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Full text of "Revue des sciences ecclésiastiques"

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MOXTUEAL. 


I 


EEVUE 


DES 


SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES 


IMPRIMATUR  : 
Atrebati,  die  20  Janv.  18C3. 


Y     P.-L.,    Episc.  Atrebatensis,  Bolonien. 


et  Audomaren, 


REVUE 


DES 


SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES 


DIRIGEE 


PAR  M.  L'ABBÉ  D.  BOUIX. 


Ubi  Pelrus,  ibi  Ecclesia 

Saint  Ambioisi. 


•  TOME  SEPTIEME. 
4^   Année.  —  f"   Semestre. 


.\ 


ARRAS : 
IIBR.UHIE  ROl]SSAEl!-LEROy,  ÉJ 
(bureaux  de  la  hevoe) 
rue  St-îi!auricc,  2G. 


PARIS  : 
MM.  GAWIE  FliÈRES  KT  DUPIiEY. 

LIBRAIRES  -ÉDITEURS, 
,  [rue  Cassette,  4. 


1863, 


HEVUK 


mmfM  ECCLÉSIASTIQI]E 


PHILOLOGIE   ET  EEVELATION. 


Sixième  article. 


XIV. 


Puisque  la  philologie  est  impuissante  à  nier  l'unité  origi- 
nelle du  langage/puisque,  par  le  fait  de  Babel,  la  diversité 
actuelle  des  langues  a  succédé  à  l'unité  du  commencement,  il 
est  permis  d'étudier  la  langue  primitive,  non  qu'elle  se  soit 
conservée  et  qu'on  puisse  aujourd'hui  en  retrouver  les  traces, 
mais  parce  que  les  données  scieutiflques  et  les  données  de  la 
Révélation  nous  permettent  de  conjecturer  en  quelque  manière 
quels  ont  dû  être  les  caractères  de  cette  langue  à  jamais  dis- 
parue. En  bornant  nos  études  aux  caractères  de  la  langue 
primitive,  nous  évitons  l'écueil  qui  a  empêché  plusieurs  philo- 
logues d'atteindre  le  but  qu'ils  se  proposaient.  On  a  voulu 
retrouver  la  langue  primitive.  On  a  supposé  que,  même  après 
l'événement  de  Babel,  elle  a  pu  se  conserver  au  milieu  d'un 


6  rniLOLOGlE   r.T   nÉVÉLAriON.  [Tome  VII. 

peuple  privilégié  et  restreint.  La  Révélation  se  tait  pleinement 
à  cet  égard,  et  s'il  était  loisible  de  risquer  les  conjectures  qu'elle 
semble  autoriser^  on  pourrait  dire  que  la  Révélation  ne  per- 
met guère  de  supposer  un  pareil  fait.  La  manière  dont  Moïse 
explique  l'événement  de  Rabel  laisse  peu  de  place  à  une  opi- 
nion qui  changerait,  pour  ainsi  parler,  la  nature  de  ce  miracle. 
Si  la  langue  primitive  se  fût  conservée  au  sein  d'un  des 
peuples  formés  à  Babel,  on  comprendrait  difficilement  que  les 
autres  hommes  n'aient  pas  pu  l'entendre  et  s'entendre  par 
conséquent  entre  eux.  Il  faudrait  dire  que  Dieu  leur  a  fait 
perdre  la  mémoire,  en  même  temps  qu'il  donnait  un  libre  cours 
à  la  subjectivité  par  laquelle  ils  formaient  d'autres  langues, 
et  ce  n'est  pas  ce  que  dit  Moïse.  Aussi  nous  est-il  permis 
de  regretter  que  les  efforts  de  la  philologie  comparée  aient 
porté  directement  sur  la  langue  primitive,  que  l'on  voulait 
retrouver,  au  lieu  de  porter  sur  la  question  préalable  des  ca- 
ractères de  cette  langue.  Nous  bornerons  à  cette  étude  l'objet 
de  notre  travail.  Cependant,  comme  une  opinion  autrefois 
fort  répandue  (1),  et  qui  compte  encore  aujourd'hui  quelques 

(1)  Nous  trouvons  celte  opinion  clairement  formulée  dans  les  deux 
Talmuds  de  Babylone  el  de  Jérusalem  .-  l^S'I^^T  ^"l'^l"  ^2  ^IImI 

lin  ï^iï-np  V'^''^^  ûiiïs  ï^TH  ^"ï^i  nn  bb^^T  nn   v^"^5 

ïi'^'nïJ  "l'a  ïS'Sb!?  "^lan^  nm  ■j'^bb'ia'a  Ei  eram  omms  Imnncs  ter- 
rx  lingua  una  el  loquela  una  et  populus  unu»,  quoniain  lingua 
sancia  cravt  loqtienles,  in  qua  crtalum  est  sœculum  a  prineipio.  De 
même  Jarchi  el  Aben-Ezra  :  w1"pn  "jVwî  ^Im  "i^  BJ.  Saini  Jean 
Cbrysoslôme  (hom.  xxx.  ingen.)  :  ÂCiT0JÔ"E6£p  IjjiEvETrjV  aijTr,v  e^tdv 
oia)»e;iv  y^vTtsp  xai  xpÔTspov,  tva  xa\  touto  (7r,ix£Îov  Ivapy^?  Y£vr,Tai  ty;? 
ciaipécjso);.  Saint  Aiigustm  (De  Civ.  Dei  I.  xvi,  cap.  H)  :  Qux  lingua 
prius  humano  generi  non  immerito  crediliir  fuisse  «ommunis,  deln- 
cpps  hebrxa  est  nuncupala.  Quanl  à  saint  Jérôme,  il  dit  simplement  : 
Linguam  hebraicam  omnium  linguarum  esse  matricem  (Comra.  in 
Soph.  C.  3.  rf.  Orig.  in  Nuun.  hom.  xi),  paroles  qui  pourraient  s'ex- 
pliquer dans  le  sens  que  nous  avons  donné  au  récit  mosaïque  de  la 
confusion  des  langues. 


;aiiv.  1803.)  PHILOLOGIE   ET   UÉVÉLATiO.M-  7 

partisans  (1),  prétend  retrouver  dans  Thébreu  la  langue  pri- 
mitive, il  est  bon  de  nous  arrêter  quelques  instants  à  la  dis- 
cuter. Un  coup  d'œil  sur  l'organisation  de  l'hébreu  peut 
nous  mettre  sur  la  voie  des  recherches  relatives  aux  carac- 
tères qui,  dans  l'opinion  d'un  certain  nombre  desavants,  ont 
dû  être  ceux  du  langage  primitif. 

Ce  qui  a  conduit  les  pères  de  l'Église  à  penser  que  l'hébreu 
était  la  langue  primitive,  c'est  que  dans  l'hébreu  seulement  la 
valeur  des  noms  des  premiers  hommes  se  retrouve  telle  que 
l'explique  l'Écriture.  Telle  est  la  pensée  du  vénérable  Bcde 
lorsqu'il  écrit  :  Piu'ma  lïngua  fuisse  g f^neri  humano  Hebrxa  vide- 
Iw  in  eo,  quod  nomina  cunctay  qux  usque  ad  divisionem  tingua- 
rum  in  Genesi  legimus,  illius  constat  esse  loquelx  {2).  Mais  ce 
fait  par  lui-même  ne  démontre  absolument  rien.  11  est  à  re- 
gretter que,  depuis  deux  mille  ans,  on  n'imite  pas  Moïse,  et 
qu'en  traduisant  son  livre  on  ne  conserve  pas  à  chaque 
nom  sa  signification  étymologique  de  façon  qu'elle  se  re- 
trouve dans  la  traduction.  Ce  ne  serait  pas  toujours  facile,  il 
est  vrai;  et  si  les  langues  synthétiques  pouvaient  se  prêter  à 
ces  formations  de  mots,  les  langues  analytiques  y  répugne- 
raient positivement.  Dans  ce  dernier  cas  on  aurait  recours 
à  des  périphrases  que  l'on  inscrirait  dans  le  texte,  comme  Ta 
fait  Rloïse,  par  manière  d'exj)lication. 

On  trouve  dans  un  autre  auteur  une  seconde  raison  pour 
laquelle  on  a  pensé  que  l'hébreu  était  la  langue  primitive.  II 
dit  à  propos  du  ch.  II,  v.  15  de  la  Genèse  :  Fx  hoc  videtur,  quod 
nomina  animaliui7i,  proui  apud  Hebrxos  vocabantur,  fuerunt 
eadem,  qux  et  tempore  Adx.  Ex  quo  etiam  patet,  quod  lingua 
Adx  Hebrxis  mansit  (3).  A  quoi  ou  peut  encore  répondre 
avec    Grotius  :   JSomina  propria    Adami ,    Evx    et    cxtera 

(1)  Molilor,  Philosophie  der  ^reUgeschichle2  Aufl.  Muasler,  1837. 

^.  Bi. 

(2)  Comment,  in  Gen.  ad  h.  I. 

(3)  Thomas  angl.  Postilla  super  Gen.,  ad  Gen.  2,19. 


8  l'HILOI.OGIÎÎ   ET    r.ÉVÉLATIO.N.  [Tome  VII. 

hebraico  sermoiie  a  Mose  expressa  Hebj'xorum  causa  sunt  eodem 
significatu,  gui  in  primxva  lïngua  fuerat  (1  )  ;  ou  bien  avec  Huet  : 
His  addo  vulgatx  scriptwx  interpretis  exemplum,  qui  istud 
exponens  :  hœc  vocabitur  HSJïS,  quorûam  ©I^IS  sumpfa  est, 
eomdem  originationem  nominibus  latinis  expressif  :  hsec  vocabi- 
tur virago,  quoniam  de  vira  sumpta  est.  Jsaacum,  cujiis  nomen 
hebraicc  risum  sonat,  yi\(.<noLappellat  Alecander  Polyhisto7\  Esaii, 
cui  et  Edom,  h.  e.  Rufo  nomen  fait,  Erythrus  a  Grxcis  d ictus 
est,  etc.  (2). 

Celte  tradition,  quoique  erronée,  n'en  a  pas  moins  été 
constante  pendant  de  longs  siècles  :  or ,  c'est  le  propre  de 
semblables  traditions,  de  n'être  pas  complètement  dénuées  de 
fondement,  quelque  inexactes  qu'elles  soient  en  elles-mêmes. 
La  philologie  comparée  n'a  pas  toujours  été  cultivée  avec  le 
soin  que  lui  accorde  notre  époque.  Une  idée  vague  et  confuse 
sur  les  caractères  de  la  langue  primitive,  la  constatation  de 
plusieurs  de  ces  caractères  dans  l'hébreu,  telle  est  à  notre  avis 
l'origine  de  cette  tradition  et  la  cause  de  la  faveur  qu'elle  a 
longtemps  obtenue.  On  remarque,  par  exemple,  que  le  nom  des 
"organes  est  dans  toutes  les  langues  exprimé  par  des  sons  que 
l'on  profère  au  moyen  de  ces  organes,  la  bouche,  les  lèvres,  le 
gosier,  les  dents,  le  nez.  Ces  sons  ont  sans  doute  été  l'objet 
d'une  préférence,  parce  qu'ils  étaient  de  nature  à  indi(juer  un 
rapport  organique,  symbolique,  ou  comme  l'appelle  Steinthal, 
patboguomique  entre  l'idée  et  la  réalité  que  l'on  a  voulu  repré- 
senter. Le  mot,  en  effet,  est  la  représentation  de  l'idée  appré- 
hendée ou  conçue,  et  non  de  la  réalité.  Mais  si  l'on  peut  former 
des  mots  dans  lesquels  la  réalité  apparaisse  avec  certains  de 
ses  caractères,  la  langue  qui  en  résultera  sera  une  langue 
bien  plus  parfaite  que  celle  qui  ji'ofïrirait  pas  les  mêmes  res- 
sources.  Toutefois,    dans   les  langues    perfectionnées,    un 

(I)  Hugo  Grolius,  a«,'iof.  ad  Gen.  xi,2. 

[%  Hiiel,  De7n.  Ev^inrj.  Pi  op.  iv.Cf.  ClcriciPro/.  î/i  Pent.Diss  \,de 
ting.  Heb.,  nar.LI. 


Jenv.  18(î;}.J  philologie   et   r.ÉVl5LATlO.\.  9 

système  conventionnel  a  suppléé  ù  ces  relations  symbolicjucs 
entre  les  mots  et  les  réalités  qu'ils  désignent.  A  mesure  qu'où 
s'éloigne  du  berceau  des  langues,  on  voit  le  rapport  conven- 
tionnel absorber  la  relation  naturelle.  On  en  conclut  que  cette 
langue  se  rapproche  davantage  de  la  langue  primitive,  dans 
laquelle  les  rapports  naturels  sont  plus  sensibles  et  les  rapports 
conveiitionneis  moins  fréquents.  11  n'y  a  pas  loin  de  là  à  dire 
que  l'hébreu  est  la  langue  primitive.  Dans  sa  fausseté  cette 
proposition  ne  laisse  pas  de  révéler  la  persuasion  de  l'humanité 
qui  la  formule  relativement  aux  caractères  de  cette  langue,  et 
c'est  tout  ce  que  nous  cherchons  en  ce  moment.  L'hébreu,  en 
effet,  semble  atteindre  ce  but  avec  une  i)erfection  sauvée  du 
langage  primitif.  Tout  un  ordre  de  faits  observés  dans  cette 
langue  et  dans  les  mots  qui  la  composent  permet  de  découvrir 
une  relation  entre  les  mots  et  les  réalités  qu'ils  expriment,  les 
formes  logiques  et  les  catégories  logiques  de  la  pensée,  qui  se 
rapproche  beaucoup  de  l'union  de  l'àme  avec  le  corps  et  des 
faits  qui  en  résultent. 

M.  Renan  avoue  lui-même  que  «  le  système  grammatical 
«  des  Hébreux  sent  l'enfance  de  l'esprit  humain  et  qu'il  est. 
«  permis,  sans  tomber  dans  les  rêves  de  l'ancienne  philologie, 
a  de  croire  que  les  langues  sémitiques  nous  ontconservé,  plus 
a  clairement  qu'aucune  autre  famille,  le  souvenir  d'un  des 
a  langages  que  l'homme  dut  parler  au  premier  éveil  de  sa 
«  conscience»  (I).  11  est  conduil  à  cette  conclusion  par  des 
considérations  d'un  grand  intérêt  sur  la  manière  dont  l'hébreu 
exprime  les  sentiments  de  l'âme,  par  les  mouvements  organi- 
ques qui  en  sont  ordinairement  le  signe,  et  par  l'expression 
sensuelle  que  reçoivent  les  idées  abstraites.  «Il  fautadmettre, 
«  dit-il  ailleurs,  chez  les  premiers  parlants  un  sens  spécial  de 
«  la  nature,  qui  donnait  à  tout  une  signification,  voyant  l'âme 
a  dans  le  dehors  et  le  dehors  dans  i'àme.  Ce  serait  un  vrai 
«  malentendu  de  considérer  comme  un  grossier  matérialisme, 

il)  Histoire gén.  des  la?igues  $ém.,  p.  24. 


^0  PHILOLOGIE    ET   nÉVÉLATION.  [Tomo  VU 

((  ne  comprenant^  ne  sentant  que  le  corps,  l'état  sensitif  où 
«  vécurent  les  créateurs  du  langage  ;  c'était  au  contraire  une 
a  haute  harmonie,  grâce  à  laquelle  l'homme  voyait  l'un  dans 
a  l'autre,  exprimait  l'im  par  l'autre,  les  deux  mondes  ouverts 
«  devant  lui  (1).»  Une  faudrait  cependant  pas  croire  que  cette 
propriété  soit  exclusive  aux  langues  sémitiques.  Dans  aucune 
langue  il  n'y  a  des  expressions  immédiates  pour  les  idées  su- 
prasensibles.  Comme  j'ob.^ervation  nous  montre  dans  ces  mots 
l'image  sensible  qui  a  servi  à  les  former,  ainsi  l'iiabitude  nous 
apprend  à  leur  appliquer  les  idées  qu'ils  expriment  :  conve- 
nance, dépendance,  ressemblance,  etc.  —  Même  dans  l'ordre 
sensible,  il  est  des  réalités  qui  sont  désignées  par  l'analogie 
qu'elles  ont  avec  des  réalités  du  même  ordre.  C'est  ainsi  que 
nous  parlons  dos  pieds  d'une  table,  des  flancs  d'une  montagne, 
d'eaux  vives,  de  couleurs  pâles,  etc.  Or,  dans  bien  des  cas, 
ces  expressions  métaphoriques  renferment  en  même  temps 
une  métaphore  phonétique  qui  indique  l'intention  bien  ar- 
rêtée de  créer  pour  l'objet  de  la  pensée  des  mots  qui  produisent 
sur  l'ouïe  des  impressions  analogues  à  celles  que  l'objet  ex- 
primé a  produises  sur  l'âme.  C'est  donc  là  une  tendance  qui  se 
révèle  chez  les  créateurs  du  langage,  à  se  servir  de  la  signifi- 
cation pathognomique  des  sons,  pour  compléter  et  perfection- 
ner, par  une  valeur  organique,  la  puissance  d'expi-im^r,  qu'ils 
reconnaissent  à  certains  mots. 

Toutefois,  dans  les  langues  perfectionnées,  on  s'est  ordi- 
nairement affranchi  des  lois  de  cette  harmonie  naturelle  du 
langage  :  il  est  rare  qu'on  en  ait  tenu  compte,  soit  parce  que 
la  signification  naturelle  des  sons,  qui  en  était  le  principe,  a 
été  méconnue,  soit  parce  que  l'harmonie  de  l'homme  et  du 
monde  a  été  fatalement  troublée.  Une  autre  cause  a  pu  pro- 
duire aussi  ce  résultat  :  c'est  la  nécessité  de  faire  céder  les 
métaphores  phonétiques  devant  les  métaphores  logiques,  et  la 
substitution  des  métaphores  d'idées  aux   métaphores   com- 

(\)  Orig'me  du  langage,  pp.  130  el  131. 


Janv.  18r.3.j  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  M 

plcxes  de  sons  et  d'idées.  H  n'en  est  pas  moins  vrai  que  plus 
une  langue  se  rapproche  de  sou  état  primitif,  plus  elle  est  an- 
cienne et  informe,  plus  aussi  la  signification  organique  des 
sons  apparaît  comme  principe  préformateur,  et  toutes  les  for- 
mations dans  les(]uelles  on  découvre  encore  «rujourd'hui  un 
rapport  entre  le  son  et  l'idée  sont  des  restes  d'une  période 
historique  du  langage.  «  Dans  la  langue  primitive,  ditHeyse, 
a  tout  est  organique,  c'est-à-dire  compénétralion  complète  du 
a  son  et  de  l'idée  (l).»Telle  est  aussi  l'opinion  de  Stt'iutlial(2). 
Il  est  vrai  que  -quelques  auteurs  modernes,  Benfey  par 
exemple  (3),  ne  veulent  pas  admettre  cette  relation  orga- 
nique, à  cause  de  l'insuffisance  des  moyens  historiques  qui 
pourraient  servir  à  la  constater:  ils  font  de  celte  question  une 
question  réservée  pour  le  moment.  Toutefois,  ces  exceptions, 
et  la  manière  dont  elles  se  formulent,  ne  sauraient  nous  em- 
pêcher de  reconnaître  que  dans  la  pensée  de  la  philologie 
ancienne  et  moderne  la  langue  primitive  a  dû  avoir  pour  ca- 
ractère une  relaiion  organique  entre  l'expression  phonétique 
de  l'idée  et  l'idée  elle-même.  Comme  ce  rapport  est  surtout 
sensible  en  hébreu,  on  comprend  que  l'on  ait  pris  pendant 
longtemps  l'hébreu  pour  ia  langue  primitive  (4). 

(Il  Sprac/noiss.   S.  209. 

(2)  Sleinlhal,  Zeitsc/trift  fur  Vœlkerpsych.  und  Sprachiviss.  I.  S. 
424. 

(3)  Brufey,  SkizzeS.  40. 

(4)  Dans  les  passages  que  nous  avons  ciiés  de  M.  tîonan,  on  re- 
marquera une  leiiiian  e  à  (ié()rt''(ipr  les  ressources  el  les  qiialilés  de 
la  langue  hébraïque.  Le  [irofesstur  d'hébreu  du  Collège  «le  France  re- 
dressera ces  erreurs  du  membre  de  l'hislilut.  Nous  n'aimons  point, 
par  exemple,  ce  parallèle  enlre  les  langues  ariennes  et  les  langues  sé- 
nii:i(iuts  où  on  lit:  «  Les  langi  es  ariennes  nous  transportent  tout 
tt  d'abord  en  |)lein  idéalisme  el  nous  feraient  envisager  la  créalion  de 
»  la  parole  fomii.e  un  fait  esscniiellemenl  iranscendanl  Si  l'on  ne  eon- 
>  sidérait,  au  contraire,  que  les  langues  sémitiques,  on  pourrait  croire 
»  que  la  sensation  présida  seule  aux  premiers  a(  tes  de  la  pensée  hu- 
»  maine  et  que  le  langage  ne  fut  d'abord  qu'une  sorte  de  reflet  du 
»  monde  extérieur.  »  M.  Renan  aurait  dû  se  laisser  mieux  inspirer 


42  PHILOLOGIE  ET   RÉVÉLATION.  [  Tome  VU. 

XV. 

La  philologie  profane  nous  a  dit  dans  ce  qui  prdcède  tout 
ce  qu'elle  enseigne  au  sujet  delà  langue  primitive.  La  Révélation 
va  encore  une  fois  confirmer  ses  données,  les  développer  et  les 
compléter. 

Le  premier  homme  s'est  manifesté  dans  son  langage:  une 
étude  sur  son  état  primitif  peut  permettre  d'apprécier  quels 
ont  été  les  caractères  de  la  langue  primitive.  C'est  la  Révéla- 
tion qui  nous  conduit  :  elle  s'unit  au  sens  commun  pour  nous 
empêcher  de  penser  que  l'homme  ait  jamais  été  dans  un  état 
d'imperfection  qui  le  distinguait  peu  des  animaux.  Dans  le 
sein  de  l'Eglise,  un  passage  mal  compris  de  saint  Irénée  (1) 
a  laissé  croire  à  quelques  auteurs  qu'Adam  avait  été  créé  dans 
l'état  d'enfance,  et  que  ses  facultés  étaient  comme  une  table 
rase  qu'il  était  réservé  à  l'expérience  de  remplir.  La  saine 
théologie  enseigne  que  l'homme  est  sorti  parfait  des  mains  de 
son  auteur,  pourvu  de  toutes  les  connaissances  naturelles  pos- 
sibles et  enrichi  des  dons  surnaturels  qui  le  rendaient  créé  à 
l'image  et  à  la  ressemblance  de  Dieu.  Les  connaissances  natu- 
relles qu'il  possédait  lui  étaient  nécessaires  à  cause  de  l'état 
exceptionnel  dans  lequel  il  se  trouvait.  Il  fallait  qu'il  conniit 
l'essence  des  choses,  qu'il  la  connût  d'une  manière  claire  et 
sûre.  Ses  facultés  n'étaient  ni  contrariées,  ni  affaiblies  par  l'in- 
fiuence  du  corps,  dont  la  réaction  est  en  nous  si  violente, 
parce  que  le  corps  et  l'àme  étaient  en  lui  dans  une  harmonie 
parfaite.  Il  était  le  plus  grand  savant  dans  tous  les  ordres  que 

par  Ilerder,  qu'il  cile  du  reste  dans  son  livre  sur  l'origine  du  langage. 
Un  professeur  d'Iiébreu  de  la  facullé  de  llit^ologie  dt;  Lyon  aurait  aussi 
pu  lui  imliquer  tout  ce  qu'il  y  a  de  précieuses  compensations  dans  la 
pauvreté  même  de  l'hi^breu  el  de  beautés  cachées  sous  ses  défauts 
apparents.  [Éludes  UUerairea  sur  les  poêles  bibliques,  par  l'abbé  Plan- 
lier,  22  leçon.) 

(1)  Jclv.  Hœr.  iv,  38. 


Janv.1863.]  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  13 

la  terre  ait  jamais  porté  :  ses  inductions  étaient  instantanées, 
ses  déductions  naturelles  et  promptes.  La  perfei  tion  de  sa  na- 
ture et  les  dons  surnaturels  qui  l'avaient  ennobli  en  faisaient 
l'homme  parfait,  Thomme  par  excellence  (1). 

Cela  posé,  nous  pouvons  nous  faire  une  idée  de  ce  qui  a  con- 
stitué le  langage  primitif  au  paradis.  Parlons  d'abord  de  la  ma- 
tière de  cette  langue,  des  mots  du  premier  homme  et  de  leur 
puissance  de  signification.  Ses  mots  étaient  comme  les  nôtres 
des  expressions  phonétiques  de  ses  idées  :  mais  c'est- là  tout  le 
principe  de  ressemblance  qui  existait  entre  le  matériel  de  la 
langue  d'Adam  et  le  matériel  de  nos  langues  actuelles;  tan- 
dis que  sa  capacité  intellectuelle  et  la  forme  pliouélique  des 
mots  s'unissaient  pour  créer  entre  elles  de  nombreuses  diffé- 
rences. D'abord  les  idées  de  l'homme  au  paradis  n'élaient  pas 
comme  les  nôtres  des  images  subjectives  ne  répondant  qu'à 
une  cerlaiue  manière  d'être  de  la  réalité:  elles  étaient  des  re- 
présentations complètes  de  l'objet  appréhendé,  le  reproduisant 
avec  tous  ses  caractères.  Le  rapport  de  l'expression  phonétique 
avec  ses  idées  n'était  ni  inconscient  comme  dans  nos  langues 
actuelles,  ni  conventionnel  comme  celui  que  peuvent  pro- 
duire les  lois  logiques;  il  était  symbolique,  ou  pour  mieux 
dire  organique,  car  le  son,  dans  le  langage  primitif,  n'est 
pas  un  signe  créé  ad  hoc,  mais  un  signe  capable  de  signifier  par 
lui-même  et  d'être  compris.  Il  n'est  donc  pas  un  (tu;jl6oXov,  mais 
un  opyavov  (2),  Par  conséquent,  les  mots  de  la  première 
langue  étaient  des  signes  naturels  [signa  naluralia)  de  l'objet 
pensé.  Que  ces  mots  aient  été  des  sons  monosyllabiques,  comme 
la  science  est  portée  à  le  croire  des  parties  du  discours  les 
plus  anciennes,  nous  n'avons  ni  à  le  prouver  ni  à  le  contredire, 


(1)  Kleutgen,  die  Theol.  der  Forzdt,  2  Bd.,  p.  rii7.—  Chasiel,  de 
l'Origine  des  connaissances  humaines  d'après  VÉcrilure  sainte.  Paris 
-J852.  p.  80  seqrj.  —  Suarez,  de  op.  vi  dierum  et  An.  L.  m,  cap.  tJ, 
9,  10.  S.  Thom.  1  P.  q.  94.  a.  3. 

(2)  Slbeinthal,  Zeitsch.Jûr  Vœtfcerps.  undSprachwiss.  I.  S.  424» 


-14  PHILOLOGIE   ET  RÉVÉLATION.  ITorae  V(l> 

puisque  les  créations  phonétiques  les  plus  compliquées  d'une 
langue  quelconque  peuvent  être  ramenées  par  l'analyse  à  des 
éléments  monosyllabiques.  Cependant  la  perfection  de  la 
langue  du  paradis  nous  porte  à  croire  a  pj'iori  que  les  moyens 
les  plus  simples  suffisaient  à  l'expression  de  la  pensée.  De  plus, 
la  signification  organique  des  sons  ne  devait  pas  être  sans  in- 
fluence. Chaque  mot.résultail  de  cet  ensemble  de  sons  qui 
répondait  à  l'ensemble  des  caractères  de  l'idée  de  celui  qui 
parlait.  Les  idées  et  les  conceptions  humaines  répondaient  à  la 
réalité  ;  il  devait  donc  exister  une  harmonie  essentielle  entre 
les  choses  et  les  mots,  et  par  là  même  le  mot  devenait  une 
image  de  l'objet  :  le  nom  désignait  l'essence  de  la  chose  par 
cela  même  qu'il  était  l'expression  de  la  pensée  humaine,  et 
que  celle-ci  se  rapprochait  autant  que  possible  de  la  réalité. 
Aussi  dans  le  langage  biblique  le  mot  no7n,  ta'j»  est-il  pris  pour 
la  nature  et  l'èlre  de  l'objet.  Invoquer  le  nom  de  Dieu,  c'est 
invoquer  Dieu,  et  être  appelé,  c'est  être  (1). 

Quant  à  la  manière  dont  le  supraseusible  était  exprimé 
dans  la  langue  du  paradis,  nous  pensons  qu'il  l'était  comme 
dans  nos  langues  actuelles,  par  une  métaphore  dont  la  base 
était  une  comparaison  qu'Adam  avait  dans  l'esprit.  Il  serait 
beaucoup  plus  facile,  en  effet,  de  former  actuellement  une  ex- 
pression immédiate  pour  les  idées  surnaturelles,  qu'il  ne 
l'était  au  commencement.  Alors  l'homme  était  parfaitement 
certain  de  la  siguifîcation  propre  et  organique  des  sons,  tandis 
qu'elle  est  aujourd'hui  à  peu  près  perdue.  De  plus,  la  manière 
dont  nous  exprimons  aujourd'hui  les  conceptions  abstraites 
n'a-t-elle  pas  son  fondement  dans  la  nature  des  choses  et  dans 
la  manière  dont  l'exprimait  le  langage  primitif?  Il  semble  dif- 
ficile d'admettre  qu'uu  son  matériel  puisse  arriver  à   peindre 

(J)  Steinlhal,  Ursprungder  Sprache  2  Ausg.  -1858.  S.  23.  —  Uebcr 
Sprache  Undihr  Ferhxllniss  zur  Psych.  Freiburg  ira  Bris.  1860.  S.  43. 
Exod.  32,  12.  Lev.  24,  \\.  Deuier.  28,  58-  \  Reg.  8,  29.  Is.  30,  27 
1,  26,  Eccl.  6,  10  el  dans  le  Nouv.  Tesl.  Luc.  1,  32  elc. 


«nv.  1863.1  PHILOLOGIE  ET   RÉVÉLATION.  4^ 

une    idée    spirituelle    autrement   qu'à    l'aide    d'une  image 
sensible. 

L'état  de  connaissances  parfaites  dans  lequel  l'homme  se 
trouvait  au  commencement  a  dû  avoir  pour  conséquence  de 
lui  permettre  de  percevoir  simultanément  la  notion  du  p;énéral 
et  celle  du  particulier.  «  Dans  la  synthèse  primitive  de  l'es- 
«  prit  humain,  l'accessoire  ne  se  distinguait  pas  du  principal; 
«  l'idée  se  produisait  comme  un  tout,  avec  l'ensemble  de  ses 
«  circonstances  »  (1).  Mais  rien  n'empêche  de  supposer,  et 
l'expérience  confirme  cette  hypothèse,  que  le  mot  qui  lui  ser- 
vait comme  expression  du  particulier,  renfermait  un  élé- 
ment capable  de  devenir  l'expression  du  général.  Que  cet  élé- 
ment ait  réellement  existé  sous  uue  forme  séparée,  ou  non,  peu 
importe  à  notre  thèse.  Le  fait  est  qu'il  est  parfaitement  recon- 
naissable  dans  les  langues  sémitiques,  comme  aussi  dans  les 
langues  indo-européennes.  Ce  sera,  par  exemple,  par,  *ys,  en 
hébreu  dans  les  racines  Tnfi,  &1S,  Ï^IB,  pS,  pS,  ^nS,  Q1D, 
ÏD'IB,  SID,  ÏIIS,  qui  ont  la  signification  générique  de  briser. 
Dans  la  première  période  des  langues  indo-germaniques,  on 
rencontre  une  quantité  d'expressions  qui  désignent  les  notions 
particulières,  avant  qu'il  en  existe  une  pour  l'idée  générale. 
Par  exemple,  avant  d'avoir  un  mot  pour  exprimer  l'idée  géné- 
rale de  voir,  sehen,  on  rendait  toutes  les  nuances  de  cette  idée 
par  les  racines  skav^  schauen,  spak,  spxhen,  ak  (lat.  oc  dans 
oc-ulus,  grec  otc  dans  O7r-(jo(xai),  aufblicken,  vid,  gevaivhren, 
dark  (oéSopxa),  durschauen,  vor  (opaoj),  geioahren,  lok  (Xeudao)), 
higen,  thav  {Qedo[i.on),  betrachten,  blek  (6XéTro|jLat),  blicken. 

Ce  que  nous  avons  dit  du  matériel  de  la  langue  primitive 
permet  de  conclure  que  cette  langue  a  possédé  une  quantité 
innombrable  de  mots.  L'objet  en  effet  se  présentait  à  la  pensée 
sous  une  multitude  de  formes  et  de  rapports  ;  et  comme  la 
langue  primitive  offrait  à  l'homme  une  expression  convenable 
pour  toutes  ses  pensées,  l'expression  devait  être  aussi  multiple 

(1)  Renan,  Hisl.  gén.  des  langues sém.,  p. 97. 


IC  PHILOLOGIE  ET  RÉVÉLATFOIf.  |TomoVlK 

et  aussi  flexible  que  la  peusée  même.  De  plus  la  perfection 
de  l'état  primitif,  dans  lequel  l'harmonie  la  plus  parfaite  ré- 
gnait entre  le  corps  et  l'âme,  laisse  supposer  que  le  langage, 
bien  qu'élément  matériel,  devait  participer  à  la  régularité  par- 
faite de  la  pensée:  et  si  l'on  admet  avec  Humbold  que  la 
langue  n'est  pas  un  epyov,  mais  une  IvspYsiocjil  faudra  reconnaître 
qu'elle  n'a  jamais  mieux  répondu  à  cette  idée  qu'au  paradis. 
L'idée  et  ison  expression  phonétique  étaient  alors  dans  un  rap- 
port tel,  que  chaque  idée  produisait  un  son:  la  langue  était 
par  conséquent  une  faculté  organique  dans  laquelle  tout 
l'homme,  esprit  et  corps,  se  trouvait  impliqué,  et  il  était  vrai 
de  (lire  alors  que  l'homme  se  manifestait  dans  son  langage, 
tandis  qu'aujourd'hui  les  caractères  que  la  logique  indique 
comme  essentiels  au  langage,  ne  se  rencontrent  qu'imparfaite- 
ment dans  nos  langues  modernes.  En  outre,  l'usage  de  la 
langue  exige  maintenant  une  certaine  convention  entre  l'audi- 
teur et  l'interlocuteur;  l'auditeur  doit  mettre  son  esprit  en 
mouvement  pour  saisir  à  l'aide  des  mots  proférés,  comme  à 
l'aide  d'un  matériel  déjà  existant,  la  pensée  de  l'interlocuteur, 
plus  ou  moins  enveloppée  sous  la  forme  nécessaire  qu'elle  re- 
çoit de  l'individualité  de  celui-ci.  Mais  au  paradis,  écouter  et 
comprendre  n'étaient  pas  deux  opérations  particulières.  Le  parlé 
était  aussi  clair  à  l'auditeur  que  ses  propres  pensées  ;  il  l'ap- 
préhendait par  un  seul  et  même  acte,  parce  que  la  parole 
était  originellement  l'expression  immédiate  et  organique  de  la 
pensée;  elle  ne  contenait  ni  plus  ni  moins  que  ce  qui  était  dans 
l'esprit  de  l'interlocuteur.  Aussi,  dans  bien  des  langues  n'y  a- 
t-il  pas  de  mot  spécial  pour  exprimer  l'idée  de  penser.  Penser, 
c'est  parler,  parler  dans  son  cœur,  parler  intérieurement. 

On  peut  attacher  diverses  significations  au  mot  forme,  lors- 
qu'il s'agit  de  la  langue  primitive.  Si  l'on  prend  ce  terme 
dans  le  sens  opposé  à  celui  de  matière,  on  comprend  qu'il 
ne  puisse  pas  être  question  de  la  forme  de  la  langue  primitive. 
Dans  ce  sens,  en  effet,  la  ferme  de  la  langue  est  ce  qui  sert  à 


Janv.  1863.1  PHILOLOGIE   ET   Rf.VÉLATION.  17 

désigner  la  forme  des  images  ou  des  réalités.  Or,  comme  le 
remarque  Sleinthal,  dans  le  langage  primitif,  il  suffisait  d'of- 
frir ù  l'auditeur  les  éléments  de  l'idée,  et  on  n'avait  pas  à  se 
préoccuper  de  lui  faire  saisir  les  rapports  des  parties  de 
l'idée  entre  elles:  c'était  un  acte  qu'il  faisait  tout  naturellement, 
placé  qu'il  était  dans  la  même  situation  que  l'interlocuteur  par 
rapport  aux  connaissances,  lesquelles  étaient  aussi  parfaites 
et  aussi  étendues  chez  l'un  quecbez  l'autre.  Ajoutons  i(uedans 
le  monde  réel  les  formes  de  Texistence  ne  sont  nullement  dis- 
tinctes de  l'essence  des  chose?,  et  que,  dans  un  langage  dont 
les  éléments  répondaient  au  monde  réel,  la  désignation  des 
formes  n'avait  pas  de  raison  d'être. 

De  plus,  il  est  clair  aussi  qu'à  propos  de  la  langue  primitive 
il  ne  saurait  être  question  de  ce  que  nous  avons  appelé  plus 
haut  la  forme  intérituro  de  la  langue.  Il  n'y  avait  au  paradis 
aucune  idée  subjective,  aucune  manière  particulière  de  repré- 
sentation. Pour  l'homme  d'alors,  il  n'existait  qu'une  forme  de 
pensée  logique,  laquelle  était  dans  une  parfaite  harmonie  avec 
les  formes  de  l'existence.  La  perception  de  ces  formes  produi- 
sait la  parole,  et  empêchait  que  le  laugage  fût  caractérisé  par 
une  forme  intérieure  particulière.  L'homme  ne  pouvait  parler 
qu'à  Dieu  ou  à  sa  compagne,  et  entre  les  trois  êtres  capables 
de  parler,  il  régnait  une  harmonie  parfaite  de  volonté  et  de 
connaissance.  Toute  subjectivité  était  donc  exclue  par  cela 
même,  et  ce  que  l'on  eût  pu  appeler  la  forme  intérieure  du 
langage,  n'était  que  le  caractère  d'une  connaissance  immé- 
diate et  certaine,  que  leurs  mots  comme  leurs  pensées  portaient 
avec  eux.  Eu  outre,  il  n'y  avait  rien  dans  la  langue  primitive 
que  l'on  eût  dû  considérer,  apprendre,  éclaircir  préalablement. 
Toute  hésitation,  toute  mésintelligence  était  impossible.  L'acte 
par  lequel  l'auditeur  comprenait  était  tout  aussi  immédiat 
que  celui  par  lequel  l'interlocuteur  pailait.  Il  n'y  avait  par 
conséquent  qu'une  seule  langue  possible  sur  la  terre,  et 
d'autres  couples  eussent-ils  existé  à  la  même  époque  ,  tant 


IS  PHILOLOGIE  ET  RÉVÉLATIO!^.  (Tome  VIL 

qu'ils  auraient  conservé  leur  perfection,  ils  n'auraient  pas 
cessé  de  parler  le  même  langage.  Toutefois,  ce  serait  une 
erreur  que  de  regarder  une  telle  nécessité  comme  une  gène,  une 
imperfection  pour  la  liberté  humaine  :  c'était  au  contraire  une 
perfection,  comme  la  plus  haute  expression  de  la  liberté 
consiste  à  ne  pouvoir  pas  pécher,  comme  les  connaissances 
de  l'homme  étaient  beaucoup  plus  complètes  lorsqu'il  n'était 
pas  sujet  à  l'erreur,  ainsi  le  langage  le  plus  parfait  était  celui 
où  l'on  ne  pouvait  employer  que  certaines  expressions  déter- 
minées pour  la  pensée,  alors  que  ces  expressions  étaient  les 
plus  convenables  et  les  plus  parfaites  qu'il  fût  possible  d'ima- 
giner. 

Faisons  ici  une  observation  dont  l'importance  résulte  sur- 
tout des  faits  qui  vont  suivre,  mais  qui  peut,  à  son  tour,  les 
faire  briller  d'un  plus  vif  éclat.  Dans  le  langage  biblique,  le 
mot  '^S^,  verbum,  a  simultanément  la  signification  de  7not  et 
d'objet,  chose  (1).-Cela  ne  vient  certainement  pas  d'une  mé- 
toiiymie  qui  produit  dans  certains  cas  le  changement  du  nom 
en  l'objet  qu'il  exprime  ;  car  la  signification  chose  est  plus  ori- 
ginelle que  celle  de  77iot.  Il  vaut  mieux  penser  que  cette  union 
de  deux  significations  sous  une  même  expression  phonétique, 
provient  de  la  persuasion  qu'entre  le  mot  et  l'objet  désigné  il 
existe  un  rapport  nécessaire,  et  c'est  cette  persuasion  qui  a 
permis  de  confondre  ces  deux  idées  dans  une  même  expression 
phonétique.  Divers  passages  de  l'Écriture  nous  enseignent  la 
manière  dont  cette  persuasion  a  pu  arriver  à  se  former. 

Avant  de  rien  nous  apprendre  sur  la  langue  des  hommes, 
l'auteur  de  la  Genèse  fait  parler  Dieu  dans  le  premier  chapitre. 
Ici,  comme  dans  tous  les  cas  possibles,  ime  activité  divine  est 
désignée  par  le  nom  de  l'activité  humaine  qui  lui  répond,  et 
c'est  de  la  puissance  créatrice  de  Dieu  qu'il  s'agit.  «  Dieu  dit  : 
«  Que  la  lumière  soit,  et  la  lumière  fut,  etc.  »  Gela  signifie 

(])  V.  Geseniiis,  Thésaurus,  à  ce  mol.  —  La  même  chose  a  lieu  en 
chalJéen,  en  syriaqiie,  en  arabe  el  en  grec. 


Janv.  1S63.I  PHILOLOGIK   ET   RÉVÉLATION.  ^^ 

d'après  l'explication  ortlinaire  :  Dieu  réalisa  l'idée  de  la  lu- 
mière qu'il  avait  pensée  en  lui-même,  en  informant  d'une 
manière  déterminée  la  matière  déjà  existante  {materia  prx- 
jacens).  Cet  acte  divin  ne  peut  être  appelé  un  discours  que  s'il 
y  a  dans  le  discours  humain  une  analogie  entre  la  réalisation 
phonétique  de  l'objet  pensé  et  son  existence  réelle.  L'idée, 
le  conceplus  mentis,  prend,  pour  ainsi  dire,  par  l'expression 
phonétique  une  substance  et  un  corps.  Voudrait-on  essayer  de 
trouver  le  fondement  de  cette  analogie  dans  ce  fait  que  le 
discours  humain  entraîne  après  lui  la  réalisation  de  quelque 
chose  de  voulu  ?  On  se  tromperait,  parce  que,  dans  l'acte  de  la 
création,  Dieu  seul  est  actif,  et  il  ne  faut  pas  penser  à  une  dé- 
termination de  sa  volonté  venue  d'ailleurs  que  de  lui.  La  for- 
mation du  discours  humain  est  en  un  certain  sens  analogue  à 
l'opération  créatrice  de  Dieu.  Pour  former  le  lan<jfage,en  effet, 
l'homme  se  sert  de  son  souffle  et  de  ses  organes,  comme  d'une 
matière  déjà  existante  [materia  prœjacens),  et  il  leur  donne  telle 
forme  déterminée  qui  devient  l'expression  de  sa  pensée, 
comme  la  création  du  monde  répond  à  la  pensée  divine.  Mais 
l'analogie  entre  la  création  divine  et  le  discours  humain  n'au- 
rait pas  eu  de  raison  d'ètre;,si  le  langage  n'eût  jamais  été  autre 
chose  que  ce  qu'il  est  aujourd'hui;  car  les  expressions  phoné- 
tiques dont  il  se  compose  actuellement  répondent  d'une  ma- 
nière très-imparfaite  à  la  pensée  humaine,  tandis  que  le 
monde  répond  d'une  manière  parfaite  à  la  pensée  divine. 
Dira-t-on  que  cette  imperfection  de  l'analogie  provient  de  la 
distance  incommensurable  qui  sépare  l'homme  de  Dieu  ?  Mais 
il  n'est  pas  contraire  à  la  nature  de  l'homme  de  posséder  le 
moyen  d'exprimer  ses  idées  d'une  manière  parfaite  :  s'il  est 
actuellement  privé  de  cette  perfection,  c'est  qu'il  a  perdu 
l'état  de  sainteté  et  de  justice  originelles  dans  lequel  il  avait 
été  créé,  et  tout  ce  que  nous  voulons,  c'est  qu'au  paradis  il 
ait  pu  exister  une  analogie  entre  le  discours  humain  et  la 
création  divine.  11  a  suffi  pour  cela  que  le  langage  ait  donné 


20  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [Tom9  TII. 

alors  à  l'homme  le  moyen  d'exprimer  ses  pensées  d'une  ma- 
nière adéquate  :  nous  retrouvons  par  là  riiypoihèse  déjà  éta- 
blie au  sujet  de  la  langue  primitive  et  des  sons  qui  la  compo- 
saient. 

Un  aulre  passage  du  même  chapitre  de  la  Genèse  nous  con- 
duit au  même  résultat  par  rapport  à  la  langue  primitive  : 
«  Dieu  appelle  la  lumiùre,  jour;  les  ténèbres,  nuit;  les  eaux, 
«  mer;  le  fn-mament,  ciel,  etc.  n  Ce  que  saint  Augustin  et 
saint  Thomas  interprètent  de  la  manière  suivante  :  o  Vucavit 
«  autem,  idem  dictum  est  ac  vocari  fecit:  quia  sic  distinxit 
«  omuia  et  ordinavit.  ut  et  disccrni  possint  et  nomina  acci- 
a  père  (1).  »  —  «  Intelligitur  autem  nbique  per  hoc  quod 
a  dicitur  vocavit  :  dédit  naluram  vel  proprictatem,  ut  possit 
«  sic  vocari  (2).  »  N'oublions  pas  qu'à  l'époque  dont  il  s'agit 
il  n'y  avait  sur  la  terre  aucun  homme  qui  eût  pu  donner  ces 
noms.  Supposé  donc  que  les  propriétés  données  par  Dieu  à 
ces  divers  objets  dussent  un  jour  recevoir  un  nom,  il  devait 
exister  entre  l'essence  des  choses  et  leur  expression  dans  le 
langage  humain  une  union  objective,  cette  union  en  vertu  de 
laquelle  nous  voyons  dans  ce  passage  la  communication  de 
l'essence  des  choses  accompagnée  du  nom  qu'elles  reçoivent. 
Une  telle  relation  exclut  l'arbitraire  de  l'homme  dans  l'usage 
du  langage,  dans  la  dénomination  des  objets,  pourvu  que 
l'application  des  facultés  naturelles  de  l'homme  ne  fût  point 
sujette  à  l'erreur.  Et  c'est  ce  que  nous  savons  de  l'état  primi- 
tif. Donc  à  l'origine  le  langage  était  l'expression  parfaite  et 
adéquate  de  la  réalité.  Ainsi  s'explique  ce  que  saint  Thomas 
pose  comme  un  postulatum  :  «  Nomina  debent  naluris  rerum 
0  congruere  (3),  »  et  ce  qu'il  ajoute  :  a  Nomina  non  sequun- 
«  tur  modum  essemli,  (|ui  est  in  rébus,  sed  moJum  essendi, 


(i)  Geii  C.  Man.  i,  9. 
(-2)1.  P.  q   69,  art.  I,  ad  5. 
(3,1  l.  P.  q.  9  5,  arl.  3. 


Janv.  1SG3.]  PHILOLOGIE   ET  RÉYÉLATIOIÏ.  2î 

«  secundum  quod  in  cognitione  nostra  sunt  (1),  »  montre  do 
quelle  manière,  à  l'origine,  nne  telle  convenance  a  pn  exister 
entre  le  langage  et  la  réalité  :  par  la  connaissance  pénétrante 
et  parfaite  que  le  premier  homme  avait  de  la  nature  des  réa- 
lités. En  vertu  de  cette  connaissance,  ses  conceiitions  répon- 
daient à  l'être  réel  des  choses,  ses  mots  étaient  dans  un  rap- 
port de  convenance  parfaite  avec  SCS  conceptions.  D'où  il  suit  que 
dans  la  langue  primitive,  la  signification  organique  des  sons 
était  le  moyen  par  lequel  les  réalités  réfléchies  dans  la  pensée 
humaine  trouvaient  leur  expression  parfaite  dans  le  langage 
articulé. 

Dans  le  psaume  146*,  v.4,  il  est  dit:  «LeSeigneur  compte  la 
a  multitude  des  étoiles  et  leur  donne  à  toutes  des  noms  (2).  » 
D'après  le  parallélisme,  l'action  créatrice  de  Dieu  par  laquelle 
il  forme  un  nombre  détermine  d'étoiles,  est  ici  exprimée  par 
l'action  de  leur  donner  des  noms.  C'est  donc  comme  image  de 
la  réalisation  de  sa  pensée  créatiice  que  l'écrivain  sacré  attri- 
bue à  Dieu  la  dénomination.  Or,  pour  que  ces  mots,  a  donner 
des  noms,  »  puissent  offrir  une  expression  convenable  de  cet 
acte  créateur,  il  faut  qu'ils  signifient  :  ot  exprimer  ou  répéter 
pleinement  une  idée.  »  Mais  dans  la  bouche  d'un  homme,  un  • 
nom  ne  peut  exprimer  ou  répéter  pleinement  une  idée,  que 
sll  existe  une  union  nécessaire  entre  l'idée  objectiv:?  et  la 
forme  subjective  qu'elle  reçoit  par  le  moyen  du  nom.  Cette 
union  elle-même  s'oppose  à  tout  arbitraire,  à  toute  ln-sitalion 
sur  le  choix  du  moyen.  Donc  le  nom  n'a  été  primitivement 
que  la  manifestation  naturelle  et  organique  de  la  pensée 
humaine. 

Les  mêmes  conséquences  relatives  aux  caractères  de  la 
langue  primitive  dérivent  encore,  et  peut-être  avec  plus  de 
plénitude,  de  l'examen  d'un  passage  de  la  Genèse  (2,  19)  où  il 
est  dit  :  «  Dieu  conduisit  à  Adam  tous  les  animaux  des  champs 

(1)  l.  P.q.  13,  an.  9.  ad  2. 

(2)  Confer  Is.  40,  26. 


22  l-niLOLOGIK   ET   UÉYÉLATION.  [Tome  VU. 

«  pour  voir  comment  il  les  nommerait,  et  le  nom  qu'il  leur 
«  donna  est  celui  de  ces  divers  animaux.  »  Ce  passade  se 
trouve  intercalé  entre  le  verset  18  où  on  lit  :  «  Et  le  Sei- 
«  gueur  Dieu  dit  :  Il  n'est  pas  bon  que  l'homme  soil  seul; 
«  faisons-lui  un  aide  semblable  à  lui;  »  et  la  conclusion  du 
verset  20  :  «  Mais  Adam  ne  trouva  point  d'aide  sembla])le  à 
«  lui.  )>  Au  lieu  de  considérer,  avec  un  grand  nombre  d'in- 
terprètes, les  paroles  qui  nous  oi'cuj>ent  comme  une  incise  qui 
n'est  point  ù  sa  place,  nous  croyjns  trouver  dans  le  contexte 
la  manière  naturelle  de  les  expliquer.  Après  avoir  donné  à 
Adam  le  moyen  de  conserver  la  grâce  et  la  justice  originelles. 
Dieu  ajoute  :  «  Il  n'est  pas  bon  que  l'homme  soit  seul.  » 
L'homme,  en  effet,  n'était  pas  destiné  à  conserver  la  grùce  et 
la  justice  uniquement  pour  lui-même:  il  devait  la  communi. 
quer  ù  d'autres,  et  pour  cela  il  fallait  instituer  l'économie  my- 
stérieuse du  mariage.  Mais  comme  tout  développement  de 
l'homme  n'arrive  que  par  sa  volonté  libre,  ainsi  devait-il  en 
être  au  moment  où  l'homme  allait  recevoir  son  développe- 
ment le  i)lus  parfait  dans  le  mystère  de  la  génération.  Dieu 
devait  donner  à  l'homme  l'idée  et  le  désir  du  mariage,  idée 
et  désir  qui  durent  naître  en  Adam  à  la  vue  des  couples  d'a- 
nimaux (|ue  le  Seigneur  faisait  passer  devant  lui  (1).  11  dut 
être  saisi  par  le  contraste  qui  existait  entre  leur  état  et  son 
isolement.  C'est  ce  que  montre  la  réflexion  :  «  Quant  à  Adam, 
«  il  ne  trouvait  pas  d'aide  semblable  à  lui;  »  et  surtout  les 
paroles  du  verset  2-2«  :  «  Voilà  maintenant  l'os  de  mes  os  et  la 
a  chair  de  ma  chair.  »  Le  mot  hébreu  û^sn  constitue  à  lui 

(I)  Ang.  de  Gen.  ad  l./l.  ix,  C.  3:  Sj  auUm  quairilur,  ad  quam 
rem  fieri  opporluerit  hoc  îuljuloriijm  :  nihil  aliud  probabiliter  occur- 
rit,  (luarii  propler  Glios  prooreando^^,  sicut  adjulorium  semini  lerra 
est,  iil  virgulliiui  ex  lilroque  nascalur  :  hoc  enim  el  in  prima  rciura 
ron  liiioiie  dicluiii  oral  ;  Masculuin  i-l  feminam  fucil  eos,  el  hencdixil 
eisDcus  (iicons  ■.(.'ros(.'ile  el  ruulliplicaiiiini  el  iinpiole  lemrn  el  doini- 
namiiii  ejus.  —  C.  5:  Quapropier  non  invenio,  ad  quod  adiulorium 
fada  sil  mulier  viro,  si  panendi  causa  sublrahalur. 


;anv.  18(Î3.]  miLOLOGlB   ET   RÉVÊLATIOK.  23 

seul  toute  une  antithèse  entre  l'état  présent  d'Adam  et  celui 
dans  lequel  il  était  lorsque  les  diverses  couples  d'animaux 
passaient  devant  lui  :  «  Cette  fois,  maintenant,  j'ai  un  aide 
«  semblable  à  moi.»  Adam, pour  affirmer  qu'il  n'avait  pas  de 
semblable  parmi  les  animaux,  devait  parfaitement  connaître 
sa  nature  et  la  leur  :  aussi  la  Vulgate  traduit-elle  similis  ejus, 
non  similis  et.  C'est  en  les  présentant  à  l'homme  que  Dieu  lui 
révéla  en  même  temps  et  la  nature  des  animaux,  et  les  diffé- 
rences d'avec  la  sienne  (1).  D'ailleurs,  Moïse  exprime  le  but 
de  Dieu  eu  ajoutant  :  li"ïj^1p'^"na  niïi^'l^,  ut  viderct  quid  vo- 
caret  ea.  Celui  qui  doit  voir,  c'est  Adam  :  le  texte  se  prêterait 
difficilement  à  un  autre  sens;  la  grammaire  ne  permet  guère 
de  traduire  difféicmment,  et  c'est  ainsi  que  la  plupart  des  in- 
terprètes ont  compris  ce  passage.  Pour  nommer  les  animaux, 
Adam  devait  les  connaître,  connaître  leur  nature.  De  plus, 
comme  l'Ecriture  confond  ces  deux  actions  sous  le  fait  général 
de  la  dénomination,»  afin  qu'il  vît  comment  il  les  nommerait,  » 
il  fallait  que  dans  la  langue  primitive  la  dénomination  fût  le 
résultat  immédiat  d(>.  la  connaissance,  et  par  conséquent  qu'il 
existît  entre  le  nom  et  l'objet,  la  nature  de  l'objet  et  son  ex- 
pression phonétique,  une  union  si  étroite  que  le  nom  repro- 
duisît, représentât  les  qualités  essentielles  de  l'objet.  Dans  les 
langues  que  nous  connaissons,  il  n'en  est  point  ainsi.  Le  mot 
taurus,  lin,  par  exemple,  ne  nous  représente  pas  de  celte  ma- 
nière l'animal  qu'il  désigne,  lors  même  que  nous  savons  qu'il 
désigne  réellement  cet  animal.  Dans  la  langue  primitive,  au 

(^)  S.  Tiiom.  S.  Ih.  i  P.  q.  96,  nrl.  -1,  ad.  3:  Iloniines  in  slalu 
innoccnliœ  non  indigebanl  animalibiis  ad  nercssilalem  corporalcrn; 
neque  ad  legumeniiim,  quia  nudi  erant  (îl  non  enibescebani,  nullo 
inrilanle  inordinalai  fonciipisccnlise  mol»  ;  neque  ad  cibiim,  quia  li- 
gnis Paradis!  vescebaniur;  neqnead  vthirulum,  propler  rorporis  robur; 
indigebanl  lamen  eis  ad  experimenlalem  oogniiionem  sumendam 
de  naluris  eorura.  Quoil  signiûcalum  csl  per  hoc,  quod  Deus 
ad  eum  animalia  adduxil,  ut  eis  nomiiia  imponerel,  quae  eorum  na- 
turas  désignant. 


21  rniLOLOGlE   et    UÉVÉLATION.  [Tome  mi. 

contraire,  le  mot  était  la  représentation  de  la  chose,  et  c'est  le 
sens  que  nous  proposons  d'attacher  à  ce  passage:  aOmne  f[uod 
«  vocavit  Adam  animœ  viventis  Ipsum  est  nomen  ejus.  »  Par 
cette  explication,  on  voit  disparaître  l'amphibologie  créée  par 
les  derniers  mots  de  ce  texte,  qui  a  laissé  croire  à  certains 
exégètes  que,  jusqu'au  temps  de  Moïse,  les  noms  donnés  aux 
animaux  par  Adam  avaient  été  conservés  (1).  Ce  texte  ne  nous 
dit  rien  de  précis  au  sujet  de  la  langue  d'Adam  :  tout  ce  que 
nous  y  apprenons,  c'est  que  les  noms  donnés  par  Adam  con- 
venaient parfaitement  aux  animaux. 

En  second  lieu,  les  mots  «ut  videret  quid  vocaret  ea,»  nous 
forcent  à  croire  que  l'imposition  des  noms  partait  d'une  né- 
cessité intérieure  et  non  du  choix  ou  de  l'arbitraire.  L'homme 
ne  devait  pas  inventer  des  noms,  les  choisir,  les  former  :  il 
devait  seulement  voù-  comment  il  appellerait  les  animaux  qu'il 
avait  sous  les  yeux,  fîïi'i  n'a  nulle  part  une  autre  signification 
que  celle  d'une  simple  découverte  intérieure  ou  extérieure. 
Ce  que  l'homme  vit  quand  Dieu  lui  conduisit  les  animaux,  ce 
fut  en  eux  l'i  lée  objective  qu'ils  représentaient,  et  en  lui- 
même  l'image  subjective  qu'ils  y  formaient.  En  les  nommant, 
il  reproduisait  subjectivement  le  mode  de  représentation  sous 
lequel  il  les  avait  appréhendés,  et  objectivement  leur  mode 
d'existence.  Il  devait  donc  exister  entre  l'idée  et  le  nom  qui 
l'exprimait  une  union  naturelle,  nécessaire  et  organique  (2). 

{\)  Boflœ  Comm.  in  Gen.  ad  h.  I. 

(2;  Quelques  auteurs  onl  pensé  qu'Adam  avait  donné  des  noms 
aux  atiiniiiux  en  imitant  leurs  cris  ou  leurs  cliaiiîs.  IN  s'appuyenl  sur 
ce  que  dans  [ilu^ieurs  ian^-ucs  on  trouve  des  onomatopées  de  cette  na- 
îure:  en  sanscrit  kaka,  corneille;  en  latin  lurlur,  en  allemand  et  en 
français  uhu  et  coucou,  en  chiuois  rniao,  <'hat.  ÎV'ous  pensons  que  ces 
onomaiopées  sont  des  créations  plus  récentes  :  elles  sont  d'ailleurs 
relaiivenient  rares  et  n'expriuient  pas  la  noiion  e«scQlielle  de  l'ani- 
mal. Suppo-é  qu'Adam  ait  ainsi  nommé  plusieurs  animaux  au  paradis, 
nous  devon-«  penser  qu'il  a  trouvé  dans  ce  son  la  meilleure  expression 
de  la  uaiure  de  l'animal.  Le  texte  biblique  n'appuie  en  aucune  façon 
l'opinion  de  ceux  qui  ont  pensé  qu'Adam  comprenait  la  voix  des  ani- 
maux. 


Janv.  18C3.]  miLOLOGlE   ET  RÉVÉLATION.  2S 

Nous  avons  d'autres  exemples  de  noms  donnés  par  Adam 
(Gen.  4,  1  ;  2,  20  ;  5,  29,  etc.).  Le  plus  important  est  celui 
qu'il  donna  à  la  femme.  Il  la  vit,  il  reconnut  son  être  et 
il  l'appela  nsJSi.  Dans  ce  mot  hébreu  qui  est  la  tradnclion  du 
mot  original,  le  rapport  pathognomique  du  son  avec  l'idée  d'A-» 
dam  est  perdu.  Mais  nous  pouvons  encore  apercevoir  comment 
l'être  d'Eve  trouvait  dans  ce  mot  son  expression  parfaite.  Le 
mol  TilS'^  est  compose  de  la  racine  j^iï;;  et  de  la  désinence  fé- 
minine abrégée  du  pronom  i^in-  La  forme  phonétique  nous 
donne  donc  Tidée  d'un  être  qui  est  de  la  même  nature  que 
l'homme  et  qui  en  diffère  par  le  genre  :  l'homme  avec  le  ca- 
ractère du  féminin.  11  eût  été  difiicile  de  trouver  une  forma- 
tion de  mot  qui  peignît  la  nature  d'Eve  d'une  manière  plus 
complète  et  plus  caractérisée. 

Ajoutons  en  finissant  que  l'antiquité  grecque  avait  soupçonné 
la  doctrine  que  nous  venons  d'exposer.  11  s'était  élevé  une 
longue  discussion  sur  l'origine  des  mots.  On  se  demandait  s'ils 
avaient  pris  naissance  spontanément,  ouasi,  par  im  rapport 
intime  avec  l'idée,  ou  bien  théoriquement,  Oécci,  d'après  l'ar- 
bitraire et  les  conventions  humaines.  De  là,  la  question  sur  la 
convenance,  6p6oTr,ç,  des  mots,  qui  consistait  à  savoir  si  le 
langage  était  ou  non  dans  un  rapport  intime  et  nécessaire  avec 
les  essences  des  choses,  de  manière  que  la  connaissance  de  la 
langue  fût  nécessairement  suivie  de  celle  du  monde  réel  (1). 
Heraclite  avait  deviné  que  les  sons  particuliers  avaient  eu  à  un 
moment  donné  une  signification  symbolique,  et  il  soutint  que 
les  mots  s'étaient  produits  naturellement,  oùcn,  à  la  manière 
des  ombres  ou  des  refractions  dans  l'eau,  et  ne  devaient  pas 
leur  origine  à  des  représentations  artistiques,  comme  les 
slalues  et  les  tableaux  (2).  Platon  laisse  aussi  percer  les 
mêmes  tendances  dans  le  Cratyle,  et,  malgré  le  manque  de 


(I)  Lersch,  Sprachphilosophieder  Allen.  SBd. 

(2;  Ammonius  Hcrmias  ad  Arid.  de  iiiierp.  p.  2i  b.  éd.  Aid. 


26  PHILOLOGIE   ET    RÉVÉLATION.  [TonioYll. 

notions  historiques,  il  n'en  a  pas  moins  mérité  cet  éloge  d'un 
de  ses  éditeurs:  «  Totani  banc  causam  eo  usque  profligasse 
«  existimandus  est,  ut  posteris  sœculis  nihil  fere,  quod  gra- 
«  vioris  momenti  esset,  excutiendum  reliquerit  (t).  d  Nous 
ne  partageons  pas  complètement  cette  manière  de  voir,  et 
nous  pensons  que  l'antiquité  manquait  des  éléments  néces- 
saires pour  résoudre  cette  question.  Ceux  qui  soutenaient 
l'opinion  de  la  production  naturelle  et  convenable  des  sons, 
se  trouvaient  évincés  par  l'expérience  qu'on  en  faisait  sur  le 
grec,  dont  l'éiat  n'était  pas  de  nature  à  accréditer  ce  sentiment. 
Pour  nous  au  contraire,  il  a  une  valeur  réelle  :  le  langage  pri- 
mitif portait  en  lui  un  moyen  de  connaître  l'essence  des 
choses.  La  philosophie,  la  Révélation  et  la  philologie  viennent 
tour  ù  tour  de  nous  apprendre  à  lui  reconnaître  ce  caractère. 

L'abbé  d'Autdn. 


(J)  Slallbaum.  Cral.  p.  24. 


EXAMEN 


DU 


PASSAGE  DE   SAINT    GREGOIRE   DE   TOURS    SUR    LA  MISSION 
DE   SAINT   SATURNIN   A   TOULOUSE. 


Nous  avons  examiné  les  Actes  du  martyre  de  saint  Saturnin, 
et  nous  croyons  avoir  démontré  qu'ils  sont  loin  de  prouver 
que  le  premier  évéque  de  Toulouse  soit  arrivé  dans  cette  ville 
vers  le  milieu  du  111°  siècle.  Ils  laissent  soupçonner  une  épo- 
que antérieure  et  par  conséquent  la  date  qu'un  seul  des  ma- 
nuscrits assigne  est  très-basardée  (i).  Si  c'était  là  l'unique 
monument  qui  déposât  en  faveur  de  nos  adversaires,  il  serait 
jpermis,  sans  crainte  de  ne  point  mériter  le  nom  de  critique  éru- 
dit,  d'admettre  que  saint  Saturnin  a  évangélisé  Toulouse  au  I" 
siècle.  Mais  ceux  qui  combattent  cette  dernière  opinion  ne 
s'appuient  pas  sur  un  seul  témoignage,  et  leur  arsenal  renferme 
plus  d'une  machine  de  guerre.  Pour  corroborer  l'assertion  de 
l'auteur  anonyme  des  Actes  et  fortifier  la  certitude  douteuse 
de  leur  époque  favorite,  ils  citent  saint  Grégoire  de  Tours  qui 
s'exprime  ainsi  :  e  Sous  l'empire  de  Dèce,  de  grandes  guerres 
furent  déclarées  au  nom  chrétien,  et  le  nombre  des  fidèles  im- 
molés fut  si  considérable,  qu'il  n'est  pas  possible  de  les  comp- 
ter. Sous  sou  règne,  sept  hommes  ordonnés  évêques  furent 
envoyés  pour  prêcher  dans  les  Gaules,  comme  le  raconte  l'his- 

{\)  V.  1. 11  de  celle  Revue  (aoûH860),  p.  ^60  elsuiv. 


28  SA1>T   GRÉGOIRE  DK    TOURS  [Ton^eVIl. 

toire  du  martyre  desaint  Saturnin;  car  elle  dit  :  Sous  le  consulat 
de  Dèce  ou  de  Grjtus,  d'après  un  souvenir  fidèle,  Toulouse 
avait  commencé  (ou  commençait)  à  avoir  Saturnin  pour  évê- 
que.  Voici  donc  ceux  qui  furent  envoyés  :  à  Tours,  Galien, 
évèque;  à  Arles, Trophime,  évêque;  à  Narbonue,  Paul,  évèque; 
à  Toulouse,  Saturnin,  évèque  ;  à  Paris^  Denis,  évêiiue  ;  à  Cler- 
mont,  Austrcmoine,  évèque;  à  Limoges,  Martial,  évêque... 
Sur  de  sou  martyre,  Saturnin  dit  à  ses  deux  prêtres  :  a  Voilà 
«  que  je  vais  être  immolé  et  que  le  moment  de  ma  mort  ap- 
c  proche.  Ne  m'abandonnez  pas,  je  vous  prie,  jusqu'au  terme 
a  de  ma  course.  »  Et  commeonle  conduisait  au  Capitole  après 
s'être  saisi  de  lui,  les  prêtres  l'abandonnèrent.  Voyant  cela, 
Saturnin,  assure-t-on,  fît  à  Dieu  cette  prière  :  a  Seigneur  Jésus- 
«  Christ,  exaucez-moi  du  haut  du  ciel,  et  faites  que  l'Église 
«  n'ait  aucun  de  ces  citoyens  pour  évêque,  à  perpétuité.  »  Ce 
qui  s'est  accompli  en  cette  ville,  jusqu'à  ce  jour.  Saturnin 
ayant  été  attaché  à  un  taureau  furieux,  fut  précipité  du  Capi- 
tole et  termina  ainsi  son  martyre  (1).  » 

(^)  Sub  Dei'io  imperaloremulta  bella  adversum  noraen  christianurn 
exoi'iiinlur,  el  laula  seges  de  credeiUibus  fuil  ul  nec  numcrari  qiieanl. 
Hujus  tempore  seplem  viri  episcopi  ordinali  ad  praedicandura  in  Gal- 
bas rnissi  sunl,  sicul  hisloria  passionis  saniMi  SaUimini  denarrat.  Ait 
enim:  Sub  Decio  el  Gralo  coosulibus,  sicul  fideli  recordalioiie  reti- 
nelur,  primuin  ac  suratnum  Tolosana  civiias  sancluni  Salurninum  ha- 
bere  cœperai  sacerdolem  Hi  ergo  mis?!  siuit,  Turonicis,  Galianus  epi- 
scopiis;  Are'aleniib'j>,Trophimus  episcopus;  N.uborice,  Paiilus  episco- 
pus;  Tolosœ,  Salurninus  episcopus;  Parisiacis,  Dionysius  ;  Arvernis, 
Slremonms  episcopus  ;  Lemovicinis,  Marlialis  est  deslinalus  episco- 
pus. Salurninus  vero  jam  sccurus  de  raarlyrio  dicit  duobus  presby- 
leris  suis:  «  Ecce  jam  immoler  el  lempus  lesolulionis  mea^  i^^tat. 
Rogo  ut  usquedum  debilum  finem  irai  leam,  a  vobis  peoilus  non 
relinquar.  »  Cumque  coiapreliensus  ad  Capilolium  dueereUir,  rolictus 
ab  bis,  solus  allrahilur.  Igilur  cum  se  ab  iUis  cernerel  dereliciun), 
orasst;  ferlur:  Domine  Jesu  Cbrisie,  exaudi  me  de  cœlo  sancio  luo,  ut 
nunquam  ecclesia  debiscivibus  mereatur  habere  Ponlificemin  sem- 
pilerniun.  Qi;od  usqiie  nuno  in  ipsa  civitaie  iia  venisse  cognovimus. 
Ilic  vero  laun  furentis  vesligiis  alligatus  el  de  Capilolio  i  raecipi- 
latus,  vilam  finivit.  Hitt.  eccl.  Francorum  lib.  l,  cap.  28, 


Janv.  1SC3.1  KT   SAINT   SATURMN   DE   TOULOUSE.  20 

Tel  est  le  témoignage  de  Grégoire  de  Tours.  Si  nous  voulions 
rapporter  tous  les  commentaires  dont  ce  célèbre  passage  a  été 
l'objet,  lin  volume  entierne  suffirait  pas  A  la  question  de  l'a- 
postolat de  saint  Saturnin  se  rattache  d'une  manière  intime 
celle  de  l'origine  des  églises  de  France,  puisque  c'est  un  sen- 
timent généralement  admis,  que  ce  saint  a  été  un  des  pre- 
miers évêques  envoyés  dans  les  Gaules.  Discutons  à  notre  tour 
ce  texte,  et  prouvons  qu'il  n'a  pas  assez  de  valeur  pour  établir 
d'une  manière  certaine  que  saint  Saturnin  soit  venu  au  III« 
siècle.  Mais  auparavant  faisons  connaître  Grégoire  de  Tours  et 
voyons  quelle  est  son  autorité  comme  historien. 

§  I.    Valeur  de  Grégoire  de  Tours  comme  historien. 

«  Florentins,  qui  hérita  de  son  bisaïeul,  évèque  de  Langres, 
du  nom  de  Grégoire,  naquit  en  Auvergne  en  539  d'une  famille 
sénatoriale  déjà  illustrée  par  plusieurs  évoques.  Une  sauté  déli- 
cate le  détermina  à  se  rendre  au  tombeau  de  saint  Martin  de 
Tours  pour  implorer  de  lui  sa  guérison  ;  et  parla  suite  il  fut 
élu  pour  lui  succéder.  Il  est  appelé  le  Père  de  l'histoire  de  Fran- 
ce, à  raison  de  ses  dix  livres  iniilxxXé's, Historia  ecclesiastica  Fran- 
corum.  Bien  qu'il  connaisse  Virgile,  Salluste,  Aulu-Gellc,  il 
écrit  dans  un  style  inculte  à  la  fois  et  afiecté,  n'ayant  ni  force 
ni  couleur  et  sans  aucun  ordre  chronologique,  comme  un  hom- 
me qui  raconte  au  fur  et  à  mesure  ce  qu'il  entend  dire.  Il  n'a 
ni  l'ingénuité  des  anciens,  ni  la  critique  des  modernes  ;  négli- 
geant les  faits  importants,  il  en  accei)te  de  faux  ou  de  douteux 
et  croit  aveuglément  tous  les  prodiges  (1).  » 

Nous  avons  entendu  une  voix  impartial'.'.  Voici  maintenant 
un  autre  témoignage.  Jean  de  Lannoy,  dont  la  critique  était 
si  sévère  pourtant,  embrasse  chaudement  le  parti  de  Grégoire 
de  Tours,  a  Cet  historien,  dit-il,  se  montre  très-studieux  et  très 

(4)  César  Caaiu, //ts/.  unlv..  l.  ix,  p.  477. 


30  SAINT   GRÉGOIRE   DE   TOURS  [Tome  VIL 

diligent  pour  rapporter  ce  que  l'on  savait  de  son  temps  sur 
les  saints  et  les  miracles  de  chaque  église,  et  principalement 
sur  les  miracles  des  saints  de  l'église  gallicane.  Tout  ce  que 
Grégoire  de  Tours  n'a  pas  raconté  des  saints  qui  ont  vécu 
avant  lui  en  France;  tout  ce  qu'il  n'a  pas  dit  de  leurs  vertus 
ou  do  leurs  actions,  n'a  jamais  existé,  ou  bien  n'a  pas  mérité 
de  voir  le  jour.  Grégoire  en  a  eu  certainement  connaissance, 
mais  il  l'a  méprisé  (1).  » 

Néanmoins  le  même  Launoy  nous  assure,  dans  un  moment 
où  la  passion  ne  l'cgarait  pas  et  laissait  toute  liberté  à  son 
esprit,  que  Grégoire  de  Tours  a  pu  se  tromper.  «Je  ne  vomirais 
certes  pas  me  porter  garant  de  tout  ce  que  Grégoire  raconte, 
car  il  a  corrigé  plus  tard  dans  son  histoire  bien  des  choses 
qu'il  avait  apprises  par  de  faux  bruits  ou  des  rumeurs  incertai- 
nes (2).  D  Tillemont  prétend  que  Grégoire  n'est  ni  fort  exact 
dans  ses  expressions,  ni  fort  juste  dans  ses  idées.  «  Il  faut  le  suivre 
cependant,  ajoute-t-il,  non  comme  un  auteur  fort  assuré,  mais 
comme  le  meilleur  et  le  plus  ancien  de  ceux  que  nous  avons 
sur  cela.  Il  a  l'avantage  de  ne  point  combattre  Sulpice-Sévère 
et  de  se  pouvoir  accorder  avec  ceux  qui  semblent  ne  mettre 
saint  Denis  que  sous  Dioclétien  (3).  »  Baronius  dit  qu'il  faut 
pardonner  beaucoup  à  la  simplicité  de  saint  Grégoire  qui  croil 
si  facilement  les  choses.  Hilduiu  se  sert  des  mêmes  raisons 


(1)  In  commemorandis  iis  omnibus  quae  de  uniuscujusque  Ecclesia' 
prseserlim  Gallicaufe  sanclorum  miracuUs  suo  lempore  dicebanlur, 
sludiosissiraum  eidiligeulissimura  se  preebel.  Quidquiii  emm  de  [.rœ- 
cedenlium  Galiiœ  saaclorum  virlulibus  et  geslis  miai;luin  reiiquit, 
vel  nusquam  exlilil,  vel  si  quoquo  modo  cxtilisse  diceretur,  coii- 
lempsiL  ilie,  potius  quam  non  vidil.  [Dissert ai iones  1res  Jjannls 
Launoii,  quaruni  una  Gregorii  Turonensis  de  sepltm  episuoporuin 
adveiiiu  in  Galliau),  elc.  Ces  dissertations  ont  été  mises  à  l'index  le  29 
mai  ^690.) 

(2)  Non  quod  velim  singula  quse  narrai  prcPslare  ;  saut  enim 
nonnulla  quse  ex  incerlo  ruiaore  accepta  in  historiis  posiea  correxit 
(Ibidem). 

(3)  Tillemoni,  Mémoires  ecclésiastiques,  1.  3,  p.  008. 


Janv.  1803.)  ET  SAINT   SATURNIN  DK   TOULOUSE.  3ï 

pour  l'excuser,  lorsqu'il  s'exprime  de  la  manière  suivante:  On 
doit  avoir  une  grande  indulgence  pour  la  simplicité  de  Grégoire 
de  Tours,  homme  d'ailleurs  très-religieux,  qui  rapporte  les 
choses  autrement  qu'elles  ne  sont  eu  vérité,  non  par  ruse  et 
avec  l'intention  de  tromper,  mais  par  excès  de  bonté  et  de 
simplicité  (1).»  En  un  autre  endroit,  Baronius  dit  encore  : 
a  Sans  vouloir  manquer  de  respect  à  Grégoire  de  Tours,  nous 
avon'3  montré  plusieurs  fois  dans  ce  livre  qu'Une  s'est  pas  seu- 
lement trompé  pour  les  choses  anciennes,  mais  qu'il  a  erré 
même  pour  des  faits  arrivés  en  son  temps  (2).  x> 

En  effet  :  1°  selon  Grégoire  de  Tours,  les  martyrs  d'Aisnay 
à  Lyon  souffrirent  après  saint  Irénée  (3).  Or  il  est  certain  que 
ce  saint  docteur  reçut  la  palme  du  martyre  sous  l'empereur 
Alexandre  Sévère,  tandis  que  les  confesseurs  de  la  foi  dont  il 
est  ici  question  ont  été  martyrisés  avec  saint  Pothin,  sous  l'em- 
pereur Marc-Auréle,  vers  Fan  177. 

20  Grégoire  place  Thérésie  de  Valentin  ou  Valeutiaien  sous 
l'empereur  Dèce,  vers  Tan  230.  Or,  cet  hérétique  a  été  réfuté 
par  saint  Irénée,  successeur  de  saint  Pothin,  en  179,  et  mis  à 
mort  vers  l'an  202. 

3°  Grégoire  dit  que  le  pape  saint  Sixte,  saint  Laurent,  et 
saint  Hippolyte  ont  souffert  durant  la  persécution  suscitée  par 
le  même  empereur.  Or,  ces  saints  n'ont  pu  être  martyrisés  sous 


(\)  Plurima  auctoris  Gregorii  Turonensis  simplicitali  mulla  tam 
acile  adraitlenli  (lonanda  sunt;  proul  eliarn  excusai  Hilduinus  sic 
diceiis:  Cselerum  parceniJum  esl  simpliciiatl  viri  religiosi  Gregorii 
Turonensis  episcopi,  qui  mulla  aliter  quam  verilas  se  Iiabel  œstimans 
non  callidiialis  aslu,  sed  benignitaiis  el  sitnplicilalis  voie  lilleriscom- 
meniliivil.  {Annales  eccL,  t.  ii,  p.  -109.) 

(2)  Face  Gregorii  dixerim  Ipsum  non  tanlum  in  remolis  sed  in  Lis 
elîam  quae  suorum  sunt  lemporum ,  aliquando  esse  ballucina- 
lum,  faepe  8U{  crius  osteosum  est.  (Annotationes  ad  marlyrologium, 
IX  oclobris.) 

(3)  Hùt.  eccl,  Francorum,  lib.  i,  cap,  xxxn. 


32  SAINT   GRÉGOIRE   DE   TOURS.  [Tome  VII  , 

ce  prince,  puisque  Dèoe  est  mort  en  2ol  et  que  le  pape  saint 
Sixte  n'a  succédé  au  pape  saint  Etienne  qu'en  257  (I). 

Maintenant  que  nous  avons  assez  fait  connaître  Grégoire  de 
TourS;  entrons  dans  la  discussiondu  passage  rapporté  plus  haut. 

§  '2.  Les  actes  cités  par  Grégoire  de  Tours  renferment  deux  cir- 
constances qui  ne  se  trouvant  nulle  part  ailleurs  rendent  ce 
actes  très-suspects. 

Première  circonstance  :  la  mission  des  sept  évêques  sous  Dèce. 

Le  premier  sentiment  que  l'on  éprouve  en  lisant  les  paroles 
de  Grégoire  de  Tours,  c'est  qu'il  y  a  là  une  erreur  manifeste 
ou  un  système  insoutenable.  II  dit  que  sous  l'empire  de  Dèce 
on  envoya  des  évêques  pour  prêcher  l'Évangile  dans  les  Gau- 
les, déclarant  ainsi  que  la  foi  n'avait  pas  été  annoncée  encore 
dans  ces  contrées,  ce  qui  est  faux  (2).  Ensuite,  il  cite  les  actes 
du  martyre  de  saint  Saturnin  pour  prouver  que  les  premiers 
sièges  des  Gaules  ont  été  fondés  sous  cet  empereur.  Or,  cela  u'esi 
pas  plus  exact,  car  aucun  des  manuscrits  des  Actes  de  saint  Sa- 
turnin ne  parle  des  évêques  qui  vinrent  avec  lui.  Voici  ce  que 
portent  les  Actes  que  le  P.  Ruinart  prétend  être  sincères  et  loués 
par  Grogoii"e  de  Tours  :  Ante  annos  L  sicut  actis  publicis,  \d  est 
sub  Decio  et  Gi'ato  consulibus,  primura  et  sumtnum  Tolosa  civitas 
sanctum  Saturninum  habere  cœperat  sacerdotem.  Dans  ces  Actes 
il  n'est  fait  aucune  mention  des  sept  autres  évêques.  «Grégoire 
de  Tours  se  trompe  donc,  dit  de  Marca,  archevêque  de  Tou- 
louse, lorsqu'il  prétend,  à  l'occasion  de  la  Vie  de  saint  Satur- 

(1)  OrUjinc  de  l" église  deMende,  jiar  l'abbo  CliarbonncI,  p.  13. 

(2)  Erravil  ergo  Cregoiius  prœiexUi  vilse  Saluruiiii,  cujus  verba 
laU'Jal  iii  epOLlia  Decii  conslilueuda,  quaui  scriplor  ille  cum  .-oli  Sa- 
luriiioo  alfigerel,  Gregoiius  de  suc,  ad  alios  exlendil  ex  re>'epta  jam 
lum  opinione  de  sepiem  illorum  sociela;e.  De  suo  addidisse.ciixi, 
quoniam  in  verbis  aciorum  san  li  Satuniini,  qi.ce  Gregorius 
laaJat,  niiUa  lil  sex  Poalilicum  mea;io.  [4cta  aanctorum,  l.  vjuui;, 


JaDV.  1863-1  ET   SAINT  SATURNIN   DE  TOULOUSE.  33 

nin  dont  il  rapporte  les  expressions,  que  les  sept  évêques  sont 
venus  au  temps  de  Dèce.  L'auteur  des  Actes  ne  parle  que  de 
saint  Saturnin,  mais  Grégoire  applique  de  son  auioritjé  privée 
ses  paroles  aux  autres  évêques,  fidèle  eu  cela  à  la  tradition 
qui  déclare  qu'ils  sont  venus  ensemble.  Je  dis  de  son  autorité 
privée,  car  les  Actes  dont  Grégoire  s'est  servi  ne  fout  aucune 
mention  des  six  autres  évèqnes.  »  —  «  Grégoire  de  Tours,  dit 
aussi  le  P.  Longueval,  place  la  mission  des  sept  évêques  sous 
Fempira  de  Dèce,  parce  que  saint  Saturnin  fonda  le  siège  de 
Toulouse  sous  le  consulat  de  cet  empereur  (1).  »  Tillemont 
rend  aussi  le  même  témoignage  :  «  Saint  Grégoire  de  Tours, 
voulant  marquer  le  temps  de  la  mission  des  sept  évêques,  n^al- 
lègue  que  ce  qui  est  dit  dans  les  Actes  de  saint  Saturnin  (2).  » 

Ce  passage  de  Grégoire  de  Tours  tirant  toute  sa  force  d'une 
citation  fausse  ne  peut  donc  avoir  une  grande  valeur  ;  que 
sera-ce  si  nous  démontrons  que  plusieurs  de  ces  évêques  dont 
il  retarde  la  mission  jusqu'au  milieu  du  IIP  siècle  sont  venus 
longtemps  avant?  En  effet,  dit  Hugues  Ménard,  si  nous  pou- 
vons prouver  que  la  vérité  de  cette  narration  des  sept  évêques 
chancelle  à  l'égard  d'un  seul,  elle  ne  méritera  plus  aucune  con- 
fiance par  rapport  aux  autres,  puisque  l'erreur  qu'on  y  décou- 
vrira ne  s'attachera  pas  à  une  circonstance  accessoire,  mais 
à  la  substance  du  récit  (3). 

Or,  sur  ce  point,  les  hésitations  des  partisans  de  Grégoire  de 
Tours  sont  considérables.  Après  l'avoir  exalté,  ils  l'abandon- 
nent, ils  retranchent  à  leur  gré  de  ce  nombre  de  sept  qui  de- 
vrait être  sacré  pour  eux,  et  varient  encore  quant  h  l'année 
qu'il  assigne  à  leur  mission.  Ainsi  le  P.  Longueval, dans  son 


(  I  )  Hist.  de  l'Église  Gallicane,  discours  prél.miuairG. 

(2)  Mémoires  ecclésiastiques,  l.  m. 

(3)  Li  cerie  si  vel  in  uno  t-pisiopo  veram  non  esse  conslal  uarra- 
lione:ii,  nihil  eril  quoil  iu  reliquis  impelrare  lidem  luerealur;  errore 
tnim  dcpreheaso  non  in  aliqja  circum^ianlia,  sed  in  ipsa  rein:irratee 
subslanlia,  elc.  [Diatriba  de  unico  Dionysio.) 

RïVCI  DES   SCIENCES  ECCLÉSUSTlQUEi.  T     VU-  3-4. 


34  SAINT   GRÉGOIRE   DE   TODRS  [Tome  VII. 

Histoire  de  l'Eglise  Gallicane,  et  Denis  de  Sainte-Marthe,  dans 
le  Gallia  christiana,  reconnaissent  que  Grégoire  s'est  trompé 
pour  saint  Trophirae.  Immédiatement  après  avoir  établi  la  tra- 
dition qui  regarde  saint  Trophime  comme  étant  envoyé  par 
saint  Pierre,  Denis  de  Sainte-Marthe  se  fait  cette  objection  : 
Cette  opinion  communément  reçue  est  en  opposition  avec  le  témoi- 
gnage de  Grégoire  de  Tours.  Et  il  répond  :  Les  évêques  de  la 
seconde  Narbonnaise,  des  Alpes  maritimes,  et  de  la  province 
d'Arles,  qui  vivaient  au  milieu  du  V«  siècle,  connaissaient  mieux 
l'origine  de  leurs  églises- et  le  temps  auquel  elles  avaient  été 
fondées  que  Grégoire  de  Tours  qui  florissait  seulement  vers  la 
fin  du  Vie  siècle.  Certes,  si  saint  Trophime  ne  fût  venu  que  vers 
l'an  2o0  et  si  ces  églises  n'avaient  été  fondées  qu'alors,  com- 
ment tant  d'évêques  dont  quelques-uns  déjà  vieux  n'étaient 
pas  très-élcignés  de  cette  époque,  auraient-ils  pu  l'ignorer,  ou, 
s'ils  le  savaient,  comment  se  seraient-ils  résolus  à  faire  illusion 
aux  autres  et  à  mentir  ?(1)  » 

Les  savants  auteurs  de  Y  Histoire  du  Languedoc  font  leurs  ré- 
serves à  propos  de  saint  Paul  de  Narbonne.  a  Nous  suivons, 
disent-ils,  Grégoire  de  Tours,  qui  joint  ensemble  les  sept  évê- 
ques.... C'est  sans  préjudice  de  l'ancienne  tradition  de  l'église 
de  Narbonne,  qui  reconnaît  pour  son  premier  évéque  Paul, 
disciple  des  apôtres,  lequel  peut  avoir  été  envoyé  dans  les  Gau- 
les longtemps  avant  (-2).  »  Labbe,  éludiant  la  question  de  l'a- 
postolat de  saint  Martialaul"  siècla,  disait,  après  avoir  peséles 

[\)  Huic  vu'gatae  opinioni  oppouHur  Gregorii  Turonensisauctoritas. 
A't  haîc  respondemus,  episcopos  se^undae  Narbonensis,  Alpium  marili- 
marura,el  Arelalensis  provinciœ  qui  seiiebanl  medio  seculo  V  doc- 
liores  fuisse  circa  origines  Ecciesiarum  suarum  el  lenipus  quo  fundalaj 
erant,  quam  Gregorius  qui  floruil  seculo  VI  desinente.  Certe  si  Tro- 
phiinus  ac<"essi>sct  lanliim  post  médium  secuhimlllum;  nef:  nisi  postea 
jacla  essenl  fundamenla  diclaruin  Ecciesiarum,  quorao  io  totepiscopi, 
quorum  nonnulli  jam  seniores  erant,  nec  longe  ab  lis  aberanl  lera- 
poribus,  in  islis  potuissenl  cœcutire,  aui  si  noveranl,  menUri  voluis- 
sent,  aut  fucura  facere.  [Gallia  Christ.^  i.  i,  col.  519.) 

(2)  Hisi.  du  Languedoc,  l.  i,  p.  616, 


Janv.  18G3  ]  KT  SAINT   SATCRNIN  DE   TOULOUSE.  33 

raisonspour  et  contre  :  «La  chose  est  indécise  et  a  besoin  d'un 
iuge,adhuc  subjudice  lis  est  (1).  »  Enfin,  Bosquet  place  la  mis- 
sion de  saint  Denis  sous  saint  Clément,  et  Tillustre  Mabillon, 
adoptant  ce  sentiment,  dit  qu'il  ne  faut  pas  refuser  facilement 
de  s'en  rapporter  à  Hincmar  de  Reims,  quand  il  affirme  avoir 
lu  dans  les  Actes  de  saint  Denis  que  cet  évéque  n'était  autre  que 
l'Aréopagite  envoyé  dans  les  Gaules  par  saint  Clément  (2). 

Les  partisans  de  Grégoire  de  Tours  se  séparent  encore  de 
lui  quand  il  s'agit  de  déterminer  Tannée  de  la  mission  des 
sept  évêques.  D'après  lui,  elle  eut  lieu  en  l'an  250;  il  le  dit 
d'une  manière  très-explicite,  lorsque,  parlant  de  Gatien,  un 
de  ces  sept,  il  le  fait  partir  de  Rome  la  prernière  année  du  rè- 
gne de  Dèce  (3). 

D'abord^  tlirons-nous  avec  M.  Paillon,  si  nous  comparons 
le  récit  de  Grégoire  de  Tours  avec  les  circonstances  des  temps 
et  des  lieux,  il  paraîtra  souverainement  invraisemblable  que 
le  Pontife  romain  ait  envoyé  dans  les  Gaules,  comme  le  sup- 
pose cet  historien,  une  troupe  si  considérable  de  prédicateurs. 
On  tient  que  tous  ces  évoques  ont  eu  un  ou  plusieurs  compa- 
gnons de  leur  apostolat.  Saint  Denis  avait  avec  lui  saint  Rusti- 
que, saint  Eleulhère  et  même  d'autres  disciples  ,  ce  qui  fait 
dire  au  P.  Longueval  :  «  Ce  fut  une  des  missions  les  plus  célè- 
«  bres  dont  l'histoire  fasse  mention,  vu  le  nombre  et  la  qualité 
«  des  missionnaires,  le  pape  saint  Fabien  ayant  ordonné  sept 
«  évêques  et  les  ayant  mis  à  la  tête  d'un  grand  nombre  d'au- 
«  1res  ouvriers  apostoliques  (i).»  Or,  le  temps  de  Dèce  n'était 

{!]  De  Scriploribu-ieccL,  t.  ii,  p.  60. 

(2)  Non  faillie  clebemus  ûJern  abrogare  Hiacmaro  conteslanli  in 
islis  aclis  a  se  lectum  Dionysiura  priraum  Parlsiorutn  episcopuni  non 
alium  esse  q'iain  Areopagitiim,  qui  in  Gallias  niissus  sil  a  sancto  Cie- 
raenle.  [Fuiera  Analecla,  p.  223.) 

(3)  Prmuis  Gaiianus  episcopus  anno  imperii  Decii  primo  a  Roma- 
XiK  sedis  papa  iransmissas.  esl  [Hist.  eccles.  Francorum  lib.  x, 
cap.  31,  n.  I.) 

(4)  Hist.  de  r Eglise  Gallicane,  1. 1,  p.  61. 


36  SAIN!   GRÉGOIRE   DE   TOURS  [Tome  VIL 

pas  favorable  pour  une  pareille  mission.  Car  ce  prince,  auteur 
de  la  septième  persécution  générale,  commença  à  persécuter 
cruellement  les  chrétiens  dès  son  avènement  à  l'empire,  puis- 
que, élu  vers  la  fin  de  l'année  249,  il  fit  périr  le  pape  saint 
Fabien  lui-même  le  20  janvier  250.  De  plus,  cette  persécution 
fut  si  cruelle,  que  le  saint  Siéj;:;e  vaqua  plus  de  16  mois,  c'est-à- 
dire  presque  tout  le  temps  que  vécut  encore  l'empereur  Dèce, 
parce  que  ce  tyran  attaquait  surtout  les  évêques  et  n'en  voulait 
point  souffrir  à  Rome,  comme  l'observent  les  auteurs  de  l'Art 
de  vérifier  les  dates  {\).  Mais  si  le  clergé  romain,  chargé  du  gou- 
vernement de  ri  glise  pendant  la  vacance  du  Siège,  n'osait  pro- 
céder à  l'éleetioR  <î'unpape,  commentsnpposer  que  l'on  ait  eu 
la  hardiesse  d'ordonner  néanmoins  sept  évêques,  et  de  les  en- 
voyer encore  avec  plusieurs  autres  missionnaires  pour  fon- 
der de  nouvelles  églises?  Aussi,  le  P.  Longueval,  qui  maintient 
l'autorité  du  fameux  passage,  excepté  pour  ce  qui  concerne 
saint  Trophime,  suppose  que  saint  Grégoire  a  confondu  les 
temps  et  s'est  trompé  en  jilaçant  celte  mission  sous  l'empire  de 
Dèce.  et  I!  e?t  probable,  dit-il,  que  ces  missionnaires  furent  en- 
voyés quelques  années  ^lus  lot,  pendant  la  paix  de  l'Église, 
sons  le  règne  de  Philippe  (2).  Tillemont,  qui  suit  saint  Gré- 
goire sur  la  mission  des  sept  évêques,  l'abandonne  cependant 
quant  au  temps  auquel  elle  a  eu  lieu  :  a  On  peut  croire,  dit-il, 
qu'ils  avaient  été  envoyés  durant  la  paix  dont  l'Église  jouit  sous 
Philippe....  n  ne  se  faut  pas  arrêter  absolument  au  règne  de 
Dète  pour  y  mettre  la  venue  de  ces  évêques;  car  la  persécu- 
tion horrible  qu'il  excita  contre  l'église,  dès  le  commencement 
de  250,  n'était  pas  bien  propre  pour  envoyer  en  France  une 
mis-ion  de  cette  nature.  Saint  Fabien  n'en  eut  pas  beaucoup 
le  loisir  en  250,  puisqu'il  fut  martyrisé  le  20  de  janvier  (3).  » 
D'autres  remontent  beaucoup  plus  haut,  et  tout  en  soute- 

(t)  Art  de  vérifier  les  dates,  p.  212. 
(2)  Hisl.  de  C Eglise  Gallicane  (I.  c.) 
(ô)  Mémoires,  etc.,  l.  iv,  p,  ^45. 


Jany.  18031.  ^^  SAINT   SATURNIN   DE   TOULOUSE.  37 

naut  avec  intrépidité  qne  Grégoire  de  Tours  n'a  pu  se  trom- 
per, ils  placent  la  mission  des  sept  évêques  vers  l'an  213. 
«  Plusieurs,  dit  Godeau,  évêque  de  Vence,  mettent  cette  mis- 
sion sous  la  première  année  de  Dèce,  Gratus  étant  consul  avec 
lui.  D'autres  estiment  que  ce  fut  sous  ce  consulat,  que  Saturnin 
à  Toulouse  et  Denis  à  Paris  reçurent  la  couronne  du  martyre,  et 
que  la  mission  fut  faite  au  tem])s  où  nous  sommes  de  cette  nar- 
ration qui  est  213  (1).  »  C'est  là  le  sentiment  de  M.  l'abbé  Sal- 
van,  qui  s'exprime  ainsi  :  a  Nous  admettons  le  célèbre  passage 
de  Grégoire  de  Tours  comme  conforme  à  la  vérité  de  l'histoire. 
Nous  donnons  trente-huit  ans  environ  d'épiscopat  à  saint  Sa- 
turnin. Nous  plaçons  le  commencement  de  sa  mission  dans  les 
Gaules  immédiatement  après  la  persécution  de  Sévère,  vers  l'an 
220  de  l'ère  chrétienne.  Nous  plaçons  son  martyre  dans  les  der- 
nières années  du  règne  de  Décius,  vers  l'an  251  ou  252  de 
Jésus-Christ  (2).»  Enfin,  Bosquet  avoue  qu'on  ne  sait  ni  qui  a 
envoyé  ces  évèques,  ni  en  quelle  année  ils  sont  venus.  Ces 
sept  évêques,  dit-il  encore,  vinrent  dans  les  Gaules  à  des  épo- 
ques diffférentes  et  non  ensemble  et  en  même  temps  (3). 

En  plaçant  sous  le  consulat  de  Dèce  et  de  Gratus  la  mission 
des  sept  évèques,  Grégoire  s'est  donc  trompé,  et  il  a  été  induit 
en  erreur  parles  actes  du  martyre  de  saint  Saturnin,  a  Comme 
c'était  une  tradition  constante,  dit  Bosquet,  que  ces  sept  évê- 
ques étaient  venus  ensemble,  Grégoire,  ignorant  le  temps  pré- 
cis de  leur  mission,  et  voyant  que  les  actes  de  saint  Saturnin  le 
faisaient  venir  sousle  consulat  de  Dèce  et  deGratus,  écrivit  qu'ils 
étaient  tous  venus  sous  ces  consuls.  Mais  en  faisant  venir  ces 
évêques  ensemble,  Grégoire  a  rempli  l'histoire  d'erreurs.  » 


1-1}  Hist.  de  l'Église,  t.  1er,  p.  528. 

(2)  Disserlalion  sur  la  mission  de  quelques  évêques,  etc.,  p.  81-82. 

(5)  Iiicerlura  lamen  est  quibus  annis  singuli  venerini,  vel  a  quibus 
legaiioiiem  aoceperiol...  Diversis  itaque  leniporibus,  illi  episcopi  in 
Gallias  venerunl,  non  uno  eodemque,  simul  et  semel.  (Hist.  eccl. 
Gall.  Uh.  ni,  c.  21.) 


38  SAINT  GRÉGOIRE   DE   TOURS  [Tome  VII 

Bien  n'est  plus  vrai,  ajoute  le  bénédicliu  Millet  (t).  C'est  pour- 
quoi nous  dirons  avec  Hugues  Méiiard  :  «  Tout  en  respectant 
Grégoire  de  Tours,  je  prétends  que  presque  rien  de  ce  qu'il 
rapporte  de  Dèce  n'est  exact.  De  là  vient  que  tout  ce  qu'il 
avance  touchant  la  mission  des  sept  évêques  sous  le  consulat  de 
Dèce  et  de  Gatus  n'est  pas  assez  certain  pour  détruire  et  abo- 
lir l'ancien  ue  tradition  de  l'église  gallicane  (2).  t  Et  nous  con- 
cluons avec  le  cardinal  Baronius  :  «  Ce  que  Grégoire  affirme 
de  saint  Deius  de  Paris  est  aussi  vrai  que  ce  qu'il  aifirme  de 
Trophime  d'Arles,  de  Paul  de  Narbonne,  et  de  Martial  de  Li- 
moges. Il  les  fait  venir  sous  Dèce  alors  qu'il  est  évident  qu'il 
ont  été  envoyés  par  les  apôtres,  ainsi  qu'en  témoignent  leurs  Ac- 
tes et  les  anciens  martyrologes  (3).  » 

On  nous  demandera  peut-être  maintenant  d'où  vient  l'erreur 
de  Grégoire  de  Tours.  Voici  comment  M.  Paillon  l'explique  (4). 
Pour  composer  ce  qu'il  rapporte  de  la  mission  des  sept  évêques, 
Grégoire  a  eu  deux  sortes  d'Actes,  ceux  de  saint  Saturnin  et 
ceux  de  saint  Ursin,  évêque  de  Bourges.  Il  a  pris  des  Actes  de 


{^)  Cura  auîem  illos  septem  epi.scopos  simul  in  Gallias  venisse  tra- 
dert'tur,  cerlumniissionis  fempus  ignorons  Gregorias,  Salurnini  mar- 
l.ynum  ex  AcUbus  ejus  cornperuun  li;ibens,  jara  sub.illis  consuiibus 
fuisse  scripsil.  Episeoporimi  illa  in  prseiiicau'io  evangelio  socittas, 
mullos  in  noslram  hisloriain  indiisit  crrores.  [Ilist.  eccl.  Franc,  lib.  i, 
cap.  uli.  Cfr.  Millet,  Vindicala  DionysH  gloria.  lib.i,  c.  9.) 

(2)  Pace  Gregorii  dixerim,  in  lus  qUcR  de  imperio  Decii  scripsil,  vix 
aliqiiid  sani  disit;  aiqiie  ideo  quidquid  de  septem  Episcoporum  mis- 
sioiie  tacUi  Dei  io  ci  Gralo  consulibas  dixil,  non  esl  adeo  rerlura,  ut 
veterem  Gallicanœ  Eccicsiae  iradilionemextirpare  valeat.  [Diatviba  de 
unko  Dlonyno,  c  4.) 

(3)  Piceduiis  de  Dionysio  opponitur  quod  Gregorius  dical  sanclum 
Dionj  sium  rnis>um  esse  Parisios  leniporibus  Deeii  :  id  quidera  tain  ve- 
ram  esl  quani  quod  ibidem  asseril,  Trophimnrn  Arelalem,  Paulum 
Karbonam,'  el  Marti. dem  eisdem  lemporibus  Decii  misses  in  Gal- 
liam  ;  quos  omnes  liquido  con:iial  ah  aposlolis  illuc  esse  directes,  proul 
Acta  el  aQii_qua  mariyrologia  lestantur.  [Annolationes  ad  Marlyrol. 
IX  oclobris.) 

(4)  Monuments  incdUs,  t.  ii,  col.  371-375. 423. 


Janv.  iSG3.]  ET  SAINT   SATURNIN   DE   TOULOUSE.  39 

saint  Ursin  le  dénombrement  des  sept  évêques,  et  de  ceux  de 
saint  Saturnin,  l'époque  de  leur  mission.  Sept  evêgues,  dit-il, 
furent  envoyés  dans  les  Gaules  pour  y  prêcher  la  foi  :  Catien  à 
Tours,  Trophime  à  Arles,  Paul  à  Nar bonne,  Saturnin  à  Toulouse. 
Voilà  les  sept  évêques  mentionnés  dans  les  Actes  de  saint 
Ursin.  Ce  futy  ajoute-t-il,  sous  Dèce  que  les  sept  évêques  furent 
envyés  \  et  voici  le  motif  de  cette  date  :  a  Ainsi  que  le  marque 
le  niùrtyre  de  saint  Saturnin,  car  on  y  lit:  Sous  le  consulat  de 
Dèce  et  de  Gratus,  comme  on  le  sait  par  un  souvenir  fidèle,  la 
ville  de  Toulouse  eut  pour  évêque  saint  Saturnin.  Or,  c'est  en 
cela  que  se  trahit  l'inexactitude  de  Grégoire  de  Tours.  Les 
Actes  de  saint  Ursin  portent  que  les  sept  évêques  ont  été 
envoyés,  non  sous  l'empire  de  Dèce,  mais  parles  saints  apôtres 
(Pierre  et  Paul),  ce  qui  est  bien  différent.  Pourquoi  donc  Gré- 
goire de  Tours,  ayant  puisé  dans  la  légende  de  saint  Ursin 
cette  tradition  que  les  évêques  étaient  venus  ensemble,  n'a- 
t-il  pas  dit  aussi  qu'ils  avaient  été  envoyés  par  les  saints 
apôtres  ?  S'il  l'eût  fait,  la  tradition  de  nos  églises  se  serait  con- 
servée intacte,  et  les  ténèbres  qui  couvrent  leurs  origines  pour- 
raient être  plus  facilement  dissipées.  Néanmoins,  les  études 
nouvelles  dont  celte  importante  question  est  l'objet,  rendent 
aux  anciens  documents  l'autorité  qu'ils  méritent,  et  il  est  per- 
mis d'espérer,  grâce  à  elles,  que  le  jour  n'est  pas  éloigné  où 
l'on  reconnaîtra  que  nos  pères  n'ont  pas  été  induits  en  erreur 
par  des  légendes  sans  valeur  historique. 

Seconde  circonstance.  —  La  prière  que,  d'après  saint  Gré- 
goire, saint  Saturnin  adi^esse  à  Dieu  avant  d'être  pris  par  les 
vaïens. 

Examinons  la  valeur  et  le  sens  de  cette  prière,  et  faisons 
voir  qu'on  peut  rejeter  en  toute  sécurité  le  témoignage  des 
Actes  qui  la  renferment. 

1°  Sa  valeur.  D'abord,  on  ne  la  trouve  que  là:  aucun  ma- 
nuscrit n'en  parle.  Ensuite,  il  y  est  question  c?e  deux  prêtres, 
tandis  que,  selon  Ruinart,  saint  Saturnin  était  accompagné 


iO  SAINT    GKÉGOIRE   DE    TOURS  [Tom;  VII. 

d'un  prêtre  et  de  deux  diacres,  contradiction  importante  entre 
des  Actes  qu'on  nous  présente  comme  également  sincères. 
«  Pour  composer  son  histoire,  Grégoire  de  Tours,  dit  M.  Salvan, 
s'est  servi  des  Actes  de  saint  Saturnin,  auxquels  on  avait  ajouté 
les  noms  des  six  évoques  envoyés  avec  l'apôtre  de  Toulouse, 
et  le  discours  qu'il  tint  aux  clercs  qui  l'abaudonnèrent,  lorsqu'il 
était  traîné  au  supplice.  Il  est  important  d'observer  que  ces 
additions  no  se  trouvent  dans  aucune  des  copies  des  Actes 
autlientiques  parvenue?  jusqu'à  nous.Ilfauten  conclure  qu'elles 
n'étaient  parvenues  au  temps  de  Grégoire  de  Tours  que  par  la 
voie  (Je  quelque  tradition  qu'il  aura  cru  devoir  recueillir  et 
rapporter  (1).  »  Enfin  Launoy,  se  basant  sur  le  mot  fertur, 
prétend  que  Grégoire  ne  donne  pas  cette  prière  comme  une 
chose  certaine  ;  il  la  rapporte  seulement  comme  il  l'a  apprise 
par  un  souvenir  fidèle.  S'il  en  est  ainsi,  si  cette  prière  est 
douteuse  mal-;ré  le  souvenir  fidèle  d'où  elle  lire  son  origine,  la 
mission  des  sept  évèques,  qui  n'est  appuyée  que  sur  ce  souve- 
nir^ sera  nécessairement  douteuse  aussi  et  incertaine. 

2°  Sen$  de  cette  prière.  Elle  est  susceptible  de  plusieurs  si- 
gnifications et  elle  a  été  diversement  interprétée.  Voici  les 
trois  sens  qu'elle  peut  avoir:  1"  Que  jamais  l'Eglise  n'ait  aucun 
Toulousain  pour  évèqiie.  Entendue  ainsi,  elle  serait  absurde. 
Tout  le  monde  sait,  en  etfet,  que  Toulouse,  surnommée  la 
sainte  à  cause  de  la  piété  de  ses  habitants,  a  donné  de  tout 
temps  de  saints  et  de  vénérables  évèques  à  l'Église.  L'histoire 
contemporaine  le  prouve  aussi  bien  que  l'histoire  ancienne, 
2*  Qu'aucun  de  ces  deux  prêtres  qui  m'ont  si  lâchement  aban- 
donné ne  soit  jamais  promu  à  l'épiscopat.  3°  Qu'aucun  enfant 
de  Toulouse  ne  devienne  jamais  èvèque  de  celte  cité. 

Launoy  a  adopté  la  seconde  interprétation.  Il  veut  que 
Grégoire  ne  comprenne  dans  son  anathème  que  ses  deux 
prêtres  et  non  tous  les  enfants  de  Toulouse,  «  Grégoire  ne 

(1)  Dissertation,  p.  71,  Où  est  la  preuve  de  celle  tradition? 


Janv.  18G3.J  ET   SAI^T   GUÉGOIRIÎ    DE   TOULOUSE.  44 

disant  pas;  Que  FEglise  n'ait  jamais  pour  évêque  un  enfant  de 
celle  cilé,  ni:  Que  jamais  un  citoyen  de  Toulouse  n'en  soit 
digne.  »  His  civibus  s'adresse  donc,  d'après  lui,  aux  seuls 
prêtres  qui  accompagnaient  saint  Saturnin.  Mais  telle  ne 
peut  être  l'intention  de  Grégoire;  ce  qui  le  prouve,  ce  sont  les 
paroles  qu'il  ajoute:  «  Et  jusqu'à  ce  jour  il  en  a  été  ainsi.  »  Si 
l'anathème  de  saint  Saturnin  ne  tombait  que  sur  ses  deux 
prêtres,  il  ne  serait  pas  nécessaire  de  faire  remarquer  que 
jusqu'au  VI»  siècle  sa  prière  avait  été  exaucée.  Personne  ne 
peut  songer  à  donner  à  ces  deux  prêtres  une  existence  de  près 
de  300  ans.  Il  ne  reste  donc  que  le  troisième  sens:  Qu'aucun 
enfant  de  Toulouse  ne  devienne  jamais  évêque  de  cette  cité.  En 
parlant  ainsi-,  Grégoire  de  Tours  a  voulu  exprimer  une  chose 
qu'il  regardait  comme  très-certaine,  puisqu'il  la  confirmait 
par  un  miracle  qui  se  continuait  depuis  plusieurs  siècles.  Quand 
il  aurait  puisé  cette  persuasion  dans  les  souvenirs,  il  la  fait 
sienne  en  ne  la  contredisant  pas.  Et  ce  qui  montre  bien  encore 
que  c'est  là  le  sens  que  l'on  doit  attacher  à  la  prient  de  saint 
Saturnin,  c'est  que  de  nos  jours,  comme  du  temps  de  Bosquet, 
les  Toulousains  se  vantent  d'avoir  vu  sur  le  siège  de  Toulouse 
des  évêques  qui  étaient  nés  dans  cette  ville  (1).  «Ce  discours 
du  saint  évêque,  dit  M.  Salvan,  n'a  point  reçu  son  effet,  et  sa 
prière  n'a  point  été  exaucée.  Si  elle  le  fut  jusqu'au  temps  où 
Grégoire  de  Tours  a  écrit  son  histoire,  elle  ne  l'a  pas  été  depuis 
le  Vr  siècle  jusqu'à  nous  (2).  » 

Or,  cette  prière  interprétée  en  ce  sens  semble  incroyable, 
tant  elle  est  extraordinaire.  Jésus-Christ  sur  la  croix  était  plein 
de  compassion  pour  ses  bourreaux,  et  il  demandait  à  son 
Père  de  leur  pardonner,  parce  qu'Us  ne  savaient  pas  ce  qu'ils 
faisaient.  Saint  Etienne,    premier   martyr,   pendant  qu'une 

(1)  Verum  Tolosales  episcopos  se  populares  suos  poslerioribus  se- 
culishiibuisse  feruni.  (Hist .  eccl.  lib.  ui,  c.  29.) 

(2)  Dissertation,  p.  71. 


.^2  SAINT   GRÉGOIRE   DE    TOURS  [Te  me  VU. 

grêle  de  pierres  fondait  sur  lui,  élevait  aussi  la  voix  pour 
ceux  qui  le  lapidaient  et  disait  à  Dieu  :«  Seigneur  Jésus-Christ, 
ne  leur  imputez  pas  ce  péché.  »  Tous  les  saints,  marchant  sur 
leurs  traces,  ont  prié  pour  leurs  persécuteurs  :  et  l'on  veut  que 
saint  Saturnin  ait  demandé  à  Dieu  de  punir  ses  prêtres  cou- 
pahles  seulement  de  lâcheté.  Ce  n'est  pas  assez  encore,  on 
veut  que  tous  les  enfants  de  Toulouse  aient  été  enveloppés 
dans  le  même  châtiment  et  naissent  souillés  en  quelque  sorte 
d'un  second  péché  originel.  El  cela,  non  pas  à  cause  du  sang 
de  saint  Saturnin  injustement  versé  par  leurs  pères,  mais  en 
punition  de  la  fuite  de  deux  prêtres  dont  le  courage  faiblit  à 
la  vue  de  tout  le  peuple  se  précipitant  avec  furie  sur  notre 
premier  évêque.  Non,  cela  n'est  pas  possible,  car  co  ne  serait 
pas  chrétien.  Concluons  donc  en  disant  que  la  prière  de  saint 
Saturnin  est  fausse,  et  que  les  Actes  où  Grégoire  de  Tours  l'a 
puisée  n'ont  aucune  valeur. 

§  3.  Grégoire  de  Tours  adopte  lui-même  ailleurs  V opinion   qui 
place  au  premier  siècle  la  mission  de  saint  Saturnin. 

L'Histoire  ecclésiastique  des  Francs  n'est  pas  le  seul  ouvrage 
de  Grégoire  de  Tours.  Dans  son  livre  De  la  Gloire  des  martyrs, 
il  s'occupe  encore  de  saint  Saturnin,  et  il  nous  fournit  une 
preuve  puissante  en  faveur  de  la  mission  de  cet  évêque  au 
premier  siècle.  Il  s'exprime  ainsi  au  chapitre  48*  :  «  Saint  Sa- 
turnin, martyr,  ordonné,  dit-on,  par  les  disciples  des  apôtres,  fut 
envoyé  à  la  ville  de  Toulouse  (1).  »  Interprétées  dans  ieui  sens 
naturel  et  obvie,  ces  paroles  combattent  l'opinion  que  Gré- 
goire a  rapportée  dans  sou  Histoire.  On  peut  donc  conclure 
qu'il   tombe  en  contradiction    avec  lui-même,  ou  bieu  qu'il 


(1)   Salurninus   vere  martyr,  ut   ferlur,  ab  apostolorum  discipulis 
ordiuatus,  in  urbem  Toloiatium  est  directus. 


Janv,  18G3.]  ET   SAINT   SATURNIN"   DE   TOULOUSE.  43 

adopte  une  opinion  aussi  probable  et  aussi  fondée,  à  sou 
avis,  que  la  première.  Pour  échapper  à  cette  conclusion 
toute  naturelle,  ses  partisans  recourent  à  des  explications  la- 
borieuses, qu'ils  regardent  néanmoins  comme  excellentes  et 
détruisant  tous  les  doutes.  Ne  vous  laissez  pas  surprendre, 
disent-ils,  par  cette  contrîi diction  apparente,  il  est  vrai,,  mais 
nullement  réelle;  Grégoire  de  Tours  ne  change  pas  de  senti- 
ment. 11  suffit  d'un  peu  de  science  historique  pour  en  être 
convaincu.  Entre  ces  deux  opinions,  si  opposées  à  première 
vue,  règne  l'harmonie  la  plus  parfaite  et  on  n'y  trouve  rien 
qui  ne  s'accorde.  «  Pendant  les  premiers  siècles  de  l'Église  on 
appelait  disciples  des  apôtres  ceux  qui  professaient  la  mûme  foi 
que  les  apôtres  avaient  enseignée  à  Rome.  Ainsi,  dans  tous 
ces  temps  primitifs,  de  même  qu'on  donnait  aux  simples  fidèles 
le  nom  de  chrétiens,  on  donnait  aussi  aux  évèques  ou  pasteurs 
le  nom  de  disciples  des  apôtres,  c'est-à-dire,  qui  enseignaient 
la  même  doctrine  et  exerçaient  le  môme  ministère  que  les 
apôtres.  Ces  mots  ne  doivent  donc  pas  être  pris  en  un  sens 
qui  désigne  les  collaborateurs  et  les  contemporains  des  apôtres, 
mais  ils  ont  une  acception  beaucoup  plus  étendue,  telle  tju'ou 
l'entendait  dans  l'antiquité  des  disciples  de  plusieurs  philo- 
sophes, c'est-à-dire  de  ceux  qui  professaient  leur  doctrine, 
quoique  ayant  vécu  longtemps  après  leurs  maîtres  (1).  »  Ainsi 
parle  M.  Salvan,  commentant  une  phrase  de  D.  lluinart. 

Nous  ne  pouvons  admettre  cette  explication,  car  elle  n'a 
rien  de  solide.  Nous  croyons  avec  Adon  de  Vienne  et  toute 
l'antiquité  chrétienne  que,  par  disciples  des  apôtres,  il  faut 
entendre  leurs  disciples  immédiats,  leurs  contemporains.  S'il 
en  était  autrement,  si  les  évêques  des  premiers  siècles  s'appe- 
laient disciples  des  apôtres,  non  parce  qu'ils  avaient  vécu  avec 
eux  et  avaient  appris  la  véritable  doctrine  de  leur  bouche, 
mais  parce  qu'ils  exerçaient  le  même  ministère  qu'eux,  pour- 
quoi ne  se  disaient-ils  pas  disciples  de  Jésus-Christ?  Us  auraient 

{i)  Diisertation,  p.  ^5-iG. 


41  SAINT   GRÉGOIRE   DE  TOURS  [Tome  VII. 

pu  le  faire  avec  autant  de  vérité,  et  certainement  ce  titre  en  leur 
donnant  plus  de  prestige  aux  yeux  des  fidèles,  eût  fait  mieux 
ressortir  l'origine  des  enseignements  qu'ils  transmettaient  et 
conséquemmeut  mieux  assuré  le  succès  de  leur  ministère. 
Saint  Honest,  prêchant  à  Pampelune,  comme  le  rapporte  la 
vie  de  saint  Saturnin,  se  dit  disciple  de  ce  saint  évêque  qu'il 
qualifie  de  disciple  des  apôtres.  Pourquoi,  afin  de  se  donner 
une  autorité  plus  grande,  ne  prend-il  pas,  lui  aussi,  le  titre  de 
disciple  des  apôtres  ou  de  Jésus-Christ?  Il  le  pourrait,  s'il 
suffit  pour  cela  d'enseigner  la  même  doctrine  qu'ils  ont  ensei- 
gnée :  il  ne  le  fait  pas  cependant,  parce  qu'il  n'a  pas  eu  avec 
eux  des  rapports  personnels.  De  l'explication  de  M.  Salvan, 
il  faut  nécessairement  conclure  que  le  nom  de  disciple  des 
apôtres  n'indique  pas  du  tout  l'époque  apostolique,  mais  sim- 
plement et  d'une  manière  indéterminée  les  trois  premiers 
siècles  de  l'Église.  Mais  alors  à  quoi  reconnaîtrons-nous  les 
contemporains  et  les  disciples  immédiats  des  apôtres,  car  enfin 
il  y  en  a  eu  ? 

Tillemont,  que  personne  pourtant  ne  songera  à  placer  parmi 
ceux  (]ui  veulent  favoriser  notre  opinion,  a  reculé  devant  cette 
manière  de  raisonner.  Il  traduit  littéralement  le  passage  de 
Grégoire  de  Tours,  et  prétend  que  cette  façon  de  parler 
obscure  et  confuse,  ne  doit  pas  étonner  dans  un  auteur  qui 
n'est  ni  fort  exact  dans  ses  expressions,  ni  fort  juste  dans  ses 
idées  {{).  Il  ne  lui  accorde  donc  pas  toute  sa  valeur,  mais  il 
donne  une  explication  bien  meilleure  que  les  précédentes. 
«  Ce  qull  y  a  de  fâcheux,  dit-il,  c'est  que  saint  Grégoire  de 
Tours  ne  semble  pas  toujours  s'accorder  avec  lui-même  ;  car 
dans  les  livres  de  la  Gloire  des  martyrs  et  des  confesseurs,  il  dit 
que  saint  Saturnin  avait  été  ordonné  par  les  disciples  des 
apôtres.  On  peut  conclure  de  ce  passage  qu'il  y  avait  alors 
deux  traditions  différentes  ;  les  uns  mettant  saint  Saturnin  peu 

{\)  Mémoires  ecctésiast.,  t.  m.  p.  708- 


Janv.  1863.1  ET  SAINT  SATURNIN    DE  TOULOUSE.  45 

après  les  apôtres,  et  les  autres  du  temps  de  Dèce,  Or,  dans  ces 
traditions  opposées,  les  personnes  habiles  ont  accoutumé,  s'il 
n'y  a  des  raisons  bien  particulières,  de  s'arrêter  à  celles  qui  font 
les  saints  moins  anciens  parce  que  les  peuples  se  portent  natu- 
rellement à  les  croire  plutôt  trop  anciens  que  trop  nou- 
veaux (1).  »  Donc,  d'après  l'habile  Tillemont,  il  y  avait,  au 
temps  de  Grégoire  de  Tours ,  deux  traditions  concernant 
l'époque  de  la  mission  de  saint  Saturnin.  Il  suivit  dans 
VHistoire  des  Francs  celle  qui  le  faisait  venir  sous  Dèce,  et 
dans  la  Gloire  des  martyrs,  celle  qui  le  mettait  peu  après  les 
apôtres.  C'est  aussi  le  sentiment  du  savant  archevêque  de 
Toulouse,  l'illustre  Pierre  de  Marca.  Il  écrivait  eu  1658  à 
Henri  de  Valois  :  «  Pour  ce  qui  regarde  saint  Saturnin,  il  est 
Lors  de  toute  controverse  que  dès  la  fin  du  Vl«  siècle,  au  temps 
où  florissait  Grégoire  de  Tours,  on  reconnaissait  une  double 
tradition.  La  première,  suivie  par  cet  historien  dans  son 
Histoire  des  Francs,  disait  que  ce  saint  avait  souffert  sous  le 
consulat  de  Dèce  et  de  Gratus,  au  milieu  du  Ille  siècle;  la 
seconde  enseignait  que  saint  Saturnin  avait  été  ordonné  par 
les  disciples  des  apôtres  plus  de  150  ans  avant  l'époque  de 
Dèce.  Qu'il  nous  soit  permis  de  suivre  cette  dernière  tradi- 
tion. Elle  s'accorde  d'ailleurs  avec  une  autre  que  personne 
n'a  jamais  contestée.  Celle-ci  rapporte  que  les  premiers 
évèques  des  Gaules  qui,  envoyés  d'abord  par  saint  Pierre  et 
saint  Paul,  et  ensuite  par  saint  Clément,  ont  répandu  dans 
nos  contrées  la  semence  de  la  foi,  ne  doivent  pas  être  placés 
une  grande  distance  les  uns  les  autres  (2).  »  Nous  embras- 

(-!)  Ibid.,  t.  IV,  p.  109. 

(2)  Quod  ad  Salurniniim  altinel,  conlroverliDon  débet  quiu  Grego- 
rii  lempore  duplex  invaluisset  opiiiio  el  qiiin  ulraque  sola  relaiione 
nileieiur.  Allera  est,  qu;im  sequitur  Gregorius  hoc  loco,  passurii  esse 
Salurninura  Decii  ronsulatu...  Allera  serilenlia,  sua  quoque  relalione 
fulla  (cujus  leslis  ipso  Gregorius,  lib.  i,  o.  18  de  Miraculn)  Iradebat 
missum  S;iturniDum  a  discipulis  apoitolorum,  id  est,  plus  quain  ren- 
lum  et    quinquagiDla  annis  anle  Decium.  Adeo  ul  io  ancipili  posilià 


46  s.  GRÉGOIRE   DE   TODRS   ET  S.  SATCRNIN  DE  TOULOUSE.  [Tome  VII. 

sons  ropinion  de  de  Marca.  En  disant  que  saint  Saturnin  a  été 
ordonné  par  les  disciples  des  apôtres,  ou  bien  Grégoire  de 
Tours  rétracte  ce  qu'il  avait  avancé  auparavant,  quand  il  pla- 
çait sa  mission  sous  le  consulat  de  Dèce  et  de  Gratus  ;  ou  bien 
il  donne  comme  également  probables  deux  traditions  suivies 
de  son  temps  et  ne  fait  aucune  difficulté  d'adopter  tantôt  Tune 
et  tantôt  l'autre. 

Le  passage  de  Grégoire  de  Tours,  s'appuyant  sur  une  cita- 
tion fausse,  rendu  suspect  encore  par  la  mention  qu'il  fait  de 
deux  circonstances  qu'on  ne  trouve  nulle  part  ailleurs,  et  con- 
tredit par  une  tradition  différente  que  le  même  auteur  rapporte 
également,  n'a  donc  aucune  autorité  pour  renverser  l'ancienne 
tradition  de  l'Église  de  Toulouse  et  prouver  que  saint  Saturnin 
soit  venu  au  IJl^  siècle. 

L'abbé  Maxime  Latou, 


liceal  uliimam  Gregorii  sententiam  sequi  quse  roliasret  priori  illi  apud 
eum  non  conirovense,  de  non  divellendis  adeo  prolixa  leniporumiji- 
tercapedine  a  se  invirem  prioribus  episcopis,  qui  a  Peiio  et  Paulo,  et 
deincepsa  Clémente  apo^lolorum  discipulo  non  lor  go  iniervallomissî, 
exordia  lidei  per  Gallias  propagarunl.  [Jeta  sandorum,  l.  v  junii, 
p.  5od.) 


LITURGIE. 


Quelques  observations  sur  divers  articles  de  liturgie  publiés  par 

la  Revue. 


Depuis  le  moment  où  la  Revue  des  Sciences  ecclésiastiques  a 
été  fondée,  nous  y  avons  donné  un  bon  nombre  d'articles  sur 
la  liturgie.  Nous  n'avons  eu  d'autre  but  que  de  répondre  à 
un  désir  souvent  manifesté  de  divers  côtés.  Ayant  appris  qu'ils 
avaient  été  lus  avec  intérêt  et  même  pris  pour  guide  dans  un 
grand  nombre  d'églises,  nous  avons  mis  tous  nos  soins  à 
n'y  rien  insérer  que  de  bien  certain.  Si  parfois  il  nous  est 
arrivé  de  manquer  de  clarté,  de  précision  ou  d'exactitude, 
nous  nous  sommes  empressé  de  nous  rectifier  nous-mème. 
Cependant,  divers  articles  peuvent  tomber  sous  les  yeux  de 
nos  lecteur  sans  qu'ils  aient  occasion  de  remarquer  dans 
d'autres  une  explication  ou  rectification  qui  nous  a  paru  né- 
cessaire: nous  avons  donc  jugé  convenable  d'en  donner  ici  un 
aperçu  général,  en  ajoutant  encore  plusieurs  remarques  qui 
nous  ont  été  adressées  ou  que  nous  avons  eu  l'occasion  de 
faire.  Les  personnes  qui  ont  étudié  ces  matières  ne  s'étonne- 
ront pas  de  nous  voir  ainsi  revenir  sur  plusieurs  de  nos  asser- 
tions :  elles  verront  là  une  preuve  de  notre  sincère  amour 
de  la  vérité,  et  de  notre  respect  pour  la  sainte  liturgie. 

I.  Il  est  parlé  trois  fois  du  tabernacle  où  réside  le  trèsr 
saint  Sacrement:  1»  t.  I,  p.  109;  2«  t.  VI,  p.  492-530;  Sn.VI, 
p.  555.  Ces  articles  doivent  être  rapprochés  les  uns  des  autres 
si  l'on  veut  bien  connaître  la  vraie  doctrine  sur  les  divers 


48  LITURGIE.  [Ton :e  YIL 

points  qui  y  sont  traités,  et  particulièrement   sur  les   deux 
questions  qui  font  l'objet  du  dernier  article. 

II.  Nous  avons  donné  dans  une  suite  d'articles  un  petit 
traité  sur  le?  expositions  du  très-saint  Sacrement.  Ils  ont  été 
publiés,  t.  I,  p.  423  et  342;  t.  II,  p.  186  et  245,  et  des  additions 
nombreuses  ont  été  faites  dans  des  articles  subséquents.  Nous 
croyons  devoir  recommander  :  i"  de  joindre  à  la  lecture  du 
passage  où  il  est  traité  des  expositions  les  jours  de  fête,  §  iv, 
n.  VI,  t.  T,  p.  438,  celle  de  la  première  question  développée 
t.  II,  p.  329;  2°  d'ajouter  à  l'article  de  juin  1860,  §  v,  u.  iiï, 
tout  ce  qui  est  dit  dans  ini  autre  de  février  1861,  et  de  recti- 
fier le  premier  par  le  second. 

III.  La  réponse  donnée  par  un  de  nos  collaborateurs  t.  IV, 
p.  564,  se  trouve  reproduite  et  développée  dans  un  article  du 
numéro  d'octobre  dernier,  sur  les  fêtes  dont  la  solennité  est 
transférée  à  un  dimanclie.  Les  principes  qui  y  sont  posés  ex- 
pliqueront la  solution  sur  le  cas  proposé  pour  la  solennité  d(î  la 
saint  André.  Dans  celte  même  réponse,  il  est  dit  que  Ton  peut 
chanter  la  messe  du  dimanche  avec  la  couleur  noire.  Celte 
expression  a  surpris  quelques  lecteurs  ;  il  serait  plus  exact 
sans  doute,  de  dire  la  couleur  violette;  mais, dans  le  sentiment 
de  l'auteur,  la  couleur  violette  et  la  couleur  noire  peuvent  être 
regardées  comme  une  seule  et  même  couleur.  Ou  peut,  à  cet 
égard,  voir  ce  que  nous  avons  dit  au  t.  VI,  p.  49. 

IV.  Au  tome  m ,  p.  78  ,  on  examine  cette  question  : 
a  Lorsque,  dans  une  même  période,  les  rubriques  prescrivent 
plusieurs  choses  distinctes  et  séparables,  faut-il  nécessaire- 
ment les  faire  dans  Tordre  indiqué?  »  La  solution  de  cette 
difficulté  peut,  sans  doute,  être  affirmative  ou  négative,  sui- 
vant les  circonstances.  La  chose,  comme  le  dit  avec  raison 
Fauteur,  peut  être  prescrite  sans  que  l'ordre  à  observer  soit 
de  précepte.  Nier  ce  principe,  ce  serait  conclure  de  l'obliga- 
tion de  la  substance  à  celle  du  mode  ;  mais  si  une  pareille 
question  était  faite  à  la  S.  G.  des  Rites,  elle  répondrait,  nous 


Janv.  1863.)  LITURGIE.  4gp 

n'eu  doutons  pas,  qu'elle  ne  veut  donner  de  décision  que 
sur  les  cas  particuliers.  Examinons  donc  les  différents  cas 
proposés.  1°  Le  prêtre  qui  prend  les  ornements  avant  de 
préparer  le  calice,  viole-t-il  la  rubrique?  Répomlre  négative- 
ment, suivant  nous,  serait  inexact  :  agir  ainsi,  c'est  assurément 
violer  la  rubrique  dont  la  lettre  est  complètement  en  harmonie 
avec  la  nature  des  choses.  Cependant,  cette  rubrique  peut  être 
seulement  directive,  ou  encore,  elle  peut  n'être  pas  toujours 
obligatoire,  de  sorte  qu'un  prêtre  soit  tenu  d'attendre  pour 
prendre  les  ornements,  que  le  calice  dont  il  doit  se  servir  ait 
été  rapporté  à  la  sacristie  par  le  prêtre  qui  termine  la  messe. 
2°  La  divergence  citée  entre  la  rubrique  du  Missel  et  celle  du 
Rituel  relativement  aux  cérémonies  de  l'absoute,  n'a  pas  été  ex- 
pliquée de  la  même  manière  par  tous  les  auteurs,  et  l'obliga- 
tion de  faire  une  seule  inclination  à  la  croix,  ou  d'en  faire 
deux,  est  une  question  au  moins  controversée.  3°  Les  auteurs 
modernes,  comme  les  auteurs  anciens,  admettent  l'ordre  indi- 
qué par  le  Rituel  pour  l'ablution  des  doigts  après  la  distribu- 
tion de  la  sainte  communion  en  dehors  de  la  Messe,  et  nous 
ne  voyons  pas  en  quoi  M.  Falise  peut  être  blâmé,  quand  il 
condamne  le  senti tnent  contraire,  (juant  à  l'ablution,  il  peut 
arriver  des  cas  où,  contrairement  au  texte  du  Riiuel,  le  prêtre 
ne  pourra  la  jeter  dans  la  piscine  avant  de  remettre  le  Saint- 
Sacrement  dans  le  tabernacle  ;  mais  il  s'agit  ici  d'une  inversion 
nécessaire  et  d'une  inversion  appuyée  sur  des  autorités  telles 
que  Catalan  et  Barruffaldi  ;  Baldeschi  n'en  parle  pas,  et  M.  de 
Conny  la  permet.  4°  Les  auteurs  suivent  aussi  d'une  manière 
exacte  la  prescription  de  la  rubrique  du  Missel,  d'après  la- 
quelle le  prêtre  doit  couvrir  le  calice  avant  de  le  replacer  au 
milieu  de  l'aut''!  ;  le  P.  Le  Vavasseur  fait  même  sur  ce  point 
une  observation  particulière.  Nous  ne  voyons  donc  pas  pour- 
quoi on  soulèverait  la  question  de  savoir  s'il  ne  serait  pas  fa- 
cultatif d'intervertir  ici  l'ordre  des  cérémonies  tel  qu'il  est 
indiqué  par  la  rubrique.  Mais,  ajoute  l'auteur,  quand  même 


I 


50  LITURGIE.  [Tome  VU- 

cet  ordre  serait  prescrit,  il  ne  faut  pas  une  grande  raison  pour 
excuser  de  tout  péché.  La  violation  de  la  rubrique  peut  abso- 
lument être  grave  ou  légère;  bien  des  raisons  peuvent  dispen- 
ser de  l'observalion  de  certaines  prescriptions  ;  mais  ajoutons, 
pour  prévenir  l'abus  qu'on  pourrait  faire  de  ce  principe;,  que 
ces  raisons  demandent  à  être  appréciées  avec  la  lumière  de  la 
science  liturgique  et  de  la  soumission  totale  à  l'autorité  qui  a 
dicté  les  règles  du  Cérémonial,  Aussi  avons-nous  commencé 
la  série  de  nos  articles  par  parler  de  l'importauce  des  moin- 
dres prescriptions  en  matière  de  liturgie  (v.  t.  I,  p.  48),  im- 
portance plus  grande  encore  chez  nous  que  partout  ailleurs, 
dans  les  circonstances  actuelles.  L'article  sur  lequel  nous  reve- 
nons ici  a  excité  quelques  réclamations,  et  nous  avons  tenu  à 
développer  un  peu  ces  explications,  pour  que  personne  ne 
doute  de  notre  désir  de  nous  maintenir  toujours  dans  le 
vrai. 

V.  Nous  avons  publié  en  deux  articles  (t.  III,  p.  257  et  343) 
les  règles  relatives  aux  Messes  votives.  On  lit  à  la  page  238, 
ligne  2  :  «  La  Messe  queTévèque  célèbre  le  samedi  des  Quatre- 
Temps.  »  Après  ces  mots,  il  faut  ajouter  :  «  ou  la  veille  du 
dimanche  de  la  Passion.  »  Pour  compléter  le  §  IV,  p.  269,  il 
faut  joindre  aux  principes  qui  y  sout  développés  la  règle  indi- 
quée t.  VI  p.  361  et  362,  et  ajouter  au  décret  du  "27  Mars  1789 
les  mots  :  in  Dominicis  primx  classis,  comme  il  est  dit  t.  VI, 
p.  363. 

VI. On  lit,  t.  IV  p.  74,  la  réponse  à  quelques  difficultés  sur  la 
fête  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  D'après  cette  réponse,  le  décret 
qui  rend  celte  tète  obligatoire  dans  tout  l'univers  atteindrait  les 
églises  qui  la  célèbrent  à  un  autre  jour  en  vertu  d'un  induit 
apostolique.  Nous  avons  rétracté  ce  sentiment  t.  V,  p.  69. 

VII.  Un  petit  traité  sur  les  Messes  de  Requiem,  se  trouve  ren- 
fermé dans  cinq  articles  subséquents  (t.  V,  p.  42,  260,  471  et 
547,  et  t.  VI,  p.  34).  On  nous  adresse  une  observation  relative- 
ment à  la  règle  posée  p.  552,  et  l'on  demande  si  le  privilège 


Janv.  1863.1  LITURGIE.  îjt 

de  chauter  une  Messe  de  Requiem,\xn  jour  de  fête  double,  pour 
une  personne  dont  on  vient  d'apprendre  la  mort,  peut  s'appli- 
quer aux  séculiers,  suivant  l'enseignement  des  liturp^istes.  La 
raison  de  douter  est  le  décret  suivant  ;  Question.  «  In  duplici 
c(  majori  vel  minori  possuntneprouuo  eodemque  defnncto,in 
«  diœcesis  Ecclesiis  celebrari  Missœ  cantatse  de  Requie  in  die 
«  obilus,  tertia,  septima,  et  trigesima,  ac  anniversaria,  uti  fit 
a  apud  regulart'S,  in  cunctis  conventibus,  ad  nuntium  mortis 
«  alicujus  religiosi:  quam  gratiamauctorescommuniter,  teste 
«  Cavalieri,  ad  quascumque  Ecclesias  etpersouas  extendunt?» 
Réponse.  «  Absque  induite  non  licere.  (Décret  du  16  avril  4833, 
n"  5183,  q.  21.)  Nous  aurions  de  la  peine  à  nous  écarter  du 
sentiment  des  meilleurs  auteurs,  d'autant  plus  que  le  décret 
du  3  mars  1761,  cité  t.  V,  p.  583,  a  une  application  générale; 
nous  aimons  mieux  dire  que  la  réponse  du  16  avril  1853  a  pour 
but  d'exclure  les  Messes  des  troisième,  septième,  trentième 
jour  et  anniversaire,  qui  ne  sont  admises  par  aucun  auteur 
comme  pouvant  avoir  lieu  dans  plusieurs  églises. 

VIII.  L'article  les  Liturgies  françaises  et  la  Liturgie  romaine 
(t.  V.  p.  579)  doit  être  complété  et  rectifié  par  une  lettre  de 
M.  l'abbé  Bergier  insérée  t.  VI,  p.  303. 

IX.  Nous  avons  publié  (t.  VI,  p.  ISi)  une  dissertation  sur  les 
cloches,  l''  La  bénédiction  des  cloches  ne  peut  pas  être  faite 
par  un  simple  prêtre,  avons-nous  dit,  sans  un  induit  aposto- 
lique. Nous  aurions  dû,  à  l'appui  de  cette  assertion,  citer  le 
décret  suivant  :  Question:  «  An...  delegationem...  episcopus... 
«  ad  campanarum  benedictionem  ampliare  valeal?»  — Ré- 
ponse: «Non  posse.  »  (Décret  du  16  mai  1744,  n"  4159, 
q.  5.)  2°  A  la  p.  173,  nous  avons  exprimé  une  pensée  qui  n'est 
pas  juste.  Prise  à  la  lettre  et  isolément,  une  phrase  qui  s'y 
trouve  renfermée  pourrait  nous  faire  regarder  comme  favori- 
sant un  sentiment  que  nous  rejetons  complètement.  «  Jamais, 
«  avons-nous  dit,  un  esprit  sérieux  n'a  attaché  la  moindre  im- 
«  poiiance  à  des  idées  aussi  puériles  que  celles  de  sonner  une 


52  LITCRGIE  [Tome  VII. 

«  cloche  pour  détourner  la  foudre,  ou  encore  de  s'en  abstenir 
«  pour  éviter  de  l'altirer.  »  Les  textes  rapportés  à  la  suite  du 
même  paragraphe  se  trouvent  en  contraditiou  avec  la  phrase 
citée,  qui  doit  être  remplacée  par  celle-ci  :  «  On  a  quelquefois, 
«  mais  à  tort,  traité  de  superstition  l'usage  de  sonner  les 
a  cloches  pour  détourner  la  foudre.  Cet  usage,  est  fondé  sur 
«  l'autorité  de  l'Église  et  des  meilleurs  auteurs.  »  • 

Telles  sont,  en  quelques  mots,  les  rétlexions  que  nous  croj'ous 
devoir  ajouter  aux  articles  liturgiques  publiés  jusqu'à  ce  jour. 
Tout  en  remerciant  nos  lecteurs  du  bienveillant  accueil  avec 
lequel  ils  les  ont  reçus,  nous  les  prions  de  vouloir  bien, 
comme  par  le  passé,  nous  faire  part  de  leurs  remarques,  et 
nous  nous  empresserons  toujours  de  rectifier  les  inexactitudes 
qui  nous  seraient  échappées  et  de  combler  les  lacunes  que 
nous  aurions  laissées  subsister. 

P.  R. 


APPROBATION   DES    LITANIES    DU    SAINT   NOM   DE   JESUS. 
I. 

Nous  lisons  dans  le  journal  le  Monde  deux  articles  relatifs  à 
cette  approbation. 

1°  Au  numéro  du  13  novembre  1862,  nous  lisons  d'abord 
cet  extrait  de  la  Semaine  catholique  de  Montauban  : 

«  A  la  demande  d'un  grand  nombre  de  prélats,  cardinaux 
«  et  évéques,  au  nombre  desquels  se  trouve  Mgr  l'évêque  de 
«  Montauban,  la  S.  Congrégation  des  Rites  a  daigné  approu- 
«  ver  les  litanies  du  saint  Nom  de  Jésus,  dans  la  forme  ci- 
«  dessous,  avec  Iroïs  cents  jours  d'indulgence  à  ceux  qui  les 
«  réciteront  dévotement.  Le  rescrit,  signé  du  cardinal  Pa- 
«  trizzi,  est  du  21  août  1862. 

Le  Monde  ajoute  :  «  Les  litanies  dans  la  forme  approuvée 


Janv.  18G3.]  LITURGIE.  53 

et  que  la  Semaine  catholique  reproduit  ensuite,  avec  l'autorisa- 
«  tion  de  Mgr  l'évêque  de  Montauban,  sont  exactement  les 
«  mêmes  que  les  litanies  de  nos  livres  d'heures,  que  suit 
«  l'oraison  :  Domine  Jesu  Christe,  qui  dixisti:  Petite  et  accipie- 
«  lis,  etc.,  avec  l'addition  suivante  : 

«  Sancti  Nominis  tui,  Domine,  timorem  pariter  et  amorem 
«  fac  nos  habere  perpetuum  :  quia  nunquam  tua  guberna- 
«  tionedestituis,  quos  insoliditate  tuœdilectionisinstituis.  Per 
a  Dominum.  » 

2°  Le  21  octobre,  le  même  journal  publie  ce  second  article 
sur  le  même  sujet. 

a  Nous  avons  reproduit,  dans  notre  numéro  du  13  octobre, 
«  une  note  de  la  Semaine  catholique  de  Montauban,  annonçant 
o  qu'à  la  demande  d'un  très-grand  nombre  d'évêques,  la 
«  S,  Cungrégation  des  Rites  a  daigné  approuver  les  litanies 
«  du  saint  Nom  de  Jésus  avec  trois  cenis  jours  d'indulgence 
«  accordés  à  ceux  qui  les  réciteront  dévotement.  Un  respec- 
«  table  religieux  nous  écrit  pour  nous  dire  qu'en  ces  termes 
a  la  nouvelle  n'est  pas  complètement  exacte  et  pourrait  in- 
«  duire  en  erreur  beaucoup  de  fidèles.  Voici  comment  les 
a  choses  se  sont  passées. 

«  Lors  de  la  réunion  des  évêques  à  Rome  pour  la  solennité 
«  de  la  canonisation,  une  supplique  fut  signée  par  quatre- 
«  vingts  cardinaux,  archevêques  et  évèques  d'Europe,  d'Asie, 
«  d'Afrique  et  d'Amérique  pour  demander  l'approbation  dont 
«  il  s'iigit.  Le  Saint-Hère  répondit  à  cette  supplique  en  accor- 
«  dant  trois  cents  jours  d'indulgence  aux  fidèles  des  diocèses 
«  des  signataires  qui  réciteront  dévotement  ces  litanies.  La 
0  voie  est  donc  ouverte,  car  très-certainement  la  même  grâce 
«  sera  accordée  à  tous  les  autres  évèques,  vicaires  capitulaires 
«  et  chefs  d'ordre  ou  de  congrégation  qui  en  feront  la  de- 
«  mande.  » 

«  Parmi  les  signataires  de  la  supplique  se  trouvent  un  grand 
«  nombre  des  prélats  français. 


5i  LITUBGIE.  IToiieVlI. 

«  Gn  nous  prie  de  publier  ces  renseignements,  afin  que  Ton 
«  sache  qut^  les  indulgences  en  question  ne  peuvent  se  gagner 
a  que  dans  les  diocèses  pour  lesquels  on  les  a  demaudées.  » 

II. 

Nous  aurions  déjà  dû  donner  connaissance  de  cette  appro- 
bation. Elle  est  d'un  trop  haut  intérêt  pour  la  piété  des  fidèles 
et  trop  intimement  liée  avec  les  matières  traitées  dans  notre 
Revue  pour  que  sa  publication  puisse  souffrir  un  retard.  Mais 
avant  de  le  faire,  nous  avons  dû  éclaircir  quelques  points  dou- 
teux. 

1°  Ces  litanies,  dit  le  journal  le  Monde  dans  son  numéro  du 
13  novembre,  sont  exactement  les  mêmes  que  les  litanies  de  nos 
livres  d'heures.  Ce  n'est  pas  suffisant.  Les  litanies  du  saint 
Nom  de  Jésus,  en  effet,  ne  sont  pas  tout-à-fait  identiques  dans 
tous  les  livres  publiés  à  l'usage  des  fidèles.  Ou  remarque  dans 
certaius  livres  des  invocations  qui  ne  sont  pas  dans  d'autres. 
On  trouve  quelquefois  l'iavocation  Jesu  inspii^ator  prophetarum, 
qui  parait  avoir  été  insérée  uniquement  pour  faire  pendant  à 
l'invocation  Regina  prophetarum  des  litanies  de  la  sainte  Vierge. 
On  fait  la  même  remarque  sur  l'invocation  Jesu  rex  Patriar- 
charum.  Certains  livres  de  piété  contiennent  1  invocation  Ab 
omni  mulo,  omise  dans  d'autres.  Enfin,  le  Manuel  de  piété  à 
l'usage  des  séminaires  donne  les  deux  invocations  Jesu  gloria 
sacerdotum  et  Per  dulcissimam  Virginem  Mariam  matrem  tuam. 
La  première  fait  pendant  à  l'invocaiion  Regina  cleti,  qui  se 
trouve  dans  ce  Manuel  après  Regina  Virginum,  et  dont  aucun 
djcument  que  nous  connaissions  ne  prouve  la  légitimité,  .\vant 
de  parler  de  ces  litanies,  nous  devions  les  vérifier  et  les  donner 
en  entier.  Ce  point  est  fort  grave.  En  effet,  outre  que  toutes 
les  litanies  du  saint  Nom  de  Jésus  tant  soit  peu  différentes  de 
celles  indiquées  ci-après  sont  réprouvées  par  le   même  décret 

qui  enrichit  celles-ci  de  trois  cents  jours  d'indulgences  (1), 
(1)  Et  non  aiias  quascuinque  ab  eis  diversas,  quas  suprema  aucto- 
rilale  ouiniuo  abolevit. 


Janv.  1803.]  LITUHG1E.  53 

l' toutes  les  litanies  non  approuvées  sont  prohibées  par  les 
règles  de  l'Index,  comme  le  démontre  M.  l'abbé  Bouix  {Tract. 
de  Curia  romana,  p.  559).  Celles  dont  il  s'agit  ici,  quoique  non 
approuvées  jusqu'à  ce  jour,  pouvaient  seules  ne  pas  être  à 
l'Index  (Jb.,  p.  560  et  suiv.).  2°  Des  litanies  aux(]uelles  on 
aurait  ajouté  des  invocations  nouvelles  sans  autorisation  de 
la  part  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  seraient  par  con- 
séquent à  V Index,  et  les  livres  qui  les  contiennent  seraient  au 
nombre  des  livres  prohibés.  3°  Aussi  est-ce  en  vertu  d'un 
décret  spécial  de  S.  Pie  V  que  fut  ajoutée  aux  litanies  de  la 
sainte  Vierge  l'invocation  j4Mj:«7«Mm  christianorum,  comme  l'at- 
teste le  décret  qui  institue  pour  Rome  et  les  États  de  l'Egl  se  la 
fête  de  Noire-Dame  auxiliatrice  (Décret  du  16  septembre  1815, 
no4514).  C'est  également  par  l'autorité  du  Saint-Siège  que 
fut  ajoutée  l'invocation  Begina  sine  labeconcepta,  et  ces  autres  : 
Mater  immaculata,  Regxna  sanctissimi  Rosarii,  concédées  pour 
l'Espagne  seulement.  (Décrets  du  16  juillet  1675  et  du  12 
septembre  1766,  n°»  2741  et  4339.)  4°  Ces  additions,  d'ail- 
leurs, sont  positivement  réprouvées  par  la  Sacrée  Congréga- 
tion des  Rites.  Les  décisions  sont  trop  nombreuses  pour  pou- 
voir être  rapportées  en  entier,  surtout  dans  un  article  dont  le 
but  se  rapporte  aux  litanies  du  saint  Nom  de  Jésus  en  parti- 
culier. On  peut  les  trouver  dans  la  Collection  de  Garoellini 
sous  les  no«  374  ad  16,  583,  751,  894,  906,  932,  1212,  1410, 
1708,  1782,  1900,  1999,  2181,  2197,  2270,  3025  ad  3,  4578 
ad  8,  4857  ad  3.  La  Sacrée  Congrégation  tient  tellement  à 
l'intégrité  des  litanies  qu'elle  ne  permet  pas  de  les  abréger 
(Dé3ret  du  3  mars  1674,  n"  2581).  —  Toutes  ces  raisons  nous 
ont  obligé  d'attendre,  pour  parler  de  ces  litanies,  le  moment 
où  nous  pourrions  les  donner  dans  leur  entier  d'après  un  do- 
cument authentique.  Or,  comme  on  le  voit  ci-après,  les  lita- 
nies approuvées  contiennent  les  invocations  Jesu  rex  patriar- 
charum,  et  Abomnimalo;  mais  ou  n'y  trouve  ni  Jesu  inspirator 
prophetarum,  ni  Jesu  gloria  sacerdotum,  ni  Per  dulcissimam 
virginem  Mariam  matrem  tuam. 


î)6  LITURGIE.  ITomeVH. 

2°  On  ne  voit  pas  non  plus  très-clairement,  dans  les  articles 
cités  du  journal  Le  Monde,  si  l'oraison  Sancti  nominis  doit  rem- 
placer l'oraison  Domine  Jesu  Christe  ou  élre  ajoutée  à  celle-ci. 
On  aurait  pu  mettre  en  doute  encore  si  cette  oraison  était  pré- 
cédée ou  non  d'un  verset.  On  peut  se  demander  enfin  si  la  con- 
clusion de  l'oraison  Sancti  nominis  est  réellement  Pei^ Dominum 
ou  Qui  vivis\  enfin  si  l'indication  de  la  grande  conclusion  ne 
serait  pas  aussi  une  erreur.  Nous  pouvons  résoudre  tous  ces 
doutes  de  la  manière  suivante  :  l»  l'oraison  Sancti  nominis  doit 
être  ajoutée  à  l'oraison  Domine  Jesu  Christe,  "2°  ces  oraisons  ne 
sont  précédées  d'aucun  verset;  3°  la  conclusion  PerDominum, 
et  la  conclusion  Quivivis  sontégalementapplicables  à  l'oraison 
Sancti  nominis,  et  si  l'on  a  donné  la  première,  il  n'y  a  pas  de 
raisons  suffisantes  de  croire  que  ce  soit  par  erreur.  On  aura  pu, 
même  en  la  mettant  à  la  suite  des  litanies  du  saint  Nom  de 
Jésus,  ne  pas  vouloir  changer  le  sens  de  cette  oraison,  qui  est 
celle  du  deuxième  dimanche  après  la  Pentecôte.  4»  Quant  à  la 
conclusion  Per  Dominum,  elle  aura  pu,  sans  doute,  être  indi- 
quée par  méprise  :  une  erreur  de  ce  genre  est  possible.  Mais 
conclure  cette  ornisou  parla  grande  conclusion  n'est  pas  con- 
traire à  la  liturgie.  Il  peut  en  être  de  cette  conclusion  comme 
de  celle  de  la  dernière  des  oraisons  qui  suivent  les  litanies  des 
saints,  et  de  quelques  autres  qui  se  disent  en  dehors  de  la 
Messe  et  des  Offices. 


III. 


Nous  avons  donc  cru  devoir  nous  procurer  un  exemplaire 
des  litanies  du  saint  Nom  de  Jésus  telles  qu'elles  ont  été  ap- 
prouvées avec  le  décret  qui  accorde  trois  cents  jours  d'indul- 
gence aux  fidèle  du  diocèse.  La  pièce  suivante  nous  a  été  en- 
voyée de  Montauban,  signée  d'un  vicaire  générale!  munie  du 
sceau  de  l'évèché,  revêtue,  par  conséquent,  de  tous  les  ca- 
ractères d'authenticité. 


Janv.  1S6Ô.1 


LITURGIE. 


57 


LITANIE    SANCTISSIMI   NOMINIS   JESU. 


Kyrie  eleison. 

Clirisle  eleison. 

Kyrie  eleison. 

Jesu  auiti  nos. 

Jesu  exaudi  nos. 

Paier  de  cœlis,  Deus, 

Fili  redempior  muiidi,  Deus, 

Spiritus  sancle,  Deus, 

Sancia  Triniins,  unus  Deus, 

Jesu,  fili  Dei  vivi, 

Jesu,  splendor  Palris, 

Jesu,  oaiidor  lucis  aelernse, 

Jesu,  rex  gloriee, 

Jesu,  sol  jiistiliae, 

Jesu,  fili  IVlariae  virginis, 

Jesu  aiiiabiis, 

Jesu  aduiirabilis, 

Jesu,  Deus  forlis, 

Jesu,  paier  fuiuri  sœculi, 

Jesu,  magni  ronsitii  angele, 

Jesu  pouniissime, 

Jesu  pHiientis.^ime, 

Jesu  obt'diemiss  me, 

Jesu  miiis,  ei  huinilis  corde, 

Jesu,  amalor  caslilalis, 

Jesu,  amator  nos'ier, 

Jesu,  Deus  paris, 

Jesu,  aucior  viise, 

Jesu,  exernplar  virluUira, 

Jesu,  zelaior  animarum 

Jesu,  Deus  nosier, 

Jcsi,  refugiura  nostrum, 

Ji  Si,  paier  pauperum, 

Jisii,  iliesaurus  fidelium, 

Jesu,  boue  paslor, 

Jesu,  lux  vera, 

Jesu,  sapienliaœlerna, 

Jesu,  boniias  infinila, 

Jesu,  via  el  vila  nostra, 

Jesu,  gaudium  aogelorum, 


Jesu,  rex  patriarrharum, 

Jesu,  m^gisler  aposiolorum, 

Jesu,  docior  evangeliâtarum, 

Jesu,  loriiiudo  manyrum, 

Jesu,  Ionien  contessorum, 

J'  su,  puriias  virginum, 

Jesu,  corona  sanriorum  om- 
nium, 

Propilius  eslo,  parce  nobis  Jesu. 

Propilius  eslo,  exaudi  nos  Jesu. 

Ab  omni  malo, 

Ab  omni  peccato, 

Ab  ira  lua, 

Ab  insi'liis  diaboii, 

Aspirilu  fornicalionis, 

A  moile  perpelua, 

A  negleclu  inspiraiionum  tuarura 

Per  Miysleriutu  sanciee  lucarna- 
lionis  luae, 

Per  naliviiatcra  luara, 

Per  lofanliam  luam, 

Per  divinissirnam  vitam  luam, 

Per  labores  luos, 

Per  agoniam  el  passionem  luam,  ' 

Per  crucem  et  dereliclionem 
luam, 

Per  ianguores  luos, 

Periiiorlem  elsepulluramluam, 

Per  resurrectionera  luam, 

Per  asrensionem  luam, 

Per  gaudia  lua, 

Per  gioriam  luam, 

Agnus  DiM,  qui  lollis  peccala 
niundi,  parce  nobis,  Je.>u. 

Agnus  Dei,  qui  loilis  peccata 
mundi,  exaudi  nos,  Jesu. 

Aguus  Dei,  qui  toliis  peccala 
mundi,  miserere  nobis,  Jesu. 

Jesu,  audi  nos. 

Jesu.  exaudi  nos. 


OREMUS. 


Domine  Jesu  Christe,  qui  dixisti:  Petite,  et  accipietis,  quaerite,  et 
invenietis,  pulsate,  et  aperietur  vobis  :  qusesumus,  da  nobis  petenlibus 
divinissirai  tui  araoris  affectum,  ut  te  toto  corde,  ore,  et  opère  diliga- 
mus,  et  a  tua  nunquam  laude  cessemus. 

Sancti  nominis  tui.  Domine,  timorem  pariter  etamorem  fac  nos  halicre 
perpetuum:  quia  nunquam  tua  gubernatione  destituis,  quos  in  soliditate 
tuae  dilectionis  inslituis.  PerÛominum. 


58  LITURGIE.  [Tome  VII. 

Ces  litanies  ont  été  approuvées  pour  le  diocèse  de  JMoulau- 
ban  par  le  décret  suivant  : 

MoNTis  Albani. 

Praeter  litanias  illas  S3.  Nominis  Jesu,  quas  S.  R.  C.  ad  preces 
quorumdam  Episcoporum  et  principum,  piaesertim  Germanise,  prubari 
posse  rescripsit  die  14  aprilis  1646,  quatenus  summo  Poniifici  placuis- 
set,  successu  temporis  in  aliis  orbis  plagis  non  parum  di versas  a  pri- 
mis  inlucem  prodiere  litaniae  ejnsdem  SS.  Nominis  Jesu,  earumque  iisus 
adeo  diffusus  et  propagatus  est,  ut  absque  fideJium  offensione  el  scan- 
dalo  tolli  nequeat,  uti  S3.  D.  N.  Pio  Papae  IX  ingénue  exposucrunt 
permulti  exterarum  genlium  RRmi  antistites,  quorum  aliqui  cardinali- 
tia  etiam  dignitate  spectabiles,occasionesoIemnis  canonizationis  Romae 
degenles.  Etquoniam  eosdem  anlisiites  non  latebal  monumenla  deside- 
rari,  ex  quibus  deduci  possil  Summos  Romanes  Ponlificesabquandoad- 
probasse  Litanias  diversas  a  Lauretanis,  et  ab  illis  Breviarii  Romani,  nec 
recitanlibus  litanias  SS.  Nominis  Jesu  concessisse  nunquam  indulgen- 
tias,  quae  enunciantur  ;  hinc  ne  fidèles  in  errore  versentur,  eumdem 
SS.  D.  supplices  exoraverunt  ut  super  hoc  satis  gravi  negotio  de  Apo- 
sioiica  benignilate  opportune  providere  dignaretur,  ac  decernere  inler 
varias  Litanias  SS.  Nominis  Jesu,  quae  unice  recitari  possint,  easque 
sacris  indulgentiis  ditare.  Sanclitas  porro  Sua,  perpensis  exposilis  re- 
rum  adjunclis  ac  instante  inter  alios  RR.  D.  Jeanne  Maria  Doney  epi- 
scopo  Montis  Albani,  ad  relalionciii  infrascripti  S.  R.C.  secretarii,  in- 
duisit ut  fileles  utriusque  sexus  diœcesis  Montis  Albani  qui  supra  adno- 
tatas  litanias  de  SS.  noraine  Jesu,  et  non  alias  quascumque  ab  eis  diver- 
sas, quas  suprema  aucteritate  omnino  abolevit,  dévote  recitaverint, 
lucrari  valeant  induigentiam  trecentorum  dierum  in  forma  Eccîesiae 
consueta,  contrariis  non  obstantibus  quibuscumque.  Die  21  Augusti 
486-2. 

G.  Episc. Portuen.  et  S.  Rufmae  card.  Patrizzi  S.  R.C.  Praef. 
L.  S. 

D.  Bartolini  S.  R.  C.  Secretarius. 

Cette  pièce,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  estattesfëe  con- 
forme cl  l'original  par  un  de  MM.  les  vicaires-généraux  du 
diocèse  de  Montauban.  P.  R. 


UN  MOT 


SUR   QUELQUES   PROBLEMES    IMPORTANTS  DE    PHILOSOPHIE. 


Quoi  qu'il  en  dise,  M.  l'abbé  Gros  tient  décidément  à  sa  phi- 
losophie ! 

La  Revue  catholique  (l)  nous  apporte  aujourd'hui  un  petit 
factum  destiné  par  son  auteur  à  notre  usage  personnel  et  à 
l'éditicatioa  publique.  M.  Gros  veut  mettre  ses  lecteurs  à  même, 
dit-il^  de  juger  entre  lui  et  nous,  en  toute  connaissance  de  cause. 

Jusque  là,  point  de  difficulté. 

M.  Gros  entre  ensuite  en  matière  et  expose  sa  manière  de 
voir  sur  le  développement  naturel  de  l'àme.  Il  traite  successi- 
vement, en  dix  points,  des  substances  spirituelles  et  de  leurs 
propriétés,  de  Dieu  et  de  l'homme,  de  la  fécondation  de  l'âme,  de 
l'origine  des  idées  d'être,  de  substance^  de  cause,  de  l'universel, 
de  la  perception  des  qualités  sensibles,  et  d'autres  choses  sem- 
blables. 

Puisque  M.  Gros  tient  visiblement  à  nous  faire  parler,  il  nous 
permettra  bien  sans  doute  de  le  faire  en  toute  simplicité. 
Nous  lui  promettons  sincèrement  de  n'être  point  minutieux, 
et  de  n'avoir  en  vue  que  le  seul  intérêt  de  la  science  et  de  la 
bonne  philosophie. 

I. 

Donc,  quand  M.  Gros  parle  des  substances  spirituelles  et  de 
leurs  propriétés,  il  nous  dit  gravement  que  a  toutes  les  actions 

(1)  iNovembre  ^862,  p.  273-283. 


60  UN   MOT   SUR   QUELQUES   PROBLÈMES   IMPORTANTS        [Tome  VII. 

possibles  des  êtres  intellectuels  sont  exprimées  par  ces  trois  mots  : 
Pouvoir,  savoir,  vouloir;»  que  a  ces  actions,  différentes  entre 
elles,  supposent  trois  facultés  :  puissance,  intelligence,  amour  ou 
volonté.  » 

Cela  n'est  point  exact,  et  nous  pensons  que  M.  Gros  confond 
tout  simplement  l'acte  et  la  puissance  avec  les  notions  du 
concret  et  de  l'abstrait.  Car  enfin  pouvoir,  savoir,  vouloir  ne 
sont  point  des  actions:  ce  sont  les  termes  abstraits  de  puissance, 
d'intelligence  et  de  volonté,  traduits  en  termes  concrets. 

Mais  ceci  a  peu  d'importance,  et  sans  nous  y  arrêter  plus 
longtemps,  passons  droit  à  la  grande  question  de  la  fécondation 
de  rame.  Ici  M.  Cros  pénètre  plus  profondément  dans  sa  ma- 
tière, et  prend,  comme  il  convient  à  son  sujet,  un  ton  plus 
solennel,  a  Comment  expliquer,  dit-il,  le  passage  des  forces  vé- 
gétatives, sensitives  et  intellectuelles  de  l'homme  de  l'état  de  foyer 
à  celui  de  rayonnement?  Il  répond  en  renvoyant  à  ses  Etudes 
Cleitre  VI, n.  3),  que  Dieu  seul  peut  pénétrer  le  foyer  des  êtres 
spirituels  et  les "vivi fier;  que  les  créatures  atteignent  les  facultés 
sensitives,  et  frappent  à  coups  redoublés  à  la  porte  de  l'âme  intel- 
lect ive  ;  mais  en  vain,  etc.... 

Vraiment  M.  Gros  avait-il  bien  réfléclii  qu'il  s'exposait,  en 
écrivant  ces  lignes,  à  effacer  d'un  trait  de  plume  la  belle  liar- 
monie  que  les  facultés  de  l'âme  humaine  ont  entre  elles,  et  à 
introduire  deux  principes,  l'un  sensitif  et  l'autre  intellectif, 
contrairement  à  l'enseignement  catholique  et  à  l'unité  de  l'âme 
humaine  dans  chaque  individu? 

Nous  sommes  bien  convaincu  pour  notre  part  que  M.  Cros 
recule  devant  un  principe  qui  conduirait  si  visiblement  à  un 
abime.  Il  admet  comme  nous  que  l'âme  intellective  est  la 
forme  substantielle  du  corps  humain  ;  qu'un  seul  principe,  à  la 
fois  sensitif  et  intellectuel,  se  trouve  en  nous;  que  ce  qui  pense 
en  moi  et  raisonne,  si  vous  voulez,  sur  tel  théorème  de  géomé- 
trie ou  sur  telle  thèse  philosophique,  ne  diffère  pointde  cequi 
souffre  de  la  tête,  du  pied  ou  de  la  poitrine  !  Mais  si  M.  Gros 


Janv.  1S63.I  DB  PHILOSOPHIE.  6^ 

admet  comme  nous  celte  unité  de  principe,  pourquoi  n'admet- 
trait-il pas  aussi  qu'il  est  absurde  de  dire  que  «  les  créatures 
atteignent  les  facultés  sensitives,  qu'elles  frappent  à  coups  redou^ 
blés,  mais  en  vain,  à  la  porte  de  l'âme  intellective  F»  Donc,  à  quoi 
bon  cette  a  motion  imprimée  par  Dieu  au  fond  le  plus  intime  de 
notre  être  spirituel  ?ï>  Dieu  n'a-t-il  pas  abondamment  pourvu  à 
tontes  cboses  en  nous  donnant  cette  lumière  de  la  raison  qui 
réfléchit  les  images  sensibles,  et  que  S.  Thomas  appelle,  avec 
quelque  raison  sans  doute,  intellect  agent?  C'est  par  elle,  en 
efifet,"que  nous  connaissons  les  premiers  principes  d'où  l'on 
fait  ensuite  dériver  toutes  les  conséquences.  Nobis  est  quo- 
dammodo  omnis  scientia  originaliter  indita. 

Mais  non,  réplique  M.  Gros,  cette  lumière  de  notre  enten- 
dement n'est  point  ce  que  vous  croyez.  Elle  est  obscure  et 
ténébreuse.  A  la  bonne  heure  !  Une  lumière  ténébreuse  /Mais  com- 
ment M.  Gros  nous  expliquera-til  alors  ce  prodigieux  mystère 
d'une  Faculté  inerte  qui  respire,  d'un  œil  aveugle  qui  voit,  et 
d'une  lumière  ténébreuse  qui  éclaire  ?  Eh  bien,  le  voici  :  «  Notice 
être  spirituel,  dit-il,  possédait  la  lumière  en  puissance.  A  Dieu 
ne  plaise  que  nous  blâmions  M.  Gros  de  se  mettre  ainsi  en 
opposition  avec  saint  Thomas  sur  ce  point  ;  nous  ne  sommes 
plus  au  moyen-âge,  et  chacun  dispose  un  peu  de  ses  lumières 
et  de  ses  droits  -^omme  il  l'entend  !  Mais  M.  Gros  ne  sait  donc 
pas  que  la  puissance  passe  toujours  en  acte  par  la  seule  pré- 
sence de  sou  objet,  sans  avoir  besoin  de  rien  autre  chose  !  Et 
s'il  n'admet  point  ce  principe  élémentaire,  classique,  et  devenu 
en  queltiue  sorte  banal  à  force  d'être  vrai,  que  vient-il  nous 
parler  d'acte  et  de  puissance? 


II. 


Du  fait  mal  compris  que  les  forces  sensitives  se  développent 
en  nous  avant  les  facultés  intellectives,  M.  Gros  a  directement 
conclu  à  l'impression  divine,  a  Dans  ce  premier  acte,  dit-il, 


62  UN  MOT  SUK  QUELQUES  PROBLÈMES  IMPORTANTS  [Tome VII. 

elle  (notre  âme)  sent  intellectuellement,  mais  d'une  manière  très- 
confuse,  l'impression  de  Dieu  et  celle  des  objets  extérieurs,  et  ces 
iînpi^essions  lui  manifestent,  confusément  aussi.  Dieu  et  les  créa- 
tures qui  les  causent.  »  Sans  doute,  pour  la  manifestation  des 
créatures,  cela  est  vrai,  ainsi  que  le  sens  intime  nous  l'atteste. 
Mais  en  est-il  de  même  de  la  manifestation  de  Dieu,  même 
confuse?  Nous  ne  le  pensons  pas,  et  M.  Gros  se  trompe  quand 
il  admet  que  toute  cause,  de  quelque  manière  qu'elle  agisse 
sur  notre  âme,  devient  par  cela  même  objet  de  notre  connais- 
sance. Non,  cela  n'est  point  vrai.  Pour  que  notre  âme  connaisse 
quoi  que  ce  soit,  il  faut  que  ce  quelque  chose  se  présente  à 
elle  comme  objet  de  connaissance  :  Objiciatur  ei  in  ratione  ob- 
jecti.  En  effet,  si  nous  possédons  en  nous  certaines  capacités, 
certaines  facultés  ou  puissances  qui  agissent,  il  est  impossible 
de  prétendre  qu'elles  nous  sont  connues  autrement  que  par 
une  induction  qui  remonte  de  l'acte  à  la  puissance,  et  qui 
nous  la  présente  comme  objet  de  notre  pensée.  Donc,  en  sup- 
posant même  que  Dieu  agisse  sur  notre  âme,  notre  âme  ne 
connaîtra  point  Dieu  pour  cela.  Elle  saura  seulement  qu'une 
action  l'impressionne,  mais  elle  ne  saura  point  si  c'est  Dieu 
lui-même  ou  un  eflet  quelconque  de  l'action  divine. 

L'auteur  se  trompe  encore  un  peu  plus  loin  quand  il  dit  que 
notre  intellect  ne  voit  dans  les  choses  sensibles  que  du  parti- 
culier, du  relatif,  du  fini,  de  l'imparfait,  du  contingent,  du  va- 
riable,des  phénomènes  seulement.  Gomment  M.  Gros  peut-il  con- 
fondre la  connaissance  sensible  avec  la  connaissance  intellec- 
tuelle, ainsi  que  le  font  les  matérialistes,  dont  l'erreur  capitale 
est  de  ne  pas  distinguer  ces  deux  opérations  de  notre  âme  ?  Non, 
ce  qui  perçoit  le  particulier,  le  relatif,  les  qualités  extérieures 
des  choses,  ce  n'est  point  l'intellect,  c'est  le  sens  :  Sensus  per- 
cipit  singulare,  intellectus  universale.  Voyez  les  objets  sensibles 
qui  nous  environnent  :  ils  existent,  ils  ont  de  la  durée,  ils 
agissent,  ils  subsistent  en  eux-mêmes,  etc..  Tous  ces  objuts 
participent  donc  à  Tètre,  à  l'existence,  à  la  durée,  à  la  sub- 


Janv.  18C3.]  DE  PHILOSOPHIE.  63 

stauce,  à  Taction,  etc..  Eh  bien,  voilà  ce  que  l'intellect  aper- 
çoit. Il  étend  son  regard  au  delà  de  l'enveloppe  fragile  qui  re- 
couvre les  objets,  il  pénètre  dans  le  fond  intime  de  leur 
essence,  et  c'est  précisément  pour  cela  qu'on  l'appelle  m^e//ec^ 
{intus  legit).  Le  sens  ne  perçoit  pas  comme  l'intellect  la  quid- 
dité  des  choses,  la  substance,  l'universel.  Il  s'arrête,  lui,  aux 
accidents  extérieurs  qui  sont  particuliers,  relatifs,  finis,  impar- 
faits, contingents,  variables,  phénomènes  seulement. 

A  la  page  suivante,  M.  Gros  dit  que  le  particulier  devient 
universel;  le  relatif,  absolu;  le  contingent ,  nécessaire;  le  te  m- 
porel,  éternel;  etc.,  etc.  Nous  aimons  à  croire  qu'il  a  seulement 
.voulu  dire  par  là  que  nous  montons  du  particulier  à  l'univer- 
sel, du  relatif  à  l'absolu.  En  ce  sens,  il  aurait  facilement  rai- 
son. 

III. 

Cependant,  un  peu  plus  loin,  en  discourant  sur  l'universel, 
M.  Gros  ajoute  :  «  [Jn  seul  fait  suffit  pour  que  nous  nous  élevions 
à  l'universel.  Par  cela  seul  que  nous  voyons  un  être,  un  rapport 
quelconque,  nous  concevons  une  infinité  d'êtres,  de  rapports  sem- 
blables comme  possibles.  »  Gertes,  nous  eussions  pensé  que 
M.  Gros  se  rendait  mieux  compte  de  la  manière  dont  se  forme 
l'idée  universelle.  Si,  pour  arriver  à  l'universel,  il  fallait, 
comme  il  le  prétend,  concevoir  une  infinité  d'êtres  pos- 
sibles, le  moment  serait  venu,  ce  nous  semble,  d'en  prendre 
humblement  sou  parti  et  de  renoncer  à  tout  jamais  à  l'intelli- 
gence de  Tuniversel.  Comment  s'y  prendre,  en  effet,  pour  con- 
cevoir comme  possibles  une  infinités  d'êtres  et  de  rapports 
semblables,  si  l'on  n'avait  préalablement  acquis  l'idée  univer- 
selle des  êtres  possibles?  En  vérité,  cela  nous  semble  fort  dif- 
ficile !  De  plus,  si  par  hasard  l'idée  de  rapport  était  par  elle- 
même  une  idée  universelle,  serait-il  en  réalité  bien  nécessaire 
de  concevoir  une  infinité  de  rapports  possibles  pour  arriver  à 
l'universel,  et  ne  suffirait-il  pas  pour  cela  à  notre  intellect  de 
faire  simplement  abstraction  de  toutes  les  notes  particulières 


64  UN  MOT  SUR  QUELQUES  PROBLÈMES  IMPORTANTS         |TomeVII. 

de  l'objet  pour  le  considérer  en  soi,  en  dehors  de  ses  accidents? 
M.  Gros  dit  aussi  que  les  idées  de  substance ,  de  cause,  d'unité,  etc. 
en  tanl  que  particulières^  ne  sont  perçues  que  dans  l'âme  intellec- 
tive.  Mais,  chose  étonnante  !  pourquoi  donc  notre  entendement 
ne  pourrait-il  pas  percevoir  toutes  les  idées  dans  les  objets 
extérieurs?  Est-ce  que  les  objets  extérieurs  ne  sont  pas  eux- 
mêmes  substance  et  cause?  N'ont-ils  pas  aussi  pour  apanage 
l'unité,  l'existence,  la  durée,  la  limite,  l'ordre,  la  beauté,  etc  ? 
«  Partout  ailleurs,  poursuit  iM.  Gros,  nous  admettons  ces  idées 
par  application  des  principes  universels.  Ceux-ci  ont  donc  pré- 
cédé.* Certes,  nous  sommes  étonné  de  voir  M.  Gros  confondre 
ainM  l'universel  méta|>hysique  avec  l'universel  logique  ou  ré- 
flexe. L'universel  métaphysique,  M.  Gros  ne  peut  l'ignorer, 
s'obtient  par  la  seule  lumière  de  la  raison,  que  saint  Thomas 
appelle  toujours  intellect  agent,  et  que  nous  désignerons  sans 
scrupule  par  toute  autre    appellation    qui   nous  conviendra 
mieux.  JNlais  cet  universel  métaphysique  n'exige  nullement 
que  nous  ayons  la  connaissance  des  principes  universels;  et 
M.  Gros  doit  savoir  qu'une  telle  connaissance  n'est  requise 
que  pour  la  formation  de  l'universel  réflexe,  comme  si  l'on 
Voulait,  par  exemple,  en  physique,  généraliser  un  principe 
quelconque  d'après  les  faits  particuliers  qu'on  aurait  recueillis. 

IV. 
Nous  n'aimons  pas  non  plus  que  M.  Gros  dise  que  Vimpres- 
sion  divine  nous  représente  l'éternité,  la  perfection,  l'infinité,  en 
'  un  mot,  les  attributs  de  Dieu.  Gette  question  est  grave  et  aurait 
besoin  d'être  étudiée  à  fond;  car  si  la  thèse  ainsi  énoncée  était 
véritable,  cette  impression  divine  existerait  apparemment  en 
notre  âme  depuis  que  notre  âme  elle-même  existe,  ou  depuis 
qu'elle  a  conscience  d'elle-même.  Cependant  ce  n'est  que  bien 
tard  pour  l'ordinaire,  ce  nous  semble,  à  la  suite  de  bien  des 
labeurs  et  après  bien  des  réflexions,  que  nous  arrivons  à  cet 
heureux  résultat  que  M.  Gros  estime  si  naturel  et  si  ai.-^é  ! 
Entin  cette  impression  divine,  eu  toute  hypothèse,  ne  pourrait 


Janv   1863.)  DE  PHILOSOPHIE.  65 

être  qu'un  effet  produit  par  Dieu  et  capable,  tout  au  plus,  de 
nous  conduire  à  sa  connaissance,  à  la  façon  de  tant  d'autres 
choses  qui  sont,  elles  aussi,  des  effets  de  Taction  divine. 

C'est  en  ce  sens,  croyons-nous,  qu'il  faut  entendre  les  textes 
de  saint  Augustin  et  de  saint  Paul,  parlant  l'un  et  l'autre  des 
êtres  visibles  capables  de  nous  conduire  à  la  connaissance  de 
Dieu,  sans  qu'ils  fassent  aucune  mention  de  cette  action  divine 
dont  il  s'agit,  et  que  nous  regardons  tout  simplement  comme 
un  effet  de  l'imagination  des  philosophes. 

Enfin,  M.  Gros  invite  notre  âme  à  détourner  son  regard  des 
choses  créées f  non  pas  tout-à-fait,  mais  à  moitié,  et  à  se  tourner 
vers  le  foyer  de  la  lumière,  là  oie  réside  l' immuable  vérité  {Dieu 
vivifiant  et  excitant  l'âme). 

Ceci  encore  est  bien  étrange  !  M.  Gros  n'avait-il  pas  dit  en 
commençant  que  le  foyer  de  la  lumière,  c'est  le  fond  le  plus  in- 
time de  notre  être  spirituel?  Dieu  réside  donc  au  fond  de  notre 
être,  non  comme  il  est  partout  ailleurs,  par  riramensité  de 
son  être  et  de  sa  puissance,  per  scientiam,  potentiam  et  essen- 
^«arw;  car  évidemment  M.  Gros  veut  parler  ici  d'une  manière 
de  résider  particulière  de  l'immuable  vérité.  Mais  pourquoi 
donc  s'en  va-t-il  ensuite  transformer  cette  immuable  vérité 
dans  l'idée  de  Dieu,  pour  que  le  particulier  devienne  universel, 
le  relatif,  absolu,  etc. 


Ce  n'est  pas  tout  !  et  M.  Gros  ne  peut  pas  nous  savoir  mau- 
vais gré  de  signaler  encore  deux  ou  trois  passages  à  nos  lec- 
teurs, avant  de  finir. 

a  Tout  étant  à  l'image  de  Dieu,  dit-il,  tout  réveille  quelque  sens 
du  modèle.  »  Parler  ainsi,  c'est  confondre  la  cojinaissance  d'un 
objet  qui  est  image  avec  un  objet  connu  comme  image.  Ce  sont 
deux  notions  tout-à-fait  différentes. 

Puis  il  continue  en  disant  que  l'idéal  de  la  créature  revêtu 
d'un  caractère  d'universalité,  nous  paraît  nécessaii^e,  immuable, 
IlEV'UE  nss  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vu,  b-6. 


66  UN  MOT  SUR  QUELQ.  PROBLÈMES  DE  PHILOSOPHIE.      [Tome  VIU 

absolu,  éternel,  mais  il  ne  nous  paraît  pas  infiniment  parfaite 
Mais  non  !  l'idéal  de  la  créature,  même  revêtu  d'un  caractère 
d'universalité,  ne  sera  jamais  que  contingent,  relatif,  tempo- 
rel.... par  la  même  raison  absolument  que  vous  apportez  vous- 
même  pour  prouver  qu'il  ue  sera  jamais  infiniment  parfait, 
c'est-à-dire  qu'il  sera  toujours  relativement  imparfait. 

Quand  I\i.  Gros  veut  ensuite  nous  rendre  compte  de  certaines 
expressions  des  docteurs  catholiques  qui  voient  les  choses  en 
Dieu,  il  dit  que  le  moyen  de  les  concilier  avec  eux-mêmes  est 
de  savoir  saisir  leur  pensée,  puis  il  ajoute  que  cette  pensée 
si  peu  comprise,  il  croit  l'avoir  saisie.  C'est  bien,  mais  noiis 
avouons  très-humblement  que  nous  ne  voyons  pas  ce  qu'il 
peut  avoir  saisi.  Nous  savons  seulement  que  les  docteurs 
catholiques  invoqués  par  lui  ne  forment  point  le  sénat  tout 
entier  des  docteurs  catholiques.  Il  en  est  d'autres,  et  en 
grand  nombre,  qui  réfutent  et  contredisent  ex  professa  ce 
système.  Cependant  M.  Gros  nous  affirme  que  les  docteurs 
catholiques  en  question  admettent  que  la  lumière  naturelle  de 
la  raison  devient  lumineuse  par  la  motion  de  Dieu.  Or,  tant 
que  cette  assertion  n'est  pas  prouvée,  il  nous  est  permis  de  la 
traiter  comme  une  assertion  sans  preuve,  qui  pourra  bi'm  ser- 
vir au  besoin  d'un  système,  mais  qui  ne  permet  au  fond  de 
rien  saisir. 

Enfin,  à  propos  de  la  perception  extérieure,  M.  Gros  fait  in- 
tervenir le  principe  de  causalité  !  M.  Gros  ne  regarde  donc 
point  la  perception  des  corps  comme  immédiate? C'est  un  tort, 
car  l'expérience  jourualière  de  tous  les  hommes  est  ici  mani- 
festement contre  lui. 

Au  surplus,  si  M.  Gros  avait  raison,  il  faudrait  en  conclure 
que  nous  avons  la  connaissance  d'une  cause  eu  général,  mais 
non  point  que  nous  connaissons  tel  objet  eu  particulier. 

M.  Gros  conclut  eu  disant:  a  Tels  sont  nos  préliminaires.  » 
Nous  attendons  ce  qui  va  suivre. 

P.  P.  Armand. 


LA  VIE  INTELLECTUELLE 

EN  PROVINCE. 


Déjà,  beaucoup  de  bons  esprits  se  sont  élevés  contre  cette 
absorption  effrayante  des  forces  vives  de  la  France  qui  les  fait 
refluer  toutes  vers  la  capitale.  Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  trai- 
ter la  question  dans  son  ensemble.  Mais  du  moins  nous  ne 
cesserons  de  protester  contre  le  monopole  que  Paris  s'adjuge 
par  rapporta  la  science  et  à  l'enseignement;  nous  ne  cesserons 
d'engager  la  province  à  secouer  le  joug  humiliant  que  les  pré- 
jugés lui  imposent.  Ici,  la  réforme  est  plus  facile  que  sur  tout 
autre  point  :  elle  dépend  presque  en  entier  de  notre  initiative 
et  de  nos  efforts  persévérants.  Et  pourtant  quels  résultats  amè- 
nerait cette  résurrection  à  la  vie  scientifique  !  Quels  remèdes 
sortiraient  de  là  pour  les  plaies  d'une  société  qui  se  perd  par 
la  corruption  du  cœur  et  de  l'esprit,  par  la  soif  des  ricliesses  et 
des  plaisirs,  par  l'abaissement  des  caractères  et  la  prépondé- 
rance des  instincts  sensuels? 

Le  clergé  peut  contribuer  à  ce  résultat  dans  une  laro^e 
mesure,  en  réorganisant  la  science  théologique.  Que  de  talents 
remarquables  à  consacrer  à  cette  grande  œuvre,  s'il  y  avait 
une  direction  et  une  impulsion  en  ce  sens  !  Que  de  loisirs  à 
occuper  d'une  manière  utile  !  En  Allemagne,  où  les  prêtres  ne 
sont  pas  plus  nombreux,  et  oii  le  ministère  est  plus  occupé 
que  dans  la  plupart  de  nos  diocèses,  la  théologie  catholique 
tient  sa  place  avec  honneur  dans  le  mouvement  de  l'époque.  Il 
faut  que  nous  en  arrivions  là.  Le  clergé  faillirait  a  sa  mission 
d'une  manière  bien  triste,  s'il  abandonnait  le  dépôt  sacré  de 
nos  croyances  à  ce  courant  d'idées  et  de  doctrines  qui  les  bat 
perpétuellement  en  brèche. 

Au  milieu  d'une  indifférence  et  d'une  apathie,  hélas  !  bien 


68  LA   VIE  INTELLECTUELLE  [ToiiieVK 

communes  parmi  les  prêtres  comme  parmi  les  laïques,  on  est 
heureux  de  saisir  quelquefois  un  symptôme  de  retour  à  la  vie. 
C'est  à  ce  litre  que  nous  saluons  un  livre  que  nous  regrettons 
de  n'avoir  pas  connu  plus  tôt,  un  livre  plein  de  faits  etd'uiiles 
remarques,  un  livre  qui  respire  partout  l'enthousiasme  des  gran- 
des et  nobleschoses.il  est  intitutilé  :  Décentralisation  intellec- 
tuelle, par  Adrien  Peladan  (1). 

L'auteur  de  cet  écrit  est  un  vétéran  de  la  presse  catholique. 
Il  a  surtout  attaché  son  nom  à  un  recueil  hebdomadaire  qu'il 
publie  à  Lyon  depuis  plusieurs  années,  la  France  littéraire,  ar- 
tistique, scientifique.  Organe  de  la  décentralisation  intellec- 
tuelle (2).  Cette  Revue  est  rédigée  avec  talent  et  dans  le  meilleur 
esprit.  Elle  fait  une  guerre  acharnée  à  toutes  les  erreurs,  à 
toutes  les  platitudes,  à  toutes  les  infamies  de  l'époque  :  elle 
cherche  à  réveiller  dans  les  cœurs  le  culte  du  beau  et  du 
bien.  A  ceux  qui  prétendent  que  la  poésie  est  morte  et  qu'elle 
a  fait  son  temps,  nous  conseillons  d'ouvrir  la  France  littéraire  : 
ils  y  trouveront  tantôt  de  gracieuses  et  suaves  mélodies,  tan- 
tôt des  accents  énergiques,  échos  d'une  conscience  indignée. 
Toutefois,  si  la  poésie  se  montre  assez  souvent,  c'est,  on  le  con- 
çoit, la  prose  qui  domine.  La  Revue  lyonnaise  publie  des 
articles  de  critique  et  d'histoire  littéraire,  des  nouvelles,  des 
légendes,  même  des  articles  de  discussion  religieuse,  histori- 
que ou  philosophi|ue.  C'est  une  des  lectures  les  plus  in- 
téi^essantes  et  les  plus  utiles  que  l'on  puisse  conseiller  aux  gens 
du  monde. 

Revenons  à  la  Décentralisation  intellectuelle.  Ce  livre  se  com- 
pose de  deux  parties  bien  distinctes  :  l'une  historique,  où  les 
gloires  intellectuelles  de  nos  villes  de  France  se  déroulent  sous 
nos  yeux  comme  une  éloquente  leçon  ;  l'autre,  d'un  caractère 
plus  didactique,  examine  notre   état  présent  sous  toutes  ses 

{])  Paris  et  Lyon,  1860.  Ia-42  de  304  pp. 

(2)  Il  [araîl  tous  les  samedis  un  numéro  de  -16  pages  gr.  in-8o  à 
deux  colonnes.  Prix  :  10  fr.  par  an.  Bureaux  à  Lyon,  rue  Sainle- 
Helène,  23. 


Janv    1803.1  "^N    PROVINCE-  69 

faces  et  cherche  les  moyens  d'y  remédier.  Bornons-nous  à  re- 
lever, d'après  M.  Peladau,  quelques  traits  de  la  physionomie 
du  siècle,  et  à  enregistrer  quelques  unes  de  ses  réflexions 
en  y  joignant  les  nôtres. 

L'éditeur  est  une  puissance  toute  nouvelle,  mais  dont  il  est 
impossible  de  contester  l'importance  :  c'est  l'intermédiaire 
obligé  entre  le  public  et  l'auteur.  Or,  qu'est-il  en  général?  Un 
négociant,  ni  plus  ni  moins,  vendant  des  livres  comme 
d'autres  venJent  du  sucre  et  de  la  cannelle,  se  souciant  fort 
peu  de  la  science  et  de  la  littérature,  mesurant  la  valeur  des 
ouvrages  par  leur  succès  mercantile,  et  spéculant  trop  souvent 
sur  les  plus  honteuses  passions  du  cœur  humain.  Il  y  a  ^îes 
exceptions  sans  doute,  mais  il  est  douloureux  de  constater 
qu'elles  sont  loin  d'être  la  règle.  La  spéculation  a  tout  en- 
vahi. Nous  sera-t-il  permis  d'ajouter  que  parmi  les  éditeurs 
religieux  eux-mêmes,  parmi  ceux  qui  possèdent  la  confiance 
du  clergé,  il  en  est  qui  cultivent  la  littérature  de  commande, 
à  tant  la  toise  ou  le  mètre,  et  qu'il  se  trouve  des  manœuvres 
pour  les  servir,  comme  il  y  en  a  d'autres  pour  alimenter  les 
presses  d'où  sort  chaque  jour  le  flot  boueux  de  la  littératui'e  à 
bon  marché  ?  La  spéculation  ici  change  de  nature,  mais  si  elle 
exerce  une  action  en  fin  de  compte  moins  désastreuse,  croit- 
on  cependant  qu'elle  serve  les  intérêts  de  la  science  et  de  la 
religion?  Il  est  temps  que  le  clergé  cesse  d'être  la  dupe  des 
promes?es  de  prospectus,  et  de  commis-voyageurs  en  librairie. 
Alors,  de  pitoyables  productions  ne  viendront  plus  usurper 
dans  nos  bibliothèques  la  place  des  livres  sérieux.  On  verra 
disparaître  ces  procédés  faciles  de  composition,  dignes  du 
siècle  de  la  vapeur  et  les  chemins  de  fer. 

M,  Peladan  fait  remarquer  avec  raison  que  jusqu'à  la  Révo- 
lution française,  la  librairie  eut  en  province  des  centres  impor- 
tants. Mais  quand  le  régime  nouveau  introduit  à  la  suite  de 
nos  bouleversements  politiques  eut  privé  les  départements  de 
toutes  leurs  prérogatives,   l'éditeur  parisien  sut  profiter   des 


;0  LA    VIE   INTELLECTUELLE  [Tome  VU. 

tendances  à  l'ordre  du  jour  pour  se  créer  un  monopole  inouï. 
Dès  lors,  «  rexécutiou  intel'iectuelle  de  la  province  était  signée, 
il  n'y  aurait  désormais  qu'un  écrit  fait  à  Paris,  venant  de 
Paris,  ([ui  aurait  de  la  réputation  et  du  succès  (p.  226).  »  Tou- 
tefois, l'arrêt  n'a  de  valeur  qu'autant  que  nous  le  ratifions 
nous-mêmes,  et  c'est  là  ce  qui  nous  rend  inexcusables  d'en 
avoir  subi  jusqu'à  présent  les  conséquences.  Beaucoup  de 
livres  mis  en  vente  à  Paris  sont  composés  et  imprimés  dans  les 
départements  :  pourquoi  ne  pourraient-ils  point  se  passer  du 
{:\x  certificat  d'origine  avec  lequel  ils  nous  reviennent  ensuite 
delà  ca[)itale?  D'ailleurs,  si  le  commerce  des  livres  doit  se 
centraliser  à  Paris,  u'cst-il  pas  facile  aux  éditeurs  de  province 
d'y  établir  un  comptoir  commun  qui  leur  permettra  d'écou- 
ler et  d'échanger  réciproquement  leurs  produits,  à  peu  près 
comme  les  libraires  allemands  le  font  à  Leipzig  ?  Ce  serait  le 
moyen  de  s'aS'ranchir  de  l'intermédiaire  si  dispendieux  des 
éditeurs  parisiens;  Il  faudrait  aussi,  comme  organe  central, 
un  bulletin  bildiographique  rédigé  avec  soin  par  des  hommes 
capables  et  impartiaux,  paraissant  à  des  intervalles  assez  rap- 
prochés et  pour  un  prix  modique  qui  en  facilitât  la  grande  dif- 
fusion. Ainsi,  les  livres,  en  quelque  endroit  qu'ils  parussent, 
seraient  immédiatement  signalés  à  l'attention  du  public.  Le 
meilleur  modèle  à  suivre  ici  serait  V Handiveiser  allemand, 
dont  nous  avons  eu  occasion  de  parler  plus  d'une  fois.  Il  y  a 
bien  eu  des  essais,  mais  aucun  ne  se  trouve  dans  les  condi- 
tions nécessaires  pour  réussir. 

L'association  est  une  force  aujourd'hui  bien  puissante.  11 
serait  bon  de  s'en  servir  pour  aider  les  publications  d'un 
canictère  sérieux,  les  travaux  scientifiques,  comme  on  l'a  fait 
avec  succès  pour  les  livres  populaires.  En  outre,  il  y  a  des 
j.ersounes  riches  qui  pourraient  faire  beaucoup,  si  leurs  idées 
se  tournaient  de  ce  côté  :  on  consacre  souvent  des  sommes 
considérables  à  des  œuvres  bien  moins  importantes.  Il  ne 
suffit  pas  de  s'occuper  du   peuple.  Si  les  classes  éclairées  s'é- 


Janv.  1863.]  EN   PROVINCE.  71 

loignent  de  christianisûie,  elles  entraîneront  inévilablement 
avec  elles  tout  ce  qui  se  meut  dans  leur  orbite.  Si  nous  aban- 
donnons le  terrain  de  la  science,  n'espérons  pas  conserver 
celui  de  la  vie  pratique. 

Les  publications  populaires  et  surtout  les  livres  destinés  à 
la  jeunesse  sont  édités  en  grand  nombre  dans  la  province.  Ce 
n'est  donc  pas  un  terrain  nouveau  à  conquérir  :  il  suffit  de 
conserver  la  position  et  d'en  tirer  tout  le  parti  possible.  Pour 
cela,  il  reste  beaucoup  à  faire.  Laissons  parler  M.  Peladan  : 

«  Plusieurs  villes  comme  Tours,  Lille,  Limoges,  ont  de 
vastes  imprimeries  d'où  sortent,  il  est  vrai,  des  avalanches  de 
livres  à  l'usage  des  collèges,  des  institutions,  des  gens  du 
monde.  Il  existe  là  une  pensée  féconde  en  bons  résultats;  mais 
lorsque  Ton  considère  les  œuvres  venues  de  ces  presses  et 
celles  qui  pourraient  les  remplacer  utilement,  on  reconnaît 
que  ces  établissements  importants  auraient  une  autre  portée 
à  atteindre.  Il  est  nécessaire  d'avoir  des  livres  pour  l'enfance, 
sans  doute  ;  mais  est-ce  à  dire  que  la  jeunesse  n'ait  pas  be- 
soin d'ouvrage?  plus  sérieux,  dans  les  classes  supérieures 
surtout,  et  ne  pourrait-on  pas  songer  à  rendre  les  livres  dis- 
tribués propres  à  tous  les  âges,  et  avoir  un  vue  les  familles 
aussi  bien  que  les  élèves?  Dès-lors,  trêve  à  cette  multiplicité 
de  fadeurs  littéraires  et  place  à  des  travaux  bien  cboisis,  plus 
fortement  faits.  Pourquoi  ne  pas  accepter  une  foule  de  pré- 
cieux volumes  qui  restent  en  portefeuille,  que  l'on  imprime 
pour  ne  pas  les  vendre  toujours,  à  cause  de  l'indifférence  à  la 
fois  de  nos  libraires,  du  public,  el  de  Paris  qui  a  ses  attitrés? 
Ici  encore  nous  ne  faisons  qu'indiquer  un  progrès,  laissant  à 
cbacun  le  soin  d'eu  déduire  les  avantages  dans  leur  plénitude: 
ils  seraient  proJigienx  si  l'on  s'en  occupait. 

«  Le  mot  de  propagande  de  bons  livres  vient  de  lui-même  à 
la  pensée,  par  suite  de  ce  qui  précède.  A  combien  de  person- 
nages bonorables  ne  pourrions-nous  pas  nous  adresser  ici  et 
leur  exprimer  des  vœux  dont  l'accomplissement  serait  une 


72  LA   VIE   INTELLECTUELLE  [Tome  VII. 

abondante  moisson  pour  le  bien  !  Que  de  bonnes,  de  solides 
publications  seraient  de  nature  à  être  recommandées  au  clergé, 
aux  écoles,  aux  institutions,  aux  collèges,  aux  familles  !  Que 
d'iuuliliiés  à  laisser  là,  pour  les  remplacer  par  des  écrits  qui 
produiraient  des  fruits  !  Qu'est-ce  qu'un  ouvrage  qui  ne  donne 
aucun  mauvais  résultat,  mais  qui  ne  profile  pas  non  plus  à  la 
morale,  à  la  foi,  à  l'action  restauratrice?  Jusques  à  quand 
s'engourdira-t-on  dans  une  somnolence  qui  nous  trahit  et 
nous  ménage  la  mort?  Ne  sait-on  pas  assez  que  la  presse  dé- 
m  >ralisatrice  a  tout  sapé,  tout  miné  ;  que  les  populations 
sont  sans  croyances  ou  à  peu  près  et  que  ces  dévastations  ont 
eu  pour  agent  principal  les  journaux  et  les  livres  ?  Ne  serait- 
il  pas  temps  d'aviser  par  de  sages  mesures  et  de  prévenir  les 
cataclysmes  sociaux  dont  on  entend  au  loin  les  bruits  avant- 
coureurs?  Allons  !  vous  qui  avez  de  l'action  sur  tels  et  tels  ; 
vous  qui  par  position,  par  étal,  par  dignité,  savez,  voyez,  pou- 
vez :  de  côté  les  mièvreries  sans  force,  les  errements  suivis 
sans  profit  pour  l'œuvre  de  Dieu;  stimulez, rejetez,  choisissez, 
agissez,  et  qu'enfin  une  action  puissante  s'introduise  dans  le 
monde  intellectuel  et  sauve  une  société  qui  agonise  dans  sa 
vie  morale  (p.  287  s.).  » 

Le  journal  est  une  puissance  plus  grande  encore  que  le 
livre,  parce  qu'elle  s'adresse  â  un  nombre  plus  considérable 
de  lecteurs,  et  qu'elle  opère  d'une  façon  plus  continue.  Au- 
jourd'hui, tout  le  monde  lit  les  journaux,  c'est  une  habitude 
que  l'on  ne  changera  pas  ;  il  faut  donc  Tutiliser  à  notre  profit, 
car  autrement  elle  se  tournera  contre  nous.  «  Le  journal  a 
produit  plus  de  mal  que  de  bien,  cela  est  incontestable;  mais 
la  faute  en  est  au  public  et  la  responsabilité  aux  publicistes. 
Le  jour  où  on  le  voudra,  la  presse  périodique  rachètera  ses 
torts,  et  s'élèvera  véritablement  à  cette  hauteur  de  mission 
qui  est  la  sienne  dans  une  civilisation  avancée  (p.  230  s.).  » 

Cette  question,  pour  être  traitée  selon  son  importance,  de- 
manderait un  volume.  L'auteur  de  la  Décentralisation  inteclle- 


Janv.  1803.1  E"*   PROYIJÎCE.  73 

tuelle,  dans  les  quelques  pages  qu'il  lui  consacre,  a  d'excellentes 
vues  sur  les  moyens  propres  à  élever  le  journalisme  à  la  hauteur 
de  sa  mission.  Celai  qui  prend  la  plume  pour  écrire  dans  un 
journal  doit  être  un  homme  rérieux,  ayant  des  convictions, 
un  symbole,  une  conscience  :  il  faut  aussi  qu'il  ait  une  instruc- 
tion suffisante,  et  qu'il  approfondisse  les  sujets  qu'il  traite. 

«  N'est-ce  pas  ici  le  lieu,  ajoute  M.  Peladan,  de  s'élever 
contre  la  mauvaise  coutume  de  laisser  un  organe  de  publicité 
à  la  fécondité  d'un  petit  nombre  de  rédacteurs  et  quelquefois 
d'un  seul  ?  Ne  faut-il  pas  reconnaître  sous  cette  façon  d'agir, 
quelque  coterie,  quelque  vue  étroite,  la  volonté  de  modifier 
son  langage  selon  que  l'exige  l'intérêt  du  moment,  la  crainte 
d'être  distancé  par  la  valeur  d'autrui,  le  parti-pris  d'être  mo- 
notone et  de  n'avoir  pas  le  temps  <Ie  se  retremper  dans  l'étude 
pour  ne  pas  se  répéter  et  pour  bien  exposer  ce  que  l'on  a  à  dire? 

«Pour  la  province,  il  suffirait  d'une  direction  éclairée,  ferme, 
s'appuyant  sur  un  programme  bien  dessiné,  pour  que  tous  les 
bons  esprits  d'un  et  de  plusieurs  départements  pussent  con- 
courir à  la  rédaction  d'un  journal.  C'est  alors  que  cet  organe 
deviendrait  réellement  sérieux,  varié,  intéressant,  utile.  C'est 
alors  que  finirait  pour  les  villes  autres  que  Paris,  cette  rédac- 
tion anormale  se  composant  de  morceaux  de  rapport,  de  va- 
riétés, de  feuilletons  empruntés  à  certains  bureaux  d'esprit 
qui  existent  dans  la  capitale,  et  auxquels  il  ne  faudrait  prendre 
que  certains  renseignements  généraux,  des  notes  utiles  pour 
les  chroniques  ou  les  articles  courants,  finalement  certaines 
correspondances. 

«  Il  n'y  aura  de  province  intellectuelle  émancipée  que  le  jour 
où  celle-ci  rompra  avec  le  monopole  parisien,  avec  cette  ré- 
daction toute  faite  qui  vient  des  rives  de  la  Seine  et  dont  nous 
savons  parfois  l'audace,  souvent  la  viduité. 

oPour  les  journaux  de  Paris,  ces  autocrates  de  la  discussion 
et  de  la  littérature,  il  serait  bien  temps  aussi  de  les  arracher 
à  la  manipulation  de  quelques  prébendiers  et  de  leur  donner 


74  LA  VIE    INTELLECTLELLE  [Tome  VII. 

une  vie  qu'ils  n'ont  pas,  en  laissant  venir  à  eux  toutes  les  bonnes 
productions  des  divers  points  du  territoire,  et  en  groupant 
autour  de  chacun  de  ces  grands  organes  autant  de  penseurs  et 
de  littérateurs  qu'il  se  pourrait.  Il  y  aurait  beaucoup  à  refuser 
dans  ce  cas,  et  il  faudrait  froisser  plus  d'une  susceptibilité. 
Est-ce  qu'une  forte  ilirectiou  s'arrête  à  une  difficulté  aussi 
puérile?  Alors  peut-être  les  journaux,  certains  du  moins,  cesse- 
raient d'être  une  exploitation,  une  affaire  «le  capitaux  et  de 
boursiers,  et  ils  deviendraient  des  tribunes  d'où  la  sagesse  et 
la  vérité  descendraient  pour  l'instruction  des  peuples  et  pour 
la  destruction  des  fausses  idées  (p.  233  s.).» 

La  presse  de  province,  si  elle  veut  acquérir  de  l'influence, 
doit  donc  vivre  de  sa  vie  propre,  et  ne  pas  emprunter  des  ar- 
ticles tout  faits  aux  publications  parisiennes,  a  11  est  utile  sans 
doute  que  la  première  ville  de  l'État  où  affluent  les  faits,  les 
uouvelles,  d'où  émaiient  les  actes  du  pouvoir,  ait  des  bulle- 
tins, des  correspondances  à  l'usage  de  la  presse  provinciale  ; 
mais  là  devrait  se  borner,  pour  nos  feuilles,  l'action  parisien- 
ne. Les  articles  de  fonds,  la  littérature,  la  critique  peident 
leur  physionomie  si  elles  n'appartiennent  pas  à  la  population  à 
laquelle  elles  s'adressent.  Une  rédaction  propre  serait  d'ailleurs 
le  moyeu  de  réunir  en  un  foyer  les  e>prils  supérieurs  d'un 
département,  d'un  groupe  de  déparlements,  et  d'assr.rer  à 
nos  organes  de  publicité  une  vitalité  à  pouvoir  être  opposée 
sans  désavantage  aux  grands  journaux  centralisateurs.  La 
science,  l'art,  les  traditions,  la  morale  surtout,  gagneraient  à 
cette  combinaison,  et  en  même  temps  que  beaucoup  de  jour? 
naux  seraient  complets  et  bien  remplis,  ils  se  délivreraient  de 
ces  feuilletons  insipides,  et  même  de  bas  étage,  que  nous  som- 
mes condamnés  à  voir  au  rez-de-chaussée  de  tant  de  feuilles. 
«11  n'est  pas  besoin,  pensons-nous,  d'affirmer  qu'un  journal 
se  déshonore  en  spéculant  sur  le  scandale  des  feuilletons,  sur 
la  médiocrité  de  ses  articles,  sur  le  fond  de  ses  principes, 
parce  qu'il  suit  le  courant  des  goûts,  des  idées,  en  se  consti- 


Jaf.v,  18C3.]     '  KN    PIIOVINCE.  73 

tuant  puéril  et  vulgaire  pourcultiver  rabonnement  et  la  vente 
à  numéros.  Combien  en  est  il  cependant  qui,  au  mépris  de  la 
probité  et  de  la  morale  publique,  trafiquent  de  leur  rédaction, 
alors  qu'ils  devaient  aulrement  comprendre  leur  mission  et  la 
considérer  comme  sainte  ?  Évidemment,  dans  la  presse  prise 
pour  respectable,  il  existe  plus  d'une  plume  socialiste  sans 
qu'elle  y  pense  peut-être,  ou  du  moins  sans  qu'elle  veuille  se 
l'avouer.  Aimons  à  reconnaître  toutefois  que  l'exception  n'est 
pas  la  règle,  et  que  plusieurs  de  nos  premiers  centres  de  popu- 
lations ont  des  organes  consciencioux,  rédigés  dans  le  sens 
que  nous  désirons  et  qui  n'auraient  besoin,  pour  être  plus 
parfaits  encore,  que  d'un  concours  plus  actif  des  hommes  de 
principes  (p.  283  s.).  » 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  reproduire  ici  les  chapitres 
intitulés  le  Feuilleton  (p.  236-242),  et  le  Roman  (p.  243-2.o0]. 

Espérons  que  les  idées  dont  M.Peladan  s'est  constitué  le  dé- 
fenseur feront  leur  chemin,  et  que  la  France  entière,  plus 
grande  que  sa  capitale,  revendiquera  enfin  ses  droits  devant 
le  Moloch  avide  de  tout  engloutir.  Ces  idées  germent,  elles  se 
produisent  cà  et  là  :  mieux  encore,  elles  se  traduisent  en  actes. 
Il  ne  reste  qu'à  propager,  à  régler  le  mouvement,  à  discipliner 
les  forces  qui  se  perdent  dans  leur  action  isolée  et  plus  ou  moins 
confuse.  La  presse,  et  surtout  la  presse  de  province,  peut 
beaucoup  pour  atteindre  ce  but.  L'influence  des  sociétés  sa- 
vantes ne  sera  pas  non  plus  sans  résultats.  Il  serait  nr.ême  à 
désirer  que  tous  les  hommes  animés  de  ces  sentiments 
pussent  se  réunir  dans  une  vaste  association  qui  étendrait  ses 
rameaux  sur  tout  le  pays,  qui  provoquerait  des  travaux  sé- 
rieux dans  tous  les  genres,  les  rendrait  possibles  en  formant 
des  bibliothèques,  et  fournirait  aux  auteurs  le  moyen  de  les 
publier.  Un  pays  comme  la  France  ofi're  tant  de  ressources  en 
tout  genre  !  Seulement,  elles  se  perdent  faute  d'initiative  et  de 
direction.  L'association,  en  les  réunissant,  en  les  faisant  fruc- 
tifier toutes,  amènerait  d'immenses  résultats. 

E.  Hautgoeur. 


DECRETS 


DE  LA   SACRÉE  CONGRÉGATION    DES  INDULGENCES, 


/.  L'admission  dans  la  Confrérie  du  Scapulaire  est  valide  quand 
le  prêtre  dûment  autorisé  gui  raccomplit  observe  les  choses  es- 
sentielles, alors  même  quil  ne  se  servirait  point  de  la  formule  in- 
diquée par  le  Bréviaire  et  le  Rituel  des  Carmes.  Elle  est  nulle  au 
contro.ire,  si  les  deux  parties  du  scapulaire  imposé  sont  attachées 
à  la  même  extrémité  des  cordons,  et  pendent  d'un  seul  côté.  Dé- 
cret qui  revalide  toutes  les  réceptions  faites  de  cette  manière. 

Decretum  Urbiset  Orbis.  Exaudientia  Sanctissimi,die  i^sep- 
tembris  1862. 

Etsi  per  phira  décréta,  prsesertim  vero  sub  diebns  12  fe- 
bruarii,  7  martii  4840,  et  2-4  aiigusti  1844  ab  bac  S.  C.  Indul- 
gentiis  sacrisque  ReH(iuiis  prseposita  satis  superque  provisum 
sit  circa  legitimam  fidelium  adtnissionem  in  sacri  Scapularis 
Sodalitatera,  declarando  inter  alia  pro  ludulgentiarum  ac  pri- 
vilej^iorum  acquisitione,  ut  fidèles  ipù  in  eamdem  sodalitatem 
ingredientes,  habitum  seu  scapulare  ab  hnbentibus  facultatem  be- 
nedictum  légitime  recipiant,  ipsumque  déférant  continuo  pendens 
a  collo  unaque  sui  parte  pectus,  et  altéra  scapulas  contegens  ;  et 
licet  a  sacerdotibus  facultatem  habentibus  non  servetur  forma  in 
Rituali  et  Breviario  ordinis  Carmelitarum  prxscripta,  rata  ha- 
beatur  a  iscriptio,  dummodo  prxfati  sacerdotes  non  deficiant  in 
substantialibus,  nempe  in  benedictione  et  impositione  habitus,  ac 
inreceptione  in  confraternitatem,  plures  tameu  bujusmodi  fide- 


Janv.  18G3  I  DÉCRliTS   DE  LA   S.    C.    DRS   INDULGENCES  77 

lium  adscriptiones  invalidée  ac  nullae  prorsus  inveniuntur,  ita 
ut  fidèles  sacris  iudulgeiitiis,  ac  pi  ivilegiis  frustrentur  ob  ha- 
bitus  irapositioneiii  peractain  a  non  habenlibus  facultatera, 
vel  ob  ipsum  babiuim  diversa  forma  confectum.  At  vero  ne 
Christi  fidèles  eo  modo  in  sodalitatem  atlscripti  nltrodecipian- 
tur,  sacerdos  Jacobus  Eleliepare,  missionarius  Bujoneiisis 
diœcesis  dubia  huic  S.  C.  enodanda  proposait,  videlicet  : 

i"  An  pro  valida  admissione  ad  confraternitatem  B.  M.  V. 
de  Carmelo  caîteraque  omnia  lucra  suffîcial  reliquis  servatis 
impositio  habitus  confeoti  duobus  pannis  in  unaeademque  ex- 
tremitate  funiculorum  positis,  modo  postea  ad  lucrura  efifecti- 
vum  ludulgeutiarum,  privilegiorum,  etc.,  ipsemet  admissus 
quilibet  sibi  imponat  babitum  rite  confectum  juxta  decretum 
12  febriiani  1840? 

2"  An  admissioues  bujusmodi  etiam  bona  fide  bujusque 
factœ  sint  invalidas  donec  ilereutur,  vel  a  S.  Sede  in  radiée  sa- 
nentur?  Et  quatenus  affirmative. 

3°  Au  ad  prœcavenda  pionim  perlurbationes  ac  alia  incom- 
moda ipsi  Etebcpare  presbytero  missionario  liceat  de  taU  sa- 
natione  pro  tota  Gallia  quoad  omae  praeteritum  Sanctitatem 
Suam  obsecrare? 

Ita.jue  in  comitiis  generalibus  in  ^de  Vaticana  die  H  au- 
gnsti  186:2  babitis,  Eminentissimi  Patres,  audito  prias  consul- 
tons volo,  respondendum  esseduxerunt 

Ad  primum,  Négative. —  Ad  secundum,  Affirmative.  —  Ad 
tertium,  N(m  expedire,  et  snpplicandum  Sanctissimo  pro  sana- 
tione  omnium  adscriptionum  modo  prsedicto  bueusqueubique 
factarum,  et  typis  pnblicetur  decretum. 

Facta  demum  de  bis  omnibus  Sanctissimo  Domino  nostro 
PiO  PP.  IX  fideli  relatione  in  audientia  babita  die  18  septem- 
bris  ejusdem  anni  per  meiufrascriptumSecretariaeS,  C.  Indul- 
genliarum  substitutum,  Sauctitas  Sua  Emiuentissimorum  Pa- 
trum  resolutiones  benigue  confirmavit,  ac  insuper  de  Aposto- 
lica  Sua  beniguitate  omnes  et  singulas  adscriptiones  modo 


78  DÉCRETS  DE  LA  S.   C.   DES  INDULGENCES.  [Tome  VIL 

prsedicto  hucusque,  non  soîum  in  Gallia,  verum  etiam  ubiqiie 
peractas  clementissime  sanavil,  et  ut  prsefatai  resolutiones,  et 
hujusrriodi  sanationis  gratia  ab  universis  Ghristifidelibus  fa- 
cilius  digiioscantur,  hoc  générale  decretum  typis  publicari 
manda  vit. 

Datum  Roma3   ex  Secretaria  S.  C.  Indulgentianum  die  18 
septembris  1862. 

F.  Gard.  Asquinius,  Prxfectus. 

Loco  t  sig. 

A.  Archip.  Prinzivalli,  Substitutus, 


II.  La  double  obligation  de  communier  et  de  visiter  une  église ^ 
imposée  pour  gagner  les  indulgences,  peut  être  commuée  par  le 
confesseur  en  faveur  des  personnes  atteintes  de  maladies  ou 
d'infirmités  chroniques,  pourvu  toutefois  qu'elles  ne  demeurent 
point  dans  une  communauté. 

DECRETUM  Urbis  et  Orbis.  Ex  audientia  Sanctissimi,  die  18 
septembris  186:2. 

Est  boc  in  more  positum  quod  ab  animarum  pastoribus 
sauclissimura  Eucbaristise  sacramentum  in  alii]uibus  tautum 
infra  annum  prœcipuis  festivilalibus  ad  Gdeles  babiluaiiter  in- 
firmes, chronicos,  ob  pbysicum  permanens  aliquod  impedimen- 
tum  e  domo  egredi  impotentes  solemniter  deferatur,  proinde- 
que  bujusmodi  fidèles  toi  plenarils  Indulgentiis  privantur, 
quas  consequerentur  si  conditionibus  injnnctis  adimpletis  ad 
sacram  Eucbaristicam  mensam  freqiientius  possent  accedere. 
Itaque  quamplures  animarum  curatores,  aliique  permulti  ee- 
ecclesiastici  viri  bumillimas  preces  porrexerunt  Sanctissimo 
Domino  Nostro  Pio  PP.  IX  ut  de  Apostolica  benignitate  super 
hoc  providere  dignaretur,  factoque  per  me  infrascriptum  Se- 
cretariœ  S.  C.  Indulgentiarum  Substitntum  eidem  Sanctissi- 


4tnv.  1863.1  DÉCRETS  DR  LA  S.   C   DES  INDULGENCES,  79 

mo  de  his  omnibus  fideli  relatione  in  audientia  habita  die  18 
septembris  4862,  Sanctitas  Sua  spirituali  gregis  sibi  crediti 
utilitati  prosplciens  clementer  induisit,  utpraîfati  Christifideles, 
«xceptis  tamen  illis  qui  in  communitate  morantiir,  acquirere 
possent  omnes  et  singulas  ludulgentias  plenarias  jam  conces- 
sasvel  in  posterura  concedendas,  quasque  alias  acquirere  pos- 
sent in  locis  iu  quibus  vivunt,  si  in  eo  physico  statu  non  es- 
sent,  pro  quarurn  acquisitione  praescripta  sit  sacra  Communio 
et  visitatioalicujusecclesiae  vel  publici  oratorii  in  locis  iisdem, 
dummodo  vere  pœnitenles,  confessi,  ac  caeteris  omnibus  ab- 
solutis  conditionibus,  si  qiise  injunctse  fuerint,  loco  sacrse  Com- 
munionis  et  visitationis  alia  pia  opéra  a  respectivo  confessa- 
rio  injungenda,  fideliter  adimpleaut.  Praesenti  in  perpetuum 
valituro  absque  ulla  Brevis  expeditione.  Non  obstantibus  in 
contrarium  facientibus  quibuscumque. 

Datum  Romai  ex  Secretaria  S.  G.  Indulgentiarum  et  SS. 
Reliquiarum. 

F.  Gard.  Asquinius,  Prxfectus, 

Loco  t  sig. 

A.  Archip.  Prinzivalli,  Substùutus. 


BIBLIOGRAPHIE. 


Œdyres  inédites  de  BossueTj  publiées  d'après  les  manuscrits  originaux 
par  M.  F.  Lâchât.  Paris,  Vives,  1862,  in-8,  VI-404  pp. 

La  nouvelle  édition  de  Bossuet,  revue  sur  les  manoscrits 
originaux  par  M.  Lâchât,  répond  sous  tous  rapports  à  ce  qu'on 
était  en  droit  d'espérer.  Sept  volumes  ont  paru.  Le  papier,  le 
caractère,  le  tirage,  toute  l'exécution  matérielle  en  un  mot, 
nous  reportent  aux  plus  nobles  traditions  de  l'art  typogra- 
phique :  un  voit  que  rien  n'a  été  épargné  pour  faire  de  cet 
ouvrage  une  publication  remarquable.  Mais,  ce  qui  esi  plus  im- 
portant encore,  les  soins  apportés  à  la  révision  et  à  la  correc- 
tion des  textes  vont  les  rendre  à  leur  pureté  native  -.  pour  la 
première  fois,  nous  pouvons  lire,  dans  les  volumes  déjà  pu- 
bliés, les  sermons  du  grand  orateur  tels  qu'ils  sont  sortis  de 
sa  plume,  et  bientôt  peut-être,  d'autres  ouvrages,  la  Corres- 
pondance surtout,  nous  révéleront  d'une  manière  plus  com- 
plète et  plus  vraie  certains  côtés  de  son  existence. 

Nos  lecteurs  savent  déjà  que  plusieurs  ouvrages  inédits,  pro- 
venant de  la  bibliothèque  du  séminaire  de  Meaux,  font  partie 
de  la  nouvelle  édition  et  ajoutent  considérablement  à  sa  va- 
leur. Il  en  est  dont  l'autographe  même  a  survécu.  Pour  les 
autres,  on  a  des  copies  d'une  authenticité  certaine.  {V.  t.  iv, 
Remarques  historiques,  p.  v  s.) 

Parmi  ces  ouvrages  inédits,  deux  ont  déjà  trouvé  place 
dans  les  Œuvres  complètes'^  le  reste  viendra  s'y  ajouter  suc- 
cessivement. Le  plus  important  sans  contredit  est  le  xiii'  livre 


JTaev.  1803.]  BIBLIOCRAPUIB.  8f' 

de  la  Défense  de  la  tt^adition  et  des  saints  pères  {Œuvres  com- 
plètes, t.  iv).  Il  y  a  aussi  une  traduction  française  des  notes 
sur  le  Caulique  des  cantiques,  traduction  que  Bossuet  fit  lui- 
même  pour  les  Ursulines  de  Moaux  {Œuvres  complètes,  t.  x). 
L'éditeur  a  eu  la  bonne  pensée  de  réunir  en  un  volume, 
pour  servir  de  supplément  aux  éditions  précédentes,  toutes 
les  œuvres  inédites.  C'est  \\  qu'il  faut  chercher  ce  qui  n'a 
point  paru  encore  dans  l'édition  complète.  En  voici  le  con- 
tenu. 

1.  Plan  dhin  Traité  de  théologie  (p.  i-76).  Sous  ce  titre,  nous 
trouvons  d'abord  deux  courtes  notes  :  l'une  oflFrant  une  liste 
des  Traites  des  pères  les  plus  utiles  pour  commencer  l'étude  de  la 
théologie  (p.  1-4),  liste  que  Mabillon  a  eue  sous  les  yeux,  et 
qu'il  a  r  'produite  avec  quelques  additions  dans  son  Traité  des 
études  monastiques  (partie  II,  ch,  iv)  ;  l'autre  intitulée  Biblio- 
thecx  ordinandx  séries,  ébauche  rudimentaire  d'un  système  de 
bibliographie  (p.  4).  Vient  enfin,  sous  le  nom  de  Questions  par- 
ticulières, une  esquisse  d'un  plan  de  théologie  conçu  très-lar- 
gement, mais  qui  n'embrasse  pas  toutes  les  parties  de  la 
science,  et  qui,  selon  l'usage  d'alors,  mêle  à  la  théologie  pro- 
prement dite  beaucoup  de  questions  qui  appartiennent  au 
droit  canon,  à  la  liturgie,  à  l'archéologie  clirétienne.  Tout  en 
admirant  cette  synthèse  majestueuse,  on  regrette  de  voir  s'y 
glisser,  sous  une  forme  un  peu  abrupte,  les  opinions  que  l'au- 
teur avait  puisées  dans  l'enseignement  de  l'école,  et  qu'il 
devait  contribuer  à  répandre  par  l'autorité  de  son  génie.  On 
voudrait,  par  exemple,  ne  pas  lui  voir  tracer  une  indication 
comme  celle-ci  :  Effusa  et  prostituta  adulatorum  curix  romanx 
xoXaxEt'a  (p.  61). 

2.  Cantique  des  cantiques.  Traduction  française  avec  commen- 
taire (p.  77-146).  Outre  qu'il  rend  dans  un  français  admirable 
ison  commentaire  latin,  Bossuet  traduit  le  texte  biblique  avec 
cette  touche  supérieure  qu'on  lui  connaît. 

3.  Deux  Lettres  de  M.  de  Valincourt  (p.  147-154),  qm  aident 


82  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VU. 

à  comprendre  les  réponses  de  Bossuet  à  ce  personnage,  et  qui 
de  plus,  mettent  dans  son  vrai  jour  l'Explication  de  la  prophé- 
tie d'Isaïe. 

4.  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères.  Livre  xiii,  où  est 
traité  ce  principe  de  saint  Augustin  que  la  grâce  n'est  pas  donnée 
selon  nos  mérites  {\s.  137-306).  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à 
faire  ressortir  l'importance  de  cette  addition  au  texte  jusqu'ici 
connu  de  la  Défense. 

5.  Réflexion,  ou  dernier  éclaircissement  sur  la  réponse  de 
M.  l'A)rhevêque  de  Cambray  aux  remarques  de  M.  de  Meaux 
(p.  307-346).  Dernière  pièce  de  la  controverse  sur  lequiétisme, 
dont  la  décision  intervenue  arrêta  la  publication. 

6.  Lettre  aux  Religieuses  de  Port-Royal  sur  la  signature  pure 
et  simple  du  formulaire  \p.  348-372).  C'est  une  rédaction  diffé- 
rente de  la  lettre  publiée  par  M,  de  Péréfîxe  dans  son  man- 
dement du  7  juin  1664,  et  reproduite  depuis  dans  les  mêmes 
termes  par  tous  les  éditeurs. 

7.  Enfin,  un  Sermon  sur  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  une 
Méditation  sur  l'Assomption,  et  quelques  courts  Extraits  de  la 
morale  d' Aristote,  terminent  ce  volume. 

Déjà  dans  wue  livraison  précédente  de  ce  recueil  (voir  t.  v, 
(p.  .59-70),  j'ai  rendu  bommage  au  soin  consciencieux,  à  la 
critique  habile  et  éclairée  que  déploie  M.  Lacbat  dans  l'accom- 
pli^^sement  de  sa  tàcbe.  Je  me  sens  d'autant  plus  à  l'aise  pour 
placer  ici  une  observation.  Le  savant  éditeur  de  Bossuet  a  sin- 
gulièrement chargé  le  portrait  de  Richard  Simon  (1).  Sans 
doute,  c'était  un  critique  hardi  jusqu'à  l'excès  :  il  a  donné 
dans  des  écaits  qui  lui  ont  attiré  des  censures  parfaitement 
légitimes,  mais  enfin,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître 
en  lui  un  homme  supérieur  et  un  talent  distingué,  comme 
aussi  un  prêtre  vraiment  attaché  au  catholicisme.  Ce  n'est 
pas  une  apologie  que  je  tente  :  ce  sont  des  réserves  que  je 

(1)  Voir  les  Remarques  historiques  placées  en  lêle  du  lorae  iv,  et 
aussi  celles  qui  piécèdeni  les  œuvres  inédites. 


Janv.  1863  ]  BIBLIOGRAPHIE.  8S 

formule  à  Tégard  d'uu  jugement  beaucoup  trop  sévère.  Peut- 
être  un  jour  l'occasion  se  présentera-t-elie  d'étudier  plus  à 
fond  ce  personnage. 

E.  Hautcoedr. 


Saint  Grégoire  VII,  par  V.  Davin,  prêtre,  ancien  chapelain  de  Sainte- 
Geneviève. —  PariSj  chez  Lelhielleux,  libraire,  60,  rue  Bonaparte. 

Ce  livre  que  nous  sommes  heureux  d'annoncer,  n'est  pas 
seulement  la  vérité,  toute  la  vérité  sur  saint  Grégoire  VIT; 
c'est  un  cri  de  la  conscience  contre  une  gigantesque  iniquité  : 
c'est  contre  ceux  qui  l'ont  commise  et  prolongée,  un  jugement 
terrible,  un  de  ces  arrêts  dont  on  n'appelle  pas  ;  c'est  un  flo!  de 
lumière  illuminant  de  telle  sorte  une  grande  époque  de  l'iiistoire, 
que  d'habiles  falsifications  et  de  prudentes  réticences  ne  pour 
ront  désormais  l'obscurcir.  Le  saint  Grégoire  VII  peint  par 
M.  Davin  est  le  véritable.  Cette  grande  figure,  esquissée  avec  un 
talent  si  remarquable,  n'est  pas  l'œuvre  d'une  imagination 
enthousiaste,  mais  l'empreinte  fidèle  des  documents  authen- 
tiques et  de  la  réalité  des  faits.  Un  des  mérites  de  l'auteur, 
c'est  d'avoir  eu  le  courage  de  la  vérité,  c'est  d'avoir  répudié 
enfin  ces  timides  appréciations  qui  l'altéraient  ou  la  voilaient 
sous  prétexte  de  servir  l'Église.  Un  second  mérite  c'est  de 
l'avoir  exposée  si  bien  dans  tout  son  jour,  que  désormais  il 
faudra  nécessairement  la  voir,  malgré  les  nuages  amoncelés. 

Plus  d'un  lecteur,  nous  n'en  doutons  pas,  sera  stupéfait  de 
voir  se  révéler  à  lui  cette  vérité  qu'il  ne  soupçonnait  pas  ;  plus 
d'un  s'indignera  des  odieuses  falsifications  qui  avaient  usurpé 
sa  place  jusque  dans  nos  livres  de  théologie.  Ne  serait-il  pas 
juste  qu'il  s'élevât  en  France  une  cathédrale  sous  le  vocable 
de  saint  Grégoire  VIF,  en  expiation  du  torrent  de  c;.l  unnies 
et  d'insultes  dont  notre  pays  a  donné  le  déplorable  seau  lùle  ? 
En  attendant  cette  réparation,  un  livre  remarquable  a  rétabli 


$4  BIBLIOGRAPHIE.  [  Tome  VU. 

les  droits  de  la  justice  et  de  la  vérité;  et  ce  livre,  écrit  de  la 
maia  d'un  prêtre  français,  révèle  une  puissance  de  talent  qui 
promet  encore  beaucoup  pour  l'avenir.  C'était  le  monument 
le  plus  urgent;  il  est  érigé. 

M.  Davin  n'est  pas  le  premier  qui  soit  entré  dans  cette  car- 
rière :  déjà  le  protestant  Voigt  s'était  le  premier  inscrit  en 
faux  contre  le  jugement  d'historiens  passionnés.  Toutefois, 
sa  Vie  de  Grégoire  VII  est  elle-même  entachée  d'un  défaut 
capital  qui  nous  force  à  la  classer  parmi  les  peintures  de  fan- 
taisie. 

Nous  lui  savons  gré,  sans  doute,  de  ce  qu'au  nom  de  la 
savante  Allemagne  il  a  réhabilité  celte  illustre  victime,  faisant 
rougir  ainsi,  nous  devons  le  dire,  les  catholiques  de  plus  d'un 
pays  qui,  par  une  indigne  faiblesse,  s'empressaient  de  la  sa- 
crifier aux  ennemis  de  l'Église.  Mais  tout  en  défendant  le 
saint  Pontife  contre  des  calomnies  séculaires,  l'historien  alle- 
mand s'est  arrêté  devant  la  réalité  intrinsèque  :  il  ne  Ta  pas 
pénétrée  ,  il  ne  l'a  pas  soupçonnée.  Il  admire  les  grandes 
choses  accomplies  par  ce  Pape,  sans  se  douter  qu'elles  aient 
pu  avoir  d'autre  principe  qu'un  principe  humain  :  il  voit  en 
lui  le  prince,  le  grand  homme,  le  génie  politique  :  il  n'y  voit 
pas  le  Pontife  et  le  Saint.  Grégoire  VII,  modèle  de  patience  et 
de  mansuétude,  vivait  d'une  vie  surhumaine,  dans  un  com- 
merce ordinaire  avec  le  ciel.  Sa  vie  est  pleine  de  miracles  opé- 
rés par  lui  et  pour  lui.  Les  intérêts  de  l'Église  au  milieu  des 
terribles  assauts  qui  lui  étaient  livrés,  il  les  comprenait  et 
les  jugeait,  non  pas  seulement  avec  la  lumière  de  son  esprit, 
mais  avec  celie  des  révélations  surnaturelles.  11  lisait  au 
fond  des  cœurs  les  pensées  les  plus  secrètes.  Les  arrêts 
qu'il  dictait  lui  étaient  inspirés  d'en-Haut.  La  flamme  de 
l'amour  de  Dieu  le  dévorait  sans  cesse  et  le  tenait  presqu'ha- 
bituellement  en  extase.  De  là  ce  zèle  de  la  justice  et  cette  in- 
flexibilité de  courage  dans  les  épreuves  que  rien  n'ébranlait, 
et  que  la  calomnie  s'est  efforcée  de  travestir  en  fougue  et  en 


Janv.  1SC3.;  BIBLIOGRAPHIE  85 

entêtement.  Il  faut  avoir  étudié  et  compris  le  Saint  sous  cet 
aspect,  pour  avoir  la  clef  véritable  de  sa  vie  et  de  ses  actes. 
Le  luthérien  Voigt  n'a  point  pénétré  dans  cette  sphère  du  sur- 
naturel. Il  a  supposé  son  héros  dans  celle  de  Thumain. 
*  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  mettre  ici  en  parallèle,  soit 
avec  l'œuvre  de  Voigt,  soit  avec  celle  de  M.  Davin,  le  récent 
ouvrage  en  sept  volumes  in-8°  composé  sur  le  même  sujet 
par  M.  Gfrœrer.  Nous  n'en  avons  pas  encore  pris  connaissance. 
On  nous  dit  que  ce  travail  est  une  magnifique  apologie  appuyée 
de  toutes  les  ressources  de  la  science  et  de  l'érudition.  L'au- 
teur y  mettait  la  deruière  main  lorsque  la  mort  (1)  est  venue 
le  surprendre  l'année  dernière  (1861).  Et,  coïncidence  remar- 
quable !  pendant  que  ce  monument  grandiose  s'achevait  en 
Allemagne,  M  Davin  lançait  en  France  son  apologie,  moins 
étendue,  mais  vive  comme  une  llamme;  et  nous-même  nous  ai- 
dions à  la  même  cause  en  publiant  dans  cette  Revue  nos 
humbles  articles  sur  Bossuet  et  saint  Grégoire  VIL  Aucune  en- 
tente n'avait  eu  lieu. 

Nous  ne  nous  ari'êterons  pas  à  développer  notre  appréciation 
sur  le  livre  de  M.  Davin,  attendu  que  nous  en  avons  de  bien 
autrement  importantes  à  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur.  Le 
mérite  et  les  défauts,  tout  a  été  dit,  admirablement  dit. 

Nous  trouvons  en  tête  du  volume  les  lettres  suivantes  adres- 
sées à  l'auteur  : 

Nîmes,  15  décembre  1861. 
«  Un  jour,  assistant  à  je  ne  sais  plus  quel  cours  de  la  Sorbonne,  mon 
cher  abbé,  j'entendis  un  professeur  expliquer  la  Vie  dé  Ghégoike  Vil 
par  une  soif  exagérée  de  doniinalion.  Je  fuscoolristé  de  tant  d'iguorauce 
et  d'injustice,  et  quand  je  considérai  l'auditoire  pressé  autour  de  la  cliaire 
d'où  parlait  l'expresaiou  d'aussi  j^raves  erreurs,  je  me  demandai  ce  qu'al- 
lait devenir  la  jeunesse  de  notre  patrie  aiusi  livrée  à  des  maîtres  df- men- 
songe. Ce  travestissement  de  l'histoire  par  l'enseignement  supérieur 
représente  sans  contredit  une  des  pi  des  les  plus  meurtrières  de  notre 
temps.  On  ne  saurait  dire  combien  l'Eglise  eu  a  souffert.  Presque  louS 
les  nobles  cara<  lères  qu'elle  a  produits,  surtout  parmi  les  Pontifes  ro- 
mains, ont  été  odieusement  défigurés.  Je  vous  sais  gré  d'avoir  choisi  le 
plus  outragé  de  tous,  pour  lui  restituer  avec  la  vérité  de  son  caraclère, 
celle    de  sa    grandeur.  C'est  un   acte  de   courageuse   équité  qui  vous 


86  BIBLIOGUAPHIE.  ITome  VU. 

honorfi.  C'est  aussi  donner  une  espérance  à  ceux  dont  la  confiance  hési- 
terait à  la  vue  des  périls  qui  menacent  le  Salnt-Siége... 

«  On  trouve  dans  votre  travail,  cher  abbé,  les  traces  et  le  témoignage 
de  recherches  consciencieuses  et  d'un  véritable  talent  de  penseur  et 
d'écrivain.  Mais  je  vous  engage  à  porter  plus  de  sobriété  dans  votre  éru- 
dition: vous  pourriez  aussi  ramener  à  des  limites  plus  reitreiotes  les 
considérations  générales  qui  ne  vont  pas  directement  à  votre  but.  Peut- 
être  aussi  votre  style  est-il  plus  oratoire  qu'historique.  Je  voudrais  enfin 
que  vous  missiez  dans  votre  élocution  un  peu  de  cette  simpHcité  attique 
et  antique  qui  constitue  un  des  grands  caractères  et  la  beauté  la  plus 
réelle  de  la  langue  française. 

«  Vous  voyez  à  la  hardiesse  de  mes  conseils,  que  je  me  rappelle  un  peu 
trop  sans  doute  que  je  fus  autrefois  votre  maître.  Mais  je  n'en  pense  pas 
moins  que  le  maître  est  maintenant  dépassé  par  le  disciple. 


Monlauban,  le  i^'  févrlei'  ^  62. 
Monsieur  l'Abbé, 

«  Une  des  plus  belles  et  des  plus  honorables  tâches  que  puisse  s'impo- 
ser aujourd'hui  un  écrivain  catholique,  c'est  la  réhabilitation  des  grands 
hommes  si  indignement  calomniés  par  les  ennemis  de  la  religi  m  et  de 
l'Église.  Le  comte  de  Maistre  a  dit,  je  crois,  que  l'histoire  était  devenue 
une  vaste  conspiration  contre  la  vérité,  sous  la  plume  des  écrivains  pro- 
testants, philosophes  et  parlementaires,  et  il  a  eu  bien  raison.  Mais» 
grâce  aux  consciencieux  travaux  qui  ont  été  entrepris  depuis  trente  ans, 
bieu  des  mensonges  ont  été  dissipés,  et  la  vérité  s'est  fait  jour.  Désor- 
mais, à  moins  de  faire  preuve  d'une  ignorance  grossière,  il  ne  sera 
plus  permis  de  parler  qu'avec  respect  et  admiration  des  Boniface  VIII, 
des  Grégoire  VII,  des  Innocent  III.  Pour  votre  part,  M.  l'abbé,  vous 
aurez  contribué  à  dégager  des  nuages  dont  le  mensonge  l'avait  envi- 
ronnée, la  mémoire  de  cet  illustre,  coura^'cux  et  énergique  Grégoire  VII, 
qui  fut  le  plus  grand  homme  et  un  des  plus  grands  saints  de  son  temps. 
Je  vous  félicite  des  éloges  que  la  Civiltà  a  donnés  à  votre  ouvrage.  Un 
suffrage  aussi  fivorable,  accordé  par  les  savauts  rédacteurs  de  cette 
Revue,  trop  peu  lue  en  France,  suffirait  lui  seul  pour  vous  donner  la  coc- 
fiance  que  vous  avez  bien  fait,  et  pour  vous  dédommager  des  critiques 
précipitées  ou  iaiutelligentes  dont  vous  seriez  l'objet. 

t  J.-M.  évêque  de  Montauban. 


Versailles,  le  15  février  1862. 
Monsieur  l'Abbé, 
Je  viens  d'achever  la  lecture  de   Saint  Grégoire  VII,   et  j'ai  bâte  de 
vous  remercier  du  bonheur  que  cette  lecture  m'a  donné. 

Selon  moi,  vous  avez  jeté  une  vive  lumière  sur  une  époque  qu'on 
avait  ob  curcie  à  dessein.  En  rétablissant  les  faits  dans  leur  vérité  et 
dans  leur  physionomie,  vous  avez  montré  un  grand  homme,  un  grand 
pape,  un  grand  saint  dans  celui  qu'on  s'èldt  plu  à  calomnier^  à  noircir. 


Janv.  18:3.)  BIBLIOGRAPHIE.  87 

et  qu'on  ne  rougissait  pas  de  présenter  au  monde  comme  un  tyran  et 
un  barbare. 

Il  y  a  plus  de  vingt  ans,  je  m'occupais  d'hisîoire  ecclésiastique  dans 
un  séminaire  ;  je  ne  cessais  de  déplorer  qu'on  n'eût  pas  essaj'é  d'une 
manière  sérieuse  de  réhabiliter 'a  ménnoire  de  saint  Grégoire  Vil  :  or  ce 
que  je  désirais,  vous  venez  de  le  faire.  Vous  n'avez  pas  hésité,  vous 
n'avez  pas  tremblé,  vous  avez  abordé  votre  suj3t  résolument,  avec  un 
talent  qui  vous  honore,  et  avec  le  courage  qui  se  puise  dans  l'amour  de 
l'Eglise  de  Jésus-Christ. 

Pourquoi  donc  votre  ouvrape  n'est-il  pas  encore  en  circulation? 
Qu'est-ce  qui  vous  retient?  Je  l'ignore.  SI  vous  êtes  tombé  dans  des 
erreurs,  vos  adversaires  sauront  bien  vous  le  dire  ;  le  champ  est  libre. 
Est-ce  qu'on  n'a  pas  un  grand,  un  très-grand  intérêt  à  examiner  la  vie 
et  les  actes  d'nn  liomme  tout  au  moins  extraordinaire,  qui  a  t.mt  fait 
pour  l'Église  et  pour  la  société?  Craindrait-on  par  hasard  d'avoir  à 
défaire  des  jugements  qu'on  regarde  comme  des  arrêts  absolus?  Ou  bien 
aurail-ou  peur  de  nuire  à  de  célèbres  réputations  ?  Mais  u'est-il  pas 
commandé  de  réparer  l'injustice  ?  La  réputation  d'un  pape  tel  que  Gré- 
goire VU  n'est-elle  pas  plus  précieuse  aux  yeux  de?  catholiques, 
et  en  vérité,  que  celle  d'un  écrivain  quelconque,  s'appelât  il  Fleury  ou 
Bossue!  ? 

Quoi  qu'il  arrive,  votre  travail  ne  restera  pas  dans  l'ombre  :  il  est  des- 
tiné à  faire  un  grand  bien,  je  le  crois.  Ce  travail  que  je  béuis  de  tout 
mon  cœur,  ce  travail,  premier  jet  d'une  intelligence  forte  et  d'un  cœur 
plein  d'amour  pour  la  sainte  Église  romaine,  ce  travail,  dis-je,  prélude 
à  d'autres  travaux  dans  l'inlérêt  de  la  grande  cause  de  Dieu. 

Je  suis,  Monsieur  l'Abbé,  avec  des  sentiments  très-affectueux  votre 
dévoué  servitenr. 

t  PIERRE,  évêque  de  Versailles. 

Nous  avons  aussi  sous  les  yeux  une  lettre  de  Mgr  l'évéque 
de  Poitiers,  du  10  août  1862,  qui  félicite  M.  Davin  de  son 
beau  livre.  Nous  n'en  reproduisons  que  cette  phrase  :  «  Con- 
tinuez, M.  l'abbé,  vos  utiles  travaux.  Dussent  les  conclusions 
complètes  n'en  être  jamais  tirées  pratiquement,  les  principes 
doivent  néanmoins  être  imperturbablement  maintenus  pour 
le  salut  des  sociétés.  » 

Nous  y  ajoutons  l'appréciation  de  la  Civiltà  Cattolica  du 
48  janvier  1862,  dont  parle  Mgr  de  Montauban. 

«Dans  ce  temps  où  les  ennemis  de  Dieu  s'insurgent  avec  une  âpre 
fureur  contre  son  Église  et  envahissent  ses  droits  sacro-saints,  il  devient 
très-utile  de  renouveler  la  mémoire  de  ceux  qui,  dans  de  semblables 
crises,  ont  opposé  leur  poitrine  comme  un  mur  de  bronze  pour  sa  dé^ 
fense.  Elle  paraît  doue  très-sage  la  déterminatinn    de  M.  Davin  d'avoir 


88  BIBLlOGnAPniK.  [TonieVIl. 

pris  pour  sujet  de  ses  travaux  littéraires  et  mis  au  jour  la  V[e  de  saint 
Grégoire  VII  (1).  En  effet,  ce  glorieux  Pontife  fut  non-seulement,  un 
grand  homme  et  un  grand  saint;  mais  il  fat  l'un  et  l'autre  au  milieu 
des  plus  féroces  oppositions  et  dans  l'exercice  de  la  plus  inébranlable 
constance.  Le  génie  et  la  vertu  se  réunirent  en  lui  pour  en  faire  un  de 
ces  héros  extraordinaires  qui  apparaissent  très-rarement  dans  le  cours 
des  siècles  ;  et  l'on  ne  serait  pas  loin  du  vrai  en  disant  qu'il  est  le  plus 
grand  des  successeurs  de  saint  Pierre  et  celui  qui  a  le  plus  travaillé  et 
souffert  pour  la  cause  de  Dieu.  Nous  allons  brièvement  esquisser  son 
portrait  en  suivant  la  narration  de  M.  Davin. 

Suit  l'analyse,  qui  se  continue  dans  les  n"^  des  i*'  et  15  fé 

vrier. 

D.  Bouix. 


Histoire  d'Urbain  V  et  de  son  siècle,  par  M.  l'abbé  Magnan.  Paris 
Bray,  1862,  in-8.  7  fr. 

L'histoire  d'Urbain  V  est  un  travail  sérieux,  instructif  et  in- 
téressant, un  nouvel  anneau  ajouté  à  la  chaîne  précieuse  de 
livres  consciencieux  qui  ont  pour  objet  de  bien  faire  connaître 
les  Souverains-Pontifes.  Aj  )utez  à  cela  que  le  volume  est  par- 
faitement imprimé,  ce  qui  ne  gâte  rien,  au  contraire. 

La  vie  d'Urbain  V  est  connue.  Né  d'une  noble  famille  dans 
le  Gévaudan  (130it),  après  avoir  étudié  à  Montpellier  et  à  Tou- 
louse, Guillaume  de  Grimoald  prit  l'habit  de  saint  Benoît  à 
Chirac,  devint  abbé  de  Saint-Germain  d'Auxerre  et  simultaué- 

(1)  «  Saint  Grégoire  VU,  par  V.  Davin.  Paris  1861.  Cet  ouvrage,  outre 
le  mérite  littéraire  et  scientiqne,  a  celui  d'êlre  écrit  avec  un  esprit  plei- 
nement catholique  el  romain,  et  une  totale  indépendance  des  préjugés 
courants  du  siècle.  L'auteur  s'est  proposé,  en  composant  cette  histoire,  de 
présenter  Grégoire  VU  sous  sou  proiiro  et  véritable  aspect.  L'ouvrage  de 
Voigt,  qui  cependant  a  un  très-grand  mérite,  ne  répond  pas  pleinement 
à  l'idée  qu'on  doit  se  former  de  cet  incomparable  Pontife.  Il  le  repré- 
sente comme  un  grand  réformateur,  dominant  sou  siècle  par  la  puissance 
de  la  volonté  et  du  génie.  Mais  Gréixoire  fut  principalement  un  grand 
saint,  honoré  par  Dieu  d^s  dons  les  plus  extraordinaires  ;  et  c'est  de  sa 
sainteté  principalement  que  sortait  son  aénie  réformateur.  Voigt  était 
protestant  ;  et  un  protestant  est  dans  l'impossibilité  morale  de  rendre 
avec  justesse  le  caractère  d'un  pape  et  d'un  saint.  C'est  à  ce  défaut  qu'a 
voulu  suppléer  notre  auteur,  et  il  a  réussi  admirablement.  » 


Janv.  1863.]  BIBLIOGRAPHIE.  89 

ment  de  Saint- Victor  de  Marseille ,  légat  d'Innocent  VI  en 
Italie,  et  Pape  en  1362.  Huit  ans  de  pontificat  ne  lui  permirent 
pas  d'exécuter  de  très-grandes  choses.  Il  prêcha  la  Croisade 
contre  les  Turcs,  qui  menaçaient  encore  la  Thrace  et  la  Grèce  ; 
il  fit  partir  contre  eux,  comme  son  légat  dans  la  guerre  sainte, 
le  B.  Pierre  Thomas,  né  à  Sales  ((),  au  diocèse  de  Sarlat,  et 
non  à  Salignac,  comme  on  l'a  dit  parfois.  Il  envoya  des  mis- 
sionnaires en  Orient  et  reçut  de  précieuses  abjurations.  Il  inter- 
vint dans  les  querelles  désastreuses  qui  divisaient  les  rois  de 
France  et  d'Angleterre.  Il  combattit  les  excès  des  princes  du 
Nord,  excommunia  Viscouti,  despote  de  Milan,  qui  faisait  à  la 
sainte  Église  romaine  une  guerre  acharnée  ;  soutint  l'intrépide 
et  admirable  cardinal  Albornoz  ;  travailla  à  la  réforme  des  abus 
et  à  l'amendement  des  mœurs;  fonda  des  universités;  proté- 
gea les  savants  et  les  lettres,  et  prépara  le  retour  des  papes  à 
Rome  en  allant  lui-même  dans  la  Ville  éternelle,  centre  néces- 
saire de  la  papauté,  qu'il  quitta  néanmoins  pour  venir  mourir 
à  Avignon  (1370),  laissant  une  réputation  bien  méritée  de 
sainteté  et  illustrée  par  de  grands  miracles. 

C'est  l'histoire  de  ce  pontificat  que  M.  Magnan  raconte  au 
public.  Dans  une  introduction  de  80  pages,  consacrée  à  des 
réflexions  générales  sur  les  Papes  d'Avignon  et  sur  la  néces- 
sité du  pouvoir  temporel  pour  l'indépendance  spirituelle  du 
Chef  de  l'Église,  l'auteur  nous  semble  exagérer  de  beaucoup 
l'influence  que  le  séjour  des  Papes  à  Avignon  (pp.  ol  et  72)  a 


(I)  Il  exisie  en  Périgord  deux  villages  historiques  porlant  le  nom 
de  Sales .  -1°  Sales,  près  de  Cadouin,  d'où  élail  origiaaire  le  B.  Geraud 
de  Sales;  2°  Sales,  près  de  Belvès,  d'où  élail  originaire  le  B.  Pierre 
Thomas.  Si  nos  souvenirs  ne  nous  Iroinpenl  pas,  le  Propre  des  Car- 
mes renferme  une  inexaclilude  sur  le  lieu  de  la  naissance  de  ce 
saint  persoimage.  Ce  n'est  pas  non  plus  â  Villefranclie-de-Belvès 
qu'est  né  Pierre  Thomas,  ainsi  que  le  prétend  M.  l'abbé  Sageiie  :  c'est 
à  une  terlttine  dislanee  de  Villefranche-de-Belvès,  à  Sales  ou  môme 
près  de  Sales,  au  Breil-de-Sales.  Ce  point  historique  doit  êirc  soigneu- 
sement remarqué. 


90  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

pu  exercer  sur  l'Église  et  sur  la  France.  Il  ne  montre  pas  assez 
l'état  fâcheux  de  l'Italie  et  de  Rome  surtout  privée  de  celui 
qui  est  sou  àme,  sa  gloire  et  même  sa  vie  matérielle.  11  né- 
glige lotalement  de  dire  l'impression  générale  que  ressentit 
rÉglise  entière  de  ce  qu'on  pouvait  appeler  une  dislocation 
longue  et  douloureuse.  La  place  du  Pape  est  à  Rome,  et  nulle 
contrée  ne  profite  plus  de  sa  présence  que  celle  qui  lui  est  le 
plus  étroitement  unie  en  toutes  choses.  Nous  aurions  égale- 
ment désiré  que,  profitant  de  la  précieuse  découverte  du  jour- 
nal de  Bertrand  de  Go'h,  le  respectable  écrivain  démontrât 
mathématiquement  l'impossibilité  absolue  de  la  prétendue 
conférence  de  Saint-Jean-d'Angi-iy,  où  le  premier  des  Papes 
d'Avignon  aurait,  dit-on,  fait  à  Philippe-le-Bel  de  si  honteuses 
concessions. 

Nous  aurions  bien  d'autres  observations  à  faire  sur  ce  livre. 
Le  titre  :  Histoire  d%'rbain  Vet  de  son  siècle,  est-il  bien  choisi, 
bien  justifié  et  bien  rempli  ?  Ne  trouve-t-on  pas,  de  distance  en 
distance,  non-seulement  des  incorrections,  des  inexactitudes, 
mais  encore  des  sentiments  un  peu  hasardés? 

(i  11  faut  être  injuste  à  l'excès,  dit  M.  Magnan,  pour  voir 
dans  le  séjour  des  Papes  à  Avignon  la  cause  du  grand  schisme, 
comme  le  fait  Rohrbacher  (p.  31).  )^  Il  nous  semble  que  telle 
n'est  pas  la  pensée  de  l'auteur  de  l'excellente  Histoire  univer- 
selle de  l'Église  catholique.  A  la  fin  du  livre  lxxx,  cité  par 
M.  Magnan,  l'abbé  Rohrbacher  affirme  que  l'on  peut  dire  à 
peu  près  de  tous  les  Papes  d'Avignon  ce  qu'il  dit  de  Gré- 
goire XI,  qu'il  aeût  été  un  excellent  Pontife  romain  s'il  avait  été 
moins  fronçais  et  plus  romain.  •  Et,  quiuze  pages  plus  haut, 
expliijuant  cette  pensée,  le  vénérable  auteur  dit  que  ces  Papes 
français,  composant  le  Sacré  Collège  de  français  (i7  sur  21), 
indisposaient  les  autres  nations,  leur  faisaient  envisager  le.  Sa- 
cré Collège,  non  comme  le  sénat  vénérable  et  impartial  de  la 
chrétienté,  mais  comme  «  une  coterie  nationale  qui  voulait  ex- 
ploitijr  les  autres  peuples,  particulièrement  l'Italie,  au  profit  de 


Jmv.  I8G3.]  BIBLIOGRAPHIE.  91 

la  France.  Aussi  en  verrons-nous  sortir  les  plus  grands  maux. 
Le  cardinal  Robert  de  Genève,  de  la  promotion  de  Gré^^oire  XI, 
commencera,  et  le  cardinal  Pierre  de  Lune,  de  la  seconde, 
continuera  le  grand  schisme  (t.  xx,  p,  478,  3*  édit.),  »  Et 
même  tout  ceci  n'est  dit,  le  contexte  le  prouve,  qu'à  propos  de 
la  recommandation  faite  à  Grégoire  XI  par  sainte  Catherine 
de  Sienne  de  ne  choisir  pour  cardmaux  que  des  hommes  ver- 
tueux. La  cause  du  grand  schisme  est  donc  dans  le  choix  de 
cardinaux  français  trop  nombreux,  et  qui  n'étaient  peut-être 
pas  toujours  assez  dignes  de  cohaut  rang.  Telle  est  la  pensée  de 
Rohrbacher.  Nous  croyons  que  si  Je  séjour  des  Papas  a  Avi- 
gnon n'avait  pas  habitué  la  France  à  avoir  les  Papes  chez  elle, 
s'il  n'avait  pas  préparé  à  la  papauté  comme  une  seconde  rési- 
dence facile  à  occuper,  notre  pays  n'eût  peut-être  pas  ac- 
cueilli le  faux  Clément  VU  et  que,  si  la  France  ne  l'avait  pas 
accueilli,  les  autres  contrées  auraient  fait  comme  elle. 

Nous  pourrions  ajouter  encore  quelques  remarques,  mais 
nous  préférons  les  passer  sous  silence,  et  nous  nous  bornons 
à  déclarer  encore  une  fois  que  l'histoire  d'Urbain  V  est  un 
excellent  livre. 

H.    Girard. 


Légende  von  dem  seligen  Hermann  Joseph,  voq  Franz  Kaulen.  {Légende 
du  bieiiheureux  Hermann  Joseph,  par  M.  Franz^KAULEN.)  Mainz,  Kir- 
cheioi.  1862. 

Ceux  qui  ont  parcouru  les  bords  du  Rhin  savent  de  quelle 
faveury  jouit  un  petit  poème  de  Gœthe  intitulé  Hermann  et 
Dorothée.  C'est  une  œuvre  toute  pleine  de  sentiments  naturels, 
capable  d'amollir  lésâmes  de  la  jeunesse  Allemande,  et  un 
chrétien  sérieux  se  prend  à  regretter  que  ce  libelle  reçoive 
dans  l'éducation  les  honneurs  qu'on  lui  prodigue.  Les  pères  le 
recommandent  aux  enfants;  ceux-ci  l'apprennent  par  cœur  : 
on  rougirait  de  ne  pouvoir  pas  en  réciter  de  longues  tirades. 
Aussi,  que  de  pauvres  jeunes  gens  dont  l'unique  aspiration  est 


92  BIBLIOGRAreiE.  [TonipVIf. 

de  devenir  de  nouveaux  Hermann,  et  que  de  jeunes  filles  trou- 
vent leur  plus  beau  type  dans  Dorolbée  !  Le  paganisme  aurait 
pu  s'enorgueillir  de  cette  œuvre  de  1  "auteur  de  Faust  :  le  chris- 
tianisme, sans  refuser  d'y  reconnaître  certaines  beautés  litté- 
raires, ne  saurait  s'empêcher  d'y  découvrir  les  principes  d'une 
vie  dont  l'œuvre  la  plus  importante  s'appellera  Werther  et 
sera  la  glorification  du  suicide. 

