium objiceret, quce ipse ex merito audire deberet. »
(Patrol. Migne, t. m, col. H73 s.)
Une lettre de ce style ne doit pas être attribuée à
Firmilien comme auteur, ni à saint Cyprien comme traduc-
teur. Ces deux bommes furent non-seulement d'illustres
évêques, mais encore des saints. La sainteté est inséparable
de la cbarité. Et jamais il n'y eut rien de si opposé à la cbarité
que la prétendue lettre de Firmilien. On dit : Le pape Etienne
les avait exaspérés; il avait le premier injurié saint Cyprien;
il n'est donc pas étonnant que ces deux saints évêques se soient-
oubliés un moment et emportés hors des bornes. — Jeréponds
que les saints ne se laissent pas emporter à ces écarts. Quant
aux prétendues injures dont le pape saint Etienne aurait usé
le premier, c'est une assertion calomnieuse de l'auteur de la
lettre, et une preuve de plus contre son authenticité.
Eu effet, comment supposer qu'un évêque de Rome ait ou-
blié la gravité et la dignité de sa chaire, jusqu'à traiter de /awx
Christ, de faux apôtre et de fourbe, le premier des évêques
d'Afrique, ce même Cyprien qui naguère avait montré un si
grand dévouement pour le pape Corneille et pour l'Église ro-
maine, en combattant les entreprises des Novatieus? Qu'on
parcoure tout ce qui uous reste des actes authentiques des Pon-
tifes romains pendantles premiers siècles, et qu'on dise si l'on
y a jamais rencontré la moindre trace d'un pareil langage !
L'hypothèse d'un tel écart est encore plus inadmissible à
l'égard du pape Etienne qui vécut eu saint et mourut martyr.
Si la lettre de Firmilien n'était pas apocryphe, il faudrait
dire que cet évêque, ainsi que saint Cyprien, serait tombé
dans un schisme manifeste. Il y est dit et redit que le pape
433 SAIXT ETIENNE [Tome VII.
Etienne s'est excommunié lui-même, qu'il est séparé de
l'Église, et le pire des hérétiques {tu hxreticis omnibus pejor es).
Par cela même l'auteur de la lettre se déclare, de son côté, sé-
paré du Pontife romain ; il professe une résistance formelle à
sa décision dogmatique et à ses ordres. Or, agir ainsi, c'est se
constituer manifestement schismatique. Saint Cyprien, en
adhérant à cette lettre, en la traduisant et la publiant aurait
participé au même schisme, il aurait agi â l'encontre de sa
doctrine. Car, c'est incontestablement du Pontife romain qull
parle dans ce beau passage : Neque enim aliunde hxreses obortx
sunt aut nata surit schismata, quam inde quod Sacei^doti Dei non
obtemperatur , nec unus in Ecclesia ad tempus Sacerdos et ad tem-
pus judex vice Christi cogitatur ; cui si secundum magisteria di-
vina obtemperaret fratermtas unwersa, nemo adversiim Sacerdo-
tum coUegium quidquam moveret. Comment celui qui a écrit ces
lignes se serait-iJ révolté avec l'emportement d'un furieux
contre ce suprême Évêque de l'Église, uy\us in Ecclesia ad tem-
pus Sacerdos, contre ce juge établi à la place de Jésus-Christ,
et ad tempus judex vice Christi ?
Saint Cyprien regardait l'Évêque de Rome comme le juge
infaillible des controverses. Navigare audent, dit-il, et ad Pétri
cathedram atque ecclesiam principalcm, unde imitas sacerdotalis
exorta est, a schismaticis et profanis litteras ferre, nec cogitare eos
esse Bernanos, quorum fides apostolo prœdicante laudata est, ad
quos perfdia habere non pos&it accessum. (Ep. iv ad Cornetium.)
Après avoir ainsi reconnu l'infaillibilité de l'Église romaine,
saint Cyprien, à moins d'avoir^perdji le sens, n'a pu adhérer à
la prétendue lettre deFirmiheu, qui attaque le jugement et le
décret du pape Etienne comme erroné, insensé, absurde et qui
dit à ce Pape : Tu omnibus hxreticis pejor es. On ferait de vains
efforts pour donner à cette lettre un autre sens. Il est trop ma-
nifeste. L'anglican Fell, dans sou édition de saint Cyprien, n'a
pas manqué l'occasion de le faire ressortir par cette note \Hunc
certe {Stepharium papam) Firmilianus minime opinatus est fuisse
Mai 1S63.] ET SAINT CYPRIEN. 433
universalem Ecclesix pastorem, et controversiarum infallibilem
judicem, cujus personam et defnïtioncm tam incivïliter tractavit .
La prétendue lettre de saint Firmilien à saint Cyprien doit
donc être regardée comme une pièce apocryphe;, comme
l'œuvre d'un faussaire. En terminant l'examen de ces docu-
ments réputés contemporains, sur lesquels s'appuie toute l'his-
toire du célèbre conflit, nous nous trouvons en face d'une ob-
jection qui a pu influencer bien des esprits. On dit : Rejeter
comme apocryphes des documents si nombreux, si anciens, si
génénéralement regardés comme authentiques jusqu'à nos
jours, n'est-ce pas vouloir introduire le pyrrhonisme dans
l'histoire? — On n'a pas à craindre le pyrrhonisme tant qu'on
procède avec les règles de la saine critique. Nous faisons à
l'égard de ces documents ce que les éruditsontfaitài'égardde
bien d'autres, ce qu'a fait Baluze lui-même, qui nous reproche
le pyrrhonisme. Si notre critique n'est pas fondée, à la bonne
heure ! Si elle l'est, ni le nombre des pièces, ni les autres cir-
constances ne doivent nous arrêter.
Voici un nouvel argument contre l'authenticité de ces pièces,
considérées dans leur ensemble.
§ V.
Les événements attestés par ces pièces n'ont pas pu s'accomplir
dans le laps de temps qu'elles assignent.
I. Le troisième concile de Carthage aurait commencé le l'"" sep-
tembre 256, date admise comme certaine par les érudifs gui tiennent
ce concile pour authentique. — L'ouverture a eu lieu le premier
ç,Q^\.cvûhv(i [calendis septembris)', c'est expressément dit dans
les actes. Il s'agit du mois de septembre 256, puisque le con-
cile se tint sous le pontificat de saint Etienne, et que ce Pape
fut martyrisé le 2 août 257. Au reste, les érudits qui regardent
Revue nss Sciences ecclésiastiques, t. vu. . 28.
434 SAINT ETIENNE [Tome Vil.
les pièces en question comme authentiques sont d'accord sur
la date de ce troisième concile.
Ils sont fort embarrassés, au contraire, et divisés d'opinion
par rapport aux deux autres. Dans l'iiypotlièse de Tautheu-
ticité des documents, on est forcé d'admettre trois conciles sur
la question du baptême des hérétiques : le premier qui répondit
à la question des évêques de Numidie ; le sacond, dont parle
saint Gyprien dans sa iettre^au pape saint Etienne ; et le troi-
sième dont nous avons les actes. La plupart des érudits placent
le premier dans l'année 2oo. Pour le second, il y a divergence.
Plusieurs le mettent vers la fin de l'année 256. Mais Pearsou
et Baluze, voyant combien il est invraisemblable que le second
et le troisième aient été|célcbrés presque à la même époque,
placent le second comme le premier en 253. Noël Alexandre
les met tous les trois^dans le courant de l'année 256. Ainsi,
relativement aux deux premiers, il y a diversité d'opinion.
Mais le troisième, que le lectenr veuille bien le remarquer, est
fixé d'un commun accord au^mois de septembre 236. Cette date
non contestée est notre point de départ.
II. La lettre de Firmilien aurait été écrite au plus tard le 1<='
décembre 236. — Nous le concluons d'un passage de sa lettre
relatif au diacre envoyé par saint Cyprien. Firmilien dit que
cet envoyé avait hâte de retourner à Gartliage, à cause de
l'approche de l'hiver: « Qaoniara vero legatus iste a vobis mis-
sus regredi al vos festiiiabat, et hibernum tempus urgebat.» Ainsi
cet envoyé ne séjourna pas à Césarée, afin de pouvoir faire
son voyage avant les rigueurs de l'hiver. Ces mots hibernum
tempui urjebat, peuvent s'entendre du mois de novembre, du
mois d'octobre, et même du mois de septembre. Mais assuré-
ment ils n'ont pas pu être écrits après le premier décembre.
Car, uue f)'s I3 mois de décembre commencé, ou est en hiver,
et il fcst absurde de hâter alors un voyage de 60 jours dans le
but d'éviter les rigueurs des frimas. Aussi le diacre porteur
de la lettre de Firmilien ne quitta pas Césarée plus tard que
Mai 1863.] ET SAINT CYPRIEN. 435
le 1*' décembre^ et, par conséquent, cette lettre n'est pas pos-
térieure à cette date.
D'autre part, la teneur de la lettre suppose vivant le pape
saint Etienne. Et comme il mourut le 2 août 257, l'hiver dont
il est question est celui de 256, el non Thiver suivant. Donc la
lettre de Firmilien n'aurait pas été écrite plus tard que le 1*'
décembre 256. Voyous maintenant les événements qui se se-
raient accomplis entre ces deux dates, le l^"^ septembre et le 1"
décembre 256.
Ilï. Les événements que mentionnent les pièces nont pas pus'ac-
complir dans ce laps de temps. — Nous n'avons que l'espace de
trois mois, savoir depuis le 1" septembre 256, date de l'ouver-
ture du concile de Carthage, jusqu'au le»" décembre, au plus
tard, do la même année, époque où Firmilien consigna sa lettre
au diacre qui devait la porter à saint Gyprien. Les événements
qu'on est forcé d'admettre si l'on répute autheuiiques les do-
cuments en question, ne peuvent pas être renfermés dans ce
court intervalle. Pour en rendre la preuve sensible, nous expo-
serons les deux hypothèses qui partagent les érudits : celle qui
réduit le plus le nombre de ces événements, el celle qui en
admet un plus grand nombre.
1° Hypothèse qui admet le plus petit nombi^e d'événements. —
Parmi les érudits, quelques-uns ont fait attention à l'impossi-
bilité de loger dans cet espace de trois mois tous les événements
que d'autres y avaient placés. Ils se sont donc efforcés d'inter-
préter les textes de manière à renvoyer une partie de ces évé-
nements à une époque antérieure. Mais ils ont été contraints
de placer dans les trois mois les événements suivants : 1° la cé-
lébration du 3" concile; 2° la députalion des deux évêques au
pape saint Etienne ; 3° leur|séjour à Rome pour attendre la ré-
■ ponse du Pape ; 4° leur retour en Afrique ; 5» la composition
de la lettre de saint- Gyprien à Firmilien ; 6° le voyage du
diacre Rogatien, envoyé à Césarée en Guppadoce pour porter
cette lettre à Firmilien; 7° le séjour de cet envoyé à Gésarée,
AZa SAINT ETIENNE [Tome VII.
jusqu'à ce que Firmilien eût écrit sa longue lettre à saint
Cyprien.
2' Hypothèse qui admet un plm grand nombre d'événement s. —
Plusieurs érudits accumulent dans l'espace indique las laits
suivants : 1° célébration du 3* concile; 2° deux évoques sont
envoyés à Rome; 3» le Pape refuse de leur donner audience
et défend môme aux fidèles de leur donner Fiiospitalité ; 4«
ils font néanmoins à Rome un séjour assez long pour attendre
la réponse du Pape; 3° saint Cyprien est informé de tout, et
pendant que les deux évêques députés sont encore à Rome et
attendent que le pape saint Etienne donne une réponse, il
comjjose son traité de Bono patientix; 6" vers le même temps,
saint Cyprien reçoit la lettre de Jubaianus, et avec elle un écrit
anonyme qui combattait le sentiment des évêques africains
sur le baptême des hérétiques: ilréfute cet écrit dans sa longue
lettre à Jubaianus; 7» la réponse du pape saint ÉtiemiC, long-
temps attendue, arrive enfin, et cause à saint Cyprien un ex-
trême mécontentement ; 8° Pompeius l'ayant consulté sur ces
entrefaites sur la question agitée, il lui répond en lui.faisant
connaître la décision du Pape, et en la réfutant avec beaucoup
d'animosité ; 9° les adversaires de saint Cyprien publient contre
lui un écrit anonyme, et il oppose à cet écrit son traité de In-
vidia; 10" il écrit à Firmilien, évêque de Césarée en Cappa_
doce, et envoie le diacre Rogatien lui porter sa lettre; 11» à
l'entrée de l'hiver, c'est-à-dire au plus tard vers le 1'^'' décembre
256, Rogatien quitte Césarée, rapportant la longue lettre de
Firmilien, dont on n'a qu'une traduction latine.
3° Dans les deux hy pot h i miatioa nées, l'intervalle assigné
aux événements admis est insuffisant. — Prouvons-le pour la pre-
mière hypothèse, qui admet le plus petit nombre d'événements.
Voici le minimum de temps requis pour chacun : 1° pour la cé-
lébration du troisième concile, la souscription des actes, la ré-
daction de la lettre synodique, 10 jours; 2° pour le trajet des
deux évêques envoyés à Rome, 8 jours : quelquefois le voyage
Mai ISC3.] ET PAINT CYPRIEN. 437
de Cartilage à Rome se faisait en moins de temps, mais souvent
il durait davantage ; 3° pour le séjour des députés à Rome,
c'est-à-dire pour que le pape saint Etienne prît connaissance
des actes du concile d'Afrique, en délibérât (selon la coutume
du temps) avec son synode ou son presbyterium, et préparât
la réponse, 20 jours; 4" pour le trajet des députés de Rome â
Carthage, 8 jours; 5» pour que saint Cyprien lût et pesât la
réponse du Pape, et pour qu'il écrivît sa lettre à Firmilien, que
celui-ci atteste avoir été longue, 3 jours; 6° pour que Roga-
tien, envoyé par saint Cyprien, arrivât à Césarée, 00 jours;
c'est le minimum qu'on puisse assigner à ce voyage, d'après
Mgr Tizzani, qui se fonde sur les distances, les directions que
le vaisseau a pu suivre, et la manière de voyager de l'époque.
Encore faut-il supposer que Rogatien a eu à sa disposition à
Carthage un navire tout prêt à partir, faisant le trajet sans
baltes ni séjours intermédiaires, et avec un vent constamment
favorable. 7° Pour que Rogatien, arrivé à Césarée, se remît
de la fatigue du voyage, et donnât à Firmilien le temps de pe-
ser la lettre de saint Cyprien et d'y faire sa très-longue réponse,
8 jours. En additionnant, nous av3ns un total de 117 jours.
Donc l'espace de trois mois ou de 90 jours est insuffisant .
L'insuffisance des trois mois est encore plus évidente dans la
seconde hypothèse, qui admet un plus grand nombre d'événe-
ments, et en particulier la composition de deux traités par
saint Cyprien.
Concluons. 11 faut tenir pour apocryphes des documents qui
assignent à une série de faits un espace de temps pendant le-
quel ces faits n'ont pas pu s'accomplir. Or telles sont, comme
on vient de le voir, les pièces sur lesquelles s'appuie l'histoire
du célèbre conflit entre saint Cyprien et le pape saint Etienne.
Ce conflit n'est donc qu'une fable.
D. Bouix.
DES FONCTIONS PONTIFICALES.
/. Quelles sont les fonctions pontificales ? — //. Quel est le droit
et le devoir de la première dignité du chapitre relativement à
ces fonctions ?
Nous entendons ici par fonctions pontificales celles que l'é-
vêque doit^ autant que possible^ remplir par lui-même dans
sa cathédrale. Ce sujet a été abordé déjà d'une manière som-
maire dans un art. du 20 janvier 1861, t. m, p. 68. A la fin
de son travail, le savant auteur fait appel, pour le compléter,
aux personnes qui se livrent à des études spéciales sur la li-
turgie. Tel est l'objet du présent article, dont la publication a
dû être différée jusqu'aujourd'hui à cause de l'abondance des
matières à traiter. Il est d'autant plus important d'avoir une
liste exacte de ces fonctions, que si le pontife est absent ou
empêché, elles doivent être remplies par la première dignité du
chapitre. Nous donnerons cette liste à la fin de l'article.
PREMIÈRE QUESTION.
QUELLES SONT LES FONGTIOXS PONTIFICALES?
Avant d'énumérer les fonctions que l'évêque doit, autant
que possible, remplir par lui-même dans sa cathédrale, il est
nécessaire de faire quelques observations préliminaires.
I. L'étude du Cérémonial des évêquespeut seule nous éclai-
rer sur cette question. Nous devons donc commencer par citer
les passages de ce livre auxquels renvoient les décrets cités
t. III, p. 68 et suiv.
1» Au chapitre qui traite des vêpres célébrées solennelle-
ment par l'évêque, il est dit:
a Si ergo episcopus erit soleraniter Missara sequenti die celebraturus.
MailS03.] DES FONCTIONS PONTIFICALES, 4,9
(( Vesperae solemnius peragiintur, qiiam si non esset celebraturus.
tt Quod praecipue in his vigiliis observari solet, videlicet, Nativitalis
« D. N. J. G., Epiphaniae, Ascensionis, Pentecostes, SS. Apostolorum
« Pétri et Paiili, Assumptionis B. M. V., omnium Sanctorum, Dedi-
0 cationis ecclesiae, sancti Titularis ecclesiae et Patroni civitatis. Se-
« cundae Vesperae poterunt etiam per episcopura eadem solemnitate
« celebrari, saltem in dominica Resurrectionis, et in die Nativitatis
« D. N. J. C, ac in festo sancti Titularis ecclesiae, et sancti Patroni
« civitatis (1. ii, c. i, n. 2 et 5). »
2» Il est encore question de ces fonctions à divers chapitres
du même livre, relatifs à certaines fêtes spéciales. Plus tard, on
donne une liste des jours où le pontife célèbre la Messo et les
Vêpres solennelles , en renvoyant cependant aux chapitres
précédents pour la compléter.
« Quia per annum plura festa occurrunt, ultra superius expressa, in
0 quibus decet.... episcopum solemniter celebrare..., de his breviter
« aliqiiid dicenduni est. Celebrare igitur poterit episcopus, nisi legi-
« time fuerit impeditus, in die Nativitatis D. N. Jesu Cliristi, in festo
« EpiphaniaeDomini.feriaquinta in Cœna Domini^in dominica Resur*
a reclionis, in die Ascensionis, in dominica Pentecostes, in festivitati-
« bus Annuntiationis et Assumptionis B. M. V., in festo beatorum
ot Apostolorum Pétri et Pauli, in festo omnium Sanctorum, in festo
c< sancti Titularis ecclesiae, et Patroni, in die anniversario Dedicationis
a cathedralis ecclesiae, vel etiam arbitrio suo in aliis festivitatibus per
« annum, quandocumque ei placuerit...: ac etiam cum Vesperis solem*
• nibus in vigilia, seu die quae festum praecedit, excepte Sabbato
« sancto, qua die Vesperae non dicuntur, nisi mane in fine IVlissae, et
«vigilia Annuntiationis B. Mariae, si venerit in Quadragesima, die fe-
t riato : quo casu Vesperae non celebrantur in vigilia, sed tantum in
a die, finita Missa... Sed si hoc festum venerit feria secunda in Qua-
0 dragesima poterunt Vesperae solemnes in dominica celebrari. » (Ibid. ,
c. xxxiv, n. 1, 2 et 3.)
II. Pour faciliter l'intelligence des règles que nous avons à
déduire des textes cités, nous devons faire quelques remarques
importantes.'
1° Le texte du chapitre xxxiv, que nous venons de rappor-
440 DES FONCTIONS PO^TIFICALES. [Tome VU.
ter en dernier lieu, renvoie, comme nous l'avons dit, aux
chapitres précédents pour compléter la liste qu'il donne :
il le fait par ces mots : ulti^a superius expressa, et rappelle toutes
les autres rubriques relatives au même sujet.
2° Dans les rubriques citées, il est question seulement de la
Messe et des Vêpres aux jours de fête, et dans les chapitres
précédents, compris sous la formule w/^m superius expressa,
il est traité de certains jours qui ne sont pas des fêtes, et de
plusieurs fonctions, qui ne sont ni la Messe ni les Vêpres.
Tels sont la bénédiction des Cierges le 2 février, la béné-
diction des Cendres, la bénédiction des Rameaux, le lavement
des pieds qui se fait le jeudi saint, et diverses processions
solennelles.
3" Parmi les fonctions dont il s'agit, il en est que le
pontife peut remplir sans cependant célébrer lui - même
la Messe solennelle , privilège exclusivement propre à l'Ordi-
naire. Telles sont la bénédiction des Cierges et la procession^
le 2 février ; la bénédiction des Cendres, le premier jour du
Carême ; la bénédiction des Rameaux et la procession, le di-
manche des Rameaux ; la procession du vendredi saint, celle
du jour de la fête du Très-Saint-Sacrement, et l'absoute qui
suit la Messe des morts. Cette règle est actuellement assez
connue pour qu'il ne soit pas nécessaire de la prouver ici :
nous l'avons traitée au long au n° de juillet dernier, p. 60>-
et suiv.
A" L'indication de ces jours est donnée, par les rubriques ci-
tées, en termes qui expriment un vœu, un souhait, et non pas
un précepte.
« Per annum piura festa occurrunt... in (\mhus decet... episcopura
« solemniter celebrare... Celebrare igitur poterit episcopus, nisi legi-
« time fuerit impeditus... »
Au chapitre xvi, où il est traité de fêtes qui arrivent entie
Noël et la Purification, il est dit :
Mai 18C3.I DES FONCTIONS PONTIFICALES. /Î4I
* In die Epiphanise deberet ipse celebrare, si poterit, quod valde
• conveniens esset. »
Lu rubrique est plus positive à certains jours, soit qu'elle
exprime une obligation pour l'évêque d'officier lui-même, s'il
n'est pas absent ou empêché par une cause grave, comme se-
rait la maldclio ; soit qu'elle suppose que le pontife le fasse
toujours. De plus, outre les jours indiqués par la rubrique
pour l'office pontifical, soit comme obligation, soit comme con-
venance, il en est d'autres où, d'après le Cérémonial, l'évêque
peut convenablement officier encore, s'il le juge à propos. Le
pontife peut enfin le faire cliaque fois qu'il le désire.
IIL Nous divisons donc en quatre classes les fonctions pon-
tificales. Nous rangeons dans la première toutes celles qu'il
est du devoir de l'évèiiue de faire parlui-mème, et dont le pré-
lat ne peut se dispenser s'il n'est pas absent ou empêché par
une cause grave. Dans la seconde, nous comprenons toutes
les fonctions que le Cérémonial attribue à l'évêque, mais seu-
lement d'une manière optative ou directive. La troisième ren-
ferme celles où le Cérémonial suppose que l'évêque officie
quelquefois, ou peut le faire convenablement, sans cependan t
lui attribuer ces fonctions, même d'une manière directive.
Dans une quatrième classe enfin, on range les fonctions que
ferait le prélat en dehors de celles dont il est parlé dans le
Cérémonial et qui se trouvent renfermées dans celte rubrique:
a Vel etiam arbitrio suo in aliis festivitatibus per annum,
a quandocumque ei placuerit. » Cette division, déjà nécessaire
en elle-même, l'est aussi pour bien déterminer les jours où
l'évêque, absent ou empêché, doit être remplacé par la pre-
mière dignité.
§ 1. Fonctions que l'évêque doit remplir par lui-même, s'il n'est
pas absent ou empêché par une cause grave^ comme serait la
maladie.
En parcourant le Cérémonial des évêques, nous croyons de-
voir énumérer ici les fonctions suivantes :
4':2 DES FONCTIONS PONNIFICALE?. [TotnîVÎÎ.
1° La troisième Messe solennelle, le jour de Noël :
« In tertia Missa quam omnino cantahit episcopus in die. » (Ibid.,
c, XIV, n° 11.)
2° La bénédiction des Cierges et la procession, le 2 février :
a Episcopus... benedictionem Candelarum faciet. » (Ibid.,c.xvi,
n"?.)
3° La bénédiction des Cendres :
8 Episcopus accipit paramenta eodera ordine quo in die Purificatio-
« nis B. M. V. dictum est; et pariter oranes canonici capiunt sua,
« proiit ibi dictum fuit. » flbid. c. xviii, n» 4.) « Subdiaconus... sive
aalius... vas... cum cineribus portât ante episcopum. » (Ibid , n' 5.)
a Episcopus surgit et dicit Dominus vobiscum et oremus, ac orationes
« benedictionis cineruni. » (Ibid , n^ 6.)
4" La bénédiction des Rameaux et la procession^, le dimaucbe
des Rameaux:
« Episcopus capiet paramenta, et pariter canonici...; quibus expe-
« ditis, incipiet benedictionem Palniarum, » (Ibid., c. xxi, n° 4.)
5* L'office des Ténèbres, les trois derniers jours de la se-
maine sainte :
« Ipsa vero quarta ferla bora vigesima prima, vel circa, episcopus
« venit cum cappa ad ecclesiam... flbid., c. xxii, n^ S.) Episcopus
c( genuflexus récitât orationera Respice quxsumus... (Ibid., n° 14.)
« Eadem servantur in duobus sequenlibus raatutinis tenebrarum. »
(Ibid., n° 17.)
6° Le jeudi saint, le pontife doit célébrer la Messe solen-
nelle; s'il ne pouvait absolument le faire et s'il y assistait
paré, il devrait néanmoins porterie Saint-Sacrement à la pro-
cession. Le prélat doit aussi faire la cérémonie du lavement
des pieds :
« Quod si episcopus, neeessario impedimento prsepeditus, non celebra-
« ret hancMissam, sed illi per alterum celebratae interesset paralus, sal-
aiemnon omittat portdre SS. Sacramentumin processione... et de-
« mura, reposito Sacramento, accedere ad mandatum et lavare pedes
« pauperura vel canonicorum. » (lbid.,c. xxiii, n° 14.)
Mai 18G3.] DES FONCTIONS PONTIFICALES. 443
7" Le vendredi saint, le pontife doit porter le Saint-Sacre-
ment à la procession, quand même il ne célébrerait pas l'office :
« Celebrans accipit SB. Sacramentum de dicta capsula, illudque in
a nianibns episcopi collocat, et statim genuflectit. Episcopus capit anibabus
« manibus vélo, quod circa humeros habet, coopertis, calicem ubi est
a SS. Sacramentiira veio coopertiim, elilludportat reverenter sub bal-
« dachino. » (Ibid., c. xxvi, n. 15.)
8° Le dimanche de Pâques, l'évêquc doit célébrer lui-même
la Messe solennelle :
« In die Pascliae Resurrectionis Domini Nostri Jesii Christi episco-
« pus, nisi aliquo legitimo impedimento fuerit praepeditus, Missam
(( solemnem omnino celebrare débet. » (Ibid., c. xxix, n° 1 .)
9o Le 25 avril, le prélat préside à la procession des grandes
Litanies :
« In die S. Marci fuintlitaniae, quas majores vocamus#. ïncipiet a
a deputalis dirigi processio,.. in qua ... procèdent..., ultime clerus
« ecclesiai cathedralis, cujus canonici omnes, si commode fieri poterit,
a erunt parati paramentis sibi competentibus quemadmodum soient
cr episcopo célébrante...; et ultimo loco proeedet episcopus paratus
• pluviali. » (Ibid., c. xxxii, no 1.)
10** Le jour de la fête du Très-Saint-Sacrement, le pontife
doit porter le Saint-Sacrement à la procession :
« Sequetur episcopus sub baldachino, capite detecto, porlans mani-
« bus suisSS. Sacramentum in tabernaculo, sive ostensorio inclusum.»
(Ibid., c. XXXIII, n° 8.)
Si le prélat assiste à la procession qui se fait le jour de
l'octave, il doit encore porter lui-même le Saint-Sacrement ;
« Solitum etiam est octava die hujus festi post Vesperas fieri pro-
a cessionem adreponendum SS. Sacramentum, quse non tam solemnis
« et longa via, ut prima, sed vel per ecclesiam, vel parum circa extra
a eam fieri débet, in qua, si episcopus interesse voluerit, dehet cura
« pluvidii SS. Sacramentum portare, » (Ibid., n° 34.)
^-ii DES FONCTIONS PONTIFICALES. [Tome VU.
il" Le jour de la fête du Patron de la ville et du Titulaire
de l'église cathédrale. Le Cérémonial des évèques ne le pre-
scrit pas d'une manière positive, à la vérité, mais, commo nous
le verrons ci-aprcs_, il met ces jours au nombre de ceux oùl'é-
vêque célèbre les secondes Vêpres, et les autres jours indiqués
au même endroit sont ceux où le pontife doit officier. Nous
croyons donc devoir mettre ces deux fêtes au nombre de celles
dont nous donnons ici la liste.
IS" L'absoute après les Messes qui se célèbrent chaque an-
née, l'une pour le repos de l'àine de son prédécesseur au jour
anniversaire de sa mort^ l'autre dans la huitaine qui suit le
jour de la Commémoration des fidèles trépassés , pour les
évèques et les chanoines défunts.
« Episcopus vivens, prgedecessoris sui proxime ante ipsum defuncti
« memoriam habere débet, et pro ejus anima singulis annis in die obi-
« tus anniv^sariura celebrare, vel saltem Missae pro ejus anima, ab
(( aliqua dignitate seu canonico celebrandae pra^sens assistere, et in fine
« absolvere.n (Ibid., c. xxxvi. n° 1.) « Aliquo die non impedito, infra
a octavara defunctorum, arbilrio episcopi, canonicus aliquis seu digni-
a tas ecclesiae cathedralis celebrabit Missam pro animabus oraniura
« episcoporum et ecclesiae catbedralis canonicorum defunclorum... cui
« Missse episcopus praesens erit cuin cappa, et in fine, si voluerit, po-
« terit, imo debebit, deposita cappa et accepte pluviali, absolvere. »
(Ibid., c. xxxvii, n° 1.)
§ 2. Fonctions que le Cérémonial atù'ibue à Vévêque d' une manière
optative ou directive.
\. Ces fonctions sont :
1° Les secondes Vêpres de la fête de Noël ;
2" Les premières Vêpres et la Messe de la fête de l'Epi-
phanie ;
5» Les premières Vêpres de TAnnonciaiion de la bienheu-
reuse Vierge Marie, si cette fête se célèbre après Pâques ou le
lundi ; la Messe de ce jour, et les secondes Vêpres, si cette
Mail8ù3.I DES FONCTIODS PONTIFICALES. 445
fête se célèbre pendant le Carême, un autre jour que le lundi ;
• 4° Les Vêpres du dimanche de Pâques ;
5° Les premières Vêpres et la Messe de la fête de l'Ascen-
sion;
6° Les premières Vêpres et la Messe du dimanche de la Pen-
tecôte ;
7" Les premières Vêpres et la Messe de la fête des saints
Apôtres Pierre et Paul ;
8' Les premières Vêpres et la Messe de la fête de l'Assomp-
tion de la sainte Vierge ; ^
9° Les premières Vêpres et la Messe du jour de la Toussaint ;
10° Les premières Vêpres et la Messe de la fête de la Dédi-
cace de l'église cathédrale ;
11° Les secondes Vêpres des fêtes du Patron delà ville"et du
Titulaire de l'église cathédrale.
IL Les textes du Cérémonial des évêques cités ci-dessus
suffisent pour appuyer notre assertion. Les fêtes que nous
venons d'énumérer sont indiquées par le Cérémonial des évê-
ques. (L. II. c. I, n. 2 et 3, c. xvr, n. 4, et c. xxxiv, n. \, 2 et
3.) Elles sont donc aussi du nombre de celles auxquelles l'é-
vêque doit régulièrement officier , mais la rubrique est sim-
plement directive.
in. On peut faire ici deux observations. 1° Au chapitre 1
du livre ii, il n'est pas question de la fête de l'Annonciation.
On peut en donner deux raisons : la première , que celte fête
est soumise à des rubriques particulières relativemeflt à ses
Vêpres, surtout aux premières, lesquelles, d'après la rubrique
du chap. xxxiv,no2, ne se célèbrent solennellement que le di-
manche, ou en dehors du Carême, et que par conséquent on
ne peut lui appliquer ces paroles : Quod prxcîpue in his vigi"
liis observari solet; la seconde, qu'étant moins solennelle que
les autres fêtes pontificales, il peut se faire que la rubrique au-
torise le prélat à se dispenser plus facilement ce jour-là d'offi-
cier lui-même. Nous ferons observer : 2" que, parmi les fêtes
446 DES FONCTIONS PONTIFICALES. [Tome VU.
qui nous occupent ici, la première est celle de la Pentecôte. Elle
n'est pas mentionnée, il est vrai, au nombre de celles où l'évê-
que doit officier, à moins d'empêchement nécessaire, ou célé-
brer solennellement aux secondes Vêpres. Mais la solennité de
sa Vigile et de son Octave nous montrent suffisamment sa su-
périorité sur les autres.
IV. On pourrait peut-être désirer une explication relative
à la rubrique du Cérémonial des évêques qui indique l'Office
pontifical pour le jour de la fête de TA-nnonciation, dont la
solennité est inférieure à toutes les autres fêtes dont il e&t
parlé au même endroit, et dont le rit est inférieur même à
celle de la Nativité de saint Jean-Baptiste , où l'évêque se
contente de l'assistance solennelle. Laissons parler Crassus,
qui dans son Cérémonial (l. ii sect. ii, c. viii) témoigne en ces
termes l'ancien usage de célébrer en grande pompe ce my-
stère si glorieux pour la Mère de Dieu :
• Consueverunt antiqui pontifices celebrare hoc die, et tune si fes-
• tum fuisset die lunfB in Quadragesima , in precedenti Dominico die
a fiebant Vesperae Papales cum paramentis... Idera fiebat si festum
a celebrabatur post Pascha ; in aiiis autein temporibus, quia in Qua-
« dragesima Vesperae dicuntur ante prandiura, non fiebant Vesper»
• solemnes ; sed , ne ista soleranitas remaneret sine Vesperis solem-
« nibus, post Missara... Papa, depositis noissalibus indumentis, acci-
a piebat pluviale albunn, et incipiebat Detis in adjiUorium. »
§ 3. Fonctions que Vévêque peut convenablement remplir par
lui-même, s'il le juge àpropos.
Outre les fonctions ci-dessus énumérées, il eu est encore
d'autres auxquelles l'évêque peut convenablement officier
-encore, s'il le juge à propos. Ces fonctions sont :
1" Les secondes Vêpres de toutes les fêtes dont il célèbre
les. premières Vêpres et la Messe solennelle. Le texte cité au
numéro précédent nous en est une preuve bien convaincante.
^Remarquons seulement ici les mots eadem solemnitate. Les Vè-
M À 1863 ] DtS FOiNCTlONi PONTIFICALES. 447
près pontificales peuvent se célébrer de deux manières, savoir :
4" avec la solennité indiquée dans le Cérémonial (1. ii, c. i),
solennité que la rubrique prescrit aux premières Vêpres de
toutes les fêtes dont Tévêque doit célébrer lui-même la Messe
solennelle; 2° avec moins de solennité, comme il est indiqué
au chapitre suivant. Le Poutife pourrait, aux secondes Vêpres,
officier soit de la première, soit de la seconde manière.
2° Les Matines de Noël et la Messe de la nuit. Le Cérémo-
nial ne règle absolument rien par rapport à l'office des Mati-
nes et des Landes. Au chapitre qui traite des Matines célébrées
par l'évêque, il est dit : « Quando in Matutinis Episcopo pla-
« cuerit officium facere » (Ibid. c. v, u" 1); et au chapitre
XXXIV, n° A, on indique, pour la Messe de la nuit, l'assi-
stance solennelle du pontife. On suppose cependant, au cha-
pitre qui traite de la fête de Noël, que le prélat officie quel-
quefois aux Matines et à la première Messe.
a Super aliqua mensa^ separata ab abaco, collocari poterunt para-
c menta omnia pro Episcopo, Missara celebraturo, et pluviale album
» pulchrius pro eodem, cantaturo orationem in fine Nocturnoruni. Sed
« si Episcopusnon ait celebraturus primara Missam... • (Ibid. c. xiv,
n° 4.) « hi tertio nocturne, cura dicitur a choro Psalmus Misericor-
« dias Domini, si episcopus est primam Missam celebraturus... a
(Ibid. no 7.)
3" La Messe de la fête de la Purification. Le Cérémonial
des évêques (1. ii. c. xvi) explique en détail les cérémonies
spéciales que l'on doit observer en ce jour. Après ce qui cou-
cerne la bénédicliou et la distribution des Cierges, avec la
procession , il est dit :
« Dum fit processio, canonicus aut alius Missam celebraturus ,
« cum diacono et subdiacono, capiunt sua paramenta convenicntia,
€ id est, albi coloris. » (Ibid. n° 16.) Et plus bas : « Episcopus
• vero, cum pervencrit ad altare, ante infimum gradum, si Missa fiat
« defesto, deponit pluviale et paramenta violacea, et accipit alba, et
• incipit confessionein, stante a sinistris ejus célébrante, aliquanto
^48 DliS FONCTIONS fONTIFICALES. [Tome VII.
€ rétro post Episcopum. Missa vero continuatur prout in cap. ix hu-
o jus lib. II de Missa quae coram Episcopo celebratur. •
Le Cérémonial ne parle pas de cette fcte au chapitre xxxiv.
Cette disposition moutre suffisamment qu'il n'y a pour le pré-
lat ni obligation ni haute convenance de célébrer cette Messe.
Cependant le Cérémonial ajoute : « Sed si Episcopus vellet
« etiam Missam celebrare, quod convenit, prsecipue si festum
G purificationis sit Titulus ecclesiae,..i Ces paroles quod conve-
nit, n'indiquent pas une haute convenance, comme celle dont
dont il a été parlé au numéro précédent. La rubrique précé-
dente, suivant laquelle le pontife se contente de l'assistance
solennelle, snffitpour apporter un tempérament à ces paroles;
et de plus, les mots prsscipuesi festum Purificationis sit Titulus
ecclesise, montrent suffisamment le sens de l'expression. Si
la Purification est la fête Titulaire, la messe rentre de plein
droit dans les fonctions que le prélat' doit remplir par lui-
même. Si elle n'est pas Titulaire, elle est du nombre de celles
oii le pontife assiste paré : la fête est cependant assez solen-
nelle pour qu'il puisse convenablement célébrer la messe, s'il le
juge à propos.
4oL'olficedu vendredi et du samedi saints. Deux chapitres du
Cérémonial des évêques traitent de chacune de ces deux fonc-
tions, savoir les chapitres xxv et xxvr pour le vendredi, et les
chapitres xxvii et xxviii pour le samedi. Au chapitre xxv, il
est traité de l'office du vendredi saint lorsque le pontife juge
à propos de le faire lui-même : « Si episcopus velit ipse cele-
c brare (Ibid. n. 1); et au chapitre xxvi, on donne les règles
à suivre lorsque le pontife y assiste seulement. Les deux cha-
pitres suivants indiquent de la même manière ce qui doit être
observé le samedi saint: d'abord, si l'évêque célèbre lui-même;
puis, s'il ne peut pas le faire. On peut y joindre l'office de la
Vigile de la Pentecôte.
5® La procession des petites litanies, qui se fait les trois
jours des Rogations. Après les règles à suivre à la procession
des grandes litanies, nous lisons dans le cérémonial ;
i
Uai 1863 ) DES FONCTIONS PONTIFICALES. 449
0 In processionibus vero et litaniis rainoribus, quae Rogationes vo-
« cantur, et fiunt tribus diebus antt Ascensionem Domini, eadem
a servantur, sed aliquanto remissius ; convenit tamen in his episco-
a puni paratura cuni rainislris intervenire, vel saltem cum cappa. »
(Ibid. c. XXXII, n. 7.)
Ou peut encore ranger ici les processions extraordinaires
que l'évêque peut prescrire, suivant cette rubrique :
€ Ad similitudinem harura processionum regulari poterunt et aliae
« processlones extraordinarise quae fier! quandoque contingit ad pla-
« candara iram Dei. » (Ibid. n. 8.)
6® La Messe de la Commémoraison des fidèles trépassés. Le
chapitre du Cérémonial où il est traité de la Messe pontificale
pour les morts, commence par ces paroles :
« Si velit Episcopus celebrare die anniversaria omnium Defuncto-
« rum vel alias.... » (Ibid. c. xi, n. 1.)
Le pontife officie alors solennellement aux secondes Vêpres
de la Toussaint, aux Vêpres et aux Matines des morts, suivant
cette règle :
0 Quia in officiis Defunctorum diversas ab aliis caeremoniae in multis
fl observantur, ideode eis est subjungendura. Et primo de Vesperis et
« Malutinis quae celebrantur quotannis pro commeraoratione et suffra-
a giis omnium fileliiun Defunctorum, immédiate post secundas Ve-
0 speras festivilatis omnium Sanclorum..... Et tune, si episcopus ipse-
a met eril in crastinura celebraturus Missam solemnem pro Defunctis,
o debebit etiamet in his Vesperis et Matutinis officium facere.... Post-
a quam enim ia sccundis Vesperis omnium sanctorum observaverit ea
a omnia quae supra expressa sunt in cap. 1 hujus libri II, de Vesperis
« solemnibus, episcopo in crastinum celebraturo. » ( Ibid. c. xi, n. 1
et 2.)
La rubrique suppose cependant le cas où le ponlife célébre-
rait seulement les. Vêpres des morts après avoir assisté en
cliape aux Vêpres de ia Toussaint. (Ibid. n. 2.)
7° La Messe solennelle qui se célèbre dans la cathédrale
au jour anniversaire de l'élection et de la consécration du
pontife :
Revue des sciences ecclésiastiques, t. vu. 29-30.
430 DES PONCTIOKS PONTIFICALES. [TomeVJl.
« Siogulis annis, in diebus anniversariis electionis et consecrationis
« episcopi, Missam solemnera, vel per ipsum episcopum, vel per ali-
« quam digiiitatem, seii canonicum, ipso praesente, celebrari convenit. »
(Ibid. c. XXXV, n. 1.)
8" La Messe de Requiem qui se célèbre pour l'anniversaire
de la mort de son prédécesseur :
« Episcopus vivens, praedecessoris sui proxime ante ipsum defuncti
« memoriarn habere débet, et pro ejus anima singulis annis in die
c( obitus anniversarium celebrare, vel saltem Missaî pro ejus anima, ab
« aliqua dignitate sen canonico celebrandae, praesens assistera.» (Ibid.
c. XXXVI, n. 1.)
§ 4. Des fonctions que l'évêque remplirait par lui-même en dehors
de celles qui sont spécialement mentionnées dans le Cérémonial.
Le pontife peut encore ofBcier à d'autres jours, s'il le juge
à propos, comme nous l'avons vu en commençant. Le Céré-
monial (Ibid. c. xxii) indique les règles à suivre quand le pré-
lat célèbre la Messe solennelle les dimanches de i'Avent. Le
jour des Cendres, il n'est pas d'usage que le pontife la célèbre
lui-même :
« Si episcopus non est célébra turus Micsam, proul regulariter hac
« die non solet. » (Ibid. c. xviii, n. 13.)
Il peut cependant le faire, comme il résulte de cette ru-
brique :
« Si vero Episcopus vellet hac die soleraniter celebrare. » (Ibid.
n. 22.)
Les dimanches de Carême, on observe tout ce qui est prescrit
pour les dimanches de I'Avent aux Vêpres et aux Messes :
a Sive ab episcopo, sive ab alio celebrandis. » (Ibid, c. xx,
n. 1.)
Ou donne, plus loin les règles à suivre pour l'Office pontifical
aux dimanches pendant l'année :
a In Dominicis per annum, si episcopus voluerit celebrare.» (Ibid.
c. XXXI, n° 1.) « Si episcopus voluerit celebrare solemniter. » (Ibid.
n. 4.)
iini ISeS.l DBS FahJCTIONS P0NT1F1C4LES 4^^
DEUXIÈME QUESTION.
PUEL EST LE TROIT ET LE DEVOIE DE LA PREMIÈRE DIGNITÉ
DU CHAPITRE RELATIVEMENT A CES FONCTIONS.
L'objet de la question présente est de bien déterminer las
f(«»etions qui appartiennent à la première dignité eu cas d'ab»
sence ou d'empêchement de la part de l'évêque. On en connaît
aisément le haut intérêt, et le grand nombre de difficultés
qu'elle a soulevées montrent suffisamment l'attention que nous
devons apporter à la traiter. Il faut d'abord bien établir le droit
et le devoir de la première dignité du chapitre de remplir, e^
G9S d'absence ou d'empêchement de la part du prélat, les fonc-
tions qui lui appartiennent ; il faut examiner ensuite quelles
sont les fonctions qui appartiennent alors à la première di-
gnité à cause de leur connexion avec celles qu'elle doit néces-
sairement remplir ; enfin donner une liste exacte de ces fonc-
tions d'après le droit commun.
§ 1. Du dvoit et du devoir de la première dignité du chapitre de
remplir, en fias d'absence ou d'empêchement de la part de
l'évêque, les fowetions qui lui appartiennent.
I. Lorsque le prélat est absent ou empêché un des jours
auxquels il doit officier dans sa cathédrale, il appartient à la
première dignité du chapitre d'officier à sa place. Si la pre-
mière dignité est elle-même empêchée, ce droit se transmet à
la seconde et ainsi de suite. Ni l'évêque, ni la première dignité
ne peuvent déléguer un autre pour faire ces fonctions. Ni le
vicaire général, ni le vicaire capilulaire ^vendant la vacance du
siège ne peuvent avoir le droit d'officier en ces jours; ni la
coutume, ni un décret synodal ne pourraient l'attribuer au
vicaire général. Une coutume immémoriale qui attribuerait
4S2 DES FONCTIONS PONTIFICALES. [Tome VIL
ces fonctions à toutes les dignités tour à tour pourrait être
suivie. Les décrets qui établissent ces règles sont trop nom-
breux pour être rapportés en entier. Ils se trouvent dans la
Collection générale aux n^^ 75 , 187 , 262, 275, 292, 309,
235 ad 1, 348 ad 2 , 363 , 366 , 440 , 482 , 483 , 485 , 591 , 597,
604 , 611 , 656 , 692 , ^95 , 702 , 736 , 759 , 820 , 924 , 930 ,
938 ,975, 998 ad 1 , 1013 ad l, 2et 3, 1015, 1073, 1082,
1148 ad. 1, 1173, 1174, 1177, 1185, 1226, 1253, 1273,
1276, 1283, 1300, 1336, 1414, 1448 ad 1,2 et 3, 1480,
1539 ad 1, 1561, 1668 ad 1, 1753, 1802, 1962 ad 1, 1972
ad 1 , 1979, 2513, 2320, 2527, 2683,2710,2997., 3612 ad2 ,
3719, 3942, 4423, 4473, 4481 , 3047. Nous aurons occasion
de citer eu entier quelques-unes de ces décisions.
II. Ce droit de la première dignité n'est pas un simple pri-
vilège, mais une charge et un devoir. On doit entendre en ce
sens les divers décrets de la Sacrée-Congrégation, comme nous
le voyons par cette décision :
(( Cura capitulum calhedralis Maurianen. ecclesiae in condendis sta-
« tutis operam impendat, non una est sententia canonicorura quoad
« onus IMissae solemnis celebrandas a prima dignitate in soleranioribus
« diebus, quolies episcopuspontificaliternoncelebiat. Cui quidam opi-
« nionura varietali ut finis imponatur ac^certa indubiaque régula
« constabiliatur, RR. Maurianen. episcopus pastoralis sui" muneris
c< esse duxit S. R. C. sequentla dubia pro opportuna solutione propo-
« nere, nimirum : 1. An Episcopo non célébrante in festivitatibus
<! solemnioribus, praepositus, prima dignitas ecclesiae catliedralis Mau-
« rianen., tenealur ad celebrationem Missa3, nisi sit ipse absens, vel
« impeditus ? 2. An capitulum condere possit statutum, que decer-
« natur praepogitum primam dignitatem teneri ad celebrationem Missae
« solemnis dictis diebus? Et S. eadem C. ad Yaticanura subsignata
G die coadunata in ordinario cœtu, referente me subscripto secretario,
« omnibus maturo examine perpensis, rescribendumcensuit : Ad 1 :
« Teneri, juxta alias décréta. Ad 2 : Posse in omnibus. » (Décret du
25 mai 1846, n» 5047.)
Mai 1863] DES FONCTIONS PONTIFICALES. 453
§ 2. Des fonctions qui appartiennent à la première dignité of-
ficiant à la place de Vévêque, à cause de leur connexion avec celles
qu'elle doit nécessairement remplir.
I. Lorsque la première dignité doit remplacer le prélat pour
une fonction que l'Ordinaire seul peut remplir sans célébrer en
même temps la Messe, elle doit aussi célébrer la Messe. Ce
principe est incontestable, ou bien il faudrait admettre que la
première dignité peut, aussi bien que l'évêque, assister à l'of-
fice comme premier célébrant, privilège exclusivement réservé
à l'Ordinaire. Plusieurs décrets d'ailleurs expriment positive-
ment cette règle, et en particulier le suivant:
« Benedictiones Candelarura et Palraarum, et aliarura similium
» Functionura, quae ad episcopum praesentem pertinerent, eo absente
» vel irapedito, ad primam dignitatem pertinere, dummodo ipsa prima
» dignitas postea etiam Missara cantel, S. R. C. alias sxpe declaravit
» et idem in ecclesia Neritonen. servandum esse censuit.» (Décret du
1" mars 1614, n» 483.)
II. On pourrait faire ici une remarque relative au jour du
vendredi saint, au sujet duquel le chapitre de Nicotéra présen-
tait une difficulté à la S. G. des Rites. Il appartient à l'évêque,
avons-nous dit, de porter le Saint-Sacrement à la procession :
la première dignité pourrait donc, ce semble, avoir droit à
remplacer le pontife dans celte fonction, et conséquemment â
célébrer alors tout l'office. Vu cependant la réponse de la
S. C. du 11 août 1860, nous ne mettons pas cette fonction au
nombre de celles qui appartiennent à la première dignité.
m. Une autre difficulté peut se présenter ici. L'évêque offi-
cie toujours aux premières Vêpres des fêtes dont il célèbre la
Messe solennelle, mais il n'officie pas toujours aux secondes;
aux matines, il le fait seulement dans quelques circonstances
particulières. Quelles sont les fonctions qui, en cas d'absence
ou d'empêchement de la part du pontife, appartiennent à la
première dignité? Doit-elle faire tout l'office ? Doit-elle aussi
-15- DES FONCTIONS rONTIFICALR?. [Tome VII.
officier aux Vêpres la veille d'une fête dont elle célèbre la
Messe solennelle à cause de la connexion de cette Messe
avec une fonction qui lui appartient?
Sur la première question, la S. C. a rendu les deux décrète
suivants :
!» « Petitum fuit pro parte Capituli Oloren. declarare an prima
» dignitas soleraniter celebratura pro episcopo absente vel impedito,
» teneatur etiam ofQcium facere ad matutinura, an vero hoc raunus
» spectet ad hebdomadarium? Et S. C. respondit : Spectare in casu
» proposito celebraturo omne id quod spectaret adepiscopum, si prae-
» sens esset. » (Décret du 3 mars 1695, n. 1015.)
2» 8 Supplicarunt canonid cathedralls Inten^amnen, declarari an
» célébrante solemniter prima dignitate pro episcopo absente vel im-
» pedito, teneatur ipsa prima dignitas celebrare primas et secundasves-
» peras, necnon Matutinas horas et Laudes? Et S. C. respondit; Om-
» nia siipradicta peragi debere per primara dignitatem, quando so^
» lemniter celebraturus est pro episcopo absente vel impedito, » (Décret
du 21 juin 1636, n. 1044.)
Ces deux décisions paraissent se contredire; mais il faut ob-
server d'abord ces paroles de la première : In casu proposito,
c'est-à-dire probablement le cas où l'bebdomadaire aurait dû
officier à Matines : la S. G. décide que la première dignité
n'est pas tenue àofficier à Matines à la place de l'hebdomadaire,
quand elle remplace Tévéque absent ou empêché pour les Vê-
pres et la Messe. Mais si le pontife doit officier à Matines,
comme il le fait pour les Ténèbres des trois derniers jours de
\i semaine sainte, ou même à d'autres jours, en vertu d'un droit
particulier comme celui auquel se rapporte le décret du 3 dé-
cembre 1672, cité t. III, p. 70, la première dignité doit présider
à cet office toutes les fois que le prélat est absent ou empêché.
Tel est aussi le sens de ces expressions, qui se retrouvent dans
les décrets relatifs â cette question :
« Ad primam dignitatem periinere celebrare, et alias Functioûes
« facere, quas si praesens esset, episcopus faceret » (Décret du 16
janvier 1607, n. 533, q. 1); « Ad archidiaconum pertinere.... ab-
Mni i"C)3.i JOES fonction; pontificales. ^o5
» sente archiepiscopo, et decano impedito, Missas solemnes celebrare,
» et alias Functiones facere, qiias, si prsesentes essent, et non impediti,
D archiepiscopiis vel decanus facerent. » (Décret du 58 avril 1607,
q. 2.) « Ad primam dignitatem pertinere Vesperas et Missas cantare,
» acSS. Sacramentum inprocessione déferre in illis diebus et solemni-
» tatibus, in quibus episcopus, si praesens esset, id faceret. » (Décret
du 17 nov. 1607, n, 5631.) « Absente vel impedito archiepiscopo,
» Functiones, de quibus supra, ac alias, quas idem archiepiscopus, si
» praesens esset, faceret, ad decanum supradictura tanquam primam
» dignitatem.... spectare. » (Décret du 23 janvier 1621, n. 591.)
« Functiones, quas ipse (archiepiscopus) si praesens esset^ aut non im-
» peditus, obiret..., spectare ad.... primam dignitatem. » (Décret
du 25 septembre 1621 , n. 604.)
Nous concluons de là qu'en règle générale, la première di-
gnité doit remplacer Tévèque dans toutes les fonctions qui ap-
partiennent au pontife etdans celles-là seulement, soit en vertu
du droit commun, soit eu vertu du droit particulier d'une
église. Nos églises de France )i'ont guère de droit particulier
bien établi à cet égard : tout au plus pourrait-on y regarder
eommc faisant partie des fonctions poutificales les secondes
vêpres des fêtes solenneUes> tant à cause du concours du peuple,
que du mot saltem renfermé dans la rubrique du cérémo-
nial des évèques 1. ii, c. i, n" 3. Quoi qu'il en soit, la coutume
spéciale d'un évèque usant de son droit de célébrer à certains
jours, mentionnés ou uon dans le Cérémonial, ne pourrait évi-
demment pas suffire pour attribuer â la première dignité le
droit et Tobligation de célébrer à la place du prélat. Admettre
un pareil principe serait détruire les règles établies dans le
Cérémonial des évèques et anéantir les privilèges de la se-
conde dignité, tels que les donne le décret du 23 mars 1709
(n. 3802, q. 2).
La deuxième question nous parait devoir être résolue néga-
tivement. L'office pontifical commence aux premières Vêpres
auxq'welles l'évêque officie solennellement toutes les fois qu'il
doit célébrer la Messe solennelle. Cette rubrique paraît tout-à-
AZCy DES FONCTIONS POMIFICALES. [Tome VII.
fait relative à la nature spéciale de l'office pontifical, et rien
n'indique qu'il puisse appartenir à la première dignité d'offi-
cier aux Vêpres lorsqu'elle doit célébrer la Messe solennelle à
raison de la connexion de cette Messe avec une fonction qu'elle
doit remplir.
§ 3. Des Fonctions que doit remplir la première dignité à la
place de Vêvêqne, d'après le droit commun, en cas d'absence ou
d'empêchement de la part du pontife,
I. La première dignité doit remplacer l'évêque dans toutes
les fonctions énumérées aux §§ 1 et 2 de la première question,
et dans celles qui y sont nécessairement 'jointes, sauf celles
qui seraient positivement exceptées par les règles canoniques
ou liturgiques.
II. La règle que nous énonçons ici renferme trois parties
distinctes. La première partie est clairement prouvée par les
décrets cités t. m p. 68 et suiv. Toutes ces fonctions d'ailleurs,
comme nous l'avons montré, sont pontificales. La deuxième
résulte de ce qui est dit au § précédent n» 1. La troisième enfin
est une réserve relative à des fonctions que le cérémonial énu-
mère comme appartenant à Tévêque, mais qui, en cas d'ab-
sence ou d'empêcbement de la part du pontife, seraient rem-
plies par un chanoine quelconque, ou par celui qui aurait
l'usage de les remplir.
m. L'application de la dernière partie de cette règle de-
mande quelques mots d'explication. Elle se rapporte 1° à la
cérémonie de la bénédiction des Cierges le 2 février, et par-
tant à celle des Gendres et des Rameaux ; 2" à la procession
qui se fait après les Vêpres^ le jour de l'octave du Très-Saint
Sacremeat: 3*^ aux messes de Requiem pour le repos de l'âme
du dernier évêque défunt, et des évêques et chanoines dé-,
funts.
1° Nous lisons dans le Cérémonial des évêques, au chapitre
où il est traité de la fête de la Purification en l'absence du
pontife: « Absente episcopo , canonicus hebdomadarius,
JlIail8G3,l DES FONCTIONS PONTIFICALES. 4^7
» sive diguitas, vel alius, ad quem de consuetudine ecclesiœ
» celebrare spectat, paretur in sacristia. p Catalan! s'exprime
ainsi dans son Commentaire sm- cette rubrique ; « Ex décrète
» S. R. C... edicitiir beuedictionem Candelarum, Cinerum et
« Palmarum^ et^alias similes aciiones, quas faceret episcopus
» praesens, eo absente vel impeclito, ad primam dignitatem,
» non vero ad canonicum hebaomadarium pertinere. Sed
» standum est consuetudini.» Nous pouvons conclure de là que
la cérémonie de la bénédiction des cierges, le 2 février, et
les cérémonies analogues, comme la bénédiction des Cendres
et des Rameaux, pourraient, si l'évéque est absent ou empêché,
appartenir à une des dignités ou au chanoine hebdomadaire,
mais seulement en vertu d'une coutume qui constituerait un
droit particulier, comme celui qui a été constaté par la S. C. le
H août 1860 pour le chapitre de Nicotéra. Les décrets sont
trop formels pour qu'on puisse admettre en principe que ces
fonctions ne reviennent pas de droit à la première dignité, eu
cas d'absence ou d'empêchement de la part de l'évéque. Outre
les décisions citées dans l'article du 20 janvier d861, nous pou-
vons citer les suivantes: l" le décret du 21 mars 1609 (n»
406), dont parle Gatalaui dans le passage rapporté ci-dessus:
« Benedictiones Candelarum, Cinerum et Palmarum, absente vel
» impedito episcopo, ad priuiara dignitatem, non autem ad canonicum
» hebdomadarium, pertinere. »
2° Cette autre décision du 8 février 1642, n» 1369 :
« Benedictiones Candelarum, Cinerum et Palmarum, ipsarumque
D distributionera, pro episcopo absente vel impedito ad digniorem de
» capitulo spectare. »
3^ Une autre du 19 décembre 1654, n» 1747 :
« Benedictiones necnon distributiones Candelarum, Cinerum et Pal-
» marum omnino per archipresbyterum celebrandas. ».
2° Si l'évéque assiste à la procession qui termine l'octave du
Saint-Sacrement, le pontife doit, avons- nous dit, porter lui-
458 DES FONCTrONS PONTIFICALES. [TomeVU.
mémo le Très-Saiut-Saci'emeïit. Cette procession n'est donc
une fonction pontificale qu'antant que le prélat juge à propos
à'y assister, et l'on ne voit pas qu'elle soit du nombre de
celles qui appartiennent à la première dignité en l'absence
de l'évèque. Observons toutefois que celui qui officie à cette
proces&ioQ, en l'absence du pontife, doit officier aussi aux
Vêpres qui la précèdent: « In Vesperis octaux {Corporis
» Chrisii, SS. Sacramentum) deferatur ab eo qui fecit officium
j> Vesperarum. » (Décret du 12 juin 1627, n. 687, q. 1.)
3° Nous avons vu (question I, § 1) que l'évèque doit faire
l'absoute après les Messes anniversaires pour son prédéces-
seur et pour les évoques et chanoines défunts. On pourrait en
conclure qu'en cas d'absence ou d'empêchement de sa part, il
appartient à la première dignité de faire ces absoutes, et par
conséquent, de célébrer ces deux Messes. Les deux rubriques ,
du Cérémonial des évêques citées au même lieu nous montrent
clairement le contraire.
IV. Pour conclure, nous croyons pouvoir énumérer ainsi
les fonctions qui, de droit commun, appartiennent à la pre-
mière dignité en cas d'absence ou d'empêchement de la
part de l'évèque :
4° Les premières Vêpres, la troisième Messe, et les secondes
Vêpres de la fêle de Noël ;
2° Les premières Vêpres et la Messe de la fête de l'Epiphanie;.
3° La Bénédiction des Cierges, la procession et la Messe, le
2 février;
4° La bénédiction des Cendres et la Messe, le mercredi des
Cendres ;
0° Les premières Vêpres de l'Annonciation, si cette fête se
célèbre après Pâques ou le Lundi ; la Messe de ce jour ; et les
secoûdes Vê^n-es, si cette fête se célèbre pendant le carême, un
autre jour que le lundi ;
6° La bénédiction des Rameaux, la procession et la Messe,
le dimanche des Rameaux ;
Mai isr,3]. DES FONCTIONS PONTIFICALES. /.b9
7° L'office des Ténèbres, les trois derniers jours de la se-
maine sainte ;
8° La Messe solennelle, la Procession et le lavement des
pieds, le jeudi saint ;
9° La Messe et les Vêpres solennelles du dimanche de
Pâques;
10® La Precessicm des grandes Litaisies, le 25 avril ;
11° Les premières Vêpres et la Messe de la fête de l'As-
cension ;
12" Les premières Vêpres et la Messe du dimanche de la
Pentecôte;
13° Les premières Vêpres et la Messe de la fête des saints
apôtres Pierre et Paul;
14° Les premières Vêpres et la Messe de la fête de l'Assomp-
tion de la Sainte Vierge;
J5» Les premières Vêpres et la Messe du jour de la Tous-
saint ;
16° Les premières Vêpres et la Messe de la fête de la Dédi-
cace de l'église cathédrale;
il" Les premières Vêpres, la Messe et les secondes Vêpres
des fêtes du Patron de la ville et du Titulaire de l'église ca-
thédrale.
Nota. Nous ne parlons pas ici de la procession qui suit la
Messe solennelle le jour de la fête du Très-Saint Sacrement,
puisque, comme l'a fort bien fait observer Fauteur de l'article
publié en janvier 1861, la Messe de ce jour appartient de
droit à la première dignité, même en présence de l'évêque, et
en son absence, la pi-ocession appartient à la première di-
gnité comme ayant célébré la Messe solennelle.
P. R.
ETUDE
SUR
L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DE THÉODORET
Premier article.
U Histoire ecclésiastique d'Eusèbe s'arrête à Constantin. Trois
écrivains l'ont continnée, chacun de son côté, pour le siècle qui
suit, et leurs trois histoires qu'on a réunies sous le nom
à.' Histoire en trois parties^ n'en font, en effet, qu'une seule par
le sujet et se complètent Tune l'autre. Socrate et Sozomène,
tous deux avocats à Constantinople, ont rapporté les faits dans
leur ordre, sans aucune pensée d'ensemble. Estimables, So-
crate surtout, pour l'exactitude des détails, ils ne nous donnent
l'idée ni des grandes luttes de l'Eglise durant ce siècle, ni de
tant de grands hommes suscités de Dieu pour sa défense. Ils
rapportent les événements, mais ih ne savent pas, ce qui est
bien plus difficile, nous montrer les hommes. Leur style se
ressent de cette pauvreté : il est sec chez Socraie, plus préten-
tieux, mais aussi peu élégant chez Sozomène ; on désirerait en
les lisant qu'une si belle époque eût un historien plus digne
d'elle.
Nous l'avons dans Théodoret. L'évêque de Cyr, mêlé à toutes
les affaires ecclésiastiqu'es de son temps et profondément
versé dans la counaissance des erreurs qui divisaient l'Église,
commence son histoire avec l'idée générale de présenter la
Mai 1863,] ÉTUDE SUR l'HISTOIRE ECCLÉsIAST. DE THÉODORE T. -^61
suite des hérésies, depuis Arius jusqu'à Nestorius, pour faire
mieux connaître la foi catholique, tant attaquée dans son
siècle, etcombler les lacunes de ses devanciers. Il néglige trop
souvent la chronologie; il se borne trop à raconter l'histoire
de l'Église d'Antioche, comme Socrate et Sozomène celle de
l'Eglise de Constantiuople ; mais il sait présenter les événe-
ments et les hommes. Il donne à son histoire un but particu-
lièrement moral, en proposant à l'imitation de beaux exemples
et de nobles caractères, et en développant surtout le senti-
ment fécond de l'admiration. Enfin, son éloquence est à la
hauteur de son sujet, son style estpleinde charme, et VHistoire
ecclésiastique peut passer pour un des morceaux les mieux
écrits que nous offre la littérature des pères.
C'est cette histoire que nous nous proposons de faire con-
naître d'abord par la vie même de son auteur, afin d'en dé-
duire les caractères généraux de son ouvrage, et d'écarter
quelques appréhensions que certaines circonstances de sa vie
pourraient inspirer ; nous l'examinerons ensuite plus en détail
en nous attachant surtout à montrer la manière dont Théodoret
raconte et dont il présente les personnages principaux.
Théodoret naquit vers l'an 386 à Antioche. Cette capitale
de l'Orient brillait depuis longtemps de l'éclat des lettres, et
elle entendait alors la parole de saint Jean Chrysostôme.
Théodoret fut heureux de pouvoir se former au sein d'une
ville savante, sur les exemples tout récents d'un maîti'e qu'il
aima et qu'il admira toute sa vie. 11 étudia profondément la
langue et la littérature grecque. L'ouvrage qu'il nomma
Médecine des Gentils, où il compare les opinions des philo-
sophes et des sages de la Grèce sur les grandes questions qui
touchent le monde et l'homme, avec les enseignements des
saintes Écritures sur les mêmes objets, montre qu'il avait lu
tous les auteurs profanes ; il leur a pris l'éloquence avec la-
quelle il les combat. La pureté de son style témoigne plus
clairement encore de ses études. Aucun {)ère ne rappelle de
462 ÉTUDE SUR l'histoire EBCLÉSIASTIQUE [Tome Vfl.
plus près saint Chrysostôme, dans cette manière de parler
pure et abondante qui nous charme chez ce grand saint.
Uffistoite ecclésiastique est écrite de ce style limpide qui con-
vient à la narration. C'est le témoignage que lui rendeait
Photius, bon juge à cet égard, et l'historien Nicéphore : « J'aî
la, dit Photius, Vffistoire ecclésiastique de Théodor^t ; c'est 4ë
tous les écrivains que j'ai nommés, celui dont le langage est le
mieux approprié à l'histoire (!).» — «Théodoret, dit aussi Nicé-
phore (2), est uu imitateur du grand Chrysostôme : c'est d'après
ce modèle qu'il forme son style ; il est clair, abondant, facile
et plein de grâces attiques. » Pour qui a lu surtout les Biscoiir»
sur la Providence, celui sur la Charité et l'Histoire ecclésiastique,
ces éloges n'ont rien d'exagéré. Ce fut donc un avantage pour
notre historien de naître au sein d'une grande ville : il dut à
sa patrie cette culture littéraire qui perfectionna ses heureuses
dispositions et rendit plus brillantes ses autres qualités.
Un avantage plus sérieux qu'il retira du lieu de sa nais-
sance, ce furent les exemples et les avis des saints moines et
des saints solitaires dont la Syrie était alors remplie. Nul siècle
n'en produisit un plus grand nombre : les environs d'Antioche
et toute la Palestine en étaient peuplés. Saint Jean Chrysos-
tôme qui avait, pendant plusieurs années, mené la même vie,
célébrait dans ses plus éloquents traités l'héroïsme de ces phi-
losophes chrétiens, et, trois ans après Théodoret, venait au
monde, dans la Cilicie, saint Siméon Stylite, le plus illustre
de tous. Plus tard, ce grand saint envoyait à Théodoret pour
être instruits par lui ceux que ses prières et les prodiges de
sa vie portaient à se convertir. Il semble que la Providence ait
voulu rapprocher ces saints hommes de celui qui devait ra-
conter les merveilles de leur vie. Théodoret se trouva en rap-
port avec eux dès sa naissance. Sa mère l'obtint de Dieu, après
(1) Pholius. Biblioth, cod., xxxi.
{2} Nicepb, Hist. eccles., 1. xiv, c. 54.
SJai 1803.) DE TQÉODORET. 463
treize ans de mariage, par les prières d'un vénérable ascète
nommé Maccdouius, à la condition de le consacrer à Celui qui
l'avait donné ; et il fut vraiment, suivant la double signification
de son nom, un don de Dieu et un don ofifert à Dieu. Sou-
vent malade dans son enfance, il fut guéri par un autre ascète
du nom de Pierre, et plus d'une fois sa mère lui fit recevoir la
bénédiction du saint vieillard, qui habitait près d'Antioche
dans un tombeau. Le bienheureux Aphraate, un saint moine
qui sortit une fois de sa solitude pour reprocher à Valens ses
sentiments liérétiques et ses persécutions contre l'Église, bénit
aussi Thédoret de cette bénédiction féconde que donnent les
saints. C'étaient là bien des grâces : aussi Macédonius rappe-
lait-il souvent à L'enfant combien il était obligé envers Dieu,
a C'estavec beaucoiipdepeinequetuesné.ômonfils, luidisait-
a il ; moi-même j'ai passé bien des nuits demandant uniquement
a à Dieu pour tes parents la naissance d'un fils. Montre-toi digne
« maintenant de toutes ces grâces. Dès avant que ta mère t'en-
« fantât, ses promesses t'avaient consacré à Dieu, et ce qui
« est offert à Dieu doit être respecté. Il te faut donc repousser
a loin de toi les mauvais mouvements de l'âme, ne rien faire,
a ni rien dire, ni rien penser qui ne soit pour plaire à Dieu (1).»
Jamais Théodoret, au milieu de sa carrière si agitée, n'oublia
les saints solitaires à qui il devait tant ; évêque, il allait sou-
vent retremper dans leur entretien un courage qui s'use vile
parmi les difficultés de la vie ; et il nous a laissé dans son
Histoire religieuse, ou PhUothée, un admirable tableau de leurs
vertus, qui est à la fois un monument de son génie et de sa
reconnaissance. Lui-même connut bien la vie monastique : dès
l'âge de sept ans, sa mère, fidèle à son vœu, le consacrait à
Dieu dans le monastère de Saint-Euprèpe, aux environs d'An-
tioche ; c'est là qu'il se forma lentement au miheu du silence
et du recueillement qui favorisent tant les études et qui pré-
H)^Theocl. Relig. hist., c. xin.
464 ÉTUDE SUR l'histoire ecclésiastique [TomeVII^
parent mieux que tout le reste à la vie active. Théodoret
demeura moine toute savie; lui-même nous apprend qu'on
le fit évêque malgré lui, et qu'il vécut toujours comme dans le
cloître. On reconnaît souvent le moine, l'ami des solitaires
dans l'auteur de l'Histoire ecclésiastique ; il aime à parler des
saints, à décrir-^; leurs actions et leurs vertus. L'ouvrage tout
entier montre une disposition générale très-prononcée à in-
struire par des exemples et à proposer de beaux modèles à
l'imitation. C'est là ce semble le génie particulier et le carac-
tère spécial de VHistoire de TbéoJoret. Tandis que la plupart
des historiens se contentent de tirer la leçon des faits, il aime
surtout àla tirer des actions des saints. Il n'omet pas en général
ce qui peut servir à l'édification, et il pousse surtout à l'ému-
lation du bien, sentiment qui a transporté au dessus d'eux-
mêmes tant de saints moines et de saints ascètes. C'est même
là le motif qui l'a décidé à écrire son histoire. « Je ne pensais
pas, dit-il, qu'il fût permis de laisser s'éteindre dans l'oubli la
gloire de tant de^belles actions et d'exemples si utiles (1).» Cette
préocupation d'édifier et de procurer directement le bien des
âmes en mettant sous les yeux de nombreux traits de sainteté,
montre souvent chez l'historien l'homme intérieur et le moine.
Ses héros sont saint Athanase et saint Jean Chrysostôme, deux
apologistes de la vie monastique; tout enfin dans VHistoire
ecclésiastique nous montre que l'auteur avait passé par cette
école qui apprend à ne voir et à n'estimer de toutes les choses
humaines que les biens de l'âme.
Théodoret était encore au monastère de Saint-Euprèpe
lorsqu'il se fît connaître par ses prédications. L'hérésie n'a-
vait pas d'ennemi plus zélé ni plus éloquent. Il s'attaquait
surtout aux Apollinaristes. Ces hérétiques, qui prétendaient
que le Verbe joue dans le Christ le rôle que l'âme intelligente
et raisonnable occupe dans l'homme, séduisaient beaucoup
(\) Hist. (ccles. prspf.
Mai 4863.] DE THÉODORE!. 463
de gens par cette manière simple, et aussi facile que fausse, de
rendre raison d'un des grands mystères de la foi. Il est aisé
de voir dans V Histoire ecclésiastique, que Théodoret était par-
ticulièrement révolté de cette explication, qui faisait du Christ
Dieu et homme un composé au môme sens que l'homme
formé d'une âme et d'un corps, et peut-être cette préoccupa-
tion, développée outre mesure par l'influence du célèbre Théo-
dore de Mopsueste, son maître, l'amena-t-elle dès lors à s'é-
carter un peu du chemin si bien tracé par saint Athauase
dans ses livres contre Apollinaire, et à méconnaître la force
du lien hypostatique qui unit les deux natures divine et hu-
maine, dans la personne de Notre-Seigneur. Quoi qu'il en soit,
son zèle, la sainteté de sa vie, l'éclat de ses talents le dési-
gnèrent au choix de Théodote, archevêque d'Antioche, qui
lui confia, vers l'an 420, le gouvernement du diocèse de Cyr.
Théodoret conserva dans sa nouvelle dignité la pauvreté et
toutes les habitudes monastiques, unissant ainsi les deux vies,
celle qui recueille et celle qui dépense, et puisant dans l'une
de la force pour l'autre. Il fut le docteur de son peuple qu'il
ne cessa de nourrir de la parole de vie, et c'est pour l'in-
struire qu'il composa ses Commentaires .sur les huit premiers
livres de l'Écriture, les prophètes, les psaumes et les épitres
de saint Paul ; commentaires qui tiennent une place considé-
rable dans ses œuvres, et qui rappellent souvent saint Jean
Chrysostôme par les développements moraux où l'auteur se
complaît, et par la diction. La province de Cyr comptait huit
cents paroisses, dont plusieurs infestées par le fléau de l'hé-
résie, mais le mal ne résista point aux prières et au zèle du
saint évcque. C'est lui-même qui, accusé, se rend ce témoi-
gnage : <i J'ai ramené, dit-il, dans le chemin de la vérité huit
« bourgs désolés par l'hérésie de Marcion avec tous les lieux
a avoisinants ; j'ai éclairé de la lumière de la vraie foi un
a autre bourg rempli d'Eunomiens, et un autre encore peuplé
a d'Ariens; enfin, avec la grâce de Dieu, il n'est rien resté
J5r>6 ÉTUDE SUR l'histoire ECCLÉSIASTIQUE [Tome VU.
« chez nous du mauvais grain deThérésie (1).» A cette époque
où la force du gouvernement impérial s'était bien aflFaiblie,
l'évêque était devenu le vrai protecteur de son troupeau, mêBEie
dans les intérêts matériels ; Théodoret veilla aux besoins du siea
et souvent même le défendit contre l'avidité des agents impé-
riaux. « J'ai élevé, dit-il, avec ^les revenus de l'Église des por-
o tiques publics, j'ai fait construire deux grands ponts, répa*
« rer des bains : la ville ne tirait point d'eau du fleuve qui
« passe auprès : en établissant un aqueduc, je lui ai donné
a en abondance l'eau dont elle manquait (2). » On admirait
dans Tévêque de Cyr les qualités qu'il admire le plus chez les
saints dont il a écrit l'histoire : la charité pour les autres jus-
qu'à l'oubli de soi-même. Ne possédant pour lui qu'un seul
vêtement, il distribuait aux pauvres des richesses considé-
rables dans son diocèse et dans les diocèses voisins; il avait
pour les biens du monde ce généreux mépris qui s'allie toa-
jours avec les dons d'un esprit élevé, et qu'il loue à satiété
chez les saints. 11 était touché par le beau, et son histoire
toute seule prouverait assez que, s'il ne cherchait pas la beauté
de la forme, il l'atteignait toujours par le goût et l'instinct
Datnrel d'une grande âme. 11 rivalisait de pénitence avec les
saints solitaires dont la province de Cyr était alors remplie ;
mais les rigueurs qu'il exerçait sur lui-même, par une al-
liance qu'on observe presque toujours, ne le rendaient que
plus sensible à ce qui arrivait aux autres. Jamais cœur ne fut
mieux fait pour l'amitié. Ses Lettres, qui sont nombreuses et
précieuses pour l'histoire, nous montrent, exprimés dans 1q
langage de saint Jean Ghrysostôme, les sentiments les plus dé-
voués et les plus aimants, et quelques-unes sont de la plus
haute éloquence. Hélas! poui'quoi faut-il que ces qualités
mêmes lui soient devenues un piège, et que son zèle contre
(t) Ep. LXXXI,
(2) Ibid.
Mai 18G3.] DE THÉODORE!. 467
riiërésie d'Apollinaire, qu'il croyait voir partout, et trop de
fidélité à d'indignes amis l'aient entraîné hors de la vérité?
Il y avait environ huit ans que Théodoret était à Cyr, quand
Nestorius fut appelé à Constantinople pour succéder à l'arche-
vêque Sisinnius. Il sortait aussi du monastère de Saiut-Ea-
prèpe où il avait passé plusieurs années avec Théodoret. Ce-
lui-ci avait été séduit par le zèle et l'apparente piété de
Neslorius, et il l'avait pris pour ami. Une âme généreuse
soupçonne difiScilement le mal chez les autres. Ou sait com-
ment Nestorius troubla l'i^glise. Son hérésie, qui commençait
par nier à la Vierge le titre de Mère de Dien, aboutissait à di-
viser le Christ et à rompre le lien qui unit en lui dans la
même personne le Yerbe et la nature humaine, puisque cette
nature n'existe point par elle-même, mais seulement en union
avec le Verbe qui l'a prise. A la place de cette union reconnue
dès les Apôtres, quoiqu'on ne l'ait nommée généralement
hypostatique que depuis ces luttes, Nestorius en établissait
une autre résultant seulement de ce que le Verbe s'était joint
à la nature humaine en venant habiter en elle, à peu près
comme l'Esprit-^aint habitait dans les Prophètes, quoique
d'une manière plus continue. H s'ensuivait que le Verbe fait
chair n'était pas né de la Vierge Marie, et encore, qu'il n'é-
tait pas mort pour nous.€ette hérésie, soutenue par un évêque
de Constantinople, et voilée d'abord sous des expressions qui
ne tendaient en apparence qu'à distinguer nettement les deux
natures, fut promptement discernée par saint Cyrille, pa-
triarche d'Alexandrie et l'une des lumières de l'Église. Saint
Cyrille écrivit deux fois à. Nestorius pour l'exhorter à se ré-
tracter; mais, n'obtenant rien, il porta l'affaire à Rome, de-
vant le pape saint Célestin. Nestorius de son côté eu fit au-
tant. Le Saint-Siège répondit en menaçant Nestorius de la
déposition, s'il n'abjurait son erreur : saint Cyrille avait mis-
sion de notifier la sentence. Celui-ci députa donc à Constan-
tinople quatre évêques avec la lettre du Saint-Siège et une
468 ÉTUDE SLR l'histoire ECCLÉSIASTIQUE ilomo Vil"
lettre demeurée fameuse dans la tradition de l'Église, où
il embrassait en douze articles ou douze anathèmes toute la
foi catholique sur les points attaqués par Nestorius. En même
temps, il fit part de la lettre du Pape à Jeau^ archevêque
d'Antioche, qui lui-même avait été moine ù Saint-Euprèpe, et
comptait parmi les amis de Nestorius. Jean écrivit donc à ce-
lui-ci de détourner le coup qui allait le frapper en reconnais-
sant à la Vierge Marie le nom de Mère de Dieu. On croit que
la lettre fut écrite par Théodoret, ami commun de Jean et de
Nestorius, qui était alors à Antioche pour un synode. On sait
comment l'archevêque de Constantinople refusa de se sou-
mettre et à la décision du Pontife et aux remontrances de ses
amis, et comment il l'eut l'art de faire différer Taffaire jus-
qu'au Concile qui devait s'assembler à Éplièse. En attendant,
il combattit les douze articles de saint Cyrille par autant de
contre-anathèmes, et pria Jean d'Antioche de préparer de son
côté une réfutation de ces mêmes articles. Jean en chargea
Théodoret. L'évêque de Cyr se trouvait dans la position la
moins favorable pour apprécier la vérité : il s'agissait^de dé-
fendre un ami, et ce service lui était demandé par un ami
aussi, par son propre métropolitain. Il n'aimait pas saint Cy-
rille, dont l'oncle Théophile, patriarche d'Alexandrie, avait
persécuté saint Jean Chr^^sostôme : préoccupé d'ailleurs dés
longtemps de ses idées contre l'hérésie d'Apollinaire, il croyait
en retrouver la trace dans quelques expressions où le saint
évêque affirmait l'union des deux natures dans la personne
divine. 11 écrivit donc contre les douze anathèmes avec une
violence qu'on a peine à s'expliquer. Dénaturant la pensée
de saint Cyrille et abusant de quelques mots dont il ne com-
prit pas ou ne voulut pas comprendre la force, il vit dans l'u-
nion hypostatique l'union physique des ApoUinaristes; au
lieu de s'expliquer dans quel sens saint Cyrille disait de Dieu
qu'il est né et qu'il est mort pour nous, il n'aperçut là qu'une
confusion impie des deux natures. Saint Cyrille répondit à
Mai 1863.] DE THÉODORET. /,i\9
toutes les objections, mais sans convaincre Théodoret, aveu-
glé par la passion. Le Concile se rassembla à Éphèse et fut
présidé par saint Cyrille : il déposa Nestorius; mais ni Jean
d'Antioche, ni Théodoret n'y parurent; le premier s'y rendit
après de longs délais calculés, pour se plaindre amèrement
qu'on ne l'eût pas attendu, et, rassemblant quelques évêques
de son parti, il excommunia saint Cyrille et les autres pères
du Concile, et jeta ainsi le trouble dans l'Église. Les agita-
teurs ne s'en tinrent pas là : ils relevèrent Nestorius de la
condamnation prononcée par le Concile, et noircirent saint
Cyrille auprès de l'empereur; mais celui-ci leur ordonna de
se séparer, et maintint la condamnation de Nestorius. Puis,
après quelques mois, il enjoignit au patriarche Jean de
mettre fin aux divisions de TÉghse en faisant la paix avec
saint Cyrille. Il devait désavouer l'hérésie de Nestorius et ap-
prouver par écrit sa déposition. Telles furent les conditions.
Jean et les évêques orientaux rassemblés y souscrivirent, mais
Théodoret n'y consentit point : une grande âme, comme elle
va plus loin dans le bien, va aussi plus loin dans le mal,
quand elle est dirigée par la passion. Théodoret écrivit de
tous côtés pour se plaindre et soulever les esprits contre saint
Cyrille; mais il montre bien dans ses lettres que son âme
était plus attachée à la personne de Nestorius qu'à ses opi-
nions ; il déclare, par exemple, à Jean d'Antioche qu'il n'a rien
trouvé de contraire à la saine doctrine dans les écrits de saint
Cyrille : mais, dans la même lettre, il refuse de souscrire à la
déposition de Nestorius, « cet homme si vertueux, que con-
damner sa doctrine, serait condamner la piété même. » Ainsi
Théodoret n'était engagé dans sa lutte contre la vérité que
par une fidélité coupable à l'amitié, et en défendant Nesto-
rius, c'était l'homme surtout qu'il défendait; c'est principale-
ment la passion qui lui fit voir l'hérésie chez saint Cyrille, et
c'est le cœur enfin qui aveugla si longtemps cette belle intel-
ligence.
4T0 ÉTUDE sur. l'histoire ecclésiastique ITomeVd.
Quelle fut l'influence de ces querelles sur V Histoire ecclé-
siastique de TLéodoret ? Elle est sensible, si l'on regarde la forme
de cet ouvrage, qui est proprement le récit des troubles soulevés
dans l'Église par rhérésie d'Arius et les autres bércsies qui en
sont sorties. Ces luttes sont pour Tliéodoret le sujet de son
histoire. Il y ramène tout à l'arianisme, avec lequel il com-
mence son premier livre, et aux suites de l'arianisme. On voit
un auteur qui lui-même a traversé les luttes et dont la vie
tout active s'est passée à combattre. Théodoret ne donne pas
seulement les faits ; il présente les opinions et les discute, e
son œuvre y gagne eu intérêt et en vie. Il rapporte souvent
des lettres, des décisions qu'on ne trouve pas ailleurs, et qui
sont comme les pièces de ce grand procès : on reconnaît là
l'évêque mêlé à toutes les affaires du temps. Mais est-il vrai,
comme le prétend le P. Garnier, qui a fait d'excellentes disser-
tations sur Théodoret, que toute cette histoire soit inspirée
par l'esprit de parti; que tout y soit présenté de manière
à ce qu'on tire des conclusions en faveur de Neslorius, et
que Théodoret ait voulu montrer dans l'hérésie d'Arius la
source de l'hérésie des Apollinaristes à laquelle il rattacherait
la foi de saint Cyrille et de tous les défenseurs de l'union
substantielle ou hypostatique ? Est-il vrai, enfin, que cette
histoire ne soit qu'une sorte d'allégorie ou il faille voir sous
la figure des personnages morts, les personnages vivants,
dans Eusèbe de Nicomédie, arien, saint Cyrille ; dans saint
Athanase et saint Jean Chrysostôme, archevêques tous deux,
tous deux défenseurs de la foi et persécutés pourelle^ la figure
de Nestorius? Avec cet esprit d'interprétation ingénieuse,
l'histoire tout entière ne serait plus qu'une allégorie^, car les
événements de tous les siècles ont tant de ressemblance, qu'on
pourra toujours, si l'on veut, trouver dans le passé des allu-
sions au présent. Mais qui ne voit que cette assertion du
P. Garnier repose uniquement sur l'opinion qu'il s'est faite
des sentiments de Théodoret en écrivant son histoire? Pour
Moi !.S.:î.1 DB THÉODORE!. 47^
nous, s'il nous fallait y voir des allusions, nous croyons qu'elles
regardent l'hérésie d'Eutychès, et non la foi de saint Cyrille,
Tbéodoret lui-même alors persécuté par les hérétiques^, et non
Nestorius. Si nous voulons nous rendre compte de la pensée
qui a inspiré Théodoret, nous croyons plus sûr de la chercher
dans les circonstances mêmes où V Histoire ecclésiastique a été
écrite.
La Providence, qui avait permis que Théodoret fût aveuglé
si longtemps au point de combattre la vérité, lui donna,
quelques années après, l'occasion d'expier ses fautes en étant
persécuté pour elle. Saint Cyrille mourut eu MO. Défejiseur
intrépide de la foi, s'il avait eu de la haine contre l'erreur, il
ne l'avait jamais étendue aux hommes; Dioscore, qui lui suc-
céda sur le siège d'Alexandrie, n'avait pas la même modéra-
tion, et Théodoret incrimijié par lui, accusé d'ailleurs auprès
de l'empereur par des personnages influents, reçut de Gon-
stantinople l'ordre de ne plus sortir de sa province. Cette
sorte d'exil était la juste punition de tant de mouvement
qu'il s'était donné pour une mauvaise cause, de tant de
troubles qu'il avait excités. Théodoret se plaignit d'abord
amèrement ; néanmoins il saisit ce repos forcé cf comme une
source de biens , » et s'attacha plus étroitement au soin
de son troupeau. C'est à cette époque qu'il composa une
bonne partie de ses commentaires sur l'Écriture sainte, genre
où il excellait, et par où il rappelle saint Jean Chrysos-
tôme ; alors aussi il écrivit son Polymorphus , dialogues
entre un orthodoxe et un hérétique , où il défend contre
les Apolliuaristes et sans doute aussi contre les Mono-
physites, dont les opinions commençaient à se produire, la
distinction des (Jeux natures. Le titre de ses dialogues indique
le but même de l'cuvrage : le premier, hnmutabilis, sur
l'immutabilité du Verbe; le second, Inconfusus, sur l'inconfu-
sibilité des deux natures; le troisième, Impatibilis, sur l'im-
passibilité de la nature divine ea Jésus-Christ. Dans le second
472 ÉTUDE SUR l'histoire ecclésiastique [Tome VII.
de ces dialogues, il s'appuie sur l'autorité de saint Cyrille et
le cite louguement à la suite des Pères et des docteurs de
l'Église, saiut Iguace, saint Irénée, saint Atliauase, saint Gré-
goire de Nazianze^ montrant ainsi l'unité de la doctrine catho-
lique sur la distinction des deux natures, depuis les apôtres
jusqu'à saint Cyrille. « Saint Cyrille^ dit-il ailleurs, dans sou
discours sur la chanté composé vers le même temps, enseigne
a clairement la distinction des deux natures, et proclame Tim-
« mutabilité de la nature divine. » On voit que la vérité s'était
fait jour enfin daus l'àme de Théodoret, dès le premier moment
où il comhaitait cette hérésie d'Eutychès dont il fut une des
glorieuses victimes.
Saint Cyrille, en défendant l'unité substantielle de Jésus-
Christ, Dieu et homme tout ensemble, s'était bien gardé, comme
Théodoret lui-même le reconnaît, de confondre les deux na-
tures ; s'il avait maintenu l'unité de personne contre ceux qui
divisaient le Christ, il avait distingué aussi ce qui doit être
distingué. Mais, comme il arrive toujours dans la lutte, les
défenseurs de l'union hypostatique, préoccupés de défendre
l'unité du Christ, en vinrent à étendre cette unité aux deux
natures. Ce fut l'erreur d'Eutychès, archimandrite à Constan-
tinople, et l'un des plus zélés adversaires de Nestorius. Croyant
suivre saiut Cyrille, dont il força quelques expressions, il en
vint à dire qu'il y avait eu, il est vrai, avant l'union, deux na-
tures dififérentes, mais que, depuis l'union, il s'était fait dans
le Christ une seule nature. Eutychès, accusé par Eusèbe, évoque
de Dorylée, fut condamné en 449 par saint Flavien, archevê-
que de Constantinople, et plusieurs évêques convoqués en
synode. Mais l'hérétique avait un appui dans l'eunuque Chry-
saphius, tout-puissant auprès de l'empereur. Théodose voulut
qu'on revînt sur la condamnation d'Eutychès, et qu'on exa-
minât la conduite de saint Flavien dans celte affaire. Un con-
cile fut convoqué à Éphèse, sous prétexte de confirmer la foi
définie dans le précédent concile, la foi de saint Cyrille et de
MaM8G3.1 DB TBÉODORET. 473
toute l'Église catholique. Théodoret, en voyant ce triomphe de
ses ennemis, prévit le coup qui allait l'atteindre. On sait ce que
fut celte assemblée que l'histoire a j3[étrie du nom de Brigan-
dage d'Éphèse, et les violences dont usa Dioscore pour se dé-
faire de ses ennemis : les évoques, contraints par des soldats,
souscrivirent à tout ce que voulut Dioscore; Eutychès fut
absous, saint Flavien, conduit en exil, Théodoret et plusieurs
autres évêques, déposés. Des deux légats du Saint-Siège, l'un
protesta contre ces violences, l'autre s'enfuit pour rendre
compte à Rome de ce qui s'était passé.
Saint Léon-le-Grand occupait alors la chaire de saint Pierre.
Ce saint Pontife, qui sut défendre Rome contre Attila par sa
seule majesté, savait aussi défendre toute l'Église contre l'er-
reur et l'injustice. C'est à lui que Théodoret s'adressa. Il eut
recours à ce Siège apostolique « d'où partent les rayons de la
vraie foi, pour illuminer toute la terre, » à ce très-saint Siège
de Rome, a le chef de toutes les églises du monde à beaucoup
« de titres, et particulièrement parce qu'il s'est conservé pur
« de toute hérésie,- parce que nul pontife hétérodoxe ne s'y
a est jamais assis, et qu'il a gardé intacte la grâce qu'il tient
a des SS. Apôtres (t)..»
C'était là qu'il accourait « pour chercher le remède aux maux
a de l'Éghse, auprès du saint évêque auquel il appartient de
G tenir le premier rang. » C'était au successeur de Pierre,
qu'il demandait de le « soutenir dans ses défaillances et dans
ses tribulation?. »
La lettre de saint Léon à saint Flavien contre Eutychès,
lettre décisive où se trouve exposé tout l'ensemble de la doc-
trine catholique sur ITncarnation, et qui servit de règle de foi
contre les Nestoriens et les Monophysites, acheva de porter la
lumière dans l'intelligence de Théodoret. « Nous avons trouvé,
a écrivait-il à saint Léon, les écrits de votre sainteté sur ITn-
(i) Ep. cxiii.
47î ÉTL'DB SUR L'HÏSTOIRE ECCLÉSIASTIQUE [Toma VH.
« carnation de noire Dku et Sauveur, et nous awns admiré
« la sûreté de vos doctrines, car ces écrits montrent avec la
« même évidence et la divinité éternelle du Fils unique sorti
(( du sein de son Père éternel, et son humanité prise du sang
« d'Abraham et de David ; et qu'il nous a ressemblé en tout
« dans sa çature humaine, différent seulement en ce qu'il est
« resté pur de tout péché, car il n'est pas homme naturellement,
« mais par un acte de sa volonté (1). » Théodoret ne se con-
tenta pas d'admirer cette lettre : il l'enrichit des témoignages
des Pères, faisant voir ainsi la perpétuité de la foi catholique
sur l'Incarnation depuis les temps apostoliques jusqu'à saint
Léon. Lui-même aussi, dans une lettre de la même époque,
écarte jusqu'à l'ombre d'un doute sur son orthodoxie. « Je ne
« reconnais pas, dit-il, un Christ fils de l'homme et un autre
« Christ Fils de Dieu, mais un seul Christ, Fils de Dieu, Dieu
a lui-même, et en même temps Fils de l'homme, à cause de la
« forme d'esclave qu'il a voulu prendre du sang d'Abraham
« et de David. Voilà la foi que j'ai vue exposée dans les écrits
« du vénérable et saint archevêque Léon, et je remercie Dieu
« de me trouver d'accord avec cette doctrine tout apostoli-
(( que (2). » Quand Théodoret écrivait ces lettres, il était en exil,
retiré au monastère d'Apamée; et c'est là, au milieu de ces loi-
sirs dont il se félicite quelque part, qu'il écrivit son Histoire
ecclésiastique. Il n'est donc pas difficile de voir dans quels
sentiments il la composa.
La suite le justifie mieux encore. Saint Léon cassa les actes
du conciliabule d'Éphèse et voulut examiner lui-même la
cause de Théodoret. Les députés que celui-ci avait envoyés à
Rome, firent valoir l'adhésion complète donnée par Tévêque
de Cyr à la lettre du Souverain-Pontife ; puis, ils tirèrent des
derniers ouvrages de Théodoret nombre de passages où la foi
catholique sur l'unité du Christ inséparable en ses deux natu-
(!) Ep. cxin.
(2] Ep. CXYI.
Mai 18153] DE TBÉODOEET. Mo
rcs, était clairement marquée. Saint Léon vit, et il prononç;ii
comme juge, que la condamnation de Tbéodoret avait été ia-
justc, qu'il n'avait pas cessé d'être en commuoion avec le
Saint-Siège, et qu'il devait être rétabli. Théodoret fut rappelé
de l'exil. Quelques mois après, en 451, le concile de Chalcédoine
s'étant rassemblé, Tbéodoret y prit sa place comme évêque,
en attendant que sa cause fût examinée de nouveau. Dans la
deuxième session, il donna une nouvelle preuve de sa fidélité
au Saint-Siège. La lettre de saint Léon ayant été lue, et quel-
ques difficultés s'étant élevées sur plusieurs points, Tbéodoret
se chargea de démontrer la complète conformité de cette doc-
trine avec celle de saiut Cyrille. Concilier ainsi l'adversaire de
Nestorius et celui d'Eutyeliès, n'était-ce pas se déclarer plei-
nement orthodoxe, et rendre hommage à ces deux grands dé-
fenseurs de la foi ?
Il ne lui restait plus qu'à condamner celui dont la funeste
amitié l'avait aveuglé si longtemps. Dans la huitième session,
Théodoret anathématisa solennellement Nestorius« et tous ceux
a qui disent que la Vierge Marie n'est pas la Mère de Dieu, et
« ceux qui divisent l'unité du Fils unique. Pour moi, njouta-
« t-il, j'ai souscrit à la définition de la foi catholique présentée
« par le saint pontife Léon (1), » Alors les 630 Pères du concile
proclamèrent Théodoret un docteur orthodoxe, et lui rendirent
son siège. 'Quelque temps après, il reçut de saiut Léon, avec
de glorieux éloges, la mission de combattre en Orient les er-
reurs de Nestorius et d'Eutychès, et il s'en acquitta en écri-
vant son Livre contre les fables des hérétiques, dont une partie
peut être rapprochée de l'Histoire ecclésiastique^ et nous
en montre le véritable sens. Nestorius y est formellement con-
damné et présenté sous sa véritable figure. « Nous avons su
« par nos frères, écrivit saint Léon à Théodoret, que votre
« dilection, soutenue du secours d'en -Haut, nous a aidc3 à
(\) Hardouin, l. n, col. 498.
47G ÉTUDK SLR l'histoire ECCLÉSIASTIQUE jToma VIL
0 triompher à la fois de l'impiété de Nestorius et de la folie
« d'Eutychès (1). »
Ainsi l'évèque de Cyr était entièrement lavé du reproche
de nestorianisme, el ses fautes étaient effacées. S'il avait com-
battu la vérité dans la personne de saint Cyrille, il avait été
persécuté pour elle avec saint Flavien, et sou nom même sera
longtemps associé dans la haine des Monophysites à celui de
saint Léon; coupable contre le premier concile d'Éphèse, il
était justifié par les violences des hérétiques dans le second,
violences dont il fut victime ; condamné par saint Cyrille, qui
eut à se plaindre amèrement de lui, il était absous par saint
Léon, qui le félicita de sa fidélité au Saint-Siège et de son atta-
chement à la foi des pères ; il a contre lui le concile d'Ephèse ,
mais le concile deChalcédoine, qui définit la foi catholique sur
l'Incarnation contre Neslorius et contre Eutychès, et qui est
sur ce point la règle de l'orthodoxie, le proclame lui-même
orthodose. Ainsi Dieu, par une grâce insigne qu'appelèrent
sans doute sur lui la sainteté de sa vie et les prières de ses
saints amis, voulut dissiper dans la dernière période de sa vie
toutes les ombres de la première.
Il y a donc deux parties dans la vie de Thèodoret, l'une qu'on
blâme, l'autre qu'on admire, L'Église a fait de même deux parts
dans ses ouvrages : elle a condamné les écrits en favem* de
Nestorius contre les anathèmes de saint Cyrille, mais elle a
adopté les autres. « Nous ne condamnerons pas, dit le pape
« Pelage II, tous les écrits de Thèodoret, mais seulement
« ceux qu'il a composés contre les douze chapitres de saint
« Cyrille et contre la foi orthodoxe ; écrits qu'il a condam-
« nés lui-même, de l'aveu de tous, lorsqu'il a confessé la vérité
« devant le concile de Chalcédoine... Qui ne voit combien il y
« aurait de témérité à vouloir défendre ceux desouvrages de
« Thèodoret que lui-même a condamnés lorsqu'il a confessé
(11 S. LeoDis Ep.f inter episL Theod. cxiii bis.
MaH8G3.1 DE THÉODORET. 477
« la vérité?... En repoussant soulement ses ouvrages héré-
« tiques, nous disons anathème à Nestorius avec le concile,
a et, avec le concile aussi, nous vénérons Théodoret confes-
e sant la vraie foi. Quant à ses autres écrits, non-seulement
« nous les acceptons, mais nous en usons contre nos adver-
a saires (1). »
\JHistoire ecclésiastique est au nombre des ouvrages de
Théodoret que l'Église nou-seulement ne condamne pas, mais
a acceptés. On lui reproche seulement de parler trop avanta-
geusement de Théodore de Mopsueste, le père de l'hérésie
nestorienne : mais il faut observer que Théodore avait été
le maître de Théodoret, qui fut séduit, comme beaucoup
d'autres, par l'éclat de ses talents ; puis, ses ouvrages n'avaient
pas encore été forûiellement condamnés, et Téloge se réduit
à quelques lignes. C'est une erreur de jugement, et surtout une
erreur de cœur : mais est-elle suffisante pour qu'on puisse atta-
quer Torthodoxie de V Histoire ecclésiastique, si fortement prou-
vée par les circonstances mêmes où cette histoire fut com-
posée ?
Qu'on se représente Théodoret dans ce monastère d'Apamée
où Tont jeté les persécutions des hérétiques. C'est là qu'il
écrivit son histoire au temps même où il adressait ses lettres
à saint Léon, c'est-à-dire dans un temps où l'on ne peut plus
douter de la sincérité de sa foi. Son histoire raconte surtout
les luttes de l'Église contre l'esprit hérétique et philosophique.
En remontant à l'hérésie d'Arius, il remontait à la source du
mal qu'il voyait sous ses yeux et dont il était lui-même
victime. Quand il fait allusion aux hérésies de son temps et
qu'il les voit sortir delà racine de l'ariauisme, nul doute qu'il
n'ait en vue, non les anathèmes de saint Cyrille, comme le
suppose le P. Garuier, mais les erreurs d'Eutychès. La pensée
de son histoire est de montrer la suite des fausses doctrines
(1) Pelagii PP. 11 e//. v, n. 20. Hardouin. l. m, col. ^36-38.
i78 ÉTUDE SUR l'histoire ecclésiastique [Tome VIT.
sur rincarnatiou, dont ce siècle fut si agité, et qui forme le
vrai fond de l'histoire de cette époque. 11 les a montrées,
depuis celles d'Arius jusqu'à celles de Nestorius où il s'arrête.
Puis, c'était sans doute la plusnoble consolation pour Théodoret
exilé, que d'étudier les triomphes de l'Église catholique sur
tous ses ennemis, hérétiques et philosophes, et de juger de
l'issue de la lutte engagée, par l'issue de toutes les autres
lattes. C'était un tableau qui devait le toucher particulièrement,
que celui de la fermeté des défenseurs de la foi, persécutés et
coustanis. Souvent, en effet, dans ses infortunes, sa pensée dut
se tourner vers saint Athanaseou vers saint Jean Chrysostôme,
pour raffermir sou àme par les exemples de ces grands hommes.
Nous ne voyons donc pas dans les éloges qu'id leur donne,
un éloge déguisé de Nestorius; tout s'explique assez, ce semble,
par la position de Théodoret, par les senliments dont son cœur
éiaii plein, quand il écrivit son histoire. Il ne s'est pas proposé
de rapporter les faits dans leur ordre, et on lui reproche avec
raison d'être insuffisant pour la chronologie ; il n'a pas tout
rapporté, et il se borne trop à ce qui touche l'Église d'An-
tioche ; mais c'est qu'il voulait seulement, comme il le dit,
suppléer à « ce que les autres avaient laissé de coté » ; évéque
et docteur, il voulait montrer en traits généraux, d'une part,
la suite des hérésies, et de l'autre la perpétuité de la foi : l'Eghse
luttant toujours et toujours victorieuse; malheureux et persé-
cuté, il avait besoin de retremper son âme au souvenir de
tant de beaux exemples et de nobles caractères. Telle paraît
être à Théodoret la fin même de l'histoire : faire voir la con-
duite de Dieu sur son Église sans cesse aux prises avec l'erreur,
et conserver dans la mémoire des hommes les principaux actes
de vertu. C'est là l'idée qu'il s'était faite diji rôle de l'historien,
comme il nous l'apprend dans sa préface, a Les peintres, dil-
« il, en représentant sur la toile ou sur des murs les évène-
{( ments passés, charment la vue de ceux qui regardent leurs
n tableaux et perpétuent longtemps fraîche et vivante la mé-
Mai 1S63.] DS THÉODORET. /,~9
a moire de ces événements. Mais les historiens qui emploient
« des livres au lieu de toiles, et, au lieu de couleurs^ les fleurs
« du langage, fixent le souvenir des faits d'une manière plus
« durable, car le temps altère les œuvres des peintres. C'est
« pourquoi, moi aussi, je vais essayer de raconter de l'histoire
a ecclésiastique ce qui ne l'a pas été, car je ne trouve pas qu'il
« convienne de voir d'un œil indifl'érent s'efïacer la gloire de
« tant de belles actions et d'utiles exemples. Plusieurs de mes
« amis m'ont souvent invité à me charger de ce travail ; mais
« moi, mesurant mes forces en face d'une telle tâche, je me
« sens effrayé de l'entreprise. Confiant néanmoins en Celui qui
a donne la grâce, j'entreprendrai au delà de mes forces. Eusèbe
(( de Palestine a raconté l'histoire des différentes Eglises, depuis
« les saints apôtres jusqu'au règne de Constantin ; je repren-
a drai où il a laissé, et je ferai de la fin de son histoire le
a commencement de la mienne (1). »
Nous avons essayé de donner une idée d'ensemble de VBis'
toire ecclésiastique de Théodoret et des caractères généraux
de cette histoire, d'après la vie même de son auteur. Nous
nous proposons maintenant de la faire connaître de plus près,
dans son objet et dans sa forme, en rattachant notre analyse
et les exemples que nous donnerons aux personnages princi-
paux de saint Athanase et de saint Jean Ghrysostôme.
Henri Huvelin.
(1) Hist. eccl. prasf.
BREF DE SA SAINTETE PIE IX
Portant condamnation des écrits et doctrines
du ti^ Frotischammer.
VENERABILI FRATRI GREGORIO ARCHIEPISCOPO
MONACENSI ET FRISINGENSI
Plus pp. IX.
Venerabilis Frater, salutem et apostolicam benedictionem. Gravis-
simas inter acerbitates, quibus undique premimur, in hac tanta tem-
porum perturbatione et iniquitale vehementer dolemus, cum noscamus,
in variis Germanise regionibus reperiri nonnulios catholicos etiara
viros, qui sacram theologiara ac philosophiam tradentes minime dubi-
tant quamdam inauditam adhuc in Ecclesia docendi scribendique liber-
talem induccre, novasque et omnino improbandas opiniones palam
publiceque profileri, et in viilgus disspminare. Hinc non levi mœrore
affecfi fuimus, Venerabilis Frater, ubi tristissimus ad Nos venit nun-
tius, presbyterum Jacobum Frohschamraer in ista Monacensi acaderaia
phiiosophias doctorem hujusmodi docendi scribendique licentiam pree
céleris adhibere, eumque suis operibus in luceni edilis perniciosissimos
tueri errores. Nulla igitur interposita mora, Nostrae Congregationi li-
bris notandis praeposil^ mandavimiiSj ut praecipua volumina, quae
ejusdem presbyteri Frohschammer nomine circuraferuntur cum maxi-
nia diligentia sedulo perpenderet, et omnia ad Nos referret. Quae
volumina germanice scripta titulum babent — Inlroductio in Philoso-
phiam — De Liberiate scienlise — Athenœtim — quorum primum
anno 1858, alterura anno 1861, tertiura vero vertente hoç anno 1862
istis Monacensibus typis in lucem est editum. Itaque eadem Congrega-
tio Nostris mandatis diligenter obsequens summo studio accuratissimura
examen instituit, omnibusque semel iterumque serio ac mature ex
more discussis et perpensis judieavit, auctorem in pluribus non recte
sentire, ejusqne doctrinam a veritate catholica aberrare. Atque id ex
duplici prœsertim parte, et primo quidam propterea quod aoctor taies
humanae rationi tribuat vires, quae rationi ipsi minime competunt, se-
Mai 18G3.1 BREF DE PIE IX A L'aRCOEVÊQUE DE MUNICH. 48^
cundo vero, quod eam omnia opinandi, et quidquid semper aiidendi
liberlatem cidem rationi concédât, ut ipsius Ecclesise jura, officium, et
auctoritas de medio omnino-tollantur. Namque auctorin primis edocet,
philosophiam, si recta ejus habeatur notio, posse non solum percipere
et intelligere ea christiana dogmata, quae naluralis ralio cum fide habet
communia (lamquam commune scilicet perceptionis objeclum) verum
etiam ea, quae christianam religioncm fidenique maxime et proprie
efficiunt, ipsuniqiie scilicet supernaturalcm hominis finem^ et ea omnia,
quae ad ipsum spectant, atque sacratissimum Dominicae Incarnationis
mysterium ad hiimanae ralionis et philosopliiae provinciam pertincre,
rationemque, dato hoc objecte, suis propriis principiis scienler sd ea
posse pervenire. Etsi vero aiiquam inler haec et illa dogmala dislin-
ctionem auclor inducat, et haec ultima minori jure rationi attribuât,
tamen clare aperteque docet;, etiam hï!c contineri intcr illa, quae
veram propriamque scientiae seu philosophiae materiam constituunt.
Quôcirca ex ejusdem auctoris sentenlia concludi ouînino possit ac
debeat, rationem in abdilissimis etiam divinae sapientiaj ac bonita-
tis, immo etiam et liberae ejus voluntatis mysteriis, licet posito re-
velationis objecte, posse ex seipsa, non jam ex divinae auctoritatis
principio, sed ex naluralibus suis principiis et viribus ad scientiara seu
certitndinem pervenire Quae auctoris doctrina quam falsa sit et er-
ronea nemo est, qui christianae doctrinae nidimentis vel leviter imbutus
non illico videat, planeque senliat. Namque si isli philosophiae rultores
vera ac sola rationis et philosophiae disciplinae tuerentur principia et
jura, debilis certe laudibus essent persequendi. Siquidem vera ac sana
philosophia nobilissimum suum locum habet, cum ejusdem philosophiae
sit, veritatem diligenter inquirere, humanamque rationem licct primi
hominis culpa oblencbratam, nullo tamen modo exlinctam recte ac
sedulo excolere, illuslrare, ejusque cognitionis objectum, ac permultas
veritates percipere, bene intelligere, promovere, earumque phirimas,
uti Dei cxistciitiam, naturam, atlributa, quae etiam ildes credenda pro-
ponit, per argumenta ex suis principiis pelita demonstrare, vindicare,
defendere, atque hoc modo viam munire ad haec dogmafa fide rectius
tenend.i, et ad illa etiam recondiliora dogmata, quae sola fide percipi
primum possunt, ut illa aliquo modo a ratione intelligaiilur. Haec qui-
dern agcre, atque in his versari débet severa et pulcherrima vcras phi-
losophiae scienlia. Ad quae praestanda si viri docti in Germanise aca-
demiis enitantur pro singulari inclytae illius nationis ad severiores
gravioresque disciphnas excolendas propensione, eorum sludium a
Nobis comprobatur et commcndatur, cum in sacrarum rerum ulilitalem
UEVL'U des sciences ecclésiastiques, t. VII. 31-32
482 BREF DE PIE IX [Tome VU.
profectumque convertant, quae illi ad suos usus invenerint. At vero in
hoc gravissimo sane negotio tolerare nunquam possumus, ut omoia
temere peraiisccantur, utque ratio illas etiam res, quœ ad fidem perti-
nent, occupet alque perturbet, cum certissinii, omnibiisque notissimi
sint fines, ultra quos ratio nunquam siio jure est progressa, vel pro-
gredi potest. Atque ad hujusmodi dogmala ea omnia maxime et aper-
tissime spectant, quae supernaturùlem hominis elevalionem, ac super-
naturale ejus cum Dec commercium respiciunf, atque ad hune finem
revelata noscuntur. Et sane cum haec dogmata sint supra naturam, id-
circo naturali ratione, ac naturalibus principiis attingi non possunt.
Nunquam siquidem ratio suis naturalibus principiis ad hujusmodi dog-
mata scienter tracîanda effici potest idonea. Quod si haec isti temere
asseverare audfant, sciant, se certe non a quorumlibet doctorum opi-
nione, sed a communi, et nunquam immutataEcclesite doctrina recédera.
Ex divinis enim Litteris, et sanctorum Patrum Iraditionc constat, Dei
quidem existenliam, multasque alias veritates, ab iis etiam, qui fidera
nondum susceperunt, nalurali rationis lumine cognosci, sed illa recon-
ditiora dogmata Deum solum manifestasse, dum notum facere voluit,
mystenum, quod absconditum fuit, a sœculis et generalionibus (1), et
ita quidem, ut postquam multifariam multisqne modis olim îocutus
esset patribus in prophetis, 7}ovissime nobis Iocutus est in Filio, per
quem fecit et ssecula (2) Deum enim nemo vidit iinquam. Unige-
nitus Filius, qui est in siiiu Patris ipse enarravit (3). Quapropter
Apostolus, qui gentes Deum per ea, quee facla sunt cognovisse testa-
tur, disserens de gralia et veritate f4) quss per Jesum CItristum fada
est, loquimui\ inquit, Dei sapientiam in mijslerio, qux ahscondita
est quam nemo principum hujus sxculi cognovit Nobis autem
revelavit Deus per Spiritum suum Spiritus enim omnia scriUatury
etiam profunda Dei. Quis enim hominum scit qux sunt hominis, nisi
spirili;s hominis, qui in ipso est ? Ita vt qux Dei sunt nemo cognovit,
nisi Spiritus Dei (5). Hisce aliisque fere innumeris divinis eloquiis in-
haerentes SS. Patres in Ecclesi^ doctrina tradenda contincnter distin-
guere curarunt rerum divinarum notionem, quae naturalis intolligentiae
vi omnibus est communis ab illarum rerum notitia, quae per Spiritum
!^| Co!. 1, V. 2fi.
(2) Hebr.,i, V. 1, 2,
(3) Joan., I, V. Î8.
(4) Joaii., I, V. 17.
(5) ICoriDlh., n, v. 7, 8, HO, 11.
jaai 1863.1 A l'archevêque DE MONICH. -483
Sanctura fide suscipitur, et constanter docuerunt, per hanc ea nobis
in Christo revelari mysteria, quae non solam humanam philosophiam,
verum etiam angelicam naluralem inlelligentiani transcendant, quaeque
etiamsi diviiia revelatione innotuerint, et ipsa fide fuerint suscepta, ta-
raen sacro adhuc ipsius fidei vélo tecta et obscura caligine obvoluta
permanent quamdiu in hac mortali vita peregrinamiir a Domino (1).
Ex bis omnibus patel alienam omnino esse a calholicae Ecclesiae doctrina
sententiam, qua idem Frohschammer asserere non diibitat, omnia in-
discriminatim chrislianae religionis dogmata esse objectiim naturalis
scientis, seu philosophiae, et humanam rationem historiée tantum ex-
cultam^ modo liaee dogmata ipsi ralioni tanquam objectum proposita
fuerint, posse ex suis naturabbus viribus et principiis ad veram de om-
nibus etiam reconditioribus dogmaiibus scientiam pervenire. Nimc vero
in memoraiis ejusdem aucloris scriptis alia dominatur sententia, quae
catholiiae Ecclosiae doctrinae ac sensui plane adversatur. Etenim eara
philosophisb tribuit bberlatem, quae non scienti» libertas, sed omnino
reprobanda et intoleianda nhilosopbiae licentia sit appellanda. Qiiadara
enim dislinctione inlerphdosophum et philosopbiam facta, tribuit philo-
sophe jus et ofiicium se submittendiauctoritati, quam veram ipse proba-
veritj sed utrumque philosophiae ita denegat, ut nulla doctrinse reve-
latae ratione habita, asserat, ipsam nunquam debere ac posse auctorl-
tati se subraittere. Quod esset lolerandum et forte admittendum, si
haec dicerentur de jure tantum , quod habet philosophia suis prin-
cipiis, seu melhodo, ac suis conciusionibus uti, sicut et aliae scientise,
ac si ejus libertas consistcret in hoc suo jure utendo, lia ut nihil
in se admitteret, quod non fuerit ab ipsa suis conditionibus acqui-
situm, aut fuerit ipsi alienum. Sed haec justa philosophie libertas
suos limites noscere et experiri débet. Nunquam enim non solum
philosophe, verum etiam philosophiae licebit, aut aliquid contrarium
dicere iis, quae divina revelatio, et Ecclesia docel, aut aliquid ex
eisdem in dubium vocare, propterea quod non inlelligit, aut judi-
cium non suscipere, quod licclesise auctoritas de aliqua philosophiae
conclusione, quee hucusque libéra erat, proferre constituit. Accedit
etiam, ut idem auctor philosophiae libortateni, seu polius effrenatam li-
centiam tara acriter, tam temere^ propugnet, ut minime vereatur asse-
(i) S. Joan. Chiys. homiL, vu (9), in I Corinth.'S. Ambros. de Fide
adGrat., i, 10. — S. Léo de Nativ. Dom. Ser. ix. — S. Cyril. Alex.
Conlr. Nedor., lib. ni, inilio in Joan., i, 9. — S. Joan. Dam. de Fide
orth.^ II , ^, 2, in I Cor,, c. «.— S. Hier, in Gai., m, 2.
884 BREF DE PIE IX [Tome VU.
rere Ecclesiam non solum non debere in philosophiam unquam ani-
madvertere, verum etiani debere ipsius philosophiae tolerare errores,
eique relinquere, ut ipsa se corrigat, ex que evenit ut philosoplii hanc
philosophiae libertatera necessario participent, atque ila eliam ipsi ab
omni legc solvantur. Ecquis non videt quam vehementer sit lejicienda,
reprobanda, et omnino damnanda hujusmodi Frohschanimer sententia
afque doctrina? Etenim Ecclesia ex divina sua instilutione et divinae
lldei deposltiim inlegrum inviolatumque diligentissime ciistodire^ et
fanimarura saluli sinnmo studio débet coiilinenler advigilare, ac suinma
cura ea omnia amovere et eliminare, qiiae vei fidei adversari, vel ani-
marum saiutem quovis modo in discrinien adducere possunt. Quocirca
Ecclesia ex potestate sibi a divino suo Auciore commissa non solum
jus, sed officiuin prsesertim habet non tolerandi, sed proscribendi
^c damnandi omnes errores, si ita fidei integritas, et animarum
salus postulaverint, et omni pbilosopbo, qui Ecclesiœ filius esse velit,
ac etiam pbilosophiae olTicium incurabit nihil unquam dicere con-
tra ea, quse Ecclesia docet, et ea retractare, de quibus eos Ecclesia
monuerit, Sentenliam autemquse contrarinm edocet, omninoerroneam,
et ipsi fidei EcclesiîB, ejusque auctoritati vel maxime injuriosara esse
edicimuset declaramus. Quibus omnibus accurate perpensis, de eorum-
dera VV. FF. NN. S. R. E. Cardinalium Congregalionis libris notan-
dis prsepositae consilio, ac motu proprio, et certa scientia, raatura de-
liberatione Nostra, deque ApostolicaîNoslraepotestatispleniti'.dine praî-
dictos libres presbyteri Frohschammer tamquam continentes prcposi-
liones et doctrinas respective falsas, erroneas, Ecclesia?, ejusque
auctoritati ac juribus injuriosas reprobamus, damnamus, ac pro repro-
batis et daranatis ab omnibus haberi volumus, atque eidem Congrega-
tioni mandamus, ut eosdem libros in indicem prohibilorum librorum
référât. Dum vero haec tibi significamus, Venerabilis Frater, non pos-
Qumus non exprimere magnum animi nostri dolorem, cum videamus
hune fdium eorunidem librorum quctorem, qui ceteroquin do ecclesia
îbenemercri potuisset, infelici quodam cordis impetu misère abreptum
lin vias abire, quse ad saiutem non ducunt, ac magis magisque a recto
tramile aberrare. Cum enim alius ejus liber de animarum origine prius
fuisset damnatus, non solum se minime submisit, verum etiam non
extirauit,eumdem errorem in bis eliam libris denuo docere, et nostrani
Indicis Congregalionem contumeliis cumulare, ac raulla alla contra
Ecclesiae agendi rationem temere mendaciterquepronuntiare. Quse ora-
nia tàlia sunt, ut iis merito atque optimo jure indignari poLuissemus.
Sed nolumus adhuc paternae Nostrse caritatis viscera erga illum depo-
Mai 1865.1 A l'aRCHEVÊQUE DE MUNICU. ^85
nere, et iccirco te, Venerabilis Fraler, excitamus, utvelis eidem mani-
festare cor Nostrum paternum, et acerbissimuni dolorem, cujus ipse
est causa, ac simul ipsum saluberiimis.rr.onilis liortari et monere, ut
Nostram, quae coramunis est omnium Patris vocem audiaf, ac resipi-
scat, quemadmodum catholicae Ecclesiae filium decet, et ila nos omnes
laetitia afficiat, ac tandem ipse féliciter experiatur quam jucundum sit
non vana quadam et perniciosa libertate gaudere, sed Domino adhœ-
rere, cujus jugum suave est, et onus levé, cujus eloqiiia casta igné exa-
minata, cujus judicia vera, justificata in semetipsa, et cujus universae
viae miseiicordia et veritas, Denique hac etiam occasione libentissime
utiniur, ut iterum testemus et conlirmemus prœcipuam Nostrani in te
benevolentiam. Cujus quoque pignus esse volumus Apostolicam bene-
dictionem, quam intimo cordis affectu tibi ipsi, Venerabilis Frater, et
gregi tuîB curae commisse peramanter impertimus.
Datum Romse apud S. Petrum die 11 decembris anno 1862,
Pontificatus Nostri anno decimo seplimo.
Plus PP. IX.
Le document que nous venons de reproduire est d'une haute
importance : il trace d'une manière nette les limites qui sé-
parent le domaine de la raison de celui de la foi, et réprouve
certaines hardiesses, certaines téméi'ités qui ne sont que trop
en rapport avec l'esprit du siècle. Cet enspiç;;nement descendu
de la chaire apostolique sera entendu de tous les vrais fidèles,
et les mettra plus que jamais en garde contre le venin du ra-
tionalisme.
Pie IX établit : 1° Qu'il y a tout un ordre de vérités propo-
sées à notre croyance, qui se dérobent aux investigations de
la raison humaine, et ne peuvent être ni découvertes, ni dé-
montrées par les procédés qui lui sont propres. Ces vérités qui
se rapportent à notre fin surnaturelle, et qui nous ont été ré-
vélées pour nous y conduire, appartiennent exclusivement
au domaine de la foi : tout ce que la raison peut faire, c'est
de les éclairer par des analogies. Tel est l'enseignement de
l'Écriture et de la tradition tout entière.
2° Ce n'est point la philosophie que condamne Pie IX, mais
486 BREF DE PIE IX [Tome Vil.
l'abus de la philosophie. Il indique l'objet de cette science, il
en montre Tutililé, il exhorte les docteurs des académies à la
cultiver comme elle le mérite. Jamais l'Église n'a réprouvé la
science et la raison humaine : elle en a, au contraire, souvent
défendu les droits contre les hérétiques, ou même contre cer-
tains catholiques qui, bien qu'animés d'excellentes internions,
s'étaient laissé emporter à de regrettables écarts. Quelques
exemples assez récents sont encore dans la mémoire de tous
nos lecteurs.
3" Enfin, le Souverain-Pontife s'élève contre cette liberté de
la science tfjnt prônée par les apôtres du rationalisme moderne,
qui va jusqu'à proclamer l'indépendance absolue de la raison
humaine et à secouer le joug de la foi. Il montre que si la phi-
losophie a le droit de s'en tenir à ses principes et à sa mé-
thode, il est cependant des limites qu'elle doit respecter;
jamais il ne sera permis de professer des doctrines contraires
à l'enseignement de la Révélation et de l'Église, de rejeter
une partie quelconque de cet enseignement, sous prétexte
qu'on ne comprend pas, ou de refuser sa soumission à l'au-
torité de l'Église quand elle se prononce sur un point de phi-
losophie abandonné auparavant à la libre discussion.
On peut consulter, sur les doctrines du D"" Frohschammer,
qui ont donné occasion à cet acte de l'autorité pontificale, le
petit article publié dans notre numéro de février, t. vu,
p. 175 ss.
Pie IX termine par une exhortation, où la sévérité du juge
fait place à la mansuétude du Pontife. Il exprime toute sa dou-
leur de voir un de ses fils, qui eût pu servir utilement l'Église,
donner dans de tels écarts; il rappelle une première sentence
de la S. C. de l'Index dont le professeur Frohschammer n'a
tenu aucun compte, et il manifeste l'espérance de le voir re-
venir bientôt à de meilleurs sentiments.
Nous avons le regret d'apprendre que cet espoir ne s'est
point réahsé jusqu'ici. Après la publication du Bref dans la
Mai 1863.| A L'ARCHEVÊQUE DE MUNICH. 487
feuille officielle de l'Arcbevêché de Munich {Pastoral-Blatt
fïir die Erzdiœcese Mmchen-Freysing , Nr. 14^ 4 april 1863), le
D' Ffobschammer, mis en demeure de s'y soumettre, s'y est
refusé d'une manière absolue. L'autorité diocésaine a dû,
par suite de ce refus, le suspendre de ses fonctions ecclésias-
tiques. En même temps, l'épiscopat bavarois a interdit son
cours à tous les étudiants en tbéologie et à tous ceux qui se
préparent à suivre cette carrière.
M. Frobscbammer a poussé jusqu'au bout le scandale. A la
reprise de son cours, après les vacances de Pâques, il a con-
sacré une leçon à expliquer ses principes, et il l'a livrée à
l'impression sous ce titre : Ueber das Recht der neuere Philoso-
phie gegenïiber der Scholastik (Mûncben, Lentner). Il y déclare
que ses ouvrages ont été lus avec les lunettes de la scolastique
et jugés d'après les babitudes d'une langue toute différente de
la sienne (p. 9) ; que la scolastique est dénuée de tout fonde-
ment, et doit, par conséquent, cbercber un appui au-debors ;
qu'une science réduite à s'appuyer sur des bulles et des brefs
avoue, par là même, son impuissance et son inutilité (p. H).
La philosophie, comme science, ne relève que d'elle-même;
toute soumission détruit la science (p. 42). Comme professeur
à l'Université, ajoute-t-il, je n'avais pas le droit, quand même
je l'aurais voulu, de consentir à soumettre la science (p. 14).
Je ne puis en aucune façon soutenir qu'il y a des bornes à
jamais infranchissables pour la science, car la raison jouit d'un
droit de recherche illimité (p. 15). Ici, dans cette chaire, la
science doit sauvegarder ses droits et son indépendance : c'est
ce que je me propose de continuer à faire dans l'avenir (p. 16).
Ainsi donc, voilà l'étendard de la rébellion levé par un
prêtre : puisse-t-il voir bientôt le néant et le danger de ses
doctrines; puisse-t-il imiler l'exemple encore tout récent de
Gùuther, et rentrer dans la voie qu'il n'aurait jamais dû
abandonner !
La jeunesse académique, toujours avide de tumulte, ne pou-
488 KNCYCLIQUB DU SAl>T-OFFICE. [Tome Vil.
vait laisser échapper une aussi belle occasion, A la suite de
cette déclaration de principes, les étudiants se rendirent en
foule chez le professeur pour lui remettre une adresse collec-
tive, où ils le félicitaient, l'encourageaient à marcher dans
cette voie, et se déclaraient prêts à l'y suivre. Pauvres jeunes
gens ! ils ne comprenaient pas grand chose à cette démarche :
ils s'étaient laissé séduire par des mots et des formules qui
trompent facilement les esprits quand ou ne va pas au fond
des choses. Ce n'est pas, du reste, la première fois (ju'il se ma-
nifeste, à l'Université de Munich, des tendances antichrétiennes,
mais ce qu'il y a de déplorable par-dessus tout, c'est de voir
un prêtre catholique mécontiaitre à ce point les principes de
notre foi, et sacrifier à des tendances qu'ils devrait combattre
avec toutes les ressources de son incontestable talent.
E. HAUTCŒua.
ENCYCLIQUE DU SAINT-OFFICE
ADRESSÉE A TOUS LES ÉVÊQUES
COIVXRE LES ABUS TtfJ M AGIVÉXISME ^^).
Feria IV, die 30 jnlii 1856.
In Congregatione Generali S. R. et Universalis Inquisitionis habita
in conventu S. M. supra Minervam, Eni. ac Hcv. DD. Cardinales in
tota repubhca christiana ad versus haereticam pravitatem générales in-
quisitores, mature perpensis iis, quae circa magnetismi expérimenta a
viris fille dignis undequaque relata sunt, decreverunt, edi présentes
litteras encyclicas ad omnes episcopos ad magnetismi abusus compe-
scendos.
Etenim compertum est, iiovum quoddam superstitionis genus invehi
es phaenomenis magneticis, quibus haud scientiis physicisenucleandis,
ut par esset, sed decipiendis, ac seducendis hominibus student neote-
rici plures rati, posse occulta, remota, ac fiitura detegi magnetismi
arte, vel praestigio, praeserlim ope muliercularum, quae uniceamagne-
tisaloris nutu pendent.
(1) Bien que ce document soit d'une date un peu ancienne, cepen-
dant, comme il est peu connu, et comme il acquiert une grande im-
poriance à cause de la diffusion des pratiques spiriles, nous nous
décidons à le reproduire.
Mail8C3) ENCYCLIQUE DU SAINT-OFFICE. 48'.)
Nonnullae jam hac de re a S. Sede datae suiU responsiones ad pecu-
liares casus, quibus reprobantur tanquam illicita illa expérimenta, quae
ad finera non naturalem, non honestum, non debitis mediis adhibitis
assequendum, ordinantur ; unde in sirnilibus casibus decretum est
feria IV, 21 aprilis i84l : Usiim magnelismi prout exponiliir, non li-
cere.Similiterquosdam libres ejusmodierrorespervicaciter disséminantes
prohibendos censuit S. Congregalio. Verura quia praeter parliculares
casus de usu raagnetismi generatim agenduni erat, hinc per raodum
regulae sic slalutum fuit feria IV, 28 julii 1847 : — Bemolo omni er-
rore, sortilegio, explicita, mit implicita dsemonis invocatione, usus
magnetismi, nempe menis actns adhibendi média plujsica aliunde licita,
non est moraliter vet\lus,dummodo non tendat ad finem illicitum, aut
quomodolibet pravum. Applicatio autem principiorum, et mediorum
pure phijsîcorum ad res, et effecius vere supernaturales, ut physice
explicentur, non est nisi deceplio omnino illicita, et hxrelicalis.
Quamquam generali hoc decreto satis explicetur licitudo, aut illici-
tudo in usu, aut abusa magnetismi, lamen adeo crevit hominum malitia,
ut neglecto licito studio scientiae, potius curiosa sectantes magna cura
animarimi jactura, ipsiusque civHis socielatis detrimento ariolandi,
divinandive principium quoddara se nactos glorientur. Hinc somnam-
bulismi et clai-se intuitionis, uli vocant, praestigiis muiierculse illae
gesiiculationibus non semper verecundis abreptse, se invisibilia quaeque
conspicere effutiunt, ac de ipsa religione sermones instituerez animas
mortuorum evocare, responsa accipere, ignota ac longinqua delegere,
aliaqne id genus superstitiosa exercere ausu temerario praesumunt,
magnum quaestum sibi, ac dominis suis divinando certo conseculurae.
In hisce omnibus quacumque demum utantur arte^, vel illusione, cum
ordinentur média physica ad effectus non naturales, reperitur deceptio
omnino illicita, et haereticalis, etscandalura contra honestatem morum.
Igitur ad tantura nefas, et reiigioni, et civili societati infestissimum
efficaciter cohibendum, excitari quam maxime débet pastoralis sollici-
tudo, vigilanlia, ac zelus Episcopopum omnium. Quapropter quantum
divina adjulrice gralia poterunt locorum Ordmarii, qua paternae chari-
tatis monitis, qua severis objurgationibus, qua demum juris remediis
adhibitis, prout attentis locorum, personarum, temporumque adjunctis,
expedire in Domino judicaverint, omnem impendant operam ad hu-
jusmodi magnetismi abusus reprimendos, et avellendos, ut dominicus
grex defendatur ab inimico homine, depositum fidei sartum tectumque
cuslodialur, et fidèles sibi crediti a morum corruptione praeservenlur.
Datum Romae in cancellaria S. Officii apud Vaticanum, die 4 au-
gusti 1856. V. Gard, Macchi.
BIBLIOGRAPHIE.
LA VIE ET LES ŒUVRES DE MARIE LATASTE, religieuse du Sacré-
Cœur, publiées par M. l'abbé Pascal Darbins. Ouvrage approuvé par
Mgr l'Évêque d'Aire. Paris, Ambroise Bray. 1863. 3 vol. ia-8.
Dans les environs de la ville de Dax, au département des
Landes, non loin du village qui vit naître saint Vincent de
Paul, vivait, il y a quelques années, une jeune paysanne,
nommée Marie Lalaste. Les travaux rustiques auquels ses
parents l'employaient lui permirent à peine d'apprendre à lire
et à écrire, mais ils n'empêchèrent point son esprit de s'ouvrir
à la méditation des vérités religieuses, son cœur aux impres-
sions de la vertu. Après sa première communion, dans la pé-
riode si précieuse de l'adolescence, écartant de son âme les
émotions dangereuses que les sens peuvent apporter, elle con-
sacra au Seigneur toutes les forces d'une imagination ardente,
d'une intelligence incontestablement supérieure à son humble
condition. Sous la conduite d'un directeur prudent, non-seule-
ment elle parvint à dompter plusieurs défauts qui avaient jeté
une ombre sur ses premières années, mais elle avança rapide-
ment dans les voies de la spiritualité.
Bieutôt il lui sembla que le Seigneur Jésus se montrait à
elle sur l'autel, durant le saint sacrifice de la Messe, et daignait
même l'entretenir. Ces visions et ces colloques durèrent plu-
sieurs années.
En 1844, à l'âge de vingt-trois ans, Marie Lataste quitta ses
champs et sa mère pour venir demander aux Dames du Sacré-
Cœur, à Paris, d'être admise parmi leurs sœurs coadjutrices
ou converses. Enfin, à l'issue de son noviciat, elle fut envoyée
Mai 1863.1 BIBLIOGRAPHIE. 491
à la maison de Rennes, où elle mourut le 10 mai 1847, lais-
sant un profond et touchant souvenir de ses vertus.
Mais, dans son village même, elle avait écrit, sur l'ordre de
son directeur, les conversations intimes dont elle se crut favo-
risée. Ce manuscrit, tracé souvent la nuit, peut-être àla lueur
vacillante d'une torche de pin résineux, forme une série de
traités sur Dieu, sur le Verbe, sur la sainte Vierge, sur les
Anges, le chrétien, la religion, les épreuves, la grâce, le péché,
les divers états, les fins dernières ; en un mot, sur les plus
hautes questions du .dogme et de la morale.
L'éditeur y a joint un choix de lettres de Marie Lataste, qui
complètent ses œuvres.
Certes, il serait imprudent de se prononcer sur l'autorité de
pareils écrits, et les hauts encouragements qu'a pu recevoir
M. Pascal Darbins en les donnant au public, ne tranchent
nullement la question de leur origine. L'Église n'a pas l'habi-
tude de porter un jugement sur les révélations particulières
faites aux plus saintes âmes, et même quand elle saisit l'occa-
sion de ces révélations soit pour instituer une solennité, soit
pour autoriser une dévotion, elle s'appuie toujours sur la
base plus solide des faits ou des enseignements de la foi. Si
les œuvres d'une Gertrude, d'une Catherine de Sienne, d'une
Thérèse même, n'ont pu jouir de ce privilège, et sont laissées
à l'appréciation individuelle du lecteur chrétien, à plus forte
raison celles d'une Catherine Emmerich, d'une Marie Eustelle
et de Marie Lataste.
Quoi qu'il en soit du sentiment auquel on s'arrête sur cette
question préalable, nous sommes sûr qu'on ne lira pas sans
un vif intérêt la plupart des pages du livre dont nous parlons.
L'éditeur affirme n'avoir retouché que certains détails de
forme qu'il était nécessaire de modifier au point de vue de la
langue française. Notre jeune paysanne étant habituée â par-
ler ordinairement l'idiome gascon, il ne pouvait manquer de
se glisser sous sa plume des tournures vicieuses ou des locu-
492 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VII.
tious étrangères au dictionnaire de l'Académie. Un lecteur
attentif peut surprendre d'ailleurs encore quelquefois des fautes
de ce genre, qui semblent oubliées pour rappeler \0i couleur lo-
cale de l'ouvrage. Mais l'ensemble porte un cachet d'origina-
lité qui fait incliner naturellement l'esprit à croire à l'authen-
ticité de ces pages. Le style est simple, limpide, et ne manque
pas d'uue certaine élévation ; quelquefois il exhale une vive
chaleur. Je ne crains pas d'aller trop loin en attribuant à l'au-
teur cette éloquence naturelle qui naît de la conviction, et qui
l'emporte sur les artifices oratoires. Qu'où me permette de
citer un passage pour donner une idée du genre ; il est em-
prunté à une lettre où Marie Lataste parle de trois méditations
qu'elle a faites sur la passion du Sauveur.
«Voici le plan général tel que je l'aperçus : \° Jésus en
croix nous fait comprendre la grandeur etl'énormité du péché ;
2° Jésus en: croix est pour nous le modèle de toutes les vertus;
3<* Jésus en croix fait connaître la justice et la miséricorde de
son Père
« Dans une première vue, je considérai le péché en lui-
même dans sa nature intime ; dans une seconde considération,
je vis l'injure et l'outrage qu'il faisait à Dieu; enfin, je
compris qu'il était la cause de tous nos maux tant spirituels
que temporels. Quelles connaissances profondes, quelles lu-
mières éclatantes environnèrent mon âme en cet heureux mo-
ment ! Ce n'était point une parole parlée que j'entendais, mais
je comprenais mieux qu'en écoutant l'homme le plus savant^
le prédicateur le plus distingué. C'était une parole sans voix et
une voix sans parole, et je n'ai point de parole pour exprimer
celte voix, ni de voix pourfendre cette parole. J'ai vu, j'ai en-
tendu, j'ai compris ; j'essaierais eu vain de le rappeler, je ne
le pourrais pas. C'était plus fort, plus tendre, plus sensible,
plus doux, plus péuible, j lus douloureux, plus intelligible,
plus saisissant pour moi que toutes choses au monde. C'est
aujourd'hui si. profondément gravé dans mon cœur que je ne
Mai 18:3.1 BIBLIOGRAPHIE. A03
puis même l'extériorer par écrit ou par parole. 0 Jésus en
croix, salut de mon âme ! 0 Croix de Jésus, salut du monde !
0 Jésus en croix. Dieu mort pour mes péchés ! 0 Croix de Ji'sus,
délivrance de mes iniquités ! 0 Jésus en croix, réparateur de
l'injure faite à Dieu ! 0 Croix de Jésus, témoin éclatant et glo-
rieux du pardon de Dieu le Père ! 0 Jésus en croix, libérateur
du genre humain ! 0 Croix de Jésus, bouclier contre Satan, le
monde et les passions! 0 Jésus en croix, félicité dans nos
souffrances et nos peines! 0 Croix de Jésus, arc-en-ciel de la
miséricorde de Dieu ! 0 Jésus en croix, ce sont mes péchés qui
vous ont fait mourir ! 0 Croix de Jésus, cesont mes péchés qui
vous ont rougie du sang de mon Sauveur ! 0 Jésus en croix
que je sois à jamais près de vous, avec vous, en vous ! 0 Croix
de Jésus, que je vous embrasse à jamais et meure en vous
pressant sur mon cœur ! » (Tome III, p. 227.)
Ce serait fatiguer le lecteur que de vouloir le conduire à
travers les nombreuses questions développées dans le livre de
Marie Lataste. Nous l'avons dit, c'est un vrai traité de Théolo-
gie dogmatique, morale, affective et mystique. Les points les
plus ardus sont abordés avec la même faciUté que les plus
obvies, et, à l'exception de quelques passages où l'expression
manque de clarté, il y a partout une précision, un bonheur
surprenants. Les dogmes de la Trinité, de l'Incarnation, de la
Rédeaiption, de la prédestination et de la grâce, sont parcou-
rus d'un pas facile et exposés avec sûreté. Les mystères dou-
loureux ou glorieux de la sainte Yierge forment un livre en-
tier qui n'est pas le moins remarquable.
J'espère qu'on me pardonnera une seconde citation à ce
sujet, à cause de son importance, j'oserai dire, de son actua-
lité. Qu'on n'oubhe pas que cette page a été écrite par noire
pieuse paysanne en 4842, quatre ans avant le pontificat de
Pie IX, douze ans avant la proclamation du dogme de ilmma-
cnlée-Gonception.
« Un jour de fête de l'Immaculée-Couception, j'étais venue
494 BIBLIOGRAPHIE. |Tome MI.
prier devant l'autel de.Marie, longtemps avant la célébratiou
de la sainte Messe... J'avais eu le bonheur de faire la sainte
Communion. Quand Jésus fut dans mon cœur, il me dit: a Ma
fille, vos hommages ont été agréés par ma Mère, ils ont été
aussi agréés par moi. Je veux vous remercier et récompenser
votre piété par une nouvelle qui vous sera agréable. Le jour
va venir où le ciel et la terre se concerteront ensemble pour
rendre à ma Mère l'honneur qui lui est dû dans la plus belle
de ses prérogatives. Le péché n'a jamais été ea Marie et sa
conception a été pure, sans tache, comme le reste de sa vie.
Je veux que sur la terre cette vérité soit proclamée et reconnue
par tous les chrétiens. Je me suis choisi un pontife et j'ai
soufflé dans son cœur cette résolution. Il sera dominé par cette
pensée pendant tout le temps de son pontificat. 11 réunira les
évêques du monde pour entendre leurs voix proclamer Marie
Immaculée dans sa Conception. Toutes les voix des évêques
se réuniront dans sa voix, et sa voix, proclamant la croyance
des autres voix, retentira dans le monde entier. Alors sur la
terre rien ne manquera à l'honneur de ma Mère. Les puis-
sances infernales et leurs suppôts s'élèveront contre cette
gloire de Marie, mais Dieu la soutiendra de sa force, et les
puissances infernales rentreront dans les abîmes avec leurs
suppôts. Ma mère apparaîtra au monde sur un piédestal
solide et inébranlable. Ses pieds seront de l'or le plus pur,
ses mains comme de la cire blanche fondue, son visage comme
un soleil, son cœur comme une fournaise ardeute. Une épée
sortira de sa bouche et renversera tous ses ennemis, et les en-
nemis de ceux qui Faiment et l'ont proclamée sans tache.
«... Or l'affliction viendra sur la terre, l'oppression régnera
dans la cité que j'aime et où j'ai laissé mon cœur. Elle sera
dans la tristesse et la désolation, elle sera environnée d'enne-
mis de tous côtés comme un oiseau pris dans les filets. Cette
cité paraîtra [succomber pendant trois ans. Mais ma Mère
descendra dans cette cité ; elle prendra les mains du vieillard
Mai 1863.] BIBLIOGRAPHIE. 495
qui siège sur un trône, et lui dira: « Voici l'heure, lève-toi.
et Regarde tes ennemis, je les fais disparaître les uns après les
« autres, et ils disparaissent pour toujours. Tu m'as rendu
« gloire au ciel et sur la terre. Je veux te rendre gloire au ciel
a et sur la terre. Vois les hommes : ils sont en vénération dé-
fi vaut ton nom, en vénération devant ton courage, en véné-
a ration devant ta puissance. Tu vivras, et je vivrai avec toi.
a Vieillard, sèche tes larmes, je te bénis. » (Tome II, p. 125.)
Si l'on ne veut pas trouver dans ce morceau une prophétie,
on conviendra du moins qu'il présente des coïncidences singu-
lières avec les événements accomplis dans les dernières années.
On pourra rapprocher de ces lignes la lettre datée du village
de Mimbaste, le 12 décembre 1843, dans laquelle Marie ra-
conte commentle Sauveur lui a annoncé qu'elle mourrait avant
d'avoir achevé sa vingt-sixième année, ce qui s'est vérifié : et
on se demandera si un fait aussi marquant n'atteste pas des
communications réelles avec le Seigneur.
Il y a pourtant, disons-le aussi, des entretiens sur beaucoup
de questions qu'une instruction chrétienne ordinaire pouvait
parfaitement concevoir. Il y en a d'autres dans lesquels la mo-
destie de l'auteur nous parait un peu violentée. Ainsi, lorsque
Marie entend le Seigneur lui dire que ses écrits jetteront un
vif éclat dans le monde, que sa mort mettra en fuite le démon,
etc., ne serait-on pas autorisé à supposer qu'ici l'illusion a
seule eu sa place, et si Ton admet que les âmes les plus favo-
risées de visions célestes ont mêlé leurs propres imaginations
aux inspirations qu'elles recevaient, ne serait-ce pas le cas
d'appliquer ce principe à Marie Lataste?
Du reste, nous ne cessons de le penser, pour juger com-
plètement du fond de ces écrits, il faut les lire. Autant leurs
partisans zélés nous reprocheraient de les amoindrir par une
analyse, autant ceux qui voudront en exclure le surnaturel
nous blâmeraient de ne pas en montrer assez le côté humain.
Tout ce que nous avons essayé d'en dire, a pour but unique
■4'.; 6 BIBLIOGRAPHIE. [Toa.c VIL
de signaler l'ouvrage comme tiès-remarquable, et d'une lec-
ture attrayante pour les âmes solidement pieuses.
Si l'éditeur voulait nous autoriser, en finissant, à lui présen-
ter deux observations sur son travail, nous rengagerions 1° à
refondre son premier volume ou Vie de Marie Lataste, qui ne
contient guère que des extraits de la corresponJauce impri-
mée dans le troisième. Quoiqu'il ait cherché daus sa préface
à expliquer ces redites, elles n'en sont pas moins fâcheuses, et
elles ôteut à ce premier volume une grande partie de son uti-
lité. Ne valait-il pas mieux commencer par une solide intro-
duction sur la nature et les caractères des révélations privées,
pour laquelle il se serait aidé même des notes qu'il a placées
en appendice, et ajouter ensuite une vie de Marie Lataste plus
abrégée dans ses détails et écrite d'un seul jet, sans cette sur-
charge de cilatioDS textuelles qui coupent le récit, et ont l'in-
convénient réel d'enlever l'intérêt? 2° Ce même volume se
terminerait par des notes établissant l'authenticité des écrits
de Marie Lataste. Il suffit que l'éditeur avoue avoir retouché
le style en quelque point, pour qu'un lecteur soupçonneux se
demande si l'on n'a pas fait des corrections plus importantes
sur le fond. Un mot changé habilement substitue une vérité
de fol à une hérésie formelle : il faut que des attestations de
personnes connues fassent disparaitre tout doute sur ce point.
Nous ne doutons pas, d'ailleurs, qu'il ne soit facile à M. l'abbé
Darbins de mettre à profit des réflexions que d'autres lui au-
ront peut-être déjà suggérées, car le succès mérité de sa pu-
blication amèuera bientôt une édition nouvelle. Nous sommes
prêt à la bien accueillir.
Jules Bonhomme.
\
Mai 1803.) BIBLIOGHAPUIE. /<97
MANUALE TOTIUS JURIS CANONICI, auctore D. Craisson. T. i et il.
In-B de xiv-659-696 pp. Paris, V. Palmé.
Le droit canon est l'ensemble des lois qui régissent l'Église.
Celle définition nous montre Tiraportance des études cano-
niques. Le bien de toute société demande que les lois qui la
gouvernent soient connues et pratiquées. L'observation des
lois est le grand hommage dû h l'autorilé, et le respect de
l'autorité est la seule base de toute société. Entre le droit
canonique et les autres branches de la théologie, il y a de très
grandes relations. No7i dubito pronunciare indignum theologi
nomine qui jus canonicum ignoret. Est enimjus canonicum por-
tio quxdam theologix, dit Pignatelli. (L consult. can. 14.)
Il n'est donc pas étonnant que l'étude du droit canonique
ail occupé une large place dans l'admirable travail de réno-
vation catholique qui s'opère de nos jours et sous nos yeux
dans notre pays.
Mais, en cette étude^ comme du reste en toutes les autres,
et peut-être même plus qu'en toutes les autres, il a dû se pro-
duire des nuances. Mettez les intelligences en face de la vérité :
les unes la saisiront avec bonheur dans sa plénitude, les
autres la nieront ou ne l'accepteront que dans une certaine
proportion.
Parmi les bons ouvrages qui ont paru en France depuis
quelques années, mettons en premier lieu ceux de M. Bouix.
L'honneur d'écrite dans cette Revue ne doit pas nous priver
du bonheur de dire que c'est lui qui a donné une impulsion
décisive aux études canoniques et qui nous a familiarisés avec
les sainesdoctrines. Le succès de ses livres, qui se sont répandus
dans toute l'Europe, qui sont cités sans cesse par les canonistes,
même étrangers, en dit plus que tous les éloges. Les Institu-
tionesjuris canonici, auctore R. de M., 2 vol. in-8 (Lecofïre), sont
un résumé assez estimable, au moins pour le fond. Le Juris
498 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VIL
canonici univet^si compendium de M. Maupied, éJité par
M. Migne, qui s'inspire des deux productions précédentes ou
s'en rapproche beaucoup, doit être cité avec elles. Qu'il soit
bien entendu cependant que nous ne voulons pas approuver
ce livre dans tous ses détails. Avec ces cours généraux, il
faut indiquer l'Exposition des principes du droit canonique de
S. E. le cardinal Gousset (Lecoffre), et le Traité des peines
ecclésiastiques et de l'Appel de M. Stremler ( Poussielgue-
Rusand), qui, pour n'embrasser qu'une partie du droit cano-
nique, n'en sont pas moins remplis d'une excellente doctrine.
Malheureusement, ces bonnes tendances ne sont pas tout-à-
fait générales : le déplorable esprit gallican vit toujours, sur-
tout dans la pratique, et dans les questions de détail. On con-
sent à regarder le Souverain-Pontife comme le chef de l'É-
glise universelle, mais à condition de paralyser par tous les
moyens possibles l'exercice de son pouvoir. C'est l'esprit qui
animait un livre publié il y a quelques années, livre petit
par le format, mais considérable par la portée, où les auteurs,
car ils étaient plusieurs, se plaignaient de cette exagération
qui est la plaie universelle de notre époque; c'est là aussi, pour
le dire en passant, l'explication de l'emploi si fréquent de ce
mol, en France, depuis trente ans. Ces auteurs prétendaient
que, sans sortir des bornes du respect et de l'obéissance,
les évèques peuvent, en certains cas, résister au Saint-Siège;
que l'Église de France a renoué ses coutumes interrompues
par la Bulle Qui Christi Domini de Pie VII, etc. Tous les
théologiens d'une certaine nuance auraient signé des deux
mains cet écrit qu'ils acclamaient. Notre Saint-Père le Pape
le fit mettre à l'index, après l'avoir flétri en ces termes dans
une Encyclique adressée aux évèques de France : « Hic autem
haud possumus, quin vobis exprimamus summum dolorem
quo affecti fuimus, ubi iuter alla improba scripta istic viilgata
nuper ad Nos pervenit libellus gallica lingua exaratus ac Pari-
siensibus typis editus et inscriptus : Sur la situation présente
Mai 1803.1 BIBLIOGRAPHIE. 499
de l'Église gallicane relativement au droit coutumier, cujus
auctor iis plane adversatnr, quœ vohis tantopere commen-
damus alque inculcamus. Quem libellnm Nostrse Indicis Con-
gregalioni leprobandura et damnandum commisimus. » (Enc.
Inter multipliées, XXI martii MDCCCLIII.)
Après cet acte mémorable, il n'éfait plus possible d'ensei-
gner oiiverlement des doctrines ainsi réprouvées. Toutefois,
nous avons le regret de le dire, certains auteurs, même très-
répandus, ne s'en sont point éloignés autant qu'ils l'auraient
dû. On trouve trop souvent cbez eux une doctrine opposée aux
vrais principes du droit.
Nous avons sous les yeux les deux premiers volumes d'un
Manuale totius juris canonici qui doit en avoir quatre. Les deux
derniers volumes seront incessamment publiés. L'auteur de ce
livre est M. l'abbé Craisson, ancien vicaire général de Valence
Annoncé comme sincèrement romain et comme examiné et
loué à Rome par MM. de Angelis et Houcetti, professeurs de
droit canonique dans cette ville, l'opinion publique le classait
d'avance dans la catégorie des bons ouvrages canoniques.
Rien, à la lecture, ne vient faire modifier ce jugement.
Le respectable auteur nous apprend dans sa préface, que,
cédant aux conseils d'un ami, il a voulu faire un livre qui pût
contribuer à rétablir parmi nous l'exacte observance des règles
ecclésiastiques. In Gallia enim, potius quam in plerisque orbis
christiani regionibus, opus hujusmodi desiderata videtur, quippe
apud nos, duobus ultimis sxculis, prxvaluerant doctrinx vera
omnis juris ecclesiastici fundamentaconvellentes (p. vi). Un trop
grand iiombïe d'esprits, en effet, se persuadaient que les prescri-
ptions du Saint-Siège ne sont obligatoires qu'après leur réce-
ption par les évoques, qui ont, disaient-ils, le pouvoir de les
examiner, et même de ne pas les admettre. De là vient la for-
mule si souvent et si volontiers employée : In Gallia non admit-
titur. Sans doute, il faut admettre l'autorité delà coutume, mais
quand cette coutume est revêtue des conditions légitimes. Entre
BOO BIBLIOGRAPHIE. ITomeVII.
autres conditions, il faut que la coutume soit raisonnable et mu-
nie du consentement au moins tacite ou légal du supérieur.
Or, comme de droit divin le Pontife romain a plein pouvoir de
régir l'Église, il ne peut s'établir aucune coutume prescrivant
contre l'obéissance qui sera toujours due au Chef de l'Église,
et ce Chef ne consent jamais, ne peut jamais consentir, à un
tel usage qui dérogerait au droit divin, car il ne peut chan-
ger la condition que Dieu a faite à l'Eglise. Ex his lecto7njam
clare pei'spicere licel quod puris Ecclesïx Romanx principiis to-
tum hoc manuale sit innixum (p. yiii). Nous ne concevons pas sur
quel autre fondement on pourrait établir le droit canonique. Il
n'est que l'ensemble des lois qui régissent l'Église, et l'Église
est essentiellement romaine, c'est-à-dire, soumise à l'évêque
de Rome qui est l'Évêque des évêques ; hors de son autorité, on
n'aurait plus d'unité, plus de droit obligeant tout le monde,
mais' seulement des lois particulières. Et hœc est causa cur in
Gallia scientia juris canonici tamneglecfaac fere omnino prxter-
missa fuerit ultimo sxculo (p. ix).
A tantis aberrationibus féliciter eductus, saltem ex maxima sut
parte, clerus Gallicunus veritatem hodie perquirit (p. ix). M.
Craisson énumère ensuite les principaux traités de droit cano-
nique. Parmi ces ouvrages, on n'omet pas de parler de M.
Bouix, comme l'a fait, par oubli sans doute, le Cours de Saint-
Sulpice imprimé pourtant en l8o9. Le vénérable auteur ter-
mine en disant qu'il a écrit pour les prêtres employés dans le
saint ministère et pour les élèves des séminaires. Enfin il donne
le texte des pièces émanées de Rome et relatives à son travail
( p. xii, et suiv.).
Le premier volume s'ouvre par les prolégomènes ; puis il traite
des personnes, depuis le Souverain- Pontife jusqu'au vicaire
capitulaire. Dans la dissertation première : de hierarchia juridi-
ctionis in génère, il se trouve, ce nous semble, des détails qu'on
aurait pu indii]uer brièvement en cet endroit et placer plus
opportunément au chapitre des bénéfices. Nous aurions vu avec
Mai 1S63.! BIBLIOGRAPHIE. SOI
plaisir accentuer un peu plus et prouver plus fortement certaines
assertions. Quand ou connaît les grands auteurs et qu'on lit
M. Craisson, on retrouve bien eu général le même enseignement,
les mêmes conclusions, mais pas toujours la même vigueur
de démonstration. On est trop souvent renvoyé à quelques
abrégés modernes dont l'un même a été mis à l'Index ; il est vrai
que ce dernier est cité ad majus robur, ainsi que l'auteur le fait
remarquer. Mais ce résultat, quand même on l'obtiendrait, ne
nous paraît pas l'emporter sur l'inconvénient de pareilles cita-
tions. Nous trouvons aussi dans ces pages un goût de terroir trop .
prononcé. L'estimable auteur nous semble tenir trop compte
des sentiments erronés qui ont eu cours autrefois parmi nous.
Il nous eût paru plus décisif et plus selon la convenance de
donner la doctrine, et ensuite d'écarter par voie de conclu-
sion les sentiments opposés en s'y arrêtant moins. Les cita-
tions tirées des statuts de Valence auraient pu être supprimées
dans un ouvrage de ce genre. Nous en disons autant de celles
du concile d'Avignon; il est vrai que M. Craisson a voulu in-
téresser davantage à la lecture de son travail le clergé du
diocèse et de la province où il écrit.
L'estimable auteur nous permettra de faire quelques re-
marques particulières sur différents points de détail : c'est la
meilleure manière de prouver l'intérêt que nous portons à
son livre. T. i, p. 627, M. Craisson, parlant de la coutume de
nommer plusieurs vicaires capitulaires, dit qu'il est probable
qu'elle n'est pas réprouvée. Pour l'établir, il s'appuie sur les
conciles provinciaux dans lesquels la Congrégation du Concile,
en les revoyant, a laissé subsister des passages qui mainte-
naient celte coutume. Comme confirmatur, il renvoie au pas-
sage où l'auteur des Prxlectiones S. Sulpitii fait le même faux
raisonnement. Nous disons faux raisonnement, car il n'est pa.s>
un simple bachelier en droit qui ne sache que la recognïtioào.^.
conciles provinciaux ne valide pas ce qui est contre le droit
et surtout contre le saint Concile de Trente. (Cfr. Ben. xiv, de
502 BIBLIOGRAPHIE. tTomo VII.
Syn. 1. XIII, c. V, n. ii, — et en outre Fagnan, Suarez, Garcias,
Barbosa, Pirhing, Reiffenstuel, le C. Petra, Pignatelli, Gon-
zalez, Wiestner, etc., etc.) Nous ne savons comment expli-
quer une telle confusion dans un auteur instruit et bien pen-
sant. Naguère encore nous avons vu cette même erreur prê-
chée à tous les chapitres de France par un journal sans auto-
rité, qui soutient avec une confiance déplorable les thèses les
plus hasardeuses. L'erreur de M. Craisson en cet endroit nous
semble d'autant plus inconcevable qu'à la page 4-9 il distingue
très- bien les diverses approbations, la commune et la spéci-
fique, en indiquant les efifets qu'elles produisent.
L'interprétation desclauses de la Bulle de Pie VII Qui ckristi
Domini, ne nous paraît pas assez fondée. Nous croyons qu'aux
termes de cet acte si grave, toutes les coutumes même immé-
moriales : non obstantibus... consuetudinibus etiamimmemoriali-
èus,,out été éteintes à perpétuité, et que l'Eglise de France,
c'est-à-dire le clergé et les fidèles, a été par là-même placée
sous l'empire du droit commun qui oblige in actu primo l'Église
universelle, urgeant aussitôt que les exemptions et privilèges
qui suspendaient son action en quelque contrée sont enlevés.
D'après sa doctrine, M. Craisson pense, par exemple, que la
communion à la messe de minuit de la fête de Noël ne serait
pas défendue en France; or, en divers diocèses, cette commu-
nion a été permise par un induit, comme une grâce spéciale.
Comme on demande beaucoup à qui peut donner beaucoup,
nous aurions désiré que le vénérable auteur ajoutât en divers
lieux des détails qui auraient complété son œuvre. A propos de
la Sacrée Congrégation des Rites, par exemple, il eût été
bon de donner l'explication des principaux termes qu'elle
émploiedans sesréponses: Négative et amplius, dilata, ad men-
tem, etc., etc. Avec cette légère addition, le travail sur ce point
eût paru complet, car M. Craisson y a inséré plusieurs dé-
crets d'une incontestable utilité.
Toutes les réponses données par la S. Congrégation ont la
Mai 1863.] BIBLIOGRAPHIE. 503
même autorité que si elles émanaient immédiatement de Sa
Sainteté, quoiqu'on ne lui en ait fait aucune relation. L'impor-
tance de cette décision, qui a été approuvée par Pie IX, ne
peut échapper à personne. — L'ordinaire est strictement obligé
de pourvoir à ce que les rubriques et les décrets de la S. Con-
grégation soient fidèlement exécutés (S. R. C, 17 sept. 1822).
La Sacrée Congrégation est bien éloignée. Chargée de veiller
à la pureté des saintes cérémonies, que l'arbitraire et l'esprit
particulier voudraient sans cesse altérer, elle associe à sa solli-
citude tous les évêqueset leur fait un devoir strict de pourvoir
à leur fidèle pratique. Le culte de Dieu étant une très-grande
chose, rien n'est petit dans ce qui le constitue, et un évêque
ne déchoit pas lorsqu'il s'occupe de détails qui ont, dans tous
les temps, .fixé l'attention des Souverains-Pontifes, des cardi-
naux, des saints et des savants. Cette charge pourtant ne va
pas jusqu'à rendre les ordinaires juges en matière de liturgie :
0 An prxlati, archiepiscopi et episcopi possint esse judices ad
declaranda dubia super sacris ritibus et cxremoniis ? — Négative.
(in Visen. 1603.) La sainte Liturgie est, en effet, une cause
majeure entièrement réservée au Saint-Siège. Et pour expli-
quer un décret déjà si clair,la même Congrégation a donné cette
autre réponse qui devrait être publiée partout dans nos églises :
(( An Pontificalis, Cseremomalis Episcoporum, Martyrologii et
Ritualis Romani prxceptivas régulas ^tolérante nempe ant permit-
tente autetiam quidpiam aliter statuente RR. Episcopo, canonici
aliive sacerdotes possint, ill^ïisa consgientia, infringere aut omit-
tere, atque Reverendissimi Episcopi voluntas, his in casibus, sit
pro ipsis sufficiens dispensatio? — Négative et amplius. (10 janv.
1832.)
Il y aurait, enfin, d'utiles réflexions à faire sur la question de
l'administration des séminaires soit au spirituel, soit au tempo-
rel. Ce qui est hors de doute, c'est que cette administration,
telle qu'elle se pratique depuis hmgtemps en France, n'est pas
selon le droit canonique. Ce qui est encore plus évident pour
504i BIBLIOGRAPHIE. [Tome VU.
nous, c'est que le retour au droit sur ce point particulier aurait
les plus grands avantages. Nous dirons donc avec M. Craisson :
Optandum summopere est, utapud nos sicutapud alios... accurate
obsercentur . Il y aura toujours un plus grand bien à régir les
séminaires selon l'esprit qui les a conçus. D'ailleurs, nous
sommes convaincu qu'on ne prescrit contre le S. Concile de
Trente, que pour les cas où la S. Congrégation du Concile dit
qu'on l'a fait ou qu'on le peut faire. Que de points encore sur
lesquels un retour à la pratique des saints canons serait
désirable !
Le tome II du Manuale va, en 696 pages, du n. 1287 au
u. 3351 . Ce fait saul laisse contrevoir que cet ouvrage est
haché en trop de numéros. Dans ce nouveau volume, M. Craisson
parle des curés, des chapelains, des confesseurs, des ordres,
des irrégularités, des universités, des chapitres, des religieux.
Les pouvoirs et les obligations des curés sont bien définis, le
catalogue des cas réservés au Souverain-Pontife, catalogue si
souvent méconnu, est tracé d'après l'enseignement des bons
canonistes. A la page 624 finit le livre premier de Personis et
commence le livre second de Rébus ecclesiasticis. Cette combi-
naison ne nous semble pas heureuse : il eût été bien préfé-
rable de commencer le livre second avec le tome 111.
Nous répéterons ce que nous avons déjà dit à propos du
premier volume : M. Craisson désire évidemment exposer le
droit dans toute sa pureté, mais on voit se trahir chez lui sur
quelques points un certain faible pour les anciens sentiments
du pays; il ne donne pas aux assertions exactes la vigueur de
preuves dont elles sont susceptibles. Au n. 3226, il suppose que
l'élole n'est d'obligation dans l'administration du Sacrement
de Pénitence que là oiî l'exige le temps ou la coutume : ce qui
n'est pas le sens du Rituel, ce qui n'est pas la doctrine de la
S. C. des Rites. Au n. 3228, après avoir cité une décision de la
même Congrégation touchant l'usage de la calotte quand il
'agit de porter le saint Viatique, M. Craisson ajoute: P. Gury
M3i 4863.] BIBLIOGRAPHIE. SOj
tamen absolute dicit, et surrautorité du P. Gury, il apporte un
sentiment différent. Cette manière de raisonner nous paraît
donner prise à bien des difficultés. Ce n'est pas le seul cas où
le R. P. Gury, excellent moraliste, fournit occasion de re-
marquer que les casuistes ne sont pas toujours irréprochables
liturgistes.
Quoi qu'il en soit de ces points ou autres semblables, le
Manuel dont nous entretenons nos lecteurs est un bon livre.
C'est pour cola que nous nous y arrêtons si longuement. Le
désir que nous avons de le voir devenir plus parfait et plus
utile nous encourage à faire encore quelques observations qui
pourront servir lorsqu'une nouvelle édition deviendra néces-
saire. Ces remarques portent sur la forme. Ne serait-il pas
'préférable que tous ces quseritur si fréquents ne vinssent pas
couper à cbaque instant la lecture, et que la doctrine du livre
se déroulât d'une manière suivie par une exposition non
interrompue? N'y a-t-il pas un peu trop de citations peu im-
portantes et qui, ne se fondant pas assez dans le texte, nuisent
à la marche générale ? On pourrait en rejeter un bon nombre
dans les notes. Enfin les objections devraient èti-e présentées
et résolues en moins de phrases et en traits plus accentués.
Nous regrettons de voir çà et là des locutions peu latines ou
même défectueuses (v. g. praef., 1. 5 î-eyerea^wr employé dans le
sens passif, ces fréquents doctor in jui^e etc., etc.), et des
fautes d'impression qui déparent une exécution typographique
d'ailleurs excellente. Enfin nous aurions été heureux de voir le
style bril 1er généralement par un caractère de meilleure latinité .
Toutes ces petites réserves faites, nous applaudissons à l'ap-
parition de cet ouvrage conçu dans un bon esprit. Nous dé-
sirous qu'il serve à amener l'unité dans l'étude, l'amour et
l'application du droit canonique, car nous souffrons outre me-
sure de voir en combien de manières, par combien de procédés
divers, par quelles erreurs enfin la loi universelle de l'Église.
catholique est encore combattue par quelques-uns. — H. Girard.
LA LITTÉRATURE THÉOLOGIQUE EN ALLEMAGNE
Pendant l'année 1S69.
CORRESPONDANCE.
Après avoir caractérisé brièvement nosRevues théologiques (1), je vais
maintenant tenir la promesse que je vous ai faite depuis lougtemps,
c'est-à-dire passer en revue, dans un tableau très-condensé, les princi-
pales productions de notre littérature tbéologique. Je me renfermerai,
pour cette fois, dans les limites de l'année 1862. Néanmoins, je serai
conduit occasiounellemant à rappeler quelques publications plus an-
ciennes. Plus tard, selon que la matière et les circonstances le permet-
tront, je reprendrai ces rapports à des intervalles de trois ou de six mois.
Vous me permettrez sans doute de revenir en quelques mots sur les
livres mêmes auxquels vous aurez déjà consacré des articles plus étendus,
soit pour rendre cet aperçu aussi complet que possible, soit pour indi-
quer, le cas échéant, ea quoi mes appréciations diffèrent de celles de
vos honorables collaborateurs. Il est bien entendu que je me borne à la
théologie scientifique ; je ferai néanmoinsune exception en faveur de la
liturgie pratique. Quant à l'ordre à suivre, je ne vois rien de mieux
que de parcourir successivement les diverses branches du système des
sciences théologiques.
I. Théologie spéculative (dogmatique et apologétique).
Rien n'est plus propre à faire connaître les tendances entre lesquelles se
partagent nos théologiens et nos penseurs, qu'un livre récemment publié
là-dessus par le D' Siihmid. [Wissenschaftliche Richtungen auf dem Gebiefe
des Kalholccismus in 7ieue>!ter und gegeitvoœrtiger Zeit. vil-292 pp. 8'>. Mûn-
chen, Lentner. 1 thlr.,18 ngr.) L'auteur se propose deux choses : orienter
les esprits à travers ces difficiles questions, et aplanir les dissidences. Il
veut d'abord « exposer et mettre en lumière, avec clarté et briève'é, les
opinions scientifiques qui se sont faitjour au sein du catholicisme dans
le cours des trente dernières années; » puis « scruter ces opinions jusque
dans leur baSe fondamentale, et montrer qu'à celte limite, ainsi envisa-
gées dans leur essence intime, elles ne sont point pour la plupart oppo-
sées l'une à l'autre. » Dans la première partie, l'auteur fait connaître
(1) V. Revue, t. vi, p. 107 ss., 598 ss.
Mai 18G3.] CORRESPONDANCE. 507
tour à tour VHermésiamsme, condamné en 1835 ; le Gimthérianisme, con-
damné en 1857 (Gûother vient de s'éteindre après une vipillesse entourée
du respect de tous, et dans la soumission la plus édifiante au décret qui
avait frappé ses doclriues) ; le traditionalisme de LaMennais et de l'école
française, condamné en 1834 et 1855; la doctrine tbéosophique de Fran-
çois Baader, aussi condamnée en partie ; l'école catholique de Tubingue,
représentée principalement par Staudenraaier et par Kuhn ; enfin, l'é-
cole néo-scolastique, dont le professeur Clemens, mort en 1802, était na-
guère le chef eu Allemagne. A partir de la page 77, il examine les ques-
tions controversées entre ces écoles, sur la nature de la connaissance
humaine, la liberté de la science au point de vue tbéorique et au point
de vue pratique, les rapports de la science apologétique avec la foi théo-
logique, la compatibilité de la démonstration rationnelle stricte avec
cette même foi, la nécessité de la tradition. Il fait une grande part aux
questions qui divisent l'école de Tubingue et l'école néo-scolastique. On
s'accorde à reconnaître que l'auteur domine pleinement sa matière, et
que partout il s'est efforcé d'atteindre dans son exposition l'objectivité la
plus complète. Un seul critique (Matles, Tub. Quartalschrift, 1863, i,
p. 171-183) a, d'une manière bien étonnante, présenté le livre du
D"" Schmid comme « une brillante apologie des doctrines de Kuhn contre
le sysième néo-scolastique, » et comme une déclaration de guerre contre
ce dernier. Il .serait plus exact de dire qu'il s'y manifeste une sympathie
peu commune pour les doctrines théosophiques de Baader. Ce livre,
comme on le voit, ne traite pas uniquement de théologie, ni seulement
de l'Allemagne : mais l'une et l'autre, toutefois, y occupent de beaucoup
la plus grande place. Aussi, je le recommande à tous ceux qui veulent
s'orienter dans le domaine de la théologie spéculative en Allemagne.
L'ouvrage d'Oischiuger (prêtre à Munich) sur la Trinité, a une tendance
moins iréuique, ou plutôt démesurément aggrossive. {Die Einhedslehre
der gœttlichen Trmilœt, nacli der kirchlichen Tradition bcwiesen u?td gegen
die Irrlehren festyestellt. Lii-330 pp. 8°. Miinchen, Lentner. 2 tblr. 6 ngr.)
Les auteurs des doctrines erronées que veut combattre Oischinger, sont
les néû-.^colasliques, en y comprenant" les théologiens de la Congréga-
tion de l'Index; » il les accuse d'avoir substitué, au dogme chrétien
leurs théories particulières sur les relations divines ; il se laisse aller
contre eux à une véhémence de polémique et à des emporlemouls de
langage qui atteignent leur apogée dans sa longue préface. Le livre sera
sans nul doute bientôt condamné à Rome.
Le D'' Kuhn a, dans le courant de cette année, donné une nouvelle
édition entièrement refondue de la 2» partie de sa Dogmatique, ou
plutôt de laS-î partie du premier volume. 11 y traite de la connaissance,
des attributs et de l'unité de Dieu (8o,pp. 533-1 116. Tûbingen, Laupp. 2 thlr.
10 ngr.). La première partie de ce volume a paru en 1859 eu seconde
édition (Ih. x-532 pp. 2 thlr.); elle comprend l'introduction à la dogma-
tique catholique, laquelle, comme on le sait, occasionna la polémique
avec Clcmeus. Le secoud volume, conleuant la doctriue de la sainte Tri-
nité, a paru en 1857 i^Ib. x-669 pp. 2 Ihlr. 10 ngr.). C'est tout ce que
nous possédons jusqu'à présent de cet importaut ouvrage. L'âge avancé
du célèbre auteur, et le soin avec lequel il travaille toutes les parties de
i.03 CORRESPONDONCE. [Tome VU.
son œuvre, ne nous laissent guère espérer d'en voir la fin. Il est pro-
bable que la Dogmatique de Berlage, professeur à Munster, en voie de
publication depuis 1839 et maintenant sur le point d'être achevée, restera
longtemps le seul livre détaillé à l'usage des catholiques d'Allemagne.
Cette Dogmatique est du reste excellente sous plusieurs rapports, mais
assez inégale dans ses diverses parties : les premières s'étendent trop sur
les controverses soulevées par le Gunthérianisme. En fait de Manuels,
nous avons ceux de Klée (4^ éd., Mayence, 1861); de Dieringer (4^ éd.,
Mayeuce, 1858), et de Friedhoff (^ vol., Miinster, 1855). On se sert aussi
beaucoup de Perrone et de Liebermaun, quelquefois d'une mauvaise
traduction du cardinal Gousset (Ratisboune, 1855); en Autriche, on a
Schwetz, dont la première partie, Theologia fundamentalis seu generalis,
est arrivée l'an deruier à sa quatrième édition (8° xii-699 pp. Vindobonse,
typis Gong. Mechitaristicae). Je reviendrai sur cet ouvrage quand il aura
paru en entier dans cette nouvelle édition.
Le P. Clément Schrader, professeur à Vienne, autrefois collaborateur
du malheureux Passaglia, vient de traiter d'une manière étendue un point
important de la dogmatique, de Unitate roniana (seu catholica;. Vous avez
publié un long article sur cet ouvrage, et avec raison ; car le sujet, la
langue, la méthode, les tendances, lui donnent, pour votre pays aussi
bien que pour le nôtre, le plus haut intérêt et la plus grande impor-
tance. Rien qu'après la lecture du premier livre, seul publié jusqu'à ce
jour, on peut affirmer avec certitude que nous aurons bientôt, sur un
des points de doctrine les plus importants et les plus difficiles, un travail
vraiment scientifique, vraiment complet, un travail qui suffira pendant
de longues années à repousser toutes les attaques, et qui devra être uti-
lisé avec le plus grand soin dans tous les manuels de dogmatique et de
droit canon.
Vous avez également indiqué une dissertation du jésuite Casinius
(m. en 1755). La nouvelle édition (Mayence, 1862) est due à M. le professeur
Scheeben, dont le beau travail sur la grâce n'a point été vanté par vous
au-delà de ce qu'il mérite (V. Revue v, 464 ss.) Le texte a été revu
avec soin et enrichi d'additions qui ont leur prix. C'est en quelque
sorte le complément de, l'ouvrage déjà cité. Casinius établit, au point de
vue de la théologie positive, la doctrine que M. Scheeben a développée
avec uue grande profondeur de spéculation. Le même auteur a refondu
complètement le travail ascétique de Nieremberg sur les merveilles de
la grâce divine, et il en a fait un livre délicieux, un livre admirablement
propre à découvrir aux fidèles des trésors trop peu connus. {Die Her'r-
lichkeiten (1er gœttlichun Gnade. 8o sii-502 pp. Freiburg, Kerder. 1 thlr.
6 ngr.\ Ce dernier ouvrage mériterait d'être introduit en France par une
bonne traduction.
A ces écrits si remarquables sur la grâce, je dois en ajouter un de votre
compatriote Isaac Habert, le premier adversaire du jansénisme, et cer-
tainement l'un des hommes les plus distingués qui soient descendus
dans l'arène théologique. Ses Theologiœ grœcorum patrum vindicafœ circa
universam materiam gratiœ libri très ont été réimprimés à Wurzbourg,
chez Stahel (8" x-512 pp. 2 thlr. 12 ngr.).
L'histoire du dogme de la grâce pendant les premiers siècles, a été
Mail8i3.J CORRESPONDANCE. 50&
soumise récemment à im nouvel examen par le professeur Wœrter, de
Fribourg, {Die ktrchliche Lehre fiber das VerJiœltniss vo>i Gnade und Frei-
heit von den apostu/ischen Vœtern bis nuf Auyustinus. 1 Bd. Die Lehre des
N. T. und der voraugustin. Vaeter. 724 pp. 8». Freiburg, Herder, 1836-
1800. 2 thlr. 17 ngr.). La doctrine des pères grecs est traitée p. 86-380.
Il est bien étonnant que dans tout ce passage, Habert ne soit pas cité
même une seule fois, autant du moins que je puis voir.
Un ouvrage qui a une grande valeur pour la science apologétique,
c'est celui du D'' Tanner, théologien suisse, sur la tradition. {Ueber das
katholische Traditions- und das protestantische Schrift-Prinzip. 8", viii-
614 pp. Luzern, Raber. 2 thlr. 6 ngr.). L'auteur y combat surtout l'ou-
vrage, écrit à un point de vue tout opposé, du D'' Holzmann, autrefois
privat-docent, et aujourd'hui professeur à Heidelberg. [Canon und Tra-
dition. Ludwigsburg, Riehm, 1839.) Le D' Tanner réfute partout victo-
rieusement cet adversaire, qui est loin d'être sans mérite.
n. Théologie morale.
Rien d'important n'ajparu l'an dernier sur cette vaste branche des
sciences théologiques. Je dois signaler seulement des éditions nouvelles
de deux ouvrages déjà connus, dont l'un est importé de votre pays:
c'est le Compendium ilieologiœ moralis du P. Gury (3e édition allemande,
Ratisbonue, Manz) , revu avec soin par un professeur, et augmenté de
nouvelles notes empruntées pour la plupart à Scavini. L'autre a pris
naissance sur le sol allemand : c'est Stapf, Epiiome theologiœ moralis,
revu par le chanoine Hofmann, de Brixen (3e éd.).
Les années 1830 - 1860 nous ont apporté toute une série de manuels
de théologie morale. Je citerai seulement ceux de Fuchs, Probst, Wer-
ner, Dinkhoff, Martin, Jocham, Friedhoff, Fricker, et enfin celui du
cardinal Gousset^ dont nous possédons deux traductions, l'une mauvaise,
l'autre a.isez passable. Malgré cela, les Allemands recourent encore de
préférence à saint Alphonse, ainsi qu'à son abréviateur, le P. Gury, dont
le Compendium est grandement estimé et fort répandu.
lU. Sciences bibliques.
On peut rapporter à l'introduction le livre intitulé : L'Église et la
Bible, par le Dr A. Schmid, autrefois professeur au lycée de Dilliugen,
qu'il ne faut pas confondre avec le D^ Al. Schmid, bavarois comme lui.
{Kirche und Bibel. 8o, 167 pp. Schrobenhausen, Hueber, 24 ngr.) C'est
un livre étrange, mal digéré, extrêmement confus, dont le sujet peut
être ainsi indiqué : Histoire et apologie de l't conduite de l'Église par
rapport à la Bible. Au point de vue de la science, cet écrit a moins de
mérite encore que le commentaire sur le livre de la Sagesse publié en
1858 par le même auteur.
Le professeur Danko, de Vienne, a commencé une nouvelle histoire
biblique, dont la première partie, contenant l'Ancien Testament, a seule
vu le jour jusqu'à ce moment. {Historia revelationis divinœ V. T., sive
hist. V. et N. T. pars prior. Vindobouae, Braumiilier; 8o, c-ClO pp.) C'est
un magnifique volume édité avec luxe, et malheureusement par cela
5<0 CORRESPONDANCE. [Tome VU.
même uu peu cher (4 thlr. 10 u^r.). Les sentiments de l'auteur sont par-
faitement ortbodoxes ; son livre est le résultat d'un travail sérieux et de
vastes lectures, la forme en est claire et coulante. On y trouve pourtant
des choses étranges. M. Dauko, par exemple, sait d'une manière
précise, que le monde a été créé pendant l'automne et le soir. Malgré
cela, son livre est la meilleure exposition scientifique abrégée que nous
ayons de l'histoire biblique. On ne saurait trop le recommander aux
écoles où le latin est encore la langue de l'enseignement. Haneberg,
dont vous avez une traduction française, est riche en aperçus et en
rapprochements ingénieux, mais c'est là son plus grand mérite : il laisse
beaucoup à désirer pour le fond. L'Allemagne possédera bientôt un
ouvrage exécuté sur un plan plus large : les quatre premiers volumes
de Rohrbacher, complétés et en partie refondus par Hiilsknmp, seront
consacrés à l'Ancien Testament. Deux de ces volumes ont paru, et le
troisième est sous presse.
Le D'' Schusler, auteur de plusieurs ouvrages d'éducation très-remar-
quables,édite en ce moment iniMcmuel d'histoire biblique. {Hand/juclizur Bi-
blischen Geschichtedes A. undN. T. Freiburg, Herder, 6 liv. à 18 ngr.,dont
3 ont paru.) La forme en est excellente, l'exécution typographique est
belle et relevée par une grande quantité de gravures sur bois : c'est en
outre un livre solide, pour lequell'auleur a consulté avec soin et utilisé
avec tact les travaux antérieurs, et surtout Rohrbacher-Hûlbkamp. Le
D'' SchusLer n'a point écrit pour les savants, mais pour le commun des
fidèles et aussi en vue de l'enseignement.
Le beau livre du D'' Reusch, Bib/e et Nature, a un but apologétique.
[Bibel und Nutur. Vorlesungen iibcr die mosaische Urgeschichte und ihr
Verhœltniss zu den Ergebnissen der Naturforscliung. 8", A 43 pp. Freiburg,
Herder. 1 thlr. 20 ngr.) Le D"" Reusch, un des exégètes les plus distingués
de notre époque, a recueilli, comparé, examiné, au point de vue de la
science actuelle, tous lei: systèmes relatifs aux questions soulevées par
les premiers chapitres de la Genèse : son travail peut être regardé
comme complet, jusqu'à ce que des progrès importants accomplis dans
les sciences nécessitent un nouvel examen. De même qu'autrefois nous
nous sommes approprié les recherches de Marcel de Serres et de Ni-
colas, en les faisant passer dans notre langue, il me semble que vous
pourriez maintenant faire votre profit du livre indiqué ci-dessus, à moins
que celui du P. Pianciani [Cosmogonia naturale comparala col Genesi,
Roma, 1862), ne soit par la forme, la méthode et la langue, plus acces-
sible à vos compatriotes.
Des premiers chapitres de la Genèse, nous devons passer immédiate-
ment aux prophètes, pour rencontrer d'autres travaux exégétiques.
Le vaste commentaire du D"" Reiuke sur les propliéties messianiques
chez les grands et les petits prophètes, est parvenu à son entier achève-
ment dans le courant de l'année, par la publication de la S" partie du
4* volume, (Die messianischen Weissagungen bei den grossen und kleinen
Propheten des A. T. 4 Dde in 5 Thleu. 8". Giessen, Ferber, 1859-1869.
10 thlr.). On y trouve, comme dans les autres productions du
D"" Reiiike, une prolixité fatigante, un caractère trop peu personnel,
trop compilatoire, mais au moins tout est traité de la manière la plus
Mail8C3.] COnRESPONDANCE. 51 f
complète ; c'est un véritable arsenal où pendant longtemps le théologien
et l'exégèle iront puiser. Les matériaux exégétiques y sont rassemblés
avec une telle abondance, qu'oa est dispensé de recourir à d'autres
sources. En un mot, c'est un monument d'érudition. Le respectable auteur
a traité précédemment, dans des monographies spéciales, les passages
messianiques Gen., 3, 1S (Proto-evangelium) ; Gen., 49, 8-12 iSchilo) ;
Is., 7, 14-16 (Emmanuel et la Vierge-mère) ; Is., 2, 2-4 (Conversion des
Gentils); Is., 52, 13-53, 12 (Passion et mort du Sauveur); enfin Mal., 1,11
(Sacrifice non sanglant). Puis, dans le quatrième volume de ses Bei-
trœge zur Erklœrung des A. T., il a donué une introduction générale
aux prophéties messianiques, et commente celles des livres historiques
et des livres deutéro-canoniques auxquelles il n'avait point encore
touché. Enfin, il a commenté en deux volumes les psaumes messia-
niques. Il a donc réuni, de la manière la plus complète, les matériaux
nécessaires pour composer uue christologie de l'Ancien Testament qui
soit à la hauteur de la science. Nous avons bien, en ce genre, un essai
du D"" Bade, professeur à Paderborn , qui remonte à une douzaine
d'années (Mûoster, Aschendorf. 2e éd. [fictive] 1860) ; mais cet essai de-
vait nécessairement laisser beaucoup à désirer, rien que parle manque
de travaux préparatoires.
Au moment où les efforts généreux de quelques savants impriment
une impulsion salutaire à la science exégétiqne, un prétendu ermite de
Falkenberg vient lui jeter l'anathème ; il repousse toute explication
savante de la Bible, déclare le grec et l'hébreu superflus, et veut qu'on
s'en tienne au sens mystique et ascétique exposé d'après la Vulgate.
{^Bruder Bernard^, Klausners zu Falkenberg [pseudonyme], Aphorismen
ùber kaihùl. Behandlung der Bibel. S», x-335 pp. Freiburg, Herder.
23 ngr.). Il est déplorable qu'avec de bonnes intentions, on vienne pro-
fesser de pareils principes qui n'iraient à rien moins qu'à renverser la
science au sein du catholicisme, et à en laisser le monopole aux ennemis
de notre foi. Croit-on que cela soit bien à désirer? Heureusement que
ces folles maximes, résultat d'un zèle mal entendu, ne réunissent que
de bien rares adeptes. Sans doute, nous ne devons pas étudier la Bible
comme uu livre ordinaire ; il faut tenir compte avant tout de son
contenu surnaturel et divin : c'est par là que notre exégèse se distin-
guera de celle des protestants et des rationalistes. Mais, est-ce que l'exé-
gèse scientifique ne doit point s'appuyer sur une élude exacte du texte,
éclairée de tous les moyens que fournissent la philologie, la critique
et l'histoire?
Le commentaire latin du Dr K,aulen sur le livre de Jonas (Mog. Kirch-
hoim, 146 pp. 12 1|2 ngr.), peut paraître plus ou moins dans le sens de
l'ermiie, et c'est à ce point de vue qu'on s'est placé pour lui décerner
des éloges qu'à coup sur l'auteur n'accepte pas. M. Kaulen est un
homme sérieux, qui a travaillé déjà très-utilement pour la science, et
qui fera davantage encore. En publiant ce petit travail sur Jouas, il n'a
point voulu formuler uue méthode et tracer le modèle qu'il se propose
d? suivre toujours. Il faut conserver à l'exégèse son caractère et sa di-
gnité de science théologique, mais ce n'est pas à dire pour cela qu'il
faille lui ôter toute portée scientifique, et la faire servir seulement à
^-^^2 CORRESPONDANCE. [Tome VII.
l'édification. M. Kaulen le sait mieux que personne : aussi, ce n'est pas
pour lui que nous le rappelons.
La Théologie de V Ancien Testament, du Df Scholz, prival-docent à
Breslau, a élé dans votre Revue l'objet d'un article détaillé (Rev. V% 531;,
et à mon sens un peu trop favorable. Ce livre ne contient presque pas
de recherches qui soient propres à l'auteur ; et bien que ce soit le fruit
d'un travail assurément considérable et de lectures multipliées, on vou-
drait trouver un peu plus de tact et de réserve dans le mode de com-
pilation. C'est ainsi que le passage sur les Pharisiens et les Sadducéens
(i, 88 ss.) est emprunté presque en entier, sans citation de source, au
protestant Winer. 11 est plus regrettable encore que les définitions
n'aient pas le degré de clarté et de précision voulu. Du reste, c'est un
livre utile, qui comble une lacune dans notre littérature théologique et
qui n'est pas dépourvu de mérite.
Sur le Nouveau Testament, nous avons à enregistrer le tome premier
du commentaire de Maldouat sur les Évangiles [Mogunliae, Kircheim. 8",
viii-630 pp. à 2 col. 1 thlr. 20 ngr.), un de ces ouvrages qui ne vieillissent
point. C'est la 3' édition publiée en Allemagne dans ces dernières années :
elle a été revue avec soin par le Dr Conrad Martin, ancien professeur de
tliéologie à l'université de Bonn, et aujourd'hui évèque de Paderborn.
Les deux éditions précédentes se sont écoulées surtout en France :
espérons que la troisième, au moins, sera appréciée à sa valeur par les
théologiens d'Allemagne.
La remarquable traduction des Évangiles, avec commentaire, par le
Df Schegg, professeur à Freysiug, est arrivée au tome il" de saint Luc,
V- de l'ouvrage (Miinchen, Lentner. 644 pp. 2 thlr. 6 ngr.). Nous pour-
rons y revenir après sa compilète publication. Je me contenterai de
faire remarquer que ce commentaire jouit d'une haute estime, même
chez les protestants encore attachés au christianisme positif, bien que
Schegg ait commenté la Vulgate, en recourant néanmoins au texte
original.
Les commentaires de Klofular n'ont ni la même valeur, ni la même
étendue, mais toutefois les candidats en théologie peuvent s'en servir
utilement. Une première partie, contenant les évangiles synoptiques, a
paru en 1859 (Labari, Eger); la seconde, Commentarius in Evangelium
S. Joannis, vient de paraître en 1862 (Vindob. Mechit. 325 pp. 8o). Les
travaux exégétiques du professeur Al. Mesmer, ne peuvent prétendre à
une grande valeur scientifique, malgré les aperçus ingénieux qui s'y ren-
contrent : mais ils intéressent, je crois, beaucoup les nombreux disciples
et amis de cet excellent homme, qui leur fut prématurément enlevé.
L'explication de l'évangile selon saint Jean, publiée en 1860, a été suivie
cette année de la première épitre aux Corinthiens et de l'épîlre aux
Galales, commentées d'après la même méthode.
Pour extrait : E. Hautcœcr.
[La fin au prochain n°.)
Arras. — Typographie Rousseau-Leroy, rue Saint-Maurice, 26.
LE CELEBRE CONFLIT
SAINT ETIENNE ET SAiNT CYPRIEN
Quatrième et dernier article (i).
§3.
L'examen des auteurs contemporains, et de ceux qui ont suivi de plus près, doit
faire regarder comme apocryphe l'histoire du fameux conflit.
Dans les paragraphes précédents, nous avons considéré en
elles-mêmes les pièces sur lesquelles on fonde le récit com-
munément accepté. Nous allons explorer ici les écrits des auteurs
contemporains et des premiers qui ont suivi. Voyons ce qu'on
a droit de conclure^ soit de leur silence, soit des passages oii
ils ont parlé de la controverse en question. En dehors des
pièces précédemment examinées, et sur l'authenticité des-
quelles roule tout le débat, nous ne trouverons aucun auteur
contemporain qui ait relaté le fait du conflit. Il en est deux,
néanmoins, qui auraient du le mentionner, s'il avait été réel,
vu la nature des sujets traités dans leurs écrits. C'est le diacre
Pontins etDenys d'Alexandrie. Quant aux auteurs venus après,
et antérieurs au sixème siècle, plusieurs ont des passages
relatifs à cette contestation célèbre. Ce sont : Eusèbe, saint
Basile, saint Jérôme, saint Augustin, saint Optât de Milève, et
un anonyme. Nous allons examiner séparément ce qu'on rer.t
(4) Voir les numéros de mars, avril el mai -1863.
Revue des sciences ecclésiastioues, t, vu- 33-34.
514 SAINT ETIENNE (Tome Vil.
logiquement conclure, soit du silence, soit des témoignages de
chacun de ces auteurs.
I.
Le silence du diacre Pontius prouve que l'histoire du fameux
conflit est une fable.
Saint Jérôme nous parle ainsi du diacre Pontius et de son
ouvrage : « Pontius, diaconus Cypriani, usque ad diem pas-
siouis ejuscumipsoexiliuœsustinens, egregium volumen vitse
et passionis Cypriani reliquit. » {De Scriptoribus ecclesiasticis,
68.) Ce livre du diacre Pontius se trouve dans la Patrologie
Migne, au tome III, col. 1482 et suiv. Quoique la vie et le
martyre de saint Cyprien y soient racontés assez en détail, il
n'y a pas un mot sur la fameuse contestation, ni sur les trois
conciles qui auraient eu pour objet la question du baptême
des hérétiques, et que saint Cyprien aurait convoqués et
présidés. Ce silence, dans un tel livre, prouve, selon nous, que
l'histoire du conflit est apocryphe.
Nous le savons, le silence d'un auteur sur un fait n'est qu'un
argument négatif. Par lui seul, il ne prouve pas que le fait
n'ait pas eu lieu. Mais il devient argument positif et preuve
rigoureuse, lorsqu'à l'aide des circonstances on peut démontrer
que, dans l'hypolhèse de la réalité du fait, l'auteur n'a pas pu
le passer sous silence. C'est précisément la condition du diacre
Pontius relativement à l'objet de cette discussion. Remarquons
avant tout qu'il n'a pas pu ignorer le conflit, s'il a été réel, il
fut le compagnon inséparable de saint Cyprien jusque dans
i'exil, et le témoin oculaire de son martyre. Il vit donc les
tiois conciles où fut agitée la question du baptême des héré-
tiques ; ou ne peut même douter qu'il n'y ait assisté^ attendu
1 s termes relatifs au personnel du troisième concile : Fpiscopi
plurimi. . cum presbyteris et diaconibus, présente etiam plebis
Juin 1883.] BT SAINT CYPRIEN. 5J5
ma vima parte. Si le conflit a eu lieu, il a dû être parfaitement
connu du diacre Pontius, Dire que cet auteur l'a passé sous
silence parce qu'il l'aurait ignoré, serait absurde.
D'autre part, si Pontius a connu un fait si important, en
écrivant la vie de saint Cyprieu, il n'a pas pu le passer entiè-
rement sous silence. On ne peut imaginer pour expliquer ce
silence que deux raisons : ou il n'aurait pas regardé cet évé-
nement comme digne de mention, ou il aurait cru devoir le
taire comme déshonorant pour la mémoire de son héros. Il
est facile de montrer que nirunje ni l'autre de ces explications
ne saurait être admise.
d° Il n'a pas pu regarder cet événement comme secondaire
et de peu d'importance. Il s'agit d'une question qui aurait
agité toutesles églises d'Afrique. Saint Cyprien aurait convoqué
et présidé trois conciles. Non-seulement le Pape aurait con-
damné son sentiment qui était celui de tous les évêques afrir
cains, mais il aurait, en outre, défendu sous peine d'excommu-
nication de rehaptiserles hérétiques convertis. A cette décision
dogmatique et à ce précepte du Saint-Siège, saint Cyprien et
SCS collègues auraient opposé une résistance opiniâtre, à la-
quelle se serait uni Firmilien. l'un des plus illustres évoques
de l'Orient. Ils seraient cillés, dans leur obstination, jusqu'à
réfuter publiquement le décret du Pape avec les termes las
plus injurieux, et jusqu'à déclarer que Ip Pontife romain s'étqit
lui-même séparé de l'Église. Certes, s'il y a dans toute la vie
de saint Cyprien un événement important, c'est bien celui-là.
Dans tout ce que rapporte le livre de Pontius, il n'est rien qui
puisse lui être comparé. Donc, on ne peut pas dire que Pontius
l'ait passé sous silence, parce (ju'il l'aurait regardé comme
peu important.
2° La seconde raison, la crainte qu'en le rapportant il ne
nuisît à la mémoire de saint Cyprien, n'est pasplus admissible.
Pontius n'aurait eucelte crainte, qu'autantqu'il aurait regardé
lu résistance de son évêquc comme mauvaise et condamnable;
oJ6 SAINT ETIENNE [Tome VIF^
Supposons, pour un moment, que Poutius ait ainsi jugé la con-
duite de saint Cyprien. De deux choses l'une : ou saint Cyprieu
se serait rétracté avant son martyre, ou il ne se serait point
rétracté. Dans le premier cas, Pontius se serait fait un devoir
de raconter cette rétractation, qui aurait effacé une faute
grave, au jugement de Pontius lui-même. Dans le second
cas, Pontius aurait regardé saint Cyprien comme mort dans
une coupable obstination; et c'est sciemmement qu'il au-
rait voulu le faire passer dans la postérité pour un grand
évèque et un grand saint, et que dans ce but il aurait déguisé
sa résistance criminelle. Dès lors, la grande admiration de
Pontius pour saint Cyprien, admiration qui respire dans toutes
les pages de son livre, ne serait qu'une hypocrisie. Or, cet écrit
porte au contraire le caractère le plus visible de la sincérité et
de l'admiration la plus réelle. Non, l'auteur d'un tel .écrit n'a
pas jugé saint Cyprien coupable et misérablement obstiné
jusque sous la hache du bourreau. Résumons : Si le célèbre
conflit a existé, Pontius a dû le connaître; s'il l'a connu, il a
dû le regarder comme Tévènement le plus important de la vie
de son héros : s'il l'a jugé très-important et en même temps
honorable, il a dû en parler. S'il l'a jugé déshonorant, mais
rétracté, il a dû encore en faire mention ; entin, sll l'avait jugé
déshonorant et non rétracté, nous n'aurions pas son livre plein
de l'admiration la plus vive et la pi us sincère poursaint Cyprien.
Donc, le silence de Pontius prouve que le célèbre conflit n'est
qu'une fable.
II.
Lt passage d'Eusèbe sur la contestation de saint Cyprien avec
saint Etienne est apocryphe.
11 existe, dans V Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, un passage
qui atteste clairement le fait de la célèbre contestation. Il
forme le chapitre troisième du livre septième. En voici les
Juin 1803.1 ET SAINT CYPRIEN. §[7
termes, d'après la traduction de Henri de Valois: Primus om-
nium Cyprianus, qui tune temporis Carthaginensem regebat Ee-
clesiam, non nisi per baptismum ab errore prius emundatos, ad"
mittendos esse censuit. Verum Stephanus nihil adversus traditio-
nem qux jam inde ab ultimis temporibus obtinuerat innovandum.
ratus, (jravissime id tulit. Ces lignes nous sont objectées comme
preuve péremptoire. Ensèbe, dit-on, né environ dix ans après
le martyre de saint Cyprien, et déjà évêque de Césarée eu 313,
n'a pas pu se tromper sur le fait de la controverse ; il l'atteste ;
donc il est réel.
A cette grave difficulté, Missori a cru pouvoir répondre, que
les doctrines et la conduite d'Eusèbe ont été trop suspectes
pour que son autorité soit décisive; et que rien n'empêche de
mettre en doute sa véracité, en cet endroit de son histoire.
La vraie réponse, selon nous, c'est que le passage en ques-
tion n'est pas d'Eusèbe. L'assertion, au premier coup d'œil,
pourra paraître étrange, et peut-être sera-t-on tenté d'y voir
un de ces subterfuges auxquels recourent, faute de mieux,
les défenseurs d'une cause désespérée. Que le lecteur veuille
peser nos raisons, avant de se prononcer. Nous les croyons
solides et appuyées sur les règles de la saine critique.
1. Exposé de tout le contexte. — Au début du septième livre
de son histoire, Eusèbe s'exprime ainsi : « Septimum quoque
EcclesiasticseHistoriaî hbrum magnusille Dionysius suis verbis
nobiscum una contexet, cuncta quse setate sua contigerunt in
epistoUs quas reliquit singillatim exponens. lîinc porro narra-
tionis nostrse ducemus exordium. »
Suit le chapitre I, qui a pour titre. De Improbitate Decii et
Gain, et qui est étranger à notre question. Mais, depuis le cha-
pitre second jusqu'au chapitre cinquième inclusivement, il est
parlé de la controverse sur le baptême des hérétiques. Il est
nécessaire pour notre but, que le lecteur ait ces quatre cha-
pitres sous les yeux. Nous les reproduisons en entier, d'après
la traduction de Henri de Valois.
5!8 SAINT ETIENNE [Tomo VIU
« Caput II. — Interea RomsB cum Cornélius tribus circiter
aunis episcopalum tenuisset, Lucius in ejus locum substituitur.
Qui vix octo mensium spatio perfunctus eo munere, moriens
opiscopale officium Stepliano dereliquit. Ad liunc Stephannm
Dionysius primam earum qufe de baptismo conscriptae sunt
epistolam exaravit, cum per id tcmpus non mediocris contro-
versia exorta essei, utrum eos qui ex qualibet bseresi conver-
tuntur, baptismo purgarioporteret. Quippe antiqua consuetudo
invaluerat, ut in ejusmodi hominibus sola mariuum iraposilio
cum precationibus adbiberetiîr.
Caput m. — Primus omnium Cyprianus, qui tune temporis
Cartbagiuensem regebat Ecclesiam, nonnisiperbaptismum ab
eri'ore prius emundatos admittendos esse censuit. Verum
Stepbanus nihil adversus traditionem quœ jam Inde abultimis
temporibus obtinuerat innovandum ratus, gravissime id tulit.
Caput IV. — Ad liunc igitur, ut dixi, multa de boc argu-
uiento Dionysius per litteras scripsit. In quibus id tandem illi
indicat, oiunes ubique ecclesias, moUito jam persecutionis
furore^ Novati turbulentam novitatem détestantes, inter se
pacem iniisse. Sic autem scribit.
Caput V. ' — Scias autem, frater, cunctas per Orientem et ulte-
rius positas Ecclesias, qux prius ante discissx, nunc tandem ad
unitafem reversas esse : et omnes ecclesiarum ubicumque antistites
unum idemque sentire, etob redditam insperato paceni incredibili
gaudio exultare : Demetrium scilicet Episcopum Antiochix,
Tkeotistum Csesarex, yElix post mortem Alexandi^i Mazabanem,
Marinum Tyri, Laodicex vero post J helymidris obitum Heliodo-
rum, Helenum Tarsi cunctasque Cilicix ecclesias, Firmilianum
denique cum imiversa Cappadocia. Solos enim illustriores Epi-
scopos nominavi, ne forte epistola nostra prolixior et oralio mo-
lestior redderetur . Syriarum quidem provincise omnes cum Arab ta,
quibus identidem necessaria suppeditaiis, et quibus litteras nunc
foipsistis; Mcsopotamia quoque, Pontus ac Bithijnia : ac, ut icno
verbo absolimm, omnes ubique terrarum Ixtitia gestiunt, Dcoque
Juin 1803.] ET SAINT CYPRJEN. 519
gratias agunt ob hanc concordiam fraternamque 'charitatem.
Et haec quidem Diouysius scribit. Cœterum cuin Stephauus
Ecclesiam biennio administrasset, Xystus inejuslocum succes-
sit. Ad hune Dionysius seciindam de Baptismo scripsit episto-
lam, inTjua Stephani simul ac reliquorum episcoporum sen-
tectiam ac judicium exponit, de Stéphane ita scribens (antea
quidem litteras scripserat de Heleno et de Firmihauo, de omni-
bus denique sacerdotibus per Ciliciam, Cappadociam cunctas-
que fînitimas proviucias constitiitis, sese ob eam causam ab
illorum cominunione discessurum, quod hœreticos rebaptiza-
rent) : Ac vide, quxso, gravitatem negoiii. Rêvera enim in
maximis, ut audio, episcoporum conciliis decreium est, ut qui ab
hxreticïs ad catholicam Ecclesiam accédant, ptnmum cathecumeni
fièrent, ac deinde veteris et impuri fermenti sordibus per haptis-
mum purgarentur. De his omnibus ego ad illum epistolam misi
rogans atque obtestans. Et ahquanto post : Sed et charissimis
inquit, fratribus et compresbyteris nostris Dionysio ac Phile-
moni, qui prius idem cum Stephano senserant deque iisdem rébus
ad me scripserant, antea quidem breviter, nunc vero pluribus
verbis scripsit Veruin de supradicta quœstione hactenus. »
A partir du chapitre septième, Eusèbc mentionne et cite
encore quelques autres lettres de saint Denys d'Alexandrie
relatives à la question du baptême des hérétiques. Voici ces
passages : •
In tertia, autem epistola ad Philemonem^Ecclesiee Romanse
presbyterum, de baptismo scripta, idem Dionysius haec refert...
Banc ego regulam et formam a beatissimo Papa nostro Heracla
accepi.Eos enim qui ab hsereticis veniebant, tametsi defecissent,
seu potius non defecissent illi quidem, sed in speciemcum fratri-
bus communicantes, clam perverses, doctrinse magistros adiré de-
lati essent, au Ecclesiaejectos,postmultas tandem precesnon prius
admisit, quam quxcumque ab adversariis audierant palam expo-
suissent. Ac tum demum ad communionem eos admittebat, nequa-
quam existimans iterato baptismale opus esse. Quippe jam antea
520 SAINT ETIENNE [Tome VU-
Spiritum Sanctum ab ipso acceperant. Rursus hac qusestione
abunde ventilata, concludit in hune modum : Jllud, inquit,
prxtei^ea didici, non ab Afris solis hune morem nunc pjnmum in-
vectum fuisse, sed et multo antea, superiorum episcoporum tem-
poribus, in ecclesiis populosissimis, et in conciliis fratrum apud
Iconiwn et Synnada, et apud alios phtnmos idem sancitum fuisse.
Quorum sententias et statuta subvertere, eosque ad jurgia et con-
tentiones excitare equidem nolim. Scriptum est enim : Non corn-
mutabis terminas proximi tui quos parentes tui constituerunt.
Quarta ejus de baptismo epistola ad Dionysium scripla est,
tune quidem RomauiH urbis presbyterura, sed qui aliquanto
post tempore ejusdem urbis episcopus est constitutus. Ex qua
hune ipsum Romanum Dionysium, eruditîssimumplanequead-
mirandum viriim fuisse, testimonio Dionysii Alexandrini licet
cognoscere. Poito in bac ad illum epistola de Novato ita scri-
bit : Nam Novatianum, inquit, merito aversamur, quippe qui
Ecclesiam discidit, etquosdam ex fratribus ad impietatem blasphe-
miamque pertraxit ; qui nefariam de Deo doctrinom invexit, et
clementissimum Dominum nostrum Jesum Christum quasi impla-
cabilem calumniatur : qui prxterea sacrum lavacrum oblitérât \
fidemque et confessionem qux baptismum prxcedunt evertit; et
Spiritum Sanctum penitus ab illis fugat, tametsi spes aliqua
subsit vel qiiod in illis adhuc maneat, vel quod ad eos reversurus
sit. *
« Extat et quinta ejusdem epistola ad Xystum Romanae
urbis Episcopum scripta. »
Dans cette cinquième lettre, Denys d'Alexandrie consulte le
pape saint Sixte, au sujet d'un fidèle de son diocèse qui avait
été baptisé par les hérétiques, et qui demandait avec larmes
d'être rebaptisé, alléguant que le premier baptême ne lui avait
pas été conféré avec la forme légitime. Après avoir cité celte
lettre de saint Denys d'Alexandrie, Eusèbe ajoute :
« Prœler supradictas est etiam ejusdem. epistola de baptismo,
ipsius etEcclesiaequamregebatnomine,ad Xyslum et Ecclesiam
Juin I8G3.1 ET SAINT CYPRIEN. 521
urbis Romse directa, in qua de proposita quaestione prolixam
admodum disputationem instituit, Prseterbas, alla exstatejus-
dem epistola de Luciano, ad Diouysium Romanum scripta. Sed
de his hactenus. »
Le lecteur a maintenant sous les yeux tout ce que dit Eusèbe
sur la question qui nous occupe, et tout ce qu'il cite des lettres
de saint Deays d'Alexandrie sur ie même sujet. Gomme il peut
le remarquer, il n'est question de saint Cyprien et de sa con-
testation avec le pape saint Etienne, que dans le chapitre
troisième, qui se compose de deux phrases. Partout ailleurs,
il n'est question que du désaccord des évêques orientaux. Les
passages de saint Denys d'Alexandrie se rapportent unique-
ment à ces derniers, mais ne disent pas un mot d'un conflit
entre saint Cyprien et le pape saint Etienne. Ainsi^ le témoi-
gnage d'Eusèbe se renferme exclusivement dans ce chapitre
troisième du septième livre. Nous disons que le passage en
question est apocryphe, et voici nos raisons.
2. Raisons qui doivent faire regarder comme apocryphe le
d^ chapitre du livre 7« de V Histoire d'Eusèbe. — d" Si du cha-
pitre second on passe immédiatement au quatrième, comme
si le troisième n'existait pas, la suite du discours n'est nulle-
ment interrompue. Le lecteur lésa sous les yeux. Qu'il en fasse
la vérification en joignant les derniers mots du chapitre second
aux premiers du chapitre quatrième. Non-seulement le fil de
la narration continue ainsi tout naturellement, mais il s'adapte
mieux au contexte, c'est-à-dire, aux lettres de Denys citées
par Eusèbe. En effet, Denys, écrivant au pape saint Sixte, et
résumant ce qui s'était passé sous le pontificat de saint Etienne,
passe en revue les provinces dont les évêques avaient été me-
nacés d'excommunication parce Pape à cause de leur coutume
de rebaptiser. Or, dans cette énumération, nous trouvons Hélé-
nus, Firmilien, et tous les évêques de la Cilicie, de la Cappadoce
et des provinces voisines, mais ni saint Cyprien, ni la province
d'Afrique n'y figurent. Assurément, si la célèbre altercation de
•^22 SAIM ETIENNE [TomoVlI,
saint Cyprien et de saint Etienne avait eu lieu, Denys l'aurait
mentionnée en cet endroit. Il aurait ajouté saint Cyprien et
les évêques d'Afrique à l'énumération de ceux à qui saint
Etienne avait déclaré sese oh eam causam ah illorum commu-
nione discessurum. Il y a incohérence avec ce document, si le
troisième chapitre reste. Il n'y en a plus, si on le suppose ôté.
Ainsi ce chapitre troisième, composé seulement de deux
phrases, n'est pas nécessaire pour le fil de la narration, et,
d'autre part, il y a incohérence si on le laisse subsister. C'est
déjà une forte raison de soupçonner que ce chapitre n'appar-
tient pas au texte, qu'il y a été intercalé, qu'il a été primiti-
vement une note marginale, écrite par quelqu'un qui croyait
ou voulait faire croire à la prétendue controverse ; et que de
*a marge cette note aura passé dans le corps des manuscrits.
A ce soupçon bien fondé vient se joindre une preuve propre-
ment dite. En etïet :
2° On ne peut pas attribuer à Eusèbe les premiers mots de
ce troisième chapitre. Avant de le démontrer, nous avons à
constater une variante relative aux mots en question. Le
Codex regius portB: Trpwroç tots KuTrpiavoç, j)riinus tune Cy-
prianus etc. Mais dans quatre autres manuscrits la phrase se
trouve ainsi : Trpwxo; twv to'te KuTrptavoç; mots que l'annaliste de
saint Cyprien traduit ainsi : pritnus eorum qui tune extiterunt
Cyprianus etc. La première leçon ne comporte qu'un sens : elle
signifie que saint Cyprien a été le premier, quant au temps, à
soutenir qu'on devait rebaptiser les hérétiques convertis ; c'est-
à-dire, qu'il a soutenu cette opinion avant tout autre évêque.
La seconde leçon, uptoToç tô3v tote KuTrptavoç, a paru à certains
érudits pouvoir être entendue aussi en ce sens, que saint Cy-
prien a été le premier quant au mé?ite, c'est-à-dire, le plus
illustre parmi les évêques qui soutinrent à cette époque la
doctrine en question. Sans discuter la légitimité de cette der-
nière interprétation, nous disons : Ni l'un ni l'autre sens ne
saurait être attribué à Eusèbe, et par conséquent le passage
est apocryphe.
Juitil-îCS.] ET SAINT CYPRIEN. 823
Premièrement, Easèbe n'a pas pu écrire qae saint Gyprieu
avait soutenu le premier, c'est-à-dire avant tout autre évêque, la
nécessité de rebaptiser les hérétiques convertis. C'était notoi-
rement faux, et Eusèbe lui-même relate la lettre de Denys
d'Alexandrie qui atteste expressément le contraire en ces
termes : Jllud prseterea didici, non ah Afris solum hune morem
nunc primum invectum fuisse ; sed et multo antea, superiorum
episcoporum temporibus, in ecclesiis populosissimis , et in con-
ciliis fratrum apud Iconium et Synnada et apud alios plurimos
idem sancitum fuisse. (Lettre à Philémon, déjà citée plus haut.)
D'ailleurs nous sommes d'accord ici avec nos adversaires. Ils
admettent comme authentique la lettre de suint Cyprien aux
évêques de Numidie. Or, dans cette lettre, saint Cyprien
atteste lui-même qu'il n'est pas le premier à soutenir ce senti-
ment ; que, longtemps avant lui, Agrippinus et les autres
évêques d'Afrique ont décidé ainsi. Ils admettent aussi comme
authentique la lettre deFirmilien. Or, il y est dit expressément
que le pape Etienne a rompu la paix d'abord avec les Orien-
taux, puis avec les évêques d'Afrique, modo cum Orientalibus,
quod nec vos latere confidimus^ modo vobiscum qui in meridie
estis. Il est donc impossible qu'Eusèbe ait attribué la priorité
de la dispute à saint Cyprien, lui qui ne pouvait ignorer le fait
antérieur de celte dispute en Orient, puisqu'il l'atteste ; lui qui
dit expressément, en s'appropriant les paroles de saint Denys
d'Alexandrie, que cette controverse avait eu lieu multo antea,
superiorum Episcoporum temporibus. Donc les mots, irpw-coi; tôtê,
ou irpwToç xwv T0T6, daus le sens d'une priorité de temps ^ ne sont
pas d'Eusèbe.
Secondement, il n'a pas pu les écrire non plus en les enten-
dant d'une prîbnVe de mérite ; en d'autres termes, on ne peut pas
supposer qu'Eusèbe ait proclamé saint Cyprien le plus illustre
parmi les évêques défenseurs de la doctrine en question. Nous
venons de le voir, la controverse avait précédemment agité
plusieurs provinces de l'Orient. Bon nombre d'évèques, et
524 SAINT ETIENNE [Tome VII.
entr'autres le célèbre Firmilien, avaient été en opposition à ce
sujet avec le pape saint Etienne, qui en était venu jusqu'à les
menacer d'excommunication. En supposant que saint Cyprien
eût plus tard suivi l'exemple de ces évéques d'Orient, Eusèbe
n'aurait pu voir dans son opposition au Pape, qu'une imitation,
une extension, venant en seconde ligne. Il n'aurait doue pas
attribué à saint Cyprien une primauté d'importance. Ou ne
peut pas supposer qu'aux yeux d'Eusèbe les hommes et les
événements de l'Afrique aient été plus importants que ceux de
l'Orient, sa patrie. Ainsi, dans l'hypothèse que les mots TrpwToç
Twv to'ts, signitient une priorité de mérite, on ne peut pas les
attribuer à Eusèbe. On ne peut pas les lui attribuer non plus,
s'ils signifient une priorité de temps; donc ils sont apo-
cryphes.
3» D'ailleurs, si Eusèbe avait écrit le troisième chapitre en
question, il aurait appuyé par quelque passage de saint Denys
d'Alexandrie le fait, attesté en cet endroit, de la contestation
de saint Cyprien avec le pape saint Etienne. Il avertit lui-même
qu'il va écrire le septième livre de son histoire en reproduisant
ios lettres de saint Denys. Et de fait, pour chacun des autres
événements, c'est moins lui qui raconte, que saint Denys, dont
il rapporte les paroles. Seul, le troisième chapitre, composé
de deux phrases, et affirmant la contestation de saint Cyprien,
se trouve sans l'appui d'aucune citation. Parmi tant d'extraits
des lettres de saint Denys relatives à la question du baptême et
à la collision entre les évêques d'Orient et le Pape, il n'y a pas
un mot qui mentionne saint Cyprien et sa résistance à ce même
pape saint Etienne. Pour le lecteur attentif, c'est un nouveau
motif de regarder ce troisième chapitre comme étranger au
texte d'Eusèbe, comme une note surajoutée plus tard, d'abord
en marge peut-être, et ensuite dans le corps de l'ouvrage.
Juin 1863.) ET SAINT CYPRIEN. 525
III.
Le silence de saint Denys d' Alexandrie prouve que le prétendu
conflit de saint Cyprien avec le pape saint Etienne est
une fable.
d° Nous avons recueilli sous le numéro précédent tout ce
qu'Eusèbe nous a conservé des lettres de saint Denys sur la
question du baptême des hérétiques. Le lecteur a pu voir
qu'il n'y a pas im mot sur saint Cyprien, pas un mot sur sa
contestation avec le Pape, pas un mot sur les trois conciles de
Cartilage.
2° Si quelqu'un devait parler de ce célèbre conflit, c'était
bien Denys d'Alexandrie. Ses lettres roulent sur le conflit qui
s'éleva pour la même question entre le pape saint Etienne et
les évêques d'Orient. Il nous fait connaître ces évêques.
C'étaient Hélénus, Firmilien, et généralement tous les évêques
de la Cilicie,de la Cappadoce, et des provinces voisines. Il nous
dit que le pape saint Etienne les menaça d'excommunication,
s'ils continuaient à rebaptiser les hérétiques convertis. Il se
porta comme médiateur entre eux et les papes saint Etienne et
saint Sixte. Si le même conflit avait existé entre le pape saint
Etienne et les évêques d'Afrique, ayant à leur tête saint
Cyprien, Denys d'Alexandrie ne l'aurait pas ignoré, lui dont
le siège était voisin du théâtre où il se serait déployé. Lorsqu'il
énumère les provinces dont les évêques furent menacés d'ex-
communication par le pape saint Etienne, à cause de leur usage
de rebaptiser, il n'aurait pas manqué d'ajouter l'Afrique, et de
joindre le nom de saint Cyprien, chef de l'opposition dans ce
pays, à ceux d'Hélénus et de Firmilien. Sur le fait de cette op-
position de saint Cyprien et des évêques d'Afrique, il garde
un silence complet. Dans sa lettre à Philémon, il dit que les
Africains ont aussi la coutume de rebaptiser les hérétiques
526 SAINT ETIENNE [Tome VU,
convertis: Didici non ab A fris solum hune morem nunc primum
invectum fuisse, sed et multo antea superiorum episcoporum
temporibus. Mais que saint Cyprien et les évêques d'Afrique
aient résisté au pape saint Etienne^ qu'ils aient célébré trois
conciles, qu'ils aient été eus aussi menacés d'excommunica-
tion, il n'en dit pas un mot. Il fait mention expresse de la
coutume africaine, mais non du prétendu conflit.
On dira qu'il en parlait peut-être dans les passages non
cités par Eusèbe. Nous répondons : La difficulté est la même ;
Eusèbe n'aurait pas supprimé les passages relatifs au conflit
de l'Afrique, s'il les avait eus sous les yeux. Il reproduit la
phrase où Denys énumère les provinces des évoques menacés
d'excommunication. Dans cette phrase même devrait se trou-
ver le nom de l'Afrique et celui de saint Cyprien. SU y eût
été, Eusèbe ne l'aurait pas retranché.
On a prétendu que Denys indique suffisamment le conflit en
question par cette phrase : Didici non ab A fris solum hune mo-
rem nunc primum invectum esse, sed et multo antea, etc. Il n'en
est rien. Cette phrase atteste seulement pour l'Afrique la cou-
tume de rebaptiser, mais elle n'atteste nullement le fait d'une
opposition au Saint-Siège de la part de saint Cyprien, et des
autres évêques africains. Elle ne dit pas que le pape saint '
Etienne, ayant voulu faire disparaître cette coutume de l'A-
frique, ait rencontré^une résistance quelconque de la part de
saint Cyprien et de ses collègues. Elle ne dit pas que ce Pape
les ait menacés d'excommunication. Or, c'est précisément ce
que saint Denys n'aurait pas manqué de dire, si le fait eût
été réel. Énumérant les provinces où ce fait avait eu lieu, il
n'aurait pas manqué de mentionner aussi l'Afrique. 11 habitait
ce pays ; il ne se^ serait pas moins intéressé aux affaires de
l'Afrique qu'à celles de l'Orienta
Il importe aussi de remarquer que Denys n'a pas écrit seu-
lement au pape saint Etienne, mais encore à son successeur
saint Sixte ; et c'est dans sa lettre à ce dernier qu'il résume ce
Juin 1863.] ET SAINT CTPRIKN. 527
qui avait eu lieu sous le précédent pontificat au sujet du bap-
tême des hérét. ques. Nos adversaires ne peuvent donc pas
expliquer son silence en disant que peut-être le conflit d'Afri-
que n'avait pas encore eu lieu quand il écrivit ses lettres. C'est
entre saint Cyprien et le pape saint Etienne que ce conflit
aurait eu lieu, s'il n'était pas une fable ; et Denys écrivait un
résumé des faits au successeur de saint Etienne.
3° Concluons : Denys d'Alexandrie n'a pas pu écrire sur un
tel sujet, de la manière et dans les circonstances mentionnées,
sans parler du célèbre conflit entre le Pape et saint Cyprien,
si ce conflit avait eu lieu. Il n'en dit pas un mot: donc l'bis-
toire de ce conflit doit être tenue pour apocryphe.
IV.
La lettre de saint Basile à Amphilochius, au lieu de prouver le
célèbre conflit entre saint Cyprien et le pape saint Etienne,
prouve plutôt que ce conflit n a jamais existé.
On cite cette lettre de saint Basile (qui est la <88*, tome
XXXII, colonne 663, de la Patrologie grecque de Migne) comme
une des principales preuves du prétendu conflit. Reproduisons
d'abord les passages relatifs à la question : nous ferons voir
ensuite combien la conclusion qu'on en tire est peu fondée.
Saint Basile répond ainsi aux difficultés proposées par Ampbi-
lochius :
« Certe et nunc cum de interrogalis tuisnunquam bactenus
sollicite cogitassem, coactus sum diligenter attendere, et si
quid a senioribus audieram, recordari, et cognata lis quse didi-
ceram, per me ipse ratiociûari.
« Quod igitur ad Catbaros pertinet, et prius dictum est, et
recte admonuisti uniuscujusque regionis morem sequi opor-
tere : quod ii, qui lune de illis statuerunt, in varias de ipsorum
baptismate sententias abierint. Pepuzenorum autem baptisma
528 SAINT ETIENNE [Tome Vil
nullam mihi habere rationem videtur,et miratus sum quomodo
hoc Dionysiurn, hominem canonum peritum, fugerit. Antiqui
eniin illud baptisma suscipieiidiim putavere, quod iiihil a fide
recedit; unde alias quidem haereses, alla schismata, alias para-
synagogas nominarunt. Kœreses quidem eos qui penitus resecti
sunt, et in ipsa fide abalienati ; scbismata vero, eos qui propter
ecclesiaslicas quasdam causas et quœstiones inler utramque par-
tem non insanabiles dissident; parasynagogas autem couventus
illos qui ab immorigeris presbyteris aut episcopis et a populis
disciplinée expertibusfiunt. Velutsi quis indelicto depixhensus
a ministerio arcealur, necse canouibus submittat, sed sibi prin-
cipatuin et ministerium vindicet, ac nonnuUi una cum eo, relicta
catholica Ecclesia, discedant ; hoc dicitur parasynagoga. Schis-
ma autem est, de pœnitentia ab iis qui ex Ecclesia sunt disseu-
tire. Hœreses autem, velut JNIanichœorum et Valentinianorum
et Marciouistarum et horum ipsorum Pepuzenorum ; slatim
enim de ipsa in Deum iide dissensio est. Visum est ergo anti-
quis, hsereticorum quidem baptisma penitus rejicere; schismati-
corum vero, ut adhuc ex Ecclesia existentium, admittere ; eos
tandem qui sunt in parasynagogis, justa pœnitentia et animad-
versione emendatos rursus Ecclesiaeconjungere; adeo ut saepe
et ii qui in gradu collocati una cum rebellibus abierant, post-
quam pœnitentiam egerint, in eumdem ordinem admittantur.
Pepuzeni ergo sunt aperte hceretici : nam in Spiritum Sanctum
blasphemaverunt, Montano et Priscillœ Parade ti appellationem
nefarie impudenterque attribuentes... Quaigiturrationeeorum
baptisma admiltatur, cum in Palrem et Filium et Montanum
aut Priscillam baptizeut ? non enim baptizati sunt qui in ea,
quse nobis tradita non sunt, baptizati fuere. Quare, etsi hoc
Dionysium magnum latuit, servanda nobis non est imitatia
erroris. Hoc enim quam absurdum sit, sua sponteperspicuum
est ac omnibus evidens, qui vel leviter ratiocinari possuut.
Catiiari sunt et ipsi ex iis qui sunt abscissi. Caelerum antiquis
visum est, Gypriano dico et nostro Firmiliano, hos omnes uni
Juin 18C3.1 ET SAINT CYPRIEN 229
calculo subjicere, Catliaros, et Encratitas, et Hydroparastatas
(ttX^v àXX'lfSo^e toïç ap^afoiç, xotç uepl KuTrpiavbvXsYW xa\ <l>tp(jLiXiavûv
TOv:?)[i.£T£pov, TouTOuç Travraç \^.\.^ <|''il<fw uTtoêaXetv,,.) ; propterea quod
principium quidem separationis per schisma factum fiierat :
qui autem ab Ecclesia se separaverant, non habebant amplius
in se gratiam Spiritus Sancti : defecerat enim communicatio,
interrupta continualione. Qui enim primi recesserant, ordina-
tionem a patribiis habebant, et per manuum eorum imposi-
tionem habebant donum spirituale ; qui autem reseeti sunt,
laici efifecti, nec baptizandi, nec ordinandi habebant potesta-
tem, ut qui non possent amplius Spiritus Sancti gratiam aliis
prœbere, a qua ipsi exciderant. Quare eos qui ab ipsorum par-
tibus stabant, tanquam a laicis baplizatos, jusserunt vero
eeclesiae baptismale ad Ecclesiam venientes expurgari. Sed
quoniam nonnullis Asiaticis omnino visum est eorum baptisma,
phiribus consulendi causa, suscipiendum esse, suscipiatur.
Encratitarum autem facinus oportet nos intelligere. Nimiruni,
ut reditum sibi in Ecclesiam intercludant, aggressi sunt dein-
ceps proprio baptismale prseoccupare : unde et suam ipsorum
consuetudiuem violarunt. Ëxislimo itaque, quoniam nihil de
iUis ap'erte dictum est, eorum baptisma a nobis rejicieudum
esse; ac si quis ab eis acceperil, accedeutem ad Ecclesiam
baptizandum. ( Quod si hoc generali œconomiae impedimento
erit, rursus consueludine utendumest, et sequi oportet patres,
qui quse ad nos pertinent, dispensaverunt. Vereor enim ne,
dum eos volumus ad baptizandum tardos facere, impedimento
propter sententise severitatem simus iis qui salvanlur.) Quod
si illi nostrum baptismum servant, hoc nos non moveat. Neque
enim debemus par pari referre, sed accuratse canonum obser-
valioni servire. Omui autem ratione slatualur, ut ii qui ab
illorum baptismo veniunt, ungantur coram fîdelibus videlicet,
et ita demum ad mysteria accédant. Scio autem, fratres, Izoi-
num et Saturninum, qui erant ex illorum ordiue, in Episco-
porum cathedram a nobis esse susceptos. Quare eos qui illorum
S30 SAINT ETIENNE. [Tome VU.
ordini conjuncti sunt, non possumus amplius ab Ecclesia
separare : qui scilicet communioniscum ipeis quasi eanonem,
Episcopos suscipiendo^ ediderimus, »
Le contenu de ce document peut se résumer ainsi : l" saint
Basile avoue qu'il ne s'était jamais occupé sérieusement de
la question, 'i» Il affîrme que les anciens ont tenu pour nul le
baptême des hérétiques, pour valide celui des schismatiques.
3° Il pense que les pépuziens sont certainement des hérétiques,
et que leur baptême doit par conséquent être regardé comme
nul. 4» II s'étonne que Denys d'Alexandrie ait été d'un avis
contraire à l'égard de ces Pépuziens, et dit qu'il s'est évidem-
ment trompé. 5° Il parle nommément de saint Cyprien et de
Firmilien en usant de cette formule : les anciens, je veux dire
Cyprien et notre Firmilien, ont pensé. Et tout ce qu'il nous eu
dit, c'est qu'ils ont regardé comme nul le baptême des cathares,
des encratites et des hydroparastes, statuant en conséquence
qu'il fallait baptiser ceux qui renonçaient à ces sectes pour
rentrer dans le sein de l'Église. 6" Il affirme que néanmoins
certains évêques de l'Asie ont cru qu'il fallait accepter comme
bon le baptême de ces trois sectes, c'est-à-dire, des cathares,
des encratites et des hydroparastes. 7" Il se rallie à ce sentiment
et trouve bon qu'on le suive. 8" Cependant, pour ce qui est des
encratites, il pense qu'on devrait les rebaptiser ; mais il aime
mieux qu'on s'en tienne à la coutume contraire si elle a été
établie, et s'il y avait des inconvénients à s'en départir. 9° Il
signale le fait de deux évêques encratites reçus par les catho-
liques dans leur communion ; il en conclut que par là même
on a reçu leurs adhérents à la communion catholique, et par
conséquent admis leur baptême comme valide. Examinons
maintenant ce qu'on peut logiquement conclure de cette lettre
de saint Basile.
1" Saint Basile ne mentionne aucun conflit entre le pape
saint Etienne et saint Cyprien. Qu'on hse et qu'on relise, on
ne trouvera pas un mot sur la prétendue résistance des évêques
Jam 1863.] BT SAINT CYPRIEN. 53 f
d'Afrique à un décret papal. Saint Basile se borne à dire que
Cyprien et Firmilien regardèrent comme nul lu baptême des
cathares, des eucratiteset des bydroparastes. Par le contexte,
il fait entendre qu'ils portaient le même jugement sur le bap-
tême des hérétiques proprement dits, quels qu'ils fussent.
Comme aussi, par le contexte, il fait entendre que Cyprien et
Firmilien regardèrent comme nul le baptême des schisma-
tiques. Je' dis, par le contexte, c'est-à-dire en supposant qu'il
faille appliquer à Cyprien et à Firmilien l'expression à'an-
ciens, dans la phrase : Visum est ergo antiquis, etc. Ainsi, l'u-
nique fait que nous apprend, que nous atteste la lettre citée
par rapport à saint Cyprieu, c'est qu'il regarda comme nul le
baptême des hérétiques proprement dits. Ce fait, nous ne le
contestons pas; nous le laissons pour ce qu'il est. Mais, de ce
que saint Cyprien aurait ^été de ce sentiment, s'ensuivrait-il
qu'il se soit obstiné contre un décret formel du Pape, qui
l'aurait condamné en le menaçant d'excommunication, s'il ne
se soumettait ? Évidemment non. Qu'on le remarque bien :
toute notre controverse roule sur le fait d'un conflit scanda-
leux. Que saint Cyprien, comme certains évêques orientaux,
ait regardé comme nul le baptême des hérétiques, et qu'il y
ait eu dissentiment à cette époque, ce n'est pas étonnant.
Nous voyons, par la lettre citée, que saint Basile, évêque en
369, cent dix ans après le martyre de saint Cyprien, était en-
core bien peu fixé sur cette matière. Ce que nous nions, c'est
la prétendue rébellion de saint Cyprien et des évêques d'A-
frique contre un décret et un ordre formel du pape saint
Etienne. Nous nions ce prétendu décret : nous nions la scan-
daleuse opposition qu'y aurait faite le troisième concile de
Carthage. Nous nions les insolentes lettres attribuées à saint
Cyprien et à Firmilien, où l'emportement le dispute à l'incon-
venance ; où le pape saint Etienne est traité d'ignorant, d'en-
têté, de fou, de Judas, d'Antecbrist, de faux apôtre, d'excom-
munié. De tous les laits qui constituent la scandaleuse his-
S32 SAINT ETIENNE ITome VII
toire niée par nous, saint Basile n'eu affirme pas un seul
Admettons que saint Cyprien ait regardé comme nul le bap-
tême des hérétiques : le fait de cette opinion n'est pas le con-
flit, ne le suppose pas, ne le prouve pas. Saint Cj'prien a pu
le penser ainsi sans qu'il y ait eu aucun décret papal, aucun
conflit. Cent vingt ans après, nous voyons saint Basile pen-
cher encore pour cette opinion, ce qui, assurément, ne prouve
aucun conflit de sa part avec le Saint-Siège.