Le  formai  du  petit  livre  dont  nous  voulons  dire  un  mot,  ?on 
style  élégant  et  simple,  le  plaisir  que  nous  a  procuré  salef-ture^ 
son  titre  entîa  nous  ont  suggéré  une  comparaison  entre  le 
poème  de  Gœthe  et  la  légende  de  M.  Kaulen.  Que  l'on  considère 
la  simplicité  de  la  narration,  l'élégance  de  la  forme,  la  naïve  et 
touchante  histoire  qui  fait  le  fond  du  récit,  on  ne  trouvera 
point  notre  parallèle  déplacé  Si  au  contraire  on  regarde  à  l'é- 
lévatioa  des  sentiments,  à  la  lorce  des  caractères,  à  la  pureté 
de  cette  vie  qui  n'a  connu  qu'uu  seul  amour,  celui  de  la 
Vierge  très-pure  et  son  divin  Fils,  on  reconnaîtra  sans  peine 
la  supériorité  de  notre  petit  opuscule.  Enfin,  si  l'on  veut  se 
donner  la  peine  de  suivre  la  marche  de?  dons  divins  dans 
l'àme  d'Hermann,  on  verra  que  ce  petit  livre  est  un  traité  en 
action  de  la  perfection  chrétienne.  A  mesure  que  l'àme  du 
jeune  enfant  est  appeléeà  l'union  qui  sera  le  couronnement  de 
sa  vie,  les  consolations  abondent,  les  dons  se  multiplient. 
Puis,  quand  elle  est  affermie  en  Dieu,  apparaissèTit  les  délais- 
sements ordinaires,  avec  un  mélange  de  rafraîchissement  et 
de  paix.  Nous  ne  ferons  pas  l'histoire  du  bienheureux  Her- 
mann Joseph.  Nous  avions  eu  la  pensée  de  signaler  certains 
chapitres,  mais  notre  plume  s'y  refuse,  à  cause  de  l'embarras 
du  choix.  On  voudra  tout  lire  dès  qu'on  aura  savouré  les 
premières  pages. 

M.  Kaulen  s'est  proposé  de  faire  servir  ce  récit  aux  exer- 
cices du  mois  de  Marie  dans  un  couvent  des  bords  du  Rhin. 
C'est  une  heureuse  idée  de  montrer  dans  une  vie  toute  d'union 
avec  la  Mère  admirable,  la  manière  dont  on  s'achemine  vers 


Janv.  18P3.]  CDRONIQUE.  93 

runion  bénie  avec  Dieu.  Cela  vaut  mieux,  ce  nous  semble, 
qu'une  série  d'exemples  pris  un  peu  partout,  et  dont  la  réunion 
est  de  uature  à  décourager  les  âmes,  à  la  pensée  qu'il  faut  les 
vies  de  tant  de  saints  pour  avoir  un  modèle  parfait  de  la  sain- 
teté où  conduit  le  secours  puissant  de  la  très-sainte  Vierge.  Ici 
Funité  est  mieux  conservée  :  on  voit  la  marche  de  la  grâce 
dans  la  même  âme  et  l'on  suit  eu  elle  le  développement  des 
dons  de  Dieu. 

« 

Le  livre  est  dédié  aux  pauvres  sœurs  de  saint  François.  Uan- 
teur  avait  déjà  fait  passer  en  allemand  les  Fioretti,  et  dans  la 
littérature  allemande  on  a  signalé  avec  bonheur  Tapparition 
du  Blûtengxrtlein,  nom  désormais  presque  aussi  populaire  en 
Allemagne  que  celui  des  Fioretti  en  Italie.  La  légende  du  bien- 
heureux Hermaun  Joseph  succède  au  beau  livre  auquel  nous 
faisons  de  fréquentes  emprunts  dans  notre  série  d'articles  Phi- 
lologie et  Béuélation,  ce  qui  prouve  que  parmis  nos  doctes 
voisins,  il  est  des  hommes  qui  savent  allier  les  recherches  de 
la  science  avec  la  méditation  des  choses  saintes.  On  a  dit  de 
saint  Bonaventure  que  dans  ses  ouvrages  la  piété  anime  la 
doctrine  et  la  doctrine  soutient  la  piété  :  c'est  là  un  bel  exemple, 
et  nous  félicitons  M.  Kaulen  de  l'avoir  suivi.  Puisse  le  même 
courant  se  faire  sentir  à  l'esprit  des  lecteurs  !  Ils  laisseront 
Hermann  et  Dorothée  pour  la  légende  du  bienheureux  Her- 
maun Joseph  ;  la  poésie  n'y  perdra  rien,  la  vie  intérieure  y  ga- 
gnera beaucoup,  et  en  tous  cas  le  naturalisme  cessera  de  s'infil- 
trer dans  les  âmes  à  l'aide  de  ces  compositions  malheureuses 
qui,  sou.s  une  vaine  apparence  de  chasteté,  recèlent  les  poisons 
mortels  de  la  mollesse  et  de  l'alfa  lissemenl.    L'abbé  d'AuTUN. 

CHRONIQUE. 


♦  .  Livres  mis  aVindex.  —  Décret  du  15  décembre  1862. 
Sunto  di  lezioni  di  diritto  ecclesiusiico  ad  uso  degli  studenti  dell'  Uni- 
versità  di  Toriao.  Toriuo,  tip.  G.  Favale  e  Comp.,  1861. 


9  5  CHRONIQUE.  [Tome  Vil. 

Catéchisme  de  l'Église  du  Seigneur,  par  le  T.  R.  Bugnoin,  évéque  ho- 
noraire de  cette  Église.  Troisième  éditioa.  —  Saiut-Deiiis  (Réunion),  lit. 
et  imp.  de  A.  Roussin,  rue  de  l'Église,  40,  1862.  Opus  prœdamnatum  ex 
Régula  II  Indids. 

Einleiiimg  in  die  Philosophie,  etc.,  id  est  :  Introductio  in  philosophiam 
et  fundamenlalis  delineatio  metapbysicae,  ad  philosopliiaereformationem. 
Auctore  Doctore  T.  Frohschammer,  ordinario  professore  in  Unlversitate 
Monacensi.  Monachii,  1858. 

Ueber  die  Freiheii  der  Wissenschaft,  von  D.  T.  Frohschammf^r,  ordentl. 
Professer  der  PJiilosophie  an  der  Universitaet  Mûnchen.  Mûnchen,  1861. 
Verlag  der  J.  J.  Lentuer'scheu  BuclihaLdlung.  Latme  vero:  De  libertate 
in  scientia.  '   . 

Aihenceum,philosophische  Zeitschrift  herausgegehen  von  Dr.  T.  Frohs- 
chauimer,  ordentl.  Professor  der  Philosophie  an  der  Universitaet  Mûnchen. 
Daninantur  per  epistolam  Sanctissimi  D.  N.  ad  Archiepiscopum  Monachen. 
et  Frisingen.  sub  die  11  decembris  1862. 

La  Cristiana  procedura  neW  attuule  Inquisizione  romana,  giustificazione 
del  parroco  Pielro  Mongini  contro  le  menzogne  dell'  Armonia  e  con- 
sorti.  Décréta  S,  Officii,  Feria  IV.  10  septembris  ISëi, 

Auctor  operis  cui  titulus:  Défense  des  principales  propositions  de  la 
thèse  soutenue  à  l'Université  de  Gênes,  le  19  juillet  1860,  par  Voulhier, 
laudabiliter  se  subjecit  et  opus  reprobavit. 

2.  M.  Ewald  a  donné  récemment,  dans  les  Gœttingisch".  gelehrte  Anzei- 
gen  (49  SLuck  1862,  p.  1929  ss.),  une  curieuse  appréciation  de  la  dernière 
brochure  de  M.  Renan.  [La  Chaire  d'hébreu  au  Collège  de  France.  Expli- 
cations à  mes  collègues.  Paris,  Michel  Lévy.  8°.  32  p.  3'  éd.)  Il  se  livre 
d'abord  à  des  considérations  sur  la  mesure  d-mt  M.  Renan  a  été  l'objet. 
Sur  ce  terrain,  nous  ne  pouvons  ni  ne  voulons  le  suivre.  Il  dénoue  le 
tissus  d'impossibilités  et  de  contradictions  sur  lequel  s'appuie  la  défense 
du  professeur  suspendu.  Prétendre  que  la  science  doit  se  séparer  de  la 
reliaion,  c'est  avoir  une  idée  bien  fausse  de  cette  dernière.  Dire  que  le 
professeur  institué  par  l'Etat  doit,  en  touchant  aux  questions  religieuses, 
l'aire  abstraction  de  toutes  les  formes  du  culte,  c'est  le  placer  dans  une 
situation  absolument  impossible.  Par  exemple,  M.  Renan  excuse  sa 
fameuse  phrase  sur  Jésus-Christ  en  disant  qu'il  n'aurait  pu  parler 
autrement  sans  «  blesser  la  théologie  israélite  (p.  21.)  »  N'était-ce  donc 
rien,  alors,  que  de  blesser  la  théologie  chrétienne  en  parlant  comme 
il  l'a  fais  ?  Ou  bien,  demande  M.  Ewald,  les  Juifs  sont-ils  les  seuls  auxquels 
on  doive  des  égards?  M.  Renan  pourra  faire  sou  profit  de  beaucoup  de 
réflexions  inspirées  par  son  factum  au  critique  de  Gœttingue.  Venant  d'une 
telle  plume,  elles  ue  peuvent  manquer  d'autorité. 

Il  fera  bien  surtout  de  méditer  ces  lignes  :  «  Il  partage  avec  cette  école 
(celle  de  Tubingue),  ses  opinions  bien  connues  sur  le  miracle,  et  s'ef- 
force de  démo. Il  ler  dans  une  longue  dissertation  (p.  22  ss.j  qu'ilu'ya  pas, 
et  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  miracles  :  il  paraît  presque  désirer  qu'avec 
l'idée  le  mot  lui-même  disparaisse  de  toutes  les  langues.  On  se  demande 
alors  pourquoi  il  donne  tant  d'importance  à  la  Bible,  qui  parle  à  chaque 
page  des  miraiCles  eidansiin  certain  sens  (l)nous  exhorte  ày  croire.»  Ajou- 

(I)  Pourquoi  cette  restriction?   La  Bible  ne  suppose-t-elle  pas  la  foi 


Janv.  18C3.1  CHRONIQUE.  95 

tODS  qu'il  u'est  pas  digne  de  la  science  d'écarter  les  questions  qui  la  gênent, 
de  tout  confondre  à  dessein  comme  le  fait  M.  Renan  quand  il  essaie  de 
discuter  la  question  du  miracle  dont  il  avait  déclaré  autrefois  vouloir 
s'abstenir,  sous  prétexte  qu'elle  n'est  pas  scientifique  et  que  la  science  la 
suppose  résolue  d'avance.  Ce  procédé  sommaire  était  plus  commode,  et 
aussi  plus  sûr.  Est-ce  de  la  discussion,  par  exemple,  que  ceci  :  «  Tout 
calcul  est  une  impertinence,  s'il  y  a  une  force  changeante  qui  peut  mo- 
difier à  son  gré  les  lois  de  l'univers,  si  des  hommes  réunis  et  priant, 
ont  le  pouvoir  de  produire  la  pluie  ou  la  sécheresse  ;  si  on  venait  dire 
au  météorologiste  :  «  Prenez  garde,  vous  cherchez  des  lois  naturelles  là 
«  où  il  n'y  en  a  pas.  :  c'est  une  divinité  bienveillante  ou  courroucée  qui 
«  produit  ces  phénomènes  que  vous  croyez  naturels  ;  »  la  météorologie 
n'aurait  plus  de  raison  d'être,  etc.  »  Que  répondre  à  de  pareilles  pué- 
rilités ? 

a.  La  Persécution  religieuse  en  Angleterre,  sous  le  règne  d'Elisabeth. 
(Paris,  Lecoffre  1803.  S»  cxviii-483  p.  6  fr.).  Sous  ce  titre,  M.  l'abbé 
DESTÛMBE3  vient  de  publier  un  récit  complet  de  ce  drame  lamentable 
dont  les  détails  sout  trop  peu  connus.  On  y  verra  par  quelle  suite  de  ruses, 
de  violences,  de  persécutions,  d'atrocités,  le  protestantisme  est  parvenu 
à  s'implanter  en  Angleterre.  On  y  verra  comment  malgré  les  efforts  des 
bourreaux,  la  religion  conserva  toujours  des  fidèles  dans  l'ancienne  Ile 
des  saints,  et  comment  le  sacerdoce  put  s'y  perpétuer.  Il  y  a  là  des 
scènes  qui  rappelleni  l'héroïsme  des  martyrs  de  la  primitive  église,  et 
la  barbarie  des  anciens  persécuteurs; 

4.  L'apologétipe  s'est  enrichie  récemment  de  deux  nouveaux  ouvrages. 
La  Divinité  ducat  ho  licisme  démontrée  par  la  nécessité  d'une  religion  révélée, 
par  l'abbé  J.  J.  Gayol  (Marseille,  1862,  in-U  de  iv-378  p.),  est  un  essai 
court  et  populaire  qui  s'appuie  principalement  sur  les  doctrines  du  tra- 
ditionalisme. Quelque  opinion  qne  l'on  ait  à  cet  égard,  c'est  là  un  terrain 
qui  n'est  pas  bien  solide  pour  y  asseoir  un  système  d'apologétique  :  ou 
bien  l'on  tombera  dans  les  erreurs  de  Baius  en  faisant  de  la  révélation 
surnaturelle  un  comiilémentobligé  de  la  nature  humaine  ;  ou  bien  l'on  ne 
démontrera  pas  autre  chose  que  la  nécessité  d'un  secours  intellectuel  ren- 
fermé dans  la  limite  des  exigences  de  notre  nature,  ce  qui  n'établit 
ni  la  nécessité,  ni  l'existence  d'une  révélation  surnaturelle.  M.  Cayol 
cherche  à  éviter  ce  double  écueil  par  un  détour  assez  compliqué,  mais 
il  suffit  de  are  avec  attention  son  chapitre  X  (p.  132-142)  pour  voir  com- 
bien peu  sa  démonstration  est  satisfaisante.  Ceci  demanderait  des  déve- 
loppements que  nous  devons  remettre  à  un  autre  occasion. 

Le  sfConJ  ouvrage  dont  nous  voulions  parler  se  place  sur  le  terrain 
historique.  Il  est  intitulé  :  Jésus-Christ.  La  Question  religiei'.se  des  temps 
présents,  par  l'abbéCxnNEY  (Paris,  Guyot  1862.  8°.  XXXil-483  p.).  C'est  une 
étude  sur  la  divinité  de  Jé.-<us-Christ  et  sur  l'incarnation.  Dans  la  partie 
polémique  de  son  œuvre,  l'auteur  s'est  attaché  principalement  à  réfuter 
l'israélite   Salvador  dont   le  livre  intitulé:  Jésus-Christ  et  sa  doctrine, \ni 

pure  et  simple  au  surnaturel  ?  C'est  encore  là  une  de  ces  inconséquences 
comme  nous  sommes  habitués  à  en  rencontrer  si  souvent  chez  ceux  qui 
désertent  le  terrain  solide  de  la  vérité  chrétienne. 


96  CHRONIQUE.  [Tome  VII. 

semble  résumer  les  attaques  les  plus  dangereuses  du  rationalisme  con- 
temporain. Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  M.  Salvador  se  montre  fort 
habile  dans  l'attaque  ;  mais  il  est  loin  de  connaître  tous  les  travaux  qui  ont 
paru  en  Allemaiçae,  ou  même  les  plus  importants  et  les  plus  nouveaux. 
Nous  trouvons  dans  l'introduclioa  de  M.  Garney  une  réflexion  qui  con- 
firme ce  que  nousavonseu  occasion  dédire  blendes  fois  pour  montrer  la 
sérieuse  importance  des  éludes  exéLjétiques.  «  Ce  serait  se  tromper,  dit- 
il,  que  de  penser  que  les  erreurs  des  rationalistes  allemands  ne  se  ré- 
pandeut  que  dans  leur  pays,  et  ue  sont  nuisibles  qu'à  ceux  qui  parlent 
leur  laugue.  Elles  nous  arrivent  par  mille  voies  et  se  répandent  en  France 
où  elles  séduisent  deux  sortes  d'âmes,  celles  qui  ignorent  et  celles  qui 
aiment  l'extraordiuaire  et  ce  qui  est  hardi  »  (p.  xxix). 

5.  Le  Guide  de  la  parfaite  religieuse,  par  l'abbé  Sanson  (2'  éd.  Tours, 
Catiier  1802,  in-12  de  444  p  )  est  un  bon  livre,  puisé  aux  meilleures  sour- 
ces, que  nous  recommandons  avec  confiance  aux  religieuses  et  aux  di- 
recteurs de  communautés. 

L Eucharistie.  Méditations  pour  chaque  jour  de  l'année,  d'après  le  R.  P. 
de  Machault,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  par  M.  l'abbé  J.  Sagette  (Paris, 
Bray,  186-2.  4  vol.  iu-12  de  xvi-49i,  447,  479.  484  p.  12  fr.).  Le  plan  seul 
de  ce  livre  est  emprunté  au  Thrésor  des  grands  biens  de  la  sainte  Eucha- 
ristie, par  le  P.  de  Machault.  M.  l'abbé  Sagette  a  pensé  que  le  Thrésurne 
pouvait  êlre  réimprimé  tel  quel,  parce  qu'il  a  vieilli  sous  le  rapport  de 
la  forme,  et  que  la  composition  n'est  pas  exempte  de  défauts.  Le  corri- 
ger ne  paraissait  pas  non  plus  très-praticable.  U  a  donc  préféré  le  refaire. 
«  J'ai  pris  du  P.  Machault,  dit-il,  le  plan  qui  me  semble  très-beau,  la 
division,  qui  semble  bien  faite.;  et  sur  ce  plan,  avec  cette  division,  j'ai 
disposé  jour  par  jour,  en  suivant  chaque  partie  de  l'année  liturgique, 
chacune  de  ces  réflexions,  dont  j'ai  fait  une  méditation,  ou,  si  l'on  veut, 
un  eulretien.  Le  plan  du  Thrésor  consiste...  à  prendre  l'évangile  du  di- 
manche ou  de  la  fôte^  à  méditer  chaque  parole,  eu  l'appliquaut'au  divin 
Sacrement,  pendant  chaque  jour  de  la  semaine  ou  Je  l'octave.  Les  médita- 
tions de  l'Eucharistie  ont  été  faites  ainsi.  Chaque  jour,  elles  ont  servi  de 
pain  quotidien  dans  l'exercice  de  l'oraison  ;  elles  ont  été  pratiquées,  puis 
composées  à  la  suite,  comme  pour  se  rendre  compte  du  travail  de  l'âme 
et  du  fruit  de  la  réflexion  ;  elles  ont  été  écrites,  non  point  avec  le  livre 
et  la  pensée  d'un  autre,  mais  en  suivant  le  mouvement  de  la  pensée  et 
la  flamme  du  cœur  {Introduction,  p.  vu  s.).  »  Ce  que  nous  avons  pu 
lire  des  méJitations  de  M.  Sagette  nous  a  montré  que  c'est  un  livre  fait 
sârieusemeut. 

6.  Le  manuel  de  liturgie  pratique  de  M.  Falise,  si  exact,  si  complet,  si 
bien  disposé,  vient  d'être  traduit  eu  latin  par  l'auteur  lui-même,  pour 
l'usage  des  pays  étrangers,  comme  aussi  des  établissements  où  les  rites 
sont  enseignés  dans  cette  langue.  Peut-être  même  celte  édition,  qui  est 
très-belle,  obtiendra-t-elle  aussi  quelque  succès  en  France.  {Sacrorum 
Rituum,  rubricarumque  Missalts,  Breviurii,  et  Rilualis  Romani  coinpendiosa 
elucidatio.  Âuclore  J.  B.  Falise.  Scaphusite,  Hurler,  1S63.  8o  xu-781  p. 
7  fr.). 

E.  Hautcœur. 


Arras.  —  Typographie  Rousseau-Leroy,  rue  Saint-Maurice,  26. 


PHILOLOGIE   ET   REVELATION. 


Septième  article. 


XVL 


Nous  avons  démontré  l'existence  d'une  langue  primitive  : 
nous  avons  découvert  à  la  lumière  de  la  philologie  et  de  la 
Révélation  le  caractère  principal  qui  lui  convenait.  Avant 
d'aborder  la  question  de  l'origine  de  cette  langue,  il  nous  pa- 
raît nécessaire  de  faire  connaître  le  rapport  qu'elle  avait  avec 
la  mission  du  premier  homme,  les  principes  généraux  de  la 
connaissance  intellectuelle  et  les  conséquences  qui  en  découlent 
pour  la  formation  d'un  langage  organique  ou  pathognomique. 
Ces  considérations  nous  conduiront,  par  une  voie  que  nous 
croyons  scientifique,  à  la  question  de  l'origine  du  langage.  La 
solution  que  nous  lui  donnerons  suivra  ces  prémisses  par 
manière  de  conclusion  naturelle.  Nous  ne  négligerons  pas 
l'exposition  historique  des  divers  systèmes  relatifs  à  Torigine 
du  langage  :  mais  nous  lui  donnerons  moins  d'importance 
qu'elle  n'en  reçoit  d'ordinaire  dans  des  travaux  analogues, 
persuadé  qu'une  fois  notre  opinion  établie,  on  comprendra 
beaucoup  plus  aisément  qu'elle  est  la  résultante  des  divers  sys- 
tèmes connus^  et  qu'elle  renferme  clans  la  simplicité  de  sa  syn- 
thèse la  somme  de  vérités  qu'ils  contiennent.  Si. la  Révélation 
nous  conduit  plus  souvent  que  la  philologie,  dans  la  voie  où 
nous  ei-trons,  nous  ne  nous  priverons  cependant  pas  absolu- 
ment des  lumières  de  la  science.  Mais  au  point  où  nous  en 
sommes,  ce  serait  méconnaître  les  résultats  incontestables  des 

Revue  des  sciences  scclésiastiques,  t.  yii.  7-H. 


S8  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [Tome  Vll- 

démonstrations  précédentes,  que  de  ne  vouloir  entendre  que 
les  enseignements  de  la  philologie.  La  Révélation  a  établi  sa 
conformité  avec  la  science  dans  les  questions  qui  précèdent. 
On  a  vu  la  vérité  du  récit  mosaïque  de  Babel,  confirmé  scien- 
tifiquement et  dans  toutes  ses  parties.  L'unité  de  ce  récit,  qui 
ressort  des  explications  proposées,  nous  autorise  à  profiter  de 
tout  ce  qu'il  contient.  D'ailleurs,  que  la  science  indépendante 
ne  s'effraie  point  d'une  marche  qui  contraste  avec  ses  habitu- 
des. Peu  importe  que  nous  commencions  parexposer  les  don- 
nées de  la  philologie  ou  les  données  de  la  Révélation,  pourvu 
que  nous  arrivions  à  démontrer  qu'il  règne  entre  elles  une 
harmonie  parfaite,  et  que  si  les  unes  sont  plus  incomplètes  que 
les  autres,  il  faut  s'en  prendre  uniquement  à  Timperfection  de 
nos  connaissances,  lorsqu'on  les  rapproche  des  connaissances 
divines.  Parlons  d'abord  de  l'utilité  du  langage  pour  le  premier 
homme  et  des  services  qu'il  en  recevait. 

XVII. 

Dire  que  le  langage  est  la  manifestation  de  l'esprit  qui  pen- 
se, c'est  tout  à  la  fois  dire  trop  et  pas  assez.  A  ce  compte,  en 
efifet,  la  musique  serait  la  même  chote  que  le  langage,  et  celui 
qui  produirait  ou  qui  ferait  produire  à  un  instrument  des  mo- 
dulations musicales  serait  censé  parler.  Sans  doute  il  y  a  une 
analogie  entre  la  musique  et  le  langage.  Le  musicien  met  son 
àme  dans  ses  compositions,  comme  l'orateur  la  met  dans  son 
discours.  Mais  le  mode  de  manifestation  est  difierent,  et  si 
l'on  veut  définir  le  langage  comme  il  convient,  il  faut  dire  que 
le  langage  est  la  manifestation  de  l'esprit  qui  pense,  opérée  par 
le  sujet  pensant  au  moyen  de  sous  articulés.  Ce  qui  vit  et 
se  meut  dans  son  esprit,  ce  qui  forme  l'objet  de  ses  représenta- 
tions et  de  ses  pensées,  l'homme  l'extériorise  et  le  manifeste 
par  le  langage.  11  serait  inexact  de  croire  que  l'homme  dans 
son  discours  reproduit  le  monde  extérieur  :  il  ne  manifeste  que 


Févr.  ISfiS  ]  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  99 

ses  conceptions  intimes,  et  les  réalités  extérieures  sont  dans 
un  rapport  médiat  avec  la  parole  par  les  images  intérieures 
qu'elles  forment  dans  l'esprit.  En  parlant,  l'homme  manifeste 
donc  l'état  intime  de  sou  âme,  et  il  le  fait  par  le  moyen  de 
sons  articulés.  D'où  il  suit  que  le  mot  ou  le  discours  humain 
a  en  même  temps  un  caractère  spirituel,  qui  lui  vient  de  la 
manifestation  de  l'âme,  et  un  caractère  corporel  formé  par  les 
vibrations  imprimées  à  l'air,  desquelles  résulte  le  son  articulé. 
A  l'existence  du  mot,  l'âme  et  le  corps  concourent  simultané- 
ment, ce  qui  fait  que  le  mot  est  le  résultat  d'un  fait  individuel 
et  que  sa  création  provient  de  l'action  personnelle  de  celui  qui 
parle.  Mais  dès  lors  ne  sail-on  pas  que  deux  voix  humaines 
données  n^ont  presque  jamais  un  timbre  pleinement  identique, 
que  deux  figures  ne  se  ressemblent  jamais  parfaitement?  Ainsi, 
deux  hommes  ne  parleront  jamais  d'une  manière  tout-à-fait 
identique,  parce  que  les  idées  qu^ils  se  forment  de  diverses 
choses  proviennent  de  connaissances  diverses  et  ne  sont  jamais 
identiquement  les  mêmes.  Il  y  a  trop  d'éléments  qui  entrent 
dans  la  formation  d'un  mot,  ces  éléments  sont  trop  différents, 
pour  que  leurs  résultantes  ne  soient  pas  marquées  des  mêmes 
diversités.  Si  donc  on  peut  dire  de  la  musique  qu^elle  est  la 
manifestation  extérieure  des  sentiments  humains,  on  dira  du 
langage  qu'il  est  la  manifestation  intérieure  des  idées  et  des 
sentiments  de  l'individu. 

Le  premier  homme  était  comme  le  trait  d'union  du  monde 
corporel  et  du  monde  spirituel.  Par  son  corps  il  appartenait  à 
la  terre  dont  il  avait  été  tiré,  qui  le  nourrissait,  mais  par  son 
organisation  merveilleuse  il  était  bien  au-dessus  des  animaux 
qu'elle  portait.  Ce  corps,  uni  à  une  âme  immortelle,  se  trouvait 
en  rapport  par  elle  avec  le  monde  spirituel  .Seul  parmi  les  créa- 
tures l'homme  pouvait  connaître  son  créateur  et  l'aimer  ;  seul 
par  sa  volonté  libre,  il  pouvait  rendre  à  Dieu  le  tribut  de  re- 
connaissance et  d'amour  que  la  création  entière  doit  à  son  Créa- 
eur.   Telle  était  la  vocation  du  premier  homme.   Elle  est 


iOO  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [  Tome  VIL 

clairement  exprimée  par  un  mot  des  Proverbes  :  «  Universa. 
«  propter  semetipsam  operatus  est  Dominus  (1).  »  Les  échos 
de  son  âme  formée  à  l'image  de  Dieu  répétaient  la  louange  de 
Dieu  que  chantaient  à  ses  oreilles  la  nature  et  ses  divers  rè- 
gnes. Il  convenait  que  Dieu  lui  donnât  un  moyen  de  manifes" 
ter  ce  qu'il  éprouvait  en  lui.  Ce  moyen  fut  le  langage.  L'hom- 
me le  connut  :  il  sentit  le  pouvoir  qu'il  avait  d'offrir  à  Dieu  un 
sacrifice  de  louanges,  et  il  voulut  le  lui  offrir  par  une  détermi- 
nation libre  de  sa  volonté.  Rien  d'étonnant  dans  ce  fait,  lors- 
qu'on sait   que  ia   volonté   de  l'homme  était   alors  dans  une 
harmonie  parfaite  avec  la   volonté  de  Dieu.    Mais  ce   qui  est 
digne  d'observation,  c'est  la  nécessité  qu'il  y  avait  pour  l'hom- 
me d'articuler  sa  pensée   de  louange  et  de  reconnaissance 
envers  le  Créateur.  Le  rôle  que  sou  corps  lui  donnait  dans  le 
monde   était  trop  important  pour  que   celui-ci  n'eût  point  sa 
part  dans  le  sacrifice  que  l'homme  devait  à  Dieu.  Tandis  que 
sa  pensée  reconnaissante  et  aimante  lui  servait  à  être  le  pon- 
tife des  natures  spirituelles,  sa  parole  le  rendait  le  pontife  des 
natures  corporelles  et  inférieures.  D'ailleurs,  son  corps  et  son 
âme  étaient  dans  une  harmonie  telle  qu'encore  ici  la  détermi- 
nation du  corps  à  exprimer  les  pensées  de  l'âme  se  produisait 
naturellement,  bien  que  toujours  d'une  manièi^e  essentielle- 
ment libre.  Dès  lors,  lorsque  le  premier  homme  parlait,  son 
langage  était  comme  une  nouvelle  création,  ou  une  unité  de 
la  création  reconstituée,  à  laquelle  le  monde  extérieur  four- 
nissait l'idée,  Tesprit  de  l'homme  la  forme,  ses  organes  corpo- 
rels, la  matière.  Par  le  fait  même  de  cette  nouvelle  création, 
riiomme  apparaissait  encore  une  fois  comme  image  de  Dieu, 
et  comme  l'usage  de  la  liberté  humaine  avait  pour  but  d'opé- 
rer cette  conformité  entre  l'homme  et  son  Auteur,  ainsi  par  le 
langage  et  par  l'acte  libre  quile  déterminait  à  parler,  l'homme 
entrait  dans  la  voie  de  sa  perfection.  Aussi  est-ce  la  volonté 

(i)  Proo.  XVI,  4. 


Févr.  1863.]  POILOLOGIE   F.T   RtVÉLATlON.  101 

que  l'homme  avait  d'atteindre  sa  perfection  qui  le  détermina 
à  parler,  et  le  premier  langage  que  l'on  entendit  sur  la  terre 
fut  la  prière  d'amour  de  l'homme  nui  à  son  Dieu  qui  lui  ma- 
nifestait son  amour. 

Le  premier  et  le  seul  acte  par  laquel  Adam  manifeste  sa  su- 
périorité et  son  domaine  sur  la  création,  est  l'imposition  des 
noms  qu'il  donne  aux  animaux.  Ces  noms  leur  conviennent 
et  leur  restent,  parce  qu'Adam  qui  les  a  donnés  connaissait 
parfaitement  leur  nature  et  avait  voulu  la  caraclériser  dans 
une  expression  phonétique  (1).  Le  langage  lui  servait  donc 
comme  d'un  mo3'en  capable  d'établir  sou  domaine,  et  de 
constater  sa  supériorité  sur  les  êtres  qui  Tenvironnaient.  lia 
suffi  à  Moïse  de  raconter  ce  fait  pour  expliquer  la  mission  de 
l'homme  qu'il  avait  fait  connaître  dès  le  premier  chapitre  (Gen. 
1 ,  26  ),  «  Ut  prœsit  piscibus  maris  et  volatilibus  cœli  ;  »  et  qu'un 
autre  écrivain  inspiré  exprimait  plus  tard:  «  Dédit  illi(homini) 
potestatem  eorum  quœ  sunt  super  terram  ;  posuit  timorem  illi us 
super  omnem  caméra,  et  dominatus  est  bestiarum  et  volati- 
lium  (Eccli.  xvii,  3,  4).  » 

Quant  à  la  facilité  avec  laquelle  Adam  parlait  et  à  l'exacti- 
tude avec  laquelle  il  exprimait  ses  idées  les  plus  élevées,  elles 
résultaient  de  toutl'ordre  particulier  de  sa  création.  Bien  qu'il 
n'eût  aucune  idée  purement  surnaturelle,  et  que  l'expression 
de  ses  idées  surhaturelles  eût  sou  fondement  dans  une  méta- 
phore tirée  du  monde  sensible,  il  était  par  l'union  de  l'âme  et 
du  corps,  et  par  les  dons  surnaturels^  le  trait  d'union  entre 
les  deux  mondes.  Les  perceptions  de  ses  sens  en  revêtaient 
un  caractère  de  perceptions  surnaturelles,  et  tandis  qu'actuel- 
lement le  corps  nous  gêne  comme  un  fardeau  et  comprime 
notre  essor  vers  les  régions  du  suprasensible,  son  corps  à  Ini, 
lui  faisait  trouver  dans  ses  appréhensions  purement  naturelles 
le  principe  supérieur  de  toutes  les  choses  connues,  et  ses  actions 

(1)  Oinne  euim  quod  vocavil  Adam  animée  vivenlis,  ipsum  est  no 
men  ejus  [Gen.  u,  -19). 


102  l'P.ILOLOGFE   ET   r.ÉVÉLATION.  |Tonio  VU 

les  pins  communes,  boire,  manger,  revêtaient  un  caractère  sur- 
naturel et  moral.  Ainsi,  le  mouvement  organique  que  provo- 
quait le  désir  d'exprimer  ses  idées  touchait  au  surnaturel  de 
deux  côtés,  et  par  ces  idées  mêmes  qui  en  étaient  imprégnées, 
et  parla  forme  phonétique  qu'il  leur  donnait.  Nous  avons  dans 
les  deux  sens  littéral  et  spirituel,  des  saintes  Ecritures^  une 
image  de  l'union  du  naturel  et  du  surnaturel  dans  le  lan- 
gage primitif,  avec  cette  différence  toutefois,  que  tous  les  pas- 
sages de  l'Écriture  n'ont  pas  un  sens  spirituel,  tandis  que  la 
langu5  d'Adam  tenait  au  surnaturel  par  tous  ses  côtés  (1). 

Telles  sont  les  ressources  que  la  parole  offrait  à  l'homme  dans 
sf  s  rapports  avec  Dieu  et  avec  les  êtres  inférieurs  de  la  création. 
Nous  n'avons  pas  encore  parlé  de  celles  qu'il  y  trouvait  pour 
entrer  avec  la  première  femme  et  avec  sa  postérité  dans  cette 
union  d'idées  et  de  sentiments  dont  le  principe  était  dans  le 
fonds  de  sa  nature,  et  dont  le  développement  devait  être  le  fruit 
de  sa  liberté.  Il  nous  est  impossible  d'imaginer  un  moyen  plus 
capable  de  rapprocher  deux  âmes  humaines.  La  parole,  telle 
qu'elle  était  au*Paradis,  emportait  avec  elle  toute  l'âme  du 
premier  homme,  pour  la  mettre  dans  l'âme  de  la  première 
femme,  et  lorsque  celle-ci  parlait,  il  y  avait  entre  les  deux  un 
échange  admirable  d'idées,  de  sentiments,  de  tout  leur  être  en  u  n 
mot.  De  cet  échange  résultait  l'union  la  plus  parfaite  dont  nous 
puissions  avoir  l'idée.  L'univers  entier  passait  d'une  âme  à 
l'autre  parle  langage,  et  il  y  passait  en  y  apportant  cette 
grande  voix  de  la  création  qui  chante  la  gloire  de  son  auteur. 
Il  cstuue  union  qui  nous  rappelle  cet  échange  admirable,  c'est 
celle  de  Jésus-Christ  avec  l'Eglise.  La  vois  deTÉglise,  c'est  sa 
prière,  et  sa  prière  se  compose  de  la  voix  du  Verbe  manifesté 
dans  l'Ecriture  et  incarné  dans  le  Christ,  comme  la  voix  de  la 
première  femme  était  le  Verbe  du  premier  homme  déposé  en 
elle  par  le  langage  articulé. 

(i)  Fred.  Sdilegel,  Geschichte  der  alten  und  neuen  Lileratur, 
2  Âufl.  I.  SS.  124, -l2o.  Cilé  par  M.  Kaulen,  Sprachv.  S.  -137. 


Fcvr.  1863.]  PHILOLOGIE   ET    RÉVÉLATION.  103 

XVIII. 

Tous  ces  secours  que  l'homme  recevait  du  langage  étaient 
merveilleusement  servis  par  les  facultés  du  premier  homme,  et 
par  les  connaissances  surémincntes  qu'il  possédait  sur  lui-mêmo, 
sur  le  monde  et  sur  Dieu.  Rappelons  ici  quelques  principes  de 
l'École  sur  la  connaissance  intellectuelle.  Ils  nous  montreront 
comment  cette  parole  primitive,  dont  le  facteur  était  l'ensemble 
des  connaissances  humaines,  était  capable  de  produire  les  effets 
que  nous  venons  d'analyser  et  de  répoudre  à  la  dignité  du 
premier  homme,  pontife  de  la  création,  être  social,  auteur  et 
propagateur  de  la  vie  matérielle  et  spiiituelle  qu'il  possédait 
avec  une  telle  plénitude.  L'ancienne  philosophie  avait  enseigné 
que  toute  connaissance  est  l'effet  d'une  ressemblance  de  l'objet 
connu  avec  le  sujet  connaissant.  En  présence  de  ces  appella- 
tions de  la  seconde  personne  de  la  sainte  Trinité  :  Verbe,  image 
de  Dieu,  les  théologiens  sesont  demandé  quelle  était  leur  raison 
d'être,  et  ils  l'ont  toujours  trouvée  dans  la  procession  du  Père 
par  voie  de  génération  intellectuelle.  La  même  essence  est 
dans  le  Père  qui  est  dans  le  Fils,  ou  pour  mieux  dire,  elle  est 
comme  Père  la  connaissance  génératrice,  le  dire,  to  dicere,  et 
comme  Fils  la  connaissance  engendrée,  le  Verbe.  Aussi  l'École 
a-t-elle  enseigné  que  le  principe  connaissant  devient  une  cer- 
taine similitude  de  l'objet  connu,  ce  qui  revient  à  l'axiome  de 
l'ancienne  philosophie,  en  évitant  les  inconvénients  qu'il  pou- 
vait présenter.  En  effet,  la  ressemblance  entre  le  sujet  connais- 
sant et  l'objet  connu  n'est  pas  de  toute  nécessité  une  conformité 
d'essence.  Personne  ne  l'a  jamais  enseigné,  car  c'eût  été  con- 
tredire les  faits,  qui  nous  apprennent  que  nous  pouvons  con- 
naître des  choses  qui  diffèrent  de  nous  par  l'essence.  11  suliit 
de  la  conformité  des  qualités  ou  des  accidents.  Aussi  la  véri- 
table nature  de  la  connaissance  est-elle  d'être  une  image  qui 
se  forme  dans  le  sujet  comme  la  reproduction  de  l'objet  connu. 


^04  PHILOLOGIE   ET  RÉVÉLATION.  [  Tome  Vil. 

pourvu  que  l'objet  soit  avec  le  sujet  dans  ces  rapports  de  res- 
semblance que  les  scolastiques  ont  appelée  intentionnelle,  par 
opposition  à  la  ressemblance  réelle.  Leur  but  n'a  pas  été  d'en- 
lever à  la  première  sa  réalité  objective,  mais  de  faire  ressortir 
la  prérogative  qn'ellea  de  former  la  connaissance,  et  qu'ils  ont 
appelée  Vintelligibilité  des  choses,  désignant  par  là  la  propriété 
qu'elles  ont  de  produire  en  nous  un  être  intentionnel,  que  nous 
pouvons  à  bon  droit  nommer  idéal. 

Tout  acte  de  la  connaissance  suppose  la  ressemblance  de 
l'objet  connu,  mois  cette  ressemblance  peut  tout  aussi  bien 
être  un  original  qu'uue  copie.  La  connaissance  peut  provenir 
de  l'objet  préexistant,  comme  aussi  l'objet  peut  être  modelé  sur 
l'image  placée  dans  le  principe  de  la  connaissance.  Ainsi,  la 
représentation  d'un  objet  de -la  création  est  une  image  prise 
de  la  réalité  :  au  contraire,  la  peuséede  l'artiste  est  le  proto- 
type de  son  œuvre.  En  Dieu,  on  ne  trouve  pas  cette  connaissance 
venue  deschoses  extérieures. En contemplantsapropreessence, 
il  se  connaît  lui-même;  il  connaît  toutesles  réalités  et  possibili- 
tés distinctes  de  son  être,  et  le  Verbe  procédant  de  l'acte  de 
l'intelligence  sera  en  même  temps  l'image  de  Dieu  qui  le  pro- 
fère et  le  prototype  de  toutes  les  existences  réelles  ou  possi- 
bles (1). 

Mais  suivant  une  loi  que  nous  avons  déjà  posée,  le  Verbe  de 
Dieu  est  ainsi  appelé  par  uue  analogie  prise  de  l'activité  hu- 
maine. Le  Verbe  de  Thomme  sera  donc  en  quelque  manière 
la  reproduction  de  lui-même  et  la  représentation  des  réalités 
extérieures  ou  intérieures  qui  auront  concouru  à  sa  formation. 
Si  donc  l'homme  est  le  pontife  de  la  création,  il  trouvei'a  dans 
son  langage  le  moyen  de  remplir  sa  destinée.  Et  remarquons 
à  cet  égard  qu'il  y  a  dans  l'acte  de  la  connaissance  une  acti- 
vité et  uue  passivité.  L'activité  est  ce  regard  rétrospectif  du 
sujet  sur  lui-même;  la  passivité  est  l'aptitude  qu'a  le  sujet 

(1)  S.  Th.  C.  Gent.  lib.  iv,  cap.  ii. 


Févr.  1863.]  PHILOLOGIE   ET  RÉVÉLATION.  -105 

d'arriver  à  la  connaissance  par  lui-même  et  par  les  ressem- 
blances intentionnelles  des  objets.  Ainsi  un  corps  lumineux 
doit  à  sa  nature  d'être  lumineux  en  lui-même,  et  aux  fluides 
qui  l'environunent  de  pouvoir  éclairer.  L'bomme  doit  à  sa 
nature  de  pouvoir  connaître,  et  à  l'objet  de  sa  connaissance  le 
fait  même  de  son  acte  intellectuel.  Si  donc  la  connaissance  n'est 
pas  essentiellement  libre  dans  ses  premiers  éléments,  elle  l'est 
au  moins  dans  son  perfectionnement  et  dans  son  application, 
dans  sa  manifestation  extérieure  par  la  parole.  De  là  cette  li- 
berté qui  a  passé  de  l'homme  au  monde  extérieur  se  reflétant 
en  lui,  et  qui  a  caractérisé  pour  l'ennoblir  le  premier  langage 
humain,  le  premier  sacrifice  de  louanges  offert  par  la  créature 
à  son  Auteur. 

Il  nous  reste  à  expliquer  la  manière  dont  la  connaissance 
peut  arrivera  se  former  en  nous,  et  comment  ce  genre  de  per- 
fection qui  consiste  pour  un  être  à  réunir  en  lui  la  perfection 
des  autres  réalités,  se  trouve  chez  l'homme  par  le  fait  même 
qu'il  connait.  SLa  possibilité  de  la  connaissance  est  dans  l'ap- 
titude de  la  chose  connue  à  se  trouver  dans  le  sujet  (1). 
Mais  quelle  est  exactement  la  nature  de  cette  aptitude? 
Saint  Thomas  distingue  un  double  changement  dans  le  sujet, 
selon  qu'il  reçoit  la  forme  (la  propriété  essentielle)  de  l'objet 
dans  son  être  physique  (réel)  ou  dans  son  être  spirituel 
(idéal)  (2).  Le  premier  se  produit  dans  les  êtres  matériels,  au 
point  même  que  quelquefois  ils  ne  peuvent  pas  recevoir  un 
être  étranger  sans  perdre  le  leur.  Le  second  changement  rend 
seul  la  connaissance  possible,  et  suppose  si  peu  le  premier,  que 
plus  celui-ci  se  trouve  exclus,  plus  l'acte  est  parfait.  Les  sens 
même  nous  offrent  l'application  et  la  vérification  de  ce  princi- 
pe :  celui-là  est  le  plus  étendu  dont  l'organe  subit  le  moindre 
changement,  et  c'est  le  sens  de  la  vue  (3).  Et  nous  disons  : 

(0  S.  Th.,  dereritale,  q.  2,  a.  2. 

(2)  S.  Th.  S.  p.  d,q.  78,  a.  3. 

(3)  \.  Pan.  q.  7.5,  aa.  5,  6.  —  Contra  Cent.  I.  2,  capp.  50,  53. 


•i06  PHILOLOGIE    ET   RÉVÉLATION.  [Tome  VU. 

L'esprit  humain  est  capable  de  recevoir  en  lui  par  la  connais- 
sance les  phénomènes,  la  forme  des  objets  dans  leur  être  idéal, 
à  cause  de  son  immutabilité  essentielle.  Aussi  l'École  s'est-elle 
complue  à  répéter  avec  Aristote  que  notre  nature  intellectuelle, 
c'est-à-dire,  le  principe  indestructible  et  immortel  de  notre  être, 
peut  tout  devenir.  C'est  aussi  la  raison  de  ces  paroles  de  saint 
Thomas,  dans  un  des  passages  cilés  plus  haut:  «  Tandis  que 
«  chacune  des  créatures  ne  peut  renfermer  en  elle  qu'une 
«  partie  très-minime  de  l'univers,  l'àme  raisonnable  étend  sa 
c(  connaissance  à  l'univers  entier.  » 

Ceci  explique  suffisamment  dans  quel  sensles  scolastiques  ont 
attribué  une  certaine  universalité  au  principe  de  nos  connais- 
sances. Ils  n'ont  pu  entendre  par  laque  cetle  propriété  du  sujet 
de  recevoir  en  lui  l'image  intellectuelle  de  nombreux  objets, 
ou  si  l'on  veut,  leurs  essences  propres  dans  leur  nature  idéale 
et  non  réelle.  C'est  là  l'idée  de  saint  Thomas,  lorsqu' après  avoir 
montré  les  êtres  privés  de  connaissance  comme  bornés  à  leur 
propre  forme, et  les  intelligences  comme  douéesde  la  faculté  de 
recevoir  celles  des  autres  êtres,  il  ajoute  qu'elles  les  reçoivent 
«  en  tant  que  l'image  (species)  de  l'objet  existe  dans  le  sujet.  » 
Alors  seulement  il  tire  sa  conclusion,  qu'un  être  capable  de 
connaissance  participe  de  l'être  à  un  plus  haut  degré  que  celui 
qui  en  est  incapable.  Cette  dignité,  toutefois,  il  ne  faut  pas  la 
considérer  dans  le  sujet  simplement  comme  l'effet  de  cette 
possession  de  l'être  idéal  qui  lui  est  étranger.  La  faculté  même 
de  percevoir  les  objets  extérieurs  suppose  en  lui  une  perfection 
qu'avec  beaucoup  de  raison  on  peut  nommer  une  certaine  plé- 
nitude de  l'être.  Les  scolastiques  aiment  à  revenir  sur  cette  puis- 
sance merveilleuse  de  l'esprit.  Produire  en  soi  les  représenta- 
tions vivantes  fies  objets  avec  la  rapidité  de  l'éclair,  s'approprier 
par  l'amour  le  bien  et  la  perfection  comme  il  le  saisit  par  la 
pensée,  n'est-ce  point  là  pour  l'homme  être  un  petit  monde  et 
la  véritable  image  de  son  Créateur?  Dieu,  océan  immense  de 
l'èlre,  contient  originairement  en  lui  toutes  les  créatures,  toutes 


Kévr.  1SG3.[  PUILOLOGiE    ET    lîÉVÉLATiOX.  107 

les  merveilles  que  sa  parole  a  tirées  du  néant  :  l'esprit  à  saii 
tour  est  comme  une  mer  où  aboutissent  toutes  les  perfections 
des  êtres  créés  (1). 

L'organisation  intellectuelle  de  l'homme  ainsi  comprise,  on 
voit  combien  le  langage  était  capable  de  lui  servir  dans  le  rôle 
qu'il  avait  reçu  à  l'égard  de  la  création.  Tout  ce  qui  se  réllé- 
chissait  et  se  condensait  en  lui  trouvait  une  extériorisation  dans 
sa  parole  ;  et  comme  au  fond  l'éducation  spirituelle  et  maté- 
rielle de  ses  descendants^  n'était  que  leur  participation  par  la 
connaissance  et  par  l'amour  aux  prérogatives  du  premier 
homme,  la  forme  nouvelle  que  ces  prérogatives  recevaient  du 
langage  était  le  moyen  le  plus  propre  à  obtenir  ce  résultat. 
Ainsi,  pour  reprendre  la  même  comparaison^  comme  l'Océan 
divin  contenait  originairement  en  lui  toutes  les  créatures  par 
son  Verbe,  c'était  aussi  à  son  Verbe  intérieur  et  extérieur  que 
l'homme  devait  sa  plénitude  de  l'être  et  la  manifestation  de  ses 
plus  nobles  attributs.  «  Toutefois,  dirons-nous  avec  saint  Gré- 
«  goire  de  Nysse,  autant  la  nature  divine  diffère  de  la  nature 
«  humaine,  autant  leurs  propriétés  diffèrent  les  unes  des 
«  autres.  Notre  Verbe  est  un  néant  comparé  au  Verbe  con- 
«  substantiel  du  Père,  car  il  a  été  créé  avec  notre  nature,  et 
«  n'a  point  existé  de  toute  éternité  comme  le  Verbe  divin. 
«  Mais  comme  Dieu,  qui  nous  a  donné  l'aptitude  au  travail, 
«  n'a  pas  pour  cela  créé  chacun  de  nos  travaux  en  parti- 
«  culier,  ainsi,  en  nous  donnant  la  faculté  de  produire  notre 
«  Verbe,  Dieu  nous  en  a  laissé  l'application  et  la  direction, 
«  Ce  serait  une  puérilité,  une  niaiserie  digne  des  Juifs, 
a  que  de  se  figurer  Dieu  comme  un  maître  qui  a  fait  épeler 
a  par  l'homme  les  noms  destinés  à  former  son  langage.  Les 
c  idées  chrétiennes  sur  Dieu  et  ses  perfections,  sur  le  simple 
a  acte  de  sa  volonté  qui  a  tiré  l'univers  du  néant  répugnent  à 
a  une  conception  semblable.  Gomme  Dieu  a  donné  aux  ariimaux 

(1)  Sylv.  Maurus.  Quœit.  philos.,  q.  A. 


•108  PHILOLOGIE    ET    RÉVÉLATION.  [Tome  VII. 

a  la  faculté  de  se  mouvoir,  il  a  communiqué  à  la  nature  humaine 
«  la  faculté  déparier  et  d'articuler.  A  l'homme  de  déterminer 
«  les  procédés  organiques  d'articulation  qui  conviennent  à  la 
«  nature  des  choses  qu'il  veut  désigner.  Dieu  crée  les  choses, 
«  mais  il  ne  crée  pas  les  noms.  Les  choses  et  leurs  propriétés 
«  sont  le  résultat  de  la  puissance  créatrice,  taudis  que  les  noms 
«  qui  leur  sont  donnés  sont  le  résultat  de  la  puissance  d'arti- 
a  culation,  communiquée  une  fois  pour  toutes.  Celle-ci  est  une 
«  création  divine:  son  résultat  provient  de  la  liberté  humaine 
c(  dirigeant  la  faculté  reçue.  Le  langage  humain  est  doue  une 
«  invention  de  noire  esprit.  Car  de  même  qu'au  commence- 
«  ment,  lorsque  Thumanité  tout  entièreparlaitla  même  langue, 
«  la  sainte  Ecriture  ne  fait  pas  le  moins  du  monde  mention 
(t  d'un  enseignement  divin  du  langage,  ainsi,  lorsque  l'huma- 
«  nité  a  été  forcée  de  se  diviser  en  plusieurs  branches,  à  cause 
«  de  la  multiplicité  des  langues  qu'elle  a  parlées,  il  n'est  pas 
a  dit  que  Dieu  ait  établi  uue  loi  d'après  laquelle  telle  branche 
«  devait  adopter  tel  langage  déterminé  (1). 

Cette  opinion  de  saint  Grégoire  de  Nysse  résulte  si  directe- 
ment de  tout  ce  que  nous  avons  établi  avant  de  l'exposer,  que 
nous  croyons  devoir  l'adopter,  saui  à  lui  donner  quelques  dé- 
veloppements qui  ne  s'éloiguerout  pas  de  l'esprit  du  saint 
Docteur. 

L'opinion  de  l'innéité  du  langage  a  été  l'opinion  dominante 
du  paganisme,  du  judaïsme  et  des  docteurs  chrétiens.  En  ap- 
pelant 1  homme  Cwov  Àoyixov  xat  TToXiTiicov,  les  Grecs  indiquaient 
que  le  langage  est  essentiel  à  sa  nature  (2).  La  paraphrase 
chaldaique  d'Oukelos  traduit  ainsi  le  passage  de  la"  Genèse 


(^)  Gieg.  Nyss.  0pp.  éd.  Par.,  ^630,  l.  n,  p.  76S. 

(2)  ...  Quje  ulique  homini  nequaquam  compelereut,  nisi  prgeler 
ralionem  eliam  organum,  quo  raiionales  concepius  enuntiare  posset, 
Crea'.or  ipsi  dedissel.  Nam  sine  hoc  sermocinandi  inslrumenio  non 
esset  animal  poliucum  sive  sociale.  Briaa  Wallon  in  Proteg.  Bibl. 
Polygl.  Lond.  p.  -J . 


\ 


Fé^r.  tSf;3.1  PHILOLOGIE  ET   RÉVÉLATION.  109 

(il,  7)  :  Et  factiis  est  in  animam  vivenlem  ;  TfV^^  Ùl'^'2  T\MV\ 
ïSbb'Q^  :  et  fuit  homini  in  animam  loquentem.  Donc,  d'après  la 
tradition  qui  a  dicté  cette  traduction,  l'homme  n'est  pas  seu- 
lement un  être  raisonnable,  il  est  encore  un  être  parlant.  Fras- 
sen,  docteur  de  Sorbonne,  exprime  la  même  opinion  :  «Nos 
premiers  parents,  dit-il,  ont  à  l'instant  même  de  leur  création 
reçu  de  Dieu  le  langage  en  même  temps  que  l'intelligence,  » 
et  il  appelle  insensée,  pour  ne  pas  dire  impie  et  hérétique,  l'opi- 
nion de  ceux  qui  prétendent  que  l'homme  est  arrivé  aux  sons 
articulés,  par  des  sons  inarticulés,  et  au  langage  par  la  réu- 
nion des  mots  formés  peu  à  peu  (1). 

Dire  que  le  langage  est  inné  à  l'homme,  ce  n'est  pas  le  ré- 
duire à  une  faculté  organique  et  purement  matérielle.  Ainsi 
comprise,  cette  opinion  reviendrait  à  celle  d'Épicure  qui  veut 
que  les  hommes  aient  parlé  comme  les  chiens  ont  aboyé 
cpuffiKw:;  xivou[^.£voi  (2).  S'il  n'eût  été  que  cela,  le  langage  n'eût 
pas  subi  toutes  les  modifications  par  lesquelles  nous  savons 
qu'il  a  passé  :  il  eût  été  toujours  le  même,  comme  le  chant 
du  rossignol  ou  le  bêlement  des  agneaux.  Car  ce  qui  est  inné 
a,  eu  tant  qu'inné,  un  caractère  ineffaçable  (3).  Le  langage  a 
prouvé  par  ses  variations  qu'il  est  affranchi  des  lois  de  Tim- 
mutabilité  naturelle,  et  qu'il  a  son  principe  dans  une  acti- 
vité libre.  Rappelons  nous  maintenant  toque  l'homme  a,  dans 
son  organisme,  la  faculté  de  produire  des  sons  articulés,  et 
que  c'est  là  une  prérogative  qui  l'élève  au-dessus  des  autres 
créatures.  Rappelons-nous  2°  que  les  sons  articulés  par  l'iiom- 
rae,  grâce  à  son  organisme  et  à  l'union  qui  existe  chez  lui  entre 
l'âme  et  le  corps,  sont  capables  de  former  une  expression  juste 
et  organique  de  l'objet  de  la  pensée  humaine.  A  qui  appar- 

(1)  Cité  parChasIel  :  de  rOrigine,  etc.,  p.  -109. 

(2)  Prodi  Scholia  in  Plat.  Crat.  éd.  Boissonnade.  Leipzig,  1820, 
p.  9. 

(3)  Grimra,  Urspr.  der  Spr.,  in  den  Abhand.  der  Berlin.  Akad, 
4851,  p.  HO. 


•1-10  PHILOLOGIE   ET   EÉYÉLATION.  jTome  Vil. 

tiendra  l'usage  de  cette  faculté  et  le  choix  de  cette  expression? 
Qui  fera  passer  en  acte,  pour  nous  servir  des  mots  de  l'Ecole, 
cette  puissance  qui  fait  essentiellement  partie  de  la  nature  hu- 
maine ?  Et  si  Dieu,  eu  donnant  à  l'homme  le  pouvoir  de  parler, 
lui  a  révélé  l'idée  des  formes  phonétiques  parfaites,  quelle  sera 
la  faculté  à  laquelle  Thomme  aura  recours  pour  harmoniser  sa 
parole  avec  les  formes  phonétique  idéales,  et  rendre  la  pa- 
role la  plus  parfaite  possible? Il  en  a  été  évidemment  au  Para- 
dis de  la  faculté  de  parler,  comme  de  la  faculté  de  manger. 
L'homme  n'avait  pas  seulement  la  faculté  de  manger,  il  en 
sentait  aussi  le  besoin.  C'était  pour  lui  une  nécessité  innée,  en 
même  temps  que  le  fait  de  sa  liberté.  Aussi  l'acte  de  manger 
était-il  un  acte  moral,  un  acte  religieux,  un  acte  par  lequel 
l'homme  accomplissait  unepartie  de  sa  vocation.  Lors  donc  que 
l'homme,  se  sentant  sollicité  à  parler  par  les  besoins  intimes 
et  par  les  aptitudes  qu'il  reconnaissait  à  ses  organes,  proféra  le 
premier  discours,  il  accomplit  un  acte  dont  le  principe  était 
dans  les  perfections  innées  déposées  en  lui  par  son  Créateur,  et 
dont  la  détermination  provenait  de  sa  liberté.  D'où  il  suit  que, 
pour  donner  à  notre  opinion  une  formule  scolastique,  nous  pou- 
vons dire,  avec  M.  Kaulen  :  «  Le  langage  est  in  potentia  une  des 
perfections  innées  de  l'homme,  et  in  actu  une  activité  libre  (1).» 
Le  langage  a  donc  été  en  partie  un  don  de  Dieu  fait  à  l'homme 
dans  l'acte  même  delà  création.  Par  là  s'explique  la  parole 
des  Livres  saints  où  il  est  dit  que  l'homme  a  été  créé  parfait  ; 
par  là  s'explique  aussi  tout  ce  que  rapporte  la  Genèse  de  Tétat 
primitif  de  l'homme  au  Paradis,  et  enfin  cette  doctrine  s'accor- 
de avec  ce  que  nous  avons  établi  de  la  langue  primitive,  à 
savoir  l'union  organique  entre  les  son?  et  les  idées.  Toutefois, 
comme  ce  rapport  organique  avait  son  fondement  dans  l'exer- 
cice le  plus  parfait  de  la  liberté  humaine,  comme  l'état  primitif 
et  parfait  du  premier  homme  suppose  la  perfection  de  ses 

[\)  Die  Sprachv.,  p.  124. 


Févp.  dSOS.)  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  ^^^ 

connaissances  et  de  l'exercice  de  ses  facultés,  il  faut  admettre 
que  le  langage  a  été  aussi  en  quelque  manière  le  produit  des 
facultés  humaines,  s'exerçant  librement  selon  le  but  pour  le- 
quel elles  avaient  été  créées. 


XIX. 


Est-ce  trop  présumer  de  potre  opinion  que  de  dire  qu'elle 
renferme  tout  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans  les  théories  formulées 
à  propos  de  l'origine  du  langage,  et  qu'elle  évite  ce  qu'elles 
peuvent  contenir  d'exagéré  dans  le  sens  de  la  Révélation  ou 
de  la  liberté?  C'est  ce  que  va  montrer  un  examen  rapide  de 
ces  divers  systèmes. 

II  est  remarquable  d'abord  qu'en  dehors  de  la  Révélation, 
l'opinion  qui  a  voulu  faire  à  l'homme  les  honneurs  de  l'inven- 
tion du  langage,  s'est  crue  obligée  de  commencer  par  dépri- 
mer les  origines  humaines.  Il  n'y  a  pas  de  différence  à  cet 
égard  entre  Diodore,  Lucrèce,  Vitruve,  Horace  et  les  philo- 
sophes français  du  dix-huitième  siècle.  Tous  font  de  l'huma- 
nité un  «  mutum  et  turpe  pecus  »  qui  finit  par  mettre  sa  phy- 
sionomie en  jeu,  son  corps  en  mouvement,  par  produire 
certaines  intonations,  desquelles  résulte  un  premier  langage 
naturel  qui  va  ensuite  se  développant  peu  à  peu,  jusqu'à 
constituer  le  langage  articulé.  C'est  sans  doute  aux  besoins  de 
la  thèse  que  l'on  doit  l'assimilation  établie  par  cette  école 
entre  le  langage  articulé  et  le  langage  artificiel, 

M.  Renan  juge  ainsi  cette  hypothèse  :  «Elle  est  peut-être  de 
toutes  celles  qui  ont  été  essayées  pour  expliquer  l'origine  de 
la  parole,  la  plus  fausse,  ou,  pour  mieux  dire,  la  moins  riche 
en  vérité.  Les  philosophes  qui  la  proposèrent  avaient  bien 
compris,  il  est  vrai,  que  l'homme  a  tout  fait  dans  l'invention 
du  langage,  que  c'est  de  l'exercice  naturel  de  ses  facultés 
et  non  du  dehors  qu'il  a  reçu  le  don  de  l'expression  articu- 
lée;   mais  ils  commettaient  une  erreur  en  attribuant  aux  fa- 


il2  PHILOLOGIE  ET  RÉVÉLATION.  [Tome  VII- 

cultés  réfiéchies  et  à  une  combinaison  voulue  de  l'intelli- 
gence, un  produit  spoutané  de  cette  force  vive  que  révèlent 
les  facultés  humaines,  qui  n'est  ni  la  convention,  ni  le  cal- 
cul, qui  produit  son  effet  d'elle-même  et  par  sa  propre  ten- 
sion (1).  »  Il  faudrait  se  garder  d'oublier  en  parcourant  ces 
lignes  que  la  vérité  n'est  que  dans  la  nuance,  et  que  la  vraie 
science  consiste  à  ne  point  conc/ure.  Cependant,  nous  aurions  tort 
de  dissimuler  que  M.  Renan  avait  déjà  conclu  dans  sa  pré- 
face (p.  20)  que  «  l'invention  du  langage  ne  fut  point  le  résul- 
tat d'un  long  tâtoiinement,  mais  d'une  intuition  primitive, 
qui  révéla  à  chaque  race  la  coupe  générale  de  sou  discours 
et  le  grand  compromis  qu'elle  dut  prendre  une  fois  pour 
toutes  avec  sa  pensée.  »  On  pourrait  encore  se  demander 
d'où  est  venue  cette  «  intuition  primitive,  »  ce  qui  pro- 
duit cette  ((  force  vive,  »  cette  «  spontanéité.  »  M.  Renan 
■  nous  le  dit  dans  un  langage  un  peu  plus  intelligible,  en 
acceptant  ,  sous  quelques  réserves ,  la  manière  ordinaire 
de  parler  :  «  Sans  doute,  l'homme  produit  en  un  sens  tout 
ce  qui  sort  de  sa  nature  ;  il  y  dépense  de  son  activité  :  il 
fournit  la  force  brute  qui  amène  le  résultat  ;  mais  la  di- 
rection de  cette  force  ne  lui  appartient  pas  :  il  fournit  la 
matière,  mais  la  force  vient  d'en-Haut.  Le  véritable  auteur  des 
œuvres  spontanées  de  la  conscience,  c'est  la  nature  humaine, 
on,  si  l'on  aime  mieux,  \ a.  cause  supérieure  de  la  nature.  A 
celte  limite,  \l  devient  indifférent  d'attribuer  la  causalité  à  Dieu 
ou  à  l'homme.  Le  spontané  est  à  la  fois  divin  et  humain.  Là 
est  le  point  de  conciliation  d'opinions  incomplètes  plutôt  que 
contradictoires,  qui,  selon  qu'elles  s'attachent  à  une  face  du 
phénomène  plutôt  qu'à  l'autre,  ont  tour  à  tour  leur  part  de 
vérité.  »  Oui,  sans  doute,  en  entendant  le  mot  >.(  spontané  » 
dans  le  sens  que  lui  donne  ce  passage,  et  sans  les  malheureuses 
restrictions  que  nous  avons  soulignées,  on  peut  et  l'on  doit 

(-1)  De  r Origine  du  langage,  pp.  79,  80  et  239. 


Févr.  18tJ3.]  PHILOLOGIE  ET   RÉVÉLATION.  U3 

admettre  que  le  langage  est  l'œuvre  spontanée  de  la  nature 
humaine,  dirigée  par  la  cause  supérieure  de  laquelle  elle  pro- 
vient avec  la  plénitude  de  son  organisation  et  de  ses  facultés. 
Ainsi  comprise,  la  solution  de  M.  Renan  ne  diffère  pas  de 
celle  que  nous  avons  proposée,  mais,  nous  sommes  obligés 
d'en  convenir,  M.  Renan  n'admet  pas  l'existence  de  cette  cause 
supérieure,  telle  qu'est  la  divinité  dans  la  théologie  vulgaire. 
«  Nous  sommes  pleinement  autorisés,  ajoute-t-il,  à  dire  qu'une 
telle  cause  n'existe  pas  au-dessus  de  l'homme.  »  Et  pour  le 
dire  en  passant,  il  est  fâcheux  pour  le  talent  de  M.  Renan 
qu'il  se  soit  laissé  aller,  dans  l'intérêt  de  cette  dernière  thèse, 
à  répéter  contre  les  miracles  de  misérables  objections  tant  de 
fois  résolues.  Le  trait  piquant  qui  termine  cette  tirade  ne  suf- 
fit pas  k  en  rajeunir  le  contenu.  Dès  lors  il  n'y  a  pas  de  dififé- 
rence  entre  le  système  de  M.  Renan  et  celui  des  philosophes 
du  dernier  siècle.  Ce  n'était  pas  la  peine  de  les  réfuter  et  de 
refuser  d'admettre  avec  eux  l'état  monosyllabique  du  langage 
primitif,  pour  mériter  ensuite  le  reproche  de  M.  Raulen 
que  nous  citons  à  dessein  sans  le  traduire  :  «  Die  Sprachen 
sind  sogleich  auf  der  Stufe  entstanden,  welche  die  historische 
Sprachkunde  als  eine  Forlbildung  frûherer  aufgehobener 
Standpuukteanerkennenmuss,undobwohlausderRenanschen 
Welt  die  Wunder  auf  ewig  verbannt  sind,  so  bat  doch  der 
menschliche  Instinct  bei  ihm  das  Recht,  Wunder  des  Unsinns 
zu  wirken  »  (i). 

L'opinion  de  M.  Grimm  ne  diffère  pas  au  fond  de  <',elle  que 
nous  venons  d'exposer.  Le  but  princip'al  de  ses  eff'orts  est  de 
réfuter  la  thèse  de  la  révélation  du  langage.  Il  eu  fait  l'œuvre 
unique  de  l'homme,  une  œuvre  se  développant  peu  à  peu  (2), 
simple  et  pauvre  d'abord,  bornée  quant   à  son  matériel  à 

(^)  Kaulen,  Die  Sprachv.,  p.  109. 

(2)  Ueber  den  Ursprung  der  Sprache.  Berlin,  1852.  Ein  Mens- 
chiiches,  io  unsrer  Geschichle  und  Freiiieil  berubendes,  nicht  plœts- 
lich  sondern  stufenweise  zu  Slande  gebrachles  Werk  (p.  ^2). 


•IJ4  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [Tome  Vil. 

quelques  centaines  de  racines,  et  passant  ensuite  per  le  déve- 
loppement individuel  et  social  à  une  plus  grande  perfection. 
Celle  de  M.  Steinthal  consiste  à  dire  que  le  langage  naît  dans 
l'âme  d'une  manière  nécessaire  et  pour  ainsi  dire  aveugle,  à 
un  certain  degré  de  développement  de  la  vie  psychologique; 
Cet  auteur  étudie  surtout  les  influences  réciproques  de  Tàme 
sur  le  langage  et  du  langage  sur  l'âme,  et  M.  Renan  dit  de 
son  œuvre  que  «  ses  aperçus  s'évanouissent  parfois  à  force  de 
subtilité  et  de  formalisme  (t).  »  Tout  cela,  au  fond,  ne  diffère 
pas  beaucoup  de  l'opinion  de  Meudelssolin,  de  Maupertuis,  de 
Jean-Jacques,  de  Condillac,  et  en  général  de  tous  ceux  qui 
ont  voulu  se  placer  en  dehors  de  la  Révélation.  Malgré  la 
forme  poétique  qu'elle  a  revêtue  chez  Herder  (2),  et  l'analyse 
psychologique  à  laquelle  l'a  soumise  WûUner  (3),  cette  opi- 
nion n'a  pas  acquis  plus  de  créance.  Il  serait  difficile,  à  travers 
les  incohérences,  et  les  contradictions  sous  lesquelles  elle  se 
produit,  chez  ces  divers  auteurs,  de  croire  à  la.  possibilité  de 
l'invention  humaine  du  langage,  et  quant  au  fait  même  de 
cette  invention,  il  n'est  nullement  démontré  par  des  raisonne- 
ments qui  n'atteignent  que  la  possibilité.  En  résumé,  ces  opi- 
nions se  réduisent  à  dire  :  L'origine  du  langage    est  due  à   la 

(1)  Der  Ursprung  der  Sprache.  Berlin,  \%V'.  —  Grammafîk, 
Logik  und  Psychologie,  Berlin,  -IS.^5.  —  Gfr.  Uenau,  de  l'Orig., 
p.  30  ss. 

(2)  Herder.  Ursprung  (1er  Sprache.  «  Die  ganze  h'erùber  ges- 
chriebene  Abhandlung  trpogt  ilire  besteKritik  in  don  eigenen  Worlen 
Herders  (Ilamann's  Schriflen.  Bd.  b.  Leipzig,  1824,  S.  8)  sie  sei  nur 
als  »  Schrifl  eiaes  Wiiztœlpels  »  erschieuen,  und  die  Denlcari  dieser 
Preisschrifl  habe  auf  ihn  so  wenig  Einfluss,  alsdas  Bild,  das  er  gerade 
an  die  Wand  nagle.  »  M.  Kaulen,  à  qui  nous  empruntons  ces  paroles, 
cile  fort  à  propos  le  passage  suivant  de  Plalon  :  Toù;  xà  Tipoêara 
jjLijjioujjiévouç  TouTOuç  xtti  Toùç  àXsxTpuovaç  xa'i  ràXXa  ^wa  àvayxa^oijjLeô'txv 
é[JLo)vOY£Îv  ovoijLaÇetv  Tauxa  aTTîp  atfjLouvxai. 

(3)  Ueber  die  Ferivandlschafl  des  Indogerm.,  Sentit,  und  Tibefan.^ 
nebst  einer  Einhitung  iiher  den  Ursprung  der  Sprache,  Miiasler, 
^838. 


Févr.  18C3.)  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATiO.M-  i\'6 

nécessité  où  les  hommes  se  sont  trouvés  de  s'entendre  entre 
eux,  de  sorte  que  ce  sont  ces  rapports  quotidiens  qui  ont  formé 
la  première  langue;  ou  Lien  :  Le  langage  est  un  moyen  de 
développementderesprit  particulier,  dont  l'iiomme  a  reconnu 
Futilité,  et  qu'il  a  créé  à  cause  de  cela  même  (1).  Nous  nous 
bornerons  à  cet  égard  à  quelques  réflexions. 

Des  faits  prouvent  qu'une  société  ne  peut  pas  exister  long- 
temps sans  un  certain  langage.  Doux  enfants  élevés  dans  les 
forêts  aux  environs  de  Chàlons-sur-Murne,  et  privés  de  toute 
communication  avec  la  société,  étaient  parvenus  à  se  com- 
prendre (2).  Et  d'ailleurs  les  sourds-muets,  abandonnés  à 
eux-mêmes,  arrivent  à  s'entendre  au  moyen  de  gestes  très- 
expressifs.  De  tels  procédés  ne  constituent,  il  est  vrai,  un  lan- 
gage que  si  l'on  prend  ce  mot  dans  le  sens  le  plus  large  qu'il 
puisse  avoir.  Il  y  a  un  abîme  entre  ces  moyens  et  le  langage 
articulé,  mais  en  tenant  compte  de  l'abîme  qui  existe  entre 

(i)  Quelques  auleurs  ont  pensé  que  saint  Augustin  arait  été  du 
premier  sentiment.  Il  écrit  :  «  îilud  quoil  in  nobis  est  rationcile,  id  est 
quod  ratione  utitur  et  ralionabilia  vel  facit,  vel  sequilur,  quia  nalurali 
quodam  viuculo  in  eorum  socielate  aslrlngebalur,  cum  quibus  illi 
erat  ratio  ipsa  communis,  nec  homini  homo  firmissime  sociari  posset, 
nisi  colloquerentur  alque  ita  sibi  mentes  suas  cogitalionesqiie  quasi 
refunderenl,  vidil  esse  imponenda  rébus  vocabuia,  i.  e.  siguificanles 
quosdam  sonos  :  ut  quoniam  senlire  animos  suos  non  polerant,  ad 
eos  sibi  copulandos  sensu  quasi  interprète  ulerenlur  •  [De  Ord.,  1.  n, 
cap.  xn).  Sur  quoi  le  R.  P.  Chasiel  observe  avec  raison  :  »  Le  saint 
docteur,  dans  ce  livre,  ne  parle  point  directement  du  premier  liomme; 
il  parle  en  général  de  la  nature  humaine.  Peut-être  donc  est-il  per- 
mis de  ne  voir  ici  qu'un  raisonnement  a  prioi'i,  un  argument  de  rai- 
son, pour  démontrer  que  l'homme,  avec  le  privilège  de  la  raison  et 
CCI  inslincl  de  sociabilité  qui  le  distingue,  était  capable  d'inventer  le 
langage  (et  l'écriture).  Ce  qui  ne  prouverait  aucunement  que  le  pre- 
mier homme  n'ait  pas  reçu  la  parole  d'une  autre  manière.  (Chaste!, 
de  rOrig.  des  Conn.  humaines.  Paris,  1852,  p.  100.)  —  La  seconde 
opinion  est  adoptée  par  Richard  Simon.  [Hist.  crit.  du  V.  Test., 
pp.  14  et  15.) 

(2)  Racine,  ÉpUres  sur  l'homme.  Ép.  n.  —  Chastel,  de  la  Valtur^ 
elc  ,  p.  72. 


1i&  PHILOLOGIE  ET  UÉVÉLATION.  [Tome  VII. 

notre  état  et  l'état  primitif,  on  pourrait  peut-être  croire  qu'A- 
dam et  Eve  seraient  arrivés  au  langage  articulé.  Cela  prouve- 
rait donc  tout  au  plus  que,  siipposifis  supponendis,  Adam  et 
Eve  auraient  pu  inventer  le  langage.  Mais  des  témoignages 
historiques  montrent  qu'en  réalité  il  n'en  a  point  été  ainsi. 
Avant  qu'Eve  fût  créée,  Adam  possédait  déjà  un  langage 
complet.  C'est  ce  que  prouvent  les  noms  qu'il  donna  aux  ani- 
maux et  mieux  encore  les  mots  qu'il  prononça  en  voyant  la 
première  femme. 

En  second  lieu,  l'isolement  du  premier  bomme  le  mettait 
dans  l'impossibilité  de  créer  un  langage  intelligible  à  des  êtres 
futurs.  Et  quant  au  fait  de  cette  création,  il  est  combattu  par 
des  preuves  très-importantes.  La  Révélation  nous  apprend 
que  Dieu  avait  créé  l'homme  parfait  (1).  Or,  à  cet  état  de 
perfection  appartient  sans  nul  doute  la  possession  du  langage. 
Car,  bien  que  l'intelligence  humaine  puisse  entrer  en  activité 
sans  ce  moyen,  c'est  cependant  du  langage  qu'elle  attend  son 
plein  développement.  De  plus,  l'anatomie  reconnaît  en  l'homme 
des  organes  qui  ne  servent  qu'au  langage.  Il  appartenait 
donc  à  la  perfection  de  l'homme  de  pouvoir  se  servir  de  ces 
organes  pour  le  but  déterminé  auquel  ils  sont  destinés.  En- 
fin, il  faut  supposer  que  la  première  femme  était,  dès  le  mo- 
ment même  de  sa  création,  apte  à  remplir  la  fin  pour  laquelle 
elle  avait  été  créée.  Cette  fin  était  de  former  à  l'homme  une 
société,  chose  qui  était  impossible  sans  le  langage.  Comme 
elle  s'est  trouvée  en  pleine  possession  de  son  intelligence,  ainsi 
Eve  a  dii  se  trouver  en  possession  du  langage.  Mais  dès  lors, 
si  Eve  a  été  créée  dans  ces  conditions,  pourquoi  vouloir 
qu'Adam  ait  eu  à  inventer  le  langage?  Ajoutons  qu'il  eût  élé 
fort  difficile  à  Adam  d'arriver  à  inventer  le  lajigage  dans  l'es- 
pace de  temps  qui  a  séparé  sa  création  de  celle  de  sa  com- 

[])  Ecoles.  7,  30,  'lï»'^  Ûlï^rTnSÎ  d^^ï^n  W!>,    Creavil  Deus 
hominem  rectum. 


Févp.  18G3.]  PHILOLOGIE  ET   RÉVÉLATION.  H7 

pagne.  Dans  les  desseins  de  Dieu,  il  n'était  pas  bon  que 
l'homme  fût  seul,  ce  qui  a  permis  a  de  grands  théologiens 
d'enseigner  qu'Eve  fut  créée  le  sixième  jour  avec  Adam.  Or, 
quelles  que  fussent  les  perfections  du  premier  homme,  il  lui 
eût  été  impossible  d'inventer  en  quelques  instants  un  langage 
tel  que  celui  qu'il  parle  eu  contemplant  l'os  de  ses  os  et  la 
chair  de  sa  chair  (1). 

(I)  Qu'on  nous  perraelte  de  citer  un  passage  un  peu  long  de 
M.  Delitzsch  dans  son  Commentaire  sur  la  Genèse.  11  renferme,  avec 
les  raisons  dont  nous  venons  de  nous  servir  pour  réfuler  l'opinion  de 
l'invenlion  humaine  du  langage,  une  exposition  de  l'opinion  a  laquelle 
nous  nous  sommes  arrêté.  «  Die  Sprache  ist,  wie  uns  hier  die 
Schrifi  belehrl,  keine  innerhalb  der  menschlichen  Geselischaft  fur 
den  Zweck  des  Verkehrs  naoh  und  nach  gemachte  Erfindung,  sie  isl, 
wie  Wilh.  V.  Humboldt  in  seiner  epochemachenden  Abhandlung  ûber 
die  Verschiedenheit  des  menschlichen  Sprachbaues  Wissenschaftlich 
dargelhan,  eine  unwillkûrliche  Emanation  des  Geistes,  der  laulbare 
menschliche Xo'yoç  (im  Unlerschiede  von  cpwvv)  und  TiC°Ç  vernunflloser, 
nichl  mil  "kôyoç  begabler  Wesen  und  Dinge)  oder,  wie  Plalo  im  Soph. 
sagt,  der  durch  den  Mund  hindurcbgehende  vernehmliche  Ausfluss 
der  Verounft  (tô  àiro  Stavoia;  peu[^.a).  Was  uns  hier  die  Schrifl  berich- 
let,  isi  iibrigens,  genau  geoommen,  nichl  die  erste  Genesis  derSprache. 
Wenn  Jehova-EIohim  2,  ^6  zum  Menschen  sprichl,  so  wird  da  schon 
Sprachfaehigkeit  auf  Seilen  des  Mensihen  vorausgeseizl;  denn  wer 
nichl  seibsl  spreohen  kann,  kann  auch  Gesprochenes  nichl  verslehen  = 
DasSprechenGoUes  zum  Menschen  ist  das  wodurch  der  dem Menschen 
anerschaffene  Sprachbildungslrieb  geweckl  wird.  Die  menschliche 
Sprache  dalirl  also  schon  von  2,  ^6.  Hier  aber  Irilt,  wie  Dr.  richlig 
bemerkt,  zu  der  weckenden  Anleiiung  Gotles  ein  zweiler  die  in  den 
Menschen  gelegle  Poïenz  aciualisirender  Faclor,  neeralich  die  zur 
Erweiterung,  zur  Ausbiidung  durch  Uebung  und  Anwendung  anlei- 
lende  Aussenwelt.  Man  hal  sich  von  dieser  uranfaenglichen  Sprache 
keine  niedrige  Vorslellung  zu  machen.  Sie  benannie  die  Dinge  nichl 
nach  abslrahirlen  grossenlheils  nur  zufselligen  Merkmalen,  sondern 
nach  ihrem  bei  der  Wurzel  erfasslen  Wesen  (S.  Job.,  Iti,  7  s.).  Es 
war  einedurchaus  idéale  Sprache,  obwohl  ein  enlwickelungsfsehiger 
kindlicher  Anfang.  Denn  der  Mensch  war  vermœge  seiner  Gotles- 
bildiichkeit  zum  Herrn  der  irdischen  Crealuren  berufen.  Sie  benen- 
nend  begann  er  die  Vollziehung  dièses  Berufes.  Denn  die  Sprache  ist, 
wie  Kurlz  (Gesch.  i,  230)  so  schœn  aïs  wahr  es  ausdrûckt,  das  Scepler 
derMenschheil.  »  (Commentar  Ueber  die  Genesis,  3  Ausg.  S.  158, 459.) 


118  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [To  ne  VIL 

L'opinion  opposée  à  celle  de  l'invention  humaine  du  lan" 
gage,  est  celle  de  sa  révélation  divine.  Cette  dernière  semble 
devoir  son  origine  à  la  merveilleuse  organisation  du  langage, 
qui  a  fait  croire  à  l'impossibilité  de  son  invention.  Elle  avait 
cours  chez  les  Grecs  et  chez  les  Hébreux.  Dans  l'Église,  elle  a 
été  produite  pour  la  première  fois  par  Eunomius,   qui  a  été 
aussitôt  réfuté  par  S.  Grégoire  de  Nysse,  de  la  manière  que 
nous  avons  vu  plus  haut.  Bien  qu'elle  n'ait  point  été  partagée 
par  les  savants  les  plus  distingués  qui  ont  vécu  au  sein  de 
l'Église,  elle  a  été  reproduite  sous  une  autre  forme  par  M.  de 
Bonald,  adoptée  et  défendue  par  de  Maistre,  La  Mennais,  Gio- 
berti,  et  l'école  des  traditionalistes,  contre  laquelle  s'est  formée 
une  école  nombreuse  de  théologiens  catholiques.  Les  soutiens 
de  cette  opinion  reconnaissent  que  l'homme  primitif  était  doué 
de  facultés  beaucoup  plus  promptes,  de  connaissances  beau- 
coup plus  complètes  que  les  nôtres,  ce  qui  ne  les  empêche  pas 
de  raisonner  sur  les  lois  qui  ont  dû  présider  alors  à  l'acquisi- 
tion des  connaissances  parle  développement  desfacultés,  exac- 
tement comme  on  raisonne  eu  égard  à  l'état  actuel  de  l'homme. 
C'est  là  une  contradiction  manifeste.  Puis,  le  principe  fonda- 
mental de  cette  opinion  est  celui-ci  ;  «  L'homme  a  besoin  de 
«  signes  ou  de  mots  pour  penser  comme  pour  parler;  c'est  à-dire 
«  que  l'homme  pense  sa  parole  avant  de  parler  sa  pensée.  Le 
«  langage  est  l'instrument  nécessaire  de  toute  opération  intel- 
«  lectuelle  et  le  moyen  de  toute  existence  morale.  »  Examinons 
les  faits  tels  qu'ils  se  passent  aujourd'hui.  L'homme  naît  capa- 
ble de   parler  et  cette  aptitude  se  révèle  en  lui  lors  même 
que,   comme  chez  les  sourds-muets,  un  obstacle   organique 
s'oppose  à  son  développement.  Toutefois,  cette  aptitude  à  la 
parole  n'est  pas  la  même  chez  tous  les  individus,  el;  la  preuve, 
c'est  que  les  uns  arrivent  à  parler  plus  tôt,  les  autres  plus  tard. 
Mais  avant  que  l'enfant  puisse  parler,  il  manifeste  une  vie  in- 

(1)  De  Donald,  Recherches  philosophiques,  etc.,  passim. 


Fovr.  1S03  ]  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  -119 

térieure  par  des  faits  certains  de  perception,  d'idées  et  de  rap- 
ports entre  les  unes  et  les  autres.  L'enfanl  pense  donc,  bien 
que  d'une  manière  imparfaite  :  il  juge,  il  compare,  il  se  rap- 
pelle, il  reconnaît  le  visage  de  sa  mère  et  manifeste  ce  juge- 
ment par  un  sourire.  Il  y  a  plus,  on  voit  en  lui  des  efforts  vers 
une  expression  plus  parfaite  de  ses  idées.  Si  l'homme  naissait 
actuellement  avec  la  perfection  originelle  que  le  premier  hom- 
me possédait  au  Paradis,  il  trouverait  dans  son  organisme  le 
moyen  d'unir  ses  idées  à  un  son,  et  formerait  une  expres- 
sion pathognomique  de  ses  idées.  Mais  comme  Tunion 
organique  entre  les  idées  et  leur  expression  phonétique 
est  actuellement  perdue,  l'enfant  doit  d'abord  être  initié  à 
trouver  une  union  conventionnelle  entre  les  sons  orga- 
niques et  les  idées,  et  apprendre  les  noms  de  ses  idées  tels 
qu'ils  existent  dans  une  forme  particulière  de  langage.  Ceux 
qui  l'entourent  observent  les  mouvements  de  son  âme,  remar- 
quent les  objets  sur  lesquels  il  porte  son  attention,  lui  disent 
le  nom  de  ces  objets  ou  de  ces  idées,  et  la  répétition  fréquente 
de  cet  enseignement  conduit  l'enfant  à  apprendre  à  extério- 
riser les  impressions  de  son  âme  par  le  moyen  de  sons  déter- 
minés. Dès  qu'il  est  en  possession  de  cet  instrument,  il  est  vrai 
qu'il  se  développe  avec  une  rapidité  plus  grande,  mais  cela 
n'empêche  pas  qu'il  ne  soit  tout-à-fait  faux  de  dire  que  Thom- 
me.  apprend  d'abord  à  penser  par  le  moyen  des  mots  qu'il 
entend.  Les  sourds-muets  ne  se  règlent  certainement  pas 
seulement  d'après  les  instincts  des  animaux,  mais  d'après  des 
jugements  intelligents,  avant  même  d'avoir  reçu  aucune  édu- 
cation. S'il  était  vrai,  comme  l'écrit  M.  de  Donald,  que  l'esprit 
n'existe  ni  pour  les  autres  ni  pour  lui-même  avant  la  connais- 
sance de  la  parole  qui  vient  lui  révéler  l'existence  du  monde 
intellectuel  et  lui  apprend  ses  propres  pensées  (p.  i47),  ni  les 
enfants,  ni  les  sourds-muets  ne  seraient  susceptibles  d'éduca- 
tion, car  il  manquerait  au  maître  et  à  l'élève  ce  moyen-terme^ 
fondement  et  base  de  leur  rapport,  la  pensée  ou  l'esprit  présent 


^2i)  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [Tome  VI! 

à  lui-même.  Pour  nous,  nous  avons  tellement  l'habitude  de 
nous  servir  de  mots  comme  termes  de  nos  pensées,  que  nous 
les  parlons  presque  nécessairement,  bien  que  nous  puissions 
aussi  penser  sans  ce  moyen,  comme  cela  nous  arrive  pour  les 
idées  dont  nous  ne  connaissons  pas  Texpression. 

Toutes  ces  considérations  montrent  l'inexactitude  du  point 
de  départ  de  Topinion  traditionaliste.  Celle  que  nous  avons 
proposée  laisse  à  la  puissance  divine  le  fait  de  la  création  du 
langage,  sans  dire  toutefois  que  pour  cette  création  Dieu  ait 
fait  un  acte  séparé  de  celui  par  lequel  il  a  créé  l'homme  parfait, 
et  elle  laisse  à  l'activité  libre  de  Thomme  le  fait  de  la  produc- 
tion actuelle  du  langage.  Nous  pouvons  donc  conclure  avec 
Benloew  :  a  Nous  pensons  que  l'homme  parla  tout  d'abord,  né- 
«  cessairement  poussé  par  un  instinct  naturel  (ajoutons  et  par 
«  la  conscience  qu'il  avait  de  sa  mission  dans  ce  monde),  et  en 
«  s'aidant  des  organes  que  la  divine  Providence  avait  mis  à 
«  son  usage.  Nous  n'admettons  donc  pas  que  la  langue  ait  été 
«  communiquée  à  l'homme  par  une  révélation  nouvelle  et 
«  particulière  :  nous  pensons  que  le  miracle  de  sa  création 
c(  comprend  aussi  celui  de  la  manifestation  de  sa  pensée  (1).  » 

L'abbé  d'AuTUN. 

(1;  Benloew,  Aperçu,  p.  15. 


DE  L'UNITÉ  ROMAINE. 


Le  P.  Clément  Schrader,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  pro- 
fesseur de  théologie  à  Vienne,  nous  a  donné  en  1862  le  com- 
mencement d'un  fort  beau  travail  sur  l'unité  romaine  :  De 
Unitate  romana{\).  Le  premier  livre^  le  seul  qui  ait  paru, 
porte  le  titre  de  StoaxTtxo'ç.  Il  forme  un  petit  in-4°  de  205  pages. 
Nous  avons  éprouvé  une  vive  jouissance  en  lisant  ce  remar- 
quable ouvrage,  et  nous  sommes  vraiment  heureux  de  le  faire 
connaître  à  nos  lecteurs. 

De  Unitate  romana !  Ce  titre  nous  plaît  beaucoup.  L'unité  qui 
constitue  l'essence  de  l'être  divin  est  la  forme  absolue  du 
vrai  et  la  condition  indispensable  de  la  vie.  Toutes  les  œuvres 
de  Dieu  ont  été  faites  dans  le  nombre,  le  poids  et  la  mesure, 
c'est-à-dire  dans  l'unité.  La  même  loi  d'ordre  qui  brille  dans 
l'univers,  doit  se  retrouver  dans  la  sainte  Église,  et  s'y  re- 
trouve en  effet.  Unum  corpus...  unus Dominus,  uno.  fides,  unum 
baptisma  (Eph.  iv,  4,  5),  unum  caput  (Concil.  Florent.),  unus 
Deus,  unus  Christus,  una  Ecclesia,  una  Cathedra  (S.  Cypr., 
epist.  XL)  :  cette  formule  nous  a  toujours  paru  résumer  tout  le 
christianisme  établi  par  Jésus-Christ  sous  forme  d'Eglise,  et 
toute  l'Église  ramenée  par  Jésus-Christ  à  l'unité  d'un  pouvoir 
fondamental,  souverain  et  central.  Ubi  Petrus,  ibi  Ecclesia. 
Mille  textes  de  l'Ancien,  et  surtout  du  Nouveau  Testament, 
nous  apprennent  trop  combien  Notre-Seigaeur  a  aimé  l'u- 
nité ;  la  raison  et  l'expérience  nous  démontrent  également 

(Ij  De  Unitate  romana  comment ar lus.  —  Friburgi  Brisgoviae, 
Herder,  MDCCCLXIL 


122  DE    L'LNITÉ   romaine.  [Tome  VII. 

trop  combien  ce  pouvoir  sagement  établi  dans  l'unité  produit 
de  biens,  écarte  de  discussions  et  s^adapte  parfaitement  à  lous 
les  besoins  de  l'homme,  pour  qu^indépendamment  de  plusieurs 
autres  données,  nous  ne  soyions  pas  en  droit  d'affirmer  que 
le  plan  qui  donne  le  plus  à  l'unité  est  le  plus  conforme  à  l'in- 
stitution divine.  Nous  avions  toujours  pensé  que  les  conseils 
du  Seigneur,  le  Christianisme,  TÉglise,  la  théologie,  toutes 
choses  en  un  mot,  pouvaient  et  devaient  être  ramenées  à  un 
point  central,  à  un  fondement  et  à  une  clef  de  voûte  uniques. 
L'ouvrage  du  P.  Clément  Scbrader  semble  être  la  démonstra- 
tion de  cette  grande  idée  :  son  litre  de  Unitate  romana  est  donc 
très-heureusement  choisi. 

Ce  livre  emprunte  aux  circonstances  présentes  une  impor- 
tance particulière.  On  peut  dire  qu'aujourd'hui  l'unité  ro- 
maine ne  laisse  personne  indifférent.  Nul  ne  peut  le  nier,  il 
s'est  fait  de  nos  jours  un  mouvement  plus  prononcé,  plus  uni- 
versel, entraînant  par  un  courant  rapide  hommes  et  choses 
vers  Rome.  De  grands,  de  mémorables  événements  se  sont 
produits,  qui  ont  démontré  qu'aujourd'hui,  après  une  longue 
suite  de  siècles,  l'Église  mère  et  maîtresse  n'a  rien  perdu  de  la 
puissance  d'attraction  que  Jésus-Christ  lui  a  communiquée 
pour  réunir  les  hommes  en  un  seul  bercail  et  en  un  seul 
troupeau.  Si,  en  difierenls  points,  des  systèmes  locaux  et  par- 
ticuliers s'étaient  accrédités  sous  l'empire  de  circonstances 
spéciales,  ces  systèmes  disparaissent  peu  à  peu  et  tout  devient 
romain.  Cette  tendance  vers  une  unité  plus  intime,  plus  com- 
plète, plus  étendue,  est  sans  contredit  l'un  des  signes  les  plus 
consolants  de  notre  époque.  C'est  encore  un  devoir  sacré  pour 
tous  de  la  seconder  dans  la  mesure  du  possible.  Rien  n'est  doux, 
rien  n'est  beau,  rien  n'est  puissant  comme  l'unité. 

Mais,  hélas!  il  faut  bien  l'ajouter,  le  Siège  de  Rome,  qui  est 
le  centre  de  l'unité  pour  tous  les  catholiques,  est  aujourd'hui, 
plus  encore  que  dans  le  passé,  un  signe  de  contradiction  pour 
ses  adversaires  :  l'esprit  des  ténèbres  s'efforce  de  renverser  le 


Févr.  1803.]  DE    L'UNITÉ   ROMAINE.  -123 

boulevard  de  l'Église  :   «  ...  Dei  hominumqué  inimicus  impetu 
«  facto  in  centrum  totius  visibilis  regni  Christi  bellum  christiano 
«  nomini  universo  infert,  et  apud  romanam  ipsam  Cathedram 
a  totius  pietatis  arcem  per  suos  mini&tros  cum  Pctri  successore 
«  congrediendo  Ckristum  debellure  in  ejus  Vicario  attentat,  atque 
«  romana  eversa  pontificia  sede  opus   Christi  pessumdare ,    a 
a  pastoi^e  gregem,  a  doctore  ac  magistro  discipulos   omnesque 
«  docendos,  a  capite  membra,  a   fonte  rivulos,    radios  a  sole 
«  atque  ab  Ecclesia  matrice  filias  abstrahere  ac  avellere  roma- 
«  namqiie  unitatem  radicitus   dissipare  prxsumit!  »    (p.  13). 
Puisqu'en  attaquant  le  Saint-Siège,  c'est  l'Église,  c'est  la  reli- 
gion,   c'est  Jésus-Christ,   c'est  la  réden^ption  des  hommes 
qu'on  attaque,  il  faut  donc  dans  ce  dogme  défendre  tous  les 
dogmes  et  tous  les  biens  dans  ce  bien.  Il  le  faut  par  devoir  et 
non  par  crainte,  car  le  ciel  et  la  terre  passeront,  mais  la  pa- 
role de  Jésus-Christ  ne  passera  pas!  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette 
pierre  je  bâtirai  mon  Église,  et  les  portes  de  V  enfer  ne  prévau- 
dront point  contre  elle!  Celui  qui,  par  Simon,  fils  de  Jean, 
fonda  l'unité  romaine  et   triompha  de  l'impiété  des  vieux 
païens,  saura,  par  le  successeur  de  Pierre,  vaincre  le  paga- 
nisme des  nouveaux  impies  et  protéger  cette  sainte  unité.  Es- 
pérant tout  du  ciel,  les  fils  de  l'Église  n'ont  jamais  cessé,  néan- 
moins, de  défendre  par  les  armes  de  la  science  les  dogmes 
contestés  et  de  répoudre  par  d'admirables  traités  à  d'ignobles 
attaques.  «  De  hac  igitur  unitate,  conclut  le  P.  Schrader,  guam 
«  propterea  dixi  romanam,  quod  detei^minans  ejusdem  principiura 
«  ipsa  est  romana  apostolorum  principis  sedes,  a  qua  summa  rei 
«  pendet  quxque  tantum  valet  quantum  universa  Christi  œcono- 
«  mia.  adeoque  ipsa  valet  chrisliana  veritas,  auspice  Petro,  qui 
«  in  romana  Ecclesia  jugiter  vivit  et  régnât,  disputare  constttui  » 

(p.  XIV). 

L'ouvrage  du  P.  Schrader  a  donc  une  valeur  et  une  portée 
spéciales.  Bien  lu,  bien  médité,  il  peut  avoir  les  plus  heureux 
résultats,  dissiper  les  restes  de  quelques  erreurs  et  montrer 


-124  DE   l'unité   romaine.  [Tome  vu. 

que  la  vie  pleine  et  parfaite  de  la  sainte  Église  est  dans  l'u- 
nité romaine.  Nous  ne  pouvons  mieux  le  louer  qu'en  présen- 
tant à  nos  lecteurs  l'ensemble  des  richesses  thculogiques  qui 
s'y  trouvent  entassées. 


I. 


II  fallait  avant  tout  exposer  la  nature  et  l'étendue  de  l'unité 
romaine  :  De    ratione  et  amplitudine  romanx   unitatis.   Cette 
«nité  s'étend  aussi  loin  que  les  limites  de  l'Église,  et  l'Église 
n'a  d'autres  frontières  que  les   bornes  du  monde.    Aussi,  le 
le  titre  de  catholique  lui  est  donné  quoad  sensum  dans  divers 
passages  du  Nouveau  Testament,  et  formellement,  quoad  no- 
men,  par  saint  Ignace  d'Antioche,  cet  homme  admirable,  qui 
fut,  on  peut  le  dire,  l'apôtre  de  l'unité  par  la  charité  :  «  Ubi 
«  comparuerit  episcopus,  ibi  et  multitudo  sit  ;  quemadmodum 
«  ubi  fuerït  Christus  Jésus,  ibi  catholica  est  Ecclesia  »    (Epist. 
ad  Smyrn.,  n°  8).  On  le  trouve  aussi  dans  les  actes  du  martyre 
de  S.  Polycarpe,   et  dans  le  symbole  des  apôtres.  Or,  cette 
Eglise  catholique  est  la  même  que  TÉglise  romaine  :  «  Sicut  fides 
a  roinana  a  fide  catholica  nomine  tenus  dumtaxat  apud  antiquos 
«  differt  ;  ita  appellatio   cathedrx   ecclesixque   romanx  apud 
a  eosdem   (juvcovu[xoç   est  cum  appellatione   catholicx  Ecclesiœ  » 
(p.  4).  Ce  principe  résume,  avec  toute  l'exactitude  désirable, 
la  doctrine  des  anciens  Pères  de  l'Eglise.    «  Communicare  cum 
«  Cornelio,   hoc  est,  cum  catholica  Ecclesia  communicare^  »  dit 
saint  Cyprien  (ad  Anton,  ep.  55  al.  52).  Pour  ce  grand  saint, 
qui,  par  ses   actes  aussi  bien  que  par  ses  écrits,  a  été  un  des 
plus  illustres  témoins  de  la  nécessité  de  l'unité  ecclésiastique, 
l'évèque  de  Rome  est  la  racine  et  la  matrice  de  l'Eglise  catho- 
lique'.a  Ecclosix  catholicx  radicem  ac  matricem»  (ep.48  al.  ^o]. 
Pour  lui,  c'est  de  la  chaire  de  Pierre  qu'est  sortie  l'unité  sa- 
cerdotale :    «  Ad  Pétri  cathedram..,  unde  unitas  sacerdotalis 
«  exorta  est  »  (ep.  59  al.   55).  Il  écrit  à  saint  Corneille  qu'il 


Fcvr.  1Î563.1  DE   L'UNITÉ  ROMAINE.  .{2^ 

s'est  employé  pour  que  ses  collègues  se  tinssent  étroitement 
unis  à  sa  communion,  c'est-à-dire  à  la  communion  de  l'É- 
glise catholique  :   «  Comtnunionem  tuam,  id  est,  catholicse  Ec- 
a  clesix  »  (ep.  48  al.  ^S).  Ainsi  parlent  les  autres  Pères  (p.  4- 
5),  ainsi  saint  Irénée,  dans  un  splendide  témoignage  que  nous 
retrouverons  par  la  suite  :  grande  et  salutaire  doctrine  que  le 
Formulaire  souscrit   par  deux  conciles  œcuméniques  et  offert 
à  Hormisdas  et  à  Adrien,  a  nettement  répétée  en  disant  :  «  In 
«  Sede  apostolica  inviolabilis  sempercatholica  custoditur  religio... 
«  Sequentes  in  omnibus   apostolicam   sedem...    Et  per  omnia 
«  spero,  ut  in  una  communione  vobiscum,  quam  sedes  apostolica 
a  prxdicat,  esse  merear,   in  qua  est  intégra  et  vera  Christianas 
«  religionis  et  perfecta  soliditas  :  promittens  in  sequenti  tempore 
«  sequestratos  a  communione  Eccle&ix   catholicx,    id  est,  non 
«  consentientes   Sedi  apostolicse,  eorum  nomina  inter  sacra  non 
a  recitanda  esse  mysteria.  »   Donc,  conclut  le  P.  Schrader,  la 
foi  de  l'Église  de  Rome  est  la  foi  de  toute  l'Eglise  de  Jésus- 
Christ,  et  la  foi  de  TÉglise  catholique  et  apostolique  ne  diffère 
point  de  la  foi  de  l'Église  romaine.  Non,  non,  disait  saint  Au- 
gustin, s'adressant  à  l'hérésie  arienne,  on  ne  croit  pas  que  tu 
aies  la  vraie  foi  de  FÉglise  catholique,  toi  qui  n'enseignes  pas 
qu^il  faut  garder  la  foi   romaine  :    «  Non  crederis  veram  fidem 
a  tenere  catholicx,  qux  fidem  non  doces  esse  servandam  roma- 
«  nam  »  (p.  7).  Devançant  Ténergie  de  cette  argumentation, 
saint  Cyprien,  au  Ille  siècle,  avait  écrit  cette  pensée  si  remar- 
quable :   «  Probatio  est  ad  fidem  facilis  compendio  veritatis, 
c(  loquitur  Dominus  ad  Petrum...  »  (de  Unit.  Eccl.),  où  il  fait 
du  Saint-Siège  un  moyen  sur,  proaipt  et  facile  d'obtenir  Tu- 
nité  de  la  foi. 

Prétendre  que  la  foi  catholique  u^a  été  appelée  romaine  que 
depuis  le  schisme  des  Grecs  et  à  son  occasion,  serait  donc 
une  grossière  erreur.  Prétendre  avec  Launoi  qu'il  n^entre  pas 
dans  la  nature  de  l'Eglise  d'être  romaine,  serait  avancer  une 
énormité  ;   car  les  témoignages  rapportés  naguère  montrent 


-126  DE    l'unité    romaine,     •  [Tome  vil. 

qu'il  est  essentiel  à  l'Église  d'être  romaiue.  Or,  pour  qu'elle 
soit  romaine,  il  lui  est  essentiel  d'être  gouvernée  par  le  Pon- 
tife romain.  Déchirer  l'unité  romaine,  c'est  donc  déchirer  l'u- 
nité catholique.  Sortir  de  l'unité  romaine,  c'est  donc  sortir  de 
l'unité  catholique. 

Étant  données  les  limites  de  l'nnité  romaine,  qui  sont  les 
limites  mêmes  de  l'Église  catholique,  il  faut  maintenant  re- 
chercher et  décrire  le  caractère  et  la  nature  de  cette  unité. 
Ici  encore,  nous  devons  aflBrmer  de  l'unité  romaine  ce  qui  de- 
vra s'affirmer  de  la  société  ecclésiastique. 

Sans   entrer   dans   de  longs  détails,  nous    savons  que,  con-^ 
sidérée  par  rapport  à  sa  fin,  la  société  ecclésiastique  est  une 
société  nécessaire,   dans  laquelle  toute  créature  humaine  est 
tenue  d'entrer,   soit  parce  que  c'est  l'ordre  exprès  de  Jésus- 
Christ,    soit  parce  que  le  salut  est  inséparahle  de  l'Église, 
Tanta  est  Fcclesise.  nécessitas  quanta  est  nécessitas  cohxrendi  cum 
Christo  novaque  vita  renascendi.  Telle  est  la  nécessité  de  l'unité 
romaine  :  toute  créature  est  tenue  d'en  faire  partie,  et  il  n'est 
loisible  à  nul  de  ceux  qui  y  sont  entrés  de  s'en  retirer.  «  Qui 
«  cathedram  Pétri  supra  quarn  fundata  est  Ecclesia  deserit,  in 
«  Ecclesia   esse  confidet?  •>)  demande  saint  Gyprien  {de    Unit. 
eccL).    «  Ego  nullurn  primum  nisi  Christum  sequens,  y)  s'écrie 
saint  Jérôme,  dans  le  même  sentiment  et  la  même  pensée, 
((  Beatitudinituse,  id  est, cathedrx  Pétri  communione  consocior... 
«  Quicumque   tecum  non  colligit,  spargit  :  hoc  est,  qui  Christi 
«  non  est,  Antichristi  est»  (Ad.  Dam.,  ep.  xv,  n°  2). 

Examinée  dans  son  origine,  l'Église  est  une  société  légale, 
déterminée  qu'elle  est  quant  à  son  existence  et  à  sa  nature  par 
la  volonté  du  Maître  et  Seigneur  absolu  de  toutes  choses.  L'u- 
nité romaine  est  pareillement  légale,  établie  et  fondée  comme 
pierre  angulaire  par  rArchitecte  de  FEglise,  C'est  ce  que  le 
même  saint  Gyprien  inculquait  si  fortement  à  son  troupeau  : 
«  Deus  unus  est,  et  Christùs  unus  est,  et  una  Ecclesia  et  cathedra 
«  una,  supra  Pefruni  Domini  voce  fundata...  Quisquis  alibi  colle- 


Févr.  1863.]  DE   l'uNITÉ    ROMAINE.  "127 

«  gei'it  spargif.  Adulterum  est,  irnpium  est,  sacrilegum  est,  quod- 
«  cumque  Jiumano  furore  institmtur,  ut  dispositio  divina  viole- 
«  tur  »  (ep.  XL,  al.  xliii). 

Dans  sa  constitution,  l'Église  est  une  société  inégale,  n'of- 
frant aucun  rapport  avec  la  démocratie.  Or,  l'unité  romaine  ne 
fait  et  ne  produit  Tunité  catholique  de  l'Église  universelle,  que 
parce  qu'elle  est  le  pouvoir  souverain  et  premier  de  l'Église. 
Voilà  pourquoi  les  Pères,  d'une  commune  voix,  enseignent 
que,  dans  le  collège  apostolique,  saint  Pierre  fut  choisi  de 
droit  divin  pour  être  le  chef  des  autres,  afin  de  conserver  l'u- 
nité et  d'éviter  toute  occasion  de  schisme  (p.  13-14-).  De  là 
cette  belle  parole  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  :  «  Roma  an- 
«  tiqua,  ubi  tota  sancte  custoditur  divinx  veritatis  concordia.  » 
(De  Vita  sua  carmen  xi,  xx,  570  et  ss.)  L'Église  est  essentiel- 
lement visible  (1);  l'unité  romaine  est  donc  visible,  elle  est  vi- 
vante dans  un  pasteur  unique  :  «  Ut  unitatem  manifestaret, 
«  dit  l'admirable  saint  Cyprien,  unam  cathedram  constituit  et 
«  unitatis  orîginem  ab  uno  incipientem  sua  auctoritate  dispo- 
«  suit...  Exordium  ab  unitate proficiscitur ,  ut  Ecclesia  Cfiristi 
«  una  monstt^etur.  »  (de  Unitate  Eccl.) 


II. 


L'Église  est  une  société  surnatui'elle,  spirituelle,  dans  laquelle 
ou  obtient  le  salut  que  Jésus-Christ  est  venu  apporter  au  monde. 
Le  dogme,  les  préceptes,  les  sacrements,  tout  cela  est  dans 
l'Église,  tout  cela  y  produit  la  grâce  et  partant  la  gloire.  Or, 
chose  étonnante,  c'est  dans  l'Église  romaine  que  s'est  conservée 
et  que  se  conserve  la  tradition  ecclésiastique,  la  tradition  de 
tous  ces  biens!  C'est  rargumentation  puissante  de  saint  Irénée. 


(1)  Le  P.  Schrader  rapporte  un  nouveau  et  beau  passage  de  saint 
Augusliu  sur  la  visibililé  de  l'Église,  que  nous  regrelions  de  ne  pou- 
voir Iranscrire  ici. 


128  DE  l'unité   romaine.  [Toni».  VII. 

Nous  ne  connaissons  rien  de  plus  énergique  et  Je  plus  remar- 
quable que  les  paroles  du  saint  évêque  de  Lyon.  Ce  docteur, 
voulant  écraser  les  Gnostiques  par  la  tradition  ecclésiastique, 
au  lieu  d'apporter  les  successions  particulières  de  toutes  les 
é£;lises  du  monde,  ne   cite  que  la  suite  des  évêques  de  TÉglise 
ta  plus  grande  et  la  plus  ancienne,  connue  de  tous,  de  l'Église 
fondée  par  saint  Pierre  et  saint  Paul.  Heureuse  église,  dira  Ter- 
tullien,  en  laquelle  les  saints  apôtres  ont  versé  avec  leur  sang 
toute  la  doctrine,  totam  doctrinam,  qui  est  là  comme  dans  sa 
source,  comme  dans  sa  plénitude.  Et,  chose  à  noter,,  saint  Iré- 
née  assure  que  cette  démonstratiou  est  parfaite  :  «  Ad  hanc  enim 
a  Ecclesiarn,  propter  potiorem  principalitatem  necesseest  omnem 
«  convenire  Ecclesiarn,  hoc  esteosgui  sun(  undique  fidèles,  in  qua 
«  semper  ab  his  qui  sunt   undique,   conservala  est  ea  qux  est  ah 
Apostolis  traditio!  n   Parole  bien  digue  d'attention!   c'est   en 
l'Église  romaine,  que  les  fidèles  partout  disséminés  conservent 
la  tradition  descendue  des  apôtres.  Oui,  poursuit   le  grand 
évêque,  c'est  par  cette  succession  que  la  vérité  est  parvenue 
Jusqu'à  nous.  «  Hac  ordinatione  et  successione...  veritatis  prxco- 
«  natio  pervenit  usque  ad  nos!  Et  est  flenissima  h^eg  ostensio, 
«  unam  et  eamdem  vivificatricem  fidem  esse,  qux  in  ecclesia  ab 
a  apostolis  usque  nunc  sii  conservata  et  tradita  inveritate.  {Cou- 
a  tra  hxres.  1.  III,  c.  3.)  »  Il  n'est  pas  possible  d'exalter  davan- 
tage l'autorité  doctrinale  infaillible  de  la  succession  des  évê- 
ques de  Rome.  Les  explications  plus  ou  moins  étranges,  plus 
ou  moins  adoucies  qu'on  a  essayé  de  donner  bon  gré  mal  gré 
sur  ce  passage,  montrent,  sinon  l'habileté  des  adversaires,  du 
moins  l'extrêinc  embarras  où  les  jette  une  telle  argumentation 
d'un  écrivain  du  second  siècle.  «  Est  ergo,  conclut  avec  raison 
«  le  P.  Schrader,  romana  cathedra  totius  eclesiasticx  societatis 
«  centrum  et  ejics  fides  est  fidei  socialis  régula  ac  paradigma  » 
[p.  19j.  Car,  ajoute  saint  Irénée,  cette  foi  ainsi  reçue,  l'Éghse 
dispersée  partout  l'univers  la  garde  comme  si  elle  habitait  une 
seule  maison,  la  croit  comme  n'ayant  qu'un  cœur  et  qu'une 


Févr.  1863.]  DE   l'UNITÉ   ROMAINE.  H  29 

âme,  et  la  prêche  consonanter,  comme  n'ayant  qu'uno  bouche, 
quasi  unum  possidens  os.  {Adv.  hxr.  1.  1  c.  10.  n.  2.) 

De  celte  confrontation  doctrinale  concluons  que  l'unité  ro- 
maine est  ri^]glise  catholique,  non  pas  en  ce  sens  que  l'une 
soit  tout-à-fait  l'autre,  mais  parce  qu'en  elle  se  concentre  et 
se  personnifie,  en  quelque  sorte,  tout  ce  que  l'on  a  coutume 
d'affirmer  de  l'Église  de  Jésus-Christ.  «  Et  illud  in  primis  ob- 
vium,  romanam  unitalem  non  utcumque  converti  ac  promiscue 
accipi  cum  Ecclesia  Christi..,.  In  qua  (l'unité  romaine)  carnem 
prope  habent  et  ossa  qusecumque  de  vera  Christi  ecclesia  prxdi- 
cari  soient  (p.  26). 

Cette  conclusion  n'est  pas  la  seule  que  nous  devions  tirer, 
11  faut  aussi  admettre  que  l'unité  romaine  est  une  société  de 
droit  positif,  et  même  de  droit  naturel  hypothétique,  tout-à-fait 
éloignée  de  la  démocratie  indépendante,  mais  non  séparée  de 
la  puissance  civile  ;  que  la  société  humaine  est,  de  droit  natu- 
rel absolu,  une  société  religieuse,  et,  de  droit  naturel  hypothé- 
tique, société  catholique  romaine;  que  le  pouvoir  a  des  obliga- 
tions à  remplir  envers  l'unité  romaine;  que  cette  dernière,  bien 
qu'ayant  un  bien  et  des  moyens  spirituels,  ne  peut-être  privée 
des  biens  temporels  ;  que  ses  sujets  ne  sont  pas  de  purs  esprits, 
des  esprits  seuls;  que  les  effets  qu'elle  produit  ne  sont  pas 
simplement  pour  l'éternité  ;  qu'elle  prend  soin  de  la  société 
temporelle,  dont  elle  procure  l'ordre  et  la  félicité,  et  que  par 
conséquent  les  liens  extérieurs  qui  nous  rattachent  à  l'unité 
romaine  ne  peuvent  être  rompus  sans  qu'il  s'ensuive  bien  des 
ruines  et  des  désastres.  Le  P.  Schrader  indique  et  développe  ces 
conséquences  de  la  page  21  à  la  page  57.  Ce  côté  de  son  travail 
est  un  des  plus  importants  :  c'est  celui  qui  expose  les  relations 
de  l'unité  romaine  avec  toutes  les  chosesextérieures.  Ici  encore 
nous  devons  nous  attendre  à  trouver  l'union,  la  paix  produisant 
la  vie,  l'ordre  et  la  beauté. 

Uevue  des  Sciences  ecclésiastioues,  t.  vu.  9-10. 


■*30  DE  LL>-1TÉ   KOMAINE.  iTomeVIU 

III. 

Qael  est  le  principe  d'où  découle  l'uiiité  romaine?  A  celte 
unité  dont  nous  venons  de  considérer  les  linaites  et  le  caractère, 
il  faut  évidemment  une  cause  commune,  objective,  sociale  et 
publique.  Cette  cause  c'est  la  sainte  biérarchie.  Aussi  voit-on 
les  anciens  Pères,  saint  Ignace,  saint  Irénée,  saint  Cyprien, 
enseigner  à  plusieurs  reprises  que,  hors  de  l'unité  de.  l'iilglise, 
il  n"y  a  pas  de  salut  à  espérer  et  que  cette  unité  se  personnifie 
dans  le  pasteur  légitime  qui  préside  à  celte  Église.  Rien  n'est 
plus  fortement  inculqué  dans  leurs  écrits.  Le  peuple  attaché  à 
un  évèque,  c'est  là  la  vie  et  l'union  de  chaque  église.  Mais  il 
faut  que  cette  unité  particulière  se  résolve  dans  une  unité  gé- 
nérale :  il  faut  que  tous  ces  évêques  soient  unis  à  leur  tour 
dans  une  fraternité universelle'^diVlQ.  lien  extérieur  d'une  même 
communion.  Le  pasteur  qui  n'est  pas  dans  cette  réunion  una- 
nime n'est  pas,  ne  peut  pas  être  un  évêque  catholique  :  il  est 
illégitime,  il  est  schismatique.  Mais  comment  toutes  ces  égli- 
ses, tous  ces  peuples  tous  ces  pasteurs  seront-ils  réunis  en 
l'unité?  «  Multitude  nisi  unitate  ligetur,  dit  saint  Augustin, 
«  rixosa  et  litigiosa  est  ;  multitudo  autem  concors  unam  animam 
facit.  [Serm.  clyiii.  de  Pentec.  n.  2.  Mai,  Bibl.  II,  p.  352.)  Ce 
principe,  cette  cause,  cette  tète,  cet  aimant,  cette  base,  ce 
père,  ce  docteur,  ce  centre,  c'est  le  Pontife  romain.  Entre  les 
évêques,  il  y  a,  dit  saint  Léon,  une  dignité  commune,  quitus 
quum  dignitas  sit  cornmunis,  il  n'y  a  pas  un  ordre  commun, 
non  est  tamen  ordo  generalis.  [Ep.  ad  Anast.  Thessal.) 

Divers  degrés  de  pouvoirs  plus  étendus  ramènent  toutes  les 
affaires  ecclésiastiques  à  l'unité  de  la  chaire  première  :  <  Per 
quos  ad  unam  Pétri  sedem  universalis  Ecclesixcura  conflueret  et 
nihil  usquam  a  suo  capite  dmideret  (Ibid.)  »  C'est  là  le  langage 
ordinaire  des  Pères,  qui  donnent  l'unité  de  chaire  comme  une 
des  notes  de  l'Lglise.  C'est  de  là,  dit  saint  Ambroise,  que  dé- 


Tévr.l8Ci3|.  DE  L'UNITÉ    ROMAINE.  t^i 

rivent  pour  tous  les  droits  de  la  communion  :  inde  in  omnes  ve- 
neranda  communionis  jura  dimanant  (F pp.  1.  i,  ep.  Xi,  n.  4)  ; 
c'est  de  là  que  sortent  les  pures  doctrines,  selon  la  vigoureuse 
expression  du  Concile  de  Chalcédoine,  quand  il  disait  à  saint 
Léon  qu'il  avait  gardé  la  foi  antique:  aQuam...  ipse  servastt, 
vocis  B.  Pétri  omnibus  constitutus  interpres,  ejus  fidei  beatifica- 
tionem  super  omnes  inducens  {Hard.  ï,  p.  655).  »  L'Église  uni- 
verselle vient  de  parler.  Voici  le  langage  de  l'église  d'Afrique  : 
a  Magnum  et  indeficientem  omnibus  christianis  fluenta  redun- 
dantem  apud  apostolicam  sedem  consistere  fontem  nullus  ambigere 
possit,  de  qiio  rivuli  prodeunt  affluenter.  »  (Act.  ii  Syn.  Lat.  sub 
Martino  \.)  Belle  image  bien  souvent  employée  par  les  Pères  et 
lesauteurs ecclésiastiques,  «  Inde,  écrivait  saint  Innocent  l*""  aux 
évêques  d'Afrique,  helut  de  natali  suo  fonte  aqux  cunctss  procé- 
dèrent et  per  diversas  mundi  regiones puri  capitis  incorrupt.se  ma- 
narent  {Hard.  i,  p,  1025).  »  Les  évêques  des  Gaules  écrivent  à 
saint  Léon  qu'ils  ont  reçu  ses  lettres  comme  un  symbole  de  foi 
et  que  dans  le  Siège  apostolique  est  la  source  et  l'origine  de 
notre  religion  :  Unde  religionis  nostrx...  fons  et  origo  manavit. 
(Labb.  IV,,  c.  -378).  C'est  la  même  cbaire  qui  est,  au  témoignage 
des  Pères,  la  source  de  l'apostolat  et  de  l'épiscopai  (Schradcr, 
p.  75). 

L'évèque  de  Rome  est  donc  le  père  des  pères,  le  pasteur 
des  pasteurs,  l'évèque  des  évêques;  son  Église  est  donc  la 
racine,  la  source,  la  matrice,  la  mère  et  la  maîtresse  des 
autres.  Et  les  énergiques  expressions  par  lesquelles  saint 
Cyprien  affirmait  cette  vérité  fondamentale  n'ont  rien  que 
d'exact  et  de  précis. 

Dans  les  premiers  jours  de  l'Église,  la  grande  marque 
que  l'on  était  catholique,  c'était  d'être  uni  à  la  Chaire  romaine. 
Rien  n'est  plus  touchant  que  ce  respect  de  l'autorité  dont 
jouissaient  dans  ces  temps  primitifs  les  églises  apostoliques, 
les  sièges  où  les  apôtres  semblaient  encore  assis  environnés 
de  la  vénération  des  fidèles.  Et  néanmoins,  toutes  ces  églises 


^32  DE  l'unité   ROMAINE.  [Tome  VIK 

aussi  bien  que  les  autres  devaient  nécessairement  rayonner 
vers  le  centre,  se  tenir  étroitement  unies  à  l'Église  romaine. 
C'est  là  le  nerf  et  la  beauté  de  l'admirable  raisonneuient  de 
saint  Irénée  (Scbrader,  p.  81).  C'estle  sens  de  l'argumentation 
de  Tertullien  qui,  parmi  les  églises  apostoliques,  cite  l'Église 
romaine  comme  ayant  reçu  toute  la  doctrine  avec  le  sang  des 
apôtres.  Or,  par  une  permission  de  la  divine  Providence,  qui 
tourne  tout  en  faveur  de  l'unité,  des  anciennes  églises  apostoli- 
ques, une  seule  est  encore  debout,  une  seule!  C'est  donc  à  elle 
que,  selon  la  méthode  des  Pères,  il  faut  nous  adresser.  Si  ces 
grands  hommes  revivaient,  avec  quelle  ardeur  et  quel  pieux 
respect  ils  accourraient  au  Saint-Siège  apostolique,  le  seul 
apostolique  !  Saint  Irénée  ajouterait  à  sa  Hste  les  papes  qui 
ont  succédé  à  saint  Eleuthère,  et  il  maintiendrait  son,  raison- 
nement. «  Verum  in  prsesentia,  dit  le  P.  Schrader,  non  existit 
«  alla  amplius  apostoUca  ejusmodi  ecclesia  originalis  et  matrix 
a  prxter  ecclesiam  romanam.  Ergo  apostoUca  haberi  nequit  doc- 
«  trina  qux  non  ronsonat  cum  romanx  Cathedrse  prxdicatione  : 
«  neque  christiana  vcritas  est  quidquid  ab  eadem  romana  prxdi- 
«  catione  dissonat  (p.  89).  »  Reine  parmi  les  églises  aposto- 
liques, il  y  a  donc  une  double  nécessité  de  s'accorder  avec  elle 
en  toutes  choses  ! 

Des  schismes  et  des  hérésies,  excités  par  le  démon,  troublent 
trop  souvent  la  paix  et  l'unité  de  l'Église.  D'où  vient  un  si 
grand  mal  ?  «  JIcc  eo  ftt  dura  ad  veritatis  originem  non  reditur,  nec 
«  caput  quxritur^  »  répond  l'admirable  saint  Cyprien.  Où  se 
trouve  le  remède?  a  Tractatu  longo  atque  argumentis  opus  non 
«  est.  Probatio  est  ad  fidem  facilis  compendio  veritatis.  »  Quelle 
est  cette  preuve  facile  menant  à  la  foi.  ce  compeudium  de  la 
vérité,  qui  dispense  des  longs  traités,  des  argumentations  pro- 
lixes? C'est  la  Chaire  romaine  !  Et  après  avoir  rapporté  les  di- 
vines paroles  adressées  par  Notre-Seigneur  ù  saint  Pierre,  le 
grand  évêque  de  Carthage  ajoute  cette  sentence  magistrale  : 
«  Ut  unitatem  manifestaret,  unitatis  ejusdem  originem  ab  una 


Févr.  18C3.1  DE   L' UNITÉ    ROMAINE.  433 

c(  incipientem  sua  auctoritate  disposuit  »  [De  Dnit.  Eccl.)  Il 
n'est  pas  possible  de  parler  plus  fortement  en  faveur  de  la 
suprême  autorité  doctrinale  de  la  chaire  romaine. 

Saint  Optât  de  Milève  argumente  exactement  comme  saint 
Gyprien.  Dans  l'Église,  il  n'y  a  qu'une  chaire  racine  et  matrice. 
C'est  la  chaire  placée  m  urbe  Borna,  in  qua  una  cathedra  unitas 
ab  omnibus  servaretur;  sur  cette  chaire  unique  se  sont  assis  en 
leur  temps  divers  pontifes,  depuis  Pierre  jusqu'à  Sirice,  cum 
quo  nobiscum  talus  orbis  commercio  formatarum  in  una  commu- 
nionis  societate  concordat.  (De  Sch.  Don.  L  i,  c.  ii,  n,  2.) 

Saint  Ambroise  rapporte  que  son  frère  Satyre,  jeté  par  la 
tempête  sur  une  côte  étrangère,  pour  savoir  si  la  foi  catholique 
y  était  prêchée  et  connue,  ne  trouva  pas  d'autre  moyen  que 
de  demander  à  l'évêque  du  lieu,  utrum  cum  episcopis  cathoUcis^ 
hoc  est,  cumsede  lîomana  conveniret  [De  Ob.  frat.  Sat.  1. 1,  n.  47). 
C'est  le  môme  saint  docteur  qui  a  résumé  le  mystère  de  l'uni- 
té dans  ce  mot,  le  plus  énergique  qui  se  puisse  imaginer  : 
Ubi  Petrus,  ibi  ecclesia  ;  mot  que  saint  François  de  Sales  a  voulu 
copier  quand  il  a  dit:  Le  Pape  ou  V Eglise,  c'est  tout  un.  «  In 
omnibus  cupio  sequi  Ecclesiam  Romanam  »(De  Sacr.  1.  m,  c.  171), 
dit  encore  le  grand  évéque  de  Milan,  traduisant  pieusement 
l'impression  que  le  Saint-Esprit  met  au  cœur  des  âmes  fidèles 
pour  les  diriger  vers  le  centre  de  l'unité,  et  confirmer  ce  bien- 
heureux mystère  par  un  mouvement  d'amour. 

Saint  Jérôme,  placé  entre  les  Lucifériens,  les  Origéui?tes,  les 
Mélétiens,  les  Vilaliens,  les  Pauliuieas,  ne  cesse  de  s'écrier  : 
«  Brevem  tibi  apertamque  animi  mei  sentent iam  proferam,  in 
«  illa  ecclesia  permanendum,  qux  ab  Apostolis  fundata  usque  ad 
«  diem  hanc  durât  [Ado.  Lucif.).  »  Il  ajoute  c<  Fidem  romanam 
«  apostolico  ore  laudatam  (Ep.  65,  n.  2).  Quelle  est  la  foi  que 
suit  Rufin  ?  Si  Romanam  responderit,  ergo  catholici  surnus  ! 
{Adv.  Ruf.  1,  I,  n.  4.)  Il  demande  à  saint  Damase  de  lai  fixer  une 
règle  de  foi,  qu'il  gardera  sans  crainte.  (Ep.  58,  al.  i6.  ;  57  al. 
15;  130  n.  66  Aé?  Demetriad.) 


-Î34  DE   l'unité  ROMAIME.  [Tome  VII 

Saint  Augustin,  ou  le  croit  sans  peine,  a  parlé  plus  d'une 
fois  du  Siège  où  est  dans  sa  pleine  vigueur  la  principauté  de 
la  Chaire  apostolique,  parole  qui  renferme  tout  ce  qu'on  peut 
en  dire  de  plus  fort:  Chaire  d'unité  en  laquelle  Dieu,  dit-il, 
a  placé  la  doctrine  de  vérité.  Argumentant  contre  les  Donatistes, 
il  leur  montre  qu'ils  sont  hors  de  l'i'glise  (Ep.  53,  n.  2),  car 
ils  ne  s'accordent  pas  avec  les  évèques  de  Rome,  dont  aucun 
ne  fut  donatiste,  succession  glorieuse  et  sans  tache,  qui  est 
elle-même  la  pierre  que  les  portes  de  l'enfer  ne  vaincront  en  aucun 
temps  {Cont.  port.  Don.),  suite  puisssante  qui  retenait  ce  vaste 
génie  dans  le  sein  de  l'Eglise.  «...  Multa  sunt  alia  qux  in  ejus 
«  gremiomejustissimeteneant...  Tenet  ab  ipsa  sede  Pétri  apo- 
«  stoli,  cui  pascendas  oves  suas  post  resurrectionem  Dominuscom- 
«  mendavit  usque  ad prxsentemepiscopatum  successio  sacerdotum  » 
{Cont.  ep.  Fund.,  c.  iv.  n.  5).  Rome  a  parlé,  la  cause  est 
finie  ;  tout  doute  a  disparu,  dubitatïo  tota  sublata  est  !  Si  Cons- 
tantin, après  le  concile  de  Rome,  autorisa  le  concile  d'Arles, 
ce  ne  fut  point  parce  que  ce  concile  était  nécessaire,  non  quia 
necesse  erai,  mais  pour  céder  aux  importunités  des  dissidents. 
Vieillard  couvert  degloire,  Augustin  envoie  ses  derniers  écrits 
à  saint  Boniface,  le  priant  de  les  examiner,  s'engageant  à  cor- 
riger ce  qui  lui  déplairait,  et  ubi  forsitan  displicuerit  emendanda 
constttuil 

Nous  trouvons  la  même  doctrine  chez  les  Pères  moins  an- 
ciens, comme  aussi  chez  ceux  (jui  appartiennent  à  l'Église 
d'Orient  (Schr.,  p.  101-109).  Telle  est  la  pratique  des  sectes  sé- 
parées ;  telle  est  eniîu  la  raison  de  la  nécessité  et  de  la  valeur 
des  lettres  formées  qni  mettaient  les  évêqucsen  communication 
entre  eux,  parce  qu'elles  établissaient  leur  communion  avec  le 
Siège  principal,  centre  nécessaire  de  l'unité  catholique. 

Cctie  belle  et  grande  considération  doctrinale  a  pour  i)ase 
un  fait  historique  d'un(;  importance  capitale.  Saint  Pierre  est 
venu  à  Rome,  y  a  été  évêque,  y  est  mort  et  n'a  cessé  d'y 
avoir  des   successeurs:  tout  ceci,  l'histoire    l'affirme;  c'est 


Ftvr.  1863.1  DE   l'uNITÉ  R03IA1NE.  ,        135 

même  un  fait  dogmatique,  lié  à  des  dogmes  de  foi  et  qui  re- 
pose sur  les  données  de  la  révélation,  aussi  bien  que  sur  le  té- 
moignage de  riiistoire.  Saint  Pierre  reçut  le  pouvoir  sur  toute 
l'Église  :  «  C laves  regnï  cœlorum  communicandas  cxteris  soins 
«  accepit  [Cont.  Parm,  1.  viii,  c.  3).  »  Les  promesses  faites 
ans  autres  apôtres,  il  les  reçut  senl,  et  les  apôtres  n'en  enten- 
dirent aucune  que  Pierre  ne  fût  avec  eux:  circonstances  divi- 
nement disposées  afin  d'assurer  l'unité  dans  le  gouvernement 
ecclésiastique.  Pierre  vit  dans  chacun  de  ses  successeurs  :  cha- 
cun des  évéques  de  Rome  est  donc  un  autre  Pierre.  Rien  ne 
revient  plus  souvent  dans  les  ouvrages  des  Pères  et  les  actes 
des  conciles  que  cette  pensée  :  «  Ipsa  est  Petra,  dit  S.  Augustin 
des  successeurs  de  saint  Pierre,  quam  non  vincunt  superbx  in- 
ferorum  portx.  » 

IV. 

Le  plaisir  que  nous  procure  l'étude  du  livre  du  P.  Schrader 
nous  ferait  oublier  et  dépasser  les  bornes  d'un  article  ordi- 
naire, et  volontiers  sur  un  sujet  aussi  vaste  qu'intéressant, 
nous  écririons  avec  lui  un  volume  entier.  Abrégeons. 

Il  nous  reste  à  voir  quelle  est  la  disposition,  Veconomie  de 
l'unité  romaine.  La  Chaire  romaine  forme  l'unité  de  l'épisco- 
pat,  l'unité  de  la  chaire  des  docteurs,  l'unité  des  pasteurs, 
l'uuité  de  bercail  des  brebis  (p.  114-122),  Il  est  donc  absolu- 
ment nécessaire  qu'on  lui  obéisse,  c'est-à-dire,  ce  qui  est  tout 
un,  qu'on  lui  obéisse  partout  et  toujours.  Ce  ne  sont  pas  seu- 
lement les  Pères  et  les  exemples  de  l'antiquité  qui  nous  en- 
seignent ces  vérités  capitales  :  ce  sont  les  conciles  qui  nous  af- 
firment que  l'Église  de  Rome  a  sur  toutes  les  églises  du  monde 
ordinarix  potestatis  principatwn  (C.  Lat.  iv,  an  1215),  un  pou- 
voir, mais  un  pouvoir  SUMMUM  et  PLEJNUM  super  universam  ^cc/c- 
siam  calholicam...  cum  potestatis  plenitudine  [Cane.  Lugd.  sub 
Greg.  X)  ;  que  son  évèque  est  le  père,  le  docteur  de  tous  les 
chrétiens,  avec  le  plein  pouvoir  de  nourrir,  régir  et  gouverner 


136  DE   L'tNITÉ   ROMAINR.  [Tome  VII. 

l'Église  universelle  {Conc.  Flor.).  Écho  puissant  de  tous  les 
conciles  antérieurs,  l'assemblée  de  Trente  enseigne  à  diverses 
reprises  et  en  plusieurs  manières  que  le  Pontife  romain  a  la 
SUPRÊME  autorité  sur  l'Église  dans  Dieu  (Cf.  Schraderp.  128). 

Ces  dogmes  de  foi  dont  le  granit  invincible  résiste  à  tous  les 
efforts  de  l'esprit  d'erreur,  se  retrouvent  encore  dans  les  actes 
officiels  émanés  de  la  Chaire  apostolique,  dans  le  décret  de 
Gélase  I,  dans  le  formulaire  d'Hormisdas,  dans  la  formule  de 
Nicolas  I,  de  Léon  IX,  dans  la  profession  de  foi  de  Pie  IV, 
dans  celle  que  Grégoire  XIII  imposa  aux  Grecs  et  que  renou- 
velèrent Urbain  VIII  et  Benoît  XIV  (p.  128-132).  On  voit  les 
Papes,  combattant  à  un  autre  point  de  vue  pour  la  même 
vérité,  condamner  successivement  les  diverses  erreurs  qui  ont 
nié  dans  le  cours  des  âges  l'autorité  du  Siège  romain.  Le  P. 
Schrader  cite  Etienne  I,  Nicolas  I,  Jean  XXII,  Martin  V,  Léon  X 
et  Pie  VI  (132-135).  Un  des  articles  condamnés  par  Martin  V. 
et  le  concile  de  Constance,  nous  a  toujours  paru  digne  d'être 
recommandé  à  l'attention  des  esprits  :  «  Non  est  de  necessitate 
a  salutis  credere  Romanam  ecclesiam  esse  supremam  inter  alias 
»   ecclesias.  » 

La  racine  et  la  source  de  ces  dogmes  se  trouve  dans  les 
saintes  Lettres,  dans  trois  passages  fameux  du  S.  Évangile,  dont 
on  peut  dire  :  funiculus  triplex  difficile  rwnpitur,  com.mentés 
pratiquement  par  les  Actes  des  Apôtres,  Ces  passages,  le  P. 
Schrader  les  explique  par  la  doctrine  des  Pères,  et  c'est  ici 
une  des  parties  les  plus  émouvantes  et  les  plus  intéressantes  de 
sou  livre.  Cette  triple  couronne,  rehaussée  par  les  oracles  des 
Pères  comme  par  des  rubis,  brille  d'un  éclat  merveilleux  sur 
la  tête  de  l'auguste  Chef  de  l'Eglise,  et  fait  du  Saint-Siège  une 
sorte  de  colonne  milliaire,  de  laquelle  tout  part  et  à  laquelle 
tout  aboutit  (p. 138-173).  Ici  les  détails  sont  impossibles,  il  faut 
lire.  L'égalité  prétendue  des  apôtres  ne  nuit  pas  à  la  primauté 
d'un  seul,  pas  plus  que  la  séparation  et  les  objections  des 
Phoiiens  ne  ruinent  l'autorité  romaine. 


Fcrr.  dSGô.l  DE    l'L'NITÉ   ROMAINE.  137 

A  la  fiu  (le  celivi'P,  le  P.  Sclirader  tire  quelques  conclusions 
que  nous  indiquerons  en  peu  de  mots. 

Le  régime  de  l'Église  n'est  pas  politico-laïque,  il  n'est  pas 
démocratique,  il  n'est  pas  aristocratico-épiscopal,  il  n'est  pas 
aristocratico-synodal.  Il  est  ijionarcliique  ;  le  Chef  de  l'unité 
catholique  est  un  roi.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'il  soit 
despotique,  arbitraire,  capricieux  et  tyrannique.  «  Optima 
«  gubernatio  est  qux  fit  per  unum,  dit  saint  Thomas,  cujus  m- 
«  tio  est  quia  gubernatio  nihil  aliud  est  quam  directio  guberna- 
«  torum  ad  fnem,  unitas  autem  pertinet  ad  rationem  bonitatis, 
t  teste  Boetio,  id  ipsum  probante  :  quia  sicut  omnia  desiderant 
«  bonum,  ita  desiderant  unitatem  sine  qua  esse  non  possunt  quia 
«  unumquodque  in  tantum  est  in  quantum  est  unum.  Unilatis 
a  autem  causa  per  se  unum  est.  Manifesfum  est  enim  quod  plures 
«  multa  unire  et  concordare  non  possunt  nisi  ipsi  aliquo  modo 
«  uniantur.  Illud  autem  quod  est  per  se  unum  magis  potest  esse 
«  causa  unitatis  quam  multi  uniti{^.  103,  n.  3).  »  Les  évêques 
établis  de  droit  par  Jésus-Christ  pour  régir  les  églises  particu- 
lières sont  unis  et  soumis  àrÉvêque  de  l'Ëglise  catholique  ;  et 
dans  cette  union  et  soumission  se  consomme  le  saint  mystère 
de  l'unité  catholique  :  Et  eint  unum  ovile  et  unus  pastor  !  Et 
cet  Évoque  des  évêques,  il  est  le  père  et  le  docteur  des  évêques 
et  des  fidèles.  Nulle  part  le  pouvoir  n'est  plus  doux,  n'est  plus 
sage,  ne  s'entoure  de  plus  de  conseils  et  de  lumières,  nulle 
part  il  ne  procède  avec  plus  de  tact  et  d'égards  qu'à  Rome  :  le 
roi  disparaît  sous  le  père  et  le  docteur  ne  se  fait  presque  pas 
sentir. 

Hors  de  l'unité  romaine,  il  n'y  a  donc  pas  d'église  une, 
sainte,  catholique  et  apostolique.  L'unité  romaine,  voilà  donc 
le  dernier  terme  des  travaux  de  Dieu.  L'Esprit-Saint  a  daigné 
nous  révéler  par  les  prophètes  le  secret  de  la  destinée  des  em- 
pires fameux  qui  ont  ébranlé  le  monde,  et  qui  ont  tous  fait  des 
essais  d'unité  rentrant  dans  le  plan  divin.  L'empire  de  Nabucho- 
douosor  fut  une  unité  qui  devait  châtier  Jérusalem  coupable  ; 


13S  DE    lVnITÉ    romaine.  [;tmeVlI. 

l'empire  des  Perses  une  unité  qui  devait  délivrer  et  rétablir  le 
peuple  captif  à  Babylone.  Ces  deux  unités  n'eurent  qu'un  but 
accideutel  et  relatif  aux  Juifs.  Les  deux  autres  eurent  une  vo- 
cation plus  grande.  Les  Grecs  firent  l'unité  dans  l'Orient  sur- 
tout par  la  langue  ;  les  Romains  la  firent  plus  profonde  en 
Occident,  et,  après  ces  empires,  le  royaume  de  Jésus-Christ^  par 
l'unité  romaine,  a  détruit  tous  les  règnes  précédents  et  leur  a 
substitué  à  toujours  une  unité  qui  s'étend  de  l'orient  au  cou- 
chant jusqu'aux  extrémités  de  l'univers.  Tout  a  donc  gravi  vers 
Rome,  dès  le  principe,  et  depuis  que  saint  Pierre  y  a  été  cru- 
cifié, tout  en  est  parti,  tout  y  retourne. 

V. 

Tel  est,  rapidement  exposé,  l'ensemble  du  premier  livre 
du  P.  Schrader  sur  l'unité  romaine.  Ce  travail  complète 
parfaitement  l'ouvrage  qu'il  a  publié  autrefois  avec  un 
prêtre,  membre  alors  de  la  Compagnie  de  Jésus  {de  Ecclesia 
Christi,  Ratisbonne  MDCCGLIII  chez  Joseph  Manz)  ;  nous  en 
attendons  la  suite  avec  impatience.  Il  y  a  encore  bien  à  dire, 
mais  le  principal,  dans  un  sens,  a  été  dit.  Quand  on  a  démon- 
tré que  les  bornes  de  l'unité  romaine  sont  les  bornes  mêmes 
de  l'Église;  que  ce  qui  s'applique  à  l'nglise,  s'applique  égale- 
ment et  nécessairement  à  l'uni  té  romaine  ;  que  cette  unité  est 
un  principe  agissant  par  sa  propre  vigeur,  et  attirant  de  droil 
divin  tout  à  lui  pour  tout  vivifier  et  tout  assurer,  on  a  beau- 
coup fait,  on  a  fait  un  beau  travaiL 

Les  études  du  P.  Schrader  viendront  liâter  le  mouve- 
ment si  remarquable  que  nous  constatons  depuis  plusieurs 
années  dans  le  sens  d'une  union  plus  entière  et  plus  parfaite 
avec  le  Siège  apostolique.  Désormais  entièrement  d'acord,  in 
omnibus,  avec  les  enseignement  de  la  sainte  Église  de  Rome, 
pourquoi  des  dissidences  ?  Rome  est  la  source  ;  Rome  est  la 
seule  église  apostolique,  là  est  notre  père,  là  siège  notre  doc- 
teur à  tous.  Et  que  l'on  ne  croie  pas  que  c'est  la  servitude  et 


Févr.  1863.]  DE   L'LRITÉ   ROMAINE  139 

l'immobilité  que  nous  enseignons.  Dans  le  rayon  tracé  par  le 
dogme,  la  sience  peut  se  mouvoir  au  large  :  quant  aux  rè- 
gles disciplinaires,  ou  sait  que  l'union  avec  Rome  est  l'appui 
le  plus  ferme  de  la  liberté  ecclésiastique.  Renonçons  de  plus 
en  plus  à  de  vieux  préjugés.  Que  l'on  n'entende  plus  donner 
les  noms  odieux  de  secte  et  de  coterie  à  ceux  qui  prêchent 
Tunité  avec  la  Cbairc  apostolique.  Demandons  Tunité,  travail- 
lons pour  l'unité.  Là  est  la  vérité,  là  se  trouve  la  vie  ! 

Une  autre  conséquence  qui  résulte  de  l'étude  du  P.  Schra- 
der,  c'est  que  le  grand  dogme  que  les  Pérès  des  cinq  premiers 
siècles  ont  le  plus  inculqué,  c'est  celui  de  l'unité  dans  la 
Chaire  romaine,  matrice  de  l'Église.  Saint  Irénée,  Tertullien, 
saint  Cyprien,  saint  Optât,  saint  Ambroise,  saint  Augustin  ne 
répètent  rien  tant.  C'est  donc  par  une  inexplicable  distraction 
que  bien  des  auteurs  ont  fait  de  saint  Cyprien  et  de  saint  Au- 
gustin des  adversaires  de  la  suprême  autorité  doctrinale  du 
Saint-Siège  apostolique.  Pour  nous,  c'est  chose  inexplicable 
qu'une  telle  erreur  ait  pu  se  faire  jour,  quand  elle  est  si  gran- 
dement en  contradiction  avec  l'ensemble  de  la  doctrine  de 
ces  pères  et  même  avec  les  textes  particuliers  sur  lesquels  on 
cherchait  à  la  baser. 

Le  travail  du  P.  Schrader  serait  fort  utile  à  plus  d'un  ra- 
tionaliste qui  ne  voit  dans  les  premiers  siècles  aucun  vestige 
de  la  puissance  de  l'Évêque  de  Rome  :  affirmation  menteuse 
dont  il  est  impossible  de  se  rendre  compte  ! 

Le  P.  Schrader  a  donc  fait  un  beau  livre.  Eu  travaillant 
pour  l'unité,  11  a  travaillé  pour  l'œuvre  de  Dieu.  Ainsi  doivent 
faire  tous  les  chrétiens.  Que  si,  parmi  nous,  un  seul  ne  pou- 
vait s'accommoder  du  Sequentes  in  omnibus  sedem  apostolicam 
du  Formulaire  d'Hormisdas,  et  que  l'unité  lui  parût  onéreuse  et 
excessive,  que  du  moins  il  ne  la  combatte  pas  !  ouplutôt,  tous, 
n'ayons  qu'un  cœur,  qu'une  bouche  :  labii  unius  et  sermonum 
eorumdem. 

N.-C.  Le  Roy. 


ESSAI 


SUR    LA    VIE    COMMUNE    AU    SEIN    DU    CLERGE. 


Troisième  et  dernier  article. 


§XI. 

RÉFORMES  d'yVES  DE   CHARTRES  ET   DE   PIERRE  DE   HONESTIS. 

Laviecommuoe  était  éteinte  dans  un  grand  nombre  d'églises 
cathédrales  et  autres,  quand  le  bienheureux  Yves,  depuis 
évêque  de  Chartres,  entreprit  de  la  relever.  L'évêque  de  Beau- 
vais  fit  construire  pour  lui,  dans  un  des  faubourgs  de  sa  ville 
épiscopale,  un  monastère  placé  sous  l'invocation  de  saint 
Quentin  (1078).  Celte  maison  devint  eu  peu  de  temps  très-flo- 
rissante. Sans  être  précisément  la  tète  d'une  congrégation, 
comme  il  y  en  eut  par  la  suite,  elle  étendit  au  loin  son  in- 
fluence. Aussi,  son  fondateur  fut-il  regardé  à  juste  titre 
comme  le  réformateur  de  l'ordre  canonique  (1).  Le  pape 
Urbain  II  confirma  ce  monastère,  et,  en  décernant  aux  reli- 
gieux de  justes  éloges,  il  saisit  cette  occasion  pour  manifester 
une  fois  de  plus  les  sentiments  du  Siège  Apostolique.  Il  rap- 
pelait l'ancienne  discipline  de  plus  en  plus  oubliée  :  il 
proclamait  qu'il  est  tout   aussi  méritoire  de  relever  ce  genre 

(1)  Sigeh-  Gembkic.  ad  ann.  1078;  Ab  hoc  lenipore  cœpit  reflo- 
rescere  in  ecclesia  B.  QuiDlini  Belvacensi  canonicus  ordo,  primura  ab 
aposiolis,  postea  a  B,  Auguslino  episcopo  regulariier  insiiiulus, 
sub  luagisiro  Ivone  venerabili  cjusdem  ecclesiœ  preeposilo,  posleaCar- 
noiensium  eiiscopo. 


■Févr.  1SP3.]       ESSAI  SUR  IWIE  COMMUNE  AU  SEIN  DU  Cl.EUGÉ.  ^4^ 

de  vie  usité  dans  la  primitive  Église,  que  de  conserver  dans 
sa  ferveur  l'ordre  monaslii|ue  demeuré  florissant  (1). 

Dès  cette  époque,  et  par  suite  de  la  scission  intervenue  au 
sujet  delà  vie  commune,  nous  voyons  se  poser  une  question 
longtemps  débattue,  et  que  la  transformation  des  collèges  ca- 
noniques en  instituts  religieux  fera  décider  enfin  à  leur  préju- 
dice. Dans  le  diocèse  de  Limoges,  on  voulait  exclure  des 
bénéfices  les  membres  des  communautés  canoniques.  Yves  prit 
hautement  leur  défense  :  non -seulement,  dit-il,  cette  pré- 
tention n'est  point  fondée,  mais  de  plus  la  discipline  aposto- 
lique, sanctionnée  par  les  lois  de  l'Église  universelle,  oblige  à 
la  vie  commune  tous  les  clercs  sans  exception,  aussi  bien  ceux 
qui  desservent  les  églises  de  la  campagne  que  ceux  qui 
exercent  leurs  fonctions  dans  la  ville.  L'usage  contraire  est  un 
abus  né  du  lefroidissement  de  la  charité  (2). 

Y\"es  n'était  pas  seul  à  faire  revivre  dans  tout  leur  éclat  les 
belles  traditions  de  l'antiquité.  Quelques  années   seulement 


(^)  Urbanus  Ep.  servus  servorumDei  dileciis  in  Christo  Filiis  in  ec- 
clesia  B.  Quiaiini  secus  Bellovaceasem  urbem  sila  canonicam  vitam 
professis,  eorumquesuccessoribus  regularilerviciuris,  in  perpeluum... 
Omnipotenli  Domino,  cujus  melior  esl  misericorJia  s(i.ier  vitas,  gra- 
lias  agiraus,  quia  vos  esiis  qui  sanclorura  Palrum  vilain  probabilem 
renovalis  et  Aposlolicse  inslilula  doctrinœ  primorciiis  Ecclesiae  sanctae 
inolila,  sed,  crescenle  Ecclesia,  jam  pêne  delela  insiinclu  SaiicU  Spi- 
rilus  susrilalis. ..  Hanc  martyr  el  poniifex  Urbanus  insiiluil,  hanc  Au- 
gustinusSLiis  regulis  ordinavil,  hanc  Hierooyraus  suis  epistolis  infor- 
mavil.  Itaque  non  minoris  pêne  aestimanium  esl  raerili  vilam  hanc 
Ecclesiœ  primilivam,  aspirante  ac  proseqtienle  Domini  Spirilu,  susci- 
lare,  quam  florenlem  monachoruin  reJigionem  ejusdeni  Spirilus  per- 
severantia  eus  odire.  (Ap.  Lelarge,  Du  Canonic.  ordine,  p.  323  ss.) 

(2)  Hae  senlenliee  apostolicee  nulium  clericum  a  commuai  viia  exci- 
piunl,  nec  civilis,  nec  suburbanse  ecclesiae  presbylerum.  Quod  vero 
communis  vlta  in  omnibus  ecclesiis  pêne  defecit  lam  civilibus  quam 
diœcesanis,  non  auctorilaii  sed  desueludjni  et  defeclui  ascribeadum 
esl,  refrigescenle  carilate,  quse  omnia  vuil  habere  communia,  el  ré- 
gnante cupidilate,  quse  non  queeril  ea  quee  Del  sunl  el  proximi,  sed 
tanlum  quaesunl  propria. 


142  ESSAI   SUR    LA   VIE   COMMUNE  ITomeVIS. 

après  la  fondation  de  Saint-Quentin,  Manegold  érigeait  à  Mar- 
bacli  (1)  cette  abbaye  célèbre  qui  eut  sous  elle  par  la  suite  plus 
de  trois  cents  monastères.  Il  nous  reste  d'anciennes  constitutions 
promulguées  par  Manegold  lui-même  ou  par  son  successeur 
Gernard.  Elles  se  rapprochent  beaucoup  des  formes  mona- 
stiques pour  le  noviciat,  pour  la  profession,  pour  les  usages  in- 
térieurs, les  pratiques  et  les  règlements  de  toute  nature:  elles 
excluent  rigoureusement  le  droit  de  propriété  (2).  Il  est  aisé 
de  voir  que  l'on  s'achemine  de  plus  en  plus  vers  la  transforma- 
tion qui  sera  consommée  au  Xlle  siècle.  Il  n'y  a  plus  qu'un  pas 
à  faire,  et  une  limite  bien  faible  à  franchir  pour  que  les  cha- 
noines vivant  eu  commun  deviennent,  sous  le  nom  de  cha- 
noines réguliers,  non  pas  des  moines,  mais  des  religieux  dans 
le  sens  que  le  droit  canonique  attache  à  ce  mot. 

Ces  réflexions  s'appliquent  également  à  la  règle  de  Pierre 
de  Honestis ,  plus  célèbre  et  aussi,  parait-il,  un  peu  plus 
ancienne  que  la  précédente.  Ce  pieux  personnage,  qu'on  a 
quelquefois,  mais  à  tort,  confondu  avec  saint  Pierre  Damien, 
fut  le  restaurateur  et  en  quelque  sorte  le  fondateur  du  mona- 
stère canonial  de  sainte  Marie  de  Porto,  près  deRavenne  (3).  Il 
rédigea  en  commun  avec  ses  frères  une  lègle  destinée  sans 
doute  avant  tout  à  fixer  et  à  maintenir  l'observance  du  mona- 
stère, mais  aussi  à  raviver  au  loin  l'esprit  apostolique  (4).  Cette 
règle  obtint,  en  1117,  l'approbation  de  Pascal  II  (3). 


(1)  Berthollus  Conslantiensis,  ad  ann.  -1093  :  Magisler  Manegoldus 
de  Lulenbach  monasterium  clericorum  apu  i  Marbach  insliluere  cœ- 
pit,  seque  uimrn  eorum  canonicorum  communiler  el  regulariier  vi- 
venlium  esse  voluii. 

(2)  Consfituliones  Marbacenses  (ap.  Amort,  Veiui  dhciplina  cano- 
nicoru77i^  p.  383  ss,),  §  xxxm,  cvni. 

(3)  V.  Amort,  op.  cil.,  p.  334  s. 

(i)  C'eS'  ce  que  prouvenl  le  prologue  el  difTérenies  disposiiions  de 
celle  règle,  quon  peut  Hre  dans  Amort  (p.  338  ss.)  ou  dans  Migne 
(Patrol.  lai.,  t.  CLXin,  co'.  703  ss.). 

(5)  V.  le  do-umenl  dans  Amori,  p.  382. 


Fcvr    !863.|  AU   SKIN    DU   CLERGÉ.  143 

Dans  la  pensée  du  saint  réformateur,  toul  l'ordre  clérical 
est  astreint  à  suivre  la  vie  apostolique  (1).  Il  écrit  à  une 
époque  de  transition,  sans  doute,  mais  le  droit  n'a  pas  encore 
sanctionné  les  changements  introduits  dans  beancoup 
d'églises,  et  les  lois  sont  toujours  en  vigueur,  quoique  géné- 
ralement enfreintes. 

Ici  encore,  nous  rencontrons  un  noviciat,  puis  une  profes- 
sion ou  promesse  de  stabilité  {i).  Dans  Tintérieur  du  mona- 

{^)  L.  I,  c.  I.  Quod  clericorum  ordo  leviiarum  et  aposlolorum  vi- 
ces teneat  ;  et  eorum  vttam  imitari,propriis  quoqus  facultatibus,  nec- 
non  voluntatibus  renuntiare  debeant. 

Hsec  levilis,  el  haec  aposiolis  mandata  sunl  uirisque  ;  una  régula,  et 
eadem  lex  praecipilur;  ulrisque  possessio  loUiiur,  lerrena  facullas  in- 
terdiciiur.  Qui  ergo  alii  régula  el  lege  isla  lenenlur,  nisi  clerici,  qui 
Jevitarum  Domini,  et  discipulorum  Chrisli  locum  teneni,  minislerium 
implent,  vices  servant,  ordines  habenl?  Ad  hoc  eliam  mandalam  le- 
nendum  el  perpeluo  implendum,  Ecclesiis  suis  preiia  peccalorum.vota 
et  oblaliones  fidelium,  primilias  ac  décimas  rerum  Deus  dari  insliluil  ; 
quatenus  ii  qui  divine  cultui  naanripali  propriis  faculiaiibus  exspo- 
lianlur,  sibi  staluta  perpeluo  stipendia  haberent,  unde  vivant,  Ecflesiee 
serviant,  et  pauperum  necessilatlbus  subministrent,  alque  sludiosius 
quseque  sui  ordinis  ministeriaimpleant,  nulliusque  rei  vel  necessitalis 
occasione  ab  his  unquam  se  séparent,  aul  sseeularlbus  negotiis  inten- 
dant. Ex  bis  igiiur  patenter  oslendiîur,  Christo  mililantibus  Clericis 
fore  illicitum  el  terrenas  facullales  lenere  el  res  Ecclesice  sumere;  in 
saeculo  palrimoniuni  habere,  et  Ecclesiarura  portionem  suscipere.  Cf. 
cap.ui. 

(2)  C.  IX  :  Qui  ergo  sui  juris  sunl, vel  in  se,  vel  in  suc  tradendo,  el  se 
fréquenter  ad  clerunti  vestrum  suscipi  postulaverint,  non  indiscrète 
suscipiantur...  Probatiouis  aulem  modum  el  lempus  cerUim  non  sta- 
lulmus,  sed  in  prudeniia  et  arbiirio  prions,  vel  [lariter  fratrum  semper 
slaluendum  dimillimus...  Qui  probali,  si  susripiendi  videntur,  îega- 
lem  anle  omnia  de  palritnoniis  el  rébus  suis,  si  habcanlur,  disposiiio- 
nem  facianl  ;  ea  vel  propinquis  relinquentes,  velpauperibus  erogan- 
les,  vel  Ecclesiae  offerenles.  Qua  fada  el  fréquenter  prius  régula  quam 
servaluri  sunlaudita,  deducantur  in  choro,  el  clerici  secundumusum 
et  ordinem  efQrianlur.  Post  haec  prœsenlibus  fnlribus,  proslrati  in 
medio,  leganl  chartulam  conlioenlem  hsec  vel  similia  verba:  «  Ego, 
N...,  meipsuin  omnipotenti  Deo  ofiero,  et  servitium  ac  slabilitalem 
meam  his  sanclorum  pignoribus,  oberiienliam  quoque  prselalis  hujus 


^44  ESSAI   SUR  LA  VIB   COMMUNE  [Tome VIL 

stère,  après  les  offices  divins,  on  s'occupe  de  pieuses  lectures, 
de  l'étude  des  sciences  sacrées,  de  travaux  manuels  (1)  ; 
ceux  que  l'ou  croit  pouvoir  servir  utilement  l'Eglise  par  la 
science  y  sont  appliqués  d'une  manière  exclusive  (:2).  Si 
quelques-uns  avaient  le  goût  d'une  vie  plus  austère  et  de  la 
solitude,  on  pourrait  les  autoriser  à  le  suivre  dans  une  partie 
plus  reculée  du  monastère,  après  un  mûr  examen  toutefois, 
et  à  condition  que  leur  i^etraite  ne  fût  en  rien  préjudiciable  à 
l'Église  et  à  leurs  confrères  (3). 


Ecclesi8e  secundum  Deum  el  ordinem  vestrum  la  eo  promiUo.  »  Mox- 
que  fratres,  Deo  gratias  respondenles,  subjunganl  versum:  Suscepi- 
vius  DeuSy  elc. 

(1)  C.  XXII  ;  Sanclis  vero  leclioûibus  vacenl,  divinis  ofûciis  aliisque 
sacris  doctrinis  pro  prioris  jussu  discendis  ia&isiant  :  psalniis,  hymnis  el 
canlicis  spirilualibus  incumbanl;  privalisquoque  oralionibus,  si  vacet, 
cum  licenlia  lamen  inlendant.  Facianl  quandoque  el  aliquid  operis  in 
clausiro  decenlis  fieri,  quod  fralres  legenles,  vel  psallentes,  aul  de  di- 
viaa  scriplura  medilantes,  vel  aliis  sanis  doclrinis  insislentes,  nequa- 
quam  impedial. 

C.  XXV  :  Quod  si  lalis  sit  locus,  et  prior  ad  usus  fralrum  aliquos 
de  Congregaiione  sibi  commissa  quaadoque  in  borlis  laborare,  vel 
aliquid  laie  quod  oporleal  alibi  operari  mandaveril,  raandanlis  fideli- 
ter  praeceplum  el  alacriler,  et    sine  mora  implealur  acceplum.  Cfr. 

I.  II,  c.  XIX. 

(2)  C.  xviii:  Si  qui  canonicoruni  humilia  senlienles.non  arrogan- 
tiam  habenles,  in  lanlurn  fuerint  lilleris  erudiii,  el  divinarum  scri- 
plurarum  scienlia  pleni,  ul  Inde  aliquiJ  ulililalls  afli'rre  vaieanl,  et 
prior  juslum  probaverit,  el  necessarium  videril,  omni  prorsus  invi- 
disa  el  odii  fomile  lemolo,  concédai  eis  vel  prjecipial  in  bis  laborare, 
quorum  scienliam  raagis  necessariam  utilemque  perspixerit.  Cf.  lib. 

II,  c.  xxxviu. 

(3)  C.  XXXI  :  Si  qui  fralres  sub  eodem  canonico  habilu  arcliorem 
vel  soliiariam  vilam  ducere  oplaverinl,  praelalis  suis  devolionera  pro- 
priam  insinuare  debebunl  ;  quorum  curée  el  sludio  periinebil  quali- 
taiem  respicere  personarum,  ue  Uli  forle  hoc  aggredi  cupianl,  qui  ex 
debililale  naturse,  aelalis,  aul  diulurnilale  consuelee  debililalis,  ia- 
suelum  vigiliarum  alque  jejuniorum  pondus  porlare  non  possunt.,. 
Verum  si  hoc  Ecclesiae  delrimenlum,  vel  confralribus  spiriluale,  vel 
corporale  infeial  damnura,  consulimus  penilus  denegandum. 


Févr,  1863.]  AU  SEIN  DU  CLERGÉ.  145 

Les  chanoines  ne  sortent  que  rarement,  avec  la  permission 
du  prieur,  et  toujours  accompagnés  (1).  Une  seconde  enceinte 
en  deliorsde  leur  cloître  doit  renfermer  toutes  les  dépendances, 
y  compris  le  quartier  des  étrangers  (2),  afin  qu'eux-mêmes 
jouissent  d'nne  tranquillité  parfaite,  et  que  rien  ne  vienne  les 
distraire  de  leurs  saintes  occupations.  Les  hommes  seuls  sont 
admis  à  faire  une  courte  visite  dans  l'intérieur  (3). 

L'histoire  nous  fournit  un  exemple  remarquable  des  fruits  de 
bénédiction  que  porta  la  règle  de  Pierre  de  Honestis.  Saint 
Ubald,  placé,  jeune  encore,  en  qualité  de  prieur  à  la  tète  du 
chapitre  de  Gubbio,  songea  aussitôt  à  la  réformer.  La  chose 
n'était  pas  facile,  car  ce  clergé,  après  s'être  émancipé  du  joug 
de  la  règle,  avait  fini  par  perdre  toute  religion,  toute  retenue. 


(1)  C.  xxii  :  De  clauslro  vero  sine  prioris,  vel  ejus  vices  fungenlis 
licenlia  nequaquam  exeant  :  egressi  ullra  quam  sibi  slalulum  fuerit 
absque  iaevitabili  necessilale  morari  non  audeant.  Soli  nunquam  eant, 
bonosque  eis  prœlatus  socios  tribual,  sine  quibus  nec  ipsi  alios,  nec 
alii  ipsos  alloquaniur. 

(2)  L.  I,  c.  XX.  L.ni,  c.xxxii:  Sludeanl  nccesse  est  prselali  ecclesia- 
rum  prœparare  aliquod  receplaculum  parum  disjunclum  ab  officinis 
familiarium  ex(eriu«,  ubi  hospiles  et  quique  advenienles  hoaesle  ac 
deceoler  suscipianlur. 

(3)  L.  1,  c.  xxn;  Clauslrum  vero  inlerius  canonicis  depuletur  solum- 
modo,  ubi  ipsi  sine  omnl  inquietudine  coramoranles,  Dec  fideliier  ser- 
viant  propositi  sui  reclum  trarailem  leneant,  etc.  L.  m,  c.xxxi  :  Clau- 
slrum aulem  inlerius  lanla  semper  observatione  custodiatur,  ul  nulli 
unquam  inleriorum  inde  exeundi,  sed  et  nulli  exieriorum  inlrandi  in 
60,  nisi  secundum  slal-ulum  ordinem  facullalem  habeant.  Si  qui  lamen 
fidèles,  el  religiosi  laici,  seu  clerici  ad  interiora  loca  conspicieuda,  et 
fralrés  visilandos  ex  devolione  inlrare  qusesierint,  non  negamus  eos 
exlra  horam  silenlii  per  priorera  vel  prseposilum  ialromilli...  Mulieres 
aulera  inofficinas  clericoruni  ialrare,  nedum  slare,  penitus  exsecra- 
mur.  Forisergo  domus  slatualur  a  fralrum  ofQcinis  disjuncla  ubi  ex 
charitale  eis  exhibealur  quod  necessarium  fueril.  Quod  si  eis  aliquid  a 
fratribus  dici  oporteat,  et  prier  concesserit,  plures  simul  ad  cas  accé- 
dant nec  soli  cumeisloqui/îr^stiman^  nisitestes  coram  affuerinl.  Cf. 
iib.  I ,  c.  XX. 


-US  ESSAI   SUR  LA    VIE  COMMUNIÎ  [Ton:  VII 

toute  pudeur^  et  par  tomber  dans  la  plus  extrême  abjection  (1). 
Le  serviteur  de  Dieu  ne  se  découragea  point  cependant.  Il  réussit 
à  faire  entrer  dans  ses  vues  trois  de  ces  malheureux  clercs  ; 
puis,  il  alla  séjourner  quelques  mois  dans  le  saint  monastère 
de  Porto,  afin  des'yformer  à  son  observance,  et  d'en  rapporter 
la  règle.  Grâce  à  ses  efforts,  il  se  fit  un  changement  complet 
dans  le  clergé  confié  à  ses  soins,  lequel,  après  avoir  donné 
le  scandale  d'une  vie  dissolue,  devint  un  modèle  de  régu- 
larité (2). 

(1)  Viia  S.  Ubaldi,  per  Tebaldum  episcopum  successorem  [Acta 
Sanctonim  Maii,  t.  m,  p.  C30  ss.).  N.3:  Cura  aulem  Dei  famulus 
îidolescentioe  annos  senililer  Iransissel,  et  morum  illum  gravitas 
omnibus  comraendaret,  ia  preedicla  ecclesia  sanciorum  martyrum 
Mariani  et  Jacobi  prior  efflcitur,  et  praelalionis  ecclesiaslicee  di- 
gnitale  communi  omnium  voie  honorifloe  subUmatur.  Et  quidem 
suscepti  prioralus  dignitas  salis  eral  hooorabilis  :  sed,  qui  su- 
scepli  fueranl  ad  regendum  clerici,  omni  honore  et  reverenlia 
erani  indigni.  Nam  in  prœdicta  ecclcia  nulla  lune  temporis  or- 
dinis  observantia ,  nulla  prorsus  religionis  colebatur  memoria. 
Mercede  annua  erat  conductus,  qui  carapanas  pulsarel  in  hora 
Offlcii  :  el  quia  Clericorum  unusquisque  ia  domo  propria  epulabatur 
et  dormiebal,  Iota  fera  observanlia  eoclesiaslici  cullus  custo  iiebalur 
ia  pulsu  nolarum.  Clauslrum  palebal  oraoibus,  viris  scilicet  ac  mulie- 
ribus,  nec  ullo  ibi  lempore  porta  claudebatur.  Quisque  habebal  peJli- 
cem  suam,  et  relicta  disciplina  ecclesiaslici  ordinis,  turpiludini  et 
luxuriœ  serviebat  muliebri. 

(2)  Ibid.  IN.  4  el  5  :  Primum  de  omnibus  illis  clericis  Ires 
sibi  cum  adjulorio  Domiai  adjunxil,  quos  benignis  suasionibus  ser- 
vaodo  ordini  sérum  arctius  copuiavil  :  cum  quibus  quantum  polerat 
regulariter  vivere,  et  clauslrum,  el  mensara,  et  dormitoriura,  et  cho- 
lum  sludebai  canonice  tenere.  Postmodum  vero  ad  ecclesiam  B.  Ma- 
riœ  in  Portu  perrexit,  ubi  salis  lionesle  Aposlolicse  servabalur  régula 
iaslitulionis,  et  splendor  in  omnibus  fulgebat  tolius  sanclitalis.  Ibi 
ergo  tribus  mensibus  sub  disciplina  fralrum  illorum  regulariler  vixit  : 
qualeiius  discipulus  veritalis  factus,  sine  errore  poslea  docerel,  quod 
primum  visu  el  auditu  veraciter  didicisset.  Scriplam  iiaque  canonici 
ordinis  egulara  rediens  atlulit...;  eamque  regulam  fralribus  omnibus 
propooi  ns,  divino  corailalus  adjulorio  servandam  iojunxit.  Faclumque 
ut  ex  illo  jam  tempore  cuncli  regulariter  viverent,  el  canonicum  or- 
dinem  omnes  dévote  custodirent. 


Févr,18ô3.|  AU   SEiN   DU   CLERGÉ.  i'47 

§X1I. 

CHANOINES  RÉGULIERS  ET  CHANOINES  SÉCULIERS. 

Déjà  nous  avons  remarqué  comme  un  double  courant  au  sein 
de  l'ordre  canonique  :  les  uns  clierclient  à  rejeter  la  vie  com- 
mune ;  les  autres,  pleins  de  ferveur,  en  resserrent  les  liens,  et 
aspirent  à  une  perfection  plus  haute.  Vers  la  fin  du  XI^  siècle 
et  pendant  le  XII%  ces  deux  courants  aboutissent  à  une  scission. 
C'est  alors  que  les  noms  de  chanoines  réguliers  et  de  chanoines 
séculiers  commencent  à  être  en  usage;  c'est  alors  que  paraît 
la  règle  de  saint  Augustin;  alors  aussi  les  chanoines  qui 
la  suivent  deviennent  un  ordre  religieux  proprement  dit,  qui 
a  ses  supérieurs  spéciaux,  et  forme  des  congrégations.  D'un 
autre  côté,  les  partisans  d'une  vie  plus  libre  se  partagent  les 
biens  autrefois  destinés  en  commun  à  leur  subsistance,  et  rom- 
pent les  liens  de  la  communauté.  Il  reste  cependant  çà  et  là 
quelques  vestiges  des  anciens  usages.  Ainsi,  l'on  voit  dans 
beaucoup  d'églises  les  chanoines  habiter  encore  le  cloître,  où 
ils  se  sont  fait  des  demeures  distinctes,  et  l'habiter  à  l'exclu- 
sion des  laïques.  Ailleurs,  on  continuait  à  lire  chaque  jour, 
soit  au  chœur,  soit  dans  la  salle  capitulaire,  une  partie  de  la 
règle  d'Aix-la-Chapelle  (1).  Il  y  eut  même  des  chapitres,  mais 
en  petit  nombre,  qui  conservèrent  la  vie  commune  d'une 
manière  plus  ou  moins  complète,  sans  s'attacher  à  aucune 
congrégation  de  chanoines  réguliers.  Ils  finirent  cependant  par 
accepter  ce  lien,  du  moins  en  général,  ou  bien  par  être  sé- 
cularisés. 

Notre  but  n'est  pas  de  poursuivre  cette  histoire  dans  ses 
détails.  Elle  exigerait  des  recherches  immenses,  et  un  espace 
beaucoup  plus  considérable  que  celui  dont  nous  pouvons  dis- 
poser dans  cette  Revue:  au  lieu  de  quelques  articles,  il  faudrait 

(I)  Mulanus,  de  Canonicis,  I.  i,  c.  xxi. 


as  KSSAI   SUR   LA    VIE   COMMUNE  [Tome  VII. 

des  volumes.  Ce  serait  d'ailleurs  nous  écarter  du  plan  que  nous 
•nous  sommes  prescrit.  Il  suffira  d'indiquer  à  peu  près  l'époque 
et  le  mode  de  cette  transformation,  et  de  retracer  en  peu  de 
mots  les  débals  très-animés  qui  l'accompagnèrent. 

L'origine  de  l'ordre  des  chanoines  réguliers  est  intimement 
liée  à  celle  de  sa  constitution  fondamentale,  la  règle  de  saint 
Augustin.  Quand  nous  voyons  cette  règle  paraître,  l'ordre  lui- 
même  commence  à  se  dessiner;  c'est,  pour  ainsi  dire,  son  dra- 
peau qui  se  montre.  Le  premier  teste  qui  en  fait  mention  est 
de  l'an  1067  :  Gervais,  archevêque  de  Reims,  établit  dans  une 
église  do  sa  ville  métropolitaine,  à  Saint-Denis,  des  chanoines 
qui  suivent  la  règle  et  l'ordre  de  saint  Augustin  (1).  A  partir  de 
là,  les  mentions  se  multiplient  (2).  Le  premier  document  pon- 
tifical que  l'on  puisse  citer  est  du  pape  Urbain  II,  en  1090  (3)  ; 
puis,  vient  Innocent  II,  dans  les  bulles  de  confirmation  de  dif- 
férents monastères  (4).  Cependant,  il  n'est  pas  absolument  cer- 
tain que,  dans  le  XI®  siècle,  par  les  expressions  règle  ou  ordre 
de  saint  Augustin,  on  voulût  désigner  ce  que  nous  entendons 
maintenant  par  là;  il  est  possible  que  d'abord  on  ait  eu  seule- 
ment eu  vue  l'institut  clérical  dont  l'évèque  d'Hippone  nous  a 
laissé  l'admirable  exemple,  et  les  deux  sermons  qui  le  décrivent. 
Ce  qui  est  propre  à  faire  concevoir  des  doutes  sérieux,  c'est 
qu'après  la  règle  de  saint  Augustin  on  cite  souvent  celle  de 
saint  Jérôme,  celle  des  saints  Pères;  or,  il  est  évident  que  ces 
désignations  s'appliquent  à  la  règle  d'Aix-la-Chapelle,  com- 
posée en  très-grande  partie  d'extraits  des  saints  docteurs  ,  et  où 


(1)  Canonicos  ibidem  ad  laudem  et  honorem  Dei  conslilui  Beali 
Augusiini  regulam  ordinemque  profitentes,  quorum  usui  liane  bo- 
norura  meorum  parlera  desiguavl.  Metrop.  Rein.^  l.  u,  p  140. 

(2)  V.  Amorl,  foetus  dise.  Canon.  P.  lu,  c.  n,  p.  529  s. 

(3)  Lrbauus  11,  in  butia  confirmatoria  Canoniœ  Rottenbuechensis 
^apud  Amort,  p.  33^)  :  Quia  Welfo  et  conjux  ejus  Canonicam  fratrum 
secundum  Regulam  B.  Augusiini  viventium  B.  Pelro  obtulere. 

(4)  Ap.  Amort,  I.  c. 


Févr  1803.  I  AU   SEIN   DU   CLERGÉ.  449 

notamment  les  deux  sermons  de  Vita  et  moribus  Clericorum  se 
trouvent  reproduits  à  côté  de  plusieurs  extraits  du  solitaire  de 
Bethléem  (1). 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  c'est  vers  cette  époque 
qu'il  faut  placer  l'introduction  de  la  règle  de  saint  Augustin. 

Un  décret  du  Concile  de  Reims  en  H31,  sous  Innocent  II, 
renouvelé  dans  les  mêmes  termes  par  le  Concile  de  Latran  de 
1139,  la  suppose  établie  partout  chez  les  chanoines  régu- 
liers (2). 

Jacques  de  Vitry  nous  a  laissé  des  détails  intéressants  sur 
cette  dernière  période  de  la  vie  canonique  et  sur  les  formes 
qu'elle  revêtit  alors.  S'il  y  eut  scission  et  perte  d'un  côté,  on 
ne  peut  nier  que  la  vie  sacerdotale  et  religieuse  ne  se  soit  dé- 
ployée alors  avec  une  grande  puissance  dans  les  monastères 
des  chanoines  réguliers.  Tout  n'était  point  parfait,  sans  doute; 
le  pieux  cardinal  exprime  ses  plaintes  avec  une  grande  véhé- 
mence, et  toutefois,  son  admiration  déborde  quand  il  parle  des 
maisons  de  Saint-Jean  des  Vignes  de  Soissons,  de  Saint-Aubert 
de  Cambrai,  de  Notre-Dame  de  Blois,  de  Saint-Nicolas  d'Oi- 
gnies;  il  loue  avec  enthousiasme  la  ferveur  des  Préraontrés, 
des  chanoines  d'Aroaise  et  de  ceux  de  saint  Victor  (3).  Un  fait 
considérable  s'était  produit  :  les  monastères  de  chanoines, 
auparavant  isolés,  s'étaient  groupés  en  congrégations  ayant 


(1)  V.  Amort,  p.  331  s.,  et  Chaponnel,  Hisloire  des  Chanoines^ 
p.  193  s. 

(2)  Conc.  Rheni.  can.  IX,  et  Conc.  Later.  can. /^/ :  Prava  consue- 
ludo  et  deteslabilis,  prout  accepimus,  inolevit,  quoniam  monachi  et 
regulares  canonici  posl  acceplum  habitnra  et  professionem  factam, 
iprela  Bealorum  magistrorum  Benedicli  et  Juguxtini  Régula,  leges 
temporales  ei  medicinam  gralia  lucri  lemporalis  addiscunl...  Ut  ergo 
ordo  monaslicus  et  canonicus  Deo  p'acens  in  sancto  proposito  invio- 
labdiler  coaservelur,  ne  hoc  ullerius  prBesumalur,  aucloritate  Aposlo- 
lica  inlerdicimus.  Episcopi  autem,  Abbales  et  Priores  laalee  enormi- 
tali  coasenlienles  propriis  honoribus  spolleniur. 

(3)  Jacobi  de  Vitriaco  H/se.occirf.  c.  21-27. 


-ioO  ESSAI   SUR   LA.  VIE   COMMUNE  [Tome  Yll. 

un  lieu  commua,  une  direction  centrale  et  des  assemblées 
L'égulières.  Jacques  de  Vitry  expose  d'une  manière  très-juste 
les  avantages  de  cette  organisation  nouvelle.  C'est  qu'il  en 
résulte  une  force  incomparable  pour  le  maintien  de  la  disci- 
pline et  des  garanties  autrement  impossibles.  Une  maison  isolée 
est  à  la  merci  de  celui  qui  la  dirige  ;  s'il  tombe,  elle  partage  le 
plus  souvent  son  sort,  faute  d'un  point  d'appui  qui  la  soutienne, 
ou  d'une  impulsion  salutaire  qui  la  relève.  Dans  une  congré- 
gation, au  contraire,  il  y  a  l'autorité  suprême,  toujours  prête 
à  parer  aux  éventualités  de  ce  genre,  et  suffisamment  armée 
pour  cela.  Puis,  l'action  vigilante  de  cette  même  autoiité  se 
fait  sentir  au  grand  avantage  de  tout  le  corps  ;  enfin,  les  cha- 
pitres généraux  maintiennent,  dirigent,  modifient  même  au 
besoin  la  discipline,  et  opposent  aux  causes  particulières  de 
relâchement  un  remède  souv'ent  efficace  (1). 

§  XIII. 

LUTTE  EN   FAVEUR  DE   LA.  VIE   CANONIQUE. 

La  séparation  qui  se  fit  au  XII*  siècle  entre  les  chanoines 
réguliers,  fidèles  à  l'esprit  de  leur  état,  et  les  chanoines  sé- 
culiers, qui  s'en  écartèrent,  mais  dont  la  position  fut  ensuite 
régularisée  par  le  consentement  du  Saint-Siège,  cette  sépara- 
tion, dis-je,  ne  se  fit  point  sans  amener  de  profonds  déchire- 
ments. On  reprochait  aux  chanoines  réguliei's  la  nouveauté  de 
leur  nom  et  de  leur  ordre.  Ceux-ci  n'avaient  pas  de  peine  à  se 
défendre  en  montrant  qu'ils  étaient  restés  fidèles  aux  traditions 

(1)  Les  principales  congri-galions  qui  se  formèrent  ainsi  furent 
celles  de  S.iint-Sauveur-de-Lalran,  de  Sainl-Ruf,  de  Sainl-Viclor,  de 
Sainle-Geneviève,  elf.  On  peut  consulter  sur  leur  histoire  Helyot, 
l.  VIII. — Pennotlus,  Generalis  lotius  sacri  Ordinis  Clericorum  canoni~ 
corum  historia  tripartila.  Coloniae,  1638.  —  Amort,  Velus  disciplina 
canonicorum  regularium  et  sacularium.  Veneliis,  1747. 


Févr.  JS03.]  AU   SEIN   DU   CLERGÉ,  13) 

vénérables  de  l'antiquité  chrétienne  :  de  là  répithète  de  régu- 
liers^ qui  désigne  cette  observance  plus  exacte  (1).  Prenant  à 
leur  tour  l'ofifeusive,  ils  faisaient  ressortir  l'espèce  de  contra- 
diction qu'il  y  a  entre  le  nom  de  chanoines  et  celui  de  sécu- 
liers (2)  ;  ils  soutenaient  l'obligation  pour  tous  les  clercs  de 
renoncer  au  droit  de  propriété  ;  ils  voulaient  que  l'on  excom- 
muniât, ou  du  moins  que  l'on  écartât  des  fonctions  du  mini- 
stère ecclésiastique  ceux  qui  refusei'aient  de  porter  le  joug  de 
la  vie  commune  (3).  Quiconque  reçoit  les  ordres,  ajoutaient-ils, 

(l)AnselmiHavelbergensis  episcopi  Episfola  apologetica  pro ordine 
canonicorum regularium  {U\gne  clxxxviu,  col.  HI7,ss.):  •  Causaris 
eliam  hoc  nomcn  regularis  canonicus,  et  dicis  illud  esse  novum,  et 
ideo  coriterupiibile  (col.  ^2"i2).  Et  un  peu  plus  loin  :  Ego  lamen, 
faleor,  nescio  libi  super  hoc  verbo  responclere,  cum  hoc  verbum, 
quod  esl  canonicus  regularis,  idem  videatur  significare,  lanquam  si 
quis  dicerel  regularis  regularis,  sive  canonicus  canonicus,  nisi 
forte  idem  verbum  in  lalino  el  in  grœco  inodernus  usus  ideo  gémi* 
nare  consueverit,  ul  significalionis  ingeminatio  anliquee  et  jam  répa- 
rai» religionis  firmasil  afûrmatio,  vel  aliquorum,  qui  non  lam  re- 
gulariler  vivuni,  manifesta  dislinilio  (col.  1223)-. — Cfr.  Gerliodi,  pree- 
posili  Reiiherspergensis,  Liber  epistolaris,  seu  dialogus  ad  Innocen- 
tium  II  Ponl.  Max.  de  eo  quoi  distet  inter  clericos  sœculares  et  re- 
gularfs  (Migne,  Palrol.  lat.,  I.  cxciv,  col.  ^37o  ss.;  :  Quod  aulcm  de 
novilate  nos  arguis,  maie  facis.  Nam  si  allendas  quid  sit  in  Chrislo  se- 
minalum,  invenies  Christum  Pelro  proprietatis,  imo  suimet  abnega- 
lori,  Eeclesiam  commisisse  regendam,  eic.  (col.  -1379). 

(2)  Adamus  Praemonstratensis,  de  Ordine,  habilu  et  professione  ca- 
nonic.  Prxm.  (Migne,  Patrol.  lat.,  t.  cxcviii,  col.  4-13)  :  Nequaquam 
salis  acute  intelligunt  qui  quosdam  clericos  canonicos  sœculares  ap- 
pellanl.  JNam  si  canonici,  quomodo  sseculares?  Si  vero  sœculares.quo- 
modo  canonici?  Neque  enim  bene  conveniunt,  nec  in  una  sede  rao- 
rantur  quod  regulareet  quod  sseculare  est...  Audiens  igitur  quosdam 
vocari  canonicos  sœculares,  sicsecundum  quemdam  modum  accipere 
soleo,  ac  si  quis  dicerel  non  esse  rectum  quod  reclum  est.  Ut  cygnos 
nigros,  sic  aadio  diei  canoniros  sseculares  (p.  -^62). 

(3)  Gerhodiis  Reicherspergensis,  Liber  de  asdi/îcio  Dei,  seu  de  stu- 
dio et  cura  ecclesiasiicœ  disciplinas  (Migne,  Patrol.  lat.,  t.  cxciv,  p. 
118"  ss.),  G.  m  :  Non  esl  aulem  verilas  vel  auclorilas,  qiiœ  centra 
Christum  et  aposlolos,  clericos  proprielarios  possil  defendere  :  si 
modo  episcopi  pravam  eorum  consuetudinem  voluerinl  irapugnare... 


452  E.SAl   isUR   LA   VIE    COMMUî(E  ITomo  Vil. 

est  tenu  de  suivre  la  règle  des  Apôtres,  de  même  que  par  le 
baptême  tous  les  chrétiens  contractent  l'obligatiou  de  suivre 
la  foi  catholique  et  apostolique  ;  cette  obligation  est  plus  étroite 
encore  pour  les  chanoines  que  pour  les  autres  clercs  (1).  Ceux 
qui  abandonnent  tout  pour  le  Seigneur  recevront  seuls  les  ré- 
compenses éternelles  ;  à  eux  aussi  il  appartient  de  garder  le 
troupeau  du  Seigneur,  et  non  aux  acéphales,  aux  pseudo- 
chanoines (2). 

Ces  ardents  champions  de  la  vie  canonique  se  livraient  avec 
zèle  aux  fonctions  du  ministère  des  âmes  :  ils  le  revendiquaient 
même  exclusivement  pour  eux  (3),  et  comme  les  petites  pas- 


Necesse  est  (clericos  proprielarios)  aut  regulam  suam  regulœ  Clirisli 
non  esse  conlrariam  probare,  aul  illa  déserta,  regulam  aposlolorum 
suscipere,  eut  rident  omnes  orlhodoxorumpatrum  auclorilates  conso- 
nare.  Quod  si  noluerint,  sed  suam  sectatn  defendere  preesumpserint, 
portabunt  analhema,  quoniam  evangelizant  apostolis  contraria.  Sunt 
ergo  ex^'ommunicandi  ;  aul  si  hoc  prse  niulliludine  eorura  atque  inolita 
malorum  consuetudine  fieri  non  poiest,  ab  ecciesiastico  ministerio 
siraul  ac  siipendio  removendi  (col.  1204). 

{\)  Ibid.  G.  xx:  Qui  ergo  sacros  ordlnes  sortiunlur,  debitores  effi- 
ciuntur  ut  leneant  regulam  aposiolicam.  Ecce  sicut  omnes  qui  bapli- 
zanlurdebitoresfiuniomnis  obserTaniise  quee  perlinetad  fidera  catholi- 
cam  et  aposiolicam  :  sic  omnis  qui  ad  sacros  ordines  légitime  proraovelur, 
débiter  efficitur  illiusobservanlieequœ  perlinetad  regulam  aposiolicam, 
maxime  si  congregationi  alicujus  Ecclesia:'  socialur  ;  quœ,  licel  falso 
Domine,  lamen  canonica  vocalur  (col.  -I24S). 

{2) Ibid.  G.  XXII  :  Solis  quippe  sua  relinquenlibus  et  Dominum  se- 
quenlibus  promittitur  ut  ei  liic  centuplum  accipianl,  et  in  future  vitam 
aelernam  possideant  (Malth.  xix,  29).  Talibus  recte  comraiilitur  cus- 
lodia  gregis,  quia  légitime  slant  in  porta  gregis.  Acephalorum  vero 
coDvenlicula  non  canonicis,  sed  pseudocanonicis  plena,  quaeilam  sunt 
porlae  iuferi,  qua;  non  pricvalebunt  adversus  istam  gregis  portara  a 
Domino  in  Petro  fundalam  (Col.  4252). 

(3)  Auselm.  Haveib.  de  Ord.  can.,  c.  xxn  :  Et  heec  est  pêne  quoii- 
diana  mea  ac  meorum  instantia,  jejunium,  abslinenlia,  oratio,  lectio 
et  opus,  insuper  et  sol'.iciludo  omnium,  ac  procuratio  multarura 
ecclesiarum.  In  quibus,  dum  verbum  Dei  preedicando,  infirmes  visi- 
lando,  morluos  sepellendo,  calechizando,  et  bapiizandodomeslici  mei 
laborando  discurrunt,  minislerium  meum  non  minus  quieli  monasticee 


Févr.  1KG3.]  AU  SEIN   DU   CLERGÉ.  183 

sionsdeTliomme  se  retrouvent  partout,  quelques-uns  prenaient 
de  làoccasion  pour  entonner  les  louanges  de  leur  ordre  au  détri- 
ment de  l'ordre  monastique.  Les  moines,  de  leur  côté,  reven- 
diquaient la  prééminence.  L'aigreur  était  quelquefois  poussée 
assez  loin.  Mais,  départ  et  d'autre,  les  esprits  sages  déploraient 
ces  querelles  ;  ils  proclamaient  que  les  deux  ordres  ont  cha- 
cun leur  place  marquée  dans  l'Église,  et  qu'il  ne  doit  y  avoir 
entre  eux  que  la  sainte  émulation  des  vertus  (1).  Et  certes, 
si  l'on  admire  dans  saint  Martin  et  dans  saint  Benoit  le  don  des 
miracles^  la  grâce  de  la  science,  unie  à  la  sainteté,  ne  doit  pas 
moins  attirer  notre  admiration  dans  Ambroise,  dans  Hilaire, 
dans  Augustin;  ils  ont  évangélisé  les  pauvres,  rendu  la  vue 
aux  aveugles,  purifié  les  lépreux,  et  ces  miracles,  pour  être 
spirituels,  n'en  sont  que  plus  grands  (2). 

Une  lettre  d'Etienne  de  Tournai  nous  retrace  au  vif  l'état 
général  des  choses  vers  la  fin  du  XII'^  siècle.  Il  l'écrivit  pen- 
dant qu'il  gouvernait  comme  abbé  le  monastère  de  Sainte-Ge- 
neviève, à  l'occasion  de  tentatives  qui  avaient  lieu  pour  sécu- 
lariser l'église  de  Reims,  et  qui  aboutirent;  en  effet,  un  peu 
plus  lard,  en  1206.  H  rappelle  aux  chanoines  la  gloire  de  leur 

vel  agresii  labori  monachorum  Dec  acceptum  existirao  ;  sed  nec 
oralionum  friigranliœ,  hune  veslimenlorum  meorum  odorem  arbilror 
adeo  poslhaljendum,  dicenle  ipso  sponsœ  :  Ef,  odor  veslimenlorum 
tuorum  sicul  odor  ihuris  {Can[.  iv,  col.  1108). 

(1)  Rupertus  Tuiliensis,  de  f^ita  vers  apostolica  (Migne,  Patrol. 
lat.,  t.  CLxx,  col.  613  ss.)  Roberli  abbatis  Epistola  qua  ratione 
monachorum  ordo  prxcellit  ordinem  canonicorum  (ib.  col.  663  ss.). 
Abcelardi  Ep.  xn,  (Migne,  l.  cLxxvin,  col.  5-^3  ss.) — Arnonis,  prsepositi 
Reicherspergensis,  Sciitum  canonicorum  (ib.  L  cxciv,  col.  ^489ss.) 

(2)  Arno  Reich.  1,  c.  :  Quapropler  mirenlur  qui  voluol  in  Mar- 
tino  et  Benediclo  miraculorum  potentiam,  ego  non  minus  mirabor  et 
venerabor,  siquidem  leslificanle  Domino  minus  non  esl,  in  Ambrosio, 
Hilario  et  Aiigusiino  cum  sanclitale  vilsp  doclrinœ  el  erudiiionis  gra- 
tiani,  qua  mulli  pauperes  evangelizaii,  el  mulli  jamjam  caeci  illu- 
minati,  leprosi  mundali  et  morlui  resuscilali  suiii,  quae  ulique  mira- 
cula  quanlo  spirilaliora,  lanlo  majora  a  recle  judicanlibus  non  dubi- 
lanlur  (col.  1523). 


^ol  ESSAI   SUR   LA   VIE   COMMUNE  fTome  VII. 

Église,  qu'ils  se  disposent  à  fouler  aux  pieds  (1)  :  s'ils  vien- 
nent à  déchoir,  que  va  dire  la  Germanie,  qui  s'est  maintenue  à 
l'abri  du  relâchement  et  qui  conserve  encore  les  douceurs  de 
la  communauté  fraternelle?  Les  églises  de  France  se  prévau- 
dront de  cet  exemple,  elles  qui  préfèrent  le  soulagement  de  la 
dispense  aux  rigueurs  de  la  règle  :  elles  s'en  serviront  pour 
couvrir  leur  honte  et  leur  négligence  (2).  On  voit  par  là  que 
la  vie  commune  avait  cessé  généralement  dans  nos  églises, 
Gerhodus  de  Reichersperborg  nous  apprend  qu'en  Allemagne 
le  parti  de  la  sScularisation  se  prévalait  de  l'autorité  des  écoles 
de  France,  alors  très-fameuses  (3). 

Etienne  de  Tournai  continue  en  adressant  au  doyen  de 
l'église  de  Reiras  les  prières  les  plus  touchantes  :  il  connaît  la 
douceur  de  l'archevêque  ;  ce  prélat  pourrait  fléchir,  alors  sur- 
tout que  l'usage  général  des  égUses  de  France  a  introduit  la 
division  des  biens,  sans  que  le  Saint-Siège  ait  réclamé.  Mais 
il  connaît  aussi  sa  prudence  et  sa  vertu,  et  certes  il  ne  laissera 
point  imprimer  à  son  église  une  telle  tache,  si  le  doyen  et 

(-<)  SlephanusTornacencis.e/j.cxLi  (ap,  Migne, Patro/.  lal.A  ccxi): 
Exiil  serino  iater  plures  quod  aoliqua  Palrum  vestigia  sacris  inslilula 
Conciliis,  el  a  gloriosa  haclenus  Remensi  ecclesia  diulius  observiila 
quidam  ex  vobis  immiilare  conletidunl,  larainanique  auream  reli- 
giosae  consueludinis,  quse  in  fronte  ecclesise  melropoieos  apposita 
lucet  omnibus  qui  in  regao  sunl,quadam  singularilale-  sludeanl  de- 
lere,  dejiiere,  conculcare. 

(2)  Ib.  In  his  el  aliis  observaniiis  regularibus/  intedebal  Remeosis 
eeclesia,  ternhilis  ut  caslrorum  acies  ordinala,  amabilis  suis,  admi- 
rabilis  alienis.  Si  hsec  iramuiari  cœperini,  quid  dicel  gerniaria  ejus 
loco  el  ordine  Germania.quœ  inler  alias  inslilulioces  ecclesiaslicas 
refeclionisadhuc  el  quielis  fraleruam  cornmunionem  sic  observai,  ut 
modernam  dissolulionem  non  •adrailtat  ?  Clamabil  vel  compatiens  vel 
insultans  :  Quomodo  obscuralum  est  aurum,  mutatus  est  color  opti- 
mus?  [Thren.  iv.)  Clamabunl  el  GallicanBB  Ecclesise,  dispensalionis  le- 
varaen  libenlius  admilteriles  quam  ausleritalis  rigorem  :  «  Ecce  Re- 
mensis  Ecclesia  facia  esl  quasi  una  ex  nobis,  consorlio  suo  verecun- 
diam  noslram  operiens,  auctorifale  sua  negligenliam  nosiram 
défend ens.  » 

(3;  Liber  epislolaris,  etc.,  <;o!,  14-19. 


Fc'vr.  1SG3.I  AU   SEIN   DU   CLERGÉ.  155 

quelques-uns  de  ses  collègues  veulent  bien  agir  auprès  de  lui 
dans  ce  sens  (1). 

§X1V. 

ÉPOQUE   MODERNE.  M.   OLIER  ET   LA.  COMMUNAUTE  DE  SAINT-SULPICE. 

En  dehors  de  l'ordre  des  chanoines  réguliers,  placé,  comme 
nous  l'avons  vu,  dans  les  conditions  spéciales  d'un  institut  re- 
ligieux, la  vie  canonique  ne  subsista  bientôt  plus  qu'à  Tétat 
de  souvenir  :  tout  au  plus  en  conserva-t-on  çà  et  là  quelques 
vestiges  effacés.  Un  dernier  effort  fut  tenté  par  le  concile  tenu 
à  Cologue  en  4260.  On  y  ordonna  de  construire  des  maisons 
canoniales  auprès  des  églises  qui  n'en  possédaient  point  en- 
core, et  l'on  rappela  aux  chanoines  qui  la  négligeaient,  l'obli- 
gation de  vivre  en  commun  (2).  Mais  en  Allemagne  comme 

(1)  OfCLirrile,  Paler,  expansis  brachiis  et  aperlis  visceribus  perni- 
ciosae  novilali  resislile,  el  virilem  aniraum,  queni  de  vobis  opinio 
praeilicabal  commuais,  erigile  in  ceriamen,  ne  juventuli  singulariler, 
ul  non  dicam  sseculariler  vivere  volenli,  decanus  senescens  obedial, 
ne,  quod  absit  !  alicujus  gloriolse  favore  vel  .nffeclu  quispiara  coneul- 
cet  in  lerrafamam  veslram,  el  gloriam  vesiram  in  pulverem  dedncat. 
Scio  mansueludineraDomini  mei  Remensis  aroliiepiscopi  lanlam  esse, 
ul  ciiin  charilale,  quœ  oninia  siifiert,  omnia  susiinel,  volunlati  filio- 
rutn  cite  cédai,  maxime  cum  generalis  Ecclesiaî  Gallicanse  consue- 
ludo  singulares  poriiones  canonicis  suis  dislribuendas  concédai,  et 
approbei,  et  Sumrai  Ponlificis  auctoiitas  non  reclamel.  Sed  ilerum 
scio  lanlam  ipsius  honeslalem  el  prudenliam  esse,  quod  anliquam 
Remensis  Ecrlesise  diguilalem  conservabil  in  omnibus,  cl  a  conreplo, 
ut  aïunl,  incœ|)ioque  ptoposilo  dcsisiet,  si  hoc  ei  cum  aiiquibus  de 
sacro  collegio  veslro  i)ersuadere  voluerilis,  el  ne  defortnem  hanc  no- 
vilalis  formam  inducat,  vel  admoaere  virililer,  vel  bumiliier  su[;- 
plicare.  Loc.  cil. 

(2)  Co?/c.Co/.anni  I2d0.oap.  vn:Prsecipimus  quoil  ecclesise  canotii- 
corum  carenles  dormiloriis,  ea  deinceps  habeant  de  communi  ecciesiae 
aère  seu  pecunla  conslruenda  :  el  canonici  qui  babenies  dormiloiia, 
dormira  in  his  aliquamdiu  dissueveranl,  in  his  dorraiani,  proul  hoc 
t'onsuelura  fuil  anliquilus  :  his  dunlaxal  exceplis,  quos  inlirmitas,  scu 


-iSo  ESSAI   SUR   LA  VIE   COMMUNE  [Tomo  \  I, 

ailleurs  l'impulsion  était  donnée,  la  décadence  suivit  son 
cours. 

Le  moyen-âge  ne  nous  présente  aucune  tentative  nouvelle 
pour  ramener  le  clergé  propre  et  ordinaire  de  l'Église  à  l'ob- 
servation de  règles  sanctionnées  par  l'autorité  de  tant  de 
Papes  et  de  tant  de  Conciles.  Les  Clercs  et  frères  de  la  vie  com- 
mune firent  beaucoup  dans  l'intérêt  de  la  science  et  de  la  vie 
chrétienne  :  toutefois^  ce  n'était  qu'une  association  restreinte, 
s'occupant  d'un  ministère  spécial  et  de  l'éducation  de  la  jeu- 
nesse. II  faut  en  dire  autant  des  congrégations  de  clercs  réguliers 
qui  se  sont  fondées  en  si  grand  nombre  depuis  trois  siècles. 
Ces  pieux  instituts  ont  rendu  des  services  immenses  et  sont 
appelés  à  en  rendre  encore,  par  la  prédication,  par  l'ensei- 
gnement, par  les  œuvres  de  charité,  mais  la  conduite  ordi- 
naire des  âmes  et  le  ministère  paroissial  ne  leur  sont  confiés 
que  dans  des  cas  exceptionnels.  En  France  surtout,  ces  excep- 
tions sont  très-rares.  Quel  que  soit  donc  le  rôle  de  ces  con- 
grégations, —  "et  personne,  certes,  n'est  moins  que  nous  dis- 
posé à  l'amoindrir,  —  on  ne  peut  voir  en  elles  qu'une  milice 
auxiliaire  et  une  puissante  réserve.  Le  corps  de  l'armée,  c'est 
le  clergé  séculier,  qui  a,  sous  la  conduite  des  évèques,  la 
charge  de  diriger  le  troupeau  de  Jésus-Christ.  A  Dieu  ne  plaise 
qu'en  parlant  ainsi  nous  voulions  exciter  des  dissensions  re- 
grettables, ou  nourrir  de  vaincs  complaisances  !  Nous  voulons 
seiileraent  conclure  que,  pour  porter  un  fardeau  redoutable 
aux  anges  eux-mètnes,  la  science  et  la  sainteté  nous  sont  né- 
cessaires plus  encore  qu'aux  religieux.  Or,  on  conviendra 
sans  peine,  et  l'expérience  est  là  pour  le  prouver  au  besoin, 
que  l'une  et  l'autre  ne  trouvent  nulle  part  des  secours  plus 
abondants  que  dans  la  vie  commune. 

C'est  ce  qui  a  été  compris  à  merveille  par  beaucoup  de  saints 

debililas.aul  alia  causa  legilimBe  oeressilatis  excusai;  cum  a'ias  vana 
et  cassa  (uissel  ipsorum  dormitoriorum  slrui  lura,  si  non  in  ipsis 
modo  el  more  debilo,  maxime  causa  ma'ulinaiis  ofOcii,  dormirelur. 


Févr.  18i3.1  AU   SEIN  DU   CLERGÉ.  lo7 

personnages  qui,  depuis  le  concile  de  Trente,  ont  entrepris  la 
réforme  du  clergé.  Saint  Charles  essaya  de  délerminer  ses 
chanoines  à  renouer  les  anciennes  traditions  de  l'Église  de 
Milan;  il  s'engageait  à  vivre  avec  eux  et  à  faire  entrer  dans 
la  communauté  tous  les  revenus  de  la  mense  épiscopale. 
N'ayant  pu  réussir  à  les  y  déterminer,  il  fonda,  pour  le?  he- 
soins  spéciaux  de  son  diocèse,  la  congrégation  des  Oblats  de 
saint  Anibroise.  Barthélémy  des  Martyrs  et  Ximenès  ne  furent 
pas  plus  heureux  dans  les  tentatives  analogues  qu'ils  firent  au- 
près de  leurs  chapitres. 

Eufin,  Dieu  se  servit  de  M.  Olierpour  atteindre  ce  résultat 
sous  une  autre  forme.  Après  d'humbles  essais  à  Chartres  et  à 
Vaugirard,  il  fonda,  près  de  Saint-Sulpice,  ce  séminaire  qui 
occupe  une  si  belle  place  dans  l'histoire  religieuse  de  notre 
patrie,  et  qui  a  servi  de  type  à  tous  les  autrs  érigés  successes- 
sivement  en  France.  M.  Olier  avait  accepté  la  cure  de  Saint- 
Sulpice  dans  l'espoir  de  ramener  à  la  vie  chrétienne  la  paroisse 
la  plus  dépravée  de  la  capitale  ;  mais  de  plus,  il  voulait  y 
former  un  clergé  modèle,  dont  Tinfluence  se  fit  sentir  à  toutes 
les  paroisses  de  Paris,  et  se  répandit  même  au-dehors  par  les 
sujets  qu'il  formerait.  C'était,  dans  sa  pensée,  un  complément 
du  séminaire,  une  sorte  de  noviciat  pour  le  ministère  pasto- 
ral (1). 

Pour  exécuter  son  dessein,  M.  Olier  voulut  tout  d'abord 
réunir  en  communauté  les  ecclésiastiques  qui  devaient  le  se- 
conder dans  les  travaux  du  ministère  paroissial,  afin  qu'affran- 
chis de  tous  les  soins  temporels,  ils  pussent  donner  l'exemple 
d'une  vie  vraiment  évangélique.  Mais  les  anciens  prêtres  de  la 
paroisse  étaient  peu  disposés  à  entrer  dans  ses  vues.  Il 
laissa  néanmoins  leurs  emplois  à  ceux  qui  refusèrent  de  pra- 
tiquer Ja  vie  commune,  et  se  contelita  de  réunir  autour  de  lui 
«eux  qu'il  trouva  dans  des  dispositions  plus  satisfaisantes.  En 

[\)  fie  de  Hl.  Olier  (2e  éil.  Paris,  I  53),  t.  i,  p.  423  ss. 


^bS  ESSAI   SUR   LA   VIE   COMMUNE  [Tome  Vil. 

peu  de  temps,  riiumble  communauté  de  Saint-Sulpice  se  dé- 
veloppa d'une  manière  étonnante  :  elle  comptait  cinquante 
membres,  tous  remplis  de  zèle  et  de  ferveur.  Ce  nombre  s'ac- 
crut encore  considérablement  par  la  suite.  Voici  quelques 
détails  que  nous  empruntons  textuellement  au  biographe  de 
M.  Olier. 

«  Pour  ôter  aux  libertins  toute  occasion  de  décrier  la  mai- 
son, et  la  rendre  inaccessible  à  la  calomnie,  il  détendit  qu'on 
y  laissât  entrer  les  femmes,  sous  quelque  prétexte  et  pour 
quelque  raison  que  ce  fût  :  règle  que  saint  Augustin  avait 
établie  dans  la  communauté  de  ses  clercs  d'Hippone.  Mais 
sachant  que  le  moyen  le  plus  assuré  pour  mériter  l'estime  des 
peuples  était  de  leur  offrir  l'exemple  d'une  vie  volontairement 
pauvre  et  désintéressée,  il  régla  que  toutes  les  rétributions 
que  les  ecclésiastiques  de  sa  communauté  recevraient  des  fi- 
dèles seraient  mises  en  commun,  et  que  chacun  se  contente- 
rait du  vêtement  et  de  la  nourriture...  Dieu  bénit  cette  assem- 
blée de  prêtres  et  leur  inspira  l'amour  et  la  pratique  du 
désintéressement,  qui  fut  le  caractère  particulier  de  la  mai- 
son. Ils  avaient  tout  en  commun;  on  donnait  abondamment 
à  ceux  qui  étaient  peu  aisés,  et  tous  vivaient  avec  une  con- 
fiance en  Dieu  et  une  simplicité  singulières  (1).  » 

L'ordinaire  était  très-simple  dans  la  communauté  de 
M,  Olier  :  les  vêlements  étaient  convenables,  mais  sans  au- 
cune rociierche.  Pour  entretenir  cet  esprit  de  simplicité,  il 
voulut  que  tous  fussent  employés  successivement  aux  fonc- 
tions même  les  plus  humbles  du  saint  ministère. 

«  11  voulut  aussi  qu'on  reçût  les  évèques  dans  la  commu- 
nauté, soit  pour  y  faire  de»  retraites,  soit  pour  y  demeurer 
quelque  temps,  lorsque  les  affaires  de  l'Église  ou  celles  de 
leurs  diocèses  les  amèneraient  à  Paris,  pourvu  toutefois  qu'ils 
suivi  ^sent  lordre  et  la  règle  de  la  maison  Personuc  n'ea  était 

(i)  f^;e  de  M.  Olier,  l.  i,  p.  'i28  ss. 


tYvr.  18o3.]  AU   SKIN   DU    CLEKGÉ  iol> 

dispensé,  a  L'exactitude  à  tous  les  exercices  était  fort  graude, 
«  dit  M.  du  Ferrier,  et  on  veillait  soigneusement  pour  l'entre- 
«  tenir  ;  en  sorte  qu'on  ne  manquait  jamais,  sans  nécessité, 
a  d'assister  à  l'oraison  le  matin,  aux  heures  canoniales,  et  à 
«  tout  le  reste  porté  dans  les  règlements.  »  Ceux  qui,  durant 
ce  temps,  étaient  appelés  auprès  des  malades  ou  ailleurs, 
avaient  soin  de  suppléer  à  leurs  exercices  dès  qu'ils  en  trou- 
vaient la  liberté;  cette  fidélité,  comme  les  en  assurait  M.  Olier, 
étant  le  moyen  le  plus  sûr  pour  conserver  l'esprit  de  recueil- 
lement et  l'union  avec  Dieu  au  milieu  des  occupations  les  plus 
multipliées  et  les  plus  dissipantes.  Sans  cesse  il  les  rappelait  ù 
cette  vie  d'oraison.  «  Prenons  garde,  Messieurs,  leur  disait-il 
«  souvent;  faute  de  retraite  et  de  récollection,  tout  se  dissi- 
«  pera.  »  Et  il  leur  faisait  remarquer  que  sans  cela  on  ne 
ferait  presque  point  de  friàt  dans  la  prédication,  la  confession, 
la  conversation  et  dans  tous  les  emplois  du  saint  mini- 
stère (1).  » 

M.  Olier  avait  divisé  son  immense  paroisse  en  quartiers, 
dont  chacun  était  confié  spécialement  à  un  prêtre.  C'était  la 
seule  manière  possible  de  connaître  le  troupeau  et  de  veiller 
de  près  à  sa  conduite.  On  comprend  combien  la  vie  commune, 
abstraction  faite  de  toute  autre  considération,  était  précieuse 
pour  donner  de  l'unité  à  ce  vaste  organisme.  Les  récréations 
mêmes  n'étaient  pas  ce  qu'il  y  avait  de  moins  utile  pour  at- 
teindre ce  résultat  et  pour  former  les  prêtres  de  la  commu- 
nauté. «  Après  le  diner,  on  proposait  au  supérieur  les  cas  et 
les  difficultés  extraordinaires  qui  se  présentaient  dans  la  pa- 
roisse, soit  pour  la  morale,  soit  pour  la  controverse  avec  les 
hérétiques,  ou  pour  la  conduite  des  âmes.  Quand  le  supérieur 
ne  savait  pas  y  répondre,  il  chargeait  quelque  docteur  de  la 
compagnie  d'aller  en  Sorbonne  en  demander  la  solution,  et  le 
soir  il  en  faisait  le  rapport  après  le  souper.  Chaque  jour  il  se 

(1)  Fie,  t.  I,  p.  432. 


^60  ESSAI   SUR   L.4.   VIE   COMMUNE  ITome  VU* 

présentait  uu  grand  nombre  de  questions,  les  plus  difficiles 
qu'on  pût  imaginer;  a  et  il  est  certain,  ajoute  M.  du  Ferrier, 
«  que  cette  conversation  se  faisait  avec  uu  grand  profit  des  as- 
«  sistants,  et  valait  une  grande  étude.  »  Un  autre  avantage  pré- 
cieux de  ces  conférences,  c'est  qu'elles  tendaient  à  introduire, 
parmi  les  membres  de  la  communauté,  les  mêmes  maximes 
pour  la  conduite  des  âmes  (1).  » 

M.  Olier  eut  le  bonheur,  non-seulement  de  transformer  sa 
paroisse,  mais  encore  de  porter  les  curés  de  Paris  à  imiter  son 
exemple  et  à  former  des  communautés  sur  le  modèle  de  la 
sienne.  «  Les  autres  grandes  paroisses  de  Paris,  écrivait,  en 
1660,  Godeau,  évêque  de  Vence,  ont  suivi  l'exemple  de  la 
communauté  de  Saiut-Sulpice,  et  la  plupart  des  prêtres  qu'on 
nomme  habitués,  y  vivent  ensemble  avec  beaucoup  d'édifica- 
tion (2).  » 

Le  saint  fondateur  avait  ainsi  réalisé  un  de  ses  vœux  les  plus 
ardents,  celui  de  travailler  à  la  réforme  de  l'ordre  sacerdotal. 

§XV. 

HOLZHAUSER    ET     l'iNSTITUT     DES     CLERCS     SÉCULIERS     VIVANT    EN 
COMMTJiNAUTÉ. 

M.  Olier,  en  fondant  la  communauté  de  Saint  Suîpice,  avait 
voulu  donner  un  modèle  de  vie  sacerdotale  qui  put  être 
imité  ailleurs,  mais  il  n'avait  pas  songé  à  faire  de  cette  maison 
un  centre  pour  rayonner  et  s'étendre  au-dehors.  Le  but  direct 
de  son  institut,  c'était,  non  le  ministère  p&roissial,  mais  la  for- 
mation du  clergé  dans  les  séminaires  ;  c'est  à  cela  que  la  so- 
ciété fondée  per  lui  s'est  attachée  exclusivement,  à  part  l'ex- 
ception unique  dont  nous  venons  d'entretenir  nos  lecteurs. 

(-1)  Fie,  t.  I,  p.  434  s. 

(2)  Traité  des  séminaires,  p.  !2. 


Févr.  1863.]  AU   SEIN   DU  CLERGÉ.  161 

Barthélémy  Holzhauser  conçut  un  projet  plus  vaste  encore. 
Lui  aussi  voulait  régénérer  le  clergé  par  une  éducation  vrai- 
ment sacerdotale,  mais  ,  de  plus,  il  lui  sembla  nécessaire 
de  continuer  aux  prêtres  ainsi  formés,  dans  l'exercice  même 
du  saint  ministère,  les  secours,  les  consolations  et  les  grâces 
de  la  vie  de  communauté.  C'est  ce  qu'il  réalisa  de  la  manière 
la  plus  heureuse  dans  son  célèbre  Institut  des  clercs  séculiers 
vivant  en  communauté  {{), 

Il  en  jetait  les  premiers  fondements  vers  1640,  époque  où  il 
fut  nommé  chanoine  de  .la  collégiale  de  ,Tittmoning,  dans  le 
diocèse  de  Salzbourg,  et  où  il  réunit  auprès  de  lui  ses  jjremiers 
compagnons.  En  1042,  l'année  même  oùM.  Olier  prenait  pos- 
session de  la  cure  de  Saint-Sulpice,  ils  se  lièrent  par  un  vœu 
de  stabilité  qui  devait  être  renouvelé  tous  les  ans,  mais  s'aper- 
cevant  ensuite  que  ce  vœu  leur  donnait  l'apparence  d'une  con- 
grégation religieuse,  ils  convinrent  de  s  en  tenir  à  une  pro- 
messe de  stabilité,  dont  le  supérieur  général  seul  pouvait  les 
relever  pour  des  wotifs  valables. 

En  effet,  ce  n'était  point  une  nouvelle  famille  religieuse 
qu'Holzbauser  prétendait  donner  à  TÉglise.  Il  voulait  établir 
une  organisation  qui,  sans  altérer  les  rapports  du  clergé  avec 
son  évéque,  sans  le  détourner  en  rien  de  ses  fonctions  ordi- 
naires, lui  assurât  en  grande  partie  les  avantages  de  la  vie  com- 
mune. 

La  première  règle  de  l'Institut,  c'est  donc  la  soumission 
pleine  et  entière  à  l'autorité  des  évoques,  sans  exemption 
d'aucune  sorte.  Cela  posé,  voici  les  points  fondamentaux  qui 
eu  résument  tout  l'esprit. 

l^Une  vie  réglée,  les  exercices  de  piété  en  commun,  ainsi 
que  la  récitation  des  heures  canoniques  ;  le   leste   du   temps 

(1)  On  peul  voir  sur  toul  ceci  l'excellente  Vie  d" Holzhauser,  par 
M.  l'abbôGaduel  (Paris,  1861), elles  Oi)Uscula\ecclesiaslicaiV\\o\ûidi\x- 
ser,  (^'diiés  par  lui  en  même  icmps,el  comme  complcmenl  de  son  ou- 
vrage. Ces  opuscules  coniiennenl  les  consiilulions  del'lnslilut. 

RiVUE  DE5  ÇCIESCE^  ECCLÉSUST10UE3,  T.   Yll-  11    1^. 


162  ESSAI  SUR  LA  VIE   COMMUNE  [Tome  VU, 

employé  à  l'étude  et  aux  fonctions  du  ministère.  Des  confé- 
rences ont  lieu  de  temps  en  temps  sur  l'Ecrilure  saiute,  les 
cas  de  conscience,  la  théologie  spéeulative  et  polémique,  le 
droit  canon. 

2°  La  communauté  des  biens.  Tous  les  revenus  ecclésia- 
stiques entrent  dans  une  masse  commune  pour  être  employés  à 
l'entretien  de  la  communauté,  aux  autres  nécessités  de  l'In- 
stitut, et  enfin  à  des  œuvres  pies.  Chacun  peut  conserver  la 
disposition  de  son  patrimoine  ou  des  autres  biens  acquis  en 
dehors  de  l'Institut,  à  condition  de  ne  point  s'embarrasser  d'une 
gestion  difficile  et  compliquée. 

3°  La  cohabitation  fraternelle.  Les  clercs  de  l'Institut  doivent 
demeurer  toujours  deux,  trois  ou  davantage,  à  moins  que  dans 
certains  cas  spéciaux  cela  ne  soit  tout-à-fait  impossible.  S'ils  ont 
à  desservir,  avec  une  paroisse,  une  ou  plusieurs  annexes  qui 
en  dépendent,  ils  résideront  tous  ensemble  auprès  de  l'église 
principale,  quand  la  distance  ne  sera  point  par  trop  con- 
sidérable. 

A°  La  séparation  d'avec  les  femmes.  11  n'est  point  permis  à 
qui  que  ce  soit  d'avoir  avec  lui  même  sa  mère  ou  sa  sœur  dans 
une  maison  habitée  par  deux  ou  plusieurs  clercs  de  l'Institut. 
Le  service  sera  confié  en  général  à  des  hommes.  Cependant, 
si  les  nécessités  d'une  exploitation  agricole,  formant  le  revenu 
de  la  cure,  exigent  que  l'on  emploie  des  femmes,  on  pourra  le 
faire,  à  condition  qu'elles  habitent  un  local  distinct  et  sans 
communication  intérieure  avec  l'habitation  du  clergé. 

S"  La  soumission  à  des  supérieurs  chargés  du  régime  inté- 
rieur de  l'Institut  et  de  ses  maisons,  comme  aussi  de  la  direc- 
tion spéciale  des  individus  qui  en  font  partie.  Pour  tout  ce  qui 
touche  à  leurs  fonctions  ecclésiastiques,  les  clercs  séculiers 
vivant  en  communauté  sont  soumis,  comme  nous  l'avons  vu,  à 
l'auiorité  des  ordinaires. 

Telh'S  sont  les  règles  fondamentales  qui  résument  tout  l'es- 
prit di-s  constitutions   d'Holzhauser.  C'est  un  retour  à  l'an- 


Fé.T.  1863.]  AU   SKIN   DU    CLERGÉ.  163 

cienne  vie  canoniqiie,  sauf  certaines  modifications  déterminées 
par  les  circonstances,  sauf  aussi  l'organisation  qui  rattachait 
les  unes  aux  autres  les  maisons  de  l'Institut  par  une  série  de 
pouvoirs  hiérarchiquement  subordonnés.  Ainsi,  il  y  avait  un 
supérieur  général,  des  supérieurs  provinciaux  et  diocésains, 
et  au-dessous  d'eux  les  doyens  et  les  curés  qui  présidaient 
à  leur  circonscription  décanale  et  au   clergé  de  leur  paroisse. 

L'Institut  avait  en  outre  des  séminaires  pour  l'éducation  de 
la  jeunesse  cléricale,  et  des  maisons  de  retraite  pour  ceux  que 
la  vieillesse,  les  infirmités  ou  d'autres  raisons  empêchaient  de 
s'appliquer  au  ministère  actif. 

Quand  Holzhauser  mourut  en  1658,  ses  disciples  étaient 
répandus  déjà  dans  les  diocèses  de  Salzbourg,  de  Mayence,  de 
Chiemsée,  de  Freising,  de  Wurzbourg  ;  ils  furent  bientôt  éta- 
blis dans  ceux  d'Augsbourg,  de  Passau,  de  Gran,  et  d'autres 
encore.  Ils  trouvèrent  d'illustres  protecteurs  dans  les  princes 
Ferdinand  et  Maximilien  de  Bavière,  dans  beaucoup  de  prélats, 
évêques,  nonces  et  cardinaux,  dans  l'empereur  Léopold  I,  qui 
sollicita  vivement  du  Saint-Siège  l'approbation  de  leur  institut. 
Cette  grâce  insigne  leur  fut  accordée  par  bref  d'Innocent  XI, 
en  date  du  7  juillet  1680.  Ce  même  Pape  adressa  un  grand 
nombre  de  brefs  à  des  évêques  et  princes  d'Allemagne,  pour 
les  prier  de  protéger  l'Institut  et  de  favoriser  sa  propa- 
gation (1). 

a  A  partir  de  cette  époque,  dit  M.  Gaduel,  \esClercs  séculiers- 
vivant  en  communauté  prirent  de  nouveaux  et  de  plus  grands 
développements.  Non-seulemeut  ils  continuèrent  à  se  propager 
en  Allemagne  et  dans  tout  l'Empire  ;  mais  nous  les  voyons, 
dès  1682,   établis  en    Espagne  et  dirigeant  le  séminaire  Aie 

{]]  rie  d' Holzhauser,  p.  \n\,  394-396.  On  peut  voir  ua  grand 
nombre  (Je  lémoign;ige.s  en  faveur  de  l'Inslitul  dans  riri'.roduilion  du 
M.  Gé»dui!,el,  d'une  manière  plus  développée,  daiis  Vallauri,  Sonï- 
mario  dcW  /nslUuto  de""  chierici  secolari  i;onviventi  (Roma,  K 
p.  07  ss 


1G4  ESSAI   SUU   LA   VIE   COMMUNE  [Tome  VIL 

Gironne,  en  Catalogue.  En  1683,  on  les  appela  eu  Pologne, 
où  ils  fondèrent  leurs  premières  maisons  dans  les  diocèses  de 
Posen  et  de  Lucko.  La  diète  de  Pologne  qui  se  tint  en  1685  les 
prit  sous  sa  protection  particulière,  et  approuva  leurs  établis- 
sements dans  ce  royaume.  Ils  s'étendirent  depuis  en  d'autres 
diocèses,  tant  dans  les  pays  allemands  qu'en  Hongrie  et  en  Po- 
logne, et  ils  se  multiplièrent  surtout  dans  les  états  héréditaires 
de  l'Empereur,  lequel,  par  un  décret  de  1680,  ordonna  même 
qu'ils  seraient  préférés  dans  la  collation  des  bénéfices. 

«  Les  documents  me  font  défaut  pour  suivre  le  détail  des 
développements  et  de  l'histoire  des  clercs  séculiers  au-delà  de 
cette  époque.  J'ai  pu  apprendre  seulement  par  quelques  corres- 
pondances d'Allemagne  que  l'Institut  continua  d'avoir  des 
établissements  dans  ce  pays  pendant  le  XVIll^  siècle,  et  la  der- 
nière trace  que  j'en  ai  constatée  est  un  petit  séminaire  dirigé 
par  ces  prêtres,  lequel  subsistait  encore  au  commencement  du 
siècle  présent  àlngolstadt.  Quoi  qu'il  en  soit  des  causes  qui 
amenèrent  la  décadence  de  cette  remarquable  institution,  sa 
ruine  ne  paraîtra  jamais  aux  hommes  judicieux  un  argument 
suffisant  pour  conclure  que  l'Institut  d'Holzhauser  ne  fût  pas 
excellent  et  de  condition  à  durer.  Son  excellence  est  démon- 
trée par  ses  constitutions  mêmes,  qui  sont  admirablement 
sages,  et  par  les  Jgrands  éloges  que  de  saints  Pontifes  leur  ont 
donnés;  et  on  ue  pourra  jamais  dire  qu'une  œuvre  qui  a  duré 
plus  d'un  siècle  n'était  point  viable.  Il  est,  hélas  !  dans  la 
condition  de  tout  ce  qui  commence  de  pouvoir  finir  :  les  meil- 
leures choses  ne  sont  pas  exemptes  de  cette  loi:  mais  il  est  de 
la  nature  aussi  de  »tout  ce  qui  est  bon,  et  qui  a  péri,  de  pouvoir 
revivre,  surtout  quand  les  besoins  qui  le  firent  établir  autrefois 
subsistent  encore.  ^  Dieu  veuille  qu'il  en  soit  ainsi,  un  jour,  de 
l'Institut  d'Holzhauser.  C'est  le  vœu  ardent  que  je  forme, 
et  que  je  me  permets  d'offrir  humblement  à  Notre-Seigneur  et 
à  la  Très-sainte  Vierge  en  terminant  ce  livre  (1).  » 

|^)  Fie  d'Holzhauser,  p.  387  s. 


Févr.  1863.]  AU    SEIN   DU   CLERGÉ.  '163 

Ce  vœu  est  partagé,  nous  n'en  doutons  nullement,  par  bien 
des  prêtres  qui  soupirent  après  une  vie  délivrée  des  sollicitudes 
et  des  embarras  du  siècle,  cause  inépuisable  de  distraction,  de 
langueur  et  d'affaiblissement.  Nous  savons  même  qu'il  y  a  déjà 
de  modestes  essais.  Puissent  les  bénédictions  du  Ciel  faire  croître 
le  grain  de  sénevé  afin  qu'il  couvre  un  jour  de  son  ombre  salu- 
taire tous  ceux  qui  voudront  s'y  abriter  !  Qui  sait?  Peut-être 
sera-ce  un  des  moyens  dont  la  bonté  divine  se  servira  pour 
amener  une  régénération  sociale  par  le  christianisme.  Il  est 
certain  que  le  clergé  puiserait  dans  cette  organisation  des  élé- 
ments de  force  et  de  vie  d'une  puissance  incomparable.  C'est 
ce  que  Mgr  l'évêque  d'Orléans  a  très-bien  fait  ressortir  dans 
son  admirable  lettre  à  M.  l'abbé  Gaduel  (1),  que  nous  avons 
déjà  citée  dans  une  autre  occasion,  et  à  laquelle  nous  ren- 
voyons de  nouveau  nos  lecteurs. 

E.  Hautcqeur. 


(1)  Celle  ieilre  se  trouve  en  tête  de  la  Vie  d'Holzhauser. 


LITURGIE 

ET   THEOLOCxIE    MORALE. 


Du  temps  de  la  Septuagésime,  du  Carême  et  du  temps 
de  la  Passion. 

Ou  nous  a  proposé  diverses  questions  relatives  au  temps  de 
la  Septuagésime,  à  celui  de  la  Passion  et  à  celui  du  Carême, 
soit  sous  le  rapport  de  l'observance  quadragésimale,  soit  sous 
le  rapport  des  prescriptions  liturgiques.  Nous  aurions  pu  trai- 
ter CCS  diverses  questions  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  nous  ont 
été  faites  ;  mais  nous  avons  préféré  les  réunir  ensemble  et  of- 
frir à  nos  lecteurs  untravail  plus  complet,  quoique  très-succinct, 
sur  cette  matière  importante. 

§   I.  —   DU   TEMPS   DE   LA   SEPTUAGESIME. 

1 .  L'Église  a  voulu  préparer  ses  enfants  au  saint  temps  du 
Carême,  appelé  par  elle  le  temps  favorable  et  les  jours  de 
salut^  par  la  méditation  des  motifs  qui  doivent  les  engager  à 
embrasser  avec  reconnaissance  et  générosité  les  œuvres  de 
pénitence.  Les  leçons  de  l'Écriture  occurrente  sont  tirées  du 
livre  de  la  Genèse  où  est  racontée  l'histoire  de  la  chute  d'Adam  ; 
la  pensée  de  la  mort  nous  est  rappelée  par  toutes  les  prières  de  la 
Messe  du  dimanche  de  la  Septuagésime.  Ces  pensées  excluent 
d'elles-mêmes  les  chants  de  joie  et  les  remplacent  par  ceux 
qui  expriment  la  contrition  et  la  douleur.  «  Non  decet,  dit 
«  Léon  IX  (c.  Hi  duo  de  Consecr.  dist.  1)  cantare  Alléluia,  quando 
«  lapsus  protoplasti  in  Ecclesia  recitatur,  »  On  comprend 
donc  la  dénomination  spéciale  donnée  aux  dimanches  qui  pré- 
cèdent le  Carême,   dénomination  qui  rappelle  une  époque  à 


Féw.  1863.]  LITURGIE.  ^67 

venir,  vers  laquelle  se  dirigent  toutes  les  pensées  et  tous  les 
soupirs  de  l'Église. 

2.  On  adonné  le  nom  de  Quinquagésime  au  dimanche  qui  se 
trouve  le  cinquantième  jour  avant  Pâques,  comme  si  l'on  sous- 
entendait  les  mots  dies  ante  Pascha,  et  l'on  peut  dire  que  les 
deux  dimanches  qui  précèdent  la  Quinquagésime  ont  reçu  le 
nom  de  Sexagésime  et  Septuagésime  comme  suivant  immédia- 
tement le  soixantième  et  le  soixante -dixième  jour  avant 
Pâques.  De  plus,  le  dimanche  de  la  Sexagésime  est  le  soixan- 
tième jour  avant  le  mercredi  de  la  semaine  de  Pâques, 
dont  la  Messe  commence  par  les  mots  Venite  benedicti. 
«  Sexagesima  coniinet  dies  sexaginta  usque  ad  feriara  quar- 
«  tara  Paschee,  cujus  Missa  iucipit  Venite  benedicti,  ut  per 
«  sex  quasi  dies  quibus  Deus  operatus  est  in  creatione 
«  mundi  et  nos  operemur  bonum,  juxta  decem  prœcepta 
«  legis,  usquequo  nobis  dicatur  Venite  benedicti,  et  prseser- 
«  tim  nos  monet  Honorius  in  Gemma  c.  59  ut  operemur  sex 
«  opéra  misericordiœ  de  quibus  Matlh.  xxv,  simul  cum  de- 
ce  calogo  :  sex  enim  decies  componunt  sexaginta  »  (  Gavautus, 
t.  1,  part.  IV,  tit.  V,  n.  %.  Le  dimanche  de  la  Septuagésime  est 
le  soixante-dixième  jour  avant  le  samedi  de  la  semaine  de 
Pâques  :  «  A  numéro  dierum  Ordo  romanus  Septuagesi- 
«  mam  définit  quasi  cursum  septuagiuta  dierum  usque  ad 
«  sabbatum  in  Albis,  cujus  Missa 'iucipit  Eduxit  Dominus 
«  populum»  (Ibid  n.  4).  L'auteur  compare  alors  avec  Al- 
cuin  ces  soixante-dix  jours  aux  soixante-dix  années  de  la 
captivité  de  Babylone.  D'autres  auteurs  font  le  même  rap- 
prochement, et  Durand  de  Mende  envisage  ce  nombre  sous 
cinq  points  de  vue  différents.  «  Secundum  autem  est,  dit-il 
«  {Rationale  L.  vi,  c.  xxiv),  quod  quinque  sunt  Septuage- 
«  simaî.  Prima  est  Septuagesima  annorum  Judaicœ  capti- 
«  vitafis,  in  qua  fuerunt  Judsei  in  Babylone  septuagiuta 
«  annis...  Secunda  est  septuagiuta  dierum,  quœ  incipitiu  hac 
«  dominica,  qua   cantatur  Circumdederunt,   et   terminatur  in 


168  LITURGIE  [Tome  VII. 

((  sabbato  in  albis,  secundum  alios  iaPascba...  Tertia  estSep- 
«  tuagesima  peregrinationis  nostrsB,  seu  totuiii  tempus  bujus 
«  vitae,  quod  septem  dierum  revolutione  agitur,  Qaarta  est 
c(  Septuagesima  bebdoraadarum,  quae  similiter  incipit  a  Cir- 
a  curndederunt  me  ;  sed  terminatur  ia  sabbato  quo  cantatur 
«  Sitientes  (1).  Quinta  est  Septuagesima  aetatum,  seu  septem 
a  setates  quaruni  sex  suut  morientium  et  septima  quiescen- 
atium.  » 

3.  Nous  avons  parlé,  t.  I,  p.  432,  des  expositions  du  très- 
saint  Sacrement  qni  ont  lieu  pendant  les  jours  qui  précèdent 
la  Carême,  et  auxquelles  on  donne  le  nom  de  Quarante- Heures, 
dénomination  qui  ne  convient  point  dans  le  sens  propre  et 
strict  au  triduum  en  usage.  On  nous  adresse  à  ce  sujet  la  con- 
sultation suivante.  «  En  France,  les  prières  des  Quarante- 
«  Heures  n'ont  lieu  généralement  que  pendant  les  trois  jours 
a  quiprécèdent  le  Carême.  Mais  quelle  Messe  faut-il  cbanter  le 
«  second  jour?  M,  Falise  ne  paraît  pas  exact  lorsqu'il  dit  dans 
«  son  Cours  de  Liturgie  p}'atique,  -proT^re  du  temps,  chap.  II, 
«  §  3,  n.  6  :  Les  deux  autres  jours,  on  peut  cbanter  la  Messe 
«  du  Saint-Sacrement  ou  pi'o  pace,  pourvu  que  ce  ne  soit  pas 
«  une  fête  de  première  ou  de  seconde  classe,  avec  Gloria  et 
«  Credo;ei  il  s'appuie  sur  l'instruction  de  Clément  XL  Lorsque, 
«  le  second  jour,  on  célèbre  une  fête  double,  est-il  permis  de 
a  célébrer  une  autre  Messe  que  celle  de  la  fête  ?  »  Tout  en 
rappelant  que  cette  exposition  est  un  triduum  enricbi  d'indul- 
gences, et  non  les  prières  des  Quarante- Heures,  pour  lesquelles 
des  règles  spéciales  ont  été  tracées,  nous  ne  voyons  pas  en 
quoi  M.  Falise  peut  être  inexact  en  permettant,  pendant  cette 
exposition,  une  Messe  votive  solennelle  dans  les  fêtes  du  rit 
double  mineur  ou  majeur.  On  peut  conclure,  ce  semble,  du 
texte  de  l'Instruction  et  des  commentaires  de  Gardellini,  que 
cette  exposition  solennelle  jouit  des  mêmes  privilèges  que  celle 

(I)  On  appelle  samedi  Sitientes  le  samedi  de  la  qualrièrae  semaine 
du  Carê.Tie,  don!  Tinlroït  commence  par  le  mol  Sitientes. 


Fcvr.  ISOÔ.l  LITURGIE.  169 

des  Qiiarantes-Heures.  Cette  Messe  votive  peut  donc  èlre  mise 
au  nombre  des  Messes /)?'o  re  gravi ^  pro  publica  Ecclesix  causa, 
si  l'ordinaire  permet  de  la  célébrer.  On  peut  voir  ce  que  nous 
avons  dit  à  cet  égard  t.  m,  p.  343  et  suivantes,  et  un  décret  du 
12  septembre  1840,  cité  au  même  lieu  p.  348,  d'après  lequel 
ou  peut  appliquer  le  privilège  à  toutes  les  expositions,  mais 
à  celles-là  seulement  qui  se  font  en  forme  de  Quarante-Heu- 
res.  Or,  l'exposition  dont  il  s'agit  se  fait  enformedeQuarante- 
Heures,  et  c'est  la  plus  solennelle  après  celle  des  prières  des 
Quarante-Heures  proprement  dites,  comme  il  a  été  dit  t.  I, 
p.  432.  Quant  au  Gloria  et  au  Credo,  on  doit  le  dire  conformé- 
ment aux  règles  données  t.  II,  p.  348  et  352.  On  peut  donc, 
le  deuxième  et  le  troisième  jour,  célébrer  une  Messe  votive 
solennelle,  soit  du  Saiut-Sacrement,  soit  pour  la  paix,  soit  pour 
tout  autre  besoin,  si  Ton  ne  célèbre  pas  une  fête  da  rit  double 
de  première  ou  de  seconde  classe.  Le  Dimancbe  de  la  Quinqua- 
gésisme  étant  un  dimanche  privilégié  de  seconde  classe,  est 
excepté  par  l'Instruction  Clémentine,  §  12. 

§  2.* Du  Carême. 

1.  Notions  préliminaires.  1"  Le  mot  Carême  vient  de  quadra- 
gesima,  qui  lui  même  signifie  quarantaine.  Le  preoaier  diman- 
che du  Carême  est  quelquefois  intitulé  Quadragésiine ,  comme 
l'on  intitule  Adventus  le  premier  dimanche  de  l'Avent  dans  la 
rubrique  du  Bréviaire  :«  Adventus  Domini  celebratur  semper 
«  die  Dominico  quipropinquior  est  festo  S.  Andrese  Apostoli.» 
Pour  la  même  raison,  on  donne  le  nom  de  Dimanche  de  la  Pas- 
sion au  cinquième  dimanche  de  Carême,  le  premier  des  jours 
consacrés  par  l'Église  à  honorer  la  passion  du  divin  Sauveur, 

2".  Il  faut  distinguer  le  rit  quadragésimal  de  robservance 
quadragésimale  :  celle-ci  commence  le  mercredi  après  la  Quin- 
quagésime,  mais  le  rit  quadragésimal,  ou  le  Carême  considéré 
sous  le  rapport  purement  liturgique,  commence  seulement  aux 
Vêpres  du  samedi  suivant.  Jusqu'à  ce  jour,  la  Messe  seule  se 


-170  LITURGIE  [TomoVIT. 

dit  avec  les  rites  spéciaux  au  saint  temps  du  Carême  :  l'office 
du  temps  est  celui  des  fériés  de  l'année,  et  dans  la  division  du 
Bréviaire  eu  quatre  parties,  c'est  le  samedi  à  Vêpres  ou,  en 
d'autres  termes,  aux  premières  Vêpres  du  premier  dimanche, 
que  l'on  passe  de  la  partie  d'hiver  à  celle  du  printemps  ;  et  c'est 
à  partir  de  ce  jour  seulement  que  les  Vêpres  se  disent  avant  le 
repas.  Le  rit  quadragésimal  se  termine  à  la  Messe  du  samedi 
saint,  mais  l'observance  ne  cesse  pas  avant  le  jour  de  la  fête  de 
Pâques.  Ces  différences  sont  faciles  à  expliquer.  D'après  l'an- 
cienne tradition,  le  jeûne  du  Carême  commençait  seulement 
le  premier  dimanche,  comme  cela  se  pratique  encore  à  Milan. 
Mais,  comme  on  n'a  jamaisjeûné  le  dimanche,  on  ajoute  quatre 
jours  pour  compléter  le  nombre  de  quarante.  Cet  usage  est  fort 
ancien  et  l'on  ne  peut  assigner  l'époque  précise  de  son  origine. 
Le  rit  quadragésimal  se  termine  à  la  Messe  du  samedi  saint, 
puisque  cette  Messe  est  celle  de  la  nuit  de  Pâques.  Nous  devons 
traiter  ici  deux  sortes  de  questions,  les  unes  relatives  au  rit 
quadragésimal,  les  autres,  à  l'observance  du  jeûne. 

II.  Rit  quadragésimal.  Les  règles  relatives  au  rit  quadragé- 
simal sont  suffisamment  développées  et  expliquées  dans  les 
divers  ti'aitésde  liturgie  pour  qu'il  soit  inutile  de  les  donner  ici. 
Nous  nous  arrêtons  seulement  sur  certaines  questions  au  sujet 
desquelles  on  nous  a  demandé  des  éclaircissements.  Elles  se 
rapportent  \o  à  l'usage  de  la  dalmatique  et  de  la  tunique  pour 
le  diacre  et  le  sous-diacre;  2o  à  la  rubrique  qui  prescrit  de 
voiler  les  croix  et  les  images  pendant  le  temps  de  la  Passion. 

4.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  puisse  jamais  être  permis  au 
diacre  et  au  sous-diacre  de  porter  la  dalmatique  et  la  tunique 
.aux  jours  prohibés  dans  la  rubrique  du  Missel,  part,  i,  tit.  xix, 
n.  6.  La  rubrique  est  trop  positive  pour  qu'on  puisse  ne  pas 
regarder  comme  abusif  tout  usage  contraire.  Aucune  solennité 
extrinsèque  ne  peut  également  dispenser  de  cette  règle,  ni 
«ne  fête  patronale  qui  serait  célébrée  avec  la  Messe  du  diman- 
che suivant  les  règles  données  t.  vi,  p.  361,  ni  une  exposition 


FO^r.  1863.)  LITURGIE.  ^^^ 

du  très-saint  Sacrement,  ni  la  première  Messe  d'un  prêtre  nou- 
vellement ordonné,  ni  une  première  communion.  Si  ces  ex- 
ceptions étaient  admissibles,  elles  seraient  mentionnées  dans 
la  rubrique  ;  elles  auraient  également  lieu,  ce  semble,  à  la 
Messe  pontificale,  et  le  contraire  est  positivement  exprimé  dans 
le  Cérémonial  des  évêques  en  plusieurs  endroits  et  spéciale- 
ment 1.  Il,  c.  xin,  n.  7.  Dans  les  cathédrales  et  les  églises  prin- 
cipales, elles  sont  remplacées  par  des  chasubles  repliées  à  la 
partie  antérieure.  Le  diacre  et  le  sous-diacre  doivent  les  quit- 
ter pour  chanter  Tépitre  et  l'évangile  :  la  raison  de  ce  rit  est 
que  cet  ornement  n'est  pas  celui  de  leur  ordre.  Le  diacre  le 
reprend  seulement  après  la  communion,  pour  pouvoir  plus  fa- 
cilement servir  le  prêtre  ;  mais  aussi  il  remplace  la  chasuble 
pliée  par  la  grande  étole.  On  peut  consulter  sur  cette  question 
Gavantus  t.  i,  part,  iv,  tit.  I .  L'auteur'y  donne  d'intéressantes 
explications  qu'il  serait  trop  long  de  rapporter  ici. 

2.  La  rubrique  prescritde  voiler  les  croix  et  les  images  avant 
les  Vêpres  du  samedi,  veille  du  dimanche  de  la  Passion.  La 
couleur  de  ces  voiles  n'est  pas  indiquée,  mais  d'après  tous  les 
auteurs  sans  exception,  ils  doivent  être  violets.  Si  Ton  n'avait 
pas  de  voiles  violets,  pourrait-on  se  servir  de  voiles  d'une 
autre  couleur?  Sans  doute,  il  serait  préférable  de  couvrir  les 
croix  et  les  images  avec  des  voiles  d'une  couleur  différente, 
plutôt  que  de  ne  pas  les  couvrir  du  tout,  et  toute  autre  couleur 
devrait  être  employée  avant  la  couleur  blanche  à  laquelle 
l'Eglise  attache  une  idée  de  joie  et  de  solennité.  La  couleur 
rouge  est  aussi  une  couleur  festivale  et  ne  serait  pas  convena- 
blement employée  ;  elle  serait  cependant  plus  convenable  que 
la  couleur  blanche,  puisqu'elle  rappelle  le  mystère  de  la  Croix. 
—Doit-on  aussi  couvrir  les  tableaux  du  Chnminde  le  Croix?  A 
Rome,  ils  restent  découverts.  De  plus,  comme  le  témoigne  l'au- 
teur du  Cérémopial des  évêques  expliqué,  ou  découvre  les  tableaux 
ou  statues  des  saints,  au  jour  de  leur  fête,  avec  la  permission 
du  cardinal-vicaire. 


472  LITURGIE  (Tome  VII. 

n.  Questions  relatives  à  l'observance  du  Carême,  i.  La  loi  de 
l'Église  touchant  l'observance  du  carême  a  subi  quelques  va- 
riations. Jusqu'au  treizième  siècle,  le  jeûne,  qui  devait  être 
gardé  jusqu'après  l'heure  de  none  daus  les  jours  de  quatre- 
temps  et  de  vigiles,  ne  pouvait  être  rompu  qu'après  l'heure  des 
vêpres  pendant  le  temps  du  carême,  a  In  hoc  quadragesimale 
«  jejunium  a  cseteris  differt  jejuniorum  diebus,  dit  le  Microlo- 
0  gue((/e  Beb.  écoles,  c.  39),  quod  inaliis  posl  nonam,  et  in  hoc 
«  post  vesperam  relici  debemus.»  Le  Vénérable  Bède,  parlant 
d'un  évêque  d' Angleterre,  rapporte  qu'il  gardait  le  jeûne  pen- 
dant tout  le  Carême  jusqu'après  vêpres,  suivant  l'usage  : 
«  Ad  vesperam  juxta  morem  protelatus  jejunium  »  (1.  m, 
e.  xxi).  Théodulplie  écrivait  au  neuvième  siècle  :«  Soient  ple- 
«  rique  qui  jejunare  patant,  mox  ut  signum  audiunt  ad  no- 
ce nam,  manducare;  qui  nullatenns  jejunare  censendi  sunt, 
«  si  ante  manducaverint,  quam  vespertinum  celebretur  ofiî- 
«  cium»(c.  xxxvii).  Saint  Bernard  (Serm.v.  de  Quadrag .) , -^ds- 
lant  des  jeûnes  qu'observent  les  religieux  en  dehors  du  Carême, 
dit  :  a  Hactenus  usque  ad  nonam  jejuuavimus  soli;  »  parlant 
ensuite  du  carême,  il  ajoute  :  «  Nuiic  usque  ad  vesperam  je- 
«  junabunt  nobiscum  simul  universi  ». 

2.  Cavalieri,  d'où  nous  tirons  les  documents  cités,  rapporte 
ensuite  les  diverses  modifications  apportées  aux  treizième,  qua- 
torzième et  quinzième  siècles.  L'auteur  s'exprime  comme  il 
suit  (Ibid.  n.  3)  :  «  Sœculo  XIII  ad  nonam  anticipata  fuit  co- 
«  raestio  et  cum  ea  Missa  Quadragesimœ,  et  vesperarum  offi- 
«  cium,  Alexandro  Alensi  prsecipue  adjuvante,  qui  propterea 
a  scripsit  de  prsefata  refectione  :  Hora  refectionis  magis  congrua 
«  temporejejunii  est  hora  nona,  quam  usque  ad  vesperam  ;  et  de 
«  Missa  :  Missa  in  Quadragesima,  et  diebus  jejuniorum,  hora 
«  nona.  Saeculo  XIV,  ut  tempus  liicrific.ret,  hora  nona  antici- 
«  pata  est,  Paludano  potissimum  auctore,  et  saeculo  XV  co- 
•  mestioad  raeridiem  reductafuit,  et  quemadmodumanticipa- 
c(  batur  refectio,  anticipatum  est  oiiicium,  et  ut  moris   anliqui 


Févr.  1863.]  LITURGIE.  -173 

a  vestigium  aliquod  remaneret,  et  semper  dici  posset,  quod 
a  quadragesimale  jejunium  non  solveretur  nisi  pnst  vesperas, 
((  inducta  consuetudine  solvendi  jejunium  circa  meridiem, 
a  invectus  etiam  extitit  semperque  retentus  mos  dicendi  in 
a  Quadragesima  vesperas  ante  prandium,  non  vero  in  aliis 
«  jejuniis  extra  Quadragesimam,  quibus  nec  antiquitus  vespe- 
«  rae  praemittebantur  ;  sed  dicta  nona  cuni  Missa  solvebntur 
«jejunium,  unde  et  nunc  in  iisdem  jejuniis  ante  meridiem 
«  idipsumdumtaxat  prœstatur.  » 

3.  Aujourd'hui,  dans  presque  tous  les  diocèses  de  France, 
l'abstinence  du  Carême  est  levée  le  dimanche,  le  lundi,  le 
mardi  et  le  jeudi  de  chaque  semaine  jusqu'à  la  semaine  sainte, 
et  même  dans  certains  diocèses  jusqu'au  mardi  de  cette  se- 
maine inclusivement.  On  fait  aussi  dififérentes  concessions  pour 
les  mets  dont  on  peut  user  à  la  collation,  et  les  évêques  les  ac- 
cordent avec  un  induit  du  Souverain-Pontife.  Ils  prescrivent 
en  même  temps  des  aumônes  aux  personnes  qui  usent  des  dis- 
penses. Dififérentes  questions  nous  ont  été  posées  à  cet  égard 
et  nous  les  discutons  en  terminant  cet  article.  Le  cas  est  le  sui- 
vant :  Un  évêque,  en  vertu  d'un  induit  apostolique,  accorde  la 
permission  de  manger  de  la  viande  et  de  préparer  les  aliments 
au  gras  certains  jours  du  Carême.  Après  les  deux  articles  con- 
tenant ces  permissions  s'en  trouve  un  autre  ainsi  conçu  :  «  Ceux 
qui  useront  des  permissions  énoncées  dans  les  articles  précé- 
dents, ou  de  l'une  d'elles,  seront  tenus,  à  l'exception  des  pau- 
vres, pour  compenser  le  mérite  de  l'abstinence,  de  faire,  selon 
leur  dévotion,  une  aumône,  qu'ils  remettront  à  leur  pasteur.» 
Sur  l'interprétation  et  la  pratique  de  cet  article  se  présentent 
certains  doutes. 

1°  Une  aumône  quelconque,  même  de  la  part  d'une  personne 
riche,  suffit-elle  pour  accomplir  l'obligation  imposée? 

La  réponse  semble  devoir  être  aflûrmative,  si  l'on  considère 
purement  et  simplement  les  termes  du  dispositif:  selon  leur  dé- 
votion. Le  législateur  use  de  son  droit  en  commuant  la  loi, 
et  peut  le  faire  comme  il  le  juge  à  propos.  Cependant,  il  repu 


174  LITURGIE.  [Tome  VU. 

gnerait  d'admettre  qu'une  aumône  minime  de  la  part  d'une 
personne  riche  pût  être  considérée  comme  suffisante.  Telîe 
n'est  pas,  évidemment,  la  loi  dans  l'intention  du  législateur,  et 
donner  un  pareil  sens  à  ces  paroles  :  selon  leur  dévotion,  serait, 
ce  semble,  contraire  à  la  loi  naturelle.  Une  matière  légère  ne' 
pouvant  être  l'objet  d'une  obligation  grave,  le  législateur  a  dû 
exiger  une  aumône  assez  considérable  pour  constituer  une 
obligation  de  cette  nature, 

2"  Cette  aumône  est-elle  gravement  obligatoire? 

Il  semble  que  oui,  pour  les  raisons  données  ci-dessus,  et  celui 
qui  ne  pourrait  pas  donner  une  aumône  assez  forte  pour  être 
matière  grave  relativement  à  ses  facultés  serait  dispensé  tota- 
lement, les  pauvres  n'étant  point  tenus  à  la  loi  de  l'aumône.  Il 
ne  serait  cependant  pas  impossible  que,  dans  certains  cas  par- 
ticuliers, l'omission  de  cette  aumône  fût  un  péché  véniel.  Pour 
éclaircir  ce  dernier  point,  il  faudrait  pouvoir  traiter  ces  cas  en 
particuher. 

3°  Les  personnes  dispensées  de  l'abstinence  par  l'impossibilité 
de  se  procurer  des  aliments  maigres  ou  par  la  maladie  sont- 
elle  tenues  à  cette  aumône? 

Elles  n'y  sont  point  tenues.  En  efifet,  pour  être  tenu  à  la 
compensation  d'une  loi,  il  faut  être  atteint  par  la  loi;  or  la  loi 
cesse  d'exister  pour  les  personnes  dont  il  s'agit,  et  les  paroles 
du  dispositif  :  pour  compenser  le  mérite  de  l'abstinence,  ne  font 
pas  difficulté  :  l'œuvre  seule  et  non  le  mérite  tombant  sous  le 
précepte. 

4°  L'abstinence  étant  une  œuvre  personnelle,  l'aumône  don- 
née par  un  chef  de  famille  pour  les  personnes  placées  sous  sa 
dépendance,  décharge-t-elle  celles-ci  de  toute  obligation  ? 

Il  ne  parait  pas  que  ces  personnes  puissent  être  déchargées 
de  toute  obligation  par  l'aumône  du  chef  de  famille.  Celui-ci 
ne  peut  pas  faire  abstinence  pour  ses  enfants  :  il  ne  peut  pas, 
conséquemment,  offrir  pour  eux  une  compensation.  Pour 
ceux-ci,  ils  doivent,  s'ils  le  peuvent,  faire  une  aumône  de 
leur  argent,  qu'il  leur  soit,  ou  non,  donné  à  cette  fin.   P.  R. 


A  PROPOS 

d'un  nouvel  essai  de  philosophie  chrétienne. 


La  S.  Congrégation  de  l'Index  a  prohibé,  le  15  décembre  der- 
nier, trois  ouvrages  publiés  en  langue  allemande  : 

1°  Introductio  in  philosophiam,  a  D.  Frohschammer,  I808. 

2»  De  Libertale  scientix,  eodem  auctore,  1861. 

2)^ Athenxum,  scriptum  leriodicum  de  philosophia.  fasc.  I. 
1862. 

M.  le  docteur  Frolischammer,  prêtre  et  professeur  à  FUni- 
versité  de  Munich,  peu  satisfait  de  l'aîicienue  philosophie,  qui 
se  permettait  de  soumetlre  la  science  à  l'autorité  et  la  raison 
à  la  foi,  a  voulu  nous  donner  une  philosophie  vraiment  chré- 
tienne, dégagée  de  toute  servitude  et  libre  de  tout  préjugé  du 
moyen-âge.  A  cette  fin,  il  s'attache  principalement  à  nous 
éclairer  sur  les  rapports  de  la  raison  et  de  la  foi,  aussi  bien 
que  sur  les  droits  de  l'Lglise  en  fait  d'enseignement,  et  sur  les 
devoirs  des  professeurs  et  des  écrivains. 

Or,  ne  sait-on  pas  ce  qu'enseignent  les  docteurs  catholiques 
à  cet  égard  ?  Ils  disent  que  la  raison  humaine  peut  connaître 
et  démontrer  les  vérités  de  l'ordre  naturel ,  mais  qu'il  est 
beaucoup  d'autres  vérités  que  nous  ne  connaissons  que  par  la 
révélation  divine  :  vérités  qui  dépassent  nos  moyens  naturels 
de  connaître,  qui  ne  peuvent  être  déduites  par  le  raisonnement 
de  principes  déjà  connus,  et  que  nous  ne  percevons  que  par  des 
concepts  impropres  et  analogues.  Ils  en  concluent  d'un  accord 
unanime  que  ces  mystères  constituent  l'objet,  non  de  la  philo- 
sophie, mais  de  la  théologie,  et  que  la  raison,  ayant  une  fois 
démontré  l'existence  de  la  Révélation  et  le  droit  de  l'Église 
d'en  être  l'infaillible  interprète,  doit  obtempérer  aux  jugements 
de  l'Église,  de  manière  à  ne  jamais  soutenir  ce  qu'elle  rejette, 


^76  NODVEL  ESSAI  [Tome  VIF. 

et  à  défendre  avec  amour  ce  qui  s'accorde  avec  son  enseigne- 
ment . 

M.  Frobscliamuier  semble  peu  disposé  ù  souscrire  à  ces 
principes  et  il  enseigne  tout  au  long  : 

1°  Que  la  vraie  philosophie  a  pour  objet  propre,  non-seule- 
ment les  vérités  de  la  religion  naturelle,  mais  tous  les  dogmes 
du  christianisme. 

2"  Que  la  force  progressive  de  la  philosophie  est  telle  que 
nous  pouvons  espérer  comprendre  un  jour  et  démontrer  les 
mystères  révélés,  tout  aussi  facilement  que  nous  comprenons 
les  vérités  métaphysiques. 

3°  Que  la  vraie  philosophie  n'est  point  la  servante  de  la 
théologie,  dont  elle  dépend  aussi  peu  que  de  toute  autre 
science. 

4"  Que  la  philosophie  ne  doit  point  se  régler  dans  la  recher- 
che de  la  vérité  sur  la  révélation  divine,  mais  juger  de  toutes 
choses  d'après  les  principes  du  vrai  qui  lui  sont  innés. 

5"  Qu'il  appartient  à  la  philosophie,  non-seulement  de  dé- 
montrer les  préambules  de  la  foi  et  les  motifs  de  crédibilité, 
mais  encore  de  juger  si  les  points  de  doctrine  proposés  comme 
vrais  et  comme  certains  par  la  théologie  sont  tels  en  réalité. 

6°  Que  la  vieille  distinction  des  théologiens  entre  connaissances 
naturelles  et  connaissances  surnaturelles  n'est  plus  de  saison. 

7°  Que  l'infaillibilité  du  Pape,  enseignée  par  la  plupart  des 
théologiens,  n'est  fondée  ni  sur  des  faits  ni  sur  des  raisons. 

8°  Qu'il  n'est  ni  du  ressort  de  la  théologie,  ni  de  la  compé- 
tance  de  l'Église,  de  définir  si  tel  dogme  révélé  est  au  dessus  de 
la  raison,  mais  qu'il  appartient  à  la  seule  philosophie  de  pro- 
noncer en  pareille  matière. 

9"  Que  l'Église  ne  peut  rien  définir,  ni  rien  prescrire  tou- 
chant la  méthode  et  les  principes  de  la  philosophie. 

10°  Que  la  méthode  philosophique  de  saint  Thomas  et  des^ 
scolastiques  conduit  au  naturalisme  et  au  rationalisme. 

11»  Que  la  philosophie  a  le  droit  naturel  d'enseigner  et  de 
défendre  librement  tout  ce  qu'elle  découvre  par  ses  propres 


Févr.  1863.)  DE   PHILOSOPHIE   CHRÉTIENNE.  177 

forces,  alors  même  qne  ses  découvertes  seraient  contraires 
aux  enseignements  de  la  foi. 

12°  Qu'il  ne  convient  pas  et  que  c'est  un  tort  de  soumettre 
les  ouvrages  scientitîques  avant  leur  publication  à  la  censure 
ecclésiastique. 

13*  Que  la  Congrégation  de  l'Index  ne  se  conforme  plus, 
dans  les  jugements  qu'elle  porte  sur  les  livres,  aux  lois  qui  lui 
ont  été  tracées,  mais  qu'elle  agit  d'une  manière  tout  à  fait 
arbitraire. 

On  voit  que  tout  cela  n'est  ai  orthodoxe,  ni  philosophique. 
Au  reste,  M.  le  docteur  Frohschammer  avait  déjà  fait  ses 
preuves,  en  écrivant  il  y  a  dix  ans  un  livre  sur  l'origine  de 
l'âme  humaine,  où  il  établit  de  semblables  principes.  Ce 
livre  fut  mis  à  l'Index  après  qu'on  eut  pris  des  ménagements 
auxquels  l'auteur  n'a  rien  paru  comprendre.  Aujourd'hui, 
M.  Frohschammer  insulte  ses  juges  et  soutient  les  mêmes  er- 
reurs que  l'Église  avait  déjà  flétries.  Malheureusement,  il  n'est 
pas  seul  de  son  avis,  et  nous  croyons  savoir  que  plusieurs  de 
ses  confrères  dans  l'enseignement  et  dans  le  sacerdoce,  sont 
disposés  comme  lui  à  sacrifier  la  certitude  des  doctrines  révé- 
lées à  la  certitude  philosophique,  et  à  mettre  la  raison  au  des- 
sus des  enseignements  de  la  foi  et  de  l'Eglise. 

Bref,  M.  Frohschammer  prétend  mesurer  les  choses  de  Dieu 
à  la  grandeur  de  la  raison  humaine,  et  ce  qui  surprend  davan- 
tage, c'est  qu'il  donne  à  ce  procédé  étrange  le  nom  de  philoso- 
phie chrétienne. 

Sans  doute  à  une  époque  de  progrès  comme  la  nôtre,  où 
l'on  croit  tout  expliquer  par  la  voie  naturelle,  où  la  réponse 
aux  plus  grands  problèmes  de  la  vie  intellectuelle  et  sociale 
sort  souvent  d'un  alambic,  ou  repose  au  fond  d'une  cornue,  on 
conçoit  que  la  science  naturaliste  devienne  superbe  et  osée. 
Mais  devait-on  s'attendre  à  rencontrer  sous  la  plume  d'un 
philosophe  chrétien,  prêtre  et  professeur  d'une  université  ca- 
tholique, l'exposé  systématique  et  réfléchi  d'une  doctrine 
subversive  à  la  fois  du  christianisme  et  de  la  philosophie  ? 


^78  NOUVEL  ESSAI  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉTIENNE.  [Tome  Vil, 

Une  telle  tendance  est  assurément  pleine  de  périls.  Car  prê- 
cher l'indépendance  absolue  de  la  raison,  fut  à  toutes  les 
époques  du  monde  une  chose  dangereuse.  Les  moyens  que  l'on 
prend  et  les  chemins  que  l'on  indique  peuvent  être  divers, 
mais  tôt  ou  tard  ils  conduiront  tous  au  même  abime.  L'expé- 
rience est  faite.  La  philosophie  de  Kaut  ne  disait-elle  pas  que 
c'est  à  peine  si  nous  connaissons  quoi  que  ce  soit  avec  certi- 
tude en  dehors  des  sens  ?  Et  ne  vit-on  pas  surgir  aussitôt  ce 
rationalisme  vulgaire,  qui  n'a  que  du  mépris  pour  les  plus  au- 
gustes mystères  de  notre  foi  ou  qui  les  fait  passer  pour  des 
mythes,  mis  au  service  du  déisme  et  de  la  religion  naturelle  ? 
Ce  rationalisme  ne  tarda  pas  à  être  suivi  d'un  autre  pins  sé- 
duisant et  plus  spécieux  encore,  celui  de  SchcUing  et  de  Hegel, 
qui  prétendirent  créer  la  science,  la  science  absolue  et  com- 
plète par  la  simple  intuition  de  l'Être  suprême  ou  la  connais- 
sance absolue  de  toutes  choses. 

La  doctrine  de  M.  Frohschammer  comme  celle  de  Gûnther 
elle-même,  repose  absolument  sur  le  même  principe.  C'est 
toujours  la  raison  revêtue  de  lumière  et  de  vérité  qui  vient 
démontrer  les  dogmes  de  notre  foi  et  nos  mystères.  C'est  tou- 
jours elle  qui  amène  triomphalement  le  progrès  de  la  science 
universelle,  absolue,  et  qui  tend  une  main  amie  à  la  théologie, 
en  se  glorifiant  de  connaître  comme  elle  les  enseignements  les 
plus  élevés  de  notre  foi. 

Voilà,  en  peu  de  mots,  une  faible  esquisse  de  la  philosophie 
chrétienne,  telle  que  l'entend  M.  le  docteur  Frohschammer, 
Ce  n'est  donc  pas  sans  raison  que  le  cœur  vigilant  du  Pasteur 
suprême  s'en  est  ému,  et  s'est  empressé  de  signaler  au  monde 
ces  pâturages  dangereux.  Le  décret  de  l'Index  avait  été  pré- 
cédé d'un  bref  plein  de  douceur  et  de  sévérité,  adressé  à  Mgr 
l'archevêque  de  Munich.  Pie  IX  y  rejette,  avec  l'autorité  de  la 
parole  apostolique,  ces  doctrines  coupables  et  subversives  qui 
tendent  à  altérer  notre  symbole  et  à  corrompre  la  pureté  de 
notre  foi.  P.-P.  Armand. 


DE  LA  GRAP^DE  AUMO^ERiE 


EN    FRANCE. 


Bref  de  Pie  IX,  déterminant  à  qui  passe  la  juridiction  du  grand 
aumônier,  après  son  décès  et  en  attendant  quil  lui  ait  été 
donné  un  successeur. 

Nous  ne  pensons  pas  que  ce  Bref  ait  encore  été  rendu  pu- 
blic. Après  en  avoir  donné  le  texte,  nous  y  joindrons  quel- 
ques aperçus,  tant  sur  l'institution  des  grands  aumôniers  en 
général,  que  sur  l'organisation  actuelle  de  la  grande  au- 
mônerie,  rétablie  en  France  en  1857. 

«  Plus  Papa  IX.  —  Ad  futurara  rei  memoriam.  —  Nosti'is 
apostolicis  litteris  die  31  martii  1857  dalis,  vota  carissimi  iu 
Ghisto  filii  nostri  Napoleonis  III  Francorumlmperatoris  secun- 
dantes,  in  Galliarum  imperio  Supremum  Eleemosynarium  sive 
Majorera  Capellanum  constituimus;  eidemque  onera,  jura, 
privilégia,  facultates,  indulta  opportune  tribuimus  atque  con- 
cessimus. 

a  Modo  autem  idem  Imperator,  per  suum  apud  Nos  et 
Apostolicam  Sedem  oratorem,  petit  ut  alterum  sufficere  veli- 
mus,  qui  praefati  muneris  partes  expleat  cum  per  obitum  An- 
tistitis  Eleemosynarii  iliud  vacare  contingat. 

«  Nos  igitur  auctoritate  Nostra  Apostolica  harum  litterarum 
vi  concedimus  atque  decernimus,  ut  cum  per  obitum  munus 
Capellani  Majoris  sive  Supremi  Eleemosynarii  in  Galliarum 
imperio  vacet,  alter  Episcopus,  juxta  prœ dictas  litteras  Nostras 


^80  DE    LA   GRANDE   AUMONERIE   EN   FRANCE.  [Tome VU. 

eidem  Eleemosynario  Antistiti  adjutor  ad  sacras  functiones  liu 
quibus  peragendis  episcopalis  cliaracter  oinuino  requiritur) 
datus,  bujus  muueris  vices  expleat;  ac  proinde  ipsi  adjutori 
Episcopo  omnia  et  singula  (in  prsedicto  tantum  casu,  et  donec 
memoratum  munus  vacet)  deferimus  jura,  privilégia,  indulta, 
quibus  par  easdem  litteras  Nostras  Supremum  Eleemosyna- 
rium  auximus  et  cumulavimus. 

«  Hœc  volumus  atque  indulgemus,  servatis  conditionibus 
omnibus  ac  singulis,  in  prsefatis  litteris,  quarum  initium  Qux 
Supremi  adjectis,  ac  in  contrarium  facientibus,  etiam  speciali 
atque  individua  mentione  ac  derogatione  dignis,  non  obstan- 
libus  quibuscumque. 

a  Datnm  Romœ  apud  sanctum  Petrum,sub  Annulo  Piscato- 
ris,  die  IX  Augusti  MDCCGLIX,  Pontificatus  Nostri  XIV.  » 

Sous  le  nom  de  grand  aumônier,  (en  latin  supremus  eleemo- 
synarius  ou  major  capellanus)  on  désigne  le  prélat  qui  a  la  ju- 
ridiction épiscopale  sur  certaines  églises  ou  cbapelles  impé- 
riales ou  royales,  sur  le  clergé  attaché  à  ces  églises,  et  sur  les 
personnes  qui  habitent  les  palais  ou  maisons  appartenant  à  la 
famille  impériale  ou  royale.  Ces  grands  aumôniers  rentrent 
par  conséquent  dans  la  catégorie  des  prélats  qu'on  appelle 
nullius,  c'est-à-dire,  qui  relèvent  immédiatement  du  Pape,  et 
ne  sont  sous  la  juridiction  d'aucun  autre  évêque. 

L'usage  a  depuis  longtemps  prévalu  de  conférer  au  grand 
aumônier  le  caractère  épiscopal.  On  le  consacre  avec  le  titre 
d'évêque  in  partibus,  à  moins  qu'il  ne  doive  être  en  même 
temps  évèquc  d'un  diocèse.  Benoit  XIV  mentionne  cet  usage 
comme  ayant  passé  en  quelque  sorte  en  loi  :  «  Dignitatem 
«  episcopalem  cum  munere  Supremi  Eleemosynarii  seu  Ga- 
«  pellani  Majoris  Regalis  sacelli  jungi  oportere,  testatur  Pe- 
a  trus  Galandius,  in  vita  Pétri  Castellani  Galliarum  Magni 
a  Eleemosynarii,  bis  verbis  :  Aulx  totius  regise,  unicus  Epi- 
«  scopus  est  :  quocumque  in  loco  per  totum  regnum  rex  versetur, 
«  ab  eo  sacramenta petere  solet. *{Bn\\e  Cum  a  Nobis,  août  1747, 


\ 


Févr.  48C3.]  DE   LA   GRANDE   AÏIMONERIE    EN   FRANCE.  181 

Bullaire  de  Benoît  XIV,  tome  II,  n"  36).  La  bulle  que  nous 
venons  de  citer  concernait  un  grand  aumônier  nommé  par 
le  roi  de  Sardaigne.  Ce  prélat  était  déjà  cardinal-diacre,  et 
l'on  mettait  en  doute  s'il  pouvait  être  sacré  éyêqueinpartibus. 
Benoît  XIV  donne  une  décision  affirmative. 

I.  Au  sujet  des  grands  aumôniers  en  général,  les  cano- 
nistes  agitent  les  questions  suivantes,  qu'on  trouvera  discu- 
tées plus  au  long  dans  mon  traité  de  Episcopo  (tome  I,  p.  524 
et  suiv.). 

i»  Quelle  est  la  règle  pour  bien  discerner  jusqu'où  s'étend 
la  juridiction  d'un  grand  aumônier? —  La  meilleure  règle  à 
cet  égard,  c'est  la  teneur  même  des  bulles  qui  instituent 
cette  dignité,  confèrent  la  juridiction  et  eu  assignent  l'objet. 
Avant  que  la  charge  de  grand  aumônier  soit  établie,  les  person- 
nes composant  la  famille  régnante  ou  attachées  à  son  service 
se  trouvent  de  droit  commun,  comme  toutes  les  autres,  sous  la 
juridiction  de  l'évêque  du  lieu.  Pour  qu'elles  en  soient  exemptes 
et  passent  sous  la  juridiction  du  grand  aumônier,  il  faut  que  le 
Souverain-Pontife  s'en  explique  et  le  détermine  ainsi.  On  peut 
donc  poser  en  règle  générale  que  le  grand  aumônier  n'a  que 
la  juridiction  exprimée  dans  les  bulles.  Dans  le  doute  si  telle  ou 
telle  faculté  se  trouve  comprise  dans  ses  attributions,  au  pré- 
judice de  l'ordinaire,  il  faudrait  conclure  en  faveur  de  ce  der- 
nier. Car  la  juridiction  de  l'évêque  du  lieu  a  pour  elle  la  pos- 
session. Pour  qu'elle  soit  dépossédée,  il  faut  prouver  le  fait  de 
l'exemption  survenue.  Néanmoins,  ne  peut-il  pas  arriver  que 
dans  un  pays  les  grands  aumôniers  acquièrent  quelque  aug- 
mentation de  pouvoir  juridictionnel  au  préjudice  des  ordi- 
naires, par  voie  de  longue  coutume  ou  de  prescription  ?  Ce 
point  de  droit  a  été  agité  en  général  pour  les  prélats  nullius, 
et  la  controverse  a  longtemps  été  vive  entre  les  docteurs.  Pour 
bien  saisir  la  vraie  solution,  il  faut  distinguer  deux  espèces  de 
prélats  nullius  :  ceux  de  la  première  classe,  c'est-à-dire,  ceux 
qui  ont  la  juridiction  épiscopale  avec  un  territoire  séparé  ;  et 


-IS2  DE   LA   GRANDE  AUMONERIE   EN  FRANCE.  [Tome  VII. 

ceux  de  la  seconde  classe,  qui  ont  aussi  la  juridiction  épiscopale 
sur  certains  lieux  et  sur  les  habitants  de  ces  lieux,  mais  sans 
territoii^e  sépare,  ^n  d'autres  termes,  lorsque  le  Souverain-Pon- 
tife confère  à  un  prélat,  autre  que  Tévêque  du  lieu,  la  juri- 
diction épiscopale  sur  une  partie  territoriale  du  diocèse, 
ou  bien  il  distrait  ce  territoire  du  diocèse  dont  il  faisait  partie 
et  le  déclare  ainsi  séparé,  ou  bien  il  le  laisse  incorporé  au  dio- 
cèse. De  là  les  deux  espèces  de  prélats  nullius  :  ceux  qui  ont 
un  territoire  séparé,  et  ceux  qui  n'en  ont  pas. 

S'il  s'agit  de  la  juridiction  épiscopale  sans  territoire  séparéy 
il  est  certain  qu'on  peut  l'acquérir,  au  préjudice  de  l'ordi- 
naire du  lieu,  par  une  prescription  de  quarante  ans,  avec  un 
titre  coloré.  Mais  une  prescription  moindre  ne  suffirait  pas. 
(Voir  mon  traité  de  Episcopo,  tome  i,  p.  5-41.) 

En  est-il  de  même  de  la  juridiction  épiscopale  avec  territoire 
séparé?  La  question  fut  vivement  controversée  jusqu'au  pon- 
tificat de  Clémerit  XI.  «  Famigerata  est  quaestio,  dit  le  Cardi- 
nal Petra,  an  et  quomodo  qualitas  propria  nullius,  supremse 
speciei,  scilicet  eu  m  vero  separato  territorio,  pree^criptione 
acquiri  valeat.  »  (Tom.  v,  ad  Constitutionem  4  Callixti  III, 
sect.  3,  n.  1.)  Une  congrégation  particulière  de  cardinaux, 
chargée  d'examiner  la  difficulté,  décida  que,  pour  acquérir  la 
juridiction  épiscopale  avec  territoire  séparé,  il  fallait  un  pri- 
vilège du  Pape,  ou  bien  une  coutume  immémoriale  dûment 
prouvée  ;  ce  qui  fut  confirmé  par  Clément  XI.  Voici  les  termes 
de  ce  décret  : 

«  In  Congregatione  particulari  a  Sanctissimo  Domino  nostro 
die  3  augusti  1718  specialiter  deputata...;  ut  in  ea  videlicet 
examinaretur  an  ad  tramites  saerorum  canonum,  sacrique 
prœserlim  Concilii  Tridentini,  possit  inferior  prœlatus  terri- 
torium  separatum  et  jurisdictionem  ordinariam  et  quasi  epi- 
scopalem  in  clerum  et  popnlum,  cum  ipsius  Episcopi  exclu- 
sione,  in  aliquo  speciali  loco  acquirere  per  quadragenariam 
prxscriptionem  unacum  titulo  co/om^o .•prsedictiEminentissimi 


Fcvr.  1803.1  DE   LA   GRANDE   AUMONERIE   EN   FRANCE.  ^83 

Domini  et  Revcrendi  Patres,  particularem  Congregationem 
constituentes,  insimul  congregati...,  die  3  januarii  hujus  anni 
1721,  post  maturum  et  diligentissimum  materise  examen,  iina- 
nimiter  responderunt  :  Non  posse  ;  sed  pro  acquisitione  terri- 
torii  separati  prsedictaeque  jurisdictionis  oranino  requiri,  aut 
clarum  et  undequaque  subsistens  Aposlolicum  privilegium, 
aut  consuetudinem  immemorabilem  cum  suis  omnibus  requi- 
sitis  rite  probatam,  por  quam  Apostolicum  privilegium  de  jure 
prsesumi  valeat...  Factaque  per  me  prœdictomm  omnium 
sanctissimo  Domino  nostro  relatione,  die  14  januarii  boc  anno 
1721,  Sanctitas  Sua  approbare  dignata  est,  et  praesens  decre- 
tum  publicari  mandavit.  »  Cette  pièce  est  relatée  par  le  car- 
dinal Pelra  (t.  v,  ad  Conslitulionem  4  Callixti  III,  sect.  3,  in 
fine). 

2.  Une  autre  question  relative  aux  grands  aumôniers  en 
général,  concerne  le  cas  où  la  famille  régnante  vient  à  chan- 
ger. Les  pouvoirs  accordés  par  le  Saint-Siège  au  grand  au- 
mônier d^me  famille  régnante  et  à  ses  successeurs,  expirent- 
ils  lorsqu'une  nouvelle  famille  régnante  prend  la  place  de  la 
première?  Il  suffira  d'indiquer  ici  cette  question  délicate.  Elle 
est  discutée  dans  mon  traité  de  Episcopo  (tome  i,  p.  526). 

3.  Les  grands  aumôniers  ne  sont  pas  révocables  au  gré 
des  familles  régnantes.  Leur  charge  étant  instituée  par  le 
Saint-Siège  à  l'instar  de  celles  des  évêques,  pasteurs  ordinaires 
des  diocèses,  ne  saurait  être  considérée  comme  révocable  ad 
nutum.  Pour  que  le  prince  pût  changer  son  grand  aumônier 
et  lui  en  substituer  un  autre,  il  devrait  obtenir,  ou  la  destitu- 
tion canonique,  ou  la  cession  volontaire  du  prélat.  Nous  ne 
développerons  pas  davantage  les  notions  générales  sur  les 
grands  aumôniers.  Nous  ajouterons  seulement  quelques  re- 
marques sur  l'organisation  actuelle  de  la  grande  aumônerie  en 
France. 

IL  Le  Bref  de  Pie  IX  Quse,  Supremi,  du  31  mars  1857,  qui 
rétablit  cette  charge,  et  le  Bref  Consueverunt,  de  la  même  date, 


-18i  DE   LA   GRANDE  AUMONERIE   EN   FRANCE.  |Tome  VU. 

portant  institution  du  chapitre  de  Saint-Denis  et  de  la  dignité 
de  primicier  dans  ce  chapitre,  ont  été  publiés  dans  le  Bulletin 
des  lois.  L'Ami  de  la  Religion  en  a  reproduit  le  texte  dans  ses 
numéros  du  8  et  du  17  septembre  1857.  Voici  un  aperçu  des 
principales  dispositions  de  ces  deux  actes  du  Saint-Siège  : 

\ .  La  dignité  de  primicier  du  chapitre  de  Saint-Denis  est 
annexée  pour  toujours  à  la  charge  de  grand  aumônier.  Digni- 
tatem  Primicerii  perpetuo  obtineb'it  Supremus  Galliarumimperii 
Eleemosynarius  pro  t empare  exislens  (Bref  Consueverunt).  Le 
même  prélat  doit  donc  être  à  la  fois  grand  aumônier  et  pri- 
micier. 

2.  La  grande  aumônerie  n'est  annexée  à  aucun  des  sièges 
épiscopaux  de  l'empire.  Rien  n'empêche  qu'un  des  évêques 
de  France,  tout  en  gardant  sou  diocèse,  soit  en  même  temps 
grand  aumônier.  Mais  la  grande  aumônerie  pourrait  aussi 
être  s'?parée  de  tout  autre  siège  épiscopal.  Dans  ce  dernier 
cas,  le  Saint-Siège  conférerait  un  titre  d'évêque  inpartibus.  Si 
le  grand  aumônier  est  en  même  temps  Tévèque  d'un  dio- 
cèse, il  est  tenu  d'y  résider. 

3.  Le  choix  du  grand  aumônier  appartient  à  l'Empereur; 
mais  il  doit  le  choisir  parmi  les  archevêques  ou  les  évêques 
de  France  :  Inter  Archiepiscopos  et  Episcopos  ipsius  imperii  a 
Serenissimo  Imperalore  deligendus. 

4.  Le  grand  aumônier  doit  avoir  un  coadjuteur,  revêtu 
lui-même  du  caractère  épiscopal  :  il  doit  avoir  en  outre  un 
vicaire-général,  un  secrétaire  et  un  pro-secrétaire.  Le  vicaire- 
général  doit  être  prêtre. 

5.  Le  clergé  attaché  à  la  chapelle  des  Tuileries  ne  doit  pas 
excéder  12  prêtres  chapelains,  et  8  autres  clercs. 

6.  Le  grand  aumônier  est  complètement  exempt  de  la  juri- 
diction des  ordinaires. 

7.  Il  a  juridiction  épiscopale  sur  les  chapelains  et  tous  autres 
employés  à  la  chapelle  impériale;  sur  la  .famille  impériale  et 
toutes  les  personnes  attachées  à  son  service,  et  cela  quelque 


Févr.  <R..3.]  DE   LA   GRANDE   AlIMONERIE  EN   FRANCE.  183 

part  que  l'Empereur  réside  ou  tienne  sa  cour;  enfin  sur  toutes 
les  personnes  qui  habitent  les  Tuileries,  le  château  de  Ver- 
sailles, ou  ceux  de  Saint-Cloud,  de  Fontainebleau,  de  Com- 
piègne,  de  Rambouillet,  de  Pau,  de  Biarritz  et  de  Strasbourg. 

9.  C'est  au  grand  aumônier  qu'il  appartient  de  régler  l'of- 
fice divin  dans  la  chapelle  impériale,  et  d'instituer,  pour  les 
habitants  des  châteaux  indiqués,  des  prêtres  chargés  d'y  rem- 
plir l'office  de  curés.  C'est  de  lui  que  dépendent,  pour  l'ordi- 
nation et  les  lettres  dimissoriales,  ceux  qui,  faisant  partie  du 
personnel  soumis  à  sa  juridiction,  voudraient  recevoir  les 
saints  Ordres.  En  ce  qui  concerne  le  baptême,  la  confirmation, 
le  mariage,  l'approbation  des  confesseurs,  il  est  l'ordinaire 
relativement  aux  personnes  soumises  à  sa  juridiction. 

9.  Quant  aux  aumôniers  des  troupes,  ils  sont  soumis  à  la 
juridiction  des  ordinaires  des  lieux,  tant  qu'ils  séjournent  en 
France.  Lorsqu'ils  sont  en  campagne  avec  les  troupes  hors  du 
territoire  français,  le  grand  aumônier  leur  confère  les  pou- 
voirs. Il  faut  excepter  de  cette  dernière  disposition  le  cas  où 
les  troupes  françaises  se  trouveraient  sur  le  territoire  des  États 
pontificaux. 

40.  Le  chapitre  de  Saint-Denis  se  compose  de  chanoines 
évêques  et  de  chanoines  prêtres.  Il  n'y  a  qu'une  dignité,  le 
primicier.  La  nomination  des  chanoines  et  le  droit  de  patro- 
nage sur  l'Église  de  Saint-Denis,  appartiennent  à  l'Empe- 
reur. L'institution  du  primicier  et  de  chacun  des  chanoines- 
évêques  se  fait  par  une  bulle  du  Souverain-Pontife.  Les  cha- 
noines prêtres  sont  iustitués  par  le  primicier,  au  nom  du 
Pape. 

H.  L'Église  de  Saint-Denis,  ainsi  que  le  primicier,  les  cha- 
noines et  les  personnes  attachées  au  service  de  ladite  Église 
ou  du  chapitre,  sont  exempts  de  la  juridiction  de  l'ordinaire. 
11  en  est  de  même  de  l'hospice  des  Quinze- Vingt,  et  des  éta- 
blissements de  la  légion  d'honneur  situés  à  Écouen  et  à  Saint- 
Germain-en-Laye,   et  des  personnes  qui  les  habitent.   Pour 


186  DE  LA   GRANDE    AUMONERIE    EN   FRANCE.  ITome  VII. 

toutes  ces  personnes  et  ces  établissements,  la  juridiction  ordi- 
naire et  le  droit  de  visite  pastorale  appartiennent  au  primicier. 
La  clause  qui  réserve  expressément  ce  droit  de  visite  se 
trouve  seulement  dans  le  Bref  C onsueverunt ,  relatif  au  primi- 
cier. Mais  le  Bref  relatif  à  la  grande  aumônerie  ne  renferme 
pas  la  clause  analogue  à  l'égard  des  lieux  et  des  personnes 
soumis  à  la  juridiction  du  grand  aumônier.  Cette  omission 
donnera  pout-être  lieu  dans  la  pratique  à  une  difficulté, 
qu'on  peut  voir  exposée  dans  mon  traité  de  Fpiscopo  (tome  l, 
page  531). 

12.  Le  même  prélat  devant  être  à  la  fois  grand  aumônier 
et  primicier,  les  deux  juridictions  se  trouvent  réunies  dans 
sa  personne  tant  qu'il  est  vivant.  Mais  à  sa  mort,  et  jusqu'à 
ce  qu'il  lui  ait  été  donné  un  successeur,  ces  deux  juridictions 
se  séparent.  Celle  du  primicier  passe  au  chapitre.  Cela  ré- 
sulte du  droit  commun.  En  outre,  le  Bref  Consueverunt  porte 
expressément  que  le  chapitre  de  Saint-Denis  devra,  dans  les 
premiers  huit  jours  de  la  vacance,  élire  un  vicaire  capitulaire, 
et  que  la  juridiction  appartiendra  à  ce  vicaire  capitulaire, 
jusqu'à  la  prise  de  possession  du  nouveau  primicier.  Il  n'en 
est  pas  ainsi  de  la  juridiction  propre  du  grand  aumônier. 
Gomme  t  d,  le  grand  aumônier  n'a  pas  de  chapitre.  Pour  les 
diocèses  érigés  provisoirement  sans  chapitre  cathédral  , 
(commesoutactuellement  ceux  des  colonies  françaises,  comme 
sont  aussi  les  vicariats  apostoliques),  le  Saint-Siège  pourvoit  à 
la  difficulté  en  déterminant  dans  les  bulles  d'érection  à  qui 
passera  la  juridiction  pendant  la  vacance.  D'ordinaire,  les 
bulles  attribuent  cette  juridiction  au  vicaire-général  de  l'é- 
véque  défunt.  Mais  leBtQÏ Qux  Supremi,  qui  institue  la  grande 
aumônerie,  n'avait  rien  statué  à  cet  égard.  C'était  une  la- 
cune. S'il  n'}^  avait  pas  été  pourvu,  aucun  prélat  en  France 
n'aurait  eu  après  la  mort  du  grand  aumônier,  la  juridiction 
sur  la  famille  impériale,  sur  les  lieux  et  le  personnel  soniris 
au  pouvoir  juridictionnel  de  la  grande  aumônerie.  C'est  pour 


Févr.  1863  ]  JURISPRUDENCE   CANONIQUE.  -181 

obvier  à  cet  inconvéuient  qu'a  été  donné  le  Bref  Nostris  Apo- 
stolicis,  que  nous  publions,  et  qui  est  postérieur  de  plus  de 
deux  ans  à  celui  qui  avait  établi  la  grande  aumônerie.  Il  at- 
tribue la  juridiction,  pendant  la  vacance,  au  prélat  donné 
comme  coadjuteur  au  grand  aumônier  pour  le  remplacer,  en 
cas  d'empêchement,  dans  les  fonctions  qui  requièrent  le  ca- 
ractère épiscopal.  Ainsi,  durant  la  vacance,  la  juridiction 
propre  du  primicier  passe  immédiatement  au  chapitre  de 
Saint-Denis,  puis  au  vicaire  capitulaire  aussitôt  qu'il  a  été  élu; 
et  la  juridiction  propre  du  grand  aumônier  appartient  au 
prélat  qui  lui  a  été  donné  précédemment  comme  coadjuteur 
pour  les  fonctions  épiscopales. 

D.  Bouix. 


JURISPRUDENCE  CANONIQUE. 


Irrégularité  ex  defectii.  Dispense  demandée  à  la  Sacrée  Congré- 
gation du  Concile. 

Joseph  G.,  clerc  du  diocèse  de  Cephalu,  a  perdu  presque 
en  entier  le  pouce  de  la  main  gauche.  Il  demande  à  être  dis- 
pensé de  l'irrégularité  ex  defectu,  et  sa  demande  est  appuyée 
par  l'évêque  qui  atteste  que  sa  promotion  sera  utile,  qu'il  n'y 
a  aucun  péril  d'irrévérence  ou  de  scandale,  qu'eutiu  le  sup- 
pliant peut  s'acquitter  convenablement  des  cérémonies  de  la 
Messe,  comme  il  résulte  d'une  expérience  faite  devant  lui.  G. 
d'ailleurs  a  du  talent,  de  la  vertu  et  un  vif  désir  d'entrer  dans 
l'état  ecclésiastique. 

Lacause  aétéproposée^jer  summariaprecum.'L'e.^LivoM  suivant 
du  folium  fera  connaître  les  antécédents  en  pareille  matière. 

«  Irregularem  sane  dicunt  sacri  Canones  eum  qui  corpore 
vitiatus  nec  secure  propter  debilitatem,nec  sine  scandalo  prop- 


♦l88  JURISPRUDENCE  CANONIQUE.  [TomeVII. 

ter  deformitatem  celebrare  posset,  juxta  text.  in  Can.  Illite- 
ratiis  Dist.  36  et  iu  Cap.  Presbyterum  1  de  Cler.  xgrot.,  et 
in  loto  titulo  Decretalium  de  corpor.  vitiat.  ordin.  vel  non.  Et 
in  prœseuti  casu  irregularitatem  adesse  patet  ex  Cadurcen.  14 
januarii  1663,  in  qua  S.  hsec  Congregatio  irregularem  dixit  sa- 
cerdotem  pollice  iu  sinistra  manu  carentem,  quemadmodum 
irregularem  pariter  judicavit  alium  Sacerdotem,  cui  digitus 
poUex  in  manu  dextera  abscissus  fuerat  in  Novomien.  1 1  sep- 
tembris  1726. 

«Etsiiu  pressenti  casu  agatur  de'clerico  promovendo  inquo 
major  dispensandi  ratio  merito  requirilur  quam  si  res  esset  de 
jam  promoto^  uou  desunt  tamen  exempla  hujusmodi  dispeusa- 
tionum  cum  clericis  promovendis  prsesertim  ubi  ex  una  parte 
defectus  non  adeo  gravis  esset  ut  sacrisperagendis  iaipedimen- 
tum  prœberet  et  admirationem  in  populo  suscitaret,  et  ex  al- 
téra coucurrerent  boni  mores  oratoris  cum  proprii  Episcopi 
commendatione  et  spes  utilitatis  Ecclesise  ex  clerici  oratoris 
promotioue  obventurœ. 

«  Dejiegata  profecto  fuit  ab  hac  S.  Congrégation e  dispensatio 
his  ullimis  annis  in  l'ampilonen.  22  novembris  1856  et  in  Pa- 
tavina  27  aprilis  186i  persummariaprecum  propositis;  durio- 
res  tamen  aderant  circumstantiae  quam  in  specie  de  qua  nunc 
agitur;  in  Pâm/;!'fone/?52  siquidem  sinistra  manus  oratoris  ve- 
lut  massa  informis  erat  obtruncata  digitis;  et  in  Patavina 
dextera  manus  duos  tantum  digitos,  pollicem  scilicet  et  indi- 
cemliberos  babebat,  et  peracto  experimento  clericus  in  plu- 
rimis  Misses  rubricis  exequendis  omniuo  deficiebat.  Multo  plu- 
res  preeterea  afferri  possunt  H.  S.  0.  faventes  precibus  respon- 
siones  ;  uti  prae  aliis  ex  Cameracen.  20  januarii  1821  in  qua 
dispensatio  concessa  fuit  clerico,  qui  anleriori  parte  pollicis 
sinistraî  manus  orbatus,  dispensationem  rogabat,  ut  promo- 
veri  posset  ad  sacros  Ordines,  et  Missam  cum  digitali  aureo  vel 
argenteo  celebrare  valeret.  Item  ex  Comen.  21  februarii  1824 
iuter  supplices  libelles  relata^  ubi  agebatur  de  eo  qui  prima 


Févr.  1863]  JURISPRUDENCE   CANONIQUE.  \  89 

phalange  indicis  Isevae  manus  carebat;  nec  non  ex  Januen.  6 
augusti  1825,  et  Apuana  27  septembris  1860,  pariter  per  sum- 
maria  precum  propositis,  in  quarum  prima  clericus  integro 
sinistrée  manus  indice  orbatus  erat,  et  in  altéra  orator  ob  digi- 
torum  medii,  annularis  et  minimi  adustionem,  difficiilime  plu- 
res  sacrificii  cseremonias  perficere  valebat... 

«  (Juibusexpositis  abEminentiisVestrisjudicandum  erit,  (si 
forte  dispensationem  oratori  concedendam  censuerint)  utrum 
expédiât  aliquam  adjicere  ex  clausulis  ac  cautelis  in  similibus 
casibus  apponi  solitis  ;  ex.  gr.  adsistentiam  alterius  sacerdotis, 
vel  Missae  celebrationem  hora  minus  frequentata,  aut  cum  di* 
gitali  aureo  vel  argenteo  inaurato  ita  inbœrente,  ut  periculum 
omne  arceatur  quod  in  sacro  peragendo  cadere  possit,  eodem- 
que  reverenter  in  capsula  custodiendo,  prout  in  superius  allata 
Cameracen.  20  Januarii  1821,  ab  bac  Sac.  Congregatione 
mandatum  fuit.  » 

l-a  S.  Congrégation  n'a  pas  cru  devoir  s'arrêter  à  la  de- 
mande ainsi  appuyée.  Elle  l'a  renvoyée  avec  la  formule  : 
Lectum.  —  In  Ccphaluden.  Die  10  maii  1862. 


CHRONIQUE. 


i .  Nous  n'avons  pas  voulu  nous  faire  l'écho  de  certains  bruits  qui  cir- 
culaient depuis  plusieurs  mois  au  sujet  d'un  Manuel  de  philosophie  ré- 
pandu daus  beaucoup  de  séminaires  de  France,  celui  de  M.  l'abbé 
Branchereau.  Mais  plusieurs  journaux  et  revues  ont,  dans  l'intervalle,  rom- 
pu le  silence.  Il  paraît  aujourd'hui  bien  avéré  que  ce  livre  était  menacé 
d'une  condamnation,  et  qu'il  n'y  a  échappé  que  parce  que  l'auteur  a 
promis  de  retirer  du  commerce  tous  les  exemplaires.  Ces  actes  de  prompte 
soumission  à  l'autorité  du  Chef  suprême  de  l'Église  ou  de  ses  délégués 
sont  un  des  signes  les  plus  consolants  de  notre  époque.  Le  temps  n'est  pas 
bien  éloigné  encore  où  l'on  se  souciait  assez  peu  des  sentences  de  l'Index. 
Le  Catholique  de  Mayence  fait  précisément  la  même  remarque  pour 
l'Allemagne,  daus  son  n"  de  janvier. 

2.  Les  questions  philosophiques  à  l'ordre  du  jour  ont  provoqué  plu- 
sieurs écrits  au  nombre  desquels  nous  citerons  :  Lettres  au  P.  Dechamp^, 
et  pièces  relatives  à  la  question  du  Traditionalisme  ;  2'  éd.  augmentée  des 
documents  les  plus  récents  publiée  sur  la  même  matière,  et  d'une  étude 
approfondie  de  l'Ontologisme,  par  M.  l'abbé  Pelt/er.  Paris,  Repos.  8° 
288  p.  —  Du  Principe  vital  et  d'une  Réponse  de  Pie  IX,  par  M.  l'abbé 
Thibaudier.  Paris  et  Lyon,  Girard  et  Josserand.  8°  104  p. —  Du  Princi- 
pe vital  et  de  l'Ame  pensante,  ou  Examen  des  diverses  doctrines  médicales 
et  psychologiques  sur  les  rapports  de  Mme  et  de  la  vie,  par  M.  F.Bouillier, 
Paris,  Baillière.  8''XlV-43l  p.  L'auteurdece  dernierouvrage  a  traité  la  ques- 
tion d'une  manière  approfondie,  et  bien  que  son  point  de  vue  ne  soit 
pas  précisément  le  nôtre,  nous  nous  trouvons  ici  tout-à-fait  d'accord 
avec  lui,  du  moins  pour  les  résultats. 

3.  Le  beau  travail  de  Dœlltnger,  l'Eglise  au  temps  de  sa  fondation, 
vient  d'être  traduit  par  la  plume  exercée  de  M.  l'abbé  Bayle,  et  se  trouve 
actuellement  sous  presse  à  Tournai,  chez  Gasterman,  Il  formera  un  très- 
fort  volume  grand  iu-12.  Nous  ne  rappellerons  pas  ici  ce  que  nous 
avons  dit  dans  le  temps  de  l'original  allemand.  C'est  un  livre  que  tous  les 
théologiens  doivent  lire,  car  les  questions  qu'il  traite  ont  un  immense 
intérêt,  et  l'illustre  historien  les  aborde  avec  celte  supériorité  de  talent 
et  de  vues  qui  lui  est  propre.  M.  Bayle  a  déjà  traduit  l'ouvrage  du  même 
auteur  qui  a  fait  tant  de  bruit  et  qui  a  été  apprécié  si  diversement  l'année 
dernière,  mais  il  en  a  exclus  la  partie  politique.  Ce  volume  {l'Eglise  et 
les  églises,  iu-12  XSXlV-396  p.  Paris,  Lethielleux  ;  Tournai,  Gasterman, 
2  fr.  50)  est  un  tableau  saisissant  du  désordre  daus  lequel  sont  tombées 
toutes  les  sectes  par  suite  de  leur  séparation  d'avec  le  principe  de  l'unité 
et  de  la  vie  dans  l'Eglise,  c'est-à-dire  la  Papauté. 

4.  L'Allemagne,  en  même  temps  qu'elle  enrichit  tous  les  jours  sa  littéra- 
ture théologique,  réimprime  les  œuvres  importantes  du  passé.  En  fait 
de  publications  originales,  citons    l'Histoire  des   conciles  de  Hefele,  qui 


Févr.1863.]  CDRONIQUE.  191 

vient  de  s'augmenter  d'un  nouveau  tome.  [Conciliengeschichte.  ¥reihurg, 
Herder,  1862.  5  Bd.  1  Ablh.  8»  512  p.  1  thlr.  20  ngr.).  Citons  encore  la 
Dogmatique  de  Kiihn  qui,  bien  qu'en  voie  de  publication  depuis  de 
longues  années  (1  Bd.  1.  Abth.  1846,  2  Abth.  1849),  ne  se  compose  en- 
core que  de  trois  parties.  (1  Bd.  1  Abth.  Einleitung ,1  Aufl.  1859  ;  2  Abth. 
Die  allgemeine  Gotteslehre,  2  Aufl.  1862.  2  Bd.  Die  Trinitœtslehre,  1857. 
Tubingen,  Laup.)  II  est  bien  à  désirer  que  le  savant  professeur  puisse 
mener  à  bonne  fin  sa  vaste  entreprise.  Nous  aurons  alors  sur  l'ensemble 
de  la  dogmatique  un  travail  très-complet,  et  répondant  aux  conditions 
les  plus  rigoureuses  de  la  méthode  scientifique. 

5.  Le  commentaire  de  Maldonat,  sur  les  évangiles,  revu  par  Mgr  Martin, 
arrive  à  sa  troisième  édition.  (2  vol.  gr.  8'  dont  un  a  paru.  Mayence, 
Kirchheim,1862.)  Estius,  sursaiut  Paul,  est  également  publiédanslc  même 
format,  chez  le  même  éditeur.  On  sait  qu'il  n'y  a  rien,  dans  notre  littéra- 
ture exégétique, que  l'on  puisse  comparer  à  ces  deux  ouvrages.  Aujour- 
d'hui encore,  ils  peuvent  être  lus  et  consultés  avec  le  plus  grand  fruit. 
Nous  signalerons  aussi,  dans  un  autre  genre  :  Theologiœ  gracorum  Pa~ 
trum  vindicalœ  circa  universani  materiam  gtatiœ  lib.  très,  d'Isaac  Habert, 
œuvre  d'érudition  théologique  réimprimée  d'une  manière  élégante  par 
la  maison  Staliel,  de  Wurzbourg  (8°,  X-512  p.  2  Iblr.  12  ngr.). 

6.  Rome  vengée,  ou  la  Vérité'  sur  les  personnes  et  les  choses,  par  B. 
Gassiat.  (Paris,  Douniol  et  bur&au  du  journal  l'Eglise,  rue  du  Bac,  57. j 
Ce  nouveau  livre  sur  Rome,  après  bien  d'autres,  sera  étudié  avec  intérêt. 
Conçu  dans  un  esprit  catholique,  il  donne  des  notions  précises  sur  les 
principaux  personnages  romains,  fait  connaître  la  physionomie  du  peuple 
et  explique  au  point  de  vue  chrétien  une  foule  d'usages  souvent  mal  in- 
terprétés par  les  étrangers.  Des  reproches  adressés  au  clergé  surtout,  sur 
sa  scienceet  ses  mœurs,  tombent  ici  devant  des  faits  incontestables.  Tout 
est  d'ailleurs  hautement  pensé  et  écrit  avec  vigueur. 

7.  La  Vie  et  les  CEuvres  de  Marie  Late^e,  religieuse  du  Sacré-Cœur,  pu- 
bliées par  M.  l'abbé  Pascal  Dabbins.  3  vol.  in-8°,  Paris,  Bray.  Nous  ren- 
drons prochainement  compte  de  cet  ouvrage,  que  nous  nous  conten- 
tons maintenant  de  signaler  à  l'attention  de  nos  lecteurs. 

E.  Hautcœur. 


Nous  reproduisons  la  lettre  suivante  adressée  à  Monsieur  lo  Directeur 
des   Archives  théologiques. 

Monsieur  le  Directeur  , 

Vous  avez  cru  pouvoir  insérer  dans  les  Archives  théologiques  un  article 
signé  Edm.  de  l'Hervilliers,  relatif  à  un  compte-rendu  du  premier  volume 
de  l'Histoire  générale  de  l'Église,  publié  par  moi  dans  la  lievuc  des 
Sciences  ecclésiastiques.  3' espère  que  vous  voudrez  bien  accueillir  quelques 
ob.servatiou3  que  cet  article  m'oblige  à  vous  présenter. 

Si  l'auteur  s'était  placé  sur  le  terrain  de  la  discussion  scientifique,  je 
n'éprouverais  nullemeni  le  besoin  d'entrer  en  lice  avec  lui  :  je  m'en 
rapporterais  à  la  décision  des  hommes  tant  soit  peu  versés  dans  les 
questions  d'exégèse.  S'il  s'était  borné  à   essayer  l'arme   du  ridicule,  je 


192  CHRONIQUE.  [Tome  VII. 

l'aurais  laissé  docuer  au  public  le  speclaiilc  de  ses  évolutions,  et  peut- 
être  m'y  serais-je  amusé  tout  le  premier.  Mais  quand  il  se  livre  contre 
ma  personne  et  mon  caractère  à  des  insinuations  aussi  odieuses  que 
dénuées  de  fondement,  je  me  vois  obligé  de  protester.  Toutefois,  plus 
généreux  que  celui  qui  s'est  constitué  si  gratuitement  mon  adversaire» 
je  suis  loin  de  suspecter  sa  bonne  foi  et  sa  sincérité,  et  j'aime  à  croire 
qu'il  a  cédé  à  un  sentiment  honorable  sans  doute,  mais  qui  ne  doit  ja- 
mais faire  oublier  les  droits  de  la  justice  et  de  la  vérité. 

M.  de  l'Hervilliers  apprendra  donc  qu'il  n'entre  pas  dans  nos  habitudes 
de  juger  à  priori  les  hommes  et  les  choses.  Nous  n'appartenons,  grâce 
à  Dieu,  à  aucune  coterie,  nous  ne  subissons  aucune  influence.  Dans 
l'article  qui  a  été  si  singulièrement  incriminé,  j'ai  porté  un  jugement 
consciencieux,  mûrement  pesé:  si  c'est  un  crime,  qu'on  le  dise.  Des 
hommes  accessibles  aux  motifs  que  l'on  semble  vouloir  nous  prêter, 
trouveraient  plus  commode  de  décerner  à  tout  propos  des  éloges  sans 
fin,  que  de  prendre  au  sérieux  la  tâche  parfois  si  pénible  de  la  critique. 
De  plus,  si  M.  de  l'Hervilliers  m'avait  lu  avec  un  peu  plus  de  calme 
et  d'attention,  il  aurait  vu  qu'il  n'y  a  pas  dans  mou  article  la  moindre 
trace  d'une  accusation  de  plagiat  portée  contre  M.  Darras.  J'ai  dit  que 
l'auteur  de  la  nouvelle  Histoire  de  l'Église  a  utilisé  la  traduction  du 
Pentateuque  (Genèse  et  Exode)  publiée,  il  y  a  plus  de  vingl-ciuq  ans, 
par  M.  Glaire  en  collaboration  avec  J\l.  Franck  ;  loin  de  lui  en  faire  un 
reproche,  j'ai  regretté  qu'il  n'ait  pu  consulter  une  foule  de  travaux 
allemands  oîr  il  aurait  trouvé  d'utiles  renseignements.  .le  laisse  à  de 
plus  habiles  que  moi  à  expliquer  cette  énigme,  à  savoir  comment  M.  de 
l'Hervilliers  a  pu  se  figurer,  contre  toute  raison,  contre  l'évidence  des 
textes,  que  j'accusais  M.  Darras  d'avoir  mis  à  contribution  un  manuscrit 
que  je  ne  connais  pas,  que  je  ne  puis  connaître. 
Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Directeur,  etc. 

L.  Danxoisne. 
Douai,   ce  30   janvier  18C3. 

Nous   avons  accueilli  en    parfaite  connaissance  de  cause,  l'article   de 
M.  l'abbé  Dancoisne.  Eu  le  publiant,  nous  croyons  avoir  bien  mérité  de 
la  science,  du  public,  et  de  M.  Darras  lui-même.  Si  l'auteur  de  ^Histoire 
de  l'Église  met   à  profit,  pour   la  suite  de  son  ouvrage,  les  observations 
qui  lui  ont  été  faites  par  notre  collaborateur  et  par  d'autres,  eu  F'rauce 
et  à  l'élrauger,  personne  ne  sera  plus  heureux  que  nous  de  ce  résultat. 
Quant  au  premier  volume,  les  critiques  restent  dans  leur  entier,  car 
M.  de  l'Hervilliers  n'a  prouvé  qu'une  chose:  c'est  qu'il  ne  les  comprend 
même  pas.  Certes,  un  laïque  engagé  dans  des  occupations  d'un  tout  autre 
genre,  n'est  pas  tenu  de  connaître  la  théologie    et  l'exégèse,  mais  c'est 
une  obligation  pour  tout  le  monde  de  ne  point  parler  de  ce  qu'on  ignore, 
et  surtout  de  ne  point  employer  des  procédés  de  discussion  qui  font  dé- 
générer un  article  de  revue  en  pamphlet  du   plus   mauvais    aloi.   Nous 
sommes  persuadés  que  l'auteur  de  ces  pages  malheureuses  regrette  de- 
puis longtemps  de  les  avoir  écrites  et  signées  de  son  nom. 

E.  Hautcœub. 


Arras.  —  Typogrardiie  Roasieau-L'Toy,  rue  Saint-Maurice,  26. 


PHILOLOGIE   ET  EEVELATION. 


Huitième  et  dernier  article. 


XX. 


Guillaume  de  Humboldt  semble  avoir  voulu  prévenir  les 
philologues  contre  les  écarts  dans  lesquels  peut  les  jeter  la 
philologie  pure,  lorsqu'il  insiste  sur  les  diverses  circonstances 
qui  sont  de  nature  à  modifier  les  langues  d'une  même  famille 
de  peuples,  et  même  à  les  changer  complètement.  L'his- 
toire et  l'ethnographie  positive  sont  les  deux  auxiliaires 
indispensables  du  linguiste  qui  veut  profiter  de  ses  connais- 
sances philologiques,  pour  déterminer  les  diverses  familles 
qui  se  sont  partagé  l'humanité.  S'il  se  prive  de  leur  secours, 
le  philologue  s'exposera  à  ne  point  tenir  compte  des  cir- 
constances extérieures,  de  la  commuuauté  d'habitation,  des 
difterences  de  religion,  du  mélange  des  races,  de  la  sujétion 
ou  de  la  domination  politique^  qui  toutes  ont  pu  altérer  la 
langue  d'une  famille,  ou  même  lui  en  faire  adopter  une  autre 
d'origine  difi'érente  (1).  Il  se  trouvera  ainsi  en  présence  de 
faits  capables  de  le  déconcerter,  à  moins  qu'une  hardiesse 
plus  que  téméraire  ne  lui  persuade  qu'il  peut  formuler 
quand  même  ses  conclusions,  et  contredire  ainsi  tout  ce  qui 
a  été  enseigné  jusqu'à  lui.  De  là  des  efi'orts  pour  tâcher 
de  se  concilier  l'ethuographie  et  l'histoire,  auxquelles  on  fait 

(1)  Humboldl,  A'oswo.9, -I  Bil. 

ReVue  des  sciences  eCCLÉSIASTIQUES,  T.    VII.  13-14. 


194  PHILOLOGIE  ET   RÉVÉLATION.  |Tome  VIL 

subir  le  sort  que  saint  Jérôme  indiquait  comme  celui  de  l'Écri- 
ture entre  les  mains  d'un  interprète  inhabile  :  Conaniur  ad 
suum  sensum...  traheré[repv.gnanlem.  Nous  allons  tâcher  de  nous 
tenir  eu  garde  contre  cet  écueil  dans  les  deux  dernières  études 
qu'il  nous  reste  à  faire  sur  les  langues  et  les  peuples,  les  lan- 
gues et  les|religions. 


XXI. 


Dans  son  Histoire  générale  des  langues  sémitiques  {{),  M.  Renan 
se  plaint  de  ce  que  Eichhorn  a  donné  le  nom  de  sémitique  à  la 
famille  des  langues  syro-arabes.  Et  il  ajoute  :  «  Le  nom  des 
sémites  n'a  dans  cet  écrit  qu'une  signification  de  pure  conven- 
tion :  il  y  désigne  les  peuples  qui  ont  parlé  hébreu,  syriaque, 
arabe  ou  quelque  dialecte  voisin  et  nullement  les  peuples  qui 
sont  donnés  dans  le  Xe  chapitre  de  la  Genèse  comme  issus  de 
Sem,  lesquels  sont,  pour  une  bonne  partie,  d'origine  arienne,  o 
Nous  n'avons  pas  plus  à  nous  occuper  de  savoir  quelle  a  été 
la  pensée  d'Eichhorn,  que  nous  n'avons  à  discuter  la  manière 
dont  elle  est  interprétée  par  M.  Renan.  Ce  que  nous  contestons, 
c'est  que  les  peuples  qui  sont  donnés  au  X''  chapitre  de  la 
Genèse  comme  issus  de  Sem,  soient,  pour  une  bonne  partie, 
d'origiue^  arienne,  au  moins  si  l'on  établit  les  classifications 
sur  l'étude  des  langues  qu'ils  ont  parlées.  M.  Renan  nous 
avait  appris,  quelques  pages  plus  haut  (2),  qu'à  s'en  tenir  au 
X*  chapitre  de  la  Geuèse,  la  race  sémitique  se  diviserait  en 
trois  groupes  :  1°  groupe  araméen  ou  syriaque  ',  2°  groupe 
arphaxadique,  c'est-à-dire  venant  d'Arphaxad,  et  se  subdivi- 
sant lui-même  en  Térachites  (Iraélites,  Madianites,  Moabites, 
Ismaélites,  etc.)  et  en  Jochtanides  ou  Arabes  méridionaux. 
Voilà  bien  des  peuples  qui  ont  parlé  hébreu,  syriaque,  arabe. 


(i)  PP.  42  et  45. 
(2)  P.  36. 


Mars  1803.]  PHILOLOGIE  ET  RÉVÉLATION.  195 

OU  quelque  dialecte  voisin.  Moïse  nous  les  donne  comme  issus 
de  Sem,  et  s'il  prenait  fantaisie  à  quelqu'un  de  leur  assigner 
une  origine  arienne,  il  est  permisde  douter  qu'il  pût  réunir 
en  preuve  de  sa  thèse  des  arguments  philologiques,  à  moins  de 
ne  tenir  aucun  compte  des  dénominations  et  des  classifications 
communément  admises.  Quant  au  groupe  chananéen,  ne 
vient- il  pas  dans  ce  passage  par  l'effet  d'une  distraction  de 
rauteur,  qui  n'est  pas  même  rachetée  par  l'addition,  «  rejeté 
par  l'ethnographe  hébreu  dans  la  famille  de  Cham?»  Au 
moins  n'est-ce  pas  en  s'en  tenant  au  X*  chapitre  de  la  Genèse 
qu'on  peutle  faire  entrer  dans  la  famille  sémitique.  On  ajoute: 
a  Que  l'analogie  de  langage  le  rattache  nécessairement  aux 
Araméens,  aux  Térachites  et  aux  Arabes.  »  C'est  donc  sur 
l'analogie  de  langage  que  l'on  se  fonde,  et  c'est  sur  ce  terrain 
que  nous  avons  à  suivre  la  discussion. 

«  Par  moments,  dit  M.  Renan,  le  critique  est  tenté  d'être  de 
l'avis  des  Hébreux  qui  ont  obstinément  repoussé  toute  fra- 
ternité avec  Chanaan....  Le  caractère  propre  des  Sémites  est 
de  n'avoir  ni  industrie,  ni  esprit  politique,  ni  organisation 
municipale  ;  le  navigation  et  la  colonisation  leur  semblent 
antipathiques  ;  leur  action  est  restée  purement  orientale  et 
n'est  entrée  dans  le  courant  des  affaires  de  l'Europe  qu'indi- 
rectement et  par  contre-coup.  Ici,  au  contraire,  nous  trouvons 
une  civilisation  industrielle,  des  révolutions  politiques,  le 
commerce  le  plus  actif  qu'ait  connu  l'antiquité,  une  nation 
sans  cesse  rayonnant  au  dehors  et  mêlée  à  toutes  les  destinées 
du  monde  méditerranéen.  En  religion,  même  contraste  :  au 
lieu  de  ce  monothéisme  sévère,  de  cette  haute  idée  de  la  divi- 
nité, de  ce  culte  épuré  qui  caractérise  les  peuples  sémitiques, 
nous  trouvons  chez  les  Phéniciens  une  mythologie  grossière, 
des  dieux  bas  et  ignobles,  la  volupté  érigée  en  acte  religieux. 
Les  mythes  lés  plus  sensuels  de  l'antiquité,  les  cuites  phalli- 
ques, le  commerce  des  courtisanes,  les  infâmes  institutions 
des  galles  et  des  hiérodules  venaient  en  grande  partie  de  la 
Phéuicie,  »  Que   conclure  de  ce  contraste  ?  «  Peut-être  s'il 


19G  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [  Tome  VIL 

fallait  désigner  parLûi  les  peuples  antiques  celui  dont  la  phy- 
sionomie contraste  le  plus  avec  celle  des  Sémites^  serait-ce 
les  Phéniciens  qu'on  serait  tenté  de  nommer  »  (1). 

Mais  si  la  physionomie  des  Phéniciens  ne  ressemble   en  rien 
à  celle  des  Sémites,  elle  porte  fortement  accusé  un  air  de  fa- 
mille commun  aux  races  semitico-couschites  de  la  Babylonie 
et  de  l'Egypte:  c'est  le  même  développement  dans  l'industrie, 
la  même  activité  dans  le  commerce,  le  même  esprit  matéria- 
liste dans  la  civilisation,  la  même  couleur  obscène  dans  la  re- 
ligion et  les  mythes  ;  les  cultes^  les  légendes  se  répondent  aux 
bords  du  Tigre  et  du  bas  Euplirate,  sur  les  plages  phénicien- 
nes et  aux  rives  du  Nil.  Les  travaux  de  M.  Moverset  de  récentes 
découvertes  (2)  faites  à  Ninive  et  à  Babylone  rendent  témoi- 
gnage àcette  analogie.  Aussi  la  plupart  des  critiques  modernes 
se  font-ils  l'écho  de   l'antiquité  tout  entière,   pour  placei'  le 
berceau  des  Phéniciens  sur  le  bas  Euplirate,  au  centre  des 
grands  établissements  commerciaux  et   maritimes    du   golfe 
persique  (3).  Est-ce  là  un  berceau  sémitique?  Nous  croyons 
qu'il  résulte  au  contraire  de  ces  faits  que  les  Phéniciens  sont 
de  race  chamitique.  M.  Renan  est  presque  de  notre  avis  lors- 
qu'il écrit:  «Nous  tiendrons  donc  les  Phéniciens  pour  une 
branche  de  la   grande  famille    sémitico-couschite  »   (4).  Il 
faut  ajouter  :   couschite  par  la  race,  et  sémitique  par  le  lan- 

Mais  comment  se  fait-il  que  «  le  peuple  que  les  données  lin- 
guistiques nous  montrent  comme  ayant  été  dans  la  fraternité 
la  plus  étroite  avec  les  Hébreux,  »  soit  précisément  celui  -qui 

(1)  PP.  181  et  i82. 

(2)  Movers,  Die  Pliœii.  u,  -I,  p,  276  el  suiv.  —  Knobel,  Die  Fœl- 
heriafel  der  Gen.,  p.  310-313.  —  Bansen,  yEgi/pteti's  Slelie,\.  v, 
3"  partie. 

(3)  Beriheau,  Zur  Gesch.  der  hr.,  s.  -Iij3,  -186.  —  Knobe!,  Gen., 
?.  31  'i  fl".—  Heroi'.  i,  1  el  yh,  89.— Slrab.,  1.  i,  p.  42  el  1.  xyi,  p.  766, 
784. 

('.)  P.  184.  • 


Uais  1863.]  PHILOLOGIE  ET    RÉVÉLATION.  -197 

diffère  le  plus  des  Hébreux  par  la  culture  et  le  développe- 
ment, et  qui  diffère  essentiellement  d'eux  par  la  race?  Nous 
ne  pensons  pas  que  la  difficuté  soit  simplement  reculée  par 
les  preuves  nombreuses  qui  établissent  que  les  Phéniciens  ne 
sont  pas  les  habitants  primitifs  de  la  terre  de  Gbanaan.  Nous 
pensons  au  contraire  que  c'est  à  ce  fait  qu'il  faut  en  demander 
la  solution  avec  les  anciens  et  les  modernes  commentateurs  de 
la  sainte  Écriture  (1). 

C'est  la  solution  proposée  par  M.  Franck.  «  M.  Renan  démon- 
tre très-bien,  dit-il,  que  l'hébreu  était  également  en  usage 
chez  les  descendants  de  Taré  qui  passèrent  l'Eiiphrate,  chez 
toutes  les  peuplades  qui  formèrent  primitivement  la  race 
hébraïque  et  chez  les  Ghananéens  ou  Phéniciens.  Ce  n'est 
pourtant  pas  une  raison  de  faire  de  ces  derniers  une  nation 
sémitique,  au  mépris  de  la  Genèse  qui  les  désigne  expressé- 
ment comme  les  descendants  de  Cham.  Pourquoi  donc  les 
Ghananéens  n'auraient-ils  pas  pris  l'usage  de  l'hébreu  des 
nations  établies  avant  eux  dans  la  Terre  sainte?  Pourquoi  ces 
nations  d'une  civilisation  déjà  avancée,  qui  contruisaieut  de  si 
grandes  villes  et  de  si  puissantes  forteresses,  qui  savaient 
tirer  de  la  terre  de  si  magnifiques  fruiîs,  ne  passeraient-elles 
pas  plutôt  pour  des  enfants  de  Sem?  D'ailleurs,  M.  Renan  ne 
parle  pas  de  tous  les  peuples  qui  ont  précédé  les  Ghananéens 
dans  la  Terre  promise.  Outre  ceux  qu'il  a  nommés,  il  y  avait 


(:l)  On  peut  voir  le  résumé  deî  commenlaleurs  ;  nciens  dans  D.  Cfd- 
mel.  Quant  aux  modernes,  nous  citerons  enire  autres  Kurtz  et  Knobel. 
Les  opiiosiiions  de  Hengslenberg,  de  Moverset  de  IliUer  qui  ont  suivi 
celles  de  Bocharl,  de  Perizonius  ei  de  Viu-inga,  partent  du  silence 
(îe  la  Genèse  à  cet  égard.  Il  faut  siinpleuictil  observer  que  Moïse  ne 
prétend  pas  faire  l'histoire  de  tous  les  peuples  issus  de  Noé,  mais 
seulement  de  ceux  de  la  famille  de  Sem,  ei  de  relie  branche  en  par- 
ticulier à  qui  ont  été  confiées  les  promesses,  et  que  par  conséquent,  il 
n'a  à  parler  que  des  peuples  qui  habitaient  la  terre  de  Chanaan  au  mo- 
ment où  les  ilébreuif  y  ont  fait  leur  première  apparition  avec 
Abraham. 


t98  PHILOLOGIE   ET  RÉVÉLATION.  [Torai  VII 

les  Awéens,  les  Kénizites,  les  Kadmonites,  et  les  Kénites,  dont 
les  derniers  subsistèrent  longtemps  parmi  les  enfants  d'Israël. 
Pour  repousser  ouvertement,  dans  une  question  de  cette  na- 
ture, le  témoignage  de  la  Bible,  il  faudrait  avoir  pour  soi  l'é- 
vidence, et  cette  qualité  n'appartient  pas  à  la  métbode  qu'em- 
ploie M.  Renan:  il  n'est  pas  toujours  sûr  de  déterminer  les 
races  par  les  langues  (i).  » 

Mais  ne  trouverons-nous  pas  encore  ici  dans  le  livre  même 
de  M.  Renan  quelque  chose  qui  nous  mette  sur  la  voie  de  la 
solution?  Nous  y  lisons  à  la  page  210  :  «  La  civilisation  Assy- 
rienne est  pour  nous  le  résultat  du  mélange  des  Chamites  ou 
Couschites,  avec  les  Sémites  et  les  Ariens  sur  les  bords  du 
Tigre,  comme  la  civilisation  Phénicienne  est  le  résultat  du 
mélange  des  Sémites  et  des  Chamites  sur  les  côtes  de  la  mer 
méditerranée  et  de  la  mer  rouge.  »  Nous  ne  différons  plus 
que  par  rappport  à  l'ordre  des  couches,  et  M  Renan  ne  nous 
dit  pas  quelles,  sont  les  raisons  qui  l'empêchent  d'accepter 
celui  que  proclame  l'histoire.  Un  peuple  qui  adopte  la  civilisa- 
tion d'un  autre  peuple^  ne  peut-il  pas  adopter  aussi  sa  langue? 
Comprend-on  même  qu'il  puisse  adopter  l'une  sans  l'autre? 
Sans  doute  cette  adoption  ne  s'est  pas  faite  tout  d'un  coup  ; 
elle  a  eu  lieu  peu  à  peu,  à  mesure  que  les  nouveaux  venus  se 
mêlaient  davantage  aux  habitants  primitifs.  D'autant  que 
l'émigration  n'avait  pas  un  caractère  de  conquête.  Elle  était 
toute  pacifique  et  consistait  comme  en  une  infiltration  de 
peuple  à  peuple.  Le  temps  n'avait  pas  encore  fait  oublier  aux 
diverses  races  leur  Iraternité  oiiginelle,  ni  creusé  entre  elles 
ces  coupures  profondes  qui  deviennent  de  plus  en  plus  carac- 
térisées à  mesure  que  l'humanité  s'éloigne  du  moment  de  la 
séparation.  D'ailleurs,  les  tribus  peu  nombreuses  et  n'occu- 
pant que  peu  d'espace,  voyaient  sans  jalousie  d'autres  tribus, 
même  de  familles  différentes,  s'établir  auprès  d'elles  et  parta- 

(1)  Éludes  orientales,  p.  414. 


Mars  1863.]  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  199 

ger  la  vallée,  le  coteau  ou  la  plage.  De  là  l'absence  de  ces 
haines  éternelles  que  les  vaincus  vouent  aux  vainqueurs  et 
qui  empêchent  àjamais  la  compénétration  mutuelle  de  deux 
races.  Et  dans  ces  conditiousj  il  n'est  pas  douteux  que  les  Phéni- 
ciens n'aient  fini  par  absorber  les  Sémites  qui  les  avaient  reçus. 

C'est  le  moment  de  rappeler  que  plus  on  remonte  vers  l'ori- 
gine de  la  langue  phénicienne,  plus  on  est  frappé  de  sa  ressem- 
blance avec  l'hébreu  et  d'un  trait  de  physionomie  locale  qui  la 
rapproche  des  dialectes  du  nord  de  la  Palestine.  Si  l'on  admet 
que  les  Phéniciens  ont  adopté  la  langue  des  Sémites  primitifs, 
sauf  à  lui  donner  plus  tard,  quand  leur  nombre  s'est  accru 
et  qu'ils  ont  absorbé  les  peuples,  l'empreinte  de  leur  génie, 
ces  deux  faits  philologiques  s'expliquent  très-bien.  Si  l'on  pré- 
tend qu'ils  ont  conservé  leur  langue  originaire,  on  n'aura  pour 
ces  faits  que  des  explications  plus  ou  moins  ingénieuses,  mais 
ne  reposant  sur  aucune  preuve  solide  et  capable  de  satisfaire. 
Si  donc  les  Phéniciens  sont  sémites  par  le  langage,  ils  sont 
couschites  par  l'origine,  comme  le  veut  Moïse,  et  comme 
d'ailleurs  ils  l'ont  souvent  eux-mêmes  proclamé  (1). 

Le  groupe  des  langues  sémitiques  comprend  encore  l'hi- 
myarite  et  l'éthiopien.  «  Ici,  dit  M.  Renan,  se  manifeste  une 
contradiction  dont  nous  ne  pensons  pas  qu'ils  soit  donné  à  la 
science  de  pénétrer  le  secret.  D'un  côté,  le  linguiste,  eu  voyant 
les  pays  désignés  comme  couschites,  la  Babylouie,  l'Yémen, 
et  surtout  le  pays  de  Gousch  par  excellence,  l'Abyssinie,  par- 
ler des  dialectes  sémitiques  fort  analogues  entre  eux  et  consti- 
tuant dans  la  famille  une  classe  à  part,  serait  porté  à  faire  des 
Couschites  une  subdivision  fortement  accusée  dans  le  groupe 
sémitique....  D'un  autre  côté,  l'ethnographie  et  l'histoire 
porteraient  à  séparer  profondément  les  Couschites  des  Sémi- 

(1)  On  peut  voir  ces  témoignages  dans  Tuch,  Kommenlar  iiher  die 
Genesix,  p,  244  et  suiv. — Knobel,  Die  Fœlkerlafel  der  Gênais, 
p.  300,  3i0,  et  dans  VHisloire  générale  des  langues  sémiliques  de 
M.  Uenan,  p.  180,  noie  4. 


-00  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [TomoVI!. 

tes  »  (1).  Nous  ne  ferons  à  cet  égard  qu'une  simple  observa- 
tion :  c'est  que  dans  les  tables  généalogiques  de  Moïse,  Saba, 
Avila  et  Lud,  les  pères  de  ces  nations,  figurent  à  la  fois  comme 
descendants  de  Sem  et  comme  descendants  de  Cliam.  Cela  n'a 
î>as  lieu  d'étonner,  lorsqu'on  sait  que  Moïse  a  voulu  donner 
le  tableau  des  descendants  de  Noé,  d'après  leur  famille,  leur 
langue  et  le  lieu  de  leur  dispersion.  Pouvait-il  choisir  un  meil- 
leur moyen  de  nous  faire  connaître  que  ces  peuples,  couschites 
par  les  pays  qu'ils  ont  habiles,  étaient  cependant  sémitiques 
par  la  race  ? 

L'état  actuel  de  la  philologie  à  l'égard  des  langues  chamiti- 
quesne  nous  permet  pas  de  procéder  avec  la  même  précision 
([ue  nous  venons  de  le  faire  à  propos  des  langues  sémitiques, 
pour  montrer  que  la  philologie  ne  saurait  contredire  les  don- 
nées de  la  révélation.  Toutefois,  nous  avons  déjà  indiqué  le 
secret  des  exceptions  constituées  par  les  peuples  chamites  qui 
parlent  une  langue  sémitique.  Nous  pouvons  encore  ajouter 
que  le  réseau  des  langues  chamites  qui  couvre  l'Afrique  dans 
sa  presque  totalité  et  quelques  points  de  la  Babylouie  et  de 
l'Arabie,  suit  les  ondulations  plus  ou  moins  amples  et  pures, 
plus  ou  moins  restreintes  et  altérées  des  groupes  ethniques 
chamitico-couschites  aux  bords  du  Tigre  et  de  l'Euphrate, 
sur  l'une  et  l'autre  rive  de  la  mer  rouge,  dans  l'Abyssinie, 
la  Nubie,  l'Afrique,  depuis  le  Delta  jusqu'au  Sénégal,  depuis 
la  Méditerranée  jusqu'au  Niger.  Aussi  M.  Renan  avoue-t-il 
qu'il  faut  former  pour  la  langue  et  la  civilisation  de  l'Egypte 
ime  famille  à  part,  à  laquelle  appartiendraient  sans  doute  les 
dialectes  de  l'Abyssinie  et  de  la  Nubie,  et  qu'on  pourrait  appe- 
ler chamitique  (2) . 

La  philologie  ne  troublera  pas  non  plus  le  groupe  japhétien 
formé  par  Moïse.  On  reconnaît  les  Goths,  les  Celtes,  les  Armé- 
la)  P.  315,  3^  6. 

(5)  P.  88.  Voii>aussi  l'indicalion  des  autorités  sur  lesquelles  il  s'ap- 
puie, en  noie. 


Mars  1863.]  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  20î 

niens  dans  les  fiis  de  Goraer,  les  Slaves  dans  ceux  de  Magog, 
les  Ariens  dans  ceux  de  Madai,  les  Grecs  dans  ceux  de  Javan, 
et  ainsi  des  autres,  et  la  connaissance  des  langues  indo-germa- 
niques suffit  pour  monter  que  la  philologie  actuelle  est  loin 
de  repousser  une  communauté  d'origine  entre  ces  peuples  di- 
vers. Nous  remarquons  de  plus  dans  le  groupe  japbétien  l'ab- 
sence de  ces  infiltrations  étrangères  qui  troublent  parfois 
l'harmonie  des  groupes  précédents.  Cela  tient  h  deux  causes 
principales  :  les  émigrations  primitives  se  dirigeaient  vers  le 
sud,  puis,  lorsque  plus  tard  nous  en  voyons  qui  prennent  la 
route  du  nord,  les  langues  japhétiennes  avaient  atteint  une 
maturité  qui  les  rendait  impénétrables. 

Il  est  donc  démontré  que  le  témoignage  de  l'ethnographe 
hébreu  n'est  point  contraire  à  celui  de  la  philologie.  Nous 
constatons  encore  ici  que  les  données  de  Moïse  sont  plus  com- 
plètes que  celles  de  nos  philologues.  Il  procède  avec  une  sûreté 
et  une  précision  capables  d'étonner  les  patients  investigateurs 
qui  cherchent  à  remonter  le  cours  des  traditions  primitives. 
Souhaitons  leur  de  s!inspirer  de  ses  communications,  et  ne 
craignons  pas  de  leur  promettre  des  progrès  plus  rapides,  des 
résultats  plus  satisfaisants.  La  science  humaine,  qu'elle  s'ap- 
pelle philologique  ou  autrement,  n'est  jamais  que  la  science 
de  l'homme:  la  Révélation  est  la  science  de  Dieu,  à  laquelle  la 
nôtre  est  appelée  à  participer,  pour  arriver  au  développement 
qui  ne  craint  pas  de  s'affaiblir,  à  la  maturité  qui  n'aspire  qu'à 
son  perfectionnement  le  plus  complet. 


XXII 


Il  nous  reste  à  parler  des  langue?!  et  des  religions,  ou  du 
rapport  qui  a  existé  entre  les  croyances  religieuses  des  peuples 
et  les  langues  qu'ils  ont  parlées.  Nous  suivrons  dans  cette 
question  la  brillante  exposition  qui  en  a  été  faite  par  le  R. 
P.  Gralry   dans  son  ouvrage  :  De  la  Connaissance  de  l'âme,  et 


902  PHILOLOGIE   ET    HÉVÉLATION.  [Tome  VII 

comme  lui  nous  rapprocherons  un  fait  philologique^,  la  classi- 
fication des  langues  eu  langues  à  flexion,  langues  agglutinées 
et  langues  isolantes  ,  et  un  fait  historisque  ,  l'existence  de 
trois  systèmes  principaux  de  religion  qui  ont  divisé  l'huma- 
nité, le  monothéisme,  le  panthéisme  et  l'athéisme.  Sans  con- 
tredire ce  que  nous  avons  dit  ailleurs  de  la  possibilité  du  pas- 
sage successif  de  ces  langues  par  ces  divers  états,  nous  les 
considérerons  pour  le  moment  telles  qu'elles  nous  sont  histori- 
quement connues,  et  nous  établirons  :  4°  que  le  monothéisme 
répond  à  la  forme  des  langues  sémitiques:  le  culte  d'un  Dieu 
un  et  distinct  de  la  créature  est  la  gloire  des  peuples  araméens 
et  térachiles;  2°  que  le  panthéisme  répond  à  la  forme  des 
langues  indo-européennes  :  pour  l'Inde  tout  est  incarnation  et 
toute  incarnation  est  divine  ;  3"  que  l'athéisme  répond  à  la 
forme  des  langues  chinoises  :  la  Chine  est  la  patrie  par  excel- 
lence de  l'abstraction. 

1. 11  ne  faut  pas  une  longue  étude  des  langues  sémitiques 
pour  sentir  courir  sous  leur  forme  cet  esprit  monothéiste  dont 
elles  ont  été  l'organe.  Ce  qui  frappe,  en  effet,  d'abord  quand 
on  considère  cette  famille  de  langues,  c'est  son  homogénéité. 
On  n'y  voit  pas  entre  les  dialectes  qui  la  composent  les  diffé- 
rences profondes  qui  existent  entre  les  dialectes  indo-euro- 
péens. Ici  il  n'y  a  que  des  nuances  tenant  plutôt  à  la  diversité 
des  lieux  où  vécurent  ces  peuples  frère^,  qu'à  une  constitu- 
tion intellectuelle  différente.  Elles  se  fondent  dans  une  indi- 
vidualité unique,  image  de  l'unité  divine  que  proclame  la 
conscience  des  Sémites. 

Si  de  l'extérieur  de  cette  forme  de  langage  nous  pénétrons 
à  l'intérieur,  l'organisme  des  mots  et  des  phrases  nous  appa- 
raît comme  moulé  sur  les  opérations  d'une  intelligence  essen- 
tiellement monothéiste.  La  manifestation  la  plus  vraie  comme 
la  plus  éclatante  du  génie  qui  a  présidé  à  la  formation  des 
mots,  se  produit  dans  le  verbe.  C'est  dans  la  physionomie  du 
verbe  que  vient  se  peindre  l'âme  qui  vit  sous  les  formes  lin- 


Mars  1863.]  PHILOLOGIE    ET  RÉVÉLATION.  203 

guistiques.  «  Par  le  verbe,  dit  G.  Humboldt,  la  pensée  aban- 
donne sa  demeure  intérieure  et  passe  dans  la  réalité.  »  Or  le 
verbe  sémitique,  merveilleusement  propre  par  le  flexibilité  de 
sa  conjugaison  à  exprimer  les  relations  des  idées  analogues 
aux  relations  sensibles  des  choses,  se  renferme,  quand  il  sort 
du  monde  extérieur  pour  s'élever  aux  régions  de  l'être  pur, 
dans  Texpression  à  peu  près  inflexible  de  l'actualité  et  de 
l'universalité.  Car,  pour  le  sémite,  derrière  l'être  limité  dans 
son  étendue  et  dans  sa  durée,  il  y  a  l'être  immense  et  éternel. 
Voilà  pourquoi  la  forme  verbale  de  sa  pensée,  répondant  avec 
justesse  à  la  nature  des  choses,  d'une  part  exprime,  par  la 
fluidité  de  la  conjugaison,  l'existence  multiple  et  la  succession 
des  êtres  finis,  et,  de  l'autre,  par  l'absence  de  temps  et  de 
modes  bien  accentués,  l'existence  une  et  toujours  identique 
à  elle-même  de  l'être  infini. 

Celte  distinction  de  Dieu  et  de  la  création  se  laisse  apercevoir 
encore  à  travers  les  formes  substantives  de  ces  langues,  et  de 
même  qu'aux  yeux  du  térachite,  l'univers  était  un  miroir 
où  il  contemplait  Celui  qui  a  déployé  la  splendeur  de  son 
ciel,  la  majesté  de  son  désert,  l'immensité  de  sa  mer,  donné 
aux  collines  qui  bornent  ses  vallées  leurs  suaves  contours,  aux 
vents  leur  soufile  léger,  aux  tempêtes  leur  grande  voix  ;  de 
même  les  termes  dont  il  se  sert  pour  nommer  tout  ce  qu'il  voit 
ou  entend,  emportent,  avec  l'image  de  la  nature,  un  rayon  de 
lumière  qui  les  rend  transparents,  et  à  la  faveur  duquel  nous 
pouvons  voir  la  révélation  de  leur  Auteur  produite  dans  son 
âme  par  les  objets  extérieurs.  De  là  ce  qu'il  faut  appeler,  non 
point;  avec  M.  Renan,  le  caractère  physique  et  sensuel  des 
langues  sémitiques,  mais,  avec  Humboldt,  le  délicat  symbo- 
lisme qui  les  caractérise.  Et  telle  est  l'habitude  de  séparer  Dieu 
des  êtres  accidentels,  tout  en  faisant  de  ceux-ci  une  représen- 
tation de  Dieu,  que  la  forme  sémitique  nous  montre  à  la  fois 
un  esprit  d'analyse  et  un  esprit  de  synthèse:  le  premier,  dans 
l'absence  de  conjonction  propre  à  relier  les  phrases  entr'elles 


204  PHILOLOGIE   ET  RÉVÉLATION.  [Tome  Vil. 

et  de  faire  du  discours  uuc  chaîne  continue  de  pensées  ;  le 
second^  dans  l'unité  parfaite  qu'offre  la  proposition.  Aussi  la 
phrase  comme  le  mot  nous  révèle  ce  monothéisme  sévère  qui 
a  marqué  d'une  empreinte  indestructible  et  les  opérations  in- 
tellectuelles des  Sémites  et  la  langue  qui  en  est  le  moule. 

La  construction  de  la  phrase  est  simple.  Elle  ne  connaît  pas 
celte  ampleur  de  période  et  cette  richesse  de  développement 
qui  suit  une  pensée  dans  son  étendue  la  plus  extrême  et  dans 
ses  ramifications  les  plus  minutieuses.  A  quoi  cela  tient-il?  A 
cette  clarté  merveilleuse,  dont  parle  M.  Renan,  avec  laquelle 
la  race  sémitique  aperçut^  tout  d'abord  la  distinction  du 
moi,  du  monde  et  de  Dieu,  et  qui  exclut  cette  phraséologie 
indéfiuie  nécessaire  à  l'Inde  pour  exprimer  l'intuition  pan- 
théistique  qu'elle  avait  des  choses.  Mais  si  le  sémite  ne  fait 
pas  un  tout  de  son  discours,  parce  qu'il  le  modèle  sur  le 
monde  réel  où  tout  être  a  sa  limite  déterminée,  il  fait  tout 
converger  (dans  la  significatiou  multiple  de  ses  mots)  vers  une 
idée  principale,  comme  dans  sou  esprit  tous  les  êtres  conver- 
gent vers  un  être  unique.  C'est  d'après  Herder  que  nous  si- 
gnalons cette  analogie  entre  les  procédés  de  composition  des 
mots  sémitiques  et  la  manière  dont  les  Sémites  conçoivent  les 
rapports  de  Dieu  et  de  la  création.  «  Chez  nous,  dit  Herder, 
des  monosyllabes  iuacceutués  précèdent  oii  suivent,  emboîtent 
l'idée  principale;  chez  les  Hébreux,  ils  s'y  joignent  comme 
inchoatif  ou  comme  son  final,  et  l'idée  principale  reste  dans 
le  centre,  formant,  avec  ses  dépendances,  un  seul  tout  qui  se 
produit  dans  une  parfaite  harmonie.  C'est  ainsi  que  la  forme 
des  langues  des  Sémites  répond  à  la  forme  monothéiste  de 
leur  génie.» 

Us  ignorent  ces  procédés  d'imagination  qui  créent,  par  delà 
la  réalité,  des  mondes  et  des  êtres  chimériques  :  la  fiction 
leur  est  inconnue  et  la  mythologie  impossible.  Ils  ne  connais- 
sent pas  cet  esprit  de  fausse  synthèse,  qui  réunit  les  unités 
dispersées  dans  l'univers  en  une  vaste  unité  dont  l'extension 


Mars  1863.]  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION  ?03 

indéfinie  absorbe  toutes  choses.  Personne  plus  que  le  sémite 
ne  s'éloigne  de  ce  panthéisme  universel.  Ils  ne  connaissent 
pas  non  plus  cette  métaphysique  excessive  qui  dépouille  ce 
qui  est  de  sa  réalité  :  l'abstraction  sans  réserve  leur  est  étran- 
gère. Mais  celte  pénétration  du  regard  qui  sait  apercevoir 
la  réalité  à  travers  les  ombres,  l'idée  à  travers  le  symbole  ; 
ce  sens  infaillible  des  choses  qui  sait  assigner  à  tout  être  sa 
limite,  cet  esprit  d'analyse  qui  sait  arriver  à  l'unité  à  travers 
la  multiplicité  :  voilà  les  traits  glorieux  que  le  monothéisme  a 
imprimés  à  la  physionomie  des  Sémites  et  dont  nous  avons 
trouvé  une  éclatante  révélation  dans  la  forme  de  langage  pro- 
pre à  cette  race  bénie. 

II.  On  connaît  la  nature  panthéistiqiie  de  l'esprit  indien. 
Pour  lui,  non-seulement  tout  vit  et  tout  existe,  mais  tout 
est  personne  et  toute  personne  est  une  manifestation  de  Dieu» 
La  force  divine,  la  force  humaine,  la  force  de  la  nature,  se 
pénètrent,  s'identifient  et  se  déploient  à  l'infini.  Que  le  pan- 
théisme ait  laissé  sa  trace  dans  la  forme  des  langues  indo- 
européennes,  cela  n'est  pas  douteux.  Pour  prendre  nos  exem- 
ples dans  la  plus  illustre  de  ces  langues,  voyez  le  sanscrit. 
Quelle  est  la  nature  de  ses  mots,  quel  est  l'ordre  de  sa  phrase? 
Le  sanscrit  communique  à  tout  mot  la  vie,  le  mouvement  ;  il 
en  fait  une  personne  et  lui  prête  un  genre,  des  actions,  des 
passions.  Aussi  quelle  richesse  et  quelle  délicatesse  de  flexions  ! 
quelle  abondance  de  formes  grammaticales  !  Les  nuances  les 
plus  insaisissables,  les  impressions  les  plus  fugitives,  le  contour 
le  moins  accusé  des  choses  s'impriment  dans  le  mot  sanscrit; 
grâce  à  sa  merveilleuse  flexibiUté,  grâce  aussi  à  l'articula- 
lion  variée  qu'il  sait  donner  à  ses  consonnes,  et  à  la  sonorité 
plus  ou  moins  intense  dont  ses  voyelles  sont  suscepsibles,  il 
n'est  rien  qu'il  ne  puisse  exprimer. 

Cette  puissance  d'expression  n'a  d'égale  que  sa  puissance  de 
composition.  On  admire  comment  dans  un  mot  le  sanscrit 
renferme  toute  une  phrase.  Ses  voyelles  ne  sont  pas  seulement 


206  PHILOLOGIE    ET   RÉVÉLATION.  ITome  Vil. 

juxtaposées,  mais  fondues  l'une  dans  l'autre,  si  bien  qu'elles 
forment  un  tout  presque  impénétrable  à  l'analyse,  et  dont  les 
parties  sont  muluellement  complémentaires.  Ainsi  la  nature 
du  mot  sanscrit  répond  à  ce  caractère  de  l'esprit  indien  de 
persounifier  toutes  choses  et  de  communiquer  à  cette  person- 
nification une  éternelle  inJestructibilité. 

L'arrangement  que  prennent  les  mots  sanscrits  est  analogue 
à  la  vue  que  l'indien  a  des  rapports.  Comme  sa  pensée  iden- 
tifiant Dieu,  l'homme,  l'univers,  prend  sur  cette  immense 
unité  qui  va  de  la  terre  au  ciel  un  déploiement  sans  limites, 
sa  phrase  se  développe  à  l'infini,  et  sa  période  marche  avec 
ampleur,  suivant  par  une  multitude  de  propositions  subordon- 
nées toutes  les  ramifications  de  l'idée,  embrassant  un  discours 
tout  entier  dans  la  majesté  de  son  contour.  Une  variété  éton- 
nante de  conjonctions  et  de  pronoms  relatifs,  lui  permet  de 
s'étendre  ainsi,  sans  s'épuiser  jamais.  Tel  est  le  reflet  du 
panthéisme  que  nous  renvoie  la  forme  de  cette  langue. 

III.  La  forme  du  chinois  nous  révèle-t-elle  à  son  tour  cet 
antique  athéisme  dans  lequel  les  peuples  de  l'extrême  Orient 
dorment  comme  en  un  éternel  sommeil?  Assurément;  et 
voici  en  abrégé  les  principaux  traits  de  cette  forme  de  langage. 
Ailleurs,  nous  avons  trouvé  des  formes  grammaticales.  Ici 
elles  sont  totalement  absentes.  Que  s'ensuit-il  ?  Le  chinois  ne 
répond  pas  aux  catégories  réelles  des  choses,  puisque  c'est 
par  les  formes  grammaticales  que  les  catégories  trouvent  leur 
expression  dans  la  parole.  Le  chinois  n'a  pas  de  classes  de 
mots  Uéterminées,  de  sorte  que  les  mots  sont  sans  vie,  sans 
mouvement,  sans  couleur  et  sans  force.  Le  verbe,  le  substan- 
tif, l'adjectif  n'ont  pas  d'existence  propre,  et  quand,  en  les 
parlant,  on  leur  donne  une  existence,  cette  existence  est  pure- 
ment subjective  :  elle  ne  répond  à  rien  dans  la  réalité  des 
choses.  Le  manque  d'objectivité  est  surtout  frappant  dans  le 
verbe  :  on  peut  même  dire  que  le  verbe  n'existe  pas  dans  cette 


>:atsl803.)  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATIOM.  207 

langue.  Il  est  vrai  qu'elle  donne  à  certains  mots  une  forme 
verbale,  mais  elle  circonscrit  son  action  dans  d'étroites  limites, 
et  ne  lui  permet  pas  de  communiquer  cette  plénitude  de  vie 
qui,  dans  les  autres  systèmes  de  langage,  se  transmet  par  le 
verbe  à  la  proposition.  Aussi,  bien  souvent  le  verbe  devient-il 
inutile  ;  car  il  suffit  au  chinois  d'éixoncer  la  convenance  ou  la 
disconvenance  métaphysique  du  sujet  et  de  l'attribut,  et  il 
sait  se  passer  pour  cela  du  verbe  qui  constitue  cependant 
l'unité  de  la  proposition.  Voilà  pourquoi  la  proposition  du 
chinois,  privée  d'unité,  ne  connaît  aucun  de  ces  enroulements 
synthétiques  qui  forment  le  discours.  Il  ne  peut  suivre  sa 
pensée  dans  ses  nuances  et  dans  son  étendue.  Obligé  de  la  re- 
vêtir d'une  expression  uniforme  et  invariable,  la  vie  manque 
au  début  de  son  discours;  il  s'arrête  essoufflé. 

Et  maintenant,  est-ce  que  cette  forme  de  langage  n'est  pas 
en  harmonie  avec  cette  forme  de  l'esprit  athée  du  chinois, 
qui  fait  du  vide  la  première  cause,  du  néant  la  fin  suprême; 
qui  nie  les  plus  hautes  réalités.  Dieu  et  Fârae  ;  qui  ne  voit 
partout  que  des  fantômes  sans  corps,  menés  par  le  hasard  ; 
de  cet  esprit  enfin  qui  renferme  sa  vie  dans  une  abstraction 
universelle  ? 

XXIII. 

Nous  venons  de  voir  le  langage  subissant  les  influences  des 
peuples  et  de  leurs  religions.  Nous  n'avons  considéré  que  ses 
formes  principales,  et  nous  avons  constaté  qu'elles  répon- 
daient aux  Sémites,  aux  Chamites,  aux  Japhétiens,  puis  au 
monothéisme,  au  panthéisme  et  à  l'athéisme.  Il  entrait  dans 
le  plan  divin  de  laisser  l'activité  humaine  se  développer  dans 
les  divers  groupes  formés  par  les  nationalités,  et  épuiser  ses 
propres  ressources  dans  les  rêveries  polythéistes  auxquelles 
la  conduisait  son  éloignement  de  Dieu,  tandis  que  les  promesses 
divines  et  le  monothéisme  se  conservaient  dans  un  peuple 


208  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  [Tome  YIU 

choisi.  Mais  au  moment  où  la  force  de  concentration  qui  rete- 
nait les  enfants  d'Israël  dans  le  cercle  restreint  de  la  terre  de 
Clianaan,  devait  faire  place  à  une  force  d'expansion  dont  le 
résultat  serait  l'unité  de  peuple  reconstituée,  il  convenait  à  la 
puissance  divine  de  simuler  pour  quelques  instants  cette  unité 
future,  et  de  Topposer  point  par  point  à  la  dispersion  rapide 
qui  avait  eu  lieu  à  Babel.  Aussi,  des  représentants  de  tous  les 
peuples  qui  occupaient  la  terre  se  rencontrèrent-ils  un  jour 
à  Jérusalem;  eux  qui  ne  s'entendaient  pas  entre  eux,  furent 
tout  surpris  d'entendre  quelques  hommes,  qui  tantôt  parlaient 
à  chacun  sa  langue,  tantôt  n'en  parlaient  qu'une  seule  et 
étaient  entendus  de  tous  leurs  auditeurs,  venus  des  divers 
points  du  globe  (1).  Il  n'y  eut  plus  à  un  moment  donné  à 
Jérusalem  qu'un  peuple  et  qu'une  langue.  Ajoutons  qu'on 
peut  entendre  ce  miracle  de  la  même  manière  que  celui  de 
Babel.  Là,  les  peuples  cessèrent  de  s'entendre  parce  que 
Dieu  confondit  la  forme  de  leur  langue,  la  matière  restant  la 
même.  A  Jérusalem,  les  apôtres  ne  parlent  qu'une  seule 
langue,  mais  ils  la  parlent  sans  lui  donner  la  forme  subjective 
qui  est  le  principe  de  la  diversité  :  leurs  auditeurs  ajoutent  à 
la  langue  purement  matérielle  qu'ils  entendent,  la  forme  sub- 
jective propre  à  chacune  de  leurs  langues.  Le  tout  se  fait  par 
la  puissance  divine  agissant  à  la  fois  sur  ceux  qui  parlent  et 
sur  ceux  qui  écoutent.  L'unité  est  un  moment  reconstituée. 
Ce  symbole  se  conservera  dans  la  langue  de  l'Église  qui  sera 
parlée  et  entendue  jusqu'aux  extrémités  du  monde,  et  mieux 
encore  dans  la  doctrine  de  l'Église,  inspiratrice  de  son  lan- 
gage, dont  la  propagation  de  jour  en  jour  plus  complète  ar- 
rivera à  constituer  sur  la  terre  un  seul  troupeau  et  un  seul 
pasteur  (2). 

(Ij  Ad.  n,  3  ^^. 

(2)  Hoc  aulem  fecil  semel  per  seipsum  descemions  de  rœlo  Dorai- 
nus  :  hoc  quolidie  per  predicalores  suos  in  ecelesia  facil  :  preecipitat  et 
dividii  per  doeiores  ca  liolicos  linguas  haereiicorum  el  eos  ab  iuvicem 
dissociaas,ne  centra  Eccledam  suam  portas  inferi  érigera  possinl.pro, 


Marsi863.[  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATION.  20^ 

CONCLUSION. 

Le  travail  que  l'on  vient  de  lire  avait  pour  but  de  montrer 
que  la  philologie,  née  dans  le  sein  de  l'Eglise,  a  tout  à  gagner 
à  redevenir  chrétienne,  et  tout  à  perdre  à  affecter  les  atti- 
tudes de  a  science  séparée  »  qu'on  se  plaît  trop  souvent  à^lui 
donner.  C'est  l'histoire'  qui  a  conduit  nos  premiers  pas  dans 
cette  démonstration.  Les  faits  incontestables  qu'elle  nous  a 
fournis,  étaient  de  nature  à  montrer  que  Dieu,  dont  la  pro- 
vidence gouverne  et  conserve  le  monde,  étend  sa  direction  sur 
les  fluctuations  du  langage  humain.  C'était  entrer  dans  la  voie 
d'une  étude  plus  positive  encore,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  d^me 
étude  qui  considérerait  le  langage  dans  ses  formes  et  dans  sa 
substance,  et  qui  préparerait  à  reconnaître  l'action  divine 
se  manifestant  dans  les  unes  et  dans  les  autres.  Une  démon- 
stration a  priori  de  l'action  divine  à  Babel  et  à  Jérusalem  eût 
été  pour  nous  sans  résultat.  ïl  fallait  prendre  la  philologie 
telle  que  l'ont  faite  ses  progrès  incontestables,  et  lui  faire  dire 
ce  que  ses  plus  grands  adeptes  ont  parfois  formulé,  ce  que 
d'autres  s'obstinent  à  contester.  Nous  avons  exposé  dans  un 
premier  article  le  plan  de  ce  travail  :  nous  n'y  reviendrons 
pas.  Mais  ce  qu'on  nous  permettra  de  constater  en  finissant, 
c'est  que  nous  avons  mis  la  philologie  et  la  révélation  en 
présence  :  dans  toutes  les  questions  que  nous  avons  examinées, 
nos  lecteurs  ont  pu  juger  à  qui  restait  l'avantage   de  cette 


hibet.  Niilla  est  enitn  heeresis,  quse  non  ab  aliis  haerelicis  impugne- 
lur;  nulla  pliilosophiae  seeciilaris  secla,  quin  ab  aliis  œque  slullaj 
pliilosophise  sectis  mendacii  redargiialur  ;  sicque  fil  ul,  dum  inler  se 
allerulrum  confusas  habeol  linguas  reprobi,  ila  ul  nemo  vocem  pro- 
ximi  sui  idem  sapiendo  cogooscal,  et  sibi  noraen  Babyloniee,  id  est 
confusioniscongruereprobenl.elvisionern  pacis,  In  quaEcclesiagloria- 
lur,  minus  laeJanl.  Constat  enim,  quia,  quanlo  iiequain  doclores  sive 
operarii  mali  ab  invicem  diffilenle  anirao  secernun'ur,  lanio  magis 
Ecclesiaj  colligendse  spalium  Iribuanl.  Beda  Vener.  Com.  in  Gen.^ 
p.  iA9,  éd.  Giles. 


210  PHILOLOGIE   ET   RÉVÉLATIOX.  [Tomo  VII 

comparaison.  D'une  lumière  pâle  et  indécise,  nous  les  avons 
conduits  à  un  grand  jour,  qui  du  reste  retrouvait  son  aurore 
dans  les  premières  lueurs  de  la  science  humaine  :  non  certes 
que  ce  fùl  là  son  principe  et  sa  source,  mais  parce  que  la  ré- 
vélation n'affirme  rien  qui  ne  puisse  être  confirmé  par  les  in- 
ductions quelquefois  sûres,  d'autrefois  très-probables  de  la 
philologie.  Quand  Moïse  nous  disait  qu'au  commencement  il 
n'y  avait  qu'un  peuple  et  qu'une  langue,  la  philologie  nous 
permettait  de  croire  que  les  diverses  langues  du  globe  étaient 
réductibles  à  l'unité.  Lorsque  la  philologie  nous  accusait  cer- 
tains caractères  du  langage  primitif,  la  révélation  confirmait 
ces  caractères  et  leur  en  juxtaposait  d'autres  qui  n'étaient  que 
leur  complément  ou  leur  application  dans  les  faits.  Moïse 
nous  parlait  d'une  époque  où  la  diversité  a  brusquement 
succédé  à  l'unité;  il  nous  décrivait  le  mode  de  cette  transfor- 
mation, il  la  caractérisait  du  nom  de  «  confusion.  »  Là  philo- 
logie, qui  avait  reconnu  la  possibilité  de  l'unité  primitive, 
constatait  que  le  passage  à  la  diversité  doit  avoir  été 
brusque  et  instantané,  reconnaissant  le  mode  selon  lequel  il 
a  dû  s'opérer,  et  confessant  même  que  le  nom  donné  par 
Moïse  à  ce  fait  est  le  plus  convenable  qu'il  fût  possible  de 
trouver.  Enfin,  tandis  que  la  philologie  classait  les  langues  par 
groupes  déterminés  et  dont  la  dénomination  est  prise  des 
groupes  ethniques  ou  des  divers  caractères  que  peut  prendre  le 
langage,  le  document  mosaïque  nous  montrait  les  mêmes 
classifications,  et  la  philosophie  chrétienne  les  justifiait. 

Le  meilleur  sort  que  l'on  puisse  souhaiter  à  ces  pages  c'est 
d'atteindre  le  but  pour  lequel  elles  ont  été  écrites.  Puissent- 
elles  montrer  qu'il  n'y  a  pas  de  science  séparée,  qu'il  n'y  a 
pas  de  science  indépendante  dans  le  sens  que  l'on  est  trop 
souvent  porté  à  donner  à  ce  mot,  dans  notre  siècle  de  confu- 
sion et  d'incrédulité,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  pas  de  science 
opposée  à  la  révélation.  Toutes  peuvent,  au  contraire,  gagner 
à  profiter  de  ses  lumières  :  Deus  scientiarum  Dominus  est.  Sint 
omnes  docibiles  Deit  L'abbé  d'Autun. 


LE  CELEBRE  CONFLIT 


ENTRE 


SAIJNT  ETIENNE  ET  SAIJNT  CYPRIEN, 


Quand  l'accord  des  érudits  a  proclamé  certain  un  point 
d'histoire,  malgré    quelques  protestations  isolées  et  restées 
sans  écho,  il  faut  du  courage  et  une  hien  forte  conviction 
pour  venir  plaider  de  nouveau  en  faveur  de  la  thèse  rejetée, 
et  en  essayer  la  réhabilitation.  C'est  le  cas  de  la  fameuse  con- 
troverse entre  saint  Gyprien  et  le  pape  saint  Etienne,  au  su- 
jet du  baptême  conféré  par  les  hérétiques.  Les  nombreux  do- 
cuments qui  l'attestent  ont  été  jusqu'ici  regardés  comme  au- 
thentiques par  l'ensemble  des  érudits,  sans  en  excepter  les 
catholiques  les  plus  attachés  aux  doctrines  du  Saint-Siège.  En 
présence  de  celte  imposante  autorité,  et  de  cette  situation  (si 
l'on  peut  s'exprimer  ainsi)  de  cause  jugée,  proclamer  haute- 
ment la  thèse  contraire,  dire  que  ces  documents  sont  apo- 
cryphes et  que  la  prétendue  controverse  n'est  qu'une  fable, 
c'est  hardi,  nous  en  convenons;  et  nous  trouvons  juste  que  le 
lecteur  se  tienne  eu  défiance.  Mais  serait-il  raisonnable  de  re- 
jeter sans  lire?  Certains  procès  n'ont-ils  pas  été  mal  jugés 
par  des  magistrats  aussi  habiles  qu'intègres  ?  N'a-t-on  pas  dû 
aussi  quelquefois  reconnaître  forcément,  à  la  suite  de  re- 
cherches nouvelles  et  d'une  étude  plus  approfondie,  que  cer- 
taines questions  historiques  avaient  été  de  la  part  des  érudits 
l'objet  d'une  méprise  ?  Qu'on  ne  se  le  dissimulé  pas  :  l'accord 
des  érudits  se  forme  quelquefois,  non  par  l'examen  sérieux 


212  SAINT  ÉTIENNB  [Tome  VII. 

et  la  vérificaiioii  personuellement  faite  par  cliacim  d'eux, 
mais  par  l'influence,  la  réputation  et  la  grande  autorité  d'un 
petit  nombre,  qui  entraînent  les  autres  dans  leur  sentiment. 
Au  polémiste  qui  vient,  pièces  en  main,  s'inscrire  en  faux 
contre  le  sentiment  des  érudits  antérieurs,  on  ne  peut  pas 
dire  Oyorzor/;  il  est  impossible  que  vous  ayez  raison.  11  faut 
d'abord  l'écouter. 

Nous  avons  en  vue,  dans  ces  réflexions,  le  remarquable  ou- 
vrage que  vient  de  publier  Mgr  Tizzani,  arcbe%'èque  de  Nisibe, 
et  professeur  à  la  Sapience.  Il  est  intitulé  :  La  Célèbre  Contesa 
fra  S.  Stefano  e  S.  Cipriano  (1).  Le  savant  prélat  y  soutient 
que  la  prétendue  controverse  n'a  jamais  eu  lieu,  et  que  les  do- 
cuments à  l'appui  sont  une  frauduleuse  invention  des  dona- 
tistes.  L'épigraphe  est  habilement  choisie.  C'est  le  mot  de  saint 
Augustin  révoquant  en  doute  le  fait  même  du  sentiment  attri- 
bué à  saint  Cyprien  :  Quamquam  non  desint  gui  hoc  Cyprianum 
prorsus  non sensisse  contendant,  sed  sub  ejus  nominea  prxsuynpto- 
ribus  atque  mendacibus  fuisse confîctum  (epistolaad  Vmcentium 
Rogatianura),  Saint  Augustin,  qui  vivait  sur  les  lieux,  à  150  ans 
de  distance  du  fait  controversé,  loin  de  regarder  comme  cer- 
taine l'histoire  du  conflit,  atteste  que  plusieurs  la  traitaient 
de  falsification  et  de  mensonge.  Le  lecteur  entrevoit  déjà  par 
ce  témoignage  que,  malgré  l'autorité  du  jugement  des  érudits, 
il  peut  y  avoir  lieu  à  la  révision  de  la  cause. 

Elle  est  trop  importante  pour  qu'il  soit  permis  de  négliger 
aucun  des  éléments  qui  peuvent  l'éclaircir.  Le  fait  de  ce  fa- 
meux conflit  est  allégué  triomphalement  par  tous  les  écri- 
vains qui  dénient  au  Pontife  romain  la  primauté  de  juridic- 
tion, et  la  prérogative  de  l'infaillibilité  dans  les  décisions  dog- 
matiques. Il  s'agit,  disent-ils,  d'une  question  de  foi.  Le  Pape 
saint  Étiemie  décida  la  validité  du  baptême  conféré  par  les 
hérétiques.  Saint  Cyprien,  et  avec  lui  les  évèques  d'Afrique 

{^  )  In-S»  de  365  pages  (Roma,  Salviucci,  -1862). 


Mars  18r.3.1  SAINT  ETIENNE   lîT   PAINT   CYPRIEN.  213 

et  de  rOrieut,  crurent  pouvoir  rejeter  ce  sentiment  et  soute- 
nir le  contraire.  On  n'admetlait  donc  pas  à  cette  époque  la 
prérogative  de  l'infaillibililé  dans  le  Pontife  romain.  En  outre, 
ajoutent-ils,  le  Pape  donna  des  ordres  :  il  défendit  de  rebap- 
tiser les  hérétiques  convertis,  et  menaça  d'excommunication 
les  contrevenants.  Et  toutefois  ces  évêques  d'Afrique  et  d'Asie, 
qui  étaient  des  saints,  ne  se  crurent  pas  obligés  d'obéir.  On 
n'admeltait  donc  pas  à  cette  époque  la  primauté  de  juridiction 
de  rÉvêque  de  Rome.  Sans  doute,  les  théologiens  orthodoxes 
réfutent  victorieusement  ces  objections,  dans  l'hypothèse 
même  de  la  réalité  historique  de  la  controverse.  Mais  la  solu- 
tion serait  pius  radicale  encore  si  le  fait  était  démontré  faux. 
Pourquoi  les  savants  catholiques  n'entreprendraient-ils  pas 
une  révision  consciencieuse  et  impartiale  des  actes  sur  les- 
quels tout  repose? 

Mgr  Tizzani  vient  de  prendre  l'initiative  :  il  appuie  sa  thèse 
d'un  volume  de  discussions  et  de  preuves.  Nous  souhaitons 
vivement  quant  à  nous  que  son  travail  soit  sérieusement  étu- 
dié, et  nous  croyons  devoir  en  reproduire  ici  la  substance 
sous  une  forme  libre,  et  sans  nous  astreindre  à  l'ordre  suivi 
par  l'auteur.  Il  suffira  d'avoir  averti  le  lecteur,  une  fois  pour 
toutes,  que  nos  matériaux  et  nos  arguments  sont  pris  à  peu  près 
tout  entiers  de  l'ouvrage  que  nous  annonçons.  Remarquons, 
avant  d'entrer  en  matière,  que  saint  Cyprien  n'a  pas  été  seu- 
lement loué  par  les  catholiques  de  tous  les  siècles,  mais  qu'il 
est  le  saint  de  prédilection  des  protestants  et  de  tous  les  ad- 
versaires du  Saint-Siège,  précisément  à  cause  de  sa  prétendue 
désobéissance  à  un  Pontife  romain.  Les  Bollandistes  en  ont 
fait  l'observation  avant  nous:  «  Non  tantum,  disent- ils,  sancti 
Patres  ac  catholici  scripiores  sanctum  episcopum  et  martyrera 
(Gyprianum)  summis  dignisque  laudibus  prosecuti  fuere;  sed 
et  hœretici  aliique  qnibus  suprema  in  Ecclesia  poteslas  Ro- 
mano  Pontifîci  divinitus  concessa  gravis  est,  eumdem  certa- 
tim  celebrarunt,  sed  diverse  sane  animo  ac  fine,  Hi  enim  po- 


214  SAINT   ETIENNE  [Tome  VII. 

steriores  non  alia  de  causa  tôt  in  illum  laudes  congerunt, 
quam  ut  ex  famosa  sancti  de  hœreticorum  baptismate  cum 
S.  Stephano  contentione  arma  sibi  contra  Ecclesiam  compa- 
rent; quam  contentionem  nemo  sanctorum  Patrum  approbat, 
et  in  qua  excusanda  sanctus  Augustinus  contra  Donatistas 
multum  laboravit.  »  {Acta  sanctorum,  tom.  iv  septembris, 
p.  193  et  194.) 


§1- 


■  Quelle  serait  l'histoire  du  célèbre  conflit,  s'il  fallait  admettre  comme 
autheatiques  les  documents  qui  l'attestent? 


Les  érudits  sont  loin  de  s'accorder  entre  eux  sur  plusieurs 
points  de  cette  bistoire,  quoiqu'ils  s'appuient  sur  les  mêmes 
documents.  Les  divergences  viennent  de  la  difficulté  de  conci- 
lier ensemble  et  de  disposer  cbronologiquement  les  faits  que 
les  documents  signalent.  Notre  objeb,  dans  ce  paragraphe, 
n'est  pas  d'entrer  dans  ces  discussions  de  détail,  mais  d'offrir 
au  lecteur  un  résumé  des  faits,  qui  représente  le  sentiment  le 
plus  généralement  reçu.  Le  voici.  i°  Dès  le  second  siècle,  le 
baptême  conféré  par  les  hérétiques  fut  regardé  comme  inva- 
lide dans  un  assez  grand  nombre  d'églises  ou  de  diocèses  de 
divers  pays.  L'usage  de  rebaptiser  ceux  qui  abandonnaient 
l'hérésie,  conséquence  de  cette  persuasion,  y  fut  établi.  Ou  le 
conclut,  pour  les  églises  d'Afrique,  de  ces  passages  de  saint 
Cyprien:  Sententiam  nostram  non  novam  promimus,  sedetjam 
pridem  ah  antecessoribus  nostins  statutara  et  a  nobis  observatam, 
(Epistola  Lxx,  édit.  Baluze,  ad  Episcopos  Numidise.)  Apud 
nos  autem  non  nova  aut  repentina  res  est,  ut  baptizandos 
censeamus  eos  qui  ab  hxreticis  ad  Ecclesiam  veniunt,  quando 
multi  jam  anni  sint  et  longa  setas,  ex  quo  sub  Agrippino,  bonx 
memorix  viro,  convenientes  in  unum  Fpiscopi  plurimi  hoc  statue- 
runtf  atque  exinde  in  hodiernum  tôt  millia  hœi'eticorum   in  pro- 


Mars  1863.]  ET  SAINT   CYPRIEN.  2l5 

vinciis  nostris  ad  Eeclesiam  conversi,  non  aspernati  sint  nec  cun- 
ctati,  imo  et  rationabiliter  et  libenter  amplexi  sunt,  ut  lavacri 
vitalis  et  salutaris  baptismi  gratiam  consequeréntur.  (Epistola 
Lxxin,  édit.  Baliize,  ab  Jubaianum.)  Quant  aux  Eglises  d'Orient, 
Firmilien,  évêque  de  Césarée,  en  Cappadoce,  atteste  que  la 
même  coutume  y  était  suivie  ab  l'mmemorabilt.  (Epistola  Firmi- 
liani  interCyprianicas  lxxv,  éd.  Balnze.)  On  cite  encore  à  l'ap- 
pui les  conciles  d'Icône  et  de  Synnade,  mentionnés  dans  la  même 
lettre,  qui  décidèrent  qu'on  devait  baptiser  de  nouveau  les 
Cataphrygiens  qui  rentreraient  dans  Tî^glise  catholique.  De  ces 
documents  on  conclut  que  la  coutume  de  rebaptiser  les  héré- 
tiques avait  été  suivie  depuis  le  second  siècle  jusqu'au  temps 
de  saint  Gyprien,  tant  en  Orient  que  dans  les  églises  d'Afrique^ 
sans  qu'il  en  fût  résulté  aucune  dissension  fâcheuse. 

2°  L'an  255,  les  évêques  de  la'  Numidie  consultèrent  saint 
Gyprien  sur  cette  réitération  du  baptême.  De  concert  avec  un 
concile  de  trente-deux  évêques,  alors  réuni  à  Garlhage,  il  leur 
répondit  qu'il  fallait  conserver  la  pratique  de  rebaptiser  les 
hérétiques  convertis.  \V.  ep.  lxx,  édit.  Baluze.) 

3°  Il  lui  vint  une  consultation  semblable  d'un  évêque  de 
la  Mauritanie,  nommé  Quintus,  et  il  y  répondit  dans  le  même 
sens.  Dans  cette  lettre,  quelques  passages  semblent  attaquer 
indirectement  l'autorité  du  pape  saint  Etienne.  (Ep.-  Ad  Quin- 
tum,  Lxxi,  édit.  Baluze.) 

4°  Gette  lettre  à  Quintus  ayant  été  publiée,  ainsi  que  la  dé- 
cision synodale  mentionnée  ci-dessus,  des  oppositions  se  mani- 
festèrent, en  sorte  que  saint  Gyprien  crut  devoir  convoquer 
un  concile  plus  nombreux.  Il  fut  célébré  dans  la  seconde  moi- 
tié de  l'année  236.  Soixante  et  onze  évêques  s'y  trouvèrent.  On 
y  confirma  la  coutume  de  rebaptiser  les  hérétiques  qui  de- 
mandaient à  rentrer  dans  le  sein  de  l'Église.  Ce  fut  le  second 
des  trois  conciles  célébrés  à  Garthage  pour  cette  cause. 

5°  Saint  Gyprien  écrivit  au  pape  saint  Etienne  une  lettre 
synodale  pour  lui  rendre  compte  de  ce  qui  avait  été  décidé  par 


216  SAINT  ETIENNE  [Tome  VII. 

le  concile.  Saint  Augustin,  toutefois,  ne  connut  pas  cette  lettre, 
comme  il  résulte  du  livre  vi,  chapitre  xv  de  son  traité  de  Bap- 
tismo.  (Édition  des  Bénédictins,  tome  ix,  p.  171.) 

60  En  attendant  la  réponse  du  Pape,  saint  Cyprieu  composa 
son  traité  De  Bono  patientise. 

1*  Celte  réponse  n'était  pas  encore  venue,  lorsqu'un  évè- 
que,  nommé  Jubaianus,  dont  on  ignore  la  pairie,  écrivit  à 
saint  Cyprien  pour  le  consulter  sur  la  question  du  baptême 
des  hérétiques.  Il  lui  transmettait  en  même  temps  un  écrit 
qui  combattait  la  coutume  de  rebaptiser,  écrit  attribué  par 
quelques-uns  au  pape  saint  Etienne.  Saint  Cyprien  répondit 
à  Jubaianus  en  réfutant  l'écrit  en  question. 

8°  La  réponse  du  Pape  arriva.  Il  défendait  de  rebaptiser  les 
hérétiques.  Le  seul  fragment  connu  de  cette  lettre  se  trouve 
dans  Eusèbe  (livre  vu,  chap.  3),  et  dans  la  lettre  de  saint  Cy- 
prien à  Pompeius.  Saint  Augustin  en  fait  aussi  mention. 

O^Pompeius,  évêqiie  de  Sabrate,  pria  saint  Cyprien  de  le 
mettre  au  courant  de  toute  la  controverse.  Saint  Cyprieu  lui 
répondit  longuement,  et  c'est  dans  cette  lettre  qu'il  se  laisse 
entraîner  cautre  le  pape  saint  Etienne  à  des  expressious  fort 
vives. 

10"  Saint  Cyprien  convoqua  un  nouveau  concile  à  Carthage, 
le  troisième  sur  la  question  du  baptême.  Il  fut  ouvert  le  1*^  sep- 
tembre 256.  On  y  compta  quatre-vingt-sept  évêques.  Saint 
Cyprien  y  parla  ainsi  :  «  Audistis,  collegae  dilectissimi,  quid 
«  mihi  Jubaianus  coepiscopus  noster  scripsit,  consulens  me- 
«  diocritatem  nostram  de  illicito  et  prophano  haereticorum 
«  baptismo,  et  quid  ei  rescripseriin,  ceusens  scilicet,  quod  se- 
«  uiel  atque  iterum  et  ssepe  censuimus,h8ereticos  adEccIesiam 
«  venientes,Ecclesi8e  baptismo  baptizariet  sanctificarioportere. 
«  Item  lectse  sunt  vobis  et  aliae  Jubaiani  litterse,  quibus  pro 
«  sua  sincera  et  religiosa  devotione  ad  epistolam  nostram  res- 
«  cribens,  non  tantum  consensit,  sed  etiam  iustructum  se  esse 
«  confessus  gratias  agit.  Superest  utdehacipsaresinguliquid 


Mars  1803]  ET  SAINT  CYPRJEN.  517 

<i  sentiamus  proferamus,  neminem  judicantes,  aut  ajure  corn- 
et munionis  aliquem,  si  diversum  senserit,  amoventes.  Neque 
«  cnim  quisquam  nostrum  Episcopum  se  esse  Episcoporum 
«  constituit,  aut  tyrannico  terrore  ad  obsequendi  necessitatem 
«  coUegas  suos  adigit^  quando  babeat  omnis  Episcopus  pro  li- 
«  centia  libertatis  et  potestatis  suae  arbitrium  proprium,  tan- 
«  quam  judicari  ab  alio  non  possit  quam  nec  ipse  potest 
«  alterum  judicare.  Sed  expectemus  univers!  judiciumDomini 
«  Nostri  Jesu  Cbristi^  qui  unus  et  solus  babet  potestatem  et 
«  prœponendi  nos  in  Ecclesise  suae  gubernatione  et  de  actu 
«  nostro  judicandi.  »  (Labbe,  tome  i,  col.  786,  édition  de  Pa- 
risj671.) 

La  décision  unanime  de  ce  concile  fut  que  le  baptême  con- 
féré parles  bérétiques  devait  être  regardé  comme  invalide,  et 
qu'il  fallait  par  conséquent  rebaptiser  ceux  qui  revenaient  de 
l'bérésie. 

11°  Deux  évêques  furent  envoyés  à  Rome  pour  porter  au 
pape  saint  Etienne  les  actes  de  ce  concile,  ou  du  moins  la  lettre 
synodale  qui  en  exprimait  le  résultat.  Le  Pape  ne  voulut 
pas  leur  donner  audience  et  défendit  même  aux  fidèles  de  leur 
donner  l'hospitalité. 

12»  Informé  de  cette  conduite  du  Pape,  saint  Gyprien  écrivit 
à  FirmiUen,  évêque  de  Césarée,  en  Gapadoce,  et  fit  partir  le 
diacre  Rogatien  pour  lui  porter  cette  lettre  Rogatien  quitta 
Césarée  à  l'entrée  de  l'hiver  et  se  remit  en  route  pour  Car- 
thage,  rapportant  à  saint  Gyprien  la  fameuse  lettre  où  Firmi- 
lien,  révéré  comme  saint  chez  les  Grecs,  accable  de  ses  in- 
vectives le  pape  saint  Etienne,  et  dit  qu'eu  prétendant 
excommunier  les  autres,  il  s'est  séparé  lui-même  de  TÉglise. 
Un  certain  nombre  d'érudits  rapportent  à  cette  époque  la 
lettre  de  saint  Gyprien  à  Magnus. 

Que  se  passa-t-il  ensuite,  et  quelle  fut  l'issue  de  cette  déplo. 
rable  collision?  Aucun  document  ne  l'indique.  L'histoire  du 
conflit  se  trouve  tout-à-coup  interrompue,  et  se  tait  au  mo- 


2-18  SAINT   ETIENNE  iTomeVII. 

ment  où  il  est  le   plus  ardent.  Aucun  indice  ne  fait  entrevoir 
par  quels  moyens  il  fut  apaisé. 

Tel  est,  à  peu  près,  le  résumé  des  faits,  dans  Fhypothèse, 
communément  admise  jusqu'ici,  de  l'authenticité  des  docu- 
ments cités. 


IL 


Sentiment  des  érudits  relativement  aux  documents  en  question. 

Nous  l'avons  dit  précédemment,  la  thèse  de  Mgr  Tizzani 
vient  heurter  la  persuasion  générale  des  érudits.  Néanmoins, 
elle  a  été  déjà  soutenue  par  quelques  écrivains  de  mérite. 
Raimoud  Missori,  religieux  franciscain  de  Venise,  en  entre- 
prit la  défense  en  1733  dans  un  ouvrage  in-4",  intitulé  :  In 
duas  celeberrimas  epistolas  sanctorum  Firmiliani  et  Cypriani 
adversus  decretum  sancti  Stephani  papse,  de  non  iterando  hxreti- 
corum  baptismo,  disputationes  onticss,  quitus  unam  et  alteram 
a  Donatistis  fuisse  confictam  nunc  primo  demonstrat  frater  Ray- 
mondus  Missorius  Franciscanus  conventualis  (Venise,  4733). 
Les  mots  nunc  primo  semblent  indiquer  que  ce  religieux  a  été 
le  premier  à  soutenir  ce  sentiment.  Dans  la  Bibliothèque  sacrée 
des  dominicains  Richard  et  Giraud  (article  Missori),  nous  li- 
sons au  sujet  de  -son  livre  :  u  II  prétend  que  les  lettres  de  saint 
Cyprien  et  de  saint  Firmilien,  le  concile  d'Afrique  où  présida 
saint  Cyprien,  et  où  l'on  décida  la  nécessité  de  réitérer  le  bap- 
tême donné  par  les  hérétiques,  et  tout  ce  qui  regarde  cette 
célèbre  question,  sont  autant  d'ouvrages  supposés  par  quel- 
ques donatistes  imposteurs.  Le  Père  Sbaraglia,  religieux  du 
même  ordre  à  Ferrare,  a  combattu  cette  opinion  dans  trois 
dissertations,  où  il  rétablit  la  foi  des  actes,  défend  le  senti- 
ment ordinaire,  et  répond  aux  arguments  de  son  confrère.  » 


Mars  1863  1  ET    SAINT  CYPRIEN.  219 

En  1790,  la  thèse  de  Missori  fat  de  nouveau  soutenue  par 
Marcellin  Molkenbuhr,  religieux  franciscain  d'AlIemague.  Ses 
deux  dissertations  ont  été  reproduites  dans  la  Patrologie  Migne, 
tome  III,  col.  1357  et  ss.  Nous  y  trouvons  cette  note  :  «  Scopus 
clarissimi  auctoris  (Molkenbuhr)  est  in  prima  dissertatione, 
post  inanes  Christiani  Lupi  et  Raymond!  Missorii  conatus, 
denuo  verisimile  reddere,  sancti  Firmiliani  epistolara  ad  Cy- 
prianum  haud  genuinam  esse,  sed  a  Donatista  Afro  eidem 
suppositam.  »  On  le  voit,  Mgr  Tizzani  a  eu  des  devanciers. 
Mais  ils  ont  été  peu  nombreux;  et,  il  faut  bien  l'avouer,  leurs 
tentatives  pour  changer  l'opinion  reçue  sont  restées  impuis- 
santes. Telle  est  la  situation  en  face  de  laquelle  Mgç  Tizzani  a 
pris  la  plume,  sans  se  décourager.  Il  n'hésite  pas;  il  ne  dé- 
fend pas  seulement  la  contre-thèse  comme  plus  probable  ;  sa 
conviction  est  entière.  La  question  est  de  savoir  si  les  argu- 
ments qui  la  motivent,  et  qu'il  développe  dans  son  livre,  sont 
réellement  victorieux. 


§111. 


Le  fait  que  les  documents  en  question  se  trouvent  dans  des  manuscrits  très- 
anciens,  et  que  leur  style  ressemble  à  celui  de  saint  Cyprien,  ne  suffit  pas 
pour  prouver  leur  authenticité. 


Que  l'ensemble  de  ces  pièces  se  soit  rencontré  dans  les  ma- 
nuscrits fort  anciens  à  l'aide  desquels  Erasme,  Latini,  Pame- 
lius,  Morel,  Rigault,  Fell,  Pearson  et  Baluze  ont  donné  leurs 
éditions  des  œuvres  de  saint  Cyprien,  nous  ne  le  contestons 
pas.  Que  ce  soit  là  un  préjugé  favorable  pour  l'authenticité 
de  ces  mêmes  documents,  nous  ne  le  contestons  pas  non  plus. 
Mais  nous  disons  que  ce  n'est  point  une  preuve,  comme  on 
semble  facilement  le  supposer.  En  effet,  il  n'est  nullement 
impossible  qu'un  transcripteur  fort  ancien  des  œuvres  d'un 
auteur,  y  ait  inséré,  frauduleusement  ou  par  ignorance,  des 


â20  SAINT  ETIENNE  [Tome  VU. 

pièces  apocryphes.  Il  y  a  plus  :  les  ériidits  démontrent  qu'il 
en  est  ainsi  arrivé,  de  fait,  pour  plusieurs  anciens  manus- 
crits. Nous  pouvons  même  citer  en  exemple  ceux  qu'on 
nous  objecte,  c'est-à-dire,  les  antiques  manuscrits  à  l'aide  des- 
quels les  savants  cités  plus  haut  ont  édité  les  œuvres  de  saint 
Cyprien.  On  y  trouve  cinq  opuscules,  dont  ces  mêmes  savants 
déclarent  raulhenticité  au  moins  douteuse,  savoir  :  de  Di" 
sciplina  et  bono  pudicitix,  de  Laude  martyrii,  de  Spectaculis,  ad 
Novatianum  hxreticum,  ei  Exhortatioad pœnitentiam.  Bien  plus, 
il  s'en  est  trouvé  cinq  autres  que  les  érudits  d'un  commun  ac- 
cord ont  rangé  parmi  les  apocryphes  ;  ce  sont  les  opuscules 
intitulés  :  de  Aleatoribus,  deMontibus  Sina  et  Sion,  de  Cardinali- 
bus  operibus  Christi.,de  Singularitate  clericorum,  et  de  Duodecim 
abusionibus  sxculi.  Ces  exemples  sont  décisifs.  L'antiquité  des 
manuscrits  renfermant  les  pièces  en  question  a  d'autant  moins 
de  signilîcation  ici,  que  la  falsification,  selon  nous,  aurait 
déjà  eu  lieu  pa.r  les  Donatistes  avant  saint  Augustin,  c'est-à- 
dire,  avant  l'an  400.  Il  n'est  certes  aucun  des  manuscrits  al- 
légués qui  remonte  à  cette  époque. 

La  ressemblance  du  style  avec  celui  de  saint  Cyprien  ne 
suffit  pas  non  plus  pour  prouver  l'authenticité  de  ces  pièces. 
Des  faussaii'cs  un  peu  habiles,  qui  se  sont  rendus  familiers 
les  écrits  d'un  auteur,  n'ont  pas  de  difficulté  à  imiter  sou  style, 
à  reproduire  la  terminologie,  la  coutexture  des  phrases  et  la 
tournure  d'expression  qui  lui  sont  propres.  Les  donatistes  d'A- 
frique, auteurs  de  la  fraude,  selon  nous,  avaient  d'assez  bons 
rhéteurs  pour  donner  à  leurs  pièces  controuvées  la  physiono- 
mie de  style  des  écrits  de  saint  Cyprien.  L'imposture  était 
d'autant  plus  aisée,  que  les  œuvres  de  saint  Cyprien  ne  con- 
sistent pas  en  des  traités  longs  et  suivis,  mais  dans  une  série 
de  lettres  et  d'opuscules.  Les  faussaires  n'avaient  pas  à  inter- 
rompre quelque  part  le  fil  du  discours  pour  y  intercaler  des 
passages  de  leur  façon,  ce  qui  trahit  plus  aisément  l'imposture 
par  la  manière  forcée  de  coudre  le  texte  vrai  au  texte  faux  in- 


Marâ  1863.)  BT  SAINT  CYPRIEN.  22i 

teicalé,  et  par  la  coufrontation  avec  d'autres  exemplaires  cir- 
culant déjà  dans  le  public  ;  il  leur  suffisait,  dans  les  recueils 
publiés  par  eux,  d'intercaler  une  lettre  fausse,  un  opuscule 
fabriqué,  entre  les  lettres  et  les  opuscules  authentiques.  Ceux 
qui  n'avaient  pas  ces  pièces  pouvaient  facilement  être  trompés, 
en  supposant  que  leurs  exemplaires  n'étaient  pas  complets. 
Saint  Augustin,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  soupçonnait 
la  fraude  pour  les  pièces  dont  nous  nous  occupons.  JMais  il  se 
contentait  de  révoquer  en  doute  leur  authenticité.  H  lui  était 
difficile  d'aller  plus  loin.  N'ayant  pas  en  main  les  preuves  ma- 
térielles et  complètes  de  la  falsification,  il  acceptait  ces  pièces 
comme  douteuses,  ruinant  ainsi  toute  la  force  des  conclusions 
qu'on  en  tirait  ;  et  de  plus  il  montrait  la  fausseté  de  ces  con- 
clusions dans  l'hypothèse  même  où  rauthenticité  serait  dé- 
montrée. Ni  la  ressemblance  du  style  avec  celui  de  saint  Gy- 
prien,  ni  le  fait  de  la  présence  de  ces  pièces  dans  des  exem- 
plaires publiés  alors,  n'empêchèrent  saint  Augustin  d'alléguer 
le  sentiment  qui  regardait  les  pièces  en  question,  et  toute  This- 
loire  du  prétendu  conflit,  comme  l'œuvre  des  faussaires,  suO 
ejus  nomine  à  prxsumptoribus  atque  mendaci bus  fuisse  conftctum. 
Tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici  a  eu  pour  but  do  fixer 
avec  netteté  l'état  de  la  question.  Elle  roule  tout  entière  sur 
ce  point  :  Les  documents  relatifs  au  célèbre  conflit  sont-ils 
authentiques,  ou  sont-ils  apocryphes?  Dans  le  premier  cas, 
le  conflit  est  incontestable.  Dans  le  second  cas,  c'est  nue  fable. 
Nous  allons  démontrer  qu'ils  sont  apocryphes.  Les  éléments 
de  notre  démonstration  sont  puisés  à  deux  sources  :  la  teneur 
même  de  ces  documents,  et  les  écrits  des  auteurs  contempo- 
rains, ou  peu  éloignés  de  l'époque  de  saint  Cy[>rien. 

§  IV. 

La  teneur  des  documents  relatifs  aucélèbre  conflit  doit  les  faire  regarder  cjnime. 

apocryphes. 

Nous  avons  ici  à  examiner  un  à  un  ces  documents,  et  à  faire 


222  SAINT  ETIENNE  [Tome  VII. 

ressortir,  pour  chaque  pièce  en  particulier,  les  raisons  qui 
rendent  inadmissible  l'hypoilièse  de  l'authenticité.  Le  lecteur 
doit  se  résigner  à  nous  suivre  dans  cettte  discussion  de  dé- 
tails, attendu  que  la  solution  de  la  question  en  dépend. 

I. 

Lettre  de  saint  Cyprien  aux  évêques  de  Numidie. 

Elle  porte  ce  titre  :  AdJanuarium  et  cœteros  episcopos  Numi- 
das,  de  boptizandis  hxreticis.  C'est  la  70*  selon  les  éditions 
des  œuvres  de  saint  Cyprien  par  Baluze,  Pamélius  et  autres. 
On  la  trouvera  aussi  dans  la  Collection  de  Labbe  (tome  I,  col. 
762,  éd.  cit.) 

1 .  Une  première  raison  qui  porte  à  la  regarder  comme  apo- 
cryphe, c'est  qu'elle  nous  représente  les  évêques  de  Numidie 
comme  doutant  et  ne  doutant  pas  tout  à  la  fois,  de  la  conduite 
à  tenir  par  rapport  aux  hérétiques  rentrés  dans  le  sein  de 
l'ÉgUse.  Voici  l'exorde  de  cette  lettre  :  Cum  simul  in  concilio 
essemus,  fratres  dilectissimi,  legimus  litteras  vestras  quas  ad  nos 
fecistis  de  iis  qui  apud  hxreticos  et  sckismaticos  baptizari  viden- 
tur,  an  ad  Ecclesiam  catholicam,  qux  una  et  vera  est,  venïentes 
baptizari  debeant.  De  qua  re,  quanquam  et  ipsi  illic  veritatem  et 
firmitatem  catholicx  regulx  teneatis,  tamen  quoniam  consulendos 
nos  pro  communi  dilectione  existimatis,  sententiam  nostram,  non 
novam  promimus,  sed  jampridem  ab  antecessoribus  nostîis  siatu- 
tam  et  a  nobis  observatam  vobiscum  pari  consensione  conjiingimus  ; 
censentes scilicet et procerto  tenentes,  neminem  foris  baptizni^i extra 
Ecclesiam  posse.  D'une  part,  les  évêques  de  Numidie  étaient, 
parfaitement  fixés  sur  la  question;  ils  regardaient  la  pratique 
de  rebaptiser  ceux  qui  revenaient  de  l'hérésie,  comme  la  règle 
catholique,  fondée  sur  une  incontestable  vérité,  vetitatem  et  fir- 
mitatem catholicx  regulx.  Ils  étaient  en  parfait  accord  avec  le 
sentiment  de  saint  Cyprien,  pari  consensione.  Ils  ne  pouvaient 


Mars.  1863.1  ET   SAINT   CYPRIEN.  223 

iguorer  la  décision  donnée  depuis  longtemps  par  un  concile 
nombreux  de  l'Afrique,  décision  attestée  en  ces  termes  dans  la 
lettre  de  saint  Cyprienà  Jubaianus:  Multi  jam  anni  sunt  et  lon- 
gaxtas,  exquosub  Agrippinobonx  memorix  viro,  convenientes  in 
unum  episcopi  plurimi  hoc  staluerint.  Car  le  même  saint 
Cyprien,  dans  sa  lettre  à  Quintus,  dit  expressément  que  cette 
décision  avait  été  prise  de  concert  avec  les  évêques  de  Numi- 
die  :  «  Quod  quidem  et  Aggripinns  bonae  mémorise  vir,  cum 
«  cieteris  coepiscopis  suis,  qui  illo  in  tempore  in  provincia 
«  AMca  et  Numidia  Ecclesiam  Domini  gubernabant  staluit  et 
«  librato  consilii  communis examine  Grmavit.»  Puisque,  d'une 
part,  les  évéques  de  Nuraidie  étaient  si  bien  fixés,  on  se  de- 
mande pourquoi,  d'autre  part,  ils  consultent  saint  Cyprien, 
comme  s'ils  étaieut  dans  l'incertitude?  On  mettra  peut-être  en 
avant  l'hypothèse  que  quelqu'un,  dans  la  province  deNumidie, 
s'était  déclaré  pour  le  sentiment  contraire,  et  que  les  évêqnes 
de  ce  pays,  quoique  ne  doutant  pas  eux-mêmes,  avaient  voulu 
avoir  une  décision  de  saint  Gyprien  et  du  concile  alors 
réuni,  afin  de  réprimer  par  une  autorité  plus  imposante  la 
nouveauté  qu'on  tentait  d'introduire  chez  eux.  Mais  nous  repro- 
duirons la  réponse  que  faisait  saint  Augustin,  au  sujet  d'une 
semblable  consultation  de  Jubaianus  :  Cur  enim  Jubaianus  de 
novitate  turbaretur,  ut  eum  per  auctoîitatem  Aggrippini  sanari 
oporteret,  si  ab  Aggrippino  usque  ad  Cyprianum  hoc  tenebat  Eccle- 
sia  (Contra  Donatistas,  lib.  m,  cap.  12,  col.  414,  éd.  Mauriu., 
t.  IX).  Si  l'on  pèse  attentivement  ces  circonstances,  on  verra 
combien  est  invraisemblable  cette  consultation  des  évêques 
Numides,  et  l'on  sera  bien  plus  porté  à  regarder  la  prétendue 
lettre  de  saint  Gyprien,  qui  la  relate,  comme  un  document 
t'abriqué  par  les  Douatistes.  Pour  avoir  une  occasion  d'attribuer 
cette  lettre  à  saint  Cyprieu,  l'imposteur  aura  supposé  une  cor:- 
sultation  de  la  part  de  ces  évêques.  Mais  comme,  d'un  autre 
côlé,  les  Donatistes  soutenaient  comme  généralement  suivies  eu 
Afrique  jusqu'au  temps  de  saint  Gyprien,  la  doctrine  et  la  prali- 


224  SAINT  ETIENNE  [Tome  VII. 

<iue  de  la  réitération  du  baptême,,  le  faussaire  ne  pouvait  pus 
représenter  les  évèques  consultants  comme  incertains  sur  ce 
point.  De  là  le  fait  bizarre  d'évêques  qui  consultent,  quoiqu'ils 
sachent  très -bien  à  quoi  s'en  tenir. 

2.  Autre  indice  de  fraude.    Selon  cette  lettre,  saint  Cyprien 
serait  tombé  dans  l'erreur  qui  fait  dépendre  la  validité  du  bap- 
tême, non-seulement  de  la  foi,  mais  encore  de  l'état  de  grâce 
du  ministre.  Les  paroles  de  la  lettre  qui  expriment  cette  erreur 
sont  tout-à-fait  explicites  :  Quomodo  autem,  y  est-il  dit,  mimdare 
^t  sanctificare  aquam  potest  qui  ipse  immundus  est,  et  apud  quem 
Spiritus  Sanctus  non  est?...  Aut  quomodo baptizans  dare  alteri 
remissionem  peccatorum  potest,  qui  ipse  sua  peccata  deponere 
■extra  Ecclesiam  non  potest  ?...  Scire  autem  et  meminisse  debemus 
scriptum  esse  :0\e\iïn  peccatoris  non  ungat  caput  meum.  Quod 
ante  in  psalmis  prxmonuit  Spiritus  Sanctus,  ne  quis  exorbitans  et 
a  via  veritatis  exerrans,  apud  hsereticos  et  Christi  adversarios 
ungeretur.  Sedet  pro  baptizato  quam  precem  facere  potest  sacer-^ 
dos  sacrilegus  et  peccator  ?   Cum  scriptum  sit :  Deus  peccatorem 
non  audit;  sed  qui  eum  coluerit  et  voluntatem  ejus  fecerit, 
illum  audit.  Quis  autem  potest  dare  quod  ipse  non  habet,  aut  quo- 
modo potest  spiritualia  agere qui  ipse  amiserit  Spiritum  Sanctum  ? 
Si  baptizare  potuit,  potuit  et  Spiritum  Sanctum  dare  ;  si  autem 
Spiritum  Sanctum  dare  non  potest,  quia  forts   constitutus  cum 
Spîritu  Sanclo  non  est,  nec  baptizare  venientes  potest,  quandoet 
baptisma  unum  sit,  et  Spiritus  Sanctus  unus,  et  una  Ecclesia  a 
Chris to  Domino  super  Petrum  origine  unitatis  et  ratione  fundata. 
Ces  paroles  expriment  clairement  la  nécessité  de  l'état  de  grâce 
dans  celui  qui  administre  le  baptême,  pour  que  le  sacrement 
soit  valide.  Or,  c'est  là  précisément  une  des  erreurs  que  sou- 
tenaient les  Donatistes.  Mais  avant  ces  hérétiques,  c'est-à-dire 
avant  Constantin,  on  n'en  trouve  pas  de  trace.  Les  quelques 
paroles  de  Tertullien  {de  Baptismo,  cap.   13),  qu'on  allègue 
comme  s'en  approchant,  ne  la  renferment  pas  d'une  manière 
explicite.  On  ne  doit  donc  pas  attribuer  cette  erreur  à  saint 


Murs  1803.]  ET   SAINT   CYPRIEN.  225 

Cyprien,  qui  était  si  versé  dans  la  connaissance  des  saintes 
Ecritures,  etne  pouvait  par  conséquentignorer  la  doctrine  con- 
traire exprimée  par  saint  Paul  (Rora.  8,  33  ;  Cor.  1,  12;  3,  4), 
et  par  saint  Jeanl'Évangeliste  (1,  33). 

3.  Le  texte  oleum  peccato7is  non  impinguet  caput  meum,  est 
encore  un  indice  de  fraude.  Le  douatiste  Parménien  l'opposait 
à  saint  Augustin  pour  prouver  la  nullité  du  baptême  conféré 
par  les  hérétiques.  Saint  Augustin  le  réfute  ainsi  :  «  Apertissime 
«  psalmusindicatquemadmodum  intclligeudumsit.  Aitenim; 
«  Emundabit  mejustus  in  misericordia  et  arguet  me  ;  oleum  autem 
«  peccatoris  non  impinguet  caput  meum.  Unde  manifestum  est^ 
«  oleo  peccatoris  blanditiasadulatoris  esse  signifîcatas,  quibus 
«  repudiatis  et  detestatis,  eligit  a  justo  eraendari  et  argui.  » 
(Contra  Parmenianum,  lib.  '±.  c.  10,  tora.  ix  edit.  Maurin., 
col.  40.)  Le  sens  donné  à  ce  texte  dans  la  lettre  aux  évêques 
de  Mauritanie  est  si  évidemment  faux,  qu'on  ne  saurait 
l'attribuer  à  saint  Cyprien.  Saint  Augustin  va  jusqu'à  tourner 
en  dérision  l'ignorance  de  Parménien  pour  avoir  entendu  le 
toxte  dans  ce  sens. 

4.  11  faut  en  dire  autant  du  texte  :  Deus  peccatorem  non  au- 
dit. Saint  Cyprien  n'ig'.iorait  pas  que  ces  paroles,  ayant  été 
prononcées  par  l'aveugle-né,  étaient  par  cela  seul  sans  autori- 
té. D'ailleurs,  elles  sont  complètement  étrangères  à  la  question. 
C'est  ce  que  saint  Augustin  répondait  aux  Doûalistcs,  qui  lui 
objectaient  aussi  ce  texte.  Après  en  avoir  exposé  le  sens,  il  dit  : 
Quid  ergo  sibi  vult  hoc  testimonium,  vel  quomodo  pro  se  arbitran- 
iur  {Donatistx)  esse  proferendum? ...  Non  a  Domino  dictum  est, 
sed  ab  illo  ([ui  ocidos  corporis  jmnpridem  restitutos  habebat  (loc. 
cil.).  Que  les  hérétiques  douatistes  aient  poussé  l'ignorance  ou 
la  mauvaise  foi  jusqu'à  recourir  à  de  pareils  textes,  on  le  con- 
çoit. N'en  trouvant  pas  de  plus  favorables  à  leur  erreur,  ils 
alléguaient  ceux-là  avec  leur  interprétation  absurde,  et  en  im- 
posaient ainsi  à  la  multitude.  Mais  une  pareille  ignorance,  une 
pareille  mauvaise  foi,  ne  doit  pas  être  attribuée  à  saint  Cyprien. 

Revue  pes  Sciences  EccLÉsiASTiQUES,  t.  vu.  15-16. 


226  SAINT  ETIENNE  [Tome  VIL 

(c  En  résumé,  dit  Mgr  Tizzani,  dans  cette  lettre  aux  évê- 
«  ques  de  Numidie,  je  ne  trouve  rien  dont  le  saint  martyr 
«  puisse  être  supposé  l'auteur  :  ni  la  doctrine  qui  s'y  trouve 
a  professée,  ni  les  textes  de  l'écriture,  ni  l'historique  de  la 
«  controverse.  On  y  voit  une  consultation  sans  motif,  une  ar- 
«  gumentation  d'une  extrême  ignorance  ou  d'une  insigne 
a  mauvaise  foi.  On  doit  donc  la  regarder  comme  apocryphe  » 
(ouvrage  cité,  page  9o). 


IL 


Lettre  de  saint  Cyprien  à  Quintus. 

C'est  la  LXXl*  dans  l'édition  de  Baluze  et  autres.  On  la  trou- 
vera dans  la  Palrologie  Migne  tome  iv,  col.  408.  Voici  les  rai- 
sous  qui  doiveut  la  faire  regarder  comme  apocryphe. 

1.  C'est  encore  une  consultation  sans  motif  qui  en  aurait 
été  l'occasion.  L'exordc  est  ainsi  conçu  :  Retulit  ad  me,  frater 
ckarissime,  Lucianus  compresbyter  noster  te  desiderasse  ut  signi- 
ficaremus  tibi  quid  sentiamus  de  his  qui  apud  hsereticos  et  schis- 
maticos  baptizati  videntur.  De  qua  re  quid  nuper  in  concilia  plu- 
rimi  coepiscopi,  cum  compresbyteris  qui  aderant,  censuerimus  ut 
scires,  ejusdem  epistolss  exemplum  tibi  misi.  Quintus  était  un 
des  évêques  de  la  Mauritanie,  ainsi  que  l'atteste  la  lettre  de 
saint  Cyprien  au  Pape  saint  Etienne.  Or,  les  évêques  de  Mauri- 
tanie connaissaient  parfaitement  le  sentiment  de  saint  Cyprien , 
comme  nous  l'avons  fait  observer  à  l'égard  de  ceux  de  Numidie. 
En  outre,  Lucien,  par  l'entremise  duquel  Quintus  aurait  de- 
mandé des  éclaircissements,  était  un  des  prêtres  de  l'église  de 
Carthage,  comme  semblent  l'indiquer  les  mots  compresbyterno- 
ster.  Il  ne  pouvait  donc  ignorer  la  doctrine  de  saint  Cyprien 
et  du  concile  où  la  question  avait  été  examinée.  Il  lui  était 
par  conséquent  très-facile  d'en  informer  Quintus,  sans  qu'il 


Mars  1803.]  ET  SAINT  CYPRIEN.  227 

lût  besoin  d'une  lettre  de  saint  Cyprien.  Bien  plus,  saint  Cy- 
prien  dit  qu'il  a  déjà  envoyé  à  Quintus  une  lettre  sur  ce  sujet 
exprimant,  non-seulement  sa  décision,  mais  encore  celle   du 
concile.  Pourquoi  donc  Quintus  consultait-il,  et  demandait-il 
qu'on  lui  dît  ce  qui  lui  avait  été  dit  déjà  ?  La  main  du  faussaire 
se  trahit  là  d'une  manière  visible.  Si  l'on  objecte  que  proba- 
blement cette  lettre,  antérieurement  envoyée  à  Quintus,  ne  lui 
était  point  parvenue,  nous  répondons:  dans  ce  cas,  saint  Cy- 
prien exprimerait  le  doute  sur  le  sort  de  cette  lettre  envoyée, 
et  dirait  qu'il  écrit  de  nouveau,  en  cas  qu'elle  se  soit  perdue. 
Ou  plutôt,  il  n'écrirait  pas  une  nouvelle  lettre,  mais  il   enver- 
rait une  copie  de  la  première,  qui  était  celle   du  concile  et 
avait  p^r  là  même  plus  de  gravité.  En  un  mot,  saint  Cyprien 
aurait  fait  ce  qui  se  fait  toujours  eu  pareil  cas.  Il  se  serait  ex- 
primé daus  ce  sens  :  Je  vous  avais  déjà  expédié  la  lettre  synodale 
relative  à  cette  matière  ;  mais  votre  consultation  récente  me  faisant 
présumer  que  cette  lettre  ne  vous  est  point  parveiiue,  Je  vous  en 
envoie  un  nouvel  exemplaire.  Au  lieu  de  cela,  on  suppose  que 
Quintus   a  reçu  cette  lettre  synodale,  et  que  néanmoins  il  de- 
mande le  sentiment  de  saint  Cyprien.  On  le  voit,  le  faussaire 
s'est  tralii  par  cet  exorde  maladroit. 

2.  Le  passage,  quidam  de  collegis  nostris  malunt  hxreticis  ho- 
no7'em  dare  quam  nobis  consentire,  fournit  un  nouveau  motif  de 
suspicion.  Il  n'est  pas  vraisemblable  qu'il  y  ait  eu  dès  lors  en 
Afrique  des  évêques  opposés  à  la  doctrine  de  saint  Cyprien  : 
cette  doctrine,  comme  les  documents  le  supposent,  avait  été 
confirmée  par  un  concile,  et  se  trouvait  d'ailleurs  conforme  à 
la  coutume  générale  de  ce  pays.  L'opposition  du  pape  saint 
Etienne  n'avait  pas  encore  eu  lieu,  et  l'autorité  de  saint  Cyprien 
était  immense.  Comment  supposer  que,  dans  cette  situation, 
certains  évêques  d'Afrique  se  soient  déclarés  les  adversaires  de 
saint  Cyprien?  D'ailleurs,  aucun  de  ces  prétendus  adversaires 
n'est  nommé.  On  dira  peut-êlre  que  les  mots,  quidam  de  col- 
legis nostris,  peuvent  s'entendre  de  saint  Etienne^  et  qu'il  font 


228  SAINT  ETIENNE  [Tome  VU. 

allusion  au  sentiment  exprimé  déjà  par  ce  Pape  aux  évêques 
d'Orient,  sur  cette  même  question  du  baptême.  Mais,  dans  cette 
hypothèse,  saint  Cypiieu  n'aurait  pas  usé  d'une  expression 
qui  indique  assez  clairement  une  suprématie,  quam  nobis  con- 
sentire.  Ces  mots  se  conçoivent  à  l'égard  des  évêques  d'Afrique, 
dont  il  était  le  primat  ;  ils  auraient  été  choquants  à  l'égard  du 
siège  que  saint  Cyprien  appelle  VEgli&e  mère  et  principale. 

3.  Parmi  les  textes  apportés  en  preuve  dans  cette  lettre,  se 
trouve  celui-ci  :  Qui  baptizatur  a  mortuo,  quid  proficit  lavatio 
ejus?  Un  pareil  argument  suppose  trop  d'ignorance  ou  de 
mauvaise  foi,  pour  qu'on  puisse  l'attribuer  à  saint  Cyprien. 
Voici  le  texte,  rétabli  dans  son  intégrité  :  Qui  baptizatur  a 
mortuo  et  iterum  tangit  eum,  quid  proficit  lavatio  ejus?  {Ec- 
cli.  XXXIV,  30).  Le  sens  en  est  clair  :  lorsque  celui  qui  a  con- 
tracté l'impureté  légale  en  touchant  un  mort  s'en  est  purifié 
en  se  lavant,  à  quoi  cela  lui  sert-il,  s'il  toudie  de  nouveau  le 
cadavre  et  contracte  ainsi  de  nouveau  la  même  souillure  ?  Un 
pareil  texte  est  complètement  étrauger  à  la  question  de  la  va- 
lidité du  baptême  conféré  par  les  hérétiques.  C'est  ce  que  re- 
mar([ue  Rigauit  dans  son  édition  des  œuvres  de  saint  Cyprien: 
Qux  sententia  nihil  omnino  facit  ad  mentem  Cypriani.  Dire  que 
saint  Cyprien  u'a  connu  que  le  texte  tronqué  et  qu'il  y  a  vu  un 
appui  pour  sa  thèse,  c'est  supposer  dans  ce  grand  évèque  une 
ignorance  contre  laquelle  ses  ouvrages  protestent  hautement. 
Dire  qu'il  a  malitieusement  tronqué  le  texte  pour  y  adapter 
un  sens  qu'il  savait  bien  n'être  pas  le  vrai,  c'est  une  insulte 
qui  ne  peut  l'atteindre.  Si  quelque  chose  est  constaté  en  his- 
toire, c'est  i'éminente  sainteté  de  saint  Cyprien,  et  cette  belle 
loyauté  de  caractère  que  saint  Augustin  nous  a.  si  bien  dé- 
peinte par  ces  deux  mots,  candidissimi  pectoris . 

On  objecte  ici  les  hésitations  de  saint  Augustin  sur  ce  même 
texte.  On  dit  :  saint  Cyprien  a  pu  ne  pas  s'apercevoir  que  le 
texte  cité  par  lui  était  tronqué,  puisque  saint  Augustin  ne  s'en 
est  pas  non  plus  aperçu.  Aux  Donatistes  qui  lui  objectaient 


Mars  1863.1  ET   SaINT   CYPRIEN.  229 

ce  passage  trouqué,  saint  Augustin,  an  lieu  de  le  rétablir 
dans  son  intégrité  et  d'en  exposer  le  vrai  sens,  a  répondu 
ainsi  :  «  Et  illiul  quod  scriptum  est,  qui  baptizatur  a  mortuo 
quid  proficit  lavatio  ejus,  ut  intérim  differam  diligentiorem 
istoruui  verborum  inquisilionem,  tutissime  accipio,  pagano- 
rum  baptismata  esse  denolata,  quia  hoinines  et  ab  justitia  et 
ab  ista  vita  mortuos  coluut,  in  quorum  nomine  baplizantur  » 
(Op.    tomo  IX,  col.  39,  éd.  Maurin.). 

Je  réponds  :  il  est  vrai  que  saint  Augustin,  au  moment  où  il 
écrivait  ces  ligues,  ne  paraît  pas  avoir  eu  présent  à  la  mé- 
moire le  texte  entier;  mais  il  se  propose  de  rechercher  s^il 
est  exact.  Peut-être  difFéra-t-il  cette  recherche,  parce  qu'il 
n'avait  pas  en  ce  moment  sous  la  main  son  exemplaire 
des  saintes  Écritures.  Ut  intérim,  dit-il,  differam  diligen- 
tiorem istorum  verborum  inquisilionem .  En  attendant,  il  si- 
gnale un  sens  orthodoxe  que  pouvait  comporter  le  texte 
tel  qu'on  le  citait.  Cette  vérification  ,  omise  pour  1h  mo- 
ment, saint  Augustin  l'avait  faite  peu  après,  lorsqu'il  écrivit 
ce  passage  :  «  Sic  et  in  alio  testimonio,  ubi  dictum  est, 
qui  baptizatur  a  mortuo  quid  proficit  lavatio  ejus,  aut  inspice 
dili^enter  codices  antiquos  et  maxime  grc3C03,  ne  forte  ipsa 
verba  aliter  conscripta,  ex  prœcedeuti  et  consequenti  contex- 
tione  sermonis  alium  sensum  intiment;  aut  certe  mortuos  in- 
telligamus,  sicut  dixi,  in  quorum  nomine  baptizantur  idolo- 
rum  cultores  »  (libro  2  ad  Cresconium,  cap.  27).  Saint  Augus- 
tin a  donc  soupçonné  l'altération  du  texte  allégué.  Il  se  pro- 
pose de  la  vérifier;  il  la  vérifie  et  la  constate  en  eflet  peu 
après.  Cet  état  d'esprit  de  saint  Augustin  se  conçoit.  Mais 
dans  saint  Cyprien,  si  la  lettre  à  Quintus  était  de  lui,  il  fau- 
drait supposer  une  complète  méprise,  ou  une  mauvaise  foi 
qui  n'est  pas  admissible. 

4.  La  fi'aude  se  manifeste  encore  par  ce  passage  de  la  même 
lettre  :  Non  est  autem  de  consuetudine  presser ibendum,  sed  ra- 
(ione  vinceridum.  Nam  nec  Petrus,  quem  primum  Dominus  ele- 


Î30  SAINT   ÉirENNE  (Tome  VU. 

git,  et  super  quem  xdijîcavit  ecclesiam  suam,  cum  secum  Pau- 
lus  de  circumcisione  postmodum  disceptaret ,  vindicavit  sibi  ali- 
quid  insolenter  aut  arroganter  assumpsit  ,ut  diceret  se  primatum 
tenere  et  obtemperari  a  novellis  et  posteris  sibi  oportere.  Nec 
despexit  Paulum  quod  Ecclesix  prius  persecutor  fuisset,  sed  con- 
silium  veritatis  admisit,  et  rationi  légitima  quam  Paulus  vindi- 
cabat  facile  consensit. 

Premièrement,  saint  Cyprien  abandonne  ici  l'argument  tiré 
de  la  coutum'^,  dont  il  fait  son  principal  appui  dans  ses  lettres 
aux  évèquGs  Numides  et  à  Jubaiauus.  Ce  n'est  plus  à  la  cou- 
tume, à  la  tradition,  qu'il  en  appelle,  mais  à  la  raison,  serf  ra- 
tione  vincendum  ;  il  est  peu  vraisemblable  que  saint  Cyprien 
se  soit  ainsi  contredit  lui-même.  On  dit  :  saint  Cyprien  aurait 
d'abord  cru  la  coutume  africaine  de  rebaptiser  fort  ancienne 
et  remontant  jusqu'aux  Apôlres.  Puis  il  aurait  reconnu  qu'elle 
ne  datait  pas  de  si  loin,  et  voyant  que  ce  moyen  de  preuve 
était  plutôt  défavorable  à  sa  cause,  il  l'aurait  répudié  pour 
en  appeler  à  la  raison,  c'est-à-dire  à  la  discussion  raisonnée 
des  vérités  consignées  dans  les  saintes  Écritures.  Il  faut  con- 
A'enir  au  moins  que  ces  variations  sont  bien  peu  vraisem- 
blables et  bien  peu  dignes  de  cette  candeur  dont  parle  saint 
Augustin,  candidissimi  pectoris.  Mais  n'insistons  pas,  et  pas- 
sons à  une  preuve  de  fraude  tout-à-fait  péremptoire,  que  nous 
offre  le  passage  cité. 

Secondement,  il  y  a  dans  ce  passage  une  allusion  évidente 
au  jugement  contraire  prononcé  par  la  pape  saint  Etienne 
sur  la  question.  A  qui  reprocbe-t-il  de  vouloir  l'emporter  par 
l'autorité  de  la  coutume  ou  de  la  tradition  apostolique  ?  Evi- 
demment au  pape  saint  Etienne.  Qui  a-t-il  en  vue,  en  rappe- 
lant que  saint  Pierre,  dans  son  dissentiment  avec  saint  Paul, 
n'avait  pas  tranché  insolemment  et  avec  arrogance,  qu'il  n'avait 
pas  allégué  sa  primauté,  ni  prétendu  que  les  autres,  en  qualité 
d'inférieurs,  dussent  lui  obéir?  Evidemment,  il  veut  parler  du 
pape  saint  Etienne,  de  son  décret,  et  de  la  primauté  de  juri- 


Mars  1863.1  BT   SAINT   CYPRIEN.  234 

diction,  rappelée  saus  doute  dans  ce  décret,  pour  amener  les 
récalcitrants  à  la  soumission.  La  tournure,  nec  Petnis  vindi- 
cavit  sibi  aliquid  insolenter  aut  arroganter  assumpsit  ut  diceret 
se  primatum  tenere,  etc.,  dit  équivalemment  que  le  pape  saint 
Etienne  venait  de  tenir  la  conduite  opposée.  Or  de  ce  sens, 
qui  est  incontestable,  résulte  une  manifeste  contradiction  :  la 
lettre  à  Quintus  serait  tout  à  la  fois  postérieure  et  antérieure 
au  décret  du  pape  saint  Etienne. 

Elle  serait  posténew^e,  puisque  saint  Cyprien  y  reprocherait 
au  Pape  d'avoir  agi  insolemment  et  avec  arrogance,  et  voulu  for- 
cer les  autres  à  se  soumettre  à  sa  décision,  en  alléguant  sa  p)i- 
mauté.  Saint  Cyprien  connaissait  donc  le  décret  du  Pape  contre 
le  sentiment  des  évêques  d'Afrique,  lorsqu'il  écrivait  sa  lettre 
à  Quintus.  Cette  lettre  serait  donc  postérieure. 

D'autre  part  cependant,  la  lettre  synodale  de  saint  Cyprien 
à  saint  Etienne  atteste  le  contraire.  En  efiet,  dans  cette  lettre 
synodale,  qui  est  elle-même  bien  certainement  antérieure  au 
décret  connu  de  ce  Pape,  il  est  fait  mention  expresse  de  la 
lettre  à  Quintus  :  Baptismum  autem  non  esse  quo  hxreticiutuntur 
diligenter  nuper  expressum  est  in  epistola  quse  ad  Quintum  col- 
îegam  nostrum  in  Mauritania  constitutum  super  ea  rescripta  est  : 
item  inixtteris  quas  collegx  nostri  ad  Episcopos  m  Numidia pré- 
sidentes ante  fecerunt,  cujus  utriusque  epistolx  exempta  subdidi. 
Il  serait  absurde  de  dire  que  le  décret  du  pape  saint  Etienne 
était  connu  en  Afrique  lorsqu'on  expédia  cette  lettre  synodale. 
Car,  dans  cette  hypothèse,  la  lettre  roulerait  principalement 
sur  ce  décret,  et  sur  les  raisons  que  le  concile  africain  préten- 
drait avoir  eues  pour  ne  pas  s'y  soumettre.  Or,  il  n'y  a  pas  un 
mot  sur  ce  sujet.  La  lettre  synodale  suppose  au  contraire 
qu'aucune  décision  du  Pape  n'était  intervenue.  Les  Pères  y 
parlent  comme  s'ils  consultaient  le  Saint-Siège  sur  la  question, 
et  pour  l'informer  de  ce  qu'ils  avaient  cru  devoir  décider  en 
concile  :  Sed  de  eo  vel  maxime  tibi  scribendum  et  cum  tua  gra- 
vitate  ac  sapientia  conferendum  fuit,  etc.  Cette  manière  de  par- 


":'32  SAINT  ETIENNE  ET  SAINT  CYPRIEN.  [Tome  Vil. 

1er  exclut  Thypotlièse  qu'ils  connussent  alors  la  décision  pon- 
tificale qui  les  conclamnait.  Ainsi,  la  lettre  synodale  est  anté- 
rieure au  décret  de  saint  Etienne  ,  et  la  lettre  à  Quintus  est 
antérieure  à  la  lettre  synodale,  puisqu'elle  y  est  mentionnée 
comme  telle.  La  contradiction  ne  saurait  être  plus  manifeste. 
Que  conclure,  sinon  que  cette  prétendue  lettre  de  saint  Gy- 
prien  à  Quintus  est  apocryphe  ? 

3.  Une  autre  incohérence  qui  indique  la  fraude,  c'est  le  lan- 
gage contradictoire  que  les  évêques  d'Afrique  auraient  tenu 
au  pape  saint  Etienne,  si  la  lettre  à  Quintus  était  de  saint 
Cyprien.  Dans  la  lettre  synodale,  ils  parlent  de  \a  gravité  et  de 
la  sagesse  du  Pontife  romain,  cum  tua  gravito.te  ac  sapientia 
conferendum  fuit. Eten  mêmetemps,  ils  auraient  joint  une  copie 
de  la  lettre  à  Quintus,  où  ils  le  déchirent  indignement,  Taccu- 
sant  d'insolence  et  d'arrogance. 

D.  Bouix. 


LE  SPIRITISME, 


Premier  article. 


Il  se  produit  de  nos  jours  une  sorte  d'épidémie  spirituelle, 
un  fléau  dont  la  propagation  universelle  et  subite  constitue^ 
aux  termes  du  R.  P.  Ventura,  un  des  plus  grands  événements 
de  notre  siècle.  Ce  phénomène  porte  assez  communément  le 
nom  plus  ou  moins  heureusement  choisi  de  Spiritisme,  qui 
signifie  culle  des  esprits.  En  1846,  un  esprit  frappeur  se  fait 
entendre  pour  la  première  fois,  en  Amérique,  dans  l'apparte- 
ment de  deux  jeunes  personnes.  Sept  ans  plus  tard,  en  1853, 
cinq  cent  mille  sectateurs  entretiennent  avec  les  esprits  un 
système  de  relations  fonctionnant  comme  une  institution  pu- 
blique. Du  Nouveau-Monde,  ces  pratiques  singulières  passent 
dans  le  vieux  continent.  Elles  sont  constatées  d'aborJ  dans  le 
nord  de  l'Angleterre,  ensuite  dans  le  midi  ;  de  là  elles  passent 
en  Allemagne,  où  elles  occasionnent  une  fièvre  générale.  On 
les  retrouve  bientôt  après  en  Sibérie,  et  au  même  instant  en 
France,  où  se  fait  comme  une  explosion  qui  préoccupe  vive- 
ment l'opinion  publique.  Tout  ce  bruit  paraît  bientôt  se  calmer  ; 
mais  loin  de  cesser,  le  culte  des  esprits  s'établit  alors,  se  ré- 
gularise, se  propage  et  prend  les  proportions  d'une  religion. 
Ed  ce  moment,  le  mouvement  spirite  a  gagné  l'Autriche,  la 
Pologne,  la  Russie,  l'Italie,  l'Espagne,  la  Turquie,  etc.  En 
France,  plus  de  cent  villes,  parmi  lesquelles  Lyon  et  Bor- 
deaux occupent  le  premier  rang,  ont  des  réunions  spirites 
régulièrement  organisées. 


23  î  LE   SPIRITISME.  [Tome  VU 

Ou  le  comprend  facilement,  la  Revue  des  sciences  ecclésia- 
stiques ne  peut  s'empêcher  d'étudier  cette  grave  question. 
C'est  le  travail  que  nous  entreprenons  aujourd'hui.  Pour  le 
réaliser,  deux  choses  sont  nécessaires  :  il  faut  d'abord  bien 
connaître  le  spiritisme.  Or,  c'est  une  tâche  très-facile  :  les 
livres  spirites  fourmillent.  Outre  la  Revue  spirite,  nous  avons 
le  Spiritisme  à  sa  plus  simple  expression,  Qu'est-ce  que  le  spiri- 
tisme,  U  Livre  des  médiums,  le  Livre  des  esprits,  Voyage  spi- 
rite (1).  Publiés  par  le  chef  du  spiritisme,  fruit  de  l'expérience 
générale,  ces  travaux  présentent  dans  toute  leur  sincérité  les 
doctrines  de  la  secte.  Si  nous  les  citons,  ce  n'est  certes  pas 
pour  contribuer  à  leur  dififusion.  11  n'y  a  point  de  raison  pour 
les  particuliers  de  coopérer  par  des  achats  formels  à  la  marche 
des  œuvres  ténébreuses.  Nous  en  dirons  du  reste  assez  pour 
les  faire  suflBsainment  connaître  et  pour  en  donner,  dans  l'in- 
térêt du  bien  public,  une  étude  approfondie. 

Le  spiritism.e  étant  connu  par  ses  propres  aveux  et  ses  pu- 
bhcations  officielles,  nous  aurons  en  notre  possession  le  premier 
terme  du  prol)lème.  Le  second  ne  sera  pas  difficile  à  con- 
naître :  il  n'y  aura  pour  cela  qu'à  rappeler  l'enseignement  de 
la  sainte  Église  catholique  avec  qui  Jésus-Christ  sera  tous  les 
jours,  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  et  à  qui  le  Saint-Esprit  suggé- 
rera sans  cesse  toute  vérité.  Ce  terme,  bien  que  fort  simple 
en  apparence,  se  trouve  en  réalité  assez  complexe,  à  raison 


{{)  Le  Livre  des  Esprits,  conlenant  les  principes  de  la  doclrine 
spiriie...  selon  l'enseignement  donné  par  les  esprits  supérieurs  à 
l'aide  de  divers  médiums,  recueillis  el  mis  en  ordre  par  Allan 
Kardec  (neuvième  édiiion).  Paris.  Didier  el  C»,  1863.  Le  L'ivre  de$ 
médiums  ou  Guide  des  médiums  et  des  évocateurs,  par  le  même 
(quatrième  édition),  ibid.  M.  Allan  Kardec  a  publié  en  outre  quelques 
ouvrages  moins  éieudus  :  Qu'est-ce  que  le  spiritisme?  guide  de  l'ob- 
servaieur  novice  dans  les  mamfeslaiions  des  esprits  (troisième  édi- 
tion) ;  —  le  Spiritisme  à  sa  plus  simple  expression,  exposé  sommaire 
de  l'enseignement  des  esprits  el  de  leurs  manifeslalioas, —  F'oyage 
spirite  en  ^862. 


Mars  18031.  ^^   SPIRITISME.  23 J 

des  affinités  multiples  du  phénomène  que  nous  voulons  étudier. 

Le  spiritisme  touche  psr  toutes  ses  limites  à  la  question 
des  esprits.  Nous  étudierons  d'abord  la  doctrine  catholique 
sur  les  esprits,  c'est-à  dire  sur  les  bons  anges,  sur  les  mauvais 
esprits,  sur  les  âmes  des  fidèles  trépassés,  considérées  soit 
dans  le  ciel,  soit  dans  le  purgatoire,  soit  dans  l'enfer.  Nous 
verrons  ensuite  la  doctrine  spirite  posant  comme  axiome  que 
«  les  esprits  ne  sont  autres  que  les  âmes  des  hommes  dépouillées 
de  leur  enveloppe  corporelle,  »  et  donnant  sur  les  esprits  ainsi 
entendus  les  plus  étranges  enseignements. 

Le  spiritisme  se  rapporte  à  la  question  des  forces  de  la  na- 
ture. 11  emploie  certains  moyens  qu'il  faudra  connaître  et  se 
met  eu  relation  immédiate  avec  les  esprits.  Nous  rapproche- 
rons des  pratiques  spiriles  la  doctrine  de  l'Église  et  de  la 
théologie  §ur  l'énergie  de  la  nature  et  la  proportion  des  eflFels 
qu'elle  peut  amener. 

Le  spiritisme  a  produit  plusieurs  résultats  divers.  Ces  résul- 
tats, nous  les  examinerons  au  point  de  vue  catholique.  Les 
effets  que  l'Esprit  de  Dieu  réalise  sont  mentionnés  dans  la 
théologie  :  rien  ne  sera  plus  facile  que  de  constater  s'ils  sont 
les  mêmes  que  ceux  qu'a  obtenus  le  spiritisme.  Notre-Sei- 
gneur,  nous  mettant  en  garde  contre  les  faux  prophètes, 
loups  cachés  sous  des  peaux  de  brebis,  nous  a  dit  :  A  fructi- 
bus  eorum  cognoscetis  eos,  vous  les  reconnaîtrez  à  leurs  fruits  ! 
Toute  la  question  pourrait  être  ramenée  à  cet  unique  point. 

Quelque  apparente  nouveauté  qu'il  affecte,  le  spiritisme  a 
au  fond  des  racines  dans  le  passé.  Il  n'est  qu'une  manifesta- 
tion contemporaine  faisant  suite  à  cette  série  non  interrompue 
de  communications  diverses  que  la  superstition  humaine  n^a 
cessé  d'entretenir  avec  les  esprits.  Si,  comme  on  le  verra,  les 
pratiques  spirites,  à  part  quelques  variantes,  ne  sont  au  fond 
que  des  pratiques  antiques  mises  en  jeu  dans  tous  les  siècles, 
il  nous  faudra  savoir  le  jugement  porté  par  l'ÉgUse  à  toutes 
les  époques  sur  les  relations  criminelles  avec  les  esprits,  et 


236  LE   SPiaiTISME.  ameVlI. 

constater  si  les  R0uvell(3s  évocations  ne  sont  pas  atteintes  par 
les  condamnations  qui  ont  proscrit  les  évocations  précédentes. 
Outre  ces  relations  historiques  avec  le  passé,  le  spiritisme 
trouve  dans  le  présent  des  affinités  qui  expliquent  et  son  ap- 
parition et  ses  succès.  Il  flatte  tous  les  instincts  de  notre 
siècle.  Les  esprits  ont  généralement  horreur  aujourd'hui 
d'un  grossier  et  répugnant  matérialisme,  mais  ils  ne  veulent 
pas  s'accommoder  du  catliolicisme.  Tout  eu  étant  pleins  d'un 
respect  extérieur  pour  ses  dogmes  et  ses  pratiques^  ils  ont  à 
cœur  de  s'en  affranchir.  On  se  fait  une  religion  naturelle  plus 
commode,  mais  aussi  sûre  que  la  religion  révélée.  Au  vieux 
catholicisme  qui  ne  répond  phis,  dit-on,  aux  exigences  mo- 
dernes, on  veut  substituer  un  bien  meilleur,  une  fraternité 
universelle  :  la  charité^  telle  sera  la  religion  future  de  toutes 
les  âmes.  Expression  d  une  évidente  réaction  contre  le  règne 
du  cathohcisme  j  On  éprouve,  en  effet,  des  tendresses  bingu- 
lières  pour  les  sorciers,  pour  les  esprits  infernaux,  pour  toutes 
les  victimes  de  l'ancien  despotisme.  On  est  allé  jusqu'à  pro- 
poser la  réhabilitation  de  Satan,  ce  révolutionnaire  malheureux . 
Il  est  évident  que,  sous  des  formes  plus  ou  moins  déguisées, 
plus  ou  moins  adoucies,  toutes  ces  idées  sont  la  négation  du 
dogme  fondamental  de  l'autorité  de  l'Église  et  de  la  révéla- 
tion faite  par  N.-S.  Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu.  Ce  sont  là 
les  illusions  diverses  qui  entraînent  loin  du  bercail  de  l'unité 
et  de  la  vérité  trop  d'àmes  qu'un  manque  regrettable  d'instruc- 
tion première  a  laissées  en  proie  à  toutes  les  erreurs.  Mais 
comme  l'homme  est  essentiellement  religieux,  à  tout  prix  il 
lui  faut  un  Dieu,  un  dogme,  un  culte,  des  pratiques.  S'il  n'a 
pas  le  Dieu  véritable,  le  dogme,  le  culte  et  les  pratiques  au- 
thentiques, il  s'attachera  à  une  fausse  divinité,  \  des  dogmes, 
à  un  culte,  à  des  pratiques  de  contrefaçon.  Et  il  n'échappera 
à  l'empire  de  son  légitime  Seigneur,  que  pour  tomber  sous  la 
tyrannie  de  celui  que  TertuUien  appelait  si  justement  ;  le 
singe  de  Dieu!  Voilà  pourquoi,  puisque  trop  malheureusement 


Mars  1863.)  LE  SPIRITISME.  237 

les  grands  courants  du  siècle  entraînent  loin  du  vrai  Dieu  de 
l'Évangile,  la  cause  de  l'adversaire  de  tout  bien,  formant  un 
culte  ténébreux,  vient  flatter  habilement  les  tendances  des 
hommes  dévoyés  de  la  vérité,  et  les  âmes  se  livrent  avec 
la  facilité  la  plus  déplorable.  Aussi,  on  le  verra,  extrêmement 
coulant  sur  le  point  des  religions,  le  spiritisme  prêche  sur- 
tout une  sorte  de  religion  honnête  et  naturelle.  Sa  devise  est  : 
Hors  la  charité,  point  de  salut.  Hors  la  cha)ntc,  point  de  vrai 
spirite. 

Enfin,  le  spiritisme  n'argumente  pas  ordinairement  beau- 
coup contre  l'Église  ou  la  révélation.  On  dirait  qu'il  s'est  im- 
posé à  cet  égard  une  sage  réserve.  Il  y  a  pourtant  des  pas- 
sages où  il  basarde  quelques  discussions.  Il  sera  facile  de 
montrer  en  terminant  que  sa  polémique  est  loin  d'être  heu- 
reuse. 

Tels  sont  les  principaux  aspects  de  cette  élude.  En  les  par- 
courant successivement,  nous  ne  ferons  jamais  qu'une  con- 
frontation du  spiritisme  et  de  la  doctrine  catholique,  et  nous 
espérons  arriver  à  cette  conclusion  :  Le  spiritisme  est,  au 
fond,  le  culte  des  démons.  C'est  là,  nous  le  savons,  ce  qui 
blesse  le  plus  vivement  les  spirites.  «  Une  seule  arme  i^este  en- 
core suspendue  :  c'est  Vidée  du  diable  ;  mais  c'est  le  ridicule  lui- 
même  gui  en  fait  justice  (1).  »  C'est  là  le  mot  qui  découvre  tout  le 
mystère  d'iniquité,  c'est  là  le  mot  que  les  esprits  détestent  le 
plus  et  que  les  spirites  écartent  avec  le  plus  d'éuergie.  Le  spi- 
ritisme détruit  le  matérialisme,  disent-ils.  Or,  il  serait  bien 
inconcevable  que  Satan  renversât  une  erreur  qui  lui  assure- 
rait tant  de  victimes.  Mais,  qui  ne  le  voit  ?  le  matérialisme  a 
relativement  peu  d'adeptes  aujourd'hui.  Lésâmes  sont  portées 
en  très-grand  nombre  vers  des  doctrines  plus  spiritualistes. 
Or,  c'est  pour  ces  âmes  que  le  spiritisme  est  un  piège,  puis- 
qu'il les  retient  dans  des  idées  et  des  pratiques  réprouvées  par 

(\)  Foyage  spirite,  p.  9, 


238  LE   SPIRITISME.  (Tome  VIL 

la  véritable  Église.  La  destruction  du  matérialisme  n'est  donc 
entre  les  mains  de  l'antique  ennemi  du  genre  humain  qu'un 
moyen  nouveau  d'arracher  les  âmes  à  une  erreur  grossière 
et  révoltante,  pour  les  faire  tomber  plus  profondément  dans 
une  autre  tout  aussi  dangereuse  et  peut-être  plus  dangereuse 
au  fond,  quoique  plus  spécieuse  en  apparence  :  l'erreur  la 
plus  nuisible  aux  esprits  n'est  pas  toujours  la  plus  révoltante, 
mais  celle-là  en  perd  le  plus  qui  donne  au  mal  l'extérieur 
rassurant  d'un  certain  bien.  Satan  n'est  jamais  plus  redou- 
table que  lorsqu'il  se  transforme  en  ange  de  lumière  ! 

Le  catholicisme  est  la  forme  absolue,  complète,  définitive 
de  toute  vérité  religieuse  :  tout  ce  qui  ne  s'accorde  pas  avec 
lui  est  par  là  même  convaincu  de  fausseté.  Si  le  spiritisme, 
tel  qu'il  est,  tel  qu'il  s'avoue,  est  en  désaccord  avec  la  vérité 
infaillible,  il  faut  donc  le  rejeter,  sous  quelque  apparence 
qu'il  se  couvre.  Fût-il  à  l'unisson  avec  la  règle  de  foi  sur  tous 
les  points,  un  seul  excepté,  cette  divergence  seule  devrait  le 
faire  condamner.  C'est  le  cas  de  faire  l'iipplication  des  pa- 
roles qu'écrivait  saint  Paul  aux  Galates  :  «  Il  y  en  a  quebiues- 
uns  qui  vous  troublent  et  veulent  changer  l'Évangile  de  Jésus- 
Christ.  Mais  quand  bien  même  nous  vous  prêcherions  nous- 
mêmes  ou  quand  un  ange  venu  du  ciel.  Angélus  de  cœlo, 
vous  prêcherait  une  doctrine  autre  que  celle  que  vous  avez 
reçue,  qu'il  soit  anathème  !  »  (Ad  Gai.  i,  7,  8.) 

Après  cette  vue  d'ensemble,  nous  entrerons  dans  le  détail. 
C'est  ce  qui  fera  l'objet  des  articles  suivants. 

Il  y  a  toujours  eu  des  fautes,  des  erreurs,  des  pratiques 
dignes  de  réprobation  dont  les  débuts  ont  été  simples,  et  qui, 
se  développant  ensuite,  ont  été  combattues.  Quaud  elles  se 
sont  montrées  ce  qu'elles  étaient,  les  écrivains  ecclésiastiques 
les  ont  signalées,  et  après  un  examen  atleulif,  l'Église  les  a 
condamnées. 

Chaque  hérésie  pourrait  donc  dire  comme  le  spiritisme  :  On 
m'attaque,  tant  mieux  !   «  Une  idée  qui  s'élabUrait  sans  oppo- 


W;.r3 1863.1  ^^   SPIRITISME.  239 

«  siliou  serait  un  fait  miraculeux;  il  y  a  plus  :  plus  elle  sera 
«  fausse  et  absurde,  moins  elle  trouvera  d'adversaires,  tandis 
«  qu'elle  en  rencontrera  d'autant  plus,  qu'elle  sera  plus  vraie, 
0  plus  juste  et  plus  utile....  De  même,  le  spiritisme,  que  nous 
a  pouvons  appeler  sans  présomption  l'idée  capitale  du 
«  XIX*  siècle,  et  l'on  verra  plus  tard  si  nous  nous  sommes 
«  abusés,  a  commencé  par  l'innocent  phénomène  des  tables 
«  tournantes  ;  c'était  un  enfant  avec  lequel  ses  plus  rudes 
«  adversaires  ont  joué,  et  à  la  faveur  de  l'amusement,  il  a 
«  pénétré  partout;  mais  il  a  vite  grandi  :  aujourd'hui  il  est 
a  homme  et  a  pris  sa  place  dans  le  monde  philosophique  ;  on 
a  ne  joue  plus  avec  lui  :  on  le  discute  et  on  le  combat  ;  s'il 
«  eût  été  mensonge,  utopie,  il  ne  serait  pas  sorti  de  ses 
«  langes  (1).  » 

Le  vrai  et  le  faux  pouvant  être  attaqués,  et  l'ayant  été  ainsi 
que  l'histoire  le  montre  à  chaque  page,  c'est  aller  contre  la 
logique  que  de  dire  :  mon  sentiment  est  attaqué,  donc  il  est 
vrai.  Le  poiut  décisif  à  examiner  est  celui-ci  :  est-il  attaqué 
avec  raison?  Le  vrai  et  le  faux,  le  bien  et  le  mal  pouvant  s'é- 
tablir, se  propager  et  grandir,  le  mal  et  le  faux  le  pouvant 
surtout  avec  la  plus  triste  facilité,  comme  l'expérience  n'a 
jamais  cessé  de  le  démontrer,  c/est  n'avoir  rien  fait  que  de 
dire  :  mon  sentiment  s'est  établi,  s'est  fortifié,  s'est  étendu, 
donc  il  est  vrai.  La  question  unique  est  celle-ci  :  comment  et 
pourquoi  mon  sentiment  s'est-il  ainsi  propagé  ?  Le  mahomé- 
tisme  s'est  propagé,  le  christianisme  s'est  propagé  :  qui  oserait 
affirmer  que  l'un  et  l'autre  sont  également  redevables  ? 

N.  C.  Le  Roy. 

(1)  yoyage  spirUe,  p.  48. 


DE   LA 


MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE 


DU    ?.    DECHAMPS  (O. 


I.  Exposé  de  la  méthode. 

La  multiplicité  des  productions  plus  ou  moins  littéraires  que 
chaque  jour  voit  éclore  ,  n'est  pas  toujours  favorable  aux 
études  sérieuses.  Le  lecteur,  avide  de  connaître  les  écrits 
dont  le  bruit  retentit  dans  le  moment  même  autour  de  lui,  se 
laisse  emporter  trop  facilement  par  l'attrait  de  la  nouveauté. 
Il  oublie  bien  vite  les  impressions  que  lui  ont  laissées  ses  lec- 
tures de  la  veille  ou  de  Tavant-veille,  et  les  ouvrages  les  plus 
remarquables,  qui  mériteraient  les  honneurs  de  toutes  les  bi- 
bliotbèijuesj  sont  bientôt  ensevelis  dans  le  même  oubli  que 
ces  écrits  plus  légers  dont  l'intérêt  ne  s'étend  pas  au  delà  du 
jour  qui  les  a  vus  naître,  ou  de  la  circonstance  qui  en  a  été 
l'occasion. 

Si  nous  nous  permettons  ces  réflexions  à  propos  des  ou- 
vrages du  11.  P.  Decbamps,  ce  n'est  point  qu'ils  n'aient  obtenu 
un  légitime  succès.  Les  organes  catholiques  de  la  publicité 
ont  accueilli,  il  y  a  quelques  années,  cet  illustre  défenseur  de 
l'Église  avec  les  plus  chaudes  félicitations,  et  plusieurs  édi- 
tions, rapidemeut  écoulées,  comme  aussi  de^  traductions  en  di- 
,  verses  langues,  ont  fait  voir  que  cet  appel  a  été  entendu.  Mais, 

(I)   Entretiens  sur  la  DèmonilTo.tion  catholique  de  la  vérité  chré- 
tienne. Tournai,  Caslerman,  3"^  éd.  1  vol.  gr.  ia-12. 


Mars  1863.]  MÉTHODE   APOLOGÉTIQUE  DU   P.    DECHAMPS.  241 

d'un  côté,  il  nous  semble  que  ces  livres  sont  encore  toujours 
trop  peu  connus  chez  nous  (I);  d'un  autre  côté,  la  question 
de  l'apologétique  chrétienne  est  telleaient  capitale  dans  l'état 
actuel  des  esprits,  qu'on  ne  saurait  Tétudier  avec  trop  de 
soin. 

La  religion  conduit  l'homme  au  salut  éternel,  et  les  ef- 
forts de  l'apologiste  chrétien  ont  pour  but  de  conduire  les 
hommes  à  la  religion,  de  les  faire  entrer  dans  l'Église.  Il 
fait  briller  à  leurs  yeux  la  lumière  qui  se  trouve  dans  la 
société  chrétienne,  et  par  laquelle  l'Église  révèle,  même  à 
ceux  qui  ne  la  considèrent  que  du  dehors,  la  divinité  de  sa  mis- 
sion et  de  son  institution.  Plus  les  hommes  se  placent  en  de- 
hors de  FËglise,  plus  le  rôle  des  apologistes  grandit.  Mais  leur 
œuvre  n'est  jamais  terminée.  En  effet,  l'Église  est  divine  dans 
tout  son  ensemble,  divine  dans  son  origine  et  dans  sa  iiu, 
divine  dans  ses  manifestations  et  dans  son  influence,  divine 
dans  son  dogme  et  dans  sa  morale,  divine  dans  son  histoire, 
dans  ses  luttes,  dans  ses  triomphes  et  dans  ses  souffrances. 
L'apologiste  peut  donc  se  placer  à  tel  point  de  vue  qu'il 
voudra,  il  aura  toujours  un  vaste  champ  à  explorer. 

La  première  difficulté  qui  se  présente  à  lui  est  le  choix 
mêma  de  son  sujet.  Par  quel  côté  faut-il  faire  briller  la  divi- 
nité de  l'Église?  A  quels  rayons  de  lumière  les  hommes  aux- 
quels il  s'adresse  ouvriront-ils  plus  volontiers  leur  esprit  ?  Il 
faut  ici  consulter  et  leur  situation  intérieure,  et  la  plus  ou 
moins  grande  somme  de  vérités  qui  peut  être  restée  dans  leur 
âme.  Nous  avons  abondance  de  richesses,  qui,  toutes,  peuvent 
être  utiles  ;  il  ne  s'agit  que  de  choisir  celles  qui  le  seront 
davantage.  Si  nous  ne  nous  trompons,  la  méthode  apologé- 
tique suivie  par  le  P.  Dechamps  est  parfaitement  adaptée  aux 
besoins  et  aux  dispositions  d'un  grand  uombre  d'esprits  de 
notre  époque. 

(1)  Nous  étudierons  prochaiîiemeiit  le  Christ  et  les  Jnfechrists,  du 
même  auieur. 


242  MÉTHODE   APOLOGÉTIQUE  [TumeVlI. 

Nous  n'aurions  pas  à  parler  de  l'auteur,  si  sa   position  ex- 
ceptionnelle ne   nous  fournissait  des  présomptions  très-fortes 
en  faveur  de  sa  métliode.  Son  nom  est  populaire  en  Belgique 
comme  l'a  été  chez  nous  celui  du  P.  Lacordaire,  lorsque  les 
échos  de  Notre-Dame  retentissaient  encore  de  ses  immortelles 
conférences.   Frère    de  l'illustre  ministre  d'État    dans  lequel 
les  catholiques  belges  voient  leur  chef  le  pins  puissant,  il  est 
comme  orateur  catholique  et  comme  apologiste,  la  gloire  de  la 
religion  et  de  la  Congrégation  du  Très-saint  Rédempteur.  Nul 
plus  que  lui  n'a  connu  le  monde,  nul  n'a  été  à  même  de  mieux 
observer  et  connaître  les  maladies  des  âmes.  11  a  été  associé 
autrefois  à  l'éducation   des   fils   du  roi   des  Belges,  et  cette 
haute  position   l'a  mis  en  relation  avec  l'élite  de  la  société. 
D'un  autre   côté,  il  est  resté   humble   disciple   de  saint  Al- 
phonse, continuant  à  donner  à  ses  frères  eu  religion  l'exemple 
des  vertus  du  cloître.  Joignez  à  cela  un  esprit  distingué,  des 
études  approfondies  sur  la  théologie,  et  vous  aurez  toutes  les 
qualités  qui  rendent  un  homme  parfaitement  compétent  pour 
nous  dire  :   «  J'ai  fait  de  la   théologie   l'étude  de  ma  vie,  et 
tous  les  jours  les  âmes  se  sont  révélées  à  jnoi  avec  leurs  fai- 
blesses et  leurs  langueurs.   Considérant  le  monde  à  travers  la 
croix,  frappant  à  la  porte  de  tous  les  cœurs  pour  les  ouvrir 
à  Jésus-Christ,  j'ai  trouvé  une  porte  qui  s'ouvre  plus  facile- 
ment que  les  autres,    et  cette  porte,  je  viens  vous  l'indiquer. 
Que  ceux  qui  s'appliquent  à  éclairer  les  esprits  et  à  convertir 
les  cœurs  me  suivent.  »  C'est  à  ce  point  de  vue  surtout  que  les 
ouvrages  apologétiques  du  P.  Dechamps  nous  paraissent  re- 
marquables; et  si  la  démonstration  qu'il  nous  donne  est  in- 
trinsèquement valable  aux  yeux  de  la  théologie,  comme  nous 
allons  le  voir,  nul  doute  qu'il  n'y  ait  lieu  pour  les  théologiens 
de  porter  sur  ces  preuves  tous  leurs  efforts  pour  les  mettre 
dans  un  jour  de  plus  en   plus  grand.   La  méthode  suivie  par 
le  P.  Dechamps  ne  diffère  pas  essentiellement  de  celle  indiquée 
par  M.  l'abbé  Bourquard,  dans  un  ouvrage  qui  a  été  l'objet 


Mars  1863.]  DU   P.    DECHAMPS.  243» 

d'un  examen  spécial  dans  celte  Revue  même.  Nous  n'avons 
point  à  intervenir  dans  le  débat  que  cette  étude  a  soulevé 
entre  M.  Tabbé  Bourquard  et  M.  l'abbé  d'Autun.  Le  débat  a 
été  soutenu,  d'une  manière  fort  brillaute  par  l'un,  et  a  été 
l'objet,  de  la  part  do  l'autre,  d'observations  non  moins  judi- 
cieuses; mais  il  ne  roulait  que  sur  la  méthode  apologétique 
savante,  propre  à  faire  entrer  dans  un  traité  de  théologie  où 
l'on  doit  indiquer  toutes  les  ressources  que  la  défense  de  la 
Religion  offre  au  théologien.  Ce  n'est  point  de  celle-là  que 
nous  nous  occupons.  Nous  sommes  donc  à  l'aise  avec  M.  l'abbé 
d'Autun,  qui  écrivait  (1)  :  «  Quant  à  l'apologétique  populaire 
et  à  celle  qui  s'adresse  simplement  au  public  lettré,  elles 
peuvent  suivre  différentes  marches,  se  borner  à  un  ordre  de 
considérations  ou  se  placer  à  un  point  de  vue  spécial,  suivant 
le  but  particulier  qu'on  se  propose.  » 

Le  livre  est  tout  entier  dans  cette  double  épigraphe  ; 
«  Écoute  et  regarde  »  (  Ps.  xliv,  11  );  et  :  «  Il  n'y  a  que  deux 
faits  à  vérifier,  un  en  vous  et  un  hors  de  vous. Ils  se  recher- 
chent pour  s'embrasser,  et  de  tous  les  deux,  le  témoin,  c'est 
vous-même.  »  [Premier  enlretien.)  C'est  en  interrogeant  les 
échos  de  notre  cœur,  en  prêtant  une  oreille  attentive  h  ses 
aspirations,  à  ses  postulata,  que  le  P.  Dechamps  nous  convie 
à  considérer  l'Eglise.  Ce  premier  pas  fait,  il  n'a  pas  de  peine 
à  faire  jaillir  de  cette  considération  même  la  preuve  de  sa 
divinité,  et  c'est  sans  effort  qu'il  nous  amène  ainsi  à  écouter 
sa  voix.  Il  ne  fait  donc  que  s'appuyer  sur  ce  principe  déjà 
énoncé  par  Tertullien,  que  l'àme  est  naturellement  chré- 
tienne. Or,  il  n'est  pas  permis  à  l'apologiste  de  méconnaître 
cette  vérité.  L'àme  humaine  étant  le  sujet  destiné  à  recevoir 
la  révélation,  il  doit  y  avoir  en  elle  quelque  chose  qui  l'ap- 
pelle, qui  forme  comme  une  pierre  d'attente,  et  à  quoi  la  reli- 
gion viendra  s'adapter  comme  la  légitime  satisfaction  des  as- 

(1)  Voir  le  numéro  du  20  juiu  1862  (l.  v,  p.  574  ss). 


244  MÉTBODE   APOLOGÉTIQUE  [Tome  VII. 

pirations  que  la  grâce  de  Dieu  a  mises  en  nous.  Mais  s'il  en 
est  ainsi  de  l'âme  humaine  en  général,  puisqu'il  n'y  en  pas 
une  qui  ne  soit  appelée  à  recevoir  le  bienfait  de  la  religion 
chrétienne,  ce  sera  beaucoup  plus  vrai  des  âmes  auxquelles 
l'apologiste  chrétien  s'adresse.  Ces  âmes  seront,  si  vous  vou- 
lez, plus  ou  moins  étrangères  à  la  pratique  de  la  religion, 
étrangères  à  la  foi.  Mais  elles  ne  l'ont  pas  toujours  été  égale- 
ment. Une  éducation  où  la  religion  n'a  pas  été  entièrement 
absente,  a  laissé  subsister  comme  une  touche  particulière 
qu'on  ne  trouverait  point  ailleurs  :  elle  a  élevé  chez  elle  à 
une  puissance  supérieure  le  christianisme  naturel,  c'est-à-dire 
la  disposition  à  la  foi  et  cette  aptitude  à  discerner  la  vraie  foi 
que  la  grâce  de  Dieu  met  dans  toutes  les  âmes.  De  plus,  le 
voile  qui  est  venu  s'interposer  entre  elles  et  les  vérités  de 
la  foi  n'est  point  tellement  épais  que  ces  vérités  ne  conti- 
nuent encore  à  projeter  dans  les  esprits  une  lueur  plus  vive 
qui  peut  les  randre  plus  propres  à  recevoir  cette  foi,  dont  le 
caractère  sacré  du  baptême  leur  avait  donné  une  première 
habitude. 

L'essence  de  cette  méthode  consiste  donc  à  analyser,  d'un 
côté,  les  aspirations  et  les  besoins  de  notre  âme  ;  de  l'autre, 
ceux  des  caractères  de  l'Église  qui,  répondant  le  mieux  à  ces 
besoins,  nous  font  en  même  temps  voir  d'une  manière  plus 
directe  le  cachet  de  la  divinité. 

Le  fait  intérieur  qui  sert  de  point  de  départ  au  P.  Dechamps 
consiste  dans  le  désir  et  l'espérance  qui  existent  chez  l'homme 
de  recevoir  une  révélation  divine  sur  les  mystères  de  la  vie 
future.  Il  est  certain  d'abord  que  l'homme  a  une  inclination 
profonde  et  irrésistible  vers  cette  vie.  Nous  voulons  vivre, 
vivre  heureux,  vivre  toujours,  et  la  vie  présente,  si  elle  mé- 
lite  le  nom  de  vie,  est  loin,  bien  loin  de  répondre  à  cette 
grande  aspiration  de  notre  âme.  Aspiration  immense,  eu  vé- 
rité, puisqu'elle  a  été  le  soutien  de  l'espérance  du  geure  hu- 
main, même  dans  les  plus  profondes  ténèbres  de  l'idolâtrie. 


Mars  1503.]  Ï^U  P.   DECHAMPS.  245 

Jamais  l'homme  n'a  cru  à  l'éternilé  des  adieux  qu'il  adressait 
aux  mourants.  Jamais  il  n'a  boiné  ses  espérances  à  la  mo- 
dique somme  de  bonheur  qu'il  peut  trouver  en  deçà  de  la 
tombe,  et  la  mort  lui  aurait  apparu  avec  un  aspect  infiniment 
plus  redoutable  s'il  l'avait  regardée,  non  comme  la  trans- 
formalion,  mais  comme  letermefînal  de  son  existence.  Nous 
désirons  donc  la  vie  future,  et  nous  espérons  ce  que  nous 
désirons.  Voilà  un  double  fait  universel  et  patent. 

Mais,  ce  désir  et  cette  espérance,  à  quel  bien  se  rapportent- 
ils?  Notre  cœur,  qui  en  est  le  siège,  ne  saurait  le  nommer.  Le 
genre  humain  l'appelle  de  ses  vœux,  et  n'a  pas  en  lui-même 
le  pouvoir  de  le  définir.  Et  cependant  nous  voulons  savoir  quel 
est  le  bonheur  que  nous  attendons,  now^  voulons  savoir  quelle 
est  cette  espérance  que  la  mort,  qui  détruit  tout,  ne  saurait 
détruire.  Nous  voulons  savoir,  et  notre  cœur  ne  répond  pas; 
nous  voulons  savoir,  et  le  genre  humain,  qui  le  veut  aussi, 
ne  sait  pas.  Et  quand  il  affirmerait  qu'il  sait,  nous  ne  l'en 
croirions  pas.  Jamais  l'homme  n'a  cru  à  l'bomme  sur  les 
mystères  de  la  vie  future.  Toujours  il  a  senti  le  besoin  d'une 
lumière  supérieure  qui  n'tist  point  en  lui,  mais  qui  doit  ve- 
nir du  dehors  pour  éclairer  les  sombres  profondeurs  de  ses 
désirs  et  de  ses  espérances.  Cette  lumière  ne  sera  donc  point 
la  lumière  des  hommes.  Votre  cœur,  ô  philosophe,  ne  peut 
donner  une  réponse  que  le  mien  ne  contient  pas  ;  votre  in- 
telligence n'a  point  une  lumière  différente  de  la  mienne.  Je 
ne  croirai  donc  pas  aux  philosophes  sur  ces  mystères;  le 
genre  humain  n'a  jamais  cru  en  eux,  mais  il  demandait,  pour 
y  croire,  une  voix  qui  se  dirait  descendue  du  ciel.  Or,  cette 
voix,  il  a  toujours  cru  l'entendre.  De  même  que  le  désir  d'être 
heureux  n'a  jamais  été  séparé  de  l'attente  de  ce  même  bon- 
heur, de  même  l'homme  n'a  jamais  séparé  le  désir  de  connaître 
de  la  confiancequ'ilconnaissait,etoette  connaissance  répondait 
toujours  au  besoin  d'entendre  une  voix  d' en-Haut  ou  une 
voix  d'outre-tombe.  C'est  pourquoi  ie  déisme,  avec  ses  lu- 


246  MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE.  [To  ne  VII, 

mières  purement  naturelles,  n'a  jamais  pu,  et  ne  pourra  ja- 
mais être  la  religion  de  l'humanité.  11  est  une  révolte  radicale 
contre  le  genre  humain,  contre  le  bon  sens  et  contre  la  bonne 
foi. 

La  bonne  foi,  en  effet,  ne  saurait  s'accommoder  d'un  sys- 
tème qui  étouffe  le  cri  de  noire  âme.  Lorsque  je  vois  les 
hommes  qui  m'entourent  pleins  de  confiance,  parce  qu'ils  ont 
entendu  cette  voix  surnaturelle  que  je  désire ,  comme  eux,  ' 
entendre  retentir  à  mes  oreilles  ;  lorsque  mon  cœur,  appelant 
de  tous  ses  vœux  une  voix  du  ciel,  entend  retentir  autour  de 
lui,  par  toutes  les  bouches  qui  lui  parlent,  l'annonce  d'une 
réponse  faite  par  le  ciel  à  mes  aspirations  et  à  mes  désirs, 
puis-je  alors  me  tenir  dans  le  scepticisme  et  l'indifférence, 
sans  me  mettre  en  révolte  ouverte  et  avec  le  genre  humain, 
et  avec  inoi-mème  ?  Sur  quoi  m'appuierais-je,  si  je  prenais 
pareille  position  ?  Ma  nature  s'y  refuse,  le  genre  humain  me 
condamne  !  Le  procédé  du  cœur  et  le  procédé  de  l'intelligence 
est  de  rechercher  la  révélation  divine  en  demandant  :  Où  est- 
elle?  Mais  celte  autre  question  :  Est-elle?  n'est  ni  la  question 
de  la  bonne  foi,  ni  celle  de  la  nature. 

Telle  est  en  effet  la  nature  de  l'homme,  qu'il  est  essentiel- 
lement confiant.  C'est  par  là  qu'il  est  surtout  accessible  à  l'é- 
ducation. Dès  la  première  ouverture  de  son  intelligence,  il 
s'abandonne  sans  défiance  à  sa  mère,  qui  le  porte  dans  ses 
bras,  qui  le  caresse  avec  amour,  dont  la  langue  devient 
sa  langue,  dont  les  pratiques  deviennent  ses  pratiques,  dont 
l'affection  fait  naitre  l'amour  dans  son  cœur.  Et  qui  voudra 
blâmer  cette  confiance  de  l'enfant?  N'est-elle  point  une  mer- 
veilleuse manifestation  de  la  sagesse  du  Créateur,  qui,  en 
faisant  naître  l'enfant  avec  d'innombrables  besoins,  en  pla- 
çant à  côté  de  lui  une  mère  pleine  d'affection  et  de  tendresse 
pour  les  satisfaire,  fait  de  ces  besoins  mêmes  le  principe 
d'une  confiance  et  d'un  abandon  que  rien  ne  saurait  ébranler? 

Mais  nous  avons  aussi  des  besoins  religieux,  nous  avons 


Mars  1863.]  DU  P.   DECHAMPS.  247 

faim  et  soif  d'une  révélation  qui  nous  éclaire  sur  les  mystères 
d'outre-tombe.  Celte  faim  et  celte  soif,  qui  nous  la  donne? 
Qui  la  fait  naître  en  nous  et  avec  nous  ?  N'est-ce  pas  Celui-là 
même  qui  nous  a  faits  ce  que  nous  sommes  ?  Et  en  plaçant  à 
côté  de  nous  une  institution,  une  Église  qui  doit  être  aussi  la 
mère  de  nos  âmes,  n'a-t-il  pas  dû  mettre  en  nous,  avec  le 
désir  de  l'entendre,  la  confiance  en  sa  maternité  ? 

C'est  ainsi  que  l'homme  est  initié  à  la  religion,  devient 
membre  de  l'Église,  et  par  là,  enfant  de  Dieu.  La  nature,  le 
bon  sens,  la  bonne  foi,  se  réunissent  pour  le  conduire  à  elle. 
Ah!  si  les  hommes  voulaient  être  plus  ouverts,  plus  confiants, 
plus  enfants  î  Que  cette  réflexion  est  simple  :  Dieu  serait-il 
moins  le  père  de  nos  âmes  que  le  père  de  nos  corps  ?  Et 
seule,  cependant,  elle  suffirait  pour  nous  conduire  à  la  reli- 
gion, pour  nous  faire  entrer  dans  l'Église  et  pour  nous  la 
faire  aimer  de  l'amour  des  enfants  de  Dieu. 

II.  Examen  des  pifficultés. 

Cette  méthode,  si  simple  el  si  directe,  peut  faire  naître  deux 
objections.  La  première,  que  le  théologien  seul  pourra  formu- 
ler, est  celle-ci  :  Ce  point  de  départ  ne  suppose-t-il  pas  que  la 
religion  révélée  est  le  complément  nécessaire  de  la  nature 
humaine,  et  n'y  a-t-il  pas  là  un  levain  de  baïanisme? 

La  seconde,'  qui  peut  être  commune  et  au  théologien,  et  à 
un  homme  du  monde  entièrement  étranger  à  l'élude  de  nos 
mystères,  est  celle-ci  :  N'adtnet-on  point  ainsi  le  devoir  pour 
tout  homme  de  s'attacher  purement  et  simplement  à  la  reli- 
gion où  il  est  né,  et  ne  ferme- t-on  point  la  porte  aux  prédica- 
teurs de  la  religion  qui  travaillent  à  établir  l'unité  religieuse 
sur  la  terre  ? 

En  d'autres  termes,  les  difficultés  se  rapportent  soit  jà  la 
légitimité  du  point  de  départ,  soit  à  la  légitimité  de  la  con- 
clusion. 


248  MÉTHODE   APOLOGÉTIQUE  jToiiio  VU. 

Nous  ne  pensons  pas  qu'on  puisse  formuler  d'autre  objec- 
tion sérieuse  contre  cette  méthode  de  P.  Decîiamps.  Or,  il  est 
facile  de  les  résoudre  l'une  et  l'autre. 

Et  d'abord,  il  est  vrai  que  la  religion  chrétienne  est  le 
complément  nécessaire  de  la  destinée  humaine  prise  dans  l'é- 
tat actuel  de  l'humanité.  Dieu  aurait  pu  nous  créer  sans  fin 
surnaturelle  :  il  ne  l'a  point  fait  ;  il  aurait  pu  nous  donner  et 
les  mêmes  organes  et  les  mêmes  facultés  sans  descendre  jus- 
qu'à nous  par  l'Incarnation  et  sans  nous  appeler  à  la  vision 
béatifique,  mais  il  ne  l'a  point  fait.  Notre  destinée  terrestre 
est  d'être  chrétien,  de  croître  et  de  vivre  sous  l'empire  de  la 
grâce,  «  jusqu'à  la  plénitude  de  l'âge  de  Jésus-Christ.  »  Tant 
que  nous  ne  sommes  point  dans  cette  voie,  nous  sommes  des 
hommes  incomplets  relativement  à  notre  véritable  destinée. 
Autant  et  plus  que  la  nature  corporelle  dont  parle  saint 
Paul,  notre  âme  est  dans  les  douleurs  et  dans  les  anxiétés  de 
renfantemeut  en  attendant  la  révélation  des  euîauts  de  Dieu, 
et  il  y  aura  en  nous  quelque  chose  qui  ne  recevra  son  complé- 
ment, un  vide  (pi  ne  sera  comblé,  un  besoin  qui  ne  sera  sa- 
tisfait que  par  la  réception  du  christianisme  dans  nos  âmes. 

L'erreur  du  baianisme  a  été  de  confondre  la  nature  avec  la 
grâce,  en  établissant  d'une  manière  absolue  que  la  grâce  est 
le  complément  obligé  de  la  nature,  de  telle  manière,  ({ue  la 
nature  sans  la  grâce  ferait  de  nous  des  êtres  incomplets,  in- 
dignes de  Dieu,  et  que  Dieu  ne  pourrait,  sans  déroger  à  sa 
sainteté  et  à  sa  jusdce,  être  satisfait  d'une  telle  œuvre. 

Dans  ce  système,  l'état  d'une  àme  sans  la  grâce  sanctifiante 
est  un  état  de  complet  abandon.  Il  n'y  a  point  d'appel  de 
Dieu  au  fond  du  cœur,  il  n'y  a  point  d'aspiration  supérieure 
vers  l'état  surnaturel.  Et,  bien  que  cet  état  soit  nécessaire  • 
pour  l'achèvement  des  desseins  de  Dieu  sur  l'homme,  néan- 
moins il  ne  le  sera  pas  comme  quelque  chose  de  surajouté  à 
sa  nature.  Il  sera  nécessaire  pour  que  l'homme  soit  un  être 
complet,  absolument  comme  l'union  de  l'âme  et  du  corps  est 


Wcri  1833.]  DU   P-   DECDAMPS.  249 

nécessaire  pour  le  constituer  dans  son  essence  propre,  et  si  la 
nature  n'était  pas  trop  corrompue  pour  éprouver  d'une  ma- 
nière sensible  ce  besoin  de  vie  surnaturelle,  elle  ne  l'éprouve- 
rait que  pour  autant  qu'elle  a  le  sentiment  des  autres  nécessités 
qui  l'affligent. 

Il  n'y  a  rien  de  commun  entre  cette  doctrine  et  la  méthode 
de  démonstration  du  P.  Dechamps.  Son  point  de  départ  est  en 
parfait  accord  avec  les  données  les  plus  rigoureuses  de  la  théo- 
logie. 

La  religion  nous  enseigne,  en  effet  :  1°  que  tous  les 
hommes  sont  appelés  à  la  grâce  du  salut;  2"  que  Dieu  ne 
laisse  aucun  homme  ici-bas  sans  grâce  actuelle.  Mais  où 
vorrons-nous  ceUe  grâce,  â  laquelle  aucun  cœur  n'est  entiè- 
rement étranger,  si  nous  ne  la  voyons  dans  cette  aspiration 
intime  de  notre  être  vers  une  vie  plus  parfaite,  une  vie  heu- 
reuse et  sans  fin,  en  même  temps  que  vers  une  religion  qui 
nor.s  révèle  les  mystères  de  cette  vie  et  qui  nous  donne  les 
moyens  d'y  parvenir  ?  Cette  voix  intérieure  n'est-elle  point 
l'écho  mystérieux  et  profond  dans  les  âmes  de  la  voix  de 
Dieu  qui  les  appelle  ? 

Il  n'y  a  donc  point  ici  confusion  du  naturel  et  du  surnatu- 
rel. La  distinction  entre  les  deux  ordres  est  maintenue  d'une 
manière  rigoureuse.  Mais  celte  distinction  n'implique  point  la 
séparation.  Si  Dieu  veut  établir  pour  l'homme  un  ordre 
surnaturel,  ne  doit-il  pas  déposer  en  lui  une  prédisposition 
proportionnée  à  cet  ordre,  c'est-à-dire  surnaturelle  aussi?  Il 
est  vrai  que  la  voix  de  l'âme,  qui  appelle  cet  ordre,  ne  peut 
être  distinguée  au  moyen  de  l'observation  psychologique, 
des  aspirations  inhérentes  à  la  nature  elle-même.  Il  est  vrai 
encore  que  l'analyse  de  nos  phénomènes  intérieurs  ne  dis- 
tingue pas  davantage  la  confiance  surnaturelle  par  laquelle 
l'homme  s'abandonne  à  la  doctrine  et  à  la  conduite  de  l'É- 
glise, d'avec  un  sentiment  purement  naturel.  Mais  il  n'est  pas 
besoin,  pour  admettre   la  distinction  du   naturel  et  du  sur- 


250  MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE  [Tome  Yll. 

naturel  en  nous,  de  pouvoir  le  reconnaître  par  l'expérience, 
de  surprendre  en  quelque  sorte  le  jeu  des  deux  principes  qui, 
du  reste,  n'agissent  pas  d'une  manière  séparée,  mais  ne 
forment  par  leur  action  combinée  qu'une  seule  cause  totale. 

Le  surnaturel  et  le  naturel  coexistent  donc  en  nous  d'une 
manière  iDlime.  L'observation  de  nos  faits  intérieurs  ne  nous 
fait  connaître  que  les  actes  et  les  sentiments  de  notre  âme;  mais 
les  deux  principes  naturel  et  surnaturel,  qui  produisent  les 
uns  et  les  autres,  nous  échappent.  La  foi  seule  nous  en  révèle 
la  distinction  profonde,  mais  en  même  temps  elle  nous  ensei- 
gne que  les  deux  agissent  en  nous,  non-seulement  quand  la 
grâce  sanctifiaule  y  est  déjà,  mais  alors  même  que  nous  som- 
mes encore  complètemeut  étrangers  à  la  religion.  La  tendance 
que  la  grâce  produit  en  nous  peut  doue  être  aperçue  en  nous, 
de  même  que  les  tendances  purement  naturelles,  et  nous  pou- 
vons parfaitement,  sans  nous  laisser  entraîner  au  baïanisme, 
nous  appuyer  sur  ce  fait  de  conscience  pour  conclure  que 
l'homme  doit  se  laisser  aller  avec  confiance  à  la  révélation 
qui  répond  aux  questions  qu'il  s'adresse  à  lui-même,  et  qui 
satisfait  les  aspirations  de  sou  âme. 

La  deuxième  objection  ne  nous  semble  pas  plus  propre  à 
infirmer  la  valeur  de  cette  méthode.  Elle  n'ouvre  pas  la  voie 
à  toutes  les  religions  et  à  tous  les  systèmes.  En  effet,  nous 
pouvons  la  considérer  par  rapport  aux  hommes  qui  vivent  au 
milieu  des  lumières  du  christianisme,  ou  par  rapport  à  ceux 
qr.i  naissent  en  dehors  du  sein  de  l'Église  catholique. 

Et  d'abord,  cette  méthode  n'est  proposée  par  le  P.  Dechamps 
qu'aux  premiers,  qui  se  trouvent  placés  entre  la  religion  catho- 
lique et  l'absence  de  religiou,  entre  l'Eglise  et  le  déisme.  Quel 
est  le  langage  qu'il  faut  faire  entendre  à  ceshommes  ?  Ne  faut- 
il  pas  avant  tout  les  faire  rentrer  eu  eux-mêmes  ;  leur  faire 
entendre  la  voix  de  leur  âme  ou  plutôt  la  voix  de  Dieu  en  eux; 
leur  faire  comprendre  la  contradiction  qu'il  y  a  à  admettre  un 
Dieu  infiniment  parfait,  qui  ne  ferait  rieu  pour  répondre  au 


Mi.ril8C3.|  DU   P.    DECHAMPS.  281 

cri  de  l'âme  de  ses  créatures,  et  qui;,  en  les  réservant  à  une 
vie  future,  en  meltaut  en  elles  le  désir  de  cette  vie,  le  désir  de 
la  connaître  et  de  savoir  ce  qui  peut  la  rendre  heureuse,  en 
même  temps  que  l'espoir  de  voir  ce  désir  réalisé,  ne  ferait  rien, 
absolument  rien  pour  dissiper  l'illusion  produite  parces  innom- 
brables voix  du  dehors  qui  disent  être  les  échos  d'une  révéla- 
tion céleste  ,  rien  pour  éclairer  les  ténèbres  de  .l'abîme  vers 
lequel  l'humanité  toute  entière  se  précipite. 

Une  fois  ces  hommes  rendus  attentifs  à  cette  voix  inté- 
rieure, que  leur  restera-t-il  à  failre  auire  chose  que  de  se 
donner  à  l'Église  où  ils  trouveraient  tout  ce  que  leur  cœur 
depaaudait  inutilement  en  dehors  d'elle? 

Cette  méthode  ferme  donc  d'abord  toute  voie  au  déisme. 
Elle  arrive  au  même  résultat  pour  le  panthéisme.  Le  pan- 
théiste avec  son  dieu-chose  semble  plus  conséquent  que  le 
déiste  qui  n'admet  un  Dieu  infiniment  parfait  que  pour  le  relé- 
guer dans  un  isolement  contre  lequel  s'élève  la  voix  du  bon 
sens.  Mais  ce  même  panthéiste  ne  sera  pas  moins  désavoué 
par  les  aspirations  de  notre  âme.  11  est  en  révolte  ouverte  avec 
le  sentiment  religieux  qui  est  au  fond  de  notre  nature,  avec  ce 
queliiue  chose  qui  porte  l'homme  à  s'élever  à  Dieu,  à  prier; 
en  révolte,  lui  aussi,  contre  le  bon  sens  qui  s'élève  delà  nature 
à  sju  Auteur;  en  révolte  contre  la  bonne  foi,  puisqu'il  nie  ce 
qui  est  dans  l'homme,  le  gémissement  de  la  prière  et  le  cri  du 
bon  sens. 

Donc,  pour  l'homme  qui  vit  au  sein  de  la  société  religieuse 
à  laquelle  il  est  seulement  devenu  étranger  eu  laissant  la  foi 
s'éteindre  dans  son  âme,  pour  l'homme  qui  a  laissé  cette  foi 
s'afiFaiblir  et  qu'il  s'agit  deramener  à  l'humble  soumission  en- 
vers l'Église;  pour  l'homme  enfin  que  l'apologiste  aujourd'hui 
se  propose  spécialement  d'atteindre,  il  suffit  de  faire  entendre 
la  voix  de  l'Eglise  afin  qu'il  reconnaisse  la  voix  même  de 
Dieu.  L'homme  qui  entend  cette  réponse  de  l'Église  aux  ques- 
tions et  à  l'espérance  de  son  âme;,  reconnaît  immédiatement 


252  MÉTHODE   APOLOGÉTIQUE  [Tome  VII. 

la  fausseté  des  voix  qui  se  font  entendre  à  côté  d'elle.  Il  y  a 
dans  i'àme  humaine  un  idéal  de  la  vérité  non  moins  qu'un 
idéal  de  l'harmonie.  Sans  avoir  fait  aucune  étude  ni  sur  les 
rapports  des  sons,  ni  sur  les  principes  mathématiques  qui  en 
sont  la  condition  essentielle,  l'homme  sait  distinguer  un  har- 
monieux concert  d^ui  ensemble  de  binits  où  les  lois  de  l'har- 
monie sont  tor.tes  violées.  De  même,  sans  études  philosophi- 
ques sur  la  vérité  de  la  religion,  l'homme  élevé  dans  le 
catholicisme  reconnaît  aisément  la  justesse  de  la  voix  de 
l'Église  et  peut  s'y  laisser  aller  en  toute  simplicité. 

jNIais  cette  méthode  a-t-elle  la  même  valeur,  relativement 
aux  hommes  élevés  en  dehors  de  la  religion  catholique?  Nous 
ferons  d'abord  observer  que  cette  question  laisse  intacte  la 
légitimité  de  l'emploi  que  le  P.  Dechamps  en  fait.  jNous  obser- 
verons de  plus  que  si  celte  question  est  embarrassante,  elle 
ne  l'est  pas  plus  qu'elle  ne  le  serait  pour  toute  autre  méthode 
apologétique,. 

11  faut  distinguer  la  valeur  absolue  de  cette  méthode  consi- 
dérée en  elle-même,  et  sa  valeur  relativement  aux  hommes  à 
qui  elle  s'adresse.  Au  point  de  vue  objectif,  elle  nous  semble 
rigoureusement  exacte,  vu  que  cette  correspondance  parfaite 
sur  laquelle  elle  se  fonde  entre  la  révélation  divine  et  sa  pierre 
d'attente,  qui  est  notre  âme  avec  les  aspirations,  les  désirs  et  la 
forme  idéale  que  la  grâce  divine  y  met  d'une  manière  plus  ou 
moins  obscure,  celte  correspondance,  dis-je  ne  se  rencontre 
et  ne  peut  se  rencontrer  que  dans  l'Église  catholique.  Quel  que 
soit  le  milieu  religieux  dans  lequel  l'homme  ait  été  élevé,  il 
reste  eu  lui  une  faim  inassouvie,  une  forme  idéale  à  laquelle 
il  ne  trouve  aucune  réalisation.  Présentez-lui  l'Eglise,  énoncez- 
lui  les  postulata  de  sou  âme,  et  si  les  passions  sont  assez  as- 
soupies, et  si  le  bon  sens  est  assez  développé,  à  chaque  ques- 
tion que  vous  formulerez  devant  lui  il  vous  répondra:  Oui, 
cette  question  mon  cœur  la  formule  ;  et  quand  à  chaqne  ques- 
tion vous  donnerez  au  nom  de  l'Eglise  et  au  nom  de  Dieu  la 


Mar3l8C3.1  DU   P.   DECIIAMPS.  235 

réponse  catholique,  il  n'hésitera  pas  à  recevoir  cette  réponse, 
et  à  croire  à  la  doctrine  de  l'I-^glise. 

Si  maintenant  nous  considérons  cette  méthode  subjective- 
mentj  c'est-à-dire  par  rapport  aux  hommes  à  qui  elle  est 
adressée,  il  faut  reconnaître  qu'elles  ne  sera  point  par  elle- 
même  suffisante  pour  opérer  une  conversion,  ni  pour  porter 
tout  d'abord  une  pleine  et  entière  lumière  dans  les  esprits.  A 
cela  il  y  a  deux  causes  ;  Tune,  que  ces  âmes  sont  généralement 
en  proie  à  de  trop  épaisses  ténèbres  et  à  un  trop  grand  aveu- 
glement des  passions  pour  distinguer  ce  qu'il  y  a  de  plus  pro- 
fond et  de  plus  intime  en  elles;  l'autre,  que  cette  méthode  a 
elle-même  élé  appliquée  à  faux,  et  que  cette  confiance  née 
avec  nous  pour  la  religion  qui  nous  est  enseignée  a  été  pour 
elles  la  voie  qui  les  a  conduites  à  admettre  une  foule  d'erreurs. 

En  reconnaissant  ce  fait,  nous  n'infirmons  point  la  valeur 
objective  de  la  méthode  que  nous  venons  d'établir.  De  ce  que 
beaucoup  de  parents  enseignent  à  leurs  enfants  une  religion 
fausse,  il  ne  s'ensuit  pas  que  la  religion  véritable  ne  doive  pas 
être  transmise  des  parents  aux  enfants.  Nous  remarquerons  en 
passant  que  la  foi  de  tous  les  chrétiens  qui  out  reçu  la  vraie 
religion  comme  un  héritage  paternel,  repose  primitivement 
sur  le  fait  de  cette  confiance  née  avec  nous  et  avec  notre  voca- 
tion au  surnaturel.  Mais  à  mesure  que  nous  grandissons,  cette 
loi  s'éclaire  de  nouvelles  lumières,  et  notre  croyance  à  l'Église 
s'appuiera  ainsi  sur  des  raisons  plus  claires  et  plus  nombreuses 
sans  devenir  intrinsèquement  plus  ferme,  puisque,  dès  l'ori- 
gine, elle  est  un  assentiment  plein  et  entier  à  ce  que  Dieu  nous 
révèle.  C'est  ainsi  que  Dieu  fait  durer  la  véritable  religion,  à 
laquelle  nul  homme  n'est  étranger  que  par  sa  propre  faute  ou 
par  la  faute  de  ses  parents  et  ancêtres. 

Que  si  les  hommes  abandonnent  la  religion  véritable  pour 
enseigner  des  erreurs  à  leurs  enfants,  ces  enfants  seront  pri- 
vés d'un  grand  bonheur  par  la  faute  de  leurs  parents  ;  mais 
le  fait  même   de  leur   adhésion   à  cet  enseignement  qu'ils 


254  MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE.  [Tome  MI . 

sucent  avec  le  lait  ne  leur  sera  point  imputé  à  péché.  Ces 
enfants  suivent  l'ordre  providentiel  autant  qu'il  est  en  eux,  et 
si  nous  admettons  qu'il  y  a  des  hommes  qui  se  sauvent  sans 
appartenir  au  corps  de  l'ÉgUse,  ne  faut-il  pas  les  chercher 
parmi  ceux  qui,  recevant  de  confiance  l'enseignement  de  leurs 
parents,  s'efforcent  de  suivre  la  lumière  qui  en  est  eux  et  à 
laquelle  répond  si  imparfaitement  celle  qu'ils  reçoivent  du 
dehors?  N'est-ce  point  parmi  eux  qu'on  trouvera  celte  dispo- 
sition implicite  à  suivre  la  lumière  plus  vive  de  l'Évangile 
qu'ils  ne  connaissent  point,  disposition  que  Dieu  récompense 
par  une  grâce  plus  abondante? 

Il  semble  que  même  pour  ces  hommes-là  il  doit  y  avoir  un 
élan  d'amour  vers  cette  vérité  dès  qu'elle  leur  est  simplement 
présentée.  Mais  pour  eux  pas  plus  que  pour  les  autres  il  n'y  a 
lieu  de  se  borner  à  annoncer  seulement  la  vérité.  Il  faut  la 
faire  briller  de  tout  son  éclat,  et  montrer  que  l'Eglise  ne 
répond  pas  à  notre  âme  d'une  manière  quelconque,  mais 
qu'elle  y  répond  divinement.  C'est  ainsi  que  le  P.  Dechamps 
complète  l'exposé  de  sa  méthode  en^nous  faisant  voir  les  deux 
caractères  de  divinité  que  l'enseignement  del'Église  porte  avec 
lui  :  la  catholicité  et  la  sainteté.  L'une  et  l'autre  sont  exigées 
pour  que  la  réponse  aux  désirs  de  notre  âme  soit  satisfaisante, 
et  là  où  elles  se  présentent,  l'àme  qui  cherche  s'épanouit  dans 
la  joie  d'avoir  trouvé  le  bonheur  et  la  vérité  qu'elle  cherchait, 
et  se  soumet  sans  crainte  à  «l'autorité  vivante  de  Dieu  dans  la 
grande  famille  qu'il  élève.  » 

III.   LA    CATHOLICITÉ. 

La  divinité  de  l'Église  se  '  révèle  par  sa  catholicité.  Cette 
preuve  entre  directement  dans  le  plan  de  la  méthode  du  P. 
Dechamps.  Si  c'est  Dieu  qui  nous  révèle  les  mystères  de 
l'homme  et  de  l'éternité,  sa  réponse  doit  s'étendre  à  tous  les 
hommes  indistinctement.  Le  premier  caractère  constitutif  de 


Mars  1863.]  DU  P-   DECHAMPS.  2o5 

la  catholicité  doit  donc  être  une  universalité  de  nature.  Rien 
dans  la  vraie  religion  ne  saurait  être  incompatihle  avec  la  di- 
versité des  climats,  des  nations,  comme  rien  ne  peut  l'être  avec 
la  diversité  des  temps  ou  des  âges  du  monde,  en  sorte  que, 
partout  où  ou  la  trouve,  on  doit  la  trouver  la  même,  comme 
elle  doit  être  la  même  à  quelque  époque  de  son  existence 
qu'on  veuille  Téfudier.  Or,  c'est  là  le  signalement  de  l'Église. 
Elle  passe  au  milieu  des  nations  sans  êtreétrangère  nulle  part; 
elle  traverse  les  siècles  sans  porter  sur  son  front  les  rides  de 
la  vieillesse,  et  le  temps  qui  ronge  jusqu'aux  monuments  cy- 
clopéens,  et  les  climats  qui  diversifient  d'une  manière  si 
étrange  les  mœurs,  la  couleur  et  le  type  des  hommes,  n'ont  au- 
cune prise  sur  elle.  Fille  du  ciel,  elle  n'a  de  vie  que  celle  qu'elle 
a  reçue  au  lieu  de  son  origine,  et  sans  rien  emprunter  à  la 
grossièreté  des  voix  de  la  terre,  elle  répand  partout  la  même 
lumière,  elle  répand  partout  le  même  amour. 

Eu  second  lieu,  la  vraie  religion  doit  être  universelle  par 
son  amow\  Elle  doit  tendre  les  bras  à  tous  les  peuples,  les  ap- 
peler tous  à  se  réunir  dans  son  sein  pour  n'y  former  qu'une 
seule  famille  d'enfants  de  Dieu.  Or,  voyez  l'Église.  Partout 
elle  fait  entendre  sa  voix  par  ses  apôtres  et  ses  missionnaires  ; 
seule  elle  a  un  apostolat  catholique.  f)otiée  d'une  force  d'ex- 
pansion qu'on  ne  trouve  point  ailleurs,  il  n'est  pas  un  si  petit 
coin  de  terre  qu'elle  ne  cherche  à  envahir,  pas  une  île  de 
l'océan  où  elle  ne  dépose  un  missionnaire  pour  faire  entendre 
sa  voix  aux  peuples  encore  plongés  dans  les  ténèbres.  L'Église 
a  donc  l'universalité  de  l'amour,  appelant  tous  les  hommes  de 
ses  vœux,  et  poursuivant,  à  l'exemple  du  bon  Pasteur,  les  bre- 
bis égarées  jusque  dans  les  déserts  les  plus  arides. 

Est-il  nécessaire  après  cela,  que  la  vérité  divine  produise 
aussi  la  catholicité  de  la  foi?  Non.  Les  hommes  et  les  peuples 
sont  toujours  libres  de  lui  résister,  et  il  peut  arriver  airtsi, 
comme  il  arrive  de  fait,  que  la  chaîne  de  la  tradition  chré- 
tienne soit  souvent  interrompue  par  telle  famille  ou  telle  na- 


256  MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE.  [Tome  VII. 

tiou.  De  cette  manière,  un  grand  nombre  d'hommes  seront  pri- 
vés de  la  connaissaf.ee  de  la  vérité  par  leur  faute  ou  par  celle 
de  leurs  parents  ;  mais  cela  empcchera-t-il  la  vraie  religion 
d'avoir  en  elle-même  le  caractère  de  l'universalité,  de  posséder 
un  amour  assez  grand  pour  les  presser  tous  sur  son  sein,  une 
constitution  assez  large  pour  les  réunir  tous  dans  un  même 
bercail,  un  dévouement  assez  sublime  pour  aller,  à  travers 
tous  les  dangers  et  toutes  les  fatigues,  les  appeler,  les  presser, 
les  supplier  de  chercher  leur  bonheur  et  la  paix  de  leurs  âmes 
dans  la  grande  unité  catholique  ? 

Mais,  grâce  à  Dieu  et  à  la  fidélité  des  hommes,  nous  avons 
plus  que  ce  qui  suffit,  nous  avons  plus  que  l'apostolat  catho- 
lique, nous  avons  la  catholicité  de  la  foi.  Si  tous  les  peuples 
n'obéissent  pas  à  la  vérité,  chez  tous  les  peuples  du  moins  il  y 
y  a  des  âmes  d'élite  qui  y  obéissent.  L'Église  catholique  et  elle 
seule,  compte  des  enfants  au  milieu  des  nations  protestantes 
et  schismatiques,  chez  les  peuples  de  la  Chine  et  chez  les 
peuples  de  l'Inde,  parmi  les  sauvages  de  l'Orégon  et  parmi 
ceux  des  iles  Océaniennes.  Les  deux  cent  millions  de  catho- 
liques qui  entendent  la  voix  du  Fape,  ne  sont  point  un  peuple 
occupant  une  portion  déterminée  du  globe  ;  ils  sont  répandus 
par  l'univers  entier,  et  c'est  en  face  de  toutes  les  fausses  reli- 
gions répandues  sur  le  globe, en  face  de  tous  les  temples  protes- 
tants et  Sf.hismatiques,  en  face  de  toutes  les  pagodes  et  de 
tons  les  faux  autels  que  l'Église  élève  avec  la  chaire  de  vérité, 
l'autel  unique  du  Dieu  qui  vit  dans  son  sein. 

C'est  dans  ce  triple  caractère  de  sa  catholicité  que  se  mani- 
feste la  divinité  de  l'Eglise.  En  dehors  d'elle,  ces  caractères  ne 
se  retrouvent  plus  même  isolés.  Les  sectes  ne  sont  pas,  ne 
peuvent  être  caiholiques.  Elles  n'ont  pas  la  catholicité  de 
nature.  Où  pourra-t-on  trouver  l'ÉgUse  anglicane  ailleurs  que 
sous  le  sceptre  de  la  reine  Victoria  ?.  où  trouvera-t-on  des  sec- 
tateurs du  schisme  russe  là  où  ne  s'étend  pas  le  pouvoir  du 
czar  ?  où  trouvera-t-on  une  église  luthérienne,  une  église  ré- 


T^IarsISCS.]  DU  P.    DECHAMPS.  ^57 

formée  universelle  ?  Non  seulement  elles  n'ont  point  ce  carac- 
tère, mais  elles  n'ont  jamais  aspiré  à  l'avoir,  tant  elles  ont  la 
conscience  de  leur  impuissance.  L'idée  de  l'apostolat  catho- 
lique appartient  exclusivement  à  l'Église  catholique,  et  ce 
nom,  qui  est  sa  gloire  parce  qu'il  1?,  montre  divine,  ne  lui 
est  disputé  pas  personne. 

Le  caractère  des  sectes,  au  contraire,  est  le  nationalisme, 
et  ce  nom  seul  est  une  condamnation  pour  elles. 

Pour  qu'il  puisse  y  avoir  catholicité,  il  faut  une  consistance 
propre.  Or,  le  protestantisme  n'a  de  consistance  que  par  la  poli- 
tique. L'esprit  apostolique  des  sociétés  bibliques  n'est  point 
né  des  entrailles  de  la  doctrine,  mais  de  nouvelles  convenances 
politiques.  L'idée  même  de  l'apostolat  exclut  celle  du  protes- 
tantisme, qui  pourra  bien  fonder  des  colonies  nationales,  mais 
non  des  églises  filles  de  l'Église  universelle.  Comme  religion, 
il  ne  subsiste  que  par  le  catholicisme  auquel  il  s'attache  pour 
le  détruire,  semblable,  dit  le  comte  de  Maistre,  à  la  gangrène 
qui  ronge  tout  le  corps,  et  qui  cesse  d'exister  du  moment  où 
elle  ne  trouve  plus  rien  à  détruire. 

Il  sutht  donc  de  montrer  à  l'ànie  ce  caractère  de  l'Église 
pour  lui  faire  reconnaître  sa  divinité,  11  suffit  de  la  rendre  at- 
tentive pour  lui  faire  comprendre  combien  ce  caractère  est 
étranger  aux  sectes  qui  vivent  en  dehors  d'elle.  Une  révélation 
qui  n'est  point  pour  tous  les  hommes,  une  religion  qui  ne 
réunit  pas  au  moins  l'universalité  de  nature  et  l'universalité 
de  l'amour  ne  vient  pas  de  Dieu. 

Mais  voici  qu'il  y  a  en  dehors  des  sectes  d'autres  voix  plus 
fausses  encore.  Les  unes  nous  invitent  à  une  parodie  de  la 
catholicité;  les  autres  veulent  faire  de  cette  gloire  un  crime  à 
l'Église. 

Oui,  il  y  a  des  voix  qui  nous  prônent  l'affranchissement 
universel  de  l'humanité  et  de  tout  dogme  et  de  toute  religion 
positive  ;  des  voix  qui  prétendent  nous  unir  tous  dans  la  pra- 
tique d'une  morale  universelle  substituée  à  l'Eglise  univer- 

ReYUE  des  sciences  ECCLÉSIASTIOUES.  t.  VII.  17. 


258  MÉTHODE   APOLOGÉTIQUE  [Tome  Vit. 

selle.  Déjà  nous  avons  constaté  que  ces  voix  sont  éminemment 
fausses,  puisqu'elles  sont  la  négation  de  tout  ce  qui  se  trouve 
au  plus  profond  de  l'homme,  la  contradiction  manifeste  du 
bon  sens,  de  la  bonne  foi  comme  du  genre  humain.  Mais,  de 
plus,  elles  se  contredisent  elles-mêmes.  Une  morale  universelle 
posée  à  l'écart  des  questions  religieuses  !  Mais  si  la  question 
religieuse  est  au  fond  de  l'homme  et  remue  tont  le  genre  hu- 
main, comment  peut-on  se  placer  en-dehors  d'elle?  Que  sera 
cette  morale  dont  précisément  l'homme  demande  à  la  religion 
de  lui  donner  le  fondement,  les  lois  et  la  sanction?  Cette  sé- 
paration ressemble  au  jugement  de  cette  mère  dénaturée  qui 
aimait  mieux  voir  son  enfant  coupé  en  deux  que  de  le  voir 
vivre  entre  les  mains  d'une  autre.  La  femme  qui  demandait 
cette  séparation  n'était  point  la  mère,  et  c'est  à  cette  contra- 
diction avec  la  voix  de  la  nature  que  le  »sage  Salomon  recon- 
nut la  mère  véritable.  Ceux  qui  veulent  séparer  ainsi  la  morale 
du  dogme  se  révèlent  de  même  comme  ennemis  de  la  vérité, 
ennemis  ^e  la  nature,  ennemis  de  Dieu. 

D'un  autre  côté,  la  morale  regarde  Dieu  et  l'homme.  Elle 
nous  impose  des  devoirs  envers  Dieu;  mais  quels  seront-ils  si 
vous  supprimez  le  dogme  '  Elle  nous  impose  des  devoirs  en- 
vers nous-mêmes  ;  mais  ces  devoirs  supposent  deux  grandes 
questions  religieuses,  la  révolte  des  passions  et  les  moyens  de 
les  combattre.  Sur  quoi  appuyerez-vous  ces  devoirs?  De  quels 
principes  dériverez-vous  les  vertus  morales?  Elles  fleurissent 
admirablement  à  l'ombre  des  vertus  religieuses  surnaturelles, 
des  vertus  divines  ou  théologales.  Mais,  privées  de  cette  in- 
fluence, elles  sont  infirmes  dans  notre  nature  déchue  et  s'af- 
faissent bientôt  sur  elles-mêmes.  Ne  l'ont-ils  pas  compris  ceux 
qui  prétendent  trouver  le  remède  à  tous  les  maux  de  la  société 
dans  la  diffusion  d'une  morale  mutilée  qui  se  borne  à  l'indica- 
tion de  quelques  devoirs  vagues,  dépouillés  de  tout  principe 
d'action  et  de  toute  sanction? 

Nous  avions  donc  raison  de  dire  que  ces  voix  ne  font  que 


Mars  1863. 1  DU   P-    DECHAMPS.  2j9 

parodier  renseignement  de  l'Eglise;  elles  parodient  de  même 
sa  catholicité.  Elles  sortent  des  loges,  et  ont  pour  but  de  dé- 
truire l'amour  de  la  religion,  le  respect  qui  lui  est  dû,  l'in- 
fluence qu'elle  exerce.  Elles  veulent  y  substituer  la  haine  de 
la  vérité,  haine  qui  sera  toujours  l'unique  lien  de  l'infidélité, 
et  elles  préparent  le  chemin  à  la  catholicité  de  l'antichristia- 
nisme.  C'est  là  que  nous  conduisent  les  preneurs  de  la  morale 
universelle.  Mais  l'antichristianisme  ne  sera  pas  une  foi  com- 
mune. Ce  sera  la  grande  union  de  la  haine  par  laquelle  son 
prince,  l'Antéchrist,  fera  partout  la  guerre  à  la  vérité  catho- 
lique, qui  seule  lui  résistera.  L'àme  qui  cherche  de  bonne  foi 
la  vérité  se  sent  repoussée  par  ce  spectacle,  et  ainsi,  de  quelque 
côté  qu'elle  envisage  les  réponses  qui  lui  viennent  du  dehors, 
elle  ne  fait  que  se  confirmer  de  plus  en  plus  dans  cette  adhésion 
qu'elle  a  donnée  à  la  voix  de  l'Éghse  du  moment  où  elle  l'a 
entendue. 

Ici  le  P.  Dechamps  s'impose  une  espèce  de  halte  dans  cette* 
marche  toujours  si  lumineuse  pour  regarder  en  face  certaines 
objections,  et  pour  montrer  l'inanité  de  ces  grands  mots  au 
moyen  desquels  on  insulte  l'Église  dans  ce  qui  fait  sa  gran- 
deur et  dans  la  manifestation  même  de  sa  divinité.  Il  voit 
attaquer  son  unité  au  nom  de  la  tolérance,  sou  universalité  au 
nom  du  patriotisme,  sa  perpétuité  au  nom  du  progrès.  Nous 
devons  glisser  sur  ce  beau  chapitre  qui  n'est  pas  essentiel 
^  à  l'exposition  complète  de  sa  méthode.  Mais  tout  en  résistant  au 
vif  désir  que  nous  aurions  de  citer  quelques-unes  de  ces  élo- 
quentes pages  qui,  mieux  qu'une  sèche  analyse,  feraient  con- 
naître la  manière  de  l'auteur,  nous  indiquons  sommairement 
les  réponses  du  P.  Dechamps. 

Il  expose,  d'après  Mgr  Parisis,  la  doctrine  de  l'Église  sur  la 
tolérance,  et  nous  montre  comment,  loin  d'être  persécutrice, 
c'est  elle  qui  est  en  butte  partout  à  la  violence  et  à  la  persé- 
cution. 11  répond  à  la  seconde  objection  en  rappelant  le  grand 
principe  de  la  distinction  des  deux  pouvoirs,  et  montre  com- 


260  MÉTHODK    APOLOGÉTIQIE  [Tome  VU. 

ment  le  reproche  d'ultramontanisme  tend  à  nous  ramener  à  la 
servilité  païenne  vis-à-vis  du  pouvoir,  servilité  dont  nous 
n'aurions  plus  même  l'idée,  si  le  protestantisme  n'était  venu 
la  rajeunir.  Puis,  dans  un  magnifique  tableau  dont  la  large 
esquisse  montrerait  seule  la  main  du  maître,  il  fait  voir  que 
l'Église  a  été  le  principe  de  tous  les  progrès  qu'a  jamais  faits 
l'humanité.  Tout  en  constatant  combien  il  y  a  dans  le  pro- 
testantisme d'illustres  individualités  littéraires,  il  établit 
P  qu'on  ne  voit  pas  dans  son  sein  de  ces  grands  courants  de 
lumière  qu'on  appelle  les  siècles  de  Léon  X,  de  ûlédicis,  de 
François  I,  de  Louis  XIV;  S»  que  ces  individualités  sont  elles- 
mêmes  une  nouvelle  preuve  que  les  inspirations  littéraires  et  phi- 
losophiques manquent  à  l'hérésie  et  se  retrouvent  dans  l'Église 
catholique.  Il  finit  pas  nous  montrer  combien  s'élèvent  Stolberg, 
Schlegel,  Gœrres  en  revenant  à  la  foi  catholique,  et  de  quelle 
hauteur  tombent  La  Mennais  et  d'autres  écrivains  de  notre  âge 
lorsqu'ils  perdent  avec  la  foi  de  leurs  pères  la  vie  de  leur  âme. 
Ce  chapitre  renferme  de  grandes  beautés  littéraires  et  de  ma- 
gnifiques aperçus. 

IV.    SAINTETÉ. 

La  preuve  de  la  divinité  de  l'Église  par  sa  sainteté  est  celle 
qui  va  le  plus  droit  à  i'âme  ;  elle  fait  partie  intégrante  de  la 
méthode  que  nous  avons  exposée.  Aussi  c'est  celle  que  l'auteur 
traite  avec  le  plus  de  complaisance.  On  voit  dans  son  exposition 
comme  un  reflet  de  ces  jouissances  ineffables  que  lui  procure 
le  ministère  des  âmes  qu'il  a  exercé  dans  plusieurs  villes  de  la 
Belgique,  et  il  semble  regretter  que  les  apologistes,  d'ordi- 
naire, la  laissent  trop  dans  l'ombre. 

L'ouvrage  est  en  forme  de  dialogue.  Les  interlocuteurs 
sont  un  magistrat,  homme  du  monde,  religieux  au  fond  et 
plein  de  bonne  foi,  un  écrivain  qui  semble  se  jouer  sur  les 
limites  de  la  théologie  et  de  la  philosophie,  et  un  théologien 
vieilli  dans  l'étude  de  la  religion.  Celui-ci  contrôle  les  doc- 


Mars  18C3.  DU   P.    DECHAMPS.  2t.| 

triues  de  l'écrivain  qui  n'est  autre  que  l'auteur  lui-même. 
Voici  comment  il  entre  en  matière  : 

«  L Écrivain.  Jusqu'ici  nous  n'avons  expliqué  que  cette  seule 
parole  :  Je  crois  l'Éf^lise  catholique.  Il  faut  aussi  faire  sentir  ce 
que  contient  cette  autre  parole  :  Je  crois  la  sainte  Église  catho- 
lique. 

a  Le  Magistrat.  A  votre  place  je  n'insisterais  pas  trop  sur  ce 
point,  car  je  n'y  vois  qu'un  signe  de  contradiction,  le  défaut 
de  sainteté  dans  les  fidèles  et  quelquefois  dans  les  pasteur.'> 
ayant  fourni  plus  d'objections  que  de  pi-euves. 

a  Le  Théologien.  Oh  !  que  vous  êtes  à  côté  de  la  question  ! 

«  L'Écrivain.  Et  de  la  plus  belles  de  toutes! 

Si  cette  preuve  est  la  plus  belle  de  toutes,  la  raison  en  est 
qu'elle  est  d'un  côté  la  plus  éminemment  divine  ,  el  eu 
même  temps  la  plus  accessible  à  l'homme.  Elle  va  surtout  au 
cœur,  et  non-seulement  elle  éclaire,  mais  elle  attire.  La  foi 
est  un  acte  de  l'àme  tout  entière  ;  il  y  entre  autant  d'amour  que 
d'intelligence.  La  religion  doit  donc  parler  aussi  à  toutes  ces 
facultés  de  l'àme,  à  l'intelligence  par  la  vérité,  au  cœur  par  la 
sainteté.  Ces  deux  manières  dont  la  religion  nous  parle  ne 
sont  pas  essentiellement  différentes,  la  sainteté  n'étant  que  la 
vérité  dans  les  affections,  et  la  doctrine  elle-même  n'étant 
vraie  qu'autant  qu'elle  prescrit  un  amour  vrai  pour  le  vrai 
bien,  un  amour  vrai  en  lui-même  et  vrai  dans  son  objet. 

Il  n'y  a  personne  qui  ne  soit  capable  de  discerner  entre  deux 
doctrines  opposées  celle  qui  vient  du  ciel  et  celle  qui  vient  de  la 
terre;  celle  qui  fait  sourdement  écho  aux  passions  déréglées 
et  aux  vils  penchants  de  celle  qui  répond  à  l'inclination  divine 
qui  est  en  nous.  Il  n'y  a  personne  qui  ne  comprenne  que  la 
doctrine  n'est  vraiment  sainte  que  si  elle  prescrit  à  l'homme 
l'amour  de  Dieu,  l'attachement  à  Dieu,  l'élévation  de  l'âme 
au-dessus  des  passions  de  ce  monde  qui  passe  et  où  il  faut 
passer  eu  faisant  le  bien.  Comment  en  effet  le  monde  s'y  prend- 
il  pour  contester  la  réalité  des  vraies  vertus,  des  vraies  dévo- 


262  MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE.  [Tome  VI  1 

tiens,  des  vrais  sacrifices?  N'est-ce  pas  en  leur  cherchant  im 
motif  tout  humain,  un  motif  tout  terrestre,  l'intérêt,  l'ambition, 
la  vanité?  Et  quand  il  trouve  chez  des  âmes  prétendues  saintes 
quelque  apparence  d'une  passion  plus  terrestre  encore,  quelle 
heureuse  découverte  pour  les  yeux  malades  qui  se  sentent 
blessés  par  une  lumière  trop  vive!  Le  monde  sait  doncparfai- 
ment,  sans  qu'il  s'en  rende  compte,  ce  qui  empêche  d'être 
saint,  et  par  conséquent  ce  qui  est  requis  pour  l'être. 

Eh  bien  !  regardez  l'Église  par  quelque  côté  que  ce  soit;  et 
par  sa  sainteté  qui  est  le  caractère  de  sa  vie  intime,  plus  encore 
que  pas  sa  catholicité,  qui  est  le  caractère  de  son  développement 
extérieur,  elle  répondra  à  la  recherche  divine  du  vrai  et  du 
bien  que  Dieu  a  mise  en  nous. 

La  sainteté  consiste  dans  l'amour  de  Dieu.  Cet  amour,  qui 
est  inséparable  de  l'amour  du  prochain  et  qui  doit  régler 
notre  amour  pour  nous-mêmes,  la  religion  catholique  nous  le 
commande.  Donc  elle  est  sainte.  Aucune  autre  religion  n'a 
pensé  à  prescrire  l'amour  de  Dieu,  aucune  autre  ne  l'a  osé; 
aucune  n'a  jamais  demandé  à  Dieu  de  l'aimer  et  de  le  servir. 
Donc,  aucune  autre  n'a  la  sainteté  de  la  doctrine. 

Le  paganisme  n'a  jamais  songé  à  demander  les  dons  de 
l'àme.  Il  apparaît  dans  le  monde  comme  le  grand  consentercent 
à  la  tentation  du  désert  :  Jlsec  omnia  tibi  dabo,  sicadens  adora- 
veris  me.  Il  n'a  pas  honoré  les  esprits  qui  nous  conduisent  à 
l'amour  et  à  l'adoration  de  Dieu,  mais  ceux  qui  nous  en  dé- 
tournent. 

Plus  coupable  est  le  panthéisme.  Car  il  va  au-delà  de  l'oubli 
pratique  de  Dieu  ;  il  confond  Dieu  avec  le  monde.  Éminemment 
impie  s'il  prend  pour  devise:  Non  est  Deus,  il  ne  l'est  pas  moins 
s'il  s'attache  à  cette  autre  ïovv^xAq'.  Eintis  sicut  dii.  De  quelque 
manière  qu'il  se  présente,  il  est  la  formule  doctrinale  (\m  exclut 
la  sainteté. 

En  dehors  du  paganisme  il  y  a  l'islamisme  dont  la  doctrine 
est  entachée  d'une  double  ignominie  :  le  fatalisme  et  le  sen- 


Mars  1863.]  DU  P.   DBCHAMPS.  263 

sualisme.  Sapant  la  morale  parla  base  et  la  rongeant  comme 
un  chancre,  il  en  détruit  jusqu'à  la  notion,  puisqu'il  nie  l'em- 
pire obligatoire  de  la  volonté  sur  les  passions  comme  il  en 
suppriûie  le  moyen  en  niant  la  liberté. 

On  voudrait  au  moins  trouver  la  sainteté  delà  doctrine  dans 
ces  débris  du  christianisme  qui  constituent  le  protestantisme. 
Plus  heureux  que  d'autres,  les  protestants  connaissent  Jésus- 
Christ  ;  ils  ont  entre  les  mains  le  livre  de  l'Evangile,  qui  contient 
le  récit  des  paroles  et  des  actions  de  l'Homme-Dieu  ;  il  semble 
impossible  de  ne  pas  avoir  la  sainteté  de  la  doctrine  quand  on 
possède  ce  trésor.  Eh  bien,  les  protestants  qui  aiment  tant  à 
redire  :  Nous  n'avons  pourtant  tous  qu'un  seul  et  même  Dieu  ; 
les  protestants  ont  une  doctrine  qui  exclut,  elle  aussi,  la  sain- 
teté. Cette  doctrine,  consignée  dans  leurs  symboles,  est  toute 
pharisaïque.  Elle  promet  la  sainteté  à  la  condition  d'être  un 
sépulcre  blanchi.  Elle  nie  le  libre  arbitre  et  avec  lui  l'obligation 
et  la  possibilité  de  la  sainteté.  Dès  son  origine,  le  protestantisme 
flétrit  les  trois  plus  belles  vertus  de  l'Église,  l'humiUté,  la  vir- 
ginité et  la  sainteté  du  mariage,  et  son  enseignement  sur  la 
grâce  ne  pouvait  que  dessécher  les  sources  de  la  prière,  et  étein- 
dre cet  esprit  qui  nous  porte  intérieurement  à  gémir  sur  nous- 
mcmes  et  à  demander  humblement  la  guérison  de  notre  âmei 

Sera-ce  peut-être  la  rationalisme  qui  nous  apportera  une 
doctrine  sainte?  mais  oblige-t-il  véritablement  à  aimer  Dieu? 
Connaît-il  la  source  de  notre  impuissance  naturelle  à  l'aimer, 
et  le  remède  à  cette  faiblesse  ?  N'a-t-il  point  nié  cette  impuis- 
sance,  et  j)ar  conséquent  le  besoin  d'obtenir  par  la  prière 
l'amour  perdu  avec  la  justice,  l'amour  qui  est  la  justice  ?  Les 
honnêtes  gens  du  rationalisme  n'ont-ils  pas  l'habitude  de 
concentrer  toute  la  loi  dans  le  second  commandement  qu'ils 
ne  comprennent  pas  mieux  qu'ils  ne  le  pratiquent  : 
Tu  aimeras  le  prochaifi  comme  toi-même; 
sans  faire  attention  au  premier  qui  en  est  la  racine  ^ 
Tu  aimeras  Dieu  par  dessus  toutes  choses. 


264  MÉTHODE   APOLOGÉTIQUE  ITonieVll. 

Ils  se  croient  justes  parce  qu'ils  observent  la  justice  commu- 
tative,  parce  qu'ils  ont  payé  leurs  fournisseurs,  et  ils  ont 
tellement  perdu  le  sens  de  la  justice  totale,  qu'ils  ne  pensent 
pas  se  devoir  à  eux-mêmes  ce  respect  qu'on  appelle  chasteté, 
et  qu'ils  ignorent  absolument  que  l'amour  de  Dieu  est  la  plus 
grande  et  la  première  dette  de  l'homme. 

Il  n'est  pas  nécessaire  assurément  de  passer  ainsi  en  revue 
toutes  les  doctrines  qui  se  présentent  en  dehors  de  l'Église. 
Une  doctrine  qui  se  présente  à  nous  en  réalisant  l'idéal  de  la 
sainteté  que  nous  portons  confusément  en  nous,  ne  peut  être 
que  divine.  Mais  il  nous  semble  tellement  évident  qu'une  doc- 
trine ne  peut  aucunement  prétendre  à  une  origine  divine  quand 
elle  ne  porte  pas  la  marque  de  la  sainteté,  que  le  cœur  se  re- 
fuse à  croire  qu'il  y  a  des  hommes  sans  nombre  qui  admettent 
comme  célestes  des  doctrines  où  la  notion  de  la  sainteté  est 
entièrement  oblitérée.  Et  quand  on  voit  que  l'Église  catholique 
seule  possède  la  sainteté  de  la  doctrine,  l'âme  n'en  demande 
pas  davantage  pour  s'écrier  :  Oui,  cette  église  nous  vient  de 
Dieu;  c'est  la  parole  de  cette  église  qui  est  l'organe  perma- 
nent de  la  révélation  de  Dieu  parmi  nous. 

Mais  il  y  a  plus,  l'Église  est  l'organe  permanent  de  la  grâce 
dans  sou  culte,  et  si  elle  ose  commander  à  l'homme  d'aimer 
Dieu,  c'est  parce  qu'elle  a  la  conscience  du  pouvoir  divin 
qu'elle  nous  communique  à  cet  effet.  L'étude  des  moyens 
qu'elle  emploie  serait  à  elle  seule  une  démonstration  palpable 
de  sa  divinité.  Mais,  pour  ne  pas  trop  prolonger  ce  trop  long 
article,  nous  terminerons  eu  indiquant,  d'après  leP.  Dechamps, 
les  fruits  de  sainteté  qui  se  produisent  dans  l'Église. 

Ces  fruits,  nous  les  trouvons  partout.  N'est-il  pas  vrai,  en 
effet,  qu'une  multitude  de  fidèles,  exposés  comme  tous  les 
hommes  aux  assauts  des  passions  et  des  inclinations  impor- 
tunes de  la  nature  déchue,  conçoivent  le  désir  et  la  résolution 
de  les  combattre,  emploient  les  moyens  que  Jésus-Christ  leur 
a  donnés  pour  les  vaincre,  et  remportent  d'innombrables  vie- 


Mars  1Ç63.!  BU   P.    DECHAMPS.  i  6> 

toires  ?  Il  y  a  là  quelque  chose  de  divin.  Ce  n'est  point  par  ses 
propres  forces  que  rhomme  lutte  contre  lui-même.  La  raison 
de  l'homme,  laissée  à  elle  seule,  n'est  point  en  guerre  déclarée 
avec  les  passions  de  Thomme,  et  ces  vertus  de  foi,  d'espé- 
rance et  d'amour  qui  sont  Tàme  de  la  vie  de  l'Église,  sont  l'ef- 
fet de  la  correspondance  à  des  grâces  qui  luttent  en  nous 
contre  nous. 