2° Il y a plus. La lettre de saint Basile prouve que le pré-
tendu décret du pape saint Etienne, la lettre de Firmilien à
saint Cyprien, en un mot toute l'histoire du conflit, est une
fable. En effet, saint Basile était à Césarée en Cappadoce,
c'est-à-dire dans cette même ville où. cent vingt ans aupara-
vant, son prédécesseur Firmilien avait été un des plus ar-
dents à soutenir la nullité du baptême des hérétiques. La con-
troverse avait réellement eu lieu, comme nous l'apprennent
Eusèbe et Denys d'Alexandrie, entre les évêques d'Asie et le
pape saint Etienne. Ce dernier en était même venu jusqu'à les
menacer de se retirer de leur communion. Si quelqu'un a dû
avoir connaissance du décret qu'on suppose adressé par saint
Etienne aux évêques d'Afrique, c'est bien saint Basile. Ce dé-
cret aurait fait la plus grande sensation à Césarée ; il tran-
chait absolument la difficulté : Si quis a quacumque hseresi ve-
nerit ad vos, nihil innovetur, etc. 11 aurait été envoyé par saint
Cyprien à Firmilien, et celui-ci l'aurait réfuté en déclarant le
Pape séparé de l'Église. On doit supposer qu'une copie du
décret, ainsi que de la lettre de Firmilien, étaient conservées
dans les archives de l'Église de Césarée. Ces pièces auront été
trouvées par saint Basile, qui nous dit avoir interrogé et fait
des recherches. En supposant ces pièces perdues, la substance,
au moins, s'en serait conservée par la tradition. En un mot,
saint Basile, à Césarée, n'a pu ignorer le décret du pape saint
Etienne, si ce décret a réellement été porté, non plus que la
désobéissance de saint Cyprien, à laquelle se serait joint Fir-
milien.
iuial803.] ET SAINT CYPRIEN. L33
Or, la lettre de saint Basile suppose évidemment qu'il n'a-
vait aucune connaissance d'un pareil décret. Il traite la ques-
tion comme s'il n'était jamais intervenu aucune décision du
pape saint Etienne, et comme si le sentiment de saint Cyprien
avait été et demeurait encore une opinion libre, qu'on peut
suivre ou rejeter. Après avoir rapporté comment saint Cy-
prien tenait pour nul le baptême des cathares, des encratites
et des hydroparastes, il ajoute qu'on peut néanmoins admettre
ce baptême comme boa ; et la seule raison qu'il en donne,
c'est que tel a été l'avis de quelques évêques d'Asie : « Sed quo-
niam nonnullis Asiaticis omnino visu m est eorum baptisma,
pluribus cousulendi causa, suscipiendum esse, suscipialur. »
S'il avait connu un décret du pape saint Etienne décidant la
validité du baptême conféré par n'importe quels hérétiques
{ex quacumque hxresi venientes) , et défendant de le réitérer, il
ne se serait pas contenté de dire : Quoniam nonnullis Asiaticis
visum est, il aurait dit avant tout : Quoniam a Stéphane Romans^
Urbis episcopo decretum est.
Le sentiment qu'il émet au sujet des encratites prouve
aussi qu'il ne connaissait pas le décret du pape saint Etienne.
Il pense qu'on doit regarder comme nul le baptême de ces
sectaires et le réitérer, à moins qu'à raison d'un plus grand
bien il ne vaille mieux suivre la pratique contraire. S'il avait
connu la défense formelle du pape saint Etienne de rebaptiser
aucun hérétique, il n'aurait pas émis une pareille opinion.
Il n'aurait pas écrit non plus ces lignes : Pepuzenorum au-
tem baptisma nullam mihi habere rationem videtur, et miratus
sum quomodo Dionysium fugerit. Comment supposer qu'en
présence d'un décret du pape saint Etienne, déclarant valide
le baptême des hérétiques, saint Basile eût osé décider en
sens contraire, sans même daigner faire mention du décret
papal? De plus, sachant qu'il avait contre lui l'opinion de De-
nys d'Alexandrie et le décret formel du pape saiut Etienne, il
se serait objecté l'autorité du premier, et n'aurait pas dit mot
53i SAINT ETIENNE [Toni9 VII.
de celle du second, c'est-à-dire de la principale, selon toutes
les idées de saint Basile lui-même. C'est inadmissible.
Ainsi, loin de pouvoir être alléguée comme preuve du cé-
lèbre conflit, la lettre de saint Basile prouve qu'il n'a point
existé. En même temps, elle fait entrevoir ce qu'avait été la
controverse entre le pape saint Etienne et les évêques d'O-
rient. Quoiqu'Eusèbe et Denys d'Alexandrie nous représentent
le dissentiment comme assez vif, non medïocris cont7^oversia, et
ajoutent que le pape saint Etienne menaça d'excommunica-
tion, ce pontife n'en vint pas à prononcer définitivement;
Denys d'Alexandrie s'efforçait de l'en dissuader. Tout consi-
déré, le Saint-Siège crut devoir, pour lors, laisser la contro-
verse libre et tolérer la diversité de pratique. De là les di-
vergences d'opinion sur cette matière entre de saints évêques,
tels que saint Firmilien et saint Denys d'Alexandrie ; le pre-
mier tenant pour nul, et le second regardant comme valide
le baptême des cataphryges ou des pépuziens. La lettre de saint
Basile prouve que la liberté de la controverse durait encore
de son temps.
Cet exposé historique une fois admis, on doit conclure :
1° relativement au prétendu conflit entre saint Etienne et
saint Cyprien, que c'est une fable; 2" relativement à la con-
troverse du même Pape avec les évêques d'Orient, qu'elle eut
lieu en effet, mais sans que le Saint-Siège en vint à pronon-
cer définitivement, sans que la controverse cessât d'être libre,
sans que rien autorise à supposer que Firmilien ou les autres
évêques orientaux aient manqué à l'obéissance et aux égards
dus au Pontife romain. Ils purent innocemment soutenir leur
opinion avant que le Pape se prononçât. Lorsqu'il leur dit
qu'il se retirerait de leur communion s'ils ne changeaient
leur pratique de rebaptiser, il est probable qu'ils se décla-
rèrent prêts à se soumettre si le Saint-Siège prononçait dans
ce sens; et rien n'atteste le contraire. Comme le Saint-Siège
ue crut pas devoir prononcer définitivement, ils purent con-
Jmnl863.] ET SAINT CYPRIEN. 533
server, leur opinion ; la controverse resta libre, et elle l'était
encore du temps de saint Basile, comme la lettre le suppose.
V.
Le traité anonyme sur la réitération du baptême est un document
contraire à l'hypothèse du célèbre conflit.
Cet écrit, qu'on trouvera dans Labbe (tome 1, col. 770, éd.
de Paris 1671), avec ce titre ; Non debere denuo bapfizari qui
semel in nomine Domini Nostri Jesu Christi sint tincti,ne saurait
être attribué à saint Cyprien, quoiqu'on le publie d'ordinaire
avec ses œuvres. Les érudits pensent qu'il est d'une époque un
peu plus récente. En supposant qu'il ait cette haute antiquité,
on doit le ranger parmi les documents contraires à l'hypothèse
du conflit. En effet, 4'auteur de ce traité dit bien qu'il s'est
élevé une controverse sur le baptême des hérétiques ; qu'on a
mis en question si l'hérétique converti devait, ou non, être
baptisé de nouveau, et qu'il va lui-môme essayer d'éclaircir ce
point; mais il ne parle, ni d'aucun décret du pape saint
Etienne, ni de saint Cyprien, ni de sa résistance au décret
venu de Rome, ni du concile de Carthage décidant contre ce
même dé(',ret; en un mot, il n'a pas une ligue sur le célèbre
conflit. Si l'auteur est postérieur à saint Cyprien, comme on
le suppose, et s'il a écrit en Afrique, comme plusieurs érudits
le pensent aussi, ce complet silence prouve que le prétendu
conflit est une fable. S'il avait eu lieu, il en serait question dans
un écrit de cette nature. Le passage suivant, où l'on a pré-
tendu voir une allusion à ce conflit, n'atteste évidemment que
le fait d'une simple controverse, et non celui d'une scandaleuse
résistance des évêques d'Afrique à un décret, à une injonction
du Pontife romain: « Ideoque nonnulla super bac nova
quaestione scripta aut rescripla esse jactabantur, quibus utra-
que pars ad destruenda aliéna summo studio nitebalur. »
(Labbe, 1. c. col. 770.)
536 SAINT ÉTIEDNE [Tome VU.
VJ.
Le silence de Donat, de Parménien et de saint Optât de Milève,
prouve que le célèbre conflit n'a pas eu lieu.
i. Saint Augustin et saint Optât de Milève, en réfutant les
erreurs des donatistes, nous ont fait connaître plusieurs points
de la doctrine de Donat. Ce schismatique astucieux n'aurait
pas manqué d'alléguer surtout la résistance de saint Cyprien
et de ses collègues au décret du pape saint Etienne, si elle
avait eu lieu. Un pareil exemple eût été très-favorable à sa
cause ; nous trouverions dans les écrits de saint Augustin et
de saint Optât la réfutation de cette objection de Donat. Or, il
n'y en a pas trace.
2. Le donatiste Parménien a été combattu vers l'an 370 par
saint Optât de Milève, qui réfute en particulier (livres 5 et 7)
la doctrine de ce schismatique sur la réitération du baptême.
Si le célèbre conflit avait eu lieu, Parménien n'aurait pas
manqué de l'alléguer, afin de se couvrir de l'autorité du grand
saint Cyprien, et par suite saint Optât en parlerait aussi dans
les deux livres indiqués. Or, il n'en dit pas un seul mot.
Vil.
La manière dont saint Augustin parle des documents relatifs au
célèbre conflit, ne prouve pas que ce conflit ait eu lieu; elle prouve
plutôt le contraire.
Pour connaître la véritable pensée de saint Augustin sur
l'authenticité des documents en question, il faut lire attenti-
vement sa lettre ad Vincentium Rogatistam (epistolaxciii, tomo
II, col. 245, éd. Maurin.). 11 l'écrivit vers l'an 408, c'est-à-dire
après avoir eu occasion d'étudier mûrement la diflSculté,
Juin 1863.) BT SAINT CYPRIEN. 537
puisqu'il avait déjà publié à cette époque ses ouvrages contre
les donatistes Parméuien, Cresconius, et autres. Que le lecteur
veuille bien peser les passages suivants, et en particulier les
mots que nous soulignons : « Noli ergo, frater, contra divina
tam multa, tam clara, tam indubitata testimonia, colligere velle
calumaias ex episcoporum scriptis, sive nostrorum, sicut
Hilarii ; sive, antequam parsDonati separaretur, ipsius unitatis,
sicut Cypriani et Agrippiui : primo, quia hoc genus litterarum
ab auctoritate canonis distinguendum est. Non enim sic legun-
tur, tanquam ita ex eis testimoniuro proferatur, ut contra sen-
tire non liceat. » (G. x, n. 33.)
« Deinde si sancti Cypriani episcopi et gloriosi martyris te
delectat auctoritas, quam quidem sicut dixi, a canonica aucto-
ritate distinguimus ; cur in eo te non delectat, quod unitatem
orbis terrse atque omnium gentium, et diligendo tenuit, et dis-
putaudo défendit... ; quod in eo ipso, in quo aliter sapuit, col-
legas diversa sentientes, nec judicandos, nec a jure commu-
nionis amovendos esse decrevit : quod m m ipsa epistola ad
Jubatunum, guxin concilio, cujus auctoritatem ad rebaptizandum
sequi vos dicitis, primitus recitata est, cum fateatur in praeteri-
tum sic esse admissos in Ecclesiamqui fuerant alibi baptizati,
ut denuo non baptizarentur, unde illos sine baptismo fuisse
arbitratur ; tantum tamen pouit utilitatis et salubritatis in
pace Ecclesiae, ut propter illam non eos credat ab Ecclesiae
muneribus separari? » [Ib., n. 36.)
(iCyprianus autem sensisse aliter de baptismo, quam forma
et consuetudo liabebat Ecclesiae, non in canouicis, sed in suis
et in coucilii litteris invenitur ; correxisse autem istam senteu-
tiam non invenitur. Non incongruenter tamen de tali viro
exislimaudum est quod correxerit, et fortasse suppressum sit
ab eis qui hoc errore nimium delectati sunt, et tanto velut
patrocinio carere noluerunt. Quanquam non desint qui hoc Cy-
prianum prorsus non sensisse contendant, sed sub ejus nomine a
prœsumploribus atque mendacibus fuisse confictum. Neque enim
538 SAINT ÉTIEMSE jTorae VU.
sic potuit integritas atque notitia litterarum unius quamlibek
illustris Episcopi custodix'i, quemadtnodum scriptura cano-
uica...; contra quam tamen non defueruut, qui sub nomiuibus
Apostolorum multa confingerent. » (Ib. n° 38.)
« Nos tamen duas ob res, non negamus illud sensisse Cypria-
num: quod et stylus ejus habet quamdam propriam faciem
qua possit agnosci ; et quod ibi magis contra vos nostra causa
demonstratur inviclior... , cum apparet in litteris Cypriani
communicata esse cum peccatoribus sacramenta, cum admissi
suut in Ecclesiam, qui secundum vestram, et sicnt vultis, illius
senteniiam, baptismum non habebant, et tamen Ecclesiam non
periisse. » (Ib. n» 39.)
« Porro autem Cyprianus^ aut non sensu omnino quod eum
sensisse recitatis ; aut hoc postea correxit in régula veritatis ;
aut hune quasi nœvuni sui candidissimi pectoris cooperuit
ubere charitatis... Accessit bue etiam, quod tanquam sarmen-
tum fructuosissimum, si quid in eo fuerat emendandum,
purgavit pater falce passiouis. » (Ib. n" 40.)
Saint Augustin a parlé des documents en question dans
quelques autres passages. Les voici :
Relativement à la prétendue lettre de saint Cyprien à Ju-
baianus il s'exprime ainsi {Cont. Crescon. lib. n,c. xxxiii) : Vel
sanctus Cyprianus, vel quicumque illam scripsit epistolam.
Sur le troisième concile de Garthage, il dit {Contra Crescon.
lib. I, c. xxxii) : Nam et vos profertis concilium Cypriani, quod
aut non est factum, aut cxteris unitatis membris, a quibus ille
non divisus est, merito superatum. Neque enim pi^opterea sumus
Cypriano meliores {si tamen censuit hxreticos denuo buptïzari) . . .
En général, sur les pièces attribuées à saint Cyprien : Quam-
diu aliter sapuit Cyprianus, si scnpta ejus esse constat, quse pro
vobis proferenda arbitramini {Cont. Crescon. lib. ii, c. xxxi)...
Ces textes nous paraissent établir avec certitude les points
suivants :
ï" Saint Augustin n'a pas admis l'authenticité des docu-
Juinl8G3.] ET SAINT CYPRIEN. 539
ments en question. Il Ta révoquée en doute de la manière la
plus expresse. Rapprochée des autres textes, la phrase, dtms
ob res non negamus illud sensisse Cyprianum, ne veut pas dire,
j'admets que saint Cyprien a pensé ainsi, mais (ce qui est bien
différent) : je ne veux pas le nier; non negamus. Quiconque
doute, ne nie pas; mais il n'affirme pas non plus. Pour saint
Augustin, l'authenticilé de ces documents resta douteuse ; c'est
incontestable. Dire qu'il fit semblant de douter sans douter
réellement, serait une injure que repousse son caractère.
2" De plus les textes cités attestent qu'à cette époque, c'est-à-
dire en 408, il y avait en Afrique diversité de sentiments à ce
sujet. Les uns regardaient. ces documents comme apocryphes :
Quanquam non desint qui hoc Cyprianum prorsus non sensisse
contendant, sed sub ejus nomine a prseswnptoribus alque menda^
cibus fuisse confictum. Les autres (les donatistes du moins),
les alléguaient comme authentiques. Enfin, saint Augustin
doutait, sans vouloir prononcer, ni pour, ni contre.
3" Il est évident que saint Augustin ne peut pas être allégué
en faveur de l'authenticité de ces documents, puisqu'il la ré-
voque en doute , et qu'il atteste la diversité de sentiments à cet
égard. On a dit : Saint Augustin parle de ces documents, donc
ils sont authentiques. — Il en parle, il est vrai, mais pour
dire qu'il les soupçonne d'être apocryphes, et qu'au sentiment
de plusieurs, ils doivent être tenus pour tels.
4° Les passages de saint Augustin prouvent plutôt contre
l'authenticité. Si les trois conciles de Garthage avaient été cé-
lébrés, si le pape saint Etienne avait porté son décret contre
les évêques d'Afrique, en joignant l'excommunication contre
les infracteurs, et que saint Cyprien et ses collègues n'en
eussent tenu aucun compte ; en un mot, si le scandaleux con-
flit eût été réel, il y aurait eu 140 ans après, c'est-à-dire du
temps de saint Augustin, des moyens de le constater avec cer-
titude. Les preuves seraient restées dans les archives ; et à
défaut d'archives, le fait se serait transmis traditionnellement
S40 SAIKT ETIENNE [Tome VU,
comme tout-à-fait certain. Un événement de celte nature ne
se serait pas obscurci. Par cela seul que nous rencontrons le
doute dans l'esprit de saint Augustin, et la diversité d'opinions
parmi ses contemporains, nous devons conclure que le fait est
controuvé.
VIII.
- e
Saint Jérôme a cru à la réalité au conflit, mais son témoignag
ne le prouve pas. On doit conclue que sur ce point il a été
induit en erreur.
Ici, nous l'avouons, nous avons contre nous une autorité
grave, disons même une des plus graves. Saint Jérôme, né en
340 et mort en 420, a parlé du conflit entre saint Cyprien et
saint Etienne comme d'un fait certain. Il a mentionné le troi-
sième concile de Carthage, ainsi que les lettres de saint
Cyprien sur le baptême, et en particulier celles qu'il adressa
au pape saint Etienne et à Jubaianus. La manière dont il parle
de ces documents fait voir qu'il n'avait point de doute sur
leur authenticité. Rapportons avant tout les textes. Ils se
trouvent dans deux ouvrages : le Dialogue contre les Lucifériens,
et le traité De Viris illustribus.
« Couatus est beatus Cyprianus contrites lacus fugere, nec
bibere de aqua aliéna : et idcirco bsereticorum baptisma re-
probans, ad Stephanum tune Romanœ Urbis episcopum, qui
a beato Petro vicesimus secundus fuit, super bac re Africa-
nam synodum direxit, sed conatus ejus frustra fuit. Denique
illi ipsi episcopi, qui rebaptizandos bœreticos cum eo statue-
rant, ad antiquam consuetudinem revoluti, novum emisere
decretum. » [Dial. cont. Lucif., n. 23, Patrol. Migne. T. xxiii,
col. 177 s.)
« Verum si voluerint hi qui ab Hilario (1) instituti sunt, et
(t) Cei Hllaire était de la secte des Lucifériens, et souienail,
entr.: autres erreurs, qu'on devait rebaptiser les hérétiques.
Juin 1863.] ET SAINT CYPRIEN. bit
oves sine pastore esse cœperuut, de Scripturis ea proferre quœ
beatus Cyprianus ob haereticos rebaptizandos iii epistolis suis
reliquit, sciant illum haîc, non cum anatiieoiate eorum qui
se sequi noluerant, edidisse. Siquidem in communione eorum
permansit qui seutentiae suae contraierant : sed liortatum po-
tius fuisse, propter Novatum et alias tuncbsereses multas enas-
centes, ne quisquam ab eo sine damnatione erroris sui reci-
pcretur. Sermonem deuique suum^ quem super bac re ad Ste-
pbanum Romanum pontiûcem babuit, tali fine compievit :
Hxc ad eonscientiam tuam,f rater charissime, etpro honore com-
muni et simplici dilectione protulimus , credentes etiarn tibi pro
religionis tux et fidei veritate placere, qux et religiosa pariter
etverasunt. Cxterutn scimus quosdam, quod semel irnbiberunt ,
nolledeponere, nec propositum suum facile mutare; sed salve inter
collegas pacis et concordidt vinculo, quxdam propria, qux apud se
semel sinl usurpata, retinere. Qua in re non vim cmquamfacimus,
aut legem damus, quin habeat inEcclesix adrninistratione volun-
tatis sux arbitrium liberum : unusquisquesit prxpositus, rationem
actus sui Domino redditurus. Ad Jubaianum quoque de bœre-
ticis rebaptizandis scribens, in fine libelli sic locutus est : Hxc
tibi breviter pro nostra mediocritate scripsimus, frater charissime,
nemini prxscribentes aut prxjudicantes, quominus unusquisque
episcoporum quod putat, faciat, habens arbitrii suiliberam potes-
tatem. » (Ib. n. 25, col. 179 s.).
« Quod si negandum quispiam putaverit beereticos a majo-
vibus nostris semper fuisse susceptos, légat beati Cypriani
epistolas, in quibus Stepbanum Romanse Urbis episcopum et
inveleratse cousuetudinis lacérât erroreui.»(Ib. n. 27, c. 180 s.)
« Dionysius , Alexaudrinœ urbis episcopus, sub Heracla
scbolam xaTyi/T^cEcov prcsbyter tenuit, et Origenis valde insiguis
uuditor fuit. Hic in Cypriani et Africanœ synodi dogma con-
seuliens, de bairelicis rebaptizandis, ad diverses plurimas misit
epistolas, quse usquebodieexstaut. to [De Viris illustribus , c. 69,
Patrologie Migne, terne xxiii, col. 677 s.)
t)'i2 SAINT ETIENNE. IToireVII.
Que conclure de ces passages de saint Jérôme ? 11 a connu
les documents tant de fois cités, il les a crus authentiques.
Nous admettons ces deux points. Nous admettons de plus que
saint Jérôme se trouvait dans des circonstances très-favorables
pour ne pas se laisser prendre à des documents apocryphes.
Secrétaire du pape Damase, il a dû avoir à sa disposition les
archives de l'Église romaine ; il a pu y recourir et vérifier
■l'authenticité des documents en question. Néanmoins, nous
disons qu'il a pu être induit en erreur, et qu'en effet il s'est
trompé. Voici nos motifs.
1° Il est certain qu'alors ces pièces étaient déjà répandues
dans le public, comme faisant partie des écrits d 3 saint Cyprien.
Les passages de saint Augustin rapportés sous le numéro pré-
cédent, le prouvent suffisamment. En Afrique, leur authenti-
cité était contestée : saint Augustin soupçonnait, et d'autres
soutenaient que c'était l'œuvre de la fraude et du mensonge,
« prxsumptoribus et mendacibus fuisse confîcium. Hors de
l'Afrique, les exemplaires où se trouvaient ces documents ont
pu venir aux mains d'hommes savants et très-versés dans les
matières ecclésiastiques, sans qu'il leur soit venu en pensée
de suspecter aucune fraude, sans qu'ils aient eu connaissance
de la diversité d'opinion qui existait en Afrique sur ce point.
Il n'est nullement impossible que saint Jérôme ait été du nom-
bre. S'en rapportant aux exemplaires répandus, n'ayant aucun
motif de défiance, il aura supposé authentiques les documents
qu'il y trouvait, il n'aura pas eu la pensée de consulter les
archives de l'Église romaine pour confronter ; en un mol, il
aura été trompé.
2° Il ne faut pas s'imaginer que saint Jérôme ait fait des
recherches critiques sur tous les documents pour s'assurer de
leur authenticité. On doit supposer au contraire que bien des
fois il en parlait d'après l'opinion reçue, et cette supposition
ne fait point de tort à sa grande autorité, à sou immense
érudition.
Juin 1863.] ET SAINT CYPRIEN- 54^
3° Saint Jérôme s'est trompé sur d'autres points. Signalons
en particulier ce qu'il dit de saint Denys d'Alexandrie. Il aJQBr-
me qu'il a soutenu, de concert avec saint Cyprien, la nécessité
de rebaptiser les hérétiques : Hic in Cypriani et Afrizanx synodi
dogma consent iens de hxreticis rebaptizandis, etc. Or, les érudits
conviennent que, sur ce point, saint Jérôme s'est trompé. Us le
prouvent par saint Basile, qui atteste le contraire dans la lettre
citée plus haut. Ils le concluent aussi des passages de saint
Denys cités par Eusèbe, et surtout de la lettre où il consulte
le pape saint Sixte, pour savoir s'il peut rebaptiser un homme
de son diocèse baptisé par les hérétiques et qui assurait que
le baptême ne lui avait pas été conféré avec la forme légitime.
Saint Jérôme n'avait donc pas lu attentivement les lettres de
saint Denys, quoiqu'il en parle ; et il y suppose une doctrine
qui n'y est pas.
Saint Jérôme s'est trompé aussi au sujet du pape Libère. Il
suppose que ce Pape a souscrit à l'hérésie d'Arius : et ad sub-
scriptionem hxreseos conipulit [de Scriptoribus eccles.). Aujour-
d'hui, la critique a constaté que la chute de saint Libère est
une histoire apocryphe : saint Jérôme fut trompé par les pièces
falsifiées que les hérétiques répandirent sur ce sujet. Nous
pourrions multiplier les observations de ce genre.
4" Saint Jérôme n'est pas un témoin oculaire ; relativement
au fait qui nous occupe, son témoignage n'est pas non plus
celui d'un contemporain. Il doit donc être rangé dans la caté-
gorie des historiens qui racontent d'après ce qui leur a et
transmis par leurs devanciers, et d'après les documents qu'ils
rencontrent. Or, unauteurdans ces conditions est sujet à errer.
Son témoignage n'a d'autre valeur que celle des documents
sur lesquels il s'appuie. Si la critique démontre que ces do-
cuments sont apocryphes, le témoignage de l'historien qui les
a suivis perd toute autorité. On conclut qu'il a été trompé. C'est
♦^"e conclusion à l'égard de saint Jérôme.
h
S44 SAINT ETIENNE [Tome VII.
IX.
Résumé de la dissertation.
i° L'histoire du prétendu conflit repose sur quelques lettres
attribuées à saint Cyprien, sur les actes d'un concile de Cartilage
et sur une lettre de Firmilien.
2° En examinant ces documents en eux-mêmes, on est con-
duit a reconnaître qu'ils sont apocrj^phes.
3° Parmi les auteurs qui ont écrit depuis saint Cyprien
jusqu'à saint Augustin, Pontius et Denys d'Alexandrie, qui
étaient contemporains, auraient dû rapporter le fait, s'il eût
été réel, et ils n'en parlent point : l'auteur anonyme et saint
Optât de Milève, qui auraient dû en parler aussi, gardent pa-
reillement le silence. Eusèbe en parle dans un chapitre com-
posé de deux phrases ; mais il est facile de s'apercevoir que ce
chapitre est apocryphe, et qu'il provient probablement d'une
note marginale insérée dans le texte d'Eusèbe. La lettre de
saint Basile à Amphilochius prouve plutôt que le conflit en
question n'a jamais eu lieu. Saint Augustin révoque en doute
toute cette histoire, et constate que, de son temps, elle était
regardée par quelques uns comme l'œuvre de la fraude et du
mensonge. Enfin, saint Jérôme parle, il est vrai, des docu-
ments relatifs au conflit et les croit authentiques ; mais ou
peut dire qu'il a été induit en erreur.
4° A partir de saint Augustin, l'histoire du conflit a été gé-
néralement admise comme vraie, et les auteurs l'ont reproduite
de siècle en siècle, en mentionnant comme authentiques les
documents sur lesquels elle est fondée. L'accord de ces écri-
vains postérieurs au cinquième siècle n'est pas le résultat de
recherches critiques, mais la simnle continuation de l'errenr
... -, , . , • '^se
primitive, la simple annotation historique de ce qu'ils \^.
raient généralement reçu. Les historiens du sixième sièc?.o'"
Jnin 1863.] ET SAINT CYPRIEN. 5Î5
ceux qui les ont suivis, ue doivent donc pas être allégués comme
autorité dans cette controverse. Quand une erreur historique a
prévalu à une époque, elle dure et se perpétue ainsi jusqu'à
ce que la critique des érudits soit venue y mettre le point
d'arrêt.
5' Reste l'autorité des savants qui ont examiné la question
ex p?'ofesso. Nous l'avouons, elle s'est jusqu'ici prononcée
presque unanimement pour l'authenticité des documents en
question et pour la réalité du conflit : la thèse contraire de
Missoi'i et de Molkenbuhr avait à peine excité l'attention. Le
livre de Mgr Tizzani, dont nous venons de résumer à notre
manière les principaux arguments, soutient que sur ce point
le sentiment généralement suivi par les érudits est une erreur.
Ses preuves sont-elles péremptoires ? J'avoue pour mon compte
qu'elles me paraissent de nature à mériter de la part des sa-
vants une révision sérieuse du procès. Après le livre de Mgr
Tizzani, je crois qu'on est au moins en droit de dire que la
cause n est pas encore définitivement jugée. Il en résulte pour la
polémique religieuse une situation nouvelle. A l'objection si
souvent reproduite du célèbre conflit, on a droit d'opposer le
simple Nego donec probetur. En d'autres termes, lorsque dans
les controverses sur l'infaillibilité du Pape et autres questions
relatives à l'autorité du Saint-Siège, les adversaires de cette
autorité iront chercher leurs armes dans cet arsenal habituel
et favori, c'est-à-dire, dans les prétendues lettres de saint Cy-
prien, dans celle de Firmilien et dans les actes du 3e concile
de Carthage, on pourra commencer par cette réponse : Prouvez
avant tout que ces documents ne sont pas apocryphes, et que
les arguments de Mgr Tizzani n'ont point de valeur.
D. Bouix.
Revue des sciences ecclésiastioues, t. vu- 35-36.
DE I.A
VISION ONTOLOGIQUE.
Deuxième article.
Les partisans de la vision ontologique, par une étude plus
approfondie de la tradition catholique, ont fini par entrevoir
le côté périlleux de leur système ; ils ont reconnu que la
foi ne permet||pas d'affirmer simplement et sans restriction
que l'homme peut naturellement voir la divine essence en elle-
mêmo, c'est-à-dire sans aucun intermédiaire. Aussi, dans leur
amour sincère pour l'orthodoxie et leur respect filial pour
l'Eglise, se sont-ils efforcés d'éloigner toute possibilité d'oppo-
sition avec les enseignements de la foi. C'est pourquoi les uns,
à la vue de la récente décision du Saint-Office, ont totalement
abandonné une doctrine qui a un côté séduisant pour l'ima»
gination : les autres ont eu recours à une distinction, qui,
dans leur pensée, fait disparaître toute confusion entre la vi-
sion naturelle de Dieu et la vision béatifique. C'est cette distinc-
tion qui va être l'objet de notre examen dans cette seconde
partie de notre travail.
« La vue naturelle de Dieu, admise par l'ontologisme, n'im-
plique nullement la vue de l'essence intime de Dieu, » disent
les savants écrivains dont nous examinons ici l'opinion. « Ce
que la foi ne permet pas d'affirmer, ajoutent-ils, c'est que
l'homme ici-bas peut naturellement et sans miracle contempler
l'essence intime de Dieu ; mais jamais une saine théologie n'a
Juin 18G3.i DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 547
pu enseigner que la vue naturelle de Dieu est conlraire à la
Révélation et à la doctrine de l'Église. »
11 faut avouer d'abord que cette distinction fondamentale,
de même que tout l'ensemble du système qu'elle vient étayer,
est loin de pécher par excès de clarté et de précision ; on pour-
rait même dire que, pour devenir quelque peu intelligible ou
avoir un sens déterminé, elle exige impérieusement un com-
mentaire. Voici donc , d'après les explications des écrivains
plus haut mentionnés, comment doit être entendue cette dis-
tinction.
1" La vue de l'essence intime serait une vision de Bien par
la divine essence elle-même, et non par les attributs : elle
impliquerait « une perception claire des trois personnes dans
l'essence divine. » La vue naturelle de Dieu n'est au contraire
que la vision par les attributs et nullement par l'essence.
2o La vue de Dieu par les attributs n'implique en aucune
sorte la vision par la divine essence, car, « comme il y a une
vraie distinction de raison, distinctio rationis cum fundammto
in re, entre l'essence et les perfections divines, et entre ces
perfections elles-mêmes, il résulte que nous connaissons sou-
vent les unes sans connaître explicitement les autres. » Cette
raison, donnée comme décisive, deviendrait encore, selon les
auteurs cités, beaucoup plus inattaquable, si ou lui donnait
pour fondement la distinction formelle de l'école scotiste, distin-
ctio formalis ex natura rei. Cette distinction, en effet, constitue
une sorte de moyen terme entre les distinctions réelles et les
distinctions do raison. Mais, quelle que soit la valeur réelle de
cette doctrine scotiste, qui n'a que trop d'affinité avec l'hé-
résie de Gilbert de la Porrée, l'ontologisme , ainsi qu'on le
verra, ne peut retirer de là aucun avantage.
Sans m'arrêterici à montrer l'abus que l'on fait des termes
(['essence intime et à'essence, comme s'il s'agissait de choses
différentes, j'arrive immédiatement à l'examen de la question
proposée. Est-il possible de voir Dieu par ses attributs sans
le voir par son essence?
548 DE Là vision ontologique. [Tome vil.
Tout catholique doit d'abord tenir comme incontestable que
les attributs de Dieu ne sont point autre chose que la divine
essence elle-même; or, cela étant, si Ton se plaçait au point
de vue du simple bon sens vulgaire, ne semblerait-il pas que
voir immédiatement les attributs, sans voir immédiatement
l'essence, revient à voir une chose sans cependant la voir?
Mais, sans insister davantage ici sur cette considération
trop générale, nous allons essayer de montrer, d'une manière
rigoureuse, qu'une distinction de raison ne suffit pas pour que
les perfections divines puissent être en Dieu l'objet immédiat
de notre connaissance, sans qu'il en soit de même de la divine
essence ; toute intuition immédiate des attributs, dans l'hypo-
thèse ontologiste, est nécessairement, comme nous le montre-
rous, une intuition de l'essence. Je dirai même plus : s'il y
avait ici possibilité d'introduire une priorité quelconque, le
premier connu serait évidemment le sujet des attributs, et non
les attributs eux-mêmes.
Mais, afin de procéder avec le plus d'ordre et de clarté qu'il
nous sera possible dans l'examen d'une question si grave et
si Subtile, nous commencerons par rappeler brièvement ce
que la foi nous enseigne sur la vision de Dieu. Nous essaie-
rons ensuite de montrer, par le simple exposé de la nature
des distinctions en Dieu, l'inanité de la nouvelle théorie onto-
logiste; enfin, en dernier lieu, nous établirons d'une manière
directe l'impossibilité de voir l'essence divine en elle-même,
sans voir par là même les trois personnes de l'adorable Tri-
nité.
I. Les enseignements de la foi exigent impérieusement que
la distinction entre la vision ontologique et la vision béatifique
soit nettement déterminée. L'Église, plus d'une fois, a con-
damné les doctrines qui revendiquaient pour l'homme ici-bas
la possibilité de voir Dieu en lui-même : Qui lucem inhabitat
inaccembilem, quem nullus hominum vidit, sed nec vider e pot est.
(I Tim. VI, 16.)
Juin 1863. DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 549
Bien que Dieu soit l'ir^telligibilité absolue, il arrive cepen-
dant, selon l'expression de Petau, qu'il est d'autant moins
accessible à notre esprit, qu'il est plus intelligible en lui-
même : Fit admirabili quadam ratione ut quo magis intelligi-
bilis est eo minus intelligatur. {De Deo, lib. yii, c. i.) C'est ainsi
que le soleil, par cela même qu'il est plus lumineux que les
objets qu'il éclaire, ne peut être contemplé directement par
notre œil, qui n'en pourrait soutenir l'éclat. Voilà pourquoi
saint Tbomas et les scolastiques répètent si fréquemment que
notre intelligence se habet ad Deum sicut oculus vespertilionis
ad soient.
Mais si, d'après la doctrine commune, il nous est impos-
sible ici-bas de contempler Dieu en lui-même, nous pouvons,
néanmoins, le voir dans ses œuvres, qui, selon l'expression
d'Origène, sont comme des rayons qui émanent de lui et le
manifestent.
11 y a pour nous en cette vie deux manières de connaître
Dieu : la vision naturelle, quel que soit d'ailleurs le mode
selon lequel elle s'exerce, et la vision surnaturelle par la foi
et la révélation. Or, soit par l'un ou par l'autre de ces moyens,
Deum nemo vidit unquam, selon que le déclare l'apôtre saint
Jean (r, 18), ou comme il est dit encore dans l'Exode (xxxiii, 20) :
Deihn nemo videbit et vivet. Nous nous abstenons de rappeler
ici les autres textes*, si nombreux et si formels, qui établissent
l'impossibilité pour l'bomme, pendant cette vie, de jouir na-
turellement et sans miracle de la vue de Dieu.
Mais étudions, d'une manière plus spéciale, ce que la foi
nous enseigne sur ce point.
La doctrine catbolique sur la vision de Dieu fut déjà formu-
lée très-explicitement à l'occasion de l'erreur des Anoméens.
Ces hérétiques prétendaient que nous pouvons ici-bas, non-
seulement voir Dieu en lui-même, mais encore le connaître
autant qu'il est cognoscible. Tarn Deum novi, disait Aétius,
quam me ipsum; imo non tam novi me ipsum quam Deum. Lors-
530 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. iTorae Vil
que les Pères s'élèvent contre cette doctrine, ils rappellent
sans cesse les textes que nous venons de citer, et déclarent
que, non-seulement notre connaissance de la nature divine
n'est point compréhensive, mais encore qu'il nous est impos-
sible en cette vie de voir Dieu en lui-même (1). Tel est le
langage de saint Épiphane, de saint Basile, de saint Chry-
sostôme, etc. Saint Grégoire déclare aussi : Quamdiu hic mor-
taliter vivitur, videri per guasdem imagines potest Deus, séd per
ipsam naturx speciem non potest. Le vénérable Bède dit égale-
ment : Nemo coi^ruptibili adhuc et mortali carne circumdatus,
incircumscriptam divinitatis potest lucem intueri. Unde mani-
festius dicit Apostolus : Quem nullus vidit hominum, sed nec vi-
dere potest.
Cette doctrine de l'impossibilité^ durant cette vie mortelle,
de voir Dieu en lui-même, fut plus rigoureusement définie en-
core dans la condamnation prononcée au Concile de Vienne
par Clément V (1312) contre l'erreur des Béguards et des Bé-
guines. Ces fanatiques affirmaient entre autres cboses : Ani-
mam non indigere lumine glorix, ipsam élevante, ad Deum vi-
dendum (5^ erreur). Et cette hérésie fut condamnée expressé-
ment avec d'autres erreurs abominables {Clem., lib. v, tit. m,
de Hsereticis, c. m). Et la glose, par rapport à cette cinquième
erreur, ajoute : Quasi hoc possit sua naturali virtute. Hoç ex-
presse est hsereticum et reprobatum..., videre autem Deum per
essentiain sali Deo est proprium . . .
Benoît XII, dans sa Constitution Benedictus Deus (1336), dé-
termine ainsi en quoi consiste la vision béatifique ou l'état des
bienheureux : Vident divinam essentiam vtsione intuitiva et etiam
fadali, nulla mediante creatura in ratione objecti visi se ha-
bente, sed divina essentia immédiate se riude, clare et aperte eis
ostendente, quodque sic videntes eadem divina essentia perfruun-
tur...; quodque pas tquam inchoata fuerit vel erit talis intuitiva
(1) VoirSuarez, de Deo, lib. n, c. v, n. 4.
Juin 1803. I DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 55<
ac facialis Visio et fruitio... continuabitur usque... in sempi»
ternum.
Enfin, à toutes ces déclarations de l'Église, on pourrait
ajouter le décret de la Sacrée Congrégation du Saint-Office,
déjà mentionné plus haut. Ce décret étant une interprétation
d'un tribunal suprême, investi de l'autorité pontificale, ne peut
être passé sous silence ; mais il doit être accepté selon le sens
obvie et naturel des termes. 11 serait donc au moins inconve-
nant et irrespectueux d'incidenter sur l'extension et la valeur
des mots, en s'efforçant d'amoindrir la portée de cette
décision; une interprétation qui prendrait pour règle le prin-
cipe : Odia sunt restringenda, serait donc par là-même très-
suspecte. Quand il s'agit, en effet, de déclarations qui ont rap-
port à la doctrine, ce principe ne peut être en aucune sorte
applicable, car il ne s'agirait alors que de revendiquer, au
détriment de la vérité, une certaine latitude pour l'erreur.
Il n'est donc permis à aucun catholique d'affirmer simple-
ment et sans restriction, que l'homme peut, par ses seules
forces naturelles, jouir de la vision directe et immédiate de
Dieu : l'Église s'est formellement prononcée sur ce point. De
plus, il importe de remarquer que, dans tous les textes que
nous avons rapportés et dans tous ceux que l'on pourrait citer,
on ne trouve pas les plus légers vestiges de la distinction des
ontologistes. Ces décisions de l'Église constituent donc mani-
festement une présomption très-grave contre la doctrine que
nous combattons.
IL Examinons maintenant de plus près si la distinction entre
la vue naturelle de Dieu et la vue de l'essence intime de Dieu,
suftit pour placer réellement l'ontologisme au nombre des
opinions libres, et si cette théorie peut, à l'aide de cette
distinction, invoquer l'adage formulé par saint Augustin : In
dubiis libertas.
En étudiant avec soin la nature et la cause des distinctions
en Dieu, et en dégageant la question du vague dont on a voulu
552 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VU.
l'envelopper, on voit clairement Tinanité du nouveau subter-
fuge de l'école ontologiste.
Mais, pour déterminer rigoureusement la nature des distin-
ctions entre les attributs de Dieu et l'essence divine, il importe
de rappeler d'abord le caractère de deux hérésies opposées qui
se sont élevées sur ce point de notre croyance. La première de
ces erreurs, qui fut enseignée par Aétius et Eunomius, consiste
à affirmer que les attributs, soit absolus, soit même relatifs, ne
se distinguent nullement de l'essence elle-même, de sorte que
toute distinction, même rationnelle, m divinis, doit être abso-
lument bannie; aussi pour ces hérétiques, les noms par les-
quels les propriétés divines sont exprimées ne peuvent avoir
des significations différentes; ils expriment d'une seule et même
manière, une seule et même chose. Ces hérétiques rejetaient
donc toute distinction rationnelle ou xax' ETrivoi'av, soit entre
Fessence et les attributs, soit entre les attributs entre eux.
L'hérésie opposée à l'erreur des Eunomiens, est celle qui fut
enseignée par Gilbert de la Porrée, cvèque de Poitiers, et con-
damnée au Concile de Reims (1148) par le pape Eugène IIL
Gilbert de la Porrée introduisait des distinctions réelles entre
l'essence et les trois personnes, entre la divinité et Dieu :
Forma Dei et divinitas, disait-il, qua Deus est, non est Deus (1).
Selon le sentiment le plus probable, il admettait aussi des dis-
tinctions réelles entre les attributs absolus et l'essence divine;
ces attributs, selon lui, n'étaient pas seulement des modes di-
vers de concevoir la divine essence, mais des réalités différentes
de cette essence elle-même. Cette erreur fut aussi plus tard
professée par Socin.
La foi catholique exige donc impérieusement : 1° qu'on ad-
mette certaines distinctions entre l'essence et les attributs soit
relatifs, soit absolus, et ensuite 2» qu'on repousse toute distinc-
tion réelle entre ces mêmes attributs et l'essence. Les perfec-
(1) Gaufredus, in Fita S. Bern.
iuin 1863] DE L.\ VISION ONTOLOGIQUE 553
tiens de Dieu ne sont donc point autre chose que la divine
essence elle-même, et par suite il ne peut exister ici aucune
distinction objective, quoad reyn significatam.
Toutefois, bien que Dieu soit absolument simple, et que
cette simplicité exclue toute composition, soit physique, soit
logique ou métaphysique, il renferme néanmoins toutes les
perfections possibles. Dieu peut produire une multitude incom-
mensurable d'efiets divers, qui auront chacun leur perfection
propre. Or, comme dit saint Thomas, quod est causa alicujus,
habet illud excellentius et nobilius. Unde oportet quod omnes no-
bilitates omnium creaturarum invemantur in Deo nobilissimo
modo, et sine aliqua imper fect ione ; et ideo quod increaturis sunt
diversa, in Deo propter summam simplicitatem sunt unum (1).
Mais il est bien évident que nous ne pouvons, par une simple
intuition de notre intelligence, ou par un seul acte de contem-
plation, percevoir cette unité et cette variété sans limites ;
l'objet est infini, et dépasse par conséquent sans mesure la
capacité du sujet connaissant. Il faut donc que notre esprit,
après la première connaissance, qua totum Deum, comme dit
Petau, semel universeque complexus est, considère de nouveau
et par des acles distincts chacune des perfeclions qui sout en
Dieu, et les discerne les unes des autres. Ces actes divers de
notre esprit, ou cette connaissance per partes, selon l'expres-
sion du même auteur, produisent des notions différentes: telle
est la source de nos distinctions.
Cette connaissance itérative et multiple, beaucoup plus nette
et plus précise que la première, est appelée par les Pères
grecs ETTivota, eTTiXoYiajAÔ;, etc.; elle nous est absolument néces-
saire si nous voulons savoir d'une manière quelque peu dis-
tincte ce qu'est Dieu. Au surplus, nous ne pouvons avoir
aucune connaissance distincte, même lorsqu'il s'agit des créa-
tures, sinon par des perceptions multiples, dont les unes ont
pour objet telle qualité, les autres, telle propriété différente.
\1) In ium tib. Sent, disl. n, q. i , art. 1.
5S? DE Ll VISION ONTOLOGIQUE. [ Tome VI
Ainsi donc^ l'infinie perfection de l'objet connu, sa fécondité
sans bornes et l'exiguité de notre intelligence constituent le
double fondement de nos distinctions en Dieu, et démontrent
l'impérieuse nécessité pour nous de celles-ci (1). 11 faut ou res-
ter dans l'ignorance de ce qu'est Dieu en lui-même^ ou nous
attacher à cette connaissance per partes. La multiplicité que
nous introduisons dans l'essence divine, résulte donc néces-
sairement de la nature de notre esprit, et n'est en Dieu qu'un
rapport extrinsèque aux qualités diverses des êtres créés.
Mais tous les Pères et tous les théologiens qui se sont occupés
de cette question, apportent encore une autre raison de cette
nécessité des distinctions ; cette raison qui est tirée non de la
nature de Tobjet, mais du mode selon lequel nous le connais-
sons, implique la négation directe et absolue de l'ontologisme.
Comme notre connaissance de Dieu, disent-ils, n'est point in-
tuitive, mais discursive et obtenue au moyen des perfections
créées, quasi per scalam mediam, comme dit saint Bonaven-
ture (2), la notion de Dieu ne peut être formée par nous qu'au
moyen de concepts multiples. Par des jugements distincts/
nous affirmons qu'en Dieu se trouvent, d'une manière surémi-
nente, toutes les perfections des créatures ; or, ces perfections,
qui dans les créatures sont réellement difî"érentes, sont perçues
et affirmées successivement, et par des actes divers. Ainsi,
l'élément objectif qui constitue notre point de départ con-
siste dans les perfections des créatures, perfections multiples
formellement distinctes, et dont chacune est l'objet exclusif
d'une de nos perceptions. Le procédé par lequel nous recon-
naissons en Dieu des perfections analogues, consiste dans
des jugements dont chacun affirme quelque attribut. De là,
pour le dire encore une fois, nos distinctions, que nous ne
pourrions négliger sans tomber dans les plus étranges absur-
(^) Tournely, de Deo, q. 3, arl. 2.
(2) Lib. I Sent., disl. ni, p. -I, arl. 1, q. Hl.
Juin 1863.] DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 555
dites. Il faudrait alors affirmer, par exemple, que la justice
est formellement la miséricorde, que l'intelligence est la vo-
lonté, etc.
Il est donc certain et hors de toute controverse, que la rai-
son humaine doit nécessairement distinguer en Dieu des per-
fections multiples et une certaine difféi-ence entre celles-ci.
Mais il n'est pas moins certain que ces attributs a parte rei
sont l'essence elle-même, bien que dans notre intelligence
il y ait la distinction d'un concept à un concept différent. Con-
naître une perfection ou un attribut absolu in re ipsa, c'est donc
connaître l'essence divine sous un point de vue déterminé, ou
par un concept restreint, joer conceptum prxcisivum et incomple-
tum, selon l'expression lliéologique. C'est de cette manière
que nous disiinguons en Dieu l'immensité, l'éternité, la justice,
la bonté, etc., bien que ces attributs ne soient pas autre chose
que Dieu lui-même. De plus, divina attributa nec ab essentia
nec a se invicem ita perfecte prsescindi possunt, quin sese mutuo
implicite saltem ac confuse includere intelligantur {\).
Lorsque, par une opération réflexe, nous étudions les rap-
port? de ces divers attributs entre eux et avec la divine essence,
nous voyons alors que la notion de l'un ne peut être confon-
due avec la notion de l'autre.
Mais ces distinctions nécessaires, bien que résultant de
l'exiguité de notre esprit, sont néanmoins rigoureusement
vraies, car les perfections affirmées de Dieu sont réellement
en Dieu; or, par ces concepts, nous affirmons simplement que
Dieu possède en réalité toutes les perfections que nous conce-
vons; mais nous n'affirmons pas qu'il les possède selon le
mode restreint d'après lequel nous les concevons. Nous ne di-
sons donc point que ces perfections sont en Dieu des réalités
différentes, mais que ce sont des modes particuliers de conce-
voir l'essence une et simple en elle-même. Aussi, uon-seule-
(1) Toarnely, loc. cit.
556 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VIT.
ment les termes qui expriment ces notions sont difTérents,
mais encore les notions elles-mêmes; et c'est pourquoi Ros-
celiu et les nominalistes, qui ne voulaient voir dans ces dis-
tinctions que la seule dififércnce matérielle des mots, renou-
velaient réellement l'erreur des Eunomiens.
Il y a donc une diversité qui n'est ni réelle, ni simplement
nominale,, mais xax' iTiivoiav, ou dans Tordre des conceptions,
entre l'essence et les attributs. Cette distinction est appelée
dans l'école distinctio rationis ratiocinât se, ou, distinctio rationis
cum fundamento in re.
Ces principes, qui sont en dehors de toute controverse,
nous fournissent encore immédiatement une nouvelle conclu-
sion contre Tontologisme.
La vision ontologique, dans l'hypothèse des adversaiies,
consiste à contempler Dieu en lui-même, mais dans ses attri-
buts, et non dans son essence. Or, d'après ce qui vient d'être
dit, il est manifeste que voir les attributs de Dieu sans voir
l'essence divine revient nécessairement à contempler ces attri-
buts, non en Dieu ou dans leur réalité objective, mais dans
des images ad extra, ou daus les créatures. Il est impossible,
en eflet, d'affirmer la vision immédiate des attributs en Dieu
lui-même, sans affirmer par là même la vision immédiate de
l'essence, sinon en se plaçant dans l'hypothèse de Gilbert de
la Porrée. Tant que la distinction entre l'essence et les attri-
buts ne sera pas réelle, aussi longtemps qu'elle restera rei
unius multiplicitas prout prxcisivis et incomplet is subest mentis
conceptions, il sera absurde de dire que l'un des extrêmes de
la distinction peut être, dans sa réalité objective, terme immé-
diat de la connaissance, sans qu'il en soit de même de la réa-
lité qui constitue l'autre. L'opposition ou la diversité entre
l'essence et les attributs n'est que dans notre intelligence, ou
a'existe qu'entre nos concepts objectifs. Le fondement de
cette diversité n'est point intrinsèque à Dieu, mais extrinsèque ;
il est donc impossible de passer d'un terme de la distmction
Juin 18C3.1 DR L^ VISION ONTOLOGIQUE. . 557
à l'autre, là où il n'y a plus deux termes, mais quelque chose
d'un et d'indivisible in se; il est impossible de voir des perfec-
tions distinctes là où il n'y a pas de distinctions. Nous pouvons
il est vrai passer successivement, par des opérations réflexes,
du concept d'un attribut à un concept d'un autre attribut ou
de Tessence; mais alors nous ne voyons plus en Dieu, mais en
nous, ou dans le fondement véritable de la diversité et de la
multiplicité.
Il s'agit donc ici, pour tout résumer en un mot, de savoir
s'il est possible de voir en Dieu les perfections sans voir l'es-
sence. Les attributs divins, ainsi qu'il a été dit, peuvent être
envisagés : \°en Dieu ou dans leur sujet, et alors ses perfections
ne sont point autre chose que la divine essence; 2" dans les
créatures qui les représentent à des degrés divers, et avec des
distinctions réelles ; 3" en nous, ou dans la connaissance que
nous en avons, et alors ces attributs sont des concepts ou plu-
tôt des jugements, en un mot, des actes de notre intelligence,
qui expriment per partes ce qu'est Dieu en lui-même. Si donc
nous les contemplons en Dieu, le terme objectif immédiat est
l'essence elle-même; si nous les voyons dans les créatures, il
n'y a plus d'ontologisme; si enfin nous les voyons en nous,
le terme objectif immédiat est une opération de notre esprit,
jugement ou simple appréhension. Les perfections analogues
des créatures fournissent la matière de ces jugements par les-
quels nous exprimons les attributs divins.
En dehors de cette triple hypothèse, la vision -ontologique
ne peut plus se soutenir qu'en empruntant au panthéisme ses
théories. A moins donc que nos affirmations n'aient, comme
celles de Fichte, la force de produire l'infini, ou si l'on veut
de rendre le 7noi pensant infini, le terme objectif immédiat
d'une opération réflexe ne pourra jamais être Dieu lui-même.
Si encore, avec Schelling,on voulait se placer résolument dans
l'absolu, en identifiant l'objectif et le subjectif, l'être et la
connaissance, il serait également possible de trouver une ex-
558 DE LÀ. VISION ONTOLOGIQUE. [Tome VU;
plication. Mais assurément, malgré les analogies frappantes
qui existent entre Fontologisme et le panthéisme de Schelling
et de Hegel, aucun partisan du premier système ne voudra
avouer explicitement cette conformité trop réelle.
Avant d'arriver à la troisième conclusion que nous voulons
démontrer, il ne sera peut-être pas inutile d'écarter, en quel-
ques mots, un subterfuge du semi-ontologisme. C'est dans
l'idée de l'être, dira-t-on, que nous voyons Dieu, idée qui est
innée en nous, et qui cependant est quelque chose d'aussi dis-
tinct à notre esprit, « que la luruiùre physique est réellement
distincte à notre œil. »
Ou pourrait demander d'abord en quoi consiste cette idée
hybride de l'être, idée à la fois objective et subjective, prin-
cipe, moyen et objet de connaissance? Est-ce l'essence divine
elle-même, que l'on veut gratuitement désigner sous cette ap-
pellation insolite? S'il en est ainsi, il n'y a rien à ajouter à
tout ce qui vient d'être dit. Serait-ce au contraire quelque
cbose de distinct de Dieu, un effet créé ou une opération ad
extra, une lumière en nous, une similitude impresse, expresse
ou objective (1)? Si c'est quelque chose de distinct de Dieu, un
effet créé ou une similitude quelconque, alors nous voyons
Dieu, non immédiatement et en lui-même, mais dans cette idée
on cet effet créé. S'il s'agissait d'une lumière qui fiit eu
même temps quelque chose d'inné en nous et quelque chose
d'identique avec Dieu, ceci ne modifierait eu rien l'état de la
question : il y aurait simplement une confusion et un non-sens
de plus. Cette lumière, qui est quelque chose d'identique avec
Dieu, ne peut être que l'essence divine elle-même, à moins
qu'il ne s'agisse d'une nouvelle lumière éternelle analogue à
celle des Palamites. On sait que cette lumière des Hésychastes
consistait non dans l'essence elle-même, mais dans l'opération,
IvépYÊia, ouva[jLiç, distincte réellement de la nature divine. Cette
(\) Voir Suarez, de Deo, lib. ii, c. vni.
Juinl8G3! DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 5f)9
nature, selou ces hérétiques, est absolument incommunicable;
mais il n'en est pas de même de cette lumière éternelle dont
les créatures peuvent être rendues participantes.
Et ce rapprochement que nous établissons ici, n^est point
arbitraire et gratuit. Si, en effet, on s'attache à examiner, non
le fanatisme souverainement ridicule des 6(xcpaXoi|u/^ot, mais
les dernières théories de Grégoire Palamas, si l'on étudie le
sens et la portée des décrets rendus par les synodes hésychastes
de Constantinople (1341-1351), tenus sous la garantie doctri-
nale des empereurs Andronic III et Cantacuzène, on consta-
tera une singulière analogie entre certaines théories ontolo-
gistes et l'erreur des Palamites (1).
Mais il serait au moins superflu de nous étendre davantage sur
ce point; les contrastes les plus frappants, les rapprochements
les plus rigoureux ont peu d'influence sur les esprits à une
époque oii le caprice est devenu la seule règle dans ce genre.
Nous nous hâtons donc d'arriver à une dernière considération.
III. Est-il possible de voir immédiatement la divine essence,
5ans jouir en même temps de la vue des trois personnes de
l'adorable Trinité? telle est la dernière question que nous
voulons parcourir rapidement.
Nous ne dissimulerons pas qu'il existe sur ce point une
controverse d'école. Duns Scot (2) prétend qu'il est possible de
voir la divine essence sans jouir pour cela de la vision des trois
personnes : De potentia Dei absolvta non video confradictionèm,
quin possibile sit ex parte intelledus quod ejus actum terminet
essentia et non persona; mais il est à peu près seul de cet avis»
Il combat, dans cette question, le sentiment commun, qui
avait été exposé par Henri Goethals (Gandavensis), et de plus
les raisons sur lesquelles il s'appuie ont peu ou point |de va-
(I) Voir Noël Alexandre, Hisf. eccles.y ssec. xiv, a. 14; Peiau, r/e
Dec, lib. 1, cap. xn et xiii.
(2j In lib. 1 Stnt., dist. i, q. 2.
560 DE LU. VISION ONTOLOCIQUE. [Tome VIL
leur (1). Ensuite il est à remarquer qu'il se place simplement
au point de vue de la puissance absolue de Dieu, en exami-
nant si celle-ci pourrait empêcher la vision des trois personnes
en accordant la vision intuitive de l'essence. De pins il en-
seigne intellectum sibi relictum, non posse videre essentiam non
visi's personis (mêmequest., ch. suivant).
Mais, en examinant le langage constant et uniforme des
saintes Ecritures et des Pères, témoins de la tradition, en con-
sidérant les termes des décisions de TÉglise, il semble que le
sentiment que nous embrassons ici doive être considéré comme
une doctrine, sinon appartenant à la foi, du moins très-com-
mune. Les saintes Écritures, la tradition et les décisions de
l'Église déclarent toujours, soit que l'homme ici-bas ne peut
voir la Trinité des personnes, et cela parce qu'il ne peut con-
templer Dieu en lui-même, soit que la vision intuitive de l'essence
divine et des trois Personnes constitue le privilège des bien-
"heureux. Nulle part on ne rencontre les moindres vestiges
d'une distinction entre l'essence et l'essence intime, entre la
vue immédiate de Dieu et la vue de Dieu par son essence, etc. ;
nulle part il n'est question d'une double vision immédiate de
Dieu ; mais toujours les mêmes expressions, visio intuitiva, visio
facialis, Visio immediata, indiquentla vue de Dieu etdes trois per-
sonnes divines. La constitution Benedictus Deus, de Benoit XII,
précise même en quoi consiste la différence propre de la vision
béatifîque : Nulla mediante creatura in raiione objecti visi se
habente. Ce langage uniforme des saintes Écritures et de la
tradition constitue, sur ce point encore, contre l'ontologisme
une très-grande présomption, pour ne rien dire de plus.
Enfin, tous les théologiens sont unanimes à repousser une
double vision directe et immédiate de Dieu. Nous ne pouvons
assurément rapporter ici les témoignages qui viendraient con-
firmer notre assertion, ce qui d'ailleurs serait inutile et fasti-
i/i) Voir Suarez, de Deo, lib. ^, cap. xxiii.
Juin 1863.1 DE LA YISION ONTOLOGIQUE. 561
dieux; au stirplus, les ontologistes eux-mêmes avouent que la
doctrine commune des écoles ne leur est point favorable. Qu'il
nous suffise donc de dire avec Bergier : « Les théologiens
(( distinguent trois manières de voir ou de connaître Dieu; la
a première, qu'ils appellent vision abstractive, est de connaître
0 la nature et les perfections de Dieu par la considération de
a ses ouvrages La seconde manière est de voir Dieu immc-
« diatement et en lui-même : on la nomme vision intuitive ou
a béati figue; c'est celle dont les bienheureux jouissent dans le
« cieL.. La troisième, que l'on appelle vision compréhensive, ne
tf convient qu'à Dieu; infini dans sa nature et dans tous ses
« attributs, lui seul peut se voir ou se connaître tel qu'il est. »
Si maintenant on demande pourquoi la Trinité des personnes
reste invisible lorsqu'on jouit de la vision immédiate de Dieu,
et quelle est la raison de cette perspicuité d'une part, et de
cette obscurité de l'autre, il sera difficile assurément de donner
une réponse satisfaisante. Comment en effet peut-on contem-
pler Dieu en lui-même sans le voir dans sa propre subsistance
et dans son mode d'être? Comment jouir de la vision immé-
diate sans connaître, dans une certaine mesure, ce qu'il est,
et le mode selon lequel il est? A la vérité, les ontologistes
répondent ici que l'objet de notre intuition a un côté clair et
un côté obscur, et qu'il est par là même en partie intelligible
et en partie sur-intelligible; en Dieu Vêtre serait intelligible et
Vessence intime sur-inteUigible. « L'idée, dit Gioberti, est bila-
a térale ; l'une de ses faces est l'intelligible, c'est-à-dire l'être
a réel et absolu ; l'autre est le sur-intelligible, c'est-à-dire
^ < l'essence intime de cet être (1). » On sait que pour Gioberti,
l'idée est le vrai absolu et éternel ou Dieu lui-même, qui est
le premier philosophique, dans lequel s'identifient la première
idée (le premier psychologique) et la première chose (le premier
ontologique).
{\) Inlrod. alla studio délia Jilosofia^czp. iv.
S62 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. IToaiû VII.
On pourrait demander d'abord qu'est-ce que l'idée bilatérale?
Mais laissant de côté cette terminologie ridicule, nous nous
contenterons de rappeller encore une fois que Dieu est acte
pur et n'admet aucune sorte de composition : il n'y a pas de
distinction réelle entre Tessence et les attributs absolus, entre
l'essence et les personnes : où se trouve donc le double côté
de ridée ? 11 est manifeste que dans toute cette explication de
Gioberti il n'y a réellement que des mots vides de sens.
Si toutefois, par ces formules emphatiques, on veut dire que
notre vision est à la vérité intuitive, immédiate et directe,
mais inadéquate, et qu'ainsi on voit en Dieu la nature, l'exi-
stence, mais non les personnes, il y aura encore eu cela une
confusion grossière. Noire connaissance, en tant que finie, est
etseratoujour.s inadéquate intensive, cav il nous est absolument
impossible de connaître l'infini selon toute la perfection avec
laquelle il est cognoscible en lui-même : mais on ne peut pas
dire, du moins d'une manière rigoureuse, qu'elle est inadéquate
exfensive (1), de telle sorte qu'en Dieu lui-même il y ait une
partie visible et une partie invisible, c'est-à-dire, pour traduire
rigoureusement, aliud et aliiid. On ne peut voir Dieu en lui-
même sans le voir totum, puisqu'il est absolument simple ; mais
jamais nous ne le verrons totaliter^ parce qu'il est infini.
Après avoir examiné, au point de vue des enseignements de
la foi, un système auquel un engouement prématuré et indis-
cret avait donné en France une certaine popularité, nous ne
tenterons point une réfutation au point de vue purement ra-
tionnel. Notre examen avait un critérium plus élevé et plus sûr
que tous les raisonnements philosophiques : il doit donc suf-
fire, si les témoignages apportés sont authentiques, si les
autorités citées sont graves, et si nos déductions sont rigou-
reuses. Or, il résulte clairement de tout ce qui a été dit que
l'ontologisme est un système vraiment périlleux pour la foi.
(1) Liberalore, délia Conosc. intell., c. ii, n. 7.
Juin 1863.1 DE LA VISION ONTOLOGIQUE. 563
Et cette manière de caractériser cett3 théorie ne nous est point
exclusivement propre : Ontologismi theoria periculosa est, dit le
R. P. Tongiorgi (1), avec beaucoup d'autres écrivains très-
graves.
II serait facile assurément de prouver que Tontologisme est
une hypothèse non-seulement gratuite, mais encore contraire
au témoignage de la conscience et du sens commun ; que ses
preuves fondamentales ne sont que des pétitions de principe,
qu'il ne procède que par voie de confusion entre le réel et
l'idéal, qu'il a une affinité parfaite avec le panthéisme, dont il
tire son origine, etc. iNIais, outre que cela a été parfaitement
démontré par le R. P. Liberatore dans son savant traité de la
connaissance intellectuelle, et par le R. P. Tongiorgi dans ses
Institutions philosophiques, ces preuves ne pourraient exercer
une grande influence sur le vulgaire des esprits prévenus. On
sait que cette théorie s'adresse surtout à l'imagination. Gioberti,
au moyen de formules pompeuses et d'un néologisme em-
phatique, s'est efforcé de donner à des conceptions vagues et
indéterminées, une certaine apparence d'élévation et de subli-
mité. (( Et cette espèce d'obscurité dont s'enveloppe l'onlolo-
gisme, ditle Pt. P.Liberatore(2), sert à lui communiquer je ne
sais quoi de mystérieux et de divin, » qui saisit les esprits ar-
dents chez lesquels la rectitude fait plus ou moins défaut.
Aussi ce système a-t-il été justement appelé une philosophie
poétique ; il ne peut donc être pris au sérieux que par ceux qui
ne veulent voir la doctrine qu'au point de vue de l'esthétique,
et qui sont capables de faire, non de la prose, mais de la
poésie sans le savoir.
E. Grandclacde.
(i) Inat. phil., psych., lib. ni, c. vu.
(-2) Op. cit., c. II, D. 63.
UN MOT ENCORE
SUR
QUELOIES PROBLÈMES IMPORT.^NTS DE PHILOSOPHIE (^'.
VI.
Après les préliminaires que nous avons vus, M. Gros entre
en matière et établit de nouveau que « la motion vivifiante de
Dieu rend l'âme intelligente et lumineuse en acte. » Ou M. Gros
entend par là que Tâme humaine tient sa nature intelligente
de Dieu dans l'acte de la création, ou il suppose que i'àme,
créée d'abord par Dieu, est ensuite rendue intelligente par
une autre action (vivifiante) divine. Dans le premier sens, nous
sommes d'accord avec lui, car nous admettons volontiers que
tout être créé est précisément ce qu'il est parce que Dieu l'a
ainsi fait eu le créant. Mais dans la seconde hypothèse, nous
croyons sincèrement que M. Gros se trompe, car il nous semble
que Tâme humaine n'est intelligente qu'en vertu d'un principe
intrinsèque, essentiellement inhérent et quasi-personnel, tandis
que l'action divine, quelque intime qu'on la suppose, est tou-
jours nécessairement extrinsèque à l'acte vital de comprendre,
et qu'il n'est point permis de tendre la main aux panthéistes,
en confondant, comme ils le font, l'action de Dieu avec l'essence
de l'âme humaine.
(1) Voir janvier 1S63, p. 59. Nous étions d'abord résolu à ne point
donner suite à ce travail; mais M. Gros insiste el n'est point satisfait.
Nous serions heureux de le contenter aujourd'hui sans le blesser.
Juin 18C3.1 QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE. 5G5
M. Gros ajoute que « toute impressicn reproduisant les carac-
« tères de l'objet qui la cause, devient idée, se manifeste comme
« une modification de Vâme,et se présente comme infinie, absolue,
« nécessaire, éternelle, immuable. » Contrairement à M. Gros,
nous admettons qu'une impression quelconque, lorsqu'elle
agit sur un sujet capable de sentir, ne produit jamais que le
sentiment d'elle-même ; que si le sujet est intelligent, il pourra
bien conclure en général à l'existence d'une cause qui l'impres-
sionne ; mais cette impression ne lui dira rien des caractères
de l'objet par lequel elle a été produite. Si M. Gros transforme
ensuite cette impression en idée, et la représente comme une
modification de l'âme, comme infinie, absolue, etc., cela nous
semble bardi et légèrement contradictoire. Gomment la modi-
fication d'une âme finie, relative, contingente, peut-elle être
autre cbose qu'une modification finie, contingente, relative?
Pourquoi M. Gros vient-il ajouter surtout: « ]Sous sentons, nous
(t goûtons, nous touchons spirituellement Dieu par les impressions
a qu'il produit en nous ; car nous sommes doués d'un sens divin,
« d'un goût et d'un tact spirituels par lesquels nous sommes en
« rapport avec notre Auteur. » Nous concevons que ce système
ait ses cbarmes, et puisse prendre faveur auprès des âmes
pieuses qui aiment « la voie de la grande }nété. » {Etudes, ix.)
Mais nous devons le dire, ce système n'est pas vrai, et ce rêve
d'or ne peut durer longtemps. Dès que nous rentrons eu
nous-mêmes, j'en appelle à toutes les âmes, la conscience pro-
teste et nous crie de toutes parts que ce n'est pas ainsi que
nous atteignons ici-bas « l'immuable vérité, » que l'iieure n'est
pas encore venue de clianter les immortels cantiques de la
patrie.
M. Gros poursuit en disant que « l'universel, l'absolu, l'in-
fini, le nécessaire, ne peuvent jaillir du fond de l'âme, et s'ils y
apparaissent , ce ne peut être que par suite des modifications
qu'elle subit sous l'action vivifiante de Dieu. » Nous l'avons déjà
dit, les modifications que l'âme peut subir sous l'action vivi-
S66 'quelques problèmes importants de philosophie. ITomeVII.
fiante de Dieu^ ne seront jamais que des modifications finies,
particulières, contingentes, tout comme le sujet lui-même qui
les reçoit n'est que fini, particulier, contingent. Nous admirons
M. Gros; pourquoi donc notre âme ne pourrait-elle pas tirer
la notion de l'universel des objets extérieurs et matériels? Il
suffit qu'elle considère dans ces objets l'être, l'existence, l'u-
nité, la durée, etc., qui se trouvent réellement en eux à l'état
particulier, limité, fini. Si, par un acte de notre esprit, nous
séparons ensuite toutes ces choses des conditions matérielles
qui les enchaînent et les individualisent, nous nous trouvons
en face de l'universel, nous possédons l'universel. M. Cros ne
refusera point d'admettre tout cela, et ne dira point que notre
entendement est particulier, et ne peut dès lors nous élever à
l'universel. Non, cela n'est point vrai pour l'acte de connaître,
vu que l'objet propre de l'entendement est, au jugement de
tous les philosophes, l'universel. Si l'entendement est particu-
lier, c'est en ce sens seulement qu'il est telle nature déterminée
et non point telle autre ; mais cette nature déterminée qui est
notre entendement, a la capacité de s'étendre à toutes les per-
fections des choses qu'elle peut connaître, dont elle peut se
faire une idée, et dont elle est comme le miroir et la vivante
image. Nous n'avons point de conseils à donner à M. Cros ;
mais, nous engageons vivement ceux de nos lecteurs que ces
grandes questions intéressent, à méditer là-dessus la profonde
pensée de saint Thomas {Somme théologique, ^. 1, q. 14, a. 1),
et nous pouvons leur promettre des théories incomparable-
ment plus belles et plus solides que toutes les productions
éphémères de nos modernes idéologues.
VII.
Nous passons vite sur quelques autres points dignes d'être
relevés pour en venir au troisième article de M. Cros, avec
promesse de nous borner au seul argument de saint Anselme.
Juin 1863.] QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE. 567
M. Gros commence par émettre, involontairement sans doute,
quelques inexactitudes assez regrettables. Il dit avec Tournely
que a si Von ne peut conclure de l'idéal au réel dans les choses
« accidentelles, il en est autrement dans les choses essentielles.
« Lorsque l'existence est nécessairement renfermée dans le concept
0 d'une chose, on doit admettre cette existence dès que le concept
« est admis (p. 8). » M. Gros confond ici deux choses
bien distinctes. De quelle existence veut-il parler? Est-ce
de l'existence qui demeure renfermée dans le concept que
nous nous formons des choses, ou de l'existence qui sort du
concept et se reproduit au dehors dans la nature? Il faut
remarquer, eneflfel, que l'existence peut être considérée comme
incluse dans le concept de notre esprit, ou comme étant en
acte, en dehors de notre concept. Supposez que nous ayons à
résoudre cette question: peut-il exister un monde infini?
notre esprit ne peut-il pas, à l'instant même, se former le con-
cept d'un monde infini, tout en faisant abstraction de la
question de savoir si ce monde infini existe réellement dans
la nature, ou s'il n'est que purement idéal? Si nous répondons
ensuite qu'an monde infini n'est pas possible, qu'aflîrmons-
nous autre chose sinon qu'un monde infini est objet de notre
entendement; mais qu'il n'existe point et ne peut exister en
dehors de notre concept, m natura rerum. Voilà ce que Tour-
nely semble n'avoir pas saisi, ni M. Gros non plus. M. Gros se
rattache ensuite à Fénelon disant que « pour Dieu, l'existence
actuelle lui est essentielle. » Nous le comprenons sans peine. M.
Gros et Féuélon veulent ici parler de l'existence actuelle en
tant qu'elle est réalisée dans la nature des choses en dehors
de notre concept ; mais l'athée et tant d'autres qui s'en rap-
prochent pourraient bien ne pas comprendre : ils diront, avec
quelque raison, que cela n'est vrai que pour l'existence ac-
tuelle en tant qu'elle est objet de notre entendement et qu'elle
est renfermée dans notre concept. Et quand M. Gros nous dit
ensuite de sa propre autorité : « Pour que l'argument de saint
o68 QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE. |TomeVIt.
Anselme fût démonstratif, il faudrait d'après saint Thomas, si
nous avons bien saisi sa pensée, que l'on eut prouvé que l'idée de
l'essence divine représente un être réel, » — nous nous demandons
encore de quelle réalité M. Gros veut parler. Est-ce d'un être
réel, objet réel du concept, ou d'un e/rereW existant eu dehors
du concept, in rerum natural Si c'est en ce dernier sens, c'est
donc comme si l'on disait : « Pour que l'argument de saint
Anselme fût démonstratif, il faudrait, d'après saint Thomas, si
nous avons bien saisi sa pensée, que l'on eût prouvé que l'idée de
l'essence divine repi^ésente un être î'éel qui existe en dehors de
notre concept. Cela reviendrait à dire que, selon saint Thomas,
l'argument de saint Anselme ne prouve rien, et est de nulle va-
leur. Si M. Gros n^entend au contraire parler que d'une simple
réalité de' concept, d'un e^?^e re'e/ qui n'existe que dans notre
esprit, de quel droit, et surtout en vertu de quelle logique
change-t-il dans sa conclusion la réalité de pur concept en une
réalité qui existe dans la nature, en dehors de notre esprit ?
M. Gros traitera peut-être encore notre distinction de subtile
et de minutieuse et, il répond à l'avance : « Si nous ne pouvons
conclure de l'idéal au réel, la perception extérieure est impos-
sible, l'existeuce de toute substance étrangère à la nôtre ne peut
se constater; nous sommes en plein subjectivisme, et nous n'a-
vons devant nous que le scepticisme et le panthéisme.» En vérité
nous n'augurons pas si mal de la raison humaine ! Ce qui cause
des frayeurs à M. Gros, au contraire, nous rassure, et il nous
semble que cela devait plutôt nous convaiucre une bonne fois
que la perception extérieure des corps est immédiate, comme
nous l'avons dit, qu'elle ne peut être légitimement déduite
de nos idées, et qu'en voulant à toute force tirer l'existence
des corps de nos idées, nous tombons nécessairement dans
le subjectivisme. Au reste, l'expérience est faite, et depuis
longtemps! L'école écossaise (1) fait observer avec grande
(^) Reid, des Fraies et des Fausses idées, ch. iv.
Juin 1863.3 QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE. 569
raison que Locke, sa théorie des images une fois admise, n'a
jamais pu réussir à prouver solidement l'existence réelle des
corps, et que Berkeley n'a douté de l'existence des corps et
n'est devenu sceptique que pour avoir suivi Locke^ et prin-
cipalement pour avoir été logique et conséquent avec ses prin-
cipes. Reid aurait pu ajouter que les Pyrrboniens anciens et
modernes (1) ont été amenés à douter de l'existence des corps
pour avoir suivi des principes semblables à ceux de Locke et
de Berkeley.
M- Gros rappelle enfin avec complaisance qu'il a « montré
avec M. Bautain que Vidée de l'infini ne peut nous veni?' des sens,
ni par abstraction, ni par généralisation, ni de nous-mêmes, et
que dès lors l'Être infini seul peut en être la cause, n M. Gros
nous fait clairement voir par là qu'il renonce à l'argument de
saint Anselme. Nous avions déjà remarqué qu'il connaissait
beaucoup Descartes; mais nous ne savons nous expliquer
aujourd'hui pourquoi il abandonne la Méditation V de
Descartes, qui répond à l'argument de saint Anselme, pour
embrasser la doctrine de la Méditation III, où Descartes dé-
veloppe tout autre chose. Il nous semble que ce choix
n'a pas été très-heureux, car il n'est pas bien établi que l'idée
de Dieu telle qu'elle existe en nous ne puisse venir que de
l'Être infini et de l'impression divine. L'idée de Dieu en nous, ce
semble, est une idée imparfaite, une idée finie à tous les points
■ de vue. Si nous la considérons en elle-même, elle est une mo-
dification de notre esprit fini, mais, envisagée dans son objet,
elle n'en est que la représentation imparfaite, inadéquate et en
quelque sorte négative, nous faisant plutôt voir ce que l'objet
n'est pas que ce qu'il est. Voilà peut-être pourquoi l'idée de
l'infini en nous peut de jour en jour devenir plus parfaite.
C'est parce qu'elle ne tire point sa perfection de l'objet qu'elle
0) V. Sextus Empir., Hypot. Pyrrh., 1. ii, c. 7, p. 75.— Foucher,
chao. de Dijon, Lettres à un académicien, p. 44. Paris, 4675.
570 QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE. [Toiic VU,
réprésente, mais du mode de représentation plus élevé
qu'elle possède. Toute autre perfection que l'idée peut avoir
se rapporte à l'objet qu'elle représente, et n'est pas tant une
perfection de l'idée que de l'objet qu'elle représente. Que
M. Gros veuille bien y réfléchir, et il verra sans peine que rien
ne s'oppose à ce qu'une telle idée de l'infini, imparfaite, in-
adéquate et pour ainsi dire purement négative, soit obtenue par
voie d'abstraction d'après les enseignements de saint Paul,
Rom. I, et du Livre de la Sagesse, XI H : « A magnitudine spe~
ciei et creaturx, cognoscibiliter poterit Creator horum videiH. »
P. P. Armand.
LITURGIE.
REPONSES A QUELQUES QUESTIONS.
§ 1. Sur la matière des linges sacrés et du luminaire.
I. Vaube doit-elle être en fil dans toute sa longueur, et quelle
règle peut-on formuler à ce sujet? La dentelle que Von y ajoute,
doit-elle être en fil? Peut-elle monter jusqu'à la ceinture ? —
II. Que penser des cierges dont la cire est mélangée d'une autre
matière ?
Ces deux questions, qui nous ont été adressées par deux
personnes différentes, demandent à être traitées simultanément.
La solution de chacune d'elles repose sur le même principe.
L'aube doit être en fil, les cierges en cire. Il serait bien sé-
vère d'interdire l'usage du coton pour ajouter quelques orne-
ments à une aube, ou de regarder comme illicite l'usage de
la cire qui aurait été mélangée d'une autre matière. D'un
autre côté, si la matière prescrite, soit pour les linges sacrés,
soit pour les cierges, ne dominait pas assez pour être la matière
principale, l'usage en serait certainement illicite. Il ne paraît
donc pas prohibé d'ajouter aux aubes une garniture en dentelle
de coton, ni de mélanger dans la confection des cierges une
matière différente de la cire ; mais cette garniture des aubes
doit toujours être une partie accessoire, et le mélange d'une
matière différente delà cire doit être fait en assez petite quan-
tité.
572 LITURGIE. [Tome VII.
§2. Sur le changement du troisième vers de l'hymnie Isie confessor, et sur les
leçons du premier nocturne à roffice de saint Pierre Damien.
I. Saint Pierre Damien étant mort le 22 février^ comme l'indique
la légende, et cette fête n'ayant qu'une commémoraison aux
premières vêpres, ne doit-on pas dire à matines meruit supre-
mo?,? II. Pour la fête de ce saint Docteur, quelles doivent être
les leçons du premier nocturne ?
I. La question relative au changement du troisième vers de
riiymme Iste confessor, paraît avoir occupé déjà plusieurs li-
turgistes modernes^ comme semble le témoigner l'introduc-
■tion d'un changement dans plusieurs bréviaires récemment
édités, à des jours où les bréviaires imprimés à Rome ne
contiennent aucune indication.
Examinons donc les règles à suivre sur ce changement. Au
commuft des confesseurs pontifes et non-pontifes, après la
première strophe de l'hymme Iste confessor, qui se termine par
ces paroles : Hac die Ixtus meruit beatas Scandere sedes ; on lit
cette rubriijue : Si non est dies ohitus, dicatur : Hac die Ixtus
meruit supremos Laudis honores. Toutes les fois donc que la fête
d'un saint se célèbre au jour anniversaire de sa mort, on dira
meruit beatas scandere sedes, et si elle se trouve reportée à un
autre jour, soit par translation fixe, soit par translation acci-
dentelle, on dira meruit supremos laudis honores. Cette règle,
qui ressort de la rubrique même du bréviaire, est confirmée par
le décret suivant:
Question : « An in officio, et hymno Iste confessor pro sanctis con-
« fcssoribus quoties eisdem fixa dies est assignata, quae non est dies
« obitiis, recitari debeat meruit beatas scandere sedes, eo quod rêvera
« officium fiât de die obitus? Et quatenus affirmative, an eadem régula
a servanda sit in offîciis confessorum translalis, dummodo officium sit
a de die obitus? » Réponse : « Négative. » (Décret du 1 1 juin 1701,
D. 3586,q.5.)
luiu 1863.1 LITURGIE. 575
* •
Telle est la règle générale, mais pour son application, il y
a plusieurs observations à faire.
1» Si la fête d'un saint confesseur pontife ou non-pontife est
transférée au lendemain du jour de sa mort, et si Ton en dit
les premières vêpres, même seulement depuis le capitule, on
dit :JIac diemerutt beatas Scandere sedes. Les premières vêpres,
en etfet, se célèbrent au jour même de l'anniversaire de
la mort, et l'office ayant été commencé de cette manière,
le cbangement ne se fait plus dans le cours du même office,
suivant cette décision :
Question : « An quando contingit transferri festum alicujus sancti
« confessoris a die sui obitiis in diem proxime sequentem, debeat tune
0 in primii?' suis vesperis dici in hymnis meruit beatas, et in matutino
« et secundis vesperis memit swpremos? » Réponse : « In casu pro-
d posito tura in vesperis, tum in reliquo officio continuandura versum
« mermt beatas. » (Décret du 13 jnin 1682, n. 2988, q. 6.)
2° Il est encore certaines fêtes que Ton célèbre le lendemain
du jour anniversaire de la mort du saint qui en est l'objet, et
pour lesquelles le cbangement n'est pas indiqué. Plutôt que
d'introduire le cbangement de sa propre autorité, surtout dans
une édition de bréviaire qui doit être certifiée conforme à
celles de Rome, il vaut mieux suivre simplement les éditions
autbenliques, et croire qu'il y a eu un motif de ne pas Tindi-
quer, quand même on ne pourrait pas l'apercevoir. Avant de
prétendre que le bréviaire de Rome est fautif, il faut chercber
les moyens d'expliquer cette omission. Pour eu trouver l'ex-
plication, il suffit de lire le passage suivant de VExpositio Ru-
bricarum de M. Bouvry, t. i, p. 377.
« Exinde solum quod celebratur festum die morteni sequente, non
a polest deduci dictura verbum esse rautandum ; quia ex dictis de ra-
ce tione computandi diem natalem, fieri potest ut dies sequens habeatur
a pro die natali. Sic v. g. mutatio illius versus non assignatur in
« feslo S. Alphonsi de Ligorio, quamvis obierit kalejidis Augusti. »
L'auteur renvoie ensuite à un autre endroit de son ouvrage.
374 LITURGIE ITonie VU.
OÙ il cite en note un passage de Cavalieri relatif à la manière
d'entendre le mot natalis.
« Q. Unde decerni debeat dies sancti ciijusqiie natalis? R. Tripli-
« cem a Guyeto, l.ii, en, q. 2, rationeni adduci computandi diera
« natalitium sanctorum, videlicet a vespera ad vesperam, adeo ut qui
a sanclus, v. g., obiit prima die oclobris ab ea hora, quae decantandis
« vesperis indicilur, hujus dies natalis non ipsa prima die octobris, sed
« sequenti^ secunda videlicet consignetur : sic enim suadere videtur
« officiorura ratio, quae cum ad sancti ciijusque felicissiinum ex hac
« vita transitum instar se habeat triumphi ad victoriam, illum certe
a hanc non praecedere, sed sequi aut ad summum comitari aequum est.
a Praecederet autera, si totum officium, vel plenior illius pars absoluta
« fuerit antehoram qua sanctus ex hac vita migravit; quod in simplici
« maxime festo contingit, cujus totum officium complelur ad nonam.
« — Secunda computandi ratio, ab usu communi magis adhibila, est,
(( ut dies ille cuique sancto natalis assignetur, in cujus aliqua hora a
« média nocle ad mediam noctem contigit ipsum ex hac vita transire.
a — Tertiam adducit, nec improbat, et est, quod sanctorum, quos post
(i horam completorii inchoata jam nocte decedere contigerit, natalis
« computetur dies, non qui noctem illam praicedit, sed qui sequitur,
« eo quod illorum transitum eo potissimum die celebrari dèceat, que
« ishominibus primum vulgatus, atque cognitus fuit. » [Gavai., t. \,
dec. 98, n. 15, U, 15 et IG.)
Cavalieri applique, dans un autre endroit de ses ouvrages,
les principes ci-dessus -énoncés à la question présente. Il ne
sera pas hors de propos, ni sans intérêt, de citer ici le texte du
savant auteur.
G Triplicem esse vidimus rationem computandi diem natalem san-
« ctorum, nempe a prirais ad secundas vesperas, asolis occasu ad solis
a occasum, et a média nocte ad mediam noctem, ita ut qui eorumdem
(( respective obiit v. g. die prima Aprilis post horam vesperarum, vel
a post solis occasum, aut post mediam noctem, ejus natalis consignandus
(( non sit diei primae Aprilis, sed secunda? sequenti.Verum cum nostrum
« non sit natalem diem Sanctis prasscribere, sed Sedis Apostolicae, id-
(( circo quamcumque ex dictis rationibus haec secuta fuerit, dies illa,
a quge pro natali ab eadem Aposto'ica Sede determinata fuerit, cen-
« seri debebit natalis dies, in eaque dicendus erit versus meruit
Juin 1863.) LITURGIE. 575
«I beatas, et non in sequenti, nisi ad tramites praesentis decreti (1) , si
« ad sequentem transl'eratur diem, cui juxta alteram compulandi ratio-
ce nem consignari poterat natalis Sancti qui transfertur. Sic, licct
a S. Franciscus de Paula obierit die secunda Aprilis hora circiter vi-
« gesima prima, et consequenter, jiixla primam compiitandi ralionem,
« natalis ejusdem tradi potuisset die tertia Aprilis, adhuc quia juxta
« rationes alias consignatus fuit diei secundae, in hac dici debebit
« meruit beatas, non aulem si iransferatur ad diem terliam, nisi pri-
« mas intégras vel dimidias habeat vesperas. S. Philippus Benilius die
« vigesima secunda Augusli ad vitara evolavit aeternam hora vigesiraa
a quarta ad pulsationem salutationis Angelicae, et juxta secundam
a computandi rationem natalis ejusdem statutus fuit die vigesima tertia
« sequenti, et ideo in hac dicitur meruit beatas, qui versus et dicere-
« tur die vigesima secunda, si juxta tertiam computandi ralionem na-
« talis ejusdem prœdictae diei vigesimae secundae non impodilae consi-
« gnalus extitisset. » {Ibid., t. ii, dec. 334, n, 4.)
Ces principes posés, on comprend facilement l'omission du
changement au troisième vers de Thymue à la fête de saint
Pierre Damien. Les exemples tirés des fêtes de saint Alphonse
de Liguori, de saint François de Paille et de saint Philippe Bé-
niti, s'appliquent à la fête du saint docteur.
3" Pour compléter la question, ajoutons que si la fête d'un
saint confesseur se célèbre avec octave le jour même de l'an-
niversaire de sa mort, ou si elle est transférée pendant l'octave,
on dit pendant tout le cours de l'octave, meruit beatas scandere
sedes. La raison en est que l'octave est une continuation de la
fête.
« Quoad mutationem faciendam in hymno/s^e confessor... nec prae-
« dicta mutalio iiet, quando oflicium festivum sancti habentis octavam
« non ultra octavam transfertur, quia tota octava nihil aliud est quam
• extensio ipsius festi, et ideo versus idem per reliquas octavaî dies,
a qui forte supererunt, retinebitur.» (Décret du 2 Septembre 1741,
n.4il9, q. 8.)
II. Pour ce qui concerne les leçons du premier nocturne à la
fête du même saint, l'ort/o de Rome et les bréviaires indiquent
(I) L'auteur parle ià du décret du 13 juav. l! 82, cité ri-dessus.
576 LITURGIE [Tome VIL
Fidelis sermo. La question n'est cependant pas exempte de
toute difficulté, comme nous allons le voir. Mais, pour donner
une réponse mieux adaptée à la question qui nous est adressée,
nous envisageons la chose sous un point de vue plus gé-
néral,
La difficulté nous est posée en ces termes : Doit-on, à l'office
de saint Pierre Damien, dire au premier nocturne les leçons
Fidelis sermo, ou Sapientiam omnivm antiquorum ? Nous devons
tout d'abord faire une observation. Les leçons Sapientiam
omnium antiquorum, qui se trouvent au commun des saints pour
les docteurs^ ne leur sont pas tellement propres qu'elles se
disent, en règle générale, aux fêtes de tous les saints qui sont
honorés du titre de docteurs de l'Église, comme l'antienne
0 Doctor optime aux premières et aux secondes vêpres. Ces
leçons sont indiquées seulement aux offices de saint Thomas
d'Aquin, de saint Grégoire-le-Grand, de saint Isidore, de saint
Anselme, de saint Bonaveuture, de saint Augustin et de saint
Jérôme. Les leçons Fidelis sermo, outre le jour de la fête de saint
Pierre Damien, dont il s'agit ici spécialement, sont indiquées
pour l'office de saint Pierre Chrysologue et de saint Ambroise.
Aux autres fêtes des saints docteurs, on dit les leçons de l'Écri-
ture occurrente. Celles-ci sont indiquées, en effet, aux fêtes de
saint Hilaire, de saint Jean Chrysostôme, de saint Athanase, de
saint Grégoire de Nazianze, de saint Basile et de saint Bernard.
Da^ns wn a^viicXa àelsi Correspondance de Rome, n.° à\x 21 juin
1831, nous trouvons cette dernière énumération en réponse à
une question posée sur ce point, relativement à la fête de saint
Hilaire, alors récemment mis au nombre des saints docteurs.
On voit par là qu'il n'y a aucune raison pour soulever la ques-
tion de savoir si les leçons du premier nocturne de la fête de
saint Pierre Damien ne seraient pas Sapientiam omnium anti-
quorum, plutôt que Fidelis sermo.
Mais, il n'est pas également certain que les leçons du pre-
mier nocturne de cette fête ne soient pas celles de l'Écriture
Juin 18G3.1 LITURGIE. 577
occurrente. La réponse douuéepar la Correspondance de Home,
citée ci -dessus, place la fête de saint Pierre Damien au
nombre de celles auxquelles on dit les leçons de l'Écriture. De
plus, dans le décret de la Sacrée Congrégation des Rites, ap-
prouvé par Léon XIII, décret par lequel saint Pierre Damien
est déclaré docteur de l'Eglise et son office étendu à l'Église
universelle, nous lisons ces paroles :
a Sanctitas Sua... S. Petrum Damianum doctorum albo recensuit,
a ejusque officium sub ritu dup. min. cum lectionibus primi nocturni
« de Scriptura... ad universam extendit Ecclesiara, ac insuper générale
a décret uni Uibl et Orbi expediri praecepit. » (Décret du 27 sept.
1828, no 4658.)
Nous ne trouvons aucun document qui justifie la pratique
contraire à cette décision, et qui consacre l'indication des le-
çons Fidelis sermo dans les bréviaires et dans l'orrfo de Rome.
Cette indication est le résultat d'une erreur, ou d'une conces-
sion plus récente. Nous serions heureux si quelqu'un de nos
abonnés pouvait nous fournir (juelques éclaircissements à cet
égar4.
§ 3. Sur certaines formules de bénédictions qui ne se trouvent pas dans le
Rituel romain.
I. Que doit-on penser de l'authenticité de certaines formules de
bénédictions insérées dans le liituel l'omain édité chez Périsse
(Paris et Lyon, 1830), formules qui ne se trouvent pas dans
les éditions plus récentes du liituel romain ? — IL Que doit-on
penser de l'authenticité des formules insérées dans l'ouvrage
intitulé : Le Chrétien éclairé sur la naiure et l'usagedes in-
dulgences, qui diffèrent parfois assez notablement de celles du
Rituel cité ?
•
Pour répondre à ces questions, il suflBt d'établir les points
suivants : !• Aucune formule de bénédiction ne peut être re-
gardée comme licite, si elle ne se trouve dans le Rituel ro-
Revue des Sciences ecclésiastiques, t. vu. 37-38.
578 LITURGIE. [Tome Vil,
main ou si elle n'est spécialement approuvée ; 2° une formule
de bénédiction approuvée pour un diocèse ne peut être em-
ployée dans un autre diocèse sans une concession spéciale ;
3° tant que l'induit de concession n'est pas connu d'une ma-
nière positive, la présomption sera toujours contraire à Tau-
thenticité de la formule.
Le premier point est clairement démontré par un article du
20 mai dernier, t. yii, p. 263; le deuxième résulte de ce prin-
cipe, que l'on ne peut étendre une concession au-delà des
termes dans lesquelles elle est faite; enfin, les principes sui-
vis en France depuis longtemps ne peuvent évidemment nous
fournir une garantie complète sur Fautlienticité de ces for-
mules.
Nous ne croyons donc pas pouvoir admettre cette authen-
ticité, si elle n'est clairement prouvée. Or, le Rituel cité
contenant, sous le titre de Rituale romanum, beaucoup de
choses qui ne font pas partie de ce livre, et l'ouvrage dont il
est question n'indiquant pas la source des formules qu'il
donne, les garanties ne nous paraissent pas suffisantes. .
I 4. Sur les indulgences attachées aux expositions du très- saint Sacrement
dans les jours qui précèdent le Carême, et le pouvoir du confesseur relative-
ment a la commutation des œuvres prescrites.
I. Pour gagner Vindulgence plénière pendant l'exposition du
très-saint Sacrement qui se fait dans les Jours qui précèdent le
Carême, est-il nécessaire de visiter, chacun des trois jours ,
l'église ou le Saint-Saci^ement est exposé? — II. Le confesseur
peut-il commuer cette œuvre pour les personnes qui ne peuvent
la remplir ? Quel est, en général, le pouvoir du confesseur pour
la commutation des œuvres prescrites pour gagner les indul-
gences ?
I. Benoît XIV_, en accordant une indulgence spéciale pour
Juin 1863.1 LITURGIE. 579
les expositions du très-saint Sacrement, qui ont coutume de
se faire dans les jours qui précèdent le Carême, avait mis
pour condition la visite de l'église chacun des trois jours.
Mais Clément XIII, en étendant à tout l'univers une faveur
accordée jusqu'alors aux Etats pontificaux seulement, réduisit
la condition à une seule visite. Le texte de chacun des deux
décrets est rapporté tom. i de cette Revue (1860) p. 433.
II. Quant à la commutation des œuvres prescrites pour ga-
gner les indulgences, il ne peut appartenir qu'à l'autorité du
Saint-Siège de statuer à cet égard. Des faveurs spéciales sont
accordées, en ce qui concerne l'indulgence du Jubilé, et, par
une disposition particulière, relativement à quelques autres.
Mais cette. concession ne se trouve point dans le décret cité
ci-dessous pour l'indulgence dont il s'agit.
Un décret général du 18 septembre 1862, que nous avons
rapporté dans notre N» de janvier de cette année, p. 78,
donne aux confesseurs des pouvoirs très - étendus en faveur
des personnes atteintes de maladies ou d'infirmités chro-
niques.
P. R.
QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES.
^fOUVELLES OBSERVATIONS ET NOUVEAUX DOCUMENTS.
Notre dernier article sur cette matière (mars 1863, p. 277)
a été l'objet de critiques diamétralement opposées. On ne
trouve pas exacte notre interprétation des mots posse tolerari,
adressés aux chanoines de Cahors, et depuis, à ceux de Péri-
gueux, par Mgr Gianelli, archevêque de Sardes etpro-secrétaire
de la S. Congrégation du Concile. D'une part^ on nous dit :
Vous n'accordez pas assez à la coutume française de la plura-
lité. D'autre part, ou nous reproche d'avoir trop accordé. Je
déclare avant tout que je ne tiens pas à mon sentiment. Durant
cette polémique, je crois l'avoir toujours émis avec réserve, et
en le soumettant à qui de droit. Les observations qui le com-
battent ne peuvent être qu'utiles : je remercie les hommes dis-
tingués qui ont bien voulu me les transmettre, et concourir
ainsi à l'éclaircissement d'une question qui n'est pas sans in-
térêt.
I. Reproche de n'avoir pas assez accordé. — Nous citerons de
préférence la lettre suivante d'un vicaire-général, soit parce
que l'autorité qu'elle nous oppose nous semble réellement très-
grave et la plus forte qu'on puisse objecter, soit à cause du
mérite personnel de l'auteur : « Je regrette que M. l'abbé Bouix
« s'obstine à maintenir que l'usage de la pluralité des vicaires
a capitulaires était quand même illégitime en France. Le car-
Juin 1863.] QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. 581
« diual Pacca, secrétaire d'État de Pie Vil, écrivait de Rome
« le 27 août 1814, par ordre de Sa Sainteté, à deux vicaires ca-
« pitulaires d'un diocèse voisia de celui de... _, les paroles si-
gnificatives que je joins ici :
0 Le Chapitre ayant légitimement élu, selon l'usage de France,
a plusieurs vicaires, ceux-ci doivent s'intituler vicaires capitu-
« labres et continuer Vadmiyiistration du diocèse.
« Ainsi, il y a bientôt cinquante ans que Rome a reconnu
{( notre usage. A quoi bon y revenir ? Personne n'ignore la
« règle générale posée par le saint concile de Trente : mais il
« n'y a pas non plus à omettre l'exception qu'il avait consacrée
« lui-même. »
La lettre du cardinal Pacca aux vicaires capitulaires de
Nautes est une autorité grave, nous ne le contestons pas. Mais
est-elle péremptoire, ne comporte-t-elle pas une explication
qui fasse évanouir la difticulté ? C'est le point en litige.
1° Avant d'exposer le sens que nous croyons pouvoir donner
aurescrit du cardinal Pacca, examinons celui qu'y rattachent
nos contradicteurs, et montrons qu'il n'est pas admissible.
D'après eux, les paroles du secrétaire d'état de Pie Vil signi-
fieraient, qu'en 1814 les diocèses de Fra::ce étaient eu posses-
sion de la coutume légitimement prescrite de nommer plusieurs
vicaires capitulaires. Nous disons que ce ne peut pas être là le
vrai sens, et nous eu donnons pour preuve qu'aujourd'hui, à
la question, si l'on peut en nommer plusieurs, Rome ne répond
pas affirmative, mais seulement posse tolerari. En effet, on ne
peut pas supposer que la S. Congrégation du Concile ignore
la réponse de 1814. Elle n'ignore pas non plus que jusqu'à ces
derniers temps Rome a traité, comme s'ils étaient légitimes,
les vicaires capitulaires de chaque diocèse, quoiqu'élus au
nombre de deux ou trois, et même de cinq ou six. Néanmoins,
elle ne pense pas qu'il y ait eu coutume légitimement prescrite.
Qu'on le remarque bien : s'il y avait coutume légitimement
prescrite, la pluralité serait légitime en France en vertu dudroit
S82 QUESTION' DES VICAIRES CAPITULAIRES. [TomsVI!.
commun, c'est-à-dire, aux termes mêmes du décret du concile
de Trente, interprété par l'aulorité du Saint-Siège. Car c'est
un Souverain-Pontife qui a expressément déclaré, non êsse eo
deçreto suhlatam consuetudinem duos aut plures eligendi, prxser-
tim immemorabilem . Si la Congrégation pensait qu'il y eût au-
jourd'hui en France, et qu'il y eût eu déjà en 1814, une coutume
légitimement prescrite pour la pluralité, elle n'aurait pas ré-
pondu aux chanoines de Cahors et de Périgueux;90sse tolerari.
Ce qui est légitime de plein droit, on ne dit pas, ou ne peut
pas dire qu'on le tolèi^e. La S. Congrégation n'admet donc pas
que la coutume de la pluralité soit légitimementprescritedans
nos diocèses. Et comme on ne doit pas supposer qu'elle ait
voulu contredire la réponse du cardinal Pacca, tout porte à
croire qu'elle n'a pas vu dans cette réponse le sens que nos
contradicteurs lui donnent. Si l'on objecte que, de 1814 à 1863,
on a eu le temps d'oublier à Rome la réponse du cardinal
Pacca, nous répondrons que, dès 1821, la question fut adressée
en ces termes par un chanoine de Poitiers : Peut-on nommer
plusiews vicaires capitulaires ? et qu'elle fut résolue par un
tolerari. Nous rapportons plus loin cette pièce importante, que
nous connaissons seulement depuis quelques jours. De 1814 à
d82i, la distance ne paraîtra pas sans doute de nature à dé-
router la mémoire des canonistes employés dans les congréga-
tions romaines.
2° Écartons du débat un nuage auquel notre polémique a
donné lieu. On nous dit : Pourquoi n'avez-vous pas mentionné
la lettre du cardinal Pacca? c'était la pièce capitale, et on vous
l'objectait. — Le document ne nous était pas suffisamment con-
nu. Avant d'en parler, nous voulions faire des recherches .-c'est
toute la raison de notre silence. Cette réserve n'était pas sans
motifs. On citait la réponse aux vicaires capitulaires de Nantes,
mais non la question proposée. On citait en français, sans
avertir que c'était une traduction. A Nantes, Mgr Duvoisin
avait succédé à l'un des évêques non démissionnaires. De là un
Juin 1803.] QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. 585
parti qui, regardant Mgr Dnvoisiu comme intrus, aura pré-
tendu que le siège n'était pas devenu vacant par sa mort, qu'on
n'avait pas pu légitimement élire des vicaires capitulaires. La
difficulté proposée par les vicaires capitulaires ne roulait-elle
pas uniquement sur la prétendue illégitimité pm- défaut de va-
cance du siège ? Gomme on voit, il importait de vérifier ces cir-
constances. Voici le résultat de nos recherches.
3° La lettre du cardinal Pacca est en italien, et se trouve aux
archives de l'évêché de Nantes. Nous transcrivons le passage
relatif à l'élection des vicaires capitulaires ;
« Quauto alla nomina de' vicarj, fattadal capitolo nellaloro
« persona, è indubitato, che Monsignore Duvoisin fu canoni-
« camente instituito in virtù di boUe apostoliche ; ed essendo
« rimasta vacante codesta sede per la di lui morte, il capitolo
« si è giustamente servito del diritto che gli accordano, e ha
« soddisfatto al dovere che gl' impogono i sagri caiioni, pre-
« scrivendo il Tridentino (sess. xxiv, c. vi) officialem seu vica-
« rium infra octo dies post mortem episcopi constituere vel
« existtntem confirmare omnino teneantur. Ed iu conseguenza
« avendo legitimamente eletlo secondo l'uso délie chiese di
« Francia più vicarj, debbono intitolarsi vicarj capitolari, e
« continuare Tamministrazione délia diocesi, fino a tanto che il
« nuovo vescovo, doppo avère ottenute dalla Santa Sede le
« bolle di sua canouica instituzione, eutri al possesso di co-
« desta chiesa vacante (1). »
(^) Traduction : « Quant à la nominalion des vicaires, faite en
voire personne, par le chapitre, il esi hors de doute que Mgr Duvoisin
fui iûslilué canoniquemenl en verlu de bulles apostoliques •, et le
siôge étant resté vacant par sa mort, le chapitre a usé justement du
droit que lui accordent les saints canons et rempli le devoir qu'ils lui
imposent, le Concile de Trente prescrivant (sess. xxiv, c. 6) : Offi-
cialem seu vicarium infra oclo dies post morlem Episcopi constituere,
vel existentem confirmare omnino teneantur. En conséquence, le
chapitre ayant légitimement élu, selon l'usage des églises de France,
plusieurs vicaires capitulaires, ceux-ci doivent prendre le titre de
584 QDESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. [Tome VU.
C'est au nom du Pape que le cardinal Pacca répond, non-
seulement à cette diflBcnlté, mais encore à plusieurs autres,
dont les deux vicaires capilulaires nommés par le chapitre de
Nantes avaient demandé la décision. Nous ne pouvons don-
ner le texte de la question à laquelle répond le cardinal Pacca
dans le passage cité. La lettre des vicaires capitulaires a été
vainement cherchée dans les archives de l'évêché et du cha-
pitre de Nantes ; on n'en a point trouvé de trace. Espérons
que ce précieux document sera quelque jour retrouvé. En
attendant, discutons le véritable sens du passage objecté.
4" Pour avoir l'intelligence de ces paroles du cardinal Pacca:
Quant à la nomination des vicaires ..., il est hors de doute que
Mgr Duvoisin fut institué canoniquement , il faut se reporter à
la situation du diocèse de Nantes à cette époque. UAmi de la
Religion [np 32, année 1814, tome 2, p. 102), dit qu'il y eut,
en 4801, trente-six évoques qui refusèrent de donner leur dé-
mission, demandée par Pie VII. Il ajoute qu'en 1814, plus de
la moitié étaient morts. Enumérant ensuite les survivants, au
nombre de 16, il mentionne M. de la Laurencie, évêque de
Nantes; et il le nomme aussi parmi les huit qui étaient alors
de retour, les autres se trouvant encore en pays étranger. Le
même journal (n° 36, tome 2, p. 161, année 1814) revient sur
la liste exacte des évêques non-démissionnaires, et s'exprime
ainsi :
o Nous ne ferons plus qu'une observation. La Quotidienne
termine son article en disant que plusieurs d'entre les prélats
qui, ayant donné leur démission, n'avaient jusqu ici fait aucun
acte qui lui fût contraire, paraissent vouloir se rapprocher des
principes de ceux qui l'ont refusée. Nous croyons cette assertion
hasardée. »
vicaires capilulaires et continuer l'adminislration du diocèse, jusqu'à
ce que le nouvel évêque, ayant obtenu du Saint-Siège les bulles de
son ioslilulion canonique, ait pris possession; »
Juin 1863.) QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. 385
Ainsi, Mgr de la Laurencie, évêque de Nantes, était du
nombre des prélats qui ne voulurent jamais donner leur dé-
mission. Pie VII les déposa, créa les nouveaux diocèses, et y
mit des évèques. Mgr Duvoisin fut canoniquement institué à
Nantes en 1802, et y mourut le 13 juillet 1813. Mgr de la Lau-
rencie, qui avait refusé de donner sa démission, lui survécut.
Il ne Tavait point reconnu comme légitime. Si cette préten-
tion schismatique des anti-concordataires (comme on les nomma)
avait été fondée, le siège de Nantes n'aurait pas réellement
vaqué par la mort de Mgr Duvoisin, et par suite la nomination
des vicaires capitulaires aurait été nulle. Le retour des Bour-
bons avait donné des espérances à ces petites fractions du
clergé qui, dans certains diocèses, maintenaient encore alors
le parti anti-concordataire. Les ecclésiasiiques de ce parti,
ayant probablement à leur tête Tancien évèque, Mgr de la
Laurencie, auront réclamé à Nantes contre la nomination des
vicaires capitulaires, s'appuyant sur cette raison, que le siège
n'avait point vaqué. Les vicaires capitulaires avaient intérêt
a obtenir de Rome une décision sur ce point. Us auront con-
sulté, non point pour savoir si l'on avait pu élire plus d'un
vicaire capitulaire (question qu'on ne songeait pas à soulever
alors), mais si rélection était nulle pour la raison assignée, la
prétendue non-vacance du siège. Que la question proposée
par les vicaires capitulaires ait eu ce sens, nous le concluons
de cette pbrase de la réponse : a Quant à la nomination des
vicaires, faite en votre personne, il est hors de doute que
Mgr Duvoisin fut institué canoniquement en vertu de bulles apO'
stoliques etc. » On le voit, la raison alléguée par le cardipal
Pacca pour prouver la légitime élection des vicaires capitu-
laires, c'est que Mgr Duvoisin a été institué canoniquement,
et que, par conséquent, le siège a vaqué par sa mort. Ces paroles
supposent évidemment que la question, quant au sens, était
celle-ci : Le chapitre a-t-il pu nommer légitimement des vicaires
capitulaires , nonobstant la prétendue intrusion de Mgr Du-
586 QUESTION DES VICAIRES CAPITDLAIRES ITomeVd.
voisin et la prétendue non-vacance du siège ? Nous regrettons
de ne pouvoir citer le texte même de la lettre des vicaires ca-
pitulaires; mais nous espérons que le clergé si distingué du
diocèse de Nantes voudra bien nous aider à compléter nos re-
ches sur les faits mentionnés.
5° Venons maintenant au point culminant de la difficulté,
c'est-à-dire, à cette ligne : Le chapitre ayant légitimement élu,
selon l'usage des église^ de Finance, plusieurs vicaiy^es capitu-
laires, etc. Ces paroles prouvent-elles que Rome reconnaissait
alors l'usage de la pluralité comme légitime de plein droit en
France? Nos contradicteurs l'affirment: nous pensons qu'ils se
méprennent, et que ce texte prouve seulement que le Saint-
Siège tolérait alors, comme il tolère encore aujourd'hui, la
pratique en question. Voici nos raisons. D'une part, la possibi-
lité d'une simple tolérance ne saurait être contestée : Ab actu
ad passe valet consecutio, dit l'adage des logiciens. On a
répondu par le tolerari non-seulement en 1863, mais encore
dès 1821, comme on le verra bientôt. Donc, le parti de la
simple tolérance a pu être adopté par le Saint-Siège en 1814.
Loin qu'il y ait impossibilité, les circonstances de cette époque
viennent à l'appui de l'hypothèse. Le clergé de France suppo-
sait alors de bonne foi qu'on pouvait agir à cet égard comme
autrefois avant le concordat. Bien des motifs, qu'il est facile
d'entrevoir si l'on songe aux graves difficultés alors pendantes,
ont pu engager le Saint-Siège à tolérer la pratique en question
et à la rendre ainsi provisoirement légitime. Dans l'aôaire de
Nantes, par exemple, où l'on n'allait à rien moins qu'à faire
triompher le principe schismatique de la nullité du concordat,
«tait-cele moment d'annuler la nomination parce qu'on y avait
suivi l'ancien usage de la pluralité? Evidemment, il valait
mieux tolérer.
Voyons d'un autre côté si, en supposant de la part du Saint-
Siège la tolérance, la simple tolérance^ et rien que la tolérance,
nous nous trouvons en contradiction avec les paroles du car-
dinal Pacca. C'est toute la question.
Juin 1863.] QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. 5S7
Qu'affirme le cardinal Pacca? que le chapitre a légitimement
élu plusieurs vicaires, selon l'usage des églises de France. Pour
que l'assertion soit vraie, il suffit que cette élection ait été
réellement légitime. Or, pour la rendre telle, il suffisait que le
Saint-Siège tolérât l'usage de la pluralité. Quand le Saint-Siège
tolère un usage qui serait de soi nul et illicite, il le rend par
cela même légitime proytsoiremm?, c'est-à-dire, tant qu'il ju-
gera opportun de continuer à le tolérer. C'est donc à tort
qu'on a vu dans la lettre dn cardinal Pacca le renversement
de la thèse que nous avons constamment soutenue, savoir g-we,
depuis le concordat de lSO\, la pratique delà pluralité a cessé
d'être légitime en France en vertu du droit commun.
Nous disons en vertu du droit commun : ce qui n'empêche pas
qu'elle n'ait pu redevenir légitime provisoirement par la tolé-
rance du Saint-Siège. Mais cette tolérance n'est qu'une sorte
d'induit, de dispense ad tempus, ad beneplacitwn, qui ne détruit
pas le droit commun. A plus forte raison a-t-on pris le change
eu s'appuyant sur la lettre du cardinal Pacca, pour prouver, en
général, que l'ancien droit particulier n'avait pas été périmé
par les bulles du concordat.
6» Il nous reste à faire connaître le document précieux an-
noncé plus haut. Il confirme merveilleusement que la pensée
du Saint-Siège, relativement à la pratique de la pluralité depuis
le concordai, n'a été que la simple tolérance. C'est en 1821 qu'un
chanoine de Poitiers envoya la consultation et obtint la réponse
suivantes :
« Sanctissimo Domino Patri Pio VII. — Beatissime Pater,
a M... canonicus, Vestrae Sanctitatis pedibus provolutus, Ves-
« traeque Apostolicae etRomanae cathedrse, cujusjura strenue
a propuguat, toto corde consociatus, quœdam dubia,tanquam
« canonicus, humillime exponit suppliciterque expostulat :
a I. Utrum nempe supradictus canonicus sub gravi teneatur
« choro intéresse, et posito quod divinis psallens non adesset
« oflBciis, possit tuta conscientia omne sibi retinere stipendium
588 QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. |Tome VIT.
« a gubernio solutum ; anve teneatur, ut olira, ex justitia
a distribuere pauperibus, aut in alios pios usas impendere?
« II. Utrum oratori liceat a choro abesse per très menses a
a sacris canonibus concessos, cum tara pauci siut hodie apud
« nos canonici, ac insuper ipsemet, quolibet anno ex mandate
« quidam Reverendissimi Episcopi , libenti tamen anime,
« per quatuor vel quinque menses diœcesanis vacet missioni-
« bus ?
« III. Utrum prœmemoratus canonicus cantando conventua-
« lem missam, liabere tuto possit inteutionem particularem,
« sive pro ea eleemosynam accipiat,necne? An teneatur hanc
0 missam canere, sicut olim, pro benefactoribus, aut saltem,
« ut quidam mussitant, pro universis Ecclesise Dei necessita-
« tibus, cum sit pars prœcipua officii publici?
« IV. An idem orator canonicus modeste suadere debeat ut
« quotidie in choro, post completorium, alta voce matutinas
a preces secum récitent, cum per nova capituli statuta ad illas
o in choro decantandas non teneantur, nisi in quibusdam
« festivitatibus?
« V. An sede episcopali vacante, soli octo canonici tilulares
« quibus omne nunc nostrum constat capitulum emiltere va-
« leant votum de vicario capitulari eligendo ; utrumve alii
« canonici mère honorarii multoque plures numéro, apti sint
« et idonei ad illud votum emitteudum, saltem quando epi-
« scopus per nova capituli statuta banc ipsismet facultatem
« largiri voluit? Datur dubiolocus quia praedicta statuta usque
« adhuc confirmata minime fuerunt.
0 VI. An vicariicapitulariseligendi jure polleanl et ecclesise
« parochus et superior semiuarii diœcesani, cum in nova
« capitulorum erectione canonicis uterque assideant titula-
« ribus?
« VH. An vicarii générales defuncti episcopi, aut canonice
a demissi, ad ejusdem vicarii capitularis electionem jus habeant
et concurrendi, cum hodie per omnes fere Galliarum ecclesias
Jnin 18C.3.1 QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRKS. 58l>
« capitulum cogânt ipsique prsesint? Ratio dubitandi est, quia
a vivente eliam episcopo non sunt reipsa canonici titulares.
« Unde jam evenit ut, sede episcopali vacaîite, alicubi votum
« dare non potuerint, titularibiis canonicisobtantibus; alicubi
(j vero illud dederunt, tacente, reverentiaî causa, ut dictum
« fuit, venerabili capitulo.
a VIII. Denique, an canonici titulares eligere possint pro
« vicario capitubiri bunc sacerdotem qui jam a rege christia-
« nissimo sedis vacantis Episcopus nominatus est? — Anetiam
« capitulum sede vacante possit plures eligere vicarios capitulares,
a ex pristino apud nos recepto usu, qui tamen sanctissimo Tri-
« dentino adversatur concilio apostolicisque Sanatitatis Vestrse
a Brevibus, a quibus ne uno quidem puncto, testis mihi est
« Deus, deflectere vellem.
cr Pictaviis in Galliae regno, die 10 mensis martii anno in-
« carnationis Dominicse 1821, Sanctissime Pater, Sanctitatis
« Vestrse hnmillimus servus et fîlius, M... »
Voici la réponse expédiée au chanoine de Poitiers. Ce docu-
ment inédit est précieux pour le clergé français, a raison du
nombre et de l'importance des questions qui s'y trouvent déci-
dées.
« Sacra Pœnitentiaria dilecto in Christo presbytero oratori,
« dubiis per ipsum positis respondet :
« Ad I quidem rescribit oratorem teneri sub gravi interesse
« choro ; et qnatenus citra legitimum impedimentum non
a intersit teneri ut antea ad restitutiouem.
« Ad II. Licere oratori abesse per hos très menses a sacris
« canonibus constitutos. Quod vero ad menses numéro plures
« quos in sacris missionibus impendit, sacra Pœnitentiaria
« quatenus opus sit ei facultatem largitur ad id necessariam,
a cum jure percipiendi consuetum stipendium, sanatque etiam
« praeteritum defectum.
a Ad m. Ex coustitutione Cum semper Benedicti XIV (tom. l,
« Bullarii, n. 103), missam conveutualem ab oratore applican-
a dam esse, ut antea, benefactoribus.
!|90 QDESTION DES VICAIRES CAPITCLÀIRES. [Tome VIL
a Ad IV. Posse quidem oratorem suadere, ad hoc lamen non
« teneri.
a Ad V. Ex concilio Tridentino (sess. 24, c. 16), solos cano-
« nicos qui capitulum coustituunt, id est, solos titulares, jus
« habere eligendi vicarium capitularem; neque Episcopum
« per nova capituli statuta jus lioc honorariis etiam canouicis
« attribuere posse, nisi statuta ipsa approbationem sint conse-
« cuta Apostolicœ Sedis.
« Ad VI. Négative.
« Ad VII. Quoad vicarios canonice demissos, négative.
« Quoad cseteros, si a canonicis sponte adraittantur, sacra
« Pœnitentiaria indulget ut interesse possint et suffragium
a ferre.
« Ad VIII. Ex capite Avaritix (concilii Lugdunensis ii), et
(( ex pluribus litteris in forma Brevis sanctissimi Domini nos-
« tri Pii Papae VII, minime eligi posse in vicarium capitularem
« sacerdotem illum qui a rege nominalus est episcopus sedis
« vacantis. — Vicarium autem capitularem unum taniumrnodo
« eligendum esse juxta Iridentinx synodi sanctionem ; in Gallia
0 tamen contrariam consuetudinem a Sede Apostolica tolerari.
(( Datum Romee in sacra Pœnitentiaria^ die 7 juuii 1821. —
a J.-B. Bussi, sacrée Pœnitentiarias Regens. — J. Pio, sacrae
« Pœnitentiariœ secretarius (1). »
On voit par la réponse au dernier doute, que le pape Pie VII,
en 1821 j tolérait seulement la pratique de la pluralité, et qu'in-
terrogé expressément sur la question, il faisait répondre dans
ce sens. Il serait absurde de supposer que le même Pape, en
1814, ait été d'un avis contraire; en d'autres termes, qu'il ait
reconnu cette pratique comme légitime en France de plein
droit. Comme la Sacrée Pénitencerie en 1821, le cardinal
Pacca, en 1814, aura connu la pensée de Pie VII, de tolérer
cette pratique de la France. Il a pu dire, en conséquence, avec
(-i) Celle pièce se Irouve dans les registres du chapitre d'Orléans,
auquel elle avait été commuDiquée, en 1823, par Mgr de Beauregard.
Jun 18031. QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. 591
vérité, que la nomination des deux vicaires capitulaires de
Nantes était légitime. Elle l'était, en effet, en vertu de cette to-
lérance de Pie VII. A la vérité, le cardinal Pacca ne dit pas ex-
pressément que la nomination de Nantes ait été légitime en
vertu de la tolérance du Saint-Siège. Mais il ne dit pas non plus
qu'elle l'ait été de plein droit. Il se contente de dire l'essentiel,
c'est-à-dire, qu'elle était légitime, décision qui suffisait pour
réprimer la tentative des anti-concordataires, et assurer la
paix de ce diocèse. D'autant plus que probablement, ainsi qu'il
a été dit, la question de la pluralité n'avait pas été proposée
par les vicaires capitulaires.
Le document cité prouve en outre que les réponses récentes
aux chanoines de Cahors et de Périgueux,ne sont pas une in-
novation du côté de Rome, mais plutôt la continuation de cette
tolérance accordée par Pie VII, après le concordat de 1801,
Toutefois, par la persistance à se renfermer dans cette formule
du tolerarif on entrevoit le désir et la pensée du Saint-Siège,
de ramener tôt ou tard les églises de France au droit commun
sur ce point, comme il l'a déjà fait pour certains autres.
Voilà notre réponse à ceux qui nous reprochent de n'avoir
pas accordé assez.
II. Reproche d'avoir trop accordé. — On nous dit : « Je re-
a grette que vous ayez écrit que la réponse faite aux deux
« chanoines de Cahors, fixe la tolérance au profit de tous les
(( chapitres de notre pays. Si je ne me trompe, on enseigne
« généralement que des réponses ayant un caractère spécial,
« individuel, ne profitent qu'à ceux qui les ont obtenues, et
« pour le cas spécial et présent dans lequel ils se trouvent,
(c Ainsi à Cahors, pour cette fois, on a pu éhre deux vicaires
« capitulaires. J'estime qu'il serait facile de justifier cette in-
«terprétation stricte...
a II est évident que, depuis quelques années, le Saint-Siège
a tend à remonter le torrent et à ramener nos Églises au droit
« commun sur ce point comme sur tant d'autres. Ce qui l'in-
592 QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. [TomeVlI.
« dique, entr'aulres, c'est le décret du concile provincial die
a Lyon, ainsi conçu : Episcopalisede vacante, intradies octopost
« obitum Episcopi, vicarium eligunt, qui... (xiii, de Capit.) Il
« est à présumer que les Pères du Concile de Lyon avaient mis
« et écrit vica.rios. La substitution du singulier au pluriel se-
« rait par conséquent l'œuvre de la Sacrée Congrégation, ce
« qui est très-significatif.
a Vous avez en outre les dispositions des statuts de Moulins,
a le rescrit à Son Éminence le Cardinal Gousset, et la réponse
« faite à M. Buquet. Comment dire, après cela, que tous les
« chapitres de France, même Moulins, même les chapitres de
« la province de Lyon, peuvent retourner à l'ancien usage, en
« vertu de la réponse faite à Cahors ? »
Il n'est pas étonnant que ces raisons nous soient objectées.
Elles sont graves. Ne pas les discuter, serait laisser une lacune
dans la polémique. La réponse, par rapport aux quelques cha-
pitres mentionnés pour lesquels il est intervenu des disposi-
tions spéciales, ne nous semble pas devoir être tout à fait la
même que pour les autres. Les deux conclusions suivantes
■ expriment à cet égard notre pensée et nos motifs :
1° Relativement aux chapitres pour lesquels il nest point sur-
venu de dispositions spéciales, l'intention du Saint-Siège de talé'
rerer la pratique de la pluralité pat'ait aujourd'hui (4) suffisam-
ment constatée pour qu'on puisse la suivre, sans recourir à Rome
(1) Aujourd'hui, disons-nous. Jusqu'ici la polémique n'avail pro-
duit aucun document péremploire. Ceux qu'on alléguait ne prou-
vaieDl pas rigoureuscmenl, de la part du Sainl-Siége, le fait de la
tolérance qui équivaut k VinduU, c'est-à-dire qui rend licite et va-
lable l'acte prohibe pur le droit conin:iun. Aujouid'liui, la pièce de
•1821, que nous venons de découvrir, et les récentes réponses aux
chanoines de Cahors et de Périgueux l'allestenl sulfisarament. On
avait tort auparavant de regarder comme légitime la pratique de la
pluralité. La loi qui la prohibait était certaine,- et l'on ne connaissait
encore aucune preuve cerlaine de la dispense par rapport a nos
chapitres.
Juin 1863 1 QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. o9:^
à chaque vacance de siège. — En effet, nous voyons cette vo-
lonté du Souverain-Pontife officiellement constatée en 1821,
non point pour un cas, ni pour un chapitre en particulier,
mais indétiniment et pour tous les chapitres de France : in
Gallia tamen contrariam consuetudinem a aede ApQstolica tolerari.
Cette réponse au chanoine de Poitiers explique clairement le
fait d'une tolérance générale quant aux chapitres et quant aux
diverses vacances de siège. Ce n'est, il est vrai, qu'une tolé-
rance., c'est-à-dire un induit provisoire. Mais une fois ainsi
accordée sans restriction, on a le droit de la regarder comme
maintenue et continuée, jusqu'à ce que le Saint-Siège témoigne
sa pensée d'y mettre un terme et d'en clore la durée. Or cette
cessation n'a été encore attestée par aucun acte du Saint-Siège
qui atteigne la généralité de nos diocèses. A la vérité, le Sou-
verain-Pontife ^t libre de retirer cette autorisation à quelques
diocèses d'abord, sans la retirer à tousà la fois; et l'on conçoit
qu'il puisse avoir des motifs de procéder ainsi. Nous allons re-
chercher tout à l'heure si quelques diocèses ne se trouvent pas
en effet déjà ramenés de la sorte au droit commun. Mais quant
aux autres chapitres, qui n'ont été l'objet d'aucune mesure à
cet égard, ils demeurent en possession de la tolérance en ques-
tion, et je ne vois aucun motif de la leur contester.
2" Relativement aux quelques diocèses mentionnés, objet déme-
sures spéciales, il semblerait prudent de recourir à Rome^ si l'on
veut y continuer l'usaye de la pluralité. — Le rescrit à Son
Éminence le cardinal Gousset n'a-t-il pas clos pour le chapitre
de Reims la tolérance de la pluralité? La pièce, il est vrai, ne
le dit pas en termes exprès. Mais ne le dit-elle pas équivalem-
ment, en avertissant les chanoines de n'élire qu'un seul vi-
caire capitulaire? Tout dépend ici de la volonté du Souverain-
Pontife. Il a pu vouloir retirer la tolérance à ce chapitre, en la
laissant continuer pour les autres. S'il l'a voulu, et si le rescrit
manifeste suffisamment cette volonté, les chanoines de Reims
sont rentrés dans le droit commun. N'y eùt-il qu'un doute sur
594 QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES. ITomcVlF.
«ette volonté du Souverain-Pontife, le parti le plus sûr serait
de réclaircir. Plus la démarche est facile, plus on serait, ce
semble, inexcusable d'avoir compromis la validité d'un acte
aussi important.
Les mêmes réflexions paraissent s'appliquer au chapitre de
Paris. Le rescrit adressé à l'un des trois vicaires capitulaires
nommés lors de la dernière vacance du siège, l'autorisant à
donner les pouvons aux deux autres, déclarait équivalemment
que la nomination de plusieurs n'était pas acceptée comme
légitime par le Saint-Siège ; en d'autres termes, que le Souve-
rain-Pontife cessait de tolérer l'usage de la pluralité dans ce
diocèse.
Quant au décret du Concile de Lyon, prescrivant d'élire un
vicaire capitulaire, vicarium eligunt, et au dispositif analogue
des statuts de Moulins, on peut dire, ce semble, qu'ils ont ra-
mené le droit commun, en vertu de l'autorité même de laquelle
ces actes sont émanés. Laissant à d'autres de discuter à cet
égard les conclusions rigoureuses du droit, il nous semble que
le chapitre de Moulins et ceux de la province de Lyon agiraient
prudemment, en ne revenant à la pratique de la pluralité qu'a-
près avoir consulté le Saint-Siège.
D. Bouix.
DES FUNÉRAILLES.
Droits et obligations des ecclésiastiques convoqués pour y assister.
Nous avons précédemment établi les droits des curés relati-
vement aux funérailles.
On nous demande aujourd'hui : Quels sont les droits desautres
ecclésiastiques invités d assister aux inhumations ? Sont-ils tenus
de prendre part au chant, ou bien peuvent-ils satisfaire à leur obli'
gation par une simple assistance, en récitant, par exemple, leur
office, ou en se livrant à d' autres dévotions particulières? h^ ré-
ponse à ces questions complétera l'article de novembre der-
nier, et mettra les principes dans un nouveau jour.
1» Il y a des droits qui sont déterminés par les règlements
épiscopaux, rédigés en conformité d'une décision ministérielle
du 16 novembre 1807, dans le but spécial d'établir les pro-
portions d'après lesquelles les oblations sont partagées entre le
curé et ses vicaires, ou autres fonctionnaires ecclésiastiques.
Ces règlements, en disposant d'une partie des oblations qui
autrefois appartenaient intégralement aux curés, modifient
le droit commun. Néanmoins, ils doivent recevoir leur exé-
cution. En fait, le clergé de France accepte aujourd'hui les
lois et décrets relatifs au temporel des églises, alors même
qu'ils émanent exclusivement de la puissance séculière ; il y
aurait les plus graves inconvénients à agir autrement. Du reste
il est juste de faire observer que les dispositions des lois civiles
concernant les fabriques et les établissements religieux, sont
souvent la reproduction de la loi canonique ; ainsi , pour ne
citer qu'un exemple, le décret impérial du 26 décembre 1813,
sur le partage de la cire, en décidant que, a dans toute les pa-
« roisses de l'empire, les cierges qui, aux enterrement et ser-
« vices funèbres, seront portés par les membres du clergé, leur
« appartiendront,» renouvelle une presciption de Benoit XI (2).
(1) Revue, novembre ^862.
(2) V. Bouix, Traclat. de Parocho, p, iv, q. i, p. 5(M.
596 DES FUNÉRAILLES. [Tome VII.
2" Il exisle des droits qui se rapportent à des actes parfaite-
ment déterminés, à des fonction spéciales. Tels sont les droits de
présence à la levée du corps, à la çrand'me^se, les rétributions
attachées aux offices de diacre, de sous-diacre, de chantre. Ces
droits ont toujours été regardés comme purement personnels.
Les honoraires qui en résultent sont incontestablement la
propriété de chacun des ecclésiastiques invités à participer
aux cérémonies funèbres. Ou ne peut, à aucun titre, faire une
retenue quelconque sur ces honoraires.
Le droit commun ne s'occupe pas, ou s'occupe fort peu des
objets que nous venons d'indiquer. Ce sont là des choses
de détail qui varient selon les localités , et qui par suite
tombent dans le domaine de lapuissance législative des évêques.
Cette obsei^vation est ici d'une grande importance. Les hono-
raires des ecclésiastiquee appelés aux inhumations sont réglés
ou par la coutume, ou par les règlements spéciaux. La cou-
tume, si elle est légitime, conserve sa force, quand il n'y a
pas de tarif régulier. Mais comme, au point de vue canonique,
tout est ici du ressort de l'autorité diocésaine, l'évèque peut,
sans difficulté, abroger la coutume et lui substituer un règle-
ment écrit. 11 n'y a là aucune modification du droit commun
dont on soit autorisé à se prévaloir pour infirmeries règlements
épiscopaux. La sanction du pouvoir civil, quelle qu'en soit la
forme, n'est pas de nature à eulever à ces règlements la va-
leur canonique qu'ils empruntent à la source d'où ils émanent.
Ainsi que nous le disions, on ne trouve guère dans le droit
commun de dispositions qui se rapportent à la question pré-
sente; toutefois lès prescriptions canoniques supposent mani-
festement l'existence de droits purement personnels, et
mentionnent la pratique d'attribuer aux membres du clergé
séculier et du clergé régulier des honoraires spéciaux pour
leur assistance aux funérailles. Or, on n'a jamais pensé que
les fabriques ou les curés eussent un droit quelconque sur ces
honoraires. La loi canonique qui, pour fixer la part, quarta
funéralis, due au curé lorsque l'inhumation a lieu dans une
Juin 1863.] DES FUNÉRAILLES. 59^' •
paroisse étrangère , énumère les objets compris dans les
droits curiaux, ne fait pas la moindre allusion aux hono-
raires destinés à rémunérer la présence des prêtres et des re-
ligieux (1).
Mais voici une observation majeure. S'il est vrai qu'en
principe toutes les ablations appartiennent au curé, il y a
pourtant des exceptions à la règle générale. En dehors des
objets déterminés par la coutume ou par la loi, et que les
curés sont ou étaient toujours autorisés à s'attribuer, il y a
de la part des donateurs des intentions spéciales qui doivent
être respectées ; il sont libres d'ofirir des dons et de les affecter
à des chapelles, à des œuvres particulières. Mais n'est-il pas
évident que les familles ont des intentions bien déterminées en
faveur des prêtres qu'elles invitent aux funérailles ? Dans un
diocèse qui nous est bien connu, on appelle les ecclésiastiques
du voisinage et on charge le curé dit défunt de remettre à
chacun des ecclésiastiques présents un honoraire assez élevé,
ce qui se fait toujours très-exactement.
Dans les villes, pour éviter les embarras et les diflScultès,
pour ménager l'amour propre des familles, on a rédigé des
tarifs gradués, où tous les détails sont prévus. Ces tarifs sont
communiqués aux parents ou à leurs représentants,qui arrêtent
leurs intentions d'après le dispositif qu'ils' ont sous les yeux.
En appelant le nombre de prêtres porté à la classe choisie, ils
ont réellement la volonté d'offrir à chacun de ces prêtres l'ho-
noraire indiqué pour leur assistance.
Il nous semble que la solution de la première question pro-
posée ne petit être douteuse.
Les règlements épiscopaux, légalement approuvés, sont
obUgatoires, notamment en ce qui concerne les droits établis
en faveur des ecclésiastiques appelés aux funérailles ; les ho-
noraires perçus en vertu de ces droits sont leur propriété, et
ne peuvent être sujets à aucune retenue.
Nous n'hésitons pas à penser que les tribunaux civils, s'ils
(!) Tract, de Parocho^ p. 501.
598 DES FUNÉRAILLES. [Tome VII.
étaient saisis, prononceraient dans ce sens ; nous ajoutons que
leur jugement serait conforme à l'esprit, sinon à la lettre, de
la loi canonique.
Tout le clergé connaît la décision d'Urbain VIII sur un objet
qui a beaucoup d'affinité avec le point que nous discutons. Ce
pape défend à un prêtre qui a reçu un honoraire élevé pour une
messe, de faire dire cette messe pour l'honoraire tarifé, et de
retenir le surplus. L'aumône donnée appartient intégralement
au prêtre qui célèbre. Alexandre VII a condamné la proposi-
tion suivante : « Post decretum Urbani VIII ^ potest sacerdos cui
« missx celebrandx iraduntur, per alium satisfacere, collato
« illi minore stipeudio, alla parle stipendii sibi retenta.»
{Prop. 9 inter 69 ab Alex. VII damnatas, 24 sept. 16^5.)
La seconde question fut agitée au synode de Périgueux, en
1856, où l'on décida qu'elle serait proposée à la S. C. des
Rites. Voici la réponse obtenue :
Petrocoricen. — à Quum Reverendisslmus Dominus Joannes
a Baptista Amedaeus George Massonnais, episcopus Petrocoricen.. ab
« hac Sancta Sede Aposlolica supplicibus votis poslulaverit ut sequens
c( dubium declarare dignaretur :
« Utrum parochiis aliique sacerdotes exequiismortuorum officiisque
<c quotidianis pro iisdera assistantes, ac pro ea functione stipendium
« accipientes, teneantur per se officiura defunctorum persolvere, ita ut
« soluramodo assistentes, et non cantantes vel psallentes, fruclus non
« faciant suos ; — an vero sufficiat ut assistant, et scliola officium
« persolvat, ipsis inlerea pro suo libilu alias preces fundenlibus, v. g.,
a Breviariuni recitantibus pro sua quotidiana obligatione ?
« Sacra Riluum Congregatio in ordinariis comitils hodierna die ad
« Quirinale coadunata, referente subscripto secretario, post accuratum
« examen proposili dubii, respondendura censuit: Affirmative, quoad
« primam partem; Négative, quoad secundam. — Die 9 maii 1857.
0 C. Episc. Albanen. Gard. Patrizi,
« S. R. G. Praefectus.
a H. Capalti, S. R. C. Secretarius.»
Cette décision peut se passer de tout commentaire.
N., chanoine.
CORRESPONDANCE.
I. — Le Manuale tottus juris canonici de M. Craisson.
A Monsieur ril.I>bé tilRAJU».
Monsieur l'Abbé,
Je viens de lire l'article sur mon Manuale iotius juris canonici que
vous avez inséré dans le n" 41, p. 497, de la Revue des Sciences ecclésia-
stiques. Je vous suis très-reconnaissant du bien que vous en dites, puis-
que, malgré quelques reproches que vous croyez devoir lui adresser,
vous avouez que c'est un bon livre et que vous applaudissez à son appari-
tion comme à celle d'un ouvrage conçu dans un bon esprit. Je vous re-
mercie également de vos critiques qui procèdent de votre de'sir de voir
cet ouvrage devenir plus parfait et plus utile, et je tâcherai d'y avoir tout
l'égard possible dans une autre édition ou même dans celle-ci.
Permettez-moi cependant quelques observations sur certains points de
cette critique. — « Vous me blâmez (p. 501) d'avoir dit qu'il est probable
que la coutume de nommer plusieurs vicaires capitulaires n'est pas ré-
prouvée, et vous trouvez étrange que je m'appuie sur les conciles pro-
vinciaux dont les actes envoyés à Rome ont été renvoyés sans amende-
ment sur les passages qui maintenaient celte coutume. — Mais quoi-
qu'il soit vrai (et vous convenez que je n'ignorais pas ce point de
jurisprudence) que le silence de la S. Cougrég. du Concile ne soit pas
toujours une approbation, je ne dois pas supposer non plus que vous
ayez oublié que le silence du S. Siège est, dans plusieurs cas, une appro-
balion des coutumes qui ont les conditions requises d'ailleurs : cela a
lieu surtout quand la coutume est raisonnable, et que le S. Pontife peut
commodément réclamer. (V. mes Prolégom., n" 126.) Or c'est ce qui
semble s'être rencontré dans le cas en question, elles réponses récentes
du S. Siège au doute proposé par les chapitres de Cahors et de Péri-
gueux semblent le démontrer. Aussi, non-seulement l'auteur des Prœ-
lectiones S. Sulpitii appuie cette thèse du même raisonnement que moi,
mais encore M. Bouix lui-même, dans la première édition de son traité
de Capitulis (pp. 554, 555). Il est vrai que dans la Revue des Sciences ecclé-
siastiques(lom. ii, p. 299) et on dit aussi dans une nouvelle édition du même
traité de Capitulis (p. 497) que je n'ai pas entre les mains, il rétracte ce
qu'il avait dit d'une manière trop générale dans sa première édition :
mais il ne le retracte formellement que par rapport aux chapitres des
diocèses qui comme Reims ont été érigés en 1822 ; et, quoiqu'il adopte
le même sentiment pour les autres diocèses, il ne veut pourtant pas
600 CORRESPONDANCE. [Tome VII,
trancher cette question qui lui parait grave, comme elle l'est en effet
{Revue, ibid., p. 297), et parla ne paraît pas condamner ceux qui regar-
deraient comme proljable que la coutume en question n'est pas ré-
prouvée dans ces diocèses. Si plus tard (n» 39, p. 277 de la Revue) il ne
/ait pas de distiuctioû entre les divers diocèses, il ne condamne pas non
plus la distinction qu'il avait faite auparavant et il ne donne pas son
commentaire des récentes décisions comme devant absolument être
admis sous peine d'errer en matière de jurisprudence canonique. Je
crois donc pouvoir maintenir mou sentiment comme probable et croire
que M. Bouix lui-même ne va pas jusqu'à condamner ceux qui le re-
garderaient comme tel ()).
Je soutiens dans mes Prolégomènes (n» 153) que le droit ancien n'a
été aboli en France par la bulle Qui Christi Domiiii, que par rapport
aux coutumes {même imméoior laies), aux droits et privilèges contraires
à l'ancienne organisation de cette partie de l'Église, et non quant aux
coutumes, droits et privilèges qui ne concernaient pas cette organisation
et qui étaient d'ailleurs légitimes. Vous trouvez que mon interprétation
des clauses de cette bulle n'est pas fondée, sans dire pourquoi, bien
que les termes qui y sont employés ne supposent pas d'autre sens. Le
public jugera de la solidité des raisonnements dont j'ai chercbé à établir
mou opinion qui est partagée, je le sais, par bien des personnes très-
compétentes, même à Rome. Seulement, ce me semble, vous n'auriez pas
dû affirmer que, d'après ma doctrine, je pensais, par exemple, que la con-
munion à la messe de minuit de la fête de Noèl ne serait pas défendue en
France ; quoique en divers diocèses cette communion ait été permise par
un Induit comme une grâce spéciale. Si vous relisez mon texte, vous re-
marquerez que je ne dis pas que cette coutume ne soit pas défondue
même en France, mais seulement qu'elle et plures aliœ, si rêvera légi-
times fuissent lempore Concordati, quod hic non expendimus, ne concer-
nant pas l'ancienne organisation de l'Eglise de France, ont pu être re-
gardées comme légitimes après le concordat comme auparavant*. Si donc
il a fallu un Induit à certains diocèses pour rendre licite cette coutume,
il suit seulement qu'elle n'avait pas les conditions requises, ce qui peut
bien venir non pas de ce qu'elle a été abolie par le concordat, puisque
depuis elle aurait bien pu revivre, mais de ce que peut-êLre appartenant
à la liturgie, il faut pour légitimer de pareilles coutumes une approba-
tion spéciale.
De ma façon de penser sur ces articles et sur quelques autres peut-
être, vous concluez qu'il y a chez moi, sur quelques points, un certain
faible pour les anciens senfimetits du paijs. Il semble qu'il y aurait une
autre explication à donner à cet égard, savoir que j'ai dû me tenir dans
le vrai, et que désirant réconcilier le clergé français avec les maximes
romaines, j'ai dû éviter d'effaroucher des esprits encore prévenus peut-
(1) C'est une question qui nous semble maintenant assez éclaircie par
les dernières réponses du Saint-Siège et notamment par celle que nous
publions dans ce numéro même. [V. les commentaires de M. Bouix,
numéro de mars, p. 277, et ci-dessus p. 580 ss.) (iV. de la Rédaction.)
Ju^n 1863.) COBRESPOM)A^CE. 601
être, en condamnant ce qui n'était pas condamnable, ou ce qui, d'après
lea principes communément reçus même à Rome, pouvait être toléré;
ne pas leur fournir surtout de légitimes motifs de m'accuser d'exagéra-
tion, comme on Ta fait, bien à tort sans doute, à l'égard de plusieurs
autres. Je crois, du reste, pouvoir dire en mon âme et conscience que
je ne me sens ni d'attache ni de faible pour aucune de nos anciennes
maximes, et que je ne tiens qu'à la vérité toute seule.
Vous auriez désiré que j'eusse expliqué les principaux ternies employés
par la Congrégation des Rites : je le fais cependant, au moins en par-
tie (1), comme on pourra !e voir en divers endroits, et notamment au
no 786.
Vous auriez voulu que j'eusse commencé le livre second avec le 3e vo-
lume. Quand vous aurez reçu le 3^ volume et le suivant, vous compren-
drez que je ne pouvais distribuer mes matières autrement que je ne l'ai
fait sans rendre énorme le 3^ volume qui finit avec le livre second.
Je n'ai rien à objecter sur ce que vous dites de mou style et de ma
latinité: je n'ai pas cherché à être élégant, mais clair; j'ai dû et j'ai
voulu éviter d'être incorrect ; s'il m'est échappé des fautes, je les corri-
gerai quand je les connaîtrai. Quant à celle que vous signalez pour le
mot revercalur employé dans le sens passif, j'ai cru pouvoir me servir de
ce mot dans ce sens, d'après plusieurs dictionnaires qui le donnent, non-
seulement comme verbe déponent, mais encore comme actif, revereo, et
citent des auteurs anciens, et par conséquent autorisent à l'employer
dans le sens passif. Voyez en particulier Quicherat (2).
Vous avez cru qu'en citant le P. Gury à la suite d'une décision qui lui
est contraire, au sujet de la calotte (n" 3228), j'ai voulu faire prévaloir son
autorité sur celle de la Congrégation des Rites. Mais vous auriez pu con-
clure, ce me semble, que j'ai plutôt voulu signaler cette assertion du Père
Gury comme étant contraire à une décision des Congrégations romaines
et par conséquent comme n'étant pas admissible ^3).
J'avoue que je n'ai pas été exact en affirmant (n" 3226) que l'étole
n'est d'obligation dans l'administration du sacrement de Pénitence que
là où l'exige le temps ou la coutume. J'aurais dû dire qu'elle est d'obli-
gation dans l'administration de ce sacrement, excepté dans les cas où le
temps et la coutume permettent d'en user autrement, et encore, conformé-
ment à la décision de la Sacrée Congrégation des Rites du 7 décembre
1844 {no 4854, ad 3), aurais-je dil ajouter que nulle part il n'est permis
d'interdire son usage dans la susdite administration. Je ne manquerai
pas de faire cette remarque dans mon errata et de corriger le texte le
plus tôt possible.
(1) En partie, soit. Au reste, c'est ici une question d'opportunité,
sur laquelle il n'y a pas à discuter beaucoup. (A\ de la Rédaction.)
(2) M. Craisson a mal lu la. ligne consacrée à la forme revereo dans le
dict. de Quicherat. Inutile d'insister. {.V. de la R.)
(3) A moins d'avoir le commentaire, il est difficile de donner ce sens
à la phrase telle qu'elle est rédigée. Il sera nécessaire, à notre avis,
d'en modifier les termes. (N. de la R.)
602 CORRESPONDANCE. [Tome VU.
Voilà tout ce que j'ai cru devoir faire observer sur votre article. J'ose-
rais vous prier maintenaat de rendre publique cette lettre dans le pro-
cliain numéro de la Revue : puisque vous reconnaissez que mon ouvrage
est bon et écrit dans un bon esprit, vous avez trop de zèle à répandre les
bonnes doctrines pour me refuser le moyen de dissiper les quelques
nuages que votre article a pu répandre sur mon livre, et qui pourraieut
empêcher peut-être bien de vos lecteurs de se le procurer. Je vous prie
de ne pas me refuser cette faveur que, d'après les explications sus-éuon-
cées, je pourrais appeler même une justice.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Craisson.
Poitiers, 28 mai 1863.
II. — Sur quelques questions de liturgie.
Un de nos abonnés nous écrit la lettre suivante, relative;nent à cer-
taines questions de liturgie, savoir: l" la Messe de /{e^'ttîew célébrée pour
le repos de Tàme d'une personne à la réception de la nouvelle de sa
mort i 2° les Vêpres votives d'une fête dont la solennité est transférée
au dimanche.
« Permettez-moi de revenir sur mon observation relative à la Messe de
Requiem (1) à célébrer lorsqu'on apprend la nouvelle de la mort de quel-
qu'un qui est décédé dans un paj's éloigné. Je persiste à soutenir que la
permission de célébrer ladite messe un jour double-majeur ou mineur ne
regarde que les religieux. Les raisons que vous m'opposez dans votre
réponse ne sont nullement concluantes et péremptoires. Vous me dites
que c'est le sentiment des auteurs. Mais le sentiment des auteurs est
moins que rien devant une décision si nette et si formelle de la Sacrée-
Congrégation des Rites. Vous me dites ensuite qu'il vous paraît qu^il n'y
a que le 3», 7e et Bd-^ jour après la mort qui soient exclus par ledit décret.
Mais jamais aucun auteur n'a enseigné qu'il fût permis de célébrer la
messe de Requiem le Se, 7^ et 30e jour après l'arrivée de la nouvelle du
décès. Il ne s'agit donc ici que de la première nouvelle du jour de la
mort. On a voulu faire condamner à la Sacrée-Congrégation des Rites la
doctrine de Gavalieri à ce sujet, dans la 2e question, comme on l'a con-
damnée dans la question suivante par rapport au nombre des oraisons
dans la messe quotidienne. Aussi je ne puis admettre votre explication;
elle a beaucoup étonné dans notre archidiocèse où ce décret est publié
depuis bien des années.
« Vous voudrez bien, pour confirmer mon sentiment, me permettre
de vous citer le sentiment de la Revue théologique, série iv, page 179,
n* 18. « La nouvelle Collection renferme aussi plusieurs décrets relatifs
« à la messe. Commençons par la messe des morts. Gavalieri enseignait
« que le privilège accordé aux religieux de chanter la messe en une
(1) V. le numéro de janvier, p. 50, n, vu.
Juin 1863.] CORRESPONDANCE. 603
« fête double, à la nouvelle de la mort d'un religieux, ne devait pas être
« pris dans un sens étroit, mais qu'il fallait l'étendre à toutes les pér-
it sonnps et à toutes les églises. De la sorte, il serait permis à la mort
« d'un laïque, de chanter la messe en noir un jour double, dans toutes
« les églises d'une ville ou d'un diocèse, pour le repos de l'àme de cette
« personne. Reapse induHum petentes non prœtergreditur , sed cum
« eadem milUet ratio et de regularihus ceteris, in horum omnium n^um
« esse passe unanimes sentiunt auctores, quinimmo cum ex pia et gene-
« rali causa noscatur ediium, nempe ut cititts suffragentur defunctorum
« animœ, non immerito ad quuscumque ecclesias et personas illud exten-
« dunt, exarantque propterea, proinde ac si pro omnibus emanatum fuisset.
« Toutefois, le décret ne permettait pas cette extension. Les chanoines
« de Latran exposent, en effet, que selon leurs constitutions, à la mort
« d'un religieux, on doit chanter dans tous les monastères de l'ordre une
« messe de Requiem, et ils demandent en conséquence de pouvoir la
0 chanter en une fête double, afin de venir au plutôt au secours de
« l'àme du défunt. La Congrégation répond: Indulgeri passe. C'est donc
« une grâce, un privilège spécial qu'on ne peut logiquement attribuer à
« d'autres, surtout que les mêmes raisons n'existent pas ailleurs. Ainsi,
« la Congrégation des Rites vient de rejeter l'opinion de Cavalieri.
« (A la page suivante, se trovive relaté ledit décret du 16 avril 1SS3.) »
« Le second décret que vous me citez, n'est qu'une explication de
celui des chanoines de Latran pour la veille de l'Epiphanie, il ne peut
avoir un sens plus général que le décret qu'il explique.
« Quant à l'article sur les fêtes dont la solennité est transférée au
dimanche suivant, je remarque que la Revue dit que le décret in Lu-
cionen., relatif au dernier évangile, n'est pas dans la collection authen-
tique; pour la plus grande impartialité, il aurait fallu dire aussi que celui
de Limoges pour les Vêpres n'y est pas non plus. Car, c'est sur ce décret
que s'appuient plusieurs Ordo pour prescrire en ces jours les Vêpres de
la solennité. Bien loin d'être un décret, c'est une simple concession. »
Agréez, etc. Un abonné.
Les raisons données pour restreindre à quelques églises la faculté de
célébrer une messe de Requiem les jours de fêtes doubles à la réception
de la nouvelle de la mort d'une personne, nous paraissent pércmptoires.
Si nous avons essayé d'expliquer le sentiment contraire, nous l'avons
fait sur l'autorité dont jouissent les auteurs qui l'ont soutenu. Nous
nous sommes cru suffisamment autorisé à doDuer le sentiment le moins
sévère. Nous peiisons que si ces auteurs ont des raisons à opposer à
celles qui sont exposées ici, ils voudront bien nous en faire part.
Nous avions pensé avoir suffisamment indiqué la nature de la réponse
faite au diocèse de Limoges, relativement aux vêpres d'une solennité
transférée. L'observation ci-dessus pourra compléter ce que nous aurions
laissé sans explication suffisante. P. R.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
PHILOLOGIE ET RÉVÉLATION, par M. l'abbé d'AuTUN * 5, 97, 193
SAINT GRÉGOIRE DE TOURS ET SAINT SATURNIN DE TOULOUSE, par
M. l'abbé L*TOt! 27
UN MOT SUR QUELQUES PROBLÈMES IMPORTANTS DE PHILOSOPHIE. —
Réfionse à M. l'abbé Cro«, par M. l'abbé Armand 59,564
LA VIE INTELLECTUELLE EN PROVINCE, par M. l'abbé Hautcœur. ... 67
DE L'UNITÉ ROMAINE, par M. l'abbé Le RoY. 121
ESSAI SUR LA ViE COMMUNE AU SEIN DU CLERGÉ, par M. l'abbé Haut-
CŒOR • 1*0
A PROPOS D'UN NOUVEL ESSAI DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE, par
iM l'abbé Armand 175
DE LA GRANDE XUMONEKIE EN FRANCE, par M. l'abbé D. Bouix. ... 179
LE CÉLÈBRE CONFLIT ENTRE SAINT ETIENNE ET SAINT CYPRIEN, par
M. l'abbé D. Bouu 211,305,419,513
LE SPIRITISME, par M. l'abbé N.-C. Le Roy. :...•... 233, 321, 401
DE LA MÉTHODE APOLOGÉTIQUE DU P. DECHAMPS, par M. l'abbé
SiHONis 240
DE LA VISION ONTOLOGIQUE, par M. l'abbé Grandcladde 345, 546
DES SUPPLÉMENTS AU RITUEL ROMAIN, par M. l'abbé D. Bomx. ... 363
DES FONCTIONS PONTIFICALES, par M. l'abbé P. R " . .268,438
ÉTUDE SUR L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DE THÉODORET, par M. Henri
HUVELIN m . . . . 460
QUESTION DES VICAIRES CAPITULAIRES, par M. l'aLbé D. Bouix ... 580
DES FUNÉRAILLES, par M. l'abbé N • 595
LITURGIE, — Observations sur les travaux liturgiques publiées par la Revue , 47
Les Litanies du saint Nom de Jésu3 52
Du temps de la Seituagésirae, du Carême, et du temps de la Passion. 16tî
Réponse à quelques questions lilurgiques. . . ; 273, 375, 571
Lettre de S. E.le C. Palrizi, à S. E, le cardinal -archevêque de Lyon.—
Commentaire par M. l'abbé D. Bouix 384
BREF DE S. S. PIE IX, portant condamnalion des doctrines du Dr Frobscbammer.
Note par M. l'abbé IIautcœuk : ,. 480
DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE 187, 277, 400
ENCYCLIQUE DU SAIN r-OFFICE, contre le Magnétisme et le Spiritisme. . . 488
DÉCRETS DE LA S. C. DES INDULGENCES 76, 290
CORRESPONDANCE • 506, 599
BIBLIOGRAPHIE 80,83,88,91,293,296,299,389,490,497,506
CHRONIQUE. -. , . , . . 93, 190. 303, 398
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Allemagne. — Lilléralure Ihéologique (1862), 506.
Apologétique. — De la méthode apologéiijue du P. Decharaps,
240 Sa.*— Exposé de la mélhode, 2-^0. — Examen des difficuUés, '247.
— La Calholicilé, "lU. — La Sainlelé. 260.
AuMÔNEiiiE. — De la grande-aumônerie en France, -179 ss. — Bref
de Pie IX qui la conrerae, ^79. — losiilulion des grauds-aumôniers
en général, 180. — Organisation actuelle de la grande-aumôuerie en
France, 183.
Bénédictions. — Formules qui ne se trouvent pas dans le Rituel
romain, 577.
Bibliographie. — Articles divers, 80, 83, 88, 91, 293, 29t>, 2'J9,
389, 490, 497, 506.
BossuET, — OEuvres inédites, publiées par M. Lâchai, 80.
Bougies stéariqiies. Leur usage dans la liturgie, 37(i.
BouiLLiER. — Du Principe vital et de L'âme pensante, 190.
Branchereau (labbé;. — Manuel de philosophie, 190.
Bréviaire. Ses rubriques, 377.
Brimont (A, de). Urbain II, 293.
Carême. — Rii quadragésimal, 169. — AbsliDeace, aumône imposée
comme condition de la dispense, -172.
Carney (l'iibbé). — La Question religieuse, etc., 95.
Ca\ol (l'abbé). — La Dioinité du catholicisme démontrée, 95.
Chapitres. — Réponse de la S. Pénilencerie à diverses questions
qui concernent les chapitres do France, ^Wl .'S . Ficaires capitulaires.
Chronique, 93, 190, 303, 398.
Cierges. — La matière peul-elle être mélangée, 571. V. Bougies.
Concile (décidions de la S. C. du). — Irrégularité ex de/ectu, -187.
V. Ficaires capitulaires.
Craisson (l'abbé). — Manuale totiusjuris Canonici, 497, 599.
Cyprien (S'j. — V. Etienne.
Dakko. — Historia Revelaiionis divinx V. T. «<«. , S09.
Darbins (['ai>bé>. — Fie et OEuvres de Marie Lataste, I9i, 490.
Dahras (l'abbé). — Histoire générale de l'Église, 191, 303.
Davin. — Saint Grégoire VII, 83.
Dechamps (le P.). — V. apologétique.
Destombes (l'abbe).— La Persécution en Angleterre, 95, 389.
Doellinger. — V Eglise au temps de sa fondation, -190.
606 TABLE ALPHABÉTIQUE. [Tome VII.
ETIENNE (S»).— Élude sur l'ouvrage de Mgr Tizzani relatif au conflit
entre saint Élienne et saint Cyprien, 2H ss., 305 ss., 419 ss., 513 ss.
—Exposé cl hislorique de la question, 2H . — Examen de l'authen-
ticité des documenis que l'on invoque, 219. — Leitre de saint Cyprien
aux évêques de Nuraidie, 222 ; — a Quintus, :i26; — au pape saint
Etienne, 305 . — à Jubaianus, 30S ; — a Pompéius, 315. — Le con-
cile de Carihage, 419.— La lettre de saint Cyprien à Magnus, 423; —
àFirmilien, 426, — Les événements attestés par ces pièces n'ont pu
s'accomplir dans le laps de temps qu'elles assignent, ''«33. — Examen
des auteurs contemporains et de ceux qui ont suivi de plus près, 513.
— Le diacre Poniius, 514. — Eusèbe, b\Q. — Deflys d'Alexandrie,
525. — Saint Basile, 527. — Le traité sur la réitération du baptême,
535. — Donat, Parniénien, S. Optai de Milève, 336. — S. Anguslin,
ibid. — S. Jérôme, 2^Î0. — Résumé, 544.
Falise. — Sacrorum riluum, elc, compendiosa elucidatio, 96.
Fonctions pontificales (des), 438 ss. — Quelles sont les fonctions
pontificales? 438. — Quel est le droit et le devoir de la { remière dignité
du chapitre relaiivemenl à ces fonctions? 451.— Réponses d'un litur-
giste romain sur plusieurs d'entre elles, 268.
Frobschammer (le D'). — V. Philosophie.
Gassiat (l'abbé). — Rome vengée, 191.
Grégoire de Tours. — V. Saturnin.
Habert. — Theologix grsecorum Pairum, etc., •i91, 508.
Héfélé. — Histoire des conciles, ^90.
Histoire ecclésiastique. — Élude surThéodorei, 460 ss.
HoLZHAtSER. — V. Fie commune,
HïMxNE. — Changement du 3« v. dans Vhte confessor, 572.
Index. — Livres mis à l'Index, 93.
Indulgences. — Décrets de la Sacrée Congrégation des Indulgences,
76 ss., '2'.)0 ss.; — sur le Scapulaire, 76; — sur la rommutaiion de
la confession el de la communion nécessaires pour gagner une indul-
gence, 76 ; — sur les fêles de N.-S., de la sainte Vierge et des apôtres,
291. — Des indulgences attachées aux Quarante heures, 578,
Kaulen. — Légende du B. Hermann Joseph, 91. — Commentaire
sur Jonas, 51 1 .
Klofutar. — Comm,enlarius in evangelium S, Joannis^ 512.
KuHN (le Dr), — Dogmatique. 507.
Leçons du premier nocturne à Matines, le jour de la fête de saint
Pierre Damien, 575.
Linges sacrés. — Peut-on y ajouter des ornements qui ne soient
pas en fil? 571.
Litanies. — Approbation des litanies du «ainl Nom de Jésus, 52.
Liturgie. — Observations sur divers articles de liturgie publiés
par la Revue, 47. — Réponses à diverses questions, 166, 268, 273,
Juin 1863.] TABLE ALPHABÉTIQUE. 607
375, 578. — Lettre de Son Éminence le cardinal Patrizi à Son Émi-
nence le Cardinal - Archevêque de Lyon, 384. — \. Bénédictions,
Bougie», Bréviaire, , Cierges, Foficlions pontificales, Hymne, Leçons,
Linges, Messe, Rituel.
Lyon — V. Liturgie.
Magnax (l'iibbé). — Urbain V, 88.
Magnétisme. — Encyclique du Saint -Office adressée h tous les
évêques contre les abus du magnétisme, 488. — V. Spiritisme.
Maldonat, in Evangelia. Nouvelle éd., ^9i, 512.
!\1e>se basse, cérémonies, 375 ss. — Messe de Requiem à la nouvelle
de la mort d'une personne, 602.
OiscHiNGER. — Ouvrage sur la Trinité, 5U7.
OiNTOLOGiSME. — V. Phitosopkie.
Peltier (l'abbé). — Lettres au P. Bechamps, etc., 190.
Perrone. — V Apostolat catholique, 299.
Philologie et Révélation, 5 ss., 97 ss., 193 ss.{V. la table du tome
précédent). — Des caractères de la langue primitive, 5. — Ses rap-
ports avec la mission du premier homme, 97. — Principes généraux de
la connaissance intellectuelle, conséquences qui en découlent, ^03.—
Origine du langage, \\\. — Les langues et les peuples, -194. — Les
langues et les religions, 201. — Conclusion, 209.
Philosophie. — Un mol sur quelques problèmes importants de la
philosophie, 59 ss., o64 ss. — De la vision ontologique, 345 ss., 546 ss.
— Erreurs du D^ Frohschammer, 175 ss.— Bref de Sa Sainteté Pie IX
qui les condamne, 480.
Pierre Damien (S.) .—V. Hijmne^ Leçons.
Province. — Vie intellectuelle en province, 67 ss.
Reinke {\eb^). •.— Prophéties messianiques, ^10.
Renan (M.-E.) jugé par Éwald, 94.
Reusch (le D'). — Bible et Nature, 510,
Rituel, — Des suppléments au Rituel romain; condilions de leur
légitimité, 563.
Sagette (l'abbé). — L'Eucharistie. Méditations, 96.
Sanson (l'abbé). — Guide de la parfaite religieuse, 96.
Satdrnin (saint). — Examen du passage de saint Grégoire de Tours
sur la mission de saint Saturnin à Toulouse, 27 ss. — Actes de saint
Salurniijj ibid. — Valeur de Grégoire de Tours comme historien, 29.
— Deux circonstances rapportées par Grégoire de Tours ne se trouvent
nulle part ailleurs, 32. — Grégoire de Tours adopte lui-même l'opi-
nion qui placo au premier siècle la mission de saint Saturnin, 42,
Scueeben" (le Dr). — Écrits sur la grâce, 508.
Schegg (U*. D'). — Commentaires sur les Évangiles, 512.
ScHMiD (le Dr). — L'Église et la Bible, 509.
ScHMiD (le D''). — Wissenscha/tliche Richlungen, aie, 506.
608 TABLE ALPHABÉTIQUE. [Tome VII.
ScHOLz (le D'^'l- — Théologie de l'Ancien Testament, 512.
SCBRADEU. — V. Unité.
ScHUSTER. — Manuel d'histoire biblique^ olO.
Septuagésime. — Règles liturgiques, itC
Spiritisme (le), 233 ss., 321 ss., 401 ss. — Histoire du spiritisme,
233. — Doctrine de l'Église sur les esprits, et doctrine spirile sur le
même sujet ,.3'21. — Doctrine de l'Église sur les communications avec
les morts, 328.— Historique des communications avec les morts, 401.
—Conséquences du spiritisme, 408. — Conclusion, AiG.\- Magnétisme.
Tanner (le D'). — De la Tradition catholique, 509.
Tabquini (!e P.). — Juns eccles. publ. inslituliones, 296-
Théodoret. — V. Histoire ecclésiastique.
Thibaldieh (l'abbé'). — Du Principe vital, ^90.
TizzANi (Mgr.). — V. Etienne (saint).
Toulouse. — V. Saturnin.
Umté romaine (de 1') d'après le P. Schrader, ^2\ ss., 508. — Ap-
préciation de l'ouvrage, d22. — Nature et étendue de l'unité ro-
maine, ^2^■ — L'Église romaine est la seule d:ms laquelle sont con-
servés tous' les biens de l'Église, 127. — La hiérarchie, principe de
l'unité de l'Église, ^30, — Économie de l'Unité romaine, -ISS. — Con-
clusion, 138.
Université d'innsbruck, 598.
Vicaires capitulaires. — Réponse de la Sacrée Congrégation du
Concile aux chanoines de Cnhors sur la pluralité des vicaires capitu-
laires, 277. — Explication, 278 ss. — //. au doyen du chapitre de
Périgueux, 400.— A un chanoine de Poitiers, 580.
Vie commune. — Essai sur la vie commune au sein du clergé, 140
ss. — V. dans le volume précédent, pp. 400 ss., 500 ss. — Réformes
d'Yves de Chartres et de Pierre de Honestis, 140. — Chanoines régu-
liers et séculiers, ^47. — Lutte en faveur de la vie canonique, -150. —
Époque moderne. M. Olier et la communauté de Sainl-Sulpice, 155.
— Holzhauser et Tinslitut des clercs séculiers vivant en commu-
nauté, 160.
.\iTas. — Typ. lioussEAL'-LEROY, rue Saiut-Maurice, 26.
REVUE
DES
SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES
IMPRIMATUR :
Atrebati, die 20 Julii. 1863.
i: ••!<.) "j. Episc. Atrebatensis , Bolonien.
72'Tâ et Audomaren.
REVUE
DES
SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES
DIRIGEE
PAR M. L'ABBli D. BOUIX.
CsSÛ
RECUEIL MENSUEL
Paraissant avec l'autorisalioii de MgrPARisis, cvê]ue d'Arras.
Ubi PclruS; ibi Ecclesia. (Sl-Ambroise)
XoHie rvill. — S" Seniesti-e 1 Sea.
ARHAS :
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(liUHEAUX DE LA REVCE)
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PARIS :
C!!EZ 5I.Î1. mm FRÈRES LT laPlîEY.
LIBRAIRES -ÉDITEi;ilS,
ma Cassette, 4.
■J C>'»J -i •
KEVUE
DES
SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES
ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSVS
Pai> M. REIVAiV.
Premier article.
§ I. — M. Renan.
Si la valeur scientifique d'un livre était toujours propor-
tionnée au bruit que l'on en fait avant et après son apparition,
celui de M. Renan devrait être rangé en première Ji^ne parmi
les ouvrages de notre époque. Mais ce qu'une certaine presse
demande à un auteur pour l'applaudir, ce n'e§t ni la science,
ni le respect du sujet qu'il traite, ni le respect de ses lecteurs ;
c'est plutôt le contraire. Cette presse applique aux livres la
règle qu'elle applique au théâtre. Là elle prodigue son encens
avec enthousiasme aux pièces les plus libres, les plus désha-
billées et les plus basses, dans lesquelles nul sentiment honnête
n'est respecté ; ici elle porte sur le pavois d'un jour, un homme
d'une impiété profonde et qui a limpudence de dévoiler tout
ce qui devrait rester enseveli dans les bas-fonds, même <lu
cœur de l'impie. Car le livre de M. Renan, nul comme valeur
6 ÉTDDE SUR LA VIE DE JÉSUS L'fome VIII.
scientifique, nul comme érudition, nul comme bon-sens, n'a
pas d'autre mérite que d'être un honteux blasphème. C'est
comme une ronde qu'il exécute devant le Sauveur qu'il atFuble
de la couronne et de la pourpre d'un grand homme, — grand
homme à la taille de M, Renan, — avec les journaux impies
ou juifs pour orchestre.
Nous nous proposons dans cette étude d'examiner la Vie de
Jésus. Nous voulons montrer à nos lecteurs ce que deviennent
sous la plume de M. Renan l'histoire, l'enseignement, les mi-
racles, les institutions, la divinité et l'humanité sainte du
Christ-Jésus. Nous verrons par quels étranges travestissements
il faut passer^pour faire, l'Evangile à la main, une Vie de Jésus
comme celle qui vient de paraître. Nous apporterons dans
cette étude tout le calme que comporte un pareil sujet, et si
quelquefois nous pouvons paraître blessé, c'est qu'il est
impossible de ne pas éprouver un douloureux saisissement à
la vue d'une impiété aussi profonde et aussi raflfinée.
Mais, avant de nous engager dans cette étude, il est néces-
saire de considérer d'abord l'auteur lui-même. Étant donnés
son talent, ses connaissances, son impiété, ce besoin comme
irrésistible de faire partager cette même impiété par d'autres,
nous croyons qu'il se trouverait peu d'hommes, peut-être pas
un en France, capable d'écrire le livre qu'il a fait. Il y a là
un affaibhssement de la raison dont la culture intellectuelle
devrait préserver, mais qu'elle seule aussi a su engendrer.
M. Renan appartient par sa tournure d'esprit à cette école
de philosophie allemande qui remonte à Kant et qui a engen-
dré Hegel. En voulant scruter jusque dans ses dernières pro-
fondeurs les mystères de la certitude humaine, Kant a été
saisi d'un vertige phénoménal. Le oui et le non, le vrai et le
faux, l'être et le néant lui apparaissaient mêlés et confondus.
Il n'osa plus affirmer ce qu'il voyait être le vrai, il n'osa plus
nier ce qu'il voyait être l'erreur, et cette espèce de vertige ou
d'hallucination, qui aurait dû n'être que la maladie d'un
Juin. 1863. J PAU M. RENAN. 7
homme et disparaître avec lui, s'est transmise à ses disciples.
Kant, en effet, fit école, et parmi ses disciples il y en eut un
plus hardi, plus paradoxal, plus puissant et en même temps
plus fou que les autres. Il essaya de poser les principes d'une
philosophie nouvelle qui devait être le contre-pied de la logique
ancienne, et au vieil axiome des écoles et du bon sens, que les
quaUtés contradictoires ne peuvent coexister dans un même
sujet, Hegel opposa le principe nouveau, que l'être et le néant
sont identiques.
Si le bon sens dominait toujours les questions, au moins les
questions capitales qui sont le fondement même de la vie de
l'humanité, le système hégélien eût été jugé et condamné du
jour même où il fut formulé. Les seuls honneurs dont il était
digne étaient ceux de Charenton ou de Bicêtre. Mais il est
dans la vie intellectuelle des peuples non moins que dans leur
vie politique certaines heures de vertige, où les idées les plus
insensées pénètrent même les intelligences les plus heureu-
sement douées, et l'Allemagne, la grande et savante Aile*
magne , avec ses philosophes, ses érudits et ses rêveurs ,
subit la contagion de cette maladie sortie d'un cerveau surex-
cité ou d'une intelligence dévoyée.
C'est à cette école allemande que s'est formé M. Renan.
Son étude de prédilection semble être l'étude des langues, la
linguistique comparée, dont l'Histoire générale des langues sé-
mitiques nous a donné un premier essai. Or, cette étude est
spécialement l'étude des Allemands. Avec cette ténacité et cette
ardeur infatigable que rien ne rebute, ils scrutent les origines,
poursuivent partout les vieux parchemins, les déroulent avec
un soin minutieux, examinent et compulsent tous les détails,
suppléent par leurs conjectures aux documents qu'ils ne peu-
vent découvrir, et s'acquièrent ainsi cette renommée de science
qui a permis de désigner leur patrie tout simplement sous ce
nom : la savante Allemagne. Mais, en étudiant la science des
Allemands, M. Renan a aussi puisé, à grands traits, l'esprit
8 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tomo Vlil.
allemand. Il est, comme un Allemand pur sang, la fine fleur
des disciples de Hegel, l'homme des contradictions par excel-
lence. Il semblerait que ce dût être là sa grande faiblesse, et
c'est au contraire sa force.
Le caractère général de ses premiers écrits est d'être sans
caractère, ou au moins de dissimuler leur vrai caractère sous
une foule de réticences, d'atténuations et de contradictions.
Comme l'a éloquemment montré Mgr 1 evêque d'Orléans, il
apporte -dans toutes les questions qu'il traite les mêmes incer-
titudes, les mêmes doutes, les mêmes contradictions. Il est
difficile de formuler ses erreurs d'une manière précise. Il en
est peu qui ne soient accompagnées de quelques restrictions,
d'atténuations, et au moment même où il semble les atténuer,
il les reproduit sous une forme plus vive, plus incisive. D'un
autre côté, vous ne trouverez jamais chez lui une vérité formu-
lée catégoriquement. La sagesse pour lui consiste à croire que
nul homme n'a si complètement tort qu'il n'ait à un certain
point raison, ni si complètement raison qu'il n'ait tort d'une
certaine manière. Lui seul, sans doute, échappe à cette loi dont
il semble qu'il ait voulu nous donner une grande démonstration
dans la personne du Sauveur; lui seul, car il ne se compromet
ou du moins feint de ne vouloir se compromettre avec aucune
affirmation. Ainsi, tout en répétant les arguments les plus usés
des impies du dernier siècle, il proteste d'un profond respect
pour la religion. « J'ai cru à toutes les révélations qui sont au
fond du cœur de l'homme; jamais l'une d'elles ne m'a empê-
ché d'écouter l'autre. J'ai toujours pensé que leurs contradic-
tions n'élaient qu'apparentes, et que le parti d'imposer silence
à la raison critique au nom des instincts moraux et religieux,
n'avait rien de respectueux pour la divinité. L'esprit scien-
tifique n'est pas pour la rehgion ainsi conçue, un ennemi dont
il faille se défier. Il fait partie de la religion elle-même, et
sans lui ou ne saurait être un véritable adorateur. »
Celte profession de foi nous donne une idée complète de
Juin. 1863.] PAR M. RENAN.' 9
liiommc, de ses dûctriucs, de sa mauière et de sou esprit.
Que d'habilelés fuyantes il sait /aire tenir ensemble ! Comme
la révélation surnaturelle est délicatement niée par cet homme
qui croit à toutes les révélations du cœur de l'homme ! Avec
quel art il met sur une même ligne la révélation chrétienne
el les religions fausses de tous noms, qui sont toutes, la pre-
mière comme les autres, sorties d'une même source! Il ne mé-
prisera pas le christianisme, mais il saura payer aux religions
fausses un large tribut d'hommages, et presque à chaque page
de la Vie de Jésus, il fera au Sauveur l'honneur de lui compa-
rer Mahomet, Luther, sainte Thérèse, Çakya-Mouni surtout, et
les auteurs de la révolution française. Tous ces hommes étaient
des révélateurs !I1 « estime servir la cause delà vraie religion,
et même la cause du christianisme. » Mais il saura concilier
avec son christianisme non-seulement le bouddhisme, le ma-
hométisme et la révolution française, mais aussi l'esprit scien-
tifique dont « le principe essentiel est de faire abstraction du
surnaturel. » Cette abstraction, lisez négation radicale, fait
partie de la religion elle-même, et comme les chrétiens ne la
font pas, ils ne sauraient être de vrais adorateurs.
Si la raison n'existe pas pour M. Renan, si toutes les con-
tradictions ne sont qu'apparentes, ou pourrait lui demander
comment il connaît ce Dieu dont il est, lui, un si grand adora-
teur. Est-ce que les contradictions qui ne sont qu'apparentes
pour M.Renan le seront aussi pour son Dieu? Ou bien son Dieu
renfermera-t-il la collection de toutes les contradictions?
Monseigneur Dupanloup s'est donné la peine de chercher la
réponse à cette question dans les anciens écrits du nouvel
évangéliste, el il a pu la formuler ainsi : « Ce qu'il y a de
très-clair chez lui, c'est là négation d'un Dieu distinct du
monde, c'est-à-dire du Dieu créateur, du Dieu personnel, du
Dieu providence, d,u Dieu vivant et véritable ; et le panthéisme,
sous une forme ou sous une autre, est au fond de toutes ses
théories. Cet esprit dévoyé ne fait qu'osciller d'une formule
10 ÉTUDE SUR L\ VIE DE JÉSUS' [Tome VIII.
panthéistiqiie à une formule panlliéistique : tantôt n'admet-
tant qu'un Dieu abstrait, idéal, produit de la pensée humaine,
inconscient, n'ayant conscience de lui-même que dans et par
l'humanité, ; tantôt rêvant un Dieu qui se développe dans la
nature et dans l'humanité, comme le fond, la substance de
toute existence ; à la fois idéal et réel seulement, mais réel
en tant que fini ; absolument vague et indéterminé : ni per-
sonnel, ni impersonnel, ni inconscient, ni conscient^ mais
toujours inséparablement engagé dans les choses, dans la
nature et l'humanité, de telle sorte que la nature et l'huma-
nité n'étant pas, ce Dieu ne serait pas. » {Avertissement à la
jeunesse, p. 44.) Il nou* semble que la dernière formule du pan-
théisme de M. Renan est celle d'un Dieu purement idéal
que nous réalisons en nous-mêmes à mesure que nous per-
cevons plus clairement ce qu'il nomme simplement Vidéal.
« Jésus-Christ a entrevu l'idéal un moment, c'est pour cela
qu'il a été fils de Dieu. » M. Renan, qui voit cet idéal plus
clairement et d'une manière plus suivie, est sans doute plus
Dieu que Jésus. Il reproche même volontiers au Sauveur de
pousser le panthéisme trop loin. « L'idéalisme transcendant
de Jésus ne lui permit jamais d'avoir une notion bien claire
de sa propre personnah té. » (p. 244'.) Et la chose lui parait si
grave, qu'il répète ce même reproche, p. 305 : « Jésus, nous
l'avons déjà dit, n'eut jamais une notion bien arrêtée sur ce qui
fait l'individualité. »
Ces considérations nous permettent de comprendre comment
la Vie de Jésus, telle que M. Renan nous la donne, est devenue
possible. Avec une raison qui non-seulement ne distingue
pas le vrai du faux, mais qui proclame que leurs contradictions
ne sont qu'apparentes ; avec une'doctrine sur Dieu qui con-
fond Dieu avec les aspirations de notre intell'gence et de
notre cœur, avec l'idéal, on s'explique comment il a eu le cou-
rage de ne pas briser sa plume, toutes les fois qu'elle lui retra-
çait le nom de Jésus.
Commençons maintenant l'examen de ce Uvre.
Juin. 1863.1 PAR M. RENAN. H
§. II, M. Renan et l'Histoire évangélique.
(1 suffit de lire au hasard une des 430 pages qui forment la
Vie de Jésus, pour se convaincre que cette Vie n'est pas une
histoire, mais un roman. Nous devons cette justice à M, Renan,
qu'il avoue lui-même ses prétentions et son but. L'ingé-
nuité de ses aveux sera peut-être un faible antidote pour
tout le venin qui s'y trouve contenu. « Quand je conçus
pour la première fois, dit-il (p. liv), une histoire des origines
du christianisme, ce que je voulais faire, c'était bien, en efifet,
une histoire de doctrines, où les hommes n'auraient eu presque
aucune part. Jésus eût à peine été nommé ; on se fût surtout
attaché à montrer comment les idées qui se sout produites
sous son nom germèrent et couvrirent le monde. Mais j'ai
compris depuis que l'histoire n'est pas un simple jeu d'abstrac-
tions et que les hommes y sont plus que les doctrines. » 11 a
trouvé la personnalité de Jésus trop fortement empreinte dans
l'histoire, son action trop puissante, sa doctrine trop nouvelle,
et surtout l'autorité des Évangiles trop irréfragable pour pas-
ser outre, et se mettre avec la docilité d'un disciple à l'école
de Strauss.
Il a donc voulu compter avec les Évangiles. D'après toutes
les règles delà critique, l'authenticité des Évangiles canoniques
est incontestable à ses yeux. Saint Luc d'abord lui paraît avoir
été à la fois le compagnon de saint Paul et l'évangéliste du
même nom. Seulement il n'aurait écrit qu'après le siège de
Jérusalem, dont la prédiction trop précise blesse les oreilles
délicates de M. Renan. — Les Évangiles selon saint Matthieu et
saint Marc sont antérieurs à celui de saint Luc, qu'ils aient
été écrits soit par les auteurs mêmes dont ils portent les
noms, soit par d'autres disciples des apôtres. — L'Evangile
de saint Jean lui paraît bien être de cet apôtre, tant parce qu'on
ne pourrait expliquer autrement cette grande école d'Éphèse
^2 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIll.
d'où sortirent Polycarpe,Irénée, Papias, que parce que «l'auteur
se met constaoïment en scène comme témoin oculaire, et veut
se faire passer pour l'apôtre saint Jean.» La personnalité de ce
grand disciple de Jésus lui paraît si fortement empreinte dans
cet Kvangile, qu'il éprouve le besoin d'atténuer aussitôt son
autorité par des insinuations perfides. «On est tenté de croire,
dit-il, que Jean, dans sa vieillesse, ayant lu les récits évan-
géliques, fut froissé de voir qu'on ne lui accordât pas dans
l'histoire du Christ une assez grande place; qu'alors il com-
mença à dicter une foule de choses qu'il savait mieux que les
autres, avec l'intention de montrer que, dans beaucoup de cas
où on ne parlait que de Pierre, il avait figuré avec et avant
lui » (p. XXVII et xxviii).
Mais si, d'un côté, M. Renan veut compter avec les Évangiles,
d'un autre côté, il prétend nous donner une « histoire dressée
selon des principes rationnels ( p. xv ). » Or, il trouve si peu
« d'esprit scientifique » dans les Évangélistes, qu'il va jusqu'à
le refuser entièrement à Jésus lui-même, « à qui pourtant il
ne manquait pas autre chose pour faire de sa religion le pur
royaume de Dieu » ( La Chaire d'hébreu , p. 30 ). « Jésus
croyait au surnaturel » ; ses paroles et ses actes portaient une
empreinte divine du surnaturel. Les Évangélistes sont pleins
de la même foi, et, à chacune de leurs pages, le surnaturel
ressort. Comment donc M. Renan résoudra-t-il le problème
de faire, le texte des Évangiles à la main, une Vie de Jésus d'où
le surnaturel disparaisse ?
Comment faire pour écrire une Vie de Jésus qui soit accep-
table à tous ces réformateurs modernes qui se réclament du
nom de Jésus-Christ pour couvrir leurs folies, leurs mensonges
et leurs passions? Le problème était jusqu'à ce jour réputé in-
soluble. Les uns se sont contentés de détacher furtivement de
l'Évangile l'une ou l'autre parole qu'ils ont cru pouvoir natu-
raliser en la faisant passer par le creuset de leur cerveau ;
d'autres, à la suite de Strauss, ont voulu reléguer Jésus-Christ
Juin. IS'-S.J PAR M. RENA^. 13
dans la mythologie; d'autres, pour séparer leur Christ de l'É-
vaugile, ont voulu contester l'âge des Évangiles, et ces derniers,
selon nous, étaient les plus habiles; car la tâche de faire sortir
de l'Évangile, soit le Christ des loges, soit le Christ révolution-
naire, soit le Christ humanitaire, est bien ingrate. M. Renan
s'est au moins cru un géant en afifrontaut le premier la diffi-
culté, mais il en sera quitte pour sa bonne volonté.
Il commence par faire un triage des quatre évangélistes :
« Matthieu, dit-il, mérite évidemment une confiance hors ligne
pour les discours; là sont les logia, les notes mêmes prises sur
le souvenir vif et net de l'enseignement de Jésus.... Mais
les parties narratives groupées dans le premier évangile autour
de ce noyau primitif n'ont pas la même autorité. Il s'y trouve
beaucoup de légendes d'un contour assez mou » (P. xxxvii et
xxxviii). Cette distinction lui paraît tellement importante, que
c'est à peu près exclusivement dans les discours rapportés
par saint Matthieu, qu'il cherche son Jésus à lui. c< L'Évangile
de Marc est moins chargé de fables tardivement inspirées. »
Rappelons ici que, par fables évangéhques, M. Renan entend
tout ce qui dépasse la hmite de son esprit, de sa manière et
de son goût. Grâce à cette prétendue pauvreté de récits mira-
culeux, qui pourtant n'abondent nulle part plus que chez saint
Marc, a rien ne s'oppose pour M. Renan, à ce que le témoin
oculaire de qui saint Marc tenait les observations minutieuses
dont il a rempli son évangile ne soit l'apôtre Pierre lui-même, d
Saint Luc lui paraît éminemment légendaire, et il n'est pas
loin de vouloir le reléguer parmi les apocryphes . Il nous dé-
clare « qu'une grande réserve est naturellement commandée
en présence d'un document de cette nature; » et il promet de
ne l'employer qu'avec discernement, mais sans nous préciser
dans quelle mesure, comme il l'a fait pour saint Matthieu et
comme il va le faire pour saint Jean.
Il divise ce dernier évangile comme il a divisé celui de saint
Matthieu, mais ici il accepte le récit comme celui d'un témoin
14 ÉTUDE «UR LA VIE DE JÉSUS TomeVIU.
oculaire en excluant formellement les discours. Saint Jean est
l'évangéliste du Verbe. Dans le symbolisme chrétien, il est fi-
guré par l'aigle, dont l'œil vigoureux n'est pas même fatigué
par la splendeur du soleil. Il a vengé la divinité de celui dont
il fut l'ami privilégié, quand il la vit attaquée par quelques
rêveurs, quelques Renan du premier siècle. Mais cette affir-
mation de la divinité en toute circonstance, et par le disciple,
et par le maître, est ce qui Liesse spécialement M. Renan.
« Jean met dans la bouche de Jésus des discours, dont le ton,
le style, les allures, les doctrines n'ont rien de commun avec
les logia rapportés par les synoptiques (les trois premiers
évangélistes). La difl'érence est telle qu'il faut faire son choix
d'une manière tranchée. Si Jésus parlait comme le veut Mat-
thieu, il n'a pu parler comme le veut Jean » (p. xxis). M.
Renan donne ainsi carrière à son éloquence pendant plusieurs
pages, trouve « ces discours raides et gauches, avec un ton si
inégal et si faux qu'ils ne seraient pas soufferts par un homme
de goût à côté des délicieuses sentences des synoptiques. » II
voue même à saint Jean comme une haine spéciale, et il lui
trouve des « taches où l'on aime à voir les interpolations d'un
sectaire. » Eu le lisant il « sent des indices qui mettent en
garde contre la bonne foi du narrateur » (p. xxiv). Quand il
cite ces touchants détails que nous donne saint Jean sur sou
iutimité avec le divin Sauveur, il ne le fait pas sans soulever
quelques doutes. A la dernière Cène, « Jean {c'est lui du moins
qui l'assure) était couché sur le divan, à côté de Jésus, et sa
tête reposait sur la poitrine du Maître » (p. 384). Parlant des
derniers moments du Sauveur, il dit : « Jean, gui pi^étend l'a-
voir vu. » Ailleurs il l'accuse de calomnier Judas, car Judas
est un protégé de M. Renan: « Jean voudrait en faire un vo-
leur, un incrédule depuis le commencement, ce qui ^'a au-
cune vraisemblance... La haine particulière que Jean témoi-
gne contre Judas, confirme cette hypothèse. »
Voilà la manière dont JM. Renan fait un choix dans les évan-
Juill. 1863.] PAR M. RENAN. 1b
gélistes. Of;, suivre de telles doctrines en matière do
critique historique, c'est renoncer à tout jamais au titre d'his-
torien. Eh quoi! voilà dix-huit ceuts ans que les Évangiles
sont en possession de la foi des chrétiens, que les fidèles y
trouvent l'aliment de leur foi, de leur espérance, de leur
amour, et les impies la matière de leurs doutes et de leurs
blasphèmes. Voilà dix-huit cents ans que ces écrits sont ré-
vérés comme des inspirations de l'Esprit-Saint, que les génies
les plus puissants les ont lus et médités avec un bonheur, un
tressaillement intérieur de joie et d'amour qu'aucune autre
lecture n'a jamais su produire, que les hommes les plus
simples y ont trouvé, non moins que les autres, la paix, la
suavité et la joie. Voilà dix-huit cents ans que les récits
évangéliques convertissent les âmes, amènent les incrédules à
la foi et subjuguent ceux-là mêmes qui veulent se soustraire à
leur divine influence. Et aujourd'hui M. Renan vient nous
déclarer qu'il les répudie Tun a pour des parties narratives à
contour assez mou ; » l'autre, a pour des discours raides et
gauches. » On a peine à contenir ici son indignation. Ces dis-
cours qne M. Renan ne trouve pas assez académiques, c'est
le discours de la Cène que nous mettons n'importe qui au défi
de lire sans le plus vif attendrissement, et qui a fait verser à
lui seul plus de larmes que tous les Renan du monde ne pour-
raient jamais inventer de blasphèmes; c'est cette admirable
€t divine prière du chap. XVII, où Notre-Seigneur exprime,
au moment de la dernière séparation, ses sentiments pour son
Père et ses sentiments pour nous. Ces récits « à contour
assez mou, » ce sont les récits de tous les miracles de Jésus-
Christ: de ces miracles qui, tout en manifestant la puissance
divine, étaient autant de bienfaits et plus encore l'expression
de l'amour de Jésus que la manifestation de sa divinité !
Y a-t-il rien dans ce que dit M. Renan, qui puisse ébranler
ou diminuer la foi aux Évangiles ? Il refuse d'y croire parce
qu'il y trouve le surnaturel, la divinité de Jésus-Christ. Mais
16 ETUDE EUR LA VIE DE JÉSUS [TonidVIll.
cette divinité y est encore plus prouvée qu'affirmée par des
œuvres que Dieu seul peut faire. C'est parce que ces œuvres
ont été faites par Jésus-Christ, que le monde a cru à Jésus-
Christ comme envoyé de Dieu, du Dieu personnel, vivant,
qui n'est pas le Dieu de M. Renan, mais le Dieu des chrétiens;
et c'est parce que Jésus-Christ, en confirmant sa mission par
des miracles, s'est dit Fils unique de Dieu, sorti du sein de
son Père, pour nous révéler sa vérité et son amour, que les
hommes ont cru à Jésua-Christ comme Fils de Dieu, qu'ils
ont cru à la vérité et à l'amour divin qu'il nous a fait con-
naître.
L'unique question est donc celle de l'autorité historique des
Évangiles. Or, tous les témoignages sont ici réunis, les témoi-
gnages des premiers disciples, les témoignages de ceux qui
se sont convertis à leur voix, les témoignages des ennemis eux-
mêmes; et tous ces témoignages sont portés à leur plus haute
puissance. Le plus haut témoignage est celui de témoins qui
versent leur sang. Il y en a ici un plus haut s'il est possible :
tous ces témoins non-seulement versent leur sang; mais, pré-
voyant bien qu'ils auront un jour à le verser, ils vont au-
devant de leur martyre avec calme, amour, à travers des
dangers, des privations, des persécutions de toute nature. Nul
n'a été plus qu'eux à même de savoir ce que Jésus-Christ a dit
et fait; et quand ils nous le redisent dans leurs divins écrits,
ils confirment leur témoignage de toute une vie d'apostolat
terminée par le martyre. Les nombreux néophytes que leurs
prédications gagnèrent à la religion étaient parfaitement à
même de contrôler la vérité des faits. Chaque conversion était
un nouveau témoignage qui a d'autant plus de valeur qu'il
était plus dangereux d'être chrétien. En outre ces innombra-
bles ennemis qui entouraient déjà le christianisme naissant
étaient vivement intéressés à convaincre les apôtres d'impos-
ture. Leur silence est un témoignage de la plus haute impor-
tance. Non, en présence de cette prédication, de ces couver-
Juin. 1853.] PAR M. RENAN. 17
sions et de ce silence, ce n'est pas ]a délicatesse du sentiment
de M. Renan qui nous empêchera d'ajouter foi aux Évangiles,
pas plus que l'impression pénible que la musique semble pro-
duire sur certains êtres ne nous empêchera d'admirer une
belle symphonie.
Une deuxième raison qu''il avance pour autoriser le choix
qu'il fait, ce sont les contradictions des évangélistes, auxquels
il prête sa propre doctrine des nuances : « Uniquement at-
tentifs à mettre en saillie l'excellence du Maîtresses miracles,
son enseignement, les évangélistes montrent une entière in-
différence pour tout ce qui n'est pas l'esprit même de Jésus.
Les coutradirtions sur les temps , les lieux , les personnes
étaient regardées comme insignifiantes » (p. xlv). Nous re-
connaissons volontiers que les évangélistes ne se préoccupaient
pas de l'idée des contradictions. Quand je raconte une histoire
dont j'ai été témoin oculaire, je n'ai qu'âme préoccuper des
choses que j'ai vues, des paroles que j'ai entendues, et nulle-
ment de la manière dont un autre racontera les mêmes faits.
Il en sera de même d'un second témoin oculaire. Sou récit
différera du mien, nous n'aurons pas insisté également sur les
mêmes circonstances; mais ou ne pourra pas trouver de con-
tradiction entre les deux récits. Il en est arrivé de même pour
les évangélistes, et les quelques contradictions apparentes
qui s'y rencontrent ont été l'objet de solutions satisfaisantes
que l'on peut lire dans les commentateurs du texte sacré.
Une troisième raison de choisir parmi les récits évangéliques,
c'est que« plusieurs récits, surtout de saint Luc, sont inventés
pour faire ressortir vivement certains traits de la physionomie
dé Jésus. )) Le compliment est assurément peu flatteur pour
les évangélistes, peu flatteur aussi pour tous ceux qui ont en-
touré Notre-Seigneur pendant tout le cours de sa vie publique.
Les apôtres sacrifiaient leur repos de. tous les jours, ofîraient
leurs fatigues, leurs voyages, leur vie et leur mort pour gagner
les hommes à Jésus, leur maître, et ils auraient laissé s'accré-
*I8 ÉTUDE SUR LÀ VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
<iiter des récits mensongers sur son compte ! Non-seulement
ils ne se permettaient point d'altérations, mais ils aimaient
mieux endurer la mort que de garder le silence , et vous
mettez à leur charge des évangiles faux, inventés dans un
but quelconque ! — « Jésus serait un phénomène unique dans
riiistoire si, avec le rôle qu'il joua, il n'avait été bien vite
transfiguré ! » Sans cesser d'être un phénomène unique dans
l'histoire, Jésus-Christ a vu dénaturer son caractère. C'est
pourquoi parmi les divers récits qui surgirent, l'Église choisit,
les apôtres choisirent, et ceux qui renfermaient des « récits in-
ventés, des anecdotes conçues,» étaient rejetés, privés de toute
autorité, et reçurent le nom diapoci^yphes.
Mais accordons, pour un instant, à M. llenan l'usage des ci-
seaux pour le texte évangélique. Permettons-lui de couper ici
les paroles, là les actions. De deux choses l'une, ou bien il dé-
truira le tout, ou bien la page qu'il laissera subsister, quand
il n'y en aurait qu'une seule, suffira pour le convaincre et de
mensonge et de blasphème. Il n'y en a pas une où Jésus-
Christ ne se montre également divin, Fils de Dieu et Dieu
lui-même. Il n'y a pas une ligne, pas un mot, pas une syllabe
de l'Évangile qui sente de loin M. Renan!
« Il ose défier qui que ce soit de composer une Vie de Jésus
qui ait un sens en tenant compte des discours que Jean prête
à Jésus » (p. xxxiii). Nous ne savons ce qu'il veut dire; car
nous n'avons jamais entendu parler d'une Vie de Jésus où l'on
n'aurait pas tenu compte de ces discours, et, néanmoins, nous
croyons que les Vies de Jésus écrites jusqu'à ce jour ont toutes
un sens. II est vrai qu'elles n'ont pas le sens de celle de M. Re-
nan. Elles ont le sens de l'Évangile; elles ont uniquement
pour but de mettre en relief les actions et les paroles du Sau-
veur, tandis que la sienne ne tend qu'à dépouiller le Sauveur
de ses actions et de ses paroles pour lui prêter un « esprit »
qui n'est ni l'esprit de Dieu, ni l'esprit de Jésus.
Il comprend lui-même que les règles qu'il a exposées pour
Juill. 1863.1 PAR M. RENAN. 19
choisir dans les récits évangéliqnes ce qui sera à son usage,
n'ont aucune valeur. Les laissant donc pour ce qu'elles valent,
il nous dit le fin mot de sa méthode historique. 11 a le flair des
« vraies paroles de Jésus, qui se décèlent pour ainsi dire d'elles-
mêmes; dès qu'il les touche dans ce chaos de traditions d'au-
thenticité inégale^, il les sent vibrer » (p. xxxviii). Mais aussitôt
il avoue que cette sensation est très-rare chez lui, qu'il ne l'a
peut-être jamais éprouvée, a On peut dire que parmi les anec-
dotes, les discours, les mots célèbres rapportés par les histo-
riens, il n'y en a pas un de rigoureusement authentique »
(p. XLVii). D'où il conclut « qu'avec de tels documents, pour
ne donner que l'incontestable, il faudrait se borner aux lignes
générales. » Mais ici encore il se trouve mal à l'aise; car la
ligne générale de l'Évangile n'est autre que l'histoire de Dieu
manifesté dans la chair par amour pour les hommes ; et, comme
il faut échapper à cette conclusion, il ajoute : « Dans un tel
effort pour faire revivre les hautes âmes du passé, une part de
divination et de conjecture doit être permise... La raison d'art
en pareil sujet est un bon guide... Dans les histoires du genre
de celle-ci, le grand signe qu'on tient le vrai est (non d'être
resté iidèle à l'histoire, mais) d'avoir réussi à combiner les
textes d'une façon qui constitue un récit logique, vraisem-
blable, où rien ne détonne.» C'est la tâche qu'il s'est imposée
en écrivant son cinquième évangile, secundum Renanum, en
vingt-huit chapitres, tout comme Vèya.\\^\\e secundum Mat-
thxum; mais n'étant pas sûr d'avoir réussi, — et sous ce rap-
port seulement nous sommes pleinement de son avis, — il de-
mande en grâce que sa tentative « ne soit pas taxée de subtilité
gratuite. Il n'y a pas grand abus d'hypothèse à supposer »
qu'un fondateur religieux suive la marche que lui, Renan, a
imaginée. L'imposteur Mahomet l'a suivie; pourquoi l'éter-
nelle Vérité n'en aurait-elle pas fait autant?
Nous sommes donc avertis, le livre que nous donne notre
auteur n'a pas d'autre prétention que d'être une œuvre d'art,
20 ÉTDDE SCR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
de son invention, et dans laquelle rien ne détonne. Il n'a au-
cune espèce de prétention scientifique; il ne nous apporte
aucun document nouveau, et ne se conforme à aucun des
principes anciens en matière d'histoire. Peu s'en faut que les
évangiles ne lui présentent « qu'un être abstrait, un monde
sans réalité. » Ses idées n'ont été modifiées qu'à la suite de la
mission scientifique qu'il reçut du gouvernement français pour
la Palestine, et qui lui permit de parcourir tous les lieux que
Jésus a visités. « Toute cette histoire, dit-il, qui, à distance,
semble flotter dans les nuages d'un monde sans réalité prit ainsi
un corps, une solidité qui m'étonnèrent. L'accord frappant des
textes et des lieux, la merveilleuse harmonie de Fidéal évan-
gélique avec le paysage qui lui servit de cadre furent pour moi
une révélation. J'eus devant les yeux un cinquième évangile,
lacéré, mais lisible encore, et désormais à travers les récits de
Matthieu et de Marc, au lieu d'un être abstrait, qu'on dirait
n'avoir jamais existé, je vis une admirable figure humaine
vivre, se mouvoir. » Cet accord parfait des lieux et des des-
criptions aurait été pour tout autre un motif déterminant de
foi. Si les ruines et les paysages qui nous restent confirment
si pleinement le texte des évangélistes, n'y a-t-il pas lieu de
considérer ceux-ci comme des témoins irréprochables? Ce serait
l'avis de tout autre peut-être; pour lui, au contraire, il est
convaincu que Matthieu et Marc en ont menti, et il va les re-
dresser, eux qui se trouvaient sur les lieux, qui ont vu Jésus
agir, qui ont entendu Jésus parler. Menti ta est iniquitas sibi.
§ m, — M. Renan et le Miracle.
Quelles sont au juste les idées de M. Renan sur le miracle ?
Croit-il à la possibilité du miracle? Croit-il la vérité historique
des miracles de Jésus-Christ ? Croit-il que le miracle, quand
il se produit, est une manifestation exceptionnelle de la puis-
Juin. 1863] PAR M. RENAN. 21
sauce divine ? Nous avouons qu'après une lecture très-atten-
tive de son ouvrage nous n'en savons rien, ou qu'au moins
nous serions bien en\barrassé de formuler sa doctrine.
Lorsque, l'an dernier, il publia La Chaire d'hébreu au
Collège de France, il essaya de prouver à ses « savants col-
lègues » , que le miracle est impossible en droit et qu'il
n'existe pas de fait. « Chacune de vos leçons, leur disait-il,
suppose le monde invariable. Tout calcul est ime imperti-
nence, s'il y a une force changeante qui peut modifier à son
gré les lois de l'univers. «Développant cette pensée, il essayait
de montrer qu'admettre le surnaturel, c'était nier la météoro-
logie, la physiologie, la géologie, l'histoire, la physique. Par
ce procédé il pensait sans doute inspirer une crainte salutaire
à ceux de ses savants collègues qui auraient été tentés de ne
pas penser comme lui, mais nous doutons que sa menace ait eu
grande portée. En efiFet, ce raisonnement est en dehors de la
question. Admettre le miracle, c'est si peu nier la fixité et la
constance des lois delà nature, que c'est au contraire l'affirmer
de la manière la plus haute. Toutes les fois qu'un fait déroge
aux lois de la nature, il ne peut avoir sa raison d'être que dans
une intervention spéciale, exceptionnelle de celui qui est l'au-
teur même de ces lois.
Nier le miracle, c'est supposer ou que les lois de la nature
n'ont pas leur raison d'être dans la volonté du Créateur, ou
que le Créateur n'a pas le pouvoir de déroger, en vue d'une
manifestation surnaturelle de lui-même aux lois qu'il a faites.
Nous ne croyons pas qu'il soit possible, même à M. Renan,
d'imaginer une autre hypothèse. Mais il ne peut admettre la
seconde; car si Dieu a créé la monde, le monde appartient
bien authentiquement à Dieu, et les lois de la nature n'ont pas
cessé de dépendre de lui depuis qu'il les a établies. Il faudrait
donc, pour croire à l'impossibilité du miracle, se réfugier dans
l'hypothèse de l'existence du monde par lui-même et sans
création, et aboutir aux folles aberrations du panthéisme.
22 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome MU.
A ce premier argument, le professeur de langues orientales
au Collège de France en joignait un second. « Il ne s'agit pas
ici de métaphysique ; il s'agit de faits à constater. Or, il est
certain que jamais miracle n'a eu lieu dans les conditions
voulues pour créer une conviction rationnelle. Au lieu de se
passer devant des gens crédules, étrangers à toute idée scien-
tifique (en lisant la Vie de Jésus on comprend que l'idée scien-
tifique soit la marotte de M. Renan; c'est comme la lumière
pour un aveugle), il devrait se passer devant des commissions
composées d'hommes spéciaux, variant les conditions comme
on le fait dans les expériences de physique, réglant elles-mêmes
le système des précautions et forçant le thaumaturge à opérer
dans les circonstances posées par elles (p. 24). » Ce n'est pas
la seule page de M. Renan que nous pourrions recommander
aux rédacteurs de VAlmanach comique pour 1864. Imaginons
pour un moment un assassin traduit devant une cour d'assises ;
supposons que plusieurs témoins aient déposé avoir vu l'accusé
commettre le crime, et mettons dans sa bouche le discours de
M. Renan : « Il ne s'agit pas ici de métaphysique. Messieurs
les jurés, il s'agit d'un fait à constater. Or, il est certain que
jamais assassinat n'a été commis par moi dans les conditions
voulues pour créer une conviction rationnelle. Au lieu de se
passer devant des gens crédules, étrangers à toute idée scien-
tifique, le fait eût dû se passer devant des commissions com-
posées d'hommes spéciaux, réglant elles-mêmes le système de
précautions nécessaire pour établir une complète certitude. »
Nous croyons que malgré la gravité des circonstances, les juges
auraient peine à garder leur sérieux, et si un pareil discours
pouvait les convaincre d'une chose, ce serait de la folie de l'o-
rateur. Ils l'enverraient peut-être àCharenton, au lieu de l'en-
voyer à l'échafaud.
Non, un fait sensible, matériel, palpable n'a pas besoin de
se passer sous les yeux de l'Académie pour être constaté.
L'oflScier de l'état-civil inscrit authentiquement les naissances
Juin. 1803.] 1 ; î I : : . ? . 23
saus avoir recours à elle ; dans nos campagnes on enterre bien
et dûment les morts sans consulter la science; le gendarme
s'empare du malfaiteur, le percepteur touche les impôts, le la-
boureur sème et moissonne son blé, saus songer une seule fois
à s'occcuper de Messieurs les Académiciens, Supposons donc
qu'un homme soit aveugle de naissance et qu'à l'âge de trente
ans on vienne lui dire : Voyez; et qu'aussitôt il recouvre la vue :
en vérité je crois qu'il faudrait bien du courage, même à
M. Renan qui en a tant, pour venir lui dire : Mon ami, attendez
pour affirmer que TAcadémie des sciences ait examiné le fait,
posé ses conditions, et rendu son oracle.
Voilà donc les idées de M. Renan sur le miracle avant la
publication de la Vie de Jésus. Dans cette Vie elle-même nous
en trouvons deux théories différentes. La première, qui con-
siste dans une négation pure et simple du miracle, est exposée
dans l'Introduction, et se confond avec celle qu'il exposait l'an
dernier à ses « savants collègues. » Mais laissant de côlé l'ar-
gument ad hominern qu'il leur avait adressé, il s'engage dans
ce joli raisonnement que nous voudrions voir figurer dans les
ouvrages élémentaires de philosophie à l'article Cercle vicieux :
a Chercheràexpliquerlesmiracles ou les réduireà des légendes,
ce n'est pas mutiler les faits au nom delà théorie ; c'est partir
de l'observation même des faits » (p. l). Donnons à l'argu-
mentation une forme plus précise :
Il n'y a pas de miracles, car nous n'en trouvons dans aucune
histoire. Nous n'en trouvons dans aucune histoire, car les
histoires quinous les racontent sont fausses. Elles sont fausses,
•car elles racontent des miracles. Or, da capo, il n'y a pas de
miracles,.., et continuer ainsi indéfiniment.
Cet argument est suivi de celui que, plus haut, nous avons
vu tiré de ce qu'il n'y avait pas encore à cette époque d'Aca-
démie des sciences. C'est un aveu de pauvreté d'être ainsi
réduit à se copier soi-même, et de servir au public un mets
dont ses « savants collègues » auront fait fi l'an dernier.
24 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS ITome VIII.
M. Renan a cependant une deuxième théoiie qu'il expose
dans le chapitre xvi. Il y avoue ingénument que Jésus-Christ a
fait des miracles, et (c. xviii)que les apôtres en faisaient aussi,
a II serait commode de dire que ce sont là des additions de
disciples bien inférieurs à leur Maître, qui, ne pouvant conce-
voir sa vraie grandeur, ont cherché à le relever par des pres-
tiges indignes de lui. Mais les quatre narrateurs de la vie de
Jésus sont unanimes pour vanter ses miracles. Nous admettons
donc sans hésiter que des actes qui seraient maintenant con-
sidérés comme des traits d'illusion ou de folie ont tenu une
grande place dans la vie de Jésus. » Recueillons cet aveu qui
est, à lui seul, la négation de la Vie de Jésus et de toutes les né-
gations de M. Renan. Aussi lui coûte-t-il infiniment, et le ma-
laise qu'il lui fait éprouver nous présente un curieux spectacle.
Jésus est « choquant, » dit-il (p. 259) ; les miracles sont « fati-
gants, très-blessants, désagréables à Jésus lui-même ; ils for-
ment le côté ingrat de son histoire; lui, Renan, en esta offusqué»
(pp. 265-268) et « si jamais le culte de Jésus s'affaiblit, ce sera
à cause de ses miracles. » Nous comprenons cette gène, cet
embarras. Car enfin, malgré tout le déplaisir que peut en
éprouver M. Renan, le vieil axiome de l'école subsiste tou-
jours : Factum infectum fieri nequit, et si Jésus a fait des mi-
racles, c'est qu'il en a fait. Tirez-vous en comme vous pourrez,
historien qui voulez écrire une Vie de Jésus «d'après des prin-
cipes rationnels, de manière pourtant que rien n'y détonne. »
M. Renan cherche donc d'abord à excuser, puis à expliquer
les miracles de Jésus.
Le plaidoyer qu'il fait pour lui est en plusieurs points,-
Premier point : Jésus ne savait pas que le miracle était irnpos-
sible. 11 faut ici laisser la parole à l'avocat : « Encore moins
connut-il l'idée nouvelle créée par la science grecque, base de
toute philosophie, et que la science moderne a hautement con-
firmée, l'exclusion des dieux capricieux auxquels la naïve
croyance des vieux âges attribuait le gouvernement de l'uni-
Juill. 1863.1 ^^^' "• RENAN- 23
vers. Près d'un siècle avant lui, Lucrèce avait exprimé d'une
façon admirable rinflexibililé du régime général de la nature.
La négation du miracle, cette idée que tout se produit dans
le monde par des lois où l'intervention personnelle d'êtres
supérieurs n'a aucune part, était de droit commun dans les
grandes écoles de tous les pays qui avaient reçu la science
grecque. Peut-être mêmeBabylone et la Perse n'y étaient-elles
pas étrangères. Jésus ne sut rien de ce progrès » (p. 40). En
vérité Jésus-Christ mérite bien qu'on lui pardonne d'avoir fait
des miracles, puisqu'il était assez ignorant pour ne pas savoir
que le miracle est impossible. Si nous ne savions pas que M.
Renan est professeur au Collège de France, nous croirions
volontiers qu'une pareille page signée de lui devrait à tout
jamais l'en tenir éloigné. Comment Jésus qui faisait des mira-
cles était-ii assez ignorant pour savoir que le miracle était im-
possible. Ab esse ad posse valet conclusio. Il nous semble que ce
principe n'a pas encore été renversé.
Mais il y a mieux.
Deuxième point. Cette ignorance est cause que la nature lui
obéit : « La nature lui obéit ; mais elle obéit aussi à quiconque
croit et prie ; la foi peut tout. Il faut se rappeler que nulle
idée des lois de la nature ne venait dans sou esprit, ni dans
celui de ses auditeurs^ marquer la limite de l'impossible. Les
témoins de ses miracles remercient Dieu d'avoir donné de tels
pouvoirs aux hommes » (p. 245).
Sans s'en douter, M. Renan rappelle ici la loi du miracle :
croire el prier, voilà les deux conditions que Jésus assigne aux
miracles^ et tous ceux que nous trouvons dans l'histoire de
l'Eglise ont été opérés sous cette double influence de la foi et
de la prière. Mais la troisième influence qu'assigne M. Renan,
l'ignorance des lois de la nature, nous parait faible. Les lois
de la nature sont indépendantes de la connaissance que nous
en avons. Le soled se levait avant que M. Renan ne connût les
lois du mouvement diurne, et nous croyons que l'ignorance
26 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉ^US [ Tome III.
grande qu'il étale des lois du monde naturel et du monde
surnaturel, ne lui permettront jamais de soustraire ni l'un ni
l'autre de ces deux mondes aux lois qui les régissent. L'unique
puissance de ce genre que nous soyons prêt à lui reconnaître,
c'est la faculté qu'il possède, dont il use et dont il abuse, de se
soustraire aux lois du bon sens, de l'honnêteté et de la décence ;
mais qui voudrait y voir un miracle?
Troisième point. « Le problème d'ailleurs se pose de la
même manière pour tous les saints et les fondateurs religieux.
Presque jusqu'à nos jours, les hommes qui ont le plus fait pour
le bien de leurs semblables (l'excellent Vincent-de-Paul lui-
même), ont été, qu'ils l'aient voulu ou non, thaumaturges. »
C'est parfait, ou à peu près. Mais étendre le problème n'est pas
le résoudre. Dire que les saints, l'excellent Vincent-de-Paul
lui-même, ont été thaumaturges, c'est précisément constater
le fonctionnement de la loi du miracle établie par Jésus-Christ
sous la double influence de la foi et de la prière. C'est recon-
naître uon-seulerùent que Jésus-Christ a fait des miracles par
lui-même, mais qu'il a eu le pouvoir de communiquer cette
puissance à d'autres. Quand donc M. Renan s'avisera-t-il d'en
faire! L'Académie des sciences a-t-elle déjàélé convoquée pour
assister à l'expérience ?
Quatrième point. Pardonnons à Jésus ses miracles en raison
de l'utilité qu'il en retirait. « Deux moyens de preuves, les
miracles et l'accomplissement des prophéties, pouvaient seuls,
d'après l'opinion des contemporains de Jésus, établir une mis-
sion surnaturelle. Jésus et surtout ses disciples employèrent
ces deux procédés de démonstration avec une parfaite bonne
foi... 11 est probable que l'entourage de Jésus était plus frappé
de ses miracles que de ses prédications si profondément divi-
nes » (p. 255 et 259). Nous sommes confus, en vérité, d'être
aussi arriéré que nous le sommes. Supposons que le siècle où
vit M. Renan s'appelle le dix-neuvième, nous serons forcés
d'avouer que nous sommes en arrière de lui de dix-huit siècles,
Juil!.18C3.1 PAR M. RENAN. 27
et au-delà. Nous croyons fermement, avec les contemporains
de Jésus, que les miracles et raccomplissement des prophéties
prouvent la mission surnaturelle, et notre foi en Jésus-Christ
repose principalement sur ce double genre de démonstration.
Il n'y a que Dieu qui soit le maître ; pour lui seul le passé, le
présent et le futur se confondent en un invariable présent ; lui
seul tient entre ses mains les destinées de la nature et celles
de l'humanité ; nomme les choses qui ne sont pas comme celles
qui sont, commande à la maladie, à la mort et à la vie, et
lorsque nous voyons se manifester cette puissance essentiel-
lement propre au Dieu vivant, personnel et éternel, nous sou-
mettons notre esprit, nous soumettons notre cœur. Nous nous
écrions avec les mages de l'Egypte : a Le doi'^t de Dieu est
ici,» etnousajoutonsavecle jeune Samuel: «Parlez, Seigneur,
votre serviteur écoule ! <j
Cinquième point. « Beaucoup de circonstances semblent
indiquer que Jésus ne fut thaumaturge que tard et à contre
cœur... On dirait, par moments, que le rôle de thaumaturge
lui est désagréable. » M. Renan prête ici ses propres répugnan-
ces à Jésus ; parce que les miracles pèsent à Renan, ils doivent
peser à Jésus ! 0 Renan ! 0 Jésus ! 0 Jésus, pardonnez à Renan,
il ne sait ce qu'il dit !
Car il dit encore que vous faisiez des miracles comme il est
persuadé que lui en saurait faire, s'il était moins savant. « La
médecine scientifique était encore inconnue des juifs de Pales-
tine. Dans un tel étal de connaissances, la présence d'un
homme supérieur est souvent un remède décisif. Qui ose-
rait dire que, dans beaucoup de cas et en dehors des lésions
tout à fait caractérisées, le contact d'une personne exquise
ne vaut pas les ressources de la pharmacie?» (p. 260.) Que de
malades il guérirait par le contact desa« personne exquise,»
lui Renan, «homme supérieur » s'il se trouvait dans un autre
« état de connaissances ! » Il n'eût probablement été embar-
rassé que pour (( les lésions tout-à-fait caractérisées » et pour
28 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VUI.
les personnes absentes; mais je ne sais s'il regarde l'état d'une
personne en voie d'être portée dans sa tombe comme lésion
bien caractérisée.
Il ose dire encore en parlant du miracle de la multiplication
des pains dans le désert : « Grâce à une extrême frugalité, la
troupe sainte y vécut ; on crut naturellement voir en cela un
miracle. » .Mais de deux choses l'une : ou la frugalité était
extrême pour que cinq mille hommes, femmes et enfants non
compris, fussent rassasiés avec cinq pains et deux poissons,
et alors leur estomac creux les empêchait de voir naturellement
un miracle dans la faim qu'ils souffraient ; ou bien ils furent
rassasiés, et alors il était naturel de croire au miracle. Mais si
nous admettions encore qu'ils n'eussent rien mangé, et que,
malgré les cris de famine de leur estomac, ils eussent seulement
cru être rassasiés, le miracle subsisterait encore dans les
douze paniers de restes que l'on ramassa.
Il croit atténuer encore les miracles en disant que « les
types en sont peu nombreux. » Voilà du nouveau ! Nous avions
cru jusqu'ici en trouver une assez belle variété depuis le
changement de l'eau en vin aux noces de Cana, jusqu'au
moment où cette simple parole : « C'est moi, » suffît à renverser
à terre toute la cohorte qui accompagnait le traître Judas. Il
y a la multiplication des pains, les démons chassés, les boiteux
recouvrant l'usage de leurs jambes, les paralytique.s, même
de 38 ans, celui de leurs membres ; la vue rendue aux aveugles,
l'ouïe aux sourds, la parole aux muets ; guérisons des lépreux,
des maladies de toute nature, et entr'autres des résurrections
de morts; et encore cette énumération est-elle incomplète. Il
faut vraiment être difficile pour ne pas s'en contenter! Mais les
miracles dussent-ils être moins variés encore, n'y en eût-il
qu'un seul dans la vie de Jésus-Christ, il serait encore la mani-
festation de la puissance divine. Il ne serait pas plus facile à
expliquer « d'après des principes rationnels. »
Il explique les possessions par des maladies nerveuses ou
JuiU 1803.] PAR M. RENAN. 29
par de simples bizarreries. Singulières maladies, bien bizarres
en effet ! Mais passons, car il n'y a pas moyen de s'arrêter à
tout. Il faut faire avec M. Renan comme à l'exposition univer-
selle ; on passe à côté de bien des merveilles, mais on ne s'ar-
rête, pour admirer, qu'auprès de quelques-unes qui ne sont
pas toujours les plus curieuses. Nous en passons chez lui beau-
coup, et des meilleures. Les possessions, des maladies ner-
veuses ! Soit, mais encore la guérison de ces maladies ?
Un mot cependant pour la résurrection de Lazare. Nous
avons entendu parler de tel lecteur de la Vie de Jésus qui n'est
pas précisément animé d'une foi très-vive, et qui, après avoir
lu ce récit fait par M. Renan, a jeté sou livre au feu en disant :
Mais ce M. Renan compromet l'incrédulité I Nous serions surpris
qu'un lecteur quelconque, qui se livrerait à la même lecture
par simple curiosité, n'en fit pas de même (1). Il prépare son
(•!) Voici un fail assez frappant, que rapportant plusieurs journaux.
Nous en empruntons le récit à une correspondance adressée de Ver-
sailles à V Union de l'Ouest, en date du -lo juillet, et reproduite par le
journal le Monde, dans son n» du 18 du même mois. « Dimanche der-
nier s'est éteint ici le doyen des rédacteurs du Journal des Débats, et
probablemeiu des journalistes parisiens, M. Delécluze. Le Moniteur a
annoncé qu'il a été frappé;— l'expression n'ost pas juste. Né en
^78'l, rhislorien de David était par conséquent âgé de 82 ans, et plu-
sieurs mois de souffrance ne laissaient plus d'illusion à ses parents et
à lui-même sur le terme de sa carrière. La semaine dernière il se
faisait encore lire l'ouvrage de M. Renan; il interrompit celte lecture
en disant : « Ce livre n'est pas de bonne foi ; en revanche, il ravive la
mienne et me démontre qu'il n'y a de vrai que le catholicisme. » A la
suite de cette parole, il s'entretint plusieurs fois avec un pieux Ca-
pucin, se plut à lui affirmer sa croyance dans la divinité de Notre-
Seigneur, et avant de paraître au dernier tribunal, eut recours avec
empressoment à Celui qui, selon la belle expression de Royer-Collard,
justifie ceux qui s'y accusent.
t II m'a semblé instructif de vous renseigner sur cette fin douce et
chrétienne à laquelle M. Renan a coopéré sans le vouloir. Quelques
collègues de M. Delécluze étaient surpris hier de voir à côté de son
cercueil un enfant de Saint-François ; le mol de l'énigme était que le
défunt s'était jeté à ses pieds, s'était écrié avec une vive piété : « Je
30 ÉTUDE SUR L.i VIE DE JÉSUS. [Tome VIII.
lecteur de loin au récit qu'il va faire : « 11 faut se rappeler ici
que la condition essentielle de la vraie critique est de compren-
dre la diversité des temps et de se dépouiller des répugnances
instinctives qui sont le fruit d'une éducation purement raison-
nable. » Puis abordant le récit : « Il est vraisemblable que le
prodige dont il s'agit ne fut pas un de ces miracles complè-
tement légendaires, et dont personne n'est responsable. «Vien-
nent ensuite les explications. Il y en*a au choix : « La joie de
son arrivée put ramener Lazare à la vie... Peut-être Lazare,
pâle encore de sa maladie, se fit-il entourer de bandelettes
comme un mort, et enfermer dans un tombeau de famille. »
Fi donc, M. Renan, ti pour la première explication! fi pour la
seconde ! On ne ment pas ainsi à l'histoire. Lazare mort depuis
quatre jours, Lazare déjà mis dans son tombeau, Lazare ré-
pandant l'infection du cadavre que messieurs les académiciens
n'ont pas le monopole de sentir, voilà le fait ; voilà ce qu'était
l'homme à qui Jésus dit: Lazare, sors ! On ne se joue pas ainsi
de la vérité et de la notoriété des faits, de la sainteté des ca-
ractères, du respect des lecteurs et du respect de soi-même.
Vous avez beau vouloir atténuer; votre atténuation est un
nouveau blasphème : k La mort, d'ailleurs, allait dans quelques
jours lui rendre sa liberté divine, et l'arracher aux fatales né-
cessités d'un rôle qui chaque jour devenait plus exigeant, plus
difficile à soutenir. » Fi encore, fi ! — Rappelez-vous donc ce
que vous écrivez, p. 452. o Gardons-nous, dites-vous, de mu-
te tiler l'histoire pour satisfaire nos mesquines susceptibilités.»
Ce n'est pas seulement une vaine susceptibilité, c'est un orgueil
impie et satanique de refuser l'adoration au Dieu éternel,
Créateur du ciel et de la terre. Mais quand ce Dieu se mani-
feste dans la chair, qu'il fait éclater partout sa puissance en
suspendant les lois de la nature, en se faisant obéir par tous
veux un prêlre et un cruciflx à baiser...; mon cœur se dégonflera dans
le sien, il prendra mon àme el je prendrai son Dieu. »
jmll. 1863) PAU M. RENAN. SJ'
les éléments, en commandant à la mort de rendre ses victimes,
en se faisant rendre hommage, même par les esprits malfai-
sants qui tourmentent les hommes; quand de plus ces faits ont
acquis pour vous cette évidence contre laquelle vous avouez que
vous vous débattez vainement, et qu'alors encore vous refusez
votre adoration, et que vous vous mettez à la tête de l'armée
qui combat les adorateurs et les croyants, alors, oh alors !
votre crime devient. incomparable. « Gardez- vous, oh! gardez-
vous de mutiler encore l'histoire pour satisfaire ce que vous
appelez vos mesquines susceptibilités,» et pour vous soustraire
à la nécessité d'adorer et d'aimer !
J.-I. SiMONIS.
DE L'ETAT DE NATURE
ET DU piCHÉ ORIGINEL.
Quid eslhomo, sive controversia de slalunaturse pursc, auclore Aiit.
Casinio, S. J., edilio aucla el nolis illuslrala opéra D"^ M.-Jos.
Scheebcn, prof, ia sem. arch. CoIod- Moguntiae, 1862.
Premier article.
Le P. Casini, né à Florence, en 1687, enseigna au Collège
romain l'éloquence, la langue hébraïque, TÉcriture sainte, et
mourut à Rome, en 1755. Outre plusieurs ouvrages philolo-
giques dont les PP. Aug. et L. de Backer donnent l'énumé-
ration dans leur Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de
Jésus (Liège, 1856), il composa, pour réfuter les erreurs de
Baïus et de Janséuius, l'ouvrage dont nous venons de transcrire
le titre, et ijue M. Scheeben a eu la bonne pensée de tirer de
roubli(l).
Le P.Casini suit la méthode de Petau : il recueille, sur cha-
cun des points qu'il traite, uu grand nombre de témoignages
des saints Pères. Quand il prend la parole en son propre nom,
il le fait en un style nerveux et élégant, qu'il semble avoir em-
prunté à l'illustre auteur des Dogmes théologiques.
M. Scheeben, dans sa préface, recherche pourquoi un livre
d'une telle valeur est aujourd'hui si peu connu, et il croit que
cela vient de ce que le P. Casini a indiqué les passages des
Pères, sans les citer intégralement. Aussi l'intelligent éditeur
(I) Les mois Quid est homo ne se irouvent pus dans le litre du
livre, tel que le citent les PP. de Backer. Onl-ils donc supprimé ces
mois, ou iM. Scheeben les aurail-il ajouiés?
Juin. 1863.] ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. 33
a-t-il eu soin de porter remède à ce défaut. De plus, il a ajouté
de nouveaux textes, quelques notes au bas des pages, d'im-
portants éclaircissements à la suite de certains articles,, et en
tète de l'ouvrage, une dissertation sur Bains, dissertation dont
voici l'analyse.
M. Sclieeben ne s'arrête pas sur l'histoire du Baïanisme. Il
renvoie pour cela à l'article Bay de l'encyclopédie de Wetzer
et Welte, article dû à M. KuLn (t). Pour lui, il s'attache à re-
chercher le caractère de la censure des propositions de Baïus,
et le sens authentique de ces propositions.
Les partisans de Baïus, dit-il, prétendirent d'abord que la
condamnation pontificale ne portait que sur la forme et non
sur le fond de la doctrine de leur maître, et n'obligeait qu'à
une sorte de silence respectueux, dans Tintérêtdela paix. Pour
apprécier cette défaite, il faut peser les termes dont se ser-
vent les papes Grégoire XIII, S. Pie V, Urbain VIII. Les voici :
Quas quidem sententias stricto coram nobis examine ponderatas,
quanquam nonnullse aliquo pacto sustineri passent, in rigore et
proprio verborum sensu ab assertoribus intenta kœreticas, erro-
neas, suspectas, temerarias, scandalosas et inpias aures offensio-
nem immiitentes respective, ac quxcumque super iis verbo scrip-
toque €missa,auctoritate prxsentium damnamiis, circumscribimus
et abolemus.
(!) Nous ser:i-t-il permis de dire que cet arlicle ne nous a pas
pleinement saiisfai;? « Èire moralement libre, dit M. Kuhn, est de
l'essence de i'iiomme, mais être artuellement moral ne lui est pas
naturel ou n'est pas nécessaire dans le sens strict ; cel.i est surna-
turel. » Il n'est personne qui ne voie combien ici l'expression laisse
à désirer. Comment concilier les deux parties de (cite autre phrase :
« Nous accordons qu'en admettant que Dieu a créé l'homme in statu
naiurœ purœ, c'est-à-dire seulement avec la puissance de la raison et
de la liberté, on ne satisfait pas l'idée de la perfection de la créition
de l'homme par Dieu, et qu'en ce sens on peut dire que Dieu n'a pu
appeler l'homme à l'existence qu'en vue de cette perfcoiion; mais
nous nions la conséquence, à savoir, que cette perfec;ion, appartenant
à son être, était nécessaire k l'homme. »
Revue des Scienqes ecclésiastiques, t. viii. 3-4.
34 DH l'état de NàTDRE [Tome Vlfi-
Ce jugement renferme évidemment une censure théologique.
n est vrai qu'il ne permet pas d'appliquer à l'une des proposi-
tions telle ou telle des qualifications, si ce n'est la plus douce.
Mais aujourd'hui nous avons la bulle Auctorem fidei, qui a con«
damné comme fausses et erronées les propositions de Baïus sur
la justice originelle. Or, on verra bientôt que toutes les propo-
sitions de Baïus s'enchaînent les unes aux autres, et que, par
conséquent, elles sont toutes atteintes par la condamnation qui
frappe les principales d'entre elles.
Peu satisfaits de ce premier effort, les baïanistes prétendirent
que, dans le jugement pontifical que nous venons de citer,
la virgule placée après passent devait être reportée après m-
tento, modification d'où il résulterait que les propositions n'ont
pas été condamnées au sens de Baïus. Mais ce nouveau subter-
fuge n'eut pas plus de succès que l'autre ; car une vérification
authentique sur l'original de la bulle ayant été ordonnée par
Urbain VIII, il fut constaté que la virgule n'était qu'après poS'
sent. D'ailleurs il est évident que aliquo pacto est mis là par
opposition à un second membre qui ne peut être que in ri-
gore, etc.; d'autant plus que, dans une condamnation, il était
bien plus urgent de dire en quel sens les propositions étaient
condamnées, que de dire en quel sens elles sont soutenables.
Reste à déterminer le sens de la doctrine de Baïus. Les au-
teurs qui y voient une sorte de chaos se trompent. Au con-
traire, presque tout s'y tient. Baïus, au lieu de reconnaître en
l'homme une double bonté, une double ressemblance avec
Dieu, l'une essentielle et naturelle, l'autre supérieure à la na-
ture, rejette la ressemblance divine naturelle, et est conduit
ainsi à prétendre que la justice originelle était due au premier
homme (prop. 21) : non pas qu'elle appartienne à l'essence
de notre nature, comme le disaient les manichéens et les lu»
thérieus, ou qu'elle en découle ; mais parce qu'elle en est une
quahté intégrante. Dieu ne pouvant créer notre nature sans
ce qui lui est nécessaire pour être bonne et heureuse. Ainsi
Juill. 1863.1 ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. 35
la justice était primitivement naturelle, et n'est devenue surna-
turelle que par suite de la chute; d'où il suit que les vertus
théologales et la filiation divine n'élaienJ; pas non plus ajoutées
gratuitement à notre nature (prop. 23, 24); que toute bonne
œuvre est essentiellement méritoire de la vie éternelle {prop.
2, 4, 5, 6, 61); et que le ciel, les mérites, la justice, l'a-
doption divine, les vertus théologales, relativement au pre-
mier homme, ne peuvent être appelés grâces que dans le sens
où les biens naturels peuvent recevoir ce nom (prop. 1, 3, 9).
Autres conséquences : Il n'y a pour l'homme qu'une seule fin,
celle que nous appelons surnaturelle ; un seul amour légitime
de Dieu et du prochain, la charité infuse (prop. 34, 38) ; une
seule bonté dans les actions, celle qui les rend méritoires de la
vie éternelle (prop. 61). L'homme déchu ne peut donc, sans la
grâce de Jésus-Christ, rien faire de bien, pas même aimer
Dieu d'un amour naturel, ni éviter aucun péché (prop. 27,
28, 3G, 37). Le péché originel a détruit le libre arbitre (p. 40),
en même temps que toute image de Dieu en l'homme et tout
penchant au bien. Les mouvements indélibérés vers, les biens
sensibles sont des péchés, car ils sont libres en Adam, qui
nous ayant dépouillés de notre liberté, nous a fait dépendre
en tout de la sienne (pr. 46, 52, 66, 68) (1).
On voit que jusqu'ici toutes les propositions de Baïns décou-
lent de ce fameux principe, que la sainteté originelle était due
à la nature. A cette première série d'erreurs, il en ajoute une
autre, en affirmant que tous les autres dons primitifs, la recti-
tude de la volonté, la connaissance du droit naturel, la soumis-
sion de l'appétit sensible (c. 3 etpr. 26), l'immortalité (pr.78),
l'exemption de la douleur (pr.72),étaieat également dues à la
(1) V. les propositions ilaas Denzioger, Enchiridlon sijmbolorum et
dcfinilionum qux în rebun fidei et moruni a Conciliis œcumenicis et
Sumtnis pontificibus ermnarunl (Wirceburgi 1854), p. 2îO. Ce pelit
livre, plusiLurs fois léimprimé depuis, est un manuel fort comincde.
On [eut Se le procarer ii Paris, chez M. Lecoffrc.
36 DE l'état de NATDRE [Tome MIL
nature ; d'où il suit que Dieu n aurait pas pu créer l'homme
coin me il naît aujourd'hui ; Deus non pofmsset ab initio talent
creare hominem gualis (I) nunc nascitur (p. 55). M. Scbeeben
nous apprend, au sujet de cette célèbre proposition, un fait
assez curieux, c'est qu'elle ne se trouve pas textuellement
dans les écrits de Baïus. Elle n'en est pas moins le résumé
fidèle de ses erreurs, car elle ne signifie pas que Dieu n'eût pu
créer l'bomme dans l'état de pécbé ; en ce sens, elle n'expri-
merait qu'une vérité trop claire pour être niée par qui que ce
soit ; elle signifie que l'bomme n'eût pu être créé sans les
dons que le pécbé originel lui a fait perdre : erreur manifeste,
puisque, ces dons étant gratuits. Dieu pouvait les refuser à
l'bomme, sans que cette privation fût la peine d'un pécbé.
Quand on connaît le sens des propositions de Baïus, on sait
dans quel sens elles ont été condamnées, et quelle est sur tous les
points qu'elles embrassent la doctrine consacrée par l'Église.
Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que Baïus ait accusé de péla-
gianisme ceux qui soutenaient contre lui la gratuité de la
justice originelle (pr. 24). Il ne devait pas ignorer que les péla-
giens rejetaient l'existence de cette justice. Il est probable
qu'il a été conduit à cette étrange accusation par une méprise.
Saiut Augustin disait aux pélagiens : Puisque, selon vous, les
enfanls sont innocents, vous devriez prétendre qu'ils vont au
ciel sans le baptême ; vous avez tort de dire que le royaume
des cieux est un don gratuit dont le baptême est la condition.
—Bains n'a pas fait attention que, le second membre étant un
argument ad hominem, saint Augustin ne voulait pas détinir
en quoi les pélagiens étaient reprébensibles, mais cbercbait
à les mettre en contradiction avec eux-mêmes, en faisant
voir qu'une vérité qu'ils admettaient renverse leurs principes.
Il n'y a donc rien de commun entre les pélagiens et les con-
radicteuis de Baïus. Si les pélagiens ressemblaient à quel-
{\) Et non sicut, comme lit M. Scheeben. — Le même, p. 20, indique
par erreur le prolégomèaeVde Suarez, au lieu Uu prolégomène VI.
i
Juin. ISÔ3.] ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. 37
qu'un, ce serait plutôt à Baïu.s lui-même, car ils disiiicnt
comme lui que le premier homme n'a rien reçu qui n'appar-
tienne à sa nature. Il est vrai que selon eux la nature n'exige
nullement, et ne possédait pas à l'origine les dons que nous ap-
pelons gratuits, et que Buïus avait le tort de croire nécessaires.