Partout  aussi  se  rencontre  dans  l'Église  la  pratique  de  la 
confession,  où  tout  est  divin  :  la  loi  qui  prescrit  au  pécheur, 
avec  le  repentir,  l'aveu  fait  à  un  homme  pour  obtenir  le  par- 
don de  Dieu;  raccomplissement  de  cette  loi  par  l'univers  ca- 
tholique, et  les  conséquences  de  cette  loi,  puisque  c'est  au 
sortir  de  la  confession  que  l'homme  se  sent  dans  le  cœur  l'hor- 
reur du  péché,  la  force  de  le  combattre,  les  saintes  flammes 
de  l'amour  de  Dieu  brûlant  dans  un  cœur  que  consumaient 
naguère  des  feux  impurs. 

Et  ne  voit-on  pas  tous  les  jours  dans  l'Église,  et  partout, 
des  actes  touchants  de  résignation  et  de  douceur,  des  dévoue- 
ments admirables,  les  actes  de  charité  les  plus  émouvants,  la 
patience  daus  la  douleur,  la  joie,  la  paix  et  le  bonheur  jusque 
dans  la  mort?  Lorsqu'on  voit  un  homme  muni  des  sacrements 
de  l'Église,  attendre  la  mortcomme  une  amie,  quitter  le  monde 
sans  regret,  et  jouir,  comme  par  anticipation,  de  la  paix  du 
paradis,  n'a-t-on  pas  devant  soi  un  spectacle  évidemment  di- 
vin? Or,  ce  spectacle  se  trouve  partout. 

Mais  il  y  des  exemples  de  sainteté  plus  excellents  et  qui 
frappent  encore  plus  les  regards.  La  vocation  religieuse  est 
quelque  chose  de  divin,  un  appel  adressé  par  la  Providence 
elle-même  au  cœur  d'un  homme.  Placé  en  face  des  grandes 
misères  de  l'humanité,  cet  homme  se  dévoue  pour  ses  frères, 
il  se  dévoue  pour  Dieu.  Afin  de  ne  vivre  que  pour  ses  frères  et 
pour  Dieu,  il  meurt  à  lui-même,  et  il  mourra  à  lui-même  tous 
les  jours  de  sa  vie,  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à  Dieu  de  l'appeler 
à  lui.  Or,  la  grâce  d'en-Haut  est  nécessaire  pour  commencer 


266  MÉTHODE  APOLOGÉTIQUE  ITomeVII. 

cette  mort,  car  on  ne  meurt  pas  sans  agonie.  Elle  est  néces- 
saire pour  la  continuer  à  travers  toutes  les  défaillances  de 
la  nature. 

Ce  n'est  que  dans  l'Église  qu'on  voit  des  institutions  reli- 
gieuses éprises  du  triple  amour  de  Jésus-Christ  pour  l'enfance, 
pour  la  pauvreté,  pour  le  malheur.  L'instruction  de  la  jeu- 
nesse demande  une  vocation  d'en-Haut  ;  le  soulagement  de 
toutes  les  infortunes  une  vocation  d'en-Haut.  «  Ceux  qui  mé- 
prisent les  ordres  religieux,  dit  Leibnilz,  n'ont  de  la  vertu 
que  des  idées  vulgaires.  La  sainteté  est  dans  la  charité  divine. 
La  prière  et  le  sacrifice  sont  les  deux  ailes  de  cet  amour  qui 
s'élève  à  Dieu  pour  de  lui  revenir  aux  hommes.  » 

Les  religieux  ne  sont  encore  dans  l'Église  que  des  braves  ; 
les  saiîits  sont  des  héros  parmi  les  braves.  L'Église,  en  les  ca- 
nonisant, fait  écho  aux  prémices  du  jugement  de  Dieu.  Le  mérite 
et  le  démérite,  la  vertu  et  les  mérites  de  chaque  homme  se- 
ront solennellement  proclamés  à  la  face  de  l'univers  au  jour 
que  Dieu  appelle  le  sien.  «  Mais  cette  Providence,  qui  nous 
porte  ici-bas  aux  combats  de  la  vertu  par  de  grands  exemples, 
a  voulu,  pour  rendre  ceux-ci  plus  efficaces  encore,  nous  don- 
ner, dès  cette  vie  même,  une  première  vue  de  leur  récompense, 
en  manifestant  avant  le  dernier  jour  le  salut  de  plusieurs  de 
ses  saints  par  les  prodiges  nombreux,  les  miracles  avérés 
qu'elle  opère  pendant  leur  vie,  et  surtout  à  leur  invocation 
après  leur  mort.  C'est  cette  manifestation  divine  de  la  gloire  de 
quelques  élus  que  nous  appelons  justement  les  prémices  du 
jugement  de  Dieu.  Et  c'est  quand  elle  est  évidente,  certaine, 
que  l'Église  lui  fait  écho  en  la  constatant  par  la  canonisa- 
tion. » 

A  la  vue  de  ces  grands  spectacles,  uniques  dans  le  monde,  il 
semble  que  la  divinité  de  l'Église  est  évidente,  palpable.  Ce 
n'est  pas  le  Pape  seulement  parlant  au  nom  de  Dieu,  c'est 
chaque  fidèle  digne  de  ce  nom  qui  se  sent  comme  eu  commu- 
nication directe  avec  le  monde  supérieur,  avec  le  ciel.  Ceux 


MarslS(!3.  DU   P.    DECHAMPS.  207 

qui  sont  hors  de  l'Église,  ou  bien  gémissent  d'être  étrangers  à 
cette  fête  qui  relie  le  ciel  avec  la  terre,  ou  bien  sourient  et 
plaisantent.  Nous  comprenons  le  sentiment  des  premiers  qui 
sont  de  bonne  foi,  et  chez  lesquels  il  suffirait  de  déduire  les 
conséquences  dece  qu'ils  éprouvent  pour  faire  jaillir  la  lumière. 
Mais  pourquoi  ce  dédain  des  autres  ?  Vient-il  de  ce  que  l'Église 
ne  procède  pas  assez  sagement?  Non,  mais  ils  ont  peur  de  la 
lumière  qu'ils  voient  jaillir.  Ce  type  d'hommes  leur  est  in- 
connu, et  ils  ne  les  méprisent  que  parce  qu'ils  sentent  confu- 
sément leur  propre  infériorité.  Le  surnaturel  qui  se  produit 
dans  le  miracle  ne  les  épouvante  pas  moins;  mais  à  quoi  sert- 
il  de  le  nier  quand  on  est  soi-même  en  présence  des  innom- 
brables miracles  du  monde  moral?  Ces  hommes  auraient  moins 
de  peine  à  admettre  les  phénomènes  de  la  vie  surnaturelle  s'ils 
s'étaient  jamais  mis  dans  la  disposition  nécessaire  pour  en 
éprouver  eux-mêmes  quelque  chose. 

L'exposé  de  cette  preuve  est  complété  par  le  témoignage 
que  les  ennemis  et  les  enfants  dénaturés  de  l'Église  rendent 
malgré  eux  à  sa  sainteté.  Quand  il  arrive  un  scandale  dans 
l'Église,  la  renommée  n'a  pas  trop  de  ses  cent  bouches  pour 
en  répandre  le  bruit  en  tous  lieux.  Pourquoi  le  monde  atta- 
cherait-il cette  importance  à  un  scandale  commis  par  un 
enfant  de  l'Église,  s'il  n'avait  le  sentiment  de  rénorme  con- 
traste qui  existe  entre  le  crime  et  la  sainteté  réelle  de  la  famille 
où  il  se  rencontre?  Et  cette  irritation  antireligieuse  que  l'on 
trouve  chez  les  enfants  dégénérés  de  l'Eglise,  n'a  t-elle  pas  son 
principe  dans  la  vue  des  vertus  chrétiennes,  dans  la  présence 
des  grands  exemples  de  l'amour  des  saints  et  des  œuvres  qu'il 
inspire?  N'est-ii  pas  dû  surtout  à  ce  que,  pour  se  plonger  dans 
la  révolte,  il  a  fallu  lutter  avec  des  grâces  toujours  plus  abon- 
dantes dans  l'Église  qu'ailleurs,  et  n'est-ce  poiut  la  fureur 
même  de  cette  lutte  intérieure  qui  se  traduit  par  d'affreux 
paroxismes  au  dehors  ?  Cette  fièvre  antireligieuse  est  inconnue 
dans  les  pays  où  les  sources  de  la  grâce  sont  taries. 


268  LITURGIE.  1  Tome  VII. 

Nous  avons  indiqué  la  méthode  du  P.  Dechamps  dans  ses 
caractères  essentiels,  et  les  principaux  développements  dans 
lesquels  il  est  entré.  Les  prêtres  qui  nous  lisent  et  qui  savent 
par  où  les  âmes  sont  1  e  plus  accessibles  à  la  vérité,  comprendront 
aisément  tout  le  fruit  qu'il  y  aura  à  en  tirer.  Nous  ne  préten- 
dons point  assurément  qu'il  n'y  ait  pas  moyen  de  trouver  encore 
de  grandes  richesses  dans  cette  mine  inépuisable;  mais  nous 
nous  réjouissons  que  cette  voie  ait  été  ouverte  par  un  homme 
qui  unit  admirablement  eu  lui  les  sciences  du  monde  et  la 
science  des  saints.  J.-I.  Simonis. 


RÉPONSE 

d'un  LITURGISTE   ROMAIN   A  DES   QUESTIONS   CONCERNANT   DIVERSES 
FONCTIONS   PONTIFICALES. 

On  nous  a  communiqué  certaines  réponses  données  par  uu 
célèbre  liturgiste,  à  Rome,  sur  des  questions  qui  ne  trouvent; 
leur  solution  ni  dans  le  Cérémonial  des  évêques  ,  ni  dans  les 
décrets  de  ia  Sacrée  Congrégation  des  Rites.  Nous  ne  croyons 
pas  inutile  de  les  transmettre  à  nos  lecteurs. 

I.  La  première  question  est  relative  aux  cérémonies  de  la 
bénédiction  des  cierges,  des  cendres  et  des  rameaux  qui  se 
fait  avant  la  Messe  le  2  février,  le  mercredi  des  cendres  et  le 
dimanche  des  rameaux.  Le  Cérémonial  des  évèques  indique 
l'ordre  à  suivre  dans  ces  cérémonies,  quand  elles  sont  faites 
par  l'évêque  diocésain  ou  en  son  absence.  Mais  aucune  ru- 
brique, aucune  décision  n'établit  ce  qu'il  faut  observer  quand 
un  évoque  fait  ces  bénédictions  hors  du  lieu  de  sa  juridiction. 
Il  est  seulement  certain  qu'il  doit  alors  célébrer  lui-même  la 
Messe  solennelle.  Mais  où  doit-il  être  placé  ?  Peut-il  faire  ces 
fonctions  au  fauteuil  comme  l'ordinaire  les  accomplit  au 
trône?  Le  seul  auteur  qui  suppose  un  cas  analogue  est  Cliris- 
tophe   Marul,  qui  traite  des  fonctions  faites  à  Rome  par  les 


Mars  IsrS]  LITURGIE.  269 

cardinaux.  D'après  lui,  ces  bénédictions  se  feraient  à  l'autel, 
non  pas  au  coin  de  l'épitre  comme  pour  un  simple  prêtre, 
mais  devant  le  milieu  de  l'autei.  Reste  encore  la  question  de 
l'antienne  /Tosanna,  de  l'épître,  du  répons  et  de  l'évangile  qui 
précède  la  bénédiction  des  rameaux.  Où  le  prélat  doit-il  être 
placé  pour  lire  ces  prières  et  assister  à  l'évangile  ? 

D'après  le  liturgiste  dont  nous  résumons  les  réponses,  l'é- 
vêque  doit  chanter  les  oraisons  pour  la  bénédiction  des  cierges, 
des  cendres  et  des  rameaux    près  du  fauteuil  placé  comme 
pour  la  Messe  solennelle.  Les  cierges  et  les  rameaux  à  bénir 
se  placent  sur  une  petite  crédence  entre  le  fauteuil  et  l'autel. 
Pour  les  cendres,  le  sous-diacre  tient  devant  le  prélat  le  vase 
qui  les  renferme.  Le  jour  des  rameaux,   l'évêque  est  au  fau- 
teuil, comme  à  la  Messe,  lit  l'antienne  Hosanna  avant  la  pre- 
mière oraison,  puis  l'épître,  le  répons   et  l'évangile   pendant 
qu'on  chante  le  répons.  «  Il  vescovo  deve  cantare  le  orazioni 
«  délia  benedizione  délie  candele  etc.,  al  faldistorio  posto  in 
«  piano  a  cornu  episiolse.  come  nella  Messa  solenne  :  ma  nel 
0  cantare  dette  orazioni  sta  il  vescovo  colla  faccia  verso  l'al- 
«  tare,  pouendosi  tra  l'altare  ed  il  faldistorio  una  piccola  cre- 
a  denza  con  sopra  le  candele  o  palme  etc.   :   le  ceneri  perô 
((  vi  teugono  in  un  vase  che  tienne  il  suddiacono  in  mano  in 
«  piedi  avauti  al  vescovo.  —  L'Bosanna,  l'epistola,  tratto,  ed 
«  evangelo  délia  benedizione   délie   Palme,  si  leggono  sub- 
«  missa  voce  dal  vescovo  stando  a  sedere,  nel  mentre  si  canta 
«  il  tratto  dopo  l'epistola  :   eccetto  che  Vllosanna  lo  legge 
«  avanti  l'orazione  prima.  » 

IL  A.  l'office  pontifical  du  jeudi-saint,  le  Cérémonial  des 
évêques  n'indique  pas  positivement  la  place  que  doivent  oc- 
cuper le  prêtre  et  les  diacres  assistants,  le  diacre  et  le  sous- 
diacre  pendant  que  Te  prélat  bénit  les  saintes  huiles.  Un 
auteur  enseigne  qu'ils  doivent  se  tenir  à  genoux  près  de  l'autel, 
pour  adorer  le  Très-saint  Sacrement.  Que  doit-on  penser  de 
cette  pratique?  Il  n'estpasnon  plus  question  de  la  cérémonie 


270  LITURGIE.  [Tome  VU. 

du  dépouillement  des  autels.  Doit-elle  être  faite  par  Tévêque, 
et  alors  de  quels  ornements  doit-il  être  revêtu  ?  Que  doit-on 
observer  pour  le  dépouillement  des  autels,  si  la  Messe  solen- 
nelle a  été  célébrée  par  un  évêque  au  fauteuil? 

On  répond  à  ces  difficultés  de  la  manière  suivante.  l°Pendaut 
que  Tévêque  fait  la  bénédiction  des  saintes  huiles,  il  est  con- 
venable que  le  prêtre  assistant,  les  diacres  assistants,  le  diacre 
et  le  sous-diacre  se  tiennent  près  de  lui  dans  une  place  dis- 
tincte comme  témoins  :  c'est  ce  qui  semble  être  indiqué  dans 
le  Cérémonial.  2°  Le  dépouillement  des  autels  ne  paraît  pas 
devoir  être  fait  par  le  prélat  :  il  peut  être  fait  par  le  prêtre 
assistant,  le  diacre  et  le  sous-diacre  ,  revêtus  del'amict,  de 
l'aube  et  du  cordon,  le  prêtre  et  le  diacre  portant  en  outre 
l'étole  violette.  Il  n'est  cependant  pas  contraire  aux  règles 
liturgiques  que  l'évêque  fasse  le  dépouillement  des  autels; 
il  prend  alors  l'étole  pendante  sur  l'aube  et  la  mitre  simple. 
L'usage  de  dépouiller  les  autels  avec  le  surplis  et  l'étole  est  aussi 
toléré.  «  Mentre  il  vescovo  benedice  gli  ogli  santi,  convienne 
«  che  il  prête  assistente,  diaconi  assistenti,  ed  il  diacono  e 
«  suddiacono  ministranti  slieno  vicino  al  medesino  vescovo 
«  in  un  posto  distinto,  corne  testimoiij,  e  cosi  pare  accennarsi 
0  nel  ceiemoniale.  In  quanlo  alla  denudazione  degli  altari, 
«  non  pare  che  debba  farsi  dal  vescovo,  ma  puô  farsi  dal 
«  prête  assistente ,  diacono  e  suddiaconno  che  hanno  mini- 
c<  strato  alla  Messa,  vestiti  di amitto,  camice,  cingolo  e  stola  tra- 
0  versa  pel  diacono  ed  avanti  al  petto  come  alla  Messa  pel  sa- 
a  cerdote,  ambedue  dicolor  paonazzo.  Che  se  il  vescovo  vorrà 
«  farlo,  egli  non  essendo  positivamente  proibito,  si  vestirà 
«  nella  stessa  maniera ,  ma  colla  stola  pendente  dal  coUo ,  e 
a  mitra  bianca  semplice.  E  pei'ô  toUerato  l'uso  di  spoliare  gli 
a  altari  colla  colta  e  stola  semplice. 

III.  A  la  fonction  du  vendredi-saint,  si  elle  est  faite  par 
l'évêque  diocésain,  doit-on  mettre  sur  l'autel  le  septième  chan- 
delier, et  le  prélat  peut-il  porter  la  crosse  ?  Le  Cérémonial  des 


Mar3l8G3.1  LITURGIE.  27  f 

évêques  n'en  parle  pas.  Le  pontife  ,  au  commencement  de  la 
fonction,  se  prosterne  sur  son  prie-Dieu  qui  doit  être  sans 
aucun  ornement.  On  n'indique  pas  si  les  ministres  sacrés 
doivent  se  prosterner  comme  on  le  fait  quand  un  évêque  ne 
préside  pas  à  cette  fonction^  et  si  l'on  doit  préparer  des  coussins 
pour  eux,  le  prélat  n'en  ayant  pas. 

On  répond  ainsi  à  ces  questions.  1»  On  ne  se  sert  pas  de  la 
crosse;  2°  on  ne  met  pas  le  septième  chandelier;  3°  les 
ministres  sacrés  ne  se  prosternent  pas,  mais  se  mettent  à 
genoux  sur  des  coussins  posés  à  terre.  «  Il  settimo  candeliere 
«  ed  il  pastorale  non  debbono  usarsi  iiel  venerdi  santo.  I  rai- 
«  nistri  nella  prostrazione  non  procumbunt ,  ma  riraangono 
a  geuuflessi  sopra  il  cussino  m /)/ano  terrx.  Il  vescovo  procum- 
«  bit  super  faldistorium  nudum.  » 

V.  Si  l'évêque  diocésain  célèbre  la  Messe  solennelle  du 
samedi-saint,  il  peut,  d'après  le  Cérémonial  des  évêques,  ne 
pas  faire  lui-même  la  bénédiction  du  feu  nouveau  :  il  peut 
aussi  faire  faire  par  un  prêtre  celle  des  fonts  baptismaux. 
Pour  la  bénédiction  du  feu,  suivant  Catalaui,  si  le  prélat  fait 
cette  cérémonie,  on  lui  apporte  près  du  trône  le  feu  à  bénir; 
mais  s'il  ne  fait  pas  lui-même  la  bénédiction  des  fonts  bap- 
tismaux, on  ne  dit  pas  s'il  y  assiste.  Ou  n'indique  pas  non  plus 
l'ordre  à  suivre  dans  cette  fonction,  si  la  Messe  solennelle  de 
ce  jour  doit  être  célébrée  par  un  évêque  en  dehors  du  lieu  de 
sa  juridiction. 

Le  pontife  doit-il  alors  faire  tout  l'Office?  S'il  doit  faire  lui- 
même  la  bénédiction  du  feu,  peut-il  ou  doit-il  la  faire  dans  le 
chœur?  Prend-il  part  à  la  procession  du  Lumen  Christi?  Oix 
est-il  placé  pendant  le  chant  de  VExultet?  Où  se  place  le  pré- 
lat pour  lire  les  prophéties  et  les  oraisons  qui  les  suivent  ?  On 
demande  encore  en  quel  lieu  l'évêque  doit  déposer  les  orne- 
ments après  les  prophéties,  et  dans  quelle  position  il  doit  être 
pour  recevoir  les  ornements  blancs  pour  la  Messe.  Le  prélat 
doit-il  retourner  au  fauteuil  pour  les  Vêpres?  On  réitère  en 


272  LITURGIE.  [Tome  MI. 

outre  la  question  mentionnée  ci-dessus,  au  vendredi -saint. 
Ces  diverses  questions  sont  résolues  comme  il  suit  :  1°  l'é- 
vèque  diocésain  peut  rester  à  son  trône  pour  faire  la  bénédic- 
tion du  feu,  comme  l'indique  le  Cérémonial  desévêques,  mais 
il  peut  aussi  faire  cette  cérémonie  en  dehors  de  l'églisR.  Il  pa- 
raît plus  conforme  au  Cérémonial  de  la  faire  hors  du  chœur 
et  de  l'autel  dans  un  lieu  convenable,  qui  doit  être  éloigné  de 
l'autel.  Si  le  prélat  ne  fait  pas  lui-même  la  bénédiction  des 
fonts,  il  demeure  à  son  trône  avec  ses  assistants.  2°  Si  le  pon- 
tife célébrant  est  hors  du  lieu  de  sa  juridiction,  le  fauteuil 
est  disposé  comme  pour  la  Messe  solennelle.  La  bénédiction  du 
feu  nouveau  peut  se  faire  près  du  fauteuil  ou  en  dehors  de 
l'église;  après  cette  bénédiction,  l'évèqueserend  à  son  fauteuil, 
s'il  n'y  est  pas  déjà,  et  l'on  commence  alors  la  procession  du 
Lumen  Ch^isti.  Le  prélat  demeure  près  du  fauteuil  pendant 
VExultet,  lit  les  prophéties  et  chante  les  oraisons  au  même  lieu. 
S'il  ne  fait  pas  la  bénédiction  des  fonts,  il  demeure  au  fauteuil. 
On  place  le  fauteuil  prie-Dieu  devant  l'autel  pour  les  Lilanies, 
et  au  verset/^ecca^ores,  l'évêque  reçoit  les  ornements  blancs,  en 
demeurant  tourné  vers  l'autel.  Il  revient  au  fauteuil  après 
l'ablution  des  doigts.  Pour  la  prostration,  on  observe  ce  qui  est 
indiqué  ci-dessus,  pour  le  vendredi-saint.  «  È  ad  libitum  del 
«  vescovo  di  benedire  o  far  benedire  da  altro  sacerdote  il 
«  fonte,  ed  in  questo  ultimo  caso  egli  aspetta  sedeudo  sul 
«  trono,  e  gli  assistenli  vicini.  Il  faldistorio  deve  stare  in  piano 
((  a  cornu  cpistolx,  facie  versa  ad  januam  ecclesix,  seu  ad  po- 
«  pulum,  nel  tempo  délie  profezie.  Per  la  prostrazione  del 
«  sabbato  santo,  come  si  è  detto  di  sopra  per  il  venerdi 
«  santo.  La  beuedizione  del  nuovo  fuoco  puô  farsidal  vescovo 
«  ext7^a  ecclesiam,  ovvero  deve  farsi  avanti  il  trono  o  faldisto- 
«  rio  :  pare  pero  più  conforme  al  Cere moniale  che  facciasi 
«  extra  chorum  et  allare  in  alio  decenti  loco;  non  perè  ail'  altare. 
a  Di  poi  il  vescovo  va  ad  sedem  ed  allora  si  fa  la  processione 
«  per  il  Lumen  Christi,  Se  il  vescovo  célébra  al  faldistorio, 


Mars  1861.]  LITURGIE.  273 

a  allora  questo  si  pone  corne  si  disse  di  sopra  al  n"  5.  Quando 

«  il  diacono  canta  VExultet,  il  vescovo  si  volta  inverso  il  me- 

«  desimo  facie  versa  ad  cornu  Evangelii.  Riceve  i  paramenti  al 

«  faldistorio  e  ivi  legge  le  profezie  facie  versa  ad  popvMm.  La 

ft  benedizione  del  fonte  è  ad  libitum,  corne  sopra  si  è  detto  al 

«  u»  5.  Aile  litanie,  come  sopra  al  n»  5.  Al  Peccatores,  si  alza 

«  e  riceve  i  parameuti  blanchi  al  faldistorio  posto  in  piano,  in 

a  média  altaris,  facie  versa  ad  altare,  stando  diritto  colla  persona. 

«  Al  principio  délia  Messa,  si  pone  il  faldistorio  come  sopra  si 

s  è  detto  al  n»  5.  Dopo  ricevuta  l'ablnzione  délie  dita,  il  ve- 

«  scovo  torna  al  trono  o  faldistorio  per  il  vespro.  »      P.  R, 


REPONSE 

A   QUELQUES   QUESTIONS   LITURGIQUES. 

1°  Est-il  permis,  comme  l'auteur  de  ces  questions  l'a  vu  faire 
aux  chanoines  de  Santa  Maria  in  Gosoiedin,  de  ne  chanter  l'in- 
troït qu'une  fois  sans  reprise  après  Gloria  Patri  ?  Ap7'ès  l'épitre 
peut-on  se  contenter  de  chanter  les  deux  Alléluia  sans  verset  ? 

2"  La  défense  de  chanter  le  même  jour  deux  Messes  du  même 
mystère  ou  du  même  saint  dans  la  même  église  est-elle  très-rigou' 
reuse  ?  Faut-il,  pour  s' en  dispenser,  une  permission  de  l'ordinaire? 
Les  éoèques  même  peuvent'ils  donner  cette  dispense  ? 

3°  Que  peut  faire  un  prêtre  sujet  au  froid  des  mains  pendant  la 
célébration  du  saint  sacrifice?  La  défense  de  rien  placer  sur  l'autel 
va-t-elle  jusqu'à  lui  interdire  d'y  mettre  un  réchaud  convenable 
ou  une  bouillotte  ?  Pourrait-il,  en  cas  de  nécessité,  prendre  le  ca- 
lice des  deux  mains  pour  la  communion  et  les  ablutions  ? 

Première  question.  —  Doit-on  chanter  en  entier  l'introït  et  le 
graduel? 

IJans  les  églises  où  il  y  a  un  orgue,  le  sou  de  l'orgue  peut 
suppléer  le  chant  de  certaines  parties  de  l'office  ou  de  la  Messe. 
La  rubrique  du  Cérémonial  des  évêques  indique  le  moment 
qui  suit  l'épitre  comme  un  de  ceux  où   l'on  joue  de  l'orgiif', 

REVI'E  des   sciences   eCCLÉSIASTlQUES,   T.   VU.  18-19. 


274  LITURGIE.  [Tome  VII, 

item  finita  epistola.  C'est  assez  dire  qu'une  partie  du  graduel 
peut  être  suppléée  par  là,  et  si  les  paroles  sont  récitées  dans  le 
chœur,  Tobligation  de  ne  rien  omettre  dans  le  graduel,  suivant  le 
décret  du  14  avril  1 733  (n"  4239,  q.2),  est  suffisamment  rem plie^ 

Cette  observation  répond  seulement  à  une  partie  de  la  ques- 
tion, et  d'une  manière  imparfaite.  On  y  constate  seulementque 
le  sou  de  l'orgue  après  l'épitre  peut  suppléer  une  partie  du 
chant,  comme  pour  le  Kyrie,  le  Gloria  in  excelsis,  le  Sanctus  et 
VAgnus  Dei.  Cette  remarque  étant  tirée  du  texte  même  de  la 
rubrique,  devait  être  énoncée  tout  d'abord. 

Si  nous  envisageons  la  question  sous  un  point  de  vue  plus 
général,  nous  croyons  pouvoir  admettre  comme  licites  certaines 
pratiques  qui  peuvent  faciliter  beaucoup  l'exécution  des  Messes 
chautées  dans  certaines  églises  de  paroisse  où  il  est  plus  dif- 
ficile de  se  procurer  des  chantres  bien  exercés,  surtout  en 
dehors  du  dimanche.  Elles  peuvent  offrir  un  grand  avantage 
pour  l'édification  des  fidèles.  On  peut,  ce  semble,  poser  les 
règles  suivantes  : 

\o  Les  chantres  ne  doivent  omettre  complètement  aucune 
partie  de  la  Messe.  Ou  excepte  de  cette  règle  l'omission  de 
quelques  strophes  de  la  prose  Dies  erœ  aux  Messes  de  Requiem, 
suivant  ce  qui  est  dit  t.  VI,  p.  45,  et,  d'après  plusieurs  auteurs 
recommandables,  une  partie  du  trait  s'il  est  long, 

2°  Il  n'est  pas  obligatoire  déchanter  toutes  les  notes  du  chant 
grégorien.  Aucune  règle  liturgique  ne  le  prescrit.  On  pourrait 
même,  d'après  plusieurs  auteurs,  se  contenter  de  lire  à  haute  et 
intelligible  voix  les  prières  de  l'Office  qui  devraient  être  chan- 
tées, comme  il  est  indiqué  dans  le  Rituel  de  Benoît  XIII  pour 
les  processions  du  2  février,  du  dimanche  des  Rameaux,  du 
jeudi  et  du  vendredi  saints.  Des  usages  de  ce  genre  existent 
en  Italie. 

3»  On  pourrait,  à  plus  forte  raison,  se  contenter  de  chanter 
une  partie  des  prières  et  psalmodier  les  autres  sur  un  ton 
convenable.  On  pourrait,  par  ce  moyen,  éviter  bien  des  fautes 
et  doniier  à  toutes  les  Messes  chantées  une  solennité  suffisante. 


Mari  1863.1  LITURGIE.  27b 

sans  qu'il  fût  nécessaire  d'avoir  un  personnel   de  chantres 
bien  exercés. 

Deuxième  question. —  De  la  prohibition  de  chanter  deux  fois  la 
Messe  du  jour  dans  la  même  église. 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  parler  de  cette  règle.  Elle 
est  appuyée  sur  plusieurs  décrets,  et  doit  être  appliquée  à 
des  Messes  qui  seraient  célébrées  par  deux  clergés  diflerents. 
1"  Question.  «  Pro  parte  capituli  Cathedralis  expositum  fuit, 
«  quod  Episcopus  cum  assistentia  canonicorum  in  collegiata 
«  ecclesia  S.  Secundi  canit  Missam  solemnem  in  die  festivita- 
«  tis  ejusdem  sancti,  et  ideo  qugesitura  fuit,  an  sine  prsejudicio 
«  sui  juris  possit  idem  capitulum  permiltere,  ut  a  capitule 
((  dictée  collegiatœ  ecclesise  cantetur  altéra  Missa  ejusdem 
a  sancli  ?  »  Réponse.  «  Non  licere  eodem  die  canere  alleram 
«  Missam  ejusdem  sancti.  »  2*  Question,  Praipositus  ecclesiae 
«  collegiatœ  S.  Laurentii  Majoris,  qui  cum  assistentia  canoni- 
«  corum  in  ecclesia  SS.  Nazarii  et  Celsi  canit  Missam  solem- 
«  nem  in  die  eorum  festivitatis ,  supplicavit  declarari  :  An 
<i  reetor  praidictœ  ecclesise  possit  immediaie  post  Missam 
«  prœpositi  caiiere  alteram  Missam  eoriimdem  sanctorum?» 
Réponse.  «  Non  licere  canere  eadem  die  alteram  Missam  eorum- 
«  dem  sanctorum.  »  (Décrets  du  3  août  4652,  n"*  1645  et 
4647.)  M.  de  Conny,  rapportant  et  commentant  ces  décrets, 
s'exprime  ainsi  [Cér.  rom.,  3^  éd.  p.  485)  :  «On  ne  doit  cé- 
«  lébrer  dans  une  église  qu'une  seule  Messe  solennelle  corres- 
«  pondante  à  Tofiice  ;  si  l'on  chantait  d'autres  grand'Messes, 
«  ce  ne  pourrait-ètre  qu'à  roccasiou  d'une  rubrique  particu- 
«  lière  le  demandant  pour  ce  jour-là,  ou  pour  acquitter  quelque 
<(  fondation.  »  11  ajoute  ensuite  cette  noie  :«  Celte  unité  de  la 
«  Messe  solennelle  est  fort  rationnelle  et  fort  en  rapport  avec  la 
«  tradition  de  l'antiquité  :  il  n'y  a  qu'une  seule  assemblée  so- 
«  lennelle  des  fidèles  le  même  jour  dans  une  église.  »  11  suit 
de  là  que  la  solennité  extérieure  dont  peut  jouir  la  Messe  prin- 
cipale dans  une  église^  ccmme  d'être  servie  par  deux  clercs  en 


276  LITURGIE.  [Tom&VIf. 

surplis,  ou  célébrée  avec  plus  de  deux  cierges  allumés,  n& 
peut  avoir  lieu  deux  fois  le  même  jour,  dans  la  même  église, 
ni  dans  une  église  où  roncélèbre  le  même  jour  unegrand'Messe. 
On  ne  peut,  pour  le  même  motif,  faire  plusieurs  fois  raspersion 
de  l'eau  bénite,  le  même  dimanche,  dans  la  même  église. 

La  loi  qui  interdit  de  chanter  deux  Messes  du  même  saint 
le  même  jour  dans  une  même  église,  étant  portée  par  la  S. 
Congrégation  des  Rites,  l'ordinaire  n'en  peut  pas  dispenser  sans 
un  induit  spécial. 

Troisième  question. —  La  défeme  de  rien  placer  sur  l'autel  pen- 
dant le  saint  sacrifice  de  la  Messe  s'étend-elle  à  un  réchaud 
destiné  à  garantir  les  mains  du  py^ctre  d'un  trop  grand  froid  ? 
Le  pjrètre  pourrait-il,  en  cas  de  nécessité,  prendre  le  calice  des 
deux  mains  pour  la  communion  et  les  ablutions  ? 

i.  11  est  des  prêtres  dont  les  mains  sont  tellement  sensibles 
aux  atteintes  du  froid,  que,  sans  un  secours  de  ce  genre ,  ils 
seraient  exposés  à  de  graves  accidents,  surtout  pour  distribuer 
la  sainte  communion.  Il  est  donc  permis  de  penser  qu'on  pour- 
rait alors  placer  sur  l'autel  uu  réchaud  ou  une  bouillotte.  Ajou- 
tons cependant  que,  vu  1°  la  rubrique  du  Missel  :  Super  altare 
nihil  omnino  ponatur  quod  ad  Missx  sacrificium,  vel  ipsius  alta- 
ris  ornatum  non  pertineat  ;  vu  2"  l'obligation  spéciale  où  se 
trouve  le  prêtre  célébrant  d'éviter  tout  ce  qui  pourrait  ressen- 
tir une  trop  grande  recherche  de  ses  aises,  et  de  ne  rien  faire 
qui  puisse  détourner  les  fidèles  de  Taltention  et  du  respect  avec 
lequel  ils  doivent  assister  au  saint  Sacrifice,  il  ne  serait  pas  à 
propos,  ce  semble,  de  recourir  à  ce  moyen  sans  une  nécessité 
qui  surpassât  les  inconvénients  mentionnés. 

2.  Sile  prêtre  nepeut,  sans  s'exposer  à  un  accident,  prendre 
le  calice  d'une  seule  main  pour  la  communion  et  les  ablutions, 
il  lui  sera  permis  de  le  prendre  des  deux  mains,  et  il  sera  dis- 
pensé de  tenir  la  patène  ou  le  purificatoire  comme  le  prescrit 
la  rubrique.  Des  raisons  de  nécessité  supérieures  aux  règles 
positives  nous  semblent  l'y  autoriser.  P.  R. 


QUESTION 

DE   LA. 

PLURALITÉ  DES  VICAIRES  CAPITULAIRES. 


DE     LA     SACRÉE     CONGRÉGATION     DU     CONCILE 
AUX    CHANOINES    DE    CAHORS. 

La  controverse  roulait  uniquement  sur  ce  point  :  Peut-on 
aujourd'hui  en  France  nommer  plusieurs  vicaires  capitulaires  pen- 
dant la  vacancedu  siégel  Nous  avons  soutenu  la  négative.  D'autres 
ont  pris  la  plume  pour  faire  prévaloir  le  sentiment  contraire. 
La  divergence  s'est  manifestée,  non-seulement  dans  les  écrits^, 
mais  encore  dans  les  actes.  Plusieurs  vacances  de  siège  étant 
survenues,  certains  chapitres  ont  cru  ne  devoir  nommer  qu'un 
seul  vicaire  capitulaire  ;  d'autres  en  ont  député  plusieurs. 

Telle  était  la  situation,  lorsque  le  siège  de  Caliors  a  vaqué 
par  la  mort  de  Mgr  Bardou,  et  que  MM.  Martin  et  Maury  ont 
demandé  par  dépèche  télégraphique  une  décision  à  S.  Con- 
grégation du  concile. 

Voici  le  texte  de  la  question  et  de  la  réponse,  tel  qu'il  a  été 
communiqué  au  journal  le  Monde,  par  une  lettre  de  M.  Maury. 

Question. — «A  Son  Éminence  le  Cardinal  Préfet  de  la  Sacrée 
«  Congrégation  du  Concile. — Le  siège  vaque.  Le  chapitre  peut- 
«  il  nommer  deux  vicaires,  remplaçant  deux  vicaires  généraux, 
«  selon  la  coutume  française?  —  Signé  :  Martin,  doyen. 
«  Maury,  chanoine.  »  Réponse.  —  «Canonicis  Martin,  Maury. 
«  —  Côngregatio  Concihi,  qusestioni  quoad  nominationem  duo- 
«  rura  vicariorum,  sede  vacante,  respondet,  posse  tolerari.  » 
(Dans  le  journal  le  Monde,  11  mars  1803.) 


278  VICAIRES   CAPITULAIRES.  [Tome  VII. 

Il  nous  semble  qu'en  vertu  de  cette  réponse,  les  chapitres 
de  France  peuvent  désormais  sans  scrupule  nommer  plus  d'un 
vicaire  capitulaire,  et  que  la  controverse  se  trouve  ainsi  suffi- 
samment .terminée. 

11  nous  semble,  en  outre,  résulter  de  la  même  réponse,  que 
la  pratique  de  la  pluralité  n'était  pas  légitime,  ainsi  que  nous 
l'avons  soutenu. 

Nous  allons  essayer  d'établir  ces  deux  points,  après  avoir 
rappelé  les  divers  sens  du  mot  toleramus,  employé  par  le 
Saint -Siège. 

I. 

Divers  sens  du  mot  tolérer. 

Celte  expression  n'a  pas  toujours  le  même  sens,  et  l'acte 
qu'elle  exprime  n'a  pas  toujours  les  mêmes  efîets.  Il  suffira 
pour  s'en  convaincre  de  lire  les  passages  suivants  : 

«  Sed  dices  :  Papa  hic  utitur  verbo  toleramus.  Ubicumque 
autem  in  facto  specifico  princeps  respoudetido  vel  scribendo 
àScW  toleramus ,  videtur  dispensare  super  illo  actu  alias  illicite, 
ut  est  textus  in  capite  Quia  circa  (ju-ncta  glossa  ultima),  d'e  con- 
sanguinitafe  et  af/înitate  ;  et  hic  déclarât  Abbas,  numéro  9. 
Ergo,  ut  inquit  glossa  3  hic,  Papa  toleravit  hanc  compositionem 
ob  causas  in  textu  expressas,  vidilicet  quia  facta  fuit  pro  bono 
pacis  et  utilitatis,  et  quia  placuit  omnibus  j  et  si  Papa  composi- 
tionem non  tolerassetj  auctoritas  judicis  non  fuisset  sufficienSf 
quia  de  jure  hoc  facere  non  poterat.  Unde  dicit  Papa  :  Nos  eam 
hoc  adhibito  moderamine  toleramus,  et  ad  tempus,  ut  sequitur. 
Hactenus  verba  glossœ,  qua?,  ut  vides,  aperte  sentit,  sine  tole- 
rantia  Papae  rescrvationem  peusiouis  ctiam  ad  tempus  non 
sustineri. 

«  At  respondetur  contra  glossam  tenereHostiensem  et  com- 
numiter  doctores...  Idcirco  autem  Papa  hic  dixit  toleramus,  ne 
ex  toto  videretuc"  approbare  hoc  factum,  quia  erat  suspectum  de 
slmonia,  nisi  processisset  a  viris  probis  et  honestis,    et  non 


Mars  1803]  VICAIRES   CAPITULAIRES.  '279 

expediebat  ut  assumeretur  in  exemplum;  iinde  dicit  se  tole- 
rare,  quia  mulla  sunt  toleranda,  noulaudanda,proptermalum 
quod  potest  subesse.  »(Fagnauus, ad  caputiVîst  essent,  de prx- 
bendis,  n.  29.) 

Dans  la  décrétale  Quia  circa,  formant  le  chapitre  VI  du  titre 
XIV  deConsanguinitate,  dans  le  quatrième  livre  des  décrétales, 
il  est  question  d'un  mariage  qui  se  trouvait  nul,  parce  que  la 
dispense  d'empêchement  de  parenté  avait  été  obtenue  sur  une 
fausse  allégation.  Néanmoins  le  Pape  écrit  à  l'évèque  du  lieu  : 

«  Dissinmlare  poteris  ut  remaneant  in  copula  sic  contracta, 
cum  ex  separatione,  sicut  assois,  grave  videas  scandalum  im- 
miner e.  » 

La  tolérance  exprimée  par  les  mois  dissimulare  poieris,  ren- 
dît valide  la  dispense  obtenue,  qui,  sans  cela,  aurait  été  nulle. 
C'est  le  sentiment  de  la  glose,  qui  s'exprime  ainsi  : 

«  Non  credo  quod  valuisset  isia  dispensatio  sic  obtenta,  nisi 
haec  decretalis  postea  emanasset.  Et  ita  ex  ista  dissimulatione, 
ex  causa  quse  hic  subjicitur,  licite  poterant  (conjuges)  simui 
esse:  alias  non  essent  tati.  » 

C'est  aussi  le  sentiment  de  Fagnan  :  «  Nota  verba  illa,  dis' 
simulare  poteris,  quse  Uabent  vim  dispensationis.  Etenim  cum 
dispensatio  ob  expressionem  falsae  causas  et  matrimonium 
exinde  contractum  non  valerent,  stultum  esset  dicere  ut  ma- 
nerent  in  adulterio...  Unde  expone  verba  dissimulare  poteris, 
id  est,  ex  certa  scientia  et  nostra  licentia  quam  damus  aucto- 
ritate  prseseutium  ;  et  sic  quod  nullum  eratroboramus.  »  (Ad 
caput  Quia  circa,  de  consanguinitate ,  n.  3.) 

Pignatelli  (dans  la  consultation  95  du  tome  x)  examine  la 
question,  si  les  réguliers  peuvent  entendre  les  confessions  des 
fidèles  sans  l'appropalion  de  l'ordinaire,  et  après  avoir  conclu 
qu'ils  ne  le  peuvent  pas,  il  ajoute  ; 

«  Et  ita  quidem,  ut  non  obstet  tolerantia  Episcoporum,  qua 
interJum  regulares  confessiones  secularium  audiunt  absque 
illorum  approbatione,  quee  per  tolerantiam  censetur  remissa. 


2S0  VICAIRES   CAl'ITL'LAIRES.  [Tome  V![ 

Tsam  tolerantia  superioris  nou  tribuit  jus  aliquod  inferiori, 
per  tcxtum  in  cupite  fmali,  ubi  glossa  verbo  approbare,  de  sen- 
tenlia  excommunicationïs.  Gfilensonus,  consilio  157,  n.  3  ;  ubi 
quod  quando  lolerantia  habet  vim  concessionis,  oportet  quod 
dependeat  a  superiore  ita  expresse  volente...  Quo  oasu,  ex 
tolerantia  non  iuducitur  consuetudo  sive  jus  aliquod  contra 
tolerantem.  » 

Le  même  auteur  (dans  la  consultation  3i  du  tome  ii)^  dis- 
cutaut  la  légitimité  d'une  certaine  pratique,  dit  qu'on  allé- 
guerait en  vain  une  longue  coutume  en  sa  faveur.  Puis  il 
ajoute  :  «  Imo  neque  ex  tolerantia|Summi  Pontificis  (capite  De 
consuetudine  m6).  Plura  enim  non  innotescunt,  vel  perpatien- 
tiam,  nccessitate  cogente,  tolerantur,  quse  si  deducta  fueriut 
ia  judicium,  exigente  justilia.jtolerari  non  debent,  ut  inquit 
luiiocentius  III  (in  cai^ite  Cum  jamdudum  in  ?inQ,de  prœbendis; 
ibique  glosa  fuialis,  verbo  per  patientiam,  recte  infert  quod 
inde  nou  iuducitur  approbatio  seu  dispensatio;  ac  pluribus 
probat  Surdus...,  et  Suarez,  (De  Legibus,  libre  vir,  capite  13, 
u.  12.)  Quia  tolerantia  sola,  supposita  scientia,  non  indicat 
sufïicienter  consensum.  Multa  enim  per  patientiam  tolerantur, 
quee  non  approbantur,  juxta  dictum  capul  Cum  jamdudum,  de 
prxbendis.  Quapropter  dixit  Filiucius,  quod  simplex  toleran- 
tia, quando  scilicet  princeps  nou  potest  commode  providere, 
non  satis  est  ad  dispensandum,  ex^capite  Denique  distinctionis 
-4.  Et  coUegium  Bonouoniense  (in  Responso  pro  Ubertate  eccle- 
siastica,  n.  57)  asseruit^  lolerantiam  Pontificis  in  liis  casibus 
non  esse  approbativam,  animo  inducendi  vel  confirmaudi 
consuetudiuem,  sed  polius  ut  scandalum  vitetur.  Quod  de- 
sumptum  est  a  Surdo,  dicte  consilio  301.  » 

Suarez  [de Legibus,  livre vii,  chap.  13,  n.  H)  s'exprime  ainsi  : 

«  Infero  secundo,  quando  consuetudo  non  prœvalet  exvi  prses- 

criptiouis,  tune  necessarium  esse  consensum  principis  perso- 

^nalem,  saltem  lacitum,  ac    subinde  necessarium  etiam  esse  ut 

scicntiam  consuetudinis  babeat... 


Mars  1863.]  VICAIRES  CAPITULAIRES.  284 

«  An  vero  hic  consensus  principis  debeat  esse  positivus  et 
expressus,  vel  sufficiat  interpretativus,  quia  scit  et  tolérât 
vel  non  impedit  ?  Antouinus,  supra,  indicat  necessarium  esbc 
expressum,  praîsertim  in  summo  Pontifîoe.  Et  potest  suaderi, 
quia  tolerantia  sola,  suppositascienlia,  non  indicat  sufBcieuter 
consensum,  quia  multa  par  patientiam  tolerantur  quse  non 
approbantur,  juxta  caput  Cumjamdudum,  de  prxbendis.  Nihi- 
lominus  divus  Thomas^  supra,  expresse docet  sufficere  tacituui 
cousensum,  et  consenliunt  ceeteri...  Solum  oportet  ut  mora- 
liter  constat,  tolerautiam  non  esse  tantum  parmissivam,  sed 
operativam  seu  approbativam,  quod  ex  circumstantiis  et  usu 
facile  constare  poterit.  » 

a  Tolerantia  in  génère  describi  potest  :  Affectio  animi,  indeque 
fluens  declaratio,  qua^  ex  justis  causis  et  approbatis,  illa  qux 
nobis  adversa  sunt  vel  a  nobis  non  probantur  et  prohibei^e  aut 
dedinare  non  possumus  vel  non  debemus,  patienter  ferimus,  illis 
non  repugnamus  aut  resistimus ,imo  aliquando,  boni  publici  causa 
aut  mojoris  tnali  evitandi  causa,  expresse  admittere  cogimur. 
Quaraobrem  tolerantia  supponit  et  scient iam  et  voluntatem, 
quateuus  ea,  quœ  toleramus,  et  sentinaus  et  ictelligimus,  et 
nos  intelligere  déclara  mus,  e.\\d,m^Qv  voluntatem  amplectitnur; 
et  ea  quae  non  possumus  vel  non  debemus  averlere,  patienter 
ferimus.  Hoc  modo  tolerantia  differt  a  dissimulatione.  Ea  enim 
quse  dissimulamus,  ignorare  videmur  et  videri  volumus  ;  ea 
vero  quae  toleramus,  nos  scire  et  patienter  ferre  videri  volumus 
et  quandoque  publiée  declaramus  et  ostendimus.  Hiuc  datur 
tolerantia  expressa  et  tacita  ,  cum  tamen  dissimulatio  expressa 
dari  nequeat.  Diflfert  quoque  a  conniventia,  quse  ferme  cuqi 
dissimulatione  coincidere  videtur.  »  (Ferraris,  Bibliothecacanc- 
nica,  verbo  tolerantia.  edit.  Cassin.,  tom.  vu,  p.  517.) 

D'après  ces  divers  passages,  ou  voit  que  la  mot  toleramus 
peut  se  trouver  employé  par  le  Saint-Siège  en  trois  sens  diffé- 
rents :  en  d'autres  termes,  qu'il  peut  y  avoir  trois  sortes  de  to- 
lérance de  la  part  du  Souverain-Pontife. 


282  VICAIRES  CAPITULAIRES.  |Tonie  VU. 

1"  Il  peut  se  faire  que  la  pratique  tolérée  soit  légitime  en 
elle-même,  quoique  regrettable  et  dangereuse,  à  raison  des  in- 
convénients qui  s'y  rattachent.  Alors  le  Saint-Siège,  au  lieu  de 
la  déclarer  telle,  se  contente  de  dire  qu'il  la  tolère.  Nous  voyons 
un  exemple  de  cette  interprétation  dans  le  premier  passage 
de  Fagnan.  Mais  il  nous  semble  que  l'emploi  du  mot  tolera- 
mus  dans  ce  sens  doit  être  bien  rare.  Ordinairement  ce  terme 
suppose  que  la  pratique  n'est  pas  légitime  en  elle-même. 

2°  Il  peut  se  faire  qu'une  pratique  étant  illégitime,  le  Saint- 
Siège  la  tolère,  sans  qu'elle  cesse  d'être  illégitime.  C'est  ainsi 
que  les  Papes  déclarent  tolérer  à  Rome  le  culte  israélite.  Il  en 
est  ainsi  toutes  les  fois  que  la  pratique  tolérée  est  intrinsèque- 
ment mauvaise,  ou  contraire  à  la  loi  naturelle.  Le  Saint-Siège 
peut  la  tolérer,  mais  non  la  rendre  légitime.  Dans  ces  cas,  le 
motif  de  la  tolérance  est  que  le  Pape  ne  peut  pas  empêcher 
l'abus,  ou  qu'il  ne  le  veut  pas,  afin  d'éviter  un  plus  grand  mal. 

3"  Enfin,  il  est  des  pratiques  contraires  à  la  loi,  mais  qui 
peuvent  être  rendues  vaHdes  et  licites  par  une  dispense  du 
Sainl-Siége.  Lorsqu'il  s'agit  d'une  pratique  de  ce  genre,  le 
Saint-Siège  peut  vouloir  la  légitimer  en  employant  pour  cet 
efi'et  le  mot  toleramus,  qui  dans  ce  cas  équivaut  à  un  induit. 

Essayons  maintenant  de  déterminer  la  portée  et  le  sens  de 
la  formule  posse  tolerari,  employée  dans  la  réponse  aux  cha- 
noines de  Gahors. 


II. 


En  vertu  de  la  réponse  aux  chanoines  de  Cahors,  les  chapitres  de 
France  peuvent,  ce  semble,  nommer  désormais  plusieurs  vicaires 
capitulaires. 

i .  Il  est  vrai  que  les  deux  mots  tolei^ari  posse,  à  les  prendre 
au  pied  de  la  lettre,  ne  disent  pas  précisément  que  la  nomina- 
tion de  deux  vicaires  capitulaires  à  Gahors  est  tolérée,  mais 


KarslSOa.)  VICAIRES   CAPITULAinKS.  283 

qu'elle  peut  l'être.  Néanmoins,  le  contexte  et  les  circonstances 
indiquent  suffisamment  que  la  S.  Congrégation  a  voulu  dire. 
qxxelle  tolérait  réellement  cette  nomination.  En  effet,  il  impor- 
tait fort  peu  aux  chanoines  qui  consultaient  de  savoir  que  la 
nomination  de  deux  vicaires  capitulaires  pouvait  être  tolérée 
par  le  Souverain-Pontife.  Ils  le  savaient.  Ce  qu'ils  voulaient 
connaitre,  c'est  la  pensée  du  Saint-Siège  sur  la  légitimité  de 
la  nomination  en  question.  Leur  dire  que  la  S.  Congrégation 
tolérait  cette  pratique ,  c'était  leur  répondre  suffisamment. 
Mais  leur  dire  que  le  Saint-Siège  pourrait,  s'il  le  voulait,  la 
tolérer,  c'eût  été  ne  pas  répondre  à  la  quesition.  Il  serait  éga- 
lement déraisonnable  de  vouloir  faire  rapporter  le  mot  poisc 
aux  deux  chanoines  qui  proposaientle  doute;  en  sorte  que 
la  S.  Congrégation  ait  voulu  leur  dire  quils  pouvaient,  eux,  to- 
lérer que  le  chapitre  nommât  deux  vicaires  capitulaires.  C'eût 
été  ne  pas  répondre  ù  la  question,  qui  était  celle-ci  :  Le  chapitre 
peut-il  nommer  deux  vicaires?  ha.  tolérance  exprimée  dans  lu 
réponse  est  donc  relative  à  l'acte  du  chapitre;  et  cette  réponse 
nous  semble  devoir  être  regardée  comme  équivalente  à  celle- 
ci  :  La  S.  Congrégation  tolère  que  le  chapitre  de  Cahors  nomme 
deux  vicaires  capitulaires.  On  voit  par  la  lettre  adressée  au 
journal  Le  Monde,  que  les  chanoines  de  Cahors  l'ont  entendue 
ainsi.  11  y  est  dit  que  le  chapitre  a  désigné  deux  vicaires  capitu- 
laires et  qn'il  ne  l'a  fait  qu'en  vertu  d'une  réponse  de  Rome. 

2.  La  raison  de  tolérer  la  pluralité  pour  le  diocèse  de  Cahors, 
est  la  même  pour  les  autres  diocèses  de  France.  On  est  donc 
fondé  à  supposer  que  cette  tolérance  s'étend  à  tous  nos  dio- 
cèses. Mais,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  il  est  une  tolé- 
rance qui  ne  rend  pas  valide  et  licite  une  pratique  illégitime, 
et  il  en  est  une  autre  qui  opère  cet  effet.  Celle  qu'exprime  ia 
réponse  aux  chanoines  de  Cahors,  est-elle  de  cette  dernière  es  - 
pèce?  Nous  le  croyons,  et  voici  nos  motifs. 

3.  Pour  que  la  tolérance  opère  cet  effet,  dit  Suarez,  il  faut 
qu'on  soit  moralement  sûr  qu'elle  n'est  pas  simplement  per- 


284  VICAIRES  CAPITULAIRES.  (Tome  VU. 

missive,  mais  opérative  ou  appy^obative.  «  Oportet  ut  moraliter 
constet  tolerautiam  non  esse  tantum  permissivam,  sed  opera- 
tivam  seu  approbativam.  »  Quant  au  moyen  d'acquérir  cette 
certitude  morale,  Snarez  nous  l'indique  par  ces  mots  :  «  Quod 
ex  circumstantiis  et  usu  facile  constare  potest.  »  Appliquons 
cette  règle  ;  examinons  les  circonstances.  Il  s'agit  d'une  pra- 
tique qui  n'est  point  intrinsèquement  mauvaise  :  la  preuve, 
c'est  que,  même  aux  termes  du  droit  commun,  elle  devient 
légitime  par  une  coutume  suffisamment  établie.  La  loi  qui  la 
prescrit  est  une  loi  positive,  de  laquelle  le  Saint-Siège  peut 
disppnser.  D'autre  part,  des  doutes  s'étant  élevés  sur  sa  légi- 
timité, les  chanoines  de  Cabors  consultent  la  S.  Congrégation 
pour  savoir  s'ils  peuvent  s'y  conformer,  et  leur  démarche  même 
prouve  qu'ils  sont  disposés  à  suivre  la  décision  qui  leur  sera 
donnée.  C'est  eu  de  telles  circonstances  que  la  S.  Congréga- 
tion répond  qu'elle  veut  tolérer,  quelle  tolère  cette  pratique. 
On  ne  saurait  douter  qu'en  même  temps  elle  ne  la  rende  légi- 
time, que  sa  tolérance  ne  soit  approbative,  comme  dit  Suarez, 
équivalente  à  une  dispense  de  la  loi  contraire.  En  effet, 
pour  quelle  raison  la  S.  Congrégation,  tout  en  tolérant  cette 
pratique,  aurait-elle  voulu  qu'elle  restât  illégitime?  Évidem- 
ment, on  n'en  peut  imaginer  aucune.  Donc  ici,  tolérer  c'est 
légitimer.  Si  le  Saint-Siège  n'avait  pas  voulu  légitimer  provi- 
soirement, c'est-à-dire  jusqu'à  ce  qu'il  juge  à  propos  de  .-'a- 
tuer  autrement  et  d'une  manière  définitive  sur  cette  matiù.  e, 
il  aurait  gardé  le  silence  ;  il  se  serait  renfermé  dans  la  tolé- 
rance tacite  ou  simplement  permissive,  que  les  canonistes  ex- 
priment par  le  mot  dissimulare,  et  la  S.  Coîigrégation  n'aurait 
pas  formulé  le  posse  tolerari. 

Il  nous  semble  donc  qu'en  vertu  de  cette  réponse,  on  peut 
désormais  en  France  nommer  légitimement  plusieurs  vicaires 
capituiaires:  sentimei^  toutefois  que  nous  sommes  prêt  à 
rétracter,  si  la  S.  Congrégation  ne  le  trouvait  pas  fondé. 

Nous  ferons  seulement  observer  que  la  réponse  est  relative 


Mars  1863,]  VICAlRRS   CAPITULAIRBS.  285 

à  la  nomination  de  deux  vicaires  capitulaires  seulement.  Pré- 
tendre que  la  nomination  d'un  plus  grand  nombre  est  pareille- 
ment tolérée,  serait  une  assertion  pour  le  moins  contestable. 
Toutefois,  commela  question  ajoutait  :  remplaçant  deux  vicaires 
généraux^  selon  la  coutume  française,  et  que,  dans  les  arclii- 
diocèses,  la  coutume  est  qu'il  y  ait  trois  vicaires  généraux,  on 
peut  inférer  que  la  nomination  de  trois  vicaires  capitulaires 
dans  les  arcliidiocèses  se  trouve  comprise  dans  la  décision. 


III. 


//  résulte  de  la  réponse  aux  chanoines  de  Cahors  que  la  pratique 
de  la  pluralité  n'était  pas  légitime,  ainsi  que  nous  l  avons 
soutenu. 

1.  Absolument  parlant,  il  peut  arriver  que  le  Saint-Siège 
use  du  mot  toleramus  à  l'égard  d'un  acte  qui  serait  légitime  en 
lui-même.  Mais  cela  n'a  lieu  que  pour  un  acte  dangereux, 
suspect,  et  favorisant  des  abus.  Fagnan,  qui  mentionne  un 
de  ces  cas,  n'explique  le  toleramus  qu'au  moyen  de  ces  circon- 
stances :  '(  Papa  hic  dixit  toleramus, ne  extoto  videretur  appro- 
bare  hoc  factum,  quia  erat  suspectum  de  simouia,  nisi  pro- 
cessisset  a  viris  probis  et  honestis,  et  non  expediebat  ut 
assuraeretur  in  exemplum  ;  unde  dicit  se  tolerare,  quia  multa 
sunt  toleranda,  non  laudanda,  propter  malum  quod  potest 
subesse.  » 

Lorsqu'un  acte  est  légitime,  et  que  d'autre  part  il  n'offre 
rien  de  dangereux,  rien  de  suspect  et  dont  on  puisse  abuser, 
le  Saint-Siège  n'a  aucune  raison  de  dire  qu'il  le  tolère.  Con- 
sulté sur  un  tel  acte,  il  le  déclarera  licite. 

A  plus  forte  raison  le  Saint-Siège  n'emploiera-t-il  point  le 
toleramus  à  l'égard  d'une  pratique  prévue  et  autorisée  par  le 
droit  commun,  et  que  lui-même  aurait  déjà  plusieurs  fois 
déclarée  légitime. 


286  VICAIRES   CAPITDLATRES.  [Tomo  VII. 

2.  Or,  la  pratique  de  la  pluralité  des  vicaires  capitulaires, 
lorsqu'on  peut  alléguer  en  sa  faveur  une  coutume  légitimemmf 
prescrite,  fait  partie  du  droit  commun.  Elle  a  été  expressément 
et  à  diverses  reprises  déclarée  légitime  par  l'autorité  du  Saint- 
Siège.  Le  21  avril  1592,  la  S.  Congrégation  du  Concile  pro- 
nonça cette  décision  :  Sede  vacante,  unum  tantiim  vicarium  esse 
eligendum.  Cseterum  non  esse  eo  decreto  (celui  du  Concile  de 
Trente)  sublatam  consuetudinemduos  aut  plures  eligendi,  prxser- 
tim  immemorabilem. 

On  peut  voir  dans  mon  traité  de  Capitulis  (page  490,  2*  éd.), 
plusieurs  autres  décrets  dans  le  même  sens.  Ainsi  la  pratique 
de  la  pluralité,  pourvu  qu^elle  soit  accompagnée  d'une  coutume 
légitimement  prescrite,  est  prévue  et  autorisée  par  le  droit;  sa 
légitimité  est  depuis  longtemps  hors  de  toute  controverse; 
c'est  le  Saint-Siège  lui-même  qui  a  décidé  qu'on  devait  enten- 
dre ainsi  la  loi  du  concile  de  Trente,  c'est-à-dire  le  chapitre xvi 
de  la  24*  session,  relatif  à  l'élection  des  vicaires  capitulaires. 
Par  conséquent,  la  pluralité  dans  le  cas  d'une  coutume  légiti- 
mement prescrite,  n'a  aux  yeux  du  Saint-Siège  rien  de  dan- 
gereux, de  suspect  et  dont  on  puisse  abuser,  puisque  le 
Saint-Siège  lui-même  Ta  tant  de  fois  déclarée  purement  et 
simplement  légitime. 

3.  11  est  donc  absurde  de  supposer  que  le  Saint-Siège  em- 
ploie l'expression  toleramus  pour  la  pratique  do  la  pluralité, 
dans  le  cas  d'une  coutume  légitimement  prescrite.  Si  le  Saint- 
Siège  regardait  comme  légitimement  prescrite  la  coutume  d'un 
diocèse  de  nommer  plusieurs  vicaires  capitulaires,  il  ne  répon- 
drait pas  qu'il  la  tolère,  mais  il  la  déclarerait  légitime,  comme 
il  l'a  déjà  fait  tant  de  fois. 

Donc  si  le  Saint-Siège  emploie  \e  toleramus  pour  la  pratique 
de  la  pluralité  dans  un  diocèse,  c'est  une  preuve  rigoureuse 
qu'il  ne  regarde  pas  la  coutume  de  ce  diocèse  comme  légiti- 
mement prescrite.  Dans  ce  cas  la  formule  tolo^amus,  ne  peut 
avoir  d'autre  sens  que  celui-ci  :    «  Votre  pratique  de  nommer 


Har«  1863.1  VICAIRES  CAPITULAIRKS.  287 

plusieurs  vicaires  capitulaires  n'est  pas  légitime,  faute  d'une 
coutume  légitimement  prescrite;  néanmoins  je  vous  permets 
de  la  suivre,  et  par  cette  autorisation  je  la  rends  valide  et 
licite.  »  Eu  d'autres  termes,  la  formule  toleramus,  tout  en 
rendant  désormais  légitime  dans  ce  diocèse  la  pratique  de  la 
pluralité,  décide  en  même  temps  qu'elle  avait  été  illégitime 
précédemment. 

4f.  Appliquons  ces  principes  à  la  réponse  reçue  par  les  cha- 
noines de  Cahors.  La  S.  Congrégation  répond  qu'elle  tolère;  et 
il  s'agit  de  la  coutume  française  de  nommer  deux  vicaires  rem- 
plaçant deux  vicaires  généraux.  D'après  ce  qui  a  été  dit  plus 
haut,  si  la  S.  Congcégation  avait  regardé  la  coutume  française 
alléguée,  comme  légitimement  prescrite,  elle  n'aurait  pas  ré- 
pondu qu'elle  la  tolère.  Une  telle  réponse  serait  absurde. 
L'hypothèse  de  la  coutume  légitimement  prescrite  une  fois 
admise,  la  faculté  de  nommer  plusieurs  vicaires  capitulaires 
est  de  droit  commun,  ainsi  que  la  S.  Congrégation  elle-même 
l'a  constamment  déclaré.  Donc,  en  disant  qu'e//e  tolérait,  la 
S.  Congrégation  a  par  là  même  déclaré  implicitement,  qu'elle 
ne  regardait  pas  la  coutume  française  comme  légitimement  pre- 
scrite. C'est  ce  que  nous  avons  soutenu.  Nous  avons  dit  :  les 
diocèses  et  les  chapitres  de  France  ont  été  supprimés  et  com- 
plètement éteints  par  les  bulles  de  Pie  VII.  Les  diocèses  et  les 
chapitres  érigés  à  la  place,  n'ont  pas  été  la  restitution  ni  la 
continuation  des  premiers,  mais  une  création  nouvelle.  Donc 
l'ancien  droit  particulier  de  chaque  diocèse  et  de  chaque  cha- 
pitre a  fini  et  s'est  trouvé  entièrement  éteint  et  abrogé. 
D'ailleurs,  le  pape  Pie  Vli  dit  expressément  dans  sa  bulle  qu'il 
éteint  et  supprime  tous  les  diocèses  et  chapitres  avec  tous  leurs 
droits  et  privilèges.  Donc  la  coutume  de  nommer  plusieurs 
vicaires  capitulaires  ne  peut  dater  pour  les  diocèses  et  les  cha- 
pitres actuels  de  France,  que  de  1802,  époque  de  la  création 
de  ces  diocèses  et  de  ces  chapitres.  Or,  à  partir  de  cette  époque, 
'élection  de  plusieurs  vicaires  capitulaires  dans  chaque  diocèse 


288  VICAIRES  CAPITULAIBES.  ITomeYlI 

n'a  pas  eu  lieu  un  assez  grand  nombre  de  fois  pour  constituer 
une  coutume  légitimement  prescrite.  Dans  le  diocèsn  d'Arras, 
le  siège  n'a  vaqué  qu'une  fois.  Ailleurs  on  compte  trois  ou 
quatre  vacances,  et  par  conséquent  trois  ou  quatre  élections  de 
vicaires  capitulaires.  Un  si  petit  nombre  d'actes  ne  suffît  pas 
pour  former  une  coutume  prévalant  contre  la  loi.  Tel  a  été 
noire  sentiment  ;  et  il  nous  semble  qu'il  se  trouve  confirmé 
par  la  réponse  de  la  S.  Congrégation  aux  chanoines  deCahors. 

5.  Au  reste,  si  nous  sommes  bien  informé,  une  autre  autorité 
l'avait  confiimé  peu  auparavant.  Après  la  mort  de  Mgr  r\Iorlot, 
les  trois  vicaires  capitulaires  de  Paris  ayant  écrit  au  Souverain- 
Pontife  pour  lui  aimoncer  la  vacance  du  siège  et  leur  élection, 
la  réponse  fut  adressée  à  M.  Buquet,  vicaino  capitulari légitime 
electo;  la  teneur  du  rescrit  l'autorisait  à  communiquer  les  pou- 
voirs aux  deux  autres.  C'était,  ce  semble,  déclarer  indirecte- 
ment que  les  derniers  n'avaient  pas  les  pouvoirs  en  vertu  de 
leur  nomination  par  le  chapitre.  Il  ne  sera  pas  inutile  d'ajouter 
que  les  chanoines  de  Paris  ont  procédé  par  trois  scrutins  suc- 
cessifs, un  pour  chaque  vicaire  capitulaire,  et  que  l'élection 
de  M.  Buquet  a  été  le  résultat  du  premier  scrutin. 

La  S.  Congrégation  du  Concile  avait  déjà  manifesté  sa  pen- 
sée à  cet  égard  par  la  lettre  du  14  juillet  1858,  à  son  Éminence 
le  cardinal  Gousset,  archevêque  de  Reims  (publiée  dans  notre 
numéro  d'octobre  1860,  p.  293).  Le  Cardinal  préfet  de  la  S, 
Congrégation  s'exprime  ainsi:  a  Quod  innuis  istic,  sede  va- 
cante, très  vicarios  capitulares  eligi  solere,  animadvert^mtemi- 
nentissimi  Patres,  capitula  cathedralium  infra  octo  dies  post 
obitum]  Episcopi  unum  dumtaxat  ex  cap.  16,  sess.  24, 
de  Reformatione,  vicarium  capitularem,  non  autem  duos  vel 
plures  deputare  debere,  quemadmodum  de  vieariis  genera- 
libus  agere  licitum  est...  Monebis  itaquecapitulum,  ut  quando 
vacatio  ceciderit,  quod  longe  sit,  huic  disciplinsB  adhœreat, 
cum  preesertim  idem  capitulum  non  irapediatur  vicario  alium 
virum  adsciscere,qui  opem  adjutricem  eidem  prœbeat,  quem- 


Mars  1803.]  VICAIRES   CAPITULAIRES.  ~  2S0 

admodum  non  ita  pridem  inculcatum  est  capitulo  Molineusi  iu 
approbatione  statutorum  capitularium  per  litteras  diei  10  jul. 
18S4.  » 

Ou  a  fait  valoir  eu  sens  contraire  quelques  faits  dont  nous 
n'avons  pas  contesté  la  gravité.  Néanmoins,  nous  croyons 
avoir  donné  à  ces  difficultés  des  réponses  satisfaisantes  dans 
nos  articles  précédents.  Nous  n'y  revenons  pas. 

Aujourd'hui,  la  controverse  nous  paraît  suffisamment  ter- 
minée par  la  réponse  aux  chanoines  de  Cahors.  Tout  en  fai- 
sant clairement  entendre  que  notre  coutume  de  la  pluralité 
n'a  pas  été  légitime  jusqu'ici,  cette  réponse  en  inaugure  la  to- 
lérance, et  par  conséquent  implique  une  autorisation  qui 
subsistera  jusqu'à  ce  que  le  Saint-Siège  juge  à  propos  de  sta- 
tuer plus  expressément  sur  ce  point  important  de  discipline. 
11  y  a  lieu  peut-êli'e  d'admirer  encore  ici  cet  heureux  accord 
du  suaviier  et  fortiter  qui  caractérise  constamment  les  actes  de 
l'Eglise  romaine,  mère  et  maîtresse  de  toutes  les  églises. 

La  pratique  de  la  pluralité  des  vicaires  capitulaires  existait 
dans  nos  diocèses  :  elle  n'avait  pas  les  conditions  requises  pour 
la  légitimité.  Mais  on  y  tenait.  Cette  mère  des  Églises  déclare 
la  laisser  subsister,  tout  en  se  servant  d'un  mot  qui  redressée 
la  fois  l'erreur  et  l'irrégularité  des  actes. 

D.  .Bouix. 


DECRETS 


DE  LA  SACRÉE  CONGREGATION  DES  INDULGENCES. 


I.  La  s.  C.  vient  de  tracer  des  règles  très-claires  au  sujet 
des  indulgences  concédées  pour  les  fêtes  de  Notre-Seigneur, 
de  la  sainte  Vierge  et  des  Apôlres. 

1°  Les  indulgences  plénières,  quelle  que  soit  la  formule 
de  la  concession,  sont  bornées  aux  fêtes  principales. 

2°  Ces  fêtes  sont,  d'une  part,  Noël,  la  Circoncision,  l'Épi- 
phanie,  Pâques,  l'Ascension  et  le  Saint-Sacrement;  de  l'autre, 
la  Conception,  la  Nativité,  l'Annonciation,  la  Purification  et 
l'Assomption. 

S*»  L'indulgence  partielle  accordée  pour  les  fêtes  secon- 
daires de  Notre-Seigneur  et  de  la  sainte  Vierge,  s'applique 
seulement  aux  fêtes  célébrées  dans  toute  l'Église,  et  non  aux 
fêtes  locales. 

4°  En  ce  qui  concerne  les  fêtes  d'Apôtres,  l'indulgence 
plénière  n'est  accordée  que  pour  la  nativité  de  chacun  d'eux, 
et  non  pour  les  fêtes  secondaires. 

Ces  principes  résultent  des  réponses  à  diverses  questions 
données  le  H  aoiit  1862  et  promulguées  par  un  décret  géné- 
ral du  18  septembre  de  la  même  année.  En  voici  le  texte  : 

1.  An  quando  invenitur  concessa  indulgentia  plenaria  om* 
nibus  et  singulis  festis  Domini  intelligenda  sint  festa  praîcipua, 
Nativitatis  scilicet,  Circumcisionis  ,  Epiphaniae,  Paschatis^ 
Asceusionis  et  Corporis  Christi,  juxta  praxim  S.  Congregatio- 
nis  ;  an  vero  intelligenda  sint  festa  enuntiata  in  decisione 


Mars  1803.1  DÉCRETS   DE   I.A   S.    C.    DES   INDULGENCES.  29f 

Massiliensi  sub  die  5  raartii  1855;  au  omnia  et  singula  festa 
quae  in  aliquibus  tantum  locis  celebrantur? 
Et  quatenus  affirmative  pro  festis  prsecipuis. 

2.  An  quauiJoinvenitur  concessa  iudulgeutia  partialis  in  re- 
liquis  omnibus  Domini  festivitatibus,  de  quibusuam  festis  in- 
telligendum  sit  ? 

3.  An  quando  invenitiir  concessa  indulgentia  plenaria  in 
omnibus  et  siugulis  festis  B,  M.  V.  intelligenda  sint  festa 
prsecipua,  Conceptionis  nempe,  Nativitatis,  Annuntiationis , 
Purificationis  et  Assumplionis,  juxta  praxim  S.  Congregationis, 
an  vero  standum  sit  resolutioui  diei  5  martii  1855?  Au  iutel- 
ligautur  inclusœ  etiam  festivitates  peue  innumerse  quse  per 
orbem  recoluntur,  licet  uon  in  omnibus  sed  in  aliquibus  tan- 
tum locis  celebrentur  ? 

Et  quatenus  affirmative  pro  prsecipuis. 

4.  An  quando  invenitur  concessa  indulgentia  partialis  in  re- 
liquis  omnibus  festis  ejusdem  B.  M.  V.,  de  quibusuam  festis 
intelligendum  sit  ? 

5.  Au  quando  invenitur  concessa  indulgentia  plenaria  vel 
partialis  in  omnibus  et  singulis  feslis  Apostolorum,  intelli- 
genda sint  festa  natalis  uniuscujusque  apostoli  vel  etiam  festa 
secundaria? 

Super  quibus  consultores  sua  vota  ediderunt,  bisque  auditis 
Emiuenti?simi  Patres  in  Congregatione  prœdicta  generali  ha- 
bita apud  iEdes  Vaticanas  die  H  augusti  1862,  responsiones 
singulis  dubiis  dederunt,  atque  omnibus  relatis  Sanctissimo  D. 
N.  Pio  PP.  IX  in  audientia  habita  die  18  septembris  ab  infra 
scripto  S.  C.  secretarise  substituto,  Sanctitas  Sua  responsiones 
prœfatas  Eminentissimorum  Patrum  confirmavit,  nempe  quoad 
1  et  2  :  Affirmative  ad  l^"»  partim.  Négative  ad  2^""  et  S^"»,  de- 
claravilque  expresse  Sanctitas  Sua  ut  quoties  in  concessione 
inveniautur  verba  m  festis,  vel  m  omnibus  et  singulis  festis 
Domini,  aut  etiam  m  festis,  vel  m  omnibus  et  singulis  festis  Do- 
mini N.  J.  C,  semper  inleUigantur  tantum  festa  Nativitatis, 


2^2  DÉCRETS  DE   LA   S.    C.   DES  INDULGENCES.  [Tome  VU. 

Circumcisionis ,  Epiphanise,  Dominicae  Paschatis  Resurrec- 
tionis,  Ascensionis,  et  Corporis  Christi,  ac  pariter  declaravit, 
lit  quoties  in  concessione  inveniantur  verba  in  festis,  vel  m 
omnibus  festis,  vel  m  omnibus  et  singulis  festis  B.  M.  V.,  sem- 
perinteiligautur  dumtaxat  festa  Conceptionis,  Nativitatis,  An- 
nuntiationis,  Purificationis  et  Assumptionis  ;  -quoad  2,  intelli- 
gendum  esse  de  omnibus  festis  Domini  quse  celebrantur  ab 
universa  Ecclesia  ;  quoad  4,  pariter  intelligendum  esse  de  om- 
nibus festis  B.  M.  V.  quœ  celebrantur  ab  universa  Ecclesia; 
quoad  5,  Affirmative  ad  l^""  partem.  Négative  ad  2*"°. 

IL  A  une  consultation  venue  du  diocèse  de  Bourges,  la  même 
Congrégation  a  répondu  qu'il  n'est  point  nécessaire  de  réciter 
à  genoux  les  prières  prescrites  pour  gagner  les  indulgences, 
à  moins  que  cette  condition  ne  soit  expressément  portée  dans  le 
décret  de  concession. 

4.  Utrum  preces  prsescriptae  ad  lucrandas  indulgentias 
sive  plenarias,  sive  partiales,  sint  recitandse  flexis  genibus? 

2.  Utrum  specialiter  preces  prsescriptee  pro  Scapulari  Im- 
maculalse  Conceptionis,  scilicst  sexies  Pater  et  Ave  et  Gloria 
flexis  genibus  sint  recitandse? 

Ad  1 ,  Négative,  nisi  aliter  prxscriptum  sit  in  documenta  con- 
cessionis. 

Ad  2,  Négative. 

(In  Bituricen.  18  septembris  1862=) 


BIBLIOGRAPHIE. 


UN  PAPE  AU  MOYEN-AGE.  —  URBAIN  U.  par  Adrien  de  Brimont. 
Paris,  Bray,  1862.  In-S.  Prix  :  6  fr. 

«  La  papauté  a  toujours  lutté  contre  les  institutions,  quand 
«  elles  étaient  vicieuses  ;  contre  les  rois,  quand  ils  opprimaient 
«  la  liberté  des  peuples  ;  contre  les  peuples,  quand  ils  sapaient 
«  les  bases  fondamentales  de  l'autorité.  Elle  a  lutté  contre  le 
a  temps,  le  plus  impitoyable  des  ennemis,  et  semble  jeter  un 
o  éternel  défi  aux  passions  humaines  déchaînées  contre  une 
«  œuvre  divhie  (1).  » 

Or,  au  XI*  siècle,  pour  soutenir  ces  grands  combats,  il  fallait 
sur  le  siège  de  saint  Pierre  des  natures  énergiques.  Le  clergé 
avili  devait  être  relevé  par  la  continence.  Les  Césars  reparais- 
sent dans  les  empereurs  d'Allemagne,  qui  aspiraient  à  être 
aussi  Souverains-Pontifes,  et  par  les  investitures  faisaient  des 
évoques  presque  autant  de  simoniaques:  il  fallait  détruire  ces 
trafics  honteux,  et  en  revendiquant  la  liberté  de  l'Église,  ne  pas 
laisser  inféoder  à  l'état  l'épouse  de  Jésus-Christ.  Les  saintes 
lois  du  mariage  étaient  foulées  aux  pieds  et  le  divorce  fréquent  : 
il  faillait  maintenir  fermement  les  droits  imprescriptibles  de  la 
morale.  Pour  obtenir  ces  précieux  résultats,  de  nobles  carac- 
tères étaientdonc  nécessaires.  Dieu  y  pourvoira,  car  il  a  promis 
d'être  avec  son  Église  jusqu'à  la  consommation  des  siècles. 
Il  suscitera  des  papes  qui  deviendront  les  vaillants  champions 
de  ces  saintes  choses  outragées.  Ils  lutteront  contre  les  prêtres 
incoulinents,  contre  les  évêques  simoniaques,  contre  les  rois 
et  les  empereurs  adultères,  a  lis  ne  céderont  pas  à  l'jniquité 
sous  prétexte  qu'elle  est  armée  et  soutenue  d'une  main  royale  ; 

[\]  Urbain  II,  p.  viii. 


294  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VIL 

«  au  contraire,  lui  voyant  prendre  son  cours  d'un  lieu  éminent, 
«  d'où  elle  peut  se  répandre  avec  plus  do  force,  ils  se  croiront 
«  plus  obligés  de  s'élever  contre,  comme  une  digne  que  l'on 
«  élève  à  mesure  que  l'on  voit  les  ondes  enflées  (1).  »  Saint 
Grégoire  Vil  rendra  le  dernier  soupir  en  exil,  parcequ'//  a  aimé 
la  justice  et  haï  l'iniquité.  Urbain  II  sera  chassé  de  Rome  par 
l'antipape  Guibert,  et  n'y  rentrera  triomphant  que  pour  y 
mourir.  Pascal  II  éprouvera  le  même  sort  que  saint  Grégoire  VII. 
«  Quels  défenseurs  trouve  l'Église  dans  sa  faiblesse  extrême  ! 
<(  Combien  elle  a  raison  de  dire  avec  l'apôtre  :  Cutn  infix-inor, 
«  tune potens  sum.  Ce  sont  ses  bienheureuses  faiblesses  qui  lui 
a  donnent  cet  invincible  secours  et  qui  arment  en  sa  faveur 
«  les  plus  valeureux  soldats  et  les  plus  puissants  conquérants 
a  du  monde  :  je  veux  dire  les  saints  martyrs.  Quiconque  ne 
«  ménage  pas  l'autorité  de  l'Église,  qu'il  craigne  ce  sang  pré- 
«  cieux  des  martyrs,  qui  la  consacre  et  la  protège  (2).  » 

La  lecture  de  l'intéressant  ouvrage  de  M,  de  Brimont  con- 
vaincra tous  ceux  qui  l'entreprendront  de  la  vérité  des  réfle- 
xions qui  précèdent.  Placé  entre  Pascal  II  et  le  grand  saint 
Grégoire  VII,  deux  papes  martyrs  du  droit  et  de  la  justice, 
Urbain  II  ne  renonce  à  aucun  des  vastes  desseins  de  son  illustre 
prédécesseur.  Doué  de  la  patience  qui  sait  attendre  et  de  la 
volonté  qui  sait  exécuter,  il  plie  la  tête  Sous  les  flots  de  l'adver- 
sité, sans  se  roidir  contre  ses  coups,  mais  la  bourrasque  passée, 
il  reparait  avec  calme  et  sérénité,  le  gouvernail  à  la  main, 
conduisant  le  vaisseau  de  l'Église  vers  ses  immortelles  desti- 
nées. 

L'ouvrage  se  divise  en  cinq  livres.  Dans  le  premier,  qui  a 
pour  litre  :  Le  Moine  de  Cluny,  l'auteur  donne  un  aperçu  sur 
l'utilité  des  ordres  religieux,  indique  rapidement  l'origine  de 
l'abbaye  de  Cluny,  dans  laquelle  Otton  de  Châtillou,  né  en 
1042  en  Champagne,  se  réfugia  jeune  encore.  C'était  l'époque 

(^)  Bossuet,  Panégyrique  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry. 
(2)  Bossuet,  ibidem. 


Uarsl863.]  BIBLIOGRAPHIE.  295 

OÙ  le  saceriloce  était  aux  prises  avec  l'empire.  Grégoire  VII, 
qui  avait  besoin  d'auxiliaires  distingués  par  leurs  lumières  et 
par  leur  vertu,  l'appelle  auprès  de  lui ,  le  nomme  évêque 
d'Ostie,  et  l'envoie  comme  légat  eu  Allemagne  atîn  d'y  remplir 
de  bien  difficiles  missions. 

Le  second  livre  :  Urbain  au  pouvoir,  montre  Otton  de  Chàtil- 
lon  élu  pape  à  Terracine,  le  8  mars  1088,  Rome  étant  occupée 
par  l'antipape  Guibert.  «  0  temps,  ô  mœurs  !  s'écrie  Tri- 
«  thème,  l'idole  Guibert  est  assise  sur  le  trône  de  saint  Pierre 
«  à  Rome,  tandis  qu'Urbain,  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  erre 
«  proscrit  et  sans  refuge.  »  Telle  est  cependant  la  force  de  la 
papauté,  que  chassée  de  Rome  et  contrainte  de  résider  dans 
l'exil,  elle  attire  néanmoins  à  elle  tous  les  regards. 

Le  troisième  livre  :  Luttes  et  réformes,  fait  voir  Urbain  II 
accomplissant  vaillamment  l'œuvre  du  vicaire  de  Jésus-Christ. 
Il  prend  la  défense  de  la  reine  Berthe,  répudiée  par  Philippe  I 
roi  de  France,  et  celle  de  l'impératrice  Praxède,  emprisonnée 
par  l'empereur  Henri  IV.  Aidé  de  la  grande  comtesse  Mathilde 
de  Toscane,  il  soutient  Conrad  luttant  contre  son  père  qui  avait 
été  excommunié.  Il  condamne  les  hérésies  de  Bérenger  et  des 
Nicolaïtes,  règle  des  affaires  innombrables,  et  encourage  saint 
Anselme  de  Cantorbéry,  qui  repousse  les  prétentions  injustes 
du  roi  d'Angleterre  Guillaume-le-Roux. 

Le  livre  quatrième,  Voyage  en  France,  raconte  les  grands 
desseins  exécutés  par  Urbain  II.  Au  concile  de  Clermont,  il 
établit  la  Trêve  de  Dieu  et  fait  décréter  les  Croisades,  dont  la 
pensée  était  toujours  présente  à  son  esprit.  Il  parcourt  ensuite 
la  France  dans  tous  les  sens,  ici  consacrant  des  églises,  là  ré- 
formant des  abus,  quelles  que  soient  les  personnes  qui  le  s 
commettent,  et  avec  les  traces  indélébiles  de  son  passage, 
laissant  partout  la  bonne  odeur  de  ses  vertus. 

Le  livre  cinquième  est  intitulé  :  Triomphe  de  la  Papauté, 
Urbain  rentre  en  1097  à  Rome  que  l'antipape  Guibert  avait 
été  obligé  de  quitter.  La  dernière  année  de  sa  vie  fut  mêlée  de 


293  BIBLIOGRAPHIE.  [  Tome  VU. 

vissicitudes  diverses,  qui  toutes  tournèreut  à  l'avautage  de 
l'Église.  A  sa  mort  arrivée  le  29  juillet  1099,  les  Romains,  qui 
avaient  si  souvent  repoussé  le  pouvoir  paternel  de  leur  souve- 
rain, méconnu  sa  tendresse  et  son  amour,  lui  firent  de  pom- 
peuses funérailles,  et  on  vit  des  pleurs  amers  baigner  le  visage 
de  ses  ennemis. 

Ce  sommaire,  quoique  bien  succinct,  suffît  pour  faire  com- 
prendre l'intérêt  que  présente  l'histoire  d'Urbain  II,  le  second 
pape  français  qui  s'est  assis  sur  la  chaire  de  saint  Pierre. 
Elle  est  précédée  d'une  introduction,  étude  éloquente  sur  la 
papauté  et  le  rôle  qu'elle  a  joué  dans  le  monde. 

En  nous  disant  ce  qu'elle  a  été,  en  nous  racontant  ses  luttes 
et  ses  combats  d'autrefois,  M.  de  Brimont  nous  prédft  la 
victoire  qui  terminera  la  crise  actuelle  :  le  passé,  en  effet, 
éclaire  l'avenir,  et  jusqu'à  un  certain  point  l'histoire  est  une 
prophétie.  Un  critique  plus  sévère  que  nous  ferait  sans  doute 
des  restrictions  à  propos  de  quelques  assertions  de  l'auteur;  il 
trouverait  peut-être  que  plus  d'une  fois  il  entre  dans  des  détails 
minulieux  qui  gênent  la  marche  du  récit,  et  se  livre  à  des  di- 
gressions qu'il  eût  pu  facilement  éviter.  Nous  ne  nous  y  ar- 
rêterons pas.  Nous  préférons  remercier  M.  de  Brimont  de  nous 
avoir  donné  une  histoire  qui,  parfaitement  écrite  et  animée 
partout  du  souffle  catholique,  nous  fait  mieux  connaître  un 
Pape  auquel  les  grandes  choses  accomplies  sous  son  règne 
assurent  un  impérissable  souvenir  dans  la  France  sa  patrie, 
et  dans  l'Église  sa  mère.  L'abbé   Maxime  Latou. 


JURIS  EGCLESIaSTICI  PUBLICI  INSTITUTIONES,  auclore  Camillo  TAR- 
QCINI  e  Soc.  J.  jur.  can.  professore  iû  Coll.  Rom.  ejusdem  societatis 
Romae  1862. 

Le  P.  Tarquini  vient  de  publier  ses  leçons  de  droit  publie 
ecclésiastique,  que  tant  de  ses  élèves  désiraient  avoir  enfin  de 
la  main  de  leur  maître.  Ils  y  retrouveront  ce  style  noble  et 
clair,  cette  forme  concise  et  forte,  cette  exposition  scientifique 


Mars  4853.]  BIBLIOGRAPHIE.  297 

et  simple,  cette  méthode  sûre  et  rigoureuse  du  professeur, 
qualités  qu'une  belle  exécutioa  typographique  relève  encore 
par  le  plaisir  qu'elle  ajoute  à  la  lecture.  Faisons  connaître  en 
quelques  mots  ce  précieux  ouvrage. 

Le  lecteur  ne  devra  point  perdre  de  vue  le  but  de  Fauteur. 
Il  veut,  avant  tout,  donner  à  son  œuvre  une  consistance  scien- 
tifique, et  il  ne  traite  que  du  droit  public  ecclésiastique,  c'est- 
à-dire  de  ce  système  de  lois  qui  règlent  la  constitution  de  l'É- 
glise. Peu  préoccupé  des  questions  de  détail,  ce  sont  surtout 
des  vues  d'ensemble  qu'il  se  propose  de  réunir  :  il  laisse  aux 
professeurs  qui  adopteront  son  livre  classique  le  soin  de  le  dé- 
velopper et  de  lui  faire  dire  plus  encore  qu'il  ne  dit  dans  sa 
forme  laconique  et  serrée.  On  sait  que  dans  son  cours  les 
questions  de  détail  avaient  leur  place,  et  trouvaient  toujours 
leur  solution  par  manière  de  corollaire  ou  de  déduction  lo- 
gique. Est-ce  un  mal  d'avoir  abandonné  ici  quelque  chose  au 
lecteur  ou  au  maître?  Il  nous  semble  que  c'est  plutôt  un  avan- 
tage :  l'esprit  n'est  pas  fâché  d'avoir  à  s'aiguiser  quelquefois 
sur  des  questions  imprévues  :  on  aime  à  voler  de  ses  propres 
ailes.  Avec  les  éléments  qu'on  nous  fournit,  il  n'y  aura  pas  de 
témérité  à  essayer  nos  forces.  L'auteur  y  a  pourvu  par  la  sève 
de  doctrine  qu'il  distille  à  chaque  page. 

L'ouvrage  se  divise  en  deux  livres  :  le  premier  est  intitulé  ; 
De  Ecclesix  pofestate  quss  ex  ejus  natura  deducitur;  le  second  : 
De  Subjecto  potestatis  ecclesiasticx . 

Premier  livre.  —  Le  pouvoir  de  l'Église,  considéré  en  lui- 
même,  doit  être  proportionné  à  sa  fin.  Or,  la  fin  prochaine  de 
l'Église,  par  laquelle  elle  atteint  sa  fin  dernière,  la  vie  éter- 
nelle, est  la  sanctification  des  âmes.  Celle-ci  est  due  à  son 
tour  à  deux  forces  qui  tendent  au  même  but  :  la  grâce  sancti- 
fiante, dont  les  sacrements  sont  la  source,  et  la  coopération 
humaine  que  l'Eglise  cherche  â  diriger  et  à  entraîner  en 
quelque  façon.  De  là,  dans  l'Église,  les  deux  pouvoirs  d'ordre 
et  de  juridiction.  Comme  c'est  à  la  théologie  de  s'occuper  an 


21,' 8  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

pouvoir  d'ordre,  il  appartient  à  une  discipline  particulière  de 
traiter  du  pouvoir  de  juridiction. 

Cette  base  une  fois  établie,  l'auteur  divise  son  livre  en 
deux  chapitres.  Dans  le  premier,  il  traite  de  ce  pouvoir  de 
rÉt^lise  qui  ressort  de  sa  nature  même,  et  pour  arriver  à  ses 
déductions  à  cet  égard,  il  considère  la  société  parfaite  dans 
ses  droits  de  législation,  de  justice  et  de  coaction,  par  rapport 
à  ses  propres  sujets,  et  dans  les  divers  droits  qu'elle  a  même  à 
l'égard  de  ceux  qui  ne  sont  pas  ses  sujets  et  qu'il  appelle 
extranei pei'  abstractionem  ou  extranei  vel  ex  parte  vel  ex  toto. 
Cela  lui  fournit  une  majeure  dont  la  mineure  sera  :  Or,  l'E- 
glise est  une  société  parfaite  ;  et  dont  les  conclusions  seront  le 
développement  de  tous  les  droits  et  de  toutes  les  prérogatives 
de  l'Église,  dans  quelque  situation  qu'on  la  considère  par  rap- 
port à  la  société  civile,  catholique,  hérétique  ou  infidèle.     ' 

Le  second  chapitre  est  consacré  aux  concordats  comme  dé- 
terminant un  droit  particulier  de  l'Église  à  l'égard  des  socié- 
tés qui  s'engagent  envers  elle  par  ces  sortes  de  conventions. 
L'auteur  donne  d'abord  la  notion  générale  du  concordat.  Elle 
résulte  naturellement  de  ce  qui  a  été  établi  dans  la  section  se- 
conde du  premier  chapitre,  relativement  au  rang  que  l'Église 
occupe  dans  la  hiérarchie  des  sociétés.  C'est  là,  en  effet,  une 
notion  indispensable  sans  laquelle  tout  ce  qu'on  pourrait  dire 
des  concordats  ne  serait  qu'un  édifice  sans  fondement  :  il  faut 
connaître  les  parties  contractantes  avant  de  déterminer  la  no- 
tion de  leurs  contrats.  Puis  l'auteur  expose  les  conditions  que 
doit  avoir  un  concordat  pour  être  valide,  et  enfin  il  établit  des 
principes  extrêmement  clairs  sur  l'interprétation  et  la  rescin- 
dibilité  des  concordats.  Un  appendice  est  consacré  à  parler  des 
concordats  conclus  avec  les  sociétés  civiles  des  hérétiques  et 
des  infidèles. 

Deuxième  livre.  —  L'Église  doit  son  institution  à  la  volonté 
de  Jésus-Christ.  C'est  donc  de  cette  volonté  que  dépend  son 
ordre  et  sa  constitution.   Aussi,  dans  un  premier  chapitre, 


Ȕarsl863.)  BIBLIOGRAPHIH.  299 

l'auteur  étudie-t-il  la  véritable  constitution  de  l'Église.  Dans 
le  second,  il  expose  les  principaux  systèmes  par  lesquels  on  a 
essayé  de  fausser  la  véritable  notion  de  la  constitution  de  l'p]- 
glise,  et  il  les  réfute  en  établissant  des  thèses  dont  le  but  est 
de  frapper  à  la  base  les  erreurs  de  Marsilli,  de  Richer,  de 
Febronius,  des  protestants  et  des  légistes.  Un  troisième  cha- 
pitre sur  les  sources  du  droit  privé  ecclésiastique,  ou  du  droit 
canon  proprement  dit^apparaît  à  l'auteur  comme  un  corollaire 
véritable  de  tout  ce  qu'il  vient  d'exposer,  et  comme  le  germe 
de  tout  ce  qui  constitue  le  droit  privé  ecclésiastique.  Espérons 
que  cet  auneau,  comme  il  l'appelle  encore,  ne  sera  point  le 
dernier  d'une  chaîne  que  des  institutions  de  droit  privé  ecclé- 
siastique doivent  nécessairement  compléter,  et  que  l'auteur, 
placé  à  la  source  même  du  droit  ecclésiastique,  nous  fera 
profiter  de  ses  études  à  cet  égard  et  tranchera,  dans  la  même 
simplicité  d'un  livre  élémentaire,  les  diverses  questions  que 
les  changements  survenus  dans  la  discipline  par  la  pratique 
des  Congrégations  onthérissé  de  difficultés  presque  insurmon- 
tables. Si  la  science  historique  du  droit  peut  perdre  quelque 
*  chose  dans  les  proportions  d'un  abrégé,  l'étude  du  droit, 
telle  qu'on  la  fait  dans  nos  séminaires,  a  beaucoup  à  y  ga- 
gner. On  nous  parlait  deruièremeni  de  la  publication  d'un  futur 
ouvragede  M.  le  professeur  De  Angelis  sur  cette  même  ma- 
tière. Nous  attendons  ce  livre  avec  une  impatience  bien  lé- 
gitimée par  le  mérite  éminent  et  la  position  du  savant  profes- 
seur. Toutefois,  les  espérances  que  nous  donne  le  P.Tarquini 
sont  peut-être  encore  plus  prochaines.  Son  premier  ouvrage 
est  un  service  rendu  qui  en  appelle  un  second,  et  qui  porte  en 
lui-même  le  gage  d'un  nouveau  succès.         L'abbé  d'Auton. 


L'APOSTOLAT  CATHOLIQUE   et    le  Prosélytisme  protestant,  par  le  R.  P. 
Pkrrone,  préfet  des  études  au  collège  romain.  2  vol.   m-12.  Gènes, 
;    1864  (en  italien). 

Le  principe  d'autorité  est  une  condition  nécessaire  de  toute 
propagande  religieuse.  Cette  vérité  de  sens  commun  réduit  i 


300  BlBLlOGIiAPHIE.  [Tome  VU. 

néant  tous  les  arguments  du  protestantisme.  Deux  voies  bien 
différentes  s'offrent  au  prédicateur  :  simple  bienfaiteur  de  l'hu- 
manité, il  emploie  sa  science  et  le  fruit  laborieux  de  ses  re- 
cherches à  éclairer  l'intelligence  des  ignorants  et  des  faibles  ; 
missionnaire  plein  de  charité,  il  peut  communiquer  aux  hom- 
mes mortels  et  bornés  comme  lui  la  doctrine  du  salut  imposée 
à  son  humble  croyance.  Mais  les  protestants  reconnaissent 
avec  nous  l'impuissauce  de  l'homme  à  se  conduire  par  lui- 
même  dans  l'ordre  de  la  religion.  C'est  pour  cela  que  le  Christ 
leur  apparaît  comme  la  manifestation  de  la  volonté  divine  et 
la  source  de  toute  vérité  surnaturelle.  Sur  le  Christ  même,  ils 
n'acceptent  cependant  pas  toutes  les  données  de  l'histoire.  Ils 
se  renferment  dans  la  lettre  de  l'Évangile.  Ils  l'adoptent 
comme  thème  de  leurs  théories  individuelles  et  délaissent  le  fil 
conducteur  de  la  Tradition,  cette  règle  sûre  imposée  aussi  par 
le  Christ,  et  qui,  guidant  la  faible  raison  par  une  autorité  su- 
périeure, les  retiendrait  dans  les  lois  de  l'unité. 

Jésus-Christ  ayant  accompli  par  sa  mort  l'œuvre  de  la  ré- 
demption, a  voulu  faire  participer  toutes  les  générations  aux 
bienfaits  de  sa  grâce  et  de  sa  doctrine.  Pour  cela,  il  a  établi 
TÉglise  dépositaire  de  ses  trésors.  Les  apôtres,  après  avoir  long- 
temps enseigné  de  vive  voix,  écrivirent  les  Évangiles  et  tous 
les  livres  du  Nouveau  Testament.  Ce  n'est  pas  le  fruit  germé 
au  milieu  de  la  première  assemblée  et  comme  la  consignation 
empressée  de  doctrines  trop  lourdes  pour  des  consciences 
d'hommes.  Tous  avaient  quitiéle  cénacle  emportant  dans  leur 
cœur  la  parole  de  vie  ;  quelques-uns,  sous  l'inspiration  du 
Saint-Esprit,  l'écrivirent  pour  le  bien  des  peuples  et  à  la  de- 
mande des  églises.  Aucun  ne  crut  perdre  ainsi  ses  droits  à  dé- 
velopper les  enseignements  du  Maître,  et  encore  moins  arrêter 
la  prédication  des  autres  apôtres.  L'Église  ne  meurt  pas  en 
eux.  Leurs  successeurs  dans  la  foi  et  dans  l'autorité  continuent 
la  Tradition,  et  si  leurs  livres,  placés  dans  d'autres  condi- 
tions, ne  comptent  pas  dans  le  corps  des  Écritures,  ils  n'en 


Uars  1863  ]  BIBLIOGRAPHIE  30f 

conservent  pas  moins  une  place  très-honorable.  Dans  l'Église, 
en  effet,  la  Tradition  est  la  source  principale  de  la  vérité  révé- 
lée, c'est  le  commentaire  vivant  de  rÉcriture,  c'est  la  règle 
de  l'enseignement. 

En  dehors  de  l'Eglise  établie  par  Jésus-Christ  et  parvenue 
jusqu'à  nous  par  la  série  non  interrompue  des  Souverains- 
Pontifes  et  des  évèques,  personne  ne  peut  donc  s'attribuer  le 
droit  d'évangéliser  les  peuples.  La  Bible  entre  des  mains  étran- 
gères devient  une  lettre  morte  à  laquelle  on  demanderait  en 
vain  <les titres  etune  mission  :  c'est  un  domaine  usurpé  qui  ne 
saurait  transmettre  le  nom  glorieux  et  Fautorité  des  maîtres 
légitimes. 

C'est  là  la  grande  question  entre  les  catholiques  et  les  pro- 
testants :  question  de  vie  ou  de  mort  que  ces  hérétiques  se  sont 
toujours  étudiés  à  éviter.  Le  R.  P.  Perrone, laissant  de  côté  le 
point  de  vue  du  droit,  oùle  sophisme  peut  se  donner  trop  facile- 
ment carrière,  examine  les  deux  principes  dans  leurs  œuvres 
et  leur  constitution  extérieure.  Ce  livre,  fruit  de  longues  et 
patientes  recherches,  met  en  lumière  et  rassemble  dans  un 
petit  nombre  de  pages  une  foule  de  documents  propres  à  faire 
juger  la  propagande  prolestante. 

Le  premier  volume  est  consacré  à  Tapostolat  catholique. 
La  légitimité  et  l'autorité  de  sa  mission  divine  apparaît  dans  le 
fond  même  de  sa  doctrine,  sa  continuité  féconde,  ses  moyens 
d'action  entièrement  surnaturels.  Comment  ne  pas  admi- 
rer les  lois  pleines  de  prudence  et  de  sagesse  qui  fixent  à  cha- 
que missionnaire  le  lieu  de  son  dévouement,  qui  déterminent 
ses  obligations  et  ses  droits  ?  Une  foule  d'institutions  charitables 
se  relient  à  cette  œuvre  de  conversion  :  les  unes  par  leurs 
prières,  ou  par  leurs  aumônes,  d'autres  par  leurs  écrits  ou 
par  une  collaboration  plus  éloignée  encore,  aident  le  prêtre 
dans  la  propagation  de  l'Évangile.  Cette  vertu  bienfaisante 
qui  autrefois  changea  la  face  de  l'univers  payen,  n'est  pas 
aujourd'hui  sans  efficacité .  Elle  civilise  et  relève  de  leur  mi- 


302  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

sère  les  peuplades  sauvages  en  leur  faisant  admirer  le  dévoue- 
ment de  la  croix,  et  parmi  nous  elle  imprime  à  la  vie  civile 
€t  politique  des  nations  une  marque  de  grandeur  et  de  force 
morales  qui  les  distingue  facilement  des  peuples  infidèles,  hé- 
rétiques ou  schismatiques.  Les  missionnaires  et  les  néophytes 
se  montrent  à  la  hauteur  de  leur  foi  et  de  leurs  devoirs.  Les 
dangers  de  toutes  sortes,  le  plus  entier  détachement  de  la  terre 
et  des  hommes  n'effraient  point  leur  courage,  et  le  martyre, 
récompense  si  ordinaire  des  maîtres  et  des  disciples,  fait  l'ob- 
jet de  leurs  désirs.  Aussi  Dieu  récompense-t-il  dès  cette  vie 
par  de  fréquents  miracles  cette  soif  de  soufirances  et  d'immo- 
lation. Mais  il  lui  donne  aussi  de  voir  ses  efforts  couronnés  par 
de  nombreuses  conversions  au  sein  même  des  nations  séparées 
par  le  schisme  ou  l'hérésie. 

Le  prosélytisme  protestant  n'est  pas  animé  de  ce  bel  esprit 
d'ordre  et  d'humilité  qui  fait  concourir  tous  les  travaux  à  un 
seul  et  même  but.  Il  ne  faut  point  lui  demander  cette  exten- 
sion universelle  et  cette  hiérarchie  invariable  qui  exigeraient 
trop  de  dévouement  et  de  soumission.  Ses  caractères  indiquent 
l'œuvre  de  l'homme  à  côté  de  l'œuvre  de  Dieu  représentée  par 
l'apostolat  catholique.  Son  institution  toute  négative  et  privée 
des  signes  d'une  mission  véritable,  produit  des  missionnaires 
dignes  de  la  diversité  et  de  l'incohérence  de  leur  foi.  C'est  la 
division  et  l'aniour-propre  individuel  qu'ils  annoncent  aux 
peuples.  Aussi  ne  reculent-ils  devant  aucune  concession  pour 
faire  des  prosélytes.  La  Bible  pour  eux  devient  le  secret  d'une 
morale  commode,  facile  à  se  plier  aux  passions  des  maîtres  et 
des  disciples. 

Après  cela,  rien  ne  leur  coûte  pour  attaquer  l'Église  catho- 
lique. Us  redoutent  une  condamnation  dans  ses  dogmes  et  ses 
institutions,  et  loin  de  consacrer  leur  grand  principe  de  libre 
examen,  en  la  laissant  en  paix  poursuivre  sa  carrière,  il  n'est 
point  de  calomnie  dont  ils  ne  la  noircissent,  de  moyens  odieux 
et  bas  qu'ils  n'em])Ioient  pour  la  perdre  dans  l'esprit  des  popu- 


Mars  1863.1  CHRONIQUE.  305 

lations.  Sur  les  théâtres  et  dans  les  romans,  ils  parodient  ses 
cérémonies  et  ses  croyances,  et  rien  n'est  comparable  à  leur 
acharnement  contre  le  Souverain-Pontife  et  la  cour  de  Rome. 

Il  est  bien  d'autres  points  encore  dont  l'auteur  ne  fait  pas 
grâce  au  prosélytisme  protestant.  Le  système  avoué  de  violence 
matérielle  et  morale  dans  l'acte  des  conversions,  le  malheu- 
reux commerce  des  consciences,  enfin  les  tristes  fruits  de  per- 
version intellectuelle  et  morale  parmi  les  individus  et  les  so- 
ciétés: autant  de  résultats  de  cet  apostolat  dépourvu  de  mis- 
sion et  d'autorité. 

Deux  autres  volumes  du  R.  P.  Perrone  sont  annoncés  à  la 
même  librairie.  Le  titre:  Vidée  de  F  Eglise  conservée  par  le  ca- 
tholicisme et  détruite  par  le  protestantisme,  nous  promet  la  con- 
tinuation du  même  sujet.  Après  avoir  mis  en  regard  les  œuvres 
des  deux  principes,  l'infatigable  écrivain  remonte  à  la  source 
pour  nous  montrer  l'origine  et  la  raison  de  si  grandes  diver- 
gences. Toujours  l'œuvre  de  Dieu  et  l'œuvre  de  l'homme.  Le 
catholicisme  continue  à  travers  les  siècles  la  doctrine  et  les. 
enseignements  de  Jésus-Christ  et  des  apôtres.  Une  lettre,  morte 
est  la  seule  succession  du  protestantisme.  Avec  les  générations 
et  les  individus,  son  commentaire  tout  philosophique  affecte 
les  formes  les  plus  variées  et  les  plus  contradictoires.  Il  lui 
reste  cependant  un  mérite  bien  apprécié  par  la  secte,  c'est  de 
répondre  aux  désirs  et  aux  inspirations  intéressées  de  chaque 
fidèle.  H.  Girard. 

CHRONIQUE. 

Le  tenant  de  M.  Darras  continue  à  lancer  ses  pamphlets,  les  Archives 
ihéotogiques  les  publient  et  Ai.  Vives  les  répand,  sous  forme  de  prospec- 
tus, aux  quatre  coins  de  la  France.  Le  caractère  de  celte  campagne  lui 
ôte  lou.e  portée  sérieuse  ;  et,  pour  notre  part,  le  seul  sentiment  qu'elle 
nous  inspire  est  celui  d'une  pitié  profonde. 

Malgré  notre  désir  de  garder  le  silence  dans  un  débat  qui  n'a  rien  de 
ficieulitique,  nous  ne  pouvons  laisser  passer  quelques  assertions  qui,  si 
elles  n'éiaienl  retirées  par  leur  auteur,  mériteraient  les  qualifications  les 
plus  sévères. 

Voici  l'incroyable  passage  dont  nous  voulons  parler  et  qui  résume 
toute  la  substance  du  dernier  article  :  «  Malheureusement  pour  M.  Dan- 
«  coisnc,  Tarlicle  qu'il  a  publié  au  mois  d'octobre  1862  contre  ['Histoire 


304  CHRONIQUE.  [Tome  VIL 

«  générale  de  l'Église  du  savant  et  laborieux  abbé  Darras,  n'est  point 
«  son  œuvre  personnelle.  U  n'est  que  la  reproduction,  complètement 
«  identique  pour  le  fond,  quoiqu'un  peu  allongée  [lonr  la  forme,  d'un 
«  article  allemand  paru  dans  le  u"  du  mois  de  juillet  d'une  revue  biogra- 
«  phique  assez  obscure,  imprimée  à  Munster  et  intitulée  :  Literarischer 
«  HandwPAser.  L'auteur  allemand,  qui  pourrait  bien  habiter  les  rives  de  la 
«  Seine,  a  prudemment  gardé  Tanonyme  :  ce  qui  lui  a  permis  de  fleurir 
«  son  style  de  grossièretés  et  d'injures  telles  qu'on  les  aime  de  l'autre 
«  côté  du  Rhin.  M.  Dancoisne  n'a  pu  reproduire  dans  son  article  cette 
«  partie  du  pamphlet  anonyme,  mais  il  a  pillé  bravement  tout  le  reste, 
«  parfois  même  il  s'est  coutentéde  copier  littéralement,  sans  prendre  nulle 
«  part  la  peine  d'en  donner  le  moindre  avis  à  ses  lecteurs.  En  voici  la 
«  prouve,  etc.»  (Archives  théologiques,  mars  1863,  p. 236  s.)  Suivent  sept  ou 
huit  phrases,  prises  çà  et  là  dans  l'article  de  M.  Dancoisne,  et  mises  en 
parallèle  avec  le  texte  du  Lit.  Handvmiser,  dont  elles  se  rapprochent  plus 
ou  moins.  Sur  cinq  citations  empruntées  à  notre  collaborateur,  trois  sont 
tronquées.  Un  peu  plus  loin,  M.  de  l'Hervilliers  ajoute  :  «  Protégé  par 
«  son  anonyme  et  par  son  déguisement  étranger,  le  pamphlétaire  à  gac>,es, 
«  dans  un  jargon  semi-germain,  semi -français,  se  donne  la  satisfaction 
«  d'insulter  à  son  aise  un  écrivain  de  premier  ordre.  »  {Archives,  p. 
238.)  Vient  alors  une  citation. 

Là-dessus,  M.  de  l'Hervilliers  triomphe,  affecte  des  airs  victorieux  et 
superbes,  et  se  croit  eu  toute  sincérité  plus  poli  qu'on  ne  l'est  au-delà 
du  Rhin.  Le  digne  homme  î 

Quelques  mots  de  réponse  nous  suffiront. 

lo.  Il  est  FAUX  que  l'article  de  M.  Dancoisne  soit  la  reproduction  de 
celui  du  Lit.  Hundweiser.  Sans  doute,  les  deux  critiques  s'accordent  pour 
le  fond,  et  cela  est  tout  naturel  dans  la  mesure  où  cet  accord  se  produit  : 
il  serait  étrange  que  chacun  articulât  sur  un  même  ouvrage  des  griefs 
tout  différents.  Mais  pour  la  forme,  la  contexture,  lesdétaiis,  il  y  aune 
différence  complète.  Si  M.  de  l'Hervilliers  avait  eu  soin  u 'avertir  qu'il 
donne  en  entier  celle  de  la  feuille  de  Munster  (relative  au  grand  ouvrage), 
sauf  deux  phrases  sans  importance,  la  différence  eût  sauté  immédiatement 
aux  yeux  de  tous  les  lecteurs  des  Archives  qui  auraient  pris  la  peine 
d'ouvrir  seulement  la  Revue  des  Sciences  ecclésiastiques. 

2°.  11  est  puérile  de  faire  ressortir  l'identité  d'une  citation  du  Lit.  Hand- 
loeiser  (la  seule  que  renferme  son  article)  avec  une  de  celles  qu'a  faites 
M.  Dancoisne.  Ce  passage  est  tellement  caractéristique,  qu'il  vaut  à  lui 
seul  toute  une  dissertation,  et  vraiment  c'eût  été  dommage  de  l'omettre 
sous  prétexte  qu'on  l'avait  déjà  cité  ailleurs.  Si  nous  avons  cardé  le  si- 
lence sur  l'article  allemand,  c'est  qu'il  n'y  avait  pas  de  motif  de  le  citer. 
D'ailleurs,  le  Lit.  Handiveiser,  cëiie  revue  obscure  qui  compte  plus  de  4,000 
abonnés,  est  assez  répandu  en  Fiance  et  dans  la  ville  même  que  nous 
habitons,  pour  que  nous  ayons  su  d'avance  que  l'on  comparerait  les  deux 
articles. 

3°:  Quant  aux  outrages  déversés  sur  les  honorables  rédacteurs  de 
VHandvbeiser,  transformés  en  pamphlétaires  anonymes  et  stipendiés,  alors 
que  chacun  de  leurs  numéros  porte  leurs  noms  et  qu'ils  prennent  hau- 
tement la  responsabilité  de  leurs  appréciations,  toujours  si  conscien- 
cieuses et  si  justes,  cela  dépasse  véiilablcmeut  toute  mesure. 

C'est  à  MM.  Hûlskamp  et  Rump  à  flétrir  ces  indignités  et  même,  s'ils 
le  veulent,  à  demander  par  les  moyens  de  droit  une  réparation  qui  ne 
saurait  leur  être  refusée.  Au  reste,  l'estime  de  l'Europe  savante,  qu'ils  se 
sont  acquise  par  leurs  travaux,  lesmet  bien  au-dessus  de  pareils  outrages. 

E.   Hautcœur. 


Arras.  —  Typogra[)hie  Rousseau-Leroy,  rue  Saint-Maurice,  26, 


LE  CELEBRE  CONFLIT 


ENTRE 


SAIJNT  ETIENNE  ET  SAINT  CYPRIEN 


Deuxième  article. 


Nous  allons  continuer  l'examen  des  documents  relatifs  au 
célèbre  conflit,  en  essayant  de  montrer  qu'ils  sont  apocryphes. 
Plus  tard  nous  interrogerons  les  auteurs  contemporains  ou 
peu  éloignés  de  l'époque  de  saint  Cyprien,  et  nous  ferons  voir 
que  l'ensemble  de  leurs  témoignages  est  favorable  à  notre 
conclusion. 

m. 

Lettre  de  saint  Cyprien  au  pape  saint  Etienne. 

Ou  la  trouvera  dans  dom  Constant  {Epistolx  Romanorum  Pon- 
tificum,  t.  I,  p.  216,  Paris  1721);  C'est  la  72«  dans  l'édition  de 
Baluze.  Voici  les  raisons  qui  doivent  la  faire  rejeter  comme 
apocryphe. 

1.  Nous  avons  démontré  que  la  lettre  àQuintus  et  la  lettre 
aux  évêques  de  Numidie  sont  controuvées.  Or,  celle  dont  nous 
nous  occupons  ici  mentionne  ces  deux-là.  Donc,  elle  est  elle- 
même  apocryphe. 

2.  Nous  avons  déjà  fait  ressortir  la  contradiction  entre  les 
termes  respectueux  de  cette  lettre,  et  le  ton  tout  différent 
d'une  autre  lettre  {ad  Quintum)  qui  lui  aurait  été  annexée. 

Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vu.  20-21. 


306  SAINT  ETIENNE  ITome  Vil. 

Outre  les  paroles  citées  :  Cum  tua  gravitate  ac  sapientia  conferen. 
dum  fuit,  ou  lit  vers  la  fiu  :  Credentes  etiam  tibi  pro  religionis 
tusô  et  fîdei  veritate  placerequx  et  religiosa  pariter  et  vey^a  sunt. 
Ce  langage  ludique  le  respect,  la  concorde,  et  l'espérance 
même  que  le  Pape  approuvera  et  confirmera  les  décisions  du 
Concile  africain.  Et  d'autre  part,  ou  annonce  dans  cette  même 
pièce  au  Pape  saint  Etienne,  qu'on  y  a  joint  un  exemplaire  de 
la  lettre  à  Quintus,  où  ce  même  pape  est  traité  d'insolent  et 
d'arrogant  !  Une  telle  incohérence  dénote  la  fraude. 

3.  Voici  une  autre  contradiction.  D'une  part,  cette  lettre 
soutient  que  le  baptême  donné  par  les  hérétiques  est  nul.  Les 
évêques  d'Afrique  n'ont  aucun  doute  à  cet  égard.  La  consé- 
quence naturelle  de  ce  principe,  c'est  que  les  évêques  sont 
tenus  de  conférer  ce  sacrement  à  ceux  qui  reviennent  de 
l'hérésie.  Puisque  le  baptême  qu'ils  ont  reçu  est  nul,  ils  ne 
sont  pas  baptisés  ;  il  y  a  donc  obligation  de  leur  conférer  le 
baptême.  C'est  la  conclusion  qu'on  attend.  Eh  bien,  la  lettre 
conclut,  au  i;ontraire,  que  chaque  évèque  est  libre  de  suivre 
sur  ce  point  son  sentiment,  c'est-à-dire  de  baptiser  ou  de 
laisser  sans  baptême  les  hérétiques  convertis.  11  u'est  besoin 
pour  rendre  évidente  cette  contradiction,  que  de  rapprocher 
les  deux  passages  suivants  : 

«  Baptismum  autem  non  esse  quo  heeretici  utuntur,  née 
queraquam  apud  eos  qui  Christo  adversentur,  per  gratiam 
Ghristi  posse  profîcere,  dihgenternuper  expressum  est  in  epi- 
stola  quee  ad  Quintum  collegam  nostrum  in  Mauritania  con- 
stitutum  super  ea  re  scripta  est,  item  in  litteris  quas  collegse 
nostri  ad  episcopos  in  Numidia  prsesideutes  ante  feceruut.  » 
Voilà  les  évêques  africains  bien  convaincus  de  la  nullité  du 
baptême  donné  par  les  hérétiques.  Us  s'en  réfèrent  d'ailleurs  à 
deux  lettres  où  cette  même  conviction  est  longuement  exprimée. 
L'obligation  de  réitérer  le  baptême  à  ceux  qui  reviennent  de 
Thérésie  est  donc  pour  eux  un  point  de  doctrine  tout-à-fait  cer- 
tain. Et  néanmoins,  voici  l'étrange  couclusion  de  leur  lettre  ;_ 


Avri  U863  1  ET   SAINT  CYPRIEN.  307 

a  Qiia  in  re  necnos  vim  cuiquam  facimus  autlegem  daiuus, 
cum  habeat  in  ecclesias  administratione  voluntatis  suse  arbi- 
trium  liberum  unusquisque  praepositus,  rationem  actus  sui 
Domino  redditurus.  »  Ainsi  chaque  évêque  est  libre  de  ne 
pas  baptiser  ceux  qui  reviennent  de  l'hérésie,  quoique  le  bap- 
tême précédemment  reçu  par  eux  soit  certainement  nul.  Le 
Concile  de  Carthage  n'entend  gêner  en  rien  le  libre  arbitre  de 
chaque  évêque.  Il  reconnaît  que  chacun  d'eux  ne  doit  raison 
de  ses  actes  qu'à  Jésus-Christ  seul;  qu'aucun  synode,  aucune 
autorité  n'a  droit  de  juger  un  évêque,  de  lui  dicter  des  lois. 
La  contradiction  ne  saurait  être  plus  manifeste.  Pendant  que 
Ton  décrète  en  Concile  la  nullité  du  baptême  conféré  par 
les  hérétiques,  on  déclare  n'imposer  de  loi  à  personne, 
legem  non  damus.  Mais  décréter  la  nullité  du  baptême  reçu  par 
les  hérétiques,  c'est  décréter  l'obligation  de  lenr  conférer  ce 
sacrement  ;  c'est  parle  fait  même  imposer  une  loi,  legem  dare. 

4.  Dans  le  dernier  passage  cité,  les  évêques  africains  profes- 
sent un  principe  d'une  hétérodoxie  révoltante,  à  savoir,  que 
chaque  évêque  ne  doit  compte  de  ses  actes  qu'à  Dieu  seul  ; 
qu'aucune  autorité  ecclésiastique  ne  peut  lui  imposer  de  loi, 
le  juger,  le  condamner.  Au  temps  de  saint  Gyprien,  comme 
avant  et  après,  la  doctrine  et  la  pratique  constante  de  l'Église 
a  été  au  contraire  que  tout  évêque  qui  enseigne  l'erreur  ou 
qui  scandalise  par  une  conduite  criminelle,  peut  et  doit  être 
mis  en  accusation,  jugé  et  déposé,  soit  par  les  conciles,  soit 
par  le  Pontife  romain.  Il  serait  inutile  de  citer  des  faits  à  l'ap- 
pui, toute  l'histoire  ecclésiastique  en  est  remplie.  Rappelons 
seulement  la  démarche  de  saint  Cyprien  auprès  du  Pape,  pour 
qu'il  écrivît  aux  évêques  des  Gaules  de  se  réunir  en  synode,  à 
l'effet  de  juger  et  de  déposer  l'évèque  d'Arles.  La  maxime  que 
chaque  évêque  est  indépendant  et  ne  relève  que  du  tribunal 
de  Jésus-Ghristfut  une  des  hérésies  professées  par  lesDonatistes; 
mais  il  est  absurde  de  l'attribuer  à  saint  Cyprien  et  aux  évêques 
calholiques  de  son  temps.  Le  passage  où  une  telle  maxime  est 


308  SAINT   ETIENNE  [Tome  VIL 

exprimée,  suffirait  à  lui  seul  pour  prouver  que  la  lettre  est 
apocryphe. 

5.  Relevons  encore  au  sujet  de  cette  lettre  une  circonstance 
qui  suffirait  seule  aussi  pour  la  rendre  fort  suspecte.  Ce  n'est  pas 
après  le  premier  concile  de  Cartilage  qu'elle  aurait  été  écrite, 
mais  après  le  second.  L'ensemble  des  documents  (en  les  suppo- 
sant authentiques)  ne  permettrait  pas  d'en  douter:  et  c'est  du 
reste  la  persuasion  des  érudits  pour  qui  l'authenticité  de  ces 
mêmes  documents  n'est  pas  douteuse.  Or,  on  se  demande  pour- 
quoi cette  lettre  synodale  a  été  adressée  au  Pape  seulement  après 
le  second  concile,  et  non  pas  après  le  premier.  C'est  dans  le 
premier  que  la  question  avait  été  pleinement  discutée  et  nette- 
ment tranchée,  à  la  prière  des  évéques  de  Numidie,  comme 
il  résulte  de  la  lettre  synodale  envoyée  à  ces  mêmes  évêques. 
Selon  l'usage  constant,  la  relation  au  Pape  aurait  dû  se  faire 
après  ce  premier  concile,  et  l'on  aurait  dû  attendre  la  réponse 
du  Saint-Siège.  Pourquoi  un  second  concile,  puisque  le  premier 
a  prononcé  ?  Pourquoi  nnpremier  Concile  sans  une  lettre  syno- 
dale au  Pape  ?  Et  pourquoi  dans  la  synodale  du  second  concile 
ne  se  rencontre-t-il  pas  un  mot  pour  expliquer  cette  omission 
étrange  et  si  contraire  aux  usages  de  cette  époque?  Ces  cir- 
constances sont,  sinon  une  preuve  rigoureuse,  au  moins  un 
fort  indice  de  fraude. 

IV. 

Lettre  de  saint  Cyprien  à  Jubaianus. 

C'est  la  73«  d'après  l'édition  de  Baluze  et  autres  (Patrologie 
Migne,  t.  III,  col.  1109).  En  voici  le  sujet.  Jubaianus  avait  con- 
sulté saint  Cyprien  sur  la  question  du  baptême  des  hérétiques, 
eu  joignant  à  sa  lettre  un  écrit  qui  combattait  le  sentiment  de 
saint  Cyprien.  Dans  sa  réponse  à  Jubaianus,  c'est-à-dire  dans 
la  lettre  que    nous  avons  présentement  à  examiner,  saint  Cy- 


Avril  1803. 1  ET   SAINT   CYPRIEN.    '  309 

prien  réfuta  cet  écrit.  Nous  disons  de  cette  prétendue  lettre 
de  saint  Cyprien  à  Jubaianus  comme  des  précédentes  :  c'est 
une  pièce  apocryphe. 

1.  Elle  fait  mention  de  la  lettre  aux  évêques  de  Numidie  et 
de  la  lettre  à  Quintus,  toutes  deux  apocryphes^  d'après  ce  qui 
a  été  dit  précédemment.  Donc,  elle  est  elle-même  apocryphe. 

2.  Jubaianus  y  joue,  ce  semble,  un  rôle  contradictoire.  Il 
consulte  saint  Cyprien,  comme  s'il  ignorait  son  sentiment, 
quoique  ce  sentiment  lui  soit  parfaitement  connu.  Scripsisti 
mihi..,  desiderans  signifcari  tibi  motum  animi  nostri,  quid  no- 
bis  videatur  de  hxi'etkorum  baptismo.  Voilà  bien  Jubaianus 
ignorant  ce  que  pense  saint  Cyprien  sur  la  question.  D'autre 
part,  les  paroles  qui  suivent  attestent  le  contraire  :  Et  quo- 
niamjam  super  hac  re  quid  sentiremus,  ut  compendium  facereni, 
exemplum  earumdem  litterarum  tibi  misi,  quid  in  concilto,  cum 
complures  essemus,  decreverimus,  quid  item  postea  Quinfo  colle- 
gx  nostro,  de  eadem  re  quserenti  rescripserirn.  Les  paroles  tibi 
misi  indiquent,  ce  semble,  un  envoi  antérieur.  Jubaianus  con- 
naissait donc  déjà  les  lettres  à  Quintus  et  aux  évêques  de  Nu- 
midie, et  par  conséquent  toute  la  pensée  de  saint  Cyprien. 
Nous  avons  déjà  fait  ressortir  cette  même  contradiction  dans 
la  lettre  à  Quintus.  L'imposteur  parait  l'avoir  reproduite  ici. 
Nous  l'avouons  toutefois,  on  peut,  à  la  rigueur,  nier  la  contra- 
diction, en  expliquant  ainsi  les  faits  :  Jubaianus  aurait  écrit  à 
saint  Cyprien;  celui-ci  n'aurait  pas  répondu  sur  le  champ, 
mais  se  serait  contenté  d'expédier  à  Jubaianus  l'exemplaire 
des  lettres  à  Quintus  et  aux  évêques  Numides.  Enfin,  il  lui  au- 
rait adressé  la  présente  lettre. 

3.  La  contradiction  qu'on  ne  pourra  pas  contester  et  qui 
dénote  la  fraude,  c'est  celle  qui  existe  entre  la  doctrine  sou- 
tenue dans  le  cours  de  cette  lettre,  et  celle  qui  se  trouve  dans 
sa  conclusion.  En  effet,  l'auteur  s'évertue  à  prouver  que  le 
baptême  coniféré  par  les  hérétiques  est  certainement  invalide  ; 
qu'on  doit  par  conséquent  baptiser  ceux  qui  reviennent  de 


S-JO  SAINT  ETIENNE  [Tome  YII. 

l'hérésie.  Tenir  la  conduite  contraire,  ce  n'est  pas  seulement 
à  ses  yeux  nne  erreur,  mais  un  crime,  une  abomination.  Voici 
en  quels  termes  il  stigmatise  ses  adversaires  :  Et  nunc  qui  ta- 
libus  ad  Ecdesiam  venientibus  sine  baptismo  communicandum 
existimant,  non  putant  de  alienis,  immo  xternis  peccatis  commu- 
nicare,  admittentes  sine  baptismo  eos  qui  non  nisi  in  baptismo 
possint  blasphemiarum  suarum  peccata  deponere  !  Quam  vanum 
port'o  et  perversum,  ut  cum  ipsi  hseretici,  repudiato  et  relicto  vel 
errorevelscelere  inquopriusfuerant,  agnoscant  Ecclesix  veritatem, 
nos  veritatis  ejusdemjura  et  sacramentum  mutdemus,  et  venien- 
tibus ac  pœnïtentibus  dicamus  eos  remissionem  peccaiorum  conse- 
cutos  esse  !  Qu'on  le  remarque  bien,  la  nullité  du  baptême  des 
hérétiques  n'est  pas  seulement  soutenue  par  l'auteur  de  la 
lettre  comme  une  opinion  libre  et  plus  probable,  mais  comme 
un  dogme  tellement  certain^  que  l'opinion  et  la  pratique  con- 
traires doivent  être  tenues  pour  une  prévarication,  xmeperver' 
site,  A  part  la  conclusion,  toute  la  lettre  est  dans  ce  sens.  Mais 
après  tant  de  violence  contre  la  prétendue  perversité,  que  con- 
clut l'auteur  de  la  lettre?  —  Que  chaque  évêque  est  libre  de 
suivre  en  cela  son  sentiment,  c'est-à-dire,  de  baptiser  ou  de 
ne  pas  baptiser  ceux  qui  reviennent  de  l'hérésie  :  «  Hsec  tibi 
breviter  pro  nostra  mediocritate  rescripsimus,  frater  charis- 
sime,  nemini  prxscribentes  aut  prsejudicautes  quominus  unus- 
quisque  episcoporum  quod  putat  faciat,  habens  arbitrii  sui  libe- 
ram  potestatem.  Nos,  quantum  in  nobis  est,  propter  hsereticos 
cum  coUegis  et  coepiscopis  nostris  non  contendimus,  cum  qui- 
bus  divinam  concordiam  et  dominicam  pacem  tenemus.  » 
Inutile  de  faire  observer  que  toute  la  lettre  exigeait  la  con- 
clusion opposée.  Ce  qui  est  une  erreur,  un  crime,  une  perver- 
sité, ne  peut  pas  être  laissé  au  libre  arbitre  de  chaque  évêque. 
4.  Le  passage  suivant  nous  offre  un  point  de  doctrine  qu'on 
ne  saurait  attribuer  à  saint  Cyprien,  et  qui  est  par  conséquent 
une  nouvelle  preuve  de  la  fraude  :  Frustra  quidam,  qui  ratio- 
ne  vincuntur,   consuetudinem  nobis  opponunt  ;  quasi  consuetudo 


AvriH8C3.]  ET  SAINT  CYPRIEN.  3M 

major  sit  veritate ,aut  non  ici  sit  inspiritualibus  sequendum  quod 
melius  fuerit  a  Sancto  Spiritu  revelatum...  Prxsumptione  enim 
atque  obstinatione  quadam  nititur,  cum  ratione  superetur.  Il 
s'agit  là  de  la  tradition  apostolique  de  l'Église  de  Rome.  A. 
cette  tradition,  saint  Cyprien  (si  la  lettre  était  de  lui)  préten- 
drait qu'il  faut  préférer  la  lumière  de  la  omison  et  des  révéla- 
tions faites  par  le  Saint-Esprit.  A  Taide  d'une  telle  maxime, 
chaque  hérétique  pourrait  rejeter  la  foi  traditiouelle  des  apôtres , 
et  dire,  en  s'appuyant  sur  l'autorité  de  saint  Cyprien  :  Frustra 
qui  ratione  vincuntur  consuetudinem  nobis  opponunt.  Nous  disons 
que  cette  monstrueuse  doctrine  ne  peut  pas  être  attribuée  à 
saint  Cyprien.  Elle  est  en  opposition  avec  celle  qu'il  professe 
dans  son  livre  de  Unitate  Ecclesise,  et  avec  la  grande  règle  doc- 
trinale des  catholiques  à  cette  époque.  Pour  toutes  les  questions, 
pour  toute  les  controverses,  on  en  appelait  avant  tout  à  la  tra- 
dition des  apôtres.  Dès  que  cette  tradition  était  constatée,  la 
contestation  cessait:  c'était  la  suprême  autorité.  L'Église  ro- 
maine s'y  appuyait  et  l'alléguait  sans  cesse.  Quiconque  a  un 
peu  exploré  les  monuments  ecclésiastiques  de  ces  premiers 
siècles,  verra  clairement  que  la  maxime  ratione  vinçendum  ne 
peut  être  attribuée  à  saint  Cyprien,  ni  à  aucun  évèque  catho- 
lique de  son  temps. 

5.  Saint  Augustin  révoque  en  doute  l'authenticité  de  cette 
lettre  de  saint  Cyprien  à  Jubaianus.  Voici  en  quels  termes  il 
en  fait  mention  :  Cum  enim  persuadera  conaretur^  vel  Cyprianus, 
vel  quicumque  illam  scripsit  epistolum  {ad  Cresconium,  1.  ir, 
capite  33).  On  le  voit,  saint  Augustin,  à  l'égard  de  toutes  ces 
pièces  que  lui  objectaient  les  Douatistes,  met  en  doute  si  elles 
sont  dfi  saint  Cyprien.  11  ne  dit  pas  aux  Donatistes  :  Vous  les 
avez  fabriquées  ;  mais  il  laisse  entrevoir  qu'il  le  pense,  et  que 
s'il  ne  va  pas  plus  loin,  c'est  faute  d'avoir  eu  main  des  preuves 
de  la  fraude,  qui  puissent  être  saisies  du  pubhc.  Si  les  Dona- 
tistes avaient  pu,  de  leur  côté,  lui  prouver  l'authenticité  de  ces 
pièces,  ils  auraient  rectifié  quelque  part  son  assertion.  Nulle 


312  SAINT  ETIENNE  [Tome  VIL 

part  ils  ne  l'ont  attaquée.  Le  seul  fait  de  la  controverse  sur 
l'authenticité  de  ces  pièces  au  temps  de  saint  Augustin,  est  un 
fort  in,dice  de  la  fraude. 


Ze  fameux  décret  du  pape  saint  Etienne^  Nihil  innovetur  nisi 
quod  traditum  est,  est  pareillement  apocryphe. 

Dans  riiypotbèse  de  l'authenticité  des  documents,  le  Pape 
saint  Etienne  aurait  répondu  à  la  lettre  synodale  envoyée  après 
le  second  concile  tenu  à  Carihage.  De  cette  réponse  on  n'a 
qu'un  fragment  cité  dans  la  lettre  de  saint  Cyprien  à  Pompeius, 
et  aussi  dans  l'Histoire  ecclésiastique  d'Eusèbe.  C'est  ce  frag- 
ment qu'on  allègue  sous  le  nom  de  décret  ou  de  décision 
du  Pape  saint  Etienne.  Voici  les  termes  de  ce  fragment,  tel 
qu'il  se  trouve  dans  la  lettre  à  Pompeius  :  Si  quis  ergo  a  qua~ 
cumque  hxresi  venerit  ad  pœnitentiam,  nihil  innovetur  nisi  quod 
traditum  est,  ut  manus  illi  imponatur  ad  pœnitentiam,  cum  ipsi 
hxretici  proprie  alterutrum  ad  se  venientes  non  baptizent,  sed 
communicent  tantum.  Tel  est  le  fameux  décret  que  le  pape  saint 
Etienne  aurait  porté  contre  saint  Cyprien  et  les  é vaques 
d'Afrique.  Selon  nous,  on  doit  le  tenir  pour  apocryphe. 

1 .  Cette  lettre  du  Pape  saint  Etienne  aurait  eu  la  plus  haute 
importance,  puisqu'elle  aurait  décidé  une  controverse  des  plus 
vives,  qui  mettait  en  rumeur  les  églises  de  l'Afrique  et  de 
l'Orient.  Elle  se  serait  par  conséquent  trouvée  dans  les  archives 
de  Rome  au  temps  du  pape  saint  Damase,  et  saint  Jérôme  n'au- 
rait pas  manqué  d'en  faire  mention  dans  son  livre  de  Viris 
illustribus.  Vers  l'endroit  où  il  parle  de  saint  Corneille  et  de 
saint  Cyprien,  il  aurait  consacré  aussi  un  chapitre  au  pape 
saint  Etienne  et  à  son  célèbre  décret  contre  ce  même  saint 
Cyprien  et  les  autres  évêques  d'Afrique.  Or,  cette  importante 
décision  dogmatique  du  pape  saint  Etienne,  à  l'occasion  de 
laquelle  toutes  les  églises  de  l'Afrique  et  de  l'Asie  auraient  été 


Avril  1803)  ET   SAINT   CYPRJEN.  313 

en  émoi,  et  qui  serait  un  des  faits  culminants  de  l'histoire  ecclé- 
siastique de  cette  époque,  saint  Jérôme  Ta  ignorée,  il  l'a  passée 
complètement  sous  silence. 

2.  Saint  Augustin  aussi  Fa  complètement  ignorée.  Discutant 
la  question  du  baptême  des  hérétiques,  il  dit  avoir  connaissance 
d'une  certaine  lettre  du  pape  saint  Etienne,  mais  qui  n'a 
ancun  rapport  à  cette  question  :  Prorsus  ad  prxsentem  quxstio- 
nem  nonpertinet{DeBaptismOy  lib.  vi,  c.  15,  t.  ix,  éd.  Maurin.). 
Assurément-,  s'il  avait  connu  la  lettre  de  saint  Etienne,  con- 
tenant le  passage  cité,  ou  le  célèbre  décret,  il  n'aurait  pas  dit 
qu'elle  est  entièrement  étrangère  à  la  question.  Donc  il  n'a 
point  connu  cette  lettre.  Que  conclure  du  silence  de  saint 
Jérôme,  de  l'ignorance  de  saint  Augustin,  si  ce  n'est  que  la 
prétendue  lettre  et  le  célèbre  décret  qu'elle  renferme  sont 
apocryphes  ? 

3.  La  fraude  se  manifeste  en  outre  par  cet  argument  que  le 
pape  saint  Etienne  aurait  employé  à  Tappui  de  son  décret  : 
Cum  ipsi  hxretici  ad  se  venienfes  non  baptizent.  Est-il  vraisem- 
blable qu'un  Pape,  postérieur  seulement  de  deux  cents  ans  à 
l'apôtre  saint  Pierre,  ait  allégué  comme  preuve  la  pratique 
des  hérétiques  ?  Ne  devait-il  pas  prévoir  l'accueil  que  les  op- 
posants feraient  à  cette  preuve  ?  On  peut  voir  dans  la  lettre  de 
saint  Cyprien  à  Pompeius  et  dans  celle  de  Firmilieu,  avec  quel 
dédain  elle  est  appréciée,  non  point  (selon  nous)  par  ces  deux 
personnages,  mais  par  les  faussaires  qui  ont  aussi  fabriqué  ces 
deux  lettres. 

Sans  doute  la  pratique  des  sectes  peut  quelquefois  servir  à 
prouver  la  vraie  doctrine.  Mais  le  pape  saint  Etienne  ne  serait 
pas  excusable  d'avoir  employé  cette  preuve  comme  il  l'a  fait, 
c'est-à-dire  en  n'alléguant  que  cette  raison  :  Cum  ipsi  hxretici 
ad  se  venientes  non  baptizent.  C'étaitdonner  cette  raison  comme 
la  principale,  comme  la  suprême  autorité.  Un  tel  acte  de  la 
part  d'un  Pape,  est  en  pleine  contradiction  avec  la  coutume 
constante  de  l'Église  romaine  de   s'appuyer  toujours  sur  la 


•14  SAINT  ETIENNE  [Tome  VU. 

tradition  des  Apôtres  et  de  repousser  avec  horreur  les  héré- 
tiques. 

A.  D'ailleurs  ces  mots  du  pape  saint  Etienne  :  Hxretici  ad  se 
vmientes  non  baptizant,  seraient  une  assertion  fausse.  Les  Mar- 
cionites  rebaptisaient^  ainsi  que  l'atteste  saint  Épiphane  : 
Baptismo  non  semel,  sed  tertio  apud  illos  initiantur  {User.  42) . 
Saint  Jérôme,  dans  son  Commentaire  sur  l'épître  auxEphésiens, 
chapitre  iv,  nous  apprend  que  les  Valentiniens  réitéraient  aussi 
le  baptême.  Ceux  qui  regardent  comme  authentique  la  lettre 
de  saint  Cyprien  à  Jubaianus,  devraient  admettre  en  outre  la 
coutume  de  rebaptiser  chez  les  Novatiens,  coutume  clairement 
exprimée  par  ces  paroles  :  ISec  nos  movet,  frater  carissime, 
quod  in  Utteris  tuis  complexus  es,  Novatianenses  rebaptizare  eos 
guos  a  nabis  sollicitant.  Supposer  que  le  pape  saint  Etienne  ait 
ignoré  cette  coutume  des  hérétiques,  c'est  inadmissible.  Les 
Novatiens  avaient  leur  siège  principal  à  Rome.  Leurcoutumede 
rebaptiser  ne  pouvait  être  inconnue  du  Pape  saint  Etienne.  Ce 
Pape  aurait  donc  cru  que  les  hérétiques  rebaptisaient,  et  néan- 
moins il  aurait  affirmé  le  contraire.  C'est  l'absurde  hypothèse 
qu'il  faudrait  admettre^,  si  l'on  ne  rejette  pas  cette  lettre  comme 
apocryphe. 

5.  La  décision  qu'on  prête  à  saint  Etienne  renferme  une 
erreur  dogmatique.  Il  aurait  enseigné  que  tout  baptême  conféré 
par  les  hérétiques  est  valide,  sans  excepter  les  sectes  qui 
n'auraient  pas  employé  la  forme  légitime.  Les  termes  dont  il 
se  sert  ne  comportent  aucune  exception  :  Si  quis  ergo  a  qua- 
cumque  hœresi  venerit  ad  pœnitentiam,  nikil  innovetm\  Nous  le 
savons,  les  théologiens  orthodoxes  qui  admettent  ce  décret 
comme  authentique  s'efforcent  d'en  écarter  l'erreur,  en  disant 
que  le  pape  saint  Etienne  sous-entendait,  dummodo  vitiata  non 
fuerit  forma.  Mais  cette  interprétation  ne  saurait  être  admise. 
En  effet,  on  doit  regarder  comme  le  vrai  sens  d'une  loi,  celui 
dans  lequel  l'ont  entendu  les  contemporains,  pour  qui  la  loi 
a  été  faite,  celui  qu'ils  ont  trouvé  si  clair  et  si  naturel,  qu'ils 


Avril  1852.]  ET  SAINT   CYPRIEN.  3^5 

n'out  pas  même  songé  à  lui  eu  donner  un  autre.  Or^  saint 
Cyprien,  à  qui  l'on  suppose  adressée  la  décision  du  pape 
saint  Etienne  ,  l'entendit  (  toujours  dans  Thypothèse  de 
Tauthenticilé  des  documents^  admise  par  nos  adversaires)  en 
ce  sens  que  le  baptême  était  conféré  validement  par  toutes  les 
sectes,  sans  en  excepter  celles  qui  baptisaient  sans  l'invocation 
des  trois  personnes  divines  et  qui  ne  croyaient  pas  à  la  Trinité. 
Voici  comment  il  entend  et  réfute  ce  célèbre  décret  :  A  qua- 
cumque  hxresi  venientem  baptizariin  Ecclesiavetuit  ;  idest,  om- 
nium hxreticorum  baptismatajusta  ssse  et  légitima judicavit.  Et 
cum  singulx  hxreses  singula  baptismata  et  diversa  peccata  ha' 
béant,  hic  cum  omnium  baptismo  communicans  universorum  de- 
licta  in  sinum  suum  coacervata  congessit...  Cur  in  tantum  Stepha- 
ni  fratris  nostri  obstinatio  dura  prorupit,  ut  etiam  de  Marcionis 
baptismo,  item  Valentini  et  Apelleiis,  et  cxterorum  blasphe- 
mantium  in  Deum  Patrem,  contendat  filios  Dei  nasci,  et  illic  in 
nomine  Jesu  Christi  dicat  remissionem  peccatorum  dari,  ubi 
blasphematur  in  l'atrem  et  in  Dominum  Deum  Chrisium?  (Ep. 
ad  Pompeium.)  Si  l'on  veut  admettre  comme  authentique  le 
décret  du  pape  saint  Etienne,  tel  qu'il  est  relaté  dans  la  lettre 
à  Pompeius,  il  faut  dire  que  ce  Pontife  a  donné  une  décision 
erronée  en  matière  de  foi.  Or,  la  maxime  de  toute  l'antiquité 
attribue  l'infaillibilité  à  la  foi  professée  et  enseignée  par  l'église 
de  Rome.  Un  fait  qui  renverserait  cette  maxime,  cette  per- 
suasion des  premiers  siècles,  ne  saurait  être  admis  sur  des 
pièces  suspectes.  On  doit  donc  rejeter  comme  apocryphe  la 
prétendue  décision  du  pape  saint  Etienne  et  la  lettre  qui  aurait 
contenu  cette  décision. 

VI. 

La  lettre  de  saint  Cyprien  à  Pompeius  est  apocryphe. 

C'est  la  74e  selon  l'édition  de  Baluze  et  autres.  {Patrologie 
Migne,  t.  III,  col.  1127.) 


31G  SAINT  ETIENNE  [Tome  VII. 

i.  Les  paroles  violentes  auxquelles  l'auteur  de  cette  lettre 
se  laisse  emporter  contre  le  Pontife  romain,  ne  permettent 
pas  de  l'attribuer  à  saint  Cj^prien.  Il  y  reproche  au  pape  saint 
Etienne  de  faille  tous  ses  efforts  en  faveur  des  hérétiques ,  et  de 
prendre  leur  défense  contre  les  chrétiens  et  contre  l'Eglise  de  ' 
Dieu  ;  d'avoir  écrit  comme  un  imprudent  et  un  ignorant  {impe- 
inte af  que  improvide],  et  allégué  des  raisons  pleines  d'orgueil^ 
étrangères  à  la  question  et  contradictoires  {superba,  ad  rem  non 
pertinentia  et  sibi  contradictoria) ,  d'avoir  accumulé  dans  son 
sein  les  crimes  de  tous  les  hérétiques,  en  communiquant  au  bap- 
tême de  toutes  leurs  sectes  {omnium  baptismo  communicans  uni- 
versorum  delicta  in  sinum  suum  coacervata  congessit)  ;  d'avoir 
diffamé  les  apôtres,  en  prétendant  qu'ils  out  approuvé  le  baptême 
des  hérétiques  ;  sur  quoi  l'on  ajoute  une  ironie  amère  :  prxclara 
sane  et  légitima  traditio,  Stephano  fratrenostro  docente,  proponi- 
tur  !  D'après  l'auteur  de  la  lettre,  le  décret  du  pape  saint  Etienne 
a  réduit  l'Église  de  Dieu  et  l'épouse  de  Jésus-Christ  à  ce  comble  de 
dégradation  qu'elle  en  est  venue  à  prendre  pour  règle  l'exemple 
des  hérétiques,  et  que  les  chrétiens  font  l'œuvre  de  V Antéchrist. 
Il  a  poussé  l'obstination  et  \di présomption  jusqu'à  substituer  une 
tradition  humaine  à  la  loi  divine.  Son  aveuglement  {excitas)  et  sa 
perversité  (pravitas)  sont  telles,  qu'il  refuse  de  reconnaître  l'unité 
provenant  de  Dieu  le  Père  et  de  l'ensei^ement  de  Jésus-Christ. 
Le  sentiment  qu'il  soutient  est  une  ineptie  {ineptum).  Son 
inflexible  obstination  {obstinatio  dura  fratris  Stephani)  va  jusqu'à 
prétendre  que  le  baptême  de  Marcion,  de  Valentin  et  d'Apelles 
fait  naître  des  enfants  de  Dieu.  Ami  des  hérétiques,  ennemi  des 
chrétiens,  ils'est  imaginé  d'excommunier  les  évêques  de  Dieu  qui 
défendent  'la  vérité  de  Jésus-Christ  et  l'unité  de  l'Église.  Se 
soumettre  à  sa  décision^  ce  serait ye^er  bas  les  armes,  pi'ésenter 
ses  mains  aux  fers,  livrer  au  diable  la  loi  de  l'Evangile,  l'œuvre 
de  Jésus-Christ,  la  majesté  de  Dieu  ;  anéantir  les  sacrements  de  la 
divine  milice,  livrer  les  drapeaux  du  camp  céleste^  soumettre 
l'Eglise  aux  hérétiques,  la  lumière  aux  ténèbres,  la  foi  à  la  per- 


A>Till803.;  ET  SAINT   CYPRIEN.  317 

fidie,  l'espérance  au  désespoir,  la  raison  à  l'erreur,  l'immortalité 
à  la  mort,  la  charité  à  la  haine,  la  vérité  au  mensonge,  Jésus- 
Christ  à  l'Antéchrist.  Par  sa  présomption  et  son  entêtement 
(studio  prxsumptionis  et  confumacix),  il  est  cause  que  certains 
s'obstinent  dans  l'erreur,  au  lieu  de  se  rendre  aux  exhortations 
de  ceux  qui  défendent  la  bonne  et  vraie  doctrine. 

Par  ces  quelques -traits,  et  mieux  encore  par  la  lecture  atten- 
tive de  la  lettre  entière,  on  verra  jusqu'à  quel  excès  la  violence 
des  injures  y  est  portée.  C'est  évidemment  l'œuvre  d'un  furi- 
bond, d'uninsolent,  d'un  homme  qui  ne  reconnaissait  aucun  pri- 
vilège de  supériorité  à  l'Église  romaine,  au  successeur  de  saint 
Pierre.  Or,  nous  savons  que  le  grand  saint  Cyprien  fut  surtout 
remarquable  par  son  zèle  et  son  amour  pour  la  concorde,  la 
paix  et  la  charité,  par  sa  patience  et  la  candeur  de  son  âme, 
par  la  profession  qu'il  a  faite  dans  ses  écrits  authentiques  de 
reconnaître  l'Église  romaine  pour  l'Église  principale,  mère  de 
toutes  les  autres  églises,  de  laquelle  on  ne  peut  se  séparer 
sans  périr,  et  auprès  de  laquelle  l'erreur  ne  Sfiurait  avoir  accès. 

2.  Il  y  a  contradiction  manifeste  entre  cette  lettre  et  la 
conclusion  des  lettres  précédentes  attribuées  à  saint  Cyprien. 
Ici,  en  effet,  la  nullité  du  baptême  des  hérétiques  est  soutenue 
comme  un  dogme  tout-à-fait  certain.  Les  paroles  suivantes  ne 
laissent  aucun  doute  à  cet  égard:-  Ut  in  illo  mundi  baptismo, 
quo  iniquitas  antiqua  pufgata  est,  qui  in  arca  hac  non  fuit  non 
potuit  per  aquam  salvatus  fieri,  ita  nec  nunc  potestper  baptismum 
salvatus  videri,  qui  baptizatus  in  Ecclesia  non  est,  qux  ad  arcse 
unius  sacramentum  dominica  unitate  fundata  est.  En  outre, 
la  qualification  de  traîtres  de  la  foi,  proditores  fidei,  est 
donnée  à  ceux  qui  soutiennent  la  validité  du  baptême  con- 
féré parles  hérétiques.  L'auteur  delà  lettre  leur  reproche  leur 
opinion  et  leur  pratique  comme  une  eri'eur  dans  la  foi,  un 
crime,  une  abomination.  Donc  son  enseignement  bien  formel 
et  soutenu,  non-seulement  avecla  dernière  clarté,  mais  encore 
avec  une  grande  véhémence  et  dureté  de  langage,   est  qu'au- 


318  SAINT  ETIENNE  [Tome  VU. 

cun  évêque  ne  peut  licitement  adopter  cette  opinion  ni  la  suivre 
dans  la  pratique. 

D'autre  part,  dans  la  conclusion  des  lettres  précédentes, 
saint  Cyprien  aurait  déclaré  qu^il  n'entendait  nullement  s'op- 
poser à  ce  que  chaque  évêque  pensât  sur  ce  point  comme 
bon  lui  semblerait  :  Nemini  prxscribentes  aut  pi'xjudïcantes, 
quominus  unusquisque  episcoporum  quod  putat  faciat,  habens 
arbitra  sui  liberam  potestatem  (ep.  ad  Jubaianum).  La  contra- 
diction est  manifeste.  Elle  prouve  que  ces  pièces  sont  l'œuvre 
de  faussaires, 

3.  L'imposture  se  manifeste  encore  par  ce  passage  :  Beatus 
apostolus  Paulus  ad  Timotheum  scribit  et  monet  episcopum  non 
litigiosum  nec  contentiosum,  sed  mitem  et  docibilem  esse  debere. 
L'auteur  de  la  lettre  venait  de  combattre  la  décision  et  l'ordre 
du  Pape  saint  Etienne;  il  venait  de  s'emporter  violemment 
contre  lui  ;  il  se  trouvait,  si  l'on  peut  parler  ainsi,  en  flagrant 
délit  de  contestation  et  d'opposition  la  plus  acbarnée,  et  voilà 
que  tout-à-coup  il  rappelle  qu'un  évêque  doit  être  doux,  patient, 
docile,  ennemi  des  altercations  !  Il  est  impossible  de  supposer 
que  saint  Cyprien  ait  écrit  ainsi.  Il  n'était  pas  assez  dépourvu 
de  sens  pour  ne  pas  voir  que  sa  lettre  était  la  violation  la  plus 
manifeste  de  la  recommandation  de  saint  Paul.  Non,  le  saint 
et  grand  évêque  de  Garthage,  cet  bomme  au  cœur  candide 
[candidissimi  pectoris,  au  dire  de  saint  Augustin),  n'est  pas 
l'auteur  de  ces  indignes  incohérences. 

On  objectera  que  cette  lettre  à  Pompeius  est  mentionnée  par 
saint  Augustin.  Nous  ne  le  contestons  pas;  mais  nous  disons 
qu'en  citant  ces  diverses  pièces  attribuées  à  saint  Cyprien, 
saint  Augustin  n'en  admettait  pas  l'authenticité.  Il  la  révoquait 
en  doute.  Groupons  ici  les  passages  qui  le  prouvent  :  Quanquam 
non  desint  qui  hxc  Cyprianum  prorsus  non  sensisse  contendanty 
sed  sub  ejus  nomine  a  prxsumptoribus  atque  mendacibus  fuisse 
eonfictum.  Neque  enim  sic  potuit  integritas  atque  notifia  littera' 
'"'nm  unius  quamlibet  iilustris  Fpiscopi  custodiri...  (Ep.  ad  Vin- 


Avril  1SC3.]  ET   SAINT   CYPRIEN.  ^  319 

centium  Rogatiamim^  op.  t.  ii,  col.  246,  éd.  Maurin.)  En  par- 
lant de  la  lettre  à  Jubaianiis,  il  dit  :  Vel  sanctus  Cyprianus,  vel 
quicumque  illam  scripsit  epistolam  (contra  Crosconium,  1.  ii, 
c.  32).  Quandiu  aliter  sapuit  Cyprianus,  siscripta  ejus  ésse  constat 
quse  pro  vobis  proferenda  arbitramini  (1,  i.  c.  31).  Nam  et  vos 
profertis  concilium  Cypriani,  quod  aut  non  est  factum,  aut 
cœteris  unitatis  membris,  àquibus  ille  non  divisus  est,  merito  su- 
peratum.  Neque  enim  propterea  sumus  Cypriano  meliores,  si 
tamen  censuit  hxreticos  denuo  baptizari  (contra  Cresconium,  1. 1, 
c.  32).  Puisque  saint  Augustin  révoquait  en  doute  que  saint 
Cyprien  eût  jamais  soutenu  le  sentiment  qu'on  lui  attribue, 
si  tamen  censuit  hxreticos  denuo  baptizari;  puisqu'il  mettait  gé- 
néralement en  question  si  les  pièces  qui  attestent  ce  sentiment 
n'étaient  pas  l'œuvre  de  faussaires,  a  prxsumptoribus  atque  men- 
dacibus  fuisse  con/îctum,  il  est  clair  qu'il  tenait  aussi  pour  sus- 
pecte la  lettre  à  Pompeius.  C'est  donc  en  présupposant  ce 
doutequ'il  faut  entendreces  deux  passages  qu'on  nous  objecte: 
Ad  Pompeium  etiam  scribit  Cyprianus  de  hac  eadem  re,  ubi 
aperte  indicat  Stephanum,  quem  Romanx  Ecclesix  episcopum 
tune  fuisse  didic'imus,  non  solum  sibiad  ista  nonconsensisse,  verum 
etiam  contra  sc7npsisse  ac  prxcepisse  {De  Baptismo,\ïh.  \,  c. 
23).  Jam  illa  qux  in  Stephanum  iratus  effudit,  retractare  nolo, 
quia  et  non  opus  est.  Eadem  quippe  ipsa  dicuntur  qux  jam  satis 
discussa  sunt  ;  et  ea  prxterire  melius  est,  qux  periculum  perni^ 
ciosx  dissensionis  habuerunt.  Sfephanus  auteyn  et  ahstinendos 
putavcrat  qui  de  suscipiendis  hxreticis  priscum  consuetudinem 
convellere  conarentur  :  isteautem  quxstionis  ipsius  difficultate  per- 
motus,  et  sanctis  charitatis  visceribus  largissime  prxditus,  in 
unitate  cum  eis  manendum  qui  diversa  sentirent.  Ita  quamvis  corn- 
motius  sed  tamen  fi^aterne  indignaretur,  vicit  tamen  pax  Christi 
in  cordibus  eorum,  ut  in  tali  discrepatione  nullum  inter  eos  malum 
schismatis  oriretur  (loc.  cit.  c.  25).  Tout  ce  qu'affirme  saint 
Augustin  dans  ces  deux  passages,  il  ne  l'affirme  qu'hypothéti^ 
quement.  Il  a  dit  et  redit  que  l'authenticité  de  ces  pièces  attri- 


520  SAINT  ETIENNE   ET   SAIN  2"   CYPRIEN.  [Tome  VU 

buées  à  saint  Cyprien  n'est  point  prouvée.  Cela  présupposé, 
il  explique  comment  on  devrait  entendre  et  juger  la  lettre  à 
Pompeius,  dans  le  cas  ou  elle  serait  réellement  de  saint 
Cyprien. 

Nous  écarterons  encore  ici  une  autorité  sur  laquelle  on, 
appuie  l'authenticité  de  la  lettre  à  Pompeius.  Dans  l'édition  des 
œuvres  de  saint  Cyprien  par  Baluze,  on  trouve  une  note,  au 
sujet  de  cette  lettre  à  Pompeius,  où  il  est  affirmé  que 
Facundus,  évèque  d'Hermiane  en  Afrique,  en  fait  mention 
dans  son  livre  ad  Mutianum.  J'ai  eu  beau  lire  ce  livre  ad  Mu- 
tianum  {Patrol.  Migne,  t.  lxvii,  col.  854),  je  n'y  ai  trouvé  aucune 
mention  de  la  lettre  de  saint  Cyprien  à  Pompeius.  Il  y  a  seu- 
lement quelques  passages  où  cet  auteur  suppose  réelle  la  con- 
testation entre  saint  Etienne  et  saint  Cyprien.  Facundus  a 
écrit  vers  le  milieu  du  sixième  siècle  ;  et  nous  avouons  que  les 
auteurs  de  cette  époque  et  ceux  qui  les  ont  suivis  ont  cru  à  la 
réalité  du  conflit.  Mais  nous  verrons  plus  loin  que  leur  témoi- 
gnage ne  saurait  être  considéré  comme  une  preuve.  Ils  furent 
trompés  par  les  nombreux  exemplaires  où  les  faussaires 
avaient  intercalé  les  documents  apocryphes. 

D.  Bouix. 


LE  SPIRITISME. 


Deuxième  article. 


I. 


Un  traité  entier  serait  nécessaire  pour  étudier  avec  quelques 
détails  l'intéressante  question  des  esprits  au  point  de  vue  de 
la  doctrine  catholique.  Dans  un  si  vaste  sujet,  nous  ne  pren- 
drons que  les  principaux  points  :  aussi  bien,  ils  suflSront  pour 
montrer  combien  la  doctrine  spirite  est  en  opposition  avec  les 
dogmes  de  la  foi. 

Au  commencement  [ab  initio  temporis,  dit  le  canon  Firmiter 
du  quatrième  concile  deLatran,  1215),  quand  il  voulut  (quando 
voluit,  dit  le  décret  donné  aux  jacobites  par  le  concile  de  Flo- 
rence), par  sa  bonté  et  sa  puissance.  Dieu,  qui  est  un  pur 
esprit,  natura  simplex  omnino,  et  l'unique  principe  de  tout, 
unum  universorum  principium  (can.  Firmiter),  créa  les  choses 
visibles  et  invisibles,  les  spirituelles  et  les  corporelles  :  Utram- 
que  de  nihilo  condidit  creaturam,spiritualem  et  corporalem  :  an- 
gelicam  videlicet  et  mundanam,  ac  deinde  humanam,  quasi  com- 
munem  ex  spiritu  et  corpore  constitutam  {ib.).  Entre  les  esprits 
et  les  corps  se  place,  comme  une  sorte  d'intermédiaire,  la 
nature  humaine.  L'homme  clôt  la  série  des  corps.  En  lui  se 
résume  la  vie  moléculaire,  la  vie  végétative  et  la  vie  animale. 
En  lui  commence  la  série  des  esprits  :  son  âme  est  la  sœur 
des  anges  et  l'image  de  Dieu.  Les  créatures  étaient  bonnes 
dans  le  premier  moment  de  leur  création,  mais,  tirées  du 


322  LE  SPIRITISME.  [rcmeVlI. 

néant,  elles  étaient  changeantes.  Placées  dans  l'état  d'épreuve, 
afin  de  mériter  par  le  choix  du  hien  la  possession  d'un  souve- 
rain honheur,  elles  pouvaient  pécher  :  elles  ont  péché,  Bonas 
quidem,  quia  a  summo  bono  factx  sunt,  sed  mutabiles,  quia  de 
nihilo  factx  sunt  (Décr.  aux  Jacoh.).  Diabolus  entrn  et  alii  dx- 
mones  a  Deo  quidem  natura  creati  sunt  boni,  sed  ipsi  per  se  facti 
sunt  mali  (can.  Firmiter).  Vu  l'extrême  pénétration  de  ces 
esprits,  l'état  d'épreuve  ne  dura  pas  longtemps  pour  eux.  En 
un  instant,  ils  fixèrent  leur  parti;  et  une  fois  fixé,  leur  libre 
arbitre  ne  se  rétracta  pas.  Lucifer  et  plusieurs  anges  pé- 
chèrent par  orgueil  et  furent  précipités  dans  les  feux  de  l'en- 
fer, créé  pour  châtier  à  jamais  leur  inexcusable  faute. 

L'âme  humaine  est  immatérielle,  immortelle  et  la  forme  du 
corps  (conc.  Lat.  v).  Orné  de  dons  naturels,  préternaturels  et 
surnaturels,  le  premier  homme  fut  placé  dans  un  état  d'é- 
preuve. Dieu,  pour  lui  ménager  une  occasion  de  mérite,  per- 
mit au  déman  de  le  tenter,  et  par  la  suggestion  de  l'esprit 
mauvais,  Adam  pécha,  et  toute  sa  postérité  fut  infectée  dans 
sa  source.  Homo  vero  diaboli  suggestione  peccavit  (can.  Firmi- 
ter). De  là  vient  que  le  démon  est  appelé  menteur,  homicide  dès 
le  commencement.  On  n'en  finirait  pas,  si  ou  voulait  rappeler 
les  textes  des  saintes  Écritures,  des  Conciles  et  des  saints 
Pères  qui  parlent  de  la  rage  et  de  la  malice  des  esprits  infer- 
naux. Un  des  principaux  caractères  qu'ils  leur  assignent,  c'est 
la  ruse  et  la  fourberie  ;  c'est  de  se  transformer  en  anges  de 
lumière  pour  séduire  les  âmes.  Dieu,  qui  est  fidèle  et  qui  ne 
permettra  pas  que  des  fidèles  soient  tentés  au-dessus  de  leurs 
forces,  permet  pour  l'épreuve  des  siens  que,  dans  une  mesure 
fixée  par  la  sagesse  et  la  bonté  de  sa  Providence,  les  anges 
mauvais  éprouvent  leur  amour.  Cette  épreuve  est  appelée 
tentation.  Dans  certains  cas,  se  produit  Y  obsession;  dans 
d'autres,  la.  possession. 

Les  anges  restés  fidèles  assistent  en  grand  nombre  devant 
le  trône  du  Seigneur  et  sont  envoyés  en  message  à  cause  des 


Ayril  1863.]  LE  SPIRITISME.  .323 

âmes  qui  doivent  être  sauvées.  Ils  luttent  contre  les  esprits  de 
ténèbres.  Saint  Michel,  celui  qui  terrassa  Satan,  est  le  pro- 
tecteur de  rÉglise  catholique,  c'est-à-dire  de  l'Eglise  mili- 
tante. Admirable  dignité  de  Tâme  humaine,  d'avoir  pour  sa 
défense  et  les  anges  et  la  grâce  même  de  Dieu,  et  de  pouvoir 
lutter,  elle  aussi,  contre  Satan  et  le  terrasser  à  son  tour.  Rien 
de  tout  cela  n'abaisse  le  très-Haut.  Dieu  a  pour  principal  at- 
tribut la  bonté.  Tout  ce  qui  montre  la  bonté  est  souveraine- 
ment digne  de  lui.  Voulant  que  l'âme  mérite  le  bonheur  qu'il 
lui  promet,  il  lui  donne  la  liberté  et  lui  ménage  l'épreuve.  Il 
utilise  le  démon,  qui  est  employé  à  éprouver  les  âmes.  Satan 
ne  peut  que  les  éprouver,  et,  d'un  autre  côté,  ces  mêmes 
âmes  sont  puissamment  secourues.  Donc,  tout  sert  aux  vues 
de  Dieu,  omnia  serviunt  tibi.  Si  Satan  est  déchaîné,  il  a  une 
grande  colère,  parce  qu'il  a  peu  de  temps.  Il  rode  toujours, 
cherchant  à  dévorer  quelqu'un  ;  il  faut  lui  résister  par  la  foi, 
et  il  s'enfuira.  Il  ne  peut  même  s'emparer  des  plus  vils  ani- 
maux sans  que  le  pouvoir  lui  en  soit  donné  :  le  Fils  de  la 
Vierge  lui  écrasera  toujours  la  tête. 

Placées  dans  un  état  d'épreuve  et  de  liberté,  sous  l'influence 
des  bons  et  des  mauvais  esprits,  les  âmes  des  hommes  choi- 
sissent à  leur  gré  le  bien  ou  le  mal,  la  vie  ou  la  mort.  Ce  qui 
leur  plaît  leur  est  donné.  Mais  à  la  mort  tout  sera  fini.  Il  n'y 
aura  plus  de  temps,  c'est-à-dire  plus  de  succession,  c'est-à-dire 
plus  de  changement.  Là  où  Tarbre  sera  tombé,  là  il  restera. 
L'homme  aura  décidé,  il  aura  pris  son  parti.  Respect  sera 
acquis  à  la  chose  jugée.  Le  temps  est  court,  dit  l'Apôtre.  Il 
faut  donc,  tant  que  nous  avons  le  temps,  faire  le  bien.  Le 
saint  concile  de  Florence  définit  comme  un  dogme  éternel  : 
Illorum  animas  qui  in  actuali  peccato  vel  solo  originali  decedunt 
inox  in  infernum  descendere,  pœnis  tamen  disparibus  puniendas. 
Celui  qui  meurt  dans  le  péché  mortel  tombe  à  l'instant  dans 
l'enfer.  Celui  qui  s'en  va  sans  avoir  souillé  l'innocence  baptis- 
male ou  qui  a  entièrement  expié  les  fautes  commises  après  le 


324  LE   SPIRITISME.  [Tome  VII. 

baptême,  entre  de  suite  dans  le  ciel  :  In  cœlum  mox  recipi  et 
intueri  clare  ipsum  Deurn  trinum  et  unum  sicuti  est,  pro  meri- 
iorum  tamen  diversitate  alium  alio  perfectius.  Celui  qui  part  de 
ce  monde  vraiment  pénitent  dans  Tamour  de  Dieu  avant  d'a^ 
voir  entièrement  satisfait  par  ses  omissions  pour  ses  fautes  va 
souffrir  dans  le  purgatoire  :  Eorum  animas  pœnis  purgatoriis 
post  morlem  purgari  (Bulla  Eugen.  iv.  Lsetentur  cœli). 

Les  peines  du  purgatoire  sont  passagères.  La  récompense 
du  ciel  est  éternelle.  Le  paradis  est  un  oui,  un  amen,  un  aile- 
luia,  un  plaisir  qui  ne  finira  jamais  :  Gaudium  vestrum  nemo 
tollet  a  vobis.  Le  damné  brûlera  sans  fin  dans  les  flammes  de 
l'enfer  :  Vcrmis  eorum  non  moritur.  La  parabole  du  mauvais 
riche  dans  saint  Luc  montre  en  un  tableau  saisissant  cette 
double  vérité  de  la  fin  qui  attend  les  hommes.  Le  récit  anti- 
cipé que  Notre-Seigneur  a  fait  du  jugement  dernier,  de  la 
double  et  définitive  sentence  qui  tombera  pour  toujours  sur 
les  bons  et  su^les  méchants,  rend  impie  et  impossible  toute  in- 
certitude sur  un  dogme  si  fondamental.  Venturus  in  fine  sxculi^ 
judicatv.rus  vivos  et  mortuos,  et  redditurus  singidis  secundum 
opéra  sua,  tam  reprobis  quam  electis  :  quiomnescum  suis  propriis 
résurgent  corporibus,  qux  nunc  gestant,  ut  recipiant  secundum 
opéra  sua  sive  bona  fuerinf,  sive  mala  :  illi  cum  diabolo  pœnam 
perpetuam,et  isti  cum  Christo  gloriam  sempite?mam  {can.  Firmi- 
ter).  A  la  fin,  le  corps  ressuscitera  et  se  réunira  à  l'âme  pour 
partager  ou  son  bonheur  ou  son  malheur. 

C'est  là  la  fin  ;  fin  dont  saint  Augustin  dit  quelque  part  :  Talis 
finis  non  habet  finem.  C'est,  pour  parler  avec  toute  la  théologie, 
l'état  de  terme.  L'origénisme,  condamné  notamment  par  le 
V*  concile  œcuménique,  enseignait  contrairement  à  ces  dogmes, 
outre  la  fabuleuse  préexistence  des  âmes,  fabulosam  animarum 
prxexistentiam  (Syn.  v,  can.  i),  une  succession  d'états  angélique, 
animal,  humain,  démoniaque  :  Si  quis  dixerit  ex  angelico  et 
archangelico  statu  animalem  statum  fieri,  ex  animali  autem  dss- 
moniacum  et  humanum  ;  ex  humano  vero  angelos  iterum  dsemo- 


AviiH863.!  LB   SPIRITISME.  325 

nesque  fieri  et  singulos  ordines  cœlestium  virtutum,  etc.  anathema 
sit  (can.  5).  Le  canon  suivant  frappe  d'anatlième  celui  qui 
soutiendrait  entre  autres  choses  qu'il  a  existé  deux  sortes  de 
démons  composées  des  âmes  des  hommes  et  des  esprits  princi- 
paux aussi  tombés  :  Duplex  extiiisse  dsemonum  genus  constans  ex 
animabus  hominum  et  ex  prxstantioribus  spiritibus  ad  hoc  de- 
lapsis... 

L'enseignement  catholique  étant  ainsi  formulé  par  la  sainte 
Église  et  la  théologie,  que  faut-il  penser  d'un  système  qui  af- 
firme qu'il  n'y  a  pas  de  démons  ;  que  les  esprits  ne  sont  autres 
que  les  âmes  des  morts;  que  ces  esprits,  divisés  en  plusieurs 
classes,  s'améliorent  tous,  et  qu'en  ^'améliorant  ils  passent  d'un 
ordre  inférieur  dans  un  ordre  supérieur  ;  «  que  Tincarnation  est 
imposée  aux  esprits,  de  sorte  que  l'âme  avant  d'être  unie  au 
*  corps  existait  et  était  un  esprit  ;  que  parmi  les  différentes 
espèces  d'êtres  corporels,  Dieu  a  choisi  l'espèce  humaine  pour 
l'incarnation  des  esprits  arrivés  à  un  certain  degré  de  développe- 
ment, »  et  que  Tesprit  ne  revêtira  point  de  nouveau  le  corps 
qu'il  avait  animé  ? 

Or,  telle  est  la  doctrine  spirite.  Citons  le  livre  fondamental 
du  spiritisme,  intitulé  \q Livre  des  Esprits.  Au  livre  ii,  chap.i, 
n.  131  (9^  édit.),  on  demande  à  un  esprit  :Y  a-t-il  des  démons 
dans  le  sens  attaché  à  ce  mot?  Voici  la  réponse  :  S'il  y  avait  des 
démons,  ils  seraient  l'œuvre  de  Dieu.  Et  Dieu  serait-il  juste  et  bon 
d'avoir  fait  des  êtres  éternellement  voués  au  mal,  et  malheureux  ? 
Franchement,  tout  ceci  n'est  pas  fort.  L'esprit  qui  parle  ainsi 
doit  être  un  des  esprits  de  la  huitième  classe,  appelés  esprits 
faux-savants.  Mais,  n'importe  !  poursuivons.  S'il  y  a  des  dé- 
mons, c'est  dans  ton  monde  inférieur  et  autres  semblables  qu'Us 
résident  ;  ce  sont  ces  hommes  hypocrites  qui  font  d'un  Dieu  juste, 
un  Dieu  méchant  et  vindicatif  et  croient  lui  être  agréables  par  les 
abominations  quils  commettent  en  son  nom.  Il  y  a  ici  une  allu- 
sion proférée  avec  une  certaine  vigueur.  Comme  s'il  recon- 
naissait la  faiblesse  humiliante  de  cette  réponse,  le  Livre  des 


326  LE   SPIRITISME.  [fonie  VII, 

Esprits  s'empresse  de  la  fortifier  par  une  glose  de  deux  pages 
(pp.  54  et  55).  On  commence  par  dire  que  le  mot  démon  n'im- 
plique ridée  de  mauvais  esprit  que  dans  son  acception  moderne, 
car  le  mot  oai'acov,  d'où  il  est  formé,  signifie  simplement  génie, 
intelligence.  Or,  avec  une  confiance  qui  n'est  pas  dépourvue  de 
courage,  on  démontre  que  les  démons  dans  le  sens  d'esprits 
mauvais  n'existent  pas.  Et  voici  comment  on  raisonne  :  «  Ils 
seraient,  comme  toutes  choses,  la  création  de  Dieu  ;  or,  Dieu, 
qui  est  souverainement  juste  et  bon,  ne  peut  avoir  créé  des 
êtres  préposés  au  mal  par  leur  nature  et  condamnés  pour 
l'éternité.  S'ils  n'étaient  pas  l'œuvre  de  Dieu,  ils  seraient  donc 
comme  lui  de  toute  éternité,  ou  bien,  il  y  auraitplusieurs  puis- 
sances souveraines.  La  première  condition  de  toute  doctrine, 
c'est  d'être  logique  ;  or,  celle  des  démons  dans  le  sens  absolu, 
pêche  par  cette  base  essentielle.  »  Tout  ceci  exhale  une  forte 
odeur  de  manichéisme,  et  repose  sur  cette  hypothèse  que  le 
démon  a  été  créé  mauvais  comme  il  l'est  actuellement.  Or,  la 
foi  enseigne  que  le  mal  n'est  pas  une  chose  existante  physique- 
ment et  que  toute  créature  en  tant  que  créature,  est  bonne: 
Nullamque  mali  asserit  esse  naturam,  quia  omnis  natura^  in  quan- 
tum natura  est,  bona  est  (Décret,  pro  Jacob,  in  Cane.  Flor.)  Créé 
bon  et  libre,  le  démon  s'est  rendu  mauvais.  Jésus-Christ,  ajoute- 
t-on,  parle  du  démon,  mais  quel  seus  donnait-il  à  ce  mot? 
Qu'on  relise  les  nombreux  passages  où  le  Fils  de  Dieu  parle  si 
expressément  du  démon  et  au  démon,  et  ce  sens  sera  clair.  Le 
langage  de  Jésus-Christ  est  allégorique.  Satan  est  évidemment 
la  personnification  du  mal  sous  une  forme  allégorique ^'^q  démon 
ne  peut  désigner  que  la  catégorie  inférieure  des  esprits,  esprits 
imparfaits  qui  murmurent  contre  les  épreuves  qu'ils  subissent  et 
qui  pour  cela,  les  subissent  plus  longtemps,  mais  qui  animeront  à 
leur  tour,  quand  ils  en  auront  la  volonté. 

D'où  il  résulte  que  le  spiritisme  posepour  base  de  sa  doctrine 
une  monstrueuse  hérésie,  la  négation  de  l'existence  des  démons 
entendus  dans  le  sens  de  l'enseignement  catholique. 


Avril  1?G31.  VR  SPIRITISME.  327 

Quant  au  second  point,  c'est  un  axiome,  un  dogme,  une 
règle  de  foi,  l'épigraphe  qui  décore  les  livres  élémentaires  de 
de  la  secte.  On  nie  Texistence  des  démons,  on  ne  nie  pas 
l'existence  des  esprits,  mais  on  répète  sans  relâche  :  Les  esprits 
ne  sont  autres  que  les  âmes  des  hommes  dépouillées  de  leur  enve- 
loppe corporelle. 

Plus  de  démons,  plus  d'anges  selon  la  notion  catholique, 
mais  des  esprits  distribués  selon  l'échelle  spirite  en  trois  ordres, 
et  subdivisés  en  impurs,  légers,  faux-savants,  neutres,  frap- 
peurs, perturbateurs,  bienveillards,  savants,  sages,  supérieurs, 
et  en  purs  esprits  du  premier  ordre.  Créés  égaux,  mais  ne  sa- 
chant pas  d'où  ils  viennent,  il  faut  que  leur  libre  arbitre  ait 
son  cours.  «  Ils  progressent  plus  ou  moins  rapidement  en  intel- 
ligence comme  en  moralité;  Dieu  leur  impose  l'incarnation  dans 
le  but  de  les  fair^e  arriver  à  la  perfection  :  pour  les  uns,  c'est  une 
expiation;  pour  d'autres,  c'est  une  mission.  Mais  pour  arriver  à 
cette  perfection,  ils  doivent  subir  toutes  les  vicissitudes  de  l'exi- 
stence corporelle.  Par  l'incarnation,  l'esprit  supporte  sa  part  de 
travail  dans  l'œuvre  générale  de  la  création. 

«  Qu'est-ce  que  l'âme?  » — «  Un  esprit  incarné.  »  —  «Qu'était 
l'âme  avant  de  s'unir  au  corps?  » — a  Esprit.  »  —  «  Les  âmes  et 
les  esprits  sont  donc  identiquement  la  même  chose  ?»  —  «  Oui; 
les  âmes  ne  sont  que  les  esprits.  Avant  de  s'unir  au  corps,  l'âme 
est  un  des  êtres  intelligibles  qui  peuplent  le  monde  invisible 
et  qui  revêtent  temporairement  une  enveloppe  charnelle  pour 
se  purifier  et  s'éclairer  (1).  »  Ces  espiûts  se  purifient  par  les 
épreuves  qu'ils  traversent  et  s'éclairent  par  l'expérience. 

L'âme  est  la  forme  du  corps,  selon  la  doctrine  catholique. 
Selon  le  spiritisme,  il  existe  dans  l'homme  une  substance  semi 
matérielle,  le  périsprit,  qui  sert  de  première  enveloppe  â l'esprit 
et  unit  l'âme  au  corps  (2).   Cum  ipsa  non  solum  vere  per  se  et 
essentialiter  humanï  corporis  forma  existât,  etc.  (Conc.  Lat.  v). 

Ce  que  l'esprit  n'a  pu  achever  dans  une  existence,  il  l'achève 

0)  Le  Livre  des  Esprits,  p.  38.  —  (2)  Ibid.,  p.  59. 


328  LE  SPIRITISME.  [Tome  VII. 

dans  d'autres  en  se  réincarnant;  ainsi  il  expie,  il  s'améliA-e, 
il  progresse.  L'esprit  qui  avance  vite  s'épargne  des  épreuves. 
Toutefois  ces  incarnations  successives  sont  toujours  très-nombreuses, 
car  le  progrès  est  presque  infini.  Enfin,  après  sa  dernière  incar- 
nation, l'esprit  devient  esprit  bienheureux,  il  est  pur  esprit  (1). 
La  résurrection  des  corps  est  donc  niée  par  le  spiritisme.  Ainsi 
est  renversé  un  des  dogmSs  les  plus  beaux  et  les  plus  formels 
de  la  doctrine  et  de  la  théologie  catholiques.  Par  où  l'on  voit 
laquelle  de  ces  deux  doctrines  honore  le  plus  la  chair,  ou  de 
celle  qui,  après  l'avoir  laissé  souiller  par  tous  les  désordres, 
la  condamne  ensuite  au  néant  pour  toujours,  ou  de  celle  qui 
la  purifie  momentanément  par  des  rigueurs  raisonnables  et 
salutaires  pour  lui  assurer  à  jamais  la  clarté,  la  beauté  et  les 
jouissances  de  l'éternité. 

N'insistons  pas  davantage  sur  un  sujet  trop  évident.  En  ce 
qui  concerne  la  doctrine  des  esprits,  le  spiritisme  est  un  tissu 
d'erreurs  contre  la  foi,  que  nul  ne  peut  soutenir  sans  se  placer 
en  dehors  du  christianisme. 

II. 

Le  grand  caractère  de  la  vie  chrétienne  sur  la  terre,  c'est  la 
lutte  ;  au  ciel  est  la  victoire.  Nul  ne  sera  couronné,  s'il  n'a  lé- 
gitimement combattu.  Personne  n'a  le  droit  de  se  plaindre  ni 
de  murmurer  d'une  telle  condition,  car  les  souffrances  du 
temps  présent  n'ont  pas  de  rapport  avec  la  gloire  qui  les  ré- 
compensera dans  l'avenir,  et  une  légère  tribulation  opère  un 
poids  éternel  de  gloire.  La  lutte  est,  du  reste,  une  délicate  at- 
tention de  la  bonlé  de  Dieu,  qui  nous  ménage  par  e\\&  une  ré- 
compense. La  liberté  et  l'épreuve  constituent  le  grand  élément 
de  la  vie  présente.  Voilà  pourquoi  tout  homme,  à  l'exemple 
de  saint  Paul,  trouve  en  lui  deux  hommes,  et  s'il  se  plaint 
des  importunités  du  mauvais,  il  lui  est  répondu  :  Sufficit  tibi 
gratia  mea  (11  Cor.,  xii,  9);  voilà  pourquoi  tout  est  double, 

(l)/6id.,  p.  73. 


AvriH863.]  LE   SPIRITISME.  329 

unum  cmtra  unum;  voilà  pourquoi  contre  la  vérité  il  y  a  l'er- 
reur ;  contre  les  mystères  du  salut,  les  mystères  d'iniqui- 
tés ;  contre  les  bons  anges  envoyés  pour  ceux  qui  s'assurent 
l'héritage  du  salut ,  les  mauvais  esprits  qui  ne  cessent  de 
pousser  les  âmes  à  leur  perte;  contre  l'Église,  le  monde. 
Cette  lutte  est  la  condition  miséricordieuse  que  Dieu  a  établie. 
Il  faut,  dit  l'Apôtre,  qu'il  y  ait  des  divisions,  afin  que  ceux 
qui  sont  éprouvés  soient  connus.  Celui  qui  n'a  pas  été  éprouvé, 
que  sait-il  ?  On  comprend  le  rôle  précieux  qu'en  de  semblables 
circonstances,  sous  la  main  aussi  puissante  que  miséricordieuse 
de  Dieu,  Satan  et  les  mauvais  anges  sont  appelés  à  jouer 
en  travaillant  malgré  eux  aux  mérites  des  Saints.  Mais 
qu'on  ne  confonde  pas  ce  que  le  Seigneur  permet  avec  ce  qu'il 
veut.  L'esprit  qui  trompa  Achab  vint  avec  la  permission  du 
ciel  (III  Reg.  xxii,  22).  Dieu  ne  veut  pas  l'iniquité  :  il  la  permet, 
il  la  tolère,  elle  entre  dans  le  plan  général  de  sa  providence. 

La  question  n'est  pas  de  savoir  si  ce  plan  convient  ou  non 
au  spiritisme  ;  la  question  est  de  constater  si  ce  plan  est  celui 
que  Dieu  a  établi.  Nul  doute  n'est  possible  à  se  sujet  ;  tous  les 
monuments  du  catholicisme  le  proclament  d'un  commun  ac- 
cord. Gela  étant,  on  peut  facilement  juger  de  la  valeur  du 
bon  sens  que  renferment  les  lignes  suivantes  :  «  Si  le  démon 
seul  peut  se  manifester,  c'est  avec  ou  sans  la  permission  de 
Dieu;  s'il  le  fait  sans  sa  permission,  c'est  qu'il  est  plus  puis- 
sant que  lui;  si  c'est  avec  sa  permission,  c'es^  que  Dieu  n'est 
pas  bon;  car,  donner  à  l'esprit  du  mal,  à  l'exclusion  de  tous  les 
autres,  le  pouvoir  de  séduire  les  hommes,  sans  permettre  aux 
bons  esprits  de  combattre  son  influence,  ne  saurait  être  un  acte 
ni  de  bonté  ni  de  justice;  ce  serait  pire  encore  si,  selon  l'opi- 
nion de  ces  personnes,  le  sort  des  hommes  devait  être  irrévo- 
cablement fixé  après  la  mort  ;  car  alors  Dieu  précipiterait  vo- 
lontairement et  en  connaissance  de  cause  ses  créatures  dans 
les  tourments  éternels  en  leur  faisant  tendre  des  embûches... 
Cette  doctrine  se  réfute  donc  par  elle-même  (assurément,  dirons- 


S'ÎO  LE   SPIRITISME  [Tome  VII. 

nous,  mais  le  malheur  est  que  cette  doctrine  est  Tinvention  des 
spirites  et  nullement  la  doctrine  catholique)  ;  aussi  trouve-t-elle 
trop  peu  de  crédit,  même  parmi  les  indifférents,  pour  mériter 
de  s'y  attacher  davantage  ;  son  temps  sera  bientôt  passé,  et 
ceux  qui  la  préconisent  l'abandonneront  eux-mêmes  quand  ils 
verront  qu'elle  leur  nuit  plus  qu'elle  ne  leur  sert  (1).  » 

Rien  ne  donne  une  plus  grande  idée  de  la  liberté  et  de  la 
dignité  de  l'àme  humaine  que  la  grandeur  de  sa  position  sur 
la  terre  :  Dieu,  Jésus-Christ,  l'Église,  la  grâce,  les  sacre- 
ments, les  bons  anges,  les  prières  des  saints,  tout  est  à  elle. 
Les  mauvais  esprits,  les  hommes  pervers,  l'erreur,  le  men- 
songe, le  mal,  tout  conspire  pour  la  vaincre!  Mais  Dieu  est 
avec  elle,  il  ne  souffrira  pas  qu'elle  soit  tentée  au-dessus  de 
ses  forces  :  elle  ne  sera  vaincue  que  si  elle  veut  capituler. 
Toujours  elle  pourra  dire  :  Je  puis  tout  en  Celui  qui  me  fortifie! 
Et  pour  récompenser  quelques  instants  d'une  lutte  si  prodi- 
gieusement facilitée,  une  couronne  qui  ne  se  flétrira  pas,  un 
poids  éternel  de  gloire  !  Qu'on  l'avoue  de  bonne  foi,  cette 
idée  ne  fùt-elle  qu'une  abstraction,  n'est-elle  pas  grande  et 
Belle  ?  En  quoi  blesse-t-elle  la  raison  ?  Dieu  est  amour, 
l'amour  seul  l'honore;  or,  l'amour  étant  essentiellement 
choix ,  préférence ,  dévouement  et  union ,  il  fallait  que 
l'hcmme  fût  libre  pour  pouvoir  aimer;  pour  qu'il  fût  libre, 
il  fallait  qu'il  pût  choisir  ;  pour  qu'il  pût  choisir  enfin,  il 
fallait  qu'il  eût  devant  lui  le  bien  et  le  mal. 

L'âme  humaine,  sur  la  terre,  a  donc  des  relations  néces- 
saires qu'il  faut  considérer  afin  de  bien  constater  si  ce  sont 
celles  que  le  spiritisme  consacre  et  approuve.  Dieu,  qui  l'a 
créée,  la  conserve  et  la  gouverne  en  respectant  son  libre 
arbitre  :  Magna  reverentia  disponens  nos  (Sap,  xii  18).  L'âme, 
de  son  côté,  doit  connaître,  aimer  et  servir  Dieu.  Les  bons 
anges  sont  envoyés  pour  aider  les  âmes,  pour  les  garder.  L'âme 
doit  les  aimer,  les  respecter,  les  invoquer.  La  sainte  Église 

(1)  Foyage  spirite,  p.  53. 


Avril  1863.1  I-^  SPIRITISME.  331 

chante  dans  sa  liturgie  :  Smicte  Michaël  archangele,  défende  nos 
in  prxlio  ut  non  pereamus  in  tremendo  judicio!  et  elle  enrichit 
de  ses  indulgences  la  prière  que  chaque  fidèle  adresse,  matin 
et  soir,  à  l'ange  gardien.  Les  mauvais  anges  ne  cherchent 
qu'à  perdre,  en  toutes  manières,  les  âmes  :  Cum  omni  nequitia 
eorum  multifoi'mi,  ainsi  que  parle  le  Pontifical  (  de  Ordin. 
exorcist.).  L'âme  doit  les  hair,  leur  résister  par  la  foi,  la  prière, 
la  grâce  de  Dieu,  et  n'avoir  aucun  autre  rapport  avec  eux  :  on 
ne  peut  participer  à  la  table  de  Jésus-Christ  et  à  la  table  des 
démons.  Il  n'y  a  pas  d'union  entre  la  lumière  et  les  ténèbres, 
entre  le  Seigneur  et  Bélial.  Quant  aux  âmes  des  damnés,  leur 
sort  étant  à  jamais  fixé,  elles  sont  dans  une  prison  éternelle. 
Rien  n'y  pénètre.  On  ne  doit  pas  prier  pour  celles  qui  y  sont 
enfermées.  Pour  ce  qui  concerne  les  âmes  du  purgatoire,  on 
peut  et  on  doit  les  soulager  par  les  prières,  les  aumônes  et 
autres  bonnes  œuvres  qui  contribuent  à  les  tirer  du  lieu  de  la 
souffrance  pour  les  faire  entrer  dans  celui  du  rafraîchissement, 
de  la  lumière  et  de  la  paix.  Touchées  de  devoir  aux  hommes 
leur  délivrance,  ces  âmes  garderont  un  doux  souvenir  de  cette 
charité,  et,  parvenues  dans  la  gloire,  elles  reconnaîtront  effi- 
cacement le  plus  grand  des  bienfaits.  Car  les  saints,  à  jamais 
établis  devant  Dieu,  intercèdent  pour  les  âmes  qui  militent 
sur  la  terre,  et,  de  leur  côté,  ces  âmes  les  invoquent  et  les 
imitent.  D'âme  à  âme,  il  doit  exister  sur  la  terre  des  rapports 
de  charité  fraternelle,  de  bonne  édification,  de  prières  et  de 
correction  réciproques. 

C'est  en  cela  que  consistent,  c'est  à  cela  que  se  bornent  les 
rapports  de  l'âme  humaine  avec  les  esprits.  II  serait  facile  de 
justifier,  par  les  preuves  les  plus  décisives  et  les  plus  nom- 
breuses, chacune  des  affirmations  qui  les  établissent.  Ce  se- 
rait peine  inutile  ;  personne  ne  nie  que  ce  soit  là  l'enseigne- 
ment catholique.  Ces  relations,  si  clairement  définies  par 
l'Église  et  la  religion,  sont  les  relations  ordinaires  dont  les 
fidèles  ne  doivent  point  s'écarter.  Dieu,  sans  doute,  peut  ne 


332  LE   SPIRITISME.  [Tome  VU, 

pas  toujours  les  suivre  :  dans  sa  toute-puissance,  il  peut  en 
autoriser  d'autres  ;  il  peut  vouloir^  dans  son  infinie  sagesse 
et  sou  inexprimable  bonté,  qu'il  y  ait  des  apparitions,  des  ma- 
nifestations, des  révélations  extraordinaires  et  surnaturelles. 
Qui  sommes-nous,  pour  lui  prescrire  des  règles  ou  lui  poser 
des  limites?  Il  est  le  maître,  il  fait  ce  qu'il  lui  plait.  Omnia 
qusecumque  voluit  fecit,  dit  le  psalmiste.  Seulement,  comme 
l'illusion  serait  à  craindre  en  pareille  matière,  l'Apôtre  or- 
donne d'éprouver  les  esprits,  si  ex  Deo  sint  (I  Jo.,  iv,  i), 
car  il  ne  faut  pas  ajouter  foi  à  tout  esprit,  dit  le  même  Apôtre. 
Voilà  pourquoi  il  y  a  des  règles  tracées  pour  discerner 
les  esprits  et  pour  reconnaître  les  opérations  divines  dans  les 
âmes.  C'est  la  sainte  Église  qui  prononce  sur  ces  manifesta- 
tions. Notre  sujet  n'exige  pas  que  nous  insistions  sur  ce 
point. 

La  question  se  trouve  en  ce  moment  grandement  simplifiée. 
Il  y  a  avec  les  esprits  les  relations  extraordinaires  que  Dieu 
autorise  et  qui  ne  doivent  être  tenues  pour  divines  qu'après 
examen  et  décision  de  l'autorité  établie  par  le  Seigneur  pour 
régir  les  âmes  et  leur  enseigner  toute  vérité.  Il  y  a  les  rela- 
tions ordinaires  qui  sont  nettement  fixées  par  la  doctrine  ca- 
tholique. La  matière  serait  épuisée  s'il  n'existait  que  ces  deux 
sortes  de  rapports,  mais  il  y  en  a  une  troisième.  Il  reste  à  par- 
ler des  relations  criminelles  avec  les  esprits,  relations  qui 
diffèrent  des  précédentes. 

Qu'il  puisse  exister  un  commerce  criminel  avec  les  esprits, 
cela  est  hors  de  doute.  L'Écriture-Sainte  elle  seule  nous  en 
donnerait  la  plus  irrécusable  démonstration.  Au  chapitre  vu 
die,\' Exode,  les  sages  et  les  magiciens  d'Egypte  contrefont  par 
leurs  enchantements  quelques-uns  des  prodiges  de  Moïse  : 
Fecerunt  etiam  ipsiper  incantationes  ^gyptiacas  et  arcana  qux- 
dam  similiter.  Au  livre  i  des  Rois,  Saiil  consulte  la  pythonisse. 
U Exode  défend  de  laisser  vivre  les  magiciens  (xxii,  18).  Le 
Lévitique  défend  d'aller  les  consulter  (xix,  31)  et  ordonne  de 


Avril  18  3.)  LE   SPIRITISME.  333î 

tuer  rhomme  ou  la  femme  en  qui  sera  un  esprit  de  divina- 
tion (xx,  27).  Le  Deutéronome  apporte  les  mêmes  prohibitions  : 
Nec  sit  maleficus,  nec  incantator,  nec  qui  pythones  consulat ,  nec 
divinos,  aïït  qujîrat  a  mortuis  veritatem  (xviii,  10s.). 

Avant  de  poursuivre,  il  est  nécessaire  de  placer  ici  les  sin- 
gulières réflexions  par  lesquelles  le  spiritisme  croit  échapper 
aux  défenses  si  clairement  portées  par  le  Seigneur,  «  La  pre- 
mière conséquence  à  en  tirer,  dit-il,  c'est  qu'il  est  possible 
d'évoquer  lés  âmes  des  morts  et  de  s'entretenir  avec  elles...  Il 
est  vraiment  curieux  de  voir  les  ennemis  du  spiritisme  reven- 
diquer dans  le  passé  ce  qu'ils  croient  pouvoir  leur  servir,  et 
répudier  ce  passé  toutes  les  fois  qu'il  ne  leur  convient  pas. 
Puisqu'ils  invoquent  la  législation  de  Moïse  en  cette  circonstance, 
pourquoi  n'en  réclament-ils  pas  rapplication  pour  tout  ?  (Parce- 
que,  dans  cette  législation,  selon  la  théologie  et  la  doctrine 
catholique,  il  y  a  une  partie  qui  était  transitoire,  locale,  figu- 
rative et  qui  a  cessé  à  la  venue  de  Jésus-Christ  ;  et  une  partie 
fondée  sur  le  droit  naturel  qui  est  éternelle.  Or,  dans  cette 
partie  est  comprise  la  défense  d'entretenir  avec  les  esprits  des 
rapports  qui  tendent  à  leur  rendre  des  honneurs  qui  ne  sont 
dus  qu'au  vrai  Dieu.)...  Par  sa  défense,  Moïse  fit  acte  de  poli- 
tique et  de  sagesse.  Aujourd'hui,  les  choses  ne  sont  plus  les 
mêmes,  et  ce  qui  pouvait  être  un  inconvénient  alors,  ne  l'est 
plus  dans  l'état  actuel  de  la  société.  Mais,  nous  aussi,  nous 
nous  élevons  contre  l'abus  qu'on  pourrait  faire  des  relations 
d'outre-iombe  et  nous  disons  qu'il  est  sacrilège,  non  de  s'en- 
tretenir avec  les  âmes  de  ceux  qui  ont  vécu,  mais  de  le  faire  avec 
légèreté,  d'une  manière  irrévérencieuse  ou  par  spéculation  ; 
voilà  pourquoi  le  vrai  spiritisme  répudie  tout  ce  qui  pourra  i 
ôter  à  ces  rapports  leur  caractère  grave  et  religieux,  car  là  est 
la  véritable  profanation.  Puisque  les  urnes  peuvent  se  communi- 
quer, ce  ne  peut  être  qu'avec  la  permission  de  Dieu,  et  il  ne  sau- 
rait y  avoir  de  mal  à  faire  ce  que  Dieu  permet  (1).  »  Que   les 

(I)  Foyage  spirite,  p.  54. 


334   '  LE   SPIRITISME.  [Tome  \  II 

âmes  des  morts  puissent  se  communiquer,  cela  est  faux  ;  ce 
sont  les  mauvais  esprits  qui  peuvent  le  faire  au  moyen  d'un 
commerce  coupable.  Les  âmes,  après  la  mort,  étant  dans  l'un 
des  états  que  leur  a  fixé  la  volonté  du  Seigneur,  il  n'est  pas  au 
pouvoir  des  hommes,  selon  la  doctrine  catholique,  de  les  ap- 
peler et  de  leur  faire  rendre  des  réponses.  Si  l'âme  de  Samuel 
apparut  à  Saiil,  ce  fut  par  un  effet  de  la  puissance  de  Dieu  et 
non  par  suite  de  l'évocation  de  la  pythonisse.  Non,  les  âmes 
ne  peuvent  pas  apparaître  au  gré  de  qui  les  évoque.  Le 
pussent-elles,  la  conclusion  qu'on  tire  de  là  n'en  serait  pas 
moins  totalement  fausse. Dieu  permet  qu'on  abuse  de  sa  liberté 
pour  voler  :  ne  saurait-il  y  avoir  de  mal  dans  le  vol? 

Le  Nouveau  Testament  et  les  actes  authentiques  de  l'Église 
s'opposent  à  cette  doctrine.  Au  chapitre  xxiv  de  S.  Matthieu, 
Notre-Seigneur  assure  qu'il  s'élèvera  un  jour  des  faux-christs 
et  des  faux-prophètes,  qui  feront  de  grands  signes  et  des  pro- 
diges, de  manière  à  induire  en  erreur  même  les  élus,  si  cela 
était  possible.  Vers  ce  temps-là  sera  aussi  révélé  cet  impie 
dont  parle  saint  Paul  (II  Thess.  ii,  8)  :  Cujus  est  adventus  se- 
cundum  operationem  Satanx,  in  omni  virtute  et  signis  et  prodi- 
giis  mendacibus.  Et  sans  aller  jusqu'aux  temps  derniers,  les  actes 
des  Apôtres  nous  apprennent  que  Simon  bouleversait  par  ses 
opérations  magiques  toute  la  ville  de  Samarie  (cap.  viii),  et 
que  saint  Paul  chassa  purement  et  simplement  un  esprit  de 
python  du  corps  d'une  jeune  personne  :  Prxcipio  tibi  in  no- 
mine  Jesu  Christi  exire  ab  ea  (xvi,  16  ss.). 

Voilà  donc  la  possibilité  des  opérations  diaboliques  établie  : 
les  saints  Pères  enseignent  d'une  seule  vois  cette  possibilité. 
Parmi  les  choses  possibles,  il  en  est  de  légitimes,  il  en  est  de 
défendues.  Or,  les  relations  avec  les  démons  sont  dans  cette  der- 
nière catégorie,  aussi  bien  d'après  le  Nouveau  Testament  que 
d'après  TAucien.  Les  bulles  des  Souverains-Pontifes,  notam- 
ment la  constitution  Cœli  et  Terrx  de  Sixte  V  (1586),  le  Rituel 
romain  {de  Exorcizandis  obsessis  a  dsemone)  et  les  décisions  ré- 


Avri!  1863.]  LE   SPIRITISME.  33S 

centes  de  la  Sacrée  Pénitencerie  (du  21  avril  1841),  et  du 
Saint -Office  (du  25  juin  1840  et  surtout  du  4  août  1856), 
ne  laissent  pas  à  ce  sujet  le  moindre  doute.  Ces  réponses 
ont  été  rendues  à  l'occasion  du  magnétisme,  mais  elles 
invoquent  des  principes  décisifs  contre  le  spiritisme.  Étant 
éloignés  toute  erreur ,  tout  sortilège  et  toute  invocation 
explicite  ou  implicite  du  démon,  Tacte  simple  d'employer  des 
moyens  humains,  d'ailleurs  licites,  n'est  pas  moralement  dé- 
fendu, pourvu  qu'il  ne  tende  pas  aune  fin  illicite  ou  mauvaise 
eu  quoi  que  ce  soit.  Mais  l'application  de  principes  ou  de 
moyens  physiques  pour  des  choses  et  des  effets  vraiment  sur- 
naturels, n'est  qu'une  déception  tout-à-fait  illicite  et  hérétique. 
Sur  ces  principes,  qui  sont  ceux  de  toute  la  théologie,  le 
Saint-Office,  c'est-à-dire  la  première  de  toutes  les  Congre  gâ- 
tions romaines,  a  déclaré  illusion  illicite,  hérétique  et  scanda- 
leuse, la  pratique  par  laquelle  certaines  personnes  parlent  de 
rehgion  [ac  de  ipsa  religione  instituere],  évoquent  les  âmes  des 
morts  [animas  mortuorum  evocare) ,  reçoivent  des  réponses 
{responsa  accipere),  découvrent  des  choses  ignorées  ou  éloi- 
gnées {ignota  ac  longinqua  detegere),  ou  exercent  d'autres  su- 
perstitions de  ce  genre  [aliaque  id  genus  supèrstitiosa  exercere), 
et  cela  quelque  art  ou  quelque  illusion  qu'on  emploie  {quacum- 
que  demum  utantur  arte  vel  illusioné).  Pour  extirper  un  fléau 
si  nuisible  à  la  religion  et  à  la  société  civile,  le  Saint-Office 
excite  le  zèle  et  la  vigilance  des  évêqucs,  et  l'on  sait  que  les 
évêques  ont  parlé  et  réprouvé  les  pratiques  récentes  par  les- 
quelles on  se  met  en  rapport  avec  les  esprits. 

Parmi  ces  trois  genres  de  relations  miraculeuses,  ordi- 
naires, illioites,  quelles  sont  celles  que  recherche  le  spiritisme? 

a  D'abord,  ni  les  spirites  ni  les  médiums  ne  se  font  passer 
pour  des  christs  ni  des  prophètes;  ils  déclarent  qu'ils  ne  font 
point  de  miracles  pour  frapper  les  sens  et  que  tous  les  phé- 
nomènes tangibles  qui  se  produisent  par  leur  influence  sont 
des  effets  qui  rentrent  dans  les  lois  de  la  nature,  ce  qui  n'e.st 


336  LE   SPIRITISME.  [Tome  VII. 

pas  le  caractère  des  miracles...  En  donnant  Texplication  de 
ces  phénomènes,  qui  sans  cela  eussent  pu  passer  pour  sur- 
naturels aux  yeux  du  vulgaire,  ils  tuent  la  fausse  ambition  qui 
aurait  pu  les  exploiter  à  son  profit  (I).  » 

«  Nous  nous  résumons  dans  les  propositions  suivantes  ; 
l»  tous  les  phénomènes  spirites  ont  pour  principe  l'existence 
de  l'âme,  sa  survivance  au  corps  et  ses  manifestations; 
2° ces  phénomènes,  étant  fondés  sur  une  loi  de  la  nature,  n'ont 
rien  de  merveilleux  ni  de  surnaturel  dans  le  sens  vulgaire  de 
ces  mots  (2) .  »  Tout  le  chapitre  second  du  Livre  des  Médiums 
est  consacré  à  la  démonstration  de  ces  propositions  et  d'autres 
semblables.  Ce  ne  sont  donc  pas  les  relations  miraculeuses 
que  recherche  le  spiritisme.  Que  ce  ne  soient  pas  les  relations 
ordinaires,  cela  résulte  encore  de  la  doctrine  spirite.  t  Les 
esprits  peuvent  se  communiquer  spontanément  ou  venir  à 
notre  appel,  c'est-à-dire  sur  évocation.  Lorsqu'on  désire  com- 
muniquer avec  un  esprit  déterminé,  il  faut  de  toute  nécessité 
l'évoquer...  On  peut  évoquer  tous  les  esprits  à  quelque  degré 
de  l'échelle  qu'ils  appartiennent  :  les  bons  comme  les  mau- 
vais, ceux  qui  ont  quitté  la  vie  depuis  peu  comme  ceux  qui 
ont  vécu  dans  les  temps  les  plus  reculés,  les  hommes  illustres 
comme  les  plus  obscurs,  nos  parents,  "nos  amis,  comme  ceux 
qui  nous  sont  indifférents;  mais  il  n'est  pas  dit  qu'ils  veuillent 
ou  puissent  toujours  se  rendre  à  notre  appel;  indépendam- 
ment de  leur  propre  volonté  ou  de  la  permission  qui  peut  leur 
être  refusée  par  une  puissance  supérieure,  ils  peuvent  en  être 
empêchés  par  des  motifs  qu'il  ne  nous  est  pas  toujours  donné 
de  pénétrer...  Tout  le  monde  peut  évoquer  les  esprits,  et  si 
ceux  que  vous  appelez  ne  peuvent  se  manifester  matérielle- 
ment, ils  n'en  sont  pas  moins  auprès  de  vous  et  vous  écoutent.» 
—  «  Comment  des  esprits,  dispersés  dans  l'espace  ou  dans  les 
différents  mondes,  peuvent-ils  entendre  de  tous  les  points  de 

{\)  Voyage  spirite,  p.  55. 
(2)  Livre  des  Médiums,  p.  ^J. 


Atril  1863.]  LB  SPIRITISME.  337 

Tunivers  les  évocations  qui  sont  faites  ?  d  —  a  Souvent  ils  en 
sont  prévenus  par  les  esprits  familiers  qui  vous  entourent  et 
qui  vont  les  chercher...  L'esprit  que  vous  évoquez,  quel- 
qu'éloigné  qu'il  soit,  reçoit,  pour  ainsi  dire,  le  contre-coup  de 
la  pensée  comme  une  sorte  de  commotion  électrique  qui 
appelle  son  attention  du  côté  d'où  vient  la  pensée  qui  s'adresse 
à  lui.  »  — a  Le  fluide  universel  est-il  le  véhicule  de  la  pensée, 
comme  l'air  est  celui  du  son  ?»  —  «  Oui,  avec  cette  différence 
que  le  son  ne  peut  se  faire  entendre  que  dans  un  rayon  très 
borné,  tandis  que  la  pensée  atteint  l'infini.  L'esprit,  dans  l'es- 
pace, est  comme  le  voyageur  au  milieu  d'une  vaste  plaine,  et 
qui,  entendant  tout-à-coup  prononcer  son  nom,  se  dirige  du 
côté  où  on  l'appelle.  »  —  a  La  pensée  de  l'évocateur  est-elle 
plus  ou  moins  facilement  entendue  selon  certaines  circon- 
stances? » —  a  Sans  aucun  doute  ;  l'esprit,  appelé  par  un  sen- 
timent sympathique  et  bienveillant,  est  plus  vivement  touché  ; 
c'est  comme  une  voix  amie  qu'il  reconnaît;  sans  cela  il  arrive 
souvent  que  l'évocation  ne  porte  pas.  »  —  «  L'esprit  évoqué 
vient-il  volontairement,  ou  bien  y  est-il  contraint  ?»  —  «  Il 
obéit  à  la  volonté  de  Dieu,  c'est-à-dire  à  la  loi  générale  qui  ré- 
git l'univers  ;  et  pourtant,  contraint  n'est  pas  le  mot,  car  il 
juge  s'il  est  utile  de  venir  ;  et  là  est  encore  pour  lui  le  libre 
arbitre.  »  —  a  Y  a-t-il,  pour  l'évocateur,  un  moyen  de 
contraindre  un  esprit  à  venir  malj^ré  lui  ?»  —  «  Aucun,  si 
cet  esprit  est  votre  égal  ou  votre  supérieur  en  morahté,  —  je 
dis  en  moralité  et  non  en  intelligence,  —  parce  que  vous 
n'avez  sur  lui  aucune  autorité  ;  s'il  est  votre  inférieur,  vous 
le  pouvez,  si  c'est  pour  son  bien,  car  alors  d'autres  esprits 
vous  seconderont.  »  —  «  La  précaution  de  faire  la  chaîne  en 
se  donnant  la  main  pendant  quelques  minutes,  au  commen- 
cement des  réunions,  est-elle  utile  ?»  —  «  La  chaîne  est  un 
moyeu  matériel...  Ce  qui  est  plus  utile  que  tout  cela,  c'est  de 
s'unir  dans  une  pensée  commune  ou  appelant,  chacun  de  son 
côté;  les  bons  esprits.  »  —  a  Les  évocations  à  jours  et  heures 
Revue  des  sciences  ecclésiastioubs,  t.  vu-  22-23. 


338        -  LK   SPIRITISME.  [Tome  VU. 

fixes soiit-ellespréférables(l)?  » — «Oui,  etsic'estpossibledans 
le  même  lieu.  »  —  «Peut-on  évoquer  l'esprit  d'un  animal  ?»  — 
«  Après  la  mort  de  l'animal,  le  principe  intelligent  qui  était  en 
lui  est  dans  un^état  latent  ;  il  est  aussitôt  utilisé  par  certains 
esprits  chargés  de  ce  soin  pour  animer  de  nouveaux  êtres 
dans  lesquels  il  continue  l'œuvre  de  son  élaboration.  Ainsi, 
dans  le  monde  des  esprits,  il  n'y  a  pas  d'esprits  d'animaux 
errants,  mais  seulement  des  esprits  humains.  Ceci  répond  à 
votre  question.  »  —  «  Peut-on  évoquer  l'esprit  d'une  personne 
vivante  ?»  —  «  Oui,  puisqu'on  peut  évoquer  un  esprit  incarné. 
L'esprit  d'un  vivant  peut  aussi  dans  ses  moments  de  liberté, 
se  présenter  sans  être  évoqué. — «  Est-il  absolument  impossible 
d'évoquer  l'esprit  d'une  personne  éveillée?  »  — Quoique  diffi- 
cile, cela  n'est  pas  absolument  impossible. — «Deux  personnes, 
en  s'évoquant  réciproquement,  pourraient-elles  se  transmettre 
leurs  pensées  et  correspondre?  »  —  «  Oui,  et  cette  télégraphie 
humaine  sera  un  jour  nn  moyen  universel  de  correspondance  [^).  » 
«Toute  personne  qui  ressent  à  un  degré  quelconque  l'influence 
des  esprits  est  par  cela|mème??2ec?/um.  Cettefaculté  estinbérente 
à  l'homme...  On  peut  donc  dire  qxie  tout  le  monde,  à  peu  de 
chose  près,  est  médium.  Toutefois,  dans  l'usage,  cette  qualifi- 
cation ne  s'applique  qu'à  ceux  chez  lesquels  la  faculté  média- 
nimique  est  nettement  caractérisée...  Les  médiums  ont  géné- 
ralement une  aptitude  spéciale  pour  tel  ou  tel  ordre  de  phéno- 
mènes, ce  qui  en  fait  autant  de  variétés  qu'il  y  a  de  sortes  de 
manifestations.  Les  principales  sont  :  les  médiums  à  effets  phy- 
siques; sensi  tifs   ou    impressibles  ;  auditifs  ;  parlants;  voyants; 

(1)  a  Quand  les  réuaions^onl  lieu  à  'our  et  heures  Oxes,  ils  se  dis- 
posent en  conséquence,  el|  il^(|esl  rare  qu'ils  y  manquent.  Il  en  est 
même  qui  poussent  la  ponctualité  à  l'excès;  ils  se  formalisenl  d'un 
quart  d'heure  de  relard  et  s'ils?assigaent  eux-mêmes  le  moment  d'un 
entretien,  on  les  appellerait  en  vain  un  quart  d'heure  plus  tôt.  » 
[Livre  des  Médiums,  p.  AA'2.) 

(2)  Livre  des  Médiums,  seconde  partie,  chap.  xxv.  Des  évocations^ 
pp.  5o2-383  pa  siw. 


AvriM863.1  LE   SPIRITISME.  339 

somnambules  ;  guérisseurs  ;  fneumatographes  ;  écrivains  ou 
psychographes  (1).  Les  médiums  se  multiplient,  et  il  y  a  peu  de 
groupes  qui  n'en  possèdent  plusieurs,  sans  parler  de  la  quan- 
tité bien  plus  considérable  de  ceux  qui  n'appartiennent  à 
aucune  réunion...  Lyon  a  plusieurs  médiums  dessinateurs 
remarquables;  un  médium  peintre  à  Thuile  qui  n'a  jamais 
appris  ni  le  dessin,  ni  la  peinture.  A  Saint-Jean-d'Angély,  nous 
avons  vu  un  médium  mécanique  qu'on  peut  regarder  comme 
exceptionnel  :  c'est  une  dame  qui  écrit  de  longues  et  belles 
communications  tout  en  lisant  son  journal  ou  en  faisant  la 
conversation,  et  sans  regarder  sa  main.  Il  lui  arrive  même 
quelquefois  de  ne  pas  s'apercevoir  quand  elle  a  fini.  Les  mé- 
diumsillettrés  sont  assez  nombreux  et  l'on  en  voit  assez  souvent 
qui  écrivent  sans  avoir  jamais  appris  à  écrire...  Mais  ce  qni 
est  caractéristique,  c'est  la  diminution  évidente  des  médiums 
à  effets  physiques,  à  mesure  que  se  multiplient  les  médiums 
à  communications  intelligentes  ;  c'est  que,  comme  l'ont  dit 
les  esprits,  la  période  de  la  curiosité  est  passée  et  que  nous 
sommes  dans  la  seconde  période  qni  est  celle  de  la  philosophie. 
La  troisième  qui  commencera  avant  peu,  sera  celle  de  l'appli- 
cation à  la  réforme  de  l'humanité  (2).  » 

«  Les  coups  et  les  mouvements  sont  pour  les  esprits  des 
moyens  d'attester  leur  présence  et  d'appeler  sur  eux  l'attention, 
absolument  comme  lorsqu'une  personne  frappe  pour  avertir 
qu'il  ya  quelqu'un,  II  en  est  quinese  bornent  pas  à  des  bruits 
modérés,  mais  qui  vont  jusqu'à  faire  un  vacarme  pareil  à  celui 
de  la  vaissellequi  se  brise,  de  portes  qui  s'ouvrent  ou  de  meubles 
que  l'on  renverse. 

«  A  l'aide  des  coups  et  des  mouvements  de  convention,  ils 
ont  pu  exprimer  leurs  pensées,  mais  l'écriture  leur  offre  le 
moyen  le  plus  complet,  le  plus  rapide  et  le  plus  commode  raussi 
est-ce  celui  qu'ils  préfèrent.  Par  la  même  raison  qu'ils  peuveit 

(1)  Ih.,  chap.  XIV.  Des  Médiums^  p.  495. 

(2)  Voyage  spirile  e»  1862,  p.  5. 


340  LB  SPIRITISME.  [Tome  VIL 

tous  former  des  caractères,  ils  peuvent  guider  la  main  pour 
faire  tracer  des  dessins,  écrire  de  la  musique,  exécuter  un 
morceau  sur  un  instrument;  en  un  mot,  à  défaut  de  leur 
propre  corps  qu'il  n'ont  plus,  ils  se  servent  de  celui  du  mé- 
dium pour  se  manifester  aux  hommes  d'une  manière  sen- 
sible. 

((  Les  esprits  peuvent  encore  se  manifester  de  plusieurs  ma- 
nières, entre  autres  par  la  vue  et  par  l'audition.  Certaines 
personnes,  dites  médiums  auditifs,  ont  la  faculté  de  les  entendre, 
et  peuvent  ainsi  converser  avec  eux;  d'autres  les  voient;  ce 
sont  les  médiums  voyants.  Les  esprits  qui  se  manifestent  à  la  vue, 
se  présentent  généralement  sous  une  forme  analogue  à  celle 
qu'ils  avaient  de  leur  vivant,  mais  vaporeuse  ;  d'autres  fois, 
cette  forme  a  toutes  les  apparences  d'un  être  vivant,  au  point 
de  faire  complètement  illusion,  et  qu'on  les  a  quelquefois 
prises  pour  des  personnes  en  chair  et  en  os,  avec  lesquelles  on 
a  pu  causer  et  échanger  des  poignées  de  mains,  sans  se  douter 
qu'on  avait  affaire  à  des  esprits,  autrement  que  par  leur  dispa- 
rition subite  (1). 

a  ...  L'on  en  est  déjà  à  pouvoir  communiquer  avec  les 
esprits,  aussi  facilement  et  aussi  rapidement  que  les  hommes 
le  font  entre  eux,  et  cela  par  les  mêmes  moyens  :  l'écriture  et 
la  parole  (2).  »  On  fait  écrire  les  esprits,  au  moyen  d'une  cor- 
beille, au  fond  de  laquelle  est  attaché  un  crayon. 

«  L'écriture  ainsi  obtenue  n'est  pas  toujours  lisible,  les  mots 
n'étant  point  séparés;  mais  le  médium,  par  une  sorte  d'intui- 
tion, la  déchiffre  aisément.  »  Cette  corbeille  s'appelle  cor6e^7/e- 
toupie.  On  lui  substitue  quelquefois  un  carton  assez  semblable 
aux  boites  de  dragées,  a  Plusieurs  autres  dispositions  ont  été 
imaginées  pour  atteindre  le  même  but.  La  plus  commode  est 
celle  que  nous  appellerons  corbeille  à  bec  (3).  » 

(1)  Le  Spiritisme  à  sa  plus  simple  expression,  p.  8. 

(2)  Livre  des  Médiums,  p.  i90. 

(3)  Jb.,  p.  ivl. 


Avril  1B63.I  LE   SPIRITISME.  34i 

<  On  obtient  ainsi  des  dissertations  de  plusieurs  pages,  aussi 
rapidement  que  l'on  écrirait  avec  la  main...  Au  lieu  de  cor- 
beilles, quelques  personnes  se  servent  d'une  sorte  de  petite 
table  faite  exprès  (1).  Toutes  ces  dispositions  n'ont  rien  d'ab- 
solu, la  plus  commode  est  la  meilleure  (2).  » 

«  L'intelligence  qui  agit^,  se  manifeste  souvent  par  d'autres 
signes  non  équivoques.  Arrive  à  la  fin  de  la  page,  le  crayon 
fait  spontanément  un  mouvement  pour  la  retourner  ;  veut-il 
se  reporter  à  un  passage  précédent,  dans  la  même  page  ou 
dans  une  autre,  il  le  cherche  avec  la  pointe  du  crayon, comme 
on  le  ferait  avec  le  doigt,  puis  le  souligne.  L'esprit  veut-il  enfin 
s'adresser  à  Tun  des  assistants,  le  bout  de  la  tige  de  bois  se 
dirige  vers  lui.  Pour  abréger,  il  exprime  souvent  les  mots  oui 
et  non  par  les  signes  d'affirmation  et  de  négation  que  nous  fai- 
sons avec  la  tète  ;  s'il  veut  exprimer  la  colère  et  l'impatience, 
il  frappe  à  coups  redoublés  avec  la  pointe  du  crayon,  et  souvent 
il  le  casse  (3).  » 

a  Nous  appelons  psychographie  indirecte  l'écriture  ainsi  ob- 
tenue, par  opposition  à  la  psychograpkie  directe  ou  manuelle, 
obtenue  par  le  médium  même...  L'esprit  étranger  qui  se  com- 
munique, agit  sur  le  médium;  celui-ci,  sous  cette  influence, 
dirige  machinalement  son  bras  et  sa  main  pour  écrire,  sans 
avoir  (c'est  du  moins  le  cas  le  plus  ordinaire)  la  moindre  con- 
science de  ce  qu'il  écrit  ;  la  main  agit  sur  la  corbeille,  et  la 
corbeille  sur  le  crayon.  Ainsi,  ce  n'est  point  la  corbeille  qui 
devient  intelligente,  c'est  un  instrument  dirigé  par  une  intelli- 
gence; ce  n'est  en  réalité  qu'un  porte-crayon...  Supprimez  cet 
intermédiaire,  vous  aurez  le  même  résultat  avec  un  mécanisme 
beaucoup  plus  simple,  puisque  le  médium  écrit  comme  il  le 
fait  dans  les  conditions  normales  (4).  » 

(1)  Livre  des  Médiums,  p.  H 92. 
(2) /6.,  p.  193. 
(3;  Ib.,  p.  192. 
(i)  Ib.,  p.  -i93. 


3i2  LE    SPIRITI^ME.  ITomeVIl. 

Il  serait  facile  de  traiter  fort  au  long  la  questiou  des  médiums. 
Bornons-nous  à  quelques  détails  significatifs.  On  les  divise  en 
médiums  à  effets  physiques  et  médiums  à  effets  intellectuels. 
Parmi  ceux  de  la  première  catégorie,  on  distingue  les  trypteurs, 
moteurs^k  translations  et  suspensions  (1)  ;  «  Il  en  est  qui  peuvent 
s'élever  eux-mêmes  (2)  ;  »  à  eff'ets  musicaux  :  «  Ils  provoquent 
le  jeu  de  certains  instruments  sans  contact  (3)  ;  »  à  apparitions, 
à  apports,  nocturnes^  pneurnatographes,  guérisseurs^  excitateurs, 
A  la  dernière  classe  appartiennent  les  auditifs,  les  parlants, 
l^s  voyants,  les  inspirés,  les  prophétiques,  les  somnambules,  les 
extatiques ,  les  peintres ,   les  polyglottes ,   —  qui  ont   la  fa- 
culté de  parler  ou  d'écrire  dans  des  langues  qui  leur  sont  étran- 
gères (4)  ;  —  les  illettrés,  —  qui  écrivent  cominê  médiums,  sans 
savoir  ni  lire  ni  écrire  dans  l'état  ordinaire  (5)  ;  —  les  novices,  les 
improductifs,  les  formés,  les  laconiques,  les  explicites,  les  expé- 
rimentés, les  fexibles,  les  exclusifs,  les  versificateurs,  les  histO' 
riens,  les  scientifiques,  les  religieux,  ceux  à   communications 
triviales  et  ordurières  :  —  //  faudrait  une  étrange  aberration 
d'idées  et  avoir  divorcé  avec  le  bon  sens,  pour  croire  qu'un  pareil 
langage  puisse  être  le  fait  de  bons  esptnts  (6).  Cette  phrase  est 
bien  plus  vraie  que  ne  le  croit  celui  qui  l'a  écrite.  Mais  pour- 
suivons ;  nommons  encore  les  médiums  calmes,  les  véloces,  les 
convulsifs,  les  obsédés,  —  qui  ne  peuvent  se  débarrasser  d'esprits 
imposteurs  et  trompeurs,  mais  ne  s'abusent  pas  {!);  —  les  fascinés 
—  qui  sont  abusés  par  des  esprits  trompeurs,  et  se  font  illusion 

(1)  Or,  la  suspension  élhéréenne  des  corps  graves  est  un  fait  expli- 
qué par  la  loi  spirile  :  nous  en  avons  élé  personnellement  témoin 
oculaire,  et  M.  Home,  ainsi  que  d'autres  personnes,  ont  renouvelé  à 
pi  isieurs  reprises  le  phénomène  produit  parsainl  Cuperlin.  {Livre  des 
Médiums,  p.  i9.) 

(2)  Ib.,  p.  223. 

(3)  /ô.,  p.  226. 
(i)  Ib.,  p.  230. 
(b)  /ô,  p.230. 
(6)  Ib.,  p.  233. 
(7) /6.,  p.  237. 


AvrU1863.]  LE   SPIRITISME.  3^iZ 

sur  la  nature  des  communications  qu'ils  reçoivent  {{); — les  subju- 
gués, —  qui  subissent  une  domination  morale  et  souvent  ma- 
térielle de  la  part  de  mauvais  esprits  (2).  Laissons  également 
les  présomptueux,  les  orgueilleux,  les  susceptibles,  les  merce- 
naires, les  ambitieux,  les  jaloux,  les  sérieux,  les  modestes,  les 
sûrs  et  les  dévoués. 

Ajoutons,  en  terminant,  quelques  citations  relatives  aux  ma- 
nifestations visuelles  des  esprits.  «  Celui  auquel  un  esprit 
apparaît ,   pourrait-il  engager  une  conversation  avec  lui  ?  » 

—  «Parfaitement^  et  c'est  même  ce  que  l'on  doit  toujours  faire 
en  pareil  cas.  »  —  a  Gomment,  dans  ce  cas,  Fesprit  peut-il  ré- 
pondre ?»  —  a  II  le  fait  quelquefois  par  des  sons  articulés, 
comme  le  ferait  une  personne  vivante  ;  le  plus  souvent,  il  y  a 
transmission  de  pensées.  »  —  «  Ceux  qui  voient  les  esprits,  les 
voient-ils  par  les  yeux  ?  »»—  «  Ils  le  croient,  mais  en  réalité  c'est 
l'âme  qui  voit;  et,  ce  qui  le  prouve,  c'est  qu'on  peut  les  voiries 
yeux  fermés.» —  «  Comment  l'esprit  peut-il  se  rendre  visible?» 

—  «  Le  principe  est  le  même  que  celui  de  toutes  les  manifesta- 
tions; il  tient  aux  propriétés  du  périsprit,  qui  peut  subir  diverses 
modifications  au  gré  de  l'esprit.»  —  «  Les  esprits  qui  appa- 
raissent, sont-ils  toujours  insaisissables  et  inaccessibles  au  tou- 
cher? »  —  «  Insaisissables  comme  dans  un  songe,  dans  leur 
état  normal  ;  cependant,  ils  peuvent  faire  impression  sur  le 
toucher  et  laisser  des  traces  de  leur  présence,  et  même,  dans 
certains  cas,  devenir  momentanément  tangibles.  »  —  «  Peut- 
on  provoquer  l'apparition  des  esprits  ?» — «Cela  se  peut  quel- 
quefois, mais  très-rarement;  elle  est  presque  toujours  sponta- 
née. Il  faut,  pour  cela,  être  doué  d'une  faculté  spéciale  (3).  » 

On  pourrait  multiplier  ces  citations.  Celles  qui  viennent  d'être 
faites  suffisent,  et  montrent  que  les  relations  du  spiritisme  avec 
les  esprits  ne  sont  pas  les  relations  ordinaires  fixées  par  la 

(I)  là.,  p.  237. 
r2)76.,  p.  237. 
(3)  Jb.,  chap.  VI.  Manifestations  visuelles,  pp.  121-126. 


344  LE   SPIRITISME.  [Tome  VII. 

sainte  Église  catholique.  «  D'après  cet  axiome,  que,  si  tout 
efiet  a  une  cause,  tout  effet  intelligent  doit  avoir  une  cause 
intelligente  ;  on  conclut  que  la  cause  de  ce  phénomène  devait 
être  une  intelligence  (1).  » 

Disons  donc  que  ces  prétendus  fluides  que  l'on  a  décorés  de 
divers  noms,  ne  peuvent  nullement  expliquer  les  effets  désignés 
ci-dessus.  Il  y  a  ici  un  commerce  direct,  formel  et  explicite 
avec  les  esprits. 

La  conclusion  qui  reste  à  tirer  est  donc  que  le  spiritisme 
est  un  commerce  illicite,  coupable  et  hérétique,  entretenu  avec 
les  esprits.  Il  est  essentiellement  cette  évocation  des  morts,  ce 
colloque  sur  la  religion,  cette  recherche  inquiète  sur  les  choses 
inconnues  et  éloignées  dont  parle  le  décret  du  Saint-Office  cité 
plus  haut.  C'est  la  forme  de  superstition  désignée  sous  le  nom 
de  nécromancie.  C'est  le  cas  démoniaque  exprimé  dans  le  Ri- 
tuel romain.  Rien  ne  serait  plus  facile  que  de  le  démontrer,  en 
résumant  les  enseignements  théologiques  donnés  par  tous  les 
moralistes  traitant  du  premier  précepte  du  décalogue. 

N.-G.  Le  Rot. 

(^)  Le  Spirilisme  à  sa  plus  simple  expression,  p.  4. 


DE  LA 


VISION   ONTOLOGIQUE. 


Selon  quelqiieséGrivains,  le  récent  décret  de  la  Congrégation 
du  Saint-OflBce  aurait  seulement  rapport  à  une  certaine  doc- 
trine qualifiée  par  eux  de  pseudo-ontologisme  ;  rontologisme 
proprement  dit  non-seulement  serait  en  tous  points  hors  de 
cause,mais  encore  resterait  lavéritable  expression  du  sentiment 
de  saint  Augustin,  de  saint  Bonaventure,  etc.,  sur  le  grave  et 
difficile  problème  delà  connaissance  intellectuelle.  Le  pseudo- 
ontologisme,  véritable  caper  emissarius  qu'on  livre  très-volon- 
tiers à  toutes  les  censures  possibles,  n'est  autre  chose  en  réalité 
que  le  panthéisme  dans  sa  formule  la  plus  nette  et  la  plus  expli- 
cite. C'est,'  dit-on,  a  l'opinion  de  quelques  catholiques  qui  se  re- 
«  présentent  Dieu  comme  une  essence  universelle  qui  se  com- 
«  munique  elle-même  aux  êtres  finis  en  les  rendant  participants 
«  de  sa  propre  essence  à  un  degré  fini,  en  sorte  que,  d'après 
«  cela,  Dieu  s'identifierait  à  toutes  choses  de  la  manière  dont 
c  la  notion  abstraite  de  l'être  en  général  entre  dans  toutes  les 
«  autres  notions.  »  Se  trouvera-t-il  un  écrivain  catholique  qui 
voudra  bien  reconnaître  son  opinion  dans  cet  étrange  ontolo- 
gisme  ?  Il  y  a  certes  lieu  d'en  douter. 

Cependant  la  S.  Congrégation,  ayant  à  apprécier  cette  doc- 
trine détestable  du  panthéisme,  doctrine  pour  laquelle  l'Église 
a  si  souvent  manifesté  son  horreur,  doctrine  certainement  la 
plus  hideuse  qui  ait  jamais  été  formulée,  s'est  néanmoins  abs- 
tenue d'infliger  aucune  note  théologique,  se  bornant  à  cette 


346  DE   LA.   \'IS10X   ONTOLOGIQUE.  [Tome  VII. 

simple  déclaration  :  Tuto  tradi  non  posse'.  Cette  formule  si 
bénigne,  dans  de  semblables  conjonctures,  indiquerait  une 
modération  vraiment  singulière  et  tout-à-fait  inexplicable. 
Il  y  a  donc  peu  d'apparence  que  le  Saint-Office  n'ait  eu  en 
vue  que  le  pur  pantbéisme. 

L'ontologisme  véritable  qui,  d'après  les  mêmes  écrivains, 
serait  totalement  étranger  à  la  doctrine  formulée  dans  les  sept 
propositions,  revient  à  soutenir:  «  1"  que  les  vérités  fonda- 
«  mentales  de  la  métaphysique  sont  quelque  chose  d'identique 
a  avec  Dieu,  considéré  comme  l'être  infiniment  parfait;  2"  que 
«  l'esprit  humain  peut  percevoir  ces  vérités,  sans  interposition 
«  d'idées  intermédiaires,  dans  l'idée  de  l'être  infini  qui  les 
«  embrasse  toutes  et  qui  est  ainsi  la  lumière  immédiate  de 
«  notre  intelligence  ;  3°  que  cette  lumière  et  ces  vérités,  loin 
«  d'être  quelque  chose  d'identique  avec  notre  esprit,  en  sont 
a  aussi  réellement  distincts  que  la  lumière  physique  est  réel- 
a  lemeut  distincte  de  notre  œil.  » 

Or,  si  l'on  comparait  à  la  doctrine  donnée  comme  suspecte 
par  le  Saint-Office,  ce  double  ontologisme,  ainsi  qu'il  vient 
d'être  formulé,  ne  semblerait-il  pas,  en  prenant  le  seul  texte 
du  décret,  et  eu  laissant  de  côté  les  gloses  des  commentateurs 
ontologistes,  qu'il  s'agit,  non  de  la  contrefaçon,  mais  bien 
de  l'ontologisme  lui-même  ?  La  doctrine  mise  en  suspicion  est, 
en  effet,  celle  qui  affirme  entre  autres  choses  :  «  Immediata 
Dei  eognitio,  habitualis saltem...,est  ipsum  lumen  intellectuale 
(1^  prop.);  omnes  aliae  idese  non  sunt  nisi  modificationes  idese 
qua  Deus  tanquam  eus  simpliciter  intelligitur  (o^prop.).  » 
Mais  sans  insister  davantage  à  cet  égard,  et  sans  vouloir  attri- 
buer à  quelijues  auteurs  particuliers  une  doctrine  suspecte, 
j'arrive  immédiatement  à  mou  objet. 

Ils'agit  d'examiner  brièvement  ici  :  l'si  l'ontologisme,  ainsi 
qu'il  vient  d'être  présenté,  peut  s'appuyer  de  l'autorité  de 
saint  Bonaventure  ;  et  2»  si  la  fameuse  distinction  entre  la  vue 
naturelle  de  Dieu  et  la  vue  de  l'essence  intime  de  Dieu  a  quelque 


Avril  1863.]  DE   LA   VISION  ONTOLOGIQUE.  347 

valeur,  et  fournit  «  une  réponse  décisive  »  aux  objections 
tirées  des  enseignements  de  la  foi  sur  la  vision  intuitive  de 
l'essence  divine. 


I. 


L'ontologisme  véritable  affirme  donc  :  1°  que  les  vérités 
perçues  immédiatement  par  l'esprit  sont  quelque  chose  d'iden- 
tique avec  Dieu,  ou  les  raisons  éternelles  elles-mêmes  ;  2» 
que  la  lumière  immédiate  de  notre  intelligence  consiste  dans 
l'idée  de  l'être  infii)i^  idée  qui  est  également  quelque  chose 
d'identique  avec  Dieu. 

Or,  cette  doctrine  se  trouve-t-elle  réellement  dans  les  écrits 
de  saint  Bonaventure,  et  le  grand  docteur  dont  on  invoque 
sans  cesse  l'autorité,  serait-il  solidaire  du  système  en  ques- 
tion? 

Nous  ne  pouvons  évidemment  rapporter  ici  tous  les  textes 
qui  montrent  combien  l'illustre  théologien  est  étranger 
à  cette  doctrine  qu'on  lui  prête  gratuitement  ;  aussi  nous 
contenterons-nous  de  signaler  quelques  passages  sur  lesquels 
une  certaine  herméneutique,  si  redoutable  au  vrai  sens  des 
auteurs,  aura  peut-être  moins  de  prise. 

I.  Selon  saint  Bonaventure,  Thomme  peut-il  percevoir  les  rai- 
sons éternelles  ou  ces  «  vérités  fondamentales  de  la  métaphy- 
sique qui  sont  quelque  chose  d'identique  avec  Dieu,  »  et  cela 
sans  aucun  intermédiaire? 

1"  Dans  son  commentaire  sur  le  Livre  des  Sentences  (lib.  ir, 
dist.  III,  part,  ii,  art.  ii,  quœst.  ii),  le  grand  docteur  examine  si 
l'ange  peut  naturellement  connaître  l'essence  divine  «  sine 
medio  et  creaturae  adminiculo,  »  et  il  répond  négativement. 
Ensuite,  dans  la  réfutation  des  objections,  il  indique  spéciale- 
ment le  mode  selon  lequel  l'ange  connaît.  «  Gognoscitur  Deus 
per  effectus  visibiles...  et  per  influentiam  luminis  connaturalis  po- 
tentiœ  coguoscentis  quod  est  similitudo  quœdam  non  abstracta 


348  BE   LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  Vif. 

sed  infusa  inferiorDeo.  »  Et  c'est  par  cette  explication  qu'il  re- 
pousse l'objection  tirée  de  ce  que  l'objet  perçu,  qui  est  ici  l'être 
cognoscible  per  se,  ne  peut  être  connu  que  de  deux  manières, 
0  per  sui  essentiam  et  perspeciem,  »  en  montrant  que  cette  di- 
vision est  inadéquate,  et  que  le  véritable  mode  de  connaître  est 
supprimé  dans  cette  enumération  (resp.  ad  4  obj.).  De  plus, 
quand  il  répond  à  la  G*  objection,  qui  consistée  vouloir  établir 
que  l'ange  naturellement  o  cognoscebat  divinam  essentiam  in 
seipsa,  sine  medio,  »  il  ne  se  contente  pas  de  montrer  que  les 
raisons  alléguées  n'ont  aucune  valeur,  mais  encore  il  déclare 
positivement  que  l'ange  connaît  Dieu  «  per  médium,  scilicet 
per  effectum...,  naturaliter  videbatur  per  spéculum  et  per 
vestigium;  »  et  les  termes  de  la  réponse  indiquent  nettement 
la  valeur  que  le  saint  docteur  attribue  à  ces  termes  speculuniy 
vestigium.  Enfin,  il  ajoute  :  a  Necillud  est  contra  Augustinum, 
quia  Auguslinus  vult  quod  intra  mentem  et  Deum  nullum 
cadit  médium,  scilicet  in  ratione  causse,  efficientis  vel  influentis: 
cadit  tamen  médium  manuductionis.  »  Il  termine  par  ces 
mots  qui  peuvent  être  de  quelque  utilité  pour  l'interprétation 
de  certains  termes  obscurs  de  saint  Augustin  et  de  saint  Bona- 
venture  lui-même  :  a  Quod  tamen  non  habet  rationem  medii 
proprie,  quia  magis  subservit  potentise  quam  prœsit.  »  Le 
moyen  proprement  dit  serait  donc  un  principe  supérieur  à  la 
puissance  cognitive,  principe  qui  dirigerait  celle-ci  :  or,  les 
effets  visibles,  qui  constituent  le  médium  manuductionis,  ne  sont 
point  un  principe  supérieur  à  l'intellect  qui  connaît.  En  toute 
hypothèse,  il  est  donc  impossible  que  ce  médium  manuductionis 
soit  l'idée  innée  de  l'être  infini. 

Dans  tout  le  corps  de  l'article,  le  savant  interprète  indique 
clairement  que  ce  mode  de  connaître  doit  être  entendu  de  la 
connaissance  humaine  non  moins  que  de  la  connaissance  angé- 
Ijque  ;  il  déclare  explicitement  qu'il  parle  d'une  manière  ab- 
solue de  la  connaissance  naturelle  de  tout  être  créé.  Au  sur- 
plus, quand  même  il  ne  ferait  aucune  réserve  à  cet  égard,  ses 


A^TiUS63.  DE  L\  VISION  ONTOLOGIQUE.  349 

conclusions  seraient  toujours  applicables  «  f ortio)' i  au.  mode 
selon  lequel  nous  connaissons,  mode  assurément  moins  parfait 
que  celui  de  la  connaissance  angélique. 

La  même  doctrine  se  trouve  également  indiquée  {Ibid.y 
dist.  IV,  art.  m,  q.  1.) 

Il  est  donc  certain  :  1*  que  l'ange  ne  connaît  pas  la  divine 
essence  sine  medïo,  mais  par  un  intermédiaire,  qui  consiste  dans 
les  effets  visibles  de  la  puissance  divine;  et  il  importe  de  répéter 
qu'il  n'est  question  ici  que  de  la  seule  connaissance  naturelle. 
2*  Il  n'est  pas  moins  évident  que  Dieu  ne  concourt  immédiate- 
ment dans  l'acte  de  connaissance  que  comme  cause  efficiente^ 
c'est-à-dire,  amsi  qu'il  sera  montré  plus  loin,  comme  cause 
créatrice  et  conservatrice  de  l'intellect. 

2*  Mais  ailleurs,  saint  Bonaventure  s'occupe  plus  spéciale- 
ment encore  du  mode  selon  lequel  l'homme  connaît.  Il  examine 
d'abord  (lib.  ii,  dist.  xxiii,  art.  2,  quest.  3)  si  Adam  dans  l'état 
d'innocence  «  Deum  cognovit  eo  génère  cognitionis  quam  exspec- 
tamus  in  gloria,  »  et  il  répond  en  déclarant  absolument  et  sans 
distinction  quele  mode  de  connaissance  est  totalement  différent; 
et  bien  qu'à  la  vérité,  dans  cette  question,  il  traite  directement 
de  la  connaissance  surnatureUe,  il  parle  néanmoins  d'une  ma- 
nière absolue  de  la  vision  de  Dieu.  Après  avoir  énuméré  les 
divers  modes  selon  lesquels  Adam  pouvait  voir  Dieu,  per  fidem, 
per  contemplationem,  per  apparitionem ,  per  apertam  visio- 
nem,  il  indique  assez  comment  l'homme  in  statu  miserix  peut 
parvenir  à  cette  vision.  Parlant  donc  d'uue  manière  générale, 
il  déclare  que  nous  voyons  Dieu,  non  dans  son  essence,  «  sed  in 
aliquo  effectu  inferiori,  »  c'est-à-dire,  comme  ajoute  le  saint 
docteur  lui-même,  mediante  spécula,  qui  par  conséquent  ne 
peut  être  quelque  chose  d'identique  avec  Dieu.  Enfin  il  conclut 
en  déclarant  qu'Adam,  même  dans  l'état  d'innocence,  ne  vit 
nullement  Dieu  in  sua  essentia,  mais  que  le  mode  le  plus  intime 
et  le  plus  direct  selon  lequel  il  a  pu  le  voir,  est  la  contempla- 
tion et  l'apparition. 


350  DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  VII. 

Maintenant,  si  l'on  veut  objecter  que  les  textes  cités  en  der- 
nier lieu  ne  sont  en  aucune  sorte  applicables  à  la  question 
présente,  puisqu'il  s'agit  spécialement  de  la  connaissance  sur- 
naturelle, la  réponse  est  facile.  Si  la  vision  immédiate  n'a  point 
lieu  ici-bas,  même  avec  la  lumière  surnaturelle  de  la  grâce,  à 
plus  forte  raison  ne  peut-elle  pas  avoir  lieu  par  l'intuition 
naturelle.  Ensuite,  saint  Bonaventure  lui-même  (lib.  1  Sent.^ 
dist.  3,  art.  4,  quœst.  2)  se  charge  de  résoudre  l'objection  : 
a  Deus,  dit-il,  qui  est  artifex  et  causa  creaturœ,  per  ipsam 
cognoscitur.  Et  ad  hoc  duplex  est  ratio  :  una  est  propter  con- 
venientiam,  alia  est  propter  indigentiam...  Propter  indigentiam, 
quia  cum  Deus  tanquam  lux  summe  spiritualis  non  possit 
cognosci  in  sua  spiritualitate  ab  inteliectu  ;  quasi  materiali  luce 
indiget  anima  ul  cognoscat  ipsum,  scilicet  per  crealuras.  > 

Il  est  donc  évidentque,  d'après  saint  Bonaventure,  notre  mode 
soit  naturel,  soit  surnaturel,  de  connaître  Dieu  ici-bas,  diffère 
totalement  de  celui  selon  lequel  les  bienheureux  le  contemplent, 
et  que  cette  différence  n'est  pas  seulement  quantitative,  mais 
vient  de  ce  que  ceux-ci  voient  immédiatement  la  divine  es- 
sence, taudis  que  nous  ne  pouvons  la  connaître  que  par 
certains  intermédiaires,  par  des  effets  extérieurs  et  visibles, 
par  les  créatures,  en  un  mot,  par  des  opérations  ad  extra.  Ce 
n'est  donc  pas  dans  quelque  chose  d'identique  avec  Dieu  que 
nous  connaissons  Dieu. 

II.  La  lumière  immédiate  de  notre  intelligence  est-elle  quel- 
que chose  d'identique  avec  notre  esprit  ou  d'identique  avec 
Dieu  ?  Nous  trouvons  encore  dans  le  même  commentaire  une 
réponse  claire  et  précise  à  cette  question  (lib.  2,  dist.  xxiv, 
part,  i,  art.  2,  q.  4).  Saint  Bonaventure  examine  entre  autres 
choses,  en  quoi  consiste  l'intellect  agent  «  qui  se  habet  sicut 
lux  intellectus  (possibilis  sicut  quid  iliuminatum  a  luce).  » 
Cette  lumière  intellectuelle,  ou  en  d'autres  termes,  l'intellect 
agent  est-il  quelque  chose  d'identique  avec  notre  esprits  une 
de  nos  facultés,  ou  bien  quelque  chose  d'identique  avec  Dieu 


Avril  1863.]  DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUi:.  331 

lui-même,  qui  ey^a  t  lux  vera  qux  illuminât  omnem  hominem... 
etc  ?  Le  sainl  docteur,  après  avoir  rapporté  et  condamné  l'opi- 
nion d'Averrhoès,  qui  fait  de  Tintellect  agent  une  substance  sé- 
parée, arrive  à  examiner  le  sentiment  de  ceux  qui  prétendent 
que  l'intellect  agent  n'est  autre  chose  que  Dieu  lui-même  illu- 
minant notre  esprit  ;  il  rapporte  plusieurs  textes  de  saint 
Augustin  sur  lesquels,  dit-il,  cette  opinion  est  fondée  ;  puis, 
déclarant  d'abord  que  les  paroles  de  ?aint  Jean, rapportées  plus 
haut,  n'ont  aucun  rapport  à  la  question  présente,  il  arrive 
enfin  à  la  réfutation  de  ce  sentiment.  Bien  que  Dieu  concoure, 
dit-il,  comme  cause  principale  à  l'opération  de  toutes  ses  créa- 
tures, «  dédit  tameu  cuilibet  vim  activam  per  quam  exiret  in 
operationem  propriam  :  sic  credendum  est  indubitanter  quod 
animae  humanse  non  tantummodo  dederit  intellectum  possibi- 
lem  sed  etiam  agentem,  ita  quod  ulerque  est  aliquid  ipsius 
animx,  ». 

Mais  il  ne  se  contente  point  de  cette  déclaration.  Dans  les 
réponses  à  diverses  objections  qu'il  rapporte  encore  (2®,  3''), 
il  explique  nettement  de  quelle  manière  Tintellect  agent  est  la 
lumière  de  l'esprit.  Il  réprouve  même  (et  ceci  est  digne  de 
remarque)  une  explication,  parce  qu'elle  est  contraire  au  sens 
d'Aristote  :  a  Iste  modus  dicendi  verbis  philosophi  non  con- 
sonat,  »  ce  qui  indique  qu'il  n'entend  point  condamner  l'opi- 
nion de  ce  philosophe.  Il  montre  donc  que  l'intellect  agent 
«  ordinatur  ad  abstrahendum  a  phantasmatibus.  »  Dans  sa 
réfutation  de  la  troisième  opinion,  il  déclare  en  outre,  d'après 
saint  Denys  l'Aréopagite,  que  les  substances  intellectuelles 
•  lumina  sunt,  »  et  que  l'intellect  agent  a  est  quoddam  lumen 
in  ipsa  anima,  de  quo  lumine  potest  intelligi  illud  psalmi  : 
Signatum  est  super  nos  lumen  vultus  tui  Domine.  » 

Insistant  encore,  dans  l'épilogue  de  la  question,  sur  le  rôle  de 
l'intellect  agent  dans  l'acte  de  la  connaissance,  il  ajoute  :  et  âem- 
per  est  in  actu  non  quia  semper  anima  actu  intelligat,  sed  quia, 
sicut  lumen  corporale  semper  lucet  et  de  se  promptum  est  ad 


352  DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  VIL 

illuminandum,res  autem  illuminabilis  non  semper  illuminatur, 
etc.  »  Donc,  dans  la  pensée  du  saint  Docteur,  ce  n'est  nulle- 
ment l'idée  de  l'être  infini  qui  est  la  lumière  immédiate  de  notre 
intelligence,  ce  n'est  point  quelque  chose  a  d'aussi  étranger  à 
notre  esprit  que  la  lumière  physique  l'est  à  notre  œil.  »  Du 
reste,  il  est  bien  évident  que  Dieu,  dans  notre  acte  de  connais- 
sance, nous  prête  le  concours  général,  comme  dans  toutes  nos 
autres  opérations,  mais  il  n'intervient  pas  d'une  manière  dif- 
férente. Quand  donc  saint  Bonaventureet  saint  Thomas,  et  cela 
d'après  saint  Augustin,  appellent  l'intellect  agent  lumen  parti- 
cipatum,  lumen  derivatum  e  lumine  divino,  quand  ils  lui  appli- 
quent les  paroles  du  psalmiste,  ces  expressions,  d'après  ce 
qu'on  vient  de  voir,  signifient  que  Dieu  répand  immédiatement 
cette  lumière  dans  notre  âme  par  un  acte  créateur,  et  que  cette 
lumière  est  sa  lumière  comme  notre  être  est  son  être  :  ce  sont 
des  dons  divins  :  cette  action  créatrice  est  immédiate  :  ce  qui 
revient  à  dire  que  l'effet  produit  ou  l'intellect  implique  rela- 
tion rée'.le  et  immédiate  à  sa  cause,  et  nullement  à  un  intermé- 
diaire quelconque. 

L'intellect  agent  est  rapporté  par  appropriation  à  la  lumière 
divine,  au  Verbe  di\iny  lumen  de  lumine,  attendu  que  c'est  spé- 
cialement en  cette  faculté,  ainsi  que  le  saint  Docteur  aime  à 
le  répéter,  que  consiste  la  lumière  de  l'entendement.  Ce  sont 
ces  expressions  métaphoriques  qui  ont  causé  toutes  les  mé- 
prises des  ontologistes  contemporains  sur  la  véritable  pensée 
de  saint  Augustin,  de  saint  Bonaveuture,  etc.  De  ce  qu'il  n'y 
a  aucun  intermédiaire  entre  le  Créateur  et  la  faculté  créée, 
entre  la  lumière  divine  et  la  lumière  de  l'intelligence  humaine, 
ils  concluent  abusivement  que  l'objet  immédiat  de  cette  faculté 
est  ce  même  Créateur;  et  avec  cette  étrange  règle  d'interpré- 
tation, il  est  facile  de  trouver  partout  des  témoignages  favo- 
rables. 

Mais  il  suflBt  de  lire  avec  un  peu  d'attention  les  écrits  de 
saint  Augustin,  de  saint  Bonaventure,  de  saint  Thomas,  etc. 


ATriH863.1  DE   LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  355 

pour  reconnaître  qu'ils  savent  faire  une  distinction  entre  le 
principe  et  l'objet  de  la  connaissance.  Ils  affirment  tous  que  Dieu 
est  immédiatement  présent  à  Tintelligence  comme  cause  de  la 
lumière  intelligible  qui  est  en  nous  :  mais  nulle  part  ils  n'affir- 
ment que  notre  faculté  illuminatrice  se  tourne  vers  sa  cause 
efficiente  pour  la  percevoir  immédiatement.  Le  texte  de  saint 
Bonaventure,  que  nous  venons  de  rapporter,  ne  peut  laisser 
aucun  doute  sur  la  pensée  du  docteur  séraphique  :  l'in- 
tellect agent  est  une  faculté  abstractive  «  quee  se  convertit 
ad  phantasmata.  » 

Le  langage  de  saint  Bonaventure  est  donc  le  même  que 
celui  de  saint  Thomas.  Il  y  a  toutefois  une  différence  entre 
ces  deux  grandes  lumières  de  l'Église  :  c'est  que  l'Ange  de 
l'École,  avec  son  étonnante  précision  et  sa  profondeur  incom- 
parable, a  exploré  cette  question  dans  toute  son  étendue,  et 
réfuté  d'avance  toutes  les  erreurs  modernes  ;  sa  terminologie 
si  nette  et  si  rigoureusement  déterminée,  ne  peut  laiser  au- 
cune prise  aux  interprétations  forcées.  Saint  Bonaventure,  au 
contraire,  s'est  occupé  moins  spécialement  de  la  connaissance 
intellectuelle,  et  de  plus,  bien  que  sa  pensée  soit  nette  et  suffi- 
samment exprimée,  son  langage  n'a  jamais  toute  la  précision 
de  celui  de  saint  Thomas. 

III.  Après  avoir  montré  l'opposition  qui  existe  entre  la 
doctrine  de  saint  Bonaventure  et  l'erreur  de  Malebranche,  ré- 
habilitée de  nos  jours  et  diversement  modifiée  par  Gioberti  et 
ses  disciples,  il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de  certains 
passages  de  Vltinerariurn,  sans  cesse  invoqués  comme  favora- 
bles à  l'ontologisme.  Comme  cette  contradiction  apparente 
entre  divers  écrits  du  saint  Docteur  vient  simplement  d'une 
fausse  interprétation,  nous  commencerons  par  rappeler  cer- 
tains principes  d'herméneutique  trop  souvent  oubliés  dans 
ces  matières. 

L'école  philosophique  que  nous  combattons  s'est  attachée 
à  peu  près  exclusivement    à   un  écrit  ascétique    de  saint 


334  DE    LA  VISION   ONTOLOGIQUE.  [Tome  VIL 

Bonaventure,  V Itmei^ariiim  mentis  ad  Deum,  et  a  négligé,  non 
sans  motifs,  les  ouvrages  où  la  question  est  traitée  ex  professa 
et  au  véritable  point  de  vue  dont  il  s'agit.  Or,  d'après  un  prin- 
cipe certain  d'exégèse,  un  auteur  grave,  comme  saint  Bona- 
venture,  ne  peut  être  accusé  de  contradiction,  qu'autant  qu'il 
est  impossible  de  concilier  les  oppositions  apparentes  ou  ré- 
elles; les  textes  obscurs  doivent  être  interprétés  au  moyen  des 
textes  clairs,  les  termes  vagues  et  indéterminés  par  les  termes 
précis  et  nettement  définis,  genus  per  speciem,  et  enfin,  un 
traité  spécial  et  didactique  est  le  critérium  au  moyen  duquel 
on  doit  déterminer  le  sens  de  tous  les  textes  accessoires  sur  la 
même  matière.  Mais  dans  le  commentaire  cité,  l'auteur  s'at- 
tache à  expliquer  spécialement  la  nature  même  de  la  connais- 
sance intellectuelle,  tandis  que,  dans  Vltinerarhim,  il  veut  dé- 
termiuer  les  lois  elles  moyens  de  la  contemplation  acquise  (1). 
Comment  l'âme  peut-elle  utiliser  tous  ses  moyens  de  connaître 
pour  s'élever  graduellement,  a  ascensu  cordiali,  »  et  avec  le 
secours  de  la  grâce,  «  per  virtutem  superiorem  nos  elevan- 
tem  (cap.  1),  »  jusqu'à  la  jouissance  du  bien  suprême;  telle 
est  la  question  qui  constitue  l'objet  de  Y Itinerarium.  Le  Com-« 
mentaire  est  donc  un  traité  spécial  où  le  problème  de  la 
connaissance  est  abordé  directement  et  traité  d'une   manière 


(1)  Les  auteurs  ascétiques  distinguenl  la  conlemplalion  acquise  de 
la  coDleraplation  infuse:  celle-ci  est  due  à  une  action  toute  spéciale 
de  Dieu  qui  applique  l'inielligence  à  considérer,  et  la  voionlé  à  aimer 
les  vérités  de  la  foi. 