Nous n'avons guère fait, dans ce que nous avous dit de
Baïus, qu'analyser l'introduction de M. Scheeben, et nous
croyons n'en avoir négligé aucune idée importante, sinon
quelques passages, mis de côté à dessein, et sur lesquels nous
allons soumettre à l'honorable écrivain de courtes observations.
M. Scheeben montre avec beaucoup d'habileté l'enchaîne-
ment de certaines propositions de Bains sur le mérite, sur le
libre arbitre, sur la justice, etc. Mais ne va-t-il pas trop loin
en disant que presque toutes les propositions de Baius découlent
de son erreur sur la nécessité de la justice originelle? Lui-
même n'ose pas déduire de la nécessité de cette justice la
nécessité de tous les dons qui en formaient l'accompagnement
originel ; et si, vers la fin de son introduction, de ce que la
grâce de J.-C. ne nous rend pas, selon Bains, la justice origi-
Delle, il conclut que, selon Baius, la grâce ne nous rend pas lo
libre arbitre, il ne dit pas pourtant que îe système de Baius
sur la nécessité de la justice originelle, l'obligeait à soutenir
ces deux propositions. Voilà donc dans Baïus deux erreurs
erreurs considérables que M. Scheeben rapporte, sans les rat-
tacher à ce principe, que la justice originelle était due à la
nature. Ajoutons que dans les 79 propositions extraites de
Baius par Pie V et Grégoire XIII, il s'en trouve beaucoup dont
M. Scheeben ne parle pas, et qui roulent sur les sacrements,
sur le sacrifice de la Messe, sur la sanctification, sur les lois,
etc. Nous n'oserions pas prétendre qu'il n'y a aucun lien secret
entre ces diverses erreurs; mais le lien n'est pas toujours an-
parent, et bien qu'il soit permis de dire que les hérétiques, dans
leurs erreurs, obéissent souvent, qu'ils le sachent ou non, à
une logique inflexible, ce serait aller trop loin que de chercher
3K DE l'ÈTàT de WATORB [Tome Tin.
un lien entre toutes leurs propositions, et de les laver ainsi du
reproche d'inconséquence.
M. Scheeben dit que Baïus, au lieu d'entendre, comuDe les
théologiens, par intégrité, les dons gratuits ajoutés à la justice
originelle, comprend sous ce nom la justice originelle elle-
même. Nous ne voulons pas combattre cette assertion; mais
elle ne semble pas démontrée parla citation du c. 3 : Consiste»
bat prima rectitudinis integritas,. non tantxmi in hoc quod mente
per mtegram legis notitiam, etvoluntate, per plenamobedientiam,
etc. (p. 7). Ce qui, dans ce texte, se rapproche le plus de la jus-
tice, c'csiplenam obedientiam. Or, cela ne signifie peut-être que
cette soumission de la volonté, qui rentre, suivant M. Scheeben
lui-même, dans l'exemption de concupiscence. Ce qui ten-
drait à le faire croire, c'est que l'obéissance de la volonté
forme dans ce texte comme le pendant de la connaissance de
la loi naturelle, connaissance qui était certainement un des
dons gratuits de second ordre ajoutés à la justice.
Nous aurions encore à faire quelques réserves au sujet de
la preuve du péché originel par les contradictions de notre
nature, mais cette question reviendra plus loin. Analysons
maintenant l'ouvrage réédité par M. Scheeben.
Le P. Casini annonce d'abord le dessein de prouver la pos-
sibilité d'un état de nature, qui tient le milieu entre l'état de
grâce et l'état de péché; et il déclare que pour cela il traitera;
dans une première partie, de ce que Luther, Baïus. Jansénius,
ont fort d'attribuer à la nature; et, dans une seconde, de ce
qu'ils ont tort de lui refuser. Toutefois, l'exécution de ce plan est
restée incomplète, et le volume qui nous occupe est consacré
tout entier à la première partie.
La marche suivie par le P. Casini est très-méthodique. Le
volume comprend sept articles. Chaque article est divisé en
deux thèses, dont l'une est consacrée aux preuves d'autorité,
et l'autre, aux preuves rationnelles. Chaque thèse est divisée
en trois paragraphes dont le premier comprend les objections,
le deuxième les preuves, et le troisième les solutions.
iuill. 1863) ET DU PÉCHfi ORIGINEL. 39
Article l".
Le premier article est consacré à la discussion générale. Il
contient une ample moisson de textes, pour établir, par Tauto-
rité de la Bible et des saints Pères, la gratuité des dons que le
péché originel nous a fait perdre. Les principaux textes allé-
gués en sens contraire s'expliquent d'eux-mêmes, quand on
sait que les saints Pères appelaient quelquefois naturels ces
dons primitifs, pour signifier que l'homme les a reçus en même
temps que sa nature, et qu'il devait les transmettre avec elle.
Il est un axiome célèbre dans l'école, et qui semble jeter
quelque nuage sur la thèse de l'auteur; c'est que, par le péché
d'Adam, l'homme a été dépouillé des biens gratuits et blessé dans
les biens naturels, spoliatum gratuitis, vulneratum in naturalibus.
M. Scheeben, dans un éclaircissement, fait d'abord observer
que cet axiome n'a d'autre autorité que celle des théologiens
qui s'en servent, et que nous devons le prendre dans le sens
où ils le prennent. Cette observation est juste ; mais l'estimable
éditeur s'est-il souvenu que le concile de Trente énonce une
proposition à peu près équivalente, quand il dit (Sess. vi, c, i)
que le péché originel a affaibli le libre arbitre, tametsi in eis
liberum arbitrium minime extinctwn esset, viribus licet atténua^
tum et inclinatum? Ceci soit dit pour la question d'autorité ;
car pour l'interprétation, on peut appliquer à cette parole du
concile tout ce que dit M. Scheeben de l'adage des théologiens.
11 faut, dit-il, distinguer, dans la justice originelle, la sainteté
qui élève l'homme à la dignité d'enfant de Dieu, et les autres
dons, qui ont pour but de remédier aux imperfections de la
nature. Cette sainteté est surnaturelle dans toute la force du
terme, et c'est elle que les théologiens ont en vue quand ils
disent, spoliatum gratuitis. Les autres dons, bien qu'également
gratuits, sont contenus dans les limites de l'ordre naturel, et
leur absence condamne les divers éléments deuotre nature à
''0 DE l'état DE NATCRE [Tome VIII.
une lutte intestine qui aboutit d'elle-même à la concupiscence
et à la mon. Il est donc vrai que, bien que ces dons ne soient
pas dus à la nature, leur disparition nous blesse dans nos
facultés naturelles.
Cette explication ne diffère pas réellement de celle que
donnent les théologiens, quand ils disent que le péché originel
a affaibli nos facultés par rapport à la perfection que des pri-
vilèges gratuits leur conféraient avant la chute, mais qu'elles
ne sont nullement affaiblies par rapport à ce qu'elles seraient
<laus l'état de nature pure.
Quaut à la partie rationnelle du premier article, voici la
substance des considérations qu'elle contient.
Aujourd'hui, par le péché actuel, nous perdons la grâce
sanctifiante, mais non les facultés naturelles, comme celles de
parler et de voir. Or, il n'y a pas de raison pour que le péché
originel blesse davantage notre nature, puisqu'il est moins vo-
lontaire. Donc, tout ce qu'il nous a fait perdre est en dehors
des facultés naturelles.
En outre, si les dons primitifs avaient été dviS physiquement
à notre nature, ils le seraient encore, quoiqu'elle s'en soit ren-
due moralement indigne ; de même que si la privation d'un œil
avait été une des peines du péché originel, les deux yeux n'en
seraient pas moins dus physiquement à notre nature. Or, Baïus
lui-même n'ose pas aller jusque là.
Puis, l'indignité morale étant enlevée par le baptême, il n'y
aurait pas de motif de ne pas nous rendre les dons originels,
eu présence d'un droit physique.
Enfln, les adversaires admettent-ils, oui ou non, la possibi-
lité de dons supérieurs à la nature? Dans le premier cas,
qu'imaginer au-dessus de la justice originelle? Dans le second,
à quel titre limiter ainsi la puissance de Dieu?
Telles sont les raisons que donne l'auteur. La seconde ne
nous semble être qu'un argument ad hominem. On pourrait la
fortifier en disant que la nature elle-même se sent moins en-
Juin iSnS] ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. 4,1
tamée par la perte des dons primitifs, qu'elle ne le serait par
celle d'un œil. Quant à la troisième preuve, elle n'est pas
rigoureuse, Dieu étant libre de fixer les conditions du pardon
comme il l'entend.
Restent les objections à résoudre. Baïus fait remarquer que
les peines énumérées au III^ chapitre de la Genèse, m dolorepu'
ries, in luboribus comedes, etc., appartiennent à l'ordre naturel.
Jansénius, au contraire, prétend que les dons originels, même
en les supposant dus à Tiiomme, seraient encore surnaturels,
car ils seraient au-dessus des forces de la nature. Ce seraient
aussi des grûces, dil-il, car ils seraient dus physiquement,
Don moralement, ou comme objet de mérite.
La première objection repose sur une fausse idée de l'ordre
naturel. Il est des choses qui appartiennent à cet ordre,
comme l'exemption de la douleur, et qui cependant ne sont
pas dues à la nature; c'est ce que les théologiens appellent
prœternuturale. La seconde objection, au contraire, repose sur
une fausse idée de l'ordre surnaturel. Il ne faut pas ranger
dans cet ordre tout ce qui est au-dessus des forces de notre
nature. Car l'action par laquelle Dieu nous conserve, par
exemple, est certainement au-dessus de nos forces, et cepen-
dant non-seulement elle n'est pas surnaturelle, mais elle n'est
pas même préternaturelle , car elle est due à la nature. La troi-
sième objection tombe devant cette considération fort simple
qu'un droit physique est bien plus oppose à la grâce qu'un
droit morale ou mérite, lequel suppose une promesse libre de
Dieu.
M. Scheeben ajoute ici une dernière considération théolo-
gique. II convient, dit-il, que l'homme, pour un péché per-
sonnel, soil privé de quelques-uns des biens dus à la nature,
surtout de la possibilité d'atteindre sa fin naturelle ; mais il
répugne qu'il soit privé de cette possibilité en peine d'un
péché non personnel. Les adversaires, qui rejettent l'état de
nature pure, parce qu'il leur semble injuste que l'homme in-
42 DE l'état de nature ITomeVm.
Doceut passe par la douleur pour arriver à un bonheur natu-
rel, doivent trouver bien plus injuste que pour une faute non
volontaire un homme soit privé de sa fin naturelle. Donc, puis-
qu'ils disent que tous les dons primitifs étaient naturels, ils
doivent conclnre que les enfanis d'Adam, qui meurent avec le
seul péché originel, sont admis à la vision intuitive.
Article II. — De l'Immortalité.
L'article II traite en particulier la question de l'immortalité.
Parmi les nombreux textes des saints Pères qui y sont rap-
portés, nous remarquons celui-ci de saint Augustin (1 de Pecc.
me)\, c. 3, n. 3) : Sicut enim hxc ipsa caro quam nunc habemus
non ideo non est vulnerabilis quia non est necesse ut vulneretur,
tic illa non ideo non fuit mortalis quia non erat necesse ut more-
retur. C'est-à-dire, le premier homme pouvait avoir un corps
mortel, quoique, par privilège, il fût afifranchi de la nécessité
de mourir. Saint Augustin, dans un autre passage, se sert
d'une autre comparaison. Il rappelle les vêtements que les Is-
raélites portèrent quarante ans dans le désert sans les user,
propriété que ces vêtements ne devaient certes pas à leur na-
ture.
L'auteur cite un texte où saint Jean Damascène dit qu'une
nature contingente ne peut être immortelle que par un don
de Dieu. M. Scheeben fait observer que cette raison ne prouve
pas la thèse, car bien que toute créature ne puisse avoir
qu'une immortalité empruntée, il est cependant des créatures
à qui cette immortalité empruntée est naturelle. Or, il s'agit de
montrer qu'il eu est autrement de l'homme.
Trois preuves rationnelles sont présentées par l'auteur dans
cet article.
D'abord, la mort est le terme naturel de tout être qui a be-
soin d'aliment, et qui est composé d'éléments en lutte les uns
contre les autres. Car la chaleur vitale qui agit sur les ali-
Juin. 18G3.] ET DD PÉCHÉ OHIGINEL. 43
meuts s'affaiblit peu à peu; et d'ailleurs il n'est guère possible
que les aliments ne troublent pas à la longue l'équilibre des
humeurs. Aussi y avait-il, dans le paradis terrestre, un arbre
destiné à combattre ce principe de mort.
Ensuite les causes extérieures qui mettent la vie en danger
6ont tellement nombreuses, que l'homme n'eût pu les éviter
toujours, ou les affronter impunément, sans un privilège qui
n'est pas dû à sa nature.
Enûn, l'immortalité était la récompense promise à la fidé-
lité du premier homme. Or, Dieu eût-il proposé comme récom-
pense quelque chose qui eût été dû à la nature humaine?
Quand un roi annonce qu'il punira de mort les assassins,
est-ce une récompense pour les autres de n'avoir pas la tête
coupée?
On objecte qu'un bonheur, au moins naturel, est dû à
l'homme, et que, selon saint Augustin {Serm. SQQinNat.mart.),
il n'est pas de vie bienheureuse qui ne soit immortelle.
L'auteur répond qu'il s'agit maintenant de ce qui est dû à
la nature dans la création, et non de ce qui est dûàla volonté
dans la rémunération; que d'ailleurs ce bonheur naturel ne
serait dû que dans l'autre vie et peut-être à l'âme seulement.
Article III. — De la Douleur.
II s'agit de prouver que l'exemption de la douleur n'est pas
due à la nature humaine, même innocente. La preuve d'auto-
rité repose sur les textes de l'Écriture et des Pères, qui com-
parent le pouvoir de Dieu sur les créatures à celui du potier
sur l'argile. Une digression intéressante établit contre Jansé-
niusetles Bénédictins que dans saint Augustin {Enarr. inps.lO,
n. i), il faut lire : Quis enim diceret ei, Quid fecisti, si damnaret
JUSTUM? Quanta ergo misericordia ejus ut justificel injustum. Il
saute aux yeux qu'en remplaçantjMS/Mmpar injustum, on énerve
la pensée et on défigure l'expression. Il est vrai qu'au premier
i't DB l'état de nature [Tome VIII.
abord, il y a dans les mots damnaret justum quelque chose
d'étrange ; mais cette manière de parler qui se retrouve,
d'ailleurs, dans saint Chrysostôme (1. ii de Comp. cordis), dans
saint Macaire [Hom. xv) et même dans la sainte Écriture, peut
s'entendre, dit JM. Scheeben, delà permission du péché, quel-
quefois même de malheurs temporels. J'ajouterai que le juste
xie mériterait pas la gloire sans une promesse de Dieu. Quand
donc saint Augustin dit que Dieu pourrait damner un juste,
cela signifie que Dieu pourrait donner à un homme la justice,
sans lui promettre ni lui donner la béatitude céleste : asser-
tion conforme aux principes les plus avérés de la théologie.
Mais il y a une grande difficulté : c'est que souvent saint
Augustin semble dire qu'il serait contraire à la bonté, à la
justice, à la providence de Dieu, de laisser l'homme en butte
aux misères de cette vie, si elles n'étaient des châtiments du
péché. Et ce qu'il y a de plus grave, c'est qu'après avoir dit
contre les Manichéens, dans le troisième livre sur le Libre
Arbitre, que les enfants, même innocents, pourraient être
sujets à la douleur, parce que Dieu pourrait tirer de là un
plus grand bien pour les autres et pour eux-même?, il semble
se rétracter dans la lettre à saint Jérôme sur l'origine de l'âme
{Ep.'m.al. 166, c. 7, n. 19).
Le premier texte objecté : Cui noceri non poterdt, crudelis
voluntas fuit.!. [Contra Fortunat.), n'offre aucune difficulté.
Saint Augustin dit à un manichéen: Vous prétendez que Dieu
a envoyé nos âmes pour lutter contre le mauvais principe, et
que, dans cette lutte, elles ont été viciées indépendamment du
libre arbitre. Puisque vous avouez que Dieu n'avait rien à
craindre du mauvais principe, c'est donc, selon vous, par
cruauté pure qu'il a plongé nos âmes dans tous les maux qui
les accablent. — Ou voit que le mot crudelis tombe non sur
l'état de nature, mais sur le système manichéen.
Il est moins aisé d'expliquer les endroits où saint Augustin
dit que, sans le péché originel. Dieu serait injuste d'affliger
^uill. 18G3.) ET DD PÉCHÉ ORIGINEL. 4S
les enfants(l. vr, Cont. JuL, c. xxi, n. 67, etc.). — Suivant le P.
Casini, le saint Docteur suppose prouvé que nul ne perd, sans
Ctre pécheur, les biens originels. M. Sclieeben aime mieux
penser que saint Augustin raisonne ainsi contre les pélagiens:
Vous dites que l'état primitif de l'homme a été heureux ; or,
son état actuel est loin de l'être; donc. Il a mérité par un péché
cette déchéance. Ces réponses ne nous satisfaisant pas, nous
avons lu plusieurs traités entiers de saint Augustin pour nous
former une opinion; mais nous avons bieniôt reconnu que
c'est là une question compliquée qu'il est impossible d'étudier
et de traiter incidemment, et qui mérite d'être l'olget d'un
travail spécial. Quant à la contradiction apparente entre le troi-
sième livre du Libre arbitre et la lettre à saint Jérôme, elle a
préoccupé saint Augustin lui-même. Dans l'ouvrage sur le
Libre arbitre^ dit-il (i Ret.^ c. iXj n. 6 ; de Dono pers., c. xi et
m), il discutait contre les manichéens qui n'admettent pas le
péché originel ; et, voulant montrer que les douleurs des en-
fants pouvaient venir de Dieu sans injustice, il a dû donner
ime raison qui fût valable, quand même ces douleurs ne se-
raient pas des châtiments. Dans la lettre à saint Jérôme, au
contraire, cherchant à montrer qu'il ne répugne pas à la jus-
tice divine d'infliger aux enfants des douleurs qui ont le
caractère de châtiment, il devait avouer que l'idée d'une com-
pensation future, à laquelle il s'était arrêté dans une autre
h^'pothèse, est d'autant plus inadmissible en réalité, que les
enfants morts sans baptême n'ont à attendre, après les mi-
sères de cette vie, qu'un mal plus grand encore. Quss com.'
pensatio cogifanda est, quibus insuper et damnatio prxparataest?
M. Scheeben résume les arguments des saints Pères dans
un éclaircissement qui ressemble beaucoup à la partie ration-
nelle de l'article m. Dans ce dernier fragment, l'un des plus
remarquables du volume, Casini conclut d'abord directement et
â fortiori de la mort à la douleur ; puis, il montre que les
mêmes raisons pour lesquelles l'homm'e est naturellement
•*6 DE l'état de nature [TomeVni.
mortel, l'assujettissent naturellement à la douleur; car, dans
Tétat de nature pure, Dieu n'eût pas été obligé de suspendre
toutes les causes intérieures des maladies, ni de prévenir tous
les accidents, toutes les impressions désagréables des objets-
exlérieurs. Ensuite, continue l'auteur dans une argumen-
tation pressante, les douleurs physiques ne rendent pas
l'homme véritablement misérable, puisqu'elles ne le séparent
pas de Dieu. Au contraire, elles exercent les vertus, rehaussent
les mérites, sont même une jouissance pour le juste qui les re-
çoit de Dieu. Il est donc faux que Dieu ne les puisse infliger
que comme châtiments. Comment! Dieu peut permettre le
péché pour en tirer un plus grand bien, et il serait obligé
d'empêcher la douleur, qui n'est pas un vrai mal, et de laquelle
il peut tirer aussi des biens de Tordre le plus élevé ! Dieu a pu
permettre que Thomme innocent fût tenté par le démon, et il
n'aurait pu l'éprouver par le froid ! L'ayant exposé à un péril
plus grand, il n'aurait pu l'exposer à un moindre ! Peut-être
qu'Adam et Eve n'eussent pas succombé, si, au lieu d'avoir à
repousser le démon, ils n'eussent eu à lutter que contre la
douleur.
M. Scheeben fait remarquer (p. 81) que les jansénistes, si
jaloux d'écarter de la nature innocente la moindre douleur
physique, ne se font aucun scrupule de condamner à des
tourments sans fin une âme qui n'a ajouté au péché originel
aucune faute volontaire. Il fait observer aussi (p. 102) que
puisque Dieu peut laisser en butte à la douleur physique
r homme en qui le péché originel est effacé, il aurait pu, au
même titre, imposer la même épreuve à l'homme innocent.
C. Berton,
Cliaa. bon. d'Amieiu et de Perpignan.
{La fin au prochain numéro.)
DIVERSES CONCESSIONS
FAITES PAR LE SAINT SIEGB
AU DIOCÈSE DE BEAU VAIS
Monseigneur Tévêque de Beauvais, par une lettre circulaire
eu date du 20 novembre 1862, fait connaître à son clergé
plusieurs induits et diverses concessions qu'il vient d'obtenir
du Saint-Siège en faveur de son diocèse. Il est parfois difficile
de trouver les moyens de se bien renseigner sur les points du
droit commun dont l'autorité du Saint-Siège juge à propos de
dispenser en certains cas, et sur les motifs qui peuvent donner
lieu à ces dispenses. Nous trouvons ces renseignements dans
cette circulaire. Ils peuvent à la fois nous fournir de nouvelles
lumières sur la science du droit canonique et de la liturgie
sacrée, et prévenir des embarras dans la pratique. Il ne sera
donc pas sans intérêt d'en donner connaissance à nos lecteurs.
Avant d'entrer en matière, nous devons faire une remarque.
Certaines concessions particulières peuvent être jugées utiles
à plusieurs diocèses où la liturgie romaine a été récemment
rétablie. Dans une liturgie dont la suppression est exigée par
le droit, il peut se tronver des usages sur lesquels l'autorité du,
Saint-Siège se montre plus indulgente. Il ne faudrait pas croire
cependant que ces permissions pussent constituer un droit
nouveau pour les églises de France, comme semblerait le faire
supposer un article publié dans la Revue catholique, numéro
de février 1863, p. 79.
-iS CONCESSIONS FAITES PAR LE SAlNT-SIÉGE [Tome Yllî.
Nous y lisons :
« Le rétablissement de la liturgie romaine en France ne pouvait se
« faire sans que INN. SS. les évoques, connaissant l'esprit des popu-
« lations et la prédilection des fidèles pour les usages anciens, ne
« fussent amenés à solliciter certaines permissions ou concessions dont
a l'ensemble constituera le régime ou le inodus vivendi de chaque
0 diocèse. II y a intérêt à étudier la formation de ce que l'on pourrait
« appeler le droit nouveau en cette matière. »
Mgr l'évèque de Beauvais annonce qu'il fera réunir eu un
seul et même volume toutes les concessions qu'il a obtenues
pour son diocèse. A ce sujet, et en terminant, l'auteur de
Tarticle cité s'exprime ainsi :
a Lorsque Mgr l'évèque de Beauvais aura réalisé la promesse con-
« tenue dans sa Lettre circulaire, nous ferons connaître à nos lecteurs
« la publication qui devra fixer, dans l'un des diocèses de France, ces
0 règles liturgiques dont l'ensemble formera, nous l'avons dit, le droit
« nouveau de nos églises. »
En prenant ces paroles à la lettre, on pourrait être trompé
sur la nature des concessions qui nous occupent. Ce sont des
exceptions à la règle générale, applicables seulement au
diocèse pour lesquelles ou les accorde, el qui ne modifient en
rien le droit commun. Tout le monde comprendra l'importance
de cette observation préliminaire.
§ 1 . Induits Apostoliques.
I. Le premier induit est relatif aux fêtes des Patrons et des
Titulaires. Déjà depuis longtemps nous nous sommes proposé
de publier dans une suite d'articles quelque chose de complet
^8ur cette matière. Mais la nécessité de traiter diverses questions
dont la solution nous était demandée n'a pas pu nous permettre
encore de réaliser ce projet. Plusieurs consultations sont encore
restées sans réponse, à cause des limites dans lesquelles nous
sommes obligés de nous restreindre. Nous avons cependant
traité, t. v,p. 480, le point auquel se rapporte l'induit dont il
Jiill. 1863.] AU DIOCÈSK DE BEAUVAIS. Vi
est ici question. De ce que nous avons dit alors^ il résulte que
bien des règles canoniques et liturgiques ont été violées eu
France dans la célébration des fêtes patronales. Les formalités
pour l'élection des patrons, requises par le décret du 23 mars
1630, rapporté t, vi, p. 481, n'ont point été gardées, au moins
dans la généralité des élections,, et la légitimité de la plupart
des patrons serait bien difficile à prouver; de plus, parmi ces
patrons, il est des saints dont le nom ne se trouve pas dans le
martyrologe; enfin, des saints honorés comme patrons sont
de simples titulaires dont la solennité ne peut pas, d'après
le décret du cardinal Caprara, être transférée au dimanche
suivant (1). La légitimité de quelques-uns de ces titulaires
peut même être révoquée en doute. En outre, il est d'usage,
dans certaines églises, de célébrer solennellement la fête se-
condaire du Patron et du Titulaire, et d'en reporter la solen-
nité à un dimanche ; on a coutume encore de célébrer des
fêtes de confrérie et de corporation en l'honneur d'un saint
dont on ne fait pas l'office, ou dont l'office doit être parfois
supprimé ou transféré; cette fête doit même être quelquefois
reportée à un autre jour auquel les messes votives sont
interdites. Un certain nombre de paroisses ont pour patron
saint Martin dont la solennité se trouve souvent en occur-
rence avec lu fête de la Dédicace. Enfin, il est des églises qui
n'ont pas droit à une fête patronale.
La piété des fidèles pourrait être affligée par le rétablissement
0) Nous avons déjà eu l'occasion de traiier celle question. Nous
irouvons à l'endroit cité ci-dessus et dans l'induU soIJicilé | ar Mod-
seigneur l'évêque de Beauvais, la réponse à une consultation qui nous
a été adressée par un de nos abonnés, à savoir : Si l'usage de consi-
dérer le titulaire de l'Église comme patron du Ueu suffit pour légiti-
mer la translation de sa solennité au dimanche sui^'ant et obliger le
curé à dire la Messe pour la paroisse? Il est clair que la translation
de la solennité n'est pas légitime en droit, et que la fêle du titulaire
n'étant point de précepte, le curé n'est pas obligé de dire la Mess©
"^our la paroisse.
SO CONCESSIONS FAITES PAR lE SAlNT-SlÉGE [TomeVin.
pur et simple du droit commun sur tous ces points. Monseigneur
i'évêque de Beauvais a donc exposé cet état de choses à la
S. C. des Rites, et, par un induit du 5 juin 1862, a obtenu les
permissions suivantes :
1» Toutes les paroisses du diocèse pourront honorer comme
patron le saint qui est actuellement considéré comme tel, bien
que les règles prescrites par le décret d,'Urbain VIII, en date
du 23 mars 1630^ n'aient pas été observées dans l'élection,
2° Les églises auxiliaires et non paroissiales, n'ayant même
aucun titre, jouissent du même privilège quant à la célébra-
tion de leur fête patronale.
3° Si le saint Patron ne se trouve pas dans le Martyrologe
ou dans le propre diocésain, il peut être conservé, à la condi-
tion toutefois que sa fête ait été concédée à un autre diocèse
par l'autorité du Saint-Siège.
4° Dans les églises où l'usage est établi de célébrer une
messe solennelle du Patron à un autre jour que celui qui est
assigné dans le Martyrologe ou le propre diocésain, on peut
conserver cette coutume; mais l'office du Patron et son octave
demeurent à leur jour propre.
5* Mgr l'évèque de Beauvais peut autorise]' nomine et aucto-
ritate Sanctx Sedis, et pour des raisons jugées par lui suflS-
santes, à continuer l'usage existant dans certaines églises de
célébrer une messe solennelle du Patron le dimanche qui
suit la fête secondaire de ce saint, outre le dimanche le plus
rapproché de l'incidence de la fête principale, en se conformant
aux rubriques,
6° Il peut aussi permettre de célébrer une messe solennelle
en l'honneur des saints patrons des confréries et corporations,
au jour de leur fête, si la messe du saint est approuvée pour
un diocèse quelconque. Cette messe peut être reportée à un
autre jour, quand celui de l'incidence est un dimanche, un jour
de jeûne ou d'abstinence, de foire, etc.
7° Dans les églises où la fête de saint Martin est patronale,
/
Juin. 1863] AC DIOCÈSE DE BEAUVAIS. 51
on peut célébrer la messe solennelle de ce saint le dimanche
qui suit le 11 novembre, même quand ce dimanche est le pre-
mier'après l'octave de la Toussaint. On fait alors à cette messe
mémoire de la Dédicace. Quand le H novembre est un di-
manche, Toffice est de saint Martin, et la fête de la dédicace
est transférée au 12, déplaçant ainsi ceL'e de saint Martin, pape»
qui est transférée selon les rubriques.
8° Dans les oratoires des communautés où il n'est pas pos-
sible do chanter la graud'messe, on pourra célébrer, les di-
manches auxquels une solennité est transférée, une messe
basse de la fête, toujours avec la même autorisation.
II. Le deuxième induit est relatif aux messes ôe Requiem^ et
dispense les prêtres du diocèse de Beauvais de plusieurs des
règles que nous avons énoncées au sujet de ces messes. Cette
dispense est cependant une simple tolérance, et le Saint-Père
fait exprimer, par la Sacrée Congrégation des Rites, le désir
de voir arriver le moment où, par le zèle et les soins de Mon-
seigneur Tévêque, les règles liturgiques pourront êtrerétabUes
sans froisser les fidèles. En vertu de ces dispenses :
1<» On pourra célébrer une messebasse pour les inhumations
dans les hospices, les hôpitaux, et les communautés où il n'^' a
pas de chantres pour chanter la messe, tous les jours, excepté
aux fêtes doubles de première classe et aux jours auxquels on
ne peut pas faire une fête double.
2<» 11 sera permis de célébrer une messe basse de Requiem
pour un anniversaire non fondé, tous les jours auxquels on
peut chanter une messe de Requiem pour un anniversaire
fondé. Cette messe peut être dite soit le jour même de l'an-
niversaire, soit un autre jour proche de l'anniversaire.
30 On pourra chanter une messe de Requiem en présence du
corps, le jour de la fête de saint Jean-Baptiste et le jour de la
\ fête de la dédicace des églises de France, quels que soient dail-
tirs les dispositions des décrets, et le sentiment des rubri-
tes.
S2 CONCESSIONS FAITES PAR LB SAINT-SIÊGB [Tome VIII.
En vertu d'une autre concession obtenue du Saint-Père par
Monseigneur l'évêque de Beauvais, on pourra célébrer une
messe chantée de Requiem à l'intention de tous les défunts
d'une paroisse, le lendemain de la solennité extérieure du Pa-
tron, tous les jours, excepté les doubles de première classe et
ceux auxquels on ne peut chanter la messe de Requiem en pré-
sence du corps.
III. Des permissions sur le binage sont l'objet du troisième
induit. «Dans notre second synode diocésain, dit Monseigneur
« l'évêque de Beauvais dans sa lettre circulaire, nous avons
0 provisoirement maintenu, conformément à nos statuts de
a 1852, l'autorisation du binage en un certain nombre de fêtes
et appelées de dévotion, où l'obligation d'assister à la messe
a n'existe pas pour les fidèles. Malgré plusieurs réponses ué-
« gatives qui n'accordent que des permissions très-restreintes
a et temporaires, adressées à d'autres diocèses, nous conser-
« vions l'espoir d'obtenir du Saint-Siège une autorisation plus
0 étendue, que nous considérions comme très-importante dans
a notre diocèse. Les considérations que nous avions à faire va-
a loir, et en particulier la difficulté de concilier le passage de
a l'induit pro Reductione festorum, où le cardinal Caprara dé-
a clare qu'on ne doit rien changer^ en ces jours de fêtes suppri-
<( inées^ à l'ordre accoutumé et au rite des divins offices et des
« cérémonies saintes, avec la défense de biner, parurent assez
a graves à plusieurs membres de la Sacrée Congrégation du
« Concile pour leur faire penser qu'un décret général, déci-
(i dant la question dans un sens favorable au binage, devait
a être rendu par cette Congrégation. Une difficulté inattendue
0 étant venue empêcher, pour le moment, l'émission de ce
a décret général, le Souverain-Pontife nous a accordé, pour le
(( diocèse, un induit particulier et sans limite déterminée de
0 temps. »
Le Saint- Père donc, eu égard à des circonstances spéciales,
et surtout pour favoriser la religion, la piété et la dé^'otion
JuiU. 1R03.1 AU DIOCÈSE DB BEAUVATS. 33
des fidèles envers la très-sainte "Vierge, accorde à Mgr l'évêque
de Beanvais, par l'organe de la S. C. du Concile, le pouvoir
d'autoriser les curés de son diocèse qui sont chargés du soin de
plusieurs églises, à biner, s'il n'y a pas d'autre prêtre pour
dire l'une des deux messes, aux fêtes de la Circoncision de
Notre-Seigneur; de la Purification, de l'Annonciation, de la
Nativité et de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge ; le
lundi de Pâques ; le lundi de la Pentecôte ; le lendemain de
Noël ; le mercredi des Cendres; le jeudi-saint et le jour de la
Commémoration des fidèles défunts ; la veille de Pâques et
la veille de la Pentecôte.
Monseigneur accorde généralement celte permission aux
prêtres chargés de plusieurs églises; il excepte seulement le
Samedi saint et la veille de la Pentecôte, puisque dans le sixième
induit relaté ci-après, il est permis de faire ces deux jours,
dans les églises annexes,la bénédiction des fonts sans célébrer
la messe.
IV. Le quatrième induit a pour but d'autoriser pour l'usage
du diocèse une édition spéciale du Rituel romain avec inter-
rogations en français et en latin et des exhortations en français
placées en dehors du texte, ainsi qu'un supplément renfermant
des formules de bénédictions déjà préalablement approuvées
pour le diocèse par la Sacrée Congrégation des Rites.
V. Le cinquième induit transfère d* au troisième dimanche
de l'Avent, la solennité de l'Immaculée-Conception de la très-
sainte Vierge, accordée pour le deuxième, toutes les fois que
le deuxième dimanche on doit célébrer la solennité d'une fête
patronale; 2° au deuxième dimanche d'octobre, la solennité
delà fête du Rosaire, dans les églises où le premier dimanche
eerait empêché par une fête d'un rite supérieur, ou si l'on
devait y célébrer, ce même jour, la solennité d'une fête
patronale.
VI. Le sixième induit se rapporte à la bénédiction des fonts,
le samedi-saint et la veille de la Pentecôte, au chant de la Pas-
54 CONCESSIONS FAITES PAR LE SAINT-SIÈGE [TomeVllI,
sion le dimanche des Rameaux et le vendredi-saint, et aux pro-
cessions des grandes et des petites litanies.
Sa Sainteté a daigné permettre de conserver certaines cou-
tumes existant dans le diocèse de Beauvais jusqu'à ce qu'elles
puissent être abolies sans froisser les fidèles. En vertu de celte
concession :
1° Les prêtres auxquels est confié le soin de deux églises,
pourront faire dans la seconde la bénédiction du cierge pascal
et des fonts le samedi-saint, et la bénédiction des fonts la
veille de la Pentecôte, sans lire les prophéties et sans célébrer
la messe. Ils feront la fonction entière dans l'église prin-
cipale.
2* Dans les églises où il n'y a ni prêlres, ni diacres, ni
clercs pour chanter la passion le dimanche des Rameaux ou le
vendredi-saint, deux laïques en surplis pourront chanter la
partie de l'historien et celle de la synagogue, et le prêtre cé-
lébrant, la partie de Notre-Seigneur. Sur ce point, la Sacrée-
Congrégation exprime le désir que ces deux laïques soient
placés, autant que possible, hors de la vue du peuple.
3" La procession des grandes litanies pourra se faire le di-
manche qui précède ou le dimanche qui suit la fête de saint
Marc, après les vêpres, pourvu que ce ne soit pas le jour de
Pâques; et la première procession des petites litanies pourra
être faite le cinquième dimanche après Pâques, à la suite des
vêpres ; cette pratique aura surtout son application dans les
paroisses où il serait à craindre que ces processions ne fussent
pas suivies à leurs jours propres. Mais les litanies et les prières
seront toujours chantées du au moins récitées publiquement
dans les églises, le jour de saint Marc et les trois jours des
Rogations.
VII. En vertu du septième induit :
1° Monseigneur peut permettre, ?zo;?jwee^ auctoritate Sanctse
Sedis, de célébrer le saint sacrifice de la messe dans les
petits oratoires distincts de l'oratoire principal, qui se trouvent
Juin. 1863.] CONCESSIONS FAITES PAR LE SAlNT-SIÉGE. 55
dans les maisons religieuses et appartiennent à une pieuse
association de jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe, pourvu
que ces oratoires aient été visités par lui ou par un prêtre
qu'il aura délégué, et que, dans la permission, il soit fait men-
tion du présent induit.
2» Il peut encore donner à tous les clercs engagés dans les
ordres sacrés qui lui apporteront des raisons légitimes, la per-
mission de réciter, à deux heures après-midi, les matines et
les laudes pour le lendemain.
3° Tous les prêtres présents aux exercices de la retraite ec-
clésiastique, pourront réciter l'office conformément au calen-
drier du grand séminaire.
§ 2. Concessions verbales.
Outre ces huit induits, Monseigneur l'évêque de Beauvais a
obtenu plusieurs concessions verbales pour son diocèse.
Nous en avons mentionné une à propos du deuxième induit;
nous avons cru pouvoir Tinsérer à cet endroit pour mettre plus
d'ordre dans la distribution des matières.
Une autre a pour objet de réduire à quatre les jours de
fêtes auxquels les curés du diocèse sont obligés d'appliquer
la messe à l'intention de leurs paroissiens, indépendamment
des dimanches et des fêtes d'obligation. Mais ce n'est pas une
concession nouvelle; c'est simplement la confirmation ou si
l'on veut l'interprétation authentique d'un Induit obtenu, pour
le diocèse de Beauvais, avant l'Encyclique Amantissimi Re-
demptoris. Ce n'est donc pas un exemple que l'on puisse allé-
guer directement pour obtenir la même faveur.
P. R.
LE PHINCIPE VITAL DANS L'HOMME ^'\
Après le problème de la nature et de l'origine de nos idées,
il n'en est point de plus important que celui du principe vital
et de TunioD mystérieuse de l'âme avec le corps. Et comme si
la vérité devenait plus obscure à mesure qu'elle nous touche
de plus près, il n'en est peut-être point qui ait excité plus de
controverses. Parmi plusieurs ouvrages de grand mérite écrits
dans ces derniers temps sur cette question fondamentale, nous
sommes heureux -de rencontrer celui du P. Liberatore, dont la
réputation philosophique est trop bien établie pour que nous
ayons à la faire valoir.
On peut considérer dans l'auteur de ce nouvel ouvrage le sa-
vant qui, pour ses connaissances en physiologie et en chimie,
est à la hauteur des principaux représentants de la science
moderne, et le philosophe qui, par une méthode large et com-
plète, fait tourner au profit de la métaphysique les résultats
des sciences d'observation. Une courte analyse de ce livre fe-
ra voir quelle est pour l'anthropologie la méthode d'un dis-
ciple de saint Thomas; c'est à ce dernier point de vue que
nous voulons nous placer.
(l) Del Compoito umano. Trallalo di Malleo Liberalore, D. C. D. G.
i vol. iu-S. Rome, 1862. Au bureau de Lu Civillà catlolica.
,uil. lgC3,] LE PRmCrPE VITAL DANS l'hOMMK. 57
1.
Au commencement d'une recherche scientifiquesurrhomme,
le fait qui s'impose à nous, c'est l'homme lui-même, un et
double à la fois, tel que le montrent la conscience et l'obser-
vation extérieure. N'est-ce pas, en effet;, un même sujet, une
même personne qui en moi pense et réfléchit, sent et marche?
Si notre corps diffère spécifiquement de tous les autres, n'est-
ce point parce qu'il est un corps d'homme, c'est-à-dire un
corps vivant et animé d'une vie, d'une âme particulière?
D'autre part, le principe pensant n'est pas un pur esprit comme
les anges : nous l'appelons âme pour signifier qu'il donne au
corps la vie. L'âme et le corps sont si étroitement unis qu'ils for-
ment une seule nature composée qui se manifeste par des pro-
priétés nouvelles. La sensation n'appartient ni à l'âme seule
ni au corps seul (1), et l'homme est un tout plus parfait que
chacune de ses parties.
Mais qu'est-ce que la vie ? Comment concevoir que le corps
soit animé par une âme spirituelle, et quelle union peut pro-
duire cette admirable unité ?
On appelle vivantes, dit saint Thomas, les substances douées
de la faculté de se mouvoir elles-mêmes. La vie se reconnaît à
ce mouvement intérieur, à cette action immanente qui a la
substance même pour terme comme pour principe. Et comme
suivant les différents degrés d'immanence de l'action vitale, la
vie est plus ou moins parfaite, elle a sa plénitude en Dieu, en
qui l'acte est l'essence elle-même. Les créatures purement
spirituelles participent à cette source divine eu un degré supé-
rieur à l'homme, qui, comme un vaste horizon, sépare les deux
hémisphères du monde corruptible et du monde des esprits.
(1) Qusedam potealise sunl in conjuucio, sicut in suhjecto, sicul
omnes potenlise ?ensilivae parUs et nulrilivce. {Sum. Iheol., i p.,
q. 18, art. 8.)
58 LE PRINCIPE VITAL DANS L'HOMME. [Tome VIII.
Après r.homme vient immédiatement l'animal et enfin la plante
qui n'a, comme le dit saint Denysl'Aréopagite, que la dernière
résonnance de la vie (1).
L'aimant attire le fer, une molécule agit par la double force
d'attraction et de répulsion sur une autre molécule, mais cette
action est purement extérieure. La plante, au contraire, con-
vertit en sa propre substance la sève que ses racines puisent
dans la terre : elle développe son propre organisme, elle pousse
des feuilles, des fleurs et des fruits qui sont à elle, et dans ces
fruits se trouve le germe d'une nouvelle plante dans laquelle
elle doit se reproduire.
Ces trois fonctions vitales, sans parler de la différence dans
la composition chimique, établissent entre les minéraux et les
plantes une séparation profonde, et ne se peuvent expliquer
sans l'intervention de forces différentes. Pourquoi les chimistes,
qui disposent à merveille des forces générales de la nature, ne
peuvent-ils par leurs diverses combinaisons arriver à produire
le moindre brin d'herbe? La capillarité et l'endosmose, l'affi-
nité chimique et la porosité des tissus, ne peuvent expliquer
la circulation du suc nutritif, ni cet accroissement qui se fait
par assimilation et qui se produit, non de la circonférence au
centre, mais du centre à la circonférence. Enfin, si la semence
« n'est point une miniature, » qu'est-elle autre chose sinon,
comme le dit Milne-Edwards (2), le siège de la force organo-
génique qui déterminera rédification d'un être nouveau?
Mais l'unité que l'on remarque au milieu de la variété in-
finie des phénomènes démontre évidemment que dans un
même organisme, il n'y a qu'un seul principe de vie. Il suffi-
rait, pour s'en convaincre, de considérer l'identité permanente
de l'être vivant, au miUeu de ses changements et de ses varia-
tions incessantes. Nous pouvons avec Cuvier (3) comparer la
(1) De Divinis Nominibus, c. vi.
(2) Leçons sur la Physiologie, introduclion.
(3) Du règne animal, ialroducliou, page ^3.
Jum. 1863.1 LE PRINCIPE VITAL DANS l'hOMME. 59
vie à un tourbillon plus ou moins rapide dont la direction est
constante, qui entraine toujours les molécules de même es-
pèce, mais où les molécules individuelles entrent et d'où elles
sortent continuellement. Une seule chose reste la même, le
principe formel de l'organisme, source de l'activité, de la
permanence, de l'unité.
Dans le règne animal, la vie nous offre un nouveau degré
de perfection. Non-seulement les animaux se nourrissent, se
développent et se reproduisent,, ils ont encore la faculté de
sentir et le mouvement spontané. Ce double caractère marque
la limite entre les deux règnes, car il se retrouve dans toutes
les espèces d'une manière plus ou moins parfaite. Cettte faculté
■de sentir et la force motrice qui en est la conséquence, sup-
posent dans l'animal un principe supérieur à celui qui dans les
plantes produit la vie végétative. Mais comme l'animal qui se
nourrit est essentiellement le même que celui qui sent, et que
les organes de la nutrition apparaissent chez lui comme trans-
formés et élevés d'un degré, on ne peut douter que le principe
immatériel supposé par les sensations ne produise aussi toutes
les opérations vitales.
Les animaux les plus parfaits en qui nous trouvons les cinq
sens extérieurs et de plus, avec le sens interne, une certaine
connaissance imaginative, nous amènent jusqu'à l'homme, et
ici la vie corporelle s'unit à la vie de l'intelligence.
Mais si dans l'homme, comme le témoigne la conscience,,
c'est l'âme raisonnable qui éprouve dans les organes des sen-
sations de plaisir ou de douleur, si Tàme raisonnable commande
au corps pour le mouvoir, bien que nous n'ayons pas con-
science de son action sur la circulation et l'assimilation, ne
devons-nous pas conclure qu'elle seule produit dans le corps
tous les phénomènes de la vie? Nous ne connaissons pas de
doubles-dynamistes qui admettent deux âmes dans l'animal;
pourquoi donc en vouloir deux dans l'homme ? Si le principe
qui sent est le même que celui qui produit la vie nutritive, et
60 LE PRINCIPE VITAL DANS l'hOMME jTomjVlU.
si le principe qui sent en nous )i'est point dififérent de l'ûme
raisonnable, rame raisonnable est donc la seule àme de Thomme
et le seul principe vital du corps humain (I).
Evidemment, dit saint Thomas, il y a dans l'homme une
autre unité que celle d'aggrégation et de relation, qui est la
moindre des unités. L'homme n'est point un ensemble de trois
substances, quoique dans une seule nature composée d'âme et
de corps, il réunisse les trois degrés de la vie végétative, sen-
sitive et intellectuelle. Il doit donc y avoir en lui un seul
principe d'être et d'unité, car l'être et l'unité c'est la même
chose (2).
Le corps humain n'est-il point fait pour une vie plus par-
faite que la vie des sens ? Son merveilleux organisme a paru
à certains philosophes comme l'image de l'âme, à d'autres
comme son ouvrage, à d'autres, avec pins de raison, comme
une partie d'un seul et même être que forme 1 ame en s'unis-
sant à lui. C'est pour cela que nous attribuons à un seul et
même sujet, et la vie de l'esprit et la vie du corps. C'est pour
cela qu'entre les facultés intellectuelles et les fonctions vitales,
on remarque une inlluence réciproque inexplicable si ces
facultés diverses n'appartiennent pas à un seul et même prin-
cipe.
Le célèbre Stahl, frappé de cette intime dépendance, va
jusqu'à dire que l'àme vivifie le corps par l'entendement et
la volonté (3). C'est la même âme, avait dit saint Thomas,
(1) Idem homo est qui percipit se intelligere el senlire. 'Sum. theol.,
I p., q. 70, art. i.
(2) Née ad unilatein hominis ordo formarurn sufQeiet ; quia esse
unum secundum ordinem non esl esse unum simpliciler, cum unitas
ordinis sil minima unitatuin... (Conlra Genl., lib. ii, c. 58.)
(h) Il y a la même différence entre l'animisme de sainl Thomas et
l'animisme de Slahl, qu'entre une conclusioa légiiime el une conclu-
sion plus large que les prémisses. Gfr. Sainl Thomas, Qq. disp-,
qua'Sl. De Passionibus anhnœ, arl. iO ; SlJil, Theoria medicavera,
p. 'j30.
Juin. 1863. J Li; PRINCIPE VITAL DANS l'iIOMME. (Jt
mais ce n'est point par les mêmes facultés : autrement nous
dominerions parfaitement toute la parlie inférieure de notre
être, il n'y aurait plus de lutté possible entre la chair et l'es-
prit. N'est:ce point là toute la vérité du fameux axiome de Gas-
sendi : ISihil potest sibï adversari ? Les combats de l'esprit contre
l'esprit, l'orgueil et le remords, supposeraient deux âmes spi-
rituelles à aussi bon droit que les combats de la chair ont fait
admettre à Gassendi un principe vital distinct de l'être rai-
sonnable.
Un être simple 'dans sa nature peut avoir des facultés di-
verses. Notre àme, plus' élevée dans l'échelle des êtres que les
principes qui animent les autres corps vivants, en résume
toutes les perfections, et jouissant en outre de l'intelligence
et de la liberté, elle peut seule se reposer en elle-même par la
conscience de soi. Douée de facultés qui supposent l'organisme,
elle est sans doute comme dans un état anormal après la mort;
elle subsiste cependant, car l'action de l'intelligence et de la
volonté lui reste, tandis que les autres âmes, privées par la
destruction du corps de toutes les facultés dont elles jouissent,
sont par le fait inème anéanties. Une force sans acte n'est
plus qu'une simple puissance et l'inertie complète; c'est la
mort. ■
II.
« L'âme n'est donc point dans le corps comme dans un
vaisseau qui la contient, ni comme dans une maison où elle
loge (1). » Elle y est par l'action, par la vie, par l'être qu'elle
lui communique. Le corps est la matière, principe passif et
incomplet; l'àme est la forme substantielle. Pour comprendre
celte formule autrefois si célèbre, il est nécessaire de se rap-
peler la théorie générale de la composition des corps, et de
Bossuel, IX" Élévation sur les mystères.
62 LE PRINCIPE VITAL DANS l'BOMME. LTome VUI,
ramener ainsi à l'étude de l'homme, abrégé de Tunivers, l'uni-
vers tout entier.
Si nous considérons la nature corporelle dans sa variété et
dans ses différentes transformations, il est impossible de ne
point concevoir je ne sais quelle réalité commune dont parti-
cipe cette variété 'infmie^ quelque chose d'indéterminé qui se
retrouve dans toutes les espèces et reste identique au milieu
des changements divers des accidents et des substances. Otez
par l'abs traction ce qui dans un corps le constitue une telle
chose, el le distingue dans sa nature intime des corps d'une
autre espèce, il restera cette base commune, cette réalité
source de l'étendue appelée matière par Arislote, et qui se re-
trouve dans tous les corps. Mais si la matière est une réalité,
elle n'existe que lorsqu'elle est mise en acte par ce principe
dont nous faisons abstraction ; un être indéterminé est quel-
que chose de contradictoire. Avec le même bloc de marbre,
le sculpteur peut faire la statue d'un cheval ou d'un héros ;
ainsi la matière dont nous parlons, materia prima, peut deve-
nir telle ou telle substance, suivant qu'elle sera mise en acte
de telle ou telle manière. Cette forme, qui est pour la sub -
slance ce qu'est la forme extérieure pour les phénomènes de
l'étendue, peut donc à juste titre s'appeler forme substan-
tielle. Elle est pour la matière ce qu'est l'articulation pour
la voix : jamais la matière ne peut exister sans la forme;
jamais dans la parole, la voix ne se présente inarticulée (1).
N'oublions pas qu'où se terminent les recherches du physi-
cien et du chimiste, celles du philo-.opho commencent. Ru
[\] Saint Augustin, Co>,fess.f I. xii. c. 6 ; de Genesi ad litteram,
1. I, c. iS. — Saint Ttiomis surlout, opusc. xxx, diPiincipiis nalurse.
Sicut vox, dit saiul Augustin, materia est verboruui, verba vero
formatam vocem inJicanl. Non aulem qui loquilur prius emillii in-
formem vocem, quam possil poslea colligere atque in verba formare;
ila Creator Deus, non priorc lempore fe.it inforoiera maleriam, el
eam poslea per ordinem quarumcumqac naturarum, quasi secunda
consideralione formavit, formatam quippe creavil materiam.
Juin. 1863.1 Ï-E PRINCIPE VITAL DANS L'HOMME. 65
rappelant la théorie des formes substantielles, nous ne rappe-
lons pas celle des quatre éléments, -qui appartient à la phy-
sique et non point à la philosophie du moyeu-âge. Et quelque
opinion du reste que Ton embrasse au sujet des corps inor-
ganiques, il n'y a plus de doute possible lorsqu'il s'agit des
corps vivants. La forme substantielle s'appelle âme végétative
dans les plantes, âme sensitive dans les animaux, et dans
l'homme àme raisonnable. Sans l'âme raisonnable, notre corps
ne possède ni la vie, ni même l'existence ; ce n'est plus un
corps humain. Privé de ce principe qui réduit à l'unité tout
son organisme, ce n'est plus qu'un cadavre, une masse qui n'a
plus de nom et qui va se dissolvant dans les éléments dont
elle est composée. C'est donc l'âme qui donne au corps, et
l'unité organique, et l'activité, et la distinction spécifique. Elle
possède, comme nous l'avons dit, des facultés qui ne se peuvent
exercer si elle ne fait point avec le corps un seul et même être
qu'on peut également définir : un esprit animant un corps, ou
bien, un corps animé d'une âme raisonnable (1). Ainsi, dire
que l'âme raisonnable est la forme substantielle du corps, c'est
indiquer à la fois, et l'unité de nature, et les relations des
deux substances qui la composent. L'influx physique suppose
cette union, mais ne la définit point ; et si l'on donne une ac-
tion mutuelle comme le seul lien qui existe entre l'âme et le
corps, c'est évidemment ne reconnaître qu'une unité acciden-
telle : les actions sont des modifications passagères, et l'union
des accidents ne peut engendrer l'unité de nature. On sait que
l'union dynamique et personnelle proposée par Giinther n'est
au fond qu'une union morale, reposant à la fois sur le double
dynamisme et sur une fausse notion de la personnalité.
(^) C'est la définition des Pères de l'Église, quand ils coml^ailaient
l'erreur de ceux qui, comme Appoliinaire, niaient l'âme raisonnable
de Notre-Seigneur. — 2wjji.« t{/u;(^o)0£v vosptoç, dit saint Cyrille, Apol.
cont. JAeor., anaih. ^. — 2àp^ e[A']/u}(oç xai è'vvouç. Saint Sopbrone,
dans sa lettre à Sergius.
€4 LE PRINCIPE VITAL DANS L BOMME. [Tome VHI-
III. ♦
Mais sans nous arrêter à suivre nôtre auteur dans l'examen
des différents systèmes ni dans ses développements scientifi-
ques, qti^il nous suffise pour le moment d'avoir montré Tor-
dre qu'il a suivi. Fidèle disciple de saint Thomas, il rappelle
non-seulement les conclusions, mais la méthode de son maî-
tre ; et c'est à noire avis son principal mérite, car c'est la mé-
thode qui est le caractère distinctif et comme le fond d'une
philosophie. Etudiant l'homme à la fois en lui-même et hors
de lui, les philosophes de l'école trouvent dans les résultats
de cette double observation un point de départ pour une mé-
ditation plus haute. Ils se souviennent que la connaissance
n'est point une création, mais suppose son objet. Et en même
temps, à l'aide des idées générales et des principes éternels
de la métaphysique, condition de toute science comme de tout
ce qui est, après avoir considéré leur objet sous toutes ses
faces, ils examinent le rang qu'il occupe dans l'échelle des
êtres. Ils établissent ensuite des analogies et des différences,
et parvienuept à le connaître aussi parfaitement que possible
dans sa natui ; spécifique et dans son genre suprême.
C'est pour n'avoir point considéré l'homme tel qu'il est, que
Descartes, créant pour ainsi dire l'objet de son observation,
reconnaît en nous deux êtres entièrement séparés; c'est parce
qu'ils s'arrêtent aux résultats de la physiologie, que les orga-
niciens de nos jours admettent des propriétés vitales, et ne
parlent point de l'àrae.
Descartes définit l'homme : « Une chose qui pense, un es-
prit, un entendement, une raison (1). » Son âme à lui n'est
point une âme informant un corps, son corps n'est point un
(1) Médit. II.
Juin. 18G3.J LE PRINCIPE VITAL DANS L'hOMMK. G3
corps animé (1). L'essence de Tâme esl la pensée, et le corpa
est une matière étendue, dont la vie se réduit à un simple mé-
canisme. Depuis l'introduction de ces principes, on ue vit plus
dans l'homme qu'une relation purement extrinsèque ou acci-
dentelle. Encore si tous les systèmes qui furent proposés n'a-
vaient que l'inconvénient de rompre l'unité substantielle du
composé humain ; mais du principe de Malebranche : « Dieu
seul agit, » à celui de Spinosa : « Dieu seul existe, » la dis-
tance n'est pas grande. L'harmonie préétablie, brillante hy-
pothèse où le génie de Leibnitz s'exerçait à mesurer ses forces,
détruisait la liberté. On dirait que chaque fois que les moder-
nes ont voulu se faire des syslèmes à part, ils ont rencontré
le sophisme et l'erreur. Nous ne parlerons point des matéria-
listes qui se passèrent de Tàme pour expliquer, non-seulement
la vie, mais même la pensée. Getfe doctrine, qui a inscrit dans
l'histoire de la philosophie une page si humiliante pour l'esprit
humain, n'a duré, grâce à Dieu, qu'un temps fort court. On
a bientôt reconnu que la vie ne peut s'expliquer par les forces
physico-chimiques, et que l'organisme suppose un principe
d'unité. Mais n'est-ce point parce qu'ils ne veulent pas attri-
buer à l'àrae d'autres opérations que celles qui se réduisent à
la pensée, d'autres facultés |que celles dont les modifications
ou les actes sont attestés par la couscience, que plusieurs par-
tagent l'homme en deux natures vivantes, ou craignent d'af-
firmer l'identité du principe vital et de l'âme raisonnable ?
Malgré l'admiration que l'on professe pour leur analyse
psychologique, on ne peut s'empêcher de trouver trop étroite
la méthode de certains animistes, quand ils se croient obligés
de prouver que la vie est un fait de conscience. Ils tiennent
compte de petites aperceptions aux(|uelles on ne fait pas tou-
jours attention à cause de l'habitude; ils rapportent l'exemple
(1) Ibid. « Dirais-jc que l'iiomme esl un animal raisonnable? Non
ceries... »
Revle des sciences ecclésiastioues. t vin. 5-(j.
66 LE PRINCIPE VITAL D NS L'HOMME. [Tome Vllî,
de certains hommes au {eu)pérameni délicat, qui entendent
crier tous leurs ressorts. Mais cette conscience sourde et ces
faits à part, ne sont point, ce semble, des données suffisantes
pour qu'on en tire une conclusion certaine. Voulant combattre
les résultais de l'extrême empirisme qui a longtemps parmi
nous tenu lieu de philosophie, ces savants conservent préci-
sément dans leur méthode le principe des conséquences qu'ils
veideut éviter.
L'âme ne fait-elle que ce dont elle s'aperçoit? N'a-t-elle
d'autres facultés que celles dont les opérations sont attestées
par la conscience? Plusieurs l'ont affirmé sans preuves, et plu-
sieurs l'acceptent sans examen. Nous admettons volontiers que
■l'âme doit avoir une certaine conscience directe de toutes les
modifications des facultés représentatives; dire qu'une repré-
sentation f'xiste et qu'elle n'est point préi-ente, c'est énoncer
nne contradiction. Mais toutes les opérations de l'âme se ré-
duisent-elles à la pensée qui est la connaissance même, à la
sensation qui la précède, à la volonté qui la suppose? Ne
pourrait-on point prouver que l'âme possède des facultés d'un
ordre différent et que, dans l'état présent des choses, la con-
science, celte réflexion de l'intelligence sur elle-même, ne
peut atteindre? L'àme ne perçoit même pas immédiatement
sa propre existence, et la conscience ne lui atteste que les mo-
difications passagères : elle peut donc, sans qu'elle s'en aper-
çoive, donner au corps cet acte permanent qui est la même
chose que l'être.
Pour le philosophe, la physiologie et la psychologie ne sont
qu'un point de départ; des phénomènes extérieurs et des mo-
difications internes, il remonte aux facultés, et des facultés à
l'essence qui les possède. Il réunit dans une synthèse méta-
physique les sciences expérimentales, qui de nos jours ont fait
tant de progrès. Au-dessus du monde visible et des faits d'expé-
rienc3, il y a tout un monde de réalités qu'on ne peut décou-
vrir qu'au moyen du raisonnement. Pour*juoi toutes ces mé-
JuiU.lèG3.] LE PRINCIPE VITAL DAN3 L'hOMME. 67
thodes exclusives? Sommes-nous si riches de vérités, qu'il
faille négliger quelques moyens d'en acquérir? Rappelons
donc cette grande méthode qui comprend toutes les autres,
en harmonise les résultats et s'écarte à la fois de l'extrême
idéalisme et de l'extrême empirisme, deux écueils entre les-
quels, depuis Descartes, la philosophie n'a point trouvé de
milieu.
N. L.
DECISIONS
DE LA SACREE CONGREGATION DU CONCILE.
I. Aretina. — Juris nominandi depuiaios pro Seminario
(20 dec. 4862). •
Le vicaire capilulaire de l'église cathédrale d\\rezzo, dans
une supplique adressée à Sa Sainteté, fait connaître que l'un
des trois délégués pour l'administration du séminaire étant
mort durant la vacance du siège épiscopal , le chapitre
réclame, comme lui appartenant de droit, l'élection du succes-
seur. Celte élection jusqu'alors, en vertu d'une coutume non
interrompue d'un siècle et demi, était faite par l'évêque, et
cela sans réclamation ou opposition de la part du chapitre.
Le vicaire capitulaire, ne voulant pas que son administration
soit marquée par des innovations qui pourraient porter
atteinte à la coutume en vigueur et aux droits de quel-
ques-uns, et surtout provoquer des dissensions entre les deux
chapitres de la, ville épiscopale, prie Sa Sainteté de vouloir
bien décider « s'il peut, cette fois encore, élire comme aupa-
ravant le nouveau délégué, ou s'il doit suspendre cette élection
jusqu'à l'arrivée du nouvel évêque d'Arezzo. »
Après avoir ainsi rappelé la demande du vicaire capitulaire
et les motifs sur lesquels cette demande est appuyée, le rap-
porteur fait ensuite remarquer que le décret du concile de
Trente sur le point en question est précis et très -explicite
(cap. xTiii, sess. 23, de Eef.]. « Et quia ad collegii fabricam
Juin. 1863.] DÉCISIONS DE LA S C. DU CONCILE. 69
instituendam, et ad mcrceJcm praeceptoribus et ministris sol-
vendam, et ad alendam juventutem et ad alios sumptus
certi reditus erunt necessarii,.... iidem episcopi cum consilio
duorum de capitulo, quorum alter ab episcopo, alter ab
ipso capitulo eligatur, itemque duorum de clerc civitatis,
quorum quidem allerius electio siœiliter ad episcopum, alterius
vero ad clerum pertineat etc. »
11 résulte de ce décret que le droit du chapitre à élire un
des administrateurs n'est pas moins explicitement réservé que
celui du clergé et même de l'évèque à la nomination de leurs
délégués respectifs. D'autre part, si l'on considère que le con-
cile de Trente voulait par cette loi assurer la bonne adminis-
tration des séminaires, on reconnaîtra que ce droit d'élection
est moins un honneur qu'une obligation rigoureuse à laquelle
le clergé et le chapitre ne peuvent se soustraire; ils doivent
donc remplir leur obligation en prenant part à l'élection chaque
fois qu'il y aura lieu.
Mais si cette disposition du concile de Trente crée une obli-
gation pour le chapitre, elle constitue aussi pour l'évèque le
devoir de maintenir ce mode d'élection ; il pourrait arri-
ver, en effet, si l'on venait à déroger à l'ordre établi, que
ces divers délégués formant le conseil de l'ordinaire pour ce
qui est de l'administration du séminaire, fussent tous nommés
par l'évèque lui-même, et cet état de choses est considéré
comme anormal par le rapporteur.
Le décret du concile est donc un grave obstacle à la légiti-
mité de la coutume invoquée par le vicaire capilulaire. Cet
usage, en efifet, doit être considéré comme irrationnel, soit
parce qu'il peut conduire à des conséquences absurdes: «In
quoddam quasi absurdum pergeret, » soit en tant qu'il s'est
introduit contre une des lois du concile de Trente, lois qui,
d'après la Const. de Pie IV, irritent toute coutume opposée.
Néanmoms, malgré la gravité des raisons qui militent contre
la pratique qui s'est introduite dans le diocèse d'Arezzo, il y
70 DÉCISIONS DE LA P. C. DU CONCILE. [Tome Mil.
aurait pevtt-être lieu à prendre en considération le motif
qu'allègue le vicaire capitulaire en se fondant surle ch. Novit,
Ne sed. vacant., où il est dit: « Attendentes quod episcopali
sede vacante non débet aliquid innovari, cum non sit qui epi-
scopale jus tueatur. » Comme dans cet état de choses le cha-
pitre ne pourrait, même en défendant ses propres aroits, porter
atteinte à ceux de l'évêque, à plus forte raison ne le pourrait-
il à titre de demandeur. (Fagnaii : in cit. cap. Novit, Ne sed,
vacant, num. 32.)
Resp. : Dilata.
II. TR.OEN. — Distributionum (20 déc. 1862).
L'archidiacre de l'église cathédrale de Trani adresse à Sa
Sainteté une supplique au sujet des difficultés qui se sont éle-
vées au sein du chapitre de cette église à l'occasion des
distributions quotidiennes. En vertu d'une coutume plus ou
moins ancienne, un certain nombre de chanoines sont, à divers
titres, dispensés de l'assistance au chœur, et prennent part
néanmoins aux distributions. L'archidiacre énumère les fonc-
tions diverses qui sont considérées comme des motifs suffisants
pour exempter de l'assistance au chœur. On trouvera plus
loin cette énumération dans les doutes soumis à la S. Con-
grégation.
L'archevêque, interrogé à cet égard, estd'avis qu'on accorde
les distributions quotidiennes à ceux qui sont absents du
chœur pour les causes énumérées par l'archidiacre. Il apporte
même quelques raisons particulières pour motiver son avis.
l°Ou ne pourrait, dit-il, trouver parmi les clercs non astreints
au chœur des sujets propres à remplir ces emplois, et par là
même on est obligé d'avoir recours aux chanoines; d'autre
part, la privation des distributions serait três-préjudiciable à
ceux-ci, à cause de l'exiguité de leurs revenus; 2' cet usage
d'ailleurs, ajoute le [irélat, a été maintenu par nos prédéces-
seurs, avec l'agrément du chapitre.
Juin. 1801.] DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE. 7-1
Le chapitre, interrogé à son tour, n'émet un vœu favorable
que pour quelques-unes des catégories énumérées, tandis que
pour d'autres, il conclut au refus des distributions dans le cas
de non-assistance au chœur. Il rappelle en outre que la cou-
tume n'est ni constante ni uniforme pour tous.
Cette controverse donne lieu aux questions suivantes sou-
mises à la décision de la S. C. :
DUBlA.
/. An et quomodo canonici tempore dhnnorum officiorum au-
dientes confesnones censeri debeant prxsentes in choro ad effectum
lucrandi distributiones in casu.
II. An et quomodo iidem canonici Missam célébrantes tempore
divinorum officiorum tanquam pressentes haberi debeant in choro
ad eumdem effectum in casu.
III. An. et quomodo canonici assistenies Archiepiscopo in pon~
tificalibus aliisque functionibus, vel Missam privatam celebranti
absentes a choro lucrentur distributiones in casu.
IV. An et quomodo lucrentur distributiones iidem canonici Ar-
chiepiscopo assistentes in pertractandis negotiis dïœcesis, vel ip-
sum in diœcesi extra residentiam comitantes in casu.
V. An et quomodo lucrentur distributiones canonici absentes a
choro ad expendendas rationes massx capitularis in casu.
VI. An et quomodo lucrentur distributiones canonici absentes
a choro ministerio prxdicationis vacantes in casu.
VII. An et quomodo canonici lucrentur distributiones dum ab-
sunt a choro pro examine ordinandorum vel confessariorum
in casu.
VIII. An et quomodo canonici rectoris, administratoris , profes-
sorum et examinatorum munus exercentes in seminario a choro
absentés lucrentur distributiones in casu.
IX. An et quomodo lucrentur distributiones canonici absentes
a choro, ut pro-vicarii generalis, cancellarii et actuarii, aliaque
munera in curia archiepiscopali exerceant in casu.
72 DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE. ITome VIIL
X. An et quomodo lucrentur distribut iones canonici absentes a
ckoro rerum capitularium vel mensx aixhiepiscopalis adminis-
trationi vacantes incasu.
XI. An et quomodo canonicus cancellarius Capituli lucretur
distributionea pro negotiis capitularibus in archivio distentus
in casu? Et quatenus négative.
XII. An consulendum SSmo pro absoluiione et condonatione
perceptarum distributionum in casu.
RESP.
Ad 1. Négative in omnibus, excepta pœnitentiario.
Ad II. Négative, nisi de prsefecti chori iicentia et in populi
commodum.
Ad m. Affirmative ad primam partem prout in Licien.
17 augusti 1641. Ad secundam partem négative.
Ad IV. Négative in omnibus.
Ad V. Affirmative per tempus ab oi^dinario prssfiniendum.
Ad VI. Négative in omnibus.
Ad VII. Négative in omnibus.
Ad VIII. Négative in omnibus.
Ad IX. Négative in omnibus.
Ad X. Quoad canonicum administratorem rerum capitularium,
affirmative pro diebuset horis quibusreapse incum bit administra-
tioni. In i'eliquis yiegative.
Ad XI. Négative nisi in casu urgentix.
Ad XII. Affirmative celebrata una Missa cum cantu, astante
universo capitula.
III. Granaten. — Dubium validitatis dispensationis matrimo-
nialis (18 avril 1863).
Dans un rapport sur la situation de son église, Tévêque de
Grenade soumet la question suivante à la S. Congrégation. On
Juill. 1863.1 DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE. 73
lit dans la Collection de Monacelli, dit le rapport :« Qui dispen-
sationemobtiuuit super impedimento consanguinitatisin forma
pauperura falso narrata paupertate, dicitur valide dispen-
satus , ut respondit S. C. Concilii die 9 septembris 1679. »
Or, continue la relation, dans toutes les dispenses in forma pau-
perum, on trouve toujours cette clause, dummodo ipsi pauperes
et miserabiles existant. Cette condition doit même être vérifiée
par celui qui est délégué pour Texécution des lettres aposto-
liques, de telle sorte que si cette vérification ne pouvait avoir
lieu, l'exécuteur devrait attendre l'expéilition de nouvelles
lettres in forma perinde valere ; ces lettres qui sout concédées
pour la révalidalion des précédentes, supposent nécessairement
la nullité de la première dispense. Comment donc concilier le
décret rapporté par Monacelli avec la teneur desdites lettres et
la pratique de la cour de Rome?
Le rapporteur de la S. Congrégation, après avoir énoncé le
doute proposé, commence par citer intégralement la décision
qui fait l'objet delà difficulté. Il s'agit dans ce décret d'une
dispense accordée in forma pauperum, bien qu'une dot de
15,000 ducats eût été constituée. La validité de cette dispense
ne fut mise en question qu'après la mort des époux et le doute
suivant fut alors soumis à la Congrégation : Anin casu expresso
Apostolica dispensatio... fuerit valida, ut in forma pauperum et
ex causa paupertatis falso narrata. La Congrégation répondit:
Dispensationem fuisse validam.
Après avoir rappelé cette décision, le rapporteur fait ensuite
connaitre la pratique de la cour romaine pour ce qui est des
dispenses in forma pauperum. Il déclare d'abord que la formule
de ces dispenses renferme toujours la clause précédemment
indiquée. Il avoue ensuite que la même pratique est constante
et certaine pour ce qui est de l'expédition des lettres in forma
perinde valere, quand la pauvreté n'est point établie.
Il reste donc à examiner si ces lettres in forma perinde valere,
supposent réellement la nullité des lettres in forma pauperum,
obtenues d'une manière obreptiee ou subreptice.
74 DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE. [Tome VIII.
II faut doue passer ici à l'énumératiou des principales raisons
qui peuvent militer soit pour l'affirmative, soit pour la négative.
La célèbre décrétale d'Innocent III, rapportée chap. xx, de Res-
criptis, détermine les principes qui doivent servir de règle sur
cette lîiatière. Le Pontife, après avoir énuméré plusieurs senti-
ments sur cette question, ajoute :« Nos igitur inter eosqui per
fraudem vel malitiam, et illos qui persimplicitatem vel ignorau-
tiam litteras a Nobis impétrant, bujusmodicredimus discretio-
nem adhibendam, ut lii qui priori modofalsitatem exprimuntvel
supprimunt veritatem, in suse perversitatis pœnam, nuUum ex
illis litteris eommodura consequantur : itavidelicet qiiod dele-
gatus, postquam siLi siiperboc facta fueritfides, nullatenusde
causa cognoscat, Inter alios autem qui posteriori modo litteras
impétrant, duximus distinguendum quœ falsitas suggesta fue-
rit, vel quse Veritas sit suppressa. Nam si talis expressa sit fal-
sitas vel Veritas occultata, quse quaravis fuissêt tacita vel
expressa, nos nibilominus saltem in forma commuui litteras
dedissemus : delegatus non sequens formam in litteris ipsis
appositamsecundum ordinem juris in causa procédât. Si vero
per bujusmodi falsitatis expressionem vel suppressionem
eliam veritatis, litteree fuerint impetratse, qua tacita vel ex-
pressa nos nuUas prorsus litteras dedissemus, a delegato non
est aliquatenus procedendum. »
i" En partant des termes de ce décret, on peut invoquer les
raisons suivantes contre la validité des lettres en question. Si
les réticences ou les allégations fausses sont le résultat de la
fraude, il semble qu'en vertu de la décision d'Innocent III
les lettres soient absolument nulles. D'autre part, si l'obreptiou
ou la subreption procède de l'ignorance, il semblerait éga-
lement, d'après la teneur des bjttres m foi^ma pauperum, qu'on
dût conclure à la nullité ; la clause apposée: « dummodo... ipsi
oratores pauperes et miscrabiles existant, » semble être une
condition rigoureuse, de sorte que, dans le cas où elle ne serait
point vérifiée, les lettres seraient comme non avenues etl'exé-
Juin. 18G3.] DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE. 7o
cuteur ne pourrait passer outre, car il manquerait alors des
pouvoirs nécessaires.
Et l'on ne peut objecter que cette clause n'est point une
condition proprement dite, mais un mode qui n'aurait pas
comme la condition une force suspensive. Le mode eu effet,
peut quelquefois qualifier les lettres de délégation et, de même
que la condition, restreindre les pouvoirs du délégué (Lotter.
De Rebenef. lib. 1, quœst. xxviii, n. 41 et 42); Corradus affirme
la même chose. Mais dans le cas présent, la clause qui a été
introduite contre la fraude est par conséquent sérieuse, et
semble indiquer véritablement le défaut de volonté de la part
du Pontife déléguant, c'est-à-dire annuler les lettres.
2" D'autre part, de graves raisons militent pour la validité
des lettres obtenues in forma pauperum, lorsque la pauvreté a
été faussement alléguée. Il est certain toutefois, 1° que le dé-
légué ne pourrait licitement conférer la dispense, soit avant
l'enquête sur la vérité des allégations, soit surtout s'il vient à
connaître la fausseté des déclarations; 2" que les impétrants
commettent une faute grave, lorsque i'obreption est le résultat
de la fraude. Mais de Fillicité ou de la culpabilité, on ne peut
rien conclure contre la validité des lettres accordées.
Pour déterminer ce qui est de la validité ou de la nullité, il
faut examiner d'après les termes de la décrétale d'Innocent IIÎ,
si la pauvreté est la cause première et finale que le Pontife a
en vue lorsqu'il concède ces sortes de dispenses, ou si elle
ne constitue qu'une fin secondaire et extrinsèque, ou même
une simple manière de concéder, qui dispense de payer la
compouende.
Mais la fin principale des dispenses in forma pauperum est de
sauvegarder ou de réparer l'honneur et la réputation d'une
femme compromise par des relations criminelles ou du moins
suspectes, et d'éviter de graves scandales qui pourraient sur-
venir (DeJustis, lib. 1, cap. VII) ; il s'agit surtout de venir en
aide à cette femme dans le péril où se trouve son âme. Telle
7G ACTES DIVERS. [Tome VIIF,
est la fin qui détermine la volonté du Pontife ; et ce motif est
tellement reeouuu dans le droit, que les SS. Canons y font
souvent allusion. La pauvreté n'intervient donc ici que comme
un mode d'obtenir ce rescrit qui doit tirer une femme d'un
grand péril, soit pour son âme, soit pour sa réputation.
Ce danger de perdre l'honneur et la réputation semblerait
donc être le motif principal et essentiel, tandis que la pauvreté
ne serait qu'un motif accessoire et extrinsèque. Une décision
du 4 juillet 1722 semble être pleinement dans ce sens. En
outre, l'examen attentif du texte des dispenses in forma pau-
perum, fournit aussi des arguments en faveur de la validité.
4° La cause principale de la dispense est indiquée dans ces
paroles : Quod mulier innupta et diffamata remaneat, graviaque
inde scandala passent oriri.2° La pauvreté n'est indiquée qu'en
passant, et dans cette partie de la formule où la faculté de
dispenser est accordée au délégué, mais nullement dans la
partie où le Pontife déclare qu'il est disposé à accorder la dis-
pense.
Cette interprétation, qui ne fait point consister la cause
finale de la dispense dans la pauvreté, est encore corroborée
par une analogie tirée des dispenses ordinaires accordées pour
le même empêchement : la formule est parfaitement identique
à celle des dispenses in forma pauperum, sauf la clause relative
à la pauvreté : ce sont les mêmes motifs qui sont indiqués
comme cause détermiuante de la volonté du Pontife.
Enfin,on peut aussi invoquer en faveur de l'exécution des-
dites lettres quelques principes du droit. Le mariage doit être
supposé validement contracté tant que le contraire n'est point
établi par des preuves certaines et reconnues. En outre, la sain-
teté du sacrement exige également que le mariage ne soit
point exposé trop fréquemment au péril de nullité. Enfin le
principe : Nernini fraus et dolus patrocinari débet ; fournit aussi
une raison pour que ceux qui par malice ont dissimulé la
Térité ou afîîrmé ce qui était faux, ne soient point entendus
Juin. 1863.] ACTES DIVERS. l I
lorsque, pour leur commodité et au détriment du mariage, ils
viendraient alléguer leur propre infamie.
11 résulterait donc de tout cela que la pauvreté nVst men-
tionnée que comme la raison particulière pour laciuelle le
Rescrit est accordé non soluta componenda. C'est pourquoi
Corradus déclare que celui qui aurait obtenu une dispense in
foi'ma pauperum en alléguant faussement sa pauvreté, est tenu
à la restitution de la componende. Cette taxe inlposée est em-
ployée, comme on le sait, à des œuvres pies, ordinairement à
la Propagation de la Foi.
Le doute proposé à la S. Congrégation était ainsi formulé :
An Apostolica dispensatio in forma pauperum obtenta censenda
sit valida in casu.
Resp. : Dilata. ,
ACTES DIVERS.
1. Réponse concernant l'honoraire de la seconde messe en cas de
binage. — II. Indidgences accordées à l'Aix-hiconfrérie de l'As-
so?nption. — III. Défense faite aux ecclésiastiques de porter la
barbe.
Nous publions ce document d'après le Pastoral -Blatt de
Munster, qui lui-même l'emprunte à une circulaire de S. E. le
Cardinal-archevêque de Cologne. Oa remarquera que le Souve-
rain-Pontife a refusé l'autorisation de recevoir nu honoraire
avccla condition expresse de l'appliquer à un œuvre pie dé-
signée par l'ordinaire. En 1860, nne faveur de ce genre avait
été accordée au diocèse de Cambrai, mais pour un cas spécial,
la reconstructionde l'église métropolitaine, et avec cette clause
expresse : Gi^atia sit in exemplum non adducenda, et pro pecu-
liaribus circumslantiis tantum in suppliai libella expressis.
(V. Revue, t. III, p. 281.)
Litterae archiepiscopi Goloniensis ad Sanctissimum Dominum
nostrum Piurn Papam IX.
78 ACTES DIVERS. [Tome VllL
Beatissime Pater ! JoannesS. R. E. Cardinalis de Geissel archiepi-
scopus Coloniensis, ad Sanctilatis Vestrae pedes provolutus humiliter
exponit sequentia. S. Gongregatio Concilii die 25 septembris 1858
decretiuîi edidit, quo declaravit, sacerdotibus, qui bis in die célébrant,
omnino pruhibitum esse, pro altéra missa eleemosynamaccipere. Quod
quidem decretumraox publicando contrariam agendi rationem, quae ex
igiiorantia prohibitionis in mea archidiœcesi passim observabatur, prorsus
eliminavi.Quum vero quoadpraeteritum maxime desideranda sit absolutio
pro iis sacerdotibus, qui bona fide pro altéra missa stipendium perce-
perunt, eara a Sanctitate Vestra concedi enixe efflagito. — Dubium
quoque eamdem materiara concernens Sanctitati Vestrae decidendum
omni qua par est reverentia bac occasione submitto, scilicet : num sa-
"cerdoti bis in die celebranti liceat alterara missam, pro cujus celebra-
tione sive ex piis fundationibus,siveex fidelium oblalionibus constituta
est certa eleemosyna, ita persolvere, ut dicta eleemosyna sive ad
sublevandam inopiam fabricae ecclesiae, sive in comrnodum sacerdotis
alicujus indigentis,sive in sustentationem missionariorura,sive in aliam
deniqufi piara causam ab Ordinario applicetur, nullumque omnino
comrnodum vel eraohimentum celebrans ipse inde percipiat. Quod si
talis agendi modus in dicta prohibitione comprebendatur, a Sanctitate
Vestra humiliter expostulo facullatem, qua talem agendi rationem, ex
qua omnis avaritiae suspicio exulare apparet, cognita causa et respectu
habito personarum et circurastantiarum dispensando permiltere va-
leam. Quam gratiam submisse exposcens ad Sanctitalis Vestrae pedes
sacros, quos exosculor, provolutus mihi et gregi raeo Apostolicam effla-
gito benedictionem. Pro quagr?tia etc.
Sanclitas Sua per Eminentissimum Cardinalem Caterini Sacras Con-
gregationis Concilii praefectum,responsum dedil : Die 11 Mart'n 1863.
— Sanctissimus Dominus Noster, audita reîatione infra&criplï pro^
secreiarii Sacrée Congregationis Concilii, Emineniissimi Domini
Cardinalis Archiepiscopi Coloniensis precibus bénigne annuens^ facul-
tates îiecessarias et opportunas eidem Eminentissimo imperlitus est
ad hoc, ut enunciatam absolutionem quoad prxteritum pro sno arbitrio
et priidenlia gratis impertiatur. In re'iquis vero ipsa Sanctitas Sua
censuit rescribenduin : « Non expedire. »
P. Cardin. CATERINI, Praefectus.
PETRUS, Archiepiscopus Sardianus.
Pro-Secretariu3.
Juill. lcG3.] ACTES DIVERS. 79
II.
Le Souverain-Pontife vient d'enrichir de précieuses indul-
gences l'Arcliiconfrérie fondée, sous le litre de l'Assomption de
la Très-sainte Vierge, pour le soulagement des âmes du pur-
gatoire, et qui a son siège à Rome, dans l'église de Sainte-
Marie in Monterone, desservie par les PP. Rédemptoristes.
1" Indulgence de 7 ans et 7 quarantaines, aux confrères et
consœurs qui visiteront avec un cœur contrit un cimetière pu-
hlic,et y prieront pour les défunts.
2* Indulgence plénière une fois le mois, à ceux qui auront
accompli ces œuvres ce piété au moins quatre fois dans le
cours du mois, à la condition de se confesser, de communier,
de visiter une église publique, et d'y prier aux fins ordinaires
du Souverain-Pontife.
Ces indulgences sont applicables aux âmes du purgatoire.
Pour y participer, il suffit de se faire inscrire sur les
registres de l'association, et d'accomplir les œuvres auxquelles
sont attachées ces faveurs spirituelles. Les quatre visites exi-
gées dans le mois pour l'indulgence plénière peuvent être ré-
parties comme on l'entend.
Voici le texte du Bref, tel que le publie la Correspondance de
Rome.
Pjus pp. IX. Ad perpetuara rei meraoriam. Cœmeteria Christiano-
rum maxima semper reiigione servata ac magno in honore fuisse habita
res est cuique coraperlissima. Hincsodales pise Archiconfraternitatissub
titulo Assumptionis B. M. V. ad suffragia ferenda animabus Purgatorii
igni addictis canonice erectae in ecclesia S. Mariae vulgo in Monterone
nuncupala de Urbe perpendentes, omne studium pro suo instituto po-
oenduni esse duxerunt, ut hujuscemodi religio ac honor pênes quascum-
que nationes custodialur. Ilinc iidem sodales per hodiernum dictâB piae
Archicoofraternitalis moderatorem enixas preces Nobis admovendas cu-
rarunt, ut ad augendam Christifidelium pietatera ac venerationem in
sacra memorata loca, illos cœlestium munerum, quorum dispensatores
Nos esse voluit Altissimus, elargitione ditaremus. Nos praefatis suppli-
cationibus, quae dum veneranda cœmeteria debito honore prosequi, etiam
animabus piaculari igni addictis solatium, levamenque afferre inten-
80 ACTES DIVERS. [Tom; VIIT.
dunt, obsecundare, ac ut infra indulgere de benignitate apostolica vo-
luimus. Qiiare de omnipolentis Dei misericordia, ac B. Pétri et Pauli
apostolorum cjus auctorilate confisi, omnibus et singulis confralribus et
consororibus praefa^ae piae Archiconfraternitalis jam descriptis, ve! pro
tempore describendis, saltem corde contritis, qui quodlibet publicuni
cœmeterium, ubi Christifideles in somno pacis requiescunt, visitave-
rint, ibiqiie pro defunctis exoraverint, qua vice id egerint, septem annos,
totidemqiie quadragenas de injunclis eis,seu alias quomodolibet debitis
pœnitenliis in forma Ecclesiae consueta relaxamus. Meraoratis vero
confralribus et consororibus vere pœnitentibus et confessis ac sacra
communione refectis, qui saitera infra mensis spatium quatuor vicibus
pietatis opéra super praescripta peregcrint, nec non e'.iam quamiihet ec-
clesiam publicam dévote visitaverint, et ibipro christianorum principum
concordia, hœresum exlirpatione, ac S. Matris Ecclesiae exaltatione
pias ad Deum preceseffivierint.plenariam semel tantum quolibet mense
per unumquemque confratrum et consororum lucrifaciendam on)nium
peccatorum suorum indulgentiani et remissionem misericorditer in Do-
mino concedimus. Quas omnos et singulas indulgeniias, peccatorum re-
missionesj ac pœnitentiarum relaxationesetiamanimabiis ChristiOdelium,
quae Deo in charitate conjunctae ab hac luce migraverinî, per modum
suffragii applicari posse etiam in Domino indiilgpmus. In contrarium
facieiitibus non obstanlibus qiubuscumque. Praesentibus perpoîuis futu-
ris temporibus valituris. — Daliira Pioruae apùd S, Pelrum sub annulo
Piscatoris die XXVIl martii MDCCCLXIII, pontilicalus nostri anno de-
cimo septimo.
Pro Dno Gard. Barberini, Jo. B. Brancaleoni Castellani, Subst.
III.
Une partie du clergé bavarois semble avoir oublié les loife
concernant l'obligation de porter* l'habit ecclésiastique : il
n'est pas rare de rencontrer dans ce pays des prêtres que, d'a-
près leur extérieur et leur costume, on ne reconnaîtrait nulle-
ment comme tels. Depuis une dizaine d'années, l'usage s'était
même introduit de porter la barbe. Le nonce de Munich, sur
l'ordre de Sa Sainteté, vient d'adresser aux archevêques et
évêques de Bavière une lettre où il réprouve cet abus, et ap-
pelle des mesures efficaces pour amener sa suppression. Voici
Juin. 18(i3.j ACTES DIVERS. 8f
le texte de ce document d'après le Pastoral-Blatt de Munster
(n° 6, 16 juin 4863) :
« Excellentissime ac Reverendissime Domine ! — Ad aures Beatis-
simi Patris pervcnit, in nonnullis Bavarise diœcesibus adesse ecclesia-
slicos viros, qui novitatis vel polius levitalis spiritu perdiicti usum
jamdiu exsolttum barbam gestandi iterum introducere et exemple suo
alios ad illud iniitandumallicere conantur. Qnidquid de anteaclis saecu-
lis dici debeat, in confesso est, modernam et vigentem Ecclesiœ Latinae
disciplinam huic usui prorsus obstare, novamqne consuetiidinem, ut
légitime inlrodiicatur, necessario reqiiirere assensimi sallem tacitum
supremi Ecciesiae Pastoris Hic autem hujusmodi novitalem omnino se
improbare déclarât, eo vel magis quod Iristissirais hisce temporibus
spiritus omnia innovandi liaud paucos seducat et ex una novitate in
aliara fiicile procedi possit. Quae cum ila sint, placuit Sanctilati Suae
mihi in mandatis dare, ut omnibus Bavariae anlistitibus suo Nomine si-
gnificarem, ab ipsis omnimode curandum esse non solum ut praedictus
usus expresse prohibeatur, sed etiam ut disciplinîE unilas et perfecta
cura Ecciesiae Roniana omnium magistra conformitas in omnibus ac
proinde etiam in babitu et tonsura clerioorum servetur, vel si opus sit
restauritur, ac qualiscunque nova consuetudo vetetur quae Supremo
Ecciesiae capHi apprime cognita atque ab ipso probata non sit. — Dum
haec Excellentiae Tuae lllustrissimae ac Reverendissimae Beatissimi
Patris jussu ac Nomine scribo, illara rogo, ut me de hujus epistolte re-
ceptione insiructum reddens, mihi etiam indicare velit, quid Excellen-
tia Tua opporlunum facere existimaverit, ut praedictus usus, si forte in
ista diœcesi manifestari incœpit, extemplo relinquatur, atque ut nemini
unquam in menteoi veniat, illum introducere. — Sinceris intérim ob-
servantiae et obsequii sensibus persevero Excellentiae Tuae lllustrissimae
ac Beverendissmiae humillimus et addictissimus iMATTH.^US EUSTA-
CHIUS, Archiepiscopus Neocaesareensis, nuntius Apostolicus. M. A. »
L'usage de se raser la barbe paraît avoir été observé dès
l'origine par le clergé d'Occident : c'était même un des griefs
que les Grecs, du temps de Photius et plus tard, élevaient contre
l'Église latine. Aussi voyons-nous saint Grégoire \'II s'opposer
à la coutume contraire qui s'introduisait enSardaigne. Il écrit
au juge de Cagliari : Nolumus autem prudentiam tuam moleste
accipere^ quod archiepiscopum vestrum Jacobum consuetudini
sanctx Romanx Ecclesiss matris omnium ecclesiarum obedire
82 DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE. [Tome VIII.
cogimus; scilicet ut quemadmodum totius occidentalis Ecdesix
cleruf. ah ipsis fidei Cliristiande p'^imordiis barbam radendi morem
tenuit, ita et rpse frater noster vester archiepiscopus raderet.
Unde Eminentix quoquetux prxcipimus, ut ipsum ceu pastorem
et spirituûlem patrem suscipiens et auscultans, cum consilio ejus
omnem tux potestatis clerwn barbas radere fadas atque corn-
pellas. (Hardouin, t. vi, col. 1460). Au XVI* siècle, la discipline
se relâcha sous ce rapport. Les conciles provinciaux de Nar-
bonne, en 1351, et de Maliues en 1570, rappellent encore la
règle ; celui de Rouen (1581) est moins explicite {\); celui de
Reims (1583) ordonne seulement d'une manière absolue de
se raser la lèvre supérieure (2). A partir de là, nous voyons
plusieurs conciles et S3^nodes prescrire des précautions ana-
logues inspirées par le respect des saints mystères, ou défen-
dre certaines manières de porter la barbe et les moustaches (3).
Vers la fin du XVIP siècle, l'usage de porter la barbe ayant
cessé parmi les laïques, disparut aussi dans le clergé. Des
tentatives isolées pour le faire revivre ont été sagement ré-
primées, dans ces derniers temps, par l'autorité des premiers
pasteurs. H. Girard.
(1j Nec barbam alanl ininislerio altaris indecorara. Hardouin, l. x,
col. 1237.
(2) Barbam vero aut omnino non geslent, quo'i magis probamus, auf
sallem loiam a superiore labro ob saciae communionis revereniiam
toiideani, vel radanl Ibid., col. 1292.
(3) Conc. Aqueuse ISSii : Presbyleri autem barbain habeanl ad su-
perius labrum ila incisain, ul sumeniibus Christi sanguinera nullum
afferat impedinienlum : alque lara ipsi, quam reliqiii omnes ab omni
parle ne ullo paclo pilos inlorlos, aula mento in actiium incisos pro-
duclosve, more niilrianl militari {Haraouln, 1. x, co!. \li\'l). — Conc,
Cameracense io86 : Barbam ne alalam, ve! îniliiiim more, nulrianl,
et ita omnino a labro superiore prsescindalur (maxime in sacerdolibus)
ul sacram communionem non irapedial. ( Statuta synodalia eccl.
Cameracensis, Gameraci 1784, p. ii, p. 182.) Les mêmes disposilions
se reirouvenl dans le 3' Concile provincial de Cambrai, leim en 1631
(ibid., [1. 311), dans les synodes de 1617 {ibid., p. i, p. 289), el de
1661 [ibid., p. 296), dans le Concile de Malines, en 1607 [Hardouin,
\. X, col 1958), etc.
BIBLIOGRAPHIE.
MÉTHODE POUR LES CLASSES DE PLAIN-CHANT, à l'usage des dio-
cèses qui ont adopté le chant romain de la Commission rémo-cam-
Lrésieuue, par M. l'abbé Caron, ancion directeur de grand séminaire.
— iu-î2, v-155 p. Paris, Guyot et Roidot, 1863.
Une courte méthode pour diriger l'étude du pluin-chant
dans les séminaires et dans les paroisses était un ouvrage né-
cessaire. Tout le monde n'est pas à même de faire, sur cette
science intéressante, des études approfondies; mais tous les
ecclésiastiques sont appelés à chauler les louanges de Dieu et
à se servir de toutes les ressources qui sont à leur disposition
pour le faire de manière à procurer la gloire de Dieu et la
sanctification des âmes.
Tout le monde connaît aujourd'hui les progrès qui ont été
faits dans l'exécution du chant ecclésiastique depuis le retour
des diocèses de France à la liturgie romaine, et, peu à peu,
nous voyons s'effacer ces défauts qui répandaient un si juste
blâme sur le chant de l'Éghse, assujetti à des règles qui ne
pouvaient jamais être apphquées par un chantre doué de l'in-
teUigence et du goût musical.
Mais, malheureusement, toutes les méthodes de plain-chant
étaient, depuis longtemps, rédigées sur les principes qu'il fal-
lait abandonner, et les travaux entrepris pour la restauration
du chant ecclésiastique avaient exigé des explications plus
détaillées. Il fallait une mélhode.simple, courte, pratique, et
d'un prix modique. M. l'abbé Caron vient de combler cette
lacune avec un succès remarquable.
L'auteur divise son travail eu trois parties. Dans la pre-
S4 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VlII.
mière, il donne des notions élémentaires sur le plain-chant ;
dans la seconde, il traite des moyens propres à donner de
l'expression ; la troisième partie se rapporte à la rubrique, à
l'esthétique et au symbolisme des morceaux de chant. M. Ca-
Ton a cru devoir, sur l'avis de M. Tabbé Tesson, président de
la commission rémo-eambrésienne^ publier dans un petit vo-
lume les deux premières parties. La troisième est encore sous
presse, et doit faire un opuscule à part.
Les 50 pages qui forment la première partie de la méthode
renferment toutes les notions nécessaires pour avoir cette
science élémentaire du plain-chant sans laquelle il est impos-
sible d'arriver à une exécution convenable, et dont l'absence
est la source d'une foule de fautes et d'erreurs. Ou y trouve
des exercices simples, à la portée des commençants, et choisis
avec ce tact qu'une connaissance bien nette du plain-chant
peut seule donner. En les suivant, l'élève apprend comme
instinctivement les règles et le rythme du chant ecclésia-
stique.
La deuxième partie renferme des règles dont la connais-
sance est indispensable. M. l'abbé Caron y a touché tous les
points pratiques.
Il traite d'abord des moyens matériels de donner de l'expres-
sion au plain-chant. Parmi ces moyens, les uns doivent pré-
céder, les autres accompagner l'exécution. Ceux qui pré-
cèdent sont la culture de la voix et la bonne exécution des
neumes. On sait combien la culture de la voix a été négligée, en
France, dans le chant ecclésiastique. L'auteur s'appHque donc
à donner clairement et brièvement les moyens à employer.
Il enseigne ensuite la manière d'exécuter chacun des neumes,
ou syllabes musicales qui se trouvent dans le plain-chant. En
parlant des moyens qui accompagnent l'exécution du chant,
M. Caron a su toucher à toutes les défectuosités le plus com-
munément répandues, comme l'absence d'une bonne pronon-
ciation, comme l'usage de chanter sur un diapason trop haut ou
Juin. 18G3 1 BIBLIOGRAPHIE. 85
trop bas; l'auteur rappelle ici les principes donnés dans
l'inslruction pastorale de Mgr l'Evêque d'Arras et dans la mé-
thode de M. l'abhé Alix. Il traite ensuite, dans le même para-
graphe, des longues et des brèves, des repos, du crescendo, du
deo'escendo, du trémolo et de l'intensité de la voix. Enfin, il in-
dique les principes à suivre sur la lenteur ou la rapidité avec
laquelle on doit exécuter le plain-chant.
Après ces moyens matériels, qui font l'objet du premier
chapitre, M. l'abbé Caron consacre le second à l'examen des
moyens intellectuels de donner de l'expression au plain-chant.
Ces moyens sont l'intelligence et le sentiment dans l'exécu-
tion. L'intelligence peut être envisagée sous un double rap-
port : sous celui de l'harmonie propre au plain-chànt en gé-
néral et du rythme spécial aux différents tons ou particulier à
certaines fêtes ou à certains temps de l'année, puis, sous le
rapport du sens des paroles chantées. L'intelligence de l'har-
monie du plain-chant se forme et se perfectionne par l'étude
de cet art, et celle du sens des paroles, par la prépnration qui
doit toujours précéder Texécution. L'intelligence des paroles
sert à perfectionner, non-seulement le chantre, mais aussi le
lecteur. L'auteur fait ressortir ici les heureux effets de cette
intelligence pour l'exécution des parties de la Messe ou de
rOflSce dont le chant est moins varié, et attire l'attention des
ecclésiastiques sur les moyens de donner à ces chants une
expression qui seule peut rendre la pensée de l'Élglise dans
l'institution du chant ecclésiastique. Le second moyen intel-
lectuel est le sentiment. L'intelligence dirige le chant, mais
le sentiment seul y produit le goût et la piété. Pour obte-
nir le goût, on doit s'appliquer à comprendre la pensée que
rendent le choix et la disposition des notes; M. Caron cite plu-
sieurs exemples pour rendre palpable cette relation. La piété
dans le chaut est le résultat de l'ensemble des sentiments du
cœur avec les qualités requises pour bien chanter. L'auteur
termine par deux avis très-importants : le premier, pour mettre
86 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VIII,
ea garde contre riiésitatiou dans le chant ; le second, sur Tat-
tentiou dans l'exécution.
Tel est, en quelques mots, le travail de M. l'abbé Caron.
Cet ouvrage se répandra promptement, nous l'espérons, dans
un bon nombre de grands et de petits séminaires. Son utilité
ne se borne pas à ceux des diocèses où Ton a adopté le chant
de la commission de Reims et de Cambrai : partout on trouvera
dans ce livre des moyens de mieux connaître les principes du
plain-chant, des moyens pour arriver à une exécution meil-
leure, et Ton préparera une restauration plus on moins com-
plète, même dans les églises où les ressources pour y par-
venir ont fait défaut jusqu'à présent.
P. R.
DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LE DÉMON, Essai historique et
philosophique, par Joseph Bizouard, avocat. Tome T. — Paris, Gauine
et Duprey. lu-S", xv-376 pages.
On l'a dit bien des fois : le naturalisme est la grande plaie
de notre époque. « Rien dans notre siècle ne reiicontre au-
tant d'hostilité que le surnaturel ; aussi, rien de plus commun
que l'impiété (1). » Ce mal hideux, (|ui ronge comme une
lèpre les forces individuelles et sociales, a été combattu dog-
matiquement. Divers essais ont paru sur cet important sujet :
on ne peut qu'y applaudir, tout en désirant qu'il paraisse en-
fin un travail magistral et complet sur ce qui est aujourd'hui
le dogme des dogmes, en même temps que le besoin des be-
soins.
« Le monde invisible présente deux sortes de prodiges : les
faits surnaturels, qui suspendent les lois physiques, et les
faits surhumains, résultant de l'emploi de ces dernières pour
opérer des actes supérieurs à tout pouvoir humain.
(1) Des Rapports, etc., p. i.
Juill. lSG3i. BIBLIOGRAPHIE. 87
« Si le surnaturel prouve Texistence d'un souverain être,
le surhumain démontre l'existence d'êtres inférieurs infini-
ment plus puissants que l'homme; l'étude qui prouve l'un et
l'autre est donc éminemment importante, puisqu'elle met sous
nos yeux une double vérité fort ancienne : Dieu se révélant
par des miracles, des êtres invisibles se révélant par des pro-
diges séducteurs (I). »
L'histoire peut donc constater ce que démontre la doctrine.
Le surnaturel est un fait, aussi bien qu'un dogme. M. Bi-
zouard s'est placé surtout au point de vue historique. A l'é-
poque où bien peu de savants s'occupaient de la question des
esprits, cet estimable auteur, sentant sa curiosité éveillée par
les livres de trois jurisconsultes sur la nécessité de punir le
commerce illicite avec les mauvais esprits, a étudié les ou-
vrages nombreux publiés, à divers points de vue^ sur les dé-
mons, et, de siècle en siècle, trouvant toujours des faits, des
textes, des prodiges, des mystères, des rites, des apparitions,
des résultats étonnants, il a conclu que, toujours et partout,
le surnaturel et le surhumain ont existé. C'est le résultat de
ces recherches qui est publié sous^ce titre : Des Rapports de
Vhomme avec le démon.
M. Bizouard se range vigoureusement « dans le camp des
orthodoxes. » La conclusion inévitable de ses travaux est l'exis-
tence partout et en tout temps du surnaturel et du surhumain (2).
a Le surnaturel, » dit-il dans une doctrine qu'on ne saurait
trop inculquer; « le surnaturel, qu'on le sache bien, a une
double importance, on ne saurait trop le répéter ; il est non-
seulement la base d'une foi qui nous assure les biens futurs;
mais celle même foi assurerait le bonheur et la sécnrilé des
sociétés dans la vie présente : le surhumain est trop étroite-
ment lié au surnaturel, pour n'avoir pas le même degré d'im-
portance : l'un et l'autre prouvent Dieu et' Satan; il faut re-
(1) Des Rapports, etc., p. i et n.
(2J /6.,p. XV.
88 BIBLIOGRAPHIE. ITomeVlII.
connaître Tun pour l'adorer, et l'autre pour éviter ses pièges.
Si Ton pouvait espérer le rétablissement de cette double
croyance, le corps social ne serait plus comme le vaisseau
agité par la tempête (1) »
La préface se termine par cette phrase, écrite à coup sûr
eu vue du spiritisme : « Admettre surtout les prodiges sata-
niques comme divins , y recourir pour établir un nouveau
culte et organiser un état social nouveau, c'est le très-antique
et détestable projet de tous ceux que l'auteur de ces prodiges
a séduits dans tous les temps. S'il parvenait, un jour, à
réussir, ce serait la ruine universelle (2). » C'est de nos
jours surtout que la science démonologique est nécessaire.
« Mieux connue et plus répandue, on n'aurait vu ni ma-
gnétiseurs fluidistes ou spirilualistes, ni spirites évoquant les
génies ou les âmes des morts avec une table, ni philosophes
disposant de l'àme de l'univers pour opérer mille prodiges
effrayants, ni prêtres, comme il s'en est trouvé quelques-uns,
acceptant des théories fort périlleuses pour la foi (3). »
Telles sont les diverses pensées auxquelles se rattache
l'œuvre de M. Bizouard. Il n'est personne qui ne voie comme
elles sont belles et justes. L'Essai historique sur les rapports
de l'homme avec le démon complétera l'œuvre de MjNI. des
Mousseaux, de Résie, de Mirville, de M. l'abbé Thiboudet,
du P. Matignon et des autres écrivains qui se sont émus, à
si juste titre, des ravages causés par l'intluence manifeste
^.utant que maligne des esprits infernaux. Il jettera un grand
jour sur cette grave question, et achèvera de porter la lu-
mière sur les bas-fonds du spiritisme. On ne peut donc qu'ap-
plaudir à cette belle entreprise et encourager de si nobles
efforts.
Le premier volume, que nous avons sous les yeux, est di-
(-1) Des Rapports, sic, p. xiv.
(2) 76., p. XV.
(5) Ib., p. XII.
Jaill. 18G3.] BIBLIOGRAPHIK. 89
visé en cinq livres. Il traite de l'idolâtrie, de la philosophie
grecque, du néoplatonisme alexandrinn, des hérésies, de la
magie, de la doctrine de l'Église et de saint Thomas, le tout
considéré par rapport aux effets surhumains, superstitieux ou
diaboliques que l'histoire y retrouve. Les mystères, les sym-
boles, les présages, les auspices, les songes, l'astrologie, les
talismans, les oracles, la goétie ou magie malfaisante, les
métamorphoses, les fureurs sacrées, les extases, la théurgie,
les bruits, les cris, les vexations, les possessions, les obses-
sions..., toutes ces formes diverses des rapports avec les es-
prits, l'auteur les expose historiquement, avec beaucoup de
science, jusque chez les Templiers et les Albigeois. Ce livre
accuse beaucoup de recherches. L'auteur, on le conçoit facile-
ment, avait une immense quantité de faits à narrer ; il s'est
borné à en présenter que des échantillon? de chaque espèce.
Il désire surtout que l'on unisse dans une lecture, et comme
dans une chaîne continue, tout ce qu'il racontera. C'est, en
eff'et, l'ensemble qui est décisif pour sa thèse.
Dans une telle quantité de détails, il y en aurait plusieurs
qui demanderaient des réflexions diverses. Nous ne pouvons
nous y arrêter, sous peine de dépasser les limites d'un compte-
rendu. Nous désirerions que ce qui touche aux mœurs fût
abrégé ou indiqué avec plus de voiles, ou même mis en latin.
Nous savons très-bien que l'ouvrage qui les contient est,
avant tout, scientifique, mais n'importe, cette précaution est
loin d'être superflue.
A part ces réserves ou autres semblables, le livre de M. Jo-
seph Bizouard est une très-belle œuvre, pleine de recherches
utiles. Il contribuera à éclairer bien des âmes et à les rame-
ner à la foi catholique. Cinq volumes sont encore à paraître :
nous en rendrons compte à nos lecteurs.
N.-C. Le Roy.
LA LITTERATURE THEOLOGIQUE EN ALLEMAGNE
Pendant l'année 1 S69.
[Suite.)
CORRESPONDANCE,
IV. — PATRlSTiaUE ET PaTROLOGIE.
La publication la plus importante de cette catégorie est incontestablement
i'Eusèbc du D' Lœmmer, le célèbre converti dont il a été question plus d'une
fois déjà dans votre Revue. {Eusebii Pamphili Hislori'x ecclesiasticx l'bri
decem. Grxcum lexlum collatis qui in Germanix et IcaiiiC btbliothecis
asservantur codicibus et adkibilis prœstantissimis editionibus recensuit
atque emendavit, latinam Henrici Valesii versionein passim correctam
subjimxit, apparatum criticum apposait, fontes adnotavit, prolegomena
et indices adjecit Hugo Lœmmer. 8°, xxv-920p. Scaphusiae, suraptibus librariae
Hurterianœ, 1862.) Il ne m'appartient pas de porter un jugement sur la valeur
de cette recension qui sans aucun doute est le résultat d'un travail aussi con-
sciencieux qu'opiniâtre, et qui atteste des connaissances spéciales très-distin-
guées. Je me permettrai seulement une remarque de fait. Les critiques ne sont
pas tous d'accord avec le Df Lœmmer sur le rang qu'il a donné au Codex Ve-
netus 558 en le prenant pour base de son texte, et en lui laissant cette autorité
après même qu'il eut découvert le précieux Codex Vaticanus ô99.
Le professeur Pohlmann, de Braunsberg, a étudié les manuscrits des commen-
taires de S. Ephrem sur l'Écriture sainte qui se trouvent à la bibliothèque du
Vatican : avec quels résultats, c'est ce que l'on pourra dire quand nous aurons
la seconde partie de sa dissertation. (S. Ephrxmi Syri eommenlariorum in
S. S. textuiin codicilus vatic. manuscriptus et in editione rom. impressus.
Commentalio critica. P. 1. Braunsberg, Peter. 36 p. 16 ngr.)
Nous pouvons citer encore l'excellente édition classique de l'Octavius de
Minulius Félix, donnée par le prof. Kaiser, d'après le Codex Paris. Regius
(Paderborn, Junfermann. 8°, 58 p. 7 1/2 ngr.); celle de lii Vita S. Severini
d'Eugyppius, par le D^ Kerschbaumer, d'après un manuscrit romain du
Xe siècle (in-12, XX-81 p. Scaphusiae, Hurter, 12 ngr.) ; une dissertation du
Dr Hillen, Ctemenlis Alexandrini de SS. Eucharistia doctrina (Warendorf,
Schnell, 7 1/2 ngr.); enfin, la Commeiitatio palrologica du théologien polonais
Juin. 1863 1 CORRESPONDANCE. 91
Jadzewski sur S. Zenon, évoque de Vérone, qui est faite avec critique et qui
jette un jour nouveau sur la vie et la mort de ce primum sidus sedis episco-'
palis Veronensis, ainsi que sur les circonstances oii il a vécu (Regensburg,
Manz, 109 p. 15 ngr.).
Enfin, c'est ici le lieu de mentionner le second volume de l'Histoire de la
litléraluro apologétique et polémique par le prof. Werner. {Geschichte der
apologetischen und polem. Literatur der christlichen Théologie. Schaffhau-
sen, Hurter. 8° XVI-695 p. 2 i/3 thlr.) Cet ouvrage est le résultat de longs
travaux et il contient une quantité considérable de matériaux recueillis avec
intelligence et avec soin. L'esprit en est parfaitement calfcolique. Sans donte, on
désirerait quelquefois plus d'ordre, de clarté, de brièveté, de critique même dans
certains cas, mais ces défauts disparaissent devant le mérite et l'utilité d'une
celle œuvre. Le premier volume, publié en 1861, expose en trois livres la lutte
contre le judaïsme, l'hellénisme, et les spéculations païennes des Guostiques et
des Manichéens. Le 2» volume, que nous annonçons ici, s'étend sur les combats
de l'orthodoxie contrôles doctrines erronées qui surgirent àl'époque patristique,
en opposition avec les croyances chrétiennes sur Dieu, la Trinité^ l'Église, les
sacrements, le péché, la grâce. Les trois volumes qui sont encore attendus au-
ront pour objet : 1» la littérature relative à la séparation de l'Église latine et
du schisme grec ; 2° la lutte du catholicisme contre le protestantisme croyant ;
3o les tendances qui se sont produites à l'époque moderne sur le terrain de
l'apologétique, de la philosophie de la religion, et de la théologie spéculative,
A cette catégorie se rapporte également l'Histoire des dogmes avant le
eoneile de Nieée, par le D' Schwane, ( Dogmengeschichte der vornicsenischen
Zeit 8° VIIl-"84 p. Munster, Theissing. 3 thlr 20 ngr.) C'est un travail très-
soigué, très-approfondi, où tout est pesé, mesuré ; l'auteur s'impose peut-être
même une trop grande réserve quand il s'agit d'expliquer et de justifier les Pères
de l'Église par rapport à certains points de doctrine, quoique d'ailleurs ses
opinions soient toujours parfaitement saines. Le D' Schwane a rempli d'une
manière remarquable sa tâche difficile.
V. — Histoire ecclésiastiqoe.
Le Manuel d'histoire ecclésiastique de Rilter, jadis professeur et doyen du
chapitre à Breslau, vient de paraître eu 7* édition par les soins du D' Ennen,
archiviste Je la villS de Cologne. (Bonn, Marcus, 2 Bde 8* à 688 p. 3 thlr.
30 ngr.) Les additions faites au texte se réduisent à peu de chose ; il n'y a de
changements, ni de rectifications d'aucune sorte. Outre l'ouvrage de Ritter, nos
étudiants se servent beaucoup de celui d'Alzog (7e éd. 1859. Mainz, Kaiserberg),
mais tous deux laissent bien à désirer. Le second est difiScile à étudier pour
les commençants : il est trop morcelé dans son exposition, trop chargé de dates,
de chiffres et de noms propres ;-la forme en est sèche et peu intéressante. Il
surpasse toutefois Ritter (ancien hermésien de Bonn) pour l'esprit général,
l'exactitude des détails et la richesse des indications bibliographiques. Ritter
n'est pas toujours exact, ni toujours irréprochable, mais son style est élégant,
il dispose bien sa matière, il est facile à étudier. Dœllinger l'emporte de beau-
92 CORHESPONDONCE. [TomeVIll.
coup sur l'un et l'autre. Malheureusement son Cours d'histoire ecclé-
siastique est resté inachevé (2» éd. I und II Bd. 1 Abih. Regensburg, Manz,
i845j: il y a de plus une certaine disproportion entre les parties dont il se
compose. Puisque nous ne pouvons guère en espérer l'achèvement, il serait bien
à désirer que le professeur Hefele consentît à revoir et à publier les leçons si
remarquables qu'il donne à l'université deTubingue.
J'arrive aux monographies, qui sont nombreuses et importantes, à cause de
l'étal florissant oii les études historiques se trouvent maintenant parmi nous.
Le R. P. Gams, autrefois professeur au séminaire de Hildesheim et mainte-
nant bénédictin à MuniiSh, a entrepris d'écrire l'histoire de l'Église d'Espagne.
Le premier volume comprend les trois premiers siècles. {Die Kirchengeschichte
von Spanien. I BJ. gr. 8" XII- 42-2 p. Regensburg, IMaaz. 2 ihlr.) Comme les
sources ne fournissent presque rien pour cette époque si reculée, il a fallu recou-
rir à des combinaisons, et souvent deviner. Les résultats obtenus, même de
cette manière, n'auraient p^s rempli un tiers du volume, si l'auteur n'y avait
joint des choses qui se rattachent par un lieu bien peu étroit à l'objet principal.
Nous citerons, par exemple, ses recherches sur le lieu d'origine de l'ancienne
italique et sur les causes de la persécution de Dioclélien. Ce premier volume
est divisé en quatre livres : le premier traite du voyage de l'apôtre saint Paul en
Espagne ; le second, de la mission et des œuvres des disciples des apôtres ; le
troisième est consacré à réunir, combiner, commenter les données sur l'Église
d'Espagne que l'on trouve dans saint Irénée, Terlullien, saint Cypriea ; le
quatrième enfin contient le récit de la persécution de Dioclélien en Espagne.
Tout cela est le résultat d'un travail sérieux, mais on remarque un peu de né-
gligeuiC dans la composition et une manière trop diffuse. Quoi qu'il en soit, ce
commencement fait concevoir pour l'ouvrage entier les plus belles espérances.
L'admirable ///s/o»re des conciles, du D^ Hefele, est arrivée à la première partie
du tome V. (8" 512 p. Freiburg, Herder. 1 ihir 20 ngr.) Cette partie nouvelle-
ment publiée va du commencement du pontificat de saint Grégoire Yll, en 1075,
jusqu'en 1160. Vous voyez qu'il reste encore beaucoup à faire. Cependant, on
peut compter d'une manière certaine sur l'achèvemeut de tel important ou-
vrage.
Voici une collection de sources dont le titre seul dit beaucoup et qui est
éditée avec un soin digne de tous les éloges : Ponlificum Romanorum qui
fuerunt inde ab exeunie sœculo IX usque ad finem sxeuli Xlll vitas ab
sequaltbus conscrip:œ, quas ex Arcliivi pontificii, BibliotheccT Vaticanx
aliarumque (odicibtts, adjeclis suis cuique et annalibus et documentis gra-
vioribus eUidil D' J. M. Watterich. Tomus I (Johannes VIII — Urbanus II) ;
Tomusll (l'asebalisll— CœlestinusIII). (Gr. 8». CV-755 et XII-TiS p. Lipsiœ,
Engelmann. 4 thlile volume.) Les autorités les plus compétentes ont rendu hom-
mage à cette publication, qui doit se terminer bientôt par un troisième volume.
L'auteur, jusqu'à cos derniers temps professeur public et ordinaire d'histoire au
lycée académique de Braunsherg et maintenant curé de la ville d'Acdernach sur
le Rhin, n'est guère âgé de plus de trente ans. Espérons que sa position actuelle
ne l'arrachera pas enlièrement à ses travaux ittéraires, et qu'elle lui permettra
de réaliser les belles espérances qu'ont fait naître ses débuts. •
Juin. <8G3.]
COnRESPONDANCIÎ. 03
Le Paschase Radbert du P. Hausher a été appréciée sévèrement par des
( ritiques qui se plaçaient à un point de vue tout différent de celui de l'auteur.
Celui-ci n'a pas prétendu composer un livre strictement scientifique, mais contri-
buer k répandre et à faire Vue les écrits de Paschase Radbert sur l'Eucharistie-
C'est là le but principal de sa traduction. Elle est accompagnée de notes et d'une
introduction biogniphico-apologétique. (Der H. Paschasius Radbettus. Eine
Slimme iiber die Eucharistie vor tausend Jahren. Bearbeitet von
P. M. Hausher, S. J. 8» XVl-484 p. Mainz. Rirchheim. 1 thlr 15 ngr.) Je
dirai à ce propos deux mots du livre de l'oratorien anglais Dalgairns sur
l'Eucharistie, sa philosophie, sa théologie et sa pratique. (Trad. allem. Mainz,
Kirchbeim. 8° XII 486 p. 1 thlr.) C'est un opuscule admirablement beau,
très-propre à édilier et â instruire : aussi, je ne puis m'empêcher d'émettre le
vœu qu'il- soit traduit bientôt pour l'usage de vos compatriotes, avec l'ouvrage
du môme auteur sur le Sacré Cœur de Jésus.
Le Df Scharpff, ancien professeur de théologie à Giessen, aujourd'hui cha-
noine de Rottenbourg, nous a donné en langue allemande les prmcipaux écrits
du cardinal Nicolas de Cusa. (Freiburg, Herder. Xl-641 p. 2 thlr.) L'auteur
s'était déjà occupé de ce personnage il y a vingt ans. {Der Cardinal tmd Bis-
chof Nikolaus von Cusa. 1 thlr. Mainz, 4843.) Un peu plus tard, il parut une
biographie complète par le Dr Diix. (Nikolaits von Cusa und die Kirche
seiner Zeit. 2 Bde. Regcnsburg, Mainz, 1841-1848.) En même temps, le
D' Clem -ns, alors privat-docenl à Bonn, faisait ressortir son importance comme
philosophe. (Giordano Bruno und Nicolaus von Cusa. Bann, Wittmann,
1847.) Tout récemment, le professeur Jœger, de Vienne, s'est occupé d'un
épisode important de la vie du grand cardinal. {Der Streit des NUiolaus von
Cusa mit dem Herzoge Sigmund von OEslerreick als Grafen von Tyrol.
2 Bde. 8». Xll-r.84, 440 p. Innsbruck, Wagner, 1861. 4 thlr.)
Le D» Scharpff a choisi pour entrer dans son recueil des morceaux d'un con-
tenu très-divers, spéculatif, philosophique, dogmatique, moral, ascétique, ho
milélique: il les a rendus avec la pins scrupuleuse fidélité. Il a cru que c'était la
meilleure base à donner aux recherches qu'il se propose de publier bientôt sur
le système de Nicolas de Cusa et son influence sur le mouvement pliilosophique et
théolojjique. Puisse cette seconde partie ne pas se faire attendre trop longtemps !
Si elle paraissait assez tôt, ce serait un beau monument pour le quatrième
anniversaire séculaire de la mort de l'illustre cardinal (1 1 août 1864).
Un jeui.e privat-docent de Munich, clève de Dœllinger, le D"' Jos. Friedrich,
a traité dans sa dissertation prc venta leyendi, de la doctrine de Jean Hus et
de ses rapports avec les principes subvertifs de toute nature qui se sont fait jour
dans la société à partir du protestantisme. (Die Lchre des Johann Hus und
ihre Bedeulung fUr die Gegenwart. Regcnsburg, Manz, 176 p. 22 1/2 ngr.) Le
sujet était bien choisi, car depuis longtemps il n'avait paru aucun travail détaillé
sur Jean Hus. Ce livre, pour le contenu comme pour la forme, se ressent de
la jeunesse de l'auteur, mais il est loin d'être dénué d'importance.
Le môme auteur avait publié peu auparavant, à l'occasion de sa promotion
au doctorat, une Vie de Jean 'Wessel. [Johann Wessel. Ein Bild aus dem
Eirchengesckichte des XV Jahrhunderts. Regensburg, Manz. 8* VIil-284 p.
94 CORRESPONDANCE. [Tome Vin.
1 ihlr.) Celte Vie est principalement dirigée contre Ullmann qui, dans le
second volume de ses Réformateurs avant la réforme (Hambourg, 1842 ;
p. 287-642), a cherché à représenter J. Wessel comme le principal représen-
tant de la théologie réformatrice au XVe siècle. Friedrich s'efforce au con-
traire de démontrer que la doctrine de Wessel est catholique, bien qu«, sur
quelques points, il ait poussé jusqu'à l'extrême les tendances nationales des
théologiens de l'école de Paris. Il était facile de satisfaire sur ce point les
hommes exempts de préjugés. Nous regrettons que le D' Friedrich ait cru devoir
joindre à celte démonstration une peinture trop étendue, trop vive, ou même
exagérée du triste état où se trouvait alors l'Église. C'est une besogne que nous
pouvons laisser à nos ennemis, quand rien ne nous oblige à la remplir nous
mêmes ; dans les cas oii la fidélité historique nous en fait un devoir, il faut au
moins garder la mesure et la réserve voulues.
L'ouvrage de Friedrich m'en rappelle un autre de C. Hœfler : Les Conciles
de Prague avant la période hussile. (Prager Coneilien der Vorhusitischen
Période. Prag., Tempsky. 4» LXI 116 p. 2 ihlr. Extrait des Abhandlun'jeri,
der Kœnigl. Gesellschafl der Wissensch. V. Folge, 12 Bd.) C'est une collection
de statuts et de documents inéilits de 38 synodes, avec une savante introduction.
L'histoire ecclésiastique de Bohème, a laquelle ces actes se rapportent principa-
lement, est en ce moment l'objet d'un travail d'ensemble de la part du D. Frind,
directeur du gymnase d'Eger. Deux livraisons ont paru. {Die Kirchengeschichte
Bœhmens. Prag., Tempsky. 12 ngr la liv.). Elles traitent de l'introduction du
christianisme dans la Bohème, Comme l'auteur a fait depuis longtemps des
recherches considérables dans les archives en vue de son ouvrage, comme
d'ailleurs il est très-versé dans la critique et dans l'art d'écrire, on peut espérer
de sa part quelque chose de remarquable.
Ce que j'ai a mentionner encore en fait de publications nouvelles se rapporte
plus ou moins directement à l'histoire du protestantisme. Ainsi tout d'abord,
c'est une nouvelle édition des lettres bien connues de Cobbett sur la réforma-
tion en Angleterre et en Ecosse. (Mainz, Kirchheim. XX-660 p. 1 thlr 10 ngr.)
Il est à regretter qu'une main habile n'ait pas retranché ça et là des exagérations
et corrigé des erreurs de fait qui déparent ce livre d'ailleurs encore utile à
lire. Je n'ai pas besoin de faire remarquer que les trois éditions allemandes ont
été achetées et lues presque exclusivement par les catholiques, bien que Cobbett
ait adressé ses lettres à tous les anglais équitables et judicieux, et qu'il les ait
même destinées d'une manière spéciale aux protestants.
Le Df H. Lœmmer, dont vous avez fait connaître les Analecta Romana et
les Slonumenta Vaticana, vient de composer un mémoire pour servir d'an-
nonce et de- préparation à son grand Spicilegium Romanum historico-ecclesia-
sticum. [Zur Kirchengeschichte des XVII und XVIII Jahrhunderts. 8" 192 p.
Freiburg, Herder. 24 ngr.) Il y passe en revue sommairement les résultats de
ses recherches dans les d-verses bibliothèques de Rome. L'activité de ce jeune sa-
vant, âgé seulement de 28 ans, est vraiment étonnante: ou comprend à peine
qu'il suffise à tant de publications.
Enfin, le D^ Pichler, élève de Dœllinger et privat-docent k Munich comme
Friedrich, a examiné les rapports du protestantisme avec l'Église grecque au
Juin. 1863.] CORUEsPONDANCE. 95
XVII' siècle, c'esl-à-dire l'essai malheureux que firent les protestants pour
attirer les Grecs dans leur parti. Vous avez fait connaître d'une manière dé-
taillée le contenu de ce livre. C'est un travail très-soigné, qui fera sans doute
disparaître des livres d'histoire quantité de mensonges qui courent les rues.
VI. — Hagiographie.
Ici, mon intention n'est point de vous parler de cette quantité innombrable
délivres qui se proposent seulement un but d'édification et qui^sont destinés
au peuple: je veux seulement vous entretenir de ceux qui ont au moins un certain
caractère scientifique.
Le plus important de tous, et presque le seul qui par son origine appartienne
à l'Allemagne, c'est le Dictionnaire universel d'hagiographie publié par le Df
Stadler, doyen du chapitre d'Augsbourg. (Vollstccndiges Heiligenlexicon oder
Lebensgeschichten aller Heiligen, Seligen u. s. w. in alphabetischen
Ordnung. Bd. 1, 11, III, 1-3 Lief. Gr. 8- 2052 pp. Augsburg, Schmid. 1859-
1865. ) Malgré la brièveté à laquelle on vise dans la composition de ce réper-
toire, on ne sacrifie pas cependant la solidité : on a cherché à lui donner un
caractère en même temps populaire et scientifique. Les Bollandisles, naturelle-
ment, sont la source principale, mais non la source unique à laquelle on a
puisé. On peut dire avec certitude qu'il n'existe dans aucune langue un ouvrage
aussi complet. Pour se faire une idée de la quantité de saints et de bienheureux
qui sont énumérés et dont la vie est racontée avec plus ou moins de détails, mais
toujours avec une étendue suffisante, il suffit de savoir que l'article Alexandre ne
contient pas moins de 120 personnages de ce nom : l'article Gw/i/aume en a 125,
l'article Antoine 177, l'article François 192, l'article Félix 22", l'ariicle Jacques
259, l'article Jean n'en a pas moins de 983. Le tout sera terminé par un calendrier
universel des saints, et par une liste alphabétique de leurs attributs et symboles.
L'ouvrage n'est guère qu'à moitié, mais son achèvement peut être regardé conmie
assuré. Chaque livraison de 6 feuilles grand in-8o à deux colonnes, bien im-
primées, sur bon papier, ne coûtant que 8 ngr. (1 fr.), l'ouvrage entier reviendra
tout au plus à dix thalers. 11 sera probablement complet en cinq volumes.
Ce que j'ai à citer encore dans cette catégorie est emprunté à votre littérature.
Ainsi une traduetion de lu Vie d'Holaauser de M . l'abbé Gaduel avec intro-
duction du chanoine Dr Ueinrich, rédacteur du Catholique de Mayenne (Mainz
Kirchheim ) ; ainsi encore, la Vie de la V. Marguerite Marie Alacoquc, et
celle de saint François de Sales, par l'abbé Boulangé (Miinchen, Lentner).
Un peu auparavant, le converti W. Volk avait publié, sous son pseudonyme
habituel de L. Clams, une Vie de saint Fra7içois de Sales (t. I et H, 4i5-
454 pp.), de sainte Jeanne de Chantai (t. III, 630 i)p.) et des premières
sœurs de la Visitation (t. IV et V, 457-536 pp.) Je termine en citant la 5e
édition allemande de la Vie de sainte Elisabeth, par M. de Monlalembert
(fib. V. Stsedler. Regensburg, Manz).
Pour extrait :
E. UAUTcœuR.
{La fin prochainement.)
CHRONIQUE.
1. Livres mis a l'Index. Décret du 26 janvier. — Il Mediatore, giornale
seltimanaîe poUtico, religioso, scientifico, letlerario, diretio dal professore
Carlo Pdssaglia. Torino, stamperia deH'Unione tipografico ediirice.
i. Michelet : La Sorcière. Paris, collection Helzel. Dentu, Palais Royal.
Almanacco sacro Pavesp- per l'anno 1865. Pavia, tipografia dei fratelli
Fusi.
2. Il y a longtemps que nous désirons annoncer le remarquable ouvrage de
S. E. le cardinal Mathieu : Le Pouvoir temporel des Papes justifié par l'his-
toire. Elude sur l'origine, l'exercice et l'influence de la souveraineté ponti-
ficale (Paris, A. Le Glère. 8' 687 pp. 7 fr.). C'est un livre qui prendra
un rang distingué parmi cette foule de productions que la situation présente
a fait naître, et dont quelques-unes lui survivront. Ce qui donne une impor-
tance particulière au livre de Mgr Mathieu, c'est que l'auteur a pu mettre à profit
les pièces récemment publiées par le P. Theiner {Codex diplumaticus dominii
temporalis S. Sedis. 5 vol. fol. Rome. 1861-1862).
3. Le Souverain- Pontife, par Mgr de Ségur (Paris, Tolra et Haton. in-lS,
297 pp. 1 fr.). C'est un de ces opuscules dont Mgr de Séiinr aie secret, qui sont
écrits pour tout le monde et se font lire par tout le monde, et qui, en se répan-
dant à des milliers d'exemplaires, réalisent un bien inappréciable. Toutes les
questions qui se rattachent a l'autorité du Pontife suprême y sont traitées
avec un esprit vraiment catholique et dégagé des préjugés nationaux.
i. Le P. Gratry nous donne une première partie d'un Commentaire sur
l'Evangile selon saint Matthieu (Paris, Douniol et LecotTie, 8° 2i7 pp. 4 fr.).
Sa méthode consiste à traduire en français le texte, de ch:ique chapiire divisé en
sections séparées par des chiffres romains; puis, viennent des développements
qui n'ont pas le caractère d'une annotation exégétique : ce sont plutôt des con-
sidérations qu'un commentaire proprement dit. On y reconnaît, comme dans tous
les ouvrages du célèbre oratorien, l'inspiration d'un beau talent et d'une âme
profondément chrétienne. Cet ouvrage parait plus spécialement destiné aux
laïques instruits.
S. Un ecclésiastique français, M. l'abbc Couissinier, a eu l'excellente idée de
faire dessiner et graver une suite de sujets propres à servir à l'enseignement de
la doctrine chrétienne. Ce livre, composé de 112 gravures exécutées par des
artistes renommés de l'école allemande, est vraiment bien conçu et très-propre k
atteindre son but. L'exécution artistique en est remarquable. Aussi n'est ce qu'en
comptant sur une immense diffusion que l'on a pu atteindre l'extrême bon marché
nécessaire à une œuvre de ce genre. Outre des éditions allemandes, anglaises
et hollandaises, il y a trois tirages en français : une édition de luxe à 6 fr.. Une
autre à â fr. 50, et enfin une édition populaire à 1 fr. Trente mille exemplaires,
dit-on, se sont déjà vendus. Vinjt-sept évêques ont recomma'îdé l'ouvrage. Il
est intitulé : La Catéchisme en images, dessiné par G. R. Elster, et gravé par
Richard Brend'Amour, sous la direction de M. l'abbé Couissinier (Paris, Schul-
gen). Puissent ces quelques lignes contribuer à la faire connaître !
E. HAUTCOEtJn.
Arras.— Typ. Rousseau-Leny, rue Saint-Maurice 26
LA VERITE
FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS
clo lOeS à 16S12
D APRES DES DOCUMENTS INEDITS.
Premier article.
La prétention de refaire l'histoire n'est pas un exorde con-
ciliant. Elle est néanmoins ici d'accord avec la plus parfaite
modestie. Comme tout le monde, et d'après les documents et
les livres connus de tout le monde, j'attribuais à la Faculté de
théologie de Paris la célèbre déclaration en sis articles de
4663, dont les quatre articles, plus célèbres encore, de 1682,
ne furent à peu près que la reproduction rédigée par Bossuet.
Je ne doutais pas non plus que la majorité des docteurs n'eût
accepté et acclamé la déplorable formule de 1682. En un mot,
que, pendant cette période de 1663 à 1682, la Faculté se fût
rangée en masse sous le drapeau du gallicanisme, c'était un
fait aussi certain pour moi, qui le nommais une chute, que
pour les gallicans qui s'en font une autorité. J'étais encore,
cette année, sous l'influence de ce commun préjugé (qu'on
me pardonne le terme, il sera bientôt justifié), lorsqu'on a
mis sous mes yeux une collection de documents, dont plusieurs
inédits et fidèlement transcrits d'après les originaux conservés
Revue des Sciences ecclésiastiques, t. vni. 7.8.
98 LA VÉRITÉ [TomeVlIi.
à la Bibliothèque impériale. J'ai vu alors, à mon grand étonne-
ment, non d'après des témoignages suspects, mais d'après les
lettres et les notes secrètes de Louis XIV, du fameux procureur
général de Harlay, de Colbert, et des autres ministres et per-
sonnages de la cour, la Faculté de théologie se débattre contre
la pression la plus tyrannique et la plus tenace qu'on puisse
imaginer; et malgré les machinations, les menaces, les
exclusions, les lettres de cachet et les exils, rester attachée
à la doctrine du Saint-Siège. J'ai constaté qu'on ne peut pas
lui attribuer les six articles de 1663; et (ce que le clergé de
France était loin d'avoir jamais soupçonné), j'ai vu qu'elle avait
rejeté et îx^prouvé, à la majorité de seize voix, les quatre articles
de 1682. Je n'ai pas même le mérite d'avoir découvert ces
pièces : je ne fais que les publier. Quant aux rectifications
historiques qu'elles doivent entrainer, je les laisse à l'appré-
ciation du lecteur,
La nécessité de mettre la haison et la clarté convenables dans
cette curieuse page de noire histoire, m'a fait recourir lussi
à de^ documents déjà publiés, mais dont quelques-uns sont
peu connus.
§1.
Situation a partir de 1661. — Affaire de la thèse du 12 décembre de celte année
au collège des Jésuites.
La thèse qui se soutint, le 12 décembre 1661, au collège des
Jésuites, nommé alors collège de Clermont et plus tard collège
de Louis-le-Grand, était conçue en ces termes : Christum nos
ita caput Ecdesise, agnoscimus, ut illius regimen dum in cœlos
abiit, primum Petro, tum deinde successoribus comndserit, et
eamdem quam habebat ipse infallibilitatem concesserit, quoties
(X cathedra loquerentur. Datur ergo in Ecclesia i^omana contro-
versiarurn fidei judex infallibilis, etiam extra Conciliuni géné-
rale, ticm in quxstionibus jicris, twa facti. Les mots eamdem
Àùûl iSG3.] SUR L\ FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PaRIS. 93
quam habebat ipse pouvaient être interprétés dans un sens
inexact. Les Jansénistes s'en emparèrent pour soulever la tem-
pête que le jésuite Rapin décrit ainsi au 16^ chapitre de
ses Mémowes inédits (1) :
« Bonrseis (l'abbé) aimait la cour et s'y montrait de temps
on temps sans y avoir d'affaires et sans raison, pour s'y four-
rer... Le roi demanda à la reine-mère si l'abbé de Bourseis
n'était pas janséniste. A quoi la reine répondit, qu'il l'était des
plus déclarés. D'où vient donc, dit le roi, qu'on le produit ici?
Le père Annat le fit avertir de ce que le roi et la reine avaient
dit. L'abbé vint le trouver pour savoir ce qu'il avait à faire sur
cela, protestant n'avoir aucune attache à la doctrine. Q faut,
dit le père, signer le formulaire. Volontiers, répondit cet
abbé. Ce qu'il fit peu après avec éclat. Cette action d'un
vieux docteur de Sorboime dans une réputation de savant,
parut belle à ce ministre {Colbert)... Il crut la démarche de
l'abbé sincère; mais il vécut depuis d'une manière qui en fît
douter le public. L'occasion de se signaler auprès de ce nou-
veau maître, et de se signaler selon son cœur, arriva bientôt.
On soutint sur la fin de cette année, c'est-à-dire le 12 <1é-
cembre, une thèse au collège des Jésuites sur l'infaillibilité du
Pape, dont les Jansénistes se servirent fort à propos pour faire
bien du bruit. Ils avaient déjà préparé de grands traités sur
celte infaillibilité, qu'ils voulaient tout-à-fait détruire, comme
ia sciilc ressource qui leur restât pour défendre leur opinion.
Car, prouvant que le Pape peut se tromper, ils rétablissaient
leurs afïaires, en décréditant les deux bulles.rC était à quoi ils
pensaient alors, quand ils trouvèrent cette occasion par la
faute des Jésuites, Ce fut un jésuite flamand, un peu averftu-
rier de son chef, qui proposa cette thèse, dans laquelle il sou-
tenait que V infaillibilité du Pape, en qualité de vicaire de Jésus-
(1) Ces Mémoires, actuelleinenl sous presse, seront prochuinemcnl
mis en vente chez MM. Caume frères et Duprey, à Paris.
10'! LA VÉRITÉ [Tome Vin-
Christ, était la même que celle de Jésus-Christ. Le Nonce fut
averti par des gens bien intentionnés qne cette proposition,
dans la présente conjoncture, était capable de remuer les es-
prits ; que les Jansénistes étaient alors eu alerte sur tout ce
qui regardait le Pape, et que cette thèse pourrait leur donner
hfca d'occuper le public par leurs écrits, ce qui ne servirait
qu'à faire diversion de leur affaire... Le Nonce alla trouver le
père Annat à Saint-Louis pour lui en donner avis. Le père
Annat entra dans le sentiment du Nonce et dans toutes ses
vues. Il jugea à propos de la faire supprimer. Le père Jean
Bagot, vieux théologien du collège de Clermont^ n'en fut pas
d'avis, parce que, la thèse étant imprimée et répandue dans la
ville par les invitations que le soutenant... avait déjà faites,
on lui dit que cet avantage qu'on donnait aux Jansénistes de
la supprimer, pourrait nuire au formulaire dressé par l'as-
semblée, reçu eu Soibonne, et dont tout le monde convenait.
Le P. Claude Fraguier, préfet alors des hautes études au col-
lège, fut de l'avis du P. Bagot, par un intérêt secret. C'était un
bon e.sprit, grand théologien, mais délicat sur l'honneur, et
paresseux. La thèse n'avait paru que sur son approbation, qu'il
fallait révoquer. On prétend qu'il la laissa passer sans se don-
ner la peine de l'examiner... Elle fut soutenue dans une
grande assemblée, mais attaquée de personne.
a Copendantles Jansénistes... en font des trophées partout,
con.me d'une nouvelle entreprise dos Jésuites contre la cou-
ronne. On la porte aux minisires avec des interprétations très-
odieuses du pouvoir du Pape sur les rois. Letellier, gagné par
son fils l'abbé, qui commençait alors à briller en Sorbonne,
dont il prenait l'esprit contre les Jésuites, et gouverné par son
répétiteur nommé Cocquelin, jeune aventurier, qui chercha à
faire fortune par la nouvelle doctrine (1), et devint enfin quel-
que chose en se donnant à cet abbé, qui, sifflé par ce docteur
) C'est-à-dire le jansénisme.
Août 1803.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. ^01
et cajolé par les importants du parti, empoisonna tellement
cette thèse dans Tesprit de son père, que, rempli des plaintes
que son fils lui er faisait, il s'alla plaindre au roi qu'on en
voulait à sa personne, et que l'affaire de la thèse des Jésuites
allait à lui enlever sa couronne de dessus sa tête. De Lionne, qui
était mécontent du Pape, parla à peu près de la sorte. Mais il
n'est pas croyable à quel excès s'emporta Tabbé de Bourseis
pour aigrir l'esprit de son nouveau patron, le contrôleur géné-
ral des finances Colbert, contre les Jésuites... Il lui dit que,
dans le poste où il était, il devait regarder cette démarche
des Jésuites comme une entreprise contre la monarchie. Les
trois ministres, qui se trouvaient de même sentiment sur cette
affaire, firent tant de bruit, qu'ils étonnèrent le roi. Il s'en
plaignit au père Annat, lequel, pour apaiser la cour, fut obligé
de faire un écrit, afin d'ôter à la thèse le poison qu'on y avait
jeté et pour l'expliquer d'une manière qui pût fermer la bouche
aux ennemis des Jésuites... L'explication que le père Annat
donnait à lu première proposition fut qu'elle devait s'entendre
de la même infaillibilité, comme ou dit que le vicaire a la même
autorité et le même pouvoir que l'évêque, l'ambassadeur que
le prince qui l'envoie,., mais que le pouvoir du vicaire, le pou-
voir de l'ambassadeur, n'était pas universel ni indépendant
comme celui du souverain. Par exemple, dans la question
présente, l'infaillibilité du vicaire de Jésus-Christ était bornée
aux matières de foi seulement, et celle de Jésus-Christ était
générale, universelle, sans bornes, indépendante...
« Pour la seconde proposition de la thèse, qu'il y a dans
V Église un juge infaillible des controvefses en matière de foi hors
du Concile^ il répondait qu'on avait tort de trouver à redire à
cette proposition^ puisqu'il était de notoriété publique, que la
même proposition avait été soutenue en Sorbonne le même
jour sous le docteur Poussé président, et qu'où en avait sou-
tenu au collège de Navarre une pareille conçue en ces termes
le 14 du mois di^ juin dernier... Ainsi ce fracas que firent les
-!02 LA MÉRITÉ ]Toni- MI.
Jansénistes sur la thèse fut arrêté par l'explication du père
Anuat. Il est vrai qu'ils avaient raison d'en faire du bruit, car
leur parti était détruit par ces deux maximes, dont la consé-
quence évidente était que la décision de l'Eglise snr leur
condamnation était de foi, par le fait inséparable du droit en
cette matière.
« C'était le sentiment de Pierre de Marca, archevêque de
Toulouse, le plus savant du clergé en ces matières-là. Ayant
été consulté à Toccasion de cette tiièse, il répondit que dénier
l'infaillibilité du Pape pour les choses spirituelles, c'était se
diklarer calviniste. Et il fut trouver le roi pour lui ôter ces
frayeurs qu'on avait voulu lui donner sur son Étal et sur le
temporel de ses affaires par cette infaillibilité qui n'appartenait
qu'aux matières de foi... Ce que ce prélat se crut obligé de
taire pour ne pas renverser ce que les deux Papes avaient fait
par leurs bulles contre le livre de Jansénius, et ce qui avait
été réglé par les deux dernières assemblées du clergé pour le
formulaire, qui ne pouvait subsister si la thèse de Clermont
était condamnée... Il est vrai qu'il régnait alors un méchant
esprit conçu par le jansénisme contre Rome, qui commençait
à infecter la cour et le parlement. On en voulait au Pape, ce
qui obligea Pierre de Marca, nommé à l'archevêché de Paris,
qui avait prévu cet orage, lequel retomberait sans manquer
snr lui dans le poste où il était nommé, d'écrire ses sentiments
sur l'infaillibilité du Pape... Cet écrit est solide, judicieux,
sans aucun esprit de partiaUté, propre à détromper ceux qui
se faisaient un fantôme de cette question. Et comme ce fut
pour les ministres et principalemeut pour Letellier (alors gou-
verné par son fils Tabbé qu'il aimait uniquement et par son
répétiteur Cocquelin), il ne fut pas imprimé. Il s'en trouve des
copies au séminaire de Saint-Sulpice (1). »
(1) Cel écrit, donl Baluze donne une analyse (dans la Vie de P. de
Marca, placée en lête de ses œuvres), et qui se conservait au sémi-
naire de Sainl-Sulpice, a été jusqu'ici dérobé à la publicité. Une thèse
AoiJt lSa3.] SUR LA, FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. "103
Telle était la situation des esprits en décembre 1661 . Déjà
l'orage se formait. On va le voir éclater à l'occasion d'une autre
thèse en janvier 1663 ; et ici la Faculté de théologie de Paris
va être en cause, et commencer la longue lutte dont un mys-
tère de silence avait enveloppé jusqu'à ce jour le vrai carac-
tère.
§11.
Affaire Je la thèse de Gabriel Droiiet de Villeneuve, condamnée par arrél du
parlement du 22 janvier 1663. Difficultés de la part de la Faculté pour l'en-
registrement de cet arrêt. Renseignements confidentiels transmis à Colbert
sur chacun des docteurs, en particulier sur Bossu°.t et les Sulpiciens.
I. Extrait du réquisitoire de l'avocat général Talon. « A dire
vrai, si l'infaillibilité du Pape était un jour approuvée, ce serait
ouvrir la porte à une infinité d'autres propositions séditieuses,
préjudiciables à l'autorité souveraine du roi notre maître, aux
droits de sa couronne, à la sûreté de sa personne royale et au
bien de l'État... Il ne suffit pas de faire quelque réprimande
en particulier au syndic, au président et au bachelier... L'on
ne peut douter que les propositions contenues dans la thèse
dont il s'agit, ne soient contraires aux droits du roi et à l'au-
cienne doctrine de l'Église, et, par conséquent, que le syndic et
le président et le répondant ne soient coupables j et il est im-
possible d'arrêter le cours de ces propositions nouvelles, si Ton
ne punit les auteurs par quelque châtiment exemplaire. Ce
n'est pas guérir le mal de vouloir ensevelir toutes ces disputes
dans le silence...; on doit, au contraire, soutenir hardiment et
sans hésiter la doctrine des conciles de Constance et de Bàle,
et traiter comme schismatiques, perturbateurs du repos public et
ennemis de l'Etat, tous ceux qui sont assez hardis pour admettre
de Pierre de Marca en faveur de l'infaillibilité gênait les gallicans.
Espérons qu'ils ne seront pas ailés jusqu'à la détruire. En allendant
qu'on la publie, on en Irouvera quelques passages cilés dans V^nti-
Jebronius vlndicatus, disserl.5, cap. 2, n. S.
404 LA VÉRITÉ (Tome Vm.
des propositions contraires.» (Bibliothèque impériale^ Ms.
Colbert, Vc. 155, page 29.)
II. Arrêt, du parlement contre la thèse. Nous nous contentons
d'indiquer ce document, parce qu'on le trouve suffisamment
reproduit pard'Argentré {Collectio judiciorum, tome m, part, i,
p. 89). Il y est fait défense d'écrire, soutenir et enseigner de
pareilles propositions, à peine d'être procédé contre. L'arrêt con-
tient en outre cette clause, de laquelle va naître le conflit :
Et sera h présent arrêt enregistré es-registres de la dite Faculté.
ni. Le parlement se rend auprès de la Faculté. Conduite de
celle-ci. — La pièce inédite qu'on va lire est une relation adres-
sée au ministre Colbert, et les deux premiers mots ( mémoire
concernant) ont été ajoutés de sa main. Elle se trouve à la
Bibliothèque impériale, Ms. Colbert, Vc, 155, page 47.
Mémoire concernant ce qui s'est passé en la Faculté touchant
la thèse. — a Le Parlement députa deux conseillers de la cour
avec un substitut de M. le Procureur général pour^faire regis-
trer sou arrêt.
« Ils se trouvèrent eu Sorboune le dernier jour de janvier
i663.
a M. de Mince dit que la Faculté n'avait point changé de
sentiment et pria ces messieurs de croire qu'elle n'approuvait
point la thèse. M. de Saint-André-des-Arts, pour justifier ce
qu'il avait dit, représenta que la Faculté avait censuré San-
tarel, qu'elle avait fait chasser delà Faculté un jacobin nommé
Biarats, et que depuis peu ses députés avaient censuré la thèse
des Jésuites, dont il a lu la censure, pour avoir enseigné la
même doctrine. M. Catinat [l'un des deux conseillers députés par
le parlement), pressant l'enregistrement, s'offrit de mettre les
réponses des docteurs dans son procès-verbal. On ne conclut
rien, et on remit l'affaire au premier du mois. On ne fit rien
au premier du mois, ni le 5 suivant, qu'il y eut assemblée.
« Le 9% MM. les archevêques d'Auch et de Paris s'y trou-
vèrent. Le premier fit un long discours et se plaignit de la
Août 1863.] SUR LA FACULTÉ DK THÉOLOGIE DE PARIS. i05
troisième proposition contenue dans l'arrêt. Il se servit de
quelques passages de saint Augustin à Boniface, dont il lisait
l'extrait, pour prouver que les conciles généraux n'étaient
point nécessaires. Après avoir parlé des appels comme d'abus,
il dit qu'ils étaient fondés sur l'infraction à la pragmatique,
qui {nota) avait été faite, disait-il, sans Charles VI (1). Il
prouva que le Parlement ne peut juger de ccs matières, et
qu'elles étaient bien différentes de celles du florentin Jacob et
Tanquerel ; et après avoir beaucoup blâmé la conduite du
Parlement et diminué son pouvoir, dit qu'il faudrait censurer
son arrêt, s'il entreprenait des choses de cette sorte. Il conclut
pourtant, après avoir fait lire un écrit de M. le premier Prési-
dent, qu'il fallait députer au Parlement et lui demander deux
choses : la première, savoir, s'il avait prétendu ôter aux doc-
teurs le pouvoir de censurer, et la seconde, lui demander
l'explication de la troisième proposition.
« M. l'archevêque de Paris parla avec beaucoup de modé-
ration, et dit qu'il ne fallait point s'opposer à l'arrêt, mais qu'on
aurait satisfaction, si on traitait à l'amiable avec M. le premier
Président.
a On fit du bruit pour dresser la conclusion. M. d'Auch voulait
qu'on mît que les conciles généraux étaient seulement néces-
saires contre le schisme. Les autres, qu'on mît qu'ils étaient
nécessaires contre le schisme et contre les hérésies, et en mille
autres rencontres. On ne spécifia rien en particulier.
«Le 15 du mois, M. de Saint-André-des-Arls rapporta eî
lut la réponse de M. le premier Président; et entendant un
grand bruit, dit qu'il s'étonnait de voir la Compagnie si
échauffée contre le Parlement, vu qu'elle avait été si insen-
sible lorsque M. Percheron, aumônier du conseil, et des huis-
(I) L'auteur du rapporl veut faire remarquer ici un lapsus de l'ar-
chevêque d'Auch, la pragmatique ayanl élé faite sous Charles Vil, en
4438.
•IOj la vérité iTomo vnr.
siers de la chaîne, étaient venus la troubler plusieurs fois dans
ses délibérations,
« jNI. Grandin (alors syndic de la Faculté), pour se justifier
de ce qu'il avait signé la thèse, parla longtemps et tâcha de
donner un bon sens au trois propositions. Il répéta ce qu'il
avait dit au Parlement la première fois qu'il fut mandé. 11 ex-
pliqua ainsi la première proposition, disant que par le mot de
privilèges qui était dans la thèse, on pouvait entendre les
exemptions accordées à plusieurs monastères et chapitres. Il
cita pour exemple l'église de Boulogne. Il expliqua ainsi la
seconde proposition : qu'il ne fallait entendre ces mots supra
Ecclesiam^ de l'Eglise lorsqu'elle était assemblée en corps, mais
seulement de toutes les églises en particulier, et qu'il y avait
des conciles qui définissaient que le Pape avait puissance in
toiam Ecclesiam. Pour autoriser cette explication, il cita des
épîtres de Cicéron pour montrer que in et supra signifiait la
même chose. Il expliqua la troisième proposition comme
M. l'archevêque d'Auch ci-dessus.
c( M. de Mince fut d'avis qu'on enregistrât l'arrêt, et fut
suivi de la pluralité, qui ajoutèrent qu'on y joindrait ce qu'a-
vait dit M. le premier Président.
« M. Morel opina qu'on ne registràt point jusqu'à ce qu'on
eût censuré la thèse. Il apporta quelque texte de saint Gré-
goire de Nazianze, ajoutant que si l'on^registrait, la Faculté
serait semblable à la statue de Memnon. Il fut suivi de M. An-
noi. Le P. Nicolaï, jacobin, MM. Bail, Joisel, Ghamillard et
tous les docteurs de Saint-Sulpice et du Chardronné {la maison de
Saint-Nicolas-du-Chardonnet) furent de cet avis, et déclamè-
rent fort contre la harangue de M. le substitut du procureur
général.
(t M. de Lestocq, professeur de Sorbonne, voulut prouver
que l'arrêt était nul, tam ex parle materise quam ex parte
fornm. M. Ghamillard le jeune dit que le concile de Constance
n'était point reçu, et que toute la doctrine n'était que pro-
AcMl 18C3.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. iOT
bable ; mais la plupart des docteurs s'étant élevés contre lui,
il fut obligé de dire qu'il avait été reqn en partie.
<i Messieurs Bossuet, faisant semblant d'ouvrir un nouvel avis,
Leblond , p7'ofesseur de Sor bonne, Boust, aussi professeur, Joiselet
Blanger de Sorbonne, suivant l'avis du père Nicolaï, sortirent de
leur place avec fureur, disant qu'il fallait censurer la harangue
du substitut de M. le procureur général. Tous les professeurs
de Sorbonne sans exception, et les pères Louvet et Hermant,
beruardins et professeurs en cette maison, parurent fort
échauffés contre Tautorité du Parlement. Et lorsque le père
Hermant entreprît de prouver l'infaillibilité du Pape et sa su-
périorité sur le concile, ils furent suivis de presque tous les
moines.
« Le preniier de mars, M. Grandin empêcha adroitement
que la conclusion du 15® de février ne fût retirée, et dit qu'il
avait à parler là-dessus, afin de donner lieu à la brigue de
s'opposer à sa confirmation. De fait, M. Morel fit un discours
en l'air, sans qu'on ait pu comprendre ce qu'il voulait dire.
M. Pignay dit que si on registrait, il jetterait son bonnet à la
rue, et que la Faculté serait bien malheureuse, parce qu'on la
mettrait dans la gazette : Projiciam biretum, quia erimus in
gazeta ! Il fut suivi de MM. Bail, Nicolaï, Ghaillon, doyen de
Beauvais, homme fort violent, Joisel et tous les professeurs de
Sorbonne sans en excepter aucun, MM. Magnay, Charton,
pénitencier, etc. Et M. Bail ajouta qu'on ne pouvait enregis-
trer sans renouveler le schisme d'Angleterre. M. Peaucellier
distingua trois sortes de forum, et dit force sottises que per-
sonne n'entendit.
« M. l'abbé du Tilloy, grand-maître du sieur Villeneuve
(c'est-à-dire grand-maître de la maison à laquelle appartenait
le bachelier Droiiet de Villeneuve), et qui, par conséquent,
avait signé la thèse, ouvrit l'avis de registrer l'arrêt avec les
explications de M. Grandin, qu'on ne lut point et que per-
sonne ne savait. M. Joisel fut de son avis, et le prouva par
^08 LA VÉRITÉ [Tome VIII.
l'exemple de Baronius, qui refusa le chapeau de cardinal.
MINI. Leblond, professeur de Sorbonne, et de Lestocq, préten-
dirent que Ton avait conclu de registrer avec les explications
de M. Grandin. M. Guyard, de Navarre, dit que c'était accuser
la fidélité de ceux qui avaient dressé la conclusion, et qu'elle
avait passé par l'avis de M. de Saint-André des Arts.
« Les sieurs de La Barmondière et Leblanc, de Saint-Sulpice,
accusèrent la Faculté de péché mortel ; et le dernier dit que c'é-
tait par lâcheté et par crainte des puissances temporelles qu'on
registrait cet arrêt.
« MM. de Mince et de Saint-André, et plusieurs docteurs,
s'élevèrent contre l'insolence de ces jeunes gens. M. B langer,
ap7'ès avoir fort invectivé contre M. le premier président, fit Va-
pologie de la scolastique et dit qu'il fallait tous aller en prison^
à l'imitation de sainte Agathe, si on ne se trompe clans le mot.
Tous les professeurs de Sorbonne, et devant et après lui, furent de
son avis, et M. Grandin lui fit compliment, en sortant, de ce quil
avait si bien dit.
a Nota que M. Cornet n'a point paru en ces assemblées : on le
croyait malade. Et, néanmoins, M. Dumais référa, le premier
du mois, de plusieurs bacheliers qu'il avait examinés durant
ce temps qu'on le croyait au lit.
a M. l'abbé Le Camus a toujours été du mauvais parti. Il
croit, par ce moyen, faire ses affaires en cour et plaire aux
Jésuites, » (Manuscrits de la Bibliothèque impériale, Ms.
Colbert, Vc. 155, p. 47.)
IV. Relation du Père Rapin, jésuite {extraite du chapitre XVI
de ses Mémoires). — et On ne peut assez déplorer la dispo-
sition où se trouvaient les ministres de France à l'égard de la
cour de Rome. Ils se firent une espèce de devoir fort mal en-
tendu de maltraiter le Pape dans toutes les gazettes... Col-
berl, peu instruit des affaires de Rome, s'en rapportait trop
aisément à l'abbé de BourseiSj encore janséniste dans le fond,
quoiqu'il eût signé le formulaire ; ce qui fit dire alors à la
Acfit 1863,] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 409
reine-mère que ies trois ministres avaient chacun leur jansé-
niste. Letellier avait Coquelin ; Golbert, l'abbé de Bourseis;
de Lionne, Gaudon; tous trois, à ce qu'on disait, favorables
au parti.
« Cette conduite ne laissait pas de {contribuer à aigrir les
esprits par des impressions fâcheuses, en ce qu'elles iuspi-
raient à la cour du mépris pour le Saint-Siège ; et Ton ne
peut assez observer ici que ce procédé fit un tel eflet..., qu'il
altéra tellement l'esprit des minisires contre le Pape, qu'ils
ne cherchèrent presque plus que les occasions de le mortifier,
comme il parut dans une thèse soutenue en Sorbonue un peu
après, dont voici la suite.
c( Un bachelier de Sorbonne nommé Gabriel Droiiet de Vil-
leneuve, breton, qui avait pris chez les Jésuites, où il avait
étudié les humanités, des sentiments un peu moins durs à
l'égard du Pape qu'on n'avait alors en Sorbonne, par l'im-
pression naturelle qu'il avait d'en parler plus favorablement,
fit une thèse, moins pour dire ce qu'il en pensait, que pour
apprendre ce qu'on en devait penser. Cette thèse devait être
soutenue en la grande salle de Sorbonne, le 19 janvier de
cette année 1663, en la dispute de la grande ordinaire, depuis
huit heures du matin jusqu'à huit heures du soir, sous maître
Vincent de Mœurs, aussi breton, docteur en la Faculté de
théologie, de la maison de Navarre. Cette thèse contenait trois
propositions favorables au Pape, dont le Parlement fut clio
que, comme contraires aux libertés gallicanes et aux maximes
anciennes du royaume. La première proposition portait que
Jésus-Christ avait donné à saint Pierre et à ses successeut'S une
souveraine autorité sur l'Église. La deuxième proposition,
que les Papes avaient^ pour de bonnes raisons, accordé des pinvi-
léges à certaines églises, comme à celle de \France. La troisième
proposition, que les conciles généraux étaient utiles à l'extir-
pation des hérésies, des schismes et autres désordres, iyiais pas
absolument nécessaires. Cette thèse avait déjà été portée chez
itd ' LA VÉRITÉ [Tome VllI. .
Favocat Talon, et empoisonnée par un sorboniste nommé
Fortin, principal du collège d'Harcourt, qui, par uu reste de
venin qu'il avait pris dans l'école de Richer, ennemi déclaré
du Pape, et un des^principaux émissaires des Jansénistes, la
porta à ce magistrat, accusant ses frères d'infraction des ar-
rêts. Talon mit la thèse entre les mains du procureur géné-
ral, lequel en fit son rapport dès le lendemain au Parlement.
L'avocat général Bignon portant la parole, on délibéra sur les
plaintes des gens du roi, et le syndic, le président et le sou-
tenant furent cités pour rendre compte à la cour de leur
procédé et pour s'expliquer sur ces propositions. Grandin,
syndic de la Faculté, représenta que, dans la thèse, on avait
évité le terme d'infaillibilité, qui avait été retranché du manuscrit
de la thèse, dans laquelle il n'y avait aucun vestige que l'on
prétendît la donner au Pape ; qu'en parlant dans la deuxième
proposition des privilèges accordés par les Papes à l'Église de
France, comme à bien d'autres, comme on ne pouvait nier,
on ne faisait aucune mention des libertés gallicanes, à quoi
on ne touchait pas. Que pour la troisième proposition, on
savait bien que TEglise avait été trois cents ans et plus, jus-
qu'au concile de Nicée, et que, cependant, on avait éteint
plusieurs hérésies sans qu'il fût besoin de concile, ce qui
montre qu'ils n'étaient pas toujours nécessaires et que cela
suffisait pour sauver la thèse.
« Lamoignon, premier président, leur montra que ces ex-
plications ne cadraient pas avec les termes de leur thèse, dont
le sens naturel était contraire aux maximes de la cour, et,
qu'en supprimant le mot à' infaillibilité , ils devaient encore
supprimer celui de souverain pouvoir sur VÉglise, le Pape
n'ayant d'autorité que dans l'Église, non pas sur l'Église,
étant obligé d'obéir aux canons, et le concile étant au-dessus
de lui, selon l'opinion commune du royaume; que, pour la
troisième proposition, malgré l'explication forcée qu'ils don-
naient à leur thèse, on pourrait conclure, des paroles gêné-
Août 1863] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. lU
raies qui y sont, que les Conciles généraux ne seraient néces-
saires en aucun cas; et qu'on y a trop confondu, dans la
thèse, les privilèges avec les libertés de l'Église gallicane, qui
sont bien difFérentes, puisque ces libertés ne sont que le droit
commun, dans lequel nos ancêtres se sont maintenus contre
les nouveautés qu'on a voulu introduire et établir en droit
nouveau. L'avocat général Talon voulut parler pour exagérer
l'imporlance de la thèse, qu'il prétendait avoir été conçue
dans un dessein de complot et de cabale pour élever l'autorilé
du Pape par la dépression de celle de l'Église universelle et
des conciles ; que le but de ces factions était d'imposer un
nouveau joug aux fidèles, que nos pères n'avaient pu porter ;
que nous ne devons pas avoir moins de vigueur pour défendre
cette liberté sainte, qui est le principal fleuron de la cou-
ronne, qui nous distingue de ces pays d'obédience, où les
règles de la chancellerie et les décrets d'un réviseur sont plus
considérés que les canons de l'Église, voulant, par ces termes,
marquer la Bretagne.
« Après cet avant-propos, il entreprit d'expliquer la créance
ancienne de l'Église sur le Pape, à qui l'on n'avait jamais dis-
puté la primauté du siège de Rome sur tous les autres, mais
bien la prééminence sur toutes les églises, prétendant que le
Pape n'est que le collègue dans l'épiscopat de tous les évèques
du monde, el étant soumis aux canons comme les autres, ja-
mais souverain au-dessus d'eux... Il ne laisse pas d'avouer que
l'Église peut condamner une erreur sans concile général, sur
quoi il rapporte le sentiment de saint Augustin dans le livre
à Boniface, el il avoue même qu'il serait dangereux de dire
qu'on ne peut maintenant riea déterminer touchant la foi sans
concile; ce qu'il prouve par la licence que se donneraient
tous les visionnaires et tous les extravagants de débiter leurs
caprices, et tout ce que la vanité ou l'ignorance peut inspirer,
s'il fallait des conciles pour les condamner.
« La thèse ne disait rien autre chose, mais on était déter-
1<2 LA VÉRITÉ [TomeVllL
miné à en faire du bruit, parce que cela plaisait aux ministres,
qui ne chetxhaient qu'à chagriner le Pape, sur quoi même ils
avaient tellement prévenu l'esprit du roi, à l'occasion de l'in-
sulte faite à son ambassadeur, que, tout résolu qu'il était de
détruire le jansénisme dans ses États^ une personne de la cour
bien intentionnée lai ayant dit que les Jansénistes tireraient de
grands avantages de ce qui allait se régler au Parlement sur
la thèse, il répondit qu'il fallait que l'affaire allât son chemin,
et quïl laisserait faire le Parlement. Il est vrai qu'on lui avait
tellement mis dans l'esprit qu'on en voulait à sa couronne, à
quoi on ne pensait pas, qu'il laissa faire ses ministres ; et que
Tavocat-général Talon, qui voulait leur plaire, exagéra telle-
ment l'afi'aire de la thèse, qu'il s'efforça de la faire passer
pour une entreprise de cabale, dont les auteurs voulaient se
servir pour autoriser le pouvoir du Pape sur le temporel des
rois, et pour établir ces pernicieuses maximes qui avaient
autrefois ébranlé les fondements de la monarchie; qu'ainsi,
il ne suffisait pas de faire quelque réprimande en particulier
au syndic et au bachelier, parce que le public attendait une
réparation proportionnée à la grandeur de l'injure, qui de-
mandait une rétractation solennelle ou une punition exem-
plaire ; ajoutant que c'était autoriser ces hardiesses que de
les dissimuler dans la vue de ne pas exciter du trouble pour
si peu de chose : mais qu'il fallait sans hésiter soutenir la
doctrine des conciles de Constance et de Bâle, et traiter d'en-
nemis de l'Etat et de perturbateurs du repos public ceux qui,
en qualité d'émissaires de la cour de Rome et de gens dévoués
au Pape, vont à cet excès que d'avancer que le Pape a le
même pouvoir sur terre que Jésus-Christ, comme la thèsfr
soutenue il y a deux ans au collège de Clermont l'enseignait,
en enseignant l'infaillibilité toute pure; ce qu'il appelait des
blasphèmes, des hérésies, des scandales, des aboininations
capables de porter l'esprit des peuples à la rébellion ; après
quoi, il apostrophait d'un air pathétique la Faculté, qui avait
Août 1863.] SDR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARCS- 113
toujours fait éclater son zèle et sa fermeté à combattre ces
erreurs, qui allaient à renverser les colonnes de l'État, appe-
lant les docteurs de la Sorbonne les dépositaires de ce feu
sacré qui est la doctrine de ce corps dans iequel consiste la
fortune de l'empire, qu'ils ne pouvaient laisser éteindre par
leur négligence, qu'on t ^ fût obligé à recourir à cette auguste
compagnie du Parlement qui avait pris les canons et les con-
ciles en sa protection. Il conclut enfin que la tbèse serait sup-
primée,défense faite à toutes personnes d'avancer de pareilles
doctrines, tendantes directement ou indirectement à établir
l'infaillibilité du Pape, et à diminuer l'autorité des saints
conciles, à peine d'être procédé contre eux comme perturba-
teurs du repos public et ennemis de l'État ; ordonner au
syndic qu'il ne souffre jamais dans les tbèses des propositions
contraires aux conciles de Bâleet de Constance, à peine d'être
extraordinairement procédé contre le syndic et le président;
que le soutenant sera tenu de rétracter sa doctrine; que l'arrêt
qui sera rendu sera lu en présence de la Faculté convoquée
pour cela, et enregistré dans le registre de la Faculté; copies
collationnées seront envoyées aux bailliages. L'heure ayant
sonné, la. délibération de la cour fut remise au 22 du même
mois.
a Ce fut un vrai opéra que ce plaidoyer de l'avocat-général,
qui avait eu grand soin de ramasser tout ce qui pouvait se
dire contre l'infaillibilité ; ce qui ne lui fut pas difficile, les
Jansénistes ayant ramassé sur cela tout ce que de Dominis et
le protestant Blondel en avaient écrit, se préparant sur cette
matière de longue main, comme sur la seule ressource qui
leur restait après leur condamnation. Ainsi l'avocat-général
fut bien servi d'eux en cela, et les servit bien... L'arrêt du 22
suivitles conclusions, et Henri de Refuge et Pierre deCatinat,
conseillers de la grande chambre, furent commis avec le sub-
stitut du procureur-général Achille de Harlay pour l'exécu-
tion : ce qu'ils firent^ s'étant transportés le même jour en
^\'i LA. VÉRrTÉ ITomcVm.
Sorbonne avec îe greffier et deux huissiers. Catinat parla...
((La conclusion de cet admirable discours fut qu'il demandait
que l'arrêt du Parlement fût lu, que le registre de la Faculté
fût apporté pour y être transcrit. Et aussitôt Boileau, greffier
du Parlement, en fit la lecture ; après quoi il le, mit entre les
mains du greffier de la Faculté pour être enregistré. Et sur ce
que quelques docteurs témoignèrent de la difficulté à l'enre-
gistrement, n'étant point dans les sentiments des propositions
condamnées par cet arrêt, les deux commissaires leur remon-
trèrent que ce n'était pas l'intention de la cour de faire injure
à la Faculté, que ce n'était que pour les exciter à persévérer
dans la doctrine reçue de tout temps et soutenue constamment
par la Sorbonne ; qu'ils devaient obéir, et que s'ils avaient
quelque chose à proposer, ils pourraient présenter leur requête
à la cour.
< Quelques jours après, le recteur et le syndic ayant été
appelés au Parlement pour rendre compte de l'enregistrement,
répondirent que, pour quelques considérations, on l'avait
différé ; sur quoi il fut dit que ce retardement venait de l'op-
position de quelques particuliers : on l'imputa au recteur de
l'Université et à la jeunesse, qui, dans les grands corps, est
toujours disposée à fronder. Il fut cité avec les procureurs des
quatre nations au Parlement, le 8 de février, pour rendre
raison de sa conduite. Il n'y parut qu'avec l'acte de l'enregis-
trement et avec l'acte des certificats signés par les quatre
procureurs, déclarant qu'on n'avait différé que pour faire la
chose plus solennellement. Mais parce que, selon l'arrêt du
22 janvier, il devait encore être enregistré dans le registre de
la Faculté, la cour fut obligée d'envoyer quérir le syndic pour
savoir s'il l'avait fait. Il se présenta accompagné du doyen et
de quelques autres docteurs à la cour ; et le premier Président
ayant demandé si l'arrêt du 22 janvier était écrit dans leur
registre, Antoine Breda, curé de Saint-André, l'ancien de ces
docteurs députés, lui répondit « qu'il avait été député de la
AOÛM863.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 115
Faculté avec le doyeu et le syndic pour représenter à la cour
que la Faculté avait entendu sou arrêt du 22 de janvier avec
respect ; qu'elle avait cru que ce n'était pas Tinteution de la
cour de porter un jugement doctrinal et de qualifier des pro-
positions théologiques, ni aussi de croire qu'un concile général
fût absolument nécessaire pour l'extinction de toutes sortes
d'hérésies, comme il avait paru en celle de Jansénius.
a Le premier Président leur dit que quand la cour ordonnait
quelque chose, tout sujet du roi devait s'y soumettre sans l'exa-
miner ; que la proposition de la thèse sur les conciles étant
générale, d'où l'on peut conclure qu'ils ne sont nécessaires en
aucun cas, la cour n'a pas dû la tolérer, comme contraire à
la pureté de la police extérieure de l'Église, qui fait une des
principales parties de la police de l'État ; que la cour n'avait
aucun égard à leurs distinctions scolastiques, qui, bien souvent,
pouraienl rendre souteuables en apparence les propositions
les plus dangereuses; qu'elle avait intéressé Tautorité du roi
pour arrêter le cours de ces doctrines qui ne servent qu'à
jeter le trouble dans les esprits et à les scandaliser j qu'ils eus-
sent à enregistrer incessamment l'arrêt, la cour n'entendant pas
qu'il soit parlé davantage de leurs difficultés sur ce sujet. A
quoi la Faculté obéit sans répliquer : mais on ne laissa pas
d'entrevoir dans le pubhc que tout cela ne se faisait que pour
humilier le Pape, dont on était mécontent. Car, franchement,
la proposition d'une puissance souveraine du Pape, celle des
privilèges concédés à l'Église dé France, et celle des conciles
qu'on ne croyait pas toujours absolument nécessaires, ne
pouvaient avoir aucun mauvais sens qui donnât lieu à l'avo-
cat-général d'en faire tant de bruit.
V. Liste des docteurs qui ont voté pour ou contre. — Celte
pièce inédite se trouve à la Bibliothèque impériale, Ms. Col-
bert 155, Vc, p. 50. On remarquera que Bossuet, alors
âgé de 36 ans, est du nombre de ceux qui votèrent contre.
^16 LA VÉRITÉ [Tome MU.
Liste des docteurs qui ont voté pour ou contre l'enregistrement de l'arrêt
du Parlement du 22 janvier 1665.
« Pro : MM. Cospin, De Mince, Patru, de Bréda, les curds de Saint-
Paul el de Saint-Euslaelic, Bourgeois (bernardin), Dragon, Vaillant,
Bélille, Tédinai (bernardin], Lenoir, Descures, Gosseï, Grinet, Fortin,
Godin, Bagncaux, Banneret, Lonergan, Pagin, Gabillon, Guignard,
Habert, Restout, Htiol, Faure, Peiitpied, Béclierel, Marais, Basile,
Gerbais, Comart, Ralonin, Boileau, Templeux, Robert.
• Conira ■ MM. More), Fignay, Bail, Nicolaï, Ghalion, Gobinet,
Méaume, Poussé, Joisel, Leblond, Chamillard eUons les professeurs de
Sorbonne, Bossuet, Cbarion, Lamorlière, Leblanc (de Saint-Sulpice),
Larue, Desdefonlaine, Lebreton (de Saint-Suipice), Blanger, Laber-
mondière, Dufournel, Louvet (bernardin), Lermant (idem), et <ous let
moines, à l'exception de deux ou trois.
« Il y a, outre cela, une troupe d'indifférents. »
VI. Nombre total des docteurs, — Nous ue pouvons pas l'in-
diquer pour l'année 1663, mais la note suivante^ transmise au
ministre Golbert, l'indique pour 1682. Elle se trouve parmi
les manuscrits de la Bibliothèque impériale. {Mékinges-Col-
bert, 7).
Docteurs de la Faculté de théologie de Paris, en 1682.
Archevêques et Ëvêques 4i
Maison de Sorbonne H 69
Navarre 83
Mendiants ^24
Bernardins el de Ciuny 43
Chanoines de Prémoniré el de Saint- Victor ... 6
(Maison des) Cholets 10
(Collège du) Cardinal Lemoine -i
Saint-Siilpice . , -12
Naiions étrangères 5
Ubiquisles ' 238 »
VII. Renseignements confidentiels transmis à Colbert sur les
docteurs de la Faculté, contenant un passage sur Bossuet, et un
autre sur les Sulpiciens. — Cette pièce inédite se trouve parmi
Août 1863.] SUR LA FACLLTÉ DE THÉOLOGIE DE PAKIS. 117
les manuscrits de la Bibliothèque impériale, Ms. Colbert, 155,
Vc, p. 70. Elle me paraît être, ainsi que la suivante, l'œuvre
de l'abbé Bourseis, ou plutôt du club de théologiens que le
ministre lui faisait présider. « Colbert, qui avait pour lui une
grande estime, l'avait mis à la tête, non-seulement de l'Aca-
démie des inscriptions, mais encore d'une autre assemblée
toute composée de théologiens, et qui se tenait dans la bi-
bliothèque du roi. » { Biographie universelle, Paris, 1843. )
On a vu plus haut, d'après le P. Rapin, que « Colbert s'en
rapportait trop aisément à l'abbé de Bourseis, encore jansé-
niste dans le fond, quoiqu'il eût signé le formulaire. » Quoi
qu'il en soit du véritable auteur de ces deux pièces, leur im-
portance n'échappera point à l'attention du public. On y
veri'a les ressorts habiles qu'on faisait jouer pour attirer la
majorité des docteurs au sentiment de la cour. Voici le texte
du premier de ces documents.
Liste des docteurs qui ont mal agi ou qui sont suspects au sujet de l'arrêt
du Parlement.
« MM. Cornet, Grandin (professeur), Lèslocq, it., Chamillard, it.,
Leblond, t(., Bousle, il., Despérier, it., Joisel, Cliamillard (frère du
professeur), Pignay, Morel, Cliarlon , Gobinet, Amiot, Rousse,
Alléauroe, Demure, Magnet, Quairehommes, Bossuel, Labermon-
dière, Leblanc, Desdefonlaine, Bail, Bufournel, de Pinteville, Liverdy,
Béranger, Dumay, Malels (deux frères), Giioc, l'abbé Le Camus. »
Religieux.
« Le P. Nicolaï (jacobin), huit Carmes (absents, mais présumés con-
traires), Cordelier» (généralement déplorés), le P.Louvel (bernardin),
le P. du Laurent (bénédiciin), les pères Auguslins. »
Docteurs qui ont bien fait dans la même occasion.
I MM. de Mince, curé de Gonesse, Irès-bien ; de Bréda, curé de
Saint-André, admirablement; Dragon, Vaillant, Faure, Forlin, Coc-
quelin, Cospin. »
f '8 LA VÉRITÉ [TonieVIII.
Image ou blason des docteurs qui ont mal agi ou que Von soupçonne
d'être opposés à la bonne cause en cette rencontre.
« Avant de faire un tableau de ces Messieurs, je proteste
sincèrement que je les considère tous comme gens de bien et
pleins d'un zèle vraiment ecclésiastique, mais qui, en cette
affaire, ne me paraît pas tout-à-fait conduit selon la science.
« 31. Cornet est un bel esprit, un fort habile homme, d'une
vie sans reproche, et dans une telle réputation de sagesse
parmi ceux de son parti, qu'il en est le chef sans contredit et
comme l'àme de leurs délibérations. Ceux qui s'attachent le
plus à lui sont : MM. Grandin, Chamillard, Morel; mais les
deux premiers, avec retenue et ménagement, et le dernier,
avec plus d'ouverture et de fi'ancliise.
« M. Grandin a beaucoup d'esprit et de capacité. 11 est cen-
seur des livres qu'on doit imprimer ; a eu la conduite de
quelques monastères; explique en Sorbonne TÉcriture sainte,
ne sachant point l'hébreu, à ce qu'on m'assure, quoique la
fondation de la chaire qu'il occupe porte que ce professeur
sera versé dans cette langue. Il est aussi chanoine en Nor-
mandie, quoique la même fondation veuille que le professeur
n'ait point de bénéfice qui l'oblige à résidence ; et, par ces
deux raisons, si on le jugeait nécessaire, on pourrait l'ôter
pour en mettre un autre qui eût les qualités requises, et qui
se trouvât également éloigné des nouveautés du jansénisme
et de celles que l'on combat à présent, depuis le nouvel arrêt
de la cour ; et, en ce cas là, pour avoir égard au mérite de ce
professeur, on le renverrait seulement à la chaire qu'il a
quittée depuis peu, et que M. Despérier remplit maintenant.
« M. Lestocq ne cède en esprit et eu suffisance à nul de ses
collègues. Il a eu la chaire de M. de Saints-Beuve ; et l'on pour-
rait, ce semble, songer s'il ne serait pas à propos de la rendre
au dit sieur de Sainte-Beuve, puisqu'en ce qui touche le jansé-
nisme il parait avoir témoigné toute la soumission et la défé-
AoùllSù3. 1 SUR f.A FACULTÉ DE THÉOLOGIE DK PARIS. ^ !9
reiice qu'on peut exiger d'un ecclésiastique; en sorte que
MM. les grands-vicaires et tout le chapitre de l'église de Paris,
quia maintenant la juridiction spirituelle dans le diocèse, lui
ont accordé volontiers des provisions de la cure de Saint-Leu,
en qualité de gradué nommé, M.Morel même, l'un des grands-
vicaires, le portant ouvertement et avec éloge dans cette occa-
sion; ce qui pourrait servir non-seulement de prétexte^ mais
de raison pour le traiter plus favorablement qu'auparavant,
puisqu'on ne ferait que suivre en cela le préjugé de ceux qui
gouvernent l'église de Paris. Ce serait un coup d'importance, à
moins que d'ailleurs ou n'y trouvât quelque inconvénient pour
les intérêts du roi, du royaume et de l'église gallicane; étant
certain qu'il attirerait par sa suffisance et par sa réputation
la meilleure part des écoliers de Sorboiine, qui^ en peu de temps,
paraîtraient remplis des véritables et anciennes opinions de la
Faculté, lesquelles on entreprend aujourd'hui, quoique sans malice,
de détruire. Mais comme il s'agit de marcher et de se conduire
au milieu de deux précipices et de deux dangers, l'un de tom-
ber dans le soupçon de favoriser le jansénisme par le soudain
rétablissement d'une personne qui l'a autrefois appuyé, et
l'autre de donner cours à des sentiments préjudiciables au
royaume sous prétexte de combattre le jansénisme, j'avoue
que la chose n'est pas moins délicate qu'importante, et je n'ai
d'avis sur cela sinon que l'afFaire mérite d'y penser. Je suis
même si disposé à faire justice et aux autres et à moi-même
en cette occasion, que quoiqu'il n'y ait nul sujet, grâce à Dieu,
de se défier de mes sentiments dans la foi, je pardonnerais
néanmoins volontiers à ceux qui, par un scrupule ou une ten-
dresse de conscience, en auraient encore quelque doute, n'y
ayaut que Dieu qui pénètre dans le fond de l'âme et du cœur
des hommes.
a M. Chamillard est homme d'esprit, de savoir et d'une
piété vraiment exemplaire. Il est vénéré comme un oracle dans
la communauté de Saint-Nicolas du Chardonnet où il demeure ;
-120 LA VÉRITÉ |Tome. VÎII.
et l'on voit reluire les mêmes qualités d'esprit, de scieuce et de
vertu eu la persoune de M. son fràrc ,
a M. Leblond est habile et modéré, quoiqu'il n'ait pas en cette
rencontre observé peut-être toutes les mesures qu'il fallait.
« M. Boust jeune, professeur, a vivacité et suffisance pour
son âge ; et si on lui donnait un bénéfice un peu considérable
qui l'appelât ailleurs, il céderait peut-être aisément sa place
à un autre également opposé aux erreurs du jansénisme et
favorable à l'autorité des conciles œcuméniques.
« M. Despérier, professeur, ayant enseigné environ vingt
ans la philosophie dans le collège de Lisieux, s'est acquis la
réputation du plus habile de l'université dans cette science.
On ne sait pas s'il réussira tout-à-fait si bien en celle de la
théologie, où il enseigne le traité de la Trinité. En tout cas,
M. Grandin venant à rentrer dans la chaire qu'il occupe, on
se déferait par ce moyen d'un homme savant et vertueux à la
vérité, mais peu ami de la puissance souveraine des conciles.
« M. Joisel a signalé son zèle dans le voyage qu'il a fait à
Rome pour y poursuivre la condamnation des cinq fameuses
propositions de Jansénius ; mais il n'a pas mérité la même
louange en ce qui touche le nouvel arrêt du Parlement, dont
on assure qu'il a dissuadé l'enregistrement avec chaleur.
« M. Pignay accompagne un esprit doux et un savoir assez
considérable d'une intention pure pour l'honneur et le service
de Dieu; ce qui ne l'a pas néanmoins empêché d'être contraire
à la bonne cause en cette occasion.
« M. Morel est collègue de M. Grandin dans la charge de
voir les livre.=: qu'on veut donner au public. Sa suffisance, pour
n'avoir pas un fort grand éclat, ne laisse pas d'être assez pro-
fonde et étendue, ce qui lui a donné de l'estime et de l'accès
auprès de Mgr le Chancelier. Mais il s'est laissé si fort alarmer
ou prévenir sur le sujet dont il s'agit, que, ne pouvant pas
réussir dans son dessein, on lui vit jeter enSorboune des larmes
de douleur, pour ne pas dire de dépit.
1
Août 1863.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. -{2-1
« M. Charton, pénitencier de Notre-Dame, est remarquable
encore plus par sa piété que par son savoir. Il défère fort à
M. Grandin, et s'emploie aussi à la conduite d'une école par-
ticulière, dont nous parlerons ci-dessous.
« M. Gobinet, principal du collège du Plessis, réussit assez
heureusement dans cet emploi ; et Ton publie qu'il se laisse
gouverner entièrement par M. Grandin.
« M. Amiot, curé de Saint-Merri, ne manque pas de talent
pour la direction des âmes ; mais il a, dit-on, témoigné de la
chaleur avec excès dans ces dernières occasions.
« M. Housse, a lâché les rênes à son zèle à peu près de la
même sorte.
« M. Alléaume, modéré de son naturel, ne s'est échauffé
contre sa coutume dans cette circonstance que pour appuyer
son écolier qui devait défendre en Sorbonne la thèse qui a fait
du bruit.
« M. Demurc est celui qui soutint, l'année passée, la propo-
sition condamnée par l'arrêt, et qui devait présider à l'acte où
l'on était prêt à la soutenir de nouveau. Sa vie édifiante le fait
passer pour un homme apostolique et lui a gagné plus d'au-
torité dans le monde que n'eût su faire sa capacité.
« M. Magnet, ci-devant précepteur de M. l'abbé de Pont-
chateaux et maintenant confesseur de Mgr l'archevêque de
Rouen, a science et probité; mais il a cédé en cette occurrence
à ceux qui ont pouvoir sur son esprit.
« M. Quatrehommes n'a d'ordinaire d'autres sentiments que
ceux que lui inspire M. Grandin; par où l'on peut aisément
juger comme il s'est conduit dans les dernières assemblées
de la Faculté.
« M. Bossuet est sans contredit un bel esprit; a bien du
savoir pour son âge, et autant qu'en peut avoir un jeune homme
qui se donne à la prédication. Mais la considération ou l'exem-
ple de M. Cornet, dont il est la créature, a été peut-être la
cause principale qui l'a fait gauchir en cette occasion.
i-2-2 LA ^ÉR1T£ |Tom3 VIII.
« M. de Labermondière, jeune homme d'environ 30 ans,
demeure à Saint-Sulpice, et fait profession de ce zèle ardent
qui auime cette vertueuse communauté. Mais ce zèle, un peu
mal réglé, lui fit avancer en pleine Sorbonne cette parole sur-
prenante, qu'il ne pensait pas qu'on pût consentir l'enregistre-
ment de l'arrêt sans un véritable péché mortel. Et comme M. le
curé de Saint-André voulut lui faire comprendre la témérité
de son jugement, il ne put souffrir l'avis charitable de ce vieux
l'octeur, et lui répondit avec colère qu'il avait tort de Tinter-
;ompre.
« M. Leblanc, de la même communauté, un peu plus âgé,
mais au reste de la même force et du même esprit.
« M. Desde fontaine, aumônier de Monsieur, a de la lu-
mière, mais on tient qu'il a encore plus de feu. Il témoigne
un zèle tout particulier pour la recherche et la réforme des
désordres publics; et il serait à souhaiter qu'il n'eût pas moins
de passion pour le soutien des vrais sentiments de sa patrie,
« M. Bail a donné des marques de sa diligence et de son
étude dans une somme qu'il a publiée des conciles, où il les
met fort au-dessous du Pape, comme il a fait aussi dans les der-
nières assemblées.
« M. Dufournel demeure en la communauté de Saint-Ni-
colas du Chardonnet, et se propose par conséquent d'imiter en
toutM.Chamillarddans les règles de sa doctrine et de sa piété.
« M. de Pinteville ne s'écarte guère des sentiments de
M. Morel son parent, et l'on croit même qu'il pourrait un jour
lui succéder en la charge de théologal.
« M. de Liverdy n'a pas laissé de s'opposer à l'arrêt de la
cour, quoique M. son père ait eu l'honneur d'être conseiller
do la Grand'Chambre.
« M. Béranger, jeune homme, ci - devant précepteur de
M. l'abbé de Brienne, a esprit et suffisance, d'un naturel assez
doux ; mais si ennemi del'arrêt de la cour, qu'il n'a paru chaud
et violent que cette fois dans la Faculté.
A0ÛHSC3.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 123
« M. Dumay passe pour habile; mais il a suivi dans cette
occasion le seutimeut de la communauté de Saint-Nicolas, où
il demeure.
(' MM. les deux Malets frères, dont l'un est curé près de
Tarfon et l'autre grand vicaire à Rouen, sont estimés contraires
au parti des conciles œcuméniques.
« M. Giloc est un bon docteur, et maître d'une école d'où
peuvent sortir des défenseurs de la nouveauté qu'on veut éta-
blir aujourd'hui.
« M. l'abbé Le Camus, d'un esprit vif et bouillant, qui a paru
longtemps en Sorbonne avec éclat, et qui d'ordinaire avait
témoigné de l'inclination pour les conciles, a cru devoir les
abandonner tout-à-coup, etleurôter la première place, que la
France leur a toujours donnée.
Images des docteurs religieux.
« Le père Nicolaï, jacobin, est sans contredit des plus fameux
et des plus éclairés de son ordre. Il a de la suite et des habi-
tudes en grand nombre, et beaucoup de part dans les conseils
de ceux de son parti. Il s'est montré en Sorbonne fort contraire
à l'exécution et à l'enregislrement de l'arrêt.
« Ou ne peut rien espérer davantage ni des pères Carmes,
ni des peines Auyustins, ni des pères Cordeliers surtout, qui fout
profession de favoriser Sa Sainteté en toutes choses, parce,
dit-oii, qu'ayant besoin de leurs privilèges pour prêcher et
exercer les autres fonctions sacerdotales avec le moins de dé-
pendance qu'il se peut des prélats ordinaires, ils se croient
tous obligés de faire valoir une autorité qui est le fondement
de ces mêmes privilèges.
« Deux pères bernardins ont paru fort raisonnables; mais
le père Louvet, du même ordre, quoique spirituel, capable et
doux pour l'ordinaire, s'est fort emporte cette fois-ci.
« Cinq ou six pères bénédictins, que l'on soupçonne d'au-
cune sorte de cabale, ont bienfait aussi; mais le père du Lan-
124 LA VÉRITÉ [ToraoVIlI.
rent, de la même religion, s'est échappé et n'a pas cru les
devoir imiter.
«Les pères Augustins, comme j'ai déjà dit, ne s'en sont pas
fort bien acquittés; mais on excepte le père Diel, quoique,
selon quelques-uns, il ne se soit peut-être ménagé que pour
ne point choquer M. le président de Mesmes, dont il est l'écolier,
comme ayant eu une place de bachelier fondée par ce prési-
dent ou ceux de sa maison.
Communautés ou Compagnies à craindre en cette occasion.
« Celle du père Bagot, jésuite renommé par son grand savoir
et sa haute piété, s'assemble en deux maisons, l'une au fau-
bourg Saint- Victor, et l'autre, au moins ci-devant, au faubourg
Saint-Michel; et l'on assure que cette nouvelle congrégation a
quelques rapports à celle de l'Hermitage de Caen, dont on a
tant parlé.
(/.Celle de Saint-Sulpice, où l'on élève, à la vérité, des ecclé-
siastiques dans un esprit d'une parfaite régularité, mais on
assure que tout y est extrême pour l'autorité du Pape (l). Elle est
d'autant plus considérable que l'on y nourrit plusieurs per-
sonnes de qualité, et qu'elle s'intitule le séminaire de tout le
clergé du royaume, où elle a déjà bien des maisons qui la re-
connaissent pour leur mère et leur maîtresse.
« Celle de Saint-Nicolas du Chardonnet n'est pas moins rem-
plie de personnes de vertu et de zèle ecclésiastique; mais elle
a peut- être un peu trop d'inclination pour les sentiments d'au-
delà des monts. Elle a graud'part dans l'intendance spirituelle
du diocèse de Paris, où elle donne, par exemple, des exami-
nateurs de ceux qui se présentent pour les Ordres, des con-
fesseurs et des directeurs en beaucoup de communautés reli-
gieuses.
(1) Malheureusement la Compagnie de Saint-SuIpice ne fut pas
longienips lidèle à suivre celle impulsion de son saiul Fondaieur.
Di'jâ M. Tronïon, élève de M. Oiier el troisième Supérieur de ia
Sociélé, recommandait l'enseignement des Quatre Articles.
Août 1863] SUR LA FACDLTÉ DE TQÈOLOGIE LE PARIS. ^25
« Celle qu on appelle des Trente-Trois, parce qu'on y élève des
jeunes gens en ce nombre à Fhôtel d'Albiac, près du collège de
Navarre, est conduite par M. Charton, pénitencier, pour en
faire, à ce qu'on dit, des précepteurs et des régents.
« Celle de M. Giloc, dont nous avons déjà parlé, est animée
à peu près du même esprit.
« Il y a aussi des particuliers dévots qui contribuent à l'avan-
cement de l'ouvrage que les bons français et les véritables
sujets du roi essaient d'empêcher. Les principaux sont MM.
d'Alàon, de la Mothe Fénelon, et quelques autres que l'on con-
naît assez. On y range aussi M. Abelly, personne d'un mérite
aussi éprouvé en toute sorte d'exercices spirituels et ecclésia-
stiques, que sa Majesté a cru sagement devoir l'honorer de
sa nomination à l'évêché de Rodez.
Ceux qui ont tout-à-fait bien agi.
« Je laisse le blason des huit docteurs que j'ai désigné ci-
dessus pour avoir agi tout-à-fait bien dans cette rencontre, leur
doctrine, leur vertu et la pureté de leurs intentions n'étant
ignorées de personne. Mais comme on pourrait seulement les
soupçonner de partiaUté pour le jansénisme, il me suffira de
remarquer en ce lieu-ci, que dans les affaires du même jansé-
nisme, M. de Mince a paru toujours indifférent; MM. de Bréda
et Cocquelin positivement contraires; et que les cinq autres
ont au moins été des premiers à se rendre, et à témoigner par
leur signature leur soumission aux onlres de l'Église.
« Pour M. Faure, une marque de la bonté de ses sentiments
est qu'il a l'honneur d'être dans l'estime fort particulière de
Mgr Letellier ; et quant à M. Cospin, il a cela de recomman-
dable d'avoir été toujours déclaré passionnément pour les
intérêts de feu Son Éminence et en même temps pour ceux de
Sa Majesté. »
Ici finit cette pièce curieuse. Nous publierons, dans un pro-
chain article, l'autre document que nous avons annoncé.
D. Bouix.
DE L'ÉTAT DE NATURE
ET DU PECHE ORIGINEL.
Quid est homo, xive conlroversia de statu naturx purx , auclore Ant.
Casinio, S. J., editio aucla et nolis illuslrala opéra D' M.-Jos.
Scheeben, prof, in sem. arcli. Colon- Mogunliœ, ^862.
Deuxième article.
Art. IV. — De la concupiscence.
Cet article est un des plus étendus, et, dans la citation des
Pères, saint Augustin a encore la principale place. Il s'agit de
prouver que l'exemption de concupiscence n'est pas due à la
nature. Nous trouvons d'abord un argument indirect tiré de ce
que le saint Docteur, récapitulant le système pélagien,énumère
comme des erreurs distinctes la négation du péché originel et
la négation de la concupiscence. Argument non péremptoire,
mais qui n'est pourtant pas à dédaigner ; car, si l'homme
innocent avait dû être exempt delà concupiscence, la seconde
erreur eût été une conséquence de la première, et ainsi, au
lieu d'être énoncée comme un chef distinct, elle eût été omise
comme bien d'autres conséquences du principe pélagien.
Viennent ensuite des textes fort clairs, où saint Augustin
affirme que l'exemption de concupiscence dans le premier
homme fut une grâce autant supérieure à la nature humaiuo
que la béatitude des anges est au-dessus de la nature angé-
liquc. Quand il dit ailleurs (1) que l'image de Dieu en Adam
(1) Au livre iv Imperf. conl. Jul., n. 39, el non au livre i, rornme
M. Sc-hceben le dit par erreur.
Août 1863.) DB l'État de nature et du péché originel. ^27
demandait cette grâce, cela sigiiiile, dit M. Scheeben, que
notre nature est capable de ce privilège à raison de Tàuic,
qui est appelée à diriger l'appétit sensible, tandis que, dans les
bctcs, la suppression de la concupiscence serait la destruction
de la nature même. Cette explication est belle; mais ne pour-
rait-on pas dire que, par l'image de Dieu, saint Augustin en-
tend rame telle qu'elle était dans l'état d'innocence ? Les mots
gux nullo fiierat deformata peccato, ne viendraient-ils pas à
l'appui de celte interprétation? C'est un doute que nous sou-
mettons à de plus habiles. D'ailleurs, même dans cette hypo-
thèse, l'exemption de concupiscence ne serait pas due à la
nature, puisque nous voyons que l'homme racheté et sanctifié
n'a pas ce privilège; seulement, au lieu de la capacité dont
parle M. Scheeben, il faudrait voir, dans l'argument de saint
Augustin, une raison de convenance.
L'auteur cite ensuite plusieurs passages où saint Augustin
enseigne de la façon la plus expresse que Dieu eût pu sans
injustice créer l'homme avec la concupiscence : Quamvis igno-
rantia et difficultas, etiamsi essent hominis primordia naturaiiUf
nec SIC culpandus Deus, sed laudandus esset (m Lib. arb., c. xxii,
nP 64; I Retr., c. ix, n" 6; de Dono pers., c. xi, n" 27). Jan-
sénius, pour esquiver la force de ces textes, prétend que
saint Augustin n'admet la possibilité de la concupiscence ori-
ginelle, que parce que la grâce aiderait alors à la surmonter.
Casini répond : « Dès que vous admettez que Thomme a pu
être créé avec la concupiscence, cela me suffit ; je prouverai
ailleurs qu'il eût pu la surmonter avec un secours divin de
l'ordre naturel. » Nous répondrions ici quelque peu différem-
ment; nous accorderions à Jansénius que saint Augustin,
quand il suppose l'homme créé a^ec la concupiscence, n'a
peut-être pas pensé à l'état de nature pure, et que peut-être
il parle d'un état dans lequel la concupiscence accompagne-
rait une destinée et des grâces surnaturelles. Du moins, il
nous parait difficile de démontrer que telle n'est pas la pensée
Î28 DE l'état DB nature (Tome vin.
du saint Docteur. Mais, de ce qu'il n'envisage .que cette hy-
pothèse, on ne peut pas conclure que, selon lui, la concupis-
cence n'a pu être instituée originellement par Dieu/que con-
jointement avec une destinée surnaturelle. Au contraire, son
raisonnement conserve toute sa valeur, quand même on y
remplacerait les mots : Amantibus ewn a quo sunt, prxstat ut
beatx sint, par d'autres expressions qui ne pourraient signi-
fier que des secours et une fin de l'ordre naturel.
Suivent beaucoup d'autres citations des Pères, que M.
Scheeben résume dans uu court et lumineux exposé. Dans ces
textes, ou bien les saints Pères rapportent la concupiscence
aux qualités qui appartiennent à notre nature, indépendam-
ment de la grâce et du péché; ou bien ils disent que l'exemp-
tion de concupiscence n'était accordée à Adam qu'à raison et
dépendamment de la justice originelle ; ou bien ils enseignent
que les mouvements de la concupiscence, n'étant pas des pé-
chés, peuvent exister dans le juste, pour qu'il sente ce que
sci'ait sa nature sans la grâce, et pour qu'il ait l'occasion de
combattre et de vaincre, d'où il suit a fortiori que, selon eux,
ces mouvements pourraient exister dans l'état de nature pure.
Toutefois, des objections graves se présentent. D'abord saint
Paul appelle la concupiscence wn/jeVAç. Ensuite, saint Augustin
la qualifie souvent de mauvaise ou de honteuse, et il reproche à
Julien de la dire naturelle. Casini répond à la première objec-
tion que la concupiscence actuelle, sans être un péché, en
mérite le nom, parce qu'elle n'existe que par suite d'un péché,
parce qu'elle porte au mal avec plus de force qu'elle n'eût fait
dans l'état de nature pure, et parce que la révolte d'où elle est
sortie rend l'homme indigne des secours divins, même natu-
rels. A la seconde objection, il répond : 1° que Julien ayant
prétendu que la concupiscence est physiquement bonne,
quoique sujette à abus, comme le pain elle vin (m Cont. Jul. c.
xx), saint Augustin se borne à affirmer qu'elle est physique-
ment mauvaise, ce qui est vrai surtout de la concupiscence
Août 1863.) ET DU PÉCBÉ ORIGINEL. 129
pénale dont il parle, et ce qui suffit pour qu'il la puisse appeler
honteuse, car Fhomme rougit souvent d'un mal physique; 2«»
que si le saint Docteur reproche à cet hérésiarque de dire que
la concupiscence est naturelle, c'est que celui-ci enlendait par
là qu'elle a été réellement donnée au premier homme dans la
création, et qu^elle n'est nullement la peine du péché.
Ainsi, dans cette question, comme à propos du lil^re arbitre,
Pelage tombait dans l'un des extrêmes, et Baïus dans l'autre.
Pelage disait la concupiscence aussi bonne que toutes les
facultés naturelles, et permettait de la prendre pour fin dans
les choses licites; Baïus, au contraire, y voyait un mal moral. La
vérité, également éloignée de ces deux excès, et clairement ex-
posée par saint Augustin, est que la concupiscence est un mal
physique et ne mérite le nom de péché que dans le sens d'un
mouvement désordonné involontaire (i). C'est ce que répète M.
Scheeben dans un éclaircissement imprimé en petit caractère,
et où l'on désirerait une ordonnance plus rigoureuse. « Si la
concupiscence, ajoute-t-il, est lionteuse, ce n'est point parce
qu'elle est la peine du péché; au contraire, elle est devenue
la peine du péché, parce qu'elle est honteuse.» Casini dit,
trois pages plus haut : IJxc enim id habet pejus ac turpius quod
nimirum est ex peccato. Ces deux assertions ne sont point con-
traires: elles se complètent mutuellement. Saint Augustin, dit
encore M. Scheeben, fait consister la malice de la concupis-
cence en ce qu'elle incline la volonté autant vers les plaisirs
ilhcites que vers les licites, et en ce qu'elle pousse à ne re-
chercher dans l'honnête même que l'agrément. Il prouve
contre Julien qu'elle est mauvaise, parce qu'il est louable de
la combattre. Tout cela indique un mal que Dieu pourrait,
dans l'état de nature, non-seulemenl permettre, comme le dit
ici M. Scheeben par inadvertance, mais vouloir et infliger
(•<) Le P. Lacordaire a méconnu celle vérilé dans &a G i» Conférence,
1. IV, jH. 313 ; il y soulienl que la concupiscente est un mal morai.
Revue pes ScxeiNxes KccLÉsiASXiouES, t. vm. 9-10.
130 DE l'état de nature [TomeVlIl.
pour le bien même de l'homme, comme il le dit clairement
deux pages plus haut (1).
Recourant ensuite au raisonnement, le P. Casini montre
que la volonté ne peut empècber naturellement l'appétit sen-
sible d'agir avant elle, et même malgré elle ; non que cet
appétit soit libre, mais parce que la volonté, loin de le diriger
despotiguentent, comme elle dirige la faculté locomotive, ne peut
agir sur lui que politiquement, c'est-à-dire par Tintermédiaire
da la raison, qui elle-même a besoin pour cela de l'intermé-
diaire du sens intérieur. D'où il suit qu'un empire absolu de la
volonté sur l'appétit sensible n'a jamais pu venir que de la
grâce.
Jansénius objecte: Si Dieu nous avait créés avec la concu-
piscence, il serait responsable de tous les péchés qu'elle pro-
voque. Casini répond : Dans cette hypothèse, la responsabilité
des mouvements désordonnés retomberait non sur Dieu, mais
sur la nature de l'homme. Est-ce la faute d'une fontaine, si
avec un petit vase on y puise moins d'eau qu'avec un grand?
Dieu est la source de toute perfection, et à cette source chaque
créature puise plus ou moins selon ce qu'elle peut naturelle-
ment contenir. Si la plante y puise la vie, mais non la seusi-
bibité, ni l'appétit sensible ; si la brute n'y puise pas la raison
ni le libre arbitre ; si l'homme n'y puise pas l'immortalité ni
l'exemption de concupiscence; si l'ange n'y puise pas l'impec-
cabilité, la raison en est dans les bornes de leur nature. Il est
vrai que l'ange et l'homme peuvent être élevés au dessus de la
leur ; mais peu importe ici. Le roi est-il responsable de ce
qne tel pauvre n'a pas dix mille francs? Pourtant il pourrait
(i) On lit, p. 150, posi med. .- Eam esse malum quoddam phijsi-
cum; quod si non esset, sane remodonem ejus nos tanquam ingens
Dei benefidum prsdicaremus, qvocl Dti bonitafe Adamo collalum sît.
N; us croyons que 7ws esl une faule et que la vraie leçon est non. Si la
concupiscence ^tait un mal inoréil. Dieu n'eût pu la raellre en Adara.
L'cxempiion de ce mal eût donc été, non pas un bienfaii, une grâce,
mais une condition nécessaire de la création.
Août 1863.] ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. 131
les lui donner. Dieu est-il responsable du péché, parce qu'il
pourrait ne le pas permettre? Il ne répond donc pas des
mouvements de la concupiscence, quoiqu'il eût pu les empê-
cher. Mais en supposant même qu'il en fût responsable, il ne
le serait pas des péchés qui en découleraient, car il aiderait
/homme à surmonter ces mouvements déréglés (1).
On objecte eu second lieu que d'après l'axiome : Spoliafum
gratuitis, vulneraium in naturali bus, la concupiscence est une
blessure de la nature. Ici, Casini se sépare des théologiens qui
prétendent que la nature n'a été blessée que par la soustrac-
tion des privilèges qui l'élèvent au-dessus d'elle-même. Car,
dit-il, s'il en était ainsi, la seconde partie de l'axiome ne
serait que la répétition de la première. Il faut donc admetttre
que, par le péché, nous avons perdu quelque chose de plus que
les dons gratuits, ce qui peut très-bien se concilier avec cette
autre vérité, que nous avons encore lout ce qui est dû à la
nature. En effet, les qualités de ce dernier ordre peuvent exis-
ter à des degrés fort divers, et dans une perfection beaucoup
plus grande qu'aujourd'hui, sans sortir des limites de la nature.
Par exemple, la concupiscence pourrait être plus gouvernable,
comme le prouvent sous nos yeux certains tempéraments ex-
ceptionnels. Or, dans l'état de nature pu le, celîe exception eût
été la règle ; celte modération de la concupiscence eût été
l'apanage de tous; car il n'y eût eu alois ni le péché pour nous
en rendre indignes, ni la grâce pour y suppléer. Ainsi, l'homme
innocent eût occupé les degrés supérieurs de? qualités dues à
la nature, tandis que nous sommes au bas de l'échelle ; voilà
comment nous sommes blessés in naturalibus.
M. Schceben, sans contester cet aperçu, rappelle ce qu'il a
dit plus haut, que la plupart des théologiens entendent diffé-
romment Taxiome, Spoliatum gratuitis, vulneralum in natura-
(1) L'a«!dilion que propose M. Sdicebcn à h p 178 ne nous paraît
pas nécessaire. Quid esl régi par animadverlendiim, el quod signifio
en ce que.
■^132 DE l'état de nature [TomeVïlI.
libus. A leurs yeux, le premier membre se rapporte à la grâce
sanctifiante, et le second, aux privilèges qui eu découlaient
pour remédier aux imperfections de la nature, privilèges que
l'on est convenu de désigner par le nom d'intégrité ou de dons
extra-naturels. Mais l'estimable éditeur rejette beaucoup plus
catégoriquement une autre explication qu'ajoute Casini, et
qui consiste à dire, que la concupiscence, avec laquelle nous
naissons par suite du pécbé d'Adam, tient le milieu entre celle
qui eût existé dans l'état de nalure pure, et celle qui existe
dans un homme qui s'est livré à de mauvaises habitudes. Cela,
dit M. Scheeben, est en contradiction manifeste avec la thèse
que l'auteur vient d'établir si laborieusement; car alors la
privation de la justice originelle nous aurait laissés en proie à
d'autres maux que ceux qui découlent de l'imperfection de la
nature. Casini a cru trouver cette doctrine dan? un passage de
saint Augustin [Imp. cont. JuL). Mais, dans ce passage, le
saint Docteur n'examine pas le degré de notre penchant au mal;
il se borne à demander pourquoi le péché du premier homme
n'aurait pas introduit ce penchant dans la nature, puisque le
péché actuel le fortifie dans la personne. Casini fait aussi allu-
sion à ces mots du concile de Trente (sess. 5, c. i) : Totumque
Adam secundum corpus etanimam in deterius commutatum fuisse.
Mais, dit M. Scheeben, ces mois sont le résumé del'éimméra-
lion qui les précède, et ils doivent s'interpréter comme vulne-
ratum innaturalibus. lieu est autrement du texte de Célestiu I :
In prxvaricatione Adx omneshomines nafumlem possibilitatemet
innocentiam perdidisse. Ici évidemment il s'agit des dons sur-
naturels, qu'on a quelquefois appelés naturds, parce que, dit
saint Thomas, ils ont commencé avec la nature (2 Sent., d. 19,
q. 1, a, 4), et étaient destinés à se propager avec elle {Contra
gent. lib. iv, c. 52).
Casini, après avoir dit que l'appétit sensible, dans l'état de
nature pure, serait moins porté au mal qu'il ne l'est aujourd'hui,
ajoute qu'il en serait de même de la volonté. Eileest donc plu&
AoûtiN63.] ET DU l'ÉCHÉ ORIGINEL. -133
incliuée vers les biens sensibles qu'elle ne le serait naturel-
lement, et c'est même cet affaiblissement, appelé par le concile
de Trente attenuatio virium, inclinatio liberi arbitrii, qui for-
tifie la révolte de l'appétit inférieur.
Eu outre, par la chute, la volonté a été détournée de Dieu,
aversion qui, constituant le péché originel, n'a pu venir de la
nature et ne survit pas au baptême. Toutefois, tant qu'elle dure,
elle rend aussi la volonté plus faible contre les impressions des
objets sensibles.
M. Scheeben trouve insuffisant ce que dit Casini de la con-
cupiscence spirituelle, et il traite ce sujet dans un éclaircisse-
ment. Il montre que, même dans la raison et dans la volonté,
il y a un côté inférieur qui regarde les objets finis, et qui, par
suite de l'influence du corps, peut contrarier, comme l'appétit
sensible, le mouvement régulier de rdme. Cela explique, dit-
il, comment saint Thomas a pu dire (l p., q. 95, a. 1), que non
seulement la soumission de l'appétit sensible à la raison, mais
celle aussi de la raison à Dieu était surnaturelle et gratuite en
Adam. Cela ne peut s'entendre de la soumission que la partie
supérieure de la raison avait pour Dieu, considéré comme Créa-
teur. Car cette soumission est due à la nciture. Saint Thomas
parle donc du privilège par lequel le côté inférieur delà raison
était soumis au côté supérieur de cette même raison.
Je ne puis partager l'opinion du savant professeur sur ce
passage de la Somme. J'avoue que saint Thomas ne parle pas
de la soumission naturelle de la haute partie de la raison à
Dieu considéré comme créateur et fin de la nature. Car il
veut démontrer que la grâce existait en Adam. Mais, pour la
même raison, il n'a pas davantage en vue la soumission extra-
naturelle de la raison inférieure à la raison supérieure. I^
parle de la soumission surnaturelle de la raison à Dieu par la
grâce sanctifiante. Je ne nie pas que dans le Commentaire des
Sentences (d. 20, q. 2, a. 3), et q. 5 de Malo, a. I, saint Thomas
n'ait distingué ces deux dernières soumissions ; mais dans la
-18 'i DE l'état de NATURK |TomeVn[.
Somme, à Tendroit indiqué, il désigne la dernière, et il comprend
l'aiitre sous les mots inferiores vires {{). M. Scheeben avoue
que les scolastiques, en parlant de la justice originelle, ne men-
tionnent pas expressément l'exemption de concupiscence spi-
rituelle, et il dit que , sous leur plume, la soumission de l'appétit
sensible à la raison comprend la soumission de la raison infé-
rieure àla raisonsupérieure.Nous croyons qu'il faut appliquer
cette remarque au passage de la Somme dont nous venons
de parler. Ce qui ne nous empêche pas de reconnaître avec
iSI, Scheebeu que les scolastiques font une allusion expresse à
la concupiscence spirituelle, quand ils disent que le premier
homme, pour sa rectitude naturelle, avait besoin de vertus in-
fuses per accidens, et quand ils ajoutent que la perte de l'inté-
grité a occasionné dans la volonté même un penchant déréglé
vers les biens sensibles.
i\l. Scheeben termine en insistant sur la distinction de l'inté-
grité et de la grâce. L'une, dit-il, est comme la disposition et la
matière, l'autre comme la forme de la justice originelle, Dieu
ayant résolu que la grâce ne se propagerait avec la nature, que
quand celle-ci serait ornée de l'intégrité. Le péché originel
consiste donc matériellement dans la privation de l'intégrité,
et formellement dans la privation de la conversion surnaturelle
(1) Il est cerlaiD que si la pensée de sainl Thomas i^iaii telle que le
veut M. Scheeben, le sainl docleur n'aurait pas eu l'idée de prouver
par la qu'Adam avail hi grâce. Or, il a voulu le prouver, el cela nous
suffit. Maison pourrail doiiier que sa preuve .«oil pérem.iloire, f^ar
Dieu pouvait donner à l'homme l'intégrité sans la grâ' e, et, par con-
séquent, de ce qu'Adam avail la première, on ne peut pas conclure
qu'il avail la seconde. Je réponds que saint Thomas pose en principe
que la soumission de la raison a été la cause de relie des forces infé-
rieures, d'oi^i il suit qu'elle a dû être surnaturelle, si celle-ci l'élait.
Mais la raison, étant déjà .soumise à Dieu naturellemcnl, ne pouvait
l'éiresurnalurellemenlà la façon des forces inférieures, chez lesquelles
ce privilège a pour but de remédier a une insoumission naturelle.
Saint Thomas a donc le droit de sous-enlendre que la soumission de
la raison ne peut êlre surnaturelle que par la grâce.
AOÛH863.] ET LE PÉCHÉ ORIGINEL. 135
de l'âme vers Dieu. Ce qui explique cet axiome de saint
Anselme, qu'en Adam la personne a vicié la nature, et qu'en
nous la nature vicie la personne. Car, en Adam, la perte volon-
taire de la grâce a mérité la perte de l'intégrité; et c'est parce
que nous recevons une nature dépouillée de l'intégrité, que
nous naissons privés de tout rapport surnaturel avec Dieu. Nous
regrettons d'abréger ces explications du savant professeur,
qui ne sont elles-mêmes que le résumé des travaux plus éten-
dus auxquels il renvoie, la Dogmatique de Friedhof, part. 2,
p. 126; celle de Berlage, t. 4, p. 231, t. 5, p. 241 ; de Rubeis,
de Pecc. orig.; Suarez, Proleg. IV de Grat. (1).
Article V. — De la pleine connaissance du dt^oit naturel.
Que la connaissance des premiers principes de la loi natu-
relle soit due à la nature, ce n'est point douteux. Mais en est-
il de même de toutes leurs conséquences ? Baïus et Jansénius
le soutiennent. Notre auteur, au contraire, s'attache à démon-
trer par des témoignages, puis par le raisonnement, que
l'homme, dans l'état de nature, aurait pu être sujet à l'erreur
et même à l'ignorance invincible.
L'argument qu'il emprunte aux conciles et aux décrets des
Papes, semble à première vue prouver seulement que l'igno-
rance invincible d'un point de la loi naturelle excuse du péché.
Mais il suit de là que Dieu aurait pu, sans être l'auteur du péclié,
(I) M. G. Werner, professeur au séminaire de Sa'nl-Pûellon, en Aii-
triclie, a pubiit\ en -1861, un livre intitulé : Franz Suarez^ nnd die
Schofaatik der letzten Jafn hunderle. Dans rénuméralion qu'il y donne
des œuvres de Suarez, il cite ï'O/jus poslhumum, ou explications contre
le jansénisme. Oa ne conçoit pas trop coniraenl Suarez, mort en
1G17, aurait réfuté le jansénisme, Jansénius étant mort en 1638, el
son Jugiislinus n'ayant paru que deux ans plus tard. Mais ce qu'il y
a de plus étonnant, c'est que M. Werner nous dit que cet Opiis poslhu-
muni se trouve dans l'édition de Venise. Nous lui serions bien reoon-
niiissanl de nous dire où il a puisé l'indication de cet ouvrage ; mai-
gré nos recherches, nous ne l'avons vu mentionné nulle part.
i3G DH-L'ÉTAT^DB, NAT«!^K [Tomi VlII.
créer rhommedans cette ignorance invincible, ce qui renverse
le point d'appui auquel, comme nous le verrons bientôt, le
jansénisme a recours dans cette question. Les autres preuves
d'autorité qu'allègue l'auteur sont moins concluantes. Il cite
d'abord le texte de la Genèse (c. 3, v. ]) : Serpens decepit me.
Mais saint Thomas répond que la femme, avaul d'être trompée,
avait déjà péciié intérieurement; de sorte que d'elle ou ne peut
conclure à l'homme innocent. Quant aux textes des saints Pères,
comme M. Sclieeben le fait remarquer, beaucoup de ceux que
cite l'auteur n'établissent que la gratuité de la lumière surna-
turelle; mais ils ne sont pas pour cela tout-à-fait en dehors
de la question, car, en attribuant à la privation de cette lumière
l'ignorance qui a suivi le péché, ils supposent que l'exemption
primitive de cette ignorance n'était pas naturelle.
Aux objections par lesquelles Janséjiius tâche de tirer à lui
saint Augustin, Casini répond que ce saint Docteur ne voit dans
l'ignorance qu'un mal physique, et qu'il ne s'en sert pour prou-
ver le péché originel, qu'en prenant pour point de départ ce
que la Révélation nous apprend sur l'état primitif de l'homme.
Reste la principale objection, qui consiste à dire que, selon saint
Augustin, l'ignorance invincible d'une loi naturelle n'excuse
pas du péohé; d'où il suit que Dieu n'a pu créer l'homme avec
une telle ignorance. — Mais, répond Casini, quand même saint
Augustin dirait cela, vous n'en pourriez tirer une telle conclu-
sion. Car, selon vous, si l'ignorance invincible n'excuse pas,
c'est parce qu'elle découle d'un péché que vous prétendez avoir
été volontaire pour nous tous en Adam; or, cette prétendue
raison n'existerait pas, si l'ignorance, au lieu de venir du péché,
avait commencé avec notre nature (I ). D'ailleurs, la conclusion
{\) Casini présente ce raisonnement sous une forme qui nous
paraît moins salisfaisanle. Voici ce qui remplace, chez lui, noire der-
nière [ihrase : Ferum eliamsi komini, ul homo est, deberetur legis
naturalis perfecta notitia, eamque primits homo perceperit ex dono,
non ex debito, nihilominus tamen verum est ignorantiam qua modo
Août t8C3.| ET Dl! Pî^CnÉ ORlfilNEI.. -13*7
fût-elle bien déduite, il est certain que saint Augustin n'ensei-
gne pas le principe. Dans les passages objectés, il parle de
l'ignorance vincible, et soitvent de l'ignorance de la loi posi-
tive. Et ce qu'il appelle peccatum simul et pœna peccati n'est
pas toujours un mal moral.
Nous regrettons d'avoir à signialer, ici encore, des fautes
considérables. L'auteur cite un passage de saint Augustin où
il est dit que l'ignorance n'excuse pas, et où il s'agit évidem-
ment de l'ignorance de l'Evargile ; puis il continue : Locus hic
igitur, si de ignorantia, qux vinci nequit, est serrno, maxime ferit
Jansenium, qui lib. 6 de St. nat. laps. c. 6.5, dum contendit igno-
ranliam juris divini invincibilem a peccato immunes homines non
reddere, exemplum statuit in infidelibus Christi Evangelium invin-
cibiliter ignorantiOus, atque ait, non audisse Evangelium Christi,
satis non esse, ut excusationem habeant de sua infidelitate gen-
tiles. Quare suo ipsemet gladio conficitur. Or, Jansénius dit pré-
cisément le contraire de ce qu'on lui prêle ici, de sorte qu'il
faut, homines reddere, au lieu de homines non reddei^e, et satis
esse, au lieu de sads non esse. Il est d'autant plus étonnaînt
qu'une telle altération ait passé inaperçue, qu'elle rend inin-
telligible tout un paragraphe ; car, pour que Jansénius se réfute
lui-même, il faut qu'il ait dit le contraire de ce qu'il fait di*è
à saint Augustin. En outre, eût-il été impossible de consulter
le.« œuvres de Janséuius, on devait se rappeler la p. 208, où
son opinion a été fidèlement rapportée. Ajoutons que l'indi-
cation /. 6, de St. nat. laps, est inexacte. Jansénius n'a que
obruimtir,ea ex culpa fluxisse^qua obstricH singuli nascimur, Çutire,
quod iynn-anlia hujusmo'/i nunquamnos salis excusct, ttt sentit Jan-
sénius, cum eo nexum non est, quod homini, ut homo est, deberetur
-tam perftcla notitia. Ceux qui voudront faire rt^irorl nécessaire pour
saisir le seiis de ce pa-sage, demeurpronl convaincus qu'il faut ajouter
«on avant le premier debertiur. Mais avec celle correction même, on
devine plutôt qu'on ne voil la pensée de l'écrivain.
in8 DE l'état de nature ITome VlII.
quatre livres sur l'état de nature déchue^, et le passage dont il
s'agit est tiré du deuxième (l).
Dans sa démonstration rationnelle^ l'auteur part de ce prin-
cipe, qu'à s'en tenir aux lois de la nature, l'homme n'acquiert
la science habituelle que par les actes, et qu'il ne peut rien
connaître sans recevoir les impressions des objets sensibles.
Donc, à moins d'un privilège extra-naturel, il ne pouvait avoir
au moment de sa création la connaissance du droit naturel,
et cette connaissance, même après de longues études, n'eût pas
été parfaite, tant sont variées et nombreuses les notions qu'elle
devrait embrasser pour être telle.
En outre, il arrive souvent que dans un problème de mo-
rale, les premiers principes, n'intervenant que par des con-
séquences éloignées, semblent favoriser également les deux
partis ; et quand même la balance pencherait un peu d'un côté,
l'intelligence pourrait encore se méprendre sous l'empire du
libre arbitre.
On objecte que Notre Seigneur a pu prendre la nature hu-
maine avec les seules facultés qui en sont l'apanage ; or, il n'a
pu la prendre avec l'ignorance du droit naturel. — La réponse
est facile. En prenant notre nature, il l'élève au-dessus de ce
qu'elle était, et la délivre des défauts qui, comme l'ignorance
(1) Ces fautes sont regrettables; mais il s'en commet tous les jours
de pires, et s.ins l'excuse de matières abstraites. Ainsi, dans une leUrc
inédile de Bossuet, publiée par les Archives Ihéologiques (janvier
-1863), et contenant ua plan d'éludés, le paragrai be relatif à la lilur-
gie commence ainsi : « Le faux Denys d"Halicarnasse ; c'esl son meil-
leur ouvrage. » Comment ne s'esl-oa pas aperçu qu'au lieu de :
d'Halicarnasse, il faut de Eccleslastica hierarchia ? Les mots qui
suivent supposent éviiieramenl qu'on vient de citer un titre, et l'on ne
pouvait indiquer en cet endroit que l'ouvrage liturgique de saint Denis.
Nous altendons avec confiance la vérification q le l'on fera sur le ma-
nuscrit, et pour récompense de la présente rectification, nous deman-
dons que l'on veuille bien faire savoir au public où l'on a trouvé ce
précieux autographe.
AOÙM863.] ET DU PtCHÉ ORIGINEL. 139
et la rébellion, sont incompatibles avec une élévation si
grande.
Jansénius objecte encore que l'ignorance du droit naturel est
une peine du péché, tandis qu'il n'en est pas de même de
l'ignorance du droit positif. Mais cela est faux. Jansénius avoue
lui-même que toute misère est peine du péché (1. 3 de St. nat.
pur., c. 10) ; or l'ignorance de l'Évangile chez les infidèles,
qu'il avoue ailleurs (1. 2 de St. nat. lap., c. 5) être une igno-
rance de droit positif, est un grand mal. C'est donc aussi un
châtiment du péché.
Enfin, on objecte que la nature, pour atteindre sa fin, doit
connaître ce qui peut l'y conduire ou l'en écarter. Mais cette
objection n'est pas plus fondée que les précédentes. Il a été
prouvé que cette connaisance parfaite est au-dessus des forces
de la nature ; et d'ailleurs, elle n'est pas nécessaire, car il suffit
qu'on ne fasse jamais le mal qu'en croyant bien faire. Aussi la
révélation surnaturelle elle-même ne nous préserve-t-elle pas
absolument de l'ignorance invincible en matière de droit na-
turel.
Article VI. — Que la sainteté, ainsi que les vertus et les actes
qu'elle comprend, ne sont pas dus à la nature.
L'argument d'autorité commence par des textes bibliques
que M. Scheeben résume etfait valoir. L'Écriture sainte, dit-il,
nous appelle dieux, et fils de" Dieu par adoption ; elle dit que
nous participons à la nature divine. C'est assez indiquer une
dignité qui nous élève au-dessus de notre nature. Si l'adoption
seule nous fait enfants, ce n'est pas le péché seul qui nous fait
esclaves. Ou plutôt, il ne nous fait esclaves que du démon, car
toute créature est naturellement esclave de Dieu. D'ailleurs
l'Écriture sainte répète souvent que la sainteté est, à un titre
particulier, un don divin.
Suivent de nombreux passages des saints Pères, dont le sens
iAO DE l'état de nature [Tomo VIII.
est que la grâce qui nous fait eufants de Dieu n'est pas due à
la nature. La version latine d'un passage de saint Cyrille pour-
rait seule faire difficulté; elle est ainsi conçue: Pro naturali
dig;aitate gratix bonum consecuti. Mais ce pro répond à avtî, de
sorte que le sens est, qu'au lieu d'avoir, par droit de nature,
comme Jésus -Christ, la filiation divine, nous Tavons par
grâce.
M. Scheeben a rangé sous certains chefs toutes les considéra-
tions par lesquelles les saints Pères établissent la gratuité de
notre filiation divine. i° D'abord ils vont jusqu'à dire queuous
sommes déifiés, et qu'il n'est pas étonnant que nous devenions
dfis dieux, puisque Dieu est devenu homme : ce qui n'est vrai
qu'à condition de sous-entendre que nous ne pouvons arriver
à l'union hypostatique. 2» Ils appellent notre élévation par la
grâce une nouvelle et céleste naissance, et disent qu'à l'inverse
du Verbe dont la première génération est divine, et la seconde,,
hiunaine, nous naissons d'abord de l'homme, et secondement
de Dieu. 3° Ils font consister notre participation à la nature
divine en ce que nous vivons delà vie de Dieu, et Taimous
de la même charité dont il s'aime. 4° Outre la bonté essentielle
àfcla, nature, ils affirment une autre bonté que le Saint-Esprit,
seul donne ; et outre les actes naturels, d'autres actes, seuls
méritoires du ciel, et dont la nature est radicalement incapable,
nouTseuiement parce qu'elle est déchue, mais parce qu'elle est
créée. S" Ils conapaTfent.n.otre élévation par. la grâce à l'éléva-
tion de rhuinauité du Sauveur par l'union hypostatique.
6^ Ils disent que notre nature est comme transformée en la
nature divine,, sans confusion des substances, prodige qu'ils
t^phent de rendre intelligible par l'exemple du fer rouge, et.
d^ l'air illuminé. M, Scheeben cite à cette occasion un magni-
fique passage du traité de saint Bernard De Diligendo Deo,c. 10,
passage dont les principales idées se retrouvent dans Scot
Erigène. Quelque utile que soit ce classement des textes, il y a
phw.de profit eflippre à, les lire dans leur intégrité. Ils peignent
Août 1863.] ET DU PÉCHÉ OBIGINEL. Hl
SOUS de si vives couleurs le privilège des enfants de Dien, que
cette lecture a été pour nous une jouissance délicieuse. Nous
prédisons à ceux qui auront la consolation de goûter ces mor-
ceaux choisis^ qu'indépendamment des Pères plus célèbres, ils
prendront la résolution de lire les œuvres de saint Cyrille
d'Alexandrie et de saint Fulgence.
Cependant, Bains et Jansénius objectent que, selon saint
Augustin, le manque de charité est un vice de la nature {de Civ.,
1. XXII, c. î, n. 2). Casini répond que les propositions de ce
genre doivent s'entendre, ou d'une nature sanctifié^î par la
grâce, ou d'une charité purement naturelle. — Les mêmes
allèguent encore des textes dans lesquels saint Augustin af-
firme que les enfants morts sans baptême auraient droit à
l'adoption divine, s'ils n'étaient coupables du péché originel.
La réponse est qu'il ne s'agit là que de l'ordre de choses
actuellement existant.
L'argument de raison est très-court ; il se résume ainsi :
1° L'homme est naturellement esclave de Dieu ; or, tout maître
est libre de ne pas adopter \m esclave pour son fils ; 2" Dieu
peut donner à l'homme innocent quelque chose qu'il ne lui
doit pas ; or, s'il lui doit la déification, quel bien supérieur esf-il
libre de lui refuser? L'union hypostatique serait alors la seule
grâce possible, ce que les Écritures, les Conciles et les Pères
aous interdisent de penser ; 3° nous allons voir que la béatitude
céleste est au-dessus de la nature ; donc, il en est de même de
ce qui rend capable d'y parvenir; 4» enfin, la nature aujourd'hui
est absolument incapable de faire par elle-même aucune œuvre
sainte ; or si elle en était naturellement capable, la déchéance
le lui eût rendu difficile, mais non impossible.
Les adversaires objectent que toute action qui n'est pas
inspirée par la charité est mauvaise. Mais il est facile de com-
prendre que cela est faux, même de la charité naturelle ; car
il n'est pas nécessaire que nos actions soient rapportées à Djeu
à chaque moment ; il suffit qu'elles puissent i'ètre, c'est-â-dira
142 DE l'état de nature [Tome vil
qu'elles ne soient mauvaises ni dans l'objet matériel, ni dans
robjet formel, ni dans le mode, et qu'elles ne soient pas pro-
hibées. D'ailleurs, le concile de Trente a décidé qu'ap;ircn vue
de !a récompense éternelle, ou par la crainte de l'enfer, n'est
pas blâmable. — On objecte encore que, sans la charité, l'homme
ne peut résister à ses passions. De ce que cela est impossible,
répond Casini, dans les moments où les passions bouillonnent,
on ne peut conclure que l'homme ne puisse jamais rien faire
de bien sans la charité; car les passions ne sent pas toujours
en effervescence. 11 semble nécessaire d'ajouter, pour compléter
cette réponse, que dans les moments d'effervescence, un se-
cours divin de l'ordre naturel serait suffisant.
Article VII. — De la Béatitude céleste.
Les Pères, commentant les textes bibliques sur l'invisibilité
de Dieu, enseignent si clairement que la béatitude céleste
n'est pas due à lanature, quebeaucoupd'eutreeux, pour avoir
dit cela, ont été accusés de nier la possibilité de la vision intui-
tive. Casini venge de ce reproche saint Denys l'Aréopagite,
saint Iréuée, saint Cyrille de Jérusalem, saint Basile, saint
Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Ambroise,
saint Épiphane, saint Chrysostôme, saint Jérôme, saint Cyrille
d'Alexandrie, saint Eucher, Primase, saint Isidore de Séville.
11 renonce à justifier Origène, Titus de Bostre, Gennade,
Théodoret, Basile de Séleucie, Anastase le Sinaïte, CEcume-
nius, Théophylacte, Euthyme, l'homélie de Deipara et le dia-
logue sur la Trinité, faussement attribués à saint Atlianase.
Les Pères ne sont pas moins formels en commentant les pas-
sages ^«^e serye bone, etc., et Servi inutiles sumus. Ils montrent
que la béatitude n'a le caractère de dette, qu'à raison de la
promesse de Dieu.
En citant les décrets d'un grand nombre de conciles qui
tiennent le même langage, l'auteur s'exprime ainsi : Auxilia
f
Août 1863.] ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. <43
igïtar ad salut em necessaria, velin statu ipso innocent ix gratinta^
et quod consequens est non débita erant, nam si ex debito^jam non
ex gratin. Cela peut-il bien s'accorder avec le texte de saint
Augustin qu'il cite cinq pagRs plus loin : Si autem hoc adjuto-
rium vel angelo vel homini cum primum facti sunt defuisset,
quoniam non talis natura facta erat, ut sine divino adjutorio pos-
set manere si vellet, non utique sua culpa cecidissent ; et avec ce
que l'auteur dit lui-même, à la p. 343, en parlant de la grâce
dans l'état d'innocence : Quamvis homini, ut homo est, non de-
beretur [gratia], eidem tamen debebatur ut ad finem supernntura-
lem evecto; neque enim potuit Deus homini, qxiem ad eum
finem exlulerat, opes illas atque auxilia denegare sine quitus
finem illum adipisci plane non potuisset. Que ces propositions
diverses de Casini puissent se concilier, ou qu'elles manquent
de précisiun, sa pensée est irréprochable; elle n'est au!re que
celle qu'expose M. Scheeben, récapitulant ici encore les cita-
tions empruntées à l'Ecriture sainte et aux Pères. Le bonheur
céleste, dit-il, est gratuit, non seulement parce que la grâce qui
le mérite est donnée gratuitement, mais encore parce que
cette grâce, quoiqu'y étaut proportionnée, ne le mériterait pas
sans une promesse de Dieu, Ensuite, ce bonheur étaut un hé-
ritage, c'est-à-dire, une participation des droits du Fils naturel
de Dieu, est encore plus au-dessus de la nature que l'adoption
et la régénération par la grâce sanctifiante. Enfin, les noms de
royaume des cieux et de vie éternelle, distingués à tort par
les pélagiens, et les noms de salut, de gloire, de ciel, de béati-
tude, bien que pouvant par eux-mêmes signifier un bonheur
naturel soit aux hommes, soit aux anges, signifient évidem-
ment, dans les Écritures et dans les Pères, une félicité qui n'est
autre que celle de Dieu, gaudium Dominitui, et qui, par consé-
quent, est infiniment au-dessus de toute faculté créée.
On objecte que saint Augustin semble dire que la nature
déchue est indigne du ciel, mais que la nature innocente le
méritait. — Erreur ! Saint Augustin affirme souvent le mérite.
144 DE l'état de nature [TomeVîH.
même pour la nature déchue, et ici, de l'aveu des adversaires,
le mérite n'exclut point la grâce. Donc, la nature innocente
peut aussi mériter le ciel, sans y avoir droit par elle-même.
Toute la différence qu'établit saint Augustin entre l'état d'in-
nocence et !a nature déchue, c'est qu'aujourd'hui nous démé-
ritons le ciel, et que la grâce nous tire de plus bas. L'auteur
fait ici un intéressant parallèle entre la grâce primitive, et
la nôtre. — On tire encore de saiut Augustin une objection
analogue à la deuxième de l'article précédent. Le saint docteur,
dit-on, argumentant contre les pélagiens, dit que les enfants
morts sans baptême auraient droit au ciel, si la tache origi-
nelle ne leur en fermait l'entrée. — Il est clair que saint Au-
gustin n'a pu dire cela. Affirmant, comme il le fait, que
l'adulte le plus vertueux ne peut sans la grâce mériter le ciel,
comment croirait il que l'enfant peut le mériter sans ri m faire?
Il s'appuie donc sur ce principe que, par un décret de la Pro-
vidence, nul n'est privé du ciel que par suite d'un péché; d'où
il suit que les pélagiens, rejetant le péché originel, sont incon-
séquents de refuser aux enfants morts sans baptême le royaume
des cieux. Et avec cette preuve d'autorité, il oppose aux péla-
giens un argument adhominem. Vous prétendez, leur dit-il, que
l'adulte peut mériter le ciel par ses seules forces ? Pourquoi
donc l'enfant, qui ne peut le mériter, ne l'obtiendrait -il pas à
titre d'héritage, quand même il n'aurait pas reçu le baptême,
puisque selon vous il a l'innocence, et une nature capable
de mériter ce bonheur?
Une troisième objection se tire du texte de saint Céleslin
que nous avons cité et expliqué plus haut.
On eût aimé à voir l'auteur discuter ici le fameux texte de
saint Thomas sur le désir naturel de la vision intuitive, texte
qui a tant préoccupé les commentateurs, et qui a donné lieu à
de si intéressantes controverses.
L'argument de raison s'appuie uniquement sur ce que
l'homme est naturellement esclave de Dieu, tandis que, pour
AmiUSSS.l ET DU PÉCHÉ ORIGfNEL. H'.
jouir de la vision intuitive, il faut participer à la nature divine.
A des objections fondées sur ce que la fm naturelle de l'homme
doit être la pleine contemplation de Dieu, et sur ce que la na-
ture innocente ne peut être éternellement condamnée au
malheur d'être privée de la vision divine, l'auteur oppose la
possibilité d'une contemplation naturelle de Dieu.
Conclusion.
Il est à regretter que le P. Casini n'ait pas exécuté la se-
conde partie qu'il avait annoncée. Ce qu'elle devait contenir
nous est révélé, au moins partiellement, par quelques indica-
tions, quelques renvois de l'auteur. Après avoir parlé, dans le
travail dont nous venons de terminer l'analyse, de ce que les
jansénistes ont tort d'attribuer à la nature, il voulait parler de
ce qu'ils ont tort de lui refuser (p. 24). 11 aurait démontré:
loque le libre arbitre est dû 'i la nature, et que, par conséquent,
il demeure dans l'homme après la chute, puisiiuc ci-lle-ci ne
nous a pas dépouillés de ce qui est dû à la nature (p. 293);
2'» que le libre arbitre aurait suffi avec un secours naturel divin
pour vaincre la concupiscence et faire le bien dans l'état de
•nature pure (p. 131), d'autant plus qu'alors le penchant
de l'homme pour les biens sensibles n'eût pas été aussi impé-
tueux qu'aujourd'hui (p. 144, 146, 195) ; 3° que dans l'état de
nature, l'homme aurait pu aimer Dieu d'un amour naturel, et
que, pour faire une bonne œuvre, il n'eiit pas même eu besoin
d'être mû actuellement par cet amour, l'espérance et la crainte
sufîisaut pour cela (p. 300) ; 4" que l'ignorance invincible de
Itt loi naturelle eût excusé du péché (p. 213, 217, 22!) ; 5° que
*aint Augustin donne le nom de peccatum simul et pœna peccati
à plusieurs choses que Janséoius avoue n'être pas des péchés
■proprement dits (p. 227).
Notre sèche analyse ne fait connaître qu'imparfaitement
l'ouvrage de Casini. Puisse-t^lle au mains engager à le lire !
146 DU l'état de nature [TomeVUI.
Il va plus à ga^nor dans un tel livre que dans une douzaine de
ces écrits apolotJîétiques faits à la hâte qui paraissent et dispa-
raissent chaque anuée. Ceux qui se nourriront de celte forte
doctriae, discerneront au premier coup d'œil, dans les pages
des écrivains modernes sur le péché originel, beaucoup d'inex-
actitudes et d'incohérences.
Autrefois, même en évitant de mettre avec Jansénius un
abîme entre l'état naturel de l'homme et l'état de déchéance,
on exagérait, au moins dans l'expression, les effets de la chute.
Les anciens catéchismes qui disent que nous naissons véritable-
ment pécheurs, et les anciens rituels qui disent : L'enfant que
vous apportez inérite la damnation éternelle, contiennent certai-
nement la vérité ; mais en écoutant ou en répétant ces formules,
beaucoup se figuraient que, selon l'enseignement de l'Église,
les enfants non baptisés sont dans le même état que l'homme
coupable d'un péché mortel actuel, et qu'ils endurent dans
l'autre vie des peines physiques. On a senti la nécessité d'une
réforme dans le langage catéchétique; mais n'a-t-ou pas été
tro]) loin dans le sens contraire? Ceux qui se bornent à dire
que nous sommes victimes de la faute d'Adam, n'arrivent-ils
pas à une assimilation excessive de la nature déchue avec la
nature pure? A voir tous les efforts que Ton fait aujourd'hui
pour ne pas effaroucher la raison, et la tournure plausible que
l'on donne au péché originel, il y a souvent lieu de se deman-
der: Où est donc le mystère ?
Sans doute il faut reconnaître que la chute nous a privés
seulement des dons gratuits; que Dieu eût pu faire l'homme
tel qu'il naît aujourd'hui; qu'il eût pu le faire, non seulement
soumis à la douleur, comme l'entend le P. Lacordaire, mais
avec le penchant au mal, comme le prouve si clairement le
P. Casini. Mais il faut proclamer en même temps que
l'homme naît avec une souillure, une tache, un péché h;tbituel
qui n'est pas la suite naturelle du péché d'Adam, et qu'on ne
peut expliquer sans un décret divin statuant que nous ne se-
Août 1863,] ET DU PÉCHÉ ORIGINEL. -147
rions dans l'ordre et dans Tinnocence que par la grâce, la vie
surnaturelle, et que nous n'aurions la grâce en naissant que si
Adam ne la perdait pas (I) ; il faut proclamer en outre que la
preuve du péché originel par l'état acluel de notre nature
n'est pas un sophisme, et qu'on ne peut la rejeter sans donner
un démenti aux plus célèbres des saints docteurs, des théo-
logiens et des apologistes. Saint Thomas lui-môme, quoiqu'il
ne fasse consister le péché originel que dans la privation de la
justice, et qu'il suppose, par conséquent, que Dieu eût pu créer
l'homme avec les misères présentes, s'exprime en ces termes
dans un chapitre extrêmement remarquable de la Somme
contre les Gentils^. 4, c. 52) :« Ainsi quoiqu'absolument parlant
ces défauts paraissent être naturels à l'homme, quand on con-
sidère la nature humaine par son côté inférieur, cependant, eu
égard à la Providence de Dieu et à la dignité de la partie su-
périeure de la nature humaine, on peut prouver avec assez de
probabilité que ces défauts ont un caractère pénal ; et ainsi
on peut conclure que le genre humain a été vicié par un péché
originel (2). »
(^) Elsi labes originalis cum ipsa nalura propagetnr, sufficiens
Uinen illius propagandae ralio neque in nalurali propagaiioiiis lege,
neqi:e in alia qua(»iam causa mère pliysiia reponi polCsl. (P.Schrader,
Thtses lh(o'og!Cœ. Friboiirg, J862, p. 4S.)
(2) Vu l'uiiporianie de re passage, nous croyons faire plaisir à nos
lecieiirs t-n le leur int^it^nl sous les yeux inlégralemerit :
Prsemillfnilurn est quoil peccali originalis in buniano genire pro-
babililer qnaedam signa apparent. Quuni enitn Deus bumanorum ac-
tuum sic curam gerat ni bonis operibus praemium el maiis pœnam
rétribuât, ut in superioribus est ostensum, ex ipsa pœna possumus
cerlifu-ari de culpa Palilur aulein coramuniler humaoum genus di-
vcrsas pœnas el corporalfS el spiriluales. Inler corporales poiissima
est mors, ad quaui «nmes aliae lenduni el ordinanlur, scilicet famés,
sitis el alla biijusraodi. Inter spiriluales aulem esl poiissima débilitas
rationis, ex qua coniingil quod bomo difliculter pervenil ad veri co-
gnilionem, et de facili labilur in errorem, el appetiius bestiales oni-
ninosuperaie non polesf, sed mullolies obnubilatur ab eis.
Posset laraeii aliquis dicere, hujusraodi defecius, tam corporales
1^8 DE l'état de nature (ToineVIJI.
Ainsi Dieu eût pu nous faii'e tels que nous sommes ; cepen-
dant, quand on considère ce que nous sommes, on peut conclure
que ce n'est pas Dieu qui nous a mis dans cet état. Ces deux
propositions s'appuient l'une et l'autre sur la tradition, et nous
regrettons que la difficulté de les concilier ait porté M. Sclieeben
à sacrifier la seconde (p. 14 et passirn). Quand on ne verrait
pas le moyen de les concilier, il faudrait les admettre ensemble
comme tant d'autres vérités incontestables, dont nul homme
sensé ne doute, quelque contradictoires qu'elles semblent.
Mais ici la conciliation n'est pas impossible. On a vu que saint
Thomas l'a essayée en ayant recours à l'ordre actuel de la
Providence. D'autres auteurs, dans le même but, disent que la
coucupiscence, dans l'état de nature pure, eût été moins forte
qu'aujourd'hui, ou du moins qu'elle eût été tempérée chez
tous comme elle l'est ma'ntenant chez quelques uns ; que l'a-
version de Dieu, qui constitue le péché originel, rend le bien
quam spiritiiales, non esse pœnales, seil naiurales déferlas ex neces-
silale maleria» conséquentes. Necesse esl enim corpus Uamanura,
cum sii ex coairariis composilura, corruptibile esse, el sensibilem ap-
peiiium in ea quœ sunl secundum sensum deleciabilia moveri, quae
interdum sunl coolraria rationi.. ..
Sed lamen, si quis recle considerei, salis probabiliier poieril aesti-
mare, divina proviilentia supposila, qiise singulis perfeclionibiis coa-
grua peifertibilia coaptavit, quod Deus superiorem naluram infiriori
ad hoc conjunxil ul ei dominarelur, et si quod hujus dominii iinpe-
dimenlum ex defeclu nalurse contingerel, ejus speciaii el supernalu-
rali benefuio lollerelur ; ni scilicei,qiium anima raiionaîis sii aliioris
nalurse quam corpus, lali condiiione cre lalur corpori esse conjumia,
quod in rorpore aiiquid esse non possil conlrariura animse per quara
corpus vvil, et similiier si raiio in homine appeiiiui sensurili conjun-
gilur el aiiis sensilivis poleniiis, quod ralio a sensitivis po'eniiis non
irapedialur, sed magis eis dominelur... Sic igilur, liujusmoUi deleclus
quanivis nalurales homini videanlur absoiuie, considerando huirianam
naluram ex parle ejus quod esl in ea infonus, lamen, considerando
diviaam providenliain el dignilalem superioris partis haraanee nalu-
rse, satis probnbdiler probari polesl hujusmoJi defeelus esse pœuales^;
el sic colligi polesl bumaauin geaus peccalo aliquo originaliier esse
infeclum.
Août 1863.1 KT DU PÉCHÉ ORIGINBL. H9
plus difficile ; que nous méritons, en naissant, la privation des
secours mêmes que Dieu nous devrait dans l'état de nature;
que la chute nous a rendus les esclaves du démon, et lui a
donné plus de pouvoir pour tenter. Notre intention n'est pas
de faire maintenant la critique de ces opinion?, contestées,
sauf la dernière, par des théologiens éœinents; ce que nous
tenons à dire, c'est qu'elles ne sont pas nécessaires pour sauver
la preuve expérimentale du péché originel, et qu'il suffit pour
cela de la distinction entre nudus- et spoliatus. Supposez dans la
même misère deux familles : l'une qui, de temps immémorial,
n'a point connu d'autre sort ; l'autre qui vient d'être précipitée
d'une position brillante par une sentence royale : quelle inéga-
lité d'infortune dans des privations identiques ! Or, l'homme,
dans l'état de pure nature, serait un malheureux ignorant son
malheur ; tandis que l'homme réel est un grand seigneur
ruine, un ministre destitué, un prince détrôné, un français
exilé. De là cette crainte dont parle Bossuet dans un sermon
pour le jour de Noël; de là ce regret, ou, comme on voudra
l'appeler, souvenir, désir, malaise, aspiration, dont on retrouve
les traces non seulement dans l'histoire, mais dans l'âme, et
q^i suffit ù conclure avec le grand écrivain et penseur, que
l'homme est plus inconcevable sans le- péché originel, que ce
mystère n'est inconcevable à l'homme.
C. Berton,
Cban. hon. d'Amient et de Perpignan.
ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSVS
Par M. REIVAIV.
Deuxième article.
§ IV. — M. Renan et les PROPHÉnEs messianiques.
C'est avec une véritable tristesse que nous continuons cette
étude. Fouiller dans cet amas dlncohérences, de contradic-
tions et de divagations, pour en extraire ce qui peut ressem-
bler à une théorie; respirer d'une manière suivie ce fumet
d'impiété qu'exhale chaque page, chaque ligne, et le faire
respirer à nos lecteurs, c'est une tâche pénible et ingrate.
Nous y renoncerions, et nous pensons que tous les écrivains
catholiques qui s'en sont occupés y auraient renoncé, si cette
étude n'avait pour but que de convaincre M. Renan person-
nellement. On ne cherche pas à ouvrir le* yeux à celui qui,
pour les soustraire à l'influence de la lumière, s'est aveuglé
volontairement. Mais il est bon, comme le dit admirable-
ment M. Freppel, d'examiner ce que l'incrédulité moderne a
su produire de plus fort en France; et il est possible que la
profondeur même de l'abîme que nous cherchons à sonder,
ouvre les yeux à quelques esprits qui résistaient jusqu'ici à
d'autres preuves.
Les prophéties concourent avec les miracles pour former la
grande preuve de la mission diviue de Jésus-Christ. Le Sau-
veur était annoncé depuis l'origine. Dieu avait souvent parlé
aux prophètes en diverses manières, et avait fait connaître
AoiiM863.! ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS PAR M RENAPT. ^ 54
par eux Celui qui devait être l'atleute des nations et le salut
du genre humain. L'accomplissement de ces prophéties
devait nous faire reconnaître la. mission divine de Jésus-
Christ; et pour empêcher qu'elles ne pussent être déna-
turées. Dieu leur a imprimé un caractère d'authenticité
irréfragable en les confiant aux mains des Juifs. Que va
faire M. Renan eu face des prophéties? En appellera-t-il de
nouveau à Messieurs les Académiciens? Ils pourraient opérer
ici en plein, et nous ne pensons pas que l'Académie des in-
scriptions et belles-lettres trouve jamais une tâche plus noble
et plus excellente à remplir. Mais, comme cet appel devient
possible ici, M. Renan s'en abstient, et il procède comme
pour l'histoire évaugélique : il nie, il dénature, il invente, et
nous présente une histoire à la hauteur de ses conceptions.
Or, la manière dont il traite les prophéties nous semble tout
simplement inepte. Les indications que nous allons donner
montreront que le terme n'est pas trop dur.
Toute l'histoire des Israélites est une grande prophétie de
Jésus Christ. On ne comprendra jamais l'existence de ce
peuple, singulier entre tous les autres, si l'on méconnaît l'at-
tente dont il était plein, et la continuelle intervention de
Dieu dans son histoire. Tout ce qui constitue l'originalité de
ce peuple est à la fois divin et symbolique. Or, à ce symbo-
lisme, il n'y a qu'une clef, et cette clef est Jésus-Christ, le
Roi des siècles, qui remplit également les temps qui l'ont pré-
cédé et ceux qui l'ont suivi. En se plaçant au centre même de
l'histoire de ce peuple, Jésus-Christ nous met daus l'impossi-
bilité de le regarder, Lui, sans étudier la mission des Israé-
lites ; et, en dispersant ces derniers dans le monde entier, Dieu
nous impose le problème de leur histoire. S'ils n'étaient partout
devant nous, autour de nous, il serait facile de les ranger
parmi les mythes; mais comment y aurait-il des Juifs, s'il n'y
en avait pas eu au temps de Jésus-Christ, et comment y en
aurait-il eu à cette époque et auparavant, si toute leur his-
toire n'était surnaturelle ?
132 ÉTCDE SUR LA VIE I>E JÉSUS |Toi!ieVllI.
M. Renan essaiera donc de résoudre ce problème : « Les
Sémites, dit-il, éprouvaient une forte antipathie pour les
cultes voluptueux de la Syrie... D'antiques rapports avec l'E-
gypte ne firent qu'augmenter leur horreur pour l'idolâtrie. »
Signé : Ernest Renan. Si M. Renan n'abandonnait son appel à
l'Académie dans la question des prophéties, nous serions dé-
sireux de connaître le jugement qu'elle porterait sur cette dé-
couverte, 11 est vrai qu'il en dissimule la nouveauté avec une
rare modestie en employant le terme sémitique : les Beni-
hraël, au grand dépit de ceux qui mettent en suspicion son
savoir hébraïque. Mais la justice veut qu'il en reçoive et qu'il
en garde le bénéfice. Car, si nous avons bonne souvenance,
cette forte antipathie contre les cultes voluptueux de la Syrie
n'empêchait pas de fréquentes rechutes des Beni-lsraël dans
ce que ces cultes avaient déplus im[iieetde plus voluptueux.
Leurs antiques rapports avec l'Egypte n'empêchèrent pas l'a-
doration du veau d'or au lendemain de la captivité subie daûs
ce pays. La répulsion que constate M. Renan existait tout en-
tière dans la loi, et elle trouvait place dans les cœurs selon la
mesure de leur fidélité à cette même loi ; mais elle ne tenait
nullement au sémitisme. Le peuple hébreu n'a été mono-
théiste que par suite de la continuelle intervention de Dieu
dans son histoire et dans ses destinées. Toutes ces choses sont
si élémentaires, que nos enfants les savent dans les écoles pri-
maires.
Le deuxième principe explicatif de l'histoire des Juifs erst
celui-ci : « Le caractère qui distingue essentiellement Israël
entre les peuples théocratiques, c'est que le sacerdoce y a
toujours été suboidonné à l'inspiration individuelle. Outre le
sacerdoce, chaque tribu nomade {sic) avait son iiabi ou pro-
phète, sorte d'oracle que l'on consultait pour la solution des
questions qui supposaient un haut degré de clairvoyance. »
Évidemment, M. Renan subit la prétendue loi qu'il a formulée
p. xxxii : « Nos souvenirs se transforment avec tout le reste ;
Août 1853.1 PAR M. RENAR. 153
l'idéal d'une personne (ou d'une histoire) que nous avons
coxmue change avec nous. » Il ne voit plus aujourd'hui les
prophètes qu'à travers son prisme. C'est lui qui prétend sub-
ordonner à son inspiration individuelle tous les trésors de
vérité et de sainteté confiés au sacerdoce, et le rôle auquel il
aspire est celui de nabi au milieu des Béni- Voltaire. L'histoire
qu'il fait à leur manière, il l'appelle lui-même une vision :
«Je fixai en traits rapides l'image qui m'était apparue, et il
eu résulta cette histoire (p. liv). » Or, il y a entre les nabis
anciens et les nabis modernes plusieurs différences essen-
tielles.
La mission de prophète était, chez les Israélite?, une mis-
sion extraordinaire, surnaturelle. Pour avoir autorité de pro-
phète, il fallait donner, pour preuve de cette mission, comme
au temps de Jésus-Christ, des miracles et des prophéties, et
ces dernières ne servaient de preuve qu'autant qu'elles se
réalisaient dans les circonstances annoncées à l'avance. M.
lîenau n'a aucune prétention de ce genre.
11 y a une deuxième différence où il voudrait trouver une
ressemblance. Il appelle les prophètes des « défenseurs de
l'ancien esprit démocratique, ennemis des riches, opposés à
toute organisation politique. » Non, les Beni-Israël ne con-
naissaient pas ce produit tout moderne qui s'appelle l'esprit
démocratique. A entendre M. Renan, ou dirait que le genre
humain n'a pas fait de progrès depuis trois mille ans. Il se
trompe. Entre les prophètes et les démocrates modernes, il y a
la difîféreuce du tout au tout. La liberté que défendaient les
prophètes, c'était la liberté que l'on trouve dans l'observation
de la Loi divine ; mais ils étaient grands adversaires de plu-
sieurs libertés qu'affectionne l'esprit démocratique. Ils étaient
d'implacables ennemis de ceux qui s'emparaient du bien d'au-
trui, des princes qui opprimaient leurs sujets, des sujets el
des princes quand les uns et les autres se séparaient du sacer-
doce et s'éloignaient de la Loi divine; et si quelqu'un avait
154 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VllI.
parlé aux Beni-Israël d'une « loi ou thora, très-anciennement
écrite sur des tables de métal {sic), et que ceux-ci rapportaient
à leur grand libérateur Moïse, » nul doute que les nabis
n'eussent fait mettre hors la loi l'audacieux qui aurait produit
pareille nouveauté.
Que de confusions, de négations, d'inventions entassées
dans ces quelques pages où M. Renan esquisse à grands traits
l'histoire du peuple juif. Nous ne nous rappelons avoir vu
pareil amalgame qu'une fois en notre vie^ dans les discours
que l'éminent auteur de Fabiola met dans la bouche du rhé-
teur Calpurnius. Eu les relisant, nos lecteurs se feront une
idée de cette manière de refaire l'Ancien Testament qui place
l'origine du Peutateuque à l'époque d'Ezéchias, de Josias ou
de Jérémie, la fait dériver à la fois et des croyants forcenés qui
provoquaient sans cesse des violences contre tout ce qui s'é-
cartait du culte de Jéhovah, et d'une forte tendance vers les
questions sociales. Grâce à cette double origine, M. Renan
signale dans le Pentateuque « un zèle inconnu à la grossière
simplicité des juges, et des tons de prédication émue. »A par-
tir do celte création du volume sacré, il voit « l'histoire du
peuple juif se dérouler avec un entraînement irrésistible, et
les rêves religieux l'agiter avec une sorte de passion sombre...
Les psaumes écloseut de ce piéiisme exalté, etc.»Nous savons
bien que M. Renan n'est pas l'inventeur de tous ces rêves qui
sont éclos dans des tètes allemandes; mais il est pitoyable
qu'un homme qui prétend à une réputation de savant,
vienne se faire en France l'écho de ces pauvretés.
Le caractère général des prophéties n'échappe pas à M. Re-
nan : « De bonne heure, dit-il, les prophètes annoncèrent des
espérances illimitées, et quand le peuple, en partie victime
de leurs conseils impolitiques, eut été écrasé par la puissance
assyrienne, ils proclamèrent qu'un règne sans bornes lui était
réservé ; qu'un jour Jérusalem serait la capitale du monde en-
tier, et que le genre humain se ferait juif. Jérusalem et son
Aoirtl8v3.1 PAR M. RENAN. 155
lemple leur apparurent comme une ville placée sur le sommet
d'une montagne, vers laquelle tous les peuples devaient accou-
rir, comme un oracle d'où la loi .universelle devait sortir,
comme le centre d'un règne idéal, où le genre humain, pacifié
par Israël, retrouverait les joies de l'Eden (p. 7). » Il y a sans
doute ici deux grosses inexactiludes à mettre dans la collec-
tion des Mensonges historiques ; car Israël ne tomba ni sous le
joug assyrien, ni sous un autre joug quelconque, que pour
avoir transgressé sa thora, et méprisé les avis fort politiques
de ses nabis. En outre, plusieurs de ces prédictions sont anté-
rieures et à la domination assyrienne et à toute autre domina-
tion. Abraham, Isaac, Jacob, avaient plusieurs fois entendu de
la boL'-che uième de Dieu, que toutes les nations seraient bénies
en leur nom. Jacob avait appelé le « Désiré des nations, l'at-
lente des nations, etc. » Mais les prophéties que M. Renan
admet sont suffisantes. Le « règne sans bornes n'est-il point
le règne de Jésus-Christ, qui depuis dix-huit cents ans continue
toujours de grandir? Jérusalem n'est-elle pas la montagne
sainte, principe de ce règne idéal (M. Renan met souvent idéal
pour divin) où « le genre humain, pacifié par Israël, retrou-
vera les joies de l'Eden ? » Les visions des prophètes se sont
donc réalisées dans leur caractère général, et elles viennent
donner un éclatant démenti à tous les efibrts de* l'impiété ger-
manique ou française. Mais, à mesure qu'elles deviennent plus
précises, elles sont plus gênantes. C'est ce que nous remar-
quons surtout pour les prophéties de Daniel.
M. Renan revient sur ces prophéties à chaque page de son
livre, et chaque fois qu'il en parle, ses idées se mêlent et se
confondent d'une manière étrange. 11 parle de a l'auteur
inconnu du livre de Daniel; » c'est comme si l'on disait l'auteur
inconnu des œuvres de M. Renan. Il fait éclore « cette première
apocalypse sous le règne d'Antiochus Epiphane. » Or, Antio-
chus Epiphane mourut l'an 164 avant Jésus-Christ, et dès 332,
au rapport de Josèphe {Antiq. xi, 8, 5), le grand-prêtre Jaddus
4.j6 ÉTUDE Slill LA VIE DE JÉSUS iTomo VIII.
avait apaisé la colère d'Alexandre en déroulant devant lui les
prophéties où Daniel avait annoncé sa venue et ses succès en
Asie. « Le livre de Daniel, poursuit M. Renan, fournit la mise
en scène et les termes techniques du nouveau messianisme, n
Or cette mise en scène consiste premièrement dans l'histoire
anticipée des empires qui viendront s'écrouler aux pieds de
l'empire de Jésus-Christ, empire d'Assyrie, empire des Perses,
empire des Grecs, empire des Romains, « empires qui dispa-
raîtront comme la paille que le vent emporte, pour faire place
au royaume qui subsistera éternellement, et qui remplira toute
la terre. » Cette mise en scène consiste, en second lieu, à nous
annoncer que cet empire sera l'empire du « Fils de l'Homme
que serviront tous les peuples, toutes les nations et toutes les
langues, dont la puissance est éternelle et le royaume impé-
rissable. » Elle consiste troisièmement à nous raconter qu'à la
mort violente du Messie, du Saint des Saints, se rattacheront
et la cessation des sacrifices, et la vocation des Gentils, et
le rejet du peuple qui était jusque-là le peuple de Dieu. Elle
consiste quatrièmement à marquer d'avance la date précise de
ces événements, au milieu de la soixante-dixième semaine
d'années qui s'écoulera depuis l'ordre donné par Artaxerxès
pour la reconstruction du temple. Qu'importe, après cela, au
point de vue de la prédiction messianique, que le livre de Da-
niel ait été écrit au temps d'Antiochus ou pendant la captivité
de Babylone? Les événements n'étaient pas plus faciles à pré-
voir, ni les dates plus faciles à préciser à l'une de ces époques
qu'à l'autre. La mise en scène reste telle que Dieu seul a pu
en être l'auteur, et Terreur de date de M. Renan s'explique
en supposant qu'il a bien retenu, de son cours d'exégèse de
Saint-Sulpice, les objections, mais non les réponses.
Non, il ne sert de rien de rajeunir de mille ans le Penta-
teuque, de ranger parmi les mythes les trtMs quarts de l'Ancien
Testament, de rapetisser et de méconnaître le rôle, l'inspiration
et la mission des prophètes, d'élaguer de leurs livres ce qui
Août 1863.] PAR M. RENAN. 187
déplaît, de leur assigner des dates au hasard, de parler ée
l'esprit prophétique du sémite, et de se jouer dans ces néga-
lions, dans ces aflQrmations et dans ces altérations, avec un
sans-gène imperturbable. Le problème n'en reste pas moins
insoluble pour « qui fait abstraction du surnaturel. » Car
M. Renan ne peut nier qu'au moment de la venue de Jésus-
Christ « ['attente était à son comble; que de saintes personnes
passaient leur vie autour du temple, jeûnant, priant, pour
qu'il plût à Dieu de ne pas les retirer du monde sans avoir vu
raccomplissemeut des espérances d'Israël; qu'on sent une puis-
sante incubation proche de quelque chose d'inconnu (p. 18).»
Il avoue, de plus, que ce qu'il appelle « un mélange confus
de claires vues et de songes, de déceptions et d'espérances,
trouve son interprète dans l'homme incomparable qui, b etc.,
c'est-à-dire dans Jésus-Christ. Or, quand même les prophé-
ties ne s'étendraient pas plus loin que ce que M. Retiau daigne
nous accorder, nous devrions conclure que Jésus-Christ est le
Messie, l'Envoyé de Dieu, que nous devons écouter.
En effet, l'événement dont la prédiction forme le caractère
général des prophéties, sort lui-même de toutes les lois de
l'histoire, et inaugure à lui seul une histoire toute nouvelle.
Ce renouvellement du monde était attendu, à l'époque de Jé-
sus, et dans la Judée, et dans tous les autres pays, comme
devant venir de la Judée. 11 avait été annoncé longtemps à
l'avance avec ses suites, ses circonstances et à date fixe. Il doit
donc y avoir et pour cet événement, et pour l'attente et les
prédictions qui s'y rapportent, une cause supérieure et aux
lois ordinaires du monde, et aux prédictions possibles de
l'homme; or cette cause ne peut se trouver que dans une
double intervention divine. Donc l'homme qui se présente à
jour fixe, qui remplit cette attente, et qui crée ce monde nou-
veau, est l'Envoyé de Dieu, le Messie qu'il faut écouter. En
rf'jelaut ce résultat, M. Renan refuse de voir, et se met abso-
lument en dehors de l'esprit scientifique. Plusieurs fois déjà,
^58 ÉTUDB SDR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
nous sommes arrivés à cette conclusion ; nous y arriverons
plus d'une fois encore.
Si maintenant nous entrons dans l'examen de quelques pro-
phéties plus précises, nous trouverons la méthode de M. Re-
nan plus surprenante encore. Les Mages do l'Orient apprennent
des prêtres et des scribes que le Messie doit naître à Belhléliem;
or, c'est à Bethléhem que naît Jésus. Les monuments publics
en font foi. Circonstance remarquable! Qui pouvait prévoir que
le renouvellement du monde se ferait par un enfant né à Be-
thléhem? M. Renan dit tout simplement que «la naissance de
Jésus à Nazareth était de notoriété publique (p. 239). » Mais
l'histoire, mais le voyage de Marie à Bethléhem, mais le re-
censement ordonné par Cyrinus? M. Renan n'est pas embar-
rassé pour si peu. Il appelle ce récit des Evangiles « des lé-
gendes inventées pour le faire naître à Bethléhem; » mieux
que cela, « un tour par lequel on rattache son oriaine béthlé-
hémite au recensement de Quiriuius. » N'admirez-vous pas,
amis lecteurs, la prestesse du tour que joue ici M. Renan? Car
nous ne saurions qualifier par un terme plus juste que celui
qu'il emploie, le procédé à l'aide duquel il escamote ce récit
des ÉvaugileSo
Les prophètes avaient prédit que le Messie serait « Fils de
David, » et Jésus ne pouvait prétendre (slyle Renan) au titre
^e Messie, s'il n'était point reconnu pour tel. Or, cette descen-
dance de Jésus est prouvée par la double généalogie que
donnent de lui saint Matthieu et saint Luc. M. Renan, fidèle à
son procédé, les appellera des « généalogies fictives, » et le
tour sera joué. D'ailleurs, dit-il pour rassurer le lecteur trop
scrupuleux, « pour le galiléen idéaliste, le titre de Fils de Da-
vid était suffisamment justifié, si celui à qui on le décernait
relevait la gloire de sa race et ramenait les beaux jours
d'Jsiaël. » Mais vous n'y prenez point garde, Monsieur. Nous
vous contesterons sans doute moins qu'à personne le droit de
délivrer le brevet d'idéalisme aux Galiléens, bien que jusqu'ici
Août 1863. PAR M. RENAN. 159
ces deux idées se soient peu assimilées dans la langue de
l'histoire; mais cela ne suffît pas. Il y avait aussi les prêtres,
les scribes et les pharisiens de Jérusalem, moins idéalistes sans
doute, et qui pour cela même devaient rechercher tout d'abord
si la prétention de descendre de David était fausse, ou pour le
moins vaine. La preuve leur était sans doute plus facile qu'à
vous, et leur bonne volonté ne le cédait pas à la vôtre, puis-
qu'ils subornèrent de faux témoins pour faire mourir Jésus-
Christ. 11 ne pouvait leur échapper plus qu'à vous que l'on
ôterait à Jésus tout son prestige, en démontrant qu'il n'avait
aucun titre à se dire Fils de David. Us ne le firent point. N'en
conclurez-vous donc rien? Ce silence des ennemis n'est-il pas
une preuve à vos yeux? Si au moins ils avaient émis un de ces
« doutes discrets » que vous aimez tant! Si au moins vous
aviez pu leur inspirer cette idée lumineuse que la population
de la Galilée, étant à cette époque c< fort mêlée, comme le nom
même du pays l'indique, il était impossible de soulever ici
aucune question de race, et de rechercher quel sang coulait
dans les veines de Celui qui a le plus contribué à effacer dans
l'humanité les distinctions du sang (p. 22)? » Peut-être cela
eùt-il suffi pour convaincre d'imposture les récits évangéliques
dès l'origine, et cette peine vous serait épargnée aujourd'hui !
Mais nous avouons que malgré cette « observation fine » où se
montre l'esprit pénétrant du professeur d'hébreu, il nous reste
un « doute discret. » Comment les évangélistes eussent-ils pu
donner, comment eussent-ils fait accepter au public, des gé-
néalogies de Jésus remontant jusqu'à David, s'ils n'avaient pu
s'appuyer sur des monuments publics dans lesquels chacun
pouvait puiser pour contrôler les faits ?
Tout le cycle des prophéties qui se rattachent à la personne
du Précurseur, n'est pas mieux traité. Les mots de légende, on
raconta, font ici l'office de baguette magique. Vous voyez ces
prophéties, vous entendez le témoignage de Jean la première
fois qu'il voit le Sauveur, vous savez que Malachie avait prédit
5 GO ÉTlJDB SUR LA VIE DE JÉSUS [TomeVUI.
plus de quatre cents ans à l'avance la venue du Précurseur, etc.
Tout ce magniûque tableau, M. Renan le touche de sa ba-
guette, il prononce les mots sacramentels ou cabalistiques :
légende, on raconte, et il n'en reste plus rien. Je me trompe, il
en reste trois choses ; 1° que saint Jean faillit détourner le
Sauveur de sa mission, et que le meurtre du Précurseur rendit
très-heureusement Jésus à lui-même; 2° que Jésus n'apprit
qu'une chose à l'école de saint Jean, savoir, à bien prêcher;
3" que saint Jean douta de la mission de Jésus. A-l-on jamais
vu sur aucun théâtre du monde, un changement de scène plus
merveilleux? M. Renan n'a-t-il pas appelé la chose par son
nom, en prononçant discrètement le mot de toui^?
La grande prophétie d'Isaïesurles soufifrances de Tllomme-
Dieu se refusait à l'application du même système. Aussi
est- elle traitée moins cavalièrement. M. Renan la cite in ex-
tenso comme un modèle du genre, « où toute la force prophé-
tique du génie d'Israël sembla concentrée (p. 8). » — « Acca-
« blé d'opprobres, délaissé des hommes, tous détournaient de
« lui la face ; couvert d'ignominie, il comptait pour un néant.
« C'est qu'il s'est chargé de nos souffrances, c'est qu'il a pris
« sur lui nos douleurs. Vous l'eussiez pris pour un homme
« frappé de Dieu, touché de sa main. Ce sont nos ciimes qui
« l'ont couvert de blessures, nos iniquités qui l'ont broyé; le
« châtiment qui nous a valu le pardon a pesé sur lui, et ses
« meurtrissures ont été notre guérison. Nous étions comme
« un troupeau errant; chacun s'était égaré, et Jéhovuh a dé-
« chargé sur lui les iniquités de tous Mais, du moment
« qu'il aura offert sa vie, il verra naître une postérité nom-
(( breuse,et les intérêts de Jéhovah prospéreront dans sa main.»
Telle est la grandeur de ce tableau, que M. Renan le traite
avec un certain respect. Il y reconnaît des o accents inconnus
qui exaltent le martyre et célèbrent la puissance de l'Homme
de douleurs. » Cette explication est fausse et incomplète. Le
martyre est un témoignage rendu à la vérité : il n'est pas
Août 1^63. ! PAn M. RENAN. ^6^
autre chose. Quel martyr a jamais pu se charger de nos souf-
frances, prendre sur lui nos douleurs? Quel martyr a jamais
été couvert de blessures par nos crimes, broyé par nos ini-
quités ? Que M. Reuan nous dise le nom de cet Homme de
douleurs dont le châtiment nous a valu le pardon, dont les
meurtrissures ont été notre guérison ! Le mystère du sacrifice
de Jésus-Christ est exposé ici dans toute sa grandeur, car
c'est de l'expiation universelle qu'il est question. Les mêmes
pages nous parlent de la vocation générale de tous les hommes
à une même loi, à une même foi, à un même amour de Jého-
vah. Or, voici que cflui qui répandra le culte du vrai Dieu sur
la terre nous est montré comme le plus humilié, le plus
souflfrant des hommes; il nous est représenté comme sortant
du cadre ordinaire de l'humanité' avec une génération que la
langue humaine est impuissante à exprimer. Qnel est « l'ins-
piré » qui a vu toutes ces choses de si loin? Car ce mystère
pénètre dans toutes les profondeurs du christianisme. 11 a
fallu, pour écrire celte page, connaître plusieurs siècles à
l'avance (i) ce travail de la propagation de l'Évangile qui se
continue depuis dix -huit siècles. Il a fallu éclairer d'un
flambeau divin celti; nuit des temps futurs où ces événements
devaient s'accomplir, pour raconter le drame du Calvaire avec
la précision d'un témoin oculaire. Il a fallu monter plus haut,
entrer dans les conseils éternels de Dieu qui « a aimé le monde
au point de lui donner son Fils unique, » -seule victime ca-
pable de «nous valoir le pardon, de guérir nos meurtrissures.»
Vous dites bien que ce cantique sur les souffrances et le
triomphe du Serviteur de Dieu est d'un inspiré; mais quel est
ce genre d'inspiration qui voit si loin, avec tant de précision,
avec tant de profondeur? M. Renan, qui ne croit pas à la di-
vinité du Sauveur, u'est-il pas surpris de trouver que l'inspirt?
(1) M. Renan n'adniei pas que celle proj hélie soit d'Isaïe ; il l'at-
tribue à un « iûspiré » d'une époque plus récente.
Revue des Sciences ecclésiastiques, t. viii. H-12.
^62 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIIU
de l'ancienue loi parle comme saint Jean d^une génération
inénarrable ?
Il passe à côté de ce tableau d'une incomparable grandeur
sans même paraître en soupçonner la divine et saisissante
portée. Cet aveuglement lui serait-il infligé comme punition
du mépris avec lequel il traite les prophéties en général ?
§ V. — L'Incarnation.
Lorsque saint Jean nous raconte la génération éternelle du
Fils de Dieu et sa venue sur la terre, il désigne sous le nom de
ténèbres les hommes qui ne comprirent point cette révélation
de Dieu. La justesse de cette expression se comprend admira-
blement quand on étudie M. Renan, Pour comprendre la vé-
rité, il faut écouter ceux qui rendent témoignage de la vérité.
Or, Jésus-Christ fut précédé du témoignage de Jean le Précur-
seur, et ce témoignage nous l'avons vu indignement repoussé :
Jean à qui les Juifs obéissaient, que les pharisiens craignaient,
devant qui Héroi'e tremblait, Jean n'est pour M. Renan qu'un
chef d'école, et Jésus, à qui Jean rend témoignage, n'est aussi
qu'un chef d'école. Ces deux chefs d'éeole se prodiguent
devant le public des témoignages de respect et d'attention,
tout comme M. Renan à M. Littré, et M. Liltré à M. Re-
nan ; mais M. Renan ne sait au juste si c'est Jésus qui recule
devant Jean, « que nous nous représentons comme un vieil-
lard, » ou si c'est Jean qui s'incline devant Jésus « soleil le-
vant. »
Il écarte de même le témoignage qu'invoque Jésus : x Si
vous ne voulez me croire, moi, croyez à mes œuvres. » Ces
œavres sont nulles aux yeux perspicaces de M. Renan, car
lorsqu'elles ne sont pas le produit de légendes populaires, elles
ne sont que des jongleries, ou des traits de folie et d'halluci»
nation. Il ne croit pas ce qu'ont dit les prophètes, et, après
avoir ravalé la dignité de leur mission, il détourne les pro-
Août 18G3.1 TAR M. RENAN. -163
pliéties de leur sens, et prétend que la grande préoccu-
pation de Jésus était de s'en attril)uer le bénéfice. Enfin,
ce sens divin qui nous révèle la divinité de Jésus-Christ, il
l'enterre profondément, car « il faut faire abstraction du sur-
naturel. » C'est ainsi qu'il éteint successivement toutes les lu-
mières que projette la révélation divine dans notre esprit, il
devient ténèbres, et nous voyons se vérifier cette parole de l'É-
vangile : Et tenebrx cam non comprehendei^unt !
11 va plus loin. Non-seulement il renonce à toute lumière
surnaturelle, mais, pour enlever plus sûrement au Sauveur sa
gloire de Fils de Dieu, il lui refuse la lumière naturelle de nos
âmes, la lumière de la raison. Si nous comprenons bien M. Re-
nan, Jésus ne connut pas « la doctrine, dite spiritualiste, qui
coupe l'homme en deux parts, le corps et Tâme, et trouve tout
naturel que, pendant que le corps pourrit, l'àme survive (p. 51
et 55). » Nous ne savons non plus au juste si Jésus crut à l'im-
mortalité de l'âme que l'on commençait alors à croire à cause
des persécutions des justes. M. Renan expose ces doctrines
d'une manière assez confuse en disant qu" « elles étaient en
l'air et que l'àme de Jésus en fut de bonne heure pénétrée. »
Mais, où ses hésitations l'abandonnent, c'est quand il prête
son panthéisme au Sauveur,
Oii donc a-t-il lu que « le Sauveur n'ait pas eu conscience
de son individualité? » Le Sauveur nous parle à chaque page
de l'Évangile de son union avec son Père et de son union
avec nous. Mais nulle part il ne donne lieu de confondre sa
personne ni avec celle de son Père ni avec la nôtre. Même
dans les pages où l'unité de sa substance avec celle de son
Père est le plus formellement exprimée, la distinction des per-
sonnes est maintenue avec une rigueur absolue. L'affirmation
de M. Renan n'est pas seulement gratuite, elle est en opposi-
tion avec tous les textes. Nous le défions hardi meut lui, tous
ses prédécesseurs et tous ses successeurs, de trouver la moindre
trace de panthéisme, ni dans les pages de l'Lvangile qu'il ad-
Jfi4 ÉTUDE SUR LA. VIE DE JÉSUS Tome VIII.
met, ni dans celles qu'il rejette ; nous le défions d'y trouver le
moindre mot qui rautorise à dire : « Pour Jésus la nature et
le développement de l'humanité n'étaient pas des règnes limi-
tés en dehors de Dieu... II n'y avait pas pour lui de surnaturel,
car il n'y avait pas de nature (p. 246). »
Un moment M. Renan semble vouloir laver Jésus de la tache
du panthéisme, et c'est alors qu'il le lui impute le plus forte-
ment: « Pour bien comprendre la nuance de la (liéié de Jésus,
dit-i!, il faut faire abstraction de ce qui s'est placé entre l'E-
vangile et nous. Déisme et panthéisme sont devenus les deux
pôles de la théologie... En rapetissant Dieu, et en le limitant
en quelque sorte par l'exclusion de tout ce qui n'est pas lui, on
a étouffé au sein du rationalisme moderne tout sentiment
fécond de la divinité. Si Dieu, en effet, est un être déterminé
hors de nous, la personne qui croit avoir des rapports parti-
culiers avec Dieu est un visionnaire... La plus haute conscience
de Dieu qui ait existé au sein de l'humanité a été celle de Jé-
sus (p. 74 et 75). » Si, en effet, la notion d'un Dieu distinct
du monde exclut nécessairement la croyance des rapports in-
times avec la divinité, il faut bien admettre que Jésus a été
panthéiste. Si réellement la conscience de Dieu existe au sein
de l'humanité, et que Jésus ait eu cette conscience à un plus
haut degré que les autres hommes, il faut admettre que Jésus
a été tout ce qu'il y a de plus panthéiste au monde, et nous
ne comprenons pas la difficulté qu'éprouve le panthéiste Re-
nan à comprendre la nuance de la piété de Jésus.
Mais il n'y a dans tout cela qu'une fantasmagorie absurde..
(Nous prenons le mot dans le sens de l'école.) Si nous avions
le malheur d'être panthéiste, nous ne voudrions pas nous pro-
clamer les disciples de Jésus, car nous trouverions dans l'É-
vangile la plus haute condamnation du panthéisme. C'est la
coudamnalion portée non point au nom de la raison, de la
Science et de la philosophie, mais par l'apparition dans la
chair du Dieu vivant, du Dieu personnel, dont le panthéisme
AOÙHS63.) PAR M. RENAN. 165
est la négation. Dans chacune des paroles, dans chacune des
actions, dans chacune des institutions de Jésus, nous retrou-
vons la manifestation de ce Dieu. Le Dieu de l'Evangile, c'est
le Dieu vivant et éternel, le Dieu qui commande à la nature
et aux éléments, le Dieu qui tue et qui vivifie, le Dieu qui dé-
roge aux lois de la nature, quand il lui plait et comme il lui
plaît. Pour affirmer avec M. Renan que « pour Jésus la nature
n'était pas un règne limité en dehors de Dieu, » il faut ou bien
mentir Fcierament à une vérité aussi éclatante que le soleil,
ou bien se trouver dans un étrange état intellectuel.
Tous ces préambules sont pourtant nécessaires à M. Renan
pour se dégager de la grande difficulté que rencontre le pré-
tendu historien rationaliste. Car, d'un côté, il avoue que« dès
ses premiers pas Jésus s'envisagea avec Dieu dans la relation
d'un fils avec son père, que là est son grand acte d'originalité,
et qu'en cela il n'est nullement de sa race (p. 77) . » D'un autre
côté il écrit : « Que jamais Jésus n'ait songé à se faire passer
pour une incarnation divine, c'est ce dont on ne saurait dou-
ter. » Nous nous trouvons placé en face de la question capi-
tale : Jésus est-il le Fils du Dieu vivant? ce dogme se trouve-
t-il dans son enseignement ? M. Renan affirme que non ; il
daigne nous donner des preuves de sa négation. Discutons-les.
« Une telle idée était profondément étrangère à l'esprit
juif. » Cette raison paraît peu sérieuse même dans la bouche
de M. Renan. 11 ne s'agit pas ici d'une fiction, d'un produit
de l'esprit juif: la divinité de Jésus, de l'Homme-Dieu, est un
fait unique et que l'on ne peut rejeter sous prétexte qu'il n'a
point de précédents et d'analogues ; il serait bien étonnant
qu'il en eût ! C'est là même ce qui prouve en faveur de son
caractère historique. Voyez, par exemple, ce qu'a produit
l'imagination indienne, et vous comprendrez la différence
entre l'histoire et le mythe.
Une deuxième raison est « qu'il n'y a nulle trgce de cette
idée dans les évangiles synoptiques. » Mais lorsque, dans
i ; il ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tomo MU.
saint Luc, l'ange annonce à Marie que « le saint qui naîtra
d'elle sera appelé Fils de Dieu,» M. Renan relègue cette parole
daus la légende de Jésus. Y relègue-t-il aussi cette autre pa-
role: «Toutes choses m'ont été données par mon Père. Et
nul ne connaît le Fils, si ce n'est le Père, et nul ne connaît le
Père si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le révé-
ler. » Cette parole se trouve dans les s3^nopliques ; elle est raêoïe
tirée des discours que M. Renan appelle si complaisamment
les Logia de Matthieu, et qui selon lui, forment le vrai texte
primitif de ce livre. S'il les met de côté comme tant d'autres
où la même vérité est énoncée, et uniquement parce qu'elle
s'y trouve, il lui sera facile de dire ensuite qu'il n'y a pas
dans l'Évangile un seul texte retatif à l'incarnation et <à la divi-
nité de Jésus-Chri&t ; mais nous-demandons à tout lecteur sé-
rieux, comment il faut qualitier de tels procédés? Du reste,
pour sa juste punition, M. Renan se verra condamné tout k
l'heure à donner lui-même un démenti catégorique à cette
seconde raison.
En troisième lieu, il dit que « parfois Jésus semble prendre
des précautions pour repousser une pareille doctrine. » Où
M. Renan a-t-il vu ces précautions? Nous l'ignorons ; mais
nous savons bien que, loin de repousser jamais pareille doc-
trine, Jésus a, daus toutes les circonstances, parlé et agi en
Dieu. Le passage allégué par M. Renan est celui où un chef
du peuple demande à Jésus : « Bon maître, que ferai-je pour
avoir la vie éternelle ? b Jésus lui répondit: « Pourquoi m'ap-
pelez-vous bon ? Dieu seul est bon. » Est-ce que Jésus prétend
ici n'être pas bon? est-cequ'il affirme n'être pas Dieu? Ni l'un
ni l'autre ; mais cet homme n'ayant pas encore la foi en la
divinité du Sauveur, Jésus lui reproche de lui donner, sans
le croire Dieu, un nom qui ne convientqu'àDieu. Si précaution
il y a dans ce passage, elle tend plutôt à repousser l'idée qu'il
n'est pas Dieu, que l'idée contraire.
Une quatrième raison est que « Jésus est fils de Dieu, mais
Aoûtl8(î3.] PAR M. RENAN. ' 167
tous les hommes le sont ou peuvent le devenir à des degrés
divers. » Il est regrettable, dans les rares moments où M. Renan
prétend donner des raisons, de voir se présenter la question
de bonne foi. Est-ce bien sérieusement qu'il prétend établir
une parité enire la manière dont nous sommes les fils de
Dieu, et la manière dont Jésus affirme qu'il l'est ? Nous ne le
pensons pas, car la cinquième raison dément la quatrième.
« L'accusation de se faire Dieu ou Tégal de Dieu est présen-
tée, même dans l'évangile de saint Jean, comme une calomnie
des Juifs.» M. Renan admet donc que les Juifs reconnaissaient
la grande originalité de Jésus qui se disait Fils de Dieu d'une
manière particulière. Mais nous croyons encore une fois qu'il
cherche à nous en imposer, car s'il est une vérité qui ressort
de Tévangiie de saint Jean, c'est celle de la divinité du Verbe
incarné. L'examen que nous allons faire du passage allégué
(c. V, V. 18 et suiv.) nous montrera dans l'exégèse de M. Renan
une grande affinité avec le délit connu sous le nom de faux en
écriture publique.
Si, dans le passage cité, Notre-Seigneur avait eu l'intention
de répondre non point aux Juifs, mais à M. Renan, il n'eût pu
la faire d'une manière plus implacable.
V. 18. Les Juifs cherchaient d'autant plus à faire mourir
Jésus, que uon-seulemeut il violait le sabbat, mais il ap-
pelait Dieu son Père, et se faisait égal à Dieu. [Ne voyez-;
vous pas, dit M. Renan, que l'évangéliste accuse, ici les Juifs
de calomnier Jésus?] Mais « Jésus répondit et leur dit:
49. « .... Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également.
20. « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait
lui-même : et il montrera des œuvres plus grandes encore
pour que vous les voyiez.
21. « Car de même que le Père ressuscite les morts, et
vivifie, de même le Fils vivifie ceux qu'il veut.
2-2. « Le Fère ne juge personne, mais il a donné tout le
jugement au Fils.
^(jS ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSL'S [Tome VIII.
23. « Afin que tons honorent le Fils comme ils honorent
le Père. Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père
qiii l'a envoyé.
24. « En vérité, en vérité ;, je vous dis que celui qui
écoute ma parole et croit à celui qui xn'a envoyé, a la vie éter-
nelle....
25. « Car de même que le Père a la vie en lui-même,
ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, elc, etc.
Voilà le passage par lequel M. Renan préleud prouver que
l'accusation de se faire Dieu ou l'égal de Dieu est présentée,
môme dans l'évangile de saint Jean, comme une calomnie des
Juifs. Évidemment il a une confiance entière dans son
système de renvois. Au bas de chaque page vous trouvez in-
diqués cinq ou six passages des Evangiles, passages qui ne
sont jamais reproduits ni dans le texte, ni dans la note. Le
travail de recourir au texte est trop fastidieux; donc il sera
permis de renvoyer à n'importe quel passage, môme à ceux
qui prouvent péremptoirement le contraire de ce qui est avancé
par l'auteur. Ce procédé dénote dans celui qui l'emploie peu
de respect pour lui-même, aussi bien que pour ses lecteurs.
Enfin, la grande raison d'éliminer de l'Évangile le dogme de
l'Incarnation est que Jésus est le Fils de son Père, comme
M. Renan est fils de l'abîme. « Dans sa poétique conception de
la nature un seul souffle pénètre l'univers : le souffle de l'homme
est celui de Dieu. » M. Renan use ici d'une rare discrétion;
nous ne trouvons pas, au bas de la page, la moindre petite note
pour nous renvoyer à un évangile quelconque. Il eût pour-
tant été facile de trouver plusieurs renvois aussi heureux que
la citation que nous venons d'examiner, et qui eussent prouvé
juste le contraire de ce qu'il avance. Puisque Jésus «croyait à
Satan qu'il regardait comme une espèce de génie du mal, » il
devait admettre au moins deux souffles dans l'univers. Pour-
quoi M. Renan n'en fait-il pas un dualiste? Il poursuit:
« L'idéalisme transcendant de Jésus ne lui permit jamais
AOÙH803.1 PAR M. RENAN. l&à
d'avoir une idée bien claire de sa propre personnalité : il est
SON PÈRE, ET SON PÈRE EST LUI !!! » La pi lime nous tombe des
mains en présence d'une telle audace. M. Renan nous fait ici
la même impression que si, en plein midi, au milieu du désert,
sous les rayons les plus vifs et les plus accablants du soleil, il
nous disait : Vous voyez, messieurs, qu'il fait nuit, et vous
sentez qu'il fait froid. Ah! qu'il nièce qui lui déplaît daus
l'Évangile, nous le comprenons ; qu'il prête à Notre-Seigneur
quelques-unes de ses propres idées, et qu'il le taille à sa façon,
nous le concevons encore. Mais introduire dans l'Évangile les
plus révoltantes conséquences du panthéisme, jusqu'à la for-
mule même de l'absurde, et mettre cette formule dans la
bouche de Jésus, c'est dépasser toutes les limites qu'il est dé-
fendu, même à M. Renan, de franchir.
Et cependant il ressort de ceci une consolante leçon. Pour
enlever à Notre-Seigueur, l'Évangile à la main, la dignité de
Fils éternel de Dieu, M. Renan n'est pas seulement obligé de
fouler aux pieds toutes les lois du respect: il faut encore qu'il
renonce à toutes les exigences de la logique et du bon S'^s.
11 trouve encore que les évaugélistes ne croyaient aucune-
ment à la divinité de Jésus: « Ils le font agir en pur homme
(p. 250).» Quelle preuve donne-t-il? « Il est tenté, il ignore bien
des choses, il se corrige, il est abattu, découragé, etc.. » Les
limites de notre travail ne nous permettent pas d'examiner en
détail cette longue tirade où le vrai se mêle au faux, et dans
laquelle une nuance générale d'impiété déteint même sur le
vrai. Mais accordons à M. Renan qu'être tenté, etc, dénote la
nature humaine ; qu'à son tour il confesse, avec les évaugélistes,
que commander à la nature, réaliser les prophéties, annoncer à
l'avance ce qui doit arriver est le propre de la nature divine,
et nous aurons la vérité complète. Nous aurons la figure vi-
vante de Jésus-Christ, qui ne s'est pas seulement montré Dieu,
mais homme, et qui dans son humanité a fait éclater la splen-
deur de la divinité. Nous adorerons Jésus, Dieu et homme à la
170 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome M.
fois, réunissant les deux natures, divine et humaine, dans l'u-
nité de sa personne divine.
M. Renan est-il convaincu que Jésus se regardait comme un
pur homme? Nous ne le pensons pas. La vérité lui échappe
malgré lui à travers ses mille ambages, tours et détours :
« Jésus franchissait d'un bond l'abîme, infranchissable pour
la plupart, que la médiocrité des facultés humaines trace
entre l'homme et Dieu (p. 247). » Qu'est-ce à dire? Cet abime
n'est-il pas infranchissable pour tous, ou bien les facultés hu-
maines, en devenant plus parfaites, le feront- elles disparaître?
Dans ce cas, cet abîme n'est absolument infranchissable pour
personne. C'est du panthéisme tout pur : V « abîme infran-
chissable » n'est plus même une simple ligne de démarcation.
. Mais celui qui nous sépare du Dieu de Jésus, du Dieu qui fait
des miracles, est infranchissable pour tout autre que pour
l'Homme-Dieu, et confesser que Jésus franchissait cet abîme,
c'est proclamer au moins que Jôsïis se considérait lui-même
comme Dieu et se faisait adorer comme t(4.
M. Renan ajoute : « On (je?) ûe nie pas qu'il y ait dans
ces affirmations de Jésus le germe de la doctrine qui devait
faire plus tard de lui une hfjpostase divine, en l'identifiant avec
le Verbe ou Dieu second, ou fils aîné de Dieu, ou ange mé
tatrôno que la théologie juive créait d'un autre côté. »
Cet aveu, malgré les sottises qui l'accompagnent, est la né-
gation complète de l'assertion citée plus haut, que Jésus n^a
certainement jamais songé à se faire passer pour une incarna-
tion divine. Eh quoi ! vous partagez les discours de Jésus en
deux parties. L'une de ces parties, vous la rejetez a priori, sans
aucun fondement ni rationnel ai historique, uniquement parce
qu'il vous plaît ainsi, afin d'échapper à la nécessité d'adorer
l'hjpostase divine, le Verbe de Dieu manifesté dans la cbair ;
et quant aux témoignages que vous conservez, parce que d'a-
bord ils vous ont semblé moins explicites, vous êtes obligé de
convenir que le germe de la même doctrine s'y trouve ren-
AoiU18i;3.! PAU .V.. lU.NAN. I7i
lermé ! Que pouvez-vous désirer de plus, si Jésus est réellement
Dieu ? Pouvait-il nous mieux l'aire counaître sa divinité qu'en
prononçant deux espèces de paroles dont les unes exprimaient
directement ce dogme tandis que les autres en contenaient le
germe ? Or, c'est le triage que vous faites vous-même, et vous
osez nous dire que certainement Jésus n'a jamais songé à se
faire passer pour une Incarnation divine !
Il y aurait donc un grand travail à faire pour M. Renan,
celui de se mettre d'accord avec lui-même. Mais comment le
pourrait-il quand tous ses soins se concentrent à mettre d'ac-
cord la doctrine chrétienne et le Talmud, et à nous prouver,
à nous chrétiens, que nos dogmes ne nous viennent nullement
de Jésus-Christ, mais des élucubrations des rabbins ! Nous qui
croyons, nous sommes à ses yeux des talmudistes ; lui qui a
cessé de croire d'une manière absolue, il est le vrai chrétien !
La doctrine de la sainte Trinité, qui n'est que pauvrement in-
diquée dans l'Évangile, il la trouve vivante dans l'esprit sémi-
tique de celle époque, lien est de même de l'Incarnation.
« Une sorte de besoin amenait cette théologie, pour corriger
rextrème rigueur du vieux monothéisme, à placer auprès de
Dieu un assesseur autjuel le Père éternel est censé déléguer
le gouvernement de l'univers. La croyance que certains hom-
mes ont des incarnations de facultés ou de puissances divines,
était répandue.,. C'était le germe du procédé qui a engendré
les Sephiroth de la Cabbaie, les ^Eons du Gnotiscisme, les
hypostases chrétiennes, toute cette mythologie sèche, consis-
tant en abstractions personnifiées, à laquelle le monothéisme
est obligé de recourir quand il veut introduire en Dieu la mul-
tiplicité (p. 248). »
Nous demandons pardon à nos lecteurs de mettre sous leurs
yeux ces lignes où la crudité du blasphème le dispute à l'inep-
tie des rapprochements et à l'ignorance radicale du sujet
traité !
M. Renan sait-il que les hypostases chrétiennes sont trois
472 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
personnes distinctes l'une de l'autre, mais participant toutes
trois à une même nature, qui est la nature divine elle-
même?
Sait-il que la doctrine des cbréliens sur Trinité n'est pas
moins monolliéisie que celle des Israélites sur Jéhovah ?
Sait-il que les vestiges du mystère de la sainte Trinité se
trouvent dans tout l'Ancien Testament, non-seulement dans
les derniers liVres, mais dans tous, depuis le premier jusqu'au
dernier ?
Sait-il que les livres qu'il fait remonter à deux siècles
avant Jésus-Christ, se trouvaient dans le canon des Juifs
plus de quatre cents ans avant la naissance du Sauveur?
Sait-il qu'entre les Éons du gnosticisme et le mystère de la
sainte Trinité, il y a la même ressemblance qu'entre sa Vie
de Jésus et les récits des Évangélistes, c'est-à-dire aucune ?
Sait- il que ces mêmes Éons sont postérieurs et non contem-
porains à l'époque où vécut Jésus-Christ, et que ces rêves sont
sortis, non du besoin de corriger un monothéisme trop rigide,
mais de l'opposition à la vérité des trois hypostases divines,
dont l'une s'est incarnée ?
Sait-il que les Sephiroth Je la Cabale ne procèdent pas
plus que les Éons des gnostiques, du besoin de corriger un
monothéisme trop rigide, et que les Juifs, avec tous leurs
Sephiroth, sont demeurés aussi monothéistes que par le
passé ?
Sait-il que Simon le Magicien n'essaya de se faire passer
pour la vertu de Dieu, chez les Samaritains, après l'Ascension
du Sauveur, que pour attirer sur sa personne quelque chose
du culte que la prédication d'une hypostase divine incarnée
procurait à Jésus-Christ? Et, sait-il ce qu'il en advint?
S'il voulait ouvrir les yeux à la lumière, il verrait dans tout
ce travail éonique les efforts impuissants que fit l'esprit des
ténèbres pour obscurcir le mystère de la Trinité et celui de
l'Incarnation. Et s'il voulait évoquer quelques souvenirs de ses
XoûH863.j PAR M. RENAN. ^73
années passées, s'il consentait h voir ce qui se passe dans
le monùe des esprits et dans le monde des cœurs, il ne nous
parlerait point de la « sécheresse » de ces mêmes dogmes,
qui sont aujourd'hui de la « mythologie pour lui. »
Un moment il semble comprendra l'inconvenance de ce lan-
gage, et il ajoute : « Jésus parait être resté étranger à ces
raffiuements de théologie qui devaient bientôt remplir le
inonde de disputes stériles. «Tout cela doit donc être mis sur
le compte de AI. Renan seul, et non sur le compte de Jésus.
Eu vérité, le dédain avec lequel M. Renan parle des a raffine-
ments de théologie » nous paraît superbe, et celui qu'il affiche
pour Jésus est de tout point transcendant. Eu vérité Jésus
est noblement défendu, quand son cinquième évangéliste nou s
déclare qu'il paraît être resté étranger aux éons du gnosticisme
et aux sephiroth de la Cabale. Et encore, M. Renan n'en est
pas sûr ! La vision qui lui est apparue en Palestine ne l'en a
pas instruit complètement !
Si M. Renan n'a pas la faculté de distinguer entre Dieu,
notre Père qui est au ciel, et le buthos ou abîme des éons, si
la Trinité chrétienne n'est pas pour lui distincte des sephiroth,
de quel droit vient-il nous parler, après dix-huit siècles de
christianisme, de la Trinité et de J'sus? Qu'il nous parle des
gnostiques, à la bonne heure! C'étaient des rêveurs absurdes,
il n'est pas ^rcs-éloigné de leur école ; mais quand il y mêle le
nom de Jésus ou le mystère de la Trinité, nous sommes eu
droit de dire qu'il n'y entend rien. Et quand il prétend que
les « raffinements de la théologie » auxquels Jésus est resté
étranger, comprennent les hypostases ou les personnes divines
ce n'est pas son intellect seulemenl qui nous semble être en
défaut. Car entre plusieurs textes qu'il laisse subsister, se
trouve celui-ci : « Instruisez toutes les nations et baptisez-les
au nom du Père, du Fils et du saint Esprit. » Que veut-il de
plus clair que cette formule ?
J.-I. SiMONIS,
LITURGIE.
REPONSES A QUELQUES QUESTIONS.
PREMIERE QUESTION.
Des rapports du chant ecclésiastique avec les règles
de l'Église.
Nous avons précisé, le mieux qu'il nous a été possible de le
faire, les rapports du chant ecclésiastique avec les règles de
l'Église, t. I, p. 233, en répondant à cette question : Qu'est-ce
que le chant romain? Le Cérémonial des évèques avons-nous
dit, se borne à donner des principes, comme il le fuit en par-
lant des draperies destinées à la décoration des églises. Mais
ne pourrait-on pas donner encore des règles pour l'applica-
tion de ces principes? En réfléchissant sur les questions qui
nous ont été faites, en puisant aux sources, et après avoir
consulté, sur ce point, des personnes instruites, voici ce que
nous croyons pouvoir dire à cet égard.
1° De même que les peintures profanes ou inconvenantes
ne doivent pas paraître dans nos églises, de même ou doit
en exclure tout chant profane. Ou peut entendre par là
celui qu'une coutume ancienne applique à des chansons
profanes. Il arrive parfois que certains chants, plus ou moins
harmonieux, donnent lieu à des rapprochements singuliers :
telle une certaine mélodie du Tantum ergo, morceau si grave
et si pieux, dont un passage rappelle absolument l'air de
cette chanson si connue : Fi^ére Jacques, dormez-vous? Qic..>
AoÛtl8G3.] LITURGIE. 175
On pourrait même dire, en règle générale, que les airs appro-
priés aux cantiques en langue vulgaire, ne peuvent convenir
aux prières liturgiques. Personne, nous le pensons, ne se
sentira disposé à contredire cette assertion.
S'^ En parcourant avec attention les livres d'Office, on ne
peut s'empêcher de reconnaître que l'Eglise a attaché une
idée à certaines modulations, comme elle Ta fait pour la forme
et la position des églises, la forme et la couleur des vêtements
sacrés, et pour tout ce qui constitue le culte divin. Ou ne
peut pas, sans doute, taxer de violation des règles de la litur-
gie l'inobservance de certains détails dans cet ordre de choses,
mais il est à désirer que tous soient observés, et en négliger
un grand nombre serait détruire l'ensemble. Donnons quelques
exemples. Dans certaines églises, nous avons entendu chanter
0 salutaris Hostia I sur les chants des hymnes Creator. aime
siderum, Audi bénigne conditor, Vexilla régis prodeunt, pen-
dant i'Avent, le Carême et au temps de la Passion ; nous
avons entendu chanter l'hymne Exultet orbis gaudiis sur le
chant de l'hymne Audi bénigne conditor, aux Vêpres de saint
Matliias. Évidemment, les chants dont nous parlons ne con-
viennent point aux paroles qui leur ont été adaptées. Comme
nous nous proposons de traiter ces questions plus en détail,
nous nous bornons à ces observations.
DEUXIÈME QUESTION.
L'usage d'alterner le chant du Credo entre le chœur et un chantre
placé à l'orgue, est-il conforme aux règles de la liturgie?
Nous ne le pensons pas. Pour motiver notre opinion sur ce
point, il suffit de rappeler les règles posées par le Cérémo-
nial des évêques sur les questions suivantes : 1° quelle est la
fonction de l'orgue ; 2° quelles sont les parties de la Messe ou
de l'office qui peuvent être suppléées par le son de l'orgue ;
3° les parties de la Messe ou de l'office qui ne peuvent pas
176 LITURGIE. [Tome VIU.
être suppléées par le son de l'orgue, peuvent-elles être chan-
tées pi es de l'orgue par un seul chantre?
I. L'orgue a une douhle fonction : 1° remplir quelques mo-
ments de silence pendant les saints ofEces ; 2° suppléer certaines
parties qui seraient chantées au chœur, s'il n'y avait pas d'or-
gue. Quelquefois aussi l'orgue accompagne le chant du chœur.
La première fonction de l'orgue, qui est de remplir certains
moments de silence, est clairement exprimée dans le Cérémo-
nial des évêques, 1. i, c. xxviii, n. 3 et A. On y prescrit de tou-
cher l'orgue à l'entrée de l'évèque ou d'un prélat. La même
chose est indiquée, ibid. n. 9, pour l'offertoire de la Messe so-
lonnelle, et durant l'élévalion ; et ailleurs encore dans le cours
du même chapitre. La deuxième fonction de l'orgue est spé-
cialement traitée aux n"^ 8 et 9.
n. Aux vêpres solennelles, ou touche l'orgue à la fin de
chaque psaume {Ibid., n. 8); et le son de l'orgue peut rem-
placer la répétition de l'antienne {Jbid., 1. ii, c. i, n, 8). On
peut alterner le son de l'orgue avecle chant du chœur pendant
l'hymne et le cantique {Ibid., 1. i, c. xxvni, u. 8), et Catalani
fait meution de l'usage de certaines églises de faire la même
chose au dernier psaume. A la Messe, on joue de l'orgue al-
ternativement au Kyrie eleison, au Gloria in excelsis, au San-
clus et à VAgnus Dei {Ibid., n. 9). On lit au n" suivant : Sed
cum dicitur symbolum in Missa, non est intermiscendum orga-
num, sed illud per chorum cantu intelligibili proferatur. Cette
règle est suivie, du moins en partie, dans toutes les églises. Il
n'en est aucune à notre connaissance, où l'orgue supplée cer-
taines parties du symbole sans être accompagné au moins par
une voix. La raison de cette règle est que le symbole est une
profession de foi, et l'usage de certaines églises, où tout le
chœur chante ensemble le Credo sans alterner entre les deux
côtés, est mentionné et regardé comme très-louable par d'an-
ciens liturgisles célèbres. La même règle s'applique au pre-
mier verset des hymnes et des cantiques, aux doxologies, et
Août 1861.] LITURGIE. 177
aux versets pendant lesquels on doit se mettre à genoux. Toutes
ces parties de l'ullice doivent être chantées par le chœur,
quand même il aurait chanté le verset précédent [Ilnd., n. 6).
III. Toutes les fois que le son de l'orgue remplace le
chant de quelques paroles, ces paroles doivent toujours être
prononcées dans le chœur d'une manière ntelligible, et il se-
rait louable qu'elles fussent chantées par un chantre {Ibid.,
n. 7). Celte rubrique, relative à la manière de se servir de
l'orgue, fait d'abord une prescription, qui consiste à ne rien
omeitre de ce qui fait partie de Toffice; de plus elle donne un
conseil, savoir, de faire chanter par un cliaufre, plutôt que de
les réciter simi)lement, les parties de l'office que l'oigue sup-
plée. Les parties de l'office exécutées de cette manière sont
donc, aux termes du Cérémonial, proprement suppléées par
l'orgue, et par conséquent ni aucun verset du Credo, ni le
premier verset des hymnes et des cantiques, ni les doxologies,
ni les versets pendant lesiiuels on se met à genoux, ne peuvent
être chantés par un seul chantre accompagné par l'orgue, ou
plutôt accompagnant l'orgue.
TROISIÈME QUESTION.
Que doit-on penser de la pratique de certaines communautés pour
la récitation des Litanies des Saints le jour de saint Marc et
les trois jours des Rogations, oh le prêtre qui doit célébrer la
Messe récite à l'autel ces Litanies, étant revêtu de tous les or-
nements de la couleur qui convient à la Messe du jour?
Cet usage nous parait difficile à justifier. Les Litanies ainsi
récitées parles membres d'une communauté, ne nous semblent
pas avoir le caractère d'une cérémonie publique, et celui qui
préside à cet exercice n'est point, par conséquent, revêtu d'or-
nements. Si c'était une cérémonie publique, les ornements se-
raient l'étole violette avec ou sans la chape. P. R.
LE SÉMINAIRE FRANÇAIS A ROME.
Il y a dix ans, une pieuse Congrégation, représentée par
un de ses membres les plus distingués, fondait à Rome le
Séminaire français. L'établissement s'ouvrit à la rentrée de
1853. Bien peu d'élèves se rangèrent, dès ces premiers dé-
buts, autour du P. Lannurien. On commençait; Tinstitution
n'avait pas encore la sanction de l'expérience et du succès :
quoique fondée avec le concours de l'autorité ecclésiastique,
elle n'avait pas non plus celte approbation définitive et su-
prême que Rome, dans sa prudence, n'accorde qu'après une
épreuve suffisante. Enfin, la France savait déjà le chemin de
Rome, sans doute, et les rapports doctrinaux avec le centre
de la catholicité étaient devenus plus fréquents qu'autrefois,
mais on n'avait guère l'habitude d'aller étudier dans des
écoles aussi lointaines.
La petite famille réunie dans la maison louée pour le sémi-
naire près de la place du Grillo, atteignit à peine, dans le cours
de cette première année, le chijffre de dix ou douze. Depuis, ce
nombre s'est développé considérablement; le local provisoire
du Grillo a été abandonné pour un établissement définitif,
placé on ne peut mieux au centre des écoles et des biblio-
thèques : enfin, le Souverain-Pontife, par lettres apostoliques
accordées sur la demande de 76 évoques de France, a donné
à l'œuvre sa dernière consécration.
Le digne P. Lannurien n'a pas vu toutes ces choses. Une
Août 1863.] LE SÉMINAIRE FRANÇAIS V ROME. 179
terrible maladie l'enleva, en septembre 1854, à l'amour et à
la vénération de ses enfants. Mois son esprit lui survécut dans
ses successeurs, qui se mirent à l'œuvre avec le même dé-
vouement et la même intelligence : nous aimons aussi à
penser que^, d'un séjour meilleur, il se souvint de sa chère
maison, et que ses prières furent pour beaucoup dans les ré-
sultats si consolants que nous venons d'indiquer.
Pendant cette période de dix années, et à partir même du
commencement, les élèves du Séminaire français se sont créé
une place honorable dans les diverses écoles dont ils fré-
quentent les cours, au Collège romain, à l'Université de la
Sapience, au Lycée pontifical du Séminaire romain. Ils se sont
distingués dans les exercices publics et dans les concours : un
grand nombre d'entre eux ont reçu des grades en théologie
ou en droit canon, soit au Collège romain, soit ailleurs.
Il y a quelques jours, M. l'abbé Didiot, du diocèse de Ver-
dun, soutenait, dans VAula maxima du Collège romain, un de
ces exercices entourés d'nne solennité exceptionnelle , qui
n'ont lieu qu'à de rares intervalle?, ordinairement chaque an-
née. Ou remarquait dans l'assistance beaucoup de person-
nages mar(|uants, et même plusieurs princes de l'Église.
Le soutenant s'est trouvé à la hauteur de cette distinction.
Par l'étendue de sa science, toujours sûre d'elle-même, par la
précision de ses réponses, par la beauté et la facilité de son
élocution, il a constamment captivé l'attention d'un audi-
toire qui a le droit de se montrer difficile, et qui l'est eu
effet.
Nous croyons que nos lecteurs liront avec intérêt le petit
discours prononcé en cette circonstance. Ils y trouveront, sur
le Séminaire français et sur l'esprit qui anime cette maison
si chère à tous ceux (|ui l'ont connue, des choses que nous ne
pourrions exprimer aussi bien. Ils verront aussi que nos com-
patriotes apprennent dans la capitale du monde catholique ce
beau latin dont Rome a conservé la tradition.
180 LE SÉMINAIRE FRANÇAIS A ROME. [Tome VIII-
Oratio qnam hahuit Jnlius Didiot Viî'dunensis diun in Collegio
S. J. Romano Thèses theologkas puhlicepropugnavit XII Kal. Aug.
MDCCCLXIII.
Cum primiis e Gallico in hac Urbe Seminario Pii Noni Pontificis
Maximi indulgentia et auctoritale recens comprobato, in hanc publicam
arenam piodeam et ex hoc loco sane conspiciio plura theologicae disci-
plinas dogmatii propugnaiida suscipinm, Patres CardinalesEminentissirai,
Prœsules amplissimi, Viri quotqiiot adeslis ornatissimi, bine linior
quidam, iiteos qui primi vadum tentàré;^iribus non salis firmisaudent,
meum qu.idamtenus animum praepedil ; inde tamen alpcrem eterectum
dat qiiae mentem subit et suaviter aiiicit cogitalio.
Quum eniin praîstantissimi Galliarum Episco|)i septuaginta sex, quo
nosirùni juvenum in Ecclesiae spem succrescenliurn uliHlali consulerent,
et diœcesiim quibus regendis a Spiritu Sancto sunt positi corainoditati
prospicerent, datis ad Piiim Nonum litteris, poslidaverint ul Gallicum
Seminarium Romaea Patribus Congregationis Sancii Spiiitus et Imma-
culali Cordis Beatai Mariae Virginis optimo consilio jam inrhoatum,
aposlolica aucloritate confirmaretur ; et nihil magis optent quam operis
a se procurati fruclum aliquem percipere : divina Providentia factuno
est ut ego hodierna hac mea concertatione, qua!isdemumcumque futura
sit, eorum obsequar votis et paternae voluntati si ni)D parem, eam certe
quam pra3stare alumnus potest, ex anime referam gratiam.
Et jure sane: beneficium enim quod ex nnstri Semiuarii instilutione
in nos promanat, adeo grande et sanctum est, ut illiid animo quidem
gralo recolere, sed oratione mea enarrare nullus i)ossim. ISiniirum,
quaravis in Catholicis Seminariis Ecclesiaruni quae per universum or-
bem ditïusaî divina consorlione cum Romana Sede devinciunlur, incor-
rupta disciplinae ratio atque casit humanaeac divinsesapientiae supellex
quœ sacerdotes deceat: in hac Urbe tamen, quae Calhoiici Urbis caput
et mater est, quœ oh principahorora Pétri Cathedram (idei columna
est atque principium catholicae unitatis, quse propler Eum qui princeps
Episcoporum et pastoraHs principatus dignitate praestans Christi vice
fungitur fjcta est magistra catboHcae veritatis, ncmo est nescius quanto
uberior et salubrior bauriatur divinarum rerum cognilio, quanto purior
et sanctior vitae sacerdotahs institutio habeatur.
Tantum porro munus nobis est concessam.
Nam, ut verbis utar Optimi Patris et Pastoris Summi Pii Noni, in
AoûttSOS.] LE SrMiNAIRE FRANÇAIS A ROME. \Bi
litteris aspostolicis quib'us Serainariuni Gallicum in Urbe erigitur et
Congregationi Sancti Spiritus et Immaculati Conlis BeatiB Mariae Vir-
ginis committitur, « ad hoc nostriirn Seminar'mm est comparatura ut
« Pliilosophiam, Theologiam, Sacros RiUis et Caeremonias ex Romanae
« Ecclesiai omnium Ecclesiarum matris et magistrae more institutisque
« condiscamus ; et in ecclesiasticas disciplinas addiscendas diutius
« incumbere, ac veram germanamque divinartnn sacranimque rerum
« cognitioncm et scientiam ex ipso fonte majorem in modum haurire
« et coiisequi possimus : qno ipsi religionis pietatisque studio et vero
« ecclesiastico spiritu incensi ac sana solidaque doctrina instructi in
« Galliam redeuntes, rei praesertim sacrae usui et ornamento esse atque
« auxiiiariiini propriis sacrorutn Antistitibus in vinea Doniini excolenda
a et sempiterna hominiim salule procuranda operani navare queamiis.»
Quod si laudes ainplissimas Galliarum Episcopi ab ipso Pontifice
Maxime meruerunt, cum « hoc facto luculenter os'er.dant (ipsa sunt
« Pontiticis verba), ac testentur quo singulariamore, obsequio etvene-
« ratione Romanam prosequantur Ecclcsiam ; et quam vehenienter
G ipsi cupiant suos clericos et sacerdotes sacris praesertim disciplinis
a accurate penitusque imbui et erudiri ; » certe a nubis qui tanto
fruimur beneficio majores sunt illis et laudes delercndae et gratiae ha-
bendae ; alque efficiendura omnino ut « quae de natali suo fonte sapien-
« tiae aquae procedunt (loquor cum Innocentio primo ad concilium
« Cartliaginiense), avidius colligamus et capilis incorrupti latices puros
« in nostras regiones derivemus. »
Hiijus aulera nostrae sollicitudinis, gratique animi significationem
cum ipse hodie coram Vobis, Viri praestantissimi, exhibere aggrediar,
laetor enimvcro et gaudeo quam qui maxime.
Nova porro mex laetitiae inde fit accessio quod hoc anno quo tam
solemniter Tridenti festa saecularia celebrata sunt, plures mihi Triden-
tini canones de Pœnitentia, de Extrema Unclione et de Matrimonio
sunt propugnandi ; et quod inter catholicae doctrine placila mihi defen-
denda ea sunt quae Malrimonii, quod »i m;ignura Sacramentum est in
« Christo et in Erclesia, » germanam prcebent et explanant rationem.
Quae majori luce collustrata cum fucrint nostris hisce temporibus
solenmibus Pii Noni Pontiticis Maximi déclara tionibus. illis autem fide-
lissime inhaereani illasque tuear sanclissinie, clarius ostendain profecto
Galliae sacerdotalis obsequium erga lllum qui arbiter est ligandorum
et solvendorum^ in terreno judicio judex cœli.
Quare, quanquam ingénie et viribiis diffîsus meis, quas sentio quam
sint exiguae, audeo taraen me Vobis, Paires Cardinales Eminenlissirai,
l8i LE SÉlIiNAiRE FRANÇAIS A ROME. [Toiiiô Mil
Praesules amplissimi, Viri ornatissimi, spécimen meimet daturus sislere,
cum suavi qijod exposui consilio confirraatus, tura sustentalus Veslra
humanitate ei sapientia qu» niilitem, pêne dixerim novitiimi, primum
publiée decertantem gralia et favore suo juvabit.
Le Séminaire français est appelé, croyons-nous, à rendre
d'immenses services. Placé à la source de l'esprit apostolique,
à l'ombre de la Chaire de Pierre, près des tombeaux des
apôtres et des martyrs, sur le sol illustré par leurs combats
et leurs triomphes, il est par cela même dans une situation qui
exerce l'influence la plus profonde sur la formation du prêtre.
Les grâces y abondent, la piété ne peut manquer d'y fleurir.
En outre, Rome est proprement la ville des sciences théolo-
giques : c'est là leur centre naturel ; elles y ont d'illustres re-
présentants dans tous les genres, et le Collège romain, en parti-
culier, a toujours été une école des plus illustres. Sous ce rap-
port aussi, aucune ville ne pourrait ofi'rirles mêmes ressources.
C'est aujourd'hui le seul établissement national où l'on
puisse trouver une instruction tliéologique complète et vérita-
blement à la hauteur de la science. Mais, alors même que
l'enseignement théologique sera rétabli parmi nous, — et ce
besoin si urgent ne peut manquer d'être satisfait quelque
jour, — le Séminaire français n'aura rien perdu de ?on uti-
lité. Un certain nombre de sujets d'élite iront y chercher le
complément de leurs études et s'initier à la pratique des Con-
grégations romaines. C'est aussi le Séminaire français qui
fournira les éléments de cette réorganisation si désirable, en
formant des théologiens capables d'occuper les chaires, et ré-
solvant ainsi une des diflîcultés les plus graves que l'on op-
pose à tous les plans réformateurs. Il est certain que, si Von
voulait fonder une académie théologique, une école de hautes
études, soit en l'annexant à un séminaire, soit en l'établissant
d'une manière indépendante, on trouverait des éléments sé-
rieux parmi les docteurs formés à Rome depuis dix ans.
E. Hautcœur.
MÉLANGES
LE CONCOURS A MUNSTER.
Nous croyons utile de faire connaître l'ordonnance suivante
de Mgr l'évêque de Munster, qui institue, avec le consentement
du Saint-Siège, iine nouvelle forme de concours pour les bé-
fices paroissiaux.
Dans la partie westphalienne de notre diocèse , il a été d'usage,
depuis le Concile de Trente et conformément à ses prescriplions,
d'ouvrir un concours spécial pour chaque cure vacante. Dans la partie
rhénane, au contraire, un concours général avait lieu tous les trois ans
à Kevelaer, et ce concours servait en même temps d'examen pour pro-
longer l'approbation ad curam subsidiariam. Des raisons graves tirées
des circonstances spéciales oii se trouve notre diocèse, nous ont fait
désirer depuis longtemps que le concours général pût aussi entrer en vi-
gueur dans la partie nommée ci-dessus au lieu du concours spécial,
usilé jusqu'à présent : nous croyons atteindre plus pleinement par là le
but que se sont proposé les Pères du Concile en instituant le concours.
En conséquence, nous avons exposé au Saint-Père les circonstances
mentionnées plus haut, et nous l'avons supplié de permettre que le con-
cours général pour les cures pût être introduit dans la partie westpha-
lienne, comme il existe déjà dans la partie rhénane de notre diocèse.
Le Saint Père, accueillant notre prière avec bienveillance, nous a au-
torisé, par rescrit de la Sacrée Congrégation pour les affaires ecclé-
siastiques extraordinaires du 3 septembre 1862, à ouvrir deux fois l'an
un concours pour les cures, à condition toutefois que l'épreuve aurait
lieu de vive voix et par écrit, devant les examinateurs synodaux ou
prosynodaux, et que les prêtres approuvés à la suite d'un concours de
ce genre, seraient tenus de se soumettre à une nouvelle épreuve après
un certain nombre d'années, autant de fois que nous le jugerions con-
venable. Par conséquent, en vertu des pleins pouvoirs à nous confiés,
nous statuons ce qui suit :
1" Le concours général pour les bénéfices paroissiaux est introduit
dans tout notre diocèse, excepté le territoire non soumis à la domination
prussienne. Ce concours servira d'examen pour l'approbation adciiram
-184 MÉLANGES. 1 T me- VM.
subsidiariam, laquelle sera proroge'e en raison du résultat obtenu.
2° Deux concours auront lieu chaque année. La feuille ofïiciolle du
diocèse indiquera en temps opportun l'époque à laquelle ils auront lieu,
et fera connaître les ecclésiastiques qui devront y prendre part. Ces
derniers se feront' inscrire au secrétariat et produiront en même
temps un témoignage cacheté de leur curé, qui portera sur leur con-
duite, sur leurs rapports avec les autres ecclésiastiques et avec les pa-
roissiens, sur leur activité et leur zèle dans l'exercice de leurs fonc-
tions, surtout au confessionnal, dans la visite des malarles et des
écoles; enfin, sur leur aptitude à prêcher, à catéchiser, et à exécuter
le chant ecclésiastique.
5° Tous les prêtres appartenant aux parties mentionnées ci-dessus
de notre diocèse qui ont reçu l'ordre de prêtrise après 1840 et depuis
plus de cinq ans, qui en même temps ne possèdent aucun bénéfice pa-
roissial et n'ont pas encore subi trois fois les épreuves d'un concours,
sont tenus de prendre part au concours général pour les cures. Ceux
qui ont été ordonnés en 1810 ou plus tôt, sont exempts de iceite obli-
gation. Si cependant ils désirent être promus à une cure, ils doivent se
soumettre à cette épreuve, à moins qu'ils ne l'aient déjà subie avec
succès. Ceux qui n'ont pas encore cinq années de prêtrise sont exclus
du concours, et par conséquent ne peuvent prétendre à aucun bénéfice
paroissial avant ce temps révolu.
4° Tous ceux qui ont subi l'épreuve du concours et reçu l'approba-
tion, doivent s'y soumettre de nouveau après trois années, aussi
longtemps qu'ils n'ont pas été dispensés d'une manière expresse de
cette obligation.
5" Ce concours aura lieu dans la ville épiscopale, de vive voix et par
écrit, devant les examinateurs synodaux ou prosynodaux, pour toute
l'étendue sus -mentionnée du diocèse, même pour la partie rhénane.
En conséquence, le concours qui avait lieu jusqu'ici à Kevelaer est
supprimé. La condition d'une épreuve orale. ajoutée par le Saint-Père
rend nécessaire celte disposition.
6" Dans tout concours, des questions seront posées sur les branches
principalt s de la théologie. En outre, on devra composer par écrit, sur
un sujet donné, un sermon et une catéchèse. Pour donner des preuves
df son aptitude dans l'exposition orale, on devra débiter un morceau
d'un sermon préparé d'avance. Enfin, il y aura aussi une épreuve re-
lative au chant ecclésiastique.
On avertit en outre que les compositions par écrit, excepté le sermon
et la catéchèse, se feront en latin, et que l'on indiquera, en annonçant
Août 1863] MÉLANGES. 185
chaque concours, les traités auxquels les questions seront principale-
ment empruntées.
Nous nous réservons de faire aux dispositions précédentes les chan-
gements qui nous paraîtraient convenables par la suite.
En terminant, nous ne pouvons nous empêcher de recommander de
nouveau, avec les plus vives instances, aux ecclésiastiques de notre
diocèse, l'étude des sciences théologiques. Nous les exhortons dans le
Seigneur, à méditer souvent les grands avantnges qu'une étude sérieuse
procure au prêtre, et combien au contraire celui qui néglige ce travail
se nuit à lui-même et au peuple chrétien. Ces deux sortes de motifs
doivent entretenir sans cesse et stimuler leur zélé pour l'étude. Que
chaque prêtre médite souvent ces paroles d'O.-ée : Parce que tu as re-
poussé la science, et moi aussi je le repousserai, afin que tu n'exerces
plus mon sacerdoce; parce que tu as oublié la loi de ton Dieu, moi aussi
j'oublierai tes enfants [Os., 4, 6). f Jean-George,
Munster, le 20 juin 18G3. Évoque de Munster.
Le Pasloral-Blait de Munster (u° 7, -16 juillet 1863), à qui
nous empruntons celte ordonnance, nous apprend que l'époque
du premier concours est fixée aux 13, 14, 15 et 16 octobre de
cette année. Les matières désignées pour cette fois sont les
suivantes :
Dogmatique. — 1" Des différentes formes de la révélation
divine, et des marques auxquelles ou les reconnaît. 2" De Dieu
et de ses attri'outs. 3° De la création ; sa liberté, son but. 4" De
l'état primitif de Thomme. 5° Des sacrements en général.
Morale et pastorale. — 1° Des lois, de la conscience, et des
trois vertus théologales. 2" De l'administration du sacrement
de Pénitence.
Droit canon et histoire ecclésiastique. — 1" Introduction au
droit canon, et doctrine sur la constitution de l'Église. 2° His-
toire ecclésiastiijue des sept premiers siècles.
Exégèse de l'Ancien Testament. — 1" Authenticité, intégrité,
véracité des livres de l'Aneion Testament. 2° Explication des
deux premiers livres du Pentateuque. 3' Prophéties messia-
niques contenue? dans les livres historiques de l'Ancien Tes-
tament.
-J86 MÉLANGES. [Tome VIII.
Exégèse du Nouveau Testament. — 1" lutroduction générale
aux épitres de saint Paul. '^° Explication des épitres aux Ro-
mains et aux Hébreux.
« 11 est indubitable, ajoute le Pastoral- Blatt, que le con-
cours général institué pour notre diocèse sera fécond en ré-
.sultats de plus d'un genre, et qu'il contribuera, en particulier,
beaucoup à élever le niveau sciantifique du clergé. Rarement
une ordonnance <jui concerne tout le monde, et qui pénètre
jusqu'au vif dans les intérêts, a été accueillie avec une satis-
faction aussi unanime. »
IL
DE l'inamovibilité DES CURÉS DESSERVANTS.
Solution pratique proposée par un professeur d'une Université
d'Allemagne,
Que faut-il penser de la situation des curés desservants ou
succursalistes, tels qu'ils existent aujourd'hui en France et en
Belgique? Cette question, depuis si longtemps débattue, a été
adressée dernièrement à un professeur qui enseigne avec dis-
tinction le droit canonique dans une université d'Allemagne.
Il a cru trouver un moyen de tout concilier dans la pratique
de certains diocèses d'Allemagne, entre autres de celui
d'Eicbstsedt, en Bavière. Les curés y sont mis en possession
de leurs bénéfices, avec la clause acceptée et jurée par eux,
que t'évêque pourra les transférer aillews, pour cause de nécessité
ou d'utilité, selon la louable coutume du diosèse : Salvo jure or-
dinarii permutandi, quando utilitas vel nécessitas urgebit, juxta
laudabilern Ecclesix Eystettensis consuetudinem. C'est là le juste
tempérament (^ue le docte professeur pense pouvoir être uti-
lement adopté pour les desservants de nos diocèses. Ils ne
seraient pas inamovibles en ce sens que l'évêque ne put pas,
pour cause d'utilité, les transférer à un autre poste; mais ils
ne seraient pas non plus révocables ad nutum, en ce sens qu'ils
A ÙM8G3.] MÉLANGES. 187
pussent être privés de leur cure saus un vrai motif d'utilité
et sans être placés ailleurs. Persuadé qu'une transaction de
ce genre, si elle était soumise au Saint-Siège, serait probable-
ment approuvée, et qu'elle concilierait suffisamment tous les
intérêts^ il a cru pouvoir la suggérer et répondre ainsi à la
consultation qui lui avait été adressée. En même temps, il a
bien voulu communiquer à la Rédaction de notre Revue le ré-
sumé de sa pensée. Nous le publions textuellement.
In causa amovibililatis paroebi succursalistœ consilium
juridicum uuper requisiti, usu, qui in nonnullis ecclesiis
Germaniai obtinet, exacte considerato ejusque ratioijibus rite
perpensis responsum dedimus, fieri etiam in Galliis posse, ut
et parocbis succursalistis quse ex iustitutioue canonica fluunt
jura permaneant et episcopis simul asserta censeatur facultas
paroclios absque prœvio processu canonico locomovendi, quin
bi per ejusmodi trauslationem non voluntariam injuriam sibi
fieri putare debeant. Et hac quidem ratione negotium de
amovibilitate, quod in disputatione versatur, compoui transi-
gique ita posse videtur, ut et episcopi et paroebi facillime in
eo acquiesçant. Et quamvis Galli in plerisque omnibus nego-
tiis ipsi sibi exemplo sint ueque imitari exteras nationes veliut,
in modo banc controversiam dirimendi tamen a probatissimis
Germanise ecclesiis exemplum sibi sumere possunt.
Gallis itaque prai cseteris quse adduci possent, diœcesis
Eystettensis, in Bavaria, spécimen esto.
Statuta diœeesena Eystettensia, tit. xiv, c. 1, § 3, c?e Foi^ma
et Effectu ïnstitutionis canonicx, lisec in rem uostram babent :
A. « Examine praemisso neoapprobatus parochus coram
Nobis aut vicario Nostro geuerali fidei professiouem juxta
prsescriptum Tridentini emittere débet, quam dein in accep-
tatione novae parochiae repetere débet.
« Jurabit dein in manus Nostras vel vicarii Nostri ,
1. Quod Reverendissimo Domino Episcopo Eystettensi
lUiusque successoribus canouice intrantibus necnon Ejusdem
I 8 MÉLANGES, [Toii:e Vlli.
vicario in spiritualibus generali ac officio ecclesiastico debi-
tam obedientiam exhibere eorumque mandata obedienler et
pro posse efficaciter adimplere velit ;
2. Qaod in acceptatioue parochiœ vel beneficii non inteices-
serit vel intercédât fraus, dolus aut simoniee labes ;
3. Quod de bonis ad parocbiam velbeneficium perlinentibus
iiibil velit alienare aut negligere et, si quid fuisset alienalum
aut negleclum, quod id totis viribus recuperare velit ;
A. Quod si resignare velit aliquaiido, resignet ad mauus li-
béras Ordinarii;
5. Quod a vicariatu citatus ad examen pro cura absque
mora comparare velit;
6. Quod velit curam et regimen animarum in se suscipere
et taliter administrare, ut possit reddere rationem coram Dec
et suis superioribus. — Salvo jure Ordinarii permutandi, quando
utilitas vel nécessitas urgebit, juxta laudabilem Ecclesix Eystet-
tensis consuetudinem.
«Emisso juramento fit institutio seu commenda per extradi-
tionem documentorum et inde neoparocbus (quem commenda-
tum vocant) jus accipit in ipsum ministerium spiritnale et
officium beueficio annexum necaon in jura temporalia, admi-
nhirand'i v\(]ti\ice\. proprium beneficium et percipiendi fructus
inde manante? Qui a Nobis commendam (hoc est paro-
cbiam cum dicto juramento) accipiunt, owna' wo?/2en^o temporis
justa aliqua suadente causa, etiam sine crimine injui^e expresso,
ab uno loco ad alterum locum seu beneficium irons ferri possunt
aut etiam debent, prout Nobis in Domino melius videbitur
Quod integrum Nobis relinquitur tum ex peculiari hujus diœ-
cesis more (St. diœces. an. 1700), tum ex approbatione Sedis
Apostolicaî. (S. G. G. 21 julii, 11 august., et 22 septemb. 1742
in causa parochi Untermessing diœces. Eystetteu.) »
21. Quibus addi ea debent, quœ, § ,5, « de Installatione pai'o-
chi », liabentur : « Finito sermone iustallator sumens ab altari
librum llitualis una cum clavibusecclesiee iustallando in summo
Août 18031. MÉLANGES. 189
gradu altaris genuflexo ea tangendo tradens dicit clara voce :
« Aucloritate Reverendissimi in Christo Patris ac Domiui N. N.
Episcopi Eijslettcn&is mihi delegata, immitto te in possessionem
hujus ecc'esise el omnium juriwn, tam spiritualium qiiam tem-
porulium, in nomine Patris et Filii et Spiritus Sanc/i. Amen, »
Tandem prsetereunda non sunt veiba, quibus Episcopns
in scriptis utitur, quum parochiam commeudato parocho
conferl : o Ut ecclesiam parochialem, inquit, regere et inoffi-
ciare oniniaque ibidem mania parochi,iliaobire, necnonfructi-
bus et proveiitibus omnibus et singulis ad dictam parochiam
quoqiio modo spcctantibus uti ac frui possis et valeas : aucto-
ritate ordinaria Nobis bac in parte concessa /j/enam tibi prai-
sentinm virtute tribuimus /'acw/^a^emaclicentiam jurisdictio-
nemque ecclesiasticam eo requisitam. »
Ad quos textus paucissimas bas notas in consilio jutidico
scripsisse saiis babui, scibcet :
l» Parocbi Eystettenses, quos minus proprie commendatos
vocant, veris parochis ac beneficiatis accensendi suut. Quum
enim in possessionem ecclesix sux et omnium jurium tam spiri-
tualium quani temporaliumimmif(untur{B),Jus in ipsum minis-
terium spirifualc et in temporalia ita accipiunt, ut beneficium,
cujus possessionem realem pur canonicam inslallationcm
adcpti sunt, tanquam proprium (A) obfineant. Et quamvis
episcopus eosdem quibiisdam in casibus alio coilocaro valeat,
eos tamcn non ita trausferre potest, ut beueficio omnino pri-
ventur.
2o Parocbi Ej'stettenses cerlis ex causis etiam inviti ad alia
bénéficia transfcrri auctoritate episcopi possunt. Episcopus
enim ecclesiam ita tribuit, ut sibi jus reservet eos omni temporis
momento justa aliqua suadente causa etiam sine crimine in jure
expresso ab uno loco ad alterum locum seu beneficium transfè-
rent, prout ipsi in Domino melius videbitur.
3° Parocbi Eystettenses non tameu sunt ad nutum episcopi
amovibiles ; quautumvislicet enim ex co, quod per Episcopum
190 MÉLANGES. [Ton;e VUl
omni temporis momenfo, prout ipsi in Domino melius visum
fuerit, mutari possint, ad niitum amovibiles videantur, ex
jurejurando tamen^ quod inde a pluribiis sœculis in adipis-
cenda possessione parpcliiae dant, manifestum est, eas trans-
lationes tantum perniissas esse quœ causam urgentem habeant
utilitatis Rui necessitatis. Praealiis ergo, qui adnutum Episcopi
alio transferuntur, ut puta, prse vicariis, quibiis administratio
vacantis ecclesise committitur, vel qui ex hoàierna consuetudine
ab Episcopo constituuntur^ ut parocbi impedili absentisve vices
gérant, aliqun sensu inamovibilitatis privilégie frui dicendisunt.
Quse quum ita sint, Doctissimus Dominas Bouix, quem ut
saororum canonum maximum exactissiniumqueobservatorem
colo venerorque, gratum nostris jurissacri studiosis faceret,
si suam bac in parte sententiam dicereatque in prseclaris suis
novellis tbeologicis Bévue des sciences ecclésiastiques signi-
ficare vellet, utrum in aliquibus saltem Galliarum ac Belgii
diœcesibus temporura locorumque adjunctaitacomparatanon
sint^ ut de conseusu episcoporum Summo Ponlifici supplicari
possit pro concedenda parocbis ea conditione, qua inde à
pluribus sœculis jam pastores E3'stettenses gaudent?
(H.
LA SOCIÉTÉ DES ENFANTS DU S. COEUR DE LA MÈRE ADMIRABLE.
Un des signes les plus consolants de notre époque, c'est la
multiplication des Instituts religieux, surtout des Congréga-
tions de femmes vouées à l'enseignement et au soin des ma-
lades. Il existe aussi des Tiers-Ordres pour les personnes
qui, sans être appelées à entrer dans le cloître, désirent
mener au milieu du monde une vie plus parfaite et participer,
dans une certaine mesure, aux grâces de la vie religieuse.
De ce genre est la Société des Enfants du S. Cœur de la
Mère admirable. C'est un "tiers -ordre de la Congrégation des
Eudistes, institué, vers le milieu du XYIl* siècle, par le véné-
Août 1863.] MÉLA^GES. -iOt
rable fondateur de cette Congrégation, et très-florissant encore
aujourd'hui. Le seul diocèse de Saint-Brieuc compte plus de
6,000 associés ; celui de Rennes en a davantage, et il s'en
trouve aussi dans ceux de Vannes, de Nantes et de Quimper.
Ce Tiers-Ordre a cela de particulier, qu'il est ouvert seule-
ment aux personnes des deux sexes qui sont dans la résolu-
tion de garder toujours la chasteté, ou qui, devenues veuves,
renoncent à un nouveau mariage. Du reste, les obligations
spéciales qu'il impose sont restreintes, et nullement de nature
à erapècLer sa difl"asion. Les frères et les sœurs ainsi agrégés
deviennent, dans chaque paroisse, un ferment salutaire qui
agit sur toute la masse ; ils usent de leur influence dans la
famille et au dehors en faveur de la cause du bien; ils se
livrent à l'instruction des enfants et aux autres œuvres de la
charité chrétienne.
Nous empruntons ces détails à un excellent manuel publié
par M. l'abbé Souchet, doyen du chapitre de Saint-Brieuc et
supérieur du Tiers-Ordre (1). Nous ne pouvons mieux faire
que de renvoyer à ce livre ceux qui voudraient être plus am-
plement renseignés sur l'association, soit pour l'implanter
ailleurs, soit pour en organiser d'autres sur des bases ana-
logues. Les sœurs, ou les bonnes sœm^s, comme on les appelle
eu Bretagne, étant beaucoup plus répandues que les frères,
c'est d'elles spécialement que le manuel s'occupe, c'est à elles
surtout qu'il est adressé.
Il faut lire les pages dans lesquelles le vénérable doyen
(4) Livre des Vierges et des pieuses Veuves, ou Règle de la Société
des Enfants du S. Caur de la Mère admirable. Nouv. éd. enrichie
d'explications sur lous les chapitres. Saint-Brieuc, Prud'homme, 1659.
^ vol. in-l8. Les explications de M Souchet font de ce volume un livre
de piélé qui sera lu avec fruit en dehors même de l'associaiion à la-
quelle il est suiloul destiné. Nous citons encore un autre ouvrage du
même auteur : Essai sur la piélé bretonne dans les différents états
de la société, et principalement dans le Tiers-Ordre du S. Cœur
de la Mère admirable. \ vol. in-18. 1858.
102 MÉLANGFS [Tome VIII
de Saint-Brieuc décrit leur influence au sein des popu-
lations de la Bretagne. Citons seulement quelques lignes :
(( Dans les lieux mêmes où il y a des religieuses, elles sont
loin d'être inutiles : d'abord, parce que tout bon exemple
porte son fruit ; ensuite, parce que la bonne sœur, dans son
lieu natal, a un genre d'influence, au sein de sa famille, dans
le cercle de ses connaissances, qu'une étrangère obtiendra
rarement. La jeune fille, la mère de famille, qui voient, sans
autre costume que le leur, dans leur propre rang , une per-
sonne qui n'a contre les dangers du monde d'autre soutien
que sa vertu, remplir evec fidélité tous ses devoirs et triom-
pher de tous les obstacles qui leur sont communs, et dont
quelques-uns paraissent invincibles, admirent sa conduite, la
prennent pour modèle et pour guide. Elles s'attachent à elle
avec d'autant plus de raison, qu'ayant presque toujours les
mêmes afîaires, elles la retrouvent partout pour les diriger
sûrement et avec bonté dans les circonstances les plus diffi-
ciles. Elle les suit dans tous les genres de travaux et d'af-
faires : à la maison, dans les champs, à l'atelier, au marché,
à la foire; partout son exemple est une lumière qui éclaire,
qui montre le chemin qu'il faut suivre et enseigne le langage
qu'il faut tenir. On est en sûreté dans sa compagnie. Devant
elle, personne n'oje blesser les convenances ; tant qu'elle est
là, il n'y a point d'entraînement à craindre; tout devoir s'ac-
complit en temps et lieu, avec paix et contentement. Heureux
ceux qui peuvent approcher souvent cette vertu vivante, agis-
sante, combattante, qui attire par ses charmes, fortifie par
son courage, console par sa sérénité, réjouit par son aimable
gaîlé. Voilà ce qu'est l'humble fille de Marie dans nos cam-
pagnes. » {Livre des Vierges, etc., p. 18 s.)
Nous regrettons de ne pouvoir nous étendre davantage, et
nous renvoyons, encore une fois, au Manuel de M. Souchet,
E. Hautgceur.
Arras.— Typ. Rousseau -Leroy, rue SanU-Maurice 2fi
LA BIBLE
ET LA SCIENCE DE LA NATURE.
BiBEL UNO NATUR. Vorlesungen iiber die mosaiche Urgeschichte und
ihr Verbaellniss zu dea Ergebnissen der Nalurforschnng. Von Dr F.
H. Reusch. Freiburg, Herder, 1862,— CosMOGONiA naturale comparata
coi Genesi, del P. G. B. Pianciani, D. G. D. G. Roma, coi tipi délia
Civiltà cattolica, 1862. — Études géologiques, philologiques et scrip-
turales sur la Cosmogonie de Moïse, par le P. Laurent, prov. des
FF. Min. Capucins. Paris, Mme veuve Poussielgue-Rusand, 1863.
Premier article.
La théologie ne peut remplir son but et occuper son rang
parmi les autres sciences, qu'à la condition de s'approprier
leurs conquêtes, et d'employer, dans l'exposé et la défense
des vérités divines, toutes les ressources du savoir humain, telles
que les offre l'encyclopédie de l'époque. U faut aussi qu'elle
tienne compte des nécessités spéciales amenées par le mouve-
ment des idées et le progrès des connaissances. C'est par là
qu'elle devient une science vivante, capable d'intéresser,
douée d'une action et d'un pouvoir réels. Pendant la grande
période de ia scolastique, les théologiens cultivèrent sur-
tout la philosophie péiipaléticienne, qui jouissait d'une
graude.vogue dans les écoles, et qui occupait les esprits d'une
manière presque exclusive. Mais ce serait bien mal com-
prendre les conditions de la science que de nous renfermer
aujourd'hui dans le môme cercle d'études. Le milieu dans le-
quel nous vivons est tout différent, les besoins ne sont plus
Revue des sciences ecclésiastioues. t vin. 13-44.
194 LA. BIBLE [Tome Vllî.
les mêmes, nous disposons de ressources alors inconnues.
Essayons donc de faire ce que tous les docteurs du christia-
nisme ont fait de leur temps, et ce qu'ils feraient de nos jours,
s'il leur était donné de revivre : parlons pour notre époque et
d'une manière qui lui soit appropriée, en appelante notre se-
cours les travaux antérieurs, et en profitant de tous les pro-
grès réalisés depuis. Ce sera bien mieux imiter nos anciens
maîtres, que de les suivre et de les copier servilement. Si
nous abandonnions cette méthode indiquée par la nature des
choses et les exemples du passé, la théologie, reléguée à part
en dehoi's de tout le mouvement scientifique de l'époque, ces-
serait d'exister comme science ; tout se bornerait à faire ré-
péter aux candidats du sacerdoce, in futwam oblivionem, les
pages surannées de quelque insipide manuel.
I.
Les sciences qui ont été le plus cultivées de nos jours, et qui
ont été conduites à des progrès vraiment remarquables, sont les
sciences historiques et philologiques d'une part, les sciences
physiques et naturelles de l'autre. Ce n'est point ici le lieu de
rappeler plus amplement ce que personne n'ignore, à savoir
combien la science du passé et en particulier celle des époques
les plus obscures, a progressé par de savantes investigations:
comment des caractères et des idiomes oubliés depuis des
milliers d'années ont livré leurs secrets auparavant impéné-
trables ; comment enfin on est arrivé à une connaissance
plus sûre et plus approfondie des langues de l'antique
Orient, dans lesquelles sont écrits les monuments primitifs de
notre croyance. Les théologiens comprendront peut-être à la
longue, qu'ils doivent exploiter plus qu'ils ne l'ont fait ces
branches de l'érudition, et qu'ils ne peuvent sans abdiquer
se tenir en dehors de recherches qui les touchent de si près.
Il est déplorable de voir la science incrédule, protestante, ra-
Sept. l^fiS-l ET LA SCIENCE DE LA NATURE. 19:>
tionaliste,. régner presque sans partage sur un terrain qui
était autrefois et qui devrait cire encore le nôtre (1).
Les sciences physiques et naturelles ont avec la théologie
des rapports moins directs et moins nombreux. Cependant,
l'exégèse biblique est obligée d'y avoir recours pour leur em-
prunter des lumières, et pour éclaircir certaines difïieultés.
Les premiers chapitres de la Genèse en particulier, ont
donné lieu, depuis un demi -siècle, à de nombreux tra-
vaux. Nous ne voulons pas en faire un tableau complet, ce
qui nous mènerait beaucoup trop loin (2) ; nous nous pi^opo-
sons seulement de passer en revue quelques ouvrages récents
publiés sur ces matières par des théologiens, et de déterminer
l'état des questions en traçant sur les points principaux quel-
ques rapides aperçus.
Tout en laissant de côté la masse des travaux antérieurs à
ceux-ci et conçus dans le même sens, nous ne pouvons nous
empêcher de faire une remarque générale. Souvent ces travaux
ont pour auteurs des naturalistes étrangers aux études d'exé-
gèse et de théologie : leur zèle pieux, leurs talents, leurs con-
naissances en d'antres genres n'ont pu malheureusement sup-
pléer à ce qui leur manquait sous ce rapport. Ces théologiens
(l)Noiis savons que les circonslanros sont pour beaucoup dans
celle siluaiion : il esl à peu près impossible que des efforts indiviiiuels
moiiifienl d'une mnr.icre sensible un 6lal, de choses qui lient à la
consiiiulion actuelle de l'église de France et surtout k rorganisaiion
de l'enseignement ihéologique. C'est Ik qu'il faudraii une réforme,
et nous croyons qu'elle ne serait ni impossible, ni même difficile.
V. dans la Revue, t. ii, p. 481 ss., et t. ni, p. 5 ss., les articles inli-
lult's : Des InsfitnHons académiques dans leurs rapports avec T édu-
cation inlellfctuellc du Clergé. V. aussi 1. v, p. 357 ss., la iellre de
M. le D"" Biiss : Sur la fondation d'Académies théologiques en France.
Ces deux essais (aussi édiles à pari) ont reçu dis adhésions fort
sympathiques. Espérons que la question sera reprise ci menée enfin
à une solution pratique.
(2) M. l'abbé Sorignel a résunn'; d'une nianicrc Irès-complèlc les
travaux français dar.s sa Cosmorjonie de li. Bible devant les srknces
perfectionnées (Paris, 18S4], p. 1-216.
^96 LA BIBLE [TumeVIIL
improvisés torturent le texte biblique, en étendent ou en
restreignent arbitrairement le sens, et quand ils ne font pas
fausse route, ils mêlent à des thèses excellentes de regrettables
inexactitudes. Les développements que nous donnerons plus
loin feront comprendre mieux ces appréciations. Elles s'ap-
pliquent du reste dans toute leur étendue à certains ecclésias-
tiques plus versés dans les sciences naturelles que dans la
théologie.
Je suis loin de vouloir ranger parmi eux le savant et regretté
P. Pianciani (l). Le célèbre professeur du Collège romain,
sans avoir approfondi spécialement l'exégèse et la théologie,
avait sur ces matières de solides connaissances. Et pourtant,
dans son interprétation du texte sacré, on sent trop la main du
naturaliste et pas assez les principes d'une exégèse sobre, saine
et savante. Ce qu'on trouve chez lui, c'est un excellent ré-
sumé des faits géologiques, mais son livre, quoique très-re-
marquable, n'est pas le guide que nous conseillerons sous tous
rapports et sans réserves.
Ces remarques, nous avons le regret de le dire, s'appliquent
dans une mesure bien plus étendue aux Etudes du P. Laurent.
Lui aussi est naturaliste : il a fait de la géologie une étude
spéciale. Nous nous plaisons à reconnaître qu'il se rencontre
dans sou livre d'excellentes idées, des critiques légitimes de
certaines interprétations du texte biblique ; il a eu raison de
rejeter le système dos Jow's-épogiies et les artifices exégétiques
avec lesquels on avait jusqu'à présent essayé de l'établir. Mais
on voit que sur le terrain de l'exégèse il n'est plus chez lui (2).
(■<) Avant l'ouvrage doni nous donnons le litre plus liaul, le P.
Pianciani avait j ublié un premier eisai, plusiturs fois réimprimé de-
puis, et (jui a pour lilre : In hlslorlam creaîionis mosaïcom commen-
tatio. NeapoH, -{851.
(2) V. par exemple p. 9'r, 97, 153, -157, 159, 161, ete. Des pas-
sages comme ceux-ci sont caraciérisliques ; « Parmi les nombreuses
Cïiljquts dont le Pcnlalcuque a été l'objcl, ei qui se Irouveni résumées
dans Vllisloire criiiqve dé l'Ancien Testament, par Ridiard Simon,
Sept. 1863.] ET LA SCIENCE DE LA NATURE. 497
En outre il n'a pas des idées bien précises sur l'autorité de l'É-
glise et l'interprétation doctrinale authentique. 11 va jusqu'à
prétendre que le s jsteaiti des Jours-époques est théologiquement
réprouvé par renseignement traditionnel de l'Église^ et cette
thèse occupe une grande partie de son volume (1). Nous
croyons, nous, qu'elle est fausse exégétiquement , mais nous ne
partageons nullement les principes qui la condamnent au nom
de Torthodoxie : nous croyons que le théologien catholique,
dirigé par l'enseignement traditionnel sur les points qui tou-
chent au dogme et à la morale, a beaucoup plus de latitude.
que ne semble le supposer le P. Laurent. Ce n'est pas ici le
lieu de nous étendre davantage. Nous ne disons rien non plus
de la méthode et de la distribution du livre, qui est défec-
tueuse, ni de la manière trop inégale et trop incomplète de
traiter les questions.
L'ouvrage du D'' Reusch est incontestablement le plus remar-
quable. L'auteur n'est pas naturaliste, il a soin de nous en
avertir lui-même ; il est théologien de profession, et nos lec-
teurs savent qu'il s'occupe surtout de l'exégèse de l'Ancien
Testament. Pour tout ce qui touche à la science de la nature,
il s'en rapporte aux principaux ouvrages publiés en France, en
Angleterre, en Allemagne : il résume d'après les meilleures
autorités les résultats obtenus, en ayant soin de séparer ce
qui est certain de ce qui présente un caractère purement
hypothétique. Cette partie nous semble très-complète, et la
manière dont les résultats sont appuyés par les autorités scieu-
el dans les Conjectures sur la Genèse^ par Astruc et Valer, on ne voit
pas figurer la iransformalion do Moïse en poète, etc. (p. 102). »— « Le
second témoignage est celui de M. le chevalier Drach^ ie plus célèbre
hébraïsant de l'Europe... Il vient de travailler à la réimpression des
hexaples d'Origène, qui contiennent, on le sait, la Bible en six
langues (p. 122). »
(i) Toute la troisième partie des éludes (p. IJo-308), est consacrée
à la démon>lration de celte thèse, dont la conclusion est formulée
p. 308 et reprise p. 250.
U'8 LA BIBLR ITimcVIil.
tifîques les plus récentes, lui donue une grande utilité : avec
un pareil guide, on est dispensé de recourir à des livres que,
du reste, ou n'a pas toujours sous la main. La partie exégé-
tique est traitée avec un très-grand soin. Quelle que soit l'opi-
nion que l'on se forme sur divers points assurément très-
contestables, il est impossible de ne pas reconnaître ici l'œuvre
d'un théologien sûr et d'un exégète habile. Le savant profes-
seur de Bonn allie à la science germanique une clarté d'expo-
sition peu commune et une forme intéressante. 11 est étonnant
que l'on n'ait point songé encore à une traduction française.
C'est à ce livre surtout que nous nous attacherons dans l'ex-
posé qui va suivre. Après avoir établi dans un premier article
les rapports généraux entre la science de la nature et les docu-
ments inspirés, nous consacrerons une courte étude aux récits
de la création et du déluge, tels qu'ils se trouvent consignés
dans la Genèse, en les comparant avec les enseignements de la
science.
H.
Le Dieu qui se révèle dans la nature est le même qui s'est
révélé aux apôtres et aux prophètes, le même qui vit dans son
Église et enseigne par elle. La science de la nature et celle de
la révélation sont deux rayons émanés du même foyer de
vérité absolue; il ne peut doue y avoir entre elles d'opposition
et de contraste. Si parfois nous croyons en apercevoir, c'est
une illusion que la vérité mieux connue fera disparaître pour
montrer l'harmonie dans une pleine lumière.
Quel est le but de la science, quelles sont les limites qui lui
sont tracées, quelle est la nature des résultats obtenus jus-
qu'ici? Toiles sont les questions que doit se poser celui qui
veut établir les bases d'un accord entre elle et les données
de la révélation divine.
Le but poursuivi dans l'étude de la nature, c'est l'explication
Sept. 1801.] ET LA SCIENCE DE LA NATURE. 199
scientifique des faits fournis par l'observation : elle est par là
même circonscrite sur le terrain de l'expérience, bornée aux
faits que constate celle-ci, et aux résultats que donne une in-
duction légitime.
Dès que l'on poursuit un autre but et par d'autres raoyenS;,
on abandonne le terrain de la science ; on se place sur le
sol mouvant des préjugés, on se livre à tous les caprices île
l'hypothèse. C'est ainsi qu'en cherchant avant tout dans la
géologie, par exemple, des armes contre la Bible, on a créé
une immense variété de systèmes qui n'ont d'analogues dans
l'histoire d'aucune science. Un zèle apologétique mal entendu
contribua pour sa part à augmenter la confusion. Aussi la géo-
logie a-t-elle été longtemps à se constituer, et c'est .'i peine si
elle commence à prendre une forme en présentant des résul-
tats positifs au lieu de constructions arbitraires.
Même pour l'observateur impartial, et indépendamment des
préjugés qui aveuglent, il n'est pas facile de lire dans le livre
de la nature. Que de difficultés à vaincre ! Que d'obstacles à
surmonter ! Ceux-là seuls le savent qui se sont occupés person-
nellement de géologie, ou qui du moins ont parcouru quelque
ouvrage propre à les éclairer sur la marche de cette science.
Elle offre un amas de faits tellement complexes, tellement
difficiles à combiner et surtout à expliquer, que souvent l'esprit
hésite et flotte incertain. Quand il s'agit de fixer l'antiquité,
l'âge relatif des couches géologiques, leur mode de formation,
à côté de quelques données certaines le doute et le mystère
occupent une large place. Semblable à un de ces antiques
palimpsestes où l'œil exercé du paléographe plonge sous une
écriture plus moderne pour découvrir les traces à peine visibles
de caractères effacés, la terre semble nous dérober ses secrets ;
sous l'ordre actuel des choses, il faut à grand peine retrouver
les traces des formations primitives et découvrir tout le
travail des siècles. Les procédés rigoureusement scientifiques
n'étant pas toujours applicables, on est forcé de recourir
200 LA BIBLE [Tome VIII.
à l'hypollièse. Evidemment, celle-ci n'a de valeur qu'autant
qu'elle se trouve enharmonie avecles données de toute nature
dont il faut tenir compte : si elle se heurte par quelque point
à la réalité, si elle est en opposition avec des vérités certaines,
elle est par cela même inadmissible.
Le théologien devra donc distinguer soigneusement ces
deux choses : d'une part^, les résultats obtenus par des procédés
rigoureux,, acquis définitivement à la science, et regardés
comme tels par les autorités couipétentes ; de l'autre, les
constructions qui reposent sur un fondement plus ou moins
arbitraire. C'est ce qu'on peut appeler l'élément fixe et l'élé-
ment mobile de la science. Le premier demande qu'on en
tienne compte d'une manière absolue, mais l'autre ne peut
élever de semblables prétentions, car il repose sur une base
fragile ; l'hypothèse croule, si elle est en contradiction avec
une vérité, un fait bien établi.
Il ne peut y avoir de difficulté sérieuse, ou du moins insur-
montable, à concilier les vérités de la première catégorie avec
les données positives de la révélation. En supposant que l'on
n'aperçoive pas de suite l'accord, il faut faire ce que l'on fait
tous les jours en présence de deux vérités scientifiques du
même ordre séparées par une apparente contradiction, c'est-à-
dire attendre que le progrès de la science amène la lumière,
et en attendant ne renoncer à aucune des vérités acquises.
Notre esprit est tellement faible, qu'il n'aperçoit ni le fond
des vérités qu'il possède, ni les rapports secrets qui les unis-
seul. La science a ses mystères comme la foi : si l'on devait
rejeter tout ce que la raison est impuissante à pénétrer, tout
ce qui est en apparence inconciliable, bien peu de vérités
résisteraient à cette épreuve dans le système des connaissances
humaines. Le seul parti à prendre en pareil cas est celui d'une
sage et prudente expectative qui ne sacrifie rien, et qui attend
avec sécurité des lumières plus abondantes. « La première
règle de notre logique, dit Bossuet, c'est qu'il ne faut jamais
Sept. 1863]. ET LA SCIENCE DE LA NATURE 201
abandonner les vérités uue fois connues, mais qu'il faut au
contraire, pour ainsi parler, tenir toujours fortement comme
les deux bouts de la chaîne, quoiqu'on ne voie pas toujours le
milieu par où l'enchaînement se continue (1). »
A plus forte raison ne faut-il pas se laisser ébranler par
des combinaisons purement hypothétiques. En pareil cas, la
conduite à tenir est tracée d'avance. Une hypothèse ne peut
prévaloir contre une vérité certaine ; s'il y a réellement an-
tagonisme, c'est l'hypothèse qui doit céder. Mais aussi le
théologien ne condamnera point trop vite une opinion comme
contraire à la vérité religieuse, car il n'est ni juste, ni prudent
de restreindre sans motif la liberté de la science : il évitera
de se laisser dominer par des idées étroites, de prendre
ses conceptions, ses théories, ses systèmes, pour des dogmes
de foi. Il y a un autre écueil non moins à craindre. C'est d'ac-
cueillir facilement des hypothèses, parce qu'elles nous semblent
concorder avec le récit biblique, et d'étayer en quelque sorte
là-dessus son autorité. Ce procédé, bien peu légitime, est, de
plus, extrêmement périlleux. Ces rapports fictifs tourneront
au détriment de la Bible, quand les théories imprudemment
identifiées avec sa narration seront renversées par d'autres
hypothèses, ou démenties par les progrès de la science.
La théologie, dans ses rapports avec les sciences expéri-
mentales, doit veiller encore à ce qu'elles ne sortent pas de
leur domaine et ne forcent pas leurs conclusions, car c'est là
une nouvelle source de malentendus, et ce n'est peut-être pas
la moins féconde.
L'étude des phénomènes et des lois qui les régissent, telle est
la tâche du naturaliste. Appuyé sur l'observation et l'induc-
tion, il détermine la marche des choses dans l'ordre normal et
ordinaire, tel que l'expérience le constate. Cet ordre est-il néces-
saire et absolu? L'action des causes secondes ne peut-elle pas
[]) Bossuel, Traité du libre arbitre, ch. iv.
202 L\ BIBLE [TomeVni.
être modifiée par l'interveniion d'une causalité supérieure? Le
naturaliste, comme tel, n'en sait rien, car l'expérience, qui
est de son ressort, est ici un critérium tout négatif et insuffi-
saut. De ce que M. Maury ou M. Littré, par exemple, n'ont
jamais vu de miracles, il ne s'ensuit point qu'il n'y en a
jamais eu, qu'il ne peut y en avoir. Si donc un naturaliste
argumente contre le miracle, s'il prétend en démontrer
l'impossibilité ou la non -existence, il sort de ses attributions,
il entre dans le domaine de la théologie, de la philosopliie
et de l'histoire. Ce n'est pas le naturaliste qui parle, c'est le
polémiste ; il ne puise point les armes qu'il emploie dans
ses connaissances spéciales, puisque celles-ci n'en fournissent
aucune: il va les chercher ailleurs dans ses préjugés, dans
ses opinions préconçues, ou du moins dans un ordre d'idées
et de faits qui sont du ressort d'une autre science. Ne laissons
donc jamais dire que les résultats acquis par les sciences natu-
relles sont incompatibles avec le miracle. Encore une fois, ces
résultats fixent les lois de la nature, que nous sommes loin de
nier, mais ils n'établissent point que le Dieu vivant s'est effacé
devant un mécanisme impitoyable, en y enchaînant à tout
jamais sa liberté. L'expérience et l'induction basées sur les
faits ordinaires de la nature sont ici d'une complète insuffi-
sance : c'est ailleurs qu'il faut s'adresser pour avoir une
solution.
Il faut dire la même chose des questions d'origine. Il est évi-
dent qu'elles sont en dehors de l'observation. La science dit :
Donnez-moi la matière et les lois qui la régissent, et je vous
ferai assister au développement des choses. Soit; mais cette
matière, d'où la tirerez-vous ? Mais ces lois, d'où viennent-elles
et qui les a établies? Voilà des problèmes que l'observation ne
peut résoudre, et sur lesquels l'induction ne fournit aucune
lumière : les sciences naturelles sont ici encore nue fois in-
compétentes.
Quand donc on viendra nous parler au nom de l'expérience
Sept. l.Sr,3| ET LA SCIENCE DE L\ NATURE. 203
et nous dire qu'elle ne fouruit aucun exemple de création de
substances, nous en conviendrons, mais en ajoutant que l'ob-
servation porte uniquement sur lo fait actuel, sur le monde
tel qu'il existe aujourd'hui et les lois qui le régissent. Quant
au développement primordial dont cet état de choses est la
résultante, les sciences d'observation ne peuvent e!i assigner ni
la cause ni le mode essentiel : leur rôle se borne à éclairer sa
marche par des conjectures sans remonter jusqu'à son principe
même. Encore ces aperçus sont-ils eux-mêmes hypothétiques.
Ils indiquent comment les choses ont pu se passer, et non pas
comment elles se sont passées en effet. Nous répéterons par
conséquent ici ce que nous disions il y a un instant. Ce n'est
pas le géologue ou l'astronome qui argumente contre le dogme
de la création : c'est le théologien ou le philosophe caché
sous le manteau du géologue, ou plutôt c'est l'homme incom-
pétent que ses préjugés lancent dans un ordre de questions
étranger à ses études habituelles, et qui mêle aux résultats de
la science des assertions qui en faussent le caractère en en
exagérant la portée.
m.
Le théologien et Texégète doivent s'efforcer à leur lour de
bien saisir le sens des documents bibliques, et de ne point
leur faire dire plus ou autre chose que ce qu'ils contiennent.
De môme que le naturahste peut mal interpréter le livre de
la nature, de même le théologien peut mal interpréter celui
de la révélation. L'Église seule est infaillible dans son inter-
prétation authentique des Livres saints, en tant que leur con-
tenu se rapporte à la foi et aux mœurs. Mais sa mission s'ar-
rête là. Tout ce qui est histoire, critique, philologie, tjut ce
qui n'a pas un rapport direct et essentiel aveu la doctrine, est
simplement du ressort de la science : c'est la tâche de l'exé-
gète. Or celui-ci, comme tout autre savant, est sujet à se
tromper. L'exégèse requiert une aptitude et des connaissances
2P4 LA BIBLE [Tome VIII.
spéciales; elle suit le progrès dos connaissances humaines, elle
est sujette aux mêmes vicissitudes, aux mêmes variations, aux
mêmes incertitudes.
Quand donc on a peine à concilier les données scientifiques
avee le récit delà Bible interprété de telle ou telle façon, il faut
voir si la difficulté tient aux choses mêmes et non à la manière
dont elles sont exposées et comprises : en d'autres termes, si
ce n'est pas le naturaliste ou le théologien qui se trompent,
qui interprètent mal la nature ou la Bible. On trouvera bien
souvent qu'il en est ainsi. Le naturaliste se sera lancé sur le
terrain de Thypothèse ; le théologien aura entendu la lettre
dans un sens trop étroit ou même complètement faux ; il aura
imposé à la Bible ses idées et ses conceptions personnelles.
Beaucoup d'apparentes autilogies se résoudront sur le champ
par cette méthode.
Pour bien comprendre les récits bibliques, il faut se faire
une idée juste de leur nature et de leur caractère : sans cela
on est exposé à y chercher ce qu'ils ne contiennent pas et à
fausser le sens en forçant les expressions ou en les prenant
dans une acception trop littérale.
Qu'est-ce que la Bible? Que sont en particulier les écrits de
l'Ancien Testament? Ce n'est point une encyclopédie univer-
selle écrite eu vue de faire progresser les sciences ou de satis-
faire un intérêt de curiosité purement humaine. La physique,
l'astronomie, la géologie n'ont pas à y chercher des lu-
mières,
La Bible, c'est la parole de Dieu, c'est le recueil inspiré des
oracles de Celui qui, ayant parlé autrefois par les prophètes,
nous a parlé enfin par son Fils. L'Ancien Testament contient
les archives de la révélation depuis les premières origines
jusqu'à l'ère chrétienne. Ce sont les annales de la théocratie :
annales qui manifestent les conseils de Dieu sur le peuple élu,
et les moyens qu'il a pris pour le préparer à sa grande des-
tinée; annales qui retracent l'évolution de l'idée divine mani-
Sept. 1863.] ET LA SCIENCE DE LA NATURE, 205
festée graduellement au monde, jusqu'à l'époque où elle allait
se réaliser dans le Christ.
L'idée religieuse, par conséquent, voilà Tesseuce du Livre
divin, voilà son objet propre : le reste est cadre et accessoire.
Préparer la venue du Messie, et pour cela épurer et compléter
les croyances religieuses, entretenir et développer les espé-
rances messianiques, voilà ce que Dieu se proposait. L'inspi-
ration des écrivains sacrés ne leur ouvrait des horizons nou-
veaux que dans le domaine de la vérité religieuse. Moïse,
David, les Prophètes, quoique favorisés de lumières spéciales
par rapport à Téconomie divine dont ils étaient les instru-
ments, n'avaient pas pour cela la science universelle. En dehors
des choses que Dieu leur révélait et qu'il les chargeait d'an-
noncer aux autres, ils n'avaient que les connaissances de leur
époque et les moyens d'instruction à l'usage de leurs contem-
porains. La nature conservait pour eux ses mystères et ses
voiles.
Toutefois, l'élément naturel et humain avait aussi sa place
dans la trame de leur enseignement. Il était impossible que,
sous sa forme historique ou didactique , leur exposé ne
touchât point des choses étrangères à son contenu direct. Ainsi,
Moïse en enseignant au début de son livre le dogme de la
création, trace le tableau de l'origine des choses, et par là-
même se trouve sur le terrain des sciences naturelles.
On ne peut douter que, dans ce cas, les écrivains sacrés
n'aient été mis à l'abri de toute erreur par le don de l'inspira-
tion. Une erreur quelconque était incompatible avec le caractère
divin de leur œuvre : la parole de Dieu ne peut enseigner le
mensonge. De quelque manière, en effet, que l'on entende le
don de l'inspiration (1), il faut admettre que, dans un sens
très-vrai, les écrits inspirés sont l'œuvre de Dieu; que par
conséquent leurs erreurs, s'ils en contenaient, remonteraient
(^) V. l. I de cette Revue, p. 442 ss., 507 ss., les articles sur Vlnspi-
ration des Livres saints.
206 LA BIBLE [Tome VIII.
jusqu'à Dieu. C'en serait fait aussi de leur autorité. A ce
propos, nous ferons observer combien il est remarquable
que la Bible n^ait pas donné dans les conceptions cosmogo-
niques extravagantes, dans les idées sur ia nature et le sys-
tème du monde qu'avait enfantées l'imagiualion des peuples
antiques, et que nous retrouvons à chaque page des livres sa-
crés de rinde. II n'y a pas un mot dans la Bible qui rappelle
ces chimères, et qui soit en opposition réelle avec les ensei-
gnements de la science. Les écrivains sacrés se renfer-
ment à cet égard dans des fora.ules dogmatiques, el dans
un exposé des faits où la raison la plus exacte n'a jien à rele-
ver, et qui, par sa large contexlure, permet à la science d'y
adapter tous ses résultats.
Une remarque est encore nécessaire, et, faute de l'avoir
faite, l'incrédulité du dernier siècle ou même le rationahsme
de notre époque ont soulevé contre le caractère inspiré des
Livres saints de puériles difficultés. Les écrivains bibliques
se servent des locutions usuelles que le langage commun a
consacrées, et qui sont restées jusque dans la bouche des sa-
vants de profession. Tout le monde dit : Le soleil se lève, se
couche, disparait à l'horizon; le style poétique ou soutenu
admet la voûte des cieux, les fondements de la terre, etc., etc.
Les auteurs inspirés ont parlé le langage de leur temps et de
tous les temps : s'adressant à des hommes, ils ont employé
les formules du langage humain. De là, pour citer un exemple
fameux, la parole de Josué : Soleil, arrête-toi! Aujourd'hui
même, il serait parfaitement ridicule de s'exprimer autre-
ment. Le langage usuel se règle toujours d'après les appa-
rences, quoique nous sachions très-bien que ces apparences
sont trompeuses.
C'est à ce point de vue qu'il faut se placer pour expliquer
les poétiques métaphores de Job, des psaumes, des prophètes.
Il ne peut y avoir là aucune ditliculté pour un esprit sérieux.
Mais, en employant ces locutions usuelles, les auteurs in-
Sept. 1803.1 ET LA SCIENCE DE LA NATURE. Î^OT
spires y attachaient-ils un autre sens que leurs contempo-
rains? Avaient-ils, sur le système du monde, des idées plus
exactes et plus complètes? Cela nous importe fort peu.
L'essentiel est que ces locutions ne constituent point une
tache pour le livre qui les renferme, et qu'elles n'aient pas
le caractère d'une erreur. Or, ceci est indubitable , car ,
aujourd'hui, avec des notions certaines sur toutes ces choses,
on ne s'exprime pas, on ne peut s'exprimer autrement. L'in-
spiration n'avait donc point à garantir nos auteurs contre des
formules, non-seulement légitimes, mais d'un usage indispen-
sable. Ils n'eussent pas été compris en s'exprimant d'uue ma-
nière différente. Ce miracle n'était pas seulement inutile et
sans but : il était contraire à la fin même de la révélation, car
il eût soulevé contre elle des difficultés que rien ne pouvait
alors empêcher ou aplanir, à moins que, par un nouveau mi-
racle psychologique. Dieu n'eût mis tous les lecteurs à la
hauteur du livre qui leur était destiné. C'est ainsi qu'en aban-
donnant la simplicité des voies de Dieu, nous arrivons immé-
diatement à l'absurde.
Mais enfin, pour en revenir à la question proposée, Moïse,
David^ les prophètes, ne partageaient-ils pas, comme tous les
Hébreux, les idées éveillées par les locutions qu'ils emploient,
et que nous regardons, nous, comme métaphoriques ? Sous
les réserves posées plus haut, nous dirons qu'il n'y a vraiment
aucun motif de penser le contraire. La révélation éclaire l'es-
prit du voyant sur le point particulier, sur la vérité ou la doc-
trine religieuse qui en est l'objet, mais elle n'a point pour
effet de lui donner la science universelle et de lui apprendre,
par exemple, la physique et l'astronomie. En vertu de l'inspi-
ration, il écrit sans se tromper ce qu'il a mission d'écrire :
il n'a pas pour cela des notions complètes sur tout ce qui
touche à cet objet d'une- manière indirecte, et sans appartenir
à l'économie du salut.
E. Hautcoeur.
LA "VERITE
FACULTE DE THÉOLOGIE DE PARIS
do leea à les»
D APRES DES DOCUMENTS INEDITS.
Dtioxième article (1).
§111.
Autres renseignements secrets transmis à Colbert sur les docteurs
de la Sorbonne.
A la pièce publiée dans notre premier article, nous pou-
■vons en joindre une autre qui n'est'pas moins curieuse, et qui se
trouve aussi à la Bibliothèque impériale, Ms. Colùert 155, Vc,
(page 55 et suiv.). Elle ne servira pas peu à compléter les ou-
vrages de biographie. Nous nous permettons, en la transcri-
vant, d'ajouter un numéro à chaque titre.
I.
Les Docteurs de la maison de Sorbonne.
Messier. — Accablé de vieillesse, âgé de 92 ans.
De Mince. — L'esprit et l'âme d'un vieux gentilhomme
(I) Y. le numéro d'août, p. 97 ss.
Sept. 486 3] LA VÉRITÉ SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 209
français ; aimaut sou prince et son uutorité, et haïssant tout
ce qui y est contraire; incapable de fourlte; dont le sens com-
mun et la présence d'esprit dans les occasions pour tourner
une affaire dans le bon sens, et se défaire de tout ce que l'on
peut lui opposer pour lui faire de la peine, est sans contredit
extraordinaire, aussi bien que sa fermeté.
Morel. — Bon naturellement, honnête, emporté par pre-
mier mouvement, cherchant à être bien à la cour et avec les
grands, et avec tous ceux qui ont crédit, attaché à M. le chan-
celier par sa pension pour les livres, et par reconnaissance de
ses caresses. Bon serviteur du roi ; que Ton gouverne fort fa-
cilement, étant fort raisonnable, et point trop attaché à ses
sentiments.
Patu. — Rien. Gouverné quelquefois par M. Morel, lorsque
M. de Mince ne lui parle pas ; sans intérêt ni vue ; bon
homme.
Duchesne. — Homme qui est toujours bien intentionné, suivant
toujours son sentiment; n'en changeant jamais quel qu'il soit;
s'estimant seul infaillible. Il ne faut point prétendre le gou-
verner, mais seulement chercher ses inclinations pour lui ca-
cher les choses si elles ne lui plaisent pas.
Bétille. — Bonne tète, normand, prenant bien son parti, in-
dififérent et promettant volontiers. 11 a été commissaire dans
l'affaire des propositions et a fait son devoir.
Bréda. — Homme qui a été toujours porté d'inclination
pour les sentiments anciens de la Faculté; qui dans sa jeunesse
les a sus, eu sorte que les principes lui restent ; mais l'appli-
cation à sa cure, ses sermons l'empêchent de savoir les choses
à fond. Ainsi il ne peut pas examiner les thèses, voulant être
employé par M. de Paris et fort attaché à lui. Le dernier qui
lui parle, pourvu qu'il le flatte, l'emporte, et lui fait même
dire un sentiment, bien qu'il se soit auparavant déclaré pour
le contraire. Sujet à des incommodités et des fièvres; mettant
sa félicité dans une maison de campagne qu'il a, où il se tient
210 ^ LA VÉRITÉ IToinoVllI.
ordinairement. Aussi ne peut-il pas faire exactement sa charge
de syndic. II est suivi dans la Faculté à cause qu^il prend sou-
vent le bon parti ; et comme il sait se soutenir de ceux qui
lui parlent, il ne se fait rien d'un côté et d'autre dont on ne
lui parle, gardant loujours sa société et son commerce, et
même de petits divertissements avec M. Grandin et autres. Il
parle purement latin, et tourne assez bien les aflaires.
Flavigny. — Gentilhomme picard, emporté naturellement,
et opposé aussi dès sa jeunesse à tout ce qui peut plaire à
M. Grandin et à ses amis. C'est un homme propre à faire pro-
poser tout ce que l'on veut, pourvu que cela soit violent. Op-
posé à Rome et à ceux qui suivent les o^)inions de ce pays là,
pourvu aussi que l'on l'assure qu'il ne sera pas abandonné.
Sachant bien la langue hébraïque, et rien que cela ; assez bon
humaniste. Il a toujours eu des procès pour sa famille. Il est
pauvre, devant partout, hardi, et va vite. Ses ennemis ne
manquent pas de le calomnier. Sait bien sa bible hébraïque.
Dndon. — Attaché à ses intérêts, homme rustique, pédant,
point de considération pour la cour, ce motif le choquant.
Homme caché, faisant réussir ses desseins par dessous main,
et ne parlant point en public; mais tout-à-fait opposé aux sen-
timents de Rome, quels qu'ils soient, et à ceux qui les suivent.
Aimant mieux sa liberté et haïssant toute contrainte et domi-
nation dans ses sentiments. Assez riche pour un homme de sa
condition et pour ne rien souhaiter. Propre, quand une chose
lui plait, à parler à ses amis pour la faire réussir.
Lodencq. — Naturellement chagrin et hargneux, faisant
profession d'aimer la reconnaissance. Fier et altier dans ce
qu'il s'est mis à la tète ; point trop intéressé et n'aimant pas
assez le bien pour en acquérir par ses actions, mais seulement
pour le conserver; fort attaché au parti des Jansénistes; fort
attaché à M. le cardinal de Retz ; haïssant tout ce qui peut
sentir la violence et choquer sa liberté ; fixé, s'il ne change,
à vivre et mourir le reste de ses jours en Sorbonne.
Sept.l8G3.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 211
Roullé. — Méprisé par tout le monde, personne n'ayant de
créance en lui. Parlant facilement mal latin, mais emporté
quand il suit son naturel; étant pourtant fort opposé aux Jan-
sénistes, et voulant tout ce que l'on lui dit, pour plaire à la
cour. Je ne croirais pourtant pas à propos de lui faire propo-
ser les choses que l'on pourrait vouloir, de peur de rebuter
plusieurs personnes.
Poncet. — Homme d'honneur, honnête homme, homme de
bien.
Porcher. — Sage, beaucoup de feu, qu'il retient pourtant,
savant, le meilleur officiai du royaume; aimant les Jansénistes,
opposé à tout ce qui vient de Rome; ne voulant point se com-
mettre avec personne; cherchant souvent pour cela dans les
assemblées des tiers partis qu'il prend pour ne choquer pas
les gens. Secret, caché, aimant les livres, les connaissant;
n'aimant point le bruit ni le désordre, ferme dans ses desseins,
plus en particuher qu'en public. Propre à être syndic, s'il n'y
avait rien à craindre des Jansénistes, ou s'il ne fallait pas que
la Faculté y eût quelque part, auquel cas il y faudrait bien
penser.
Mazure. — Curé de Saint-Paul, homme de cabale et à la con-
duire sûrement, sourdement ; qui veut ce qu'il veut ; haïssant
les Jésuites et la cour de Home ; qui se sert bien de ce qu'il sait;
lassé des persécutions des Jésuites, mais qui y résiste par bra-
voure, plein de tierlé; aimant si je ne me trompe les affaires,
et un peu dangereux à ce que l'on dit; qui a beaucoup de
créance dans les lieux où il a enti'ée; qui voudrait pourtant se
reposeï' honorablement et être à l'abri de l'insulte. Intrépide
et homme de service pourvu qu'il l'ait promis et qu'il le
veuille ; fort ami de tout ce qui approche du jansénisme et qui
est opposé à Rome. Fort propre à proposer et soutenir ce que
l'on voudra, qui soit conforme à ses sentiments, et qui prend
bien son parti dans le moment. Bien intentionné, honnête
dans ses sentiments; de la coterie de MM. Lodencq et Druion.
212 LA VÉRITÉ [TomeV;iI.
Prédicateur et par conséquent peu savant, mais qui sait bien
les principes contre les entreprises de Rome, desquels il n'est
pas difficile de le faire servir.
Grandin. — A beaucoup d'esprit pour les lettres, fort bon
humaniste et qui sait les belles-lettres. Composant extrême-
ment bien en latin, mais le récitant mal; faisant bien des vers,
et s'attirant l'estime de ceux devant qui il parle. Voyant dans
les affaires tout ce qu'on y peut voir et quelquefois même plus
qu'il ne faut. D'un naturel extrêmement timide ; aimant son
repos plus que toutes les choses du monde; attaché à son col-
lège ; respectant naturellement les puissances ; attaché d'in-
clination aux sentiments de Rome, et aux Jésuites et à toutes
leurs opinions ; en connaissant parfaitement et le fort et le
faible des unes et des autres, et ayant même un fond d'indif-
férence pour toutes les opinions^ les croyant assez probables.
Ne se souciant guère de sa réputation; infatigable au travail;
fort savant dans les matières de l'école et des thèses. Peu sûr
pour ses amis, ne faisant nul état des lois et des règles de
l'amitié, quand il veut faire quelque chose. Plus caché et cou-
vert que tous les hommes du monde. Affectant une simplicité
et naïveté, avec quoi il fait passer les choses qu'il veut adroi-
tement. Ses ennemis disent qu'il a l'esprit fort dangereux,
captieux : je ne le crois pas pourtant, ni qu'il soit un homme
de grande cabale. Il se peut bien gouverner, pourvu que l'on
le prenne selon ses faibles et que l'on ne le cabre pas. Il est
plus propre à ètz*e conduit qu'à conduire; si l'on se sait servir
des connaissances qu'il a_, et l'en faisant ressouvenir, il y a fort
peu de choses dont on ne le fasse convenir. Il a beaucoup de
faiblesse à l'égard de ses amis qui prennent ascendant sur lui,
aussi bien que pour ses ennemis qui se peuvent faire craindre.
11 n'aime nullement les affaires et les embarras, et je ne pense
pas qu'il soit à gages pour les intérêts do Piome, l'argent ne
venant pas de ce pays-là, où ils sont accoutumés d'en recevoir
et de n'en pas donner. 11 faut beaucoup de patience et de
Sept. 1863 1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE LE PARIS. 213
flegme pour le conduire et ne se rebuter pas de ses inéga-
lités, qui paraissent quelquefois bizarres. Cela vient d'un fond
qu'il a de défiance et de soupçon contre tous ceux avec qui il
parle.
Gamache. — Esprit pesant, homme de bien et d'honneur,
mais faible; peu de science, beaucoup de probité et de bonne
intention; fort obsédé par les dévots, religieux et religieuses ;
enclin et attaché aux sentiments de Rome, n'ayant jamais la
les autres choses.
Grenet, curé de Saint-Benoît. — Homme fier dans ses senti-
ments, hardi, ne craignant rien. Attaché pour tout ce qui est
contre Rome, non pas avec emportement; mais quand on l'y
oblige, il le fait paraître. Inquiet, actif, entreprenant quand on
le pousse.
Chaillon. — Homme naturellement fort emporté, et beaucoup
pour Rome, ayant pour son premier principe que Papa oinnia
potest. Plus jésuite que les Jésuites ; faisant par son impé-
tuosité naturelle beaucoup de bruit, mais ayant peu de
créance. D'ailleurs homme de bien; mais persuadé que tous
ceux qui ne sont pas dans ses sentiments sont jansénistes, et
qu'ils veulent perdre l'Église, et qu'il faut s'y opposer. Pouvant
proposer toute chose, s'il est excité et s'il n'est pas fortement
retenu.
Gobinet. — Intime de M. Grandin, suivant en tout ses sen-
timents, et le gouvernant même quelquefois ; mais il a l'esprit
rude, entend difficilement raison, et ainsi ne pouvant être
gouverné; sachant bien les affaires.
Banneret. — Rien, et gouverné par M. de Flavigny ; sachant
assez de la langue hébraïque.
Du Tilloy. — Vit honnêtement ; qui a bien prêché autrefois ;
indifférent dans ses opinions, et gouverné facilement par la
cabale de Rome. L'on dit même qu'il y est plus attaché qu'il
ne parait et qu'il leur donne volontiers les avis qu'il peut; mais
je ne le sais que par ouï-dire.
2i4 LA VÉRITÉ [Tonio VIlI.
Desgraves. — Est extrêmement médiocre, à la réserve qu'il
est fidèle à ses amis et qu'ordinairement il prend le bon parti,
et s'absente volontiers; aime son repos.
Gaudin. — Voulant plaire à tout le monde et ne pouvant se
déterminer par lui-même à rien ; parlant facilement latin ;
toul-à-fait attaché à M. de Paris, et ne fait que ce qu'il voudra;
et ainsi il ira toujours bien ; prédicateur, et fort peu savant;
ayant bonne opinion de tout ce qu'il fait; mais point de suite
dans la Faculté, à moins qu'il n'agît dans le cloître Notre-
Dame, avant de venir à la Faculté, auprès de quelques cha-
noines qu'il y a; patelin de son métier,
S achat , curé de Saint-Gervais. — Homme attaché à ses
plaisirs, aimant et affectant l'extérieur. Ne dit jamais son
sentiment dans la Faculté; aussi de nulle suite; gouvernant
ses dévotes. Il est assez intéressé et ambitieux pour faire ce
que l'on voudrait pour et contre. Je ne le connais pas par
moi-même.
Cappeluin. — Un des hommes de l'Europe qui sait le mieux
les langues orientales ; plus estimé dans le pays étranger que
dans le royaume, où à peine il est connu : c'est un trésor
caché. Étant naturellement timide; d'une humeur difficile
dans la conversation; extraordinairement particulier. A plus
de bien qu'il n'en veut, bien qu'il n'en ait pas beaucoup. A de
grands desseins sur les sciences, mais libertin dans ses études :
cela veut dire, n'étudiant que ce qui le divertit et qui lui vient
en fantaisie; de nulle cabale; opposé pourtant à Rome, mais
ne s'en souciant point. Préfère à toutes les choses du monde
la conversation d'un misérable juif ou oiiental, quand il en
trouve qui savent quelque chose.
Maynet. — Médiocre; est tout-à-fait à M. l'archevêque de
Rouen ; fort porté pour Rome, mais qui ne parle point latin
en public.
La Magdelaine Camus. — Fort doux et paisible; l'esprit facile,
délicat; en réputation dans la maison de Sorbonne et dans la
Sept. 18G3] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 215
Faculté d'homme de probité. Se retirant volontiers pour ne se
faire pas des affaires, quand il ne voit pas sûrement par où il
en sortira. Il est ami et obligé à M. de Rancé, qui lui a donné
un de ses bénéfices. L'inclination des gens savants et modérés;
a du discernement pour les choses ; n'a pas déclaré ses senti-
ments dans les dernières affaires ds la Faculté, d'où il s'est
absenté.
Quatrehommes. — llîen : cela veut dire, qui ne parle pas
dans la Faculté, ni qui n'agit pas au dehors ; et qui dit son
idem avec ceux qui sont pour Rome, ne sachant point ces
matières là ni beaucoup d'autres.
Galet. — Encore rien.
Ues Ruols, — Neveu de feu de M. de Monchal, archevêque
de Toulouse, et qui avait donné de beaux commencements,
ce neveu ayant assez de dispositions pour le monde et pour les
sciences ; mais depuis la mort de son oncle, il n'a plus tra-
vaillé. Il vient dans les assemblées quelquefois; mais de nulle
suite, n'ayant point pris de parti déterminé, bien que d'incli-
nation il soit contre Rome.
Lamet. — Esprit délié, pénétrant, secret, et parlant peu;
savaut; aimant les anciens sentiments de la Faculté, les fâ-
chant bien ; ne se commet point ; néanmoins hardi, quand il
s'est déterminé à quelque chose. Qui a été toujours avec
M. le cardinal de Retz, de fort bonne maison, et homme d'ex-
pédient et d'ouverture.
Chamillai^d le professeur. — Naturellement chaud, aimant sa
réputation, ferme et vigoureux. Quand il entreprend quelque
chose n'en démordant point, si ce n'est que des vues essen-
tielles l'en détournassent ; d'une grande régularité extérieure,
et aussi, sans doute, intérieure ; qui a du revenu en bénéfices;
homme de sens et de conduite. Attaché aux sentiments de
Rome et d'inclination, et à cause de la dévotion et des connais-
sances qu'il a prises, et principalement par les grandes décla-
.rations qu'il en a faites dans ses leçons publiques. Aimant la
216 LA VÉRITÉ f Tome VIII.
discipline de l'Lcole et de la Faculté ; eu faisant nu grand
capital ; naturellement enclin à la sévérité pour la discipline
de l'Église. Il s'absentera plutôt que de faire quelque chose
qui déplaise à la cour; mais aussi, sans la dernière violence,
il ne se déclarera point contre Rome. Il chercherait volontiers
un milieu. Le meilleur est de ne pas songer à lui pour le syn-
dicat, à moins qu'il ne fût nécessaire de pousser les Jansénistes
par la Faculté; auquel cas il faudrait prendre beaucoup de
mesures pour s'assurer qu'il ne souffrirait pas que Ton fit rien
pour détruire ce qui est fait.
Lestocq, professeur. — L'esprit beau , extraordinairement
facile, se piquant d'être agréable dans les conversations, sait
les belles lettres , aime que l'on fasse cas de lui et que l'on
l'estime; voulant assez dominer; fort agissant et courant vo-
lontiers les maisons pour faire réussir ce qu'il veut; sait les
affaires ; parle latin très-facilement ; tournant assez bien les
affaires; très-propre à être syndic; déclaré contre les Jansé-
nistes, bien qu'ils crussent en être assurés; c'est pour cela
qu'il y aurait de la peine à le faire réussir; dans le fond de
l'âme ne croyant point et n'étant point attaché aux opinions
de Rome ; il s'en est expliqué à moi là-dessus ; mais pourtant
il garderait beaucoup de mesures honnêtes pour Rome. Ayant
ses liaisons avec les Jésuites, et s'est même déclaré dans le
cours de ses leçons, étant professeur à la place de M. de Sainte-
Beuve. Il loge chez M. Catinat. Se piquant de n'être pas gou-
verné, mais plutôt de gouverner. S'il y avait à le ménager
entre Rome et les Jansénistes, prenant des mesures avec lui,
il serait très-propre pour le syndicat ; car il sait, parle faci-
lement, entend les affaires. Il y aurait pourtant quelque peine
pour le faire élire ; la maison de Sorbonne aurait peine de se
réunir pour lui.
Charnillard le jeune. — Sage, modéré, dévot, bel esprit, la-
borieux, aimant uniquement ses livres, savant, naturellement
timide, régulier; n'a point connaissance du monde; le fuyant
Sept. 1S63.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 2\1
par dévotion ; qui juge sainement sur les sciences, et qui se
donnerait assez de liberté dans ses sentiments et ses paroles,
sans l'obsession des dévots et de son frère.
Boust, professeur. — Professeur de Sorbonne, fort sage, fort
modéré, craignant Dieu ; froid, mais qui voit avec un peu plus
de temps ce que les autres voient plus vite. Exact, parlant
peu, honnête; qui ne s'est pas voulu déclarer sur ses opinions,
parce qu^il n'a pas encore assez étudié ces matières pour en
juger par lui-même, et il ne s'en veut pas rapporter aux
autre?. C'est un homme fort propre à servir quand on le sait
ménager, connaissant bien les esprits et leur portée. N'a pas
de bien, et garde une chanoinie à Chartres à regret et par né-
cessité. Si on lui en voulait faire pour l'exciter à se déclarer,
il faudrait que ce fût dans le dernier secret. S'il y avait
quelque changement dans les chaires des professeurs, l'on
aurait peine à mettre une autre personne que lui à la
place, à cause que la science est de petit revenu, et qu'il y a
peu de sujets propres pour remplir ces places, parce qu'il faut
de la science et parler bien et facilement latin.
Leblond, professeur. — Professeur de Sorbonne, d'un natu-
rel impétueux, bon pourtant dans le fond, qui va brusque-
ment là où il croit devoir aller en conscience. Est persuadé
des opinions romaines autant qu'on le peut être, et de bonne
foi; a fort lu, sur ces matières, !M. Du Perron. Bon ami, sûr,
plein de foi, donnant tout à l'amitié; c'est ce qui fait qu'il a
quelque crédit, ses amis l'estimant et craignant de le fâcher,
ce qui arrive fort souvent. Quoiqu'un des plus emportés en
faveur de Rome, à moins de voir lieu de réussir, il ne propo-
sera rien ; mais aussi jamais il ne dira un mot directement ou
indirectement contre, étant homme de bien et persuadé de
bonne foi. N'y ayant point d'espérance qu'il revienne, peu
suivi dans l'école, à qui il ne faut pas parler que pour lui
faire craindre qu'on pourrait aller plus loin qu'on ne veut aller,
et par là il se modère dans les occasions, voyant qu'il ne
218 LA VÉRITÉ [TomeVllI.
reçoit pas tant de mal qu'il craignait. Fort ami de M. Gran-
d.in, et que M. Grandin appréhende extrêmement. Ne peut
comprendre qu'il soit de l'intérêt du roi de s'opposer à l'établisse-
ment de la souveraineté de la puissance du Pape expliquée dans
la manière romaine.
Gobillon. — L'esprit souple, s'insinuant hardiment, déclaré
contre les Jansénistes dans l'affaire de M. Arnauld. Assez d'é-
lévation dans sou esprit, sachant assez les matières de Rome
et son saint Thomas. Député dans l'affaire des propositions, et
tint bien ce qu'il m'avait promis. Sûr quand il est appuyé, et
ne s'est jamais trop déclaré ni pour ni contre ; fort attaché à
M. de Paris. Il serait propre à être syndic; il n'y aurait que
les bacheliers d'incommodés, à cause qu'il est curé de Saint-
Laurent. D'inclination contre Rome.
Charton. — Homme fort médiocre en tout, ne le croyant
pas être; étudiant seulement les cas de conscience. Tout-
à-fait pour tous les sentiments de Rome ; ne pouvant rien
faire contre Rome, si ce n'est qu'il fût conduit sans savoir ce
qu'il ferait. 11 a du crédit sur les sous-pénitenciers, et cela
fait nombre; mais dans la Faculté il ne parle pas, mais il
gronde et excite ses voisins à crier, ou il s'absente quand il
ne croit pas être utile, croyant que sa présence autorise ce
qui se fait; ainsi, pourvu qu'on le sache gouverner, il est fa-
cile de le faire absenter.
Dessartes. — Homme médiocre, qui se peut pourtant gou-
verner.
Giloc. — Véritable homme de bien, vendant le fond de son
bien pour entretenir de pauvres écoliers qu'il fait étudier pour
servir l'Eglise. D'une discipUne extérieure et intérieure ri-
goureuse, pour lui et pour ceux qu'il conduit. Ne se soucie
guère des choses qui se passent à la Faculté. Ne prenant et
ne découvrant son parti que sur le lieu. Incapable de cabale;
néanmoins enclin aux sentiments de Sa Sainteté. Ne changeant
point de sentiment, quand il est déterminé.
Sept. 1S63.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 2i9
Pinteville. — Il faut le gouverner comme un enfant capri-
cieux que l'ou ne veut pas rebuter ni abandonner. Pour les
affaires ordinaires, il ne faut pas s'y amuser.
Dumets. — Rien aussi. De tous les sentiments dos dé-
vots.
Guéret. — Rien aussi, bien qu'il ait quelque esprit et beau-
coup de simplicité et de piété.
Cocquelin. — A l'esprit élevé, beau, net, adroit, de la con-
duite et du savoir-faire ; et, pour le désigner en un mot avan-
tageusement comme il le mérite, il est estimé de M. Letellier
et est à lui. Bien intentionné ; a fort peu de bien, parce qu'il
est cadet d'une maison que son père a ruinée dans le service,
et que son abbaye est extraordiuaircment petite. Court risque
de finir le reste de ses jours assez incommodé, quand même
le roi lui donnerait un évèclié de petit revenu, à cause que
n'ayant plus de bien, il faudrait qu'il empruntât pour avoir
des bulles, meubles, vaisselle, ornements, chapelle, équi-
page, sacre, voyage. Tl n'aurait pas assez de vie, étant déjà
fort gris, pour payer ses dettes, principalement étant de qua-
lité à ne pouvoir pas vivre, étant en place, comme un misé-
rable. Aussi semble-t-il que les évêcbés de petit revenu sont
propres pour des personnes qui ont accoutumé de vivre de
peu ou qui ont du bien d'ailleurs, ce qu'il n'a pas. Le roi,
ayant entre les mains plusieurs grâces à faire, serait peut-être
touché en sa faveur, s'il avait la bonté de se souvenir qu'il a
fait ce qu'il a pu pour faire paraître son zèle pour le service,
soit dans les dernières assemblées du clergé, soit dans la Fa-
culté, où il a imaginé les propositions qu'elle a présentées à
Sa Majesté.
Sauvage. — Normand d'une humeur fort douce ; de l'esprit,
infirme, n'a pas étudié. A obligation à M. Grandin, et fort
enclin pour Rome. Il est auprès de M. l'abbé d'Albret.
Petit pied. — Procureur de Sorbonne, conseiller du Cbâte-
let, incapable d'autre chose; changeant de sentiment et de
220 LA VÉRITÉ (Tome VIII.
coDduite suivant ses petites vues d'intérêt. De nulle sûreté,
dangereux, et à qui il ne faut point parler de ce que Ton veut
faire, que quand les choses sont assurées.
Catinat. — Honnête homme, fort aisé, homme de bien, a
étudié Baronius.
Bécherel. — Gentilhomme, fort français dans ses senti-
ments, fort pauvre.
Mailli. — Sait bien sa philosophie, l'ayant professée long-
temps; qui se laisse conduire par ceux qui savent les matières
de l'Église. Il ne les sait pas. Enclin aux bons sentiments. S'il
travaillait, il serait un sujet propre pour être professeur.
Bailli. — Il n'a rien que de commun ; indifférent; ordinai-
rement absent de Paris.
Montgaillard. — Bien intentionné.
Liverdy. — D'une triste figure, l'esprit aussi mal fait que le
corps, incapable de toutes choses, et avec qui il n'y a point
de mesure à prendre.
Duval. — Rien. Pour Rome.
Adrien. — Rien aussi. Demeure avec l'abbé de Chavigny.
Des fontaines. — Homme de bien, dont les intentions sont
bonnes ; croyant être obligé en conscience de procurer tout
le bien qu'il s'imagine pouvoir faire. Appliqué à des acadé-
mies, où il se donne tout-à-fait avec fruit. Aimant pourtant
les sentiments avantageux au roi, et ne manque pas de les
suivre quand on les lui fait connaître.
Barile. — De peu de capacité et de peu d'espérance.
Auget. — Rien du tout à faire.
Bouchet. — Dévot, et rien du tout à faire.
Gerbais. — Bou français, qui parle bien latin ; hardi, aimant
à se remuer et à donner du chagrin à M.Grandin et à ses amis.
Pauvre et qui pourrait réussir s'il était aidé ; ayant du génie.
S'il s*appliquait à la théologie, ce serait un sujet fort propre
pour en faire un professeur, bien qu'il trouvât bo^ «oup
d'obstacles dans la maison.
Sept. 1803.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 221
Blanger. — Assez d'esprit et de feu; point d'étude; mais
attaché à tous les sentiments roaiains, à cause de M. Leblond.
Il est auprès de M. l'abbé de Brienne, mais il ne le gâtera
pas.
Boileau. — Dangereux, de nulle sûreté, et à qui il faut bien
prendre garde de ne dire pas ce que l'on veut faire, que lors-
que l'on veut que tous les partis le sachent. Naturellement
malin; aimant le désordre, et que rien ne réussisse. Atrabi-
laire et fort désagréable dans ses boutades. Bon latin ; hardi ;
fait plus de mal que de bien dans les affaires, car il est inventif
pour détruire ; sans quoi ce serait un sujet bien propre pour
en faire un professeur.
Varin. — Honnête, doux, faible de corps ^ aime les bons
sentiments, et ne manque point d'esprit; qui peut servir dans
son étendue.
Ihiersonnier. — Est peu de chose ; s'est tourné du côté de
M. Grandin; fort attaché à M. Ghamillard. Ils voudraient le
faire professeur.
Maillet. — Rien du tout.
Dubrec. — Gentilhomme normand, aimant tout ce qui peut
choquer Rome; neveu de M. l'évéque de Comminges ; aime
singulièrement le désordre.
Converset. ■ — Chapelain de la reine mère. S'il ne craignait
personne^ il serait dans les bons sentiments.
Vuanet. — Rien du tout.
Des-périer, professeur. — Professeur de Sorbonne ; nor-
mand ; s'insinuant fort adroitement partout. Ayant beaucoup
de respect et d'attachement pour les Jésuites, cela veut dire
pour leurs sentiments; ne sachant pas les matières, à cause
qu'il n'a étudié toute sa vie que la philosophie. Parlant facile-
ment latin; le sens commun bon; adroit; et qui ne s'est pas
encore trop déclaré dans ses leçons pour Rome, quoique ce
soit son inclination; mais il tournera du bon côté, s'il y voii
quelque avantage assuré, aussi bien que plusieurs autres gens.
222 LA VÉRITÉ [Tome VIII-
Il n'est point propre à être syndic, parce qu'il ne sait pas, et
qu'il s'en rapporterait à ceux qu'il n'est peut-être pas expédient
qu'ils soient ses maîtres.
Bagnolle. — Naturellement bien intentionné; qui avait bien
étudié avant d'entrer en licence. Il s'applique uniquement à la
dévotion et à servir le diocèse de Chartres ; fort uni avec les
dévots.
Savary. — L'on le fait venir de la cure de Clermont pour
favoriser les sentiments de Rome ; mais il ne serait pas diffi-
cile de le faire venir pour être contre ces mêmes sentiments.
Destously. ~ Les amis de M. Grandin le font venir de
Saint-Quentin, lorsqu'ils en ont besoin pour leurs desseins.
Lévesque. — Les amis de M. Grandin le font venir quand il
y a quelque chose à faire qui en vaut la peine, suivant leurs
sentiments. Ils ont comme cela d'autres troupes auxiliaires
qu'ils appellent quand bon leur semble, qui sont des curés et
des chanoines aux environs de Paris.
Mou f toi. — Faisant profession qu'on ne puisse connaître ni
ses sentiments, ni ses desseins. Ainsi, difficile à gouverner,
bien que, s'il avait promis, il tiendrait parole, faisant profession
d'être gentilhomme.
Ingoville. — Esprit normand : je ne le connais pas.
II.
Les docteurs de la maison de Navarre.
Messieurs :
Coppin. — Change à tous vents, et peu de sens commun,
et que l'on n'écoute point dans la Faculté. Pouvant pourtant
proposer ou opiniât.''er toutes choses d'un côté et d'autre.
Vaillant. — Homme fort, qui veut fièrement ce qu'il veut ;
ne change point; qui a de la créance parmi tous ceux qui sont
opposés à Rome et enclins aux Janséniste?. Qui conduit bien
Sept. 1863.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 223
ce qu'il entreprend ; qui sait beaucoup; assez intrépide et ne
se souciant plus beaucoup de fortune. Parle bien latin en
termes concis. Qui conservait son parti dans Navarre contre
M. Cornet. L'on dit que le cardinal de Richelieu le voulait
faire évèque et qu'il prenait plaisir de l'entendre prêcher;
qu'il avait beaucoup de feu et parlait bien, mais ou lui rendit
de mauvais offices.
Thirement. — Porté naturellement et de faction contre Rome
et pour les Jansénistes; que l'on conduit facilement pour cela ;
d'ailleurs il n'est propre à rien.
Paris. — Esprit fin, délié, qui va bien à son but; attaché ù
M. le carninal de Retz ; n'est point du tout favorable à Rome.
Guyart. — Un des plus fins, des plus rusés et des plus dan-
gereux de la compagnie ; hardi, aimant à gouverner et à ré-
genter ; voulant se mettre à la place de M. Cornet. Qui parle
facilement lalhi ; a l'esprit fort ouvert et fort propre aux af-
faires. Affichant la discipline et la justice pour s'acquérir du
crédit. Tout-à-fait dévoué à Rome, aux Jésuites, aux moines
et religieux ; cherchant à se les acquérir, aussi bien que les
gens ignorants. Qui sait bien son métier de docteur; n'a pour-
tant pas lu les originaux, et c'est pour cela qu'il est si entêté
des opinions de delà les monts. Navarre, les moines et les igno-
rants le suivent volontiers. Homme fort propre à opposer aux
Jansénistes en cas de besoin. Ne veut point croire que les Ro-
mains aient des sentiments contraires au service du roi.
Guichart. — Normand, mais peu délié; bon homme; peu
capable d'intrigue; on ayant pourtant envie, et pour cela il se
donne la peine de s'acquérir les docteurs par la distribution
des lieux. Fort attaché à Rome par inclination et par trans-
mission de l'esprit de M. Cornet, à qui il a succédé dans la
charge de graud-maitre.
Bérulle. — De qualité, sage, honnête, enclin pour Rome
autant par la considération du nom qu'il porte que par con-
naissance; fort attaché dans les aflaires des Carmélites; vient
peu aux assemblées.
224 LA. VÉRITÉ [Tome VIII.
Martin, curé de Saint- Eustache. — Homme de bien; aime
son repos et sa maison et son emploi; un peu bizarre, et enclin
contre Rome, quand son caprice lui permet de le venir témoi-
gner, ce que M. le curé de Saint-Paul obtient quelquefois.
Labbé. — Se mêle seulement de sa paroisse.
Lepère. — Ne se mêlant de rien.
Régnier. — Emporté; ne pouvant, à cause de cela, parler;
étant pourtant dans les bons sentiments lorsque l'on le con-
duit.
Hausson. — Je ne le connais point.
Leblond. — Plus emporté pour Rome que M. Guyart son
ami; délié, bardi, intrigant.
Saussoy. — Professeur de Navarre. C'est un esprit que je ne
connais pas particulièrement. Bon tbomiste. Je ne le ouïs
parler dans la Faculté qu'en faveur de Rome et pour applau-
dir à M. d'Aucb. Il a été à M. de Narboune ; je pense qu'ils se
sont lassés l'un de l'autre.
Bossuet. — Esprit adroit, complaisant, cbercbant à plaire à
tous ceux avec qui il est, et prenant leurs sentiments quand il
les connaît. Ne veut point se faire des affaires^ ni basarder les
mesures qu'il a prises, qu'il croit sûres pour aller à son but.
Ne pouvant croire que ceci puisse durer. Ainsi se ménage
extraordinairement, et cberche dans la Faculté quelque mi-
lieu à prendre et quelque détour lorsqu'il n'est pas contre,
et par là il est assez suivi par plusieurs personnes ; outre qu'il
parle latin nettement et agréablement, a même assez de
connaissance de ces matières, parce qu'il a étudié avant de
s'adonner à la prédication. S'insinuaut dans le monde avec
assez de facilité à cause de son talent de la prédication, et
par là il ne manque pas de créance dans la Faculté. Atta-
cbé aux Jésuites et à ceux qui lui peuvent faire sa fortune,
plutôt par intérêt que par incbnation. Car naturellement
il est assez libre, fin, railleur, et so mettant fort au-des-
sus de beaucoup de cboses. Ainsi, lorsqu'il verra un parti
Sept. 18fi3. 1 SDR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 225
qui conduit à la fortune, il y donnera, quel qu'il soit, et il y
pourra servir utilement. Il gouverne paisiblement le doyen de
Saint-Thomas; el lePlessis Geste et Thomassin le suivent volon-
tiers,
Lodencq. — Autant pour Rome et contre les Jansénistes que
son oncle est pour eux. De même, esprit que M. Guyart, et fort
amis; encore plus emporté que Guyart.
Guignard. — Sage, conduisant doucement et sagement une
atfaire. Dans les bons sentiments. S'il travaille encore quelque
temps, ce sera un vrai sujet pour faire syndic; et en attendant,
c'est un homme fort propre à insinuer à chacun dans Navarre
les sentiments et les choses que l'on voudra faire passer,
suivant l'intérêt et le fort et le faible de ses confrères avec qui
il traitera.
Montmignon. — L'esprit doux ; qui sait médiocrement. Neveu
de feu M. Lemoine. Pour les sentiments de Rome sans empor-
tement,
Thomassin. — Habile dans son métier de docteur ; indifférent
à ce que l'on dit. Je ne le connais pas.
Duplessis. — Honnête, homme de probité ; aimant les avis
particulici's; ne manque point de vue; ayant suivi avec ména-
gement Bossuet ; qui se pourra bien tourner et assez utilement ,
ayant assez de créance ; s'applique à faire exactement sa fonc-
tion d'archidiacre.
Lamet. — Honnête homme, aisé, ne s'embarrassant pas
beaucoup ; suivant les sentiments de M. Bossuet.
Boucher.- — C'est une espèce de dévot que je ne connais point ;
fait les entretiens à la mission.
Lecaron. — Honnête homme, qui sait bien du latin; dans
les bons sentiments, mais qu'il n'a osé faire paraitre, à cause
qu'il plaide la cure de Saint-Pierre-aux-Bœufs, et qu'il a craint
de s'attirer des ennemis qui lui nuiraient. Cela passé, c'est un
homme sur, de mérite, et qui pourra servir. Il est de bonne
naissance.
Revue des Sc:E^"CES eccléstastiques, t. vin. 15.
226 LA VÉRITÉ [TomeVIIL
Defieux. — Absent.
Larue. — Rien, je ne le connais pas.
Ligny, professeur. — Rien, tout-à-fait à Guyart, professeur de
Navarre.
Legoût. — Rien; à Guyart aussi; fort emporté et hardi.
Forcedebras. — Rien; à Guyart, à ce que Ton dit.
Laplanche. — Rien aussi.
Lerade. — Il sait quelque chose; mais attaché à Guyart, si
je ne me trompe.
Vinot, professeur. — Sait quelque chose ; bien la scholas-
tique; mais tout à Guyart, et professeur de Navarre.
Defita. — Peu de chose. A les inclinations pour les bons
sentiments ; mais il n'y a encore rien de fort sûr.
Desmeurs. — C'est ce breton, se disant gentilhomme, qui a
fait cette grande thèse où tout ce qui peut être favorable à
Rome est mis ou désigné. Dévot de profession, et je pense aussi
dans le fond.
Huby. — Fort habile, honnête homme, et dans les bons
sentiments. Attaché à MM. de la Rochefoucault.
Martinet. — On ne sait encore ce que c'est; l'esprit joli; qui
prêche; il est jeune.
Hoyau. — Je ne sais ce que c'est.
III.
Les docteurs ubiquistes.
Pignay. — Bon homme, homme de bien, craignant Dieu ;
sait parfaitement sa théologie scholas tique ; n'a jamais lu les
Pères ni l'Histoire; a fort lu Suarez et autres jésuites; et
par là croyant dj foi tout ce que ces gens-là disent. Pleure
aussi facilement que les femmes ; parle latin pitoyablement;
aussi n'a-t-il point de crédit que parmi les dévots, qui sont
touch's de sa manière de parler simple; pouvant pourtant
Sept. 1863.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 227
porter quelque parole que ce soit, lorsqu'il est persuadé qu'il
le doit, et il se persuade facilement.
Bail. — Homme de bieu, de la dernière simplicité ; qui
croit plus en faveur de l'autorité du Pape que le Pape même.
Casuiste de son métier; visionnaire sur ses pensées, ne se
souciant pas si on les approuvera, les disant ou écrivant parce
qu'il en est persuadé. Étant du sentiment de la cabale de
Rome, A lu et examiné les canons des conciles, mais sans dis-
cernement^ n'eu ayant jamais lu les actes. Propre à proposer
tout ce que Ton voudra suivant ses principes, et à dire sim-
plement ses sentiments, pourtant sans opiniâtreté, à moins
qu'il ne fût soufflé par M. Guyart, qui est toujours placé
derrière lui. A quelque créance dans la Faculté à cause de sa
bonne vie et simplicité, et que ceux de son parti le croient
très-savant.
Gérard. — Un extravagant, parlant facilement et beaucoup
latin, mais mal. Se fait moquer de lui sans s'en soucier ; allant
toujours son chemin, sans se mettre en peine de rien; tout à
fait attaché à M. Grandin et à Rome, et à ceux de ce parti.
Homme à proposer tout ce que Ton voudra pour Rome, mais
de nulle suite; mais pourtant fort opiniâtre, et capable de faire
délibérer par son opiniâtreté, s'il était soutenu, ce qu'il propo-
serait en faveur de Rome.
Lenoir. — Curé de Saint-Hilaire. Ce n'est rien ; gouverné
par le premier et par celui qui veut s'en donner la peine.
ThireL — Hibernois , correspondant des missions qui se
font en son pays, et pour cela fort attaché à tous les dévots et
communautés reUgieuses. Propre à proposer et opiniàlrer tout
ce que ces gens-là voudraient pour Rome.
Pancelier. — Il porte toujours des sentiments particuliers
et opposés au sens commun. Pédant, mais bon homme; inten-
tionné pour le bien, mais de la manière dont il le connaît;
simple, sachant son métier de docteur; ayant pourtant beau-
coup de confusion dans son esprit, comme un homme qui ne
228 LA VÉRITÉ [Tome VIII.
lit pas les originaux, mais qui lit beaucoup de ramas; prend
les impressions pour la doctrine le plus souvent de M. Bail,
avec qui il demeure aux Cholets. Propre à proposer et appuyer
tout ce qu'il se mettra eu tête, sans se soucier de ce qui en
arrivera. Son caractère est l'irrésolution.
Gausser^ curé de Sainte-Opportune. — Emporté naturelle-
ment; gouverné facilement par M. Fortin et autres, quand on
s'en veut donner la peine, et ainsi opposé à Rome.
Daigneaux. — Rien, et gouverné par qui l'on veut.
Egan. — Hibernois, curé de Nangis à la campagne; faisant
l'important. Attaché à Thirel et par conséquent à ses opinions
romaines. Peu de suite ; sachant sa théologie.
Poussé, curé de Saint-Sulpice. — Gentilhomme d'une an-
cienne maison de Champagne; froid et du sens; extraordinai-
rement dévot et véiitablement. Sans ambition; allant toujours
naïvement au bien qu'il voit. Enclin à Rome par le principe
de dévotion plus que par étude ni cabale. ♦
Fortin. — Homme fort; ne changeant point de sentiments
non plus que de conduite. Cherchant toujours à chagriner les
Jésuites et tous ceux qui sont attacliés à Rome. Fort zélé pour
tous les intérêts du Roi et du Parlement quand ils sont joints.
Il sait, et fait travailler ceux qui se mettent sous sa conduite
dans son collège d'Harcourt, dont il est principal. Il connaît
fort bien ce qu'il faut Hre, et les livres. Fort hardi, point in-
téressé. Fort ferme et propre à conduire une affaire dans la
Faculté. Qui a beaucoup de conduite et beaucoup de créance
parmi les siens et ceux de son parti. Auquel pourtant, aussi
bien qu'à quelques autres, il faut px-eudre garde qu'il n'aille
trop loin contre Rome ; n'ayant peut-être pas trop examiné
les conséquences fâcheuses que cela peut porter dans la suite
et dans les occasions qui peuvent naître. Piquant et mordant
naturellement; tournant en plaisanterie tout ce qui ne lui
plaît pas. Le coup sur pour faire proposer tout ce que l'on
veut contre Rome. Il a toujours dans chaque licence des
Sept, 181)3.1 SLR LA FACULTÉ UE THÉOLOGIE DE PARIS. 229
bacheliers à faire soutenir telles thèses que l'on voudra.
Prou. — Hiérarchique, et ainsi opposé à Rome. Peu de
chose.
Nugent. — Esprit particulier; bon scholastique. Comme un
homme de sa nation (irlandais) porté pour Rome. De nulle
suite ; mais fort opiniâtre et voulant ce qu'il veut.
Lonergm. — Hibernois, mais qui sait beaucoup de choses.
Les sentiments libres et forts. Qui sert de répétiteur à plusieurs
personnes et leur inspire ses sentiments. Il peut, en cas qu'on
le veuille, donner des bacheliers pour soutenir les thèses que
l'on voudra.
Joisel. — Qui méprise tout le monde et qui est méprisé de
tous. C'est un esprit irrégulier, de nulle conduite. Fort em-
porté pour les sentiments de Rome; payé pour cela par plu-
sieurs bénéfices qu'il a, à ce qu'il dit. Qui a pourtant lu les
originaux, mais pour sa fin. Fort propre à proposer pour
Rome tout ce que l'on voudra et à l'appuyer, et à courir les
maisons pour le faire réussir, donner des espérances si l'on
en voulait prendre, se servir du crédit de quelque évêque
porté pour Rome, supposé qu'il y en eût quelqu'un qui voulût
venir à la Faculté pour cela.
Pujol. — Bon homme, honnête homme, curé d'Issy ; dans
les bons sentiments; exact aux assemblées.
Payen. — Qui n'a point de sens. Fait profession de ne parler
jamais dans la Faculté que pour faire rire et pour choquer les
Jésuites et Rome. Extraordinaircment hardi; ne manquant pas
d'esprit; de qui l'on ne se peut servir pour rien faire proposer
ni appuyer, à cause de la réputation où il est d'être extrava-
gant dans les opinions qu'il porte.
Luquet. — Sait assez sa scholastique. Demeure avec l'abbé
de Caumartin ; fort médiocre en tout, et qui se gouverne
facilement.
Fermer. — Hardi, parle beaucoup, mais fort mal. Prédica-
eur de son métier; point savant. Sur qui l'on peut faire fond
230 LA VÉRITÉ [Tome VIII.
qu'il ne prendra pas le parti de Rome, bien qu'il ait un oncle
jésuite, pour qui il n'a jamais eu de complaisance pour les
affaires de la Faculté.
Lamorlière. — Sous-pénitencier. Peu de chose. Attaché aux
sentiments de M. le pénitencier, et par conséquent pour les
opinions de Rome.
Delattre. — Sous-pénitencier. Peu de chose. Je ne le con-
nais point bien.
L'Éveillé. — Vicaire de Sainte-Marguerite sous M. le curé
de Saint-Paul. Suivant les sentiments contre Rome.
Robert. — Honnête homme, d'esprit. Dans les bons senti-
ments, et qui sait.
Huchon. — Sous-pénitencier. Grand directeur des dévots
de qualité. Dans les sentiments de Rome.
Huot. — Je ne connais pas cet esprit; mais il est fort contre
Rome.
Lecamus. — Reaucoup vif.
Faure. — Un des plus savants du royaume dans les matières
ecclésiastiques. Qui travaille continuellement à inspirer les
anciens sentiments de la Faculté et ceux qui sont avantageux
pour le Roi. Fort désintéressé, bien qu'il soit pauvre. La con-
duite bien plus honnête même que sa condition ne le demande.
Il n'y a point de jeune homme qui ait envie de se donner de
la réputation sur les bancs qu'il ne l'aille voir. Il se commu-
nique très-facilement. C'est un trésor pour le pays latin. Qu^
aurait pourtant besoin de quelque petit bien pour lui ôter l'in-
quiétude que la nécessité donne ; et cela serait d'un grand
exemple parmi ceux qui sont dans les sentiments anciens, des-
quels il est extraordinairement estimé ; et tous les gens de
talent seraient excités de travailler, par l'espérance qu'ils se
pourraient faire connaître. Il est judicieux, de bonnes mœurs,
aimant sa liberté, et ne s'étant voulu donner à personne,
bien que beaucoup de gens l'aient voulu avoir. Il travaille
pour M. Rignou et autres. Il ne subsiste que par ces sortes
Sept. 1863.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 231
d'amis. C'est un homme à qui Ton pourrait faire du bien,
si d'autres considérations ne Tcmpêchent pas, sans consé-
quence et sans donner de la jalousie à personne. Il est prin-
cipal du collège Saint-Michel, proche la place Maubert, où il
loge. Le seul qui soit présentement dans la Faculté capable
de composer un livre où les bache'iers pourraient prendre
leurs thèses et les instructions pour les soutenir conformes aux
anciens sentiments. Ne pouvant point à leur âge avoir puisé
dans les sources et avoir lu les originaux, ils ne savent où aller
chercher ces connaissances. Aussi, ceux qui ont l'esprit libre
ne peuvent avoir d'autre recours que dans les hérétiques,
comme Blondel, de Domiuis ; et n'ayant point ni ne pouvant
avoir le discernement sur ces matières, ils font des fautes dans
leurs thèses qui embarrassent la Faculté et qui l'embarrasse-
ront davantage à l'avenir, parce que l'on aura plus de liberté
de traiter ces matières, à quoi il est difficile de remédier sans
cela. C'est un homme que tous ceux de l'aulre parti craignent,
et à qui l'on ne manquera point dans toutes les occasions de
faire quelque mauvais tour, à moins qu'il ne paraisse ap-
puyé. Je le crois assez judicieux et savant pour n'avoir pas
besoin que l'on lui dise d'être modéré dans ses ouvrages;
néanmoins il n'y aura nul danger; cela pourrait l'empêcher
de mettre des mots durs dans ses ouvrages contre Rome ; car
pour le fond il ne manquera pas.
Leblanc. — Demeure à Saint-Sulpice; a été huguenot, et
hait tous ceux qu'ils aiment ; et par ce principe et celui de la
dévotion, tout-à-fait porté pour Rome avec emportement.
Propre à proposer et à appuyer ce que les dévots voudraient
pour Rome. Ne manque point de hardiesse, ni de feu, ni de
capacité ; est tout rempli de zèle.
Lebreton. — Demeure aussi à Saint-Sulpice, et en a l'esprit;
sachant d'ailleurs bien son saint Thomas ; fort homme de bien
et désintéressé, et fort zélé.
De Beaumont.— Je ne le connais pas, mais il est pour Rome.
232 LA VÉBITÉ ITomeVlU.
Cramoisy. — Je ne le connais pas ; mais sur sa réputation
et sur sa physionomie, ce n'est rien.
Ratonin. — Habitué de Saint-Paul; ainsi, dans les sentiments
contre Rome.
Marais. — Aussi habitué de Saint-Paul, et dans les mêmes
sentiments de son curé; hardi; peu savant, étant musicien et
habitué.
Petit. — Vicaire de Saint-Roch ; je ne le connais pas ; mais
on dit qu'il a de l'esprit; fort pour Rome.
Cornutier. — Emporté contre Rome ; sans beaucoup de
jugement ni d'esprit; je pense qu'il est aussi habitué de Saint-
Paul.
Lefort. — Je ne le connais pas ; mais il a opiné toujours
comme Guyart, cela veut dire pour Rome.
Durivau. — N'a pas découvert ses sentiments dans la Fa-
culté , où il n'a pas parlé, sans doute à cause de ses préten-
tions, ne se voulant attirer personne contre lui. Je ne pense
pas qu'il ait fort étudié depuis sa licence.
Cauvet. — Habitué, si je ne me trompe, de M. le curé de
Saint-Paul ; du moins fort son ami ; qui a beaucoup de latin ;
il a été recteur de l'Université, et en est sorti avec approbation.
Hardi, fier, ferme, sait beaucoup et travaille, et a l'esprit des
sciences. C'est un fort bon sujet, qui est pauvre et qui méri-
terait peut-être que l'on lui fit du bien ; car il a les qualités
pour devenir extraordinaire dans les lettres ; mais je ne pense
pas {sic) que la nécessité le détourne de ses études, et il est
dommage.
Chanu. — Rien du tout pour la science et pour le génie ;
néanmoins est plus capable de dire son idem pour le bon parti
que pour celui de Rome.
Leborgne. — M. Grandin l'a nourri et fait étudier ; ce n'est
pourtant rien qui mérite réflexion ; mais tout pour Rome.
De Templus. — Rien. Je ne le connais pas.
Aubin, — Je ne sais ce que c'est.
Sept. 18G3.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 233
O'Molong. — Hibernois. Pour Rome.
Roussel. — Je ne sais ce que c'est ; mais il est pour Rome.
Aubert. — Je ne le connais point ; mais il parait fort gros-
sier. Est vicaire du curé de Saint- Rarthélemy. Fort pour
Rome.
Terrier. — A l'esprit court. Fort contre Rome. Sans science.
Il a soutenu une thèse où nos propositions sont.
Grenet. — Est aussi gouverné par M. Fortin ; et contre
Rome.
IV.
Les docteurs moines.
L'Anglais, jacobin. — Esprit, à ce que l'on dit, fin, souple,
propre à cabale et à la conduire. Fort romain. Je ne le connais
pourtant que par réputation, ne lui ayant jamais parlé.
Bourgeois, bernardin. — Homme de bien, de mérite, de
sens. Qui n'est point de cabale ; porté pourtant pour Rome.
Feu M. Cornet était fort patron dans cette maison. Ainsi il n'y
a pas grande sûreté parmi tous ces bernardins.
Nicolaïf jacobin. — Homme propre à conduire un parti ou
une cabale; sait fort bien son saint Thomas, mais à sa mode,
s'en étant fait le maître. Haïssant extraordinairement les Jan-
sénistes; fort pour leur résister; et généralement attaché à
tous les sentiments de Rome et à tous ceux qui sont pour eux.
D'ailleurs un fort bon homme, et qui a assurément son mérite
fort extraordinaire, et qui incommode fort les Jansénistes dans
la Faculté, parce qu'il sait mieux qu'eux son saint Thomas,
dont ils veulent devenir les disciples.
Tédenat, bernardin. — Rien. Qui entend les procès. AfiFec-
tionné pour Rome.
Louvet, Jacobin. — Fort opposé au père Nicolaï, et dans ses
opinions de saint Thomas, et dans leurs affaires conventuelles.
234 L\ VÉRITÉ ITomo Mil.
Homme d'intrigue. Point fort attaché à Rome. Bon ami de
M. de L'Hôpital. Il a assez de suite ; si son habit ne le retenait,
il serait volontiers contre Rome.
Ft'émont et Lefèvre, bénédictins. — Deux moines de saint
Benoit qui logent au collège de Cluny ; qui ne sont rien ; et
qui veut les gouverne.
Leroy ^ cordelier, confesseur de la reine-nnère. — Fort haï dans
son couvent, et par conséquent point de crédit dans son corps.
Pour Rome d'inclination aussi bien que de profession ; sans
doute raisonnablement, étant fort sage et froid.
Lombard, carme. — Moine de profession et d'inclination.
Hardi dans ses actions et dans ses paroles. Le maître des doc-
teurs de son ordre ; en qui les autres moines ont aussi créance.
Il parle facilement latin. Fort passionné pour Rome. C'est lui
qui a porté la parole pour eux, lorsque M. de Harlay y était.
Est fort propre à proposer et à appuyer toutes choses pour
Rome et contre la hiérarchie; mais l'espérance de rentrer
dans la Faculté le retiendra sans doute, craignant que ce qu'il
pourrait faire ne serait point approuvé de la cour.
Guyart, jacobin. — Homme du dernier emportement ; fort
hardi, et qui sait assez pour un moine ; mais capable de tout
pour soutenir ses opinions transalpines.
Hermant, bernardin. — Qui sait. Professeur. Assez bien
intentionné et dans les bons sentiments; dont M. Cornet
n'était pas toujours le maître comme des autres de son ordre.
Magnan, cordelier. — Méchant, plaisant, et point de bon
sens ; mais grand babillard et choquant hardiment ceux qui
ne parlent pas suivant son goût. Emporté pour Rome comme
un ignorant.
Du Laurens, saint Benoît. — Plus grand chicaneur en procès
que dans l'école. Qui veut ce qu'il veut ; hardi, entreprenant,
et de qui l'on ne peut répoudre ; se prévenant quelquefois bi-
zarrement.
Louvet^ bernardin. — L'honneur de son couvent; judicieux.
Sept. 1863.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 235
plein d'honneur, ferme, raisonnable sur les opinions d«;
Rome ; est dans les sentiments de saint Bernard lorsqu'il fai-
sait réprimande au pape Eugène.
Bauchu, bemm^din. — Peu de chose ; n'a jamais parlé dans
la Faculté.
Dubuisson, cordelier. — Prieur de leur couvent; judicieux,
peu savant, peu entreprenant. Raisonnable sur les opinions
de Rome, mais pourtant pour.
Fi'éjaut, cordelier. — Qui sait assez bien sa positive, bien la
scholastique. Assez d'esprit, assez d'honnêteté. Modéré pour
les sentiments de Rome. Assez judicieux.
Larocheguibal, bénédictin. — Peu de chose.
Augustins : Robine, augustin. — Il n'y a rien que de commun
dans les Augustins. Pas un ne parle dans la Faculté, à la ré-
serve de Robine, professeur de leur couvent, qui est fortement
contre Rome.
Descreux, cordelier. — Tient tête au père Leroy dans leur cou-
vent. Est assez maître des docteurs qui sont dans le couvent.
Pour Rome.
Richecœur, jacobin. — Un des plus raisonnables en toutes
choses, à ce que l'on dit.
La force des moines consiste dans le nombre des voix qu'ils
peuvent avoir, mais nullement dans leur savoir-faire ni dans
le mérite des sujets (1).
(1) Sur 178 docteurs nommés, 89 sont décidément romains; 5S
anti-romaius; 34 douteux. En ajoutant, aux romains nommés, la
mullilUfJe innommée des moines el des membres des communautés^
il résulle que les anti-romains étaient dans une inûmeel presque im-
perceptible minorité. L'expulsion des moines, antérieure à la rédac-
tion du présent document, avait eu lieu a la séance du i^^ octobre
^663•, et, dans cette séance, M. de Bréda fut nommé syndic a la
plrce de M. Grandin, qui se démit.
(Note de M. Bouix.)
233 LA VÉRITÉ SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. [Tome VIII.
V.
Les bacheliers licenciés.
Les bacheliers qui sont présentement en licence : Mes-
sieurs (1):....
D. Bouix.
(^) Le nombre des licenciés énumérés daas celle lisle est de 77.
Nous ne la [ ublions pas. 11 suffira de noter que l'on y renconlre
entre autres : de Brienne, mentionné comme étant dès-lors dans les
bons sentiments, ce qui veut dire, contre Rome; et s'en rapportant
plus au docteur Fraure qu'au docteur Blanger, quoique ce deroier fût
près de lui; — Plrot, qui devint plus tard syndic, — et Humbelot,
l'un de ceux qui furent plus lard exilés pour n'avoir pas voulu enre-
gistrer les quatre arlicl»"s de ^682. [Noie de M. Bouix.)
ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS
Par M. RElVilLlV.
Troisième et dernier article.
§ VI. — M. Reîsan et l'Église.
Pour arriver à la conception d'un Jésus qui ne serait qu'une
grande personnalité humaine, il ne suffit pas de nier sa divi-
nité, et, par suite, l'Incarnation. Il faut le poursuivre dans
chacune de ses institutions, dans chaque point de sa n3orale et
de son dogme, dans chacune des paroles qui sont sorties de sa
bouche. Il faut supprimer tout cet ensemble d'enseignements
qui forme la constitution, l'âme et la vie de l'Eglise. M. Renan
le comprend, et il ne recule point devant cette tâche. Mais
comme il a appris de son maître Hegel que le oui et le non ne
s'excluent pas l'un l'autre, il ne niera pas l'Église purement et
simplement; il nous la présentera sous un triple aspect. D'a-
bord il l'affirme, puis ill'enveloppe des nuages du doute, enfin
il la nie entièrement, mais par parties, en niant séparément
tout ce qui la constitue.
Il l'admet en gros et la nie en détail.
Et d'abord, il l'admet. « Que Jésus ait voulu fonder une
église, c'est ce qu'on ne peut révoquer en doute. Cette idée
f éconde du pouvoir des hommes réunis {Ecdesia) semble bien
une idée de Jésus. » Le mot semble bien est sans doute destiné
à rendre la nuance ; il nous semble voir dominer ici la nuance
238 ÉTUDE SLR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
de l'affirmation. « Plein de sa doctrine tout idéaliste que ce qui
fait la présence des âmes, c'est Tunion par l'amour, il ensei-
gnait que toutes les fois que quelques hommes s'assembleraient
en son nom, il serait au milieu d'eux. Il confie à son église le
droit de lier et de délier, (c'est-à-dire de rendre certaines choses
licites ou illicites), de remettre les péchés, de réprimander,
d'avertir avec autorité, de prier avec certitude d'être exaucé
(p. 296). »
Voilà, si nous ne nous trompons, des preuves suffisantes
pour affirmer positivement que Jésus a fondé une Église. Nous
y trouvons une société dont le but est déterminé, dont les
membres sont unis par des liens nettement définis, possèdent
des biens communs, et sont soumis à une autorité investie
d'une pleine puissance, puisqu'elle peut remettre les péchés.
Comment donc semble-t-il seulement que l'idée d'une Église ait
été une des idées de Jésus ? Comment surtout pourrons-nous
croire que Jésus n'a voulu fonder qu'une société humanitaire
dont les membres seraient formés à l'image du grand-prêtre
Renan ?
Il commencera par révoquer en doute ce qu'il vient d'affir-
mer. Peut-être, dit-il, « beaucoup de ces paroles ont été prê-
tées au maître afin de donner une base à l'autorité collective
par laquelle on chercha plus tard à remplacer la sienne. »
Impossible de sophistiquer plus habilement. M. Renan regarde
comme incontestable l'usurpation par laquelle les apôtres cher-
chèrent à remplacer l'autorité du maître par une autorité col-
lective, et il suppose discrètement qu'ils ont peut-être fait
beaucoup de faux pour appuyer cette autorité usurpée. Mais
cette habileté n'est pas louable; elle repose sur une hypothèse
que démentent également et le cri de la raison, de l'bistoire,
de la conscience, et le sang que les apôtres ont répandu, et les
miracles qu'ils ont faits. L'accusation qu'il leur lance d'avoir
prêté des paroles au Sauveur pour couvrir leur usurpation,
n'est pas moins grave : c'tst là un de ces crimes que le code
pénal punit de ses sévérités.
Sept. 181-3.) PAR M. RENAN. 239
La progression continue. D'abord nous avons vu l'affirmation
de l'Eglise; puis est venu un « doute discret » ; enfui vient la
négation. Ce qui forme TÉglise, c'est sa foi^ ce sont ses sacre-
ments, c'est la constitution que Jésus lui a donnée. Nier ces
trois choses, c'est nier l'Église tout entière. Or, le chapitre des
Institutions de /esws nous apprend que « dans l'enseignement de
Jésus il n'y a nulle traced'uue morale appliquée, ni d'un droit
canon tant soit peu défini... Nulle théologie non plus, nul sym-
bole (p. 297). » M. Renan ne nous apprend pas où se trouve
consigné cet enseignement de Jésus qui ne contient nulle théo-
logie, nul symbole, etc. Évidemment, il ne parle point de celui
que nous trouvons dans les Évangiles, et que les évangélistes
« prêtèrent peut-être à Jésus. » Car lui-même il va nous dire
(même page) que cet enseignement est un symbole chargé de
plus d'articles que lui, Renan, ne voudrait eu trouver ; il va
nous parler et du baptême et de l'Eucharistie et du mariage,
qui sont à la fois des dogmes et des éléments d'une morale
appliquée. 11 nous a redit, à la page précédente et ailleurs,
la constitution même du christianisme fondée sur le pouvoir
donné aux apôtres et en particulier à Pierre. Il ne peut doue
avoir en vue l'enseignement de Jésus, tel qu'il se trouve dans
les Évangiles. Mais, s'il veut parler d'un autre enseignement,
qu'il le dise, et nous lui accorderons que toutes ces choses se-
ront absentes de celui qu « il prêtera à Jésus » . Seulement il
devrait alors s'épargner la peine de nous renvoyer constam-
ment à une foule de textes qui nous disent tout autre chose
que son livre.
Pas d'enseignement dogmatique dans les paroles de Jésus !
Voilà où mène l'ambition de dire du nouveau. Renier Jésus
tout simplement et prendre ainsi place à côté des Juifs, des
Musulmans et des païens, c'était suivre modestement ceux à
qui la conscience ckrétienne imprime, comme avec un fer
rouge, le nom d'apostats. Cette gloire partagée avec tant
d'autres ne pouvait suffire à M. Renan. Il en a cherché une plus
240 ÉTCDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
grande. Il a donc imaginé un Jésus qui n'enseigne pas de
dogmes, qui n'a ni théologie, ni symbole.
Honneur à qui honneur est dû ! Il a réussi à dire du nou-
veau.
Depuis plus de dix-huit siècles, l'Église catholique a vécu de
sa foi dans l'enseignement dogmatique qu'elle trouvait dans
les paroles de Jésus. Détrompez-vous, peuples et nations de
tous les lieux et de tous les âges : Jésus n'a point enseigné de
dogmes. Magister dixit.
Depuis plus de dix -huit siècles, les hérésies et les sectes ont
vécu du double élément et des dogmes surnaturels qu'ils ont
conservés et de ceux qu'ils ont vainement cherché à raturer
dans l'Évangile. Détrompez-vous, hérétiques et schismatiques
de tout nom et de tout système : M. Renan déclare qu'il n'y
avait rien à conserver, rien à raturer. Magister dixit.
Depuis plus de dix-huit siècles, l'Église trouvait les éléments
de sa constitution dans les paroles de Jésus. En vertu de ces
paroles elle définissait les dogmes, elle jugeait, elle gouvernait,
elle excluait de son sein ceux qui refusaient de croire ou d'o-
béir. Et ceux-mêmes qu'elle excluait ne niaient point ces en-
seignements de Jésus : ils cherchaient seulement à les détour-
ner de leur sens. Erreur, erreur! Le genre humain subissait
une hallucination, en se réglant sur uu vain fantôme qui n'a
jamais existé. Magiste?' dixit!
Depuis plus de dix-huit siècles l'Évangile est lu par tout ce
qui sait lire. 11 a souvent été mal lu, mal compris. Mais per-
sonne jusqu'ici n'avait découvert que le dogme en fût ab-
sent. Tout le monde y avait trouvé le dogme, la morale et l'É-
glise, les savants comme les ignorants, les croyants comme
les incrédules. M. Renan le premier ne l'y trouve pas, et, ne
l'y trouvant pas, il affirme que tout le monde s'est trompé. Que
faut-il penser de ce jugement ?
Il nous dit quelque part qu'on connaît aujourd'hui la
maladie qui a fait la fortune de Mahomet. Nous ne savons
;-cpt. 1863.1 PAR M. RENAN. 241
si réellement Mahomet était atteint de Vhisteria muscularis,
mais nous connaissons fort bien la maladie qui fait la fortune
de M. Renan. Elle s'appelle excitas mentalis. L'homme qui
seul ne voit pas ce que tout le monde voit, cet homme est un
aveugle. Or la sagesse des nations enseignait jusqu'à ce
jour que les aveugles devaient se soumettre au témoignage
des voyants, et ne pas nier la lumière parce qu'ils ne pou-
vaient la percevoir. M. Renan a changé cela. Parce qu'il ne
voit pas, il prétend que le genre humain se trompe en
voyant. Cette prétention nous montre que son cas est plus
grave que celui d'une simple perte de la vue, et qu'il y a chez
lui complication de maladies.
Néanmoins, il n'est pas toujours aussi aveugle qu'il veut le
paraître. Pour se former un Jésus sans théologie, il se débar-
rasse du Sauveur à partir de son dernier voyage de Jérusalem.
« Dans ce monde nouveau, dit-il, sou enseignement se modi-
fia nécessairement beaucoup, » au point qu'il cessa d'être lui-
même. « Lui, si à l'aise au bord de son charmant petit lac,
il était gêné, dépaysé en face des pédants. » Cette gêne du
provincial en face du pédant, du villageois en face d'un monde
nouveau, se traduit d'ordinaire par la timidité, la réserve, le
silence. Sur Jésus elle produisit l'effet opposé : « Il dut se faire
controversiste, juriste, exégèle, théologien. » Nous voilà déjà
loin du chapitre des Institutions de Jésus où nous apprenions
qu'il n'y a dans l'enseignement du Sauveur ni théologie, ni
morale appliquée, ni droit canon. Nous laissons à M. Renan le
soin «le se mettre d'accord avec lui-même, de nous dire com-
ment un provincial, un villageois ainsi gêné et dépaysé peut
s'improviser docteur en toutes ces matières, et dominer d'une
incomparable hauteur les docteurs les plus subtils et les plus
expérimentés. Pour nous, nous ne voudrions sans doute pas
décerner ces noms à Jésus. II n'est ni juriste, ni exégète, ni
théologien dans le sens ordinaire de ces mots. Il est juriste à
la façon de Dieu, dont la volonté est la base de tout droit ei
IlEVl'E PSS SCIF.XCES ifCCr.ÉSîASTIOUF.S, T. VHI. 16-17.
242 ÉTUDE SCR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIIK
de toute morale. Il a la théologie du Fils unique du Père, qui
nous révèle les mystères éternels de Dieu. Mais laissant aux
mots ce sens inférieur au-dessus duquel M. Renan ne sait pas
s'élever, nous prenons note de ce dernier aveu qui détruit les
assertions précédentes, et qui nous porte en plein dans la lu-
mière surnaturelle de la vie du Sauveur.
Donc, Jésus à Jérusalem lui déplaît souverainement. Il ne
peut le souffrir dans ces discussions où « nous aimerions
mieux, dit-il, ne pas le voir jouer quelquefois le rôle d'agres-
seur, ni se prêter avec une condescendance qui nous blesse^ aux
examens captieux que des ergoteurs sans tact lui font subir.»
Le Jésus qu'il aime, c'est le Jésus des premiers jours, qui n'en-
seigne que la morale, qui fait le sermon de la montagne.
« Après ce sermon il ne fait plus que gâter son œuvre. »
Ainsi, parce qu'un jour Jésus aurait prêché de la morale
et un autre jour exposé du dogme, nous serions en droit de
nous plaindre du Jésus du second jour et de nous proclamer
les disciples du Jésus de la veille ; de rejeter son dogme et de
nous réclamer de lui pour la morale ! Futilités de sophiste !
La modification que subit l'enseignement de Jésus à Jérusalem
n'est point celle qu'indique M. Renan. Elle résulte de la diffé-
rence des auditeurs, et n'existe pas dans le fond de l'enseigne-
ment. Sur la montagne Jésus parle eu législateur, il promulgue
sa loi ; dans le temple, nous entendons un dernier avertissement
du juge avant la consommation du crime. Mais les principes
sont les mêmes, renseignement le même, la morale la même.
Sur la montagne il prêche la douceur et l'humilité ; dans
le temple il condamne l'orgueil et la dureté des pharisiens.
Sur la montagne il défend de faire l'aumône au son de la
trompette et au milieu de la synagogue, comme font les hy-
pocrites ; dans le temple il loue plus la veuve qui apporte son
obole, que les pharisiens qui apportent leur superflu. M. Re-
nan trouve que c'est là « une façon de regarder en critique
tout ce qui se faisait à Jérusalem ! »
3epL 1863 ] PAR M. RENAN. 243
Sur la montagne Jésus flétrit les hypocrites qui;, pour prier,
se tiennent debout dans les synagogues et sur les places pu-
bliques ; dans le temple il tonne contre ceux qui consument
les maisons des veuves en récitant de longues prières.
Sur la montagne il nous commande d'aimer non-seulement
nos proches et nos bienfaiteurs, mais encore ceux qui nous
persécutent et nous calomnient; dans le temple il maudit le
pharisien qui laisse mourir de faim son père et sa mèrC;, mé-
connaissant à la fois la justice et la charité.
Si révaugélisle avait prétendu faire une œuvre d'art, et
grouper les textes évangéliques à la façon de M. Renan pour
en faire sortir une grande instruction, on pourrait croire que
ces enseignements de Jésus à Jérusalem ont été ainsi réunis
pour former pendant avec ceux de la montagne. D'un côté, les
préceptes ; de Tautre, les avertissements à ceux qui violent les
préceptes. D'un côté, la fidélité à la loi que Jésus n'est pas
venu détruire, mais accomplir ; de l'autre, les malédictions
contre les fils de ceux qui ont tué et crucifié les prophètes,
contre ceux qui vont accomplir tout-à-l'heure le crime unique
dans l'histoire de la création, le déicide.
Mais, serail-il vrai qu'il y a innovation, parce que les der-
niers discours de Jésus sont seuls remplis de théologie et de
surnaturel? Cela est faux, — faux comme toutes les assertions
de M. Renan.
Et d'abord la morale évangélique tout entière n'est-ellc» pas
surnaturelle, et n'implique-t-elle pas toute la théologie catho-
lique ? Ne sont-ce pas les dogmes de la chute et de la Rédem-
ption qui nous font comprendre ces paroles : « Bienheureux
les pauvres d'esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheu-
reux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui souffrent
persécution pour la justice. » M. Renan professe-l-il cette
même morale? Aucun de ceux qui repoussent le christianisme
la professe-t-il? Et s'ils la professent, sur quelle base essaie-
ront-ils de l'appuyer? Quel sens sauront-ils lui trouver? Au-
244 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS ITome VIII.
ront-ils quelque chose à apprendre au pauvre qui sait que les
souffrances de la terre sont une expiation de ses péchés, et
qu'elles lui procurent le ciel par leur union avecles souffrances
du Sauveur crucifié? Non^ la morale naturelle n'a ni ce ton,
ni cet enseignement, ni ces promesses. Le jour où Jésus parlait
ainsi, il était aussi théologien que dans le temple. Indiquons,
au reste, quelques-uns des dogmes qu'il enseignait explicite-
ment dès lors.
Dans le sermon de la montagne nous trouvons le dogme
des récompenses décernées aux justes dans le ciel, non point
dans un ciel de millénaires, comme le pense M. Renan, mais
dans le ciel où se réjouissent les prophètes qui ont été mis à
mort, où trône ce Dieu, notre Père, à qui appartiennent le
soleil et les éléments, la vie et la mort.
Dans le sermon de la montagne est promulgué le dogme
catholique de la nécessité des bonnes œuvres, de la prière,
du jeûne, de l'aumône.
Nous y trouvons le dogme de l'indéfectibilité de l'Église,
dans laquelle les paroles de Jésus seront conservées jusqu'à
la consommation des siècles. C'est là qu'est inculquée la néces-
sité pour tout homme de se conformer à ces paroles ; là que
se trouve le premier anathème contre celui qui en violera
seulement la moindre.
C'est là que Jésus inculque^ et qu'il érige en dogme l'unité
et l'indissolubilité du mariage.
C'est sur la montagne qu'il trace la grande règle de la
pastorale chrétienne. « Ne jetez pas les choses saintes aux
pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, et qu'ils
ne se retournent contre vous. »
C'est dans ce même sermon qu'il nous prémunit contre les
faux prophètes qui viennent à nous avec des vêtements
d'agneaux, et qui sont intérieurement des loups rapaces.
Que pense de tout cela M. Renan?
; Nous ne prétendons assurément pas trouver toute la théo-
Sept. 1863] PAR M. RENAN. 245
logie de Jésus dans le sermon de la montagne. Mais ces indi-
cations sufiûront pour montrer que le sermon de la montagne
ne s'accommode pas plus que les discours du temple au système
de M. Renan; que Jésus n'y est pas moins blessant pour lui.
Non, il n'y a pas dans la vie publique de Jésus deux époques où
l'on puisse trouver des enseignements différents; non, il n'a pas
prêché la « religion de l'esprit un moment, pour l'abandonner
dans l'autre. Mais cette religion de Tesprit a toujours été la
religion surnaturelle qu'il a confiée à son Église, et que cette
même Église nous a transmise en messagère fi lèle à travers
dix-huit siècles de luttes terrestres et d'assistance céleste. Non,
il n'y a rien dans la vie de Jésus qui prête seulement à un
malentendu.
Si ceux qui veulent distinguer entre le Jésus des premiers
et le Jésus des derniers jours, savaient ce qu'ils font, nous leur
dirions qu'ils en imposent, et que les pages qulls conservent
dans la vie de l'Homme-Dieu, les condamnent non moins que
les pages qu'ils déchirent ; mais quand ils avouent que Jésus
les blesse, ils ne nous disent point toute la vérité. La pierre
qu'ils ont rejetée retombe sur eux, d'après la parole de Jésus,
et en tombant sur eux, elle ne les blesse pas, elle les écrase.
Elle écrase M. Renan, car lesefîorls avec lesquels il se débat
contre la doctrine de Jésus ne peuvent être comparés qu'aux
convulsions du reptile qu'une pierre a frappé. Ses plus violents
sarcasmes sont dirigés non point contre les miracles, non point
contre les prophéties, mais contre la doctrine de Jésus. Elle
seule le fait sortir de cette placidité d'académicien qu'il af-
fecte dans tout son livre. Il l'appelle « une pensée à double
face, une chimère. » Il l'appelle encore une « idée fausse,
froide, impossible. » C'est pour un point de la doctrine qu'il
demande positivement le pardon de Jésus : « Pardonnons-lui
son espérance d'une apocalypse vaine, d'une venue à grand
triomphe sur les nuées du ciel. » C'est la doctrine, le dogme,
qui lui arrache les plus incroyables blasphèmes; qui lui fait
24^ ÉTLDE fUR LA VIE DF. JÉSUS [Toniu VllI.
faire de Jésus « un enthousiaste, un visionnaire, « un je ne
sais quoi, qui n'a encore eu de nom eu aucun temps et chez
aucun peuple, mais qui est un composé de sottise, de fascina-
tiou, de vues supérieures, d'hallucination et de bassesse de ca-
ractère. Nous aurons à revenir sur quelques-uns de ces points,
mais nous devions les menlioimer ici parce que l'exaspération
même que lui inspire la doctrine de Jésus montre qu'il n'y
voit pas du naturel seulement (1).
Nous-avons cru devoir insister sur l'enseignement dogma-
tique de l'Évangile dans cette partie de notre étude qui est
spécialement consacrée à l'Église; car si cet enseignement
n'existait pas, M. Renan aurait raison dans sa révolte contre la
société qui le perpétue; et s'il existe, il a tort. Un enseigne-
ment surnaturel, positif, est le corrélatif d'une Église surna-
turelle, positive, et nous pensons que le trop célèbre profes-
seur se trouvei'ait moins gêné eu face de la doctrine, si la né-
gatitm de la doctrine n'était à ses yeux une justifîcatiou du
crime d'avoir abandonné l'Eglise. Nous pourrons donc négli-
ger l'examen des habiletés par lesquelles il cherche plus di-
rectement à effacer de son livre la formation et la constitution
de la société chrétienne. Nous n'insisterons ni sur la vocation
des apôtres, ni sur la primauté donnée à Pierre, a à qui Jésus
semble un moment promettre les clefs du royaume du ciel, et
lui accorder le droit de prononcer sur terre des décisions tou-
jours ratifiées dans l'éternité. »
Nous n'insisterons ni sur la nécessité du baptême, ni sur
celle de la foi, ni sur celle de la soumission à l'Église. Nous
nous arrêterons seulement à la manière dont il traite l'institu-
tion de l'Eucharistie.
Ce sacrement est si bien l'âme du christianisme qu'il est à
la fois la grande pierre d'achoppement et des hérétiques et
des impies. Attaquant en plein la vie de Jésus, M. Renan ne
(1) Voir le §x, M. Renan et la personne de Jéfus.
Sepl 1853.] PAR M. RENAN. 247
pouvait passer à côté de cette institution dont la vertu rayonne
sur toute l'œuvre du Sauveur. Mais comme il prétend en même
temps exclure le surnaturel, il a dû imaginer pour ce mystère
une explication naturaliste. Le vide, l'impuissance et les con-
tradictions de cette exégèse suffiraient seuls à faire comprendre
la fausseté de tout le système^ à montrer que l'abîme qui
sépare la Vie de Jésus de M. Renan de la véritable histoire de
Jésus est aussi infranchissable que celui qui se trouve entre le
sein d'Abraham et la demeure du mauvais riche.
M. Renan trouve à la doctrine de l'eucharistie un triple
fondement. Le premier est purement naturel : « Les repas
étaient devenus dans la communauté naissante un des mo-
ments les plus doux (p. 303). »
Nous sommes heureux de rencontrer ici cette a délicate »
allusion au discours de la Cène qui ailleurs était appelé raide,
froid et faux. Mais nous regrettons de voir introduire la
(i gaîté a de Jésus qui est à la fois une pure invention, une
haute inconvenance et un mensonge historique. Bailleurs,
nous ne voyons pas comment la douceur de ces moments a
pu faire naître la pensée de la sainte FAicharistie.
Le second fondement se trouve dans les usages de la
« troupe sainte, » qui « regardait la participation à un même
pain comme une sorte de communion, de lien réciproque.
Le maître usait à cet égard de termes extrêmement énergiques,
qui furent pris plus tard avec une littéralité effrénée. » Suivant
M. Renan, le sens des paroles eucharistiques ne serait pas plus
profond. Nous croyons qu'il est ici induit en erreur par ses
réminiscences sémitiques. On raconte, en effet, que dans
l'hospitalière Arabie il suffit d'avoir mangé avec quelqu'un,
même un étranger, pour devenir au moins momentanément son
ami, son frère à la vie et à la mort. La participation à un même
pain devient ainsi « une sorte de lien réciproque ». M. Renan
se souvient-il d'avoir jamais entendu un chef arabe lui dire en
lui présentant du pain : « Prenez et mangez, ceci est mon
248 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS. LTomoVIII
corps; » et en lui présentant une liqueur quelconque: « Ceci
est mou sang qui sera répandu pour un grand nombre pour
la rémission des péchés. » Trouve-t-il qu'entre l'usage auquel
il fait allusion et cette manière de parler, il y ait la moindre
relation? Les termes de Jésus sont énergiques, soit; mais la
première règle du langage est que les termes, même les plus
énergiques, expriment la pensée de celui qui parle. Or,
y a-t-il entre le lien formé par un repas pris en commun et
les termes que nous venons de citer un rapport quelconque ?
Si jamais un voyageur entendait ce langage chez les Arabes,
ne commencerait-il pas par en demander l'explication? Et nul
doute qu'il ne fût grandement étonné d'entendre l'interpréta-
tion que nous venons de citer. Donc avant de parler d'un mal-
entendu des disciples qui prirent ces termes avec une littéralité
effrénée, il était bon de s'assurer de leur valeur dans la bouche
de Jésus. S'il est constant que Jésus a voulu dire simplement
ce qu'il a dit, aucune littéralité ne peut être effrénée.
Or, et ceci est le troisième fondement qu'il trouve au dogme
eucharistique, « une des idées favorites du maître, c'est qu'il
est le pain nouveau, pain supérieur à la manne et dont l'hu-
manité allait vivre. » Mais dans quel sens? « Voulant rendre
cette pensée que le croyant ne vit que de lui ; que tout entier
{corps, sang et âme), il était la vie du vrai fidèle, il disait à ses
disciples : « Je suis votre nourriture, » phrase qui, tournée
eu style figuré, devenait: «Ma chair est votre pain et mon
sang votre breuvage. » Si les paroles avaient chez M. Renan
le sens qu'elles ont chez les autres hommes, ou plutôt si son
langage était moins fuyant, nous pourrions nous plaindre de
la netteté de sou explication, mais nous pourrions en admettre
une partie. Oui, Jésus voulait rendre cette pensée que tout en-
tier, corps, sang et âme (suppléez divinité) il devient la vie du
fidèle. Mais comment son corps devient-il notre nourriture si
les mots : ma chair est votre pain, et mon sang est votre
breuvage, doivent être pris au sens figuré?
^eP'lSGS) PAK M. RENAN. 240
Mais quel est ce sens caché sous la figure ? A plusieurs re-
prises M. Renan affirme que ce sens est : « Je (corps, sanpç
et àme) suis votre nonrriture. » Ainsi le sens propre sera :
« Je (corps, sang et àme) suis votre nourriture. » bit si cette
phrase se revêt d'une figure elle devient: « Mon corps est
votre pain, et mon sang votre breuvage. » Nous avouons ne
pas voir où se trouve la figure. Nous avons beau analyser
grammaticalement les deux phrases, nous y trouvons même
sujet : d'un côté «je (coi'ps, sang et àme), » de Tautre « mon
corps, mon sang; » même verbe, « suis, est; » même attri-
but, «nourriture, pain, breuvage. » Donc, le sens figuré se
confond avec le sens propre et littéral, et M. Renan n'échappe
pas plus que les chrétiens aux rigueurs d'une littéralité effrC-
née.
Il essaie en vain de persuader le contraire à ses lecteurs :
il s'y trouve pris comme le poisson dans le filet. Il a beau se
rejeter sur « les habitudes du langage de Jésus, toujours forte-
ment substantielles, » le sens constant qu'il prête à Jésus
pour toutes les paroles qui se rapportent à l'Eucharistie est
celui-ci : « je (tout entier, corps, sang et âme), suis votre
nourriture. •> Donc sans aucune figure « sa chair est notre
pain; » sans aucune figure « son sang est notre breuvage, »
au moins dans la pensée de Jésus. Il a beau encore parler
du « mouvement hardi auquel Jésus se laissa un jour en-
traîner dans la synagogue de Capharnaûm, » il ne parvient pas
à trouver un autre sens à la parole de Jésus.
II mêle plusieurs autres inventions, et que l'institution de
l'Eucharistie eut lieu sur les bords du lac de Tibériade, et
que les traditions apostoliques à ce sujet sont fort divergentes
et probablement incomplètes à dessein, et que l'on en rapporta
l'établissement au moment le plus solennel de la vie du Sau-
veur. Il appelle encore cette prédication bizarre, et répète
que « Jésus n'eut jamais une notion bien arrêtée de
ce qui fait rindividualité. » Il n'échappe pas à la force et
250 ÉTUDE SUU I.A VIE DE JÉ-US [TorrellI.
à la précision des mots : u Ceci est mon corps , ceci est
mon sang ; ma chair est véritablement une noiuTiture et
mon sang véritablement un breuvage. » Il n'y peut trouver un
sens différent de celui-ci : « Je (corps, sang et âme) suis votre
nourrilure\ » Ceci seul suffit à renverser tout cet échafaudage
d'une Église sans institution et sans vie surnaturelles, et nous
nous retrouvons aiusi en présence de cette vérité que tous les
faits racontés dans la Vie de Jésus, malgré les travestissements
qu'ils subissent, sont autant de protestations contre l'esprit
général du livre. Nous retrouvons ainsi non-seulement l'E-
glise, mais le mystère, qui en est l'âme, le soutien et la vie;
et, en présence de cette assertion, qu'il n'y a dans l'enseigne-
ment de Jésus nulle théologie, nul symbole, nous voyons une
fois de plus se vérifier cette parole : Mentita est iniquitas sibi.
§ VII. — La vision de M. Renan.
Cependant Jésu^ a fondé une œuvre. Il n'a point passé sur
la terre comme un météore brillant qui ne répand surl'horizon
qu'une lumière passagère.
Son œuvre vit encore au milieu de nous. Il est le maître de
nos intelligences et de nos cœurs ; mais la lumière qu'il nous
a donnée, c'est la lumière de la foi que M. Renan rejette ; la vie
qu'il nous donne se trouve dans les sacrements, que M. Renan
méprise. Sou influence s'exerce sur nous par l'Église, que
M. Renan poursuit de sa haine. Comment donc cet apostat
conçoit-il l'œuvre de Jésus ? Quelle est cette «image qui lui
apparut » en Palestine et dont le monde fût resté privé à tout
jamais, sans la mission scientifique dont il fut chargé ?
Nous surmonterons la profonde répugnance que nous inspire
la manière dont l'œuvre de Jésus est exposée dans ce triste
livre. Notre travail s'adresse à des croyants ; mais dùt-il tom-
ber entre les mains d'incrédules, nous espérerions encore les
voir tomber à genoux devant cet exposé pour protester contre
Sept. 1S63.1 PAR M. RE.VAN 2? I
ces coupables inventions, et se joindre à l'acte d'adoration et
d'amende honorable des croyants.
La grande pensée de Jésus, selon M. Renan, était l'idée du
royaume de Dieu à établir sur la terre. Il lui trouve trois
formes de cette idée :
Celle d'un royaume de Diou terrestre, analogue aux rêves
des socialistes qu'il aurait surpassés ;
Celle d'un royaume de Dieu apocalyptique, puisée dans les
rêves des millénaires ;
Celle d'un royaume de Dieu spirituel, répondant au protes-
tantisme avancé de nos jours, au protestantisme de MM. Scliérer,
Réville et autres, que M. Renan déclare avoir pris pour guides.
Le royaume de Dieu aurait donc été primitivement pour Jésus
« l'avènement des pauvres. » M. Renan trouve celte idée et
dans l'enseignement et dans la vie du Sauveur, « qui était ici
certainement le frère des Esséniens. L'avarice, c'est-à-dire le
simple attachement à la propriété, était le péché capital. La
parabole du mauvais riche était alors simplement la parabole
du riche, qui est en enfer parce qu'il est riche. De cette ma-
nière, Jésus alla à l'excès et porta atteinte aux conditions
essentielles de la société humaine... La vie de Jésus et de ses
disciples était conforme à ces maximes, bonnes pour un pays
où la vie se nourrit d'air et de jour. Jésus comprit bien vite
que le monde officiel de son temps ne se prêterait nullement
à son royaume. Il en prit son parti avec une hardiesse extrême.
Laissant là tout ce monde au cœur sec et aux étroits préjugés,
il se tourna vers les simples. Une vaste substitution de race
aura lieu. Le royaume de Dieu est fait d» pour les enfants et
ceux qui leur ressemblent ; 2" pour les rebutés de ce monde,
victimes de la morgue sociale, qui repousse l'homme bon, mais
humble, pour les hérétiques, les schismatiques, les publicains,
les samaritains, les païens de Tyr et de Sidon. »
Nous avons dû relire soigneusement cette page, pour nous
assurer que nous comprenicas bien. Dans le royaume que Jésus
252 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS fTomeVIIl
voulait établir sur la terre, on se uoarrissait d'air et de jour,
Le monde officiel de ce temps grossier ne se prêtait point à
un tel royaume ! S'en nourrissent, s'ils le veulent, les simples,
les enfants, les rebutés du monde. M. Renan, qui appartient au
monde officiel de notre temps, y consentira ; car nous sup"
posons qu'il n'a voyagé ni en simple, ni en enfant, ni en vic-
time de la morgue sociale, pendant sa mission scientifique en
Palestine. Mais il a vu que, dans ce pays, les hommes bons
et humbles s'accommodent fort bien de cette nourriture.
Que u'évoquait-il ce précieux souvenir, lorsqu'il expliquait
la multiplication des pains dans le désert? 11 n'aurait pas eu
besoin de marchander leur nourriture aux hommes bons, mais
humbles, qui suivaient Jésus, et de les réduire à une «extrême
frugalité. )) Ni l'air ni la lumière ne manquent dans le désert,
et M. Renan pourra y envoyer sans souci du lendemain
tous les rebutés « de ce monde au cœur sec et aux étroits
préjugés. »
Il appelle cela une substitution de race extrêmement hardie.
Pour lui la race des enfants et de ceux qui leur ressemblent
n'est donc pas la même que celle du monde officiel. Pourquoi
donc le monde officiel s'occuperait-il de leur nourriture et de
leur sort ? Ayez une hardiesse extrême, et vous leur direz :
Enfants, pauvres, rebutés de ce monde, hérétiques, schismati-
ques et païens, vous n'êtes pas de ma race. Nourrissez-vous
d'air et de jour, je vous substitue à moi !
Du reste, il n'épargne aux pauvres, que Jésus aimait tant,
aucun de ces traits amers que l'Écriture stigmatise ainsi dans
la bouche du riche repu et satisfait : ProdiU ex adipe iniquitas
iorum. « La troupe sainte vécut ainsi bien mieux partagée que
les riches. Le brigandage, qui était très-enraeiné en Galilée,
donnait beaucoup de force à cette manière de voir. Le pauvre,
qui n'en souffrait pas, devait se regarder comme le favori de
Dieu ; tandis que le riche, ayant une possession peu sûre,
était le vrai déshérité. » Ce sarcasme devient d'autant plus
Sept. 1863.] PAR RENAN. 25*
dur, que l'homme qui parle aiusi a été pauvre aussi avant
d'appartenir au monde officiel, et qu'il a dû à TÉglise, avec le
pain de l'intelligence, celui du corps. C'est peut-être ce souve-
nir amer qui lui fait- ajouter : « Dans nos sociétés établies
sur une idée très-rigoureuse de la propriété, la position du
pauvre est horrible; il n'a pas à la lettre sa place au soleil. Il
n'y a de fleurs, d'herbe, d'ombrage, que pour celui qui possède
la terre. » Ceci est un excès de compassion, après un excès de
dérision. A-t-il donc complètement oublié l'air et le soleil, les
fleurs, l'herbe et l'ombrage de sa Bretagne? Sa pauvreté ne
l'empêcberait pas d'en jouir, si la main charitable de l'Église
ne l'en avait tiré. Et ne trouve-t-il pas à Paris même, des
fleurs, de l'herbe et de l'ombrage, dont peuvent jouir les
pauvres, les déshérités du monde? Que ne se met-il, lui aussi,
à la tète d'uLe troupe sainte?
Peut-être toute cette ridicule fantasmagorie n'est-elle placée
ici que pour gagner les suffrages de messieurs les socialistes.
Il est inutile d'observer que M. Renan n'y croit pas lui-même ;
car, lorsqu'il nous raconte le genre de vie de Jésus et de ses
disciples, il ne parle plus ni d'air, ni de jour, ui d'herbe, ni
d'ombrage, mais de biens mis en commun. « La communauté
des biens fut quelque temps de règle dans la société nou-
velle. » Par ces mots, il dit à la fois trop et trop peu. 11 dit
trop peu, car Judas fut jusqu'à la fin le trésorier de la « troupe
sainte ; » ce que saint Jean lui reproche, ce n'est pas d'avoir
possédé, mais d'avoir volé. Mais il dit aussi trop. Car si Jésus
faisait renoncer ses disciples k tout ce qu'ils possédaient, il ne
posa jamais celte règle pour tout le monde. M. Renan le sait;
mais il écarte pour un moment ce souvenir qui « détonnerait
dans le tableau, » et lorsqu'il le mentionne, il dit que dans
certains moments Jésus « était moins exagéré. »
Mais quel tableau il nous trace de la vie de Jésus et de son
entourage! Pardon, mou Dieu, si je le rappelle ici pour mon-
trer jusqu'où peut descendre l'homme qui a cessé de croire en
20-1 ÉlUDE SLR LA VIE DE JÉSLS [Tomo VIIl'
VOUS 1 « Tous les dédaignés du judaïsme orthodoxe étaient ses
préférés. |La troupe élue offrait un caractère fort mêlé et dont
les rigoristes devaient être très-surpris. Jésus aimait à diner
chez les victimes des aberrations du. sentiment religieux;
on voyait à table, à côté de lui, des personnes qu'on disait
de mauvaise vie, peut-être par cela seul qu'elles ne parta-
geaient pas les ridicules des faux dévots (1) On conçoit
que ces âmes tendres, trouvant dans leur conversion à la
secte un moyen de réhabilitation facile, s'attachaient à Lui
avec passion... Les enfants et les femmes l'adoraient. Le
reproche d'aliéner de leur famille ces êtres délicats toujours
prêts à être séduits, était un de ceux que lui adressaient le
plus souvent ses ennemis. » (Ici M. Renan indique pour
source l'Évangile de Marcion pour lequel il déclare profes-
ser, relativement à ce point, une foi absolue.) « Toute l'his-
toire du christianisme naissant est devenue de la sorte une
délicieuse pastorale. Un ^Messie aux repas de noces, la courti-
sane et le bon Zachée appelés à ses festins, les fondateurs du
royaume des cieux comme un cortège de paranymphes, voilà
ce que la Galilée a osé, voilà ce qu'elle a fait accepter. »
(P. 67, 185-87.)
Les larmes coulent des yeux, quand on voit le christianisme
naissant représenté comme « une délicieuse pastorale», copiée
des immondices de nos théâtres et de nos feuilletons. « Un
Messie aux repas de noces », voilà ce qui reste à M. Renau de
la vie de Jésu? ! Le Dieu qui fait des miracles, il ne l'y voit
pas. Il ne le verra que quand ce Dieu fera le miracle de lui
(I) Ici nous sommes en présence d'une uouvelle espèce de pliari-
saïsme. L'ancien pharisien trouvait méprisables même les hommes les
meilleurs, qui ne partageaient ni ses ridicules, ni ses fausses dévo-
lions ; le pharisien moderne lient pardonnable même la mauvaise vie,
pourvu qu'elle ne soit ni en'.achée d'une dévotion fausse, ni expiée par
une dévotion vraie. Pharisaïsme pour pharisaïsme, nous sommes bien
tentés de préférer celui d'autrefois, malgré les anaihèmes dont il fut
chargé (.ar le Sauveur.