La  contemplation  acquise  s'obtient,  au  contraire,  par  le  travail  per- 
sonnel de  l'homme  aidé  des  secours  ordinaires  de  la  grâce,  «  cum 
gratiee  cooperatione  ex  magna  animi  industria,  »  selon  l'expression 
de  Richard  de  Saint-Victor.  Elle  se  subdivise  en  affirmalive  et  7iéga- 
tive;  on  la  nomme  alTirmalive  lorsqu'elle  s'ai;ache  à  attribuer  à  Dieu 
toutes  les  perfections  qui  sont  dans  les  créatures;  négative,  lorsque, 
procédant  via  remotionis,  elle  nie  de  Dieu  le  mode  selon  lequel  toutes 
les  perfections  possibles  peuvent  se  trouver  dans  les  créatures. 

C'est  celte  conlemplalion  acquise  qui  fait  l'objel  principal  de  Vlti- 
nerarium. 


Avril  1863.]  DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  355 

didactique,  tandis  que  l'Jtinerarium  est  un  écrit  mystique, 
rempli  de  figures,  de  métapliores,  et  où  il  est  question  spéciale- 
ment de  l'ordre  surnaturel.  Il  est  donc  incontestable  que  sur  le 
point  qui  nous  occupe,  c'est  le  Commentaire  qui  doit  servir  de 
règle  pour  interpréter  Vltïnerarium,  s'il  vient  à  toucher  à  la 
même  question.  Et  tel  est  le  premier  principe  d'herméneutique 
que  nous  tenions  à  rappeler. 

Nous  invoquerons  en  second  lieu  un  autre  principe  d'une 
évidence  non  moins  palpable  :  Les  textes  n'ont  de  force  pro- 
bante qu'autant  qu'ils  ont  rigoureusement  rapport  au  point 
précis  qui  est  en  question.  Il  importe  donc  de  déterminer  net- 
tement quel  est  ce  point  controversé,  qui  devrait  être  établi 
par  l'autorité  de  saint  Bonaventure. 

1°  Il  résulte  d'abord  de  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  par  le  doc- 
teur séraphique  lui-même,  qu'il  s'agit  ici,  non  d'une  intuition 
quelconque  des  choses  dans  les  raisons  éternelles,  mais  de  cette 
intuition  qui  a  lieu  dans  la  lumière  divine  considérée  objecti- 
vement et  non  comme  pinncipe  de  connaissance.  Et  comme 
nous  touchons  véritablement  ici  à  lasource  principale  de  toutes 
les  méprises,  il  est  nécessaire  de  préciser  la  nature  de  cette 
distinction  fondamentale  ;  nous  allons  donc  dans  ce  but  rap- 
porter les  paroles  mêmes  de  saint  Thomas,  qui  s'exprime  sur 
ce  point  avec  sa  netteté  et  sa  profondeur  habituelles  (l  p.,q.  4, 
art.  5).  Dans  cet  article,  le  saint  docteur  examine  d'une  ma- 
nière spéciale  si  nous  connaissons  tontes  choses  dans  les  raisons 
éternelles.  «  Aliquid  in  aliquo  dicitur  cognosci  dupliciter, 
dit-il.  Uno  modo  sicut  in  objecta  cognito  :  sicut  aliquis  videt  in 
speculo  ea  quorum  imagines  in  speculo  résultant;  et  hoc  modo 
anima  in  statu  prœsentis  vitee  non  potest  videre  omniainratio- 

nibus  seternis Alio  modo  dicitur  aliquid  cognosci  in  aliquo 

sicut  in  cognitionis  priucipio.  Sicut  si  dicamus  quod  in  sole 
vWentur  ea  quse  videntur  per  solem,  et  sic  necesse  est  dicere 
quod  anima  humana  omnia  cognoscat  in  rationibus  seternis, 
per  quarum  participationem  omnia  cognoscimus.  Ipsum  enim 


3S6  DE   LA.  VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  Vil. 

lumen  intellectuale  quod  est  in  nobis  nibil  est  aliud  quam 
qucedam  participata  similitudo  luminis  increati  in  que  conti- 
nentur  rationes  seternae.  » 

On  voit  par  ce  texte  qu'aucun  témoignage  ne  peut  avoir  de 
valeur  ici  qu'autant  que,dans  ce  témoiguage,il  s'agira  des  rai- 
sons éternelles  ou  de  la  lumière  incrée  considérée  comme  o6;'e^, 
et  non  comme  principe  de  notre  connaissance.  A  toutes  les 
citations  où  il  serait  question  d'une  manière  vague  et  générale, 
soit  de  l'union  de  notre  esprit  à  la  vérité  éternelle,  soit  de  Dieu 
comme  source  de  toute  intelligibilité,  etc.,  on  peut  et  on  doit 
répondre  comme  saint  Bonaventure  lui-même  à  l'objection 
tirée  du  texte  :  E rat  lux  vera,  elc.  :  Nihil  ad  propositum. 

2°  Mais  cette  première  distinction  ne  suffit  pas  pour  circon- 
scrire la  question  dans  ses  véritables  limites.  Saint  Tbom as  as- 
surément ne  nie  pas  que  l'essence  divine,  que  les  raisons 
éternelles,  etc.,  en  un  mot,  que  Dieu  ne  puisse  être  l'objet  de 
notre  connaissance.  Il  est  bien  évident  que  nous  connaissons 
Dieu  d'une  manière  quelconque,  et  par  conséquent  que  notre 
esprit  peut  avoir  pour  objet  l'essence  divine  elle-même  ;  mais 
ce  que  nie  le  saint  Docteur,  c'est  que  la  lumière  incréée,  les 
raisons  éternelles,  etc.,  en  un  mot,  «  tout  ce  qui  est  identique 
avec  Dieu,  »  soit  pour  nous  ici-bas  l'objet  direct  et  immédiat 
de  l'intuition  intellectuelle.  De  cette  nouvelle  distinction  il  ré- 
sulte encore  qu'aux  textes  qui   déclareraient  d'une  manière 
générale  et  indéterminée,  «  que  notre  connaissance  a  pour  ob- 
jet la  vérité  immuable,  la  lumière  éternelle,  l'intelligible  di- 
vin, etc.,  on  peut  opposer  la  même  fin  de  non  recevoir  :  Nihil 
ad  propositum.  Il  s'agit  donc  exclusivement  de  l'essence  divine 
vue  en  elle-même,  et  non  in  imagine,  in  spécula,  in  vestigio,  in 
sônigmate,  in  alïqua  idea,  et  par  suite  d'une  connaissance  in- 
tuitive et  non  discursive,  de  la  perception  directe  et  non  de 
la  perception  réflexe.  • 

3°  Enfin,  il  y  aurait  encore  une  réserve  importante  à  faire 
sur  ce  qu'on  a  appelé  l'illumination  objective  des  créatures  par 


Avril  1863.]  DE   LA   VISION  ONTOLOGIQUE.  357 

Dieu^  source  de  toute  lumière  et  de  toute  vérité.  De  mêine 
que  saint  Thomas  et  saint  Bonaventure  nomment  l'intellect 
agent,  lumen  participatum^  lumen  derivatum,  participatasimili- 
tudo  luminis  increati,  etc.,  et  par  métonymie  lumen  vultus 
Domini,  ils  désigneront  également  les  créatures  par  les  appel- 
lations de  miroirs,  de  vestiges,  etc.,  de  Dieu  lui-même.  N'est- 
il  pas  évident  que  tout  ce  que  les  créatures  possèdent,  être, 
vérité,  intelligibilité,  perfection,  est  une  certaine  participation 
ou  un  reflet  de  l'être,  de  rintelligibilité,  de  la  bonté  de  Dieu 
lui-même  ?  Quand  donc  les  auteurs  ascétiques  excitent  l'àmeà 
s'élever  du  spectacle  du  monde  visible  à  la  contemplation  de 
Dieu,  sicut  ex  auditu  citharx,  comme  dit  S.  Grégoire  de  Nysse, 
mens  ad  cithm^œdum  currit;  quand  ils  s'efforcent  de  ne  voir  dans 
le  monde  et  les  créatures  que  des  images  de  la  suprême  per- 
fection, leurs  expressions,  assurément,  n'ont  aucun  rapport  à 
l'ontologisme.  Ces  auteurs  expriment,  dans  un  langage  plus  ou 
moins  imagé,  la  doctrine  commune  sur  les  rapports  de  la 
créature  avec  le  Créateur.  De  là  il  résulte  encore  que  les 
textes  où  il  serait  dit  d'une  manière  générale  et  indétermi- 
née que  Dieu  touche  immédiatement  la  créature,  qu'il  lui 
communique  Têtre,  la  vérité  ou  rintelligibilité,  et  que  celle-ci, 
par  conséquent,  participe  à  la  lumière  céleste,  à  la  vérité  éter- 
nelle, ces  textes,  dis-je,  n'ont  aucun  rapport  rigoureux  et  pré- 
cis à  la  question:  Nihil  ad  propositum.  Ils  ne  peuvent  être  in- 
terprétés dans  le  sens  de  la  vision  en  Dieu,  qu'autant  qu'on 
les  interprétera  en  même  temps  dans  le  sens  du  panthéisme. 
Ils  n'auront  donc  de  valeur  pour  confirmer  l'ontologisme  que 
lorsqu'on  aura  démontré  que  cette  vérité  ou  que  cette  intelli- 
gibilité des  créatures  n'est  point  leur  réalité  ou  leur  vérité 
propre,  donum  descendens  a  Pâtre  luminum,  mais  «  quelque 
chose  d'identique  avec  Dieu.  » 

Après  avoir  rappelé  ces  principes  généraux  qui,  à  mon  sens, 
suffisent  pour  faire  disparaître  bien  des  équivoques  et  couci- 


338  DE  L4  VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  VU. 

lier  la  plupart  des  contradictions  apparentes,  il  reste  à  dire 
quelques  mots  de  VltineraiHum. 

Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  V itinerarium  est  un  écrit 
ascétique,  dont  le  but,  nettement  indiqué  dans  le  premier  cha- 
pitre, est  d'élever^graduellement  Thomme,  «  ascensu  cordiali,» 
à  la  possession  du  Bien  suprême.  Cette  ascension  ne  peut 
avoir  lieu  qu'avec  le  secours  de  la  grâce  :  «  Nihil  fit  nisi  di- 
vinum  auxilium  comitetur;  »  et  ce  secours,  ajoute  le  saint 
docteur,  s'accorde  à  ceux  «  qui  petunt  ex  corde  humiliter  et 
devote^(c.  1).  » 

Par  les  sept  degrés  qui  constituent  V Itinerarium,  l'homme 
«  disponere  se  débet  ad  conseendendum  in  Deum  ut  ipsum  di- 
ligat  ex  tota  mente,  ex  toto  corde,  Qic.[Ibid.).yi  Enfin,  l'auteur 
déclare  encore  que,  pour  s'élever  ainsi  à  Dieu,  il  faut  tendre  à 
sortir  de  la  voie  purgative  {Ibid.).  Il  s'agit  donc  du  mouve- 
ment surnaturel  de  l'âme  vers  Dieu,  qui  est  le  Bien  suprême; 
il  s'agit  de  ramener,  sous  l'impulsion  de  la  volonté  compénétrée 
par  la  grâce,  toutes  nos  connaissances  â  la  contemplation  de 
la  source  primordiale  de  toute  vérité  ;  il  s'agit  de  considérer 
toutes  choses,  les  créatures,  qui  sont  hors  de  nous,  puis  notre 
âme,  etc.,  sous  la  raison  formelle  d'image?,  de  miroirs,  de  ves- 
tiges de  Dieu;  il  s'agit  enfin, non  plus  de  l'intuition  des  objets, 
qui  sont  images  de  Dieu,  mais  de  la  connaissance  de  ces  ob- 
jets, en  tant  qu'images  de  Dieu. 

Ce  mode  de  connaissance  présuppose  nécessairement  la  pré- 
existeuce  eu  nous  du  type  dont  nous  contemplons  l'image,  ou 
de  l'idée  de  Dieu  ;  aussi  saint  Bonaventure  a-t-il  eu  soin  de 
déclarer  qu'il  s'adressait  à  l'âme  déjà  entrée  dans  les  voies  de 
l'ascétisme  (c.  4),  et  qui,  par  conséquent,  aurait  de  Dieu  une 
connaissance  très-parfaite.  En  un  mot,  il  est  manifeste  qu'il 
s'agit,  non  de  voir  tout  en  Dieu,  mais  de  voir  Dieu  en  toutes  ses 
ceuvres,  de  faire  de  Dieu  non  ïobjet  immédiat,  mais  la  fin  et  le 
terme  de  toutes  nos  opérations,  et  cela,  en  remontant  sans 
cesse  ab  imis  ad superiora,  a  temporalibus  ad  xterna,  c'est-à-dire. 


AvriH863.]  ""  DB  I<A  VISION  ONTOLOGIQUE.  359 

au  principe  et  à  la  fin  de  toutes  choses,  à  la  raison  première 
et  dernière  de  tout  ce  qui  existe.  C'est  donc  au  développement 
de  ce  procédé  de  réduction  de  toutes  nos  connaissances,  pro- 
cédé qui  réforme  graduellement  toutes  nos  facultés,  sens, 
imagination, intelligence^ raison,  etc.,  qu'est  consacré  Vltinera- 
rium.  Le  saint  docteur  s'attache,  par  conséquent,  à  montrer  la 
relation  réelle  et  nécessaire  de  tout  être  créé  et  même  possible  à 
Dieu  créateur,  qui  est  la  raison  primordiale  de  tout  ce  qui  est  ; 
il  envisage  donc  directement,  non  l'ordre  logique  de  la  géné- 
ration des  idées,  mais  l'ordre  ou  la  relation  ontologique  des 
choses.- On  retrouve  le  même  procédé  dans  un  autre  opuscule 
de  saint Bonaventure  :  de Redudione  artiumad  Theologiam. 

Ce  simple  et  rapide  coup  d'œil  sur  la  nature  de  V Itinerarium 
suffit  pour  concilier  toutes^les  contradictions  qu'on  impute  à  S. 
Bonaventure,  à  cette  puissante  intelligence, si  versée  dans  toutes 
les  parties  de  la  science  théologique.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu 
de  revenir  ici  sur  les  textes  déjà  expliqués  plus  haut  par  ce 
simple  énoncé  du  véritable  état  de  la  question;  il  nous  reste 
seulement  à  dire  un  mot  de  la  grande  objection  tirée  du  ch.iii, 
la  seule  qui  puisse  présenter  un  côté  sérieux.  Il  s'agit  dans  ce 
chapitre  de  Speculatione  Deï  per  suam  imaginera  naturalibus 
potentiis  insignitam.  La  première  partie  qui,  comparée  au  cha- 
pitre v,  fournit  la  difficulté  en  question,  est  consacrée  à  éta- 
blir que  les  opérations  de  la  mémoire  et  de  l'intelligence  ont 
leur  raison  dernière  dans  l'exemplaire  divin.  L'auteur  montre 
d'abord  que  l'intelligence  et  la  certitude  complètes  des  termes, 
des  propositions  et  des  déductions  dépend  du  concept  de  l'être, 
qui  est  le  plus  universel;  mais  comme  l'être  universalissimum 
embrasse  rêtrefini  et  l'être  infini,  l'être  en  puissance  et  l'être 
en  acte,  etc.,  et  d'autre  part,  comme  tout  ce  qui  est  négatif  ne 
peut  être  connu  que  par  ce  qui  est  positif,  il  résulte  de  là  que 
le  concept  vraiment  primordial  est,  non  celui  de  l'être  abstrait 
et  indéterminé,  mais  celui  de  l'infini,  et  acte  pur. 
Or,  à  cette  prétendue  difficulté  on  peut  encore  répondre  : 


360  DE  Là  vision  ontologique.  [Tome  vil. 

Nihil  ad  propositum.  Il  est  évident,  en  effet,  qu'il  s'agit  ici,  non 
d'une  priorité  logique  dans  la  génération  des  idées  en  nous, 
mais  de  l'antériorité  de  nature  des  notions  ou  plutôt  des 
choses  conçues  considérées  en  elles-mêmes;  il  s'agit  de  la 
gradation  naturelle  de  tous  ces  concepts  considérés  objective- 
ment, et,  partant,  S.  Bonaventure  établit,  non  l'ordre  psycho- 
logique de  nos  connaissances,  mais  le  rapport  ontologique  des 
choses  connues  :  ne  procède-t-il  pas,  en  effet,  par  voie  d'ana- 
lyse de  l'élément  objectif  de  nos  conceptions  ?  Or,  il  y  a  une 
grande  différence  entre  l'ordre  psychologique  de  nos  con- 
ceptions et  Tordre  ontologique  des  choses  conçues.  Ontologi- 
quement,  la  cause  est  antérieure  à  l'effet,  le  principe  à  la 
conclusion,  les  notions  élémentaires,  à  la  notion  complexe  qui 
les  embrasse  dans  sa  compréhension;  et  néanmoins,  nous 
pouvons  connaître  la  chose  qui  est  effet  avant  de  connaître 
sa  cause,  la  vérité  qui  est  conclusion,  avant  son  principe,  la 
notion  complexe,  du  moins  d'une  manière  confuse,  avant  de 
percevoir  distinctement  les  notions  élémentaires  qu'elle  ren- 
ferme; l'ordre  psychologique  peut  donc  être  différent  de 
l'ordre  ontologique. 

Toutefois,  la  connaissance  ne  peut  être  complète  et  par- 
faite ou  adéquate,  qu'autant  qu'elle  atteint  l'effet  dans  sa 
cause,  la  conclusion  dans  son  principe,  etc.  :  c'est  la  lumière 
du  principe  qui  illumine  la  conclusion  ou  lui  donne  sa  certi- 
tude; c'est  l'intelligibilité  des  notions  élémentaires  qui  con- 
stitue rinteUigibilité  de  la  notion  complexe.  On  voit  par  là 
que  saint  Bonaventure  a  entendu  parler  de  cette  connaissance 
adéquate  des  choses,  qui  perçoit  celles-ci  selon  leur  ordre  ou 
leur  antériorité  de  nature. 

Ensuite,  il  n'est  pas  moins  évident  qu'il  s'agit,  dans  ce 
chapitre,  non  de  la  connaissance  directe,  mais  de  la  connais- 
sance réflexe;  l'analyse  des  concepts,  consistant  en  un  retour 
sur  les  notions  acquises,  appartient  par  conséquent  à  Tordre 
des  perceptions  réflexes.  Or,  la  question  controversée  entre 


Mars  1863.]  DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  361 

les  disciples  de  saint  Thomas  et  ceux  de  Malebranclie  et  de 
Gioberti,  n'a  rapport  qu'à  la  seule  intuition  directe. 

Ainsi,  pour  tout  résumer  en  un  mot,  l'ordination  naturelle 
de  tous  les  êtres  réels  ou  logiques  consiste  en  ce  que  Dieu  est 
la  source  primordiale  et  la  raison  dernière  de  toutes  choses; 
si  donc  nous  connaissions  immédiatement  les  êtres  selon  leur 
loi  hiérarchique,  nous  devrions  les  contempler  d'abord  dans 
leur  principe  ou  dans  l'exemplaire  divin  ;  nous  connaî- 
trions tous  les  possibles  dans  l'essence  divine  comme  dans 
leur  exemplaire  virtuel,  et  dans  la  sagesse  éternelle  comme 
dans  leur  exemplaire  formel  (  Lessius,  de  Perf.  div.,  lib.  v, 
cap.  2)  :  la  connaissance  n'est  adéquate  qu'à  cette  con- 
dition. Aussi  Dieu  connaît-il  de  cette  manière.  Mais  comme 
notre  esprit  est  borné,  imparfait,  comme  notre  connaissance 
est  discursive,  il  arrive  que  nous  ne  pouvons  nous  élever  im- 
médiatement à  contempler  cet  ordre  essentiel  des  choses,  se- 
lon le  mode  même  d'après  lequel  l'intelligence  infinie  le  con- 
temple. 

Enfin,  le  saint  Docteur  nous  fait  arriver,  via  remotionis,  à 
l'idée  de  Dieu,  après  le  concept  de  l'être  abstrait,  ce  qui 
montre  suffisamment  de  quel  ordre  il  entend  parler  (1).  Je  passe 
sous  silence  les  textes  nombreux  qui,  dans  Vltinerarium,  con- 
firment clairement  la  doctrine  du  commentaire.  Sans  pouvoir 
m'arrêter  ici  plus  longtemps  sur  ces  questions  si  vastes  de  la 


(1)  Il  est  inconteslable  que  dans  l'ordre  des  principes  intrinsèques 
*  si...  ullimum  quseris,  Ipsum  est  entis  ratio  cum  lis  omnibus  quae 
entiuniversimspecialoconveûiunt.  »  (P.  Tongiorgi,  Inst.phil.  Proleg). 
Jhis  comme  Tordre  mental  et  logique  présuppose  nécessairement 
Tordre  réel  et  physique,  le  terme  dernier  de  notre  analyse  des  prin- 
cipes intrinsèques  accuse  immédiatement  Tordre  des  principes  extrin- 
sèques. Or,  «  si  quaeris  ultimum  in  principiis  extrinsecis,  hoc  est  Ens 
independens  et  necessarium  quod  est  Deus  (/6id.)-i  Ces  vérités,  dont 
saint  Bonavenlure  donne  la  démonstralion,  n'ont  rien  de  commun 
avec  Toûtoloeisme. 


362  DE   LA   VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  VII. 

source  des  possibles  ou  des  pures  essences,  et  des  rapports  de 
l'exemplarisme  divin  avec  l'idéologie,  je  me  contenterai,  en 
terminant,  d'appeler  l'attention  sur  un  chapitre  de  saint 
Thomas,  où  le  docteur  angélique,  tout  en  tenant  la  même 
doctrine  que  saint  Bonaventure,  s'exprime  avec  une  telle  pré- 
cision, que  ses  paroles  sont  le  vrai  commentaire  des  chap.  iii 

et  V  de  Vltinerarium  {Contra  gent.,\\h.  m,  cap.  47  per  totum). 
Toute  la  pensée  de  saint  Thomas  se  trouve  résumée  dans  ce 
passage,  où,  après  avoir  cité  le  texte  de  saint  Augustin  : 
Scientiarum  spectamina  videntur  in  divina  veritate,  sicut  visibi- 

lia  in  lumine  solis,  il  ajoute  ;  Qux  constat  non  videri  in  ipso 
corpore  solis,  sed  per  lumen,  quod  est  similitudo  solaris  clari- 
tatis. 

E,  Grandglaude. 


DES  SUPPLEMENTS  AU  RITUEL  ROMAIN. 


CONDITIONS  DE  LEUR  LÉGITIMITÉ. 


Pour  éviter  l'équivoque,  précisons  avant  tout  ce  que  nous 
entendons  ici  par  un  supplément  au  Rituel  romain.  Il  pourrait 
se  faire  que,  dans  un  diocèse,  l'autorité  ecclésiastique  publiât, 
à  la  suite  du  Rituel  romain  et  sous  le  nom  de  supplément,  cer- 
taines formules  de  prôue,  d'actes  de  baptême,  de  mariage, 
de  sépulture,  certains  décrets  épiscopaux  ou  synodaux,  cer- 
taines exhortations,  et  autres  pièces  semblables.  Une  collection 
de  ce  genre,  qui  n'ajouterait  ni  ne  changerait  rien  aux  pre- 
scriptions du  Rituel  romain,  n'est  pas  ce  que  nous  désignons 
sous  le  nom  de  supplément.  Par  ce  terme,  nous  entendons  ce 
qui  affecterait  le  Rituel  lui-même ,  soit  par  voie  d'addition, 
comme  en  publiant  de  nouvelles  bénédictions  ecclésia- 
stiques, en  prescrivant  des  cérémonies  ou  des  formules 
en  dehors  de  celles  que  prescrit  le  Rituel  romain  ;  soit  par 
voie  de  dérogation,  comme  en  assignant,  pour  certains  points, 
des  cérémonies  ou  des  formules  autres  que  celles  du  même 
Rituel. 

C'est  des  suppléments  entendus  dans  ce  dernier  sens,  que 
traite  notre  présent  article.  Nous  disons  qu'ils  sont  illégitimes 
tant  que  la  S.  Congrégation  des  Rites  ne  les  a  pas  approuvés. 

1"  Dans  la  série  des  ouvrages  condamnés  parles  règles  géné- 
rales de  l'Index,  §  rv,  on  rencontre  les  suivants  :  Benedictiones 


364  DES  SUPPLÉMENTS  AU  RITUEL  ROMAIN.  [Tome  VII 

omnes  ecclesiasticsb,  nisi  appy^obatx  fuerint  a  Saa^a  Ritmim  Con- 
gregatione.  —  Rituali  Romano  additiones  omnes  factx  aut  fa- 
ciendx  post  reformationem  Pauli  V,  sine  approbatione  Sacr3& 
Congregationis  Rituum.  Comment  ne  pas  voir  que  cette  con_ 
damnation  frappe  les  suppléments  au  Rituel  romain,  à  moins 
qu'ils  ne  soient  approuvés  par  la  S.  Congrégation  des  Rites? 
Qu'on  prenne  séparément  chacune  des  prescriptions  dont  se 
composent  ces  suppléments.  Ou  elles  sont  en  sus  de  celles  que 
contient  le  Rituel,  et  dès  lors  c'est  une  addition  réprouvée  par 
le  texte  cité  ;  ou  elles  modifient  la  prescription  du  Rituel  ro- 
main, et  alors  ce  qu'elles  ofirent  de  différent  est  encore  une 
addition  j  ou  enfin  elles  ordonneraient  ou  permettraient 
d'omettre  un  point  prescrit  par  le  Rituel  romain,  et  cet  ordre 
ou  cette  permission  introduirait  par  là  même  un  rit  différent, 
et  serait  aussi  une  addition.  Toute  addition  au  Rituel  romain 
se  trouvant  proscrite,  tout  supplément  (entendu  dans  le  sens 
déterminé  plus  haut)  se  trouve  par  là  même  proscrit.  Non- 
seulement  on  ne  doit  pas  s'y  conformer  dans  la  pratique, 
mais  on  ne  peut  pas  même  le  lire  ni  le  garder,  attendu  qu'il 
est  au  nombre  des  livres  prohibés. 

2°  Un  décret  de  Clément  VIII,  faisant  également  partie  des 
règles  générales  de  V Index,  s'exprime  ainsi  :  Quse.  autem  cor- 
rectione  atque  expurgatione  indigent,  fere  hs&c  sunt  qux  sequun- 
tur  ....  qux  contra  sacramentorum  rituè  et  cxremonias, contraque 
receptum  usum  et  consuetudinem  sanctx  Romanx  ecclesix  no- 
vitatem  aliquam  inducuni.  Ce  qui  représente  authentiquement 
la  pratique  et  l'usage  de  l'Église  romaine  {receptum  usum  et 
consuetudinem  sanctx  Romanx  ecclesix),  c'est  le  Rituel  romain, 
tel  qu'il  est,  sans  rien  de  plus,  sans  rien  de  moins.  Ajouter  ou 
changer  quelque  chose  au  Rituel  romain,  c'est  donc  introduire 
une  nouveauté  contre  la  pratique  approuvée  par  l'Église  romaine, 
ce  que  condamne  le  décret  cité  de  Clément  YIII.  Or,  tout  sup- 
plément au  Rituel  romain  ajoute  ou  change  quelque  chose  à  ce 
Rituel  ;  sans  quoi  il  ne  serait  pas  un  supplément çro^^rement  dit. 


Avril  1863.]  DES   SUPPLÉMENTS  AU   RITUEL  ROMAIN.  365 

3°  Dans  une  cause  relatée  sous  le  numéro  4,684  de  la  der- 
nière édition  de  Gardellini  (Ariminensis,  7  aprilis  1832),  on  de- 
mande à  la  S.  Congrégation  des  Rites,  si  l'on  peut  user  de  cer- 
tains   livres    contenant   diverses  formules  de  bénédictions, 
quoique  ces  livres  ne  soient  pas  approuvés  par  la  S.  Congré- 
gation. Voici  les  termes  de  la  réponse  :  Illi  soli  libri  adhibendi, 
et  in  mis  tantum  benedictionibus,  qux  fBituali  romano  sunt  con- 
formes. On  ne  peut  donc  employer  que  des  livres  conformes  au 
Rituel  romam. Si,  par  exemple,  on  imprime  au  bout  d'un  diurnal 
ou  dans  un  autre  livre  les  formules  de  bénédictions  du  liituel 
_romain,  ou  bien  la  partie  qui   concerne  l'administration  du 
saint  Viatique  etdel'Extréme-Onction,  etc.,  on  pourra  se  servir 
de  ce  livre,  quoique  ce  ne  soit  pas  le  Rituel  romain  lui-même. 
Ce  livre  est  conforme  au  Rituel  romain,  puisque  la  partie   ri- 
tuelle qu'on  y  a  insérée,  est  textuellement  la  même  que  celle 
du  Rituel  romain.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  supplé 
ments.  Ou  par  voie  d'addition,  ou  par  voie  de  modification  et 
de  dérogation,  ils  diffèrent  du  Rituel  romain,  ils  ne  lui  sont 
pas  conformes,  et  par  «conséquent  l'usage  n'en  est  pas  licite. 

4o  Dans  une  autre  cause,  relatée  sous  le  numéro  4748  de  la 
dernière  édition  de  Gardellini  [Ordinis  Minorum,  23  maii  1835), 
le  neuvième  doute  est  ainsi  conçu:  Anformulx  benedictionum  quse 
inveniuntur  in  libris  ab  Ordinariis  tantum  locorum,  et  non  ab  Apo- 
stolica  Sede  approbatis,  retinendx  sint,  adeo  ut  in  benedictionibus 
perficiendis  iisdem  uti  valeant  sacerdotes,  cotta  et  stola  induti? 
il  fut  répondu  :  Detur  decretum  in  Ariminensi,  diei  1  aprilis 
1832,  ad  quintum;  nec  alise,  adhibeantur  ,  dummodo  non  constet 
ab  hac  Sacra  Congregatione  fuisse  adprobatas.  S'il  est  des  supplé- 
ments au  Rituel  romain  qui  contiennent  des  formules  de  béné- 
dictions autres  que  celles  du  Rituel  romain  lui-même,  et  qui 
portent  l'autorisation  de  l'Ordinaire,  mais  non  celle  du  Saint- 
Siège,  il  est  clair  que,  selon  les  deux  dernières  décisions  rap- 
portées, l'usage  de  ces  bénédictions  doit  être  regardé  comme 
illicite.  Que  conclure  des  eff'orts  de  certains  ecclésiastiques  pour 


36G  DFS  SUPPLÉMEÎfTS   AU   RITDEL   ROMAIN.  [Tome  VII. 

maintenir  ces  sortes  de  suppléments,   et  même  pour  en  ren- 
dre Tiisage  obligatoire!  Nous  ne  doutons  pas  que  leur  inten- 
tion ne  soit  louable  ;  mais  assurément  leur  zèle  en  ce  point 
n'est  pas  selon  la  science.  En  alléguant  sans  cesse  la  déférence 
due  à  Vautorité,  comment  ne  s'aperçoivent-ils  pas  qu'ils  se 
condamnent  eux-mêmes  ?  Si  l'autorité  principale,  celle  qui  est 
au-dessus  de  toutes  les  autres,  celle  du  Saint-Siège,  réprouve 
ces  suppléments,   en  quoi  peut  consister  le  devoir  de  l'obéis- 
sance due  à  Vautorité,  si  ce  n'est  à  s'abstenir  de  ces  formules 
illicites  et  réprouvées  ?  Uue  loi  générale  de  l'Église  les  met 
au  nombre  des  écrits  prohibés  :  Rituali  Romano  additiones  omj 
nés,  est-il  dit  dans  l'énumération  des  livres  déclarés  proscrits 
par  l'autorité  du  Saint-Siège.  Parlant  au  nom  de  la  même  au- 
torité, une  des  Congrégations  romaines  décide  dans  le  même 
sens.  (Qu'elle  autorité  opposera-t-on  à  cette  autorité  ? 

D'ailleurs  si  l'on  tient  aux  additions  contenues  dans  un  sup- 
plément et  qu'on  les  croie  utiles,  pourquoi  ne  pas  remplir  la  for- 
malité qui  seule  peut  les  rendre  légitimes?  Est-il  si  difficile 
de  demander  l'approbation  de  la  Congrégation  des  Rites  ? 

50  Dire  que  le  Rituel  romain  n'est  pas  obligatoire,  et  que  si 
l'évêque  peut  imposer  un  Rituel  particulier  à  son  diocèse,  il 
peut  à  plus  forte  raison  imposer  un  supplément  au  Rituel  ro- 
main, c'est  défendre  une  erreur  par  une  autre  erreur.  Les 
autorités  que  nous  venons  de  produire  'contre  la  légitimité  des 
suppléments,  suffiraient  pour  prouver  que  le  Rituel  romain  est 
oliligatoire.  En  effet,   toutes  les  formides  de  bénédictions  autres 
que  celles  du  Rituel  romain,  et  toutes  les  additions  à  ce  Rituel 
étant  à  l'Index,  comme  nous  l'avons   vu  plus   haut,  il  suit 
évidemment  que  tout  Rituel  autre  que  le  romain  se  trouve  pro- 
scrit. Car  tout  rituel  diocésain,  par  cela  seul  qu'il  différera  du 
romain ,  contiendra  de  ces  bénédictions  et  de  ces  additions.  Il 
.contiendra  aussi  des  rites  et  des  cérémonies  contraires  à  la 
pratique  approuvée  par  l'Église  romaine  (contra  receptum  usum 
et  consuetudinem  sanctx  Romanx  Ecclesix),  et  tombera  par  con- 


Avril  1863.]  DES   SUPPLÉMENTS   AU  RITUEL   ROMAIN.  ûC7 

séquent,  encore  à  ce  titre,  sous  le  coup  de  la  condamnation 
prononcée  par  les  règles  générales  de  l'Index.  Les  rituels  dif- 
férents du  romain  se  trouvent  encore  atteints  par  ce  décret 
de  la  S.  Congrégation  des  Rites  ;  Illi  soli  libri  adhibencU  et  in 
Mis  tantum^  benedictionibus  quse  rituali  Romano  sunt  conformes. 
A  ces  autorités  déjà  citées  nous  ajouterons  quelques  nouvelles 
preuves. 

Le  7  septembre  1850,  la  S.  Congrégation  des  Rites  répondit 
à  un  prêtre  du  diocèse  de  Troyes  à  propos  de  la  bénédiction 
du  Saint-Sacrement  :  In  ea  Rituale  Romanum^  cujus  leges  uni- 
versahm  afficiunt  Ecclesiam,  intègre  servetur.  (Voir  mon  Traité 
de  Jure  lituryico,  partie  4,  chap.  3,  §  5.)  Nos  antagonistes 
avoueront  au  moins  que  l'enseignement  de  la  S.  Congrégation 
des  Rites  est  bien  clair:  Cujus  leges  universalem  afficiunt  Eccle- 
siam. On  peut  remarquer  aussi  que  la  décision  où  il  se  trouve 
inséré  comme  à  dessein,  concerne  un  diocèse  de  France  où 
l'on  suivait  alors  un  Rituel  diflerent  du  romain.  Déjà  précé- 
demment un  curé  de  ce  même  diocèse  ayant  demandé,  an  in 
administrandis  Ecclesix  sacramentis  Rituali  Romano  utiposset? 
la  S.  Congrégation  lui  répondit,  le  22  mai  1841:  In  casu,  affîr- 
mative. 

La  réponse  du  10  janvier  1832,  adressée  à  M.  Lottin,  cha- 
noine du  Mans,  n'est  pas  moins  péremptoire.  Cet  ecclésiastique 
avait  demandé  si  l'Église  du  Mans  pouvait  se  faire  un  Rituel 
particulier,  en  sorte  qu'il  fût  permis  aux  prêtres  de  ce  diocèse 
de  s'écarter  des  prescriptions  du  Rituel  romain,  pour  se  con- 
former à  ce  que  l'évèque  aurait  statué  à  la  place.  Voici  ses 
propres  expressions  :  Etiamsi  Ecclesia  Cenomanensis  sibi  de 
,  Rreviario  et  Missali  iterum  atque  iterum  ut  libuerit  providere 
gueaf,  an  istiusmodi  facultas  extendenda  sit  ad  Pontificale^  Cxre- 
remoniale  episcoporum,  Martyrologium  et  rituale  romanum;  ita 
videlicet  ut  prxceptivas  prsedictorum  librorum  régulas,  tolérante 
nempeaut  permittente,  ant  etiam  aliter  quidpiam  statuente  reve- 
rendissimo  episcopo,  canonici  ahive  sacerdotes  possint  illxsa  çoH" 


368  DES  SUPPLÉMENTS  AU  RITUEL  ROMAIN.  [Tome  VII. 

scientia  infringere  aut  omittere,  sicque  reverendissimi  episcopi 
voluntas  his  in  casibus  sit  pro  ipsis  sufficiem  dispensatio.  Il  fut 
répondu  :  Négative  et  amplius.  (Dans  Gardellini,  n.  5165  de  la 
dernière  édition.) 

Il  est  vrai  que  le  Pape  Paul  V,  en  publiant  le  Rituel  romain, 
se  servit  du  mot  kortamur,  et  que,  prenant  le  change  sur  le 
sens  de  cette  expression,  quelques  auteurs  émirent  Topinion 
que  le  Rituel  romain  n'était  pas  strictement  obligatoire.  Mais 
on  reconnut  bientôt  généralement  que  cette  opinion  était  mal 
fondée  et  qu'elle  provenait  de  ce  qu'on  n'avait  pas  considéré 
attentivement  le  contexte.  En  eiïet,  Paul  V  exprime  en  premier 
lieu  très-clairement  le  précepte  par  les  mots  servari  debent  : 
{(  Restabat,  dit-il,  ut  uno  etiam  volumine  comprehensi  sacri- 
et  sinceri  Ecclesise  ritus,  qui  in  sacramentorum  administra- 
tione,  aliisque  ecclesiasticis  functionibus  servari  debent  ab  ils 
qui  curara  animarumgerunt,  ApostolicseSedis  auctoritate  pro- 
dirent. »  C'est  après  avoir  ainsi  formulé  ce  précepte,  qu'il 
ajoute  :  «  Hortamur  in  Domino  venerabiles  fratres  patriar- 
cbas,  arcbiepiscopos,  episcopos  et  dilectos  filios  eorum  vica- 
rios,  necnon  abbates,  parochos  universos ,  ubique  locorum 
existentes,  et  alios  ad  quos  spectat ,  ut  in  posterum  tanquam 
Ecclesise  Romanse  filii,  ejusdem  Ecclesiae  omnium  matris  etma- 
gistrse  auctoritate  constituto  Rituali  in  sacris  functionibus 
utantur,  et  in  re  tanti  momenti,  quœ  catbolica  Ecclesia  et  ab 
ea  probatus  usus  antiquitatis  statuit,  inviolate  observent.  » 
De  ce  qu'un  supérieur  exhorte  à  observer  fidèlement  le  pré- 
cepte qu'il  vient  d'imposer,  il  ne  s'ensuit  pas  que  ce  précepte 
n'existe  pas,  et  qu'il  ne  soit  qu'un  conseil.  D'ailleurs,  les  cano- 
nistes  font  observer  que  le  mot  hortamur  a  souvent  le  sens 
préceptif. 

Les  paroles  qui  se  trouvent  au  commencement  du  Rituel 
romain  montrent  également  que  ce  Rituel  est  obligatoire  : 
«  Ut  ea  quae  ex  antiquis  catholicai  Ecclesioe  institutis,  et  sa- 
crorum  Canonum  Summorumque  Pontiflcum  decretis  de  sacra- 


Arril  1863.]  DES   SUPPLÉMENTS  AU  RITUEL  ROMAIN.  369 

mentorura  ritibus  ac  cœremoniis  hoc  libro  prxscribuntur,  qna 
par  est  diligentia  ac  religione  custodiantur,  et  ubique  fideliter 
serventur,  illuJ  ante  omnia  scire  et  observare  convenit  quod 
sacrosancta  Tridentina  synodus  de  Us  ritibus  decrevit  in  hsec 
verba  :  Si  quis  dixey^it,  receptos  et  approbatos  Ecclesix  catholicx 
rituSy  in  solemni  sacramento7'um  administratione  adhiberi  con- 
suetos,  aut  sine  peccato  a  ministris  pro  libito  omitti,  aut  in  novos 
alios  per  quemcumque  ecclesiarum  pastorem  mutari  possê,  anathe- 
ma  sit.  »  Ainsi,  les  cérémonies  sacrées  formulées  dans  le  Ri- 
tuel romain  ne  sont  pas  seulement  conseillées,  mais  prescrites, 
prxscribuntur.  Elles  sont  prescrites  pour  qu'on  les  observe  fi- 
dèlement en  tous  lieux,  ut  ubique  fideliter  serventur.  De  plus, 
pour  mieux  assurer  cette  fidèle  observation,  on  rappelle  l'ana- 
thème  cité  du  concile  de  Trente.  Or,  la  mention  de  cet  ana- 
thème  était  inutile  pour  ce  but,  si  le  Rituel  romain  n'était  pas 
publié  comme  obligatoire.  En  efiet,  si  ce  Rituel -n'est  pas  obli- 
gatoire, chaque  évêque  peut  s'en  faire  un  différent,  et  no- 
nobstant le  canon  du  concile  de  Trente,  on  pourra  n'observer 
nulle  part  le  Rituel  romain.  La  mention  de  ce  canon,  dans  le 
but  de  faire  observer  fidèlement  le  Rituel  romain,  serait  un  non- 
sens,  si  le  Pape  Paul  V  n'avait  pas  entendu  rendre  ce  Rituel 
obligatoire.  Enfin,  qu'on  remarque  ces  mots,  de  Us  ritibus.  Ils 
se  rapportent  à  ceux-ci  :  Antiquis  catholicx  Ecclesix  institutis 
et  sacrorum  canonum  Summorumque  Pontificum  decretis  de  sa- 
cramentorum  ritibus  ac  cxremoniis.  Or  de  ces  antiques  rites  il 
est  dit  deux  choses  :  1°  Que  les  prescriptions  du  Rituel  romain 
en  /b«/;;orf/e;  en  d'autres  termes  que  ce  Rituel  n'est  qu'un 
recueil  authentique  de  ces  antiques  rites.  2°  Que  ces  mêmes 
anciens  rites  sont  ceux  dont  parle  le  canon  du  concile  de 
Trente.  La  conclusion  logique  est  celle-ci  :  Le  canon  du  con- 
cile de  Trente  s'applique  au  Rituel  romain.  En  efî'et,  s'il  a  pour 
objet  lesrites  reçus  et  approuvés  de  TÉglise  catholique,  comment 
ne  s'appliquerait-il  pas  au  Rituel  romain,  qui  est  publié  par  le 
Saint-Siège,  comme  étant  précisément  le  recueil  sûr  et  ap- 
Revue  des  scjences  scclésiastiques,  t.  vu.  24-25. 


370  DES  SCPPL]5MENTS  au  rituel  romain.  ITomeVIl. 

prouvé  de. ces  mêmes  rites? Il  y  a  plus  :  depuis  que  le  Rituel 
de  Paul  V  est  survenu,  les  rites  qui  lui  sont  contraires  ont 
cessé  par  le  fait  d'être  du  nombre  de  ceux  que  le  concile  de 
Trente  appelle  receptos  et  approbatos  Ecclesix  catholicx  ritus^ 
quand  même  auparavant  ils  auraient  été  de  ce  nombre.  Pres- 
crire la  forme  qu'on  devra  suivre  désormais,  c'est,  de  la  part 
du  Saiut-Siégê,  cesser  (^'approuver  les  formes  contraires. 

On  pourrait  appuyer  cette  doctrine  sur  l'autorité  de  bien 
des  canonistes.  Nous  nous  contenterons  de  citer  les  suivants  : 

«  Certum  etiam  est  (dit  Pignatelli,  t.  viii,  consultatione  73, 
n.  45)  Ritualeromanumconstituerejus,  quia  editum  a  Summo 
Pontifice,  qui  mandat  omnibus  observari.  Et  licet  Pontifex  in 
sua  bulla  utatur  verbo  hortamur,  hoc  tamen  verbum  œquipol- 
let  verbo  mandamus....  Eoque  prœcipue,  quia  prœmisit  Ponti- 
fex suam  dispositionemdirectivam  sacrorumrituum,  tanquam 
de  materia  omnino  necessaria,  ut  constat  ex  proœmio  ;  et  ad 
manutenendam  hanc  suam  dispositionem  inducit  dictam  ex- 
horta lionem.  Ac  proinde  oportet  quod  eodem  modo  servari 
velit  quod  ponit  sub  exhortatione,  ac  servari  vult  quod  dispo- 
nit.  Certum  estautem  quod  obligat  ad  servandum  quod  dispo- 
nit;  atque  adeo  etiam  quod  hortatur,cum  hoc  sit  necessarium, 
ad  manutenendam  ejus  dispositionem.  » 

Glericati  soutient  la  même  doctrine  et  suppose  qu'elle  est 
l'enseignement  commun  des  canonistes  :  «  Certum  est  apud 
professores  sacrorum  canonum  quod  Rituale  romanum  est 
liber  habens  vim  legis,  et  quod  ejus  rubricee  obligant  sub  prœ- 
cepto.  Lotterius,  Menochius,  Gratianus  et  Sperellus.  In  bulla 
enim  quam  Paulus  V  prasmisit  eidem  Rituali,  contestatur  in 
eo  esse  compreheusos  sacros  et  sinceros  catholicse  Ecclesise 
rilus^  qui  in  sacrameutorum  administratione  aliisque  ecclesia- 
sticis  functionibus  servari  debent  ab  iis  qui  curam  animarum 
geruut.  Ubi  notandum  est  verbum  illud  debent,  quod  de  jure 
importât  necessitatem  et  est  prœceptivum.  Fagnanus.  Non 
obstante  quod  in  eadem  bulla  Summus  Pontifex  dicat  :  Horta- 


Avril  18G3.]  DES  SUPPLÉMENTS  AU   RITUEL   ROMAIN.  374 

mur  in  Domino...  Nam  etiam  verbum  illud  hortamur  prolaliim 
a  Papa  in  re  gravi  habet  vim  prsecepti.  Fagnanm.  Potissimum 
quia  constat  de  ejus  enixa  voluntate,  dum  ibidem  in  fine  sub- 
dit,  ut  in  re  tanti  momenti,  quss  cathoUca  Ecclesia  et  ah  ea  pro- 
batus  usits  antiquitatis  statuit,  inviolate  observent.  »  {Décision, 
sacrament.,  1. 1,  dec.  66,  n.  19.) 

Dans  ses  Commentaires  sur  le  Rituel,  Barufifaldi  inculque  la 
même  doctrine  en  plusieurs  endroits.  Au  titre  2,n.  83,  il  cite 
cette  prescription  du  Rituel  romain  :  Librum  hune  Ritualem 
{ubi  opus  fuerit)  semper  cum  ministrabit,  secum  habebit,  ritusque 
et  csp-remonias  in  eo  prxscriptas  diligenter  servabit.  Puis,  il  s'ex- 
prime ainsi  :  «  Eliminandi  sunt  igitur  quicumque  alii  libri  ad 
usum  Rilualium  elaborati...  Advertant  insuper,  ut  Rituali  ro- 
mano  quo  utunturdemptae  sint  omnes  additiones  faetse  et  for- 
san  faciendas  post  reformationem  sanctae  mémorise  Pauli  V, 
sine  approbatione  Sacrœ  Rituum  Congregationis.»  Au  titre  2, 
D.  4,  il  avait  déjà  dit  :  «  Arcentur  itaque  omnes  alii  libri  qui 
ritus  benedictionum  statuant,  qui  a  Romana  Ecclesia  approbati 
non  sint  et  vnlgati...  Caute  provisum  fuit  ne  cuiquam  liceret 
immutare  minimum  verbum,  vel  introducere  novas  cseremo- 
nias,  absque  expressa  lioentia  Sacrae  Rituuin  Congregationis. 
Qui  secus  fecerint,  eos  animadversione  dignos  censuit  Sacra 
Rituum  Congregatio,  12  novembris  1605,  et  12  maii  1612.  » 
Dans  la  Colleclion  de  Gardellini  (tom.  viii,  p.  131  de  l'avant- 
dernière  édition),  on  lit  ce  passage  d'un  annotateur  :  a  Post 
reformationem,  approbationem  et  evulgationemMissalis,  Pon- 
tificalis,  Gaeremonialis,  Ritualis,  Breviarii,  nihil  addi,  nihil 
detrabi,  nihil  immutari  potest...  Hinc  si  quis  quid  addat,  quid 
detrabat,  quid  immutei,  jam  eo  ipso  et  novitatem  inducit,  et 
jure  inobedientiœ  notam  incurrit.  » 

On  doit  donc  regarder  le  Rituel  romain  comme  certainement 
obligatoire.  Cette  doctrine  ressort  clairement  du  texte  même 
de  la  bulle  de  Paul  V,  et  de  celui  du  Rituel  publié  par  lui.  Elle 
est  enseignée  par  les  canonistes.  Enfin  l'autorité  compétente, 


572  DES   SUPPLÉMENTS   AU   RITUEL   ROMAIN.  [  Tome  VII. 

la  S.  Congrégation  des  Rites,  a  parlé  de  manière  à  dissiper 
tous  les  doutes  à  cet  égard.  Ainsi  l'argument  de  nos  antago- 
nistes :  Le  Rituel  romain  n' est  pas  obligatoire,  donc  l'évêquepeut 
y  faire  un  supplément,  est  tout  simplement  l'affirmation  d'une 
erreur  pour  en  déduire  une  autre. 

6°  Nous^n'ignorons  pas  ce  que  quelques  ecclésiastiques  fran- 
çais opposent  à  l'argument  tiré  des  règles  générales  de  l'Index, 
qui  prohibent  toutes  les  additions  au  Rituel  romain.  L'Index, 
disent-ils,  n^ est  pas  obligatoire  en  France.  Il  serait  trop  long  de 
réfuter  ici  cette  autre  erreur;  contentous-nous  de  reproduire 
ces  mots  de  la  bulle  de  Grégoise  XVI,  du  8  mai  1844  :  «  Nous 
rappelons  à  la  connaissance  de  tous,  qu'on  doit  s'en  tenir  aux 
règles  générales  et  décrets  de  nos  prédécesseurs  placés  en  tète 
de  V Index  des  livres  prohibés  :  et  qu'ainsi,  il  ne  faut  pas  seu- 
lement se  garder  des  livres  mentionnés  nommément  dans  cet 
Index,  mais  encore  des  autres  dont  il  est  parlé  dans  lesdites  pre- 
scriptions générales.  »    , 

7.  Une  autre  raison  sur  laquelle  on  a  cru  pouvoir  appuyer 
la  légitimité  des  suppléments  au  Rituel  romain,  c'est  la  faculté 
donnée  par  le  concile  de  Trente,  et  reconnue  par  le  Rituel  ro- 
main lui-même,  de  conserver  dans  la  célébration  du  mariage 
les  lois  et  coutumes  des  diverses  provinces  ecclésiastiques  :  Si 
qux  provincix  aliis  ultra  prsQdictas  laudabilibus  consueludinibus 
et  cxremoniis  in  celebrando  matrimonii  sacramento  utantur,  cas 
sancta  Tridentina  synodus  optât  retineri.  (Rituale  romanum,  de 
Sacram.matrim.).  Se  fondant  sur  ce  texte,  les  défenseurs  dee 
suppléments  raisonnent  ainsi  :  Les  louables  coutumes  des  pro- 
vinces, quoiqu'en  dehors  de  ce  qui  est  prescrit  daus  le  Rituel 
romain,  sont  légitimes;  or  ces  coutumes  sont  un  supplément, 
donc  les  suppléments  sont  légitimes, 

La  majeure  de  ce  syllogisme  n'est  vraie  que  relativement  au 
point  particulier  dont  parle  en  cet  endroit  le  Rituel  romain, 
après  le  concile  de  Trente,  in  celebrando  mati^imonii  sacramento. 
En  déterminant  un  point  particulier  pour  lequel  il  permet  de 


I 


Avril  18G3.1  DES  SUPPLÉMENTS  AU   RITUEL   ROMAIN.  573 

conserver  les /omûô/é's  coutumes  des  provinces,  le  Rituel  romain 
confirme  par  là-même  la  défense  de  suivre  ces  coutumes  en 
d'autres  matières.  Exceptio  confirmât  regulam.  Ainsi  le  texte 
cité  autorise  seulement  à  dire,  qu'on  peut,  pour  la  célébration 
du  mariage,  conserver  les  louables  coutumes  des  provinces. 

La  mineure  du  syllogisme,  ces  coutumes  sont  un  supplément, 
n'est  pas  exate.  Nous  avons  appelé  supplément  au  Rituel  romain, 
ce  qui  ajoute  à  ce  Rituel  et  ce  qui  le  modifie  ;  en  d'autres 
terme?,  ce  qui  est  prxter  ou  contra.  Or  les  coutumes  louables 
d'une  province  en  ce  qui  concerne  la  célébration  du  mariage, 
ne  sont  ni  prxter,  ni  contra,  puisque  le  Rituel  romain  les 
mentionne  et  les  autorise.  Donc,  l'énoncé  des  coutumes  louables 
d'un  diocèse  par  rapport  à  la  célébration  du  mariage,  quoi- 
qu'imprimé  à  la  suite  du  Rituel  romain,  ne  serait  pas  un  sup- 
plément proprement  dit.  Nous  ne  pensons  pas  qu'un  tel  énoncé 
constitue  une  de  ces  additions  au  Rituel  de  Paul  V,  que  les 
les  règles  générales  de  Tlndex  mettent  au  nombre  des  écrits 
probibés. 

Mais,  qu'on  le  remarque  bien,  la  faculté  donnée  par  le  Rituel 
romain  est  restreinte  aux  cou  tûmes /owaô/es  dans  la  célébration 
du  mariage.  S'il  arrivait  qu'un  évêque  se  trompât  en  regardant 
comme  louables  des  usages  qui  ne  le  seraient  pas,  l'énoncé 
de  ces  usages  publié  par  lui  à  la  suite  du  Rituel  romain,  serait 
illégitime,  et  constituerait  une  de  ces  additions  que  ^proscrivent 
les  règles  générales  de  l'Index.  Aussi,  dans  la  pratique,  il  est 
prudent  de  faire  juger  et  autoriser  par  la  S.  Congrégation  de3 
Rites  ces  sortes  de  cérémonies,  qu'on  a  coutume  en  certains 
diocèces  d'ajouter  à  celles  que  prescrit  le  Rituel  romain  dans 
la  célébration  du  mariage.  Sans  cette  précaution,  des  doutes 
pourraient  s'élever  sur  la  légitimité  de  ces  coutumes  diocésai- 
nes, et  par  suite  sur  la  légitimité  de  l'acte  épiscopal  qui  les 
autoriserait.  Prenons  pour  exemple  le  cérémonie  du  voile  blanc 
étendu  sur  les  époux.  En  France,  quelques  prélats  l'ont  regar- 
dée comme  appartenant  à  la  catégorie  des  coutumes  louables. 


S7à  DES  SUPPLÉMENTS  AU   RITUEL  ROMAIN.  [Tome  VII. 

dont  le  Rituel  romain  et  le  concile  de  Trente  autorisent  la 
conservation,  et  ils  ont  cru  pouvoir  statuer  dans  ce  sens. 
Mais  on  leur  a  objecté  deux  décisions  de  la  S.  Congrégation 
des  Rites  :  la  première  du  25  février  1606  (numéro  294  de  la 
dernière  édition  de  Gardellini),  rapportée  dans  notre  Bévue  (t. 
II,  p.  337);  la  seconde,  publiée  dans  la  Correspondance  de  Rome 
(24  février  1854)  et  reproduite  à  l'endroit  cité  dans  notre  Bévue, 
mais  qui  ne  se  trouve  pas  dans  la  Collection  de  Gardellini,  la 
seule  qui  fasse  autorité.  On  peut  dire  ce  semble  que  la  première 
ne  prouve  pas  rigoureusement  l'illégitimité  de  la  cérémonie  en 
question,  vu  la  forme  spéciale  de  cette  cérémonie  dans  le  cas 
proposé,  et  l'abus  qui  s'y  rattachait.  La  seconde,  si  elle  était 
authentique,  serait  père mptoire.  Elle  est  rapportée  en  ces  ter- 
mes :  An  ritus  receptus  veli  albi  explicandi  super  sponsos,  annu- 
merandus  sit  inter  laudabiles  consuetudines  a  Tridentina  synodo 
adprobatas,  vel  potius  censeatur  prohibitus  sub  nomine  pallii  de~ 
creto  23  februarii  1606  ?  La  Sacrée  Congrégation  aurait  répondu  : 
Négative  ad primatn  partem,  affirmative  adsecundam.  Il  est  vrai 
que  cette  décision  n'a  pas  été  insérée  dans  la  Collection  de  Gar- 
dellini; mais  son  insertion  dans  la  Correspondance  de  Borne  rend 
au  moins  son  authenticité  probable;  il  est  difficile,  en  effet,  que 
le  savant  directeur  de  cette  publication  se  soit  mépris  au  point 
de  publier  une  décision  apocryphe.  De  là  au  moins  un  doute 
raisonnable  et  fondé,  par  rapport  à  la  légitimité  de  la  cérémo- 
nie en  question.  Or,  en  présence  de  ce  doute,  un  décret  épisco- 
pal  pour  le  maintien  de  cette  cérémonie,  se  trouverait  sans 
force  :  il  ne  serait  lui-même  que  douteusement  légitime.  Pour 
éviter  ces  inconvénients,  le  plus  sur  et  le  plus  simple  tout  à  la 
fois,  est  de  faire  approuver  par  la  S.  Congrégation  des  Rites 
les  cérémonies  d'usage  local  relatives  à  la  célébration  du  ma- 
riage, si  l'on  juge  utile  de  les  conserver. 

D.  Bouix. 


LITURGIE. 


REPONSES     A    DIVERSES    QUESTIONS. 


§  1.  CÉRÉMONIES  DE  LA.  MESSE  BASSE, 

On  demande  s'il  est  bien  exact  de  dire  qu'il  faille  supprimer 
l'usage  suivi  en  certaines  églises  aux  messes  célébrées  en  pré- 
sence du  Saint-Sacrement  exposé,  où  le  prêtre  se  place  en 
dehors  de  l'autel  pour  recevoir  Tablution,  comme  il  le  fait  au 
Lavabol  —  La  raison  de  douter  est  le  silence  de  la  rubrique  à 
cet  égard . 

Nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  admettre  la  pratique  de 
se  placer  en  dehors  de  l'autel  pour  1  ablution.  Le  silence  de 
la  rubrique  en  est  une  preuve.  Ce  serait,  en  effet,  ajouter  aux 
rubriques,  ce  qui  n'est  pas  permis.  Les  auteurs  s'accordent 
à  condamner  cet  usage,  et  ils  indiquent  trois  manières  d'a- 
gir. Elles  sont  relatées  en  ces  termes  dans  le  Cérémonial  selon 
le  rit  romain,  2^  édition,  p.  119  :  «  Pour  prendre  la  dernière 
«  ablution,  le  prêtre  ne  doit  pas  se  mettre  eu  dehors  de  l'au- 
«  tel  ;  mais,  suivant  les  uns,  après  qu'il  a  pris  la  purification, 
«  il  reçoit  au  même  lieu  Tablution  des  doigts  sans  se  déranger, 
«  se  tenant  le  plus  qu'il  peut  vis-à-vis  du  Saint-Sacrement; 
suivant  d'autres,  le  prêtre,  ayant  fait  la  génuflexion,  prend 
a  des  deux  mains  le  calice  et  va  prendre  l'ablution  à  l'ordi- 
«  naire;  et  enfin,  d'après  un  troisième  sentiment,  le  prêtre, 
a  avant  de  faire  la  génuflexiou,  pose  le  calice  hors  du  corpo- 
a  rai,  du  côté  de  l'épître,  fait  ensuite  la  génuflexion,  et  pre- 


376  LITURGIE.  [TùineVlI. 

«  nant  le  calice  en  passant,  se  rend  à  rordinaire  au  côté  de 
«  l'épître  pour  l'ablution.» 

§  2.  DE  l'usage  les  bougies  stéariques. 

I.  A  une  messe  basse,  lorsqu'il  y  a  sur  l'autel  deux  cierges  de  cire 
allumés,  peu{-on  se  servir  d'une  bougie  stéarique  pour  s'éclairer? 

II.  Dans  le  cas  où  la  bougie  stéarique  serait  prohibée,  lequel  est  pré- 
férable d'avoir  avec  les  deux  cierges  allumés  à  chaque  côté  de  V au- 
tel, une  bougie  de  cire  qui  servirait  à  éclairer,  ou  de  se  contenter 
de  deux  cierges  sur  l'autel  pour  éclairer  le  célébrant  et  satisfaire 
en  même  temps  aux  prescriptions  liturgiques? 

m.  A  un  salut  du  Irès-saint  Sacrement, peut-on  placer  sur  l'autel  des 

bougies  stéariques,  lorsqu'il  y  a,  d'ailleurs,   le  nombre  voulu  de 

cierges  allumés? 
IV.  Dans  l'hypothèse  où  cet  usage  des  bougies  stéariques  serait  prohibé, 

ne  pourrait-on  pas  faire  une  exception  à  cette  défense  en  faveur  des 

fabriques  pauvres? 

I.  L'usage  de  placer  une  bougie  près  du  Missel  pour  s'éclai- 
rerà  la  messe  n'est  prohibé  par  aucune  règle  liturgique.  Il 
faut  seulement  éviter  de  la  placer  sur  un  bougeoir  qui  ait 
quelque  similitude  avec  le  bougeoir  épiscopal.  «  Si  un  motif 
a  de  nécessité,  dit  M.  de  Conny  {Cér.  rom.  3e  éd.  p.  34),  obli- 
«  geait  à  ajouter  aux  lumières  ayant  un  emploi  liturgique  un 
«  flambeau  destiné  à  éclairer  le  prêtre  dans  les  ténèbres,  il 
G  faudrait  prendre  garde  qu'il  n'eût  pas  l'apparence  d'un 
«  bougeoir,  ni  de  rien  qui  ressemblât  à  un  insigne.  »  Cette 
observation  est  fondée  sur  un  décret  du  10  septembre  1701 
(n.  3597,  q.  5)  relatif  au  chant  des  leçons  de  l'office  de  ma- 
tines, pour  lesquelles  il  n'est  pas  permis  à  un  clerc  d'éclairer 
le  lecteur  en  tenant  une  bougie  à  la  main  :  s'il  fait  nuit,  on 
doit  mettre  la  lumière  sur  un  chandelier. 

II.  On  peut  aussi  se  contenter  de  deux  bougies  de  cire  qui 


AvriU861.]  LITURGIE.  377 

serviraient  à  la  fois  de  cierges  et  de  lumière  pour  éclairer  le 
prêtre.  Cette  coutume,  sous  le  rapport  liturgique,  équivaut  à 
la  précède  nie. 

III.  Pour  le  salut  du  Saint-Sacrement,  un  décret  général,  du 
13  avril  1821,  prohibe  l'usage  des  bougies  stéariques.  Nous 
l'avons  cité  t.  I,  p.  549,  et  nous  avons  ensuite  discuté  la  ques- 
tion proposée.  Nous  avons  conclu,  p.  551,  en  disant  que  l'usage 
d'illuminer  l'autel  avec  des  bougies  stéariques,  bien  que  con- 
traire aux  termes  du  décret  cité,  ne  nous  paraissait  pas  assez 
positivement  condamné  pour  que  nous  crussions  devoir  lè 
proscrire,  pourvu  qu'il  y  eût  en  outre  le  nombre  de  cierges  pre- 
scrit par  les  règles  liturgiques.  Ce  décret,  en  effet,  a  été  porté 
pour  interdire  l'usage  d'illuminer  Tautelavec  des  lampes,  sui- 
vant la  note  de  Gardellini  rapportée  au  même  lieu  [Ibid.  p. 
549);  et  de  plus  le  texte  de  l'Instruction  Clémentine,  §  vi,  [Ibid. 
p.  551)  est  moins  sévère  sur  cet  objet. 

IV.  La  quatrième  question  se  trouve  résolue  par  ce  que  nous 
venons  de  dire. 

§  3.  Rubriques  du  Bréviaire. 

I.  Si  la  Septuagêsime  arrive  le  18  om  le  i%  janvier,  doit-on  faire 
l'Office  du  deuxième  dimanche  après  l'Epiphanie  le  1 6  jan- 
vier^ jour  de  fête  semi-double? 

II.  Si  la  Septuagêsime  aï^rive  le  20  janvier,  doit-on  faire  l'Of- 
fice du  deuxième  dimanche  aprè's  l'Epiphanie  le  i9,  jour  de 
fête  semi-double  ad  libitum  ? 

III.  Lorsqu'on  anticipe  l'Once  d'un  dimanche,  peut-on  le  placer 
au  samedi  occupé  par  une  fête  double  de  l'^  ou  de  2*  classe, 
c'est-à-dire,  en  faire  simplement  mémoire,  ou  bien  doit-on  l'a- 
vancer au  vendredi  ? 

IV.  Le  jour  de  la  Fête  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  doit-on  dire  la 
doxologie  :  Jesutibi...,qui  natus  es  àeYirg'me,  quoiqu'on  dise 
la  Messe  Miserebitur? 


378  LITURGIE.  [Tome  VII. 

V.  Lorsqu'une  fête  ayant  une  doxologie  propre  concourt  avec  la 
fête  delà  très-sainte  Trinité,  des  SS.  Anges  et  des  SS.  Apôtres, 
gui  n'ont  pas  de  doxologie  particulière,  doit-on,  aux  hymnes 
des  Vêpres  et  des  Complies,  dire  la  doxologie  de  la  fête  dont 
on  ne  fait  que  mémoire? 

VI.  Lorsque  la  fête  de  saint  Gabriel  archange  se  rencontre  le 
même  jour  avec  la  fête  du  précieux  Sang,  faut-il  donner  la 
préférence  à  cette  dernière,  toutes  deux  étant  du  rite  double 
majeur? 

VII.  Les  fêtes  suivantes  sont-elles  primaires  ou  secondaires,  à  sa- 
voir, l'Oraison  de  N.-S.  Jésus-Christ  au  Jardin  des  Olives,  la 
commémoraison  de  la  Passion,  la  sainte  Couronne  d^épines,  la 
sainte  Lance  et  les  saints  Clous,  le  saint  Suaire,  les  Cinq- 
Plaies,  le  précieux  Sang  ? 

I.  D'après  la  rubrique  géuérale  du  Brdviairc,  tit.  iv,  n»  4,  si 
l'on  est  obligé  d'ometlrc  roilîce  d'uu  des  dimanches  après 
l'Epiphanie,  l'Office  de  ce  dimanche  se  fait  le  samedi,  veille 
de  la  SepluagésimC;,  du  rit  simple  ;  si  ce  samedi  est  empêché 
par  une  fête  à  neuf  leçons,  on  anticipe  l'Office  de  ce  dimanche 
au  dernier  jour  libre  de  la  semaine  ;  et  si  tous  sont  empêchés, 
on  fait  mémoire  de  cet  Office  le  samedi,  comme  d'une  férié 
privilégiée. 

i"  S'il  s'agit  du  deuxième  dimanche  après  l'Epiphanie  ou, 
en  d'autres  termes,  si  la  Septuagésime  arrive  le  premier  di- 
manche après  l'octave  de  l'Epiphanie,  on  anticipe  de  la  ma- 
nière indiquée  l'Office  du  deuxième  dimanche,  mais  cet  Office 
anticipé  jouit  de  privilèges  particuliers.  Une  rubrique  spéciale, 
à  laquelle  renvoie  la  rubrique  générale  {/bid.,n°6),  est  conçue 
en  ces  termes  :«Quando  autem  Septuagesima  veuerit  in  prima 
«  dominica  post  octavam  Epiphaniœ,  tune  in  primo  sabbato 
«  post  octavam  non  impedito  festo  novem  leclionum,  alioquin 
«  prima  die  post  octavam,  fiât  Officium  de  foria,  iu  qua  po- 
«  uuntur  responsoria  primi  nocturni  dominicœ  secundœ  post 


Avril  18G3.]  LITURGIE.  379 

a  Epiphauiam,  el  très  lectiones  leguntur  de  homilia  cjusdcm 
«  dominicaî  cum  ejus  antiphona  ad  Benedictus  et  oratione. 
«  Festum  vero  semiduplex  in  ea  occurrens  transfertur  ia  pii- 
a  mam  dicm  simililer  non  impedilam.  » 

2°  Avant  l'élévation  du  rit  de  la  fête  de  saint  Ililaire , 
toutes  les  fois  que  le  dimanche  de  la  Septuagésiine  arrivait  le 
18  ou  le  19  janvier,  l'Office  du  deuxième  dimanche  après  l'É- 
piphanie  se  faisait  le  14!,  et  l'on  transférait,  suivant  les  règles 
ordinaires,  la  fête  du  saint  pontife.  Mais,  depuis  que  cette 
fête  est  du  rit  douhle,  on  ne  peut  plus  se  conformer  à  cette 
disposition.  Le  décret  suivant  le  montre  évidemment. 

Question.  «  Rector  seminarii  Urgelleusis,  ac  iliius  diœcesis 
c(  kalcndarii  ordiuator,S.  R.  C...  exposuit  quod...  in  prœsen- 
«  tiarum  ob  elevationem  ritus  in  festo  S.  Hilarii...  nulla  su- 
a  perest  dies  ritus  seœ.iduplicis  in...hebdomadapost  octavam 
a  Epiphanise.  Quibus  posilis,  orator  sacram  ipsani  Congrega- 
«  tionem  rogavit  ut  declarare  dignaretur,  utrum  in  hoc  casu 
a  in  primo  sabbalo  post  octavam  Epiphaniœ  iieri  debcat  de 
«  festo  duplici  occurrente  cum  commem.  dom.  H  post  Epiph. 
f  et  cum  IX  lectione  de  homilia,  ceu  rubrica  disponit  de  ter- 
«  tia,  quarta,  quinta,  et  sexta  domiuica  post  Epiphaniam, 
«  quando  ex  eis  aliqua  poui  nequit  ante  Septuagesimam  vel 
«  reponi  post  dom.  XXIIl  post  Penlecoslen  ?  »  Réponse.  «  Af- 
a  firmative.  »  (Décret  du  17  septembre  1853,  n«  5197.) 

3"  Pour  répondre  maintenant  à  la  question  proposée,  il 
s'agit  d'expliquer  le  sens  de  ces  mots  de  la  rubrique  du  Bré- 
viaire :  Festum  semiduplex  in  ea  occurrens.  Ces  paroles  se  rap- 
portent-elles uniquement  à  ces  autres  :  Primadiepost  octavam, 
c'est-à-dire  au  14  janvier,  tellement  qu'on  ne  puisse  pas  les 
appliquer  à  un  autre  jour,  si  l'on  célèbre  une  fête  double  le 
14?  On  ne  voit  pas  de  motifs  pour  donner  un  sens  aussi  res- 
treint à  la  rubrique.  En  outre,  il  paraît  beaucoup  plus  naturel 
et  plus  conforme  au  style  ordinaire  des  rubriques  d'entendre 
par  ces  paroles  le  premier  jour  après  l'octave  de  l'Epiphanie 


380  LITURGIE.  [Tome  VII. 

et  avant  la  Septuagdsime  qui  ne  soit  pas  empêché  par  une 
fête,  double  avec  translation  d'un  semi-double  occurrent,  s'il 
n'y  a  pas  de  fête  simple  dans  cet  intervalle.  Enfin,  nous 
pouvons  citer  à  Tappui  de  celte  interprétation  un  autre 
décret  de  la  S.  C.  :  a  Satis  esse  provisum  per  rubricas 
<j  Breviarii  Romani  de  domiuicis  num.  6,  et  per  aliam  rubri- 
«  cam  propriam  ante  dominicam  primam  post  octavam  Epi- 
«  phaniœ,  nempe  in  casu  proposito  Officiutn  de  dominica  fa- 
«  ciendum  esse  iu  primo  sabbato  post  Epiphaniam  festo 
«  duplici  vel  semiduplici  non  impedito;  alioquin  scilicet,  si 
«  prœdictum  sabbatum  esset  impeditum,  faciendum  in  prima 
«  die  post  dictam  octavam,  quœ  non  reperitur  impedita  festo 
«  duplici  :  festum  vero  semiduplex  in  ea  occurrens  transfe- 
«  renduni  in  primam  diem  similiter  non  impeditam,  »  (Décret 
du  10  janvier  1693,  n°  330J[,q.  16.)  On  voit  clairement  par 
ces  paroles  qu'il  faut  faire  TOfiice  du  dimanche  le  16  janvier, 
et  transférer  la  fête  de  saint  Marcel  toutes  les  fois  que  le  di- 
manche de  la  Septuagésime  arrive  le  18  ou  le  19. 

Il,  La  translation  de  l'Office  do  saint  Marcel  pour  faire 
place  à  l'Office  anticipé  du  deuxième  dimanche  après  l'Epi- 
phanie ne  peut  avoir  lieu  que  dans  les  deux  cas  ci-dessus  indi- 
qués. Car,  si  la  Septuagésime  arrive  le  20  janvier,  on  supprime 
l'Office  semi-double  ad  libitum  de  saint  Canut  et  l'Office  du 
dimanche  se  fait  le  19,  suivant  cette  décision  :  Question.  «  An 
a  Officia  sanctorum  ad  libitum  sive  dupUcia,  sive  semiduplicia 
«  occurrentia  in  die  quo  fieri  debeat  Officia  m  de  dominica 
«  anticipanda  ante  Septuagesimam  vel  ante  dominicam  XXIV 
«  post  Pentocosten,  sint  transferenda,  vel  potius  omittenda, 
0  vel  in  die  illa  Officium  ^raîdicti  sancti  ad  libitum,  recitan- 
«  dum,  etsolum  sit  facienda  commemoratio  illius  Dominicaî  ?» 
Réponse.  «  Esse  omittenda  Officia  sanctorum  ad  libitum.  » 
(Décret  du  4  août  1705,  n»  3718,  q.  5.)  Si  la  Septuagésime 
arrive  le  21  janvier,  ce  dimanche  est  le  troisième  après  l'Epi- 
phanie et  la  question  proposée  n'a  plus  son  application, 


AvriH8C3.1  UTURGIE.  38  J 

IK.  D'après  la  rubrique  du  bréviaire,  tit.  iv,  no  A,  quand  tous 
les  jours  de  la  semaine  qui  précède  un  dimanche  dont  l'Office 
doit  être  anticipé,  sont  empêchées  par  une  fête  double  ou  semi- 
double,  s'il  s'agit  d'un  des  quatre  derniers  après  l'Epiphanie 
ou  du  vingt-troisième  après  la  Pentecôte  ;  ou  par  une  fête 
double  seulement,  s'il  s'agit  du  deuxième  dimanche  après 
l'Epiphanie,  suivant  ce  qui  vient  d'être  dit,  on  fait  mémoire  de 
ce  dimanclie  comme  d'une  férié  privilégiée.  Ni  les  rubriques, 
ni  les  décrets  de  la  S.  C.  ne  font  aucune  exception  à  cette 
règle.  Si  donc  on  célèbre  ce  jour-là  une  fête  double  de  pre- 
mière ou  de  seconde  classe,  on  y  fera  mémoire  de  l'Office  du 
dimanche  anticipé.  Aucune  fête,  en  effet,  quelque  solennelle 
qu'elle  soit,  n'exclut  la  mémoire  d'une  férié  privilégiée  ou 
d'un  dimanche  avec  lequel  elle  se  trouve  en  occurrence. 

IV.  Le  jour  de  la  fête  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  si  l'on  n'a 
pas  le  privilège  de  dire  la  Messe  Egredimini  et  l'Office  qui  y 
correspond,  on»  doit  dire  à  toutes  les  hymnes  la  doxologie 
commune.  On  peut  voir  ce  que  nous  avons  dit  à  cet  égard 
t.  IV,  p.  185. 

V.  Quant  à  la  question  générale  concernant  les  doxologieî 
propres,  on  peut  poser  les  principes  suivants. 

4«  En  règle  générale,  la  doxologie  la  plus  spéciale  doit 
toujours  avoir  la  préférence.  Cette  règle  parait  résulter  du 
texte  des  rubriques  du  Bréviaire,  tit.  xx,  n"  52,  et  des  déci- 
sions de  la  S.  G.  des  Rites.  En  effet,  par  exemple,  toutes  les 
hymnes  qui  ont  une  conclusion  à  elles  propre  la  conservent 
toujours;  la  doxologie  propre  au  temps  pascal  est  remplacée 
par  celle  de  l'Office  de  la  sainte  Vierge,  si  l'on  fait  un  Office 
ea  son  honneur  pendant  ce  temps,. etc. 

Cettepratique,  d'ailleurs,  se  trouve  en  harmonie  avec  d'autre  s 
règles  liturgiques  relatives  à  la  préface,  au  Communicantes^ 
au  Credo,  etc.,  règles  d'oà  il  résulte  que  la  célébration  d'une 
fête  ne  diminue  en  rien  la  solennité  du  jour  ou  du  temps, 

2o  Pendant  les  octaves  des  fêtes  de  N.  S.  qui  ont  une  doxo- 


382  LITURGIE.  jTome  V(I. 

logie  propre  et  des  fêtes  de  la  très-sainte  Vierge,  on  dit  tou- 
jours la  doxologie  de  l'octave,  quand  même  ou  ne  ferait  pas 
mémoire  de  l'octave  à  cause  de  la  solennité  du  jour.  Cette 
règle  résulte  du  décret  suivant  :  Question.  «  An  in  festo  S. 
0  Hyacinlhi  confessoris,  ordinis  Prsedicatorum,  regni  Poloniae 
cr  palroniprincipalis,  quod...  ritu  duplici  primée  classis...  infra 
a  octavam  Assumptionis  B.  M.  V.  celebratur,  in  ejusdem  S. 
«  confessoris  ofEcio  liymni  ad  horas  termiuari  debeant  :  Jesu 
tibi  sit  gloria...?  > — iïepo^jse.ctAflSrmative.» (Décret  du  29nov. 
i755.  n«4259,  q.  2.) 

3°  Lorsque  deux  fêtes  qui  ont  une  doxologie  propre  sont  en 
concurrence,  on  dit  à  complies  la  doxologie  appartenant  à  la 
fête  dont  on  a  dit  les  vêpres  :  ainsi  l'a  décidé  la  S.  C.  pour  la 
concurrence  de  la  fête  de  N.-D.  Auxiliatrice  avec  l'octave  de 
l'Ascension.  Question,  «  In  concursu  diei  octavae  Ascensionis 
((  Domini  cum  festo  B.  M.  V.  titulo  Auxilium  Christianorum 
a  die  XXIV  maii,  totum  fit  de  praecedenti  et  commemoratio 
«  sequeutis  ;  quomodo  autem  concludendus  est  hymnus  corn- 
et pletorii?  »  Réponse:  «  Cum  stropb  a  hymni  Ascensionis.  » 
(Décret  du  23  mai  1835,  n°  4746,  q.  9.) 

4°  Quant  à  la  question  posée,  à  savoir  si,  quand  une  seule  des 
deux  fêtes  en  concurrence  a  une  doxologie  propre,  on  doit 
toujours  dire  cette  doxologie  à  complies,  quand  même  on  n'au- 
rait fait  que  mémoire  de  cette  dernière  fête,  Gavantus  (t.  ii, 
part  VI,  n.  I5),suivipar  plusieurs  auteurs,  est  pour  l'affirmative, 
malgré  le  décret  suivant  :  Question.  «  Capitulum  et  canonici 
«  Palermitanse  Ecclesiae  qui  ex  privilegio  Apostolico  singulis 
a  diebus  sabbati  non  iinpeditis  recitant officium  B.  M.  sub  ritu 
«  semidupl.  petierimt  declarari  :  An  in  secundis  vesperis  in 
«  quibus  officium  fit  a  capitule  de  dominica,  bymnus  con- 
«  cludendussit  cum  versu  Gloria  tibi Domine...  Qui  natusesde 
«  Virgine  {\),   vel  alias  ut  notatur  in  hymno  dominicae?  Et 

(-1)  La  doxologie  Gloria  iibi  Domine  a  élé  remplacée  par  Jesu, 
tibi  sit  gloria  dans  la  correction  des  hymnes  faite  par  ordre  du  pape 
Urbain  VIII. 


AvriH  863.1  LITURGIE.  383 

«  quid,  si  in  dominica  occurrat  festum  dup.^  cum  nihilominus 
«  semper  faciant  commemorationem de  B.M.  ?»  Réponse  «Non 
«  esse  hymnum  termiuandum  cum  versu  Gloria  tibi  Domine, 
«  cum  officium  fiât  a  capitulo  de  dominica  et  non  de  13.  V., 
a  et  tanto  inagis  id  servandum  esse  in  aliis  festis  duplicibus, 
«  quœ  incidunt  in  dominica,  in  quibus  liymnus  terminatur 
a  prout  notatur  in  hymne  festi.»  (Décret  du  23  novembre  1602, 
n°  177.)  Cette  décision  paraît  positive;  cependant  nous  trou- 
vons la  pratique  contraire  indiquée  dans  VOrdo  de  Rome.  Il 
semble  qu'elle  peut  être  suivie. 

VI.  Lorsque  la  fête  de  saint  Gabriel  se  trouve  en  concurrence 
avec  une  des  fêtes  de  la  Passion,  l'orc^o  de  Rome  donne  la  pré- 
férence à  celle-ci,  et  transfère  saint  Gabriel.  Comment  expli- 
quer cette  disposition,  la  fête  du  précieux  Sang  étant  une  fête 
secondaire?  Peut-être  les  fêtes  des  anges  n'ont-elles  pas  le 
même  privilège  que  les  fêtes  des  saints?  La  raison  eu  serait  que 
rÉglise  honore  un  saint  au  jour  de  sa  mort.  On  pourrait  donc 
demander,  pour  déplacer  la  fête  d'un  saint,  un  motif  plus 
grave  que  pour  mettre  à  un  autre  jour  la  fête  d'un  archange. 
D'ailleurs,  les  fêtes  auxquelles  on  donne  la  préférence  en  ce 
cas,  unies  à  celle  de  la  Compassion  de  la  sainte  Vierge  et  au 
vendredi  saint,  forment  une  neuvaine  en  l'honneur  de  la  Pas- 
sion. 

VII.  Les  fêtes  en  l'honneur  des  instruments  de  la  Passion  de 
N.  S.  ne  peuvent,  ce  semble,  être  considérées  comme  des 
fêtes  primaires.  Toutes,  en  effet,  ont  pour  objet  un  même 
mystère,  et  la  S.  Congrégation  a  positivement  exprimé  son 
sentiment  à  cet  égard  au  sujet  de  la  fête  du  précieux  Sang,  en 
donnant  la  préférence  à  la  Visitation  delà  sainte  Vierge,  quand 
ces  deux  fêtes  se  trouvent  en  occurrence  ou  en  concurrence. 

§  4.  DE  l'administration  du  sacrement    de    baptême. 

En  quelle  langue  doit-on  dire  le  Pater  et  le  Credo? 

Un  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  (in  Molmensi 


384  LITURGIE.  [Tome  VII. 

12  septembris  1857),  déclare  qu'aucune  des  interrogations 
ne  doit  être  faite  en  langue  vulgaire.  Il  doit,  ce  semble,  en 
être  de  même  de  la  récitation  de  TOraison  Dominicale  et  du 
Symbole  des  Apôtres.  P,  R. 


DROIT  LITURGIQUE. 


LETTRE 

de  S.  E.  le  Cardinal  Patrizi  à  S.  E,  le  Cardinal- Archevêque 

de  Lyon. 

«  Eminentissime  et  Reverendissime  Domine,  Domine  obser- 
vantissime,— Dum  Sanctissimus  Dominus  noster  Pins  Papa  IX 
resciret  et  probaret  Eminentiam  vestram,  in  capitulari  con- 
ventu  babito  die  \  1°  novembris  anni  mox  elapsi,  delegisse 
commissiouem  ad  efformandnm ,  juxta  régulas  lilurgicas 
sanctse  Romanœ  Ecclesiœ,  Proprium  sanctorum  istius  Lugdii- 
nensis  diœcesis,  in  usum  directorum  seminarii  sancti  Sulpitii, 
capellanorum  ecclesiarum  parocbialium  aliarumque  ecclesia- 
sticarum  communitatum,  qui  intra  fines  diœcesis  ipsius  horas 
canonicas  jam  recitant  vel  recitare  desiderant  juxta  Brevia- 
rium  Romanum,  non  sine  admiratione  vidit  contra  saluberri- 
mum  consilium  istud  reclamasse  parocbos  Lugdunenses 
numéro  plures,qui,agmine  veluti  facto,  nec  servata  canonum 
disciplina,  subscripserunt  epistolœ  circulari  transmissse  Direc- 
tori  seminarii  sancti  Sulpitii,  canonicis  ab  Eminentia  vestra 
delectis  ad  concinnandum  lioc  Proprium,  cseterisque  capitula- 
ribus.  Haec  porro  inconsiderata  circularis,  prœter  censuram 
mandatorum  proprii  Ordiuarii,  cui  in  sacra  ordinatione  reve- 
rentiam  pariter  et  obedieutiam  professi  sunt,  nuilo  sub  respecta 
conformis  dici  potest  voluutati  ejusdem  Summi  Poutificis,  qui, 


AvriH863.]  LITURGIE.  3  83 

ab  anno  ISo^  litteris  datis  ad  Emineutiam  vestram,  apertissime 
declaravit  Breviarium  et  Missale  Lugdunense  a  légitima  au- 
ctoritate  minime  prodire,  acproinde  omnino  immiitanda.  Quod 
si  deinceps  Sanclitas  Sua  ea  adhuc  adhiberi  permisit,  veuiam 
istam  intra  simplicis  temporanese  toleraiitiœ  limites  circum- 
scripsit,  nec  unquam  voluit  eam  esse  perpetuam,  veluti  arbi- 
trantur  réclamantes  parocbi;  imo  amantissimis  verbis  et 
Emineutiam  vestram  et  quos  alloqui  potuit  de  clero  Lugdii- 
nensi  opportune  cobortari  non  destitit  ad  assumptionem  litur- 
giœ  Romanœ,  ut  sic  plenius  prœstarent  obsequium  Romanse 
Ecclesiae,  matri  et  magistr<e  veritatis, 

«  Hisce  prœnotatis,  pro  mei  muneris  ratione,  oro  obtestor- 
que  Eminentiam  vestram,  ut  incœptum  opus  quam  celerrime 
ad  optatum  finem  deducat,  nuUa  babita  ratione  questuum 
illorum,  quos  sperare  licet  jam  facti  pœnituisse,  et  modo  cum 
reliquo  spectabili  et  multis  nominibus  commendabili  clero 
Lugdunensi,  felici  semulatione  adlaboraturos  ut,  ulteriore 
quacumque  difficultate  remota,  quantocius  in  diœcesi  etiam 
Lugdunensi  in  sua  integritate  inducatur  et  constabiliatur 
liturgia  sanctse  Romanse  Ecclesiœ.  — Intérim  Eminentiœ  vestrse 
mauus  bumillime  deosculor.  —  Eminentiœ  vestrse  humill, 
demississimus  servus  verus.  —  G.  Episcopus  Portuensis  et 
sanctae  Rufinse  Cardinalis  Patrizi,  sacrœ  Rituum  Congregatio- 
nis  Praefectus. — Romœ,  die  23  januarii  1863. —  D.  Bartolini, 
sacrée  Rituum  Gougregationis  secretarius.  » 

Ce  document,  dont  l'importance  n'échappera  pas  à  l'attention 
de  nos  lecteurs,  n'a  pas  seulement  un  intérêt  local.  Il  sera 
désormais  classé  parmi  les  preuves  qui  démontrent  l'illégiti- 
mité des  liturgies  introduites  en  France  contrairement  aux 
lois  de  saint  Pie  V.  Il  éclaire  en  outre  un  côté  de  la  question 
sur  lequel  on  maintenait  encore  des  nuages  :  on  ne  pourra 
plus  à  l'avenir  se  faire  illusion  sur  le  sens  de  la  tolérance  pro- 
•visoire  du  Sainl-Siége  en  attendant  le  retour  à  la  liturgie  légi- 


386  LITURGIE  [Tome  VII. 

time.  II  suffira  de  quelques  lignes  pour  faire  ressortir  cette 
double  conséquence. 

4.  Dès  l'année  1834,  le  pape  Pie  IX  avait  déclaré  delà 
manière  la  plus  explicite  [apertissime  declaravït)^  que  le  bré- 
viaire et  le  missel  du  diocèse  de  Lyon  n'ont  pas  été  établis 
légitimement,  et  qu'on  doit  absolument  les  abandonner  pour 
prendre  la  liturgie  romaine  :  «  Breviarium  et  Missale  Lugdu- 
nense  a  légitima  auctoritate  minime  prodire,  ac  proinde 
omnino  immutanda.  i  Ces  paroles  disent  clairement  que  la 
liturgie  actuelle  de  Lyon  a  été  illégitime  dès  le  principe,  c'est- 
à-dire  depuis  son  introduction  par  Mgr  de  Montazet.  Elles 
disent  en  outre  qu'elle  n'a  pas  cessé  de  l'être  par  le  laps  du 
temps.  Si  le  long  usage  l'avait  légitimée,  Pie  IX  n'ajouterait 
pas  qu'il  faut  absolument  l'abandonner  :  «  Ac  proinde  omnino 
immutanda.  »  Dans  l'hypothèse  de  la  légitimation  par  l'usage, 
cette  conséquence  serait  fausse.  On  pourrait  la  combattre 
ainsi  :  Il  est  vrai  que  cette  Uturgie  fut  illégitime  dès  le  prin- 
cipe, mais  le  long  usage  l'a  légitimée  ;  par  conséquent,  de  son 
illégitimité  primitive,  on  ne  peut  pas  conclure  l'obligation  ac- 
tuelle de  l'abandonner.  Néanmoins,  cette  conclusion  est  préci- 
sément celle  de  Pie  IX.  Donc,  Pie  IX  déclare  équivalemment 
que  cette  liturgie  n'est  pas  devenue  légitime  par  voie  d'usage 
ou  de  prescription. 

De  là  cette  conséquence  qu'on  s'obstinerait  vainement  à 
contester:  l'autorité  des  Ordinaires  qui  se  sont  succédé  à  Lyon 
depuis  Mgr  de  Montazet,  n'a  pas  pas  suffi  pour  légitimer  la 
liturgie  en  question.  Il  n'y  a  rien  là  d'irrespectueux.  Hier 
c'était  de  la  logique;  aujourd'hui  c'est  en  outre  l'enseignement 
du  Saint-Siège.  Mais  cet  enseignement  n'intéresse  pas  exclusi- 
vement le  diocèse  de  Lyon. 

2.  En  effet,  la  déclaration  formelle  adressée  par  Pie  IX  en 
1854  à  Mgr  de  Bonald,  atteint  évidemment  toutes  les  autres 
liturgies  des  diocèses  de  France  qui  ont  en  opposition  avec  les 
bulles  de  saint  Pie  V.  Si  M.  de  Montazet  n'a  pas  eu  le  droit  d'in- 


Avril  1863.]  LITURGIE.  387 

troduire  à  Lyon  une  nouvelle  liturgie,  il  n'y  a  pas  de  raison 
pour  que  d'autres  évêques  aient  eu  ailleurs  ce  pouvoir.  Si  la 
liturgie  introduite  par  M.  de  Montazet  n'est  pas  devenue  légi- 
time en  vertu  du  long  usage,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  que  le 
temps  ait  légitimé  les  autres.  Ainsi  se  trouvent  indirectement 
déclarées  illégitimes,  la  liturgie  de  Belley  (qui  est  la  même 
que  celle  de  Lyon),  la  liturgie  de  Paris,  celle  de  Besançon, 
celle  d'Orléans.  Au  reste,  la  réponse  de  la  Sacré-Congrégation 
des  Rites  à  M.  le  chanoine  Lottin  par  rapport  à  la  liturgie  du 
Mans,  avait  précédemment  donné  lieu  aux  mêmes  conclusions. 
(Voir  cette  décision  dans  Gardellini,  n"  5165,  dernière  édition.) 

3.  Nous  appelons  surtout  l'attention  du  lecteur  sur  le  pas- 
sage où  le  cardinal  Patrizi  explique  le  sens  de  la  tolérance  ac- 
cordée par  Pie  IX  à  laliturgie  actuelle  de  Lyon.  MM.  les  curés 
lyonnais  voyaient  dans  cette  tolérance  une  autorisation  à 
perpétuité.  Le  Cardinal  proteste  contre  cette  fausse  interpré- 
tation. Il  est  vrai^  dit-il,  que  le  Souverain-Pontife  a  permis  de 
faire  encore  usage  de  cette  liturgie.  Mais  il  a  renfermé  la 
concession  dans  les  limites  d'une  simple  tolérance  provisoire. 
Jamais  il  n'a  eu  la  pensée  d'accorder  l'autorisation  pour  tou- 
jours. «  Quod  si  Sanctitas  Sua  ea  adhuc  adhiberi  permisit, 
veniam  istam  intra  simpHcis  tolerantix  temporanex  limites  cir- 
cumscripsit;  nec  unquam  voluit  eam  esse  perpetuam,  veluli 
arbilrantur  reclamantes  parochi.  »  Les  autres  liturgies  de 
même  condition,  actuellement  tolérées  par  Pie  IX,  le  sont  dans 
le  même  sens.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  puisse  s'élever  le 
moindre  doute  à  cet  égard,  ni  que,  dans  aucun  diocèse,  on  soit 
désormais  tenté  de  renouveler  l'interprétation  des  curés  de 
Lyon.  Reste  à  déterminer  ce  qui  résulte  endroit  d'une  pareille 
tolérance.  Voici  notre  pensée  à  cet  égard. 

4.  Par  la  simple  tolérance  du  Souverain-Pontife,  ces  liturgies 
sont  rendues  provisoirement  légitimes,  mais  dans  les  limites  du 
temps  moralement  nécessaire  pour  opérer  le  changement,  et 
des  autres  conditions  apposées  par  le  Saint-Siège.  Quand  le 


38S  LITURGIE  [Tome  VU. 

Souverain-Pontife  a  dit  qu'il  tolère,  à  la  condition  qu'on  in- 
troduira la  liturgie  romaine  aussitôt  qu'on  le  pourra,  quarri' 
primum,  quantocius,  il  est  clair  que  la  concession  a  une  limite 
et  ne  dépasse  pas  un  certain  laps  de  temps.  De  ce-  qu'on  ne 
peut  pas  assigner  l'époque  précise  où  la  tolérance  expire,  de  ce 
que  la  durée  du  quamprimum  se  trouve  laissée  à  une  prudente 
estimation,  eu  égard  aux  circonstances  locales,  ils  ne  s'ensuit 
pas  qu'on  ne  puisse  assigner  avec  certitude  des  durées 
auxquelles  le  quamprimum  ne  saurait  s'étendre.  Il  en  est  ici 
comme  de  la  somme  précise  qui  constitue  le  péché  grave  en 
matière  de  vol.  Les  théologiens  varient  dans  la  manière  de  l'as- 
signer ;  mais  tous  sont  d'accord  que  le  vol  de  cent  francs  est 
matière  grave.  L'autorité  de  l'ordinaire  ne  saurait  proroger 
le  temps  delà  concession.  Comme  elle  ne  peut  pas  légitimer  la 
liturgie  dont  il  s'agit,  elle  ne  peut  pas  empêcher  non  plus 
qu'elle  cesse  d'être  légitime,  lorsque  le  temps  de  la  concession 
papale  aura  expiré.  Différer  indéfiniment  le  retour  à  la  litur- 
gie romaine,  en  allongeant  toujours  le  quamprimum,  ce  serait 
se  retrouver  infailliblement,  dans  un  temps  donné,  avec  une 
liturgie  illégitime. 

5.  L'erreur  des  curés  de  Lyon  signalée  par  le  cardinal  Patrizi 
n'était  pas  la  seule  de  leur  circulaire.  Si  nous  sommes  bien 
informés,  ils  en  étaient  encore  à  se  persuader  que  leur  liturgie 
actuelle  est  sortie  du  cœur  de  saint  Jean  l'évangéliste,  et  leur  a 
été  transmise  par  saint  Irénée  !  Ils  ne  paraissent  pas  s'être  doutés 
non  plus  que,  d'après  les  dispositions  du  droit  ecclésiatique, 
les  curés  n'ont  point  le  droit  de  délibérer  et  d'agir  en  corps 
{collegialder).  Leur  intention  a  été  louable,  nous  n'en  doutons 
pas,  et  ils  seront  les  premiers  à  combattre  leur  erreur  après 
l'avoir  connue. 

D.  Boïïix. 


BIBLIOGRAPHIE. 


sous  le  règne  d'Elisabeth,  par  M.  l'abbé  c- J.  Deatombes. — Paris, 
Lecoffre  et  Cie,  1863.  —  Iq-8,  csviii-483  pp. 


Nous  nous  empressons  de  faire  connaître  le  livre  savant  et 
précieux  dont  M.  l'abbé  Destombes  vient  d'enrichir  l'histoire 
ecclésiastique.  C'est  un  ouvrage  sérieux,  instructif  et  bienfait. 
Il  sera  lu  et  fera  le  plus  grand  bien.  La  ville  de  Douai  n'a  jamais 
cessé  d'entretenir  avec  l'Angleterre  des  relations  doctrinales  ; 
la  Persécution  religieuse  est  une  suite  de  ces  rapports  et  une 
des  manifestations  les  plus  décisives  qui  soient  parties  depuis 
longtemps  de  la  vieille  et  savante  cité.  Les  catholiques^,  les  in- 
dififérents  mêmes  ou  les  ennemis,  les  Anglais  surtout,  trouve- 
ront d'abondantes  lumières  dans  cette  publication  vraiment 
scientifique. 

Notre  compte-rendu  se  bornera  à  une  analyse.  M.  Destombes 
a  pris  pour  épigraphe  cette  parole  prophétique  de  l'Histoire 
des  Variations,  qui  semble  recevoir  de  nos  jours  sa  réalisation: 
«  Fn/in  les  temps  de  vengeance  et  d'illusion  passeront,  et  Dieu 
écoutera  les  gémissements  de  ses  saints  (liv.  vu).  »  Son  travail 
contribuera  à  faire  passer  les  jours  mauvais  et  aidera  le  retour 
de  l'époque  heureuse  et  désirée  où,  selon  la  prédiction  de 
Joseph  de  Maistre,  l'Angleterre  sera  catholique. 


I. 


L'Introduction  de  M.  Destombes  est  consacrée  à  retracer  ra- 
pidement l'histoire  de  l'Église  d'Angleterre  jusqu'à  Elisabeth.' 


390  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

Saint  Grégoire-le-Grand  voit  vendre  sur  la  place  publique 
de  Rome  des  Angles,  et  il  conçoit  le  projet  d'en  faire  des  anges. 
Devenu  Pape,  il  leur  envoie  des  missionnaires  :  l'océan  s'apla- 
nit sous  les  pas  des  saints  ;  Augustin  et  ses  compagnons 
prêchent  l'Évangile  ;  Éthelbert,  roi  de  Kent,  avec  dix  mille  de 
ses  guerriers,  demande  le  baptême.  Ainsi  commence  l'Église 
anglo-saxonnne.  La  foi  était  prêchée  sans  relâche,  mais  «  les 
progrès  de  l'apostolat  étaient  souvent  contrariés  par  des 
guerres  que  ne  pouvaient  empêcher,  malgré  leurs  efforts,  ces 
pacifiques  conquérants  que  Rome  avait  envoyés  (p.  v).  » 
Quatre  vingts  ans  suffirent  pour  opérer  la  conversion  des  sept 
peuples  de  THeptarchie.  Pour  régulariser  et  asseoir  plus  soli- 
dement cette  chrétienté,  le  pape  Vitalien  sacre  à  Rome,  comme- 
archevêque  de  Cantorbéry,  un  vieillard  presque  septuagénaire, 
natif  de  Tarse  en  Cilicie,  nommé  Théodore.  Théodore  fut 
l'homme  de  la  Providence  et 'un  véritable  présent  de  Dieu. 
«  Ce  temps,  dit  le  vénérable  Bède,  fut  le  plus  heureux  que  la 
Bretagne  eût  vu  depuis  l'époque  où  les  Saxons  abordèrent  sur 
ses  côtes.  »  Durant  son  épiscopatde  21  ans,  Théodore  accom- 
plit son  œuvre.  «  Il  fonde  en  divers  lieux  des  écoles  pour 
l'éducation  de  la  jeunesse,  et,  de  concert  avec  sessufî"ragants, 
il  organise  un  système  régulier  d'administration  et  de  disci- 
pline pour  la  meilleure  direction  du  clergé  (p.  viii).  »  On  a 
dit  que  les  évêques  avaient  fait  le  royaume  de  France  comme 
les  abeilles  font  leur  ruche  :  cela  est  pareillement  vrai  de 
l'Angleterre.  «  11  n'est  peut-être  point  de  pays  en  Europe  où 
la  main  des  moines  ait  été  plus  profondément  empreinte  que 
dans  ce  royaume  d'Angleterre.  Les  noms  de  ses  villes,  de  ses 
forteresses,  de  ses  contrées  les  plus  florissantes,  rappellent 
presque  toujours  la  grotte  d'un  solitaire  ou  la  petite  cellule  de 
quelque  cénobite  bientôt  changée  en  un  vaste  monastère...  Ils 
défrichent  les  terrains  incultes,  comblent  les  bas-fonds  et  les 
marais,  assainissent  les  étangs  et  les  marécages  et  font  sortir 
partout,  comme  par  enchantement,  une  végétation  luxuriante 


AvriH8G3.1  BIBLIOGRAPHIE.  391 

là  OÙ  jusqu'alors  les  yeux  n'avaient  rencontré  que  des  landes 
arides.  Les  dons  de  la  piété,  les  expiations  du  repentir,  mul- 
tiplient en  tous  lieux  les  maisons  de  prière,  d'étude  et  de  tra- 
vail, autour  desquelles  les  populations  se  groupent  avec  em- 
pressement comme  dans  un  port  assuré  (p.  ix  s.).  »  Rien  n'est 
touchant  à  lire  comme  le  récit  des  heureux  débuts  de  l'Égiise 
naissante  d'Angleterre  et  de  son  vif  attachement  à  la  chaire  de 
saint  Pierre.  Elle  conserva  principalement  le  souvenir  de  l'af- 
fection que  saint  Grégoire  avait  témoignée  à  ses  pères.  On  voit 
de  puissants  monarques  quitter  tout  généreusement,  «  hon- 
neurs, richesses,  famille,  patrie,  pour  s'en  aller,  humbles  pèle- 
rins, au  tombeau  de  saint  Pierre  et  y  terminer  leurs  jours 
dans  la  solitude  et  la  prière...  Ils  trouvaient  honteux  que  le 
Chef  de  l'Église  éprouvât  les  incommodités  du  besoin,  et  chaque 
nouveau  monarque  s'empressait,  par  de  riches  dotations,  de 
manifester  son  respect  pour  le  successeur  de  saint  Pierre  et 
de  contribuer  d'une  partie  de  ses  biens,  au  gouvernement  de 
l'Église  universelle  (p.  x  s.).  »  C'est  ce  pieux  sentiment  qui 
amena  l'institution  du  denier  de  saint  Pierre.  «  Toute  famille 
qui  possédait  un  certain  revenu  envoyait  au  Siège  apostolique 
son  offrande  annuelle  d'un  sou  d'argent.  Ina,  roi  de  Wessex, 
l'imposa  le  premier,  pour  associer  ses  sujets  aux  témoignages 
de  son  attachement  à  Rome  et  leur  rappeler  sans  cesse  d'où 
leur  était  venue  cette  éclatante  lumière  de  l'Évangile  qui  bril- 
lait à  leurs  yeux.  Plus  tard,  Ofla  l'étendit  à  son  royaume  de 
Mercie,  Éthelwulf,  père  du  grand  Alfred,  à  toutes  les  provin- 
ces des  Saxons,  et  enfin,  Edouard  le  Confesseur  porta  lui-même 
le  statut  qui  réglait  cette  libéralité  reconnaissante  de  toute  la 
nation  envers  la  papauté  (p.  xi  s.)  »,  On  peut  le  dire,  cet  atta- 
chement au  Saint-Siège  était  l'âme  de  l'Église  d'Angleterre.  Il 
semblait  que  rien  ne  pouvait  l'en  extirper.  Sous  Elisabeth, 
on  martyrisait  un  saint  prêtre.  Le  bourreau  avait  jeté  au  feu 
les  entrailles  du  martyr,  et  tenait  dans  sa  main  son  cœur  pal- 
pitant :  Saint  Grégoire,  priez  pour  moil  s'écriait-il.  —  Fameux 


392  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

papiste,  s'écria  le  bourreau,  j'ai  son  cœur  dans  ma  main,  et 
Grégoire  est  encore  dans  sa  bouche  !  »  C'était  le  cri  de  l'Église 
expirante,  et  la  prière  pour  des  jours  meilleurs. 

L'Ile  des  pirates  était  devenue  l'Ile  des  saints  ;  l'Heptarchie 
donnait  à  Charlemagne  des  docteurs  et  des  savants.  «  C'est  là 
qu'on  venait  chercher  des  pontifes  et  des  dignitaires  ecclé- 
siastiques... Quels  beaux  noms  à  rappeler  que  ceux  de  saint 
Cuihbert,  de  saint  Chad,  de  saint  Wilfrid,  de  saint  Winfrid  ou 
Boniface...  et  de  tant  d'autres  !  Et  le  vénérable  Bède...  à  qui 
Mélancthon  reconnaît  «  une  rare  science  du  grec,  du  latin,  des 
mathématiques,  de  la  philosophie  et  de  la  littérature  sa- 
crée !  (p.  xrv  s.)  » 

Les  pirates  danois  ou  normands  ravagent  cette  belle  Église. 
Le  sang  du  roi  Edmond,  percé  de  leurs  flèches,  cria  vengeance 
contre  eux  et  appela  un  vengeur  qui  fut  le  grand  Alfred. 
Conduit  à  Rome,  à  l'âge  de  six  ans,  par  son  père  Éthelwulf, 
adopté  et  sacré  roi  par  Léon  IV,  élevé  auprès  de  la  chaire  apos- 
lique,  ce  prince  déploya  sur  le  trône  les  qualités  qui  font  les 
meilleurs  et  les  plus  illustres  monarques.  Sa  mort  rendit  aux 
pirates  leur  audace  et  leurs  succès.  Ils  s'emparèrent  du  pou- 
voir ;  Suénon  couvrit  l'Angleterre  de  sang  et  de  ruines.  Son  fils 
Canut  quitta  les  bords  de  la  Tamise  et  alla  lui  aussi,  pèlerin 
dévot,  visiter  Rome  et  le  pape  Jean.  «  Sachez-le  bien,  disait-il 
à  ses  sujets  en  revenant,  j'ai  voué  ma  vie  au  service  de  Dieu. 
Je  veux  gouvernermon  peuple  avec  équité  et  observer  la  justice 
en  toutes  choses.  »  Et  il  allait  déposer  sa  couronne  d'or  sur 
le  christ  du  maître-autel  de  la  cathédrale  de  Winchester. 

«  La  race  danoise,  après  une  possession  de  26  ans,  laisse  le 
trône  aux  anciens  rois  saxons.  Ces  derniers,  avant  de  dispa- 
raître pour  toujours  de  la  scène,  donneront  encore  un  exemple 
de  dévouement  éclatant  au  Saint-Siège  dans  la  personne  d'E- 
douard le  Confesseur  (p.  xxs.).  »  Ce  prince  avait  fait  le  vœu 
d'aller  à  Rome,  mais,  comme  il  en  fut  empêché  par  les  affaires 
de  l'Etat,  saint  Léon  IX  l'autorise  à  remplacer  son  pèlerinage 


Avril  18C   1  BIBLIOGBAPHIE  393 

par  la  construction  d'un  monument  digne  de  sa  piété.  «  Telle 
fut  l'origine  de  cette  majestueuse  abbaye  de  Westminster^  à  la- 
quelle se  rattachent  taat  de  souvenirs  religieux  et  patrioti- 
ques, et  qui  fut  comme  le  dernier,  mais  impérissable  témoi- 
gnage de  la  foi  des  rois  anglo-saxons  au  déclin  de  leur  puis- 
sance (p.  xxi).  » 

Guillaume-le-Bâtard,  avec  les  Normands,  conquit  l'Angle- 
terre. «  Autant  les  dynasties  anciennes  avaient  été  reconnais- 
santes envers  le  Saint-Siège  et  dévouées  à  l'Église  romaine, 
autant  les  rois  normands  se  montrent  pour  l'ordinaire  égoïstes, 
jaloux  et  hautains  (p.  xxi).  »  C'est  l'époque  des  persécutions 
brutales  exercées  contre  Lanfranc,  saint  Anselme,  saint  Tho- 
mas Becket  et  tant  d'illustres  archevêques  de  Cantorbéry. 
«Toutefois,  au  milieu  de  ces  discussions  et  de  ces  débats  irritant  s, 
le  dépôt  sacré  de  la  foi  n'eut  jamais  à  souffrir.  Aussi,  quand 
l'hérésiarque  Wiclef  commença  à  prêcher  ses  erreurs  dans  ce 
royaume,  un  cri  de  réprobation  et  de  colère  s'éleva  contre  le 
novateur  sacrilège.  Ce  cri  ne  fut  ni  moins  fort  ni  moins  gé- 
néral quand  Luther  osa  s'attaquer  audacieusement  au  Chef 
suprême  de  la  chrétienté,  et  l'Angleterre  donna  alors,  dans  la 
personne  de  son  jeune  monarque,  un  témoignage  de  fidélité 
à  la  chaire  de  saint  Pierre,  unique  dans  l'histoire  et  digne  des 
plus  beaux  siècles  de  l'Église  (p.  xxiii).  » 


II. 


Une  passion  criminelle  contrariée  par  le  Saint-Siège  change 
l'amour  et  le  respect  envers  la  sainte  Église  romaine  en  colère 
et  vengeance.  Une  implacable  animosité,  tel  a  été  le  caractère 
de  la  révolution  religieuse  en  Angleterre  sous  Henri  VIIF.  Ce 
prince  qui,  selon  l'expression  du  protestant  Burnet,  fut  «  jus- 
qu'à la  fin  de  sa  vie  plus  papiste  que  protestant,  »  accomplit 
surtout  le  schisme,  la  rupture  avec  Rome.  A  ses  côtés  veillent 
comme  deux  mauvais  génies  Thomas  Cromwell  et  Thomas 


394  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

Cranmer.  Rien  ne  leur  fut  difficile  avec  une  noblesse,  et  un 
clergé  «  qui  avaient  abandonné  l'un  et  l'autre  le  véritable  sen- 
timent de  leur  dignité  et  de  leurs  droits  avec  celui  de  leurs 
devoirs....  Soit  craiute,  soit  illusion  ou  séduction  peut-être, 
l'épiscopat  d'Angleterx'e  donna  sous  le  règne  d'Henri  VIII 
le  plus  triste  comme  le  plus  humiliant  spectacle.  La  défection 
fut  générale  :  et  si  l'on  excepte  le  noble  et  courageux  évêque 
de  Rochester,  pas  un  des  évèques  du  royaume  n'ouvrit  la 
bouche  pour  protester  contre  de  sacrilèges  violences  et  répéter 
cette  parole  évangélique  du  Précurseur  au  nouvel  Hérode  : 
Non  licet,  il  ne  vous  est  pas  permis.  Jean  Fisher  seul  l'osa, 
et  sa  tête,  commme  celle  de  Jean-Baptiste,  tomba  sous  le  fer 
du  bourreau  (p.  xxvi  s.),  » 

On  sait  le  fait  :  Henri  est  reconnu  chef  suprême  de  l'Eglise  : 
«  il  fait  porter  une  loi  qui  interdit  les  appels  à  Rome  ;  il  défend 
au  clergé  de  se  réunir  en  convocation  sans  sa  permission  ;  de 
décider  quoi  que  ce  soit,  même  dans  les  matières  purement 
spirituelles,  qu'il  n'ait  approuvé  lui-même  (p.  xxx).  »  Ainsi  l'É- 
glise d'Angleterre  se  révolte  contre  le  légitime  Pontife  et  se 
soumet  au  chef  illégitime  qui  sera  d'abord  un  tyran,  puis  un 
enfant,  puis  une  femme. 

Les  couvents  et  les  églises  sont  pillés,  mille  vexations  sont 
inventées,  et  saint  Thomas  Becket  est  cité  au  tribunal  de 
Henii  pour  rendre  compte  de  ses  sacrilèges  attentats  contre  la 
royauté  !  Les  hérésies  protestantes  veulent  s'introduire  ; 
Henri  commande,  et  le  bill  du  sang  ou  des  six  articles  est 
adopté  dans  le  Parlement.  La  mort  frappa  enfin  ;  «  Henri  VIII 
descendit  au  tombeau  couvert  du  sang  de  deux  épouses, 
d'un  cardinal,  de  douze  ducs,  marquis,  comtes  ou  fils  de 
comtes,  de  dix-huit  barons  ou  chevaliers,  de^soixante-dix-sept 
abbés,  prieurs,  moines  ou  prêtres,  et  d'une  multitude  d'indi- 
vidus de  moindre  rang  et  de  diverses  croyances  religieuses 
(p.  xxxix).» 

L'auteur  esquisse  ensuite  le  règne  d'Edouard  VI,  durant  le- 


Avril  1853.]  BIBLIOGRAPHIE.  395 

quel  s'établit  l'hérésie.  Grâce  à  riufliience  des  sinistres  génies 
qui  entouraient  le  trône,  ou  formule  en  tâtonnant  un  symbole 
de  foi,  on  pille,  on  détruit  les  belles  abbayes.  «  Qui  peut  se 
souvenir  sans  tristesse  et  sans  indignation,  s'écrie  le  D^  Sou- 
they,  de  tant  de  monuments  magnifiques  qui  ont  été  renversés 
dans  cette  tumultueuse  destruction  ?  »  Les  évêques  «'-  livrent 
eux-mêmes  une  partie  des  biens  de  leurs  églises  pour  en  con- 
server un  faible  reste  avec  leur  siège  déshonoré  (p.  xlvti).  » 
On  purge  les  bibliothèques.  Les  missels,  les  légendaires  et  autres 
livres  choraux  richement  couverts  sont  enlevés  ;  on  emporte 
des  chariots  pleins  de  manuscrits  qui  sont  livrés  à  des  usages 
scandaleux;  on  se  débarrasse,  comme  de  témoins  importuns, 
des  Pères  et  des  scolastiques  qui  sont  mis  au  feu  comme  si  les 
flammes  pouvaient  étouffer  la  vérité.  Il  faut  lire  dans  l'ouvrage 
lui-même  les  effets  sociaux  produits  par  la  réforme  an- 
glaise. 

Marie  voulut  réconcilier  l'Angleterre  avec  la  sainte  Église, 
mais  «  presque  tous,  ses  amis  aussi  bien  que  ses  ennemis,  par 
leurs  imprudences  ou  leurs  prétentions,  concoururent  à  faire 
échouer  son  dessein  (p.  lxxxix).  »  Au  moment  où  cette  reine 
allait  recevoir  dans  le  ciel  la  couronne  destinée  à  ses  vertus 
méconnues,  Elisabeth,  qui  était  à  ses  côtés,  s'écria  spontané- 
ment :  c(  Si  je  ne  suis  pas  en  toute  sincérité  catholique  ro- 
maine, je  prie  Dieu  d'entr'ouvrir  la  terre  sous  mes  pieds  et  de 
m'ensevelir  toute  vivante.   » 


IIL 


«  Je  ne  puis  m'empêcher  d'observer  avec  autant  d'indigna- 
tion que  de  tristesse,  dit  un  historien  anglais,  qu'Elisabeth, 
grâce  à  toutes  les  ressources  de  sa  malignité,  semble  avoir  été 
une  femme  excessivement  méchante;  qu'elle  a  uni  au  même 
degré  dans  sa  personne  la  corruption  humaine  dans  ce  qu'elle 
à  de  sensuel  et  de  malicieux,  qu'elle  l'a  poussée  à  ses  limites 


396  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

extrêmes,  comme  l'hypocrisie  qu'elle  y  a  ajoutée,  et  qu'ainsi 
elle  a  été  entre  tous  un  vrai  prodige  de  scélératesse  (p.  478).  » 

Ces  paroles  résument  Tliistoire  du  règne  d'Elisabeth.  A 
peine  arrivée  au  pouvoir,  elle  travaille  à  établir,  à  régulariser 
la  réforme.  Le  Parlement  lui  confère  la  suprématie  spirituelle 
et  consomme  le  schisme.  Elisabeth  exerce  son  pouvoir  spiri- 
tuel, fait  visiter  les  diocèses,  crée  un  nouveau  clergé,  des  divi- 
sions éclatent  dans  cette  nouvelle  église,  une  synode  se  tientà 
Saint-Paul  et  les  39  articles  sont  adoptés.  Le  clergé  catholique 
est  plus  courageux  qu'il  ne  l'avait  été  sous  Henri  VIIl.  Les 
Chartreux,  les  Bénédictins,  les  Brigittiues  sont  fidèles  et 
quittent  l'Angleterre.  Le  peuple  est  opposé  à  la  réforme,  mais 
la  pression  royale  la  fait  triompher.  Les  puritains  s'agitent, 
Marie  Stuartse  rend  en  Écosse.^Des  conspirations  et  des  com- 
plots s'ourdissent  à  l'intérieur.  Il  y  a  des  catholiques  faibles 
qui,  voulant  tout  concilier  et  éviter  les  extrémités  sans  pacti- 
ser avec  l'hérésie,  se  conforment  à  la  séparation  d'avec  Rome. 
Pie  IV  fait  auprès  d'Elisabeth  les  plus  tendres  et  les  plus  vives 
instances  pour  la  ramener  à  l'unité  catholique,  saint  Pie  V 
l'excommunie  et  la  dépose.  Un  collège  catholique  anglais  s'éta- 
blit à  Douai,  puis  est  transporté  momentanément  à  Reims, 
pour  être  rétabli  bientôt  dans  la  cité  où  il  subsiste  encore  de 
nos  jours.  Il  s'eu  établit  un  autre  à  Rome. 

Elisabeth  ordonne  de  reconnaître  sa  suprématie.  Des  bills 
successifs  sont  lancés  contre  ceux  qui  refusent  ;  des  procla- 
mations, poursuivent  les  catholiques,  les  rigueurs  se  déploient, 
les  missionnaires,  les  catholiques  sont  recherchés,  mis  en  pri- 
son, torturés  physiquement  et  moralement,  avec  une  cruauté 
gu'auraient  enviée  les  plus  terribles  proconsuls  romains.  Il 
faut  lire  les  noms,  les  supplices  et  les  détails  horribles  de  cette 
persécution  dans  le  livre  de  M.  Destombes.  Jamais  l'inquisition 
espagnole  si  accusée,  si  calomniée,  n'a  commis  de  pareilles 
atrocités.  Hume  lui-même  l'a  reconnu.  Rien  n'est  émouvant 
comme  un  semblable  tableau.  C'est,  d'une  part,  la  cruauté  ro- 


Avrai863.1  BIBLIOGRAPHIE.  397 

maine,  de  l'autre,  le  courage  des  saints  martyrs.  On  dirait 
une  page  de  l'histoire  sanglante  de  la  primitive  Eglise.  Il 
y  a  là  des  réminiscences  du  paganisme,  et  du  plus  cruel. 

£nfin,  Elisabeth  tombe  dans  une  sombre  mélancolie,  elle 
dépérit  de  jour  en  jour  et  meurt  tristement.  Son  règne  de  sang 
et  de  boue  tinit  comme  on  avait  lieu  de  le  craindre;  la  fille  de 
Henri  VIII  et  d'Anne  Boleyn  suit  la  voie  de  ses  pères.  «  Ses 
artifices  et  sa  déloyauté  sous  le  règne  de  sa  sœur,  dit  en  ter- 
minant M.  Destombes,  son  hypocrisie  sacrilège  et  son  parjure 
au  commencement  de  son  règne,  les  statuts  et  les  lois  pénales 
de  sou  parlement,  la  servilité  des  grands,  l'iniquité  des  juges 
et  des  jurés,  la  ruse  des  espions,  la  violence  des  poursuivants 
et  des  hommes  d'armes,  la  dureté  des  geôliers,  la  cruauté  des 
bourreaux,  les  gémissements,  les  larmes  et  le  sang  des  oppri- 
més et  des  martyrs,  tout  a  passé  successivement  sous  nos  yeux 
dans  ces  pages  lamentables  (p.  472).  »  A  ce  triste   récit,  on 
aurait  pu  ajouter  les  machinations  d^'Elisabeth  pour  fomenter 
les  dissensions,  les  rébellions  chez  les  peuples  voisins.  Quand 
on  a  assisté  à  ce  triste  drame,  les  émotions  et  les  réflexions  se 
présentent  eu  foule.  Nous  voudrions  insister  sur  Texécution 
de  Marie  Stuart,  qui,  aux  termes  de  Benoit  XIV,  rappelés  par 
Pie  VI  à  propos  de  la  mort  de  Louis  XVI,  fut  un  vrai  martyre. 
La  nullité  des  ordinations  anglicanes  demanderait  aussi  à  être 
exposée,  quoiqu'elle  ait  été  abondamment  démontrée  par  le 
P.  Le  Gourrayer,  que  trop  de  faiblesses  pour  l'anglicanisme  en- 
traînèrent dans  d'inexcusables  erreurs.  L'admirable  figure  du 
cardinal  Allen,  si  dévoué  à  la  sainte  Église  et  aux  véritables 
intérêts  de  sa  patrie,  fournirait  de  bien  utiles  instructions.  La 
bulle  «  Regnans  in  cœlis,  »  du  25  février  1570,  nous  montrerait 
en  plein  XVl"^  siècle  l'exercice  du  pouvoir  pontifical.  Enfin,  la 
question  de  l'emploi  de  la  force,  considérée  soit  au  point  de 
vue  absolu,  soit  au  point  de  vue  relatif,  se  rattacherait  néces- 
sairement aux  violences  d'Elisabeth.  Mais  une  question  si  dé' 


398  CHRONIQUE.  [Tome  VII. 

licate  et  si  étendue,  nous  entraînerait  dans  de  trop  longs  déve- 
loppements. 

Tel  est  l'ensemble  du  livre  de  M.  Destombes.  Ce  rapide 
exposé  en  fait  voir  l'importance  et  l'utilité.  -Quelques  légères 
négligences  ne  valent  pas  la  peine  qu'on  les  signale.  Puisse  sa 
lecture  produire  les  effets  qu'elle  est  de  nature  à  opérer! 
Puisse-t-elle  accélérer  ce  mouvement  restaurateur  qui  se  fait 
remarquer  dans  l'Église  anglicane  !  Puisse  l'Angleterre  redeve- 
nir catholique  !  Puisse  notre  France  se  retremper  dans  la  vi- 
gueur de  la  foi  qu'elle  n'a  jamais  abandonnée!  Alors  ces  deux 
contrées,  a  filles  bien-aimées  d'une  même  mère,  se  dévoueront 
^vec  une  généreuse  ardeur  à  l'extension  et  à  la  gloire  de  l'É- 
glise de  Jésus-Christ!  »  (p.  cxvn  s.) 

H.  Girard. 


CHRONIQUE. 


1.  Tout  ce  qui  se  rattache  aux  progrès  de  renseignement  théologique 
a,  de  nos  jours  pins  que  jamais,  une  extrême  importance.  Nous  croyons 
donc  être  utiles  en  faisant  connaître  ce  qui  se  faitailleurs  :  trop  heureui 
si  nous  pouvions  donner  une  plus  forte  impulsion  au  mouvement  qui 
porte  vers  les  écoles  étrangères  ceux  que  leurs  talents  appellent  à  servir 
utilement  l'Église  ;  trop  heureux  surtout  si  nous  pouvions  hâter  le 
moment  où  la  France  verra  cesser  cette  situation  provisoire  qu'elle  subit 
depuis  tant  d'années  ! 

Nous  recevons  des  détails  pleins  d'intérêt  sur  l'état  de  plus  en  plus 
florissant  de  la  Faculté  de  théologie  d'Innsbruck.  Malgré  la  date  récente 
de  son  rétablissement  (1857),  cette  faculté  compte  déjà  154  étudiants 
inscrits,  dont  sept  français,  tous  du  diocèse  de  Strasbourg.  Ces  derniers, 
nous  écrit-on,  font  tous  honneur  à  leur  patrie.  Deux  d'entre  eux  se  sont 
distingués  de  la  manière  la  plus  brillante  dans  les  thèses  mensuelles  de 
cette  année  :  ce  sont  MM.  Alexandre  Zwicky,  et  Félix  Korum.  Nous 
avons  sous  les  yeux  les  thèses  de  Deocreatore,  soutenues  par  M.  Zwiky 


Avril  18G3.]  CHRONIQUE.  399 

le  15  décembre  1862,  et  les  thèses  de  Deo  uno,  soutenues  par  M.  Korum 
le  2  mars  1863.  Trois  autres  français,  MM.  Schott,  démens  et  Florence 
ont  payé  leur  dette  de  la  même  façon  l'an  dernier  :  tous  ont  fourni  la 
preuve  publique  et  authentique  de  leur  application,  de  leur  talent  et 
de  leur  savoir.  Nos  compatriotes  ont  aussi  figuré  d'une  manière  hono- 
rable dans  une  séance  en  l'honneur  des  saints  Martyrs  du  Japon,  séance 
où  l'on  a  lu  des  morceaux  en  vingt  langues  différentes. 

On  nous  transmet  encore  un  programme  complet  de  théologie  dog- 
matique eu  271  propositions,  qui  ont  fourni  la  matière  d'un  acte  public 
auquel  assistaient  un  grand  nombre  de  notabilités,  entr'autrcs  leurs 
Altesses  NN.  SS.  le  prince-archevêque  de  Salzbourg,  le  prince-évêque 
de  Brixen,  et  le  prince-évêque  de  Trente.  Le  soutenant  était  un  scola- 
stique  de  la  Compagnie  de  Jésus,  le  P.  Quarella.  Il  s'est  montré  digne  de 
paraître  devant  une  assistance  aussi  illustre . 

Outre  les  Jésuites,  qui  comptent  32  étudiants  à  Innsbruck,  les  Servîtes, 
les  Bénédictins,  les  Cisterciens  y  envoient  des  sujets.  Les  étudiants 
en  théologie  sont,  comme  les  années  précédentes,  presque  tous  réunis 
au  séminaire  de  Saint-Nicolas  sous  la  direction  des  PP,  Jésuites.  Le 
Souverain-Pontife  s'est  plu  à  manifester  sa  bienveillance  pour  les  élèves 
de  cette  maison  par  les  faveurs  spirituelles  qu'il  a  répandues  sur  eux  ; 
il  a  même  daigné  leur  adresser  deux  brefs,  en  réponse  à  des  adresses 
collectives.  Voici  le  plus  récent  : 

DlLECTiS   FiLIIS 

Alumnis  Seminarii  Sancli  Ntcolai  Œnipontem. 

Plus   PP.  IX. 

Dilecti  "Filii,  Salutem  et  Aposfolicam  Benedictionem.  Nuper  Nobis  red- 
ditcp,  fuere  vestrae  Littereedie  12  proximi  mensis  Octobris  datae,  quibus, 
Dilecti  Filii,  ubi  primum  hoc  anno  istud  Sancti  Nicolai  Seminarium  in- 
gressi  siugularem  vestram  erga  Nos,  et  banc  Pétri  Cathedram  fidem, 
amorem,  et  veneratiouem  luculenter  profiteri  voluistis.  Gratissimum 
Nobis  fuit  hujusmodi  eximiae  vestrse  filialis  pietatis  et  observantiae  testi- 
monium  omni  certe  lande  dignum.  Ac  vos  etiam  algue  etiam  horlamur, 
ut  vesli  œ  vocationis  semper  memores  velitis  quotidie  mngisvirtutum  omnium 
ornatu  f'ulgere,  ac  sacras  prœsertim  disciplinas  ab  omni  prorsus  cujusqm 
erroris  periculo  aliénas  sludiosissime  excolere,  ut  viiœ  sanctiiate ,  ac  salu- 
taris  doctiinœ  laude  speciati,  possitis  sub  vestrorum  antistitum  ductu  stre- 
nue  prœliari  prœlia  Domini  et  animorum  saluti  consulere.  Jam  vero 
débitas  Vobis  agimus  gratias  pro  munere,  quod  ad  Nostras,  et  hujus 
Sanclae  Sedis  sublevandas  angustias  mittere  voluistis.  ûenique  omnium 
cœlestium  munerum  auspicem  et  prœcipuse  Nostrse  paternoe  caritatis 
pignus  Apostolicam  Benedictionem  intimo  cordis  affectu  S'obis  ipsis, 
Dilecti  Filii,  peramanter  impertimus. 

Datum  Romœ  apud  Sanctum  Petrum  die  20  Novembris  auuo  1862. 

Pontiiîcatus  Nostri  anno  decimo  seplimo. 

Plus  PP.  IX. 


4C0  CHRONIQUE.  [Tome  VU 

En  parlant  plus  haut  des  études,  nous  avons  oublié  de  mentionner  les 
questions  mises  au  concours,  selon  l'usage  des  universités  d'Allemagne. 
Celle  de  18G2-1863,  était  celle-ci: 

Instituatur  disqmsilio,  quo  sensu  Christus  Malach.  3,  1,  appelletur  An- 
gélus testamenti  et  utrum  Angélus  ille  qui  in  Scripfuris  V.  T.  Angélus 
Domini  vocatur  [Gen.  16,  7,  seqq.;  19,  19,  seqq.  ;  21,  27,  seqq.  :  22,  11, 
seqq.  ;  32,  25,  seqq.  Jos.  5,  13,  seqq.  Jud.  2,  i,  seqq.  ;  6,  il ,  seqq.  ;  13,  3, 
seqq.) y  fuerit  filins  Dei. 

La  dissertation  qui  a  obtenu  le  prix  donné  par  la  munificence  des 
états  du  Tj-rol  est  celle  de  M.  Pierre  Silvestri,  du  diocèse  de  Trente, 
élève  de  la  maison  de  Saint-Nicolas.  Pour  cette  année  (1863-1864),  la 
question  proposée  est  celle-ci: 

Conscribatur  commentarius  juridicus  de  concordalis,  in  quo  accuratius 
exponantur  quœ  ad  naturam,  auctoritatem,  interpretationem,  rescissionem 
concordatorum  inter  Sedem  Apostolicam  et  societates  civiles  initorum 
pertinent. 

2.  Nous  lisons  dans  le  journal  le  Monde,  la  lettre  suivante  de  M.  le 
doyen  du  chapitre  de  Périgueux,  qui  fait  connaître  une  nouvelle  décision 
de  la  S.  G.  du  Concile  analogue  à  celle  que  nous  avons  publiée  dans 
notre  dernier  numéro  (p.  277  ss.),  et  même  plus  étendue  encore. 

Périgueux,  le  5  avril  1863. 

Monsieur , 

Le  chapitre  de  la  cathédrale  de  Périgueux,  après  la  mort  de  Mgr  Baudry, 
de  vénérée  mémoire,  a  nommé  trois  vicaires  capitulaires;  Userait  proba- 
blement utile  qu'on  sût  qu'il  ne  l'a  fait  qu'en  vertu  d'une  réponse  de 
Rome,  sollicitée  par  dépêche  télégraphique. 
Voici,  du  reste,  textuellement  la  demande  et  la  solution  obtenue  : 
«  Le  siège  vaque.  Le  Chapitre  peut-il  nommer  trois  vicaires  capitu- 
«  laires,  à  cause  de  l'étendue  du  diocèse,  selon  la  pratique  généralement 
«  suivie? 

«  Signé  :  du  Pavillon,  doyen.  » 

«  DE  MoNBRUN,  chanoine.  » 

Canonicis  du  Pavillon,  de  Monbrun. 

«  Congregatio  Concilii  quaestloni  quoad  nominationem  vicariorum  sede 
«  vacante  respondet:  posse  tolerari.  Archiepiscopus  Sardianus, 

prosecretarius.  » 
Veuillez  agréer,  etc.  A.  du  Pavillon. 


Arras.  —  Typographie  Rousseau-Leroy,  rue  Saint-Maurice,  26. 


LE    SPIRITISME. 


Troisième  et  dernier  article. 


III. 


Le  plus  rapide  coup  d'œil  jeté  sur  l'histoire  nous  montre 
que  toujours  il  y  a  eu  un  commerce  entretenu  par  les  hommes 
avec  les  esprits,  que  toujours  les  esprits  se  sont  manifestés  sur 
la  terre.  Ce  fait  n'est  pour  personne  le  sujet  du  moindre  doute. 
Il  a  existé  sous  mille  formes  et  dans  toutes  les  contrées.  Ma- 
giciens, sorciers,  sorcières,  prophétesses ,  fées,  convulsion- 
naires,  mystiques,  théosophes  ;  possessions,  somnambulisme, 
magnétisme,  mesmérisme,  etc.,  tout  cela  se  rapporte  plus  ou 
moins  directement  aux  relations  illicitement  entretenues  avec 
les  esprits.  Ce  serait  donner  à  notre  travail  l'étendue  d'un 
livre  que  de  vouloir  rapporter  même  rapidement  les  faits 
déjà  cités  par'-Gœrres  dans  sa  Mystique  diabolique,  par  M.  de 
Mirville  dans  son  livre  des  Esprits  et  de  leurs  manifestations 
fiuidigues.  par  RI.  Des  .Mousseaux,  par  les  compilateurs  des 
dictionnaires  de  sciences  occultes,  et  par  d'autres  auteurs  sa- 
vants et  estimables. 

Un  fait  aussi  éclatant  et  aussi  incontestable  que  le  premier, 
c'est  que  l'Eglise  n'a  cessé  d'impronver  le  commerce  avec  les 
esprits,  qu'elle  l'a  toujours  taxé  de  péché  contre  la  vertu  de 
religion  ;  que  les  Papes,  les  inquisiteurs,  les  docteurs,  le  Ri- 
tuel l'ont  expressément  condamné,  et  que  ce  commerce  lui- 
même  s'est  toujours  signalé  par  un  caractère  plus  ou  moins 

Revue  des  scienxes  eccuÉsiASiiQUES,  t.  vu.  26-27. 


402  LE   SPIRITISME  [TomeVIK 

manifeste  d'opposition  à  la  religion  chrétienne.  iYo^  vos  socios 
fieri  dsemoniorum  (I  Cor.,  x,  20).  Celte  parole  de  l'Apôtre  ré- 
sume la  pensée  et  la  conduite  de  l'Église  toutes  les  fois  qu'il 
s'est  agi  du  démon. 

Le  spiritisme  n'est  qu'un  anneau  de  cette  longue  chaîne  de 
superstitions.  Ce  n'est  pas  nous  qui  le  disons  :  «  Le  spiritisme 
n'est  point  une  découverte  moderne  ;  les  faits  et  les  principes 
sur  lesquels  il  repose  se  perdent  dans  la  nuit  des  temps,  car 
ou  en  trouve  les  traces  dans  les  croyances  de  tous  les  peuples, 
dans  toutes  les  religions,  dans  la  plupart  des  écrivains  sacrés 
et  profanes;  seulement,  les  faits  incomplètement  observés  ont 
souvent  été  interprétés  selon  les  idées  superstitieuses  de  l'igno- 
ratce,  et  l'on  n'en  avait  pas  déduit  toutes  les  conséquences. 
En  effet,  le  spiritisme  est  fondé  sur  l'existence  des  esprits  ; 
mais  les  esprits  n'étant  autres  que  les  âmes  des  hommes,  de- 
puis qu'il  y  a  des  hommes,  il  y  a  des  esprits  ;  le  spiritisme  ne 
les   a  ni  découverts  ni  inventés.  Si  les  âmes  ou  les  esprits 
peuvent  se  manifester  aux  vivants,  c'est  que  cela  est  dans  la 
nature,  et  dès  lors,  ils  ont  dû  le  faire  de  tout  temps  j  aussi, 
de  tout  temps  et  partout,  trouve-t-on  la  preuve  de  ces  mani- 
festations qui  abondent  surtout  dans  les  récits  bibliques.  Ce 
qui  est  moderne,  c'est  l'explication  logique  des  faits,  la  con- 
naissance plus  complète  de  la  nature  des  esprits,  de  leur  rôle 
et  de  leur  mode  d'actionj  la  révélation  de  notre  état  futur, 
enfin,  sa  constitution  en  corps  de  science  et  de  doctrine  et  ses 
diverses  applications.  Les  anciens  connaissaient  le  principe, 
les  modernes  connaissent  les  détails.  Dans  l'antiquité,  l'étude 
de  ces  phénomènes  était  le  privilège  de  certaines  castes,  qui 
ne  les  révélaient  qu'aux  initiés   à  leurs   mystères  ;   dans  le 
moyen-âge, ?ceux  qui  s'en  occupaient  ostensiblement  étaient   jj 
regardés  comme  sorciers,  et  on  les  brillait  (1)  ;  mais  aujour- 
d'hui on  ne  brûle  plus  personne;  tout  se  passe  au  grand  jour, 

(-1)  Témoin  le  Parlement  anglais  qui,  en  plein  prolestanlisrae,  en  flt 
brûler  plusieurs  milliers. 


Mai  18G31.  I-B  SPIRITISME.  403 

et  tout  le  monde  est  à  même  de  s'éclairer  et  de  pratiquer,  car 
les  médiums  se  trouvent  partout. 

«  La  doctrine  même  qu'enseignent  les  esprits  aujourd'hui 
n'a  rien  de  nouveau  ;  on  la  trouve  par  fragments  chez  la  plu- 
part des  philosophes  de  l'Inde,  de  l'Egypte  et  de  la  Grèce  (1).  » 

Il  y  a  seize  siècles,  Tertullien  décrivait,  dans  son  célèbre 
Apologétique,  le  phénomène  qui  se  produit  de  nos  jours.  Au- 
jourd'hui, on  pourrait  dire  comme  lui  :  a  Magi  phantasmata 
edunt  et  jam  defuncM^um  infamant  animas...  habentes  semel  in- 
vitatorum  angelorum  et  dœmonum  assistentem  sibi  potestatem, 
per  qiios  et  coprse  et  mensx  divinare  consueverunt.  »  [Apol.  xxiii.) 
Les  chèvres  n'ont  encore,  à  notre  connaissance  du  moins, 
joué  aucun  rôle  spirite,mais  elles  pourraient  sans  difficulté  en 
remplir  un.  «  Un  monsieur  avait  dans  son  jardin  un  nid  de 
chardonnerets,  auxquels  il  s'intéressait  beaucoup;  un  jour, 
le  nid  disparut.  S'étant  assuré  que  personne  de  chez  lui  n'était 
coupable  du  délit,  comme  il  est  lui-même  médium,  il  eut 
l'idée  d'évoquer  la  mère  des  petits  ;  elle  vint,  et  lui  dit  eu 
très-bon  français  :  «  N'accuse  personne,  et  rassure-toi  sur  le 
«  sort  de  mes  petits;  c'est  le  chat  qui,  en  sautant,  a  renversé 
«  le  nid;  tu  le  trouveras  sous  l'herbe,  ainsi  que  les  petits,  qui 
«n'ont  pas  été  mangés.  »  Vérification  faite,  la  chose  fut 
trouvée  exacte.  Faut-il  en  conclure  que  c'est  l'oiseau  qui  a 
répondu?  Non,  assurément,  mais  simplement  qu'un  esprit 
connaissait  l'histoire  (2).  »  Une  chèvre  aurait  pu  tout  aussi 
bien  donner  les  renseignements  désirés. 

•Après  Tertullien,  nous  trouvons  des  traces  de  relations  avec 
les  esprits.  Saint  Augustin  traite  rapidement  cette  matière 
dans  sou  livre  de  Divinatione  qui  se  trouve  dans  la  Patrologie  de 
M.  Migne,  au  t.  vi,  col .  682.  Au  tome  m  de  ses  œuvres  (col.  880), 
ce  saint  docteur,  argumentant  de  la  perm.ission  que  les  démons 
demandèrent  d'entrer  dans  des  porcs,  conclut  que  ces  mau- 

(1)  Le Splrilisme  à  saplus  i-mple  expr^^sion^  p.  12. 

(2)  Livre  des  Médiums,  p.  377. 


404  LE  SPIRITISME.  [Tome  VU. 

vais  esprits  ne  peuvent  rien  sans  la  permission  de  Dieu,  ajou- 
tant que  cette  permission  est  accordée  par  la  justice  qui  régit 
toutes  choses,  soit  pour  éprouver,  soit  pour  punir.  Et,  queniad- 
modum  de  porcis  manifestum  est,  quod  in  eos  non  issent,  sic  intelli- 
gendum  est  nihil  eos  in  quemquam  posse  nisi  permisses  :  permitti 
autem  justifia,  quà  reguntur  oinnia,  sive  pi^obationis  causa,  sive 
vindictx,  vel  ad  damnât lonem  vel  ad  correctionem  irrogatx. 

Un  vieil  auteur  africain  du  vi«  siècle,  Eugyppius,  par- 
lant de  certaines  superstitions,  les  réprouve  comme  des 
pactes  établis  avec  les  démons  :  Ad  eadem  illa  quasi  quxdam 
cum  dxmombus  pacta  et  conventa,  referendx  sunt.  Et  il  ajoute 
ces  paroles  qui  s'appliquent  si  parfaitement  au  spiritisme  : 
Hinc  enim  fit  ut,  occulto  quodam  judicio  divino,  cupidi  malarum 
rerum  homines  tradantur  illudendi  et  decipiendi  pro  meritis  vo- 
luntatum  suarum,  illudentibus  eos  atque  decipientibus  prxvarica- 
toribus  a»gelis,  quibus  ista  mundi  pars  infma,  secundum  pul- 
cherrimum  ordinem  rei^m,  divinx  providentise  lege,  subjecta  est  : 
quibus  illusionibus  et  deceptionibus  evenit,  ut  istis  superstitiosis 
et  perniciosis  divinationum  generibus,  multa  prxterita  et  futura 
dicantur,  nec  aliter  accidant  quam  dicuntur,  multaque  observan- 
tibus  secundum  observationes  suas  eveniant,  quibus  implicati 
curiosiores  fiant  et  sese  magis  magisque  insérant  multiplicibus 
laqueis  perniciosissimi  erroris.  Hoc  genus  fornicationis  animse. 
salubriter  divina  scriptura  non  tacuit...  [Pati^ologie  Migne, 
t.  Lxii,  col.  930.) 

Nous  n'eu  finirions  pas  si  nous  voulions  suivre,  dans  les  écri- 
vains ecclésiastiques  des  différents  siècles,  l'histoire  non  inter- 
rompue des  relations  avec  les  démons.  Chose  remarquable  !  le 
dogme  favori  du  spiritisme  est  attaqué  par  les  auteurs  catho- 
liques avec  une  vigueur  particulière.  Nicéphore  Callisle,  au 
chapitre  xxxiii  du  livre  v,  parle  de  ces  esprits  qui  seraient  de- 
venus des  âmes  humaines,  sentiment  que  saint  Jérôme  {In 
Aggxum,  cap.  i),  reproche  aux  origénistes  et  que  saint 
Sophrone^  évêque  de  Jérusalem,  signale  comme  erroné  dans 


Mai  1853.)  LE  SPIRITISM!-.  403 

sa  lettre  au  patriarche  de  Consiantinople,  Sergius,  lettre 
approuvée  dans  le  sixième  concile  œcuménique.  Saint  Epi- 
phane  écrivait  à  Jean  de  Jérusalem  :  a  Origèue  prétend  que 
les  âmes  ont  été  des  anges  dans  le  ciel,  »  et  saint  Léon  le 
Grand  s'exprime  ainsi  dans  sa  lettre  xi^  :  Jn  Origene  merito 
damnatum  est  guod  animarum,  antequavi  corporibus  insérèrent 
tur,  nonsolum  vitas  sed  et  diversas  fuisse  asserit  actiones. 

Au  xiii«  siècle,  saint  Thomas  d'Aquin,  faisant  allusion  aux 
pratiques  de  son  temps,  démontrait  ces  propositions  qui  n'ont 
malheureusement  rien  perdu  de  leur  actualité  :  Dxmones  fin- 
gunt  se  esse  animas  defunctoimm  ut  inducant  in  errorem,  veletiam 
divinadispensatione  apparent  animx  defunctorum...Dxmon  veri- 
tatem  dicit  ut  decipiat...  Dxmones  alliciuntur  diversis  generibus 
herbarum,  animalium,  carminum  et  rituum,  ut  signis,  non  autem 
ut  rébus...  Dxmones  vocati  sub  certa  constellatione  veniunt... 
Dxmones  faciunt  aliquas  Ixvitates,  ut  sint  familiares  hominibus 
quos  conantur  decipere...  Non  licet  habere  familiaritatem  cum 
dxmone,  nec  requirere  veritatem  ab  eo  ad  cognitionem  occultorum. 
L'index  de  la  Somme  théologique  fournit  plusieurs  indications 
de  ce  genre. 

Nous  pourrions  facilement  trouver  dans  les  scolastiques 
bien  des  traces  et  bien  des  allusions  à  notre  sujet.  Les  écrits 
des  premiers  réformateurs  eux-mêmes  nous  montreraient 
leurs  fréquents  colloques  avec  les  esprits  des  ténèbres,  et 
l'histoire  nous  assurerait  que,  depuis  le  protestantisme,  l'action 
des  démons  a  été  beaucoup  plus  déchaînée  que  dans  les  âges 
précédents.  Aujourd'hui,  le  dragon  semble  triompher.  Spiritus 
autem  manifeste  dicit,  quia  in  novissimis  temporibus,  discedent 
quidam  a  fidè,  attendentes  spiritibus  erroris  et  doctrinis  dxmo- 
niorum  (ITim.,  iv,  î). 

Parallèlement  à  cet  enseignement  des  écrivains  catholiques, 
se  déroule  un  mouvement  ténébreux  et  non  interrompu  de 
pratiques  coupables  qui  se  terminent  toujours  par  le  péché  de 
la  chair,  selon  cette  pensée  de  saint  Thomas  :  Dxmones  maxi- 


^03  LE   SPIRITISME.  [Tome  VIT 

me  gaudent  de  peccato  luxunx,  propter  difficultatem  evadendt. 

11  n'est  donc  pas  nécessaire  d'insister  beaucoup  sur  les  ra- 
cines et  les  antécédents  du  spiritisme.  Son  caractère  et  ses 
aveux  le  placent  parmi  les  phénomènes  ténébreux  qui  ont 
été,  dans  tous  les  temps,  l'objet  de  l'abomination  du  Sei- 
gneur, que  l'Église  n'a  cessé  de  proscrire  et  que  la  théologie 
catholique  a  rappelés  et  anathématisés  dans  tous  les  âges. 

Les  observations  qui  précèdent  ne  renferment  rien  de  sur- 
prenant. Dieu  a  ses  dogmes,  Satan  a  ses  négations  :  Jésus 
a  ses  rites,  auxquels  il  a  attaché  des  efifets  surnaturels  ;  Satan 
a  ses  pratiques,  auxquelles  sont  attachés  certains  effets  dont 
il  est  l'auteur.  Or,  ces  effets  ne  résultant  de  ces  pratiques  ni 
par  une  vertu  naturelle,  ni  par  une  vertu  divine,  quiconque 
s'y  livre,  même  en  protestant  qu'il  ne  veut  à  aacun  prix  être 
en  contact  avec  le  démon,  quiconque  se  met  dans  les  conditions 
voulues  par  le  démon,  à  dessein  de  lier  conversation  avec  les 
espi'its  qui  viendront,  le  force  à  parler,  devient  comme  son 
obligé,  lui  accorde  sur  sa  personne  une  certaine  puissance 
qui  peut  prendre  les  plus  dangereuses  proportions  (1).  11  le 
prend  pour  oracle,  lui  donne  sa  foi,  et  lai  rend,  en  un  mot, 
réellement,  expressément  et  formellement  un  véritable  culte. 
Le  fait  seul  est  donc  un  pacte  équivalemment  indépendant  de 
l'intention.  Mais  les  livres  spirites  demandent  plus.  Rien  n'y 
est  plus  inculqué  que  la  gravité,  le  sérieux,  qui  doivent  être 
apportés  dans  les  relations  avec  les  esprits.  On  y  enseigne  que 
les  esprits  sont  très-chatouilleux  sur  les  questions  qu'on  leur 
fait  et  sur  le  caractère  de  ceux  qui  leur  parlent.  Pour  la  for- 
mation des  groupes,  on  demande  un  noyau  de  personnes  sé- 
rieuses, quelque  restreint  quil  soit  ;  ne  fût-il  que  de  cinq  ou  six 
membres,  s'ils  sont  éclairés,  sincères,  pénétrés  des  vérités  de 
LA  DOCTRINE  ET  UNIS  d'intention,   cela  vùut  cent  fois  mieux  que 

[\]  n  ...  Ce  service  même  que  l'on  a  sollicité,  quelque  minime  qu'il 
soit,  est  un  véritable  pacte  conclu  avec  le  mauvais  esprit  et  celui-ci 
ne  lâche  pas  prise  aisément.  »  [Liv.  des  Méd,,  p.  359.) 


MailSGSl  LE    SPIRITISME.  407 

d'y  introduire  des  curieux  ou  des  indifférents  (1).  Pour  les  réu- 
nions, on  exigo  la  parfaite  communauté  de  vues  et  de  sentiments... , 
le  désir  unique  de  s'instruire  et  de  s  améliorer  par  l'enseigne- 
ment des  bons  esprits  et  la  mise  à  profit  de  leurs  conseils...,  le  re- 
cueillement et  le  silence  respectueux  pendant  les  entretiens  avec 
les  esprits...,  l'association  de  tous  les  assistants  par  la  pensée  à 
l'appel  fait  aux  esprits  que  l'on  évoque  (2).  On  donne  enfin,  pour 
l'avantage  des  autres  sociétés,  le  règlement  de  la  société  pari- 
sienne des  études  spirites  fondée  le  1*''  avril  1858  et  autorisée 
par  arrêté  de  M.  le  préfet  de  police  en  date  du  13  avril  1858, 
d'après  l'avis  de  Son  Exe.  M.  le  Ministre  de  Tinlérieur  (3). 

a  Telle  est,  s'écrie-t-on  en  terminant,  la  voie  dans  laquelle 
nous  nous  sommes  efiforcé  de  faire  eiitrer  le  spiritisme.  Le 
drapeau  que  nous  arborons  hautement  est  celui  du  spiritisme 
chrétien  et  humanitaire,  autour  duquel  uons  sommes  heureux 
de  voir  déjà  tant  d'hommes  se  rallier  sur  tous  les  points  du 
globe,  parce  qu'ils  comprennent  que  là  est  l'ancre  de  salut,  la 
sauvegarde  de  l'ordre  public,  le  signal  d'une  ère  nouvelle  pour 
l'humanité.  Nous  convions  toutes  les  sociétés  spirites  à  concou- 
rir à  cette  grande  œuvre;  que  d'un  bout  du  monde  à  l'autre 
elles  se  tendent  une  main  fraternelle,  et  elles  enlaceront  le  mal 
dans  des  filets  inextricables  (4).» 

Le  spiritisme  est  donc  le  dernier  anneau  de  la  chaine  des 
superstitions.  Mais  celte  erreur  nouvelle  prend  les  proportions 
d'une  s'éritable  religion,  qui  exige  de  ses  adeptes  l'union  la 
plus  parfaite  et  qui  veut  enlacer  tout  ce  qui  n'est  pas  selon  elle 
dans  des  filets  inextricables.  C'est  là  ce  qui  forme  son  caractère 
spécial. 


(1)  Foyage  Spirile,  p.  56. 

(2)  Livre  des  Médiums,  p.  449-30. 

(3)  Ibid.,  p.  458. 

(4)  Ibid.,  p.  4.j7. 


408  LE   SPIRITISME.  [Tome  VII* 

IV. 

«  Le  spiritisme  n'est  pas  seulement  une  question  de  faits 
plus  ou  moins  intéressants  ou  authentiques  pour  amuser  les 
curieux;  c'est  par-dessus  tout  une  question  de  principes;  il  est 
fort  surtout  par  ses  conséquences  morales  (1).»  C'est  à  ce  point 
de  vue  surtout  qu'il  faut  se  placer  pour  se  faire  une  idée  juste 
des  résultats  qu'il  produit. 

Il  y  a  plusieurs  sortes  d'esprits,  il  y  a  par  là  même  plusieurs 
espèces  de  communications.  «  Les gt^ossières  répugnent  à  toute 
personne  qui  a  la  moindre  délicatesse  de  sentiment  ;  car  elles 
sont  triviales,  ordurières,  obscènes^  insolentes,  arrogantes,  mal- 
veillantes et  même  impies  (2).  Celles-là  sont  jugées  par  le 
fait  même.  L'arbre  mauvais  produit  des  fruits  mauvais  et  la 
sagesse  d'en-Haut  est  d'abord  pudique.  Voilà  pourquoi  il  est 
expressément  recommandé  de  ne  pas  publier  toutes  les  ré- 
ponses des  esprits,  mais  de  faire  «  un  choix  très-sévère  et 
d'écarter  avec  soin  tout  ce  qui  peut,  par  une  cause  quelconque, 
produire  une  mauvaise  impression  (3).»  Et  comme  il  n'est  pas 
une  évocation  qui  ne  puisse  attirer  quelque  esprit  ordurier,  il 
n'y  a  pas  une  seule  séance  spirite  où  la  morale  ne  puisse  être 
odieusement  outragée.  Par  conséquent, le  spiritisme  constitue 
un  très-grave  danger  pour  les  mœurs. 

ce  Les  frivoles  émanent  d'esprits  légers,  moqueurs  et  espiè- 
gles, plus  malins  que  méchants...  La  vérité  est  le  moindre  de 
leurs  soucis,  c'est  pourquoi  ils  se  font  un  malin  plaisir  de  mys- 
tiSer  ceux  qui  ont  la  faiblesse  et  quelquefois  la  présomption 
de  les  croire  sur  parole  (4).  » 

«  Les  communications  sérieuses  sont  graves  quant  au  sujet 

(1)  Voyarje  Spirite,  p.  13. 

(2)  Livre  des  Médiums,  p.  172. 
{34^yoyage  Spirite^  p.  52. 

(4)  Livre  des  Médiums,  p.  ^72. 


Mai  1803.]  LE  iPIRlTlSaE.  409 

et  à  la  manière  dont  elles  sont  faites...  Les  esprits  sérieux  ne 
sont  pas  tous  également  éclairés,...  c'est  pourquoi  les  esprits 
vraiment  supérieurs  nous  recommandent  sans  cesse  de  sou- 
mettre toutes  les  communications  au  contrôle  de  la  raison  et 
de  la  plus  sévère  logique  (d).»  Sur  quoi  il  est  à  remar- 
quer qu^à  la  faveur  de  la  gravité  du  langage  «  certains  esprits 
présomptueux  ou  faux  savants  cherchent  à  faire  prévaloir  les 
idées  les  plus  fausses  et  les  systèmes  les  plus  absurdes,  »  et 
que,  «  pour  se  donner  plus  de  crédit  et  d'importance,  ils  ne 
se  font  pas  scrupule  de  se  parer  des  noms  les  plus  respectables 
et  même  les  plus  vénérés.  »  Il  y  a  des  communications  sérieu- 
ses-vraies et  sé7ieuses- fausses.  On  voit  que  c'est-là  «  un  des  plus 
grands  écueils  de  la  science  pratique  (2) .  » 

«  La  question  de  l'identité  des  esprits  est  une  des  plus 
controversées,  même  parmi  les  adeptes  du  spiritisme  ;  c'est 
qu'en  etïet,  les  esprits  ne  nous  apportent  pas  des  actes  de  no- 
toriété, et  l'on  sait  avec  quelle  facilité  certains  d'entre  eux 
prennent  des  noms  d'emprunt;  aussi,  après  l'obsession,  est-ce 
une  des  plus  grandes  difficultées  du  spiritisme  pratique  (3).» 
«  L'identité  de  l'esprit  des  personnages  anciens  est  la  plus 
difficile  à  constater,  souvent  même  elle  est  impossible, 
et  l'on  est  réduit  à  une  appréciation  purement  morale  (4).  » 
«  Il  y  a  des  faussaires  dans  le  monde  des  esprits  comme  dans 
celui-ci  (5).  »  «  On  dira  sans  doute  que  si  un  esprit  peut  imiter 
une  signature,  il  peut  tout  aussi  bien  imiter  le  langage.  Gela  est 
vrai...  Que  de  médiums  ont  eu  des  communications  apo- 
cryphes signées  Jésus,  Marie  ou  d'un  saint  vénéré  (6).»  Enfin 
tout  se  riîduit  à  ce  principe  :  «  Il  n'y  a  pas  d'autre  critérium 

(\)  Livre  des  Médiums.,  p.  173. 

(2)  Ibid. 

(3)  /6Jd.,p.  327. 

(4)  Ibid. 

(5)  Ibid.,  p.  332. 

(6)  Ibid.,  p.  333. 


4^0  LE   SPIRITISME.  [Torac  Ml. 

pour  discerner  la  valeur  des  esprits  que  le  bon  sens  (l).  » 
A  notre  avis,  il  ne  faut  pas  d'autres  aveux  pour  donner  l'éveil 
sur  la  gravité  que  présente  une  secte  qui  ne  craint  pas  de 
s'afficher  ainsi. 

La  porte  est  ainsi  ouverte  au  torrent  de  toutes  les  illusions. 
Un  ami  consultera  un  esprit  sur  la  fidélité  de  son  ami,  un 
époux  sur  la  fidélité  de  son  épouse,  un  indiscret  sur  des  se- 
crets importants,  des  réponses  malheureuses  causeront  d'ef- 
froyables malheurs.  Des  esprits  exciteront  des  époux  a  se  don- 
ner la  mort,  ils  seront  obéis.  C'est  l'abus,  dit-on,  mais  l'abus 
est  presque  inévitable  quand  chacun  est  juge,  car  ce  sont  les 
passions,  les  préjugés  de  chaque  particulier  qui  influent  si 
prodigieusement,  on  ne  l'ignore  pas,  sur  les  décisions  de 
l'homme.  Quod  volmnus  sanctum  est.  L'esprit  privé  qui  a 
trouvé  dans  la  Révélation  tant  d'erreurs  et  de  crimes,  trou- 
vera dans  les  réponses  des  esprits  toutes  les  fantaisies  qui  lui 
plairont  pour  insensées  qu'elles  soient.  Et  les  esprits  mau- 
vais, qui  sont  si  nombreux  et  qu'on  peut  à  peine  discerner  des 
bons,  profiteront  certainement  des  dispositions  de  leurs  audi- 
teurs et  des  diverses  circonstances  pour  leur  souffler  les  plus 
déplorables  résolutions. 

Il  serait  facile  de  montrer  par  des  exemples  les  fâcheux 
résultats  qu'amène  le  spiritisme  par  rapport  à  l'individu  et  à 
la  famille.  Ne  disons  pas  qu'il  trouble  les  intelligences  par  une 
doctrine  nouvelle  et  bizarre.  On  l'a  remarqué,  depuis  la 
réforme,  depuis  la  Révolution  française,  depuis  l'apparition 
des  systèmes  qui  brisent  le  frein  salutaire  de  la  foi,  le  nombre 
des  aliénés  a  prodigieusement  augmenté  en  Europe.  Le  spiri- 
tisme est  loin  de  calmer  les  esprits.  Daus  une  seule  des  mai- 
sons de  santé  de  Lyon,  on  compte  quarante  personnes  atteintes 
d'aliénation  mentale  pour  cause  de  spiritisme  !  A  ce  sujet, 
un  journal  disait  naguère  :  «  Le  spiritisme  conduit  à  la 
«  folie  plus  encore  que  la  politique,  et  nous  ne  croyons  pas 

(1)  Livre  des  Médiums,  p.  337. 


Mai  I8C3.]  LK   srmiTISME.  A\i 

«  qu'à  aucune  époque  les  maladies  de  l'intelligence  aient  été 
«  aussi  répandues.  Les  grandes  commotions  sociales,  d'ailleurs^ 
«  sont  toujours  précédées  ou  accompagnées  de  ces  invasions 
«  diaboliques.  Ne  faut-il  pas  que  la  raison  humaine  soit 
«  ébranlée  pour  pouvoir  accepter  les  doctrines  révolution- 
«  naires  ?  Les  anciens  ont  pratiqué  les  sciences  occultes  et  en- 
«  tretenu  un  commerce  sans  entraves  avec  les  esprits,  dieux 
«  impurs  de  leur  Olympe  impur,  et  quand  l'Empire  romain 
.((  courait  à  sa  perte,  César  n'avait  plus  foi  que  dans  la  magie. 
«  Une  boule  d'ivoire  était  suspendue  au-dessus  d'un  bassin 
«  d'airain  dont  les  bords  présentaient  un  alphabet;  l'esprit 
«  invisible  agitait  la  boule,  et  la  boule  écrivait  les  réponses  et 
«  prédisait  l'avenir  en  frappant  les  diverses  lettres  de  Talpha- 
a  bet.  Il  a  été  dit  que  deux  augures  ne  pouvaient  pas  se  re- 
«  garder  sans  rire,  et  tout  le  monde  4'accepter  cette  insinua- 
«  tion  très  maligne.  Les  augures,  disciples  du  prince  des 
«  ténèbres,  ne  riaient  pas  plus  que  les  médiums  de  nos  jours. 
«  Ils  étaient  marqués  d'un  sceau  fatal.  Mesmer,  Cagliostro  et 
a  la  légion  coupable  des  magnétiseurs*  ont  inauguré  l'ère  de  la 
«  liberté;  ils  peuvent  disputer  à  Voltaire,  à  Rousseau  et  aux 
a  écrivains  philosophes  du  xviii*  siècle,  l'honneur  d'avoir  pré- 
«  paré  les  intelligences  aux  principes  modernes.  A  cette  heure, 
«  les  ravages  épouvantables  du  spiritisme  nous  annoncent  les 
«  plus  grands  malheurs.  Le  monde  est  peuplé  d'hommes  qui 
«  acceptent  les  contradictions  les  plus  flagrantes,  qui  con- 
«  fondent  tout  et  se  livrent  tout  entiers  aux  influences  du  mal. 
«  On  voit  ce  que  le  spiritisme  a  fait  du  peuple  américain,  et 
«  quelle  est  eu  réalité  cette  civilisation  dont  on  a  fait  naguère 
«  des  éloges  si  ridicules.  Près  de  cinq  millions  dliommes  ou 
«  femmes  en  Europe  s'occupent  avec  une  avide  curiosité  d'ex- 
«  périences  spiritistes.  La  France,  l'Allemagne,  la  Russie  sur- 
«  tout,  sont  en  proie  à  cette  misère.  Tout  cela  prépare  une 
«  contagion  de  maladies  mentales  et  une  affreuse  pluie  d'âmes 
«  dans  ce  que  l'Écriture  appelle  les  abimes  inférieurs,  o 


■^12  LE  SPIRITISME.  [TomeVn. 

N'ajoutons  pas  que  le  spiritisme  crée  des  sympathies,  des 
affections  violentes,  presque  irrésistibles,  et  qu'il  est  dans  les 
familles  une  source  de  déshonneur  ou  une  cause  de  sépara- 
tion. Négligeons  ce  point.  Ne  parlons  pas  même  de  Vobsession, 
qui  est,  comme  on  le  sait,  un  des  plus  grands  écueils  du  spiritisme  [\). 
L'obsession  est  l'empire  que  quelques  esprits  savent  prendre 
sur  certaines  personnes.  Il  y  a  en  ce  moment  des  populations 
obsédées  par  de  mauvais  esprits.  Bornons-nous  à  examiner  les 
affirmations  reçues  par  le  spiritisme  comme  sérieuses  et  vraies; 
Habemus  confitentem  renm.  «  Le  spiritisme  combat,  il  est  vrai, 
certaines  croyances,  telles  que  réternité  des  peines,  le  feu 
matériel  de  l'enfer,  la  personnalité  du  diable  (2)  etc.  »  A  ces 
erreurs,  ajoutons  celles  qui  ont  été  déjà  relevées,  touchant  les 
esprits,  les  âmes,  la  réincarnation,  le  péché  originel,  et  la 
résurrection  de  la  chair,  au  sujet  de  laquelle  on  lit  dans 
le  Livre  des  Esprits,  p.  -441  :  «  Ainsi  l'Église  par  le  dogme 
de  la  résurrection  de  la  chair,  enseigne  elle-même  la  doctrine 
de  la  réincarnation  ?  —  Cela  est  évident.. .  (signé  :  Saint  Louis!) 
Le  tout  est  suivi  d'une  glose  qui  commence  en  ces  termes  :  «La 
science,  en  effet,  démontre  l'impossibilité  de  la  résurrection 
selon  l'idée  vulgaire...  »  N'insistons  pas  sur  bien  d'autres  hé- 
résies dont  fourmille  la  doctrine  spirite. 

Ces  résultats  doctrinaux,  le  spiritisme  est  souvent  amené  à 
les  avouer.  D'autres  fois,  par  un  artifice  dont  rien  ne  masque  la 
ruse,  il  prétend  ne  professer  que  les  grands  dogmes  reçus  et 
professés  dans  toutes  les  religions.  «  On  peut  donc  être  catho- 
lique grec  ou  romain,  protestant,  juif  ou  musulman,  et  croire 
aux  manifestations  des  esprits,  et  par  conséquent  être  spirite  (3) .  • 


(1)  Foyage  Spirite,  p.  9. 

(2)  Le  Spiritisme  à  sa  plus  simple  expression,  ]).  ^o. 

(3)  Ibid.,  p.  15.  Il  y  a  ici  une  obscurité  qu'il  faut  éclairer.  On  peut 
croire  que  les  manifeslalions  oui  lieu,  oui,  mais  y  croire  à  la  façon  des 
spiriles,  ou  ne  le  peut  pas  sous  peine  de  cesser  d'être  caiholique 
puisqu'il  faudrait  admettre  des  erreurs  proscrites  par  la  sainte  Église. 


Mai  1863.1  LE  SPIRITISME.  413 

Il  ne  prétend  s'imposer  qu'aux  incertains  et  aux  incrédules  ; 
«  il  ne  les  enlève  pas  à  l'Église  puisqu'ils  s'en  sont  séparés 
moralement,  en  tout  ou  en  partie  ;  il  leur  fait  faire  les  trois 
quarts  du  chemin  pour  y  rentrer;  c'est  à  elle  de  faire  le 
reste  (1).  »  Les  dogmes  ne  sont  pas  des  kilomètres;  même  en 
niant  un  seul  d'entre  eux,  on  peut  être  aussi  éloigné  de  l'Église 
qu'en  les  niant  tous  eu  presque  tous.  Donner  à  Dieu  1  démenti 
sur  un  point  ou  le  lui  donner  sur  plusieurs,  c'est  tout  un  ;  c'est 
le  même  péché  s'étendant  à  un  ou  plusieurs  objets.  Après  avoir 
avancé  cette  fausseté  insigne  que  la  foi  catholi(jne  est  aveugle, 
le  spiritisme  prétend  donner  des  dogmes  une  interprétation 
rationnelle  qui  ramène  à  la  foi  ceux  qui  la  désertent.  Il  dit  : 
Voyez,  touchez,  comprenez  et  croyez!  Système  déplorable,  qui 
ronge  jusqu'à  l'écorce  la  substance  des  dogmes  caholiques,  ne 
leur  laissant  que  de  stériles  contours;  illusion  funeste  autant 
que  grossière,  dont  le  vice  est  de  supposer  que  les  vérités 
catholiques  ne  peuvent  s'accorder  avec  la  raison  ;  inexplicable 
prétention  qui^  si  elle  se  réalisait;,  ferait  que  les  catholiques  se 
pervertiraient,  mais  ne  produirait  pas  la  conversion  des  in- 
crédules !  Par  où  l'on  voit  qu'après  avoir  détruit  plusieurs  des 
affirmations  catholiques  par  un  grand  nombre  d'hérésies  for- 
melles, le  spiritisme  en  vient  à  méconnaître  la  foi  chrétienne 
et  à  la  détruire  même!  A  fructibus  eorum  cognoscetis  eos! 

Il  prétend  enfin  n'être  quune  morale.  Comme  morale,  il  se 
dit  exclusivement  chrétien  et  prêche  en  toutes  manières  la 
charité.  La  charité  et  la  fraternité  sont,  en  effet,  des  vertus 
essentiellement  chrétiennes,  tellement  chrétiennes,  qu'en  de- 
hors de  l'Eglise  on  n'en  trouve  que  des  contrefaçons  plus  ou 
moins  ressemblantes.  Mais  bien  croire  est  le  fondement  de 
bien  vivre  ;  sans  la  foi  il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu  ;  la 
grâce  seule  peut  aider  l'homme  à  remplir  toute  la  loi  natu- 
relle.  D'où  il  résulte    que  le   spiritisme,  quoiqu'il  semble 

(l)  Le  Spiritisme  à  sa  plus  simple  expression,  p.  15. 


i\^  LE   SPIRITISME.  [Tome  VU. 

prêcher  la  charité  et  la  morale,  ne  peut  et  ne  pourra  en  obte- 
mr  la  pleme  réalité,  à  raison  de  la  position  où  il  place  les 
âmes.  La  véritable  Église,  par  ses  dogmes,  ses  sacrements  et 
sa  loi,  produit  et  peut  produire  seule  la  grâce,  et,  avec  la  grâce, 
la  charité,  qui  est  une  vertu  théologale  et  surnaturelle,  bien 
que  certaines  âmes  volontairement  pécheresses  se  privent  par 
leur  faute  de  ces  effets  divins.  C'est  ici  la  faute  des  particu- 
liers, ce  n'est  pas  celle  de  l'institution.  Mais  le  spiritisme  est 
radicalement  empêché  de  produire  ce  qu'il  désire  tant  pour 
couvrir  ses  hérésies;  et  ce  qu'il  pourra  obtenir  en  cette  ma- 
tière ne  sera  jamais  qu'une  fausse  monnaie.  En  dehors  de 
Jésus-Christ  qui  est  la  voie,  la  véinté  et  la  vie,  il  n'obtiendra 
pas,  ne  pourra  jamais  obtenir  des  vertus  surnaturelles;  il  n'ar- 
rivera tout  au  plus  qu'à  certains  effets  rares,  courts  et  partiels, 
de  vertus  humaines  et  de  morale  vulgaire.  La  division  est  dans 
son  camp  :  deux  Revues  sont  en  divergence  à  Paris,  et  pour  peu 
qu'on  lise  le  voyage  fait  en  1862  par  le  chef  du  spiritisme,  on 
y  trouve  la  trace  évidente  de  bien  des  dissonances  intérieures. 
Cet  extérieur  de  fraternité  qu'il  affecte  lui  manquera,  comme  il 
a  manqué  aux  révolutionnaires  qui  criaient  :  fraternité  ou  la 
mort;  comme  il  a  manqué  et  manque  aux  sociétés  secrètes 
qui  s'intitulent  sociétés  de  secours.  Sans  grâce,  pas  de  vraie 
charité,  sans  Jésus-Christ  pas  de  grâce,  sans  la  foi  catholique 
pas  de  Jésus-Christ  ! 

Sans  doute,  Dieu,  qui  se  sert  de  tout  pour  l'exécution  de  ses 
desseins,  a  pu  permettre  que  le  spiritisme  retirât  certains 
hommes  des  maux  et  des  vices  où  ils  étaient  plongés,  et  les  ame- 
nât à  ridée  de  l'âme,  des  esprits,  de  l'avenir,  du  bien  et  du 
mal.  Cela  prouve  que  le  spiritisme  renferme  certaines  vérités, 
mais  cela  ne  prouve  nullement  qu'il  concorde  avec  la  religion 
catholique.  L'apparition  des  esprits  peut  amener  par  accident 
quelques  âmes  à  se  convertir  à  un  certain  mieux,  mais  elle 
est  pour  un  nombre  beaucoup  plus  considérable  l'occasion  de 
la  perte  de  la  foi  et  peut-être  de  la  vertu  :  c'en  est  assez  pour 


M«i  18  3.|  LE   SPIRITISME.  4^S 

que  le  démon  préfère  la  ruine  de  plusieurs  à  celle  d'un  moindre 

nombre.  Cet  esprit  infernal,  ne  disant   la   vérité   que  pour 

romper,  n'est  jamais  plus  à  craindre  que   lorsqu'il  dit  des 

choses  qui  paraissent  acceptables.  On  se  défie  moins  du  piège. 

La  doctrine  spirite  plaît ,  dit  le  Voyage  spirite  (p.  28), 
«  1°  parqu'elle  satisfait  l'aspiration  instinctive  de  l'homme  vers 
l'avenir;  2°  parce  qu'elle  présente  l'avenir  sous  un  aspect  que 
LA  RAISON  PEUT  ADMETTRE  ;  3"  parce  que  la  certitude  de  la  vie 
future  fait  prendre  en  patience  les  misères  de  la  vie  présente; 
4»  parce  qu'avec  la  pluralité  des  existences,  ces  misères  ont  une 
raison  d'être,  on  se  les  explique  et  au  lieu  d'eu  accuser  la  Pro- 
vidence, on  les  trouve  justes  et  on  les  accepte  sans  murmure; 
5°  parce  qu'on  est  heureux  de  savoir  que  les  êtres  qui  nous 
sont  chers  ne  sont  pas  perdus  sans  retour,  qu'on  les  reverra 
et  qu'ils  sont  souvent  auprès  de  nous  ;  6»  parce  que  TOUTES  les 
maximes  données  par  les  esprits  tendent  à  rendre  les  hommes 
meilleurs  ;  et  bien  d'autres  motifs  que  les  spirites  seuls  peuvent 
co77iprend)'e  {\).  »  A  la  page  30  :  «  La  charité  remplaçant 
l'égoïsme,  toutes  les  institutions  sociales  seront  fondées  sur  le 
principe  de  la  solidarité  et  de  la  réciprocité;  le  fort  protège 
le  faible  au  lieu  de  l'exploiter.  C'est  un  beau  rêve,  dira-t-on  ; 
malheureusement  ce  n'est  qu'un  rêve  ;  l'homme  est  égoïste 
par  nature,  par  besoin,  et  le  sera  toujours.  S'il  en  était  aussi, 
et  ce  serait  triste,  il  faudrait  alors  se  demander  dans  quel  but 
le  Christ  est  venu  prêcher  la  charité  aux  hommes;  autant  aurait 
valu  la  prêcher  aux  animaux.  » 

Tels  sont  les  effets  doctrinaux,  les  effets  moraux  que  pro- 
duit le  spiritisme,  telle  est  la  manière  dont  il  s'y  prend  pour 
cacher  son  mystère  diabolique  sous  des  dehors  déguisés,  sous 
des  apparences  de  raison,  de  progrès  et  de  charité.  Voilà  pour- 
quoi on  lui  fait  pousser  les  hauts  cris  lorsqu'on  le  démasquant 

(1)  Ceci  est  peut-être  une  allusion  à  celte  autre  pensée  :  «  Vavène- 
menl  du  spiritisme  marquera  l'ère  de  l'émincipalion  légale  de  la 
femme  [f^oyage  Spirite,  p.  57.) 


4^6  LE  SPIRITISME.  ITomeVlL 

OU  lui  crie  :  Arrière  Satan  !  tu  ne  nous  offres  que  le  culte  hi- 
deux de  celui  qui  fut  trompeur  et  homicide  dès  le  corn  mence- 
ment. 

Disons-le  donc  en  terminant,  le  spiritisme  n'a  rien  de  com- 
mun avec  le  catholicisme.  Les  points  de  contact  qu'il  semble 
conserver,  il  les  altère  complètement.  La  Revue  spiritualiste 
était  plus  franche  quand  elle  disait:  «  Non,  cathoHques  ou 
spiritualistes,  il  faut  choisir.  »  Et  l'on  n'i;^nore  pas  que  des 
hommes  marquants  de  la  secte  ont  refusé,  à  l'heure  de  la 
mort,  les  sacrements  de  la  sainte  Église,  malgré  les  plus  vives 
instances,  et  ont  été  privés  des  honneurs  de  la  sépulture 
chrétienne. 


Nous  aurions  voulu,  dans  un  dernier  aperçu,  dire  les  points 
de  contact  que  le  spiritisme  offre  avec  les  idées  courantes, 
indiquer  ses  essais  d'argumentation  contre  la  doctrine  catho- 
lique. —  Ce  qui  a  été  déjà  exposé  remplit  équivalemment  ce 
but  :  idée  de  progrès,  d'amélioration,  exposition  plus  ration- 
nelle de  tout  ce  qui  est  surnaturel,  charité  remplaçant  tout, 
services  signalés  rendus  à  l'Église  par  le  spiritisme,  c'est  là  ce 
que  nous  retrouverions. 

Le  progrès  du  culte  des  démons  s'explique  donc  ainsi  :  ce 
qui  le  propage,  c'est  ce  qui  a  toujours  propagé  les  erreurs  et 
les  folies.  L'homme  est  extrêmement  curieux.  Tout  ce  qui  est 
extraordinaire  le  sollicite  à  un  très-haut  degré.  Le  spiritisme 
flatte  au  plus  haut  point  ce  penchant  si  vif.  Le  merveilleux,  qui 
n'est  que  le  curieux  à  sa  plus  grande  puissance,  se  trouvant 
dans  toutes  les  opérations  spirites,  la  nature  humaine  s'y  sent 
comme  eulrainée.  De  son  côté,  le  démon  y  pousse,  et  on  peut 
dire  que  le  spiritisme  est  aujourd'hui  la  tentation  publique  de 
la  société.  Notre  siècle  est  un  siècle  d'amoindrissement.  Les 
principes  s'en  vont  ou  se  mitigent.  Tout  est  plein  d'esprits 
mitoyens  à  qui  toute  conviction  vigoureuse  déplaît  et  qu'une 


Mai  1863.]  LE  SPIRITISME.  4-17 

afErmation  nette  et  positive  froisse  et  irrite.  Or,  voici  le  spiri- 
tisme qui,  admettant  ou  négligeant  également  tous  les  sym- 
boles, comme  autant  de  formes  diverses  et  pareilles  des 
dogmes,  ne  s'attache  qu'à  la  charité  :  Soyez  justes  !  aimez- 
vous  !  le  reste  est  arbitraire!  Voilà  les  dogmes  ou  supprimés  ou 
adoucis.  Aujourd'hui,  on  veut  tout  réconcilier  ou  concilier;  la 
divine  et  nécessaire  expression  des  affirmations  catholiques,  il 
faut  bien  la  faire  accepter  des  hommes  modernes,  et  le  spiri- 
tisme en  donne  une  explication  rationnelle,  qui  les  détruit,  il 
est  vrai,  mais  peu  importe  !  la  réconciliation  se  fait  ainsi.  On  ré- 
concilie de  nos  jours  la  religion  comme  autrefois  Luther  la  ré- 
formait :  on  la  tue.  Le  progrès  est  le  grand  mot,  qui,  à  lui 
seul,  fait  courir  les  esprits;  le  spiritisme,  à  son  tour,  s'annonce 
comme  le  grand  progrès  et  la  dernière  religion.  Il  aSranchit 
toutes  les  âmes  :  pas  de  règles,  sinon  de  s'aimer  beaucoup! 

Et  nous  disons,  nous  :  Le  spiritisme  n'est  pas  la  liberté,  il 
est  l'asservissement  de  l'homme  sous  le  joug  du  démon.  Le 
spiritisme  n'est  pas  le  progrès,  il  est  un  retour  aux  super- 
stitions les  plus  surannées.  Il  n'est  pas  la  conciliation,  il 
est  la  négation  du  dogme  catholique  et  de  la  sainte  Église,  il 
est  la  sentiue  de  toutes  les  hérésies.  11  n'est  que  le  merveilleux 
diabo  ique  et  un  piège  de  Satan. 

Son  progrès  n'est  pas  plus  étonnant  que  la  marche  du  feu, 
quand  il  dévore  des  champs  couverts  de  moissons  mûres  et 
desséchées.  Ce  élan  rapide  d'un  système  si  effroyablement 
dangereux,  prouve  de  la  manière  la  plus  triste  combien 
l'ignorance  religieuse  est  graude  de  nos  jours.  La  religion 
n'est  pas  connue,  les  passions  ont  grandi  avec  l'ignorance  et 
le  démon  prend  dans  les  cœurs  la  place  de  Jésus-Christ. 

Concluons  donc  que  le  spiritisme  est  une  hérésie  très-dan- 
gereuse à  tous  les  points  de  vue,  qui  doit  vivement  inquiéter 
tous  ceux  en  qui  n'est  pas  éteint  le  désir  du  bien  et  de  l'ordre 
public. 

Il  a  déjà  occupé  plusieurs  Revues  chrétiennes  qui  se  sont 


-Î^S  LE    SPIRITISME.  ITomeVU. 

émues  de  son  apparition.  Il  a  été  combattu  parle  R.  P.  Matignon 
{Les  Mo7Hs  et  les  vivants,  Paris,  1865),  par  le  R.  P.  Nampon 
{DuSpiritisme,LjOTi,  1863),  par  M.  le  curé  de  Vaisse,  {Instruc- 
tion sur  le  spiritisme,  Lyon,  1863),  par  M.  l'abbé  Gonet  {Le 
Spiritisme,  précis  historique  et  doctrinal,  Avignon,  1863).  Ces 
ouvrages  seront  lus  avec  intérêt  et  profit. 

Ceux  de  nos  lecteurs  qui  nous  ont  demandé  des  détails  sur 
les  démons,  pourront  en  trouver,  sans  trop  de  difificultés,  dans 
S.  Thomas,  Somme  Théologique  (i  p.,  q.  114-,  a.  4, —  et  2, — 2, 
q.  93);  —  dans  le  D""  Klée,  Histoire  des  Dogmes  chrétiens,  t.  i, 
p.  360  ;  —  dans  M.  Thiboudet,  des  Esprits  et  de  leurs  rapports 
avec  le  monde  visible;  —  dans  les  sermons  de  Bossuet.  Nous  in- 
diquons ces  ouvrages  parce  qu'ils  sont  assez  faciles  à  consul- 
ter. Il  va  sans  dire  que  les  grands  théologiens  seront  lus 
avec  profit  sur  un  sujet  qui  malheureusement  acquiert  trop 
d'importance  à  cause  de  la  ruine  de  tant  de  pauvres  âmes. 

«  Populus  meus  IN  ligxo  suo  interrogavit  et  baculus  ejus  an- 
nuntiavil  ci  :  spiritus  enim  fornicationum  deccpit  eos  et  fornicati 
sunt  a  Deo  suo.  »  (Osée,  iv,  12.) 

N.  C.  Le  Roy. 


LE  CELEBRE  CONFLIT 


ENTRE 


SAINT  ÉTlENNi!:  ET  SAINT  GYPRIEN. 


Troisième  article  (i). 


VIL 


Le  Concile  de  Carthage,  dont  on  allègue  les  actes  (2) ,  est 
apocryphe. 

l.  Dans  l'hypothèse  que  cet  important  concile  eût  été  réel- 
lement célébré,  le  fait  de  sa  célébration  et  l'authenticité  de 
ses  actes  auraient  été  de  notoriété  publique  au  temps  de  saint 
Augustin,  c'est-à-dire  i40  ans  après;  et  lorsque  les  Donatistes 
s'en  firent  une  arme  en  faveur  de  leurs  doctrines,  saint 
Augustin  ne  se  serait  pas  trouvé  dans  une  complète  ignorance 
par  rapport  au  document  allégué  ;  il  n'aurait  pas  pu  le  révo- 
quer en  doute.  Il  s'agit,  en  efîet,  d'une  assemblée  des  plus  con- 
sidérables, puisque  le  nombre  des  évêques,  selon  la  teneur  des 
actes,  y  fut  de  87.  Il  aurait  eu  pour  objet  une  cause  des  plus 
célèbres,  qui  mettait  en  commotion  les  éghses d'Afrique,  après 
avoir  agité  celles  de  l'Orient.  Il  aurait  jugé  et  condamné  le 
jugement  du  Pontife  romain,  qui  décidait  et  ordonnait  de  ne 
pas  rebaptiser  les  hérétiques.  En  un  mot,  ce  concile  eût  été 
pour  l'Église  entière  et  surtout  pour  les  chrétientés  d'Afrique, 

(^)  Voir  les  numéros  de  mars  et  avril  1863. 

(2)  Voir  ces  actes  dans  Labbe,  t.  i,  col.  786,  éd.  de  Paris,  167^ . 


420  SAINT   ETIENNE  [Tome  VII. 

un  des  plus  célèbres  événements  du  troisième  siècle.  Il  était 
donc  impossible  que,  140  ans  après,  l'bistoire  d'un  pareil 
concile  ne  fût  point  connue  des  évèqnes  du  pays  avec  une 
complète  certitude.  En  supposant  que  les  actes  originaux  en 
eussent  été  détruits  par  suite  des  persécutions  survenues,  le 
fait  de  sa  célébration  et  de  son  décret  opposé  à  celui  du  Pontife 
romaiu,  auraitjdû  se  transmettre,  et  par  les  écrits  et  même 
par  la  seule  tradition  orale,  de  manière  à  exclure  toute  possi- 
bilité de  doute. 

Eli  bien,  c'est  le  contraire  qui  a  lieu.  Lorsque  les  Donatistes 
objectèrent  ce  Concile  à  saint  Augustin,  que  répondit  ce  grand 
évêque?  Justement  ce  qu'on  a  coutume  de  répondre  à  ceux 
qui  allèguent  un  document  dont  l'authenticité  n'est  nullement 
constatée,  et  dont  on  a  droit  de  ne  tenir  aucun  compte.  Nam  et 
vos,  leur  dit-il,  profei'tis  concilium  Ci/priani,  guod  aut  non  est 
factunif  aut  cxteris  unitatis  membris  a  quibus  ille  non  divisus 
est  metnto  superatum.  Neque  enim  propterea  svmus  Cypriano 
meliores,  si  tamen  censuit  hsereticos  denuo  baptizari  (contra  Cres- 
coniura,  lib.  !,  c.  32)  Ainsi,  pour  saint  Augustin,  le  prétendu 
concile  était  un  fait  ignoré,  dont  il  ne  trouvait  aucune  preuve. 
Autrement  il  n'aurait  jamais  osé  dire  :  Aut  no7i  est  factum... 
Si  tamen  censuit  (Cyprianus)  hxi^eticos  denuo  baptiza^^i.  Loin  de 
trouver  une  preuve  d'authenticité,  il  atteste  que  toutes  ces 
pièces  attribués  à  saint  Cyprien  étaient  regardées  par  plusieurs 
comme  l'œuvre  de  faussaires,  sub  ejus  nomine  a  mendacïbus 
fuisse  confictum. 

De  cet  état  des  esprits  au  temps  de  saint  Augustin,  on  doit 
conclure  que  le  prétendu  concile  est  apocryphe;  et  l'on  peut 
résumer  ainsi  la  preuve  :  s'il  était  authentique,  on  en  aurait 
eu,  au  temps  de  saint  Augustin,  une  connaissance  certaine  : 
il  fut  au  contraire  alors  l'objet  du  doute  et  de  la  dénégation  ; 
donc,  il  doit  être  tenu  pour  apocryphe. 

2.  Ce  Concile  fait  mention  de  la  lettre  de  saint  Cyprien  à 
Jubaianus,  laquelle  de  son  côté  mentionne  la  lettre  aux  évê- 


Mai  1803  1  ET   SATNT   CYPRIEN.  421 

ques  de  Numidie  et  à  Quintus.  Or,  ces  trois  lettres  sont  apo- 
cryphes, comme  il  a  été  prouvé  précédemment;  donc  les  actes 
du  prétendu  Concile  sont  pareillement  apocryphes. 

3.  Ces  actes  renferment  une  erreur  dogmatique  entièrement 
opposée  à  la  doctrine  bien  connue  de  saint  Cyprien.  On  y  lit  : 
f  Neque  eriim  qnisquam  nostrum  episcopum  se  esse  episco- 
0  porum  constituit,  aut  tyrannico  terrore  ad  obsequendineces- 
«  sitatem  coUegas  suos  adigit;  quando  habeat  omnis  Episco- 
«  pus  pro  licentia  libertatis  et  potestatis  su»  arbitriura  pro- 
«  pruim,  tanquam  judicari  ab  alio  non  passif,  cum  nec  ipse 
«  possit  alterum  judicare;  sed  expectemus  universi  jndicium 
a  Domiui  nostri  Jesu  Ghristi,  qui  unus  et  solus  habet  potestatem 
«  et  prxponendi  nos  in  Ecclesix  sux  gubernatione,  et  de  actu 
«  nostro  judicandi.  »  (Labbe,  t.  1,  col.  786.)  Par  ces  mots,  les 
évèques  sont  déclarés  radicalement  indépendants  les  uns  des 
autres.  Aucun  ne  reçoit  son  institution  d'un  autre;  aucun  n'a 
le  droit  d'en  juger  et  d'en  déposer  un  autre.  C'est  la  négation 
lapins  formelle  de  toute  primauté  de  juridiction  de  l'évêque 
de  Rome,  successeur  de  saint  Pierre,  et  même  la  négation  de 
tout  pouvoir  des  conciles  sur  chaque  évêque.  Or  la  doctrine 
bien  connue  de  saint  Cyprien  est  complètement  opposée  à  ces 
erreurs.  On  sait  combien  son  livre  de  Unitate  Ecclesix  fournit 
de  passages  en  faveur  de  la  primauté  de  l'Église  romaine. 
Mais  il  suffit  de  mentionner  la  lettre  au  pape  saint  Etienne  (la 
67^,  éd.  de  Baluze)  relative  à  Marcien,  évêque  d'Arles,  qui 
favorisait  l'hérésie  des  Novatiens  :  il  l'exhorte  à  écrire  aux 
évêques  de  cette  province,  afin  qu'ils  se  réunissent  en  Concile, 
pour  déposer  Marcien  et  mettre  un  autre  évêque  à  sa  place. 
C'était  reconnaître  à  l'Église  romaine  un  pouvoir  sur  les  autres 
églises,  c'était  reconnaître  expressément  qu'un  évêque  peut 
être  jugé  et  déposé  par  d'autres  évêques.  Comment  supposer 
que  ce  même  saint  Cyprien  ait  professé  cette  absurde  maxime, 
qu'aucun  évêque  ne  peut  en  juger  un  autre  ! 

En  outre,  les  mots  unus  et  solus  (Ghristus)  habet  potestatem 


ii'l  SAIXT   Érii;\NE  [Tome  VII. 

prxponendi  nos  in  Ecclesix  gubernatione,  excluent  l'institution 
des  évêques  par  le  Poutife  romain,  soit  médiate  soit  immédiate', 
ce  qui  est  une  autre  erreur  dont  ou  charge  saint  Cyprien  en 
regardant  le  Concile  en  question  comme  authentique. 

4.  Diverses  circonstances  nous  fournissent  encore,  sinon 
une  preuve  rigoureuse  de  fraude,  au  moins  de  forts  indices. 
Le  Concile  aurait  commencé  le  i^»"  septembre  256.  Or,  à  cet^e 
époque,  régnait  une  peste  qui  dura  dix  ans,  el  qui  avait  com- 
mencé en  252,  comme  le  rapportent  Gedrenus,  Philostrate  et 
Zonaras.  Il  n'est  pas  vraisemblable  que  les  évêques  des  trois 
provinces  d'Afrique,  la  Numidie,  la  Mauritanie  et  la  Tripoli- 
taine,  aient  quitté  leurs  églises  en  nombre  si  extraordinaire, 
pendant  que  le  fléau  y  sévissait,  pour  se  rendre  à  Carthage, 
lieu  si  éloigné  pour  la  plupart  d'entre  eux,  et  cela,  à  l'époque 
des  grandes  chaleurs. 

Un  autre  indice  de  fraude  est  l'absence  de  neuf  évêques 
de  la  Numidie,  dont  les  noms  se  retrouvent  dans  la  lettre 
synodale  précédemment  adressée  aux  évêques  Numides,  et 
dont  aucun  ne  se  retrouve  parmi  les  souscriptions  '  du  pré- 
tendu Concile. 

5.  Le  but  de  ce  troisième  concile  aurait  été  de  se  prononcer 
solennellement  contre  le  décret  du  pape  saint  Etienne.  Les 
évêques  d'Afrique  avaient  déjà  manifesté  dans  deux  conciles 
leur  sentiment  sur  la  question  du  baptême.  Ils  eu  avaient  in- 
formé le  Pape  par  leur  lettre  synodale.  Si  saint  Cyprien  les 
réunit  de  nouveau  en  plus  grand  nombre,  c'est  pour  discuter 
le  décret  survenu  du  Pontife  romain,  pour  le  rejeter,  pour  lui 
opposer  l'autorité  d'un  concde.  Tel  aurait  été  l'objet  de  ce 
troisième  synode,  au  sentiment  de  ceux  qui  le  regardent  comme 
authentique. 

Dans  cette  hypothèse,  l'ensemble  des  débats  a  dû  rouler  sur 
le  décret  du  Poutife  romain.  Il  devrait  en  être  fait  mention 
dans  presque  tontes  les  lignes  des  actes.  Or,  on  n'y  trouve  pas 
une  syllabe,  ni  sur  le  pape  saint  Etienne,  ni  sur  son  décret. 


Mai)Sf3  1  ET   SAINT   CYPR)EN.  .^23 

On  a  dit  :  C'est  par  respect  que  les  Pères  n'en  parlent  pas 
directement,  mais  ils  y  font  assez  allusion  dans  ce  passage  : 
Neque  enim  quisquam  nostrum  episcopum  se  esse  episcoporum 
constitiiit,  aiit  tyrannico  terrore  ad  obsequendi  necessitatem  col- 
Icgas  suos  adigit,  etc.  —  Étrange  respect,  que  de  rejeter  un 
décret  du  Saint-Siège  sans  en  faire  mention^  et  d'ajouter  une 
allusion  où  le  Pape  est  traité  de  tyrayi  !  Au  surplus,  cette  expli- 
cation ne  résout  pas  la  difficulté.  Puisque  le  concile  a  été  con- 
voqué à  cause  du  décret  de  S.  Etienne,  il  est  impossible  qu'il 
n'y  ait  pas  été  question  de  ce  décret.  Les  actes  rapportant  en 
détail  ce  qu'a  dit  chacun  des  87  évêques,  devraient  contenir 
ce  qui  a  été  dit  sur  et  contre  le  fameux  décret.  Or,  ce  sujet,  le 
principal,  pour  ne  pas  dire  l'unique  objet  de  tous  les  discours 
et  de  tous  les  débats,  ne  se  trouve  pas  mentionné  par  une 
seule  phrase.  Nous  eu  concluons  que  ces  actes  sont  apocryphes. 

6.  La  contradiction  signalée  dans  plusieurs  pièces  précé- 
dentes se  retrouve  aussi  dans  ces  actes.  Les  pères  du  Concile 
se  prononcent  pour  la  nullité  du  baptême  conféré  par  les  héré- 
tiques. Ils  devaient  en  conclure  que  l'évêque  ne  peut  pas,  ne 
doit  pas  refuser  le  baptême  àceuxqui  revienuent  de  l'hérésie. 
Au  lieu  de  cette  conclusion,  on  trouve  celle-ci  :  Neminem  judi- 
cantes,  aut  a  jure  communionis  aliquem,  si  diversum  senserit, 
amoventes  ;  ce  qui  équivaut  à  dire  que  chaque  évêque  est  libre 
de  laisser  sans  baptême  les  hérétiques  convertis. 

Ainsi,  tout  indique  une  œuvre  de  faussaires.  Pour  rendre  vrai- 
semblable l'histoire  inventée  du  célèbre  conflit,  ils  out  imaginé 
de  confirmer  les  fausses  lettres  par  un  faux  concile.  La  fraude 
portant  à  la  fois  sur  tant  de  pièces  a  dû  en  imposer.  Néan- 
moins, elle  se  trahit  ;  une  critique  attentive  finira  par  la  con- 
stater complètement. 

VIIL 

La  lettre  de  saint  Cyprien  à  Magnus  est  apocryphe. 
Cette  lettre  [PatroL  Migne,  t.  m,  col.  H  37),  aurait  été  écrite. 


424  SAI^T   ETIENNE  iTonit  VII. 

non  pas  la  première,  comme  quelques  auteurs  l'ont  pensé, 
mais  la  dernière,  relativement  aux  autres  dont  il  a  été  fait 
mention.  Nous  le  concluons  de  sou  exorde  :  Consuluisti...  an 
inter  cxteros  hxreticos  eos  quoque  qui  a  Novatiano  veniunt.., 
baptizari  oporteat.  Ces  paroles  supposent  que  la  question  avait 
été  précédemment  discutée  par  rapport  aux  hérétiques  en  gé- 
néral, puisque  Magnus  demande  seulement  s'il  faut  y  com- 
prendre aussi  les  Novatiens.  Mais  laissant  de  côté  cette  circon- 
stance, voici  les  raisons  qui  nous  font  regarder  aussi  cette  pièce 
comme  apocryphe. 

l.L'auteurde  la  lettre  s'évertue  àprouver  que  les  Novatiens 
sont  véritablement  hors  de  l'Église  catholique.  Or,  à  l'époque 
où  elle  aurait  été  écrite,  c'est-à-dire  après  la  mort  du  pape 
Corneille,  comme  cela  résulte  du  texte  que  nous  aurons  bientôt 
à  citer,  les  Novatiens  avaient  déjà  été  condamnés.  Leur  sépa- 
ration de  l'Église  était  un  fait  de  notoriété  publique,  et  n'avait 
par  conséquent  besoin  d'aucune  preuve.  L'auteur  de  la  fraude 
se  trahit  par  cette  preuve  inutile. 

2.  On  ne  doit  point  supposer  que  saint  Gyprien  ait  employé 
un  raisonnement  que  ses  adversaires  ne  pouvaient  manquer  de 
rétorquer,  et  par  lequel  il  se  serait  condamné  lui-même.  C'est 
néanmoins  ce  qu'il  faudrait  prêter  à  ce  saint,  si  la  lettre  à 
Magnus  était  authentique.  Il  y  est  dit  ;  Ecclesia  una  est,  qu3& 
una  et  intus  esse  et  foris  non  potest;  si  enim  apud  Novatianum  est, 
apud  Cornelium  non  fuit;  si  vei^o  apud  Cornelium  fuit,  qui  Fa- 
biano  episcopo  légitima  ordinatione  successit,  et  quem  prsite)' 
sacerdotii  honorem  martyrio  quoque  Dominus  gloinficavit,  Nova- 
tianus  in  Ecclesia  non  est.  D'autre  part  dans  son  traité  de  Uni- 
tate  Ecclesias.,  saint  Cyprien  s'exprime  ainsi  ;  Qui  Fcclesix 
renititur  et  resistit.,  qui  cathedram  Pétri  super  quam  fundata  est 
Ecclesia  deserit,  in  Ecclesia  se  esse  confidit?...  Hanc  Ecclesix 
unitatem  qui  non  tenet,  tenere  se  fidem  crédit  ?  En  supposant 
que  la  résistance  de  saint  Cyprien  au  pape  saint  Etienne  ne 
soit  pas  une  chimère,  les  Novatiens  nauraient  pas  manqué  de 


Mail8C3.1*  ET  SAINT  CYPRIEN.  423 

lui  appliquer  son  propre  raisonnement.  Ils  lui  auraient  dit  : 
«  S'il  est  vrai,  comme  vous  l^afïirmez,  qu'on  n'est  plus  dans 
l'Église  quand  on  résiste  à  la  chaire  de  saint  Pierre,  c'est-à- 
dire  au  Pontife  romain  ;  si  Novat^  en  résistant  au  pape 
Corneille,  s'est  mis  par  là  même  hors  de  l'Église,  vous-même 
vous  devez  vous  regarder  comme  séparé  de  l'Église,  puis- 
qu'actuellement  vous  résistez  à  cette  même  chaire  de  saint 
Pierre,  à  Etienne,  successeur  de  Corneille.  »  Si  la  lettre  à 
Magnus  était  authentique,  si  le  célèbre  conflit  était  réel,  les 
Novatiens  auraient  accusé  saint  Cyprien  de  contradiction.  Il 
aurait  eu  à  s'en  défendre  ;  ses  écrits  et  les  autres  monuments 
historiques  attesteraient  cette  controverse.  Or,  il  n'y  en  a  pas 
le  moindre  vestige. 

3.  On  ne  saurait  admettre  que  saint  Cyprien  se  soit  oublié 
jusqu'à  traiter  de  fauteurs  d'Antechrists,  de  prévaricateurs  de 
la  foi,  de  traîtres  à  U Église,  d'entêtés  et  d'indisciplinés,  ceux 
qui  préféraient  à  son  sentiment  celui  du  Pontife  romain.  Illud 
mirandum  est,  dit  la  lettre  à  Magnus,  immo  indignandum  potius 
et  dolendum,  christianos  Antichristis  assistere,  et  prxvaricatores 
fideiatque  E cclesix  proditores  intus  in  ipsa  Ecclesia,  contra  Eccle- 
siam  stare.  Qui,  quanquam  pertinaces  alias  et  indociles,  etc. 
D'autre  part,  la  conclusion  de  saint  Cyprien  exprimée,  comme 
nous  l'avons  vu,  dans  plusieurs  pièces  qui  lui  sont  pareillement 
attribuées,  aurait  été  seulement  que  chaque  évêque  est  libre 
de  suivre  le  sentiment  contraire,  et  qu'il  ne  juge  personne: 
Nemini  prœscribentes  aut  prssjudicantes,  quominus  unusquisque 
Episcoporum  quod  putat  faciat,  habens  arbïtrii  sui  liberam  pote- 
statem  (ep.  ad  Jubaianum).  Ainsi,  saint  Cyprien  aurait  dit  au 
pape  saint  Etienne  et  à  ses  adhérents  :  Je  ne  vous  juge  pas  ; 
chacun  de  vous  est  libre  de  suivre  son  sentiment  ;  et  en  même 
temps  il  les  aurait  déclarés  prévaricateurs  de  la  foi,  fauteurs 
d'Antechrists,  traîtres  à  l'Egli'^e,  entêtés  et  indisciplinés.  Pour 
agir  ainsi,  il  faut  plus  que  de  l'emportement  et  de  la  passion; 
il  faut  une  rare  inconséquence.  On  ne  saurait  donc  admettre 


426  SAINT  ETIENNE  [Tome  VII, 

que  le  grand  saint  Cyprien  soi^  l'auteur  de  la  lettre  à  Maguus, 
non  plus  que  des  autres  pièces  relatives  au  prétendu  conflit. 

IX. 

La  lettre  de  Firmilien  à  saint  Cyprien  est  apocryphe. 

Morel  est  le  premier  qui  l'ait  publiée.  Latini  n'avait  pas  cru 
devoir  l'admettre  dans  l'édilion  des  œuvres  de  saint  Cyprien, 
faite  auparavant  à  Rome,  ne  jugeant  pas  qu'une  pièce  aussi 
insolente  méritât  d'être  imprimée.  Pamelius  avertit  qu'il  ne 
l'aurait  pas  éditée,  si  elle  ne  l'avait  déjà  été  par  Morel.  Erasme, 
qui  nous  dit  avoir  suivi  des  manuscrits  fort  anciens,  et  quia 
édité  les  lettres  de  saint  Cyprien  à  Jubaianus  et  à  Pompeius, 
ne  dit  pas  un  mot  de  la  lettre  de  Firmilien,  ce  qui  suppose,  ou 
qu'il  ne  Ta  point  connue,  ou  qu'il  l'a  regardée  comme  cer- 
tainement apocryphe.  Quant  au  gallican  Baluze,  il  l'édite  plus 
que  volontiers,  et  comme  un  monument  précieux,  en  nous 
avertissant  qu'on  l'a  trouvée  dans  26  manuscrits.  Nous  disons 
qu'elle  est  l'œuvre  des  mêmes  faussaires. 

1 .  Elle  est  passée  sous  silence  par  trois  auteurs  qui  auraient 
dû  la  mentionner  s'ils  l'avaient  connue,  savoir  :  saint 
Augustin,  Eusèbe  et  Denys  d'Alexandrie. 

Saint  Augustin  parle  des  pièces  qu'alléguaient  les  Do- 
natistes  pour  prouver  la  résistance  de  saint  Cyprien  au  pape 
saint  Etienne  surla  question  du  baptême.  La  lettre  de  Firmilien 
eût  été  la  plus  saillante,  celle  qui  aurait  le  plus  eml)arrassé 
saint  Augustin.  Néanmoins  il  n'en  parle  nulle  part.  Donc  les 
Donatistes  ne  la  lui  objectaient  pas,  ce  qu'il  n'auraient  pas 
manqué  de  faire  s'ils  l'avaient  connue,  et  si,  comme  on  le 
prétend,  saint  Cyprien  l'avait  traduite  en  latin  et  publiée. 

En  supposant  que  le  troisième  chapitre  du  livre  VII  de 
l'Histoire  d'Eusèbe  fût  de  cet  auteur  (question  qui  sera  dis- 
cutée plus  tard),  il  devrait  y  être  fait  mention  de  la  lettre  de 


Mai  1863.]  BT   SAINT  CYPRIEN.  427 

Firmilien.  Car,  en  cetendroit,  Eusèbe  rapporte  le  conflit  entre 
saint  Cyprien  et  saint  Etienne;  et  comme  la  lettre  de  Firmilieu 
est  le  monument  le  plus  remarquable  de  cette  célèbre  contes- 
tation, Eusèbe  n'aurait  pas  manqué  de  la  mentionner,  s'il 
l'avait  connue.  Sou  silence  fait  conclure  qu'il  l'a  ignorée. 

Enfin,  nous  avons  deux  lettres  d'un  auteur  contemporain, 
Denys  évêquc  d'Alexandrie,  où  il  est  question  de  Firmilien  et  de 
son  opinion  sur  le  baptême  des  bérétiques.  L'une  est  adressée 
au  pape  saint  Etienne,  l'autre  à  son  successeur,  le  pape  saint 
Sixte.  Denys  s'entremet  auprès  de  ces  papes  pour  qu'ils  n'agis- 
sent pas  avec  rigueur  à  l'égard  de  Firmilien,  mais  il  ne  parle 
pas  de  la  lettre  de  ce  dernier  à  saint  Cyprien.  Si  Firmilien  eût 
réellement  écrit  cette  lettre,  dont  l'insolence  à  l'égard  du  Saint- 
Siège  surpasse  tout  ce  qu'on  peut  imaginer,  Denys  en  aurait 
eu  connaissance,  et  dès  lors  il  se  serait  bien  gardé  de  se  porter 
en  conciliateur.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  la  démarche 
de  l'évoque  d'Alexandrie.  Ici  nous  disons  seulement  qu'il  passe 
sous  silence  la  lettre  de  Firnwlien,  et  que,  s'il  l'avait  connue, 
il  n'aurait  pas  écrit  comme  il  l'a  fait  aux  deux  papes  men- 
tionnés. Faisons  remarquer  en  passant  qu'il  y  avait  eu,  en  effet, 
un  dissentiment  entre  Rome  et  quelques  évoques  de  l'Orient 
au  sujet  de  la  rebaptisation  de  certains  bérétiques.  Les  lettres 
de  Denys  d'Alexandrie  en  sont  une  preuve.  S'emparant  de  ce 
fait  vrai,  les  faussaires  d'Afrique  fabriquèrent  la  prétendue 
lettre  de  Firmilien  et  complétèrent  ainsi  l'histoire  controuvée 
de  la  résistance  de  saint  Cyprien.  Tout  ludique  néanmoins  que 
ce  complément  frauduleux  fut  postérieur  a  saint  Augustin, 
tandis  que  les  autres  pièces  apocryphes  auraient  déjà  circulé 
auparavant. 

Une  autre  circonstance  à  remarquer,  c'est  qu'il  n'est  nulle- 
ment fait  mention  de  cette  lettre  de  Firmilien  dans  les  écrits 
qui  nous  restent  de  saint  Cyprien,  quoique  ce  père  n'ait  cueilli 
que  trois  ans  après  la  palme  du  martyre.  Au  reste  on  n'a  pas 
le  texte  grec  de  la  lettre  de  Firmilien.  On  en  attribue  la  traduc- 


428  SAINT    ETIENNE  [Tome  MI. 

lion  latine  à  saint  Cyprien;  mais  ce  n'est  qu'une  conjecture  des 
érudits,  qui  n'eu  donnent  aucune  preuve. 

2.Lesévènemens  qui,  d'après  la  lettre  deFirmilien,  auraient 
eu  lieu  depuis  le  1"  septembre  256  jusqu'au  l^''  décembre  de 
la  même  année,  n'ont  pas  pu  s'accomplir  dans  un  si  court 
espace  de  temps.  La  lettre  est  donc  apocryphe.  Le  dévelop- 
pement de  cette  preuve  fait  l'objet  du  §  5.  Nous  ne  faisons 
ici  que  l'indiquer. 

3.  Il  est  impossible  d'attribuer  cette  lettre  à  saint  Firmi- 
lien  comme  auteur,  ou  à  saint  Cyprien  comme  traducteur,  à 
cause  de  l'insolence,  de  l'emportement  et  des  injures  dont  elle 
esL  remplie  à  l'égard  du  pape  saint  Etienne,  et  dont  elle  sup- 
pose que  ce  Pontife  aurait  usé  le  premier. 

Firmilien  est  compté  par  Eusébe  (1.  vu,  c.  5)  au  nombre  des 
plus  illustres  évèques  de  l'Orient.  11  assista,  l'an  234,  au 
concile  d'Icône,  où  il  fut  décidé  que  le  baptême,  tel  que  le  con- 
féraient les  hérétiques  appelés  cataphrygeSy  n'était  pas  valide.  Il 
présida  le  premier  concile  d'Antioche,  qui  condamna  Paul  de 
Samosate.  Les  pères  du  second  Concile  d'Antioche  l'appellent 
beatx  recordationis  vïrum.  Saint  Basile  en  parle  en  termes 
élogieux  dans  sa  lettre  à  Amphiloque  (Op.  t.  m,  col.  63,  éd. 
Bened.).  Eutin,  les  Grecs  le  mettent  au  rang  des  saints  et  cé- 
lèbrent sa  mémoire  le  i8  octobre.  Tel  fut  Firmilien,  évêque  de 
Césarée  enCappadoce.  Voici  maintenant  un  aperçu  de  la  lettre 
qu'on  lui  attribue. 

Dans  l'exorde,  l'auteur  recommande  l'uniou,  rappelle  le 
passage  de  l'Ecriture  :  Ecce  quam  bonum  et  voluptabile  est  ut 
habitent  fratres  in  unum,  et  dit  que  les  anges  se  réjouissent  de 
notre  concorde  et  s'attristent  de  nos  dissensions.  Puis,  tout-à- 
coup,  s'emportant  contre  le  pape  saint  Etienne,  il  le  remercie 
ironiquement  de  sou  inhumanité,  sans  la(iuelle  il  n'aurait  pas 
eu  le  plaisir  de  recevoir  une  lettre  de  saint  Cyprien;  il  le  com- 
pare à  Judas  Iscariote,  et  le  traite  d'audacieux,  d'insolent  et  de 
malfaiteur  :  «  iSisi  quod  nos  gratiam  referre  Stephano  in  isto 


Mai  18:2.]  ET  SAINT   CYPRIEN.  42^ 

possumus,  quod  per  illius  inhumanitatem,  nunc  effectum  sit  ut 
fidei  et  sapientiœ  vestrœ  experimeutum  caperemus.  Sed  non 
enim  si  nos  propter  Stephanam  hanc  beneficii  gratiam  cepi- 
mus,  statiin  Sieplianus  beneficio  gralise  digna  commisit.  Neque 
enim  et  Judas  perfidia  sua  et  proditione,  qua  scélérate  circa 
salvalorem  operatus  est,  dignus  videri  potest  quasi  causam 
bonoi'um  tantorum  ipse  prsestiterit,  ut  per  illuni  mundus  et 
gentium  populus  passione  Dominiliberaretur.  Sed hœc  intérim 
quse  ab  Stephano  gesta  sunt  prœtereantur  ;  ne,  dum  audaciss 
et  insolentisô  ejas  meminimus,  de  rébus  ab  eo  improbe  gestis 
longiorem  mœàlitiam  uobis  inferamus.»  {Patrol.  Migne,  t.  m, 
col.  dl30.) 

Peu  après  ce  passage,  on  rencontre  une  erreur  sur  le  sacre- 
ment de  pénitence.  Le  ministère  sacerdotal  y  est  réduit  à 
donner  aux  pécheurs  l'intelligence  de  leurs  fautes  :  «  Non  quasi 
a  nobis  remissionem  peccatorum  consequautur,  sed  ut  per  nos 
ad  intelligentiam  delictorum  suorum  convertantur,  et  Domino 
plenius  satisfacere  cogantur.  »  {Ibid.  col.  H58.) 

yauteui  de  la  lettre  reproche  au  pape  saint  Etienne  d'avoir 
osé  rompre  l'unité  de  l'Église,  et  d'avoir  difîamé  les  apôtres 
saint  Pierre  et  saint  Paul  :  a  Quod  nunc  Stephanus  ausiis  est 
facere,  rumpeus  adversuni  vos  pacem,  quam  semper  anteces- 
sores  ejus  vobiscum amore  et  honore  mutuo  custodieiunt,  ad- 
huc  etiam  infamans  Petrum  et  Paulum  beatos  Apostolos,  quasi 
hoc  ipsi  tradiderint  {ibid.  col.  1159).  »  Ce  qui  avait  été  dit  par 
le  pape  saint  Etienne  est  traité  de  ridicule  {ibid.  col.  I IGO),  et 
d'absurde  (col.  1162).  L'auteur  de  la  lettre  parle  de  l'aveugle- 
ment de  ce  pape.,  quanta  sit  excitas  ejus  {ibid.  co].  1168).  II 
s'indigne  de  sa  sottise  manifeste  :  «  Atque  ego  in  bac  parte 
juste  indignor  au  hanc  tam  apertam  et  manifestam  Stephani 
slultitiam  {ibid.  col.  1 169).  d  II  affirme  qu'en  agissant  ainsi  le 
Pontife  romain  est  entré  en  communication  avec  les  hérétiques 
[ibid.).  Puis  il  s'écrie  :  Et  non  puuet  Stephanum  hoc  asserere,  ut 
etc.  {ibid.  col.    1172).   Nous   allons   transcrire,  sans  ajouter 


430  SAINT   ÉHENNE  [Tome  VII. 

aucune  réflexion,  quelques  autres  extraits  de  celte  lettre,  en 
nous  contentant  de  souligner  les  mots  lesplus  injurieux. 

«  Non  raetuis  judicium  Dei,  hœreticis  testimonium  contra 
Ecclesiam  perhibens  ?...Quin  imo  tu  hxreticis omnibus pejor es... 
Nec  intelligis  animas  eorum  de  manu  tua  exquiri  cum  judicii 
dies  venerit  ?...  Et  insuper  iudignaris  !  Vide  qua  imperitia 
reprehendere  audeas  eos  qui  contra  mendacium  pro  veritate 
uituntur...  Lites  enim  et  dissensiones  quantas  parasti  per  eccle- 
sias  totius  mundi  !  Peccatum  vero  quam  magmim  tibi  exagge- 
rasti,  quando  te  a  tôt  gregibus  scidisti  !  Excidisti  enim  teip- 
swm;  noli  te  fallere  ;  siquidem  ille  est  \ere  schistnaticus  qui 
se  a  communione  ecclesiasticee  unitatis  apostatam  fecerit. 
Dum  enim  piitas  omnes  a  te  abstineri  posse,  solum  te  ah  omni- 
hus  abstinuisti.  Nec  te  informare  ad  regulam  veritatis  et  pacis 
vel  Apostoli  preecepta  potuerunt  monentis  et  dicentis  :  Obsecro 
ergo  vos  ego  vinctus  in  Domino,  digne  ambulare  vocatione  qua 
vocati  estis,  cum  omni  bumilitate  sensus  et  lenitate,  cum 
patieutia  sustinentes  invicem  in  dilectione...  Hsec  Apostoli 
mandata  et  monita  salutaria  quam  diligenter  Stepbauus 
implevit,  liumilitatem  sensus  et  benignitaiem  servans  !  Quid 
enim  humilius  aut  lenius  quam  tôt  episcopis  per  totum  mun- 
dum  dissensisse,  pacem  cum  siagulis  varie  discordiae  génère 
rumpentem,  modo  cum  orientalibus,  quod  nec  vos  latere  con- 
fidimus,  modo  vobiscum,quiin  meridie  estis  ;  a  quibus  legatos 
episcopos  patienter  satis  et  leniter  suscepit,  ut  eos  nec  ad  ser- 
monem  saltem  coUoquii  communis  admilteret  ;  adhuc  insnper 
dilectionis  etcbaritatismemorprseciperet  fraternitati  univers» 
ne  quis  eos  in  domum  sua  m  reciperet,  nt  venientibus  non  so- 
lum pax  et  communio,  sed  et  lectum  et  liospitium  negaretur  ! 
Hoc  est  servasse  unitatem  Spiritus  in  conjnnctione  pacis,  ab- 
scindere  se  acharitatis  uuitate,  et  alienum  se  per  omniafratri- 
bus  facere,  et  contra  sacramentum  et  iîdem  contumacis  furore 
discordix  rebellare  !  Apud  talem  potest  esse  unum  corpus  et 
unus  spiritus,  apud  quem  fartasse  ipsa  anima  unanon  est,  sic  lu. 


Mai  1863]  ET   SAINT  CYPRIEN.  43f 

brica  et  mobilis  et  incerta  ?...  Et  tamen  7i07i  pudet  Stephanum 
talibus  adversus  Ecclesiam  palrocinium  praêstare  et  propter 
haereticos  asserendosfraternitatem  scindere;  insuper  et  Cypri- 
anura  pseudo-christum  etpsevÂo-apostolum  et  dolosum  operurium 
dicere.  Qui  omnia  in  se  esse  conscius,  prsevenit  ut  alteri  ea  per 
mendacium  objiceret,  quce  ipse  ex  merito  audire  deberet.  » 
(Patrol.  Migne,  t.  m,  col.  H73  s.) 

Une  lettre  de  ce  style  ne  doit  pas  être  attribuée  à 
Firmilien  comme  auteur,  ni  à  saint  Cyprien  comme  traduc- 
teur. Ces  deux  bommes  furent  non-seulement  d'illustres 
évêques,  mais  encore  des  saints.  La  sainteté  est  inséparable 
de  la  cbarité.  Et  jamais  il  n'y  eut  rien  de  si  opposé  à  la  cbarité 
que  la  prétendue  lettre  de  Firmilien.  On  dit  :  Le  pape  Etienne 
les  avait  exaspérés;  il  avait  le  premier  injurié  saint  Cyprien; 
il  n'est  donc  pas  étonnant  que  ces  deux  saints  évêques  se  soient- 
oubliés  un  moment  et  emportés  hors  des  bornes. — Jeréponds 
que  les  saints  ne  se  laissent  pas  emporter  à  ces  écarts.  Quant 
aux  prétendues  injures  dont  le  pape  saint  Etienne  aurait  usé 
le  premier,  c'est  une  assertion  calomnieuse  de  l'auteur  de  la 
lettre,  et  une  preuve  de  plus  contre  son  authenticité. 

Eu  effet,  comment  supposer  qu'un  évêque  de  Rome  ait  ou- 
blié la  gravité  et  la  dignité  de  sa  chaire,  jusqu'à  traiter  de /awx 
Christ,  de  faux  apôtre  et  de  fourbe,  le  premier  des  évêques 
d'Afrique,  ce  même  Cyprien  qui  naguère  avait  montré  un  si 
grand  dévouement  pour  le  pape  Corneille  et  pour  l'Église  ro- 
maine, en  combattant  les  entreprises  des  Novatieus?  Qu'on 
parcoure  tout  ce  qui  uous  reste  des  actes  authentiques  des  Pon- 
tifes romains  pendantles  premiers  siècles,  et  qu'on  dise  si  l'on 
y  a  jamais  rencontré  la  moindre  trace  d'un  pareil  langage  ! 
L'hypothèse  d'un  tel  écart  est  encore  plus  inadmissible  à 
l'égard  du  pape  Etienne  qui  vécut  eu  saint  et  mourut  martyr. 

Si  la  lettre  de  Firmilien  n'était  pas  apocryphe,  il  faudrait 
dire  que  cet  évêque,  ainsi  que  saint  Cyprien,  serait  tombé 
dans  un  schisme  manifeste.  Il  y  est  dit  et  redit  que  le  pape 


433  SAIXT   ETIENNE  [Tome  VII. 

Etienne  s'est  excommunié  lui-même,  qu'il  est  séparé  de 
l'Église,  et  le  pire  des  hérétiques  {tu  hxreticis  omnibus  pejor  es). 
Par  cela  même  l'auteur  de  la  lettre  se  déclare,  de  son  côté,  sé- 
paré du  Pontife  romain  ;  il  professe  une  résistance  formelle  à 
sa  décision  dogmatique  et  à  ses  ordres.  Or,  agir  ainsi,  c'est  se 
constituer  manifestement  schismatique.  Saint  Cyprien,  en 
adhérant  à  cette  lettre,  en  la  traduisant  et  la  publiant  aurait 
participé  au  même  schisme,  il  aurait  agi  â  l'encontre  de  sa 
doctrine.  Car,  c'est  incontestablement  du  Pontife  romain  qull 
parle  dans  ce  beau  passage  :  Neque  enim  aliunde  hxreses  obortx 
sunt  aut  nata  surit  schismata,  quam  inde  quod  Sacei^doti  Dei  non 
obtemperatur ,  nec  unus  in  Ecclesia  ad  tempus  Sacerdos  et  ad  tem- 
pus  judex  vice  Christi  cogitatur  ;  cui  si  secundum  magisteria  di- 
vina  obtemperaret  fratermtas  unwersa,  nemo  adversiim  Sacerdo- 
tum  coUegium  quidquam  moveret.  Comment  celui  qui  a  écrit  ces 
lignes  se  serait-iJ  révolté  avec  l'emportement  d'un  furieux 
contre  ce  suprême  Évêque  de  l'Église,  uy\us  in  Ecclesia  ad  tem- 
pus Sacerdos,  contre  ce  juge  établi  à  la  place  de  Jésus-Christ, 
et  ad  tempus  judex  vice  Christi  ? 

Saint  Cyprien  regardait  l'Évêque  de  Rome  comme  le  juge 
infaillible  des  controverses.  Navigare  audent,  dit-il,  et  ad  Pétri 
cathedram  atque  ecclesiam  principalcm,  unde  imitas  sacerdotalis 
exorta  est,  a  schismaticis  et  profanis  litteras  ferre,  nec  cogitare  eos 
esse  Bernanos,  quorum  fides  apostolo  prœdicante  laudata  est,  ad 
quos  perfdia  habere  non  pos&it  accessum.  (Ep.  iv  ad  Cornetium.) 
Après  avoir  ainsi  reconnu  l'infaillibilité  de  l'Église  romaine, 
saint  Cyprien,  à  moins  d'avoir^perdji  le  sens,  n'a  pu  adhérer  à 
la  prétendue  lettre  deFirmiheu,  qui  attaque  le  jugement  et  le 
décret  du  pape  Etienne  comme  erroné,  insensé,  absurde  et  qui 
dit  à  ce  Pape  :  Tu  omnibus  hxreticis  pejor  es.  On  ferait  de  vains 
efforts  pour  donner  à  cette  lettre  un  autre  sens.  Il  est  trop  ma- 
nifeste. L'anglican  Fell,  dans  sou  édition  de  saint  Cyprien,  n'a 
pas  manqué  l'occasion  de  le  faire  ressortir  par  cette  note  \Hunc 
certe  {Stepharium  papam)  Firmilianus  minime  opinatus  est  fuisse 


Mai  1S63.]  ET  SAINT   CYPRIEN.  433 

universalem  Ecclesix  pastorem,  et  controversiarum  infallibilem 
judicem,  cujus  personam  et  defnïtioncm  tam  incivïliter  tractavit . 

La  prétendue  lettre  de  saint  Firmilien  à  saint  Cyprien  doit 
donc  être  regardée  comme  une  pièce  apocryphe;,  comme 
l'œuvre  d'un  faussaire.  En  terminant  l'examen  de  ces  docu- 
ments réputés  contemporains,  sur  lesquels  s'appuie  toute  l'his- 
toire du  célèbre  conflit,  nous  nous  trouvons  en  face  d'une  ob- 
jection qui  a  pu  influencer  bien  des  esprits.  On  dit  :  Rejeter 
comme  apocryphes  des  documents  si  nombreux,  si  anciens,  si 
génénéralement  regardés  comme  authentiques  jusqu'à  nos 
jours,  n'est-ce  pas  vouloir  introduire  le  pyrrhonisme  dans 
l'histoire?  —  On  n'a  pas  à  craindre  le  pyrrhonisme  tant  qu'on 
procède  avec  les  règles  de  la  saine  critique.  Nous  faisons  à 
l'égard  de  ces  documents  ce  que  les  éruditsontfaitài'égardde 
bien  d'autres,  ce  qu'a  fait  Baluze  lui-même,  qui  nous  reproche 
le  pyrrhonisme.  Si  notre  critique  n'est  pas  fondée,  à  la  bonne 
heure  !  Si  elle  l'est,  ni  le  nombre  des  pièces,  ni  les  autres  cir- 
constances ne  doivent  nous  arrêter. 

Voici  un  nouvel  argument  contre  l'authenticité  de  ces  pièces, 
considérées  dans  leur  ensemble. 


§  V. 


Les  événements  attestés  par  ces  pièces  n'ont  pas  pu  s'accomplir 
dans  le  laps  de  temps  qu'elles  assignent. 

I.  Le  troisième  concile  de  Carthage  aurait  commencé  le  l'""  sep- 
tembre 256,  date  admise  comme  certaine  par  les  érudifs  gui  tiennent 
ce  concile  pour  authentique.  —  L'ouverture  a  eu  lieu  le  premier 
ç,Q^\.cvûhv(i  [calendis  septembris)',  c'est  expressément  dit  dans 
les  actes.  Il  s'agit  du  mois  de  septembre  256,  puisque  le  con- 
cile se  tint  sous  le  pontificat  de  saint  Etienne,  et  que  ce  Pape 
fut  martyrisé  le  2  août  257.  Au  reste,  les  érudits  qui  regardent 

Revue  nss  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vu.  .    28. 


434  SAINT   ETIENNE  [Tome  Vil. 

les  pièces  en  question  comme  authentiques  sont  d'accord  sur 
la  date  de  ce  troisième  concile. 

Ils  sont  fort  embarrassés,  au  contraire,  et  divisés  d'opinion 
par  rapport  aux  deux  autres.  Dans  l'iiypotlièse  de  Tautheu- 
ticité  des  documents,  on  est  forcé  d'admettre  trois  conciles  sur 
la  question  du  baptême  des  hérétiques  :  le  premier  qui  répondit 
à  la  question  des  évêques  de  Numidie  ;  le  sacond,  dont  parle 
saint  Gyprien  dans  sa  iettre^au  pape  saint  Etienne  ;  et  le  troi- 
sième dont  nous  avons  les  actes.  La  plupart  des  érudits  placent 
le  premier  dans  l'année  2oo.  Pour  le  second,  il  y  a  divergence. 
Plusieurs  le  mettent  vers  la  fin  de  l'année  256.  Mais  Pearsou 
et  Baluze,  voyant  combien  il  est  invraisemblable  que  le  second 
et  le  troisième  aient  été|célcbrés  presque  à  la  même  époque, 
placent  le  second  comme  le  premier  en  253.  Noël  Alexandre 
les  met  tous  les  trois^dans  le  courant  de  l'année  256.  Ainsi, 
relativement  aux  deux  premiers,  il  y  a  diversité  d'opinion. 
Mais  le  troisième,  que  le  lectenr  veuille  bien  le  remarquer,  est 
fixé  d'un  commun  accord  au^mois  de  septembre  236.  Cette  date 
non  contestée  est  notre  point  de  départ. 

II.  La  lettre  de  Firmilien  aurait  été  écrite  au  plus  tard  le  1<=' 
décembre  236.  —  Nous  le  concluons  d'un  passage  de  sa  lettre 
relatif  au  diacre  envoyé  par  saint  Cyprien.  Firmilien  dit  que 
cet  envoyé  avait  hâte  de  retourner  à  Gartliage,  à  cause  de 
l'approche  de  l'hiver:  «  Qaoniara  vero  legatus  iste  a  vobis  mis- 
sus  regredi  al  vos  festiiiabat,  et  hibernum  tempus  urgebat.»  Ainsi 
cet  envoyé  ne  séjourna  pas  à  Césarée,  afin  de  pouvoir  faire 
son  voyage  avant  les  rigueurs  de  l'hiver.  Ces  mots  hibernum 
tempui  urjebat,  peuvent  s'entendre  du  mois  de  novembre,  du 
mois  d'octobre,  et  même  du  mois  de  septembre.  Mais  assuré- 
ment ils  n'ont  pas  pu  être  écrits  après  le  premier  décembre. 
Car,  uue  f)'s  I3  mois  de  décembre  commencé,  ou  est  en  hiver, 
et  il  fcst  absurde  de  hâter  alors  un  voyage  de  60  jours  dans  le 
but  d'éviter  les  rigueurs  des  frimas.  Aussi  le  diacre  porteur 
de  la  lettre  de  Firmilien  ne  quitta  pas  Césarée  plus  tard  que 


Mai  1863.]  ET   SAINT  CYPRIEN.  435 

le  1*'  décembre^  et,  par  conséquent,  cette  lettre  n'est  pas  pos- 
térieure à  cette  date. 

D'autre  part,  la  teneur  de  la  lettre  suppose  vivant  le  pape 
saint  Etienne.  Et  comme  il  mourut  le  2  août  257,  l'hiver  dont 
il  est  question  est  celui  de  256,  el  non  Thiver  suivant.  Donc  la 
lettre  de  Firmilien  n'aurait  pas  été  écrite  plus  tard  que  le  1*' 
décembre  256.  Voyous  maintenant  les  événements  qui  se  se- 
raient accomplis  entre  ces  deux  dates,  le  l^"^  septembre  et  le  1" 
décembre  256. 

Ilï.  Les  événements  que  mentionnent  les  pièces  nont  pas  pus'ac- 
complir  dans  ce  laps  de  temps.  —  Nous  n'avons  que  l'espace  de 
trois  mois,  savoir  depuis  le  1"  septembre  256,  date  de  l'ouver- 
ture du  concile  de  Carthage,  jusqu'au  le»"  décembre,  au  plus 
tard,  do  la  même  année,  époque  où  Firmilien  consigna  sa  lettre 
au  diacre  qui  devait  la  porter  à  saint  Gyprien.  Les  événements 
qu'on  est  forcé  d'admettre  si  l'on  répute  autheuiiques  les  do- 
cuments en  question,  ne  peuvent  pas  être  renfermés  dans  ce 
court  intervalle.  Pour  en  rendre  la  preuve  sensible,  nous  expo- 
serons les  deux  hypothèses  qui  partagent  les  érudits  :  celle  qui 
réduit  le  plus  le  nombre  de  ces  événements,  el  celle  qui  en 
admet  un  plus  grand  nombre. 

1°  Hypothèse  qui  admet  le  plus  petit  nombi^e  d'événements.  — 
Parmi  les  érudits,  quelques-uns  ont  fait  attention  à  l'impossi- 
bilité de  loger  dans  cet  espace  de  trois  mois  tous  les  événements 
que  d'autres  y  avaient  placés.  Ils  se  sont  donc  efforcés  d'inter- 
préter les  textes  de  manière  à  renvoyer  une  partie  de  ces  évé- 
nements à  une  époque  antérieure.  Mais  ils  ont  été  contraints 
de  placer  dans  les  trois  mois  les  événements  suivants  :  1°  la  cé- 
lébration du  3"  concile;  2°  la  députalion  des  deux  évêques  au 
pape  saint  Etienne  ;  3°  leur|séjour  à  Rome  pour  attendre  la  ré- 
■  ponse  du  Pape  ;  4°  leur  retour  en  Afrique  ;  5»  la  composition 
de  la  lettre  de  saint-  Gyprien  à  Firmilien  ;  6°  le  voyage  du 
diacre  Rogatien,  envoyé  à  Césarée  en  Guppadoce  pour  porter 
cette  lettre  à  Firmilien;  7° le  séjour  de  cet  envoyé  à  Gésarée, 


AZa  SAINT    ETIENNE  [Tome  VII. 

jusqu'à  ce  que  Firmilien  eût  écrit  sa  longue  lettre  à  saint 
Cyprien. 

2'  Hypothèse  qui  admet  un  plm  grand  nombre  d'événement  s.  — 
Plusieurs  érudits  accumulent  dans  l'espace  indique  las  laits 
suivants  :  1°  célébration  du  3*  concile;  2°  deux  évoques  sont 
envoyés  à  Rome;  3»  le  Pape  refuse  de  leur  donner  audience 
et  défend  môme  aux  fidèles  de  leur  donner  Fiiospitalité  ;  4« 
ils  font  néanmoins  à  Rome  un  séjour  assez  long  pour  attendre 
la  réponse  du  Pape;  3°  saint  Cyprien  est  informé  de  tout,  et 
pendant  que  les  deux  évêques  députés  sont  encore  à  Rome  et 
attendent  que  le  pape  saint  Etienne  donne  une  réponse,  il 
comjjose  son  traité  de  Bono  patientix;  6"  vers  le  même  temps, 
saint  Cyprien  reçoit  la  lettre  de  Jubaianus,  et  avec  elle  un  écrit 
anonyme  qui  combattait  le  sentiment  des  évêques  africains 
sur  le  baptême  des  hérétiques:  ilréfute  cet  écrit  dans  sa  longue 
lettre  à  Jubaianus;  7»  la  réponse  du  pape  saint  ÉtiemiC,  long- 
temps attendue,  arrive  enfin,  et  cause  à  saint  Cyprien  un  ex- 
trême mécontentement  ;  8°  Pompeius  l'ayant  consulté  sur  ces 
entrefaites  sur  la  question  agitée,  il  lui  répond  en  lui.faisant 
connaître  la  décision  du  Pape,  et  en  la  réfutant  avec  beaucoup 
d'animosité  ;  9°  les  adversaires  de  saint  Cyprien  publient  contre 
lui  un  écrit  anonyme,  et  il  oppose  à  cet  écrit  son  traité  de  In- 
vidia;  10"  il  écrit  à  Firmilien,  évêque  de  Césarée  en  Cappa_ 
doce,  et  envoie  le  diacre  Rogatien  lui  porter  sa  lettre;  11»  à 
l'entrée  de  l'hiver,  c'est-à-dire  au  plus  tard  vers  le  1'^'' décembre 
256,  Rogatien  quitte  Césarée,  rapportant  la  longue  lettre  de 
Firmilien,  dont  on  n'a  qu'une  traduction  latine. 

3°  Dans  les  deux  hy  pot  h  i  miatioa  nées,  l'intervalle  assigné 
aux  événements  admis  est  insuffisant. — Prouvons-le  pour  la  pre- 
mière hypothèse,  qui  admet  le  plus  petit  nombre  d'événements. 
Voici  le  minimum  de  temps  requis  pour  chacun  :  1°  pour  la  cé- 
lébration du  troisième  concile,  la  souscription  des  actes,  la  ré- 
daction de  la  lettre  synodique,  10  jours;  2°  pour  le  trajet  des 
deux  évêques  envoyés  à  Rome,  8  jours  :  quelquefois  le  voyage 


Mai  ISC3.]  ET   PAINT    CYPRIEN.  437 

de  Cartilage  à  Rome  se  faisait  en  moins  de  temps,  mais  souvent 
il  durait  davantage  ;  3°  pour  le  séjour  des  députés  à  Rome, 
c'est-à-dire  pour  que  le  pape  saint  Etienne  prît  connaissance 
des  actes  du  concile  d'Afrique,  en  délibérât  (selon  la  coutume 
du  temps)  avec  son  synode  ou  son  presbyterium,  et  préparât 
la  réponse,  20  jours;  4"  pour  le  trajet  des  députés  de  Rome  â 
Carthage,  8  jours;  5»  pour  que  saint  Cyprien  lût  et  pesât  la 
réponse  du  Pape,  et  pour  qu'il  écrivît  sa  lettre  à  Firmilien,  que 
celui-ci  atteste  avoir  été  longue,  3  jours;  6°  pour  que  Roga- 
tien,  envoyé  par  saint  Cyprien,  arrivât  à  Césarée,  00  jours; 
c'est  le  minimum  qu'on  puisse  assigner  à  ce  voyage,  d'après 
Mgr  Tizzani,  qui  se  fonde  sur  les  distances,  les  directions  que 
le  vaisseau  a  pu  suivre,  et  la  manière  de  voyager  de  l'époque. 
Encore  faut-il  supposer  que  Rogatien  a  eu  à  sa  disposition  à 
Carthage  un  navire  tout  prêt  à  partir,  faisant  le  trajet  sans 
baltes  ni  séjours  intermédiaires,  et  avec  un  vent  constamment 
favorable.  7°  Pour  que  Rogatien,  arrivé  à  Césarée,  se  remît 
de  la  fatigue  du  voyage,  et  donnât  à  Firmilien  le  temps  de  pe- 
ser la  lettre  de  saint  Cyprien  et  d'y  faire  sa  très-longue  réponse, 
8  jours.  En  additionnant,  nous  av3ns  un  total  de  117  jours. 
Donc  l'espace  de  trois  mois  ou  de  90  jours  est  insuffisant . 

L'insuffisance  des  trois  mois  est  encore  plus  évidente  dans  la 
seconde  hypothèse,  qui  admet  un  plus  grand  nombre  d'événe- 
ments, et  en  particulier  la  composition  de  deux  traités  par 
saint  Cyprien. 

Concluons.  11  faut  tenir  pour  apocryphes  des  documents  qui 
assignent  à  une  série  de  faits  un  espace  de  temps  pendant  le- 
quel ces  faits  n'ont  pas  pu  s'accomplir.  Or  telles  sont,  comme 
on  vient  de  le  voir,  les  pièces  sur  lesquelles  s'appuie  l'histoire 
du  célèbre  conflit  entre  saint  Cyprien  et  le  pape  saint  Etienne. 
Ce  conflit  n'est  donc  qu'une  fable. 

D.  Bouix. 


DES  FONCTIONS   PONTIFICALES. 


/.  Quelles  sont  les  fonctions  pontificales  ?  —  //.  Quel  est  le  droit 
et  le  devoir  de  la  première  dignité  du  chapitre  relativement  à 
ces  fonctions  ? 

Nous  entendons  ici  par  fonctions  pontificales  celles  que  l'é- 
vêque  doit^  autant  que  possible^  remplir  par  lui-même  dans 
sa  cathédrale.  Ce  sujet  a  été  abordé  déjà  d'une  manière  som- 
maire dans  un  art.  du  20  janvier  1861,  t.  m,  p.  68.  A  la  fin 
de  son  travail,  le  savant  auteur  fait  appel,  pour  le  compléter, 
aux  personnes  qui  se  livrent  à  des  études  spéciales  sur  la  li- 
turgie. Tel  est  l'objet  du  présent  article,  dont  la  publication  a 
dû  être  différée  jusqu'aujourd'hui  à  cause  de  l'abondance  des 
matières  à  traiter.  Il  est  d'autant  plus  important  d'avoir  une 
liste  exacte  de  ces  fonctions,  que  si  le  pontife  est  absent  ou 
empêché,  elles  doivent  être  remplies  par  la  première  dignité  du 
chapitre.  Nous  donnerons  cette  liste  à  la  fin  de  l'article. 

PREMIÈRE  QUESTION. 

QUELLES   SONT  LES   FONGTIOXS   PONTIFICALES? 

Avant  d'énumérer  les  fonctions  que  l'évêque  doit,  autant 
que  possible,  remplir  par  lui-même  dans  sa  cathédrale,  il  est 
nécessaire  de  faire  quelques  observations  préliminaires. 

I.  L'étude  du  Cérémonial  des  évêquespeut  seule  nous  éclai- 
rer sur  cette  question.  Nous  devons  donc  commencer  par  citer 
les  passages  de  ce  livre  auxquels  renvoient  les  décrets  cités 
t.  III,  p.  68  et  suiv. 

1»  Au  chapitre  qui  traite  des  vêpres  célébrées  solennelle- 
ment par  l'évêque,  il  est  dit: 

a  Si  ergo  episcopus  erit  soleraniter  Missara  sequenti  die  celebraturus. 


MailS03.]  DES   FONCTIONS  PONTIFICALES,  4,9 

((  Vesperae  solemnius  peragiintur,  qiiam  si  non  esset  celebraturus. 
tt  Quod  praecipue  in  his  vigiliis  observari  solet,  videlicet,  Nativitalis 
«  D.  N.  J.  G.,  Epiphaniae,  Ascensionis,  Pentecostes,  SS.  Apostolorum 
«  Pétri  et  Paiili,  Assumptionis  B.  M.  V.,  omnium  Sanctorum,  Dedi- 
0  cationis  ecclesiae,  sancti  Titularis  ecclesiae  et  Patroni  civitatis.  Se- 
«  cundae  Vesperae  poterunt  etiam  per  episcopura  eadem  solemnitate 
«  celebrari,  saltem  in  dominica  Resurrectionis,  et  in  die  Nativitatis 
«  D.  N.  J.  C,  ac  in  festo  sancti  Titularis  ecclesiae,  et  sancti  Patroni 
«  civitatis  (1.  ii,  c.  i,  n.  2  et  5).  » 

2»  Il  est  encore  question  de  ces  fonctions  à  divers  chapitres 
du  même  livre,  relatifs  à  certaines  fêtes  spéciales.  Plus  tard,  on 
donne  une  liste  des  jours  où  le  pontife  célèbre  la  Messo  et  les 
Vêpres  solennelles ,  en  renvoyant  cependant  aux  chapitres 
précédents  pour  la  compléter. 

«  Quia  per  annum  plura  festa  occurrunt,  ultra  superius  expressa,  in 
0  quibus  decet....  episcopum  solemniter  celebrare...,  de  his  breviter 
«  aliqiiid  dicenduni  est.  Celebrare  igitur  poterit  episcopus,  nisi  legi- 
«  time  fuerit  impeditus,  in  die  Nativitatis  D.  N.  Jesu  Cliristi,  in  festo 
«  EpiphaniaeDomini.feriaquinta  in  Cœna  Domini^in  dominica  Resur* 
a  reclionis,  in  die  Ascensionis,  in  dominica  Pentecostes,  in  festivitati- 
«  bus  Annuntiationis  et  Assumptionis  B.  M.  V.,  in  festo  beatorum 
ot  Apostolorum  Pétri  et  Pauli,  in  festo  omnium  Sanctorum,  in  festo 
c<  sancti  Titularis  ecclesiae,  et  Patroni,  in  die  anniversario  Dedicationis 
a  cathedralis  ecclesiae,  vel  etiam  arbitrio  suo  in  aliis  festivitatibus  per 
«  annum,  quandocumque  ei  placuerit...:  ac  etiam  cum  Vesperis  solem* 
•  nibus  in  vigilia,  seu  die  quae  festum  praecedit,  excepte  Sabbato 
«  sancto,  qua  die  Vesperae  non  dicuntur,  nisi  mane  in  fine  IVlissae,  et 
«vigilia  Annuntiationis  B.  Mariae,  si  venerit  in  Quadragesima,  die  fe- 
t  riato  :  quo  casu  Vesperae  non  celebrantur  in  vigilia,  sed  tantum  in 
a  die,  finita  Missa...  Sed  si  hoc  festum  venerit  feria  secunda  in  Qua- 
0  dragesima  poterunt  Vesperae  solemnes  in  dominica  celebrari.  »  (Ibid. , 
c.  xxxiv,  n.  1,  2  et  3.) 

II.  Pour  faciliter  l'intelligence  des  règles  que  nous  avons  à 
déduire  des  textes  cités,  nous  devons  faire  quelques  remarques 
importantes.' 

1°  Le  texte  du  chapitre  xxxiv,  que  nous  venons  de  rappor- 


440  DES   FONCTIONS   PO^TIFICALES.  [Tome  VU. 

ter  en  dernier  lieu,  renvoie,  comme  nous  l'avons  dit,  aux 
chapitres  précédents  pour  compléter  la  liste  qu'il  donne  : 
il  le  fait  par  ces  mots  :  ulti^a  superius  expressa,  et  rappelle  toutes 
les  autres  rubriques  relatives  au  même  sujet. 

2°  Dans  les  rubriques  citées,  il  est  question  seulement  de  la 
Messe  et  des  Vêpres  aux  jours  de  fête,  et  dans  les  chapitres 
précédents,  compris  sous  la  formule  w/^m  superius  expressa, 
il  est  traité  de  certains  jours  qui  ne  sont  pas  des  fêtes,  et  de 
plusieurs  fonctions,  qui  ne  sont  ni  la  Messe  ni  les  Vêpres. 
Tels  sont  la  bénédiction  des  Cierges  le  2  février,  la  béné- 
diction des  Cendres,  la  bénédiction  des  Rameaux,  le  lavement 
des  pieds  qui  se  fait  le  jeudi  saint,  et  diverses  processions 
solennelles. 

3"  Parmi  les  fonctions  dont  il  s'agit,  il  en  est  que  le 
pontife  peut  remplir  sans  cependant  célébrer  lui  -  même 
la  Messe  solennelle  ,  privilège  exclusivement  propre  à  l'Ordi- 
naire. Telles  sont  la  bénédiction  des  Cierges  et  la  procession^ 
le  2  février  ;  la  bénédiction  des  Cendres,  le  premier  jour  du 
Carême  ;  la  bénédiction  des  Rameaux  et  la  procession,  le  di- 
manche des  Rameaux  ;  la  procession  du  vendredi  saint,  celle 
du  jour  de  la  fête  du  Très-Saint-Sacrement,  et  l'absoute  qui 
suit  la  Messe  des  morts.  Cette  règle  est  actuellement  assez 
connue  pour  qu'il  ne  soit  pas  nécessaire  de  la  prouver  ici  : 
nous  l'avons  traitée  au  long  au  n°  de  juillet  dernier,  p.  60>- 
et  suiv. 

A"  L'indication  de  ces  jours  est  donnée,  par  les  rubriques  ci- 
tées, en  termes  qui  expriment  un  vœu,  un  souhait,  et  non  pas 
un  précepte. 

«  Per  annum piura  festa  occurrunt...  in  (\mhus decet...  episcopura 
«  solemniter  celebrare...  Celebrare  igitur  poterit  episcopus,  nisi  legi- 
«  time  fuerit  impeditus...  » 

Au  chapitre  xvi,  où  il  est  traité  de  fêtes  qui  arrivent  entie 
Noël  et  la  Purification,  il  est  dit  : 


Mai  18C3.I  DES   FONCTIONS  PONTIFICALES.  /Î4I 

*  In  die  Epiphanise  deberet  ipse  celebrare,  si  poterit,  quod  valde 
•  conveniens  esset.  » 

Lu  rubrique  est  plus  positive  à  certains  jours,  soit  qu'elle 
exprime  une  obligation  pour  l'évêque  d'officier  lui-même,  s'il 
n'est  pas  absent  ou  empêché  par  une  cause  grave,  comme  se- 
rait la  maldclio  ;  soit  qu'elle  suppose  que  le  pontife  le  fasse 
toujours.  De  plus,  outre  les  jours  indiqués  par  la  rubrique 
pour  l'office  pontifical,  soit  comme  obligation,  soit  comme  con- 
venance, il  en  est  d'autres  où,  d'après  le  Cérémonial,  l'évêque 
peut  convenablement  officier  encore,  s'il  le  juge  à  propos.  Le 
pontife  peut  enfin  le  faire  cliaque  fois  qu'il  le  désire. 

IIL  Nous  divisons  donc  en  quatre  classes  les  fonctions  pon- 
tificales. Nous  rangeons  dans  la  première  toutes  celles  qu'il 
est  du  devoir  de  l'évèiiue  de  faire  parlui-mème,  et  dont  le  pré- 
lat ne  peut  se  dispenser  s'il  n'est  pas  absent  ou  empêché  par 
une  cause  grave.  Dans  la  seconde,  nous  comprenons  toutes 
les  fonctions  que  le  Cérémonial  attribue  à  l'évêque,  mais  seu- 
lement d'une  manière  optative  ou  directive.  La  troisième  ren- 
ferme celles  où  le  Cérémonial  suppose  que  l'évêque  officie 
quelquefois,  ou  peut  le  faire  convenablement,  sans  cependan  t 
lui  attribuer  ces  fonctions,  même  d'une  manière  directive. 
Dans  une  quatrième  classe  enfin,  on  range  les  fonctions  que 
ferait  le  prélat  en  dehors  de  celles  dont  il  est  parlé  dans  le 
Cérémonial  et  qui  se  trouvent  renfermées  dans  celte  rubrique: 
a  Vel  etiam  arbitrio  suo  in  aliis  festivitatibus  per  annum, 
a  quandocumque  ei  placuerit.  »  Cette  division,  déjà  nécessaire 
en  elle-même,  l'est  aussi  pour  bien  déterminer  les  jours  où 
l'évêque,  absent  ou  empêché,  doit  être  remplacé  par  la  pre- 
mière dignité. 

§  1.  Fonctions  que  l'évêque  doit  remplir  par  lui-même,  s'il  n'est 
pas  absent  ou  empêché  par  une  cause  grave^  comme  serait  la 
maladie. 

En  parcourant  le  Cérémonial  des  évêques,  nous  croyons  de- 
voir énumérer  ici  les  fonctions  suivantes  : 


4':2  DES   FONCTIONS   PONNIFICALE?.  [TotnîVÎÎ. 

1°  La  troisième  Messe  solennelle,  le  jour  de  Noël  : 

«  In  tertia  Missa  quam  omnino  cantahit  episcopus  in  die.  »  (Ibid., 
c,  XIV,  n°  11.) 

2°  La  bénédiction  des  Cierges  et  la  procession,  le  2  février  : 
a  Episcopus...  benedictionem  Candelarum  faciet.  »  (Ibid.,c.xvi, 
n"?.) 

3°  La  bénédiction  des  Cendres  : 

8  Episcopus  accipit  paramenta  eodera  ordine  quo  in  die  Purificatio- 
«  nis  B.  M.  V.  dictum  est;  et  pariter  oranes  canonici  capiunt  sua, 
«  proiit  ibi  dictum  fuit.  »  flbid.  c.  xviii,  n»  4.)  «  Subdiaconus...  sive 
aalius...  vas...  cum  cineribus  portât  ante  episcopum.  »  (Ibid  ,  n'  5.) 
a  Episcopus  surgit  et  dicit  Dominus  vobiscum  et  oremus,  ac  orationes 
«  benedictionis  cineruni.  »  (Ibid  ,  n^  6.) 

4"  La  bénédiction  des  Rameaux  et  la  procession^,  le  dimaucbe 
des  Rameaux: 

«  Episcopus  capiet  paramenta,  et  pariter  canonici...;  quibus  expe- 
«  ditis,  incipiet  benedictionem  Palniarum,  »  (Ibid.,  c.  xxi,  n°  4.) 

5*  L'office  des  Ténèbres,  les  trois  derniers  jours  de  la  se- 
maine sainte  : 

«  Ipsa  vero  quarta  ferla  bora  vigesima  prima,  vel  circa,  episcopus 
«  venit  cum  cappa  ad  ecclesiam...  flbid.,  c.  xxii,  n^  S.)  Episcopus 
c(  genuflexus  récitât  orationera  Respice  quxsumus...  (Ibid.,  n°  14.) 
«  Eadem  servantur  in  duobus  sequenlibus  raatutinis  tenebrarum.  » 
(Ibid.,  n°  17.) 

6°  Le  jeudi  saint,  le  pontife  doit  célébrer  la  Messe  solen- 
nelle; s'il  ne  pouvait  absolument  le  faire  et  s'il  y  assistait 
paré,  il  devrait  néanmoins  porterie  Saint-Sacrement  à  la  pro- 
cession. Le  prélat  doit  aussi  faire  la  cérémonie  du  lavement 
des  pieds  : 

«  Quod  si  episcopus,  neeessario  impedimento  prsepeditus,  non  celebra- 
«  ret  hancMissam,  sed  illi  per  alterum  celebratae  interesset  paralus,  sal- 
aiemnon  omittat  portdre  SS.  Sacramentumin  processione...  et  de- 
«  mura,  reposito  Sacramento,  accedere  ad  mandatum  et  lavare  pedes 
«  pauperura  vel  canonicorum.  »  (lbid.,c.  xxiii,  n°  14.) 


Mai  18G3.]  DES   FONCTIONS   PONTIFICALES.  443 

7"  Le  vendredi  saint,  le  pontife  doit  porter  le  Saint-Sacre- 
ment à  la  procession,  quand  même  il  ne  célébrerait  pas  l'office  : 

«  Celebrans  accipit  SB.  Sacramentum  de  dicta  capsula,  illudque  in 
a  nianibns  episcopi  collocat,  et  statim  genuflectit.  Episcopus  capit  anibabus 
«  manibus  vélo,  quod  circa  humeros  habet,  coopertis,  calicem  ubi  est 
a  SS.  Sacramentiira  veio  coopertiim,  elilludportat  reverenter  sub  bal- 
«  dachino.  »  (Ibid.,  c.  xxvi,   n.  15.) 

8°  Le  dimanche  de  Pâques,  l'évêquc  doit  célébrer  lui-même 
la  Messe  solennelle  : 

«  In  die  Pascliae  Resurrectionis  Domini  Nostri  Jesii  Christi  episco- 
«  pus,  nisi  aliquo  legitimo  impedimento  fuerit  praepeditus,  Missam 
((  solemnem  omnino  celebrare  débet.  »  (Ibid.,  c.  xxix,  n°  1 .) 

9o  Le  25  avril,  le  prélat  préside  à  la  procession  des  grandes 
Litanies  : 

«  In  die  S.  Marci  fuintlitaniae,  quas  majores  vocamus#.  ïncipiet  a 
a  deputalis  dirigi  processio,..  in  qua  ...  procèdent...,  ultime  clerus 
«  ecclesiai  cathedralis,  cujus  canonici  omnes,  si  commode  fieri  poterit, 
a  erunt  parati  paramentis  sibi  competentibus  quemadmodum  soient 
cr  episcopo  célébrante...;  et  ultimo  loco  proeedet  episcopus  paratus 
•  pluviali.  »  (Ibid.,  c.  xxxii,  no  1.) 

10**  Le  jour  de  la  fête  du  Très-Saint-Sacrement,  le  pontife 
doit  porter  le  Saint-Sacrement  à  la  procession  : 

«  Sequetur  episcopus  sub  baldachino,  capite  detecto,  porlans  mani- 
«  bus  suisSS.  Sacramentum  in  tabernaculo,  sive  ostensorio  inclusum.» 
(Ibid.,  c.  XXXIII,  n°  8.) 

Si  le  prélat  assiste  à  la  procession  qui  se  fait  le  jour  de 
l'octave,  il  doit  encore  porter  lui-même  le  Saint-Sacrement  ; 

«  Solitum  etiam  est  octava  die  hujus  festi  post  Vesperas  fieri  pro- 
a  cessionem  adreponendum  SS.  Sacramentum,  quse  non  tam  solemnis 
«  et  longa  via,  ut  prima,  sed  vel  per  ecclesiam,  vel  parum  circa  extra 
a  eam  fieri  débet,  in  qua,  si  episcopus  interesse  voluerit,  dehet  cura 
«  pluvidii  SS.  Sacramentum  portare,  »  (Ibid.,  n°  34.) 


^-ii  DES   FONCTIONS   PONTIFICALES.  [Tome VU. 

il"  Le  jour  de  la  fête  du  Patron  de  la  ville  et  du  Titulaire 
de  l'église  cathédrale.  Le  Cérémonial  des  évèques  ne  le  pre- 
scrit pas  d'une  manière  positive,  à  la  vérité,  mais,  commo  nous 
le  verrons  ci-aprcs_,  il  met  ces  jours  au  nombre  de  ceux  oùl'é- 
vêque  célèbre  les  secondes  Vêpres,  et  les  autres  jours  indiqués 
au  même  endroit  sont  ceux  où  le  pontife  doit  officier.  Nous 
croyons  donc  devoir  mettre  ces  deux  fêtes  au  nombre  de  celles 
dont  nous  donnons  ici  la  liste. 