Sept. 1803.) PAR M. RENAN. 2"jb
ouvrir les yeux. « Un Messie aux repas de noces, la courtisane
et le bon Zacliée à ses festins! » Non, M. Renan, il n'y avait là
aucune courtisane; il y avait une pénitente sublime que vous
ne comprenez pas. Et le bon Zacliée aussi était un pénitent,
quand il s'assit à la table du Sauveur; et vous-même, malgré
votre livre, vous y êtes attendu avec les sentiments de la péni-
tente Marie-Madeleine et du pénitent Zacbée. Mais de tout ce
tableau que vous tracez, la Galilée n'a rien osé ; elle n'en a
rien fait accepter, et l'image qui vous est apparue en considé-
rant la terre d'Orient, était un feu follet qui s'élevait d'une
mare infecte.
La vue de Jésus vous pèse donc grandement, et vous pour-
suit comme un remords. Elle opère sur vous comme sur ces
démons qui, en sa présence, s'acbarnaient avec plus de fureur
sur leurs mallieureuses victimes. Cependant, ces démons se
contentaient de tourmenter les corps qu'ils possédaient; ils ne
blasphémaient pas comme^vous. Ne soyez pas plus impie que
les démons !
La deuxième phase de l'idée de Jésus est, pour M. Renan,
la phase apocalyptique. « La persuasion qu'il ferait régner
Dieu, s'empara de son esprit d'une manière absolue. R s'envi-
sagea comme l'universel réformateur. Le ciel, la terre, la na-
ture tout entière, la folie, la maladie et la mort, ne sont que
des instruments pour lui. Dans son accès de volonté héroïque,
il se croit tout-puissant. Si la terre ne se prête pas à cette
transformation suprême, elle sera broyée, purifiée par la
flamme et le souffle de Dieu. Un ciel nouveau sera créé, et le
monde entier sera peuplé d'anges de Dieu. »
L'esprit de M. Renan nous apparaît bien des fois comme le
creuset d'un chimiste. Introduisez un corps dans ce creuset,
puis chauffez. Sous l'influence de la chaleur, il se formera un
nouveau composé qui n'aura aucune ressemblance avec le
corps primitif. C'est ainsi que toutes les paroles de l'Évangile
deviennent méconnaissables dans ce triste livre. Jésus annon-
2o6 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome îll.
çait que le monde serait transformé; M. Renan ajoute : « S'il
ne se prête pas à cette transformation suprême. » Cette pro-
phétie se rapportait au jugement général où figureront les
bons pour la récompense, non moins que les méchants pour
le châtiment. M. Renan n'y voit qu'un effet de vengeance.
Sur la montagne où M. Renan nous montre son Jésus, le Sau-
veur nous apprend à demander que le règne de Dieu arrive ;
M. Renan dit qu'il s'arrêta d'abord à la pensée d'une révolu-
tion terrestre, et qu'il se laissa dominer plus tard par la pen-
sée qu'il ferait régner Dieu sur la terre. Nous cherchons la
raison de ce changement que M. Renan prête à Jésus. Il y a
là quelque chose d'analogue aux transformations chimiques.
En passant par la plume de M. Renan, les paroles de Jésus
revêtent la forme de l'esprit de M. Renan. Ou bien ce change-
ment serait -il amené sur la scène par « la raison d'art » comme
un deus ex machina, semblable aux rencontres fortuites de nos
théâtres? C'est l'un ou l'autre. Mais la raison d'art ne devrait
pas faire ajouter que « dans un accès de volonté héroïque, Jé-
sus se croit tout-puissant. » L'homme qui se croit tout-puissant
dans un accès de volonté héroïque, cet homme a reçu son nom
depuis trois siècles, c'est don Quichotte; et l'on ne présente
même pas un héros de théâtre sous les dehors du célèbre che-
valier de la triste figure. Il n'y a pas ici d'héroïsme qui tienne.
La volonté qui veut broyer la terre est, ou bien la volonté du
Tout-Puissant que vous devez adorer, ou bien celle d'un hallu-
ciné que nous ne pouvons que plaindre. Vous voulez abaisser
le Fils de Dieu au rôle d'un grand homme, et votre esquisse
ne nous présente qu'un homme odieux !
M. Renan prétend le rendre néanmoins acceptable, en lui
mettant un fard révolutionnaire. « Cette terre nouvelle, ce
ciel nouveau, cette Jérusalem qui descend du ciel, ce cri :
« Voilà que je refais tout à neuf, » sont les traits communs des
réformateurs.» Ne dirait-on pas que M. Renan ignore également
et l'Évangile et Thistoire, qu'il ne connaît ni les réformateurs.
I
Sept. 1863.] PAR M. RENAN. 257
ni Jésus? Les réformateurs nous piomettent des changements
sur la terre. Jésus nous promet le monde nouveau à la suite
de la résurrection générale. Les réformateurs prétendent faire
disparaître les maux de la terre ; Jésus nous apprend à les
supporter pour être heureux avec lui dans le ciel. Les réfor-
mateurs promettent la paix universelle ; Jésus nous déclare,
avec le vieillard Siméon^ qu'il sera un signe de contradic-
tion. Ses récompenses et ses châtiments sont les récompenses
et les châtiments de l'éternité.
« Jésus, lisons-nous encore, annonçait comme imminente la
fin du monde^ l'apparition du Pilsde l'homme, la résurrection
et le jugement. Ces idées étaient généralement reçues chez ses
contemporains. 11 les accepte pour en faire le point d'appui
de son action, ou, pour mieux dire, l'un de ses points d'ac-
tion. »
Sciemment ou non, M. Renan confond la destruction de Jé-
rusalem avec la fin du monde, la figure avec la réalité, la fin
d'une ville qui avait été pour longtemps la cité de Dieu et le
trône de sa gloire, avec la catastrophe qui doit venir à la lin
des temps. Il ajoute donc : « Une telle doctrine, prise en elle-
même d'une façon littérale, n'avait aucun avenir. Le monde
s'obstinant à durer, la faisait crouler... La foi de la première
génération s'explique, mais la foi de la seconde génération ne
s'explique plus.» Ces paroles dénotent autant de crédulité que
d'inconséquence. La foi de la première génération ne s'explique
pas saus les miracles de Jésus, sans cette attitude nouvelle de la
nature qui, tout entière, plie et se transforme à lavoixde son
maître. M. Renan, qui trouve cette foi explicable sans ces mi-
racles, montre ici une créduUté qu'un homme du peuple
n'aurait pas. Mais si Jésus a prouvé qu'il était l'envoyé de
Dieu, il était impossible que les événements vinssent, dans
aucune génération, lui donner un démenti.
Et, de fait, Jésus prédit la ruine de Jérusalem : Jérusalem
a été détruite. Il eu indique les circonstances : ces circon-
25S ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIU.
stances se sout réalisées, il promet que cette géuéraiion
ne passera pas sans voir ces choses ; et la génération qui
entendit Jésus, pleura sur les ruines de la ville déicide.
Ainsi la seconde génération, qui ne vit plus les miracles de
l'Homme-Dien, vit confirmer sa foi par l'accomplissement
de ses prophéties. De même, chaque génération voit de nou-
velles preuves s'ajouter aux preuves anciennes de la mis-
sion de Jésus. Nous voyons son royaume continuer sans in-
terruption; nous voyons son Église triompher des attaques
de l'enfer; nous voyons prêcher son Évangile dans le monde
entier; nous voyons ses disciples continuer à faire des mi-
racles; nous voyons les merveilles de la sainteté se multiplier
dans l'Église, et à la vue de ces choses nous nous écrions :
« Le doigt de Dieu est ici. » Mais M. Renan ne voit rien de
cela. 11 a l'air de croire réellement que Jésus subit d'abord
l'influence de Juda le Gaulonite; que « parfois des tentations
étranges traversèrent son esprit; que, ne connaissant pas
la force de l'empire romain , il pouvait espérer que son
royaume se fonderait par l'audace et le nombre de ses parti-
sans ; que plusieurs fois il dut se demander s'il employerait
la force ou la douceur, la révolte ou la patience. » 11 se figure
« les disciples et le maître attendant à chaque instant d'être
transportés dans ce jardin délicieux où l'on continuerait à ja-
mais la vie charmante que l'on menait ici-bas. » Puis, para-
phrasant à sa manière la parole de cette femme qui proclame
le bonheur de la JNlère de Jésus, il ajoute : a Heureux qui
a pu voir de ses yeux cette éclosion divine, et partager, ne
fut-ce qu'un jour, cette iUusion sans pareille. Mais plus heu-
reux encore, nous dirait Jésus, celui qui, dégagé de toute il-
lusion, reproduirait en lui-même l'apparition céleste, et, sans
rêve millénaire, sans paradis chimérique, sans signes dans le
ciel, par la droiture de sa volonté et la poésie de son âme,
saurait de nouveau créer en sou cœur le vrai royaume de
Dieu (p. 194). »
Sept, 1863.] Par M. RENAN. 259
Donc, le vrai royaume de Dieu (3* phase) consiste à s'a-
bandonner à la droiture de notre volonté et à la poésie de
notre cœur; il est esseutiellemeut le « royaume de l'esprit»;
eu d'autres termes, la doctrine de Jésus est a la doctrine du
dédain transcendant, vraie doctrine de la liberté des âmes
qui seule donne la paix. » Or ce dédain doit nous affranchir et
du pouvoir^civil et du pouvoir religieux.
Le dédain transcendant du pouvoir civil est cher ù M. Re-
nan tant qu'il ne résulte pas de la nécessité d'obéir plutôt à
Dieu qu'aux hommes ; et Jésus lui est cher pour avoir prati-
qué ce dédain. c< Jamais il ne songea à se révolter contre les
Romains et les Tétrarques. » Le pouvoir ne doit donc pas
prendre ombrage de la Vie de Jésus ; les révolutionnaires pas
davantage, car « sa soumission aux pouvoirs établis, complète
dans la forme, était dérisoire au fond. » Comme notre histo-
rien est ici en plein rêve, il oublie de nous renvoyer comme
d'habitude à un texte quelconque, et il ne voit pas combien sa
phrase est elle-même dérisoire. Voudrait-il nous dire que
Notre-Seigneur, tout en se soumettant aux lois établies, n'é-
tait pas obligé de s'y soumettre, parce qu'il est le Roi des rois
et le Seigneur des seigneurs? Dans ce cas, son expression ne
rend guère sa pensée. Mais, comme il ne voit en Jésus qu'un
pur homme, son assertion est un outrage à la dignité morale
du Sauveur, en même temps qu'un blasphème contre sa divi-
nité.
« Jésus, contiuue-t-il, est à quelques égards un anarchiste,
car il n'a aucune idée du gouvernement civil. Ce gouverne-
ment lui semble purement et simplement un abus (p. 127). »
M. Renan s'appuie, sans doute, sur cette antithèse de Jésus :
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu. » Et comme pour lui Dieu est purement et simplement
un abus, il pense que César était aussi un abus pour Jésus.
a Tout magistrat lui parait un ennemi naturel des hommes et
de Dieu ; il annonce à ses disciples des démêlés avec la police
2fiO ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS Tome VIII-
sans songer qu'il veut là matière à rougir. » —Les idées se suc-
cèdent ici comme dans un rêve. D'abord, c'était de la fantaisie
pure; puis une idée quelconque se présente avec un contour
vague, et nous ramène insensiblement au souvenir du monde
réel. La transition de la fantaisie pure à la réalité se trouve
ici dans l'idée du magistrat que certaines réminiscences d'é-
cole présentent à M. Renan comme ennemi de Dieu et des
hommes. Il se trouve ainsi ramené aux persécutions de tout
genre que Jésus annonçait à ses disciples. Mais dans cette
prophétie et son accomplissement qui nous mettent l'un et
l'autre en présence de trois siècles de persécutions sanglantes,
suivis de quinze autres siècles de persécutions plus ou moins
déguisées, il ne voit que des démêlés avec la police, dont il
rougirait, lui ! Ah ! que l'on tombe vite quand ou tombe de
haut. Nous n'avons pas lu dans l'histoire des martyrs qu'un
apostat ait jamais invité les chrétiens à rougir de leurs
démêlés avec la police. M. Renan est le premier; il a inventé
du même coup et la chose et le nom. Il va plus loin. Quand
il s'agit de la conscience, il ne sacrifie pas seulement avec
bonheur, sans rougir, sa doctrine du dédain transcendant
sur l'autel du pouvoir civil; mais il se charge lui-même
de dénoncer à ce pouvoir, non point le gouvernement de
l'Église et sa constitution, non point le dogme catholique,
mais ce que la morale évangélique a de plus doux, ce
que lui-même appelle des « accents de singulière douceur,
renversant toutes nos idées, » l'amour de Jésus comme con-
solation de nos souffrances : « Un grand danger résultait
pour l'avenir de cette morale exaltée, exprimée dans un lan-
gage hyperbolique et d'une effrayante énergie. A force de
détacher l'homme de la terre, on brisait sa vie. Le chrétien
sera loué d'être mauvais fils, mauvais patriote, si c'est pour
le Christ qu'il résiste à son père et combat sa patrie. La cité
antique, la république- mère de tous, l'Étal loi commune de
tous, sont constitués eu hostihlé avec le royaume de Dieu. »
(P. 314.)
Sept. 18G3.1 PAn M. RENAN. 261
Il ne reste donc qu'un seul cas où la soumission au pou.voir
ne doive pas être dérisoire au fond, celui où la conscience est
engagée. Alors il faudra fouler aux pieds le cri de la conscience,
qui pourtant fait seule la grandeur, la dignité, la liberté de
riiomme; et sous peine d'être mauvais fils, sous peine d'être
mauvais patriote, il faudra renoncer au cbristiasnismej à la
vérité, à la morale, quand l'État, loi commune de tous, nous
le demandera. En dehors de là, l'État sera un abus pure-
ment et simplement. M. Renan, sous le pseudonyme de Jésus,
n'ira pas se révolter contre lui ; mais il pratiquera la théorie
du dédain transcendant. Il ne saura rougir que d'une seule
chose, d'avoir des démêlés avec la police, quand la loi de
l'État lui commandera de n'être pas chrétien !
Ainsi le « royaume de l'âme » fondé par Jésus consiste à
être afîranchi vis-à-vis de l'État de toute obligation autre que
le sacrifice même de la conscience. L'affranchissement vis-à-vis
de l'Église, au contraire, sera plein et entier, et le vague du
rêve fera place à une idée fixe. Il ne trouvera ici aucune ma-
tière à rougir. Jésus est tout simplement pour lui l'homme
qui a aboli la loi ancienne. « Si quelquefois il usait de termes
plus discrets, c'était pour ne pas choquer trop violemment les
préjugés reçus. » — Cependant c'est dans les /o^m de Matthieu,
dans le sermon de la montagne, après lequel il ne fit plus que
gâter son œuvre, que Jésus disait : «Je ne suis pas venu abolir
la loi, mais l'accomplir. » M. Renan veut que Jésus Tait abolie
purement et simplement, et « voilà, dit-il, voilà dans la pra-
tique son acte de maître et de créateur. Jésus est révolution-
naire au plus haut degré ; il appelle;tous les hommes à un culte
fondé sur la seule qualité d'enfants de Dieu. » (P. 223,) — Le
culte fondé sur la foi en Jésus-Christ, M. Renan ne le connaît
pas ; le culte qui exige la soumission à l'Église, le culte qui
nous rend enfants de Dieu par le Baptême, qui nous purifie
par les mérites du Rédempteur, qui nous donne la nourriture
de son corps et le breuvage de sou sang, ce culte n'est pas le
202 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
culte de Jésus. Si Jésus l'avait fondé, il n'aurait pas fait sou
acte de maître et de créateur! — ccMoise est dépassé, le temple
n'a plus de raison d'être et est irrévocablement condamné, »
ce qui veut dire que toute religion, que tout culte autre que le
culte des eufaîits du dieu Renan est aboli par Jésus-Christ. Celte
pensée ravit M. Renan, et, dans son transport, il est bien près
de vouloir adorer Jésus: « Le jour où il annonça que désor-
mais Dieu serait adoré en esprit et en vérité, ce jour-là Jésus
fut véritablement Fils de Dieu. »
Il se regarde comme le prêtre, l'apôtre et le prophète de ce
nouveau culte. « Ce jour-là Jésus fonda le culte pur, sans
date, sans patrie, celui que pratiqueraient toutes les âmes éle-
vées jusqu'à la fin des temps. Ce fut la religion absolue, et si
d'autres planètes eut des habitants doués de raison et de mo-
ralité, leur religion ne peut être différente de celle que Jésus
a proclamée près du puits de Jacob. » Mais dans son enthou-
siasme, notre prophète ne s'oublie pas lui-même. Cette religion
lui devra aussi quelque chose, car il en est le révélateur comme
Jésus en fut l'auteur. Les hommes n'ont pas compris le mot
de Jésus; M. Renan le leur fera comprendre, et son œuvre
sera ainsi plus grande que celle de Jésus : « Ce mot a été un
éclair dans une nuit obscure ; il a fallu di.K-huit cents ans
pour que les yeux de l'humanité (notre auteur s'apercevant
qu'il est contraire aux mœurs oratoires de se prendre pour
l'humanité, se corrige entre parenthèses ; Que dis-je? d'une
portion infiniment petite de l'humanité), s'y soient habitués.
Mais l'éclair deviendra le plein jour...» par le ministère de
M. Renan, Ah ! s'il pouvait comme saint Jean, espérer l'im-
mortalité, quelle reconnaissance du genre humain il aurait
en perspective ! Mais qui sait s'il ne revivra pas un jour sur
la terre ? Car lui aussi devient apocalyptique dans sou rêve.
« Qui sait, dit-il, si le dernier terme du progrès dans des
millions de siècles n'amènera pas la conscience absolue de
l'univers, et dans cette conscience le réveil de tout ce qui a
Sept. 1803] l'AR 31. RENAN. 263
vécu ? Il est sûr qu'un jour le sentiment de l'honnête pauvre
homme jugera le monde, et que, ce jour-là, la figure idéale de
Jésus sera la confusion de l'homme frivole qui n'a pas cru à
la vertu, de l'homme égoïste qui n'a pas su y atteindre. »
(P. 288.)
Le jour de cette palingénésie universelle^ M. Renan par-
tagera la gloire de Jésus qui, « en nos jours troublés, n'a pas
de plus authentiques continuateurs que ceux qui semblent le
répudier. » (P. 287.) Il se considère dans cette gloire comme
le point de mire de la conscience universelle réveillée !
Ici se termine sa vision. Qu'il se console, tout n'y est pas
fantastique; Jésus-Christ est dès aujourd'hui le point de mire
d'un grand nombre, et le nouvel évangéUste contribuera,, nous
l'espérons, au réveil du genre humain, qui se groupera autour
de notre divin maître en rangs d'autant plus serrés que l'im-
pudence de ses ennemis monte davantage.
§ Vil. — M. Renan et la personne de Jésus.
Le cœur nous manque pour insister sur ce dernier point de
l'œuvre de M. Renan. Nous avons déjà eu l'occasion de^relever
bien des impiétés, quantité de sottises, d'innombrables blas-
phèmes; mais ce qui nous reste à dire est plus triste encore »
s'il est possible de trouver quelque chose de plus triste. Nous
disions, en commençant cette étude, que le livre de M. Renan
n'est devenu possible que par l'étrange maladie intellectuelle
qui a pris le nom de philosophie hégélienne. Bien des fois nos
lecteurs auront trouvé cette] origine insuffisante pour un tel
produit. Il ne suffit pas, pour faire un livre comme celui-ci,
d'avoir abdiqué la raison, il ne suffit même pas d'avoir étouffé
en soi tont ce qui fait l'homme : le cœur, les affections, la noble
faculté de percevoir le vrai, d'aimer le beau, de respecter ce
qui est grand, d'adorer ce qui est 'adorable ; il faut ressentir
une de ces haines contre Dieu et son Christ, qui d'ordinaire
264 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Toni. VIII.
ne se rencontrent pas dans des cœurs d'hommes ; il faut être
arrivé dans sa chute bien près de cehii dont la volonté ne
respire que la haine pour avoir méprisé Tamour. Saint François
de Saies disait : « Si je savais qu'il y eîit dans mon cœur une
fibre qui ne fût pas pour Dieu, je Ten arracherais aussitôt. »
M. Renaa semble avoir fait le serment contraire, et pour em-
pêcher Dieu de rentrer dans son âme, il s'efforce de chasser
Jésus du cœur des autres, et de détruire, jusqu'au dernier,
tous les liens qui nous attachent au Sauveur. Suivons-le
dans les sentiers ténébreux où il conduit ses lecteurs ; mais
signons-nous d'abord pour lui opposer d'avance une énergique
protestation, et répondons à chacun de ses blasphèmes par un
acte d'adoration.
Il s'attaque d'abord à sa Mère pour lui ravir la gloire de sa
virginité en même temps que celle de sa maternité divine, et
il ose écrire : « La famille de Jésus, qu'elle provînt d'un ou de
plusieurs mariages, était assez nombreuse. » L'annonciatiou
de l'ange, la virginité de Marie, son incomparable sainteté,
tout cela n'existe pas pour M. Renan. Mais, par une juste pu-
nition, il est obligé d'avouer que la preuve qu'il donne de son
assertion est nulle, et de se réfuter lui-même dans une note
placée au bas de la page. Il y nomme les personnages qui sont
cités dans l'Écriture comme « frères de Jésus, » puis, dans la
phrase même où, mettant en oubli l'élasticité qu'a le mot « frère »
dans l'hébreu, il les appelle « fils de Marie, mère de Jésus, »
il reconnaît qu'ils sont les fils d'une autre Marie, parente de
la sainte Vierge et de Cléophas, et qu'ils étaient les cousins et
non les frères de Jésus. (P. 24.) Alors il se rabat sur l'hypo-
thèse que l'évangéliste, entendant appeler ces quatre fils de
Cléophas frères du Seigneur, aura mis par erreur leurs noms
à la place du nom des vrais frères restés toujours obscurs. »
(P. 25 en note.) Nous ne voyons pas d'où M. Renan conjecture
l'existence de ces autres frères. Il ne s'en trouve rien dans les
évangiles, rien dans la tradition, mais l'Évangile et la tradition
i
Août 1P63.! PAR M. RENAN. 265
sont unanimes à proclamer la virginité de Marie, et c'est dans
le Symbole même des Apôtres, que nous proclamons que Jésus
est né de la Vierge Marie.
11 poursuit le Sauveur dans les années de sa jeunesse et de
sa vie cachée, et nous raconte la formation de Jésus avec
des réminiscences empruntées de je ne sais où. Il nous décrit
les paysages de Nazareth en ajoutant : « Tel fut l'horizon de
Jésus. » Il entend par là et l'horizon physique et l'horizon
spirituel, car il admet que Jésus s'y est formé à l'école de la
nature, que ses pensées, ses affections, sa mission, tout lui
était inspiré par le paysage qu'il avait sous les yeux :
« Cette nature à la fois riante et grandiose fut toute l'édu-
cation de Jésus, et si jamais le monde veut remplacer par
d'authentiques lieux saints les sanctuaires apocryphes et mes-
quins où s'attachait la piété des âges grossiers, c'est sur cette
hauteur de Nazareth qu'il bâtira son temple.» Loin donc der-
rière nous ces âges grossiers, parmi lesquels le nôtre a repris
son rang si notable, où la piété s'attachait à des sanctuaires
apocryphes et mesquins ! M. Renan n'est ni de notre âge, ni
d'aucun âge grossier. Il est à la fois plus délicat et plus noble,
car il méprise cette piété mesquine qui honore les lieux où
le Dieu-Homme est mort, a été enseveli, est ressuscité des
morts, est monté au ciel! Cum in profundum venerit, contemnit.
Loin encore derrière lui le zèle de l'apostat Julien qui faisait
à Jésus rhonneur de lutter contre lui et de lui donner un dé-
menti. M. Renan fera mieux que de rebâtir le temple de Jé-
rusalem contre Jésus ; il bâtira en l'honneur de Jésus le
temple maçonnique sur la colhne de Nazareth. Mais le second
mépris n'est pas plus outrageant que le premier : Cum in pro-
fundum venerit, contemnit.
11 trouve Jésus fort ignorant, mais il ne l'en estime pas
moins. « Dans cet état social, dit-il, l'ignorance, qui chez nous
condamne l'homme à un rang inférieur, est la condition des
grandes choses et de la grande originahté.» Cette glorification
266 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS. [Tome Mil.
de l'ignorance n'est pas un oubli de M. Renan qui dit ailleurs
que la nature obéissait à Jésus, parce qu'il ignorait l'existence
des lois de la nature. Il éuumère donc longuement ce que Jé-
sus ignorait, et ce que lui Renan sait fort bien. Et quand l'É-
vangile nous raconte que l'Enfant croissait en sagesse et en
grâce devant Dieu et devant les hommes; el quand l'Évangé-
liste nous le montre, à l^âgc de douze ans, interrogeant les
docteurs de la loi et les étonnant par ses réponses, M. Renan
répond par un seul mot : « Tout cela est la légende de Jésus ;
Jésus était ignorant, et cette ignorance était la condition de
sa grandeur, a
Il se complaît dans cette énumération des choses que Jésus
ignorait. Tout au plus daigne-t-il admettre que Jésus connais-
sait quelques livres de TAncien-Testament, surtout les livres
apocryphes, et qu'il faisait des psaumes la nourriture de son âme
lyrique. Mais, du reste, Jésus était étranger au grec, étranger
à la scolastique de Jérusalem. Il n'eut aucune idée précise de
la puissance romaine ; il appelait quelque insipide rue de Ri-
voli de Sébaste « les royaumes du monde et toute leur gloire. »
■\L Renan lui trouve même si peude sens supérieur, que lorsque
plus tard il fit une course du côté de Tyr et de Sidon o les
séductions des cultes naturalistes, qui enivraient les races
plus sensitives, le laissèrent froid. » !!!
Eh oui! il ne fut pas enivré d'admiration pour ce Pan, ces
nymphes, etc., que M. Renan ose énumérer ici, et, grâce à lui,
nous ne le sommes point non plus. C'est lui qui nous a appris
à mépriser ce que les hommes adoraient sous Tempire du dé-
mon, et c'est lui-même que nous adorons comme Roi éternel
des siècles, notre Créateur et notre Sauveur. Mais il ne fut
point insensible à ce spectacle de l'idolâtrie qu 'il ressentait
douloureusement dans les profondeurs de son âme. Lui qui
était venu guérir toutes nos plaies, nous consoler de tous nos
maux, il déplora souverainement cette profanation de la gloire
de son Père que les hommes prostituaient aux idoles ; il donna
Sepi. ISG3.) PAR IH. HENAN. 2G7
sa vie pour expier ce? péchés, et pour contraindre les hommes,
par la violence de son amour, à ne plus aimer que Lui et son
Père qui est dans le ciel.
L'ignorance de Jésus! On est stupéfait devant le rappro-
chement de ce mot et de ce nom. Qu'on nous parle de l'obscu-
rité du soleil et l'on fera preuve d\Tberjation mentale^ parce
que le soleil est le foyer de la lumière et le foyer de la chaleur.
Otez le soleil de ce monde et vous en ôtez la lumière, vous eu
ôtez la chaleur, vous enlevez la vie; la terre ne sera plus
qu'un vaste cimetière où tout sera enterré, plantes, animaux
et hommes. Plus encore que le soleil matériel pour le monde
matériel, Jésus est la source de la lumière, le foyer de l'a-
mour, la racine de la vie pour l'intelligence, et si le monde
depuis Jésus-Christ ne ressemble pas au monde d'avant lui, si
l'on y pratique des vertus dont autrefois on ne connaissait
même pas le nom, si les intelligences sont affranchies du joug
honteux du paganisme, si les cœurs ont été purifiés et ont
appris à s'élever, c'est par Jésus et par la lumière de Jésus.
Seul il est lumière, il est amour, et tous les jours se véiufie
pour ceux qui écoutent sa parole, qu'il est la voie, la vérité et
la vie !
Sans doute, Jésus n'est point venu nous enseigner la phy-
sique, la chimie, ni les langues orientales ; Lui qui connaît
les lois de la nature, non comme nous les connaissons, mais à
la manière de Celui qui les a créées et qui les tient en sa main;
Lui qui connaît la pensée de l'homme dans quelque profondeur
qu'elle se cache, et quelque idiome qu'elle revête, il n'est venu
nous enseigner que l'unique nécessaire. Il est venu pour
rétablir l'ordre surnaturel troublé par le péché ; 11 est venu
pour que nous ayons la vie, et pour que nous l'ayons d'une
manière plus abondante qu'à l'origine ; il est venu nous révé-
ler les mystères de l'éternité, cachés dans le sein de son Père,
et nous montrer la voie pour retourner à lui, en même temps
qu'il nous en donnait les moyens. Voilà la lumière qu'il est
268 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
veuu nous apporter, et cette lumière il nous la donne aussi
vive que la vie qu'il nous communique est abondante.
De belles et sublimes pages, sans doute, ont été écrites sur
l'Evangile, mais toutes sont pâles pour en exprimer la gran-
deur, la beauté, la sublimité. Ni l'éloquence humaine n'est
assez puissante, ni la poésie assez lumineuse pour parler di-
gnement des enseignements de Jésus ; l'esprit de l'homme ne
peut en comprendre toutes les splendeurs, ni son cœur
en goûter toute la vérité, toute la suavité et toute la beauté.
Ceux qui sont les plus grands dans le monde des intelligences
s'en sont nourris non moins que les plus humbles, et l'esprit
de l'homme grandit d'autant plus dans la lumière, le cœur
d'autant plus dans la sainteté, que nous pénétrons davantage
les enseignements de Jésus. Et M. Renan vient nous dire que
Jésus était ignorant, et qu'il ne fut pas «enivré de polythéisme,
parce que le monothéisme enlève toute aptitude à comprendre
les religions païennes (p. 147) » !!!
Tous les genres de honte devaient donc être réunis dans ce
volume. Hélas! oui, ils le sont tous; et le membre de T'Institut
qui enseigne au collège de France, a trouvé moyen d'en en-
tasser plus encore que nous n^en avons énuméré jusqu'ici. Ce
n'est point la science seulement de Jésus qu'il trouve en dé-
faut. Il prononce (p. 266) les mots « d'illusion et de folie ».
Il parle « d'hallucination, d'imagination, de chimères ». Il va
plus loin encore, et après avoir écrit le mot « enthousiaste
égaré», il dit (p. 318) que Jésus «n'était plus libre, qu'il avait
le vertige ; » et il écrit encore une fois (p. 326) le mot « folie, »
qu'il avait déjà écrit à propos de miracles.
Il y a tout un chapitre là-dessus sans compter les passages
isolés qu'on retrouve à peu près dans tous les chapitres. Le
chapitre XIX a pour titre : P rogression croissante d' enthousiasme
et d'exaltation.
Nous serions en droit de demander où se trouve une pro-
gression d'exaltation, et si M. Benau « est encore à lui », en
eFfl8C3.] PAR M. RENAN. 26'.>
écrivant ces choses? Car elles dénotent une véritable fureur.
Les hallucinations cèdent d'ordinaire à l'image de la douceur
et de la paix. M. Renan lui-même prétendait que Jésus gué-
rissait les maladies par le charme infini de sa personne, la
douceur de sa parole, la suavité de ses relations; et ce charme
qu'il reconnaît avoir été exercé par le Sauveur même sur des
personnes atteintes, selon lui, de maladies nerveuses, ce
charme, M. Renan ne le subit point. Pour lui le Sauveur est
atteint, et ramassant les plus mauvais propos que lui adres-
saient les Pharisiens dans leurs plus mauvais jours, il lui jette
ce mot : Dsemonium habes.
Une des plus belles paroles du Sauveur est sans doute
celle-ci : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, et
la paix que je vous donne n'est pas la paix que le monde
donne. » Depuis que le Sauveur a prononcé cette parole, il ne
s'est point passé un jour sur la terre sans qu'elle 'se soit
réalisée. C'est auprès de Jésus que nous trouvons la paix de
nos âmes, c'est au pied de ses autels que se calme la fièvre de
notre esprit^ que s'apaisent les orages de notre cœur. Sans
avoir jamais eu le bonheur de le contempler de nos yeux, sans
avoir jamais oui le son de sa voix, il nous suffit d'évoquer
devant notre âme l'image de sa vie, telle qu'elle nous est
racontée dans l'Évangile, pour être transportés dans une ré-
gion toute céleste de paix, de calme, ovi nous sentons le rayon-
nement de l'infiuence divine. Si nous écrivions pour M. Renan,
c'est à lui-même que nous en appellerions, et nous serions
sûrs de trouver dans l'histoire de sa vie une confirmation de
ce que nous écrivons ici. On n'approche pas du sanctuaire
aussi près qu'il s'en est approché autrefois, sans y ressentir
quelque chose de ce charme qui s'appelle la joie et la paix
dans le Saint-Esprit; et uousluidemanderions quelles étranges
inûuences il dû subir pour découvrir aujourd'hui de la folie,
de liliusion, et autre chose de celte nature dans la figure vi-
vante de ce Jésus dont la présence sacramentelle, dont le
simple souvenir respire une paix si profonde.
270 ÉriDE SUU LA VIE DE JÉ;US [Tome VIII
La raison de ce blasphème, il ne s'en cache pas^ est dans
l'enseignement surnaturel de Jésus, dans cet enseignement
dont nous avons trouvé chez lui la négation si absolue. C'est
donc un nouveau démenti qu'il se donne à lui-même après tant
d'aulres. Car il a nié que Jésus ait donné une doctrine surna-
turelle, et c'est en présence de cette doctrine qu'il le traite
d'halluciné et de fou ; il a nié que Jésus se soit dit une incar-
nation divine, et il affirme que « son idée de Fils de Dieu se
troublait et s'exagérait. » 11 a nié que Jésus eût fondé une
église, et il avoue que Jésus voulait absolument que les apôtres
fussent honorés et obéis comme lui-même. Il a prétendu que
Jésus était venu fonder la religion naturelle, la religion de
l'esprit pur, et il avoue que son œuvre « n'est pas une œuvre
de raison, et qu'elle se joue de toutes les classifications de l'es-
prit humain. » lia ditque Jésus était trop ignorant pour savoir
la valeur de sa doctrine, et ailleurs il avoue que la grandeur
de ses vues sur l'avenir était par moments surprenante. Nous
pourrions continuer l'énumération de ces contradictions dans
lesquelles il faut se jouer si l'on veut nous donner une vue de
Jésus autre que celle des Évangiles. Mais ce n'est point la
dernière étape de M. Renan. Il va plus loin qu'on n'est jamais
allé, si loin que certainement on n'ira jamais plus loin.
A mesure qu'il avance dans son livre, il sent augmenter
l'embarras que lui cause son rôle, et la haine que lui inspire la
personne du Sauveur. Il veut en finir avec Lui, et après s'être
rangé avec ceux quipersécutèrent et insultèrent Jésus pendant
sa vie, il se prépare à jusiifier ceux qui lui donnèrent la
mort. Il commence donc à le trouver impossible. « Le ton qu'il
avait pris ne pouvait être soutenu plus de quelques mois ; il
était temps que la mort vint dénouer une situation tendue à
l'excès, l'enlever aux impossibilités d'une vie sans issue, et, en
le délivrant d'une épreuve trop prolongée, l'introduire désor-
mais impeccable dans sa céleste sérénité! » Si M. Renan avait
CTi à prononcer le jugement sur Jésus, il no l'aurait pas envové
Sept. 1803.1 PAR M. RENAN- 271
à la mort: il se serait borné à lui imprimer la triple flétrissure
d'ignorance, d'illusion et de folie. Mais les Juifs étant allés
plus loin, M. Renan se constitue leur avocat officieux; il fait
du même coup un réquisitoire contre Jésus et un plaidoyer
en faveur des Juifs, en faveur de Pilate, en l'honneur de
Judas !
Il ne sera point embarrassé ! Il n'ira point comme Judas,
dans l'ombre, le cœur inquiet, la voix tremblante, tendre une
main timide en disant: Que voulez-vous me donner et je vous
le livrerai? Il n'ira point comme les Pharisiens lui reprocher
simplement de s'être dit Fils de Dieu, et suborner de faux
témoins ; il n'ira point comme Pilate signer à contre-cœur une
sentence, la plus coupable qui ait jamais été signée depuis la
création du monde. Il a plus d'audace, plus de perfidie, plus
de saug-froid que tous ces hommes. Il saura produire de nou-
velles accusations, et rendre un jugement bien autrement mo-
tivé.
Il souille d'abord le caractère du Sauveur, disant de lui qu'il
aimait la table, où du reste il le trouve gai et charmant, sans
compter ces autres blasphèmes que nous lui avons vu déterrer
dans l'évangile de Marcion, et qu'il insinue à plusieurs repri-
ses. Ensuite, il nous présente le Sauveur pleinde méchanceté,
avec « un tempérammeul excessivement passionné, qui le por
tait à chaque instant hors des bornes de la nature humaine
(p. 318). » Il lui reproche de s'être a laissé entraîner par la
passion aux plus vives invectives (p. 325), » et félicite Jésus de
n'avoir « rencontré aucune loi qui punît l'outrage envers une
classe de citoyens ou l'exercice illégal de la médecine (p. 457j.»
Il rendra hommage en passant aux a traits incomparables,
traits dignes d'un fils de Dieu » qu'il lançait contre les phari-
siens ; mais, ajoutera-t-il, il était juste que ce grand maître
en ironie payât de la vie son triomphe (p. 334).
Ce ne sont là cependant que les accessoires do cet étrange
plaidoyer. Il y a des choses plus graves : à chaque page il
272 ÉTUDE SLR LA VIE DE JÉSUS [Tome VIII.
proclame Jésus un rm/)os/em'/ Nous l'avouons, quoique tous
nos sentiments de chrétien et de prêtre se révoltent ici en nous
avec une vigueur que nous n'avons jamais connue, nous ne
regrettons pas que M. Renan en arrive à cette extrémité. Il
devait en venir là, il y est venu, il y restera; et si dans les
siècles futurs on parle encore de lui, on dira : C'est l'homme
qui a proclamé Notre-Seigneur Jésus-Christ un imposteur !
Ce stigmate restera éternellement accolé à son nom, et « cette
tunique de Nessus, non du ridicule, mais de l'odieux, que le
juif fils d'une nation déicide traîne en lambeaux après lui
depuis plusieurs siècles, » il la traînera, lui, mais d'une ma-
nière plus ignominieuse. Car de même que Judas est stigma-
tisé plus profondément parce qu'il a été l'apôtre du Sauveur,
de même on dira : M. Renan, l'ex-séminariste !
Indiquons quelques passages : « Jésus ne se croyait pas fils
de David, il se laissa donner ce titre, et finit ce semble par y
prendre plaisir (238) . ... Le besoin que Jésus avait de se donner
du crédit entassait les notions contradictoires (p. 251). ... Bonne
foi et imposture sont des mots qui. dans notre conscience ri-
gide, s'opposent comme des termes inconciliables... La vérité
matérielle a très-peu de prix pour l'oriental. ... L'histoire est
impossible si Ton n'admet hautement qu'il y a pour la sincé-
rité plusieurs mesures (1)... Il nous est facile à nous autres,
d'appeler cela mensonge (p. 233)... Il accepte les utopies de
son temps et de sa race (p. 28i). 11 recherche les malentendus
et les proclame à dessein »... Presque à chaque page de son
livre, nous retrouvons cette même pensée plus ou moin? claire-
ment insinuée.
Cela ne lui suffit point, et au moment où, en mémoire de
y ave rabbi il proclame qu'en Jésus s'est condensé tout ce qu'il
[\] Eq nous déclarant qu'il y a pour la sincérilé plusieurs mesures,
a (lil excellcmraenl M. de Montaiemberl, M. lienan nous doDoela me-
sure ne la sieane.
Su-pt- 1863.] PAR M. RENAN. 273
y a de bon et d'élevé dans notre nature, il nous le montre en
lutte avec ses passions, tenté par le Satan qu'il portait dans
son cœur, puis il ajoute que beaucoup de ses fautes ont été
dissimulées (p. 458).
Ainsi la mort de Jésus était méritée ; car, sans compter les
contraventions à nos lois de police modernes, il était coupable
de violences excessives, de la plus haute imposture qu'il y ait
jamais eu dans le monde, et de plusieurs autres fautes qui
ont été dissimulées. Cependant il aurait pu se sauver avec
moins d'opiniâtreté, mais « il se perdit cette fois par la grande
équivoque qui avait fait sa force, et qui après sa mort devait
constituer sa royauté. »
Jésus condamné, il reste à acquitter ceux qui ont été les in-
struments de sa mort.
La conscience publique a flétri jusqu'ici d'une flétrissure
d'exécration les noms de Judas Iscariotb et de Ponce Pilate.
M. Renan les lave l'un et l'autre ; il « croit que les malédic-
tions dont on charge Judas de Kerioth ont quelque chose d'in-
juste. Il y eut peut-être dons son fait plus de maladresse que
de perversité (p. 382). » Quant à Pilate, il essaya de tous les
moyens pour sauver Jésus, mais dans l'aliernative de pronon-
cer un jugement inique ou d'encourir la disgrâce de son
maître, « il ne pouvait guère faire que ce qu il fît {p. 410). »
« Ce ne furent doue ni Tibère ni Pilate qui condamnèrent Jésus.
Ce fut le vieux parti juif, ce fut la loi mosaïque. » Cependant
le caractère essentiel de cette loi était de préparer la venue du
Messie. C'est au peuple gouverné par elle que Dieu envoya
d'abord ses prophètes, puis son Fils unique. Les Pharisiens la
retournèrent directement contre son but. Ils demandèrent à
grands cris la mort de Jésus au nom même de la loi qui devait
les mener à lui. Crime impardonnable qui, après dix-huit
siècles, pèse encore sur leurs descendants. M. Renan les en
absout et requiort en même temps contre la loi qu'ils ont
violée. R l'accuse d'être « détestable, d'être la loi de la férocité
REVUIC des sciences ECCLÉSTASTIQnES, T. Vltl. IB-'iQ
274 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [TomeVIIL
antique^ » puis il ajoute que « le héros qui s'offrait pour l'a-
broger devait avant tout la subir (p. 412). » S'il était capable
de fanatisme, s'il croyait à Tautorité de la loi, il crierait comme
les Juifs : « Que son saug retombe sur nous ! » Mais comme il
n'est aucunement juif, il ira du même coup et condamner Jé-
sus au nom de leur loi, et requérir contre cette loi qui lui est
superflue, }»arce qu'il a trouvé en dehors d'elle de quoi justifier
ce jugement.
On raconte que l'empereur romain Caracalla, de triste mé-
moire, regretta un jour que le genre humain n'eût pas une
seule tète, afin de pouvoir la couper d'un seul coup. M.Renan
termine son réquisitoire contre le Sauveurpar l'expression d'un
sentiment analogue. Jésus est placé au point de jonction de la
synagogue et de l'Église chrétienne; l'une aboutit à lui, l'autre
dérive de lui; mais il est l'âme de l'une et de Taulre. En con-
damnant Jésus, M. Renan s'etforce de condamner du même
coup et la loi mosaïque et l'histoire de l'Église. D'après lui, la
loi fit mourir Jésus légalement, et l'Église a hérité l'esprit de
la loi, en « concevant Jésus comme un affreux Moloch, avide de
chair brûlée (p. 412). » Donc vous tous qui croyez en Jésus,
vous êtes coupables à votre manière de la mort de Jésus.
Vous tous qui croyez à ses enseignements, à sa vie, à sa mort,
à son Église, faites votre mea culpa; au lieu d'honorer Jésus,
vous l'avez crucifié. — « Hélas ! il faudi'a plus de dix-huit
cents aufe pour que le sang quïl va verser porte ses fruits ! »
Le Renanisme sera donc le fruit du sang de Jésus; les cou-
pables de sa mort ont été d'abord Jésus lui-même, puis la loi
mosaïque, puis l'Église. M. Renan qui n'est ni avec Jésus, ni
avec la loi, ni avec l'Église, eu est seul innocent. Son école à
lui est celle de la tolérance païenne : « Certes, le monde païen
eut aussi ses violences rehgieuses. Mais s'il avait eu cette
loi là, comment fût-il devenu chrétien?» Quand cette tolé-
rance des Néron et des Dioclétien aura de nouveau cours dans
le monde, et se sera substituée à l'intolérance de l'Église,
Sept. 1863.] PLR M. RENAN. 275
l'apostat Renan sera satisfait, et n'aura pas à craindre a les
tortures et la mort que, pendant des siècles, on infligea, au
nom de Jésus, à des penseurs aussi nobles que lui. »
La Vie de Jésus nous conduit donc comme les Évangiles au
pied de la Croix, mais d'une Croix où le Sauveur est crucifié
avec toute son Eglise de tous les lieux et de tous les siècles.
En face de cette Croix contenons notre indignation, et rappe-
lons-nous cette parole du Sauveur: «Mon Père, pardonnez
leur, ils ne savent ce qu'ils font ! »
Non, M. Renan ne sait pas ce qu'il fait, car nul ne cruci-
fierait le Fils éternel de Dieu dans la chair, s'il connaissait
toute la scélératesse de son crime.
Il ne oait pas ce qu'il fait, car il blasphème comme un dé-
mon; et les démons tremblent, dit l'Écriture. Lui, il ne tremble
pas; il a cet avantage sur Satan. C'est avec un sourire avenant,
un regard inspiré, un air d'admiration et de protection en
même temps, qu'il nous présente son Jésus, — le Jésus de sa
façon ! Voyez comment il lui fait faire son entrée dans le
monde. Impossible de blasphémer d'une manière plus élé-
gante, plus délicate, qui sente mieux son Satan académicien,
que ue le fait le professeur Renan.
Il ne sait pas ce qu'il fait, car il compare Jésus-Christ à
Mahomet, à Luther, aux auteurs de la Révolution française,
à Çakya-Mouni, à tous les réformateurs qu'il trouve dans l'his-
toire, à sainte Thérèse, aux soufis de l'Inde et à saint Augustin
« en quelques instants de sa mobile existence ! »
Il ne sait pas ce qu'il fail, car il nous présente Jésus-Christ
comme l'homme qui en a le plus clairement vu et le plus par-
faitement réalisé l'idéal, et il en retrace ensuite l'image que
nous avons vue.
Il ne sait pas ce qu'il fait, car il déshonore l'intelligence
de l'homme qui ne peut rien faire de plus triste que de salir
la figure de Jésus-Christ, et le cœur de l'homme, qui ne peut
descendre plus bus que de pousser au mépris du Dieu
fait homme par amour pour nous.
276 ÉTUDE SUR LA VIE DE JÉSUS [ Icme VII.
Il ne sait pas ce qu'il fait, car il traîne dans la boue ce qui
devait faire le bonheur et la gloire de sa vie, la sainteté du
sanctuaire, Tamour du cœur de Jésus, sa naissance, sa vie,
son agonie dans laquelle il lui fait évoquer le souvenir a des
jeunes filles qui peut-être auraient consenti à l'aimer », —
sa passion, sa mort.
11 ne sait pas ce qu'il fait, car il souille d'un même trait de
plume toutes les affections naturelles et surnaturelles de l'hu-
manité. Il dédie ce livre « à Tame pure de sa sœur Henriette,
à côté de laquelle il a écrit ce livre sur les lieux mêmes oh s'est
passée l'histoire du Sauveur, et gui dort maintenant dans la terre
d'Adonis, près de la sainte Byblos et des eaux sacrées ou les
femmes des mystères antiques venaient mêler leurs larmes. » En
lui voyant, au seuil même de son vohime, entremêler la pensée
de l'éternité, le nom d'une sœur tendrement aimée et celui
de Jésus avec le souvenir des plus infâmes divinités et des
phis dégradantes ignominies du paganisme, il faut bien
croire que M. Renan a perdu complètement le sens de la véiité,
du respect et du véritable amour. Tout autant que les instru-
ments du crucifiement, il méjite d'entendre cette parole :
« Pardonnez-leur, ô mon Père, ils ne savent ce qu'ils fout ! »
C'est certainement là le sentiment qui restera à tout esjirit
sain, après la lecture de ce livre. Mais le nombre des intelli-
gences saines et droites diminue tous les jours. Des études plus
ou moins tronquées, dans lesquelles la solidité de l'instruction
est sacrifiée au besoin de passer promptement des examens,
l'absence de philosophie, ratfaiblissement de l'iiifluence reli-
gieuse dans l'éducation, la lecture de journaux où l'impiété
se produit le plus souvent sans masque comme sans frehi, la
diffusion des romans, la rareté des bonnes lectures, l'habi-
tude de négliger les instructions religieuses , — toutes ces
causes réunies, et plusieurs autres encore, ont amené un
affaiblissement de la raison, non moins qu'une diminution de
la foi. Or, quand la raison est faible et rinstruclion pauvre.
Sept. 1863.| PAR M. RENAN. 277
un livre comme cette Vie de Jésus devient souverainement dan-
dangereux, et le grand nombre de lecteurs qu'il a trouvés est
assurément un des plus tristes symptômes de notre époque.
Un vrai chrétien s'abstiendra même d'y toucher. Plusieurs
de nos premiers pasteurs ont signalé ce devoir. Il est à
souhaiter que leurs instructions rencontrent des cœurs dociles.
Ici, plus que jamais, c'est le cas de condamuer absolument
l'excuse d'un grand nombre :« Ce livre ne me fera pas de mal,
je saurai rejeter ce qui n'est pas bon ! » Cette excuse est tou-
jours futile et absurde. Si l'on veut conserver pur et intact le
respect des choses saintes, si l'on veut conserver vive dans
son esprit la double lumière de la raison et de la foi, si l'on
veut maintenir inaltérable dans son âme l'amour du Dieu-
Homme, on ne sera guère attiré vers des pages où toutes ces
choses sont étrangement maltraitées. Et si l'on veut rejeter
ce qui est mauvais, on s'abstiendra de lire même une seule
page de la Vie de Jésus par M. Renan. Tout y estmauvais,
tout y est blâmable, tout y est condamnable, et nous procla-
merions une merveille de la foi l'homme qui la lirait sans que
la pureté de son christianisme en souffrît. Mais un tel héros
de la foi n'éprouvera aucune tentation de la lire ! Il dira
comme un grand chrétien de noire connaissance : « Je ne
veux même pas lire une réfutation de M. Renan, car j'y trou-
verais l'exposé de doctrines qui me feraient cruellement
souffrir dans tout ce que j'aime au monde. Je n'ai pas besoin,
pour croire à Jésus-Christ, qu'on ait réfuté un impie de plus.
L'histoire entière et du Sauveur et de son Église n'est qu'une
grande réfutation de ceux qui nient Jésus-Christ; qu'un impie
de plus se trouve sous le coup de cette condamnation, cela
n'ajoutera rien à ma foi. Tout ce que je puis faire pour
M. Renan, c'est de prier pour lui et pour ceux qui le lisent. »
Ce sera notre conclusion. Faisons amende honorable à Jésus
et prions pour les impies, prions pour notre pauvre France,
où ce mauvais livre a trouvé tant de lecteurs !
J.-l. SiMONIS.
DE CERTAINES COUTUMES
EN MATIERE DE LITURGIE.
La coutume est une des sources du droit canonique ; mais
pour avoir force de loi générale ou particulière, la coutume
doit être revêtue de certaines conditions, et en particulier,
elle doit être appuj'ée sur le consentement explicite ou légiti-
mement présumé du législateur. Tous les canonistes sont
d'accord sur ce principe. En matière de liturgie, toute cou-
tumedoit être immémoriale. Telle est lacondition requise dans
la huile Àpostolici ministerii d'Innocent XIII, du 23 mai 17'23, et
tel est le sens de divers décrets de la Sacrée Congrégation des
Rites. On peut conserver les coutumes louables et immé-
moriales, si elles ne sont point en contradiction avec les
rubriques et si elles n'ont pas été supprimées.
On sait assez tout ce qui s'est fait d'illégal dans les liturgies
françaises du siècle dernier. Elles sont, moralement parlant,
supprimées aujourd'hui. Mais il est des coutumes qui se rat-
tachent à ces liturgies, et que l'on a cru pouvoir maintenir
eu certaines contrées. Pourle;^ apprécier, il faut les examiner,
non point avec des préjugés d'éducation, non point avec le
désir de trouver ce qu'on voudrait y voir, mais il faut les
envisager à la lumière des vrais principes de la science
liturgique et canonique. C'est ce que nous allons essayer
de faire relativement à certaines coutumes sur lesquelles
on désire connaître notre sentiment. Il est diiiicile, nous
le savons, de soulever ces questions sans froisser certains es-
Sept. i863.1 LITURGIE. 279
prits dominés par la crainte de voir dans ceux qui clier-
chcnl à rétablir les vrais principes une trop grande sévérité
dans leur application. Cette raison, évidemment, ne suffit
pas pour passer sous silence des points qui ne manquent ni
d'intérêt ni d'importance. Si, d'un côté, les questions relatives
à la licéité de certains usages ne peuvent êtres soulevées de-
vant certaines personnes sans exciter des réclamations qui
ne donnent pas à ceux qui la désirent la liberté d'exposer
les vrais principes ; d'un autre côté, ces doutes nous sont posés
par d'autres qui ne croient pas voir des avantages sérieux dans
le maintien de pratiques contraires à la lettre ou à l'esprit des
lois de l'Église, et qui font consister dans la prudence à procurer
l'observation de ces lois l'application de cette parole de l'Esprit
saint : Littera occidit, spiritus autem vivifient. Les premiers
croiront peut-être que les réformes sur quelques usages abusifs
auront pour effet d'aflÛiger la piété des fidèles et de les éloigner
de l'église ; mais d'autres pensent que l'exactitude à observer
fidèlement les règles de l'Église, qui est toujours bénie de Dieu,
ne peut produire ce résultat, non plus que les actes d'un
prêtre qui les aime par esprit de foi et d'obéissance, qui
sait tendre à sou but avee droiture et énergie, et tou! disposer
avec douceur et prudence ; qui sait, en ramenant la pratique
des véritables règles, prendre des moyens de rehausser la
splendeur des cérémonies, moyens trop souvent négligés,
comme la décoration des autels et des églises, la bonne exé-
cution du chanl, etc. L'expérience est là pour montrer qu'il est
facile de remplacer par d'autres les pratiques qu'il est néces-
saire de supprimer.
Les coutumes sur lesquelles ou nous consulte spécialement
se rapportent : 1" au costume de chœur que doivent porter
les laïques employés dans les cérémonies; 2° à l'usage exis-
tant encore dans certaities églises de les revêtir d'ornements
sacrés; 3° à la pratique de revêtir de chapes ceux qui rem-
plissent l'office de chantres à la Messe solennelle.
280 LITURGIE. [TomcVUI.
§1-
De l'hahit de chœur que doivent porter les laïques employés
daus les cérémonies.
Les règles de l'Eglise supposent que les cérémonies sont
remplies par des ecclésiastiques ; mais les auteurs, même les
plus sévères, permettent aux laïques de remplir les fonctions
des ordres mineurs et de porter alors la soutane et le surplis.
Tel est le sens d'un décret de la S. Congrégation des Rites
du 9 juillet 1859, rapporté t. iv, p. 338. Ces laïques peuvent
être des enfants de chœur.
L'habit de chœur est la soutane et le surplis à larges manches.
Tel est le costume qui convient à tous les ecclésiastiques qui ne
sont pas chanoines, et même à ees derniers hors les circon-
stances où ils doivent porter l'habit du chapitre. Une doit point
y avoir deux costumes de chœur différents pour la forme, en-
core moins trois, comme serait le surplis à larges manches
pour les prêtres, un autre genre de surplis pour les laïques
employés dans les saintes fonctions, et un troisième costume
pour les enfants de chœur. « Il ne doit y avoir, dit M. deConny
« {Cér. rom., 3« éd., p. 28), qu'un seul habit de chœur dans
« une église; les chantres et les enfants doivent, eux aussi,
« porter le surphs, et non pas l'aube ni le surplis sans man-
(( ches. » Le même auteur ajoute en note : « Aux yeux de
« l'Église, on fait partie du clergé ou du peuple. Elle tolère,
« il est vrai, pour suppléer au petit nombre de clercs, que
« plusieurs laïques soient introduits parmi eux , et fassent
« quelques-unes de leurs fonctions eu portant leur habit; mais
« à ce moment, elle les accepte comme s'ils appartenaient
« réellement au clergé et non pas comme faisant un ordre in-
« terraédiaire ; on ne peut donc pas leur donner un costume
« spécial. »
Sept. 1863.) LITURGIE. 281
Les chantres et les enfants de chœur doivent donc porter le
surplis à larges manches. « Pour la couleur de la soutane,
« rien ne s'oppose à ce que l'on conserve l'usage des églises.
« A Rome même, on admet pour les élèves des séminaires ces
« diverses couleurs de vêtements permises autrefois à tous
« les clercs {Ibid., p. 20). » Mais ils ne peuvent porter ni la
barrette ni la calotte rouges. Ces règles résultent de la même
décision. Remarquons encore que les cardinaux seuls ont le
privilège de porter une coiffure d'une couleur autre que la cou-
leur noire, suivant la rubrique du Cérémonial des évêques, 1. 1,
c. I, n. 4. Ce serait aussi admettre deux costumes dififérents
que de donner aux chantres laïques, au lieu de la barrette, le
bonnet de forme conique usité autrefois dans un grand nombre
de diocèses de France.
§n.
De l'usage de donner à des laïques des ornements sacrés.
Cet usage existe encore dans plusieurs diocèses. Mais doit-
il être mis au nombre de ces coutumes louables qui peuvent
être maintenues, et qui sont compatibles avec le rétablissement
de la liturgie légitime ? Telle est la question.
Constatons d'abord que nulle part dans les sources des règles
liturgiques, telles que le Missel, le Bréviaire, le Rituel, le Pon-
tifical, le Martyrologe, le Cérémonial des évèques, les décrets
de la S. C. des Rites, ni dans les auteurs qui ont écrit sur ces
matières, il n'est supposé qu'un laïque puisse jamais être
revêtu d'un vêtement sacré; Or, personne ne peut en douter,
an usage qui est dans ces conditions doit être rangé au nombre
des abus. S'il n'est pas spécialement condamné par une loi
positive, la raison en est que cette loi spéciale n'est pas néces-
saire, vu l'ensemble de la législation qui montre assez l'incon-
venance d'une pareille pratique. Aucune loi particulière ne
282 LITURGIE. [Tome VIII.
défend à un simple prêtre d'officier poutificalemeut; devra-
t-on en conclure qu'il sera permis de se procurer la solennité
d'une messe pontificale en revêtant un prêtre des ornements
pontificaux et en le faisant célébrer à la manière des évèques?
On comprend facilement où conduirait un pareil principe, et
si les conséquences n'ont pas été poussées jusqu'à la crosse et
la mitre, on a vu des prêtres se faire assister à la manière
des évêques et user du bougeoir pontifical.
Ces réflexions nous amènent tout naturellement à cet autre
principe, que pour figurer les cérémonies de l'Église, il faut
y être autorisé par une permission du Saint-Siège, comme est
celle de remplacer le sous-diacre par un clerc en cas de néces-
sité, ou celle que vient d'obtenir Mgr l'évêque de Beauvais
pour son diocèse, relative au chant de la Passion, et dont il
est parlé au u' de juillet dernier t. viii, p. 54. Il est difficile
de comprendre, eu effet, qu'il existe dans les cérémonies de
l'Église, cérémonies si saintes, si sublimes et si mystérieuses,
une latitude que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Quand
verra- 1 -on, par exemple, des mercenaires revêtus de la
robe du magistrat, de la ceinture du maire, ou parés de la
croix de la Légion d'honneur, figurer au milieu des pompes du
monde? Les théâtres seuls admettent de semblables fictions.
Si l'on pouvait ainsi, à son gré, figurer les cérémonies de
l'Eglise au moyen de personnes laïques, il faudrait encore
accepter les conséquences de cette hcence. Il n'en existe déjà
que de trop extraordinaires et devant lesquelles on auraitreculé
il n'y a pas vingt ans. On voit aujourd'hui, par exemple, dans
certaines églises, des troupes considérables d'enfants dont un
certain nombre sont habillés en évêques, d'autres en cardinaux,
tous portant le rochet et la mosette : quelques-uns ont au cou
un commencement d'étole, et un vénérable archevêque a été
obligé d'interdire l'usage de leur donner la crosse et la mitre. De
pareils abus ne pourraient-ils pas se propager et devenir en-
core plus criants ? Il en résultera toujours au moins une chose
Sept. 1863.) LITURGIE. 28S
bien regrettable, savoir, l'oubli de la grandeur des vêtements
sacrés, et du respect qui leur est dû. Les faits confirment ces
résultats. L'usage, en effet, de donner des chapes à des chantres
laïques a tellement diminué le respect que l'on doit avoir pour
ce vêtement qu'aujourd'hui^ dans les processions duTrès-saint
Sacrement, Tusage s'est introduit de revêtir de chapes les
moins dignes du clergé, qui marchent en avant de ceux qui
portent des tuniques. Un prêtre, invité par le curé d'une pa-
roise à officier au salut du Saint'Sacrement, exprima sa sur-
prise de ce qu'on lui présentait la chasuble au lieu de
la chape : il lui fut répondu qu'on voulait lui faire honneur,
et ne pas lui donner l'habit des chantres. Un vénérable
Cardinal, dans une circonstance solennelle, ne voulut pas
prendre la chape, parce que son cordonnier la portait. Si son
cordonnier ne l'avait pas portée. Son Éminence n'eût pas
éprouvé ce scrupule.
Examinons donc, au point de vue du droit, quelles sont les
cérémonies qui peuvent être remplies par des laïques, et quel
costume ou peut leur donner. Il leur est permis, comme nous
l'avons montré, de porter l"habit de chœur des clercs, savoir:
la soutane, le surplis et la barrette. Mais peut-on donner à cette
concession une plus grande extension, en ce sens que tous les
laïques puissent jouir des privilèges qui appartiennent aux
clercs, et raisonner ainsi : Tout clerc peut porter la chape ;
tout clerc peut aussi porter la tunique pour remplacer le sous-
diacre à la Messe solennelle en cas de nécessité ; ces fonctions
étant celles des ordres mineurs, les laïques peuvent les rem-
plir?
Observons d'abord que la conséquence n'est pas rigoureuse.
Elle serait rigoureuse si le privilège de remplir les fonctions
propres aux ordres mineurs entraînait nécessairement celui
de remplir celles dans lesquelles les clercs tonsurés et minorés
peuvent remplacer, dans un cas particulier, les clercs engagés
dans les ordres majeurs.
284 LITURGIE. [Tome VIII.
Nous pouvons remarquer en second lieu, pour ce qui est en
particulier du privilège des clercs de pouvoir remplacer le
sous-diacre à la Messe solennelle, que la S. C. exige deux con-
ditions, la première, qu'il n'y ait ni sous-diacre, ni diacre, ni
prêtre pour remplir cet office ; la seconde, que le sous-diacre
suppléant soit clerc. Les décrets relatifs à cette question sont
. les suivants :
V^ DÉCRET. Question. « An déficiente subdiacono pro Missa
« solemni, possit per superiores substitui constitutus in mino-
« ribus ad cantandam epistolam, paratus absque manipule? »
Réponse. « Data uecessitate, posse permitti. » (Décret du 5 juillet
1698, n» 3477, q. 18.)
2^ DÉCRET, a Extra casum absolutae et preecisse necessitatis,
« non posse a superiore permitti ut clericus in minoribus pro
(( subdiacono suppléât in Missis solemuibus paratus sine mani-
« pulo. » (Décret du 18 décembre 1784, n» 4418, q. 2.)
3* DÉCRET. Question. « An permitti possit ut clericus regula-
« ris interdum nec tonsura iuitiatus, subdiaconi officiofunga-
« tur in Missa solemni ; dum alter, vel sacerdos, vel in majo-
<i ribus constitutus ordinibus adest, qui ut subdiaconus inservire
« potestetiam Missae solemni ?» ^e/jonse. « lu casu necessitatis,
« dummodo non sit alter; sed debere esse clericum. » (Décret
du 22 juillet 1848, n" 5726, q. 5.)
La première condition est positivement exprimée dans ces
trois décisions. Si donc l'on peut parfois interpréter avec
quelque latitude le cas de nécessité, on ne peut légitimer non
plus la pratique des églises où le sous-diacre est remplacé par
un clerc, tandis qu'un certain nombre de prêtres qui pourraient
facilement remplir cette fonction assistent au chœur. La
deuxième est supposée dans les deux premières causes, et dans
la troisième elle est clairement exigée. Or elle exclut de cet
office tout laïque même religieux, et par conséquent encore un
séminariste non tonsuré qui porterait habituellement l'habit
ecclésiastique. Ajoutons qu'il s'agit ici seulement de remplacer
Sept. 1803.] LITURGIE. 2Sîi
un ministre nécessaire pour la Messe solennelle. On pourrait
l'étendre, ce semble, au salut du Saint-Sacrement ; mais cette
concession ne peut autoriser les clercs à porter lu tunique
partout et toujours, ni les maîtres des cérémonies à revêtir de
cet ornement autant de clercs qu'ils en peuvent avoir, pour
assister aux processions du Saint-Sacrement, auxquelles les
clercs assistent avec l'habit de leur ordre. Telles sont les rai-
sons pour lesquelles, nous n'en doutons pas, s'il a été accordé
à Mgrl'évêque de Beau vais, par induit spécial,, de faire chanter
«ne partie de la Passion par des laïques, on n'a point con-
cédé à ceux-ci d'autre vêtement que le surplis ; et si cet office
était rempli par des clercs tonsurés ou minorés, ceux-ci de-
vraient se conformer à la même règle, et ne point paraître
revêtus d'un ornement qui ne leur a point été donné par
l'évèque dans la cérémonie de l'ordination.
Ces raisons sont applicables aux ornements qui sont l'insigne
d'un ordre, comme la chasuble, la dalmatique, la tunique,
l'étole, le manipule et l'amict. Mais, dira-t-on peut-être, elles
ne peuvent pas s'appliquer à la chape, qui n'est point im
habit d'ordre et dont on peut revêtir tous les clercs, comme
on les revêt de la soutane et du surplis.
Il faut remarquer tout d'abord que raisonner ainsi, c'est con-
clure du moins au plus : la parité n'est donc point soutenable.
On peut jouir du privilège de porter la soutane et le surplis
sans avoir celui de porter encore la chape. Il faut observer
encore que si la chape n'est pas un vêtement d'ordre, c'est un
habit de dignité que les évêques et les prêtres portent dans
les circonstances les plus solennelles. Toutes les fois que les
ehanoiues assistent à l'office pontifical, les dignités seules
portent la chape; à l'office papal, ce sont les cardinaux-
évêques. On voit par là combien le port de la chape convient
peu à des laïques, et nous venons de voir combien l'usage de
les en revêtir diminue le respect qui est dû à ce vêtement.
Concluons donc qu'il est préférable de célébrer les vèprei
286 LITURGIE. [Tome Vllî.
solennelles sans assistants en chapes, plutôt que de revêtir de
cet ornement sacré des personnes laïques, s'il n'y a pas deux
ecclésiastiques pour remplir cet office.
III.
De l'usage de revêtir de chapes ceux qui remplissent l'office de chantres
à la Messe solennelle.
Nous avons suffisamment prouvé que, pour porter la chape,
il faut être ecclésiastique. Ajoutons que l'usage de revêtir de
cet ornement ceux qui remplissent l'office de chantres à la
Messe solennelle est contraire à la liturgie. Il n'en est point
question dans la rubrique du Missel. Le Cérémonial des
évêques, traitant de la Messe pontiticale, enseigne qu'à cette
Messe les chanoines sont revêtus d'ornements. Mais parlant
ensuite des autres Messes solennelles, il dit : « Gelebrantem
« paratum planela et reliquis paramentis missalibus prsece-
« duntdiaconus et subdiacouus parati dalmatica et tunicella,
« vel pro temporis qualitate, planetis ante pectus plicatis...
« Nec alii preeter ipsos erunt parati. » La même règle résulte
du décret suivant : Question. « Ex asserta diuturna cousuetu-
« dine pêne immemorabili in ecclesia S. Sepulcri et S. Jacobi
« vulgo de Barletta intra fines archidiœcesisTranen., illud est
« more positum, ut dum in solemnioribus Missas solemnes et
« vesperas célébrant rectores earum, prœter ministres inser-
« vientes, eis assislunt alii sex presbyteri pluvialibus induti,
a Cum autem a consuetudine ista, quœ nullo apostolico in-
« dulto innititur, difficile admodum sit desistere absque fide-
« lium admiratione et scandalo, rectores ipsi S. G. R. humil-
a lime rogarunt ut eam confirmare dignaretur, adeo ul licite
0 deinceps in ea perseverare valeant. » Réponse. « Permitti
« posse quoad vesperas solemnes tanlum. » (Décret du 10 jan-
vier 1852, n» 5170.)
Sept. 1863.] LITURGIE. 287
D'après cette décision, il demeure bien clair que la sacrée
Congrégation n'admet aucune coutume qui puisse autoriser
cette pratique.
Les motifs de cette règle nous paraissent les suivants :
1" les raisons pour lesquelles des ecclésiastiques peuvent être
revêtus de chapes pendant les vêpres, n'existent pas pour la
Messe. A la Messe solennelle, le célébrant est assisté par le
diacre et le sous-diacre. De même aux vêpres^ il est assisté par
des ecclésiastiques en chape. Ceux-ci remplissent, à la vérité,
la fonction de chantres ; mais ils le font d'une manière acci-
dentelle. D'après le Cérémonial des évêques, les psaumes des
■vêpres sont toujours entonnés par deux chantres en surplis.
Cette règle est surtout applicable, d'après l'ensemble des ru-
briques du Cérémonial, d'après les auteurs et la coutume suivie
à Rome, aux vêpres chantées par deux chapiers seulement.
Lorsqu'il y a quatre ou six chapiers, les moins dignes font or-
dinairement l'office de chantres, et, s'ils n'étaient que deux, ils
pourraient encore le faire. Si quelques auteurs enseignent que
la chape est le vêtement des chantres, ils le font en ce sens.
2° Les chantres, à la Messe, n'ont aucune fonction particulière
à remplir en dehors du chant; or, comme nous venons de le
voir, on ne prend point un vêtement sacré, si ce n'est pour
exercer une fonction spéciale pour laquelle ce vêtement est in-
diqué par la rubrique.
P. R.
LE TRQISIÉUË ANPilVËRSÂlRE SËCIJLMRB
DU CONCILE DE TRENTE
Le saint Concile de Trente se termina en 1563. L'année 1863
est donc le troisième anniversaire séculaire de sa clôture. Des
circonstances spéciales ayant mis obstacle à la célébration des
deux premiers, le troisième seul, celui que nous ramène
cette année, a été honoré par des pompes dignes des souvenirs
qu'il rappelle. Un Cardinal-légat, des évêques, des prêtres et
des laïques en grand nombre se sont réunis, au mois de juin
dernier,^ dans la ville de Trente, et ont fêté le glorieux sou-
nenir du Concile qui en sera à jamais la gloire.
Les journaux religieux ont reproduit les détails intéressants
des cérémonies nombreuses et variées qui ont eu lieu à cette
occasion. Notre but n'est pas de les raconter encore une
fois. Nous ne voulons pas non plus retracer la longue
histoire du dernier de nos conciles œcuméniques. Sa convoca-
tion^ sa translation, ses interruptions et ses reprises, l'arrivée,
le départ des évêques, les jalousies et le concours des princes,
le zèle des Papes, l'activité de saint Charles Borroraée, les
discussions intérieures, les insultes des hérétiques, l'heureux
succès enfin des décrets, toutes ces choses sont connues ; le
cardinal Pallavicini, dans sa réponse au pamphlet de Sarpi,
ei le savant Leplat, ont écrit pour toujours les divers événe-
ments qui ont signalé la tenue des dernières assises de la
chrétienté.
Scpl. 1803.) CONCILE DE TRENTE 28'J
Le protestantisme était par sou origine, par ses principes,
par ses tendances, la négation de toules les affirmations ca-
tholiques. Les premiers auteurs se renfermèrent dans cer-
taines limites, mais l'impulsion était donnée, toutes les digues
étaient rompues, et la suite a montré que rien ne résiste
quand tout est soumis au contrôle individuel. L'arbre a été
jugé par ses fruits : en religion, en philosophie, en politique,
pas un point n'est resté debout. Le protestantisme a été une
protestation universelle contre toutes les vérités !
Le saint Concile de Trente fut la contre-partie de toutes ces
négations. Cette docte assemblée a été le plus fécond de
tous les conciles à raison de l'étonnante quantité de questions
qu'elle a décidées. Le symbole de la foi, le canon des Écri-
tures, les traditions, la justiBcation, le péché originel, les
sacrements, les dogmes principaux, ont été de nouveau définis
et confirmés. En droit canonique, les réformes les plus salu-
taires ont été opérées : de là est venu le droit récent. L'at-
tention des Pères se porta sur deux points d'une extrême
importance : il commencèrent la rédaction de l'Index, ouvrage
salutaire destiné à empêcher la publication et la lecture des
mauvais livres, mesure de la plus grande importance au point
de vue religieux et social. Ils voulaient aussi revoir le Bré-
viaire et le Missel. Mais, pressés par le temps, ils renvoyèrent
ce double soin au Pontife romaiu. Et ce fut le Saint-Siège qui
réalisa la double pensée des Pères de Trente, par la publi-
cation de l'Index et la réforme des livres liturgiques.
Un autre caractère du saint Concile fut l'accord le plus
entier avec le centre de l'Église. Benoit XIV nous apprend
que Pie IV accorda aux Pères de Trente la permission de
définir les questions réservées au Saint-Siège. A chaque
instant, des courriers partaient de Trente pour Rome, et
revenaient de Rome à Trente. Bien plus que son légat, le
Souverain-Pontife, du fond de son palais, gouvernaitet dirigeait
les délibérations. Plusieurs fois, parlant de l'autorité du Pape,
290 CONCILE DE TRENTE. ITome VIll.
los évêqnos réunis In.i donnent les titres de suprema, maxima.
Dans leur dernière assemblée, ils lui soumettent tous leurs
décrets, lui demandent sa coufirmation, lui renvoient la déci-
sion de ce qu'il n'ont pu terminer et s'en remettent à ses soins
pour qu'il soit pourvu de la meilleure manière à l'observation,
et à l'interprétation de leurs décrets.
Pleine d'égards pour les théologiens catholiques, ne s'occu-
pant que de la condamnation des hérésies, l'assemblée de
Trente évita de trancher los questions qu'on pouvait appeler
domestiques. Cette mesure ne résultait point de l'incertitude
dans la doctrine, mais elle faisait partie d'un grand ensemble de
ménagements alors nécessaires. Nous en trouvons un exemple
dans l'ouvrage du cardinal Pallavicini (1. xix, ch. xv, n. 5).
Le Concile avait préparé un décret très-expressif sur l'autorité
du Pape. Les termes de la discussion étaient tels qu'ils sem-
blaient, dit le P. d'Avrigny, emporter l'infaillibilité du
Pontife romain et sa supériorité sur le concile {Mémoires^
t. m, p. 236). Le cardinal de Lorraine, à la tète de quelques
évêques français, s'éleva fortement contre ce projet. Après de
mûres reflexions, pour éviter des inconvénients, ou s'abstint
d'y douner suite. Mais le cardinal légat déclara hautement
que si les Français voulaient défendre leur opinion, les prési-
dents du concile défendraient la vérité, c'est-à-dire la supé-
riorité du Pape sur le concile; qu'ils perdraient plutôt la vie
que de permettre qu'on mit ce point en question. Si Oi'atores
studebant suam opinionem iueri, prxsides studere veriiatem
propugnare, hoc est, Pontifcem superioremesseconcilio... Etenim
legatos tam certos in eo persisfere, ut vitam potius amitterent
quam id in dubitationem adduci per mi fièrent.
L'histoire nous montre encore combien les Papes ont fait
d'efforts pour le triomphe de la réforme disciplinaire opérée
par le Concile de Trente. Après l'avoir confirmé, ils révo-
quèrent tous les privilèges contraires à ses décrets et ils établi-
rent la Congrégation du Concile chargée de l'interpréter sur
Sept. 18G3.J CONCILE DE TRENTE. 2!jî
les points de discipline, les questions de foi étant réservées
au Saint-Siégc. Cette Congrégation veille d l'exécution du Con-
cile, elle l'explique, elle reçoit les comptes-rendus des évêques
sur l'état de leurs diocèses, elle revoit les conciles provinciaux,
afin de tout faire marclier dans l'unité de la loi catholique.
Aussi, à raison de toutes ces dispositions et de la volonté clai-
rement exprimée de Pie IV {Benedictus Deus, 26 janvier 156-4),
beaucoup de canouistes enseignent que rien ne peut prescrire
contre le saint Concile de Trente.
Si les décrets de cette vénérabl'^i assemblée avaient été par-
tout otjservés, l'Église et la société n'auraient reçu aucune
des tristes secousses qui les ont si fréquemment ébranlées de-
puis trois siècles. Qu'on Teutenile bien, Tidée catholique toute
seule est et sera le salut du monde ; Qui elvngavt se a te, per-
ibunt.
Quant à la France, l'autorité ecclésiastique reçut le Concile.
Il serait fort inexplicable qu'une partie de l'Eglise ne reçût
pas ou pût ne pas recevoir un concile œcuménique approuvé
par le Saint-Siège. Les conciles de Reims (1364), de Rouen
(1581), de Reims (1583), de Bordeaux (1583), de Tours (1583),
de Bourges (1584), d'Aix (1385), de Toulouse (1590), de Nar-
bonne (1609), de Sens et d"Aix (1612), sans parler de ceux des
provinces de Besançon et de Cambrai qui sous la domination
espagnole avaient déjà devancé les conciles de France, tous ces
conciles, dis-je, se conformèrent aux décrets du saint Concile
de Trente. Les synodes, les prescriptions diverses émanées de
l'autorité épiscopale sont toujours selon les mêmes règles. Le
7 juillet 1615, les évêques réunis à Paris et représentant le
clergé de France, après avoir mûrement délibéré sur le sujet
de la publication du Concile de Trente, reconnurent et déclarè-
rent être obligés par leur devoir et conscience de recevoir, comme
de fait ils ont reçu et reçoivent le dit Concile. Comme il y avait
quelques points qui ne pouvaient être observés qu'avec le
concours de l'autorité civile, les prélats ajoutent : promettant
292 CONCILE DE TRENTE. [Tome VIII.
de l'observer autant qu'ils peuvent, lis sont d'avis que los con-
ciles de chaque province doivent êtres convoqués dans six
mois pour la réception du dit Concile, et si les conciles ne
peuvent être tenus, la réception se fera dans les synodes.
Quant à rautorité civile, plus de dix fois le clergé de France
fit auprès d'elle les plus vives instances pour obtenir que le
Concile de Trente fût reçu comme loi : tous les efforts furent
inutiles, malgré la précaution prise par les évêques d'assu-
rer au roi que Sa Sainteté serait suppliée d'accorder à la
France des concessions sur des points spéciaux.
Le Concile de Trente a donc été reçu en France, mais il n'a
pas été en tout appliqué par l'autorité religieuse et, jamais il
n'a été admis par l'autorité civile.
H. Bernari).
BIBLIOGRAPHIE.
lies médiateurs et les moyens de la llag^ie, les Hallucina-
tions et les Savants, le Fantôme humain et le Principe
-vital, par M. Des Mousseaux. — Un volume iu-8. Paris, Pion, 1863.
M. Des Mousseaux, par ses précédents ouvrages {Dieu et les
dieux, — la Magie au XIX" siècle), a pris une place honorable
parmi les écrivains — calkoliques et savants — qui signalent à
l'attention publique les transformations de la magie contem-
poraine. Depuis que le spiritisme, héritier du magnétisme, a
dévoilé son caractère et ses folles prétentions; depuis qu'il
ose, en quelques provinces, employer les manœuvres agres-
sives d'une secte, l'Église, toujours habile à découvrir l'erreur
sous les déguisements dont se couvrent les hérésies, toujours
prompte à prévenir les fidèles contre toute propagan^le dan-
gereuse, a condamné cette forme actuelle de la superstition ;
et de nombreuses publications — des Revues et des livres —
expliquant les avertissements des Kvèques et la décision du
Saint-Office, font reconnaître, dans cette prétendue rehgion
de l'avenir, l'ancien ennemi du catholicisme, de la science et
du bon sens.
Le livre que nous annonçons ne ressemble en rien à ces
difiérents travaux, tous utiles à certains égards, et destinés,
les uns à recueillir les faits qui prouvent la possibilité et la
réafité des rapports de l'homme avec le démon, les autres à
relever les impiétés et les absurdités de la doctrine spirite, sans
oubfier les déplorables résultats de ces pratiques supersti-
tieuses auxquelles s'adonnent encore des incrédules et des im-
prudents.
-9i BIBLIOGRAPHIE. )TomeVlII.
M. Des Mousseaux a déjà constaté l'existence de la magie
retrouvée. Avant de s'acquitter d'une tâche délicate en pu-
bliant ses études sur les Phénomènes de la magie, il fait aujour-
d'hui justice des préjuijés qui empêchent tant de personnes de
juger sainement l'influence 'u démon.
Homme du monde, l'auteur a le mérite d'afBrmer que
l'Eglise seule possède le secret de réduire les sciences occultes
ù leur véritable valeur. Elle est le guide dont il faut accepter
la direction, si l'on ne veut pas s'égarer dans les recherches
qui touchent à la démonologie.
Une affirmation si franchement catholique caractérise cette
œuvre originale et savante. Le spirituel écrivain la justifie en
disant que la foi, cet assentiment donné à la parole de Dieu,
nous préserve en même teiups de l'incroyance et de la super-
stition, car elle est également éloignée d'une témérité trop
créduh, et de cette négation systématique qui rejette, avec
l'existence des esprits, les vérités surnaturelles. Si l'Eglise,
par sa doctrine sur les anges bons ou mauvais, ne nie pas la
possibilité des relations de l'homme avec le démon, elle dé-
fend ce commerce criminel par sa conduite prudente et sévère
à l'égard des pratiques suspectes. Ainsi, la religion chrétienne,
organe de la vérité et de la sagesse, ne laisse entrevoir le
monde magique que pour en interdire l'accès.
C'est donc au point de vue catholique qu'il faut se placer,
si l'on veut mesurer la sphère d'activité des puissances infer-
nales. Or, la magie ancienne et moderne apparaît simplement
à l'Église comme une contrefaçon satanique de la religion. Le
démon, dit TertulUen, ne peut être que le singe de Dieu.
Ange révolté, l'ennemi du genre humain conserve, sur les
créatures inférieures, un pouvoir dont il ne saurait abuser ni
contre les desseins de la Providence, ni contre les fidèles, s'ils
ne se livrent pas à ses illusions. Renfermé dans ces limites, et
consumé par le désir d'atïaiblir le règne de Dieu en causant la
perte des hommes, il n'a qu'un moyen de nuire : c'est de
Sept. 1SG3.] BIBLIOGRAPHIE. 295
so transformer en ange de lumière pour donner au mal l'ap-
parence du bien; c'est d'assiéger les âmes par des suggestions
trompeuses, et de substituer en elles l'erreur à la foi, le vice
à la vertu, la superstition à la prière. Parodier la religion afin
de la détruire en nous, voilà le but que poursuit l'infatigable
perversité de Satan et de ses anges.
Pour y parvenir, tous les moyens lui sont bons. Puissance
de ténèbres, il dénature la vérité catholique par les hérésies.
Auteur du péché, il excite les hommes à vivre dans l'oubli de
la foi divine. Propagateur de l'idolâtrie, il se fait adorer sous
le nom des fausses divinités. Les idées courantes favorisent-
elles l'incrédulité, le démon, satisfait de voir les chrétiens in-
différents suivre d'eux-mêmes le chemin de l'abîme, laisse
nier son existence et ses forces, au lieu de réveiller la con-
science humaine par des manifestations inopportunes. Le mer-
veilleux a-t-il un nouvel attrait pour le siècle, bientôt la su-
perstition renaîtra sous une multitude de formes, inventées
par les mauvais esprits comme des moyens de mettre les
hommes sous leur dépendance, et malheureusement acceptées
par leurs dupes comme un perfectionnement des pratiques
religieuses. Mais, malgré cette diversité apparente, toutes les
formes du Prêtée de la magie se ressemblent en ce qu'elles
sont toujours une imitation grossière et sacrilège des institu-
tions divines.
Tel est l'aspect que présente la superstition, envisagée à la
lumière de la foi. Sous ce titre : les Médiateurs et les Moyens
de la Magie, M. Des Mousseaux, développant cette idée fé-
conde, pouvait indiquer les contrastes que fait ressortir l'op-
position de la magie et du Christianisme. Dieu, par la reli-
gion, se met en communication avec nous pour nous sauver;
le démon, par les rites de la magie, s'efforce d'entretenir des
relations superstitieuses avec les hommes pour les perdre.
L'ordre surnaturel relève de Dieu seul, auteur de la grâce et
des miracles; les prestiges de la magie, quand l'imagination
293 BIBLIOGRAPHIE. |Tom ■ VIU
ne les a pas rêvés, sont des faits merveilleux, préternaturels,
qui étonnent l'homme sans dépasser les forces des créatures
angéliques. L'union de l'homme avec Dieu exige le concours
de la grâce et de la liberté : Dieu vient à nous, et notre âme
se dispose à le recevoir; les communications avec les esprits
supposent aussi deux conditions : que les anges rebelles
cherchent à intervenir même visiblement, et que l'homme les
attire par sa confiance téméraire. Voilà pourquoi les phéno-
mènes de la magie se distinguent difficilement des faits pure-
ment superstitieux. Jésus-Christ continue l'œuvre de la sancti-
fication des hommes par l'action de ses ministres, et par la
vertu des sacrements; le démon a des médiateurs choisis et
des signes sensibles, qui sont les instruments de l'art occulte.
L'usage des sacrements est une profession de la religion chré-
tienne, un des liens qui unissent entre eux les membres de
l'Eglise ; l'emploi sérieux des moyens de la magit? est un pacte
implicite qui engage envers le chef de la cité du mal.
L'élude de ces médiateurs et de ces moyens de la magie nous
découvre une véritable analogie entre le culte des idoles, la
sorcellerie et le spiritisme. Les médiateurs, ces personnages
nommés à difî'érentes époques pythonisses, magiciens, sorciers,
médiums, jouent le même rôle dans l'histoire sous diverses dé-
nominations : ils initient aux mystères ; ils sont, peut-être
sans le savoir, les pontifes de l'esprit de mensonge. Les
moyens de la magie sacerdotale des païens se confondent avec
les procédés du magnétisme. Par exemple, le sommeil magné-
tique ne ressemble-t-il pas au sommeil mystérieux par le-
quel les oracles du démon contrefaisaient l'inspiration des
prophètes? Et la verge des magiciens de Pharaon, le caducée
des médecins du paganisme, la baguette divinatoire, le bâton
des sorciers ne simulent-ils pas un signe de l'autorité reli-
gieuse de Moise et des évéques ? Eufiu, chacun sait que l'im-
position des mains, symbole de la transmission du pouvoir
spirituel, est parodiée par toutes les formes de la magie an-
cienne et moderne.
Sepl.ISGS.] BIBLIOGRAPHIh-. 2;'7
Celte solution catholique des questions que soulèvent les
sciences occultes, explique tous les faits et répond à toutes les
difficultés. En faisant la part de Timagination et du charlata-
nisme, elle ne laisse aux esprits mauvais que le pouvoir de
séduire leurs esclaves volontaires. Elle nous apprend que les
spirites, accusés du crime de magie, rétablissent le culte des
démons. Le chrétien fidèle, au contraire; est protégé contre la
superstition par la fermeté de la foi et par la sagesse de
l'Église ; car l'autorité rcligieusi', sans nous obliger ù consta-
ter les faits singuliers attribués au spiritisme, condamne les
abus du magnétisme, et « l'audace téméraire avec laquelle
certaines personnes s'arrogent la faculté d'évoquer les morts,
de recevoir leurs réponses, de découvrir des choses inconnues
et éloignées et se livrent à d'autres superstitions de ce
genre. »
M. Des Mousseaux, par un éloquent appel adressé à la
science profane, conjure les médecins de réfléchir à l'injustice
des accusations dirigées sur ce point contre la religion. Le
catholicisme est l'ennemi de la superstition dont le règne, in-
terrompu par Jésus-Christ, persévère chez les peuples ido-
lâtres, et recommence parmi les chrétiens quand la foi est
affaiblie, ainsi que le prouve l'étrange succès des tables tour-
nantes. Si les Facultés de médecine, qui doutent de la possi-
bilité des possessions et considèrent les malheureux exorcisés
comme des malades ordinaires, daignaient ouvrir le Rituel
romain, les règles de l'exorcisme apprendraient aux docteurs,
que l'Église, pour ne pas confondre une infirmité commune
avec la possession réelle, prend toutes les précautions exigées
par la médecine.
Dans les pages intitulées : les Hallucinations et les Savants,
l'auteur ne se contente pas de justifier l'Église, il provoque à
son tour les accusateurs avec une ironie chrétienne qui blesse
pour guérir; il décrit les symptômes, les progrès et les suites
funestes de cette infirmité spirituelle qui trouble la vue des
29S BIBLIOGRAPHIE. [TomeVIII.
incrédules, quand ils sont en face de la vérité. Sous l'empire
de ce mal intellectuel, ils s'imaginent que les hommes reli-
gieux sont tous hallucinés, et la crainte du surnaturel les
expose à des bévues réjouissantes. Quelquefois même une in-
vincible répugnance ne leur permet pas de discuter les
preuves; ils nieront d'abord, sans examen, la possibilité des
faits magnétiques, merveilleux, parce que ces faits ne se ré-
pètent pas avec la régularité des lois physiques. Et les mêmes
représentants de la science incrédule, par une contradiction
dont leur conscience a le secret, inventeront ensuite des théo-
ries absurdes pour expliquer naturellement ce qui ne vient ni
de Dieu, ni de la nature.
Ces théories physiologiques, animistes et panthéistes sur le
Fantôme humain et le Pt^incipe vital sont une nouvelle preuve
de la facilité avec laquelle on admet l'impossible pour éviter
le surnaturel. M. Des Mousseaux les expose et les réfute par
les principes de la vraie science et de la foi. L'Église aime à
voir des écrivains, des savants défendre ainsi la vérité, et nous
savons que cet esprit catholique règne parmi ces médecins,
jeunes encore, dont la nouvelle école, déjà florissante, ne
désespère pas de réconcilier la science médicale avec la
théologie.
L'honorable auteur a obtenu la première récompense de ses
convictions et de son respect envers l'Église. Son ouvrage at-
taque victorieusement la fausse science des incrédules, les
préjugés de plusieurs médecins, et les vieilles superstitions
rajeunies par le spiritisme.
Nous souhaitons que cet écrit, destiné à produire du bien
dans un certain monde, soit accueilli favorablement. Mais le
succès lui est-il assuré par la beauté de la forme qui doit s'a-
jouter à la vérité des conclusions? Il faut l'avouer : les règles
du goût demandaient un style plus naturel. Cependant, si
M. Des Mousseaux, en s'adressant aux lecteurs prévenus
contre l'Église par les productions malsaines de l'erreur.
Sepl. 1865.1 BILLETIN. 299
a voulu, grâce à Texcessive origintxlité de ses récits, rendre le
contre-poison plus piquant et plus efficace, le public oubliera
sans doute des imperfections pardonnables pour applaudir à
la publication d'un bon livre. L. Huguenin.
BULLETIN.
1. Livres mis a l'index. — Décret du Sa juin 1863. — Sludii sovra
il libro primo del progetto di Codice ciuile prosentato al Senato del
Reguod'Italia per Giuseppe Buniva, professore di codice civile nella Re"ia
Uïiiversità di Torino. Toriuo 1863. "
Enseignement pratique dans les salles d'asile, par madame Marie Pape-
Carpentier, directrice du cours pratique des salles d'asile. Paris, librairie
de L. Hachelte et C" 1854.
Scripfa omnia romanenna quœ sub Domine utriusque Alexandri Dumas
iu lucem édita circumferuntur quocumque idiomute.
La Chiesa e l'italia per Eusebio Reali — Voluuie unico. Milano 1862
J)ecr. S. Officii Fer. IV. die 25 Febrnarii 1863.
Décret du 25 août 18» 3. — Vie de Jésus, par Eroest Renan, membre d«
l'Institut. Paris 1863.
Les Évangiles, par Gustave d'Eicbtal. Paris 1863.
Le Piaghe délia Chiesa Milanese. Milano 1863.
// clero Veneto nell'anno 1862, per un testimonio di vista e di fatto
Bologna 186-2.
Enseignement pratique dans les salles d'asile, par madame Marie Pape-
Carpentier, directrice du cours pratique des salles d'asile. Damnatur et
editio altéra,
2. L'ouvrage de M. Renan, dont ou vient de lire la condamnation, a
été un événement parmi les incrédules. Nous disons parmi Ips incrédules,
dont il flatte les penchants et fortifie les secrètes espérances, car les
fidèles ne se préoccupent de ces coupables tentatives que pour plaindre
ceux qui en sont les auteurs, les complices et les victimes. Quant à la
science, elle n'a rien à voir absolument dans une œuvre qui n'a de sé-
rieux que ses prétentions, et qui accuse une i;inorance ou une mauvaise
foi peu communes. Strauss au moins s'était cru obligé de savoir: sa
compilation se présente toute hérissée du pesant apyiareil de l'érudition
germanique. M. Renan nous arrive avec un bagage infiniment plus léger
et des airs moins pédantesques : il est même très-brouillé avec la loniqus
et quelque peu aussi avec lu bon sens. Il fautUre la brochure de M. l'abbé
Freppcl, qui, armé d'une critique incisive et d'une érudition de très-bon
aloi, fait bonne justice des procédés inqualifiables, des erreurs sans
nombre et de l'ignorance qui s'étalent dan.- celte pauvre éhicubration.
C'est une exécution complète, dont le sophiste élégant du Collège de
France no pourra pas se relever. (Examen critique de la Vie de Jési's de
AL Renan, par M. l'abbé Freppel. Paris, V. Palmé. 3e édition. 8» de
112 pp. 1 fr. 50.) Le célèbre conférencier de N.-l). est aussi entré dans
la lice. (A/. Renan et sa Vie de Jésus. Par le R. P, Félix. Paris, Douniol,
8o de 48 pp. 1 fr.) NN. SS. les évêques de Nîmes et d'Alger ont discuté
cette nouvelle production de l'esprit d'impiété avec l'autorité du Pontife
et du théologien. [Instruction pastorale de Mgr Planlœr, éuctjue de Nîmes,
au clergé de son diocèse, contre un ouvrage intitulé : Vie de Jésus, par Er-
nest Renan. — l^e partie. La Dédicace. — Les Principes. — Les Sources.
2e édition. Paris et Nîmes, L. Giraud, 8o 134 pp. 2 fr. — A chacun selon
ses oeuvres ! Observations de Mgr l'Evèque d'Alger sur le roman intitulé :
Vie de Jésus, par M. Ernest Renan. 2^ éd. Alger, Bastide, cl Paris, Chal-
lamel. 8° de 90 pp.) Plusieurs autres prélats ont porté des condamnations
solennelles contie ce même livre.
Nous n'en finirions pas si nous voulions énumérer toutes les protesta-
3'flO BULLETIN. [Toiua VÎII.
tioDs énergiques sorties de la plume de MM. Poujoulat, Laureolie, Hello,
Lasàerre, etc. Contentons-nous de citer encore un écrit où la question
est reprise à un point de vue un peu plus général : La Critique et la Tac~
tique. Etude sur les procédés de l' Antickristianisnte moderne à propos de
M. Renan, par le P. Delaporte. Paris, Douuiol, 8'' 101 pp. Ce travail,
instructif dans son ensemble, contient sur la réorganisation de la science
catliolique des vues que l'auteur a développées et fait admettre au sein
du Congrès de Maliues. Nous reviendrons sur cette dernière question.
3. Nous regrettons de n'avoir pu annoncer encore une nouvelle série
de tlièses publiées par le P. Schrader depuis quelques mois. L'éminent
professeur de Vienne a suivi la même méthode que dans la première
série, et nous ne pouvons par conséquent que renvoyer à l'article publié
dans la Revue t. v, p. '2189. Nous ajouterons seulement qu'ici les indica-
tions biblio;j;aphiques sont intinimenl plus complètes, et que le volume
est terminé par une dissertation sur la question si épineuse de la pré-
destination. [T/ieses theologicœ quas in Vindobonensi academiu synopsis
instar auditoribus tradidit P. Clemens Schrader S. J. {Séries altéra.)
Accedtt de prœdcstinatione commentarius. Friburgi Brisgoviœ. Sumtibus
Herder. 18ii3, Gr. 8" 40-23 pp.)
4. La Sainte Communion considérée eu point de vue philosophique, théo-
logique et pratique, par le R. P. Dal:airns, prêtre de l'oratoire de S. Phi-
lippe de Néri. Ouvrage traduit de l'Anglais par M. l'abbé L. Godard,
suivi (ï un Traité sur la fréquente Communion emprunté aux Analecta
Juris Pontificii. Paris, Bray. 2 vol. gr. in-18, 360, 303 pp. 6 fr. — Tel
est le tilre d'un savant et pieux ouvrage qui vient d'être rendu acces-
sible au public français, et qui est déjà célèbre en Angleterre et en Al-
lemagne. Nous rappellerons à cette occasion un autre livre également
remarquable, du même auteur ; De la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus,
avec une introduction sur l'esprit du jansénisme. Trad. par M. l'abbê
Poulide. Paris, Bray, 1856. 1 vol. gr. in-18. xxiii-323 pp. 3 fr.
5. Nous avons annoncé jadis la belle édition de Grenade que publie la
maison Vives, et nous avons rendu un juste hommage à la traduction
du premier volume qui est due à la plume de M. l'abbé Bareille. Les
tomes iij Yi, X, XI, xii ont paru depuis. Tandis que M. Bareille traduit
de l'espagnol les œuvres ascétiques et didactiques de Grenade,
MM. Duval, vicaire général d'Amiens, A. Crampon, J. Boucher et
G. Berton traduisent du latin les œuvres oratoires. Les tomes ii et vi
sont des nouveaux traducteurs. Le style en est moins coulant que celui
du tome i. Mais après une comparaison attentive avec le latin, nous
pouvons aftirmer q'ue cette traduction a aussi son mérite, et même
qu'elle reproduit avec plus de fidélité la physionomie toujours originale
et parfois un peu étrange de l'illustre auteur. Nous espérons pouvoir
publier bientôt une étude sur ces sermons.
G. Nous apprenons que l'éditeur de Grenade, dont l'activité est si con-
nue, fait metae en ce moment sous presse de nouvelles éditions des
Dogmata theologica de Petau et de Thbmassin, ainsi que du Jus canoni-
cum uniuersum de Reiû'eustuel. Ce sont là des entreprises qui ont toutes
nos sympathies. Il n'en est pas de même de la traduction française du
Corpus juris canonici. également eu voie de préparation. Rarement le
malencontreux système des traductions a été appliqué d'une manière
plus inopportune.
7. Le tome i de la réimpression des Acta Sanctorum annoncée depuis
si longtemps a enfin paru chtz l'éditeur V. Palmé, à Paris. Les
volumes se suivront régulièrement, à ce qu'on assure.
8. Notre collaborateur M. Grandclaude publie eu ce moment un
abrégé de philosophie en langue latine destiné àleuseignement dans les
séminaires. L'ouvrage aura deux volumes in-l2. Ceux qui out lu dans
uotre recueil les remarquables études de M. Grandclaude apprendront
avec plaisir qu'il a entrepris de nous donner un livre qui nous manque,
c'est-à-dire un Manuel rédigé d'après des principes irréprochables, court
et cependant assez complet, élémentaire sans être superficiel.
E. Hautcœur.
LA LITTERATURE THÉO LOGIQUE EN ALLEMAGNE
Pendant l'année 1 SO!2.
(Fin.)
CORRESPONDANCE,
VU. — Droit canonique.
Nous avons vu paraître daas le cours Je l'aunée dernière deux nou-
veaux manuels de droit canonique, et deux autres en cours de publica-
tion ont été achevés. Ces quatre ouvrages ont tous leur raison d'être et
leur utilité à côté de ceux que nous possédions déjà.
Et d'abord, le D'' Phillips, le converti bien connu de vos lecteurs,
nous a donné la fin de son Manuel, qu'il faut éviter soigneusement de'
confondre avec son grand ouvrage. Ce dernier est i;onçu sur un plan
tellement vaste, que le 5» volume publié en 1857 ne fait" que commen-
cer la partie spéciale. Tous les canonistes se sont réjouis d'apprendre
récemment qu'il va être continué avec activité. C'est en effet une œuvre
extrêmement remarquable, une œuvre qui fait époque par la manière
aussi neuve que profonde d'envisager cette science du droit si aride
eu apparence. Le Manuel est comme un extrait du grand ouvrage,
mais un extrait qui est maintenant achevé, tandis que le grand ouvragé
ne le sera pas de longtemps. Ou ne peut conseiller de meilleur livre aux
théologiens qui veulent se familiariser avec le droit canonique. A part
quelques minuties qui ne valent pas la peine d'être relevées, il n'a
vraiment qu'un défaut : c'est d'être trop étendu et trop cher à cause
des citations qui l'ont grossi outre mesure, et de sa brillante exécution
typographique. [Lehrhv.ch des Kirchenrechts. Regensburg, Manz. 1839-63.
80 xxvi-1302 pp. 7 thlr. 10 ngr.)
Nous avons vu aussi s'achever le Manuel du droit ecclésiastique en vi-
gueur en Autriche, par le Di" Giuzel, chanoine et professeur à Leilmeritz
en Bohême. [Hai{dbuch des in Œsterreich geltenden Kircltenrechts. Wien,
BraumuUer, 1857-62. 2 Bde in 3 Abth. 8», 380, 973, 162 pp. 6 thlr!
20 ngr.) Le titre ludique assez le but spécial de l'ouvrage : il est destiné
à l'Autriche, et à l'Autriche sous le régime du concordat de 1855. Phillips
a pris pour base de son plan une idée théologique, celle du triple
pouvoir donné par Jésus-Christ à l'Eglise, jurisdictio, magisterium, mi-
msterium; Ginzel retourne à la vieille division de Gratien, la couslitu-
tiou de l'Eglise, les personnes, les choses. Celte dispo.sition est pins
commode peut-être pour les recherches, mais au point de vue scienti-
fique elle laisse beaucoup à désirer, ne fût-ce que par la confusion et
les redites qu'elle amène nécessairement. 11 est plus regrettable encore
que l'auteur manque çà et là de précision et d'exactitude, surtout en ce
qui louche au droit commun : il traite d'une manière excessivement la-
pide et incomplète certaines choses qui lui semblent à tort dénuées
d'importance pratique (p. ex. les censures, le sujet de la propriété ecclé-
è\ni\.\(\\\c, privatio bf.neficiorum), et dépasse au contraire toute mesure
par rapport à certains autres points (l'Ordre, le procès canonique, le
patronal). Après la puldicatiou du premier volume, on a reproché au
Or Giiizel (le n'avoir fait qu'une compilation rapide et superficielle em-
pruntée à Phillips, Helfcrt, Bouix, etc., el d'avoir introduit dans son
ex(osé beaucoup de questions qui sont du ressort de la dogmatique, de
la morale et de la liturgie. 11 s'est défendu éncrgiquement et avec un
plein succès sur le premier point ; quant au second reproche, qui atteint
presque tous nos manuels à l'exception de celui de Sçhulte, rédigé d'à-
302 CORRESPONDAKCE. [Tome VlII.
près une méthode juridique très-exacte, le Dr Ginzel n'a pu le repousser
d'une manière aussi décidée. En dehors de l'Autriche, son livre peut
être utile surtout par la quantité de faits qu'il contient et qui montrent
à une époque toute récente l'application des règles du droit ecclésiasti-
que en vigueur aujourd'hui.
Le Di' Aichner, chanoine et professeur à Brixen, a exposé plus briève-
ment le droit ecclésiastique autrichien. {Compendinm juris ecclesiastici
cum particu/ai i attentione ad loges porticulares vi conventionis XVlllva
augusfi MDCCCLV cum sede Apostolica initce in imierio Ausiriaco vi-
gentes. Brixinae et Leontii, Weger, gr. 80 xvi-686-5t5 pp. 3 thlr.) Les juges
les plus compétents s'accordent à faire de ce Coiyipendium un éloge mé-
rité. Le Dr Kober, par exemple, dans la Theologische Quartcdschrift de
Tubingue (I Hefl i8o3,p. 154), le désigne comme un travail parfaitement
réussi. 11 loue l'érudition et la science de l'auteur, sa méthode claire,
son exposition précise et complète en même temps, son langage facile
et coulant, l'exactitude, la modération et l'habileté avec laquelle il
combat les doctrines gallicanes, fébroniennes et joséphistes. Le D'
Aichner a eu soin de traiter avec le développement nécessaire toutes
les questions pratiques, de façon à fournir aux étudiants et aux prêtres
employés dans le ministère un guide suffisant. C'est ainsi que le traité
du mariage occupe à lui seul 130 pages.
C'est pour la Suisse et en particulier pour le cation de Lucerne que
le D' Winkler, chanoine et professeur dans cette ville, a composé son Ma-
nuel de droit canonique. [Lehriuch des Kirchenrechis, mit besonderer
Rucksichi auf die Schweitz. Luzern, Rœber, 8», xx-462 pp. 1 thlr 15 ngr.)
Ce travail composé sans prétenliou d'après Walter et Pcrmaneder,
comme l'auteur le dit lui-même, est loin d'être sans mérite: il répond
très-bien à son but pratique et à. sa destination spéciale. En dehors du
public auquel il s'adresse plus particulièrement, il peut être ulile surtout
à cause de la collection des lois et ordonnances relatives au diocèse de
Bàlc et au canton de Lucerne, qu'il contient sous forme d'appendice.
Outre ceux qui viennent d'être cités, nous possédons encore et nous
étudions bien d'autres manuels de droit canonique, surtout ceux de
Walter (IS* éd. 186^, Permaneder (3e éd. 185G), Scbulte {Katholische
Kirchenrecht, â Bde 1836-60 ; Lehrhuch d. Kath. Kirchenrxhis, 1 Bd. 1863),
et Pachmann [Lehrbuch des K. R. mit bezug auf die œs'err. Verhœlinisse,
4 Bde, 3<? éd. en cours de publication). Wàller est surtout important au
point de vue historique, Permaneder au point de vue de la pratique, et
Schulte est le juriste par excellence : la nouvelle édition de Pachmann
sera quelque chose d'analogue à l'ouvrage da D" Ginzel, mais plus
étendu et plus soigné. Je n'ai ciié qu'incidemment le Lehrbuch du W
Schulte, qui appartient par sa date à l'année 1863, bien qu'il ait réel-
lement paru eu 1862.
A CCS ouvrages généraux, il faut joindre un bon nombre de mono-
graphies.
Nous devons au D^ Kober un traité des suspenses composé d'après des
recherches entièrement neuves, et qui, comme son ouvrage sur l'excom-
munication, est un vrai chef-d'œuvre de méthode, de précision, de clarté,
de profondeur, d'exactitude. (Die Suspensioa der Kirchendiener nach den
Grundsœtzcn des canonisclien liec/its dargestcllt. Tuhiugeu, Laupp. 8°. ix-
409 pp. 1 thlr 28 ngr. —Der Kirchmbunn. Ebd. 8° 1837. 2 Autl. 1863.)
De part et d'autre, l'auteur s'est attaché à montrer le développement his-
torique du droit pour eu dégager les dispositions actuellement en vi-
gueur;, et pour en faciliter l'intelligence et l'applicalion. Le D"^ Kober
nous rromet de traiter de la même manière les peines vindicatives,
c'est-à-dire la déposition et la dégradation. Heureux si nous pouvions
avoir un jour des monographies aussi parfaites sur toutes les parties du
droit ecclésiastique !
Citons encore d'autres monographies moins importantes, mais néan-
moins très-estimal'les : celles de Lobcrscheiuer surles biens ecclésiastiques
en Autriche iDas Kirchenverrnogen, oder die gesetzi. Art der Erwerbung
und Werwaltung der Gotleshnis- und Pfrundvennogens. auf (irnndlage des
œsterr. Concordâtes urid der in Folge dessen geltenden Bestirnmungen.
Budweiss, Hausen, 1 thlr 10 ngr) ; de Daller, sur l'erreur considérée
Sepl. 1863.) CORKEsPONDANCE. 30'J
comme empêchemeut i-lirimaut du mariage {Der Irrthum als trennendes
Ehehindurniss nadi KnUiolischem Eherechte, Landshut. Wolflle. 10 ngrj;
de Gerlach sur la déOniliou du droiL canonique [Logish-juridisclte Ab-
handlung ûher die Définition des K. R. Paderborn, Schœning, 8 ngrO, et
sur la situation de l'Eglise catholique vis-à-vis de la législation prus-
sienne {Das VerhœUidss des preusiisc/ten Staats zu der Katholischm Kir-
che, ebd. 10 ngr.'; enfin, celle de Sentis, De jure testamenlonim a clcri-
cis ordinandorum (Bonute, Georgi).
Diverses coUectious de sources ont aussi vu le jour. F. Walter, le cé-
lèbre jurisconsulte, a réuni dar.suu livre malheureusement trop coûteux:
1° un choix de sources historiques disposées par ordre chronologique ,
2° des documents empruntés à la législation actuelle do l'Eglise et dis-
posés par ordre des matières. 'Foules jwis ecclesiastici antiqui el hodierni.
Bonuœ, Marcus, xii-599 pp. 2 thlr 20 ngr,) Le curé Burger et l'archi-
viste Kothing nous ont donné des recueils qui concernent spécialement
la Suisse ; le syndic épiscopal Vogt a recueilli la législation diocésaine
de Rottenburg. (J. Burger, Die eidgenœssischen und kantonalenConcordate,
Geseize und Verordnungen, betreffend die Verekelichungen in der Sc/iweitz
zwisdteti Atigeliisrigen der verschiedene Kantone und des Auslandes. Bern
u. Solothurn. Jent u. Gassmann. ix-345 pp. 3 fr. 60 c. — M. Kothing,
Die Bisthums-verhandlangen der sdtweizerisch-konstanzischen Diœcesan-
stœnde von 1803 bis 1862. Schwyz, Sebstverlag. s-428 pp.— A. Vogt, Kir-
chliche Verordnungen fiïr das Bisthum Rottenburg. Gmûud, Schmid. x-
467 pp. 1 thlr 10 ngr.) U faut ajouter un opuscule du professeur Huffer,
de Bonn, important pour l'histoire <les sources du droit canonique au
raoyeu-àge. {Beitrœge zur Geschichte der Quellen des K. R. und des rœm.
R. ïm Mittela/ter. Munster, Ascheudorf. 8» vi-148 pp. 25 ngr).
Pour eu finir avec la littérature canonique, il me reste à dire un mot
du Manuale latindatis juris canonici, de Rosshirt, dont vous avez déjà
entretenu les lecteurs de la Revue (t. vi. p. 496). Malheureusement, ce
n'est qu'un essai bien incomplet, bien imparfait, une pierre d'attente en
quelque sorte, et l'œuvre reste à faire.
VII. — Pastorale.
J'arrive bientôt au bout de nos richesses. Les rubriques suivantes
comme celle-ci n'offriront plus qu'une énumération bien courte. Je n'ai,
eu effet, à mentionner ici que la fin de la pastorale du prof. Kerschbau-
mer, et les deux premiers volumes de l'ouvrage plus développé du P.
iienger. Ce dernier est au fond une 8e édition, considérablement aug-
mentée et entièrement refondue, de la théologie pastorale de Gallowitz,
dont les dernières éditions avaient été revues par Vogl et Haringer. Je
reviendrai sur ces deux ouvrages aussitôt que j'aurai pu les comparer
avec le travail tout à fait original d'Amberger, qui a maintenant paru
eu entier.
VIII. — Homilétique,
Vous me permettriz de laisser de côté la masse innombrable de
productions moyennes qui se pressent ici, et qui n'ont d'autre utilité
que de fournir un secours à la paresse. Parmi les livres qui dépassent ce
uiveau, je citerai spécialemout les deux qui suivent.
Le ThcopJiilus du D" Martin, évêque de Paderborn, comprend une sé-
rie d'instructions sur les évangiles des fêtes et des dimanches de l'année.
(Theophilus, oder Vnterweisutigen iibcr die Sonn-und Festtœg!ich:n Evan-
gelien des Kirchenjahres. Paderborn, Schœning. 2 Bde 8o xiv-420, 511 pp.
1 thlr. 25 ngr. Une 2« édition vient de paraître.) Quand je dis instructions,
il ne faut point entendre par là des homéhes proprement dites, ni même
un commentaire écrit dans un simple but d'édification. L'illustre auteur
réunit les résultats de la science exégétique sur chacun des textes qu'il
commente, el résout toutes les difficultés que la lecture peut faire naître.
Ecrit principalement en vue du public instruit, son ouvrage peut aussi
être d'une grande utilité aux maîtres et aux ecclésiastiques chargés
d'expliquer chaque semaine l'évangile du dimanche.
Je me contente d'indiquer aujourd'hui un remarquable ouvrage du
30 '< CORRESPO!SDA>CF. [Tome VIII.
D' Deutipger, autrefois professeur et maintenant prédicateur de l'uni-
versité de Munich {Das Reich Gottes nach dem Apostel Johannes), me
réservant d'en parler plus longuement après la publication du troisième
et dernier volume que nous attendons encore.
IX. — Liturgie,
Jusqu'à ces derniers temps, pour avoir des livres liturgiques convena-
blement exécutés, nous étions forcés de les faire venir de l'étranger,
principalement d'^ France et de Belgique. Cet état de choses a cessé,
grâce surtout aux efforts de la maison Pustet, à Ratisbonne. Cet esti-
mable éditeur no^jsa donné l'an dernier une magnifique édition in-8 du
Missel, dont vous avez justement fait l'éloge [Revue, t. v, p. 488); il a en
outre exécuté une édition in-4'' du Bréviaire (en quatre parties), qui
pour la perfection technique comme sons le rapport liturgique ne laisse
presque rien à désirer aux critiques les plus exigeants 'pr. 50 fr.) ; en-
fin, quand je vous écrirai de nouveau, j'aurai à mentionner une édition
in-f* du Missel qui réunit les mêmes avantages.
En même temps, M. Muhlbauer, maître des cérémonies de l'Église
métropolitaine do Munich, réimprimait l'édition authentique des décrets
de la Sacrée Congrégation des Rites en les disposant d'après l'ordre al-
phabétique, plus commode pour les recherches. Son édition reproduit
tout ce que renferme celle de Rome, y compris les notes de Gardellini
et l'instruction Clémentine avec le commentaire : il y ajoute un bon
nombre de décisions inédites ou émanées d'autres Congrégations, et des
constitutions pontificales se rapportant aux matières liturgiques. Cinq
fascicules ont paru jusqu'à présent. [Décréta uuthenticu S. R. Cotigrega-
tionis cum notis Gardellini, et Insfructio denientina cum commentcnnis in
unim cleri contmodiorem orditie alphabetico concirmata. Monachii, Lentuer.
Fasc. 1-5, gr. S», p. 1-736, 18 ngr pro fasc.) 11 a également paru une édi-
tion du Miinoriale rituum de Benoît XiV (Ratisbonae, Manz, 10 ngr.), et
une traduction allemande bien faite de ce petit livre (Ib. 10 ngr.).
Notre correspondant termine eu disant qu'il nous laisse exprimer
nous-mêmes à propos de ce tableau de la littérature Ihéologique en
Allemagne pendant le cours de l'année dernière les réflexions qu'il nous
inspirera. 11 craint d'être aveuglé par son patriolisme.
Cette simple énumération que tout le monde aura lue avec un vif in-
térêt, en dit plus que toutes les réflexions du monde. Elle accuse un
puissant réveil de l'esprit catholique en Allemagne, où le rationalisme
avait fait autreTois tant de ravages même dans les rangs du clergé, et elle
démontre en même temps que sur le terrain de la science les catho-
liques ne le cèdent en rien à leurs adversaires. Il se publie assurément
plus de livres du côté des protestants, mais si l'on veut peser plutôt que
compter les productions, si l'on écarte les futilités qui sont un em-
barras au lieu d'être une richesse, ou verra que le catholicisme n'a
rien à craindre de la comparaison. Il peut même citer des noms et des
œuvres dont il ne serait pas facile de trouver l'équivalent dans le camp
opposé.
Pour nous, théologiens français, en présence de ce mouvement gigan-
tesque, nous n'avons qu'à baisser les yeux. Il serait inutile de vouloir
le dissimuler à nous-mêmes et aux autres : la vie intellectuelle a besoin
d'être puissamment réveillée parmi nous. Il nous faut une éducation
théologique, une ou plusieurs écoles spéciales et bien organisées, afin
d'avoir une science et une littérature théologiques. Il y va de l'avenir
de la religion en France et jusqu'à un certain point en Europe, car l'in-
fluence de notre pays est immense.
Pour extrait : E. Hautcœub.
AiTiis — Typ. iio.;bseaii-Ler)y, rac Sar.u MLiurlce 3û
LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS '".
Ce second ouvrage du R. P. Decliamps est, comme son
aîné, une apologie de la religion; mais le point de vue est
complètement différent. Dans la Démonstration catholique,
l'auteur nous montre que, pour reconnaître la divinité de la
religion, il suffît d'observer deux faits, l'un intérieur, l'autre
extérieur, qui se recherchent pour s'embrasser. Le fait inté-
rieur est le désir de notre âme d'entendre la voix de Dieu (2);
le fait extérieur est la voix de Dieu, répondant au cri de notre
âme d'une manière éminemment divine. Ce premier livre
nous fait comprendre la simplicité des voies de Dieu.
Le Christ et les Antechrists, au contraire, pourrait êlre in-
titulé : la Splendeur du règne de Dieu. Ce livre réunit en un
vaste tableau l'ensemble des preuves les plus convaincantes
de la religion, et nous présente ainsi comme une somme apo-
logétique à l'usage des incrédules. C'est à eux que l'auteur
adresse ce beau travail. A l'incrédule formel, il ne suffit pas de
montrer l'harmonie divine entre le cri de notre cœur et la voix
(1) La Divinité de Jésus-Christ, ou le Christ et les Anleohrisls dans
les Écritures, l'Histoire et la Conscience, par V. Decliamps, de la
Congr. du T. S. Rédempleur. Paris et Tournai, Casterman, ^86^.
2e édil., 2 vol. in-! 2.
('2) Dans la Question religieuse (2 vol.) le P. Decliamps pose la
même thèse que dans son premier ouvrage, mais en montrant plus
explicitement que son point de départ n'est pas seulenicnt vn besoin
de l'àme, qu'il est en même (eraps une exigence intellectuelle. C'est
la raison., en effet, qui veut la certitude en matière de foi, et c'est-
elle qui, pour atteindre celte certitude, demande le témoignage de
Dieu.
Revue tes Sciences hcclésiasticubf, t. vm. 20-21.
306 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VIII.
de Dieu ; le cri du cœur, il l'étouffé ; la voix de Dieu, il ne l'ap-
pelle pas, et tandis que l'homme de bonne foi demande sim-
plemeut où est la voix divine, riucrédule demande si elle est,
et ce que l'on entend par là. Il faut donc lui présenter un
autre genre d'apologie, il faut lui montrer combien est pleine
et brillante la lumière qui l'inonde de toutes parts ; il faut le
forcer dans ces retranchements ténébreux où il cherche la
paix, l'amener, opportune, impoiHune, à changer en bénédic-
tions les malédictions qu^il prépare dans son cœur et à s'écrier
avec Balaam : Quam pulchra tabenincula tua, Jacob!
Mais il est impossible de réunir en un volume toutes les
preuves de la religion. Tout ce qui est^ tout ce qui a été, et
tout ce qui sera, a sa raison d'être dans Jésus-Christ, le Dieu
béni des siècles. Tout vient de lui, tout s'éclaire de lui, tout
vit par lui et pour lui, tout converge vers lui. Il ne s'agit
donc pas d'épuiser les preuves, mais d'obtenir dans la dé-
monstration le plus de lumière possible. Pour cela, il faut se
placer au centre de la grande question religieuse, il faut étu-
dier Jésus-Christ là où son action est plus immédiate et plus
manifeste, car celui qui connaît Jésus-Christ connaît le Père :
« Et la vie éterntlle, dit-il lui-même, consiste à vous connaître,
vous, ô mon Père, et celui que vous avez envoyé. » Or, Jésus-
Christ se révèle dans l'Écriture, dans l'histoire et dans la
conscience humaine. C'est donc dans cette triple manifesta-
tion que l'étudié le P. Dechamps.
Tous les apologistes se placent nécessairement sur quel-
qu'un de ces trois terrains; mais où nous trouvons la gloire
de l'apologie du P. DechaïupS; c'est d'avoir réuni si admira-
blement ces preuves, et de nous avoir montré le cadre dans
lequel on peut les grouper pour en former un tableau ravis-
sant. D'autres peut-être reprendront ce travail avec bonheur
encore ; mais son mérite à lui est de nous avoir tracé le des-
sin général et de nous avoir montré la richesse et la fécondité ;
de son plan. Dans l'étude que nous allons faire de son ouvrage '^
Oct. 1803.) LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. S^
il nous sera impossible de le suivre dans tous ses développe-
ments. C'est un tableau d'ensemble qui demande à être exa-
miné avec soin dans chacune de ses parties, mais nous en in-
diquerons les linéaments généraux, en faisant ressortir l'im-
portance du plan et la valeur des points de vue de l'auteur.
I.
JÉSUS-CHRIST DANS l'ÉCRITDRE.
Le point de vue apologétique qui consiste à étudier Jésus-
Christ dans rÉcriture est peut-être trop négligé généralement.
A force de suivre les adversaires de la religion sur tous les
terrains où il a plu à ces derniers de transporter successi-
vement la lutte, les apologistes ont souvent négligé la plus
inépuisable des sources, la plus brillante des lumières qui
puisse se projeter sur la vérité de notre sainte religion. Or, ce
n'est jamais sans détriment de notre cause que nous négligeons
de pénétrer jusque dans le sanctuaire même de notre religion,
pour montrer à nos adversaires les spleudeurs de la vérité
chrétienne. Nous borner à discuter leurs systèmes ou leurs
imaginations, c'est nous réduire à une tâche bien ingrate. Ils
comprendront quelquefois qu'ils ont tort, mais ils ne sentiront
point pour cela un véritable attrait vers la vérité. Plus d'un
peut-être sera même étonné d'être tellement pris au sérieux.
Ce qui subjugue les esprits, ce qui dompte les cœurs, c'est la
vue de Jésus-Christ môme. Quand lé Sauveur apparaît à Saul
et qu'il le terrasse sur la route de Damas, ce dernier se con-
vertit parce quïl a vu Jésus-Christ. C'est l'histoire de la plu-
part des âmes. A ceux qui croient et à ceux qui doutent,
comme à ceux qui nient ou qui sont indifférents, il faut faire
voir la sainte et divine figure de Jésus-Christ, et, devant les
rayons de lumière et de vérité qui émanent de lui, plus d'un
s'écriera dans le transport du ravissement : Mon Seigneur
et mon Dieu !
308 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VIII.
Mais si le courant des erreurs a quelquefois eiitrainé l'apo-
logiste à étudier d'une manière plus spéciale ce que nous
pourrions appeler les abords et les contours exlériiji.rs de la
vérité chrétienne, c'est encore le courant de l'erreur qui le
ramène nécessairement à considérer directement la sainte
humanité de Jésus- Christ et à nous présenter le tableau
de sa vie, de ses paroles et de ses œuvres tel que nous
le trouvons dans l'Écriture. C'est à la personne même de Jésus-
Christ que s'adressent les coryphées modernes du progrès de
l'irréligion ; il en doit résulter pour les fidèles comme pour les
inattentifs et les indifférents une étude plus approfondie du
mystère des mystères de Dieu, et par là une augmentation de
foi et d'amour pour Jésus-Christ.
La thèse de l'incrédulité est celle-ci : « Jésus-Christ a été
le plus grand d'entre les hommes, mais il n'est pas Dieu.
L'Evangile n'est qu'un code de morale; Jésus-Christ est à la
fois l'auteur et la plus haute personnification de ce merveil-
leux enseignement, mais c'est à tort que les chrétiens le
nomment Dieu. Lui-même ne s'est point donné ce titre;
l'Évangile ne le lui reconnaît point, et si quelques passages
semblent se rapporter à sa divinité, ces passages plus ou
moins obscurs doivent être entendus convenablement et ex-
pliqués d'après les principes naturalistes. » Se plaçant en face
de cette thèse, le F. Dechamps nous montre que non-
seulement les textes abondent, mais qu'il est impossible de
lire une page du texte sacré où cette véiité ne soit évidente.
On ne saurait concevoir une manifestation de Dieu dans la
nature humaine de Jésus-Christ, qui ne se trouve dans l'É-
vangile. Jésus-Christ y est appelé Dieu, et tous les attributs
de Dieu y s^nt proseutës comme attributs de Jésus-Christ. U
est l'origine et le principe de toutes choses, le créateur du
monde, le Dieu éternel des siècles, infini eu grandeur, en
puissance, en miséricorde. S'il y est appelé le Fils de Dieu,
il est Fils par génération éternelle, sorti du sein du Père et venu
Oct. 1863.] LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 30i)
dans ce monde dont il est aujourd'hui le Rédempteur, et dont
il sera demain le juge. Partout il se montre en Dieu : il com-
mande en Dieu et fait annoncer sa loi à toutes les nations ; il agit
en Dieu, il pardonne en Dieu, il promet eu Dieu, il récompense
en Dieu. Il exige pour lui le culte suprême, la foi, lespérance,
l'amour. Jésus-Christ veut être aimé en Dieu pardessus toutes
choses, et réclame pour lui l'honneur qui n'est dû qu'à Dieu
seul. Pour effacer les témoignages de la divinité du Sauveur,
il faudrait donc effacer tout d'abord tous les témoignages qu'il
se rend à lui-même. Il faudrait effacer tout ce que ses ennemis
ont dit de lui; les raisons ou les prétextes pour lesquels ils le
persécutent, l'accusation qu'ils portent contre lui et devant le
tribunal de la synagogue et devant celui du gouverneur païen.
Il faudrait effacer l'histoire de sa passion et de sa mort- Il fau-
drait déchirer non-seulement tout ce qu'a écrit saint Jean chez
qui il a été tellement impossible de méconnaître la confession
de la divinité qu'on a voulu lui en attribuer l'invention ; mais
toutes les épîtres, mais tous les travaux, mais toute la théologie
de saint Paul ; il faudrait n'entendre plus aucun des témoins du
Sauveur, ni Thomas qui met ses doigts dans Ico plaies du Res-
suscité, ni Pierre faisant son entrée dans la carrière apostolique
par un double miracle, celui d'une guérison et celui de sa pré-
dication. Il faudrait supprimer toutes les paroles et toutes les
actions consignées dans les pages sacrées. Mais il y a plus en-
core; il faudrait détruire l'Evangile d'une manière aussi radi-
cale qu'a été détruit le temple de Jérusalem, en sorte qu'il
n'en restât plus une ligne, plus un vestige.
Eu effet, tout l'Evangile est dans celte union suprême, per-
sonnelle ou hypostatique en vertu de laquelle le Fils unique
offre son humanité à son Père, et répare ainsi dignement,
c'est-à-dire divinement, l'outrage fait à l'infiiiie majesté de
Dieu par le péché; tout l'Évangile découle de l'incarnation
du Verbe, de la double nature du Fils de l'homme et du Fils
de Dieu. De là le mystérieux mélange de puissance et d'infir-
310 LE CHRIST ET LES ANTECHRIsTS. |Toma VIII.
mité, d'abaissement et de grandeur, d'humiliation et de gloire
qu'on rencontre partout en Jésus-Cbrist. Il s'incarne dans le
sein d'une vierge pour être véritablement Fils de l'homme et
du sang d'Adam, mais il s'incarne par un acte immédiat de
cette toute-puissance qui forme par elle-même le nouvel
homme, comme par elle-même elle avait formé le premier. Il
naît dans une étable repoussé des siens, mais il attire à sa
crèche les prémices des nations etles concerts des cieux. Il n'a
pas où reposer sa tète, et il marche sur les flots irrités. Il se
laisse charger de liens par les hommes, et il enchaîne lui-
même les éléments, commandant à la mer et aux tempêtes. Il
rend la vue aux aveugles, la santé aux iuiirmes, la vie aux
morts, et, à l'heure de sa passion, il est lui-même sans défense,
il soujffre sans mesure et meurt sans consolation, abandonné
dans sa peine et des hommes et de Dieu, c'est-à-dire de lui-
même, le Verbe laissant privées de sa divine influence les puis-
sances sensibles de son humanité sainte. Mais dans cet abandon
que souôYe le cœur de l'homme éclate encore la force de Dieu ;
il parle dans son agonie, et chacune de ses paroles est une
source de lumière; il vide goutte à goutte son trop amer calice,
mais l'œil fixé sur les prophéties qu'il achève d'accomplir ;
il expire avec puissance, voce magna, et en mourant fait prendre
le deuil à la nature, et il ne s'endort du dernier sommeil que
pour voir sortir de son, côté, avec l'eau et le sang de la ré-
demption, l'Église son épouse, la vraie mère des vivants. Ense-
veli dans la mort, il transforme son sépulcre en source de vie,
sort du tombeau à l'heure qu'il a lui-même marquée, apparaît
à ses disciples effrayés et ravis, et transforme ces hommes qui
tremblaient naguère devant de faibles femmes, en témoins in-
vincibles de la vérité chez toutes les nations. C'est ainsi que
Jésus-Christ se montre partout également divin, divin dans
ses paroles, divin dans l'exercice de sa puissance, divin jusque
dans ses humiliations, dans sa mort, dans son sépulcre.
Mais où il se montre le plus Dieu, s'il nous est permis de par-
Oct. 1863.1 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 3H
1er ainsi, c'est dans la manifestation de la justice et de l'amour
de Dieu. La justice qui demande le sacrifice d'un Dieu pour la-
ver l'offense faite à un Dieu, l'amour qui conduit Dieu à accep-
ter ce rôle de médiateur et de victime. Il faut suivre ici
l'exposé que nous donne le P. Dechamps de cette manifesta-
tion de l'amour, pendant la vie, à la mort, et encore après la
mort de Jésus dans la sainte Eucharistie. Il semble que ce
grand saint Alphonse, dont le cœur était tellenftnt embrasé
de l'amour de Jésus-Christ, ait obtenu à ses disciples une grâce
particulière de parler de ce même amour, et de faire voir à
tous, chrétiens et incrédules, comment partout en Jésus-Christ
Dieu se révèle par sa charité.
Si l'Évanvile est tout plein de la divinité de Jésus-Christ,
le rapport des deux Testaments n'établit pas moins claire-
ment que c'est Dieu lui-même qui se révèle en lui. La mort
du Sauveur est le grand événement du monde : « Le Christ
mis à mort, le peuple qui le rejette n'est plus un peuple; un
autre peuple, instrument de la justice divine, arrive avec son
chef et détruit la ville et le sanctuaire ; les sacrifices de la loi dis-
paraissent avec le temple; la nouvelle alliance commence avec
le nouveau sacrifice, et pendant qu'elle s'étend aux nations, la
ruine de Juda se consomme sans retour. » A partir de là com-
mence un nouveau royaume, royaume spirituel, surnaturel,
universel ; l'empire de la grâce et de la vérité se substitue à
l'empire de la force. Voilà les événements qui se rattachent à
cette mort. Mais, en les nommant, nous ne faisons que citer
les prophéties. Les prophètes ont tout vu, au moins tous les
grands traits des événements, et souvent beaucoup de détails.
Ils ont vu le Christ attendu des nations, arrivant sur la terre
comme le terme des événements qui avant lui ont bouleversé
le monde, et comme le point de départ d'un monde nouveau.
Ils ont vu le lieu et les circonstances de sa naissance, décrit
son caractère, sa mission et ses œuvres, prédit sa passion et
les circonstances de sa passion, ses anéantissements et ses
312 LE CHRIST ET lES ANTECHRISTS. [Torae VII!.
douleurs, la gloire de son tombeau. Ils ont fixé non-seulement
l'époque, mais l'année même dans laquelle ces événements se
sont passés, et ils ont chanté le cantique que son cœur mou-
rant devait chanter, que sa bouche expirante devait prononcer
sur la croix. Ils ont tout vu si clairement, que, pour échapper
à la lumière qui jaillit de leurs prédictions, l'impiélé même
des premiers siècles a essayé de fermer le livre de leurs pro-
phéties. Nul» doute qu'elle n'eût fait des efforts encore plus
grands dans ce sens, si elle n'avait vu se dresser devant elle
les incorruptibles dépositaires de ces oracles sacrés. Elle a
donc été réduite, ne pouvant fermer les hvres, à détourner les
yeux. Tant il est vrai qu'on ne peut regarder le Christ ni dans
sa vie, ni dans sa mort, ni dans sa mission, ni dans ses insti-
tutions, ni dans les prophéties qui ont annoncé sa venue, ni
dans la manière dont il les a accomplies, sans trouver partout
la démonstration évidente de sa divinité.
II.
JESUS-CHRIST DANS L HISTOIRE.
L'histoire de l'humanité, voilà le second tableau dans lequel
le P. Dechamps nous fait contempler Jésus-Christ. Il a élargi
son cadre de manière à y faire entrer les plus belles démons-
irations de Bossuet, de J. de Maistre, de M. Auguste Nicolas,
dont les pages textuellement reproduites trouvent leur place
naturelle dans son vaste plan à côté de considérations neuves
que d'autres apologistes feront passer à leur tour dans leurs
écrits.
L'histoire du monde nous est montrée dans l'Apocalypse
comme un livre écrit dedans et dehors, et scellé de sept
sceaux. Nul ne peut l'ouvrir que « l'Agneau qui a été mis à
mort et dont le sang nous a rachetés pour Dieu. » En dehors
de Jésus-Clirist, cette histoire reste une énigme. On pourra
Oct. 1863.] LE CBRIST ET LES ANTECHRISTS. 3^3
étudier le mouvement politique, juridique, scientifique, litté-
raire, industriel, artistique des nations. Mais cette étude ne
nous fera comprendre que le mouvement des hommes et des
peuples sur eux-mêmes, et ne nous montrera pas le mouve-
ment général qui emporte tous les autres, le mouvement vers
la fin, vers le but de riiuoianité. Une histoire générale doit
nous faire connaître, avant tout, notre origine, notre nature,
nos destinées, et la marche générale du monde moral vers sa
destinée. C'est par là seulement qu'elle nous dévoilera le lien
des peuples et des temps, et qu'elle acquerra le caractère de
ruuiversalilé.
Cette vérité a été longtemps méconnue. On a vouUi bannir
Jésus-Christ de l'histoire, et l'on a fait l'histoire de i'humanilé
de la même manière que l'anatomiste peut nous faire con-
naître l'homme. Là où il n'y a plus d'âme, on peut recon-
naître encore les organes de la vie, les organes des fonctions ;
mais le ressort qui met tous ces organes en mouvement, mais
le principe qui préside à leur formatiun et à leur développe-
ment, mais l'àme qui par sou union avec le corps constitue
l'homme, voilà ce qui échappe à l'anatomiste. De même, eu
se mettant en dehors de Jésus-Christ, ou ne comprendra plus
rien à l'histoire, et « il faudrait comparer la terre et les
hommes qui l'habitent à un champ où les fourmis se disputent
le grain qui tombe, et où les cigales chantent quelques jours
au milieu des fleurs jusqu'à ce qu'arrive l'hiver avec le silence
et la mort. »
Mais si l'histoire générale existe, où pourra-t-ou la trouver '?
Le P. Dechamps en suit d'abord les vestiges chez tous les
peuples, et ces ombres, partout dirigées dans le même sens,
lui font voir la direction de la lumière. Il constate ensuite
qu'il est sur la terre une société perpétuelle en possession de
cette histoire, et qui nous la montre écrite dans le livre par
excellence, dans la Bible,
Le fait universel dans l'humanité, avant que le Christ y
314 LE CHRIST ET LES A>TECHRISTS, [Tome VIII.
ait été annoncé^ est la base sanglante de tous les cultes. Ni
dans l'ancien monde, ni dans les forêts de l'Amérique, ni chez
les tribus que nos hardis voyageurs visitent pour la première
fois, nulle part on ne trouve un peuple sans roligion, nulle
part une religion dont la base ne soit pas dans les sacrifices
sanglants. Or ces sacrifices ont partout le sens de sacrifices
expiatoires. Le sauvage idolâtre du Nouveau-Monde et le sec-
tateiu' policé de l'ancien polythéisme, croient également que
sans l'efïusion du sang les péchés ne peuvent être remis. A
cette persuasion se joignent deux autres croyances dont l'une
se rapporte à la chute et à l'état de dégradation et de déchéance
de l'homme, provenant de la faute du premier homme, Tautre
à la réversibilité des mérites. La victime que l'on immolait
n'était point le coupable lui-même dont la faute devait être
expiée, mais un innocent qui payait pour le coupable. De
celle manière, l'humanité poursuitl'expiation parles sacrifices,
dans l'attente de la grande réparation qui se fera par le libé-
rateur universellement attendu.
Voilà les ombres que projette la grande histoire de l'huma-
nité. Elles se retrouvent partout, et partout les mêmes. Mais
la source même de cette histoire est dans la Bible qui se fait
reconnaître avec clarté comme l'œuvre divinement originale,
dont toutes les autres ne sont que des copies altérées, des
souvenirs infidèles. En eff'et, de toutes les histoires elle est :
l» Manifestement la première dans l'ordre des temps, anté-
rieure non-seulement à tous les livres historiques, mais à tous
les livres mythologiques, poétiques et fabuleux.
2° Cette histoire est la première par l'ordre des choses
qu'elle contient. Les livres sacrés de l'Orient, de l'Egypte et
de la Grèce, ont tous un caractère dominant de nationalisme ;
la patrie y absorbe la terre et le ciel, l'histoire des hommes et
des dieux. Les écrivains païens nous racontent les histoires
des peuples et de leurs princes; Moïse seul raconte Vhistoire
primitive de l'humanité, et après nous avoir fait remontera
Oct. 1S63.I LE CHRtST KT LES ANTECHRISTS. 3fi>
la source même du fleuve des généralions, il nous fait seul
assister au spectacle imposant de la division de ses eaux.
30 La Bible porte en elle-même un cachet unique et mani-
festement divin. Dans ce qu'elle nous apprend sur l'origine
du monde, elle reçoit de nos jours mêmes la confirmation
de toutes les sciences. Dans ce qu'elle nous apprend sur le
développement de la famille humaine, elle reçoit un cachet
prophétique inimitable du rapport des deux Testaments. Nulle
part on ne trouve rien qui ressemble même de loin à cette
œuvre dont celui-là seul peut-être; l'auteur ou l'inspirateur,
pour qui le passé, le présent et le futur se confondent dans un
invariable présent,
A^ La Bible est inséparable de la société des enfants de Dieu,
société qui remonte de Pie IX « sans interruption ju-qu'à
saint Pierre établi par Jésus-Christ prince des Apôtres ; d'où,
en reprenant les Pontifes qui ont servi sous la loi, on va jusqu'à
Aaron et jusqu'à Moïse ; de là, jusqu'aux patriarches et jusqu'à
l'origine du monde. » Et comme le point capital pour nous est
de connaitre évidemment querAncieu Testament est antérieur
à Jésus -Christ^ nous avons le témoignage irrécusable des
Juifs.
V^oilà donc que le même volume qui nous a montré en
grands et splendides caractères la divinité du Christ nous fait
aussi connaitre seul, mais divinement, l'histoire générale de
l'humanité. Nous y trouvons la racine et le principe des tradi-
tions générales répandues chez les divers peuples. Ainsi, l'his-
toire qui n'a besoin d'être confirmée par aucune autre, l'est à
la fois par toutes. Mais la clef de cette histoire du monde an-
cien se trouve dans Jésus-Christ qui seul l'illumine d'une
clarté souveraine.
1° Il est la source même de l'histoire, puisqu'il est double-
ment la tin de toute créature, /^rmo^emVMS omnis creaturx,
car Dieu nous a créés à la fin de glorifier Jésus-Christ son fils;
d'un autre côté, la vie supérieure, la lumière du ciel, la forco
316 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VIII.
divine que réclame notre nature dans son état présent ne ?e
trouvent qu'en lui. Il est plus encore par le fond même de
notre être, que par les vœux de l'humanité, l'espérance et le
désiré des nations.
2» Il est le prototype suprême dont tous les grands hommes
de l'antiquité n'ont été que des images multiples et imparfaites.
A'Iam est le chef de l'humanité et ainsi la figure du Christ qui
est le chef de la vie nouvelle ; Âbel est la première victime,
Noé le premier sauveur. Chez le peuple élu, Abraham est le
père d'une postérité innombrable, parce qu'il a consenti à la
mort de son fils unique; Isaac, la victime obéissante qui porte
à l'autel le bois de son sacrifice ; Jacob, le fort contre Dieu
comme celui qui triompha par l'amour de la justice divine sur
le Calvaire; Joseph, l'innocent vendu et livré par ses frères, et
devenu par là même le sauveur de ses frères et du monde ;
Moïse, Josué, Samson, David, etc., etc. Chez les autres peuples,
nous le voyons figuré par Melchisédech, le pontife du sacrifice
figuratif par excellence, Job, l'homme des douleurs ; et tous
ces médiateurs, et tous ces libérateurs, et tous ces conquérants
dont l'antiquité nous a transmis le souvenir plus ou moins
défiguré, n'étaient-ils pas tous autant d'images du médiateur,
du libérateur, du conquérant par excellence ?
3° Seul, Jésus-Christ nous explique par son sacrifice la base
sanglante de tous les cultes. Il nous offre cette expiation inu-
tilement cherchée dans le sang et la destruction d'innombrables
victimes. Il nous fcit comprendre cette idée si incompréhensible
de la solidarité et de la réversibilité des mérites que nous
trouvons universellement répandue. Il éclaire donc à la fois et
le fait universel et le sentiment intime auquel ce fait cor-
respond.
A° Il nous fait comprendre les anciennes traditions en nous
dévoilant la grande unité dont l'histoire ancienne nous fait
voir de nombreuses parcelles, mais des parcelles seulement;
et du même coup il fait briller à nos yeux toutes les vérités
Oct. 18C3.] LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 3^7
que le paganisme avait défigurées. Il nousfait retrouver l'imité
daus les relations entre le monde et Dieu, unité rompue par
le paganisme qui a transporté à la créature la gloire due au
Créateur. Il nous a rappelé l'unité delà famille humaine dont
tous les membres sont devenus ses frères; il nous montre
l'unité du sacrifice dont les sacrifices anciens n'étaient que la
figure, et détruisant ainsi toute idolâtrie comme une dévia-
tion de la vérité primitive, il nous fait voir en lui la vérité sur
le monde, la vérité sur l'humanité, la vérité sur la religion,
la vérité sur les anges, la vérité sur Dieu.
5<'Enfin, devant lui, nous voyons s'illuminer les ombres que
le paganisme avait prises pour les réalités dernières. Le genre
humain avait reçu sans nul doute une tradition primitive sur
la trinité des personnes en Dieu. On ne peut expliquer que par
cette tradition la multiplicité des vestiges que nous en trouvons
chez divers peuples. Cette vérité ne nous est pleinement ré-
vélée que par Jésus-Christ. Le genre humain avait une vague
connaissance du mystère de l'Incarnation qui devait s'accom-
plir un jour, et de là découlaient ces simulacres de fausses
incarnations qui remplissent les mythologies. Il avait comme
un pressentiment du mystère de l'Eucharistie. Il se figurait
que les dieux accouraient sur l'autel où la victime était immo-
lée, et qu'en participant au sang répandu par le prêtre, on
participait à la réconciliation opérée par la victime. Toutes
ces idées qui percent plus ou moins clairement à travers le
chaos idolâtrique, étaient-elles des restes de traditions an-
ciennes, ou sortaient-elles comme d'un sentiment profond de
la nature humaine ? n'importe ; ce qui est certain, c'est que,
parfaitement incompréhensibles sans Jésus-Christ, elles sont
parfaitement lumineuses en lui, et qu'ainsi il est à la fois la
lumière des temps anciens, la clef de leur histoire générale,
et le fanal qui éclaire tout ce qu'il y a de plus profond dans
notre propre nature.
Nous laissons de côté tout ce grand mouvement def peuples
318 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VUI.
et cette succession des empires qui nous a été à l'avance ex-
posé par les prophètes comme devant aboutir à Jésus-Christ.
Mais le développement de ce plan par Bossuet a sa place
marquée ici dans le cadre du Père Dechamps.
Il reste à considérer Jésus-Christ comme la clef de l'histoire
du monde nouveau.
Que rhomme ait eu le malheur de perdre la foi; que
la doctrine, les miracles, la vie et la mort de Jésus-Christ
n'aient eu aucune prise sur lui ; qu'il soit plongé jusque par
dessus la tète, dans le naturalisn^e, le rationalisme et le faux
mysticisme allemand, du moment où il parcourra, même
sommairement, l'histoire, il sera ramené à ce point qui est en-
core le cauchemar de tous ces étranges rêveurs : Un personnage
a paru dans l'histoire qui a enseigné une doctrine, qui a pro-
duit des œuvres sans aucune analogie dans le passé, auquel
on ne peut comparer aucun des personnages de notre race.
Oui, Jésus-Christ est là qui les empêche de rien comprendre
au monde nouveau, s'ils ne veulent pas confesser sa divinité.
Car, non-seulement il nous révèle l'harmonie des temps qui
l'ont précédé, mais il divise les siècles en deux parties, le
monde avant lui et le monde après lui, et notre chronologie
qui prend sa naissance pour point de départ, n'est que l'ex-
pression du fait le plus universel et le plus divin qu'on puisse
concevoir.
Les siècles qui suivent Jésus-Christ ont reçu de lui un ca-
ractère qui les distingue essentiellement de ceux qui précédent.
Ce caractère est dans le règne de l'esprit sur la chair, de la
vérité sur la force, dans la délivrance de l'homme de la servi-
tude de ses passions, dans la triple défaite de l'idolâtrie qui a
été vaincue dans les cœurs^ sur les autels et sur les trônes.
Jésus-Christ Va vaincue sur les autels, malgré les innom-
brables obstacles qu'ont opposés à cette victoire les préjugés,
les passions mauvaises, l'orgueil, la cruauté, la prétendue
raison d'état, le tout mis au service de l'enfer; et il l'a vaincue
Juin. 18C3.1 LB CeniST ET LES ANTECHHrSTS. 319
au point que l'homme le plus grossier ne peut comprendre
aujourd'hui cette déchéance de la raison humaine, qui va pro-
diguer son aioration à d'autreâ êtres qu'à l'Être éternel et
infini. Il l'a vaincue dans les cœurs qui semblaient s'être iden-
fiés avec un culte voué à des dieux faits à l'image des passion?:,
et, dans ces mêmes cœurs, il a allumé le feu de l'amour divin.
Parmi les sages <le la philosophie païenne, un très -petit nombre
a entrevu la grande loi de l'amour de Dieu ; mais aucun d'eux
n'en a supposé le règne possible, aucun n'a demandé à Dieu
de l'aimer et de le suivre. Ce qu'aucun n'a même su rêver,
Jésus-Christ l'a accompli, et bien plus encore. Non-seulement
il a obtenu l'amour suprême pour lui-même; mais il a obtenu
l'amour de l'homme pour l'homme, en tant qu'homme et en-
fant de Dieu, et il a ainsi enfanté des prodiges inconnus du
monde païen.
« L'égalité des hommes devant Dieu, la dignité de la femme,
de l'enfant, du pauvre, de l'esclave, des petits, des délaissés
de ce monde, fut révélée avec la grandeur naturelle et surna-
turelle de l'homme. De cette vérité féconde, de cette divine se-
mence de la parole de Jésus-Christ jetée dans le sein de l'hu-
manité et arrosée du sang de la rédemption, on voit sortir l'u-
nité et l'indissolubilité du mariage, et avec elles la pureté, la
force, la majesté de la famille toujours défendue par l'Église
contre le caprice des puissances, comme le principe de tout bien
social ; l'adoucissement, la transformation, et enfin l'abolition
de l'esclavage si absolument nécessaire aux yeux des anciens,
qu'Aristote et Platon le croyaient fondé sur la nature même
des choses ; la fin de l'infanticide légal patroné à son tour, à
la honte de l'esprit humain, par le plus sublime de ses sages,
le divin Platon; enfin, les grandes œuvres qui ont donné des
palais aux pauvres et à toutes les infirmités humaines, avec
une cour pour les servir, avec des légions d'anges devwius
ies esclaves volontaires de leurs frères, après avoir conquis
pour eux-mêmes, à force d'amour, la liberté parfaite des
320 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome Vllf.
enfants de Dieu, la liberté du dévouement par la chasteté ! »
Entin, l'idolâtrie est vaincue sur le trône. « L'empire ido-
lâtre par l'apothéose du maître, était une véritable théocratie
sans Dieu. Aussi le pa.^auisme voulait-il que tout homme fût
fait pour l'État et non l'État pour l'homme. Dans le christia-
nisme, au contraire, toute autorité est servante. L'homme lui
doit obéissance, sans doute, mais c'est parce qu'elle est l'or-
gane de Dieu, disposant de toutes choses pour le bien tempo-
rel et spirituel de l'homme. Là est le but. L'autorité n'est qu'un
moyen de le faire atteindre, » et, afm qu'elle ne devienne pas
infidèle à sa mission, la vraie liberté, c'est-à-dire le droit de
l'homme à la pratique de ses devoirs, fut mise sous la protec-
tion de la parole et du sang de Jésus-Christ.
C'est là le caractère de cette civilisation qui a reçu de Jésus-
Christ le nom de civilisation chrétienne, et qui par-là devient
incomparablement supérieure à la plus haute des civilisa-
tions anciennes.
Que sij après avoir examiné le caractère général du monde
nouveau, on considère les événements qui l'ont agité depuis
dix-huit cents ans, on verra encore que Jésus-Christ est leur
centre et qu'il les domine tous. Toutes les luttes, toutes les
transformations, toutes les révolutions ont finalement tourné
à sa gloire, et l'histoire des siècles chrétiens n'est que l'histoire
des triomphes du christianisme, c'est-à-dire du Christ, sur la
civilisation et la barbarie, sur la ruse et la violence, sur le
schisme et le scandale, sur l'incrédulité et le terrorisme. Son
Eglise a tout traversé avec la tranquillité de Dieu : Transiens
per médium illorum, ihat.
Ainsi, Jésus-Christ embrasse les siècles et les domine tous.
Son influence pénètre tous les temps qui l'ont précédé, et
aujourd'hui, plus de dix-huit siècles après qu'il a disparu aux
yeux des hommes, il est encore l'âme et la vie de l'humanité
dans ce qu'elle a de plus noble et de plus excellent, dans ce
qu'elle a de divin. Aujourd'hui encore comme toujours, c'est
Oct. 1(^63. LE CUKIST ET LES ANTECHftlSTS. 321
lui seul qui réalise les aspirations les plus larges et les plus
profondes de riiomine. Toujours l'homme a vénéré la religion
de ses pères ; les hommes les plus sages de l'antiquité ont cru
que la religion était d'autant plus pure qu'elle était plus près
de son origine; or, la religion de Jésus-Christ est celle même
de l'origine, et, où il innove, c'est quand il dit aux défenseurs
des traditions humaines : Ab initio non fuit sic. Toujours aussij
l'homme a cru au progrès, a cherché, a aimé le progrès. Or,
Jésus-Christ encore a été un progrès divin sur les lemps anté-
rieurs, et sa doctrine nous ouvre la carrière, et ses institutions
nous offrent un stimulant avec les forces nécessaires pour un
progrès indétiui. Oui, Jésus-Christ était hier, il est aujour-
d'hui, et il sera dans tous les siècles.
111.
JESUS-CHRIST DANS LA CONSCIENCE HUMAINE.
Cette troisième partie de l'étude du P. Dechamps nous
semble la plus belle. Il aime à revenir sur ce sujet. Ame
pure et sereine, il se sent pénétré de la lumière de Dieu. Il
goûte et il voit: il goûte Jésus-Christ dans cette paix ineffable
que le Sauveur a promise à ceux qui l'aiment, et il voit dans
le Sauveur le complément de son âûie entière, la lumière de
ses pas, la joie de son cœur, la plénitude du bonheur.
Dans la démonstration catholique de la vérité chrétienne, il
a tiré du rapport intime des besoins de notre âme avec la ré-
vélation toute une démonstration de la divinité de l'Église, et
cependant il ne considérait qu'un seul de ces rapports. Ici, il
élargit son horizon. Il considère et l'âme et la religion d'une
manière plus générale, sans toutefois épuiser le sujet. « Il n'y
a pas de dogme dausl'Éghse catholique, dit-il après de Maistre,
qui n'ait ses racines dans les dernières profondeurs de la
nature humaine. » Pour traiter ce sujet d'une manière com-
322 LE CHRIST ET LES ANTKCHRISTS. [Tome VUl.
plèle, il faudrait donc sonder toutes les profondeurs de nos
mystères et toutes les profondeurs de notre cœur, et celui qui
irait le plus avant dans cette étude serait encore bien éloi-
gné de l'avoir épuisée.
Les faits étant ainsi sans nombre, on ne peut que choisir.
Le P. Decliatnps choisit comme il a choisi le sujet général de
son livre, de manière à tracer un large cadre doul il indique
les principaux développements. En le suivant, nous verrons
co;nbien est profonde eu nous l'empreinte de notre vocation
et de notre état surnaturel ; nous comprendrons la vérité de
cette parole de Tertullien : Anima natio^aliter christiana; ou
plutôt de cette autre parole de saint Paul : Miki vivere Christus
est, et mori lucrum.
Le premier mystère dont Jésus-Christ nous donne la clef est
celui de la lutte intérieure dont l'homme est lui-même le
théâtre. Le principe de cette lutte est dans le désordre, dans
la révolte des sens et des passions contre la loi de la raison.
Les éléments en sont l'intirmité de l'âme, sa complicité
même qui résulte de l'incHnation au mal, à la rébellion,
à ^indépendance; enfin une sorte d'obscurité ou d'aveuglement
intérieur qui sert de voile â ce désordre. Cette lutte ex-
prime l'histoire intérieure de chaque homme, mais en même
temps elle présente un insondable mystère, quand on ne con-
sidère pas l'explication qui s'en trouve dans Jésus-Christ,
En lui tout s'éclaire. Dieu dans notre création avait uni en
nous trois vies diverses et subordonnées, et n'avait rendu la
vie animale docile à la vie morale ou spirituelle qu'à la condi-
tion de la soumission libre de celle-ci à la vie surnaturelle ou
divine Quand l'homme ingrat veut diviser ces trois vies, se
contenter des deux premières, il tombe au-dessous de lui-
même. Quand il a choisi un renversement partiel, il a trouvé
un di^'sordre complet. Jésus-Christ nous l'apprend. Quand le fils
ingrat, dil-il, veut vivre de son bien dans l'indépendance de
son père, il tombe dans la misère et la dégradation jusqu'à dé-
sirer la pâture des animaux immondes.
Oct. 1863.] LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 32at
Mais en même temps le Sauveur nous montre le remède. Si
les trois vies sont inséparables dans l'homme, nous devons,
pour retrouver l'empire de la deuxième vie sur la troisième,
nous élever de nouveau à la première. Ce retour n'est pas
impossible, car nous continuons à avoir la conscience de cette
vie; nous y sommes appelés du dehors, attirés du dedans, et
la prière nous donnera les ailes pour y remonter. La prière
nous obtiendra la grâce surnaturelle dont la foi nous fait
connaître les opérations divines. Mais combien de ces grâces
sont des faits de conscience que chacun peut vérifier? L'aspi-
ration de la nature humaine à une vie supérieure ou surna-
turelle ; le besoin qu'elle ressent de la lumière d'en haut pour
être éclairée sur celte vie, du secours d'en haut pour y être
élevée, et en même temps pour être guérie de sa faiblesse ;
la réalité et refficacité de cette grâce qui guérit, fortifie, élève;
cette voix intérieure enfin, ce gémissement de l'esprit qui
aide le nôtre à retrouver ce qu'il a perdu, /)os^M/a^/)ro nobis
gêmitibus inenairabilïbus . Cette voix est la voix de Celui qui
nous a créés pour une vie toute divine d'amour et de grâce,
et qui nous l'ofi're encore en ouvrant notre cœur à la prière
qui la fait revenir.
Ces faits sans doute deviennent plus fréquents et plus lumi-
neux à mesure qu'on s'efforce davantage de les vérifier dans
la vie pratique. Mais pour ceux-là mêmes qui restent en dehors
de cette plénitude de lumière, il reste vrai que « la religion
résout seule le problème que la philosophie pose, p comme
le dit admirablement Maine de Biran.
Le deuxième mystère que J.-C. nous dévoile est celui de la
douleur. La douleur, en dehors du christianisme, est inexpli-
cable. Pour donner le mot de cette énigme la sagesse humaine
a recouru à la fable de la métempsycose, cette négation pué-
rile et audacieuse de la conscience humaine, et par là elle
s'est montrée radicalement impuissante à nous en révéler le
sens. Mais lors même qu'elle eût trouvé une explication
324 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VIII.
plus satisfaisante de la douleur, jamais elle n'eût réussi à nous
la faire accepter et embrasser, et le mystère serait resté en
plein. Car la douleur est si intimement rivée à notre existence,
que nous ne pouvons que la porter d'ime manière ou d'une
autre, jusqu'au dernier jour de notre existence.
Pour le chrétien, la douleur est une des formes que revêt la
grâce de Dieu, Dieu a deux manières de secourir notre âme :
il nous aide par sa force et il nous aide par l'infirmité physique
et la souffrance morale. La souËFrance est une expiation, mais
une expiation qui devient une source d'espérance si nous l'u-
nissons aux mérites de Jésus-Christ ; elle se mêle à nos luttes
pour nous servir de remède et de préservatif en ■ amortissant
le foyer de nos passions, et en nous détachant des faux biens.
Elle favorise nos aspirations vers la vie surnaturelle qui sera
tout heureuse en Dieu, et, si elle est reine ici-bas, elle n'y
exerce sa puissance que pour nous rendre libres, libres du
péché, libres des passions, libres du monde et des illusions.
La douleur devient ainsi pour le vrai chrétien un objet d'amour
à cause des biens qu'elle lui procure; mais elle le devient plus
encore, parce que c'est par elle que J,-C. nous a témoigné son
immense amour sur la croix. Souffrir, c'est lui devenir sembla-
ble; souffrir, c'est lui témoigner notre reconnaissance; souffrir
pour lui, c'est luirendre amour par amour. C'est pourquoi les
saints ont aimé la soufifrance comme l'avare aime la charge
d'or qu'il porte avec amour et avec joie; c'est pourquoi encore
le chrétien ne devient jamais malheureux par la souffrance,
car il a contre elle un divin antidote. « J'ai entendu, dit le
P. Decharaps, de grandes voix dire de sublimes choses sur la
patience, mais jamais elles n'ont dit si bien que le pauvre
prêtre exhortant le pauvre peuple à mettre ses peines au pied de
la croie. »
Le troisième mystère est celui de la mort. La mort est un
triple mystère parce qu'elle semble impliquer une triple con-
tradiction : contradiction dans l'union de la mort avec un être
Oct. 1863.] LB CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 325
immortel; contradiction dans la relation de cette mort avec la
bonté divine ; contradiction dans sa relation avec l'espérance
humaine. Qui nous dira les secrels de la mort? Quand l'esprit
humain a voulu pénétrer sans Dieu dans ces mystérieuses
profondeurs, n'en est-il pas remonté plein de trouble et vo-
missant des blasphèmes? n'en a-t-il point rapporté soit la
doctrine sacrilège des deux principes, soit l'humble aveu de
son impuissance radicale à rien expliquer?
C'est Jésus-Cbiist qui a « les clefs de la mort, » et en lui
nous voyons la mort transfigurée non moins que la lutte, non
moins que la douleur, mais d'une façon plus merveilleuse
encore.
Le premier secret de la mort est que Dieu ne l'a point faite.
Le second c'est qu'elle est l'œuvre de l'homme. L'immortalité
du corps, toute surnaturelle qu'elle est, entrait dans les condi-
tions de la parfaite harmonie de notre nature avec sa destinée
positive. L'homme par le péché troubla celte harmonie, et
Dieu, pour le punir, s'est borné à l'abandonner à lui-même.
L'enfer, cette seconde mort que Dieu n'a pas faite non plus,
n'est encore dans son fond, dans sa peine principale qu'une
séparation, la séparation définitive de l'âme et de Dieu, de
l'âme obstinée que Dieu laisse enfin à elle-même, comme elle
l'a voulu.
Voilà ce qu'est la mort en elle-même. Mais si nous acceptons
en union avec Jésus-Christ ce châtiment de la première mort,
elle nous préservera de la seconde, et, de plus, elle sera elle-
même un jour absorbée dans la grande victoire du Christ qui,
en la subissant, lui a enlevé son aiguillon. Elle est encore le
grand dépouillement de l'homme, mais en Jésus-Christ elle
n'est que la grande libératrice, puisqu'elle nous fait échanger
la lutte contre la paix, la douleur contre la joie ; elle brise les
chaînes de nos passions, nous délivre du poids de ce corps
corruptible, du fardeau de nos péchés, du danger d'y succom-
ber encore. Elle est la grande séparation, la grande division.
32G LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VIII.
puisqu'elle va jusqu'à nous diviser nous-mêmes. Mais en
Jésus-Christ elle devient le grand moyeu de l'union parfaite
avec Dieu.
Qu'il est donc vrai de dire avec saint François de Sales, que
la mort vue à travers la croix change de face !
Le quatrième mystère qu'étudie le P. Dechamps est celui de
la grande aspiration de l'homme. Le désir du bonheur est
identifié avec notre nature parce qu'il est l'inclination même
de l'homme vers sa fin. En Jésus-Christ, ce désir illimité, in-
satiable, s'explique et se comprend, parce qu'il est satisfait
d'une manière toute divine. Jésus-Christ répand en nous l'a-
mour qui donne la paix. Partout il promet la paix qui est la
révélation intérieure de sa divinité au cœur de l'homme, et la
source de cette paix, il nous la fait jaillir pour la vie éternelle
dans la foi, dans l'espérance et dans l'amour, surtout dans
l'amour.
Il identifie l'amour avec le devoir, puisque l'accomplisse-
ment d'un devoir est l'acte d'amour par excellence, celui qui
gagne le cœur de l'amour même, Deus chantas est.
Par là il lîous rend à notre vocation qui consiste si essentiel-
lement à aimer Dieu, que l'amour est le mouvement même
de tout notre être. Car le corps e:i nous est fait pour l'âme ;
dans l'âme l'intelUgence est faite pour éclairer, et en mémo
temps pour servir la volonté; mais la volonté pourquoi est-elle
faite, sinon pour aimer? Vouloir, est-ce autre chose qu'aimer?
Que veut-on, si ce n'est ce qu'on aime ?
Mais comment nous fait-il aimer Dieu? Il lious fait aimer
le Dieu invisible en nous montrant en lui toutes les tendresses
qu'il a mises au cœur de ses créatures, a II a donc l'amour
d'un père, d'une mère, d'un frère, d'une sœur, d'un époux,
d'une épouse, d'un enfant même, puisqu'il a fait le cœur de
l'enfant aussi, et qu'il n'a pns dédaigné d'être enfant, puisqu'il
s'est uni personnellement à la nature humaine. » Quoique
invisible, nous pouvons donc l'aimer sans bornes, car nous ne
Oct. 18C3J LE CHRIST ET LES ANTBCHRISTS. 3i7
voyons rieu de ce que nous aimons le pins au monde. Ce que
nous aimons dans nos parents et nos amis, c'est leur âme in-
visible, et, quand leur enveloppe mortelle est flétrie, et qu'ils
sont morts, nous continuons de les aimer.
Cependant, l'attente de notre âme ne trouve pas encore sa
pleine satisfaction dans Famour du Dieu invisible. Son objet
propre est dans les communications parlées avec ce même
Dieu rendu visible. Or le Verbe s'est fait chair et il a habité
parmi nous, et il a ainsi ofîertà notre âme ce trésor d'un Dieu
devenu semblable â nous. L'aspiration que le paganisme n'a-
vait fait que profaner et défigurer trouve ainsi dans le chris-
tianisme sa réalisation pleine et entière.
Il y a certes dans le mystère de l'Incarnation de quoi rem-
plir le cœur le plus insatiable d'amour ; il n'y a pas encore de
quoi satisfaire entièrement le cœur de Jésus-Christ. De même
qu'il sera tout à tous dans la gloire, et tout à chacun des élus,
de même il se donne tout entier à chacun de nous en cette
vie comme le gage véritable de la vie éternelle. Il n'a de trêve
et de repos qu'il n'ait accompli son grand dessein qui est
de nous transformer en lui et de nous faire vivre de sa vie
divine.
A ne considérer que le cœur de l'homme, il semble qu'il
soit insatiable d'amour et il demande encore plus^ toujours
plus, quelque soitl'objelqueson cœur rencontre. Jésus-Christ
a su lui proposer de quoi le satisfaire en lui présentant un
objet que tous les cœurs de tous les hommes seront à jamais
incapables d'aimer suffisamment. Objet d'amour, modèle d'a-
mour, il est aussi source d'amour et il supplée par l'infinité de
son amour à l'insuflisance de celui que nous lui portons.
C'est par ces considérations sur l'amour divin que le P. De-
champs termine son étude sur Jésus-Christ. Jésus-Christ seul,
dit-il, a demandé, a voulu l'amour des hommes et des siècles;
Jésus-Christ seul a été aimé des hommes et des siècles comme il
l'a voulu, comme on est aimé de ceux, qu'on aime, aimé des
328 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VlII.
cœurs et des âmes, de cet amour qui est lui-uiême l'âme de
la vie. Lui seul a aimé le monde comme Dieu seul sait aimer,
et lui seul a été aimé du monde comme Dieu seul mérite de
l'être. C'est ainsi que les temps et les cœurs vaincus nous
parlent de lui avec la même puissance que l'Écriture, et
l'hymne à sa divinité sort trois fois sublime de l'harmonie
des deux Testaments, de la conscience de l'homme et de tous
les âges de l'humanité.
IV.
Les ANTECHRISTS.
Sur ce triple terrain de l'Écriture, de l'histoire et de la
conscience humaine, on ne rencontre pas seulement claire-
ment et nettement tracée la ligure du Christ, on y trouve aussi
celle de l'Antéchrist, ainsi appelé, dit S. Jérôme, parce qu'il
est l'ennemi du Christ. Il y a entre l'un et l'autre une lutte
continuelle, qui a commencé dès l'origine, et qui ira en gran-
dissant jusqu'à la fin des temps. On ne comprendrait pas bien
le Christ, si on n'étudiait en même temps son adversaire l'An-
téchrist, et nous pensons qu'un traité d'apologie sera nécessai-
rement incomplet, si l'action de l'Antéchrist n'y est mise eu
relief, soit dans le cours du livre, soit dans des chapitres spé-
ciaux.
Mais il y a deux sortes d'Antechrists, d'après l'enseigne-
ment de l'Écriture, l'Antéchrist final et les Antechrists pré-
curseurs. De ceux-ci, nous dit l'apôtre, il en est dès à présent
plusieurs. Leur caractère essentiel est d'être menteurs et de
séduire les hommes en niant la vérité que Jésus-Christ nous
a révélée, ou plutôt la vérité qu'il est lui-même. Sont donc
Antechrists d'après lui, tous ceux qui nient le Fils unique en-
gendré du Père, ceux qui nient que Jésus-Christ est venu dans
la chair ; ceux qui divisent Jésus-Christ en niant l'union de la
nature divine et de la nature humaiue en sa personne. Or, en
niant le Fils, ils nient le Père, et méconnaissent à la fois et
Oct. 1863.1 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 329
son éternelle fécondité et l'amour dont il a aimé le monde.
Tous les hérésiarques sont des Antechrisls, images et pré-
curseurs de celui qui doit venir à la fin des temps. Leur travail,
depuis l'origine jusqu'à nous, a consisté à diviser la vérité.
L'histoire des erreurs de tous les temps, montre qu'elles se
rattachent à une source commune. Elles sont reliées entre
elles par un étonnant esprit de suite. Les hérésiarques ont
obéi comme à une loi fatale dans la forme qu'ils ont donnée
à leurs erreurs ; par oii l'on voit que, même pour se tromper,
l'homme n'a pas été seul. Ainsi Dieu a donné à la nature de
nous redire la gloire de son auteur; aux pères des nations, à
leurs pontifes, à leurs législateurs, aux saints qu'il leur a
envoyés, il a donné des traits de ressemblance avec leur divin
modèle. L'idolâtrie dans toutes ses formes n'a fait que diviser
la créature du Créateur, l'image de son objet et de son prin-
cipe. Prenant les ombres pour la réalité, elle demanda aux
victimes figuratives ce qui n'appartenait qu'à la véritable ; et
après avoir divisé le culte, elle alla jusqu'à diviser aussi le
Christ en appliquant aux peuples divisés ce qui regardait
l'humanité tout entière.
Quelle est la forme de toutes les erreurs depuis Jésus-Christ?
Le judaïsme est la séparation des deux alliances dont le
Christ est la divine harmonie. Les premières hérésies chré-
tiennes prétendaient jeter la division dans la nature divine
elle-même par la doctrine des deux principes et par celle des
émanations. Arius et Macédonius prétendirent diviser la Trinité
en niant l'un la consubstantialité du Verbe, l'autre celle du
Saint-Esprit. Les iiérétiques du V^ siècle, Nestoriens et Euty-
chiens, divisent le Christ en brisant les uns et les autres le lien
d'union des deux natures dans la personne du Verbe. Les Pé-
lagiens ont voulu diviser les dons de Dieu, la nature d'avec la
grâce surnaturelle. Les Iconoclastes ont brisé l'harmonie des
deux natures sensible et spirituelle. L'islamisme, qui veut
réunir les trois révélations patriarcale , mosaïque et chrô-
330 LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. [Tome VIII.
tienne, les déchire toutes les trois ensemble en méconnaissant
la rédemption, qui de ces trois révélations n'en fait qu'une.
Enfin le protestantisme, qui est une hérésie plus radicale, est
en même temps une division plus profonde. Il sépare la foi
de la charité; Tespérance d'avec la communion des saints;
l'amour divin du culte, qui en est l'expression vivante, surtout
de l'Eucharistie, qui en est le foyer; la grâce des sacrements, qui
en sont les grandes artères, etc., etc. Enfin le protestantisme
radical, ou le rationalisme consomme cette grande œuvre de
division et de négation. Il divise la raison et la foi, la nature
et la grâce, Dieu et l'homme : et, soit qu'il affecte la forme
panthéistique, soitqu^il se dise athée ou déiste, il nous ramène
vers le dieu-nature ou le dieu-humanité , vers le culte du
monde et des esprits créés, vers la confusion des deux puis-
sances, et vers la disparition radicale des œuvres et des insti-
tutions inspirées par le Christ et sa croix.
Voilà l'antichristianisme dans l'histoire. La manière dont îl
entre dans le cœur humain nous est révélée dans la tentation
du Sauveur. C'est l'appel à la triple concupiscence qui prépare
l'avènement de l'homme du péché. Les caractères de celui qui
sera FAntechrist par excellence nous sont nettement tracés
dans l'Ecriture. Les circonstances de son avènement et de son
règne nous sont prédites aussi clairement que n'importe
quelle circonstance de la venue du Christ lui-même. Nous
savons « qu'il s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé
Dieu, qu'il ira jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu comme
s'il était Dieu, et voudra lui-même passer pour Dieu ; » nous
savons qu'il établira un vaste empire antichrétien ; qu'il aura
une grande puissance surnaturelle ou satanique. Nous savons
qu'il persécutera grandement les saints de Dieu ; qu'en face
de lui surgiront de grands témoins de la vérité qu'il mettra à
mort, et qu'après un règne de courte durée, il disparaîtra au
dernier avènement du Christ qui viendra juger le monde.
Assurément on ne peut dire avec certitude ni où, ni com-
Oct. 1803.] LE CHRIST ET LES ANTECHRISTS. 33t
ment, ni par qui se formera cet empire. Mais ces prédictions
de l'Écriture, les espérances qu'elles nous donnent du secours
de Dieu dans ces circontanees solennelles nous expliquent
comment, à mesure que Thistoire se. déroule, nous voyons se
préparer Tavènement du grand jour. Les caractères anticbré-
tiens sont plus saillants à notre époque qu'aux époques qui
ont précédé. Ce n'est que de nos jours qu'on a trouvé par une
série de doctrines professées dans d'innombrables cliaires, la
tbéorie du dieu-bumanité; ce n'est que de nos jours qu'on a
vu s'établir sans répulsion le spiritisme, cette forme de
tbéurgie moderne qui ne vient que de naître, et qui est déjà
répandue d'une manière effrayante. Ce n'est que de nos jours
que l'on a vu tenter, sans que le monde cbrétien en frissonnât,
la rébabilitation de Satan. Sans doute elle n'a été vomie que
par quelques bouches impies; mais on se familiarise, on joue
en quelque sorte avec Satan au moyeu des évocations.
Voilà comment le règne de l'Antéchrist se prépare. D'un
côté nous sommes encore loin d'avoir vu se réaliser et toutes
les promesses faites à l'Église, et tout le travail préparatoire
de l'Antéchrist. Mais il est remarquable aussi qu'au moment
où les espérances de l'Église augmentent au-delà de ce qu'on a
jamais vu de plus beau dans le cours des siècles, les caractères
de l'empire antichrétien se dessinent de plus en plus nettement.
La démonstration qui résulte du rapport de ces événements
avec les prophéties consignées dans l'Écriture sainte appar-
tient essentiellement à un ouvrage qui a pour but de iious
faire connaître le Christ, le Fils de Dieu qui est venu en ce
monde pour détruire les œuvres de Satan et reformer la
grande famille des enfants de Dieu.
J.-I. SiMONIS.
NOUVELLES RECHERCHES
SUR LA VIE DE SAINT DIE,
Abbé.
Saint-Dié, dit un vieil historien (1), « est une des quatre
prévôtés de l'ancien bailliage de Blois, et c'est pour cette rai-
son qu'il faut s'y arrêter un peu en passant. C'est un gros
bourg situé sur le chemin d'Orléans, sur le rivage de la Loire,
et bâti, comme tant d'autres, par le peuple qui s'y est assem-
blé au bruit des miracles du saint dont il porte le nom. Il y
avait autrefois un monastère que le roi Clovis P"" fonda lors-
qu'il visita ce saint ermite au retour de la bataille qu'il gagna
sur Alaric, roi des Visigoths, l'an 530 (2). 11 y avait pareille-
ment une maladrerie, à laquelle Thibault IV, Hugues de
Chàtillou et Pierre de France, comtes de Blois, et quelques
particuliers, ont fait des charités. Comme le bois de Cham-
bord s'étendait en ce temps-là jusque sur le bord de la
Loire (3), saint Dié le choisit pour son ermitage, pour faire
(1) J. Bernier, Histoire de Blois, i vol. in-i°. Paris J86^. Page 92.
(2) Acla Suncli Fridolini^ daos la bibliothèque de Labbe, l. n. Les
renseignemenls de Bernier manquenl d'exactitude, comme on s'en
convaiuora par la comparaison avec ce que nous dirons eu suile.
(3) Caiiulaire manuscrit de Chartres.
Oct. 1863.] NOUVELLES RECHERCHES SUR LA VIE DE S. DIÉ, ABBÉ. 333
pénitence, sur quoi je ne m'étendrai pas, parce que le Père
Patrice, capucin, natif de Saint-Dié, en a donné Thistoire au
public sur des mémoires qu'il a trouvés dans l'église parois-
siale de ce lieu (1). p
11 résulte de cette histoire locale ou légendaire, qu'au V« ou
au VI* siècle (2), un personnage pieux, nommé Dieudonné
{Deodatus, par contraction Dié ou Dyé)^ bâtit un ermitage
dans les forêts, sur la rive gauche de la Loire, à quatre lieues
de Blois. Les miracles qu'il y fit attirèrent près de lui des
fidèles, qui construisirent des maisons, Glovis vint visiter le
saint homme, et changea son humble cellule en un riche
monastère (3). Enfin, le nombre des habitants s'étant fort
acciu, on entoura le bourg d'une muraille .d'enceinte, et cette
nouvelle ville devint une des forteresses du Blaisoist Elle
faisait un commerce de vins et d'étoffes de laine dont il reste
encore des traces.
Telles étaient, outre les renseignements fournis par Jean
Mabillon, le Père Labbe et les Boliandistes, les annales de
Saint-Dié, lorsque la découverte d'un manuscrit topique est
venu jeter de nouvelles lumières sur le sujet et raviver des
discussions éteintes sur celte antique légende.
Nous avons appris que le presbytère du bourg de Saint-Dié
pobsé'-îait un manuscrit fort ancien. Nous en avons obtenu
communication de la bienveillance du curé. Il se compose de
quatre parties : 1" un traité des hérésies de saint Augustin;
2° une réfutation de l'athéisme, par Claudiauus Mamertus ;
3° des homélies du pape saint Grégoire (ces trois parties ont
(1) Bibliothèque de Labbe, t. n, p. 365. Cet ouvrage du P. Patrice
est la iraduc'liou de la fie de saint Dié que nous avons retrouvée et,
dont nous parlerons plus loin.
(2j La queslioii chionologique sera Irailée un peu plus lard.
(3) Dans les derniers temps ce n'élail plus qu'un prieuré dépendant
de l'abbaye de Ponllevoy,
334 NOUVELLES RECHERCHES [icmeVM.
été imprimées dans la Bibliothèque des Pères) ; 4° la vie de
saint Dié, patron de l'église paroissiale de cette ancienne petite
ville. Cette biographie a été composée selon les récits tradi-
tionnels. A la fin se trouvent les proses et antiennes de l'é-
glise, autrefois chantées en la fête du saint; le tout conforme
au traité de sa Vie, ce qu'on n'aurait pu faire sans l'autorité
des supérieurs. Cette dernière partie du manuscrit est inédite.
Un abrégé seulement en a été publié par le Père Labbe (1).
Au commencement, sur un feuillet spécial en papier, on lit
une note d'une écriture du XVIP siècle (dont nous nous
sommes servi), qui parait être de la main du religieux béné-
dictin Noël Mars, auteur de VHistoire du royal monastère de
Saint-Lauraer de Biais, manuscrit déposé dans la bibliothèque
de cette ville.
Les caractères de l'ouvrage, écrit sur parchemin et orné de
lettres enluminées, sont du XII® siècle. A la fin se trouve,
comme dans le manuscrit de saint Victor de la Chaussée, dont
nous avons parlé, et dans celui de saint Viâtre de Tremblevif,
dont nous parlerons un jour, l'office de saint Dié : messe,
antienne, oraison, plus de vieille musique, notée en neumes,
écrite sur quatre lignes tracées à la pointe sèche. Une note
terminale sur la châsse du saint, et une autre, peu lisible,
inscrite sur la couverture, sont encore à citer.
A ce manuscrit sont joints deux livres imprimés, l'un de
petit, l'autre de grand format, contenant : le premier, la
traduction en français, avec remarques, de la Vie de saint Dié,
par frère Patrice, capucin, et l'autre un Recueil de prières,
acrostiches, jeux de mots pieux, par le même; le tout publié
au XV1I« siècle (1658), cliez J. Hoîot, imprimeur à Blois.
(1) Nouvelle bibliothèque des manuscrits d'Aquilaine el du Berry,
tome II, p. 365. Fie et Éloget des Saints de Bourges, Fie de saint Dié,
abbé.
I
Ocf. 1863.1 ^^'^ ^^ ^'^ ^^ SAINT DIÉ, ABBÉ. 335
Ces trois ouvrages sont cVune notable curiosité pour le pays.
Le manuscrit surtout^ remarquable sous le rapport de la calli-
graphie, mériterait d'êlre honorablement placé. La fabrique
de Saiut-Dié, comprenant que ces livres seraient plus digne-
ment situés dans un dépôt pu])lic que dans un presbytère peu
fréquenté, devrait en faire don aux archives du département,
011 ils seraient d'ailleurs à la disposition de tous.
Nous exposerons d'abord la vie de saint Dié, d'après notre
manuscrit. Nous relaierons ensuite les différences de ce
texte authentique avec les documents antérieurement con-
nus.
Le récit est divisé eu dix-sept chapitres. L'auteur loue d'abord
en général la condition et les mérites de son personnage,
a confesseur envoyé de Dieu. » 11 traite ensuite en détail de
son nom, de son éducation, de sou dessein d'entrer en reli-
gion et des vertus qu'il mit en pratique dans cet état. Dié,
élevé à Bourges en Berry, se rendit très-jeune dans un mo-
nastère nommé Yx {Iccium, Issoudun), gouverné alors par un
abbé nommé Phallier (1), où ses jeûnes et ses pénitences lui
valurent une renommée qui excita l'envie et les persécutions
des mauvais moines, qui résolurent de le faire périr. Le saint,
averti par Dieu, souffre d'abord avec patience l'injustice, puis
(1) Sainl Phallier, palroii de Chabris, en Berry, sanctus Phaleirus,
23 novembre. Dans la Vie de ce saint, donnée par Labbe (l. ii, p. 437),
il càl dil que l^hallier ordonna, en monrant, h. Dié, sonprcvôt, de l'en-
sevelir dans sa cabane. D'aucuns veulent que ce Phallier soit un
autre personnage que saint l'hallier. Remarquons en passant la con-
fusion sysiémaliquc cl ridicule de Dulaure, qui, dans son ouvrage
faux : des Divinités cjé,iéralrices, {.h dériver 1.: culte de saint Phal-
lier des honneurs obscènes rendus au ph^lus, tandis que le mol
Phallier vient manifestement, selon (es légendes, de Phalelrus, qui
rappelle également les mois phalerse, collier, ornenienl, el pharelra,
caïquois, ou peut-être mieux falleira, pour phaleralaverOa, paroles
ornées.
336 NOUVELLES RECHERCHES [TomeVin.
prend la résolution de se retirer dans un autre lieu. Sur ces
entrefaites, arrive au couvent un jeune religieux du pays
chartrain nommé Baudemire (Baldomirus) (1). Une douce
amitié s'établit entre les pieux personnages et ils s'unissent
dans le projet d'aller vivre quelque part en anachorètes.
Baudemire enseigne à son ami une forêt près de Blois, lieu
solitaire et propre à la dévotion, mais hanté par un démon
dévastateur. Dié, espérant vaincre cet ennemi avec l'assistance
du ciel, obtient la permission de l'abbé d'Issoudun, et pen-
dant la nuit quitte le monastère avec son compagnon. Ils
n'emportaient que leurs cilices, leurs habits d'ordre, leurs
manteauX;, le livre de leur règle, un bâton et pas de provisions !
Les voyageurs, chantant des hymnes et des psaumes, après
avoir marché toute la nuit, arrivent le lendemain, à la pointe
du jour, au lieu indiqué, au milieu de la forêt de Ghambord.
Là Dieudonné se met en prières, délivre par ce seul moyen
le pays de Tanimal qui l'infestait (2) et se bâtit une cellule. Il
y vécut avec Baudemire du travail de ses mains, s'adonnant
à la contemplation, à la lecture, à l'oraison, au silence et aux
larmes. Sa sainteté éclatait en miracles. Pendant la guerre
avec les Goths (3), le roi Clovis étant venu à Chartres, touché
(l)Le P. Labbe l'appelle Baudouin, Bodauvinus. L'ancien bréviaire
du diocèse de Blois raconte qu'il élail rharlrain, prêtre, el disciple de
sainl Soienne, évêque de ce pays. Il se joignii , selon la même aulorilé,
à sainl Dié, et vécui ermile au di'sert, sur les rives de la Loire. Son
corps a é(é transpoilu dans l'c^glise paroissiale du lieu, où sa fêle es'
célébrée le dimanche le plus proche après les kalendes (ler) de no-
vembre.
(2) Il s'agit probablement ici, comme dans toutes ces légendes, dont
le fond esl commun, h. la fois <run monsire réel, désolanl un pays de
bois, peu habile, et du monstre de l'idolâtrie, symbolisée par un ser-
pent, toujours vaincue par les prières des saints.
{'X) L'écrivain a confomlu la guerre gothique, faile au-delà de la
LoiTp, avec la guerre ailémanique, accomplie dans le Xord, à la suite
Oct 1863.] SUR LA VIE DE SAINT Dit, ABBÉ 337
par un sermon de saint Solenne, évêqae de cette ville (1) et
devenu catéchumène, passa dans le Blaisois, « où il fut reçu
du peuple avec beaucoup d'acclamation, » et alla se prosterner
aux pieds du solitaire de la Loire, dont la renommée était
parvenue jusqu'à lui.
Après quelques entretiens avec le prince franc, qui lui de-
mandait sa bénédiction, Dieudonné l'engage à se faire baptiser
et lui promet la victoire à ce prix (2). Clovis, vainqueur de
ses ennemis, revint rendre grâces à l'anachorète, lui donna des
terres autour de sa cellule, de Tor, de l'argent pour édifier un
monastère et faire des aumônes, et alla se faiie baptiser par
saint Rémi. Les vertus et Thumanité de Dieudonné (qui resta
toujours diacre et refusa d'être prêtre, titre plus convenable
pourtant au rang d'abbé), au milieu de ces nouvelles riches-
ses, convertirent plusieurs persoimes. Le nombre des reli-
gieux s'augmentant jusqu'à quarante, le couvent s'agrandit et
reconnut Dieudonné pour chef. Enfin, le Ciel lui révèle sa
dernière heure; et après une exhortation touchante à ses reli-
gieux, il expire au milieu de leurs regrets. Le bruit de son
trépas s'étant répandu, les monastères voisins et beaucoup de
peuple vinrent assister à ses fuqérailles, où son corps exhalait
une odeur suave. On distribua aux assistants, comme autant de
reliques, son habit d'anachorète, sa tunique et son manteau.
L'abondance des miracles qui se faisaient sur son sépulcre
engagea les habitants du lieu à édifier au-dessus de la tombe
de laquelle Clovis fui baptisé, longtemps avant son expédition contre
les Golhs. Les Bollandistes reconnaissent celte confusion, ainsi que
le p. Labbe ; et Mabillon, pour cette cause, dislingue, un peu à la lé-
gère, deux saints Dié. (Voyez plus loin.)
[\) Sainl Solenne vivait en 499, selon la chronique de Sigebert, et
sa fête se célèbre le 25 septembre.
(2) Celle histoire loule nouvelle de la conversion de Clovis en de-
hors de rinfluence de Clolilde a évidemment un raractère spécial et
lopique qui nous rejelle des certitudes de l'iiisloire dans les problèmes
de la légende.
Revue des sciences ecclésiastiques, t. viii. 22-23
338 NOUVELLES RECHERCHES [TomeVIII.
une belle église, avec l'assistance des pèlerins et des marchands
delà Loire, qui pourvoyaient à ses besoins par un péage local.
Mais les païens (1) ayant tout ruiné et réduit la [contrée en un
désert, la mémoire du Saint était entièrement perdue lors-
qu'elle fut révélée k un anachorète nommé Blidesinde, qui
apprit du Ciel que Dieudonné était mort le 24 avril, jour où
on devait célébrer sa fête. Cependant la place était oubliée,
lorsque, sous Charles-le-Chauve (que le manuscrit appelle
« Charles, fils de Louis-Auguste, » c'est-à-dire Louis-le-Dé-
bonnaire, vers 841), un prêtre nommé Aurélien, envoyé pour
être abbé, releva le monastère, embellit l'église et rendit la
maison florissante. Après la mort d'Aurélien, son neveu et
successeur acheva les édifices et donna à l'église des orne-
ments magnifiques et des terres fort étendues (2).
La narration de notre manuscrit n'est pas conduite jusqu'au
XII' siècle, époque de la transcription, ce qui ferait supposer
qu'il n'est que la reproduction d'un ouvrage antérieur, ter-
miné à la fin du IX* siècle (3).
Voyons maintenant ce que disent les écrivains modernes.
Le Père Labbe, dans sa Bibliothèque déjà citée, au 24 avril,
donne en abrégé la biographie que nous venons de présenter;
puis il ajoute qu'il a tiré ce sommaire d'une vie plus étendue
que lui a envoyée le Père Patrice de Samt-Bié, professeur capu-
{]) C'esl-U-dire les Normands, liont les déprôdalioiis furent si con-
sidérables au ix^ siècle.
(2) Selon Mabillon, ce neveu se sérail appelé comme son oncle;
car on lil en deux endroits de ['Index des Annales : « Aureliani,
abbales duo sancli Dcodaii super Ligerim, « et, dans le texte, le
neveu est appelé equivocus.
(3) Les Boilandistes semblenl confirmer celle supposition lorsqu'ils
disent, dans leurs noies (t. ni, p. 273), que les premiers actes de la
vie de saint Dié ont été détruits et que ceux qui nous restent sont
ceux qui furent écrits de nouveau, en double el même en triple.
(Vojez plus loin )
Oct. 1863.] SUR LA VIE DE SAINT DIÊ, ABBÉ. 339
cin, provenant d'uu manuscrit de la petite ville de Saint-Dié (1).
Labbe termine par ces mots, que nous traduisons simplement :
« Le Père Patrice m'a dit qu^il a appris par les archives de la
ville que Louis XI, ayant lu la vie de saint Dié, donna à
l'église une chasse d'argent doré, avec des reliques du Saint,
pour être touchées par les fidèles; châsse que les calvinistes
ont détruite, à la grande douleur des habitants, à la fin du
siècle dernier (1568). » C'est à peu près le fait raconté dans la
note terminale du manuscrit déjà cité, sauf cette variante de
la note : que ia châsse fut dérobée vers J518 (2) sans qu'on
ait jamais pu la retrouver.
Les Bollandistes (3) donnent deux Vies de saint Dié, sur trois
qu'ils citent : la première, d'après un manuscrit de Rouen
envoyé par le jésuite Jean Wallon ; la deuxième, tirée d'un
manuscrit de la Reine de Suède, n° J286 (probablement de la
Bibliothèque du Vatican); la troisième, envoyée par le jésuite
Jacques de Saulcon, «en mauvais style », tirée du manuscrit
de l'église de Saint-Dié, traduite par le père Patrice et citée
par le père Labbe.
Les Bollandistes attaquent assez vivement ces biographies.
Ils rejettent la présence de saint Phaliier, comme ne se rap-
portant pas à la chronologie, la réalité de saint Baudemirc (4)
sur lequel on ne trouve aucun autre renseignement et qui ne
pourrait être un diacre du même temps, mais de l'Église lyon-
naise. Ils repoussent l'assistance de Clovis I^*", qui serait plutôt, à
(l)Ce sont les ouvrages perdus, qui ont été retrouvés et signalés
précédemment,
(2) C'est probablement une erreur pour jo68, épocLiic réelle des
ravages des proleslan's dans le Blalsois.
, (3) ^cla Sanciorum Aprilis, lomus \n, p. 273, par Henschen et
i'apcbroch.
( 'i) Les raisonnements ne valent rien contre les fails. Saint Baude-
raire a vécu à Saint-Dié, où on a conservé ses reliques jusqu'en J793.
340 KOUVELLES RECHERCHES [Tome VH!.
leur gré, Clovis II, moins célèbre que rautre,.et dès lors rem-
placé par son aïeul dans les légendes {i). Us terminent leur
critique en disant qu'ils ne voient pas d'autorité suffisante
pour mettre saint Dié au VI" siècle, mais qu'ils l'y laissent
faute de meilleurs éclaircissements.
Le malheureux esprit de critique dans lequel est conçu
l'ouvrage de Papebroch infirme ces allégations vagues, non
prouvées, et nous engage à en tenir peu de compte, d'autant
plus (ainsi qu'on l'a dit en commençant) que l'office du Saint,
lire de sa vie, n'a pu être établi qu'avec l'autorité imposante
des supérieurs.
La première Vie de saint Dié, publiée par Henschen, d'après
le manuscrit de Rouen, n'est qu'un sommaire où l'auteur ne
suit pas l'ordre des chapitres et rappelle l'analyse de Labbe,
lequel se conforme plus exactement aux divisions du ma-
nuscrit. Les dififérences de cette Vie avec la biographie déjà
racontée se réduisent à quelques points : Dieudonné alla de
Bourges au lieu nommé depuis de sou nom en une nuit. Il
passa donc par Bourges en quittant Issoudun, tandis que notre
manuscrit dit simplement qu'il parcourut en une nuit « tout
l'espace d'un chemin à l'autre, » c'est-à-dire directement
d'Issoudun à la Loire. Or, la route droite de Bourges à Blois
est de vingt-six lieues, en passant par Vierzon et Romorantin.
Il y a huit lieues de Bourges à Vierzon, comme d'Issoudun à
Vierzon et d'Issoudun à Bourges. Ces trois villes forment un
triangle équilatéral. Si Dié alla directement d'Issoudun à
Blois, en passant par Massay, il fit vingt-six lieues, de même
que s'il alla de Bourges à Blois. Si, au contraire, il alla
d'Issoudun à Blois, par Bourges, il fit trente-quatre lieues, U
faut ajouter la distance de Blois à l'endroit choisi : quatre
lieues, ce qui ferait trente-huit lieues dans le cas du plus long
trajet, et trente-qualre dans le cas du ylus court, en une nuit,
(1) Noire Saint se trouverait ainsi reculé, un peu légèrement, jus-
qu'au yiu siècle ; car on sait que Clovis li va de C3S à 656.
Oct. 1863] SUR LA VIE DE SAINT DlÉ, ABBÉ. 3U
Le légendaire a bien raison de dire que ce Saint ne marcha
point, mais plutôt vola.
Revenons aux différences des Bollandistes. Clovis était alors
à Vendôme (et non plus à Chartres), (l donna au saint ermite
vingt livres d'or, autant d'argent (1). Dié mourut le 8 des
kalendes de mai, et tous ses vêtements, sans exception, furent
distribués aux assistants. Il n'est fait nulle mention du catc-
chuménat de Clovis, du sermon de saint Solenne, des pèlerins
et des marchands de la Loire ni du neveu d'Aurélieu.
La deuxième Vie, publiée d'après les manuscrits de la reine
Cbristine, n'est pas un abrégé, mais un texte entier, ampli-
fication de rhétorique, récit diffus, où l'auteur, se mettant à
l'aise, délaye les détails et s'abandonne à une prolixité inu-
tile. Ce qu'il nous apprend de neuf se résume en ceci : Bau-
demire et son compagnon firent, en une nuit, soixante
milles (2); Dié vécut ermite, près de la Loire, pendant qua-
rante ans, et mourut après avoir souhaité son trépas pendant
nombre d'années; le péage établi sur la rivière, pour relever
son église, consista pendant fort longtemps dans une certaine
quantité de sel marin, prise sur chaque bateau et cédée volon-
tairement ; le sanctuaire ayant été brûlé par les soldats et
dépouillé par les habitants du lieu, après la révélation faite
par un ange à Blidesinde, pendant son sommeil, fut rebclli en
entier par Aurélien (3). Il n'est fait aucune mention de son
neveu.
La troisième Vie n'est pas publiée. Évidemment postérieure
aux deux autres, qui s'arrêtent au premier Aurélien et qui pa-
raissent ainsi avoir été composées au ix' siècle, c'est celle
i\) Labbe dil vingl-six livres, détail peu huportant.
(2) Ce calcul de soixante milles (vingt lieues) donne un nouveau diî-
menli à l'hypclhèse de la rouie d'Issoudun à Blois par Bourges, qui au-
rait fait parcourir à noire Saint, comme on Ta dit, tren'e quatre lieues.
(3) Comme on le. devine aisémen», il ne reste aucune trace de cette
construction du lv siècle.
3Î2 NOUVELLES nECHERCHES [Tome VIII.
dont nous connaissons le manuscrit et dont la copie fut en-
voyée, par Jacques de Saulcon, aux Bollandistes, qui la négli-
gèrent. Elle tient le milieu entre la brièveté de la première et
la diffusion de la deuxième et semble la meilleure au point de
vue de la rédaction, malgré les dédains de Papebroch.
Jean îîabillon (1) reconnaît qu'il existait un monastère an-
tique dans la petite ville de Saint-Dié^ mais il ne croit pas
(sans eu donner de raison) que son fondateur ait été le Saint
de ce nom qui promit la victoire à Clovis partant contre
Alaric {-2) ; car il le place, au contraire, au \lh siècle, vers
696. Le savant bénédictin nous apprend peu de nouveau, dans
une analyse assez brève : l'ancien couvent, jadis considé-
rable, était remplacé, de son temps, par un prieuré dépendant
de Pontlevoy ; ce n'est que longtemps après la fondation de
l'ermitage que la ville fut entourée de murailles (3) ; l'église
primitive fut probablement dédiée à Notre-Dame.
L'ancien Bréviaii'e de Blois, (maintenant remplacé par le
Bréviaire romain), raconte la Vie de notre anacborèle de la
manière suivante, que nous donnons fidèlement pour qu'on
voie ce qui est accepté de la Légende par l'autorité supérieure,
et quelle diflférence peut être constatée entre cette version et
celle que noas avons émise d'après d'autres renseignements.
— Saint Dié vécut ermite sur la plage de la Loire_,dans le ter-
ritoire de Blois, au lieu où est maintenant une petite ville for-
tifiée (4) portant son nom. Il fut célèbre sous Clovis pr
auquel il prédit la victoire contre les Gotbs, à son départ
(1) Anjiales ordinis Benedictini, 1. 1, p. 60.J-6, lib. xvni, 690-700,
sub anno 693. — Bollandus dit d'ailleurs, à tort, que Mabillon ne
parle pas de noire ermiie.
(2) Ce fail prouve qu'un érudil de génie peut se tromper, quand il
ne sait pas les cboses de visu.
(3) 11 reste encore quelques pans de murs. Une vieille porte ilanquée
de deux grosses tours rondes (dont un de nos amis a fail un dessin),
a tMé rasée il y a quelques années.
(i) Oppidulum. Les fortifications n'exislenl plus.
Ocf. Ifl3,l SUR LA VIE DE SAINT DlÉ, ABBÉ. 3i3
pour la guerre. Plusieurs personne? pieuses vinrent se réunir
à lui. 11 les gouverna, tout eu demeurant diacre, sans jamais
accepter le sacerdoce. Le roi Ghildebert, allant faire une expé-
dition eu Espagne, visita cet anachorète et apprit de lui les
mérites et la demeure de saint Eusice, caché à Précigny (1).
Dié vécut vieux, mourut en grande réputation et fut enterré
dans sa cellule (2). Le monastère fondé par lui lleurit long-
temps après sa mort, mais fut réduit peu à peu à presque rien.
G^est maintenant (3) une simple paroisse avec titre de prieuré,
soumise à l'abbaye de Pontlevoy. Les reliques du Saint, long-
temps conservées intactes dans l'égUse et enfermées par
Louis XI dans une châsse d'argent, furent dérobées en 1518.
Les hagiographies abrégées, telles que les recueils de
Baillet et de Godescard, ne mentionnent pas notre ermite-
abbé.
L'auteur d'une Notice sur les saints de Blois (4) raconte les
mêmes faits que nous, en négligeant toute la partie légendaire
et miraculeuse. Nous noterons seulement qu'il met saint Dié
(écrit sans raison Dyé), au commencement du Vie siècle. Il
ajoute l'histoire de Glovis passant à Chartres avant son expédi-
tion contre les Goths, celle de Ghildc! Cit, liis de Glovis l*'' et
roi de Paris, quittant sa capitale pour aller combattre les Vi-
sigoths ariens et visitant, à l'imitation de son père, en passant
aux environs de Blois, l'anachorète de la Loire, dont il reçoit
(1) Voyez les Fies de saint Eusice aux Archives de Blois (histoire
maouscrile de l'abbaye «le Celles, en Btrry), el h la Lib'iolhèque de
l'Arsenal à Paris,
(2) Il paraît que c'était un ancien usage d'ensevelir les saints soli-
taires dans leur habitation. On voit souvent ce fait relaie, comme dans
la biographie de saint Phallier, cilée plus haut.
(3) La rédacliou de ce bréviaire est aniérieure à la Révolution
française.
(4)° Blois, IlSôO, Benoît Sivary, inI2, p;u- A. Dupi^S bibliothécaire,
pages 41 à 43. CeUe compi'aiion esi. un bon résumé dos pieuses
chroniiiues locales.
344 NOUVELLES RECHERCHES [Tome Mil.
des exhortations encourageantes. Selon cet auteur, Dié mourut
peu après (c'est-à-dire vers 542).
M. Fabbé Morin, curé de Suèvres, qui a fait beaucoup de
recherches, encore manuscrites, sur la contrée où il demeure,
prétend que saint Dié s'établit d'abord, en arrivant du Berry,
dans une île de la Loire, située au territoire de Suèvres et
encore nommée Ue de saint Dié. Ce ne serait que plus tard,
après avoir joui des dons de Clovis qui entouraient la cellule,
dit le manuscrit, que l'abbé-diacre transporta son monastère
sur la rive gauche pour qu'il fût plus grand, et c'est là l'époque
réelle de sa fondation.
Je ne saurais adopter celte opinion. La Légende dit claire-
ment que Dieudonné se retira sur le bord de la Loire, « au
milieu d'une forêt » et non dans une île du fleuve (qui a pu
prendre son nom du voisinage). Le manuscrit ne dit pas non
plus (ce qui n'aurait pas été négligé), qu'il se procura un ba-
teau pour passer l'eau avec Baudemire.
M. l'abbé Pothée, ancien curé de Saint-Dié, sur lequel il a
ramassé beaucoup de documents, prétend, dans une disserta-
tion manuscrite dont on nous a parlé, que saint Dié eut trois
stations successives : à l'Écuelle, au lieu oii est maintenant
l'église, et dans un autre endroit qui nous échappe ; l'ana-
chorète logea d'aljord dans la caverne du dragon, (après
l'avoir tué toutefois), caverne qui existe encore et forme le
propre caveau où était sou sépulcre et au-dessus duquel est
construit l'autel actuel; il se sépara, après quelque temps, de
Baudemire, pour vivre dans une solitude plus entière.
Tout le respect que nous professons pour le profond savoir
de M. l'abbé Pothée ne peut nous empêcher de dire que ces
assenions ne sont que des suppositions gratuites.
La situation du manuscrit, retrouvé sur place, les traditions
orales persistant dans le pays, l'examen des lieux et du nou-
veau document, tout nous semble concorder pour apporter
une valeur probative incontestable aux récits que nous avons
Oc'. 1863) SUR LA VIE DE SA?NT DIÉ. 345
présentés, pour réfuter les systèmes 'préconçus, rejeter les
adjonctions inutiles, annuler les allégations vagues, repousser
enfin péremptoirement les objections des anciens auteurs,
^mêine les plus érudits), qui n'ont pas vu le manuscrit dans
son cadre authentique, le presbytère du bourg, et n'ont écrit
que de loin, sur des copies, sans connaître spécialement ni
les choses ni les lieux .
En résumé, pour vider en terminant la question chronolo-
gique, les uns font vivre saint Die sous Glovis l*"", les autres
sous Glovis II, au V^, au VP ou au VU" siècle. Mabillon le place
à cette époque. Le père Patrice dit dans les notes de sa tra-
duction qu'il vivait eu 490 (Glovis I*^"" ayant été baptisé à
Saint-Martin de Reims eu 496). Labbe dit qu'il vécut proba-
blement jusqu'en 530, comme on peut le prouver par une Vie
manuscrite de saint Eusèbe. Les Bollandistes le mettent au
VP siècle, ainsi que le Bréviaire du diocèse de Blols et la No-
tice sur les Saints de Blois (1). La tradition générale concorde
ici avec la majorité des auteurs, et la guerre desGoths, admise
par le plus grand nombre comme le moment de l'entrevue de
Glovis et de Dié, étal)lit une époque fixe. Nous pensons donc
qu'on peut affirmer sans crainte d'une erreur trop grossière,
que Tabbé Dié, anachorète de la Loire, vécut dans la seconde
moitié du V<= siècle et mourut dans la première moitié du VP.
Nous nous proposons de publier la légende inédite de saint
Dié, avec des éclaircissements dont le présent travail n'est
qu'un extrait abrégé.
A. DE Martonne,
Archiviste du département de Loir-et-Cber, Correspondant du
ministre de l'instruction publique pour les travaux bisioriques.
(4) L'entrevue de Childeberl el de Dié avant la guerre des Yisigolhs,
reculerait la mort de ce dernier au-delà do 542, comme nous l'avons
vu.
LA QUESTION LITURGIQUE A LYON.
Examen d'une Apolog^îe publiée par MM. les Curés
de cette yille.
Il vient de paraître une brochure de quarante-cinq pages,
portant ce titre : A propos d'un pamphlet contre MM. les curés
de Lyon, quelques mots publiés par plusieurs membres des con-
seils de fabrique de Lyon. — Lyony imprimerie d'Aimé Vingtri-
nier y rue de la Belle-Cordi'tre, 14, 1863. Ce n'est pas l'œuvre
de MM. les fabriciens de Lyon, comme semble l'indiquer le
titre, mais bien celle de MM. les curés de cette ville :
ce sont eux qui parlent eu leur nom, depuis la première
page jusqu'à la dernière. Si MM. les fabriciens interviennent
dans le titre, et s'ils ont bien voulu publier Técrit composé
par MM. les curés, c'est, sans doute, pour que nous soyons
ainsi avertis du sentiment de ces honorables laïques sur la
question de la liturgie lyonnaise.
MM. les curés de Lyon se sont-ils crus en droit d'imprimer
leur opuscule sans demander l'autorisation de l'ordinaire? Ou
bien, l'ayant demandée sans l'obtenir^ ont-ils jugé à propos
de passer outre? Nous ne savons. Toujours est-il que l'appa-
rition d'un tel écrit, sans la formalité de Vimprimatur, est une
regrettable infraction aux lois de l'Église, et en particulier au
Ocl.1863.1 L\ QUESTION LITURGIQUE A LYON. 317
décret du concile provincial de Lyon de 1850^ où il est dit :
« Omuino prohibemus ne ullus clericus, in sac ris ordinibus
« coustitutiis, librum quemcumque ad fîdem, mores aut chri-
« stianam disciplinam, sive directe, sive etiam indirecte, attin-
« gentem, prœlo maudare prœsumat, antequam licentiaua a
« jure prgescriptam obtinuerit. » (N" ixviii, p. 82.) 11 s'agit
d'une publication où MM. les curés de Lyon, eu nom collectif,
n'entreprennent rien moin^, comme nous le verrons bientôt, que
de professer et de soutenir hautement la contradictoire de ces
deux déclarations du Souverain-Pontife Pie IX : 1° Breviarium
et Missale Liigdunense a légitima auçtoritate minime prodire;
2° ac proinde omnino immutanda. Que Pie IX se soit prononcé
«ir ces deux points, dès 185-4, avec une entière clarté [ape?'-
tissime declaravit), c'est ce qu'atteste la lettre du cardinal-
préfet (le la S. Congrégation des Rites à Son Éminence le
cardinal-archevêque de Lyon, du 23 janvier 1863; et cette
lettre était connue de MM. les curés de Lyon lorsqu'ils ont
pris la plume, puisque leur brochure en fait mention. A rai-
son surtout de cette grave circonstance, comme aussi à raison
des actes de Son Éminence le cardinal de Bonald, que MM. les
curés lyonnais se trouvent amenés à discuter et à juger, il
était, ce semble, bien naturel qu'ils songeassent avant tout à
remplir le.s prescriptions de la loi si sage de l'Église concer-
nant l'impression des livres. Il est vrai que, d'après le titre,
l'opuscule de MM. les curés de Lyon n'a pas été publié par
eux, mais par plusieurs membres des conseils de fabrique. Tou-
tefois, comme on ne saurait supposer que ces honorables
laïques aient agi sans l'assentiment des auteurs et surtout
malgré leur opposition formelle, la responsabilité de la publi-
cation sans imprimatur retombe en déliuitive sur MM. les
curés de Lyon.
Le motif qui leur a fait prendre la plume est, nous disent-
ils, l'apparition d'un écrit anonyme imprimé à Rhodez sous ce
titre : Relation intéressante par laquelle on juge liu désagrément
3Î8 LA QUESTION LITURGIQUE. [TomeVIIL
advenu à MM. les curés de Lyon en l'an de grâce 1863 (1). Il
paraît que MM. les curés de Lyon reconnaissent à cette pu-
blication anonyme de Rhodez, ou, comme ils disent, à ce
pamphlet, une certaine importance littéraire, et qu'ils l'attri-
buent à un laïque. C'est du moins ce que semblent indiquer
ces mots de leur brochure (page 32) : « Inutile d'insister sur
l'habileté de la plume.... Elle est de bonne famille (sic), nul
n'en doute .... Sûrement cette plume n'est point celle d'un
prêtre »
L'objet de MM. les curés, dans leurs quelques mots, n'est
pas de discuter le fond même de la controverse sur la liturgie
lyonnaise. Ils s'en expliquent ainsi (pages 15-16) : « M. le
chanoine (des Garets) entame une discussion dans laquelle
notre but n'est pas de le suivre actuellement.... Notre inten-
tion n'est pas d'entrer ici dans le fond de la question. Peut-
être y reviendrons-nous pour la traiter plus spécialement. »
Néanmoins MM. les curés de Lyon ne laissent pas de trancher
très-résolument cette même question fondamentale, savoir si
leur Bréviaire et leur Missel actuels sont légitimes autrement
que par une tolérance provisoire^ et si l'on doit les changer.
Pendant que le Pape Pie IX, parlant assurément du Bréviaire
et du Missel actuels de Lyon, déclare formellement (apertis-
sime declaravii) quils ne viennent pas d'une autorité légitime et
qu'on doit en conséquence en changer, eux soutiennent la con-
tradictoire et disent que ces mêmes livres^ à raison des cor-
rections qu'ils ont subies en 1844, sont devenus légitimes :
« Nous tenons à peu près tous, et profondément, à notre
liturgie actuelle; elle n'est plus intégralement l'œuvre de
Mgr de Montazet; cette œuvre a été admirablement corrigée
en 1844.» (Page 27.) S'ils croient pouvoir y tenir profondé-
ment, c'est avec l'entière persuasion que ces livres sont au-
(1) Celle [>roduclioa m'est eatièrement inconnue. J'en ignore l'au-
teur el n'en ai vu aucun exemplaire.
Oct. 1863.] A LYON. 349
jourd'hui parfaitement légitimes, et que Pie IX s'est trompé
en déclarant le contraire. Car Pie IX parle bien des livres ac-
tuels, en disant : Ac proinde omnino immutanda, et non des
livres antérieurs à 1844, donl l'usage a déjà cessé.
Ces remarques préliminaires font entrevoir déjà l'attitude
prise par MM. les curés de Lyon dans leur polémique et la
voie dans laquelle ils ne craignent pas de s'engager. Ils vou-
dront bien nous permettre de les y suivre et de répondre aux
reproches qu'ils nous adressent.
§1.
Les faits antérieurs à la lettre du cardinal Patrizi.
I. Commission nommée pour rédiger le propre du diocèse selon
le rit romain. — Le il novembre 186^2, Son Éminence Mgr le
cardinal de Bonald ayant réuni le chapitre de son église pri-
matiale, « dit, que plusieurs prêtres étrangers à son diocèse,
récitant le bréviaire romain et voulant néanmoins s'unir à
nos fêles, désiraient avoir un propre lyonnais, selon le rit ro-
main. «(Brochure de MM. les curés de Lyon, page 7.) Son Émi-
nence invita le chapitre à nommer une commission pour ce tra-
vail. Le chapitre déféra sur le champ à cette invitation. La com-
mission fut composée de quatre membres, savoir : de MM. les
chanoines de Serres, des Garets, et P. (alors absent), et de
M. Denavit, directeur au grand séminaire. Tel est en sub-
stance le narré de MM. les curés de Lyon, relativement
à la commission nommée. Nous le supposons exact, n'ayant
jusqu'ici aucune information en sens contraire.
II. MM. les curés de Lyon prennent l'alarme, ils se réu-
nissent et signent leurs trois lettres collectives. — « MM. les
curés de Lyon... conçurent des inquiétudes. Ce propre lyon-»
nais selon le rit romain, était-il bien seulement pour les
prêtres étrangers au diocèse qui le sollicitaient? N'y avait-il
pas uue arrière-pensée dans la demande qu'ils en avaient faite t
350 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome VIII.
Ce propre lyonnais une fois entre les mains des directeurs du
grand séminaire, n'y avait-il pas lieu de présumer que ceux-ci
emploieraient leur crédit auprès des jeunes séminaristes, pour
le leur faire adopter avec la liturgie romaine? Le zèle de ces Mes-
sieurs de Saint-Sulpice ne pouvait-il pas être soupçonné d'être
d'autant plus ardent qu'il était de plus fraîche date? Aurait-on
déjà perdu le souvenir de ces fameux républicains delà veille?
Le clergé du diocèse de Lyon, jusque-là si uni, ne risquait-il
pas d'être divisé par ces tentatives de changement de liturgie?
N'allait-on pas voir revivre parmi nous ces regrettables que-
relles entre des partisans des différents rites qui ont affligé tant
de diocèses de l'empire? Quel bien pourrait eu espérer
l'Église? Pressés par tant de considérations si graves. Messieurs
les Curés se réunirent, comme ils avaient l'autorisaiion de le
faire depuis longues années. Ils écrivirent trois lettres, l'une
à Son Éminence le cardinal de Donald, l'autre à MM. les
Chanoines de la primatiale de Lyon, et la troisième à M. le
Supérieur général de Saint-Sulpice (pp. 8 et 9). »
Tel est le narré de MM. les curés de Lyon. 11 donne
lieu à quelques observations. MM. les curés de Lyon parais-
sent avoir mal compris l'autorisaiion de se réunir, qu'ils disent
leur avoir été accordée depuis longues années. Les réunions
des curés d'un diocèse, autrement qu'en synode et sous l'œil
de l'ordinaire, ne sont pas sans danger. Lorsqu'une pareille
faveur est accordée aux curés d'une ville, c'est toujours avec
Ig, clause (exprimée ou sous-entendue) que ces assemblées de-
vront seconder le légitime exercice de l'autorité qui gouverne
le diocèse, et jamais l'entraver eu lui suscitant des difl3cullés
et des obstacles. Cette clause a-t-elle été sauve dans les
réunions de MM. les curés de Lyon? Non; en voici la
preuve. Quel est le dessein arrêté, la volonté bien connue de
l'autorité ecclésiastique relativement au bréviaire et au missel
actuels de Lyon? En ce qui concerne le pape Pie IX, c'est un
fait notoire qu'il a déclaré ces livres illégitimes, et qu'il veut
Col. 18C).l A LYON. 334
qu'on y substitue le bréviaire et le missel romains aussitôt que
possible. WM. les cui'és de Lyon savent tout aussi bien
que nous cette pensée et cette volonté de Pie IX. En ce qui
concerne l'érainent prélat qui gouverne le diocèse de Lyon, il
est certain qu'il avait déjà fait nommer une commission char-
gée de rédiger le propre selon le rit romain. MM. les
curés de Lyon ont craint, disent-ils, que ce ne fût avec Var-
rière-pensée d'en venir plus tard à substituer dans tout le dio-
cèse le bréviaire et le missel romain. Nous croirions faire
injure à Son Éminence, si nous ne regardions pas comme indu-
bitable cette arrière-pensée, c'est-à-dire, la disposition sincère
d'obéir au Vicaire de Jésus-Christ, qui a prescrit le retourna la
liturgie romaine dans le diocèse deLyon. Nous oserons ajouter,
puisque c'est maintenant un fait trop regreUablement notoire,
que ce retour aurait eu lieu depuis longtemps, si la prudence
de Mgr de Bonald n'avait eu à compter avec les résistances
d'une partie de son clergé. Telle était donc la situation, lors-
que MM. les curés de Lyon s'assemblèrent pour aviser. La
première autorité de l'Église, le Saint-Siège voulait et avait
prescrit le retour au bréviaire et au missel romains : de son
côté, Son Éminence Mgr l'archevêque de Lyon commençait
à exécuter cette volonté du Saint-Siège, eu faisant rédiger le
propre du diocèse, et nul doute que son intention ne fût et
ne soit de l'exécuter entièrement en son temps. C'est, disons-
nous, à ces deux autorités, et au légitime exercice de leur
droit, que MM. les curés de Lyon ont suscité des entra-
ves, faisant servir à cette fin F autorisation qu'ils disent avoir
obtenue de se réunir en corps. En effet, ils ont écrit collective-
ment trois lettres l'une à Son Éminence le cardinal archevêque
de Lyon, l'autre à MM. les chanoines, et la troisième à
M. le Supérieur général de la Congrégation de Saint-Sulpice.
Qu'exprimait la teneur de ces lettres? Une simple prière?
MM. les curés de Lyon le disent; mais qu'ils publient cei?
trois lettres et l'on verra si elles se bornent à formuler
352 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome VIII.
une humble supplique. On y verra l'assemblée délibérante
de MM. les curés soutenir et conclure comme certaine la
légitimité du bréviaire et du missel actuels de Lyon, ainsi que
l'inopportunité d'un changement: c'est exacte aient la contra-
dictoire du jugement du Souverain-Pontife. Prier l'autorité
de se désister, en lui disant qu'elle s'est trompée, c'est quel-
que chose de plus qu'une simple prière : il est regrettable que
MM. les curés de Lyon ne l'aient point compris. Mais
admettons l'excuse par rapport à l'une des trois lettres, celle
qui s'adresse à l'autorité, c'est-à-dire, au Cardinal-archevêque.
Pourquoi la circulaire à MM. les chanoines ? Pourquoi la
lettre à M. le Supérieur général de Saint-Sulpice ? Il est cer-
tains cas oii le droit canonique accorde au chapitre cathédral
le faculté d'intervenir en matière liturgique. Par exemple,
s'il s'agit d'abandonner une hturgie légitime, antérieure de
deux cents ans aux bulles de saint Pie V, pour lui substituer
la liturgie romaine, le changement ne peut, aux termes de ces
mêmes bulles, être opéré par l'évèque seul; il faut de plus le
consentement des chanoines. Mais, dans le cas présent, le cha-
pitre de Lyon n'a aucun droit d'opposition. Il s'agit d'aban-
donner une liturgie notoirement illégitime, et déclarée telle
par le Souverain- Pontife : il s'agit d'obéir au Saint-Siège qui
en ordonne la cessation.
Mgr l'archevêque n'a besoin du consentement d'aucun
membre de son clergé pour mettre fin à cette situation anti-
canonique, pour faire exécuter la volonté du suprême Pasteur
de l'Eglise. Les Chanoines n'ont pas plus que les Curés le
droit de lui faire opposition en ce point. Et ce que nous disons
des Chanoines est applicable à plus forte raison à-la Congré-
gation de Saint-Sulpice et à son supérieur général. Pourquoi
donc, disons-nous à MM. les curés de Lyon, vous êtes-vous
adressés à MM. les chanoines?
Évidemment vous avez voulu créer un obstacle à votre
Archevêque et fortifier votre opposition de celle du chapitre.
Oct, 1863.] A LYON. 353
La preuve en est dans la troisième phrase de votre circulaire
aux chanoines. Il y est dit : « Comme vous êtes, M. le
Chanoine, canoniquement appelé à vous occuper de cette
question, nous vous prions de vouloir bien écaiHer par vos
conseils et par votre décision une mesure... » (Voir cette cita-
tion dans la brochure de MM. les curés de Lyon, intitulée :
Quelques mots, p. 20.) ^
Et dans sa lettre à M. le chanoine de Serres, M. le curé de
Saint-Polycarpe s'exprime ainsi : « Nous vous reconnaissons
canoniquement chargé de la question du bréviaire', nous ne vous
transmettons point de décision, mais seulement la prière d'en
donner une conforme à nos désirs, s'il est possible (ibid.). »
Ainsi vous avez reconnu aux chanomes le droit de donner une
décision contraire à celle du Souverain-Pontife, à celle de
l'Archevêque, si celui-ci voulait agir selon les prescriptions
du Saint-Siège ; et c'est pour obleûir une pareille décision du
chapitre, pour opposer à votre Archevêque ce mur d'arrêt,
que vous avez adressé votre circulaire aux chanoines. Agir
ainsi envers son évêque, est-ce une simple prière? A notre
avis c'est quelque chose déplus, c'est exercer une pression, c'est
faire de l'émeute. A cette pression combinée de votre assem-
blée délibérante et du chapitre cathédral, n'avez-vous pas
tenté d'ajouter celle d'une corporation influente, et n'est-ce
pas là le but de votre lettre à M. le Supérieur général de
Saint-Sulpice ? — Vous répondrez peut-être : C'était pour que
les Sulpiciens ajoutassent leurs prières aux nôtres. — Mais ce
courant de prières dirigé par vous contre votre Archevêque
n'était-il pas de nature à le gêner et à l'entraver dans le légi-
time exercice de son droit? Si votre excuse était admissible,
il s'ensuivrait que vous auriez pu aussi écrire une circulaire
à tous vos paroissiens, les inviter à cerner le palais archi-
épiscopal, et à vociférer une prière pour la conservation de
votre liturgie. Non, l'autorisation alléguée de vous assembler
et de délibérer en corps ne saurait être entendue dans ce sens :
3:54 L\ QUESTION LITURGIQUE [Tome VIII.
jamais elle n'a pu vous être accordée pour de tels faits et ges-
tes. On n'a dit que la vérité en qualifiant vos trois lettres col-
lectives d'entreprise anticanonique. Loin de nous la pensée de
suspecter votre bonne foi : nous connaissons trop votre piété,
votre zèle, vos vertus sacerdotales; mais, tout en rendant
hommage à la droiture de vos intentions, permettez-nous de
dire qu'il y a eu erreur dans votre manière d'entendre le droit
de vous assembler et d'agir en corps.
m. MM. les curés de Lyon avouent que dans un passage de
leur lettre collective, ils ont fait descendre leur liturgie du cœur
de saint Jean FEvangéliste : et néanmoins ils se fâchent de ce que
nous avons affirmé le même fait. — Voici leur aveu : « Son Emi-
uence, nous ne faisons pas diflQculté de l'avouer..., a critiqué
certain passage de notre lettre, qui faisait descendre notre li-
turgie du cœur de saint Jean VEvangéliste. En prenant trop à la
rigueur les termes de ce passage, elle a plaisanté, c'est le mot,
en nous disant que cette liturgie venait plutôt et en partie du
cœur de Mgr de Montazet. Nous aurions pu lui répoudre que
cela n'était plus, depuis qu'elle nous avait donné le bréviaire
que nous récitons, et qu'elle a puisé, ainsi qu'elle nous l'af-
firme, dans nos vieilles traditions. » {Quelques mots, etc., p. 40.)
Le démenti formulé par ces mots : nous aurions pu lui répondre
que cela n'était plus, ne fut pas donné de vive voix par MM. les
curés; mais aujourd'hui ils le publient imprimé. Laissant an
public le soin de l'apprécier à un point de vue qui ne peut
échapper à personne, nous nous contenterons d'en faire res-
sortir l'inexactitude. Est-il vrai qu'en 1844, Mgr de Bonald
ait substitué au bréviaire introduit par Mgr de Montazet un bré-
viaire substantiellement différent ? Qu'on veuille les confronter,
et l'on verra que le second n'est qu'une édition expurgée du
premier. Nous disons expurgée', et l'on sait à quelles traces
trop visibles de jansénisme nous faisons allusion. Le bré-
viaire Montazet (c'est-à-dire, celui de Paris, comme Mgr de
Montazet l'atteste lui-même) avait subi ailleurs ces quelques
\
Oct. 1S63.1 A LYOI<. 335
modifications plus urgentes. Mgr de Bouald crut opportun de
rendre le même service au diocèse de Lyon ; et il va sans dire
que le prélat fît ces corrections dans le sens des vieilles, c'est-
à-dire, des saines traditions. Mais de même que le bréviaire
actuel de Paris, pour avoir subi ces quelques corrections, n'a
pas cessé d'être réellement le bréviaire parisien, de même le
bréviaire Montazet, malgré l'édition de Mgr de Conald, est
resté en substance le bréviaire Montazet. Si quelqu'un est
compétent pour dire ce qu'a fait et voulu faire Mgr de Bonald
en 1844, c'est bien le prélat lui-même : or en 1863, Son Émi-
nence plaisantant sur l'érudition de MM. les curés lyonnais,
qui faisaient descendre leur liturgie du cœur de saint Jean
l'Évangéiiste, ne dit pas: C'est moi qui en suis l'auteur: elle
ditj « que cette liturgie venait plutôt et en partie du cœur de
Mgr de Montazet. » Mgr de Bonald ne croit donc pas vous
avoir' rfonjie le bréviaire que vous récitez ; il croit ne vous avoir
donné qu'une nouvelle édition de ce bréviaire. Il est vrai qu'il
ne le fait descendre qn'enpartie du cœur de Mgr de Montazet.
Mais cela s'explique, et il devait parler ainsi pour être exact.
Mgr de Montazet n'avait pas composé lui-même le bréviaire
dont il dota le diocèse de Lyon ; il ne fit que lui octroyer celui
de Paris, en y agençant quel((ues offices propres. L'existence
de la liturgie actuelle de Lyon ne vient donc qu'en partie du
cœur de 2\lgr de Montazet; il en fui l'introducteui-, non l'au-
t«ur. Pour révéler la paternité adéquate de cette liturgie ii
faut remonter, non pas au cœur de saint Jean, mais au cœur
de Mésenguy et autres, qui la rédigèrent primitivement, et
l'on sait dans quel esprit.
Allons plus loin. Supposons, ce qui n'est pas^ que Mgr de
Bonald eût voulu en 1844 cbauger substantiellement votre
liturgie, et vous en donner une de sa composition. Cet acte,
contraire aux lois de saint Pie V, serait-il plus légitime que
celui de Mgr de Montazet? Écbapperait-il davantag(; à la dé-
claration de Pie IX, qui dit en parlant de votre bréviaire et do
356 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome VlII.
votre missel actuellement en usage, a légitima, auctoritate non
prodire, ac proinde omnino immutanda? En objectant à Son
Éminence l'édition de 1844, vous avez pu réussir à lui faire
de la peine (succès dont nous ne vous félicitons pas); mais,
assurément, vous n'avez pas rendu votre cause meilleure.
Vous criez à l'injure parce que, dans notre article du 20
avril 1863, nous avons écrit ces lignes: « Si nous sommes bien
informés, MM. les curés de Lyon en étaient encore à se per-
suader que leur liturgie actuelle est sortie du cœur de saint
Jean l'Évangéliste. » Mais n'en faites-vous pas vous-mêmes
l'aveu formel ? Dans le passage cité plus haut vous dites :
« Son Éminence, nous ne faisons pas difficulté de l'avouer, a
critiqué certain passage de notre lettre qui faisait descendre notre
liturgie {\)du cœur de saint Jean l'Évangéliste (p. 10). » Vaine-
ment, après avoir expliqué les causes de votre attachement à
votre liturgie, vous ajoutez : a Cela, monsieur, ne veut pas
dire que nous fassions descendre notre liturgie actuelle
du cœur de saint Jean l'Évangéliste, co?nme nous en accuse votre
contes pondant (p. 28). » L'accusation, c'est-à-dire l'informa-
tiou de notre correspondant n'affirme autre chose que ce cer-
tain passage de votre lettre collective, passage dont vous ga-
rantissez vous-mêmes l'authenticité.
IV. Comment les lettres collectives de MM. les curés de Lyon
ont été accueillies par Son Éminence le Cardinal-archevêque, par
MM. les chanoines, et par M. le Supéîieur général des Sulpiciens.
1" An dire de l'écrit anomyme imprimé à Rhodez, Sou
Eminence aurait exprimé avec énergie kMM. les curés le blâme
qu'ils méritaient pour un acte aussi ii'régulier, et qui constituait
une véritable révolte contre son autorité. Elle leur aurait déclaré
[\) Ces mois : notre liturg'e, ne peuvent évidemment s'entendre
que de la lilurgie actuelle de Lyon. C'est pour celle-là que plaidaient
MM. les curés dais leur lellre coUeclive ; el d'ailleurs le mol notre
eût été absurde pour toule lilurgie qui aurait cessé dêlre la lilurgie
actuelle du diocèse de Lyon.
Ocl. 1863. 1 A LYON. 357
que le propre du diocèse serait rédigé selon le rit romain et serait
soumis à l'approbation du Saint-Siège. (Voir la brochure de
MM. les curés de Lyon, p. 10.) MM. les curés de Lyon con-
testent l'exactitude de ce narré. Ils avouent que Son Emi-
nence a critiqué le passage de leur lettre oùil font descendre
leur liturgie du cœur de saint Jean l'Évangéiiste; mais ils
n'accordent pas qu'il leur ait été fait aucun 'autre reproche
(ib. p. 11). L'auteur de l'écrit anonyme de Rhodez nous étant
complètement inconnu, nous préférerons ici à son témoignage
celui de MM. les curés de Lyon, tant qu'il n'aura pas été in-
firmé par des renseignements de meilleure source.
2° En ce qui concerne M, le Supérieur général de Saint-
Sulpice, il aurait fait savoir, s'il faut en croire l'écrit anonyme
de Rhodez, que l'acte des cuises était anticanonique, et qu'il ne
leur répondrait pas. MM. les curés de Lyon ne rejettent pas
cette assertion de l'anonyme. Us se contentent d'ajouter ;
« C'est fier: M. le Supérieur général le prend de haut. Il a le
a sentiment de sa dignité ; il ne répondra pas à MM. les
« curés de Lyon, parce que leur acte est anticanonique. MM. les
(( curés de Lyon osent iui demander humblemeut quels sont
« les canons qui règlent leurs rapports avec le supérieur d'une
a simple société de prêtres, et qu'ils auraient eu le malheur
a de violer par la lettre qu'ils se sont permis de lui adresser.»
[Quelques mots de MM. les curés de Lyon, p. 11 et 12.) En
attendant que M. Carrière juge à propos d'envoyer à MM. les
curés une indication plus précise des canons violés par leur
lettre, nous nous permettrons d'en consigner ici une plus gé-
nérale : Votre lettre, leur dirons-nous, ayant pour objet de
susciter à votre archevêque des entraves dans l'exercice légi-
time de son droit, et surtout d'empêcher l'exécution d'une
mesure arrêtée et prescrite par le Souverain-Pontife, consti-
tue par le seul fait une transgression des lois ecclésiastiques
les plus capitales, celles qui formulent le devoir de respect
et d'obéissance de tous les membres du clergé à l'égard de
358 LA QUESTION LITURGIQUE Tome VIII.
leur évêque respectif et à l'égard du suprême Pasteur de toute
TÉglise. Quant aux égards dus aux membres et au supérieur
général d'une pieuse et respectable congrégation, nous crai-
gnons bien que le public ne les trouve aussi quelque peu vio-
lés dans la brochure de MM. les curés de Lyon.
3° La conduite de MM. les chanoines, telle que l'exposent
MM. les curés de Lyon, est un fait grave, et mérite d'être
signalée avec soin.
Au dire de l'écrit anonyme de Rhodez, le chapitre aurait
répondu par un blâme formel à la lettre de MM. les curés. Que
le blâme infligé aux curés ait été réellement inséré dans le
procès-verbal des délibérations capitulaires, MM. les curés en
font l'aveu [Quelques mois, p. 12). Mais ils prétendent que
M. le secrétaire du chapitre a jsris sur lui cette insertion : qu'à
la séance suivante, « en entendant la lecture de ce blâme posh
thume, le chapitre se serait récrié contre une aussi inquali-
fiable supercherie [ib. p. 13) ; qu'il aurait émis le vœu de
casser immédiatement son secrétaire, à cause de cette
grave infidélité ; que le secrétaire n'aurait obtenu de con-
server ses fonctions, qu'à la condition d'etiacer du procès-
verbal ce prétendu blâme infligé à MM. les curés de Lyon, »
{Ib. p. 13.) Ces assertions nous étonnent. On comprendra que
nous laissions au chapitre le soin de se prononcer à leur
égard, s'il le juge opportun. D'une part, la véracité d'un de
ses membres; de l'autre, celle de MM. les curés se trouvant
en cause, notre devoir est celui de l'abstention. Disons seule-
ment, en général, que, dans les délibérations capitulaires, il
intervient parfois des malentendus dont l'explication change
totalement le caractère des faits qui en étaient résultés. La
bonne foi et la loyauté se trouvent constatées de part et
d'autre, et l'on reconnaît qu'il y a eu seulement erreur.
Voici d'autres faits non moins graves affirmés par MM. les
curés de Lyon. La commission pour la rédaction du propre
avait été nommée par le chapitre, le M novembre 1862, et
Ocl. 1863.) A LYON. 359
M. le chanoine P..., alors absent, fut l'un des quatre membres
députés pour ce travail. « A son retour, nous disent MM. les
« curés de Lyon, M. P... avait décliné cet honneur. Invité à
« lui donner un remplaçant^ le chapitre se refusa à faire une
« nouvelle nomination. Bien plus, éclairé sur le but (1) qu'on
« voulait atteindre en provoquant la composition d'un propre
« selon le rit romain et, sur désormais qu'on chercherait à
0 l'introduire, par le grand séminaire, au sein du jeune
c< clergé du diocèse, et qu'il ne serait pas exclusivement ré-
« serve aux iwêtres étrangers, ainsi qu'on l'avait d'abord an-
a nonce, il déclara, à la majorité de huit voix contre deux (2),
« qu'il annulait et causait, autant qu'il était en son pouvoir,
a la formation de la commission précédemment élue. »
[Quelques mots, etc., pp. 13 et 14.) MM. les curés disent que
la commission se trouva ainsi incomplète et boiteuse, et ils
ajoutent : « La commission a pris tout de même son travail au
« sérieux, à ce qu'on nous assure. » {îb. p. 15.)
Un mot sur ce tout de même. Il veut dire sans doute que le
chapitre ayant annulé et cassé la commission, le pouvoir de
l'archevêque n'est plus suffisant pour la maintenir, et partant
qu'elle travaille en pure perte, quoique par ordre du prélat.
En d'autres termes, MM. les curés de Lyon supposent que
Son Eminence n'a pas le droit de faire rédiger le propre par
des hommes désignés par elle, sans le consentement du cha-
pitre. C'est une erreur. Mgr de Bonald aurait pu rédiger lui-
même le propre en question : il aurait pu en confier la rédac-
tion à des hommes étrangers au cliapitre et même d'un autre
diocèse. La seule condition requise pour la canonicité de cette
partie de l'office, c'est l'approbation du Saint-Siège, qui est
(1) La particule oh fonclionne ici évidemment à la place de Son
Étninence le Cardinal-archevêque, puisque la coramission avait été
nommée sur l'invilalion du Prélat.