IS"  L'absoute  après  les  Messes  qui  se  célèbrent  chaque  an- 
née, l'une  pour  le  repos  de  l'àine  de  son  prédécesseur  au  jour 
anniversaire  de  sa  mort^  l'autre  dans  la  huitaine  qui  suit  le 
jour  de  la  Commémoration  des  fidèles  trépassés ,  pour  les 
évèques  et  les  chanoines  défunts. 

«  Episcopus  vivens,  prgedecessoris  sui  proxime  ante  ipsum  defuncti 
«  memoriam  habere  débet,  et  pro  ejus  anima  singulis  annis  in  die  obi- 
«  tus  anniv^sariura  celebrare,  vel  saltem  Missae  pro  ejus  anima,  ab 
((  aliqua  dignitate  seu  canonico  celebrandae  pra^sens  assistere,  et  in  fine 
«  absolvere.n  (Ibid.,  c.  xxxvi.  n°  1.)  «  Aliquo  die  non  impedito,  infra 
a  octavara  defunctorum,  arbilrio  episcopi,  canonicus  aliquis  seu  digni- 
a  tas  ecclesiae  cathedralis  celebrabit  Missam  pro  animabus  oraniura 
«  episcoporum  et  ecclesiae  catbedralis  canonicorum  defunclorum...  cui 
«  Missse  episcopus  praesens  erit  cuin  cappa,  et  in  fine,  si  voluerit,  po- 
«  terit,  imo  debebit,  deposita  cappa  et  accepte  pluviali,  absolvere.  » 
(Ibid.,  c.  xxxvii,  n°  1.) 

§  2.  Fonctions  que  le  Cérémonial  atù'ibue  à  Vévêque  d' une  manière 
optative  ou  directive. 

\.  Ces  fonctions  sont  : 

1°  Les  secondes  Vêpres  de  la  fête  de  Noël  ; 

2"  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  l'Epi- 
phanie ; 

5»  Les  premières  Vêpres  de  TAnnonciaiion  de  la  bienheu- 
reuse Vierge  Marie,  si  cette  fête  se  célèbre  après  Pâques  ou  le 
lundi  ;   la  Messe  de  ce  jour,  et  les  secondes  Vêpres,  si  cette 


Mail8ù3.I  DES    FONCTIODS   PONTIFICALES.  445 

fête  se  célèbre  pendant  le  Carême,  un  autre  jour  que  le  lundi  ; 
•  4°  Les  Vêpres  du  dimanche  de  Pâques  ; 

5°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  l'Ascen- 
sion; 

6°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  du  dimanche  de  la  Pen- 
tecôte ; 

7"  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  des  saints 
Apôtres  Pierre  et  Paul  ; 

8'  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  l'Assomp- 
tion  de  la  sainte  Vierge  ;  ^ 

9°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  du  jour  de  la  Toussaint  ; 

10°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  la  Dédi- 
cace de  l'église  cathédrale  ; 

11°  Les  secondes  Vêpres  des  fêtes  du  Patron  delà  ville"et  du 
Titulaire  de  l'église  cathédrale. 

IL  Les  textes  du  Cérémonial  des  évêques  cités  ci-dessus 
suffisent  pour  appuyer  notre  assertion.  Les  fêtes  que  nous 
venons  d'énumérer  sont  indiquées  par  le  Cérémonial  des  évê- 
ques. (L.  II.  c.  I,  n.  2  et  3,  c.  xvr,  n.  4,  et  c.  xxxiv,  n.  \,  2  et 
3.)  Elles  sont  donc  aussi  du  nombre  de  celles  auxquelles  l'é- 
vêque  doit  régulièrement  officier  ,  mais  la  rubrique  est  sim- 
plement directive. 

in.  On  peut  faire  ici  deux  observations.  1°  Au  chapitre  1 
du  livre  ii,  il  n'est  pas  question  de  la  fête  de  l'Annonciation. 
On  peut  en  donner  deux  raisons  :  la  première ,  que  celte  fête 
est  soumise  à  des  rubriques  particulières  relativemeflt  à  ses 
Vêpres,  surtout  aux  premières,  lesquelles,  d'après  la  rubrique 
du  chap.  xxxiv,no2,  ne  se  célèbrent  solennellement  que  le  di- 
manche, ou  en  dehors  du  Carême,  et  que  par  conséquent  on 
ne  peut  lui  appliquer  ces  paroles  :  Quod  prxcîpue  in  his  vigi" 
liis  observari  solet;  la  seconde,  qu'étant  moins  solennelle  que 
les  autres  fêtes  pontificales,  il  peut  se  faire  que  la  rubrique  au- 
torise le  prélat  à  se  dispenser  plus  facilement  ce  jour-là  d'offi- 
cier lui-même.  Nous  ferons  observer  :  2"  que,  parmi  les  fêtes 


446  DES   FONCTIONS  PONTIFICALES.  [Tome  VU. 

qui  nous  occupent  ici,  la  première  est  celle  de  la  Pentecôte.  Elle 
n'est  pas  mentionnée,  il  est  vrai,  au  nombre  de  celles  où  l'évê- 
que  doit  officier,  à  moins  d'empêchement  nécessaire,  ou  célé- 
brer solennellement  aux  secondes  Vêpres.  Mais  la  solennité  de 
sa  Vigile  et  de  son  Octave  nous  montrent  suffisamment  sa  su- 
périorité sur  les  autres. 

IV.  On  pourrait  peut-être  désirer  une  explication  relative 
à  la  rubrique  du  Cérémonial  des  évêques  qui  indique  l'Office 
pontifical  pour  le  jour  de  la  fête  de  TA-nnonciation,  dont  la 
solennité  est  inférieure  à  toutes  les  autres  fêtes  dont  il  e&t 
parlé  au  même  endroit,  et  dont  le  rit  est  inférieur  même  à 
celle  de  la  Nativité  de  saint  Jean-Baptiste ,  où  l'évêque  se 
contente  de  l'assistance  solennelle.  Laissons  parler  Crassus, 
qui  dans  son  Cérémonial  (l.  ii  sect.  ii,  c.  viii)  témoigne  en  ces 
termes  l'ancien  usage  de  célébrer  en  grande  pompe  ce  my- 
stère si  glorieux  pour  la  Mère  de  Dieu  : 

•  Consueverunt  antiqui  pontifices  celebrare  hoc  die,  et  tune  si  fes- 

•  tum  fuisset  die  lunfB  in  Quadragesima ,  in  precedenti  Dominico  die 
a  fiebant  Vesperae  Papales  cum  paramentis...  Idera  fiebat  si  festum 
a  celebrabatur  post  Pascha  ;  in  aiiis  autein  temporibus,  quia  in  Qua- 
«  dragesima  Vesperae  dicuntur  ante  prandiura,  non  fiebant  Vesper» 

•  solemnes  ;  sed  ,  ne  ista  soleranitas  remaneret  sine  Vesperis  solem- 
«  nibus,  post  Missara...  Papa,  depositis  noissalibus  indumentis,  acci- 
a  piebat  pluviale  albunn,  et  incipiebat  Detis  in  adjiUorium.  » 

§  3.  Fonctions   que  Vévêque  peut  convenablement  remplir  par 
lui-même,  s'il  le  juge  àpropos. 

Outre  les  fonctions  ci-dessus  énumérées,  il  eu  est  encore 
d'autres  auxquelles   l'évêque   peut  convenablement  officier 
-encore,  s'il  le  juge  à  propos.  Ces  fonctions  sont  : 

1"  Les  secondes  Vêpres  de  toutes  les  fêtes  dont  il  célèbre 
les.  premières  Vêpres  et  la  Messe  solennelle.  Le  texte  cité  au 
numéro  précédent  nous  en  est  une  preuve  bien  convaincante. 
^Remarquons  seulement  ici  les  mots  eadem  solemnitate. Les  Vè- 


M  À  1863  ]  DtS   FOiNCTlONi   PONTIFICALES.  447 

près  pontificales  peuvent  se  célébrer  de  deux  manières,  savoir  : 
4"  avec  la  solennité  indiquée  dans  le  Cérémonial  (1.  ii,  c.  i), 
solennité  que  la  rubrique  prescrit  aux  premières  Vêpres  de 
toutes  les  fêtes  dont  Tévêque  doit  célébrer  lui-même  la  Messe 
solennelle;  2°  avec  moins  de  solennité,  comme  il  est  indiqué 
au  chapitre  suivant.  Le  Poutife  pourrait,  aux  secondes  Vêpres, 
officier  soit  de  la  première,  soit  de  la  seconde  manière. 

2°  Les  Matines  de  Noël  et  la  Messe  de  la  nuit.  Le  Cérémo- 
nial ne  règle  absolument  rien  par  rapport  à  l'office  des  Mati- 
nes et  des  Landes.  Au  chapitre  qui  traite  des  Matines  célébrées 
par  l'évêque,  il  est  dit  :  «  Quando  in  Matutinis  Episcopo  pla- 
«  cuerit  officium  facere  »  (Ibid.  c.  v,  u"  1);  et  au  chapitre 
XXXIV,  n°  A,  on  indique,  pour  la  Messe  de  la  nuit,  l'assi- 
stance solennelle  du  pontife.  On  suppose  cependant,  au  cha- 
pitre qui  traite  de  la  fête  de  Noël,  que  le  prélat  officie  quel- 
quefois aux  Matines  et  à  la  première  Messe. 

a  Super  aliqua  mensa^  separata  ab  abaco,  collocari  poterunt  para- 
c  menta  omnia  pro  Episcopo,  Missara  celebraturo,  et  pluviale  album 
»  pulchrius  pro  eodem,  cantaturo  orationem  in  fine  Nocturnoruni.  Sed 
«  si  Episcopusnon  ait  celebraturus  primara  Missam...  •  (Ibid.  c.  xiv, 
n°  4.)  «  hi  tertio  nocturne,  cura  dicitur  a  choro  Psalmus  Misericor- 
«  dias  Domini,  si  episcopus  est  primam  Missam  celebraturus...  a 
(Ibid.  no  7.) 

3"  La  Messe  de  la  fête  de  la  Purification.  Le  Cérémonial 
des  évêques  (1.  ii.  c.  xvi)  explique  en  détail  les  cérémonies 
spéciales  que  l'on  doit  observer  en  ce  jour.  Après  ce  qui  cou- 
cerne  la  bénédicliou  et  la  distribution  des  Cierges,  avec  la 
procession  ,  il  est  dit  : 

«  Dum  fit  processio,  canonicus  aut  alius  Missam  celebraturus , 
«  cum  diacono  et  subdiacono,  capiunt  sua  paramenta  convenicntia, 
€  id  est,  albi  coloris.  »   (Ibid.  n°  16.)  Et  plus  bas  :  «  Episcopus 

•  vero,  cum  pervencrit  ad  altare,  ante  infimum  gradum,  si  Missa  fiat 
«  defesto,  deponit  pluviale  et  paramenta  violacea,  et  accipit  alba,  et 

•  incipit  confessionein,  stante  a  sinistris  ejus  célébrante,  aliquanto 


^48  DliS   FONCTIONS  fONTIFICALES.  [Tome  VII. 

€  rétro  post  Episcopum.  Missa  vero  continuatur  prout  in  cap.  ix  hu- 
o  jus  lib.  II  de  Missa  quae  coram  Episcopo  celebratur.  • 

Le  Cérémonial  ne  parle  pas  de  cette  fcte  au  chapitre  xxxiv. 
Cette  disposition  moutre  suffisamment  qu'il  n'y  a  pour  le  pré- 
lat ni  obligation  ni  haute  convenance  de  célébrer  cette  Messe. 
Cependant  le  Cérémonial  ajoute  :  «  Sed  si  Episcopus  vellet 
«  etiam  Missam  celebrare,  quod  convenit,  prsecipue  si  festum 
G  purificationis  sit  Titulus  ecclesiae,..i  Ces  paroles  quod  conve- 
nit, n'indiquent  pas  une  haute  convenance,  comme  celle  dont 
dont  il  a  été  parlé  au  numéro  précédent.  La  rubrique  précé- 
dente, suivant  laquelle  le  pontife  se  contente  de  l'assistance 
solennelle,  snffitpour  apporter  un  tempérament  à  ces  paroles; 
et  de  plus,  les  mots  prsscipuesi  festum  Purificationis  sit  Titulus 
ecclesise,  montrent  suffisamment  le  sens  de  l'expression.  Si 
la  Purification  est  la  fête  Titulaire,  la  messe  rentre  de  plein 
droit  dans  les  fonctions  que  le  prélat'  doit  remplir  par  lui- 
même.  Si  elle  n'est  pas  Titulaire,  elle  est  du  nombre  de  celles 
oii  le  pontife  assiste  paré  :  la  fête  est  cependant  assez  solen- 
nelle pour  qu'il  puisse  convenablement  célébrer  la  messe,  s'il  le 
juge  à  propos. 

4oL'olficedu  vendredi  et  du  samedi  saints.  Deux  chapitres  du 
Cérémonial  des  évêques  traitent  de  chacune  de  ces  deux  fonc- 
tions, savoir  les  chapitres  xxv  et  xxvr  pour  le  vendredi,  et  les 
chapitres  xxvii  et  xxviii  pour  le  samedi.  Au  chapitre  xxv,  il 
est  traité  de  l'office  du  vendredi  saint  lorsque  le  pontife  juge 
à  propos  de  le  faire  lui-même  :  «  Si  episcopus  velit  ipse  cele- 
c  brare  (Ibid.  n.  1);  et  au  chapitre  xxvi,  on  donne  les  règles 
à  suivre  lorsque  le  pontife  y  assiste  seulement.  Les  deux  cha- 
pitres suivants  indiquent  de  la  même  manière  ce  qui  doit  être 
observé  le  samedi  saint:  d'abord,  si  l'évêque  célèbre  lui-même; 
puis,  s'il  ne  peut  pas  le  faire.  On  peut  y  joindre  l'office  de  la 
Vigile  de  la  Pentecôte. 

5®  La  procession  des  petites  litanies,  qui  se  fait  les  trois 
jours  des  Rogations.  Après  les  règles  à  suivre  à  la  procession 
des  grandes  litanies,  nous  lisons  dans  le  cérémonial  ; 


i 


Uai  1863  )  DES  FONCTIONS   PONTIFICALES.  449 

0  In  processionibus  vero  et  litaniis  rainoribus,  quae  Rogationes  vo- 
«  cantur,  et  fiunt  tribus  diebus  antt  Ascensionem  Domini,  eadem 
a  servantur,  sed  aliquanto  remissius  ;  convenit  tamen  in  his  episco- 
a  puni  paratura  cuni  rainislris  intervenire,  vel  saltem  cum  cappa.  » 
(Ibid.  c.  XXXII,  n.  7.) 

Ou  peut  encore  ranger  ici  les  processions  extraordinaires 
que  l'évêque  peut  prescrire,  suivant  cette  rubrique  : 

€  Ad  similitudinem  harura  processionum  regulari  poterunt  et  aliae 
«  processlones  extraordinarise  quae  fier!  quandoque  contingit  ad  pla- 
«  candara  iram  Dei.  »  (Ibid.  n.  8.) 

6®  La  Messe  de  la  Commémoraison  des  fidèles  trépassés.  Le 
chapitre  du  Cérémonial  où  il  est  traité  de  la  Messe  pontificale 
pour  les  morts,  commence  par  ces  paroles  : 

«  Si  velit  Episcopus  celebrare  die  anniversaria  omnium  Defuncto- 
«  rum  vel  alias....  »  (Ibid.  c.  xi,  n.  1.) 

Le  pontife  officie  alors  solennellement  aux  secondes  Vêpres 
de  la  Toussaint,  aux  Vêpres  et  aux  Matines  des  morts,  suivant 
cette  règle  : 

0  Quia  in  officiis  Defunctorum  diversas  ab  aliis  caeremoniae  in  multis 
fl  observantur,  ideode  eis  est  subjungendura.  Et  primo  de  Vesperis  et 
«  Malutinis  quae  celebrantur  quotannis  pro  commeraoratione  et  suffra- 
a  giis  omnium  fileliiun  Defunctorum,  immédiate  post  secundas  Ve- 
0  speras  festivilatis  omnium  Sanclorum.....  Et  tune,  si  episcopus  ipse- 
a  met  eril  in  crastinura  celebraturus  Missam  solemnem  pro  Defunctis, 
o  debebit  etiamet  in  his  Vesperis  et  Matutinis  officium  facere....  Post- 
a  quam  enim  ia  sccundis  Vesperis  omnium  sanctorum  observaverit  ea 
a  omnia  quae  supra  expressa  sunt  in  cap.  1  hujus  libri  II,  de  Vesperis 
«  solemnibus,  episcopo  in  crastinum  celebraturo.  »  (  Ibid.  c.  xi,  n.  1 
et  2.) 

La  rubrique  suppose  cependant  le  cas  où  le  ponlife  célébre- 
rait seulement  les.  Vêpres  des  morts  après  avoir  assisté  en 
cliape  aux  Vêpres  de  ia  Toussaint.  (Ibid.  n.  2.) 

7°  La  Messe  solennelle  qui  se  célèbre  dans  la  cathédrale 
au  jour  anniversaire  de  l'élection  et  de  la  consécration  du 
pontife  : 

Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  t.  vu.  29-30. 


430  DES  PONCTIOKS  PONTIFICALES.  [TomeVJl. 

«  Siogulis  annis,  in  diebus  anniversariis  electionis  et  consecrationis 
«  episcopi,  Missam  solemnera,  vel  per  ipsum  episcopum,  vel  per  ali- 
«  quam  digiiitatem,  seii  canonicum,  ipso  praesente,  celebrari  convenit.  » 
(Ibid.  c.  XXXV,  n.  1.) 

8"  La  Messe  de  Requiem  qui  se  célèbre  pour  l'anniversaire 
de  la  mort  de  son  prédécesseur  : 

«  Episcopus  vivens,  praedecessoris  sui  proxime  ante  ipsum  defuncti 
«  memoriarn  habere  débet,  et  pro  ejus  anima  singulis  annis  in  die 
c(  obitus  anniversarium  celebrare,  vel  saltem  Missaî  pro  ejus  anima,  ab 
«  aliqua  dignitate  sen  canonico  celebrandae,  praesens assistera.»  (Ibid. 
c.  XXXVI,  n.  1.) 

§  4.  Des  fonctions  que  l'évêque  remplirait  par  lui-même  en  dehors 
de  celles  qui  sont  spécialement  mentionnées  dans  le  Cérémonial. 

Le  pontife  peut  encore  ofBcier  à  d'autres  jours,  s'il  le  juge 
à  propos,  comme  nous  l'avons  vu  en  commençant.  Le  Céré- 
monial (Ibid.  c.  xxii)  indique  les  règles  à  suivre  quand  le  pré- 
lat célèbre  la  Messe  solennelle  les  dimanches  de  i'Avent.  Le 
jour  des  Cendres,  il  n'est  pas  d'usage  que  le  pontife  la  célèbre 
lui-même  : 

«  Si  episcopus  non  est  célébra turus  Micsam,  proul  regulariter  hac 
«  die  non  solet.  »  (Ibid.  c.  xviii,  n.  13.) 

Il  peut  cependant  le  faire,  comme  il  résulte  de  cette  ru- 
brique : 

«  Si  vero  Episcopus  vellet  hac  die  soleraniter  celebrare.  »  (Ibid. 
n.  22.) 

Les  dimanches  de  Carême,  on  observe  tout  ce  qui  est  prescrit 
pour  les  dimanches  de  I'Avent  aux  Vêpres  et  aux  Messes  : 

a  Sive  ab  episcopo,  sive  ab  alio  celebrandis.  »  (Ibid,  c.  xx, 
n.  1.) 

Ou  donne,  plus  loin  les  règles  à  suivre  pour  l'Office  pontifical 
aux  dimanches  pendant  l'année  : 

a  In  Dominicis  per  annum,  si  episcopus  voluerit  celebrare.»  (Ibid. 
c.  XXXI,  n°  1.)  «  Si  episcopus  voluerit  celebrare  solemniter.  »  (Ibid. 
n.  4.) 


iini  ISeS.l  DBS  FahJCTIONS   P0NT1F1C4LES  4^^ 

DEUXIÈME  QUESTION. 

PUEL  EST  LE   TROIT   ET    LE   DEVOIE  DE     LA   PREMIÈRE  DIGNITÉ 
DU   CHAPITRE   RELATIVEMENT   A   CES   FONCTIONS. 

L'objet  de  la  question  présente  est  de  bien  déterminer  las 
f(«»etions  qui  appartiennent  à  la  première  dignité  eu  cas  d'ab» 
sence  ou  d'empêchement  de  la  part  de  l'évêque.  On  en  connaît 
aisément  le  haut  intérêt,  et  le  grand  nombre  de  difficultés 
qu'elle  a  soulevées  montrent  suffisamment  l'attention  que  nous 
devons  apporter  à  la  traiter.  Il  faut  d'abord  bien  établir  le  droit 
et  le  devoir  de  la  première  dignité  du  chapitre  de  remplir,  e^ 
G9S  d'absence  ou  d'empêchement  de  la  part  du  prélat,  les  fonc- 
tions qui  lui  appartiennent  ;  il  faut  examiner  ensuite  quelles 
sont  les  fonctions  qui  appartiennent  alors  à  la  première  di- 
gnité à  cause  de  leur  connexion  avec  celles  qu'elle  doit  néces- 
sairement remplir  ;  enfin  donner  une  liste  exacte  de  ces  fonc- 
tions d'après  le  droit  commun. 

§  1.  Du  dvoit  et  du  devoir  de  la  première  dignité  du  chapitre  de 
remplir,  en  fias  d'absence  ou  d'empêchement  de  la  part  de 
l'évêque,  les  fowetions  qui  lui  appartiennent. 

I.  Lorsque  le  prélat  est  absent  ou  empêché  un  des  jours 
auxquels  il  doit  officier  dans  sa  cathédrale,  il  appartient  à  la 
première  dignité  du  chapitre  d'officier  à  sa  place.  Si  la  pre- 
mière dignité  est  elle-même  empêchée,  ce  droit  se  transmet  à 
la  seconde  et  ainsi  de  suite.  Ni  l'évêque,  ni  la  première  dignité 
ne  peuvent  déléguer  un  autre  pour  faire  ces  fonctions.  Ni  le 
vicaire  général,  ni  le  vicaire  capilulaire  ^vendant  la  vacance  du 
siège  ne  peuvent  avoir  le  droit  d'officier  en  ces  jours;  ni  la 
coutume,  ni  un  décret  synodal  ne  pourraient  l'attribuer  au 
vicaire  général.  Une  coutume  immémoriale  qui  attribuerait 


4S2  DES  FONCTIONS   PONTIFICALES.  [Tome VIL 

ces  fonctions  à  toutes  les  dignités  tour  à  tour  pourrait  être 
suivie.  Les  décrets  qui  établissent  ces  règles  sont  trop  nom- 
breux pour  être  rapportés  en  entier.  Ils  se  trouvent  dans  la 
Collection  générale  aux  n^^  75  ,  187  ,  262,  275,  292,  309, 
235  ad  1,  348  ad  2  ,  363  ,  366  ,  440  ,  482 ,  483 ,  485  ,  591 ,  597, 
604 ,  611  ,  656 ,  692 ,  ^95  ,  702  ,  736 ,  759  ,  820  ,  924  ,  930 , 
938  ,975,  998  ad  1  ,  1013  ad  l,  2et  3,  1015,  1073,  1082, 
1148  ad.  1,  1173,  1174,  1177,  1185,  1226,  1253,  1273, 
1276,  1283,  1300,  1336,  1414,  1448  ad  1,2  et  3,  1480, 
1539  ad  1,  1561,  1668  ad  1,  1753,  1802,  1962  ad  1,  1972 
ad  1 ,  1979,  2513,  2320,  2527,  2683,2710,2997.,  3612  ad2  , 
3719,  3942,  4423,  4473,  4481 ,  3047.  Nous  aurons  occasion 
de  citer  eu  entier  quelques-unes  de  ces  décisions. 

II.  Ce  droit  de  la  première  dignité  n'est  pas  un  simple  pri- 
vilège, mais  une  charge  et  un  devoir.  On  doit  entendre  en  ce 
sens  les  divers  décrets  de  la  Sacrée-Congrégation,  comme  nous 
le  voyons  par  cette  décision  : 

((  Cura  capitulum  calhedralis  Maurianen.  ecclesiae  in  condendis  sta- 
«  tutis  operam  impendat,  non  una  est  sententia  canonicorura  quoad 
«  onus  IMissae  solemnis  celebrandas  a  prima  dignitate  in  soleranioribus 
«  diebus,  quolies  episcopuspontificaliternoncelebiat.  Cui  quidam  opi- 
«  nionura  varietali  ut  finis  imponatur  ac^certa  indubiaque  régula 
«  constabiliatur,  RR.  Maurianen.  episcopus  pastoralis  sui"  muneris 
c<  esse  duxit  S.  R.  C.  sequentla  dubia  pro  opportuna  solutione  propo- 
«  nere,  nimirum  :  1.  An  Episcopo  non  célébrante  in  festivitatibus 
<!  solemnioribus,  praepositus,  prima  dignitas  ecclesiae  catliedralis  Mau- 
«  rianen.,  tenealur  ad  celebrationem  Missa3,  nisi  sit  ipse  absens,  vel 
«  impeditus  ?  2.  An  capitulum  condere  possit  statutum,  que  decer- 
«  natur  praepogitum  primam  dignitatem  teneri  ad  celebrationem  Missae 
«  solemnis  dictis  diebus?  Et  S.  eadem  C.  ad  Yaticanura  subsignata 
G  die  coadunata  in  ordinario  cœtu,  referente  me  subscripto  secretario, 
«  omnibus  maturo  examine  perpensis,  rescribendumcensuit  :  Ad  1  : 
«  Teneri,  juxta  alias  décréta.  Ad  2  :  Posse  in  omnibus.  »  (Décret  du 
25  mai  1846,  n»  5047.) 


Mai  1863]  DES   FONCTIONS   PONTIFICALES.  453 

§  2.  Des  fonctions  qui  appartiennent  à  la  première  dignité  of- 
ficiant à  la  place  de  Vévêque,  à  cause  de  leur  connexion  avec  celles 
qu'elle  doit  nécessairement  remplir. 

I.  Lorsque  la  première  dignité  doit  remplacer  le  prélat  pour 
une  fonction  que  l'Ordinaire  seul  peut  remplir  sans  célébrer  en 
même  temps  la  Messe,  elle  doit  aussi  célébrer  la  Messe.  Ce 
principe  est  incontestable,  ou  bien  il  faudrait  admettre  que  la 
première  dignité  peut,  aussi  bien  que  l'évêque,  assister  à  l'of- 
fice comme  premier  célébrant,  privilège  exclusivement  réservé 
à  l'Ordinaire.  Plusieurs  décrets  d'ailleurs  expriment  positive- 
ment cette  règle,  et  en  particulier  le  suivant: 

«  Benedictiones  Candelarura  et  Palraarum,  et  aliarura  similium 
»  Functionura,  quae  ad  episcopum  praesentem  pertinerent,  eo  absente 
»  vel  irapedito,  ad  primam  dignitatem  pertinere,  dummodo  ipsa  prima 
»  dignitas  postea  etiam  Missara  cantel,  S.  R.  C.  alias  sxpe  declaravit 
»  et  idem  in  ecclesia  Neritonen.  servandum  esse  censuit.»  (Décret  du 
1"  mars  1614,  n»  483.) 

II.  On  pourrait  faire  ici  une  remarque  relative  au  jour  du 
vendredi  saint,  au  sujet  duquel  le  chapitre  de  Nicotéra  présen- 
tait une  difficulté  à  la  S.  G.  des  Rites.  Il  appartient  à  l'évêque, 
avons-nous  dit,  de  porter  le  Saint-Sacrement  à  la  procession  : 
la  première  dignité  pourrait  donc,  ce  semble,  avoir  droit  à 
remplacer  le  pontife  dans  celte  fonction,  et  conséquemment  â 
célébrer  alors  tout  l'office.  Vu  cependant  la  réponse  de  la 
S.  C.  du  11  août  1860,  nous  ne  mettons  pas  cette  fonction  au 
nombre  de  celles  qui  appartiennent  à  la  première  dignité. 

m.  Une  autre  difficulté  peut  se  présenter  ici.  L'évêque  offi- 
cie toujours  aux  premières  Vêpres  des  fêtes  dont  il  célèbre  la 
Messe  solennelle,  mais  il  n'officie  pas  toujours  aux  secondes; 
aux  matines,  il  le  fait  seulement  dans  quelques  circonstances 
particulières.  Quelles  sont  les  fonctions  qui,  en  cas  d'absence 
ou  d'empêchement  de  la  part  du  pontife,  appartiennent  à  la 
première  dignité?   Doit-elle  faire  tout  l'office  ?  Doit-elle  aussi 


-15-  DES   FONCTIONS    rONTIFICALR?.  [Tome  VII. 

officier  aux  Vêpres  la  veille  d'une  fête  dont  elle  célèbre  la 
Messe  solennelle  à  cause  de  la  connexion  de  cette  Messe 
avec  une  fonction  qui  lui  appartient? 

Sur  la  première  question,  la  S.  C.  a  rendu  les  deux  décrète 
suivants  : 

!»  «  Petitum  fuit  pro  parte  Capituli  Oloren.  declarare  an  prima 
»  dignitas  soleraniter  celebratura  pro  episcopo  absente  vel  impedito, 
»  teneatur  etiam  ofQcium  facere  ad  matutinura,  an  vero  hoc  raunus 
»  spectet  ad  hebdomadarium?  Et  S.  C.  respondit  :  Spectare  in  casu 
»  proposito  celebraturo  omne  id  quod  spectaret  adepiscopum,  si  prae- 
»  sens  esset.  »  (Décret  du  3  mars  1695,  n.  1015.) 

2»  8  Supplicarunt  canonid  cathedralls  Inten^amnen,  declarari  an 
»  célébrante  solemniter  prima  dignitate  pro  episcopo  absente  vel  im- 
»  pedito,  teneatur  ipsa  prima  dignitas  celebrare  primas  et  secundasves- 
»  peras,  necnon  Matutinas  horas  et  Laudes?  Et  S.  C. respondit;  Om- 
»  nia  siipradicta  peragi  debere  per  primara  dignitatem,  quando  so^ 
»  lemniter  celebraturus  est  pro  episcopo  absente  vel  impedito,  »  (Décret 
du 21  juin  1636,  n.  1044.) 

Ces  deux  décisions  paraissent  se  contredire;  mais  il  faut  ob- 
server d'abord  ces  paroles  de  la  première  :  In  casu  proposito, 
c'est-à-dire  probablement  le  cas  où  l'bebdomadaire  aurait  dû 
officier  à  Matines  :  la  S.  G.  décide  que  la  première  dignité 
n'est  pas  tenue  àofficier  à  Matines  à  la  place  de  l'hebdomadaire, 
quand  elle  remplace  Tévéque  absent  ou  empêché  pour  les  Vê- 
pres et  la  Messe.  Mais  si  le  pontife  doit  officier  à  Matines, 
comme  il  le  fait  pour  les  Ténèbres  des  trois  derniers  jours  de 
\i  semaine  sainte,  ou  même  à  d'autres  jours,  en  vertu  d'un  droit 
particulier  comme  celui  auquel  se  rapporte  le  décret  du  3  dé- 
cembre 1672,  cité  t.  III,  p.  70,  la  première  dignité  doit  présider 
à  cet  office  toutes  les  fois  que  le  prélat  est  absent  ou  empêché. 
Tel  est  aussi  le  sens  de  ces  expressions,  qui  se  retrouvent  dans 
les  décrets  relatifs  â  cette  question  : 

«  Ad  primam  dignitatem  periinere  celebrare,  et  alias  Functioûes 
«  facere,  quas  si  praesens  esset,  episcopus  faceret  »  (Décret  du  16 
janvier  1607,  n.  533,  q.  1);  «  Ad  archidiaconum  pertinere....  ab- 


Mni  i"C)3.i  JOES  fonction;  pontificales.  ^o5 

»  sente  archiepiscopo,  et  decano  impedito,  Missas  solemnes  celebrare, 
»  et  alias  Functiones  facere,  qiias,  si  prsesentes  essent,  et  non  impediti, 
D  archiepiscopiis  vel  decanus  facerent.  »  (Décret  du  58  avril  1607, 
q.  2.)  «  Ad  primam  dignitatem  pertinere  Vesperas  et  Missas  cantare, 
»  acSS.  Sacramentum  inprocessione  déferre  in  illis  diebus  et  solemni- 
»  tatibus,  in  quibus  episcopus,  si  praesens  esset,  id  faceret.  »  (Décret 
du  17  nov.  1607,  n,  5631.)  «  Absente  vel  impedito  archiepiscopo, 
»  Functiones,  de  quibus  supra,  ac  alias,  quas  idem  archiepiscopus,  si 
»  praesens  esset,  faceret,  ad  decanum  supradictura  tanquam  primam 
»  dignitatem....  spectare.  »  (Décret  du  23  janvier  1621,  n.  591.) 
«  Functiones,  quas  ipse  (archiepiscopus)  si  praesens  esset^  aut  non  im- 
»  peditus,  obiret...,  spectare  ad....  primam  dignitatem.  »  (Décret 
du  25  septembre  1621 ,  n.  604.) 

Nous  concluons  de  là  qu'en  règle  générale,  la  première  di- 
gnité doit  remplacer  Tévèque  dans  toutes  les  fonctions  qui  ap- 
partiennent au  pontife  etdans  celles-là  seulement,  soit  en  vertu 
du  droit  commun,  soit  eu  vertu  du  droit  particulier  d'une 
église.  Nos  églises  de  France  )i'ont  guère  de  droit  particulier 
bien  établi  à  cet  égard  :  tout  au  plus  pourrait-on  y  regarder 
eommc  faisant  partie  des  fonctions  poutificales  les  secondes 
vêpres  des  fêtes  solenneUes>  tant  à  cause  du  concours  du  peuple, 
que  du  mot  saltem  renfermé  dans  la  rubrique  du  cérémo- 
nial des  évèques  1.  ii,  c.  i,  n"  3.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  coutume 
spéciale  d'un  évèque  usant  de  son  droit  de  célébrer  à  certains 
jours,  mentionnés  ou  uon  dans  le  Cérémonial,  ne  pourrait  évi- 
demment pas  suffire  pour  attribuer  â  la  première  dignité  le 
droit  et  Tobligation  de  célébrer  à  la  place  du  prélat.  Admettre 
un  pareil  principe  serait  détruire  les  règles  établies  dans  le 
Cérémonial  des  évèques  et  anéantir  les  privilèges  de  la  se- 
conde dignité,  tels  que  les  donne  le  décret  du  23  mars  1709 
(n.  3802,  q.  2). 

La  deuxième  question  nous  parait  devoir  être  résolue  néga- 
tivement. L'office  pontifical  commence  aux  premières  Vêpres 
auxq'welles  l'évêque  officie  solennellement  toutes  les  fois  qu'il 
doit  célébrer  la  Messe  solennelle.  Cette  rubrique  paraît  tout-à- 


AZCy  DES   FONCTIONS    POMIFICALES.  [Tome  VII. 

fait  relative  à  la  nature  spéciale  de  l'office  pontifical,  et  rien 
n'indique  qu'il  puisse  appartenir  à  la  première  dignité  d'offi- 
cier aux  Vêpres  lorsqu'elle  doit  célébrer  la  Messe  solennelle  à 
raison  de  la  connexion  de  cette  Messe  avec  une  fonction  qu'elle 
doit  remplir. 

§  3.  Des  Fonctions  que  doit  remplir  la  première  dignité  à  la 
place  de  Vêvêqne,  d'après  le  droit  commun,  en  cas  d'absence  ou 
d'empêchement  de  la  part  du  pontife, 

I.  La  première  dignité  doit  remplacer  l'évêque  dans  toutes 
les  fonctions  énumérées  aux  §§  1  et  2  de  la  première  question, 
et  dans  celles  qui  y  sont  nécessairement  'jointes,  sauf  celles 
qui  seraient  positivement  exceptées  par  les  règles  canoniques 
ou  liturgiques. 

II.  La  règle  que  nous  énonçons  ici  renferme  trois  parties 
distinctes.  La  première  partie  est  clairement  prouvée  par  les 
décrets  cités  t.  m  p.  68  et  suiv.  Toutes  ces  fonctions  d'ailleurs, 
comme  nous  l'avons  montré,  sont  pontificales.  La  deuxième 
résulte  de  ce  qui  est  dit  au  §  précédent  n»  1.  La  troisième  enfin 
est  une  réserve  relative  à  des  fonctions  que  le  cérémonial  énu- 
mère  comme  appartenant  à  Tévêque,  mais  qui,  en  cas  d'ab- 
sence ou  d'empêcbement  de  la  part  du  pontife,  seraient  rem- 
plies par  un  chanoine  quelconque,  ou  par  celui  qui  aurait 
l'usage  de  les  remplir. 

m.  L'application  de  la  dernière  partie  de  cette  règle  de- 
mande quelques  mots  d'explication.  Elle  se  rapporte  1°  à  la 
cérémonie  de  la  bénédiction  des  Cierges  le  2  février,  et  par- 
tant à  celle  des  Gendres  et  des  Rameaux  ;  2"  à  la  procession 
qui  se  fait  après  les  Vêpres^  le  jour  de  l'octave  du  Très-Saint 
Sacremeat:  3*^  aux  messes  de  Requiem  pour  le  repos  de  l'âme 
du  dernier  évêque  défunt,  et  des  évêques  et  chanoines  dé-, 
funts. 

1°  Nous  lisons  dans  le  Cérémonial  des  évêques,  au  chapitre 
où  il  est  traité  de  la  fête  de  la  Purification  en  l'absence  du 
pontife:   «  Absente  episcopo ,  canonicus  hebdomadarius, 


JlIail8G3,l  DES  FONCTIONS   PONTIFICALES.  4^7 

»  sive  diguitas,  vel  alius,  ad  quem  de  consuetudine  ecclesiœ 
»  celebrare  spectat,  paretur  in  sacristia.  p  Catalan!  s'exprime 
ainsi  dans  son  Commentaire  sm-  cette  rubrique  ;  «  Ex  décrète 
»  S.  R.  C...  edicitiir  beuedictionem  Candelarum,  Cinerum  et 
«  Palmarum^  et^alias  similes  aciiones,  quas  faceret  episcopus 
»  praesens,  eo  absente  vel  impeclito,  ad  primam  dignitatem, 
»  non  vero  ad  canonicum  hebaomadarium  pertinere.  Sed 
»  standum  est  consuetudini.»  Nous  pouvons  conclure  de  là  que 
la  cérémonie  de  la  bénédiction  des  cierges,  le  2  février,  et 
les  cérémonies  analogues,  comme  la  bénédiction  des  Cendres 
et  des  Rameaux,  pourraient,  si  l'évéque  est  absent  ou  empêché, 
appartenir  à  une  des  dignités  ou  au  chanoine  hebdomadaire, 
mais  seulement  en  vertu  d'une  coutume  qui  constituerait  un 
droit  particulier,  comme  celui  qui  a  été  constaté  par  la  S.  C.  le 
H  août  1860  pour  le  chapitre  de  Nicotéra.  Les  décrets  sont 
trop  formels  pour  qu'on  puisse  admettre  en  principe  que  ces 
fonctions  ne  reviennent  pas  de  droit  à  la  première  dignité,  eu 
cas  d'absence  ou  d'empêchement  de  la  part  de  l'évéque.  Outre 
les  décisions  citées  dans  l'article  du  20  janvier  d861,  nous  pou- 
vons citer  les  suivantes:  l"  le  décret  du  21  mars  1609  (n» 
406),  dont  parle  Gatalaui  dans  le  passage  rapporté  ci-dessus: 

«  Benedictiones  Candelarum,  Cinerum  et  Palmarum,  absente  vel 
»  impedito  episcopo,  ad  priuiara  dignitatem,  non  autem  ad  canonicum 
»  hebdomadarium,  pertinere.  » 

2°  Cette  autre  décision  du  8  février  1642,  n»  1369  : 

«  Benedictiones  Candelarum,  Cinerum  et  Palmarum,  ipsarumque 
D  distributionera,  pro  episcopo  absente  vel  impedito  ad  digniorem  de 
»  capitulo  spectare.  » 

3^  Une  autre  du  19  décembre  1654,  n»  1747  : 

«  Benedictiones  necnon  distributiones  Candelarum,  Cinerum  et  Pal- 
»  marum  omnino  per  archipresbyterum  celebrandas.  ». 

2°  Si  l'évéque  assiste  à  la  procession  qui  termine  l'octave  du 
Saint-Sacrement,  le  pontife  doit,    avons- nous  dit,  porter  lui- 


458  DES   FONCTrONS   PONTIFICALES.  [TomeVU. 

mémo  le  Très-Saiut-Saci'emeïit.  Cette  procession  n'est  donc 
une  fonction  pontificale  qu'antant  que  le  prélat  juge  à  propos 
à'y  assister,  et  l'on  ne  voit  pas  qu'elle  soit  du  nombre  de 
celles  qui  appartiennent  à  la  première  dignité  en  l'absence 
de  l'évèque.  Observons  toutefois  que  celui  qui  officie  à  cette 
proces&ioQ,  en  l'absence  du  pontife,  doit  officier  aussi  aux 
Vêpres  qui  la  précèdent:  «  In  Vesperis  octaux  {Corporis 
»  Chrisii,  SS.  Sacramentum)  deferatur  ab  eo  qui  fecit  officium 
j>    Vesperarum.  »   (Décret  du  12  juin  1627,  n.  687,  q.  1.) 

3°  Nous  avons  vu  (question  I,  §  1)  que  l'évèque  doit  faire 
l'absoute  après  les  Messes  anniversaires  pour  son  prédéces- 
seur et  pour  les  évoques  et  chanoines  défunts.  On  pourrait  en 
conclure  qu'en  cas  d'absence  ou  d'empêchement  de  sa  part,  il 
appartient  à  la  première  dignité  de  faire  ces  absoutes,  et  par 
conséquent,  de  célébrer  ces  deux  Messes.  Les  deux  rubriques  , 
du  Cérémonial  des  évêques  citées  au  même  lieu  nous  montrent 
clairement  le  contraire. 

IV.  Pour  conclure,  nous  croyons  pouvoir  énumérer  ainsi 
les  fonctions  qui,  de  droit  commun,  appartiennent  à  la  pre- 
mière dignité  en  cas  d'absence  ou  d'empêchement  de  la 
part  de  l'évèque  : 

4°  Les  premières  Vêpres,  la  troisième  Messe,  et  les  secondes 
Vêpres  de  la  fêle  de  Noël  ; 

2°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  l'Epiphanie;. 

3°  La  Bénédiction  des  Cierges,  la  procession  et  la  Messe,  le 
2  février; 

4°  La  bénédiction  des  Cendres  et  la  Messe,  le  mercredi  des 
Cendres  ; 

0°  Les  premières  Vêpres  de  l'Annonciation,  si  cette  fête  se 
célèbre  après  Pâques  ou  le  Lundi  ;  la  Messe  de  ce  jour  ;  et  les 
secoûdes  Vê^n-es,  si  cette  fête  se  célèbre  pendant  le  carême,  un 
autre  jour  que  le  lundi  ; 

6°  La  bénédiction  des  Rameaux,  la  procession  et  la  Messe, 
le  dimanche  des  Rameaux  ; 


Mai  isr,3].  DES   FONCTIONS    PONTIFICALES.  /.b9 

7°  L'office  des  Ténèbres,  les  trois  derniers  jours  de  la  se- 
maine sainte  ; 

8°  La  Messe  solennelle,  la  Procession  et  le  lavement  des 
pieds,  le  jeudi  saint  ; 

9°  La  Messe  et  les  Vêpres  solennelles  du  dimanche  de 
Pâques; 

10®  La  Precessicm  des  grandes  Litaisies,  le  25  avril  ; 

11°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  l'As- 
cension ; 

12"  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  du  dimanche  de  la 
Pentecôte; 

13°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  des  saints 
apôtres  Pierre  et  Paul; 

14°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  l'Assomp- 
tion de  la  Sainte  Vierge; 

J5»  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  du  jour  de  la  Tous- 
saint ; 

16°  Les  premières  Vêpres  et  la  Messe  de  la  fête  de  la  Dédi- 
cace de  l'église  cathédrale; 

il"  Les  premières  Vêpres,  la  Messe  et  les  secondes  Vêpres 
des  fêtes  du  Patron  de  la  ville  et  du  Titulaire  de  l'église  ca- 
thédrale. 

Nota.  Nous  ne  parlons  pas  ici  de  la  procession  qui  suit  la 
Messe  solennelle  le  jour  de  la  fête  du  Très-Saint  Sacrement, 
puisque,  comme  l'a  fort  bien  fait  observer  Fauteur  de  l'article 
publié  en  janvier  1861,  la  Messe  de  ce  jour  appartient  de 
droit  à  la  première  dignité,  même  en  présence  de  l'évêque,  et 
en  son  absence,  la  pi-ocession  appartient  à  la  première  di- 
gnité comme  ayant  célébré  la  Messe  solennelle. 

P.  R. 


ETUDE 


SUR 


L'HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE  DE  THÉODORET 


Premier  article. 


U Histoire  ecclésiastique  d'Eusèbe  s'arrête  à  Constantin.  Trois 
écrivains  l'ont  continnée,  chacun  de  son  côté,  pour  le  siècle  qui 
suit,  et  leurs  trois  histoires  qu'on  a  réunies  sous  le  nom 
à.' Histoire  en  trois  parties^  n'en  font,  en  effet,  qu'une  seule  par 
le  sujet  et  se  complètent  Tune  l'autre.  Socrate  et  Sozomène, 
tous  deux  avocats  à  Constantinople,  ont  rapporté  les  faits  dans 
leur  ordre,  sans  aucune  pensée  d'ensemble.  Estimables,  So- 
crate surtout,  pour  l'exactitude  des  détails,  ils  ne  nous  donnent 
l'idée  ni  des  grandes  luttes  de  l'Eglise  durant  ce  siècle,  ni  de 
tant  de  grands  hommes  suscités  de  Dieu  pour  sa  défense.  Ils 
rapportent  les  événements,  mais  ih  ne  savent  pas,  ce  qui  est 
bien  plus  difficile,  nous  montrer  les  hommes.  Leur  style  se 
ressent  de  cette  pauvreté  :  il  est  sec  chez  Socraie,  plus  préten- 
tieux, mais  aussi  peu  élégant  chez  Sozomène  ;  on  désirerait  en 
les  lisant  qu'une  si  belle  époque  eût  un  historien  plus  digne 
d'elle. 

Nous  l'avons  dans  Théodoret.  L'évêque  de  Cyr,  mêlé  à  toutes 
les  affaires  ecclésiastiqu'es  de  son  temps  et  profondément 
versé  dans  la  counaissance  des  erreurs  qui  divisaient  l'Église, 
commence  son  histoire  avec  l'idée  générale  de   présenter  la 


Mai  1863,]    ÉTUDE   SUR   l'HISTOIRE   ECCLÉsIAST.  DE  THÉODORE  T.  -^61 

suite  des  hérésies,  depuis  Arius  jusqu'à  Nestorius,  pour  faire 
mieux  connaître  la  foi  catholique,  tant  attaquée  dans  son 
siècle,  etcombler  les  lacunes  de  ses  devanciers.  Il  néglige  trop 
souvent  la  chronologie;  il  se  borne  trop  à  raconter  l'histoire 
de  l'Église  d'Antioche,  comme  Socrate  et  Sozomène  celle  de 
l'Eglise  de  Constantiuople  ;  mais  il  sait  présenter  les  événe- 
ments et  les  hommes.  Il  donne  à  son  histoire  un  but  particu- 
lièrement moral,  en  proposant  à  l'imitation  de  beaux  exemples 
et  de  nobles  caractères,  et  en  développant  surtout  le  senti- 
ment fécond  de  l'admiration.  Enfin,  son  éloquence  est  à  la 
hauteur  de  son  sujet,  son  style  estpleinde  charme,  et  VHistoire 
ecclésiastique  peut  passer  pour  un  des  morceaux  les  mieux 
écrits  que  nous  offre  la  littérature  des  pères. 

C'est  cette  histoire  que  nous  nous  proposons  de  faire  con- 
naître d'abord  par  la  vie  même  de  son  auteur,  afin  d'en  dé- 
duire les  caractères  généraux  de  son  ouvrage,  et  d'écarter 
quelques  appréhensions  que  certaines  circonstances  de  sa  vie 
pourraient  inspirer  ;  nous  l'examinerons  ensuite  plus  en  détail 
en  nous  attachant  surtout  à  montrer  la  manière  dont  Théodoret 
raconte  et  dont  il  présente  les  personnages  principaux. 

Théodoret  naquit  vers  l'an  386  à  Antioche.  Cette  capitale 
de  l'Orient  brillait  depuis  longtemps  de  l'éclat  des  lettres,  et 
elle  entendait  alors  la  parole  de  saint  Jean  Chrysostôme. 
Théodoret  fut  heureux  de  pouvoir  se  former  au  sein  d'une 
ville  savante,  sur  les  exemples  tout  récents  d'un  maîti'e  qu'il 
aima  et  qu'il  admira  toute  sa  vie.  11  étudia  profondément  la 
langue  et  la  littérature  grecque.  L'ouvrage  qu'il  nomma 
Médecine  des  Gentils,  où  il  compare  les  opinions  des  philo- 
sophes et  des  sages  de  la  Grèce  sur  les  grandes  questions  qui 
touchent  le  monde  et  l'homme,  avec  les  enseignements  des 
saintes  Écritures  sur  les  mêmes  objets,  montre  qu'il  avait  lu 
tous  les  auteurs  profanes  ;  il  leur  a  pris  l'éloquence  avec  la- 
quelle il  les  combat.  La  pureté  de  son  style  témoigne  plus 
clairement  encore  de  ses  études.  Aucun  {)ère  ne  rappelle  de 


462  ÉTUDE   SUR  l'histoire   EBCLÉSIASTIQUE  [Tome  Vfl. 

plus  près  saint  Chrysostôme,  dans  cette  manière  de  parler 
pure  et  abondante  qui  nous  charme  chez  ce  grand  saint. 
Uffistoite  ecclésiastique  est  écrite  de  ce  style  limpide  qui  con- 
vient à  la  narration.  C'est  le  témoignage  que  lui  rendeait 
Photius,  bon  juge  à  cet  égard,  et  l'historien  Nicéphore  :  «  J'aî 
la,  dit  Photius,  Vffistoire  ecclésiastique  de  Théodor^t  ;  c'est  4ë 
tous  les  écrivains  que  j'ai  nommés,  celui  dont  le  langage  est  le 
mieux  approprié  à  l'histoire  (!).» — «Théodoret,  dit  aussi  Nicé- 
phore (2),  est  uu  imitateur  du  grand  Chrysostôme  :  c'est  d'après 
ce  modèle  qu'il  forme  son  style  ;  il  est  clair,  abondant,  facile 
et  plein  de  grâces  attiques.  »  Pour  qui  a  lu  surtout  les  Biscoiir» 
sur  la  Providence,  celui  sur  la  Charité  et  l'Histoire  ecclésiastique, 
ces  éloges  n'ont  rien  d'exagéré.  Ce  fut  donc  un  avantage  pour 
notre  historien  de  naître  au  sein  d'une  grande  ville  :  il  dut  à 
sa  patrie  cette  culture  littéraire  qui  perfectionna  ses  heureuses 
dispositions  et  rendit  plus  brillantes  ses  autres  qualités. 

Un  avantage  plus  sérieux  qu'il  retira  du  lieu  de  sa  nais- 
sance, ce  furent  les  exemples  et  les  avis  des  saints  moines  et 
des  saints  solitaires  dont  la  Syrie  était  alors  remplie.  Nul  siècle 
n'en  produisit  un  plus  grand  nombre  :  les  environs  d'Antioche 
et  toute  la  Palestine  en  étaient  peuplés.  Saint  Jean  Chrysos- 
tôme qui  avait,  pendant  plusieurs  années,  mené  la  même  vie, 
célébrait  dans  ses  plus  éloquents  traités  l'héroïsme  de  ces  phi- 
losophes chrétiens,  et,  trois  ans  après  Théodoret,  venait  au 
monde,  dans  la  Cilicie,  saint  Siméon  Stylite,  le  plus  illustre 
de  tous.  Plus  tard,  ce  grand  saint  envoyait  à  Théodoret  pour 
être  instruits  par  lui  ceux  que  ses  prières  et  les  prodiges  de 
sa  vie  portaient  à  se  convertir.  Il  semble  que  la  Providence  ait 
voulu  rapprocher  ces  saints  hommes  de  celui  qui  devait  ra- 
conter les  merveilles  de  leur  vie.  Théodoret  se  trouva  en  rap- 
port avec  eux  dès  sa  naissance.  Sa  mère  l'obtint  de  Dieu,  après 


(1)  Pholius.  Biblioth,  cod.,  xxxi. 

{2}  Nicepb,  Hist.  eccles.,  1.  xiv,  c.  54. 


SJai  1803.)  DE  TQÉODORET.  463 

treize  ans  de  mariage,  par  les  prières  d'un  vénérable  ascète 
nommé  Maccdouius,  à  la  condition  de  le  consacrer  à  Celui  qui 
l'avait  donné  ;  et  il  fut  vraiment,  suivant  la  double  signification 
de  son  nom,  un  don  de  Dieu  et  un  don  ofifert  à  Dieu.  Sou- 
vent malade  dans  son  enfance,  il  fut  guéri  par  un  autre  ascète 
du  nom  de  Pierre,  et  plus  d'une  fois  sa  mère  lui  fit  recevoir  la 
bénédiction  du  saint  vieillard,  qui  habitait  près  d'Antioche 
dans  un  tombeau.  Le  bienheureux  Aphraate,  un  saint  moine 
qui  sortit  une  fois  de  sa  solitude  pour  reprocher  à  Valens  ses 
sentiments  liérétiques  et  ses  persécutions  contre  l'Église,  bénit 
aussi  Thédoret  de  cette  bénédiction  féconde  que  donnent  les 
saints.  C'étaient  là  bien  des  grâces  :  aussi  Macédonius  rappe- 
lait-il souvent  à  L'enfant  combien  il  était  obligé  envers  Dieu, 
a  C'estavec  beaucoiipdepeinequetuesné.ômonfils,  luidisait- 
a  il  ;  moi-même  j'ai  passé  bien  des  nuits  demandant  uniquement 
a  à  Dieu  pour  tes  parents  la  naissance  d'un  fils.  Montre-toi  digne 
«  maintenant  de  toutes  ces  grâces.  Dès  avant  que  ta  mère  t'en- 
«  fantât,  ses  promesses  t'avaient  consacré  à  Dieu,  et  ce  qui 
«  est  offert  à  Dieu  doit  être  respecté.  Il  te  faut  donc  repousser 
a  loin  de  toi  les  mauvais  mouvements  de  l'âme,  ne  rien  faire, 
a  ni  rien  dire,  ni  rien  penser  qui  ne  soit  pour  plaire  à  Dieu  (1).» 
Jamais  Théodoret,  au  milieu  de  sa  carrière  si  agitée,  n'oublia 
les  saints  solitaires  à  qui  il  devait  tant  ;  évêque,  il  allait  sou- 
vent retremper  dans  leur  entretien  un  courage  qui  s'use  vile 
parmi  les  difficultés  de  la  vie  ;  et  il  nous  a  laissé  dans  son 
Histoire  religieuse,  ou  PhUothée,  un  admirable  tableau  de  leurs 
vertus,  qui  est  à  la  fois  un  monument  de  son  génie  et  de  sa 
reconnaissance.  Lui-même  connut  bien  la  vie  monastique  :  dès 
l'âge  de  sept  ans,  sa  mère,  fidèle  à  son  vœu,  le  consacrait  à 
Dieu  dans  le  monastère  de  Saint-Euprèpe,  aux  environs  d'An- 
tioche ;  c'est  là  qu'il  se  forma  lentement  au  miheu  du  silence 
et  du  recueillement  qui  favorisent  tant  les  études  et  qui  pré- 

H)^Theocl.  Relig.  hist.,  c.  xin. 


464  ÉTUDE   SUR  l'histoire  ecclésiastique  [TomeVII^ 

parent   mieux   que  tout  le  reste  à  la  vie  active.  Théodoret 
demeura  moine  toute  savie;  lui-même  nous  apprend  qu'on 
le  fit  évêque  malgré  lui,  et  qu'il  vécut  toujours  comme  dans  le 
cloître.  On  reconnaît  souvent  le  moine,  l'ami  des  solitaires 
dans  l'auteur  de  l'Histoire  ecclésiastique  ;  il  aime  à  parler   des 
saints,  à  décrir-^;  leurs  actions  et  leurs  vertus.   L'ouvrage  tout 
entier  montre  une  disposition  générale  très-prononcée  à  in- 
struire  par  des  exemples  et  à  proposer  de  beaux  modèles  à 
l'imitation.  C'est  là  ce  semble  le  génie  particulier  et  le  carac- 
tère spécial  de  VHistoire  de  TbéoJoret.  Tandis  que  la  plupart 
des  historiens  se  contentent  de  tirer  la  leçon  des  faits,  il  aime 
surtout  àla  tirer  des  actions  des  saints.  Il  n'omet  pas  en  général 
ce  qui  peut  servir  à  l'édification,  et  il  pousse  surtout  à  l'ému- 
lation du  bien,  sentiment  qui  a  transporté  au  dessus  d'eux- 
mêmes  tant  de  saints  moines  et  de  saints  ascètes.   C'est  même 
là  le  motif  qui  l'a  décidé  à  écrire  son  histoire.  «  Je  ne  pensais 
pas,  dit-il,  qu'il  fût  permis  de  laisser  s'éteindre  dans  l'oubli  la 
gloire  de  tant  de^belles  actions  et  d'exemples  si  utiles  (1).»  Cette 
préocupation  d'édifier  et  de  procurer  directement  le  bien  des 
âmes  en  mettant  sous  les  yeux  de  nombreux  traits  de  sainteté, 
montre  souvent  chez  l'historien  l'homme  intérieur  et  le  moine. 
Ses  héros  sont  saint  Athanase  et  saint  Jean  Chrysostôme,  deux 
apologistes   de  la   vie   monastique;  tout   enfin  dans  VHistoire 
ecclésiastique  nous  montre  que  l'auteur  avait   passé   par  cette 
école  qui  apprend  à  ne  voir  et  à  n'estimer  de  toutes  les  choses 
humaines  que  les  biens  de  l'âme. 

Théodoret  était  encore  au  monastère  de  Saint-Euprèpe 
lorsqu'il  se  fît  connaître  par  ses  prédications.  L'hérésie  n'a- 
vait pas  d'ennemi  plus  zélé  ni  plus  éloquent.  Il  s'attaquait 
surtout  aux  Apollinaristes.  Ces  hérétiques,  qui  prétendaient 
que  le  Verbe  joue  dans  le  Christ  le  rôle  que  l'âme  intelligente 
et  raisonnable  occupe  dans  l'homme,  séduisaient  beaucoup 

(\)  Hist.  (ccles.  prspf. 


Mai  4863.]  DE   THÉODORE!.  463 

de  gens  par  cette  manière  simple,  et  aussi  facile  que  fausse,  de 
rendre  raison  d'un  des  grands  mystères  de  la  foi.  Il  est  aisé 
de  voir  dans  V Histoire  ecclésiastique,  que  Théodoret  était  par- 
ticulièrement révolté  de  cette  explication,  qui  faisait  du  Christ 
Dieu  et  homme  un  composé  au  môme  sens  que  l'homme 
formé  d'une  âme  et  d'un  corps,  et  peut-être  cette  préoccupa- 
tion, développée  outre  mesure  par  l'influence  du  célèbre  Théo- 
dore de  Mopsueste,  son  maître,  l'amena-t-elle  dès  lors  à  s'é- 
carter un  peu  du  chemin  si  bien  tracé  par  saint  Athauase 
dans  ses  livres  contre  Apollinaire,  et  à  méconnaître  la  force 
du  lien  hypostatique  qui  unit  les  deux  natures  divine  et  hu- 
maine, dans  la  personne  de  Notre-Seigneur.  Quoi  qu'il  en  soit, 
son  zèle,  la  sainteté  de  sa  vie,  l'éclat  de  ses  talents  le  dési- 
gnèrent au  choix  de  Théodote,  archevêque  d'Antioche,  qui 
lui  confia,  vers  l'an  420,  le  gouvernement  du  diocèse  de  Cyr. 
Théodoret  conserva  dans  sa  nouvelle  dignité  la  pauvreté  et 
toutes  les  habitudes  monastiques,  unissant  ainsi  les  deux  vies, 
celle  qui  recueille  et  celle  qui  dépense,  et  puisant  dans  l'une 
de  la  force  pour  l'autre.  Il  fut  le  docteur  de  son  peuple  qu'il 
ne  cessa  de  nourrir  de  la  parole  de  vie,  et  c'est  pour  l'in- 
struire qu'il  composa  ses  Commentaires  .sur  les  huit  premiers 
livres  de  l'Écriture,  les  prophètes,  les  psaumes  et  les  épitres 
de  saint  Paul  ;  commentaires  qui  tiennent  une  place  considé- 
rable dans  ses  œuvres,  et  qui  rappellent  souvent  saint  Jean 
Chrysostôme  par  les  développements  moraux  où  l'auteur  se 
complaît,  et  par  la  diction.  La  province  de  Cyr  comptait  huit 
cents  paroisses,  dont  plusieurs  infestées  par  le  fléau  de  l'hé- 
résie, mais  le  mal  ne  résista  point  aux  prières  et  au  zèle  du 
saint  évcque.  C'est  lui-même  qui,  accusé,  se  rend  ce  témoi- 
gnage :  <i  J'ai  ramené,  dit-il,  dans  le  chemin  de  la  vérité  huit 
«  bourgs  désolés  par  l'hérésie  de  Marcion  avec  tous  les  lieux 
a  avoisinants  ;  j'ai  éclairé  de  la  lumière  de  la  vraie  foi  un 
a  autre  bourg  rempli  d'Eunomiens,  et  un  autre  encore  peuplé 
a  d'Ariens;  enfin,  avec  la  grâce  de  Dieu,  il  n'est  rien  resté 


J5r>6  ÉTUDE   SUR   l'histoire  ECCLÉSIASTIQUE  [Tome VU. 

«  chez  nous  du  mauvais  grain  deThérésie  (1).»  A  cette  époque 
où  la  force  du  gouvernement  impérial  s'était  bien  aflFaiblie, 
l'évêque  était  devenu  le  vrai  protecteur  de  son  troupeau,  mêBEie 
dans  les  intérêts  matériels  ;  Théodoret  veilla  aux  besoins  du  siea 
et  souvent  même  le  défendit  contre  l'avidité  des  agents  impé- 
riaux. «  J'ai  élevé,  dit-il,  avec  ^les  revenus  de  l'Église  des  por- 
o  tiques  publics,  j'ai  fait  construire  deux  grands  ponts,  répa* 
«  rer  des  bains  :  la  ville  ne  tirait  point  d'eau  du  fleuve  qui 
«  passe  auprès  :  en  établissant  un  aqueduc,  je  lui  ai  donné 
a  en  abondance  l'eau  dont  elle  manquait  (2).  »  On  admirait 
dans  Tévêque  de  Cyr  les  qualités  qu'il  admire  le  plus  chez  les 
saints  dont  il  a  écrit  l'histoire  :  la  charité  pour  les  autres  jus- 
qu'à l'oubli  de  soi-même.  Ne  possédant  pour  lui  qu'un  seul 
vêtement,  il  distribuait  aux  pauvres  des  richesses  considé- 
rables dans  son  diocèse  et  dans  les  diocèses  voisins;  il  avait 
pour  les  biens  du  monde  ce  généreux  mépris  qui  s'allie  toa- 
jours  avec  les  dons  d'un  esprit  élevé,  et  qu'il  loue  à  satiété 
chez  les  saints.  11  était  touché  par  le  beau,  et  son  histoire 
toute  seule  prouverait  assez  que,  s'il  ne  cherchait  pas  la  beauté 
de  la  forme,  il  l'atteignait  toujours  par  le  goût  et  l'instinct 
Datnrel  d'une  grande  âme.  11  rivalisait  de  pénitence  avec  les 
saints  solitaires  dont  la  province  de  Cyr  était  alors  remplie  ; 
mais  les  rigueurs  qu'il  exerçait  sur  lui-même,  par  une  al- 
liance qu'on  observe  presque  toujours,  ne  le  rendaient  que 
plus  sensible  à  ce  qui  arrivait  aux  autres.  Jamais  cœur  ne  fut 
mieux  fait  pour  l'amitié.  Ses  Lettres,  qui  sont  nombreuses  et 
précieuses  pour  l'histoire,  nous  montrent,  exprimés  dans  1q 
langage  de  saint  Jean  Ghrysostôme,  les  sentiments  les  plus  dé- 
voués et  les  plus  aimants,  et  quelques-unes  sont  de  la  plus 
haute  éloquence.  Hélas!  poui'quoi  faut-il  que  ces  qualités 
mêmes  lui  soient  devenues  un  piège,  et  que  son  zèle  contre 


(t)  Ep.  LXXXI, 

(2)  Ibid. 


Mai   18G3.]  DE    THÉODORE!.  467 

riiërésie  d'Apollinaire,  qu'il  croyait  voir  partout,  et  trop  de 
fidélité  à  d'indignes  amis  l'aient  entraîné  hors  de  la  vérité? 

Il  y  avait  environ  huit  ans  que  Théodoret  était  à  Cyr,  quand 
Nestorius  fut  appelé  à  Constantinople  pour  succéder  à  l'arche- 
vêque Sisinnius.  Il  sortait  aussi  du  monastère  de  Saiut-Ea- 
prèpe  où  il  avait  passé  plusieurs  années  avec  Théodoret.  Ce- 
lui-ci avait  été  séduit  par  le  zèle  et  l'apparente  piété  de 
Neslorius,  et  il  l'avait  pris  pour  ami.  Une  âme  généreuse 
soupçonne  difiScilement  le  mal  chez  les  autres.  Ou  sait  com- 
ment Nestorius  troubla  l'i^glise.  Son  hérésie,  qui  commençait 
par  nier  à  la  Vierge  le  titre  de  Mère  de  Dien,  aboutissait  à  di- 
viser le  Christ  et  à  rompre  le  lien  qui  unit  en  lui  dans  la 
même  personne  le  Yerbe  et  la  nature  humaine,  puisque  cette 
nature  n'existe  point  par  elle-même,  mais  seulement  en  union 
avec  le  Verbe  qui  l'a  prise.  A  la  place  de  cette  union  reconnue 
dès  les  Apôtres,  quoiqu'on  ne  l'ait  nommée  généralement 
hypostatique  que  depuis  ces  luttes,  Nestorius  en  établissait 
une  autre  résultant  seulement  de  ce  que  le  Verbe  s'était  joint 
à  la  nature  humaine  en  venant  habiter  en  elle,  à  peu  près 
comme  l'Esprit-^aint  habitait  dans  les  Prophètes,  quoique 
d'une  manière  plus  continue.  H  s'ensuivait  que  le  Verbe  fait 
chair  n'était  pas  né  de  la  Vierge  Marie,  et  encore,  qu'il  n'é- 
tait pas  mort  pour  nous.€ette  hérésie,  soutenue  par  un  évêque 
de  Constantinople,  et  voilée  d'abord  sous  des  expressions  qui 
ne  tendaient  en  apparence  qu'à  distinguer  nettement  les  deux 
natures,  fut  promptement  discernée  par  saint  Cyrille,  pa- 
triarche d'Alexandrie  et  l'une  des  lumières  de  l'Église.  Saint 
Cyrille  écrivit  deux  fois  à.  Nestorius  pour  l'exhorter  à  se  ré- 
tracter; mais,  n'obtenant  rien,  il  porta  l'affaire  à  Rome,  de- 
vant le  pape  saint  Célestin.  Nestorius  de  son  côté  eu  fit  au- 
tant. Le  Saint-Siège  répondit  en  menaçant  Nestorius  de  la 
déposition,  s'il  n'abjurait  son  erreur  :  saint  Cyrille  avait  mis- 
sion de  notifier  la  sentence.  Celui-ci  députa  donc  à  Constan- 
tinople quatre  évêques  avec  la  lettre  du  Saint-Siège  et  une 


468  ÉTUDE   SLR   l'histoire   ECCLÉSIASTIQUE  ilomo  Vil" 

lettre  demeurée  fameuse  dans  la  tradition  de  l'Église,  où 
il  embrassait  en  douze  articles  ou  douze  anathèmes  toute  la 
foi  catholique  sur  les  points  attaqués  par  Nestorius.  En  même 
temps,  il  fit  part  de  la  lettre  du  Pape  à  Jeau^  archevêque 
d'Antioche,  qui  lui-même  avait  été  moine  ù  Saint-Euprèpe,  et 
comptait  parmi  les  amis  de  Nestorius.  Jean  écrivit  donc  à  ce- 
lui-ci de  détourner  le  coup  qui  allait  le  frapper  en  reconnais- 
sant à  la  Vierge  Marie  le  nom  de  Mère  de  Dieu.  On  croit  que 
la  lettre  fut  écrite  par  Théodoret,  ami  commun  de  Jean  et  de 
Nestorius,  qui  était  alors  à  Antioche  pour  un  synode.  On  sait 
comment  l'archevêque  de  Constantinople  refusa  de  se  sou- 
mettre et  à  la  décision  du  Pontife  et  aux  remontrances  de  ses 
amis,  et  comment  il  l'eut  l'art  de  faire  différer  Taffaire  jus- 
qu'au Concile  qui  devait  s'assembler  à  Éplièse.  En  attendant, 
il  combattit  les  douze  articles  de  saint  Cyrille  par  autant  de 
contre-anathèmes,  et  pria  Jean  d'Antioche  de  préparer  de  son 
côté  une  réfutation  de  ces  mêmes  articles.  Jean  en  chargea 
Théodoret.  L'évêque  de  Cyr  se  trouvait  dans  la  position  la 
moins  favorable  pour  apprécier  la  vérité  :  il  s'agissait^de  dé- 
fendre un  ami,  et  ce  service  lui  était  demandé  par  un  ami 
aussi,  par  son  propre  métropolitain.  Il  n'aimait  pas  saint  Cy- 
rille, dont  l'oncle  Théophile,  patriarche  d'Alexandrie,  avait 
persécuté  saint  Jean  Chr^^sostôme  :  préoccupé  d'ailleurs  dés 
longtemps  de  ses  idées  contre  l'hérésie  d'Apollinaire,  il  croyait 
en  retrouver  la  trace  dans  quelques  expressions  où  le  saint 
évêque  affirmait  l'union  des  deux  natures  dans  la  personne 
divine.  11  écrivit  donc  contre  les  douze  anathèmes  avec  une 
violence  qu'on  a  peine  à  s'expliquer.  Dénaturant  la  pensée 
de  saint  Cyrille  et  abusant  de  quelques  mots  dont  il  ne  com- 
prit pas  ou  ne  voulut  pas  comprendre  la  force,  il  vit  dans  l'u- 
nion hypostatique  l'union  physique  des  ApoUinaristes;  au 
lieu  de  s'expliquer  dans  quel  sens  saint  Cyrille  disait  de  Dieu 
qu'il  est  né  et  qu'il  est  mort  pour  nous,  il  n'aperçut  là  qu'une 
confusion  impie  des  deux  natures.  Saint  Cyrille  répondit  à 


Mai  1863.]  DE   THÉODORET.  /,i\9 

toutes  les  objections,  mais  sans  convaincre  Théodoret,  aveu- 
glé par  la  passion.  Le  Concile  se  rassembla  à  Éphèse  et  fut 
présidé  par  saint  Cyrille  :  il  déposa  Nestorius;  mais  ni  Jean 
d'Antioche,  ni  Théodoret  n'y  parurent;  le  premier  s'y  rendit 
après  de  longs  délais  calculés,  pour  se  plaindre  amèrement 
qu'on  ne  l'eût  pas  attendu,  et,  rassemblant  quelques  évêques 
de  son  parti,  il  excommunia  saint  Cyrille  et  les  autres  pères 
du  Concile,  et  jeta  ainsi  le  trouble  dans  l'Église.  Les  agita- 
teurs ne  s'en  tinrent  pas  là  :  ils  relevèrent  Nestorius  de  la 
condamnation  prononcée  par  le  Concile,  et  noircirent  saint 
Cyrille  auprès  de  l'empereur;  mais  celui-ci  leur  ordonna  de 
se  séparer,  et  maintint  la  condamnation  de  Nestorius.  Puis, 
après  quelques  mois,  il  enjoignit  au  patriarche  Jean  de 
mettre  fin  aux  divisions  de  TÉghse  en  faisant  la  paix  avec 
saint  Cyrille.  Il  devait  désavouer  l'hérésie  de  Nestorius  et  ap- 
prouver par  écrit  sa  déposition.  Telles  furent  les  conditions. 
Jean  et  les  évêques  orientaux  rassemblés  y  souscrivirent,  mais 
Théodoret  n'y  consentit  point  :  une  grande  âme,  comme  elle 
va  plus  loin  dans  le  bien,  va  aussi  plus  loin  dans  le  mal, 
quand  elle  est  dirigée  par  la  passion.  Théodoret  écrivit  de 
tous  côtés  pour  se  plaindre  et  soulever  les  esprits  contre  saint 
Cyrille;  mais  il  montre  bien  dans  ses  lettres  que  son  âme 
était  plus  attachée  à  la  personne  de  Nestorius  qu'à  ses  opi- 
nions ;  il  déclare,  par  exemple,  à  Jean  d'Antioche  qu'il  n'a  rien 
trouvé  de  contraire  à  la  saine  doctrine  dans  les  écrits  de  saint 
Cyrille  :  mais,  dans  la  même  lettre,  il  refuse  de  souscrire  à  la 
déposition  de  Nestorius,  «  cet  homme  si  vertueux,  que  con- 
damner sa  doctrine,  serait  condamner  la  piété  même.  »  Ainsi 
Théodoret  n'était  engagé  dans  sa  lutte  contre  la  vérité  que 
par  une  fidélité  coupable  à  l'amitié,  et  en  défendant  Nesto- 
rius, c'était  l'homme  surtout  qu'il  défendait;  c'est  principale- 
ment la  passion  qui  lui  fit  voir  l'hérésie  chez  saint  Cyrille,  et 
c'est  le  cœur  enfin  qui  aveugla  si  longtemps  cette  belle  intel- 
ligence. 


4T0  ÉTUDE   sur.   l'histoire   ecclésiastique  ITomeVd. 

Quelle  fut  l'influence  de  ces  querelles  sur  V Histoire  ecclé- 
siastique de  TLéodoret  ?  Elle  est  sensible,  si  l'on  regarde  la  forme 
de  cet  ouvrage,  qui  est  proprement  le  récit  des  troubles  soulevés 
dans  l'Église  par  rhérésie  d'Arius  et  les  autres  bércsies  qui  en 
sont  sorties.  Ces  luttes  sont  pour  Tliéodoret  le  sujet  de  son 
histoire.  Il  y  ramène  tout  à  l'arianisme,  avec  lequel  il  com- 
mence son  premier  livre,  et  aux  suites  de  l'arianisme.  On  voit 
un  auteur  qui  lui-même  a  traversé  les  luttes  et  dont  la  vie 
tout  active  s'est  passée  à  combattre.  Théodoret  ne  donne  pas 
seulement  les  faits  ;  il  présente  les  opinions  et  les  discute,  e 
son  œuvre  y  gagne  eu  intérêt  et  en  vie.  Il  rapporte  souvent 
des  lettres,  des  décisions  qu'on  ne  trouve  pas  ailleurs,  et  qui 
sont  comme  les  pièces  de  ce  grand  procès  :  on  reconnaît  là 
l'évêque  mêlé  à  toutes  les  affaires  du  temps.  Mais  est-il  vrai, 
comme  le  prétend  le  P.  Garnier,  qui  a  fait  d'excellentes  disser- 
tations sur  Théodoret,  que  toute  cette  histoire  soit  inspirée 
par  l'esprit  de  parti;  que  tout  y  soit  présenté  de  manière 
à  ce  qu'on  tire  des  conclusions  en  faveur  de  Neslorius,  et 
que  Théodoret  ait  voulu  montrer  dans  l'hérésie  d'Arius  la 
source  de  l'hérésie  des  Apollinaristes  à  laquelle  il  rattacherait 
la  foi  de  saint  Cyrille  et  de  tous  les  défenseurs  de  l'union 
substantielle  ou  hypostatique  ?  Est-il  vrai,  enfin,  que  cette 
histoire  ne  soit  qu'une  sorte  d'allégorie  ou  il  faille  voir  sous 
la  figure  des  personnages  morts,  les  personnages  vivants, 
dans  Eusèbe  de  Nicomédie,  arien,  saint  Cyrille  ;  dans  saint 
Athanase  et  saint  Jean  Chrysostôme,  archevêques  tous  deux, 
tous  deux  défenseurs  de  la  foi  et  persécutés  pourelle^  la  figure 
de  Nestorius?  Avec  cet  esprit  d'interprétation  ingénieuse, 
l'histoire  tout  entière  ne  serait  plus  qu'une  allégorie^,  car  les 
événements  de  tous  les  siècles  ont  tant  de  ressemblance,  qu'on 
pourra  toujours,  si  l'on  veut,  trouver  dans  le  passé  des  allu- 
sions au  présent.  Mais  qui  ne  voit  que  cette  assertion  du 
P.  Garnier  repose  uniquement  sur  l'opinion  qu'il  s'est  faite 
des  sentiments  de  Théodoret  en  écrivant  son  histoire?  Pour 


Moi  !.S.:î.1  DB  THÉODORE!.  47^ 

nous,  s'il  nous  fallait  y  voir  des  allusions,  nous  croyons  qu'elles 
regardent  l'hérésie  d'Eutychès,  et  non  la  foi  de  saint  Cyrille, 
Tbéodoret  lui-même  alors  persécuté  par  les  hérétiques^,  et  non 
Nestorius.  Si  nous  voulons  nous  rendre  compte  de  la  pensée 
qui  a  inspiré  Théodoret,  nous  croyons  plus  sûr  de  la  chercher 
dans  les  circonstances  mêmes  où  V Histoire  ecclésiastique  a  été 
écrite. 

La  Providence,  qui  avait  permis  que  Théodoret  fût  aveuglé 
si  longtemps  au  point  de  combattre  la  vérité,  lui  donna, 
quelques  années  après,  l'occasion  d'expier  ses  fautes  en  étant 
persécuté  pour  elle.  Saint  Cyrille  mourut  eu  MO.  Défejiseur 
intrépide  de  la  foi,  s'il  avait  eu  de  la  haine  contre  l'erreur,  il 
ne  l'avait  jamais  étendue  aux  hommes;  Dioscore,  qui  lui  suc- 
céda sur  le  siège  d'Alexandrie,  n'avait  pas  la  même  modéra- 
tion, et  Théodoret  incrimijié  par  lui,  accusé  d'ailleurs  auprès 
de  l'empereur  par  des  personnages  influents,  reçut  de  Gon- 
stantinople  l'ordre  de  ne  plus  sortir  de  sa  province.  Cette 
sorte  d'exil  était  la  juste  punition  de  tant  de  mouvement 
qu'il  s'était  donné  pour  une  mauvaise  cause,  de  tant  de 
troubles  qu'il  avait  excités.  Théodoret  se  plaignit  d'abord 
amèrement  ;  néanmoins  il  saisit  ce  repos  forcé  cf  comme  une 
source  de  biens ,  »  et  s'attacha  plus  étroitement  au  soin 
de  son  troupeau.  C'est  à  cette  époque  qu'il  composa  une 
bonne  partie  de  ses  commentaires  sur  l'Écriture  sainte,  genre 
où  il  excellait,  et  par  où  il  rappelle  saint  Jean  Chrysos- 
tôme  ;  alors  aussi  il  écrivit  son  Polymorphus ,  dialogues 
entre  un  orthodoxe  et  un  hérétique  ,  où  il  défend  contre 
les  Apolliuaristes  et  sans  doute  aussi  contre  les  Mono- 
physites,  dont  les  opinions  commençaient  à  se  produire,  la 
distinction  des  (Jeux  natures.  Le  titre  de  ses  dialogues  indique 
le  but  même  de  l'cuvrage  :  le  premier,  hnmutabilis,  sur 
l'immutabilité  du  Verbe;  le  second,  Inconfusus,  sur  l'inconfu- 
sibilité  des  deux  natures;  le  troisième,  Impatibilis,  sur  l'im- 
passibilité de  la  nature  divine  ea  Jésus-Christ.  Dans  le  second 


472  ÉTUDE    SUR    l'histoire   ecclésiastique  [Tome  VII. 

de  ces  dialogues,  il  s'appuie  sur  l'autorité  de  saint  Cyrille  et 
le  cite  louguement  à  la  suite  des  Pères  et  des  docteurs  de 
l'Église,  saiut  Iguace,  saint  Irénée,  saint  Atliauase,  saint  Gré- 
goire de  Nazianze^  montrant  ainsi  l'unité  de  la  doctrine  catho- 
lique sur  la  distinction  des  deux  natures,  depuis  les  apôtres 
jusqu'à  saint  Cyrille.  «  Saint  Cyrille^  dit-il  ailleurs,  dans  sou 
discours  sur  la  chanté  composé  vers  le  même  temps,  enseigne 
a  clairement  la  distinction  des  deux  natures,  et  proclame  Tim- 
«  mutabilité  de  la  nature  divine.  »  On  voit  que  la  vérité  s'était 
fait  jour  enfin  daus  l'àme  de  Théodoret,  dès  le  premier  moment 
où  il  comhaitait  cette  hérésie  d'Eutychès  dont  il  fut  une  des 
glorieuses  victimes. 

Saint  Cyrille,  en  défendant  l'unité  substantielle  de  Jésus- 
Christ,  Dieu  et  homme  tout  ensemble,  s'était  bien  gardé,  comme 
Théodoret  lui-même  le  reconnaît,  de  confondre  les  deux  na- 
tures ;  s'il  avait  maintenu  l'unité  de  personne  contre  ceux  qui 
divisaient  le  Christ,  il  avait  distingué  aussi  ce  qui  doit  être 
distingué.  Mais,  comme  il  arrive  toujours  dans  la  lutte,  les 
défenseurs  de  l'union  hypostatique,  préoccupés  de  défendre 
l'unité  du  Christ,  en  vinrent  à  étendre  cette  unité  aux  deux 
natures.  Ce  fut  l'erreur  d'Eutychès,  archimandrite  à  Constan- 
tinople,  et  l'un  des  plus  zélés  adversaires  de  Nestorius.  Croyant 
suivre  saiut  Cyrille,  dont  il  força  quelques  expressions,  il  en 
vint  à  dire  qu'il  y  avait  eu,  il  est  vrai,  avant  l'union,  deux  na- 
tures dififérentes,  mais  que,  depuis  l'union,  il  s'était  fait  dans 
le  Christ  une  seule  nature.  Eutychès,  accusé  par  Eusèbe,  évoque 
de  Dorylée,  fut  condamné  en  449  par  saint  Flavien,  archevê- 
que de  Constantinople,  et  plusieurs  évêques  convoqués  en 
synode.  Mais  l'hérétique  avait  un  appui  dans  l'eunuque  Chry- 
saphius,  tout-puissant  auprès  de  l'empereur.  Théodose  voulut 
qu'on  revînt  sur  la  condamnation  d'Eutychès,  et  qu'on  exa- 
minât la  conduite  de  saint  Flavien  dans  celte  affaire.  Un  con- 
cile fut  convoqué  à  Éphèse,  sous  prétexte  de  confirmer  la  foi 
définie  dans  le  précédent  concile,  la  foi  de  saint  Cyrille  et  de 


MaM8G3.1  DB   TBÉODORET.  473 

toute  l'Église  catholique.  Théodoret,  en  voyant  ce  triomphe  de 
ses  ennemis,  prévit  le  coup  qui  allait  l'atteindre.  On  sait  ce  que 
fut  celte  assemblée  que  l'histoire  a  j3[étrie  du  nom  de  Brigan- 
dage d'Éphèse,  et  les  violences  dont  usa  Dioscore  pour  se  dé- 
faire de  ses  ennemis  :  les  évoques,  contraints  par  des  soldats, 
souscrivirent  à  tout  ce  que  voulut  Dioscore;  Eutychès  fut 
absous,  saint  Flavien,  conduit  en  exil,  Théodoret  et  plusieurs 
autres  évêques,  déposés.  Des  deux  légats  du  Saint-Siège,  l'un 
protesta  contre  ces  violences,  l'autre  s'enfuit  pour  rendre 
compte  à  Rome  de  ce  qui  s'était  passé. 

Saint  Léon-le-Grand  occupait  alors  la  chaire  de  saint  Pierre. 
Ce  saint  Pontife,  qui  sut  défendre  Rome  contre  Attila  par  sa 
seule  majesté,  savait  aussi  défendre  toute  l'Église  contre  l'er- 
reur et  l'injustice.  C'est  à  lui  que  Théodoret  s'adressa.  Il  eut 
recours  à  ce  Siège  apostolique  «  d'où  partent  les  rayons  de  la 
vraie  foi,  pour  illuminer  toute  la  terre,  »  à  ce  très-saint  Siège 
de  Rome,  a  le  chef  de  toutes  les  églises  du  monde  à  beaucoup 
«  de  titres,  et  particulièrement  parce  qu'il  s'est  conservé  pur 
«  de  toute  hérésie,-  parce  que  nul  pontife  hétérodoxe  ne  s'y 
a  est  jamais  assis,  et  qu'il  a  gardé  intacte  la  grâce  qu'il  tient 
a  des  SS.  Apôtres  (t)..» 

C'était  là  qu'il  accourait  «  pour  chercher  le  remède  aux  maux 
a  de  l'Éghse,  auprès  du  saint  évêque  auquel  il  appartient  de 
G  tenir  le  premier  rang.  »  C'était  au  successeur  de  Pierre, 
qu'il  demandait  de  le  «  soutenir  dans  ses  défaillances  et  dans 
ses  tribulation?.  » 

La  lettre  de  saint  Léon  à  saint  Flavien  contre  Eutychès, 
lettre  décisive  où  se  trouve  exposé  tout  l'ensemble  de  la  doc- 
trine catholique  sur  ITncarnation,  et  qui  servit  de  règle  de  foi 
contre  les  Nestoriens  et  les  Monophysites,  acheva  de  porter  la 
lumière  dans  l'intelligence  de  Théodoret.  «  Nous  avons  trouvé, 
a  écrivait-il  à  saint  Léon,  les  écrits  de  votre  sainteté  sur  ITn- 

(i)  Ep.  cxiii. 


47î  ÉTL'DB    SUR  L'HÏSTOIRE   ECCLÉSIASTIQUE  [Toma  VH. 

«  carnation  de  noire  Dku  et  Sauveur,  et  nous  awns  admiré 
«  la  sûreté  de  vos  doctrines,  car  ces  écrits  montrent  avec  la 
«  même  évidence  et  la  divinité  éternelle  du  Fils  unique  sorti 
((  du  sein  de  son  Père  éternel,  et  son  humanité  prise  du  sang 
«  d'Abraham  et  de  David  ;  et  qu'il  nous  a  ressemblé  en  tout 
«  dans  sa  çature  humaine,  différent  seulement  en  ce  qu'il  est 
«  resté  pur  de  tout  péché,  car  il  n'est  pas  homme  naturellement, 
«  mais  par  un  acte  de  sa  volonté  (1).  »  Théodoret  ne  se  con- 
tenta pas  d'admirer  cette  lettre  :  il  l'enrichit  des  témoignages 
des  Pères,  faisant  voir  ainsi  la  perpétuité  de  la  foi  catholique 
sur  l'Incarnation  depuis  les  temps  apostoliques  jusqu'à  saint 
Léon.  Lui-même  aussi,  dans  une  lettre  de  la  même  époque, 
écarte  jusqu'à  l'ombre  d'un  doute  sur  son  orthodoxie.  «  Je  ne 
«  reconnais  pas,  dit-il,  un  Christ  fils  de  l'homme  et  un  autre 
«  Christ  Fils  de  Dieu,  mais  un  seul  Christ,  Fils  de  Dieu,  Dieu 
a  lui-même,  et  en  même  temps  Fils  de  l'homme,  à  cause  de  la 
«  forme  d'esclave  qu'il  a  voulu  prendre  du  sang  d'Abraham 
«  et  de  David.  Voilà  la  foi  que  j'ai  vue  exposée  dans  les  écrits 
«  du  vénérable  et  saint  archevêque  Léon,  et  je  remercie  Dieu 
«  de  me  trouver  d'accord  avec  cette  doctrine  tout  apostoli- 
((  que  (2).  »  Quand  Théodoret  écrivait  ces  lettres,  il  était  en  exil, 
retiré  au  monastère  d'Apamée;  et  c'est  là,  au  milieu  de  ces  loi- 
sirs dont  il  se  félicite  quelque  part,  qu'il  écrivit  son  Histoire 
ecclésiastique.  Il  n'est  donc  pas  difficile  de  voir  dans  quels 
sentiments  il  la  composa. 

La  suite  le  justifie  mieux  encore.  Saint  Léon  cassa  les  actes 
du  conciliabule  d'Éphèse  et  voulut  examiner  lui-même  la 
cause  de  Théodoret.  Les  députés  que  celui-ci  avait  envoyés  à 
Rome,  firent  valoir  l'adhésion  complète  donnée  par  Tévêque 
de  Cyr  à  la  lettre  du  Souverain-Pontife  ;  puis,  ils  tirèrent  des 
derniers  ouvrages  de  Théodoret  nombre  de  passages  où  la  foi 
catholique  sur  l'unité  du  Christ  inséparable  en  ses  deux  natu- 

(!)  Ep.  cxin. 

(2]  Ep.  CXYI. 


Mai  18153]  DE   TBÉODOEET.  Mo 

rcs,  était  clairement  marquée.  Saint  Léon  vit,  et  il  prononç;ii 
comme  juge,  que  la  condamnation  de  Tbéodoret  avait  été  ia- 
justc,  qu'il  n'avait  pas  cessé  d'être  en  commuoion  avec  le 
Saint-Siège,  et  qu'il  devait  être  rétabli.  Théodoret  fut  rappelé 
de  l'exil.  Quelques  mois  après,  en  451,  le  concile  de  Chalcédoine 
s'étant  rassemblé,  Tbéodoret  y  prit  sa  place  comme  évêque, 
en  attendant  que  sa  cause  fût  examinée  de  nouveau.  Dans  la 
deuxième  session,  il  donna  une  nouvelle  preuve  de  sa  fidélité 
au  Saint-Siège.  La  lettre  de  saint  Léon  ayant  été  lue,  et  quel- 
ques difficultés  s'étant  élevées  sur  plusieurs  points,  Tbéodoret 
se  chargea  de  démontrer  la  complète  conformité  de  cette  doc- 
trine avec  celle  de  saiut  Cyrille.  Concilier  ainsi  l'adversaire  de 
Nestorius  et  celui  d'Eutyeliès,  n'était-ce  pas  se  déclarer  plei- 
nement orthodoxe,  et  rendre  hommage  à  ces  deux  grands  dé- 
fenseurs de  la  foi  ? 

Il  ne  lui  restait  plus  qu'à  condamner  celui  dont  la  funeste 
amitié  l'avait  aveuglé  si  longtemps.  Dans  la  huitième  session, 
Théodoret  anathématisa  solennellement  Nestorius«  et  tous  ceux 
a  qui  disent  que  la  Vierge  Marie  n'est  pas  la  Mère  de  Dieu,  et 
«  ceux  qui  divisent  l'unité  du  Fils  unique.  Pour  moi,  njouta- 
«  t-il,  j'ai  souscrit  à  la  définition  de  la  foi  catholique  présentée 
«  par  le  saint  pontife  Léon  (1),  »  Alors  les  630  Pères  du  concile 
proclamèrent  Théodoret  un  docteur  orthodoxe,  et  lui  rendirent 
son  siège. 'Quelque  temps  après,  il  reçut  de  saiut  Léon,  avec 
de  glorieux  éloges,  la  mission  de  combattre  en  Orient  les  er- 
reurs de  Nestorius  et  d'Eutychès,  et  il  s'en  acquitta  en  écri- 
vant son  Livre  contre  les  fables  des  hérétiques,  dont  une  partie 
peut  être  rapprochée  de  l'Histoire  ecclésiastique^  et  nous 
en  montre  le  véritable  sens.  Nestorius  y  est  formellement  con- 
damné et  présenté  sous  sa  véritable  figure.  «  Nous  avons  su 
«  par  nos  frères,  écrivit  saint  Léon  à  Théodoret,  que  votre 
«  dilection,  soutenue  du  secours  d'en -Haut,  nous  a  aidc3  à 

(\)  Hardouin,  l.  n,  col.  498. 


47G  ÉTUDK   SLR  l'histoire   ECCLÉSIASTIQUE  jToma  VIL 

0  triompher  à  la  fois  de  l'impiété  de  Nestorius  et  de  la  folie 
«  d'Eutychès  (1).  » 

Ainsi  l'évèque  de  Cyr  était  entièrement  lavé  du  reproche 
de  nestorianisme,  el  ses  fautes  étaient  effacées.  S'il  avait  com- 
battu la  vérité  dans  la  personne  de  saint  Cyrille,  il  avait  été 
persécuté  pour  elle  avec  saint  Flavien,  et  sou  nom  même  sera 
longtemps  associé  dans  la  haine  des  Monophysites  à  celui  de 
saint  Léon;  coupable  contre  le  premier  concile  d'Éphèse,  il 
était  justifié  par  les  violences  des  hérétiques  dans  le  second, 
violences  dont  il  fut  victime  ;  condamné  par  saint  Cyrille,  qui 
eut  à  se  plaindre  amèrement  de  lui,  il  était  absous  par  saint 
Léon, qui  le  félicita  de  sa  fidélité  au  Saint-Siège  et  de  son  atta- 
chement à  la  foi  des  pères  ;  il  a  contre  lui  le  concile  d'Ephèse , 
mais  le  concile  deChalcédoine,  qui  définit  la  foi  catholique  sur 
l'Incarnation  contre  Neslorius  et  contre  Eutychès,  et  qui  est 
sur  ce  point  la  règle  de  l'orthodoxie,  le  proclame  lui-même 
orthodose.  Ainsi  Dieu,  par  une  grâce  insigne  qu'appelèrent 
sans  doute  sur  lui  la  sainteté  de  sa  vie  et  les  prières  de  ses 
saints  amis,  voulut  dissiper  dans  la  dernière  période  de  sa  vie 
toutes  les  ombres  de  la  première. 

Il  y  a  donc  deux  parties  dans  la  vie  de  Thèodoret,  l'une  qu'on 
blâme,  l'autre  qu'on  admire,  L'Église  a  fait  de  même  deux  parts 
dans  ses  ouvrages  :  elle  a  condamné  les  écrits  en  favem*  de 
Nestorius  contre  les  anathèmes  de  saint  Cyrille,  mais  elle  a 
adopté  les  autres.  «  Nous  ne  condamnerons  pas,  dit  le  pape 
«  Pelage  II,  tous  les  écrits  de  Thèodoret,  mais  seulement 
«  ceux  qu'il  a  composés  contre  les  douze  chapitres  de  saint 
«  Cyrille  et  contre  la  foi  orthodoxe  ;  écrits  qu'il  a  condam- 
«  nés  lui-même,  de  l'aveu  de  tous,  lorsqu'il  a  confessé  la  vérité 
«  devant  le  concile  de  Chalcédoine...  Qui  ne  voit  combien  il  y 
«  aurait  de  témérité  à  vouloir  défendre  ceux  desouvrages  de 
«  Thèodoret  que  lui-même  a  condamnés  lorsqu'il  a  confessé 

(11  S.  LeoDis  Ep.f  inter  episL  Theod.  cxiii  bis. 


MaH8G3.1  DE   THÉODORET.  477 

«  la  vérité?...  En  repoussant  soulement  ses  ouvrages  héré- 
«  tiques,  nous  disons  anathème  à  Nestorius  avec  le  concile, 
a  et,  avec  le  concile  aussi,  nous  vénérons  Théodoret  confes- 
e  sant  la  vraie  foi.  Quant  à  ses  autres  écrits,  non-seulement 
«  nous  les  acceptons,  mais  nous  en  usons  contre  nos  adver- 
a  saires  (1).  » 

\JHistoire  ecclésiastique  est  au  nombre  des  ouvrages  de 
Théodoret  que  l'Église  nou-seulement  ne  condamne  pas,  mais 
a  acceptés.  On  lui  reproche  seulement  de  parler  trop  avanta- 
geusement de  Théodore  de  Mopsueste,  le  père  de  l'hérésie 
nestorienne  :  mais  il  faut  observer  que  Théodore  avait  été 
le  maître  de  Théodoret,  qui  fut  séduit,  comme  beaucoup 
d'autres,  par  l'éclat  de  ses  talents  ;  puis,  ses  ouvrages  n'avaient 
pas  encore  été  forûiellement  condamnés,  et  Téloge  se  réduit 
à  quelques  lignes.  C'est  une  erreur  de  jugement,  et  surtout  une 
erreur  de  cœur  :  mais  est-elle  suffisante  pour  qu'on  puisse  atta- 
quer Torthodoxie  de  V Histoire  ecclésiastique,  si  fortement  prou- 
vée par  les  circonstances  mêmes  où  cette  histoire  fut  com- 
posée ? 

Qu'on  se  représente  Théodoret  dans  ce  monastère  d'Apamée 
où  Tont  jeté  les  persécutions  des  hérétiques.  C'est  là  qu'il 
écrivit  son  histoire  au  temps  même  où  il  adressait  ses  lettres 
à  saint  Léon,  c'est-à-dire  dans  un  temps  où  l'on  ne  peut  plus 
douter  de  la  sincérité  de  sa  foi.  Son  histoire  raconte  surtout 
les  luttes  de  l'Église  contre  l'esprit  hérétique  et  philosophique. 
En  remontant  à  l'hérésie  d'Arius,  il  remontait  à  la  source  du 
mal  qu'il  voyait  sous  ses  yeux  et  dont  il  était  lui-même 
victime.  Quand  il  fait  allusion  aux  hérésies  de  son  temps  et 
qu'il  les  voit  sortir  delà  racine  de  l'ariauisme,  nul  doute  qu'il 
n'ait  en  vue,  non  les  anathèmes  de  saint  Cyrille,  comme  le 
suppose  le  P.  Garuier,  mais  les  erreurs  d'Eutychès.  La  pensée 
de  son  histoire  est  de  montrer  la  suite  des  fausses  doctrines 

(1)  Pelagii  PP.  11  e//.  v,  n.  20.  Hardouin.  l.  m,  col.  ^36-38. 


i78  ÉTUDE  SUR  l'histoire  ecclésiastique  [Tome  VIT. 

sur  rincarnatiou,  dont  ce  siècle  fut  si  agité,  et  qui  forme  le 
vrai  fond  de  l'histoire  de  cette  époque.  11  les  a  montrées, 
depuis  celles  d'Arius  jusqu'à  celles  de  Nestorius  où  il  s'arrête. 
Puis,  c'était  sans  doute  la  plusnoble  consolation  pour  Théodoret 
exilé,  que  d'étudier  les  triomphes  de  l'Église  catholique  sur 
tous  ses  ennemis,  hérétiques  et  philosophes,  et  de  juger  de 
l'issue  de  la  lutte  engagée,  par  l'issue  de  toutes  les  autres 
lattes.  C'était  un  tableau  qui  devait  le  toucher  particulièrement, 
que  celui  de  la  fermeté  des  défenseurs  de  la  foi,  persécutés  et 
coustanis.  Souvent,  en  effet,  dans  ses  infortunes,  sa  pensée  dut 
se  tourner  vers  saint  Athanaseou  vers  saint  Jean  Chrysostôme, 
pour  raffermir  sou  àme  par  les  exemples  de  ces  grands  hommes. 
Nous  ne  voyons  donc  pas  dans  les  éloges  qu'id  leur  donne, 
un  éloge  déguisé  de  Nestorius;  tout  s'explique  assez,  ce  semble, 
par  la  position  de  Théodoret,  par  les  senliments  dont  son  cœur 
éiaii  plein,  quand  il  écrivit  son  histoire.  Il  ne  s'est  pas  proposé 
de  rapporter  les  faits  dans  leur  ordre,  et  on  lui  reproche  avec 
raison  d'être  insuffisant  pour  la  chronologie  ;  il  n'a  pas  tout 
rapporté,  et  il  se  borne  trop  à  ce  qui  touche  l'Église  d'An- 
tioche  ;  mais  c'est  qu'il  voulait  seulement,  comme  il  le  dit, 
suppléer  à  «  ce  que  les  autres  avaient  laissé  de  coté  »  ;  évéque 
et  docteur,  il  voulait  montrer  en  traits  généraux,  d'une  part, 
la  suite  des  hérésies,  et  de  l'autre  la  perpétuité  de  la  foi  :  l'Eghse 
luttant  toujours  et  toujours  victorieuse;  malheureux  et  persé- 
cuté, il  avait  besoin  de  retremper  son  âme  au  souvenir  de 
tant  de  beaux  exemples  et  de  nobles  caractères.  Telle  paraît 
être  à  Théodoret  la  fin  même  de  l'histoire  :  faire  voir  la  con- 
duite de  Dieu  sur  son  Église  sans  cesse  aux  prises  avec  l'erreur, 
et  conserver  dans  la  mémoire  des  hommes  les  principaux  actes 
de  vertu.  C'est  là  l'idée  qu'il  s'était  faite  diji  rôle  de  l'historien, 
comme  il  nous  l'apprend  dans  sa  préface,  a  Les  peintres,  dil- 
«  il,  en  représentant  sur  la  toile  ou  sur  des  murs  les  évène- 
{(  ments  passés,  charment  la  vue  de  ceux  qui  regardent  leurs 
n  tableaux  et  perpétuent  longtemps  fraîche  et  vivante  la  mé- 


Mai  1S63.]  DS    THÉODORET.  /,~9 

a  moire  de  ces  événements.  Mais  les  historiens  qui  emploient 
«  des  livres  au  lieu  de  toiles,  et,  au  lieu  de  couleurs^  les  fleurs 
«  du  langage,  fixent  le  souvenir  des  faits  d'une  manière  plus 
«  durable,  car  le  temps  altère  les  œuvres  des  peintres.  C'est 
«  pourquoi,  moi  aussi,  je  vais  essayer  de  raconter  de  l'histoire 
a  ecclésiastique  ce  qui  ne  l'a  pas  été,  car  je  ne  trouve  pas  qu'il 
«  convienne  de  voir  d'un  œil  indifl'érent  s'efïacer  la  gloire  de 
«  tant  de  belles  actions  et  d'utiles  exemples.  Plusieurs  de  mes 
«  amis  m'ont  souvent  invité  à  me  charger  de  ce  travail  ;  mais 
«  moi,  mesurant  mes  forces  en  face  d'une  telle  tâche,  je  me 
«  sens  effrayé  de  l'entreprise.  Confiant  néanmoins  en  Celui  qui 
a  donne  la  grâce,  j'entreprendrai  au  delà  de  mes  forces.  Eusèbe 
((  de  Palestine  a  raconté  l'histoire  des  différentes  Eglises,  depuis 
«  les  saints  apôtres  jusqu'au  règne  de  Constantin  ;  je  repren- 
a  drai  où  il  a  laissé,  et  je  ferai  de  la  fin  de  son  histoire  le 
a  commencement  de  la  mienne  (1).  » 

Nous  avons  essayé  de  donner  une  idée  d'ensemble  de  VBis' 
toire  ecclésiastique  de  Théodoret  et  des  caractères  généraux 
de  cette  histoire,  d'après  la  vie  même  de  son  auteur.  Nous 
nous  proposons  maintenant  de  la  faire  connaître  de  plus  près, 
dans  son  objet  et  dans  sa  forme,  en  rattachant  notre  analyse 
et  les  exemples  que  nous  donnerons  aux  personnages  princi- 
paux de  saint  Athanase  et  de  saint  Jean  Ghrysostôme. 

Henri  Huvelin. 

(1)  Hist.  eccl.  prasf. 


BREF  DE  SA  SAINTETE  PIE  IX 


Portant    condamnation    des    écrits    et    doctrines 
du  ti^  Frotischammer. 


VENERABILI    FRATRI    GREGORIO    ARCHIEPISCOPO 
MONACENSI    ET   FRISINGENSI 

Plus  pp.  IX. 

Venerabilis  Frater,  salutem  et  apostolicam  benedictionem.  Gravis- 
simas  inter  acerbitates,  quibus  undique  premimur,  in  hac  tanta  tem- 
porum  perturbatione  et  iniquitale  vehementer  dolemus,  cum  noscamus, 
in  variis  Germanise  regionibus  reperiri  nonnulios  catholicos  etiara 
viros,  qui  sacram  theologiara  ac  philosophiam  tradentes  minime  dubi- 
tant  quamdam  inauditam  adhuc  in  Ecclesia  docendi  scribendique  liber- 
talem  induccre,  novasque  et  omnino  improbandas  opiniones  palam 
publiceque  profileri,  et  in  viilgus  disspminare.  Hinc  non  levi  mœrore 
affecfi  fuimus,  Venerabilis  Frater,  ubi  tristissimus  ad  Nos  venit  nun- 
tius,  presbyterum  Jacobum  Frohschamraer  in  ista  Monacensi  acaderaia 
phiiosophias  doctorem  hujusmodi  docendi  scribendique  licentiam  pree 
céleris  adhibere,  eumque  suis  operibus  in  luceni  edilis  perniciosissimos 
tueri  errores.  Nulla  igitur  interposita  mora,  Nostrae  Congregationi  li- 
bris  notandis  praeposil^  mandavimiiSj  ut  praecipua  volumina,  quae 
ejusdem  presbyteri  Frohschammer  nomine  circuraferuntur  cum  maxi- 
nia  diligentia  sedulo  perpenderet,  et  omnia  ad  Nos  referret.  Quae 
volumina  germanice  scripta  titulum  babent —  Inlroductio  in  Philoso- 
phiam —  De  Liberiate  scienlise  —  Athenœtim  —  quorum  primum 
anno  1858,  alterura  anno  1861,  tertiura  vero  vertente  hoç  anno  1862 
istis  Monacensibus  typis  in  lucem  est  editum.  Itaque  eadem  Congrega- 
tio  Nostris  mandatis  diligenter  obsequens  summo  studio  accuratissimura 
examen  instituit,  omnibusque  semel  iterumque  serio  ac  mature  ex 
more  discussis  et  perpensis  judieavit,  auctorem  in  pluribus  non  recte 
sentire,  ejusqne  doctrinam  a  veritate  catholica  aberrare.  Atque  id  ex 
duplici  prœsertim  parte,  et  primo  quidam  propterea  quod  aoctor  taies 
humanae  rationi  tribuat  vires,  quae  rationi  ipsi  minime  competunt,  se- 


Mai  18G3.1  BREF  DE  PIE  IX  A  L'aRCOEVÊQUE  DE  MUNICH.  48^ 

cundo  vero,  quod  eam  omnia  opinandi,  et  quidquid  semper  aiidendi 
liberlatem  cidem  rationi  concédât,  ut  ipsius  Ecclesise  jura,  officium,  et 
auctoritas  de  medio  omnino-tollantur.  Namque  auctorin  primis  edocet, 
philosophiam,  si  recta  ejus  habeatur  notio,  posse  non  solum  percipere 
et  intelligere  ea  christiana  dogmata,  quae  naluralis  ralio  cum  fide  habet 
communia  (lamquam  commune  scilicet  perceptionis  objeclum)  verum 
etiam  ea,  quae  christianam  religioncm  fidenique  maxime  et  proprie 
efficiunt,  ipsuniqiie  scilicet  supernaturalcm  hominis  finem^  et  ea  omnia, 
quae  ad  ipsum  spectant,  atque  sacratissimum  Dominicae  Incarnationis 
mysterium  ad  hiimanae  ralionis  et  philosopliiae  provinciam  pertincre, 
rationemque,  dato  hoc  objecte,  suis  propriis  principiis  scienler  sd  ea 
posse  pervenire.  Etsi  vero  aiiquam  inler  haec  et  illa  dogmala  dislin- 
ctionem  auclor  inducat,  et  haec  ultima  minori  jure  rationi  attribuât, 
tamen  clare  aperteque  docet;,  etiam  hï!c  contineri  intcr  illa,  quae 
veram  propriamque  scientiae  seu  philosophiae  materiam  constituunt. 
Quôcirca  ex  ejusdem  auctoris  sentenlia  concludi  ouînino  possit  ac 
debeat,  rationem  in  abdilissimis  etiam  divinae  sapientiaj  ac  bonita- 
tis,  immo  etiam  et  liberae  ejus  voluntatis  mysteriis,  licet  posito  re- 
velationis  objecte,  posse  ex  seipsa,  non  jam  ex  divinae  auctoritatis 
principio,  sed  ex  naluralibus  suis  principiis  et  viribus  ad  scientiara  seu 
certitndinem  pervenire  Quae  auctoris  doctrina  quam  falsa  sit  et  er- 
ronea  nemo  est,  qui  christianae  doctrinae  nidimentis  vel  leviter  imbutus 
non  illico  videat,  planeque  senliat.  Namque  si  isli  philosophiae  rultores 
vera  ac  sola  rationis  et  philosophiae  disciplinae  tuerentur  principia  et 
jura,  debilis  certe  laudibus  essent  persequendi.  Siquidem  vera  ac  sana 
philosophia  nobilissimum  suum  locum  habet,  cum  ejusdem  philosophiae 
sit,  veritatem  diligenter  inquirere,  humanamque  rationem  licct  primi 
hominis  culpa  oblencbratam,  nullo  tamen  modo  exlinctam  recte  ac 
sedulo  excolere,  illuslrare,  ejusque  cognitionis  objectum,  ac  permultas 
veritates  percipere,  bene  intelligere,  promovere,  earumque  phirimas, 
uti  Dei  cxistciitiam,  naturam,  atlributa,  quae  etiam  ildes  credenda  pro- 
ponit,  per  argumenta  ex  suis  principiis  pelita  demonstrare,  vindicare, 
defendere,  atque  hoc  modo  viam  munire  ad  haec  dogmafa  fide  rectius 
tenend.i,  et  ad  illa  etiam  recondiliora  dogmata,  quae  sola  fide  percipi 
primum  possunt,  ut  illa  aliquo  modo  a  ratione  intelligaiilur.  Haec  qui- 
dern  agcre,  atque  in  his  versari  débet  severa  et  pulcherrima  vcras  phi- 
losophiae scienlia.  Ad  quae  praestanda  si  viri  docti  in  Germanise  aca- 
demiis  enitantur  pro  singulari  inclytae  illius  nationis  ad  severiores 
gravioresque  disciphnas  excolendas  propensione,  eorum  sludium  a 
Nobis  comprobatur  et  commcndatur,  cum  in  sacrarum  rerum  ulilitalem 

UEVL'U  des  sciences  ecclésiastiques,  t.  VII.  31-32 


482  BREF  DE  PIE  IX  [Tome  VU. 

profectumque  convertant,  quae  illi  ad  suos  usus  invenerint.  At  vero  in 
hoc  gravissimo  sane  negotio  tolerare  nunquam  possumus,  ut  omoia 
temere  peraiisccantur,  utque  ratio  illas  etiam  res,  quœ  ad  fidem  perti- 
nent, occupet  alque  perturbet,  cum  certissinii,  omnibiisque  notissimi 
sint  fines,  ultra  quos  ratio  nunquam  siio  jure  est  progressa,  vel  pro- 
gredi  potest.  Atque  ad  hujusmodi  dogmala  ea  omnia  maxime  et  aper- 
tissime  spectant,  quae  supernaturùlem  hominis  elevalionem,  ac  super- 
naturale  ejus  cum  Dec  commercium  respiciunf,  atque  ad  hune  finem 
revelata  noscuntur.  Et  sane  cum  haec  dogmata  sint  supra  naturam,  id- 
circo  naturali  ratione,  ac  naturalibus  principiis  attingi  non  possunt. 
Nunquam  siquidem  ratio  suis  naturalibus  principiis  ad  hujusmodi  dog- 
mata scienter  tracîanda  effici  potest  idonea.  Quod  si  haec  isti  temere 
asseverare  audfant,  sciant,  se  certe  non  a  quorumlibet  doctorum  opi- 
nione,  sed  a  communi,  et  nunquam  immutataEcclesite  doctrina  recédera. 
Ex  divinis  enim  Litteris,  et  sanctorum  Patrum  Iraditionc  constat,  Dei 
quidem  existenliam,  multasque  alias  veritates,  ab  iis  etiam,  qui  fidera 
nondum  susceperunt,  nalurali  rationis  lumine  cognosci,  sed  illa  recon- 
ditiora  dogmata  Deum  solum  manifestasse,  dum  notum  facere  voluit, 
mystenum,  quod  absconditum  fuit, a  sœculis  et  generalionibus  (1),  et 
ita  quidem,  ut  postquam  multifariam  multisqne  modis  olim  îocutus 
esset  patribus  in  prophetis,  7}ovissime  nobis  Iocutus  est  in  Filio,  per 

quem  fecit  et  ssecula  (2) Deum  enim  nemo  vidit  iinquam.   Unige- 

nitus  Filius,  qui  est  in  siiiu  Patris  ipse  enarravit  (3).  Quapropter 
Apostolus,  qui  gentes  Deum  per  ea,  quee  facla  sunt  cognovisse  testa- 
tur,  disserens  de  gralia  et  veritate  f4)  quss  per  Jesum  CItristum  fada 
est,  loquimui\  inquit,   Dei  sapientiam  in   mijslerio,  qux  ahscondita 

est quam  nemo  principum  hujus  sxculi  cognovit Nobis  autem 

revelavit  Deus  per  Spiritum  suum Spiritus  enim  omnia  scriUatury 

etiam  profunda  Dei.  Quis  enim  hominum  scit  qux  sunt  hominis,  nisi 
spirili;s  hominis,  qui  in  ipso  est  ?  Ita  vt  qux  Dei  sunt  nemo  cognovit, 
nisi  Spiritus  Dei  (5).  Hisce  aliisque  fere  innumeris  divinis  eloquiis  in- 
haerentes  SS.  Patres  in  Ecclesi^  doctrina  tradenda  contincnter  distin- 
guere  curarunt  rerum  divinarum  notionem,  quae  naturalis  intolligentiae 
vi  omnibus  est  communis  ab  illarum  rerum  notitia,  quae  per  Spiritum 

!^|  Co!.  1,  V.  2fi. 

(2)  Hebr.,i,  V.  1,  2, 

(3)  Joan.,  I,  V.  Î8. 

(4)  Joaii.,  I,  V.  17. 

(5)  ICoriDlh.,  n,  v.  7,  8,  HO,  11. 


jaai  1863.1  A  l'archevêque  DE   MONICH.  -483 

Sanctura  fide  suscipitur,  et  constanter  docuerunt,  per  hanc  ea  nobis 
in  Christo  revelari  mysteria,  quae  non  solam  humanam  philosophiam, 
verum  etiam  angelicam  naluralem  inlelligentiani  transcendant,  quaeque 
etiamsi  diviiia  revelatione  innotuerint,  et  ipsa  fide  fuerint  suscepta,  ta- 
raen  sacro  adhuc  ipsius  fidei  vélo  tecta  et  obscura  caligine  obvoluta 
permanent  quamdiu  in  hac  mortali  vita  peregrinamiir  a  Domino  (1). 
Ex  bis  omnibus  patel  alienam  omnino  esse  a  calholicae  Ecclesiae  doctrina 
sententiam,  qua  idem  Frohschammer  asserere  non  diibitat,  omnia  in- 
discriminatim  chrislianae  religionis  dogmata  esse  objectiim  naturalis 
scientis,  seu  philosophiae,  et  humanam  rationem  historiée  tantum  ex- 
cultam^  modo  liaee  dogmata  ipsi  ralioni  tanquam  objectum  proposita 
fuerint,  posse  ex  suis  naturabbus  viribus  et  principiis  ad  veram  de  om- 
nibus etiam  reconditioribus  dogmaiibus  scientiam  pervenire.  Nimc  vero 
in  memoraiis  ejusdem  aucloris  scriptis  alia  dominatur  sententia,  quae 
catholiiae  Ecclosiae  doctrinae  ac  sensui  plane  adversatur.  Etenim  eara 
philosophisb  tribuit  bberlatem,  quae  non  scienti»  libertas,  sed  omnino 
reprobanda  et  intoleianda  nhilosopbiae  licentia  sit  appellanda.  Qiiadara 
enim  dislinctione  inlerphdosophum  et  philosopbiam  facta,  tribuit  philo- 
sophe jus  et  ofiicium  se  submittendiauctoritati,  quam  veram  ipse  proba- 
veritj  sed  utrumque  philosophiae  ita  denegat,  ut  nulla  doctrinse  reve- 
latae  ratione  habita,  asserat,  ipsam  nunquam  debere  ac  posse  auctorl- 
tati  se  subraittere.  Quod  esset  lolerandum  et  forte  admittendum,  si 
haec  dicerentur  de  jure  tantum  ,  quod  habet  philosophia  suis  prin- 
cipiis, seu  melhodo,  ac  suis  conciusionibus  uti,  sicut  et  aliae  scientise, 
ac  si  ejus  libertas  consistcret  in  hoc  suo  jure  utendo,  lia  ut  nihil 
in  se  admitteret,  quod  non  fuerit  ab  ipsa  suis  conditionibus  acqui- 
situm,  aut  fuerit  ipsi  alienum.  Sed  haec  justa  philosophie  libertas 
suos  limites  noscere  et  experiri  débet.  Nunquam  enim  non  solum 
philosophe,  verum  etiam  philosophiae  licebit,  aut  aliquid  contrarium 
dicere  iis,  quae  divina  revelatio,  et  Ecclesia  docel,  aut  aliquid  ex 
eisdem  in  dubium  vocare,  propterea  quod  non  inlelligit,  aut  judi- 
cium  non  suscipere,  quod  licclesise  auctoritas  de  aliqua  philosophiae 
conclusione,  quee  hucusque  libéra  erat,  proferre  constituit.  Accedit 
etiam,  ut  idem  auctor  philosophiae  libortateni,  seu  polius  effrenatam  li- 
centiam  tara  acriter,  tam  temere^  propugnet,  ut  minime  vereatur  asse- 

(i)  S.  Joan.  Chiys.  homiL,  vu  (9),  in  I  Corinth.'S.  Ambros.  de  Fide 
adGrat.,  i,  10.  —  S.  Léo  de  Nativ.  Dom.  Ser.  ix.  —  S.  Cyril.  Alex. 
Conlr.  Nedor.,  lib.  ni,  inilio  in  Joan.,  i,  9. —  S.  Joan.  Dam.  de  Fide 
orth.^  II ,  ^,  2,  in  I  Cor,,  c.  «.—  S.  Hier,  in  Gai.,  m,  2. 


884  BREF  DE   PIE  IX  [Tome  VU. 

rere  Ecclesiam  non  solum  non  debere  in  philosophiam  unquam  ani- 
madvertere,  verum  etiani  debere  ipsius  philosophiae  tolerare  errores, 
eique  relinquere,  ut  ipsa  se  corrigat,  ex  que  evenit  ut  philosoplii  hanc 
philosophiae  libertatera  necessario  participent,  atque  ila  eliam  ipsi  ab 
omni  legc  solvantur.  Ecquis  non  videt  quam  vehementer  sit  lejicienda, 
reprobanda,  et  omnino  damnanda  hujusmodi  Frohschanimer  sententia 
afque  doctrina?  Etenim  Ecclesia  ex  divina  sua  instilutione  et  divinae 
lldei  deposltiim  inlegrum  inviolatumque  diligentissime  ciistodire^  et 
fanimarura  saluli  sinnmo  studio  débet  coiilinenler  advigilare,  ac  suinma 
cura  ea  omnia  amovere  et  eliminare,  qiiae  vei  fidei  adversari,  vel  ani- 
marum  saiutem  quovis  modo  in  discrinien  adducere  possunt.  Quocirca 
Ecclesia  ex  potestate  sibi  a  divino  suo  Auciore  commissa  non  solum 
jus,  sed  officiuin  prsesertim  habet  non   tolerandi,  sed  proscribendi 
^c  damnandi  omnes   errores,    si  ita   fidei  integritas,  et  animarum 
salus  postulaverint,  et  omni  pbilosopbo,  qui  Ecclesiœ  filius  esse  velit, 
ac  etiam  pbilosophiae   olTicium  incurabit  nihil  unquam  dicere   con- 
tra ea,  quse  Ecclesia  docet,  et  ea  retractare,  de  quibus  eos  Ecclesia 
monuerit,  Sentenliam  autemquse  contrarinm  edocet,  omninoerroneam, 
et  ipsi  fidei  EcclesiîB,  ejusque  auctoritati  vel  maxime  injuriosara  esse 
edicimuset  declaramus.  Quibus  omnibus  accurate  perpensis,  de  eorum- 
dera  VV.  FF.  NN.  S.  R.  E.  Cardinalium  Congregalionis  libris  notan- 
dis  prsepositae  consilio,  ac  motu  proprio,  et  certa  scientia,  raatura  de- 
liberatione  Nostra,  deque  ApostolicaîNoslraepotestatispleniti'.dine  praî- 
dictos  libres  presbyteri  Frohschammer  tamquam  continentes  prcposi- 
liones  et  doctrinas  respective  falsas,   erroneas,   Ecclesia?,   ejusque 
auctoritati  ac  juribus  injuriosas  reprobamus,  damnamus,  ac  pro  repro- 
batis  et  daranatis  ab  omnibus  haberi  volumus,  atque  eidem  Congrega- 
tioni  mandamus,  ut  eosdem  libros  in  indicem  prohibilorum  librorum 
référât.  Dum  vero  haec  tibi  significamus,  Venerabilis  Frater,  non  pos- 
Qumus  non  exprimere  magnum  animi  nostri  dolorem,  cum  videamus 
hune  fdium  eorunidem  librorum  quctorem,  qui  ceteroquin  do  ecclesia 
îbenemercri  potuisset,  infelici  quodam  cordis  impetu  misère  abreptum 
lin  vias  abire,  quse  ad  saiutem  non  ducunt,  ac  magis  magisque  a  recto 
tramile  aberrare.  Cum  enim  alius  ejus  liber  de  animarum  origine  prius 
fuisset  damnatus,  non  solum  se  minime  submisit,  verum  etiam  non 
extirauit,eumdem  errorem  in  bis  eliam  libris  denuo  docere,  et  nostrani 
Indicis  Congregalionem  contumeliis  cumulare,  ac   raulla  alla  contra 
Ecclesiae  agendi  rationem  temere  mendaciterquepronuntiare.  Quse  ora- 
nia  tàlia  sunt,  ut  iis  merito  atque  optimo  jure  indignari  poLuissemus. 
Sed  nolumus  adhuc  paternae  Nostrse  caritatis  viscera  erga  illum  depo- 


Mai  1865.1  A  l'aRCHEVÊQUE   DE   MUNICU.  ^85 

nere,  et  iccirco  te,  Venerabilis  Fraler,  excitamus,  utvelis  eidem  mani- 
festare  cor  Nostrum  paternum,  et  acerbissimuni  dolorem,  cujus  ipse 
est  causa,  ac  simul  ipsum  saluberiimis.rr.onilis  liortari  et  monere,  ut 
Nostram,  quae  coramunis  est  omnium  Patris  vocem  audiaf,  ac  resipi- 
scat,  quemadmodum  catholicae  Ecclesiae  filium  decet,  et  ila  nos  omnes 
laetitia  afficiat,  ac  tandem  ipse  féliciter  experiatur  quam  jucundum  sit 
non  vana  quadam  et  perniciosa  libertate  gaudere,  sed  Domino  adhœ- 
rere,  cujus  jugum  suave  est,  et  onus  levé,  cujus  eloqiiia  casta  igné  exa- 
minata,  cujus  judicia  vera,  justificata  in  semetipsa,  et  cujus  universae 
viae  miseiicordia  et  veritas,  Denique  hac  etiam  occasione  libentissime 
utiniur,  ut  iterum  testemus  et  conlirmemus  prœcipuam  Nostrani  in  te 
benevolentiam.  Cujus  quoque  pignus  esse  volumus  Apostolicam  bene- 
dictionem,  quam  intimo  cordis  affectu  tibi  ipsi,  Venerabilis  Frater,  et 
gregi  tuîB  curae  commisse  peramanter  impertimus. 

Datum  Romse  apud  S.  Petrum  die  11  decembris  anno  1862, 

Pontificatus  Nostri  anno  decimo  seplimo. 

Plus  PP.  IX. 

Le  document  que  nous  venons  de  reproduire  est  d'une  haute 
importance  :  il  trace  d'une  manière  nette  les  limites  qui  sé- 
parent le  domaine  de  la  raison  de  celui  de  la  foi,  et  réprouve 
certaines  hardiesses,  certaines  téméi'ités  qui  ne  sont  que  trop 
en  rapport  avec  l'esprit  du  siècle.  Cet  enspiç;;nement  descendu 
de  la  chaire  apostolique  sera  entendu  de  tous  les  vrais  fidèles, 
et  les  mettra  plus  que  jamais  en  garde  contre  le  venin  du  ra- 
tionalisme. 

Pie  IX  établit  :  1°  Qu'il  y  a  tout  un  ordre  de  vérités  propo- 
sées à  notre  croyance,  qui  se  dérobent  aux  investigations  de 
la  raison  humaine,  et  ne  peuvent  être  ni  découvertes,  ni  dé- 
montrées par  les  procédés  qui  lui  sont  propres.  Ces  vérités  qui 
se  rapportent  à  notre  fin  surnaturelle,  et  qui  nous  ont  été  ré- 
vélées pour  nous  y  conduire,  appartiennent  exclusivement 
au  domaine  de  la  foi  :  tout  ce  que  la  raison  peut  faire,  c'est 
de  les  éclairer  par  des  analogies.  Tel  est  l'enseignement  de 
l'Écriture  et  de  la  tradition  tout  entière. 

2°  Ce  n'est  point  la  philosophie  que  condamne  Pie  IX,  mais 


486  BREF   DE   PIE   IX  [Tome  Vil. 

l'abus  de  la  philosophie.  Il  indique  l'objet  de  cette  science,  il 
en  montre  Tutililé,  il  exhorte  les  docteurs  des  académies  à  la 
cultiver  comme  elle  le  mérite.  Jamais  l'Église  n'a  réprouvé  la 
science  et  la  raison  humaine  :  elle  en  a,  au  contraire,  souvent 
défendu  les  droits  contre  les  hérétiques,  ou  même  contre  cer- 
tains catholiques  qui,  bien  qu'animés  d'excellentes  internions, 
s'étaient  laissé  emporter  à  de  regrettables  écarts.  Quelques 
exemples  assez  récents  sont  encore  dans  la  mémoire  de  tous 
nos  lecteurs. 

3"  Enfin,  le  Souverain-Pontife  s'élève  contre  cette  liberté  de 
la  science  tfjnt  prônée  par  les  apôtres  du  rationalisme  moderne, 
qui  va  jusqu'à  proclamer  l'indépendance  absolue  de  la  raison 
humaine  et  à  secouer  le  joug  de  la  foi.  Il  montre  que  si  la  phi- 
losophie a  le  droit  de  s'en  tenir  à  ses  principes  et  à  sa  mé- 
thode, il  est  cependant  des  limites  qu'elle  doit  respecter; 
jamais  il  ne  sera  permis  de  professer  des  doctrines  contraires 
à  l'enseignement  de  la  Révélation  et  de  l'Église,  de  rejeter 
une  partie  quelconque  de  cet  enseignement,  sous  prétexte 
qu'on  ne  comprend  pas,  ou  de  refuser  sa  soumission  à  l'au- 
torité de  l'Église  quand  elle  se  prononce  sur  un  point  de  phi- 
losophie abandonné  auparavant  à  la  libre  discussion. 

On  peut  consulter,  sur  les  doctrines  du  D""  Frohschammer, 
qui  ont  donné  occasion  à  cet  acte  de  l'autorité  pontificale,  le 
petit  article  publié  dans  notre  numéro  de  février,  t.  vu, 
p.  175  ss. 

Pie  IX  termine  par  une  exhortation,  où  la  sévérité  du  juge 
fait  place  à  la  mansuétude  du  Pontife.  Il  exprime  toute  sa  dou- 
leur de  voir  un  de  ses  fils,  qui  eût  pu  servir  utilement  l'Église, 
donner  dans  de  tels  écarts;  il  rappelle  une  première  sentence 
de  la  S.  C.  de  l'Index  dont  le  professeur  Frohschammer  n'a 
tenu  aucun  compte,  et  il  manifeste  l'espérance  de  le  voir  re- 
venir bientôt  à  de  meilleurs  sentiments. 

Nous  avons  le  regret  d'apprendre  que  cet  espoir  ne  s'est 
point  réahsé  jusqu'ici.  Après  la  publication  du  Bref  dans  la 


Mai  1863.|  A  L'ARCHEVÊQUE  DE  MUNICH.  487 

feuille  officielle  de  l'Arcbevêché  de  Munich  {Pastoral-Blatt 
fïir  die  Erzdiœcese  Mmchen-Freysing ,  Nr.  14^  4  april  1863),  le 
D'  Ffobschammer,  mis  en  demeure  de  s'y  soumettre,  s'y  est 
refusé  d'une  manière  absolue.  L'autorité  diocésaine  a  dû, 
par  suite  de  ce  refus,  le  suspendre  de  ses  fonctions  ecclésias- 
tiques. En  même  temps,  l'épiscopat  bavarois  a  interdit  son 
cours  à  tous  les  étudiants  en  tbéologie  et  à  tous  ceux  qui  se 
préparent  à  suivre  cette  carrière. 

M.  Frobscbammer  a  poussé  jusqu'au  bout  le  scandale.  A  la 
reprise  de  son  cours,  après  les  vacances  de  Pâques,  il  a  con- 
sacré une  leçon  à  expliquer  ses  principes,  et  il  l'a  livrée  à 
l'impression  sous  ce  titre  :  Ueber  das  Recht  der  neuere  Philoso- 
phie gegenïiber  der  Scholastik  (Mûncben,  Lentner).  Il  y  déclare 
que  ses  ouvrages  ont  été  lus  avec  les  lunettes  de  la  scolastique 
et  jugés  d'après  les  babitudes  d'une  langue  toute  différente  de 
la  sienne  (p.  9)  ;  que  la  scolastique  est  dénuée  de  tout  fonde- 
ment, et  doit,  par  conséquent,  cbercber  un  appui  au-debors  ; 
qu'une  science  réduite  à  s'appuyer  sur  des  bulles  et  des  brefs 
avoue,  par  là  même,  son  impuissance  et  son  inutilité  (p.  H). 
La  philosophie,  comme  science,  ne  relève  que  d'elle-même; 
toute  soumission  détruit  la  science  (p.  42).  Comme  professeur 
à  l'Université,  ajoute-t-il,  je  n'avais  pas  le  droit,  quand  même 
je  l'aurais  voulu,  de  consentir  à  soumettre  la  science  (p.  14). 
Je  ne  puis  en  aucune  façon  soutenir  qu'il  y  a  des  bornes  à 
jamais  infranchissables  pour  la  science,  car  la  raison  jouit  d'un 
droit  de  recherche  illimité  (p.  15).  Ici,  dans  cette  chaire,  la 
science  doit  sauvegarder  ses  droits  et  son  indépendance  :  c'est 
ce  que  je  me  propose  de  continuer  à  faire  dans  l'avenir  (p.  16). 

Ainsi  donc,  voilà  l'étendard  de  la  rébellion  levé  par  un 
prêtre  :  puisse-t-il  voir  bientôt  le  néant  et  le  danger  de  ses 
doctrines;  puisse-t-il  imiler  l'exemple  encore  tout  récent  de 
Gùuther,  et  rentrer  dans  la  voie  qu'il  n'aurait  jamais  dû 
abandonner  ! 

La  jeunesse  académique,  toujours  avide  de  tumulte,  ne  pou- 


488  KNCYCLIQUB   DU   SAl>T-OFFICE.  [Tome  Vil. 

vait  laisser  échapper  une  aussi  belle  occasion,  A  la  suite  de 
cette  déclaration  de  principes,  les  étudiants  se  rendirent  en 
foule  chez  le  professeur  pour  lui  remettre  une  adresse  collec- 
tive, où  ils  le  félicitaient,  l'encourageaient  à  marcher  dans 
cette  voie,  et  se  déclaraient  prêts  à  l'y  suivre.  Pauvres  jeunes 
gens  !  ils  ne  comprenaient  pas  grand  chose  à  cette  démarche  : 
ils  s'étaient  laissé  séduire  par  des  mots  et  des  formules  qui 
trompent  facilement  les  esprits  quand  ou  ne  va  pas  au  fond 
des  choses.  Ce  n'est  pas,  du  reste,  la  première  fois  (ju'il  se  ma- 
nifeste, à  l'Université  de  Munich,  des  tendances  antichrétiennes, 
mais  ce  qu'il  y  a  de  déplorable  par-dessus  tout,  c'est  de  voir 
un  prêtre  catholique  mécontiaitre  à  ce  point  les  principes  de 
notre  foi,  et  sacrifier  à  des  tendances  qu'ils  devrait  combattre 
avec  toutes  les  ressources  de  son  incontestable  talent. 

E.  HAUTCŒua. 


ENCYCLIQUE  DU  SAINT-OFFICE 

ADRESSÉE   A    TOUS   LES   ÉVÊQUES 
COIVXRE    LES     ABUS     TtfJ    M  AGIVÉXISME     ^^). 

Feria  IV,  die  30  jnlii  1856. 

In  Congregatione  Generali  S.  R.  et  Universalis  Inquisitionis  habita 
in  conventu  S.  M.  supra  Minervam,  Eni.  ac  Hcv.  DD.  Cardinales  in 
tota  repubhca  christiana  ad  versus  haereticam  pravitatem  générales  in- 
quisitores,  mature  perpensis  iis,  quae  circa  magnetismi  expérimenta  a 
viris  fille  dignis  undequaque  relata  sunt,  decreverunt,  edi  présentes 
litteras  encyclicas  ad  omnes  episcopos  ad  magnetismi  abusus  compe- 
scendos. 

Etenim  compertum  est,  iiovum  quoddam  superstitionis  genus  invehi 
es  phaenomenis  magneticis,  quibus  haud  scientiis  physicisenucleandis, 
ut  par  esset,  sed  decipiendis,  ac  seducendis  hominibus  student  neote- 
rici  plures  rati,  posse  occulta,  remota,  ac  fiitura  detegi  magnetismi 
arte,  vel  praestigio,  praeserlim  ope  muliercularum,  quae  uniceamagne- 
tisaloris  nutu  pendent. 

(1)  Bien  que  ce  document  soit  d'une  date  un  peu  ancienne,  cepen- 
dant, comme  il  est  peu  connu,  et  comme  il  acquiert  une  grande  im- 
poriance  à  cause  de  la  diffusion  des  pratiques  spiriles,  nous  nous 
décidons  à  le  reproduire. 


Mail8C3)  ENCYCLIQUE  DU   SAINT-OFFICE.  48'.) 

Nonnullae  jam  hac  de  re  a  S.  Sede  datae  suiU  responsiones  ad  pecu- 
liares  casus,  quibus  reprobantur  tanquam  illicita  illa  expérimenta,  quae 
ad  finera  non  naturalem,  non  honestum,  non  debitis  mediis  adhibitis 
assequendum,  ordinantur  ;  unde  in  sirnilibus  casibus  decretum  est 
feria  IV,  21  aprilis  i84l  :  Usiim  magnelismi  prout  exponiliir,  non  li- 
cere.Similiterquosdam  libres  ejusmodierrorespervicaciter  disséminantes 
prohibendos  censuit  S.  Congregalio.  Verura  quia  praeter  parliculares 
casus  de  usu  raagnetismi  generatim  agenduni  erat,  hinc  per  raodum 
regulae  sic  slalutum  fuit  feria  IV,  28  julii  1847  :  —  Bemolo  omni  er- 
rore,  sortilegio,  explicita,  mit  implicita  dsemonis  invocatione,  usus 
magnetismi,  nempe  menis  actns  adhibendi  média  plujsica  aliunde  licita, 
non  est  moraliter  vet\lus,dummodo  non  tendat  ad  finem  illicitum,  aut 
quomodolibet  pravum.  Applicatio  autem  principiorum,  et  mediorum 
pure  phijsîcorum  ad  res,  et  effecius  vere  supernaturales,  ut  physice 
explicentur,  non  est  nisi  deceplio  omnino  illicita,  et  hxrelicalis. 

Quamquam  generali  hoc  decreto  satis  explicetur  licitudo,  aut  illici- 
tudo  in  usu,  aut  abusa  magnetismi,  lamen  adeo  crevit  hominum  malitia, 
ut  neglecto  licito  studio  scientiae,  potius  curiosa  sectantes  magna  cura 
animarimi  jactura,  ipsiusque  civHis  socielatis  detrimento  ariolandi, 
divinandive  principium  quoddara  se  nactos  glorientur.  Hinc  somnam- 
bulismi  et  clai-se  intuitionis,  uli  vocant,  praestigiis  muiierculse  illae 
gesiiculationibus  non  semper  verecundis  abreptse,  se  invisibilia  quaeque 
conspicere  effutiunt,  ac  de  ipsa  religione  sermones  instituerez  animas 
mortuorum  evocare,  responsa  accipere,  ignota  ac  longinqua  delegere, 
aliaqne  id  genus  superstitiosa  exercere  ausu  temerario  praesumunt, 
magnum  quaestum  sibi,  ac  dominis  suis  divinando  certo  conseculurae. 
In  hisce  omnibus  quacumque  demum  utantur  arte^,  vel  illusione,  cum 
ordinentur  média  physica  ad  effectus  non  naturales,  reperitur  deceptio 
omnino  illicita,  et  haereticalis,  etscandalura  contra  honestatem  morum. 

Igitur  ad  tantura  nefas,  et  reiigioni,  et  civili  societati  infestissimum 
efficaciter  cohibendum,  excitari  quam  maxime  débet  pastoralis  sollici- 
tudo,  vigilanlia,  ac  zelus  Episcopopum  omnium.  Quapropter  quantum 
divina  adjulrice  gralia  poterunt  locorum  Ordmarii,  qua  paternae  chari- 
tatis  monitis,  qua  severis  objurgationibus,  qua  demum  juris  remediis 
adhibitis,  prout  attentis  locorum,  personarum,  temporumque  adjunctis, 
expedire  in  Domino  judicaverint,  omnem  impendant  operam  ad  hu- 
jusmodi  magnetismi  abusus  reprimendos,  et  avellendos,  ut  dominicus 
grex  defendatur  ab  inimico  homine,  depositum  fidei  sartum  tectumque 
cuslodialur,  et  fidèles  sibi  crediti  a  morum  corruptione  praeservenlur. 

Datum  Romae  in  cancellaria  S.  Officii  apud  Vaticanum,  die  4  au- 
gusti  1856.  V.  Gard,  Macchi. 


BIBLIOGRAPHIE. 


LA  VIE  ET  LES  ŒUVRES  DE  MARIE  LATASTE,  religieuse  du  Sacré- 
Cœur,  publiées  par  M.  l'abbé  Pascal  Darbins.  Ouvrage  approuvé  par 
Mgr  l'Évêque  d'Aire.  Paris,  Ambroise  Bray.  1863.  3  vol.  ia-8. 


Dans  les  environs  de  la  ville  de  Dax,  au  département  des 
Landes,  non  loin  du  village  qui  vit  naître  saint  Vincent  de 
Paul,  vivait,  il  y  a  quelques  années,  une  jeune  paysanne, 
nommée  Marie  Lalaste.  Les  travaux  rustiques  auquels  ses 
parents  l'employaient  lui  permirent  à  peine  d'apprendre  à  lire 
et  à  écrire,  mais  ils  n'empêchèrent  point  son  esprit  de  s'ouvrir 
à  la  méditation  des  vérités  religieuses,  son  cœur  aux  impres- 
sions de  la  vertu.  Après  sa  première  communion,  dans  la  pé- 
riode si  précieuse  de  l'adolescence,  écartant  de  son  âme  les 
émotions  dangereuses  que  les  sens  peuvent  apporter,  elle  con- 
sacra au  Seigneur  toutes  les  forces  d'une  imagination  ardente, 
d'une  intelligence  incontestablement  supérieure  à  son  humble 
condition.  Sous  la  conduite  d'un  directeur  prudent,  non-seule- 
ment elle  parvint  à  dompter  plusieurs  défauts  qui  avaient  jeté 
une  ombre  sur  ses  premières  années,  mais  elle  avança  rapide- 
ment dans  les  voies  de  la  spiritualité. 

Bieutôt  il  lui  sembla  que  le  Seigneur  Jésus  se  montrait  à 
elle  sur  l'autel,  durant  le  saint  sacrifice  de  la  Messe,  et  daignait 
même  l'entretenir.  Ces  visions  et  ces  colloques  durèrent  plu- 
sieurs années. 

En  1844,  à  l'âge  de  vingt-trois  ans,  Marie  Lataste  quitta  ses 
champs  et  sa  mère  pour  venir  demander  aux  Dames  du  Sacré- 
Cœur,  à  Paris,  d'être  admise  parmi  leurs  sœurs  coadjutrices 
ou  converses.  Enfin,  à  l'issue  de  son  noviciat,  elle  fut  envoyée 


Mai  1863.1  BIBLIOGRAPHIE.  491 

à  la  maison  de  Rennes,  où  elle  mourut  le  10  mai  1847,  lais- 
sant un  profond  et  touchant  souvenir  de  ses  vertus. 

Mais,  dans  son  village  même,  elle  avait  écrit,  sur  l'ordre  de 
son  directeur,  les  conversations  intimes  dont  elle  se  crut  favo- 
risée. Ce  manuscrit,  tracé  souvent  la  nuit,  peut-être  àla lueur 
vacillante  d'une  torche  de  pin  résineux,  forme  une  série  de 
traités  sur  Dieu,  sur  le  Verbe,  sur  la  sainte  Vierge,  sur  les 
Anges,  le  chrétien,  la  religion,  les  épreuves,  la  grâce,  le  péché, 
les  divers  états,  les  fins  dernières  ;  en  un  mot,  sur  les  plus 
hautes  questions  du  .dogme  et  de  la  morale. 

L'éditeur  y  a  joint  un  choix  de  lettres  de  Marie  Lataste,  qui 
complètent  ses  œuvres. 

Certes,  il  serait  imprudent  de  se  prononcer  sur  l'autorité  de 
pareils  écrits,  et  les  hauts  encouragements  qu'a  pu  recevoir 
M.  Pascal  Darbins  en  les  donnant  au  public,  ne  tranchent 
nullement  la  question  de  leur  origine.  L'Église  n'a  pas  l'habi- 
tude de  porter  un  jugement  sur  les  révélations  particulières 
faites  aux  plus  saintes  âmes,  et  même  quand  elle  saisit  l'occa- 
sion de  ces  révélations  soit  pour  instituer  une  solennité,  soit 
pour  autoriser  une  dévotion,  elle  s'appuie  toujours  sur  la 
base  plus  solide  des  faits  ou  des  enseignements  de  la  foi.  Si 
les  œuvres  d'une  Gertrude,  d'une  Catherine  de  Sienne,  d'une 
Thérèse  même,  n'ont  pu  jouir  de  ce  privilège,  et  sont  laissées 
à  l'appréciation  individuelle  du  lecteur  chrétien,  à  plus  forte 
raison  celles  d'une  Catherine  Emmerich,  d'une  Marie  Eustelle 
et  de  Marie  Lataste. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  sentiment  auquel  on  s'arrête  sur  cette 
question  préalable,  nous  sommes  sûr  qu'on  ne  lira  pas  sans 
un  vif  intérêt  la  plupart  des  pages  du  livre  dont  nous  parlons. 

L'éditeur  affirme  n'avoir  retouché  que  certains  détails  de 
forme  qu'il  était  nécessaire  de  modifier  au  point  de  vue  de  la 
langue  française.  Notre  jeune  paysanne  étant  habituée  â  par- 
ler ordinairement  l'idiome  gascon,  il  ne  pouvait  manquer  de 
se  glisser  sous  sa  plume  des  tournures  vicieuses  ou  des  locu- 


492  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VII. 

tious  étrangères  au  dictionnaire  de  l'Académie.  Un  lecteur 
attentif  peut  surprendre  d'ailleurs  encore  quelquefois  des  fautes 
de  ce  genre,  qui  semblent  oubliées  pour  rappeler  \0i  couleur  lo- 
cale de  l'ouvrage.  Mais  l'ensemble  porte  un  cachet  d'origina- 
lité qui  fait  incliner  naturellement  l'esprit  à  croire  à  l'authen- 
ticité de  ces  pages. Le  style  est  simple,  limpide,  et  ne  manque 
pas  d'uue  certaine  élévation  ;  quelquefois  il  exhale  une  vive 
chaleur.  Je  ne  crains  pas  d'aller  trop  loin  en  attribuant  à  l'au- 
teur cette  éloquence  naturelle  qui  naît  de  la  conviction,  et  qui 
l'emporte  sur  les  artifices  oratoires.  Qu'où  me  permette  de 
citer  un  passage  pour  donner  une  idée  du  genre  ;  il  est  em- 
prunté à  une  lettre  où  Marie  Lataste  parle  de  trois  méditations 
qu'elle  a  faites  sur  la  passion  du  Sauveur. 

«Voici  le  plan  général  tel  que  je  l'aperçus  :  \°  Jésus  en 
croix  nous  fait  comprendre  la  grandeur  etl'énormité  du  péché  ; 
2°  Jésus  en:  croix  est  pour  nous  le  modèle  de  toutes  les  vertus; 
3<*  Jésus  en  croix  fait  connaître  la  justice  et  la  miséricorde  de 
son  Père 

«  Dans  une  première  vue,  je  considérai  le  péché  en  lui- 
même  dans  sa  nature  intime  ;  dans  une  seconde  considération, 
je  vis  l'injure  et  l'outrage  qu'il  faisait  à  Dieu;  enfin,  je 
compris  qu'il  était  la  cause  de  tous  nos  maux  tant  spirituels 
que  temporels.  Quelles  connaissances  profondes,  quelles  lu- 
mières éclatantes  environnèrent  mon  âme  en  cet  heureux  mo- 
ment !  Ce  n'était  point  une  parole  parlée  que  j'entendais,  mais 
je  comprenais  mieux  qu'en  écoutant  l'homme  le  plus  savant^ 
le  prédicateur  le  plus  distingué.  C'était  une  parole  sans  voix  et 
une  voix  sans  parole,  et  je  n'ai  point  de  parole  pour  exprimer 
celte  voix,  ni  de  voix  pourfendre  cette  parole.  J'ai  vu,  j'ai  en- 
tendu, j'ai  compris  ;  j'essaierais  eu  vain  de  le  rappeler,  je  ne 
le  pourrais  pas.  C'était  plus  fort,  plus  tendre,  plus  sensible, 
plus  doux,  plus  péuible,  j  lus  douloureux,  plus  intelligible, 
plus  saisissant  pour  moi  que  toutes  choses  au  monde.  C'est 
aujourd'hui  si.  profondément  gravé  dans  mon  cœur  que  je  ne 


Mai  18:3.1  BIBLIOGRAPHIE.  A03 

puis  même  l'extériorer  par  écrit  ou  par  parole.  0  Jésus  en 
croix,  salut  de  mon  âme  !  0  Croix  de  Jésus,  salut  du  monde  ! 
0  Jésus  en  croix.  Dieu  mort  pour  mes  péchés  !  0  Croix  de  Ji'sus, 
délivrance  de  mes  iniquités  !  0  Jésus  en  croix,  réparateur  de 
l'injure  faite  à  Dieu  !  0  Croix  de  Jésus,  témoin  éclatant  et  glo- 
rieux du  pardon  de  Dieu  le  Père  !  0  Jésus  en  croix,  libérateur 
du  genre  humain  !  0  Croix  de  Jésus,  bouclier  contre  Satan,  le 
monde  et  les  passions!  0  Jésus  en  croix,  félicité  dans  nos 
souffrances  et  nos  peines!  0  Croix  de  Jésus,  arc-en-ciel  de  la 
miséricorde  de  Dieu  !  0  Jésus  en  croix,  ce  sont  mes  péchés  qui 
vous  ont  fait  mourir  !  0  Croix  de  Jésus,  cesont  mes  péchés  qui 
vous  ont  rougie  du  sang  de  mon  Sauveur  !  0  Jésus  en  croix 
que  je  sois  à  jamais  près  de  vous,  avec  vous,  en  vous  !  0  Croix 
de  Jésus,  que  je  vous  embrasse  à  jamais  et  meure  en  vous 
pressant  sur  mon  cœur  !  »  (Tome  III,  p.  227.) 

Ce  serait  fatiguer  le  lecteur  que  de  vouloir  le  conduire  à 
travers  les  nombreuses  questions  développées  dans  le  livre  de 
Marie  Lataste.  Nous  l'avons  dit,  c'est  un  vrai  traité  de  Théolo- 
gie dogmatique,  morale,  affective  et  mystique.  Les  points  les 
plus  ardus  sont  abordés  avec  la  même  faciUté  que  les  plus 
obvies,  et,  à  l'exception  de  quelques  passages  où  l'expression 
manque  de  clarté,  il  y  a  partout  une  précision,  un  bonheur 
surprenants.  Les  dogmes  de  la  Trinité,  de  l'Incarnation,  de  la 
Rédeaiption,  de  la  prédestination  et  de  la  grâce,  sont  parcou- 
rus d'un  pas  facile  et  exposés  avec  sûreté.  Les  mystères  dou- 
loureux ou  glorieux  de  la  sainte  Yierge  forment  un  livre  en- 
tier qui  n'est  pas  le  moins  remarquable. 

J'espère  qu'on  me  pardonnera  une  seconde  citation  à  ce 
sujet,  à  cause  de  son  importance,  j'oserai  dire,  de  son  actua- 
lité. Qu'on  n'oubhe  pas  que  cette  page  a  été  écrite  par  noire 
pieuse  paysanne  en  4842,  quatre  ans  avant  le  pontificat  de 
Pie  IX,  douze  ans  avant  la  proclamation  du  dogme  de  ilmma- 
cnlée-Gonception. 

«  Un  jour  de  fête  de  l'Immaculée-Couception,  j'étais  venue 


494  BIBLIOGRAPHIE.  |Tome  MI. 

prier  devant  l'autel  de.Marie,  longtemps  avant  la  célébratiou 
de  la  sainte  Messe...  J'avais  eu  le  bonheur  de  faire  la  sainte 
Communion.  Quand  Jésus  fut  dans  mon  cœur,  il  me  dit:  a  Ma 
fille,  vos  hommages  ont  été  agréés  par  ma  Mère,  ils  ont  été 
aussi  agréés  par  moi.  Je  veux  vous  remercier  et  récompenser 
votre  piété  par  une  nouvelle  qui  vous  sera  agréable.  Le  jour 
va  venir  où  le  ciel  et  la  terre  se  concerteront  ensemble  pour 
rendre  à  ma  Mère  l'honneur  qui  lui  est  dû  dans  la  plus  belle 
de  ses  prérogatives.  Le  péché  n'a  jamais  été  ea  Marie  et  sa 
conception  a  été  pure,  sans  tache,  comme  le  reste  de  sa  vie. 
Je  veux  que  sur  la  terre  cette  vérité  soit  proclamée  et  reconnue 
par  tous  les  chrétiens.  Je  me  suis  choisi  un  pontife  et  j'ai 
soufflé  dans  son  cœur  cette  résolution.  Il  sera  dominé  par  cette 
pensée  pendant  tout  le  temps  de  son  pontificat.  11  réunira  les 
évêques  du  monde  pour  entendre  leurs  voix  proclamer  Marie 
Immaculée  dans  sa  Conception.  Toutes  les  voix  des  évêques 
se  réuniront  dans  sa  voix,  et  sa  voix,  proclamant  la  croyance 
des  autres  voix,  retentira  dans  le  monde  entier.  Alors  sur  la 
terre  rien  ne  manquera  à  l'honneur  de  ma  Mère.  Les  puis- 
sances infernales  et  leurs  suppôts  s'élèveront  contre  cette 
gloire  de  Marie,  mais  Dieu  la  soutiendra  de  sa  force,  et  les 
puissances  infernales  rentreront  dans  les  abîmes  avec  leurs 
suppôts.  Ma  mère  apparaîtra  au  monde  sur  un  piédestal 
solide  et  inébranlable.  Ses  pieds  seront  de  l'or  le  plus  pur, 
ses  mains  comme  de  la  cire  blanche  fondue,  son  visage  comme 
un  soleil,  son  cœur  comme  une  fournaise  ardeute.  Une  épée 
sortira  de  sa  bouche  et  renversera  tous  ses  ennemis,  et  les  en- 
nemis de  ceux  qui  Faiment  et  l'ont  proclamée  sans  tache. 

«...  Or  l'affliction  viendra  sur  la  terre,  l'oppression  régnera 
dans  la  cité  que  j'aime  et  où  j'ai  laissé  mon  cœur.  Elle  sera 
dans  la  tristesse  et  la  désolation,  elle  sera  environnée  d'enne- 
mis de  tous  côtés  comme  un  oiseau  pris  dans  les  filets.  Cette 
cité  paraîtra  [succomber  pendant  trois  ans.  Mais  ma  Mère 
descendra  dans  cette  cité  ;  elle  prendra  les  mains  du  vieillard 


Mai  1863.]  BIBLIOGRAPHIE.  495 

qui  siège  sur  un  trône,  et  lui  dira:  «  Voici  l'heure,  lève-toi. 
et  Regarde  tes  ennemis,  je  les  fais  disparaître  les  uns  après  les 
«  autres,  et  ils  disparaissent  pour  toujours.  Tu  m'as  rendu 
«  gloire  au  ciel  et  sur  la  terre.  Je  veux  te  rendre  gloire  au  ciel 
a  et  sur  la  terre.  Vois  les  hommes  :  ils  sont  en  vénération  dé- 
fi vaut  ton  nom,  en  vénération  devant  ton  courage,  en  véné- 
a  ration  devant  ta  puissance.  Tu  vivras,  et  je  vivrai  avec  toi. 
a  Vieillard,  sèche  tes  larmes,  je  te  bénis.  »  (Tome  II,  p.  125.) 
Si  l'on  ne  veut  pas  trouver  dans  ce  morceau  une  prophétie, 
on  conviendra  du  moins  qu'il  présente  des  coïncidences  singu- 
lières avec  les  événements  accomplis  dans  les  dernières  années. 
On  pourra  rapprocher  de  ces  lignes  la  lettre  datée  du  village 
de  Mimbaste,  le  12  décembre  1843,  dans  laquelle  Marie  ra- 
conte commentle  Sauveur  lui  a  annoncé  qu'elle  mourrait  avant 
d'avoir  achevé  sa  vingt-sixième  année,  ce  qui  s'est  vérifié  :  et 
on  se  demandera  si  un  fait  aussi  marquant  n'atteste  pas  des 
communications  réelles  avec  le  Seigneur. 

Il  y  a  pourtant,  disons-le  aussi,  des  entretiens  sur  beaucoup 
de  questions  qu'une  instruction  chrétienne  ordinaire  pouvait 
parfaitement  concevoir.  Il  y  en  a  d'autres  dans  lesquels  la  mo- 
destie de  l'auteur  nous  parait  un  peu  violentée.  Ainsi,  lorsque 
Marie  entend  le  Seigneur  lui  dire  que  ses  écrits  jetteront  un 
vif  éclat  dans  le  monde,  que  sa  mort  mettra  en  fuite  le  démon, 
etc.,  ne  serait-on  pas  autorisé  à  supposer  qu'ici  l'illusion  a 
seule  eu  sa  place,  et  si  Ton  admet  que  les  âmes  les  plus  favo- 
risées de  visions  célestes  ont  mêlé  leurs  propres  imaginations 
aux  inspirations  qu'elles  recevaient,  ne  serait-ce  pas  le  cas 
d'appliquer  ce  principe  à  Marie  Lataste? 

Du  reste,  nous  ne  cessons  de  le  penser,  pour  juger  com- 
plètement du  fond  de  ces  écrits,  il  faut  les  lire.  Autant  leurs 
partisans  zélés  nous  reprocheraient  de  les  amoindrir  par  une 
analyse,  autant  ceux  qui  voudront  en  exclure  le  surnaturel 
nous  blâmeraient  de  ne  pas  en  montrer  assez  le  côté  humain. 

Tout  ce  que  nous  avons  essayé  d'en  dire,  a  pour  but  unique 


■4'.;  6  BIBLIOGRAPHIE.  [Toa.c  VIL 

de  signaler  l'ouvrage  comme  tiès-remarquable,  et  d'une  lec- 
ture attrayante  pour  les  âmes  solidement  pieuses. 

Si  l'éditeur  voulait  nous  autoriser,  en  finissant,  à  lui  présen- 
ter deux  observations  sur  son  travail,  nous  rengagerions  1°  à 
refondre  son  premier  volume  ou  Vie  de  Marie  Lataste,  qui  ne 
contient  guère  que  des  extraits  de  la  corresponJauce  impri- 
mée dans  le  troisième.  Quoiqu'il  ait  cherché  daus  sa  préface 
à  expliquer  ces  redites,  elles  n'en  sont  pas  moins  fâcheuses,  et 
elles  ôteut  à  ce  premier  volume  une  grande  partie  de  son  uti- 
lité. Ne  valait-il  pas  mieux  commencer  par  une  solide  intro- 
duction sur  la  nature  et  les  caractères  des  révélations  privées, 
pour  laquelle  il  se  serait  aidé  même  des  notes  qu'il  a  placées 
en  appendice,  et  ajouter  ensuite  une  vie  de  Marie  Lataste  plus 
abrégée  dans  ses  détails  et  écrite  d'un  seul  jet,  sans  cette  sur- 
charge de  cilatioDS  textuelles  qui  coupent  le  récit,  et  ont  l'in- 
convénient réel  d'enlever  l'intérêt?  2°  Ce  même  volume  se 
terminerait  par  des  notes  établissant  l'authenticité  des  écrits 
de  Marie  Lataste.  Il  suffit  que  l'éditeur  avoue  avoir  retouché 
le  style  en  quelque  point,  pour  qu'un  lecteur  soupçonneux  se 
demande  si  l'on  n'a  pas  fait  des  corrections  plus  importantes 
sur  le  fond.  Un  mot  changé  habilement  substitue  une  vérité 
de  fol  à  une  hérésie  formelle  :  il  faut  que  des  attestations  de 
personnes  connues  fassent  disparaitre  tout  doute  sur  ce  point. 

Nous  ne  doutons  pas,  d'ailleurs,  qu'il  ne  soit  facile  à  M.  l'abbé 
Darbins  de  mettre  à  profit  des  réflexions  que  d'autres  lui  au- 
ront peut-être  déjà  suggérées,  car  le  succès  mérité  de  sa  pu- 
blication amèuera  bientôt  une  édition  nouvelle.  Nous  sommes 
prêt  à  la  bien  accueillir. 

Jules  Bonhomme. 


\ 


Mai  1803.)  BIBLIOGHAPUIE.  /<97 


MANUALE  TOTIUS  JURIS  CANONICI,  auctore  D.   Craisson.   T.  i  et  il. 
In-B  de  xiv-659-696  pp.  Paris,  V.  Palmé. 


Le  droit  canon  est  l'ensemble  des  lois  qui  régissent  l'Église. 
Celle  définition  nous  montre  Tiraportance  des  études  cano- 
niques. Le  bien  de  toute  société  demande  que  les  lois  qui  la 
gouvernent  soient  connues  et  pratiquées.  L'observation  des 
lois  est  le  grand  hommage  dû  h  l'autorilé,  et  le  respect  de 
l'autorité  est  la  seule  base  de  toute  société.  Entre  le  droit 
canonique  et  les  autres  branches  de  la  théologie,  il  y  a  de  très 
grandes  relations.  No7i  dubito  pronunciare  indignum  theologi 
nomine  qui  jus  canonicum  ignoret.  Est  enimjus  canonicum  por- 
tio  quxdam  theologix,  dit  Pignatelli.  (L  consult.  can.  14.) 

Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  l'étude  du  droit  canonique 
ail  occupé  une  large  place  dans  l'admirable  travail  de  réno- 
vation catholique  qui  s'opère  de  nos  jours  et  sous  nos  yeux 
dans  notre  pays. 

Mais,  en  cette  étude^  comme  du  reste  en  toutes  les  autres, 
et  peut-être  même  plus  qu'en  toutes  les  autres,  il  a  dû  se  pro- 
duire des  nuances.  Mettez  les  intelligences  en  face  de  la  vérité  : 
les  unes  la  saisiront  avec  bonheur  dans  sa  plénitude,  les 
autres  la  nieront  ou  ne  l'accepteront  que  dans  une  certaine 
proportion. 

Parmi  les  bons  ouvrages  qui  ont  paru  en  France  depuis 
quelques  années,  mettons  en  premier  lieu  ceux  de  M.  Bouix. 
L'honneur  d'écrite  dans  cette  Revue  ne  doit  pas  nous  priver 
du  bonheur  de  dire  que  c'est  lui  qui  a  donné  une  impulsion 
décisive  aux  études  canoniques  et  qui  nous  a  familiarisés  avec 
les  sainesdoctrines.  Le  succès  de  ses  livres,  qui  se  sont  répandus 
dans  toute  l'Europe,  qui  sont  cités  sans  cesse  par  les  canonistes, 
même  étrangers,  en  dit  plus  que  tous  les  éloges.  Les  Institu- 
tionesjuris  canonici,  auctore  R.  de  M.,  2  vol.  in-8  (Lecofïre),  sont 
un  résumé  assez  estimable,  au  moins  pour  le  fond.  Le  Juris 


498  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VIL 

canonici  univet^si  compendium  de  M.  Maupied,  éJité  par 
M.  Migne,  qui  s'inspire  des  deux  productions  précédentes  ou 
s'en  rapproche  beaucoup,  doit  être  cité  avec  elles.  Qu'il  soit 
bien  entendu  cependant  que  nous  ne  voulons  pas  approuver 
ce  livre  dans  tous  ses  détails.  Avec  ces  cours  généraux,  il 
faut  indiquer  l'Exposition  des  principes  du  droit  canonique  de 
S.  E.  le  cardinal  Gousset  (Lecoffre),  et  le  Traité  des  peines 
ecclésiastiques  et  de  l'Appel  de  M.  Stremler  (  Poussielgue- 
Rusand),  qui,  pour  n'embrasser  qu'une  partie  du  droit  cano- 
nique, n'en  sont  pas  moins  remplis  d'une  excellente  doctrine. 
Malheureusement,  ces  bonnes  tendances  ne  sont  pas  tout-à- 
fait  générales  :  le  déplorable  esprit  gallican  vit  toujours,  sur- 
tout dans  la  pratique,  et  dans  les  questions  de  détail.  On  con- 
sent à  regarder  le  Souverain-Pontife  comme  le  chef  de  l'É- 
glise universelle,  mais  à  condition  de  paralyser  par  tous  les 
moyens  possibles  l'exercice  de  son  pouvoir.  C'est  l'esprit  qui 
animait  un  livre  publié  il  y  a  quelques  années,  livre  petit 
par  le  format,  mais  considérable  par  la  portée,  où  les  auteurs, 
car  ils  étaient  plusieurs,  se  plaignaient  de  cette  exagération 
qui  est  la  plaie  universelle  de  notre  époque;  c'est  là  aussi,  pour 
le  dire  en  passant,  l'explication  de  l'emploi  si  fréquent  de  ce 
mol,  en  France,  depuis  trente  ans.  Ces  auteurs  prétendaient 
que,  sans  sortir  des  bornes  du  respect  et  de  l'obéissance, 
les  évèques  peuvent,  en  certains  cas,  résister  au  Saint-Siège; 
que  l'Église  de  France  a  renoué  ses  coutumes  interrompues 
par  la  Bulle  Qui  Christi  Domini  de  Pie  VII,  etc.  Tous  les 
théologiens  d'une  certaine  nuance  auraient  signé  des  deux 
mains  cet  écrit  qu'ils  acclamaient.  Notre  Saint-Père  le  Pape 
le  fit  mettre  à  l'index,  après  l'avoir  flétri  en  ces  termes  dans 
une  Encyclique  adressée  aux  évèques  de  France  :  «  Hic  autem 
haud  possumus,  quin  vobis  exprimamus  summum  dolorem 
quo  affecti  fuimus,  ubi  iuter  alla  improba  scripta  istic  viilgata 
nuper  ad  Nos  pervenit  libellus  gallica  lingua  exaratus  ac  Pari- 
siensibus  typis  editus  et  inscriptus  :  Sur  la  situation  présente 


Mai  1803.1  BIBLIOGRAPHIE.  499 

de  l'Église  gallicane  relativement  au  droit  coutumier,  cujus 
auctor  iis  plane  adversatnr,  quœ  vohis  tantopere  commen- 
damus  alque  inculcamus.  Quem  libellnm  Nostrse  Indicis  Con- 
gregalioni  leprobandura  et  damnandum  commisimus.  »  (Enc. 
Inter  multipliées,  XXI  martii  MDCCCLIII.) 

Après  cet  acte  mémorable,  il  n'éfait  plus  possible  d'ensei- 
gner oiiverlement  des  doctrines  ainsi  réprouvées.  Toutefois, 
nous  avons  le  regret  de  le  dire,  certains  auteurs,  même  très- 
répandus,  ne  s'en  sont  point  éloignés  autant  qu'ils  l'auraient 
dû.  On  trouve  trop  souvent  cbez  eux  une  doctrine  opposée  aux 
vrais  principes  du  droit. 

Nous  avons  sous  les  yeux  les  deux  premiers  volumes  d'un 
Manuale  totius  juris  canonici  qui  doit  en  avoir  quatre.  Les  deux 
derniers  volumes  seront  incessamment  publiés.  L'auteur  de  ce 
livre  est  M.  l'abbé  Craisson,  ancien  vicaire  général  de  Valence 
Annoncé  comme  sincèrement  romain  et  comme  examiné  et 
loué  à  Rome  par  MM.  de  Angelis  et  Houcetti,  professeurs  de 
droit  canonique  dans  cette  ville,  l'opinion  publique  le  classait 
d'avance  dans  la  catégorie  des  bons  ouvrages  canoniques. 
Rien,  à  la  lecture,  ne  vient  faire  modifier  ce  jugement. 

Le  respectable  auteur  nous  apprend  dans  sa  préface,  que, 
cédant  aux  conseils  d'un  ami,  il  a  voulu  faire  un  livre  qui  pût 
contribuer  à  rétablir  parmi  nous  l'exacte  observance  des  règles 
ecclésiastiques.  In  Gallia  enim,  potius  quam  in  plerisque  orbis 
christiani  regionibus,  opus  hujusmodi  desiderata  videtur,  quippe 
apud  nos,  duobus  ultimis  sxculis,  prxvaluerant  doctrinx  vera 
omnis  juris ecclesiastici  fundamentaconvellentes  (p.  vi).  Un  trop 
grand  iiombïe  d'esprits,  en  effet,  se  persuadaient  que  les  prescri- 
ptions du  Saint-Siège  ne  sont  obligatoires  qu'après  leur  réce- 
ption par  les  évoques,  qui  ont,  disaient-ils,  le  pouvoir  de  les 
examiner,  et  même  de  ne  pas  les  admettre.  De  là  vient  la  for- 
mule si  souvent  et  si  volontiers  employée  :  In  Gallia  non  admit- 
titur. Sans  doute,  il  faut  admettre  l'autorité  delà  coutume,  mais 
quand  cette  coutume  est  revêtue  des  conditions  légitimes.  Entre 


BOO  BIBLIOGRAPHIE.  ITomeVII. 

autres  conditions,  il  faut  que  la  coutume  soit  raisonnable  et  mu- 
nie du  consentement  au  moins  tacite  ou  légal  du  supérieur. 
Or,  comme  de  droit  divin  le  Pontife  romain  a  plein  pouvoir  de 
régir  l'Église,  il  ne  peut  s'établir  aucune  coutume  prescrivant 
contre  l'obéissance  qui  sera  toujours  due  au  Chef  de  l'Église, 
et  ce  Chef  ne  consent  jamais,  ne  peut  jamais  consentir,  à  un 
tel  usage  qui  dérogerait  au  droit  divin,  car  il  ne  peut  chan- 
ger la  condition  que  Dieu  a  faite  à  l'Eglise.  Ex  his  lecto7njam 
clare  pei'spicere  licel  quod  puris  Ecclesïx  Romanx  principiis  to- 
tum  hoc  manuale  sit  innixum  (p.  yiii).  Nous  ne  concevons  pas  sur 
quel  autre  fondement  on  pourrait  établir  le  droit  canonique.  Il 
n'est  que  l'ensemble  des  lois  qui  régissent  l'Église,  et  l'Église 
est  essentiellement  romaine,  c'est-à-dire,  soumise  à  l'évêque 
de  Rome  qui  est  l'Évêque  des  évêques  ;  hors  de  son  autorité,  on 
n'aurait  plus  d'unité,  plus  de  droit  obligeant  tout  le  monde, 
mais' seulement  des  lois  particulières.  Et  hœc  est  causa  cur  in 
Gallia  scientia  juris canonici  tamneglecfaac  fere  omnino  prxter- 
missa  fuerit  ultimo  sxculo  (p.  ix). 

A  tantis  aberrationibus  féliciter  eductus,  saltem  ex  maxima  sut 
parte,  clerus  Gallicunus  veritatem  hodie  perquirit  (p.  ix).  M. 
Craisson  énumère  ensuite  les  principaux  traités  de  droit  cano- 
nique. Parmi  ces  ouvrages,  on  n'omet  pas  de  parler  de  M. 
Bouix,  comme  l'a  fait,  par  oubli  sans  doute,  le  Cours  de  Saint- 
Sulpice  imprimé  pourtant  en  l8o9.  Le  vénérable  auteur  ter- 
mine en  disant  qu'il  a  écrit  pour  les  prêtres  employés  dans  le 
saint  ministère  et  pour  les  élèves  des  séminaires.  Enfin  il  donne 
le  texte  des  pièces  émanées  de  Rome  et  relatives  à  son  travail 
(  p.  xii,  et  suiv.). 

Le  premier  volume  s'ouvre  par  les  prolégomènes  ;  puis  il  traite 
des  personnes,  depuis  le  Souverain- Pontife  jusqu'au  vicaire 
capitulaire.  Dans  la  dissertation  première  :  de  hierarchia  juridi- 
ctionis  in  génère,  il  se  trouve,  ce  nous  semble,  des  détails  qu'on 
aurait  pu  indii]uer  brièvement  en  cet  endroit  et  placer  plus 
opportunément  au  chapitre  des  bénéfices.  Nous  aurions  vu  avec 


Mai  1S63.!  BIBLIOGRAPHIE.  SOI 

plaisir  accentuer  un  peu  plus  et  prouver  plus  fortement  certaines 
assertions.  Quand  ou  connaît  les  grands  auteurs  et  qu'on  lit 
M.  Craisson,  on  retrouve  bien  eu  général  le  même  enseignement, 
les  mêmes  conclusions,  mais  pas  toujours  la  même  vigueur 
de  démonstration.  On  est  trop  souvent  renvoyé  à  quelques 
abrégés  modernes  dont  l'un  même  a  été  mis  à  l'Index  ;  il  est  vrai 
que  ce  dernier  est  cité  ad  majus  robur,  ainsi  que  l'auteur  le  fait 
remarquer.  Mais  ce  résultat,  quand  même  on  l'obtiendrait,  ne 
nous  paraît  pas  l'emporter  sur  l'inconvénient  de  pareilles  cita- 
tions. Nous  trouvons  aussi  dans  ces  pages  un  goût  de  terroir  trop  . 
prononcé.  L'estimable  auteur  nous  semble  tenir  trop  compte 
des  sentiments  erronés  qui  ont  eu  cours  autrefois  parmi  nous. 
Il  nous  eût  paru  plus  décisif  et  plus  selon  la  convenance  de 
donner  la  doctrine,  et  ensuite  d'écarter  par  voie  de  conclu- 
sion les  sentiments  opposés  en  s'y  arrêtant  moins.  Les  cita- 
tions tirées  des  statuts  de  Valence  auraient  pu  être  supprimées 
dans  un  ouvrage  de  ce  genre.  Nous  en  disons  autant  de  celles 
du  concile  d'Avignon;  il  est  vrai  que  M.  Craisson  a  voulu  in- 
téresser davantage  à  la  lecture  de  son  travail  le  clergé  du 
diocèse  et  de  la  province  où  il  écrit. 

L'estimable  auteur  nous  permettra  de  faire  quelques  re- 
marques particulières  sur  différents  points  de  détail  :  c'est  la 
meilleure  manière  de  prouver  l'intérêt  que  nous  portons  à 
son  livre.  T.  i,  p.  627,  M.  Craisson,  parlant  de  la  coutume  de 
nommer  plusieurs  vicaires  capitulaires,  dit  qu'il  est  probable 
qu'elle  n'est  pas  réprouvée.  Pour  l'établir,  il  s'appuie  sur  les 
conciles  provinciaux  dans  lesquels  la  Congrégation  du  Concile, 
en  les  revoyant,  a  laissé  subsister  des  passages  qui  mainte- 
naient celte  coutume.  Comme  confirmatur,  il  renvoie  au  pas- 
sage où  l'auteur  des  Prxlectiones  S.  Sulpitii  fait  le  même  faux 
raisonnement.  Nous  disons  faux  raisonnement,  car  il  n'est  pa.s> 
un  simple  bachelier  en  droit  qui  ne  sache  que  la  recognïtioào.^. 
conciles  provinciaux  ne  valide  pas  ce  qui  est  contre  le  droit 
et  surtout  contre  le  saint  Concile  de  Trente.  (Cfr.  Ben.  xiv,  de 


502  BIBLIOGRAPHIE.  tTomo  VII. 

Syn.  1.  XIII,  c.  V,  n.  ii, — et  en  outre  Fagnan,  Suarez,  Garcias, 
Barbosa,  Pirhing,  Reiffenstuel,  le  C.  Petra,  Pignatelli,  Gon- 
zalez, Wiestner,  etc.,  etc.)  Nous  ne  savons  comment  expli- 
quer une  telle  confusion  dans  un  auteur  instruit  et  bien  pen- 
sant. Naguère  encore  nous  avons  vu  cette  même  erreur  prê- 
chée  à  tous  les  chapitres  de  France  par  un  journal  sans  auto- 
rité, qui  soutient  avec  une  confiance  déplorable  les  thèses  les 
plus  hasardeuses.  L'erreur  de  M.  Craisson  en  cet  endroit  nous 
semble  d'autant  plus  inconcevable  qu'à  la  page  4-9  il  distingue 
très- bien  les  diverses  approbations,  la  commune  et  la  spéci- 
fique, en  indiquant  les  efifets  qu'elles  produisent. 

L'interprétation  desclauses  de  la  Bulle  de  Pie  VII  Qui  ckristi 
Domini,  ne  nous  paraît  pas  assez  fondée.  Nous  croyons  qu'aux 
termes  de  cet  acte  si  grave,  toutes  les  coutumes  même  immé- 
moriales :  non  obstantibus...  consuetudinibus  etiamimmemoriali- 
èus,,out  été  éteintes  à  perpétuité,  et  que  l'Eglise  de  France, 
c'est-à-dire  le  clergé  et  les  fidèles,  a  été  par  là-même  placée 
sous  l'empire  du  droit  commun  qui  oblige  in  actu  primo  l'Église 
universelle,  urgeant  aussitôt  que  les  exemptions  et  privilèges 
qui  suspendaient  son  action  en  quelque  contrée  sont  enlevés. 
D'après  sa  doctrine,  M.  Craisson  pense,  par  exemple,  que  la 
communion  à  la  messe  de  minuit  de  la  fête  de  Noël  ne  serait 
pas  défendue  en  France;  or,  en  divers  diocèses,  cette  commu- 
nion a  été  permise  par  un  induit,  comme  une  grâce  spéciale. 

Comme  on  demande  beaucoup  à  qui  peut  donner  beaucoup, 
nous  aurions  désiré  que  le  vénérable  auteur  ajoutât  en  divers 
lieux  des  détails  qui  auraient  complété  son  œuvre.  A  propos  de 
la  Sacrée  Congrégation  des  Rites,  par  exemple,  il  eût  été 
bon  de  donner  l'explication  des  principaux  termes  qu'elle 
émploiedans  sesréponses:  Négative  et  amplius,  dilata,  ad  men- 
tem,  etc.,  etc.  Avec  cette  légère  addition,  le  travail  sur  ce  point 
eût  paru  complet,  car  M.  Craisson  y  a  inséré  plusieurs  dé- 
crets d'une  incontestable  utilité. 

Toutes  les  réponses  données  par  la  S.  Congrégation  ont  la 


Mai  1863.]  BIBLIOGRAPHIE.  503 

même  autorité  que  si  elles  émanaient  immédiatement  de  Sa 
Sainteté,  quoiqu'on  ne  lui  en  ait  fait  aucune  relation.  L'impor- 
tance de  cette  décision,  qui  a  été  approuvée  par  Pie  IX,  ne 
peut  échapper  à  personne.  — L'ordinaire  est  strictement  obligé 
de  pourvoir  à  ce  que  les  rubriques  et  les  décrets  de  la  S.  Con- 
grégation soient  fidèlement  exécutés  (S.  R.  C,  17  sept.  1822). 
La  Sacrée  Congrégation  est  bien  éloignée.  Chargée  de  veiller 
à  la  pureté  des  saintes  cérémonies,  que  l'arbitraire  et  l'esprit 
particulier  voudraient  sans  cesse  altérer,  elle  associe  à  sa  solli- 
citude tous  les  évêqueset  leur  fait  un  devoir  strict  de  pourvoir 
à  leur  fidèle  pratique.  Le  culte  de  Dieu  étant  une  très-grande 
chose,  rien  n'est  petit  dans  ce  qui  le  constitue,  et  un  évêque 
ne  déchoit  pas  lorsqu'il  s'occupe  de  détails  qui  ont,  dans  tous 
les  temps,  .fixé  l'attention  des  Souverains-Pontifes,  des  cardi- 
naux, des  saints  et  des  savants.  Cette  charge  pourtant  ne  va 
pas  jusqu'à  rendre  les  ordinaires  juges  en  matière  de  liturgie  : 
0  An  prxlati,  archiepiscopi  et  episcopi  possint  esse  judices  ad 
declaranda  dubia  super  sacris  ritibus et cxremoniis ? —  Négative. 
(in  Visen.  1603.)  La  sainte  Liturgie  est,  en  effet,  une  cause 
majeure  entièrement  réservée  au  Saint-Siège.  Et  pour  expli- 
quer un  décret  déjà  si  clair,la  même  Congrégation  a  donné  cette 
autre  réponse  qui  devrait  être  publiée  partout  dans  nos  églises  : 
((  An  Pontificalis,  Cseremomalis  Episcoporum,  Martyrologii  et 
Ritualis  Romani  prxceptivas  régulas  ^tolérante  nempe  ant  permit- 
tente  autetiam  quidpiam  aliter  statuente  RR.  Episcopo,  canonici 
aliive  sacerdotes  possint,  ill^ïisa  consgientia,  infringere  aut  omit- 
tere,  atque  Reverendissimi  Episcopi  voluntas,  his  in  casibus,  sit 
pro  ipsis  sufficiens  dispensatio?  —  Négative  et  amplius.  (10  janv. 
1832.) 

Il  y  aurait,  enfin,  d'utiles  réflexions  à  faire  sur  la  question  de 
l'administration  des  séminaires  soit  au  spirituel,  soit  au  tempo- 
rel. Ce  qui  est  hors  de  doute,  c'est  que  cette  administration, 
telle  qu'elle  se  pratique  depuis  hmgtemps  en  France,  n'est  pas 
selon  le  droit  canonique.  Ce  qui  est  encore  plus  évident  pour 


504i  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VU. 

nous,  c'est  que  le  retour  au  droit  sur  ce  point  particulier  aurait 
les  plus  grands  avantages.  Nous  dirons  donc  avec  M.  Craisson  : 
Optandum  summopere  est,  utapud  nos  sicutapud  alios...  accurate 
obsercentur .  Il  y  aura  toujours  un  plus  grand  bien  à  régir  les 
séminaires  selon  l'esprit  qui  les  a  conçus.  D'ailleurs,  nous 
sommes  convaincu  qu'on  ne  prescrit  contre  le  S.  Concile  de 
Trente,  que  pour  les  cas  où  la  S.  Congrégation  du  Concile  dit 
qu'on  l'a  fait  ou  qu'on  le  peut  faire.  Que  de  points  encore  sur 
lesquels  un  retour  à  la  pratique  des  saints  canons  serait 
désirable  ! 

Le  tome  II  du  Manuale  va,  en  696  pages,  du  n.  1287  au 
u.  3351 .  Ce  fait  saul  laisse  contrevoir  que  cet  ouvrage  est 
haché  en  trop  de  numéros.  Dans  ce  nouveau  volume,  M.  Craisson 
parle  des  curés,  des  chapelains,  des  confesseurs,  des  ordres, 
des  irrégularités,  des  universités,  des  chapitres,  des  religieux. 
Les  pouvoirs  et  les  obligations  des  curés  sont  bien  définis,  le 
catalogue  des  cas  réservés  au  Souverain-Pontife,  catalogue  si 
souvent  méconnu,  est  tracé  d'après  l'enseignement  des  bons 
canonistes.  A  la  page  624  finit  le  livre  premier  de  Personis  et 
commence  le  livre  second  de  Rébus  ecclesiasticis.  Cette  combi- 
naison ne  nous  semble  pas  heureuse  :  il  eût  été  bien  préfé- 
rable de  commencer  le  livre  second  avec  le  tome  111. 

Nous  répéterons  ce  que  nous  avons  déjà  dit  à  propos  du 
premier  volume  :  M.  Craisson  désire  évidemment  exposer  le 
droit  dans  toute  sa  pureté,  mais  on  voit  se  trahir  chez  lui  sur 
quelques  points  un  certain  faible  pour  les  anciens  sentiments 
du  pays;  il  ne  donne  pas  aux  assertions  exactes  la  vigueur  de 
preuves  dont  elles  sont  susceptibles.  Au  n.  3226,  il  suppose  que 
l'élole  n'est  d'obligation  dans  l'administration  du  Sacrement 
de  Pénitence  que  là  oiî  l'exige  le  temps  ou  la  coutume  :  ce  qui 
n'est  pas  le  sens  du  Rituel,  ce  qui  n'est  pas  la  doctrine  de  la 
S.  C.  des  Rites.  Au  n.  3228,  après  avoir  cité  une  décision  de  la 
même  Congrégation  touchant  l'usage  de  la  calotte  quand  il 
'agit  de  porter  le  saint  Viatique,  M.  Craisson  ajoute:  P.  Gury 


M3i  4863.]  BIBLIOGRAPHIE.  SOj 

tamen  absolute  dicit,  et  surrautorité  du  P.  Gury,  il  apporte  un 
sentiment  différent.  Cette  manière  de  raisonner  nous  paraît 
donner  prise  à  bien  des  difficultés.  Ce  n'est  pas  le  seul  cas  où 
le  R.  P.  Gury,  excellent  moraliste,  fournit  occasion  de  re- 
marquer que  les  casuistes  ne  sont  pas  toujours  irréprochables 
liturgistes. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  points  ou  autres  semblables,  le 
Manuel  dont  nous  entretenons  nos  lecteurs  est  un  bon  livre. 
C'est  pour  cola  que  nous  nous  y  arrêtons  si  longuement.  Le 
désir  que  nous  avons  de  le  voir  devenir  plus  parfait  et  plus 
utile  nous  encourage  à  faire  encore  quelques  observations  qui 
pourront  servir  lorsqu'une  nouvelle  édition  deviendra  néces- 
saire. Ces  remarques  portent  sur  la  forme.  Ne  serait-il  pas 
'préférable  que  tous  ces  quseritur  si  fréquents  ne  vinssent  pas 
couper  à  cbaque  instant  la  lecture,  et  que  la  doctrine  du  livre 
se  déroulât  d'une  manière  suivie  par  une  exposition  non 
interrompue?  N'y  a-t-il  pas  un  peu  trop  de  citations  peu  im- 
portantes et  qui,  ne  se  fondant  pas  assez  dans  le  texte,  nuisent 
à  la  marche  générale  ?  On  pourrait  en  rejeter  un  bon  nombre 
dans  les  notes.  Enfin  les  objections  devraient  èti-e  présentées 
et  résolues  en  moins  de  phrases  et  en  traits  plus  accentués. 

Nous  regrettons  de  voir  çà  et  là  des  locutions  peu  latines  ou 
même  défectueuses  (v.  g.  praef.,  1.  5  î-eyerea^wr  employé  dans  le 
sens  passif,  ces  fréquents  doctor  in  jui^e  etc.,  etc.),  et  des 
fautes  d'impression  qui  déparent  une  exécution  typographique 
d'ailleurs  excellente.  Enfin  nous  aurions  été  heureux  de  voir  le 
style  bril  1er  généralement  par  un  caractère  de  meilleure  latinité . 

Toutes  ces  petites  réserves  faites,  nous  applaudissons  à  l'ap- 
parition de  cet  ouvrage  conçu  dans  un  bon  esprit.  Nous  dé- 
sirous  qu'il  serve  à  amener  l'unité  dans  l'étude,  l'amour  et 
l'application  du  droit  canonique,  car  nous  souffrons  outre  me- 
sure de  voir  en  combien  de  manières,  par  combien  de  procédés 
divers,  par  quelles  erreurs  enfin  la  loi  universelle  de  l'Église. 
catholique  est  encore  combattue  par  quelques-uns. — H.  Girard. 


LA  LITTÉRATURE  THÉOLOGIQUE  EN  ALLEMAGNE 

Pendant    l'année    1S69. 

CORRESPONDANCE. 


Après  avoir  caractérisé  brièvement  nosRevues  théologiques  (1),  je  vais 
maintenant  tenir  la  promesse  que  je  vous  ai  faite  depuis  lougtemps, 
c'est-à-dire  passer  en  revue,  dans  un  tableau  très-condensé,  les  princi- 
pales productions  de  notre  littérature  tbéologique.  Je  me  renfermerai, 
pour  cette  fois,  dans  les  limites  de  l'année  1862.  Néanmoins,  je  serai 
conduit  occasiounellemant  à  rappeler  quelques  publications  plus  an- 
ciennes. Plus  tard,  selon  que  la  matière  et  les  circonstances  le  permet- 
tront, je  reprendrai  ces  rapports  à  des  intervalles  de  trois  ou  de  six  mois. 

Vous  me  permettrez  sans  doute  de  revenir  en  quelques  mots  sur  les 
livres  mêmes  auxquels  vous  aurez  déjà  consacré  des  articles  plus  étendus, 
soit  pour  rendre  cet  aperçu  aussi  complet  que  possible,  soit  pour  indi- 
quer, le  cas  échéant,  ea  quoi  mes  appréciations  diffèrent  de  celles  de 
vos  honorables  collaborateurs.  Il  est  bien  entendu  que  je  me  borne  à  la 
théologie  scientifique  ;  je  ferai  néanmoinsune  exception  en  faveur  de  la 
liturgie  pratique.  Quant  à  l'ordre  à  suivre,  je  ne  vois  rien  de  mieux 
que  de  parcourir  successivement  les  diverses  branches  du  système  des 
sciences  théologiques. 

I.  Théologie  spéculative  (dogmatique  et  apologétique). 

Rien  n'est  plus  propre  à  faire  connaître  les  tendances  entre  lesquelles  se 
partagent  nos  théologiens  et  nos  penseurs,  qu'un  livre  récemment  publié 
là-dessus  par  le  D'  Siihmid.  [Wissenschaftliche  Richtungen  auf  dem  Gebiefe 
des  Kalholccismus  in  7ieue>!ter  und  gegeitvoœrtiger  Zeit.  vil-292  pp.  8'>.  Mûn- 
chen,  Lentner.  1  thlr.,18  ngr.)  L'auteur  se  propose  deux  choses  :  orienter 
les  esprits  à  travers  ces  difficiles  questions,  et  aplanir  les  dissidences.  Il 
veut  d'abord  «  exposer  et  mettre  en  lumière,  avec  clarté  et  briève'é,  les 
opinions  scientifiques  qui  se  sont  faitjour  au  sein  du  catholicisme  dans 
le  cours  des  trente  dernières  années;  »  puis  «  scruter  ces  opinions  jusque 
dans  leur  baSe  fondamentale,  et  montrer  qu'à  celte  limite,  ainsi  envisa- 
gées dans  leur  essence  intime,  elles  ne  sont  point  pour  la  plupart  oppo- 
sées l'une  à  l'autre.  »  Dans  la   première  partie,  l'auteur  fait  connaître 

(1)  V.  Revue,  t.  vi,  p.  107  ss.,  598  ss. 


Mai  18G3.]  CORRESPONDANCE.  507 

tour  à  tour  VHermésiamsme,  condamné  en  1835  ;  le  Gimthérianisme,  con- 
damné en  1857  (Gûother  vient  de  s'éteindre  après  une  vipillesse  entourée 
du  respect  de  tous,  et  dans  la  soumission  la  plus  édifiante  au  décret  qui 
avait  frappé  ses  doclriues)  ;  le  traditionalisme  de  LaMennais  et  de  l'école 
française,  condamné  en  1834  et  1855;  la  doctrine  tbéosophique  de  Fran- 
çois Baader,  aussi  condamnée  en  partie  ;  l'école  catholique  de  Tubingue, 
représentée  principalement  par  Staudenraaier  et  par  Kuhn  ;  enfin,  l'é- 
cole néo-scolastique,  dont  le  professeur  Clemens,  mort  en  1802,  était  na- 
guère le  chef  eu  Allemagne.  A  partir  de  la  page  77,  il  examine  les  ques- 
tions controversées  entre  ces  écoles,  sur  la  nature  de  la  connaissance 
humaine,  la  liberté  de  la  science  au  point  de  vue  tbéorique  et  au  point 
de  vue  pratique,  les  rapports  de  la  science  apologétique  avec  la  foi  théo- 
logique, la  compatibilité  de  la  démonstration  rationnelle  stricte  avec 
cette  même  foi,  la  nécessité  de  la  tradition.  Il  fait  une  grande  part  aux 
questions  qui  divisent  l'école  de  Tubingue  et  l'école  néo-scolastique.  On 
s'accorde  à  reconnaître  que  l'auteur  domine  pleinement  sa  matière,  et 
que  partout  il  s'est  efforcé  d'atteindre  dans  son  exposition  l'objectivité  la 
plus  complète.  Un  seul  critique  (Matles,  Tub.  Quartalschrift,  1863,  i, 
p.  171-183)  a,  d'une  manière  bien  étonnante,  présenté  le  livre  du 
D""  Schmid  comme  «  une  brillante  apologie  des  doctrines  de  Kuhn  contre 
le  sysième  néo-scolastique,  »  et  comme  une  déclaration  de  guerre  contre 
ce  dernier.  Il  .serait  plus  exact  de  dire  qu'il  s'y  manifeste  une  sympathie 
peu  commune  pour  les  doctrines  théosophiques  de  Baader.  Ce  livre, 
comme  on  le  voit,  ne  traite  pas  uniquement  de  théologie,  ni  seulement 
de  l'Allemagne  :  mais  l'une  et  l'autre,  toutefois,  y  occupent  de  beaucoup 
la  plus  grande  place.  Aussi,  je  le  recommande  à  tous  ceux  qui  veulent 
s'orienter  dans  le  domaine  de  la  théologie  spéculative  en  Allemagne. 

L'ouvrage  d'Oischiuger  (prêtre  à  Munich)  sur  la  Trinité,  a  une  tendance 
moins  iréuique,  ou  plutôt  démesurément  aggrossive.  {Die  Einhedslehre 
der  gœttlichen  Trmilœt,  nacli  der  kirchlichen  Tradition  bcwiesen  u?td  gegen 
die  Irrlehren  festyestellt.  Lii-330  pp.  8°.  Miinchen,  Lentner.  2  tblr.  6  ngr.) 
Les  auteurs  des  doctrines  erronées  que  veut  combattre  Oischinger,  sont 
les  néû-.^colasliques,  en  y  comprenant"  les  théologiens  de  la  Congréga- 
tion de  l'Index;  »  il  les  accuse  d'avoir  substitué,  au  dogme  chrétien 
leurs  théories  particulières  sur  les  relations  divines  ;  il  se  laisse  aller 
contre  eux  à  une  véhémence  de  polémique  et  à  des  emporlemouls  de 
langage  qui  atteignent  leur  apogée  dans  sa  longue  préface.  Le  livre  sera 
sans  nul  doute  bientôt  condamné  à  Rome. 

Le  D''  Kuhn  a,  dans  le  courant  de  cette  année,  donné  une  nouvelle 
édition  entièrement  refondue  de  la  2»  partie  de  sa  Dogmatique,  ou 
plutôt  de  laS-î  partie  du  premier  volume.  11  y  traite  de  la  connaissance, 
des  attributs  et  de  l'unité  de  Dieu  (8o,pp.  533-1 116.  Tûbingen,  Laupp.  2  thlr. 
10  ngr.).  La  première  partie  de  ce  volume  a  paru  en  1859  eu  seconde 
édition  (Ih.  x-532  pp.  2  thlr.);  elle  comprend  l'introduction  à  la  dogma- 
tique catholique,  laquelle,  comme  on  le  sait,  occasionna  la  polémique 
avec  Clcmeus.  Le  secoud  volume,  conleuant  la  doctriue  de  la  sainte  Tri- 
nité, a  paru  en  1857  i^Ib.  x-669  pp.  2  Ihlr.  10  ngr.).  C'est  tout  ce  que 
nous  possédons  jusqu'à  présent  de  cet  importaut  ouvrage.  L'âge  avancé 
du  célèbre  auteur,  et  le  soin  avec  lequel  il  travaille  toutes  les  parties  de 


i.03  CORRESPONDONCE.  [Tome  VU. 

son  œuvre,  ne  nous  laissent  guère  espérer  d'en  voir  la  fin.  Il  est  pro- 
bable que  la  Dogmatique  de  Berlage,  professeur  à  Munster,  en  voie  de 
publication  depuis  1839  et  maintenant  sur  le  point  d'être  achevée,  restera 
longtemps  le  seul  livre  détaillé  à  l'usage  des  catholiques  d'Allemagne. 
Cette  Dogmatique  est  du  reste  excellente  sous  plusieurs  rapports,  mais 
assez  inégale  dans  ses  diverses  parties  :  les  premières  s'étendent  trop  sur 
les  controverses  soulevées  par  le  Gunthérianisme.  En  fait  de  Manuels, 
nous  avons  ceux  de  Klée  (4^  éd.,  Mayence,  1861);  de  Dieringer  (4^  éd., 
Mayeuce,  1858),  et  de  Friedhoff  (^  vol.,  Miinster,  1855).  On  se  sert  aussi 
beaucoup  de  Perrone  et  de  Liebermaun,  quelquefois  d'une  mauvaise 
traduction  du  cardinal  Gousset  (Ratisboune,  1855);  en  Autriche,  on  a 
Schwetz,  dont  la  première  partie,  Theologia  fundamentalis  seu  generalis, 
est  arrivée  l'an  deruier  à  sa  quatrième  édition  (8°  xii-699  pp.  Vindobonse, 
typis  Gong.  Mechitaristicae).  Je  reviendrai  sur  cet  ouvrage  quand  il  aura 
paru  en  entier  dans  cette  nouvelle  édition. 

Le  P.  Clément  Schrader,  professeur  à  Vienne,  autrefois  collaborateur 
du  malheureux  Passaglia,  vient  de  traiter  d'une  manière  étendue  un  point 
important  de  la  dogmatique,  de  Unitate  roniana  (seu  catholica;.  Vous  avez 
publié  un  long  article  sur  cet  ouvrage,  et  avec  raison  ;  car  le  sujet,  la 
langue,  la  méthode,  les  tendances,  lui  donnent,  pour  votre  pays  aussi 
bien  que  pour  le  nôtre,  le  plus  haut  intérêt  et  la  plus  grande  impor- 
tance. Rien  qu'après  la  lecture  du  premier  livre,  seul  publié  jusqu'à  ce 
jour,  on  peut  affirmer  avec  certitude  que  nous  aurons  bientôt,  sur  un 
des  points  de  doctrine  les  plus  importants  et  les  plus  difficiles,  un  travail 
vraiment  scientifique,  vraiment  complet,  un  travail  qui  suffira  pendant 
de  longues  années  à  repousser  toutes  les  attaques,  et  qui  devra  être  uti- 
lisé avec  le  plus  grand  soin  dans  tous  les  manuels  de  dogmatique  et  de 
droit  canon. 

Vous  avez  également  indiqué  une  dissertation  du  jésuite  Casinius 
(m.  en  1755).  La  nouvelle  édition  (Mayence,  1862)  est  due  à  M.  le  professeur 
Scheeben,  dont  le  beau  travail  sur  la  grâce  n'a  point  été  vanté  par  vous 
au-delà  de  ce  qu'il  mérite  (V.  Revue  v,  464  ss.)  Le  texte  a  été  revu 
avec  soin  et  enrichi  d'additions  qui  ont  leur  prix.  C'est  en  quelque 
sorte  le  complément  de,  l'ouvrage  déjà  cité.  Casinius  établit,  au  point  de 
vue  de  la  théologie  positive,  la  doctrine  que  M.  Scheeben  a  développée 
avec  uue  grande  profondeur  de  spéculation.  Le  même  auteur  a  refondu 
complètement  le  travail  ascétique  de  Nieremberg  sur  les  merveilles  de 
la  grâce  divine,  et  il  en  a  fait  un  livre  délicieux,  un  livre  admirablement 
propre  à  découvrir  aux  fidèles  des  trésors  trop  peu  connus.  {Die  Her'r- 
lichkeiten  (1er  gœttlichun  Gnade.  8o  sii-502  pp.  Freiburg,  Kerder.  1  thlr. 
6  ngr.\  Ce  dernier  ouvrage  mériterait  d'être  introduit  en  France  par  une 
bonne  traduction. 

A  ces  écrits  si  remarquables  sur  la  grâce,  je  dois  en  ajouter  un  de  votre 
compatriote  Isaac  Habert,  le  premier  adversaire  du  jansénisme,  et  cer- 
tainement l'un  des  hommes  les  plus  distingués  qui  soient  descendus 
dans  l'arène  théologique.  Ses  Theologiœ  grœcorum  patrum  vindicafœ  circa 
universam  materiam  gratiœ  libri  très  ont  été  réimprimés  à  Wurzbourg, 
chez  Stahel  (8"  x-512  pp.  2  thlr.  12  ngr.). 

L'histoire  du  dogme  de  la  grâce  pendant  les  premiers  siècles,  a  été 


Mail8i3.J  CORRESPONDANCE.  50& 

soumise  récemment  à  im  nouvel  examen  par  le  professeur  Wœrter,  de 
Fribourg,  {Die  ktrchliche  Lehre  fiber  das  VerJiœltniss  vo>i  Gnade  und  Frei- 
heit  von  den  apostu/ischen  Vœtern  bis  nuf  Auyustinus.  1  Bd.  Die  Lehre  des 
N.  T.  und  der  voraugustin.  Vaeter.  724  pp.  8».  Freiburg,  Herder,  1836- 
1800.  2  thlr.  17  ngr.).  La  doctrine  des  pères  grecs  est  traitée  p.  86-380. 
Il  est  bien  étonnant  que  dans  tout  ce  passage,  Habert  ne  soit  pas  cité 
même  une  seule  fois,  autant  du  moins  que  je  puis  voir. 

Un  ouvrage  qui  a  une  grande  valeur  pour  la  science  apologétique, 
c'est  celui  du  D''  Tanner,  théologien  suisse,  sur  la  tradition.  {Ueber  das 
katholische  Traditions-  und  das  protestantische  Schrift-Prinzip.  8",  viii- 
614  pp.  Luzern,  Raber.  2  thlr.  6  ngr.).  L'auteur  y  combat  surtout  l'ou- 
vrage, écrit  à  un  point  de  vue  tout  opposé,  du  D''  Holzmann,  autrefois 
privat-docent,  et  aujourd'hui  professeur  à  Heidelberg.  [Canon  und  Tra- 
dition. Ludwigsburg,  Riehm,  1839.)  Le  D'  Tanner  réfute  partout  victo- 
rieusement cet  adversaire,  qui  est  loin  d'être  sans  mérite. 

n.  Théologie  morale. 

Rien  d'important  n'ajparu  l'an  dernier  sur  cette  vaste  branche  des 
sciences  théologiques.  Je  dois  signaler  seulement  des  éditions  nouvelles 
de  deux  ouvrages  déjà  connus,  dont  l'un  est  importé  de  votre  pays: 
c'est  le  Compendium  ilieologiœ  moralis  du  P.  Gury  (3e  édition  allemande, 
Ratisbonue,  Manz) ,  revu  avec  soin  par  un  professeur,  et  augmenté  de 
nouvelles  notes  empruntées  pour  la  plupart  à  Scavini.  L'autre  a  pris 
naissance  sur  le  sol  allemand  :  c'est  Stapf,  Epiiome  theologiœ  moralis, 
revu  par  le  chanoine  Hofmann,  de  Brixen  (3e  éd.). 

Les  années  1830  -  1860  nous  ont  apporté  toute  une  série  de  manuels 
de  théologie  morale.  Je  citerai  seulement  ceux  de  Fuchs,  Probst,  Wer- 
ner,  Dinkhoff,  Martin,  Jocham,  Friedhoff,  Fricker,  et  enfin  celui  du 
cardinal  Gousset^  dont  nous  possédons  deux  traductions,  l'une  mauvaise, 
l'autre  a.isez  passable.  Malgré  cela,  les  Allemands  recourent  encore  de 
préférence  à  saint  Alphonse,  ainsi  qu'à  son  abréviateur,  le  P.  Gury,  dont 
le  Compendium  est  grandement  estimé  et  fort  répandu. 

lU.  Sciences  bibliques. 

On  peut  rapporter  à  l'introduction  le  livre  intitulé  :  L'Église  et  la 
Bible,  par  le  Dr  A.  Schmid,  autrefois  professeur  au  lycée  de  Dilliugen, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le  D^  Al.  Schmid,  bavarois  comme  lui. 
{Kirche  und  Bibel.  8o,  167  pp.  Schrobenhausen,  Hueber,  24  ngr.)  C'est 
un  livre  étrange,  mal  digéré,  extrêmement  confus,  dont  le  sujet  peut 
être  ainsi  indiqué  :  Histoire  et  apologie  de  l't  conduite  de  l'Église  par 
rapport  à  la  Bible.  Au  point  de  vue  de  la  science,  cet  écrit  a  moins  de 
mérite  encore  que  le  commentaire  sur  le  livre  de  la  Sagesse  publié  en 
1858  par  le  même  auteur. 

Le  professeur  Danko,  de  Vienne,  a  commencé  une  nouvelle  histoire 
biblique,  dont  la  première  partie,  contenant  l'Ancien  Testament,  a  seule 
vu  le  jour  jusqu'à  ce  moment.  {Historia  revelationis  divinœ  V.  T.,  sive 
hist.  V.  et  N.  T.  pars  prior.  Vindobouae,  Braumiilier;  8o,  c-ClO  pp.)  C'est 
un  magnifique  volume   édité  avec  luxe,  et  malheureusement  par  cela 


5<0  CORRESPONDANCE.  [Tome  VU. 

même  uu  peu  cher  (4  thlr.  10  u^r.).  Les  sentiments  de  l'auteur  sont  par- 
faitement ortbodoxes  ;  son  livre  est  le  résultat  d'un  travail  sérieux  et  de 
vastes  lectures,  la  forme  en  est  claire  et  coulante.  On  y  trouve  pourtant 
des  choses  étranges.  M.  Dauko,  par  exemple,  sait  d'une  manière 
précise,  que  le  monde  a  été  créé  pendant  l'automne  et  le  soir.  Malgré 
cela,  son  livre  est  la  meilleure  exposition  scientifique  abrégée  que  nous 
ayons  de  l'histoire  biblique.  On  ne  saurait  trop  le  recommander  aux 
écoles  où  le  latin  est  encore  la  langue  de  l'enseignement.  Haneberg, 
dont  vous  avez  une  traduction  française,  est  riche  en  aperçus  et  en 
rapprochements  ingénieux,  mais  c'est  là  son  plus  grand  mérite  :  il  laisse 
beaucoup  à  désirer  pour  le  fond.  L'Allemagne  possédera  bientôt  un 
ouvrage  exécuté  sur  un  plan  plus  large  :  les  quatre  premiers  volumes 
de  Rohrbacher,  complétés  et  en  partie  refondus  par  Hiilsknmp,  seront 
consacrés  à  l'Ancien  Testament.  Deux  de  ces  volumes  ont  paru,  et  le 
troisième  est  sous  presse. 

Le  D''  Schusler,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  d'éducation  très-remar- 
quables,édite  en  ce  moment  iniMcmuel  d'histoire  biblique. {Hand/juclizur  Bi- 
blischen  Geschichtedes  A.  undN.  T.  Freiburg, Herder,  6  liv.  à  18  ngr.,dont 
3  ont  paru.)  La  forme  en  est  excellente,  l'exécution  typographique  est 
belle  et  relevée  par  une  grande  quantité  de  gravures  sur  bois  :  c'est  en 
outre  un  livre  solide,  pour  lequell'auleur  a  consulté  avec  soin  et  utilisé 
avec  tact  les  travaux  antérieurs,  et  surtout  Rohrbacher-Hûlbkamp.  Le 
D''  SchusLer  n'a  point  écrit  pour  les  savants,  mais  pour  le  commun  des 
fidèles  et  aussi  en  vue  de  l'enseignement. 

Le  beau  livre  du  D''  Reusch,  Bib/e  et  Nature,  a  un  but  apologétique. 
[Bibel  und  Nutur.  Vorlesungen  iibcr  die  mosaische  Urgeschichte  und  ihr 
Verhœltniss  zu  den  Ergebnissen  der  Naturforscliung.  8",  A 43  pp.  Freiburg, 
Herder.  1  thlr.  20  ngr.)  Le  D""  Reusch,  un  des  exégètes  les  plus  distingués 
de  notre  époque,  a  recueilli,  comparé,  examiné,  au  point  de  vue  de  la 
science  actuelle,  tous  lei:  systèmes  relatifs  aux  questions  soulevées  par 
les  premiers  chapitres  de  la  Genèse  :  son  travail  peut  être  regardé 
comme  complet,  jusqu'à  ce  que  des  progrès  importants  accomplis  dans 
les  sciences  nécessitent  un  nouvel  examen.  De  même  qu'autrefois  nous 
nous  sommes  approprié  les  recherches  de  Marcel  de  Serres  et  de  Ni- 
colas, en  les  faisant  passer  dans  notre  langue,  il  me  semble  que  vous 
pourriez  maintenant  faire  votre  profit  du  livre  indiqué  ci-dessus,  à  moins 
que  celui  du  P.  Pianciani  [Cosmogonia  naturale  comparala  col  Genesi, 
Roma,  1862),  ne  soit  par  la  forme,  la  méthode  et  la  langue,  plus  acces- 
sible à  vos  compatriotes. 

Des  premiers  chapitres  de  la  Genèse,  nous  devons  passer  immédiate- 
ment aux  prophètes,  pour  rencontrer  d'autres  travaux  exégétiques. 

Le  vaste  commentaire  du  D""  Reiuke  sur  les  propliéties  messianiques 
chez  les  grands  et  les  petits  prophètes,  est  parvenu  à  son  entier  achève- 
ment dans  le  courant  de  l'année,  par  la  publication  de  la  S"  partie  du 
4*  volume,  (Die  messianischen  Weissagungen  bei  den  grossen  und  kleinen 
Propheten  des  A.  T.  4  Dde  in  5  Thleu.  8".  Giessen,  Ferber,  1859-1869. 
10  thlr.).  On  y  trouve,  comme  dans  les  autres  productions  du 
D""  Reiiike,  une  prolixité  fatigante,  un  caractère  trop  peu  personnel, 
trop  compilatoire,  mais  au  moins  tout  est   traité  de   la  manière  la  plus 


Mail8C3.]  COnRESPONDANCE.  51  f 

complète  ;  c'est  un  véritable  arsenal  où  pendant  longtemps  le  théologien 
et  l'exégèle  iront  puiser.  Les  matériaux  exégétiques  y  sont  rassemblés 
avec  une  telle  abondance,  qu'oa  est  dispensé  de  recourir  à  d'autres 
sources.  En  un  mot,  c'est  un  monument  d'érudition.  Le  respectable  auteur 
a  traité  précédemment,  dans  des  monographies  spéciales,  les  passages 
messianiques  Gen.,  3,  1S  (Proto-evangelium)  ;  Gen.,  49,  8-12  iSchilo)  ; 
Is.,  7,  14-16  (Emmanuel  et  la  Vierge-mère)  ;  Is.,  2,  2-4  (Conversion  des 
Gentils);  Is.,  52,  13-53,  12  (Passion  et  mort  du  Sauveur);  enfin  Mal.,  1,11 
(Sacrifice  non  sanglant).  Puis,  dans  le  quatrième  volume  de  ses  Bei- 
trœge  zur  Erklœrung  des  A.  T.,  il  a  donué  une  introduction  générale 
aux  prophéties  messianiques,  et  commente  celles  des  livres  historiques 
et  des  livres  deutéro-canoniques  auxquelles  il  n'avait  point  encore 
touché.  Enfin,  il  a  commenté  en  deux  volumes  les  psaumes  messia- 
niques. Il  a  donc  réuni,  de  la  manière  la  plus  complète,  les  matériaux 
nécessaires  pour  composer  uue  christologie  de  l'Ancien  Testament  qui 
soit  à  la  hauteur  de  la  science.  Nous  avons  bien,  en  ce  genre,  un  essai 
du  D""  Bade,  professeur  à  Paderborn  ,  qui  remonte  à  une  douzaine 
d'années  (Mûoster,  Aschendorf.  2e  éd.  [fictive]  1860)  ;  mais  cet  essai  de- 
vait nécessairement  laisser  beaucoup  à  désirer,  rien  que  parle  manque 
de  travaux  préparatoires. 

Au  moment  où  les  efforts  généreux  de  quelques  savants  impriment 
une  impulsion  salutaire  à  la  science  exégétiqne,  un  prétendu  ermite  de 
Falkenberg  vient  lui  jeter  l'anathème  ;  il  repousse  toute  explication 
savante  de  la  Bible,  déclare  le  grec  et  l'hébreu  superflus,  et  veut  qu'on 
s'en  tienne  au  sens  mystique  et  ascétique  exposé  d'après  la  Vulgate. 
{^Bruder  Bernard^,  Klausners  zu  Falkenberg  [pseudonyme],  Aphorismen 
ùber  kaihùl.  Behandlung  der  Bibel.  S»,  x-335  pp.  Freiburg,  Herder. 
23  ngr.).  Il  est  déplorable  qu'avec  de  bonnes  intentions,  on  vienne  pro- 
fesser de  pareils  principes  qui  n'iraient  à  rien  moins  qu'à  renverser  la 
science  au  sein  du  catholicisme,  et  à  en  laisser  le  monopole  aux  ennemis 
de  notre  foi.  Croit-on  que  cela  soit  bien  à  désirer?  Heureusement  que 
ces  folles  maximes,  résultat  d'un  zèle  mal  entendu,  ne  réunissent  que 
de  bien  rares  adeptes.  Sans  doute,  nous  ne  devons  pas  étudier  la  Bible 
comme  uu  livre  ordinaire  ;  il  faut  tenir  compte  avant  tout  de  son 
contenu  surnaturel  et  divin  :  c'est  par  là  que  notre  exégèse  se  distin- 
guera de  celle  des  protestants  et  des  rationalistes.  Mais,  est-ce  que  l'exé- 
gèse scientifique  ne  doit  point  s'appuyer  sur  une  élude  exacte  du  texte, 
éclairée  de  tous  les  moyens  que  fournissent  la  philologie,  la  critique 
et  l'histoire? 

Le  commentaire  latin  du  Dr  K,aulen  sur  le  livre  de  Jonas  (Mog.  Kirch- 
hoim,  146  pp.  12  1|2  ngr.),  peut  paraître  plus  ou  moins  dans  le  sens  de 
l'ermiie,  et  c'est  à  ce  point  de  vue  qu'on  s'est  placé  pour  lui  décerner 
des  éloges  qu'à  coup  sur  l'auteur  n'accepte  pas.  M.  Kaulen  est  un 
homme  sérieux,  qui  a  travaillé  déjà  très-utilement  pour  la  science,  et 
qui  fera  davantage  encore.  En  publiant  ce  petit  travail  sur  Jouas,  il  n'a 
point  voulu  formuler  uue  méthode  et  tracer  le  modèle  qu'il  se  propose 
d?  suivre  toujours.  Il  faut  conserver  à  l'exégèse  son  caractère  et  sa  di- 
gnité de  science  théologique,  mais  ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  qu'il 
faille  lui  ôter  toute  portée  scientifique,  et  la  faire   servir  seulement  à 


^-^^2  CORRESPONDANCE.  [Tome  VII. 

l'édification.  M.  Kaulen  le  sait  mieux  que  personne  :  aussi,  ce  n'est  pas 
pour  lui  que  nous  le  rappelons. 

La  Théologie  de  V Ancien  Testament,  du  Df  Scholz,  prival-docent  à 
Breslau,  a  élé  dans  votre  Revue  l'objet  d'un  article  détaillé  (Rev.  V%  531;, 
et  à  mon  sens  un  peu  trop  favorable.  Ce  livre  ne  contient  presque  pas 
de  recherches  qui  soient  propres  à  l'auteur  ;  et  bien  que  ce  soit  le  fruit 
d'un  travail  assurément  considérable  et  de  lectures  multipliées,  on  vou- 
drait trouver  un  peu  plus  de  tact  et  de  réserve  dans  le  mode  de  com- 
pilation. C'est  ainsi  que  le  passage  sur  les  Pharisiens  et  les  Sadducéens 
(i,  88  ss.)  est  emprunté  presque  en  entier,  sans  citation  de  source,  au 
protestant  Winer.  11  est  plus  regrettable  encore  que  les  définitions 
n'aient  pas  le  degré  de  clarté  et  de  précision  voulu.  Du  reste,  c'est  un 
livre  utile,  qui  comble  une  lacune  dans  notre  littérature  théologique  et 
qui  n'est  pas  dépourvu  de  mérite. 

Sur  le  Nouveau  Testament,  nous  avons  à  enregistrer  le  tome  premier 
du  commentaire  de  Maldouat  sur  les  Évangiles  [Mogunliae,  Kircheim.  8", 
viii-630  pp.  à  2  col.  1  thlr.  20  ngr.),  un  de  ces  ouvrages  qui  ne  vieillissent 
point.  C'est  la  3' édition  publiée  en  Allemagne  dans  ces  dernières  années  : 
elle  a  été  revue  avec  soin  par  le  Dr  Conrad  Martin,  ancien  professeur  de 
tliéologie  à  l'université  de  Bonn,  et  aujourd'hui  évèque  de  Paderborn. 
Les  deux  éditions  précédentes  se  sont  écoulées  surtout  en  France  : 
espérons  que  la  troisième,  au  moins,  sera  appréciée  à  sa  valeur  par  les 
théologiens  d'Allemagne. 

La  remarquable  traduction  des  Évangiles,  avec  commentaire,  par  le 
Df  Schegg,  professeur  à  Freysiug,  est  arrivée  au  tome  il"  de  saint  Luc, 
V-  de  l'ouvrage  (Miinchen,  Lentner.  644  pp.  2  thlr.  6  ngr.).  Nous  pour- 
rons y  revenir  après  sa  compilète  publication.  Je  me  contenterai  de 
faire  remarquer  que  ce  commentaire  jouit  d'une  haute  estime,  même 
chez  les  protestants  encore  attachés  au  christianisme  positif,  bien  que 
Schegg  ait  commenté  la  Vulgate,  en  recourant  néanmoins  au  texte 
original. 

Les  commentaires  de  Klofular  n'ont  ni  la  même  valeur,  ni  la  même 
étendue,  mais  toutefois  les  candidats  en  théologie  peuvent  s'en  servir 
utilement.  Une  première  partie,  contenant  les  évangiles  synoptiques,  a 
paru  en  1859  (Labari,  Eger);  la  seconde,  Commentarius  in  Evangelium 
S.  Joannis,  vient  de  paraître  en  1862  (Vindob.  Mechit.  325  pp.  8o).  Les 
travaux  exégétiques  du  professeur  Al.  Mesmer,  ne  peuvent  prétendre  à 
une  grande  valeur  scientifique,  malgré  les  aperçus  ingénieux  qui  s'y  ren- 
contrent :  mais  ils  intéressent,  je  crois,  beaucoup  les  nombreux  disciples 
et  amis  de  cet  excellent  homme,  qui  leur  fut  prématurément  enlevé. 
L'explication  de  l'évangile  selon  saint  Jean,  publiée  en  1860,  a  été  suivie 
cette  année  de  la  première  épitre  aux  Corinthiens  et  de  l'épîlre  aux 
Galales,  commentées  d'après  la  même  méthode. 

Pour  extrait  :  E.  Hautcœcr. 

[La  fin  au  prochain  n°.) 


Arras.  —  Typographie  Rousseau-Leroy,  rue  Saint-Maurice,  26. 


LE  CELEBRE  CONFLIT 


SAINT  ETIENNE  ET  SAiNT  CYPRIEN 


Quatrième  et  dernier  article  (i). 


§3. 


L'examen  des  auteurs  contemporains,  et  de  ceux  qui  ont  suivi  de  plus  près,  doit 
faire  regarder  comme  apocryphe  l'histoire  du  fameux  conflit. 

Dans  les  paragraphes  précédents,  nous  avons  considéré  en 
elles-mêmes  les  pièces  sur  lesquelles  on  fonde  le  récit  com- 
munément accepté.  Nous  allons  explorer  ici  les  écrits  des  auteurs 
contemporains  et  des  premiers  qui  ont  suivi.  Voyons  ce  qu'on 
a  droit  de  conclure^  soit  de  leur  silence,  soit  des  passages  oii 
ils  ont  parlé  de  la  controverse  en  question.  En  dehors  des 
pièces  précédemment  examinées,  et  sur  l'authenticité  des- 
quelles roule  tout  le  débat,  nous  ne  trouverons  aucun  auteur 
contemporain  qui  ait  relaté  le  fait  du  conflit.  Il  en  est  deux, 
néanmoins,  qui  auraient  du  le  mentionner,  s'il  avait  été  réel, 
vu  la  nature  des  sujets  traités  dans  leurs  écrits.  C'est  le  diacre 
Pontins  etDenys  d'Alexandrie.  Quant  aux  auteurs  venus  après, 
et  antérieurs  au  sixème  siècle,  plusieurs  ont  des  passages 
relatifs  à  cette  contestation  célèbre.  Ce  sont  :  Eusèbe,  saint 
Basile,  saint  Jérôme,  saint  Augustin,  saint  Optât  de  Milève,  et 
un  anonyme.  Nous  allons  examiner  séparément  ce  qu'on  rer.t 

(4)  Voir  les  numéros  de  mars,  avril  el  mai  -1863. 

Revue  des  sciences  ecclésiastioues,  t,  vu-  33-34. 


514  SAINT  ETIENNE  (Tome  Vil. 

logiquement  conclure,  soit  du  silence,  soit  des  témoignages  de 
chacun  de  ces  auteurs. 


I. 


Le  silence  du   diacre  Pontius  prouve  que  l'histoire  du  fameux 
conflit  est  une  fable. 

Saint  Jérôme  nous  parle  ainsi  du  diacre  Pontius  et  de  son 
ouvrage  :  «  Pontius,  diaconus  Cypriani,  usque  ad  diem  pas- 
siouis  ejuscumipsoexiliuœsustinens,  egregium  volumen  vitse 
et  passionis  Cypriani  reliquit.  »  {De  Scriptoribus  ecclesiasticis, 
68.)  Ce  livre  du  diacre  Pontius  se  trouve  dans  la  Patrologie 
Migne,  au  tome  III,  col.  1482  et  suiv.  Quoique  la  vie  et  le 
martyre  de  saint  Cyprien  y  soient  racontés  assez  en  détail,  il 
n'y  a  pas  un  mot  sur  la  fameuse  contestation,  ni  sur  les  trois 
conciles  qui  auraient  eu  pour  objet  la  question  du  baptême 
des  hérétiques,  et  que  saint  Cyprien  aurait  convoqués  et 
présidés.  Ce  silence,  dans  un  tel  livre,  prouve,  selon  nous,  que 
l'histoire  du  conflit  est  apocryphe. 

Nous  le  savons,  le  silence  d'un  auteur  sur  un  fait  n'est  qu'un 
argument  négatif.  Par  lui  seul,  il  ne  prouve  pas  que  le  fait 
n'ait  pas  eu  lieu.  Mais  il  devient  argument  positif  et  preuve 
rigoureuse,  lorsqu'à  l'aide  des  circonstances  on  peut  démontrer 
que,  dans  l'hypolhèse  de  la  réalité  du  fait,  l'auteur  n'a  pas  pu 
le  passer  sous  silence.  C'est  précisément  la  condition  du  diacre 
Pontius  relativement  à  l'objet  de  cette  discussion.  Remarquons 
avant  tout  qu'il  n'a  pas  pu  ignorer  le  conflit,  s'il  a  été  réel,  il 
fut  le  compagnon  inséparable  de  saint  Cyprien  jusque  dans 
i'exil,  et  le  témoin  oculaire  de  son  martyre.  Il  vit  donc  les 
tiois  conciles  où  fut  agitée  la  question  du  baptême  des  héré- 
tiques ;  ou  ne  peut  même  douter  qu'il  n'y  ait  assisté^  attendu 
1  s  termes  relatifs  au  personnel  du  troisième  concile  :  Fpiscopi 
plurimi.  .  cum  presbyteris  et  diaconibus,   présente  etiam  plebis 


Juin  1883.]  BT  SAINT  CYPRIEN.  5J5 

ma  vima  parte.  Si  le  conflit  a  eu  lieu,  il  a  dû  être  parfaitement 
connu  du  diacre  Pontius,  Dire  que  cet  auteur  l'a  passé  sous 
silence  parce  qu'il  l'aurait  ignoré,  serait  absurde. 

D'autre  part,  si  Pontius  a  connu  un  fait  si  important,  en 
écrivant  la  vie  de  saint  Cyprieu,  il  n'a  pas  pu  le  passer  entiè- 
rement sous  silence.  On  ne  peut  imaginer  pour  expliquer  ce 
silence  que  deux  raisons  :  ou  il  n'aurait  pas  regardé  cet  évé- 
nement comme  digne  de  mention,  ou  il  aurait  cru  devoir  le 
taire  comme  déshonorant  pour  la  mémoire  de  son  héros.  Il 
est  facile  de  montrer  que  nirunje  ni  l'autre  de  ces  explications 
ne  saurait  être  admise. 

d°  Il  n'a  pas  pu  regarder  cet  événement  comme  secondaire 
et  de  peu  d'importance.  Il  s'agit  d'une  question  qui  aurait 
agité  toutesles  églises  d'Afrique.  Saint  Cyprien  aurait  convoqué 
et  présidé  trois  conciles.  Non-seulement  le  Pape  aurait  con- 
damné son  sentiment  qui  était  celui  de  tous  les  évêques  afrir 
cains,  mais  il  aurait,  en  outre,  défendu  sous  peine  d'excommu- 
nication de  rehaptiserles  hérétiques  convertis.  A  cette  décision 
dogmatique  et  à  ce  précepte  du  Saint-Siège,  saint  Cyprien  et 
SCS  collègues  auraient  opposé  une  résistance  opiniâtre,  à  la- 
quelle se  serait  uni  Firmilien.  l'un  des  plus  illustres  évoques 
de  l'Orient.  Ils  seraient  cillés,  dans  leur  obstination,  jusqu'à 
réfuter  publiquement  le  décret  du  Pape  avec  les  termes  las 
plus  injurieux,  et  jusqu'à  déclarer  que  Ip  Pontife  romain  s'étqit 
lui-même  séparé  de  l'Église.  Certes,  s'il  y  a  dans  toute  la  vie 
de  saint  Cyprien  un  événement  important,  c'est  bien  celui-là. 
Dans  tout  ce  que  rapporte  le  livre  de  Pontius,  il  n'est  rien  qui 
puisse  lui  être  comparé.  Donc,  on  ne  peut  pas  dire  que  Pontius 
l'ait  passé  sous  silence,  parce  (ju'il  l'aurait  regardé  comme 
peu  important. 

2°  La  seconde  raison,  la  crainte  qu'en  le  rapportant  il  ne 
nuisît  à  la  mémoire  de  saint  Cyprien,  n'est  pasplus  admissible. 
Pontius  n'aurait  eucelte  crainte,  qu'autantqu'il  aurait  regardé 
lu  résistance  de  son  évêquc  comme  mauvaise  et  condamnable; 


oJ6  SAINT  ETIENNE  [Tome  VIF^ 

Supposons,  pour  un  moment,  que  Poutius  ait  ainsi  jugé  la  con- 
duite de  saint  Cyprien.  De  deux  choses  l'une  :  ou  saint  Cyprieu 
se  serait  rétracté  avant  son  martyre,  ou  il  ne  se  serait  point 
rétracté.  Dans  le  premier  cas,  Pontius  se  serait  fait  un  devoir 
de  raconter  cette  rétractation,  qui  aurait  effacé  une  faute 
grave,  au  jugement  de  Pontius  lui-même.  Dans  le  second 
cas,  Pontius  aurait  regardé  saint  Cyprien  comme  mort  dans 
une  coupable  obstination;  et  c'est  sciemmement  qu'il  au- 
rait voulu  le  faire  passer  dans  la  postérité  pour  un  grand 
évèque  et  un  grand  saint,  et  que  dans  ce  but  il  aurait  déguisé 
sa  résistance  criminelle.  Dès  lors,  la  grande  admiration  de 
Pontius  pour  saint  Cyprien,  admiration  qui  respire  dans  toutes 
les  pages  de  son  livre,  ne  serait  qu'une  hypocrisie.  Or,  cet  écrit 
porte  au  contraire  le  caractère  le  plus  visible  de  la  sincérité  et 
de  l'admiration  la  plus  réelle.  Non,  l'auteur  d'un  tel  .écrit  n'a 
pas  jugé  saint  Cyprien  coupable  et  misérablement  obstiné 
jusque  sous  la  hache  du  bourreau.  Résumons  :  Si  le  célèbre 
conflit  a  existé,  Pontius  a  dû  le  connaître;  s'il  l'a  connu,  il  a 
dû  le  regarder  comme  Tévènement  le  plus  important  de  la  vie 
de  son  héros  :  s'il  l'a  jugé  très-important  et  en  même  temps 
honorable,  il  a  dû  en  parler.  S'il  l'a  jugé  déshonorant,  mais 
rétracté, il  a  dû  encore  en  faire  mention  ;  entin,  sll  l'avait  jugé 
déshonorant  et  non  rétracté,  nous  n'aurions  pas  son  livre  plein 
de  l'admiration  la  plus  vive  et  la  pi  us  sincère  poursaint  Cyprien. 
Donc,  le  silence  de  Pontius  prouve  que  le  célèbre  conflit  n'est 
qu'une  fable. 

II. 

Lt  passage  d'Eusèbe  sur  la  contestation  de  saint   Cyprien  avec 
saint  Etienne  est  apocryphe. 

11  existe,  dans  V Histoire  ecclésiastique  d'Eusèbe,  un  passage 
qui  atteste  clairement  le  fait  de  la  célèbre  contestation.  Il 
forme  le   chapitre  troisième  du   livre  septième.  En  voici  les 


Juin  1803.1  ET   SAINT   CYPRIEN.  §[7 

termes,  d'après  la  traduction  de  Henri  de  Valois:  Primus  om- 
nium Cyprianus,  qui  tune  temporis  Carthaginensem  regebat  Ee- 
clesiam,  non  nisi  per  baptismum  ab  errore  prius  emundatos,  ad" 
mittendos  esse  censuit.  Verum  Stephanus  nihil  adversus  traditio- 
nem  qux  jam  inde  ab  ultimis  temporibus  obtinuerat  innovandum. 
ratus,  (jravissime  id  tulit.  Ces  lignes  nous  sont  objectées  comme 
preuve  péremptoire.  Ensèbe,  dit-on,  né  environ  dix  ans  après 
le  martyre  de  saint  Cyprien,  et  déjà  évêque  de  Césarée  eu  313, 
n'a  pas  pu  se  tromper  sur  le  fait  de  la  controverse  ;  il  l'atteste  ; 
donc  il  est  réel. 

A  cette  grave  difficulté,  Missori  a  cru  pouvoir  répondre,  que 
les  doctrines  et  la  conduite  d'Eusèbe  ont  été  trop  suspectes 
pour  que  son  autorité  soit  décisive;  et  que  rien  n'empêche  de 
mettre  en  doute  sa  véracité,  en  cet  endroit  de  son  histoire. 

La  vraie  réponse,  selon  nous,  c'est  que  le  passage  en  ques- 
tion n'est  pas  d'Eusèbe.  L'assertion,  au  premier  coup  d'œil, 
pourra  paraître  étrange,  et  peut-être  sera-t-on  tenté  d'y  voir 
un  de  ces  subterfuges  auxquels  recourent,  faute  de  mieux, 
les  défenseurs  d'une  cause  désespérée.  Que  le  lecteur  veuille 
peser  nos  raisons,  avant  de  se  prononcer.  Nous  les  croyons 
solides   et  appuyées  sur  les  règles  de  la  saine  critique. 

1.  Exposé  de  tout  le  contexte.  —  Au  début  du  septième  livre 
de  son  histoire,  Eusèbe  s'exprime  ainsi  :  «  Septimum  quoque 
EcclesiasticseHistoriaî  hbrum  magnusille  Dionysius  suis  verbis 
nobiscum  una  contexet,  cuncta  quse  setate  sua  contigerunt  in 
epistoUs  quas  reliquit  singillatim  exponens.  lîinc  porro  narra- 
tionis  nostrse  ducemus  exordium.  » 

Suit  le  chapitre  I,  qui  a  pour  titre.  De  Improbitate  Decii  et 
Gain,  et  qui  est  étranger  à  notre  question.  Mais,  depuis  le  cha- 
pitre second  jusqu'au  chapitre  cinquième  inclusivement,  il  est 
parlé  de  la  controverse  sur  le  baptême  des  hérétiques.  Il  est 
nécessaire  pour  notre  but,  que  le  lecteur  ait  ces  quatre  cha- 
pitres sous  les  yeux.  Nous  les  reproduisons  en  entier,  d'après 
la  traduction  de  Henri  de  Valois. 


5!8  SAINT   ETIENNE  [Tomo  VIU 

«  Caput  II.  —  Interea  RomsB  cum  Cornélius  tribus  circiter 
aunis  episcopalum  tenuisset,  Lucius  in  ejus  locum  substituitur. 
Qui  vix  octo  mensium  spatio  perfunctus  eo  munere,  moriens 
opiscopale  officium  Stepliano  dereliquit.  Ad  liunc  Stephannm 
Dionysius  primam  earum  qufe  de  baptismo  conscriptae  sunt 
epistolam  exaravit,  cum  per  id  tcmpus  non  mediocris  contro- 
versia  exorta  essei,  utrum  eos  qui  ex  qualibet  bseresi  conver- 
tuntur,  baptismo  purgarioporteret.  Quippe  antiqua  consuetudo 
invaluerat,  ut  in  ejusmodi  hominibus  sola  mariuum  iraposilio 
cum  precationibus  adbiberetiîr. 

Caput  m.  —  Primus  omnium  Cyprianus,  qui  tune  temporis 
Cartbagiuensem  regebat  Ecclesiam,  nonnisiperbaptismum  ab 
eri'ore  prius  emundatos  admittendos  esse  censuit.  Verum 
Stepbanus  nihil  adversus  traditionem  quœ  jam  Inde  abultimis 
temporibus  obtinuerat  innovandum  ratus,  gravissime  id  tulit. 

Caput  IV.  —  Ad  liunc  igitur,  ut  dixi,  multa  de  boc  argu- 
uiento  Dionysius  per  litteras  scripsit.  In  quibus  id  tandem  illi 
indicat,  oiunes  ubique  ecclesias,  moUito  jam  persecutionis 
furore^  Novati  turbulentam  novitatem  détestantes,  inter  se 
pacem  iniisse.  Sic  autem  scribit. 

Caput  V.  ' —  Scias  autem,  frater,  cunctas  per  Orientem  et  ulte- 
rius  positas  Ecclesias,  qux  prius  ante  discissx,  nunc  tandem  ad 
unitafem  reversas  esse  :  et  omnes  ecclesiarum  ubicumque  antistites 
unum  idemque  sentire,  etob  redditam  insperato paceni  incredibili 
gaudio  exultare  :  Demetrium  scilicet  Episcopum  Antiochix, 
Tkeotistum  Csesarex,  yElix  post  mortem  Alexandi^i  Mazabanem, 
Marinum  Tyri,  Laodicex  vero  post  J helymidris  obitum  Heliodo- 
rum,  Helenum  Tarsi  cunctasque  Cilicix  ecclesias,  Firmilianum 
denique  cum  imiversa  Cappadocia.  Solos  enim  illustriores  Epi- 
scopos  nominavi,  ne  forte  epistola  nostra  prolixior  et  oralio  mo- 
lestior  redderetur .  Syriarum  quidem  provincise  omnes  cum  Arab ta, 
quibus  identidem  necessaria  suppeditaiis,  et  quibus  litteras  nunc 
foipsistis;  Mcsopotamia  quoque,  Pontus  ac  Bithijnia  :  ac,  ut  icno 
verbo  absolimm,  omnes  ubique  terrarum  Ixtitia  gestiunt,    Dcoque 


Juin  1803.]  ET  SAINT   CYPRJEN.  519 

gratias  agunt  ob  hanc  concordiam  fraternamque  'charitatem. 
Et  haec  quidem  Diouysius  scribit.  Cœterum  cuin  Stephauus 
Ecclesiam  biennio  administrasset,  Xystus  inejuslocum  succes- 
sit.  Ad  hune  Dionysius  seciindam  de  Baptismo  scripsit  episto- 
lam,  inTjua  Stephani  simul  ac  reliquorum  episcoporum  sen- 
tectiam  ac  judicium  exponit,  de  Stéphane  ita  scribens  (antea 
quidem  litteras  scripserat  de  Heleno  et  de  Firmihauo,  de  omni- 
bus denique  sacerdotibus  per  Ciliciam,  Cappadociam  cunctas- 
que  fînitimas  proviucias  constitiitis,  sese  ob  eam  causam  ab 
illorum  cominunione  discessurum,  quod  hœreticos  rebaptiza- 
rent)  :  Ac  vide,  quxso,  gravitatem  negoiii.  Rêvera  enim  in 
maximis,  ut  audio,  episcoporum  conciliis  decreium  est,  ut  qui  ab 
hxreticïs  ad  catholicam  Ecclesiam  accédant,  ptnmum  cathecumeni 
fièrent,  ac  deinde  veteris  et  impuri  fermenti  sordibus  per  haptis- 
mum  purgarentur.  De  his  omnibus  ego  ad  illum  epistolam  misi 
rogans  atque  obtestans.  Et  ahquanto  post  :  Sed  et  charissimis 
inquit,  fratribus  et  compresbyteris  nostris  Dionysio  ac  Phile- 
moni,  qui  prius  idem  cum  Stephano  senserant  deque  iisdem  rébus 
ad  me  scripserant,  antea  quidem  breviter,  nunc  vero  pluribus 
verbis  scripsit  Veruin  de  supradicta  quœstione  hactenus.  » 

A  partir  du  chapitre  septième,  Eusèbc  mentionne  et  cite 
encore  quelques  autres  lettres  de  saint  Denys  d'Alexandrie 
relatives   à  la   question  du  baptême  des  hérétiques.  Voici  ces 
passages  :  • 

In  tertia,  autem  epistola  ad  Philemonem^Ecclesiee  Romanse 
presbyterum,  de  baptismo  scripta,  idem  Dionysius  haec  refert... 
Banc  ego  regulam  et  formam  a  beatissimo  Papa  nostro  Heracla 
accepi.Eos  enim  qui  ab  hsereticis  veniebant,  tametsi  defecissent, 
seu  potius  non  defecissent  illi  quidem,  sed  in  speciemcum  fratri- 
bus communicantes,  clam  perverses,  doctrinse  magistros  adiré  de- 
lati  essent,  au  Ecclesiaejectos,postmultas  tandem precesnon  prius 
admisit,  quam  quxcumque  ab  adversariis  audierant palam  expo- 
suissent.  Ac  tum  demum  ad  communionem  eos  admittebat,  nequa- 
quam  existimans  iterato  baptismale  opus  esse.  Quippe  jam  antea 


520  SAINT   ETIENNE  [Tome  VU- 

Spiritum  Sanctum  ab  ipso  acceperant.  Rursus  hac  qusestione 
abunde  ventilata,  concludit  in  hune  modum  :  Jllud,  inquit, 
prxtei^ea  didici,  non  ab  Afris  solis  hune  morem  nunc  pjnmum  in- 
vectum  fuisse,  sed  et  multo  antea,  superiorum  episcoporum  tem- 
poribus,  in  ecclesiis  populosissimis,  et  in  conciliis  fratrum  apud 
Iconiwn  et  Synnada,  et  apud  alios  phtnmos  idem  sancitum  fuisse. 
Quorum  sententias  et  statuta  subvertere,  eosque  ad  jurgia  et  con- 
tentiones  excitare  equidem  nolim.  Scriptum  est  enim  :  Non  corn- 
mutabis  terminas  proximi  tui  quos  parentes  tui  constituerunt. 
Quarta  ejus  de  baptismo  epistola  ad  Dionysium  scripla  est, 
tune  quidem  RomauiH  urbis  presbyterura,  sed  qui  aliquanto 
post  tempore  ejusdem  urbis  episcopus  est  constitutus.  Ex  qua 
hune  ipsum  Romanum  Dionysium,  eruditîssimumplanequead- 
mirandum  viriim  fuisse,  testimonio  Dionysii  Alexandrini  licet 
cognoscere.  Poito  in  bac  ad  illum  epistola  de  Novato  ita  scri- 
bit  :  Nam  Novatianum,  inquit,  merito  aversamur,  quippe  qui 
Ecclesiam  discidit,  etquosdam  ex  fratribus  ad  impietatem  blasphe- 
miamque  pertraxit  ;  qui  nefariam  de  Deo  doctrinom  invexit,  et 
clementissimum  Dominum  nostrum  Jesum  Christum  quasi  impla- 
cabilem  calumniatur  :  qui  prxterea  sacrum  lavacrum  oblitérât  \ 
fidemque  et  confessionem  qux  baptismum  prxcedunt  evertit;  et 
Spiritum  Sanctum  penitus  ab  illis  fugat,  tametsi  spes  aliqua 
subsit  vel  qiiod  in  illis  adhuc  maneat,  vel  quod  ad  eos  reversurus 
sit.  * 

«  Extat  et  quinta  ejusdem  epistola  ad  Xystum  Romanae 
urbis  Episcopum  scripta.   » 

Dans  cette  cinquième  lettre,  Denys  d'Alexandrie  consulte  le 
pape  saint  Sixte,  au  sujet  d'un  fidèle  de  son  diocèse  qui  avait 
été  baptisé  par  les  hérétiques,  et  qui  demandait  avec  larmes 
d'être  rebaptisé,  alléguant  que  le  premier  baptême  ne  lui  avait 
pas  été  conféré  avec  la  forme  légitime.  Après  avoir  cité  celte 
lettre  de  saint  Denys  d'Alexandrie,  Eusèbe  ajoute  : 

«  Prœler  supradictas  est  etiam  ejusdem.  epistola  de  baptismo, 
ipsius  etEcclesiaequamregebatnomine,ad  Xyslum  et  Ecclesiam 


Juin   I8G3.1  ET  SAINT   CYPRIEN.  521 

urbis  Romse  directa,  in  qua  de  proposita  quaestione  prolixam 
admodum  disputationem  instituit,  Prseterbas,  alla  exstatejus- 
dem  epistola  de  Luciano,  ad  Diouysium  Romanum  scripta.  Sed 
de  his  hactenus.  » 

Le  lecteur  a  maintenant  sous  les  yeux  tout  ce  que  dit  Eusèbe 
sur  la  question  qui  nous  occupe,  et  tout  ce  qu'il  cite  des  lettres 
de  saint  Deays  d'Alexandrie  sur  ie  même  sujet.  Gomme  il  peut 
le  remarquer,  il  n'est  question  de  saint  Cyprien  et  de  sa  con- 
testation avec  le  pape  saint  Etienne,  que  dans  le  chapitre 
troisième,  qui  se  compose  de  deux  phrases.  Partout  ailleurs, 
il  n'est  question  que  du  désaccord  des  évêques  orientaux.  Les 
passages  de  saint  Denys  d'Alexandrie  se  rapportent  unique- 
ment à  ces  derniers,  mais  ne  disent  pas  un  mot  d'un  conflit 
entre  saint  Cyprien  et  le  pape  saint  Etienne.  Ainsi^  le  témoi- 
gnage d'Eusèbe  se  renferme  exclusivement  dans  ce  chapitre 
troisième  du  septième  livre.  Nous  disons  que  le  passage  en 
question  est  apocryphe,  et  voici  nos  raisons. 

2.  Raisons  qui  doivent  faire  regarder  comme  apocryphe  le 
d^  chapitre  du  livre  7«  de  V Histoire  d'Eusèbe.  —  d"  Si  du  cha- 
pitre second  on  passe  immédiatement  au  quatrième,  comme 
si  le  troisième  n'existait  pas,  la  suite  du  discours  n'est  nulle- 
ment interrompue.  Le  lecteur  lésa  sous  les  yeux.  Qu'il  en  fasse 
la  vérification  en  joignant  les  derniers  mots  du  chapitre  second 
aux  premiers  du  chapitre  quatrième.  Non-seulement  le  fil  de 
la  narration  continue  ainsi  tout  naturellement,  mais  il  s'adapte 
mieux  au  contexte,  c'est-à-dire,  aux  lettres  de  Denys  citées 
par  Eusèbe.  En  effet,  Denys,  écrivant  au  pape  saint  Sixte,  et 
résumant  ce  qui  s'était  passé  sous  le  pontificat  de  saint  Etienne, 
passe  en  revue  les  provinces  dont  les  évêques  avaient  été  me- 
nacés d'excommunication  parce  Pape  à  cause  de  leur  coutume 
de  rebaptiser.  Or,  dans  cette  énumération,  nous  trouvons  Hélé- 
nus,  Firmilien,  et  tous  les  évêques  de  la  Cilicie,  de  la  Cappadoce 
et  des  provinces  voisines,  mais  ni  saint  Cyprien,  ni  la  province 
d'Afrique  n'y  figurent.  Assurément,  si  la  célèbre  altercation  de 


•^22  SAIM   ETIENNE  [TomoVlI, 

saint  Cyprien  et  de  saint  Etienne  avait  eu  lieu,  Denys  l'aurait 
mentionnée  en  cet  endroit.  Il  aurait  ajouté  saint  Cyprien  et 
les  évêques  d'Afrique  à  l'énumération  de  ceux  à  qui  saint 
Etienne  avait  déclaré  sese  oh  eam  causam  ah  illorum  commu- 
nione  discessurum.  Il  y  a  incohérence  avec  ce  document,  si  le 
troisième  chapitre  reste.  Il  n'y  en  a  plus,  si  on  le  suppose  ôté. 
Ainsi  ce  chapitre  troisième,  composé  seulement  de  deux 
phrases,  n'est  pas  nécessaire  pour  le  fil  de  la  narration,  et, 
d'autre  part,  il  y  a  incohérence  si  on  le  laisse  subsister.  C'est 
déjà  une  forte  raison  de  soupçonner  que  ce  chapitre  n'appar- 
tient pas  au  texte,  qu'il  y  a  été  intercalé,  qu'il  a  été  primiti- 
vement une  note  marginale,  écrite  par  quelqu'un  qui  croyait 
ou  voulait  faire  croire  à  la  prétendue  controverse  ;  et  que  de 
*a  marge  cette  note  aura  passé  dans  le  corps  des  manuscrits. 
A  ce  soupçon  bien  fondé  vient  se  joindre  une  preuve  propre- 
ment dite.  En  etïet  : 

2°  On  ne  peut  pas  attribuer  à  Eusèbe  les  premiers  mots  de 
ce  troisième  chapitre.  Avant  de  le  démontrer,  nous  avons  à 
constater  une  variante  relative  aux  mots  en  question.  Le 
Codex  regius  portB:  Trpwroç  tots  KuTrpiavoç,  j)riinus  tune  Cy- 
prianus  etc.  Mais  dans  quatre  autres  manuscrits  la  phrase  se 
trouve  ainsi  :  Trpwxo;  twv  to'te  KuTrptavoç;  mots  que  l'annaliste  de 
saint  Cyprien  traduit  ainsi  :  pritnus  eorum  qui  tune  extiterunt 
Cyprianus  etc.  La  première  leçon  ne  comporte  qu'un  sens  :  elle 
signifie  que  saint  Cyprien  a  été  le  premier,  quant  au  temps,  à 
soutenir  qu'on  devait  rebaptiser  les  hérétiques  convertis  ;  c'est- 
à-dire,  qu'il  a  soutenu  cette  opinion  avant  tout  autre  évêque. 
La  seconde  leçon,  uptoToç  tô3v  tote  KuTrptavoç,  a  paru  à  certains 
érudits  pouvoir  être  entendue  aussi  en  ce  sens,  que  saint  Cy- 
prien a  été  le  premier  quant  au  mé?ite,  c'est-à-dire,  le  plus 
illustre  parmi  les  évêques  qui  soutinrent  à  cette  époque  la 
doctrine  en  question.  Sans  discuter  la  légitimité  de  cette  der- 
nière interprétation,  nous  disons  :  Ni  l'un  ni  l'autre  sens  ne 
saurait  être  attribué  à  Eusèbe,  et  par  conséquent  le  passage 
est  apocryphe. 


Juitil-îCS.]  ET   SAINT   CYPRIEN.  823 

Premièrement,  Easèbe  n'a  pas  pu  écrire  qae  saint  Gyprieu 
avait  soutenu  le  premier,  c'est-à-dire  avant  tout  autre  évêque,  la 
nécessité  de  rebaptiser  les  hérétiques  convertis.  C'était  notoi- 
rement faux,  et  Eusèbe  lui-même  relate  la  lettre  de  Denys 
d'Alexandrie  qui  atteste  expressément  le  contraire  en  ces 
termes  :  Jllud  prseterea  didici,  non  ah  Afris  solum  hune  morem 
nunc  primum  invectum  fuisse  ;  sed  et  multo  antea,  superiorum 
episcoporum  temporibus,  in  ecclesiis  populosissimis ,  et  in  con- 
ciliis  fratrum  apud  Iconium  et  Synnada  et  apud  alios  plurimos 
idem  sancitum  fuisse.  (Lettre  à  Philémon,  déjà  citée  plus  haut.) 
D'ailleurs  nous  sommes  d'accord  ici  avec  nos  adversaires.  Ils 
admettent  comme  authentique  la  lettre  de  suint  Cyprien  aux 
évêques  de  Numidie.  Or,  dans  cette  lettre,  saint  Cyprien 
atteste  lui-même  qu'il  n'est  pas  le  premier  à  soutenir  ce  senti- 
ment ;  que,  longtemps  avant  lui,  Agrippinus  et  les  autres 
évêques  d'Afrique  ont  décidé  ainsi.  Ils  admettent  aussi  comme 
authentique  la  lettre  deFirmilien.  Or,  il  y  est  dit  expressément 
que  le  pape  Etienne  a  rompu  la  paix  d'abord  avec  les  Orien- 
taux, puis  avec  les  évêques  d'Afrique,  modo  cum  Orientalibus, 
quod  nec  vos  latere  confidimus^  modo  vobiscum  qui  in  meridie 
estis.  Il  est  donc  impossible  qu'Eusèbe  ait  attribué  la  priorité 
de  la  dispute  à  saint  Cyprien,  lui  qui  ne  pouvait  ignorer  le  fait 
antérieur  de  celte  dispute  en  Orient,  puisqu'il  l'atteste  ;  lui  qui 
dit  expressément,  en  s'appropriant  les  paroles  de  saint  Denys 
d'Alexandrie,  que  cette  controverse  avait  eu  lieu  multo  antea, 
superiorum  Episcoporum  temporibus.  Donc  les  mots,  irpw-coi;  tôtê, 
ou  irpwToç  xwv  T0T6,  daus  le  sens  d'une  priorité  de  temps ^  ne  sont 
pas  d'Eusèbe. 

Secondement,  il  n'a  pas  pu  les  écrire  non  plus  en  les  enten- 
dant d'une  prîbnVe  de  mérite  ;  en  d'autres  termes,  on  ne  peut  pas 
supposer  qu'Eusèbe  ait  proclamé  saint  Cyprien  le  plus  illustre 
parmi  les  évêques  défenseurs  de  la  doctrine  en  question.  Nous 
venons  de  le  voir,  la  controverse  avait  précédemment  agité 
plusieurs  provinces  de  l'Orient.   Bon  nombre  d'évèques,   et 


524  SAINT   ETIENNE  [Tome  VII. 

entr'autres  le  célèbre  Firmilien,  avaient  été  en  opposition  à  ce 
sujet  avec  le  pape  saint  Etienne,  qui  en  était  venu  jusqu'à  les 
menacer  d'excommunication.  En  supposant  que  saint  Cyprien 
eût  plus  tard  suivi  l'exemple  de  ces  évéques  d'Orient,  Eusèbe 
n'aurait  pu  voir  dans  son  opposition  au  Pape,  qu'une  imitation, 
une  extension,  venant  en  seconde  ligne.  Il  n'aurait  doue  pas 
attribué  à  saint  Cyprien  une  primauté  d'importance.  Ou  ne 
peut  pas  supposer  qu'aux  yeux  d'Eusèbe  les  hommes  et  les 
événements  de  l'Afrique  aient  été  plus  importants  que  ceux  de 
l'Orient,  sa  patrie.  Ainsi,  dans  l'hypothèse  que  les  mots  TrpwToç 
Twv  to'ts,  signitient  une  priorité  de  mérite,  on  ne  peut  pas  les 
attribuer  à  Eusèbe.  On  ne  peut  pas  les  lui  attribuer  non  plus, 
s'ils  signifient  une  priorité  de  temps;  donc  ils  sont  apo- 
cryphes. 

3»  D'ailleurs,  si  Eusèbe  avait  écrit  le  troisième  chapitre  en 
question,  il  aurait  appuyé  par  quelque  passage  de  saint  Denys 
d'Alexandrie  le  fait,  attesté  en  cet  endroit,  de  la  contestation 
de  saint  Cyprien  avec  le  pape  saint  Etienne.  Il  avertit  lui-même 
qu'il  va  écrire  le  septième  livre  de  son  histoire  en  reproduisant 
ios  lettres  de  saint  Denys.  Et  de  fait,  pour  chacun  des  autres 
événements,  c'est  moins  lui  qui  raconte,  que  saint  Denys,  dont 
il  rapporte  les  paroles.  Seul,  le  troisième  chapitre,  composé 
de  deux  phrases,  et  affirmant  la  contestation  de  saint  Cyprien, 
se  trouve  sans  l'appui  d'aucune  citation.  Parmi  tant  d'extraits 
des  lettres  de  saint  Denys  relatives  à  la  question  du  baptême  et 
à  la  collision  entre  les  évêques  d'Orient  et  le  Pape,  il  n'y  a  pas 
un  mot  qui  mentionne  saint  Cyprien  et  sa  résistance  à  ce  même 
pape  saint  Etienne.  Pour  le  lecteur  attentif,  c'est  un  nouveau 
motif  de  regarder  ce  troisième  chapitre  comme  étranger  au 
texte  d'Eusèbe,  comme  une  note  surajoutée  plus  tard,  d'abord 
en  marge  peut-être,  et  ensuite  dans  le  corps  de  l'ouvrage. 


Juin  1863.)  ET   SAINT  CYPRIEN.  525 

III. 

Le  silence  de  saint  Denys  d' Alexandrie  prouve  que  le  prétendu 
conflit  de  saint  Cyprien  avec  le  pape  saint  Etienne  est 
une  fable. 

d°  Nous  avons  recueilli  sous  le  numéro  précédent  tout  ce 
qu'Eusèbe  nous  a  conservé  des  lettres  de  saint  Denys  sur  la 
question  du  baptême  des  hérétiques.  Le  lecteur  a  pu  voir 
qu'il  n'y  a  pas  im  mot  sur  saint  Cyprien,  pas  un  mot  sur  sa 
contestation  avec  le  Pape,  pas  un  mot  sur  les  trois  conciles  de 
Cartilage. 

2°  Si  quelqu'un  devait  parler  de  ce  célèbre  conflit,  c'était 
bien  Denys  d'Alexandrie.  Ses  lettres  roulent  sur  le  conflit  qui 
s'éleva  pour  la  même  question  entre  le  pape  saint  Etienne  et 
les  évêques  d'Orient.  Il  nous  fait  connaître  ces  évêques. 
C'étaient  Hélénus,  Firmilien,  et  généralement  tous  les  évêques 
de  la  Cilicie,de  la  Cappadoce,  et  des  provinces  voisines.  Il  nous 
dit  que  le  pape  saint  Etienne  les  menaça  d'excommunication, 
s'ils  continuaient  à  rebaptiser  les  hérétiques  convertis.  Il  se 
porta  comme  médiateur  entre  eux  et  les  papes  saint  Etienne  et 
saint  Sixte.  Si  le  même  conflit  avait  existé  entre  le  pape  saint 
Etienne  et  les  évêques  d'Afrique,  ayant  à  leur  tête  saint 
Cyprien,  Denys  d'Alexandrie  ne  l'aurait  pas  ignoré,  lui  dont 
le  siège  était  voisin  du  théâtre  où  il  se  serait  déployé.  Lorsqu'il 
énumère  les  provinces  dont  les  évêques  furent  menacés  d'ex- 
communication par  le  pape  saint  Etienne,  à  cause  de  leur  usage 
de  rebaptiser,  il  n'aurait  pas  manqué  d'ajouter  l'Afrique,  et  de 
joindre  le  nom  de  saint  Cyprien,  chef  de  l'opposition  dans  ce 
pays,  à  ceux  d'Hélénus  et  de  Firmilien.  Sur  le  fait  de  cette  op- 
position de  saint  Cyprien  et  des  évêques  d'Afrique,  il  garde 
un  silence  complet.  Dans  sa  lettre  à  Philémon,  il  dit  que  les 
Africains  ont  aussi  la  coutume  de  rebaptiser  les  hérétiques 


526  SAINT   ETIENNE  [Tome  VU, 

convertis:  Didici  non  ab  A  fris  solum  hune  morem  nunc  primum 
invectum  fuisse,  sed  et  multo  antea  superiorum  episcoporum 
temporibus.  Mais  que  saint  Cyprien  et  les  évêques  d'Afrique 
aient  résisté  au  pape  saint  Etienne^  qu'ils  aient  célébré  trois 
conciles,  qu'ils  aient  été  eus  aussi  menacés  d'excommunica- 
tion, il  n'en  dit  pas  un  mot.  Il  fait  mention  expresse  de  la 
coutume  africaine,  mais  non  du  prétendu  conflit. 

On  dira  qu'il  en  parlait  peut-être  dans  les  passages  non 
cités  par  Eusèbe.  Nous  répondons  :  La  difficulté  est  la  même  ; 
Eusèbe  n'aurait  pas  supprimé  les  passages  relatifs  au  conflit 
de  l'Afrique,  s'il  les  avait  eus  sous  les  yeux.  Il  reproduit  la 
phrase  où  Denys  énumère  les  provinces  des  évoques  menacés 
d'excommunication.  Dans  cette  phrase  même  devrait  se  trou- 
ver le  nom  de  l'Afrique  et  celui  de  saint  Cyprien.  SU  y  eût 
été,  Eusèbe  ne  l'aurait  pas  retranché. 