(2) iMiM. de Serres el des Garels, comme la brochure le déclare un
peu plus loin.
360 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome Mil.
donnée par l'entremise de la S. Congrégation des Rites. Avec
cette approbation, le propre sera canonique et obligatoire,
quoique rédigé seulement par MM. de Serres et des Garets, et
quand même le chapitre aurait annulé et cassé la nomination
de ces deux chanoines. Sans cette approbation, il ne serait pas
canonique, eùl-il l'assentiment unanime des chanoines, des
curés, et même de l'archevêque de Lyon. Telle est la loi rela-
tivement aux propres des diocèses. Si MM. les curés de Lyon
ne l'avaient pas complètement ignorée, trouveraient-ils ridi-
cule que MM. de Serres et des Garets prennent au sérieux
le travail dont leur archevêque les avait chargés d'abord de
concert avec le cliapitre, et qu'il leur ordonne de continuer,
depuis que le cliapitre, selon l'assertion de la brochure, leur
aurait retiré son assentiment ?
Quant au vote des huit chanoines, mentionné dans le pas-
sage transcrit, il prouverait, nous l'avouons, que la majorité
du chapitre partage jusqu'à un certain point les erreurs de
MM. les curés. Si le chapitre ne croit pas mériter cette assimi-
lation, c'est à lui de rectifier l'exposé des faits qui amènerait
à la conclure. Nous attendrons qu'il se soit expliqué lui-
même,
§11.
Les faits depuis la publication de la lettre du cardinal Patrizi
dans uotre Revue.
1. Ce que MM. les curés de Lyon pensent et disent de ce docu-
ment. — Le texte en a été publié dans notre numéro du 20
avril 4863 (p. 384), et reproduit, avec nos réflexions, dans le
journal le Monde, le 29 du même mois. Voici comment
MM. les curés de Lyon ont accueilU et appprécié cette pièce.
1° Ils aflarment que la S. Congrégation des Rites a été
trompée par un faux exposé de leurs adversaires ; que par suite
le blâme dont ils sont l'objet de la part du cardinal Patrizi
Oct. 1863,] A LYON. 361
doit être considéré comme non avenu ; que ce Cardinal se
serait bien gardé de condamner ainsi la conduite des curés de
Lyon, s'il eût eu les renseignements de Son Émimence Mgr de
Bonald. « Vers la fin de janvier 1863, nous apprîmes que
nous avions été dénoncés à la Cour romaine, et que Son Émi-
nence le cardinal Patrizi nous avait biàmés dans une lettre
adressée à Son Éminence le cardinal de Bonald. Nous en
fûmes affligés sans en être surpris. Accusés par ceux qui nous
avaient déjà jugés si brutalement, comme on Fa vu plus
haut (1), nous n'ignorions pas sous quelles couleurs on avait
dû nous représenter auprès de la Congrégation des Rites, et
nous nous expliquions le blâme dont nous étions l'objet d'après
le faux exposé qu'on avait fait de notre démarcbe. » [Quelques
mots, etc., p. 23 et 24.) « Ce n'est pas lui (Mgr de Bonald)
qui, s'il eût écrit au cardinal Patrizi, se serait exprimé de
manière à nous attirer le reproche d^avoir oublié, à l'égard
de notre premier pasteur, le respect et l'obéissance promis au
jour de notre ordination » («é. p. 27).
A ces fins de uon-recevoir, nous répondons :
Avant d'accuser la S. Congrégation des Rites de s'être pro-
noncée sans les renseignements nécessaires, vous auriez dû en
avoir des preuves. Vous affirmez qu'aucune information n'a
été envoyée à Rome par le cardinal de Bonald, ni par son
ordre ; mais cette affirmation est purement gratuite. Faites
attester ce fait par Son Éminence, ou par l'un de MM. les
grands-vicaires, ou par le secrétaire de l'archevêché, et nous
vous croirons. Sans cela votre assertion ne saurait être admise,
attendu qu'elle incrimine et taxe de légèreté l'une des autori-
tés les plus vénérables, la Sacrée Congrégation des Rites, en
(1) Il s'agit de MM. de Serres et des Garels, qui avaient essayé de
faire comprendre à MM. les curés rirrégularité de leur lenlalive, et
dont la brochure cile plus haut quelques fragmenls de leilres, avec les
réponses de M. le curé de Saint-Polycarpe.
362 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome VllI.
l'accusant de vous avoir injustement blâmés sur le faux rap-
port de deux adversaires.
Bien plus, votre assertion est convaincue d'inexactitude par
la teneur même du document. En effet, le cardinal Patrizi énu-
mère les divers renseignements sur lesquels il motive son
blâme. Or, tous ces renseignements se trouvent parfaitement
exacts. Montrons-le pour chacun en particulier.
Le cardinal préfet affirme en premier lieu que Mgr de
Bonald, dans «ne réunion des chanoines du W novembre
1862, avait chargé une commission de rédiger le Proprium,
pour l'usage des directeurs du séminaire, des cliapelains des
églises paroissiales et des autres communautés ecclésiastiques,
qui récitent ou veuleul réciter le bréviaire romain, et que Sa
Sainteté Pie IX avait appris et approuvé cette mesure. c< Dura
Sanctissimus Dominus noster Plus Papa IX resciret et proba-
ret Eminentiam Vestram, in capitulari conventu habito die
ll=* novembris aoni mox elapsi, delegisse commissionem ad
etformandumjuxla régulas liturgicassanctseRo mante Ecclesiae,
Proprium sanctorum istius LugJuneusis diœcesis, in usum
directorum seminarii Sancti Sulpitii, capellanorum ecclesiarum
parocliialium aliarumque ecclesiasticarum communitatum ,
qui intra fines diœcesis ipsius lioras caiionicas jaui recitant
vel recitare desiderant juxta Breviarium Romanum, etc.» Jus-
que-là le cardinal Patrizi a été bien renseigné : nous ne pen-
sons pas que MM. les curés de Lyon songent à le contester.
Poursuivons.
« Sa Sainteté (ajoute le Cardinal) a vu, non sans étonnement,
que plusieurs curés de Lyon ont réclamé contre une mesure
si salutaire; et qu'ayant formé une espèce de coalition, con-
trairement aux prescriptions canoniques, ils oui souscrit une
lettre circulaire, qu'ils ont adressée au directeur du séminaire
de Saint-Sulpice, aux chanoines nommés pour rédiger lepropre
et aux autres membres du chapitre. » Que MM. les curés de
Lyon veuillent nous dire ce qu'il y a là d'inexact. Ils ne peuvent
Oct. 1863 I A LYON. 363
pas nier qu'ils n'aient réclamé contre, la mesure prise : qu'est-
ce que leur circulaire, sinon une plainte, une réclamation?
Se récrieront-ils contre Fexpression, gui agmine veluti facto ?
Mais ces mots n'expriment autre chose sinon que pour don-
ner plus d'efficacité à leur démarche, ils l'ont faite collective-
ment ou en corps. Nieront-ils qu'il en soit ainsi ? Le Cardinal
ajoute que leur acte a été anticanonique ; et il le motive (qu'on
le remarque bien) non sur la lettre au cardinal de Bonald,
qui aurait pu absolument être excusée^, si elle avait été seule
et de forme convenable, mais sur la circulaire envoyée aux
sulpiciens et aux chanoines. Celle-ci ne pouvait tendre qu'à
susciter des oppositions et des entraves à l'autorité de l'Ar-
chevêque dans le légitime exercice de son droit. Jamais les
curés de Lyon n'ont eu et n'auront le droit de se réunir et d'a-
gir collectivement pour de tels actes. Ainsi sur tous ces faits,
le cardinal Patrizzi a été parfaitement renseigné, puisqu'ils
sont tous entièrement exacts.
«Cette circulaire inconsidérée des curés, continue le Cardi-
nal, outre qu'elle est une critique de ce qui avait été ordonné
par leur propre Archevêque, auquel dans leur ordination ils
ont promis obéissance et respect, ne peut en aucune manière
être dite conforme (I) à la volonté du Souverain-Pontife
Pie IX. » Que MM. les Curés de Lyon veuillent bien nous si-
gnaler dans ces lignes quelque inexactitude, quelque trace de
faux renseignements transmis par leurs adversaires, MM. de
Serres et des Garets. NieronMls que leur circulaire renferme
une critique, censuram mandatorum proprii Ordinarïi ? Mais
quel était donc l'objet, quelle était la conclusion de leur lettre
collective ? Ne demandaient-ils pas qu'on abandonnât précisé-
ment cette entreprise d'un Propre, dont l'Archevêque avait
{\) Ces mois font sans doute allusion au passage de la lellre des
curés oii ils allaient jusqu'à prétendre que leur réclamation, pour le
maintien de leur liturgie actuelle, était conjorme à la volonté de
Pie IX.
364 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome VIII.
ordonné la rédaction? Us jugeaient donc inopportun et mau-
vais ce qu'avait statué l'autorité archiépiscopale. Si les vi-
caires d'une paroisse de Lyon écrivaient une circulaire aux
paroissiens pour les engager à obtenir de leur curé qu'il re-
nonçât à une mesure arrêtée par lui, cet acte des vicaires ne
serait-il pas une crit<que (censura) de la mesure de leur curé?
Quand le Cardinal Patrizzi appelle inconsidérée la circulaire
des curés, il motive cette expression par des faits qu'il rap-
porte et dont aucun ne peut être traité d'inexact.
Mais le passage qui aurait dû faire rentrer eu eux-mêmes
MM. les curés de Lyon, est celui où le cardinal-préfet atteste
officiellement le jugement et la volonté du Souverain-Pontife.
Le voici ; «Dans la lettre adressée à Votre Éminence en 1834,
Sa Sainteté a déclaré de la manière la plus expresse (apertis-
sime declaravit) que le bréviaire et le missel de Lyon ne vien-
nent pas d'une autorité légitime, et doivent par conséquent
être changés. 11 est vrai que, postérieurement. Sa Sainteté a
permis de s'en servir encore ; mais elle a renfermé cette per-
mission dans les limites d'une simple tolérance provisoire, et
jamais elle n'a voulu que cette permission fût perpétuelle,
ainsi que le pensent les curés réclamants. » Nous demande-
rons à ]\1M. les curés de Lyon, si c'est par les faux rapports
de MM. de Serres et des Garets, que le cardinal Patrizzi a
connu celte déclaration et cette volonté expresse du Souverain-
Pontife, dont il fait ici l'intimation oiBcielle. Le faitdecejuge-
ment et de cette volonté de Pie IX, le niez-vous ? Si vous n'osez
pas le nier, que penser de votre brochure, qui en est la con-
tre-thèse la plus obstinée !
Vous dites :« Le Souverain-Pontife peut commander, nous
le savons; nous devons obéir » (p. 36). — Mais le Souverain-
Pontife adéjà commandé. Dès 1834 il a déclaré l'illégitimité dti
bréviaire et du missel de Lyon et l'obligation de les changer:
relis (^z les muts, apertissime declaravit. En 4863, il a fait dé-
clarer que la permission d'en continuer encore l'usage, n'était
Oct. 1863.1 A LYON. 363
accordée par lui que dans les limites d'uue simple tolérance
provisoire. — De son côté votre Archevêque a commandé la ré-
daction du Propre, dans le but de mettre à exécution la vo-
lonté du Souverain-Pontife. En présence de ces deux comman-
dements, que faites- vous ? Réunis en assemblée délibérante,
vous signez une sorte de manifeste qui établit que le Pape
et l'archevêque ont tort de vouloir vous ôler votre liturgie ;
et qui exhorte les Chanoines et les Sulpiciens à faire leurs
efforts pour empêcher ce changement.
Vous dites : « Ne nous est-il pas permis de prier Sa Sain-
teté de ne pas commander? » (Ibid., p. 36) — Prier le supé-
rieur de ne pas commander, quand il a déjà formulé sou com-
mandement, c'est un peu singulier. Tout au plus pourriez-vous
mettre en question, s'il vous est permis de prier le Souverain-
Pontife de retirer son commandement. Mais, en premier lieu, ce
n'est point là ce que vous faites. Le commandement qui a déjà
eu lieu, vous le tenez comme non avenu. Vous écrivez une
circulaire aux Chanoines, pour qu'ils écartent par leurs con-
seils et leur décision la mesure (p. 20) dont il est question, c'est-
à-dire précisément celle que le Saint-Siège a déclarée obliga-
toire et sur laquelle portent ses injonctions. En second lieu,
quand on VQwi prier le Pape de retirer un commandement, on le
peut sans doute, pourvu qu'on se borne réellement à une
supplique, et qu'en attendant la réponse, ou oèmse aux injonc-
tions déjà reçues du Saint-Siège. Vous ètes-vous bornés à sup-
plier le Pape de retirer son commandement ? Votre circulaire
s'adresse aux Chanoines et aux Sulpiciens, et votre brochure
au public, tt que prélendez-voiis leur persuader? Exactement
le contraire de ce quià déclaré le Souverain-Pontife ; c'est-à-
dire, que votre liturgie actuelle n'est pas illégitime, qu'il n'y a
point d'obligation d'en changer, et que ce changement serait un
malheur. Qucut à la û'eciseon et à la volonté contraires de Pie IX,
eu vous en niez l'existence, ou vous ne voulez leur recohnaitre
aucune autorité, puisque vous ne daignez pas même en faire
36C LA QUESTION LITURGIQUE [TomeVI!I.
mention. Ainsi, loin de vous borner à supplier le Pape de reti-
rer son commandement, vous avez sollicilé des résistances pour
que ce commandement ne fût pas exécuté. Singulière façon
d'user du droit de supplique auprès du Saint-Siège!
On nous objectera peut - être que MM. les curés de Lyon
n'ont pas connu la décision et la volonté formelle de Pie IX
relative à leur liturgie. — Nous serions heureux de pouvoir
admettre cette hypothèse. Mais, depuis la brochure de MM. les
curés de Lyon, ce n'est plus possible. En effet, ils attestent
eux-mêmes qu'ils ont connu la lettre du cardinal Patrizi à
leur Archevêque, et ne songent pas à contester l'authenticité
du document. Or cette pièce constate officiellement et la déci-
sion de Pie IX qui prononce l'illégitimité du bréviaire et du
missel actuels de Lyon ainsi que l'obligation de les abandon-
ner, et sa volonté expresse du retour à la liturgie romaine. Les
termes excluent toute chicane. Apertissime declaravit, voilà
bien une déclaration, une décision. Et qu'a décidé le Souverain-
Pontife ? Breviarium et Missale Lngdunense a légitima ouctoritate
minime prodire, oc proinde omnino immutanda. Pie IX prononce
donc (en 4854) qu'il y a obligation de changer le bréviaire et le
missel de Lyon. Il parle évidemment du bréviaire et du missel
en usage en 1834, puisqu'il dit omnino immutanda. De phis,
Pie IX prononce que ce bréviaire et ce missel (en usage eu
Î854) ne viennent pas d'une autorité lér^itime. Enfin il décide
cquivalemment que ce bréviaire et ce missel sont restés illé-
gitimes, puisque de leur provenance illégitime il conclut à
l'obligation de les abandonner ; conclusion évidemment ab-
surde, s'ils avaient cessé d'être illégitimes. Voilà pour la déci-
sion. Mais après avoir décidé l'obligatioû, Pie IX a-t-il usé de
son autorité pour en dispenser le clergé lyonnais? Il est vrai
qu'il a permis d'emjjloyer encore ce bréviaire et ce missel (ea
adhuc adhiberi permisit), mais il a renfermé cet induit (veniam
istam) dans les limites d'uue simple toléi^ance p7'ovisoi)'e (intra
limites simplicis tolerantiae temporaneee). Donc la volonté ex-
Oct. 1863.] A LYON. 367
presse de Pie IX est que le diocèse de Lyon retourne à la litur-
gie romaine, comme il y est tenu en droit ; et Sa Sainteté ne
dispense de cette obligation quepour le temps raisonnablement
requis pour faire la substitution. C'est après avoir connu le
document officiel qui constate cette décision et cette volonté
de Pie IX, que MM. les curés de Lyon ont écrit leur brochure
dans laquelle ils supposent que le Saint-Siège n'a rien décidé,
rien commandé. Bien plus, ils y soutiennent que leur liturgie
est légitime, et que ce serait un malheur d'eu changer. Ils
croient s'être suffisamment débarrassés de la lettre du cardinal
Patrizi, en disant qu'elle a été écrite d'après un faux exposé
de MM. les chanoines de Serres et des Garets.
Nous demanderons à MM. les curés de Lyon s'ils croient de
bonne foi que le cardinal Patrizi ait certifié la décision de
Pie IX de 1854, sans la connaître, et sur des témoignages
étrangers? Nous croyons l'esprit de MM. les curés très-préoc-
cupé; mais non pas au point d'oser s'inscrire en faux contre
le fait capital attesté par le cardinal Patrizi, et consigné dans
la lettre adressée en 1854 à Mgr de Donald, lettre qui doit se
trouver aux archives de l'archevêché de Lyon.
C'est donc à tort que MM. les curés attribuent à un faux
exposé le blâme à leur adresse formulé dans la lettre du cardi-
nal Patrizi. Le Cardinal motive ce blâme sur une série de faits;
et comme chacun de ces faits est rigoureusement exact,
MM. les curés sont forcés d'en convenir, il résulte que le blâme
en question ne peut être attribué à un faux exposé de leurs
ardversaires.
2° MM. les curés de Lyon attribuent à la lettre du cardinal
Patrizi d'avoir affirmé que leurs sentiments étaient ceux de la
minorité du clergé lyonnais. « Ce n'est pas Mgr de Bonald,
disent-ils, qui aurait représenté nos sentiments comme ceux
de la minorité du clergé lyonnais. Son Émincnce sait parfai-
tement que l'immense majorité du clergé de son diocèse pense
comme les curés de Lyon». [Quelques mots etc., p. 27.)
368 LA QUESTION LITURGIQUE l Tome VIII.
Évidemment MM. les curés dans ces lignes se plaignent de
quelque passage où le cardinal Patrizi aurait mentionné leur
opinion comme partagée seulement par la me'nor/fe du clergé de
leur diocèse. J'ai lu et relu la pièce, sans pouvoir y découvrir
l'affirmation incriminée. Le seul passage où le Cardinal parle de
la portion du clergé lyonnais qui ne partage pas le sentiment
de MM. les curés, est celui-ci: « Qnos (les curés de Lyon)
sperare licet jam facti pœnituisse, et modo cum reliquo spec-
tabili et multis nominibus commendabili clerc Lugdunensi, felici
eemulalione adlaboraturos ut... quantocius... inducatur et con-
stabiliatur liturgia sanctse Romanai Ecclesiee. » Messieurs les
curés auraient-ils pris le mot spectabili pour synonyme de
numerosiori? Ce serait une erreur de linguistique. Une mino-
rité peut très-bien mériter Tépilbète de spectabilis et même de
multis nominibus commendabilis . ^ous l'avons déjà dit, le lan-
gage de MM. les curés de Lyon porte l'empreinte d'une
grande préoccupation ; elle les aura empêchés de lire attenti-
vement la lettre du cardinal Patrizi.
IL MM. les curés de Lyon blâment la publication de la
lettre du cardinal Patrizi dans notre Revue et dans le journal le
Monde. Ils se prétendent injuriés par nos réflexions sur ce docu-
ment. — Voici en quels termes ils expriment leurs griefs :
« On avait pris plusieurs copies de la lettre du cardinal Pa-
trizzi... Une de ces indiscrétions bien volontaires mit une de
ces copies aux mains du rédacteur de la Revue des Sciences
ecclésiastiques, qui s'empressa de l'insérer dans son numéro
du 20 avril et la fit suivre de réflexions qui nous étaient inju-
rieuses. Le rédacteur du Monde s'empara de cette tartine {sic),
qui lui allait si bien, et il en régala ses lecteurs le 29 du
même mois. » {Quelques mots, etc., p. 24 et 23.) Ils ajoutent,
en parlant des « dignes rédacteurs du Monde et de la Revue des
Sciences ecclésiastiques » : « Fidèles à leur passé, ils nous
avaient indignement attaqués, sans nous consulter ni nous
prévenir » (ibid., p. 31).
Oct. 1853.] A LYON. 369
1" En ce qui concenip, la publication du document^ nous
trouvons naturel que MM. les curés de Lyon la désap-
prouvent. A leur point de vue, elle n'était pas opportune ; il
valait mieux que la pièce restât ensevelie dans un éternel si-
lence. Mais de même que nous ne leur reprochons pas cette
déduction de leurs principes, nous souhaiterions la même to-
lérance pour notre opinion divergente. Que MM. les curés
veuillent bien nous en croire : c'est une intention droite,
et la pensée de servir utilement la bonne cause qui nous a
guides. Celte persuasion n'a pas changé : si le document
n'était pas publié, nous nous ferions encore aujourd'hui un
devoir de le faire connaître.
2° MM. les curés de Lyon sont-ils, comme ils le pré-
tendent, injuriés et attaqués indignement dans les réflexions
dont nous avons fait suivre la publication de la pièce ? Leur
plainte na nous spmble pas fondée.
Les passages qui les concernent se réduisent à deux. Voici
le premier :
« Nous ne pensons pas qu'on soit désormais tenté de renou-
veler l'interprétation des curés de Lyon. » 11 s'agit de l'inter-
prétation que le cardinal Patrizzi venait de mentionner et de
déclarer fausse par ces mots : « Quod si Sanctitas Sua ea
adhuc adhiberi permisit, veniam istam intra simplicis tem-
poraneae tolerantiae limites cirumscripsit; nec uuquam voluit
eam esse perpetuam, veluti arbitrantur reclamantes parochi. s
MM. les curés de Lyon se figuraient que Pie IX avait au-
torisé indéfiniment l'usage du bréviaire et du missel actuels
de Lyon : le cardinal-préfet déclare qu'ils se sont trompés.
Après une telle déclaration officielle, quoi de plus simpleet de
plus légitime que cette ligne : « Nous ne pensons pas qu'on
soit désormais tenté de renouveler l'interprétation des curés
de Lyon. » 11 nous est impossible d'y voir aucune trace d'in-
jure, ni rien qui sorte des convenances de la polémique.
Le second passage, où nous parlions de MM. les curés
Revue des Sciences ecclésiastiques, t. vui. 24-25.
370 LA QUESTION DE LITURGIQUE |Tome VIII.
de Lyon, était ainsi conçu : « L'erreur des curés de Lyon,
signalée par le cardinal Patrizzi, n'était pas la seule de leur
circulaire. Si nous sommes bien informés, ils en étaient encore
à se persuader que leur liturgie actuelle est sortie du cœur de
saint Jean l'Évangéliste et leur a été transmise par saint Irénée.
Ils ne paraissent pas s'être doutés non plus que, d'après les
dispositions du droit ecclésiastique, les curés n'ont point le
droit de délibérer et d'agir en corps icoUegialiter). Leur in-
tention a été louable, nous n'en doutons pas, et ils seront les
premiers à combattre leur erreur après l'avoir connue. »
11 est vrai que dans ces lignes nous attribuons à Messieurs
les curés l'opinion (passablement singulière, il faut en con-
v€nir) qui fait descendre du cœur de l'apôtre saint Jean la litur-
gie actuelle du diocèse de Lyon. Mais nous l'avons vuplusbaut,
ces Messieurs avouent que cette étrange opinion était réelle-
ment formulée dans un certain passage de leur lettre au car-
dinal de Donald, et que Son Éminence en a plaisanté. Nous
n'avons donc pas été mal informés. Depuis quand ne serait-il
plus permis dans la polémique d'attribuer aux adversaires
nne opinion qu'ils avouent eux-mêmes avoir émise? 11 s'agit,
nous en convenons, d'un lapsus un peu étrange. Mais à qui
la faute? Etions-nous obligés de passer celte erreur sous si-
lence ? En la signalant sous cette forme, ils en étaient encore à
se persuader que..., nous n'avons fait qu'énoncer la simple
réalité du fait. Où sont les injures, les attaques indignes dont
ou se plaint? Nous ne les voyons pas.
La plainte ne se fonderait pas mieux sur les lignes où nous
disons: « Ils ne paraissent pas s'èti'e doutés non plus que,
d'après les lois ecclésiastiques, les curés n'ont point le droit
de délibérer et d'agir en corps. » MM. les curés nous disent
qu'ils n'ont point ignoré cette disposition du droit canonique,
et que, s'ils ont agi en corps, c'est en vertu d'une autorisation
obtenue par eux depuis loiigtemps. Nous n'élevons pas le
moinJa'c doute sur 1 1 véracité de leur affirmation. Mais ils
Oct.l8C3,] A LYON. 371
voudront bien admettre qu'avant cette explication donnée par
eux, nous étions excusables de présumer le contraire. Nous
avons dit, ils ne paraissent pas s'être doutés ; et les apparences
étaient, en effet, dans ce sens. De telles autorisations ne se
donnent guère et peuvent être considérées comme des anoma-
lies. D'ailleurs, on est ici en présence d'une alternative : Ou
bien,dirons-uous à MM. les curés de Lyon, vous avez ignoré que
vous ne pouviez en vertu du droit commun agir collectivement;
ou le sachant, et vous étant munis d'une dispense, vous avez
cru qu'il vous était permis de susciter des oppositions et des
entraves au Saint-Siège et à votre Archevêque dans le légi-
time exercice de leur droit. Dans les deux hypothèses il y
aurait eu erreur de votre part ; et Terreur de la première se-
rait, ce semble, moins regrettable que celle de la seconde.
Nous avons dit que vous paraissiez être tombés dans la pre-
mière, et votre explication nous amène à reconnaître que
cette assertion n'est pas exacte. Mais vous ne pouvez pas dire
qu'elle vous soit injurieuse, puisque la rectification que nous
avons, à substituer vous. est bien plus défavorable. Voici cette
rectification : « MM. les curés de Lyon ne se sont pas doutés
que l'autorisation de délibérer et d'agir en corps, qu'ils disent
avoir obtenue, n'a jamais pu leur être donnée pour des actes
qui entraveraient le Souverain-Pontife ou leur Archevêque
dans le légitime exercice de leur droit. »
En résumé, nous avons signalé comme un écart la circu-
laire de MM. les curés de Lyon : nous avons fait ressortir le
caractère anticanonique et les erreurs dont elle nous a paru
entachée. Mais nulle part, que nous sachions, notre polémique
n'a tourné en injures ni en attaques indignes. Cette plainte, que
nous pardonnons volontiers à une sensibilité trop expansive,
nous semble encore moins juste à l'égard de MM. les rédac-
teurs du journal le Monde, qui se sont abstenus de toute ré-
flexion, et n'ont fait que reproduire nu article déjà publié.
m. MM. les curés de Lyon nous adressent une lettre, avec de-
372 LA QUESTION LITURGIQUE [Tome VUI.
mande d'insertion. Nous ne croyons pas devoir l'insérer. Son
£minence le cardinal de Bonald, à qui nous la communiquons,
partage\notre avis. MM. les curés la publient dans leur brochure.
— MM. ]es curés de Lyon présentent ainsi les faits : « Impri-
mer notre réponse ! Le pouvaient-ils sans l'autorisation de
notre Arcbevêque ? Aussi, pour faire taire leurs scrupules, ils
envoyèrent la lettre de MM. Ghaumont et Valadier à Son Émi-
nence le cardinal de Bonald. Son Eminence pria alors M. le
curé de Saint-lrénée de vouloir bien consentir à ce que cette
réponse^ne fût pas publiée. » (P. 31 de la brocbure.)
Le motif qui me fit refuser Finsertion ne fut autre que l'in-
térêt même de MM. les curés de Lyon. Je voyais ces respec-
tables ecclésiastiques se jeter dans une fondrière, et je vou-
lais leur éviter les regrets qui devaient être tôt ou tard, selon
moi, la conséquence de cette publication. Ce fut là tout mon
sc7'upule. En communiquant au cardinal de Bonald la lettre de
MM. les curés, je disais à Son Eminence que l'insertion
n'étaitj point dans leur intérêt, tant à cause de la teneur même,
que des réflexions dont je devrais l'accompagner. J'exprimais
le désir que Son Eminence détournât MM. les curés de publier
leur lettre. Son Eminence daigua me répondre: « J'espère que
MM. les curés ne la publieront pas: je viens d'écrire à ce sujet à
M. le curé de Saint-lrénée. »
MM. les curés s'étaient rendus à l'avis de leur Archevêque;
mais ils ont cru depuis pouvoir s'en départir, à cause de l'écrit
ajionyme de Rhodez. Dans leur brochure en réponse à cet
écrit, ils ont publié eux-mêmes celte pièce, dont nous aurions
voulu leur épargner les fâcheuses conséquences. En voici le
texte, tel qu'il nous a été envoyé.
Oct. 18C3.] A LYON. 373
Messieurs les curés de Saint-Polycarpe et de Saint- Irénée, de Lyon,
à Monsieur le Rédacteur de la Revue des Sciences ecclé-
siastiques.
Monsieur le Rédacteur,
Vous avez dernièrement publié, dans la Revue des Sciences ecclé-
siastiques, une lettre de son Eminence le cardinal Patrizi à son Émi-
nence le cardinal de Donald, archevêque de Lyon ; vous avez jugé à
propos de commenter cette lettre et de terminer votre commentaire par
un paragraphe offensant pour MM. les curés de Lyon (1). Le Monde
a reproduit la lettre et vos commentaires.
Nous avons l'honneur d'être du nombre des trente curés de celte
grande cité ; nos paroisses sont sous le vocable l'une de saint Poly^
carpe, l'autre de saint Irénée, patrons du diocèse. Ce glorieux patro-
nage nous fait un devoir de protester contre les insinuations malveil-
lantes que renferme votre article (2).
Nous ne venons pas ici soulever une discussion. Nous ne vous de-
manderons pas s'il convenait de publier ce document dans un journal
et d'en tirer des conséquences sur la conduite à tenir (3) par Nos-
(1) Ce paragraphe a élô cilé plus haut : le lecleur a pu voir qu'il
n'y a rien d'offensant.
(2) Le texte publié par MM. les curés dans leur brochure est
ici un peu différent. Au lieu des mots : « Nous avons l'honneur d'être
du nombre des trente curés de celle grande cité, » ils ont mis siinple-
plement : « Nous avons l'honneur d'être curés à Lyon. » El à l'ex-
pression insinua/ions malveillantes, ils ont substitué : insinuations
injurieuses. Nous avons fait voir plus haut qu'il n'y a, dans notre ar-
ticle, aucune trace d'injure ni de malveillance. Au reste, dans le cas
où nous aurions dépassé les convenances de la polémique, Messieurs
les signataires n'auraient [as eu besom d'alléguer le glorieux patro-
nage de saint Polycarpe el de saint Irénée pour justifier leur protes-
tation. 11 nous semble que le curé de la plus humble paroisse aurait
eu le même droit.
(3) Nous n'avons point tiré de conséquence sur la conduite à tenir
par ces prélils. Notre arlic.e s'arrête en deçà de ces conséquences.
Ce sont MM. les curés de Lyon qui les montrent du doigt par
delà ; et ce n'est pas sans doute pour nous attirer de la bienveillance.
37*» LA QUESTION LITURGIQLE [Toc.e Vllî.
seigneurs les archevêques et évêques de Lyon, de Paris, de Besan-
çon, d'Orléans et de Belley, qui savent certes bien ce qu'ils ont à faire.
Nous n'examinerons pas non plus s'il n'y a pas eu plus d'indiscrétion
que de sagesse (i), de la part de votre correspondant, à vous donner
copie d'une lettre particulière, que notre vénéré Cardinal, guidé par
cette délicatesse de procédés qui s'unit chez lui au savoir et à l'expé-
rience, n'a pas jugé à propos de communiquer même aux curés de
Lyon, qu'elle concernait.
Mgr de Bonald est le père de ses prêtres ; il connaît nos
sentiments de profonde vénération pour Son Eminence (2). Ce n'est
pas lui, Monsieur, qui, s'il eût écrit à Son Eminence le cardinal Patrizi,
se serait exprimé de manière à nous attirer le reproche d'avoir oublié,
à l'égard de notre premier Pasteur, le respect et l'obéissance promis
au jour de notre ordination. Ce n'est pas Mgr de Bonald qui
aurait représenté nos sentiments comme ceux de la minorité {3} du
(1) Ce que MM. les curés n'examinent pas, nous l'avons exa-
miné fort mûrement ; el le résultai de notre examen, c'est qu'il y a
eu sagesse et poial indiscrétion à publier la lettre de son Eminence
le cardinal Paliizi. Ce que nous ne croyons pas opportun, c'est de
déiiiiire i i les motifs de celle appréciation,
(2) Celte profonde vénération ne vous a pas empêchés : 1" de pu-
blier votre lettre contrairement à l'avis de voire Archevêque; 2° de
solliciler, par votre circulaire, des opposiiions à la mesure arrêtée par
lui con -ernanl le Propre, et même une décision contraire de MM. les
chanoines ; 3° de traiter de boiteuse la commission maintenue par
le Prélat, et de trouver fort sol que les membres de celle com-
mi^sion prissent leur travail au sérieux ; 4" d'imprimer à lyon votre
brochure sans ['imprimatur de Son Eminence, conirairemcnt aux
presTiplions du Sainl-Si^ge, el à la défense formelle du Concile pro-
vincial de Lyon, de J8o0; o° d'affirmer, dans voire brochure, que,
selon l'assiuince du Prélat, le Propre n'élail des iné qu'aux prêtres
étrangers, et que, néanmoins, on avait une arrière-pensée :oute con-
traire; en sorte qu'il faut conclure un manque de franchise, si la par-
ticule on doit s'entendre de Son Eminence, ou bien, s'il faut l'entendre
autrement, que le Prélat ne gouverne plus, mais est gouverné. Tout
ceci rappelle involoiilairemenl ce mot d'Agamemnon : Je veux }7ioins
de respect el plus d'obéissance.
(3) Le cardinal Pnlrizi n'a point représenté !a partie du cierge lyon-
nais qui partage le sentime'.îl de MM. les curés comme formant
la minorilé, ni les partisans du sentiment contraire comme étant en
majorilé. .\insi que nous l'avons riil plus haut, SIM. les curés
Oct. 1863.1 A LYON. 375
clergé lyonnais; Son Eminence sait parfaitement que l'immense majo-
rité du clergé du diocèse pense comme les cures de Lyon.
Oui, Monsieur, nous tenons à peu prés tous et profondément à notre
liturgie actuelle. Elle n'est plus intégralement l'œuvre de Monseigneur
de Montazet; cette œuvre a été admirablement corrigée, en 1844,
par Son Eminence Mgr de Bonald (i). Nous y tenons, non-seule-
ment parce qu'elle est maintenant l'œuvre de notre vénéré Cardinal,
si dévoué au Saint-Siège, mais encore et surtout parce qu'elle
renferme de précieux et notables restes de notre antique liturgie, et
que notre Archevêque nous a fait un devoir de les conserver religieu-
sement.
C'est lui-même qui nous a fait cette recommandation, chère à tous
nos cœurs : « Copiosam non minus ac seledam, qiix nobis superest,
« paternorum rituum suppellectilem religiose ciistodiatis, fratres
« carissim'ï (2). »
auront pris le mol speclabilis dans !e sens de plus nombreux, ce qui
est un lapsus.
(i) Ici, MM. les curt's écrivent, sans s'en apercevoir, leur
propre condamnation : tenir profondément à des livres liturgiques
déclarés illégitimes par le Saint-Sic'se, et après que le Souverain-
Pontife a intimé Vobligation de les abandonner, c'est un altacliement
inexcusable. Or, en ^854, Sa Sainteté Pie IX a déclaré que le bré-
viaire et le missel de Lyon, alors en usafro. c' par conséquent, le
missel et le bréviaire corrigés par Mgr de Bonald, ne venaient
point d'une autorité légiiime, ei qu'il y avait, par conséquent, obliga-
tion de les abandonner ; Jperlissima declaravit Breviarium et Missale
Lugdunense a légitima auciorilale minime prodire, ac proinde om-
nino immutanda. Est-il permis, est-il raisonnable d'être et de se pro-
clamer profondément attaché à ce qui est illégitime?
(2) MM. les curés savent bien que Mgr de Boaald, en 1844, n'a fait
qu'une édition corrigée da bréviaire et du missel de Ljon. Est-il exact
de dire que ces deux livres sont maintenant son œuvre? Ce qui
est son œuvre, ce sont les quelques corrections urgentes que le Prélat
crut, à celle époque, devoir leur faire subir. D'ailleurs l'autorité de
Mgr de Donald, en -1844, aurait-elle été plus compétente que celle de
Mgr de Montazet pour rendre légitimes un bréviaire ou un missel (lui
fût son œuvre ?
Au sujet des précieux et notables restes de leur antique liturgie,
MM. les curés se foui coinplcieraent illusion. Ces rites, que
Mgr de Montazet dil avoir respectés, sont ceux de ranciennc liturgie
376 L.V QUESTION LITURGIQUE [TonieVdl.
Cela ne veut pas dire, M. le Rédacteur, que nous fassions
descendre notre liturgie actuelle du cœur de saint Jean l'Evangéliste,
comme nous en accuse votre correspondant (l). Quelque attardés et
ignorants qu'il nous suppose, et vous avec lui, nous connaissons tout
le mal que Mgr de Monlazet a fait à notre antique et vénérée
liturgie, malgré l'opposition du Chapitre et les vives réclamations du
Clergé. Nous savons que cette opposition et ces réclamations furent
alors déposées aux pieds du Souverain-Pontife ; mais nous ignorons ce
que fit le Saint-Siège pour s'opposer aux entreprises de l'Archevêque
de Lyon ; nous croyons même qu'il garda le silence (2). Malgré son
romaine, implantée à Lyon, comme dans le reste des Gaules, au
temps de Charlemagae. Ce ne sont point des rites propres de la litur-
gie aaiérieure de Lyon. MM. les curés pourraient s'en convaincre s'ils
vvulaicQl lire le travail si distingué de M. l'abbé de Conny, ou même la
^érie d'articles publiés dans notre Revue sur cette matière. C'est au
manque d'utude sur ce point qu'il faut sans doute aSlribuer cette afflr-
malien si naïvement confian'.e : « Quelques-uns (de ces rites) re-
montent certainement jusqu'au glorieux Patron de notre bien-airaé
diocèse, et, par lui, jusqu'à saint Polycarpe et à sainl Jean l'Evangé-
liste. » Q!ie MM. les curés veuillent entreprendre de justifler ce
certainement pour un seul de ces rites, et leur illusion sera bientôt
dissipée.
Rien, au reste, n'empêcherait le clergé lyonnais d'exposer au Saint-
Siège son désir de conserver ces quelques cérémonies Ce point est
secondaire et pourrait peut-être devenir l'objet d'un induit. Mais,
quant au bréviaire et au missel Montazet, même corrigés en 18^/i, le
Souverain-Ponlife ayant déclaré l'obligalion de les abandonner {oyn-
nino îmmuianda), il est regrettable d'entendre des prêlres catholiques
protester en public qu'ils y tiennent profondément.
(1) La preuve que vous avez fait descendre votre liturgie actuelle
du cœur de saint Jean V Évangéliste, c'est que vous l'avez affirmé
dans un certain passage de votre lettre, comme vous en faites l'aveu
dans voire brochure, page -10 Là, vous dilts : « Son Émineni^e a cri-
tiqué certain passage, de noire lettre qui faisait descendre notre
liturgie du cœur de saint Jean rÉvangéliste. » Évidemment vous par-
liez, dans ce passage, de ro^re liturgie actuelle, et non d'une liturgie
disparue, puisque vous donniez cette raison comme motif de conser-
ver la liturgie que vous avez présentement. I! est des lapsw; qu'on
aggrave en cherchant à les pallier.
(2) MM. les curés de Lyon doivent savoir à quoi s'en tenir sur ces
heureux temps où les questions de liturgie, et autres de même na
Oct. iàù3.] A LYON. o"7
omnipotence et son amour pour la nouveauté, Mgr de Monlazet
toutefois n'a pas touché à nos rites et à nos cérémonies ; c'est lui-même
qui nous dit en tête de son Missel : « A rilibus et cxremoniis mamim
« abstiniàtmis. »
Heureux donc de posséder encore des restes abondants et précieux
de nos vieilles traditions échappées au naufrage, a Copiosam non mi-
nus ac seleclum suppellectilem, » heureux surtout de l'union qui
régne dans le clergé du diocèse et des avantages qui résultent pour les
fidèles des rites et des cérémonies qui leur sont q^ers comme à nous,
avions-nous donc si grand tort, nous, plus môles que vous et votre
correspondant aux choses pratiques de la religion, plus rapprochés des
peuples, en contact immédiat avec les administrations temporelles des
paroisses, avions-nous donc si grand tort d'exprimer nos vœux à notre
Père et Pasteur vénéré, de lui exposer quelques-uns des graves incon-
vénients qu'aurait pour nous et pour les fidèles un changement radical
de liturgie ?
Ce n'est pas tout, M. le Rédacteur, vous blâmez encore, comme
contraire au droit ecclésiastique, les réunions des curés de notre ville.
Votre correspondant vous a bien mal renseigné : il pouvait pourtant
vous apprendre que Mgr de Donald et son prédécesseur dans
l'administration du diocèse ont autorisé ces réunions (1) ; qu'ils les
ont fait, tous deux, présider assez souvent par un de leurs vicaires
ture, élaient décidées en dernier ressort par le Parlement de Paris et
par le Conseil du Roi, où le Saint-Siège était forcé de dissimuler et
de se taire, pour ne pas voir ses réclamations et ses brefs rcjelés et
publiquement blâmés, non-s2u!enjenl par les gens du Roi, mais même
par les assemblées générales du clergé de France.
(1) Ni Mgr de Bunald, ni son prédécesseur n'ont jamais pu ni voulu
autoriser, pour un pareil but, les délibérations en corps de MM. les
curés de Lyon. La circulaire de MM. les curés a eu pour objet d'em-
pêcher l'exéculion des me-ures arrêtées et prescrites par le Saint-
Siège el par l'Archevêque. Elle s'adressait aux Chanoines et aux Sul-
piciens, el les exhortait à faire leurs efforts dans ce sens. Elleatlri-
buail même au Chapitre le droil d'interjeter une décision contraire. De
pareils actes collectifs de MM. les curés n'ont pu être autorisés par
personne. Us ne sont pas une humble, une simple prière, comme
MM. les curés voudraient le persuader. Quand on est humble el qu'on
veut se borner à prier l'autorité, on ne s'adresse pas aux subordon-
nés pour les soulever contre elle.
37S LA QUEbTIOX LITURGIQUE [Tome VIIl.
généraux ; qu'ils ont sanctionné les mesures générales adoptées par
l'assemblée des curés pour le bien de leurs paroisses. Votre corres-
pondant aurait pu vous dire encore que, dans une de ces réunions,
dont le souvenir nous est précieux, nous avons discuté sur les moyens
à prendre pour défendre, dans notre religieuse cité, les intérêts de
l'Eglise et du Saint-Siège, et pour venir en aide au Père commun des
fidèles aux jours de ses tribulations.
Terminons, M. le Rédacteur. S'il nous était permis de le dire,
en imitant vos hardiesses (1), la suprême autorité du Chef de l'Eglise
ne pourrait-elle pas trouver le moyen de concilier, avec notre attache-
ment pour nos anciens rites, avec les intérêts du bien qui s'opère parmi
nous et des âmes qui nous sont confiées, ses droits sacrés, que nous
vénérons, que nous aimons du plus intime de nos cœurs ?
Car, M. le Rédacteur, pour tout résumer en deux mots, nous
nous glorifions d'être les enfants de saint irénée, dont les leçons éner-
giques nous ont invariablement attachés à la sainte Église romaine,
tout en nous inspirant un attachement profond pour nos anciens rites,
dont quelques-uns remontent certainement jusqu'au glorieux Patron de
(I) Nos hardiesses ronsislenl à nous soumettre aux décisions du
Î5aiut-Siége et à dire, conform.émenl à la déclaration expresse de
Pie IX, Breviarium et MUsale Lugdunence a légitima anctoritatc mi-
nime prodire, ac proinde omnino immvtanda. Vos hardiesse"^, à vous,
cofisislenl a proclamer la conlradictoire; vos circulaires et voire bro-
chure peuvent se résumer dans celle conclusion : Noire bréviaire et
noire misse! actuels sont légiliines, el c'est une aberraijon de vouloir
/es changer. Vous demandez si le Pape ne "pourrait pas autoriser
votre lilurgie actuelle? La question n'est pas de savoir s'il le pourrait,
mais s'il le veut el le juge utile. Il vous a répondu négativement.
Non seulement il vous dit que votre lilurgie est illégitime, mais il
ajoute que vous êtes tenus d'en changer, ce qui veul dire apparem-
ment qu'il ne juge pas opportun de la légiliiner. Après une telle dé-
cision, oflîciellemenl attestée par le cardinal Palrizi el bien connue
de vous, votre brochure s'harmonise peu avec les prolesialions de
respect el d'obéissance. Le droil de se soustraire aux pnscriplions
du Sainl-Siége ne saurait s'acheter par aucune espèce de dévouement.
Et nous ne vous félicitons pas d'avoir menlionné, dans cette cir-
constance,votre zèle, si louable d'ailleurs, pour l'œuvre du denier de
Saint-Pierre.
Oct. ISG3 ] - A LVON. 370
notre bien-airaé diocèse, et, par lui, jusqu'à saint Polycarpe et à saint
Jean l'Évangéliste (i).
Nous espérons. Monsieur, que vous voudrez bien donner place à
notre lettre dans les colonnes de votre journal, et nous croire
Vos trés-humbles serviteurs.
Chaumont, Yaladier,
Cxt,rè de Saint-Polycarpe. Curé de Saint-lrênée .
Lyou, le 17 mai 1863.
§ ni.
Observations sur deux faits graves affirmés par MM. les curés de Lyon.
Ils affirnaent en premier lieu, que la presque totalité des
prêtres de leur diocèse partage leurs sentiments. Ils affirment,
en outre, qu'ils y sont encouragés et fortifiés par les prélats
français qui faisaient autrefois partie du clergé de Lyon. Nous
citons : « Vous avez d'ailleurs à faire à des têtes afifermies de
longue date dans leur opinion... Et puis, vous lesavez, ce n'est
pas seulement à Lyon qu'on a ces idées, c'est dans tout le
diocèse. A part quelques exceptions imperceptibles, tous les
prêtres qui ont entre leurs mains notre bréviaire, désirent le
conserver.
« Ils sont fortifiés dans ce désir, et par les illustres prélats
que notre diocèse a donnés à la France et par les prêtres des
diocèses étrangers... » {Quelques mots, etc., p. 21 et 22.)
« Marchant avec les quatre cinquièmes de notre respectable
chapitre et a\ec l'universalité morale du clergé diocésain, forti~
fiés même dans nos pensées par les illustres évêques que notre
(t) MM. les curés do Lyon tiennent fori, comme on voit, à faire
descendre leur liturgie du cœur de saint Jean l'Evangéliste. La glo-
rieuse généalogie forme la conclusion de leurlellre- C'est le bouquet.
Ici, toutefois, ils bornent la prétention à quelques-uns de leurs nies,
mais ils la fortifient d'un éoergiqne cerlainemenl. Ils nous avertissent
qu'ils n'ont pas voulu entrer dans le fond de la question. Quand ils y
seront entrés, et auront bien voulu essayer de répondre k notre série
d'articles sur la Liturgie de Lyon au point de vue de Chistoire et du
droit, nous ne douions pas qu'ils ne renoncent eulièremenl à la
glorieuse descendance.
380 LA QUESTION LITURGIQUE A LYON. ITomcVlII.
diocèse a fournis à la France, nous ne devons pas être épou-
vantés par... » {Ib., p. 17.)
Plus loin ils affirment que Son Éminence le cardinal de
Bonald a prononcé /j/MSîewrs fois ces paroles : « Sur cent prêtres
de mon diocèse, il n'y en a pas un qui veuille la liturgie ro-
maine. » {Ib., p. 35.)
I. Nous avouons que les encouragements donnés à MM. les
curés par les prélats sortis du clergé de Lyon seraient un fait
très-grave. La proposition est universelle, les illustres évêques
que notice diocèse a fournis. Elle atteint tous ces prélats sans
exception. Si les égards dus aux respectables curés de Lyon
ne nous permettent pas d'en contester Texactitude, d'autres
égards, on le conçoit, nous commandent ici une réserve sévère.
Nous regrettons que MM. les curés n'aient pas accompagné de
preuves une allégation de cette nature. Ainsi énoncée, elle ne
peut évidemment avoir aucune portée dans la discussion.
H. Le fait de la presque unanimité du clergé lyonnais dans
le sens de MM. les curés, est aussi fort digne d'attention. Nous
nous disons : Quel a dû être l'enseignement traditionnel dans
les écoles cléricales de ce diocèse, pour aboutir à un pareil
résultat ! Peut-être que la portion du clergé qui accepte avec
soumission, respect etamour, la décision de Pie IX (breviarium
et missale Lugdunense a légitima auctoritate minime prodire,
ac proinde omnino immutanda), cette portion que le cardinal
Patrizi appelle spectabilem et multis nominibus commendabilem,
sera étonnée de se voir si imperceptible dans les affirmations
de MM. les curés. Mais quelle que soit son importance numé-
rique, elle ne doit pas moins, selon nous, se féliciter de son
inviolable attachement à la doctrine et à l'autorité du Vicaire
de Jésus-Christ, de cette pierre sur laquelle a été bâtie l'Église,
que nuls efforts n'ébranleront jamais, et à laquelle quiconque
se heurte, ne peut manquer de se briser.
D. Bouix.
ÉTUDES SUR LA PREDICATION.
I.
Nous nous proposons de publier une suite d'articles sur la
prédication. Les Revues ecclésiastiques ne doivent pas se
borner à présenter des théories et des spéculations; elles
rendent un véritable service au clergé en descendant dans
la pratique, en s'adressant au grand nombre des prêtres,
à ceux qui, à raison de l'exercice du saint ministère, se trou-
vent plus immédiatement eu rapport avec les populations.
Quoique nous soyons à une époque où la foi est amoindrie,
l'action du sacer Joce n'est pas méconnue ; mais, il faut l'a-
vouer, trop souvent elle est appréciée par son côté humain,
bien plus que par son caractère surnaturel. Ceux mêmes qui
ne voient pas dans le prêtre le représentant de Dieu, l'es-
timent et l'affectionnent s'il est éclairé, s'il a une certaine
mesure d'instruction et de science.
La science qui concilie au clergé la faveur la plus marquée,
la plus étendue, est incontestablement la science de la prédi-
cation. A tous les degrés, dans toutes les positions, même les
plus humbles, le prêtre qui prêche bien est considéré et res-
pecté. On lui pardonne facilement d'êti-e étranger aux sciences
du monde ; on ne demande pas même à celui qui exerce la
charge pastorale d'être un grand théologien ou un savant ca-
noniste ; mais on veut qu'il porte dignement la parole. Il n'est
pas de paroisse si modeste où l'on ne rencontre quelques
382 ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION. ITomeVIlL
hornmes d'un esprit cultivé, et ces hommes ne sont pas tou-
jours les^ plus religieux. Si un pasteur, de temps à autre, à
l'occasion d'une solennité, prononce un discours qui, sans
être au-dessus de la portée des simples tidéles, ait quelque
valeur littéraire et révèle des études sérieuses, un tel pasteur
est assuré d'avoir une véritable autorité et d'exercer une salu-
taire influence, même sur ceux qui sont le moins Lien dispo-
sés.
Ou a publié dans ces derniers temps des traités sur la pré-
dication. Ces ouvrages ont produit et pro<îuisent encore un
bien réel. Mais, tout utiles qu'ils sont, ils n'ont pas, ils ne
pouvaient avoir, dans certaines parties essentielles, les déve-
loppements sufiBsaniS. Nous voudrions, dans notre travail,
suppléer à ce qui nous a paru manquer à ces traités nécessai-
rement élémentaires.
Ces considérations, que nous soumettons à l'appréciation
des lecteurs de la Revue des Sciences ecclésiastiques n'étaient
pas destinées à la publicité. Développées au sein d'une so-
ciété d'amis désireux de relever le niveau des études, ces con-
sidérations ont paru propres à faire quelque bien. C'est cette
pensée, et cette pensée toute seule, qui nous a déterminé à
les livrer à l'impression; elle nous autorise à réclamer l'in-
dulgence du lecteur pour une œuvre qui ne peut avoir d'autre
mérite que celui d'être inspirée par uae kwigue expérience du
ministère pastoral.
Quelques réflexions sur les vrais caractères de la prédication
évaugélique serviront d'introduction à notre travail.
Pour produire un bon efiet, les discours, même les plus
solennels, doivent avoir la clarté, la simplicité, la variété,
l'abondance. 11 est surtout essentiel que le prédicateur parle
avec autorité et qu'il se propose un but pratique.
Tout discours public où les idées, passant rapidement dans
Fesprit de l'auditeur, échappent pour ainsi dire à la réflexion
et à l'étude, doit être facile à saisir. 11 faut donc (et ceci est
Oct. 1SG3.I ÉTUDES SIR lA PRÉDICATION. 381
surtout nécessaire pour l'auditoire chrétien, qui se compose
en majeure partie de personnes d'une intelligence peu exercée,)
il faut donc que l'expression soit toujours nette et précise,
sans la moindre obscurité, sans le moindre nuage; qu'elle se
rapproche autant que possible des locutions vulgaires; qu'elle
évite les néologismes, le? termes scientifiques, les mots tech-
niques. Les hommes les plus éclairés, ceux qui ont fait de
solides et profondes études, ne sont pas toujours de bons pré-
dicateurs; ils parlent souvent sans être compris ; on voit faci-
lement que le travail du cabinet les a tenus éloignés des masses
dont ils ne connaissent ni la portée, ni les habitudes, ni le
langage.
La simplicité n'est pas moins nécessaire que la clarté, outre
que «la véritable éloquence, dit Fénelon (1), n'a rien d'enflé
et d'ambitieux, qu'elle se modère et se proportionne aux gens
qu'elle instruit. » Le prédicateur qui ferait le bel esprit et
remplirait son discours de fleurs et d'ornements ne ferait aucun
bien. Quelles que pussent être en réalité ses intentions, 11
s'exposerait à l'accusation de se prêcher lui-même, de chercher
à plaire, et à se faire une belle réputation, au lieu de chercher
à instruire et à édifier. En surchargeant sa composition de
traits brillants, d'un jeu perpétuel de phrases et d'antithèses,
en visant sans cesse à produire de grands efîets, « on est ap-
te plaudi, dit encore Fénelon (2), par des femmes, et par le
« gros du monde qui se laisse facilement éblouir ; mais cela
« ne va jamais qu'à une certaiue vogue capricieuse, qui a
« besoin d'être soutenue par quoique cabale. Les gens qui
« savent les règles et qui connaissent le but de l'éloquence,
« n'ont que du mépris pour ces discours en l'air ; ils s'y en-
« nuient beaucoup. » Il nous est bien permis d'ajouter qu'ici
(1) Dialogues sur réloquence^ I. xxi, p. 79, édition de L^be),
(2) Ibid., p. 39.
38i ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION. [ Tome VIIU
s'applique le mol de saint Paul : Non in persuabilibus kumanse
sapientis&lverbis (1).
La monotonie paralj^se Feffet d'une instruction. Sans la
variété du tour et de Texpression, on ne commandera jamais
l'intérêt, on n'éveillera pas, on ne soutiendra pas l'attention.
Un prédicateur n'est pas un docteur qui fait un cours de
faculté, un écrivain qui compose un livre; il doit s'identifier
avec son auditoire, entrer en scène avec lui, l'interroger, l'in-
terpeller, l'accuser, le confondre, l'exhorter, le presser, le
consoler, l'encourager. S'il se contente d'exposer la doctrine,
de bien conduire son raisonnement, de bien suivre et de bien
exprimer sa [pensée, il pourra jouir de la réputation d'un
homme de savoir et de talent; il sera, si l'on veut, un profes-
seur habile, un académicien disert, un savant ^consommé, il
ne sera jamais un vrai ministre de la parole sainte.
Quand on ne dit tout juste que ce qu'il faut pour revêtir
ses pensées, ses sentiments, d'une forme sensible, d'ordinaire
on ne les grave pas dans les esprits et dans les cœurs. Sans
doute, il faut éviter les répétitions et les redites; mais graduer,
enchainer ses motifs et ses preuves, les fortifier par des dé-
veloppements successifs, les produire sous un nouveau jour,
sous des aspects divers, les présenter avec des images toujours
plus vives, plus animées, plus frappantes, ce n'est pas se ré-
péter, c'est tout simplement connaître les hommes et les
traiter selon l'exigence de leur nature. Lorsqu'on ne cherche
qu'à être clair, vigoureux et précis, ou devient sec et aride ;
avec une abondance tempérée par la discrétion, la sagesse et
le goût, ou intéresse et on entraîne.
Les conférences sur la Religion ont rendu à notre époque
les services les plus signalés ; les auteurs de ces magnifiques
apologies se sont élevés à une grande hauteur; ils ont incon-
testablement le premier rang parmi nos orateurs chrétiens.
(i) ICor. n, 4.
Oct. 18( 3.1 ÉTUDES SLR LA PilÉDICATION. 385
Mais ce genre d'instruction est un genre à part, qui n'est rien
moins que la prédication catholique : il demande une assem-
blée exceptionnelle. Telle était, au reste, la pensée des Frays-
siuous, des Ravignan, des Lacordaire. Les discours philoso-
phiques ne conviennent qu'à des auditeurs choisis. Dans nos
stations d'Avent et de Carême, à plus forte raison dans les
prédications pastorales, outre rinconvénient de s'adresser à
des absents, ils fatiguent les masses généralement croyantes;
en voulant trop prouver, ils scandalisent les simples, ils font
naitre des doutes dans l'esprit des vrais fidèles. D'ailleurs, la
véritable manière de prouver la religion est de la bien expo-
ser ; elle se prouve elle-même, quand on en donne la vraie
idée. Pour le dogme, les faits historiques, l'exposition simple
de la doctrine sur TÉglise en disent plus que tous les raison-
nements. La morale chrétienne ne demande qu'à être présen-
tée pour frapper d'admiration les incrédules eux-mêmes qu'il
conviendrait de ne pas attaquer directement, de ne pas nom-
mer. Lorsqu'on les désigne, qu'on affiche la prétention de
les combattre, de les confondre, ils se cabrent, ils s'irritent.
S'il n'ont ni prévention, ni défiance, il arrive qu'ils se laissent
persuader et entraîner par la beauté de la morale évaugélique,
par la charité du prédicateur.
La chaire chrétienne n'est pas une chaire Je philosophie ou
de théologie; le prédicateur n'est pas un professeur. Le
grand caractère de son enseignement, c'est l'autorité. 11 parle
au nom du Dieu de vérité, au nom de l'Eghse infaillible ; il
a le droit d'être cru sur parole. Et en réalité, qu'arrive-t-il ?
Ambassadeur de Jésus-Christ, les fidèles le reçoivent et l'écou-
tant, comme ils recevraient et écouteraient Celui qui l'envoie
et qu'il représente.
Nous n'oserions dire que, de temps à autre, il ne soit pas
utile de donner quelque discours philosophique ou apologé-
tiques ; mais on n'acceptera ces discours qu'autant qu'ils ne se-
ront ni trop relevés ni trop profonds. Il est surtout important
385 ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION. [Terne Vlir.
d'y ramener quelque réflexions propres à intéresser les bons
chrétiens qui sont toujours en majorité dans nos églises.
Malheureusement beaucoup de prédicateurs négligent 1
pratique ; ils se perdent dans des considérations générales et
vagues, qui ue mènent à rien. Leurs sermons ne peuvent,
quant au fond, captiver les auditeurs ; la forme en est inacces-
sible au plus grand nombre, même dans les villes d'une cer-
taine importance. Nous ne dirons pas avec l'illustre Arche-
vêque de Cambrai {i) que les meilleurs prédicateurs seraient
les pasteurs qui connaissent mieux les besoins de leur trou-
peau, et qui savent mieux approprier leur langage à l'intelli-
gence des masses, mais nous n'hésitons pas à affirmer qu'on
ne remplira pas dignement le ministère de la parole sainte,
si on ne s'applique à être utile et populaire.
Il est des discours qui sont purement humains, et qu'on
pourrait très-bien prononcer dans iiue académie. L'Ecriture
sainte n'y est citée que par bienséance, tandis qu'elle devrait
en faire le fond. On dirait que ceux qui composent ces dis-
cours sont étrangers aux sciences ecclésiastiques, et qu'ils
n'ont jamais puisé aux sources de la saine doctrine. Ils n'ont
pas étudié, ou n'ont étudié qu'imparfaitement les saintes Let-
tres, la tradition, la théologie, les règles de la vie et de la
piété chrétiennes.
« J'ai remarqué en bien des occasions, dit Fénelon (1), que
« ce quimanque le plus à certains orateurs, qui ont d'ailleurs
« beaucoup de talents, c'est le fond de science. Leur esprit
« paraît vide ; on voit qu'ils ont bien de la peine à trouver de
« quoi remplir leurs discours. Ce sont... des gens qui vivent
« au jour le jour sans nulle provision... Ils ne songent à une
« matière qu'au moment où ils sont engagés à la traiter...
« Quand on ne s'applique qu'à des actions détachées, on est
H) Dialogues sur l'éloquence, t. xxi, p. 99.
(2) Ibid., p. 38 el 39.
Oct. 1863.1 ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION. 387
« réduit à payer de phrases et d'antithèses, on ne traite que
a des heux communs, on ne dit rien que de vague ; on coud
« des lambeaux qui ne sont pas faits les uns pour les auties,
0 on ne montre pas le vrai principe des choses, on se borne
a à des raisons superficielles et souvent fausses, on n'est pas
« capable de montrer l'étendue des vérités, parce que toutes
<j les vérités générales ont un enchaînement nécessaire, et
« qu'il les faut connaître prescpie toutes pour en traiter soli-
« dément une en particulier. »
Pour être un bon prédicateur « il faut, aj(nite Fénelou,
« avoir passé plusieurs années à faire ua fond abondant. »
Puissions-nous en publiant les articles que nous avons an-
noncés venir en aide au jeune clergé ! Quand on aura pris
connaissance de l'ensemble de notre travail, on verra quelle
peut être la valeur des réflexions préliminaires qui font le
sujet de ce premier article.
Nous traiterons successivement de TEcritur; sainte, des
Pères, des grands maîtres de la chaire. Les études que nous
indiquons doivent évidemment entrer dans la préparation gé-
nérale, indispensable à ceux (jui sont chargés du ministère
de la parole.
Nous pensons que les prêtres, même les plus occupés aux
fonctions extérieures, peuvent se ménager le loisir de puiser,
au moins dans une certaine mesure, à ces mines si riches et
si fécondes.
Au moyen d'un travail plein de charme, plusieurs, en plus
grand nombre qu'on ne pense, trouveront le secret de de-
venir d'excellents prédicateurs : tous apprendront à parler au
peuple chrétien d'une manière digne, intéressante et fruc-
tueuse.
ÔARCIET,
Chanoine-archiprêlre d'Audi.
GORRESPOKDANGE
Monsieur le Directeur,
11 paraît que le 20 mars d862 vous avez inséré dans votre Revue
des Sciences ecclésiastiques une critique de l'ouvrage : Les archives de
la S. Congrégation des indulgences ouvertes annuellement aux ecclé-
siastiques, année 1862, laquelle était signée : L'abbé Le Roy. J'avoue
n'avoir pas lu cet article dans votre publication périodique que je n'ai
pas l'avantage de connaître ; mais dernièrement, un prêtre ayant bien
voulu m'en avertir, j'ai pu en lire la copie qu'il m'a transmise et que
j'ai lieu de croire fidèle.
Évidemment la forme, le fond et le but de cette critique sont mal-
veillants (2).
(1) Cette lettre, d'une date un peu ancienne, n'a pas été publiée jusqu'à pré-
sent, parce que la rédaction primitive excédait ouvertement le droit de défense.
M. Cloquet ayant retiré lui-même plusieurs expressions, et nous ayant permis
de faire, en les lui soumettant, les autres modifications que nous jugerions con-
venables, nous imprimons immédiatement cette pièce, sans même user de la fa-
culté que l'auteur nous concède. Les lecteurs apprécieront. M. l'abbé Le Roy,
à qui nous avons donné communication de la lettre de Jl. Cloquet, s'est con-
tenté d'ajouter au bas des pages quelques courtes observations : il n'entend en
aucune façon prolonger ce débat assez futile, qui d'ailleurs ne profiterait ni au
public, qui s'en met peu en peine, ni à M. Cloquet, qui ne tient aucun compte
même des justes et sévères admonitions qu'il a reçues soit de Rome soit de
M. le Vicaire général de Bourges, et qui sont consignées dans les feuilles pu-
bliques de France et d'Italie. [Note de la rédaction.)
(2) Que l'on veuille bien prendre la peine de relire ce petit article de six
pages, et je suis convaincu que tout le moude, sans exception, rendra
pleine justice à l'esprit de modération qui l'a inspiré et à la parfaite conve-
nance de la forme. Cela est si vrai que M. Cloquet n'a pu y relever, comme on
le verra, une seule expression blessante. On m'écrivit de Rome (je n'avais con-
sulté personne en cette ville pour faire mon article), dès que cet article parut,
que j'avais péché par excès de eomplaisance et de modération. J'avais, en effet,
OcL 4863.) CORRESPONDANCE. 389
Loin de suivre M. l'abbé Le Roy dans cette voie, je me propose de
prouver, par des raisonnements aussi simples que solides, combien sont
erronées ses assertions, et de lui dire que, s'il avait à faire à l'auteur
des At'chives quelques observations qu'il crût justes, il eiit été plus
sage et plus prudent de les lui écrire directement, à l'exemple des
milliers de prêtres qui, dans le courant du dernier semestre, lui ont
adressé leurs adhésions à son œuvre. Il lui eût évité la peine de le ré-
futer publiquement.
M. l'abbé Le Roy commence sa critique par un aveu (i) qu'il est
bon de recueillir de sa bouche. — « C'est sans doute, dit-il, dans le
« dessein de favoriser une dévotion non moins profitable aux morts
« qu'aux vivants, que d'estimables auteurs font paraître de si nom-
« breux traités ou recueils d'indulgences. Malheureusement, ils n'ont
« pas toujours l'exactitude désirable, nécessaire même en pareille ma-
te tière ; ils renferment des erreurs fort regrettables. C'est ce qu'a
« solidement démontré un prêtre missionnaire du Berry, M. l'abbé
a Choquet. Par une faveur toute spéciale du Saint-Père, il a pu, pen-
« dant sept mois, compulser les archives de la S. Congrégation des
« indulgences. 11 nous est ainsi revenu de la ville éternelle chargé
« d'un riche butin recueilli à loisir dans un trésor que personne avant
(( lui n'avait pu ou voulu exploiter. »
M. l'abbé Le Roy avoue donc \° que les ouvrages autres que celui
de l'abbé Choquet renferment des erreurs fort regrettables ;
2° Que Tabbé Choquet l'a solidement démontré',
3" Que l'abbé Clioquet a compulsé les archives pendant sept tnois,
ce que n'a pas fait M. l'abbé Le Roy; par conséquent, que le premier a
puisé ses enseignements à bonne source et que sur le contenu des docu-
ments officiels de la secrétairerie des indulgences il peut en savoir
autant qu'un autre.
4° Peut-être même qu'il en doit savoir plus que qui ce soit, s'il est
dès lors reçu de ceUe ville d'importants et authentiques documents qui re-
latent à peu près tout ce qui s'est passé enire le Saint-Père et M, Choquet, no-
tamment sa lettre k Pie IX de l'année dernière; entre le cardinal Asquini et
M. Choquet ; entre les consulteurs et prétendus apiirobateurs et M. Choquet, etc.
Je n'en ferai point usage, et ces notes, que j'abrège le plus possible, sont et se-
ront ma première et dernière réponse à M. l'abhé Choquet. {N.-C. Le Roy.)
(1) Ce mot d'aveu est très-mal choisi. Je suis heureux de reconnaître le bien
partout oii il se trouve, et j'ai rendu pleine justice à ce qu'il peut y avoir de bon
dans l'cjuvre de M. Choquet. {N.-C. L )
390 CORRESPONDANCE. [Tome VIII.
avéré, comme le confesse M. l'abbé Le Roy, que personne avant lui
(Choquet) n'avait pu ou voulu exploiter ce trésor.
5" Enfin, que l'aiileiir de l'ouvrage : Les Archives, etc., possède
chez lui les copies des pièces officielles, puisque M. l'abbé Le Roy publie
que l'abbé Choquet nous est revenu de la ville éternelle chargé d'un
riche butin, 7'ectieilli à loisir dans ce trésor.
N'oublions pas ces cinq aveux, volontaires ou non, et qu'ils soient
comme autant de flambeaux à la lumière desquels nous cherchions la
vérité parmi les ténèbres qu'a créées M. Tabbé Le Roy par ses asser-
tions contradictoires à l'enseignement des Archives. Qu'une faute typo-
graphique échappe à l'imprimeur, ou qu'une ou deux inadvertances
dans la rédaction du calendrier surtout soit commises, en cela rien
d'impossible, etl'auteur n'a pas besoin d'une forte dose d'humilité pour
ne pas se croire infaillible et encore moins son imprimeur.
Errare Immanum est. Mais il est des choses sur lesquelles il ne doit
pas, il ne peut pas se tromper : ce sont les pièces officielles, puisqu'il
les possède et les a puisées à bonne source. M. l'abbé Le Roy ne peut
affirmer en sa faveur le même avantage.
Mais avant d'entrer dans l'examen de ces assertions erronées, remar-
quons que M. l'abbé Le Roy n'a pas même une idée nette et précise
du lieu ou de la secrétairerie où se trouvent les documents officiels^ ni
de la manière dont quelques-uns peuvent émaner de l'autorité supé-
rieure. On le comprend à la manière dont involontairement il dénature
le sens d'assertions vraies qu'il a puisées dans l'ouvrage : Le$ Archi-
ves, etc.
« M. Choquet déplore avec raison, dit-il, la négligence, l'oubli ou
« peut-être l'ignorance de plusieurs personnes qui, après avoir obtenu
a du Saint-Siège des indulgences générales, communes à tous les fi-
« déles, n'ont pas le soin de faire remettre au Secrétariat de la S. Con-
« grégation des indulgences le dowWe dw Bref ou Rescrit pontifical
« délivré à la secrétairerie des Brefs. »
Sans parler du mot Secre'^ana/ (1), qui signifie e?;i/;/oi, fonction
de secrétaire, tandis qu'il s'agit de la Secrétairerie, c'est-à-dire, du
lieu où se trouvent déposées les archives, l'auteur de l'ouvrage répond
à M. Le Roy qu'il n'a pas tenu ce langage plein de confusion. Nulle
part dans l'ouvrage les Archives, M. l'abbé Le Roy ne lira que quel-
qu'un soit tenu de déposer à la secrétairerie de la S. Congrégation des
(1) Nos lecteurs n'ont pas besoin d'être édifiés sur cette remarqne de puriste,
d'ailleurs si parfiiitenient inexacte. (N.-C L.)
Oct. ISGâ.] CORRESPONDANCE. 39-1
indulgences, le double du Bref ou Rescrit pontifical délivré à la se-
crélairer'ie des Brefs.
M. Le Roy apprendra sans doute avec profit qu'il existe trois
moyens, trois voies ordinaires par lesquelles on peut obtenir des con-
cessions d'indulgences.
Le Saint-Père, dans une audience particulière, peut attacher une
indulgence générale à une pratique ou à une prière que lui soumet
une personne.
Le plus souvent maintenant les indulgences émanant du Souverain-
Pontife sont promulguées par Bulle ou Bref de la secrélairerie des Brefs
ou par Décret ou Rescrit de la secrélairerie des Indulgences.
Or, c'est du premier de ces Irois cas qu'il est question dans le Dé-
cret du 14 avril 1856. et que l'auteur a voulu parler à la page 9 des
Archives. En rappelant le passage du décret de Benoît XIV, publié un
siècle auparavant, Sa Sainteté Pie IX a eu l'intention de parler des per-
sonnes qui, dans une audience privée ou par lettre particulière du Saint-
Père, obtiennent une indulgence que tous les fidèles peuvent gagner.
Elles doivent présenter ce Rescrit pontifical uniquement à la secrélai-
rerie des indulgences, afin que là on en prenne une copie fidèle et qu'il
constate de son authenticité. Mais jamais on n'est tenu de présenter à
la secrétairerie des indulgences le double de la concession dindulgen-
ces faite par l'intermédiaire de la secrétairerie des Brefs. A cette secré-
tairerie, par la minute du bref, l'authenticité de l'indulgence accordée
est suffisamment constatée pour le présent et pour l'avenir.
Donc, M. l'abbé Le Roy a peu compris, mal interprété et exprimé
en termes impropres ou inexacts la vérité émise dans l'ouvrage les
A rchives ( I ) .
il) Le décret approuvé par Benoit XIV, le 28 juniver 1756, est * toujours
« en vigueur depuis un sièele, et a été rappelé et confirmé, en 1856, par Sa
« Sainteié Pie IX, dans le décret précité : Impétrantes poslhac hujus-
* modi générales concessiones, lenert sub nullitalis pana gTatiop oblentas
« exemplar ea>umdem concessionum ad Secretar'iiim ejusclem S. Congreg.
« {Indulg.) déferre. » Toutes ces lignes gi'il'.eniolées, sauf le mot entre pa-
renthèses, nécessaire pour compléter le sens de la phrase, se trouvent textuel-
lement dans les Archives de M. Choquct (Sancerre, Lyon (Rhônr) [sic), 1862,
p. 8 et 9). Or, il me semble bien que si on doit porter (déferre) à la secrétai-
rerie des Indulgeuces, la minute même (exemplar) de la grâce obtenue, n'im-
porte par quelle voie, le décret ne fait aucune distinction, c'est apparemment
atin qu'elle y reste en dépôt définitif, ou qu'on y en laisse au moins une copie.
Et c'est aussi ce qu'on fait pour les indulgences générales nouvellement concé.
392 CORRESPONDANCE. (Tome VllU
Après ce début, il consacre plusieurs pages (1) à des insiuuations
aussi hasardées que peu bienveillantes relativement à l'ouvrage les
Archives, auxquelles nous croyons plus digne de ne répondre provisoi-
rement que par le silence. D'ailleurs, nous avons hâte d'arriver au
passage où il dit : « // est temps d'entrer dans le détail et de justifier
nos assertions. »
Examinons donc ses assertions et surtout ses preuves.
« \° A la page 33 des Archives, dit M. l'abbé Le Roy, on lit :
« Les missionnaires en pays étrangers peuvent seuls gagner les indul-
« gences plénières, à défaut de confesseur, en faisant un acte de con-
0 trition au lieu de la confession. — 1729. »
« Il est vrai, ajoute M. Le Roy, que cette faveur fut concédée à ces
missionnaires par Clément Xll, le 20 septembre 1731, et non pas en
1729. .)
Réponse. — J'en demande bien pardon à M. Le Roy, mais je main-
tiens la date 1729, et suis peu disposé à la changer sur son affirma-
tion sans preuve. J'ai vu de mes propres yeux, sur l'original, c'est-à-
dire sur la feuille d'audience présentée au Pape alors régnant, et signée
de sa main, la date 17-29, et non i75L J'ai donc raison de donner la
date de concession, que j'ai vue et copiée, et d'opposer au démenti de
M. Le Roy un démenti plus autorisé. Car M. Le Roy, sans parler des
archives de Rome, qu'il n'a pas vues, aurait pu indiquer à quelle
source il a puisé une date différente.
dée, coinine le disait tout dernièrement îlgr. Castellani Brancaleone, sulistitut
à la scrétairerie des Brefs, à une personne qui me l'a écrit de Rome ; et on a
pu voir récemment, dans le journal le Monde, la signature de Mgr Al. Prinzi-
valli, substitut de la S. C. des Indulgences, attestant que telles et telles indul-
gences accordées cette année avaient été présentées et enregistrées audit secré-
tariat ou secrétairerie. {N.-C- L-)
(1) Plusieurs pages, c'est à dire six lignes : -telle est l'ariilimétique de
M. Choquet. Voici le passage en entier : « Et celte diffusion de l'erreur serait
d'autant plus facile, ^qu'elle semblerait plus autorisée : M. Choquet prétend,
nous ne vouluus pas entrer à ce sujet dans des explications désagréablcF, prétend
avoir reç;; pour tous ses ouvrages l'approbation solennelle, après un sévère et
consciencieux examen des consultenrs les plus éniincnts députés par Sa Sain-
teté. » — Voilà tout. Nous avons énoncé sous une forme modérée un fait dout
nous avons la preuve péremptoire, et dont nous connaissons tout le détail.
M. Choquet n'a aucune approbation définitive et authentique, du moins il ne l'a-
vait pas à l'époque oii notre article a paru, et même plus récemment. S'il est
inainteuaut eu règle de ce côté, qu'il produise le document • nous serons heu-
reux de le faire connaître. {N.-C. L.)
Ocl. {S03.] CORRESPONDANCE. 393
M. Le Roy, qui a lu le Raccoîta (I), recueil italien, et qui nous en
parlera beaucoup dans la suite^ doit se souvenir qu'il est loin d'être
entièrement exact, et que de la première prière de ce livre, le Sandus,
nous attaquons la date de concession comme fautive (voyez à la page 99
et suivantes des Archives), à plus forte raison nous permettra-t-il,
non-seulement de révoquer en doute, mais de nier l'autorité de tout
autre ouvrage, en présence de la pièce oSTicielle que nous avons en
main.
Ajoutons cependant une remarque instructive et qui peut donner la
solution de cette divergence. 11 n'est pas rare que la date de promul-
gation d'un décret diffère (mais, ordinairement, seulement de quelques
jours ou au plus de quelques mois) de la date de concession faite par
ie Pape et signée sur la feuille d'audience. L'auteur des Archives suit
ordinairement la date de concession, car souvent, à la secrétairerie,
c'est la seule dont il soit fait mention ; or, il est possible que M. l'abbé
Le Roy ait reproduit au contraire la date de promulgation ou de pu-
blication du décret. Cependant l'espace de deux ans est bien long et
peu probable.
D'ailleurs M. l'abbé Le Roy ne donne-t-il pas, quelques lignes plus
loin, la preuve que la date de concession et la date de publication
peuvent différer, puisque ces dates diffèrent dans le décret qu'il cite,
lequel commencerait par : Ex audientia SS. D. N. démentis PP. XIV,
habita die 17 MAii 1772, et finirait par : Datum ex xdibus S. Con-
gregationis die 23 maii 1772 ?
C'est ce môme décret de 1772 qu'il oppose pour prouver qu'il fut
dérogé au décret de 1729.
L'abbé Cloquet répond qu'il n'a pas trouvé le décret de 1772 dans
la secrétairerie de la S. Congrégation des Indulgences : il ne pouvait
donc en faire mention. Où M. l'abbé Le Roy a-t-il vu ce décret?
Voilà encore ce qu'il eftt été à propos de dire en le citant f2).
Le Dictionnaire des Indulgences, page 550, d'après le Traité des
Indulgences, par Mgr Bouvier, dit bien « qu'en 1729 (notez 1729, et
« non 1731), la S. Congrégation, consultée par l'évéque de Mélia-
« pour, lui donna le conseil de demander la dispense de la confession
(1) C'est M. Cloquet qui écrit partout LE Raccoîta. {Note de la RédacUon.)
(2) J'ai puisé la date, différente de telle de M. Cloquet, et la révocation du
privilège octroyé anx missionnaires réguliers, dans l'excellent Traité du Jubilé de
M. l'abbé J. Loiseaux, pp. 179-181. (Pari.*;, 1859, Casterman et Leihieller.x.)
{N.-C. L.)
39-1 CORBESI'O.NDANCE ,Tomc VIII.
a pour les missiQiinaires. Ces missionnaires la demandèrent effective-
« ment, dit Mgr Bouvier, et l'obtinrent, comme l'atteste Benoît XIV,
« dans sa constitution Inter prseteritos du 3 décembre 1749, § 6. La
(( même dispense fut aussi accordée en 1734 aux Pères Capucins de
« France et d'Irlande, qui travaillaient dans les missions parmi les lié-
« reliques. » (Théodore du Saint-Esprit, 1''^ partie, chap. xi, page
347.)
Mais^ dans ce passage, nous ne voyons rien en faveur de l'assertion
de M. Le Roy, et nous ne trouvons pas qu'il y soit question de déro-
gation en 1772.
Néanmoins, une observation importante doit trouver ici sa place. A
la page 4 des Ardnves, il est dit : « On ne commença à réunir ces
«< précieux documents et à en former les archives d'une secrétairerie
« spéciale qu'en 1777, et la date du document le plus ancien, ainsi
« recueillie, n'est pas antérieure à 1667. » Or, nous savons que deux
des premiers tomes de cette collection, renfermant chacun les pièces de
plusieurs années, ont été perdus lors du transfert des archives de la
S. Congrégation dans le local qu'elles occupent actuellement au palais
de la Cliancellerie apostolique. Il serait possible que le décret de 1772,
cité par M. l'abbé Le Roy, fùldansl'undeces tomes perdus. Cependant,
comme il est peu probable que M. Le Roy ait trouvé ces volumes, il
était nécessaire qu'il fit mention de l'ouvrage dans lequel il a puisé lô
décret qu'il cite.
II. M. l'abbé Le Roy passe à un autre point.
« M. Cloquet, dit-il, donne souvent, dans ses Archives et ailleurs,
la petite invocation au Sacré-Cœur de Jésus : « Doux Cœur de mon
« Jésus, faites que je vous aime toujours plus {ou davantage), sempre
« più. » Mais il omet constamment le mot toujours, sempre, qui se
trouve pourtant dans les imprimés relatifs à cette Confrérie et dans
toutes les éditions de la Raccolta di.... Indidgenze. »
Réponse. — 1° Pour faire tomber cette objection, il suffirait de ci-
ter la traduction donnée par les Archives, etc. La voici :
« Dqux Cœur de mon Jésus,
« Faites que je vous aime de plus en plus. »
M. l'abbé Le Roy aurait bien dti avoir la sincérité de la citer lui-
même : le lecteur se serait aperçu de la futilité de la remarque en
voyant que la traduction des Archives revient exactement à celle qui
est réclamée. Que M. Le Roy se tranquillise donc en suivant pieuse-
Oci. 1S03.] CORUKSrorsDANCE. 3! 5
ment la susdite traduction, et soit assuré que s'il aime déplus en plus,
il aimera sempre più, toujoun phts.
2° 11 semble que l'oreille française n'est pas charmée de la chute :
« Toujours plus », recommandée par M. Le Roy, et que l'euphonie
lui préfère cette autre cadence : a Faites que je vous aime de plus en
plus. »
ô'^ En traduisant : « Faites que je vous i-ime de plus en plus »,
l'abbé Cloquet est-il le seul auteur de cette traduction? Non. Ont tra-
duit exactement de même : Mgr Bouvier, page 271 de son Traité des
Indulgences; — M. l'abbé Pinard, page 96 de son Nouveau Traité ; —
la 9* édition des Instructions pratiques sur les indulgences, page
172, approuvée par Mgr l'évêque du Puy et par S. E. le cardinal de
Lyon; — et même M. l'abbé Pallard, dans son Recueilde Prières, etc.,
version du Raccolta .approuvée de la S. Congrégation.
4° Quand M. Le Pioy aura passé au moins deux heures chaque jour,
pendant cinq ou six mois, chez S. E. le Cardinal-préfet de la S. Con-
grégation des Indulgences, pour faire réviser une traduction, épreuve
subie par celle de l'abbé Cloquet, il sera admis à lui opposer la sienne.
De plus, Son Éminence a témoigné le désir que, tout en évitant les
fautes de traduction commises par un autre traducteur du Raccolta,
l'auteur de la nouvelle en rapprochât le plus possible la sienne, par
l'emploi des mêmes expressions et la tournure de ses phrases, afin de
moins troubler les fidèles : telle est encore une des principales raisons
pour lesquelles il ne croit pas devoir se rendre au vœu de M. Le Roy
qui serait une innovation malheureuse.
IIL Poursuivons l'examen de sa critique. « M. Cloquet, dit-il, exige
« qu'on visite une église des RR. PP. Franciscains pour gagner les
« indulgences accordées par Martin V et par Eugène IV à ceux qui
« assistent à l'office ou à la messe durant l'octave de la Fête-Dieu.
« Cependant la Raccolta ne fait aucune distinction d'églises pour cette
« indulgence. »
Réponse. — La vérité est que l'autour des Archives, à la page 296,
ne parle point et n'a pas eu l'intention déparier des indulgences accor-
dées à tous les fidèles par Mariin Vet Eugène IV : il le fera néanmoins
dans une autre édition. Mais au vendredi, premier jour dans l'octave
du Saint-Sacrement, il s'est borné à parler de celles qui sont indiquées
au n° 1 1 , page 186, tome i du Manuel des Frères et Sœurs du Tiers-
Ordre de Saint- F rançois-d' Assise. Celte assertion est facile à prouver
en rapprochant le passage des Archives de celui du Manuel.
Voici ce qu'enseignent les Archives, § ii, page 296 :
396 CORRESPONDANCE. [Tome VIII.
« Pour tous les fidèles qui, dansl'oclave du Saint-Sacrement, assis-
« tent aux offices dans les églises des Franciscains, il y a 200 jours
« pour Matines, 200 jours pour la Messe, 200 jours pour les Vêpres
« et 80 jours pour les autres heures de l'office. »
Or, dans le Manuel du Tiers-Ordre, on lit:
« Les indulgences suivantes ont été accordées à tous les fidèles qui
« assistent aux offices dans les églises de l'ordre (de Saint-François-
« d'Assise), à la Fête-Dieu, à l'Iramaculée-Gonception et pendant les
« octaves. »
Jour de la fête. — 400 jours, etc.
Octave. — 200 jours pour matines, 200 jours pour la Messe, etc.
Il est donc vrai que les fidèles qui assistent aux offices datis une
église des Franciscains gagnent ces indulgences (i). Ce Manuel a été
approuvé par la S. Congrégation.
Decretum. — S. Congregatio indulgenliis sacrisque R. praeposita
prsefatum indulgentiarum Suramaiiuni Tertii Ordinis S. Francisci re-
visum et cum suis originalibus coUatum uti aulhenticum recognovit,
typisque gallico idiomate imprioii ac publicari posse perraisit. Datuni
Roniae ex secretaria ipsius S. Congregationis indulgentiarum, die 16
raartii 1859.
F. Gard. Asquinius, prsef.
A. archip. Prinzivalli, substitutus.
IV. fl Ce même recueil romain {la Raccolta), ajoute M. l'abbé Le
« Roy, atteste que, par son bref du 15 mal 1784, Pie VI accorde une
« indulgence plénière deux dimanches de chaque mois aux trois per-
'< sonnes associées pour la récitation des sept Gloria Palri. M. Cloquet
« prétend (page 570) qu'elles la peuvent gagner tous les dimanches,
« mais sans citer aucune autorité. »
Ré^jonse. — La vérité est que M. Cloquet ne prétend pas que l'indul-
gence plénière puisse être gagnée tous les dimanches {'2). Il veut bien
(1) Je n'ai certes point nié cette indulgence pour les églises des Francis-
cains ; j'ai seulement prétendu et prétends toujours (et M. Cloquet promet
d'abonder en mo:i sens • dans une autre éditioa » ), que ces indulgences se
peuvent gagner dans toutes les églises sans exception. (iV.-C L.)
(2) Pourquoi a-t-il donc mis « tous les dimanches » en tête de l'aliuéa où
il parle de cette indulgence? 11 osi siir qu'un lecteur pressé ou peu attentif se
contentera de celte indication qui précède immédiatement, dans son livre, cette
dévotion des sept Gloria Palri. J'avoue, pour ma part, que je n'avais pas aperçu
le correctif qui se trouve dix lignes plus loin. (iV.-C L)
Oct. 1863.] CORRESPONDANCE. 397
VOUS croire de bonne foi dans cette erreur. Il regrette cependant que
vous ne preniez pas assez soin de lire avant d'écrire, et que vous le
mettiez dans l'obligation de vous donner publiquement une petite leçon
de lecture. Veuillez donc ouvrir l'ouvrage les Archives aux pages 370
et 371, et y lire l'article Tous les Dimanches :
« A l'union de trois personnes en l'honneur de la Sainte-Tri-
« nité, etc. ont été accordés 100 jours d'indulgences chaque jour,
« 1 ans 7 quarantaines chaque dimanche, et une indulgence plénière
(( à deux dimanches du mois. »
Vous le voyez, les Archives portent 7 ans 7 quarantaines chaque
dimanche et une indulgence plénière à DEUX dimanches seulement
chaque mois, et non pas plénière TOUS les dimanches, comme vous le
leur reprochez à tort.
Pour relever la dernière inexactitude de votre assertion erronée,
c'est-à-dire que M. Cloquet prétend, etc.; mais sans cite)' aucune au-
torité, il pourrait apporter ici, in extenso, le texte italien du décret
primitif, puis le texte latin ; mais il en croit pas à propos d'en fa-
tiguer inutilement le lecteur.
V. M. l'abbé Le Roy, après avoir terminé la critique des Archives,
dit: « Voyons maintenant si le Mois libérateur n'aurait point aussi
« besoin de quelques corrections. La petite offrande au Sacré- Cœur de
« Jésus, indiquée à la page 75, doit se faire « devant une image du
« saint Cœur, » et l'indulgence partielle ne se gagne qu'une fois par
« jour : ainsi porte la Raccolta, qui donne le rescrit de concession du
« pape Pie Vil. M. Cloquet veut que l'on puisse gagner cette indul-
a gence chaque fois qu'on réitère cette offrande et il ne dit mot de la
« condition, essentielle cependant, delà présence de l'image. »
Réponse. — 11 n'y a que deux ou trois inexactitudes dans cette af-
firmation de M. l'abbé Le Roy ; en voici les preuves :
1» Le Raccolta ou Recueil italien, ne donne pas le rescrit de con-
cession du pape Pie VII, comme le prétend à tort M. l'abbé Le Roy :
cet ouvrage ne relate que les dates, non d'un seul (comme il le dit
encore par erreur), mais de deux rescrits émanés de la secrétairerie
des Mémoriaux.
2° De quelle édition du Mois libérateur a l'intention de parler
M. Le Roy? Est-ce de la première? Ecoulée complètement depuis
longtemps, je ne saurais dire si on y lit chaque [ois, au lieu de chaque
jour et si celte faute est de l'auteur ou simplement typographique.
Mais ayant entre les mains un exemplaire de la seconde édition, voici
textuellement ce que j"y lis :
398 CORRESPONDANCE. [Tomo VllI.
« Daignez leur appliquer les iOO jours d'indulgence attachés à
« l'offrande suivante :
« Moi NN... par reconnaissance, etc.
« 100 jours chaque joiw et plénière chaque mois » .
5« En exigeant que la susdite prière soit faite • devant une image
du Saint-Cœur » selon ses expressions, et en appelant cette condition
essentielle, M. l'abbé Le Roy ne serait-il pas dans une erreur que par-
tagent quelques auteurs ? Pour me réfuter il fait appel au Raecolta. Eh
bien ! j'y consens, lisons le RaccoUa et donnons-en une traduction
complète, non faite de la main de l'abbé Cloquet, mais celle qu'a faite
M. l'abbé Pallard avec approbation de la S. Congrégation.
Or, à la page 188 de ce recueil on lit:
« Le pape Pie VII, par deux rescrits du 9 juin 1807 et du 26 sep-
« tembre 1817, émanés de la secrétairerie des Mémoriaux, accorda,
« une fois le mois, l'indulgence plénière et la rémission de tous les
« péchés aux fidèles qui, sétant confessés et ayant fait la communion
«< à un jour de leur choix, réciteront chaque jour du dit mois, la pieuse
« offrande suivante au très-saint Cœur de Jésus, à la condition, toute-
« fois, de prier selon l'intention du Souverain-Pontife. Sa Sainteté
« accorda de plus, une fois le jour seulement, l'indulgence de cent
« jours à ceux qui la réciteront avec un cœur véritablement contrit.
Offrande.
a Moi NN etc., » et le reste de la prière, mais rien de plus,
et pas la moindre mention de l'image que M. Le Pioy regarde comme
une condition essentielle. Puisque c'est au Raecolta, dites-vous, que
vous en appelez et que le RaccoUa ne parle pas d'image, c'est donc
lui qui vous condamne. C'est ce qu'on appelle être battu par ses
propres armes ; inutile d'en employer d'autres que cet argument ad
hominem qui est concluant (1).
(1) Comment se fait-il que M. l'abbé Cloquet, qui relève si doctemeut par-
tout ailleurs les erreurs de traduction et d'omission de M. l'abbé PaUard, pré-
fère ici l'ouvrage français au texte formel de la Raecolta ? On lit effectivement,
dans ce Recueil romain ces paroles qui n'ont pu échapper à sa perspicacité :
« OfFerta al Sanlissinio Cuore di GesU avanli la sua sacra imagine, » et qu'on
ne peut bonnement traduire que par celles-ci : « Offrande au Très-saint Cœur de
Jésus devant son image sacrée. » (N.-C. L )
Oci. 1S63.] CORIiESrOiNDANCE. 399
VI. a La dernière édition de la RaccoUa (1855), qui n'est pas in-
(f connue de notre censeur, continue M. Fabbé Le Roy, ajoute à la
a prière de louange : « Dieu soit béni, » après les mots : « Béni soit
a le nom de Marie Vierge et Mère, » ces paroles : « Bénie soit sa
« sainte et Immaculée- Conception. » Il les a omises. »
Réponse. — Oui, l'auteur du Mois libérateur des âmes du purgatoire
les a omises, et a eu raison de faire cette omission, puisque ces paroles
ne se trouvent pas dans le décret de concession qui seul devait être la
règle du RaccoUa comme elle doit être la nôlre. Nous ne devons, nous
ne pouvons suivre la doctrine du RaccoUa qu'autant qu'elle est con-
forme aux décrets; dès lors qu'elle s'en écarte, il est de notre devoir
de n'en pas suivre les errements. Or^ il est certain que sur ce point il
s'en écarte.
La preuve en est facile. Cet ouvrage déclare que le dernier décret
d'après lequel son article est rédigé date du 8 août 1847. C'est le plus
récent. Or, l'auteur du Mois libérateur a, in extenso,\& texte latin de ce
décret imprimé. Il Ta puisé à Rome, dans l'imprimerie officielle de la
Rév. Chambre Apostolique. Sur cette pièce irrécusable, le texte italien
de la prière entière précède le décret en langue latine. Cette prière se
compose seulement de 8 phrases et non de 9, et il n'y a pas, je l'af-
firme, ces paroles : « Bénie soit sa sainte et immaculée Conception » , qui
n'ont pu être ajoutées qu'après 1854.
De ce qu'il a plu à la piété de Monsignor Prinzivalli, vénérable ar-
chiprêtre, rédacteur de la IS*' édition du RaccoUa, d'insérer en 1855,
c'est-à-dire après la définition du dogme de l'Immaculée-Conception,
cette louange en son honneur, et cela sans nouveau rescrit qui l'y au-
torisât, ce n'est pas plus légitime que ne le serait l'insertion arbitraire
de cette louange : « Bénis soient les saints martyrs du Japon, » s'il
plaisait désormais à un auteur de la mettre au nombre des autres que
cite le décret. Ce décret est seul infaillible, donc cette doctrine là seule
est sûre, et M. l'abbé Le Roy n'est pas en droit de faire un reproche
de l'avoir suivie (1).
Qu'il nous permette de terminer en appliquant à sa critique ses
propres paroles : « Il serait facile de rencontrer en d'autres endroits. ..
(1) Cette addition a été introduite, non par le caprice de Mgr Prinzivalli, mais
par un rescril de la Seorétairerie des Brefs du 27 avril 1851. {Résolut lOnes seu
décréta authenlicaS. G. Induly., n» 595, éd. Crux., p. 233.)
(N.-C. L.)
400 CHRONIQUE. [Tome VIII.
« de nouvelles erreurs ou d'autres inexactitudes : celles que j'ai indi-
« quées suffiront, et au-delà pour éclairer et prémunir (1). »
Sancerre (Cher), le 8 juillet 1862.
L'abbé Cloquet,
Auteur des ouvrages : Les Archives, etc. ;
et le 3Ioîs libérateur, etc.
CHRONIQUE.
Nous disposons aujourd'hui d'un espace bien restreint. Force nous est
donc de mentionner simplement une nouvelle édition du livre du P. Ma-
tignon, déjà dignement apprécié dans ce recueil (t. v, p. 438 ss.) : La
Question du surnaturel, ou la grâce, le merveilleux, le spiritisme au
XIX' siècle, 2^ éd. Paris, A. Le Clère, in-12 de xiii-580 p. Cette seconde
édition, outre qu'elle a subi des modifications importantes, est augmen-
tée d'une troisième partie, consacrée à établir l'existence du surnaturel.
Nous sommes obligé au même laconisme vis-cà-vis d'un nouvel opuscule
de M. de Herdt, dont nous ne voulons pas différer plus longtemps l'an-
nonce : Çompendiosa subdiaconornm et diaconorum instructio cïrca Breviarii
Romani recitationem et funciionum suarum exercitinm. Lovanii, Vanlin-
thout, in-8, 80 p., 65 c. L'utilité pratique de cet opuscule est manifeste,
et l'auteur est assez connu.
Le çTemieT volume d\i Breviarium philosophiœ scholaiticœ,de M. Grand-
claude, vient de paraître. (Paris, Gaume, Pélagaud, iu-12, viii-359 p.) Le
second volume suivra de près, de sorte que l'ouvrage peut, dès à pré-
sent, être employé dans les classes. E. Hautcœur.
(1) Pitoyables représailles ! Moi, je me permets de lui dire qu'il s'est bien
gardé de reconnaître les autres erreurs manifestes que je relevais dans mon
article, par exemple les indulgences des médailles pour la fêle de saint Barnabe,
celles de l'.Vrehiconfrévie de l'Assomption, etc. Il ne pouvait pas, on le pense
bien, les rejeter sur son imprimeur. Il aura craint, peut-être, que cet acte d'hu-
milité ne nuisît à la réputation qu'il s'est faite, même hors de France, auprès
de ceux qui se laissent prendre a de pompeuses réclames. J'ajoute, en finissant,
qu'on m'a signalé, de Rome, plus de trente autres erreurs, etc., découvertes
dans ses publications. {N.-C. L.)
Auras — Typ. Rousseau-Leroy, rue Saint-Mr.urice. 26.
LA BIBLE
ET LA SCIENCE DE LA NATURE.
BiBEL UND NATUR. Vorlesuugen ûber die mosaiche Urgeschichte und
ihr VerhaBltniss zu den Ergebnissen der Natiirforschung. Von Dr F.
H. Reusch. Freiburg, Herder, ise^,— Oosmogonia naturale comparata
col Genesi, del P. G. B. Pianciani, D. G. D, G. Roma, coi tipi délia
Civiltà cattolica, 1862. — Études géologiques, philologiques et scrip-
turales sur la Cosmogonie de Moïse, par le P. Laurent, prov. des
FF. Min. Capucins. Paris, Mme veuve Poussielgue-Rusand, 1863.
Deuxième article.
IV.
Nous allons maintenant étudier le récit de la création dans
Moïse, en cherchant, par une application exacte des lois de
riierméneutique, à dégager ce qu'il contient rigoureusement.
Nous ferons ensuite un travail analogue sur les données four-
nies par les sciences naturelles, et nous comparerons les ré-
sultats obtenus par cette double voie.
La Bible nous raconte les origines du monde, mais au point
de vue qui lui est propre. Rappelons-nous les observations faites
dans le premier article. Rien ici qui soit destiné à satisfaire
une curiosité purement humaine. Dieu, en se révélant à nous,
en choisissant certains hommes pour être ses interprètes au-
près des autres hommes, s'est proposé une fin mille fois plus
noble et plus digne de lui. 11 serait déraisonnable de demander
aux écrivains divinement inspirés autre chose que ce qui se
rapporte à l'objet même de leur mission, c'est-à-dire à la
grande œuvre du salut, préparée sous l'économie mosaïque
Revue des Sciences ecclésiastiques, t. vui. 26-27.
402 LA BIBLE [Tou>eVlll,
et réalisée enfin par le Christ. Pour le reste, les prophètes et
les écrivains de l'Ancien Testament se trouvaient dans la
même condition que les autres hommes de leur époque. Ils ne
recevaient aucune lumière spéciale sur la physique, la géologie,
l'astronomie. L'inspiration les a seulement garantis de toute
erreur dans leur exposé, en tant qu'il touche nécessairement
à des questions de cette nature.
Aulre remarque. La terre étant le séjour de l'homme et le
théâtre de l'histoire biblique, c'est d'elle surtout que s'occupe
le récit de la création : le reste est accessoire et ne trouve
place ici qu'à raison d'un enseignement dogmatique. L'auteur
établit que Dieu est le créateur de l'univers : puis il s'occupe
en détail de ce qu'il a fait pour préparer la demeure de
l'homme. Le ciel, les astres, la lune, le soleil ne sont envisa-
gés que dans leurs rapports avec notre planète et ses habitants.
C'est qu'effectivement ce morceau sert d'introduction à une
histoire spéciale, celle de la Révélation, et par conséquent ne
doit point s'étendre en dehors de ses limites : donc, à ce point
de vue encore, il ne faut pas chercher ici une cosmogonie
complète et développée.
Ces principes étant posés, nous abordons l'explication du
premier chapitre de la Genèse.
« 1. Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre;
« 2. Et la terre était déserte et vide, et les ténèbres étaient
répandues sur la surface de l'abime, et l'Esprit de Dieu pla-
nait sur la surface des eaux. »
Les Hébreux ne possèdent pas de mot spécial pour désigner
l'ensemble des choses, l'univers; ils se servent de celte péri-
phrase, le ciel et la terre. (Gen. ii, 1,4; xiv, 19, 22. Ps. lxix,
35 ; cxv, 15 ; cxxi, 2; cxxiv, 8.) Donc, au sein de ces ténèbres
primitives où nous transporte le récit biblique, le monde exis-
tait, mais non pas le monde sous sa forme actuelle, le monde :
organisé, peuplé, disposa comme il l'est aujourd'hui. Ce qu'a-
Nov 1803]. ET LA SCIENCE DE LA NATURE. 403
perçoit l'œil du voyant, c'est une masse informe et chaotique
enveloppée dans les eaux comme dans un linceul : ce sont les
éléments que la maiu du Créateur va façonner et disposer.
L'état primitif de la matière est donc décrit dans les deux
versets qui nous occupent. La vie n'habite point encore ici-
bas; la terre est informe et nue, déserte et vide, tohu vabohu^
xivoiij.a. xaiouûév (Aquila). L'Esprit de Dieu plane sur la surface
des eaux; il les féconde de sou souffle vivificateur; il s'apprête
à faire sortir de ce mélange informe et confus les merveilles
de la nature organisée. Le verbe employé ici (nsn^l'Û ) éveille
ridée de l'incubation qui prépare l'éclosion de la vie. Ou ne
le retrouve qu'une seule fois dans l'Ancien Testament fDeut.,
XXXIII, 11) : encore est-il pris dans un sens un peu détourné,
puisqu'il s'applique à l'aigle voltigeant au-dessus de ses
petits. Mais la notion fondamentale a été mieux conservée
dans la langue syriaque, où elle se trouve confirmée par de
nombreux exemples (1).
Saint Jérôme fait à ce sujet la remarque suivante : « Pro eo
quod in nostris codicibus scriplum est ferebatur, in Hebreeo
\\dibBiMerefeth,(\\xoà nos appellare possumus incubabat, sivecon-
fovebat, in similitudinem volucris ova calore animant! s. Ex quo
intelligimus, non de spiritu mundidici;, ut nonnulli arbitrantur,
sed de Spiritu sancto, qui et ipse vivifîcator omnium à prin-
cipio dicitur (2). »
Et l'Église chante magnifiquement, à l'office du Samedi
saint : « Deus cujus Spiritus super aqnas inter ipsa mundi
primordia ferebatur, ut jam tum virtutem sanctificationis
aquarum substantia conciperet, etc. »
Quelques écrivains ecclésiastiques (3), et un grand nombre
de rabbins, k la suite d'Onkelos, croient que ce fiuach Elohim,
spiritus Dei, était simplement un grand vent. Mais ce sens est
(\) V. Gcnesius, Thésaurus, p. ^285.
(2) HieroD. Tradit. hebr. in h. 1.
(3) Terl. Cotitra Hermog. c. 52. — Theodor. q. 8 m Gen.
AOÂ LA BIBLE ITonie VII}.
aussi vide que forcé. Rien de plus commun dans rAncien
Testament que l'usage de la formule en question pour dési-
gner une force, une vertu divine à laquelle ou rapporte les
œuvres de la toute-puissaiice tant dans l'ordre delà nature que
dans l'ordre de la grâce. Les passages sont tellement nombreux
et tellement connus, qu'il serait fastidieux et inutile de
les citer. Il est évident que lo nôtre se rattache à cet en-
semble. Toutefois, l'Esprit de Dieu n'apparaît point clairement
ici, ni en général dans l'Ancien Testament comme une hypos-
tase distincte : il appartenait à l'économie nouvelle et à la ré-
vélation par Notre-Seigueur de soulever entièrement le voile
qui recouvrait le plus auguste des mystères, celui de la Irès-
sainle Trinité. Mais, dès à présent, un rayon perce la nuit, un
premier trait se dessine; peu à peu l'image deviendra plus
complète et mieux accusée jusqu'à ce que les ombres se dis-
sipent à la lumière du Nouveau Testament.
La masse confuse et ténébreuse que l'annaliste sacré
nous montre à ce premier instant, n'existe point par elle-
même et d'une manière indépendante ; elle est l'œuvre de la
toute-puissance divine, c'est Dieu qui l'a o^éée. Ainsi nous
trouvons inscrite en tète de la Genèse cette solution du pro-
blème de l'origine des choses, la seule vraie, la seule qui soit
compatible avec les doctrines spiritualistes et qui n'aille
point se perdre dans les aberrations du panthéisme.
Qu'il soit question ici d'une création véritable, d'une création
ex nihilo, pour employer le langage de l'école, c'est ce dont il
n'est pas possible de douter. Le verbe bara a bien manifes-
tement dans l'usage de la langue hébraïque un sens spécial
qui ne s'applique à aucune des formes ordinaires de l'ac-
tivité, qui se rapporte à un acte exclusivement du ressort
delapuissancedivine.il est vrai que la signification fondamen-
tale, conservée à la forme pihel, est celle de couper, tailler,
façonner. Mais qu'un le remarque bien, Tétymologie n'est pas
ce qui fixe le sens précis des ujots : la seule et unique règle, c'est
Nov. 1863 ET LA SCIENCE DE LA NATURE 40.1
l'usage, que l'étymologie vient aceessoiremeut éclairer et con-
firmer. Or, l'usage ici est constant. Le verbe bara, à la forme
hal, n'est employé que quand il s'agit de Dieu et de ses
œuvres : à la différence des verbes analogues qui ont la no-
tion d'arranger, façonner, disposer, il n'est jamais accompagné
d'un accusatif exprimant la matière. Il désigne par consé-
quent l'action de créer, réservée à Dieu seul, et qui ne sup-
pose aucun sujet préexistant. Quelquefois, il est vrai, on le
transporte à des opérations analogues, à des rénovations ou
transformations totales ; c'est ainsi que l'on dit créer un cœur
nouveau, pour changer entièrement les dispositions de -quel-
qu'un {{) ; créer Jérusalem, pour la relever d'une ruine complète
qui l'avait en quelque sorte anéantie (2). Ces exemples cadrent
évidemment fort bien avec les autres, et loin d'infirmer nos
preuves, ils ne font que leur apporter une confirmation nou-
velle.
Tout ceci ne peut guère être contesté au point de vue philo-
logique. Mais alors même que le mot bara n'aurait point par
lui-même et exclusivement ce sens de créer, il ne saurait sub-
sister aucun doute sur la pensée du narrateur. Il est bien clair,
d'après l'ensemble du contexte, qu'il a voulu exprimer une
création véritable, une production de la matière, façonnée
ensuite dans l'œuvre des six jours (3). Aussi, c'est bien
le sens que toute la tradition juive a donné à ses paroles (4),
et cette interprétation est confirmée par l'ensemble de la doc-
trine biblique. On retrouve en effet à chaque page de TAncien
Testament l'idée d'un Dieu créateur de toutes choses, cause
adéquate de toute existence. C'est lui qui a tout créé par le
souffle de sa bouche : il a dit et tout a été fait (5). La mère
(1) Ps. LI, \1.
(2) Is. Lxv, -17, 18.
(3) V. Ges. Thés. h. v.
(4) V. Maïraoaides, Moreh Nebochim^ni, ^3 ; Joh. à Lent^ de Mo-
derna Theologia Judaïca, p. ^74 ss.
(5) Ps. xxxui, 6, 9 ; cxLvui, 8. Is XLvni, ^3, etc.
-^06 LA BIBLE iTomoVIII.
des Machabées ne fait que résumer ces enseignements quand
elle s'écrie (1) : « Je te conjure, mon fils, de regarder le ciel et
la terre, et en voyant toutes les choses qu'ils renferment, de
reconnaitre qae Dieu les a créées du néant {il oùx ovtwv
iTTotVjGEv). » Si dans le livre de la Sagesse (2), il est dit que
Dieu a tiré le monde d'une matière informe {il àfxôp'^ou uXviç),
cette phrase doit s'entendre de l'œuvre des six jouis, telle
qu'elle est décrite dans les versets 3-31 du premier chapitre
de la Genèse : elle n'exclut nullement un premier acte pro-
ducteur de la matière elle-même. Les règles d'une saine in-
terprétation nous font une loi d'expliquer cette incidente je-
tée comme en passant, d'après les textes si nombreux où
la doctrine de la création est traitée d'une manière plus
explicite, et spécialement d'après le récit de la Genèse avec
lequel il est si facile de le mettre en harmonie (3).
Voilà donc un résultat bien acquis : les deux versets qui
commencent notre récit expriment eu quelque sorte le pre-
mier acte de la création, la production de la matière ; le reste
expose comment dans cette masse informe l'ordre et la vie se
sont développés. Quelques interprètes néanmoins n'admettent
pas cette distinction : ils croient que les versets 1-2 contiennent
un simple résumé, un sommaire de la narration contenue dans
le reste du morceau. Le fait de la création serait d'abord ex-
primé en deux mots, puis détaillé dans ses moments successifs.
Nous ne croyons pas que cette interprétation soit admissible,
(!) II Macli. vu, 28.
(2) Sap. XI, 18.
(5^ Il a fallu loules les préoccupalions ralionalisles d'un Bunsen
pour faire de la création ex nihilo une question scolasliquc totale-
ment étrangère à l'enseignement lie la Bible (Bunsen, Bibelwerk,i,b).
Les exégèles mêmes irès-avancés (il faut cependant excepter encore
Lwald; sont ici d'accord avec nous. Voici, par exemple, comment
s'exprime Knobe! : « Comment Dieua-l-il créé la matière et d'oùl'a-
t-il tirée ? D'après notre historien, sans aucun doute, il l'a créée par
Tacle seul de sa volonté, et par conséquent il l'a tirée du néant. »
(Knobel, Die Genesis erklœrt^ p. 8.)
Nov. 1303.] ET LA SCIENCE DE LA NATURE 4ê?
Le texte en effet, exprime clairement un état chaotique, infor-
me, confus, résultat de l'acte initial et précédant l'œuvre des
six jours (1).
L'écrivain sacré nous apprend encore que cet acte créa-
teur eut lieu au commencement, Iv àpx?> formule toute
relative, qui en elle-même indique une simple priorité d'époque
par rapport aux formations successives détaillées dans le cours
du récit, mais qui, en vertu du contexte et par voie de con-
séquence, marque le commeiicemeut absolu des choses créées.
Un bon nombre de Pères et d'écrivains ecclésiastiques (2)
ont cru que les mots inprincipio se rapportent au Verbe divin,
pai' qui tout a été fait, selon la doctrine des saintes Écritures.
Mais le mot rT^ÎDï^lj principium, n'a nulle part cette signification
dans l'Ancien Testament (2) : et d'ailleurs interpréter ainsi le
premier verset de la Bible, n'est-ce pas méconnaître le carac-
(1) Exislimavil hic Chrysoslomus, primis illis verbis non describi
aliquarum lerum crealionem, quœ primum diem et ceterarum rerum
produclionem anlecesserit, sed uuiversim compendio Moysen referre
voluisselolutn opus crealionis muodi, quod sex diebus perfectuin est,
caeli nerape et terrje iiomine lolum munduro, seu quidquid caelum in-
ler et lerram conlinelur comprehendendo ; pusiea vero ad singuias
ejus parles descendere. Sed hanc explicalionem non paliunlur quae
sequunlur : Terra aulem, elc... Necesse est igiiur staluere Lfec tria,
cœlum, lerram claquas, iniiio anle priraum diem ex nihilo producta
esse, seu proprie dicta créai. one : cetera deinceps sex diebus, el ceriis
moris inierjeclis producla non crealione presse sumpia, sed ex male-
ria prœexistente el prius creala : quee lamen eliam creata dicunlur,
quia eorum tnaleria, ex qua sunl producla, ab eodem auctore Deo
paulo anle ex nihilo facia iuerat. Bonfrerius, in h. 1.
(1) Ou peut les voir elles dans une disserlalion érudile du P. Falrizi,
De Interpretatione Scripturarum sacrarum^ ii, ^9-28.
(2) Dans le passage cilé parle P. Patrizi, /. c,,p.26 (Prov. ix,-l 3).Io mol
n"'î2Jbi'1 n'est pas employé d'une manière absolue, mais avec une appo-
sition qui le détermine : principium viee ejus. L'exemple ne prouve
donc pas. Puis, l'usus loquendi de l'époque salomonique, appuyé sur un
développement doctrinal tout nouveau, ne peut êlre ainsi transporté a
un temps bien anléritur, où la doctrine de la sagesse Ijyposlalique
n'apparaît pas encore.
408 LA BIBLE [TomeYlII
tère de progrès que Dieu a voulu imprimer à son œuvre?
N'est-ce pas devancer le développement doctrinal et tout con-
fondre dans l'histoire de la Révélation? Enfin, cette interpré-
tation a quelque chose de si forcé qu'on ne peut s'empêcher
de dire avec un interprète très-sage : « Nemo facile mihi
persuaserit hanc interpretationem litterali sensui conve-
nire (1). »
Quelques anciens auteurs^ à la suite d'Aben-Esra, ont tra-
duit : Au commencement que Dieu créa le ciel et la terre, la
terre était déserte et vide, etc. Les règles de la grammaire
hébraïque empêchent de construire ainsi la phrase (2). En
présence de cette raison décisive, quelques auteurs (Ewald,
Bunsen) ont proposé une construction différente, mais telle-
ment forcée, tellement en opposition avec le style simple et
coulant du morceau, qu'il est impossible de s'y arrêter. Ils
traduisent : Au commencement que Dieu créa le ciel et la
terre, — la terre alors était déserte et vide, etc. — Dieu dit, etc.
Cette longue parenthèse séparant les deux membres d'une
période est de tout point inacceptable : elle trahit à première
vue un artifice exégétique destiné à éliminer l'idée de créa-
tion (3).
Reste donc le sens très-simple et très-naturel que nous avons
adopté : les deux premiers versets nous représentent l'état
des choses à la suite de leur production première et avant que
l'ordre présent fût introduit par une action nouvelle du prin-
cipe créateur. Combien cet état primitif a-t-il duré? c'est ce
que notre texte ne précise en aucune façon : il laisse place à
toutes les conjectures et n'en exclut aucune. La durée la plus
courte comme la plus longue sont ici également admissibles ;
car, qui a scruté les conseils du Tout-Puissant ? Qui peut
pénétrer le voile mystérieux qui les recouvre, quand lui
{^)Bouf^e^ius, in h. 1.
12) Il faudrait ^nïin ^nnV
(5) V, Knobel, h. 1.
Nov. 1SG3, ET LA SCIENCE DE LA NATURE. -'iOO
même ne daigne pas le soulever en partie ? Il pouvait créer le
monde en un instant : il a pu également, si tels étaient ses
desseins, prolonger pendant des centaines et des milliers de
siècles ces ténèbres primitives sur lesquelles planait l'Esprit
vivifîcateur.
Autre question également insoluble d'après les termes du
récit biblique. L'état qu'il dépeint ainsi dès le début n'a-t-il
été précédé d'aucun autre ? Le monde a-t-il commencé par le
chaos ? Qui oserait l'affirmer, et surtout qui oserait dire que
c'est le sens précis de l'écrivain sacré î Peut-être une ou plu-
sieurs créations avaient-elles déjà disparu par l'effet d'un ca-
taclysme dont la cause nous échappe. La Bible n'en dit rien,
mais elle n'enseigne pas non plus le contraire. Elle laisse dans
une complète obscurité la période antégéaésiaque : un trait lui
suffit pour la décrire ; elle va droit à son but et nous trans-
porte immédiatement sur le théâtre où va se dérouler l'histoire
de la Révélation. Le reste est étranger à son objet; elle ne
s'en occupe pas. Que dis-je ? Le regard inspiré à qui Dieu mon-
tre toutes ces choses, ne perçait sans doute pas lui-même au-
delà des ténèbres primitives : la Révélation s'arrête à ce qui
concerne immédiatement l'homme et son salut. Il est donc
probable que l'auteur du récit contenu dans le premier cha-
pitre de la Genèse ne s'est point posé ces problèmes ou en a
ignoré la solution.
Le silence de la Bible n'exclut donc pas l'hypothèse dont
nous parlons : on ue peut non plus lui opposer aucune autre
difficulté vraiment décisive. On a beau dire qu'une destruction
de tous les êtres pour aboutir à un3 restauration n'est point
probable ; qu'on ne voit pas quels auraient été les desseins de
la Providence ; que Dieu, dans cette hypothèse, ressemble à
un ouvrier inhabile et mécontent de son œuvre qui la brise
pour se livrer à de nouveaux essais, etc. Nous ignorons quel
peut avoir été le plan de la Providence, comme nous ignorons
la nature et les causes de la catastrophe, si réellement elle a
410 LA BIBLE IToincVIIf.
eu lieu. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle n'est pas due à
l'imperfection d'un premier essai. De bonne foi est-il né-
cessaire de s'arrêter à un motif aussi ridicule? Ne peut-il pas
y en avoir eu d'autres qui nous échappent, mais qui à coup
sûr auront été dignes de la sagesse et de la puissance du
Créateur ? Il n'est pas nécessaire pour les découvrir de se li-
vrer à des conjectures dénuées de base et d'appui: il suffît de
savoir qu'on peut raisonnablement les supposer, si de fait il
faut admettre des créations multiples et successives. Certains
auteurs ont dépassé les bornes de cette sage réserve en voulant
suppléer au silence de la Bible par des hypothèses aussi
invraisemblables que dénuées de tout fondement. Ils suppo-
sent que les anges habitèrent d'abord noire planète, et que leur
chute amena la catastrophe, cause de la confusion universelle
décrite dans les deux premiers versets de la Genèse. Wes-
termayer parmi les catholiques s'est spécialement constitué
le défenseur de cette opinion (1). Elleesten grande vogue chez
les illuminés , tels que Bœhme , Saint-Martin, Hahn , Fr.
Mayer, etc ; elle a aussi beaucoup de partisans chez les Luthé-
riens, entre autre Delitzsch et Kurlz (2). Que rien dans le texte
ne vienne appuyer ces suppositions, c'est ce dont convien-
nent parfaitement leurs auteurs mêmes, au moins les plus rai-
sonnables : ils n'interprètent pas le récit biblique, ils le com-
plètent, ils suppléent à son silence. Mais comment le font-ils,
et sur quoi s'appuient leurs conjectures? La science n'a rien à
gagner à ces créations fantastiques. Est-il donc si difficile
d'avouer notre ignorance sur des problèmes aussi obscurs?
Et n'est-ce point le seul parti conseillé par la prudence,
alors que nous n'avons aucune donnée pour les résoudre ?
(t) Weslerraayer, Das Alt Testament und seine Bedeulung, \ Band,
s. n-60.
(2) Delizsch, Genesis (3 Auû. ^8G0), p. 103 s. — Kurtz, Bibel und
Astroncmie {i Aufl.), p. 87 ss., 445 ss., 538 ss.
(3) V. Ruriz, Bibel und Astronomie, p. ^35 ss., 575 ss.
Nov. 18G1.] ET LA S^CIENCE DE LA NATUnE. 411
Il y a plus: cette hypothèse, considérée de près, ne conduit
à rien moins qu'à regarder les anges comme des créatures
matérielles. Car enfin, si la terre a été préparée et peuplée
pour être leur séjour, si Dieu a créé pour eux des animaux et
des plantes, ils étaient donc dans une relation quelconque avec
ces êtres, ils avaient des nécessités physiques à satisfaire, ils
étaient eux-mêmes doués d'un corps. Les protestants, Kurtz
par exemple, ne reculent pas devant cette conséquence. Mais
si la dogmatique luthérienne s'en accommode, il n'en est pas de
même de la dogmatique orthodoxe, fondée sur l'enseignement
traditionnel et infaillible de l'Église, consacrée par la défini-
tion solennelle du iv' concile de Latran (1). Il y a donc ici une
barrière que rien ne peut franchir, et si, comme nous le
croyons, le séjour des anges sur la terre dans les conditions
que l'on suppose ne peut convenir à de purs esprits, l'hypo-
thèse est jugée par cela seul. Au reste, il nous suffît de faire
remarquer qu'elle n'est fondée en rien sur l'enseignement de
la Bible, ni sur la doctrine de l'Église {2), et de la laisser
pour ce qu'elle vaut dans le domaine des conceptions pure-
ment gratuites.
Rien ne s'oppose néanmoins, comme nous l'avons dit, à ce
que l'on suppose, sous les termes généraux des versets 1 et 2,
un ou plusieurs cataclysmes dont nous ignorons le temps, l'é-
poque, le mode et la cause. Le texte n'en dit rien, mais il n'af-
ûrme pas non plus le contraire : il nous laisse à cet égard dans
une complète indécision. Si par conséquent des découvertes
positives dans le domaine de la nature établissaient que l'état
de notre globe suppose des révolutions successives, accom-
plies à de longs inlervalles pendant une période antéhistorique,
(1) V. Perrone, Tractatus de Deo Creatore, p. i, cap. 2.
(2) Les deux témoins les plus ancl-ns que l'on ail pu citer sont le
roi Edgar (x« siècle), V. Tholuck, FerwmcA/e Schriffen, ii, 230, et le
poêle anglo-saxon CœJmon (vu" siècle). V. Delilzsch, Genesis, 613,
n. 10.
4J2 LA BIBLE LT LA SCIENCK DE LA NATURE. [Tome VIII.
rien n'empêche de donner place à ces faits dans le cadre si
large de notre récit. L'état chaotique décrit dès le début peut
être attribué à des révolutions de cette nature. Nous ne disons
pas que cela est, mais simplement que cela peut être : c'est aux
naturalistes à établir que cela doit être. S'ils parvienneut à en
fournir la preuve d'une manière certaine, l'hypothèse se chan-
gera en thèse : et ce résultat, tout-à-fait en dehors du récit bi-
blique, n'aura rien, absolument rien qui puisse y contredire.
Seulement, nous montrerons ici vis-à-vis des naturalistes la
réserve que nous avons montrée tout à l'heure vis-à-vis des
théologiens. Nous avons repoussé sur le terrain de la théolo-
gie des hypothèses sans fondement sur le rôle des anges déchus
dans les faits qui ont amené le chaos primitif: nous rejetterons
de même, sur le terrain des sciences naturelles, les hypothèses
qui^ sans s'appuyer sur des faits certains et sur leurs consé-
quences légitimes, placeraient à l'origine des choses toute une
série de créations et de destructions successives.
Ces réserves une fois faites, il est clair qu'on peut suppléer
au silence de la Bible, et faire à l'aide de la géologie et de
l'astronomie ce qui se fait à l'aide de l'histoire et de l'archéo-
logie. En se servant des données fournies par la science
profane, on jette parfois un jour inattendu sur des points que
l'histoire de la Révélation touche comme en passant, parce
qu'ils sont eu dehors de son cadre et qu'elle n'a point mission
de les éclaircir. On lit pour ainsi dire entre les lignes du texte
sacré, on en remplit les pages blanches, on complète son
côté humain. Quand cela se fait avec la prudence, la réserve,
le tact nécessaires, la Religion comme la science ne peut avoir
qu'à s'en louer.
E. Hautcceur.
LA VERITE
SUR LA
FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS
do lees à les»
d'après des documents inédits.
Troisième article (1).
§IV.
L'enregistrement de l'arrêt du 22 janvier 1663 fut exécuté forcément.— Il n'ex-
prime pas le sentiment de la Faculté. — Protestation de plusieurs docteurs
contre cet enregistrement, restée inconnue jusqu'à ce jour.
I. Il est certain que le 9 février 1663, la Faculté conclut au
refus d'enregistrement. Voici le procès-verbal de sa délibé-
ration : « Senatus arnplissimi decretum, proutjacet, non esse
inscribendum in suis tabulis. Adeundum esse augustissimum
senatum per sapientissimos magistros nostros Morel, de Breda,
Bail, de Gamaches, Grandin syndicum, Tirol et Guyart; qui
cuni honore et reverentia debitis pètent ab eodem augustis-
simo senatu, ut velit et dignetur exponere imeutem suam non
fuisse sibi adscribere judicium doctrinale in materia fidei et
Ecclesise dogmatibus, vel Isedere jura facultatis, aut innuere
necessarium esse absolute concilium générale ad extirpanda
quselibet schismata et quaslibet haereses, verbi gratia, Pelagia-
nam et Jansenianam, quas constat suflacienter extinctas absque
(1) V. les numéros d'août, p. 97 ss., cl septembre, p. 208 ss.
414 LA VÉRITÉ lTomcV;iL
concilio generali, quod tantum in aliquibus casibus dici potest
absolule necessarium. Qaod si negotium hoc pacto non con-
ficiatur apud senatura, adeimdum esse regeni christiauissi»
mum »... (D'Argentré, Collectio judiciorum, t. m, part, i,
p. 87 et 88.)
Les sept docteurs désignés arrêtèrent de concert avec le pre-
mier président Lamoignon, et avec les trois ministres du Roi,
la formule de l'allocution qu'ils devaient prononcer et qu'ils
prononcèrent, eu effet, devant le Parlement. (Voir ce fait et la
formule, op. cit. p. 88.)
« Le premier président leur dit, que quand la cour ordonnait
quelque chose^ tout sujet du Roi devait s'y soumettre sans l'exa-
miner... Qu'ils eussent à enregistrer incessammeut l'arrêt, la
cour n'entendant pas qu'il soit parlé davantage de leurs diffi-
cultés sur ce sujet. » {Mémoires inédits du Père Rapiu, chap. 16.)
« Debere omnem régis subditum, cum aliquid senatus sanxit
obtemperare. » (D'Argentré, /. c.)
Il est évident que la Faculté n'était plus libre. Et il faut que
le fait de la violence ait été bien notoire, pour que le syndic
Grandin ait osé dire, peu après, au Parlement a qu'il fallait
passer ces mauvais temps, et qu'il n'en signerait plus de pareil-
les (thèses) , jusqu'à ce que la liberté eût été rendue à la Faculté. »
{Mémoires du Père Rapin, chap. 46.)
II. A la fin, la Faculté dut céder à la force, et l'enregistre-
ment eut lieu. On ne saurait douter que la majorité des doc-
teurs, y compris Bossuet, n'ait été d'un sentiment contraire.
11 est probable que, pour éviter les poursuites judiciaires ou
d'autres conséquences analogues, la plupart s'abstinrent d'as-
sister à la séance où l'injonction du parlement fut exécutée; et
que la faction des docteurs jansénistes, capable de tout pour
plaire au pouvoir, adhéra seule à l'insertion de cet arrêt
schismatique, où le Parlement usurpait le droit de prononcer
définitivement en matière de foi.
III. Mais le fait, qui avait été jusqu'ici soigneusement
Nov. 1863) SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE LE PARIS. 4^S
étoufifé dans le silence, c'est la protestation de plusieurs doc-
teurs envoyée au Nonce. Voici une pièce inédite où ces docteurs
sont dénoncés au ministre Colbert comme des rebelles et des
séditieux. L'original se trouve à la Bibliothèque impériale,
ms. Colbert, 155 Vc, p. 105.
a A Paris ce 28 mai 1663. — Mémoirt touchant les docteurs de
Sorbonne qui ont fait des protestations contre l'enregistrement du
premier arrêt du Parlement au sujet de l'infaillibilité. — On
sait de bonne part qu'il y a 22 docteurs de la Sorbonne qui ont
fait des protestations qui ne peuvent être que criminelles et
séditieuses, contre l'enregistrement du premier arrêt du
Parlement au sujet de l'infaillibilité du Pape ;
« Que les dites déclarations et protestations ont été en-
voyées au Nonce qu'on a fait sortir l'année dernière de France
depuis le ditïérend avec Rome.
« Messieurs Chamillard frères, le curé de Saint-Sulpice, le
sieur Blanger (qui a été précepteur de l'abbé de Brienne), les
sieurs Grandin, Leblond, Joisel, Pignay, Lestre, Leblanc et
autres sont du nombre de ces derniers protestants, qui disent
être prêts de mourir pour le corUenu de leurs dites protestations.
« Il sera facile de savoir cela de certitude, en mandant les
notaires ou leurs syndics, ou bien faisant faire jurement à ces
docteurs, s'il n'est pas vrai qu'ils aient fait de semblables
déclarations, ou quelque chose d'approchant.
a Les mêmes docteurs ont fait de semblables protestations contre
les articles naguère présentés au roi par la Faculté ; en quoi le dit
sieur Grondin se montrerait extrêmement prévaricateur et ex~
traordinairement dissimulé.
« Il est même à prendre garde que le dit Chamillard l'aîné,
l'un des professeurs de Sorbonne, lequel a été envoyé avec le
sieur Leblond, docteur, et sont partis le 21 de ce mois de Paris,
pour aller à Auxonne (au sujet de quelques religieuses pos-
sédées qui y sont), n'aient quelque entrevue sur l'affaire que
dessus avec le susdit Nonce, qu'on dit s'être arrêté à Chambéry
■î^6 LA VÉRITÉ ITomeVlir.
(d'où ils peuvent de part et d'autre s'achemiuer en fort peu de
temps et s'entrevoir sur les frontières), ou du moins reçoivent
de ses lettres, instructions et ordres, sur cette cabale.
« De plus on sait que, dans un sermon que le dit sieur
Pignay fit dans la mission aux ecclésiastiques, il recommanda
à leurs prières trois guerres : la première, du Roi contre le
Pape; la seconde, des Jansénistes contre l'Église; et la troi-
sième, du Parlement contre la Sorbonne ; comme si c'étaient
des entreprises injustes et violentes et pour donner une bor-
reur de la conduite du Roi et du Parlement. »
Il ne sera pas inutile d'appeler Tattention du lecteur sur les
circonstances suivantes : 1° la protestation a été faite au sujet de
V infaillibilité; 2° les docteurs qui faisaient cette démarche cou-
rageuse n'ignoraient pas qu'elle serait traitée de séditieuse et de
criminelle ; 3" la protestation est envoyée au Nonce, non sans
péril, ce qui prouve qu'il eût été plus périlleux de la faire pu-
bliquement en pleine Faculté ; 4° elle est faite par la partie la
plus éminenle de la Faculté. Il est dit ici, 22 docteurs de la
Sorbonne, le curé de Saint- Sulpice, etc. D'autre part, les pièces
précédemment publiées attestent que tous les professeurs de la
Sorbonne, sans aucune exception, s'étaient prononcés dans ce
sens.
.§v.
Les six fameux articles de 1663 ne doivent pas être attribués îi la Faculté.
I. Situation de la Faculté lorsque la déclaration des six ar-
ticles fut habilement extorquée. — Le 4 avril! 663, un Cistercien,
nommé Laurent Desplantes, soutint une thèse où se trouvaient
ces mots: « Summus Pontifex in tota Ecclesia et in foro tam
interno quam externo plenitudinem jurisdictionis obtinet. »
(Voir d'Argentré, table du l®'" volume, p. xxxit.) Le syndic
Grandin avait signé cette thèse au mois de décembre 1662, et
par conséquent avant l'arrêt du 22 janvier 1663. C'était un
Nov. 18G3.] SUR LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE PARIS. 417
parti pris de susciter d la Faculté toutes sortes de tracasseries,
pour l'assouplir etTameuer àladoctriue qu'on voulait lui faire
professer. La thèse du Cistercien fournissait une occasion. Elle
fut exploitée. Le 14 avril 1663, Grandin eut à comparaître à
la barre du Parlement. On lui reprocha d'avoir signé une
thèse comprise sous les termes prohibitifs de Tarrêt du 22
janvier 1663. 11 eutbeau s'excuser sur la date desa signature,
qui était antérieure : il fut suspendu de ses fonctions, et le
cistercien Desplantes fut eu même temps déclaré exclus de
la licence (1). Ce coup jeta l'alarme dans la Faculté, qui, selon
le récit du P. Rapin, se remua pour empêcher V interdit du syndic.
{Mémoires^ chap. 16.) Pour l'effrayer davantage et la rendre
plus docile, les ministres et le procureur général faisaient ré-
pandre le bruit de graves réformes auxquelles elle serait
bientôt soumise, stratagème qui continuait encore en 1682. A
cette époque le procureur général de Harlay, dans une lettre
au minisire Le Tellier, rappelait avec complaisance ces habi-
letés de 1663. En lui proposant, sous le nom de réformes, de
nouvelles menaces de vexation contre la Sorbonne, il lui di-
sait : « Toutes ces choses répandues engageront les docteurs à
tâcher de les éviter par quelque démarche de leur part qui
pût réparer leur faute auprès du roi, comme ils ont fait leurs
articles en 1663, par les soins que vous en prîtes, après l'inter-
diction du sieur GranJin. » (Lettre du 16 juin 1682 Ms. de
Saint-Germain, 165, à la Bibliothèque impériale.) La faction
des jansénistes était déjà puissante. Non-seulement elle avait
envahi le parlement, mais elle comptait de nombreux adhérents
dans la Faculté. Quant aux chanoines de Paris, l'abbé Le-
gendre, secrétaire de l'archevêque de Harlay, dit qu'ils étaient
tous jansénistes, excepté lui et deux autres. (Mémoires de Le-
gendre, récemment publiés à Paris, chez Charpentier.) Cette
(I) L'original de cel arrêl se trouve à la Eib'iolhèque impériale.
Ml. Cotbert,^5b, Vc, p. 97.
418 LA VÉRITÉ [TomeVlII.
faction voulait amener la Faculté à se déclarer contre l'infail-
libililé du Pape. C'était la seule ressource du jansénisme, qui
venait d'être frappé par plusieurs bulles. Telle était la situation,
lorsqu'un certain nombre de docteurs, poussés par le ministre
Le Tellier, redigèrent et présentèrent au roi la déclaration des
six articles ; déclaration el démarche attribuées jusqu'à ce jour
h la Faculté.
II. Texte des six articles. Critique par l'avocat Pinson. — Nous
donnons ce texte d'après d'Argentré {Collectio judiciorum,
tom. m, part, i, p. 90):
1° Non esse doctrinam Facultatis quod Summus Pontifex ali-
quam in temporalia Régis christianissimi auctoritatem habeat.
Imo Facultatem sernper obstitisse etiam iis qui indirectam ian-
tummodo esse illam authoritafem voluerunt,
1° Esse doctrinam Facultatis ejusdem quod Rex christianis-
simus nullum omnino agnoscit nec habet in temporalibus supe-
riorem prseter Deum, eamque suam esse antiquam doctrinam, a
qua nunquam recessura est.
3° Doctrinam Facultatis esse, quod subditi fidem et obedientiam
Régi christ ianissimo ita debent, ut ab iis nullo prxtextu dispen-
sari possint,
4° Doctrinam Facultatis esse, non probarenec nnquam probasse
proposiliones ullas Régis christianissimi authoritati aut germanis
ecclesix gallicanx libertatibus et receptis in regno canonibus
contrarias, verbi g)'atia, quod Summus Pontifex possit deponere
Episcopos adversus eosdem canones.
5° Doctrinam Facultatis non esse quod Summus Pontifex sit
supra Concilivm œcumenicuyyi,
6° Non esse doctrinam vel dogma Facultatis, quod Summus
Pontifex, nullo accedente Ecclesix consensu, sit infallibilis .
Tels sont les six fameux articles, qui devaient se réduire à
quatre, en 1682, sous la plume de Bossuet. Doctrine inouïe
jusqu'à la confusion momentanée de l'époque de Gerson et du
concile de Constance, et qui avait été presque aussitôt frappée
Nov. 1>C3."| SUR LA FACULTÉ DE TUÉOLOGIE DB PARIS. 419
d'une réprobation et d'un mépris universels. Elle reparaissait
pour la première fois en 1663. On a dit que la forme négative :
Aon esse doctrinam Facultatis, exprimait moins que les quatre
articles de 168^ : ceux qui le soutiennent s'accordent sur
ce point avec l'avocat Pinson, dont nous allons transcrire les
curieuses observations. Cet avocat, qui avait été probablement
consulté par Colbert, est connu pour son Commentaire de la
pragmatique, et par son édition des œuvres de Dumoulin. Cette
pièce inédite se trouve à la Bibliothèque impériale, Mss. Colbert
i55, p. 103.
« Obsei'vai ions par M. Pinson, avocat au Parlement. — En
mai 1663. — Ces déclarations devaient être en termes affir-
matifs et non point négatifs ; car autrement l'on n'eu peut
rien conclure de positif.
« 1 . Cette première déclaration captieuse devait être générale
et affirmative, savoir que le Pape n'a aucun pouvoir sur le
temporel, non-seulement du roi, mais de qui que ce soit,
comme sur le patronage laïque, sur les dîmes inféodées, sur
le revenu des bénéfices et autres appartenant aux particuliers,
et ils devaient s'expliquer de ceux qui ont voulu donner une
autorité indirecte au Pape sur le temporel.
« 2 Le roi n'a pas besoin de l'aveu de la Faculté pour prouver
qu'il ne connaît pas de supérieur dans le temporel, l'aveu en
étant bien plus avantageux de la part des Papes mêmes qui
le reconnaissent ainsi, comme le pape Innocent III, au cha-
pitre Per venerabilem, dans les Décrétales.
« 3. Cette répétition tant de fois faite de Roi très-chrétien à
des Français était inutile, et il eût été pins avantageux eu par-
lant du roi de ne lui donner aucun autre titre. Mais elle ne
peut être que suspecte en cet article, n'y ayant aucune dif-
férence a faire, pour Tobéissance et la soumission des sujets,
de la véritable religion et autres ; les Papes n'ayant droit en
nul cas de dispenser du serment de fidélité et de l'obéissance
oux souverains, et les sujets étant obligés d'obéir à leurs
420 LA VÉRITÉ [TomeVllI.
princes, etiam dyscolis, et n'ayant que les vœux et les prières
pour leur conversion.
« 4. Cette quatrième est équivoque et suspecte ; et TafFectation
qu'a eue la Faculté, en parlant des libertés de FÉglise galli-
cane, d'user du mot germanis les pourrait faire passer pour
Allemands, et non pour véritables Français ; les libertés de
l'Église gallicane n'étant généralement autre chose que Tobser-
vation des anciens canons de l'Église; et il ne fallait point
spécifier ici un cas particulier de la déposition des évèques
plutôt qu'un autre.
«5. L'affectation de concevoir le 5® article en termes négatifs
ne peut être que suspecte: la Faculté ayant toujours tenu en
termes affirmatifs que le concile était par-dessus le Pape, et
qu'il était obligé de s'y soumettre et d'y obéir. Pour la preuve
de cette doctrine positive et affirmative, il faut voir la note des
compilations des Pt^euves des libertés de l'Église gallicane, vo-
lume I, cbap. XII, article dernier.
« tî. Le dernier article ne devait pas non plus être conçu en
termes négatifs, mais affirmatifs; savoir que le Pape n'est
point infaillible de lui-même, sans le consentement de l'Église
universelle. Et le terme de nullovel non accedente Ecclesix con-
sensu est trop équivoque en cet endroit. Car il faudrait savoir
si c'est de l'Église imiverselle que la Faculté entend parler,
ou du conseil ordinaire du Pape, savoir de consilio fratrum, y
ayant bien de la dififérence à faire à cet égard. »
III. Commeyit les six articles furent suggérés et concertés avec
le ministre Le Tellier. La joie qu'en eut la cour. Les docteurs des
Ordres religieux exclus des assemblées de la Faculté, à V exception
de deux pour chaque ordre. — Le Père Rapin (dans ses Mémoiy^es
inédits, chapitre 16), s'exprime ainsi :
« On dit même que ses amis (du syndic Grandin), lui ména-
gèrent une conférence avec Le Tellier, secrétaire d'État, aux
Chartreux, dans la chambre du Prieur, où, après plusieurs
discours par où le syndic tâchait à justifier ses sentiments sur
Nov. 1863.] SUR LA FACULTÉ DE TDÉOLOGIE DE PARIS. 421
le Pape, qu'il prétendait sains, ce ministre lui conseilla d'en
faire un abrégé qu'il présenterait au roi, eice fut dans cette
conférence que se fit le premier projet de la déclaration dans les
six propositions, qui lui plut, et le syndic fut très-content de
lui, quoique ce ministre fût accompagné de l'évêque de Saint-
Pons qui aigrissait les choses qui regardaient le Pape. Le syn-
dic leur fit comprendre qu'ils gâteraient tout s'ils pensaient à
détruire tout-à-fait l'infaillibilité {\). LeTellier en convint et crut
que la religion serait en danger, de le croire tout-à-fait faillible;
ce qui lui fit dire que le syndic lui avait parlé de bon sens,
mais que l'infaillibilité lui tenait au cœur. L'archeoêque de
Paris fit le reste pour la déclaration avec Le Tellier, qui en parla
au roi, comme d'un avantage sur la Sorbonne pour la sûreté de ses
affaires et comme d'un rempart contre la cour de Rome. Cepen-
dant les docteurs disaient tout haut que le syndic ne devait
point être puni, n'étant nullement coupable ; ce qui fit prendre
la résolution à la Faculté de députer au roi pour empêcher
cet interdit, et de lui présenter cette déclaration de sa doctrine
sur le Pape : on dit toutefois que ce n'était pas une députât ion
dans les formes, mais un nombre de docteurs des plus zélés pour
l'honneur de leur corps, présentés par l'évêque de Piodez,
Hardouiu de Péréfixe, nommé proviseur de Sorbonne. Mécon-
tents qu'ils étaient du traitement rude du Parlement et surtout
de l'avocat général Talon, qui les appela schismatiques, en-
nemis de l'État et perturbateurs du repos public, ils prirent le
(1) C'est là probablement le mot de l'énigme pour la formule né-
gative non esse do^lrinam Facultatis. Grandin et les autres dupes
que le ministre Le Tellier menait habilement à ses fin?, ne voulaient
pas détruire tout-à-fait l'infaillibilité du Pape ; ils voalaicnl seule-
ment la détruire un peu, sans doute par esprit de conciliation, et
pour qu'on laissât enfin la Faculté tranquille. Us se seront persuadé
qu'en employant la forme négative, ils ne détruisaient pas tout à-fait
l'infaillibilité du Pape, ni sa supériorité sur les Conciles et son pou-
voir indirect sur le temporel. Et les renards de la cour leur auront
fait cette concession, en riant de leur bonhomie, et sachant bien ce
qu'ils feraient.
422 LA VÉRITÉ ITi.nic VU!.
pai'li d'aller au roi, de lui présenter la déclaration de leur
doctrine sur le Pape et sur le temporel des rois, pour lui faire
connaître qu'on lui en faisait accroire sur cet article, et qu'ils
étaient aus^i bous serviteurs du roi que ceux qui les accusaient
de ne l'être pas. Cette déclaration contenait six propositions :
la première, que ce n'est nullemerd la doctrine de la Faculté que
le Souverain- Pontife ait aucune autorité sur le temporel des rois.
La seconde, que c'est la doctrine de la Faculté que le roi très-
chrétien n'a que Dieu au-dessus de lui pour le temporel ; que c'est
son ancienne doctrine de laquelle elle ne se départira jamais. La
troisième, que les sujets du roi lui doivent une fidélité et une
obéissance dont ils ne peuvent être dispensés sous quelque prétexte
que ce soit. La quatrième, que la même Faculté n'approuve point
et n'a jamais approuvé aucune de ces propositions contraires à
l'autorité du roi, aux libertés de l'Eglise gallicane et aux canons
reçus dans le royaume, par exemple que le Pape peut déposer les
évêqiies, contre ces mêmes canons. La cinquième, que ce n est pas
la doctrine de la Faculté que le Pape soit au-dessus du Concile.
La sixième, que ce n'est pas aussi la doctrine de la Faculté que
le Pape soit infaillible sans quelque consentement de l'Eglise. Ce
fut l'éclaircissement que ces docteurs donnèrent de leurs sen-
timents sur ce sujet. Le roi leur répondit qu'il verrait son con-
seil; mais en attendant la réponse de S. M., il se fit eu Sor-
bonue une suspension de toutes les fonctions de disputes,
exercices et fonctions qui regardaient le syndicat par l'interdit
du syndic.
« A l'occasion d'une autre thèse qui fut soutenue à Poitiers,
au collège des Jésuites, par un théologien de leur Compagnie,
qui attribuait au Pape une espèce d'infaillibilité quand il par-
lait ejc cathedra, le procureur général eut avis que, pour remé-
dier aux inconvénients de ces thèses favorables au Pape, il
fallait renouveler l'observation des anciens règlements de la
Faculté, qui ordonnent aux religieux mendiants, après qu'ils
ont reçu le degré de docteur, de se retirer dans les couvents
Nov. 18(;3.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 423
de leur profession, pour répandre dans tout le royaume les
bonnes semences de la doctrine qu'ils ont apprise dans celte
école. C'était un pur prétexte pour réduire le nombre de chaque
ordre à deux religieux dans les assemblées de Sorbonne, de crainte
que la multitude de ces réguliei's, de leur fond attachés au Pape,
ne l'emportât sur les docteurs. Sur quoi Achille de Harlay, son
substitut, requit à la chambre des vacations un arrêt pour
régler ce nombre, ce qui se fit le 25 septembre, où les arrêts
rendus sur ce sujet les années 4552, 1621 et 1648, furent con-
firmés. Mais l'opposition s'étant faite de la part de tous les
Ordres religieux, le roi fut requis de le demander en son nom
parce qu'il s'agissait de la sûreté et de la fidélité df3 son ser-
vice ; ce qui se fit avec toute la solennité qui pent donner
autorité à un ordre de cette nature. Deux conseillers députés,
accompagnés du substitut du procureur général, allèrent en
Sorbonne : le substitut loua la Faculté de sa déclaration qui
fut portée sur la fin du parlement à la grand'chambre, et par
ce moyen le syndic Grandin rétabli ; dit aux docteurs assem-
blés que cette déclaration avait donné bien de la joie à la cour ;
que c'était un nouveau gage de la pureté de sa doctrine et de
sa fidélité, et comme un établissement solide des anciennes
vérités et la guide certaine de sa conduite. L'estime aussi que
la cour a toujours eu pour cette compagnie, lui a fait prendre
beaucoup plus de part en cette satisfaction publique que tous
les autres ordres du royaume ; et pour marquer cette satisfac-
tion par le rétablissement d'une doctrine si chrétienne et si
française, elle l'a fait insérer dans ses registres et lui a bien
voulu donner place entre ses arrêts les plus souverains; la
déclaration aussi par laquelle le roi a voulu que ses articles
fussent publiés dans toute l'étendue de ses Etats, pour y être
la règle certaine des sentiments de tous ses sujets, comme
ceux que nous dressa le dernier siècle le furent de la foi de
tout ce royaume, est une approbation incontestable de son
estime et de son aflfection. Ça été sans doute dans cette pensée
424 LA VÉRITÉ [Tome VIII.
qu'il vient d'ordonner par un arrêt l'exécution du règlement
qui avait autrefois été fait pour régler le nombre des religieux
dans les assemblées de la Faculté à deux seulement.
« Sur quoi un carme nommé Lombart voulut parler pour
former opposition à ce règlement, prétendant, pour lui et pour
tous les autres religieux, qu'ils ne devaient pas être de moindre
condition que les autres docteurs, qui avaient droit d'assister
aux assemblées dès qu'ils avaient pris le bonnet, sans limita-
tion. On lui a remontré qu'il pourrait faire telle réquisition
que bon lui semblerait, mais que, cependant, il fallait obéir
à l'arrêt, et la chose eu demeura là. C'était ainsi qu'on dé-
pouillait le Pape de ses secours en le dépouillant de ses pou-
voirs, car les religieux sont d'ordinaire ceux qui sont les plus
attachés au Saint-Siège, et, de tous les serviteurs du Pape,
les plus fidèles, non pas en qualité d'émissaires et d'esclaves,
comme disait l'avocat général Taion, mais parce que, dans le
fond, ils ont plus de christianisme et de vraie piété, comme
tout le monde sait, que tous les autres sujets du Pape.»
IV. Arrêt du parlement et ordonnance du roi pour sanctionner
les six articles et défendre de rien enseigner de contraire. —
a Arrêt de la cour de parlement : Ce jour, les gens du roi,
maitre Denis Talon, avocat dudit seigneur, portant la parole,
ont dit à la cour que le syndic de la Faculté, avec sept doc-
teurs en la Faculté de théologie, mandés suivant l'arrêt du
jour d'bier, étaient au parquet des huissiers. Eux entrés, le
premier président leur a dit que la cour les avait mandé?
pour apporter la déclaration faite par la Faculté de théologie
de ses sentiments touchant l'autorité du Pape. Le doyen de
la Faculté a dit que, pour obéir aux ordres de la cour, ils
avaient apporté la dite déclaration extraite des registres de la
dite Faculté et signée par le bedeau d'icelle; contenant ;
Primo, non esse doctrinam Facultatis, etc. Icelle déclaration
lue..., les gens du roi, par la bouche de maître Denis Talon,
ont dit : Personne n'ignore les efforts et les artifices pratiqués
Nov. 4863.1 SUR LA FACULTÉ DB THÉOLOGIE DE PARIS. 423
par les partisans de la cour de Rome depuis trente ans pour
élever la puissance du Pape par de fausses prérogatives... La
Faculté de théologie, occupée par une cabale puissante de
moines et de quelques séculiers liés avec eux par intérêt ou
par faction, a eu de la peine à se démêler de ces liens injustes
et à suivre les traces des Gerson et des autres personnages
illustres qui ont été dans tous les siècles les principaux dé-
fenseurs de la vérité. Mais enfn, par un généreux effort, ayant
fait réflexion sur ce qu'elle doit au roi, au public, à sa propre
réputation, elle a expliqué ses sentiments... Et comme les six
propositions qui viennent d'être lues et expliquées par l'or-
gane du doyen contiennent non-seulement la condamnation
de tout ce qui pouvait établir quelque supériorité du Pape sur
le temporel, mais aussi de cette chimère d'infaillibilité et de
cette dépendance imaginaire du concile au Pape, il est inutile
d'examiner si toutes ces p?'opositions sont conçues en termes
affirmatifs ; étant certain qu'il n'y a point de milieu entre
deux propositions contradictoires, et que si la Faculté ne croit
pas que le Pape soit infaillible, il faut, par une conséquence
nécessaire, qu'elle juge qu'il peut tomber ou être induit en
erreur et corrigé par une puissance supérieure qui ne peut
être autre que celle du Concile et de l'Église universelle...
« La dite cour a ordonné et ordonne que les dits articles
contenus en la déclaration de la dite Faculté de théologie se-
ront enregistrés... A fait et fait inhibitions et défenses de sou-
tenir aucune doctrine contraire aux dits articles. Ce faisant, a
levé les suspensions portées par l'arrêt du 14 avril dernier...
Fait à Paris le trenlièrae jour de mai 1663. » (D'Argeutré,
Collectio judiciorum, t. m, part, i, p. 91.)
L'ordonnance royale est du 4 août 1663. Elle défend toute
doctrine contraire, à peine d'être procédé contre eux extraor-
dinairement . (Voir le texte, ib. p. 93.)
Le docteur de Flavigny, janséniste fougueux, disait, peu
après, dans une assemblée de la Sorbonne, que par la déola-
J,2ù LA \ÉRITÉ ITomo VUI.
ration des six articles, la colère du roi s'était apaisée : ut
etiam y^egis ira quieverit. (Voir ce discours dans la Collectio
Judiciorum de d'Argentré, première partie du tome m, p. 95.)
V. Protestation de plusieurs docteurs contre les six articles. —
Nous avons rapporté plus haut (§ 3) la pièce inédite, datée du
28 mai 1663, qui constate cette protestation. Il y est dit:
« Les mêmes docteurs ont fait de semblables protestations contre
les articles naguère présentés au roi par la Faculté ; en quoi le
dit sieur Grundin se montrerait extrêmement prévaricateur et
extraordinairement dissimulé. » Et auparavant on trouve ces
mots : « On sait de bonne part qu'il y a eu vingt-deux doc*
teurs de la Sorbonne qui ont fait des protestaiions, qui ne
peuvent être que criminelles et séditieuses, contre l'enregis-
trement du premier arrêt du parlement au sujet de l'infailli-
bilité. »
Examinons maintenant si les articles de 1663 peuvent être
considérés comme l'œuvre consentie par la majorité des doc-
teurs de la Faculté.
VI. Les six articles de 1663 n'expriment pas le sentiment de
la Faculté et ne doivent pas lui être attribués. — Le document
rapporté par d'Argentré {loc. C2Ï., p. 91) aISrme non-seule-
ment que la Faculté consentit aux six articles, mais qu'elle y
consentit à l'unanimité. 11 y est rapporté que, le H mai 1663, il
se tint une assemblée extraordinaire, et que rarchevêque de
Paris, de Harlay, y rapporta comment, avec les docteurs députés
par la Faculté, il était allé trouver le roi, et lui avait lu les six
articles. Puis le procès-verbal ajoute :« His ita relatis, prœdicta
omnia, ab illustrissimo Farisiensi archiepiscopo nomine Fa-
cultatis apud regeai christianissimum acta, omnes et singuli
magistri comprobarunt . » On s'étonnera qu'en présence d'un
pareil document, nous osions nier que les six articles soient
l'œuvre librement consentie de la Faculté. Nous le nions tou-
tefois, et voici nos motifs.
1^ Tout fait présumer que l'assemblée où furent admis les
Ool.l8fi3. 1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 427
six articles fut seulement une fraction, ou, pour mieux dire,
une faction de la Faculté, et rien ne prouve le contraire.
Nous avons déjà vu que les articles avaient été suggérés par
le ministre Le Tellier et concertés avec lui. Il s'agissait de les
faire endosser à la Faculté. On pouvait compter sur le zèle
des docteurs jansénistes, qui n'étaient pas en petit nombre, et
pour qui les six articles étaient la planche de salut contre les
bulles du Pape.
L'archevêque de Paris, de Harlay, ce prélat de si ti'iste mé-
moire (1), s'était mis en campagne pour faire réussir la ma-
chination qui devait donner tant de joie à la cour. On mettait
en avant qu'au moyen de la déclaration des six articles, la
colère du roi s'apaiserait, le syndic Grandin serait rétabli
dans ses fonctions, et que la Faculté éviterait les réformes
dont elle était menacée. D'autre part, ceux des docteurs qui
auraient voulu voter contre les six articles ne pouvaient le
faire sans péril. Par là même ils auraient été accusés d'en-
freindre les arrêts du Parlement, qui avaient prohibé de soute-
nir l'infaillibilité du Pape, sa supériorité sur le concile, et même
son plein pouvoir de gouverner l'Église, et ce sous peine d'être
procédé contre. On les aurait traités de criminels et de séditieux.
Dans cette situation, quesera-t-il arrivé ? La majorité des doc-
teurs de la Faculté se sera abstenue, et l'assemblée extraordi-
naire où l'afiaire des six articles fut bâclée, n'aura été qu'une
fraction, composée des jansénistes et d'un certain nombre
d'autres que leservilisme rendait capables de tout. Pour prouver
le contraire il faudrait produire des procès-verbaux, relatant le
nombre des docteurs présents, et montrant que la Faculté y
était moralement représentée. En attendant, notre hypothèse
est seule vraisemblable. Elle s'appuie en outre sur des faits
positifs.
Premièrement. Cette déclaration en six articles fut faite au
roi par sept docteurs soi-disant députés par la Faculté. Mais
(I) Le scandale de ses moeurs élail public à Paris, comme l'éta-
blissent suraLondammenl les mémoires de l'époque.
428 LA VÉRITÉ [Tome VIII.
cette députalion fut-elle réellement considérée dans le public
comme une députation de la Faculté? Selon le témoignage du
P. Rapin, il fut dit que ce n'était pas une députation dans les
formes, mais un nombre de docteurs des plus zélés pour l'honneur
de leur corps. Comment cette idée se serait-elle répandue dans
le public, si la Faculté eût été réellement représentée, et si
les délibérations eussent été régulières ? Dans cette affaire,
l'escamotage se trahit de toutes parts. On dira peut-être que
les docteurs non consentants aux six articles, auraient dùré-
clanjer. C'est facile à dire. Mais auprès de qui et comment? Ils
protestèrent et envoyèrent leurs protestations au Nonce, re-
légué alors hors frontières. Mais cet acte fut traité de criminel
et de séditieux, et on Fétouffa tellement dans le silence, que je
suis le premier à le faire connaître en 1863.
Secondement. Une autre preuve que l'assemblée où furent
acceptés les six articles n'était qu'une faction, c'est l'unani-
mité constatée par le procès-verbal : Omnes et singuli magistri
compt'obarunt . Puisque tous les membres de cette réunion accep-
tèrent, les vingt-deux docteurs de Sorbonne, le curé de Sainl-
Sulpice et autres, qui firent la protestation relatée au numéro
V, ne s'y trouvaient donc pas. Donc cette réunion n'était pas
toute la Faculté. Que prouve l'absence de ces protestants et de
ces séditieux, comme ils sont nommés dans la dénonciation au
ministre Golbert, si ce n'est que la majorité des docteurs, op-
posée aux six articles, s'abstint d'aller à ce conciliabule, faute
de liberté pour émettre leur opinion?
Troisièmement. Nous montrerons bientôt que les quatre ar-
ticles de 1682 furent réprouvés et rejetés à la majorité de seize
voix, malgré la pression la plus tyrannique, et quoique la Fa-
culté fût misérablement mutilée par l'exclusion des docteurs
des Ordres religieux, tous attachés à la doctrine romaine, à
l'exception de trois. Or, les quatre articles de 1682 ne furent
que la reproduction des six articles de 1663. Comment sup-
poser quela Faculté aitréprouvé en 1682, une doctrine qu'elle
aurait professée en 1663? Certes, ce serait mal placer les
Nov, 1863.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 429
conversions à la doctrine romaine. Non, rien ne prouve que
les six articles de 1663 puissent être attribués à la Faculté, et
c'est plutôt le contraire qui résulte des raisons indiquées.
Mais ces raisons fussent-elles sujettes à litige, il en resterait
une incontestable, et qui suffit pour dépouiller à jamais la
funeste formule de 1663, de l'autorité de la Faculté de Paris,
dont on l'a crue jusqu'ici inséparable. La voici.
S*' Les décisions, non-seulement d'une faculté, mais même
d'uu concile écuméuique, fussent-elles votées à Tunanimité,
sont nulles et de nulle autorité, si elles sont l'eflet de la con-
trainte, des menaces, de la peur; en un mot, si elles ne sont
pas libres. C'est là un principe sur lequel aucun catholique ne
saurait élever le moindre doute. 11 s'applique même aux défi-
nitions du Saint-Siège. Dès lors qu'on pourrait constater le
manque de liberté, la définition devrait être regardée comme
non avenue, La raison en est simple : le jugement émis sous
l'influence des vexations, des menaces et de la peur, ne
transmet pas d'une manièi'e certaine la pensée de celui qui le
prononce.
Ce principe posé, supposons (ce qui n'est pas selon nous,)
que les six articles aient été réellement admis par la majorité
des docteurs : pourrait-on dire qulls expriment la peusée, la
véritable doctrine de la Faculté ? Évidemment non, puisque
la Faculté n'était plus libre, aiusi qu'il ressort des documents
cités. Résumons-les: peu avant les six articles, c'est-ù-dire,
le 14 avril 1603, le syndic Grandin, l'homme de la conciliation,
disait en plein Parlement qu' il fallait passer ces mauvais temps,
jusqu'à ce que la liberté eût été rendue à la Faculté. Le discours
de l'avocat Talon nous fait assez entendre à quelle pression la
Faculté avait été soumise. L'aveu est à noter: « La faculté de
théologie, dit-il. a eu de la peine à se démêler de ces liens in-
justes et à suivre les traces des Gersou... Mais enûn par ua gé-
néi^eux effort,., elle a expliqué ses sentiments. » En 1682,1e
procureur géjiéral de Harlay rappelle au ministre Le ïellier,
qu'il est bon d'efïrayer les docteurs pour en obtenir les dé-
^30 LA VÉRITÉ [Tome VIII.
marches qu'on souhaite, et cite en preuve ce qui était arrivé
en 1663: Comme ils ont fait leurs articles en 1663 par les soins
que vous en prîtes, après l'interdiction du sieur Grandin. Ainsi la
cour voulut cette déclaration; le ministre Le Tellier la conseilla
(c'est-à-dire Timposa) et en arrêta la formule; et le valet des
volontés des ministres^ l'archevêque de Harlay, pesa sur les
docteurs de tout le poids de son autorité pour faire réussir
l'entreprise. Ce n'est pas tout: repousser les six articles, c'était
soutenir l'infaillibilité du Pape, sa supériorité sur le concile,
son plein pouvoir de gouverner l'Église. Or, des arrêts du
Parlement avaient défendu d'enseigner et de soutenir de pa-
reilles propositions, sous peine d'être procédé contre. Ainsi chacun
des docteurs qui aurait voulu se déclarer contre les six articles,
ne s'exposait à rien moins qu'à des poursuites judiciaires. Il
s'exposait surtout à l'animadversion de l'indigne archevêque
de Harlay, dont la bienveillance était nécessaire à la plupart de
ces docteurs pour avoir de quoi vivre. On peut se faire une idée
de cette situation par le passage suivant de l'abbé Legendre,
secrétaire de ce prélat. « Quelques-uns de ces messieurs... lui
« ayant reproché (à Lefèvre, syndic de la Faculté en 1695) les
« cabales qui se faisaient pour et contre Marie d'Agréda :
« Nous sommes plus à plaindre qu'à blâmer, dit ingénument le
« syndic ; la Faculté a toujours été et sera toujours le Jouet et
« l'esclave des puissances qui la dominent : de la cour, parce que
« d'un trait de plume elle peut casser nos privilèges ; du parle-
<( ment, parce qu'il les restreint et les étend comme il lui plaît ;
a et principalement de l'Archevêque de Paris, parce que la plu-
V part de nous ne vivant que de confesse et de prêche, il peut,
« quand il lui plaira, 7ious ôter le pain de la main. Quelle pitié
« qu'une compagnie d'ecclésiastiques, qui font serment de
G soutenir la vérité jusqu'à reffusion de leur sang, changent
« selon le temps de maximes et de sentiments en choses même
« les plus graves ! 11 y a plus de cent ans que le cardinal du
(( Perron lui a fait ce sanglant reproche aux États de Paris,
« sans que depuis elle ait tenu d'autre conduite. » {Mémoires
Nov. l!î(J3.i &UU LA FACULTÉ Dli THÉOLOGIE DE PARIS. -^31
de Vabbé LegendrCy p. "228; Paris, Charpentier, 1863.) Mais ce qui
montre à quel point la liberté fut étouffée, c'est la protestation
contre les six articles, signée et envoyée au Nonce par vingt-
deux docteurs de Sorbonne, par le curé de Saint-Sulpice et
autres ; démarche que la police du gouvernement parvint à
découvrir, et qui fut dénoncée au ministre Colbert comme
criminelle et séditieuse. Si tous ces docteurs avaient espéré de
pouvoir émettre impunément leur opinion à l'assemblée où
l'on accepta les six articles, ils s'y seraient rendus, et il n'y
aurait [>as eu unanimité. Puisqu'ils ne s'y rendirent pas, et
qu'ils ne virent d'autre moyen de satisfaire à leur conscience
que d'envoyer une protestation secrète au Pape, c'est qu'il n'y
avait plus ombre de liberté. Dès lors que signifie l'adhésion
des docteurs présents à cette assemblée ? Quand même toute
la Faculté s'y serait trouvée au complet, quand même elle au-
rait voté unanimement pour les six articles demandés par les
ministres, cet acte, par le fait notoire de la pression et du
manque de liberté, resterait à jamais frappé de nullité .-jamais
on ne pourrait le produire comme l'expression authentique de
la doctrine de la Faculté. Mais nous sommes loin d'admettre
que la réunion qui adhéra aux six articles ait représenté la
Faculté. Nous l'avons dit plus haut, ce ne fut qu'une faction.
Et chose étrange, qui ne jette pas peu de lumière sur cette
ténébreuse machination, le syndic Graudin, avec lequel le
ministre Le Tellier avait concerté et arrêté la formule des six
articles- est du nombre de ceux qui protestent contre ces
mêmes articles auprès du Saint-Siège ! Que s'était-il passé
dans celte conscience? Et si le co-rédacteur des six articles a
lui-même déploré sa malheureuse concession, que penser des
autres ?
Inutile d'ajouter que la prétendue déclaration de la Faculté
uufi fois obtenue, il ne fut plus possible aune voix quelconque
do faiie entendre une syllabe de réclamation. L'arrêt du Par-
lement et l'ordonnance du Roi se hâtèrent d'y apposer leur
redoutable cachet. Vouloir imprimer une ligne en sens con-
432 LA YÉRITÉ I^TomeVlII.
traire, dans une llièse ou dans un livre, eût été une tentative
inutile. Et quiconque aurait hasardé une opposition de vive
voix, en Sorbonne ou ailleurs, aurait appris à ses dépens ce
que signifiait la formule, à peines d' être procédé contre eux ex-
traordinairement . C'était l'époque des lettres de cachet.
Ainsi s'écroule le point d'appui du livre de la défense, attri-
bué à Bossuet. Abandonnant les quatre articles de 1682
{abeat quo libuerit declaratio), il se rattachait à la doctrine de la
Faculté de Paris, aux six articles de 1663. Mieux que tout autre,
Bossuet devait savoir que les six articles n'étaient pas la doc-
trine de la Faculté. Mais le roi lui avait ordonné d'écrire une
défense ; et il est douloureux de penser qu'un prélat qui jouis-
sait d'une telle position dans l'Église de France a pu justifier
les renseignements confidentiels transmis à Colbert en 1663 :
Lorsqu'il verra un parti qui conduit à la fortune, il y donnera
quel qu'il soit, et il y pourra servir utilement (V. § 2, n. vni).
Quoiqu'il en soit, les documents cités plus haut ne laissent
aucun doute sur l'état des choses. Un jour, sans doute, on
cessera d'avoir une admiration et une confiance trop aveugles
pour Bossuet : on distinguera l'orateur et le théologien de l'é-
vêque et l'on arrivera à une appréciation juste de sa conduite
et de ses actes.
Il nous serait aisé d'étendre nos conclusions à laschismatique
censure du livre de Vernant, prononcée le 24 mai 1664, et
condamnée par le pape Alexandre VII. La censure se fit au
nom de la Faculté ; mais cette faculté n'était plus libre : ce
n'était plus elle qui agissait, c'était une faction. Nous omettons
cet événement intermédiaire, ayant hâte d'arriver à l'affaire
capitale des quatre articles de 1682. Jusqu'ici on a fait endos-
ser à la Faculté ces trop célèbres articles ; on les a supposés
admis et contresignés par elle. On va voir dans le prochain
article ce qui en est. D. Bouix.
[La suite lirochainement ,)
LES SERMONS
LOUIS DE GRENADE
ŒiiTres complètes de lionis de (ïrenade^ traduites intégrale -
ment, pour la première fois, en frnnçjnij, par MM. Bareille, Duval,
Crampon, J. Bouclier, Berton, etc. 20 vol. in-S». Paris, Vives.
Uu de nos collaborateurs, dans un article précédent, a surtout
considéré et étudié Louis de Grenade comme auteur ascétique.
Aujourd'hui, nous nous occuperons spécialement de ses ser-
mons.
Dès l'abord une difficulté nous arrête. En quelle langue
Grenade composa-t-il ses sermons ? Ils ont été imprimés plu-
sieurs fois à Anvers en six volumes lalins, à la fin du XVI«
siècle et au commencement du XVIP, et ce latin est évidem-
ment original. Mais Girard dit les avoir traduits de l'espagnol.
L'auteur les aurait-il successivement rédigés en deux langues?
ou bien l'édition espagnole dont Girard s'est servi n'est-ellc
que l'ouvrage d'un traducteur ? Et si Grenade n'a écrit ses
sermons qu'en latin, les a-t-il jamais prêches ? Les documents
nous manquent pour résoudre ces questions avec certitude.
Nous inclinons pourtant à croire que l'édition espagnole n'e.it
pas originale, et nous conjecturons que les sermons ont été
prêches en latin devant les novices de l'ordre de Saint- Domi-
nique à Lisbonne.
La méthode employée par Grenade dans ses sermons mérite
d'être signalée. Beaucoup de prédicateurs pensent que lameil-
Reyue des sciences ecclésustioues. ï vni. 28-29.
^^ï LES SERMONS DE LOUIS DK GRENADE. [TonieVilL
louie manière d'annoucer au peuple la parole de Dieu est
d'expliquer chaque dimanche tout l'évangile. D'autres jugent
plus utile de s'attacher à une idée qu'on développe suivant les
règles de la rhétorique. Grenade est le seul orateur, à notre
connaissance, qui ait voulu réunir ces deux méthodes dans
chaque sermon. Il commence par expliquer l'évangile verset
par verset ; puis, dans un discours eu règle, il eu étudie à
fond le passage qu'il a pris pour texte.
Sa fécondité n'est pas moins remarquable. Il a trois ou
quatre sermons pour chaque dimanche, pour chaque fête de
Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des principaux saints;
pour les mercredis et vendredis de l'Avent et du Carême, et
enfin pour le commun des martyrs, des confesseurs et des
vierges.
Grenade est un grand écrivain qui réunit tous les mérites
littéraires et qu'on peut opposer aux beaux modèles d'Athènes
et de Rome. Le bon goût ne l'abandonne jamais. Sa profonde
connaissance de la langue latine étonne, même dans un homme
qui vivait à une époque où c'était la langue commune des sa-
vants de l'Europe, qui presque tous étaieut d'habiles huma-
nistes. Il l'écrit avec une pureté, une élégance, un atticisme
que peu de modernes ont égalés.
A ce mérite secondaire, il en joint un plus grand : chez lui
les faits et les idées abondent. De chaque sujet il tire des argu-
ments inattendus, des développemeuts du plus haut intérêt,
qu'avec un art infini il rattache à son texle^, et qullva chercher
de tous côtés, dans l'histoire, dans los saints Pères, dans les
auteurs profanes, poètes, philosophes, moialistes, et surtout
dans la Bible.
La Bible ! voilà le grand arsenal où puise Grenade. Il la cite
très-souvent, mais lors même qu'il ne la cite pas, il y fait
sans cesse allusion ; il en emprunte les paroles pour les fondre
dans !a trame de son style.
Il prend beaucoup aussi dans la scolastique, et pour le goûter
Nov.i863.] LES SERMONS DE LOUIS DE GRBNADK. 43S
pleinement il faut n'être pas moins familier avec la philosophie
du moyen âge qu'avec l'antiquité classique et avec la Bible-
Quelques critiques pourraient trouver qu'il abuse un peu
des comparaisons. Il est vrai qu'il eu fait un fréquent usage.
Il n'y a guère de page où l'on n'en trouve plusieurs. Mais elles
sont si variées, si fines et si spirituelles, qu'on n'a pas droit de
s'en plaindre.
Grenade sait mêler sans disparate une douce et fine plai-
santerie aux sujets les plus graves et 1 s plus sérieux. On ne
peut quelquefois .s'empêcher de sourire des saillies qu'il jette
en passant pour faire sentir les ridicules du vice. Toutefois,
cette plaisanterie est toujours inoffensive ; on sent qu'elle part
du désir de réveiller le pécheur.
Mais ce qui donne sans contredit le plus de charme aux
sermons de Grenade, ce qui en fait une œuvre tout-à-fait su-
périeure et des plus édifiantes qui existent, c'est Tonction. La
France est justement fière de ses orateurs sacrés. Le grand
Bossuet est un génie hors ligne ; Bourdaloue, un rude jouteur;
Fénelon etMassillon, des syrènes enchanteresses. Grenade, qui
est digne d'être nommé à côté de ces grands écrivains, les
surpasse quelquefois par l'onction, et peut-être aussi par la
souplesse et la variété.
En résumé, une élocution élégante et pure, nourrie d'idées
et de faits, une érudition inépuisable, une connaissance
profonde du cœur humain, une grande sagacité d'observa-
tion, une onction pénétrante, une conviction puissamment
établie qui se communique au lecteur, une urbanité et un
atticisme remplis de finesse et de sel, tels sont les principaux
traits qui caractérisent cet éminent prédicateur. Il est pl(!in
de verve et d'esprit, parfois un peu caustique, et en même
temps il vous ravit, vous enchante et vous entraîne par ses
peintures des délices spirituelles. On ne saurait mieux parler
des grandeurs de Dieu, des misères de Thomme pécheur, du
houheur inaltérable du juste, des suavités de la vie surnatu-
436 LES SER3I0>S DE LOUIS DE GREDADE. [Tou.e VllL
relie. Son cœur déborde quand il revient sur ces sujets, et il
y revient souvent, mais toujoiirs sous des formes nouvelles,
et sans avoir l'air de se répéter.
Tel est Tauteur dont on nous offre une nouvelle traduction.
Nous ne pouvons nous empêcher de regretter que M. Vives,
concurremment avec son édition française, n'ait paspubliéune
édition latine des sermons. Bon nombre de prédicateurs au-
raient aimé à les lire dans l'original. Aujourd'hui on ne trouve
guère que dans les bibliothèques puliliques les éditions d'An-
vers, et [le caractère en est si fin et si compacte qu'elles fa-
tiguent énormément les yeux. De plus, elles fourmillent de
fautes qui altèrent le sens. Nous y avons vu terrain pour
tetrarn, gentes pour inycnfes, et autres bévues semblables qui
rendent souvent inintelligible une phrase entière. Une nou-
velle édition, faite dans les bonnes conditions dont M. Vives
ne se départ jamais, aurait été fort bien accueillie. Nous
croyons même que beaucoup d'ecclésiastiques, pour qui les
œuvres complètes sont d'un prix trop élevé, auraient été heu-
reux de pouvoir, au moyen de l'édition latine, acquérir sé-
parément les sermons.
Mais voyons la traduction nouvelle. Nous avons d'abord le
regiet de dire à l'éditeur qu'Use fait illusion quand il annonce
dans ses prospectus que sa traduction est la première. Les
sermons de Grenade ont été traduits de l'espagnol par Girard,
archidiacre d'Angoulêuie, mort en 1663. Nous en avons sous
les yeux une édition publiée à Paris, en 1698, chez RouUand.
Plus anciennement, les mêmes sermons avaient été traduits
du latin par le P. Jean Charon, docteur en théologie, prieur
des religieux dominicains à Picims, 1603, Paris, Buon. La dé-
dicace est de 1599, et Charon parle d'une traduction plus an-
cienne encore, composée par Colin, chaiioine de Reims. La
nouvelle traduction n'est donc pas la première ; ce qu'il y a
de vrai, c'est qu'elle est la première qui soit bonne.
^En effet, le Jpremier volume, œuvre de M. l'abbé Bareille,
Nov. 1863 ] LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. ^37'
est certainement d'un grand mérite. Nous l'avons comparé
soigneusement avec le latin, car lorsqu'on veut juger une tra-
duction sans se livrer à ce minutieux et pénible examen, on
est exposé à tomber dans de lourdes méprises, à critiquer ce
qui est bien, à approuver ce qui est mal. Nous avons donc fait
cette comparaison pour chacun des volumes dont nous aurons
à parler, et le résultat en a été favorable à M. Bareille. Sa
traduction (sauf quelques distractions peu importantes) rend
fidèlement la pensée de l'auteur. Le style en est élégant, coloré,
limpide, tel en un mot qu'on pouvait l'attendre de l'auteur
d'Emilia Paula. Nos lecteurs pourront en juger par l'extrait
qui suit; c'est la fin du deuxième sermon pour le jour de
Noël:
« Ainsi les anges se réjouissent de notre salut. Embrasés
d'une charité toute fraternelle, ils s'intéressent à ce qui nous
intéresse, et en conséquence, ils se joignent à nous pour re-
mercier Dieu et célébrer ses louanges. C'est en effet le carac-
tère de la vraie charité d'estimer sienne la félicité d'autrui, et
d'en rendre grâces à Dieu comme si nous étions eu cause. Tels
ne sont pas les sentiments des chrétiens qui usent des biens
du prochain (1), qui sont tourmentés J'cuviedu bouheurd'au-
trui, qui sèchent de jalousie quand il lui arrive quelque avan-
tage, et pour qui le bien qui arrive à leurs frères est un vé-
ritable supplice. Mais revenons au cantiijue des anges. Nous
les voyons cliauter les louanges de Dieu, en retour du bienfait
del'hicarnation, encore que Jésus-Christ ne les ail pas délivrés
de la captivité du démon, et qu'il n'ait pas élevé leur nature
à une dignité infinie. Et nous, chrétiens, que ce bienfait con-
cerne spécialement ; nous qu'il a exaltés, ennoblis, rachetés,
comblés de tous les biens, soustraits aux puissances des ténè-
(^) 91 y a eu lalin alienis bonis utunlur. Ne faudrait-il [)as plulôt
urunlur, qiu Si>Dt irrités des avantages de leur procliain ? Cc( i "(in-
firme ce que nous disions des fautes qui allèrent le sens des (édifions
latines.
438 LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. [TomeVllI.
bres, et rendus participants de la nature divine ; nous qui,
sans le Sauveur, aurions été précipités dans l'enfer, nous ne
remercierions pas le Seigneur de ce bienfait inénarrable? nous
ne cbauterions pas ses louanges ? et à peine accorderions-nous
un instant à la méditation de ce qu'il y a de magnificence dans
cette libéralité de notre Dieu? Quel est parmi vous celui qui
dérobe une seule beure aux occupations terrestres, pour tâ-
cber de comprendre l'infinie cbarité de Dieu envers les bom-
mes, et de découvrir les moyens de s'assurer le salut promis
aux âmes qui s'occupent des mystères célestes? Des cbré-
liens qui prétendent croire en Jésus, le fils de Dieu, né d'un?.
Vierge, etcoucbé, pour nous sauver, dans une misérable crê-
cbe, osent bien ne pas s'abandonner à la contemplation de
ces merveilles, et ne songent même pas à s'en entretenir dans
leurs maisons et bors de leurs maisons, la nuit et le jour, en
eux-mêmes ou avec leurs semblables ! Un disciple du Gbrist
pourra-t-il, en ces jours de fête, parler d'autre cbose que de
son maître nouveau-né et enveloppé de langes? 0 folie, ô in-
sensibilité humaine ! « Le bœuf reconnaît celui qui le soigne,
et l'âne la crèche de son maître, » IsAî. i, 3 ; et des chrétiens
négligent de visiter par la méditation Jésus dans la crèche où
il repose ! Ainsi, nous nous souvenons si peu de ce bienfait,
qu'en ce temps destiné par TÉglise à en rappeler la mémoire,
nous ne réfléchissons pas à la nature de ce mystère. 0 ingra-
titude effrayante de l'homme ! ô cœurs de fer, inaccessibles à
des sentiments que les bêtes farouches éprouvent et témoignent
autant qu'd est en leur pouvoir!
» Que vous dirai-je encore, mes frères? Je ne sais ; mais pre-
nez garde de ne pas recueillir le fruit de la Rédemption, vous
qui n'appréciez pas le bienfait du Rédempteur. Pour les per-
sonnes que les mystères de notre foi ne touchent eu aucune
mauière, Jésus-Christ semble n'être pas né ni avoir souffert.
Ce n'est pas à ces personnes, en effet, mais aux bomuies de
bonne volonté, que les anges aujourd'hui annoncent la paix .
Nov. 1853.] LES SKRMO>'S DE LOUIS DE GRENADE. <'i3j
non Ta paix que donne le monde, mais la paix que le Roi de
paix a apportée du ciel sur la terre, laquelle surpasse tout sen-
timent. Ne poussons pas si loin l'iugralitude et la folie, et ne
négligeons pas des mystères qui nous intéressent de si près.
Cessons de ressembler aux animaux sans raison, et, à l'exem-
ple de David, demeurons toujours auprès de Dieu et soyons
toujours avec lui. Pour cela, visitons assidûment la crèche
adorable, prenons-y la nourriture divine qui nous y sera of-
ferte, afin de croître pour le salut; et ainsi devenus un jour
des hommes parfaits, nous entrerons dans la gloire de l'iui-
mortalité. Ainsi soit-il. » (PP. 239, 240.)
Plus loin on lit : « Ces considérations bien approfondies dis-
siperaient aisément les prétextes et les difficultés qui s'offrent
ordinairement, lorsqu'il s'agit de réformer sa vie et de régler
sa conduite. La plupart, effrayés de la gi-andeur de l'entreprise,
ne manquent pas de faire ces objections que leur inspirent la
faiblesse et la lâcheté: Comment réussirai-je à me sevrer en-
tièrement de ces voluptés qui sont ma vie? Pourrai-je bien
mortifier ma chair, persévérer dans la prière, retrancher de
mes désirs et de mes convoitises, substituer à une vie molle et
efféminée, une vie consaorce à porter la croix de Jésus-Christ?
Sans doute, mou frère, ce changement sera chose difficile pour
vous, si vous n'avez égard qu'à vos propres forces. Il vous
sera facile et agréable, si vous tenez compte de la vertu divine
et du secours de l'Esprit-Saint, qui certes ne vous manquera
pas. Vou« avez tort de ne regarder qu'en vous-même : levez
encore les regards vers le Ciel. Ce serait insulter à la provi-
dence et à la sagesse de Dieu, ce serait lui refuser la connais-
sance de la faiblesse humaine, que d'imposer à l'homme de sa
part l'obligation de maintenir ou de rétabhr, abandonné à ses
seules forces, la pureté et la sainteté dans sa nature viciée.
Croyez-vous donc que le Seigneur vous ordonnera, à vous que
les ténèbres du siècle environnent, que la mort assujettit à ses
lois, que le pééfhé enveloppe de ses liens, de vous diriger vers
i'O LES SERMONS DE LOUIS DE GriENADE. [Tot^cVIH.
la terre des vivants, sans vous munir des armes et des provi-
sions nécessaires à un voyage aussi périlleux ? Écoutez plutôt
cette comparaison, et vous verrez ce que vous devez penser de
votre ignorance ou de votre défiance exagérée. Remettez-vous
en mémoire, je vous prie, d'un côté les obstacles qui séparaient
les Hébreux de la terre promise, de l'autre :es merveilles de-
vant lesquelles ils s'évanouirent tous. » (P. 358.)
M. Bareille traduit librement, et cela est certainement per-
mis quand il s'agit d'un auteur qui, comme Louis de Grenade,
puise dans le vocabulaire latin avec une abondance, une pro-
fusion <iui rendent fort difficile, souvent même impossible, une
traduction littérale. Peut-être cependant l'originalité de l'au-
teur est elle moins bien reproduite par ce système d'interpré-
tation qu'elle ne le serait par un autre qui serrerait de plus
près le texte. Nous regrettons aussi quelques omissions (peu
importantes à la vérité, mais il ne faut rien perdre d'un tel
autour, surtout dans une édition complète), et quelt^ues trans-
positions, dont le but a été de ramener les sermons à l'ordre des
Évangiles de la liturgie romaine. Car Grenade suivait le rit
dominicain. Mais ces transpositions, outre qu'elles n'étaient
pas nécessaires, sont incommodes quand on veut comparer le
latin avecle français ; une note les aurait suppléées avec avan-
tage. Surtout nous regrettons que M. Bareille n'ait pas mis en
tête du premier volume la préface de Grenade. Cette préface
est très-longue et très-belle. Grenade y explique parfaitement
le but qu'il s'est proposé et le plan qu'il a suivi dans ses ser-
mons. Où sera-t-elle placée maintenant?
Comme on le voit, ces tàcbes sont légères. Nous les signa-
lons pour attester combien notre examen a été consciencieux.
Elles n'empèthent pas le premier volume d'être excellent.
Le tome II n'est plus de M. Bareille. Pendant qu'il continue
à traduire de l'espagnol les œuvres ascétiques, des collaborateurs
lui ont été donnés pour traduire du latin le reste des sermons.
Le désir d'aller plus vite a été sausdoute la cause qui a porté
NoY. ÎPC3 ] LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. i ' I
Téditeur à prendre cette mesure. (Vest regrettable. Quel que
soit le mérite des nouveaux traducteurs, il eût mieux valu
laisser M. Bareille finir ce qu'il avait si bien commencé. Deux
hommes, fussent-ils également capables, ne traduiront jamais
de la même manière. Tel mot familier à l'auteur sera rendu
tantôt par un terme, tantôt par un autre, ce qui donnera au
lecteur une fausse idée de l'original. Si encore tous les noms
avaient figuré sur chaque volume, il n'y aurait pas eu de bi-
garrure apparente. Mais les souscripteurs, qui avaient lu sur
la couverture du premier volume que M. Bareille traduisait
les œuvres complètes, ont dû éprouver un désappointement,
en voyant le titre du lome II en contradiction avec le titre du
premier.
Ouvrons maintenant le tome II. C'est encore une bonne tra-
duction, quoique d'un genre diffèrent. Elle est moins coulante,
moins agréable que celle du premier volume; on y remarque
un certain nombre d'imperfections légères; mais elle est cor-
recte, et elle reproduit plus fidèlement toutes les nuances et
tous les contours de l'original. Cette grande fidélité va même
jusqu'à prêter le flanc à la critique. Nous étions quelquefois
porté à blâmer certains passages, en les jugeant d'après les
habitudes modernes ; mais quand nous recourions au latin,
nous reconnaissions que, pour faire disparaître ces sortes d'ex-
centricités, il eût fallu affaiblir le texte, et remplacer quelque
chose de saillant par une tournure banale. Aussi nous ne se-
rions pas étonné que beaucoup d'ecclésiastiques, ne pouvant
se procurer le latin, préférassent la traduction qui s'en rap-
proche le plus. Car ce qu'un prédicateur cherchera dans un
tel ouvrage, ce ne sont pas des phrases qui flattent l'oreille, et
qu'il paisse copier; c'est la saveur et la physionomie de l'o-
riginal. Voilà en effet ce qui inspire, voilà ce qui grave dans
l'esprit les idées de l'auteur, et aide à les présenter sous une
forme nouvelle.
Voici un extrait du deuxième volume : c'est la fin d'un ser-
A'i2 LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. ITomeVlIl'
mon sur l'évangile du paralytique. « Mais, mes frères, je veux
ici vous interpeller brièvement. Pour le moment, je ne vous
exhorterai pas] à la piété en voiîs effrayant de la géhenne; ce
que j'ai à vous dire est moins terrible. Supposez que Dieu ait
annoncé à quelqu'un de vous que, pendant trente-huit ans
avant de mourir, il endurerait la maladie de ce paralytique.
Quels ne seraient pas les soucis, les inquiétudes, les anxiétés
de celui qui aurait la itriste certitude qu'un si long supplice,
sans espoir de guérison, lui est réservé. Si à cet homme, li-
vré à de telles angoisses, Dieu, comme autrefois à David adul-
tère, donnait à choisir, ou de subir cette paralysie, ou, s'il
voulait en être délivré, d'embrasser la vie monastique chez
les Chartreux avec un silence absolu ; qui doute que chacun
de nous ne préféràtce genre de vie avec un corps sain et plein
de santé, plutôt que d'avoir à lutter tant d'années contre la pa-
ralysie?...
» Maintenant, mes frères, je vais vousfaireunedemande, et
de celte demande je prendrai à témoin le ciel et la terre. Si
la seule crainte d'une longue maladie produit sur vous une
si vive impression, que vous embrasseriez volontiers, non-seu-
lement la loi commune du Décalogue, mais même les règles
austères de la vie monastique, pour vous dérober à un mal de
trente -huit années; je vous le demande, comment l'appré-
hension d'un feu éternel, de tortures sans fin, ne peut-elle vous
déterminer, non pas à embrasser la vie monastique, mais à
vouloir porter le joug suave, le fardeau léger de Jésus-Christ?
(^ui ne s'étonnerait? Qui ne serait frappé de stupeur? Qui ne
sentirait ses cheveux se dresser, en voyant un tel aveuglement
dans des gens raisonnables? Qu'y aura-t-il d'étonnant, si cela
ne l'est pas? » (PP. 219, 220.)
Plus loin, dans un sermon sur l'aumône (p. 615), on lit ce
qui suit: « Mais si ces considérations font peu d'impression
sur nous, rappelons-nous une parole célèbre, autant que vraie,
de saint Ambroise : « La miséricorde seule accompagne les
Nov. 1863.1 LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. -î'iS
dtil'unts. » 11 est cerlain que nous tous ici présents, nous sor-
tirons bientôt de ce monde. Il est certain que nous en sortirons
seuls. Fussiez-vous roi, empereur, monarque de toute la terre,
vous partirez seul d'ici pour une contrée inconnue. Vous ne
serez accompagné, ni de serviteurs, ni d'amis, ni de parents,
ni d'enfants chéris, ni d'une tendre épouse, encore moins de
vos domaines et de vos richesses, pour lesquels vous avez tant
sué. Toute cette pompe du siècle suivra votre cadavre jusqu'au
tombeau; des obsèques solennelles seront célébrées, des flam-
beaux allumés ; des enfants et des serviteurs vêtus de noir vous
rendront les derniers honneurs ; mais vous, sans aucune es-
corte, vous comparaîtrez seul devant le Juge, tandis que vos
serviteurs retourneront à la maison vide de son maître. Car
comme le Seigneur a donné cet ordre aux flots et à la mer en
courroux : « Tu viendras jusqu'ici et tu n'iras pas plus loin;
ici s'arrêtera l'orgueil de les flots, » Hue usque ventes, et non
procèdes ampUus, et hic confringes tumentes fluctus tuos
Job, XXXVIII, 11; ainsi ce même Seigneur, au moment de la
mort, dit aux royaumes et aux empires, et à toute puissance
du monde : Tu viendras jusqu'ici, et n'iras pas plus loin; ici
finit le drame de la vie humaine, et toute la pompe des choses
terrestres...
» Quel ne sera pas l'étounement des âmes de ceux qui ont
été puissants en ce siècle, et qui, de leur vivant ne marchaient
qu'entourés d'un nombreux domestique, lorsqu'elles verrront
leur médité, leur solitude au milieu de ces afireuses régions?
lorsqu'elles pourront dire avec le Prophète: « Je regardais à
ma droite, et il n'y avait personne qui me connût? » Ps.
GXLi, 5. A ce moment, lorsque tous ces hochets de la fortune
ne pourront vous apporter aucun soulagement, et que vous
serez dépouillé de tout, la vertu et la commisération, la piété
et la bienfaisance, fidèles compagnes, seront seules à vos cô-
tés ; et non-seulement elles vous accompagneront, mais aussi
elles vous protégeront. Alors ce qui vous suivra, c'est donc,
Ai'* LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. (Tome VIII
non ce que vous avez amassé péniblement et ardemment, mais
ce que vous avez distribué d'une main bienfaisante ; non ce
par quoi vous avez enriclii votre maison, agrandi votre en-
tourage, rehaussé votre noblesse, attiré à vous l'admiration
de la foule, mais ce avec quoi vous avez nourri, entretenu,
sustenté les pauvres du Christ; voilà les richesses qui vous
accompagneront au sortir de la vie. Votre sécurité la plus
grande viendra alors des consolations que vous apportez
maintenant aux mendiants et aux pauvres. »
Le plus grand défaut du tome fi est dans les transitions, et
c'est encore un effet de la trop grande fidélité. Pour parer à
ce défaut, il faut s'écarter notablement du latin, où la liaison
des idées n^est pas toujours facile à suivre.
Le tome vi vient de paraître. Nous croyons, d'après un pre-
mier et rapide examen, qu'il est d'une main plus habile, d'une
main qui a su réunir jusqu'à un certain point l'élégance du
premier volume à la fidélité du deuxième.
Espérons que les volumes suivants auront le même carac-
tère. On ne nous dit pas quelle est, dans ceux qui ont paru, la
nart respective de chaque traducteur. Mais on promet de don-
ner ce renseignement au public dans la préface de l'un des vo-
lumes futurs.
Il ne nous reste plus maintenant qu'à parler de l'exécution
matérielle. Elle est magnifique et en tout semblable à celle
des œuvres de Bossuet. L'édition sur papier vergé est surtout
remarquable; celle sur papier vélin, d'un tiers moins jher, est
très-belle encore, et peut soutenir la comparaison avec ce que
font de mieux les premières librairies.
N.-C. Leroy.
P. S. Depuis que cet article est imprimé, le hasard nous a
apporté deux renseignements qui pourront intéresser nos
lecteurs. D'abord, nous avons trouvé, tome m, p. 481 de l'é-
dition latine, le passage suivant : Ut autem lectorem fatigatuni
Nov. 1865.] LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE. 445
aligna sermonis voluptate demulceam..., qui prouve que les ser-
mons de Grenade out été écrits pour être lus. Nous persistons
cependant à supposer qu'ils ont été prononcés en latin, au
moins quant à la substance, devant les novices des Domini-
cains de Lisbonne ; car à la fin du quatrième sermon pour le
jour de Noël, l'auteur donne quatre pièces de vers composées
par ces novices. Il est regrettable que M. Bareille ait omis ces
poésies, ainsi que l'avertissement de Grenade qui les précède.
En second lieu, nous venons d'apprendre l'exislence d'un
abrégé latin des sermons de Grenade, abrégé fort bien fait, et
dont la réimpression, k défaut de celle des sermons latins
eux-mêmes, serait fort utile. En voici le titre : R. P. Ludovici
Granatensis concionum in epitomen redactarum tom. i et ii (pp.
645 et 299) opéra F, Pétri Merssei (cognomento) Gratepolii,
Instituii D. Francisci fratrum conventualium Colonise. Lugdu-
ni, 1595.
LES SEPT PROPOSITIONS
IVotées par le .^aint-Office.
Quatrième arlxle (1).
Nous avions suspendu la publication de nos articles sur les
sept propositions, parce qu'il nous avait semblé que la lumière
était faite et l'accord suffisamment conclu.
Nous nous étions trompé ! L'ontologisme avait seulement
pris le temps de se recueillir et reparaît aujourd'hui tout armé
pour sa défense en se proclamant « le système le seul philoso-
phique, la philosophie invincible qui ne demande pour' elle ni
bienveillance ni mcdveillance, et qui se contente de la vérité (2). »
« Les disciples de saint Thomas » repoussent ces prétentions
comme n'étant ni fondées, ni légitimes, et insinuent que le
Saint-Office n'est point sympathique à cette philosophie, parce
qu'il n'y reconnaît point la piiilosopbie des Pèies, ni la tra-
dition constante des écoles catholiques (3).
Pour nous, qui ne sommes point directement mêlé à ces
débats auxquels nous empruntons seulement quelque mérite
(1) V. dans celte Revue, lome v, p. 374 ; tome vi, p. ^8^ et 374.
'^2) Défense de rOntotogisme contre les attaques récentes de quel-
ques écrivains qui se disent disciples de saint Thomas, par M. l'abbé
Fabre. Paris, Castermaa, éditeur.
(3) Lettre du R. P. Ramière à Dom Gardereau sur VUnité dans
renseignement de la philoiophie. (Revue du Monde catholique,
25 octobre H 863.)
NoT. 18G3.] LES SEPT PROPOSITIONS NOTÉES PAR LE S. OFFICE. 447
"'actualité pour l'accomplissement de notre tâche , nous
désirons rester dans l'humble rôle que nous avons entrepris,
de « déterminer, à nos risques et périls, le sens contre lequel let
Sacrée-Congrégation du Saint-Ofp.ce a voulu prémunir (1). »
Cela posé, nous passons à l'examen de la proposition sui-
vante :
Propositig IV. Congenita Dei tanquam entis simpliàter notifia
omnem aliam cognitionem eminenfi modo involvit, ita ut per
eam omne ens, sub quocujnque respectu cognoscibile es/, impli-
cite cognitum habeamus,
I. Cette quatrième proposition se révèle, à première vue,
comme le corollaire des trois précédentes. En effet, étant
donné, ce que personne ne conteste, que l'ordre des idées
correspond à l'ordre réel, on ne peut affirmer, ce semble,
la connaissance immédiate de Dieu comme essentielle à notre
intelligence, on ne peut dire que l'Être qui nous apparaît en
toutes choses et sans lequel nous ne pouvons rien comprendre,
est l'Être divin lui-même, que les universaux à patate rei ne
sont pas réellement distincts de Dieu et ne font qu'une seule
et même chose avec lui, sans être amené à celte conclusion
logique que l'idée de Dieu innée et counaturelle à notre âme,
renferme toute autre connaissance et manifeste implicitement
tout ce qui peut être connu.
Or, nous avons réfuté, une à une. toutes les prémisses de
cette affirmation, et nous avons démontré qu'elles sont à la fois
contraires aux saintes Écritures, injurieuses à la théologie des
Pères el en désaccord complet avec la croyance générale des
fidèles. L'arrêt qui les atteint est donc également applicable à
toutes les conséquences légitimes qui en décoident, et nous
pourrions sans peine nous dispenser de rien ajouter à ce que
nous avons dit, s'il n'importait enfin de faire voir par
quelle étrange confusion des notions philosophiques les plus
(^) Rbtue, tome v, p, 574.
-^•48 LES SEPT PROPOSITIONS ITome VIII.
simples, on élargit en tous sens les voies funestes qui condui-
sent à l'abîme et préparent la ruine de toute religion comme
de toute philosophie.
II. Quand donc on vient nous affirmer que l'idée de Dieu
innée et connaturelle à notre âme représente l'être pur, ens
simpliciter, il est naturel de nous demander aussitôt ce que
c'est que l'être pur, et ce qu'il faut entendre par cette déno-
mination aussi ancienne que la philosophie. L'idée de Dieu
est, en effet, une si grande chose qu'elle a de tout temps préoc-
cupé l'intelligence humaine et incliné l'esprit des philosophes
à en rechercherl'origine, et à en déterminer le vrai caractère. La
grandeur de l'Être que cette idée représente a dû faire croire
aussi, comme il est naturel de le penser, qu'elle n'était point
le fait de l'homme, ni le fruit spontané de son activité intellec-
tuelle , mais un vrai don du ciel, destiné par le Créateur à
orner le front de celui qu'il avait fait à son image et à sa
ressemblance, d'un rayon anticipé de sa gloire immortelle.
Certes, une philosophie si pleine de poésie et de charmes, était
faite pour séduire les âmes et pour faire préférer à mainte
intelligence, même de philosophe, le chemin facile de l'ima-
gination et du cœur à celui de l'austère discipline du raison-
nement et de la vraie philosophie !
Qu'esl-ce doue que l'être pur dont certains philosophes
modernes nous vantent sans cesse les merveilleuses propriétés,
que l'on ideutifîe avec l'idée de Dieu et avec Dieu lui-même ?
Le voici : l'être pur, comme tel, d'après le sentiment unanime
des philosophes les plus autorisés, n'est rien autre chose que
l'être abstrait, c'est-à-dire l'être qui vient s'offrir aux regards
de notre âme, qui pose devant l'œil de notre esprit, lorsque
nous considérons un objet quelconque comme étant quelque
chose, ou comme n'étant pas le néant. Voilà l'être pur, ens
simpliciter^ au sens le plus étruileuient philosophique.
Et vous osez dire que cet être est Dieu ! En vérité, c'est une
petite gloire pour la Majesté divine, mais n'est-ce pas aussi
Nov. 1S63.] NOTÉrS PAR LE S. OFFICE. 4i9
un miuce honneur pour nous-mêmes de voir représenter
notre Dieu, l'Être divin par essence, l'Être le plus grand, le
plus réel, le plus parfait, sous la forme de l'être le plus com-
mun, le plus infime, le plus vide de réalité et le plus voisin
du néant !
Supposons, en effet, s'il vous plaît, un homme quelconque
dans toute la plénitude de son individualité personnelle, c'est-
à-dire un homme individuel déterminé par ce que les philoso-
phes appellent les notes indiviiîuantes. Essayons ensuite par le
moyen de l'abstraction la plus sévère, la plus rigoureuse, de
séparer une à une toutes ces notes qui l'individualisent. Qu'en
restera-t-il ? Il restera l'unité spécifique, ou cette perfection
qui constitue la nature humaine, etqui place au rang d'animal
raisonnable l'homme individuel dont il s'agit.
Si nous poursuivons notre tâche en généralisant toujours
davantage le concept déjà obtenu, nous arriverons par des
abstractions successives, au concept générique d'animal, au
concept de corps, au concept de substance. Puis, étant obtenu
le concept du genre suprême de substance, il nous sera libre
encore d'abstraire, si nous voulons, du mode lui-même dont
cette substance existe, ou en d'autres termes, nous pourrons
considérer cet^e substance comme simplement existante, et
alors soudain nous nous trouverons eu face de l'être pur, entis
simplicùer.
Ce procédé intellectuel serait, bien entendu, également ap-
plicable à une pierre, à un arbre, à un cheval, à un être indi-
viduel quelconque, d'où nous concluons que cette raison d'être
abstraite est commune à tous les êtres, quels qa'ils soient en
général, ce qui explique peut-être pourquoi nous donnons le
nom d'être à tout ce qui est, à tout ce qui participe à un degré
quelconque de l'existence.
IIF. Mais comment qualifier ensuite cette idée d'être ob-
tenue par le procédé que nous venons de décrire! Cette
idée est-elle identique et une avec l'idée de Dieu, ou en
4b0 LES SEPT PROPOSITIONS [Tome MU.
est-elle diËFéreiite? Si l'on affirme qu'elle n'est pas identique,
toute la quatrième proposition est fausse et croulera, faute de
soutien, par sa base, attendu que tout en elle affirme cette
identité que je suppose. Si vous admettez au contraire que
cette identité existe, vous vous heurterez sans remède contre
l'absurde qui vous cerne et vous accable de toutes parts.
11 n'est pas possible en effet que l'idée de l'être ainsi obtenue
par voie d'abstraction soit identique à l'idée de Dieu, proclamée
connaturelle à notre intelligence, sans que les caractères qui
constituent l'un et l'autre de ces deux co;i.cepts ne soient eux-
mêmes identiques. Or, nous l'avons déjà fait voir, l'idée de
l'être pur, que nous appellerions désormais plus commodé-
ment l'être abstrait, ne renferme rien de particulier, rien de
déterminé, rien de concret. C'est une idée essentiellement
générale, universelle, commune, dans laquelle on ne ren-
contre absolument rien que la note la plus abstraite qu'il soit
possible de concevoir, l'idée de la réalité la plus minime, qui
se trouve comme placée sur les confins les plus reculés de
l'être et du néant. Donc, l'être pur, considéré comme tel, ne
représente pas unêlre réel, auquel ou puisse rapporter comme
à son objet adéquat cette raison d'être universelle, et si l'on
admettait qu'un tel objet existe, cet objet ne posséderait pour
toutavoir etpour tonte essence que la note qui lereprésenterait
à nos yeux comme n'étant pas le néant, ou comme étant sim-
plement quelque chose. Contradiction manifeste comme nous
l'avons dit, puisque tout ce qui existe est nécessairement dé-
terminé, particulier, concret.
Ou se souvient, sans doute, que nous avions déjà précédem-
ment établi cette vérité. Mais toute erreur, eu matière si dé-
licate, devant nécessairement déteindre sur la théorie de la
connaissance elle-même et de son objet, nous ne saurions
trop redire que l'universel, envisagé comme tel, n'a point
d'objet adéquat qui lui corresponde. L'objet de l'universel,
c'est l'être créé, existant ou possible, qui représente, selon
Nov. 1863.1 NOTÉKS PAR LE S. OFFICE. •^"-4
les modes divers dont il peut exister, cette idée universelle
perçue par notre intelligence, d'où nous concluons par voie
directe, non-seulement que tout ce qui existe n'est point le
néant, est quelque chose; mais que c'est telle chose détermi-
née, tel objet particulier. Or, mieux que tout autre^ l'Être
divin est doué de cette admirable individualité qui exclut la
multiplicabilité dans la même nature spécifique, et se trouve
constitué par essence un^ particulier, déterminé ; d'où je conclu-
rai encore que représenter Dieu comme ens simpliciter, comme
l'être pur dans le sens de simple opposition avec le néant, ou
comme étant simplement quelque chose, c'est méconnaître
Dieu, abaisser sa majesté suprême, et nier toutes ses infinies
perfections.
Cependant, l'on pourrait nous dire que Dieu est si bien l'être
pur, et l'essence qui le constitue, si véritablement ce que nous
concevons de plus simple, de plus pur et de plus parfait dans
l'être, que les saintes Écritures, les saints Pères et tous les
docteurs catholiques n'ont qu'une voix pour appeler Dieu
l'Être pur, très-pur, très-simple et très-parfait.
Oui, sans doute, et nous nous garderons bien de le contester.
Dieu est l'Être le plus pur et le plus parfait, et nous savons
aussi que c'est Dieu lui-même qui nous a appris à le nommer
simpliciter Celui qui est. Ego sum qui sum {Exod. m, 14).
Nous n'ignorons pas non plus que saint Bouaventure l'ap-
pelle l'être très-pur, ens purissimum, l'Être qui est simplement,
ens quod est simpliciter, l'Être en acte et qui est acte pur, ens
in actu et quod e^t actus purus {Itiner. mentis, c. m et v).
De plus, saint Thomas avance comme une vérité indubitable
et universellement admise que Dieu est l'Être pvLv simpliciter
et sine additione {Summa fheoL, p. i, q. 3, a. 4).
Mais précisément parce que nous savons tout cela, nous
osons soutenir que ni les saintes Écritures, ni les Pères, ni les
Écoles cathoUques toutes ensemble n'autorisent rien de sem-
blable à l'interprétation qu'on nous oppose, et qui n'a pour
-552 LES SEPT PKOPOSITIONS [Tome VUI.
toute base qu'une équivoque fraf^ile que, d'un trait de plume,
€t il y a longtemps, saint Thomas s'est chargé de faire dis-
paraître. « Aliquid cui non fit additio, dit le saint Docteur,
potest iuteliigi dupliciter : uno modo ut de ratione ejus sit
quod non fiât ei additio, sicut de ratione animalis irrationalis
est ut sit sine ratione. Alio modo intelligitur aliquid cui non
fiât additio, quia non est de ratione ejusquod sibi fiât additio,
sicut animal commune est sine ratione, quia non est de ratione
animalis communis utiiabeat rationem, sed nec est de ratione
ejus ut careat ratione. Primo igitur modo, esse sine addito est
esse divinuni; secundo modo esse sine addilo est esse commune. »
{Summa theol. p. i; q 3, a.1, ad. 1.)
Remarquons bien que saint Thomas s'exprime d'une ma-
nière différente, des modes divers dont une chose peut ne
recevoir aucune addition. L'une qui concerne l'Être divin,
ens divinum, est toute poiitive, « ut de ratione ejus sit, » c'est-
à-dire qu'd est de la nature de l'Être divin, qu'il appartient au
mode essentiel de son existence de contenir la plénitude de
l'être, sans que rien puisse ni le limiter, ni le restreindre.
L'autre, qui regarde l'être commun, l'être en général, est né-
gative, « non est de ratione ejus, » c'est-à-dire qu'au point de
vue universel etabstrait, cet être n'est pas plus l'être créé que
l'otre incréé; ei voilà pourquoi il ne peut être considéré comme
une chose réelle, adéquate, en dehors de l'intelligence qui le
perçoit, parce qu'il ne saurait être conçu en acte, en dehors
des modes qui déterminent et constituent la nature diverse de
tous les êtres existants.
Donc, autre chose est l'Être pur, en tant qu'il est l'Être
divin, et autre chose, en tant qu'il est l'être universel. L'Être
pur divin ne peut être conçu comme susceptible d'une addi-
tion quelconque, tandis que l'être pur universel, quoiaue sus-
ceptible d'être conçu per se sans addition ne peut toutefois
exister comme tel. « Quod commune est vel universale, dit saint
Thomas dans sa Somme philosophique, sine additione esse non
NoT. 1863.) NOTÉES PA:i LE S. OFFICE. 453
potest, sed sine additione consideratur. Non enim animal po-
test esse absquerationalivel irratioualidiffer'ntia quamvis sine
his dififerentiis cogitelur ; licet etiam cogitetiir univer?ale abs-
que additione, non tamen absque receplibilitate additionis est.
Nain si aniraali nulla dififerentia addi posset , genus non
esset, et similiter est de omnibus aliis nominibus. Divinum
autem esse est absque additione, non solum cogitatione, sed
etiam in reruai nalura ; et non solum absque additione, sed
etiam absque receptibilitate additionis. » {Cont. Cent, i, 26.)
Nous sommes donc forcés de conclure que le mot simpliciter
applique à l'être, comme terme positif, exprime l'essence
même de l'Être pur, qui est Dieu; mais considéré comme
terme négatif, il n'exprime plus que le mode abstrait dont
notre esprit perçoit l'être en général. Il ne saurait donc être
imaginé une différence plus radicale et plus profonde entre
deux concepts, et rien n'est plus absurde par conséquent
que d'identifier l'Être pur qui est Dieu, avec l'être universel
et abstrait, dans lequel on voudrait nous faire connaître im-
plicitement toutes cboses.
Le Saint-Office a donc eu bien raison de penser qu'un ensei-
gnement pbilosophique qui se met ainsi tout d'abord en con-
tradiction avec les grands docteurs catholiques, et qui fait
ensuite de notre Dieu un Dieu idéal et abstrait, constitue un
danger réel pour notre foi. Car d'autres viendront, et aper-
cevant ce Dieu abstrait et sans majesté, ils iront se prosterner
devant le Dieu-Monde, le Dieu-Soleil, l'Absolu, qui ne sont
eux-mêmes qu'un voile grossier qui recouvre le Dieu-Néant
de l'athéisme.
P. P. Armand.
LITURGIE.
SUR LA FORMULE DE L ABSOLUTION SACRAMENTELLE.
Le mot Deinde qui se trouve dans la formule de l'absolution sa-
cramentelle : Ego te absolve a peccatis tuis, est-il une rubrique,
ou fait-il partie de la formule?
Les rubricistes ne sont pas d'accord sur la nature du mot
Deinde qui précède les paroles : Ego te absolvo a peccatis tuis.
D'après les uns, ce mot est une rubrique, insérée à cet endroit
pour indiquer les paroles sacramentelles ; suivant les autres,
il fait partie du texte, et doit être prononcé par le confesseur.
Les Rituels imprimés à Rome ne sont pas d'accord sur ce
point, les décrets de la Sacrée Congrégation des Rites ne sont
pas suffisamment clairs, et les auteurs les plus recomman-
dables sont eux-mêmes divisés.
En faveur du premier sentiment^ nous pouvons citer les der-
niers rituels imprimés à Rome et à Malines, où le mot Deinde
se trouve en caractères de couleur rouge, et le Rituel com-
menté par Barruffaldi, dans le texte duquel il y a deux points
après le mot Deinde, et dont le commentaire montre que le sa-
vant auteur ne regardait pas ce mot comme appartenant au
texte.
En faveur du second sentiment, on peut citer Catalaui et les
autorités qu'il allègue. Le savant liturgiste s'exprime ainsi :
« Unum adhuc restât, quod hic praeteriri nequaquam débet,
« adverbium nerape illud, Deinde, quod eodem charactere exa-
« ratum absolutioni peccatorum immédiate praemitlitur...
Nov. 1863 I LITURGIE. 455
« recitandum esse cum ipsa absolutione. velut ejuscîem con-
« textuin. Noaenim ad rubricamspectat. » L'auteur cite alors
l'autorité de saint Charles. Saint Liguori, d'après Busembaum,
et M. Falise mettent aussi le mot Deinde dans la formule de
Tabsolution.
Deux décisions de la Sacrée Congrégation des Rites dé-
fendent de rien innover à cet égard Mais comme le voium du
maître des cérémonies n'a point été publié, on ne voit pas
bien à laquelle des deux leçons se rapporte la défense. Les
deux décrets sont les suivants.
l*"" Décret. — Question. « Utrum verbum Deinde in forma
« absolutionis in nonnuUis editionibus rubro charactere im-
c( pressum omittendiim sit? » Réponse. « Nibil esse innovan-
a dnm. » (Décret du 11 mars 1837, n. 4809).
2« DÉCRET. — Question. « Au in forma absolutionis, anie
« verba : Ego te absolvo a peccatis tuis, dicendum sit, vel
a omiltendum verbum Deinde? i> Héponse. a Detur decretum
a in Veronen. Diei H mart. 1837. » (Décret du 28 février
1847, n. 5089, q. 1.)
Avant ces réponses, la Sacrée Congrégation des Rites avait
renvoyé la, décision à la Sacrée Congrégation de l'Inquisition,
par une réponse du 27 août 1836 (n. 4782, q. 5) .
D'après la teneur de ces décisions, il semblerait que l'inno-
vation rejetée serait le premier sentiment. Mais pour soutenir
celte opinion, il fandrait admettre que les Rituels imprimés à
Rome depuis que la question a été soulevée, sont fautifs à cet
endroit, par suite de l'incurie des éditeurs on des typographes.
Ce fait, sans doute, ne serait pas absolument impossible, mais,
pour trancher une question controversée sur une formule sa-
cramentelle, nous pouvons nous en tenir k une édition qui
fait autorité, jusqu'à une nouvelle décision de la part de la
Sacrée Congrégation.
P. R.
DECISIONS
DE LA S. PÉNITENGERIE.
Nous reproduisons, en les empruntant à la Correspondance
de Rome, les décisions suivantes sur les dispenses relatives à
la loi de l'abstineuce.
Eminentissime Princeps. Quidam sacerdotes regnoriim Belgii et
HoUandiae, ad tranquillitatem conscientiae suae et ad cerlam fidelium
direclionem, instanter petunt ab Eniinenlia Vestra solulionem sequen-
tium dubiorum :
Gury, Scavini et alii référant tanquara responsa S. PœnitentiariaB
data die 16 januarii 1834 :
« Posse persoriis, quai sunt in potestate patrisfamilias, cui facta est
légitima facilitas edeiidi carnes, permitti uti cibis patrifamilias indultis^
adjecfa conditione de non perraiscendislicitis atque interdictis epulis et
de unica conif -i;one in die, iis qui jejiinare tenentur . n
Igitur quœril *r ' 1. An haec resoiutio valeat ubique terrarum ? 2.
Dum dicilur permit! posse, petitnr a qno ista perraissio danda sit, et
an sufficial permissio data a simplici confessario?
Altéra resoiutio : o Fidelt-s qui ratione aetatis vel laboris jejunare
non tenentur, licite posse in quadragesima, dum induUum concessum
est, omnibus diebus ind'.dto comprehensis, vesci carnibus ant lacti-
ciniis per idem indultum permissis, quoties per diem edunt. «
Dubiiatur igitur, an haec resoiutio valeat in diœcesi cujus episcopus
auctoritate aposiolica concedit fidelibus ut feria 2'', 3^, 3* temporis
quadragesimae possint semel in die vesci carnibus et ovis, iis vero qui
ratione setatis vel laboris jejunare non teneiitur, permitlit ut ovis sae-
pius in die utantur.
Qaeritur itaque : 1. An non obstantibus niemorata phrasi ovis sse-
piiisin dieutantur, et tenore concessionis, possint ii qui ratione aetatis
vel laboris jejunare non tenentur, vi dictae resulutionis vesci carnibus
quoties per diem edunt? — 2. An iis qui jejunare non tenentur ra-
tione aetatis vel laboris, agquiparandi sint qui ratione infirmaj valetu-
dinis ajejunio excusantur, adeo ut istis quoque pluries in die vesci
carnibus lioeat?
S. Pœnitentiaria, mature consideratis propositis dubiis, dilecto in
Christo oralori in primis respondet Iransmillendo declarationem ab ipsa
S. Pœnitentiaria alias datam, scilicet: « Ratio permissionis, de qua
in resolutione data a S. Pœnitentiara 1(3 januarii 1834, non est in-
dultum patrifamilias concessum, sed irapotentia in qua versantur filii
farailias observandi prseceptura. »
iNov, 1863, BREF DE S. S. PIE IX. 457
Deinde ad duoprjora dubia respondet : Quoad primum, alTirraative;
quoad secundura, sufficere permissionem factam a simplici confessario.
Ad duo vero posteriora dubia respondet: Quoad primum, négative ;
Quoad secundum, non aequiparari.
Datura Romae in S. Pœnitentiaria, die 27 raaii 1863.
A. M. Gard. Cagiano M. P.
BREF
de Sa Sainteté le Pape Pie IX, relatif à un nouvel Office de
r Immaculée-Conception.
Plus PP. IX
AD PERPETUAM REI MEMORIAM.
Quod jampridem ab hac Apostolica Sede communia fideliiim vota
precesque postulaverant, quod ad augcndiim in terris Realissimae Ge-
nilricis Dei gloriam maxime pertinebat, id Nos tandem divino adflante
Spiritu praestitiraus quuin sexto Idus Decembris Anni niillesimi octin-
gentesimi quinquagesimi quarti in Patriarchali B.ssilica Noslra Vati-
cana frequcntissima adstante S. R. E. Cardmalium et Sacrorum Antis-
titum corona, pronuntiavimus, declaravimus ac defiuivinius doctrinam,
quae tenel Beatissimam Yirginem Mariam in primo inslaiitisuae Goncep-
tionis fuisse singulari Dei Omnipotentisgralia et privilégie, intnitume-
ritorura Jesu Christi Redemploris humani generis, ab omni originalis
culpae labe praeservatam, esse a Deo revelalam, atque idcirco ab omni-
bus tldelibus firmiter, constanterque crcdendam. Difficile porro dictu
est quanto exinde gaudio peifusi fuerint univcrsi Caihobci Oibis An-
tistites fum Clero suo, nec non Principes viri, ceterique cujuscumque
ordinis fidèles, quippe qui inflammato studio ducti honore débite pro-
sequendi immaculalam Yirginem Genitiicem Dei Maiiam, majorum
exempla semulati, idipsum novissinm hac aelale iteratis pi ecibus ab hac
Sancla Sede imploraverant. Nos quidem vixdum ad universae Ecclesiae
regiraen meritis licet imparibus evecti fuimus, id praecipue curavirnus
ut secundum Ecclesiœ vola ea perageremus quae ad augendum Deipa-
rae Virginis cultum pertinerent, utque exccllentissimae iilius dotes et
collala divinilus privilégia^ alquo ornamenta fidelium oculis clarius ni-
tescerent ; qua de causa novum ecclesiasticum Otficinm , novamque
Missara approbavimus, ut solemnius telrbraretur fe^tum Bcatissimse
Virginis sine labe original! conceptae ; atque ita arcano Deiconsilio non
'i^S BRhF DE S. S. PIE IX. [Tome VIIK
intermissis hujii>modi curis via quodammodo sterni visa est ad solemne
edendum decietum, quod de iinmaculalo Deiparae conceptu memorata
die atque anno pronuiiliavimus. Verumiamen quoniam necessarium esse
novimus ut cumlege credendi lex convenint supplicandi, idcirco eo cu-
ras Noslras convertimus ut novura conderetur OîTicium cura nova Missa
lam in Vigilia, ubi concessa est, qiiam in festo immaculataî Concep-
tionis, quibus singula haec ex ordine recolantur, et faustissimi eventus
séries futuris in posterum aetatibus innotescat. Jam vero qiium hujus-
modi opus ad optatum exitumperductumsit, menioratiim OfficiumMis-
samque respondentera de consiiio peculiaris Congregationis Sacroruni
Ritniim ad id apposite per Nos deputatae Auctoritate Nostra Apostolica
approbandani existirnavimus. Ilaque de ejusdem Congregationis con-
siiio, certa scientia, ac matura deliberalione Nostra superius indicatum
Offîcium, INlissaraque Olïïcio respondentem, nec non, pro lucis ubi est
concessa, Missani pro Vigilia immaculatseConceptionis Auctoritate Nos-
tra Apostolica per praesentes Litteras probamus, eademque Autoritate
prsecipimus, ut hoc unice Offîcium et Missam quicumque de Clero saecu-
iari, et regulari, non exclusis Monialibus, ad Horas Canonicas persol-
vendas quocumque titulo teneantur, adsumeredebeant, Romae quidena,
atque ubi fieri commode possit, hoc ipso anno vertente, alibi vero
sequenti Anno MDCCCLXIV, sub pœna Divini Officii omis minime
adimplendi. Ne quls Vero reptttet peculiari quocumque titulo etiam spe-
eiatim designando hujusmodi général! praescriptione minime compre-
hendi, Auctoritate Nostra Apostolica abolemus, et proscribimus quod-
cumque aliud Officium, et quamcumque aliam Missam de immaculata
Conceptione, etiamsi sint ritus a Romanodiversi, aclicet singnlari pri-
vilegio concessa fuerint, etiam cuicumque Ordini regulari, acjubemus,
ut in novis editionibus Breviarii, et Missalis lioc unice apponatur Offi-
cium in corpore Breviarii, et Missa imprimatur in corpore Missalis die
VIII Decembris ; in appendice vero Missalis Missa de Vigilia adji-
ciatur pro locis, ubi ex Apostolica concessione vigilia celebratur. El quo-
niam noniuilliB regulanum familiae ritum servant a Romano diversura,
volumus ut ipsse quantociiis exbibere teneantur CongregationiSacrorura
Rituum pro opportuno examine et revisione additiones, aut variationes
proprio ritui responelentes. Haec volumus, jubemus, mandamus, con-
trariis speciali licet, atque individua mentione dignis non obstantibus
quibuscumque.
Djtum Romae apud Sanctum Petrjm sub Annulo Piscatoris die XXV
Septembiis MDCGCLXIII Ponlificatus Nosiri Anno Decimo octavo.
N. GARD. PARACCIANICLARELLI
BIBLIOGRAPHIE.
Haniîale totius «fnris canonici, aiictore D. Craisson. Tom. m
et IV. Paris, Palmé. In-12 de 752, 735 pp.
Les deux derniers volumes de l'ouvrage de M. Craisson
venant de paraître, nous allons reprendre et achever l'étude
que nous avions commencée de l'ouvrage entier. C'est toujours
la même exécution typographique très- satisfaisante, tou-
jours la même distribution de la matière par numéros. Le
m® tome en 752 pages comprend 2122 numéros ; le IV en 735
pages à 1160 numéros. Ce dernier contient une table alphabé-
tique très-développée de tout l'ouvrage (p. 395-634). Cette
table est suivie elle-même d'une dissertation sur le calen-
drier, du catalogue de tous les évêcliés, des articles orga-
niques , de la réclamation du cardinal Caprara contre ces
mêmes articles, et de formules d'induits accordés aux évêques
par la Sacrée Péuitencerie.
Dans cette dernière partie de son travail, M. Craisson con-
tinne son traité des Sacrements, à partir de l'Eucharistie ;
puis il parle des Sacramentaux, des Bénédictions, des Suffra-
ges, des Indulgences, des Funérailles, des Cimetières, des
Lieux sacrés, des Fêtes et des Jeûnes, de la sainte Liturgie et
des Vœux, toutes matières coniprises dans la deuxième partie
du droit canon sows le titre de choses spirituelles. Aux choses
spirituelles sont attachées, ainsi que cela se retrouve dans toute
la religion, les choses temporelles. M. Craisson traite cette der-
nière question à la fin de son troisième volume. L'Église est-
ellc apte à posséder des biens temporels? Qui les administre?
Comment les administre-t-on ? Quelles sont les règles rela-
460 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VIll
tive3 à leur aliéuation ? Après ces coiisiilérations générales,
l'auteur parle de ces mêmes biens eu particulier, des prémices,
des dîmes, des oblatious, des bénéfices, des commendes et
des pensions-
Le quatrième volume, sous le titre de Judiciis, est consacré
aux jugements, aux délits et aux peines.
Le plan général de l'ouvrage est simple et commode.
L'Église est une société. Toute société se compose de personnes;
les personnes ont besoin de plusieurs choses et commettent des
fautes qui doivent être jugées et punies. D'où la division juste,
facile et claire d'un cours de droit canon en trois parties : de
personis, de rébus, de judiciis.
Notre impression sur l'œuvre de M. Craissou reste la même.
Les deux derniers volumes ressemblent aux premiers. La
doctrine est saine, on y retrouve les lignes véritables du droit.
Mais il w'y a pas toujours assez de plénitude, assez d'énergie
dans l'exposition; l'auteur va puiser trop souvent à des
sources secondaires, il charge son texte de citations fort inu-
tiles et qui ne paraissent avoir aucune raison d'être. Pour
n'en citer qu'un exemple, à la page 182 du tome troisième,
on lit : Extrenia-unctio est sacramentum novx legis quo per olei,
etc., etc.; Ita theologia tolosana. On se demande pourquoi,
à propos de la définition d'un sacrement, répétée dans tous les
livres, ou trouve citée une théologie qui, dénuée de toute
importance scientifique, laisse beaucoup à désirer sous un
rapport plus essentiel, mémo après les retouches qu'elle a
subies. Ceci n'est qu'un détail, mais ce détail n'est pas sans
analogues.
Ailleurs (tome m, p. 375), l'estimable canouiste enseigne
qu'il semble que, dans les diocèses où l'on n'a pas de formules
de bénédictions adaptées à certains objets que l'on voudrait bé-
nir, on pourrait employer la formule approuvée par Pie IX, le
iO septembre 1847, formule qui se lit dans la Collection de
Gardeliini, u. 5119; tome iv, p. 141, de la 2« édition. En quoi
Nov. 1SG3.] BIBLIOGRAPHIE. 461
M. Craisson nous paraît se^tromper. Sans dire que sa doctrine
ferait supposer qu'il faut pour chaque objet une formule
particulière, — erreur, pour le dire en passant qui a fait pul-
luler dans nos riluels illégitiuies tant de formules variées,, —
la vérité est que la formule dont il parle a été accordée pro
gratta, et que la Congrégation a permis au clergé de la ville
et du diocèse de Périgueux st ulement de l'employer, afque a
clero civitatis et diœcesis Petrocorensis adhiberi posse permisit.
Or, évidemment, un teliaugage n'exprime pas une concession
universelle. On peut tirer une nouvelle preuve de ce que la
Sacrée Congrégation a permis à un diocèse voisin d'employer
la formule de bénédiction commune accordée à Périgueux, et
qu'elle a indiqué (l'i août 1854) la manière de bénir un objet
quelconque dans le cas où la formule de bénédiction de cet
objet ne se trouverait pas dans le Rituel, (Mau. tome iif, p. 420.)
De ce qu'une grâce, un office, une formule, sont accordés à
un lieu, il ne s'ensuit nullement qu'ils puissent en pratique
être regardés comme concédés pour d'autres lieux.
A la page 372, nous croyons trouver un défaut de rédaction.
L'auteur, après avoir distingué la classe des bénédictions ré-
servées aux évêques, et que les évêques ne peuvent auctoritate
propria commettre aux simples prêtres, ajoute qu'assez com-
munément on range dans cette catégorie la bénédiction des
linges et vêtements sacrés, et que cependant Pie IX lui a
assuré se dédisse omnibus episcopis facultatem deleyandi meros
sacerdotes pro benedicendis sacris paramentis... Cela prouve
très-bien que les évêques délèguent pour cette bénédiction en
vertu des pouvoirs .spéciaux qui leur sont accordés ; mais
cela n'établit en aucune façon que les évêques peuvent dé-
léguer de leur propre chef.
Nous aurions d'autres détails de ce genre à relever. Nous
les omettons très-volontiers. Notre but n'est i)as de suivre page
par page le manuel dont nous entrenons nos lecteurs: nous vou-
lons uniquement moutrer que, très-bon dans l'ensemble, il
462 BIBLIOGRAPHIE. [TomeVlII.
pourrait s'y rencontrer des points où il n'est pas d'une exac-
titude entière. Non ego paucis offendar maculis.
Avec le défaut de ne pas citer assez les grands auteurs et
les premiers sources, et de trop citer au contraire des auteurs
secondaires ou dangereux, ou même proscrits par la sainte
Église ; avec quelques inexactitudes de détails, nous repro-
cherions à ce livre de n'être pas assez complet sur des choses
mémo nécessaires. Au chapitre des Messes votives (t. m, p. 129),
nous lisons : Quomodo autem missse, votivx sint dicendx, vide
apud de Herdt... S. Liguori. Revue des Sciences ecclésiastiques.
En un sujet aussi pratique, ou aimerait à trouver de suite les
indications nécessaires sans être obligé d'aller les chercher
ailleurs. Cette observation se reproduit plusieurs fois dans la
lecture du livre de M. Craisson.
En résumé, tout en reconnaissant que ce livre est excellent
dans Teusemble, nous faisons des réserves, et elles portent
principalement sur certaines petites faiblesses qui nous sem-
blent lui ôtor quelque peu de son mérite. Le vénérable auteur a
sacrifié légèrement à un désir de conciliation très-honorable
du reste, mais qui ne doit jamais nous faire rester en deçà
de la ligne doctrinale par crainte de la dépasser.
Cette tendance à modérer et affaiblir est plutôt dans l'es-
prit de son livre que dans son livre lui-même. Elle ne s'y tra-
hit pour un œil attentif que dans certaines circonstances, par
des erreurs de détail, par de légers symptômes, et par le
ton général de l'exposition.
Aprèsavoir fait ces petites réserves, auxquelles nous attachons
individuellement le plus grand prix, car nous ne croyons pas
que, dans les temps où nous vivons, on serve suffisamment la
vérité en l'affaiblissant plus ou moins, nous tenons à répéter
encore que le i/ani/e/ de M. l'ancien Vicaire général de Valeiice
est un fort bon et fort utile travail. S'il n'atteint pas absolument
en tout et toujours, et dans tous les détails, la ligue exacte du
droit, il l'atteint presque partout et s'en rapproche beaucoup
Nov 1863.1 BIBLIOGRAPHIE. 46J
plus qu'un autre cours de droit cauoniqne public il y a quel-
ques années. Pour s'en convaincre sur un point donné, on
n'aurait qu'à comparer l'étrange manière ôonl les Prxlectio7ies
j'ui'is canonici (tome ii, p. 397 et suiv.) envisagent les liturgies
illégitimes et ce qu'en dit avec tant de vérité M. Craisson
(tome m, p. 583). Encore aurail-ilpu enriciiir ce passage de la
réponse donnée le 28 août 1856 pour Besançon. On voit en
ceci un exemple frappant de la manière dont on peut confis-
quer et présenter à un point de vue syslématiquo les ques-
tions les plus graves.
Nous voudrions maintenant reprendre les principales affir-
mations renfermées dans le Manuel. Ce serait une tâche fa-
cile, agréable et même utile. Nous verrions que malgré le
travail de rénovation et de résurrection qui s'opère si heu-
reusement parmi nous, nous sommes encore un peu en retard
sur l'étude et l'application des règles. Puissent tous nos sé-
minaires s'enrichir d'un bon cours de droit canon ! puissent
tous nos prêtres appliquer sincèrement les prescriptions du
droit! 11 y aurait Va, nous le croyons, un puissant moyen de
résurrec ion et de vie, parce que le droit est la volonté de
l'Église, qui est la volonté même de Dieu, et vita in voluntate
ejus (Ps. XXIX, 6). Le manuel deM. Craisson est donc une bonne
action et un bon livre. 11 obtiendra, nous le croyons el nous
le désirons, le but qu'il s'étaitproposé et qu'il exprime en ter-
minant : Utinam cedat in maximam Dei gloriatn, Lcclesix
honorem el utilitatem I
Le respectable auteur nous rendra la justice de penser et
de croire que les observations présentées sur son livre ne pro-
viennent que de l'intérêt qu'il nous inspire. Nous tenons tant
à l'unité, nous voudrions tant voir disparaître ces principes
d'oi'position et d'aigreur qui pourraient nous troubler, et
partant nous affaiblir en nous séparant, même en peu de
choses, du Pape, qui est le Sacrement vivant de l'unité
ecclésiastique, que nous sommes très-chatouilleux sur les livres
2i64 BIBLIOGRAPHIB. [Tome VIII.
destinés à l'enseignement. Nos légères critiques, atlénuëes par
un profond sentiment de vénération, ne sont qu'un hommage
rendu à un bon livre et à un excellent auteur. Que le Manuel,
en se répandant, serve la cause sacrée de l'unité dont l'Église
chante qu'elle gonverne tout ! In unitate quse gubernat omnia!
[in festo SS. Pétri et Pauli.) H. Girard.
lie ]^'ouTeau Testament de IVotre-^eîg'neur «lésns-Christ,
tradr.clion nouvellt; avec introduction, sommaires et notes, par
M. l'abbé A. Gaume, chanoiDe de Paris, publiée avec l'autorisation de
rordinaire. Paris, Gaume frères et Duprey, 2 vol. iu-12 de sxiv-504,
540 pp. Prix, 7 fr.
Le Nouveau Testament ! ce n'est pas le cas de redire ici
tout ce que les saints, tout ce que les écrivains ecclésiastiques
ont proclamé de ce Livre divin qui renferme la parole de vie.
On croirait qu'un tel ouvrage, objet d'une admiration si pro-
fonde et si constante, a dû conquérir au moins le respect
des méchants : à quelques exceptions près, il n'en a rien été.