On  a  prétendu  que  Denys  indique  suffisamment  le  conflit  en 
question  par  cette  phrase  :  Didici  non  ab  A  fris  solum  hune  mo- 
rem nunc  primum  invectum  esse,  sed  et  multo  antea,  etc.  Il  n'en 
est  rien.  Cette  phrase  atteste  seulement  pour  l'Afrique  la  cou- 
tume de  rebaptiser,  mais  elle  n'atteste  nullement  le  fait  d'une 
opposition  au  Saint-Siège  de  la  part  de  saint  Cyprien,  et  des 
autres  évêques  africains.  Elle  ne  dit  pas  que  le  pape  saint  ' 
Etienne,  ayant  voulu  faire  disparaître  cette  coutume  de  l'A- 
frique, ait  rencontré^une  résistance  quelconque  de  la  part  de 
saint  Cyprien  et  de  ses  collègues.  Elle  ne  dit  pas  que  ce  Pape 
les  ait  menacés  d'excommunication.  Or,  c'est  précisément  ce 
que  saint  Denys  n'aurait  pas  manqué  de  dire,  si  le  fait  eût 
été  réel.  Énumérant  les  provinces  où  ce  fait  avait  eu  lieu,  il 
n'aurait  pas  manqué  de  mentionner  aussi  l'Afrique.  11  habitait 
ce  pays  ;  il  ne  se^  serait  pas  moins  intéressé  aux  affaires  de 
l'Afrique  qu'à  celles  de  l'Orienta 

Il  importe  aussi  de  remarquer  que  Denys  n'a  pas  écrit  seu- 
lement au  pape  saint  Etienne,  mais  encore  à  son  successeur 
saint  Sixte  ;  et  c'est  dans  sa  lettre  à  ce  dernier  qu'il  résume  ce 


Juin  1863.]  ET   SAINT   CTPRIKN.  527 

qui  avait  eu  lieu  sous  le  précédent  pontificat  au  sujet  du  bap- 
tême des  hérét.  ques.  Nos  adversaires  ne  peuvent  donc  pas 
expliquer  son  silence  en  disant  que  peut-être  le  conflit  d'Afri- 
que n'avait  pas  encore  eu  lieu  quand  il  écrivit  ses  lettres.  C'est 
entre  saint  Cyprien  et  le  pape  saint  Etienne  que  ce  conflit 
aurait  eu  lieu,  s'il  n'était  pas  une  fable  ;  et  Denys  écrivait  un 
résumé  des  faits  au  successeur  de  saint  Etienne. 

3°  Concluons  :  Denys  d'Alexandrie  n'a  pas  pu  écrire  sur  un 
tel  sujet,  de  la  manière  et  dans  les  circonstances  mentionnées, 
sans  parler  du  célèbre  conflit  entre  le  Pape  et  saint  Cyprien, 
si  ce  conflit  avait  eu  lieu.  Il  n'en  dit  pas  un  mot:  donc  l'bis- 
toire  de  ce  conflit  doit  être  tenue  pour  apocryphe. 


IV. 


La  lettre  de  saint  Basile  à  Amphilochius,  au  lieu  de  prouver  le 
célèbre  conflit  entre  saint  Cyprien  et  le  pape  saint  Etienne, 
prouve  plutôt  que  ce  conflit  n  a  jamais  existé. 

On  cite  cette  lettre  de  saint  Basile  (qui  est  la  <88*,  tome 
XXXII,  colonne  663,  de  la  Patrologie  grecque  de  Migne)  comme 
une  des  principales  preuves  du  prétendu  conflit.  Reproduisons 
d'abord  les  passages  relatifs  à  la  question  :  nous  ferons  voir 
ensuite  combien  la  conclusion  qu'on  en  tire  est  peu  fondée. 
Saint  Basile  répond  ainsi  aux  difficultés  proposées  par  Ampbi- 
lochius  : 

«  Certe  et  nunc  cum  de  interrogalis  tuisnunquam  bactenus 
sollicite  cogitassem,  coactus  sum  diligenter  attendere,  et  si 
quid  a  senioribus  audieram,  recordari,  et  cognata  lis  quse  didi- 
ceram,  per  me  ipse  ratiociûari. 

«  Quod  igitur  ad  Catbaros  pertinet,  et  prius  dictum  est,  et 
recte  admonuisti  uniuscujusque  regionis  morem  sequi  opor- 
tere  :  quod  ii,  qui  lune  de  illis  statuerunt,  in  varias  de  ipsorum 
baptismate  sententias  abierint.  Pepuzenorum  autem  baptisma 


528  SAINT   ETIENNE  [Tome  Vil 

nullam  mihi  habere  rationem  videtur,et  miratus  sum  quomodo 
hoc  Dionysiurn,  hominem  canonum  peritum,  fugerit.  Antiqui 
eniin  illud  baptisma  suscipieiidiim  putavere,  quod  iiihil  a  fide 
recedit;  unde  alias  quidem  haereses,  alla  schismata,  alias  para- 
synagogas  nominarunt.  Kœreses  quidem  eos  qui  penitus  resecti 
sunt,  et  in  ipsa  fide  abalienati  ;  scbismata  vero,  eos  qui  propter 
ecclesiaslicas  quasdam  causas  et  quœstiones  inler  utramque  par- 
tem  non  insanabiles  dissident;  parasynagogas  autem  couventus 
illos  qui  ab  immorigeris  presbyteris  aut  episcopis  et  a  populis 
disciplinée  expertibusfiunt.  Velutsi  quis  indelicto  depixhensus 
a  ministerio  arcealur,  necse  canouibus  submittat,  sed  sibi  prin- 
cipatuin  et  ministerium  vindicet,  ac  nonnuUi  una  cum  eo,  relicta 
catholica  Ecclesia,  discedant  ;  hoc  dicitur  parasynagoga.  Schis- 
ma  autem  est,  de  pœnitentia  ab  iis  qui  ex  Ecclesia  sunt  disseu- 
tire.  Hœreses  autem,  velut  JNIanichœorum  et  Valentinianorum 
et  Marciouistarum  et  horum  ipsorum  Pepuzenorum  ;  slatim 
enim  de  ipsa  in  Deum  iide  dissensio  est.  Visum  est  ergo  anti- 
quis,  hsereticorum  quidem  baptisma  penitus  rejicere;  schismati- 
corum  vero,  ut  adhuc  ex  Ecclesia  existentium,  admittere  ;  eos 
tandem  qui  sunt  in  parasynagogis,  justa  pœnitentia  et  animad- 
versione  emendatos  rursus  Ecclesiaeconjungere;  adeo  ut  saepe 
et  ii  qui  in  gradu  collocati  una  cum  rebellibus  abierant,  post- 
quam  pœnitentiam  egerint,  in  eumdem  ordinem  admittantur. 
Pepuzeni  ergo  sunt  aperte  hceretici  :  nam  in  Spiritum  Sanctum 
blasphemaverunt,  Montano  et  Priscillœ  Parade ti  appellationem 
nefarie  impudenterque  attribuentes...  Quaigiturrationeeorum 
baptisma  admiltatur,  cum  in  Palrem  et  Filium  et  Montanum 
aut  Priscillam  baptizeut  ?  non  enim  baptizati  sunt  qui  in  ea, 
quse  nobis  tradita  non  sunt,  baptizati  fuere.  Quare,  etsi  hoc 
Dionysium  magnum  latuit,  servanda  nobis  non  est  imitatia 
erroris.  Hoc  enim  quam  absurdum  sit,  sua  sponteperspicuum 
est  ac  omnibus  evidens,  qui  vel  leviter  ratiocinari  possuut. 
Catiiari  sunt  et  ipsi  ex  iis  qui  sunt  abscissi.  Caelerum  antiquis 
visum  est,  Gypriano  dico  et  nostro  Firmiliano,  hos  omnes  uni 


Juin  18C3.1  ET  SAINT   CYPRIEN  229 

calculo  subjicere,  Catliaros,  et  Encratitas,  et  Hydroparastatas 
(ttX^v  àXX'lfSo^e  toïç  ap^afoiç,  xotç  uepl  KuTrpiavbvXsYW  xa\  <l>tp(jLiXiavûv 
TOv:?)[i.£T£pov,  TouTOuç  Travraç  \^.\.^  <|''il<fw  uTtoêaXetv,,.)  ;  propterea  quod 
principium  quidem  separationis  per  schisma  factum  fiierat  : 
qui  autem  ab  Ecclesia  se  separaverant,  non  habebant  amplius 
in  se  gratiam  Spiritus  Sancti  :  defecerat  enim  communicatio, 
interrupta  continualione.  Qui  enim  primi  recesserant,  ordina- 
tionem  a  patribiis  habebant,  et  per  manuum  eorum  imposi- 
tionem  habebant  donum  spirituale  ;  qui  autem  reseeti  sunt, 
laici  efifecti,  nec  baptizandi,  nec  ordinandi  habebant  potesta- 
tem,  ut  qui  non  possent  amplius  Spiritus  Sancti  gratiam  aliis 
prœbere,  a  qua  ipsi  exciderant.  Quare  eos  qui  ab  ipsorum  par- 
tibus  stabant,  tanquam  a  laicis  baplizatos,  jusserunt  vero 
eeclesiae  baptismale  ad  Ecclesiam  venientes  expurgari.  Sed 
quoniam  nonnullis  Asiaticis  omnino  visum  est  eorum  baptisma, 
phiribus  consulendi  causa,  suscipiendum  esse,  suscipiatur. 
Encratitarum  autem  facinus oportet  nos  intelligere.  Nimiruni, 
ut  reditum  sibi  in  Ecclesiam  intercludant,  aggressi  sunt  dein- 
ceps  proprio  baptismale  prseoccupare  :  unde  et  suam  ipsorum 
consuetudiuem  violarunt.  Ëxislimo  itaque,  quoniam  nihil  de 
iUis  ap'erte  dictum  est,  eorum  baptisma  a  nobis  rejicieudum 
esse;  ac  si  quis  ab  eis  acceperil,  accedeutem  ad  Ecclesiam 
baptizandum.  (  Quod  si  hoc  generali  œconomiae  impedimento 
erit,  rursus  consueludine  utendumest,  et  sequi  oportet  patres, 
qui  quse  ad  nos  pertinent,  dispensaverunt.  Vereor  enim  ne, 
dum  eos  volumus  ad  baptizandum  tardos  facere,  impedimento 
propter  sententise  severitatem  simus  iis  qui  salvanlur.)  Quod 
si  illi  nostrum  baptismum  servant,  hoc  nos  non  moveat.  Neque 
enim  debemus  par  pari  referre,  sed  accuratse  canonum  obser- 
valioni  servire.  Omui  autem  ratione  slatualur,  ut  ii  qui  ab 
illorum  baptismo  veniunt,  ungantur  coram  fîdelibus  videlicet, 
et  ita  demum  ad  mysteria  accédant.  Scio  autem,  fratres,  Izoi- 
num  et  Saturninum,  qui  erant  ex  illorum  ordiue,  in  Episco- 
porum  cathedram  a  nobis  esse  susceptos.  Quare  eos  qui  illorum 


S30  SAINT   ETIENNE.  [Tome  VU. 

ordini  conjuncti  sunt,  non  possumus  amplius  ab  Ecclesia 
separare  :  qui  scilicet  communioniscum  ipeis  quasi  eanonem, 
Episcopos  suscipiendo^  ediderimus,  » 

Le  contenu  de  ce  document  peut  se  résumer  ainsi  :  l"  saint 
Basile  avoue  qu'il  ne  s'était  jamais  occupé  sérieusement  de 
la  question,  'i»  Il  affîrme  que  les  anciens  ont  tenu  pour  nul  le 
baptême  des  hérétiques,  pour  valide  celui  des  schismatiques. 
3°  Il  pense  que  les  pépuziens  sont  certainement  des  hérétiques, 
et  que  leur  baptême  doit  par  conséquent  être  regardé  comme 
nul.  4»  II  s'étonne  que  Denys  d'Alexandrie  ait  été  d'un  avis 
contraire  à  l'égard  de  ces  Pépuziens,  et  dit  qu'il  s'est  évidem- 
ment trompé.  5°  Il  parle  nommément  de  saint  Cyprien  et  de 
Firmilien  en  usant  de  cette  formule  :  les  anciens,  je  veux  dire 
Cyprien  et  notre  Firmilien,  ont  pensé.  Et  tout  ce  qu'il  nous  eu 
dit,  c'est  qu'ils  ont  regardé  comme  nul  le  baptême  des  cathares, 
des  encratites  et  des  hydroparastes,  statuant  en  conséquence 
qu'il  fallait  baptiser  ceux  qui  renonçaient  à  ces  sectes  pour 
rentrer  dans  le  sein  de  l'Église.  6"  Il  affirme  que  néanmoins 
certains  évêques  de  l'Asie  ont  cru  qu'il  fallait  accepter  comme 
bon  le  baptême  de  ces  trois  sectes,  c'est-à-dire,  des  cathares, 
des  encratites  et  des  hydroparastes.  7" Il  se  rallie  à  ce  sentiment 
et  trouve  bon  qu'on  le  suive.  8"  Cependant,  pour  ce  qui  est  des 
encratites,  il  pense  qu'on  devrait  les  rebaptiser  ;  mais  il  aime 
mieux  qu'on  s'en  tienne  à  la  coutume  contraire  si  elle  a  été 
établie,  et  s'il  y  avait  des  inconvénients  à  s'en  départir.  9°  Il 
signale  le  fait  de  deux  évêques  encratites  reçus  par  les  catho- 
liques dans  leur  communion  ;  il  en  conclut  que  par  là  même 
on  a  reçu  leurs  adhérents  à  la  communion  catholique,  et  par 
conséquent  admis  leur  baptême  comme  valide.  Examinons 
maintenant  ce  qu'on  peut  logiquement  conclure  de  cette  lettre 
de  saint  Basile. 

1"  Saint  Basile  ne  mentionne  aucun  conflit  entre  le  pape 
saint  Etienne  et  saint  Cyprien.  Qu'on  hse  et  qu'on  relise,  on 
ne  trouvera  pas  un  mot  sur  la  prétendue  résistance  des  évêques 


Jam  1863.]  BT  SAINT   CYPRIEN.  53 f 

d'Afrique  à  un  décret  papal.  Saint  Basile  se  borne  à  dire  que 
Cyprien  et  Firmilien  regardèrent  comme  nul  lu  baptême  des 
cathares,  des  eucratiteset  des  bydroparastes.  Par  le  contexte, 
il  fait  entendre  qu'ils  portaient  le  même  jugement  sur  le  bap- 
tême des  hérétiques  proprement  dits,  quels  qu'ils  fussent. 
Comme  aussi,  par  le  contexte,  il  fait  entendre  que  Cyprien  et 
Firmilien  regardèrent  comme  nul  le  baptême  des  schisma- 
tiques.  Je' dis,  par  le  contexte,  c'est-à-dire  en  supposant  qu'il 
faille  appliquer  à  Cyprien  et  à  Firmilien  l'expression  à'an- 
ciens,  dans  la  phrase  :  Visum  est  ergo  antiquis,  etc.  Ainsi,  l'u- 
nique fait  que  nous  apprend,  que  nous  atteste  la  lettre  citée 
par  rapport  à  saint  Cyprieu,  c'est  qu'il  regarda  comme  nul  le 
baptême  des  hérétiques  proprement  dits.  Ce  fait,  nous  ne  le 
contestons  pas;  nous  le  laissons  pour  ce  qu'il  est.  Mais,  de  ce 
que  saint  Cyprien  aurait  ^été  de  ce  sentiment,  s'ensuivrait-il 
qu'il  se  soit  obstiné  contre  un  décret  formel  du  Pape,  qui 
l'aurait  condamné  en  le  menaçant  d'excommunication,  s'il  ne 
se  soumettait  ?  Évidemment  non.  Qu'on  le  remarque  bien  : 
toute  notre  controverse  roule  sur  le  fait  d'un  conflit  scanda- 
leux. Que  saint  Cyprien,  comme  certains  évêques  orientaux, 
ait  regardé  comme  nul  le  baptême  des  hérétiques,  et  qu'il  y 
ait  eu  dissentiment  à  cette  époque,  ce  n'est  pas  étonnant. 
Nous  voyons,  par  la  lettre  citée,  que  saint  Basile,  évêque  en 
369,  cent  dix  ans  après  le  martyre  de  saint  Cyprien,  était  en- 
core bien  peu  fixé  sur  cette  matière.  Ce  que  nous  nions,  c'est 
la  prétendue  rébellion  de  saint  Cyprien  et  des  évêques  d'A- 
frique contre  un  décret  et  un  ordre  formel  du  pape  saint 
Etienne.  Nous  nions  ce  prétendu  décret  :  nous  nions  la  scan- 
daleuse opposition  qu'y  aurait  faite  le  troisième  concile  de 
Carthage.  Nous  nions  les  insolentes  lettres  attribuées  à  saint 
Cyprien  et  à  Firmilien,  où  l'emportement  le  dispute  à  l'incon- 
venance ;  où  le  pape  saint  Etienne  est  traité  d'ignorant,  d'en- 
têté, de  fou,  de  Judas,  d'Antecbrist,  de  faux  apôtre,  d'excom- 
munié. De  tous  les  laits  qui  constituent  la  scandaleuse  his- 


S32  SAINT   ETIENNE  ITome  VII 

toire  niée  par  nous,  saint  Basile  n'eu  affirme  pas  un  seul 
Admettons  que  saint  Cyprien  ait  regardé  comme  nul  le  bap- 
tême des  hérétiques  :  le  fait  de  cette  opinion  n'est  pas  le  con- 
flit, ne  le  suppose  pas,  ne  le  prouve  pas.  Saint  Cj'prien  a  pu 
le  penser  ainsi  sans  qu'il  y  ait  eu  aucun  décret  papal,  aucun 
conflit.  Cent  vingt  ans  après,  nous  voyons  saint  Basile  pen- 
cher encore  pour  cette  opinion,  ce  qui,  assurément,  ne  prouve 
aucun  conflit  de  sa  part  avec  le  Saint-Siège. 

2°  Il  y  a  plus.  La  lettre  de  saint  Basile  prouve  que  le  pré- 
tendu décret  du  pape  saint  Etienne,  la  lettre  de  Firmilien  à 
saint  Cyprien,  en  un  mot  toute  l'histoire  du  conflit,  est  une 
fable.  En  effet,  saint  Basile  était  à  Césarée  en  Cappadoce, 
c'est-à-dire  dans  cette  même  ville  où.  cent  vingt  ans  aupara- 
vant, son  prédécesseur  Firmilien  avait  été  un  des  plus  ar- 
dents à  soutenir  la  nullité  du  baptême  des  hérétiques.  La  con- 
troverse avait  réellement  eu  lieu,  comme  nous  l'apprennent 
Eusèbe  et  Denys  d'Alexandrie,  entre  les  évêques  d'Asie  et  le 
pape  saint  Etienne.  Ce  dernier  en  était  même  venu  jusqu'à  les 
menacer  de  se  retirer  de  leur  communion.  Si  quelqu'un  a  dû 
avoir  connaissance  du  décret  qu'on  suppose  adressé  par  saint 
Etienne  aux  évêques  d'Afrique,  c'est  bien  saint  Basile.  Ce  dé- 
cret aurait  fait  la  plus  grande  sensation  à  Césarée  ;  il  tran- 
chait absolument  la  difficulté  :  Si  quis  a  quacumque  hseresi  ve- 
nerit  ad  vos,  nihil  innovetur,  etc.  11  aurait  été  envoyé  par  saint 
Cyprien  à  Firmilien,  et  celui-ci  l'aurait  réfuté  en  déclarant  le 
Pape  séparé  de  l'Église.  On  doit  supposer  qu'une  copie  du 
décret,  ainsi  que  de  la  lettre  de  Firmilien,  étaient  conservées 
dans  les  archives  de  l'Église  de  Césarée.  Ces  pièces  auront  été 
trouvées  par  saint  Basile,  qui  nous  dit  avoir  interrogé  et  fait 
des  recherches.  En  supposant  ces  pièces  perdues,  la  substance, 
au  moins,  s'en  serait  conservée  par  la  tradition.  En  un  mot, 
saint  Basile,  à  Césarée,  n'a  pu  ignorer  le  décret  du  pape  saint 
Etienne,  si  ce  décret  a  réellement  été  porté,  non  plus  que  la 
désobéissance  de  saint  Cyprien,  à  laquelle  se  serait  joint  Fir- 
milien. 


iuial803.]  ET   SAINT  CYPRIEN.  L33 

Or,  la  lettre  de  saint  Basile  suppose  évidemment  qu'il  n'a- 
vait aucune  connaissance  d'un  pareil  décret.  Il  traite  la  ques- 
tion comme  s'il  n'était  jamais  intervenu  aucune  décision  du 
pape  saint  Etienne,  et  comme  si  le  sentiment  de  saint  Cyprien 
avait  été  et  demeurait  encore  une  opinion  libre,  qu'on  peut 
suivre  ou  rejeter.  Après  avoir  rapporté  comment  saint  Cy- 
prien tenait  pour  nul  le  baptême  des  cathares,  des  encratites 
et  des  hydroparastes,  il  ajoute  qu'on  peut  néanmoins  admettre 
ce  baptême  comme  boa  ;  et  la  seule  raison  qu'il  en  donne, 
c'est  que  tel  a  été  l'avis  de  quelques  évêques  d'Asie  :  «  Sed  quo- 
niam  nonnullis  Asiaticis  omnino  visu  m  est  eorum  baptisma, 
pluribus  cousulendi  causa,  suscipiendum  esse,  suscipialur.  » 
S'il  avait  connu  un  décret  du  pape  saint  Etienne  décidant  la 
validité  du  baptême  conféré  par  n'importe  quels  hérétiques 
{ex  quacumque  hxresi  venientes) ,  et  défendant  de  le  réitérer,  il 
ne  se  serait  pas  contenté  de  dire  :  Quoniam  nonnullis  Asiaticis 
visum  est,  il  aurait  dit  avant  tout  :  Quoniam  a  Stéphane  Romans^ 
Urbis  episcopo  decretum  est. 

Le  sentiment  qu'il  émet  au  sujet  des  encratites  prouve 
aussi  qu'il  ne  connaissait  pas  le  décret  du  pape  saint  Etienne. 
Il  pense  qu'on  doit  regarder  comme  nul  le  baptême  de  ces 
sectaires  et  le  réitérer,  à  moins  qu'à  raison  d'un  plus  grand 
bien  il  ne  vaille  mieux  suivre  la  pratique  contraire.  S'il  avait 
connu  la  défense  formelle  du  pape  saint  Etienne  de  rebaptiser 
aucun  hérétique,  il  n'aurait  pas  émis  une  pareille  opinion. 

Il  n'aurait  pas  écrit  non  plus  ces  lignes  :  Pepuzenorum  au- 
tem  baptisma  nullam  mihi  habere  rationem  videtur,  et  miratus 
sum  quomodo  Dionysium  fugerit.  Comment  supposer  qu'en 
présence  d'un  décret  du  pape  saint  Etienne,  déclarant  valide 
le  baptême  des  hérétiques,  saint  Basile  eût  osé  décider  en 
sens  contraire,  sans  même  daigner  faire  mention  du  décret 
papal?  De  plus,  sachant  qu'il  avait  contre  lui  l'opinion  de  De- 
nys  d'Alexandrie  et  le  décret  formel  du  pape  saiut  Etienne,  il 
se  serait  objecté  l'autorité  du  premier,  et  n'aurait  pas  dit  mot 


53i  SAINT   ETIENNE  [Toni9  VII. 

de  celle  du  second,  c'est-à-dire  de  la  principale,  selon  toutes 
les  idées  de  saint  Basile  lui-même.  C'est  inadmissible. 

Ainsi,  loin  de  pouvoir  être  alléguée  comme  preuve  du  cé- 
lèbre conflit,  la  lettre  de  saint  Basile  prouve  qu'il  n'a  point 
existé.  En  même  temps,  elle  fait  entrevoir  ce  qu'avait  été  la 
controverse  entre  le  pape  saint  Etienne  et  les  évêques  d'O- 
rient. Quoiqu'Eusèbe  et  Denys  d'Alexandrie  nous  représentent 
le  dissentiment  comme  assez  vif,  non  medïocris  cont7^oversia,  et 
ajoutent  que  le  pape  saint  Etienne  menaça  d'excommunica- 
tion, ce  pontife  n'en  vint  pas  à  prononcer  définitivement; 
Denys  d'Alexandrie  s'efforçait  de  l'en  dissuader.  Tout  consi- 
déré, le  Saint-Siège  crut  devoir,  pour  lors,  laisser  la  contro- 
verse libre  et  tolérer  la  diversité  de  pratique.  De  là  les  di- 
vergences d'opinion  sur  cette  matière  entre  de  saints  évêques, 
tels  que  saint  Firmilien  et  saint  Denys  d'Alexandrie  ;  le  pre- 
mier tenant  pour  nul,  et  le  second  regardant  comme  valide 
le  baptême  des  cataphryges  ou  des  pépuziens.  La  lettre  de  saint 
Basile  prouve  que  la  liberté  de  la  controverse  durait  encore 
de  son  temps. 

Cet  exposé  historique  une  fois  admis,  on  doit  conclure  : 
1°  relativement  au  prétendu  conflit  entre  saint  Etienne  et 
saint  Cyprien,  que  c'est  une  fable;  2"  relativement  à  la  con- 
troverse du  même  Pape  avec  les  évêques  d'Orient,  qu'elle  eut 
lieu  en  effet,  mais  sans  que  le  Saint-Siège  en  vint  à  pronon- 
cer définitivement,  sans  que  la  controverse  cessât  d'être  libre, 
sans  que  rien  autorise  à  supposer  que  Firmilien  ou  les  autres 
évêques  orientaux  aient  manqué  à  l'obéissance  et  aux  égards 
dus  au  Pontife  romain.  Ils  purent  innocemment  soutenir  leur 
opinion  avant  que  le  Pape  se  prononçât.  Lorsqu'il  leur  dit 
qu'il  se  retirerait  de  leur  communion  s'ils  ne  changeaient 
leur  pratique  de  rebaptiser,  il  est  probable  qu'ils  se  décla- 
rèrent prêts  à  se  soumettre  si  le  Saint-Siège  prononçait  dans 
ce  sens;  et  rien  n'atteste  le  contraire.  Comme  le  Saint-Siège 
ue  crut  pas  devoir  prononcer  définitivement,  ils  purent  con- 


Jmnl863.]  ET  SAINT   CYPRIEN.  533 

server,  leur  opinion  ;  la  controverse  resta  libre,  et  elle  l'était 
encore  du  temps  de  saint  Basile,  comme  la  lettre  le  suppose. 

V. 

Le  traité  anonyme  sur  la  réitération  du  baptême  est  un  document 
contraire  à  l'hypothèse  du  célèbre  conflit. 

Cet  écrit,  qu'on  trouvera  dans  Labbe  (tome  1,  col.  770,  éd. 
de  Paris  1671),  avec  ce  titre  ;  Non  debere  denuo  bapfizari  qui 
semel  in  nomine  Domini  Nostri  Jesu  Christi  sint  tincti,ne  saurait 
être  attribué  à  saint  Cyprien,  quoiqu'on  le  publie  d'ordinaire 
avec  ses  œuvres.  Les  érudits  pensent  qu'il  est  d'une  époque  un 
peu  plus  récente.  En  supposant  qu'il  ait  cette  haute  antiquité, 
on  doit  le  ranger  parmi  les  documents  contraires  à  l'hypothèse 
du  conflit.  En  effet,  4'auteur  de  ce  traité  dit  bien  qu'il  s'est 
élevé  une  controverse  sur  le  baptême  des  hérétiques  ;  qu'on  a 
mis  en  question  si  l'hérétique  converti  devait,  ou  non,  être 
baptisé  de  nouveau,  et  qu'il  va  lui-môme  essayer  d'éclaircir  ce 
point;  mais  il  ne  parle,  ni  d'aucun  décret  du  pape  saint 
Etienne,  ni  de  saint  Cyprien,  ni  de  sa  résistance  au  décret 
venu  de  Rome,  ni  du  concile  de  Carthage  décidant  contre  ce 
même  dé(',ret;  en  un  mot,  il  n'a  pas  une  ligue  sur  le  célèbre 
conflit.  Si  l'auteur  est  postérieur  à  saint  Cyprien,  comme  on 
le  suppose,  et  s'il  a  écrit  en  Afrique,  comme  plusieurs  érudits 
le  pensent  aussi,  ce  complet  silence  prouve  que  le  prétendu 
conflit  est  une  fable.  S'il  avait  eu  lieu,  il  en  serait  question  dans 
un  écrit  de  cette  nature.  Le  passage  suivant,  où  l'on  a  pré- 
tendu voir  une  allusion  à  ce  conflit,  n'atteste  évidemment  que 
le  fait  d'une  simple  controverse,  et  non  celui  d'une  scandaleuse 
résistance  des  évêques  d'Afrique  à  un  décret,  à  une  injonction 
du  Pontife  romain:  «  Ideoque  nonnulla  super  bac  nova 
quaestione  scripta  aut  rescripla  esse  jactabantur,  quibus  utra- 
que  pars  ad  destruenda  aliéna  summo  studio  nitebalur.  » 
(Labbe,  1.  c.  col.  770.) 


536  SAINT   ÉTIEDNE  [Tome  VU. 

VJ. 

Le  silence  de  Donat,  de  Parménien  et  de  saint  Optât  de   Milève, 
prouve  que  le  célèbre  conflit  n'a  pas  eu  lieu. 

i.  Saint  Augustin  et  saint  Optât  de  Milève,  en  réfutant  les 
erreurs  des  donatistes,  nous  ont  fait  connaître  plusieurs  points 
de  la  doctrine  de  Donat.  Ce  schismatique  astucieux  n'aurait 
pas  manqué  d'alléguer  surtout  la  résistance  de  saint  Cyprien 
et  de  ses  collègues  au  décret  du  pape  saint  Etienne,  si  elle 
avait  eu  lieu.  Un  pareil  exemple  eût  été  très-favorable  à  sa 
cause  ;  nous  trouverions  dans  les  écrits  de  saint  Augustin  et 
de  saint  Optât  la  réfutation  de  cette  objection  de  Donat.  Or,  il 
n'y  en  a  pas  trace. 

2.  Le  donatiste  Parménien  a  été  combattu  vers  l'an  370  par 
saint  Optât  de  Milève,  qui  réfute  en  particulier  (livres  5  et  7) 
la  doctrine  de  ce  schismatique  sur  la  réitération  du  baptême. 
Si  le  célèbre  conflit  avait  eu  lieu,  Parménien  n'aurait  pas 
manqué  de  l'alléguer,  afin  de  se  couvrir  de  l'autorité  du  grand 
saint  Cyprien,  et  par  suite  saint  Optât  en  parlerait  aussi  dans 
les  deux  livres  indiqués.  Or,  il  n'en  dit  pas  un  seul  mot. 


Vil. 


La  manière  dont  saint  Augustin  parle  des  documents  relatifs  au 
célèbre  conflit,  ne  prouve  pas  que  ce  conflit  ait  eu  lieu;  elle  prouve 
plutôt  le  contraire. 

Pour  connaître  la  véritable  pensée  de  saint  Augustin  sur 
l'authenticité  des  documents  en  question,  il  faut  lire  attenti- 
vement sa  lettre  ad  Vincentium  Rogatistam  (epistolaxciii,  tomo 
II,  col.  245,  éd.  Maurin.).  11  l'écrivit  vers  l'an  408,  c'est-à-dire 
après  avoir  eu  occasion   d'étudier  mûrement   la   diflSculté, 


Juin  1863.)  BT   SAINT   CYPRIEN.  537 

puisqu'il  avait  déjà  publié  à  cette  époque  ses  ouvrages  contre 
les  donatistes  Parméuien,  Cresconius,  et  autres.  Que  le  lecteur 
veuille  bien  peser  les  passages  suivants,  et  en  particulier  les 
mots  que  nous  soulignons  :  «  Noli  ergo,  frater,  contra  divina 
tam  multa,  tam  clara,  tam  indubitata  testimonia,  colligere  velle 
calumaias  ex  episcoporum  scriptis,  sive  nostrorum,  sicut 
Hilarii  ;  sive,  antequam  parsDonati  separaretur,  ipsius  unitatis, 
sicut  Cypriani  et  Agrippiui  :  primo,  quia  hoc  genus  litterarum 
ab  auctoritate  canonis  distinguendum  est.  Non  enim  sic  legun- 
tur,  tanquam  ita  ex  eis  testimoniuro  proferatur,  ut  contra  sen- 
tire  non  liceat.  »  (G.  x,  n.  33.) 

«  Deinde  si  sancti  Cypriani  episcopi  et  gloriosi  martyris  te 
delectat  auctoritas,  quam  quidem  sicut  dixi,  a  canonica  aucto- 
ritate distinguimus  ;  cur  in  eo  te  non  delectat,  quod  unitatem 
orbis  terrse  atque  omnium  gentium,  et  diligendo  tenuit,  et  dis- 
putaudo  défendit...  ;  quod  in  eo  ipso,  in  quo aliter  sapuit,  col- 
legas  diversa  sentientes,  nec  judicandos,  nec  a  jure  commu- 
nionis  amovendos  esse  decrevit  :  quod  m  m  ipsa  epistola  ad 
Jubatunum,  guxin  concilio,  cujus  auctoritatem  ad rebaptizandum 
sequi  vos  dicitis,  primitus  recitata  est,  cum  fateatur  in  praeteri- 
tum  sic  esse  admissos  in  Ecclesiamqui  fuerant  alibi  baptizati, 
ut  denuo  non  baptizarentur,  unde  illos  sine  baptismo  fuisse 
arbitratur  ;  tantum  tamen  pouit  utilitatis  et  salubritatis  in 
pace  Ecclesiae,  ut  propter  illam  non  eos  credat  ab  Ecclesiae 
muneribus  separari?  »  [Ib.,  n.  36.) 

(iCyprianus  autem  sensisse  aliter  de  baptismo,  quam  forma 
et  consuetudo  liabebat  Ecclesiae,  non  in  canouicis,  sed  in  suis 
et  in  coucilii  litteris  invenitur  ;  correxisse  autem  istam  senteu- 
tiam  non  invenitur.  Non  incongruenter  tamen  de  tali  viro 
exislimaudum  est  quod  correxerit,  et  fortasse  suppressum  sit 
ab  eis  qui  hoc  errore  nimium  delectati  sunt,  et  tanto  velut 
patrocinio  carere  noluerunt.  Quanquam  non  desint  qui  hoc  Cy- 
prianum  prorsus  non  sensisse  contendant,  sed  sub  ejus  nomine  a 
prœsumploribus  atque  mendacibus  fuisse  confictum.  Neque  enim 


538  SAINT  ÉTIEMSE  jTorae  VU. 

sic  potuit  integritas  atque  notitia  litterarum  unius  quamlibek 
illustris  Episcopi  custodix'i,  quemadtnodum  scriptura  cano- 
uica...;  contra  quam  tamen  non  defueruut,  qui  sub  nomiuibus 
Apostolorum  multa  confingerent.  »  (Ib.  n°  38.) 

«  Nos  tamen  duas  ob  res,  non  negamus  illud  sensisse  Cypria- 
num:  quod  et  stylus  ejus  habet  quamdam  propriam  faciem 
qua  possit  agnosci  ;  et  quod  ibi  magis  contra  vos  nostra  causa 
demonstratur  inviclior... ,  cum  apparet  in  litteris  Cypriani 
communicata  esse  cum  peccatoribus  sacramenta,  cum  admissi 
suut  in  Ecclesiam,  qui  secundum  vestram,  et  sicnt  vultis,  illius 
senteniiam,  baptismum  non  habebant,  et  tamen  Ecclesiam  non 
periisse.  »  (Ib.  n»  39.) 

«  Porro  autem  Cyprianus^  aut  non  sensu  omnino  quod  eum 
sensisse  recitatis  ;  aut  hoc  postea  correxit  in  régula  veritatis  ; 
aut  hune  quasi  nœvuni  sui  candidissimi  pectoris  cooperuit 
ubere  charitatis...  Accessit  bue  etiam,  quod  tanquam sarmen- 
tum  fructuosissimum,  si  quid  in  eo  fuerat  emendandum, 
purgavit  pater  falce  passiouis.  »  (Ib.  n"  40.) 

Saint  Augustin  a  parlé  des  documents  en  question  dans 
quelques  autres  passages.  Les  voici  : 

Relativement  à  la  prétendue  lettre  de  saint  Cyprien  à  Ju- 
baianus  il  s'exprime  ainsi  {Cont.  Crescon.  lib.  n,c.  xxxiii)  :  Vel 
sanctus  Cyprianus,  vel  quicumque  illam  scripsit  epistolam. 

Sur  le  troisième  concile  de  Garthage,  il  dit  {Contra  Crescon. 
lib.  I,  c.  xxxii)  :  Nam  et  vos  profertis  concilium  Cypriani,  quod 
aut  non  est  factum,  aut  cxteris  unitatis  membris,  a  quibus  ille 
non  divisus  est,  merito  superatum.  Neque  enim  pi^opterea  sumus 
Cypriano  meliores  {si  tamen  censuit  hxreticos  denuo  buptïzari) . . . 

En  général,  sur  les  pièces  attribuées  à  saint  Cyprien  :  Quam- 
diu  aliter  sapuit  Cyprianus,  si  scnpta  ejus  esse  constat,  quse  pro 
vobis  proferenda  arbitramini  {Cont.  Crescon.  lib.  ii,  c.  xxxi)... 

Ces  textes  nous  paraissent  établir  avec  certitude  les  points 
suivants  : 

ï"  Saint   Augustin  n'a  pas   admis  l'authenticité  des  docu- 


Juinl8G3.]  ET    SAINT   CYPRIEN.  539 

ments  en  question.  Il  Ta  révoquée  en  doute  de  la  manière  la 
plus  expresse.  Rapprochée  des  autres  textes,  la  phrase,  dtms 
ob  res  non  negamus  illud  sensisse  Cyprianum,  ne  veut  pas  dire, 
j'admets  que  saint  Cyprien  a  pensé  ainsi,  mais  (ce  qui  est  bien 
différent)  :  je  ne  veux  pas  le  nier;  non  negamus.  Quiconque 
doute,  ne  nie  pas;  mais  il  n'affirme  pas  non  plus.  Pour  saint 
Augustin,  l'authenticilé  de  ces  documents  resta  douteuse  ;  c'est 
incontestable.  Dire  qu'il  fit  semblant  de  douter  sans  douter 
réellement,  serait  une  injure  que  repousse  son  caractère. 

2"  De  plus  les  textes  cités  attestent  qu'à  cette  époque,  c'est-à- 
dire  en  408,  il  y  avait  en  Afrique  diversité  de  sentiments  à  ce 
sujet.  Les  uns  regardaient. ces  documents  comme  apocryphes  : 
Quanquam  non  desint  qui  hoc  Cyprianum  prorsus  non  sensisse 
contendant,  sed  sub  ejus  nomine  a  prseswnptoribus  alque  menda^ 
cibus  fuisse  confictum.  Les  autres  (les  donatistes  du  moins), 
les  alléguaient  comme  authentiques.  Enfin,  saint  Augustin 
doutait,  sans  vouloir  prononcer,  ni  pour,  ni  contre. 

3"  Il  est  évident  que  saint  Augustin  ne  peut  pas  être  allégué 
en  faveur  de  l'authenticité  de  ces  documents,  puisqu'il  la  ré- 
voque en  doute ,  et  qu'il  atteste  la  diversité  de  sentiments  à  cet 
égard.  On  a  dit  :  Saint  Augustin  parle  de  ces  documents,  donc 
ils  sont  authentiques.  —  Il  en  parle,  il  est  vrai,  mais  pour 
dire  qu'il  les  soupçonne  d'être  apocryphes,  et  qu'au  sentiment 
de  plusieurs,  ils  doivent  être  tenus  pour  tels. 

4°  Les  passages  de  saint  Augustin  prouvent  plutôt  contre 
l'authenticité.  Si  les  trois  conciles  de  Garthage  avaient  été  cé- 
lébrés, si  le  pape  saint  Etienne  avait  porté  son  décret  contre 
les  évêques  d'Afrique,  en  joignant  l'excommunication  contre 
les  infracteurs,  et  que  saint  Cyprien  et  ses  collègues  n'en 
eussent  tenu  aucun  compte  ;  en  un  mot,  si  le  scandaleux  con- 
flit eût  été  réel,  il  y  aurait  eu  140  ans  après,  c'est-à-dire  du 
temps  de  saint  Augustin,  des  moyens  de  le  constater  avec  cer- 
titude. Les  preuves  seraient  restées  dans  les  archives  ;  et  à 
défaut  d'archives,  le  fait  se  serait  transmis  traditionnellement 


S40  SAIKT   ETIENNE  [Tome  VU, 

comme  tout-à-fait  certain.  Un  événement  de  celte  nature  ne 
se  serait  pas  obscurci.  Par  cela  seul  que  nous  rencontrons  le 
doute  dans  l'esprit  de  saint  Augustin,  et  la  diversité  d'opinions 
parmi  ses  contemporains,  nous  devons  conclure  que  le  fait  est 
controuvé. 

VIII. 

-  e 

Saint  Jérôme  a  cru  à  la  réalité  au  conflit,  mais  son  témoignag 

ne  le  prouve  pas.   On  doit  conclue  que  sur  ce  point  il  a  été 

induit  en  erreur. 

Ici,  nous  l'avouons,  nous  avons  contre  nous  une  autorité 
grave,  disons  même  une  des  plus  graves.  Saint  Jérôme,  né  en 
340  et  mort  en  420,  a  parlé  du  conflit  entre  saint  Cyprien  et 
saint  Etienne  comme  d'un  fait  certain.  Il  a  mentionné  le  troi- 
sième concile  de  Carthage,  ainsi  que  les  lettres  de  saint 
Cyprien  sur  le  baptême,  et  en  particulier  celles  qu'il  adressa 
au  pape  saint  Etienne  et  à  Jubaianus.  La  manière  dont  il  parle 
de  ces  documents  fait  voir  qu'il  n'avait  point  de  doute  sur 
leur  authenticité.  Rapportons  avant  tout  les  textes.  Ils  se 
trouvent  dans  deux  ouvrages  :  le  Dialogue  contre  les  Lucifériens, 
et  le  traité  De  Viris  illustribus. 

«  Couatus  est  beatus  Cyprianus  contrites  lacus  fugere,  nec 
bibere  de  aqua  aliéna  :  et  idcirco  bsereticorum  baptisma  re- 
probans,  ad  Stephanum  tune  Romanœ  Urbis  episcopum,  qui 
a  beato  Petro  vicesimus  secundus  fuit,  super  bac  re  Africa- 
nam  synodum  direxit,  sed  conatus  ejus  frustra  fuit.  Denique 
illi  ipsi  episcopi,  qui  rebaptizandos  bœreticos  cum  eo  statue- 
rant,  ad  antiquam  consuetudinem  revoluti,  novum  emisere 
decretum.  »  [Dial.  cont.  Lucif.,  n.  23,  Patrol.  Migne.  T.  xxiii, 
col.  177  s.) 

«  Verum  si  voluerint  hi  qui  ab  Hilario  (1)  instituti  sunt,  et 

(t)  Cei  Hllaire  était  de  la  secte  des  Lucifériens,  et  souienail, 
entr.:  autres  erreurs,  qu'on  devait  rebaptiser  les  hérétiques. 


Juin  1863.]  ET  SAINT  CYPRIEN.  bit 

oves  sine  pastore  esse  cœperuut,  de  Scripturis  ea  proferre  quœ 
beatus  Cyprianus  ob  haereticos  rebaptizandos  iii  epistolis  suis 
reliquit,  sciant  illum  haîc,  non  cum  anatiieoiate  eorum  qui 
se  sequi  noluerant,  edidisse.  Siquidem  in  communione  eorum 
permansit  qui  seutentiae  suae  contraierant  :  sed  liortatum  po- 
tius  fuisse,  propter  Novatum  et  alias  tuncbsereses  multas  enas- 
centes,  ne  quisquam  ab  eo  sine  damnatione  erroris  sui  reci- 
pcretur.  Sermonem  deuique  suum^  quem  super  bac  re  ad  Ste- 
pbanum  Romanum  pontiûcem  babuit,  tali  fine  compievit  : 
Hxc  ad  eonscientiam  tuam,f rater  charissime,  etpro  honore  com- 
muni  et  simplici  dilectione  protulimus  ,  credentes  etiarn  tibi pro 
religionis  tux  et  fidei  veritate  placere,  qux  et  religiosa  pariter 
etverasunt.  Cxterutn  scimus  quosdam,  quod  semel  irnbiberunt , 
nolledeponere,  nec  propositum  suum  facile  mutare;  sed  salve  inter 
collegas  pacis  et  concordidt  vinculo,  quxdam  propria,  qux  apud  se 
semel  sinl  usurpata,  retinere.  Qua  in  re  non  vim  cmquamfacimus, 
aut  legem  damus,  quin  habeat  inEcclesix  adrninistratione  volun- 
tatis  sux  arbitrium  liberum  :  unusquisquesit  prxpositus,  rationem 
actus  sui  Domino  redditurus.  Ad  Jubaianum  quoque  de  bœre- 
ticis  rebaptizandis  scribens,  in  fine  libelli  sic  locutus  est  :  Hxc 
tibi  breviter  pro  nostra  mediocritate  scripsimus,  frater  charissime, 
nemini  prxscribentes  aut  prxjudicantes,  quominus  unusquisque 
episcoporum  quod  putat,  faciat,  habens  arbitrii  suiliberam  potes- 
tatem.  »  (Ib.  n.  25,  col.  179  s.). 

«  Quod  si  negandum  quispiam  putaverit  beereticos  a  majo- 
vibus  nostris  semper  fuisse  susceptos,  légat  beati  Cypriani 
epistolas,  in  quibus  Stepbanum  Romanse  Urbis  episcopum  et 
inveleratse  cousuetudinis  lacérât  erroreui.»(Ib.  n.  27,  c.  180  s.) 

«  Dionysius ,  Alexaudrinœ  urbis  episcopus,  sub  Heracla 
scbolam  xaTyi/T^cEcov  prcsbyter  tenuit,  et  Origenis  valde  insiguis 
uuditor  fuit.  Hic  in  Cypriani  et  Africanœ  synodi  dogma  con- 
seuliens,  de  bairelicis  rebaptizandis,  ad  diverses  plurimas  misit 
epistolas,  quse  usquebodieexstaut.  to  [De  Viris illustribus ,  c.  69, 
Patrologie  Migne,  terne  xxiii,  col.  677  s.) 


t)'i2  SAINT   ETIENNE.  IToireVII. 

Que  conclure  de  ces  passages  de  saint  Jérôme  ?  11  a  connu 
les  documents  tant  de  fois  cités,  il  les  a  crus  authentiques. 
Nous  admettons  ces  deux  points.  Nous  admettons  de  plus  que 
saint  Jérôme  se  trouvait  dans  des  circonstances  très-favorables 
pour  ne  pas  se  laisser  prendre  à  des  documents  apocryphes. 
Secrétaire  du  pape  Damase,  il  a  dû  avoir  à  sa  disposition  les 
archives  de  l'Église  romaine  ;  il  a  pu  y  recourir  et  vérifier 
■l'authenticité  des  documents  en  question.  Néanmoins,  nous 
disons  qu'il  a  pu  être  induit  en  erreur,  et  qu'en  effet  il  s'est 
trompé.  Voici  nos  motifs. 

1°  Il  est  certain  qu'alors  ces  pièces  étaient  déjà  répandues 
dans  le  public,  comme  faisant  partie  des  écrits  d 3  saint  Cyprien. 
Les  passages  de  saint  Augustin  rapportés  sous  le  numéro  pré- 
cédent, le  prouvent  suffisamment.  En  Afrique,  leur  authenti- 
cité était  contestée  :  saint  Augustin  soupçonnait,  et  d'autres 
soutenaient  que  c'était  l'œuvre  de  la  fraude  et  du  mensonge, 
«  prxsumptoribus  et  mendacibus  fuisse  confîcium.  Hors  de 
l'Afrique,  les  exemplaires  où  se  trouvaient  ces  documents  ont 
pu  venir  aux  mains  d'hommes  savants  et  très-versés  dans  les 
matières  ecclésiastiques,  sans  qu'il  leur  soit  venu  en  pensée 
de  suspecter  aucune  fraude,  sans  qu'ils  aient  eu  connaissance 
de  la  diversité  d'opinion  qui  existait  en  Afrique  sur  ce  point. 
Il  n'est  nullement  impossible  que  saint  Jérôme  ait  été  du  nom- 
bre. S'en  rapportant  aux  exemplaires  répandus,  n'ayant  aucun 
motif  de  défiance,  il  aura  supposé  authentiques  les  documents 
qu'il  y  trouvait,  il  n'aura  pas  eu  la  pensée  de  consulter  les 
archives  de  l'Église  romaine  pour  confronter  ;  en  un  mol,  il 
aura  été  trompé. 

2°  Il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  saint  Jérôme  ait  fait  des 
recherches  critiques  sur  tous  les  documents  pour  s'assurer  de 
leur  authenticité.  On  doit  supposer  au  contraire  que  bien  des 
fois  il  en  parlait  d'après  l'opinion  reçue,  et  cette  supposition 
ne  fait  point  de  tort  à  sa  grande  autorité,  à  sou  immense 
érudition. 


Juin  1863.]  ET  SAINT  CYPRIEN-  54^ 

3°  Saint  Jérôme  s'est  trompé  sur  d'autres  points.  Signalons 
en  particulier  ce  qu'il  dit  de  saint  Denys  d'Alexandrie.  Il  aJQBr- 
me  qu'il  a  soutenu,  de  concert  avec  saint  Cyprien,  la  nécessité 
de  rebaptiser  les  hérétiques  :  Hic  in  Cypriani  et  Afrizanx  synodi 
dogma  consent iens  de  hxreticis  rebaptizandis,  etc.  Or,  les  érudits 
conviennent  que,  sur  ce  point,  saint  Jérôme  s'est  trompé.  Us  le 
prouvent  par  saint  Basile,  qui  atteste  le  contraire  dans  la  lettre 
citée  plus  haut.  Ils  le  concluent  aussi  des  passages  de  saint 
Denys  cités  par  Eusèbe,  et  surtout  de  la  lettre  où  il  consulte 
le  pape  saint  Sixte,  pour  savoir  s'il  peut  rebaptiser  un  homme 
de  son  diocèse  baptisé  par  les  hérétiques  et  qui  assurait  que 
le  baptême  ne  lui  avait  pas  été  conféré  avec  la  forme  légitime. 
Saint  Jérôme  n'avait  donc  pas  lu  attentivement  les  lettres  de 
saint  Denys,  quoiqu'il  en  parle  ;  et  il  y  suppose  une  doctrine 
qui  n'y  est  pas. 

Saint  Jérôme  s'est  trompé  aussi  au  sujet  du  pape  Libère.  Il 
suppose  que  ce  Pape  a  souscrit  à  l'hérésie  d'Arius  :  et  ad  sub- 
scriptionem  hxreseos  conipulit  [de  Scriptoribus  eccles.).  Aujour- 
d'hui, la  critique  a  constaté  que  la  chute  de  saint  Libère  est 
une  histoire  apocryphe  :  saint  Jérôme  fut  trompé  par  les  pièces 
falsifiées  que  les  hérétiques  répandirent  sur  ce  sujet.  Nous 
pourrions  multiplier  les  observations  de  ce  genre. 

4"  Saint  Jérôme  n'est  pas  un  témoin  oculaire  ;  relativement 
au  fait  qui  nous  occupe,  son  témoignage  n'est  pas  non  plus 
celui  d'un  contemporain.  Il  doit  donc  être  rangé  dans  la  caté- 
gorie des  historiens  qui  racontent  d'après  ce  qui  leur  a  et 
transmis  par  leurs  devanciers,  et  d'après  les  documents  qu'ils 
rencontrent.  Or,  unauteurdans  ces  conditions  est  sujet  à  errer. 
Son  témoignage  n'a  d'autre  valeur  que  celle  des  documents 
sur  lesquels  il  s'appuie.  Si  la  critique  démontre  que  ces  do- 
cuments sont  apocryphes,  le  témoignage  de  l'historien  qui  les 
a  suivis  perd  toute  autorité.  On  conclut  qu'il  a  été  trompé.  C'est 
♦^"e  conclusion  à  l'égard  de  saint  Jérôme. 
h 


S44  SAINT   ETIENNE  [Tome  VII. 

IX. 

Résumé  de  la  dissertation. 

i°  L'histoire  du  prétendu  conflit  repose  sur  quelques  lettres 
attribuées  à  saint  Cyprien,  sur  les  actes  d'un  concile  de  Cartilage 
et  sur  une  lettre  de  Firmilien. 

2°  En  examinant  ces  documents  en  eux-mêmes,  on  est  con- 
duit a  reconnaître  qu'ils  sont  apocrj^phes. 

3°  Parmi  les  auteurs  qui  ont  écrit  depuis  saint  Cyprien 
jusqu'à  saint  Augustin,  Pontius  et  Denys  d'Alexandrie,  qui 
étaient  contemporains,  auraient  dû  rapporter  le  fait,  s'il  eût 
été  réel,  et  ils  n'en  parlent  point  :  l'auteur  anonyme  et  saint 
Optât  de  Milève,  qui  auraient  dû  en  parler  aussi,  gardent  pa- 
reillement le  silence.  Eusèbe  en  parle  dans  un  chapitre  com- 
posé de  deux  phrases  ;  mais  il  est  facile  de  s'apercevoir  que  ce 
chapitre  est  apocryphe,  et  qu'il  provient  probablement  d'une 
note  marginale  insérée  dans  le  texte  d'Eusèbe.  La  lettre  de 
saint  Basile  à  Amphilochius  prouve  plutôt  que  le  conflit  en 
question  n'a  jamais  eu  lieu.  Saint  Augustin  révoque  en  doute 
toute  cette  histoire,  et  constate  que,  de  son  temps,  elle  était 
regardée  par  quelques  uns  comme  l'œuvre  de  la  fraude  et  du 
mensonge.  Enfin,  saint  Jérôme  parle,  il  est  vrai,  des  docu- 
ments relatifs  au  conflit  et  les  croit  authentiques  ;  mais  ou 
peut  dire  qu'il  a  été  induit  en  erreur. 

4°  A  partir  de  saint  Augustin,  l'histoire  du  conflit  a  été  gé- 
néralement admise  comme  vraie,  et  les  auteurs  l'ont  reproduite 
de  siècle  en  siècle,  en  mentionnant  comme  authentiques  les 
documents  sur  lesquels  elle  est  fondée.  L'accord  de  ces  écri- 
vains postérieurs  au  cinquième  siècle  n'est  pas  le  résultat  de 

recherches  critiques,  mais  la  simnle  continuation  de   l'errenr 
...       -,  ,  .      ,  •  '^se 

primitive,  la   simple  annotation  historique  de   ce  qu'ils  \^. 

raient  généralement  reçu.  Les  historiens  du  sixième  sièc?.o'" 


Jnin  1863.]  ET   SAINT  CYPRIEN.  5Î5 

ceux  qui  les  ont  suivis,  ue  doivent  donc  pas  être  allégués  comme 
autorité  dans  cette  controverse.  Quand  une  erreur  historique  a 
prévalu  à  une  époque,  elle  dure  et  se  perpétue  ainsi  jusqu'à 
ce  que  la  critique  des  érudits  soit  venue  y  mettre  le  point 
d'arrêt. 

5'  Reste  l'autorité  des  savants  qui  ont  examiné  la  question 
ex  p?'ofesso.  Nous  l'avouons,  elle  s'est  jusqu'ici  prononcée 
presque  unanimement  pour  l'authenticité  des  documents  en 
question  et  pour  la  réalité  du  conflit  :  la  thèse  contraire  de 
Missoi'i  et  de  Molkenbuhr  avait  à  peine  excité  l'attention.  Le 
livre  de  Mgr  Tizzani,  dont  nous  venons  de  résumer  à  notre 
manière  les  principaux  arguments,  soutient  que  sur  ce  point 
le  sentiment  généralement  suivi  par  les  érudits  est  une  erreur. 
Ses  preuves  sont-elles  péremptoires  ?  J'avoue  pour  mon  compte 
qu'elles  me  paraissent  de  nature  à  mériter  de  la  part  des  sa- 
vants une  révision  sérieuse  du  procès.  Après  le  livre  de  Mgr 
Tizzani,  je  crois  qu'on  est  au  moins  en  droit  de  dire  que  la 
cause  n  est  pas  encore  définitivement  jugée.  Il  en  résulte  pour  la 
polémique  religieuse  une  situation  nouvelle.  A  l'objection  si 
souvent  reproduite  du  célèbre  conflit,  on  a  droit  d'opposer  le 
simple  Nego  donec  probetur.  En  d'autres  termes,  lorsque  dans 
les  controverses  sur  l'infaillibilité  du  Pape  et  autres  questions 
relatives  à  l'autorité  du  Saint-Siège,  les  adversaires  de  cette 
autorité  iront  chercher  leurs  armes  dans  cet  arsenal  habituel 
et  favori,  c'est-à-dire,  dans  les  prétendues  lettres  de  saint  Cy- 
prien,  dans  celle  de  Firmilien  et  dans  les  actes  du  3e  concile 
de  Carthage,  on  pourra  commencer  par  cette  réponse  :  Prouvez 
avant  tout  que  ces  documents  ne  sont  pas  apocryphes,  et  que 
les  arguments  de  Mgr  Tizzani  n'ont  point  de  valeur. 

D.  Bouix. 


Revue  des  sciences  ecclésiastioues,  t.  vu-  35-36. 


DE    I.A 


VISION   ONTOLOGIQUE. 


Deuxième  article. 


Les  partisans  de  la  vision  ontologique,  par  une  étude  plus 
approfondie  de  la  tradition  catholique,  ont  fini  par  entrevoir 
le  côté  périlleux  de  leur  système  ;  ils  ont  reconnu  que  la 
foi  ne  permet||pas  d'affirmer  simplement  et  sans  restriction 
que  l'homme  peut  naturellement  voir  la  divine  essence  en  elle- 
mêmo,  c'est-à-dire  sans  aucun  intermédiaire.  Aussi,  dans  leur 
amour  sincère  pour  l'orthodoxie  et  leur  respect  filial  pour 
l'Eglise,  se  sont-ils  efforcés  d'éloigner  toute  possibilité  d'oppo- 
sition avec  les  enseignements  de  la  foi.  C'est  pourquoi  les  uns, 
à  la  vue  de  la  récente  décision  du  Saint-Office,  ont  totalement 
abandonné  une  doctrine  qui  a  un  côté  séduisant  pour  l'ima» 
gination  :  les  autres  ont  eu  recours  à  une  distinction,  qui, 
dans  leur  pensée,  fait  disparaître  toute  confusion  entre  la  vi- 
sion naturelle  de  Dieu  et  la  vision  béatifique.  C'est  cette  distinc- 
tion qui  va  être  l'objet  de  notre  examen  dans  cette  seconde 
partie  de  notre  travail. 

«  La  vue  naturelle  de  Dieu,  admise  par  l'ontologisme,  n'im- 
plique nullement  la  vue  de  l'essence  intime  de  Dieu,  »  disent 
les  savants  écrivains  dont  nous  examinons  ici  l'opinion.  «  Ce 
que  la  foi  ne  permet  pas  d'affirmer,  ajoutent-ils,  c'est  que 
l'homme  ici-bas  peut  naturellement  et  sans  miracle  contempler 
l'essence  intime  de  Dieu  ;  mais  jamais  une  saine  théologie  n'a 


Juin  18G3.i  DE    LA  VISION   ONTOLOGIQUE.  547 

pu  enseigner  que  la  vue  naturelle  de  Dieu  est  conlraire  à  la 
Révélation  et  à  la  doctrine  de  l'Église.  » 

11  faut  avouer  d'abord  que  cette  distinction  fondamentale, 
de  même  que  tout  l'ensemble  du  système  qu'elle  vient  étayer, 
est  loin  de  pécher  par  excès  de  clarté  et  de  précision  ;  on  pour- 
rait même  dire  que,  pour  devenir  quelque  peu  intelligible  ou 
avoir  un  sens  déterminé,  elle  exige  impérieusement  un  com- 
mentaire. Voici  donc  ,  d'après  les  explications  des  écrivains 
plus  haut  mentionnés,  comment  doit  être  entendue  cette  dis- 
tinction. 

1"  La  vue  de  l'essence  intime  serait  une  vision  de  Bien  par 
la  divine  essence  elle-même,  et  non  par  les  attributs  :  elle 
impliquerait  «  une  perception  claire  des  trois  personnes  dans 
l'essence  divine.  »  La  vue  naturelle  de  Dieu  n'est  au  contraire 
que  la  vision  par  les  attributs  et  nullement  par  l'essence. 

2o  La  vue  de  Dieu  par  les  attributs  n'implique  en  aucune 
sorte  la  vision  par  la  divine  essence,  car,  «  comme  il  y  a  une 
vraie  distinction  de  raison,  distinctio  rationis  cum  fundammto 
in  re,  entre  l'essence  et  les  perfections  divines,  et  entre  ces 
perfections  elles-mêmes,  il  résulte  que  nous  connaissons  sou- 
vent les  unes  sans  connaître  explicitement  les  autres.  »  Cette 
raison,  donnée  comme  décisive,  deviendrait  encore,  selon  les 
auteurs  cités,  beaucoup  plus  inattaquable,  si  ou  lui  donnait 
pour  fondement  la  distinction  formelle  de  l'école  scotiste,  distin- 
ctio formalis  ex  natura  rei.  Cette  distinction,  en  effet,  constitue 
une  sorte  de  moyen  terme  entre  les  distinctions  réelles  et  les 
distinctions  do  raison.  Mais,  quelle  que  soit  la  valeur  réelle  de 
cette  doctrine  scotiste,  qui  n'a  que  trop  d'affinité  avec  l'hé- 
résie de  Gilbert  de  la  Porrée,  l'ontologisme ,  ainsi  qu'on  le 
verra,  ne  peut  retirer  de  là  aucun  avantage. 

Sans  m'arrêterici  à  montrer  l'abus  que  l'on  fait  des  termes 
(['essence  intime  et  à'essence,  comme  s'il  s'agissait  de  choses 
différentes,  j'arrive  immédiatement  à  l'examen  de  la  question 
proposée.  Est-il  possible  de  voir  Dieu  par  ses  attributs  sans 
le  voir  par  son  essence? 


548  DE  Là  vision  ontologique.  [Tome  vil. 

Tout  catholique  doit  d'abord  tenir  comme  incontestable  que 
les  attributs  de  Dieu  ne  sont  point  autre  chose  que  la  divine 
essence  elle-même;  or,  cela  étant,  si  Ton  se  plaçait  au  point 
de  vue  du  simple  bon  sens  vulgaire,  ne  semblerait-il  pas  que 
voir  immédiatement  les  attributs,  sans  voir  immédiatement 
l'essence,  revient  à  voir  une  chose  sans  cependant  la  voir? 

Mais,  sans  insister  davantage  ici  sur  cette  considération 
trop  générale,  nous  allons  essayer  de  montrer,  d'une  manière 
rigoureuse,  qu'une  distinction  de  raison  ne  suffit  pas  pour  que 
les  perfections  divines  puissent  être  en  Dieu  l'objet  immédiat 
de  notre  connaissance,  sans  qu'il  en  soit  de  même  de  la  divine 
essence  ;  toute  intuition  immédiate  des  attributs,  dans  l'hypo- 
thèse ontologiste,  est  nécessairement,  comme  nous  le  montre- 
rous,  une  intuition  de  l'essence.  Je  dirai  même  plus  :  s'il  y 
avait  ici  possibilité  d'introduire  une  priorité  quelconque,  le 
premier  connu  serait  évidemment  le  sujet  des  attributs,  et  non 
les  attributs  eux-mêmes. 

Mais,  afin  de  procéder  avec  le  plus  d'ordre  et  de  clarté  qu'il 
nous  sera  possible  dans  l'examen  d'une  question  si  grave  et 
si  Subtile,  nous  commencerons  par  rappeler  brièvement  ce 
que  la  foi  nous  enseigne  sur  la  vision  de  Dieu.  Nous  essaie- 
rons ensuite  de  montrer,  par  le  simple  exposé  de  la  nature 
des  distinctions  en  Dieu,  l'inanité  de  la  nouvelle  théorie  onto- 
logiste; enfin,  en  dernier  lieu,  nous  établirons  d'une  manière 
directe  l'impossibilité  de  voir  l'essence  divine  en  elle-même, 
sans  voir  par  là  même  les  trois  personnes  de  l'adorable  Tri- 
nité. 

I.  Les  enseignements  de  la  foi  exigent  impérieusement  que 
la  distinction  entre  la  vision  ontologique  et  la  vision  béatifique 
soit  nettement  déterminée.  L'Église,  plus  d'une  fois,  a  con- 
damné les  doctrines  qui  revendiquaient  pour  l'homme  ici-bas 
la  possibilité  de  voir  Dieu  en  lui-même  :  Qui  lucem  inhabitat 
inaccembilem,  quem  nullus  hominum  vidit,  sed  nec  vider  e  pot  est. 
(I  Tim.  VI,  16.) 


Juin  1863.  DE   LA   VISION   ONTOLOGIQUE.  549 

Bien  que  Dieu  soit  l'ir^telligibilité  absolue,  il  arrive  cepen- 
dant, selon  l'expression  de  Petau,  qu'il  est  d'autant  moins 
accessible  à  notre  esprit,  qu'il  est  plus  intelligible  en  lui- 
même  :  Fit  admirabili  quadam  ratione  ut  quo  magis  intelligi- 
bilis  est  eo  minus  intelligatur.  {De  Deo,  lib.  yii,  c.  i.)  C'est  ainsi 
que  le  soleil,  par  cela  même  qu'il  est  plus  lumineux  que  les 
objets  qu'il  éclaire,  ne  peut  être  contemplé  directement  par 
notre  œil,  qui  n'en  pourrait  soutenir  l'éclat.  Voilà  pourquoi 
saint  Tbomas  et  les  scolastiques  répètent  si  fréquemment  que 
notre  intelligence  se  habet  ad  Deum  sicut  oculus  vespertilionis 
ad  soient. 

Mais  si,  d'après  la  doctrine  commune,  il  nous  est  impos- 
sible ici-bas  de  contempler  Dieu  en  lui-même,  nous  pouvons, 
néanmoins,  le  voir  dans  ses  œuvres,  qui,  selon  l'expression 
d'Origène,  sont  comme  des  rayons  qui  émanent  de  lui  et  le 
manifestent. 

11  y  a  pour  nous  en  cette  vie  deux  manières  de  connaître 
Dieu  :  la  vision  naturelle,  quel  que  soit  d'ailleurs  le  mode 
selon  lequel  elle  s'exerce,  et  la  vision  surnaturelle  par  la  foi 
et  la  révélation.  Or,  soit  par  l'un  ou  par  l'autre  de  ces  moyens, 
Deum  nemo  vidit  unquam,  selon  que  le  déclare  l'apôtre  saint 
Jean  (r,  18),  ou  comme  il  est  dit  encore  dans  l'Exode  (xxxiii,  20)  : 
Deihn  nemo  videbit  et  vivet.  Nous  nous  abstenons  de  rappeler 
ici  les  autres  textes*,  si  nombreux  et  si  formels,  qui  établissent 
l'impossibilité  pour  l'bomme,  pendant  cette  vie,  de  jouir  na- 
turellement et  sans  miracle  de  la  vue  de  Dieu. 

Mais  étudions,  d'une  manière  plus  spéciale,  ce  que  la  foi 
nous  enseigne  sur  ce  point. 

La  doctrine  catbolique  sur  la  vision  de  Dieu  fut  déjà  formu- 
lée très-explicitement  à  l'occasion  de  l'erreur  des  Anoméens. 
Ces  hérétiques  prétendaient  que  nous  pouvons  ici-bas,  non- 
seulement  voir  Dieu  en  lui-même,  mais  encore  le  connaître 
autant  qu'il  est  cognoscible.  Tarn  Deum  novi,  disait  Aétius, 
quam  me  ipsum;  imo  non  tam  novi  me  ipsum  quam  Deum.  Lors- 


530  DE   LA   VISION  ONTOLOGIQUE.  iTorae  Vil 

que  les  Pères  s'élèvent  contre  cette  doctrine,  ils  rappellent 
sans  cesse  les  textes  que  nous  venons  de  citer,  et  déclarent 
que,  non-seulement  notre  connaissance  de  la  nature  divine 
n'est  point  compréhensive,  mais  encore  qu'il  nous  est  impos- 
sible en  cette  vie  de  voir  Dieu  en  lui-même  (1).  Tel  est  le 
langage  de  saint  Épiphane,  de  saint  Basile,  de  saint  Chry- 
sostôme,  etc.  Saint  Grégoire  déclare  aussi  :  Quamdiu  hic  mor- 
taliter  vivitur,  videri  per  guasdem  imagines  potest  Deus,  séd  per 
ipsam  naturx  speciem  non  potest.  Le  vénérable  Bède  dit  égale- 
ment :  Nemo  coi^ruptibili  adhuc  et  mortali  carne  circumdatus, 
incircumscriptam  divinitatis  potest  lucem  intueri.  Unde  mani- 
festius  dicit  Apostolus  :  Quem  nullus  vidit  hominum,  sed  nec  vi- 
dere  potest. 

Cette  doctrine  de  l'impossibilité^  durant  cette  vie  mortelle, 
de  voir  Dieu  en  lui-même,  fut  plus  rigoureusement  définie  en- 
core dans  la  condamnation  prononcée  au  Concile  de  Vienne 
par  Clément  V  (1312)  contre  l'erreur  des  Béguards  et  des  Bé- 
guines. Ces  fanatiques  affirmaient  entre  autres  cboses  :  Ani- 
mam  non  indigere  lumine  glorix,  ipsam  élevante,  ad  Deum  vi- 
dendum  (5^  erreur).  Et  cette  hérésie  fut  condamnée  expressé- 
ment avec  d'autres  erreurs  abominables  {Clem.,  lib.  v,  tit.  m, 
de  Hsereticis,  c.  m).  Et  la  glose,  par  rapport  à  cette  cinquième 
erreur,  ajoute  :  Quasi  hoc  possit  sua  naturali  virtute.  Hoç  ex- 
presse est  hsereticum  et  reprobatum...,  videre  autem  Deum  per 
essentiain  sali  Deo  est  proprium . . . 

Benoît  XII,  dans  sa  Constitution  Benedictus  Deus  (1336),  dé- 
termine ainsi  en  quoi  consiste  la  vision  béatifique  ou  l'état  des 
bienheureux  :  Vident  divinam  essentiam  vtsione  intuitiva  et  etiam 
fadali,  nulla  mediante  creatura  in  ratione  objecti  visi  se  ha- 
bente,  sed  divina  essentia  immédiate  se  riude,  clare  et  aperte  eis 
ostendente,  quodque  sic  videntes  eadem  divina  essentia  perfruun- 
tur...;  quodque  pas tquam  inchoata  fuerit  vel  erit  talis  intuitiva 

(1)  VoirSuarez,  de  Deo,  lib.  n,  c.  v,  n.  4. 


Juin  1803.  I  DE   LA   VISION   ONTOLOGIQUE.  55< 

ac  facialis  Visio  et  fruitio...  continuabitur  usque...  in  sempi» 
ternum. 

Enfin,  à  toutes  ces  déclarations  de  l'Église,  on  pourrait 
ajouter  le  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  du  Saint-Office, 
déjà  mentionné  plus  haut.  Ce  décret  étant  une  interprétation 
d'un  tribunal  suprême,  investi  de  l'autorité  pontificale,  ne  peut 
être  passé  sous  silence  ;  mais  il  doit  être  accepté  selon  le  sens 
obvie  et  naturel  des  termes.  11  serait  donc  au  moins  inconve- 
nant et  irrespectueux  d'incidenter  sur  l'extension  et  la  valeur 
des  mots,  en  s'efforçant  d'amoindrir  la  portée  de  cette 
décision;  une  interprétation  qui  prendrait  pour  règle  le  prin- 
cipe :  Odia  sunt  restringenda,  serait  donc  par  là-même  très- 
suspecte.  Quand  il  s'agit,  en  effet,  de  déclarations  qui  ont  rap- 
port à  la  doctrine,  ce  principe  ne  peut  être  en  aucune  sorte 
applicable,  car  il  ne  s'agirait  alors  que  de  revendiquer,  au 
détriment  de  la  vérité,  une  certaine  latitude  pour  l'erreur. 

Il  n'est  donc  permis  à  aucun  catholique  d'affirmer  simple- 
ment et  sans  restriction,  que  l'homme  peut,  par  ses  seules 
forces  naturelles,  jouir  de  la  vision  directe  et  immédiate  de 
Dieu  :  l'Église  s'est  formellement  prononcée  sur  ce  point.  De 
plus,  il  importe  de  remarquer  que,  dans  tous  les  textes  que 
nous  avons  rapportés  et  dans  tous  ceux  que  l'on  pourrait  citer, 
on  ne  trouve  pas  les  plus  légers  vestiges  de  la  distinction  des 
ontologistes.  Ces  décisions  de  l'Église  constituent  donc  mani- 
festement une  présomption  très-grave  contre  la  doctrine  que 
nous  combattons. 

IL  Examinons  maintenant  de  plus  près  si  la  distinction  entre 
la  vue  naturelle  de  Dieu  et  la  vue  de  l'essence  intime  de  Dieu, 
suftit  pour  placer  réellement  l'ontologisme  au  nombre  des 
opinions  libres,  et  si  cette  théorie  peut,  à  l'aide  de  cette 
distinction,  invoquer  l'adage  formulé  par  saint  Augustin  :  In 
dubiis  libertas. 

En  étudiant  avec  soin  la  nature  et  la  cause  des  distinctions 
en  Dieu,  et  en  dégageant  la  question  du  vague  dont  on  a  voulu 


552  DE   LA    VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  VU. 

l'envelopper,  on  voit  clairement  Tinanité  du  nouveau  subter- 
fuge de  l'école  ontologiste. 

Mais,  pour  déterminer  rigoureusement  la  nature  des  distin- 
ctions entre  les  attributs  de  Dieu  et  l'essence  divine,  il  importe 
de  rappeler  d'abord  le  caractère  de  deux  hérésies  opposées  qui 
se  sont  élevées  sur  ce  point  de  notre  croyance.  La  première  de 
ces  erreurs,  qui  fut  enseignée  par  Aétius  et  Eunomius,  consiste 
à  affirmer  que  les  attributs,  soit  absolus,  soit  même  relatifs,  ne 
se  distinguent  nullement  de  l'essence  elle-même,  de  sorte  que 
toute  distinction,  même  rationnelle,  m  divinis,  doit  être  abso- 
lument bannie;  aussi  pour  ces  hérétiques,  les  noms  par  les- 
quels les  propriétés  divines  sont  exprimées  ne  peuvent  avoir 
des  significations  différentes;  ils  expriment  d'une  seule  et  même 
manière,  une  seule  et  même  chose.  Ces  hérétiques  rejetaient 
donc  toute  distinction  rationnelle  ou  xax'  ETrivoi'av,  soit  entre 
Fessence  et  les  attributs,  soit  entre  les  attributs  entre  eux. 

L'hérésie  opposée  à  l'erreur  des  Eunomiens,  est  celle  qui  fut 
enseignée  par  Gilbert  de  la  Porrée,  cvèque  de  Poitiers, et  con- 
damnée au  Concile  de  Reims  (1148)  par  le  pape  Eugène  IIL 
Gilbert  de  la  Porrée  introduisait  des  distinctions  réelles  entre 
l'essence  et  les  trois  personnes,  entre  la  divinité  et  Dieu  : 
Forma  Dei  et  divinitas,  disait-il,  qua  Deus  est,  non  est  Deus  (1). 
Selon  le  sentiment  le  plus  probable,  il  admettait  aussi  des  dis- 
tinctions réelles  entre  les  attributs  absolus  et  l'essence  divine; 
ces  attributs,  selon  lui,  n'étaient  pas  seulement  des  modes  di- 
vers de  concevoir  la  divine  essence,  mais  des  réalités  différentes 
de  cette  essence  elle-même.  Cette  erreur  fut  aussi  plus  tard 
professée  par  Socin. 

La  foi  catholique  exige  donc  impérieusement  :  1°  qu'on  ad- 
mette certaines  distinctions  entre  l'essence  et  les  attributs  soit 
relatifs,  soit  absolus,  et  ensuite  2»  qu'on  repousse  toute  distinc- 
tion réelle  entre  ces  mêmes  attributs  et  l'essence.  Les  perfec- 

(1)  Gaufredus,  in  Fita  S.  Bern. 


iuin  1863]  DE   L.\   VISION  ONTOLOGIQUE  553 

tiens  de  Dieu  ne  sont  donc  point  autre  chose  que  la  divine 
essence  elle-même,  et  par  suite  il  ne  peut  exister  ici  aucune 
distinction  objective,  quoad  reyn  significatam. 

Toutefois,  bien  que  Dieu  soit  absolument  simple,  et  que 
cette  simplicité  exclue  toute  composition,  soit  physique,  soit 
logique  ou  métaphysique,  il  renferme  néanmoins  toutes  les 
perfections  possibles.  Dieu  peut  produire  une  multitude  incom- 
mensurable d'efiets  divers,  qui  auront  chacun  leur  perfection 
propre.  Or,  comme  dit  saint  Thomas,  quod  est  causa  alicujus, 
habet  illud  excellentius  et  nobilius.  Unde  oportet  quod  omnes  no- 
bilitates  omnium  creaturarum  invemantur  in  Deo  nobilissimo 
modo,  et  sine  aliqua  imper fect ione  ;  et  ideo  quod  increaturis  sunt 
diversa,  in  Deo  propter  summam  simplicitatem  sunt  unum  (1). 

Mais  il  est  bien  évident  que  nous  ne  pouvons,  par  une  simple 
intuition  de  notre  intelligence,  ou  par  un  seul  acte  de  contem- 
plation, percevoir  cette  unité  et  cette  variété  sans  limites  ; 
l'objet  est  infini,  et  dépasse  par  conséquent  sans  mesure  la 
capacité  du  sujet  connaissant.  Il  faut  donc  que  notre  esprit, 
après  la  première  connaissance,  qua  totum  Deum,  comme  dit 
Petau,  semel  universeque  complexus  est,  considère  de  nouveau 
et  par  des  acles  distincts  chacune  des  perfeclions  qui  sout  en 
Dieu,  et  les  discerne  les  unes  des  autres.  Ces  actes  divers  de 
notre  esprit,  ou  cette  connaissance  per  partes,  selon  l'expres- 
sion du  même  auteur,  produisent  des  notions  différentes:  telle 
est  la  source  de  nos  distinctions. 

Cette  connaissance  itérative  et  multiple,  beaucoup  plus  nette 
et  plus  précise  que  la  première,  est  appelée  par  les  Pères 
grecs  ETTivota,  eTTiXoYiajAÔ;,  etc.;  elle  nous  est  absolument  néces- 
saire si  nous  voulons  savoir  d'une  manière  quelque  peu  dis- 
tincte ce  qu'est  Dieu.  Au  surplus,  nous  ne  pouvons  avoir 
aucune  connaissance  distincte,  même  lorsqu'il  s'agit  des  créa- 
tures, sinon  par  des  perceptions  multiples,  dont  les  unes  ont 
pour  objet  telle  qualité,  les  autres,  telle  propriété  différente. 

\1)  In  ium  tib.  Sent,  disl.  n,  q.  i ,  art.  1. 


5S?  DE   Ll   VISION   ONTOLOGIQUE.  [  Tome  VI 

Ainsi  donc^  l'infinie  perfection  de  l'objet  connu,  sa  fécondité 
sans  bornes  et  l'exiguité  de  notre  intelligence  constituent  le 
double  fondement  de  nos  distinctions  en  Dieu,  et  démontrent 
l'impérieuse  nécessité  pour  nous  de  celles-ci  (1).  11  faut  ou  res- 
ter dans  l'ignorance  de  ce  qu'est  Dieu  en  lui-même^  ou  nous 
attacher  à  cette  connaissance  per  partes.  La  multiplicité  que 
nous  introduisons  dans  l'essence  divine,  résulte  donc  néces- 
sairement de  la  nature  de  notre  esprit,  et  n'est  en  Dieu  qu'un 
rapport    extrinsèque    aux  qualités    diverses  des    êtres  créés. 
Mais  tous  les  Pères  et  tous  les  théologiens  qui  se  sont  occupés 
de  cette  question,  apportent  encore  une  autre  raison  de  cette 
nécessité  des  distinctions  ;  cette  raison  qui  est  tirée  non  de  la 
nature  de  Tobjet,  mais  du  mode  selon  lequel  nous  le  connais- 
sons, implique  la  négation  directe  et  absolue  de  l'ontologisme. 
Comme  notre  connaissance  de  Dieu,  disent-ils,  n'est  point  in- 
tuitive, mais  discursive  et  obtenue  au  moyen  des  perfections 
créées,  quasi  per  scalam  mediam,  comme  dit  saint  Bonaven- 
ture  (2),  la  notion  de  Dieu  ne  peut  être  formée  par  nous  qu'au 
moyen  de  concepts  multiples.  Par  des  jugements  distincts/ 
nous  affirmons  qu'en  Dieu  se  trouvent,  d'une  manière  surémi- 
nente,  toutes  les  perfections  des  créatures  ;  or,  ces  perfections, 
qui  dans  les  créatures  sont  réellement  difî"érentes,  sont  perçues 
et  affirmées  successivement,  et  par   des  actes  divers.   Ainsi, 
l'élément  objectif  qui  constitue   notre  point  de  départ  con- 
siste dans  les  perfections  des  créatures,  perfections   multiples 
formellement  distinctes,  et  dont  chacune  est  l'objet  exclusif 
d'une  de  nos  perceptions.  Le  procédé  par  lequel  nous  recon- 
naissons  en   Dieu  des  perfections  analogues,  consiste  dans 
des  jugements  dont  chacun  affirme  quelque  attribut.  De  là, 
pour  le  dire  encore  une  fois,  nos  distinctions,  que  nous  ne 
pourrions  négliger  sans  tomber  dans  les  plus  étranges  absur- 


(^)  Tournely,  de  Deo,  q.  3,  arl.  2. 

(2)  Lib.  I  Sent.,  disl.  ni,  p.  -I,  arl.  1,  q.  Hl. 


Juin  1863.]  DE   LA   VISION   ONTOLOGIQUE.  555 

dites.  Il  faudrait  alors  affirmer,  par  exemple,  que  la  justice 
est  formellement  la  miséricorde,  que  l'intelligence  est  la  vo- 
lonté, etc. 

Il  est  donc  certain  et  hors  de  toute  controverse,  que  la  rai- 
son humaine  doit  nécessairement  distinguer  en  Dieu  des  per- 
fections multiples  et  une  certaine  difféi-ence  entre  celles-ci. 
Mais  il  n'est  pas  moins  certain  que  ces  attributs  a  parte  rei 
sont  l'essence  elle-même,  bien  que  dans  notre  intelligence 
il  y  ait  la  distinction  d'un  concept  à  un  concept  différent.  Con- 
naître une  perfection  ou  un  attribut  absolu  in  re  ipsa,  c'est  donc 
connaître  l'essence  divine  sous  un  point  de  vue  déterminé,  ou 
par  un  concept  restreint,  joer  conceptum  prxcisivum  et  incomple- 
tum,  selon  l'expression  lliéologique.  C'est  de  cette  manière 
que  nous  disiinguons  en  Dieu  l'immensité,  l'éternité,  la  justice, 
la  bonté,  etc., bien  que  ces  attributs  ne  soient  pas  autre  chose 
que  Dieu  lui-même.  De  plus,  divina  attributa  nec  ab  essentia 
nec  a  se  invicem  ita  perfecte  prsescindi  possunt,  quin  sese  mutuo 
implicite  saltem  ac  confuse  includere  intelligantur  {\). 

Lorsque,  par  une  opération  réflexe,  nous  étudions  les  rap- 
port? de  ces  divers  attributs  entre  eux  et  avec  la  divine  essence, 
nous  voyons  alors  que  la  notion  de  l'un  ne  peut  être  confon- 
due avec  la  notion  de  l'autre. 

Mais  ces  distinctions  nécessaires,  bien  que  résultant  de 
l'exiguité  de  notre  esprit,  sont  néanmoins  rigoureusement 
vraies,  car  les  perfections  affirmées  de  Dieu  sont  réellement 
en  Dieu;  or,  par  ces  concepts,  nous  affirmons  simplement  que 
Dieu  possède  en  réalité  toutes  les  perfections  que  nous  conce- 
vons; mais  nous  n'affirmons  pas  qu'il  les  possède  selon  le 
mode  restreint  d'après  lequel  nous  les  concevons.  Nous  ne  di- 
sons donc  point  que  ces  perfections  sont  en  Dieu  des  réalités 
différentes,  mais  que  ce  sont  des  modes  particuliers  de  conce- 
voir l'essence  une  et  simple  en  elle-même.  Aussi,  uon-seule- 

(1)  Toarnely,  loc.  cit. 


556  DE   LA   VISION   ONTOLOGIQUE.  [Tome VIT. 

ment  les  termes  qui  expriment  ces  notions  sont  difTérents, 
mais  encore  les  notions  elles-mêmes;  et  c'est  pourquoi  Ros- 
celiu  et  les  nominalistes,  qui  ne  voulaient  voir  dans  ces  dis- 
tinctions que  la  seule  dififércnce  matérielle  des  mots,  renou- 
velaient réellement  l'erreur  des  Eunomiens. 

Il  y  a  donc  une  diversité  qui  n'est  ni  réelle,  ni  simplement 
nominale,,  mais  xax'  iTiivoiav,  ou  dans  Tordre  des  conceptions, 
entre  l'essence  et  les  attributs.  Cette  distinction  est  appelée 
dans  l'école  distinctio  rationis  ratiocinât  se,  ou,  distinctio  rationis 
cum  fundamento  in  re. 

Ces  principes,  qui  sont  en  dehors  de  toute  controverse, 
nous  fournissent  encore  immédiatement  une  nouvelle  conclu- 
sion contre  Tontologisme. 

La  vision  ontologique,  dans  l'hypothèse  des  adversaiies, 
consiste  à  contempler  Dieu  en  lui-même,  mais  dans  ses  attri- 
buts, et  non  dans  son  essence.  Or,  d'après  ce  qui  vient  d'être 
dit,  il  est  manifeste  que  voir  les  attributs  de  Dieu  sans  voir 
l'essence  divine  revient  nécessairement  à  contempler  ces  attri- 
buts, non  en  Dieu  ou  dans  leur  réalité  objective,  mais  dans 
des  images  ad  extra,  ou  daus  les  créatures.  Il  est  impossible, 
en  eflet,  d'affirmer  la  vision  immédiate  des  attributs  en  Dieu 
lui-même,  sans  affirmer  par  là  même  la  vision  immédiate  de 
l'essence,  sinon  en  se  plaçant  dans  l'hypothèse  de  Gilbert  de 
la  Porrée.  Tant  que  la  distinction  entre  l'essence  et  les  attri- 
buts ne  sera  pas  réelle,  aussi  longtemps  qu'elle  restera  rei 
unius  multiplicitas  prout  prxcisivis  et  incomplet is  subest  mentis 
conceptions,  il  sera  absurde  de  dire  que  l'un  des  extrêmes  de 
la  distinction  peut  être,  dans  sa  réalité  objective,  terme  immé- 
diat de  la  connaissance,  sans  qu'il  en  soit  de  même  de  la  réa- 
lité qui  constitue  l'autre.  L'opposition  ou  la  diversité  entre 
l'essence  et  les  attributs  n'est  que  dans  notre  intelligence,  ou 
a'existe  qu'entre  nos  concepts  objectifs.  Le  fondement  de 
cette  diversité  n'est  point  intrinsèque  à  Dieu,  mais  extrinsèque  ; 
il  est  donc  impossible  de  passer  d'un  terme  de   la  distmction 


Juin  18C3.1  DR   L^   VISION  ONTOLOGIQUE.  .  557 

à  l'autre,  là  où  il  n'y  a  plus  deux  termes,  mais  quelque  chose 
d'un  et  d'indivisible  in  se;  il  est  impossible  de  voir  des  perfec- 
tions distinctes  là  où  il  n'y  a  pas  de  distinctions.  Nous  pouvons 
il  est  vrai  passer  successivement,  par  des  opérations  réflexes, 
du  concept  d'un  attribut  à  un  concept  d'un  autre  attribut  ou 
de  Tessence;  mais  alors  nous  ne  voyons  plus  en  Dieu,  mais  en 
nous,  ou  dans  le  fondement  véritable  de  la  diversité  et  de  la 
multiplicité. 

Il  s'agit  donc  ici,  pour  tout  résumer  en  un  mot,  de  savoir 
s'il  est  possible  de  voir  en  Dieu  les  perfections  sans  voir  l'es- 
sence. Les  attributs  divins,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  peuvent  être 
envisagés  :  \°en  Dieu  ou  dans  leur  sujet,  et  alors  ses  perfections 
ne  sont  point  autre  chose  que  la  divine  essence;  2"  dans  les 
créatures  qui  les  représentent  à  des  degrés  divers,  et  avec  des 
distinctions  réelles  ;  3"  en  nous,  ou  dans  la  connaissance  que 
nous  en  avons,  et  alors  ces  attributs  sont  des  concepts  ou  plu- 
tôt des  jugements,  en  un  mot,  des  actes  de  notre  intelligence, 
qui  expriment  per  partes  ce  qu'est  Dieu  en  lui-même.  Si  donc 
nous  les  contemplons  en  Dieu,  le  terme  objectif  immédiat  est 
l'essence  elle-même;  si  nous  les  voyons  dans  les  créatures,  il 
n'y  a  plus  d'ontologisme;  si  enfin  nous  les  voyons  en  nous, 
le  terme  objectif  immédiat  est  une  opération  de  notre  esprit, 
jugement  ou  simple  appréhension.  Les  perfections  analogues 
des  créatures  fournissent  la  matière  de  ces  jugements  par  les- 
quels nous  exprimons  les  attributs  divins. 

En  dehors  de  cette  triple  hypothèse,  la  vision  -ontologique 
ne  peut  plus  se  soutenir  qu'en  empruntant  au  panthéisme  ses 
théories.  A  moins  donc  que  nos  affirmations  n'aient,  comme 
celles  de  Fichte,  la  force  de  produire  l'infini,  ou  si  l'on  veut 
de  rendre  le  7noi  pensant  infini,  le  terme  objectif  immédiat 
d'une  opération  réflexe  ne  pourra  jamais  être  Dieu  lui-même. 
Si  encore,  avec  Schelling,on  voulait  se  placer  résolument  dans 
l'absolu,  en  identifiant  l'objectif  et  le  subjectif,  l'être  et  la 
connaissance,  il  serait  également  possible  de  trouver  une  ex- 


558  DE  LÀ.  VISION  ONTOLOGIQUE.  [Tome  VU; 

plication.  Mais  assurément,  malgré  les  analogies  frappantes 
qui  existent  entre  Fontologisme  et  le  panthéisme  de  Schelling 
et  de  Hegel,  aucun  partisan  du  premier  système  ne  voudra 
avouer  explicitement  cette  conformité  trop  réelle. 

Avant  d'arriver  à  la  troisième  conclusion  que  nous  voulons 
démontrer,  il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  d'écarter,  en  quel- 
ques mots,  un  subterfuge  du  semi-ontologisme.  C'est  dans 
l'idée  de  l'être,  dira-t-on,  que  nous  voyons  Dieu,  idée  qui  est 
innée  en  nous,  et  qui  cependant  est  quelque  chose  d'aussi  dis- 
tinct à  notre  esprit,  «  que  la  luruiùre  physique  est  réellement 
distincte  à  notre  œil.  » 

Ou  pourrait  demander  d'abord  en  quoi  consiste  cette  idée 
hybride  de  l'être,  idée  à  la  fois  objective  et  subjective,  prin- 
cipe, moyen  et  objet  de  connaissance?  Est-ce  l'essence  divine 
elle-même,  que  l'on  veut  gratuitement  désigner  sous  cette  ap- 
pellation insolite?  S'il  en  est  ainsi,  il  n'y  a  rien  à  ajouter  à 
tout  ce  qui  vient  d'être  dit.  Serait-ce  au  contraire  quelque 
cbose  de  distinct  de  Dieu,  un  effet  créé  ou  une  opération  ad 
extra,  une  lumière  en  nous,  une  similitude  impresse,  expresse 
ou  objective  (1)?  Si  c'est  quelque  chose  de  distinct  de  Dieu,  un 
effet  créé  ou  une  similitude  quelconque,  alors  nous  voyons 
Dieu,  non  immédiatement  et  en  lui-même,  mais  dans  cette  idée 
on  cet  effet  créé.  S'il  s'agissait  d'une  lumière  qui  fiit  eu 
même  temps  quelque  chose  d'inné  en  nous  et  quelque  chose 
d'identique  avec  Dieu,  ceci  ne  modifierait  eu  rien  l'état  de  la 
question  :  il  y  aurait  simplement  une  confusion  et  un  non-sens 
de  plus.  Cette  lumière,  qui  est  quelque  chose  d'identique  avec 
Dieu,  ne  peut  être  que  l'essence  divine  elle-même,  à  moins 
qu'il  ne  s'agisse  d'une  nouvelle  lumière  éternelle  analogue  à 
celle  des  Palamites.  On  sait  que  cette  lumière  des  Hésychastes 
consistait  non  dans  l'essence  elle-même,  mais  dans  l'opération, 
IvépYÊia,  ouva[jLiç,  distincte  réellement  de  la  nature  divine.  Cette 

(\)  Voir  Suarez,  de  Deo,  lib.  ii,  c.  vni. 


Juinl8G3!  DE   LA    VISION  ONTOLOGIQUE.  5f)9 

nature,  selou  ces  hérétiques,  est  absolument  incommunicable; 
mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  cette  lumière  éternelle  dont 
les  créatures  peuvent  être  rendues  participantes. 

Et  ce  rapprochement  que  nous  établissons  ici,  n^est  point 
arbitraire  et  gratuit.  Si,  en  effet,  on  s'attache  à  examiner,  non 
le  fanatisme  souverainement  ridicule  des  6(xcpaXoi|u/^ot,  mais 
les  dernières  théories  de  Grégoire  Palamas,  si  l'on  étudie  le 
sens  et  la  portée  des  décrets  rendus  par  les  synodes  hésychastes 
de  Constantinople  (1341-1351),  tenus  sous  la  garantie  doctri- 
nale des  empereurs  Andronic  III  et  Cantacuzène,  on  consta- 
tera une  singulière  analogie  entre  certaines  théories  ontolo- 
gistes  et  l'erreur  des  Palamites  (1). 

Mais  il  serait  au  moins  superflu  de  nous  étendre  davantage  sur 
ce  point;  les  contrastes  les  plus  frappants,  les  rapprochements 
les  plus  rigoureux  ont  peu  d'influence  sur  les  esprits  à  une 
époque  oii  le  caprice  est  devenu  la  seule  règle  dans  ce  genre. 
Nous  nous  hâtons  donc  d'arriver  à  une  dernière  considération. 

III.  Est-il  possible  de  voir  immédiatement  la  divine  essence, 
5ans  jouir  en  même  temps  de  la  vue  des  trois  personnes  de 
l'adorable  Trinité?  telle  est  la  dernière  question  que  nous 
voulons  parcourir  rapidement. 

Nous  ne  dissimulerons  pas  qu'il  existe  sur  ce  point  une 
controverse  d'école.  Duns  Scot  (2)  prétend  qu'il  est  possible  de 
voir  la  divine  essence  sans  jouir  pour  cela  de  la  vision  des  trois 
personnes  :  De  potentia  Dei  absolvta  non  video  confradictionèm, 
quin  possibile  sit  ex  parte  intelledus  quod  ejus  actum  terminet 
essentia  et  non  persona;  mais  il  est  à  peu  près  seul  de  cet  avis» 
Il  combat,  dans  cette  question,  le  sentiment  commun,  qui 
avait  été  exposé  par  Henri  Goethals  (Gandavensis),  et  de  plus 
les  raisons  sur  lesquelles  il  s'appuie  ont  peu  ou  point |de  va- 


(I)  Voir  Noël  Alexandre,  Hisf.  eccles.y  ssec.  xiv,  a.  14;  Peiau,  r/e 
Dec,  lib.  1,  cap.  xn  et  xiii. 
(2j  In  lib.  1  Stnt.,  dist.  i,  q.  2. 


560  DE  LU.  VISION  ONTOLOCIQUE.  [Tome VIL 

leur  (1).  Ensuite  il  est  à  remarquer  qu'il  se  place  simplement 
au  point  de  vue  de  la  puissance  absolue  de  Dieu,  en  exami- 
nant si  celle-ci  pourrait  empêcher  la  vision  des  trois  personnes 
en  accordant  la  vision  intuitive  de  l'essence.  De  pins  il  en- 
seigne intellectum  sibi  relictum,  non  posse  videre  essentiam  non 
visi's  personis  (mêmequest.,  ch.  suivant). 

Mais,  en  examinant  le  langage  constant  et  uniforme  des 
saintes  Ecritures  et  des  Pères,  témoins  de  la  tradition,  en  con- 
sidérant les  termes  des  décisions  de  TÉglise,  il  semble  que  le 
sentiment  que  nous  embrassons  ici  doive  être  considéré  comme 
une  doctrine,  sinon  appartenant  à  la  foi,  du  moins  très-com- 
mune. Les  saintes  Écritures,  la  tradition  et  les  décisions  de 
l'Église  déclarent  toujours,  soit  que  l'homme  ici-bas  ne  peut 
voir  la  Trinité  des  personnes,  et  cela  parce  qu'il  ne  peut  con- 
templer Dieu  en  lui-même,  soit  que  la  vision  intuitive  de  l'essence 
divine  et  des  trois  Personnes  constitue  le  privilège  des  bien- 
"heureux.  Nulle  part  on  ne  rencontre  les  moindres  vestiges 
d'une  distinction  entre  l'essence  et  l'essence  intime,  entre  la 
vue  immédiate  de  Dieu  et  la  vue  de  Dieu  par  son  essence,  etc.  ; 
nulle  part  il  n'est  question  d'une  double  vision  immédiate  de 
Dieu  ;  mais  toujours  les  mêmes  expressions,  visio  intuitiva,  visio 
facialis, Visio  immediata,  indiquentla  vue  de  Dieu  etdes  trois  per- 
sonnes divines.  La  constitution  Benedictus  Deus,  de  Benoit  XII, 
précise  même  en  quoi  consiste  la  différence  propre  de  la  vision 
béatifîque  :  Nulla  mediante  creatura  in  raiione  objecti  visi  se 
habente.  Ce  langage  uniforme  des  saintes  Écritures  et  de  la 
tradition  constitue,  sur  ce  point  encore,  contre  l'ontologisme 
une  très-grande  présomption,  pour  ne  rien  dire  de  plus. 

Enfin,  tous  les  théologiens  sont  unanimes  à  repousser  une 
double  vision  directe  et  immédiate  de  Dieu.  Nous  ne  pouvons 
assurément  rapporter  ici  les  témoignages  qui  viendraient  con- 
firmer notre  assertion,  ce  qui  d'ailleurs  serait  inutile  et  fasti- 

i/i)  Voir  Suarez,  de  Deo,  lib.  ^,  cap.  xxiii. 


Juin  1863.1  DE  LA  YISION  ONTOLOGIQUE.  561 

dieux;  au  stirplus,  les  ontologistes  eux-mêmes  avouent  que  la 
doctrine  commune  des  écoles  ne  leur  est  point  favorable.  Qu'il 
nous  suffise  donc  de  dire  avec  Bergier  :  «  Les  théologiens 
((  distinguent  trois  manières  de  voir  ou  de  connaître  Dieu;  la 
a  première,  qu'ils  appellent  vision  abstractive,  est  de  connaître 
0  la  nature  et  les  perfections  de  Dieu  par  la  considération  de 

a  ses  ouvrages La  seconde  manière  est  de  voir  Dieu  immc- 

«  diatement  et  en  lui-même  :  on  la  nomme  vision  intuitive  ou 
a  béati  figue;  c'est  celle  dont  les  bienheureux  jouissent  dans  le 
«  cieL..  La  troisième,  que  l'on  appelle  vision  compréhensive,  ne 
tf  convient  qu'à  Dieu;  infini  dans  sa  nature  et  dans  tous  ses 
«  attributs,  lui  seul  peut  se  voir  ou  se  connaître  tel  qu'il  est.  » 
Si  maintenant  on  demande  pourquoi  la  Trinité  des  personnes 
reste  invisible  lorsqu'on  jouit  de  la  vision  immédiate  de  Dieu, 
et  quelle  est  la  raison  de  cette  perspicuité  d'une  part,  et  de 
cette  obscurité  de  l'autre,  il  sera  difficile  assurément  de  donner 
une  réponse  satisfaisante.  Comment  en  effet  peut-on  contem- 
pler Dieu  en  lui-même  sans  le  voir  dans  sa  propre  subsistance 
et  dans  son  mode  d'être?  Comment  jouir  de  la  vision  immé- 
diate sans  connaître,  dans  une  certaine  mesure,  ce  qu'il  est, 
et  le  mode  selon  lequel  il  est?  A  la  vérité,  les  ontologistes 
répondent  ici  que  l'objet  de  notre  intuition  a  un  côté  clair  et 
un  côté  obscur,  et  qu'il  est  par  là  même  en  partie  intelligible 
et  en  partie  sur-intelligible;  en  Dieu  Vêtre  serait  intelligible  et 
Vessence  intime  sur-inteUigible.  «  L'idée,  dit  Gioberti,  est  bila- 
a  térale  ;  l'une  de  ses  faces  est  l'intelligible,  c'est-à-dire  l'être 
a  réel  et  absolu  ;  l'autre  est  le  sur-intelligible,  c'est-à-dire 
^  <  l'essence  intime  de  cet  être  (1).  »  On  sait  que  pour  Gioberti, 

l'idée  est  le  vrai  absolu  et  éternel  ou  Dieu  lui-même,  qui  est 
le  premier  philosophique,  dans  lequel  s'identifient  la  première 
idée  (le  premier  psychologique)  et  la  première  chose  (le  premier 
ontologique). 

{\)  Inlrod.  alla  studio  délia Jilosofia^czp.  iv. 


S62  DE    LA   VISION   ONTOLOGIQUE.  IToaiû  VII. 

On  pourrait  demander  d'abord  qu'est-ce  que  l'idée  bilatérale? 
Mais  laissant  de  côté  cette  terminologie  ridicule,  nous  nous 
contenterons  de  rappeller  encore  une  fois  que  Dieu  est  acte 
pur  et  n'admet  aucune  sorte  de  composition  :  il  n'y  a  pas  de 
distinction  réelle  entre  Tessence  et  les  attributs  absolus,  entre 
l'essence  et  les  personnes  :  où  se  trouve  donc  le  double  côté 
de  ridée  ?  11  est  manifeste  que  dans  toute  cette  explication  de 
Gioberti  il  n'y  a  réellement  que  des  mots  vides  de  sens. 

Si  toutefois,  par  ces  formules  emphatiques,  on  veut  dire  que 
notre  vision  est  à  la  vérité  intuitive,  immédiate  et  directe, 
mais  inadéquate,  et  qu'ainsi  on  voit  en  Dieu  la  nature,  l'exi- 
stence, mais  non  les  personnes,  il  y  aura  encore  eu  cela  une 
confusion  grossière.  Noire  connaissance,  en  tant  que  finie,  est 
etseratoujour.s  inadéquate  intensive,  cav  il  nous  est  absolument 
impossible  de  connaître  l'infini  selon  toute  la  perfection  avec 
laquelle  il  est  cognoscible  en  lui-même  :  mais  on  ne  peut  pas 
dire,  du  moins  d'une  manière  rigoureuse,  qu'elle  est  inadéquate 
exfensive  (1),  de  telle  sorte  qu'en  Dieu  lui-même  il  y  ait  une 
partie  visible  et  une  partie  invisible,  c'est-à-dire,  pour  traduire 
rigoureusement,  aliud  et  aliiid.  On  ne  peut  voir  Dieu  en  lui- 
même  sans  le  voir  totum,  puisqu'il  est  absolument  simple  ;  mais 
jamais  nous  ne  le  verrons  totaliter^  parce  qu'il  est  infini. 

Après  avoir  examiné,  au  point  de  vue  des  enseignements  de 
la  foi,  un  système  auquel  un  engouement  prématuré  et  indis- 
cret avait  donné  en  France  une  certaine  popularité,  nous  ne 
tenterons  point  une  réfutation  au  point  de  vue  purement  ra- 
tionnel. Notre  examen  avait  un  critérium  plus  élevé  et  plus  sûr 
que  tous  les  raisonnements  philosophiques  :  il  doit  donc  suf- 
fire, si  les  témoignages  apportés  sont  authentiques,  si  les 
autorités  citées  sont  graves,  et  si  nos  déductions  sont  rigou- 
reuses. Or,  il  résulte  clairement  de  tout  ce  qui  a  été  dit  que 
l'ontologisme  est  un  système  vraiment  périlleux  pour  la  foi. 

(1)  Liberalore,  délia  Conosc.  intell.,  c.  ii,  n.  7. 


Juin  1863.1  DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUE.  563 

Et  cette  manière  de  caractériser  cett3  théorie  ne  nous  est  point 
exclusivement  propre  :  Ontologismi  theoria  periculosa  est,  dit  le 
R.  P.  Tongiorgi  (1),  avec  beaucoup  d'autres  écrivains  très- 
graves. 

II  serait  facile  assurément  de  prouver  que  Tontologisme  est 
une  hypothèse  non-seulement  gratuite,  mais  encore  contraire 
au  témoignage  de  la  conscience  et  du  sens  commun  ;  que  ses 
preuves  fondamentales  ne  sont  que  des  pétitions  de  principe, 
qu'il  ne  procède  que  par  voie  de  confusion  entre  le  réel  et 
l'idéal,  qu'il  a  une  affinité  parfaite  avec  le  panthéisme,  dont  il 
tire  son  origine,  etc.  iNIais,  outre  que  cela  a  été  parfaitement 
démontré  par  le  R.  P.  Liberatore  dans  son  savant  traité  de  la 
connaissance  intellectuelle,  et  par  le  R.  P.  Tongiorgi  dans  ses 
Institutions  philosophiques,  ces  preuves  ne  pourraient  exercer 
une  grande  influence  sur  le  vulgaire  des  esprits  prévenus.  On 
sait  que  cette  théorie  s'adresse  surtout  à  l'imagination.  Gioberti, 
au  moyen  de  formules  pompeuses  et  d'un  néologisme  em- 
phatique, s'est  efforcé  de  donner  à  des  conceptions  vagues  et 
indéterminées,  une  certaine  apparence  d'élévation  et  de  subli- 
mité. ((  Et  cette  espèce  d'obscurité  dont  s'enveloppe  l'onlolo- 
gisme,  ditle  Pt.  P.Liberatore(2),  sert  à  lui  communiquer  je  ne 
sais  quoi  de  mystérieux  et  de  divin,  »  qui  saisit  les  esprits  ar- 
dents chez  lesquels  la  rectitude  fait  plus  ou  moins  défaut. 
Aussi  ce  système  a-t-il  été  justement  appelé  une  philosophie 
poétique  ;  il  ne  peut  donc  être  pris  au  sérieux  que  par  ceux  qui 
ne  veulent  voir  la  doctrine  qu'au  point  de  vue  de  l'esthétique, 
et  qui  sont  capables  de  faire,  non  de  la  prose,  mais  de  la 
poésie  sans  le  savoir. 

E.  Grandclacde. 

(i)  Inat.  phil.,  psych.,  lib.  ni,  c.  vu. 
(-2)  Op.  cit.,  c.  II,  D.  63. 


UN    MOT    ENCORE 


SUR 


QUELOIES  PROBLÈMES  IMPORT.^NTS  DE  PHILOSOPHIE  (^'. 


VI. 


Après  les  préliminaires  que  nous  avons  vus,  M.  Gros  entre 
en  matière  et  établit  de  nouveau  que  «  la  motion  vivifiante  de 
Dieu  rend  l'âme  intelligente  et  lumineuse  en  acte.  »  Ou  M.  Gros 
entend  par  là  que  Tâme  humaine  tient  sa  nature  intelligente 
de  Dieu  dans  l'acte  de  la  création,  ou  il  suppose  que  i'àme, 
créée  d'abord  par  Dieu,  est  ensuite  rendue  intelligente  par 
une  autre  action  (vivifiante)  divine.  Dans  le  premier  sens,  nous 
sommes  d'accord  avec  lui,  car  nous  admettons  volontiers  que 
tout  être  créé  est  précisément  ce  qu'il  est  parce  que  Dieu  l'a 
ainsi  fait  eu  le  créant.  Mais  dans  la  seconde  hypothèse,  nous 
croyons  sincèrement  que  M.  Gros  se  trompe,  car  il  nous  semble 
que  Tâme  humaine  n'est  intelligente  qu'en  vertu  d'un  principe 
intrinsèque,  essentiellement  inhérent  et  quasi-personnel,  tandis 
que  l'action  divine,  quelque  intime  qu'on  la  suppose,  est  tou- 
jours nécessairement  extrinsèque  à  l'acte  vital  de  comprendre, 
et  qu'il  n'est  point  permis  de  tendre  la  main  aux  panthéistes, 
en  confondant,  comme  ils  le  font, l'action  de  Dieu  avec  l'essence 
de  l'âme  humaine. 

(1)  Voir  janvier  1S63,  p.  59.  Nous  étions  d'abord  résolu  à  ne  point 
donner  suite  à  ce  travail;  mais  M.  Gros  insiste  el  n'est  point  satisfait. 
Nous  serions  heureux  de  le  contenter  aujourd'hui  sans  le  blesser. 


Juin  18C3.1    QUELQUES  PROBLÈMES  IMPORTANTS  DE  PHILOSOPHIE.  5G5 

M.  Gros  ajoute  que  «  toute  impressicn  reproduisant  les  carac- 
«  tères  de  l'objet  qui  la  cause,  devient  idée,  se  manifeste  comme 
«  une  modification  de  Vâme,et  se  présente  comme  infinie,  absolue, 
«  nécessaire,  éternelle,  immuable.  »  Contrairement  à  M.  Gros, 
nous  admettons  qu'une  impression  quelconque,  lorsqu'elle 
agit  sur  un  sujet  capable  de  sentir,  ne  produit  jamais  que  le 
sentiment  d'elle-même  ;  que  si  le  sujet  est  intelligent,  il  pourra 
bien  conclure  en  général  à  l'existence  d'une  cause  qui  l'impres- 
sionne ;  mais  cette  impression  ne  lui  dira  rien  des  caractères 
de  l'objet  par  lequel  elle  a  été  produite.  Si  M.  Gros  transforme 
ensuite  cette  impression  en  idée,  et  la  représente  comme  une 
modification  de  l'âme,  comme  infinie,  absolue,  etc.,  cela  nous 
semble  bardi  et  légèrement  contradictoire.  Gomment  la  modi- 
fication d'une  âme  finie,  relative,  contingente,  peut-elle  être 
autre  cbose  qu'une  modification  finie,  contingente,  relative? 
Pourquoi  M.  Gros  vient-il  ajouter  surtout:  «  ]Sous  sentons,  nous 
(t  goûtons,  nous  touchons  spirituellement  Dieu  par  les  impressions 
a  qu'il  produit  en  nous  ;  car  nous  sommes  doués  d'un  sens  divin, 
«  d'un  goût  et  d'un  tact  spirituels  par  lesquels  nous  sommes  en 
«  rapport  avec  notre  Auteur.  »  Nous  concevons  que  ce  système 
ait  ses  cbarmes,  et  puisse  prendre  faveur  auprès  des  âmes 
pieuses  qui  aiment  «  la  voie  de  la  grande  }nété.  »  {Etudes,  ix.) 
Mais  nous  devons  le  dire,  ce  système  n'est  pas  vrai,  et  ce  rêve 
d'or  ne  peut  durer  longtemps.  Dès  que  nous  rentrons  eu 
nous-mêmes,  j'en  appelle  à  toutes  les  âmes,  la  conscience  pro- 
teste et  nous  crie  de  toutes  parts  que  ce  n'est  pas  ainsi  que 
nous  atteignons  ici-bas  «  l'immuable  vérité,  »  que  l'iieure  n'est 
pas  encore  venue  de  clianter  les  immortels  cantiques  de  la 
patrie. 

M.  Gros  poursuit  en  disant  que  «  l'universel,  l'absolu,  l'in- 
fini, le  nécessaire,  ne  peuvent  jaillir  du  fond  de  l'âme,  et  s'ils  y 
apparaissent ,  ce  ne  peut  être  que  par  suite  des  modifications 
qu'elle  subit  sous  l'action  vivifiante  de  Dieu.  »  Nous  l'avons  déjà 
dit,  les  modifications  que  l'âme  peut  subir  sous  l'action  vivi- 


S66       'quelques  problèmes   importants   de  philosophie.     ITomeVII. 

fiante  de  Dieu^  ne  seront  jamais  que  des  modifications  finies, 
particulières,  contingentes,  tout  comme  le  sujet  lui-même  qui 
les  reçoit  n'est  que  fini,  particulier,  contingent.  Nous  admirons 
M.  Gros;  pourquoi  donc  notre  âme  ne  pourrait-elle  pas  tirer 
la  notion  de  l'universel  des  objets  extérieurs  et  matériels?  Il 
suffit  qu'elle  considère  dans  ces  objets  l'être,  l'existence,  l'u- 
nité, la  durée,  etc.,  qui  se  trouvent  réellement  en  eux  à  l'état 
particulier,  limité,  fini.  Si,  par  un  acte  de  notre  esprit,  nous 
séparons  ensuite  toutes  ces  choses  des  conditions  matérielles 
qui  les  enchaînent  et  les  individualisent,  nous  nous  trouvons 
en  face  de  l'universel,  nous  possédons  l'universel.  M.  Cros  ne 
refusera  point  d'admettre  tout  cela,  et  ne  dira  point  que  notre 
entendement  est  particulier,  et  ne  peut  dès  lors  nous  élever  à 
l'universel.  Non,  cela  n'est  point  vrai  pour  l'acte  de  connaître, 
vu  que  l'objet  propre  de  l'entendement  est,  au  jugement  de 
tous  les  philosophes,  l'universel.  Si  l'entendement  est  particu- 
lier, c'est  en  ce  sens  seulement  qu'il  est  telle  nature  déterminée 
et  non  point  telle  autre  ;  mais  cette  nature  déterminée  qui  est 
notre  entendement,  a  la  capacité  de  s'étendre  à  toutes  les  per- 
fections des  choses  qu'elle  peut  connaître,  dont  elle  peut  se 
faire  une  idée,  et  dont  elle  est  comme  le  miroir  et  la  vivante 
image.  Nous  n'avons  point  de  conseils  à  donner  à  M.  Cros  ; 
mais,  nous  engageons  vivement  ceux  de  nos  lecteurs  que  ces 
grandes  questions  intéressent,  à  méditer  là-dessus  la  profonde 
pensée  de  saint  Thomas  {Somme  théologique,  ^.  1,  q.  14,  a.  1), 
et  nous  pouvons  leur  promettre  des  théories  incomparable- 
ment plus  belles  et  plus  solides  que  toutes  les  productions 
éphémères  de  nos  modernes  idéologues. 


VII. 


Nous  passons  vite  sur  quelques  autres  points  dignes  d'être 
relevés  pour  en  venir  au  troisième  article  de  M.  Cros,  avec 
promesse  de  nous  borner  au  seul  argument  de  saint  Anselme. 


Juin  1863.]  QUELQUES  PROBLÈMES  IMPORTANTS   DE   PHILOSOPHIE.  567 

M.  Gros  commence  par  émettre,  involontairement  sans  doute, 
quelques  inexactitudes  assez  regrettables.  Il  dit  avec  Tournely 
que  a  si  Von  ne  peut  conclure  de  l'idéal  au  réel  dans  les  choses 
«  accidentelles,  il  en  est  autrement  dans  les  choses  essentielles. 
«  Lorsque  l'existence  est  nécessairement  renfermée  dans  le  concept 
0  d'une  chose,  on  doit  admettre  cette  existence  dès  que  le  concept 
«  est  admis  (p.  8).  »  M.  Gros  confond  ici  deux  choses 
bien  distinctes.  De  quelle  existence  veut-il  parler?  Est-ce 
de  l'existence  qui  demeure  renfermée  dans  le  concept  que 
nous  nous  formons  des  choses,  ou  de  l'existence  qui  sort  du 
concept  et  se  reproduit  au  dehors  dans  la  nature?  Il  faut 
remarquer,  eneflfel,  que  l'existence  peut  être  considérée  comme 
incluse  dans  le  concept  de  notre  esprit,  ou  comme  étant  en 
acte,  en  dehors  de  notre  concept.  Supposez  que  nous  ayons  à 
résoudre  cette  question:  peut-il  exister  un  monde  infini? 
notre  esprit  ne  peut-il  pas,  à  l'instant  même,  se  former  le  con- 
cept d'un  monde  infini,  tout  en  faisant  abstraction  de  la 
question  de  savoir  si  ce  monde  infini  existe  réellement  dans 
la  nature,  ou  s'il  n'est  que  purement  idéal?  Si  nous  répondons 
ensuite  qu'an  monde  infini  n'est  pas  possible,  qu'aflîrmons- 
nous  autre  chose  sinon  qu'un  monde  infini  est  objet  de  notre 
entendement;  mais  qu'il  n'existe  point  et  ne  peut  exister  en 
dehors  de  notre  concept,  m  natura  rerum.  Voilà  ce  que  Tour- 
nely semble  n'avoir  pas  saisi,  ni  M.  Gros  non  plus.  M.  Gros  se 
rattache  ensuite  à  Fénelon  disant  que  «  pour  Dieu,  l'existence 
actuelle  lui  est  essentielle.  »  Nous  le  comprenons  sans  peine.  M. 
Gros  et  Féuélon  veulent  ici  parler  de  l'existence  actuelle  en 
tant  qu'elle  est  réalisée  dans  la  nature  des  choses  en  dehors 
de  notre  concept  ;  mais  l'athée  et  tant  d'autres  qui  s'en  rap- 
prochent pourraient  bien  ne  pas  comprendre  :  ils  diront,  avec 
quelque  raison,  que  cela  n'est  vrai  que  pour  l'existence  ac- 
tuelle en  tant  qu'elle  est  objet  de  notre  entendement  et  qu'elle 
est  renfermée  dans  notre  concept.  Et  quand  M.  Gros  nous  dit 
ensuite  de  sa  propre  autorité  :  «  Pour  que  l'argument  de  saint 


o68  QUELQUES  PROBLÈMES   IMPORTANTS   DE   PHILOSOPHIE.    |TomeVIt. 

Anselme  fût  démonstratif,  il  faudrait  d'après  saint  Thomas,  si 
nous  avons  bien  saisi  sa  pensée,  que  l'on  eut  prouvé  que  l'idée  de 
l'essence  divine  représente  un  être  réel,  » — nous  nous  demandons 
encore  de  quelle  réalité  M.  Gros  veut  parler.  Est-ce  d'un  être 
réel,  objet  réel  du  concept,  ou  d'un  e/rereW  existant  eu  dehors 
du  concept,  in  rerum  natural  Si  c'est  en  ce  dernier  sens,  c'est 
donc  comme  si  l'on  disait  :  «  Pour  que  l'argument  de  saint 
Anselme  fût  démonstratif,  il  faudrait,  d'après  saint  Thomas,  si 
nous  avons  bien  saisi  sa  pensée,  que  l'on  eût  prouvé  que  l'idée  de 
l'essence  divine  repi^ésente  un  être  î'éel  qui  existe  en  dehors  de 
notre  concept.  Cela  reviendrait  à  dire  que,  selon  saint  Thomas, 
l'argument  de  saint  Anselme  ne  prouve  rien,  et  est  de  nulle  va- 
leur. Si  M.  Gros  n^entend  au  contraire  parler  que  d'une  simple 
réalité  de' concept,  d'un  e^?^e  re'e/  qui  n'existe  que  dans  notre 
esprit,  de  quel  droit,  et  surtout  en  vertu  de  quelle  logique 
change-t-il  dans  sa  conclusion  la  réalité  de  pur  concept  en  une 
réalité  qui  existe  dans  la  nature,  en  dehors  de  notre  esprit  ? 
M.  Gros  traitera  peut-être  encore  notre  distinction  de  subtile 
et  de  minutieuse  et,  il  répond  à  l'avance  :  «  Si  nous  ne  pouvons 
conclure  de  l'idéal  au  réel,  la  perception  extérieure  est  impos- 
sible, l'existeuce  de  toute  substance  étrangère  à  la  nôtre  ne  peut 
se  constater;  nous  sommes  en  plein  subjectivisme,  et  nous  n'a- 
vons devant  nous  que  le  scepticisme  et  le  panthéisme.»  En  vérité 
nous  n'augurons  pas  si  mal  de  la  raison  humaine  !  Ce  qui  cause 
des  frayeurs  à  M.  Gros,  au  contraire,  nous  rassure,  et  il  nous 
semble  que  cela  devait  plutôt  nous  convaiucre  une  bonne  fois 
que  la  perception  extérieure  des  corps  est  immédiate,  comme 
nous  l'avons  dit,  qu'elle  ne  peut  être  légitimement  déduite 
de  nos  idées,  et  qu'en  voulant  à  toute  force  tirer  l'existence 
des  corps  de  nos  idées,  nous  tombons  nécessairement  dans 
le  subjectivisme.  Au  reste,  l'expérience  est  faite,  et  depuis 
longtemps!  L'école  écossaise  (1)  fait  observer  avec  grande 

(^)  Reid,  des  Fraies  et  des  Fausses  idées,  ch.  iv. 


Juin  1863.3   QUELQUES  PROBLÈMES  IMPORTANTS  DE  PHILOSOPHIE.         569 

raison  que  Locke,  sa  théorie  des  images  une  fois  admise,  n'a 
jamais  pu  réussir  à  prouver  solidement  l'existence  réelle  des 
corps,  et  que  Berkeley  n'a  douté  de  l'existence  des  corps  et 
n'est  devenu  sceptique  que  pour  avoir  suivi  Locke^  et  prin- 
cipalement pour  avoir  été  logique  et  conséquent  avec  ses  prin- 
cipes. Reid  aurait  pu  ajouter  que  les  Pyrrboniens  anciens  et 
modernes  (1)  ont  été  amenés  à  douter  de  l'existence  des  corps 
pour  avoir  suivi  des  principes  semblables  à  ceux  de  Locke  et 
de  Berkeley. 

M-  Gros  rappelle  enfin  avec  complaisance  qu'il  a  «  montré 
avec  M.  Bautain  que  Vidée  de  l'infini  ne  peut  nous  veni?'  des  sens, 
ni  par  abstraction,  ni  par  généralisation,  ni  de  nous-mêmes,  et 
que  dès  lors  l'Être  infini  seul  peut  en  être  la  cause,  n  M.  Gros 
nous  fait  clairement  voir  par  là  qu'il  renonce  à  l'argument  de 
saint  Anselme.  Nous  avions  déjà  remarqué  qu'il  connaissait 
beaucoup  Descartes;  mais  nous  ne  savons  nous  expliquer 
aujourd'hui  pourquoi  il  abandonne  la  Méditation  V  de 
Descartes,  qui  répond  à  l'argument  de  saint  Anselme,  pour 
embrasser  la  doctrine  de  la  Méditation  III,  où  Descartes  dé- 
veloppe tout  autre  chose.  Il  nous  semble  que  ce  choix 
n'a  pas  été  très-heureux,  car  il  n'est  pas  bien  établi  que  l'idée 
de  Dieu  telle  qu'elle  existe  en  nous  ne  puisse  venir  que  de 
l'Être  infini  et  de  l'impression  divine.  L'idée  de  Dieu  en  nous,  ce 
semble,  est  une  idée  imparfaite,  une  idée  finie  à  tous  les  points 
■  de  vue.  Si  nous  la  considérons  en  elle-même,  elle  est  une  mo- 
dification de  notre  esprit  fini,  mais,  envisagée  dans  son  objet, 
elle  n'en  est  que  la  représentation  imparfaite,  inadéquate  et  en 
quelque  sorte  négative,  nous  faisant  plutôt  voir  ce  que  l'objet 
n'est  pas  que  ce  qu'il  est.  Voilà  peut-être  pourquoi  l'idée  de 
l'infini  en  nous  peut  de  jour  en  jour  devenir  plus  parfaite. 
C'est  parce  qu'elle  ne  tire  point  sa  perfection  de  l'objet  qu'elle 

0)  V.  Sextus  Empir.,  Hypot.  Pyrrh.,  1.  ii,  c.  7,  p.  75.— Foucher, 
chao.  de  Dijon,  Lettres  à  un  académicien,  p.  44.  Paris,  4675. 


570        QUELQUES  PROBLÈMES   IMPORTANTS   DE  PHILOSOPHIE.      [Toiic  VU, 

réprésente,  mais  du  mode  de  représentation  plus  élevé 
qu'elle  possède.  Toute  autre  perfection  que  l'idée  peut  avoir 
se  rapporte  à  l'objet  qu'elle  représente,  et  n'est  pas  tant  une 
perfection  de  l'idée  que  de  l'objet  qu'elle  représente.  Que 
M.  Gros  veuille  bien  y  réfléchir,  et  il  verra  sans  peine  que  rien 
ne  s'oppose  à  ce  qu'une  telle  idée  de  l'infini,  imparfaite,  in- 
adéquate et  pour  ainsi  dire  purement  négative,  soit  obtenue  par 
voie  d'abstraction  d'après  les  enseignements  de  saint  Paul, 
Rom.  I,  et  du  Livre  de  la  Sagesse,  XI H  :  «  A  magnitudine  spe~ 
ciei  et  creaturx,  cognoscibiliter  poterit  Creator  horum  videiH.  » 

P.  P.  Armand. 


LITURGIE. 


REPONSES   A   QUELQUES   QUESTIONS. 


§  1.  Sur  la  matière  des  linges  sacrés  et  du  luminaire. 

I.  Vaube  doit-elle  être  en  fil  dans  toute  sa  longueur,  et  quelle 
règle  peut-on  formuler  à  ce  sujet?  La  dentelle  que  Von  y  ajoute, 
doit-elle  être  en  fil?  Peut-elle  monter  jusqu'à  la  ceinture  ?  — 
II.  Que  penser  des  cierges  dont  la  cire  est  mélangée  d'une  autre 
matière  ? 

Ces  deux  questions,  qui  nous  ont  été  adressées  par  deux 
personnes  différentes,  demandent  à  être  traitées  simultanément. 
La  solution  de  chacune  d'elles  repose  sur  le  même  principe. 
L'aube  doit  être  en  fil,  les  cierges  en  cire.  Il  serait  bien  sé- 
vère d'interdire  l'usage  du  coton  pour  ajouter  quelques  orne- 
ments à  une  aube,  ou  de  regarder  comme  illicite  l'usage  de 
la  cire  qui  aurait  été  mélangée  d'une  autre  matière.  D'un 
autre  côté,  si  la  matière  prescrite,  soit  pour  les  linges  sacrés, 
soit  pour  les  cierges,  ne  dominait  pas  assez  pour  être  la  matière 
principale,  l'usage  en  serait  certainement  illicite.  Il  ne  paraît 
donc  pas  prohibé  d'ajouter  aux  aubes  une  garniture  en  dentelle 
de  coton,  ni  de  mélanger  dans  la  confection  des  cierges  une 
matière  différente  de  la  cire  ;  mais  cette  garniture  des  aubes 
doit  toujours  être  une  partie  accessoire,  et  le  mélange  d'une 
matière  différente  delà  cire  doit  être  fait  en  assez  petite  quan- 
tité. 


572  LITURGIE.  [Tome  VII. 

§2.  Sur  le  changement  du  troisième  vers  de  l'hymnie  Isie  confessor,  et  sur  les 
leçons  du  premier  nocturne  à  roffice  de  saint  Pierre  Damien. 

I.  Saint  Pierre  Damien  étant  mort  le  22  février^  comme  l'indique 
la  légende,  et  cette  fête  n'ayant  qu'une  commémoraison  aux 
premières  vêpres,  ne  doit-on  pas  dire  à  matines  meruit  supre- 
mo?,?  II.  Pour  la  fête  de  ce  saint  Docteur,  quelles  doivent  être 
les  leçons  du  premier  nocturne  ? 

I.  La  question  relative  au  changement  du  troisième  vers  de 
riiymme  Iste  confessor,  paraît  avoir  occupé  déjà  plusieurs  li- 
turgistes  modernes^  comme  semble  le  témoigner  l'introduc- 
■tion  d'un  changement  dans  plusieurs  bréviaires  récemment 
édités,  à  des  jours  où  les  bréviaires  imprimés  à  Rome  ne 
contiennent  aucune  indication. 

Examinons  donc  les  règles  à  suivre  sur  ce  changement.  Au 
commuft  des  confesseurs  pontifes  et  non-pontifes,  après  la 
première  strophe  de  l'hymme  Iste  confessor,  qui  se  termine  par 
ces  paroles  :  Hac  die  Ixtus  meruit  beatas  Scandere  sedes  ;  on  lit 
cette  rubriijue  :  Si  non  est  dies  ohitus,  dicatur  :  Hac  die  Ixtus 
meruit  supremos  Laudis  honores. Toutes  les  fois  donc  que  la  fête 
d'un  saint  se  célèbre  au  jour  anniversaire  de  sa  mort,  on  dira 
meruit  beatas  scandere  sedes,  et  si  elle  se  trouve  reportée  à  un 
autre  jour,  soit  par  translation  fixe,  soit  par  translation  acci- 
dentelle, on  dira  meruit  supremos  laudis  honores.  Cette  règle, 
qui  ressort  de  la  rubrique  même  du  bréviaire,  est  confirmée  par 
le  décret  suivant: 

Question  :  «  An  in  officio,  et  hymno  Iste  confessor  pro  sanctis  con- 
«  fcssoribus  quoties  eisdem  fixa  dies  est  assignata,  quae  non  est  dies 
«  obitiis,  recitari  debeat  meruit  beatas  scandere  sedes,  eo  quod  rêvera 
«  officium  fiât  de  die  obitus?  Et  quatenus  affirmative,  an  eadem  régula 
a  servanda  sit  in  offîciis  confessorum  translalis,  dummodo  officium  sit 
a  de  die  obitus?  »  Réponse  :  «  Négative.  »  (Décret  du  1 1  juin  1701, 
D.  3586,q.5.) 


luiu  1863.1  LITURGIE.  575 

*  • 

Telle  est  la  règle  générale,  mais  pour  son  application,  il  y 
a  plusieurs  observations  à  faire. 

1»  Si  la  fête  d'un  saint  confesseur  pontife  ou  non-pontife  est 
transférée  au  lendemain  du  jour  de  sa  mort,  et  si  Ton  en  dit 
les  premières  vêpres,  même  seulement  depuis  le  capitule,  on 
dit  :JIac  diemerutt  beatas  Scandere  sedes.  Les  premières  vêpres, 
en  etfet,  se  célèbrent  au  jour  même  de  l'anniversaire  de 
la  mort,  et  l'office  ayant  été  commencé  de  cette  manière, 
le  cbangement  ne  se  fait  plus  dans  le  cours  du  même  office, 
suivant  cette  décision  : 

Question  :  «  An  quando  contingit  transferri  festum  alicujus  sancti 
«  confessoris  a  die  sui  obitiis  in  diem  proxime  sequentem,  debeat  tune 
0  in  primii?'  suis  vesperis  dici  in  hymnis  meruit  beatas,  et  in  matutino 
«  et  secundis  vesperis  memit  swpremos?  »  Réponse  :  «  In  casu  pro- 
d  posito  tura  in  vesperis,  tum  in  reliquo  officio  continuandura  versum 
«  mermt  beatas.  »  (Décret  du  13  jnin  1682,  n.  2988,  q.  6.) 

2°  Il  est  encore  certaines  fêtes  que  Ton  célèbre  le  lendemain 
du  jour  anniversaire  de  la  mort  du  saint  qui  en  est  l'objet,  et 
pour  lesquelles  le  cbangement  n'est  pas  indiqué.  Plutôt  que 
d'introduire  le  cbangement  de  sa  propre  autorité,  surtout  dans 
une  édition  de  bréviaire  qui  doit  être  certifiée  conforme  à 
celles  de  Rome,  il  vaut  mieux  suivre  simplement  les  éditions 
autbenliques,  et  croire  qu'il  y  a  eu  un  motif  de  ne  pas  Tindi- 
quer,  quand  même  on  ne  pourrait  pas  l'apercevoir.  Avant  de 
prétendre  que  le  bréviaire  de  Rome  est  fautif,  il  faut  chercber 
les  moyens  d'expliquer  cette  omission.  Pour  eu  trouver  l'ex- 
plication, il  suffit  de  lire  le  passage  suivant  de  VExpositio  Ru- 
bricarum  de  M.  Bouvry,  t.  i,  p.  377. 

«  Exinde  solum  quod  celebratur  festum  die  morteni  sequente,  non 
a  polest  deduci  dictura  verbum  esse  rautandum  ;  quia  ex  dictis  de  ra- 
ce tione  computandi  diem  natalem,  fieri  potest  ut  dies  sequens  habeatur 
a  pro  die  natali.  Sic  v.  g.  mutatio  illius  versus  non  assignatur  in 
«  feslo  S.  Alphonsi  de  Ligorio,  quamvis  obierit  kalejidis  Augusti.  » 

L'auteur  renvoie  ensuite  à  un  autre  endroit  de  son  ouvrage. 


374  LITURGIE  ITonie  VU. 

OÙ  il  cite  en  note  un  passage  de  Cavalieri  relatif  à  la  manière 
d'entendre  le  mot  natalis. 

«  Q.  Unde  decerni  debeat  dies  sancti  ciijusqiie  natalis?  R.  Tripli- 
«  cem  a  Guyeto,  l.ii,  en,  q.  2,  rationeni  adduci  computandi  diera 
«  natalitium  sanctorum,  videlicet  a  vespera  ad  vesperam,  adeo  ut  qui 
a  sanclus,  v.  g.,  obiit  prima  die  oclobris  ab  ea  hora,  quae  decantandis 
«  vesperis  indicilur,  hujus  dies  natalis  non  ipsa  prima  die  octobris,  sed 
«  sequenti^  secunda  videlicet  consignetur  :  sic  enim  suadere  videtur 
«  officiorura  ratio,  quae  cum  ad  sancti  ciijusque  felicissiinum  ex  hac 
«  vita  transitum  instar  se  habeat  triumphi  ad  victoriam,  illum  certe 
a  hanc  non  praecedere,  sed  sequi  aut  ad  summum  comitari  aequum  est. 
a  Praecederet  autera,  si  totum  officium,  vel  plenior  illius  pars  absoluta 
«  fuerit  antehoram  qua  sanctus  ex  hac  vita  migravit;  quod  in  simplici 
«  maxime  festo  contingit,  cujus  totum  officium  complelur  ad  nonam. 
«  —  Secunda  computandi  ratio,  ab  usu  communi  magis  adhibila,  est, 
((  ut  dies  ille  cuique  sancto  natalis  assignetur,  in  cujus  aliqua  hora  a 
«  média  nocle  ad  mediam  noctem  contigit  ipsum  ex  hac  vita  transire. 
a  —  Tertiam  adducit,  nec  improbat,  et  est,  quod  sanctorum, quos  post 
(i  horam  completorii  inchoata  jam  nocte  decedere  contigerit,  natalis 
«  computetur  dies,  non  qui  noctem  illam  praicedit,  sed  qui  sequitur, 
«  eo  quod  illorum  transitum  eo  potissimum  die  celebrari  dèceat,  que 
«  ishominibus  primum  vulgatus,  atque  cognitus  fuit.  »  [Gavai.,  t.  \, 
dec.  98,  n.  15,  U,  15  et  IG.) 

Cavalieri  applique,  dans  un  autre  endroit  de  ses  ouvrages, 
les  principes  ci-dessus -énoncés  à  la  question  présente.  Il  ne 
sera  pas  hors  de  propos,  ni  sans  intérêt,  de  citer  ici  le  texte  du 
savant  auteur. 

G  Triplicem  esse  vidimus  rationem  computandi  diem  natalem  san- 

«  ctorum,  nempe  a  prirais  ad  secundas  vesperas,  asolis  occasu  ad  solis 

a  occasum,  et  a  média  nocte  ad  mediam  noctem,  ita  ut  qui  eorumdem 

((  respective  obiit  v.  g.  die  prima  Aprilis  post  horam  vesperarum,  vel 

a  post  solis  occasum,  aut  post  mediam  noctem,  ejus  natalis  consignandus 

((  non  sit  diei  primae  Aprilis,  sed  secunda?  sequenti.Verum  cum  nostrum 

«  non  sit  natalem  diem  Sanctis  prasscribere,  sed  Sedis  Apostolicae,  id- 

((  circo  quamcumque  ex  dictis  rationibus  haec  secuta  fuerit,  dies  illa, 

a  quge  pro  natali  ab  eadem  Aposto'ica  Sede  determinata  fuerit,  cen- 

«  seri  debebit  natalis  dies,  in  eaque  dicendus  erit  versus  meruit 


Juin  1863.)  LITURGIE.  575 

«I  beatas,  et  non  in  sequenti,  nisi  ad  tramites  praesentis  decreti  (1) ,  si 
«  ad  sequentem  transl'eratur  diem,  cui  juxta  alteram  compulandi  ratio- 
ce  nem  consignari  poterat  natalis  Sancti  qui  transfertur.  Sic,  licct 
a  S.  Franciscus  de  Paula  obierit  die  secunda  Aprilis  hora  circiter  vi- 
«  gesima  prima,  et  consequenter,  jiixla  primam  compiitandi  ralionem, 
«  natalis  ejusdem  tradi  potuisset  die  tertia  Aprilis,  adhuc  quia  juxta 
«  rationes  alias  consignatus  fuit  diei  secundae,  in  hac  dici  debebit 
«  meruit  beatas,  non  aulem  si  iransferatur  ad  diem  terliam,  nisi  pri- 
«  mas  intégras  vel  dimidias  habeat  vesperas.  S.  Philippus  Benilius  die 
«  vigesima  secunda  Augusli  ad  vitara  evolavit  aeternam  hora  vigesiraa 
a  quarta  ad  pulsationem  salutationis  Angelicae,  et  juxta  secundam 
a  computandi  rationem  natalis  ejusdem  statutus  fuit  die  vigesima  tertia 
«  sequenti,  et  ideo  in  hac  dicitur  meruit  beatas,  qui  versus  et  dicere- 
«  tur  die  vigesima  secunda,  si  juxta  tertiam  computandi  ralionem  na- 
«  talis  ejusdem  prœdictae  diei  vigesimae  secundae  non  impodilae  consi- 
«  gnalus  extitisset.  »  {Ibid.,  t.  ii,  dec.  334,  n,  4.) 

Ces  principes  posés,  on  comprend  facilement  l'omission  du 
changement  au  troisième  vers  de  Thymue  à  la  fête  de  saint 
Pierre  Damien.  Les  exemples  tirés  des  fêtes  de  saint  Alphonse 
de  Liguori,  de  saint  François  de  Paille  et  de  saint  Philippe  Bé- 
niti,  s'appliquent  à  la  fête  du  saint  docteur. 

3"  Pour  compléter  la  question,  ajoutons  que  si  la  fête  d'un 
saint  confesseur  se  célèbre  avec  octave  le  jour  même  de  l'an- 
niversaire de  sa  mort,  ou  si  elle  est  transférée  pendant  l'octave, 
on  dit  pendant  tout  le  cours  de  l'octave,  meruit  beatas  scandere 
sedes.  La  raison  en  est  que  l'octave  est  une  continuation  de  la 
fête. 

«  Quoad  mutationem  faciendam  in  hymno/s^e  confessor...  nec  prae- 
«  dicta  mutalio  iiet,  quando  oflicium  festivum  sancti  habentis  octavam 
«  non  ultra  octavam  transfertur,  quia  tota  octava  nihil  aliud  est  quam 
•  extensio  ipsius  festi,  et  ideo  versus  idem  per  reliquas  octavaî  dies, 
a  qui  forte  supererunt,  retinebitur.»  (Décret  du  2  Septembre  1741, 
n.4il9,  q.  8.) 

II.  Pour  ce  qui  concerne  les  leçons  du  premier  nocturne  à  la 
fête  du  même  saint,  l'ort/o  de  Rome  et  les  bréviaires  indiquent 

(I)  L'auteur  parle  ià  du  décret  du  13  juav.  l!  82,  cité  ri-dessus. 


576  LITURGIE  [Tome  VIL 

Fidelis  sermo.  La  question  n'est  cependant  pas  exempte  de 
toute  difficulté,  comme  nous  allons  le  voir.  Mais,  pour  donner 
une  réponse  mieux  adaptée  à  la  question  qui  nous  est  adressée, 
nous  envisageons  la  chose  sous  un  point  de  vue  plus  gé- 
néral, 

La  difficulté  nous  est  posée  en  ces  termes  :  Doit-on,  à  l'office 
de  saint  Pierre  Damien,  dire  au  premier  nocturne  les  leçons 
Fidelis  sermo,  ou  Sapientiam  omnivm  antiquorum  ?  Nous  devons 
tout  d'abord  faire  une  observation.  Les  leçons  Sapientiam 
omnium  antiquorum,  qui  se  trouvent  au  commun  des  saints  pour 
les  docteurs^  ne  leur  sont  pas  tellement  propres  qu'elles  se 
disent,  en  règle  générale,  aux  fêtes  de  tous  les  saints  qui  sont 
honorés  du  titre  de  docteurs  de  l'Église,  comme  l'antienne 
0  Doctor  optime  aux  premières  et  aux  secondes  vêpres.  Ces 
leçons  sont  indiquées  seulement  aux  offices  de  saint  Thomas 
d'Aquin,  de  saint  Grégoire-le-Grand,  de  saint  Isidore,  de  saint 
Anselme,  de  saint  Bonaveuture,  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Jérôme.  Les  leçons  Fidelis  sermo,  outre  le  jour  de  la  fête  de  saint 
Pierre  Damien,  dont  il  s'agit  ici  spécialement,  sont  indiquées 
pour  l'office  de  saint  Pierre  Chrysologue  et  de  saint  Ambroise. 
Aux  autres  fêtes  des  saints  docteurs,  on  dit  les  leçons  de  l'Écri- 
ture occurrente.  Celles-ci  sont  indiquées,  en  effet,  aux  fêtes  de 
saint  Hilaire,  de  saint  Jean  Chrysostôme,  de  saint  Athanase,  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  de  saint  Basile  et  de  saint  Bernard. 
Da^ns  wn  a^viicXa  àelsi  Correspondance  de  Rome,  n.°  à\x  21  juin 
1831,  nous  trouvons  cette  dernière  énumération  en  réponse  à 
une  question  posée  sur  ce  point,  relativement  à  la  fête  de  saint 
Hilaire,  alors  récemment  mis  au  nombre  des  saints  docteurs. 
On  voit  par  là  qu'il  n'y  a  aucune  raison  pour  soulever  la  ques- 
tion de  savoir  si  les  leçons  du  premier  nocturne  de  la  fête  de 
saint  Pierre  Damien  ne  seraient  pas  Sapientiam  omnium  anti- 
quorum, plutôt  que  Fidelis  sermo. 

Mais,  il  n'est  pas  également  certain  que  les  leçons  du  pre- 
mier nocturne  de  cette  fête  ne  soient  pas  celles  de  l'Écriture 


Juin  18G3.1  LITURGIE.  577 

occurrente.  La  réponse  douuéepar  la  Correspondance  de  Home, 
citée  ci -dessus,  place  la  fête  de  saint  Pierre  Damien  au 
nombre  de  celles  auxquelles  on  dit  les  leçons  de  l'Écriture.  De 
plus,  dans  le  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites,  ap- 
prouvé par  Léon  XIII,  décret  par  lequel  saint  Pierre  Damien 
est  déclaré  docteur  de  l'Eglise  et  son  office  étendu  à  l'Église 
universelle,  nous  lisons  ces  paroles  : 

a  Sanctitas  Sua...  S.  Petrum  Damianum  doctorum  albo  recensuit, 
a  ejusque  officium  sub  ritu  dup.  min.  cum  lectionibus  primi  nocturni 
«  de  Scriptura...  ad  universam  extendit  Ecclesiara,  ac  insuper  générale 
a  décret  uni  Uibl  et  Orbi  expediri  praecepit.  »  (Décret  du  27  sept. 
1828,  no  4658.) 

Nous  ne  trouvons  aucun  document  qui  justifie  la  pratique 
contraire  à  cette  décision,  et  qui  consacre  l'indication  des  le- 
çons Fidelis  sermo  dans  les  bréviaires  et  dans  l'orrfo  de  Rome. 
Cette  indication  est  le  résultat  d'une  erreur,  ou  d'une  conces- 
sion plus  récente.  Nous  serions  heureux  si  quelqu'un  de  nos 
abonnés  pouvait  nous  fournir  (juelques  éclaircissements  à  cet 
égar4. 

§  3.    Sur  certaines  formules  de  bénédictions  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  le 
Rituel  romain. 

I.  Que  doit-on  penser  de  l'authenticité  de  certaines  formules  de 
bénédictions  insérées  dans  le  liituel  l'omain  édité  chez  Périsse 
(Paris  et  Lyon,  1830),  formules  qui  ne  se  trouvent  pas  dans 
les  éditions  plus  récentes  du  liituel  romain  ?  —  IL  Que  doit-on 
penser  de  l'authenticité  des  formules  insérées  dans  l'ouvrage 
intitulé  :  Le  Chrétien  éclairé  sur  la  naiure  et  l'usagedes  in- 
dulgences, qui  diffèrent  parfois  assez  notablement  de  celles  du 

Rituel  cité  ? 

• 

Pour  répondre  à  ces  questions,  il  suflBt  d'établir  les  points 
suivants  :  !•  Aucune  formule  de  bénédiction  ne  peut  être  re- 
gardée comme  licite,  si  elle  ne  se  trouve  dans  le  Rituel  ro- 

Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vu.  37-38. 


578  LITURGIE.  [Tome  Vil, 

main  ou  si  elle  n'est  spécialement  approuvée  ;  2°  une  formule 
de  bénédiction  approuvée  pour  un  diocèse  ne  peut  être  em- 
ployée dans  un  autre  diocèse  sans  une  concession  spéciale  ; 
3°  tant  que  l'induit  de  concession  n'est  pas  connu  d'une  ma- 
nière positive,  la  présomption  sera  toujours  contraire  à  Tau- 
thenticité  de  la  formule. 

Le  premier  point  est  clairement  démontré  par  un  article  du 
20  mai  dernier,  t.  yii,  p.  263;  le  deuxième  résulte  de  ce  prin- 
cipe, que  l'on  ne  peut  étendre  une  concession  au-delà  des 
termes  dans  lesquelles  elle  est  faite;  enfin,  les  principes  sui- 
vis en  France  depuis  longtemps  ne  peuvent  évidemment  nous 
fournir  une  garantie  complète  sur  Fautlienticité  de  ces  for- 
mules. 

Nous  ne  croyons  donc  pas  pouvoir  admettre  cette  authen- 
ticité, si  elle  n'est  clairement  prouvée.  Or,  le  Rituel  cité 
contenant,  sous  le  titre  de  Rituale  romanum,  beaucoup  de 
choses  qui  ne  font  pas  partie  de  ce  livre,  et  l'ouvrage  dont  il 
est  question  n'indiquant  pas  la  source  des  formules  qu'il 
donne,  les  garanties  ne  nous  paraissent  pas  suffisantes.  . 


I  4.  Sur  les  indulgences  attachées  aux  expositions  du  très- saint  Sacrement 
dans  les  jours  qui  précèdent  le  Carême,  et  le  pouvoir  du  confesseur  relative- 
ment a  la  commutation  des  œuvres  prescrites. 


I.  Pour  gagner  Vindulgence  plénière  pendant  l'exposition  du 
très-saint  Sacrement  qui  se  fait  dans  les  Jours  qui  précèdent  le 
Carême,  est-il  nécessaire  de  visiter,  chacun  des  trois  jours , 
l'église  ou  le  Saint-Saci^ement  est  exposé?  —  II.  Le  confesseur 
peut-il  commuer  cette  œuvre  pour  les  personnes  qui  ne  peuvent 
la  remplir  ?  Quel  est,  en  général,  le  pouvoir  du  confesseur  pour 
la  commutation  des  œuvres  prescrites  pour  gagner  les  indul- 
gences ? 

I.  Benoît  XIV_,  en  accordant  une  indulgence  spéciale  pour 


Juin  1863.1  LITURGIE.  579 

les  expositions  du  très-saint  Sacrement,  qui  ont  coutume  de 
se  faire  dans  les  jours  qui  précèdent  le  Carême,  avait  mis 
pour  condition  la  visite  de  l'église  chacun  des  trois  jours. 
Mais  Clément  XIII,  en  étendant  à  tout  l'univers  une  faveur 
accordée  jusqu'alors  aux  Etats  pontificaux  seulement,  réduisit 
la  condition  à  une  seule  visite.  Le  texte  de  chacun  des  deux 
décrets  est  rapporté  tom.  i  de  cette  Revue  (1860)  p.  433. 

II.  Quant  à  la  commutation  des  œuvres  prescrites  pour  ga- 
gner les  indulgences,  il  ne  peut  appartenir  qu'à  l'autorité  du 
Saint-Siège  de  statuer  à  cet  égard.  Des  faveurs  spéciales  sont 
accordées,  en  ce  qui  concerne  l'indulgence  du  Jubilé,  et,  par 
une  disposition  particulière,  relativement  à  quelques  autres. 
Mais  cette. concession  ne  se  trouve  point  dans  le  décret  cité 
ci-dessous  pour  l'indulgence  dont  il  s'agit. 

Un  décret  général  du  18  septembre  1862,  que  nous  avons 
rapporté  dans  notre  N»  de  janvier  de  cette  année,  p.  78, 
donne  aux  confesseurs  des  pouvoirs  très  -  étendus  en  faveur 
des  personnes  atteintes  de  maladies  ou  d'infirmités  chro- 
niques. 

P.  R. 


QUESTION  DES  VICAIRES  CAPITULAIRES. 


^fOUVELLES   OBSERVATIONS    ET   NOUVEAUX   DOCUMENTS. 


Notre  dernier  article  sur  cette  matière  (mars  1863,  p.  277) 
a  été  l'objet  de  critiques  diamétralement  opposées.  On  ne 
trouve  pas  exacte  notre  interprétation  des  mots  posse  tolerari, 
adressés  aux  chanoines  de  Cahors,  et  depuis,  à  ceux  de  Péri- 
gueux,  par  Mgr  Gianelli,  archevêque  de  Sardes  etpro-secrétaire 
de  la  S.  Congrégation  du  Concile.  D'une  part^  on  nous  dit  : 
Vous  n'accordez  pas  assez  à  la  coutume  française  de  la  plura- 
lité. D'autre  part,  ou  nous  reproche  d'avoir  trop  accordé.  Je 
déclare  avant  tout  que  je  ne  tiens  pas  à  mon  sentiment.  Durant 
cette  polémique,  je  crois  l'avoir  toujours  émis  avec  réserve,  et 
en  le  soumettant  à  qui  de  droit.  Les  observations  qui  le  com- 
battent ne  peuvent  être  qu'utiles  :  je  remercie  les  hommes  dis- 
tingués qui  ont  bien  voulu  me  les  transmettre,  et  concourir 
ainsi  à  l'éclaircissement  d'une  question  qui  n'est  pas  sans  in- 
térêt. 

I.  Reproche  de  n'avoir  pas  assez  accordé.  —  Nous  citerons  de 
préférence  la  lettre  suivante  d'un  vicaire-général,  soit  parce 
que  l'autorité  qu'elle  nous  oppose  nous  semble  réellement  très- 
grave  et  la  plus  forte  qu'on  puisse  objecter,  soit  à  cause  du 
mérite  personnel  de  l'auteur  :  «  Je  regrette  que  M.  l'abbé  Bouix 
«  s'obstine  à  maintenir  que  l'usage  de  la  pluralité  des  vicaires 
a  capitulaires  était  quand  même  illégitime  en  France.  Le  car- 


Juin  1863.]  QUESTION   DES   VICAIRES  CAPITULAIRES.  581 

«  diual  Pacca,  secrétaire  d'État  de  Pie  Vil,  écrivait  de  Rome 
«  le  27  août  1814,  par  ordre  de  Sa  Sainteté,  à  deux  vicaires  ca- 
«  pitulaires  d'un  diocèse  voisia  de  celui  de... _,  les  paroles   si- 
gnificatives que  je  joins  ici  : 

0  Le  Chapitre  ayant  légitimement  élu,  selon  l'usage  de  France, 
a  plusieurs  vicaires,  ceux-ci  doivent  s'intituler  vicaires  capitu- 
«  labres  et  continuer  Vadmiyiistration  du  diocèse. 

«  Ainsi,  il  y  a  bientôt  cinquante  ans  que  Rome  a  reconnu 
{(  notre  usage.  A  quoi  bon  y  revenir  ?  Personne  n'ignore  la 
«  règle  générale  posée  par  le  saint  concile  de  Trente  :  mais  il 
«  n'y  a  pas  non  plus  à  omettre  l'exception  qu'il  avait  consacrée 
«  lui-même.  » 

La  lettre  du  cardinal  Pacca  aux  vicaires  capitulaires  de 
Nautes  est  une  autorité  grave,  nous  ne  le  contestons  pas.  Mais 
est-elle  péremptoire,  ne  comporte-t-elle  pas  une  explication 
qui  fasse  évanouir  la  difticulté  ?  C'est  le  point  en  litige. 

1°  Avant  d'exposer  le  sens  que  nous  croyons  pouvoir  donner 
aurescrit  du  cardinal  Pacca,  examinons  celui  qu'y  rattachent 
nos  contradicteurs,  et  montrons  qu'il  n'est  pas  admissible. 
D'après  eux,  les  paroles  du  secrétaire  d'état  de  Pie  Vil  signi- 
fieraient, qu'en  1814  les  diocèses  de  Fra::ce  étaient  eu  posses- 
sion de  la  coutume  légitimement  prescrite  de  nommer  plusieurs 
vicaires  capitulaires.  Nous  disons  que  ce  ne  peut  pas  être  là  le 
vrai  sens,  et  nous  eu  donnons  pour  preuve  qu'aujourd'hui,  à 
la  question,  si  l'on  peut  en  nommer  plusieurs,  Rome  ne  répond 
pas  affirmative,  mais  seulement  posse  tolerari.  En  effet,  on  ne 
peut  pas  supposer  que  la  S.  Congrégation  du  Concile  ignore 
la  réponse  de  1814.  Elle  n'ignore  pas  non  plus  que  jusqu'à  ces 
derniers  temps  Rome  a  traité,  comme  s'ils  étaient  légitimes, 
les  vicaires  capitulaires  de  chaque  diocèse,  quoiqu'élus  au 
nombre  de  deux  ou  trois,  et  même  de  cinq  ou  six. Néanmoins, 
elle  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  eu  coutume  légitimement  prescrite. 
Qu'on  le  remarque  bien  :  s'il  y  avait  coutume  légitimement 
prescrite,  la  pluralité  serait  légitime  en  France  en  vertu  dudroit 


S82  QUESTION'   DES   VICAIRES  CAPITULAIRES.  [TomsVI!. 

commun,  c'est-à-dire,  aux  termes  mêmes  du  décret  du  concile 
de  Trente,  interprété  par  l'aulorité  du  Saint-Siège.  Car  c'est 
un  Souverain-Pontife  qui  a  expressément  déclaré,  non  êsse  eo 
deçreto  suhlatam  consuetudinem  duos  aut  plures  eligendi,  prxser- 
tim  immemorabilem .  Si  la  Congrégation  pensait  qu'il  y  eût  au- 
jourd'hui en  France,  et  qu'il  y  eût  eu  déjà  en  1814,  une  coutume 
légitimement  prescrite  pour  la  pluralité,  elle  n'aurait  pas  ré- 
pondu aux  chanoines  de  Cahors  et  de  Périgueux;90sse  tolerari. 
Ce  qui  est  légitime  de  plein  droit,  on  ne  dit  pas,  ou  ne  peut 
pas  dire  qu'on  le  tolèi^e.  La  S.  Congrégation  n'admet  donc  pas 
que  la  coutume  de  la  pluralité  soit  légitimementprescritedans 
nos  diocèses.  Et  comme  on  ne  doit  pas  supposer  qu'elle  ait 
voulu  contredire  la  réponse  du  cardinal  Pacca,  tout  porte  à 
croire  qu'elle  n'a  pas  vu  dans  cette  réponse  le  sens  que  nos 
contradicteurs  lui  donnent.  Si  l'on  objecte  que,  de  1814  à  1863, 
on  a  eu  le  temps  d'oublier  à  Rome  la  réponse  du  cardinal 
Pacca,  nous  répondrons  que,  dès  1821,  la  question  fut  adressée 
en  ces  termes  par  un  chanoine  de  Poitiers  :  Peut-on  nommer 
plusiews  vicaires  capitulaires  ?  et  qu'elle  fut  résolue  par  un 
tolerari.  Nous  rapportons  plus  loin  cette  pièce  importante,  que 
nous  connaissons  seulement  depuis  quelques  jours.  De  1814  à 
d82i,  la  distance  ne  paraîtra  pas  sans  doute  de  nature  à  dé- 
router la  mémoire  des  canonistes  employés  dans  les  congréga- 
tions romaines. 

2°  Écartons  du  débat  un  nuage  auquel  notre  polémique  a 
donné  lieu.  On  nous  dit  :  Pourquoi  n'avez-vous  pas  mentionné 
la  lettre  du  cardinal  Pacca?  c'était  la  pièce  capitale,  et  on  vous 
l'objectait. — Le  document  ne  nous  était  pas  suffisamment  con- 
nu. Avant  d'en  parler,  nous  voulions  faire  des  recherches  .-c'est 
toute  la  raison  de  notre  silence.  Cette  réserve  n'était  pas  sans 
motifs.  On  citait  la  réponse  aux  vicaires  capitulaires  de  Nantes, 
mais  non  la  question  proposée.  On  citait  en  français,  sans 
avertir  que  c'était  une  traduction.  A  Nantes,  Mgr  Duvoisin 
avait  succédé  à  l'un  des  évêques  non  démissionnaires.  De  là  un 


Juin  1803.]  QUESTION  DES   VICAIRES  CAPITULAIRES.  585 

parti  qui,  regardant  Mgr  Dnvoisiu  comme  intrus,  aura  pré- 
tendu que  le  siège  n'était  pas  devenu  vacant  par  sa  mort,  qu'on 
n'avait  pas  pu  légitimement  élire  des  vicaires  capitulaires.  La 
difficulté  proposée  par  les  vicaires  capitulaires  ne  roulait-elle 
pas  uniquement  sur  la  prétendue  illégitimité  pm-  défaut  de  va- 
cance du  siège  ?  Gomme  on  voit,  il  importait  de  vérifier  ces  cir- 
constances. Voici  le  résultat  de  nos  recherches. 

3°  La  lettre  du  cardinal  Pacca  est  en  italien,  et  se  trouve  aux 
archives  de  l'évêché  de  Nantes.  Nous  transcrivons  le  passage 
relatif  à  l'élection  des  vicaires  capitulaires  ; 

«  Quauto  alla  nomina  de'  vicarj,  fattadal  capitolo  nellaloro 
«  persona,  è  indubitato,  che  Monsignore  Duvoisin  fu  canoni- 
«  camente  instituito  in  virtù  di  boUe  apostoliche  ;  ed  essendo 
«  rimasta  vacante  codesta  sede  per  la  di  lui  morte,  il  capitolo 
«  si  è  giustamente  servito  del  diritto  che  gli  accordano,  e  ha 
«  soddisfatto  al  dovere  che  gl'  impogono  i  sagri  caiioni,  pre- 
«  scrivendo  il  Tridentino  (sess.  xxiv,  c.  vi)  officialem  seu  vica- 
«  rium  infra  octo  dies  post  mortem  episcopi  constituere  vel 
«  existtntem  confirmare  omnino  teneantur.  Ed  iu  conseguenza 
«  avendo  legitimamente  eletlo  secondo  l'uso  délie  chiese  di 
«  Francia  più  vicarj,  debbono  intitolarsi  vicarj  capitolari,  e 
«  continuare  Tamministrazione  délia  diocesi,  fino  a  tanto  che  il 
«  nuovo  vescovo,  doppo  avère  ottenute  dalla  Santa  Sede  le 
«  bolle  di  sua  canouica  instituzione,  eutri  al  possesso  di  co- 
«  desta  chiesa  vacante  (1).  » 


(^)  Traduction  :  «  Quant  à  la  nominalion  des  vicaires,  faite  en 
voire  personne,  par  le  chapitre,  il  esi  hors  de  doute  que  Mgr  Duvoisin 
fui  iûslilué  canoniquemenl  en  verlu  de  bulles  apostoliques  •,  et  le 
siôge  étant  resté  vacant  par  sa  mort,  le  chapitre  a  usé  justement  du 
droit  que  lui  accordent  les  saints  canons  et  rempli  le  devoir  qu'ils  lui 
imposent,  le  Concile  de  Trente  prescrivant  (sess.  xxiv,  c.  6)  :  Offi- 
cialem  seu  vicarium  infra  oclo  dies  post  morlem  Episcopi  constituere, 
vel  existentem  confirmare  omnino  teneantur.  En  conséquence,  le 
chapitre  ayant  légitimement  élu,  selon  l'usage  des  églises  de  France, 
plusieurs  vicaires  capitulaires,  ceux-ci  doivent  prendre  le  titre  de 


584  QDESTION   DES  VICAIRES   CAPITULAIRES.  [Tome  VU. 

C'est  au  nom  du  Pape  que  le  cardinal  Pacca  répond,  non- 
seulement  à  cette  diflBcnlté,  mais  encore  à  plusieurs  autres, 
dont  les  deux  vicaires  capilulaires  nommés  par  le  chapitre  de 
Nantes  avaient  demandé  la  décision.  Nous  ne  pouvons  don- 
ner le  texte  de  la  question  à  laquelle  répond  le  cardinal  Pacca 
dans  le  passage  cité.  La  lettre  des  vicaires  capitulaires  a  été 
vainement  cherchée  dans  les  archives  de  l'évêché  et  du  cha- 
pitre de  Nantes  ;  on  n'en  a  point  trouvé  de  trace.  Espérons 
que  ce  précieux  document  sera  quelque  jour  retrouvé.  En 
attendant,  discutons  le  véritable  sens  du  passage  objecté. 

4"  Pour  avoir  l'intelligence  de  ces  paroles  du  cardinal  Pacca: 
Quant  à  la  nomination  des  vicaires ...,  il  est  hors  de  doute  que 
Mgr  Duvoisin  fut  institué  canoniquement ,  il  faut  se  reporter  à 
la  situation  du  diocèse  de  Nantes  à  cette  époque.  UAmi  de  la 
Religion  [np  32,  année  1814,  tome  2,  p.  102),  dit  qu'il  y  eut, 
en  4801,  trente-six  évoques  qui  refusèrent  de  donner  leur  dé- 
mission, demandée  par  Pie  VII.  Il  ajoute  qu'en  1814,  plus  de 
la  moitié  étaient  morts.  Enumérant  ensuite  les  survivants,  au 
nombre  de  16,  il  mentionne  M.  de  la  Laurencie,  évêque  de 
Nantes;  et  il  le  nomme  aussi  parmi  les  huit  qui  étaient  alors 
de  retour,  les  autres  se  trouvant  encore  en  pays  étranger.  Le 
même  journal  (n°  36,  tome  2,  p.  161,  année  1814)  revient  sur 
la  liste  exacte  des  évêques  non-démissionnaires,  et  s'exprime 
ainsi  : 

o  Nous  ne  ferons  plus  qu'une  observation.  La  Quotidienne 
termine  son  article  en  disant  que  plusieurs  d'entre  les  prélats 
qui,  ayant  donné  leur  démission,  n'avaient  jusqu  ici  fait  aucun 
acte  qui  lui  fût  contraire,  paraissent  vouloir  se  rapprocher  des 
principes  de  ceux  qui  l'ont  refusée.  Nous  croyons  cette  assertion 
hasardée.  » 


vicaires  capilulaires  et  continuer  l'adminislration  du  diocèse,  jusqu'à 
ce  que  le  nouvel  évêque,  ayant  obtenu  du  Saint-Siège  les  bulles  de 
son  ioslilulion  canonique,  ait  pris  possession;  » 


Juin  1863.)  QUESTION   DES   VICAIRES   CAPITULAIRES.  385 

Ainsi,  Mgr  de  la  Laurencie,  évêque  de  Nantes,  était  du 
nombre  des  prélats  qui  ne  voulurent  jamais  donner  leur  dé- 
mission. Pie  VII  les  déposa,  créa  les  nouveaux  diocèses,  et  y 
mit  des  évèques.  Mgr  Duvoisin  fut  canoniquement  institué  à 
Nantes  en  1802,  et  y  mourut  le  13  juillet  1813.  Mgr  de  la  Lau- 
rencie, qui  avait  refusé  de  donner  sa  démission,  lui  survécut. 
Il  ne  Tavait  point  reconnu  comme  légitime.  Si  cette  préten- 
tion schismatique  des  anti-concordataires  (comme  on  les  nomma) 
avait  été  fondée,  le  siège  de  Nantes  n'aurait  pas  réellement 
vaqué  par  la  mort  de  Mgr  Duvoisin,  et  par  suite  la  nomination 
des  vicaires  capitulaires  aurait  été  nulle.  Le  retour  des  Bour- 
bons avait  donné  des  espérances  à  ces  petites  fractions  du 
clergé  qui,  dans  certains  diocèses,  maintenaient  encore  alors 
le  parti  anti-concordataire.  Les  ecclésiasiiques  de  ce  parti, 
ayant  probablement  à  leur  tête  Tancien  évèque,  Mgr  de  la 
Laurencie,  auront  réclamé  à  Nantes  contre  la  nomination  des 
vicaires  capitulaires,  s'appuyant  sur  cette  raison,  que  le  siège 
n'avait  point  vaqué.  Les  vicaires  capitulaires  avaient  intérêt 
a  obtenir  de  Rome  une  décision  sur  ce  point.  Us  auront  con- 
sulté, non  point  pour  savoir  si  l'on  avait  pu  élire  plus  d'un 
vicaire  capitulaire  (question  qu'on  ne  songeait  pas  à  soulever 
alors),  mais  si  rélection  était  nulle  pour  la  raison  assignée,  la 
prétendue  non-vacance  du  siège.  Que  la  question  proposée 
par  les  vicaires  capitulaires  ait  eu  ce  sens,  nous  le  concluons 
de  cette  pbrase  de  la  réponse  :  a  Quant  à  la  nomination  des 
vicaires,  faite  en  votre  personne,  il  est  hors  de  doute  que 
Mgr  Duvoisin  fut  institué  canoniquement  en  vertu  de  bulles  apO' 
stoliques  etc.  »  On  le  voit,  la  raison  alléguée  par  le  cardipal 
Pacca  pour  prouver  la  légitime  élection  des  vicaires  capitu- 
laires, c'est  que  Mgr  Duvoisin  a  été  institué  canoniquement, 
et  que,  par  conséquent,  le  siège  a  vaqué  par  sa  mort.  Ces  paroles 
supposent  évidemment  que  la  question,  quant  au  sens,  était 
celle-ci  :  Le  chapitre  a-t-il  pu  nommer  légitimement  des  vicaires 
capitulaires  ,    nonobstant  la  prétendue  intrusion  de  Mgr  Du- 


586  QUESTION   DES   VICAIRES   CAPITDLAIRES  ITomeVd. 

voisin  et  la  prétendue  non-vacance  du  siège  ?  Nous  regrettons 
de  ne  pouvoir  citer  le  texte  même  de  la  lettre  des  vicaires  ca- 
pitulaires;  mais  nous  espérons  que  le  clergé  si  distingué  du 
diocèse  de  Nantes  voudra  bien  nous  aider  à  compléter  nos  re- 
ches  sur  les  faits  mentionnés. 

5°  Venons  maintenant  au  point  culminant  de  la  difficulté, 
c'est-à-dire,  à  cette  ligne  :  Le  chapitre  ayant  légitimement  élu, 
selon  l'usage  des  église^  de  Finance,  plusieurs  vicaiy^es  capitu- 
laires,  etc.  Ces  paroles  prouvent-elles  que  Rome  reconnaissait 
alors  l'usage  de  la  pluralité  comme  légitime  de  plein  droit  en 
France?  Nos  contradicteurs  l'affirment:  nous  pensons  qu'ils  se 
méprennent,  et  que  ce  texte  prouve  seulement  que  le  Saint- 
Siège  tolérait  alors,  comme  il  tolère  encore  aujourd'hui,  la 
pratique  en  question.  Voici  nos  raisons.  D'une  part,  la  possibi- 
lité  d'une  simple  tolérance  ne  saurait  être  contestée  :  Ab  actu 
ad  passe  valet  consecutio,  dit  l'adage  des  logiciens.  On  a 
répondu  par  le  tolerari  non-seulement  en  1863,  mais  encore 
dès  1821,  comme  on  le  verra  bientôt.  Donc,  le  parti  de  la 
simple  tolérance  a  pu  être  adopté  par  le  Saint-Siège  en  1814. 
Loin  qu'il  y  ait  impossibilité,  les  circonstances  de  cette  époque 
viennent  à  l'appui  de  l'hypothèse.  Le  clergé  de  France  suppo- 
sait alors  de  bonne  foi  qu'on  pouvait  agir  à  cet  égard  comme 
autrefois  avant  le  concordat.  Bien  des  motifs,  qu'il  est  facile 
d'entrevoir  si  l'on  songe  aux  graves  difficultés  alors  pendantes, 
ont  pu  engager  le  Saint-Siège  à  tolérer  la  pratique  en  question 
et  à  la  rendre  ainsi  provisoirement  légitime.  Dans  l'aôaire  de 
Nantes,  par  exemple,  où  l'on  n'allait  à  rien  moins  qu'à  faire 
triompher  le  principe  schismatique  de  la  nullité  du  concordat, 
«tait-cele  moment  d'annuler  la  nomination  parce  qu'on  y  avait 
suivi  l'ancien  usage  de  la  pluralité?  Evidemment,  il  valait 
mieux  tolérer. 

Voyons  d'un  autre  côté  si,  en  supposant  de  la  part  du  Saint- 
Siège  la  tolérance,  la  simple  tolérance^  et  rien  que  la  tolérance, 
nous  nous  trouvons  en  contradiction  avec  les  paroles  du  car- 
dinal Pacca.  C'est  toute  la  question. 


Juin  1863.]  QUESTION   DES    VICAIRES   CAPITULAIRES.  5S7 

Qu'affirme  le  cardinal  Pacca?  que  le  chapitre  a  légitimement 
élu  plusieurs  vicaires,  selon  l'usage  des  églises  de  France.  Pour 
que  l'assertion  soit  vraie,  il  suffit  que  cette  élection  ait  été 
réellement  légitime.  Or,  pour  la  rendre  telle,  il  suffisait  que  le 
Saint-Siège  tolérât  l'usage  de  la  pluralité.  Quand  le  Saint-Siège 
tolère  un  usage  qui  serait  de  soi  nul  et  illicite,  il  le  rend  par 
cela  même  légitime  proytsoiremm?,  c'est-à-dire,  tant  qu'il  ju- 
gera opportun  de  continuer  à  le  tolérer.  C'est  donc  à  tort 
qu'on  a  vu  dans  la  lettre  dn  cardinal  Pacca  le  renversement 
de  la  thèse  que  nous  avons  constamment  soutenue,  savoir  g-we, 
depuis  le  concordat  de  lSO\,  la  pratique  delà  pluralité  a  cessé 
d'être  légitime  en  France  en  vertu  du  droit  commun. 

Nous  disons  en  vertu  du  droit  commun  :  ce  qui  n'empêche  pas 
qu'elle  n'ait  pu  redevenir  légitime  provisoirement  par  la  tolé- 
rance du  Saint-Siège.  Mais  cette  tolérance  n'est  qu'une  sorte 
d'induit,  de  dispense  ad  tempus,  ad  beneplacitwn,  qui  ne  détruit 
pas  le  droit  commun.  A  plus  forte  raison  a-t-on  pris  le  change 
eu  s'appuyant  sur  la  lettre  du  cardinal  Pacca,  pour  prouver,  en 
général,  que  l'ancien  droit  particulier  n'avait  pas  été  périmé 
par  les  bulles  du  concordat. 

6»  Il  nous  reste  à  faire  connaître  le  document  précieux  an- 
noncé plus  haut.  Il  confirme  merveilleusement  que  la  pensée 
du  Saint-Siège,  relativement  à  la  pratique  de  la  pluralité  depuis 
le  concordai,  n'a  été  que  la  simple  tolérance.  C'est  en  1821  qu'un 
chanoine  de  Poitiers  envoya  la  consultation  et  obtint  la  réponse 
suivantes  : 

«  Sanctissimo  Domino  Patri  Pio  VII.  —  Beatissime  Pater, 
a  M...  canonicus,  Vestrae  Sanctitatis  pedibus  provolutus,  Ves- 
«  traeque  Apostolicae  etRomanae  cathedrse,  cujusjura  strenue 
a  propuguat,  toto  corde  consociatus,  quœdam  dubia,tanquam 
«  canonicus,  humillime  exponit  suppliciterque  expostulat  : 

a  I.  Utrum  nempe  supradictus  canonicus  sub  gravi  teneatur 
«  choro  intéresse,  et  posito  quod  divinis  psallens  non  adesset 
«  oflBciis,  possit  tuta  conscientia  omne  sibi  retinere  stipendium 


588  QUESTION  DES   VICAIRES  CAPITULAIRES.  |Tome  VIT. 

«  a  gubernio  solutum  ;  anve  teneatur,   ut  olira,   ex  justitia 
a  distribuere  pauperibus,  aut  in  alios  pios  usas  impendere? 

«  II.  Utrum  oratori  liceat  a  choro  abesse  per  très  menses  a 
a  sacris  canonibus  concessos,  cum  tara  pauci  siut  hodie  apud 
«  nos  canonici,  ac  insuper  ipsemet,  quolibet  anno  ex  mandate 
«  quidam  Reverendissimi  Episcopi ,  libenti  tamen  anime, 
«  per  quatuor  vel  quinque  menses  diœcesanis  vacet  missioni- 
«  bus  ? 

«  III.  Utrum  prœmemoratus  canonicus  cantando  conventua- 
«  lem  missam,  liabere  tuto  possit  inteutionem  particularem, 
«  sive  pro  ea  eleemosynam  accipiat,necne?  An  teneatur  hanc 
0  missam  canere,  sicut  olim,  pro  benefactoribus,  aut  saltem, 
«  ut  quidam  mussitant,  pro  universis  Ecclesise  Dei  necessita- 
«  tibus,  cum  sit  pars  prœcipua  officii  publici? 

«  IV.  An  idem  orator  canonicus  modeste  suadere  debeat  ut 
«  quotidie  in  choro,  post  completorium,  alta  voce  matutinas 
a  preces  secum  récitent,  cum  per  nova  capituli  statuta  ad  illas 
o  in  choro  decantandas  non  teneantur,  nisi  in  quibusdam 
«  festivitatibus? 

«  V.  An  sede  episcopali  vacante,  soli  octo  canonici  tilulares 
«  quibus  omne  nunc  nostrum  constat  capitulum  emiltere  va- 
«  leant  votum  de  vicario  capitulari  eligendo  ;  utrumve  alii 
«  canonici  mère  honorarii  multoque  plures  numéro,  apti  sint 
«  et  idonei  ad  illud  votum  emitteudum,  saltem  quando  epi- 
«  scopus  per  nova  capituli  statuta  banc  ipsismet  facultatem 
«  largiri  voluit?  Datur  dubiolocus  quia  praedicta  statuta  usque 
«  adhuc  confirmata  minime  fuerunt. 

0  VI.  An  vicariicapitulariseligendi  jure  polleanl  et  ecclesise 
«  parochus  et  superior  semiuarii  diœcesani,  cum  in  nova 
«  capitulorum  erectione  canonicis  uterque  assideant  titula- 
«  ribus? 

«  VH.  An  vicarii  générales  defuncti  episcopi,  aut  canonice 
a  demissi,  ad ejusdem vicarii capitularis electionem  jus habeant 
et  concurrendi,  cum  hodie  per  omnes  fere  Galliarum  ecclesias 


Jnin  18C.3.1  QUESTION  DES   VICAIRES   CAPITULAIRKS.  58l> 

«  capitulum  cogânt  ipsique  prsesint?  Ratio  dubitandi  est,  quia 
a  vivente  eliam  episcopo  non  sunt  reipsa  canonici  titulares. 
«  Unde  jam  evenit  ut,  sede  episcopali  vacaîite,  alicubi  votum 
«  dare  non  potuerint,  titularibiis  canonicisobtantibus;  alicubi 
(j  vero  illud  dederunt,  tacente,  reverentiaî  causa,  ut  dictum 
«  fuit,  venerabili  capitulo. 

a  VIII.  Denique,  an  canonici  titulares  eligere  possint  pro 
«  vicario  capitubiri  bunc  sacerdotem  qui  jam  a  rege  christia- 
«  nissimo  sedis  vacantis  Episcopus  nominatus  est? — Anetiam 
«  capitulum  sede  vacante  possit  plures  eligere  vicarios  capitulares, 
a  ex  pristino  apud  nos  recepto  usu,  qui  tamen  sanctissimo  Tri- 
«  dentino  adversatur  concilio  apostolicisque  Sanatitatis  Vestrse 
a  Brevibus,  a  quibus  ne  uno  quidem  puncto,  testis  mihi  est 
«  Deus,   deflectere  vellem. 

cr  Pictaviis  in  Galliae  regno,  die  10  mensis  martii  anno  in- 
«  carnationis  Dominicse  1821,  Sanctissime  Pater,  Sanctitatis 
«  Vestrse  hnmillimus  servus  et  fîlius,  M...  » 

Voici  la  réponse  expédiée  au  chanoine  de  Poitiers.  Ce  docu- 
ment inédit  est  précieux  pour  le  clergé  français,  a  raison  du 
nombre  et  de  l'importance  des  questions  qui  s'y  trouvent  déci- 
dées. 

«  Sacra  Pœnitentiaria  dilecto  in  Christo  presbytero  oratori, 
«  dubiis  per  ipsum  positis  respondet  : 

«  Ad  I  quidem  rescribit  oratorem  teneri  sub  gravi  interesse 
«  choro  ;  et  qnatenus  citra  legitimum  impedimentum  non 
a  intersit  teneri  ut  antea  ad  restitutiouem. 

«  Ad  II.  Licere  oratori  abesse  per  hos  très  menses  a  sacris 
«  canonibus  constitutos.  Quod  vero  ad  menses  numéro  plures 
«  quos  in  sacris  missionibus  impendit,  sacra  Pœnitentiaria 
«  quatenus  opus  sit  ei  facultatem  largitur  ad  id  necessariam, 
a  cum  jure  percipiendi  consuetum stipendium,  sanatque  etiam 
«  praeteritum  defectum. 

a  Ad  m.  Ex  coustitutione  Cum  semper  Benedicti  XIV  (tom.  l, 
«  Bullarii,  n.  103),  missam  conveutualem  ab  oratore  applican- 
a  dam  esse,  ut  antea,  benefactoribus. 


!|90  QDESTION  DES  VICAIRES  CAPITCLÀIRES.  [Tome  VIL 

a  Ad  IV.  Posse  quidem  oratorem  suadere,  ad  hoc  lamen  non 
«  teneri. 

a  Ad  V.  Ex  concilio  Tridentino  (sess.  24,  c.  16),  solos  cano- 
«  nicos  qui  capitulum  coustituunt,  id  est,  solos  titulares,  jus 
«  habere  eligendi  vicarium  capitularem;  neque  Episcopum 
«  per  nova  capituli  statuta  jus  lioc  honorariis  etiam  canouicis 
«  attribuere  posse,  nisi  statuta  ipsa  approbationem  sint  conse- 
«  cuta  Apostolicœ  Sedis. 

«  Ad  VI.  Négative. 

«  Ad  VII.  Quoad  vicarios  canonice  demissos,  négative. 
«  Quoad  cseteros,  si  a  canonicis  sponte  adraittantur,  sacra 
«  Pœnitentiaria  indulget  ut  interesse  possint  et  suffragium 
a  ferre. 

«  Ad  VIII.  Ex  capite  Avaritix  (concilii  Lugdunensis  ii),  et 
((  ex  pluribus  litteris  in  forma  Brevis  sanctissimi  Domini  nos- 
«  tri  Pii  Papae  VII,  minime  eligi  posse  in  vicarium  capitularem 
«  sacerdotem  illum  qui  a  rege  nominalus  est  episcopus  sedis 
«  vacantis.  —  Vicarium  autem  capitularem  unum  taniumrnodo 
«  eligendum  esse  juxta  Iridentinx  synodi  sanctionem  ;  in  Gallia 
0  tamen  contrariam  consuetudinem  a  Sede  Apostolica  tolerari. 

((  Datum  Romee  in  sacra  Pœnitentiaria^  die  7  juuii  1821.  — 
a  J.-B.  Bussi,  sacrée  Pœnitentiarias  Regens.  —  J.  Pio,  sacrae 
«  Pœnitentiariœ  secretarius  (1).  » 

On  voit  par  la  réponse  au  dernier  doute,  que  le  pape  Pie  VII, 
en  1821  j  tolérait  seulement  la  pratique  de  la  pluralité,  et  qu'in- 
terrogé expressément  sur  la  question,  il  faisait  répondre  dans 
ce  sens.  Il  serait  absurde  de  supposer  que  le  même  Pape,  en 
1814,  ait  été  d'un  avis  contraire;  en  d'autres  termes,  qu'il  ait 
reconnu  cette  pratique  comme  légitime  en  France  de  plein 
droit.  Comme  la  Sacrée  Pénitencerie  en  1821,  le  cardinal 
Pacca,  en  1814,  aura  connu  la  pensée  de  Pie  VII,  de  tolérer 
cette  pratique  de  la  France.  Il  a  pu  dire,  en  conséquence,  avec 

(-i)  Celle  pièce  se  Irouve  dans  les  registres  du  chapitre  d'Orléans, 
auquel  elle  avait  été  commuDiquée,  en  1823,  par  Mgr  de  Beauregard. 


Jun  18031.  QUESTION   DES   VICAIRES  CAPITULAIRES.  591 

vérité,  que  la  nomination  des  deux  vicaires  capitulaires  de 
Nantes  était  légitime.  Elle  l'était,  en  effet,  en  vertu  de  cette  to- 
lérance de  Pie  VII.  A  la  vérité,  le  cardinal  Pacca  ne  dit  pas  ex- 
pressément que  la  nomination  de  Nantes  ait  été  légitime  en 
vertu  de  la  tolérance  du  Saint-Siège.  Mais  il  ne  dit  pas  non  plus 
qu'elle  l'ait  été  de  plein  droit.  Il  se  contente  de  dire  l'essentiel, 
c'est-à-dire,  qu'elle  était  légitime,  décision  qui  suffisait  pour 
réprimer  la  tentative  des  anti-concordataires,  et  assurer  la 
paix  de  ce  diocèse.  D'autant  plus  que  probablement,  ainsi  qu'il 
a  été  dit,  la  question  de  la  pluralité  n'avait  pas  été  proposée 
par  les  vicaires  capitulaires. 

Le  document  cité  prouve  en  outre  que  les  réponses  récentes 
aux  chanoines  de  Cahors  et  de  Périgueux,ne  sont  pas  une  in- 
novation du  côté  de  Rome,  mais  plutôt  la  continuation  de  cette 
tolérance  accordée  par  Pie  VII,  après  le  concordat  de  1801, 
Toutefois,  par  la  persistance  à  se  renfermer  dans  cette  formule 
du  tolerarif  on  entrevoit  le  désir  et  la  pensée  du  Saint-Siège, 
de  ramener  tôt  ou  tard  les  églises  de  France  au  droit  commun 
sur  ce  point,  comme  il  l'a  déjà  fait  pour  certains  autres. 

Voilà  notre  réponse  à  ceux  qui  nous  reprochent  de  n'avoir 
pas  accordé  assez. 

II.  Reproche  d'avoir  trop  accordé.  —  On  nous  dit  :  «  Je  re- 
a  grette  que  vous  ayez  écrit  que  la  réponse  faite  aux  deux 
«  chanoines  de  Cahors,  fixe  la  tolérance  au  profit  de  tous  les 
((  chapitres  de  notre  pays.  Si  je  ne  me  trompe,  on  enseigne 
«  généralement  que  des  réponses  ayant  un  caractère  spécial, 
«  individuel,  ne  profitent  qu'à  ceux  qui  les  ont  obtenues,  et 
«  pour  le  cas  spécial  et  présent  dans  lequel  ils  se  trouvent, 
(c  Ainsi  à  Cahors,  pour  cette  fois,  on  a  pu  éhre  deux  vicaires 
«  capitulaires.  J'estime  qu'il  serait  facile  de  justifier  cette  in- 
«terprétation  stricte... 

a  II  est  évident  que,  depuis  quelques  années,  le  Saint-Siège 
a  tend  à  remonter  le  torrent  et  à  ramener  nos  Églises  au  droit 
«  commun  sur  ce  point  comme  sur  tant  d'autres.  Ce  qui  l'in- 


592  QUESTION  DES   VICAIRES  CAPITULAIRES.  [TomeVlI. 

«  dique,  entr'aulres,  c'est  le  décret  du  concile  provincial  die 
a  Lyon,  ainsi  conçu  :  Episcopalisede  vacante,  intradies  octopost 
«  obitum  Episcopi,  vicarium  eligunt,  qui...  (xiii,  de  Capit.)  Il 
«  est  à  présumer  que  les  Pères  du  Concile  de  Lyon  avaient  mis 
«  et  écrit  vica.rios.  La  substitution  du  singulier  au  pluriel  se- 
«  rait  par  conséquent  l'œuvre  de  la  Sacrée  Congrégation,  ce 
«  qui  est  très-significatif. 

a  Vous  avez  en  outre  les  dispositions  des  statuts  de  Moulins, 
a  le  rescrit  à  Son  Éminence  le  Cardinal  Gousset,  et  la  réponse 
«  faite  à  M.  Buquet.  Comment  dire,  après  cela,  que  tous  les 
«  chapitres  de  France,  même  Moulins,  même  les  chapitres  de 
«  la  province  de  Lyon,  peuvent  retourner  à  l'ancien  usage,  en 
«  vertu  de  la  réponse  faite  à  Cahors  ?  » 

Il  n'est  pas  étonnant  que  ces  raisons  nous  soient  objectées. 
Elles  sont  graves.  Ne  pas  les  discuter,  serait  laisser  une  lacune 
dans  la  polémique.  La  réponse,  par  rapport  aux  quelques  cha- 
pitres mentionnés  pour  lesquels  il  est  intervenu  des  disposi- 
tions spéciales,  ne  nous  semble  pas  devoir  être  tout  à  fait  la 
même  que  pour  les  autres.  Les  deux  conclusions  suivantes 
■  expriment  à  cet  égard  notre  pensée  et  nos  motifs  : 

1°  Relativement  aux  chapitres  pour  lesquels  il  nest  point  sur- 
venu de  dispositions  spéciales,  l'intention  du  Saint-Siège  de  talé' 
rerer  la  pratique  de  la  pluralité  pat'ait  aujourd'hui  (4)  suffisam- 
ment constatée  pour  qu'on  puisse  la  suivre,  sans  recourir  à  Rome 


(1)  Aujourd'hui,  disons-nous.  Jusqu'ici  la  polémique  n'avail  pro- 
duit aucun  document  péremploire.  Ceux  qu'on  alléguait  ne  prou- 
vaieDl  pas  rigoureuscmenl,  de  la  part  du  Sainl-Siége,  le  fait  de  la 
tolérance  qui  équivaut  k  VinduU,  c'est-à-dire  qui  rend  licite  et  va- 
lable l'acte  prohibe  pur  le  droit  conin:iun.  Aujouid'liui,  la  pièce  de 
•1821,  que  nous  venons  de  découvrir,  et  les  récentes  réponses  aux 
chanoines  de  Cahors  et  de  Périgueux  l'allestenl  sulfisarament.  On 
avait  tort  auparavant  de  regarder  comme  légitime  la  pratique  de  la 
pluralité.  La  loi  qui  la  prohibait  était  certaine,-  et  l'on  ne  connaissait 
encore  aucune  preuve  cerlaine  de  la  dispense  par  rapport  a  nos 
chapitres. 


Juin  1863  1  QUESTION   DES  VICAIRES   CAPITULAIRES.  o9:^ 

à  chaque  vacance  de  siège.  —  En  effet,  nous  voyons  cette  vo- 
lonté du  Souverain-Pontife  officiellement  constatée  en  1821, 
non  point  pour  un  cas,  ni  pour  un  chapitre  en  particulier, 
mais  indétiniment  et  pour  tous  les  chapitres  de  France  :  in 
Gallia  tamen  contrariam  consuetudinem  a  aede  ApQstolica  tolerari. 
Cette  réponse  au  chanoine  de  Poitiers  explique  clairement  le 
fait  d'une  tolérance  générale  quant  aux  chapitres  et  quant  aux 
diverses  vacances  de  siège.  Ce  n'est,  il  est  vrai,  qu'une  tolé- 
rance., c'est-à-dire  un  induit  provisoire.  Mais  une  fois  ainsi 
accordée  sans  restriction,  on  a  le  droit  de  la  regarder  comme 
maintenue  et  continuée,  jusqu'à  ce  que  le  Saint-Siège  témoigne 
sa  pensée  d'y  mettre  un  terme  et  d'en  clore  la  durée.  Or  cette 
cessation  n'a  été  encore  attestée  par  aucun  acte  du  Saint-Siège 
qui  atteigne  la  généralité  de  nos  diocèses.  A  la  vérité,  le  Sou- 
verain-Pontife ^t  libre  de  retirer  cette  autorisation  à  quelques 
diocèses  d'abord,  sans  la  retirer  à  tousà  la  fois;  et  l'on  conçoit 
qu'il  puisse  avoir  des  motifs  de  procéder  ainsi.  Nous  allons  re- 
chercher tout  à  l'heure  si  quelques  diocèses  ne  se  trouvent  pas 
en  effet  déjà  ramenés  de  la  sorte  au  droit  commun.  Mais  quant 
aux  autres  chapitres,  qui  n'ont  été  l'objet  d'aucune  mesure  à 
cet  égard,  ils  demeurent  en  possession  de  la  tolérance  en  ques- 
tion, et  je  ne  vois  aucun  motif  de  la  leur  contester. 

2"  Relativement  aux  quelques  diocèses  mentionnés, objet  déme- 
sures spéciales,  il  semblerait  prudent  de  recourir  à  Rome^  si  l'on 
veut  y  continuer  l'usaye  de  la  pluralité.  —  Le  rescrit  à  Son 
Éminence  le  cardinal  Gousset  n'a-t-il  pas  clos  pour  le  chapitre 
de  Reims  la  tolérance  de  la  pluralité?  La  pièce,  il  est  vrai,  ne 
le  dit  pas  en  termes  exprès.  Mais  ne  le  dit-elle  pas  équivalem- 
ment,  en  avertissant  les  chanoines  de  n'élire  qu'un  seul  vi- 
caire capitulaire?  Tout  dépend  ici  de  la  volonté  du  Souverain- 
Pontife.  Il  a  pu  vouloir  retirer  la  tolérance  à  ce  chapitre,  en  la 
laissant  continuer  pour  les  autres.  S'il  l'a  voulu,  et  si  le  rescrit 
manifeste  suffisamment  cette  volonté,  les  chanoines  de  Reims 
sont  rentrés  dans  le  droit  commun.  N'y  eùt-il  qu'un  doute  sur 


594  QUESTION   DES   VICAIRES   CAPITULAIRES.  ITomcVlF. 

«ette  volonté  du  Souverain-Pontife,  le  parti  le  plus  sûr  serait 
de  réclaircir.  Plus  la  démarche  est  facile,  plus  on  serait,  ce 
semble,  inexcusable  d'avoir  compromis  la  validité  d'un  acte 
aussi  important. 

Les  mêmes  réflexions  paraissent  s'appliquer  au  chapitre  de 
Paris.  Le  rescrit  adressé  à  l'un  des  trois  vicaires  capitulaires 
nommés  lors  de  la  dernière  vacance  du  siège,  l'autorisant  à 
donner  les  pouvons  aux  deux  autres,  déclarait  équivalemment 
que  la  nomination  de  plusieurs  n'était  pas  acceptée  comme 
légitime  par  le  Saint-Siège  ;  en  d'autres  termes,  que  le  Souve- 
rain-Pontife cessait  de  tolérer  l'usage  de  la  pluralité  dans  ce 
diocèse. 

Quant  au  décret  du  Concile  de  Lyon,  prescrivant  d'élire  un 
vicaire  capitulaire,  vicarium  eligunt,  et  au  dispositif  analogue 
des  statuts  de  Moulins,  on  peut  dire,  ce  semble,  qu'ils  ont  ra- 
mené le  droit  commun,  en  vertu  de  l'autorité  même  de  laquelle 
ces  actes  sont  émanés.  Laissant  à  d'autres  de  discuter  à  cet 
égard  les  conclusions  rigoureuses  du  droit,  il  nous  semble  que 
le  chapitre  de  Moulins  et  ceux  de  la  province  de  Lyon  agiraient 
prudemment,  en  ne  revenant  à  la  pratique  de  la  pluralité  qu'a- 
près avoir  consulté  le  Saint-Siège. 

D.  Bouix. 


DES  FUNÉRAILLES. 

Droits  et  obligations  des  ecclésiastiques  convoqués  pour  y  assister. 


Nous  avons  précédemment  établi  les  droits  des  curés  relati- 
vement aux  funérailles. 

On  nous  demande  aujourd'hui  :  Quels  sont  les  droits  desautres 
ecclésiastiques  invités  d  assister  aux  inhumations  ?  Sont-ils  tenus 
de  prendre  part  au  chant,  ou  bien  peuvent-ils  satisfaire  à  leur  obli' 
gation  par  une  simple  assistance,  en  récitant,  par  exemple,  leur 
office,  ou  en  se  livrant  à  d' autres  dévotions  particulières?  h^  ré- 
ponse à  ces  questions  complétera  l'article  de  novembre  der- 
nier, et  mettra  les  principes  dans  un  nouveau  jour. 

1»  Il  y  a  des  droits  qui  sont  déterminés  par  les  règlements 
épiscopaux,  rédigés  en  conformité  d'une  décision  ministérielle 
du  16  novembre  1807,  dans  le  but  spécial  d'établir  les  pro- 
portions d'après  lesquelles  les  oblations  sont  partagées  entre  le 
curé  et  ses  vicaires,  ou  autres  fonctionnaires  ecclésiastiques. 

Ces  règlements,  en  disposant  d'une  partie  des  oblations  qui 
autrefois  appartenaient  intégralement  aux  curés,  modifient 
le  droit  commun.  Néanmoins,  ils  doivent  recevoir  leur  exé- 
cution. En  fait,  le  clergé  de  France  accepte  aujourd'hui  les 
lois  et  décrets  relatifs  au  temporel  des  églises,  alors  même 
qu'ils  émanent  exclusivement  de  la  puissance  séculière  ;  il  y 
aurait  les  plus  graves  inconvénients  à  agir  autrement.  Du  reste 
il  est  juste  de  faire  observer  que  les  dispositions  des  lois  civiles 
concernant  les  fabriques  et  les  établissements  religieux,  sont 
souvent  la  reproduction  de  la  loi  canonique  ;  ainsi ,  pour  ne 
citer  qu'un  exemple,  le  décret  impérial  du  26  décembre  1813, 
sur  le  partage  de  la  cire,  en  décidant  que,  a  dans  toute  les  pa- 
«  roisses  de  l'empire,  les  cierges  qui,  aux  enterrement  et  ser- 
«  vices  funèbres,  seront  portés  par  les  membres  du  clergé,  leur 
«  appartiendront,»  renouvelle  une  presciption  de  Benoit  XI  (2). 

(1)  Revue,  novembre  ^862. 

(2)  V.  Bouix,  Traclat.  de  Parocho,  p,  iv,  q.  i,  p.  5(M. 


596  DES   FUNÉRAILLES.  [Tome  VII. 

2"  Il  exisle  des  droits  qui  se  rapportent  à  des  actes  parfaite- 
ment déterminés,  à  des  fonction  spéciales.  Tels  sont  les  droits  de 
présence  à  la  levée  du  corps,  à  la  çrand'me^se,  les  rétributions 
attachées  aux  offices  de  diacre,  de  sous-diacre,  de  chantre.  Ces 
droits  ont  toujours  été  regardés  comme  purement  personnels. 
Les  honoraires  qui  en  résultent  sont  incontestablement  la 
propriété  de  chacun  des  ecclésiastiques  invités  à  participer 
aux  cérémonies  funèbres.  Ou  ne  peut,  à  aucun  titre,  faire  une 
retenue  quelconque  sur  ces  honoraires. 

Le  droit  commun  ne  s'occupe  pas,  ou  s'occupe  fort  peu  des 
objets  que  nous  venons  d'indiquer.  Ce  sont  là  des  choses 
de  détail  qui  varient  selon  les  localités  ,  et  qui  par  suite 
tombent  dans  le  domaine  de  lapuissance  législative  des  évêques. 
Cette  obsei^vation  est  ici  d'une  grande  importance.  Les  hono- 
raires des  ecclésiastiquee  appelés  aux  inhumations  sont  réglés 
ou  par  la  coutume,  ou  par  les  règlements  spéciaux.  La  cou- 
tume, si  elle  est  légitime,  conserve  sa  force,  quand  il  n'y  a 
pas  de  tarif  régulier.  Mais  comme,  au  point  de  vue  canonique, 
tout  est  ici  du  ressort  de  l'autorité  diocésaine,  l'évèque  peut, 
sans  difficulté,  abroger  la  coutume  et  lui  substituer  un  règle- 
ment écrit.  11  n'y  a  là  aucune  modification  du  droit  commun 
dont  on  soit  autorisé  à  se  prévaloir  pour  infirmeries  règlements 
épiscopaux.  La  sanction  du  pouvoir  civil,  quelle  qu'en  soit  la 
forme,  n'est  pas  de  nature  à  eulever  à  ces  règlements  la  va- 
leur canonique  qu'ils  empruntent  à  la  source  d'où  ils  émanent. 

Ainsi  que  nous  le  disions,  on  ne  trouve  guère  dans  le  droit 
commun  de  dispositions  qui  se  rapportent  à  la  question  pré- 
sente; toutefois  lès  prescriptions  canoniques  supposent  mani- 
festement l'existence  de  droits  purement  personnels,  et 
mentionnent  la  pratique  d'attribuer  aux  membres  du  clergé 
séculier  et  du  clergé  régulier  des  honoraires  spéciaux  pour 
leur  assistance  aux  funérailles.  Or,  on  n'a  jamais  pensé  que 
les  fabriques  ou  les  curés  eussent  un  droit  quelconque  sur  ces 
honoraires.  La  loi  canonique  qui,  pour  fixer  la  part,  quarta 
funéralis,  due  au  curé  lorsque  l'inhumation  a  lieu  dans  une 


Juin  1863.]  DES   FUNÉRAILLES.  59^' • 

paroisse  étrangère ,  énumère  les  objets  compris  dans  les 
droits  curiaux,  ne  fait  pas  la  moindre  allusion  aux  hono- 
raires destinés  à  rémunérer  la  présence  des  prêtres  et  des  re- 
ligieux (1). 

Mais  voici  une  observation  majeure.  S'il  est  vrai  qu'en 
principe  toutes  les  ablations  appartiennent  au  curé,  il  y  a 
pourtant  des  exceptions  à  la  règle  générale.  En  dehors  des 
objets  déterminés  par  la  coutume  ou  par  la  loi,  et  que  les 
curés  sont  ou  étaient  toujours  autorisés  à  s'attribuer,  il  y  a 
de  la  part  des  donateurs  des  intentions  spéciales  qui  doivent 
être  respectées  ;  il  sont  libres  d'ofirir  des  dons  et  de  les  affecter 
à  des  chapelles,  à  des  œuvres  particulières.  Mais  n'est-il  pas 
évident  que  les  familles  ont  des  intentions  bien  déterminées  en 
faveur  des  prêtres  qu'elles  invitent  aux  funérailles  ?  Dans  un 
diocèse  qui  nous  est  bien  connu,  on  appelle  les  ecclésiastiques 
du  voisinage  et  on  charge  le  curé  dit  défunt  de  remettre  à 
chacun  des  ecclésiastiques  présents  un  honoraire  assez  élevé, 
ce  qui  se  fait  toujours  très-exactement. 

Dans  les  villes,  pour  éviter  les  embarras  et  les  diflScultès, 
pour  ménager  l'amour  propre  des  familles,  on  a  rédigé  des 
tarifs  gradués,  où  tous  les  détails  sont  prévus.  Ces  tarifs  sont 
communiqués  aux  parents  ou  à  leurs  représentants,qui  arrêtent 
leurs  intentions  d'après  le  dispositif  qu'ils' ont  sous  les  yeux. 
En  appelant  le  nombre  de  prêtres  porté  à  la  classe  choisie,  ils 
ont  réellement  la  volonté  d'offrir  à  chacun  de  ces  prêtres  l'ho- 
noraire indiqué  pour  leur  assistance. 

Il  nous  semble  que  la  solution  de  la  première  question  pro- 
posée ne  petit  être  douteuse. 

Les  règlements  épiscopaux,  légalement  approuvés,  sont 
obUgatoires,  notamment  en  ce  qui  concerne  les  droits  établis 
en  faveur  des  ecclésiastiques  appelés  aux  funérailles  ;  les  ho- 
noraires perçus  en  vertu  de  ces  droits  sont  leur  propriété,  et 
ne  peuvent  être  sujets  à  aucune  retenue. 

Nous  n'hésitons  pas  à  penser  que  les   tribunaux  civils,  s'ils 
(!)  Tract,  de  Parocho^  p.  501. 


598  DES  FUNÉRAILLES.  [Tome  VII. 

étaient  saisis,  prononceraient  dans  ce  sens  ;  nous  ajoutons  que 
leur  jugement  serait  conforme  à  l'esprit,  sinon  à  la  lettre,  de 
la  loi  canonique. 

Tout  le  clergé  connaît  la  décision  d'Urbain  VIII  sur  un  objet 
qui  a  beaucoup  d'affinité  avec  le  point  que  nous  discutons.  Ce 
pape  défend  à  un  prêtre  qui  a  reçu  un  honoraire  élevé  pour  une 
messe,  de  faire  dire  cette  messe  pour  l'honoraire  tarifé,  et  de 
retenir  le  surplus.  L'aumône  donnée  appartient  intégralement 
au  prêtre  qui  célèbre.  Alexandre  VII  a  condamné  la  proposi- 
tion suivante  :  «  Post  decretum  Urbani  VIII ^  potest  sacerdos  cui 
«  missx  celebrandx  iraduntur,  per  alium  satisfacere,  collato 
«  illi  minore  stipeudio,  alla  parle  stipendii  sibi  retenta.» 
{Prop.  9  inter  69  ab  Alex.  VII  damnatas,  24  sept.  16^5.) 

La  seconde  question  fut  agitée  au  synode  de  Périgueux,  en 
1856,  où  l'on  décida  qu'elle  serait  proposée  à  la  S.  C.  des 
Rites.  Voici  la  réponse  obtenue  : 

Petrocoricen.  —  à  Quum  Reverendisslmus  Dominus  Joannes 
a  Baptista  Amedaeus  George  Massonnais,  episcopus  Petrocoricen..  ab 
«  hac  Sancta  Sede  Aposlolica  supplicibus  votis  poslulaverit  ut  sequens 
c(  dubium  declarare  dignaretur  : 

«  Utrum  parochiis  aliique  sacerdotes  exequiismortuorum  officiisque 
<c  quotidianis  pro  iisdera  assistantes,  ac  pro  ea  functione  stipendium 
«  accipientes,  teneantur  per  se  officiura  defunctorum  persolvere,  ita  ut 
«  soluramodo  assistentes,  et  non  cantantes  vel  psallentes,  fruclus  non 
«  faciant  suos  ;  —  an  vero  sufficiat  ut  assistant,  et  scliola  officium 
«  persolvat,  ipsis  inlerea  pro  suo  libilu  alias  preces  fundenlibus,  v.  g., 
a  Breviariuni  recitantibus  pro  sua  quotidiana  obligatione  ? 

«  Sacra  Riluum  Congregatio  in  ordinariis  comitils  hodierna  die  ad 
«  Quirinale  coadunata,  referente  subscripto  secretario,  post  accuratum 
«  examen  proposili  dubii,  respondendura  censuit:  Affirmative,  quoad 
«  primam  partem;  Négative,  quoad  secundam.  —  Die  9  maii  1857. 

0  C.  Episc.  Albanen.  Gard.  Patrizi, 

«  S.  R.  G.  Praefectus. 
a  H.  Capalti,  S.  R.  C.  Secretarius.» 

Cette  décision  peut  se  passer  de  tout  commentaire. 

N.,  chanoine. 


CORRESPONDANCE. 


I.  —  Le  Manuale  tottus  juris  canonici  de  M.  Craisson. 


A    Monsieur    ril.I>bé    tilRAJU». 

Monsieur  l'Abbé, 

Je  viens  de  lire  l'article  sur  mon  Manuale  iotius  juris  canonici  que 
vous  avez  inséré  dans  le  n"  41,  p.  497,  de  la  Revue  des  Sciences  ecclésia- 
stiques. Je  vous  suis  très-reconnaissant  du  bien  que  vous  en  dites,  puis- 
que, malgré  quelques  reproches  que  vous  croyez  devoir  lui  adresser, 
vous  avouez  que  c'est  un  bon  livre  et  que  vous  applaudissez  à  son  appari- 
tion comme  à  celle  d'un  ouvrage  conçu  dans  un  bon  esprit.  Je  vous  re- 
mercie également  de  vos  critiques  qui  procèdent  de  votre  de'sir  de  voir 
cet  ouvrage  devenir  plus  parfait  et  plus  utile,  et  je  tâcherai  d'y  avoir  tout 
l'égard  possible  dans  une  autre  édition  ou  même  dans  celle-ci. 

Permettez-moi  cependant  quelques  observations  sur  certains  points  de 
cette  critique. —  «  Vous  me  blâmez  (p.  501)  d'avoir  dit  qu'il  est  probable 
que  la  coutume  de  nommer  plusieurs    vicaires    capitulaires    n'est  pas  ré- 
prouvée, et  vous  trouvez  étrange  que  je   m'appuie  sur    les  conciles  pro- 
vinciaux dont  les  actes  envoyés  à  Rome  ont  été  renvoyés  sans  amende- 
ment sur  les  passages  qui  maintenaient  celte  coutume.  —  Mais  quoi- 
qu'il soit  vrai  (et  vous  convenez    que   je    n'ignorais  pas    ce  point   de 
jurisprudence)  que  le  silence  de  la  S.  Cougrég.  du  Concile  ne   soit    pas 
toujours  une  approbation,  je  ne  dois    pas  supposer  non    plus  que  vous 
ayez  oublié  que  le  silence  du  S.  Siège  est,  dans  plusieurs  cas,  une  appro- 
balion  des  coutumes  qui  ont  les  conditions  requises    d'ailleurs  :  cela  a 
lieu  surtout  quand  la  coutume  est  raisonnable,  et  que  le  S.  Pontife  peut 
commodément    réclamer.  (V.  mes  Prolégom.,  n"  126.)  Or  c'est  ce    qui 
semble  s'être  rencontré  dans  le  cas  en  question,  elles  réponses  récentes 
du  S.  Siège  au  doute  proposé   par  les    chapitres   de  Cahors  et  de  Péri- 
gueux  semblent  le  démontrer.  Aussi,  non-seulement  l'auteur  des  Prœ- 
lectiones  S.  Sulpitii  appuie  cette  thèse  du  même  raisonnement  que  moi, 
mais  encore  M.  Bouix  lui-même,  dans  la  première  édition  de  son  traité 
de  Capitulis  (pp.  554,  555).  Il  est  vrai  que  dans  la  Revue  des  Sciences  ecclé- 
siastiques(lom.  ii,  p.  299)  et  on  dit  aussi  dans  une  nouvelle  édition  du  même 
traité  de  Capitulis  (p.  497)  que  je  n'ai  pas  entre  les  mains,  il  rétracte  ce 
qu'il  avait  dit  d'une  manière  trop    générale    dans  sa  première  édition  : 
mais  il  ne  le  retracte  formellement  que  par  rapport  aux  chapitres  des 
diocèses  qui  comme  Reims  ont  été  érigés  en  1822  ;  et,  quoiqu'il  adopte 

le  même  sentiment   pour   les   autres   diocèses,  il  ne  veut  pourtant  pas 


600  CORRESPONDANCE.  [Tome  VII, 

trancher  cette  question  qui  lui  parait  grave,  comme  elle  l'est  en  effet 
{Revue,  ibid.,  p.  297),  et  parla  ne  paraît  pas  condamner  ceux  qui  regar- 
deraient comme  proljable  que  la  coutume  en  question  n'est  pas  ré- 
prouvée dans  ces  diocèses.  Si  plus  tard  (n»  39,  p.  277  de  la  Revue)  il  ne 
/ait  pas  de  distiuctioû  entre  les  divers  diocèses,  il  ne  condamne  pas  non 
plus  la  distinction  qu'il  avait  faite  auparavant  et  il  ne  donne  pas  son 
commentaire  des  récentes  décisions  comme  devant  absolument  être 
admis  sous  peine  d'errer  en  matière  de  jurisprudence  canonique.  Je 
crois  donc  pouvoir  maintenir  mou  sentiment  comme  probable  et  croire 
que  M.  Bouix  lui-même  ne  va  pas  jusqu'à  condamner  ceux  qui  le  re- 
garderaient comme  tel  ()). 

Je  soutiens  dans  mes  Prolégomènes  (n»  153)  que  le  droit  ancien  n'a 
été  aboli  en  France  par  la  bulle  Qui  Christi  Domiiii,  que  par  rapport 
aux  coutumes  {même  imméoior laies),  aux  droits  et  privilèges  contraires 
à  l'ancienne  organisation  de  cette  partie  de  l'Église,  et  non  quant  aux 
coutumes,  droits  et  privilèges  qui  ne  concernaient  pas  cette  organisation 
et  qui  étaient  d'ailleurs  légitimes.  Vous  trouvez  que  mon  interprétation 
des  clauses  de  cette  bulle  n'est  pas  fondée,  sans  dire  pourquoi,  bien 
que  les  termes  qui  y  sont  employés  ne  supposent  pas  d'autre  sens.  Le 
public  jugera  de  la  solidité  des  raisonnements  dont  j'ai  chercbé  à  établir 
mou  opinion  qui  est  partagée,  je  le  sais,  par  bien  des  personnes  très- 
compétentes,  même  à  Rome.  Seulement,  ce  me  semble,  vous  n'auriez  pas 
dû  affirmer  que,  d'après  ma  doctrine,  je  pensais,  par  exemple,  que  la  con- 
munion  à  la  messe  de  minuit  de  la  fête  de  Noèl  ne  serait  pas  défendue  en 
France  ;  quoique  en  divers  diocèses  cette  communion  ait  été  permise  par 
un  Induit  comme  une  grâce  spéciale.  Si  vous  relisez  mon  texte,  vous  re- 
marquerez que  je  ne  dis  pas  que  cette  coutume  ne  soit  pas  défondue 
même  en  France,  mais  seulement  qu'elle  et  plures  aliœ,  si  rêvera  légi- 
times fuissent  lempore  Concordati,  quod  hic  non  expendimus,  ne  concer- 
nant pas  l'ancienne  organisation  de  l'Eglise  de  France,  ont  pu  être  re- 
gardées comme  légitimes  après  le  concordat  comme  auparavant*.  Si  donc 
il  a  fallu  un  Induit  à  certains  diocèses  pour  rendre  licite  cette  coutume, 
il  suit  seulement  qu'elle  n'avait  pas  les  conditions  requises,  ce  qui  peut 
bien  venir  non  pas  de  ce  qu'elle  a  été  abolie  par  le  concordat,  puisque 
depuis  elle  aurait  bien  pu  revivre,  mais  de  ce  que  peut-êLre  appartenant 
à  la  liturgie,  il  faut  pour  légitimer  de  pareilles  coutumes  une  approba- 
tion spéciale. 

De  ma  façon  de  penser  sur  ces  articles  et  sur  quelques  autres  peut- 
être,  vous  concluez  qu'il  y  a  chez  moi,  sur  quelques  points,  un  certain 
faible  pour  les  anciens  senfimetits  du  paijs.  Il  semble  qu'il  y  aurait  une 
autre  explication  à  donner  à  cet  égard,  savoir  que  j'ai  dû  me  tenir  dans 
le  vrai,  et  que  désirant  réconcilier  le  clergé  français  avec  les  maximes 
romaines,  j'ai  dû  éviter  d'effaroucher  des  esprits  encore  prévenus  peut- 

(1)  C'est  une  question  qui  nous  semble  maintenant  assez  éclaircie  par 
les  dernières  réponses  du  Saint-Siège  et  notamment  par  celle  que  nous 
publions  dans  ce  numéro  même.  [V.  les  commentaires  de  M.  Bouix, 
numéro  de  mars,  p.  277,  et  ci-dessus  p.  580  ss.)    (iV.  de  la  Rédaction.) 


Ju^n  1863.)  COBRESPOM)A^CE.  601 

être,  en  condamnant  ce  qui  n'était  pas  condamnable,  ou  ce  qui,  d'après 
lea  principes  communément  reçus  même  à  Rome,  pouvait  être  toléré; 
ne  pas  leur  fournir  surtout  de  légitimes  motifs  de  m'accuser  d'exagéra- 
tion, comme  on  Ta  fait,  bien  à  tort  sans  doute,  à  l'égard  de  plusieurs 
autres.  Je  crois,  du  reste,  pouvoir  dire  en  mon  âme  et  conscience  que 
je  ne  me  sens  ni  d'attache  ni  de  faible  pour  aucune  de  nos  anciennes 
maximes,  et  que  je  ne  tiens  qu'à  la  vérité  toute  seule. 

Vous  auriez  désiré  que  j'eusse  expliqué  les  principaux  ternies  employés 
par  la  Congrégation  des  Rites  :  je  le  fais  cependant,  au  moins  en  par- 
tie (1),  comme  on  pourra  !e  voir  en  divers  endroits,  et  notamment  au 
no  786. 

Vous  auriez  voulu  que  j'eusse  commencé  le  livre  second  avec  le  3e  vo- 
lume. Quand  vous  aurez  reçu  le  3^  volume  et  le  suivant,  vous  compren- 
drez que  je  ne  pouvais  distribuer  mes  matières  autrement  que  je  ne  l'ai 
fait  sans  rendre  énorme  le  3^  volume  qui   finit  avec  le  livre  second. 

Je  n'ai  rien  à  objecter  sur  ce  que  vous  dites  de  mou  style  et  de  ma 
latinité:  je  n'ai  pas  cherché  à  être  élégant,  mais  clair;  j'ai  dû  et  j'ai 
voulu  éviter  d'être  incorrect  ;  s'il  m'est  échappé  des  fautes,  je  les  corri- 
gerai quand  je  les  connaîtrai.  Quant  à  celle  que  vous  signalez  pour  le 
mot  revercalur  employé  dans  le  sens  passif,  j'ai  cru  pouvoir  me  servir  de 
ce  mot  dans  ce  sens,  d'après  plusieurs  dictionnaires  qui  le  donnent,  non- 
seulement  comme  verbe  déponent,  mais  encore  comme  actif,  revereo,  et 
citent  des  auteurs  anciens,  et  par  conséquent  autorisent  à  l'employer 
dans  le  sens  passif.  Voyez  en  particulier  Quicherat  (2). 

Vous  avez  cru  qu'en  citant  le  P.  Gury  à  la  suite  d'une  décision  qui  lui 
est  contraire,  au  sujet  de  la  calotte  (n"  3228),  j'ai  voulu  faire  prévaloir  son 
autorité  sur  celle  de  la  Congrégation  des  Rites.  Mais  vous  auriez  pu  con- 
clure, ce  me  semble,  que  j'ai  plutôt  voulu  signaler  cette  assertion  du  Père 
Gury  comme  étant  contraire  à  une  décision  des  Congrégations  romaines 
et  par  conséquent  comme  n'étant  pas  admissible   ^3). 

J'avoue  que  je  n'ai  pas  été  exact  en  affirmant  (n"  3226)  que  l'étole 
n'est  d'obligation  dans  l'administration  du  sacrement  de  Pénitence  que 
là  où  l'exige  le  temps  ou  la  coutume.  J'aurais  dû  dire  qu'elle  est  d'obli- 
gation dans  l'administration  de  ce  sacrement,  excepté  dans  les  cas  où  le 
temps  et  la  coutume  permettent  d'en  user  autrement,  et  encore,  conformé- 
ment à  la  décision  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  du  7  décembre 
1844  {no  4854,  ad  3),  aurais-je  dil  ajouter  que  nulle  part  il  n'est  permis 
d'interdire  son  usage  dans  la  susdite  administration.  Je  ne  manquerai 
pas  de  faire  cette  remarque  dans  mon  errata  et  de  corriger  le  texte  le 
plus  tôt  possible. 


(1)  En  partie,  soit.  Au  reste,  c'est  ici  une  question  d'opportunité, 
sur  laquelle  il  n'y  a  pas  à  discuter  beaucoup.        (A\  de  la  Rédaction.) 

(2)  M.  Craisson  a  mal  lu  la. ligne  consacrée  à  la  forme  revereo  dans  le 
dict.  de  Quicherat.  Inutile  d'insister.  {.V.  de  la  R.) 

(3)  A  moins  d'avoir  le  commentaire,  il  est  difficile  de  donner  ce  sens 
à  la  phrase  telle  qu'elle  est  rédigée.  Il  sera  nécessaire,  à  notre  avis, 
d'en  modifier  les  termes.  (N.  de  la  R.) 


602  CORRESPONDANCE.  [Tome  VU. 

Voilà  tout  ce  que  j'ai  cru  devoir  faire  observer  sur  votre  article.  J'ose- 
rais vous  prier  maintenaat  de  rendre  publique  cette  lettre  dans  le  pro- 
cliain  numéro  de  la  Revue  :  puisque  vous  reconnaissez  que  mon  ouvrage 
est  bon  et  écrit  dans  un  bon  esprit,  vous  avez  trop  de  zèle  à  répandre  les 
bonnes  doctrines  pour  me  refuser  le  moyen  de  dissiper  les  quelques 
nuages  que  votre  article  a  pu  répandre  sur  mon  livre,  et  qui  pourraieut 
empêcher  peut-être  bien  de  vos  lecteurs  de  se  le  procurer.  Je  vous  prie 
de  ne  pas  me  refuser  cette  faveur  que,  d'après  les  explications  sus-éuon- 
cées,  je  pourrais  appeler  même  une  justice. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Craisson. 

Poitiers,  28  mai  1863. 


II.  —  Sur  quelques  questions  de  liturgie. 

Un  de  nos  abonnés  nous  écrit  la  lettre  suivante,  relative;nent  à  cer- 
taines questions  de  liturgie,  savoir:  l"  la  Messe  de /{e^'ttîew  célébrée  pour 
le  repos  de  Tàme  d'une  personne  à  la  réception  de  la  nouvelle  de  sa 
mort  i  2°  les  Vêpres  votives  d'une  fête  dont  la  solennité  est  transférée 
au  dimanche. 

«  Permettez-moi  de  revenir  sur  mon  observation  relative  à  la  Messe  de 
Requiem  (1)  à  célébrer  lorsqu'on  apprend  la  nouvelle  de  la  mort  de  quel- 
qu'un qui  est  décédé  dans  un  paj's  éloigné.  Je  persiste  à  soutenir  que  la 
permission  de  célébrer  ladite  messe  un  jour  double-majeur  ou  mineur  ne 
regarde  que  les  religieux.  Les  raisons  que  vous  m'opposez  dans  votre 
réponse  ne  sont  nullement  concluantes  et  péremptoires.  Vous  me  dites 
que  c'est  le  sentiment  des  auteurs.  Mais  le  sentiment  des  auteurs  est 
moins  que  rien  devant  une  décision  si  nette  et  si  formelle  de  la  Sacrée- 
Congrégation  des  Rites.  Vous  me  dites  ensuite  qu'il  vous  paraît  qu^il  n'y 
a  que  le  3»,  7e  et  Bd-^  jour  après  la  mort  qui  soient  exclus  par  ledit  décret. 
Mais  jamais  aucun  auteur  n'a  enseigné  qu'il  fût  permis  de  célébrer  la 
messe  de  Requiem  le  Se,  7^  et  30e  jour  après  l'arrivée  de  la  nouvelle  du 
décès.  Il  ne  s'agit  donc  ici  que  de  la  première  nouvelle  du  jour  de  la 
mort.  On  a  voulu  faire  condamner  à  la  Sacrée-Congrégation  des  Rites  la 
doctrine  de  Gavalieri  à  ce  sujet,  dans  la  2e  question,  comme  on  l'a  con- 
damnée dans  la  question  suivante  par  rapport  au  nombre  des  oraisons 
dans  la  messe  quotidienne.  Aussi  je  ne  puis  admettre  votre  explication; 
elle  a  beaucoup  étonné  dans  notre  archidiocèse  où  ce  décret  est  publié 
depuis  bien  des  années. 

«  Vous  voudrez  bien,  pour  confirmer  mon  sentiment,  me  permettre 
de  vous  citer  le  sentiment  de  la  Revue  théologique,  série  iv,  page  179, 
n*  18.  «  La  nouvelle  Collection  renferme  aussi  plusieurs  décrets  relatifs 
«  à  la  messe.  Commençons  par  la  messe  des  morts.  Gavalieri  enseignait 
«  que  le  privilège  accordé  aux  religieux  de   chanter  la  messe   en  une 

(1)  V.  le  numéro  de  janvier,  p.  50,  n,  vu. 


Juin  1863.]  CORRESPONDANCE.  603 

«  fête  double,  à  la  nouvelle  de  la  mort  d'un  religieux,  ne  devait  pas  être 
«  pris  dans  un  sens  étroit,  mais  qu'il  fallait  l'étendre  à  toutes  les  pér- 
it sonnps  et  à  toutes  les  églises.  De  la  sorte,  il  serait  permis  à  la  mort 
«  d'un  laïque,  de  chanter  la  messe  en  noir  un  jour  double,  dans  toutes 
«  les  églises  d'une  ville  ou  d'un  diocèse,  pour  le  repos  de  l'àme  de  cette 
«  personne.  Reapse  induHum  petentes  non  prœtergreditur ,  sed  cum 
«  eadem  milUet  ratio  et  de  regularihus  ceteris,  in  horum  omnium  n^um 
«  esse  passe  unanimes  sentiunt  auctores,  quinimmo  cum  ex  pia  et  gene- 
«  rali  causa  noscatur  ediium,  nempe  ut  cititts  suffragentur  defunctorum 
«  animœ,  non  immerito  ad  quuscumque  ecclesias  et  personas  illud  exten- 
«  dunt,  exarantque  propterea,  proinde  ac  si  pro  omnibus  emanatum  fuisset. 
«  Toutefois,  le  décret  ne  permettait  pas  cette  extension.  Les  chanoines 
«  de  Latran  exposent,  en  effet,  que  selon  leurs  constitutions,  à  la  mort 
«  d'un  religieux,  on  doit  chanter  dans  tous  les  monastères  de  l'ordre  une 
«  messe  de  Requiem,  et  ils  demandent  en  conséquence  de  pouvoir  la 
0  chanter  en  une  fête  double,  afin  de  venir  au  plutôt  au  secours  de 
«  l'àme  du  défunt.  La  Congrégation  répond:  Indulgeri  passe.  C'est  donc 
«  une  grâce,  un  privilège  spécial  qu'on  ne  peut  logiquement  attribuer  à 
«  d'autres,  surtout  que  les  mêmes  raisons  n'existent  pas  ailleurs.  Ainsi, 
«  la  Congrégation  des  Rites  vient  de  rejeter  l'opinion  de  Cavalieri. 
«  (A  la  page  suivante,  se  trovive  relaté  ledit  décret  du  16  avril  1SS3.)  » 

«  Le  second  décret  que  vous  me  citez,  n'est  qu'une  explication  de 
celui  des  chanoines  de  Latran  pour  la  veille  de  l'Epiphanie,  il  ne  peut 
avoir  un  sens  plus  général  que  le  décret  qu'il  explique. 

«  Quant  à  l'article  sur  les  fêtes  dont  la  solennité  est  transférée  au 
dimanche  suivant,  je  remarque  que  la  Revue  dit  que  le  décret  in  Lu- 
cionen.,  relatif  au  dernier  évangile,  n'est  pas  dans  la  collection  authen- 
tique; pour  la  plus  grande  impartialité,  il  aurait  fallu  dire  aussi  que  celui 
de  Limoges  pour  les  Vêpres  n'y  est  pas  non  plus.  Car,  c'est  sur  ce  décret 
que  s'appuient  plusieurs  Ordo  pour  prescrire  en  ces  jours  les  Vêpres  de 
la  solennité.  Bien  loin  d'être  un  décret,  c'est  une  simple  concession.  » 

Agréez,  etc.  Un  abonné. 

Les  raisons  données  pour  restreindre  à  quelques  églises  la  faculté  de 
célébrer  une  messe  de  Requiem  les  jours  de  fêtes  doubles  à  la  réception 
de  la  nouvelle  de  la  mort  d'une  personne,  nous  paraissent  pércmptoires. 
Si  nous  avons  essayé  d'expliquer  le  sentiment  contraire,  nous  l'avons 
fait  sur  l'autorité  dont  jouissent  les  auteurs  qui  l'ont  soutenu.  Nous 
nous  sommes  cru  suffisamment  autorisé  à  doDuer  le  sentiment  le  moins 
sévère.  Nous  peiisons  que  si  ces  auteurs  ont  des  raisons  à  opposer  à 
celles  qui  sont  exposées  ici,  ils  voudront  bien  nous  en  faire  part. 

Nous  avions  pensé  avoir  suffisamment  indiqué  la  nature  de  la  réponse 
faite  au  diocèse  de  Limoges,  relativement  aux  vêpres  d'une  solennité 
transférée.  L'observation  ci-dessus  pourra  compléter  ce  que  nous  aurions 
laissé  sans  explication  suffisante.  P.  R. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages. 

PHILOLOGIE  ET  RÉVÉLATION,  par  M.  l'abbé  d'AuTUN *    5,  97,  193 

SAINT  GRÉGOIRE  DE  TOURS  ET   SAINT    SATURNIN    DE    TOULOUSE,   par 

M.  l'abbé   L*TOt! 27 

UN  MOT  SUR  QUELQUES  PROBLÈMES  IMPORTANTS  DE  PHILOSOPHIE.  — 

Réfionse  à  M.  l'abbé  Cro«,  par  M.  l'abbé  Armand 59,564 

LA  VIE  INTELLECTUELLE  EN  PROVINCE,  par  M.  l'abbé  Hautcœur.    ...  67 

DE  L'UNITÉ  ROMAINE,  par  M.  l'abbé  Le  RoY. 121 

ESSAI  SUR  LA  ViE  COMMUNE  AU  SEIN  DU  CLERGÉ,  par  M.  l'abbé  Haut- 

CŒOR • 1*0 

A    PROPOS  D'UN  NOUVEL    ESSAI   DE   PHILOSOPHIE    CHRÉTIENNE,  par 

iM    l'abbé  Armand 175 

DE  LA  GRANDE  XUMONEKIE  EN  FRANCE,  par  M. l'abbé  D.  Bouix.    ...  179 

LE  CÉLÈBRE  CONFLIT  ENTRE  SAINT  ETIENNE  ET  SAINT   CYPRIEN,  par 

M.  l'abbé  D.  Bouu 211,305,419,513 

LE  SPIRITISME,  par  M.  l'abbé  N.-C.  Le  Roy.    :...•...      233,  321,  401 
DE    LA    MÉTHODE    APOLOGÉTIQUE    DU    P.    DECHAMPS,  par    M.  l'abbé 

SiHONis 240 

DE  LA  VISION  ONTOLOGIQUE,  par  M.  l'abbé  Grandcladde 345,  546 

DES  SUPPLÉMENTS  AU  RITUEL  ROMAIN,  par  M.   l'abbé  D.  Bomx.     ...  363 

DES  FONCTIONS  PONTIFICALES,  par  M.  l'abbé  P.  R "     .    .268,438 

ÉTUDE  SUR  L'HISTOIRE  ECCLÉSIASTIQUE  DE  THÉODORET,  par  M.  Henri 

HUVELIN m   .     .     .     .  460 

QUESTION   DES  VICAIRES  CAPITULAIRES,  par  M.  l'aLbé  D.  Bouix   ...  580 

DES  FUNÉRAILLES,    par  M.  l'abbé  N • 595 

LITURGIE,  —  Observations  sur  les  travaux  liturgiques  publiées  par  la  Revue   ,  47 

Les  Litanies  du  saint  Nom  de  Jésu3 52 

Du  temps  de  la  Seituagésirae,  du  Carême,  et  du  temps  de  la   Passion.  16tî 

Réponse  à  quelques  questions  lilurgiques.     .    .     ; 273,  375,  571 

Lettre  de  S.  E.le  C.  Palrizi,  à  S.  E,  le  cardinal -archevêque  de  Lyon.— 

Commentaire  par  M.  l'abbé  D.  Bouix 384 

BREF  DE  S.  S.  PIE  IX,  portant  condamnalion  des  doctrines  du  Dr  Frobscbammer. 

Note  par  M.  l'abbé  IIautcœuk : ,.         480 

DÉCISIONS  DE  LA  S.  C.  DU  CONCILE 187,  277,  400 

ENCYCLIQUE  DU  SAIN  r-OFFICE,  contre  le  Magnétisme  et  le  Spiritisme.    .    .  488 

DÉCRETS  DE  LA  S.  C.  DES  INDULGENCES 76,  290 

CORRESPONDANCE • 506,  599 

BIBLIOGRAPHIE 80,83,88,91,293,296,299,389,490,497,506 

CHRONIQUE.    -. ,    .    ,    .    .        93,  190.  303,  398 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Allemagne.  —  Lilléralure  Ihéologique  (1862),  506. 

Apologétique.  —  De  la  méthode  apologéiijue  du  P.  Decharaps, 
240  Sa.*— Exposé  de  la  mélhode,  2-^0.  —  Examen  des  difficuUés,  '247. 
—  La  Calholicilé,  "lU.  —  La  Sainlelé.  260. 

AuMÔNEiiiE.  —  De  la  grande-aumônerie  en  France,  -179  ss.  —  Bref 
de  Pie  IX  qui  la  conrerae,  ^79.  — losiilulion  des  grauds-aumôniers 
en  général,  180.  —  Organisation  actuelle  de  la  grande-aumôuerie  en 
France,  183. 

Bénédictions.  —  Formules  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  le  Rituel 
romain,  577. 

Bibliographie.  —  Articles  divers,  80,  83,  88,  91,  293,  29t>,  2'J9, 
389,  490,  497,  506. 

BossuET,  —  OEuvres  inédites,  publiées  par  M.  Lâchai,  80. 

Bougies  stéariqiies.  Leur  usage  dans  la  liturgie,  37(i. 

BouiLLiER.  —  Du  Principe  vital  et  de  L'âme  pensante,  190. 

Branchereau  (labbé;.  —  Manuel  de  philosophie,  190. 

Bréviaire.  Ses  rubriques,  377. 

Brimont  (A,  de).  Urbain  II,  293. 

Carême.  — Rii  quadragésimal,  169. —  AbsliDeace, aumône  imposée 
comme  condition  de  la  dispense, -172. 

Carney  (l'iibbé).  —  La  Question  religieuse,  etc.,  95. 

Ca\ol  (l'abbé).  —  La  Dioinité  du  catholicisme  démontrée,  95. 

Chapitres.  —  Réponse  de  la  S.  Pénilencerie  à  diverses  questions 
qui  concernent  les  chapitres  do  France,  ^Wl .'S . Ficaires capitulaires. 

Chronique,  93,  190,  303,  398. 

Cierges.  —  La  matière  peul-elle  être  mélangée,  571.  V.  Bougies. 

Concile  (décidions  de  la  S.  C.  du).  — Irrégularité  ex  de/ectu,  -187. 
V.  Ficaires  capitulaires. 

Craisson  (l'abbé).  —  Manuale  totiusjuris  Canonici,  497,  599. 

Cyprien  (S'j.  —  V.  Etienne. 

Dakko.  —  Historia  Revelaiionis  divinx  V.  T.  «<«. ,  S09. 

Darbins  (['ai>bé>.  —  Fie  et  OEuvres  de  Marie  Lataste,  I9i,  490. 

Dahras  (l'abbé).  —  Histoire  générale  de  l'Église,  191,  303. 

Davin.  —  Saint  Grégoire  VII,  83. 

Dechamps  (le  P.).  —  V.  apologétique. 

Destombes  (l'abbe).—  La  Persécution  en  Angleterre,  95,  389. 

Doellinger.  —  V Eglise  au  temps  de  sa  fondation,  -190. 


606  TABLE   ALPHABÉTIQUE.  [Tome  VII. 

ETIENNE  (S»).— Élude  sur  l'ouvrage  de  Mgr  Tizzani  relatif  au  conflit 
entre  saint  Élienne  et  saint  Cyprien,  2H  ss.,  305  ss.,  419  ss.,  513  ss. 
—Exposé  cl  hislorique  de  la  question,  2H  .  — Examen  de  l'authen- 
ticité des  documenis  que  l'on  invoque,  219. — Leitre  de  saint  Cyprien 
aux  évêques  de  Nuraidie,  222  ;  —  a  Quintus,  :i26;  —  au  pape  saint 
Etienne,  305  .  —  à  Jubaianus,  30S  ;  —  a  Pompéius,  315.  —  Le  con- 
cile de  Carihage,  419.—  La  lettre  de  saint  Cyprien  à  Magnus,  423;  — 
àFirmilien,  426,  —  Les  événements  attestés  par  ces  pièces  n'ont  pu 
s'accomplir  dans  le  laps  de  temps  qu'elles  assignent,  ''«33.  —  Examen 
des  auteurs  contemporains  et  de  ceux  qui  ont  suivi  de  plus  près,  513. 
—  Le  diacre  Poniius,  514.  —  Eusèbe,  b\Q.  —  Deflys  d'Alexandrie, 
525.  —  Saint  Basile,  527.  —  Le  traité  sur  la  réitération  du  baptême, 
535.  —  Donat,  Parniénien,  S.  Optai  de  Milève,  336.  —  S.  Anguslin, 
ibid.  —  S.  Jérôme,  2^Î0. — Résumé,  544. 

Falise.  —  Sacrorum  riluum,  elc,  compendiosa  elucidatio,  96. 

Fonctions  pontificales  (des),  438  ss.  —  Quelles  sont  les  fonctions 
pontificales?  438.  — Quel  est  le  droit  et  le  devoir  de  la  { remière  dignité 
du  chapitre  relaiivemenl  à  ces  fonctions?  451.—  Réponses  d'un  litur- 
giste  romain  sur  plusieurs  d'entre  elles,  268. 

Frobschammer  (le  D').  —  V.  Philosophie. 

Gassiat  (l'abbé).  —  Rome  vengée,  191. 

Grégoire  de  Tours.  —  V.  Saturnin. 

Habert. —  Theologix  grsecorum  Pairum,  etc.,  •i91,  508. 

Héfélé.  —  Histoire  des  conciles,  ^90. 

Histoire  ecclésiastique.  —  Élude  surThéodorei,  460  ss. 

HoLZHAtSER.  —  V.  Fie  commune, 

HïMxNE.  —  Changement  du  3«  v.  dans  Vhte  confessor,  572. 

Index.  —  Livres  mis  à  l'Index,  93. 

Indulgences.  — Décrets  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Indulgences, 
76  ss.,  '2'.)0  ss.;  —  sur  le  Scapulaire,  76;  —  sur  la  rommutaiion  de 
la  confession  el  de  la  communion  nécessaires  pour  gagner  une  indul- 
gence, 76  ; — sur  les  fêles  de  N.-S.,  de  la  sainte  Vierge  et  des  apôtres, 
291. — Des  indulgences  attachées  aux  Quarante  heures,  578, 

Kaulen.  —  Légende  du  B.  Hermann  Joseph,  91.  —  Commentaire 
sur  Jonas,  51 1 . 

Klofutar.  —  Comm,enlarius  in  evangelium  S,  Joannis^  512. 

KuHN  (le  Dr),  —  Dogmatique.  507. 

Leçons  du  premier  nocturne  à  Matines,  le  jour  de  la  fête  de  saint 
Pierre  Damien,  575. 

Linges  sacrés.  —  Peut-on  y  ajouter  des  ornements  qui  ne  soient 
pas  en  fil?  571. 

Litanies.  —  Approbation  des  litanies  du  «ainl  Nom  de  Jésus,  52. 

Liturgie.  —  Observations  sur  divers  articles  de  liturgie  publiés 
par  la  Revue,  47.  —  Réponses  à  diverses  questions,  166,  268,  273, 


Juin  1863.]  TABLE  ALPHABÉTIQUE.  607 

375,  578.  —  Lettre  de  Son  Éminence  le  cardinal  Patrizi  à  Son  Émi- 
nence  le  Cardinal  -  Archevêque  de  Lyon,  384. — \.  Bénédictions, 
Bougie»,  Bréviaire, , Cierges,  Foficlions  pontificales,  Hymne,  Leçons, 
Linges,  Messe,  Rituel. 

Lyon  —  V.  Liturgie. 

Magnax  (l'iibbé).  —  Urbain  V,  88. 

Magnétisme.  —  Encyclique  du  Saint -Office  adressée  h  tous  les 
évêques  contre  les  abus  du  magnétisme,  488.  —  V.  Spiritisme. 

Maldonat,  in  Evangelia.  Nouvelle  éd.,  ^9i,  512. 

!\1e>se  basse,  cérémonies,  375  ss. — Messe  de  Requiem  à  la  nouvelle 
de  la  mort  d'une  personne,  602. 

OiscHiNGER.  —  Ouvrage  sur  la  Trinité,  5U7. 

OiNTOLOGiSME.  —  V.  Phitosopkie. 

Peltier  (l'abbé).  —  Lettres  au  P.  Bechamps,  etc.,  190. 

Perrone.  —  V Apostolat  catholique,  299. 

Philologie  et  Révélation,  5  ss.,  97  ss.,  193  ss.{V.  la  table  du  tome 
précédent).  — Des  caractères  de  la  langue  primitive,  5.  — Ses  rap- 
ports avec  la  mission  du  premier  homme,  97. —  Principes  généraux  de 
la  connaissance  intellectuelle,  conséquences  qui  en  découlent,  ^03.— 
Origine  du  langage,  \\\.  —  Les  langues  et  les  peuples,  -194.  —  Les 
langues  et  les  religions,  201.  —  Conclusion,  209. 

Philosophie.  —  Un  mol  sur  quelques  problèmes  importants  de  la 
philosophie,  59  ss.,  o64  ss. —  De  la  vision  ontologique,  345  ss.,  546  ss. 
— Erreurs  du  D^  Frohschammer,  175  ss.— Bref  de  Sa  Sainteté  Pie  IX 
qui  les  condamne,  480. 

Pierre  Damien  (S.)  .—V.  Hijmne^  Leçons. 

Province.  —  Vie  intellectuelle  en  province,  67  ss. 

Reinke  {\eb^).  •.—  Prophéties  messianiques,  ^10. 

Renan  (M.-E.)  jugé  par  Éwald,  94. 

Reusch  (le  D').  —  Bible  et  Nature,  510, 

Rituel,  —  Des  suppléments  au  Rituel  romain;  condilions  de  leur 
légitimité,  563. 

Sagette  (l'abbé).  —  L'Eucharistie.  Méditations,  96. 

Sanson  (l'abbé).  —  Guide  de  la  parfaite  religieuse,  96. 

Satdrnin  (saint).  —  Examen  du  passage  de  saint  Grégoire  de  Tours 
sur  la  mission  de  saint  Saturnin  à  Toulouse,  27  ss.  —  Actes  de  saint 
Salurniijj  ibid.  —  Valeur  de  Grégoire  de  Tours  comme  historien,  29. 
— Deux  circonstances  rapportées  par  Grégoire  de  Tours  ne  se  trouvent 
nulle  part  ailleurs,  32.  —  Grégoire  de  Tours  adopte  lui-même  l'opi- 
nion qui  placo  au  premier  siècle  la  mission  de  saint  Saturnin,  42, 

Scueeben"  (le  Dr). — Écrits  sur  la  grâce,  508. 

Schegg  (U*.  D').  —  Commentaires  sur  les  Évangiles,  512. 

ScHMiD  (le  Dr).  —  L'Église  et  la  Bible,  509. 

ScHMiD  (le  D'').  —  Wissenscha/tliche  Richlungen,  aie,  506. 


608  TABLE  ALPHABÉTIQUE.  [Tome  VII. 

ScHOLz  (le  D'^'l-  —  Théologie  de  l'Ancien  Testament,  512. 

SCBRADEU.  —  V.  Unité. 

ScHUSTER.  — Manuel  d'histoire  biblique^  olO. 

Septuagésime.  — Règles  liturgiques,  itC 

Spiritisme  (le),  233  ss.,  321  ss.,  401  ss.  —  Histoire  du  spiritisme, 
233.  —  Doctrine  de  l'Église  sur  les  esprits,  et  doctrine  spirile  sur  le 
même  sujet ,.3'21. —  Doctrine  de  l'Église  sur  les  communications  avec 
les  morts,  328.— Historique  des  communications  avec  les  morts,  401. 
—Conséquences  du  spiritisme,  408.  — Conclusion,  AiG.\- Magnétisme. 

Tanner  (le  D').  —  De  la  Tradition  catholique,  509. 

Tabquini  (!e  P.). —  Juns  eccles.  publ.  inslituliones,  296- 

Théodoret.  —  V.  Histoire  ecclésiastique. 

Thibaldieh  (l'abbé').  —  Du  Principe  vital,  ^90. 

TizzANi  (Mgr.).  —  V.  Etienne  (saint). 

Toulouse.  —  V.  Saturnin. 

Umté  romaine  (de  1')  d'après  le  P.  Schrader,  ^2\  ss.,  508.  —  Ap- 
préciation de  l'ouvrage,  d22.  —  Nature  et  étendue  de  l'unité  ro- 
maine, ^2^■  —  L'Église  romaine  est  la  seule  d:ms  laquelle  sont  con- 
servés tous'  les  biens  de  l'Église,  127.  —  La  hiérarchie,  principe  de 
l'unité  de  l'Église,  ^30,  —  Économie  de  l'Unité  romaine,  -ISS.  —  Con- 
clusion, 138. 

Université  d'innsbruck,  598. 

Vicaires  capitulaires.  —  Réponse  de  la  Sacrée  Congrégation  du 
Concile  aux  chanoines  de  Cnhors  sur  la  pluralité  des  vicaires  capitu- 
laires, 277.  —  Explication,  278  ss.  —  //.  au  doyen  du  chapitre  de 
Périgueux,  400.—  A  un  chanoine  de  Poitiers,  580. 

Vie  commune.  —  Essai  sur  la  vie  commune  au  sein  du  clergé,  140 
ss.  —  V.  dans  le  volume  précédent,  pp.  400  ss.,  500  ss.  —  Réformes 
d'Yves  de  Chartres  et  de  Pierre  de  Honestis,  140.  —  Chanoines  régu- 
liers et  séculiers,  ^47.  —  Lutte  en  faveur  de  la  vie  canonique,  -150.  — 
Époque  moderne.  M.  Olier  et  la  communauté  de  Sainl-Sulpice,  155. 
—  Holzhauser  et  Tinslitut  des  clercs  séculiers  vivant  en  commu- 
nauté, 160. 


.\iTas. — Typ.  lioussEAL'-LEROY,  rue  Saiut-Maurice,  26. 


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SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES 


IMPRIMATUR  : 
Atrebati,  die  20  Julii.  1863. 

i:  ••!<.)  "j.  Episc.  Atrebatensis ,  Bolonien. 
72'Tâ  et  Audomaren. 


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SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES 


DIRIGEE 


PAR  M.  L'ABBli  D.  BOUIX. 


CsSÛ 


RECUEIL     MENSUEL 


Paraissant  avec  l'autorisalioii  de  MgrPARisis,  cvê]ue  d'Arras. 


Ubi  PclruS;  ibi  Ecclesia. (Sl-Ambroise) 


XoHie  rvill.  —  S"  Seniesti-e    1  Sea. 


ARHAS : 

LiBR'IRlB  ROISSEIU-LEHOY,  ÈlilTEOR, 

(liUHEAUX  DE  LA  REVCE) 
rue  )l-Mi  ir';>!,   i  i. 


PARIS  : 

C!!EZ  5I.Î1.  mm  FRÈRES  LT  laPlîEY. 

LIBRAIRES  -ÉDITEi;ilS, 
ma  Cassette,  4. 


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SCIENCES  ECCLÉSIASTIQUES 


ÉTUDE  SUR  LA   VIE  DE  JÉSVS 


Pai>    M.    REIVAiV. 


Premier  article. 

§  I.  —  M.  Renan. 

Si  la  valeur  scientifique  d'un  livre  était  toujours  propor- 
tionnée au  bruit  que  l'on  en  fait  avant  et  après  son  apparition, 
celui  de  M.  Renan  devrait  être  rangé  en  première  Ji^ne  parmi 
les  ouvrages  de  notre  époque.  Mais  ce  qu'une  certaine  presse 
demande  à  un  auteur  pour  l'applaudir,  ce  n'e§t  ni  la  science, 
ni  le  respect  du  sujet  qu'il  traite,  ni  le  respect  de  ses  lecteurs  ; 
c'est  plutôt  le  contraire.  Cette  presse  applique  aux  livres  la 
règle  qu'elle  applique  au  théâtre.  Là  elle  prodigue  son  encens 
avec  enthousiasme  aux  pièces  les  plus  libres,  les  plus  désha- 
billées et  les  plus  basses,  dans  lesquelles  nul  sentiment  honnête 
n'est  respecté  ;  ici  elle  porte  sur  le  pavois  d'un  jour,  un  homme 
d'une  impiété  profonde  et  qui  a  limpudence  de  dévoiler  tout 
ce  qui  devrait  rester  enseveli  dans  les  bas-fonds,  même  <lu 
cœur  de  l'impie.  Car  le  livre  de  M.  Renan,  nul  comme  valeur 


6  ÉTDDE  SUR    LA   VIE   DE   JÉSUS  L'fome  VIII. 

scientifique,  nul  comme  érudition,  nul  comme  bon-sens,  n'a 
pas  d'autre  mérite  que  d'être  un  honteux  blasphème.  C'est 
comme  une  ronde  qu'il  exécute  devant  le  Sauveur  qu'il  atFuble 
de  la  couronne  et  de  la  pourpre  d'un  grand  homme,  —  grand 
homme  à  la  taille  de  M,  Renan,  —  avec  les  journaux  impies 
ou  juifs  pour  orchestre. 

Nous  nous  proposons  dans  cette  étude  d'examiner  la  Vie  de 
Jésus.  Nous  voulons  montrer  à  nos  lecteurs  ce  que  deviennent 
sous  la  plume  de  M.  Renan  l'histoire,  l'enseignement,  les  mi- 
racles, les  institutions,  la  divinité  et  l'humanité  sainte  du 
Christ-Jésus.  Nous  verrons  par  quels  étranges  travestissements 
il  faut  passer^pour  faire,  l'Evangile  à  la  main,  une  Vie  de  Jésus 
comme  celle  qui  vient  de  paraître.  Nous  apporterons  dans 
cette  étude  tout  le  calme  que  comporte  un  pareil  sujet,  et  si 
quelquefois  nous  pouvons  paraître  blessé,  c'est  qu'il  est 
impossible  de  ne  pas  éprouver  un  douloureux  saisissement  à 
la  vue  d'une  impiété  aussi  profonde  et  aussi  raflfinée. 

Mais,  avant  de  nous  engager  dans  cette  étude,  il  est  néces- 
saire de  considérer  d'abord  l'auteur  lui-même.  Étant  donnés 
son  talent,  ses  connaissances,  son  impiété,  ce  besoin  comme 
irrésistible  de  faire  partager  cette  même  impiété  par  d'autres, 
nous  croyons  qu'il  se  trouverait  peu  d'hommes,  peut-être  pas 
un  en  France,  capable  d'écrire  le  livre  qu'il  a  fait.  Il  y  a  là 
un  affaibhssement  de  la  raison  dont  la  culture  intellectuelle 
devrait  préserver,  mais  qu'elle  seule  aussi  a  su  engendrer. 

M.  Renan  appartient  par  sa  tournure  d'esprit  à  cette  école 
de  philosophie  allemande  qui  remonte  à  Kant  et  qui  a  engen- 
dré Hegel.  En  voulant  scruter  jusque  dans  ses  dernières  pro- 
fondeurs les  mystères  de  la  certitude  humaine,  Kant  a  été 
saisi  d'un  vertige  phénoménal.  Le  oui  et  le  non,  le  vrai  et  le 
faux,  l'être  et  le  néant  lui  apparaissaient  mêlés  et  confondus. 
Il  n'osa  plus  affirmer  ce  qu'il  voyait  être  le  vrai,  il  n'osa  plus 
nier  ce  qu'il  voyait  être  l'erreur,  et  cette  espèce  de  vertige  ou 
d'hallucination,  qui   aurait   dû  n'être   que   la  maladie  d'un 


Juin.  1863. J  PAU  M.   RENAN.  7 

homme  et  disparaître  avec  lui,  s'est  transmise  à  ses  disciples. 

Kant,  en  effet,  fit  école,  et  parmi  ses  disciples  il  y  en  eut  un 
plus  hardi,  plus  paradoxal,  plus  puissant  et  en  même  temps 
plus  fou  que  les  autres.  Il  essaya  de  poser  les  principes  d'une 
philosophie  nouvelle  qui  devait  être  le  contre-pied  de  la  logique 
ancienne,  et  au  vieil  axiome  des  écoles  et  du  bon  sens,  que  les 
quaUtés  contradictoires  ne  peuvent  coexister  dans  un  même 
sujet,  Hegel  opposa  le  principe  nouveau,  que  l'être  et  le  néant 
sont  identiques. 

Si  le  bon  sens  dominait  toujours  les  questions,  au  moins  les 
questions  capitales  qui  sont  le  fondement  même  de  la  vie  de 
l'humanité,  le  système  hégélien  eût  été  jugé  et  condamné  du 
jour  même  où  il  fut  formulé.  Les  seuls  honneurs  dont  il  était 
digne  étaient  ceux  de  Charenton  ou  de  Bicêtre.  Mais  il  est 
dans  la  vie  intellectuelle  des  peuples  non  moins  que  dans  leur 
vie  politique  certaines  heures  de  vertige,  où  les  idées  les  plus 
insensées  pénètrent  même  les  intelligences  les  plus  heureu- 
sement douées,  et  l'Allemagne,  la  grande  et  savante  Aile* 
magne ,  avec  ses  philosophes,  ses  érudits  et  ses  rêveurs  , 
subit  la  contagion  de  cette  maladie  sortie  d'un  cerveau  surex- 
cité ou  d'une  intelligence  dévoyée. 

C'est  à  cette  école  allemande  que  s'est  formé  M.  Renan. 
Son  étude  de  prédilection  semble  être  l'étude  des  langues,  la 
linguistique  comparée,  dont  l'Histoire  générale  des  langues  sé- 
mitiques nous  a  donné  un  premier  essai.  Or,  cette  étude  est 
spécialement  l'étude  des  Allemands.  Avec  cette  ténacité  et  cette 
ardeur  infatigable  que  rien  ne  rebute,  ils  scrutent  les  origines, 
poursuivent  partout  les  vieux  parchemins,  les  déroulent  avec 
un  soin  minutieux,  examinent  et  compulsent  tous  les  détails, 
suppléent  par  leurs  conjectures  aux  documents  qu'ils  ne  peu- 
vent découvrir,  et  s'acquièrent  ainsi  cette  renommée  de  science 
qui  a  permis  de  désigner  leur  patrie  tout  simplement  sous  ce 
nom  :  la  savante  Allemagne.  Mais,  en  étudiant  la  science  des 
Allemands,  M.  Renan  a  aussi  puisé,  à  grands  traits,  l'esprit 


8  ÉTUDE   SUR   LA   VIE    DE   JÉSUS  [Tomo  Vlil. 

allemand.  Il  est,  comme  un  Allemand  pur  sang,  la  fine  fleur 
des  disciples  de  Hegel,  l'homme  des  contradictions  par  excel- 
lence. Il  semblerait  que  ce  dût  être  là  sa  grande  faiblesse,  et 
c'est  au  contraire  sa  force. 

Le  caractère  général  de  ses  premiers  écrits  est  d'être  sans 
caractère,  ou  au  moins  de  dissimuler  leur  vrai  caractère  sous 
une  foule  de  réticences,  d'atténuations  et  de  contradictions. 
Comme  l'a  éloquemment  montré  Mgr  1  evêque  d'Orléans,  il 
apporte  -dans  toutes  les  questions  qu'il  traite  les  mêmes  incer- 
titudes, les  mêmes  doutes,  les  mêmes  contradictions.  Il  est 
difficile  de  formuler  ses  erreurs  d'une  manière  précise.  Il  en 
est  peu  qui  ne  soient  accompagnées  de  quelques  restrictions, 
d'atténuations,  et  au  moment  même  où  il  semble  les  atténuer, 
il  les  reproduit  sous  une  forme  plus  vive,  plus  incisive.  D'un 
autre  côté,  vous  ne  trouverez  jamais  chez  lui  une  vérité  formu- 
lée catégoriquement.  La  sagesse  pour  lui  consiste  à  croire  que 
nul  homme  n'a  si  complètement  tort  qu'il  n'ait  à  un  certain 
point  raison,  ni  si  complètement  raison  qu'il  n'ait  tort  d'une 
certaine  manière.  Lui  seul,  sans  doute,  échappe  à  cette  loi  dont 
il  semble  qu'il  ait  voulu  nous  donner  une  grande  démonstration 
dans  la  personne  du  Sauveur;  lui  seul,  car  il  ne  se  compromet 
ou  du  moins  feint  de  ne  vouloir  se  compromettre  avec  aucune 
affirmation.  Ainsi,  tout  en  répétant  les  arguments  les  plus  usés 
des  impies  du  dernier  siècle,  il  proteste  d'un  profond  respect 
pour  la  religion.  «  J'ai  cru  à  toutes  les  révélations  qui  sont  au 
fond  du  cœur  de  l'homme;  jamais  l'une  d'elles  ne  m'a  empê- 
ché d'écouter  l'autre.  J'ai  toujours  pensé  que  leurs  contradic- 
tions n'élaient  qu'apparentes,  et  que  le  parti  d'imposer  silence 
à  la  raison  critique  au  nom  des  instincts  moraux  et  religieux, 
n'avait  rien  de  respectueux  pour  la  divinité.  L'esprit  scien- 
tifique n'est  pas  pour  la  rehgion  ainsi  conçue,  un  ennemi  dont 
il  faille  se  défier.  Il  fait  partie  de  la  religion  elle-même,  et 
sans  lui  ou  ne  saurait  être  un  véritable  adorateur.  » 

Celte  profession  de  foi  nous  donne  une  idée  complète  de 


Juin.  1863.]  PAR   M.    RENAN.'  9 

liiommc,  de  ses  dûctriucs,  de  sa  mauière  et  de  sou  esprit. 
Que  d'habilelés  fuyantes  il  sait  /aire  tenir  ensemble  !  Comme 
la  révélation  surnaturelle  est  délicatement  niée  par  cet  homme 
qui  croit  à  toutes  les  révélations  du  cœur  de  l'homme  !  Avec 
quel  art  il  met  sur  une  même  ligne  la  révélation  chrétienne 
el  les  religions  fausses  de  tous  noms,  qui  sont  toutes,  la  pre- 
mière comme  les  autres,  sorties  d'une  même  source!  Il  ne  mé- 
prisera pas  le  christianisme,  mais  il  saura  payer  aux  religions 
fausses  un  large  tribut  d'hommages,  et  presque  à  chaque  page 
de  la  Vie  de  Jésus,  il  fera  au  Sauveur  l'honneur  de  lui  compa- 
rer Mahomet,  Luther,  sainte  Thérèse,  Çakya-Mouni  surtout,  et 
les  auteurs  de  la  révolution  française.  Tous  ces  hommes  étaient 
des  révélateurs  !I1  «  estime  servir  la  cause  delà  vraie  religion, 
et  même  la  cause  du  christianisme.  »  Mais  il  saura  concilier 
avec  son  christianisme  non-seulement  le  bouddhisme,  le  ma- 
hométisme  et  la  révolution  française,  mais  aussi  l'esprit  scien- 
tifique dont  «  le  principe  essentiel  est  de  faire  abstraction  du 
surnaturel.  »  Cette  abstraction,  lisez  négation  radicale,  fait 
partie  de  la  religion  elle-même,  et  comme  les  chrétiens  ne  la 
font  pas,  ils  ne  sauraient  être  de  vrais  adorateurs. 