Le rationalisme et le protestantisme se sont attachés à nier, à
fausser, à dénaturer la parole de Dieu. Nous n'avons pas
besoin de retracer ici les combats livrés aux saints Livres par
ceux-là mêmes qui prétendaient en faire la règle unique de
leur foi : on saiit jusqu'oîi les ont conduits les écarts de i'esnrit
individuel, et le rationalisme antichrétien de nos jours n'est que
le développement normal du principe de la Réforme. Strauss et
Renan sont les héritiers légitimes de Luther et de Calvin. Et
comme tout se tient dans l'ordre des principes, il s'ensuit qu'en
ébranlant la base de la foi, on a ébranlé la base même de
l'ordre social et moral. C'est le progrès de ces funestes doc-
trines qui donne à notre époque un caractère particulier d'a-
mertume et de tristesse.
Comme le Nouveau Testament renferme la connais.sance de
Notre-Seigneur, les preuves de sa divinité et les maximes de
Vov. 1862.] BIBLIOGRAPHIE. 465
sa pure doctrine, il est bon que la foi et l'amour aillent se
retremper dans ces sources vivifiantes. Quesnel et les autres
Jansénistes qui, animés de l'espril de la Réforme, rendaient
la lecture des saintes Lettres absolument nécessaire , ont été
justement condamnés. Mais cette lecture est permise, moj^en-
nant des garanties légitimes : elle peut souvent être utile,
aujourd'hui surtout que l'on n'épargne plus même la personne
adorable de notre Sauveur.
Frappé de ces considérations, M. l'abbé Gaume, chanoine
de Noire-Dame et ancien professeur de théologie, a consacré
six années à faire sur l'Évangile un travail qui pût en rendre
la lecture facile et avantageuse aux simples fidèles.
Il nous en communique aujourd'hui le résultat dans les deux
volumes admirablement édités dont nous allons donner un
simple aperçu. Une introduction très-substantielle est consa-
crée à des notions préliminaires sur le titre du Nouveau
Testament, les parties dont il se compose, son autorité, son
utilité, sa richesse, sur la méthode que l'auteur a suivie dans
la traduction et l'explication dutexte, sur les dispositions avec
lesquelles ou doit le lire. Vient ensuite une courte explication
de quelques mots et locutions souvent reproduits dans le
Nouveau Testament, et trop peu compris de bien des per-
sonnes.
Après cette introduction se trouve la traduction du texte
sacré, dont nous ferons en deux mots l'éloge quaml nous
dirons qu'elle est exacte et naturelle, qu'elle suit le texte sans
s'écarter du géuie de notre langue.
Mais ce qui fait de l'œuvre de M. Gaume une œuvre à part,
ce sont les notes qui accompagnent la traduction. Avant chaque
épître, une note préiiminaire donne sur cette épîlre des expli-
cations fort intéressantes qui en disent l'occasion, le but et le
plan, et jettent par là même le plus grand jour sur la peusée
de l'écrivain. En outre des sommaires développés relient toutes
les idées entre elles selon le plan général de l'épitre. C'est là
UEVUE des SCIENXES ECCLÉSiASf IQUES, T. \\\\. ^0
460 BIBLIOGRAPHIE. [TomeVIlI.
selon nous, une amélioration notable qui assure au travail de
M. Gaume un caractère très-spécial d'utilité.
Les notes explicatives, géuéraleaient très-courtes, sont au
nombre d'enviion quatre mille. L'auteur les a rejetées au bas
d es pages et les a fait imprimer dans un caractère spécial pour ne
p oint interrompre la lecture. Elles sont, nouspouvons le redire
après des hommes fort compétents, « un résumé clair et sub-
stantiel des commentaires les plus accrédités. » L'estimable
auteur les a tirées du trésor antique de la tradition catholique,
mais il les a formulées d'une manière viaircent nouvelle : une
difficulté expliquée, un dogme accentué, une vue d'ensemble
habilement jetée, une exhortation faite, une pensée pieuse
émise en peu de mots : voilà ce qu'on y trouve. Nous pourrions
en citer bien des exemples.
L'auteur a fait aussi une part assez restreinte, vu le carac-
tère de l'ouvrage, mais suffisante, à la polémique déloyale
des sociétés bibliques. Leurs agents répandent partout des
exemplaires du Nouveau Testament, où quantité de pas-
sages sont soulignés à l'encre rouge et commentés d'une ma-
nière perfide sur de petites bandes collées en marge. aTourà
tour agressifs et insolents, insidieux et perfides, dit M. Gaume,
ces petits papiers ne tiennent aucun compte des réponses mille
fois données, et toujours demeurées sans réplique sérieuse.
D'un Ion fort dégagé, ou avec un air de candeur et d'innocence,
ils provoquent^ des doutes, affirment des mensonges, débitent
des faussetés et dos hérésies, formulent des accusations et se
posent eu amis de la vérité. Tous ces imprimés, qui suent le
venin, nous les avons, malgré notre dégoût, vérifiés et exami-
nés les uns après les autres, et nous n'en avons laissé passer
aucun sans en faires justice, soit par une réfutation directe,
nécessairement^ tiès-courte; soit au moins en plaçant en re-
gard la doctrine des siècles chrétiens. Car, il eût été impossible
de faire autant de traités qu'ils abordent de suje!s, pour nier,
et nier avec une hardiesse d'autant plus efirontée qu'elle est
plus dépourvue de preuves (Introd; p. XV). »
Nov.180.] BIBLIOGRAPBIE. 467
Enfin pour être dans la règle, le vénérable chanoine de
Paris a fait munir son travail de l'approbation de l'ordinaire.
Eu préparant le Nouveau Testament que nous avons le
plaisir d'annoncer, Mj l'abbé Gaume n'a pas oublié une classe
très-nombreuse de lecteurs pour lesquels on ne songeait point
assez à remplir les conditions du droit canonique. Depuis
longtemps on met entre les mains des enfants dans les écoles,
des extraits considérables du Nouveau Testament. C'est un
usage fort louable, mais pour lequel ou a trop oublié de se
conformer aux prescriptions de l'Église. En effet, on était
habitué à faire circuler ainsi beaucoup de traductions sans
noms d'auteurs, sans notes, sans autorisation régulière.
M. l'abbé Gaume a offert aux personnes qui le désirent le
moyen d'observer désormais les lois de TÉglise en cette matière
sans augmentation de dépense, malgré les nombreux avan-
tages que présente son recueil.
Nous venons de voir avec bonheur ce petit livre, format
in-18. Il est intitulé : Epîtres et Evangiles des dimanches et fêtes
de Vannée, et porte en tête une approbation très-flatteuse de
Sou Éminence Mgr le cardinal Morlot. On le trouve à la même
librairie que le Nouveau Testament. Le prix en est de 50 c.
N. G. Le Roy.
li'Ecclésiaste de S»alomou, traduit de l'hébreu, précédé d'une
Étude sur le caractère, le plan, l'auteur et l'âge de ce livre, par A.
GiLLY, docteur en théologie et en droit-canon, directeur de Séminaire.
Paris, V. Palmé. In-] 2 de x-167 pp.
Plus d'une fois déjà nous avons signalé l'importance des
études exégétiques, et témoigné le désir qu'elles fussent cul-
tivées avec tout le développement nécessaire. C'est donc avec
bonheur que nous voyons entrer dans cette voie un jeune cri-
tique, préparée ce genre de travaux par ses études antérieures
et par ses occupations de tous les jours.
Ici, je me sens iu],médiatement arrêté. Des liens trop éhoits
m'attachent à la personne de l'auteur, pour que je puisse d'une
468 BIBLIOGRAPHIE. [Tome Mit.
manière digne et convenable entreprendre l'examen de son
œuvre. Je me bornerai donc à une simple annonce, en priant
las amis des saintes Lettres de lui réserver le meilleur accueil.
S'il m'est interdit de parler ici en mon nom, personne du
moins ne trouvera mauvais que je cède la parole à l'un des
prélats les plus illustres de l'Église de France. Mgr Plantier,
évêque de Nîmes, écrivait tout récemment à M. l'abbé Gilly :
« Entre les divers livres de nos saintes Écritures, mon clier
abbé, VEcch'siaste est un de ceux dont la science rationaliste a
le plus méconnu le sens et blasphémé la divine inspiration. Je
vous sais gré d'avoir consacré à le venger de ces méprises et
de cer. outrages les fortes connaissances de philologie et d'exé-
gèse que vous avez puisées à Rome. Ce travail est le premier
fruit de votre intelligence jeune encore. Mais consciencieusement
préparé, j'aime à croire qu'il sera goûté par les esprits qui
s'occupent d'études sérieuses, et qu'il éclairera pour eux de
lumières décisives un point de critique sur lequel le faux savoir
de notre temps s'efiorce d'accumuler chaque jour de plus épais
nuages.
« Je bénis le livre et son auteur, le livre afin qu'il ait de
bonnes destinées, l'auteur afin qu'il puisse rendre encore de
nouveaux services à l'Église. »
t HENRI, ÉVÊQUE DE Nîmes.
Espérons que ce vœu parti de si haut sera réalisé, et que
de nombreux travaux viendront s'ajouter à celui-ci.
E. Hautcceur.
Philosopliia Chrîstiana cum antiqua et nova coiuparata,
auciore Cajelaao Sanseverino. Neapoli. typis Vinceutii Manfredi,
1S62.
Les ouvrages qui exigent de longs travaux, de profondes
méditations et de patientes recherches sont devenus très-rares
de nos jours ; la brochure seule est de mode, et encore faut-il
qu'3lle ne s'avise en aucune sorte d; toucher aux questions
Nov. 1863) BIBLIOGRAPHIE. Aù^
un peu abstraites, ou qu'elle ne s'aventure point dans l'exainen
trop sérieux des questions historiques. Si elle s'égare dans la
spéculation, on crie à Tobscurilé; si elle veut étudier de près,
ne serait-ce qu'une question de fait, l'auteur deviendra aux
yeux du public lourd, fatigant, intolérable. Aujourd'hui
donc, poui" être goûté, il faut écrire en laissant soigneusement
de côté la science et l'érudition, et même, au besoin, la doc-
trine et la vérité, pour peu que celle-ci demande d'attention
pour être saisie.
Quel succès peut donc espérer un écrivain qui vient nous
donner en latin un de ces grands ouvrages de philosophie, qui
nous rappellent les monuments scientifiques du moyen âge et
du XVII* siècle ! Où trouver des lecteurs quand il s'agit d'une
publication de ce genre? On ne les trouvera point assurément
parmi les rationalistes, qui cependant auraient grand besoin
d'une étude un peu sérieuse des questions philosophiques; mais
comme tout le monde sait, le rationaliste est simplement chargé
d'instruire le genre humain, sans pour cela être obligé d'en-
tendre les questionsqu'il traite. Heureusement, il reste encore
dans le monde, parmi les ecclésiastiques, des hommes capables
d'apprécier ces travaux, des hommes qui accueilleront avec
joie la Philosophia Christiana de M. le chanoine Sauseverino,
.et sauront reconnaître toute la valeur de cette publication.
Il s'agit en effet ici, non d'un ouvrage élémentaire destiné
à l'enseignement, mais d'un grand traité, où l'auteur expose
la philosophie chrétienne, en la comparant à la philosophie
ancienne et à la philosophie moderne. Une connaissance ap-
profondie des pères et des docteurs de l'Église, une règle sûre
pour apprécier les doctrines, une étude patiente et complète
des travaux de tous les philosophes anciens et modernes, voilà
ce qui caractérise surtout l'ouvrage en question. Ajoutez à
cela que l'auteur est parfaitement au courant de toutes les
publications contemporaines, et qu'il a suivi avec soin le
mouvement des idées en France, en Italie et en Allemagne.
470 BIBLIOGRAPHIE. ITomeVII!.
M. Sanseverino n'a encore publié que la première partie de
la logique, ou la dialectique, qui embrasse deux volumes in-S»,
et la Dynamilogie, ou études des puissances de Tâme, qui
comprend trois volumes. On peut juger par là de l'étendue du
travail. L'auteur commence d'abord par donner, dans une
introduction, un résumé rapide mais précis de l'histoire de la
philosophie jusqu'à nos jours.
La logique nous rappelle , pour l'oi'dre et la nature des
questions qui y sont traitées, l'enseignement traditionnel des
universités catholiques jusqu'au XVI^ siècle. L'auteur, après
avoir exposé très en détail la question des univcrsaux consi-
dérés au point de vue dialectique, ainsi que celle des catégo-
ries, passe à l'étude de la proposition et du syllogisme. Un
exposé irès-approfondi de la vraie nature de l'induction nous
a intéressé d'une manière toute spéciale : il révèle une rare
pénétration desprit. Les nombreux écrits du R. P. Gratry sur
ce point, et les controverses auxquelles ils ont donné lieu, ont
appelé l'attention sur les rapports du syllogisme inductif au
syllogisme déductif. Notre auteur discute donc avec soin le
procédé dialectique du R. P. Gratry, dont il est loin de partager
les sentiments. En effet, selon 'M. Sanseverino :
\° Aristote n'enseigne point que l'induction n'a que deux
tei*mes, et que le mouvement du particulier à l'universel est
immédiat ;
2° il est inexact de dire quels syllogisme nepeutservirqu'à
démontrer la vérité, mais nullement à la découvrir; de plus
l'induction ne procède pas du même au différentiel le syllogisme
du même au même ;
3° L'analyse infinitésimale ne peut être alléguée comme
une contirmation du système du R. P. Gratry, puisque cette
analyse ne repose nullement sur l'induction ;
Enfin, 4° le sens divin, qui serait l'instrument du procédé,
n'existe pas, et n'est qu'une rémiuiscence de l'instinct inné de
Reid et de l'école écossaise.
Nov. 1863.] BIBLIOGRAPHIE. 47^
La sensation produite en France et à l'étranger par les bril-
lantes publications de l'illustre écrivain français, donne un
intérêt tout particulier à la hardie et savante réfutation du
chanoine napolitain. On voit aussi par là que l'auteur de la
Philosophia Christtana, non-seulement connaît la philosophie
scolastique, mais n'est étranger à aucun des travaux sérieux
des contemporains,
Dans la Dynamilogie, M. Sanseverino examine, dans lapar^ee
générale, la nature de la distinction entre l'essence et les fa-
cultésde l'âme; il passe ensuite à l'énumération et au principe
de distinction de colles ci.
Ld. partie spéciale consiste dans une étude détaillée et ap-
profondie de toutes ces puissances, dont il a décrit la nature
et indiqué la classification. En même temps que l'auteur expose
sur les perceptions sensibles et sur la connaissance intellectuelle
la doctrine de tous les docteurs de l'Église, doctrine formulée
avec toute la précision possible par saint Thomas, il s'attache
à montrer les équivoques et les lourdes méprises des philoso-
phes contemporains qui ont voulu rectifier les scolastiques .
Il met en évidence l'inanité de la psychologie de l'école écos-
saise, qui osait s'adjuger la découverte de cette partie de la
philosophie. Eufiniisuit avecsoin et attaque avec vigue,ur les
théories de Rosmini et les divagations périlleuses de,,GiQherti.
La Philosophia christiana est donc un ouvrage qui doit fîgu-
Ter dans la bibliothèque de tous ceux qui veulent s'occuper
d'une manière un peu sérieuse des questions philosophiques
de ou théologiques. Le théologien doit entendre^ les écrits
saint Thomas, de Suarez et de tous les docteurs de l'école;
celui-là, en effet, ne peut être théologien, qui n'einteud pas
même les écrits des grands maîtres dans la science sacrée ; or
pour arriver à une pleine intelligence de tant de magnifiques
monuments théologiques, il faut une connaissances approfondie
de la philosophie scolasiique. .G.,C,
CORRESPONDANCE
I. — Sur la Philosophie de saint Thomas, et quelques-uns
de ses représentants actuels.
Monsieur le Rédacteur,
Veuillez, je vous prie, accueillir avec votre bienveillance qui m^est
connue, et insérer dans voire Revue, animée d'un si excellent esprit,
les lignes suivantes que m'a dictées mon amour pour saint Thomas et
pour sa doctrine.
Un des faits consolants de notre époque si fertile en désastres et en
ruines de tout genre^ c'est, sans contredit, l'esprit de retour à la véri-
table philosophie, je veux dire, à la philosophie chrétienne, dont les
principaux traits ont été si admirablement esquissés par saint Augitstin,
et dont l'ensemble et les détails ont été perfectionnés, d'une manière
si simple et si profonde à la fois, par le plus grand génie philoso-
phique qui ait illuminé le monde, par l'incomparable Docteur angé-
lique. De tous côtés, en effet, en Italie, en Allemagne, en France, etc.,
il s'est opéré, depuis quelques années surtout, un mouvement prodigieux
en faveur de saint Thomas et de ses doctrines. Je vois dans ce mou-
vem.ent qui s'étend de jour en jour le pré'ude d'une grande restauration
philosophique, et par là même, le commencement d'une nouvelle ère
pour la théologie.
Or, vous n'ignorez pas, Monsieur le Rédacteur, que l'un des hommes
qui ont le plus contribué, en Italie surtout, à remettre en honneur les
grandes et fécondes théories de l'Ange de l'École, c'est le savant
P. Liberatore. Ce n'est pas d'hier que l'ihustre Jésuite s'est voué à
la réhabilitation philosophique de saint Thomas. De[)uis plusieurs
années, le P. Liberatore s'est appliqué, soit dans des articles publiés
dans la Civiità Cattolka (I), soit dans des ouvrages italiens trop peu
connusen France, soit dans une philosophie adoptée en quelques-uns
y
ft) Je dois dire, à la louange de celte exceUente Revue, que tous ses rédac-
teur» professent uu respect et un amour sincères pour saint Tliumas et pour ses
doctrines.
Nov. iSCi.] CORKESrOiN'DANCE. 41^
de nos séminaires (1), à faire connaître, goûter, aimer la philosophie
de saint Thomas. On ne saurait trop engager ceux qui s'occupent
d'études philosophiques à lire et relire les œuvres du P. Liberatore,
surtout ses livres italiens, qui développent merveilleusement quelques-
unes des thèses de sa philosophie latine, et qui lui donnent une vie,
une force, une ampleur que ne comporte point un abrégé ou un livre
élémentaire (2).
Toutefois, telle qu'elle est, la Philosophie latine du P. Liberatore
(je parle de la dernière édition) a une valeur incontestable. Outre que
le célèbre auteur s'attache à reproduire fidèlement les doctrines si
lumineuses de saint Thomas, il les ex|)lique et les commente de ma-
nière à satisfaire largement aux besoins de la science actuelle. Le
P. Liberatore est un homme de son temps, un homme qui sait faire
parler saint Thomas pour les vrais savants de notre siècle.
Je n'en dirai pas autant d'une Philosophie latine qui vient de paraître
aussi à Rome, et qui, tout en admettant les idées de saint Thomas sur
certains [loinls, par exemple sur l'origine de nos connaissances, s'é-
carte du saint Docteur sur des points fondamentaux, tels que la ques-
tion de la matière et de la forme, de l'essence et de Vexistence, de la
substance et de Vaccident. Or, tous ceux qui ont tant soit peu étudié
saint Thomas, savent combien ses doctrines sur ces divers points sont
connexes et tiennent à la notion profonde de Vacte et de la puissance.
Il est vraiment à regretter que, dans sa Philosophie, le P. Ton-
giorgi se soit séparé, spécialement en ce qui concerne la matière pre-
mière et la forme, de saint Thomas et de saint Augustin, dont le
Docteur angélique, toujours si fidèle interprète, n'a fait que reproduire
la sublime doctrine. Je sais ce qu'on peut dire pour justifier le P.Ton-
giorgi : on en appelle à la science moderne, et l'on prétend que saint
Thomas changerait aujourd'hui d'avis.
Eh bien 1 nous disons, nous : Non, saint Thomas ne changerait pas
d'avis sur la grande question de la matière et de la forme, attendu que
(1) A Blois et à Poitiers, par exemple. Vous savez combien M. (Ireuié, que la
mort vient de ravir k l'affection île ses nombreux amis, était, au séminaire de
Poitiers, le propagateur ardent et zélé des doctrines de l'Ange de l'écol?.
(^) Les livres dont je parle sont : 1" les deux volumes intitulés ; Délia Co-
noscenza inlellettuale; 2° le volume dernièrement publié sous ce titre : Del
Composta umano. Ces trois volumes contiennent les thèses psychologiques les
plus intéressantes exposées avec force et clarté, suivant les principes de saint
Thomas. Plus lard, il me sera peut-être donné. Dieu aidant, de publier une ana-
lyse étendue de ces beaux ouvrages.
JiH CORRESPONDANCE. [Toinc» VI1[.
les découvertes et les progrès de la science ne nuisent en rien à la
théorie du saint Docteur, théorie toute métaphysique et inaccessible
aux cotips de la science physique. Mais ce n"ost pas ici le lieu de ven-
ffer saint Augustin et saint Thomas. Je renvoie le lecteur au dernier
ouvrage du P. Liberatore : Del Composta timano. 11 y verra exposée
et défendue d'une manière scientifique, appuyée même sur les faits
constatés par la chimie et la physique modernes, la grande thèse des
scolastiques et de saint Thomas sur les (ormes substantielles II y verra,
en outre, et par surcroît, des réponses solides à toutes les difficultés
qui pourraient être exposées par le P. Tongiorgi et autres, au nom de
la science actuelle.
Je regretterais donc vivement, dans l'intérêt de la doctrine de saint
Thomas, doctrine qui est tout d'une pièce, si je puis parler ainsi, et
que l'on ne saurait ébranler sur un point sans que tous les autres en
souffrissent, je regretterais, dis-je, que la Philosophie du P. Ton-
giorgi s'implantât en France, au détriment de celle du P. Liberatore.
Caserait un point d'arrêt, pour ne pas dire un recul, dans le mouve-
ment qui s'opère en faveur du Docteur angélique. Je conviens toute-
fois, que la Philosophie du P. Tongiorgi est un progrès, si on la com-
pare avec certains traités modernes.
J'e-père, monsieur le Rédacteur, que vous daignerez accueillir ces
quelques lignes avec d'autant plus d'indulgence , que votre Revue
s'est montrée, à diverses reprises, pleine de zèle et de dévouement pour
les enseignements du Docteur angélique.
Daignez agréer, etc. F. J.
II. — Une réclamation.
Le R. P. Laurent, provincial des Capucins, nous adresse une lon-
gue lettre à propos du jugement que nous avons porté sur ses Etudes
géologiques, etc. iN" de septembre, p. IQQ, 197.)
Pour éviter jusqu'à l'apparence d'un prétexte de plainte, nous la
reproduisons, tout en faisant remarquer que rien, ne nous y obligeait. 11
s'agit en effet ici d'un article de critique, où la personne de l'auteur
n'est nullement enjeu. Si nous devions accueillir tout ce qu'il plaît à
certaines personnes de nous envoyer à propos d'opinions ou de juge-
ments en matière purement scientifique, nos colonnes seraient en grande
partie absorbées.
Monsieur le Directeur,
Votre savante Revue cou lient dans son numéro de septembre un article de
M. l'abbé Hautcœur dans lequel nos Études sur la cosmogonie de Moïse sont
Nov. 1803.] CORRESPONDANCK. 475
appréciées d'une façon si singulière, il présente des inexactitudes et des erreurs
si graves (1) que nous ne pouvons les passer sous silence. Je vous prie en con-
séquence de vouloir bien insérer ma réponse dans le plus prochain numéro de
la Revue.
1° En parlant des nombreux travaux auxquels ont donné lieu les premiers
chapitres de la Genèse, votre honorable collaborateur observe que « ces travaux
ont souvent pour auteurs des naturalistes élranfzers aux éludes d'exégèse el de
théologie... Ces théologiens improvises, dit-il, torturent le texte biblique, en
étendent ou en restreignent arbitrairement le sens... Ces remarques s'appliquent
aux Études du père Laurent. •
M. l'abbé Hautcœur nous accuse d'abord de torturer le texte bi-
blique, d'en restreindre ou d'en étendre arbitrairement le sens. Une pareille
'mpuiation serait grave, si elle était méritée ; mais elle ne l'est pas, et nous la
repoussons éncrgiquemeni (2). Quelques citations eussent été ici de bon aloi :
notre critique n'en fait point. Ayant à combattre des udversaiies qui s'arrogent
abusivement le droit d'interpréter les saintes Écritures, nous avons consacré un
chapitre tout entier à établir que ce droit n'appartient qu'à l'Église et aux
commentateurs accré dites par l'Église (5). Comment donc nous serions-nous
permis de torturer arbitrairement les textes sacrés? L'interprétation que nous
avons donnée à tous ceux que nous avons cités, nous l'avons toujours empruntée
aux Pères, aux docteurs et aux exégètes les plus autoi'isés. On n'a qu'à jeté'"
un coup-d'œil sur notre travail pour se convaincre de la vérité de cette
assertion.
Après avoir rendu justice à la valeur intrinsèque Je nos Études, et re-
connu que nous sommes dans le vrai en combattant les jours-époques, notre
criiique ajoute : « Mais on voit que, sur le terrain de l'eNégèse, l'auteur n'est
plus chez lui. »
Cette ignorance est possible; mais les preuves que M. Hautcœur en donne
ne sont pas plausibles. 1° Il cite les pages 94., 97. 155, 157, 159, 161 de
l'ouvrage. Nous avons relu attentivement ces pages ; dans aucune d'elles, il n'est
question d'exégèse. Nous y tirons de certains textes des inductions et des
conséquences que nous croyons rationnelles. Ce n'est pas là de l'exégèse; et,
(1) C'est prendre les choses de bien haut, surtout quand on ne peut relever ni
une erreur, ni une inexactilnde. E. H.
(2) Le R. P. Laurent me permettra de lui faire observer qu'il se trompe en
prenant pour lui la remarque contenue à la p. 195 de l'article en question, Le
texte n'autorise pas cette supposition, et en tout cas j'affirme que telle n'a point
été ma pensée. Ce qui a pu causer cette erreur, c'est la transition employée
à la page suivante : « Ces remarques, nous avons le regret de le dire, s'appli-
quent dans une mesure bien plus étendue aux Études du P Laurent. » Mais il
«si clair qu'il s'agit des observations contenues dans le contexte immédiat et
relatives à la Cosmogonia du P. Pianciani. E. H.
(5) Ce passage et autres supposent une théorie au sujet de laquelle nous
faisons les réserves les plus formelles. Ce n'est pas ici le lieu de développer
notre pensée, et de montrer qu'il existe une exégèse scientifique. E. H.
/76 CORRESPONDANCE. [Tome Vlir.
lorsque nous les comuieutons, ce sont les comnienlaires des Pères et des Théolo-
giens que nous rapportons.
Il allègue en second lieu comme caractéristique le passage où nous citons
l'Histoire critique de l'Ancien Testament par Richard Simon, et les Con-
jectures sur les Mémoires originaux dont il parait que Moïse s'est servi
pour composer le livre de la Genèse, par Astruc. Ce titre a été mutilé par
le typographe.
De quoi s'agissait-il pour no\is ? De montrer l'étrangeté et la fausseté de la
qualification de poète donnée à Moïse pnr certains écrivains pour éluder le sens
littéral de la Genèse; et, entre autres preuves nous disons que, parmi les nom-
breuses objections coulre la Genèse présentées dans ces deux ouvrages, et surtout
dans le premier, il n'est pas fait mention de celle-ci.
Il relève eufin une erreur typographique couceruaut les versions des
Hexaples d'Origène, erreur qui aurait dû lui sauter aux yeux.
Il n'est i)as, en effet, de théologien, si mince soit-il, qui ne connaisse les
versions grecques d'Aquila, de Symmaque, de Théodotion, etc., dont se com-
posent les Hexaples. Nous avons vainement cherché, et d'autres juges aussi
compétents que M. Hautcœur ont cherché à se rendre compte de ces preuves
caractéristiques, leur perspicacité n'a pu aller jusque-la (1).
50 M. Hautcœur affirme que ■ l'auteur des Études n'a pas des idées bien
précises sur l'autorité de l'Église et l'interprétation doctrinale authentique. Il va
jusqu'à prétendre que le système des jours-époques est théologiquement repoussé
par l'enseignement iradilionnel de l'Église. Pour nous, nous croyons qu'il est
faux exégéiiquement, mais nous ne partageons pas les principes qui le condam-
nent au nom de l'orthodoxie. »
Nous en demandons pardon à l'auteur de l'article; mais nous devons nous
inscrire en faux contre ces accusations : il nous fait dire ce que nous n'avons pas
dit. Dans tout le cours de notre thèse, nous n'avons jamais invoqué l'auiorité de
l'Église, moins encore l'interprétation doctrinale authentique, laquelle, par sou
infaillibilité, constitue le dogme. Nous avons dit que le système des jours-époques
est théologiquement répoussé par la tradition chrétienne : rien de plus, rien
de moins ; et nous l'avons prouvé par le témoignage unanime des Pères, des
interprètes, des commentateurs et des théologiens. M. Hautcœur garde le
(1) Mes preuves .sont très-suffisantes en elles-mêmes, et le caractère de mon
article ne nie permettait pas de les développer davantage, quand j'en aurais eu
la pensée.
Ce n'est point une mutilation de titre que j'ai voulu relever dans le passage
relatif à VH'Stoire critique de R. Simon, et aux Conjectures d'Asiruc; j'ai
voulu faire sentir ce qu'il y a d'étrange à donner ces deux ouvrages comme un
arsenal d'objections contre le Pentateuque,et surtout k croire qu'ils représentent
sur ce livre divin l'état des idées jusqu'à notre époque. Quant aux fautes typo-
graphiques, je ne les ai nullement soupçonnées en cet endroit, non plus que dans
celui qui vient après, et si je n'avais la parole du R. P. Laurent, je ne les
soupçonnerais pas encore aujourd'hui, E. H.
Nov. 18G3.] CORRESPONDANCE. 477
silence sur ces témoignages : la justice demandait pourtant qu'il en fît
mention (1).
Ajoutons qu'il n'est point exact de dire que nous avons condamné ces systèmes
géologiques au nom de l'orthodoxie. L'orthodoxe est celui qui croit ce que
l'Église lui prescrit de croire. Ici encore notre pensée et notre langage ont été
mal interprétés. M. Hautcœur, lui qui n'est pas un théologien improvisé, ne
saurait ignorer qu'indépendamment des articles de foi et des dogmes formels,
il y a les dogmes que certains théologiens ai^pellent matériels : doi/mala mnte-
rialia. L'Écriture et la irailition ont formulé des vérités auxquelles le chrétien
doit croire fermement et inébranlablement, bien que l'Église ne se soit pas for-
mellement prononcée à leur sujet. Ce sont les vérités contenues dans les écri-
tures, transmises par la tradition et qui ne paraissent ni dans les symboles ni
dans les dogmes formels.
Avant la proclamation du dogme de l'Immaculée-Conception, l'Église ne s'était
pas prononcée sur ce priviicge exclusivement accordé à la bie.ihcureuse Vierge ;
la proposition contraire n'avait pas été condamnée ; elle n'avait élé flétrie par
aucune des expressions que la censure ecclésiastique emploie contre toute espèce
d'hétérodoxie. On pouvait la soutenir sans toniber dans l'hérésie, sans cesser
d'être orthodoxe. Et cependant, l'Immaculée-Conception de Marie n'en était pas
moins une vérité divinement révélée, et proclamée par toute la tradition.
Nous pourrions encore demander U notre critique comment une thèse qu'il re-
connaît être fausse exégétiquemeut, c'est à-dire contraire au véritable sens des
Écritures, pourrait ne pas être fausse en théologie (2).
4° Enfin, M. Hautcœur trouve la méthode de notre livre défectueuse et la
manière de traiter les questions trop inégale.
11 se peut que celte méihode paraisse défectueuse aux yeux de notre critique ;
nous préférons à son appréciation celle de saint Thomas qui a suivi cette mé-
thode dans sa Somme (5). En la lisant, on voit qne ce docteur, avant d'établir la
vérité de ses propositions, commence par déblayer le terrain, en résolvant toutes
les objections contraires. Quel était le but principal de notre travail? De prouver
(1) Il y a ici une complète dissidence entre le R. P. Laurent et nous. Il
croit que la question des jours-époques peut être résolue par la tradition ; nous
pensons au contraire que c'est une question purement scientifique, oii il n'y ^
pas à invoquer le Consensus Patrum, l'enseignement traditionnel de l'Église.
Tout est là, et je ne me suis en aucune façon mépris sur la pensée de l'auteur,
puisqu'il la reproduit aujourd'hui dans les mêmes termes. Naturellement, je ne
pouvais citer tout le cortège d'autorités dont il s'entoure, ce qui du reste ne
fait rien à la question posée comme elle vient de l'être. Ce qu'ajoute le R. P.
Laurent ne fait qu'embrouiller les choses. E. H,
(2) Wa pensée et mes expressions sont ici reproduites d'une manière Irès-
inexacte. (V. p. 197 de mon article.) J'aurais d'autres observations à faiie, mais
je les supprime pour ne pas prolonger isiutilement celte discussion. E. H.
(3) Saint Thomas n'a que faire ici, et assurément on ne s'attendait point à le
voir cité comme garant de la méthode employée dans les Etudes. E. H.
478 CORRESPONDANCE. [Tome VIII.
qae ces systèmes géologiques sont en désaccord avec la révélation. Deux adver-
saires se présentaient à nous: des géologues et des CNégètes. Avant d'exposer
nos preuves, nous avons dû faire justice de leurs objections. Cette marche, qui
nous paraît logique, explique en même temps l'inégalité de la manière dont
nous avons dû traiter les diverses questions.
Eu résumé, ne doutant point des intentions ni de l'érudition de M. Haulcœur,
nous ne devons attribuer les erreurs de sa critique qu'à la précipitation avec
laquelle il aura lu notre ouvrage. Toutefois, qu'il veuille bien nous permetire,
dans l'intérêt uiême delà Revue, une modeste observation. Quand on juge aussi
sévèrement un ouvrage scientifique et religieux, un ouvrage dont on a reconnu
soi-même la bonté et l'utilité, et dont le but est de rapprocher les sciences na-
turelles des sciences sacrées, il conviendrait, ce nous semble, de ne pas se
borner à affirmer doctoralement ses idées, mais d'édifier les lecteurs sur la
justesse de ses blâmes par des preuves irréfragables.
Veuillez agréer, etc.
P. LAURENT,
Provincial des frères Mineurs Capucins.
Il m'est impossible d'accepter, sous cette forme ou sous une autre,
la leçon qui termine la lettre du R. P. Laurent. Je puis me tromper
assurément , et je ne prétends point au privilt^ge de l'infaillibilité ;
mais je possède assez l'amour de la vérité et de la justice pour ne point
agir avec la légèreté que l'on m'impute. Dans le cas présent en parti-
culier, l'accusation semblera bien étrange aux personnes compétentes
qui auront lu soit mon article, soit le livre, soit même siniplement la
lettre du Révérend Père.
Je regrette d'avoir pu causer de la peine à un homme dont j'honore
profondément le caractère et dont je respecte la position. Il serait plus
agréable sans doute d'avoir à décerner toujours des éloges, mais ce
n'est pas ainsi que nous comprenons le rôle de la critique, et si,
grâces à Dieu, nous n'apportons dans l'accomplissement de notre pénible
tâche aucun sentiment de malveillance pour personne, nous espérons ne
sacrifier jamais non plus à de molles complaisances.
E. Hautcœur.
CHRONIQUE.
1. Le P. Gury, si coauu par sou Conipendium theologiœ tnoralis, uous
donne maintenant un recueil de cas de conscience où sans doule on
retrouvera les solides qualités qui ont assuré à son premier ouvrage
un grand et légitime succès. {Casus conscient iœ in prœcipuas quœstiones
theologiœ moralis. Paris, Buffet, in-18 jésus, vn-721 pp.) L'estimable
auteur devrai! bien après cela mettre la dernière main à son cours dé-
veloppé de théolofiie morale. Nous avons souvent entendu formuler ce
vœu, auquel nous nous associous de grand cœur.
2. Pour un iiraud nombre de nos lecteurs, nous annonçons trop lard
la Chanté chrétienne et ses œuvres, par Mgr Dupanloiip, éuéque d'Orléans
(iu-8o de 276 pp. Paris, Douniol). Tout ce qui sort de la plume de l'élo-
quent prélat a le privilège de se trouver immédiatement dans toutes les
mains.
3. Une série d'opuscules que vient de publier le P. Decbaraps sur
des questions pleines d'actualité, se recommande par elle-même à l'at-
tention des membres du clergé. En voici les titres: La Vie de plaisirs.
Lettres à des gens du viande, suivie de Lettres nouvelles sur le même sujet
et d'Un ruot aux riches. (Paris, Lelbielleux. In-18, 114 pp. 50 c). — La
Franc-Maçonnerie, son caractère, son organisation, son extension, ses
sources, ses affluents, son but et ses secrets, suivi de : Les Masques bibliques,
ou la Loge et le Temple, (Ib. in-18 de ]v-162 pp. 75 c). -- Avertissement
aux familles chrétiennes sur plusieurs erreurs relatives à l'éducation.
(Ib. in-18 de 85 pp. 50 c.).— Du Progrès des arts et de leur sécularisation
absolue, à propos d'un congrès artistique. (Ib. in-18 de 88 pp. 50 c).
4. Nous regrettons de n'avoir pu faire connaître plus tôt et analyser
plus lojguemeutune brochure intitulée: T roi- ièmc anniversaire séculaire
du Concile de Trente. Appel aux cuVtoliqms, par F. -G. Buss, professeur
de droit canon et de droit public à l'Université de Fribourg. (Strasbourg,
Leroux. 8» de 76 pp. Extrait de la Revue catholique d'Alsace.) L'auteur
peinlen traits rapides les travaux de cette grande assemblée : il demande
que le troisième anniversaire séculaire, célébré celte année même, soit
marqué par un jubilé universel, festum vrbis et orbis. « Il va sans dire,
ajoute-t-il, que l'organisation de la fête elle-même appartient aux auto-
rités ecclésiastiques. 11 s'agit d'en solliciter la réalisation par les voies
canoniques. Le peuple a besoin de connaître la grande importance que
l'Eglise a toujours reconnue au Concile de Trente ; mais une fois instruit
sur ce point, il se joindra au clergé pour prier les évoques de célébrer
comme il convient la mémoire d'un si grand événement. L'épiscopat
déposera les vœux des fidèles et des prêtres aux pieds du Saint-Père et
^80 CHRONIQUE. ITomeVIII.
demandera une fête œcuménique en forme de jubilé. La réponse du
Saint-Siépe sera universelle comme la demande; le cri des peuples catho-
liques et du Père commun des fidèles sera celui du concile de Clermont:
Dieu le veut! Dieu le veut (p. 76) ! »
5. Eu même temps qu'il lançait cet appel au monde catholique, le
savant jurisconsulte entreprenait la défense d'un pays menacé de perdre
le plus précieux des biens, l'uuité de la foi. {Rechtfertigung icsAmpruchs
Tirais aiif seine Glau'jenseinhcil. lunsbruck, Rauch. 8* de xxvi-'98 pp.)-
Puisse cette démarche généreuse déterminer daus l'Allemaiine catholique
un courant puissant d'opinion, opposé aux clameurs pseudo-libérales !
Puisse le Tyrol conserver un héritMge historique incontesté jusqu'ici, et
qu'il est en droit de défendre par toutes les voies léj^ales !
6. Bien des livres sont là, accumulés devant nous et altenrlant leur
tour. Citons du moins quelques biographies, dont chacune a sou intérêt
et son mérite particulier : Sftuit Venonce, évêque de Viviers, sa vie, ses
miracees, ses reliques, par T abbé Champion, chan. hon. de Valence. (Valence,
Nivoche, ia-18, xi-185 pp.) — Vie de la vén. mère Aynès de Jésus, par
M. d: Lantages, dont les additions de M. l'abbé Lucot ont fait pour ainsi
dire un nouveau livre. Nous y reviendrons prochainement. (Paris,
M"" veuve Poussielgue. 2 vol. 8°, 12 fr.) — Vie abrégée du rén. serviteur
de Dieu Mgr Vincent-Marie Strambi, de la congr. des Passionistes, évêque
de Macerata et de Tolentino, pur le P. Turennius du Sacré-CtPur de Marie,
prêtre de la même Congrégation. (Paris, Vives. In-12 de S03 pp.) — Vie
de M . Gorini, ce prêtre modeste qui dans une simple cure de campagne,
au milieu de difficultés inouïes, sut cultiver à foud les sciences histori-
ques, et acquérir cette érudition dont il a donné des preuves si frap-
pantes dans sa Défense de l'Église. Cette biographie très-intéressante a
pour auteur M. l'abbé Martin. (Paris, Tolra et Haton. Iu-18 jésus de
xix-294 pp.)
7. Ou a lu plus haut le bref qui approuve un nouvel office de l'Im-
maculée-Conception, et qui le rend obligaloire dès cette année partout
où son introduction immédiate sera possible. Ou peut se procurer chez
les divers éditeurs liturgiques l'Office et la Messe, pour être iuîercalés
dans les Bréviaires et Missels.
3. On attend prochainement le compte-rendu de l'assemblée que les
savants catholiques d'Allemagne viennent de tenir dans l'abbaye de
Saiut-Boniface, à Munich, Divers journaux donnent, dès à présent, le
texte d'un jugement motivé sur la nouvelle Vie de Jésus. Voici la pro-
position qui le résume, et dont toutes les parties sont ensuite dévelop-
pées : « L'assemblée des savants catholiques déclare que le récent ou-
vrage d'Ernest Renan, intitulé Vie de Jésus, n'est pas seulement une
œuvre anti-chrétienne, mais que, de plus, il est complètement dépourvu
de valeur scientifique, superficiel, et immoral. » On peut voir dans le
dernier no du Correspondance verdict tout aussi sévère porté par FAlIe-
magne protestante et ratioualiste. E. Hauicœur.
Arras — Typ. KnussKAL'-LEROY', rue Saint-Maurice, 2G.
A NOS LECTEURS.
Avec l'année 1864, la Revue des Sciences ecclésiastiques va termi-
ner sa première période quinquennale et sa première série de dix volu-
mes. Commci.céepar quelques prêtres isolés l'un de l'autre, sans appui
d'aucune sorte et avec de très-grandes difficultés à vaincre, noire œuvre
a prospéré malgié tout : c'est qu'elle répondait à un besoin vivement
senti. Alors que toutes les sciences possédaient leur organe spécial, la
théologie seule n'en avait pas. Nous venions donc combler une lacune
des plus regrettables : et comment n'aurions-nous pas rencontré des
sympathies dans un clergé nombreux qui connaît trop bien le prix de
la science pour ne point s'efforcer de reconquérir sous ce rapport la
haute position qu"il occupait jadis? Nous devons exprimer ici notre
profonde gratitude pour les encouragements qui nous sont arrivés,
cette année encore, en Irès-grand nombre et de toutes les contrées.
Nous sommes aussi très-reconnaissants dos conseils, des demandes,
des communications de toute noture que l'on a bien voulu nous adres-
ser : nos correspondants peuvent être sûrs que nous leur accordons la
plus grande attention, et que ces rapports nous sont toujours précieux,
alors môme que nous ne pouvons utiliser directement ce qui nous est
transmis.
Des sujets nombreux et variés ont été traités dans la Fîkvue, quel-
quefois des sujets délicats et des questions brûlantes. Avons-nous
toujours évité les inconvénients qui s'attachent à ces sortes de questions ?
Nous n'en savons rien : ce qu'il y a de sûr, c'est que nous noussommes
constamment mis en garde coiitre l'esprit de parti et les tendances
systématiques, c'est que nous avons été mus par l'intérêt seul du bien
et de la vérité. Il y a un zèle qui n'est pas selon la science. Dieu nous
garde de ce zèle intempestif qui, par son ardeur inconsidérée et son
Revue des Sciences ecciésiastiques, t. viu. 31-32,
482 A NOS LECTEURS. [Tomo VHI.
ignorance des vrais principes, se laisse entraîner à des dcarts que per-
sonne ne déplore autant que nous.
Les comptes-rendus des livres nouveaux donnent lieu à des difficultés
spéciales. D^s le principe, la Revue a pris nettement sa position:
ménagements pour les personnes, convenance dans le ton et dans la
forme des articles, mais la vérité avant tout et dans tous les cas, telles
sont U'S maximes qui nous ont guidés. Les éditeurs et les auteurs
n'entendent pas la chose ainsi. Us sont habitués à être bercés si dou-
cement! Us devraient bien voir néanmoins que l'éloge n'a aucune
valeur quand la critique ne peut s'y associer. Quoi qu'il en soit, les
clameurs ne nous effraient pas, ni les mauvais procédés non plus. Qu'on
le sache une fois pour toutes : les campagnes de prospectus et d'articles
de journaux, les jaseries de commis voyageurs allant de presbytère en
presbytère, nous laissent parfaitement impassibles, et ne nous empê-
cheront jamais de remplir un devoir.
On nous adresse quelquefois un reproche d'une nature assez parti-
culière, celui d'être trop savants ! Sans doute, nous bannissons de nos
colonnes la phrase creuse et la période académique, nous n'écrivons
pas d'articles pour ne rien dire : ce n'est point là ce que l'on peut
blâmer en nous. Veut-on dire que nous donnons des travaux ayant une
couleur trop spécifiquement scientifique, des travaux qui n'intéressent
qu'un petit nombre de savants de profession, ou même ne peuvent être
compris que par eux ? Tout le contenu de nos huit volumes prolesterait
contre cette appréciation. Nous faisons de la science, mais de la
science accessible à tous ceux qui possèdent les notions élémentaires de
la théologie, de la science qui intéresse tous les prêtres et à laquelle
aucun d'eux ne peut demeurer inditférent. 11 y aurait place, à côté de
la Revue, pour une publication consacrée à la haute science théologique
et s'adressant à un public plus restreint. Peut-être comblerons-nous
bientôt cetîe lacune.
L'administration de la Revue s'associe à nos eflbrts, et elle se pro-
pose de réaliser dans l'exécution typographiquede notables améliorations.
A partir du prochain numéro, la Revue sera imprimée avec un
caractère neuf et sur un papier plus beau.
L\ RÉDACTION.
LA VERITE
SUR LA
FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS
do lees à 169%
d'après des documents inédits.
Quatrième et dernier article (!).
La Facullé de théologie de Paris a rejeté et réprouvé les quatre riiticles de 1682 .
I. Renseignements connus jusqu'à ce Jour. Ils avaient révélé une
partie de la vérité, mais non la plus impof^tante. — Picot, riiu
des écrivains les mieux renseignés, s'exprime ainsi :
« La déclaration du Clergé est du 19 mars 1682. Immédia-
tement après parut un édit du Roi pour en ordonner l'ensei-
gnement... Le Parlement de Paris mit cà l'exécution une viva-
cité et une rigueur qui étaient de nature à provoquer de
nouvelles plaintes. Le procureur-général de Harlay... alla le
2 mai en Sorbonne... et fit publier en sa présence Fédit_, ainsi
que l'arrêt du Parlement, pour qu'on l'enregistrât. La Faculté
de théologie s'étant assemblée le 1** juin suivant, plusieurs
docteurs se plaignireni de la manière insolente dont la décla-
ration avait été enregistrée. Il devait, disaient-ils, leur être
(1) V. les numéros d'août, p. 07 ss. ; septembre, p. 208 ss., ot oc-
lobre, p. 413 ss.
permis de délibérer sur cette affaire... Que pourrait-on atten-
dre d'un enregistrement forcé? On nomma donc quatorze
docteurs pour voir ce qu'il y aurait à faire. Le Parlement fut
très-mécontent de ces délais. Il mauda, le 5 juin, le doyen et
quelques docteurs, et leur ordonna de tenir, le lo, une as-
semblée extraordinaire et d'y terminer toute délibération à
ce sujet. Les députés s'assembler eut trois fois, et arrêtèrent
qu'on supplierait le Roi de laisser à la Faculté les privilèges
dont elle avait toujours joui. L'assemblée du do fut très-ora-
geuse. Tons furent d'avis de présenter des remontrances :
seulement les uns voulaient qu'elles précédasseni l'euregistre-
ment, et les autres consentaient à commencer par l'enregis-
trement.
« Ce fut alors que Tabbé de Chamillart fit un discours qui
nous a été conservé manuscrit. Micbel de Gbamillart, d'une
famille de magistrature, et oncle du contrôleur général de ce
nom, avait renoncé aux espérances que le monde pouvait lui
offrir, pour entrei dans l'état ecclésiastique, et s'y livrer aux
fonctions du ministère, il vivait dans la retraite et dans la
piété, avait refusé les places et les honneurs, et après avoir
fait longtemps le ca-técbisme à Saint-Nicolas, s'était borné,
malgré les représentations de sa famille, au titre et aux fonc-
tions de vicaire de cette paroisse. Il crut, dans cette circon-
stance, devoir réclamer confie l'obligation d'enseigner les
quatre articles. Son discours est en latin... Quelque idée que
l'on ait de ce discours, on trouvera peut-être étonnant (t) que
l'abbé de Chamillart, malgré le crédit de sa famille, fut exilé
pour une opinion émise avec modération. Il fut envoyé à fs-
soudun avec d'autres docteurs qui avaient opiné comme lui, et
il 1 iassa cmg ans dans cet ex. 1, d'où ilne revint qu'en août. 1687,
i\) Ce qu'il y a, uon pas seuleinent |d'étonnanl, mais d'affl goant,
c'est qu'un callioliqvie tel que Piiot n'aii eu, pour flétrir ces atrocités,
nue -celle bénigne formule : on trouvera peut-é/re étonnant. La laie
du ' allicanisme obscurcit lou', même les faiis historiques.
Ej Jl IjA OUIJIimjIÏ Ulï LjA llAlUnEi-
Nous luî connaissons poiut le nombre et les noms de ces doo-
lours. Nous savons seulement que parmi eux se trouvait
Marin Humbelot , depuis chanoine de Saint-Nicolas du Lou-
vre, et auteur d'un Abrégé de la Bible, où il y avait des choses
singulières. Il mourut eu 1719... Le 16 juin, le Parlement
défendit les assemblées de la Faculté, et ordonna au greffier
de la Faculté d'enregistrer de suite l'édit et la déclaration; ce
qui fut fait. Le mois suivant il permit, cependant, que la Fa-
culté s'assemblât comme à l'ordinaire, sur une requête que
pré-^entèrent cent soixante-trois docteurs, qui protestèrent
qu'ils n'avaient jamais voulu s'écarter du respect dû à la dé-
claration et à l'édit. » {L'Ami de la religion, 22 novembre 1820,
p. 36 ss. du tome xxvi.)
« Le 23 mars (1682), le Roi avait donné son édit pour l'en-
seignement des quatre articles. Nous avons parlé ailleurs
(n. 656) de ce qui se passa en Sorbonne à ce sujet. Plusieurs
docteurs réclamaient^ au moins la liberté d'examiner la décla-
ration qu'où voulait leur faire souscrire. Environ douze doc-
teurs parlèrent dans ce sens. Mais le Parlement traita dans
cette occasion la Faculté de théologie avec beaucoup de du-
reté. Quelques docteurs furent exilés à îssoudun, où ils res
tèrent cinq ans. Dans ce nombre étaient les docteurs Chamil-
lart et Humbelot. Martiu Grandin^ autre récalcitrant, qui était
professeur de Sorbonne depuis quarante ans, n'évita l'exil qu'à
raison de son âge et de la considération dont il jouissait dans
sa compagnie et dans le clergé. » {L'Ami de la religion, 19 sep-
tembre 1821, tomexxix,p. 169.)
Ce narré constate de graves difficultés pour l'euregistremeut;
mais il laisse ignorer l'essentiel, savoir si la majorité des doc-
teurs se déclara contre la doctrine des quatre articles. On
remarquera que Picot n'indique point ses sources. Voici des
renseignements bien autrement significatifs.
II. Lettre de Louis XIV, du 16 mai, à Piroi, syndic de la
Faculté, ùi'donnant d'enregistrer les quatre articles, sans laisser
-^80 LA AÉRlTK jTomeMII.
parler aucun docteur sur cette matière. — « Écrit à Versailles,
le 16 mai 1682. — Ayant été informé que, dans l'enregistre-
ment qui se doit faire de l'édit donné sur la déclaration du
clergé, quelques docteurs de la Faculté de théologie se sont
disposés à parler sur celte matière, j'ai bien voulu vous faire
cette lettre pour vous dire, que n'étant question que de l'en-
registrement de cet édit, il n'est pas nécessaire qu'aucun des
docteurs de ladite faculté parle sur des matières depuis si
longtemps décidées; et je veux même que si quelqu'un se met-
tait en état de le faire, vous ayez à l'empêcher, en lui déclarant
Vordre que vous avez reçu de ma part par la présente lettre; la-
quelle n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, M. l'abbé
Pirot, en sa sainte garde, » (Tome iv, p. 139, de la Con^espon-
dance administrative de Louis XIV, publiée par Depping, dans
la Collection de documents inédits, Paris, 1853.) C'est le
2 mai (1682) que le procureur-général d3 Hailay était allé
en Sorbonne pour faire enregistrer l'édit. Les ministres comp-
taient sur une docilité parfaite; il en fut autrement. La Fa-
culté ne voulut point procéder à l'enregistrement sans en
avoir délibéré; elle fixa la délibération au prima mensis, c'est-
à-dire au 1" juin (1682). Informés de cette résolution, les
ministres en furent effrayés : il pouvait arriver que la Faculté
rejetât les quatre articles, ce qui aurait été pour le Pape un
triomphe qu'il fallait empêcher à tout prix. Dans ce but, ils
s'arrêtèrent au parti de faire adopter les quatre articles et
l'édit, sans qu'il fût permis à aucun docteur de parler. Ils cru-
rent qu'un ordre du Roi serait un m >) en efficace pour obtenir
ce résultat; et le Roi écrivit la lettre que nous venons de
reproduire. Les ministres, comme on va le voir par les pièces
suivantes, no se dissimulaient pas l'inconvénient de ce moyen.
On ne manquerait pas de dire à Rome que la Faculté avait
agi par contrainte et sans aucune liberté. Mais l'éventualité
d'un vote contre les quatre articles était encore plus à crain-
dre. Ils se résignèrent à faire de l'oppression notoire.
Dôo. 1SG3.] SUR LA FACLLTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 'tS7
Mais bientôt la lettre du Roi et Vordre qu'elle contenait ne
leur parurent pas un moyen assez sûr, et le conseil du Roi
examina s'il ne serait pas opportun de faire retourner en
Sorboune le président du Parlement, pour y faire cette fois
exécuter l'enregistrement de vive force, séance tenante et sans
délai. On va voir que c^t expédient ne fui pas adopté, par la
crainte de faire paraître trop d'autorité et de faire connaître à
la cour de Rome que les sentiments de la Faculté sur le sujet de
la déclaration du clergé ne sont pas conformes à ce qui est contenu
dans ladite déclaratioîi. Paroles qui autorisent déjà cette con-
clusion : les ministres avaient donc appris que la majorité des
docteurs était opposée à la doctrine des quatre articles. Voici
les pièces à l'appui de ces faits.
III. Mémoire et lettres du ministre Colbert. — « Mémoire de
Colbert pour le pi^ocureur-général. — L'expédient proposé pour
l'enregistrement de la déclaration du clergé et de l'édit donné
en conséquence, de faire retourner M. le premier Président et
M. le procureur-général pour faire transcrire cet édit dans
les registres de la Faculté, fait paraître beaucoup d'autorité
et ne remédie pas à Tinconvénient, qu'on craint de faire con-
naître à la cour de Rome que les sentiments de ladite Faculté sur
le sujet de la déclaration du clergé ne sont pas conformes à ce qui
est contenu dans ladite déclaration. Il paraîtrait plus convena-
ble qu'en conséquence de ce qui a été fait la première fois
que le Parlement y a été en corps, M. le procureur-général
requit, le lundi matin, que le syndic de la Faculté fût appelé
pour apporter le registre dans lequel l'édit et la déclaration
ont du être transcrits; en suite de quoi, ledit syndic appelé
et ayant répondu que l'enregistrement a été différé a l'assem-
blée du prima mensis, il serait ordonné par arrêt qu'un com-
missaire du Parlement se transporterait dans ladite assemblée
pour voir enregistrer ladite déclaration en sa présence, et il
serait fait défense par le même arrêt à toutes personnes de déli-
bérer dans ladite assemblée sur cette matière, attendu qu'il n'est
ASS LA VÉRITÉ [Tomr; VIII.
plus question que de l'enregistrement, conformément au pre-
mier arrêt donné par le Parlement, ce gui pourrait être fortifié
par une lettre de cachet du Roi, que le syndic aurait ent7^e les
mains et dont il ne se servirait qu'en cas que quelqu'un, non-
obstant la défense du Parlement, entreprit de parler sur cette
matière. » {Correspondance administrative de Louis XIV, t. iv,
p. 126.)
« Colbert à Vayxkevêque de Paris Harlay de Champvalon,
le 31 mai 1682. — Le Roi ayant examiné la proposition qui a
été faite de renvoyer le Parlement en corps à la Faculté de
théologie pour l'enregistrement de la déclaration du clergé
et de l'édit donné en conséquence, et ayant entendu sur cela
M. le procureur-général, Sa Majesté a estimé plus à propos
que M. le premier Président envoyât quérir le syndic pour
lui donner ordre de rapporter au Parlement ce qui sera fait
demain sur ce sujet, et de lui défendre de permettre que per-
sonne parle sur ce sujet de la déclaration dans l'assemblée;
ce qui étant fortifié par la lettre de cachet du Roi qui a été re-
mise ès-mains dudit syndic, a paru suffisant à Sa Majesté pour
empèclier les suites qui seraient à craindre. C'est de quoi j'ai
cru devoir vous donner avis, et vous dire en même temps
qu'il est bon que vous fassiez venir le syndic, et que vous lui
ordonniez de ne se servir qu'en cas de nécessité de la lettre de
cachet qui lui a été remise. » [Correspondance administrative
de Louis JIV, tome iv, p. 120.)
Le 1" juin (1682), malgré Vordre du Roi ^i\di lettre de cachet,
les docteurs parlèrent, l'enregistrement ne fut pas obtenu, et
l'opposition de la majorité à la doctrine des quatre articles fut
suffisamment constatée, pour qu'on écrivît au Roi que tout
était perdu, et qu'on se repentît de n'avoir pas employé l'expé-
dient ci-dessus mentionné, de faire retourner le Parlement en
Sorbonne à l'efTet d'obtenir l'enregistrement de vive force,
séance tenante. C'est ce que nous apprend la lettre suivante
de Colbert, éciite le jour même de cette mémorable séance de
la Faculté.
Dec I8i'.3. I SUR LA FACULTÉ Dli THÉOLOGIE DE PARIS. 481)
« A Versailles, le l^*" juin 1682. — J'ai rendu compte au
Koi de ce que vous avez pris la peine de m'écrire sur ce i|ui
s'est passé dans l'assemblée de la Faculté de Paris; et je com-
mencerai par vous dire que Sa Majesté a reçu en même lemps
une lettre ;?«;• laquelle il paraissait que tout était perdu, et que
la faute qu'on avait faite de n'y point faire aller le Parlement
était irréparable. Sa Majesté a eu la pensée de chasser dès
demain les sieurs Mazures, Despériers et Blanger, qui parais-
sent avoir plus de part à ce qui s'est passé dans ladite assem-
blée; et quoiqu'elle ait fait réflexion depuis que c'était en
quelque sorte manquer au principe qu'on a suivi jusqu'à pré-
sent, d'éviter autant qu'il se peut qu'il ne paraisse de la contra-
diction de la part de la Faculté, et de l'autorité de la part de
Sa Majesté, elle n'a pas laissé de m'ordonner de vous deman-
der votre avis sur le sujet de ces trois docteurs et sur tout ce
que vous estimez nécessaire de faire dans la conjoncture pré-
sente. Je vous dirai même qu'elle a ordonné d'écrire la même
chose à Mijr l'archevêque de Paris^, qui fera réponse entre ci
et demain matin; et qu'ainsi il sérail bien nécessaire, s'il était
possible, que vous prissiez la peine de me renvoyer cet extrait
pour demain matin neuf heures. » {(Correspondance adminis-
trative de Louis X/F, tome iv, p. 140.)
IV. Brouillon d'une lettre du procureur-général de Harlay au
ministre Colbert, du 2 juin 1682, oh il est dit que les pi'élats
de l'assemblée de 1682 changeraient dès l'instant et de bon cœur
^eur déclaration, si on le leur permettait. — Cette pièce, écrite
en entier de la main de!M. de Harlay, se trouve à la biblio-
thèque impériale (Ms. Harlay 367, pièce 143). Elle porte ce
titre : Projet de règlement pour la tenue des assemblées de Sor-
bonne. C'est le brouillon que de Harlay garda chez lui, et dont
il fit sans doute une transcription plus soignée qu'il envoya au
ministre. 11 y expose les raisons de ne pas faire intervenir trop
ostensiblement l'autorité du Roi, et de procéder plutôt de
manière à ce que la Faculté paraisse agir librement. Puis il
continue ainsi :
490 LA VÉRITÉ [TomcVlU.
« De trouver si étrange que la Faculté se plaigne de la
forme de l'édit du roi, el pour la nouvelle soumission, et pour
le chancelier de l'Eglise de Paris, et enfiti pour l'obligation
d'enseigner une doctrine, lorsqu'une assemblée du clergé
dont la plupart changeraient demain et de bon cœur si l'on leur
permettait (i), cela n'est pas tout à fait sans prétexte. Mais
enfin aucun n'a manqué de respect à l'édit du Roi, et n'a parlé
contre la doctrine du clergé. Plusieurs ont parlé en faveur de
ces sentiments, et s'ils avaient opiné au fond, d'honnêtes gens
m'ont assuré qu'il aurait passé pour prendre le bon parti.
Je ne saurais que désirer que l'autorité du Roi n'éclate pas
si souvent, lorsque les choses se peuvent faire par d'autres
voies, et sur des gens qui se rebutent et s'aigrissent, mais qui
ne se conduisent point assurément par ces voies qui leur ont
déjà donné tant d'éloignement de certaines personnes. 2 juin
iB85. » (Ms. Harlay, 367, pièce 145, à la Bibliothèque im-
périale.)
On voit que de Harlay n'approuva pas les mesures de rigueur
mentionnées dans cette phrase de la lettre de Colberl datée de
la veille : Sa Majesté a eu la pensée de chasser dès demain les
sieurs, etc. Il se faisait encore illusion en ce moment (2 juin
1682) sur le sentiment de la majorité des do3leurs. D'honnêtes
gens l'avaient assuré que s'ils avaient opiné au fond, le bon
parti l'aurait emporté. L'assemblée du 15 juin dissipa tota-
lement cette illusion, comme on va voir par les lettres du 15
et du 16 juin.
V, Lettres du procureur général de Harlay, constatant que la
Faculté réprouva et rejeta la quatre articles, à la majorité de \^
voix. — « Le procureur général de Harlay à Golbert — le 15
juin 1682. — Je ne doute point que vous ne soyez déjà informé
de ce qui s'est passé ce matin dans la Faculté de théologie.
Mais pour la plus grande précaution, je ne laisserai pas de
vous informer, que le sieur Grandin ayant ouvert l'avis d'o-
{\) Ce membre de phrase est resté inaciievé ou irrégulier.
II(V. 1863.] SLR LA KACLITÉ DK THÉOLOGIE DE PAKIS. 491
Léir aux ordres du Roi et de faire ensuite des remonlrances
à Sa Majesté sur la difficulté d'enseigner et de soutenir les
propositions du clergé, le sieur Chamillart, et plusieurs au-
tres de cette secte après lui, ont été d'avis de faire ces remon-
trances avant d'obéir, et particulièrement sur l'article 4, qui
regarde l'infaillibilité du Pape, prétendant que l'assemblée du
clergé, tenue en 1655, n'avait pas été dans les sentiments où
celle qui se tient présentement se trouve, et plusieurs parlant
avec peu de respect de cette assemblée. Le sieur Pancelier,
d'autre part, ayant été d'avis d'ajouter à la relation dont vous
avez vu le projet, qu'ils n'approuvaient pas apparemment cette
doctrine, plusieurs ont opiné pour ajouter ces termes, non
approbantes ou improbantes. Et comme les deux opinions qui se
seraient réunies eussent été les plus fortes, et qu'il eût au moins
passé à ajouter ces deux paroles, le syndic, par l'avis de ceux
qui sont dans les bons sentiments, a fait remettre l'assemblée
à demain pour achever d'opiner. Mais comme la disposition
des esprits ne changera pas, il semble nécessaire de prévenir la
fin de cette délibération par les voies que le Roi jugera les
moins mauvaises pour finir celte affaire, où l'on a engagé si
avant son autorité avec des gens que l'on ne gouverne pas si
aisément que d'autres. Du reste je ne suis ni assez sage, ni en
même temps assez indiscret pour en propo.ser des moyens ; et
en attendant les commandements du Roi, je demeure avec
respect »... {Correspondance administrative, tome iv, p. li^.)
La lettre suivante, adressée au grand chancelier, se trouve
à la Bibliotbèque impériale, Ms. Harlay 165.
« Monseigneur, après avoir évité autant qu'il a dépendu de
mes soins d'employer avec éclat l'autorité qu'il plaît au Roi de
uous donner pour faire obéir la Faculté de théologie, dans
l'espérance que j'avais que les docteurs, lesquels y sont en
très-grand nombre très-savants et bien intentionnés, l'em-
porteraient sur le parti contraire, les commencements qu'eut
hier leur délibération, et l'assurance que Von avait que le mau-
4f^2 LA VÉRITÉ [TomeVIlI.
vais parti prévaudrait avjourd'hui environ de i5 voix, ainsi que
vous eu avez sans doute été informé, m'ayant fait changer
d'opinion, je n'ai plus pensé qu'à exécuter les ordres du Roi,
que nous apporta Mer au soir M. de Seiguelay. Vous verrez,
Monseigneur, par l'arrêt dont je vous envoie copie, aussi bien
que du discours que M. le premier Président a fait aux docteurs
qui sont venus au Parlement, la manière en laquelle nous y
avons procédé, avec bien du déplaisir de ma part, qu'avec
autant do peine que je suis obligé d'en avoir pour ces affaires,
nous apportions des remèdes uresqv.Q aussi fâcheux que le mal,
et que nous soyons encore exposés à beaucoup de choses
désagréables.
îfCependant, Monseigneur, ce serait une grande consolation
si l'on voulait profiter de celte extrémité pour le service du
Roi, en travaillant sérieusement à la réforme nécessaire de ce
corps, pour le conserver en état de servir, et les laissant passer
le 1" juillet sans avoir permission de s'assembler. La douleur
de l'interruption de la tenue de leur tribunal, les projets de
réduction du nombre infini des docteurs et même des licenciés,
de règlement pour le collège de Sorboune d'où vient princi-
palement le désordre, d'une bonne réforme des professeurs,
de l'exécution de l'édit du Roi à leur égard, afin de faire pré-
parer dès à présent ceux qui devront enseigner l'année pro-
chaine, enfin de la réduction des séminaires et de toutes
communautés à certain nombre pour entrer dans les assem-
blées, toutes ces choses répandues engageront les docteurs à
tâcher de les éviter par quelque démarche de leur part qui pût
réparer leur faute auprès du Roi, comme ilsfirent leurs articles
en 1663, par les soins que vous en prîtes après l'interdiction
du sieur Grandin, et à quoi MM. les Prélats qui sont de ce
corps pourraient travailler utilement. El si ces réflexions et
les offices ne faisaient point rentrer ces docteurs dans leur
devoir, on exécuterait tous ces projets de règlements, sans
lesquels ce corps non-seulement ne sera pas utile au Roi, 7nais même
Dec iSU'i.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 493
il y deviendi^a enfin contraire, si l'on le laisse sans règles et si
l'on continue à le traiter comme on fait depuis quelques
années.
«Je vous explique^ Monseigneur, mes pensées peut-èlre trop
librement. Mais voire bonté me donne cette confiance ; et
d'ailleurs celte affaire me parait si importante qu'il me semble
que tout le monde doit y travailler avec afî'ection. Je ne doute
pas. Monseigneur, que l'on n'y trouve beaucoup de contradic-
tion; et vous voyez bien mieux que moi d'où elle viendra.
Mais si vous en faites connaître Timportancc au Roi, l'utilité
qu'on en peut tirer pour son service et la nécessité de n'avoir
autre considération que le bien et de ne pas reculer quand on
aura avancé, j'espère que ce malheur aura un bon succès qui
le pourra faire oublier. 16 juin 168'2. »
Vr. Résumé des faits constatés jusqu'ici. — 1° Déjà d^s la
séance du i" juin, on avait écrit au Roi que tout était', perdu,
et le Roi eut la pensée de chasser dès le lendemain les docteurs
de qui venait l'opposition aux quatre articles. Mais M . de Harlay
espérait encore avoir la majorité. 2" A la séance du 15 juin,
il fut notoire que les opinions pour le rejet des quatre articles
eussent été les plus fortes ; que la doctrine des quatre articles
allait être réprouvée par les mots non approbantes ou impro-
bantes ; enfin on avait l'ossicrance (et c'est de Harlay qui le dit)
que le mauvais parti allait prévaloir d'environ i5 voix. S" Au
moment oîi la Faculté allait ainsi voter contre les quatre arti-
ticles à la majorité de 15 voix, le syndic Pirot reçut avis de
lever la séance, et le docile syndic remit au lendemain. 4° Le
soir même, le Roi envoyait ordre au Parlement de défendre à
la Faculté de s'assembler et de délibérer jusqu'à nouvel ordre.
5° Nous le demandons maintenant: n'est-il pas manifeste que
la Faculté a réprouvé et rejeté la doctrine des quatre articles
à la majorité de 15 voix? 11 est vrai qu'on empêcha le vote.
Mais on avait l'assurance qu'il allait se faire dans ce sens ; et
c'est pour cette raison que la séance fut levée et toute nouvelle
■494 LA VÉRITÉ [TomeYIII.
assemblée interdite. Le fait de la réprobation des quatre arti-
cles par la Faculté est donc certain, aussi certain que s'il eût
été exprimé avec la formule et le procès-VL^rbal ordinaires.
H" On ne doit pas perdre de vue, que, par ordonnance de sa
Majesté, on avait exclu des assemblées de la Faculté les doc-
leurs réguliers, à l'exception de deux pour chaque ordre reli-
gieux. Or, ces docteurs étaient en l'>82 au nombre de 176,
(voir plus haut, § 2, document du n° VI) ; et tous, à l'exception
de trois, s'étaient prononcés pour la doctrine romaine. Par
suite de l'ordonnance, il n'y eu avait plus que 12 environ qui
pussent assister aux assemblées de la Faculté. Donc si la
Faculté n'avait pas été ainsi mutilée, la majorité contre les
quatre articles aurait eu 160 voix de plus; elle aurait été de
175. Lorsqu'il s'agit de savoir quelle a été la doctrine de la
Faculté de Paris, il faut considérer, non pas une fraction de
cette Faculté, mais la Faculté entière. Or ainsi considérée, on
peut dire qu'elle repoussait les quatre articles à la majorité de
17o^voix. 7° Les voix des docteurs jansénistes devraient être
comjjtées pour rien, et nous avons vu qu'elles étaient mal-
heureusement nombreuses à cette époque. Si on les élimine,
avec celles des docteurs que domina la crainte de se compro-
mettre et d'encourir la disgrâce de l'archevêque de Paris, on
aura, non pas seulement la majorité çle 15 voix, avouée et
attestée par le procureur général de Harlay, mais la presque
unanimité. 8° Cette réprobation des quatre articles de 1G82 est
d'autant plus significative, que l'assemblée des prélats auteurs
des quatre articles durait encore au moment où la Faculté
les réprouvait. Quelle humiliation pour ces prélats! Nous
dirons aussi bientôt la vérité sur rassemblée de 168:2, et nous
produirons des docuraenis dont on ne se doute guère. Eu atten-
dant, nous laissons les membres de cette assemblée sous le
Stigmate indélébile que leur a imprimé le procureur général
de Harlay, pendant que leur assemblée durait encore : La plu-
part chanyei-aient demain et de bon cœur si l'on leur permet-
l»oc lfiG3! SDR LA FACUI.Tfi DR THÉOLOGIE LE PARIS. 49S
TAIT. (Lettre citée ci-dessus, p. 222.) L'assembloe fut dissoute
par ordre du I^oi le 29 juin. Aiusi, d'après le témoignage du
procureur de Harlay, les prélats de l'assemblée de lb82^ par
leur célèbre déclaration des quatre articles, enseignèrent le
contraire de ce qu'ils pensaient, et cela parce qu'on ne le w
permetlcit pas de dire autrement! Les documents suivants
achèveront do mettre enlumière la conduite de la Faculté rela-
tivement aux quatre articles de 1682.
VIL Mémoire sur la conduite de la Faculté, — Huit docteurs
exilés. — Celte pièce, qui se trouve à la bibliothèque impériale,
Registres secrets, paraît être une relation otBcielle, où Ton a eu
soin de dissimuler habilement le fait capital, l'opposition de la
majorité des docteurs aux quatre articles.
« Mémoire de ce qui s'est passé à l'assemblée de la Faculté
de théologie sur l' enregistrement de la déclaration du clergé
— Le 24e fie juin 1682. — Le Parlement ayant été informé
que dans l'assemblée de la Faculté de théologie du 1" de juin,
dans laquelle on devait convenir de la relation de ce qui s'était
passé le l^"" jour de mai, lorsque le Parlement en corps y fut
pour Tenregislrement de l'édit du Roi du mois de mars der-
nier sur la déclaration du clergé, il y avait eu plusieurs dif-
ficultés proposées sur les termes de cette relation, ce qui avait
empêché que l'édit ne fût transcrit dans les registres de ladite
Faculté, M. le premier Président envoya chercher les douze
plus anciens docteurs, le mardi 2" de juin, et leur enjoignit de
s'assembler le lundi 15' de juin, pour convenir des termes de
la relation, ne voulant pas qu'ils dififérassent davantage de
transcrire, suivant l'arrêt du Parlement, l'édit et la déclaration
du clergé dans kurs registres.
L'assemblée s'étant tenue le 15* de juin, la plus saine partie
des docteurs, au nombre de trente-cinq, alla à approuver tout
ce qui avait été fait et à enregistrer sur la champ. Vingt-neuf
autres, gens de cabale ^onv \di plupart, furent d'avis qu'avant
l'enregistrement on fit des remontrances au Roi sur plusieurl
496 LA VÉRITÉ [TomeVlIL
chefs qui ne regardaient pas le fond de la doctrine, mais des
prétentions de la Faculté de n'être pas assujettie à l'arclievéi]ue
de Paris, auquel, suivant l'édit, les professeurs doivent tous
les ans apporter leurs cahiers. Les choses étant en cet état,
l'assemblée finit à l'heure accoutumée, sans qu'il y nùt rien
de décidé, plusieurs des jeunes docteurs n'ayant pas eu le
temps d'opiner {\). Et le Parlement ajant été informé du retar-
dement "qu'avaient apporté les docteurs à l'exécution de ses
ordres, et de la continuation des cabales qui allaient à se
soustraire à l'obéissance qu'ils doivent, envoya appelé;- le len-
demain vingt des plus anciens docteurs, leur défendit de s'as-
sembler sur ce sujet ni sur aucun autre jusqu'à nouvel ordre,
et ordonna que l'édit et la déclaration seraient mis sur les re-
gistres de la FacuUé, qui furent à cet effet apportés au gretfe
de la cour.
Le Roi ayant su depuis que les auteurs de la cabale
avaient tenu des discours fort emportés dans leurs opinions,
et ayant estimé de son service de les réprimer, à donné des
ordres à hicit des plus coupables de se retirer de Paris, et de
s'en aller dans les lieux des provinces qui leur ont été indi-
qués.» (Manuscrits de la bibliothèque impériale, — Registres
secrets. Correspondance administrative de Louis XIV, publiée
par Depping, tome iv, p. 144.)
VIII. Reproches du Parlement à la Faculté. — Enregistrement
des quatre articles opéré de vive force. — « Le premier Prési-
dent a dit : Nous apprenons avec douleur que l'esprit de paix
ne règne plus parmi vous, et que la cabale empêche la sou-
mission que vous devez aux ordres de la cour. O.i vous mé-
connaît parmi ces voix uidiscrètes que le plus giand nouibre
(I) On leva la séance el on ne laissa pas acliever d'o; iiier, parce
qu'on avait l'assurance que te mauvais parti allait reiii[ior!er de
^o voix, et rejeter les quatre arlirles avec le nio! non appr<ibnn'€S.
Celte pièce a été rédigée de manière à déguiser rtniinilia le défaite
du pouvoir. C'est probablement la relation qu'on envoya à l'ambas-
sadeur à Rome, et à d'autres, ; our donner le change au public.
Nov.1863.] Sun LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 497
aurait dû étouffer. Ce n'est plus cette sage conduite qui fit re-
chercher les avis de vos prédécesseurs et qui leur acquit, sans
aucun titre, la liberté de s'asseiûbler dans les occasions de doc-
trine. La cour n'aurait jamais cru que vous eussiez osé différer
l'enregistrement qu'elle vous avait ordonué. Votre désobéis-
sance lui fait regretter les marques d'estime dont elle vous
avait honorés. Persuadée que vous ne méritez plus sa confiance,
elle vous défend de vous plus assembler jusqu'à ce qu'elle
vous eu ait prescrit la manière; ce qu'elle aura soin de faire
avant le 1*' juillet. Et ensuite M. le premier Président ayant
demandé si le scribe de la Faculté y était et s'il avait apporté
son registre, M. le premier Président lui a dit de passer au
greffe et d'enregistrer dans son registre Tédit du Roi, du mois
de mars dernier, la déclaration des sentiments du clergé de
France touchant la puissance ecclésiastique, etc., ce qui a été
fait. » [Mélanges Colbert 3, à la bibliothèque impériale; Cor-
respondance administrative de Louis XIV, tome iv, p. 145.)
Ainsi l'édit et la déclaration furent alors enregistrés, mais
de vive force et sans aucune participation de la Faculté.
§VII.
Histoire de la requête de juilllet 1682, par laquelle un certain nombre de doc-
teurs oftrirenl d'enregistrer l'édit et la déclaration des quatre articles.
On a vu tout ce que le roi, les ministres, le parlement et
l'archevêque de Paris avaient employé d'activité, de stra-
tagèmes et de violence pour arracher à la Faculté l'adhésion
tant désirée aux quatre articles. L'échec avait été solennel.
Ce corps, tout mutilé qu'il était et embarrassé des membres
morts du jansénisme, avait résisté à la majorité de 15 voix.
Pour pallier cette humiliante défaite, on imagina de pousser le
plus grand nombre possible de docteurs a présenter une re-
quête par laquelle ils oflriraient d'enregistrer l'édit, pourvu
qu'on permit à la Faculté de tenir ses assemblées. — On les
49 î LA VÉniTF. [Tome VI-I.
lui avait interdites ; on avait exilé huit membres ; et l'on
faisait graud bruit de réformes qui allaient réduiie la Faculté
à rien. Le tout, comme Tavoiie le procureur de Harlay, pour
effrayer ces pauvres docteurs, les amènera résipiscence, etobte-
nir qu'au moins un assez i^rand nombre d'entre eux fissent une
démarche favorable à l'édit et à la déclaration des quatre ar-
ticles. Voici quelques documents qui éclairent suffisamment
cette nouvelle trame.
« Colbert au premier président du parlement de Paris. — A
Versailles, le 8 juillet 1682. — Le roi m'ordonne de vous in-
former de ce que vous avez déjà appris par M. le procureur gé-
néral sur les assemblées qui se doivent tenir chez M. l'archevêque
de Paris au sujet de la réforme de la Faculté de théologie, et
de vous dire ea même temps que si vou=; estimez ))lus à pro-
pos de ne vous y pas trouver, on prendra soin de vous infor-
mer de tout ce qui s'y passera, et de prendre vos avis sur le
tout, avant que de rien décider. Ayez agréable de me faire
savoir le parti que vous prendrez sur cela. » {Mélanges Colbert,
3; Correspondance administrative, publiée par Deppiug dans la
Collection de documents inédits. Paris, 1855, t. iv, p. 146.)
Ce fameux projet de réforme, qu'on tenait toujours comme
un épouvanlail suspendu sur la tête des docteurs, est détaillé
dans les deux pièces suivantes. Elles sont pleines d'intérêt, et
jettent un grand jour sur toule cette affaire, et sur les senti-
ments réels de la Faculté de théologie.
Projet de réforme pour la Faculté (1).
« Ce qui s'esl passé le 15 de juin dernier (1682) dans la Faculté
esl l'ouvrage d'une pure cabale. Ceux qui l'avaient ménagée s'étaient
appliqués à gagner les esprits depuis le 2 mai, sons preiex;e que la
forme de l'enregislremenl blessait les immunités et les privilèges de la
Facullt^. C'est pourquoi ils ne se sont déclarés contre la doclriiie, que
(1) Celle piètre inédile se trouve, ainsi que la suivante, parmi les
papiers du propureur général de Harlay, à la Bibliothèque impériale,
Ms. Harlay 'St -Germain, ^.
Nûv. 18t>3.1 SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 509
lor>qu'il!> ont vu qu'ils avaient alliré beaucoup de personnes dans
leur seniiraenl, qui craignaient de bonne foi que cet exemple ne fil
préjudice, dans la suite, k la liberté dont la Faculté usait, depuis
plusieurs .siècles, de donner son jugement doctrinal sur les matières
qui se pr(^scntaienl.
« Dans l'assemblée du premier de juin el dans les conférences des
députés, ils n'ont fait aucune plainte que touchant la forme ; el lors-
qu'ils ont vu qu'on leur accordait une partie de ce qu'ils pouvaient
espérer, pour mettre à couvert les iinmutiilés de la Faculté, et qu'où
leur faisait espérer qu'ils seraient délivrés du reste lorsqu'ils auraient
obéi, il> ont porté les sieurs Grandin el Cli;imillard à se déclarer
contre la dociroie ; el connue ils avaient fait venir à la Faculté plu-
sieurs personnes qui n'avaient pas accoutumé de se trouver aux as-
semblées, ils espéraient donner atteinte à la déclaration par le nombre
des suflrages qui se seraient trouvés conformes à celui du sieur Clia-
niillard.
« Si le collège de Sorbonne et les professeurs peuvent êlre consi-
dérés comme l'unique source de celle cab.ile, on doit se servir de
celle occfision pour y apporter des remèdes si efflcaces, qu'on pré-
vienne dans la suite de semblables désordres. La maison de Sor-
bonne, exeepié six ou sept, est élevée dans des seaiiments conlraiies
à la dociaraiion. Les professeurs, excepté M, le syndic (Pirol), y ont
une si grande opno>iiion, que ceux mêmes qui sont payés par le roi
n'ont pas voulu eii.seig)ier aucune des ■propositions qui ont été ■présen-
tées à Sa Majesté en li 6;i, quoique, dans le collège de Sorlionne el
de Navarre, il y ait des chaires fondées pour enseigner la contro-
verse.
t On ne saurait empêcher le mal que cette cabale a fait dans celte
occasion, et le bruit qui s'en est répandu parloul , mais il faut préve-
venir de semblables entreprises, et tirer même quelque avantage de
ce désordre pour la Faculté.
« Si, par un arrêt du coiîseil, on privait du suthage el des droits
de la Faculté ceux qui ont opiné uvec si peu de respect poAT Sa Ma-
jesté, pour tes arrêts de la cour et pour la déclaraiion du clergé,
celte peine permanente, qui serait toujours de\anl les yeux de ceux
qui composent les assemblées, les tiendrait dans le devoir, et la mé-
moire de cet exemple se conserverait longtemps dans la Faculté et y
proiunail de très-bons effets. [1 faudrait y comprendre ceux qui sont
exilés, et même quelques-uns qni ont opitié aussi sédilieusement
qu'eux, comme Boucher, chanoine de Noire- Dame; Gobelin, curé de
Saiul-Laiireul ; Bouste, professeur de Sorbonne, etc.
« ... Les trois professeurs de Sorbonne ont des bcnéliccs qui de-
mandent résidence, el si le roi nommait d'autres docteurs, qui
fussent alFeclionnés à celte doctrine, ils l'enseigneraient avec fruit.
SOO LA VÉRITÉ i^Tomc Vllf.
Ce n'est pas vne affaire que ce changement en Sorbonne. La maison
mérite bien d'êlre privée de la liberté d'y nommer dans celle occa-
sion.
« ... Le grand-maître de Navarre prétend être obligé d'enseigner
en qualité de grand-niaîlre ; mais la profession publique qu'il fait
«si en exécution de la fondation du roi, qui le paie : ainsi, on le
pourrait priver de celte chaire, et la conférer à une personne qui fût
dans les sealimenls de l'Église gallicane, et lui laisser la charge de
grand-maîne.
«... L'occasion est favorable pour apporter quelque remède qui
empêche entièrement les cabales dans la suite.
« (lomme ce sont les communautés qui y donnent lieu, et qu'elles
sont plus faciles à y entrer et aies lortilier, on pourrait réduire ie
nombre de ces communautés, qu'on a grossies et augm'-ntres dans le
dessein de s'en servir dans de semblnbles occasions. Celle de Sor-
bonne est la plus nombreuse et la plus irrégulière. Ces messieurs
étudient peu ; ils manqenl ensemble ; le temps qui n'est pas employé à
i'éiude peut facilement être employé à cabaler -, ceux qui ont l'auto-
rité dans ce collège, l'ont tellement dominé, qu'ils ont fait recevoir
des, esprits faibles, propres à entrer dans les sentiments qu'ils leur
voudiont inspirer, el, par ce moyen, ils sont devenus les maîtres de
celle commuriauté...
On propose ici la réforme du collège de Navare, puis le pro-
jet continue ainsi :
n II faudrait léàuire de même les docteurs des autres communau-
tés : 2 (le Saint-f^iclor, 2 de Cluny, S des Bernardins, i de Prémon-
tré^ parce qu'il n'y en pas beaucoup; ^ de la Merci, \ de Suinte-
Croix de la Brelounière, ^ de la Compagnie de SamlSulpice, \ du
séminaire des Missions étrangères, 1 de la comninnauié de Suint-
Aicolas,e[ faire une semblable règle pour les communautés qu'on éri-
gerait dans la suite.
« ... Ponr punir la maison de Sorbonne d'avoir fait celle cabale, el
pour l'humilier en quelque manière, et en tirer un fruit solide dans
la suite, il faudrait ordonner que les assemblées de la Faculté se tien-
draient aux Jacobins. »
Le projet contient encore d'autres mesures rigoureuses
contre les membres anti-gallicans de la Faculté. Nous ne les
transcrivons pas.
I
Dec 1863.] SUR LA FACULTÉ DE TnÉOLOGIE DE PVRIS. 50!
Autre projet de reforme, de l'année 1683.
Cet autre Mémoire, probablemeut du même auteur, pro-
pose de nouvelles réformes pour achever de dompter les doc-
teurs anti-gallicans qui se sont opposés à la censure de Tar-
chevêque de Slrigonie.
« .. Si la con('uile qu'on a remarquée dans les rlocleurs qui de-
meuraient dans le collège de Sorbnnne, lorsqu'ou a désir6 Tenregis-
Iremenldes articles du clergé, de l'édil du roi, et de i'arrêi du Parle-
ment dans la Facullé, cl lorsqu'il a été queslion de signer la requôle
pour obtenir la liberté de tenir les assemblées ordinaires, avait ins-
piré la pensée d'apparier quelque rtmèile h une cabale si dangereuse,
ce qui s'est passé dans l'examen de la proposition sur laquelle le
Parlement a fait l'honneur à la Facullé de lui demander son avis doc-
trinal, oblige indi^pensablement ceux qui onl l'aulorilé et qui aiment
le bien public, li-s maximes el les libertés de l'Église gallicane, de
prévenir par des précautions fortes et permanentes les maux el les
désordres qu'on pourrait craindre, dans la suite, d'une cabale si liée,
si puissante el si échauffée.
« Le nombre de ceux qui demeurent dans ce collège est très-con-
sidérable, ils sont tous unis dans les senliments ulliamon/aîns, ex-
cepié qualre ou cinq.
« Tau.'; les professeurs, même les royaux, exoepic M. Piroî, syndic
de la Faculté, sont dans les mêmes maximes.
« Ce grand nombre, qui demeure dans ce collège, est encore forli-
lié par 31. Grondin, qui est entièreniinl lié avec eux, el qui leur
attire du inonde du dehors. Le principal du collège du Ple^sis et
ceux qu'il emploie et protège d;ins son collège ou hors du collège
soûl absolument unis avec ceux de Sorbonne. M. Desperriers ne s'en
est jamais éloigné, el il est regardé comme une des colonnes de celle
cabale.
« Les proiesseurs peuvent facilement engager des personnes qui
onl étudié en Sorbonne. Ceux de ce collèg(i qui président aux ades,
ou qui sont grands-maîtres des barheliers, onl la liberté de leur in-
spirer leurs senlimenls. Ou voit, d'ailleurs, qu'ils onl une liaison cer-
laine et assurée avec les docteurs qui dtmeurenl dans les séminaires
ou dans d'autres communautés semblables. Ceux de Saint Sulpice,
des Mi-sions élranyères el de Saint-Ncolas, qui ont opine dans celle
affaire, ont été de l'avis des Sorùonnistcs. Is sont aussi unis avec les
Mendiants, el il est tout public que c'est M. Leslocq qui a obligé le
P. Fiassen, gardien des Cordeliers, à quitter le senliraenl des dépu*
î)02 LA VÉRITÉ [Tom MU.
tés, avec lesquels ii avait élé d'avis de condamner la proposiiion,
pour suivre celui du collège de Sorbonne, el il a fait opiner un an-
cien Curdelier en leur faveur, pour empêrlier que le P. Dubuisson
n'eûl [las la Iibcrié de o'ire son sentiment, qui aurait élé pour les dé-
putés, l'ar le Uiênie moyen, ils ont engagé deux jeunes Auguslins à
parler...
(i En même temps qu'o>i humili>'rait si juslement ces trois profes-
seurs, Leslocq, Boust et Desperriers, dont la conduite s'est fait remar-
quer de tout le monde dans celle occasion, on ferait un grand b>en
par un exemple qiii est de peu de conséquence, si on auf/mcn/aii de
qutlqite chose le revenu de la c'iaire de M. Leièvre. de Navarre, qui
enstigne les maximes du royaume, qui est capable de rendre de
grands services, el qui ea a rendu de très-efficaces dans celte occa-
sion, el qui a toutes les qualités pour êire un bon syndic. CeUe pro-
tection, qui serait publique, el qui marquerait l'inlenlioii qu'on a de
bien établir ces senliinenls, serait capable de produ re de grands
biens et d'attirer les jeunes gens... •
L'auteur propose, en outre, contre les rebelles, des me-
sures plus sévères que celles indiquées dans le Mémoire de
1682.
On trouve d'autres traces de ces projets. Voici, par exemple,
une note sommaire qui s'y rapporte.
« Mj;r rarchevêque de Paris avait proposé que, pour exci-
ter les docteurs qui n'ont point encore signé, à suivre l'exem-
ple de leurs confrères, vous allassiez, dans vos conclusions,
à permettre aux docteurs qui auraient signé la requête de s'as-
sembler â l'ordinaire, avec défense aux autres de s'i/ trouver. Et
Sa Majesté m'ordonne de vous en faire l'ouverture, pour sa-
voir vos sentiments sur ce sujet. » (Correspondance administra-
tive, tome IV, p. 140.)
Par ces manœuvres et ces menées, on voulait oblenij-
des docteurs, ou du moins d'un certain nombre d'entre eux,
un acte de faiblesse. Voici la suite des pièces qui se rappor-
tent à celte intrigue.
a Le même (Colbert) au procureur général de Harlay. —
24 juillet 1682. — J'ai rendu compte au roi de ce que vous
m'écrivîtes par votre lettre d'hier, et Sa Majesté, après avoir
Ddc.lSG3] sua LA FACULTÉ DE TnÉOLOGIE DE PAIM?. .'03
examiné toutes les raisons contenues dans cette lettre, m'or-
doune dn vous écrire qu'elle persiste toujours dans la résolu-
tion de ne point permettre à la Faculté de théologie de s'assem-
bler que le projet de la réformalion n'ait été exécnlé, ce (]ui
ne se pourra pas avant le !<>•■ septembre, étant nécessaire
d'attendre des nouvelles de Rome. Cependant, comme elle a
trouvé que les raisons contenues dans votre lettre sont consi-
dérables, elle estime que le meilleur moyen d'ajuster toutes
choses est de faire présenter au parlement, dans cinq ou six
jours, la requête qui a été signée par les docteurs, sur laquelle
vous donnerez vos conclusions dans le premier ou le second
du mois d'août, et ensuite sera donné l'arrêt qui leur permette
de s'assembler au premier jour de septembre. De cette sorte,
les docteurs connaîtront le bon eflfet qu'aura eu la requête
qu'on leur aura fait signer, et on aura tout le mois d'août pour
attendre des nouvelles de Rome, suivant lesquelles on travail-
lera à la réformation, h {Correspondance administrative, t. 4,
page 140.)
Voici maintenant l'historique de cette requête, d'après
l'abbé Legendre, secrétaire de l'archevêque de Paris.
« Défense fut faite aux docteurs de se réunir avant qu'on
leur eût prescrit l'ordre et la forme qu'ils auraient à observer
dans les assemblées qu'on leur permettrait de tenir. Ce fut
alors qu'ils crurent plus fortement que jamais que c'était
M. de Paris qui, sous le nom de parlement, voulait leur don-
ner des lois, et ce fut la peur qu'ils en eurent qui leur fit pré-
senter précipitamment requête, par laquelle ils offraient d'en-
registrer l'édit, pourvu qu'on leur rendît la liberté de s'as-
sembler à l'ordinaire. » [Mémoires de Legendre, p. 54.)
« M. de Harlay, en habile homme, sut les réduire peu h,
peu (les docteurs de la Faculté) à ne faire que ce qu'il jugeait
de raisonnable ; mais cette servitude le rendait si odieux à la
compagnie, qu'elle l'accusait de tout ce qui lui arrivait de dés-
agréable. » {Ibidem, p. 53.)
504 LA VÉRITÉ ITonij \ II.
Nous avons relaté plus haut (a» I) ces paroles de l'Ami de la
Religion (tome xxvi, p. 36) : « Le mois suivant (juillet 1682),
il permit cependant que la Faculté s'assemblât comme à l'or-
dinaire, sur une requête que préseutèreut cent soixante doc-
teurs. »
Si l'on nous objeclait cette requête comme équivalant de la
part de la Faculté à une acceptation de la doctrine des quatre
articles, et par conséquent à une palinodie, nous répondrions:
1° Ce fut la peur, comme l'avoue le secrétaire panégyriste de
rindignc arche ^'cque de Harlay, qui leur fit présenter cette
requête; et certes, cette peur s'explique aisément, après les
lettres de cachet qui venaient d'en faire disparaître huit, par-
tis pour l'exil, et api'ès les bruits et menaces que l'habile pro-
cureur de Harlay voulait qu'on répandit, afin de pousser les
docteurs à faille d'eux-mêmes des démarches pour apaiser le
roi. 2° Ce fut une démarche faite précipitamment, au dire du
même Legeadre, c'est-à-dire qu'il n'y eut aucune délibéra-
tion de la Faculté, aucune résolution arrêtée en corps, 3" Pi-
cot nous dit que ccut soixante docteurs y prirent part. Ce
chiflre est-il bien authentique? Picot n'indique pas de docu-
ment à l'appui, et je n'en ai encore remarqué aucun qui le
justifie. Eu supposant le cbiffre exact, il faudrait se rappeler
le document inédit relaté précédemment ( § 2), d'uprès lequel
le nombre total des docteurs de la Faculté de Paris, en 1682,
était de plus de sept cents. Les adhérents à la requête ne
représenteraient donc pas la majorité. 4° Cette requête, s'il
fallait l'attrijjuer à la Faculté, c'est-à-dire à la majorité des
docteurs, serait une palinodie relativement à la mainfe^tation
doctrinale des séances du 1 et du lo juin, manifestation at-
testée par les doléances du procureur de Harlay, qui en était
désolé. Que prouverait une palinodie arrachée par la peur,
en dehors de toute assemblée régulière ? 5° Il faudrait voir si
le texte de la requête exprime l'adhésion à la doctrine des
quatre articles, ou seulement des protestations rfe respect pour
Doc. 18G3.] SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOG'E DE PARIS. 5flî$
redit du roi et pour l'assemblée de 1682. Ce n'est pas la même
chose, et je n'ai pas le texte de la requête. 6" L'hypothèse
que la fraction janséniste et dévouée à l'archevêque et aux
ministres aura seule signé cette requête, et que le nombre
des signatures aura été exagéré dans les récits du temps,
reste probable jusqu'à preuve du conlraire. 7" De quelque
manière qu'on l'envisage, cette requête n'est pas un acte de la
Faculté : elle laisse dans toute sa valeur le fait de la réproba-
tion des quatre articles à la majorité de quinze voix.
§ VIII.
Affaire de la censnre des quatre articles par le concile national de Hongrie. —
On arrache k la Faculté de Paris la condamnation de cette censure. — Cet
acte ne fut pas libre, et ne peut pas être attribué à la majorité des docteurs
de celle Faculté.
H nous suffira de transcrire ici les documents suivants : le
lecteur en tirera la conséquence.
« (Juillet 1082.) L'archevêque de Strigonie ayant condamné
les quatre articles du clergé et avancé dans sa censure qu'il
n'appartient qu'au Pape de juger les choses de foi, le parle-
ment, à qui cette proposition avait été déférée, ne voulut rien
statuer qu'elle n'eût été examinée par la Faculté de théologie.
Les docteurs, nation timide et soupçonneuse, prirent cela
moins pour un honneur que pour un piège qu'on leur tendait
pour les faire expliquer sur les articles du clergé. En cfiet,
deux d'entre eux, l'un nommé Boucher, curé de Saint-Nicolas
du CUardonnet, et l'autre appelé Chatnillart, supérieur du
séminaire du même nom, ayant parlé en Faculté contre ces
quatre articles avec moins de ménagement que pcut-êlre il
ne convenait, furent exilés incontinent. On les plaignit, parce
qu'ils étaient fort estimés, principalement pas leurs verttis...
Ces deux exilés n'étaient pas seuls de leur avis, et si beau-
coup d'autres qui le partageaient n'osèrent parler si lorte-
î)06 LA VÉRITÉ [Torao Vlil.
ment qu'eux, ce fut la crainte qui les retint. Rieu ue faisait
mieux voir la répugnance qu'ils avaient à flétrir la proposi-
tion, que le temps qu'ils prirent à s'y décider. Après quarante-
cinq séances, chacune de plus de trois heures, à peine la Fa-
culté put-elle former son jugement. » [Mémoires de l'abbé
Legendre, secrétaire de l'arclievèque de Harlay, p. 54 et 55.)
« Neque deuique id memoria excidit quod sub finem prae-
teriti sseculi et a tempoi-e famosorum cleri gallicaui articulo-
rumanni 1682, cum archiepiscopus Strigoniensis in Hungaria
asseruisset, quod ad solum Papam perliaeret articulos fidei
definire, ejus propositio ad Facultatem theologicam Parisieu-
sem ad censuram delata, quamvis censurse factio regia auctori-
tate fulcita esset', suminas tamen passa sit contradictiones,
pluresque hujus Facultatis doctores maluerint exilium pati
quam hujus propositionis damuationi subscribere. » (Petit-
didier, de Auctoritate et infallibilitate Summorum Pontificum,
capite XV, § 5, sub finem.)
a Le marquis de Seignelay au procureur général de Harlay.
— Le 28 janvier 1683. — Sa Majesté m'ordonne de vous dire,
sur l'ouverture qui vous a été faite par le syndic de la Fa-
culté, qu'elle n'estime pas à propos de proposer aux docteurs
qui seront appelés au parlement la question concernant l'au-
torité du Pape dans les matières de foi et de doctrine, sans
parler de la censure de l'archevêque de Strigonie; parce que cela
pourrait passer, à Rome, pour une espèce de nouvelle querelle,
et qu'il vaut mieux qu'il paraisse eu cela que l'on n'agit que
pour se défendre; et pour cet effet, il faut marquer l'occasion qui
a obligé le parlement à demander l'avis de la Faculté, en ob-
servant pourtant qu'iV ne faut pas que les docteurs comprennent
qu'on leur donne à examiner tout ce qui est dans la censure de
l'archevêque de Strigonie, mais seulement la proposition qui
altriljue au Pape seul l'autorité dans les matières de foi. »
« Le 4 février. - Sa Majesté m'ordonne de vous écrire que,
(.ommc la censure de la proposition concernant l'autorité du
Hcc. 1803.] SUR LA FACLLTE DE THEOLOLIK DE PARIS. ÙIU
Pape dans le.s matières de foi ne peut être trop bien soutenue,
elle estime du bien de son service que vous preniez la peine
de faire un discours au parlement, qui puisse être inséré dans
l'arrêt qui sera rendu en conséquence de la censure de la Fa-
culté. S;i Majesté estime qu'il ne faudra pas laisser traîner
celte afïaire jusques au premier jour du mois de mars, maio
qu'il sera à propos de faire tenir une assemblée extraordinaire
à la faculté de lundi prochain en huit jours.» {Correspondance
administrotiv(;, t^me iv, page 126 et suiv.)
'.( Colbert au même (de Harlay, procureur général). — Ce
1o mars 1683. — Comme les assemblées de la Faculté ont été
interrompues depuis mardi dernier, et que le roi est informé
du préjudice qu'en peut recevoir son service, tant parce que
cela donne lieu aux mal intentionnés de fortifier leur cabale, que
parce que ce loug délai oblige plusieurs des docteurs qui sont
dans de bons sentiments de se retirer dans les villes de leur sé-
jour ordinaire, sa Majesté m'ordonne de vous écrire qu'elle
veut que vous examiniez s'il ne serait pas à propos que le
parlement mandât les mêmes docteurs qui furent appelés il y
a quelque temps, pour ordonner à la Faculté de continuer ces
assemblées jusqii'à l'entière décision, nonobstant les prises de
bonnet et autres prétextes dont on pourrait se servir. » (6'or-
respondanee administrative, tome iv, page 141.)
« Le marquis de Seignelay au même (<le Harlay). — Le
3 avril. — Le roi m'ordonne de vous écrire que son intention
est, pour terminer prompteraent les affaires qui regardent la
Faculté de théologie, que M. le premier président envoie
chercher cinq ou six des plus anciens docteurs, pour leur cx-
pli<juor que, le parlement ayant demandé depuis longtemps la
décision de la Faculté sur la question de l'autorité du Pape, et
sachant que, dans les précédentes assemblées qu'ils ont tenues
à cet efifet, plusieurs docteurs se sont laissé aller à des digres-
aions inutiles, en sorte que le tiers de ceux qui doivent donner
ler.r opinion n'ont point encore parlé; il les envoie chercher
DUS LA VKHllh lioinoVlU
pour leur dire que riuteution du parlement est qu'ils tienueal
leurs assemblées sans discontinuation^ et qu'ils se mettent en
état de donner leur décision entre ci et la Quasimodo, » {Ib.,
page 126 et suiv.)
« Versailles, 7 avril 1683. — ... Et à l'égard de la proposi-
tion que vous faites de donner un arrêt, par lequel il soit or-
donné que, dans les Miatièros qui seront agitées dans la Fa-
culté, aucun docteur ne pourra délibérer plus longtemps qu'une
demi-heure, Sa Majesté estime qu'il en faudra venir à cet ex-
pédient, mais elle croit, comme vous, qu'il n'est pas temps de
le mettre en usage. » [Ms. Harlay 367, vol. v, pièce -40.)
La lettre suivante du procureur de Harlay au syndic Pirot
est écrite en entier de la main de M. de Harlay.
» Monsieur, j'ai dissimuléju. qu'à cotte heure les longueurs
affectées qu'apportent aux délibérations de la Faculté parti-
culièrement les docteurs du collège de Sorbonne. Mais quand
à des discours peu convenables à la réputation et à l'intérêt du
corps dont ils fout partie, ils ajoutent des éloge s de l'inquisi-
tion, commp on prétend qu'a fait le sieur Fromageot, il serait
difficile de garder la même conduite. Ainsi, monsieur, je
vous prie de jme mander la vérité de ce qui s'est passé sur ce
sujet, afin qu'en étant informé je fasse, à l'égard de ce der
nier, cCi^que je jugerai à propos. Au surplus, nos Sorbonistes
peuvent être assurés que, s'ils nous apportent quelque oracle
dans l'obscurité duquel ils prétendent cacher des sentiments
conliaires à ceux que les théologiens français ont eus jusqu'à
cet heure, nous les 'fe7'ons déclarer s'ils croient le Pape supé-
rieur au concile et infaillible, et s'ils renoncent au concile de
Constance. » {Ms. Harlay Saint-Germain 165, à la Biblioihèqne
impériale.)
Autre lettre du même de Harlay.
« 20 juillet 1683. — Monsieur, je vous envoie une copie de
l'anèt rendu sur la censure de l'archevêque de Sirigonie, Je
ne doute point que vous n'ayez été informé de la déclaration
qu'a faite le sieur Pirol de vouloir quitter le syudicat de la
Faculté de théologie, et comme le roi aura saus doute appris
la source vérilablc des contradictions qu'il a fallu essuyer au
sujet de la ceusure de l'archevêque de Strigonie, et que Sa
Majesté conuait, mieux que personne, combien il est impor-
tant à sou service d'empêcher le progrès que font dans la Fa-
culté de théologie les cabales et la mauvaise doctrine du collège de
Sorbonne, elle ordonnera sur ce sujet ce qu'elle estimera plus
convenable, afin que cette place soit remplie par un homme
qui n'ait aucune dépendance ni d'inclination que pour bien faire
et pour conserver la bonne doctrine dont il sera persuadé lui-
même, n'y ayant de sûreté qu'avec ceux qui agissent par leurs
sentiments. M. Faure et M. Feu_, qui sont ceux avec qui j'ai
plus de commerce, et qui ont plus de considération dans leur
corps, aussi bien que de mérite, jettent les yeux sur M. Le-
fèvre. Vous pourrez, monsieur, vous en informer plus parti-
culièrement à votre retour, pour en rendre compte au roi, et
je sais seulement qu'il a de la capacité, que c'est le seul profes-
seur qui enseigne nos maximes, et qu'il est très-juste d'inter-
rompre la prescription que le collège de Sorbonne prétendi-ait
avoir acquise par l'élection ou par la nomination que l'on a
faite des derniers syndics ; et si on laisse faire ces messieurs,
après la dernière épreuve que l'on a faite de leurs forces il y a
lieu de croire qu'ils feront encore sur ce sujet une bonne par-
tie de ce qu'ils entreprendront pour le bien. Je suis avec res-
pect, e'x. (Bib. imp. Ms. Harlay Saint-Germam 163.)
Note du procureur de Harlay.
« N'étant pas à propos que ces bous docteurs sortent, en au-
cune manière, de la dépendance du parlement, qu'ils doivent
reconnaître comme leur juge, n (Bib. imp. Ms. Harlay Saint-
Germain 165.)
Chanson (sur l'air de : 0 Fïlii et Filise) sur les propositions
du c'ergé de France, 1682.
ÔIU LA VKRllE ITomeVlU.
Les ilocleurs avaienl de l'esprit,
El l'on croyait au Sainl-Esprit :
L'archi'vêqiie a changé cela,
Alléluia !
La Sorbonne défend la foi.
Et le dericé l'édil du roi :
Ou ne sait qui l'emporlera,
Alléluia !
Harlny, La'^haise et Champvalon,
El le président de Novion,
N'ont voulu que le roi cédât,
Alléluia !
Qu'on nous tienne pour insensés
S'ils sont jamais canonisés,
A moins d'un bon mea culpa,
Alléluia!
(A la Bibliothèque impériale. Manuscrit intitulé : Recueil de chan-
S071S ClfiirambauU, tome u, année ^687.)
(Concluons : 1° 11 est clair, d'après les documents relatés,
(ju'au moment où fut arrachéo la pièce contre la censure du
concile national de Hongrie, la Faculté n'agissait plus libre-
ment. 2" On ne peut pas dire que les assemblées de cette
époque représentassent la Faculté. Les 160 docteurs apparte-
nant aux Ordres religieux avaient été éliminés. De plus, deux
docteurs du clergé séculier, qui avaient osé dire leur senti-
ment sur les quatre articles, venaient d'être exilés, comme les
liait qui l'avaient été précédemment. On doit tenir pour cer-
tain quun très-grand nombre s'abstinrent d'assister aux as-
semblées, n'y pouvant plus émettre impunément leur opi-
nion. En un mot, ce n'était plus la Faculté. 3" Ce qui étonne,
c'est que, sous cette pression et malgré ces périls, il y ait
encore eu dans ces réunions une si forte résistance. Les mi-
nistres ne purent arracher la pièce qu'après des débats qui
occupèrent quarante-cinq séances. Et le docile Pirot lui-même,
accusé de manquer de zèle pour le service du roi, comme ou
disait alors, donna sa démission. 11 ne faut pas que ce nom,
Dec. 18G3.} I SUR LÀ FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS. 5-i t
un de ceux qui personnifient la conciliation et la docilité,
échappe à la justice de l'Histoire. Nous lui infligeons les lignes
suivantes de l'abbé Legendre, qui partageait comme lui les
faveurs de l'indigne et méprisable archevêque de Paris, M. de
Harlay :
« Si des gens comme Lenoir criaient avec violence contre
M. de Harlay, il y eu avait d'autres, comme les docteurs eu
théologie de la Faculté de Paris, qui, avec plus de retenue, se
plaignaient aussi de lui. Ces docteurs disaient qu'il opprimait
leur liberté, jusque-là qu'il ne leur laissait pas le choix de
leurs oflBciers. 11 y avait du vrai dans ces plaintes, car, selon
les lois et l'usage de la Faculté, le syndic, qui en est le
principal officier, doit être élu tous les deux ans à la pluralité
des voix, ait rnativement entre les docteurs ubiquhtes, c'est-
à-dire ceux qui ne sont d'aucune maison, et les docteurs qui
sont ou de la maison de Sorbonne ou de la maison de Na-
varre; et le docteur Pirot, non du gré de la Faculté, mais par
la volonté de M. l'archevêque, fut syndic plus de vingt ans de
suite... Son principal talent était d'être souple, rampant et prêt
à tout faire pour plaire aux puissances. C'était à ces conditions
que Mgr l'archevêque, tant de sa propre autorité, que de celle
du roi^ l'avait fait maintenir syndic. Cela s'appelait parmi les
docteurs exercer sur eux une sorte de tyrannie ; mais, à
l'archevêché, on disait qu'en user ainsi c'était une sage pré-
caution pour introduire l'ordre dans une compagnie où il n'y
en avait quasi jamais eu. » {Mémoires de l'abbé Legendre, p. 31
et 52.)
Avant de terminer, nous écarterons une autre calomnie, la
prétendue adhésion que la Faculté aurait donnée à Vappel au
futur concile, le 8 octobre 1688. Comme tout le monde, j'avais
été induit en erreur par les documents des procès -ver bjux des
assemblées du clergé (tome v, page 314 et suiv. des Pièces jus-
tificatives). On y voit qu'en efifet le parlement et le roi interje-
tèrent appel au futur concile, le "27 septembre 1688. Puis
512 LA VÉRITÉ [TomnYlIÎ.
on trouve cel extrait des registres de l'Université de Paris :
« L'an 1688, le huitième jour du mois d'octobre, avant
raidi, rUaiversité de Paris s'est assemblée avec un nombre
d'autant plus grand de docteurs et de maîtres des différentes
Facultés, que... ; pour entendre ce que M. de Harlay... avait
k dire à la compagnie de la part de Sa Majesté... Après qu'il
s'est assis dans la chaise qui lui avait été préparée, il a dit
qu'il avait une lettre du roi à rendre à l'université, et a mis
entre les mains de M. le recteur une lettre de cachet, dont la
suscription Et au dedans était écrit.... Laquelle lettre
ayant été lue, ledit sieur procureur général a dit Mon-
sieur le procureur général ayant fini son discours..., le rec-
teur est allé à tous les chefs d'ordre pour demander leur avis,
et tous ces chefs, ayant conféré chacun avec son ordre, et
mûrement délibéré {\), les avis étant recueillis, et le rapport en
étant fait par les doyens de la sacrée Faculté de théologie, de
la très-savante Faculté de droit, de la trè.s-salutaire Faculté de
médecine, et par les procureurs des quatre nations : de l'ho-
norable nation de France, de la très-fidèle nation de Picardie,
de la vénérable nation de Normandie, et de la très-constante
nation d'Allemngne, le dit sieur recteur, du consentement
général de tous les ordres, a dit.... Ce discours étant fini,
on a pntendu de tous côtés cette acclamation générale : Nous
sortîmes tous de cet avis, novs sommes prêts d'adhérer à l'appel. »
Le commun des lecteurs s'imaginera que lo Faculté de
théologie était suuîsauiment représentée dans cette assemblée
de rCniversité, pour que l'adhésion enthousiaste à l'appel
doive lui être attribuée; et j'avoue que j'y avais été pris moi-
même. Voici la pièce inédite qui m'a désabusé.
« Au procureur général. — H octobre 1688. — Le roi a
fort approuvé le discours que vous avez tenu à l'université, et
Sa Maji-sté trouve bon que vous le fassiez imprimer, pour le
(I) Ce mot fsl risiblo irj. Tout fut bach'^ en un i^slant s;'ance te-
nante.
Dec. 1863.] SLR LA FACULTÉ DE TD-^OLOGIE DK PARIS. 5^,l
rendre public. Riais clic ii'eslime pas à propos que les dépu-
tes des Facultés de droit, de médecine et des arts, donnent part
à leurs corps de ce qui s'est passé dans l'assemblée générale,
parce qu'elle ne prévoit pas qu'on puisse prendre assez de con-
fiance aux assurances que quelques docteurs de la Faculté de
théologie ont données, pour hasarder la même chose à l'égard de
ladite Faculté. » [lîcg. sec?xUariat, 1688, 0, folio 265 vei^so,
A7'chives. — A la Biblioluèque impériale.)
A l'aide de ce document on voit que l'adhésion donnée à
l'appel dans l'assemblée générale de tous les corps de l'uni-
versilé, n'implique pas du tout l'adhésion de la Faculté de
Théologie. 1° Il y eut, il e=t vrai, à celte assemblée, des dé-
putés de la Faculté de Théologie, comme de celle de mé-
decine et des autres; mais la Faculté elle-même ne s'y trouvait
pas. 2° Ces députés étaient envoyés pour recevoir la commu-
nication que M. de Harlay avait à faire de la part du Roi; mais
ils n'avaient aucun mandat pour agir au nom de leurs corps
respectifs. Les députes purent exprimer leur sentiment per-
sonnel, mais non celui de la Faculté qui les avait envoyés. La
preuve c'est la mesure proposée par de Harlay: il voulait que
les députés fissent leur i-apport à leurs facultés respectives de
ce qui s'était passé à l'assemblée générale du 8 octobre 1688,
atin que celles-ci ratifiassent l'adhésion à l'appel. 3" IMais le
roi craignit d'échouer auprès de la Faculté de Théologie ; il
ne voulut pas hasarder la chose à l'égard de ladite Faculté.
Et pour cette raison, la mesure proposée par de Harlay n'eut
lieu pour aucune. 4" 11 est donc certain que la Faculté de
Théologie n'a fa^t aucune adhésion au schismatique appel de
1G88. Je voudrais qu'il fût aussi facile d'excuser entièrement,
par rapport à cet appel, les prélats de l'assemblée qui se tint
à la môme époque.
Conclusion. — Noire lâche est terminée. Nous croyons
avoir démontré qu'on a fait endosser à tort à la Faculté de
théologie de Paris les six articles de 16G3, les quatre articles
HEVUE tes SciF.NCES iiCCI-tSIASTlCUES, T. V!II. 33-34.
5^4 LA VÉRITÉ SUR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE. [Tome VllI.
de 4682, en un mot, l'égarement doctrinal qu'on a coutume
de désigner par la formule de système gallican. Les défenseurs
de ce système avaient intérêt à se couvrir d'une si grande
autorité. Ils l'ont fait à leur aise et sans contradiction. Les
faits avaient été défigurés, et le mensonge avait passé dans
l'Histoire comme à l'état de certitude. Désormais, au nom des
pièces sorties enfin du mystère profond où l'esprit d'opposi-
tion au Saint-Siège les avait si soigneusement ensevelies, nous
demandons que la vérité soit rétablie. Assurément, ces pièces
ne nous montrent point la Faculté de théologie de Pari? saine
et irréprochable de tout point. Mais ses défaillances ne furent
pas les énormes chutes qu'on a inscrites sous son nom. Le
chancre du jansénisme et du régalisme !'a rongée et défigurée ;
beaucoup de ses membres en furent atteints; mais la majo-
rité résista aux terribles influences de ces épidémies du
temps. D'autre part, le lecteur voudra bien ne pas oublier
que nous avons fixé la période, objet de nos appréciations ;
elles se renferment entre ces deux dates : 1603 et 1682. Que
postérieurement à 16S2 elle ait sombré complètement dans
le gallicanisme, nous ne l'examinons pas ici. Nous disons
qu'avant i6S2, et malgré les quatre articles de la célèbre as-
semblée, le naufrage, c'est-à-dire la profession du gallica-
nisme, n'avait pas eu lieu. Car nous comptons pour rien le
vertige momentané, et désavoué presque aussitôt, dout elle fut
saisie sous l'influence de Gerson (I)-.
D. Bouix.
(!) I.ts [)icces inédiles ci'.éesdans noire Iravaii, el qui en font toule
la valeur, nous ont clé fournies par AI. Charles Gérin. On a de
M. Cliarles Géria une disserlalion sur la préicntlue Pragmatique
sanction de saint Louis. Des écrivains modernes, entre aiUrcs
M. Toinassi. avaient déjà prouvé la fausseié de ce trop célèbre docu-
menl. A l'aide de nouvelios recherches, M. Charles Gérin a porté la
défflonstraîion jusqu'à l'évidence. Ainsi s'écroule pour jamais un des
principaux appuis du livre de la Déftnse, alU'ibué à Bossuel.
LA BIBLE
ET LA SCIENCE DE LA NATURE.
BiBEi, DND NATL'R. Vorlesuugen ûber die rnosaiclie Urgeschicbte uud
ihr Verliaelluiss zu den Ergebnissen der Nalurforschung. Von D' F.
H. REUscn. Freibiirg, Herder, 1862, — Cosmogonia natuiule coiuparata
col Geucsi, del P. G. B. Pianciani, D. G. D. G. Roma, coi lipi délia
Civillù cattolica, 1862. — Etudes géologiques, pbilologiques et scrip-
turales sur la Cosmogouie de Moïse, par le P. Lauhent, prov. des
FF. Min. Capucins. Paris, Mme veuve Poussielgue-Rusaud, 18G3.
Troisième article.
V.
Reprenons la suite du récit gcnésiaquc.
« 3. Et Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.
« 4. Et Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la
lumière des ténèbres ;
« 5. Et il appela la lumière jour, et aux ténèbres il donna
le nom de nuit, et le soir vint, puis le malin : ce fut îe premier
jour. »
Ici commence àproprement parler l'histoire denotre monde.
La courte introduction qui précède nous a fait voir la matière
comme un mélange confus, enseveli sous la masse aqueuse,
enveloppé dans les ténèbres: c'est le chaos, c'est la mort,
mais le chaos qui précède l'ordre, et la mort qui précède la
vie, car l'Esprit vivificateur est là, avec son activité féconde.
Tout-à-coup la parole divine se fait entendre, ce sombre voile
de ténèbres se déchire, et la lumière resplendit sur l'abimc.
L'historien sacré rend en deux coups de pincerai inimitables
5i6 LA BIBLE |To!neVlII.
cette scène grandiose. Notre langue îie peut exprimer le tour
vif et rapide que présente le texte original.
Ces authropomorphismes qui prêtent à Dieu une boticlic et
des paroles, des mains pour agir, des yeux pour voir, etc.,
sont une des particularités les plus fréquentes du style bibli-
que. Nous la rencontrerons dans tout le cours de ce récit. Le
langage abstrait de la raison est bon pour les écoles de méta-
physique : il n'a ni la même énergie, ni la même vivacité que
celui qui parle aux sens et à rimagination, et qui peint en
quelque sorte les choses ; il est d'aillenrs très-peu accessible
aux masses. La vraie notion de Dieu n'est point altérée par
ces images. Elle ne le serait que par une interprétation stupi-
dement littérale, contre laquelle protestent et les idées reli-
gieuses contenues dans la Genèse et dans tout le Pentateuque,
etla teneur mèii;e de celte narration qui nous occupe. Un écri-
vain qui se fût réellement représenté Dieu sous une forme
humaine n'eût point conçu l'idée de création : il n'eût pas
davantage écrit la phrase célèbre qui caractérise si bien
l'essence métaphysique du Souverain-Etre : Je suis celui qui
suis (I). Ceci soit dit en passant et sous forme de simple obser-
vation, pour les esprits attardés qui trouveraient encore du sel
dans les froides plaisanteries de Voltaire.
Donc, au commandement divin la lumière jaillit, les ténèbres
se voient disputer une partie de leur empire : elles alterm-ronl
désormais avec la clarté du jour. Mais comment s'établit cette
alternative? Comment la lumière peut-elle régner, alors que
le soleil, la bine et les astres ne sont point créés encore et ne
le seront qu'au quatrième jour? Il est évident que la difïusion
de la lumière dut être assujettie dans le principe à des condi-
tions spéciales. Cette circonstance n'a pu échapper ni à l'auteur
inspiré, ni à ses prem.iors lecteurs. Comment n'auraient-ils pas
vu que les astres, créés au quatrième jour, comme il est ra-
conté quelques lignes plus loin, n'ont pu auparavant éclairer
[\) Ey. m, -14.
Dec 181)1.] ET LA SCIENCE DE LA NATLUE, V)\7
le monde? Ils ont assurément remarque la diiiicuKé : ils ont
eu leur solution, leur manière d'entendre la chose. Aujour-
d'hui, la physique nous enseigne que la lumière est due à nu
iluidc spécial répandu dans l'atmosphère et mis en vibration
par les corps célestes. Rien de plus IHcile à expliquer, par
conséquent, que la présence de la lumière indépendamment
de toute influence sidérale : il sutfit d'admettre, pour les trois
premiers jours, un moteur difTérent. Lequel, nous n'en savons
rien, mais qu'importe? Nous savons en général que la chose
est possible, et c'est assez. Admirons comment Thistorien sacré
a devancé des théories qu'il ne pouvait ni connaître, ni deviner.
Il énonce un fait qui pendant de longs siècles semble contrarier
toutes les idées reçues: nous disons semble contrarier, car
on pouvait trouver, même alors, des explications très-raison-
nables et très-plausibles, mais enfin il y avait là une diiliculté.
Et voilà que les derniers progrès de la science viennent jeter
un jour inattendu sur ces paroles longtemps enveloppées
d'obscurité ; ils nous en montrent la parfaite exactitude dans
le sens le plus simple et le plus littéral. On reconnaît ici cette
inspiration supérieure qui guide l'écrivain. Un poète, un in-
venteur de cosmogonie, n'aurait point songé à faire paraître
lahimière avant le soleil : il eût regardé cela comme unccueil
et un manque de vraisemblance.
Quoi qu'il en soit, il est probable que Moïse n'a point péné-
tré le sens si profondément vrai que nous attachons maintenant
à cette partie de sa lîarralion, car, oh ne saurait trop le redire,
le don de l'inspiration n'a point direclemert pour objet des
vérités scientifiques : les écrivains inspirés étaient à cet égard
dans la même situation que leurs contemporains, sauf un
secou.rs tout négatif dont nous avons précédemment indiqué
la portée. H aura donc pu, avec ses lecteurs, ne penser à
aucun mode déterminé de transmission de la lumière pen-
dant les premiers jours, et croire simplement la chose, en s'en
rapportant à la puissance divine; ou bien encore, penserqu'une
5i8 LA BIBLE [TomeVIIt.
masso luminense avait été créée dès le premier jour, et divisée
au quatrième pour former notre système plauctairs. C'est
l'explicatiou à laquelle se sont arrêtés beaucoup de Pères de
rj'^glise et d'anciens commentateurs (1). Au reste tout ceci im-
porte fort peu : l'esscutiel est que le texte présente un sens
correct et inattaquable. Or, uon-seulemeatil eu est ainsi, mais
par un effet bien remarquable de l'inspiration, il anticipe en
quelque sorte sur les progrès de la science, qui lui apporte
après plus de trente siècles une éclatante confirmation.
Quelques interprètes, et parmi eux des écrivains autorisés,
ont cru que les astres furent créés dès le premier jour, mais que
l'atmosphère encore épaisse ne laissait pénétrer quela lumière
diffuse, comme il arrive quand le temps est brumeux. Au qua-
trième jour seulement, l'atmosphère se trouva dans des con-
ditions suffisamment favorables pour qu'un observateur placé
sur la terre pût les apercevoir. Avant leur appariti jn,les astres
n'exislaient point pour notre globe : c'est donc réellement alors
qu'ils furent créés pour lui, et c'est dans ce sens que, par une
figure toute naturelle et toute simple, l'historien emploie le
mot de création (2).
(!) « Torlio et opliiue, Beda, Hugo, Magister, S. Thomns, S. Bona-
venlura, Lyianus, Abuleosis, el favel S. Dyonisiiis?;iipia, pulanl lucem
hàiic fuisse corpus lucidura; sive cœli, aul potius abjssi lucidara
parleiii, quœ in circuli aul columnae speciem conforniata orbi praeful-
scril, qiiœqiie fuerit instar maleriœ ex qiia posiœotiurji in partes dis-
lincta el divisa, adaucla el veluL in igiieos globos fabrieaia, sol, luna
et sielke facia; fueriul. Uude IS. Uionias ail hanc iucem fuisse ipsum
solem adhuc iiirt)imem et impeifeclum. Idem asicril Pcierius el aiii. »
Cornélius a Lapu/e, in li. 1.
(2) « D'aulres ODl pensé que la lumière (cri't'e au premier jour) tîlait
tout simplement celle du soleil, opinion qu'ils irouvaienl dans les
éirils connus sous ie nom de S. Dcnys l'artopagile. Cesealiment eut
l'approbalion des anciens rabbins, amsi que le rapporte Maïaionide. Il
plul égaleniciil au Docleur angôlique.oonmie aussi à Siouchus Mufiu-
binus, Calarinus, Pererius el autres. » (Pianciani, Cusmogonia., p. 528.)
Cfr. Reusch, Bibcl tind Nulur, p. 233. Wisenian, Discours sur les rap-
ports entre la science et la religion révélée^ col. 160 (éd. Aligne,
Dde. «803.1 F.T LA SCllîNCE DE LA NATURE. 519
Ce sens, il faut en convenir, e;t Lieu peu naturel. « Dieu
dit: Qu'il y ait des astres dans le tiimament, pour diviser le
jour et la nuit (v. 4). » Comment voir sous ces paroles un
simple lever de rideau, au lieu de l'acte créateur auquel les
astres doivent leur existence? Évidemment nous sommes en
présence d'un essai de conciliation entre l'œuvre du premier
jour, et celle du quatrième, mais cet essai a le tort de ne pas
se i)réoccuper suffisamment du texte. Mieux vaut avouer son
ignorance, et renoncer provisoirement h une solution que de
donner aux mots un sens arbitraire et forcé. Une difficulté,
une olîscurité même en apparence insoluble n'ont rien qui
puisse nous effrayer. L'autorité divine de la Bible ne tient pas
à si peu de chose, et notre foi est assez solide pour ne point se
laisser ébranler par un atome.
La formule du v. 8, répélée après chaque création nouvelle,
a été souvent inlerprètée d'une manière inexacte. Il faut tra-
duire à la lettre : Et il fui soir, et il fut matin, un jour ; c'est-à-
dire, le soir arriva, et le matin à son tour ayant mis fin à la
nuit, le premier jour fut complet. Le nombre cardinal est em-
ployé pour le nombre ordinal, unus louc primus : le soir et le
matin désignent respectivement la fin du jour et la fin de la
nuit, dont la réunion constitue le jour civil, le jour de vingt-
quatre heures. Ainsi, d'après cette manière de compter qui
est la vraie, le premier jour commence avec l'explosion sou-
daine de la lumière : c'est la clarté qui ouvre cet r,acpovuxTiov,
ce sont les ténèbres qui le terminent ; il expire à l'aube du jour
Déra. é\., l. xv). C'est à lort néanmoins que le savant cardinal cite
comme ét:nu de celte opinion Origène, S. Césaire el S. Basile. Le pre-
mier c'jl peu explicile (Periarchon, 1. i, c. -16) : les deu.\ autres sont
décidément conire el ne la mentionnent même pas. (S. Cœs., Dial. i,in-
terrog. 89, 93, 94. S. Basil. Hexaem, hom. ii.) S. Basile a sur la
nature de la lumière, el le rapport de i'œuvre du premier jour avec
celle du quatrième un passage très-remarquable que l'on croirait
écrit d'après les idées aujourd'hui reçues en physique. Il se trouve
dans l'homélie vi de VHexaémcron, éd. des Bénéd., t. i, page 51.
520 LA BIBLH [TùineVIlI.
suivant. Les jours de la création vont donc d'un aurore à
une autre aurore,. ils embrassent la période marquée parla
succession de la lumière et des ténèlires. Tel est le sens très-
simple des paroles de Moïse, comme l'ont très-bien vu Hofmann,
Kurtz, Deliizscli, Keil, Reusch;, Pianciani, et comme plusieurs
anciens Tavaient avant eux rcmanjr.é (1).
(I) Les Pères de l'Eglise onl ici devancé les nioleriics. Voici,
par exemple, comment S. Ambrolse explique ce passage : « QuEeruril
aiiqui, car prius vesperum, poslea mane Scriplura uienioraveiil, ne
forie noclem priusqiiam diem signifiraie viileniur, Nec adveriunl
primo quoi ptfcmiseril diem, dicendo : El vocaril Deus lucem dicm,
et tenebras vocovit noriem : deinde qiiod vesper liais diei sil, el mane
iinis nocîis... Piinijiium ergo diei, vox De: csl : Fiat lux, et Jacta
est lux. Finis diei vi-sper est. Jam sequens dies ex noclis fine succedit.
Senlentia aulem Dei cviiicn*:, quia diem primo vocavit lucem, el se-
cundo vocaviL lencbras noclom... Pu'clire ;iuum viceni uiramque
uiiu:!i dicuirus diem, malulino line coiiclusil, ut el a luce inthoare
dicni doL'orel, el in lucem desinere, ISon enim esl inlcgrnm diei lem-
pus, Misi el nocUs fueril explelum. Unde et nos scniper quasi in die
honesie ambulemus, elabjiciamus opéra lenebrarum, etc. » (S. Anib.,
Hexaem. 1. i, c. 4 0.) — S. Auguslin donne la même explicalion :
« Idce lenebree (celies qui pTéi-cdèrcal l'appaiilion de la. lumière) non-
dum traui nox, nondum etiim pra'cesserut dies : divisil quippe Deus
inler lucem el lencbras, cl prias lucem voeavil diem, deiude lenebras
noclem el, fada luce usque ad alUrum mane, rommenioralus esl
dies unus : mimifesluiu esl euim iilos du-s a luce CEeiiisse el liansacla
luce usque ad niano siiigulos terminales. > (S. Aug., Surm lxxix, de
Divers. Cfr. de Gen. lonlr. Munich., 1. ;, c. -10.) On peul ciler en-
core dans le même sens Procope, le Vûi. Bède [Hexaem., I. i), Ho-
iiorius d'.Vulnn {Hexaem., c. m), Pierre Comeslor {Hùt. schoL, lib.
Gen., c. m), Plnlippe de Bonne-Espérance [Ep. \), Nicolas de Lyra.
Parmi les inlerprèles plusrécenls, voici ce qiiC dit Cornélius a Lapide :
« Ilicdiem et noclem persui terminuin vocal, Yespere el Mane, q. d.
Decurfo jam diei curriculo (quod l'uil ■ii2 horarum) per succedenlem
vesperam, el pcraclo quoque noclis spalio (quod pariier 12 iioraruai
esl] persuceedens illi mane, complelus esl dics primus 24 horarum :
ila aEgidius Uomniius, i pari. Hexaem. iv= « Cornélius a Lapide, ia
h, 1. On voil que celle explicalion n'esl point une découverte due à la
s,agacilé des modernes, comme plusieurs l'onl pensé (Keil, Genesis,
p. IS), ni même queiq^ie chose d'à peu près inconnu dans la Iradilion
exi''g('liquc. L'exégèse a beaucoup a gagner par l'élude des Pères el
des anciens coiiimcnlalcurs.
Dec. 1S63 ET L\ SCIENCE DE LA NATURE. r;2l
C'est la seule explication qui soit philologiquemenl bit-n
fondée, et c'est la seule aussi qui réponde à la marche des
choses telle ([ue lerécit nous la représente. On iiailuit viilyai-
reraeut : Du soir et du matin se fit le premier jour. On prétend
que le soir désigne la nuit, que le malin signifie le jour, et
que la réuuion de ces deux parties constitue le jour civil. Mais
pourtraduire et expliquerde cette manière, ilfiuit violeu'er le
sens des mots, comoie la construction de la phrase, outre que
l'on n'explique point pourquoi la nuit vient avant le jour. Je
sais ijue les Hébreux comptaient de la sorte, et que pour eux
le jour civil commençait le soir; mais celte coutume n'était
pas le moins du monde basée sur le récit de la création. Elle
venait de ce que le c;dendrier et toute la supputation des
temps étaient réglés d'après les fêtes, et que celles-ci com-
mençaient toujours le soir, au moînent ou cessait le travail de
la journée. Ici, la marche de la narration et les paroles de
l'historien indiquent un mode de supputation différent : le pre-
mier jour s'onvrant par la création de la lumière, il n'a point
commencé par la nuit. Celle-ci au contraire l'a borné, limité,
et ainsi elle forme la Irausilion au jour suivant, qui à son
tour s'ouvre par la réapparition de la lumière.
Les jours de la création, aux termes de liofre récit, sont donc
marqués par la succession de la lumière et des ténèbres. 11 est
naturel de croire qne celte succession eut lieu dès l'origine
pendant l'intervalle que la terre met à accomplir une révolution
sur son axe. C'est ce que l'auteur sacré .«emble indi(]uer par
CCS (laroles : Et il sépara la lumière des ténèbres, et il appela
la lumière jour, et les ténèbres nuit, et le soir vint, puis le ma-
tin : ce fut le premier jour. L'impression qui résuite de ce pas-
sage, c'est que la succession régulière du jonr et de la nuit
commença dès lors, avec les mêmes intervalles ou à peu près
que quand cis alternalives furent liées à d'autres conditions
cosmiques.
Chacun des actes de la création se rattache à l'une de cespé-
322 LA BIBLE [Tome VIII.
riocles diurnes dont on vient do voir l'onyine et qui mesurent
encore aujourd'hui notre existence. Sept jours enchaînés entre
eux (l'une manière étroite par une continuité non interrompue,
foirucut une soiriainc divine, type de la seuiaine d'ici-bas, de
l'activité qui en occupe la plus grande part et du repos <|ui la
couronne en la sanctifiant. Grande leçon que Dieu a voulu
doimer à l'homme, et dont il a fait consigner le récit à la tête
de nos livres saints. C'est en acte le commandement promulgué
sur le Sinai : Tu travailleras pendant six jours et tu vaqueras à
tes divers travaux ; mais le septième jour ^ c'est le Sabbat de Jé-
hovuk, ton Dieu : tu ne feras aucun travail, car Dieu a créé en
six jours le ciel, la ferre et la mer, et tout ce quils contiennent,
et il s'est reposé le septième jour; c'est pourquoi le Seigneur a
béni le jour du Sabbat, et il l'a sanctifié (1).
On le voit: tout de cette manière est simjde, régulier,
harmonique ; le récit présente une application naturelle et
saisissante. Il n'eu est plus de môme s;, conformément à une
hypothèîe qui a trouvé et qui compte encore beaucoup de
partisans, on transforme ces jours en de longues [lériodes. Et
d'abord sur quoi s'appuie-t-on pour entendre de la sorte un
récit dont les termes on ne peut plus simples paraissent s'impo-
ser par leur évidence même? Le mot hébreu iom., nous dit-on,
ne signifie pas seulement un jour, mais aussi une période, un
espace de temps plus ou moins considérable. De même, les
mots Erebcl Baker, soir et matin, peuvent signifier aussi mé-
lange, confusion, — ordre, disposition régulière. D'où il suit
que ces paroles: Et il fut soir, et il fut matin, un jour, jicuvent
se traduire aussi : 11 y eut désordre et confusion, puis ordre el
disposition régulière, ce qui conslilue la première période.
«Quiconque n'est point absolument élranger à la connaissance
de l'hébreu et de Texégèse, dit M. Ileusch, ne peut s'empê-
cher de sourire de pitié en entendant débiter sérieusement de
(!) Cx.xx, un.
Dec. 1R03| ET LA SCIENCt: DE l.K NATURE 0-3
pareilles choses (I). » Roprenons-lcs une. à une sans nous y
arrêter beaucoup, car vraiment cela n'est pas fort.
Le mot lom en hébreu sit^niHela même chose que notie mot
français yof*;- et le mot lalin dics ni plus, ni moins. Il désigne
quelquefois le jour lialurel, qui s'étend depuis le lever du so-
leil jusqu'à sou coucher, le. temps de la lumière, en un mot,
par opposition h celni des ténèbres, ainsi que l'indique le
verset même qui nous occupe : Et Dieu sépara, la lumière des
ténèbres, et il appela la Imnière jour, et les ténèbres nuit. Son-
vent aussi il désigne le jour civil, formé de la rénnion du
jour naturel et de la nuit, et embrassant une révolution dinnie
complète, une durée de vingt-quatre heures. Nous le voyons
pris immédiatement dans cette seconde acce[)tion dès ce même
verset : Et il fut soir et il fut ma(in, un joxir.
Voilà le sens propre et primitif du mot iom. Cependant,
comme le mot^oar en français et le mot dies en latin, il se
prend aussi quelquefois dans une acception plus large où il
ne conserve guère que la notion générale de temps, mais cette
acception est secondaire, dérivée, métaphorique, et elle ne se
rencontre que dans quelques expressions et formules particu-
lières. Ce n'est donc pas un usage général et constant, mais un
usage particulier, borné, qu'il ne faut point étendre en dehors
lie ses limites. Ainsi les Hébreux se servent du mot jour au
pluriel comme synonyme de temps, parce qu'en effet le temps
n'est qu'une colleclion de jours. Le temps (uiot à mot les jours)
que David régna sur Israël, fui de 40 années (2). Le temps lies
jours), des années de votre vie (3). Très-souvent on trouve :
dans ces jours-là, pour : en ce temps-là, etc. Ici, à la rigueur, le
mot peut conserver sa signification propre, et d'ailleurs ces
exemples ne prouvent point pour le singulier. On en cite d'au-
(!) Bihel und Naiur,, p. 12S*.
[i) Reij. 1 (Vuig. 5 7{e(7.), n, W.
{3j Gcn. XLvn, 8.
o2-î L\ BIBLE [Tume Vilt.
très: par exemple, la formule qui revient si souvent chez les
prophètes, en ces jours-là, c'est-à-dire au temps du Messie; le
jour ou vous mangerez de ce fruit, vous mourrez (I) ; Le jour ou
Jéhovah-Élokim créa le ciel et la terre {•!). Les Hébreux parlent
aussi du jour de la captivité, du jour du Seigneur, comme
nous parlons du jour du combat, du jour de la victoire, etc.
Mais ces locutions, qui se rencontrent plus ou moins dans
toutes les langues, ont un caractère spécial qui ne peut
échapper à personne, et aucune ne présente une analogie
véi'itable avec le texte que nous expliquons. Ajoutons que
l'auteur de la Genèse semble s'être entouré de toutes les pré-
cautions pour n'être point mal compris. A coup sûr, il n'y a
pas songé, mais s'il en avaiteu rinleulion, il n'aurait pu choi-
sir des termes plus clairs. Ainsi les jours sont ênumérés,
comp'és, distingués, ce qui indique une signification précise
et arrêtée, et non pas cette extension plus vague qui se ren-
conlre en certains cas. C'est le premier, le second, le troisième
jour, et ainsi de suite jus(ju'au septième. Enfin, l'auteur a
soin d'indiquer la limite de chacun des jours génésiaques, à
savoir le retour de !a lumière qiii commence le jour suivant:
ce sont des jours qui vont d'un matin à un autre matin, et par
conséquent des jours calculés d'après notre mesure, des jours
semblables aux noues.
Il est plaisant de voir par quels moyens des auteurs moins
exacts que féconds en ressources, se débarrassent des termes
de soir et de matin, qui dérangent leurs calculs. On a recours
à je ne sais quelles conjtM'tures étymologiques, qui n'oni même
pas le mérite de s'appuyer sur des données exactes, et qui en
tout cas sont dénuées de toute valeur, car enfin ce n'est pas
l'étyniologie qui règle le sens âes mots, c'est l'usage. Avec des
procédés de ce genre, on peut tirer tout ce qu'on veiit d'un
(I) Gcu. n, 17.
(2' Geii. u, 4.
Dec. 1SC3,] ET LA SCIENCE DE LA NATURE. 5?5
texte quelconque. Erch, dans l'usage de la langue hébraïque
signifie le soir, el pas autre chose (I) ; hoker signifie le matin,
et n'a jamais non plus d'antre signitication. Rappelons-nous
bien que le sens d'un mol est un fait contre lequel aucune
conjecture ne peut rien. Pourquoi nous permettre en hébreu
ce qui serait absurde en latin ou en français, ce qui n'est permis
dans aucune langue?
L'hypothèse des jours-époques, telle<qu'on la présente d'ordi •
naire, est donc insoutenable au point de vue philologique. Si
l'on examine le sens profond du récit génésiaque, et l'ensei-
gnement religieux qui en est le but, la conclusion n'est guère
plus favorable à ce système d'interprétation. L'œuvre des six
jours, nous l'avons fait remarquer plus haut, est le type divin
de la semaine d'ici-bas, couronnée par le repos du soplièrac
jour. L'harmonie est frappante si les jours de la Genèse sont de
vraisjourssemblables aux nôtres: elle l'est beaucoup moins dans
le cas contraire, bien qu'assurément elle subsiste dans ce qu'il
y a d'essentiel, six actes ou six moments consacrés au travail,
puis un septième où le repos commence. Nous ne donnons pas
cet argument comme absolu, mais on conviendra que l'inter-
prétation naturelle, obvie, cadre beaucoup mieux avecl'inten-
tion manifeste de l'auteur sacré, ou plutôt de Celui qui a
disposé ses œuvres et les a fait écrire en vue de notrâ utilité.
Ce tnéme argument, tiré du symbolisme de la création,
milite aussi contre un système que le P. Pianciani met en
avant, sans néanmoins le détendre ou l'adopter, « Nous ne
« pouvons ni ne voulons, dit-il, passer sous silence la seule
« difficulté grave qui se présente contre le système des pério-
« des : elle se tire des paroles six fois répétées: Et il fui soir,
« et il fut matin, un jour... Et il fat soir, et il fut matin, le
« second jour. Ainsi porte littéralement le texte original. Si
(J) 121Ï?, furia miscella, qui se rencontre Ex. xn, 38, el ailleurs, esi
un auirc mol, |ioaclué dilTéiemmenl el dérivé d'une racine distincte.
V. le Thésaurus ou le diclioiinaire de Geseuius.
526 LA BiBLE ITomc YllI.
« CCS [aroles démontraient véritablement que les six jours
a mosaïques ne diffèrent en rien de nos jours de vingt-quatre
« heures, on pourrait dire peut-être qu'il n'est pas nécessaire
(( de supposer qu'ils se sont succéiié sans intervalle. Ces jours
« mémorables et solennels furent ceux où se réalisaient des
« choses très-frappantes, comme l'apparition de la lumière
« on des astres, ou bien encore ceux où commençait une
(( nouvelle Sihie d'œu^es importantes ; mais entre un jour
« et un autre s'écoulait un temps indéterminé, et chacun de
« ces six jours était le commencement d'antant de périodes
« successives (1). »
Outre la raison tle symbolisme, invoquée tout-à-l'heure,
l'examen du texte en fournit une autre qui nous semble ren-
verser de fond en comble le système des jours non conti-
nus. Tout s'enchaîne, tout se lie de telle sorte dans le récit,
que les jours apparaissent comme se succédant immédiate-
ment l'un à l'autre. Cette formule à chaque fois répétée : Et
il fut soir, et il fut matin, un jour: et il fut soir, et il fut ma-
tin, le second jour ; celte formule, dis-je, n'a plus de sens, si
le matin qui borne un jour n'est pas l'aurore du suivant, si
ces jours ne forment pas entre eux une chaîne et une succes-
sion non interrompue, si le second jour ne suit pas immédia-
tement le premier, et ainsi de suite.
Nous n'en avons pas fini encore avec les systèmes. Un
théoloyion d'un talent très-remarquable, le docteur Reuscb,
dont je ne saurais trop recommander le livre inscrit en tête
de cet article, a bien compris et parfaitement démontre que
les jours, dans l'Écriture comme partout, sont des jours, et
( ) Pianciaiii, Cosmogonia natmale compnrala col Genesl, p.ôSss.
Son livre lalin conlienl déjà celle hypollièse presque dans les mêmes
termes, p. 27 (Neapoli, I8'>1). Il elle [Cosmogonia, p. 3."j0), le b;irna-
bile italien Ermenegildo Pini, qui semble le premier l'avoir mise au
jour dans son livre inlilulé : Sui s'uleini geologici. Milano, 181 1, p.
86 8s.
Doc. 1803 1 ET LA SCIENCE DE L\ NATURE. 5i7
non pas je ne sais quelles périodes indéterminées (1). Mais
ensuite, il trouve, et il cherche à établir avec beaucoup de
pénétration, que l'idée (issentielle dans la forme du récit et
dans la marche de la création, est celle de semaine, le nom-
bre septénaire servant de type h l'institution du Sabbat. Peu
importe si les parties composant la semaine génésiaque sont
des jours semblables aux nôtres : dans le cas contraire, l'au-
teur a pu désigner chacun de ces temps successifs, quelle que
fût leur durée, par une expression métaphorique empruntée
à la semaine d'ici-bas, et transportée au type divin qu'elle
représente. Que le moijow, ainsi employé, ait été mal com-
pris des lecteurs primitifs et pris dans son acception littérale,
c'est lu un détail sans importance : la vérité esseniielle du
récit n'en souffre pas; l'auteur a pu négliger celte considéra-
tion et ne pas se préoccuper d'une erreur matérielle sans con-
séquence aucune, à laquelle son texte pouvait donner lieu
accidentellement.
A coup sur, l'hypothèse des jours-époques n'a jamais été
défendue avec plus de talent , et, nous le reconnaissons
volontiers, si elle pouvait triompher, ce serait sur le ter-
rain où le savant professeur de Bonn vient de l'établir. Mal-
gré tout, cependant, le docteur Reusch ne nous a point
persuadé. Car enfin, pour admettre \\n sens métaphorique,
il faut une raison; jusqu'à preuve du contraire, les mots con-
servent leur signification propre. Or, cette raison, je la cher-
che, et je ne la trouve pas. On me dit bien que si, de fait, les
parties de la création se sont accomplies à de longs inter-
valles. Moïse a pu se servir très-convenablement du moijow
pour désigner chacun de ces moments successifs formant par
leur réunion une semaine typique. On cite la parabole des
Ouvriers et de la Vigne, où les époques de la vie humaine
sont symbolisées par les heures du jour. Soit! Mais pourquoi
(1; BiLel und ]Siitu7', 12S s:-.
528 LA BIBLE ET LA SCIENCE DE LA NATURE. [Tome VIII.
faire une bj-potlièse complètement en dehors du récit, où
l'on n'en trouve pas le plus lé^er indice ? Est-ce que ]e
texte ne devrait pas indiquer d'une manière quelconque
ce sens métaphorique, s'il est i-éel ? Avouons-le : sans des
préoccupations iièes de la science profane, on no songe-
rait guère à sortir des termes si simples du récit pour recou-
rir à de telles cvokitions. Ce sens est possible à la rigueur
peut-être, mais il n'est pas exégétiquement vraisemblable.
Peut-être même pourrais-je donner à cette observation une
tournure plus accentuée. Les formules tant de fois citées :
Et il fut soir, et il fut matin, etc., indiquent bien la fin d'un
jour naturel et semblent exclure toute idée de métaphore. La
parabole citée lout-à-l'heure ne fournit qu'une analogie fort
incomplète. Les heures, dans la parabole, symbolisent les dif-
férents âges de la vie humaine comparée à la journée de
l'ouvrier ; c'est un élément essentiel de la comparaison ; rien
d'étonnant qu'elles soient citées et mises en relief. Mais ici, à
quoi bon parler du soir et du matiu, si ce n'est pour indiquer
la limite du jour pris dans sou sens propre et littéral ? Quelle
signification particulière peut s'attacher à ces expressions
prises comme métaphores ? Puis, une parabole n'est pas un
récit historique : on ne peut confondre deux genres si diflie-
reuts et conclure de l'un à l'autre. Dans la parabole, le lec-
teur ou l'auditeur sait à quoi s'en tenir, il cherche naturel-
lement sous les expressions un sens figuré. Il en est tout au-
trement dans l'histoire, où ce sens ne se suppose pas si rien
ne l'indique. Or, encore une fois, rien ici ne fait supposer que
le mot jour ne soit pas pris dans son acception ordinaire et
commune. C'est donc là qu'il faut nous en tenir, à moins de
raisons très-graves et de preuves péremptoires.
E. Hautcceur.
LA QUESTION LITURGIQUE A LYON
Moavelles observations sur la circulaire et l'écrit aitolo-
g^étiquc fie AIU. les curés (1).
Des documents et des ronseigtictnents nouveaux sont venus
à notre connaissance. Ils jettent un plus grand jour sur la cir-
culaire et l'écrit apologétique de MM. les curés de Lyon, et
nous permettent de compléter l'examen qui en a été fait dan?
l'article précédent.
I. La prétention de MM. les curés de s^être bornés à une humble
supplique, est convaincue d'inexactitude par le texte (2) même de
leur circulaire aux chanoines. — « Nous ne pensons pas, disent
MM. les curé?, avoir manqué à aucun de nos devoirs. 11 est de
droit naturel que des enfants puissent faire parvenir à leur
père, et des subordonnés à leurs supérieurs, l'humble expres-
sion de leurs vœux. C'est ce que nous avons fait auprès de notre
Archevêque. » [Quelques mots, etc, page 3G.) « Depuis quand
des prières, des désirs exprimés à un chapitre sont-ils devenus
une œuvre anti-canonique? » {fbid. p. 20.) « Si l'on veut nous
offrir une nourriture qui nous paraît indigeste (.3), sommes-
()) V. le numéro d'octobre, p. 546 ss.
(2) Ce lexle a été donné par le Monde (S novembre ^863}, cl l'avait
été prtîcédemmenl par l'écrit anonyme de lUiodez. Lorsque nous
avons publié dans la Herue des Sciences l'article du 20 oriobre, nous
n'en connaissions que les extraits cilés piir MM. les curés de Lyon,
dans leur apologie intitulée Quelques mots, etc.
(3) C'est à la liturgie romaine que MM. les curés adaptent la qua-
liQcalion de nourriture indigeste.
530 LA QUESTION LITURGIQUE [ToineVIII.
uous rebelles eu manifestant d'avance notre répugnance au
Père qui uuus la donne ou aux ministres chargés de la préparer?
Nous n'avons fait et prétendu faire que cela dans nos suppliques.
11 n'y a donc dans nos démarches, ni rébellion, ni mesure
auli-canonique, ni immixtion en choses qui uous soient étran-
gères. » (Ibid. p. 20 et 21.) Ainsi, le système de défense de
MxM. les curés repose tout entier sur celte affirmation : Nous
nous sommes bornés à d'humbles prières.
Malheureusement cette affirmation est en contradiction
flagrante avec le texte de leur circulaire à MM. les chanoines.
Le voici.
Monsieur le chanoine,
« Les journaux de Lyon uous ont révéhi une tentative qui
nous inquiète et nous afflige. Il serait question de composer
un Propre à l'usage des prêtres étrangers à Lyon qui y résident.
Com:ne vous êtes, monsieur le chanoine, canoniquement ap-
pelé à vous occuper de cette question, nous vous prions de
vouloir bien écarter, par vos conseils et votre décision, une me-
sure que vous regardez, ainsi (jue noiis, com.\UQ inutile et très-
funeste. Siles prêtres non diocésains tiennent à avoir le Piopre
lyonnais, ils le trouveront dans nos Bréviaires, nos Antipho-
naires et nos Missels. La composition de ce Propre ne serait,
eu apparence et eu réalité, qu'un préparatif pour nous dépouil-
ler de notie Bréviaire et de noire Liturgie dans un moment
donné. Le changement du Bréviaire amènerait nécessairement
celui du chant et de la Liturgie. Ce Propre serait aussi un
moyeu de faire passer au Uomain les jeunes ecclésiastiques du
diocèse, au grand détriment de la paix et de l'unité. Nous avons
écrit à Sou Émiuence et à M. le Supérieur de Saint-Sulpice
pour PROTESTER contrc ce projet; nous vous prions d'unir vos
efl'orts aux nôtres. // ne suffit pas de s'abstenir ; veuillez vous
opposer, autant qu'il est en vous, à un pi^ojet qui persévèi e, qui
fait un pas menaçant et qui ne vient ni du cœur de notre ar-
chevêque, ni de celui de Fie IX, lequel tolère les institutions
Dec. 1863.1 ^ LYON. 531
liturgiques de Lyon, aujourd'hui, comme\e pape Elcuthère les
approuvait du temps de saint Iréuée. Nous sommes avec res-
pect, etc. » (Suivent les signatures de 28 curés.)
Qu'on le remanjuc l)i<'n; ce sont MM. les curés eux-mêmes
qui disent dans leur circulaire aux chanoines : Nous avons écrit
POUR PROTESTER Confiée ce projet. Il s'agit d'une mesure arrêtée
parleur archevêque. L'objet des lettres collectives de MM. les
curés est donc cehii-là même qu'exprime le mot protester ; la
particule pour qui le précède ne permet aucun doute à cet
égard. La prétention de s'être hornés à d'humbles prières ne
saurait être admise, à moins que le mot protestation ne soit
synonyme de celui de supplique. IMiNL les curés auraient-ils cm
à celte identité de sens? Nous craindrions de leur faire injure
en le sup^iosant. Ouvrons le dictionnaire de l'Académie : pro-
tester, verbe neutre, déclarer en forme qu'on tient pour nul,
pour illégal, etc., ce qui a été résolu, délihéi'é ou fait, et que l'on
se pourvoira contre. Ainsi, à moins d'avoir voulu parler un
français inconnu jusqu'à ce jour, ÏNIM. les curés doivent recon-
naître que cette formule : Nous avons écrit pour protester contre,
équivaut rigoureusement à celle-ci : Nous avons écrit pour décla-
rer en forme fiue nous tenons pour nulle, pour illégale, etc., la
mesure résolue, délibérée et arrêtée par notre archevêque, et que
nous voulons nous pourvoir contre.
Hûtons-nous de l'ajouter : autant il esi notoire que MM. les
cures ont dit cola, autant nous sommes persuadés qu'ils n'ont
pas voulu le dire. Comme il arrive parfois sous l'influence de
la préoccupation, l'expression aura dépassé leur pensée. Nous
le concluons des efiforts même qu'ils font pour expliquer leurs
actes et leurs démarclies dans le sens d'une simple prière. Ces
explications, nous les acceptons volontiers. Quoique dans leur
circulaire aux chanoines ils se soient expressément posés
comme formulant une protestation et non une supplique, nous
ne voulons voir là qu'une vivacité de rédaction trop peu ré-
fléchie. Que les explications aillent jusqu'à retirer la malen-
532 LA QUESTION LITURGIQLE ToJie VIII.
contreusc formule, et toute contestation si?ra finie sur ce point.
La radiation, nous n'en doutons pas, s'étendra aussi sur la
phrase : Veuillez vous opposer^ et sur les autres de même pb}'-
sionomie. Elles sont anti-canoniques, aussi bien que la protes-
tation. MM. les curés finiront, il fautl'espérer, par reconnaître
que le savant Supérieur général de Saint-Sulpice et MM. les
chanoines de Serres et Des Garets ne se sont point trompés,
en traitant d'illicites leurs lettres collectives. Surtout ils défé-
reront à l'autorité bien autrement significative du cardinal
Palrizi, qui en a porté le même jugement.
II. Protestation de M. le chanoine Des Garets, secrétaire du
chapitre, accusé par MM . les curés d'avoir inséré frauduleusement
dans le procès-verbal un blâme contre leur conduite.. — L'accu-
sation est ainsi formulée par MM. les curés, dans leur écrit
apologétique intitulé, Quelques mots, etc. (page 1 2) : « Est-il bien
« vrai qu'ils aient répondu (MM. les chanoines) par un blâme
« formel à notre lettre ?... Le secrétaire des délibérations du
« chapitie... n'aurait-il pas pris sur lui d'insérer dans le pro-
a cès-verbal le blâme aux curés dont vous parlez? A la séance
« suivante, en entem.^ant la lecture de ce blâme posthume, le
« chapitre ne se serait-il j-as récrié contre une aussi inquali-
« fiable supercherie'! N'auiait-il pas émis le vœu de casser im-
ft médiatemeiitson secrétaire à cause de cette grave infidélité?
(1 Et le secrétaire n'aurait-il pas obtenu de ne conserver ses
« fonctions (sic) qu'à la condition d'effacer du procès-verbal
« ce préleudublàme inlligéà MM. les curés de Lyon ?..,. C'est
« donc par de semblables moj-ens que vous cherchez à jeter
c de la déconsidération sur le clergé de Lyon ! » Ce qui étonne
le plus à la lecture de ces lignes, c'est le manque de toute
preuve à l'appui, dans une accusation de cette nature. Elle n'i-
rait à rien moins, si elle était fondée, qu'à fiétrir un d'-'S ecclé-
siastiques les plus honorablesdu clergéde France. Pour y croire,
non-seulement ou peut, maison doit, selonles principes de la
théologie, attendre les preuves. Tant que TatUrmation nuisible à
Dde. I8G3.1 A LYON. ^33
l'honneur du procliain demeure purement gratuite, elle doit
être repoussée et tenue pour nulle. C'est l'altitude que nous
avions gardée. Sauvegardant des deux côtés l'honneur sacer-
dotal, nous nous disions : il y aura eu erreur. Selon la protes-
tation suivante, que nous adresse M. le chanoine Des Garcls,
il y en aurait eu, en eliet, une fort regrettable de la part de
MM. les curés de Lyon.
« Lyon, 10 novembre 1803.
Monsieur Tabbo,
« Votre article sur la Question liturgique à Lyon, \)uh\ié dans
« la Revuedes Sciences ecclésiastiques, numéro du 20 octobre 1863,
« a porte sur tous les points de la France, et ailleurs encore,
« la connaissance de l'écrit intitulé : Quelques mots à propos
a d'un pamphlet ; et en particulier, du fait imputé au secrétaire
« du chapitre (pages 1 '2 et 13 de cet écrit) d'avoir, par une
« supercherie inqualifiable, introduit un fait imaginaire dans
« un procès-verbal, etc.
« J'ignore oùles auteurs de cette accusation ont puisé leurs
« renseiguements et je m'étonne qu'il les aient acceptés sans
« coutnMe ; je veux bien supposer que dans leurs préoccupa-
« lions, ils n'en ont pas compris toute la gravité.
0 j:t cependant cette accusation est entièrement erronée.
c( Au besoin les procès-verbaux du chapitre sont là pour ma
«justification; celui du mois de septembre dernier entre
« autres contient ma protestation et en reconnaît la justice.
« Je vous prie, M. l'abbé, de vouloir bien aussi insérer ma
0 réclamation et ma protestation dans la prochaine livraison
« de la Revue des Sciences ecclésiastiques.
« J'ai l'honneur d'être, etc., N. Des Garkts,
« Cbanoine, secrétaire du chapitre. »
L'accusation porte incontestablement sur une matière théo-
logiquement grave, et la circonstance de la publicité par le
moyen de la presse ajoute à cette gravité. MM. les curés
peuvent-ils, au point de vue de la conscience, s'en tenir à leur
affirmation gratuite ? Nous ne le pensons pas. Eu présence de
53î LA QUESTION LITURGIQUE [Tonic VU!,
la dénégation formelle de M. Des Garets, et de son allégation
des procès-verbaux du chapitre, ils sont tenus, d'après tous
les principes de la théologie morale, ou d'exhiber dos preuves
à ce même public auiiuel ils ont si regrettablement adressé
leur accusation flétrissante, ou delà rétracter en reconnaissant
qu'ils ont été induits en erreur. Ajoutons que par rapport à
une erreur de ce genre, même purement involontaire, le
silence ne saurait satisfaire aux prescriptions de la théologie
morale Le tort fait à la réputation du prochain, dès qu'il est
reconnu injuste, réclame comme réparation le désaveu.
lit. MM. les curés savaient que le Souverain- Pontife, tout en
exigeant le changement du bréviaire et dumissel, voulait permettre
au diocèse de Lijon de conserver ses anciens usages ; néanmoins!,
dans leur écrit apologétique, ils supposent un dessein contraire, et
s'en font un motif d'opposition. — Sou Em. le cardinal de Bo-
nald avait transmis officiellement au chapitre ces paroles
de Pie IX : Vous avez de vieux usages ; je ne veux pas vous les
ôter: gardez-les. Mais vous avez un missel et un bréviaire qui ne
viennent pas d'une autorité légitime; il faut changer cela. L'émi-
nent prélat daignait m "écrire à moi-uième, à la date du I^''juin
1863: Le Souverain-Pontife veut que nous conservions nos cérémo-
nies, qu'onne pourrait changer sans faire un très-grand mal, sans
troubler la paix pour longtemps. Assurément, Son Éminence,
connaissaiit à quel point ses curés tenaient à leurs anciens
rites, ne leur aura pas laissé ignorer cette concession,
monument de mansuétude et de bonté de l'admirable Pie IX.
D'autre part, le secrétaire du chapitre, M. le chanoine Des
Garets, nous écrit : « Dans ma réponse à MM. les curés, je leur
rappelais les paroles du Pape, transmises officiellement au
cha[)itre par Son Eminence : Vous avez de vieux usages, je ne
veux point vous les ôter, etc. » Cette réponse à MM. les curés,
est sans doute celle-là même dont MM. les curés citent le début
{Quelques mots, page 15), et qui était datée du 12 déc. 1862.
L'intention de Pie IX de ne pas ôter au diocèse de Lyon ses
Dec. 1803. A LYON. S3o
vieux usages, était donc parfaitement connue do MM. les curés
lorsqu'ils ont publié leur écrit intitulé Quelques mots. Nous ne
voyons jjus du moins, quant à nous, comment risnorance de
cette volonté du Souvcraiu-Pontife pourrait se concilier avec
les faits mentionnés.
Néanmoins, MM. les cures, dans leur éciit apologétique,
supposent le projet d'un changement jruîical, qui doit emporter
aussi les rites et cérémonies d'usage ancien dans leur diocèse.
C'est même sur cette hypothèse qu'ils n:!Otivent leurs plus
pathétique? doléances. En voici un échantillon : « Mgr de
<( Montazet n'a pas touché à nos îiles et à nos cérémonies...
a Heureux donc de posséder des restes ahondants et précieux
<( de nos vieilles traditions..., et des avantages qui résultent
« pour les tldèles des rites et des cérémonies qui leur sont
« cliers comme à nous, avions-nous donc si grand toit... d'ex-
« primer nos vœux à notre père et pasteur vénéré, de lui
« exposer quelques-uns des graves inconvénients qu'aurait
<( pour nous et pour les fidèles un changement radical ùq litur-
« gie ? » [Quelques mots, etc., page 29.)
Lorsque vous écriviez ces lignes, dirons-nous à MM. les
curés, vous saviez très-bien que le changement ne devait pas
être radical. Vous saviez que le pape Pie IX avait dit: Vous
avez de vieux usages; je ne veux pas vous les ôter. Ce mot de
mansuétude, de conciliation et de paix, pourquoi le passer
sous silence ? Les populations du diocèse s'inquiètent peu, je
le suppose, du bréviaire et du missel Moutazet. Si le change-
nie:it liturgique les préoccupe, c'est sans doute à raison de ces
quelques cérémonies d'usage antique, dont l'aspect halntuel
a été si longtemps l'auxiliaire de leur piété. Pour calmer à peu
près toutes les inquiétudes et faire bénir la mesure arrêtée
par le Saint-Siège, il eût suffi de dire à ces admirables catho-
liques lyonnais : « Les anciennes cérémonies seront conser-
« vées, c'est la volonté de Pic IX. Ce n'est pas l'antique bré-
« viaire, l'antique missel de Lyon qu'on va changer, mais un
536 LA QUESTION LITURGIQUE [TonieVIIl.
« J)réviairc et un missel introduits parmi nous, en des temps
« mauvais, et maigre les réclamatious du clerp;é de celte épo-
« que; bréviaire et misse' notoirement illégitimes, et que
f( Pie IX a déclaré tels. »
Nous n'insisterons pas. Que MM. les curés veuillent expliquer
eux-mêmes, s'ils le jugent à propos , pourquoi, connaissant
très-bien la volonté de Pie IX de conserver au diocèse de Lyon
ses anciens usages, ils ont, dans leurs écrits, supposé une volon-
té contraire.
IV. Le Propre a-t-il été primitivement destiné aux seuls prêtres
étrangers, comme l'affirment MM. les curés de Lyon? — Parmi les
motifs de leur protestation collective, MM. les curés font valoir
celui-ci : On aurait déclaré d'abord que le propre était exclu-
sivement vv.?>i}.v\Q aux prêtres étrangers; mais ils auraient craiut
non sans fondement qu'on ne voulût l'étendre à d'autres: « Ce
propre était-il bien seulement pour les prêtres étrangers an
diocèse qui le sollicitaient?» {Quelques mots, etc, page 8.)
Et ailleurs ils disent : « Exclusivement réservé aux prêtres
« étrangers, ainsi qu'o/i l'avait d'abord annoncé. » (Ib., p. 14.)
A l'affirmation de MM. les curés, nous opposons le témoi-
gnage suivant, qui a toute notre conliance : « Ces iMM. sup-
posent que son Émiuence destinait le Propre seulement aux
prêtres étrangers, ce qui est parfaitement inexact. Mgr avait
donné pour motif àe sa démarche, que les Sulpiciens venaient
d'être astreints au Romain, et que plusieurs aumôniers suivaioAit
aussi le Piomain avec leurs communautés. Or tous ces aumô-
niers ne sonf pas des étrangers. »
V. Aut7'e assertion inexacte. — Dans leur écrit apologétique
{Quelques mots etc., page li), MM. les curés s'expriment ainsi
en parlant du chapitre : « II déclara, à bi majorité de huitwoïx
contre deux, qu'il annulait et cassait autant qu'il était en sou
pouvoir la formation de la commission précédemment élue.»
Il y aurait là une erreur. 0;i nous la signale en ces termes :
« La commission pour travailler au Propre n'a pas été révo-
D.5c. 1803.] A LYON. S57
quée par huit voix, mais par six, ce qui cluiuge notablement
les proportions. »
Yl. Le passage ou iMM. les curés affirment que le projet de
rétablir à Lyon la liturgie romaine ne vient pas du cœur de
Pie IX, réclame une explication. — Le 10 décembre 1862,
MM. les curés disaient dans leur circulaire aux chanoines :
« Ycnillez vous opposer, autant qu'il est en vous, à un projet
qui persévère:, (jni fait nn pas menaçaut , et qui ne vient ni
du cœur de notre archevêque, ni de celui de Pie IX. »
La difficulté est de concilier cette affirmation avec le fait sui-
vant. En juin 1862, c'est-à-dire cinq ou six mois avant la circu-
laire de MM. les curés aux chanoines, plusieurs ecclésiastiques
de Lyon, alors à Rome, furent admis à l'audience du Souverain-
Pontife. Parmi eux se trouvaient, nous assure-t-on, trois curés,
entre antres M. Dutel, cuié de Saint-Cernard, au tôuioignage
duquel nous nous en rapportons cntièrenient pour rectifier
ce que nos renseignements auraient d'inexact. Le Saint-Père.
d'une voix forte et très-intelligible, prononça ces paroles, sinon
textuellement, au moins quant au sens : Voilà notre bon clergé
de Lyon, si dévoué au Saint-Siège, et qui lui sera bien plus uni
bientôt par l'adoption de la liturgie romaine. Ces mots furent
entendus, non-seulement des ecclésiastiques lyonnais présents
ù l'audience, mais de quelques autres qui s'y trouvaient aussi.
Le fait se trouve confirmé, ce semble, par ce passage du cardi-
nal Patrizi :«Imoamantissimis verbis, etEmineutiamVestram,
et quos alloqui potuit de clero Lugdunensi, opportune cohortari
non destilil adassumptionem LiturgiœRomanœ.» Si les i)aroles
adressées par Pie IX aux ecclésiastiques de Lyon avaient été
connues de MM. les curés, ils n'auraient pas pu dire que le
projet d'établir la liturgie romaine dans leur diocèse, ?2C venait
pc(S du cœur de Pie JX. Et d'autre part on s'expliqu(; dilfici-
lemeut que cette allocution pontificale leur soit restée incon-
nue. 11 y a l't un nuage, trompeur, sans doute, et que MM. les
cures dissiperont; mais qui suffit, ce semble, pour justifier
notre désir d'une explication. D. Bouix.
ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION
Dciixi me arlicle
©c l'Écriture -Sainte.
Le prédicateur doit être instruit, et parmi les difFérea'cs
branches de connaissances qui lui sont indispensables, il faut
placer en première ligne la science des saintes Ecritures. Eh !
quel est celui qui oserait s'ingérer dans le ministère de la
parole sainte, s'il ne connaissait cette parole, s'il ne Tavait
profondément méditée dans les saints Livres qui en sont le
dépôt, et dans les commentateurs habiles qui en révèlent
les obscurités et en font apprécier toutes les richesses ? Quel
que soit le genre de discours qu'on adresse aux fidèles, la
doctrine et, autant que possible, les expressions do l'Ecriture,
doivent en être le fond et la substance; nous sommes les am-
bassadeurs de J.-C. auprès des peuples, et un ambassadeur
n'a d'autre mission que de porter à un prince étranger les pa-
roles de son maître et de son roi ; il serait prévaricateur, s'il
agissait autrement. Ainsi donc, si nous mettions dans nos
discours nos propres conception^, b^s conce[itious de la science,
quelque habiles qu'elles fussent du reste, nous méconnaîtrions
le caractère dont nous sommes revêtus, d'avance nous frap-
perions notre ministère de stérilité, nous nous rendrions cou-
pables d'une profanation que l'apôtre compare au vice le plus
honteux: « Adultérantes verbum Dei, etc. (I), n Et d'ailleurs,
(I) II Cor. II, 17.
Dde. )SG3,1 ÉTUDES itVR LA PRÉDICATION. 539
OÙ trouvcrious-nous nue source plus féconde que la sainte
Écriture? Elle est le pain qui alimente la vie spirituelle, le
llambeau (jui dirige nos pas, et la lumière qui éclaire notre
route ; c'est un glaive pénétrant qui atteint jusqu'à la division
de l'âme; c'est un feu qui consume l'iniquité, et un marteau
qui brise l'orgueil ; c'est un trésor plus riche que l'or et le
topaze, un baume plus doux que le miel, c'est le remède à tous
les maux : Neque herba, ncquc malagma sanavit eos, scd tuus,
Domine, sermo, qui sanot omnia (1).
Y(,'ut-on exposer les dogmes de la fui? Ils sont pour la plu-
part énoncés ou figurés dans l'Ancien Testament ; ils sont tous,
ou presque tous, clairement exprimés dans le Nouveau ; les
faits évangéliques en fournissent les preuves les plus frap-
pantes, les plus simples, les plus populaires. Yeul-on faire
counailru la morale cbrélienne ? On en trouve les préceptes à
cliaque page de l'Evangile ; le sermon sur la montagne en pré-
sente le tableau le plus saisissant, le plus sublime ; les sentences
profondes semées dans saint Matthieu la font pénétrer comme
des traits dans les cœurs. S'agit-il d'en faire l'application aux
différents étals, aux situations diverses? Saint Paul a tout dit
sur cet objet; il trace avec une remarquable précision les
devoirs des rois et des pontifes, des prêti'es et des ministres
inférieurs, des vierges et des veuves, des pères et des enfants,
des maitres, des serviteurs et des esclaves; il apprend aux
riches comment ils doivent user de leurs biens, aux pauvres
comment ils doivent supporter leurs maux; il mozitre à ceux
qui ïouffrent persécution dans le temps, le poids immense de
gloire qui les attend dans rétcrnité; il prêche le pardon des
injures, l'amour des ennemis, la nécessité de la pénitence, les
avantages de l'hospitalité et de l'aumône, et après avoir résume
tous ces détails si vrais, si attachants, dans le grand précepte
de la charité, il pratique lui-môme ces préceptes de la manière
la plus généreuse eu renonçant au droit que lui donnent ses
(1) Sap. xYi, 12.
340 ÉTUDES SUR L.V PRÉDICATiOX. ITomc VIII.
travaux pour se vouer aux plus incroyables fatigues, aux plus
amcrcs sollicitudes. Faut-il d'autres exemples à l'appui des
leçons? Quels beaux traits de vertu dans le Livre des Rois,
quelle pureté de mœurs dans Rutli et dans Tobie , quel
courage dans Judith^ quelle patience et quelle grandeur d'àuie
dans Job !
Mais les malheurs des temps et les progrès de rincrédulité
n'ont-ils pas créé des besoins nouveaux? et le prédicateur, pour
défendre la religion, ne doit-il pas puiser à d'autres sources?
L'Écriture sainte n'est-elle pas insuffisante? A. Dieu ne plaise
que nous nous permettions de blâmer des travaux qui honorent
et servent utilement la religion; l'Eglise a dans tous les temps
protégé, encouragé toutes les sciences et tous les arts. !Mais
nous n'hésitons pas à dire i]uq l'Ecriture sainte renferme des
armes pour combattre toutes les erreurs, des preuves irréfra-
gables pour abaisser touteinlelligence qui s'élève et la captiver
sous le joug de la Fui. Lorsque J.-C. a envoyé ses ap(Mres an-
noncer sa doctrine au monde, aux peuples comme aux rois, aux
savants comme aux ignorants, aux Grecs comme auxbarbares,
il ne leur a pas ordonné de consulter les sages du siècle, d'ap-
peler à leur secours la philosophie, les sciences et les arts; il
leur a dit : Prœdicate Ecangelium omni créature (I). Et lui-
même quand il voulut confondre les Juifs et dans leurpersonnc
tousles incrédules, il ne prononça que cette parole : Scrutamini
scripturas, illce sunt qux testimomum perhibent de me (2).
On ne nous désavouera pas, quand nous dirons que le
Discours sur l'iiistoire universelle de Bossuet est la plus belle et
la plus complète apologie delareligion. Or, ouïe sait, la partie
la plus forte, la plus sublime de cet immortel ouvrage, n'est
qu\iue éloquente analyse des Livres saints ; elle a pour litre :
la Suite de la Religion.
(1) Marc, xvr, Ij.
(2) Joan. v, 59.
Dec 1SG3.1 ÉTUDES SUR LA PRÉD1C\TI0\. oU
La divinité do J.-C, voilà le point capital; ce point établi,
le reste suit comme conséquence rigoureuse. Cérinthe avait
osé nier ce dogme fondamental de notre croyance : saint Jean
a écrit son évangile pour confondre cet hérésiarque. Il serait
difficile de mettre la vérité dans un plus grand jour; quand
l'écrivain sacré ne serait pas l'organe de l'Esprit-Saint, il de-
meurerait toujours le logicien le plus vigoureux, l'orateur le
plus entraînant.
Et cependant, qu'oppose saint Jean aux raisonnements cap-
tieux de Cérinthe? Le simple exposé des faits de l'Évangile,
les miracles. Comme les Juifs, lui dit-i!, vous vous scandalisez
de voir a le Verbe divin dans l'infirmité de la chair; vous re-
« fusez de voir le Fils de Dieu dans le fils de Marie ; eh bien !
a; à vous comme aux Juifs, J.-C. présente ses titres; il rend la
« vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets ;
« il l'edresse les boiteux, il guérit les malades, il ressuscite les
« morts; frappée par cesprodiges, unemultitude innombrable
« croit en lui et publie sa divinité, toute la nation s'attache à
(( sa personne. » Les scribes et les pharisiens, déguisant mal
leur dépit sous un faux semblant de bonne foi, s'approchent
de Jésus et lui disent : Si vous êtes le Christ, l'envoyé de Dieu,
pourquoi nous tenez-vous en suspens ? Dites-le ouvertement.
Et Jésus leur répond : Opéra qux ego facio testimonium perhi'
bcnt de me... Si mihi non vultis credere., operibus crédite, ut co-
gnoscatis et credatis quia Pater in mi est, et ego in Patine (I).
La réponse est sans réplique, parce qu'en cflfet le miracle
est la prouve la plus logique, la plus frappante ; il satisfait
également le savant et l'ignorant, les grands et le peuple.
Négliger cette arme puissante, dire qu'elle ne va pas aux
préventions de l'époque, c'est faire injure aux génies de tous
les âges, qui l'ont employée avec succès, c'est rougir de
l'Évangile.
(!) Joan, X, •2-;, 38.
542 ÉTUDES SLR LA PRÉDICATION. |Ton.e VIII.
11 est vrai que les scribes et les pharisiens ue se rendent
pas; à l'éclat de la vcrilé ils opposent la violence, susiulerunt
lapides Judxi ut lapidarent eum (1), et plus tard, dans la ré-
flexion, ils inventent cette absurde et ridicule objection que
Jésus chasse les démons au nom du prince des démons : mais
Jésus sait de quelle source impure vient leur résistance, et il
met le doigt sur la plaie quand il leur dit : Omnis qui maie
agit odit lucem, et non venit ad hicem, ut non arguantur opéra
ejus (2).
11 est possible qu'en présentant aux impies de nos jours
l'Évangile dans toute sa simplicité, et surtout en leur rappor-
tant les faits miraculeux, nous ne rencontrions qu'un dédain
superbe, une indifférence mortelle. Au lieu de laisser glacer
nos cœurs à ce désolant spectacle, imitons le Sauveur. Osons,
nous au>si, dire aux contempteurs de noire foi : o Omnis qui
« maie agit, odit lucem. Il n'est pas étonnant que vous
a fermiez les yeux quand vous avez tout à redouter de la lu-
« mière qui éclairerait en vous des mystères d'iniquité; votre
« jugement est trop intéressé pour qu'il fasse loi, pour qu'il
« vous soit permis de l'opposer à nos discours. Si vous voulez
c( être de bonne foi, si voulez suivre les règles de la jiistice
« humaine, soyez d'avance résolus à tous les sacrifices, re-
« noncez à vos passions qui obscurcissent vos esprits, rendez
« à vos cœurs le calme, le sang-froid, l'impartialité (]ui doi-
« vent présider à tous les jugements, et alors vous aurez le
« droii de contredire nos paroles; mais alors toute obscurité
a cessera, alors vous serez convaincus et entraînés : Si quis
« voluerit voluntatem ejus {patris) facere, cognoscet de docirina
« utrum ex Deo sit, an ego a mexpso loquar (5). »
N'est-il pas manifeste que ce langage va à la noble indépen-
(!) Joan.x, Z\.
(2) Joan. M, 20.
(3) Joan. YM, 17.
Dec, 18C3.1 ÉTUDES SLH LA PRÉDICATION. 5-^3
dance de l'orateur sacré? Or, ce langage, qii'est-il autre chose
que le propre langage des saintes Écritures ?
Il est facile de concevoir avec quoi succès on penl développer
les idées que nous venons d'indiquer. Beaucoup résistent
aux raisonnements; peu refusent de se rendre à l'évidence des
faits. Et quels faits plus éclatants que, d'une part, les crimes,
les catastrophes, les ruines que traîne après elle rimpiétc ; et
de l'autre, les vertus, le dévouement,rhéroïsme, les merveilles
qu'enfante la foi chrétienne? Et ici encore, quelles ressources
ne fournissent pas les Écritures en général, et en particulier
l'Evangile de saint Jean, que ceux qui sont charges du minis-
tère de la parole devraient savoir par cœur, dans ce siècle
d'incrédulité et d'égoismc.
L'Ecriture sainte est donc une mine féconde où nous trouvons
tout ce que nous devons prêcher aux iidèles. Aussi les Pères
et les docteurs nous font-ils uu devoir d'y puiser sans cesse.
Saint Ambroise l'appelle le livre des prêtres (I), saint Bernard,
le miroir des pasteurs (2) ; saint Ephrem y voit un arsenal, un
trésor qui renferme les l'émèdes les plus précieux : Deus divi-
natn nobis donavit Scripturam, veluti armamenlum, atque thésau-
rus ynedicamentorum (3).
Il faudrait citer tous les Pères et les Conciles si nous voulions
mentionner toutes les autorités qui ordonnent au prédicateur
d'établir ses instructions sur le fondement solide des saintes
Écritures. Qu'il nous suflise de rappeler ces paroles de saint
Jérôme au saint prêtre Népotien : Sermo presbyteri scripturarum
lectione conditussit (4).
Saint Augustin déjà prêtre et depuis longtemps orateur
consommé, comprenait bien cette obligation, quand effrayé
du ministère de la prédication, dont son évèque Valero voulait
(1) S. Ambros., de Fide, iib. m, cap. 7.
(2) Sermo ad Paslor. iti Synodo.
(5) Scrmo de Pal. et comp.
(4) HJeron. EiAsf. ad ISepot.
S44 ÉTUDES SLR LA. PRÉDICATION. [Tome VIII.
le charger, il demanda qu'on lui accordât an moins du temps,
pour se préparer à ce ministère par une étude plus approfondie
de la sainte Écrituie (I), et saint Jean Cbrysostôœe nous fait
sentir le prix et les avantages de celte étude, lorsqu'il nous
dit en narlaut des Epitres de saint Pau!, qu'il lisait ti-ois fois
chaque semaine : Ncque cnùnnos quse scimus {si qtix scimus) ab
ingenii bonitate atquc acumine sciriws : sed quod illi nos vù'o
impense a/fecti, ab illius Icctione nunqiiam discedimus (2).
Les saints Fères ont commencé par faire eux-mêmes ce (ju'ils
recommandent avec lant de soin aux autres. On n'en trouvera
pas un seul qui à chaque page de ses écrits ne cite les Livres
saiuts ; et saint Bernard en était tellement pénétré qu'il ex-
prime presque toujours sa pensée avec les propres paroles de
l'écrivain sacré; on dirait en lisant ses ouvrages qu'on lit
l'Ecriture saiute elle-même.
Oui sans doute, dira-t-on peut-être, oui sans doute le fond
des choses est dans l'Ecriture, mais ne pourrait-on pus trouver
une forme plus parfaite? et ne sera-t-il pas permis à l'orateur
sacré de s'inspirer par la lecture des grands maîtres de l'élo-
quence profane? Nul doute que celte lecture ne puisse être
utile. Toutefois, la pratique des premiers lemps est bien digue
de remarque. « Ceux, dit Fénelon (3), qui avaient étudié les
« lettres humaines lorsqu'ils étaient dans le siècle, s'en ser
« valent pour la défense delà religion ; mais on ne permettait
« pas à ceux qui les ignoraient de les apprendre, quand déjà
« ils étaient initiés à l'étude des saintes Lettres ; on était per-
ce suadé que l'Écriture suffisait. Si vous voulez de Thisloire,
« disent les Constitutions apostoliques, si vous voulez des lois,
« des préceptes moraux, de l'éloquence et de la poésie, vous
« trouverez tout dans rÉcriture. »
Et de nos jours, n'est-ce pas une chose avéïée, au jugement
(1) Eimt. 21 ad Yalcr. (alias i^S.)
(2) Proœm. cor.iniCnt. in epistol. ad Rom.
(3) Dialocjxies sur Vtloqucncc, lomc xxi, p 10!.
<5c, 1863.1 ÉTUDES SDR LA PRÉDICATION. " S45
vies critiques les plus accrédités, les plus judicieux, que les
beautés littéraires de l'Écriture l'emportent de beaucoup sur
les beautés des auteurs profanes? Les plus belles productions
qui honorent notre langue, ne sont-elles pas inspirées par les
Livres saints? Il suffit de lire les grands maîtres de la chaire
pour voir qu'ils ont emprunté à cette source sacrée leurs
pensées les plus nobles, leurs images les plus frappantes, et
jusqu'aux mouvements les plus sublimes. Et si Bossuet s*est
placé au premier rang, s'il a parlé un langage que nul n'avait
parlé avant lui, et que nul sans doute ne parlera après lui,
s'il a laissé bien loin tous les orateurs anciens et modernes,
c'est qu'on s'a jamais été plus pénétré que lui des vérités
saintes, c'est qu'aucun prédicateur n'a égalé ce grand homme
dans la connaissance dos Écritures.
Je ne purs mieux établir ce que je viens de dire sur Télo-
quence des Livres saints qu'en citant les belles paroles du
P. Lamy dansunsavant ouvrage sur l'objet qui nous occupe (1).
<( Los prédicateurs, dit le savant oralorien, sont d'autant plus
« iuexcufables de négliger l'Écriture, qu'il n'y a point pour
« eux de fonds plus riche et plus inépuisable. Tout ce qui
« soutient l'éloquence, les actions extraordinaires, les mots
« éclatants, les exemples, les comparaisons, les paraboles s'y
a trouvent avec abondance. Non-seulement on y puise la vé-
« ritable doctrine ; on y découvre encore tous les ornements
a qui donnent de la force aux discours. Quelle manière d'en-
« seigner plus claire et plus brève que l'Évangile? Quel ora-
« tour peut égaler l'élévatiou et la vébémence des Prophètes?
« Qui sait mieux tourner l'esprit et toucher le cœur que saint
« Paul? Quoi de plus propre à donner au discours l'éclat et la
« magnificenci; de la poésie que les psaumes de David? Enfin
« quelle foule innombrable de sentences et de maximes dans
« les livres de Salomon ? »
ji) iniroduclioa à i'itcrilure-SalQlL', jjréface.
Revue des sciences ecclésiastiques, t. viu. 33-36.
546 ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION. [Torao Mil,
Après un témoignage aussi forme], la plupart i]es prêtres,
déjà fort occupés par les fonctions si nombreuses clu ministère
et qui pourtant ne veulent pas négliger une des plus impor-
tantes, celle de la prédication, devraient peut-être s'écrier
avec saint Augustin : Omis^is et repudiatis înusis theatricis et
poeticis, divinarum Scripturarum eonsideratione et tractafione
pascamus animum (1).
La connaissance de la sainte Écriture est donc indispensable
au prédicateur ; mais cette connaissance ne peut s'acquérir
qu'au moyen d'une étude profonde, constante, jounialière; ce
n'est qu'en la méditant sans cesse qu'on peut se la rendre
familière et s'en approprier la doctrine et les expressions. Et
d'ailleurs l'expérience comme l'autorité des hommes les plus
doctes et les plus pieux prouve qu'on découvre chaque jour
dans cette mine féconde desbeautés et des richesses nouvelles.
Divinam scripturam ssepius lege (1), dit saint Jérôme à son
cher et fidèle Népotien, imo de manibus iuis nunquam sacra
lectîo deponatur ; disce quod doceas, obtine eum^ qui secundum
doctrinam est, fidelem sermonem, ut possis exhortari in doctrina
sana et cont^mdicentes revincere.
On dit qu'il est difficile de composer une bonne instruction
Nous ne le contestons pas ; mais qu'il nous soit permis de dire
qu'avec l'étude approfondie de l'Écriture sainte, un très-grand
nombre de prêtres pourraient surmonter les difficultés, dont
il nous semble qu'on s'effraie beaucoup trop. A l'exemple de
tous les saints prêtres, livrons-nous avec courage à cette étude.
Dans une première lecture suivons la Bible en entier, en nous
attachant à connaître le vrai sens du texte, à l'aide d'un court
commentaire, celui de Ménochius par exemple. Lisons la
encore une seconde fois, et marquons les différentes parties
qui nous semblent offrir plus de ressources pour la prédication.
(1) S. Aug., de Fera religione, c. n.
(2) S. Hi ron. Epist. ad Nepot.
Dec. 18fi3.j ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION. 547
Et puis, prenant ces parties les unesaprèsles autres, méditous-
ea profondément et le fond et la forme ; confions à notre
mémoire les morceaux les plus saillants; repassons-les sans
«esse dans notre esprit, dans nos maisons et dans nos voyages,
en nous levant et en nous couchant, selon cette parole du
Deutéronome : Meditaberis in eis sedens in domo tua,et ambulans
in itinere, dormiens atque consurgens (t) / cherchons le parti que
nous pouvons tirer de tel ou tel passage pour tel ou tel sujet;
indiquons dans un cahier par ordre alphabétique et l'endroit
du texte et nos impressions ; et soyons assurés qu'après une
étude ainsi conçue et ainsi dirigée, nous serons riches de
pensées et d'expressions.
S'agit-il de composer un sermon? A l'aide de tant de bous
livres, il n'est pas extrêmement difficile d'élablir sur un sujet
d'une utilité pratique un plan suivi, avec une division ou deux
points qui ne rentrent pas l'un dans l'autre , deux ou trois
subdivisions ou chefs de preuves accompagnés de quelques
applications ou détails de mœurs. Cela fait, la connaissance
que nous aurons acquise de l'Ecriture sainte nous fournira
beaucoup plus de passages qu'il ne nous en faudra. Et pour
peu qu'on se soit exercé à lier quelques idées, à construire
quelques phrases, onécrira sans une grande peine son discours ;
dans la chaleur de la composition, les impressions anciennes
se réveilleront, et les allusions les plus heureuses, les propres
paroles de l'Ecriture viendront se placer comme d'elles-mêmes
sous la plume. Un sermon ainsi fait, pourra bien manquer à
<juelques-uncs des règles de l'éloquence profane; il péchera
peut-être en quelques points contre l'unité du sujet ; la période
ne sera pas toujours bien arrondie, la phrase bien cadencée,
il y aura quelques dissonances dans les mots, quelque impro-
priété dans l'expression; mais ce sermon sera un discours
utile, un discours chrétien, ce sera la parole de Dieu. Et tan-
(I) Deutcroa. m, 7.
S48i ÉTUDES SUR LA PHÉDICADION. [ToinoMlI-
dis que l'orateur disert^ en laissant son auditoire froid et glacé,
n'excitera que l'admiration de quelques hommes superficiels,
de quelques femmes vaines et légères, l'orateur chrétien, le
vrai prélicateur tiendra suspendues à ses lèvres les masses ef-
frayées ou attendries. Il ne songeait qu'au triomphe de la
vérité et à la gloire de son Dieu : les gémissements et les larmes
des pécheurs lui apprendront qu'il a frappé juste et lui décer-
neront les palmes du vrai mérite : Lacrymse auditorum laudes
iux sint (1). C'est bien ici le lieu de s'écrier avec le cardinal
Maury, faisant l'éloge de l'éloquence tout évangélique de
Bridaine : «Orateurs qui ne songez qu'à votre seule renommée,
« reconnaissez ici votre maître ! Tombez aux pieds de cet
« homme apostolique, et apprenez d'un missionnaire ce que
a c'est que la véritable éloquence ! Le peuple ! le peuple !
« voilà le véritable, le premier juge de votre talent, et dans
a votre carrière, l'infaillible et suprême dispensateur de la
a gloire (2). »
Toutefois, on doit le reconnaître , plusieurs, quoiqu'en
moindre nombre qu'on ne pense, sont dans l'impossibilité de
composer un sermon. Il faut pourtant qu'ils instruisent :
nécessitas iacumbit. Ils le feront dans de courtes homélies, dans
l'explication du catéchisme, explication raisonuée pour le
peuple, toute simple pour les enfants.
Quant aux homélies, le plan, la suite, les sujets, les détails,
tout est prêt pour celui qui a quelque connaissance de la
sainte Écriture. Qu'il lise attentivement et d'avance l'Évangile
iixé pour chaque dimanche ; avec l'aide de quelques livres,
le prêtre le plus médiocre se mettra à même de dire à son
peuple d'excellentes choses, et pour peu qu'il ait d'exercice,
de piété et de zè'.e, il sera souvent très-heureux, et intéres-
sera d'autant plus son auditoire qu'il se présentera avec
moins de prétention et d'apprêt.
(1) S. Hieron. Evisl. ad Nepot.
(2) Maury, jBssaî SMr Céloquence^ I. i, p. 156.
Dec. 1863.1 ÉTUDES SUR I.A PRÉDICATION. ;J49
S'agit-il de l'explication de la doctrine chrétienne ? La reli-
gion repose, ainsi que nous l'avons déjà dit, sur les faits évan-
géliques ; souvent le pasteur n'aura qu'à rapporter ces faits à
nos grandes solennités de l'Annonciation, de Noël, de Pâques,
de la Pentecôte; l'histoire des grands événements que rap-
polieiit CCS fêtes fera tous les frais du prône; et si le pasteur
a su saisir la manière si naïve, si populaire, si dramatique des
historiens sacrés, il verra, à l'attitude de son peuple, qu'il a
trouvé le secret de le charmer.
On trouvera dans les livres historiques, dans les paraboles
de l'Evangile, dans la vie de J.-C. et des Apôtres, mille traits
qui feront toucher du doigt la vérité, et les moyens les plus
efficaces d'intéresser les plus grossiers, de fixer l'attention
des plus volages. Ne vaudrait-il pas mieux meubler sa mémoire
des récils si authentiques de nos Livres saints, que de certaines
histoires sans gravité, sans autorité, qui ressemblent parfois
à des contes puérils, et avec lesquelles un homme trop simple
ou peu judicieux peut compromettre la religion dans l'esprit
des gens sensés.
Que n'aurions-nous pas à dire des avantages que donne au
prêtre la connaissance des Livres saints pour la plupart des
autres fonctions de son ministère ? Mais il est temps de terminer
cet article.
Puissè-je avoir montré que l'étude de l'Écriture sainte
fournit au prédicateur d'innombrables richesses. Quoiqu'il eu
soit de mes paroles, le prêtre pénétré de l'esprit de foi n'en de-
meurera pas moins empressé pour une étude aussi précieuse,
parce qu'il aura toujours présente à l'esprit cette recomman-
dation de l'Apôtre : Attende lectioni... Omnis sc7'iptura divinitus
inspirata utilis est ad docendum, ad arguendum, adcorripienduniy
ad erudiendum injustitia (1).
Barciet,
Chauoine-archiprêtre d'Aucli.
(1) 1 Tim. IV, 13 ; — II Tim. m, 16.
PATRONS ET TITULAIRES
DES EGLISES NON CONSACREES.
Depuis quelques années, il se répand une opinion ayant
trait à l'une des questions les plus graves, et en même temps
les plus pratiques de la science des saints Rites : différents
Ordo en font mention dans leurs prxnotanda ; des Revues s'en
occupent, quoiqu'un peu superficiellement; des auteurs ré-
cents en ont même écrit, mais sans s'inspirer assez et de la
véritable teneur des décrets de la Sacrée Congrégation des
saints Rites, et de la belle et profonde doctrine des maîtres de
la science liturgique. Nous allons essayer de combattre cette
opinion, ou plutôt d'exposer dans toute son ampleur, de bien
préciser, et en elle-même et dans ses conséquences, la grande
vérité, autour de laquelle elle s'exerce sans la saisir, sans lui
donner tous les droits qu'elle a, soit à l'attention publique,
soit à l'observation exacte des principes qui en dépendent.
Énonçons tout d'abord, d'une manière claire et formelle, la
pensée qui forme la base de cette opinion : elle suppose que
les patrons ou titulaires des églises, des oratoires publics n'ont
pas de condition liturgique. (Nous userons, dans le cours de
cet article, d'un langage, de termes un peu techniques, re-
quérant même d'assez amples notions liturgiques; tout cela
est plus que permis avec les lecteurs habituels de la Revue
des Sciences ecclésiastiques; c'est une haute convenance pour
eux, ce sera pour nous un grand avantage.) Avant d'examiner
de près la valeur des principes sur lesquels prétend s'appuyer
la question qui nous occupe, il sera utile de faire quelqm^s
Dec. 18C3.1 TAIRONS ET TITULAIRES DES ÉGLISES NON CONSACRÉES. 5b^
observations générales, qui sont de nature, ce nous semble,
à jeter un grand jonr sur toute cette matière.
Les patrons ou titulaires des édifices députés au culte divin
et tout spécialement à la célébration du Saint-Sacrilice, pour
avoir une condition liturgique, doivent leur être attribués,
imposés par la sainte Eglise elle-même d'une manière solen-
nelle, c'est-à-dire par l'action de ses ministres, lesquels, gé-
néralemeut ou spécialement qualifiés à cet effet, accomplissent
en son nom les cérémonies saintes qu'elle a déterminées dans
ce dessein : ces cérémonies sont la Dédicace ou consécration,
strictement réservée aux évéques, et pour cela, décrite seule-
ment dans le Pontifical; la bénédiction d'une église nouvelle
ou d'un oratoire public, exprimée dans le Rituel, qi:i peut
être confiée à un simple prêtre, en vertu d'une délégation
spéciale de l'ordinaire du lieu. — Primitivement, la dédicace
ou consécration était seule emplo3'ée et se trouvait même ab-
solument obligatoire pour tous les lieux du moins où devait
être ofïert le Saint-Sacrifice, ainsi qu'il appert de ce texte re-
marquable de Benoît XIII {In Concil. Roman., tit. xxv, c. 1) :
« Antiqua mandant Sanctorum Patrum décréta, ut sicut non
« alii possuut quam sacrati Domino saccrJoies, sacia pera-
« gère, et liostias offerre super allare, ita non alibi, nécessitas
« nisi summa coegeril, quam in Deo dedicatis locis, i. e. in
« Tabernaculis, divinis ab Episcopo precibus delibutis, divina
(( deljeiit sacriticia celebrari. Incumbant quocirca episcopi,
6 ut ecclesise saltem catbedrales et parocbiales et majora ip-
(1 5orum altaria solemniter consecrentur. » Disons-le en pas-
sant, la doctrine reiifermée dans ce texte n'est pas tout-à-fait
conforme à celle communément admise aujourd'hui en France :
tout récemment, cette doctrine, si on peut lui donner ce
nom, figurait dans la bouche d'un auteur réputé grave, ayant
écrit en latin et publié plusieurs traités de théologie morale,
ainsi qu'on dit vulgairement; cet auteur affirmait qu'on ne
peut consacrer que des cathédrales ou des édifices équivalents,
bb2 PATRONS ET TITLLAinES (Tome Mil.
monnmeDtaiix, mais que de simples églises, même parois-
siales, ne sauraient prétendre à cet honneur.
A quelle époque le rite de la consécration, cessant d'être
strictement obligatoire, a-t-il été remplacé par celui de la
bénédiction solennelle ? — Le docte Fornici [Inst. lit., part, m,
c. 9), résumant, suivant son habitude, tout l'enseignement,
déclare que les auteurs s'abstiennent communément de préci-
ser le temps auquel s'est opérée cette substitution. Mais une
chose est certaine, dit Paul Carli [Bibliotheca hturg., v. Eccle-
sia), s'autorisant de la doctrine de Catalani [Comm. in Rit,,
vol. II, tit. VIII, c. 29\, de celle de Cavalieri (vol. I, c. il, dec. 3),
de Barrufaldus {In Rit., tit. lxxii, n. 88); c'est que la bénédic-
tion n'est employée, en un sens, que provisoirement : « In
« subsidi'.im et ad modum provisionis, non autera de natura
« loci tam digni, cui de jure consecratio adbibenda est. » De
sorte que, loin d'exclure la dédicace qui pourrait avoir lieu
subséquemment , elle l'attend plutôt et la réclame. C'est
d'ailleurs ce qu'insinue assez clairement le Rituel par ces
paroles : « Ecclesia vero quamvis a simplici sacerdote, ut su-
« pra, benedicta sit, ab Episcopo tamen consecrauda est. »
{Ritus bened. nov. eccl. seu orat. publ.) Ces termes ont paru
même si expressifs à Castaldus, qu'il l'ont déterrai ué à les
commenter ainsi : « Ecclesia autem hoc modo a simplici sa-
« cerdote benedicta, débet omniuo, opportuno tempore po-
0 stea ab Episcopo consecrari. »
Or, quoique le rit de la bénédiction soit un cérémonial in
subsidium, per modum provisionis relativement à la consécra-
tion proprement dite, il ne laisse pas d'avoir avec elle d'in-
times rapports quant aux effets. « Ainsi, dit Fornici {ioc. cit.),
les oratoires seulement bénis sont et demeurent perpétuelle-
ment voués à Dieu tout aussi bien que les églises qui ont été
solennellement consacrées, et c'est pour ce motif, continue le
même auteur, que les oratoires érigés dans les demeures pri-
vées, ne pouvant pas être voués perpétuellement à Dieu, mais
Dér, 1863.1 Ï^ES ÉGLISES K0.\ CONSACRÉES. 553
seulement selon le bon plaisir de celui qui jouit du privilège
des dits oratoires, ne sauraient être l'objet de la bénédiction
solennelle prescrite par le Rituel ; on doit seulement les sanc-
tifier par l'aspersion, en faisant usage de la formule de prière
générale et commune que le Rituel indique pour la sanctifica-
tion d'yne maison nouvellement édifiée. »
Examinons à présent, d'une manière directe et positive, la
valeur de l'opinion que nous avons indiquée. — Il est hors
de doute que les titulaires ou patrons des églises et oratoires
solennellement bénis ont toute la condition liturgique que le
droit reconnaît à ceux des édifices solennellement consacrés.
Un décret de la Sacrée Congrégation des Rites fixe irrévoca-
blement ce point de la doctrine liturgique considéré en tant
que principe : ce décret est du 21 juin 1740. C'est ce que dé-
montre avec la dernière évidence l'illustre Cavalier! (vol. I,
c. 2, déc. 3), le prince des commentateurs des décrets litur-
giques.^ainsi que le désigne Gardellini, si bon juge en pareille
matière. Après s'être posé toutes les objections qui pouvaient
être faites à ce sujet et les avoir viclorieuseaient réfutées,
Cavalieri développe la doctrine sur laquelle repose ce décret
mémorable. iVoici une idée sommaire de son enseignement :
1° Les rubriques, en faisant mention du titulaire ou patron
d'ime église, ne disent absolument rien de la circonstance de
sa consécration; 2» le patron ou titulaire d'une église, suivant
tous les auteurs, étant le saint ou le mystère sous le nom du-
quel cette église a été érigée et vouée au culte divin, il en est
de ce nom comme de celui qu'on impose à l'enfant au bap-
tême : il sert à la désigner, ainsi que cbaque fidèle est
désigné par le nom qui lui a tté donné dans la sainte cérémo-
nie baptismale Or, toute église, d'après le rit de la bénédic-
tion, reçoit aussi bien que suivant celui de la consécration la
dénomination d'un saint, d'un mystère ; donc, en toute ri-
gueur de principe, ce saint, ce mystère en devient vraiment
le patron ou le titulaire : £rgo in omni omnino rigore res illa,
Sj4 patrons et titulaires ITumc Vîîl.
sanctusilleest ej usdem titularis aut patronus. Etde fait, coDiinue
ce même auteur, ce lieu ainsi bénit passe d'un état profane à
un état saint, qui le rend participant de tous les privilèges, de
toutes les immunités que le droit civil et le droit ecclésiastique
attribuent aux édifices sacrés, et il en jouit absolument comme
s'il eût été sanctifié par la consécration proprement dite;
Mais il faut à l'instant répondre à une question, qui, pour
être en soi secondaire, ne laisse pas de dominer par sou im-
portance pratique dans toute cette matière, et d'être même,
on peut du moins le penser, la seule et vraie cause de l'er-
reur que nous combattons ici. En effet, celte question jette
dans plusieurs esprits une grande confusion, et, s'y trouvant
mêlée à la première, empècbe d'en bien saisir toute la por-
tée ; c'est à notre avis la principale, pour ne pas dire la
seule raison qui a occasionne, même après le décret si formel
du 21 juin d710, tant d'indécision, tant d'erreurs en cette ma-
tière. Que faut-il entendre ici par église seulement bénite,
dont le titulaire ou patron doive prendre rang dans les droits,
privilèges et prescriptions liturgiques? Nous dirons d'abord,
toujours avec le savant Cavalieri, qu'il ne saurait être ques-
tion ici de patrons ou titulaires d'oratoires, de chapelles, d'an-
tels compris dans l'enceinte d'un édifice religieux, tout en
faisant mention, pour être scrupuleusement exact, qu'il a
existé autrefois une assez forte controverse à ce sujet, la-
quelle a élé dirimée par le décret du 28 août 1628; ce décret
paraît avoir été ignoré jusqu'à la publication de la Collection
authentique de Gardellini.
En second lieu, il ne peut s'agir ici non plus des oratoires
érigés dans des maisons privées ou ailleurs, mais sans une
destinalion exclusivement et perpétuellement religieuse, qu'on
leur attribue ou non des patrons ou des titulaires ; car ces
oratoires n'étant pas, ne pouvant pas être bénits solennelle-
ment, ainsi qu'il a été observé plus haut, n'ont pas reçu de la
sainte Église, dès lors ne possèdent pas, à proprement parler,
de patron, de titulaire.
DJc. 18G3.] DES ÉGLISES KON CONSACRÉES. 555
Ici se présente d'elle-même une question qui ne manque pas
de gravité : tout le monde sait que, parmi nous, il arrive assez
souvent qu'on fait usage de ia béuédiclion solennelle pour
sanctifier des oratoires purement privés ou des chapelles qui
ne doivent servir que temporairement au culte. Quid juris?
Qu'une telle bénédiction soit pleinement illicite, il ne peut
exister aucun doute à cet égard, attendu qu'en l'employant,
ou viole une loi ecclésiastique positive, qui ne ressort pas
seulement de l'enseignement général de la sainte Église concer-
nant cette matière, mais qui se trouve, de plus, formellemciit
consignée dans une de ses ordonnances (Dec. Il aug. 1820).
Cette bénédiction devient-elle, en outre, radicalement nulle?
Il nous semble qu'on pourrait l'affirmer sans crainte : il s'agit
ici d'une prescripliou positive et générale reposant même sur
de très-graves motifs d'une valeur intrinsèque. Ou sait qu'en
pareil cas le Souverain-Fontife seul, usant de son pouvoir
plein et absolu, peut octroyer une dispense de nature à
légitimer un acte opposé.
Nous dirons en troisième lieu que s'il s'agit de tout autre
édifice religieux, qu'on lui donne le nom d'oratoire, de cha-
pelle, ou tout autre de ce genre, nul doute qu'on ne doive
en honorer le titulaire ou le pati'on, selon toutes les prescrip-
tions liturgiques qui règlent ce point de disciphne, quoique le
dit oratoire n'ait pas été consacré, mais seulement solennel-
lement bénit. « Si sermo sit d3 capellis, prout earumdem nu-
a mine veniunt sacella, oratoria vel ecclesiolae in quibus missa
« celebratur, non dubitamus earumdem titulumvelpatronum
<( cum officie et missa sub ritu dupl. 1. cl. cum octava excoli
« debere, tametsi non sit consecrata sed solummodo bene-
« dicta, cum ad festivitatem de titulo inducendam juxta prae-
« sens decretum, consecratio non requiratur sed benedictio
« sulficiat : ratio autem horum est quia prsefatse capellae pu-
« blicse veniunt nomine ecclesite.» (Vol. I, c. ii, dec. 3, n. 22.)
Ainsi parle Cavalieri, lequel qualifie celte doctrine de senti-
5^6 PATRONS ET TITULAIRES [Tom- VIII.
ment commun parmi les Jiturgistes. C'est, en effet, celui de
Guyet, du Parnormitain, de Syivester, de Diana, de Leau-
der, etc.
Toutefois, cette même doctrine doit paraître pour le moins
étrange à tous ceux qui, lisant le présent article, ont pu voir
cette matière traitée en d'autres Revues, et, à l'instant, il leur
est venu à l'esprit le décret du 12 novembre 1831, que ces
Revues ne cessent de produire, l'accompagnant de nombreux
commentaires, et cela, chose étonnante ! sans l'avoir jamais
compris; on pourrait dire plus, sans l'avoir jamais bien lu.
Une réflexion d'abord se présente tout naturellement. Per-
sonne n'ignore que les Congrégations romaines sont l'au-
torité la plus grave, non-seulement par l'éminence de la di-
gnité des membres qui les composent, mais aussi et plus en-
core, si c'est possible, par la science vaste et profonde dout ils
sont ornés. C'est dire peu, en affirmant qu'ils se trouvent
parfaitement au courant de la doctrine ayant quelque rapport
avec les questions qu'ils ont à résoudre. Si on avait le moindre
doute à cet égard, on n'aurait qu'à jeter un coup d'œil sur
le travail préparatoire du premier consulteur venu ayant à
rendre compte d'une difficulté proposée: on verrait à l'instant
qu'il n'est rien de plus complet en fait d'observation, de cri-
tique, d'érudition, en un mot, pour tout ce qui tient à la vé-
ritable science. Une autre chose est également certaine : c'est
que rarement, ou pour mieux dire jamais, les réponses que
donnent les Congrégations ne se trouvent opposées au senti-
ment commun des docteurs; très-souvent, au contraire,
même en matière fortement controversée, elles se bornent à
dire : Probatos consulant auctorcs. Cela étant, comment aurait-
il pu arriver que le décret du 12 novembre 1831 eût le sens
qu'on lui attribue, lequel se trouve en opposition formelle
avec l'enseignement que nous venons d'exposer, et qui est
bien, en effet, au témoignage de Cavalieri, le sentiment com-
mun des docteurs ?
Dec. 13G3.1 DF<î ÉGHSE3 NON CONSACRÉES. bbl
Mais répondons directement à la difficulté qu'on fait à ce
sujet. 1° La demande adressée à la Congrégation est d'une
généralité, d'un vague remarquable, dénotant une ignorance
peu commune des notions les plus élémentaires de la science
liturgique ; elle exigerait sept ou huit sous-questions, et en-
core parfaitement circonstanciées , pour être suffisamment
claire et précise : on_. demande purement et simplement si la
fête du titulaire des chapelles publiques, des oratoires qui
existent dans les demeures épiscopales, les séminaires, les
hôpitaux, les communautés des Réguliers, les maisons pri-
vées, doit être célébrée, etc. La réponse est ce qu'elle devait
être, ce qu'elle est toujours en pareil cas, négative. Notez en-
core qu'il n'est fait nullement mention dans la demande du
fait de la bénédiction solenuelie^des dits oratoires, point fon-
damental duquel dépend rigoureusement la légitimité des
patrons et titulaires.
La plupart de ces observations s'appliquent aussi à un autre
décret du 12 septembre 18i0, duquel on prétend s'autoriser.
La question posée, quoique plus simple, puisqu'elle ne con-
cernait que l'oraisou A cunctis, n'ayant pas la précision et la
clarté convenables, la réponse est aussi négative, ainsi que
pour le décret précédent. On le voit, les écrivains qui ont
voulu trouver dans ces décrets une doctrine opposée à celle
des maîtres de la science liturgique, n'ont pas été fort heu-
reux, à tout le moins, dans leurs déductions.
Mais voici une dernière preuve qui doit clore absolument le
débat. En 1852, la société de Marie, dont la maison principale
est à Lyon, ne se trouvant pas pleinement satisfaite appa-
remment de l'interprétation qu'on donnait aux décrets de 1831
et de 1840, adressait pour sou usage particulier à la Sacrée
Congrégation des Rites une demande qui avait au moins l'a-
vantage d'être très-claire, très-précise, pleinement circonstan-
ciée : on sollicilait d'abord une règle sûre, positive et authen-
tique, pour discerner l'oratoire public susceptible de la béné^
SS8 PATRONS ET TirULAIRES |Tomo VIU -
diction, de l'oratoire strictement privé, qui ne peut en être
favorisé ; en second lieu, dans la prévision que cette règle
serait (ce qui arrive en effet) celle-là même que donnent
généralement les auteurs et notamment Gardellini, dont la
Sacrée Congrégation aime tant à s'inspirer dans ses décisions :
Oratoria publica illa sunt qux cunctis patent et in viam publi-
cam habent apertum ostium (aduot. ad dec. 11 mart. 1820), il
avait été exprimé que la société de Marie avait plusieurs ré-
sidences possédant des oratoires dans les susdites conditions,
ayant été bénits solennellement par l'ordinaire du lieu lui-
même ou par un prêtre à ce très-spécialeraent délégué par
lui. La Sacrée Congrégation répond qu'on doit solenniser la
fête de leurs patroiis ou titulaires, en faire le suffrage, etc.,
ajoutant cette restriction, qui manifeste si bien toute sa pen-
sée : Ab us tantum qui inho.bitant domum qux o.dnexum habet
prxdictum oratorium. Ce décret important est du l^"" avril
1852 ; nous avons eu l'avantage d'en avoir entre les mains le
texte authentique et de le lire plusieurs fois attentivement. Il
est à regretter que la Revue intitulée : Analecta juris Ponti-
ficii, qui se publie à Rome, n'ait pas eu la bonne fortune,
ainsi qu'en d'autres occasions, de rencontrer le décret en
question ; publié par elle, ce décret, vu la grande circulation
dont elle jouit, aurait dissipé, ou plutôt prévenu bien des
incertitudes, bien des méprises, bien des erreurs mêmes, et la
simple lecture de ce décret si précis et si formel aurait suffi
pour ne point permettre qu'on en vînt, entre autres choses, à
faire usage eu cette circonstance, dans un article assez étendu
concernant cette matière, d'un langage assez mal sonnant d'a-
près lequel on désigne à plusieurs reprises, sous le nom de
Congrégations séculières^ les corps religieux approuvés par le
Saint-Siège et émettant des vœux simples et perpétuels.
Si nous nous permettons de relever cette manière de s'ex
primer, ce n'est pas pour faire une difficulté de mots à l'au-
-teur qui l'emploie, encore moins pour lui reprocher de ne
Bée. 18G3.] DES ÉGLISES NON CONSACRÉES. 559
pas savoir que les instituts religieux à vœux simples et perpé-
tuels ne difierenl pas, quant à l'essence, de ceux qui émettent
des vœux ou solennels ou solennisés ; mais il nous a paru im-
portant pour la cause de la vérité, en ce qui touche à la
liturgie, de ne pas laisser supposer que les nouvelles Sociétés
régulières que le Saint-Siège approuve en ces temps ne sont
pas à ses yeux sur le même rang, au moins pour tout ce qui
concerne les prescriptions liturgiques, que les anciens corps
approuvés antérieurement. C'est d'ailleurs ce que vient de
confirmer, avec une force et une évidence qui peut-être ne
s'était pas encore produite jusqu'à ce jour, le décret qui ac-
corde un Calendrier propre à la société du Très-Saint-Sacre-
ment, approuvée, comme on sait, dans le courant même de
cette année. Nous transcrirons sur l'authentique même ledit
décret à la fin du présent article.
Après ces données diverses, nous dirons, en énonçant une
conclusion directe et succincte, que, et suivant la doctrine des
auteurs, et suivant la teneur des décrets du Saint-Siège, il est
indubitable que les titulaires ou patrons des oratoires publics
solennellement bénits, jouissent de tous les droits liturgi-
ques qui afférent à ceux des églises consacrées; c'est-à-dire :
l** que les ecclésiastiques qui desservent ces oratoires leur
sont atî.ach(''S en toute rigueur de service; les religieux ou
autres, tels que séminaristes, qui résident dans des maisons
auxquelles sont annexés les dits oratoires, doivent en célébrer
l'oûice sous le rit double de première classe avec octave, et
en faire mémoii-e aux suffrages toutes les fois qu'il y a lieu,
2° Que tout prêtre offrant le Saiut-Sacrilice dans ces mêmes
oratoires doit exprimer le nom de leurs patrons dans l'oraison
A cunctis, quand il arrive que celte collecte est prescrite par
les rubriques.
Ph. m.
Voici le décret concernant la société du Très-Saint-Sacre-
ment, dont il a été fait mention ci-dessus.
560 PATRONS ET TITCL DES ÉGLISES NON CONSACRÉES. [Tome Vils
SOGIETATIS PRESBTTERORUM SANCTISSIMI SACRAMENTI.
Quum Alumni Societatis Presbyterorum Sanctissimi Sacra-
inenti nuperrime in Gallia erectae et a Sancta Sede canonice
approbata; die 8* mox elapsi Mensis Maii, vehementer cupe-
rent etiam in recitatione Horarum Cauouicarum et celebra-
tione Sacrosancti Mistse Sacrificii, arctius adheerere Sauetae
Romanai Ectlesiœ, sacerdos Petrus Juiianu.s Eymard, institu-
tOïT Societatis ip.'ùns, Sanctissimo Domino Nostro Pio Papoe IX
humillime supplicavit ut suprema Auctorilate sua decornere
diguaretur, (piod in omnibus Societatis domibusperpetuo non
alius aJhibeatur Ordo Divini Oiïicii persolvendi, et Sucro-
saincti Missse Sacrificii celebraudi quam ilie qui quovis anno
typis cusus proponitur Clero Sœculari Almae Urbis, cui quidam
Ordini conformare se unice debeant omnes et singnli Societa-
tis Alumni. Sanctitas porro Sua, refeiente subscripto Sacro-
rum Rituuni Congregationis Secretario, precibus clementer
annuere dignita est, attamen sub condilioue, ut Kalendario
Romauo addere debeant testa diœcesana, uinairum Sancti prse-
cipui Patroni loci, Titularis, et Dedicationis Ecclesiœ Cathe-
dralis, ad qua& juxta Rubricas et Décréta etiam Reguîares te-
nentur. Coutrariis non obstantibus quibuscumque.
Die 11 juuii 1863.
G. Ep. PoRTDENs. et S. RuEiN^ Gard. Patrizi
S. R. C. Prsef.
Loco t sigil.
D. Rartolini s. R. C. secretarius.
DES EGLISES.
1. Différents noms donnés aux églises des chrétiens. — II. Diverses
espèces d'églises. — III. Des basiliques.
§1.
Des différents uoius donués aux églises des chrétiens.
Les chrétieus donnèreut de bonne heure à leurs temples le
nom d'églises. Les mots templum et fanum désignant les temples
des païens, les chrétiens évitèrent de s'en servir, et il faut
entendre eu ce sens, comme le fait remarquer Médus, le té-
moignage d'Origène, de Lactanoe et autres écrivains ecclésia-
stiques, d'après lesquels les chrétiens n'eurent pas de temples.
Chez b.s Grecs, le mot éxxXviffta signifiait l'assemblée du
peuple. On le trouve employé dans ce sens chez les écrivains
du Nouveau-Testament. ^"^ cum hoc dixisset, dimisit ecclesiam
(Act. XIX, 40). Mais dans la première épître de saint Paul aux
Corinthiens (xi, 22), nous lisons : Numquid domos non habe-
tis ad manducardum et bibendum? aut ecclesiam Dei contenmi-
tis? Ici l'apôtre entend par église le temple sacré, comme
il est hors de doute et comme l'interprètent saint Augustin,
saint Basile, saint Jean Ghrysostôme, Sédulius et Théophy-
lacte.
En parcourant les difierents monuments relatifs aux églises
des chrétiens, on les trouve encore désignés sous divers autres
noms, tels que ora/orjum, dominicum, basilica, templum ^ titulus,
062 DES ÉGLlvES. [TomeYHI.
prophetxum, apostolxum, martyriuni, mensa, sacellum, capella,
ecclesiastirion, trophxa ou tropxa, area, casa.
Le mot oratûrium {orare) signifie lieu consacré à la prière.
Mais cette dénomination s'applique spécialement aux temples
moins considérables et manquant de certaines conditions ca-
noniques pour êtres des églises proprement dites. Il en a été
question t. vi, p. 259.
Le moi dominicum [domus domini] correspond au mot xuptaxY}
des Grecs, d'où le nom .germanique Kercke ou Kirch, et le mot
anglais Chuvch. Celte dénomination employée par les histo-
riens a fait dire à certains auteurs que la religion chrétienne
a été portée en Angleterre par les Grecs. La conséquence est
loin d'être rigoureuse. Les Latins, en effet, comme le remarque
Asséraani, ont retenu beaucoup de mots grecs et ont donné
à beaucoup de choses des noms tirés de Ja langue grecque.
Le mot basilica {domus regia) a surtout été employé au qua-
trième et au cinquième siècles, soit, dit le cardinal Bona,
a propter aedificii magnificentiam, vel quia ibi Régi omnium
« Deo cultusetsacrificia ofierunîur, vel quia profanse basilicse
« in ecclesias Dei coriversse sunt. » On appelait basiliques cliez
les anciens Romains des édifices publics ornés de portiques et
eutonrés de promenades magnifiques, où les princes et les
magistrats rendaient la justice. Les empereurs donnèrent
quelques-uns de ces édifices aux chrétiens pour en faire des
églises. Saint Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme se
servent souvent de cette expression. Aujourd'hui, le mot
basilique exprime un titre donné à une église, litre eu vertu
duquel cette église jouit de certains privilèges. Nous en parle-
rons ci-après.
Pour les raisons ci-dessus énoncées, il esta peine un auteur
chrétien qui se soit servi du mot templum pendant les trois
premiers siècles de l'Église. Après la destruction du paga-
nisme, plusieurs historiens commencèrent à l'employer. Quant
au mol fanum, jamais il n'a été employé que pour désigner
D<5c. 18G3.] DES ÉGLISES. o65
les temples des païens ou des hérétiques, et toutes les fois que
les auteurs expriment de la douleur ou de l'indignation sur
leur existence ou leur érection.
Le mot titulus signifie titre bénéficiaire, ou encore le titre
donné à l'église dans sa consécration ou bénédiction , ou
enfin le titre de la croix placé à la porte de l'église. 1° D'après
'ancien usage adopté à Rome,, ou donne le nom de titre ou
église titulaire aux églises les plus insignes auxquelles étaient
préposés des cardinaux-prêtres, suivant une bulle de Sixte V,
du 13 mai 1587. « Religiosa sanctorum Poutificum... provi-
« dentia institutum olim fuit... ut S. R. E. presbyteris^ certse
« in Urbe Roma Ecclesiae, tituli appellatœ, quasi quœdam
« proprise cujusque diœeeses, etc. Qiiœ quidera sancta institu-
« tio... ita viget ut prceter sexepiscopos cardinales, qui certis
(( calhedralibus ecclesiis Urbi finitimis prsesunt, singulis pres-
« byteris, et diaconis cardinalibus proprise in Urbe ecclesise,
« tituîi videlicet et diaconise cum suis clero et populo, ac
a quasi episcopali jurisdictione in spiritualibus et teniporali-
« bus regendae et administrandse committantur. » 2" Ces
tiUes se divisaient en titres proprement dits, diaconies et ora-
toires. Les diaconies étaient des hôpitaux, et les oratoires des
lieux sacrés où l'on ne faisait aucune fonction publique.
On a donné aux églises les noms de Prophetseunt, Aposto-
Ixum et Martyrium, suivant la quaUté des Saints auxquelles
elles étaient dédiées. Eusèbe et autres donnent le nom de
martyrium Salvatoris à l'église que bâtit Constantin sur le
Golgotha en l'honneur de Jésus-Christ Sauveur, et le plus
grand des martyrs. Les latins ont appelé cette église Memoria
Martyris. On a même donné le nom de Martyrium à une église
érigée à la mémoire d'un saint qui n'était pas martyr. On a
aussi désigné, suivant le témoignage de Sozomène, par Mi-
chxlium une église dédiée à saint Michel.
Le mot Mensa signifie la table commune où l'on offre le
divin sacrifice, et l'église que l'on bâtit sur le lieu du martyre
de saint Cyprien fut appelée Mensa Cypriani.
565 DES ÉGLISES. [Tofue Vlll.
L'expression sace/^w?n est un diminutif de sacer et signifie
un lieu saint de petite dimension. On doit donner la même
signification au mot capella. Il a été introduit dans la langue
par suite de la coutume de porter les reliques des saints. Les
français ont nommé chapelains les clercs chargés de porter à
la guerre châsse de saint Marlin {capsa ou cappa). De là le
nom de chapelle pour désigner les clercs, et aussi le lieu
de la prière. En Italie on appelle encore capella le chœur des
chantres (Ducange, Catalani Pontifical, t. ii, p. 470).
Pour le mot ecclesiashrion, « Aliud est ecclesia, dit Isidore
« lie Péluse (1. ii, p. 246), aliud ecclesiastirion : nam ea es
« imraaculatis animis constat; hoc aulem ex lapidibus et lignis
a aedificatur. n
Le nom trophxa ou tropxa est employé par saint Jérôme
(Ep. 18 ad MarcelL). Les églises, en effet, bâties sur les tom-
beaux des Martyrs sont des trophées élevés en l'honneur de
leur triomphe.
Le nom tabernaculum est employé pour désigner l'oratoire
que fit bâtir Constantin dans son expédition contre les Perses.
On le trouve aussi dans les saintes Ecritures.
Les noms à'area et ca&a ne demandent pas d'explication.
§•11
Des différeutes espèces d'églises.
Les églises se divisent 1° sous le rapport de la dépendance
les unes à l'égard des autres, en églises mcres et églises filles
{matrices, filiales) ; 2° sous le rapport de l'espèce, ou des fonc-
tions qui s'y font, d'après le droit, en primatiales, métropoli-
taines, cathédrales, collégiales, paroissiales, couventuelles ;
3° sous le rapport des fonctions qui s'y font, et aussi sous
celui de la nature et de l'importance de l'édifice, on les divise
en églises proprement dites et oratoires ou chapelles ; i" les
oratoires ou chapelles se divisent en chapelles ou oratoires
Dér, 1803. DES ÉGLISES. 0 .J
privés, et chapelles ou oratoires publics; o» certaines églises
jouissent de privilèges particuliers et sont décorées du titre de
basiliques majeures ou mineures.
Ou appelle église mère (matrix) celle à laquelle d'autres
églises sont subordonnées, et ces églises sont filles {filiales)
par rapport à celle-ci. On appelle primatiale l'église où se
trouve le siège d'un primat, métropolitaineVégWse où se trouve
le siège d'un métropolitain, et cathédrale l'église où se trouve
le siège de l'èvèqne diocésain Le mot cathédrale vient de
cathedra, siège, du trône de l'èvèque ,qui doit ?e trouver dans le
chœur de cette église, comme le prescrit le Cérémonial des
évoques. Dans une église qui n'est pas cathédrale, le trône de
l'ovéque ne doit point se trouver à demeure, suivant cette
décision de la Sacrée Congrégation des Rites. Question. « An
et episcopus Naulen. j^ossit in qualibet suœ diœcesis ecclesia
a erigere cathedram episcopalem et baldachinum, etiam
a teraporequo episcopus non residet, et functiones episcopaîes
« non exercet in dicta ecclesia, maxime si dicta ecclesia suae
« diœcesis parum distet, nempe per milliarium circiter ab ec-
« clesiacathedrali?» iRe/)onse«Juxtavotum,nempeNegative.T>
(Il juillet 1771, n. 3837, in Naulen.) On a])])<i\\e collégiale
celle où est un chapitre sans siège pontifical, et paroissiale,
l'église à laquelle appartient un peuple sous la direction d'un
curé. Ou appelle conventuelle l'église d'une communauté ap-
prouvée par l'Eglise. Elle se divise elle-même en régulière et
séculière, suivant que cette communauté se compose de régu-
liers ou de séculiers. On donne encore le nom d'églises à cer-
tains oratoires ou chapelles, à raison de leur importance ou de
la structure de l'édifice, quoique aucun peuple n'y soit attaché.
Ou appelle chapelles ou oratoires les églises conventuelles moins
considérables, ou les lieux sacrés qui sont à l'usage des évo-
ques ou des simples particuliers. Ces oratoires sont publics ou
privés. Les questions qui s'y rattachent ont été développées
dans l'article cité plus haut.
Î>(i6 DES ÉGLISES. [Tom Ylil.
§ IH.
Des Basiliques.
Ou cherche eu vain dans les auteurs des règles positives
touchant les privilèges dont jouit une église par le titre de
basilique. Tous ceux qui ont traité cette question se sont bor-
nés à discuter Tétymologie du mot, et à décrire les anciens
monuments appelés basiliques, dont il est parlé § 1. De
plus, les privilèges accordés à chaque basilique sont des
privilèges spéciaux à chacune d'elles et proportionnés à
leur antiquité et à leur célébrité respective. Les rensei-
gnements les plus positifs que nous puissions avoir sur
celte matière se trouvent dans une cause in Lucerina, du 27
août 1836. Sur la demande du chapitre de la cathédrale, cette
église fut érigée en basilique mineure par le pape Grégoire XVI,
in vertu d'un bref du 8 août 1834. Une autre demande du
même chapitre relative à l'usage des insignes pontificaux
dans les saintes fonctions à l'instar des abbés fut renvoyée
pas Grégoire XVI à la sacrée Gongrégalion des rites qui, le 6
septembre de la même année, rejeta celte demande, tout en
accordant à cette église les privilèges dont jouissent les basi-
liques mineures.
Dans l'exposé de la cause, après ce que nous venons de vap-
porler, il est dit : « Gum autem receusilis in litteris generice
« sermo instituatur de privilcgiis, graliis, prseemineutiis, ex-
ce eniptionibus, indultis,quibusah£ebasilic8e minores utuutur,
(( harumlitlerarum secretariumcanonici adiverunt postulantes
a ut sibi signifîcaretur, quidnam privilegiorum, gratiarum,
a cœierumqueprœmissoi'um nomme veniat, quibus dum titulo
« basilicœ minoris Ecclesia aliqua decoralur, illius canonici
« honestantur. Nulla apposita declaratione recepta per alium
tt supplicem libellum S. R. 0. humillime supplicarunt, ut sibi
<i siguificarelur quid eorumJemverborum seu vocum nomiue
Pcc. IPi'.3|. DKS ÉGLISES ."67
« veniret, atque hoc potissimura fine, ne aut concessionis
o fines ipsi excédèrent, aut aliquid ex sibiconcessisadimerent.»
La sacrée Congrégation a répondu : « Dilata, et cxquiratur
et votum magistri cœremouiarum ».
3. Celte réponse montrait déjà que la S. G. ne voulait pas
donner une décision sans avoir fait étudier la question.
Le votum du maître des cérémonies rapporte d'abord ce que
nous avons dit ci-dossus, touchant le silence des auteurs surcette
matière. Il entre ensuite dans quelques détails sur les édifices
publics qui portaient d'abord le nom de basiliques, et montre
comment les Souverains-Pontifes en ont fait un titre dont ils
ont honoré certaines églises insignes. Les basiliques, ajoute-
l-il, sont majeures ou mineures, c'est-à-dire, de premier ou de
second ordre. Les basiliques majeures sont les quatre prin-
cipales églises de Rome, savoir Saint-Jean de Latran, Saint-
Pierre du Vatican, Saint-Paul sur la voie d'Oslie, et Saiate-Ma-
rie-Majeure. Ces églises sont appelées patriarcales en mémoire
des quatre premières cathédrales patriarcales : la première,
suivant Macri et autres, représente le siège de Rome ; la
seconde celui de Cousiantinople ; la troisième celui d'Alexan-
drie, et la quatrièni'i celui d'Autioche.
4. Cela posé, quelle est la différence entre les basiliques
majeures et les basiliques mineures ? Quels sont les privilèges
des unes et des autres ? Et partant_, quelle est la signification
de ces paroles des lettres Apostoliques: «Regale et cathédrale
« templum Luceriae Neapolitani regni in basilicam minorem
« cum omnibus et siugulis privilegiis... quibus basilicae mi-
a nores utuntur, vel uti et frui possunt et poterunt, erigimus
« et constituimus. » Pour résoudn; cette question il suffit de
remarquer que parmi les privilèges dont jouissent les basi-
liques, il en est de communs à toutes, d'autres sont accordés à
quelques-unes seulement. L'usage du conopée ou padiglione (1)
(1) Oa enlend par là un petit pavillon que l'on porle aux proces-
sions
iJCS ' DES ÉGLISES. ITonie VIU-
et celui du tintinnabulum est accordé à toutes, et cet insigne
précède toujours le clergé de la basilique soit dans l'église,
soit lorsqu'il parait en corps avec tout le clergé. Dans toutes
les basiliques, l'habit de chœur est pendant l'hiver, la capo
ornée de peau d'hermine, et le surplis sur le rochet pendant
l'été. Outre ces insignes, communs à toutes les basiliques,
quelques-unes, comme Saint-Laurent in Damaso et Sainte-
Marie tyrans Tibenrn, ont obtenu la. paimatojna (1) dans quelques
Messes solennelles. 11 résulte de là que ce dernier insigne est
le seul sur lequel la concession pourrait être douteuse. Pour
confirmer ce qu'il vient de dire, le maître des cérémonies rap-
pelle une concession faite à une église du diocèse de Syracuse*
dans le même sens, avec cette restriction, qu'aux processions
où son clergé se trouverait avec celui de la cathédale, elle dé-
poserait ses insignes. Or cette dernière condition ne peut
exister pour Luceria, qui est elle-même une cathédrale. « His
« omnibus peracîis (conclut le maître des cérémonies), atienta
a dignitate cathedralis ecclesise,attentislitteris Apostolicis quse
« eidem cathedrali ecclesiœ minoris titulo honeslatse privilégia,
« praeeminenlias coucedunt quibus alise basiiicai minores
« gaudent, attentis aliarum minorum basilicarum exemplis,
« ne coucessio fruslanea et specie tantum data videatur, res-
« pondendum putarem : Per privilégia, prxeminentias , gratias
« intelligi conopxum, omni tamen auri et argenti ornatuexciuso,
a et tintinnabulum, usum cappx, ut supra dictum est ; quibus,
t EE.Pl^., si ad exemplumnonnullarum minorum basUicarum
« Urbis palmaioriam propria tantum in ecclesia addere velitis,
a haud quiJem repugnarem, cum aliquo modo Aposloiicas
« litteras favorabiliter inlerpretando posset in ludi, et ad R.
« D. secretarium, cum Sanctissimo. » La répunse définitive,
donnée le 27 août 183() (n" 4781) a été celle-ci ; « Juxta vutum
« magistri cairemoniarum, excepta palmatoria. » P. H.
{{) La palmatoria esl le bougeoir épi^copal.
I
LITURGIE.
Faut-il lire in honore ou in honorem, dans la prière
Suscipe, Sanctas Trinitas?
Il y a un peu plus d'une aunéo, un évêque d'Angleterre in-
vitait les membres do son clergë à changer les mois in honore
dans la prière Suscipe sancta Trinitas, telle qu'elle est impri-
mée sur les canons d'autel, en ces autres : in honorem, comme
étant la vraie leçon du Missel.
Ou trouvera sans doute que c'est revenir un peu tard là-
dessus, mais nous n'avons pu le faire plus tôt, et le sujel a
bien son importance.
Dans la prière Suscipe sancta Trinitas, que le prêtre récite
à l'autel après le Lavabo, les mots ob memoriam passionis, re-
surrectionis et ascensionis Jesu Ch?nsii Domini nosttn, sont suivis
dans certains Missels de la formule : et in honore beatse. Matrix
semper virginis, etc. Dans d'autres on lit : et in honorem, etc.
Cette dernière leçon paraît prévaloir aujourd'hui. Les der-
nières éditions de Rome, celles de Malines et celles de Paris
donnent m honorem; dans le Cérémonial de Baldeschi et dans
celui de M. Falise, où se trouvent au long les prières de la Messe,
on lit aussi in honorem. Cette leçon est donc appuyée sur de
graves autorités. L'erreur ne serait pas moins possible : d'au-
tant mieux que dans les livres anciens, Vm final était souvent
remplacé par un trait.
Le P. Lebrun {Cérémonies de la Messe, part, m, art. ix)
soutient qu'il faut dire m honore, et appuie son assentiment sur
des arguments assez solides et de nombreux documents. Nous
avons vérifié ceux que nous avons pu nous procurer.
L'auteur s'exprime ainsi : « Dans plusieurs nouveaux Mis-
« sels, aussi bien que dans les canons qu'on met en une seule
570 LITURGIE. [Tome VIII.
« feuille sur l'autel^ et dans la plupart des ordinaires de la
« Messe qu'on imprime tous les jours on lit in honorem. Mais
(( anciennement on lisait in honore: dans les Missels d'Utrecht
« vers Tan 900, et dans le Sacramentaire de Trêves du
a dixième siècle, où cette oraison est à la tète_, il y a in honoi-e.
a On lit de mêmr^ dans le livre sacerdotal imprimé pour la
« première fois sous Léon X à Rome, et ensuite à Venise, dans
« les Missels de Pie V, de Clément VJII, d'Urbain VIII, et dans
(( tous les Missels romains qui ont été imprimés avec quelque
« soin jusqu'à présent, aussi bien que dans les anciens Missels
« des autres églises, et dans l'ancien ordinaire des Carmes. Il
« n'y a donc pas lieu de douter qu'il ne faille dire in honore.
« Ceux qui ont mis in honorem ont cru que cette expression
« était plus latine, ou qu'il était indifférent de mettre in ho-
• nore ou in honorem : cependant ces deux expressions sont
« également latines, et le sens en est différent. L'Église, en
« effet, ne voudrait pas dire deux fois la même chose dans une
« oraison si courte. Or, si nous disions ici in honorera, en l'hon-
« neur, nous le répéterions d'abord après, puisque nous disons
« aussitôt ut illis proficiat ad honorem, afin qu'elle serve à leur
« honneur. Il faut donc remarquer la différence. Dans l'an-
« cienne latinité, ou lit quelquefois m honore deorum, non pas
« pour dire eu l'honneur des dieux, mais pour dire, dans la
« iete des dieux, dans la célébrité des jours qui leur étaient
« consacrés, ou dans l'exhibition du culte qu'on leur rendait.
« C'est en ce sens, par rapport aux saints, que l'Eglise dit in
« honore^ c'est-à-dire que, dans la mémoire, ou dans la fête
« que nous faisons d'eux, nous demandons à Dieu de recevoir
c( l'oblation eu célébrant leur fête ou leur mémoire : comme
« dans la préface de la Vierge, le samedi, nous disons qu'il
« est bienjustedelouer Dieu en le servant, invenerationeB.M V.
« collaudare. C'est là précisément le sens de l'Église. Car, en
a premier lieu, il y a des Missels qui, dans cette oraison Sus-
ct cipe, ont ou in veneratione ou in commemoratione, au lieu de
nc.ISnS. i LITURGIK. o71
« mettre in honore. En second lien, on lit quelquefois dans les
n plus anciens Sacramentaires, aux titres des Messes des
« saints, Mism in veneratione, Missa in honore, c'est-à-dire,
« messe pour la fête du saint dont on célèbre la mémoire. Et
« en troisième lieu, il est si clair que par in honore on a en-
a tendu : dans la fête des saints, que, selon l'ancion rit de
a Milan, ou ne dit cette oraison qu'aux jours de fête : ce qui
« est aussi marqué de même daiis le Manuel de Chartres, de
(( Tan 1500. La plupart des églises néanmoins disent cette
« oraison chaque jour à la messe depuis sept ou huit cents ans,
« parce qu'on fait toujours mémoire des saints à la Messe. »
Le cardinal Bona [Rerum liturgicarum L. ii, c. ix, § 2),
parlant des prières de l'ofiFertoire usitées autrefois dans dififé-
rentcs églises, en cite quelques-unes, dont la première seule
pourrait servir à soutenir la leçon in honorent.
« In antiquis missalibus mouasticis hac unica oratione
« panis et vinum offeruntur. Suscipe, sancta Trinitas, unus
« Deus, hanc oblationem quant tibi offerimus in memoriam
* beatx passionis, resurrectionis, et ascensionis Domini nostri
« Jesu Christi, et in houorem beatx Marix semper Virginis
« genitricis ejusdem Domini nostri, et omnium sanctorum et
a sanctarum, cœlestium virtutum et vivificse. crucis : ut eam ac-
« ceptare digneris pro nobis peccatoribus , et pro animabus omnium
« fidelium defunctorum. Qui viv'is. Ita olim Cisterciences. Ritu
« Ecclesise Lugdunensis. , . inclinât se (sacerdos) ante altare et di-
« cit : Suscipe, sancta Trinitas, hanc oblationem. ^quam tibi offero
« inmemoriam incarnat ionis, nativitatis, passionis, resurrecttonis,
« et ascensionis Domini nostri Jesu Christi. et in honore Virginis
a Marix, et in honore omnium sanctorum tuorum qui tibi pla-
« cuerunt ab initio mundi, seu eorum quorum hodie festivitas
«( celebratur, et quorum nomina et j^eliquix hic habentur, ut illis
« proficiat ad honorem, nobis autem ad salutem : ut illi omnes
« sanctipro nobis intercedere dignentur in cœlis, quorum memo-
<( riam agimus in terris. Per eumdem Dominum nostrum. Kitn
572 LITURGIE. [Tome VIII.
« Ecclesiae Sarisburiensis panis et vinum simul offeruuliir
a hac oratioue : Suscipe, sancta Irinitas, hanc oblationem quam
« ego indignus peccator offero in honore tuo, beatx Marise, et
a omnium sanctorum tuorum, pro pcccatis et offensionibus meis,
a et pro salute vivorum, et requie omnium fîdelium dcfunctO'
« rum. »
Janssens {Explic. Rub. Miss., part, i, ii, tit. vi, n" 52 et
Appeud. final. § 8) tient aussi pour la leçon in honore, et ap-
puie son sentiment sur le texte des exemplaires imprimés à
Rome, il Omnia exemplaria, tam editionis Vaticanaî, quam de
a Propaganda fide habent et in honore; depost enim sequitur
« ad honorem. Pauci autem legunt : et in honorem. »
Benoit XIV {De Sacrosancto Missx sacrificio, 1. ii, c. xi),
suppose qu'en doit lire in honorem ; mais le savant Pontife ne
parait pas avoir examiné la question qui nous occupe : il ex-
plique la prière dans le sens donné par le P. Lebrun et cite
même cet auteur.» In eadem oratione {Suscipe sancta Trinitas)
c( sacerdos sanctissiraam Trinitatem deprecatur oblationem ut
a accipiat in honorem beatse Mariae Virginis, S. Joannis Bap-
« tislae, SS. Apostolorum Pétri et Pauli, sanctorum quorum
(t reliquise conditœ sunt in allari, et omnium aliorum sancto-
a rum M^ illis proficiat ad honorem nobis autem ad salutem.
a Quidquid enim honoris et gloriae adepti sunt sancti, id omne
« vi sacrificii Christi sunt cousecuti. »
Nous ne prétendons pas donner la solution de ce doute. La
correction des éditions de Rome, qu'ont suivi celles de Ma-
lines et de Paris, serait un argument assez fort pour sou-
tenir la leçon in honorem, qui se trouve dans les nouveaux
Missels et môme dans le Canon pontifical imprimé à la Propa-
gande. Cependant, comme nous l'avons fait observer, cette
leçon peut être le résultai d'une interpolation involontaire.
Nous faisons appel à tous ceux qui pourraient fournir de nou-
veaux documents pour arriver à une solution définitive de
cette question. P. R.
COMMENT QUELQUEFOIS LES USAGES S'INTRODUISENT
ET L'ENSEIGNEMENT SE FAUSSE.
D'après d'Héricourt, les libertés de l'Église gallicane « ne
« sont... que l'ancienne liberté de l'Église universelle, c'est-
0 à- dire, l'ancien droit commun conservé en France sur un
« plus grand nombre d'articles et avec plus de soin que chez
« toutes les autres nations de TEglise. »
Le fait avancé par d'Héricourt fùt-il exact, il ne s'ensuivrait
pas, sans doute, que les Églises gallicanes aient pu avoir le
droit de se maintenir indépendantes vis-à-vis du pouvoir su-
prême de l'Église, et de conserver une législation qui serait
jugtîe inopportune aujourd'hui par ce même pouvoir ; mais le
fait est-il bien exact eu lui-même ? Est-il vrai que les libertés de
l'Église gallicane ne soient « que l'ancienne liberté de l'Eglise
« universelle, c'est-à-dire l'ancien droit commun conservé en
« France sur un plus grand nombre d'articles... que chez les
« autres nations? » Il est permis, certes, d'en douter, et l'on
serait bien embarrassé s'il fallait apporter des preuves pé-
rcmptoires à l'appui d'une semblable assertion; ou plutôt le
contraire a été maintes et maintes fois démontré. Les libertés
prétendues de l'Église de France sont nouvelles et fondées sur
des maximes inconnues à l'antiquité. Nous n'entrerons pas
dans le détail des preuves que nécessiterait la démonstration
de la proposition que nous avançons. Qu'il nous suffise de faire
voir, par un seul exemple, comment souvent s'opèrent les
changements dans les usages et les maximes d'un pays où
l'autorité du Saint-Siège n'a pas toujours été aussi respectée
qu'elle aurait dû l'être.
5.7^ COMMENT LES USAGES s'iNTRODUiSExM [Tone VilL
C'est un point de discipline incontestable en droit commun,
que les bénéflces-cures, c'est-à-dire les paroisses, ue doivent
pas être unis aux chapitres, aux prébendes et dignités des
cbapitrcs, aux abbayes, aux monastères, aux séminaires, à la
mense épiscopale. Clément V, dans le concile œcuménique
devienne va jusqu'à dire: « Quod si Episcopus, sui etiam
cap'.tuli accedente consensu, mensee suae vel ipsi capitule
aliquam duseril Ecclesiam uniendam, hoc irritum esse deeer-
nimus etiuane, contraria quavis consuetudine non obstante, »
{Clemeat. lib. 3, tit. 4, c. 2.) Et ie saint concile de Trente{se=s.
2i, c. 13) sanctionne la même discipline en ces termes : Ec-
clesise. parochiales monasteriis quibuscumque, aut abbatiis, seu
diyniiatibus sive p)'sebendis ecclesix cathedralis vel collegiatx,
sive aliis benefîciis simplicibus, aut hospitalibus militUsve non
unianlur.
Ferraris (v. Unio, n^ 5) conclut de ces textes qu'un évèque
ne pourrait unir une église paroissiale à son chapitre, quand
même il aurait pour motif la nécessité de conserver le nombre
de ses chanoines déjà réduits au strict nécessaire, et il apporte
à l'appui de son opinion une décision de la Sacrée Congréga-
tion, en date du 30 mars lo9-4.
Cette' discipline, établie et sanctionnée par deux conciles
œcuiLéniques, dont l'un même s'était tenuà Vienne en Fiance
par un Pape tout dévoué à la France, par Clément V, devait
trouver crédit parmi nous : au?si était-elle spécialement re-
connue et adoptée en France, si on en juge par ces paroles
de Rousseaud de la Combe [Recueil de Jurispi^udence, v. Unkn,
sect. o) : 0 Nous trouvons bien (dans le droit) que deux églises
c< paroissiales... peuvent être unies, mais non pas une éfjlise
« paroissiale à un chapitre, ou à un autre bénéfice... Les
« évêques du concile de Trente trouvèrent l'union des cures
« si peu canonique, que dans la sess. 24, chap. 13 de Reform...
(C ils défendirent d'unir aux églises canoniales des bénéfices-
« cures : disposition si sainte que les États de Blois l'ont em-
Dec. 1863.1 ET L'HNSEIGNEMENT SE FAUSSE. 575
a brassée. » Et en effet rorclonnance de Blois autorise seu-
lement l'union des bénéfices simples aux chapitres et aux
collèges.
Voilà donc le droit commun bien reconnu en France quant
à l'union des cures aux chapitres : et cette discipline a dû
être en vigueur jusqu'à la Révolution de 1789.
Or_, qu'est-il arrivé au commencement île ce siècle? «Par
« une circulaire du 20 mars 1807, dit M. Dieulin {Guide des
« curés, p. 464)^ le ministre des cultes invite les évêques à
« réunir aux chapitres les cures des églises métropolitaines
« et épiscopales, afin de faire cesser les inconvénients et les
a discussions qu'entraîne l'existence d'une cure indépendante
« du corps du chapitre; aussi la plupart des évêques se sont-
« ils empressés d'opérer cette union qui existe aujourd'hui
« dans presque tous les diocèses. » On doit présumer que
Nosseigneurs les Évêques, en se rendant au désir du ministre
des cultes, n'ont pas manquéauparavant de se munir des induits
apostoliques qui leur étaient nécessaires pour opérer l'union
désirée, puisqu'elle était contraire aux SS. Canons en vigueur
en France. On voit, en effet, dans M. André, v. Union, que Mgr
l'évê jue de Chartres avait pris cette précaution. Mais soit que
cette formalité n'ait pas toujours été remplie, soit que les
auteurs n'y aient pas assez fait attention, depuis lors l'ensei-
gnement s'était établi parmi nous que ces sortes d'unions
étaient licites et pouvaient s'opérer par la seule autorité
épiscopale de concert avec le gouvernement. Non-seulement
M. Lequeux (n. 1 194) ne paraît voir à cela aucune difiBculté,
mais Dieulin semble du même avis, à l'endroit cité tout à
l'heure. M. André {Cornas de droit canon; v. Lnion,) va jusqu'à
dire que « rien n'empêche qu'on unisse une cure à un cano-
« nicat de cathédrale si la cure et la prébende sont dans la
« même ville et surtout dans la même église. » Et ce qui e?t
plus fort encore, voici ce que nous lisons dans le Traité de
l'administration temporelle des paroisses de Mgr Affi'e, 4^ édit.
Ô7() COMMENT LES USAGES vS'iNTRDDOrSENT. [tonoVftl.
p. 40 :« Une ordonnance du Roi, rendue le 14 juillet 1824 en
conseil d'État, a décidé les point ssuivants contestés entre
l'évêque de Chartres et le curé de la cathédrale de la même
ville :
a 1° Un cvèque peut, sans abus, opérer la réunion d'une
cure au chapitre de son diocèse.
« 2° Cette union peut avoir lieu du vivant du titulaire de la
cure et sans son consentement, et l'évêque peut ordonner que
les fonctions seront exercées par un vicaire amovible. 4
« 3° Celle union étant opérée, l'évêque a pu interdire, de \
piano et sans jugement, à un curé qui desservait la cure réunie
au chapitre, la prédication et l'adroinistration des Sacre-
ments. »
Et tout cela est relaté sans la moindre observation d'où Ton
puisse conclure que l'évêque a besoin pour opérer toutes ces
choses contraires aux canons, d'une autorisation spéciale du
Saint-Siège. Ce seul fait pourrait peut-être donner l'explication
de bien d'autres transformations semblables qui ont eu lieu ï
en France à des époques plus ou moins reculées. Voilà donc
comment quelquefois les doctrines se faussent et les usages
s'iiilroduisent.
Craisson (1).
(1) On peut voir ces questions traitées dans mon Manuale totius juris
canonici.
DECISION
DE LA S. CONGREGATION DES RITES
Relative aux Litanies du saint Nom de Jésus.
Nous avons donné, tom. vu, p, 57, les litanies du saint Nom
«le Jésus telles qu'elles ont été approuvées (1) et enrichies
d'une indulgence de trois cents jours pour les diocèses où l'on
en fait la demande. Notre petit article conlenait quelques ré-
flexions en réponse à des questions qui nous avaient été
adressées spécialement sur la conclusion de l'oraisou Sancfi
nominis. On nous communique sur ce point un décret de la
S. Congrégation des rites, d'où il résulte qu'il n'y a rien à
changer à cette conclusion.
(!) Nous trouvons dans le Manuale sacerdotum du P. Srlincider,
(2e éd. 18G5, p. 81), un dt'crcl qui fixe !e sons de la proliibilion dont
sonl frappées les litanies qui n'ont pas reçu l'approbation de la S.
C. des Rites. « Proposilo in sacra Indicis congregalione dubio : Quid
censendum sitde libris prectini variarum in qiiibus praeler lilanias
majores et Lauretanas, ut vocani, alise conlinenliir vi decrelorum
generalium Aposlolicae Sedis haclenus vetitae ac nihiiominus diiilurno
jam pridena usu in plerisque catholici orbis regionibus receplae ? Res-
ponsum fuit : Provisum nu e? decrelo suprernœ Congregaliouis S.
Officii feria IV, die ^8 Aprilis, cujus haec punt verba :
Lilaniseomnespraeter antiquissiraas el communes, quaein Breviariis,
Missalibus, Ponlifii-alibus et Rilualibus eontinenlur, et praeler lilanias
de D. M. V., quee in sacra seJe Lauretana decanlari soient, non edan-
tur sine revisione et adprobatione Ordinarii, nec piiblice in ecclesiis,
pubiicis oratoriis el proccssionibus reritentur absque lieentia et adpro-
batione Sacrorum Rittium Congrcgationis. » S. lad. C. 25 aprilis 1860.
Revue des sciences ecci.ésiastiqces, t. vui. 37-38
578 DÉCISION DE LA S. C. DES RITES. |Torac VIIK
Question. c< Post Litanias SS. iS'ominis Jesu a S. C. uuper
t approbatas ex decreto 21 augusti 4862, indicantur dicendae
a duse orationes. Domine Jesu Christe et Sancti nominis tui. Quse
a quidem secunda oratio, excerpta ex ofBcio et Missa Domi-
« nicae II post Pentecosten, cum conclusione propria huic
« officio et Missœ, nempe Per Dominum. In usu aiitem repe-
« ritur conclupio ad Filiiim ilirecta Qui vivis, ex eo quod ad
« ipsum Filium dirigantur litanise, et quidem conclusio mi-
« nor : Qui vivis et régnas in sœcula sxculorum. Unde circa
a praedictarum oralionum conclusionena quseritin {^ utrum
a servari possit et debeat oonclusio minor, an conclusio ma-
« jor ? » Réponse : a Hsec S. Rituum Congregatio, diligenter
« expensis quse a te requirebantur circa conclusionemsecundae
« orationis de mandato Summi Pontifîcis additse litaniis SS.
« N ominis Jesu superiori anuo 1862, die 21 augusli, approbatis,
c necessarium vidit nil prorsus in ea immutari ; nam etsi
(( litaniae ipsse sint reapse de SS. Nomine Jesu, bsec seciînda
« oratio adjecta fuit ad promovendum magis timorena pariter
« et amoremi SS. Nominis Domini. Die 21 Maii 1863.
BIBLIOGRAPHIE.
Dictionnaire des preuTCS de la divinité de «Vésns-Christ.
Paris, Migne, 1 vol. gr. in-8» à 2 col.
A la foule des brochures provoquées par la Vie de Jésus de
M. Renan, ont succédé quelques publications d'un caractère
plus positif, ayant directement pour but de prouver la divinité
de Jésus-Christ. Nous ne mentionnerons que le volume de
Mgr Parisis : Jésus-Chist est Dieu. Il serait diflScile défaire une
œuvre plus magistrale. Et si le bruit fait en ces derniers temps
par l'impiété, amène quelques esprits dévoyùs à se replacer en
face de la question vitale par excellence de la divinité de
Jésus-Christ, ils trouveront dans ces pages une solidité d'ar-
gumentation et une pléuitudede lumière capables de subjuguer
l'esprit le plus rebelle.
Nous vouions sigualer aux lecteurs de la Revue une publica-
tion plus ancienne, le Dictionnaire des preuves de la divinité de
Jésus-Christ. On y trouve une abondance de preuves et de
faits qui peuvent difficilement prendre place dans un autre
ouvrage. Les développements sont pour la plupart empruntés
aux apologistes modernes les plus célèbres : Bossuet, Bergier,
l'abbé Combalot, le P. Lacordaire, Aug. Nicolas, etc. L'auteur les
réunit, en y ajoutant souvent du sien, dans les articles : Jésus-
Christ, Incarnation, Messie, Rédemption, Christianisme, Révé-
lation, Miracle, etc. Les extraits sont assez longs pour épuiser
chaque fois une preuve entière.
380 BIBLIOGRA [Tome Mil.
Ce qui nous plaît spécialement dans ce volume, c'est l'im-
portance donnée aux faits subsistants que nous avons sous les
yeux, et à la vue desquels il nous est impossible d'échapper.
Le fait rantériel de rexisleuce de l'Eglise nous montre la
divinité de son Auteur non moins que les miracles qu'il opérait
de son vivant. Cette pensée de saint Augustin a reçu ici
un large développement. Chacun des dogmes, chacune des
fêtes, chacune des pratiques de l'Église est un rayonnement
de cette vérité. La sainteté de l'enseignement de Jésus-Christ,
des moyens de salut qu'il nous donne et des fruits qu'il a pro-
duits dans le passé et surtout dans le présent, constitue un fait
moral qui peut être constaté par tout homme dans la société
et en lui-même. La parole : Gustate et videte n'a jamais reçu
de démenti de l'expérience d'un vrai chrétien. Ce fait nous est
tellement présent, que la vie de chacun de nous devient divine
dans la mesure selon laquelle l'esprit de Jésus-Christ domine
eu nous. Nous sommes de plus en présence d'un fait intellec-
tuel essentiellement divin. En Jésus-Christ et en lui seul se
trouve la révélation entière de Dieu, la solution des problèmes
que la philosophie pose, et qu'en dehors du christianisme elle
ne résoud guère que par le panthéisme ou l'athéisme. En
lui se trouve l'objet de tous les instincts, sentiments, aspirations
de notre cœur; en lui se concilient la justice et la miséri-
corde, etc., etc.
Toutes ces preuves sont longuement développées dans le
Dictionnaire à côté < -s preuves plus classiques des miracles et
des prophéties.
ilais parmi ce .aiis il en est un où brillent plus que partout
ailleurs les rayons de la divinité: « Prophéties, miracles, ré-
surrection, conversion presque subite du monde entier, tous
ces prodiges surnaturels ne sont que comme l'auréole et le
cadre du prodige des prodiges qui est la personne même du
Christ. » L'auteur s'y arrête longuement; il y multiplie plus
qu'ailleurs ses citations, et c'est avec raison. En considérant
Dcr. 18G3.] niULIOGIUrniE. o84
Jésus-Christ dans sa vie_, dans ses paroles, dans sa conduite
avec les apôtres, dans ses actions, on se trouve sous l'empire
de celte vertu qui sort de lui et qui guérit ceux quiapproclient
de sa personne.
Nous exprimerons cependant un regret. Nous aurions voulu
trouver plus de développements sur quelques questions, par
exemple, sur les prophéties de Jacob, de Daniel, etc.. En
outre, l'exécution typographique ne permet pas de distinguer
suIli~ammentoù s'arrêteutjles citations.
J.-I. SlMONlS.
lia Cause catholique, par le R. P. Dechamps, de la Congrégation
du Très-saint Eédempteur. Paris, Lethielleux ; Tournai, Caslerman.
In-18 Jésus de 138 pp.
Empêché, par une indisposition subite, de prononcer à
l'assemblée de Matines le discours qu'il avait préparé, le Ré-
vérend Père Dechamps vient de le publier. Ce travail est as-
surément une des pièces les plus remarquables émanées de ce
congrès.
Devant une réunion de cathoHques fervents et actifs, qui ,
s'était formée sous l'impulsion « d'une pensée catholique, de la
« foi en la cause catholique, de Tamour de la cause catholique, »
le Révérend Père, pour relever les courages et les âmes, ne
pouvait mieux faire que de montrer a qu'au point de vue doc-
0 trinal et au point de vue social, comme vérité et comme vie
« la cause catholique est grande entre toutes, et la plus
« grande de toutes. Pourquoi l'est- elle au point de vue
« doctrinal? Parce qu'entre les questions doctrinales, la
a question suprême aux yeux de la raison, c'est la question
« religieuse : » — elle répond à ce besoin qui tourmente
l'homme de connaître le but, le terme de sa vie pour coor-
donner ses actions d'après cette notion; « parce qu'entre les
582 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VIII.
« doctrines qui répondent à cette question, celles-là seulement
« sont vraiment grandes, celles-là seules doivent compter,
« celles-là seules méritent l'examen de la raison, qui viennent
« à elle en lui demandant sa foi : » — la raison, inca-
pable de résoudre par elle-même le problème de la destinée
future de l'bomme, avoue si bien ce besoin d'un secours
étranger à qui elle soumette sa foi, que quand elle rejette celui
de la révélation divine elle recherche « la révélation des esprits
0 et de quels esprits!... Enfin, parce qu'outre les doctrines
a qui demandent la foi à l'esprit humain,... la nôtre seule est
« la foi de la raison. » Elle est « la foi de la raison, parce que
« c'est la raison qui oblige l'homme à croire... à la parole de
« Dieu quand il s'est assuré que cette parole est de Dieu, ou
« quand il a constaté lescaractères divins de la révélation. » Or,
parmi ces caractères divins, ces faits divins, le père Dechamps
choisit avec raison ceux que « poursuit la haute critique. » Il
prend l'Ancien et le Nouveau Testament; démontre par l'ac-
complissement des prophéties eu Jésus-Christ et par la perpé-
tuité de son œuvre, « qu'il est le maître des temps, le roi éternel
0 des siècles, le vrai Fils de Dieu;» que, par conséquent, il est
la vérité et que le monde doit croire en lui. Enfin, comme der-
nière preuve en faveur de la vérité du Catholicisme, l'orateur
pose en fait que seul il a pu soutenir l'épreuve de la science ;
seul, il a vu les plus brillants génies, les savants les plus
distingués s'incliner devant lui; seul, il a pu réduire au silence
les adversaires qui l'ont combattu. Arius a-t-il réfuté saint
Athanase ? L'idolâtrie a-t-elle trouvé un représentant qui ait
répondu à saint Augustin? Le manichéisme a-t-il répliqué à
saint Anselme, à saint Bernard, à saint Thomas d'Aquin ?
Quel protestant a misa néant l'argumentation de Bellarmin, et
enlevé à Bossuet la victoire qu'il avait remportée sur la réforme
par son Histoire des Variations ? Quel rationaliste a osé se
mesurer avec de Maistre et Lacordaire? a J'ai lu cent fois
« les phrases des lettrés et des folliculaires qui, se répétant
Dé^. Iiô3.) BIBLlOGRAPaïK. 583
• les uns les autres, reproduisent à propos de ces génies
« supérieurs les formules de dédain que vous connaissez tous;
« mais jamais je n'ai vu qu'ils osassent citer les ouvrages que
« la plupart d'entre eux n'ont pas même touchés... Ils ne
« nous lisent pas, parce qu'ils nous craignent, ou plutôt parce
« qu'ils rencontrent chez nous la vérité qu'ils redoutent ; et
« s'il leur arrive exceptionuelleraent de nous lire, ils out soin
« de garder, sur ce qu'ils ont lu, le plus profond silence. Oui,
a le silence est pour eux tout un système : ils savent qu'en
« parlant de la science catholique et de ses œuvres, ils révè-
« leraient à leurs adeptes la source d'une lumière qui les
(( a toujours ramenés ou confondus. »
Le privilège de supporter l'examen de la bonne foi et
l'épreuve de la science n'appartient donc qu'à la vraie foi :
c'est pour cela qu'elle est la plus grande des causes doctri-
nales. Elle est également grande au point de vue social.
Le Catholicisme, c'est la vie des peuples, parce que c'est
la civilisation; et c'est la civilisation, parce que c'est le progrès
de l'homme et de la société. De l'homme, ci qui il donne Dieu
comme le type de perfection qu'il doit reproduire; de l'homme
qu'il forme pour la vie civile en détruisant chez lui régoïsme,
en suscitant dans son âme les nobles dévouements, en lui ap-
prenant à faire luire, comme son Père céleste, le soleil de sa
miséricorde sur les justes et sur les méchants. De la société,
à qui il rend les véritables notions de l'autorité, de la justice,
de la liberté ; de la société dont il réforme les éléments en
punliant la famille, en la reconsti tuant sur ses bases premières,
en lui donnant une autorité religieuse qui empêche l'autorité
civile d'être despotique, ce qui arrive quand elle tient les deux
glaives; en consacrant enhn le principe d'autorité, sans lequel
les sociétés ne peuvent subsister. L'orateur traite en cet endroit
avec beaucoup de solidité, de tact et d'à pro| os la question des
rappoi ts mutuels de la société liomestique, de la société civile
et de la société religieuse. Il termine en exhortant d'une
S85 BIBLIOGRAPHIE. [Tome VIII.
manière chaleureuse tous ces chrétiens généreux à défendre
cette grande cause; car, dit-il^ c'est le Catholicisme qui peut
seul conserver au monde, menacé de la perdre, cette vie qu'il
lui a donnée.
Comme on le voit, la pensée fondamentale de tout ce discours,
c'est l'étude du Catholicisme en face de la société moderne. Le
Père Dechamps a traité ce sujet d'une manière supérieure :
aussi son travail sera-t-il lu avec tout l'intérêt qui s'attache
à une question actuelle, et avec le profit qu'on retire toujours
en étudiant une œuvre sérieiise. H. Girard.
Vie de la Vénérable llère Ag:nès de Jésus, religieuse de
l'ordre de Saint-Uomiûique et prieure du mouastère de Sainte-Galhe-
rine-de-Sier.ne, à Langeac, par M. de Lantages, prêtre de Sainl-Sulpice.
Nouvelle édition, soigneusement revue et considérablement augmentée
d'après les manuscrits conservés aux archives du monastère de Sainle-
Catherine-de-Sienne, à Langeac, et des séminaires de Saint-Sulpice de
Paris, du Puy et de Viviers, par M. l'abbé Lucot. 2 volumes in-S» de
cxx-559, 724 pp., plus 4 gravures et un autograplie. Paris, Mme veuve
Poussielgue-Rusand. Prix net : 12 fr.
Rarement nous avons lu une biographie aussi intéressante,
aussi remplie du parfum suave de la piété, aussi nourrie de
faits et de doctrine que celle dont nous venons de transcrire
le titre. Nous la recommandons non-seulement aux religieuses,
mais à toutes les personnes adonnées à la vie spirituelle, et
spécialement aux directeurs des âmes.
La vénérable mère Agnès de Jésus, née au Puy en 1602, fut
distinguée dès son enfance par les dons les plus précieux de la
grâce. Après une jeunesse passée dans l'exercice de toutes les
vertus, sous la conduite de directeurs éclairés, elle parvint à
réaliser son vœu le plus ardent, et fut reçue en 1623, d'abord
comme sœur converse, ensuite comme religieuse de chœur au
couvent des dominicaines de Langeac. Déjà auparavant, Dieu
l'avait favorisée de grâces surnaturelles. Les épreuves ne lui
avaient pas manqué non plus. Depuis, nous la voyons tantôt
consolée par son divin époux, qui lui prodigue ses dons les plus
I
Dcr, 18C3.] B:BLIOGIlAPniK. o8">
merveilleux, tantôt éprouvée par les contrariétés qui sont la
pierre de touche de la vraie et soUde vertu, mais toujours
humble, patiente, résignée, pleine de force et d'amour. Succes-
sivement maîtresse des novices et prieure, elle fait paraître dans
l'accomplissement de ces charges des lumières et une sagesse
toutes surnaturelles. Son influence s'étend au dehors : on recourt
à elle, ou la consulte, ses directeurs eux-mêmes tirent profit
de ses lumières et de ses grâces. Enfin elle meurt en 1634, à
l'âge de trente-deux ans. Depuis lors, elle n'a cessé d'être ea
grande vénération, et de nombreux miracles se sont opérés
à son tombeau. La cause, de la béatification, instruite un peu
tard, fut conduite assez lentement, par suit» de divers obstacles.
Enfin, en 1808, le pape Pie Vil déclara qu'il était tellement
constant que la vénéi^able servante de Dieu, Agnès de Jésus, avait
pratiqué les vertus dans un degré héroïque, qu'on pouvait procéder
à la discussion de quatre miracles.
La cause en est resiée là jusqu'à présent. La pieuse société
de Saint-Sulpice et son chef, M. Émery, s'étaient occupés
avec beaucoup de zèle de cette affaire, et avaient mis enjeu
toutes les influences dont ils pouvaient disposer. En agissant
ainsi, ils ne faisaient que continuer une tradition dont les
Sulpiciens actuels sont à leur tour les héritiers. C'est que leur
société doit à la mère Agnès son fondateur, car c'est elle qui
poussa M. Olier dans les voicb de la perfection. 11 est juste
que le clergé français tout entier s'associe à cette reconnais-
sance : Saint-Sulpice et les séminaires fondés sur le même
modèle, ont ravivé chez lui l'esprit du sacerdoce. Tant il est
vrai qu'une humble servante de Dieu, priant dans sa cellule,
exerce souvent, sur les destinées du monde et de TÉglise, une
influence que les sages du siècle sont loin de soupçonner !
Le livre que nous examinons est lui-même un fruit de la
tendre vénération . e Saint-Sulpice pour la mère Agnès : il
Test sous sa première forme, tel qu'il parut en 1665, puisqu'il
a pour auteur un sulpicieu ; il l'est sous sa forme actuelle,
586 BlLIOGRPAHIE. [Tome VIII.
car M. Lucot, élève deSaint-Sulpice, a entrepris ce travail à
la prière de ses anciens maîtres. Il a conservé la narration de
M. de Laatages. Elle se recommande en effet par sa forme
simple et gracieuse dans sa naïveté, comme aussi par ce sen-
timent immédiat qui s'y fait sentir partout, et qui met pour
ainsi dire sous nos yeux la personne, la vie, les dons et les
vertus de la mère Agnès. Rien n'égale le charme et la vérité
de ces récits écrits sous l'impression encore vive des événe-
ments, dans le pays même où ils se sont accomplis, par un
homme très-versé dans les voies intérieures, capable par
conséquent de comprendre et de retracer une vie comme celle
de la vénérable Prieure de Langeac.
Toutefois, M. Lucot ne s'est point borné au rôle d'éditeur.
Il a corrigé un petit nombre d'expressions aujourd'hui suran-
nées, il a changé quelques dates dont Tinexaclitude était bien
démontrée, mais surtout il a complété le texte de M. de Lan-
tages par une foule de citations tirées des actes originaux et
des mémoires du temps. Ces additions sont mises entre cro-
chets, pour les distinguer du travail de l'auteur primitif : les
sources sont scrupuleusement indiquées. Enfin, des notes
nombreuses au bas des pages, d'autres plus étendues à la fin
de chaque partie, des pièces justificatives, quelques chapitres
supplémentaires, contiennent une foule d'éclaircissements et
de documents qui, dans l'ensemble, offrent beaucoup d'inté-
rêt. Nous ne voulons pas examiner si quelques-unes de ces
notes auraient pu être abrégées ou retranchées; c'est un point
sur lequel les appréciations peuvent différer, et qui ne touche
en rien au mérite essentiel du livre.
C'est donc eu réalité un ouvrage nouveau qui nous est offert.
Nous ne pouvons qu'applaudir au soin consciencieux de l'édi-
teur, aux maximes qui l'ont dirigé dans son travail, à la science
et à l'esprit de critique dont il fuit preuve. La critique de
M. Lucot, nos lecteurs doivent l'avoir compris déjà, n'est
point celle qui consiste à éloigner le surnaturel et le mer-
Dec. 1S03.| BIBLIOGRAPHIE. 587
veilleux. Celte critique a fait sou temps. Nous ne sommes
plus à cette époque où l'on se croyait obligé de « retrancher
la plus grande partie des visions et apparitions gui remplissaient
la vie de la mère Agnès [Avertissement de l'éd. de 4808). » En
pareille matière, il y a tout aussi peu de critique à laisser dans
rombre ce qui offusque d'étroits préjugés, qu'à tout recevoir
sans contrôle. Nous félicitons M. Lucot d'avoir suivi les
bonnes traditions de l'hagiographie chrétienne.
L'éditeur mérite aussi sa part d'éloges, car l'exécution ty-
pographique est vraiment splendide, et la correction parfaite.
La Vie de la V. mère Agnès est un très-beau livre de biblio-
thèque. Les gravures, outre qu'elles ont leur utilité pour
l'intelligence du texte, contribuent par leur cachet artistique
à rehausser encore cet air de distinction que l'œuvre pré-
sente dans son ensemble. E. Hautgceur.
llanuale Sacerilotuiu in quo ii qiiibus cura animarum commissa est
ad maoum liabent tutn quae in privata dcvotione, tum quae in Missae
celebratione, Sacramentonim adiuinistratione el quoruudam aliorum
sui muueris ofticiorum exseculione usui esse possunt. CoUegit, dispo-
suil et edidit P. Josephus Schneider, S. J. Editio altéra emendata et
aucla. 18(i3. ColoniaR, Baclieœ. In-18 de xxi-731 pp. 1 thlr. 10 ngr.
Nous avons fait connaître déjà la première éditioii de cet
excellent ouvrage. La seconde, qui vient de paraître, contient
des remaniements et des additions d'une certaine importance,
mais, j;ràce à une légère augmentation du format, le volume
est resté également portatif. Ces 730 pages d'une impressioji
conipacte, bien que très-belle et très-nette, offrent aux pas-
teurs des âmes un recueil de matériaux extrêmement com-
mode, et qui sera de plus en plus apprécié. Tout ce qui se
rapporte à la pratique du saint ministère y est résumé d'une
manière très-claire, suffisamment complète et en même temps
très-sûre; on y trouve les formules liturgiques dont ou a
besoin dans l'administratiou des sacrements et autres fonc-
tions pastorales; il y a enfin une partie ascétique contenant de
5S8 BIBLIOGRAPHIE ITorac Ylil.
belles prières, une méthode et des sujets de méditation, un
ordo viise. sacerdotalis. Et tout cela dans un petit livre que l'on
peut prendre pour compagnon de ses courses et porter habi-
tuellement avec soi.
Le traité delà pénitence s'est enrichi dansla seconde édition
de plusieurs articles nouveaux: Monita pro confessariisexvûriis
autoribus (p. 332-339) ; de Modopœm'tentem pracfice disponendi ad
dolorem depeccatis (p. 340-34:^); Quid incumbat confessatno eorum
quiad restitutionem tenentur (p. 35 1-353). En outre, des additions
moins importantes se rencontrent pour ainsi dire à chaque
page. Ce sont surtout des décrets des congrégations romaines, et
des extraits du dernier concile de Cologne cités dans les notes.
L'auteur a donné plus d'extension à certaines parties: ainsi,
le petit traité de Conformitate Missx cum officio Ecclesix in qua
celebradw (p. 208-212); ain^i encore la question des cas
réservés et le traité du Mariage. Le formulaire liturgique et
les modèles de demandes à adresser soit aux congrégations
romaines, soit aux évoques ont aussi reçu des additions no-
tables. Enfin, l'ouvrage se termine maintenant par une table
alphabétique, et les recherches sont ainsi rendues plus faciles.
L'éditeur, cédant à une observation que nous avions faite,
à réimprimé en langue française, anglaise et hollandaise les
quelques formules ou modèles d'exhortations que le P.Schnei-
der a données en allemand. Cela forme un petit appendice que
l'on peut se procurer séparément, et ajouter à son exemplaire.
Nous recommandons vivement le Manuale sacerdotum à tous
nos confrères dans le sacerdoce : il est peu de livres qui puis-
sent leur être aussi utiles. L'éditeur ferait bien d'en établir un
dépôt chez un libraire de Paris , afin d'en rendre l'acquisition
plus aisée. E. Hautcœhr.
lie Chant du dernier Jour.
Nous avons entre les mains une publication fort intéressante.
C'est une pièce musicale composée au dixième siècle. Elle fut
Dec. 18G3.] BIBMOGRAPBIE. 589
découverte eu 1838, sur les gardes d'un livre en parchemin,
provenant de l'abbaye d'Aniane, et est signalée au u^ 6 des
manuscrits de la bibliothèque de la ville de Montpellier dans
le tome i du Catalogue général des manuscrits des bibliothè-
ques des départements publié en Î849, à l'imprimerie natio-
nale. Le chant de cette pièce, notée en signes neumatiques
anciens, vient d'être traduit en plain-chant par M. l'abbé
Tesson, président de la commission Rémo-Cambrésienne, et a
été publiée chez M. Lecoj0Fre en deux formats différents, le
premier grand in-4° donnant la notation neumatique avant la
notation en plain-chant, le deuxième in-8<' donnant seulement
la notation en plain-chant. Après le texte de cette pièce, on en
donne la traduction française.
M. Paulin Blanc, bibliothécaire de Montpellier, s'exprime
comme il suit au sujet ee cette composition. « La prose de
« MontpeUier, ce Chant du dernier jour, que nous publions
« aujourd'hui en notation moderne, est une des œuvres musi-
« cales les plus remarquables du dixième siècle. On sait les
« étranges terreurs qui agitaient à cette époque tous les peu-
(( pies chrétiens. Une opinion à peu près universelle assignait
« la fin du monde à l'an 1000; et à mesure qu'on approchait
« de ce terme fatal, les imaginations de plus en plus troublées
(( croyaientreconnaitre les signes avant-coureurs de la dernière
c( catastrophe, et voir commencer l'accomplissement des pro-
« phéties. La belle composition que nous publions & été inspirée
« par cette préoccupation générale. L'auteur inconnu a trouvé
« pour chanter le dernier jour du monde, des paroles d'une
« poésie simple et grandiose, et une mélodie digne des
« paroles. »
Le Chant du dernier jour se com^^ose de vingt-quatre strophes
La première strophe cummence par la première lettre de l'al-
phabet, et ainsi de suite. On omet seulement les lettres J et i\
qui ne sont pas distinctes des lettres J et V. Pour avoir
les lettres K et X on a écrit Karactere et Xristus, substituant
590 BIBLIOGUAPHIE. [Toma VIIL
la lettre grecque à la lettre latine. La dernière strophe com-
mence par A SI.
Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en leur faisant con-
naître cette publication. Ceux qui entendent exécuter cette
pièce de chant peuvent juger combien l'harmonie du chant
ecclésiastique était alors supérieine à celle d'aujourd'hui. Nous
donnons en entier le texte de cette composition.
Audi tellus, aiid.i magni maris limbus;
Audi homo, audi omrie quod vivit subsole.
Veniet, prope est dies irae supreraae^
Dics invisa, dies araara,
Qua cœlum fiigiet, sol erubescet,
Luna mutabitur, dies nigrescet,
Sidéra supra terram cadent.
Heu miseri ! heu miseri !
Quid homo, ineptam sequeris laelitiam ?
Bene fundata hactenus mansit terra ;
Tune vacillabit veUit maris unda,
Non erit civitas, non castella, non turres ;
In quibus vana nuncspes exultst,
Siccabuntur flumina, mare non erit,
Chaos immane os denudabit,
Tartarus horrens hiabit.
Heu miseri 1 etc.
Cunctae gentes velut lignum arescent ;
Erit robur in illis ;
Undique terrores, undique formidines,
Undique luctus, undique clades.
Tune dicent mon tibus:Operite nos; collibus:
Et abscondite nos ocius;
Talia cernere non possumus.
Heu miseri ! etc.
Dies illa tara amara, tam tremenda,
Dies illa dira nuntiabit signa.
Rugient maria sicut leo in sylva ;
Littori nova mandabunt praefia;
Commeatus navium ibunt in interitum;
Non transmarinse quaerentur merces;
Cis pontura et cilra lues.
Heu miseri ! etc.
tWo. 1863] BIBLIOGRAPHIE. b^{
Erunt signa in sole, et luna, etstellis,
Gentium pressura in terris,
Surget gens in genlem, et regnum contra regnum ;
Et terrae moins magni per loca,
Pestilentiae et famés, de cœlo terrores,
Bella et liles, vix iilla fides;
Divident dulces schismata fratres.
Heu miseri ! etc.
Fraus, dolus et dira cupido
Jam régnant in toto mundo :
Praevalet impius, iaude dignus est pravus ;
Probitas horret, sanctitas displicet ;
Versutus est optiraus, utilis est subdolus,
Hebes est innocens, sanctus injustus,
Gradiens recte perversus.
Heu miseri ! etc.
Gladius vindex et ira cœlestis
His protinus imminet malis.
Solvetur Satanas, seducet omnes gantes,
Vestiens carnem homo videbitur,
Qui cum sit de semine natus iniquo,
Dicet se de Virgine procreatum,
Praebens se tanquam sit Deus.
Heu miseri ! etc.
Hic regem cœli se praedicabit.
In temple Dei sedebit^
Pervertet populos arte mira nocendi.
Cupides namque flectet muneribus,
Fortes in fide, constantes in opère
Terrebit signo, pulsabit pœnis ;
Disertos verbo eludet verbis.
Heu miseri ! etc.
llle, nutu permissus superno,
Regnabit in toto mundo ;
Gentibus, populis credere suadebit :
Facietmira, portenta magna;
Colliget discipulos versutos et callidos,
Lingua peritos, vita malignes,
Quos totum mittet in mundum.
Heu miseri ! etc.
392 BSBLIOGRAFniE. [Tome VIIL
Karaclere norainis sui nefandi
Homines jiibet insigniri,
Dividat proprios ut a cœlu Sanctorum.
Hic arma sumet contra bcatos;
Neroiie sœvior, Decio atrocior,
Flammis et lerro, bestiis lerrae
Coi pora tradet bealorum.
Heu niiseri! etc.
Laiirea siirnunt Martyres Christi,
Fidei armis praecincti ;
Respuunt honores, contemnunt cruciatus,
Nec blandimenlis peclora molliunt;
Terminum Ecclesiaeconsecrabunl sanguine.
Ut velut principiiim sit finis quoque
Simili radians fnlgore.
0 quara beati, qui nonduni nati,
Jam cives œternae scripti eslis patriae I
Magnum prassidium SancHs suis
Christus mittet a sedibus almis :
Heliam et Enoch, candelabra liicentia,
Magnos praecones, testes mirabiles.
Hi dabiint prodigia, signa et portenta;
Conforlabunt Irepidos, convertent Judaeos,
Antichristo conlradicent.
0 quam beati ad hoc preparati,
A metu carnis penitus alieni !
Nulla in eos valet potestas,
Donec ponant animas sanctas ;
Eonimque lingiiae clavcs cœli sunt factae.
Nubibus dicent ne pliiant inibrem ;
Ipsorum ab ore ignis exibil,
Qui resislentes mox devorabit,
Debituni donec compleant cursum.
0 quam beati ad hoc praeparati,
Tanto in turbine navem Christi gubernare 1
Occidet eos tandem profanus,
Nutu Dei perraissus.
Eorum corpora jacebunt insepuUai ;
Tertia die résurgent incolumes.
Inimici videbunt et confundentur ;
De-. 1863.) BIEUOGRAI'IHF.. ^^^
Uli résurgent, in cœlum conscendent
Triumphos gioriae portantes.
0 quam beati ad hoc préparât!,
Tanto in turbine navera Ctiristi gubernare !
Post gloriosos horurn triuirphos,
Acuet'hostis iram iniquus,
Rlodico tpn)pore utpile regnaturus.
Sseviet die, saeviet nocte ;
Vendere non polerunt, emere nequibunt,
Nisi caractère notati fronte,
Dexlera gestantes hoc nomen.
Heu miseri ! etc.
Quanti mundum premunt errores!
il'.e superbus respuet omnes.
Pseudoprophetse hostes erunt imnaanes ;
Seducent génies, populos subvertent.
Erigent slaïuam iili prolano ;
Spirituni sumet bestiai imago,
Loqueiur vcrbainaudita.
Heu miseri ! etc.
Rum|)et abyssum Stella de cœlo,
(Monens) reprobos prœvio signo :
trumpent locusiae hactenus nunquam visae
Similesequis belle jjaratis,
Galcato vertice, lohcato corpore,
Caudis ut scorpius aculeataei <
Faciès illis humanae.
Heii miseri 1 etc.
Stridor alarura ut sonus nquarura ;
Dénies earuu) dentés leonum.
Vulabunt celeres, rugient ut quadrigae;
Angclum ergo ferunt abyssi,
Qucm Hebraéus Abaddon, Grsecus Apollyon,
Exterminantem dicel Latinus,
Tormentum malis mensibus quinis.
Heu miseri ! etc.
Truces per mundiim équités currunt;
Terliani paricm boiii'num occidunt.
Vicies millies millia eruni dena;
Sicut leonum capita eorum ;
S94 BIBLIOGRAPHIE.
Caudge eorum capita serpenlium ;
Ignis et sulphur, pestifer fumus
Prodiet ore ipsorum.
Heu miseri ! etc.
Vesano redactae gentes errore
Congregabuiitur, Satana duce,
Praeliiim facturai contra Regeni supernura
Hebrasus dicit locum Annagedilon.
Castra Sanclorum, civitatem dilectam
Tune circumdabunt : igné superno
Omnes ibiperibunt.
Heu miseri ! etc.
Xrislus ab allô rutilans regno,
Crucis descende! prtvio signo.
Sanctorum cum eo agmina Angelorum,
Omnes Prophetae et Patriarchae,
(Sanclij Apostoli, Martyres purpnrei,
Confessores liicidi, Virginum chori,
Virtutum lampade praedari.
Veni, bénigne (Jesu), Rex pie,
Subveni redemplis pretioso sanguine.
Ydrus peribit ille superbus,
Jesu apparente, prostratus;
Rapiet aeternos Satanas cruciatus :
Cœlum desursum, terra dcorsum,
Ignis in medio succendens cuncla,
T empestas ingens, contra d^mnandos,
.]udice pugnabunl praesente.
Heu miseri ! heu miseri !
Spes quibus januae nulla est reserandae.
Zelo superni Judicis cuncta
Visitabiinlur cordis occulta;
Veiborum, operum, ipsuis cogitatus
Tune ralionem omnes reddemus.
Arguet exterius qui videt interius,
Alite quem nuda et manifesta.
Et non sunt cuncta sécréta.
Heu miseri ! etc.
[IcmeVlII.
Dec. dSeS.) CORRESPONDANCE. ^95
A îî Jesu bénigne,
Qui tenesclaves mortis et vitae,
Arbiter vivorum qui es et mortuorura,
Rex Cliriste, nostra posside corda.
Ut laeti judicem te venientem
Cum virtutum lampade, mereamur videre,
Tua certi de pietate.
Gloria Patri, et tibi Nate,
SanctocuiûSpintu.canimus sine fine. Amen
P. R.
CORRESPONDANCE
Monsieur le Directeur,
Je viens de recevoir enfin le numéro de juin de votre excellente Re-
vue. Je remercie M. Armand des observations qu'il veut bien rae faire
et surtout de l'exquise politesse avec laquelle il me les fait. Je vous
prie d'insérer dans votre prochain numéro cette réponse, que j'abrège
le plus possible.
J'aime à croire que M. Armand ne connaissait pas, lorsqu'il a écrit
cet article, ce que je lui avais répondu dans la Revue catholique, nu-
méro de février- mars. S'il en était autrement, il ne reproduirait pas
certaines objections, sans avoir égard à mes réponses.
Je crois, avec saint Thomas et toute la théologie, qu'il ne suffit pas
que Dieu crée et conserve les êtres, mais qu'il est encore nécessaire
qu'il les vivifie, qu'il les féconde, ou qu'il les meuve. Il n'y a pas d'ex-
ception pour l'intelligence. Je donnerai, dans la Vérité, des textes for-
mels de saint Thomas à cet égard, et je montrerai que le sentiment
contraire est erroné. Admettre la nécessité de cette motion, ce n'est
donc pas, ainsi que le prétend M. Armand, tendre la main aux pan-
théistes, en confondant, comme ils le font, l'action de Dieu avec l'es-
sence de l'âme humaine (p. 564). Est-ce que l'on a jamais reproché à
ceux qui disent que le soleil féconde les germes, de confondre le soleil
avec ces germes ?
59G CORRESPONDANCE. [lomeVI!;.
M. Armand assure que d'une impression quelconque,, tin sujet iri'
telUgent peut bien conclure en général à l'existence d'une cause qui
l'impressionne; mais que cette impression ne lui dira rien des caractères
de l'objet par lequel elle a été produite (p. 565). Ceci me paraît tel-
lement opposé à toute expérience, que je crois devoir dire à M.Armand:
Je vous prie d'expliquer votre pensée que je ne puis comprendre. Jus-
qu'ici j'ai cru que nous ne connaissions les êtres que par leurs mani-
festations et qu'ils ne se manifestaient en nous qu'en nous impres-
sionnant. Me suis-je trompé? Et quelle hardiesse ya-t-ii à transformer,
au moyen des facultés que Dieu nous a données, cette impression en
idée ?Qu'y a-t-il \h de légèrement contradictoire'! C'esl, répond M. Ar-
mand, que vous admettez que l'impression de Dieu, qui modifie l'âme,
devient idée et que cette idée se présente comme infinie, nécessaire,
etc. Et il ajoute: « Comment la modification d'une âme finie, relative,
contingenle, peut-elle être autre chose qu'une modification finie, con-
tingente, relative? » {Ibidem], Je ne dis rien de sem'olaule. Je dis que
la modification d'un être fini, provenant de l'infini Moteur, est la cause
qui nous fait parvenir à l'idéede l'Infini. Je dis que, par la partie la plus
élevée de notre âme, nous sommes spirituellement touchés par Dieu.
Je dis enfin que ce moyen de connaissance, qui, bien loin d'exclure les
autres, les suppose, n'est pas une vision, et que dès lors je ne puis ad-
mettre que l'Iieure est venue de chanter les immortels cantiques de la
patrie, ahm qm mêle reproche M. Armand. Je professe que nous
connaissons Dieu par ce procédé d'une manière analogue à celle qui fait
connaître 'a un aveugle le corps qui le touche.
Transportons-nous à la page 5(56. Il est incontestable qu'à l'occasion
d'un fantôme, qu'il rend intelligible par l'abstraction, notre esprit s'é-
lève à la connaissance des idées universelles que ce fantôme représente
d'une manière particulière. L'intellect a donc la propriété de percevoir
l'universel. Mais où le perçoit-il? Telle est la difficulté, dont M. Ar-
mand ne s'occupe pas. Il ne peut l'extraire du particulier, qui ne le
renferme point. Hegel a très-bien dit : « Faites abstraction de ce qui
détermine un être, il ne restera plus un être; vous le détruirez. » 11
restera, si vous le voulez, un être abstrait, idéal, impossible à réaliser,
et qui équivaut au néant. De quel droit faites-vous d'une telle idée,
une idée universelle? Par une création de votre esprit? Vous tombez
Déi. 1<<"3.] ' CORRESPONDANCt-:. " 07
dans le système de Fichte. Il faut donc que vous expliquiez oij l'in-
tellect jierçoit cet universel que Dieu lui a donné la faculté de percevoir?
Il faiil que vous expliquiez, à plus forte raison, où vous percevez l'infini.
M. Armand renvoie ici ses lecteurs à saint Thomas (1 p., q. 14, a. i.)
L'Ange de l'Ecole y dit, d'après Aristota, ainma est quodam modo
omnia, c'est-à-dire, selon l'exposition de Suarez, que l'âme a le pouvoir
de tout connaître -/ûy dll encore queVàme a qnamdam in finitatem, c'est
A-dire, comme il l'explique lui-même, que limUée par nature, elle est
infinie secundum quid, parce que virtiis intelledus extendit se quo-
dammodo ad \nfin\ta, à une infinité d'objots. Or tout cola ne ditpasoii
e*' comment l'intellect perçoit l'universel et surtout l'Infini proprement
dit. Ce grand Docteur a dit: « Par des effets non proportionnés à leur
cause, on ne peut arriver à une conn;iissance parfaite de cette cause;
on peut cependant de tout effet conclure l'existence d'une cause. »
(1 p., q. 2, a. 2, ad 3.) On ne peut donc logiquement c(ix\c\\xve du fini
à l'infini. Aussi au procédé par voie de causalité, saint Thomas ajonte-
t-il le procédé d'éminence et d'élimination, et il s'agit de savoir com-
ment on peut légitimement attribuer à Dieu en un degré infini ce qui se
trouve en un degré limité dans ses effets ; car a ces négations, dit en-
core saint Thomas, ne signifient pas qu'il manque à Dieu ce qu'on nie
de Lui, mais qu'il le possède en excès» (I p.,q. 12, a. 12.], c'est-à-
dire d'une manière infinie et positive. Eh bien, je ne crains pa>
de répondre : Cela provient de la motion de Dieu, et c'est en nous
tournant vers Lui que nous perfectionnons notre intelligence. Sui-
vons saint Augustin : i Ce bien, que nous appelons fspri<, et alors
même qu'il n'est pas assez bon pour se tourner vers le hicn ijnmuahle,
nous plaît tellement que nous le préférons à la lumière physique
elle-même, si nous sommes vraiment intelligents. Or, ce n'est
point par lui-même que l'espril nous plaît; c'est in illa arle qua
factus est. Lorsqu'il est fait, on l'approuve d'ajirès ce que l'un voit
où il est comme possible, c'est-à-dire dans la Vérité, le Bien ab-
solu, le Bien même, le souverain Bien. Le bien qui vient d'un autre
bien est le seul qui puisse augmenter et diminuer. Pour devenir bon,
l'esprit se tourne donc vers Celui qui lui a donné d'être un esprit.
S'agit il de perfectionner cet esprit ? La volonté est en harmonie avec
la nature lorsqu'elle se dirige avec amour vers ce Bien qui est son
593 CORRESPONDANCE. [Toui Vlll.
principe et que l'on ne perd pas même par l'éloignement volontaire^
Car, en se détournant du souverain Bien, l'esprit cesse d être bon ;
mais il ne cesse pas d'être esprit, ce qui est un bien supérieur à tous
les biens sensible; ; seulement la volonté perd ce qu'elle avait acquis. »
Voulez-vous maintenant savoir en quel sens saint Augustin admet
cette connaissance en Dieu? Il vous répond lui-même, en continuant
ainsi :
« Or ce bien n'est pas éloigné de nous : car in ipso vivimus, mo-
vemur et siunus. » {De Trinitate, 1. viii, c. 3, n. 4 et o.) Que
M. Armand daigne rapprocher ce texte de ceux de saint Thomas que
nous avons cités dans la Revue catholique, février-mars ; si cela ne lui
suffit point, qu'il ait la bonté d'attendre ceux que nous donnerons bien-
tôt, et il verra que d'après l'Ange de l'Ecole, comme d'après saint Au-
gustin, il faut rapporter toute connaissance à la motion de Dieu comme
cause première.
Maintenant nous prions le lecteur de se transporter à la page 369 de
l'article de M. Armand. Nous répondons : Oui, l'idée de Dieu en nous,
est une idée imparfaite, une idée finie subjectivement ; mais elle ne
l'est pas à tous les points de vue, puisqu'elle provient de Dieu et qu'elle
se rapporte à Dieu, par lequel nous vivons, nous sommes mus et nous
sommes. Dans le ciel même, l'idée de Dieu sera imparfaite et finie ;
mais elle se rapportera à l'Infini vu à sa propre lumière, et non à l'In-
fini ne mettant en mouvement que la lumière naturelle qu'il nons a
donnée. Cette idée est négative en ce sens que nous procédons par voie
de négation en Dieu de la limite qui est dans la créature. iMais fina-
lement, c'est là l'affirmation la plus absolue de l'infini positif dans le
Créateur qui nous actue incessamment. Si cette idée s'éclaircit, c'est,
selon nous et selon saint Augustin, parce que, au lieu de contempler
les créatures, nous nous en détournons, mais pas tout à fait, pour nous
tourner vers la lumière qui illumine notre lumière par sa motion, et
que Xœil de notre âme devient plus limpide à mesure que nous le di-
rigeons vers notre principe. Quant au texte de saint Paul, il ne me
dit nullement que la connaissance par voie d'éminence soit pour ainsi
dire purement négative, et je ne crois pas que cesparoles de la Sagesse :
A magnitudine speciei et creaturx cognoscibililer poterit Creator ho-
rumvideri, soient contraires à une doctrine qui professe que nous acqué-
Dec ISfirt.] CORRESPONDANCE. 599
rons l'idée de l'infini à l'occasion du fini en vertu de la motion du
Créateur actuant l'image qu'il a créée en nous. Quant à la connaissance
abslractive^ nous l'admettons dans ce procédé en tant qu'elle est op-
posée à l'intuitive. Nous l'admettons dans le même sens que M. Ar-
mand dans les autres procédés.
Nous sommes d'accord avec cet écrivain remarquable sur la valeur
de l'argument de saint Anselme. Ici je dois lui demander pardon de la
peine que je lui ai donnée pour saisir ma pensée. Dans mes Eludes, que
j'analysais rapidement, le texte de Tournély n'est cité que pour fortifier
l'objection. Dans mon analyse, par une distraction impardonnable, j'ai
dit: J'assure avec Tournély... et j'ajoute: J'aurais pu invoquer l'axi-
torité de Fénelon. Je crois devoir faire observer à M. Armand que
Fénelon fait sien l'argument de saint Anselme, et lorsque j'ai écrit:
Pour que l'argument de saint Anselme fût démonstratif, il faudrait
d'après saint Thomas, si nous avons bien saisi sa pensée, que l'on eût
prouvé que l'idée de l'essence divine représente un être réel, je sous-
entendais, qui la cause. Or, je persiste plus que jamais à croire que
« si nous ne pouvons conclure de l'idéal (ajoutez, s. v. p. conçu à la
suite d'une impression provenant d'un être), la perception extérieure
est impossible, etc. (p. 568 de l'art, de M. Arm.). En admettant la
perception immédiate des corps, M. Armand abandonne la doctrine de
saint Thomas, comme il peut le voir en lisant l'exposé exact qu'en fait
M. Roux-Lavergne dans l'introduction de son Compendium philos, j,.
doct. s. Thom., p. lxvih ; il admet deux choses contradictoires, une
perception extérieure, et une perception immédiate et intuitive, ce qui
l'a conduit à se faire une fausse notion de la vision intuitive de Dieu,
ainsi que nous le montrerons dans le prochain numéro de la Vérité.
Agréez, Monsieur le Directeur, etc.
Gros.
Saint-Nazaire [Hérault), 5 novembre 1863.
Ne pouvant éternellement répondre à toutes les répliques
que M. Gros inflige périodiquement à quelque Revue scieuti-
GCO CORRESPONDANCE, [To.uî Vill.
fique, nous nous bornons aujourdliui à la simple réflexion
suivante.
Tout auteur qui publie un livre peut naturellement le défen-
dre, c'est sou droit. Mais peut-il exiger, s'il est contredit, que
l'on réponde sans fin à toutes les indignations de sa plume?
Nous ne le pensons pas. Ce serait méconnaîtrties lois les plus
simples d'une bonne et discrète polémique, dont le mérite
principal est de profiter aux lecteurs. Si M. Gros pouvait être
de notre avis sur ce point, nous ne serions certes pas éloignés
de nous entendre ; car il ne s'agit au fond que d'une chose
fort simple, M. Gros croit « qu'il ne suffit pas que Dieu crée et
» conserve les êtres {les intelligences), mais qu'il est encore néces-
« saire qu'il les vivifie, quil les féconde ou qu'il les meuve, par
« une motion vivifiante qui rend l'âme intelligente et lumineuse
c( en acte. » Pour nous, tout en reconnaissant le concours uni-
versel et immédiat de Dieu dans les opérations de l'enten-
dement, nous n'admettons point la nécessité de cette motion
de Dieu spéciale, mais nous croyons avec les scolastiques que
nos idées sont le produit de notre activité intellectuelle et
qu'il n'existe aucun texte de saint Tliomas qui euseigne le
contraire.
Voilà tout le fond de la question. Que IM.Cros apporte donc
paisiblement les textes promis; nous les lirons, nous les médi-
terons avec respect, et si M. Gros a raison, nous le féliciterons
le premier de sou succès comme nous aurons été les premiers
à applaudir à sou courage.
P. -P. Armand.
Monsieur le Directeur,
Ce n'est pas sans surprise que j'ai vu votre typographe m'altri-
buer, sur la couveiture du dernier numéro, un article signé par
D,'c 1^03.1 COURESrONDANCK, GÇA
M. Le Roy (1). Comme cet article roule sur une publication en tête de
laquelle je suis inscrit comme collaborateur (quoique je n'y aie pas
encore travaillé), je tiens à ce que l'on sache que l'erreur typographique
est dans la table des matières, et non dans la signature.
Je profite de cette occasion pour soumettre quelques observations à
M. Le Roy, dont l'article bienveillant et impartial a d'ailleurs inspiré
à mes collaborateurs et à moi une vive reconnaissance. Les défauts
dont il parle, et que nous ne contestons pas, viennent de ce qu'étant
très-occupés tous les quatre, et ne pouvant aller aussi vite que l'éditeur
le voulait, nous avons été obligés d'avoir recours pour une partie de
notre tâche, à un cinquième collaborateur plus libre, et qui a désiré
garder l'anonyme. Dorénavant cet anonyme ne traduira plus, et tous
les volumes à paraître seront dans le genre du tome VI, pour lequel
M. Le Roy n'a que des éloges.
Notre estimable critique exprime le désir qu'on réimprime le texte
latin des sermons de Grenade, et une des raisons qu'il en donne, c'est
qu'on pourrait alors acheter les sermons sans les œuvres complètes. Je
suis heureux de pouvoir lui apprendre que l'éditeur vend séparément
les sermons traduits en français.
Quant au but que Grenade s'est proposé, nos collaborateurs ont
rencontré dans le texte latin un grand nombre de passages semblables
à celui que cite M. Le Roy, et ils sont d'avis que ce recueil de sermons
a été surtout composé pour l'utilité des prédicateurs.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, etc. .
A. Berton.
(1) Cette erreur, résultat d'une méprise de la part du compositeur, a été aper-
çue trop tard pour être réparée. Nous insérons la lettre de notre collaboiateur,
à cause des observations ou renseignemeiits utiles qu'elle contient.
{Note de la rédaction.)
CHRONIQUE.
1. Nous avons annoncé dans notre numéro d'octobre (p. 400), \e D?-e-
viuriuni philosophiœ scholaslicœ de M. Grandclaude. Le second volume,
qui termine l'ouvnige, est sous presse et va paraître en janvier. Nous
nous proposons de donner alors sur l'ensemble une appréciation plus
complète. Voici, en attendant, le jugement porté sur le premier volume
par un recueil des plus autorisés: «Maintenant, dans les écoles caîholiques,
« on ne discute plus si l'on doit ou non revenir aux doctrines philoso-
« plaques de saint Thomas; on examine seulement quelle estl'interpré-
« talion la plus vraie, quel est le plus heureux interprète de cette doc-
« trine, et enfin quel est le cours le plus propre à la faire entendre et
« retenir. Aussi, dans ce but, a-t-on publié en Italie un grand nombre
. « d'institutions qui ont concouru les unes plus, les autres moins, à faire
« revivre les enseignements du Docteur angélique.
« Nous sommes heureux aujourd'hui de pouvoir annoncer un cours
a semblable publié en France. Nous constatons dans cet ouvrage trois
« heureuses qualités : méthode rigoureusement scolaslique, et par là
« très-bien appropriée à l'enseignement; excellente distribution des ma-
« tières, non-seulement dans les parties principales, mais encore dans
« les parties secondaires et accessoires , et enfin grande clarté d'idées
« et de style. Ces trois qualités précieuses le recommandent beaucoup
« comme texte de classe.
« Nous formons donc le vœu que le complément de l'ouvrage, ou le
« deuxième volume annoncé, soit prochainement publié, parce qu'alors
« le service que M. Grandclaude a rendu à la science de la philosophie
« catholique sera plus facilement utilisé. » [Civiltà cattolica, 1 sabbato di
« novembre, p. 348.)
2. Les Casus conscientiœ du R. P. Gury, dont le second et dernier vo-
lume est encore Eous press?, ne seront mis en vente que dans le cou-
rant de janvier, chez M. Pélagaud (Lyon et Paris).
3. Sous ce titre : La Question liturgique à Lyon, paraîtra trè=- pro-
chainement une brochure qui reproduit tous les articles publiés dans ce
Recueil par M. Bouix. L'auteur y ajoute quelques observations relative: à
une lettre de S. E. le cardinal de Bouald, en date du 30 octobre 18C3. La
brochure, éditée par M. Rousseau-Leroy, sera également mise en vente
à Lyon, chez MM. Girard et Josserand ; à Paris, chez MM. Gaume frères
et Uuprey.
De.-. lRG-2.] CnnONîQUE. 6 5
4. Nonslavons parlé plusieurs fois d'une Revue qui se publie à Munster,
et qui, sous un volume peu considérable, avec des conditions de bon
marcbé inouïes (3 fr. 50 c. par an), reflète de la manière la plus fidèle
tout le mouvement littéraire de l'époque. {V. Revue, l. v, p. 411, et t.vi,
p. 492 s ) Depuis, le Literarischer Handweisern'afait que grandir en succès
et en importance : il compte aujourd'hui plus de cinq mille abonnés. L'as-
semblé'; des savants catholiques tenue eu septembre dernier dans la
capitale de la Bavière, l'a honoré d'une distinction flatteuie. On propo-
sait de fonder un orsiane central de la science catholique, destiné à la
représenter dans son ensemble et dans toutes ses tendances, destiné en
même temps à offrir aux hommes d'étude un moyen de communications
ou de correspondance publique. Cette idé:! était en grande partie irréalisa-
ble. Mais tout en la repoussant, plusieurs membres proposèrent de choisir
îe Literarischer Handwei^er comme organe des communications que le.s
savants auraient à se demander ou à s'adresser réciproquement.
Celte proposition fut acceptée par l'a-scmblée, et, au uom du journal,
par son rédacteur, M. le D"" F. Hûlskamp, qui était présent. Ainsi donc,
à partir du numéro de janvier 1864, le Literarischer Handweiser con-
tiendra, sans augmentation de prix, une section destinée à cette corres-
pondance. Naturellement, les théologiens français ne sont pas exclus.
Nous les invitons à profiter largement de la facilité qui leur est offerte,
car il est à désirer qu'il s'établisse un échange de plus en plus fréquent
d'idées et de communications entre nous et les théologiens d'Allemagne.
On adineltra tout ce qui rentre dans les rubriques suivantes:
1° Questions sur des points de bibliographie.
V Réputées à ces questions.
30 Communications et demandes de savants et d'écrivains relativement à
des ouvrages projetés on en voie d'exécution.
4» Courtes additions ou corrections d'auteurs à des ouvrages récemment
publiés.
5» Annonces de découvertes importante 1 en fait de manuscrits, documents
imprimés, lettres, etc.
5. Nous recevons le compte-rendu de l'assemblée de Munich, dont
nous venons de dire un mot. [Verhandlungen der Versanirnlung kalho-
lischer Gelehrten in Mûnchen. Regensburg, Manz, 8° de 143 p. 12 ngr.)
Malheureusement, il paraît que ce compte-rendu n'est pas rédigé avec
tout le soin possible. Quoi qu'il en soit, il comient beaucoup de ciioses
intéressantes, snr lesquelles nous aurons occasion de revenir. Nous avons
également sous les yeux le compte-rendu de l'Assemblée catholique de
Francfort, beau volume de 371 pages, dont l'impression, commencée
pendant la réunion même, était achevée huit jours après sa clôture.
C'est là une activité très -louable, et qni mériterait d'être imitée ailleurs.
I Verhandlungen der fiinfzehnten Generaluersammlung der Kalho/. Ve-
reine Deutschlands in Frankfurt a)7i Mein. Frankf. a. M., Harnacher,
20 ngr.)
E. Hautcœuu.
TABLE DES MATIERES.
Piges.
ETUDE SUR LA VIE DE JESUS, de M. Renan, par iM. l'abbé
SiMONis 5, 150, 237
DE L'ETAT DE NATURE ET DU PÉCHÉ ORIGINEL, par
M. le chanoine Berton 32, !26
DIVERSES CONCESSIONS faites par le Saint-Siège au diocèse
de Beauvais 47
LE PRINCIPE VITAL DANS L'HOMME, par M. l'abbé N. L. . . 5C
LA VÉRITÉ SUR LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE PARIS, par
M. r&bbé D Bouis 97,208,413,483
LA BIBLE E\ lA SCIENCE DE LA NATURE, par M. l'abbé
Hautcœur 193, 401, 515
LE CHRIST ET LES ANTECHRITS, par M. l'abbé SiMONis ... 803
NOUVELLES RECHERCHES SUR LA VIE DE SAINT DIÉ, abbé,
par M. de Maktonne 332
LA QUESTION LITURGIQUE A LYON, par M. l'abbé D. BoL'iX . 346, 529
ÉTUDES SUR LA PRÉDICATION, par M. le chanoine Barciet. 381, 338
LES SERMONS DE LOUIS DE GRENADE , par M. l'abbé
N.-G. Le Roy 433
LES SEPT PROPOSITIONS NOTÉES PAR LE S. OFFICE, par
M. l'abbé Armand . . , 446
LE SEMINAIRE FRANÇAIS A ROME, par M. l'abbé E. Hautcœur. 178
LE TROISIÈME ANNIVERSAIRE SÉCULAIRE DU S. CONCILE DE
TRENTE, par M. l'abbé N.-C. Le Roy 288
COMMENT LES USAGES S'INTRODUISENT, par M. le chanoine
Craisson 573
LITURGIE. — Réponses à quelques questions 172
— De certaines Coutumes 278
— Formule de l'absolutiou sacramentelle 454
— Patrons et titulaires des églises non consacrées. . 550
— Des Églises 361
— Des mots in honore ou in honorem. ...... 5G9
ACTES DIVERS DU SAINT-SIÉGE 77
BLIEF DE SA SAINTETÉ PIE IX, relatif à un nouvel Office de. .
rimuiaculé.j-Conception. 457
DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE . , C8
DÉCISIONS DE L ÉNITENCERIE 456
DÉCISION DE LA S. C. DES RITES 577
CORRESPONDANCE - 90, 301, 472, 595
MÉLANGES 183
BIBLIOGRAPHIE , . . . . 83, 293, 459, 579
CHRONIQUE , . • 69, 299, 400, 479, 602
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Absolution. — Sur la formule de l'absolulion sacramentelle, Atîl.
i\BSTiNE>CE. — Décisions de la S. Pénilencerie, -^56.
AiCQNER (le D'). — Compendium Juris eccltsiastki, 302.
Allemagne. — Littérature ihéologique (Î862), 90 ss., 301 ss.
Barue — Défense de la porter, 80.
Basilique. — V. Églises.
Beauvais. — Diverses concessions faites par le Sainl-Siége à ce
diocèse, 47 ss.
Bible (la)el la S'Mence de la nature, 194 ss., iOl ss., 515 ss. — Travaux
du P.Piaiiciani.l94. du P. Laurent, IC6, 474, et du D'Ueusch, 197,
— Rapports généraux entre la science de la nature et les documents
inspirés, 198. — Explication du récit de la Genè-e, 401, 515. —
Les jours génésiaques, leur délimitaiioo, 519, leur durée, 321. —
L'hypoilicse des jours-époques combattue sous ses diverses formes
522 ss.
Binage. — Décision concernant l'honoraire de la seconde messe, 77.
Bizouard (J.). — Des Rapports de r homme avec le démon, 86.
Buss (F. -G). — Troisième anniv. séc. du Concile de Trente, 459.
Cargn. — Méthode deplain-chant, bi3.
Casinius. — V. E'at de nalwe
Catéchisme. — Le Catéchisme en images, par l'abbé Couissinier, 97.
Chant ecclésiastique dans ses rai ports avec les règles liturgiques,
175 ss.
Chant du dernier jour, 588.
Chantres-Laïqles. — V. Coutumes.
Christ (le) et les Antecbrisls, 305 ss.— J.-C. dans l'Écriture, 307.—
J.-C, dans l'histoire, 312. — J.-C. dans la conscience humaine, 321 .
— Les Anttchrists, 328.
(loquet (l'abbé). — Lettre au directeur de la Reçue, 38?.
Cobbett. — Lettres sur la réforme, 9-î.
Co.NCiLE (décision de la S.-C. du) 68 ss. — Juris nominandi deputntos
pro Seminario, 68. — Distributtcnum, 70. — Dutium validatis
dispcn.satîonis matrimonialis, 72.
Concours. — V. Curés.
(Coutumes. — De certaines coutumes en matière de liturgie, 278 ss —
De l'usage de donner à des laïques des ornements sacrés, 261 , ci
en particulier des chapes, 286. — Comment les usages s'iutro-
duisenl, 573.
Création. — V. Bible.
CnAissoN (D ). —- Manuale lotius Juris cancnici, 4.)9.
€f G TABLE ALPHABÉTIQUE. [Tome VIII.
Curés.— Question de l'inamovibililé, 186.— Le concours à Mûnsle^,^83.
CusA (le Ca' Nicolas de), 95.
Dalgairns (le P.). — La sainte Communion, le Sacré-Cœur, 500.
D£CHAMPS(le P.). — Le Christ et les Jntechrists, 305. — Opuscules
divers, 479. — La Cause catholique, 589.
Des Mousseauî. — Les Médiateurs, elc, 265.
Dictionnaire des preuves de la divinilé de J.-C, 579.
DiÉ (S^j. — Nouvelles recherches sur la vie de ce Saial, d'après ua
document inédit, 532 ss.
Droit Canonique. — Publicalions diverses en Allemagne, Z0\. —
V. Craisson, Ginzcl, Phillips.
Dupanlodp (Mgr). — La Charité chrétienne et ses œuvres, 479.
Églises. — Difîérenls noms, :;6i. — Diverses espèces d'églises, 564.
— Des basiliques, 566.
Friedrich (le D';. — Jean TIus, Jean fVessel, 93.
Gams (le l'.) — Histoire de V Église d'Espagne, 92.
Gauue (l'abbé). — Le N. T. de N.-S. J -C, traduction nouvelle, 464.
Gilly (le D"-). — L'Ecclésiaste, 467.
GiNZEL (le Df). — Manuel du droit ecclésiastique, 301.
Grandclaude- — Breviarium philosojjhix scholasticae, 400, 602.
Gratry (le P.) — Commentaire sur l'évangile selon saint Matthieu, 96.
Grenade. — Les sermons de Louis de Grenade, 433 ss. — Grenade
considéré comme orateur sacré, 433. — La nouvelle traduction, 436.
Gury (le P.) — Ca^us conscientiae, 479, 602.
Hauscoer (le P.) — Paschase liadbert, 03.
Hefele. — Histoire des Conciles, 92.
Herdt (de). — Compendiosa subdiaconurum et diaconorum instru-
ctio, eîc, 400.
Histoire ecclésiastique. — Prin' ipaux manuels usités en Allemagne,
91.
llcEFLER. — Les conciles de Prague avant la période hus$ite, 94.
fiuLSKAMP (D"") Ltterari>cher Handwei^er, 605.
Immaculée-Conception — Bref dt' SS. Pie IX, relatif à un nouve-
Oftire, 457.
Inamovibilité. — V. Curés.
Index. — Livres mis k l'Index, 96, 299.
Indulgences. — Indulgences accordées à l'Archicoiifrérie de l'Assomp-
tion, 7i). — V. Cloquel.
Jours, — V. BiLte.
JÉSUS [Vie de). — V. Renan.
KoDER (le D'J. — Traiié des suspenses, 302.
L^MMER (le D"^). — Édition cVEusèbe, 90. — Spicilegium Romanum,
fti-,,94.
Laurent (le P.) — V. Bible.
Libéra TORE (le P.) — V. Principe vital.
Dec. 1863.] TABLE ALPeABÉTIQUE. 607
Litanies. — Sens de la prohibition qui concerne les lilanies non ap-
prouvées, 577. V. Liturgie.
Liturgie. — Réponses a diverses questions, 174, <75, 177,434.—
Faut-il dire in honore ou in //onorem dans la prière Suscipe, sancta
Trin/ïas, 569. — Décision de la S. C. des Riles, concernanl les
litanies du S. Nom de Jésus, 577. — Publications liturgiques en
Allemagne, 30-5. — V. Absolution, Beauvais, Chant, Coutumes,
Eglises, Lyon, Patrons.
LucoT ;rabbe), 584.
LïON. — La question liturgique k Lyon : Examen d'une Apologie
publiée par MM. les curé.* de celle ville, 346 ss. — Les faits antérieurs
à la lettre du cardinal Patrizi au cardinal de Bouald, 349. — Les
faits depuis la publication de celle lettre, 360. — Nouvelles obser-
vations, 529 ss. ; texte de la circulaire à MM les chanoines, 530.—
Pro'.estalion de M. le chanoine Des Garets contre les faits à lui im-
putés, 533.
Martin (le D--). — Theophilus, 303.
Martin (l'abbé). — rie de M. Gorini, 480.
Mathieu (le C*i). — Le Pouvoir temporel des Pages, 96.
Matignon (le P.) — La Question du surnaturel, 400.
Messe. — V. Binage.
MuHLBAUER. — Décréta aulhentica S. Rit. Cong., 304.
Natcre (de l'état de) et du péché originel, d'après Casinius, 32 ss.
126 ss. — Caractère de la censure des propositions de Baïus et sons
authentique de ces propositions, 33. — Gratuité des dons que le
péi hé originel nous a fait perdre, 59. — De l'immortalité, 42. —
De la douleur, 43. — De la concupiscence, 126. ■— De la pleine con-
naissance du droit naturel, 135. — Que la sainteté, ainsi que les
veriusel les actes qu'elle comprend, ne sont pas dus à la nature,,
159. — Delabéalilude céleste, 442. — Conclusion, 145.
Patri.stique en Allemagne, 90.
Patrons et titulaires des églises non consacrées et des oratoires, 550 ss.
Pénitencerie. — V. .abstinence.
Phillips (le D''). — Ouvrages sur le droit canonique, 301.
Philosophie.— Les sept propositions noiées par le Saint-OfGce, 446 ss.
Lettre de M. l'abbé Cros, !;93. — V. Principe vital, Sanseverino,
Thomas.
PiANCiANi (le P.) — "V. Bible.
Plain-Chant. —Des rapports du chanl ecclésiasiique avec la règle de
l'Église, 174. — De l'usage d'alterner le chant du C7edu entre le
chœur el un chantre placé à l'orgue, 175.
PoHLMANN (D''). — Travaux sur S. Ephrem.
Prédication.— Etudes sur la prédication, 381 ss.,53S ss.— Importance
de l'art oratoire, ibid. — Qualités du discours chrétien, 382. —
De l'Écriture sain le, 538 ss.
(•.08 TABLi; ALPiîAEÉTiQUE. [Tome V!1I.
Principe vital (le) dan- l'homme, à propos d'uu livre du P. Libera-
lore, 06 ss.
Renan. - Élude sur la Fie de Jê^us, par M. Renan, 5 ss., +30 ss.,
237 ss.— M. Renan, 5 ;— M Renan el l'Histoire t'vangélique, 11 ; —
M. Renan el le miracle, 20; — M Renan et les prophéties messiani-
ques 130. — L'incarnaiion, li>2. — M. Renan el l'Église, 257, —
La vision di M. Renan, 2o0. ~ M. Renan et la personne de Jésus,
2G3. — ^ote sur la Fie de Jésus, '299. — Jugement de la science
Mllemandc, 480.
Reusch Ile D'). — V. Bble.
RiiTER. — Manuel d'histoire ecclésiastique, 91.
Sanseverino. — Philosophia Chrisliana, 468,
ScHARPF (D'). —Travaux sur Nico'as de Cusa, 93.
ScHEEBEN (le D'). — Quid est homo,A. Casinio, V. Nature,
Schneider, Manuale sacerclotum, 387.
ScHRADER (le p.). — Thèses Ihcologicse, 500.
ScnwANE (le D'). — Histoire des dogmes, 91.
Séminaire (le) Français à Rome, 478.
Ségur (Mgr de). — Le Souverain Pontife, 96.
S0RBOXNE. — La vérilé sur la Faculté de Théologie de Paris, de 4663
à 1082, d'aprè-) des documents inédits, 06 ss,, 208 ss., 413 ss.,
483 ss. — Situation à partir de 1601, 98. — AflF.iire de la thèse de
Gabriel Drouèl de Villeneuve. Renseignements transmis à CoU>erl
sur les docteurs, en particulier surBo;suel et les Siiipicieos, -103. —
lienseigneraenls sur les docteurs i!e la Sorbonno, 208. — Les doc-
leurs de ta maison de Navarre, 2:22.— Les dorieurs ubiquisles, 226.
— Les docteurs moines, 25'. — Les bacheliers en licence, 236. —
Arrêt du 22 janvier 4663, enregistré forcément. Ai'.). — Les six
fameux articles de 1665 ne doivent pas être a'iribués à la Faculté,
410. — Elle a défait rejeté el réprouvé les quatre articles de
1682, lesquels n'ont été enregistrés que par force, 483 ss. — Nou-
velles menées, menaces, mesures d'iniimidalion pour la ramener
à des senlimenls difl'érenls, 497. — On lui arrache la condamna-
lion delà ceDîure de l'Archevêque de Slrigonie, 50.j. — Sa prétendue
adhésion .n l'appel au futur concile, en 1188,514.
Stadler (le D'). — Dictionnaire universel d'hagiographie, 95.
Thomas (S'). — Sa philosoiihie, 472.
Trente. — Troisième anuiversaire du Concib', 288. — V. Buss.
Walter. — Fontes juris ecclesiaUci, 303.
Watterich (le D"*). — Fies des Papes du X^ au XIP'^ siècle, 92.
Vverner. — Histoire de la littérature apologétique et polémique, 91.
WiNKLER (le D""]. — Manuel de droit canonique, 302.
Arras, — Typ. Rousseau-LerDy, rue Saiiu-Maurice i& .
LA THEOLOGIE DES CATACOMBES.
TROISIEME PARTIE.
LES CATACOMBES CATHOLIQUES.
Les dogmes chrétiens ne sont pas de folles abstractions,
mais de divines réalités, qui vivent dans la sainte Église et
par elle. Or, l'Eglise, renfermée aux Catacombes, y a laissé
son empreinte et son image ; les grains de sable, la pierre et
le marbre qu'elle a touchés, le tombeau qu'elle s'est façonné,
le silence même et l'ombre de ces souterrains parlent d'elle.
Plus les persécuteurs la comprimaient, plus elle développait
d'énergie là où elle était refoulée, et cette énergie s'est mani-
festée par des œuvres puissantes comme les œuvres de Dieu.
Il est donc possible de demander tout l'ensemble de nos*
dogmes à l'Église, et de retrouver l'Église tout entière dans
la Rome souterraine. C'est le sujet de ce travail (1).
L'Église des Catacombes nous dira de quelle sorte elle
comprit dès lors son essence, sa mission, sa hiérarchie, sa
préparation dans l'Ancien Testament, et ses rapports avec la
sainte Trinité, le Verbe Incarné, les ordres Angéliques,
triple idéal dont elle est l'imitation sur la terre ; comment
et par quelles voies secrètes de la grâce elle engendrait les
hommes à la vie chrétienne ; de quels aliments divins elle
(1) Nous n'entendons pas discuter ici des questions spéciales d'his-
toire, d'archéologie, de symbolisme, etc.; mais nous attachant à ce qui
a été dit de plus solide en ces matières, nous eu indiquons rapidement
les principaux résultats au poiut de vue dogmatique et apologétique.
1
578 LA THl'.OLOGTf: DiS C.vTACOMP.F.S.
soutenait et agrandissait leur intelligence et leur cœur ; par
quels coups funestes les fidèles sont arrachés à leur mère,
et par quelle vertu elle leur rendait la vie; elle nous décou-
vrira l'activité qui propagea cette vie surnaturelle jusqu'à
nous ; et enfin les mystères de notre naissance à l'Eglise
des Cieux, les gloires de la Résurrection et de la Vision
bienheureuse. Ainsi, la sainte Église Romaine sera le pre-
mier et le dernier mot de cette étude, le point central de cet
essai de synthèse théologique et archéologique (1 .
I. — L'Église romaine.
On a longuement et savamment prouvé l'existence et l'or-
ganisation sociales de l'Église, pendant les trois premiers
siècles de l'ère chrétienne. Mais toute la certitude de ce tra-
vail n'égale point la conviction que produit dans l'âme une
visite rapide aux Catacombes. Cette cité souterraine, une
des merveilles du monde, ne peut être que l'œuvre d'un
peuple entier.
(1) Au siècle dernier, un savant auteur disait: « Rem maguam feceril
« ae tbeologis peropportunam qui ex adcuraliorijjus antiquariis cuncta
« Chrisliana monumenta seligeret et in unum sacrée rei autiquariae cor-
« pus redigeret, divisum scilicet ia cujusdam Theologici systematis capita,
« sub quibus moDumenta cuique respondenlia, suis adjectis int^rpreta-
« tiouibus adtîgerentur : inde siquidem allicerentur vehenoenler Theologi
« ad rei antiquariis usum, babentes utique ad manum ea — suis illu-
« strandis Iher.ibus — erudilionis documenta. » (J.-B. Gêner S. J. Theo-
logia dogmatiro-scolastica, Romae 1767, tom. I, p. 319.)
C'est encore le vœu que formait naguère le R. P. Garrucci, en don-
nant la nouvelle édition de ses Veiri ornati di figure etc.; in-4o et
atlas in-fol. (Rome, typ. des beaux arts, 1864.) Nous ferons de largea
emprunts à cet admirable ouvrage, dont nous avons déjà annoncé la
première édition. (Cf. Revue des Sciences ecclésiastiques, 1862, n" de
novembre.) — Le R. P, Garrucci publie en ce moment, à Rome, une
série de dissertations arcbéologiques du plus haut intérêt ■ nous les
recommandons à l'attention de nos lecteurs; ils y constateront, une fois
de plus, que la vraie science est encore aujourd'hui une des gloires de
l'Eglise catholique, et que la science qui se dit séparée, est bien plus
vaniteuse que solide.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 579
Et ce n'était pas une Eglise invisible, purement idéale,
qui se préparait ici un sépulcre et un temple. Qu'en aurait-
elle eu besoin? Ce n'était pas davantage une foule confuse
de rêveurs indépendants : ses ouvrages eussent manqué de
Yunité de plan qui caractérise les Catacombes. Au temps
même de saint Pierre, l'architecte qui ouvrit le premier
cimetière, celui de Priscille, essaya d'une méthode très-
avantageuse à certains points de vue : « Il s'attacha à mé-
« nager comme une suite continue de chambres,.... de
« grandes cryptes et de cubicula se tenant ensemble, et
« devant servir, en même temps, à l'ensevelissement des
« morts et à la réunion des fidèles (1). » Toutefois, il re-
marqua bientôt qu'un pareil système exposerait son œuvre
à une ruine totale, et il l'abandonna pour s'attacher à un
autre, moins grandiose sans doute, mais où l'emploi alter-
natif de galeries longues et étroites, et de salles plus spa-
cieuses, offrait à la fois des assurances de solidité et d'é-
légance. Ce nouveau plan est dès lors suivi avec une
inviolable fidélité. L'unité de style dans les inscriptions,
les chapelles, les autels, les peintures symboliques, accusent
l'existence d'une autorité qui a tout dirigé -, l'arbitraire ne
règne pas dans les Catacombes, les caprices de l'art ont été
réprimés par une loi constante; le langage du premier siècle
ne contredit point celui du quatrième; les peintres contem-
porains des apôtres n'ont rien dessiné, que les générations
suivantes n'aient vénéré et reproduit. Donc, l'Eglise qui
exécuta cette œuvre, était, wne; donc, elle était soumise à
un pouvoir hiérarchique qui maintenait l'immulabilité du
culte, du dogme, des traditions morales et esthétiques.
Jésus-Christ a promis d'habiter dans l'unité de son
peuple; la sainteté, qui est le fruit de sa présence, ap|)araît
(1) Notice sur deux catacombes de la nouvelle vote Salaria, olc, par
l'abbé A. ScoguamigUo, ParU, 1863, p. 17.
580 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. ,
bien dans les Catacombes. Palmes gravées sur les couches
funèbres, emblèmes du combat, symboles de la virginité,
du détachement, de l'espérance; aspirations vers Dieu;
professions de foi à l'ordre invisible et surnaturel, que votre
concert est éclatant ! Le sang généreux des martyrs a bai-
gné ce sable, le parfum céleste des vierges monte encore
sous ces arcades, et les hymnes des confesseurs prolongent
leurs échos dans ces galeries oij je crois les entendre et oiî
je mêle, pour ainsi dire, ma voix à leurs chants.
Les plus anciens Pères invitaient souvent les hérétiques
à consulter les archives de l'Eglise romaine, pour constater
la succession fidèle des Apôtres. Or, elle n'avait pas
de plus nobles archives que ses cimetières: Pierre y repo-
sait, et tous ceux à qui il avait transmis le pontificat
suprême. Leurs épitaphes composaient les pages d'un livre
très-solennel et très-authentique, que ni le temps ni la
haine du bourreau ne pouvaient détruire. Ou venait, des
extrémités de la terre, lire ces annales brèves et énergiques,
et raffermir l'autorité ébranlée des églises particulières, en
les rattachant à l'évidente a^ostolicité de l'Eglise romaine.
L'aposlolicité devenait ainsi le fondement de la catholicité
dont les Catacombes étaient le centre: les docteurs de'
l'Orient et de l'Occident, Polycarpe, Hégésippe, Justin le
Philosophe, Irénée, Origène, Terlullien, Pierius et bien
d'autres, s'y sont rencontrés aux pieds de saint Pierre
vivant dans ses successeurs. Les missionnaires qui évangé-
lisaient le monde entier, s'élançaient de là ; et c'est chose
touchante que de relire, aux Catacombes, la conclusion
invariable de l'histoire des papes martyrs; « Il fit une
ordination et créa beaucoup d'évêques en divers lieux »,
episcopos per diversa loca. La foi jaillissait de ce foyer et y
revenait bientôt, sur les ailes de l'amour. Le charme divin
qui amène de nos jours à Rome tant de nobles chrétiens,
exerçait déjà son influence dans le monde : les descendants
LA THÉOLOGIi; DKS CATACOMBES. 581
des Druides ou des sages de l'Aréopage, les Germains et les
Ibères, les habitants des montagnes de la Syrie, des plaines
de Babylone ou des bords du Nil, se rassemblaient au Co-
lysée, pour se réunir ensuite aux Catacombes: toutes les
tribus de la terre y sont représentées- elles y ont mêlé leurs
noms et leur sang (1).
C'est ainsi que Rome souterraine démontre l'existence
et la divinité de l'Église romaine, une, sainte, catholique
et apostolique! Démonstration d'une autorité incomparable,
puisqu'elle est la voix des temps qui suivirent immédiate-
ment le Christ, la voix des papes et de leur clergé, jusqu'au
règne de Constantin, la parole que l'Église universelle reçoit
comme celle de Dieu même, la voix que saint Irénée, et
Origène venaient entendre et honorer de leur soumission,
la voix que les hérétiques ont contredite sans pouvoir
jamais l'étouffer. Nous pouvons donc l'écouter, à notre
tour, sûrs de recueillir l'enseignement de l'Église primitive,
la doctrine des Apôtres, la vérité de Dieu.
II. — Idéal de l'Église.
Dieu un en trois personnes. — L'Incarnation. — Les Anges.
I. La croyance des premiers âges chrétiens à l'unité abso-
lue de Dieu, est un fait trop évident pour en demander les
preuves aux Catacombes. Les traces de polythéisme qu'on
y a voulu signaler, sont l'œuvre et la propriété d'une secte
gnostique. Le pinceau de nos peintres représentait les saints
et la Mère de Dieu elle-même, les bras élevés au ciel, dans
l'attitude de la prière, en sorte que l'ignorance ne pût les
prendre pour des divinités. Et pourquoi ce sang recueilli
(1) Voyez l'excellent ouvrage réceuinient publié par le R. P. Perrone:
S. Pietru in Rom'.i (Rome, 1864), surloul cbap. m, §7.
582 LA TLIÈOLOGlt: DES G VTACOMBES.
dans (Jes ai]i[)nul(\s que je vénère sur les tombeaux? Pour-
quoi la présence de rÉglise au sein de la terre? Parce que
le sang des martyrs et la voix du peuple chrétien ont con-
fessé l'unité de Dieu, et que Rome idolâtre n'a point
voulu le souffrir. Aussi \esfossores écrivent sur la tombe du
fidèle :
IN VNV DEV CREDEDIT.
« Il a cru en un seul Dieu! » (1)
II. Le dogme de la Trinité est très-difficile à exprimer
dans le symbolisme chrétien; son caractère essentiellement
métaphysique, la doctrine théologique qui attribuait
l'invisibilité au Père, et au Verbe les manifestations
divines, le danger de mettre sous les yeux de néophytes
trop familiers avec le polythéisme, la représentation sensible
et imagée des trois personnes divines, arrêtèrent long-
temps les peintres desCatacombes.il est vrai que le triangle
se voit quelquefois sur les locuH, mais sa valeur symbolique
est loin d'être certaine (2). En revanche, les inscriptions
étaient explicites :
(m) NOMINE BEI PATRIS OMNIPOT {enti) S
ET DOMINI NOSTRI lESV I FI [lii et)
SANCTI PARAGLETI EVSEBIVS IN FA...
(ren)OVAVlT CYMETERlV(m) TOTV(m).
« Au nom de Dieu, le Père tout-puissant, et de Notre-
(1) Musée chrétien de Latran. Quant aux sigles D. M., D. M. S. que
l'on voit quelquefois dans nos cimetières, ou bien ils apparaissent sur
des pierres sépulcrales venues du paganisme et employées ensuite par
les chrétiens; ou bien, ils ont été inspirés par une idée parfaitement
juste et signifient: a A Dieu très-grand, — Consacré à Dieu très-grand ! »
(2) Cf. Geuer, tom. ii, p. 375-376. Les païens employaient le même
si^ne sur leurs sépultures. Le Spicilége de Solesme (tom. iv, p. 499)
rapporte nue inscription carthaginoise où le sens du triangle et des trois
points qui l'accompagnent n'est guère plus certain.
LA théoi.ocie des catacombes. 583
« Seigneur Jésus-Christ, son fils, et du saint Paraclet, Eu-
« sèbe... a renouvelé tout le cimetière (1). »
0 0EOC 0 KA0HMENOG
EIC AESIA TOT nATPOC
Eic TonoN ArmN coy
NERTAPEOY TO U'VXA
PION rPA<I>E.
« 0 Dieu, qui êtes assis à la droite du Père, inscrivez la
« petite âme de Nectarée dans le livre du royaume des
« saints (2). »
Un grand nombre d'épitaphes portent la formule : In Spi-
ritu sancto, Spiritasancta, in Spiritosanctobono, etc.; quoique
parfois elle s'applique peut-être à l'àme des fidèles, il est
des cas où sa signification divine est constante, comme en
ce monument du troisième siècle, retrouvé dans la cata-
combe de Saint-Hermès, et publié par le Père Marchi :
nPiîTOG EN Ariiî llNEVMATl 0EO
EN0AAE KEITAl «WPMIAAA AAEA<1)H
MINHMHG XAPIN.
« Protus, repose ici, dans le saint Esprit de Dieu! Fir-
M milla, sa sœur, en souvenir! » (3)
CAR RYRIACO
FIL. DVLCISSIMO
VIDAS IN SPIRITO SAN.
« A notre cher Cyriaque, très-doux fils 1 Vis dans l'Es-
« prit-Saint (4) ». .
(1) Inscription conservée à Saint-Paul-hors-les-Murs.
(2) Boldetti : S. Priscil., p. 58.
(3) Monumenti primitivi, etc., p. 198. Une sépulture di^ la catacombc
des saints Marceliin et Pierre, représentait une colombe courontiée d'un
diadème, el surmontant une cliaire pontificale dont elle paraissait inspi-
rer le possesseur. (Voir plus loin, v. 3.)
(4^ Cette belle pierre sépulcrale est du cimetière de yaint-CHlixlc, et
reproduite au musée de Latran.
58/| LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
Quand la théorie des théophanies commença à changer
de direction dans les écoles chrétiennes, un sarcophage de
Sainte-Agnès et un autre des catacombes de Lucine, repré-
sentèrent le Père éternel comme un vieillard. Un bas-relief
de la même époque, qui se voit au musée du Latran, a
figuré la Trinité, dans la création d'Eve. Les trois personnes
sont parfaitement semblables: elles ont les mêmes traits de
l'âge mûr, bien que la première occupe un trône et préside
ainsi à l'œuvre divine.
III. L'Église qui est une et distincte comme le Père, le
Fils, et l'Espril-Saint, possède un autre modèle qui lui est
d'autant plus cher, qu'elle en est l'effet et l'éternelle conti-
nuation. Jésus-Christ a deux natures unies hypostatique-
ment et sans confusion ; l'une est l'élément divin, l'autre,
l'élément humain, et la personne qui subsiste en elles, est
le Verbe de Dieu. Ainsi, l'Eglise est à la fois chair et esprit,
invisible et visible, céleste et terrestre, grandissant et se
développant jusqu'à ce qu'elle atteigne à la pleine mesure
du Christ. — Idéal vraiment divin! et avec combien
d'éloquence les Catacombes disent que Jésus-Christ est
Dieu !
Les fresques et les sculptures ;1) rappellent les prophé-
ties et les miracles par lesquels ilprouvait sa divinité; elles
lui attribuent, comme je le dirai tout-à-l'heure, les œuvres
etles révélations de Jéhovah, le Dieu de l'ancienne alliance;
pendant les premières persécutions, elles ne le représentent
guère que dans ses mystères glorieux, de peur que la vue
trop fréquente de ses souffrances n'affaiblisse la foi à son
infinie majesté ; quoique l'Évangile rapporte qu'il a prié,
elles ne le montrent jamais dans cet acte, qui procède de la
nature humaine ; s'il est assis sur les genoux de sa mère,
(1) Les monuments, dont il est ici question, sont trop nombreux pour
que je les indique en détail: du reste, beaucoup d'entre eux reviendront
sous nos yeux, dans la suite de cette étude.
LA ja^OWWlE pfiS CA'M(^OMBES. 5$^,
Marie l'adore, en élevant les bras au ciel, mais lui, la splen-
deur et le verbe du Père, garde l'attitude qui convient à
Dieu ; les Mages, la gentilité, et Rome avec eux, se pro-
sternent à ses pieds-, Polyc^rpe, Irénée, Origène, voient ces
peintures et ne les jugent point idolâtres.
Ils voient sans les accuser d'impiété, ils approuvent et
dictent eux-mêmes les inscriptions qui nomment Notre-
Seigneur « le dieu assis à lu droite du Père {[) ; le Christ
SAINT », source et récompense de nos mérites :
A I li
PATRI ET MATRI LEONI ET
MAXIMiLIANETI LEOPARDVS FlLl
VS BENE MERENTIBVS IN XPO
SANCTO FECIT • PATER DEP. VI
IDVS lAN (2).
« Le Diçu et SEIGNEUR Christ, en qui les fidèles souhaitent
« à des â.mes chéries de reposer et de vivre:
EPMA EIGXE • (I>aÇ = Z
UG EN 0EÛ KYPEI
Q KPEICTiî ANN
ÛPOYM • X • MHGli
POYM SEPTE.
« Hermès, possède la lumière! Tu vis en Dieu, le Sei-
« GNEUR, le Christ! Il mourut âgé de dix ans et sept
« mois (3) ».
(1) Voyez plus haut, l'iascription de Nectarée.
(2) Gatacombe de Gyriaque (Boldetti, p. 343.)
(3) Nous avons recueilli au musée de Latraji cette iQ.scripl(ion bar-
bare, et pourtant admirable ; on remarquera que la première partie est
grecque, la seconde latine et écrite avec les deux alphabets. La voyelle
i est remplacée par la dyphtongue ei; ZHC, pourrait se traduire aussi [)ar
l'acclamation : « Vis en Dieu !,.. »
586 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
Une autre inscription consacrée par Domitia à sa fille,
très-chère et très-innocente enfant, commence par ces
mots;
IN D. GHRISTO.
« En Dieu, le Christ! » (1)
Pretectus, enfant de neuf ans, avait été élevé pour le
Dieu Christ, dans son amour et celui des martyrs :
NVTRICATVS DEO CRISTO MARTVRIBVS (2).
Le chevalier de Rossi découvrit, en 1851, sur la chaux
qui fermait un loculus du cimetière de Prétextât (3), l'accla-
mation : « Deus Christus omnipotens, refrigeret spiritum
tuum! »
Le monogramme : %. "k. X., ce signe du Christ, ainsi
que l'appelle une épitaphe de la catacombe de Priscille (4),
ce signe, qui devait plus tard apparaître à Constantin,
couronner ses aigles et glorifier devant le monde entier la
divinité de Notre-Seigneur, la proclamait déjà aux Cata-
combes. Qu'il soit une partie essentielle des textes lapidaires
où on le rencontre, ce n'est point douteux, et cela est sou-
vent nécessaire: par exemple : .... NEOFITVS IN I —
SCIMVS TE IN ^ - ■ VALE IN :S — TE IN PAGE ^ FA-
CIAT, que d'autres épitaphes expliquent: «fVale in XP, —
in XPO sancto, — in pace Cristi. » Les Ariens des temps à
(1) De la catacombe de Cyriaque, au musée de Latran.
(2) Ibid.
(3) Cette inscription latine, en caractères grecs, a été publiée par M. de
Rossi dans son Bullettino, no 1, p. 2.
(4) « ^ SIGNV CRISTI. » {Notice sur deux catacombes, elc, pi. n.)
Sur la date et l'emploi du monogramme, voyez Garrucci : Vetri, pas-
sim; Deux monuments des premiers siècles de l'Église, p. 15; et les
études archéologiques du chanoine Profili dans le Journal de Rome, de
1864.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 587
venir étaient donc condamnés à l'avance par les inscriplious
suivantes :
AEQVITIO • IN I DEO • INNOFITO
BENEMERENTI QVI VIXIT
AN XXVI. M. V. D. IIII. DEC. III. NON. AVG.
« Dans le Christ \)\z\s\ ^Equitius, néophyte, bien raéri-
« tant, qui vécut vingt-six ans, cinq mois, quatre jours,
« et mourut le troisième des nones d'août (1). »
ERENEA VI
BAS IN DEO aIîî.
« I renée, vis en Dieu^ le Christ! (2) »
DEO SANG ^ VNI
LVCI TEGVM PAGE.
« Au Dieu saint, le Christ, un! Lucius, la paix soit avec
0 toi 1 (3) » Oui, gloire au Dieu saint, qui est le seul vrai
Dieu, et qui est le Christ consubstantiel à son Père, subsis-
tant en deux natures, mais «n par l'union hypostatique, '
etanathème à ceux qui le divisent d'avec son Père ou d'a-
vec lui-même !
Très-souvent aussi, le monogramme est accompagné des
lettres alpha et oméga :
Que ce signe est lumineux î Que l'idée en est profonde î
(1) Catac. de Cyriaque; au Latran.
(2) Musée Kircher.
(3) Aringhi, t. ii, p. 21. — Gêner ( t. il p. 60 ) y ajoute, d'après les
mss. de Muratori, un monogramme et le bon pasteur portant la brebis
sur ses épaules, ce qui précise davantage encore le sens de l'inscription
et la rattache plus étroitement à Notre-Seigneur,
588 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
L'alphabet est l'expression de la science, le vêtement
de Téloquence, la figure matérielle de la poésie, l'enve-
loppe de tout ce qui est notre gloire ; et vous. Seigneur
Jésus, vous en êtes l'A et VU, la splendeur dont nos
lumières sont un reflet, l'idéal qu'elles imitent, même
quand elles s'en défendent, et la vérité que les lèvres
humaines doivent glorifier ! Vous êtes le premier et le
dernier, Tocéan d'être, la perfection sans limites, l'acte
très-pur dont l'existence ne connaît pas de succession,
puisque vous êtes, en un même temps, TA etl'tîl
Verbe divin ! votre nature ne reçut point d'une autre
l'existence ; elle est à soi-même sa cause, car vous êtes
l'alpha! Tandis que tout le reste, las de soi-même,
cherche au-dehors le bonheur, vous êtes votre fin et votre
terme, l'oméga au-delà duquel il n'y a rien.
Vous êtes TA, le principe de ce qui est possible et de
ce qui existe ; de tous les degrés de l'être, des relations
et des lois, de l'harmonie et de la beauté 1 Vous êtes
l'û à qui tout obéit; tout, sortant de votre puissance,
est irrésistiblement entraîné, par son essence, vers votre
justice ou votre miséricorde; comme tous les signes de
notre langage sont compris entre l'A et l'ii, ainsi tout
est renfermé, disposé, ordonné en vous.
Oh 1 je t'adore Aii! tu t'es incarné! et c'est pourquoi
je vois le labarum de Constantin, étroitement enlacé
dans ton sein : « )J( w ! Tu n'as point cessé d'être mon
Dieu immense et éternel; mais lu es de plus, l'époux, le
principe et la fin de la sainte Église qui est née de ton
sang!
L'IX0Y3, si familier aux chrétiens de la Rome souter-
raine, est une autre confession de la divinité du Christ;
son image rappelle, et son nom renferme les lettres sacrées :
0Y, initiales des mots 0£oïï Yloç-, c'est la doctrine des
Pères, la tradition constante de l'Église. Donc, chaque
LA THÉOLOrTlE DES CATACOMBES, 589
fois que les fossores, les peintres et les sculpteurs retraçaient
ce symbole ; chaque fois que les chrétiens s'en paraient
comme d'un ornement, ou le saluaient dans les Catacombes,
ils proclamaient Jésus-Christ Fils de Dieu, et Sauveur (I).
Enfin, la colombe unie à la croix, comme sur des lampes,
et autres objets des premiers siècles chrétiens, marque la
nature divine du Christ, car TEsprit-Saint a apparu sous la
forme de la colombe, afin de témoigner de l'incarnation du
Ve.rbe (2).
Notre-Seigneur, qui est vraiment Dieu, est aussi vraiment
homme. On n'en douta jamais dans la Rome souterraine,
et je ne m'arrête à ce dogme que pour signaler quelques
protestations contre les rêveries des docètes. Non-seulement
plusieurs monuments représentent l'enfant Jésus dans sa
crèche que les bergers vénèrent, et entre les. bras de Marie,
mais une fresque de la voie Salaria le montre allaité par sa
u]ère (3), en sorte qu'il faut s'écrier, en l'adorant: Ave
verum corpus natum de Maria Virgine ; la croix qui com-
pose le monogramme indique la réalité de ses souffrances ;
l'agneau qu'il porte sur les épaules figure, au témoignage de
l'antiquité ecclésiastique, la nature humaine, « la Pâque
immolée pour le salut du monde (4). » Quand donc la
cornaline du musée Kircher, si savamment décrite par le
R. P. Garrucci (5), réunissait, dès le deuxième siècle, la
(1) Sur l'i/Oùi;, voir, outre les ouvrages du R. P. Garrucci, les im-
menses recherches de S. E. le cardinal Pitra et de M. de Rossi, dans le
Spiciiége de Solesme (tom. m). Les musées de Rome conservent un
grand nombre de lampes, de pierres gravées, de verres, qui portent le
nom ou l'image du poisson symbolique ; et de petits poissons d'ivoire, de
cristal, etc.. des'tinés à être suspendus- au cou, et qui furent sans doute
l'origine des croix et médailles que la dévotion catholique lient en si
légitime estime {V. Aringhi, t. n, p. 62»),
(2) Cf. Deux monuments etc., p. 26-27.
(3) Cf. Sco- lamiglio. op. cit., p. 22. Cette peinture est au moins du ii»
siècle, au jugement de plusieurs auteurs.
(4) Cf. Garrucci; Veiri, p. 60. Deux monuments etc., p. 25 et 29.
(5) Deux monuments etc., p. 19.
590 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
croix, l'agneau et la colombe, elle traduisait dans un lan-
gage visible l'inscription de Lucius: « Deo sancto Christo
uni. » — Outre plusieurs significations que nous indique-
rons plus loin, la cithare du bon Pasteur et d'Orphée sym-
bolise elle-même l'humanité du Sauveur. « Le Verbe de
« Dieu, dit Eusèbe (1), le Verbe très-sage, et très-habile en
0 toute harmonie, voulant appliquer aux esprits humains,
« corrompus par de nombreuses infirmités, tous les genres
« de remèdes possibles, prit dans ses mains un instrument
« de musique, créé par sa propre sagesse, c'est-à-dire, la nature
« humaine »
VI. Le troisième idéal que l'Église reproduit en ce monde
est l'armée des anges, et leurs gracieuses images réjouissent
souvent les tableaux dogmatiques des Catacombes : ils se
jouent dans les rameaux de la vigne sacrée, au milieu des
oiseaux du ciel et des animaux de la terre ; ils rassemblent
les fruits de l'arbre fertile ; ils entourent d'un voile de
gloire le Sauveur, qui est aussi leur roi, et Marie, qui est
leur souveraine : ministres de Dieu et de l'Église tout
ensemble, ils ont été envoyés pour le service de ceux qui
recevront l'héritage du salut. L'Église est la mère des saints,
et les anges les reçoivent de son sein maternel pour les
présenter à Dieu:
SEVERO FILIO DVLCISSIMO, LAVRENTIVS PATER BENËMERENTl,
UVl BIXIT ANN. IIII. ISJE. VllI. DIES V.
ACCERSITVS AB ANGELIS VU. IDVS lANVA.
« Laurent, à Sévère, son très-doux fils, et bien méritant,
« qui vécut quatre années, huit mois, cinq jours, appelé
a par les Anges, le 7 des Ides de janvier (2^ . »
(l) De Laudibus Constantini.
(-2) Calacombe de S. Calixte, Fabretti, p. 581.
LA. THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 591
III. — Préparation évangélique.
La Création et la chute originelle. — Le Rédempteur. — L'Église et
Jésus-Christ dans l'Ancien Testament.
I. L'homme n'est pas un produit spontané de la terre,
ni une émanation panthéistique de la nature divine : un
sarcophage du musée de Latran offre une image intéres-
sante de son origine. Le Verbe, « par qui toutes choses
ont été faites, et sans lequel rien n'a été fait, » vient de
tirer la femme du côté d'Adam, qui sommeille, et il la pré-
sente aux bénédictions de Dieu le Père, assis sur son trône,
tandis que le Saint-Esprit se tient debout et la main
appuyée sur le trône : le Fils prélude ainsi à une création
plus haute, a la formation surnaturelle de l'Église qui naî-
tra de son cœur entr'ouvert. En attendant, la nature maté-
rielle sortie des mains de Dieu, en reçoit une impression
de sainteté que le péché d'Adam n'effacera pas complète-
ment. Les gnostiques et manichéens disaient que la matière
est mauvaise, fruit d'un principe mauvais : mais l'Église
des Catacombes écrit leur condamnation en traits impéris-
sables sur les tombeaux de ses enfants.
Le Fils de Dieu fit l'homme droit et juste ; il mit un
ordre parfait dans ses puissances, dans ses facultés sensibles
et intellectuelles, en sorte qu'il fut un accord (1) de cette
grande harmonie qui est le monde. Les saints Pères com-
parent l'univers à la cithare qui révèle l'existence de l'ou-
vrier et l'art du poète. Clément d'Alexandrie veut que les
chrétiens gravent sur leurs anneaux et leurs sceaux, la lyre
musicale dont s'est servi Polycrate (2). Eh bien! les peintres
de Rome souterraine, obéissant à cette doctrine, nous ont
dessiné Orphée et le bon Pasteur, qui avec la lyre, la
(1) Voj'ez le texte d'Eusèbe cité plus bautg
ii) Pœdagog. lib.Ul, c. xi.
592 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
cithare ou la flûte pastorale, célèbrent la Trinité par un
hymne digne de sa gloire. L'homme, hélas ! brisera ce
concert, mais le vrai Polycrale, le « Tout-Puissant », saura
bien le rétablir par sa miséricorde et sa grâce.
II. La chute originelle est souvent figurée dans les mo-
numents de l'art chrétien primitif. Tantôt c'est la scène
biblique de la tentation et de la faute : Adam et Eve
entourent l'arbre de la science chargé de fruits qu'une
peinture de S.-Calixte met au nombre de sept, comme les
péchés capitaux. Le serpent s'enroule autour de l'arbre ; il
regarde la femme et parfois lui présente la pomme funeste ;
les coupables reconnaissent qu'ils ont perdu leur brillant
vêtement de grâce surnaturelle, et ils cherchent à voiler la
honte de leur péché ^1). La scène du jugement apparaît sur
un sarcophage de S.-Calixte, et Dieu interroge nos premiers
parents. D'autres fois encore, prononçant la sentence, il
remet à Adam une gerbe de blé, symbole du travail pénible
et des grandes souffrances, mais aussi du pain de vie qui
descendra du ciel et détruira la mort entrée en ce monde
avec le péché : à Eve, il donne l'agneau, les travaux du
foyer, la douceur, l'humilité, mais surtout l'Agneau divin
qui naîtra de la seconde Eve et qui fut immolé depuis l'ori-
gine du inonde (2).
III. Dès ce moment, en effet, la Rédemption commence,
et les chrétiens ne rappellent si fréquemment l'idée de la
déchéance, que parce qu'ils peuvent lui opposer celle de
la réhabilitation. Le Christ est vraiment notre Sauveur: son
nom est IX0Y2, dont la dernière lettre est une lettre de
(1) Sur les lampes et les verres ornés de figures, ce sujet est aussi
abrégé de deux manières ; le serpent ou l'un des coupables seul apparaît.
(Cf. Garrucci, Vetri, Tav. 2.) Eve est trois fois représentée avec des or-
nements frivoles, pour indiquer, peut-être, qu'elle pécha par légèreté et
qu'elle séduisit son époux. (V. Garrucci, Vetri, p. 20.)
(2) Voyez les pages magiiifiques que ce symbolisme a inspirées à Mgr
Gerbet (op. cit. Tradition inonumentale).
LA THEOLOGIE DES ^,ATACOMBES. 593
rédemption, qu'un monument très-ancien (1) commente
ainsi : IX0YSÎ2THP. Sa vie tout entière est une œuvre
de salut. Quel est son rôle dans le cycle artistique et dans
les inscriptions des Catacombes? Il ouvre les yeux à
l'aveugle, il guérit l'hémorrhoïsse et le paralytique, ressus-
cite Lazare, multiplie les pains pour nourrir son peuple,
recherche et rapporte avec amour la brebis égarée,
ranime Tespérance et conduit au ciel! Tout parle de sa
rédemption : le navire qui reçoit les naufragés, le phare
qui leur fait éviter l'écueil, le bercail ouvert aux agneaux
épouvantés, le souffle divin qui protège les enfants dans la
fournaise, la main qui porte Habacuc au secours de Daniel
et défend celui-ci contre les lions... Mais pourquoi effeuil-
ler cette couronne de miracles? Réservons-nous de l'ad-
mirer ailleurs avec plus de soin, et disons seulement que si
Jésus-Christ nous a rachetés, il l'a fait par sa croix.
La croix était un signe très-familier aux confesseurs et
aux marlyrs. Souvent ils la dissimulaient sous des formes
étranges, que les initiés seuls pouvaient reconnaître; sou-
vent aussi, ils la produisaient au grand jour, dans ses
nombreuses variétés, latine, grecque, égyptienne, etc.
D'anciens Pères déclarent que le X est son image ; et ainsi,
instrument de salut, elle fait partie du nooi salutaire
IX0Y2, et du monogramme, qui est le symbole du
triomphe : x, -{-. Elle est parfois encadrée dans une cou-
ronne, parce qu'elle fut la source d'où découlèrent, avec
le sang du Christ, les grâces et les mérites ; elle s'entrelace
à la lettre N v'*'"'-?) "^l^^ ^^t le cri de la victoire; elle est
accompagnée de deux étoiles, car elle est la lumière du
monde ; elle se joint à l'ancre de l'espérance, elle se voile
sous le nom: PAX, dans les épitaphes; le monogramme
d'un simple fidèle, récemment découvert à S. Calixte, la
représente jusqu'à deux fois ; on la voit, sur des pierres
(1) SpicHé'je de Solesne, loin, iii, loc. cit.
594 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
gravées, entourée de plusieurs poissons, c'est-à-dire des
chrétiens (1) qui trouvent en elle la vie; elle est le mât qui
domine le vaisseau de l'Eglise. Un sarcophage, peut-être
destiné d'abord à une sépulture païenne, et ensuite chris-
tianisé, montre Ulysse attaché à l'arbre de son navire; il
figure Notre-Seigneur, crucifié pour nous ; les oreilles de
ses compagnons sont fermées par la cire, « car la vertu de
la croix, dit saint Maxime de Turin (2), ferme les oreilles
des fidèles aux enchantements du vice, pendant leur navi-
gation sur la mer pleine de tempêtes et d'écueils qui les
sépare du port. » Auprès d'Isaac, dont les chrétiens
aimaient à rappeler le sacrifice mystérieux, ils n'oubliaient
point de placer le bois du supplice ^ ils représentaient
Notre-Seigneur lui-même, chargé de sa croix, ou la con-
fiant à saint Pierre, pour gage et marque de sa puissance
sur l'Église. Les martyrs la reçoivent aussi de ce roi céleste ;
par exemple, saint Laurent, sainte Euphémie, saint Jan-
vier (3); car c'est le secret de leur force. Le R. P. Garrucci
remarque très-justement (4), que souvent le bon Pasteur
porte la brebis, absolument comme s'il voulait représenter
le crucifix : ses bras sont très ouverts, et la brebis étendue
touche à peine ses épaules sacrées : « Quant à moi, dit le
« savant écrivain, je ne doute pas du tout qu'on n'ait voulu
« faire, en ceci, une allusion à la croix, sur laquelle le Fils
« de Dieu a daigné souffrir. C'est une chose bien connue,
« et je l'ai démontrée ailleurs, que la brebis signifie la
« nature humaine, que le Verbe s'est unie hypostatique-
« ment... pour expier en elle les péchés dont elle était
«* coupable » Et, pour tout résumer en un seul trait,
une sculpture du ^ musée de Latran, représente le labarum
(1) Voyez plus loin l'explication de cet autre symbolisme de l'i/ôùç.
(2) Homilia in fer. Yi maj. hebdom.
(3) Cf. Garrucci, Veiri, p. 119 et suiv.
(4) Vetri, p. CO.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 595
de Constantin environné d'une couronne magnifique ; deux
colombes aspirent à en goûter les délices... « Ma plus
« sublime philosophie, dira un jonr saint Bernard, est de
« savoir Jésus crucifié! Je ne cherche pas, comme l'épouse,
« oij il repose au midi, ce Sauveur que je contemple sur
« la croix : cela est plus sublime, c'est le pain solide ; mais
« Jésus crucifié est plus suave ; c'est le lait qui remplit le
« sein maternel (1). »
TV. Or, le Christ était hier, et il est aujourd'hui, et il sera
dans tous les siècles. La tradition des premiers temps chré-
tiens distinguant entre les caractères personnels du Père
et du Fils, sans diviser leur nature, et remarquant que
celui-ci est la splendenr, le Verbe, le discours du Père, et
que d'ailleurs les siècles, toute l'économie chrétienne, ont
été faits et consommés par lui, attribuait à la première
personne de la Trinité une invisibilité absolue, et à la
seconde toutes les manifestations divines, toutes les théo-'
phanies. Nous n'avons point à expliquer ni à défendre ici
cette doctrine, qui nous paraît l'une des plus belles et des
plus profondes de la théologie catholique, mais nous en
voulons montrer l'expression dans l'art des Catacombes,
justifier ainsi la parole de Notre-Seigneur : « Avant qu'A-
braham fût, je suis », et établir sur la croyance de l'Église
apostolique les relations des deux Testaments. Que les
gnostiques cessent d'y voir un antagonisme déclaré : le
Christ qui se révèle à nous, est l'auteur unique des révéla-
tions préliminaires, le fondateur de l'ancienne alliance, le
créateur du monde.
Le type de Notre-Seigneur dans les monuments des Cata-
combes, est franchement accusé et très-reconnaissable.
C'est un jeune homme aux traits nobles, à la figure im-
berbe, à la chevelure flottante et partagée ou plus courte
sur le front; il est ordinairement vêtu de la tunique et du
':,lj Serm. xii iu Caulicinn.
596 LA THÉOLOGJE DLS CATACOMBES.
manteau ; souvent il tient en main la verge de la toute-
puissance. Eh bien ! c'est à lui que les sarcophages attri-
buent la création de l'homme : il le touche de son sceptre,
et l'anime d'un soufle immortel -, c'est lui qui juge la faute
originelle, et confie aux coupables le blé et l'agneau, em-
blèmes sous lesquels il est mystérieusement désigné. Abra-
ham sacrifie son fils Isaac, c'est-à-dire Jésus, au pied du
tribunal de Pilate (1). D'après des verres publiés parle
R. P. Garrucci, Jésus le Pontife éternel, déjà symbolisé
par Isaac, remplace Abraham lui-même (2). Il se sacrifie
donc à la justice divine, et en retour, il recevra toutes les
nations pour héritage : car la corde qui servait de mesure
agraire chez les Orientaux, est enroulée auprès de lui (3).
Joseph sauvé de la citerne du désert prophétise sa résur-
rection (4).
Ce n'est pas non plus Moïse, mais le Christ qui frappe le
rocher, pour en faire jaillir l'eau désirée [b). Or, dit saint
Paul, la pierre était le Christ : et si Moïse fut l'initiateur de
la révélation du Sinaï, le Verbe préludait en lui et par lui
à la révélation définitive de Bethléem, du Thabor et du
Calvaire. — Le Verbe incarné est donc Yàme de l'économie
judaïque. Le voici sous l'image du serpent d'airain (6). Le
voilà encore, ce véritable Orient, qui, le front revêtu des
rayons du soleil, commence à apparaître au monde, dont il
tient le globe en sa main; devant lui repose le livre de la
révélation; près de lui, la Vierge sa mère est debout entre
deux oliviers, c'est-à-dire entre les deux testaments : elle
prie, les mains élevées au ciel, parce qu'elle est de notre
création, tandis que son Fils est Dieu ; Isaïe le prophète,
(1) Bottari, Tav. XLix, nn. 5 et 6.
(2) Vetri, Tav. i, fig. 2^ — Tav, ii, fig. 8=.
(3) Vetri, lav. n, fig. 8\
(4) Ibid., p. 36.
(5) Ibid., Tav. i, fig. 2=.— Tav. Il, fig. 10' etc., etc.
G} Veirt . T;iv. I. li^: 5'.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 597
contemple celte vision, l'annonce à la terre, et tout à l'heure
joindra la confession du sang au témoignage de la parole :
il souffre le supplice de la scie cruelle, et ses bras en croix
disent assez de qui il est le martyr el la figure (1). Les en-
fants précipités dans la fournaise de Babylone y sont rafraî-
chis d'une rosée très-douce : qui les a secourus ? Jésus qui
élève sur eux la verge et la houlette de consolation (2). Si
Tobie chasse le démon Asmodée, et rend la vue à son père
aveugle, c'est par la vertu de Jésus-Christ que symbolise
le poisson retiré du fleuve, et le saint patriarche est si bien
la figure du Messie, qu'ils sont parfois remplacés l'un par
l'autre (3). Enfin, Jonas renfermé trois jours dans le sein
du monstre, n'est-il point l'image du divin crucifié ? Pour-
quoi reproduire si h'équemment ce miracle aux Catacombes,
sinon pour rappeler celui de la résurrection ? Mais ce qui
achève de démontrer la présence secrète du Messie dans
l'Ancien Testament, c'est un monument fort curieux,
récemment édité par le R. P. Garrucci : un verre des cata-
combes représente l'arbre sous lequel Jonas s'est laissé
tomber, accablé de tristesse et de fatigue ; mais le prophète
n'apparaît pas ici: à sa place, l'artiste a figuré l'tx^ùç, le
poisson mystérieux. Or, n'est-ce pas là substituer le
Christ à Jonas, la réalité à l'ombre, le principe de l'action
surnaturelle à son phénomène ? (4)
Oui, répétons avec l'Apôtre : Le Christ qui est aujourd'hui
était hier: « Heri et hodie ! » Il était dans l'ancienne
alliance, il est le Dieu créateur, le Jéhovah qui a établi le
premier Testament. Concluons aussi de ces témoignages
(1) Vetri. Rien n'est plus magnifique et plus profond ' qUè' célfe 'cdfn-
poâition symbolique, dont le R. P. Garrucci (p. 6 et suiv.) donne admi-
rablement l'interprétation.
(2) Virga tua et baculus tuus ipsa me comolata s^f^ (t^àl '^m^l.j'^H,
Tav. l'.fig. P. ' •"'8-«'
'3) Vetri p 16 ^'''^ *®^ lieJàb isiaisfa sD (§)
(4) Vetri, Tav.'i', fig. 6'. ^ '- ' '-^^'^ "^ '^''*"«'f -^^ (^)
598 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
décisifs, que réconomie de Moïse fat vraiment typique et
symbolique : les protestants, quand ils nient cette asser-
tion, devraient songer qu'ils contredisent la croyance
manifeste des'temps apostoliques (1).
V. La sainte Église, inséparablement unie à Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, se retrouve partout oii il se rencontre
lui-même. Elle est figurée, et c'est le sentiment des Pères
les plus autorisés, elle est figurée par l'Arche surnageant
au-dessus des flots, ou s'arrêtant enfin sur la montagne
éternelle, et Noé y est fréquemment remplacé par des
chrétiens. Quand on voit près du bûcher d'Isaac la mesure
qui fixe les limites des campements d'Israël et la part d'hé-
ritage de chaque tribu, ne se souvient-oo pas que Dieu a
promis à son Fils une Église universelle et catholique? Le
rocher du désert n'est-il pas l'Église aussi bien que le
Christ ? et ses eaux vives ne promettent-elles pas que l'É-
glise et les sacrements jailliront du cœur transpercé du
Messie ? Les chrétiens substitués aux enfants dans la four-
naise ou représentés autour de Daniel dans la fosse aux
lions, nous révèlent que ces martyrs de l'ancienne alliance
appartenaient déjà à la nouvelle. Daniel, l'homme de désirs
et de prière, s'avance vers le dragon de Babylone et lui
présente une nourriture mortelle. Jésus-Christ se tient près
de là. Daniel l'invoque du regard et reçoit ses ordres (2).
Oui, le Sauveur et l'Église agissent dans le monde depuis
le commencement des temps. Dès-lors l'Église et Babylone
sont aux prises ; l'issue de la lutte n'est point douteuse,
car le Christ combat pour l'Église. Constantin, secouant avec
mépris le cadavre du paganisme, dira un jour au monde :
Voilà ce qui fut ton Dieu! « Ecce quem colebatis(3) ! »
(1) Cf. Patrizi, Institutiode interpretalione bibliorum. Rome 1862. 1 vol.
m-80.
(2) Ce dernier détail est d'un verre imagé : Vetri, Tav. m, fig. 13.
(3) Cf. Daniel, c. xiv, v. 22 et suiv.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 599
Les deux Testaments sont donc étroitement liés ; l'Église
s'appuyant sur les patriarches et les prophètes, aimait à
peindre leur histoire pour ses enfants : elle y trouvait des
exemples de courage, des modèles de vertu, des motifs
d'espérer, des raisons de croire à sa divinité comme à celle
de son Epoux. A ceux qui l'accusent d'être née d'hier, elle
répond qu'elle fut au berceau du genre humain ; aux Juifs
qui lui reprochent de détruire la Loi, elle démontre qu'elle
en écarte seulement les voiles, pour apparaître au grand
jour, comme la fleur qui brise, doucement et sans injustice,
son enveloppe obscure. Elle prend plaisir à unir les faits
des deux alliances afin d'en montrer la secrète harmonie,
et si, par son culte, par ses mœurs, par les noms qu'elle
donne à ses fils, elle se sépare absolument de la synagogue,
elle maintient toutefois l'accord des deux Testaments
et les représente à bon droit sous l'image de deux oli-
viers ; elle est leur centre commun, la paix est faite entre
eux.
Le Christ, dit saint Paul, récapitule tout en lai-même !
IV. — Définition de l'Église.
L Les SS. Docteurs des Catacombes envisageaient l'Église
d'un regard très-simple et très-profond : il semble qu'ils
aient moins considéré son élément humain, et les change-
ments qu'elle subit par la succession des pontifes et des
générations chrétiennes, pour l'étudier davantage dans son
principe surnaturel, dans Jésus-Christ et les apôtres. Là,
elle est nécessairement immuable : c'est Jésus et Pierre
qui enseignent et qui gouvernent. Il est vrai que le chef
de l'Église se nomme aujourd'hui Calixte, qu'il se nommait
hier Zéphyrin, et que demain il se nommera Urbain ; mais
ce sont là de purs phénomènes. L'histoire de l'Église n'at-
teint pas son essence, et à parler nettement, nous n'avons
(iOO LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
pas d'histoire des dogmes chrétiens, mais seuleLient une
histoire de leur développement et explication.
Voyez ce navire « avec son pilote au gouvernail, et trois
« pécheurs, dont l'un relire dans ses filets un gros pois-
« son : comme saint Pierre est facilement reconnaissable
« sous les traits du pilote, il est manifeste que ses trois
« compagnons représentent les apôtres il . » Quelle est,
pensez-vous, cette barque? L'Eglise assurément! (2) Mais
lisez ces caractères gravés sur le flanc du vaiseau ;
IHGOYC.
Oui, Jésus lui-même! il est l'Eglise, eil' Église est Jésus,
et ils ne sont qu'un ; les Pères disaient la même chose,
quand ils rappelaient comme une vérité fondamentale que
c'est le Christ qui baptise, confirme par l'effusion du Saint-
Esprit, nourrit le fidèle de sa chair et remet les péchés,
Nous verrons plus tard comment ce principe servit à co!i-
fondre les Montanisles. En vertu d'une unité si intime,
l'Église s'appuie sur Notre- Seigneur, et trouve en lui la
force de lutter contre les flots dont elle est battue, contre
les puissances ennemies qui veulent la faire sombrer. Trois
monumeiits, au moins (3), montrent le dauphin nageant
dans l'Océan et y soutenant un frêle bateau; or, ce dauphin
est le symbole du Dieu très-miséricordieux et très-puissant
qui, s'adressant à ses disciples, leur demanda : « Pourquoi
craignez-vous, hommes de foi médiocre? et il commanda
aux vents et à la mer, et il se fil un grand calme. » Quand
(1) Garrucci, Deux monuments, p. 29. Ce sujet est sculpté sur un
ivoire du Vatican et reproduit sur une pierre précieuse, autrefois au
musée Borgia.
(2) Cf. Vlem. Rom. ep. i ad Jacobum, n. 14. — Co7tslitul. Apost. 1. n,
c. 57.
(3) Cf. De Rossi, De ChrisUanis monumentis i/^"''' exhibentibus , p. 1».
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. (301
je contemple ce navire symbolique sur les tombeaux où
dorment nos pèies, il me semble entendre leur voix qui
me dit avec amour : « L'Église est l'Arche véritable. Le
« màt et l'antenne, qui tendent ses voiles et les ouvrent
« au souffle céleste, ne sont rien que la croix ; le prince
« des apôtres tient la barre d'une main vigoureuse, et ses
« compagnons, que le Christ a faits pêcheurs d'hommes ,
« nous ont recueillis, pauvres naufragés, et déposés au
« rivage. Laisse-toi captiver par leurs filets qui ne se
« rompent point ; cède à la divine et douce amorce de leur
« parole : et passager sur leur barque immortelle, travaille
« toi-même à la puissante manœuvre qui doit sauver le
« monde. Quand la tempête grondait, nous jetions les
« ancres, et nous reposions sur elles : la tempête ne les
« arrachait point, car la croix est bien un scandale pour
« les Juifs, une folie pour les Gentils, mais c'est la force de
« Dieu pour tout croyant.
«, Notre sœurbien-aimée, Firmia Victora, qui vécut LXV
« années, et fut ensevelie au cimetière de Gordien,
« demanda, comme nous, que les flots et le navire fussent
« figurés sur le marbre de son loculua (1), mais elle voulut '
« que les fossores y ajoutassent l'image d'un phare: la
« flamme vivo y resplendit au sommet d'une tour à
« quatre étages, en retraits, et ses rayons éclairent la nuit
« sombre oii vogue le vaisseau : elle en avait appris la
a signification du prêtre Hermas. Car ce grand mystique et
« théologien nous disait, dans l'assemblée des fidèles :
« Tontes les nations qui sont sous le ciel ont entendu^ ont cru,
« et ont été appelées d'un même nom, qui est celui du Fils de
« Dieu. Ayant donc été marquées de son sceau, elles ont toutes
a reçu la même prudence et le même sens ; elles eurent une
« seide foi et une seule charité C'est pourquoi la structure
c( de cette tour, formée de tous les peuples et bâtie sur le Christ y
(1) Il est conservé au musée de Latran.
602 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
« conserve^ dans tout son ensemble, la même couleur, resplen-
« dissant à l'égal du soleil (1). — Ainsi, TÉglise donne à
« l'esprit l'objet de ses plus ardents désirs, et de ses plus
« constantes recherches : nous avons eu soif de lumière,
« et l'Eglise nous en a inondés, car elle est le phare dont
« l'éclat ne pâlit jamais ! »
II. Le Sauveur avait défini son œuvre: « Ovile unum et
a umis pastor! un seul bercail et un seul pasteur ! » L'É-
glise romaine voulut maintenir rigoureusement cette unité,
et elle la recommandait sans cesse à ses enfants. Il importe
peu de discourir des rapports artistiques plus ou moins
contestables qui rattacheraient la figure du bon pasteur des
Catacombes à des œuvres fameuses de la peinture
païenne (2' ; il suffit de signaler quelle est la plus multi-
pliée de toutes celles qu'on admire dans Rome souterraine.
Le « Pasteur unique, » le « bon et grand Pasteur des
âmes, » le « Prince des pasteurs » (3), ne souffre pas
que ses brebis s'éloignent du troupeau : si elles s'en
séparent, il les rapporte tendrement sur ses épaules -, il les
conduit toutes ensemble vers une seule bergerie; il en est
de bonnes, et aussi de mauvaises qui sont représentées
par les boucs, mais Notre-Seigneur a pour les unes et les
autres des caresses affectueuses ; son regard, doux et pro-
fond, repose sur elles; il converse avec elles, leur enseignant
la foi, principe de l'unité des intelligences ; il leur donne
la même nourriture, principe de l'unité des cœurs ; il a,
pour [elles, une seule bénédiction, afin que nous soyons
un, comme lui et son Père sont un. Tel est le plan divin :
la grâce, l'amour, la foi sont les liens, et comme parle
(1) Pastor Hermœ, lib. m, Similit. ix, §§. 12, 13, 17.
(2) Voyez, Raoul Rochette, Tableau des Catacombes, ch. 3 etsuiv. Nous
avoD3 dit notre pensée sur ce sujet, dans la 2^ partie de ce travail (Revue,
août 1864).
(3) Cf. Ezech. xxxiv, 23; xisvii, 24; Zach, xiii, 7, coll. Matth. xxvi,
31; Marc. xiv. 27; Joau. x, 14-16; Hebr. xill, 20: 1 Pet. ii, 25 ; v, 4.
L\ THÉOLOGIE DES CATAGOMRES. 603
saint Paul, les nerfs qui donnent l'unité et la vie au corps
mystique dont Notre-Seigneur Jésus-Christ est le chef.
III. Qu'est-ce encore que l'Église ? Une société qui veut
changer la face du monde, et à sa nature corrompue subs-
tituer la vie divine. Elle-même !e déclare : je vois sur un
sarcophage du mi^sée de Lalran, un quadrige guidé par la
main d'un soldat, et furieusement emporté dans la plaine :
il va renverser et broyer un petit enfant, un de ces pauvres,
un de ces humbles qui portent en leur cœur la vertu ban-
nie de la terre ^ mais Jésus-Christ est là : de son sceptre, il
arrête le prince du mal, et lui dit : « Tu viendras jusqu'ici
et pas plus loin ! » Le monde répondra par la persécution ;
mais quand nos martyrs contempleront à la voûte des
arcosolia l'arche de Noé, et en regard, les enfants sains et
saufs au milieu des flammes, ils s'écrieront avec le psal-
miste : « Voici que nous traversons l'eau et le feu, et vous
nous donnerez, au-delà, un éternel rafraîchissement ! »
Job, passant de la misère aux joies de l'abondance, Ézé-
chiel qui vit se ranimer les ossements desséchés, Daniel
qui changea le cœur de Darius, et obtint de lui un décret
en faveur de la véritable religion, Jonas, qui transforma
Ninive, le vieil Orphée, entraînant les forêts et adoucissant
les animaux féroces, tous ces personnages mystérieux que
l'Église des Catacombes représentait sur ses monuments,
indiquent bien quel but elle poursuit ici-bas.
Elle réunit, dans un immense embrassement, la gentilité
et le judaïsme : le mur qui les séparait est désormais ren-
versé-, les patriarches de la loi mosaïque mêlent leurs
graves figures à celles delà Samaritaine, de la Chananéenne,
des mages et des fils même de Romulus. L'Église offre
son sacrifice par les mains d'un prêtre sorti de la gentilité,
en présence d'Abraham, revêtu, lui aussi, du costume de
l'Occident (1). Jésus-Christ portera quelquefois la tunique
(1) Voir plus loin la description de cette magnifique peinture (n. vi) .
604 LA THtOLOGlE DES CATACOMBES.
très-courte et la chlamyde étroite des jeunes plébéiens de
Rome (1) ; il veillera sur son troupeau, entre les deux
arbres qui signifient le peuple hébreu et les gentils (2) . En
un mot, l'Église est essentiellement catholique^ parce que
son divin Époax est le sauveur de tous ceux dont il a pris
la nature : et d'après les saints Pères, cette nature unie au
Verbe est l'hameçon céleste jeté dans la mer immense, ou
bien encore la flûte précieuse au son de laquelle le bon
Pasteur conduit toutes ses brebis.
IV. Enfin l'Eglise e.si la colonne de la vérité: « Columna
et firmamentum veritatis, » dit l'apôtre (3). Plusieurs
coupes imagées, retrouvées dans les Catacombes, sont l'ex-
pression sensible de cette grande pensée. Une colonne
entourée des princes des apôtres, supporte le monogramme
du Christ : Notre-Seigneur est la vérité, et il repose en son
Église ; l'Église, par la voix de Pierre et de Paul, proclame
ses divins enseignements ; des pierres précieuses ornent de
leur éclat la divine colonne. On la voit encore seule ou
surmontée d'une couronne, ou bien soutenant des cartels
qui renferment les noms des apôtres et des martyrs. 0 forte
et sublime Église sur laquelle nos pères se sont appuyés
dans les persécutions, toi que l'orage n'a point renversée,
et que la foudre n'a point découronnée, demeure à jamais
notre espoir et notre orgueil ! (4)
(1) Garrucci, Vetri^ç. 2fi. Le Daute a dit exceUemment: « Cette Rome,
par laquelle le Christ est Romain »
(2) Ibid. p. 57.
(3)ITim. ni, 16.
(4) Vetri, Tav. xi, fig. 2, 3 et 5. — XVlll, 2. — SIX, 5, 6, 7. — XXYII,
1. — XXVI, U.
LA THÉOI.OGll- DIS CATACOMBES. 005
V. — Le premier Pape.
Saint Pierre dans l'Ancien Testament. — Saint Pierre, Jésus-Christ et
l'Église. — Le Prince des Apôtres : ce qu'il faut penser des rapports de
saint Pierre et de saint Paul.
I. Les Catacombes ne déposeraient pas c;i faveur de la
primauté de saint Pierre, que nous n'en serions pes effrayés :
« Le paganisme ne disait pas aux chrétiens de renoncer au
Pape, mais d'abjurer le Christ {■]). » Et il était moins
nécessaire de les instruire des droits de l'Évêque de Rome
que de réternelle et divine génération de Celui qui les lui a
donnés. Cependant, qu'on ne s'y trompe point : Rome sou-
terraine revendique bien haut pour son siège apostolique
et pour ses pontifes, la plénitude du pouvoir spirituel, la
source de la juridiction ecclésiastique. Depuis le jour oii
Mgr Gerbet écrivit ses admirables études sur la Tradition
monumentale (2), la science archéologique a fait d'immenses
progrès, de grandes découvertes, dont le R. P. Garrucci a
publié jusqu'à deux fois le résultat, dans son traité des
verres imagés de l'antiquité chrétienne: cet avancement de
la science a particulièrement servi à la gloire de saint
Pierre. Encore une fois, nous n'aurions pas été découragés,
mais j'aurais été surpris du silence des martyrs à l'endroit
du Chef de l'Église ^ or, nous le savons aujourd'iiui, ils ont
dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre l'Eglise est bâtie, »
aussi clairement, aussi fortement qu'ils disaient à Jésus :
« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
Déjà, glorieux prince des apôtres, déjà l'Ancien Testa-
ment est tout occupé de vous et rempli de votre présence.
Chef de l'Eglise, vous assistez à sa longue préparation.
(l) Esquisse de Rome chrélienne, tom. ii, p. 6f.
i-i) ib:.].
606 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
J'ai vu, dans les tableaux des -Catacombes, Abraham
remplacé par le Christ, et voici que le sacrificateur qui offre
Isaac, n'est ni Abraham, ni le Christ, mais Simon, fils de
Jean (1),
J'ai vu le Messie substitué à Moïse, et voici qu'une pein-
ture de S. Calixte représente le saint prophète ôtant ses
sandales devant la majesté de Dieu, puis en face de ce
premier sujet, le miracle des eaux qui jaillissent de la
pierre : mais ici Moïse est transfiguré; ses traits ne sont plus
ceux qui le distinguaient auprès du buisson ardent ^ et dans
ce prophète qui frappe le rocher, je vous reconnais, ô Cé-
phas !
L'or ciselé de ce calice (2) me montre le même rocher
symbolique d'oià ruisselle l'eau verte et brillante ; le chef
du peuple de Dieu tient encore élevée la verge de la puis-
sance. On ne peut le méconnaître, son nom est gravé
près de lui : mais ce n'est pas Moïse ; mais c'est Pierre :
PETRVS !
Sur plusieurs des sarcophages du Lalran, la même scène
Sculptée en bas relief « est placée, non au milieu des
« représentations tirées de la vie de Moïse, mais au milieu
« de celles qui se rattachent à la vie de saint Pierre (3). »
Prince et Père de tout le peuple chrétien. Pontife souve-
rain, modèle et premier docteur de notre foi, comme Abra-
ham fut prêtre, roi et père de tous les croyants, tel est saint
Pierre !
Législateur et chef absolu de la nation sainte, initiateur
aux mystères de la grâce, guide et juge des douze tribus,
fondateur et centre de l'unité, comme Moïse dans l'ancienne
loi, tel est saint Pierre. Oui, dit saint Augustin, Moïse a
,été la figure de Pierre : « Figura fuit Pétri ! (4) » et per-
(1) Garrucci, Vetri, p. 89.
(2) Ibid. p. 89, n. 9.
(3) Northcote, les Catacombes, p. 76.
(4) Sermo 351, 4".
L\ THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 607
sonne ne peut boire de l'eau du rocher, de la grâce salu-
taire, s'il ne la demande à Pierre, à qui seul il est donné
de la faire couler.
II. Abraham et Moïse sont les figures de Jésus et de
saint Pierre: Saint Pierre et Jésus ne sont-ils pas un?
Quand les artistes des Catacombes veulent rappeler la pas-
sion du Sauveur, ils lui substituent souvent lo piiiice des
apôtres (1). On le voit entraîné par les soldats et chargé de
la croix, suivant son ma2^re jusqu'à la mort.
La verge royale, signe d'autorilé suprême et de toute-
puissance, ce sceptre divin par lequel l'eau est changée en
vin, Lazare ressuscité, tous les miracles et la création
même opérés, appartient à Pierre comme à Notre-Seigneur
et n'appartient qu'à eux ; Moïse ne la possède que lorsqu'il
en frappe le rocher, et alors il est le type du Chef invisible
et du Chef visible de l'Église. « Un bas-relief sculpté sur
« la face principale d'un sarcophage de Latran offre un
« remarquable exemple de ce fait : A la suite de scènes
« retraçant différents miracles du Christ, où il tient lui-
« même la baguette, vient un groupe où il ne la porte plus,
« mais il l'a confiée à saint Pierre, ou, pour mieux dire,
« ce groupe ne représente pas autre chose que le don fait à
« saint Pierre de cette baguette (2). »
Si Élie remonte au ciel, entraîné sur le char enflammé,
il n'oublie point de laisser son esprit avec son manteau, à
Elisée (3) ; le disciple reçoit le don de son maître avec une
humilité profonde, et se jugeant indigne de toucher le
manteau qui a recouvert l'envoyé de Dieu, il enveloppe
ses mains dans son propre pallium et reçoit ainsi le gage
du prophétisme. Or, cet Élie et cet Elisée sont bien diffé-
rents de ceux qui portèrent leurs noms dans l'ancienne loi;
(1) Vetri, p. 11.
(2) Norihcote, p. 77 et 150.
(3) Peinture de la catacombe des saints Nérée et Achillée ; sculptures
et inscripliûus dn musée de Lalran.
608 LA THÉOLOGIt; DES CATACOMBES.
à leurs traits, je reconnais et j'adore Jésns, je reconnais
et je vénère Pierre; Jésus, qui transmet sa royauté spiri-
tuelle, son pouvoir doctrinal, son sacerdoce, et Pierre, qui
se revêt de Jèsus-Christ, roi et maître de l'Eglise : donc, déso-
béir à Pierre, c'est se révolter contre Jésus.
III. Une fresque autrefois décrite par Bosio, et décou-
verte dans le cimetière des saints Marcellin et Pierre aux
deux Lauriers, représeiitait de profil une chaire pontificale,
entourée de tentures: personne ne l'occupait, si ce n'est
que la colombe, couronnée de diamants, pour signifier sa
nature divine, versait sur elle des flots de lunjière et de
grâce (1). La perte de ce symbole de la Chaire de saint
Pierre est assurément fort regrettable : mais le R. P. Gar-
rucci nous a révélé un monument plus important encore (2).
Il est arrivé qu'une fragile coupe de verre a traversé quinze
ou seize siècles, afin de nous apprendre ce que les chrétiens
des Catacombes pensaient du Siège apostolique. Une chaire
épiscopale s'élève sur une montagne dont la verdure
marque la fertilité, et d'où jaillit un ruisseau d'or. Elle
supporte le moiiogramme du Christ accompagné de deux
pierres précieuses; à la cime de la montagne, un arbre,
planté comme celui de l'Écriture, sur le bord des eaux,
donne sou joyeux feuillage et ses fruits abondants. Près de
là, un homme et une femme richement vêtus, unis par la
même foi et la incme espérance, c'est-à-dire par le livre de
la Révélation placé entre eux, et par le monogramme qui
rayonne au-dessus de leurs tètes, élèvent les mains au ciel,
confessant leur croyance, priant et glorifiant Dieu. Oh !
que ce langage est clair, et cette harmonie délicieuse à
entendre : l'Église romaine est bâtie sur le rocher immuable
qui est Jésus-Christ et Pierre lui-même; elle est le prin-
(1) Aringhi, tom. ii, p. 53.
[i) Vtir/. [}. U-i; tav. sxv. hi
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 609
cipe du progrès véritable ; elle est l'arbre de vie qui croissait
autrefois dans l'Éden, et qui nous a été rendu, mais com-
bien plus vivant et plus vivifiant! Elle est ce fleuve do la
grâce et de la gloire, auprès duquel le Pactole de la fabu-
leuse antiquité ne roulait qu'un vil limon ; de sa chaire,
comme de l'oracle infaillible de Jésus-Christ, descendent
les enseignements de la vérité; c'est par elle, et dans son
unité, que npus croyons, que nous espérons, que nous
aimons -, c'est elle qui fait briller dans les cieux le signe
de Jésus-Christ, Fils de Dieu, Rédempteur!... 0 Pontife
romain, s'écriait saint Jérôme, « je m'unis de communion
« à votre béatitude, c'est-à-dire, à la chaire de Pierre ; je
« sais que l'Eglise est bâtie sur cette pierre! et en vous sui-
« vant ainsi, je suis le Christ, et point d'autre! (1) »
IV. Saint Jérôme, écrivant cette admirable protestation,
n'était que l'écho des apôtres: Pierre fut leur prince, et ils
le reconnurent hautement. Je ne sais quelle secte gnostique
de nos jours, veut, comme les gnostiques du temps d'Iré-
née, diviser les Apôtres, et les présenter comme d'irrécon-
ciliables antagonistes. Les Catacombes, aussi bien que les
saints Pères, combattent cette prétention. Leurs peintures .
et leurs sculptures nous montrent les doute apôtres serrés
étroitement autour de Notre-Seigneur, écoutant son en-
seignement qui est un, portant en leurs mains le même sym-
bole de foi, brebis fidèles qui suivent le pasteur (2), pasteurs
eux-mêmes qui s'eff'orcent d'amener les agneaux au même
et unique bercail (3), pêcheurs embarqués sur le même na-
vire, traînant le même filet, et ramant de concert. Et saint
(1) Ad Damasum ep. 15.
(2) Quand les brebis qui accompagnent le bon Pasteur sont au
nombre de douze, elles représenleut évidemment les aiiôtres; et alors,
elles sout toutes attentives à sa voix.
(3) Peinture de la catacombe de Galixte,
3
filO LA THÉOLOGIE DES OATACOMBES,
Pierre est le pilote, l'apôtre privilégié qui suit immédiate-
ment Notre-Seigrieur, approche le plus près de sa chaire,
s'élève au-dessus des autres pour recevoir la Loi, qui n'est
confiée qu'à lui : il est figuré dans l'ancien Testament où
ses frères n'apparaissent pas encore ; si quelque apôtre est
représenté seul avec Jésus-Christ, c'est toujours lui ; seul,
il reçoit le sceptre du Fils de Dieu; seul, il remplace par-
fois son maître. Eu un mot, Pierre est cet Elisée qui, seul
d'entre les fils et les disciples des prophètes, a reçu le man-
teau d'Élie.
La prééminence de saint Pierre sur saint Paul lui-même,
est d'une incontestable évidence dans les monuments
chrétiens primitifs. Ici, les deux apôtres portent Tétole
antique, mais celle de Pierre est ornée de perles qui en
rehaussent l'éclat (1). Là, Paul est placé à la droite, mais il
n'est vêtu que de la toge et assis sur un simple escabeau,
tandis que Pierre, drapé dans un large pallium, occupe une
sorte de chaire à dossier (2). Sur une cinquantaine d«
coupes imagées oii ils sont réunis, et on l'on peut détermi-
ner avec certitude la place que l'artiste a assignée à chacun
d'eux, saint Pierre tient quarante-cinq fois la droite, et la
cède sept fois à peine à saint Paul ; et encore, il est de ces
cas extraordinaires oii l'intériorité du rang, accordée au
prince des apôtres, est merveilleusement compensée par
d'autres avantages. Si l'on tient aussi compte des erreurs
qui ont pu échapper au burin du graveur, si Ton remarque
avec le R. P. Garrucci que le Christ lui-même abandonne
' parfois la place d'honneur à S. Paul, Marie à sainte Agnès,
les époux a leurs épouses (3), on verra que l'objection tirée
des exceptions que je signale, n'est pas même spé-
cieuse.
{\) Garrucci, Velri, p. 95.
(2) Ibid., p. 99.
(3^ Uîid., p. 103, ]5r p!c.
LV THÉOLOGIE DES GATAGOMBliS. Gll
Trouve-t-on réellement parmi les scènes historiques des
Catacombes, des traces de la controverse qui s'éleva entre
saint Pierre et saint Paul au sujet des coutumes ju-
daïques (1) ? Cela me paraît fort problématique et il n'est
nullement prouvé que les artistes chrétiens y aient fait
illusion lorsqu'ils ont représenté les saints Apôtres dans
une intime conversation. Mais il est incontestable que
leurs images, conslara^nent rassemblées, indiquent com-
bien on croyait alors à l'unité de leurs doctrinesi. De concert
ils entourent leur divin Maîlre et reçoivent son enseigne-
ment qui est un; de concert, ils vénèrent Marie et les
saints; Pierre confie à Paul les Livres sacrés; ils semblent
conférer de leurs croyances et soutiennent ensemble l'Eglise
qui est la colonne de la vérité ; ils n'oat à eux deux qu'un
seul exemplaire de l'Évangile, qu'un seul monogramme
pour devise, qu'une seule couronne pour prix de leurs
travaux: le Christ, planant sur leurs tètes, les récompense
tous deux à la fois : le Christ est-il divisé (2) ?
Cette théorie de la primauté absolue de saint Pierre est
résumée par un admirable tableau ciselé dans un calice de
verre et divisé en deux parties (3). La première est remplie
,par une montagne fertile d'où s'échappent sept ruisseaux.
Notre-Seigneur Jésus-Christ se tient debout au sommet de
cette colline autrefois figurée par le Sinaï. A droite, le pal-
mier de l'Orient étend sts rameaux sacrés, au milieu des-
quels repose le Phénix, symbole de la résurrection. Le
véritable Moïse, saint Pierre, s'avance vers son maître, et
dans les plis de son manteau, reçoit du Sauveur ressuscité,
un livre déroulé sur lequel on peut lire les restes du mot
(1) Galat, II.
(2) Voir, pour tous ces détails, le bel ouvrage du R. P. Garrucci,
passim .
(3) Ibid., p. 83 et suiv. La plupart des traits de cette composition
sont reproduits, séparément ou ensemble, sur beaucoup de sarcophages
chrétiens.
612 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
Domimts. Le chef du peuple chrétien porte sur l'épaule la
croix de J.-C: c'est ainsi quels Messie et l'Eliacin dont
parle le prophète portaient la marque de leur royauté (1),
Cependant, le Sauveur semble adresser la parole à un per-
sonnage placé à sa droite, et qui est probablement saint
Paul: d'un geste, il lui confie la mission d'enseigner, mais
c'est à Pierre qu'il réserve le pouvoir et l'autorité suprêmes.
Quand les empereurs romains envoyaient un vicaire ou gou-
verneur dans les provinces, ils lui déléguaient la souveraine
puissance en lui remettant le code des constitutions impé-
riales ; le gouverneur les recevait dans les plis de son pal-
lium. La légende écrite sur le livre confié à Pierre doit donc
se compléter ainsi : Domimis legem dat, comme elle se lit,
en effet, sur un sarcophage chrétien conservé à Arles. 0
véritable Vicaire du Christ, et gouverneur de la sainte Église
de Dieu, Simon, qui avez été nommé Céphas, c'est-à-dire
Pierre ; votre héritage est plus grand que celui de vos frères
dans l'apostolat: les communications intimes du nouveau
Sina, la loi surnaturelle, la royauté du Fils de Dieu, sont
votre partage.
La seconde partie de ce tableau développe l'idée conte-
nue dans le plan supérieur. Le bélier mystérieux apparaît
sur une colline d'oii jaillissent les quatre fleuves évangé-
liques désignés par l'inscription lORDANES; des brebis
sortant de Jérusalem et de Bethléem viennent s'y désalté-
rer. Bethléem et Jérusalem sont l'Église catholique; le
Jourdain est sa pure doctrine ; les brebis sont les fidèles
qui reçoivent de Jésus, la vérité, la lumière et la vie. Pierre
est chargé de la distribution de ces biens ineffables, et de
la conduite du troupeau.
Je ne m'étonne plus, glorieux Prince des Apôtres, que
nos pères nous aient si souvent rappelé le souvenir de votre
chule: vous pressez du doigt vos lèvres qui, un instant,
(1) Is. IX. 6, XXII. 22.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 613
trahirent Notre-Seigneur; le coq dont le chant fut le signal
de votre repentir est à vos pieds. Mais votre faiblesse même
prouve la divinité de votre mission, et quand on vous voit
près de là, saisi par les soldais et confessant la foi que
vous nous avez enseignée, on songe aux grandes paroles de
Notre-Seigneur : Et toi, quand un jour tu seras converti,
confirme tes frères ! Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? Pais
mes agneaux^ pais mes brebis !
VI. — La vie surnaturelle dans l'Église.
Baptême, Eucharistie, Pénitence.
De la montagne oià saint Pierre recevait la Loi, nous
avons vu découler sept ruisseaux: il est temps d'approcher
de ce grand fleuve, qui est la grâce répandue en nos âmes
par les sept Sacrements.
Les Sacrements le plus souvent figurés dans le symbo-
lisme des Catacombes, sont le Baptême, l'Eucharistie, la
Pénitence (l)^ de fait, ils sont la base de la vie chrétienne,
et s'ils lui sont toujours nécessaires, ils le deviennent
davantage encore à l'heure des persécutions.
L Suivant un principe constant dans l'Eglise, le Baptême
est l'œuvre de Jésus-Christ; Notre-Seigneur lui-même nous
baptise par la main de ses ministres visibles. C'est lui qui
ouvre les yeux à l'aveugle-né, comme la vertu du poisson
avait guéri la cécité de Tobie, et qui présage ainsi la grande
illumination des âmes (2). C'est lui, ce divin Agneau, que
l'on voit sur le sarcophage de Junius Bassus, baptiser un
agneau plus petit, tandis que la colombe planant au-dessus
(1) Ils sont représentés isolément, ou plus souvent tous ensemble, en
sorte qu'ils forment comme un cycle sacramentel qui est signalé par tous
les auteurs.
(2) Cf. Hebr. vi, 4, etc. On rencontre à chaque instant cette scène
dauB les Catacombes.
61/i LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
de ce groupe, répand l'eau ou l'huile de la sanctification (1).
C'est de lui, pierre mystérieuse du désert," que jaillissait
l'eau régénératrice, et c'est son sceptre qui la faisait couler.
Les chrétiens naissent et nagent dans ces flots (2); la tradi-
tion les désigne sous les noms de pinces, phciculi ; ils se
laissent prendre au doux hameçon de TÉglise (3), et sus-
pendre à l'ancre renversée en forme de croix (4). De là, cette
heureuse assimilation de l'homme à Jésus-Christ : il est,
comme lui, l'agneau bien-aimé de Dieu ; comme lui, atta-
ché à la croix, ou la portant sur ses épaules; comme lui
surtout, le poisson sacré qui vit dans Tocéan du monde sur-
naturel. Une inscription sépulcrale du musée Kircher au
Collège romain nomme le Rédempteur :
IX0YI; ZiîNTûN
le poisson des vivants ! Jésus-Christ^ Fils de Dieu, Sauveur
des vivants ! le véritable îy9ùç dont nous recevons la vie,
la Vie infinie qui se communique à nous pour le temps et
pour l'éternité. « Le Christ, dit saint Cyrille de Jérusalem,
est le père de la nouvelle génération (5) ; » et Sévérien de
Gabala : « Le poisson consacre les poissons ; piscis conse-
crat pisces [&]. »
En effet, le Baptême détruit le péché originel: une pein-
ture exécutée à la voûte d'un nrcosolium du cimetière des
saints Marcellin et Pierre, met en regard la chute du pre-
mier homme, et Moïse tirant l'eau du rocher; au centre,
(1) Deux monuments, etc. p. 26. Le sarcophage de J, Bassus est con-
servé dans la catacombe Vaticane.
(2) Ce sujet, si fréquent sur les monuments antiques de l'Église, a été
heureusement reproduit dans un bénitier de la basilique de Sainte-Croix-
on-Jérusalem, à Rome.
(3) Peintures de saint Calixte. etc. « Jésus te prend à l'hameçon, non
« pour te faire mourir, mais afin qu'étant mort, tu reviennes à la vie. »
(Cyrill. Hierosol. Procatech. c. Y.)
(4) Ibid, Cf. de Rossi, î^ôùç.
(5) Caiech. vil, 10.
(6) Ap. Bottari, tom. ni, p. 31.
LA THÉOLOGm DES CATACOMlîKS. 015
Noé traverse le déluge, et la colombe lui apporte l'olivier et
la paix. Dès lors, l'homme prend un nom nouveau: Celui
qui a confiance au Seigneur^ « fidens in Domino-, » le fidèle
d'entre les fidèles, « niGTOG ER niGTiiN ; » l'illuminé ^
«^ilTI20El2; le béni, « benedictus; » le fidèle serviteur
de Dieu, « 0EOY AOYAOC HICTOC » etc. Il ne lui faut
plus, pour devenir un vrai soldat du Christ, que recevoir
l'imposition des mains du Pontife et l'onction du chrême.
Nos pères ne séparaient guère la Confirmation du Baptême
dont elle est le complément, et c'est pour cela qu'ils
ne lui consacraient point, ordinairement, de symboles par-
ticuliers (1).
Les enfants recevaient leur part d'un si glorieux héri-
tage. La tendresse de l'Église, qui est la mère de notre
mère, comme dit saint Augustin, en serait une preuve
suffisante ; mais voici davantage : les épitaphes des petits
enfants moissonnés dès l'aurore, leur donnent le titre de
bien méritants: « Bene raerentes »; elles joignent à leur
nom le monogramme du Christ, le poisson, l'ancre, l'iinage
de la colombe innocente; elles expriment des souhaits pour
leur repos dans la paix, ou leur demandent de prier pour
ceux qu'ils laissent sur la terre. Penser que tout cela
s'adresse à une âme qui n'était point à Dieu et à l'Église,
serait méconnaître l'Église, et blesser l'honneur des martyrs.
Écoutez plutôt l'inscription de « Dyonisius, nouvellement
illuminé^ (âgé) d'un an (et) quatre mois (2). »
I DIONYCIC NEOa>aTIM
ENIAYTOY ENOC MH
NiîN TECCAPiîN
;i) Cependant une peinture du cimetière de Sainl-Calixte, que j'ai
déjà signalée dans cette Revue (novembre 1862), est une remarquable
exception à cette règle.
(2) Inscription trouvée l'an dernier dans la catacombe de saint Calixte
et publiée par le chanoine Profili. (Journal de Kome, janvier 1864).
616 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
Lisez encore cette autre, si gracieuse et si chré-
tienne:
D M S
FLORENTIVS FILIO SVO APRONIANO
FECIT TITVLVM BENEMERENTI Q VIXIT
ANNVM ET MENSES NOVE DIES QVIN
QVE CVM SOLD AMATVS FVISSET A MAIORE SVA ET VIDIT
HVNC MORTI CONSTITVTVM ESSE PETIVIT DE AECLESIAVT FIDELIS
DE SECVLO RECESSISSET
« Consacré à Dieu très-grand !
« Florentius a fait cette inscription à son fils Apronianus,
« bien méritant, qui vécut un an et neuf^nois (et) cinq jours.
« Comme il était vivement aimé de son aïeule, celle-ci le
« voyant tout près de la mort, demanda à l'Eglise qu'il pût
« sortir « fidèle » de ce siècle (1). »
Nous citerons aussi Paulin, néophyte de huit ans, —
Candide, néophyte de vingt et un mois, — Zozime, néophyte
de cinq ans^ huit mois et treize jours, — Magus, petit enfant
innocent, que nous re verrons tout à l'heure, — Matronata
Matrona, morte à l'âge d'un an cinqiiante-deux jours, et dont
on implore les prières, — et une très-innocente petite fille
qui, ayant vécu neuf jours et cinq heures, repose dans le
Dieu Christ, en paix! Les épitaphes de ces anges terrestres
et de beaucoup d'autres, sont conservées au musée de
Latran.
II. Une des plus grandes choses qu'il soit accordé à un
chrétien de voir en ce siècle, c'est la célébration de la messe
aux Catacombes. Les /bssores ouvrent les souterrains sacrés;
les pas du prêtre font tressaillir les martyrs et les confes-
seurs au fond de leurs tombes : on croit voir apparaître
dnns l'ombre les diacres de la primitive Église, et la figure
(1) Cette ïDscriptioa provieut des cimetières de la nouvelle voie Sala-
ria, et elle est coQBervée au Latran.
LA. THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 617
du jeune Tarcisius, le doux acolyte qui donna son sang pour
celui de Notre-Seigneur... Arrêtez-vous, chers et glorieux
témoins du Christ, et faites-nous entendre les peintures
symboliques du sacrifice, les images mystérieuses de l'Eu-
charistie, les emblèmes qui signifient et voilent à la fois le
sacrement du Corps et du Sang de .Tésus-Christ.
Et les diacres disent: « Les peintres, les sculpteurs, les
« graveurs sortis de nos écoles connaissaient les rapports
« étroits des deux Testaments et fondaient sur eux la loi
« principale de l'art et du symbolisme catholiques. Quand
« donc, ils ont représenté l'agneau et le froment entre les
« mains d'Adam et d'Eve, l'offrande d'Abel, l'immolation
*( d'Isaac, les victimes du tabernacle mosaïque et la manne
« du désert, ils ont voulu porter nos pensées plus haut, et
« sous la figure, nous faire toucher à la réalité. Leur but
« n'était sûrement point de rappeler une histoire étrangère
« à nos dogmes, ni surtout de constituer au profit de
« l'ancienne alliance, un privilège qui manquerait à la nou-
« velle. Nous avons donc nous-mêmes notre sacrifice et
« notre manne!
« N'avez-vous point remarqué sur les bas-reliefs des tom-i
« beaux, les disciples qui présentent à Notre-Seigneur des
« raisins, une gerbe de blé et un agneau, puis cet agneau
« qu'un juge criminel dévoue à la njort; puis le bon Pas-
« teur entouré de ses brebis et donnant un pain à chacune
« d'elles (1)? Le vase qui contient le lait céleste est à ses
« pieds (2); ou bien, ce vase mystérieux est entouré d'une
« anréole de gloire et porté par un agneau qui s'avance
« avec la palme du triomphe (3). Oh! tout cela est si clair,
« que la discipline du secret paraît ici se trahir elle-même.
(1) Plusieurs sarcophages du musée de Latran.
(2) Vetri, p. 62,
(3) Peinture catacombale publiée par Bosio, p. 363. Cf. Buonarotli Ve-
tri, p. xivil; etc.
018 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
« Béni soil le Christ immolé pour nous sous les accidents
« du pain et du vin, l'Agneau de notre pâque, ce corps et
« ce sang, que les saints Docteurs nomment le pain et le
« lait divins (i).
« Oh voit encore aux Catacombes Notre-Seigneur chan-
« ger l'eau en vin ou multiplier les pains et les poissons.
« Une sculpture met en parallèle avec ce miracle l'arbre
« de la science du bien et du mal. Ailleurs, cette femme
« syro -phénicienne dont parle l'Évangile, s'approche de
« Jésus, et lui demande les miettes qui tombent de la table
« des enfants (2"'. On voit le repas des sept disciples sur le
« bord du lac de Tibériade, quand Jésus vint, prit du pain
a et le leur donna, et du poisson pareillement ^3). Or, la tra-
« dition s'accorde à reconnaître, dans te miracle de Cana,
« une figure de la transsubstantiation eucharistique ; dans
« le pain et le poisson, une allégorie de la nourriture
« céleste. Nous croyons donc et nous confessons par ces
« peintures, que nous recevons, sous les apparences sacra-
« raentelles, le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ,
« fils de Dieu. »
Tandis qu'on recueille cet enseignement de l'antiquité
chrétienne, et qu'on s'avance vers la chapelle 'préparée pour
le sacrifice, on aperçoit sur les tombes, l'image des pains
marqués au signe de la croix, ou encore le calice rempli de
ces pains eucharistiques (4). On se sent au milieu d'un
peuple nourri, enivré de la chair et du sang d'un Dieu; et
l'on ne s'étonne plus que ce peuple soit un peuple de
martyrs !
(1) Voir les citations des saints Pères dans les Vetri du P. Garracci,
pp. 62 et 63.
(2j D'après un sarcoph. du Latran. Cf. Marc vu, 26.
(3) Joan. XXI, 1-14. Il faut observer que la vérité historique des dé-
tails n'est pas toujours gardée dans ces peintures, ce qui fait ressortir
davantage leur signidcation mystique.
(4) Vetri, p. xill. D'après une épitaphe de la catacombe de Poo-
tieu.
LA THÉOLOGIE DÈS CATACOMBES. (519
Nous arrivons au terme du pèlerinage : un cubiculutn
spacieux s'ouvre devant nous : la lumière qui tombe d'un
lucernaire tapissé d'herbes fleuries, de roses et de lys des
champs, permet d'y reconnaître une basilique complète,
séparée en deux parties (1), munie d'une chaire épiscopale,
des bancs du clergé, des sièges particulièrement réservés
aux diacres. Plusieurs arcosolia décorés de fresques sont
creusés dans les murs ; la palme et la fiole de sang disent
que des martyrs y sont ensevelis. Une dalle de marbre
recouvre leur corps et c'est la table du sacrifice; voici
encore la prothesis ou crédence, complément nécessaire de
nos autels. Et tout cela est l'œuvre des fossores du deuxième
siècle...
Les murs sont ornés de peintures: la première, répétée
deux fois, représente un poisson soutenant^ sur son dos,
un panier de pains, de ces pains gris et cendrés que les
Romains regardaient comme sacrés: dans la corbeille, on
distingue les traits d'un calice plein de vin rouge, et l'en-
semble de cette figure rappelle les paroles de saint Jérôme :
« Rien n'est plus riche que celui qui porte le corps du Sei-
« gneur dans une corbeille et osier, et son sang dans une
« coupe de verre (2). » C'est donc Jésus-Christ lui-même
qui nous offre le pain des anges, le vin qui fait germer les
vierges.
On reconnaît près de là la Table du Seigneur, chargée
de pains et d'un poisson, environnée des sept corbeilles
qui furent remplies des restes, après la multiplication des
sept pains et des poissons.
Plus loin, sur la même table, toute pareille aux trépieds
sacrés de l'antiquité, je vois de nouveau le pain et le pois-
son : à gauche, un personnage vêtu d'un palliura rouge,
(!) Alors, les femmes avaient leur place réservée dans les assemblées
religieuses.
(2) Ep.ad Rusiicwn, a. 20; édit. Vallars., t. i, p. 947,
6*20 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
comme les philosophes grecs, impose les mains sur ces
dons et cette nourriture ainsi préparés; à droite, une femme
étend les bras pour la prière. Et de peur que le sens de cette
peinture ne demeurât incertain, l'artiste a mis en regard
Abraham et Isaac vêtus à la manière des Occidentaux et
élevant les mains au ciel; auprès d'eux, l'agneau et le bois
de l'holocauste. La figure fait comprendre la réalité: aux
sacrifices de l'Ancien Testament succède un sacrifice d'un
prix infini, offert à Dieu par les gentils eux-mêmes : « In
omni loco..., in gentibus (1). » La victime est le nouvel
Isaac, l'Agneau divin déjà immolé sur le bois de la croix;
l'Église accompagne de ses vœux l'œuvre du consécrateur,
et demande à Dieu d'accepter l'oblation du corps et du
sang de riX0Y2, de Jésus-Christ Sauveur! (2)
En présence de ces peintures, que l'on saisit bien la
grandeur et l'immutabilité de notre foi! Comme le cœur
d'un catholique s'épanouit et bat à son aise au milieu de
ces dogmes vivants !
III. L'Église, persécutée dans sa foi, le fut en même temps
dans sa miséricorde; à sa douleur de perdre ses enfants
pour le temps, les Montanistes voulurent ajouter celle de
les perdre pour l'éternité, et dénièrent aux successeurs des
apôtres le droit de remettre les fautes. On leur répondit par
les faits, par l'Écrilure et la Tradition, et aussi par les mo-
numents des Catacombes : nos artistes y multiplièrent à
l'infini les symboles de la rémission de tous les péchés sans
exception. Des scènes de pénitence, de réconciliation avec
(1) Malach. ii, 11.
(2) Cf. de Rossi, tx9U, p. 22 et 23; et surtout Garrucci, op. cit.,
p. 67-68. Les peintures que je viens de décrire sont du cimetière de Saint-
Calixte. Enfin, les fouilles exécutées l'an dernier dans la catacombe de
Saint-Calixte ont amené la découverte d'une autre de ces peintures
eucharistiques. Une femme se tient debout entre deux tables servies
pour le repas : le poisson ne manque pas d'y figurer, et l'on comprend
que l'Église nous dit : « Venez, mes amis, mangez mon pain, et buvez
le vin que j'ai mêlé pour vous... et vivez! » (Proverb. ix, 5.)
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. (Î21
Dieu, se retrouvent à chaque pas, et l'œil n'y rencontre
point de tableaux qui exciteraient au désespoir ou à une
crainte excessive. Que de fois Notre -Seigneur n'est-il pas
représenté guérissant le paralytique, et donnant, par là,
une image et une preuve de la puissance qu'il a d'ab-
soudre tous les péchés ! Que de fois ne le voit-on point se
retourner vers Pierre, le convertir et lui parr'oin t, afin
d'apprendre à l'Église dont il est le chef, que l'apostasie
même n'est pas hors des limites de sa juridiction et de sa
compassion. Que de fois le divin ami de Marthe et de Ma-
rie rappelle leur frère de la corruption du tombeau ! Lazare
est debout dans son loculus, enveloppé d'un suaire et de
bandelettes , ses sœurs intercèdent en sa faveur, prosternées
aux pieds de Jésus-Christ.
Le bon Pasteur prend soin de toutes ses brebis, et charge
sur ses épaules celles qui l'ont quitté. Une peinture de
Saint-Galixte le montre dans cet acte de tendresse, et, chose
singulière! elle place un bouc à sa droite, et une brebis à
sa gauche: celle-ci, comme le fils demeuré fidèle, paraît un
instant oubliée, tandis que celui-là, comme l'enfant pro-
digue, reçoit des témoignages particuliers d'amour. De'
chaque côté du bon Pasteur, un apôtre s'efforce de rassem-
bler tout le troupeau dans le bercail; aussi bien la brebis
négligente ou coupable, que les brebis fidèles. Sans doute,
la rosée qui indique la grâce divine, tombe sur elles avec
plus ou moins d'abondance, suivant leurs dispositions, et
laisse tout-à-fait à sec celle qui s'enfuit, mais l'amour
et le pardon du divin Maître leur sont offerts à toutes (1).
C'est . donc Notre-Seigneur-Jésus-Christ lui-même qui
absout, et si Dieu seul peut remettre les péchés. Dieu les
remet par le ministère de l'Eglise. Que répondra Tertullien?
(1) Fresque très-aucleone du cimetière de Saint-Calixle. La rosée cé-
leste répandue sur les brebis est ua remarquable emblème de la grâce.
(Cf. Northcote, p. 1«1 suiv.)
622 LA THÉOLOGIE DKS CATACOMBES.
Il joindra la subtilité au mensonge, naais il n'établira ja-
mais que la tradition de rÉglise Romaine soit favorable à
Montan.
La découverte, que le R. P. Marchi fit, il y a quelques
Jinnées, de véritables confessionnaux dans la catacombe de
Sainte- Agnès, est trop connue de nos lecteurs pour que
nous nous y arrêtions ^1). Sans doute, on peut imaginer
des difficultés contre le système du savant archéologue,
mais on ne saurait le renv(;rser, et il conservera son impo-
sante probabilité jusqu'au jour oii de nouveaux faits relè-
veront à la certitude.
Le docteur Northcote, dans son travail sur les Catacombes
romaines, signale enfin une fresque de la catacombe de
Saint-Hermès, qui met en parallèle la guérison du
paralytique, et l'administratioi! réelle du sacrement de
pénitence, c'est-à-dire, « un homme agenouillé à deux
« genoux, devant un prêtre qui lui confère Tabsolu-
« lion (2). »
VIL — Le Mariage chrétien. — La Virginité,
LE Sacerdoce.
L'Église catholique n'a point borné son œuvre de restau-
ration à l'homme individuel; étendant son action à la
famille et à la société tout entières, elle les a fait entrer
dans l'économie du monde de la grâce, la famille, par le
sacrement de mariage qui en est le principe, la société, par
le sacrement de l'Ordre qui en est le lien. Aussi, quand
(1) Mgr GerbeL a admirablemeut traité ce point dans son Esquisse de
Rome, t. II, Tradition monumentale, et ddinsles notes de ses Considérations
sur le sacrement de Pénitence.
(2) Tableau des Catarombes romaines, p. 78. — Voyez l'iuscription de
saiut Damase pabli(ji> daus cette Uivi.e, t. X, p. bo.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. G 23
même on accorderait qu'avant la venue de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, la famille et la société ne relevaient que
d'elles-mêmes et ne dépendaient pas de l'ordre surnaturel,
il n'est plus permis de le penser depuis que l'Évangile nous
a été donné.
I. Pour les chrétiens des Catacombes, le Mariage est un
état sacré, étroitement lié aux dogmes de la foi, rl^vé à une
dignité qui n'est pas de la terre, sanctifié, on un mot, par
un Sacrement. Entendons, en premier lieu, le langage des
inscriptions :
1° « A Aurélia Géminia, trés-douce épouse, femme mo-
« deste, chaste et d'une parfaite fidélité, Félix, diacre (1). »
2" « Aurélius d'Himère (?) avec (mon) fils Zethus.
« Après qu'elle eut vécu noblement et sagement, avec moi
« son époux, Stratonice, néophyte, sortit de ce monde
« à l'âge de trente ans, et je la déposai dans le sanctuaire
« des martyrs, là oii Von repose bien en paix ; et j'ai fait ce
« monument, pour rappeler sa sage conduite envers
« moi.
« Et j'ai bien vécu avec mon fils et je me suis endormi à
« l'âge de cinquante-cinq ans (2). »
3" « Sépulture de Lucifera, très-douce épouse, d'une infi-
« nie tendresse, qui a laissé ici-bas son mari dans une
« très-grande affliction et a mérité qu'on lui gravât cette
« inscription, afin que chacun d'entre les frères qui
« la lira, prie Dieu de recevoir cette âme sainte et inno-
« cenle.
« Elle vécut XXII ans, IV mois, VI jours (3). »
4° « Probilianus à Félicité (?) son épouse,
« Tous les voisins (vicinales) ont admiré sa fidélité, sa
(1) Musée de Latran : Ex agro Portuensi.
(2) Ibid., provenant de la nouvelle voie Salaria: inscription grecque
d'une lecture et d'une interprétation difficiles; la dernière ligne nous
paraît avoir été ajoutée par le fils, après la mort de son père.
(B) Ibid.
624 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
« chasteté, et éprouvé sa bonté. Durant huit années que
« son époux fut absent, elle a conservé sa chasteté, et cest
« pourquoi (unde) elle a été déposée en ce saint lieu, le iii^
« des calendes de février (1). »
D'où viennent de si admirables vertus? Voici la réponse
à cette question :
5° « Sans cesse et à jamais ce sera ma douleur, que la
«.mort ne me permette plus de contempler ton vénérable
« visage, ô mon épouse, tille d'Albe, toi qui me fus toujours
« fidèle et demeuras toujours chaste. Je gémis d'être seul
« loin de toi, ô dépôt sacré que Dieu tn avait divinement con-
« fié! Tu as abandonné les tiens, et tu reposes en paix;
« mais un jour, tu te réveilleras, comme lu le mérites, de
« ce sommeil; car, le repos qui t'a été donné, n'est que
« temporaire... Elle vécut quarante-cinq ans, cinq mois,
« treize jours. Qu'elle dorme en paix! — Cyriaque, son
« mari, lui a fait cette inscription. PAXl [2). »
Le lecteur remarquera quelle haute idée ce chrétien
s'était faite du mariage : « Mihi sanctum te dederat divi-
nitus Autor. » Son épouse lui avait été donnée par Dieu
(Autorj, l'Auteur infini de tout bien -, et d'une façon particu-
lièrement divine (divinitusj, qui sort de l'ordre naturel;
aussi, son épouse était, pour lui, une chose sainte (sanc-
tum), sanctifiée par la grâce du sacrement qui la fit chaste
et pieuse.
Le Mariage étant un grand mystère en Jésus-Christ et
son Eglise, c'est-à-dire signifiant très-clairement leurs rap-
ports et leur communication mutuelle de grâce et de charité.
(1) Epitaphe trouvée dans le cimetière de saint Calixte en 1863 ; la
phrase, unde deposita est, est très-remarquable, car elle prouve qu'on
n'admettait pas indistinctement tous les chrétiens dans nos Catacombes
et qu'on n'y recevait que les justes.
(2) Nous traduisons librement cette belle inscription latine, qui semble
avoir été composée avec goût et science, mais gravée avec beauLoup.
de négligence; elle est conservée an Lulrau.
LA THÉOLOGIE DliS CATACOMBES, 625
nos artistes ont représenté sur des coupes de verre, deux
époux chrétiens qui entourent la colonne de vérité: ils se
donnent la main en face de cette Eglise dont ils devront
imiter l'indissoluble unité; la couronne céleste (îst entre
eux comme la récompense promise à l'état sacré et surna-
turel oii ils sont engagés. Ailleurs, le codex de l'Evangile
ou le monogramme, remplacent la couronne ; parfois, l'un
des époux porte seul le Livre saint, car sa confession de foi
est aussi celle de l'autre. Ici, Notre-Seigneur dépose sur
leur front le diadème des élus, ou bien, apparaissant sous
la figure du bon Pasteur, il répand sur eux ses béné-
dictions. Là, enfin, les saints Apôtres les protègent et les
sanctifient (1). La grâce de Dieu a passé dans le monde et a
régénéré la famille.
IL Mais, dit l'Apôtre, la Virginité est meilleure! Le soin
que prenaient nos pères de reproduire fréquemment les
traits de la bienheureuse Vierge Marie, de placer à ses côtés
des oiseaux dont l'innocence rappelât sa merveilleuse pu-
reté, de lui donner le costume des vierges grecques, de
revêtir du voile et d'une riche dalmatique sainte Agnès et les
jeunes vierges chrétiennes, et de les environner de colombes
symboliques, ce soin est un indice remarquable du prix
que l'on attachait à la virginité dès les trois premiers siècles.
Il y avait déjà des âmes nobles qui ne voulaient d'autre
époux que Jésus-Christ, et qui s'engageaient à lui par des
vœux solennels. MM . Raoul Rochette et A. Scognamiglio (2),
ont signalé à l'attention du monde savant des peintures
catacombales où ils ont reconnu la consécration des vierges
et l'imposition du voile. Plusieurs inscriptions renferment
les titres de Sacra Virgo, Sancta Virgo, Virgo devota, et tout
nous assure que lesépithètes de sainte, de sacrée, de vouée,
(1) Voir les Vetri, pp. 151 ss.
(2) Raoul-RocheUe, Tableau des Catac, p. 182.— Scognamiglio. op.
cil., p. 25.
4
626 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
ne sont pas une pure allusion à la piété de ces vierges.
L'expression û'ancilla Dei, de virc/o Dei, est encore plus
claire ; par exemple:
A )K il I.a colombe
NIGELLA VIRGO DEI QVE VI
XIT ANNOS P. M. XXXV LE
POSITA XV. KAL. MAIAS BENE
MERENTI IN PAGE
« Nigella, vierge de Dieu^ qui vécut environ trente-cinq
« ans; pleine de mérites, elle fut ensevelie le XV des ka-
« lendes de mai. En paix! (1) »
Il faut joindre à cette inscription celles des Viduœ Dei,
ou Veuves consacrées à Dieu, qui vivaient ordinairement des
aumônes de l'Eglise :
OC. TA. VI. AE . MA. TRO. NAE.
VI. DV. AE . DE. I.
ce A Octavia, matrone, veuve consacrée à Dieu ! (2) »
DAFNEN VIDVA. Q. CVN VIX.
ACLESIA NIH. GRAVAVIT.
« Daphné, veuve, qui ayant vécu ne fut en rien à la
« charge de l'Église (3). »
Je citerai, pour tout résumer, l'admirable épilaphe
« d'Adeodata, digne et bien méritante vierge^ qui repose
« ici en paix, son Christ l'ordonnant ainsi (4). »
(1) Musée de Latrau.
i2) Ibid., trouvé à sainte Sabine.
(3) Ibid.
l't) Delà catacombe deCyriaque au Latran ; petit monument en forme
de portique et unique dans les Catacombes.
LA THÉOLOGIE DUS (,ATAC0.\1EES. 627
ADEODATE ET QVIESCIT
La Croix !
DIGNAE ET HIC IN PAGE
MEKITAE IVBENTE
VIRGINI XPO. EIVS.
Le Christ pouvait-il donc appartenir d'une façon spéciale
à celte vierge, si elle ne lui eût voué son amour et fait pro-
fession de le servir exclusivement ? L'expression : « Chrhto
ejus )), restera comme une des plus tendres et des plus
profondes que la piété catholique ait inspirées.
IIL Le chevalier de Rossi, chargé par le souverain-pontife
Pie IX de réunir, dans une des galeries du palais de Latran,
les inscriptions les plus intéressantes et les plus importantes
des Catacombes, les a divisées en un grand nombre de
classes, qui sont comme les chapitres de nos annales ecclé-
siastiques pendant quatre siècles. La dixième et la onzième
renferment les inscriptions consacrées aux divers membres
de la hiérarchie, depuis les évéques et les prêtres jusqu'aux
diacres, acolytes, exorcistes, notaires, et jusqu'aux fossores
mêmes qui formaient une corporation chargée de la con-
struction des Catacombes et des sépultures (1). Nous avions
d'abord le dessein de présenter ici comme une sorte de
dyptique, où des épitaphes catacombales eussent représenté
tous les ordres de l'Eglise, avec celte excellente disposition
qui fait sa force et sa beauté (2). On y aurait reconnu que
(1) Plusieurô iuscriplious meuUouuent des achats de tombeaux, par
exemple: Çonstantius et Sosanna se vivi locum sibi emerunt prœsenlis
a /K 0) omnis fossores. « Çonstantius et Suzanne, de leur vivant, ont
« acheté, pour eux-mêmes, ce loculus en présence de tous les fossores. »
Serbulus émit bisomû a Leontio fbssore. « Servulus, a acheté un double
« tombeau de Leontius fossor. » Un simple loculus se vendait parfois 30
francs (1 solidus l/2j.
(2) Voir, dans l'épître de saint Ignace à l'église de Philadelphie
(§. \"), et dans sa lettre aux Epliésiens (§. iv^), une comparaison ma-
gnifique de l'Église avec la cithare des poètes. La lyre aux mains d'Or-
628 LA THÉOLOGIE DtS CATACOMBES.
soD organisation était aussi ferme, aussi bien établie à
l'époque de Dioclélien, qu'elle l'est aujourd'hui. Mais le
désir de ménager nos lecteurs, et d'ailleurs l'évidence même
des faits nous ont arrôlé.
La théorie d'un sacerdoce vulgaire, et commun à tous les
fidèles, sans distinction de rang ni de caractère, ne perce
pas une seule fois dans les monuments primitifs de l'art
chrétien. Il est vrai que les laïcs portent, aussi bien que
les apôtres, le livre de l'Évangile, mais seulement pour
croire et vivre suivant ses lois: l'enseignement est
réservé aux apôtres ; et Notre-Seigneur ne confie qu'à eux la
mission de gouverner l'Eglise, et de décider les questions
doctrinales.
Le Sacerdoce et les parents chrétiens veillaient dès lors
avec un grand soin à l'éducation des générations nais-
santes, et nous en avons plus d'une preuve dans la Rome
souterraine. L'adoption des enfants abandonnés [alumni]
était extrêmement fréquente, puisqu'elle est bien plus sou-
vent rappelée dans l'épigraphie des Catacombes que dans
les inscriptions païennes, pourtant infiniment plus nom-
breuses.
Près des cubicula, oii l'on offrait le saint sacrifice, se
trouvent parfois des salles assez étendues, mais sans autels
et sans peintures ; des bancs, taillés dans le tuf, garnissent
les parois longitudinales et se terminent par deux ou trois
sièges plus élevés. Leur ensemble prouve clairement qu'elles
ont servi d'écoles pour les catéchumènes et les jeunes néo-
phée peut doue très-bien désigner l'Église elle-même, « in qud Jésus
Christus canitur. » D'après les SS. Pères, la lyre désigne encore les au-
teurs inspirés; (Justin, Cohort. ad Grœcos, n. 8, etc.) ou enfin, les corps
sacrés des martyrs qui, frappés par le bourreau « tauquam aereum tym-
panum, pielatis carmen pulsati succiuuut » (Johan. Chrysost., serm. 2.
de S. Rom. m.) Nous avons, à plusieurs reprises, insisté sur ce symbole
de la Lyre d'Orpbée, parce qu'il est à la fois l'un des plus beaux que l'on
rencontre aux Catacombes, et l'un des plus décriés par les arcliéologues
protestants ou ralioualistes.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 650
phytes. Là étudiait sans doute rauteiii du iitulus sui-
vant:
OBPIMOC nAAAAàUi
rAYRYTATii ANEUlii
CYNCXOAACTH MNHMHC
XAPIN
« Obrimos, à Palladius, mon très-doux cousin et compa-
* gnon d'école^ en souvenir! (1) »
Là enseignait Coritus, un des aînés de la grande et
généreuse phalange des maîtres chrétiens :
I SPIRITO SANTO BONO
FLORENTIO QVI VIXIT ANIS XIII
CORITVS MAGITER QVI PLVS ÂMAVIT
QVAM PROPRIVM FILIVM ET GOIDEVS
MATER FILIO BENEMERENTl FEGERVNT
« Dans l'Esprit saint et boni Au bien méritant Florentins
« qui vécut treize ans, Coritus, son maître, qui l'aima plus
« que son propre fils, et Coideus sa mère, à son fils! (2) «
Là, on nourrissait les petits enfants pour Notre-Seignenr
Jésus-Christ et les martyrs, expression touchante et plus
sublime encore, qui résume tout le programme de l'éduca-
tion catholique.
PREGTEGTVS ^ GESQUET ^
IN PAGE I VIXIT ANNIS VIIU
tentuT'n MENSES VIIU DIES m
rameau.
NVTRIGATUS DEO CRISTO MARTVRIBUS
« Pretectus repose dans la paix du Christ! II vécut neuf
(1) De la catacombe de Priscille: inscription publiée par A Scognami-
glio, op. cit. pi. II.
(2) De la catacombe de la nouvelle voie Salaria, au Latrau.
630 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
« ans, neuf mois, trois jours : Nourri pour Dieu le Christ et
« ses martyrs.' A''' »
Un calice de verre nous montre l'enfant qui apprend à
lire les saintes Écritures sous la conduite de son père et de
sa mère (2). Un autre représente, au milieu des arbres,
symboles de l'Eglise, deux petits enfants, Pompéianus et
Tliéodora, entourés de leurs parents; les enfants tiennent
tous deux à la main un exemplaire de l'Evangile, et Pom-
péianus fait remarquer du doigt le monogramme placé
au centre de cette famille chrétienne; leur père porte la
[»arole et leur explique les enseignements de la foi (3).
VIII. — L'Église au-delà de ce monde.
« Joseph, touchant au terme de sa vie, dit à ses frères :
« Après ma mort. Dieu vous visitera, et vous fera monter
« de cette terre à celle qu'il promit par serment à Abraham,
« Isaac et Jacob. Et il les conjura et il leur dit: Dieu
« vous visitera : Emportez mes ossements de ce lieu avec
a vous ! (4) »
Les chrétiens ont reproduit plus d'une fois aux Cata-
combes cette scène du transport des ossements de Joseph.
Car il y a une patrie plus haute, dont ce monde n'est qu'un
parvis, et où nous montons par la mort. Dieu veut que la
possession des joies éternelles date de l'heure où com-
mencent les tristesses de la sépulture. Le ciel et' la terre se
partagent le chrétien expirant: l'une garde son corps, et
l'autre revendique son esprit-, et tandis que les anges por-
taient au sein de Dieu les âmes des martyrs, les fossores
ensevelissaient leurs corps dans l'ombre de la Rome sou-
terraine. C'est pourquoi j'aime à contempler, sur les arco'
(1) Musée de Latran.
(î) Vetri, tav. xxxii, fîg 1».
(3) Ihid., Tav. xxix, fig. 4'.
(4) Geues. L, 23, 24.
LA THÉOLOGIE DES '".ATACOMBES. 631
soiia, les images de ces courageux et modestes fossores,
précurseurs de tous les grands artistes qui s'inspireront,
jusqu'à la fin du monde, aux sources vives de l'art catho-
lique; j'aime à les voir, dans leurs pénibles travaux,
s'éclairant d'une lampe symbolique, frappant du pic les
murailles de tuf, mesurant de l'équerre et du compas les
tombes de nos pères, et y déposant leurs restes sacrés, afin
qu'ils y attendent le jour de la résurrection. Oji, ces ou-
vriers sont, avec les anges, les initiateurs de la vie véritable !
I. Qu'est-ce donc que la mort? Est-ce un coup de foudre,
lancé par une main aveugle et fatale? Non, c'est un départ
heureux, — un voyage^ — une absence passagère, — un som-
wee7 jusqu'à l'aurore, — un repos pris dans la paix I
Les Catacombes sont un dortoir, un sanr.tiiaire où l'on dort
bien et doucement. Les salles qu'elles renferment se nomment
cubicula, car la tombe est une couche bénie à laquelle on
est confié jusqu'à ce que le Maître vienne, et où l'on est
déposé pour un temps.
Les nomenclatures et les énumérations ont parfois leur
éloquence, et je cède ici au plaisir de citer les expressions
qui rappellent le plus ordinairement la mort dans l'épigra-
phie des Catacombes : Kot(xy)T/ipiov — cœmeterium, — cubi-'
culum, -^ locus sanctus, — ayiov [xâpxupcov, — auxoir/i, — decessio,
— recessio, — somnus, — sopor, — dormitio , — requietio, — quie-
scere, — xelnOai — eçÉp^edôat Ix roZ x()5[Ji.ou
Les images de la mort ne sont pas plus lugubres ; disons
mieux : elles sont aussi gracieuses: la moisson des épis du
pur froment; la cueillette des fruits sur les arbres féconds ^
la vendange des raisins; le pressoir céleste oii ils sont por-
tés par les anges! Car c'est à l'appel des anges que nous
obéissons, quand nous passons du désert à la terre promise :
« Accersitus ab angelisl » et quand b colombe s'envole
vers l'azur des cieux, c'est par l'ordre de son Christ: « Ju-
bente Christo ejus ! »
652 LA THÉOLOGIE DES CiVTACOMBES.
L'àme, très-dislincte du corps, ne meurt pas avec lui, et
sur les cercueils des Catacombes, on lit souvent : « Paix à
son esprit! » (Trvsïïfxa) ; « Paix à son âme! » (vj^uy-r))*, « Que
Jésus écrive la petite âme (^^u/apiov) de Nectarée dans le
livre des saints ! » Elle ne fait qu'échanger la vie inquiète
du temps, pour la vie immuable de l'éternité :
MAGVS l'VEH INNOCENS
ESSE lAM INTER INNOCENTES CŒPISTI
QVAM STA VILES TIVI HAEG VITA EST
QVAM TE LETVM EXCIPET MATER ECLESIA EDEOG (1)
MVNDO REVERTENTEM / COMPRIMATVR PECTORVM
GEMITVS / STRVATVR FLETVS OCVLORYM
La palme.
« Magus, enfant innocent, tu as déjà commencé d'être
« parmi les innocents. Que cette vie est stable pour toi!
« Que ta joie fut grande en ce jour, oii l'Eglise notre mère
« t'accueillit à Ion retour de ce monde I Comprimez les
« gémissements de vos cœurs ! Arrêtez les larmes de vos
« yeux 1 »
L'Eglise embrasse donc la terre et le ciel; elle règne sur
le monde, dont la figure passe, et sur le monde où la vie
est sans changements ! Ici, elle donne à ses enfants l'inno-
cence, pour qu'ils puissent être là, parmi les innocents!
Elle accompagne de vœux et de secours le voyageur à sou
départ, et c'est encore elle qui le reçoit à l'arrivée!...
Toutefois, la justice et l'expiation ne sont pas toujours
complètes quand notre Christ ordonne de venir à lui; alors
elles s'achèvent au purgatoire! L'Eglise n'y abandonne pas
ses enfants; elle prie pour les morts et engage à prier pour
eux : MNHC0HG IHGOÏG 0 XVPIOG TEKNON « Souviens-
« toi. Seigneur Jésus, de notre enfant I (2) »
(1) lïdeoc pour de hoc ou ex hoc; de même staviles ponr stabilis, cl
excipet pour excepit. — Cette inscription est au musée du Latran.
(2) Noithcote, p. 182.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 633
« Meruit titulum inscribi ut quisque de fratrihus legerit,
«. roget Deum ut sancto et innocenti Spirito ad Deurft suscipin-
« iur (1). »
Elle demande, pour eux, la récompense infinie, la vision
béatifique, qui est :
1. La vie par excellence, éternelle et immuable :
vita stabitis (2), — MNHG0H AYTOY 0 0EOG EIC TOVG
AliiNAC (3). — AGAPE VIBES IN ETËRNVM — (4).
2. La vie en Dieu, dans Jésus-Christ, dans l'Esprit-Saint,
c'est-à-dire, la vie dans sa source même: « Suscipialur ad
Deum (5). » — « Filios IV. secum habet ad Dominum (6). »
— Vivas in Deo. » — « ZHGAIG EN 0E$i » — « Vivas in
Crisio. » — « Vivas in Deo Cristo (7). » — « Scim.us te
in ^ (8). » — « Vivas in Spirito san. (9). » — « REGiNA
BIBAS IN DOMINO ZEZV (lapaime) » : « Begina, vivez
dans le Seigneur Jésus/ (10), » inscription touchante à
laquelle l'orthographe bibas pour vivas ajoute un charme
nouveau: « Vous rappelez-vous le bibas in Domino Zezu?
« écrivait un jeune pèlerin de Rome; pour moi, j'ai sou-
« vent pensé à cette superbe faute d'orthographe. C'est
« aux Catacombes seulement que l'on peut trouver de si
« sublimes choses, et soit pour cette vie, soit pour l'autre,
« je ne saurais rien vous souhaiter de mieux que de vivre
(1) Fragment de l'inscriptiou de Lucifera (V. plus haut, vn).
(2) Inscription de Magus.
(3) « Dieu, souvenez-vous de lui dans tous les siècles ! » (Cité par
Norlhcole, p. 182.)
(If) « Agapé, lu vivras éternellement ! » Inscription de la nouvelle
voie Salaria, au Latran.
(5) Inscription de Lucifera.
(6) ... « Ses quatre fils sont maintenant avec elle devant le Seigneur. »
(Northc. p. 172.)
(7) « Vivez en Dieu, dans le Christ, dans le Dieu Christ... » (passim.)
(8) « Nous vous savons dans le Christ... » (Voir, plus loin, l'inscription
de Gentianus.)
(9) Voyez, plus haut (n), les inscriptions de Protus et de Cyriaque,
(10) Au musée du Latran, de la nouvelle voie Salaria.
634 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
« en Notre-Seigneur, et de boire à son doux calice !... »
Aussi, voit-on sur plusieurs tombeaux, des colombes qui
aspirent à se désaltérer à un calice richement orné...
3" Le ciel, c'est le bien infini auprès duquel tous les autres
perdent leurs charmes: « Spiritus tuus in bonof » C'est la
grappe et les fruits divins que l'oiseau savoure...
4. C'est le séjour des saints et des innocents, où l'on de-
mande à Dieu de placer l'âme de Nectarée, et oii Magus
règne déjà, « TOnOG APUÎN 1). » — « Inter innocentes (2).
— META TiîN AriiiN . (3)
5. Le rafraîchissement dans les flots de la bonté et de la
tendresse divines: « Refrif/era Deus animam hominis. » —
« Spiritum tuum Deus refrigeret. » — « Deus tibi refrirje-
ret, » etc.; et ce souhait que l'Eglise répète encore après
seize et dix-sept siècles, est une marque très-frappante de
sa croyance constante aux feux vengeurs du purgatoire.
6. La lumière! « 0 Hermès, possède la lumière 1 » —
AETERNA TIBI LVX TIMOTHEA IN : « Que la lumière
« éternelle te soit donnée dans le Christ, ô Timothée! (4) »
DOMINE NE QVANDO
ADViMBRETVR SPIRITUS
VENERES. DE FILIUS IP
SEIVS QVI SVPERSTI
TIS SVNT BENEROSVS
PROIECTUS
« Seigneur, que l'âme de notre mère Vénus ne demeure
« point dans les ténèbres! — Ceux de ses fils qui lui ont
« survécu, Venerosus et Projeclus (ont érigé ce monu-
« ment) (5). »
(1) V. plus haut l'épilaphe de Nectarée.
\%] luscriptioQ de Magus.
(3) Voir plus loin le titulus de Dyonisius.
(4) NorUicote, p. 184.
(5) Musée de Latran.
LA THÉOLOGlt: DES CATAGOMRES. 635
L'Eglise demande encore aujourd'hui à Dieu de ne point
laisser les âmes fidèles dans les ténèbres du purgatoire, et
de leur accorder ce séjour, où, dans la lumière de Dieu, nous
verrons la lumière^ où nous contemplerons Dieu, non plus en
énigme ou par une image, mais face à face.
7. Le repos et la paix! « Spi?itus tuus hene requiescat in
Deo (1). » — « EVKOITH META EIPHNHC (2). — ... CES-
QVET... QVESQVAET...(3)etc. »
La formule : pax — in pace — in pacem — sîpv^vr, —
èv eip^ivri — exprimée de cent manières ou symbolisée par
le rameau d'olivier, est incontestablement la plus fréquente
de toutes celles qu'on trouve aux Catacombes. Nous avons
déjà précisé le sens qu'elle comporte dans les inscriptions
juives; dans les inscriptions chrétiennes, elle est plus claire
encore. Quoiqu'on aient dit plusieurs écrivains, d'ailleurs
très-recomraandables, 1° il est sûr que jamais elle ne se
borne à constater le repos matériel que le corps trouve dans
la poussière ; 2» sauf quelques exceptions, elle ne désigne
pas simplement que le fidèle est mort dans la communion de
l'Église. M. de Rossi a fort bien montré (4) que la formule
vixit in pace est très-rare à Rome; que plusieurs des^
inscriptions où. elle se lit, ne sont pas purement romaines,
ou bien appartiennent à des chrétiens étrangers et pèlerins,
dont l'orthodoxie aurait pu être douteuse; 3° l'expression in
pace se rapporte donc à la paix que l'âme goûte dans la pos-
session de Dieu, et de nombreux exemples prouvent qu'elle
est une prière, une invocation, une acclamation : Suscipia-
tur in pace! — Dormi in pace! — Quiesce in pace! — In
(1) « Que ton esprit repose bien en Dieu! » (Inscription d'Anatolius,
citée plus loin.)
(2) Epitaphe de Stratonice (Cf. n vn).
(3) Formes barbares du mot quiescere très-fréquentes dans les Cala-
combes de Rome. Les pauvres ne pouvant recourir à un graveur instruit,
faisaient de leur mieux, et nous ont ainsi transmis, avec l'expression de
leur foi, des vestiges curieux des dialectes vulgaires de Rome.
(4) Spicilcg. Solesm. Tom. iv.
636 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
pace cstote! — le in pacef — Leonti, pax à fratribus!
vale! [{) — Pax tecumf — Pax tibi! etc. etc.
8. Le ciel, enfin, c'est la couronne de chêne ou de laurier
qui brille sur la tête des martyrs, le nimbe qui environne
le front des saints, les étoiles dont la splendeur leur sert
comme de manteau, le diadème orné de pierres précieuses,
les fleurs et la palme, le jardin de l'Époux..., et pour finir
par un trait qui complète tous les autres, le ciel est la com-
pagnie de Notre- Seigneur Jésus-Christ! Les peintures de
Rome souterraine représentent souvent les saints auprès de
ce divin Maître; il se donne à eux; il est leur récompense
et leur possession ; et nos apôtres, nos martyrs, nos con-
fesseurs et nos vierges semblent répéter avec un doux sou-
rire: « Et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur! »
Et sic semper cum Domino erimus !
Cependant, la chair qui a pris part aux combats de l'es-
prit, a mérité de partager ses triomphes: Mérita resurgesf
disait Cyriaque à son épouse (2). Et défait, si la mort est un
sommeil, le réveil aura son heure; si elle est un départ,
l'âme reviendra au corps abandonné ; si elle est un repos,
le mouvement et la vio renaîtront : Temporalis tibi data re-
quietio (3)/ Oui, s'écriait Mgr Gerbet:
« dans ce sable liuinain qui dans nos mains mortelles
« Pèse si peu,
« Germent pour le grand jour les formes immortelles
« De presqu'un Dieu ! »
Celui qui n'a point connu la corruption du tombeau, et
« qui a pu briser les liens funestes de la mort, celui-là
a donne la vie aux germes terrestres qui meurent... » C'est la
profession de foi et l'espérance de « Ibérianus, déposé le
troisième des ides d'août : en paix!... »
(1) CT Léontius, tes frères te souhaitent la paix ! Adieu! » Inscription de
la catacombe de Priicille, et publiée par M. de Rossi (Bullettino, feh. 1864).
(2) V. plus haut, n. vu. — f3) Ibid.
Là THJÈOLOGIE DES CATACOMBES. 637
VIVERE QVI PRESTAT MORIRNTl
A SEMINA TERRAE SOLVERE QVI POT
VIT LETALIA VINGVLA MORTI (s)
DEPOSITVS lEBERlANVS III IDVS. ACV
QSTAS IN PAGEM (1)
En appliquant à une foule de peintures des Catacombes
la grande règle d'interprétation artistique, qui prescrit de
demander aux écrivains religieux la clef du symbolisme sa-
cré admis à leur époque, on reconnaîtra facilement que les
scènes du déluge^ de Joseph retiré de la citerne, de Jonas
englouti, puis rejeté sain et sauf parle monstre, des enfants
dans la fournaise, de la vision d'Êzéchiel, de la résurrection
de Lazare, sont des allégories el des promesses de la résur-
rection des corps. On reconnaîtra de même que \q phénix
etlepaow, etc., en sont des emblèmes (2). C'est pourquoi
la grande vierge romaine, sainte Cécile, fit sculpter l'image
du phénix sur la tombe de Valérien. — Il est beaucoup
d'épitaphes qui portent l'image d'une sorte de racine, où
l'on peut voir la même signification : plantes confiées à la
terre et humiliées, nos corps fleuriront quand la véritable
aurore apparaîtra dans lescieux...
II. L'Eglise travaille à préparer cet admirable renouvelle-
ment, et déploie son activité sur un triple théâtre; sur la
terre o\i elle nous façonne pouj les cieux, au purgatoire où
elle achève son œuvre, au ciel où elle triomphe. Mais par-
tout, c'est toujours la même el sainte Église catliolique.
Nous avons vu les rapports de prière et d'intercession qui
relient le purgatoire à la terre ; il nous reste à considérer
ceux qui unissent la terre et le ciel.
Du fond des Catacombes, l'Église militante honorait les
(1) Au musée de Latraa.
('•2) Cf. Aringhi, Roma suUerrunea, et Garrucci, Vetri, passim.
638 LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
saints: elle célébrait le sacrifice eucharistique sur leurs
tombes; elle peignait leurs images sur le tuf de ses souter-
rains, les ciselait sur les coupes de cristal ou les sculptait
sur les sarcophages.
Elle souhaitait à Rufa de vivre au nom de saint Pierre ; et
à un autre de vivre au nom de saint Laurent, comme elle
nous souhaite de vivre au nom du Christ !
RVFA OMNIBVS SVBDITA ET ATFABILIS
blBET IN NOMINE PETRI IN PAGE
a Rufa, soumise et affable envers tous, vivra au nom de
« Pierre, dans la paix du Christ. »
VIVAS IN NOMINE LAVRENTII.
« Puissiez-vous vivre au nom de Laurent! (1) »
Bosio lut sur un loculus du cimetière souterrain de Saint-
Hippolyte :
REFRIGERl TIBl DOMNVS IPOLITVS.
« Que saint Hippolyle vous obtienne le rafraîchisse-
« ment! (2) »
Et (îansla crypte de Saint-Janvier, qui fait partie du cime-
tière de Prétextât et qui fut découverte en 1858, le cheva-
lier de Rossi trouva les mots suivants, écrits sur la chaux vive
d'une sépulture qu'il rapporte à l'antiquité la plus reculée;
« Spiritum... refrigeri Januarius, Agatopus, Felicissimus,
martyres! » « Que les saints martyrs Janvier, Agapit et
« Félicissime, rafraîchissent l'âme de... [_3). »
(1) Norlhcote, p. 185, et surtout Garrucci, Vetri, p. 121.
(2) lloma sotterr., p. U09.
(3) Cf. Bullettino, n<» !«', p. 1 à 6.
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES. 630
Le fragment d'un calice, publié par le R. P. Garrucci,
porte l'épigraphe : PETRVS PROTEG. « Que saint Pierre
te protège! » (t).
On célébrait dès lors les fêtes des saints, car Tépitapiie
de « Pécori, douce âme » nous apprend qu'elle vint dans
le cimetière le huitième des ides de juillet, et fut déposée le
lendemain du jour des martyrs (2).
« Pecori dulcis anima bénit in cimitero
« VIU idus iulii. dep. postera die marturorum, »
Cette dévotion pour les saints portait nos artistes à repré-
senter la Mère de Dieu au milieu des apôtres qui lui
adressent la parole, et célèbrent sans doute ses louanges,
en même temps qu'ils nous instruisent de nos devoirs en-
vers elle. D'autres fois, ils paraissent soutenirses bras éle-
vés au ciel, de peur qu'ils ne se fatiguent, et que le peuple
privé de ses prières ne faiblisse devant l'ennemi. Parfois
encore, ils entourent d'autres saints, sainte Agnès, par
exemple, et honorent ainsi ceux que Jésus-Christ lui-même
a prorais de glorifier.
Les fidèles aimaient à se choisir une sépulture auprès
des martyrs, et même sous le sol des galeries voisines (3).
Ils écrivaient sur les murs environnants, de ferventes aspira-
tions et prières en leur honneur. Ils leur recommandaient
les âmes des morts :
SOMNO HEÏERNALI.
AVRELIVS GEMELLVS QVI BIXIT AN.
ET MESES VIll. DIES XVIII MATER
FILIO CARISSIMO RENAEMERENTI FECIT IN PA
COMMANDO BASILLA INNOGENTIA GEMEfXL
(1) Vetri, p. 77 et 81.
(2) De la catacombe des saints Processe el Martinieu, sur la voie Au-
rélia; au musée de Latrau.
(3) Correspondance de Ro)7ie, (là mars 1864 ), d'après le chanoiue Pro-
&li.
ÔAO LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES.
« Sommeil éternel... (1).
« Aurélius Gemellus, qui vécut un an et huit mois et
« dix-huit jours. Sa mère a fait ceci pour son fils très-cher
u et bien méritant. En paix ! Je vous recommande, ôBasilla,
« l'innocence de Gemellus. . . »
DOMINA BASSILLA COM
MANDAMVS TIBI CRES
CENTINVS ET MICINA
FILIA NOSTRA CRESGEN
QVE VIXIT MEN X ET DES
« 0 sainte Basille, nous, Crescentinus et Micina, nous
« vous recommandons notre fille Crescentia (?), qui vécut
« dix mois et ... jours. »
Les chrétiens imploraient enfin pour eux-mêmes, l'inter-
cession des justes qui vivent dans le sein de Dieu :
AVRELIVS AGAPETVS ET AVRELIA
FELIGISSIMA ALVMNE FELICITATI
DIGNISSIMAE QUE VIGSIT
ANIS XXX ET VI
EPPETE PRÛ CELSINIANV CONIVGEM
« Aurélius Agapetus et Aurélia Félicissima à Félicité,
« leur très-digne fille adoptive, qui vécut trente-six ans.
« Et prie pour Celsinianus, ton époux! (2) «
PETE PRO PARENTES TVOS
MATRONATA MATRONA
QVE VIXIT AN. I. DI. LU.
« Prie pour tes parents, Matronata Matrona, qui vécus
« un an et cinquante-deux jours ! (3) »
(1) Oui, éternel; mais en revanche, la mort prend le nom de sommeil.
Cette inscription et la suivante, sont du cimetière de sainte Basilla
[aujourd'liui catacombe de Saiul-Hermès), et se conservent au Latrao.
[i) De la nouvelle voie Salaria; au Latraii.
(3) Ibid.
LA THÉOLOGIE DFS f.ATACOMRES. 6/|1
ANATOLIUS FILIO BENEMERENTl FEGIT
QVI VIXIT ANNIS VII MENSIS VII DIE
BVS XX ISPIRITVS TVVS BENE UEQVIES
CAT IN DEO PETAS PRO SORORE TVA.
« Anatolius a fait ( ce monument) à son fils bien méritant
« qui vécut sept ans, sept mois, vingt jours. Que son âme
« repose bien en Dieu I Prie pour ta sœurf (1) »
GENTIANVS FIDELIS IN PAGE QVI VIX
IT ANNIS XXI. MENSS VIII. DIES
XVI ET IN 0 I I I RATIONIS TVIS
ROGES PRO NOBIS QVI A SCIMVS TE IN I
« Gentianus fidèle. En paix ! Il vécut vingt-et-un ans,
u huit mois, et seize jours. Et dans tes prières, prie pour
« nousy parce que nous te savons dans le Christ! (2) »
AIONVCIOG NHniOG ARAKOC EN0AAE
KEITE META TQN AFIliN MNHCREC0E
AE KAl HMÛN EN TAIS AFIAIC TMIÎN
nPEYXAlC KAI TOY TAÏWANTOG KAI
rPAWANTOC
« Dyonisius, enfant innocent, repose ici avec les saints.
« Souvenez-vous de nous, en vos saintes prières ; et de moi
« qui ai gravé et qui ai écrit (3). »
IX.
L'histoire est l'adversaire le plus redoutable des liérésies.
Elles ne peuvent s'accommoder aujourd'hui à leurs formu-
(l)Ibid.
(î) It. ibid.
(3) D'après Norlhcole, p. 190.
6/l'2 LK THÉOLOGIE DES CAI ACOMP.ES.
laires et confessions d'hier : le passé les confond, le présent
condamne déjà leur avenir.
Il n'en est pas ainsi de l'Église romaine. Plus on avance
dans la connaissance de ses origines, plus on admire sa
divine immutabilité.
Il n'y a pas eu, et il n'y aura jamais de découverte
dans Rome souterraine, qui ne prête un puissant secours
et n'appoTte un nouvel éclat à la Théologie des Cata-
combes.
L'abbé J. D.
TABLE DES MATIÈRES,
Pages .
ÉTUDE SUR LA LÉGISLATION MOSAÏQUE (2», 3*, 4e, 5» el 6« ar-
ticles), par M. l'abbé A. Gilly 0,103.240,305,401
L'EXEMPTION DES RÉGULIERS ET LE CLERGÉ DE FRANGE, par
M. l'abbé H. Moiitrouzier 17
LA THÉOLOGIE DES CATACOMBES (4e, S», 6« articles), par M. l'abbé
J. D 49, 130,577
DU DROIT COUTUMIER DANS L'ÉGLISE (5e article), par M. l'abbé
Graiidclaude 140
DE L'ORDRE SURNATUREL, par M. l'abbé H.Girard 63
QUESTION CANONIQUE. — Du Refus de sépuUure prononcé contre
les suicidés, par M. l'abbé H. Mûiitrouzier 75
DU CHANT ECCLÉSIASTIQUE (3-^ et dernier article), par M. l'abbé P.
R 79
DE L'INDULGENCE DE LA PORTIONCULE, par M. l'abbé N.-C. Leroy 97
DU PROBABILISME, par M. l'abbé E. G 161
DES CHAPITRES CATHÉDRAUX EN FRANCE, par M. l'abbé Craisson. 184
LA QUESTION LITURGIQUE DANS L'ORDRE DE CITEAUX, par M.
l'abbé E. F 209
EXAMEN DE QUELQUES ERREURS CONTEMPORAINES SUR LE
SURNATUREL, parle R. P. Marin de Boylesve 232
LA MATIÈRE ET LA FORME (1" et 2^ articles), par le R. P. Ra-
mière 200, 337
IDÉE DE LA BIBLE, par M. le chanoim* Berton 414
DE LA MANIÈRE DE PRÊCHER SUR L'ENFER, par le R. P, Mont-
rouzier 430
TRIPLE GALLICANISME, par le Môme • 497
LA PERSÉCUTION RELIGIEUSE EN ANGLETERRE, par M- l'abbé Giily. 529
DE L'INAMOVIBILITÉ DES DESSERVANTS 540
THÉOLOGIE MORALE — Peut-on admettre à la sainte table les
^i/e« encem/es? par M. l'abbc Craisson • 279
— Est-il nécessaire de réitérer l'absolution à celui qui accust des
péchés mortels oubliés, par le Même 284
— Sur les Sociétés secrètes prohibées, par le Même 443
DE LA PRÉSÉANCE DANS LE CLERGÉ, par le Môme 321
64/1 TABLE DES j\L\TlÈRES.
QUESTIONS LITURGIQUES.— Des Fonctions funèbres, par M. l'abbé
P. R 195
— Examen de quelques difficultés relatives aux églises et oratoires,
par le Même 268
— Questions diverses, par le Même 274, 549
— De la Consécration des églises et de la fête de la Dédicace, par
le Même . . . • 348
— De l'Habit de chœur, par le Même 4SI
L\ POLÉMIQUE ENTRE LE R. P. NEWMAN ET LE Dr KINGSLEY. 290
DÉCRETS DE LA S. G. DES INDULGENCES • . . 385
DÉCRETS DE LA S. C. DES RITES ."^87
CIRCULAIRE DE LA S. C. DE L'INDEX 565
LETTRE AUX ÉVÉQUES DE BELGIQUE, sur certaines doctrines ensei-
gnées k Louvain 568
DÉCISIONS DE LA S. C. DU CONCILE 474, 556
ARCIIICONFRÉRIE DE L'ASSOMPTION DE N.-D 389
CORRESPONDANCE 89
— Un Essai malheureux de fusion religieuse 376
BIBLIOGRAPHIE, 98, 100, 202, 203, 206, 301, 304, 597, 485, 487, 491, 571
CHRONIQUE 105, 208, 494
TABLE ALPHABETIQUE.
Absolution de péchés oubliés, 284.
AcTà Sanctorum. — Réimpression, 49H.
Adoration de la Croix le jeudi saint, 555.
Amovibilité des desservants. — Décision de la S. C. du (".outile, 540-
Angleterre. — Polémique du P. Newman avec le D'' Kiiigsley, 290. — Un
Essai malheureux de fusion religieuse, 376. — La persécution religieuse en
Angleterre sous les successeurs d'Elisabeth, 529 ss. — Portrait d'Elisabeth,
530. — La persécution sous Jacques !«', oôl. — Fondations anglaises sur le
continent, 556. — Période de châtiment : Charles l^'' et Gromwell, 537.
Autel PRiviLÊiiiÊ, 384.
Baronids. — Annal, ecclesiastici, 485.
Bible. — Idée de la Bible, 414 ss. — Parole et Écriture, ibid. — Destinée
de la Bible, 418. — Essence de la Bible, 419. — Ancien et Nouvcnu Tes-
tament, 423.
Bibliographie. — Articles divers, 98, 100, 202, 205, 206, 501, 50i, 397,
485,487, 491, 571, 573, 576.
BlBLlOTHÈftDES CATHOLIQUES, 495.
BONAVENTURE (S'). — Édition nouvelle de ses œuvres, 207. — Compte rendu,
397.
BossuET. — V. Probabilisme.
BouvRY. — Expositio rubricarum Breviarii, Missalis et Ritualis Romani,
495.
Carbonari. — V. Sociétés secrètes.
Catacombes. — La Théologie des Catacombes, 49 ss., 130 ss., 577 ss. (V. la
table du t. IX). — L'Hérésie et les Catacombes romaines, 49 ss. — Histoire
des Catacombes hérétiques, ibid. — Description et examen Ihéologique de leurs
monuments, 55, 130. — Distinction des Catacombes hérétiques et des Cata-
combes catholiques, 136. — Les Catacombes catholiques, 577. — L'Église
romaine, 578. — Idéal de l'Église; Dieu, l'Incarnation, les Anges, 581. —
Préparation évangélique : la création, la chute, le Rédempteur, etc , 591. —
Définition de l'Église, 599. — Le premier Pape, 605. — P.aiiiême, Eucharistie,
Pénitence, 615. — Le Mariage chrétien, la Virginité, le Sacerdoce, 62-2. —
La vie future, 630.
Chant ecclésiastique, 79 ss. (V. la table du t. IX), — Des Psaumes, 79. —
Des Versets, 85, — Des Répons brefs, 86. — Des Lamentations de Jérémie,
ibid. — Des Litanies, ibid. — Est-il permis d'appliquer un rythme non
liturgique a des parties de l'ottice non énumérées précédeunneni? 87. — De
l'Usage du Plain-Chanl musical, ibid.
()/|6 TABLE ALPHABÉTIQUE.
Chapitres cathédraux. — V. Pelletier .
Communion. — A'imission à la sainte Table, 280.
CoNGnÉGATiONS. — Décrets de la S. C. des Indulgences, 583. — De la S. C.
des Rites, 387. — De la Congrégalion du Saint-Office, 579. — De la S. C.
du Concile, 473, 540, «66.
CORRKSPONDANXE, — 89, 290, 576.
ConTCME. — Du Droit coutumier dans l'église, 140 ss. (V. la table du l. IX),
— Des Conditions canoniques du Droit coutumier, 140. — Matière de la
Coutume, 141 . — Forme de la Coutume, 147.
Croix. — Son adoration, 5S5.
Crampon (l'abbé). — Les Quatre Évangiles, 202.
Curés. — Décision de la S. C du Concile sur le Concours, 479. V. Amovibilité.
Destombes (l'abbé). — La Persécutioyi religieuse, S29 ss.
Église. — Examen de plusieurs diffii'ullés relatives aux églises et oratoires,
268, 554. — De la Consécration des églises e' de la fête de la Dédicace, 548.
Enfer. — De la Manière de prêcher sur l'Enfer, 450 ss. — Danger de l'exa-
gération, 431 ; — de la diminution, 452. — Feu métaphorique, 455. —
Mitigaiion des peines de l'Enfer, 436.
Exemption (r) des Réguliers et le Clergé de France, 17 ss. — L'exeinplion
est bien plus le droit du Souverain-Poniifc que le privilège des religieux, 18,
— L'Ancien Clergé de France n'a pas eu, louchant l'exemption, nne autre
doctrine, 52. — Aujourd'hui comme autrefois l'exemption des Réi;uliers doit
être reconnue, 58. — Conditions indispensables pour qu'une Communauté
puisse revendiquer le bénéfice de l'exemption, 40. — L'exemption des Ré-
guliers n'amène aucun inconvénient sérieux soit pour la discipline religieuse,
soit pour l'administration épiscopale, ibid.
Francs-maçons. — V. Sociétés secrètes.
Fredault (le D'). — Anthropologie, 261.
Funérailles. — Des Fonctions funèbres, 195.
Cali.ia Christiana. — Réimpression, :208.
Gallicanisme. — Triple gallicanisire, 497 ss. — Gallicanisme parlementaire,
."iOS. — Gallicanisme ihéologique, 506. — Gallicanisme pratique, 516.
Grades théologiques à Montauban, 208.
GoizoT. — L'Église et la Société chrétienne, 252.
GuRY (le r.). — V. Probabilisme.
Habit de choeur- — Du Rochet, 451, — Du Surplis et de sa forme, 468.
Imprimatur. Sa nécessité, 545.
Index. — Livres mis à l'index, 105, 405, — Circulaire de la S. G. de l'Index,
565.
Indulgekcbs. — Décrets de la S. C. des Indulgences, 585. — V. Portioncule,
Maurel.
KiNGSLET (le D'). — V. Angleterre.
Labis. — Ecclesiœ catholicœ demonstratio, 493.
LÉGISLATION mosaïque. — V. MoïsC.
Litanies diverses, manière de les réciter, leur usage public et privé, 550.
Liturgie. — La Question liturgique dans l'ordre de Cileaux, 209. — Origines
TAIUK ALPHARÉTIQIII'. (^/|7
et (lisposilion de la Liturgie cistercienne, ibid. — Réformes diverses au
XVIle siècle, 218. — Le Bréviaire de Paul V est seul logiliine, ^25. —
Questions liturgiques, 549. — V. Autel. Chant, Croix, Église, Funirailles,
Habit de chœur, Ordo, Lilanies, Préséance.
LouvAiN. — Lettre aux évèqucs de Belgique sur certaines doctrines ensei-
gnées à Louvain, 568.
Malet. — La Paroisse d'après les saints Canons, 104.
Manninc. — La Confession ou l'Amour de Jésus pour les pénitents, tra-
duit par L. Pallard, 191.
Mariage. — Déeisiou de la S. C. du Concile conoernant le rapt, 473.
Maurel (le P.). — Guide pratique de la Liturgie romaine, 104. — Le
Chrétien éclairé sur la nature et l'usaje des indulgences, ibid.
MiGNE (l'abhé). — V. Patrohgie.
Moïse. —Sa Législation, .^ ss., 105 ss., 240 ss., 505 ss., 405 ss. (V. la
table du t. IX). — Le 31osaï'.;me n'est pas le développement des institutions
patriarcales, 6 ss., 105 ss. — Il n'est pas le produit du polythéisme épuré,
122 ss. — État du peujile juif au moment de la ]iromulgaiion de la loi
mosaïque, 240. — Éducation et mission de Moïse, 241. — Le Décalogue,
2S1. — Tableau succinct des institutions religieuses de Moïse, 50^. — Insti-
tutions sociales, 401. — Institutions politiques, 411. — Conclusion, 412.
NEWMANde R. P.) — V. Angleterre.
Option des bénéfices, — Décision, 556.
Oratoires. — V. Église.
Ordo. — Questions diverses sur l'Oj-do, 219, 554.
Ordre surnaturel. — Compte-rendu d'un ouvrage sur l'Ordre surnaturel,
par le P. Schrader S. J., 65 ss. — Ordre logique, Ordre ontologique, ibid.
— Distinction logique entre l'Ordre naturel et l'Ordre surnaturel, 69. —
Kéalité de cette distinction, 70. — Du préicrnaturel, 73.
Patrologie. — Un Mot sur la Patrologie de M. l'abbé Migne, 304.
Pelletier (l'abbé V.). — Des Chapitres cathédraux en France devant l'É-
glise et devant l'État, 104. — Compte-rendu de cet ouvrage, 184.
Péronne, — Memoriale prccdicatorum, etc., 206.
Petau (le P.). — Drjonisii Petavii opus de Theologicis doginatibus , a J.-D.
Thomas, in Seminario Virdunensi Th. Prof, recognitum cl annotatum,'
t. I, 98.
Philosophie. — La Matière et la Forme, 260 ss., 357 ss. — Exposition de
cette théorie, 263. — Expli"cation de la composition des coriis d'après les
philosoplies catholiques, 337. — Conclusion, 545.
Pie (Mgr). — Instructions synodales sur les principales erreurs du temps
présent, 208. — Compte-rendu, 301.
Pierret (rai)bé). — Manuel d'archéologie pratique, 575.
PoRTiONCULK 'Indulgeuco de la), 97.
Prédication. — V. Enfer.
Préséance. — De ia Préséance dans le clergé d'après les lois canoniques,
521 ss. — Règles générales, ibid. — Règles spéciales, 525.
Probabilisme (Casus conscientix aucl. J. P. Gurij), l.'iS ss. — Historique
6^8 TABLE ALPHABÉTIQUE.
ilu Probabilisme, ibid. »— Qu'est-ce que le Probabilisme ? 162. — Compa-
raison du Probabilisme et du Probabiliorisme, 164. — Fondement du Pro-
babilisme, 166. — De l'Assemblée du clergé de France de 1700, 167. —
Réfutation des motifs présentés par Bossuet contre le Probabilisme, 172.
État actuel de la Question, 176,
PoRGATOiuE. — Archiconfrérie de l'Assomption de N.-D. pour le soulagement
des âmes du Purgatoire, 589.
Réguliers. — V. Exemption.
RiANCEY (H. et Ch. de). — Histoire du Monde, 496.
RoHRBACHEK. — Histoîre ecclésiastique, 571.
Rosaires. — Leur bénédiction, 585.
RouAED DE Cabd (le R. P.). — L'Ordre des Frères- Prêcheurs et l'Imma-
culée Conception de la Très-sainte Vierge, 205.
Rua (l'abbé). — Cours de Conférences sur la Religion, 100.
Saint-Sacrement. — Huile qu'on doit brûler devant le Sainl-Sacremeni, 587.
ScHRADEii. — V. Ordre surnaturel.
Sépulture. — Du Refus de sépulture prononcé contre les suicidés, 75.
Sociétés secrètes. — Règles de conduite pour les confesseurs, 443.
Soutane. — Sa forme pour les simples prêtres, 549.
Statues voilées au temps de la Passion, 552.
Surnaturel. — Examen de quelques erreurs contemporaines sur le surnatu-
rel, 252.
Théologie. — V. Catacombes.
Thomassin. — Dogmala theologica, 495. — Ancienne et nouvelle Disci-
pline de l'Église, ibid.
Tonciorgi (le P.). — Sa Philosophie, 89. — V. Philosophie.
Van der Burcu. — Brevis elucidalio totius 7nissce, 576.
ViLLEcouRT (le Cal). — Yte et Institut de saint Alphonse- Marie de Li-
guori, 495.
Errata du tome X.
Page 234, ligne 18, au lieu de : s'il est en Dieu quelque chose que je ne puis
naturellement connaître, lisez : que je puis naturellement connaître.
Pag. 418, lig. 5, bas : des peuples, Usa : de peuples.
- 4-20, - 6,
il s'est laissé
—
et s'est.
- ibid.,— 7,
;
—
>
— 425, — 7,
séparait
—
séparerait.
— ibid-,— 7, bas
par les
—
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— 424, — 20,
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—
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— 428, — 6, bas
éclatante
éclatant.
Arras. — Typ. Rousseau-Leroy, rue Saint-Maurice 26.
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