Si  la  raison  n'existe  pas  pour  M.  Renan,  si  toutes  les  con- 
tradictions ne  sont  qu'apparentes,  ou  pourrait  lui  demander 
comment  il  connaît  ce  Dieu  dont  il  est,  lui,  un  si  grand  adora- 
teur. Est-ce  que  les  contradictions  qui  ne  sont  qu'apparentes 
pour  M.Renan  le  seront  aussi  pour  son  Dieu?  Ou  bien  son  Dieu 
renfermera-t-il  la  collection  de  toutes  les  contradictions? 
Monseigneur  Dupanloup  s'est  donné  la  peine  de  chercher  la 
réponse  à  cette  question  dans  les  anciens  écrits  du  nouvel 
évangéliste,  el  il  a  pu  la  formuler  ainsi  :  «  Ce  qu'il  y  a  de 
très-clair  chez  lui,  c'est  là  négation  d'un  Dieu  distinct  du 
monde,  c'est-à-dire  du  Dieu  créateur,  du  Dieu  personnel,  du 
Dieu  providence,  d,u  Dieu  vivant  et  véritable  ;  et  le  panthéisme, 
sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  est  au  fond  de  toutes  ses 
théories.  Cet  esprit  dévoyé  ne  fait  qu'osciller  d'une  formule 


10  ÉTUDE   SUR  L\  VIE  DE  JÉSUS'  [Tome  VIII. 

panthéistiqiie  à  une  formule  panlliéistique  :  tantôt  n'admet- 
tant qu'un  Dieu  abstrait,  idéal,  produit  de  la  pensée  humaine, 
inconscient,  n'ayant  conscience  de  lui-même  que  dans  et  par 
l'humanité,  ;  tantôt  rêvant  un  Dieu  qui  se  développe  dans  la 
nature  et  dans  l'humanité,  comme  le  fond,  la  substance  de 
toute  existence  ;  à  la  fois  idéal  et  réel  seulement,  mais  réel 
en  tant  que  fini  ;  absolument  vague  et  indéterminé  :  ni  per- 
sonnel, ni  impersonnel,  ni  inconscient,  ni  conscient^  mais 
toujours  inséparablement  engagé  dans  les  choses,  dans  la 
nature  et  l'humanité,  de  telle  sorte  que  la  nature  et  l'huma- 
nité n'étant  pas,  ce  Dieu  ne  serait  pas.  »  {Avertissement  à  la 
jeunesse,  p.  44.)  Il  nou*  semble  que  la  dernière  formule  du  pan- 
théisme de  M.  Renan  est  celle  d'un  Dieu  purement  idéal 
que  nous  réalisons  en  nous-mêmes  à  mesure  que  nous  per- 
cevons plus  clairement  ce  qu'il  nomme  simplement  Vidéal. 
«  Jésus-Christ  a  entrevu  l'idéal  un  moment,  c'est  pour  cela 
qu'il  a  été  fils  de  Dieu.  »  M.  Renan,  qui  voit  cet  idéal  plus 
clairement  et  d'une  manière  plus  suivie,  est  sans  doute  plus 
Dieu  que  Jésus.  Il  reproche  même  volontiers  au  Sauveur  de 
pousser  le  panthéisme  trop  loin.  «  L'idéalisme  transcendant 
de  Jésus  ne  lui  permit  jamais  d'avoir  une  notion  bien  claire 
de  sa  propre  personnah té.  »  (p.  244'.)  Et  la  chose  lui  parait  si 
grave,  qu'il  répète  ce  même  reproche,  p.  305  :  «  Jésus,  nous 
l'avons  déjà  dit,  n'eut  jamais  une  notion  bien  arrêtée  sur  ce  qui 
fait  l'individualité.  » 

Ces  considérations  nous  permettent  de  comprendre  comment 
la  Vie  de  Jésus,  telle  que  M.  Renan  nous  la  donne,  est  devenue 
possible.  Avec  une  raison  qui  non-seulement  ne  distingue 
pas  le  vrai  du  faux,  mais  qui  proclame  que  leurs  contradictions 
ne  sont  qu'apparentes  ;  avec  une'doctrine  sur  Dieu  qui  con- 
fond Dieu  avec  les  aspirations  de  notre  intell'gence  et  de 
notre  cœur,  avec  l'idéal,  on  s'explique  comment  il  a  eu  le  cou- 
rage de  ne  pas  briser  sa  plume,  toutes  les  fois  qu'elle  lui  retra- 
çait le  nom  de  Jésus. 

Commençons  maintenant  l'examen  de  ce  Uvre. 


Juin.  1863.1  PAR   M.    RENAN.  H 

§.  II,  M.  Renan  et  l'Histoire  évangélique. 

(1  suffit  de  lire  au  hasard  une  des  430  pages  qui  forment  la 
Vie  de  Jésus,  pour  se  convaincre  que  cette  Vie  n'est  pas  une 
histoire,  mais  un  roman.  Nous  devons  cette  justice  à  M,  Renan, 
qu'il  avoue  lui-même  ses  prétentions  et  son  but.  L'ingé- 
nuité de  ses  aveux  sera  peut-être  un  faible  antidote  pour 
tout  le  venin  qui  s'y  trouve  contenu.  «  Quand  je  conçus 
pour  la  première  fois,  dit-il  (p.  liv),  une  histoire  des  origines 
du  christianisme,  ce  que  je  voulais  faire,  c'était  bien,  en  efifet, 
une  histoire  de  doctrines,  où  les  hommes  n'auraient  eu  presque 
aucune  part.  Jésus  eût  à  peine  été  nommé  ;  on  se  fût  surtout 
attaché  à  montrer  comment  les  idées  qui  se  sout  produites 
sous  son  nom  germèrent  et  couvrirent  le  monde.  Mais  j'ai 
compris  depuis  que  l'histoire  n'est  pas  un  simple  jeu  d'abstrac- 
tions et  que  les  hommes  y  sont  plus  que  les  doctrines.  »  11  a 
trouvé  la  personnalité  de  Jésus  trop  fortement  empreinte  dans 
l'histoire,  son  action  trop  puissante,  sa  doctrine  trop  nouvelle, 
et  surtout  l'autorité  des  Évangiles  trop  irréfragable  pour  pas- 
ser outre,  et  se  mettre  avec  la  docilité  d'un  disciple  à  l'école 
de  Strauss. 

Il  a  donc  voulu  compter  avec  les  Évangiles.  D'après  toutes 
les  règles  delà  critique,  l'authenticité  des  Évangiles  canoniques 
est  incontestable  à  ses  yeux.  Saint  Luc  d'abord  lui  paraît  avoir 
été  à  la  fois  le  compagnon  de  saint  Paul  et  l'évangéliste  du 
même  nom.  Seulement  il  n'aurait  écrit  qu'après  le  siège  de 
Jérusalem,  dont  la  prédiction  trop  précise  blesse  les  oreilles 
délicates  de  M.  Renan. —  Les  Évangiles  selon  saint  Matthieu  et 
saint  Marc  sont  antérieurs  à  celui  de  saint  Luc,  qu'ils  aient 
été  écrits  soit  par  les  auteurs  mêmes  dont  ils  portent  les 
noms,  soit  par  d'autres  disciples  des  apôtres.  —  L'Evangile 
de  saint  Jean  lui  paraît  bien  être  de  cet  apôtre,  tant  parce  qu'on 
ne  pourrait  expliquer  autrement  cette  grande  école  d'Éphèse 


^2  ÉTUDE  SUR  LA  VIE  DE  JÉSUS  [Tome  VIll. 

d'où  sortirent  Polycarpe,Irénée,  Papias,  que  parce  que  «l'auteur 
se  met  constaoïment  en  scène  comme  témoin  oculaire,  et  veut 
se  faire  passer  pour  l'apôtre  saint  Jean.»  La  personnalité  de  ce 
grand  disciple  de  Jésus  lui  paraît  si  fortement  empreinte  dans 
cet  Kvangile,  qu'il  éprouve  le  besoin  d'atténuer  aussitôt  son 
autorité  par  des  insinuations  perfides.  «On  est  tenté  de  croire, 
dit-il,  que  Jean,  dans  sa  vieillesse,  ayant  lu  les  récits  évan- 
géliques,  fut  froissé  de  voir  qu'on  ne  lui  accordât  pas  dans 
l'histoire  du  Christ  une  assez  grande  place;  qu'alors  il  com- 
mença à  dicter  une  foule  de  choses  qu'il  savait  mieux  que  les 
autres,  avec  l'intention  de  montrer  que,  dans  beaucoup  de  cas 
où  on  ne  parlait  que  de  Pierre,  il  avait  figuré  avec  et  avant 
lui  »  (p.  XXVII  et  xxviii). 

Mais  si,  d'un  côté,  M.  Renan  veut  compter  avec  les  Évangiles, 
d'un  autre  côté,  il  prétend  nous  donner  une  «  histoire  dressée 
selon  des  principes  rationnels  (  p.  xv  ).  »  Or,  il  trouve  si  peu 
«  d'esprit  scientifique  »  dans  les  Évangélistes,  qu'il  va  jusqu'à 
le  refuser  entièrement  à  Jésus  lui-même,  «  à  qui  pourtant  il 
ne  manquait  pas  autre  chose  pour  faire  de  sa  religion  le  pur 
royaume  de  Dieu  »  (  La  Chaire  d'hébreu  ,  p.  30  ).  «  Jésus 
croyait  au  surnaturel  »  ;  ses  paroles  et  ses  actes  portaient  une 
empreinte  divine  du  surnaturel.  Les  Évangélistes  sont  pleins 
de  la  même  foi,  et,  à  chacune  de  leurs  pages,  le  surnaturel 
ressort.  Comment  donc  M.  Renan  résoudra-t-il  le  problème 
de  faire,  le  texte  des  Évangiles  à  la  main,  une  Vie  de  Jésus  d'où 
le  surnaturel  disparaisse  ? 

Comment  faire  pour  écrire  une  Vie  de  Jésus  qui  soit  accep- 
table à  tous  ces  réformateurs  modernes  qui  se  réclament  du 
nom  de  Jésus-Christ  pour  couvrir  leurs  folies,  leurs  mensonges 
et  leurs  passions? Le  problème  était  jusqu'à  ce  jour  réputé  in- 
soluble. Les  uns  se  sont  contentés  de  détacher  furtivement  de 
l'Évangile  l'une  ou  l'autre  parole  qu'ils  ont  cru  pouvoir  natu- 
raliser en  la  faisant  passer  par  le  creuset  de  leur  cerveau  ; 
d'autres,  à  la  suite  de  Strauss,  ont  voulu  reléguer  Jésus-Christ 


Juin.  IS'-S.J  PAR   M.    RENA^.  13 

dans  la  mythologie;  d'autres,  pour  séparer  leur  Christ  de  l'É- 
vaugile,  ont  voulu  contester  l'âge  des  Évangiles,  et  ces  derniers, 
selon  nous,  étaient  les  plus  habiles;  car  la  tâche  de  faire  sortir 
de  l'Évangile,  soit  le  Christ  des  loges,  soit  le  Christ  révolution- 
naire, soit  le  Christ  humanitaire,  est  bien  ingrate.  M.  Renan 
s'est  au  moins  cru  un  géant  en  afifrontaut  le  premier  la  diffi- 
culté, mais  il  en  sera  quitte  pour  sa  bonne  volonté. 

Il  commence  par  faire  un  triage  des  quatre  évangélistes  : 
«  Matthieu,  dit-il,  mérite  évidemment  une  confiance  hors  ligne 
pour  les  discours;  là  sont  les  logia,  les  notes  mêmes  prises  sur 
le  souvenir  vif  et  net  de  l'enseignement  de  Jésus....  Mais 
les  parties  narratives  groupées  dans  le  premier  évangile  autour 
de  ce  noyau  primitif  n'ont  pas  la  même  autorité.  Il  s'y  trouve 
beaucoup  de  légendes  d'un  contour  assez  mou  »  (P.  xxxvii  et 
xxxviii).  Cette  distinction  lui  paraît  tellement  importante,  que 
c'est  à  peu  près  exclusivement  dans  les  discours  rapportés 
par  saint  Matthieu,  qu'il  cherche  son  Jésus  à  lui.  c<  L'Évangile 
de  Marc  est  moins  chargé  de  fables  tardivement  inspirées.  » 
Rappelons  ici  que,  par  fables  évangéhques,  M.  Renan  entend 
tout  ce  qui  dépasse  la  hmite  de  son  esprit,  de  sa  manière  et 
de  son  goût.  Grâce  à  cette  prétendue  pauvreté  de  récits  mira- 
culeux, qui  pourtant  n'abondent  nulle  part  plus  que  chez  saint 
Marc,  a  rien  ne  s'oppose  pour  M.  Renan,  à  ce  que  le  témoin 
oculaire  de  qui  saint  Marc  tenait  les  observations  minutieuses 
dont  il  a  rempli  son  évangile  ne  soit  l'apôtre  Pierre  lui-même,  d 
Saint  Luc  lui  paraît  éminemment  légendaire,  et  il  n'est  pas 
loin  de  vouloir  le  reléguer  parmi  les  apocryphes .  Il  nous  dé- 
clare «  qu'une  grande  réserve  est  naturellement  commandée 
en  présence  d'un  document  de  cette  nature;  »  et  il  promet  de 
ne  l'employer  qu'avec  discernement,  mais  sans  nous  préciser 
dans  quelle  mesure,  comme  il  l'a  fait  pour  saint  Matthieu  et 
comme  il  va  le  faire  pour  saint  Jean. 

Il  divise  ce  dernier  évangile  comme  il  a  divisé  celui  de  saint 
Matthieu,  mais  ici  il  accepte  le  récit  comme  celui  d'un  témoin 


14  ÉTUDE   «UR   LA   VIE   DE   JÉSUS  TomeVIU. 

oculaire  en  excluant  formellement  les  discours.  Saint  Jean  est 
l'évangéliste  du  Verbe.  Dans  le  symbolisme  chrétien,  il  est  fi- 
guré par  l'aigle,  dont  l'œil  vigoureux  n'est  pas  même  fatigué 
par  la  splendeur  du  soleil.  Il  a  vengé  la  divinité  de  celui  dont 
il  fut  l'ami  privilégié,  quand  il  la  vit  attaquée   par   quelques 
rêveurs,  quelques  Renan  du  premier  siècle.  Mais  cette  affir- 
mation de  la  divinité  en  toute  circonstance,  et  par  le  disciple, 
et  par  le  maître,  est  ce  qui  Liesse  spécialement  M.  Renan. 
«  Jean  met  dans  la  bouche  de  Jésus  des  discours,  dont  le  ton, 
le  style,  les  allures,  les  doctrines  n'ont  rien  de  commun  avec 
les    logia  rapportés  par  les  synoptiques  (les  trois  premiers 
évangélistes).  La  difl'érence  est  telle  qu'il  faut  faire  son  choix 
d'une  manière  tranchée.  Si  Jésus  parlait  comme  le  veut  Mat- 
thieu, il  n'a  pu  parler  comme  le  veut  Jean  »    (p.  xxis).  M. 
Renan  donne  ainsi  carrière  à  son  éloquence  pendant  plusieurs 
pages,  trouve  «  ces  discours  raides  et  gauches,  avec  un  ton  si 
inégal  et  si  faux  qu'ils  ne  seraient  pas  soufferts  par  un  homme 
de  goût  à  côté  des  délicieuses  sentences  des  synoptiques.  »  II 
voue  même  à  saint  Jean  comme  une  haine  spéciale,  et  il  lui 
trouve  des  «  taches  où  l'on  aime  à  voir  les  interpolations  d'un 
sectaire.  »  Eu  le  lisant  il  «  sent  des  indices  qui  mettent  en 
garde  contre  la  bonne  foi  du  narrateur  »  (p.  xxiv).  Quand  il 
cite  ces  touchants  détails  que  nous  donne  saint  Jean  sur  sou 
iutimité  avec  le  divin  Sauveur,  il  ne  le  fait  pas  sans  soulever 
quelques  doutes.  A  la  dernière  Cène,  «  Jean  {c'est  lui  du  moins 
qui  l'assure)  était  couché  sur  le  divan,  à  côté  de  Jésus,  et  sa 
tête  reposait  sur  la  poitrine  du  Maître  »  (p.  384).  Parlant  des 
derniers  moments  du  Sauveur,  il  dit  :  «  Jean,  gui  pi^étend  l'a- 
voir vu.  »  Ailleurs  il  l'accuse  de  calomnier  Judas,  car  Judas 
est  un  protégé  de  M.  Renan:  «  Jean  voudrait  en  faire  un  vo- 
leur, un  incrédule  depuis  le  commencement,  ce  qui  ^'a  au- 
cune vraisemblance...  La  haine  particulière  que  Jean  témoi- 
gne contre  Judas,  confirme  cette  hypothèse.  » 

Voilà  la  manière  dont  JM.  Renan  fait  un  choix  dans  les  évan- 


Juill.  1863.]  PAR  M.  RENAN.  1b 

gélistes.  Of;,  suivre  de  telles  doctrines  en  matière  do 
critique  historique,  c'est  renoncer  à  tout  jamais  au  titre  d'his- 
torien. Eh  quoi!  voilà  dix-huit  ceuts  ans  que  les  Évangiles 
sont  en  possession  de  la  foi  des  chrétiens,  que  les  fidèles  y 
trouvent  l'aliment  de  leur  foi,  de  leur  espérance,  de  leur 
amour,  et  les  impies  la  matière  de  leurs  doutes  et  de  leurs 
blasphèmes.  Voilà  dix-huit  cents  ans  que  ces  écrits  sont  ré- 
vérés comme  des  inspirations  de  l'Esprit-Saint,  que  les  génies 
les  plus  puissants  les  ont  lus  et  médités  avec  un  bonheur,  un 
tressaillement  intérieur  de  joie  et  d'amour  qu'aucune  autre 
lecture  n'a  jamais  su  produire,  que  les  hommes  les  plus 
simples  y  ont  trouvé,  non  moins  que  les  autres,  la  paix,  la 
suavité  et  la  joie.  Voilà  dix-huit  cents  ans  que  les  récits 
évangéliques  convertissent  les  âmes,  amènent  les  incrédules  à 
la  foi  et  subjuguent  ceux-là  mêmes  qui  veulent  se  soustraire  à 
leur  divine  influence.  Et  aujourd'hui  M.  Renan  vient  nous 
déclarer  qu'il  les  répudie  Tun  a  pour  des  parties  narratives  à 
contour  assez  mou  ;  »  l'autre,  a  pour  des  discours  raides  et 
gauches.  »  On  a  peine  à  contenir  ici  son  indignation.  Ces  dis- 
cours qne  M.  Renan  ne  trouve  pas  assez  académiques,  c'est 
le  discours  de  la  Cène  que  nous  mettons  n'importe  qui  au  défi 
de  lire  sans  le  plus  vif  attendrissement,  et  qui  a  fait  verser  à 
lui  seul  plus  de  larmes  que  tous  les  Renan  du  monde  ne  pour- 
raient jamais  inventer  de  blasphèmes;  c'est  cette  admirable 
€t  divine  prière  du  chap.  XVII,  où  Notre-Seigneur  exprime, 
au  moment  de  la  dernière  séparation,  ses  sentiments  pour  son 
Père  et  ses  sentiments  pour  nous.  Ces  récits  «  à  contour 
assez  mou,  »  ce  sont  les  récits  de  tous  les  miracles  de  Jésus- 
Christ:  de  ces  miracles  qui,  tout  en  manifestant  la  puissance 
divine,  étaient  autant  de  bienfaits  et  plus  encore  l'expression 
de  l'amour  de  Jésus  que  la  manifestation  de  sa  divinité  ! 

Y  a-t-il  rien  dans  ce  que  dit  M.  Renan,  qui  puisse  ébranler 
ou  diminuer  la  foi  aux  Évangiles  ?  Il  refuse  d'y  croire  parce 
qu'il  y  trouve  le  surnaturel,  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Mais 


16  ETUDE   EUR  LA   VIE   DE  JÉSUS  [TonidVIll. 

cette  divinité  y  est  encore  plus  prouvée  qu'affirmée  par  des 
œuvres  que  Dieu  seul  peut  faire.  C'est  parce  que  ces  œuvres 
ont  été  faites  par  Jésus-Christ,  que  le  monde  a  cru  à  Jésus- 
Christ  comme  envoyé  de  Dieu,  du  Dieu  personnel,  vivant, 
qui  n'est  pas  le  Dieu  de  M.  Renan, mais  le  Dieu  des  chrétiens; 
et  c'est  parce  que  Jésus-Christ,  en  confirmant  sa  mission  par 
des  miracles,  s'est  dit  Fils  unique  de  Dieu,  sorti  du  sein  de 
son  Père,  pour  nous  révéler  sa  vérité  et  son  amour,  que  les 
hommes  ont  cru  à  Jésua-Christ  comme  Fils  de  Dieu,  qu'ils 
ont  cru  à  la  vérité  et  à  l'amour  divin  qu'il  nous  a  fait  con- 
naître. 

L'unique  question  est  donc  celle  de  l'autorité  historique  des 
Évangiles.  Or,  tous  les  témoignages  sont  ici  réunis,  les  témoi- 
gnages des  premiers  disciples,  les  témoignages  de  ceux  qui 
se  sont  convertis  à  leur  voix,  les  témoignages  des  ennemis  eux- 
mêmes;  et  tous  ces  témoignages  sont  portés  à  leur  plus  haute 
puissance.  Le  plus  haut  témoignage  est  celui  de  témoins  qui 
versent  leur  sang.  Il  y  en  a  ici  un  plus  haut  s'il  est  possible  : 
tous  ces  témoins  non-seulement  versent  leur  sang;  mais,  pré- 
voyant bien  qu'ils  auront  un  jour  à  le  verser,  ils  vont  au- 
devant  de  leur  martyre  avec  calme,  amour,  à  travers  des 
dangers,  des  privations,  des  persécutions  de  toute  nature.  Nul 
n'a  été  plus  qu'eux  à  même  de  savoir  ce  que  Jésus-Christ  a  dit 
et  fait;  et  quand  ils  nous  le  redisent  dans  leurs  divins  écrits, 
ils  confirment  leur  témoignage  de  toute  une  vie  d'apostolat 
terminée  par  le  martyre.  Les  nombreux  néophytes  que  leurs 
prédications  gagnèrent  à  la  religion  étaient  parfaitement  à 
même  de  contrôler  la  vérité  des  faits.  Chaque  conversion  était 
un  nouveau  témoignage  qui  a  d'autant  plus  de  valeur  qu'il 
était  plus  dangereux  d'être  chrétien.  En  outre  ces  innombra- 
bles ennemis  qui  entouraient  déjà  le  christianisme  naissant 
étaient  vivement  intéressés  à  convaincre  les  apôtres  d'impos- 
ture. Leur  silence  est  un  témoignage  de  la  plus  haute  impor- 
tance. Non,  en  présence  de  cette  prédication,  de  ces  couver- 


Juin.  1853.]  PAR   M.    RENAN.  17 

sions  et  de  ce  silence,  ce  n'est  pas  ]a  délicatesse  du  sentiment 
de  M.  Renan  qui  nous  empêchera  d'ajouter  foi  aux  Évangiles, 
pas  plus  que  l'impression  pénible  que  la  musique  semble  pro- 
duire sur  certains  êtres  ne  nous  empêchera  d'admirer  une 
belle  symphonie. 

Une  deuxième  raison  qu''il  avance  pour  autoriser  le  choix 
qu'il  fait,  ce  sont  les  contradictions  des  évangélistes,  auxquels 
il  prête  sa  propre  doctrine  des  nuances  :  «  Uniquement  at- 
tentifs à  mettre  en  saillie  l'excellence  du  Maîtresses  miracles, 
son  enseignement,  les  évangélistes  montrent  une  entière  in- 
différence pour  tout  ce  qui  n'est  pas  l'esprit  même  de  Jésus. 
Les  coutradirtions  sur  les  temps  ,  les  lieux ,  les  personnes 
étaient  regardées  comme  insignifiantes  »  (p.  xlv).  Nous  re- 
connaissons volontiers  que  les  évangélistes  ne  se  préoccupaient 
pas  de  l'idée  des  contradictions.  Quand  je  raconte  une  histoire 
dont  j'ai  été  témoin  oculaire,  je  n'ai  qu'âme  préoccuper  des 
choses  que  j'ai  vues,  des  paroles  que  j'ai  entendues,  et  nulle- 
ment de  la  manière  dont  un  autre  racontera  les  mêmes  faits. 
Il  en  sera  de  même  d'un  second  témoin  oculaire.  Sou  récit 
différera  du  mien,  nous  n'aurons  pas  insisté  également  sur  les 
mêmes  circonstances;  mais  ou  ne  pourra  pas  trouver  de  con- 
tradiction entre  les  deux  récits.  Il  en  est  arrivé  de  même  pour 
les  évangélistes,  et  les  quelques  contradictions  apparentes 
qui  s'y  rencontrent  ont  été  l'objet  de  solutions  satisfaisantes 
que  l'on  peut  lire  dans  les  commentateurs  du  texte  sacré. 

Une  troisième  raison  de  choisir  parmi  les  récits  évangéliques, 
c'est  que«  plusieurs  récits,  surtout  de  saint  Luc,  sont  inventés 
pour  faire  ressortir  vivement  certains  traits  de  la  physionomie 
dé  Jésus.  ))  Le  compliment  est  assurément  peu  flatteur  pour 
les  évangélistes,  peu  flatteur  aussi  pour  tous  ceux  qui  ont  en- 
touré Notre-Seigneur  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie  publique. 
Les  apôtres  sacrifiaient  leur  repos  de.  tous  les  jours,  ofîraient 
leurs  fatigues,  leurs  voyages,  leur  vie  et  leur  mort  pour  gagner 
les  hommes  à  Jésus,  leur  maître,  et  ils  auraient  laissé  s'accré- 


*I8  ÉTUDE  SUR  LÀ  VIE  DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

<iiter  des  récits  mensongers  sur  son  compte  !  Non-seulement 
ils  ne  se  permettaient  point  d'altérations,  mais  ils  aimaient 
mieux  endurer  la  mort  que  de  garder  le  silence ,  et  vous 
mettez  à  leur  charge  des  évangiles  faux,  inventés  dans  un 
but  quelconque  !  —  «  Jésus  serait  un  phénomène  unique  dans 
riiistoire  si,  avec  le  rôle  qu'il  joua,  il  n'avait  été  bien  vite 
transfiguré  !  »  Sans  cesser  d'être  un  phénomène  unique  dans 
l'histoire,  Jésus-Christ  a  vu  dénaturer  son  caractère.  C'est 
pourquoi  parmi  les  divers  récits  qui  surgirent,  l'Église  choisit, 
les  apôtres  choisirent,  et  ceux  qui  renfermaient  des  «  récits  in- 
ventés, des  anecdotes  conçues,»  étaient  rejetés,  privés  de  toute 
autorité,  et  reçurent  le  nom  diapoci^yphes. 

Mais  accordons,  pour  un  instant,  à  M.  llenan  l'usage  des  ci- 
seaux pour  le  texte  évangélique.  Permettons-lui  de  couper  ici 
les  paroles,  là  les  actions.  De  deux  choses  l'une, ou  bien  il  dé- 
truira le  tout,  ou  bien  la  page  qu'il  laissera  subsister,  quand 
il  n'y  en  aurait  qu'une  seule,  suffira  pour  le  convaincre  et  de 
mensonge  et  de  blasphème.  Il  n'y  en  a  pas  une  où  Jésus- 
Christ  ne  se  montre  également  divin,  Fils  de  Dieu  et  Dieu 
lui-même.  Il  n'y  a  pas  une  ligne,  pas  un  mot,  pas  une  syllabe 
de  l'Évangile  qui  sente  de  loin  M.  Renan! 

«  Il  ose  défier  qui  que  ce  soit  de  composer  une  Vie  de  Jésus 
qui  ait  un  sens  en  tenant  compte  des  discours  que  Jean  prête 
à  Jésus  »  (p.  xxxiii).  Nous  ne  savons  ce  qu'il  veut  dire;  car 
nous  n'avons  jamais  entendu  parler  d'une  Vie  de  Jésus  où  l'on 
n'aurait  pas  tenu  compte  de  ces  discours,  et,  néanmoins,  nous 
croyons  que  les  Vies  de  Jésus  écrites  jusqu'à  ce  jour  ont  toutes 
un  sens.  II  est  vrai  qu'elles  n'ont  pas  le  sens  de  celle  de  M.  Re- 
nan. Elles  ont  le  sens  de  l'Évangile;  elles  ont  uniquement 
pour  but  de  mettre  en  relief  les  actions  et  les  paroles  du  Sau- 
veur, tandis  que  la  sienne  ne  tend  qu'à  dépouiller  le  Sauveur 
de  ses  actions  et  de  ses  paroles  pour  lui  prêter  un  «  esprit  » 
qui  n'est  ni  l'esprit  de  Dieu,  ni  l'esprit  de  Jésus. 

Il  comprend  lui-même  que  les  règles  qu'il  a  exposées  pour 


Juill.  1863.1  PAR    M.   RENAN.  19 

choisir  dans  les  récits  évangéliqnes  ce  qui  sera  à  son  usage, 
n'ont  aucune  valeur.  Les  laissant  donc  pour  ce  qu'elles  valent, 
il  nous  dit  le  fin  mot  de  sa  méthode  historique.  11  a  le  flair  des 
«  vraies  paroles  de  Jésus,  qui  se  décèlent  pour  ainsi  dire  d'elles- 
mêmes;  dès  qu'il  les  touche  dans  ce  chaos  de  traditions  d'au- 
thenticité inégale^,  il  les  sent  vibrer  »  (p.  xxxviii).  Mais  aussitôt 
il  avoue  que  cette  sensation  est  très-rare  chez  lui,  qu'il  ne  l'a 
peut-être  jamais  éprouvée,  a  On  peut  dire  que  parmi  les  anec- 
dotes, les  discours,  les  mots  célèbres  rapportés  par  les  histo- 
riens, il  n'y  en  a  pas  un  de  rigoureusement  authentique  » 
(p.  XLVii).  D'où  il  conclut  «  qu'avec  de  tels  documents,  pour 
ne  donner  que  l'incontestable,  il  faudrait  se  borner  aux  lignes 
générales.  »  Mais  ici  encore  il  se  trouve  mal  à  l'aise;  car  la 
ligne  générale  de  l'Évangile  n'est  autre  que  l'histoire  de  Dieu 
manifesté  dans  la  chair  par  amour  pour  les  hommes  ;  et,  comme 
il  faut  échapper  à  cette  conclusion,  il  ajoute  :  «  Dans  un  tel 
effort  pour  faire  revivre  les  hautes  âmes  du  passé,  une  part  de 
divination  et  de  conjecture  doit  être  permise...  La  raison  d'art 
en  pareil  sujet  est  un  bon  guide...  Dans  les  histoires  du  genre 
de  celle-ci,  le  grand  signe  qu'on  tient  le  vrai  est  (non  d'être 
resté  iidèle  à  l'histoire,  mais)  d'avoir  réussi  à  combiner  les 
textes  d'une  façon  qui  constitue  un  récit  logique,  vraisem- 
blable, où  rien  ne  détonne.»  C'est  la  tâche  qu'il  s'est  imposée 
en  écrivant  son  cinquième  évangile,  secundum  Renanum,  en 
vingt-huit  chapitres,  tout  comme  Vèya.\\^\\e  secundum  Mat- 
thxum;  mais  n'étant  pas  sûr  d'avoir  réussi,  —  et  sous  ce  rap- 
port seulement  nous  sommes  pleinement  de  son  avis,  —  il  de- 
mande en  grâce  que  sa  tentative  «  ne  soit  pas  taxée  de  subtilité 
gratuite.  Il  n'y  a  pas  grand  abus  d'hypothèse  à  supposer  » 
qu'un  fondateur  religieux  suive  la  marche  que  lui,  Renan,  a 
imaginée.  L'imposteur  Mahomet  l'a  suivie;  pourquoi  l'éter- 
nelle Vérité  n'en  aurait-elle  pas  fait  autant? 

Nous  sommes  donc  avertis,  le  livre  que  nous  donne  notre 
auteur  n'a  pas  d'autre  prétention  que  d'être  une  œuvre  d'art, 


20  ÉTDDE  SCR  LA  VIE  DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

de  son  invention,  et  dans  laquelle  rien  ne  détonne.  Il  n'a  au- 
cune espèce  de  prétention  scientifique;  il  ne  nous  apporte 
aucun  document  nouveau,  et  ne  se  conforme  à  aucun  des 
principes  anciens  en  matière  d'histoire.  Peu  s'en  faut  que  les 
évangiles  ne  lui  présentent  «  qu'un  être  abstrait,  un  monde 
sans  réalité.  »  Ses  idées  n'ont  été  modifiées  qu'à  la  suite  de  la 
mission  scientifique  qu'il  reçut  du  gouvernement  français  pour 
la  Palestine,  et  qui  lui  permit  de  parcourir  tous  les  lieux  que 
Jésus  a  visités.  «  Toute  cette  histoire,  dit-il,  qui,  à  distance, 
semble  flotter  dans  les  nuages  d'un  monde  sans  réalité  prit  ainsi 
un  corps,  une  solidité  qui  m'étonnèrent.  L'accord  frappant  des 
textes  et  des  lieux,  la  merveilleuse  harmonie  de  Fidéal  évan- 
gélique  avec  le  paysage  qui  lui  servit  de  cadre  furent  pour  moi 
une  révélation.  J'eus  devant  les  yeux  un  cinquième  évangile, 
lacéré,  mais  lisible  encore, et  désormais  à  travers  les  récits  de 
Matthieu  et  de  Marc,  au  lieu  d'un  être  abstrait,  qu'on  dirait 
n'avoir  jamais  existé,  je  vis  une  admirable  figure  humaine 
vivre,  se  mouvoir.  »  Cet  accord  parfait  des  lieux  et  des  des- 
criptions aurait  été  pour  tout  autre  un  motif  déterminant  de 
foi.  Si  les  ruines  et  les  paysages  qui  nous  restent  confirment 
si  pleinement  le  texte  des  évangélistes,  n'y  a-t-il  pas  lieu  de 
considérer  ceux-ci  comme  des  témoins  irréprochables?  Ce  serait 
l'avis  de  tout  autre  peut-être;  pour  lui,  au  contraire,  il  est 
convaincu  que  Matthieu  et  Marc  en  ont  menti,  et  il  va  les  re- 
dresser, eux  qui  se  trouvaient  sur  les  lieux,  qui  ont  vu  Jésus 
agir,  qui  ont  entendu  Jésus  parler.  Menti  ta  est  iniquitas  sibi. 

§  m,  —  M.  Renan  et  le  Miracle. 

Quelles  sont  au  juste  les  idées  de  M.  Renan  sur  le  miracle  ? 
Croit-il  à  la  possibilité  du  miracle?  Croit-il  la  vérité  historique 
des  miracles  de  Jésus-Christ  ?  Croit-il  que  le  miracle,  quand 
il  se  produit,  est  une  manifestation  exceptionnelle  de  la  puis- 


Juin.  1863]  PAR  M.  RENAN.  21 

sauce  divine  ?  Nous  avouons  qu'après  une  lecture  très-atten- 
tive de  son  ouvrage  nous  n'en  savons  rien,  ou  qu'au  moins 
nous  serions  bien  en\barrassé  de  formuler  sa  doctrine. 

Lorsque,  l'an  dernier,  il  publia  La  Chaire  d'hébreu  au 
Collège  de  France,  il  essaya  de  prouver  à  ses  «  savants  col- 
lègues » ,  que  le  miracle  est  impossible  en  droit  et  qu'il 
n'existe  pas  de  fait.  «  Chacune  de  vos  leçons,  leur  disait-il, 
suppose  le  monde  invariable.  Tout  calcul  est  ime  imperti- 
nence, s'il  y  a  une  force  changeante  qui  peut  modifier  à  son 
gré  les  lois  de  l'univers.  «Développant  cette  pensée,  il  essayait 
de  montrer  qu'admettre  le  surnaturel,  c'était  nier  la  météoro- 
logie, la  physiologie,  la  géologie,  l'histoire,  la  physique.  Par 
ce  procédé  il  pensait  sans  doute  inspirer  une  crainte  salutaire 
à  ceux  de  ses  savants  collègues  qui  auraient  été  tentés  de  ne 
pas  penser  comme  lui,  mais  nous  doutons  que  sa  menace  ait  eu 
grande  portée.  En  efiFet,  ce  raisonnement  est  en  dehors  de  la 
question.  Admettre  le  miracle,  c'est  si  peu  nier  la  fixité  et  la 
constance  des  lois  delà  nature,  que  c'est  au  contraire  l'affirmer 
de  la  manière  la  plus  haute.  Toutes  les  fois  qu'un  fait  déroge 
aux  lois  de  la  nature,  il  ne  peut  avoir  sa  raison  d'être  que  dans 
une  intervention  spéciale,  exceptionnelle  de  celui  qui  est  l'au- 
teur même  de  ces  lois. 

Nier  le  miracle,  c'est  supposer  ou  que  les  lois  de  la  nature 
n'ont  pas  leur  raison  d'être  dans  la  volonté  du  Créateur,  ou 
que  le  Créateur  n'a  pas  le  pouvoir  de  déroger,  en  vue  d'une 
manifestation  surnaturelle  de  lui-même  aux  lois  qu'il  a  faites. 
Nous  ne  croyons  pas  qu'il  soit  possible,  même  à  M.  Renan, 
d'imaginer  une  autre  hypothèse.  Mais  il  ne  peut  admettre  la 
seconde;  car  si  Dieu  a  créé  la  monde,  le  monde  appartient 
bien  authentiquement  à  Dieu,  et  les  lois  de  la  nature  n'ont  pas 
cessé  de  dépendre  de  lui  depuis  qu'il  les  a  établies.  Il  faudrait 
donc,  pour  croire  à  l'impossibilité  du  miracle,  se  réfugier  dans 
l'hypothèse  de  l'existence  du  monde  par  lui-même  et  sans 
création,  et  aboutir  aux  folles  aberrations  du  panthéisme. 


22  ÉTUDE    SUR   LA   VIE    DE   JÉSUS  [Tome  MU. 

A  ce  premier  argument,  le  professeur  de  langues  orientales 
au  Collège  de  France  en  joignait  un  second.  «  Il  ne  s'agit  pas 
ici  de  métaphysique  ;  il  s'agit  de  faits  à  constater.  Or,  il  est 
certain  que  jamais  miracle  n'a  eu  lieu  dans  les  conditions 
voulues  pour  créer  une  conviction  rationnelle.  Au  lieu  de  se 
passer  devant  des  gens  crédules,  étrangers  à  toute  idée  scien- 
tifique (en  lisant  la  Vie  de  Jésus  on  comprend  que  l'idée  scien- 
tifique soit  la  marotte  de  M.  Renan;  c'est  comme  la  lumière 
pour  un  aveugle),  il  devrait  se  passer  devant  des  commissions 
composées  d'hommes  spéciaux,  variant  les  conditions  comme 
on  le  fait  dans  les  expériences  de  physique,  réglant  elles-mêmes 
le  système  des  précautions  et  forçant  le  thaumaturge  à  opérer 
dans  les  circonstances  posées  par  elles  (p.  24).  »  Ce  n'est  pas 
la  seule  page  de  M.  Renan  que  nous  pourrions  recommander 
aux  rédacteurs  de  VAlmanach  comique  pour  1864.  Imaginons 
pour  un  moment  un  assassin  traduit  devant  une  cour  d'assises  ; 
supposons  que  plusieurs  témoins  aient  déposé  avoir  vu  l'accusé 
commettre  le  crime,  et  mettons  dans  sa  bouche  le  discours  de 
M.  Renan  :  «  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  métaphysique.  Messieurs 
les  jurés,  il  s'agit  d'un  fait  à  constater.  Or,  il  est  certain  que 
jamais  assassinat  n'a  été  commis  par  moi  dans  les  conditions 
voulues  pour  créer  une  conviction  rationnelle.  Au  lieu  de  se 
passer  devant  des  gens  crédules,  étrangers  à  toute  idée  scien- 
tifique, le  fait  eût  dû  se  passer  devant  des  commissions  com- 
posées d'hommes  spéciaux,  réglant  elles-mêmes  le  système  de 
précautions  nécessaire  pour  établir  une  complète  certitude.  » 
Nous  croyons  que  malgré  la  gravité  des  circonstances,  les  juges 
auraient  peine  à  garder  leur  sérieux,  et  si  un  pareil  discours 
pouvait  les  convaincre  d'une  chose,  ce  serait  de  la  folie  de  l'o- 
rateur. Ils  l'enverraient  peut-être  àCharenton,  au  lieu  de  l'en- 
voyer à  l'échafaud. 

Non,  un  fait  sensible,  matériel,  palpable  n'a  pas  besoin  de 
se  passer  sous  les  yeux  de  l'Académie  pour  être  constaté. 
L'oflScier  de  l'état-civil  inscrit  authentiquement  les  naissances 


Juin.  1803.]  1  ;  î    I  :  : .  ? .  23 

saus  avoir  recours  à  elle  ;  dans  nos  campagnes  on  enterre  bien 
et  dûment  les  morts  sans  consulter  la  science;  le  gendarme 
s'empare  du  malfaiteur,  le  percepteur  touche  les  impôts,  le  la- 
boureur sème  et  moissonne  son  blé,  saus  songer  une  seule  fois 
à  s'occcuper  de  Messieurs  les  Académiciens,  Supposons  donc 
qu'un  homme  soit  aveugle  de  naissance  et  qu'à  l'âge  de  trente 
ans  on  vienne  lui  dire  :  Voyez;  et  qu'aussitôt  il  recouvre  la  vue  : 
en  vérité  je  crois  qu'il  faudrait  bien  du  courage,  même  à 
M.  Renan  qui  en  a  tant,  pour  venir  lui  dire  :  Mon  ami,  attendez 
pour  affirmer  que  TAcadémie  des  sciences  ait  examiné  le  fait, 
posé  ses  conditions,  et  rendu  son  oracle. 

Voilà  donc  les  idées  de  M.  Renan  sur  le  miracle  avant  la 
publication  de  la  Vie  de  Jésus.  Dans  cette  Vie  elle-même  nous 
en  trouvons  deux  théories  différentes.  La  première,  qui  con- 
siste dans  une  négation  pure  et  simple  du  miracle,  est  exposée 
dans  l'Introduction,  et  se  confond  avec  celle  qu'il  exposait  l'an 
dernier  à  ses  «  savants  collègues.  »  Mais  laissant  de  côlé  l'ar- 
gument ad  hominern  qu'il  leur  avait  adressé,  il  s'engage  dans 
ce  joli  raisonnement  que  nous  voudrions  voir  figurer  dans  les 
ouvrages  élémentaires  de  philosophie  à  l'article  Cercle  vicieux  : 
a  Chercheràexpliquerlesmiracles  ou  les  réduireà  des  légendes, 
ce  n'est  pas  mutiler  les  faits  au  nom  delà  théorie  ;  c'est  partir 
de  l'observation  même  des  faits  »  (p.  l).  Donnons  à  l'argu- 
mentation une  forme  plus  précise  : 

Il  n'y  a  pas  de  miracles,  car  nous  n'en  trouvons  dans  aucune 

histoire.    Nous  n'en   trouvons  dans   aucune  histoire,    car  les 

histoires  quinous  les  racontent  sont  fausses. Elles  sont  fausses, 

•car  elles  racontent  des  miracles.  Or,  da  capo,  il  n'y  a  pas  de 

miracles,..,  et  continuer  ainsi  indéfiniment. 

Cet  argument  est  suivi  de  celui  que,  plus  haut,  nous  avons 
vu  tiré  de  ce  qu'il  n'y  avait  pas  encore  à  cette  époque  d'Aca- 
démie des  sciences.  C'est  un  aveu  de  pauvreté  d'être  ainsi 
réduit  à  se  copier  soi-même,  et  de  servir  au  public  un  mets 
dont  ses  «  savants  collègues  »  auront  fait  fi  l'an  dernier. 


24  ÉTUDE   SUR   LA   VIE    DE   JÉSUS  ITome  VIII. 

M.  Renan  a  cependant  une  deuxième  théoiie  qu'il  expose 
dans  le  chapitre  xvi.  Il  y  avoue  ingénument  que  Jésus-Christ  a 
fait  des  miracles,  et  (c.  xviii)que  les  apôtres  en  faisaient  aussi, 
a  II  serait  commode  de  dire  que  ce  sont  là  des  additions  de 
disciples  bien  inférieurs  à  leur  Maître,  qui,  ne  pouvant  conce- 
voir sa  vraie  grandeur,  ont  cherché  à  le  relever  par  des  pres- 
tiges indignes  de  lui.  Mais  les  quatre  narrateurs  de  la  vie  de 
Jésus  sont  unanimes  pour  vanter  ses  miracles.  Nous  admettons 
donc  sans  hésiter  que  des  actes  qui  seraient  maintenant  con- 
sidérés comme  des  traits  d'illusion  ou  de  folie  ont  tenu  une 
grande  place  dans  la  vie  de  Jésus.  »  Recueillons  cet  aveu  qui 
est,  à  lui  seul,  la  négation  de  la  Vie  de  Jésus  et  de  toutes  les  né- 
gations de  M.  Renan.  Aussi  lui  coûte-t-il  infiniment,  et  le  ma- 
laise qu'il  lui  fait  éprouver  nous  présente  un  curieux  spectacle. 
Jésus  est  «  choquant,  »  dit-il  (p.  259)  ;  les  miracles  sont  «  fati- 
gants, très-blessants,  désagréables  à  Jésus  lui-même  ;  ils  for- 
ment le  côté  ingrat  de  son  histoire;  lui,  Renan,  en  esta  offusqué» 
(pp.  265-268)  et  «  si  jamais  le  culte  de  Jésus  s'affaiblit,  ce  sera 
à  cause  de  ses  miracles.  »  Nous  comprenons  cette  gène,  cet 
embarras.  Car  enfin,  malgré  tout  le  déplaisir  que  peut  en 
éprouver  M.  Renan,  le  vieil  axiome  de  l'école  subsiste  tou- 
jours :  Factum  infectum  fieri  nequit,  et  si  Jésus  a  fait  des  mi- 
racles, c'est  qu'il  en  a  fait.  Tirez-vous  en  comme  vous  pourrez, 
historien  qui  voulez  écrire  une  Vie  de  Jésus  «d'après  des  prin- 
cipes rationnels,  de  manière  pourtant  que  rien  n'y  détonne.  » 
M.  Renan  cherche  donc  d'abord  à  excuser,  puis  à  expliquer 
les  miracles  de  Jésus. 

Le  plaidoyer  qu'il  fait  pour  lui  est  en  plusieurs  points,- 
Premier  point  :  Jésus  ne  savait  pas  que  le  miracle  était  irnpos- 
sible.  11  faut  ici  laisser  la  parole  à  l'avocat  :  «  Encore  moins 
connut-il  l'idée  nouvelle  créée  par  la  science  grecque,  base  de 
toute  philosophie,  et  que  la  science  moderne  a  hautement  con- 
firmée, l'exclusion  des  dieux  capricieux  auxquels  la  naïve 
croyance  des  vieux  âges  attribuait  le  gouvernement  de  l'uni- 


Juill.  1863.1  ^^^'  "•   RENAN-  23 

vers.  Près  d'un  siècle  avant  lui,  Lucrèce  avait  exprimé  d'une 
façon  admirable  rinflexibililé  du  régime  général  de  la  nature. 
La  négation  du  miracle,  cette  idée  que  tout  se  produit  dans 
le  monde  par  des  lois  où  l'intervention  personnelle  d'êtres 
supérieurs  n'a  aucune  part,  était  de  droit  commun  dans  les 
grandes  écoles  de  tous  les  pays  qui  avaient  reçu  la  science 
grecque.  Peut-être  mêmeBabylone  et  la  Perse  n'y  étaient-elles 
pas  étrangères.  Jésus  ne  sut  rien  de  ce  progrès  »  (p.  40).  En 
vérité  Jésus-Christ  mérite  bien  qu'on  lui  pardonne  d'avoir  fait 
des  miracles,  puisqu'il  était  assez  ignorant  pour  ne  pas  savoir 
que  le  miracle  est  impossible.  Si  nous  ne  savions  pas  que  M. 
Renan  est  professeur  au  Collège  de  France,  nous  croirions 
volontiers  qu'une  pareille  page  signée  de  lui  devrait  à  tout 
jamais  l'en  tenir  éloigné.  Comment  Jésus  qui  faisait  des  mira- 
cles était-ii  assez  ignorant  pour  savoir  que  le  miracle  était  im- 
possible. Ab  esse  ad  posse  valet  conclusio.  Il  nous  semble  que  ce 
principe  n'a  pas  encore  été  renversé. 

Mais  il  y  a  mieux. 

Deuxième  point.  Cette  ignorance  est  cause  que  la  nature  lui 
obéit  :  «  La  nature  lui  obéit  ;  mais  elle  obéit  aussi  à  quiconque 
croit  et  prie  ;  la  foi  peut  tout.  Il  faut  se  rappeler  que  nulle 
idée  des  lois  de  la  nature  ne  venait  dans  sou  esprit,  ni  dans 
celui  de  ses  auditeurs^  marquer  la  limite  de  l'impossible.  Les 
témoins  de  ses  miracles  remercient  Dieu  d'avoir  donné  de  tels 
pouvoirs  aux  hommes  »  (p.  245). 

Sans  s'en  douter,  M.  Renan  rappelle  ici  la  loi  du  miracle  : 
croire  el  prier,  voilà  les  deux  conditions  que  Jésus  assigne  aux 
miracles^  et  tous  ceux  que  nous  trouvons  dans  l'histoire  de 
l'Eglise  ont  été  opérés  sous  cette  double  influence  de  la  foi  et 
de  la  prière.  Mais  la  troisième  influence  qu'assigne  M.  Renan, 
l'ignorance  des  lois  de  la  nature,  nous  parait  faible.  Les  lois 
de  la  nature  sont  indépendantes  de  la  connaissance  que  nous 
en  avons.  Le  soled  se  levait  avant  que  M.  Renan  ne  connût  les 
lois  du  mouvement  diurne,  et  nous  croyons  que  l'ignorance 


26  ÉTUDE   SUR   LA   VIE  DE  JÉ^US  [  Tome  III. 

grande  qu'il  étale  des  lois  du  monde  naturel  et  du  monde 
surnaturel,  ne  lui  permettront  jamais  de  soustraire  ni  l'un  ni 
l'autre  de  ces  deux  mondes  aux  lois  qui  les  régissent.  L'unique 
puissance  de  ce  genre  que  nous  soyons  prêt  à  lui  reconnaître, 
c'est  la  faculté  qu'il  possède,  dont  il  use  et  dont  il  abuse,  de  se 
soustraire  aux  lois  du  bon  sens,  de  l'honnêteté  et  de  la  décence  ; 
mais  qui  voudrait  y  voir  un  miracle? 

Troisième  point.  «  Le  problème  d'ailleurs  se  pose  de  la 
même  manière  pour  tous  les  saints  et  les  fondateurs  religieux. 
Presque  jusqu'à  nos  jours,  les  hommes  qui  ont  le  plus  fait  pour 
le  bien  de  leurs  semblables  (l'excellent  Vincent-de-Paul  lui- 
même),  ont  été,  qu'ils  l'aient  voulu  ou  non,  thaumaturges.  » 
C'est  parfait,  ou  à  peu  près.  Mais  étendre  le  problème  n'est  pas 
le  résoudre.  Dire  que  les  saints,  l'excellent  Vincent-de-Paul 
lui-même,  ont  été  thaumaturges,  c'est  précisément  constater 
le  fonctionnement  de  la  loi  du  miracle  établie  par  Jésus-Christ 
sous  la  double  influence  de  la  foi  et  de  la  prière.  C'est  recon- 
naître uon-seulerùent  que  Jésus-Christ  a  fait  des  miracles  par 
lui-même,  mais  qu'il  a  eu  le  pouvoir  de  communiquer  cette 
puissance  à  d'autres.  Quand  donc  M.  Renan  s'avisera-t-il  d'en 
faire!  L'Académie  des  sciences  a-t-elle  déjàélé  convoquée  pour 
assister  à  l'expérience  ? 

Quatrième  point.  Pardonnons  à  Jésus  ses  miracles  en  raison 
de  l'utilité  qu'il  en  retirait.  «  Deux  moyens  de  preuves,  les 
miracles  et  l'accomplissement  des  prophéties,  pouvaient  seuls, 
d'après  l'opinion  des  contemporains  de  Jésus,  établir  une  mis- 
sion surnaturelle.  Jésus  et  surtout  ses  disciples  employèrent 
ces  deux  procédés  de  démonstration  avec  une  parfaite  bonne 
foi...  11  est  probable  que  l'entourage  de  Jésus  était  plus  frappé 
de  ses  miracles  que  de  ses  prédications  si  profondément  divi- 
nes »  (p.  255  et  259).  Nous  sommes  confus,  en  vérité,  d'être 
aussi  arriéré  que  nous  le  sommes.  Supposons  que  le  siècle  où 
vit  M.  Renan  s'appelle  le  dix-neuvième,  nous  serons  forcés 
d'avouer  que  nous  sommes  en  arrière  de  lui  de  dix-huit  siècles, 


Juil!.18C3.1  PAR   M.   RENAN.  27 

et  au-delà.  Nous  croyons  fermement,  avec  les  contemporains 
de  Jésus,  que  les  miracles  et  raccomplissement  des  prophéties 
prouvent  la  mission  surnaturelle,  et  notre  foi  en  Jésus-Christ 
repose  principalement  sur  ce  double  genre  de  démonstration. 
Il  n'y  a  que  Dieu  qui  soit  le  maître  ;  pour  lui  seul  le  passé,  le 
présent  et  le  futur  se  confondent  en  un  invariable  présent  ;  lui 
seul  tient  entre  ses  mains  les  destinées  de  la  nature  et  celles 
de  l'humanité  ;  nomme  les  choses  qui  ne  sont  pas  comme  celles 
qui  sont,  commande  à  la  maladie,  à  la  mort  et  à  la  vie,  et 
lorsque  nous  voyons  se  manifester  cette  puissance  essentiel- 
lement propre  au  Dieu  vivant,  personnel  et  éternel,  nous  sou- 
mettons notre  esprit,  nous  soumettons  notre  cœur.  Nous  nous 
écrions  avec  les  mages  de  l'Egypte  :  a  Le  doi'^t  de  Dieu  est 
ici,»  etnousajoutonsavecle  jeune  Samuel:  «Parlez,  Seigneur, 
votre  serviteur  écoule  !  <j 

Cinquième  point.  «  Beaucoup  de  circonstances  semblent 
indiquer  que  Jésus  ne  fut  thaumaturge  que  tard  et  à  contre 
cœur...  On  dirait,  par  moments,  que  le  rôle  de  thaumaturge 
lui  est  désagréable.  »  M.  Renan  prête  ici  ses  propres  répugnan- 
ces à  Jésus  ;  parce  que  les  miracles  pèsent  à  Renan,  ils  doivent 
peser  à  Jésus  !  0  Renan  !  0  Jésus  !  0  Jésus,  pardonnez  à  Renan, 
il  ne  sait  ce  qu'il  dit  ! 

Car  il  dit  encore  que  vous  faisiez  des  miracles  comme  il  est 
persuadé  que  lui  en  saurait  faire,  s'il  était  moins  savant.  «  La 
médecine  scientifique  était  encore  inconnue  des  juifs  de  Pales- 
tine. Dans  un  tel  étal  de  connaissances,  la  présence  d'un 
homme  supérieur  est  souvent  un  remède  décisif.  Qui  ose- 
rait dire  que,  dans  beaucoup  de  cas  et  en  dehors  des  lésions 
tout  à  fait  caractérisées,  le  contact  d'une  personne  exquise 
ne  vaut  pas  les  ressources  de  la  pharmacie?»  (p.  260.)  Que  de 
malades  il  guérirait  par  le  contact  desa«  personne  exquise,» 
lui  Renan,  «homme  supérieur  »  s'il  se  trouvait  dans  un  autre 
«  état  de  connaissances  !  »  Il  n'eût  probablement  été  embar- 
rassé que  pour  ((  les  lésions  tout-à-fait  caractérisées  »  et  pour 


28  ÉTUDE   SUR   LA   VIE   DE  JÉSUS  [Tome  VUI. 

les  personnes  absentes;  mais  je  ne  sais  s'il  regarde  l'état  d'une 
personne  en  voie  d'être  portée  dans  sa  tombe  comme  lésion 
bien  caractérisée. 

Il  ose  dire  encore  en  parlant  du  miracle  de  la  multiplication 
des  pains  dans  le  désert  :  «  Grâce  à  une  extrême  frugalité,  la 
troupe  sainte  y  vécut  ;  on  crut  naturellement  voir  en  cela  un 
miracle.  »  .Mais  de  deux  choses  l'une  :  ou  la  frugalité  était 
extrême  pour  que  cinq  mille  hommes,  femmes  et  enfants  non 
compris,  fussent  rassasiés  avec  cinq  pains  et  deux  poissons, 
et  alors  leur  estomac  creux  les  empêchait  de  voir  naturellement 
un  miracle  dans  la  faim  qu'ils  souffraient  ;  ou  bien  ils  furent 
rassasiés,  et  alors  il  était  naturel  de  croire  au  miracle.  Mais  si 
nous  admettions  encore  qu'ils  n'eussent  rien  mangé,  et  que, 
malgré  les  cris  de  famine  de  leur  estomac,  ils  eussent  seulement 
cru  être  rassasiés,  le  miracle  subsisterait  encore  dans  les 
douze  paniers  de  restes  que  l'on  ramassa. 

Il  croit  atténuer  encore  les  miracles  en  disant  que  «  les 
types  en  sont  peu  nombreux.  »  Voilà  du  nouveau  !  Nous  avions 
cru  jusqu'ici  en  trouver  une  assez  belle  variété  depuis  le 
changement  de  l'eau  en  vin  aux  noces  de  Cana,  jusqu'au 
moment  où  cette  simple  parole  :  «  C'est  moi,  »  suffît  à  renverser 
à  terre  toute  la  cohorte  qui  accompagnait  le  traître  Judas.  Il 
y  a  la  multiplication  des  pains,  les  démons  chassés,  les  boiteux 
recouvrant  l'usage  de  leurs  jambes,  les  paralytique.s,  même 
de  38  ans,  celui  de  leurs  membres  ;  la  vue  rendue  aux  aveugles, 
l'ouïe  aux  sourds,  la  parole  aux  muets  ;  guérisons  des  lépreux, 
des  maladies  de  toute  nature,  et  entr'autres  des  résurrections 
de  morts;  et  encore  cette  énumération  est-elle  incomplète.  Il 
faut  vraiment  être  difficile  pour  ne  pas  s'en  contenter!  Mais  les 
miracles  dussent-ils  être  moins  variés  encore,  n'y  en  eût-il 
qu'un  seul  dans  la  vie  de  Jésus-Christ,  il  serait  encore  la  mani- 
festation de  la  puissance  divine.  Il  ne  serait  pas  plus  facile  à 
expliquer  «  d'après  des  principes  rationnels.  » 

Il  explique  les  possessions  par  des  maladies  nerveuses  ou 


JuiU    1803.]  PAR   M.    RENAN.  29 

par  de  simples  bizarreries.  Singulières  maladies,  bien  bizarres 
en  effet  !  Mais  passons,  car  il  n'y  a  pas  moyen  de  s'arrêter  à 
tout.  Il  faut  faire  avec  M.  Renan  comme  à  l'exposition  univer- 
selle ;  on  passe  à  côté  de  bien  des  merveilles,  mais  on  ne  s'ar- 
rête, pour  admirer,  qu'auprès  de  quelques-unes  qui  ne  sont 
pas  toujours  les  plus  curieuses.  Nous  en  passons  chez  lui  beau- 
coup, et  des  meilleures.  Les  possessions,  des  maladies  ner- 
veuses !  Soit,  mais  encore  la  guérison  de  ces  maladies  ? 

Un  mot  cependant  pour  la  résurrection  de  Lazare.  Nous 
avons  entendu  parler  de  tel  lecteur  de  la  Vie  de  Jésus  qui  n'est 
pas  précisément  animé  d'une  foi  très-vive,  et  qui,  après  avoir 
lu  ce  récit  fait  par  M.  Renan,  a  jeté  sou  livre  au  feu  en  disant  : 
Mais  ce  M.  Renan  compromet  l'incrédulité  I  Nous  serions  surpris 
qu'un  lecteur  quelconque,  qui  se  livrerait  à  la  même  lecture 
par  simple  curiosité,  n'en  fit  pas  de  même  (1).  Il  prépare  son 

(•!)  Voici  un  fail  assez  frappant,  que  rapportant  plusieurs  journaux. 
Nous  en  empruntons  le  récit  à  une  correspondance  adressée  de  Ver- 
sailles à  V Union  de  l'Ouest,  en  date  du  -lo  juillet,  et  reproduite  par  le 
journal  le  Monde,  dans  son  n»  du  18  du  même  mois.  «  Dimanche  der- 
nier s'est  éteint  ici  le  doyen  des  rédacteurs  du  Journal  des  Débats,  et 
probablemeiu  des  journalistes  parisiens,  M.  Delécluze.  Le  Moniteur  a 
annoncé  qu'il  a  été  frappé;—  l'expression  n'ost  pas  juste.  Né  en 
^78'l,  rhislorien  de  David  était  par  conséquent  âgé  de  82  ans,  et  plu- 
sieurs mois  de  souffrance  ne  laissaient  plus  d'illusion  à  ses  parents  et 
à  lui-même  sur  le  terme  de  sa  carrière.  La  semaine  dernière  il  se 
faisait  encore  lire  l'ouvrage  de  M.  Renan;  il  interrompit  celte  lecture 
en  disant  :  «  Ce  livre  n'est  pas  de  bonne  foi  ;  en  revanche,  il  ravive  la 
mienne  et  me  démontre  qu'il  n'y  a  de  vrai  que  le  catholicisme.  »  A  la 
suite  de  cette  parole,  il  s'entretint  plusieurs  fois  avec  un  pieux  Ca- 
pucin, se  plut  à  lui  affirmer  sa  croyance  dans  la  divinité  de  Notre- 
Seigneur,  et  avant  de  paraître  au  dernier  tribunal,  eut  recours  avec 
empressoment  à  Celui  qui,  selon  la  belle  expression  de  Royer-Collard, 
justifie  ceux  qui  s'y  accusent. 

t  II  m'a  semblé  instructif  de  vous  renseigner  sur  cette  fin  douce  et 
chrétienne  à  laquelle  M.  Renan  a  coopéré  sans  le  vouloir.  Quelques 
collègues  de  M.  Delécluze  étaient  surpris  hier  de  voir  à  côté  de  son 
cercueil  un  enfant  de  Saint-François  ;  le  mol  de  l'énigme  était  que  le 
défunt  s'était  jeté  à  ses  pieds,  s'était  écrié  avec  une  vive  piété  :  «  Je 


30  ÉTUDE  SUR  L.i  VIE  DE  JÉSUS.  [Tome  VIII. 

lecteur  de  loin  au  récit  qu'il  va  faire  :  «  11  faut  se  rappeler  ici 
que  la  condition  essentielle  de  la  vraie  critique  est  de  compren- 
dre la  diversité  des  temps  et  de  se  dépouiller  des  répugnances 
instinctives  qui  sont  le  fruit  d'une  éducation  purement  raison- 
nable. »  Puis  abordant  le  récit  :    «  Il  est  vraisemblable  que  le 
prodige  dont  il  s'agit  ne  fut  pas  un  de  ces  miracles  complè- 
tement légendaires,  et  dont  personne  n'est  responsable.  «Vien- 
nent ensuite  les  explications.   Il  y  en*a  au  choix  :  «  La  joie  de 
son  arrivée  put  ramener  Lazare  à  la  vie...  Peut-être  Lazare, 
pâle  encore  de   sa  maladie,   se  fit-il  entourer  de  bandelettes 
comme  un  mort,  et  enfermer  dans  un  tombeau  de  famille.  » 
Fi  donc,  M.  Renan,  ti  pour  la  première  explication!  fi  pour  la 
seconde  !  On  ne  ment  pas  ainsi  à  l'histoire.  Lazare  mort  depuis 
quatre  jours,  Lazare  déjà  mis  dans  son  tombeau,  Lazare  ré- 
pandant l'infection  du  cadavre  que  messieurs  les  académiciens 
n'ont  pas  le  monopole  de  sentir,  voilà  le  fait  ;  voilà  ce  qu'était 
l'homme  à  qui  Jésus  dit:  Lazare,  sors  !  On  ne  se  joue  pas  ainsi 
de  la  vérité  et  de  la  notoriété  des  faits,  de  la  sainteté  des  ca- 
ractères, du  respect  des  lecteurs  et  du  respect  de  soi-même. 
Vous  avez  beau  vouloir  atténuer;  votre  atténuation  est  un 
nouveau  blasphème  :  k  La  mort,  d'ailleurs,  allait  dans  quelques 
jours  lui  rendre  sa  liberté  divine,  et  l'arracher  aux  fatales  né- 
cessités d'un  rôle  qui  chaque  jour  devenait  plus  exigeant,  plus 
difficile  à  soutenir.  »  Fi  encore,  fi  !  —  Rappelez-vous  donc  ce 
que  vous  écrivez,  p.  452.  o  Gardons-nous,  dites-vous,  de  mu- 
te tiler  l'histoire  pour  satisfaire  nos  mesquines  susceptibilités.» 
Ce  n'est  pas  seulement  une  vaine  susceptibilité,  c'est  un  orgueil 
impie  et  satanique  de  refuser  l'adoration  au   Dieu  éternel, 
Créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  Mais  quand  ce  Dieu  se  mani- 
feste dans  la  chair,  qu'il  fait  éclater  partout  sa  puissance  en 
suspendant  les  lois  de  la  nature,  en  se  faisant  obéir  par  tous 


veux  un  prêlre  et  un  cruciflx  à  baiser...;  mon  cœur  se  dégonflera  dans 
le  sien,  il  prendra  mon  àme  el  je  prendrai  son  Dieu.  » 


jmll.  1863)  PAU   M.    RENAN.  SJ' 

les  éléments,  en  commandant  à  la  mort  de  rendre  ses  victimes, 
en  se  faisant  rendre  hommage,  même  par  les  esprits  malfai- 
sants qui  tourmentent  les  hommes;  quand  de  plus  ces  faits  ont 
acquis  pour  vous  cette  évidence  contre  laquelle  vous  avouez  que 
vous  vous  débattez  vainement,  et  qu'alors  encore  vous  refusez 
votre  adoration,  et  que  vous  vous  mettez  à  la  tête  de  l'armée 
qui  combat  les  adorateurs  et  les  croyants,  alors,  oh  alors  ! 
votre  crime  devient. incomparable.  «  Gardez- vous, oh! gardez- 
vous  de  mutiler  encore  l'histoire  pour  satisfaire  ce  que  vous 
appelez  vos  mesquines  susceptibilités,»  et  pour  vous  soustraire 
à  la  nécessité  d'adorer  et  d'aimer  ! 

J.-I.  SiMONIS. 


DE    L'ETAT    DE    NATURE 

ET   DU  piCHÉ   ORIGINEL. 


Quid  eslhomo,  sive  controversia  de  slalunaturse  pursc,  auclore  Aiit. 
Casinio,  S.  J.,  edilio  aucla  el  nolis  illuslrala  opéra  D"^  M.-Jos. 
Scheebcn,  prof,  ia  sem.  arch.  CoIod-  Moguntiae,  1862. 


Premier  article. 


Le  P.  Casini,  né  à  Florence,  en  1687,  enseigna  au  Collège 
romain  l'éloquence,  la  langue  hébraïque,  TÉcriture  sainte,  et 
mourut  à  Rome,  en  1755.  Outre  plusieurs  ouvrages  philolo- 
giques dont  les  PP.  Aug.  et  L.  de  Backer  donnent  l'énumé- 
ration  dans  leur  Bibliothèque  des  écrivains  de  la  Compagnie  de 
Jésus  (Liège,  1856),  il  composa,  pour  réfuter  les  erreurs  de 
Baïus  et  de  Janséuius,  l'ouvrage  dont  nous  venons  de  transcrire 
le  titre,  et  ijue  M.  Scheeben  a  eu  la  bonne  pensée  de  tirer  de 
roubli(l). 

Le  P.Casini  suit  la  méthode  de  Petau  :  il  recueille,  sur  cha- 
cun des  points  qu'il  traite,  uu  grand  nombre  de  témoignages 
des  saints  Pères.  Quand  il  prend  la  parole  en  son  propre  nom, 
il  le  fait  en  un  style  nerveux  et  élégant,  qu'il  semble  avoir  em- 
prunté à  l'illustre  auteur  des  Dogmes  théologiques. 

M.  Scheeben,  dans  sa  préface,  recherche  pourquoi  un  livre 
d'une  telle  valeur  est  aujourd'hui  si  peu  connu,  et  il  croit  que 
cela  vient  de  ce  que  le  P.  Casini  a  indiqué  les  passages  des 
Pères,  sans  les  citer  intégralement.   Aussi  l'intelligent  éditeur 

(I)  Les  mois  Quid  est  homo  ne  se  irouvent  pus  dans  le  litre  du 
livre,  tel  que  le  citent  les  PP.  de  Backer.  Onl-ils  donc  supprimé  ces 
mois,  ou  iM.  Scheeben  les  aurail-il  ajouiés? 


Juin.  1863.]  ET  DU  PÉCHÉ  ORIGINEL.  33 

a-t-il  eu  soin  de  porter  remède  à  ce  défaut.  De  plus,  il  a  ajouté 
de  nouveaux  textes,  quelques  notes  au  bas  des  pages,  d'im- 
portants éclaircissements  à  la  suite  de  certains  articles,,  et  en 
tète  de  l'ouvrage,  une  dissertation  sur  Bains,  dissertation  dont 
voici  l'analyse. 

M.  Sclieeben  ne  s'arrête  pas  sur  l'histoire  du  Baïanisme.  Il 
renvoie  pour  cela  à  l'article  Bay  de  l'encyclopédie  de  Wetzer 
et  Welte,  article  dû  à  M.  KuLn  (t).  Pour  lui,  il  s'attache  à  re- 
chercher le  caractère  de  la  censure  des  propositions  de  Baïus, 
et  le  sens  authentique  de  ces  propositions. 

Les  partisans  de  Baïus,  dit-il,  prétendirent  d'abord  que  la 
condamnation  pontificale  ne  portait  que  sur  la  forme  et  non 
sur  le  fond  de  la  doctrine  de  leur  maître,  et  n'obligeait  qu'à 
une  sorte  de  silence  respectueux,  dans  Tintérêtdela  paix.  Pour 
apprécier  cette  défaite,  il  faut  peser  les  termes  dont  se  ser- 
vent les  papes  Grégoire  XIII,  S.  Pie  V,  Urbain  VIII.  Les  voici  : 

Quas  quidem  sententias  stricto  coram  nobis  examine ponderatas, 
quanquam  nonnullse  aliquo  pacto  sustineri  passent,  in  rigore  et 
proprio  verborum  sensu  ab  assertoribus  intenta  kœreticas,  erro- 
neas,  suspectas,  temerarias,  scandalosas  et  inpias  aures  offensio- 
nem  immiitentes  respective,  ac  quxcumque  super  iis  verbo  scrip- 
toque  €missa,auctoritate prxsentium  damnamiis,  circumscribimus 
et  abolemus. 

(!)  Nous  ser:i-t-il  permis  de  dire  que  cet  arlicle  ne  nous  a  pas 
pleinement  saiisfai;?  «  Èire  moralement  libre,  dit  M.  Kuhn,  est  de 
l'essence  de  i'iiomme,  mais  être  artuellement  moral  ne  lui  est  pas 
naturel  ou  n'est  pas  nécessaire  dans  le  sens  strict  ;  cel.i  est  surna- 
turel. »  Il  n'est  personne  qui  ne  voie  combien  ici  l'expression  laisse 
à  désirer.  Comment  concilier  les  deux  parties  de  (cite  autre  phrase  : 
«  Nous  accordons  qu'en  admettant  que  Dieu  a  créé  l'homme  in  statu 
naiurœ  purœ,  c'est-à-dire  seulement  avec  la  puissance  de  la  raison  et 
de  la  liberté,  on  ne  satisfait  pas  l'idée  de  la  perfection  de  la  créition 
de  l'homme  par  Dieu,  et  qu'en  ce  sens  on  peut  dire  que  Dieu  n'a  pu 
appeler  l'homme  à  l'existence  qu'en  vue  de  cette  perfcoiion;  mais 
nous  nions  la  conséquence,  à  savoir,  que  cette  perfec;ion,  appartenant 
à  son  être,  était  nécessaire  k  l'homme.  » 

Revue  des  Scienqes  ecclésiastiques,  t.  viii.  3-4. 


34  DH  l'état  de  NàTDRE  [Tome  Vlfi- 

Ce  jugement  renferme  évidemment  une  censure  théologique. 
n  est  vrai  qu'il  ne  permet  pas  d'appliquer  à  l'une  des  proposi- 
tions telle  ou  telle  des  qualifications,  si  ce  n'est  la  plus  douce. 
Mais  aujourd'hui  nous  avons  la  bulle  Auctorem  fidei,  qui  a  con« 
damné  comme  fausses  et  erronées  les  propositions  de  Baïus  sur 
la  justice  originelle.  Or,  on  verra  bientôt  que  toutes  les  propo- 
sitions de  Baïus  s'enchaînent  les  unes  aux  autres,  et  que,  par 
conséquent,  elles  sont  toutes  atteintes  par  la  condamnation  qui 
frappe  les  principales  d'entre  elles. 

Peu  satisfaits  de  ce  premier  effort,  les  baïanistes  prétendirent 
que,  dans  le  jugement  pontifical  que  nous  venons  de  citer, 
la  virgule  placée  après  passent  devait  être  reportée  après  m- 
tento,  modification  d'où  il  résulterait  que  les  propositions  n'ont 
pas  été  condamnées  au  sens  de  Baïus.  Mais  ce  nouveau  subter- 
fuge n'eut  pas  plus  de  succès  que  l'autre  ;  car  une  vérification 
authentique  sur  l'original  de  la  bulle  ayant  été  ordonnée  par 
Urbain  VIII,  il  fut  constaté  que  la  virgule  n'était  qu'après  poS' 
sent.  D'ailleurs  il  est  évident  que  aliquo  pacto  est  mis  là  par 
opposition  à  un  second  membre  qui  ne  peut  être  que  in  ri- 
gore,  etc.;  d'autant  plus  que,  dans  une  condamnation,  il  était 
bien  plus  urgent  de  dire  en  quel  sens  les  propositions  étaient 
condamnées,  que  de  dire  en  quel  sens  elles  sont  soutenables. 

Reste  à  déterminer  le  sens  de  la  doctrine  de  Baïus.  Les  au- 
teurs qui  y  voient  une  sorte  de  chaos  se  trompent.  Au  con- 
traire, presque  tout  s'y  tient.  Baïus,  au  lieu  de  reconnaître  en 
l'homme  une  double  bonté,  une  double  ressemblance  avec 
Dieu,  l'une  essentielle  et  naturelle,  l'autre  supérieure  à  la  na- 
ture, rejette  la  ressemblance  divine  naturelle,  et  est  conduit 
ainsi  à  prétendre  que  la  justice  originelle  était  due  au  premier 
homme  (prop.  21)  :  non  pas  qu'elle  appartienne  à  l'essence 
de  notre  nature,  comme  le  disaient  les  manichéens  et  les  lu» 
thérieus,  ou  qu'elle  en  découle  ;  mais  parce  qu'elle  en  est  une 
quahté  intégrante.  Dieu  ne  pouvant  créer  notre  nature  sans 
ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  être  bonne  et  heureuse.  Ainsi 


Juill.  1863.1  ET  DU  PÉCHÉ  ORIGINEL.  35 

la  justice  était  primitivement  naturelle,  et  n'est  devenue  surna- 
turelle que  par  suite  de  la  chute;  d'où  il  suit  que  les  vertus 
théologales  et  la  filiation  divine  n'élaienJ;  pas  non  plus  ajoutées 
gratuitement  à  notre  nature  (prop.  23,  24);  que  toute  bonne 
œuvre  est  essentiellement  méritoire  de  la  vie  éternelle  {prop. 
2,  4,  5,  6,  61);  et  que  le  ciel,  les  mérites,  la  justice,  l'a- 
doption divine,  les  vertus  théologales,  relativement  au  pre- 
mier homme,  ne  peuvent  être  appelés  grâces  que  dans  le  sens 
où  les  biens  naturels  peuvent  recevoir  ce  nom  (prop.  1,  3,  9). 

Autres  conséquences  :  Il  n'y  a  pour  l'homme  qu'une  seule  fin, 
celle  que  nous  appelons  surnaturelle  ;  un  seul  amour  légitime 
de  Dieu  et  du  prochain,  la  charité  infuse  (prop.  34,  38)  ;  une 
seule  bonté  dans  les  actions,  celle  qui  les  rend  méritoires  de  la 
vie  éternelle  (prop.  61).  L'homme  déchu  ne  peut  donc,  sans  la 
grâce  de  Jésus-Christ,  rien  faire  de  bien,  pas  même  aimer 
Dieu  d'un  amour  naturel,  ni  éviter  aucun  péché  (prop.  27, 
28,  3G,  37).  Le  péché  originel  a  détruit  le  libre  arbitre  (p.  40), 
en  même  temps  que  toute  image  de  Dieu  en  l'homme  et  tout 
penchant  au  bien.  Les  mouvements  indélibérés  vers,  les  biens 
sensibles  sont  des  péchés,  car  ils  sont  libres  en  Adam,  qui 
nous  ayant  dépouillés  de  notre  liberté,  nous  a  fait  dépendre 
en  tout  de  la  sienne  (pr.  46,  52,  66,  68)  (1). 

On  voit  que  jusqu'ici  toutes  les  propositions  de  Baïns  décou- 
lent de  ce  fameux  principe,  que  la  sainteté  originelle  était  due 
à  la  nature.  A  cette  première  série  d'erreurs,  il  en  ajoute  une 
autre,  en  affirmant  que  tous  les  autres  dons  primitifs,  la  recti- 
tude de  la  volonté,  la  connaissance  du  droit  naturel,  la  soumis- 
sion de  l'appétit  sensible  (c.  3  etpr.  26),  l'immortalité  (pr.78), 
l'exemption  de  la  douleur  (pr.72),étaieat  également  dues  à  la 

(1)  V.  les  propositions  ilaas  Denzioger,  Enchiridlon  sijmbolorum  et 
dcfinilionum  qux  în  rebun  fidei  et  moruni  a  Conciliis  œcumenicis  et 
Sumtnis  pontificibus  ermnarunl  (Wirceburgi  1854),  p.  2îO.  Ce  pelit 
livre,  plusiLurs  fois  léimprimé  depuis,  est  un  manuel  fort  comincde. 
On  [eut  Se  le  procarer  ii  Paris,  chez  M.  Lecoffrc. 


36  DE  l'état  de  NATDRE  [Tome  MIL 

nature  ;  d'où  il  suit  que  Dieu  n  aurait  pas  pu  créer  l'homme 
coin  me  il  naît  aujourd'hui  ;  Deus  non  pofmsset  ab  initio  talent 
creare  hominem  gualis  (I)  nunc  nascitur  (p.  55).  M.  Scbeeben 
nous  apprend,  au  sujet  de  cette  célèbre  proposition,  un  fait 
assez  curieux,  c'est  qu'elle  ne  se  trouve  pas  textuellement 
dans  les  écrits  de  Baïus.  Elle  n'en  est  pas  moins  le  résumé 
fidèle  de  ses  erreurs,  car  elle  ne  signifie  pas  que  Dieu  n'eût  pu 
créer  l'bomme  dans  l'état  de  pécbé  ;  en  ce  sens,  elle  n'expri- 
merait qu'une  vérité  trop  claire  pour  être  niée  par  qui  que  ce 
soit  ;  elle  signifie  que  l'bomme  n'eût  pu  être  créé  sans  les 
dons  que  le  pécbé  originel  lui  a  fait  perdre  :  erreur  manifeste, 
puisque,  ces  dons  étant  gratuits.  Dieu  pouvait  les  refuser  à 
l'bomme,  sans  que  cette  privation  fût  la  peine  d'un  pécbé. 

Quand  on  connaît  le  sens  des  propositions  de  Baïus,  on  sait 
dans  quel  sens  elles  ont  été  condamnées,  et  quelle  est  sur  tous  les 
points  qu'elles  embrassent  la  doctrine  consacrée  par  l'Église. 
Ce  qu'il  y  a  d'étonnant,  c'est  que  Baïus  ait  accusé  de  péla- 
gianisme  ceux  qui  soutenaient  contre  lui  la  gratuité  de  la 
justice  originelle  (pr.  24).  Il  ne  devait  pas  ignorer  que  les  péla- 
giens  rejetaient  l'existence  de  cette  justice.  Il  est  probable 
qu'il  a  été  conduit  à  cette  étrange  accusation  par  une  méprise. 
Saiut  Augustin  disait  aux  pélagiens  :  Puisque,  selon  vous,  les 
enfanls  sont  innocents,  vous  devriez  prétendre  qu'ils  vont  au 
ciel  sans  le  baptême  ;  vous  avez  tort  de  dire  que  le  royaume 
des  cieux  est  un  don  gratuit  dont  le  baptême  est  la  condition. 
—Bains  n'a  pas  fait  attention  que,  le  second  membre  étant  un 
argument  ad  hominem,  saint  Augustin  ne  voulait  pas  détinir 
en  quoi  les  pélagiens  étaient  reprébensibles,  mais  cbercbait 
à  les  mettre  en  contradiction  avec  eux-mêmes,  en  faisant 
voir  qu'une  vérité  qu'ils  admettaient  renverse  leurs  principes. 
Il  n'y  a  donc  rien  de  commun  entre  les  pélagiens  et  les  con- 
radicteuis  de  Baïus.  Si  les  pélagiens  ressemblaient  à  quel- 

{\)  Et  non  sicut,  comme  lit  M.  Scheeben. — Le  même,  p.  20,  indique 
par  erreur  le  prolégomèaeVde  Suarez,  au  lieu  Uu  prolégomène  VI. 


i 


Juin.  ISÔ3.]  ET   DU   PÉCHÉ   ORIGINEL.  37 

qu'un,   ce  serait  plutôt  à   Baïu.s   lui-même,  car  ils  disiiicnt 
comme  lui  que  le  premier  homme  n'a  rien  reçu  qui  n'appar- 
tienne à  sa  nature.  Il  est  vrai  que  selon  eux  la  nature  n'exige 
nullement,  et  ne  possédait  pas  à  l'origine  les  dons  que  nous  ap- 
pelons gratuits,  et  que  Buïus  avait  le  tort  de  croire  nécessaires. 
Nous  n'avons   guère  fait,  dans  ce  que  nous  avous  dit  de 
Baïus,  qu'analyser  l'introduction  de  M.    Scheeben,  et  nous 
croyons  n'en  avoir  négligé  aucune   idée  importante,  sinon 
quelques  passages,  mis  de  côté  à  dessein,  et  sur  lesquels  nous 
allons  soumettre  à  l'honorable  écrivain  de  courtes  observations. 
M.  Scheeben  montre  avec  beaucoup  d'habileté  l'enchaîne- 
ment de  certaines  propositions  de  Bains  sur  le  mérite,  sur  le 
libre  arbitre,  sur  la  justice,  etc.  Mais  ne   va-t-il  pas  trop  loin 
en  disant  que  presque  toutes  les  propositions  de  Baius  découlent 
de  son  erreur  sur  la  nécessité  de  la  justice  originelle?  Lui- 
même  n'ose  pas  déduire   de  la  nécessité  de  cette  justice  la 
nécessité  de  tous  les  dons  qui  en  formaient  l'accompagnement 
originel  ;  et  si,  vers  la  fin  de  son  introduction,  de  ce   que  la 
grâce  de  J.-C.  ne  nous  rend  pas,  selon  Bains,  la  justice  origi- 
Delle,  il  conclut  que,  selon  Baius,  la  grâce  ne  nous  rend  pas  lo 
libre  arbitre,  il  ne  dit  pas  pourtant  que  îe  système  de  Baius 
sur  la  nécessité  de  la  justice  originelle,  l'obligeait   à  soutenir 
ces  deux  propositions.  Voilà  donc  dans   Baïus  deux  erreurs 
erreurs  considérables  que  M.  Scheeben  rapporte,  sans  les  rat- 
tacher à  ce  principe,  que  la  justice  originelle  était  due   à  la 
nature.   Ajoutons   que  dans  les  79   propositions  extraites  de 
Baius  par  Pie  V  et  Grégoire  XIII,  il  s'en  trouve  beaucoup  dont 
M.  Scheeben  ne  parle  pas,  et  qui  roulent  sur  les  sacrements, 
sur  le  sacrifice  de  la  Messe,  sur  la  sanctification,  sur   les  lois, 
etc.  Nous  n'oserions  pas  prétendre  qu'il  n'y  a  aucun  lien  secret 
entre  ces  diverses  erreurs;  mais  le  lien  n'est  pas  toujours   an- 
parent, et  bien  qu'il  soit  permis  de  dire  que  les  hérétiques,  dans 
leurs  erreurs,  obéissent  souvent,  qu'ils  le  sachent  ou  non,  à 
une  logique  inflexible,  ce  serait  aller  trop  loin  que  de  chercher 


3K  DE  l'ÈTàT  de  WATORB  [Tome Tin. 

un  lien  entre  toutes  leurs  propositions,  et  de  les  laver  ainsi  du 
reproche  d'inconséquence. 

M.  Scheeben  dit  que  Baïus,  au  lieu  d'entendre,  comuDe  les 
théologiens,  par  intégrité,  les  dons  gratuits  ajoutés  à  la  justice 
originelle,  comprend  sous  ce  nom  la  justice  originelle  elle- 
même.  Nous  ne  voulons  pas  combattre  cette  assertion;  mais 
elle  ne  semble  pas  démontrée  parla  citation  du  c.  3  :  Consiste» 
bat  prima  rectitudinis  integritas,.  non  tantxmi  in  hoc  quod  mente 
per  mtegram  legis  notitiam,  etvoluntate,  per  plenamobedientiam, 
etc.  (p.  7).  Ce  qui,  dans  ce  texte,  se  rapproche  le  plus  de  la  jus- 
tice, c'csiplenam  obedientiam.  Or,  cela  ne  signifie  peut-être  que 
cette  soumission  de  la  volonté,  qui  rentre,  suivant  M.  Scheeben 
lui-même,  dans  l'exemption  de  concupiscence.  Ce  qui  ten- 
drait à  le  faire  croire,  c'est  que  l'obéissance  de  la  volonté 
forme  dans  ce  texte  comme  le  pendant  de  la  connaissance  de 
la  loi  naturelle,  connaissance  qui  était  certainement  un  des 
dons  gratuits  de  second  ordre  ajoutés  à  la  justice. 

Nous  aurions  encore  à  faire  quelques  réserves  au  sujet  de 
la  preuve  du  péché  originel  par  les  contradictions  de  notre 
nature,  mais  cette  question  reviendra  plus  loin.  Analysons 
maintenant  l'ouvrage  réédité  par  M.  Scheeben. 

Le  P.  Casini  annonce  d'abord  le  dessein  de  prouver  la  pos- 
sibilité d'un  état  de  nature,  qui  tient  le  milieu  entre  l'état  de 
grâce  et  l'état  de  péché;  et  il  déclare  que  pour  cela  il  traitera; 
dans  une  première  partie,  de  ce  que  Luther,  Baïus.  Jansénius, 
ont  fort  d'attribuer  à  la  nature;  et,  dans  une  seconde,  de  ce 
qu'ils  ont  tort  de  lui  refuser.  Toutefois,  l'exécution  de  ce  plan  est 
restée  incomplète,  et  le  volume  qui  nous  occupe  est  consacré 
tout  entier  à  la  première  partie. 

La  marche  suivie  par  le  P.  Casini  est  très-méthodique.  Le 
volume  comprend  sept  articles.  Chaque  article  est  divisé  en 
deux  thèses,  dont  l'une  est  consacrée  aux  preuves  d'autorité, 
et  l'autre,  aux  preuves  rationnelles.  Chaque  thèse  est  divisée 
en  trois  paragraphes  dont  le  premier  comprend  les  objections, 
le  deuxième  les  preuves,  et  le  troisième  les  solutions. 


iuill.  1863)  ET  DU   PÉCHfi  ORIGINEL.  39 

Article  l". 

Le  premier  article  est  consacré  à  la  discussion  générale.  Il 
contient  une  ample  moisson  de  textes,  pour  établir,  par  Tauto- 
rité  de  la  Bible  et  des  saints  Pères,  la  gratuité  des  dons  que  le 
péché  originel  nous  a  fait  perdre.  Les  principaux  textes  allé- 
gués en  sens  contraire  s'expliquent  d'eux-mêmes,  quand  on 
sait  que  les  saints  Pères  appelaient  quelquefois  naturels  ces 
dons  primitifs,  pour  signifier  que  l'homme  les  a  reçus  en  même 
temps  que  sa  nature,  et  qu'il  devait  les  transmettre  avec  elle. 

Il  est  un  axiome  célèbre  dans  l'école,  et  qui  semble  jeter 
quelque  nuage  sur  la  thèse  de  l'auteur;  c'est  que,  par  le  péché 
d'Adam,  l'homme  a  été  dépouillé  des  biens  gratuits  et  blessé  dans 
les  biens  naturels,  spoliatum  gratuitis,  vulneratum  in  naturalibus. 
M.  Scheeben,  dans  un  éclaircissement,  fait  d'abord  observer 
que  cet  axiome  n'a  d'autre  autorité  que  celle  des  théologiens 
qui  s'en  servent,  et  que  nous  devons  le  prendre  dans  le  sens 
où  ils  le  prennent.  Cette  observation  est  juste  ;  mais  l'estimable 
éditeur  s'est-il  souvenu  que  le  concile  de  Trente  énonce  une 
proposition  à  peu  près  équivalente,  quand  il  dit  (Sess.  vi,  c,  i) 
que  le  péché  originel  a  affaibli  le  libre  arbitre,  tametsi  in  eis 
liberum  arbitrium  minime  extinctwn  esset,  viribus  licet  atténua^ 
tum  et  inclinatum?  Ceci  soit  dit  pour  la  question  d'autorité  ; 
car  pour  l'interprétation,  on  peut  appliquer  à  cette  parole  du 
concile  tout  ce  que  dit  M.  Scheeben  de  l'adage  des  théologiens. 
11  faut,  dit-il,  distinguer,  dans  la  justice  originelle,  la  sainteté 
qui  élève  l'homme  à  la  dignité  d'enfant  de  Dieu,  et  les  autres 
dons,  qui  ont  pour  but  de  remédier  aux  imperfections  de  la 
nature.  Cette  sainteté  est  surnaturelle  dans  toute  la  force  du 
terme,  et  c'est  elle  que  les  théologiens  ont  en  vue  quand  ils 
disent,  spoliatum  gratuitis.  Les  autres  dons,  bien  qu'également 
gratuits,  sont  contenus  dans  les  limites  de  l'ordre  naturel,  et 
leur  absence  condamne  les  divers  éléments  deuotre  nature  à 


''0  DE   l'état  DE   NATCRE  [Tome  VIII. 

une  lutte  intestine  qui  aboutit  d'elle-même  à  la  concupiscence 
et  à  la  mon.  Il  est  donc  vrai  que,  bien  que  ces  dons  ne  soient 
pas  dus  à  la  nature,  leur  disparition  nous  blesse  dans  nos 
facultés  naturelles. 

Cette  explication  ne  diffère  pas  réellement  de  celle  que 
donnent  les  théologiens,  quand  ils  disent  que  le  péché  originel 
a  affaibli  nos  facultés  par  rapport  à  la  perfection  que  des  pri- 
vilèges gratuits  leur  conféraient  avant  la  chute,  mais  qu'elles 
ne  sont  nullement  affaiblies  par  rapport  à  ce  qu'elles  seraient 
<laus  l'état  de  nature  pure. 

Quaut  à  la  partie  rationnelle  du  premier  article,  voici  la 
substance  des  considérations  qu'elle  contient. 

Aujourd'hui,  par  le  péché  actuel,  nous  perdons  la  grâce 
sanctifiante,  mais  non  les  facultés  naturelles,  comme  celles  de 
parler  et  de  voir.  Or,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  que  le  péché 
originel  blesse  davantage  notre  nature,  puisqu'il  est  moins  vo- 
lontaire. Donc,  tout  ce  qu'il  nous  a  fait  perdre  est  en  dehors 
des  facultés  naturelles. 

En  outre,  si  les  dons  primitifs  avaient  été  dviS  physiquement 
à  notre  nature,  ils  le  seraient  encore,  quoiqu'elle  s'en  soit  ren- 
due moralement  indigne  ;  de  même  que  si  la  privation  d'un  œil 
avait  été  une  des  peines  du  péché  originel,  les  deux  yeux  n'en 
seraient  pas  moins  dus  physiquement  à  notre  nature.  Or,  Baïus 
lui-même  n'ose  pas  aller  jusque  là. 

Puis,  l'indignité  morale  étant  enlevée  par  le  baptême,  il  n'y 
aurait  pas  de  motif  de  ne  pas  nous  rendre  les  dons  originels, 
eu  présence  d'un  droit  physique. 

Enfln,  les  adversaires  admettent-ils,  oui  ou  non,  la  possibi- 
lité de  dons  supérieurs  à  la  nature?  Dans  le  premier  cas, 
qu'imaginer  au-dessus  de  la  justice  originelle?  Dans  le  second, 
à  quel  titre  limiter  ainsi  la  puissance  de  Dieu? 

Telles  sont  les  raisons  que  donne  l'auteur.  La  seconde  ne 
nous  semble  être  qu'un  argument  ad  hominem.  On  pourrait  la 
fortifier  en  disant  que  la  nature  elle-même  se  sent  moins  en- 


Juin    iSnS]  ET  DU   PÉCHÉ   ORIGINEL.  4,1 

tamée  par  la  perte  des  dons  primitifs,  qu'elle  ne  le  serait  par 
celle  d'un  œil.  Quant  à  la  troisième  preuve,  elle  n'est  pas 
rigoureuse,  Dieu  étant  libre  de  fixer  les  conditions  du  pardon 
comme  il  l'entend. 

Restent  les  objections  à  résoudre.  Baïus  fait  remarquer  que 
les  peines  énumérées  au  III^  chapitre  de  la  Genèse,  m  dolorepu' 
ries,  in  luboribus  comedes,  etc.,  appartiennent  à  l'ordre  naturel. 
Jansénius,  au  contraire,  prétend  que  les  dons  originels,  même 
en  les  supposant  dus  à  Tiiomme,  seraient  encore  surnaturels, 
car  ils  seraient  au-dessus  des  forces  de  la  nature.  Ce  seraient 
aussi  des  grûces,  dil-il,  car  ils  seraient  dus  physiquement, 
Don  moralement,  ou  comme  objet  de  mérite. 

La  première  objection  repose  sur  une  fausse  idée  de  l'ordre 
naturel.  Il  est  des  choses  qui  appartiennent  à  cet  ordre, 
comme  l'exemption  de  la  douleur,  et  qui  cependant  ne  sont 
pas  dues  à  la  nature;  c'est  ce  que  les  théologiens  appellent 
prœternuturale.  La  seconde  objection,  au  contraire,  repose  sur 
une  fausse  idée  de  l'ordre  surnaturel.  Il  ne  faut  pas  ranger 
dans  cet  ordre  tout  ce  qui  est  au-dessus  des  forces  de  notre 
nature.  Car  l'action  par  laquelle  Dieu  nous  conserve,  par 
exemple,  est  certainement  au-dessus  de  nos  forces,  et  cepen- 
dant non-seulement  elle  n'est  pas  surnaturelle,  mais  elle  n'est 
pas  même  préternaturelle ,  car  elle  est  due  à  la  nature.  La  troi- 
sième objection  tombe  devant  cette  considération  fort  simple 
qu'un  droit  physique  est  bien  plus  oppose  à  la  grâce  qu'un 
droit  morale  ou  mérite,  lequel  suppose  une  promesse  libre  de 
Dieu. 

M.  Scheeben  ajoute  ici  une  dernière  considération  théolo- 
gique.  II  convient,  dit-il,  que  l'homme,  pour  un  péché  per- 
sonnel, soil  privé  de  quelques-uns  des  biens  dus  à  la  nature, 
surtout  de  la  possibilité  d'atteindre  sa  fin  naturelle  ;  mais  il 
répugne  qu'il  soit  privé  de  cette  possibilité  en  peine  d'un 
péché  non  personnel.  Les  adversaires,  qui  rejettent  l'état  de 
nature  pure,  parce  qu'il  leur  semble  injuste  que  l'homme  in- 


42  DE  l'état  de  nature  ITomeVm. 

Doceut  passe  par  la  douleur  pour  arriver  à  un  bonheur  natu- 
rel, doivent  trouver  bien  plus  injuste  que  pour  une  faute  non 
volontaire  un  homme  soit  privé  de  sa  fin  naturelle.  Donc,  puis- 
qu'ils disent  que  tous  les  dons  primitifs  étaient  naturels,  ils 
doivent  conclnre  que  les  enfanis  d'Adam,  qui  meurent  avec  le 
seul  péché  originel,  sont  admis  à  la  vision  intuitive. 

Article  II.  —  De  l'Immortalité. 

L'article  II  traite  en  particulier  la  question  de  l'immortalité. 
Parmi  les  nombreux  textes  des  saints  Pères  qui  y  sont  rap- 
portés, nous  remarquons  celui-ci  de  saint  Augustin  (1  de  Pecc. 
me)\,  c.  3,  n.  3)  :  Sicut  enim  hxc  ipsa  caro  quam  nunc  habemus 
non  ideo  non  est  vulnerabilis  quia  non  est  necesse  ut  vulneretur, 
tic  illa  non  ideo  non  fuit  mortalis  quia  non  erat  necesse  ut  more- 
retur.  C'est-à-dire,  le  premier  homme  pouvait  avoir  un  corps 
mortel,  quoique,  par  privilège,  il  fût  afifranchi  de  la  nécessité 
de  mourir.  Saint  Augustin,  dans  un  autre  passage,  se  sert 
d'une  autre  comparaison.  Il  rappelle  les  vêtements  que  les  Is- 
raélites portèrent  quarante  ans  dans  le  désert  sans  les  user, 
propriété  que  ces  vêtements  ne  devaient  certes  pas  à  leur  na- 
ture. 

L'auteur  cite  un  texte  où  saint  Jean  Damascène  dit  qu'une 
nature  contingente  ne  peut  être  immortelle  que  par  un  don 
de  Dieu.  M.  Scheeben  fait  observer  que  cette  raison  ne  prouve 
pas  la  thèse,  car  bien  que  toute  créature  ne  puisse  avoir 
qu'une  immortalité  empruntée,  il  est  cependant  des  créatures 
à  qui  cette  immortalité  empruntée  est  naturelle.  Or,  il  s'agit  de 
montrer  qu'il  eu  est  autrement  de  l'homme. 

Trois  preuves  rationnelles  sont  présentées  par  l'auteur  dans 
cet  article. 

D'abord,  la  mort  est  le  terme  naturel  de  tout  être  qui  a  be- 
soin d'aliment,  et  qui  est  composé  d'éléments  en  lutte  les  uns 
contre  les  autres.  Car  la  chaleur  vitale  qui  agit    sur   les  ali- 


Juin.  18G3.]  ET  DD   PÉCHÉ   OHIGINEL.  43 

meuts  s'affaiblit  peu  à  peu;  et  d'ailleurs  il  n'est  guère  possible 
que  les  aliments  ne  troublent  pas  à  la  longue  l'équilibre  des 
humeurs.  Aussi  y  avait-il,  dans  le  paradis  terrestre,  un  arbre 
destiné  à  combattre  ce  principe  de  mort. 

Ensuite  les  causes  extérieures  qui  mettent  la  vie  en  danger 
6ont  tellement  nombreuses,  que  l'homme  n'eût  pu  les  éviter 
toujours,  ou  les  affronter  impunément,  sans  un  privilège  qui 
n'est  pas  dû  à  sa  nature. 

Enûn,  l'immortalité  était  la  récompense  promise  à  la  fidé- 
lité du  premier  homme.  Or,  Dieu  eût-il  proposé  comme  récom- 
pense quelque  chose  qui  eût  été  dû  à  la  nature  humaine? 
Quand  un  roi  annonce  qu'il  punira  de  mort  les  assassins, 
est-ce  une  récompense  pour  les  autres  de  n'avoir  pas  la  tête 
coupée? 

On  objecte  qu'un  bonheur,  au  moins  naturel,  est  dû  à 
l'homme,  et  que,  selon  saint  Augustin  {Serm.  SQQinNat.mart.), 
il  n'est  pas  de  vie  bienheureuse  qui  ne  soit  immortelle. 
L'auteur  répond  qu'il  s'agit  maintenant  de  ce  qui  est  dû  à 
la  nature  dans  la  création,  et  non  de  ce  qui  est  dûàla  volonté 
dans  la  rémunération;  que  d'ailleurs  ce  bonheur  naturel  ne 
serait  dû  que  dans  l'autre  vie  et  peut-être  à  l'âme  seulement. 

Article  III.  —  De  la  Douleur. 

II  s'agit  de  prouver  que  l'exemption  de  la  douleur  n'est  pas 
due  à  la  nature  humaine,  même  innocente.  La  preuve  d'auto- 
rité repose  sur  les  textes  de  l'Écriture  et  des  Pères,  qui  com- 
parent le  pouvoir  de  Dieu  sur  les  créatures  à  celui  du  potier 
sur  l'argile.  Une  digression  intéressante  établit  contre  Jansé- 
niusetles  Bénédictins  que  dans  saint  Augustin  {Enarr.  inps.lO, 
n.  i),  il  faut  lire  :  Quis  enim  diceret  ei,  Quid  fecisti,  si  damnaret 
JUSTUM?  Quanta  ergo  misericordia  ejus  ut  justificel  injustum.  Il 
saute  aux  yeux  qu'en  remplaçantjMS/Mmpar  injustum,  on  énerve 
la  pensée  et  on  défigure  l'expression.  Il  est  vrai  qu'au  premier 


i't  DB  l'état  de  nature  [Tome  VIII. 

abord,  il  y  a  dans  les  mots  damnaret  justum  quelque  chose 
d'étrange  ;  mais  cette  manière  de  parler  qui  se  retrouve, 
d'ailleurs,  dans  saint  Chrysostôme  (1.  ii  de  Comp.  cordis),  dans 
saint  Macaire  [Hom.  xv)  et  même  dans  la  sainte  Écriture,  peut 
s'entendre,  dit  JM.  Scheeben,  delà  permission  du  péché,  quel- 
quefois même  de  malheurs  temporels.  J'ajouterai  que  le  juste 
xie  mériterait  pas  la  gloire  sans  une  promesse  de  Dieu.  Quand 
donc  saint  Augustin  dit  que  Dieu  pourrait  damner  un  juste, 
cela  signifie  que  Dieu  pourrait  donner  à  un  homme  la  justice, 
sans  lui  promettre  ni  lui  donner  la  béatitude  céleste  :  asser- 
tion conforme  aux  principes  les  plus  avérés  de  la  théologie. 

Mais  il  y  a  une  grande  difficulté  :  c'est  que  souvent  saint 
Augustin  semble  dire  qu'il  serait  contraire  à  la  bonté,  à  la 
justice,  à  la  providence  de  Dieu,  de  laisser  l'homme  en  butte 
aux  misères  de  cette  vie,  si  elles  n'étaient  des  châtiments  du 
péché.  Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  grave,  c'est  qu'après  avoir  dit 
contre  les  Manichéens,  dans  le  troisième  livre  sur  le  Libre 
Arbitre,  que  les  enfants,  même  innocents,  pourraient  être 
sujets  à  la  douleur,  parce  que  Dieu  pourrait  tirer  de  là  un 
plus  grand  bien  pour  les  autres  et  pour  eux-même?,  il  semble 
se  rétracter  dans  la  lettre  à  saint  Jérôme  sur  l'origine  de  l'âme 
{Ep.'m.al.  166,  c.  7,  n.  19). 

Le  premier  texte  objecté  :  Cui  noceri  non  poterdt,  crudelis 
voluntas  fuit.!.  [Contra  Fortunat.),  n'offre  aucune  difficulté. 
Saint  Augustin  dit  à  un  manichéen:  Vous  prétendez  que  Dieu 
a  envoyé  nos  âmes  pour  lutter  contre  le  mauvais  principe,  et 
que,  dans  cette  lutte,  elles  ont  été  viciées  indépendamment  du 
libre  arbitre.  Puisque  vous  avouez  que  Dieu  n'avait  rien  à 
craindre  du  mauvais  principe,  c'est  donc,  selon  vous,  par 
cruauté  pure  qu'il  a  plongé  nos  âmes  dans  tous  les  maux  qui 
les  accablent.  —  Ou  voit  que  le  mot  crudelis  tombe  non  sur 
l'état  de  nature,  mais  sur  le  système  manichéen. 

Il  est  moins  aisé  d'expliquer  les  endroits  où  saint  Augustin 
dit  que,  sans  le  péché  originel.  Dieu  serait  injuste  d'affliger 


^uill.  18G3.)  ET  DD   PÉCHÉ  ORIGINEL.  4S 

les  enfants(l.  vr,  Cont.  JuL,  c.  xxi,  n.  67,  etc.). — Suivant  le  P. 
Casini,  le  saint  Docteur  suppose  prouvé  que  nul  ne  perd,  sans 
Ctre  pécheur,  les  biens  originels.  M.  Sclieeben  aime  mieux 
penser  que  saint  Augustin  raisonne  ainsi  contre  les  pélagiens: 
Vous  dites  que  l'état  primitif  de  l'homme  a  été  heureux  ;  or, 
son  état  actuel  est  loin  de  l'être;  donc.  Il  a  mérité  par  un  péché 
cette  déchéance.  Ces  réponses  ne  nous  satisfaisant  pas,  nous 
avons  lu  plusieurs  traités  entiers  de  saint  Augustin  pour  nous 
former  une  opinion;  mais  nous  avons  bieniôt  reconnu  que 
c'est  là  une  question  compliquée  qu'il  est  impossible  d'étudier 
et  de  traiter  incidemment,  et  qui  mérite  d'être  l'olget  d'un 
travail  spécial.  Quant  à  la  contradiction  apparente  entre  le  troi- 
sième livre  du  Libre  arbitre  et  la  lettre  à  saint  Jérôme,  elle  a 
préoccupé  saint  Augustin  lui-même.  Dans  l'ouvrage  sur  le 
Libre  arbitre^  dit-il  (i  Ret.^  c.  iXj  n.  6  ;  de  Dono  pers.,  c.  xi  et 
m),  il  discutait  contre  les  manichéens  qui  n'admettent  pas  le 
péché  originel  ;  et,  voulant  montrer  que  les  douleurs  des  en- 
fants pouvaient  venir  de  Dieu  sans  injustice,  il  a  dû  donner 
ime  raison  qui  fût  valable,  quand  même  ces  douleurs  ne  se- 
raient pas  des  châtiments.  Dans  la  lettre  à  saint  Jérôme,  au 
contraire,  cherchant  à  montrer  qu'il  ne  répugne  pas  à  la  jus- 
tice divine  d'infliger  aux  enfants  des  douleurs  qui  ont  le 
caractère  de  châtiment,  il  devait  avouer  que  l'idée  d'une  com- 
pensation future,  à  laquelle  il  s'était  arrêté  dans  une  autre 
h^'pothèse,  est  d'autant  plus  inadmissible  en  réalité,  que  les 
enfants  morts  sans  baptême  n'ont  à  attendre,  après  les  mi- 
sères de  cette  vie,  qu'un  mal  plus  grand  encore.  Quss  com.' 
pensatio  cogifanda  est,  quibus  insuper  et  damnatio  prxparataest? 
M.  Scheeben  résume  les  arguments  des  saints  Pères  dans 
un  éclaircissement  qui  ressemble  beaucoup  à  la  partie  ration- 
nelle de  l'article  m.  Dans  ce  dernier  fragment,  l'un  des  plus 
remarquables  du  volume,  Casini  conclut  d'abord  directement  et 
â  fortiori  de  la  mort  à  la  douleur  ;  puis,  il  montre  que  les 
mêmes  raisons  pour  lesquelles  l'homm'e  est   naturellement 


•*6  DE  l'état  de  nature  [TomeVni. 

mortel,  l'assujettissent  naturellement  à  la  douleur;  car,  dans 
Tétat  de  nature  pure,  Dieu  n'eût  pas  été  obligé  de  suspendre 
toutes  les  causes  intérieures  des  maladies,  ni  de  prévenir  tous 
les  accidents,  toutes  les  impressions  désagréables  des  objets- 
exlérieurs.  Ensuite,  continue  l'auteur  dans  une  argumen- 
tation pressante,  les  douleurs  physiques  ne  rendent  pas 
l'homme  véritablement  misérable,  puisqu'elles  ne  le  séparent 
pas  de  Dieu.  Au  contraire,  elles  exercent  les  vertus,  rehaussent 
les  mérites,  sont  même  une  jouissance  pour  le  juste  qui  les  re- 
çoit de  Dieu.  Il  est  donc  faux  que  Dieu  ne  les  puisse  infliger 
que  comme  châtiments.  Comment!  Dieu  peut  permettre  le 
péché  pour  en  tirer  un  plus  grand  bien,  et  il  serait  obligé 
d'empêcher  la  douleur,  qui  n'est  pas  un  vrai  mal,  et  de  laquelle 
il  peut  tirer  aussi  des  biens  de  Tordre  le  plus  élevé  !  Dieu  a  pu 
permettre  que  Thomme  innocent  fût  tenté  par  le  démon,  et  il 
n'aurait  pu  l'éprouver  par  le  froid  !  L'ayant  exposé  à  un  péril 
plus  grand,  il  n'aurait  pu  l'exposer  à  un  moindre  !  Peut-être 
qu'Adam  et  Eve  n'eussent  pas  succombé,  si,  au  lieu  d'avoir  à 
repousser  le  démon,  ils  n'eussent  eu  à  lutter  que  contre  la 
douleur. 

M.  Scheeben  fait  remarquer  (p.  81)  que  les  jansénistes,  si 
jaloux  d'écarter  de  la  nature  innocente  la  moindre  douleur 
physique,  ne  se  font  aucun  scrupule  de  condamner  à  des 
tourments  sans  fin  une  âme  qui  n'a  ajouté  au  péché  originel 
aucune  faute  volontaire.  Il  fait  observer  aussi  (p.  102)  que 
puisque  Dieu  peut  laisser  en  butte  à  la  douleur  physique 
r  homme  en  qui  le  péché  originel  est  effacé,  il  aurait  pu,  au 
même  titre,  imposer  la  même  épreuve  à  l'homme  innocent. 

C.  Berton, 

Cliaa.  bon.  d'Amieiu  et  de  Perpignan. 
{La  fin  au  prochain  numéro.) 


DIVERSES   CONCESSIONS 


FAITES  PAR  LE  SAINT  SIEGB 


AU    DIOCÈSE    DE    BEAU  VAIS 


Monseigneur  Tévêque  de  Beauvais,  par  une  lettre  circulaire 
eu  date  du  20  novembre  1862,  fait  connaître  à  son  clergé 
plusieurs  induits  et  diverses  concessions  qu'il  vient  d'obtenir 
du  Saint-Siège  en  faveur  de  son  diocèse.  Il  est  parfois  difficile 
de  trouver  les  moyens  de  se  bien  renseigner  sur  les  points  du 
droit  commun  dont  l'autorité  du  Saint-Siège  juge  à  propos  de 
dispenser  en  certains  cas,  et  sur  les  motifs  qui  peuvent  donner 
lieu  à  ces  dispenses.  Nous  trouvons  ces  renseignements  dans 
cette  circulaire.  Ils  peuvent  à  la  fois  nous  fournir  de  nouvelles 
lumières  sur  la  science  du  droit  canonique  et  de  la  liturgie 
sacrée,  et  prévenir  des  embarras  dans  la  pratique.  Il  ne  sera 
donc  pas  sans  intérêt  d'en  donner  connaissance  à  nos  lecteurs. 

Avant  d'entrer  en  matière,  nous  devons  faire  une  remarque. 
Certaines  concessions  particulières  peuvent  être  jugées  utiles 
à  plusieurs  diocèses  où  la  liturgie  romaine  a  été  récemment 
rétablie.  Dans  une  liturgie  dont  la  suppression  est  exigée  par 
le  droit,  il  peut  se  tronver  des  usages  sur  lesquels  l'autorité  du, 
Saint-Siège  se  montre  plus  indulgente.  Il  ne  faudrait  pas  croire 
cependant  que  ces  permissions  pussent  constituer  un  droit 
nouveau  pour  les  églises  de  France,  comme  semblerait  le  faire 
supposer  un  article  publié  dans  la  Revue  catholique,  numéro 
de  février  1863,  p.  79. 


-iS  CONCESSIONS   FAITES  PAR  LE   SAlNT-SIÉGE  [Tome  Yllî. 

Nous  y  lisons  : 

«  Le  rétablissement  de  la  liturgie  romaine  en  France  ne  pouvait  se 

«  faire  sans  que  INN.  SS.  les  évoques,  connaissant  l'esprit  des  popu- 

«  lations  et  la  prédilection  des  fidèles  pour  les  usages  anciens,  ne 

«  fussent  amenés  à  solliciter  certaines  permissions  ou  concessions  dont 

a  l'ensemble  constituera  le  régime  ou  le  inodus  vivendi  de  chaque 

0  diocèse.  II  y  a  intérêt  à  étudier  la  formation  de  ce  que  l'on  pourrait 

«  appeler  le  droit  nouveau  en  cette  matière.  » 

Mgr  l'évèque  de  Beauvais  annonce  qu'il  fera  réunir  eu  un 
seul  et  même  volume  toutes  les  concessions  qu'il  a  obtenues 
pour  son  diocèse.  A  ce  sujet,  et  en  terminant,  l'auteur  de 
Tarticle  cité  s'exprime  ainsi  : 

a  Lorsque  Mgr  l'évèque  de  Beauvais  aura  réalisé  la  promesse  con- 
«  tenue  dans  sa  Lettre  circulaire,  nous  ferons  connaître  à  nos  lecteurs 
«  la  publication  qui  devra  fixer,  dans  l'un  des  diocèses  de  France,  ces 
0  règles  liturgiques  dont  l'ensemble  formera,  nous  l'avons  dit,  le  droit 
«  nouveau  de  nos  églises.  » 

En  prenant  ces  paroles  à  la  lettre,  on  pourrait  être  trompé 
sur  la  nature  des  concessions  qui  nous  occupent.  Ce  sont  des 
exceptions  à  la  règle  générale,  applicables  seulement  au 
diocèse  pour  lesquelles  ou  les  accorde,  el  qui  ne  modifient  en 
rien  le  droit  commun.  Tout  le  monde  comprendra  l'importance 
de  cette  observation  préliminaire. 

§  1 .  Induits  Apostoliques. 

I.  Le  premier  induit  est  relatif  aux  fêtes  des  Patrons  et  des 
Titulaires.  Déjà  depuis  longtemps  nous  nous  sommes  proposé 
de  publier  dans  une  suite  d'articles  quelque  chose  de  complet 
^8ur  cette  matière.  Mais  la  nécessité  de  traiter  diverses  questions 
dont  la  solution  nous  était  demandée  n'a  pas  pu  nous  permettre 
encore  de  réaliser  ce  projet.  Plusieurs  consultations  sont  encore 
restées  sans  réponse,  à  cause  des  limites  dans  lesquelles  nous 
sommes  obligés  de  nous  restreindre.  Nous  avons  cependant 
traité,  t.  v,p.  480,  le  point  auquel  se  rapporte  l'induit  dont  il 


Jiill.  1863.]  AU    DIOCÈSK  DE  BEAUVAIS.  Vi 

est  ici  question.  De  ce  que  nous  avons  dit  alors^  il  résulte  que 
bien  des  règles  canoniques  et  liturgiques  ont  été  violées  eu 
France  dans  la  célébration  des  fêtes  patronales.  Les  formalités 
pour  l'élection  des  patrons,  requises  par  le  décret  du  23  mars 
1630,  rapporté  t,  vi,  p.  481,  n'ont  point  été  gardées,  au  moins 
dans  la  généralité  des  élections,,  et  la  légitimité  de  la  plupart 
des  patrons  serait  bien  difficile  à  prouver;  de  plus,  parmi  ces 
patrons,  il  est  des  saints  dont  le  nom  ne  se  trouve  pas  dans  le 
martyrologe;  enfin,  des  saints  honorés  comme  patrons  sont 
de  simples  titulaires  dont  la  solennité  ne  peut  pas,  d'après 
le  décret  du  cardinal  Caprara,  être  transférée  au  dimanche 
suivant  (1).  La  légitimité  de  quelques-uns  de  ces  titulaires 
peut  même  être  révoquée  en  doute.  En  outre,  il  est  d'usage, 
dans  certaines  églises,  de  célébrer  solennellement  la  fête  se- 
condaire du  Patron  et  du  Titulaire,  et  d'en  reporter  la  solen- 
nité à  un  dimanche  ;  on  a  coutume  encore  de  célébrer  des 
fêtes  de  confrérie  et  de  corporation  en  l'honneur  d'un  saint 
dont  on  ne  fait  pas  l'office,  ou  dont  l'office  doit  être  parfois 
supprimé  ou  transféré;  cette  fête  doit  même  être  quelquefois 
reportée  à  un  autre  jour  auquel  les  messes  votives  sont 
interdites.  Un  certain  nombre  de  paroisses  ont  pour  patron 
saint  Martin  dont  la  solennité  se  trouve  souvent  en  occur- 
rence avec  lu  fête  de  la  Dédicace.  Enfin,  il  est  des  églises  qui 
n'ont  pas  droit  à  une  fête  patronale. 

La  piété  des  fidèles  pourrait  être  affligée  par  le  rétablissement 

0)  Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  traiier  celle  question.  Nous 
irouvons  à  l'endroit  cité  ci-dessus  et  dans  l'induU  soIJicilé  |  ar  Mod- 
seigneur  l'évêque  de  Beauvais,  la  réponse  à  une  consultation  qui  nous 
a  été  adressée  par  un  de  nos  abonnés,  à  savoir  :  Si  l'usage  de  consi- 
dérer le  titulaire  de  l'Église  comme  patron  du  Ueu  suffit  pour  légiti- 
mer la  translation  de  sa  solennité  au  dimanche  sui^'ant  et  obliger  le 
curé  à  dire  la  Messe  pour  la  paroisse?  Il  est  clair  que  la  translation 
de  la  solennité  n'est  pas  légitime  en  droit,  et  que  la  fêle  du  titulaire 
n'étant  point  de  précepte,  le  curé  n'est  pas  obligé  de  dire  la  Mess© 
"^our  la  paroisse. 


SO  CONCESSIONS  FAITES  PAR  lE  SAlNT-SlÉGE  [TomeVin. 

pur  et  simple  du  droit  commun  sur  tous  ces  points.  Monseigneur 
i'évêque  de  Beauvais  a  donc  exposé  cet  état  de  choses  à  la 
S.  C.  des  Rites,  et,  par  un  induit  du  5  juin  1862,  a  obtenu  les 
permissions  suivantes  : 

1»  Toutes  les  paroisses  du  diocèse  pourront  honorer  comme 
patron  le  saint  qui  est  actuellement  considéré  comme  tel,  bien 
que  les  règles  prescrites  par  le  décret  d,'Urbain  VIII,  en  date 
du  23  mars  1630^  n'aient  pas  été  observées  dans  l'élection, 

2°  Les  églises  auxiliaires  et  non  paroissiales,  n'ayant  même 
aucun  titre,  jouissent  du  même  privilège  quant  à  la  célébra- 
tion de  leur  fête  patronale. 

3°  Si  le  saint  Patron  ne  se  trouve  pas  dans  le  Martyrologe 
ou  dans  le  propre  diocésain,  il  peut  être  conservé,  à  la  condi- 
tion toutefois  que  sa  fête  ait  été  concédée  à  un  autre  diocèse 
par  l'autorité  du  Saint-Siège. 

4°  Dans  les  églises  où  l'usage  est  établi  de  célébrer  une 
messe  solennelle  du  Patron  à  un  autre  jour  que  celui  qui  est 
assigné  dans  le  Martyrologe  ou  le  propre  diocésain,  on  peut 
conserver  cette  coutume;  mais  l'office  du  Patron  et  son  octave 
demeurent  à  leur  jour  propre. 

5*  Mgr  l'évèque  de  Beauvais  peut  autorise]'  nomine  et  aucto- 
ritate  Sanctx  Sedis,  et  pour  des  raisons  jugées  par  lui  suflS- 
santes,  à  continuer  l'usage  existant  dans  certaines  églises  de 
célébrer  une  messe  solennelle  du  Patron  le  dimanche  qui 
suit  la  fête  secondaire  de  ce  saint,  outre  le  dimanche  le  plus 
rapproché  de  l'incidence  de  la  fête  principale,  en  se  conformant 
aux  rubriques, 

6°  Il  peut  aussi  permettre  de  célébrer  une  messe  solennelle 
en  l'honneur  des  saints  patrons  des  confréries  et  corporations, 
au  jour  de  leur  fête,  si  la  messe  du  saint  est  approuvée  pour 
un  diocèse  quelconque.  Cette  messe  peut  être  reportée  à  un 
autre  jour,  quand  celui  de  l'incidence  est  un  dimanche,  un  jour 
de  jeûne  ou  d'abstinence,  de  foire,  etc. 

7°  Dans  les  églises  où  la  fête  de  saint  Martin  est  patronale, 


/ 


Juin.  1863]  AC  DIOCÈSE   DE  BEAUVAIS.  51 

on  peut  célébrer  la  messe  solennelle  de  ce  saint  le  dimanche 
qui  suit  le  11  novembre,  même  quand  ce  dimanche  est  le  pre- 
mier'après  l'octave  de  la  Toussaint.  On  fait  alors  à  cette  messe 
mémoire  de  la  Dédicace.  Quand  le  H  novembre  est  un  di- 
manche, Toffice  est  de  saint  Martin,  et  la  fête  de  la  dédicace 
est  transférée  au  12,  déplaçant  ainsi  ceL'e  de  saint  Martin,  pape» 
qui  est  transférée  selon  les  rubriques. 

8°  Dans  les  oratoires  des  communautés  où  il  n'est  pas  pos- 
sible do  chanter  la  graud'messe,  on  pourra  célébrer,  les  di- 
manches auxquels  une  solennité  est  transférée,  une  messe 
basse  de  la  fête,  toujours  avec  la  même  autorisation. 

II.  Le  deuxième  induit  est  relatif  aux  messes  ôe  Requiem^  et 
dispense  les  prêtres  du  diocèse  de  Beauvais  de  plusieurs  des 
règles  que  nous  avons  énoncées  au  sujet  de  ces  messes.  Cette 
dispense  est  cependant  une  simple  tolérance,  et  le  Saint-Père 
fait  exprimer,  par  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites,  le  désir 
de  voir  arriver  le  moment  où,  par  le  zèle  et  les  soins  de  Mon- 
seigneur Tévêque,  les  règles  liturgiques  pourront  êtrerétabUes 
sans  froisser  les  fidèles.  En  vertu  de  ces  dispenses  : 

1<»  On  pourra  célébrer  une  messebasse  pour  les  inhumations 
dans  les  hospices,  les  hôpitaux,  et  les  communautés  où  il  n'^'  a 
pas  de  chantres  pour  chanter  la  messe,  tous  les  jours,  excepté 
aux  fêtes  doubles  de  première  classe  et  aux  jours  auxquels  on 
ne  peut  pas  faire  une  fête  double. 

2<»  11  sera  permis  de  célébrer  une  messe  basse  de  Requiem 
pour  un  anniversaire  non  fondé,  tous  les  jours  auxquels  on 
peut  chanter  une  messe  de  Requiem  pour  un  anniversaire 
fondé.  Cette  messe  peut  être  dite  soit  le  jour  même  de  l'an- 
niversaire, soit  un  autre  jour    proche  de  l'anniversaire. 

30  On  pourra  chanter  une  messe  de  Requiem  en  présence  du 

corps,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste  et  le  jour  de  la 

\  fête  de  la  dédicace  des  églises  de  France,  quels  que  soient  dail- 

tirs  les  dispositions  des   décrets,  et  le  sentiment  des  rubri- 
tes. 


S2  CONCESSIONS  FAITES  PAR   LB  SAINT-SIÊGB  [Tome  VIII. 

En  vertu  d'une  autre  concession  obtenue  du  Saint-Père  par 
Monseigneur  l'évêque  de  Beauvais,  on  pourra  célébrer  une 
messe  chantée  de  Requiem  à  l'intention  de  tous  les  défunts 
d'une  paroisse,  le  lendemain  de  la  solennité  extérieure  du  Pa- 
tron, tous  les  jours,  excepté  les  doubles  de  première  classe  et 
ceux  auxquels  on  ne  peut  chanter  la  messe  de  Requiem  en  pré- 
sence du  corps. 

III.  Des  permissions  sur  le  binage  sont  l'objet  du  troisième 
induit.  «Dans  notre  second  synode  diocésain,  dit  Monseigneur 
«  l'évêque  de  Beauvais  dans  sa  lettre  circulaire,  nous  avons 
0  provisoirement  maintenu,  conformément  à  nos  statuts  de 
a  1852,  l'autorisation  du  binage  en  un  certain  nombre  de  fêtes 
et  appelées  de  dévotion,  où  l'obligation  d'assister  à  la  messe 
a  n'existe  pas  pour  les  fidèles.  Malgré  plusieurs  réponses  ué- 
«  gatives  qui  n'accordent  que  des  permissions  très-restreintes 
a  et  temporaires,  adressées  à  d'autres  diocèses,  nous  conser- 
«  vions  l'espoir  d'obtenir  du  Saint-Siège  une  autorisation  plus 
0  étendue,  que  nous  considérions  comme  très-importante  dans 
a  notre  diocèse.  Les  considérations  que  nous  avions  à  faire  va- 
a  loir,  et  en  particulier  la  difficulté  de  concilier  le  passage  de 
a  l'induit  pro  Reductione  festorum,  où  le  cardinal  Caprara  dé- 
a  clare  qu'on  ne  doit  rien  changer^  en  ces  jours  de  fêtes  suppri- 
<(  inées^  à  l'ordre  accoutumé  et  au  rite  des  divins  offices  et  des 
«  cérémonies  saintes,  avec  la  défense  de  biner,  parurent  assez 
a  graves  à  plusieurs  membres  de  la  Sacrée  Congrégation  du 
«  Concile  pour  leur  faire  penser  qu'un  décret  général,  déci- 
(i  dant  la  question  dans  un  sens  favorable  au  binage,  devait 
a  être  rendu  par  cette  Congrégation.  Une  difficulté  inattendue 
0  étant  venue  empêcher,  pour  le  moment,  l'émission  de  ce 
a  décret  général,  le  Souverain-Pontife  nous  a  accordé,  pour  le 
((  diocèse,  un  induit  particulier  et  sans  limite  déterminée  de 
0  temps.  » 

Le  Saint- Père  donc,  eu  égard  à  des  circonstances  spéciales, 
et  surtout  pour  favoriser  la  religion,  la  piété  et  la  dé^'otion 


JuiU.  1R03.1  AU  DIOCÈSE   DB  BEAUVATS.  33 

des  fidèles  envers  la  très-sainte  "Vierge,  accorde  à  Mgr  l'évêque 
de  Beanvais,  par  l'organe  de  la  S.  C.  du  Concile,  le  pouvoir 
d'autoriser  les  curés  de  son  diocèse  qui  sont  chargés  du  soin  de 
plusieurs  églises,  à  biner,  s'il  n'y  a  pas  d'autre  prêtre  pour 
dire  l'une  des  deux  messes,  aux  fêtes  de  la  Circoncision  de 
Notre-Seigneur;  de  la  Purification,  de  l'Annonciation,  de  la 
Nativité  et  de  l'Immaculée  Conception  de  la  sainte  Vierge  ;  le 
lundi  de  Pâques  ;  le  lundi  de  la  Pentecôte  ;  le  lendemain  de 
Noël  ;  le  mercredi  des  Cendres;  le  jeudi-saint  et  le  jour  de  la 
Commémoration  des  fidèles  défunts  ;  la  veille  de  Pâques  et 
la  veille  de  la  Pentecôte. 

Monseigneur  accorde  généralement  celte  permission  aux 
prêtres  chargés  de  plusieurs  églises;  il  excepte  seulement  le 
Samedi  saint  et  la  veille  de  la  Pentecôte,  puisque  dans  le  sixième 
induit  relaté  ci-après,  il  est  permis  de  faire  ces  deux  jours, 
dans  les  églises  annexes,la  bénédiction  des  fonts  sans  célébrer 
la  messe. 

IV.  Le  quatrième  induit  a  pour  but  d'autoriser  pour  l'usage 
du  diocèse  une  édition  spéciale  du  Rituel  romain  avec  inter- 
rogations en  français  et  en  latin  et  des  exhortations  en  français 
placées  en  dehors  du  texte,  ainsi  qu'un  supplément  renfermant 
des  formules  de  bénédictions  déjà  préalablement  approuvées 
pour  le  diocèse  par  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites. 

V.  Le  cinquième  induit  transfère  d*  au  troisième  dimanche 
de  l'Avent,  la  solennité  de  l'Immaculée-Conception  de  la  très- 
sainte  Vierge,  accordée  pour  le  deuxième,  toutes  les  fois  que 
le  deuxième  dimanche  on  doit  célébrer  la  solennité  d'une  fête 
patronale;  2°  au  deuxième  dimanche  d'octobre,  la  solennité 
delà  fête  du  Rosaire,  dans  les  églises  où  le  premier  dimanche 
eerait  empêché  par  une  fête  d'un  rite  supérieur,  ou  si  l'on 
devait  y  célébrer,  ce  même  jour,  la  solennité  d'une  fête 
patronale. 

VI.  Le  sixième  induit  se  rapporte  à  la  bénédiction  des  fonts, 
le  samedi-saint  et  la  veille  de  la  Pentecôte,  au  chant  de  la  Pas- 


54  CONCESSIONS   FAITES   PAR   LE  SAINT-SIÈGE  [TomeVllI, 

sion  le  dimanche  des  Rameaux  et  le  vendredi-saint,  et  aux  pro- 
cessions des  grandes  et  des  petites  litanies. 

Sa  Sainteté  a  daigné  permettre  de  conserver  certaines  cou- 
tumes existant  dans  le  diocèse  de  Beauvais  jusqu'à  ce  qu'elles 
puissent  être  abolies  sans  froisser  les  fidèles.  En  vertu  de  celte 
concession  : 

1°  Les  prêtres  auxquels  est  confié  le  soin  de  deux  églises, 
pourront  faire  dans  la  seconde  la  bénédiction  du  cierge  pascal 
et  des  fonts  le  samedi-saint,  et  la  bénédiction  des  fonts  la 
veille  de  la  Pentecôte,  sans  lire  les  prophéties  et  sans  célébrer 
la  messe.  Ils  feront  la  fonction  entière  dans  l'église  prin- 
cipale. 

2*  Dans  les  églises  où  il  n'y  a  ni  prêlres,  ni  diacres,  ni 
clercs  pour  chanter  la  passion  le  dimanche  des  Rameaux  ou  le 
vendredi-saint,  deux  laïques  en  surplis  pourront  chanter  la 
partie  de  l'historien  et  celle  de  la  synagogue,  et  le  prêtre  cé- 
lébrant, la  partie  de  Notre-Seigneur.  Sur  ce  point,  la  Sacrée- 
Congrégation  exprime  le  désir  que  ces  deux  laïques  soient 
placés,  autant  que  possible,  hors  de  la  vue  du  peuple. 

3"  La  procession  des  grandes  litanies  pourra  se  faire  le  di- 
manche qui  précède  ou  le  dimanche  qui  suit  la  fête  de  saint 
Marc,  après  les  vêpres,  pourvu  que  ce  ne  soit  pas  le  jour  de 
Pâques;  et  la  première  procession  des  petites  litanies  pourra 
être  faite  le  cinquième  dimanche  après  Pâques,  à  la  suite  des 
vêpres  ;  cette  pratique  aura  surtout  son  application  dans  les 
paroisses  où  il  serait  à  craindre  que  ces  processions  ne  fussent 
pas  suivies  à  leurs  jours  propres.  Mais  les  litanies  et  les  prières 
seront  toujours  chantées  du  au  moins  récitées  publiquement 
dans  les  églises,  le  jour  de  saint  Marc  et  les  trois  jours  des 
Rogations. 

VII.  En  vertu  du  septième  induit  : 

1°  Monseigneur  peut  permettre,  ?zo;?jwee^  auctoritate  Sanctse 
Sedis,  de  célébrer  le  saint  sacrifice  de  la  messe  dans  les 
petits  oratoires  distincts  de  l'oratoire  principal,  qui  se  trouvent 


Juin.  1863.]  CONCESSIONS   FAITES  PAR   LE  SAlNT-SIÉGE.  55 

dans  les  maisons  religieuses  et  appartiennent  à  une  pieuse 
association  de  jeunes  gens  de  l'un  ou  de  l'autre  sexe,  pourvu 
que  ces  oratoires  aient  été  visités  par  lui  ou  par  un  prêtre 
qu'il  aura  délégué,  et  que,  dans  la  permission,  il  soit  fait  men- 
tion du  présent  induit. 

2»  Il  peut  encore  donner  à  tous  les  clercs  engagés  dans  les 
ordres  sacrés  qui  lui  apporteront  des  raisons  légitimes,  la  per- 
mission de  réciter,  à  deux  heures  après-midi,  les  matines  et 
les  laudes  pour  le  lendemain. 

3°  Tous  les  prêtres  présents  aux  exercices  de  la  retraite  ec- 
clésiastique, pourront  réciter  l'office  conformément  au  calen- 
drier du  grand  séminaire. 

§  2.  Concessions  verbales. 

Outre  ces  huit  induits,  Monseigneur  l'évêque  de  Beauvais  a 
obtenu  plusieurs  concessions  verbales  pour  son  diocèse. 

Nous  en  avons  mentionné  une  à  propos  du  deuxième  induit; 
nous  avons  cru  pouvoir  Tinsérer  à  cet  endroit  pour  mettre  plus 
d'ordre  dans  la  distribution  des  matières. 

Une  autre  a  pour  objet  de  réduire  à  quatre  les  jours  de 
fêtes  auxquels  les  curés  du  diocèse  sont  obligés  d'appliquer 
la  messe  à  l'intention  de  leurs  paroissiens,  indépendamment 
des  dimanches  et  des  fêtes  d'obligation.  Mais  ce  n'est  pas  une 
concession  nouvelle;  c'est  simplement  la  confirmation  ou  si 
l'on  veut  l'interprétation  authentique  d'un  Induit  obtenu,  pour 
le  diocèse  de  Beauvais,  avant  l'Encyclique  Amantissimi  Re- 
demptoris.  Ce  n'est  donc  pas  un  exemple  que  l'on  puisse  allé- 
guer directement  pour  obtenir  la  même  faveur. 

P.  R. 


LE  PHINCIPE  VITAL  DANS  L'HOMME  ^'\ 


Après  le  problème  de  la  nature  et  de  l'origine  de  nos  idées, 
il  n'en  est  point  de  plus  important  que  celui  du  principe  vital 
et  de  TunioD  mystérieuse  de  l'âme  avec  le  corps.  Et  comme  si 
la  vérité  devenait  plus  obscure  à  mesure  qu'elle  nous  touche 
de  plus  près,  il  n'en  est  peut-être  point  qui  ait  excité  plus  de 
controverses.  Parmi  plusieurs  ouvrages  de  grand  mérite  écrits 
dans  ces  derniers  temps  sur  cette  question  fondamentale,  nous 
sommes  heureux -de  rencontrer  celui  du  P.  Liberatore,  dont  la 
réputation  philosophique  est  trop  bien  établie  pour  que  nous 
ayons  à  la  faire  valoir. 

On  peut  considérer  dans  l'auteur  de  ce  nouvel  ouvrage  le  sa- 
vant qui,  pour  ses  connaissances  en  physiologie  et  en  chimie, 
est  à  la  hauteur  des  principaux  représentants  de  la  science 
moderne,  et  le  philosophe  qui,  par  une  méthode  large  et  com- 
plète, fait  tourner  au  profit  de  la  métaphysique  les  résultats 
des  sciences  d'observation.  Une  courte  analyse  de  ce  livre  fe- 
ra voir  quelle  est  pour  l'anthropologie  la  méthode  d'un  dis- 
ciple de  saint  Thomas;  c'est  à  ce  dernier  point  de  vue  que 
nous  voulons  nous  placer. 

(l)  Del  Compoito  umano.  Trallalo  di  Malleo  Liberalore,  D.  C.  D.  G. 
i  vol.  iu-S.  Rome,  1862.  Au  bureau  de  Lu  Civillà  catlolica. 


,uil.  lgC3,]  LE   PRmCrPE   VITAL   DANS  l'hOMMK.  57 

1. 

Au  commencement  d'une  recherche  scientifiquesurrhomme, 
le  fait  qui  s'impose  à  nous,  c'est  l'homme  lui-même,  un  et 
double  à  la  fois,  tel  que  le  montrent  la  conscience  et  l'obser- 
vation extérieure.  N'est-ce  pas,  en  effet;,  un  même  sujet,  une 
même  personne  qui  en  moi  pense  et  réfléchit,  sent  et  marche? 
Si  notre  corps  diffère  spécifiquement  de  tous  les  autres,  n'est- 
ce  point  parce  qu'il  est  un  corps  d'homme,  c'est-à-dire  un 
corps  vivant  et  animé  d'une  vie,  d'une  âme  particulière? 
D'autre  part,  le  principe  pensant  n'est  pas  un  pur  esprit  comme 
les  anges  :  nous  l'appelons  âme  pour  signifier  qu'il  donne  au 
corps  la  vie.  L'âme  et  le  corps  sont  si  étroitement  unis  qu'ils  for- 
ment une  seule  nature  composée  qui  se  manifeste  par  des  pro- 
priétés nouvelles.  La  sensation  n'appartient  ni  à  l'âme  seule 
ni  au  corps  seul  (1),  et  l'homme  est  un  tout  plus  parfait  que 
chacune  de  ses  parties. 

Mais  qu'est-ce  que  la  vie  ?  Comment  concevoir  que  le  corps 
soit  animé  par  une  âme  spirituelle,  et  quelle  union  peut  pro- 
duire cette  admirable  unité  ? 

On  appelle  vivantes,  dit  saint  Thomas,  les  substances  douées 
de  la  faculté  de  se  mouvoir  elles-mêmes.  La  vie  se  reconnaît  à 
ce  mouvement  intérieur,  à  cette  action  immanente  qui  a  la 
substance  même  pour  terme  comme  pour  principe.  Et  comme 
suivant  les  différents  degrés  d'immanence  de  l'action  vitale,  la 
vie  est  plus  ou  moins  parfaite,  elle  a  sa  plénitude  en  Dieu,  en 
qui  l'acte  est  l'essence  elle-même.  Les  créatures  purement 
spirituelles  participent  à  cette  source  divine  eu  un  degré  supé- 
rieur à  l'homme,  qui,  comme  un  vaste  horizon,  sépare  les  deux 
hémisphères  du  monde  corruptible  et  du  monde  des  esprits. 

(1)  Qusedam  potealise  sunl  in  conjuucio,  sicut  in  suhjecto,  sicul 
omnes  potenlise  ?ensilivae  parUs  et  nulrilivce.  {Sum.  Iheol.,  i  p., 
q.  18,  art.  8.) 


58  LE   PRINCIPE   VITAL   DANS   L'HOMME.  [Tome  VIII. 

Après  r.homme  vient  immédiatement  l'animal  et  enfin  la  plante 
qui  n'a,  comme  le  dit  saint Denysl'Aréopagite,  que  la  dernière 
résonnance  de  la  vie  (1). 

L'aimant  attire  le  fer,  une  molécule  agit  par  la  double  force 
d'attraction  et  de  répulsion  sur  une  autre  molécule,  mais  cette 
action  est  purement  extérieure.  La  plante,  au  contraire,  con- 
vertit en  sa  propre  substance  la  sève  que  ses  racines  puisent 
dans  la  terre  :  elle  développe  son  propre  organisme,  elle  pousse 
des  feuilles,  des  fleurs  et  des  fruits  qui  sont  à  elle,  et  dans  ces 
fruits  se  trouve  le  germe  d'une  nouvelle  plante  dans  laquelle 
elle  doit  se  reproduire. 

Ces  trois  fonctions  vitales,  sans  parler  de  la  différence  dans 
la  composition  chimique,  établissent  entre  les  minéraux  et  les 
plantes  une  séparation  profonde,  et  ne  se  peuvent  expliquer 
sans  l'intervention  de  forces  différentes.  Pourquoi  les  chimistes, 
qui  disposent  à  merveille  des  forces  générales  de  la  nature,  ne 
peuvent-ils  par  leurs  diverses  combinaisons  arriver  à  produire 
le  moindre  brin  d'herbe?  La  capillarité  et  l'endosmose,  l'affi- 
nité chimique  et  la  porosité  des  tissus,  ne  peuvent  expliquer 
la  circulation  du  suc  nutritif,  ni  cet  accroissement  qui  se  fait 
par  assimilation  et  qui  se  produit,  non  de  la  circonférence  au 
centre,  mais  du  centre  à  la  circonférence.  Enfin,  si  la  semence 
«  n'est  point  une  miniature,  »  qu'est-elle  autre  chose  sinon, 
comme  le  dit  Milne-Edwards  (2),  le  siège  de  la  force  organo- 
génique  qui  déterminera  rédification  d'un  être  nouveau? 

Mais  l'unité  que  l'on  remarque  au  milieu  de  la  variété  in- 
finie des  phénomènes  démontre  évidemment  que  dans  un 
même  organisme,  il  n'y  a  qu'un  seul  principe  de  vie.  Il  suffi- 
rait, pour  s'en  convaincre,  de  considérer  l'identité  permanente 
de  l'être  vivant,  au  miUeu  de  ses  changements  et  de  ses  varia- 
tions incessantes.  Nous  pouvons  avec  Cuvier  (3)  comparer  la 


(1)  De  Divinis  Nominibus,  c.  vi. 

(2)  Leçons  sur  la  Physiologie,  introduclion. 

(3)  Du  règne  animal,  ialroducliou,  page  ^3. 


Jum.  1863.1  LE   PRINCIPE  VITAL   DANS   l'hOMME.  59 

vie  à  un  tourbillon  plus  ou  moins  rapide  dont  la  direction  est 
constante,  qui  entraine  toujours  les  molécules  de  même  es- 
pèce, mais  où  les  molécules  individuelles  entrent  et  d'où  elles 
sortent  continuellement.  Une  seule  chose  reste  la  même,  le 
principe  formel  de  l'organisme,  source  de  l'activité,  de  la 
permanence,  de  l'unité. 

Dans  le  règne  animal,  la  vie  nous  offre  un  nouveau  degré 
de  perfection.  Non-seulement  les  animaux  se  nourrissent,  se 
développent  et  se  reproduisent,,  ils  ont  encore  la  faculté  de 
sentir  et  le  mouvement  spontané.  Ce  double  caractère  marque 
la  limite  entre  les  deux  règnes,  car  il  se  retrouve  dans  toutes 
les  espèces  d'une  manière  plus  ou  moins  parfaite.  Cettte  faculté 
■de  sentir  et  la  force  motrice  qui  en  est  la  conséquence,  sup- 
posent dans  l'animal  un  principe  supérieur  à  celui  qui  dans  les 
plantes  produit  la  vie  végétative.  Mais  comme  l'animal  qui  se 
nourrit  est  essentiellement  le  même  que  celui  qui  sent,  et  que 
les  organes  de  la  nutrition  apparaissent  chez  lui  comme  trans- 
formés et  élevés  d'un  degré,  on  ne  peut  douter  que  le  principe 
immatériel  supposé  par  les  sensations  ne  produise  aussi  toutes 
les  opérations  vitales. 

Les  animaux  les  plus  parfaits  en  qui  nous  trouvons  les  cinq 
sens  extérieurs  et  de  plus,  avec  le  sens  interne,  une  certaine 
connaissance  imaginative,  nous  amènent  jusqu'à  l'homme,  et 
ici  la  vie  corporelle  s'unit  à  la  vie  de  l'intelligence. 

Mais  si  dans  l'homme,  comme  le  témoigne  la  conscience,, 
c'est  l'âme  raisonnable  qui  éprouve  dans  les  organes  des  sen- 
sations de  plaisir  ou  de  douleur,  si  Tàme  raisonnable  commande 
au  corps  pour  le  mouvoir,  bien  que  nous  n'ayons  pas  con- 
science de  son  action  sur  la  circulation  et  l'assimilation,  ne 
devons-nous  pas  conclure  qu'elle  seule  produit  dans  le  corps 
tous  les  phénomènes  de  la  vie?  Nous  ne  connaissons  pas  de 
doubles-dynamistes  qui  admettent  deux  âmes  dans  l'animal; 
pourquoi  donc  en  vouloir  deux  dans  l'homme  ?  Si  le  principe 
qui  sent  est  le  même  que  celui  qui  produit  la  vie  nutritive,  et 


60  LE    PRINCIPE   VITAL   DANS   l'hOMME  jTomjVlU. 

si  le  principe  qui  sent  en  nous  )i'est  point  dififérent  de  l'ûme 
raisonnable, rame  raisonnable  est  donc  la  seule  àme  de  Thomme 
et  le  seul  principe  vital  du  corps  humain  (I). 

Evidemment,  dit  saint  Thomas,  il  y  a  dans  l'homme  une 
autre  unité  que  celle  d'aggrégation  et  de  relation,  qui  est  la 
moindre  des  unités.  L'homme  n'est  point  un  ensemble  de  trois 
substances,  quoique  dans  une  seule  nature  composée  d'âme  et 
de  corps,  il  réunisse  les  trois  degrés  de  la  vie  végétative,  sen- 
sitive  et  intellectuelle.  Il  doit  donc  y  avoir  en  lui  un  seul 
principe  d'être  et  d'unité,  car  l'être  et  l'unité  c'est  la  même 
chose  (2). 

Le  corps  humain  n'est-il  point  fait  pour  une  vie  plus  par- 
faite que  la  vie  des  sens  ?  Son  merveilleux  organisme  a  paru 
à  certains  philosophes  comme  l'image  de  l'âme,  à  d'autres 
comme  son  ouvrage,  à  d'autres,  avec  pins  de  raison,  comme 
une  partie  d'un  seul  et  même  être  que  forme  1  ame  en  s'unis- 
sant  à  lui.  C'est  pour  cela  que  nous  attribuons  à  un  seul  et 
même  sujet,  et  la  vie  de  l'esprit  et  la  vie  du  corps.  C'est  pour 
cela  qu'entre  les  facultés  intellectuelles  et  les  fonctions  vitales, 
on  remarque  une  inlluence  réciproque  inexplicable  si  ces 
facultés  diverses  n'appartiennent  pas  à  un  seul  et  même  prin- 
cipe. 

Le  célèbre  Stahl,  frappé  de  cette  intime  dépendance,  va 
jusqu'à  dire  que  l'àme  vivifie  le  corps  par  l'entendement  et 
la  volonté  (3).  C'est  la  même  âme,  avait  dit  saint  Thomas, 

(1)  Idem  homo  est  qui  percipit  se  intelligere  el  senlire.  'Sum.  theol., 
I  p.,  q.  70,  art.  i. 

(2)  Née  ad  unilatein  hominis  ordo  formarurn  sufQeiet  ;  quia  esse 
unum  secundum  ordinem  non  esl  esse  unum  simpliciler,  cum  unitas 
ordinis  sil  minima  unitatuin...  (Conlra  Genl.,  lib.  ii,  c.  58.) 

(h)  Il  y  a  la  même  différence  entre  l'animisme  de  sainl  Thomas  et 
l'animisme  de  Slahl,  qu'entre  une  conclusioa  légiiime  el  une  conclu- 
sion plus  large  que  les  prémisses.  Gfr.  Sainl  Thomas,  Qq.  disp-, 
qua'Sl.  De  Passionibus  anhnœ,  arl.  iO  ;  SlJil,  Theoria  medicavera, 
p.  'j30. 


Juin.  1863. J  Li;   PRINCIPE   VITAL   DANS  l'iIOMME.  (Jt 

mais  ce  n'est  point  par  les  mêmes  facultés  :  autrement  nous 
dominerions  parfaitement  toute  la  parlie  inférieure  de  notre 
être,  il  n'y  aurait  plus  de  lutté  possible  entre  la  chair  et  l'es- 
prit. N'est:ce  point  là  toute  la  vérité  du  fameux  axiome  de  Gas- 
sendi :  ISihil  potest  sibï  adversari  ?  Les  combats  de  l'esprit  contre 
l'esprit,  l'orgueil  et  le  remords,  supposeraient  deux  âmes  spi- 
rituelles à  aussi  bon  droit  que  les  combats  de  la  chair  ont  fait 
admettre  à  Gassendi  un  principe  vital  distinct  de  l'être  rai- 
sonnable. 

Un  être  simple  'dans  sa  nature  peut  avoir  des  facultés  di- 
verses. Notre  àme,  plus' élevée  dans  l'échelle  des  êtres  que  les 
principes  qui  animent  les  autres  corps  vivants,  en  résume 
toutes  les  perfections,  et  jouissant  en  outre  de  l'intelligence 
et  de  la  liberté,  elle  peut  seule  se  reposer  en  elle-même  par  la 
conscience  de  soi.  Douée  de  facultés  qui  supposent  l'organisme, 
elle  est  sans  doute  comme  dans  un  état  anormal  après  la  mort; 
elle  subsiste  cependant,  car  l'action  de  l'intelligence  et  de  la 
volonté  lui  reste,  tandis  que  les  autres  âmes,  privées  par  la 
destruction  du  corps  de  toutes  les  facultés  dont  elles  jouissent, 
sont  par  le  fait  inème  anéanties.  Une  force  sans  acte  n'est 
plus  qu'une  simple  puissance  et  l'inertie  complète;  c'est  la 
mort.    ■ 


II. 


«  L'âme  n'est  donc  point  dans  le  corps  comme  dans  un 
vaisseau  qui  la  contient,  ni  comme  dans  une  maison  où  elle 
loge  (1).  »  Elle  y  est  par  l'action,  par  la  vie,  par  l'être  qu'elle 
lui  communique.  Le  corps  est  la  matière,  principe  passif  et 
incomplet;  l'àme  est  la  forme  substantielle.  Pour  comprendre 
celte  formule  autrefois  si  célèbre,  il  est  nécessaire  de  se  rap- 
peler la  théorie  générale  de  la  composition  des  corps,  et  de 


Bossuel,  IX"  Élévation  sur  les  mystères. 


62  LE   PRINCIPE  VITAL   DANS  l'BOMME.  LTome  VUI, 

ramener  ainsi  à  l'étude  de  l'homme,  abrégé  de  Tunivers,  l'uni- 
vers tout  entier. 

Si  nous  considérons  la  nature  corporelle  dans  sa  variété  et 
dans  ses  différentes  transformations,  il  est  impossible  de  ne 
point  concevoir  je  ne  sais  quelle  réalité  commune  dont  parti- 
cipe cette  variété  'infmie^  quelque  chose  d'indéterminé  qui  se 
retrouve  dans  toutes  les  espèces  et  reste  identique  au  milieu 
des  changements  divers  des  accidents  et  des  substances.  Otez 
par  l'abs  traction  ce  qui  dans  un  corps  le  constitue  une  telle 
chose,  el  le  distingue  dans  sa  nature  intime  des  corps  d'une 
autre  espèce,  il  restera  cette  base  commune,  cette  réalité 
source  de  l'étendue  appelée  matière  par  Arislote,  et  qui  se  re- 
trouve dans  tous  les  corps.  Mais  si  la  matière  est  une  réalité, 
elle  n'existe  que  lorsqu'elle  est  mise  en  acte  par  ce  principe 
dont  nous  faisons  abstraction  ;  un  être  indéterminé  est  quel- 
que chose  de  contradictoire.  Avec  le  même  bloc  de  marbre, 
le  sculpteur  peut  faire  la  statue  d'un  cheval  ou  d'un  héros  ; 
ainsi  la  matière  dont  nous  parlons,  materia  prima,  peut  deve- 
nir telle  ou  telle  substance,  suivant  qu'elle  sera  mise  en  acte 
de  telle  ou  telle  manière.  Cette  forme,  qui  est  pour  la  sub  - 
slance  ce  qu'est  la  forme  extérieure  pour  les  phénomènes  de 
l'étendue,  peut  donc  à  juste  titre  s'appeler  forme  substan- 
tielle. Elle  est  pour  la  matière  ce  qu'est  l'articulation  pour 
la  voix  :  jamais  la  matière  ne  peut  exister  sans  la  forme; 
jamais  dans  la  parole,  la  voix  ne  se  présente  inarticulée  (1). 

N'oublions  pas  qu'où  se  terminent  les  recherches  du  physi- 
cien et   du  chimiste,   celles  du   philo-.opho  commencent.  Ru 

[\]  Saint  Augustin,  Co>,fess.f  I.  xii.  c.  6  ;  de  Genesi  ad  litteram, 
1.  I,  c.  iS. —  Saint  Ttiomis  surlout,  opusc.  xxx,  diPiincipiis  nalurse. 

Sicut  vox,  dit  saiul  Augustin,  materia  est  verboruui,  verba  vero 
formatam  vocem  inJicanl.  Non  aulem  qui  loquilur  prius  emillii  in- 
formem  vocem,  quam  possil  poslea  colligere  atque  in  verba  formare; 
ila  Creator  Deus,  non  priorc  lempore  fe.it  inforoiera  maleriam,  el 
eam  poslea  per  ordinem  quarumcumqac  naturarum,  quasi  secunda 
consideralione  formavit,  formatam  quippe  creavil  materiam. 


Juin.  1863.1  Ï-E   PRINCIPE   VITAL   DANS   L'HOMME.  65 

rappelant  la  théorie  des  formes  substantielles,  nous  ne  rappe- 
lons pas  celle  des  quatre  éléments,  -qui  appartient  à  la  phy- 
sique et  non  point  à  la  philosophie  du  moyeu-âge.  Et  quelque 
opinion  du  reste  que  Ton  embrasse  au  sujet  des  corps  inor- 
ganiques, il  n'y  a  plus  de  doute  possible  lorsqu'il  s'agit  des 
corps  vivants.  La  forme  substantielle  s'appelle  âme  végétative 
dans  les  plantes,  âme  sensitive  dans  les  animaux,  et  dans 
l'homme  àme  raisonnable.  Sans  l'âme  raisonnable,  notre  corps 
ne  possède  ni  la  vie,  ni  même  l'existence  ;  ce  n'est  plus  un 
corps  humain.  Privé  de  ce  principe  qui  réduit  à  l'unité  tout 
son  organisme,  ce  n'est  plus  qu'un  cadavre,  une  masse  qui  n'a 
plus  de  nom  et  qui  va  se  dissolvant  dans  les  éléments  dont 
elle  est  composée.  C'est  donc  l'âme  qui  donne  au  corps,  et 
l'unité  organique,  et  l'activité,  et  la  distinction  spécifique.  Elle 
possède,  comme  nous  l'avons  dit,  des  facultés  qui  ne  se  peuvent 
exercer  si  elle  ne  fait  point  avec  le  corps  un  seul  et  même  être 
qu'on  peut  également  définir  :  un  esprit  animant  un  corps,  ou 
bien,  un  corps  animé  d'une  âme  raisonnable  (1).  Ainsi,  dire 
que  l'âme  raisonnable  est  la  forme  substantielle  du  corps,  c'est 
indiquer  à  la  fois,  et  l'unité  de  nature,  et  les  relations  des 
deux  substances  qui  la  composent.  L'influx  physique  suppose 
cette  union,  mais  ne  la  définit  point  ;  et  si  l'on  donne  une  ac- 
tion mutuelle  comme  le  seul  lien  qui  existe  entre  l'âme  et  le 
corps,  c'est  évidemment  ne  reconnaître  qu'une  unité  acciden- 
telle :  les  actions  sont  des  modifications  passagères,  et  l'union 
des  accidents  ne  peut  engendrer  l'unité  de  nature.  On  sait  que 
l'union  dynamique  et  personnelle  proposée  par  Giinther  n'est 
au  fond  qu'une  union  morale,  reposant  à  la  fois  sur  le  double 
dynamisme  et  sur  une  fausse  notion  de  la  personnalité. 

(^)  C'est  la  définition  des  Pères  de  l'Église,  quand  ils  coml^ailaient 
l'erreur  de  ceux  qui,  comme  Appoliinaire,  niaient  l'âme  raisonnable 
de  Notre-Seigneur.  —  2wjji.«  t{/u;(^o)0£v  vosptoç,  dit  saint  Cyrille,  Apol. 
cont.  JAeor.,  anaih.  ^. — 2àp^  e[A']/u}(oç  xai  è'vvouç.  Saint  Sopbrone, 
dans  sa  lettre  à  Sergius. 


€4  LE   PRINCIPE   VITAL  DANS  L  BOMME.  [Tome  VHI- 

III.  ♦ 

Mais  sans  nous  arrêter  à  suivre  nôtre  auteur  dans  l'examen 
des  différents  systèmes  ni  dans  ses  développements  scientifi- 
ques, qti^il  nous  suffise  pour  le  moment  d'avoir  montré  Tor- 
dre qu'il  a  suivi.  Fidèle  disciple  de  saint  Thomas,  il  rappelle 
non-seulement  les  conclusions,  mais  la  méthode  de  son  maî- 
tre ;  et  c'est  à  noire  avis  son  principal  mérite,  car  c'est  la  mé- 
thode qui  est  le  caractère  distinctif  et  comme  le  fond  d'une 
philosophie.  Etudiant  l'homme  à  la  fois  en  lui-même  et  hors 
de  lui,  les  philosophes  de  l'école  trouvent  dans  les  résultats 
de  cette  double  observation  un  point  de  départ  pour  une  mé- 
ditation plus  haute.  Ils  se  souviennent  que  la  connaissance 
n'est  point  une  création,  mais  suppose  son  objet.  Et  en  même 
temps,  à  l'aide  des  idées  générales  et  des  principes  éternels 
de  la  métaphysique,  condition  de  toute  science  comme  de  tout 
ce  qui  est,  après  avoir  considéré  leur  objet  sous  toutes  ses 
faces,  ils  examinent  le  rang  qu'il  occupe  dans  l'échelle  des 
êtres.  Ils  établissent  ensuite  des  analogies  et  des  différences, 
et  parvienuept  à  le  connaître  aussi  parfaitement  que  possible 
dans  sa  natui  ;  spécifique  et  dans  son  genre  suprême. 

C'est  pour  n'avoir  point  considéré  l'homme  tel  qu'il  est,  que 
Descartes,  créant  pour  ainsi  dire  l'objet  de  son  observation, 
reconnaît  en  nous  deux  êtres  entièrement  séparés;  c'est  parce 
qu'ils  s'arrêtent  aux  résultats  de  la  physiologie,  que  les  orga- 
niciens  de  nos  jours  admettent  des  propriétés  vitales,  et  ne 
parlent  point  de  l'àrae. 

Descartes  définit  l'homme  :  «  Une  chose  qui  pense,  un  es- 
prit, un  entendement,  une  raison  (1).  »  Son  âme  à  lui  n'est 
point  une  âme  informant  un  corps,  son  corps  n'est  point  un 

(1)  Médit.  II. 


Juin.  18G3.J  LE   PRINCIPE  VITAL  DANS  L'hOMMK.  G3 

corps  animé  (1).  L'essence  de  Tâme  esl  la  pensée,  et  le  corpa 
est  une  matière  étendue,  dont  la  vie  se  réduit  à  un  simple  mé- 
canisme. Depuis  l'introduction  de  ces  principes,  on  ue  vit  plus 
dans  l'homme  qu'une  relation  purement  extrinsèque  ou  acci- 
dentelle. Encore  si  tous  les  systèmes  qui  furent  proposés  n'a- 
vaient que  l'inconvénient  de  rompre  l'unité  substantielle  du 
composé  humain  ;  mais  du  principe  de  Malebranche  :  «  Dieu 
seul  agit,  »  à  celui  de  Spinosa  :  «  Dieu  seul  existe,  »  la  dis- 
tance n'est  pas  grande.  L'harmonie  préétablie,  brillante  hy- 
pothèse où  le  génie  de  Leibnitz  s'exerçait  à  mesurer  ses  forces, 
détruisait  la  liberté.  On  dirait  que  chaque  fois  que  les  moder- 
nes ont  voulu  se  faire  des  syslèmes  à  part,  ils  ont  rencontré 
le  sophisme  et  l'erreur.  Nous  ne  parlerons  point  des  matéria- 
listes qui  se  passèrent  de  Tàme  pour  expliquer,  non-seulement 
la  vie,  mais  même  la  pensée.  Getfe  doctrine,  qui  a  inscrit  dans 
l'histoire  de  la  philosophie  une  page  si  humiliante  pour  l'esprit 
humain,  n'a  duré,  grâce  à  Dieu,  qu'un  temps  fort  court.  On 
a  bientôt  reconnu  que  la  vie  ne  peut  s'expliquer  par  les  forces 
physico-chimiques,  et  que  l'organisme  suppose  un  principe 
d'unité.  Mais  n'est-ce  point  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  attri- 
buer à  l'àrae  d'autres  opérations  que  celles  qui  se  réduisent  à 
la  pensée,  d'autres  facultés  |que  celles  dont  les  modifications 
ou  les  actes  sont  attestés  par  la  couscience,  que  plusieurs  par- 
tagent l'homme  en  deux  natures  vivantes,  ou  craignent  d'af- 
firmer l'identité  du  principe  vital  et  de  l'âme  raisonnable  ? 

Malgré  l'admiration  que  l'on  professe  pour  leur  analyse 
psychologique,  on  ne  peut  s'empêcher  de  trouver  trop  étroite 
la  méthode  de  certains  animistes,  quand  ils  se  croient  obligés 
de  prouver  que  la  vie  est  un  fait  de  conscience.  Ils  tiennent 
compte  de  petites  aperceptions  aux(|uelles  on  ne  fait  pas  tou- 
jours attention  à  cause  de  l'habitude;  ils  rapportent  l'exemple 

(1)  Ibid.  «  Dirais-jc  que  l'iiomme  esl  un  animal  raisonnable?  Non 
ceries...  » 

Revle  des  sciences  ecclésiastioues.  t   vin.  5-(j. 


66  LE  PRINCIPE  VITAL   D   NS   L'HOMME.  [Tome  Vllî, 

de  certains  hommes  au  {eu)pérameni  délicat,  qui  entendent 
crier  tous  leurs  ressorts.  Mais  cette  conscience  sourde  et  ces 
faits  à  part,  ne  sont  point,  ce  semble,  des  données  suffisantes 
pour  qu'on  en  tire  une  conclusion  certaine.  Voulant  combattre 
les  résultais  de  l'extrême  empirisme  qui  a  longtemps  parmi 
nous  tenu  lieu  de  philosophie,  ces  savants  conservent  préci- 
sément dans  leur  méthode  le  principe  des  conséquences  qu'ils 
veideut  éviter. 

L'âme  ne  fait-elle  que  ce  dont  elle  s'aperçoit?  N'a-t-elle 
d'autres  facultés  que  celles  dont  les  opérations  sont   attestées 
par  la  conscience?  Plusieurs  l'ont  affirmé  sans  preuves,  et  plu- 
sieurs l'acceptent  sans  examen.  Nous  admettons  volontiers  que 
■l'âme  doit  avoir  une  certaine  conscience  directe  de  toutes  les 
modifications  des  facultés  représentatives;  dire  qu'une  repré- 
sentation f'xiste  et  qu'elle  n'est  point  préi-ente,  c'est  énoncer 
nne  contradiction.  Mais  toutes  les  opérations  de  l'âme  se  ré- 
duisent-elles à  la  pensée  qui  est  la  connaissance  même,  à  la 
sensation  qui  la  précède,   à   la   volonté  qui  la  suppose?  Ne 
pourrait-on  point  prouver  que  l'âme  possède  des  facultés  d'un 
ordre  différent  et  que,  dans  l'état  présent  des  choses,  la  con- 
science, celte  réflexion  de  l'intelligence  sur  elle-même,  ne 
peut  atteindre?  L'àme  ne  perçoit  même  pas  immédiatement 
sa  propre  existence,  et  la  conscience  ne  lui  atteste  que  les  mo- 
difications passagères  :  elle  peut  donc,  sans  qu'elle  s'en  aper- 
çoive, donner  au  corps  cet  acte  permanent  qui  est  la  même 
chose  que  l'être. 

Pour  le  philosophe,  la  physiologie  et  la  psychologie  ne  sont 
qu'un  point  de  départ;  des  phénomènes  extérieurs  et  des  mo- 
difications internes,  il  remonte  aux  facultés,  et  des  facultés  à 
l'essence  qui  les  possède.  Il  réunit  dans  une  synthèse  méta- 
physique les  sciences  expérimentales,  qui  de  nos  jours  ont  fait 
tant  de  progrès.  Au-dessus  du  monde  visible  et  des  faits  d'expé- 
rienc3,  il  y  a  tout  un  monde  de  réalités  qu'on  ne  peut  décou- 
vrir qu'au  moyen  du  raisonnement.  Pour*juoi  toutes  ces  mé- 


JuiU.lèG3.]  LE   PRINCIPE   VITAL   DAN3  L'hOMME.  67 

thodes  exclusives?  Sommes-nous  si  riches  de  vérités,  qu'il 
faille  négliger  quelques  moyens  d'en  acquérir?  Rappelons 
donc  cette  grande  méthode  qui  comprend  toutes  les  autres, 
en  harmonise  les  résultats  et  s'écarte  à  la  fois  de  l'extrême 
idéalisme  et  de  l'extrême  empirisme,  deux  écueils  entre  les- 
quels, depuis  Descartes,  la  philosophie  n'a  point  trouvé  de 
milieu. 


N.  L. 


DECISIONS 


DE  LA  SACREE  CONGREGATION  DU  CONCILE. 


I.  Aretina.  —  Juris  nominandi  depuiaios  pro  Seminario 
(20  dec.  4862).     • 

Le  vicaire  capilulaire  de  l'église  cathédrale  d\\rezzo,  dans 
une  supplique  adressée  à  Sa  Sainteté,  fait  connaître  que  l'un 
des  trois  délégués  pour  l'administration  du  séminaire  étant 
mort  durant  la  vacance  du  siège  épiscopal ,  le  chapitre 
réclame,  comme  lui  appartenant  de  droit,  l'élection  du  succes- 
seur. Celte  élection  jusqu'alors,  en  vertu  d'une  coutume  non 
interrompue  d'un  siècle  et  demi,  était  faite  par  l'évêque,  et 
cela  sans  réclamation  ou  opposition  de  la  part  du  chapitre. 
Le  vicaire  capitulaire,  ne  voulant  pas  que  son  administration 
soit  marquée  par  des  innovations  qui  pourraient  porter 
atteinte  à  la  coutume  en  vigueur  et  aux  droits  de  quel- 
ques-uns, et  surtout  provoquer  des  dissensions  entre  les  deux 
chapitres  de  la,  ville  épiscopale,  prie  Sa  Sainteté  de  vouloir 
bien  décider  «  s'il  peut,  cette  fois  encore,  élire  comme  aupa- 
ravant le  nouveau  délégué,  ou  s'il  doit  suspendre  cette  élection 
jusqu'à  l'arrivée  du  nouvel  évêque  d'Arezzo.  » 

Après  avoir  ainsi  rappelé  la  demande  du  vicaire  capitulaire 
et  les  motifs  sur  lesquels  cette  demande  est  appuyée,  le  rap- 
porteur fait  ensuite  remarquer  que  le  décret  du  concile  de 
Trente  sur  le  point  en  question  est  précis  et  très -explicite 
(cap.  xTiii,  sess.  23,  de  Eef.].  «  Et  quia  ad  collegii  fabricam 


Juin.    1863.]  DÉCISIONS  DE   LA  S     C.  DU    CONCILE.  69 

instituendam,  et  ad  mcrceJcm  praeceptoribus  et  ministris  sol- 
vendam,  et  ad  alendam  juventutem  et  ad  alios  sumptus 
certi  reditus  erunt  necessarii,....  iidem  episcopi  cum  consilio 
duorum  de  capitulo,  quorum  alter  ab  episcopo,  alter  ab 
ipso  capitulo  eligatur,  itemque  duorum  de  clerc  civitatis, 
quorum  quidem  allerius  electio  siœiliter  ad  episcopum,  alterius 
vero  ad  clerum  pertineat etc.  » 

11  résulte  de  ce  décret  que  le  droit  du  chapitre  à  élire  un 
des  administrateurs  n'est  pas  moins  explicitement  réservé  que 
celui  du  clergé  et  même  de  l'évèque  à  la  nomination  de  leurs 
délégués  respectifs.  D'autre  part,  si  l'on  considère  que  le  con- 
cile de  Trente  voulait  par  cette  loi  assurer  la  bonne  adminis- 
tration des  séminaires,  on  reconnaîtra  que  ce  droit  d'élection 
est  moins  un  honneur  qu'une  obligation  rigoureuse  à  laquelle 
le  clergé  et  le  chapitre  ne  peuvent  se  soustraire;  ils  doivent 
donc  remplir  leur  obligation  en  prenant  part  à  l'élection  chaque 
fois  qu'il  y  aura  lieu. 

Mais  si  cette  disposition  du  concile  de  Trente  crée  une  obli- 
gation pour  le  chapitre,  elle  constitue  aussi  pour  l'évèque  le 
devoir  de  maintenir  ce  mode  d'élection  ;  il  pourrait  arri- 
ver, en  effet,  si  l'on  venait  à  déroger  à  l'ordre  établi,  que 
ces  divers  délégués  formant  le  conseil  de  l'ordinaire  pour  ce 
qui  est  de  l'administration  du  séminaire,  fussent  tous  nommés 
par  l'évèque  lui-même,  et  cet  état  de  choses  est  considéré 
comme  anormal  par  le  rapporteur. 

Le  décret  du  concile  est  donc  un  grave  obstacle  à  la  légiti- 
mité de  la  coutume  invoquée  par  le  vicaire  capilulaire.  Cet 
usage,  en  efifet,  doit  être  considéré  comme  irrationnel,  soit 
parce  qu'il  peut  conduire  à  des  conséquences  absurdes:  «In 
quoddam  quasi  absurdum  pergeret,  »  soit  en  tant  qu'il  s'est 
introduit  contre  une  des  lois  du  concile  de  Trente,  lois  qui, 
d'après  la  Const.  de  Pie  IV,  irritent  toute  coutume  opposée. 

Néanmoms,  malgré  la  gravité  des  raisons  qui  militent  contre 
la  pratique  qui  s'est  introduite  dans  le  diocèse  d'Arezzo,  il  y 


70  DÉCISIONS   DE   LA   P.   C.    DU  CONCILE.  [Tome Mil. 

aurait  pevtt-être  lieu  à  prendre  en  considération  le  motif 
qu'allègue  le  vicaire  capitulaire  en  se  fondant  surle  ch.  Novit, 
Ne  sed.  vacant.,  où  il  est  dit:  «  Attendentes  quod  episcopali 
sede  vacante  non  débet  aliquid  innovari,  cum  non  sit  qui  epi- 
scopale  jus  tueatur.  »  Comme  dans  cet  état  de  choses  le  cha- 
pitre ne  pourrait,  même  en  défendant  ses  propres  aroits,  porter 
atteinte  à  ceux  de  l'évêque,  à  plus  forte  raison  ne  le  pourrait- 
il  à  titre  de  demandeur.  (Fagnaii  :  in  cit.  cap.  Novit,  Ne  sed, 
vacant,  num.  32.) 
Resp.  :  Dilata. 

II.  TR.OEN.  —  Distributionum  (20  déc.  1862). 

L'archidiacre  de  l'église  cathédrale  de  Trani  adresse  à  Sa 
Sainteté  une  supplique  au  sujet  des  difficultés  qui  se  sont  éle- 
vées au  sein  du  chapitre  de  cette  église  à  l'occasion  des 
distributions  quotidiennes.  En  vertu  d'une  coutume  plus  ou 
moins  ancienne,  un  certain  nombre  de  chanoines  sont,  à  divers 
titres,  dispensés  de  l'assistance  au  chœur,  et  prennent  part 
néanmoins  aux  distributions.  L'archidiacre  énumère  les  fonc- 
tions diverses  qui  sont  considérées  comme  des  motifs  suffisants 
pour  exempter  de  l'assistance  au  chœur.  On  trouvera  plus 
loin  cette  énumération  dans  les  doutes  soumis  à  la  S.  Con- 
grégation. 

L'archevêque,  interrogé  à  cet  égard,  estd'avis  qu'on  accorde 
les  distributions  quotidiennes  à  ceux  qui  sont  absents  du 
chœur  pour  les  causes  énumérées  par  l'archidiacre.  Il  apporte 
même  quelques  raisons  particulières  pour  motiver  son  avis. 
l°Ou  ne  pourrait,  dit-il,  trouver  parmi  les  clercs  non  astreints 
au  chœur  des  sujets  propres  à  remplir  ces  emplois,  et  par  là 
même  on  est  obligé  d'avoir  recours  aux  chanoines;  d'autre 
part,  la  privation  des  distributions  serait  três-préjudiciable  à 
ceux-ci,  à  cause  de  l'exiguité  de  leurs  revenus;  2'  cet  usage 
d'ailleurs,  ajoute  le  [irélat,  a  été  maintenu  par  nos  prédéces- 
seurs, avec  l'agrément  du  chapitre. 


Juin.  1801.]  DÉCISIONS   DE   LA   S.   C.    DU   CONCILE.  7-1 

Le  chapitre,  interrogé  à  son  tour,  n'émet  un  vœu  favorable 
que  pour  quelques-unes  des  catégories  énumérées,  tandis  que 
pour  d'autres,  il  conclut  au  refus  des  distributions  dans  le  cas 
de  non-assistance  au  chœur.  Il  rappelle  en  outre  que  la  cou- 
tume n'est  ni  constante  ni  uniforme  pour  tous. 

Cette  controverse  donne  lieu  aux  questions  suivantes  sou- 
mises à  la  décision  de  la  S.  C.  : 

DUBlA. 

/.  An  et  quomodo  canonici  tempore  dhnnorum  officiorum  au- 
dientes  confesnones  censeri  debeant  prxsentes  in  choro  ad  effectum 
lucrandi  distributiones  in  casu. 

II.  An  et  quomodo  iidem  canonici  Missam  célébrantes  tempore 
divinorum  officiorum  tanquam  pressentes  haberi  debeant  in  choro 
ad  eumdem  effectum  in  casu. 

III.  An.  et  quomodo  canonici  assistenies  Archiepiscopo  in  pon~ 
tificalibus  aliisque  functionibus,  vel  Missam  privatam  celebranti 
absentes  a  choro  lucrentur  distributiones  in  casu. 

IV.  An  et  quomodo  lucrentur  distributiones  iidem  canonici  Ar- 
chiepiscopo assistentes  in  pertractandis  negotiis  dïœcesis,  vel  ip- 
sum  in  diœcesi  extra  residentiam  comitantes  in  casu. 

V.  An  et  quomodo  lucrentur  distributiones  canonici  absentes  a 
choro  ad  expendendas  rationes  massx  capitularis  in  casu. 

VI.  An  et  quomodo  lucrentur  distributiones  canonici  absentes 
a  choro  ministerio  prxdicationis  vacantes  in  casu. 

VII.  An  et  quomodo  canonici  lucrentur  distributiones  dum  ab- 
sunt  a  choro  pro  examine  ordinandorum  vel  confessariorum 
in  casu. 

VIII.  An  et  quomodo  canonici  rectoris,  administratoris ,  profes- 
sorum  et  examinatorum  munus  exercentes  in  seminario  a  choro 
absentés  lucrentur  distributiones  in  casu. 

IX.  An  et  quomodo  lucrentur  distributiones  canonici  absentes 
a  choro,  ut  pro-vicarii  generalis,  cancellarii  et  actuarii,  aliaque 
munera  in  curia  archiepiscopali  exerceant  in  casu. 


72  DÉCISIONS   DE   LA   S.    C.   DU   CONCILE.  ITome  VIIL 

X.  An  et  quomodo  lucrentur  distribut iones  canonici  absentes  a 
ckoro  rerum  capitularium  vel  mensx  aixhiepiscopalis  adminis- 
trationi  vacantes  incasu. 

XI.  An  et  quomodo  canonicus  cancellarius  Capituli  lucretur 
distributionea  pro  negotiis  capitularibus  in  archivio  distentus 
in  casu?  Et  quatenus  négative. 

XII.  An  consulendum  SSmo  pro  absoluiione  et  condonatione 
perceptarum  distributionum  in  casu. 

RESP. 

Ad  1.  Négative  in  omnibus,  excepta  pœnitentiario. 

Ad  II.  Négative,  nisi  de  prsefecti  chori  iicentia  et  in  populi 
commodum. 

Ad  m.  Affirmative  ad  primam  partem  prout  in  Licien. 
17  augusti  1641.  Ad  secundam  partem  négative. 

Ad  IV.  Négative  in  omnibus. 

Ad    V.  Affirmative  per  tempus  ab  oi^dinario  prssfiniendum. 

Ad    VI.  Négative  in  omnibus. 

Ad   VII.  Négative  in  omnibus. 

Ad   VIII.  Négative  in  omnibus. 

Ad  IX.  Négative  in  omnibus. 

Ad  X.  Quoad  canonicum  administratorem  rerum  capitularium, 
affirmative  pro  diebuset  horis  quibusreapse  incum bit  administra- 
tioni.  In  i'eliquis  yiegative. 

Ad  XI.   Négative  nisi  in  casu  urgentix. 

Ad  XII.  Affirmative  celebrata  una  Missa  cum  cantu,  astante 
universo  capitula. 

III.  Granaten.  —  Dubium  validitatis  dispensationis  matrimo- 
nialis  (18  avril  1863). 

Dans  un  rapport  sur  la  situation  de  son  église,  Tévêque  de 
Grenade  soumet  la  question  suivante  à  la  S.  Congrégation.  On 


Juill.  1863.1  DÉCISIONS   DE   LA   S.    C.    DU   CONCILE.  73 

lit  dans  la  Collection  de  Monacelli,  dit  le  rapport  :«  Qui  dispen- 
sationemobtiuuit  super  impedimento  consanguinitatisin  forma 
pauperura  falso  narrata   paupertate,  dicitur  valide  dispen- 

satus ,  ut  respondit  S.  C.  Concilii  die  9  septembris  1679.  » 

Or,  continue  la  relation,  dans  toutes  les  dispenses  in  forma  pau- 
perum,  on  trouve  toujours  cette  clause,  dummodo  ipsi  pauperes 
et  miserabiles  existant.  Cette  condition  doit  même  être  vérifiée 
par  celui  qui  est  délégué  pour  Texécution  des  lettres  aposto- 
liques, de  telle  sorte  que  si  cette  vérification  ne  pouvait  avoir 
lieu,  l'exécuteur  devrait  attendre  l'expéilition  de  nouvelles 
lettres  in  forma  perinde  valere  ;  ces  lettres  qui  sout  concédées 
pour  la  révalidalion  des  précédentes,  supposent  nécessairement 
la  nullité  de  la  première  dispense.  Comment  donc  concilier  le 
décret  rapporté  par  Monacelli  avec  la  teneur  desdites  lettres  et 
la  pratique  de  la  cour  de  Rome? 

Le  rapporteur  de  la  S.  Congrégation,  après  avoir  énoncé  le 
doute  proposé,  commence  par  citer  intégralement  la  décision 
qui  fait  l'objet  delà  difficulté.  Il  s'agit  dans  ce  décret  d'une 
dispense  accordée  in  forma  pauperum,  bien  qu'une  dot  de 
15,000  ducats  eût  été  constituée.  La  validité  de  cette  dispense 
ne  fut  mise  en  question  qu'après  la  mort  des  époux  et  le  doute 
suivant  fut  alors  soumis  à  la  Congrégation  :  Anin  casu  expresso 
Apostolica  dispensatio...  fuerit  valida,  ut  in  forma  pauperum  et 
ex  causa  paupertatis  falso  narrata.  La  Congrégation  répondit: 
Dispensationem  fuisse  validam. 

Après  avoir  rappelé  cette  décision,  le  rapporteur  fait  ensuite 
connaitre  la  pratique  de  la  cour  romaine  pour  ce  qui  est  des 
dispenses  in  forma  pauperum.  Il  déclare  d'abord  que  la  formule 
de  ces  dispenses  renferme  toujours  la  clause  précédemment 
indiquée.  Il  avoue  ensuite  que  la  même  pratique  est  constante 
et  certaine  pour  ce  qui  est  de  l'expédition  des  lettres  in  forma 
perinde  valere,  quand  la  pauvreté  n'est  point  établie. 

Il  reste  donc  à  examiner  si  ces  lettres  in  forma  perinde  valere, 
supposent  réellement  la  nullité  des  lettres  in  forma  pauperum, 
obtenues  d'une  manière  obreptiee  ou  subreptice. 


74  DÉCISIONS  DE  LA   S.   C.   DU   CONCILE.  [Tome  VIII. 

II  faut  doue  passer  ici  à  l'énumératiou  des  principales  raisons 
qui  peuvent  militer  soit  pour  l'affirmative,  soit  pour  la  négative. 
La  célèbre  décrétale  d'Innocent  III,  rapportée  chap.  xx,  de  Res- 
criptis,  détermine  les  principes  qui  doivent  servir  de  règle  sur 
cette  lîiatière.  Le  Pontife,  après  avoir  énuméré  plusieurs  senti- 
ments sur  cette  question,  ajoute  :«  Nos  igitur  inter  eosqui  per 
fraudem  vel  malitiam,  et  illos  qui  persimplicitatem  vel  ignorau- 
tiam  litteras  a  Nobis  impétrant,  bujusmodicredimus  discretio- 
nem  adhibendam,  ut  lii  qui  priori  modofalsitatem  exprimuntvel 
supprimunt  veritatem,  in  suse  perversitatis  pœnam,  nuUum  ex 
illis  litteris  eommodura  consequantur  :  itavidelicet  qiiod  dele- 
gatus,  postquam  siLi  siiperboc  facta  fueritfides,  nullatenusde 
causa  cognoscat,  Inter  alios  autem  qui  posteriori  modo  litteras 
impétrant,  duximus  distinguendum  quœ  falsitas  suggesta  fue- 
rit,  vel  quse  Veritas  sit  suppressa.  Nam  si  talis  expressa  sit  fal- 
sitas vel  Veritas  occultata,  quse  quaravis  fuissêt  tacita  vel 
expressa,  nos  nibilominus  saltem  in  forma  commuui  litteras 
dedissemus  :  delegatus  non  sequens  formam  in  litteris  ipsis 
appositamsecundum  ordinem  juris  in  causa  procédât.  Si  vero 
per  bujusmodi  falsitatis  expressionem  vel  suppressionem 
eliam  veritatis,  litteree  fuerint  impetratse,  qua  tacita  vel  ex- 
pressa nos  nuUas  prorsus  litteras  dedissemus,  a  delegato  non 
est  aliquatenus  procedendum.  » 

i"  En  partant  des  termes  de  ce  décret,  on  peut  invoquer  les 
raisons  suivantes  contre  la  validité  des  lettres  en  question.  Si 
les  réticences  ou  les  allégations  fausses  sont  le  résultat  de  la 
fraude,  il  semble  qu'en  vertu  de  la  décision  d'Innocent  III 
les  lettres  soient  absolument  nulles.  D'autre  part,  si  l'obreptiou 
ou  la  subreption  procède  de  l'ignorance,  il  semblerait  éga- 
lement, d'après  la  teneur  des  bjttres  m  foi^ma  pauperum,  qu'on 
dût  conclure  à  la  nullité  ;  la  clause  apposée:  «  dummodo...  ipsi 
oratores  pauperes  et  miscrabiles  existant,  »  semble  être  une 
condition  rigoureuse,  de  sorte  que,  dans  le  cas  où  elle  ne  serait 
point  vérifiée,  les  lettres  seraient  comme  non  avenues  etl'exé- 


Juin.  18G3.]  DÉCISIONS  DE   LA   S.    C.   DU  CONCILE.  7o 

cuteur  ne  pourrait  passer  outre,  car  il  manquerait  alors  des 
pouvoirs  nécessaires. 

Et  l'on  ne  peut  objecter  que  cette  clause  n'est  point  une 
condition  proprement  dite,  mais  un  mode  qui  n'aurait  pas 
comme  la  condition  une  force  suspensive.  Le  mode  eu  effet, 
peut  quelquefois  qualifier  les  lettres  de  délégation  et,  de  même 
que  la  condition,  restreindre  les  pouvoirs  du  délégué  (Lotter. 
De  Rebenef.  lib.  1,  quœst.  xxviii,  n.  41  et  42);  Corradus  affirme 
la  même  chose.  Mais  dans  le  cas  présent,  la  clause  qui  a  été 
introduite  contre  la  fraude  est  par  conséquent  sérieuse,  et 
semble  indiquer  véritablement  le  défaut  de  volonté  de  la  part 
du  Pontife  déléguant,  c'est-à-dire  annuler  les  lettres. 

2"  D'autre  part,  de  graves  raisons  militent  pour  la  validité 
des  lettres  obtenues  in  forma  pauperum,  lorsque  la  pauvreté  a 
été  faussement  alléguée.  Il  est  certain  toutefois,  1°  que  le  dé- 
légué ne  pourrait  licitement  conférer  la  dispense,  soit  avant 
l'enquête  sur  la  vérité  des  allégations,  soit  surtout  s'il  vient  à 
connaître  la  fausseté  des  déclarations;  2"  que  les  impétrants 
commettent  une  faute  grave,  lorsque  i'obreption  est  le  résultat 
de  la  fraude.  Mais  de  Fillicité  ou  de  la  culpabilité,  on  ne  peut 
rien  conclure  contre  la  validité  des  lettres  accordées. 

Pour  déterminer  ce  qui  est  de  la  validité  ou  de  la  nullité,  il 
faut  examiner  d'après  les  termes  de  la  décrétale  d'Innocent  IIÎ, 
si  la  pauvreté  est  la  cause  première  et  finale  que  le  Pontife  a 
en  vue  lorsqu'il  concède  ces  sortes  de  dispenses,  ou  si  elle 
ne  constitue  qu'une  fin  secondaire  et  extrinsèque,  ou  même 
une  simple  manière  de  concéder,  qui  dispense  de  payer  la 
compouende. 

Mais  la  fin  principale  des  dispenses  in  forma  pauperum  est  de 
sauvegarder  ou  de  réparer  l'honneur  et  la  réputation  d'une 
femme  compromise  par  des  relations  criminelles  ou  du  moins 
suspectes,  et  d'éviter  de  graves  scandales  qui  pourraient  sur- 
venir (DeJustis,  lib.  1,  cap.  VII)  ;  il  s'agit  surtout  de  venir  en 
aide  à  cette  femme  dans  le  péril  où  se  trouve  son  âme.  Telle 


7G  ACTES   DIVERS.  [Tome  VIIF, 

est  la  fin  qui  détermine  la  volonté  du  Pontife  ;  et  ce  motif  est 
tellement  reeouuu  dans  le  droit,  que  les  SS.  Canons  y  font 
souvent  allusion.  La  pauvreté  n'intervient  donc  ici  que  comme 
un  mode  d'obtenir  ce  rescrit  qui  doit  tirer  une  femme  d'un 
grand  péril,  soit  pour  son  âme,  soit  pour  sa  réputation. 

Ce  danger  de  perdre  l'honneur  et  la  réputation  semblerait 
donc  être  le  motif  principal  et  essentiel,  tandis  que  la  pauvreté 
ne  serait  qu'un  motif  accessoire  et  extrinsèque.  Une  décision 
du  4  juillet  1722  semble  être  pleinement  dans  ce  sens.  En 
outre,  l'examen  attentif  du  texte  des  dispenses  in  forma  pau- 
perum,  fournit  aussi  des  arguments  en  faveur  de  la  validité. 
4°  La  cause  principale  de  la  dispense  est  indiquée  dans  ces 
paroles  :  Quod  mulier  innupta  et  diffamata  remaneat,  graviaque 
inde  scandala  passent  oriri.2°  La  pauvreté  n'est  indiquée  qu'en 
passant,  et  dans  cette  partie  de  la  formule  où  la  faculté  de 
dispenser  est  accordée  au  délégué,  mais  nullement  dans  la 
partie  où  le  Pontife  déclare  qu'il  est  disposé  à  accorder  la  dis- 
pense. 

Cette  interprétation,  qui  ne  fait  point  consister  la  cause 
finale  de  la  dispense  dans  la  pauvreté,  est  encore  corroborée 
par  une  analogie  tirée  des  dispenses  ordinaires  accordées  pour 
le  même  empêchement  :  la  formule  est  parfaitement  identique 
à  celle  des  dispenses  in  forma pauperum,  sauf  la  clause  relative 
à  la  pauvreté  :  ce  sont  les  mêmes  motifs  qui  sont  indiqués 
comme  cause  détermiuante  de  la  volonté  du  Pontife. 

Enfin,on  peut  aussi  invoquer  en  faveur  de  l'exécution  des- 
dites lettres  quelques  principes  du  droit.  Le  mariage  doit  être 
supposé  validement  contracté  tant  que  le  contraire  n'est  point 
établi  par  des  preuves  certaines  et  reconnues.  En  outre,  la  sain- 
teté du  sacrement  exige  également  que  le  mariage  ne  soit 
point  exposé  trop  fréquemment  au  péril  de  nullité.  Enfin  le 
principe  :  Nernini  fraus  et  dolus  patrocinari  débet  ;  fournit  aussi 
une  raison  pour  que  ceux  qui  par  malice  ont  dissimulé  la 
Térité  ou  afîîrmé  ce  qui  était  faux,  ne  soient  point  entendus 


Juin.  1863.]  ACTES  DIVERS.  l  I 

lorsque,  pour  leur  commodité  et  au  détriment  du  mariage,  ils 
viendraient  alléguer  leur  propre  infamie. 

11  résulterait  donc  de  tout  cela  que  la  pauvreté  nVst  men- 
tionnée que  comme  la  raison  particulière  pour  laciuelle  le 
Rescrit  est  accordé  non  soluta  componenda.  C'est  pourquoi 
Corradus  déclare  que  celui  qui  aurait  obtenu  une  dispense  in 
foi'ma  pauperum  en  alléguant  faussement  sa  pauvreté,  est  tenu 
à  la  restitution  de  la  componende.  Cette  taxe  inlposée  est  em- 
ployée, comme  on  le  sait,  à  des  œuvres  pies,  ordinairement  à 
la  Propagation  de  la  Foi. 

Le  doute  proposé  à  la  S.  Congrégation  était  ainsi  formulé  : 
An  Apostolica  dispensatio  in  forma  pauperum  obtenta  censenda 
sit  valida  in  casu. 

Resp.  :  Dilata.  , 


ACTES  DIVERS. 


1.  Réponse  concernant  l'honoraire  de  la  seconde  messe  en  cas  de 
binage.  —  II.  Indidgences  accordées  à  l'Aix-hiconfrérie  de  l'As- 
so?nption.  —  III.  Défense  faite  aux  ecclésiastiques  de  porter  la 
barbe. 

Nous  publions  ce  document  d'après  le  Pastoral -Blatt  de 
Munster,  qui  lui-même  l'emprunte  à  une  circulaire  de  S.  E.  le 
Cardinal-archevêque  de  Cologne.  Oa  remarquera  que  le  Souve- 
rain-Pontife a  refusé  l'autorisation  de  recevoir  nu  honoraire 
avccla  condition  expresse  de  l'appliquer  à  un  œuvre  pie  dé- 
signée par  l'ordinaire.  En  1860,  nne  faveur  de  ce  genre  avait 
été  accordée  au  diocèse  de  Cambrai,  mais  pour  un  cas  spécial, 
la  reconstructionde  l'église  métropolitaine,  et  avec  cette  clause 
expresse  :  Gi^atia  sit  in  exemplum  non  adducenda,  et  pro  pecu- 
liaribus  circumslantiis  tantum  in  suppliai  libella  expressis. 
(V.  Revue,  t.  III,  p.  281.) 

Litterae  archiepiscopi  Goloniensis  ad  Sanctissimum  Dominum 
nostrum  Piurn  Papam  IX. 


78  ACTES   DIVERS.  [Tome  VllL 

Beatissime  Pater  !  JoannesS.  R.  E.  Cardinalis  de  Geissel  archiepi- 
scopus  Coloniensis,  ad  Sanctilatis  Vestrae  pedes  provolutus  humiliter 
exponit  sequentia.  S.  Gongregatio  Concilii  die  25  septembris  1858 
decretiuîi  edidit,  quo  declaravit,  sacerdotibus,  qui  bis  in  die  célébrant, 
omnino  pruhibitum  esse,  pro  altéra  missa  eleemosynamaccipere.  Quod 
quidem  decretumraox  publicando  contrariam  agendi  rationem,  quae  ex 
igiiorantia  prohibitionis  in  mea archidiœcesi  passim  observabatur,  prorsus 
eliminavi.Quum  vero  quoadpraeteritum  maxime desideranda  sit  absolutio 
pro  iis  sacerdotibus,  qui  bona  fide  pro  altéra  missa  stipendium  perce- 
perunt,  eara  a  Sanctitate  Vestra  concedi  enixe  efflagito.  —  Dubium 
quoque  eamdem  materiara  concernens  Sanctitati  Vestrae  decidendum 
omni  qua  par  est  reverentia  bac  occasione  submitto,  scilicet  :  num  sa- 
"cerdoti  bis  in  die  celebranti  liceat  alterara  missam,  pro  cujus  celebra- 
tione  sive  ex  piis  fundationibus,siveex  fidelium  oblalionibus  constituta 
est  certa  eleemosyna,  ita  persolvere,  ut  dicta  eleemosyna  sive  ad 
sublevandam  inopiam  fabricae  ecclesiae,  sive  in  comrnodum  sacerdotis 
alicujus  indigentis,sive  in  sustentationem  missionariorura,sive  in  aliam 
deniqufi  piara  causam  ab  Ordinario  applicetur,  nullumque  omnino 
comrnodum  vel  eraohimentum  celebrans  ipse  inde  percipiat.  Quod  si 
talis  agendi  modus  in  dicta  prohibitione  comprebendatur,  a  Sanctitate 
Vestra  humiliter  expostulo  facullatem,  qua  talem  agendi  rationem,  ex 
qua  omnis  avaritiae  suspicio  exulare  apparet,  cognita  causa  et  respectu 
habito  personarum  et  circurastantiarum  dispensando  permiltere  va- 
leam.  Quam  gratiam  submisse  exposcens  ad  Sanctitalis  Vestrae  pedes 
sacros,  quos  exosculor,  provolutus  mihi  et  gregi  raeo  Apostolicam  effla- 
gito benedictionem.  Pro  quagr?tia  etc. 

Sanclitas  Sua  per  Eminentissimum  Cardinalem  Caterini  Sacras  Con- 
gregationis  Concilii praefectum,responsum  dedil  :  Die  11  Mart'n  1863. 
—  Sanctissimus  Dominus  Noster,  audita  reîatione  infra&criplï  pro^ 
secreiarii  Sacrée  Congregationis  Concilii,  Emineniissimi  Domini 
Cardinalis  Archiepiscopi  Coloniensis  precibus  bénigne  annuens^  facul- 
tates  îiecessarias  et  opportunas  eidem  Eminentissimo  imperlitus  est 
ad  hoc,  ut  enunciatam  absolutionem  quoad  prxteritum  pro  sno  arbitrio 
et  priidenlia  gratis  impertiatur.  In  re'iquis  vero  ipsa  Sanctitas  Sua 
censuit  rescribenduin  :  «  Non  expedire.  » 

P.  Cardin.  CATERINI,  Praefectus. 

PETRUS,  Archiepiscopus  Sardianus. 
Pro-Secretariu3. 


Juill.  lcG3.]  ACTES   DIVERS.  79 

II. 

Le  Souverain-Pontife  vient  d'enrichir  de  précieuses  indul- 
gences l'Arcliiconfrérie  fondée,  sous  le  litre  de  l'Assomption  de 
la  Très-sainte  Vierge,  pour  le  soulagement  des  âmes  du  pur- 
gatoire, et  qui  a  son  siège  à  Rome,  dans  l'église  de  Sainte- 
Marie  in  Monterone,  desservie  par  les  PP.  Rédemptoristes. 

1"  Indulgence  de  7  ans  et  7  quarantaines,  aux  confrères  et 
consœurs  qui  visiteront  avec  un  cœur  contrit  un  cimetière  pu- 
hlic,et  y  prieront  pour  les  défunts. 

2*  Indulgence  plénière  une  fois  le  mois,  à  ceux  qui  auront 
accompli  ces  œuvres  ce  piété  au  moins  quatre  fois  dans  le 
cours  du  mois,  à  la  condition  de  se  confesser,  de  communier, 
de  visiter  une  église  publique,  et  d'y  prier  aux  fins  ordinaires 
du  Souverain-Pontife. 

Ces  indulgences  sont  applicables  aux  âmes  du  purgatoire. 

Pour  y  participer,  il  suffit  de  se  faire  inscrire  sur  les 
registres  de  l'association,  et  d'accomplir  les  œuvres  auxquelles 
sont  attachées  ces  faveurs  spirituelles.  Les  quatre  visites  exi- 
gées dans  le  mois  pour  l'indulgence  plénière  peuvent  être  ré- 
parties comme  on  l'entend. 

Voici  le  texte  du  Bref,  tel  que  le  publie  la  Correspondance  de 
Rome. 

Pjus  pp.  IX.  Ad  perpetuara  rei  meraoriam.  Cœmeteria  Christiano- 
rum  maxima  semper  reiigione  servata  ac  magno  in  honore  fuisse  habita 
res  est  cuique  coraperlissima.  Hincsodales  pise  Archiconfraternitatissub 
titulo  Assumptionis  B.  M.  V.  ad  suffragia  ferenda  animabus  Purgatorii 
igni  addictis  canonice  erectae  in  ecclesia  S.  Mariae  vulgo  in  Monterone 
nuncupala  de  Urbe  perpendentes,  omne  studium  pro  suo  instituto  po- 
oenduni  esse  duxerunt,  ut  hujuscemodi  religio  ac  honor  pênes  quascum- 
que  nationes  custodialur.  Ilinc  iidem  sodales  per  hodiernum  dictâB  piae 
Archicoofraternitalis  moderatorem  enixas  preces  Nobis  admovendas  cu- 
rarunt,  ut  ad  augendam  Christifidelium  pietatera  ac  venerationem  in 
sacra  memorata  loca,  illos  cœlestium  munerum,  quorum  dispensatores 
Nos  esse  voluit  Altissimus,  elargitione  ditaremus.  Nos  praefatis  suppli- 
cationibus,  quae  dum  veneranda  cœmeteria  debito  honore prosequi,  etiam 
animabus  piaculari  igni  addictis  solatium,  levamenque  afferre  inten- 


80  ACTES  DIVERS.  [Tom;  VIIT. 

dunt,  obsecundare,  ac  ut  infra  indulgere  de  benignitate  apostolica  vo- 
luimus.  Qiiare  de  omnipolentis  Dei  misericordia,  ac  B.  Pétri  et  Pauli 
apostolorum  cjus  auctorilate  confisi,  omnibus  et  singulis  confralribus  et 
consororibus  praefa^ae  piae  Archiconfraternitalis  jam  descriptis,  ve!  pro 
tempore  describendis,  saltem  corde  contritis,  qui  quodlibet  publicuni 
cœmeterium,  ubi  Christifideles  in  somno  pacis  requiescunt,  visitave- 
rint,  ibiqiie  pro  defunctis  exoraverint,  qua  vice  id  egerint,  septem  annos, 
totidemqiie  quadragenas  de  injunclis  eis,seu  alias  quomodolibet  debitis 
pœnitenliis  in  forma  Ecclesiae  consueta  relaxamus.  Meraoratis  vero 
confralribus  et  consororibus  vere  pœnitentibus  et  confessis  ac  sacra 
communione  refectis,  qui  saitera  infra  mensis  spatium  quatuor  vicibus 
pietatis  opéra  super  praescripta  peregcrint,  nec  non  e'.iam  quamiihet  ec- 
clesiam  publicam  dévote  visitaverint,  et  ibipro  christianorum  principum 
concordia,  hœresum  exlirpatione,  ac  S.  Matris  Ecclesiae  exaltatione 
pias  ad  Deum  preceseffivierint.plenariam  semel  tantum  quolibet  mense 
per  unumquemque  confratrum  et  consororum  lucrifaciendam  on)nium 
peccatorum  suorum  indulgentiani  et  remissionem  misericorditer  in  Do- 
mino concedimus.  Quas  omnos  et  singulas  indulgeniias,  peccatorum  re- 
missionesj  ac  pœnitentiarum  relaxationesetiamanimabiis  ChristiOdelium, 
quae  Deo  in  charitate  conjunctae  ab  hac  luce  migraverinî,  per  modum 
suffragii  applicari  posse  etiam  in  Domino  indiilgpmus.  In  contrarium 
facieiitibus  non  obstanlibus  qiubuscumque.  Praesentibus  perpoîuis  futu- 
ris  temporibus  valituris.  — Daliira  Pioruae  apùd  S,  Pelrum  sub  annulo 
Piscatoris  die  XXVIl  martii  MDCCCLXIII,  pontilicalus  nostri  anno  de- 
cimo  septimo. 
Pro  Dno  Gard.  Barberini,  Jo.  B.  Brancaleoni  Castellani,  Subst. 

III. 

Une  partie  du  clergé  bavarois  semble  avoir  oublié  les  loife 
concernant  l'obligation  de  porter*  l'habit  ecclésiastique  :  il 
n'est  pas  rare  de  rencontrer  dans  ce  pays  des  prêtres  que,  d'a- 
près leur  extérieur  et  leur  costume,  on  ne  reconnaîtrait  nulle- 
ment comme  tels.  Depuis  une  dizaine  d'années,  l'usage  s'était 
même  introduit  de  porter  la  barbe.  Le  nonce  de  Munich,  sur 
l'ordre  de  Sa  Sainteté,  vient  d'adresser  aux  archevêques  et 
évêques  de  Bavière  une  lettre  où  il  réprouve  cet  abus,  et  ap- 
pelle des  mesures  efficaces  pour  amener  sa  suppression.  Voici 


Juin.  18(i3.j  ACTES   DIVERS.  8f 

le  texte  de  ce  document  d'après  le  Pastoral-Blatt  de  Munster 
(n°  6,  16  juin  4863)  : 

«  Excellentissime  ac  Reverendissime  Domine  !  —  Ad  aures  Beatis- 
simi  Patris  pervcnit,  in  nonnullis  Bavarise  diœcesibus  adesse  ecclesia- 
slicos  viros,  qui  novitatis  vel  polius  levitalis  spiritu  perdiicti  usum 
jamdiu  exsolttum  barbam  gestandi  iterum  introducere  et  exemple  suo 
alios  ad  illud  iniitandumallicere  conantur.  Qnidquid  de  anteaclis  saecu- 
lis  dici  debeat,  in  confesso  est,  modernam  et  vigentem  Ecclesiœ  Latinae 
disciplinam  huic  usui  prorsus  obstare,  novamqne  consuetiidinem,  ut 
légitime  inlrodiicatur,  necessario  reqiiirere  assensimi  sallem  tacitum 
supremi  Ecciesiae  Pastoris  Hic  autem  hujusmodi  novitalem  omnino  se 
improbare  déclarât,  eo  vel  magis  quod  Iristissirais  hisce  temporibus 
spiritus  omnia  innovandi  liaud  paucos  seducat  et  ex  una  novitate  in 
aliara  fiicile  procedi  possit.  Quae  cum  ila  sint,  placuit  Sanctilati  Suae 
mihi  in  mandatis  dare,  ut  omnibus  Bavariae  anlistitibus  suo  Nomine  si- 
gnificarem,  ab  ipsis  omnimode  curandum  esse  non  solum  ut  praedictus 
usus  expresse  prohibeatur,  sed  etiam  ut  disciplinîE  unilas  et  perfecta 
cura  Ecciesiae  Roniana  omnium  magistra  conformitas  in  omnibus  ac 
proinde  etiam  in  babitu  et  tonsura  clerioorum  servetur,  vel  si  opus  sit 
restauritur,  ac  qualiscunque  nova  consuetudo  vetetur  quae  Supremo 
Ecciesiae  capHi  apprime  cognita  atque  ab  ipso  probata  non  sit.  —  Dum 
haec  Excellentiae  Tuae  lllustrissimae  ac  Reverendissimae  Beatissimi 
Patris  jussu  ac  Nomine  scribo,  illara  rogo,  ut  me  de  hujus  epistolte  re- 
ceptione  insiructum  reddens,  mihi  etiam  indicare  velit,  quid  Excellen- 
tia  Tua  opporlunum  facere  existimaverit,  ut  praedictus  usus,  si  forte  in 
ista  diœcesi  manifestari  incœpit,  extemplo  relinquatur,  atque  ut  nemini 
unquam  in  menteoi  veniat,  illum  introducere.  —  Sinceris  intérim  ob- 
servantiae  et  obsequii  sensibus  persevero  Excellentiae  Tuae  lllustrissimae 
ac  Beverendissmiae  humillimus  et  addictissimus  iMATTH.^US  EUSTA- 
CHIUS,  Archiepiscopus  Neocaesareensis,  nuntius  Apostolicus.  M.  A.  » 

L'usage  de  se  raser  la  barbe  paraît  avoir  été  observé  dès 
l'origine  par  le  clergé  d'Occident  :  c'était  même  un  des  griefs 
que  les  Grecs,  du  temps  de  Photius  et  plus  tard,  élevaient  contre 
l'Église  latine.  Aussi  voyons-nous  saint  Grégoire  \'II  s'opposer 
à  la  coutume  contraire  qui  s'introduisait  enSardaigne.  Il  écrit 
au  juge  de  Cagliari  :  Nolumus  autem  prudentiam  tuam  moleste 
accipere^  quod  archiepiscopum  vestrum  Jacobum  consuetudini 
sanctx  Romanx  Ecclesiss  matris  omnium  ecclesiarum  obedire 


82  DÉCISIONS  DE   LA   S.    C.   DU  CONCILE.  [Tome  VIII. 

cogimus;  scilicet  ut  quemadmodum  totius  occidentalis  Ecdesix 
cleruf.  ah  ipsis  fidei  Cliristiande  p'^imordiis  barbam  radendi  morem 
tenuit,  ita  et  rpse  frater  noster  vester  archiepiscopus  raderet. 
Unde  Eminentix  quoquetux  prxcipimus,  ut  ipsum  ceu  pastorem 
et  spirituûlem  patrem  suscipiens  et  auscultans,  cum  consilio  ejus 
omnem  tux  potestatis  clerwn  barbas  radere  fadas  atque  corn- 
pellas.  (Hardouin,  t.  vi,  col.  1460).  Au  XVI*  siècle,  la  discipline 
se  relâcha  sous  ce  rapport.  Les  conciles  provinciaux  de  Nar- 
bonne,  en  1351,  et  de  Maliues  en  1570,  rappellent  encore  la 
règle  ;  celui  de  Rouen  (1581)  est  moins  explicite  {\);  celui  de 
Reims  (1583)  ordonne  seulement  d'une  manière  absolue  de 
se  raser  la  lèvre  supérieure  (2).  A  partir  de  là,  nous  voyons 
plusieurs  conciles  et  S3^nodes  prescrire  des  précautions  ana- 
logues inspirées  par  le  respect  des  saints  mystères,  ou  défen- 
dre certaines  manières  de  porter  la  barbe  et  les  moustaches  (3). 
Vers  la  fin  du  XVIP  siècle,  l'usage  de  porter  la  barbe  ayant 
cessé  parmi  les  laïques,  disparut  aussi  dans  le  clergé.  Des 
tentatives  isolées  pour  le  faire  revivre  ont  été  sagement  ré- 
primées, dans  ces  derniers  temps,  par  l'autorité  des  premiers 
pasteurs.  H.  Girard. 

(1j  Nec  barbam  alanl  ininislerio  altaris  indecorara.  Hardouin,  l.  x, 
col.  1237. 

(2)  Barbam  vero  aut  omnino  non  geslent,  quo'i  magis  probamus,  auf 
sallem  loiam  a  superiore  labro  ob  saciae  communionis  revereniiam 
toiideani,  vel  radanl   Ibid.,  col.  1292. 

(3)  Conc.  Aqueuse  ISSii  :  Presbyleri  autem  barbain  habeanl  ad  su- 
perius  labrum  ila  incisain,  ul  sumeniibus  Christi  sanguinera  nullum 
afferat  impedinienlum  :  alque  lara  ipsi,  quam  reliqiii  omnes  ab  omni 
parle  ne  ullo  paclo  pilos  inlorlos,  aula  mento  in  actiium  incisos  pro- 
duclosve,  more  niilrianl  militari  {Haraouln,  1.  x,  co!.  \li\'l). —  Conc, 
Cameracense  io86  :  Barbam  ne  alalam,  ve!  îniliiiim  more,  nulrianl, 
et  ita  omnino  a  labro  superiore  prsescindalur  (maxime  in  sacerdolibus) 
ul  sacram  communionem  non  irapedial.  (  Statuta  synodalia  eccl. 
Cameracensis,  Gameraci  1784,  p.  ii,  p.  182.)  Les  mêmes  disposilions 
se  reirouvenl  dans  le  3'  Concile  provincial  de  Cambrai,  leim  en  1631 
(ibid.,  [1.  311),  dans  les  synodes  de  1617  {ibid.,  p.  i,  p.  289),  el  de 
1661  [ibid.,  p.  296),  dans  le  Concile  de  Malines,  en  1607  [Hardouin, 
\.  X,   col     1958),  etc. 


BIBLIOGRAPHIE. 


MÉTHODE  POUR  LES  CLASSES  DE  PLAIN-CHANT,  à  l'usage  des  dio- 
cèses qui  ont  adopté  le  chant  romain  de  la  Commission  rémo-cam- 
Lrésieuue,  par  M.  l'abbé  Caron,  ancion  directeur  de  grand  séminaire. 
—  iu-î2,  v-155  p.  Paris,  Guyot  et  Roidot,  1863. 


Une  courte  méthode  pour  diriger  l'étude  du  pluin-chant 
dans  les  séminaires  et  dans  les  paroisses  était  un  ouvrage  né- 
cessaire. Tout  le  monde  n'est  pas  à  même  de  faire,  sur  cette 
science  intéressante,  des  études  approfondies;  mais  tous  les 
ecclésiastiques  sont  appelés  à  chauler  les  louanges  de  Dieu  et 
à  se  servir  de  toutes  les  ressources  qui  sont  à  leur  disposition 
pour  le  faire  de  manière  à  procurer  la  gloire  de  Dieu  et  la 
sanctification  des  âmes. 

Tout  le  monde  connaît  aujourd'hui  les  progrès  qui  ont  été 
faits  dans  l'exécution  du  chant  ecclésiastique  depuis  le  retour 
des  diocèses  de  France  à  la  liturgie  romaine,  et,  peu  à  peu, 
nous  voyons  s'effacer  ces  défauts  qui  répandaient  un  si  juste 
blâme  sur  le  chant  de  l'Éghse,  assujetti  à  des  règles  qui  ne 
pouvaient  jamais  être  apphquées  par  un  chantre  doué  de  l'in- 
teUigence  et  du  goût  musical. 

Mais,  malheureusement,  toutes  les  méthodes  de  plain-chant 
étaient,  depuis  longtemps,  rédigées  sur  les  principes  qu'il  fal- 
lait abandonner,  et  les  travaux  entrepris  pour  la  restauration 
du  chant  ecclésiastique  avaient  exigé  des  explications  plus 
détaillées.  Il  fallait  une  mélhode.simple,  courte,  pratique,  et 
d'un  prix  modique.  M.  l'abbé  Caron  vient  de  combler  cette 
lacune  avec  un  succès  remarquable. 

L'auteur  divise  son  travail  eu  trois  parties.  Dans  la  pre- 


S4  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VlII. 

mière,  il  donne  des  notions  élémentaires  sur  le  plain-chant  ; 
dans  la  seconde,  il  traite  des  moyens  propres  à  donner  de 
l'expression  ;  la  troisième  partie  se  rapporte  à  la  rubrique,  à 
l'esthétique  et  au  symbolisme  des  morceaux  de  chant.  M.  Ca- 
Ton  a  cru  devoir,  sur  l'avis  de  M.  Tabbé  Tesson,  président  de 
la  commission  rémo-eambrésienne^  publier  dans  un  petit  vo- 
lume les  deux  premières  parties.  La  troisième  est  encore  sous 
presse,  et  doit  faire  un  opuscule  à  part. 

Les  50  pages  qui  forment  la  première  partie  de  la  méthode 
renferment  toutes  les  notions  nécessaires  pour  avoir  cette 
science  élémentaire  du  plain-chant  sans  laquelle  il  est  impos- 
sible d'arriver  à  une  exécution  convenable,  et  dont  l'absence 
est  la  source  d'une  foule  de  fautes  et  d'erreurs.  Ou  y  trouve 
des  exercices  simples,  à  la  portée  des  commençants,  et  choisis 
avec  ce  tact  qu'une  connaissance  bien  nette  du  plain-chant 
peut  seule  donner.  En  les  suivant,  l'élève  apprend  comme 
instinctivement  les  règles  et  le  rythme  du  chant  ecclésia- 
stique. 

La  deuxième  partie  renferme  des  règles  dont  la  connais- 
sance est  indispensable.  M.  l'abbé  Caron  y  a  touché  tous  les 
points  pratiques. 

Il  traite  d'abord  des  moyens  matériels  de  donner  de  l'expres- 
sion au  plain-chant.  Parmi  ces  moyens,  les  uns  doivent  pré- 
céder, les  autres  accompagner  l'exécution.  Ceux  qui  pré- 
cèdent sont  la  culture  de  la  voix  et  la  bonne  exécution  des 
neumes.  On  sait  combien  la  culture  de  la  voix  a  été  négligée,  en 
France,  dans  le  chant  ecclésiastique.  L'auteur  s'appHque  donc 
à  donner  clairement  et  brièvement  les  moyens  à  employer. 
Il  enseigne  ensuite  la  manière  d'exécuter  chacun  des  neumes, 
ou  syllabes  musicales  qui  se  trouvent  dans  le  plain-chant.  En 
parlant  des  moyens  qui  accompagnent  l'exécution  du  chant, 
M.  Caron  a  su  toucher  à  toutes  les  défectuosités  le  plus  com- 
munément répandues,  comme  l'absence  d'une  bonne  pronon- 
ciation, comme  l'usage  de  chanter  sur  un  diapason  trop  haut  ou 


Juin.  18G3  1  BIBLIOGRAPHIE.  85 

trop  bas;  l'auteur  rappelle  ici  les  principes  donnés  dans 
l'inslruction  pastorale  de  Mgr  l'Evêque  d'Arras  et  dans  la  mé- 
thode de  M.  l'abhé  Alix.  Il  traite  ensuite,  dans  le  même  para- 
graphe, des  longues  et  des  brèves,  des  repos,  du  crescendo,  du 
deo'escendo,  du  trémolo  et  de  l'intensité  de  la  voix.  Enfin,  il  in- 
dique les  principes  à  suivre  sur  la  lenteur  ou  la  rapidité  avec 
laquelle  on  doit  exécuter  le  plain-chant. 

Après  ces  moyens  matériels,  qui  font  l'objet  du  premier 
chapitre,  M.  l'abbé  Caron  consacre  le  second  à  l'examen  des 
moyens  intellectuels  de  donner  de  l'expression  au  plain-chant. 
Ces  moyens  sont  l'intelligence  et  le  sentiment  dans  l'exécu- 
tion. L'intelligence  peut  être  envisagée  sous  un  double  rap- 
port :  sous  celui  de  l'harmonie  propre  au  plain-chànt  en  gé- 
néral et  du  rythme  spécial  aux  différents  tons  ou  particulier  à 
certaines  fêtes  ou  à  certains  temps  de  l'année,  puis,  sous  le 
rapport  du  sens  des  paroles  chantées.  L'intelligence  de  l'har- 
monie du  plain-chant  se  forme  et  se  perfectionne  par  l'étude 
de  cet  art,  et  celle  du  sens  des  paroles,  par  la  prépnration  qui 
doit  toujours  précéder  Texécution.  L'intelligence  des  paroles 
sert  à  perfectionner,  non-seulement  le  chantre,  mais  aussi  le 
lecteur.  L'auteur  fait  ressortir  ici  les  heureux  effets  de  cette 
intelligence  pour  l'exécution  des  parties  de  la  Messe  ou  de 
rOflSce  dont  le  chant  est  moins  varié,  et  attire  l'attention  des 
ecclésiastiques  sur  les  moyens  de  donner  à  ces  chants  une 
expression  qui  seule  peut  rendre  la  pensée  de  l'Élglise  dans 
l'institution  du  chant  ecclésiastique.  Le  second  moyen  intel- 
lectuel est  le  sentiment.  L'intelligence  dirige  le  chant,  mais 
le  sentiment  seul  y  produit  le  goût  et  la  piété.  Pour  obte- 
nir le  goût,  on  doit  s'appliquer  à  comprendre  la  pensée  que 
rendent  le  choix  et  la  disposition  des  notes;  M.  Caron  cite  plu- 
sieurs exemples  pour  rendre  palpable  cette  relation.  La  piété 
dans  le  chaut  est  le  résultat  de  l'ensemble  des  sentiments  du 
cœur  avec  les  qualités  requises  pour  bien  chanter.  L'auteur 
termine  par  deux  avis  très-importants  :  le  premier,  pour  mettre 


86  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VIII, 

ea  garde  contre  riiésitatiou  dans  le  chant  ;  le  second,  sur  Tat- 
tentiou  dans  l'exécution. 

Tel  est,  en  quelques  mots,  le  travail  de  M.  l'abbé  Caron. 
Cet  ouvrage  se  répandra  promptement,  nous  l'espérons,  dans 
un  bon  nombre  de  grands  et  de  petits  séminaires.  Son  utilité 
ne  se  borne  pas  à  ceux  des  diocèses  où  Ton  a  adopté  le  chant 
de  la  commission  de  Reims  et  de  Cambrai  :  partout  on  trouvera 
dans  ce  livre  des  moyens  de  mieux  connaître  les  principes  du 
plain-chant,  des  moyens  pour  arriver  à  une  exécution  meil- 
leure, et  Ton  préparera  une  restauration  plus  on  moins  com- 
plète, même  dans  les  églises  où  les  ressources  pour  y  par- 
venir ont  fait  défaut  jusqu'à  présent. 

P.  R. 


DES  RAPPORTS  DE  L'HOMME  AVEC  LE  DÉMON,  Essai  historique  et 
philosophique,  par  Joseph  Bizouard,  avocat.  Tome  T.  —  Paris,  Gauine 
et  Duprey.  lu-S",  xv-376  pages. 


On  l'a  dit  bien  des  fois  :  le  naturalisme  est  la  grande  plaie 
de  notre  époque.  «  Rien  dans  notre  siècle  ne  reiicontre  au- 
tant d'hostilité  que  le  surnaturel  ;  aussi,  rien  de  plus  commun 
que  l'impiété  (1).  »  Ce  mal  hideux,  (|ui  ronge  comme  une 
lèpre  les  forces  individuelles  et  sociales,  a  été  combattu  dog- 
matiquement. Divers  essais  ont  paru  sur  cet  important  sujet  : 
on  ne  peut  qu'y  applaudir,  tout  en  désirant  qu'il  paraisse  en- 
fin un  travail  magistral  et  complet  sur  ce  qui  est  aujourd'hui 
le  dogme  des  dogmes,  en  même  temps  que  le  besoin  des  be- 
soins. 

«  Le  monde  invisible  présente  deux  sortes  de  prodiges  :  les 
faits  surnaturels,  qui  suspendent  les  lois  physiques,  et  les 
faits  surhumains,  résultant  de  l'emploi  de  ces  dernières  pour 
opérer  des  actes  supérieurs  à  tout  pouvoir  humain. 


(1)  Des  Rapports,  etc.,  p.  i. 


Juill.  lSG3i.  BIBLIOGRAPHIE.  87 

«  Si  le  surnaturel  prouve  Texistence  d'un  souverain  être, 
le  surhumain  démontre  l'existence  d'êtres  inférieurs  infini- 
ment plus  puissants  que  l'homme;  l'étude  qui  prouve  l'un  et 
l'autre  est  donc  éminemment  importante,  puisqu'elle  met  sous 
nos  yeux  une  double  vérité  fort  ancienne  :  Dieu  se  révélant 
par  des  miracles,  des  êtres  invisibles  se  révélant  par  des  pro- 
diges séducteurs  (I).  » 

L'histoire  peut  donc  constater  ce  que  démontre  la  doctrine. 
Le  surnaturel  est  un  fait,  aussi  bien  qu'un  dogme.  M.  Bi- 
zouard  s'est  placé  surtout  au  point  de  vue  historique.  A  l'é- 
poque où  bien  peu  de  savants  s'occupaient  de  la  question  des 
esprits,  cet  estimable  auteur,  sentant  sa  curiosité  éveillée  par 
les  livres  de  trois  jurisconsultes  sur  la  nécessité  de  punir  le 
commerce  illicite  avec  les  mauvais  esprits,  a  étudié  les  ou- 
vrages nombreux  publiés,  à  divers  points  de  vue^  sur  les  dé- 
mons, et,  de  siècle  en  siècle,  trouvant  toujours  des  faits,  des 
textes,  des  prodiges,  des  mystères,  des  rites,  des  apparitions, 
des  résultats  étonnants,  il  a  conclu  que,  toujours  et  partout, 
le  surnaturel  et  le  surhumain  ont  existé.  C'est  le  résultat  de 
ces  recherches  qui  est  publié  sous^ce  titre  :  Des  Rapports  de 
Vhomme  avec  le  démon. 

M.  Bizouard  se  range  vigoureusement  «  dans  le  camp  des 
orthodoxes.  »  La  conclusion  inévitable  de  ses  travaux  est  l'exis- 
tence partout  et  en  tout  temps  du  surnaturel  et  du  surhumain  (2). 
a  Le  surnaturel,  »  dit-il  dans  une  doctrine  qu'on  ne  saurait 
trop  inculquer;  «  le  surnaturel,  qu'on  le  sache  bien,  a  une 
double  importance,  on  ne  saurait  trop  le  répéter  ;  il  est  non- 
seulement  la  base  d'une  foi  qui  nous  assure  les  biens  futurs; 
mais  celle  même  foi  assurerait  le  bonheur  et  la  sécnrilé  des 
sociétés  dans  la  vie  présente  :  le  surhumain  est  trop  étroite- 
ment lié  au  surnaturel,  pour  n'avoir  pas  le  même  degré  d'im- 
portance :  l'un  et  l'autre  prouvent  Dieu  et' Satan;  il  faut  re- 

(1)  Des  Rapports,  etc.,  p.  i  et  n. 
(2J  /6.,p.  XV. 


88  BIBLIOGRAPHIE.  ITomeVlII. 

connaître  Tun  pour  l'adorer,  et  l'autre  pour  éviter  ses  pièges. 
Si  Ton  pouvait  espérer  le  rétablissement  de  cette  double 
croyance,  le  corps  social  ne  serait  plus  comme  le  vaisseau 
agité  par  la  tempête  (1)  » 

La  préface  se  termine  par  cette  phrase,  écrite  à  coup  sûr 
eu  vue  du  spiritisme  :  «  Admettre  surtout  les  prodiges  sata- 
niques  comme  divins ,  y  recourir  pour  établir  un  nouveau 
culte  et  organiser  un  état  social  nouveau,  c'est  le  très-antique 
et  détestable  projet  de  tous  ceux  que  l'auteur  de  ces  prodiges 
a  séduits  dans  tous  les  temps.  S'il  parvenait,  un  jour,  à 
réussir,  ce  serait  la  ruine  universelle  (2).  »  C'est  de  nos 
jours  surtout  que  la  science  démonologique  est  nécessaire. 
«  Mieux  connue  et  plus  répandue,  on  n'aurait  vu  ni  ma- 
gnétiseurs fluidistes  ou  spirilualistes,  ni  spirites  évoquant  les 
génies  ou  les  âmes  des  morts  avec  une  table,  ni  philosophes 
disposant  de  l'àme  de  l'univers  pour  opérer  mille  prodiges 
effrayants,  ni  prêtres,  comme  il  s'en  est  trouvé  quelques-uns, 
acceptant  des  théories  fort  périlleuses  pour  la  foi  (3).  » 

Telles  sont  les  diverses  pensées  auxquelles  se  rattache 
l'œuvre  de  M.  Bizouard.  Il  n'est  personne  qui  ne  voie  comme 
elles  sont  belles  et  justes.  L'Essai  historique  sur  les  rapports 
de  l'homme  avec  le  démon  complétera  l'œuvre  de  MjNI.  des 
Mousseaux,  de  Résie,  de  Mirville,  de  M.  l'abbé  Thiboudet, 
du  P.  Matignon  et  des  autres  écrivains  qui  se  sont  émus,  à 
si  juste  titre,  des  ravages  causés  par  l'intluence  manifeste 
^.utant  que  maligne  des  esprits  infernaux.  Il  jettera  un  grand 
jour  sur  cette  grave  question,  et  achèvera  de  porter  la  lu- 
mière sur  les  bas-fonds  du  spiritisme.  On  ne  peut  donc  qu'ap- 
plaudir à  cette  belle  entreprise  et  encourager  de  si  nobles 
efforts. 

Le  premier  volume,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  est  di- 

(-1)  Des  Rapports,  sic,  p.  xiv. 
(2)  76.,  p.  XV. 
(5)  Ib.,  p.  XII. 


Jaill.  18G3.]  BIBLIOGRAPHIK.  89 

visé  en  cinq  livres.  Il  traite  de  l'idolâtrie,  de  la  philosophie 
grecque,  du  néoplatonisme  alexandrinn,  des  hérésies,  de  la 
magie,  de  la  doctrine  de  l'Église  et  de  saint  Thomas,  le  tout 
considéré  par  rapport  aux  effets  surhumains,  superstitieux  ou 
diaboliques  que  l'histoire  y  retrouve.  Les  mystères,  les  sym- 
boles, les  présages,  les  auspices,  les  songes,  l'astrologie,  les 
talismans,  les  oracles,  la  goétie  ou  magie  malfaisante,  les 
métamorphoses,  les  fureurs  sacrées,  les  extases,  la  théurgie, 
les  bruits,  les  cris,  les  vexations,  les  possessions,  les  obses- 
sions..., toutes  ces  formes  diverses  des  rapports  avec  les  es- 
prits, l'auteur  les  expose  historiquement,  avec  beaucoup  de 
science,  jusque  chez  les  Templiers  et  les  Albigeois.  Ce  livre 
accuse  beaucoup  de  recherches.  L'auteur,  on  le  conçoit  facile- 
ment, avait  une  immense  quantité  de  faits  à  narrer  ;  il  s'est 
borné  à  en  présenter  que  des  échantillon?  de  chaque  espèce. 
Il  désire  surtout  que  l'on  unisse  dans  une  lecture,  et  comme 
dans  une  chaîne  continue,  tout  ce  qu'il  racontera.  C'est,  en 
eff'et,  l'ensemble  qui  est  décisif  pour  sa  thèse. 

Dans  une  telle  quantité  de  détails,  il  y  en  aurait  plusieurs 
qui  demanderaient  des  réflexions  diverses.  Nous  ne  pouvons 
nous  y  arrêter,  sous  peine  de  dépasser  les  limites  d'un  compte- 
rendu.  Nous  désirerions  que  ce  qui  touche  aux  mœurs  fût 
abrégé  ou  indiqué  avec  plus  de  voiles,  ou  même  mis  en  latin. 
Nous  savons  très-bien  que  l'ouvrage  qui  les  contient  est, 
avant  tout,  scientifique,  mais  n'importe,  cette  précaution  est 
loin  d'être  superflue. 

A  part  ces  réserves  ou  autres  semblables,  le  livre  de  M.  Jo- 
seph Bizouard  est  une  très-belle  œuvre,  pleine  de  recherches 
utiles.  Il  contribuera  à  éclairer  bien  des  âmes  et  à  les  rame- 
ner à  la  foi  catholique.  Cinq  volumes  sont  encore  à  paraître  : 
nous  en  rendrons  compte  à  nos  lecteurs. 

N.-C.  Le  Roy. 


LA  LITTERATURE  THEOLOGIQUE  EN  ALLEMAGNE 


Pendant    l'année    1 S69. 


[Suite.) 


CORRESPONDANCE, 


IV.  —  PATRlSTiaUE    ET    PaTROLOGIE. 

La  publication  la  plus  importante  de  cette  catégorie  est  incontestablement 
i'Eusèbc  du  D'  Lœmmer,  le  célèbre  converti  dont  il  a  été  question  plus  d'une 
fois  déjà  dans  votre  Revue.  {Eusebii  Pamphili  Hislori'x  ecclesiasticx  l'bri 
decem.  Grxcum  lexlum  collatis  qui  in  Germanix  et  IcaiiiC  btbliothecis 
asservantur  codicibus  et  adkibilis  prœstantissimis  editionibus  recensuit 
atque  emendavit,  latinam  Henrici  Valesii  versionein  passim  correctam 
subjimxit,  apparatum  criticum  apposait,  fontes  adnotavit,  prolegomena 
et  indices  adjecit  Hugo  Lœmmer.  8°,  xxv-920p.  Scaphusiae,  suraptibus  librariae 
Hurterianœ,  1862.)  Il  ne  m'appartient  pas  de  porter  un  jugement  sur  la  valeur 
de  cette  recension  qui  sans  aucun  doute  est  le  résultat  d'un  travail  aussi  con- 
sciencieux qu'opiniâtre,  et  qui  atteste  des  connaissances  spéciales  très-distin- 
guées. Je  me  permettrai  seulement  une  remarque  de  fait.  Les  critiques  ne  sont 
pas  tous  d'accord  avec  le  Df  Lœmmer  sur  le  rang  qu'il  a  donné  au  Codex  Ve- 
netus  558  en  le  prenant  pour  base  de  son  texte,  et  en  lui  laissant  cette  autorité 
après  même  qu'il  eut  découvert  le  précieux  Codex  Vaticanus  ô99. 

Le  professeur  Pohlmann,  de  Braunsberg,  a  étudié  les  manuscrits  des  commen- 
taires de  S.  Ephrem  sur  l'Écriture  sainte  qui  se  trouvent  à  la  bibliothèque  du 
Vatican  :  avec  quels  résultats,  c'est  ce  que  l'on  pourra  dire  quand  nous  aurons 
la  seconde  partie  de  sa  dissertation.  (S.  Ephrxmi  Syri  eommenlariorum  in 
S.  S.  textuiin  codicilus  vatic.  manuscriptus  et  in  editione  rom.  impressus. 
Commentalio  critica.  P.  1.  Braunsberg,  Peter.  36  p.  16  ngr.) 

Nous  pouvons  citer  encore  l'excellente  édition  classique  de  l'Octavius  de 
Minulius  Félix,  donnée  par  le  prof.  Kaiser,  d'après  le  Codex  Paris.  Regius 
(Paderborn,  Junfermann.  8°,  58  p.  7  1/2  ngr.);  celle  de  lii  Vita  S.  Severini 
d'Eugyppius,  par  le  D^  Kerschbaumer,  d'après  un  manuscrit  romain  du 
Xe  siècle  (in-12,  XX-81  p.  Scaphusiae,  Hurter,  12  ngr.)  ;  une  dissertation  du 
Dr  Hillen,  Ctemenlis  Alexandrini  de  SS.  Eucharistia  doctrina  (Warendorf, 
Schnell,  7  1/2  ngr.);  enfin,  la  Commeiitatio palrologica  du  théologien  polonais 


Juin.  1863 1  CORRESPONDANCE.  91 

Jadzewski  sur  S.  Zenon,  évoque  de  Vérone,  qui  est  faite  avec  critique  et  qui 
jette  un  jour  nouveau  sur  la  vie  et  la  mort  de  ce  primum  sidus  sedis  episco-' 
palis  Veronensis,  ainsi  que  sur  les  circonstances  oii  il  a  vécu  (Regensburg, 
Manz,  109  p.  15  ngr.). 

Enfin,  c'est  ici  le  lieu  de  mentionner  le  second  volume  de  l'Histoire  de  la 
litléraluro  apologétique  et  polémique  par  le  prof.  Werner.  {Geschichte  der 
apologetischen  und  polem.  Literatur  der  christlichen  Théologie.  Schaffhau- 
sen,  Hurter.  8°  XVI-695  p.  2  i/3  thlr.)  Cet  ouvrage  est  le  résultat  de  longs 
travaux  et  il  contient  une  quantité  considérable  de  matériaux  recueillis  avec 
intelligence  et  avec  soin.  L'esprit  en  est  parfaitement  calfcolique.  Sans  donte,  on 
désirerait  quelquefois  plus  d'ordre,  de  clarté,  de  brièveté,  de  critique  même  dans 
certains  cas,  mais  ces  défauts  disparaissent  devant  le  mérite  et  l'utilité  d'une 
celle  œuvre.  Le  premier  volume,  publié  en  1861,  expose  en  trois  livres  la  lutte 
contre  le  judaïsme,  l'hellénisme,  et  les  spéculations  païennes  des  Guostiques  et 
des  Manichéens.  Le  2»  volume,  que  nous  annonçons  ici,  s'étend  sur  les  combats 
de  l'orthodoxie  contrôles  doctrines  erronées  qui  surgirent  àl'époque  patristique, 
en  opposition  avec  les  croyances  chrétiennes  sur  Dieu,  la  Trinité^  l'Église,  les 
sacrements,  le  péché,  la  grâce.  Les  trois  volumes  qui  sont  encore  attendus  au- 
ront pour  objet  :  1»  la  littérature  relative  à  la  séparation  de  l'Église  latine  et 
du  schisme  grec  ;  2°  la  lutte  du  catholicisme  contre  le  protestantisme  croyant  ; 
3o  les  tendances  qui  se  sont  produites  à  l'époque  moderne  sur  le  terrain  de 
l'apologétique,  de  la  philosophie  de  la  religion,  et  de  la  théologie  spéculative, 

A  cette  catégorie  se  rapporte  également  l'Histoire  des  dogmes  avant  le 
eoneile  de  Nieée,  par  le  D'  Schwane,  (  Dogmengeschichte  der  vornicsenischen 
Zeit  8°  VIIl-"84  p.  Munster,  Theissing.  3  thlr  20  ngr.)  C'est  un  travail  très- 
soigué,  très-approfondi,  où  tout  est  pesé,  mesuré  ;  l'auteur  s'impose  peut-être 
même  une  trop  grande  réserve  quand  il  s'agit  d'expliquer  et  de  justifier  les  Pères 
de  l'Église  par  rapport  à  certains  points  de  doctrine,  quoique  d'ailleurs  ses 
opinions  soient  toujours  parfaitement  saines.  Le  D'  Schwane  a  rempli  d'une 
manière  remarquable  sa  tâche  difficile. 

V.  —  Histoire  ecclésiastiqoe. 

Le  Manuel  d'histoire  ecclésiastique  de  Rilter,  jadis  professeur  et  doyen  du 
chapitre  à  Breslau,  vient  de  paraître  eu  7*  édition  par  les  soins  du  D'  Ennen, 
archiviste  Je  la  villS  de  Cologne.  (Bonn,  Marcus,  2  Bde  8*  à  688  p.  3  thlr. 
30  ngr.)  Les  additions  faites  au  texte  se  réduisent  à  peu  de  chose  ;  il  n'y  a  de 
changements,  ni  de  rectifications  d'aucune  sorte.  Outre  l'ouvrage  de  Ritter,  nos 
étudiants  se  servent  beaucoup  de  celui  d'Alzog  (7e  éd.  1859.  Mainz,  Kaiserberg), 
mais  tous  deux  laissent  bien  à  désirer.  Le  second  est  difiScile  à  étudier  pour 
les  commençants  :  il  est  trop  morcelé  dans  son  exposition,  trop  chargé  de  dates, 
de  chiffres  et  de  noms  propres  ;-la  forme  en  est  sèche  et  peu  intéressante.  Il 
surpasse  toutefois  Ritter  (ancien  hermésien  de  Bonn)  pour  l'esprit  général, 
l'exactitude  des  détails  et  la  richesse  des  indications  bibliographiques.  Ritter 
n'est  pas  toujours  exact,  ni  toujours  irréprochable,  mais  son  style  est  élégant, 
il  dispose  bien  sa  matière,  il  est  facile  à  étudier.  Dœllinger  l'emporte  de  beau- 


92  CORHESPONDONCE.  [TomeVIll. 

coup  sur  l'un  et  l'autre.  Malheureusement  son  Cours  d'histoire  ecclé- 
siastique est  resté  inachevé  (2»  éd.  I  und  II  Bd.  1  Abih.  Regensburg,  Manz, 
i845j:  il  y  a  de  plus  une  certaine  disproportion  entre  les  parties  dont  il  se 
compose.  Puisque  nous  ne  pouvons  guère  en  espérer  l'achèvement,  il  serait  bien 
à  désirer  que  le  professeur  Hefele  consentît  à  revoir  et  à  publier  les  leçons  si 
remarquables  qu'il  donne  à  l'université  deTubingue. 

J'arrive  aux  monographies,  qui  sont  nombreuses  et  importantes,  à  cause  de 
l'étal  florissant  oii  les  études  historiques  se  trouvent  maintenant  parmi  nous. 

Le  R.  P.  Gams,  autrefois  professeur  au  séminaire  de  Hildesheim  et  mainte- 
nant bénédictin  à  MuniiSh,  a  entrepris  d'écrire  l'histoire  de  l'Église  d'Espagne. 
Le  premier  volume  comprend  les  trois  premiers  siècles.  {Die  Kirchengeschichte 
von  Spanien.  I  BJ.  gr.  8"  XII- 42-2  p.  Regensburg,  IMaaz.  2  ihlr.)  Comme  les 
sources  ne  fournissent  presque  rien  pour  cette  époque  si  reculée,  il  a  fallu  recou- 
rir à  des  combinaisons,  et  souvent  deviner.  Les  résultats  obtenus,  même  de 
cette  manière,  n'auraient  p^s  rempli  un  tiers  du  volume,  si  l'auteur  n'y  avait 
joint  des  choses  qui  se  rattachent  par  un  lieu  bien  peu  étroit  à  l'objet  principal. 
Nous  citerons,  par  exemple,  ses  recherches  sur  le  lieu  d'origine  de  l'ancienne 
italique  et  sur  les  causes  de  la  persécution  de  Dioclélien.  Ce  premier  volume 
est  divisé  en  quatre  livres  :  le  premier  traite  du  voyage  de  l'apôtre  saint  Paul  en 
Espagne  ;  le  second,  de  la  mission  et  des  œuvres  des  disciples  des  apôtres  ;  le 
troisième  est  consacré  à  réunir,  combiner,  commenter  les  données  sur  l'Église 
d'Espagne  que  l'on  trouve  dans  saint  Irénée,  Terlullien,  saint  Cypriea  ;  le 
quatrième  enfin  contient  le  récit  de  la  persécution  de  Dioclélien  en  Espagne. 
Tout  cela  est  le  résultat  d'un  travail  sérieux,  mais  on  remarque  un  peu  de  né- 
gligeuiC  dans  la  composition  et  une  manière  trop  diffuse.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce 
commencement  fait  concevoir  pour  l'ouvrage   entier  les  plus  belles  espérances. 

L'admirable ///s/o»re  des  conciles,  du  D^  Hefele,  est  arrivée  à  la  première  partie 
du  tome  V.  (8"  512  p.  Freiburg,  Herder.  1  ihir  20  ngr.)  Cette  partie  nouvelle- 
ment publiée  va  du  commencement  du  pontificat  de  saint  Grégoire  Yll,  en  1075, 
jusqu'en  1160.  Vous  voyez  qu'il  reste  encore  beaucoup  à  faire.  Cependant,  on 
peut  compter  d'une  manière  certaine  sur  l'achèvemeut  de  tel  important  ou- 
vrage. 

Voici  une  collection  de  sources  dont  le  titre  seul  dit  beaucoup  et  qui  est 
éditée  avec  un  soin  digne  de  tous  les  éloges  :  Ponlificum  Romanorum  qui 
fuerunt  inde  ab  exeunie  sœculo  IX  usque  ad  finem  sxeuli  Xlll  vitas  ab 
sequaltbus  conscrip:œ,  quas  ex  Arcliivi  pontificii,  BibliotheccT  Vaticanx 
aliarumque  (odicibtts,  adjeclis  suis  cuique  et  annalibus  et  documentis  gra- 
vioribus  eUidil  D'  J.  M.  Watterich.  Tomus  I  (Johannes  VIII  —  Urbanus  II)  ; 
Tomusll  (l'asebalisll— CœlestinusIII).  (Gr.  8».  CV-755  et  XII-TiS  p.  Lipsiœ, 
Engelmann.  4  thlile  volume.)  Les  autorités  les  plus  compétentes  ont  rendu  hom- 
mage à  cette  publication,  qui  doit  se  terminer  bientôt  par  un  troisième  volume. 
L'auteur,  jusqu'à  cos  derniers  temps  professeur  public  et  ordinaire  d'histoire  au 
lycée  académique  de  Braunsherg  et  maintenant  curé  de  la  ville  d'Acdernach  sur 
le  Rhin,  n'est  guère  âgé  de  plus  de  trente  ans.  Espérons  que  sa  position  actuelle 
ne  l'arrachera  pas  enlièrement  à  ses  travaux  ittéraires,  et  qu'elle  lui  permettra 
de  réaliser  les  belles  espérances  qu'ont  fait  naître  ses  débuts.  • 


Juin.  <8G3.] 


COnRESPONDANCIÎ.  03 


Le  Paschase  Radbert  du  P.  Hausher  a  été  appréciée  sévèrement  par  des 
(  ritiques  qui  se  plaçaient  à  un  point  de  vue  tout  différent  de  celui  de  l'auteur. 
Celui-ci  n'a  pas  prétendu  composer  un  livre  strictement  scientifique,  mais  contri- 
buer k  répandre  et  à  faire  Vue  les  écrits  de  Paschase  Radbert  sur  l'Eucharistie- 
C'est  là  le  but  principal  de  sa  traduction.  Elle  est  accompagnée  de  notes  et  d'une 
introduction  biogniphico-apologétique.  (Der  H.  Paschasius  Radbettus.  Eine 
Slimme  iiber  die  Eucharistie  vor  tausend  Jahren.  Bearbeitet  von 
P.  M.  Hausher,  S.  J.  8»  XVl-484  p.  Mainz.  Rirchheim.  1  thlr  15  ngr.)  Je 
dirai  à  ce  propos  deux  mots  du  livre  de  l'oratorien  anglais  Dalgairns  sur 
l'Eucharistie,  sa  philosophie,  sa  théologie  et  sa  pratique.  (Trad.  allem.  Mainz, 
Kirchbeim.  8°  XII  486  p.  1  thlr.)  C'est  un  opuscule  admirablement  beau, 
très-propre  à  édilier  et  â  instruire  :  aussi,  je  ne  puis  m'empêcher  d'émettre  le 
vœu  qu'il- soit  traduit  bientôt  pour  l'usage  de  vos  compatriotes,  avec  l'ouvrage 
du  môme  auteur  sur  le  Sacré  Cœur  de  Jésus. 

Le  Df  Scharpff,  ancien  professeur  de  théologie  à  Giessen,  aujourd'hui  cha- 
noine de  Rottenbourg,  nous  a  donné  en  langue  allemande  les  prmcipaux  écrits 
du  cardinal  Nicolas  de  Cusa.  (Freiburg,  Herder.  Xl-641  p.  2  thlr.)  L'auteur 
s'était  déjà  occupé  de  ce  personnage  il  y  a  vingt  ans.  {Der  Cardinal  tmd  Bis- 
chof  Nikolaus  von  Cusa.  1  thlr.  Mainz,  4843.)  Un  peu  plus  tard,  il  parut  une 
biographie  complète  par  le  Dr  Diix.  (Nikolaits  von  Cusa  und  die  Kirche 
seiner  Zeit.  2  Bde.  Regcnsburg,  Mainz,  1841-1848.)  En  même  temps,  le 
D'  Clem -ns,  alors  privat-docenl  à  Bonn,  faisait  ressortir  son  importance  comme 
philosophe.  (Giordano  Bruno  und  Nicolaus  von  Cusa.  Bann,  Wittmann, 
1847.)  Tout  récemment,  le  professeur  Jœger,  de  Vienne,  s'est  occupé  d'un 
épisode  important  de  la  vie  du  grand  cardinal.  {Der  Streit  des  NUiolaus  von 
Cusa  mit  dem  Herzoge  Sigmund  von  OEslerreick  als  Grafen  von  Tyrol. 
2  Bde.  8».  Xll-r.84,  440  p.  Innsbruck,  Wagner,  1861.  4  thlr.) 

Le  D»  Scharpff  a  choisi  pour  entrer  dans  son  recueil  des  morceaux  d'un  con- 
tenu très-divers,  spéculatif,  philosophique,  dogmatique,  moral,  ascétique,  ho 
milélique:  il  les  a  rendus  avec  la  pins  scrupuleuse  fidélité.  Il  a  cru  que  c'était  la 
meilleure  base  à  donner  aux  recherches  qu'il  se  propose  de  publier  bientôt  sur 
le  système  de  Nicolas  de  Cusa  et  son  influence  sur  le  mouvement  pliilosophique  et 
théolojjique.  Puisse  cette  seconde  partie  ne  pas  se  faire  attendre  trop  longtemps  ! 
Si  elle  paraissait  assez  tôt,  ce  serait  un  beau  monument  pour  le  quatrième 
anniversaire  séculaire  de  la  mort  de  l'illustre  cardinal  (1 1  août  1864). 

Un  jeui.e  privat-docent  de  Munich,  clève  de  Dœllinger,  le  D"'  Jos.  Friedrich, 
a  traité  dans  sa  dissertation  prc  venta  leyendi,  de  la  doctrine  de  Jean  Hus  et 
de  ses  rapports  avec  les  principes  subvertifs  de  toute  nature  qui  se  sont  fait  jour 
dans  la  société  à  partir  du  protestantisme.  (Die  Lchre  des  Johann  Hus  und 
ihre  Bedeulung  fUr  die  Gegenwart.  Regcnsburg,  Manz,  176  p.  22  1/2  ngr.)  Le 
sujet  était  bien  choisi,  car  depuis  longtemps  il  n'avait  paru  aucun  travail  détaillé 
sur  Jean  Hus.  Ce  livre,  pour  le  contenu  comme  pour  la  forme,  se  ressent  de 
la  jeunesse  de  l'auteur,  mais  il  est  loin  d'être  dénué  d'importance. 

Le  môme  auteur  avait  publié  peu  auparavant,  à  l'occasion  de  sa  promotion 
au  doctorat,  une  Vie  de  Jean  'Wessel.  [Johann  Wessel.  Ein  Bild  aus  dem 
Eirchengesckichte  des  XV  Jahrhunderts.  Regensburg,  Manz.  8*  VIil-284  p. 


94  CORRESPONDANCE.  [Tome  Vin. 

1  ihlr.)  Celte  Vie  est  principalement  dirigée  contre  Ullmann  qui,  dans  le 
second  volume  de  ses  Réformateurs  avant  la  réforme  (Hambourg,  1842  ; 
p.  287-642),  a  cherché  à  représenter  J.  Wessel  comme  le  principal  représen- 
tant de  la  théologie  réformatrice  au  XVe  siècle.  Friedrich  s'efforce  au  con- 
traire de  démontrer  que  la  doctrine  de  Wessel  est  catholique,  bien  qu«,  sur 
quelques  points,  il  ait  poussé  jusqu'à  l'extrême  les  tendances  nationales  des 
théologiens  de  l'école  de  Paris.  Il  était  facile  de  satisfaire  sur  ce  point  les 
hommes  exempts  de  préjugés.  Nous  regrettons  que  le  D'  Friedrich  ait  cru  devoir 
joindre  à  celte  démonstration  une  peinture  trop  étendue,  trop  vive,  ou  même 
exagérée  du  triste  état  où  se  trouvait  alors  l'Église.  C'est  une  besogne  que  nous 
pouvons  laisser  à  nos  ennemis,  quand  rien  ne  nous  oblige  à  la  remplir  nous 
mêmes  ;  dans  les  cas  oii  la  fidélité  historique  nous  en  fait  un  devoir,  il  faut  au 
moins  garder  la  mesure  et  la  réserve  voulues. 

L'ouvrage  de  Friedrich  m'en  rappelle  un  autre  de  C.  Hœfler  :  Les  Conciles 
de  Prague  avant  la  période  hussile.  (Prager  Coneilien  der  Vorhusitischen 
Période.  Prag.,  Tempsky.  4»  LXI  116  p.  2  ihlr.  Extrait  des  Abhandlun'jeri, 
der  Kœnigl.  Gesellschafl  der  Wissensch.  V.  Folge,  12  Bd.)  C'est  une  collection 
de  statuts  et  de  documents  inéilits  de  38  synodes,  avec  une  savante  introduction. 
L'histoire  ecclésiastique  de  Bohème,  a  laquelle  ces  actes  se  rapportent  principa- 
lement, est  en  ce  moment  l'objet  d'un  travail  d'ensemble  de  la  part  du  D.  Frind, 
directeur  du  gymnase  d'Eger.  Deux  livraisons  ont  paru.  {Die  Kirchengeschichte 
Bœhmens.  Prag.,  Tempsky.  12  ngr  la  liv.).  Elles  traitent  de  l'introduction  du 
christianisme  dans  la  Bohème,  Comme  l'auteur  a  fait  depuis  longtemps  des 
recherches  considérables  dans  les  archives  en  vue  de  son  ouvrage,  comme 
d'ailleurs  il  est  très-versé  dans  la  critique  et  dans  l'art  d'écrire,  on  peut  espérer 
de  sa  part  quelque  chose  de  remarquable. 

Ce  que  j'ai  a  mentionner  encore  en  fait  de  publications  nouvelles  se  rapporte 
plus  ou  moins  directement  à  l'histoire  du  protestantisme.  Ainsi  tout  d'abord, 
c'est  une  nouvelle  édition  des  lettres  bien  connues  de  Cobbett  sur  la  réforma- 
tion en  Angleterre  et  en  Ecosse.  (Mainz,  Kirchheim.  XX-660  p.  1  thlr  10  ngr.) 
Il  est  à  regretter  qu'une  main  habile  n'ait  pas  retranché  ça  et  là  des  exagérations 
et  corrigé  des  erreurs  de  fait  qui  déparent  ce  livre  d'ailleurs  encore  utile  à 
lire.  Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  remarquer  que  les  trois  éditions  allemandes  ont 
été  achetées  et  lues  presque  exclusivement  par  les  catholiques,  bien  que  Cobbett 
ait  adressé  ses  lettres  à  tous  les  anglais  équitables  et  judicieux,  et  qu'il  les  ait 
même  destinées  d'une  manière  spéciale  aux  protestants. 

Le  Df  H.  Lœmmer,  dont  vous  avez  fait  connaître  les  Analecta  Romana  et 
les  Slonumenta  Vaticana,  vient  de  composer  un  mémoire  pour  servir  d'an- 
nonce et  de- préparation  à  son  grand  Spicilegium  Romanum  historico-ecclesia- 
sticum.  [Zur  Kirchengeschichte  des  XVII  und  XVIII  Jahrhunderts.  8"  192  p. 
Freiburg,  Herder.  24  ngr.)  Il  y  passe  en  revue  sommairement  les  résultats  de 
ses  recherches  dans  les  d-verses  bibliothèques  de  Rome.  L'activité  de  ce  jeune  sa- 
vant, âgé  seulement  de  28  ans,  est  vraiment  étonnante:  ou  comprend  à  peine 
qu'il  suffise  à  tant  de  publications. 

Enfin,  le  D^  Pichler,  élève  de  Dœllinger  et  privat-docent  k  Munich  comme 
Friedrich,    a  examiné  les  rapports  du   protestantisme  avec  l'Église   grecque  au 


Juin.  1863.]  CORUEsPONDANCE.  95 

XVII'  siècle,  c'esl-à-dire  l'essai  malheureux  que  firent  les  protestants  pour 
attirer  les  Grecs  dans  leur  parti.  Vous  avez  fait  connaître  d'une  manière  dé- 
taillée le  contenu  de  ce  livre.  C'est  un  travail  très-soigné,  qui  fera  sans  doute 
disparaître   des  livres  d'histoire  quantité  de   mensonges  qui  courent  les   rues. 

VI.  —  Hagiographie. 

Ici,  mon  intention  n'est  point  de  vous  parler  de  cette  quantité  innombrable 
délivres  qui  se  proposent  seulement  un  but  d'édification  et  qui^sont  destinés 
au  peuple:  je  veux  seulement  vous  entretenir  de  ceux  qui  ont  au  moins  un  certain 
caractère  scientifique. 

Le  plus  important  de  tous,  et  presque  le  seul  qui  par  son  origine  appartienne 
à  l'Allemagne,  c'est  le  Dictionnaire  universel  d'hagiographie  publié  par  le  Df 
Stadler,  doyen  du  chapitre  d'Augsbourg.  (Vollstccndiges  Heiligenlexicon  oder 
Lebensgeschichten  aller  Heiligen,  Seligen  u.  s.  w.  in  alphabetischen 
Ordnung.  Bd.  1, 11,  III,  1-3  Lief.  Gr.  8-  2052  pp.  Augsburg,  Schmid.  1859- 
1865.  )  Malgré  la  brièveté  à  laquelle  on  vise  dans  la  composition  de  ce  réper- 
toire, on  ne  sacrifie  pas  cependant  la  solidité  :  on  a  cherché  à  lui  donner  un 
caractère  en  même  temps  populaire  et  scientifique.  Les  Bollandisles,  naturelle- 
ment, sont  la  source  principale,  mais  non  la  source  unique  à  laquelle  on  a 
puisé.  On  peut  dire  avec  certitude  qu'il  n'existe  dans  aucune  langue  un  ouvrage 
aussi  complet.  Pour  se  faire  une  idée  de  la  quantité  de  saints  et  de  bienheureux 
qui  sont  énumérés  et  dont  la  vie  est  racontée  avec  plus  ou  moins  de  détails,  mais 
toujours  avec  une  étendue  suffisante,  il  suffit  de  savoir  que  l'article  Alexandre  ne 
contient  pas  moins  de  120  personnages  de  ce  nom  :  l'article  Gw/i/aume  en  a  125, 
l'article  Antoine  177,  l'article  François  192,  l'article  Félix  22",  l'ariicle  Jacques 
259,  l'article  Jean  n'en  a  pas  moins  de  983.  Le  tout  sera  terminé  par  un  calendrier 
universel  des  saints,  et  par  une  liste  alphabétique  de  leurs  attributs  et  symboles. 
L'ouvrage  n'est  guère  qu'à  moitié,  mais  son  achèvement  peut  être  regardé  conmie 
assuré.  Chaque  livraison  de  6  feuilles  grand  in-8o  à  deux  colonnes,  bien  im- 
primées, sur  bon  papier,  ne  coûtant  que  8  ngr.  (1  fr.),  l'ouvrage  entier  reviendra 
tout  au  plus  à  dix  thalers.  11  sera  probablement  complet  en  cinq  volumes. 

Ce  que  j'ai  à  citer  encore  dans  cette  catégorie  est  emprunté  à  votre  littérature. 
Ainsi  une  traduetion  de  lu  Vie  d'Holaauser  de  M .  l'abbé  Gaduel  avec  intro- 
duction du  chanoine  Dr  Ueinrich,  rédacteur  du  Catholique  de  Mayenne  (Mainz 
Kirchheim  )  ;  ainsi  encore,  la  Vie  de  la  V.  Marguerite  Marie  Alacoquc,  et 
celle  de  saint  François  de  Sales,  par  l'abbé  Boulangé  (Miinchen,  Lentner). 

Un  peu  auparavant,  le  converti  W.  Volk  avait  publié,  sous  son  pseudonyme 
habituel  de  L.  Clams,  une  Vie  de  saint  Fra7içois  de  Sales  (t.  I  et  H,  4i5- 
454  pp.),  de  sainte  Jeanne  de  Chantai  (t.  III,  630  i)p.)  et  des  premières 
sœurs  de  la  Visitation  (t.  IV  et  V,  457-536  pp.)  Je  termine  en  citant  la  5e 
édition  allemande  de  la  Vie  de  sainte  Elisabeth,  par  M.  de  Monlalembert 
(fib.  V.  Stsedler.  Regensburg,  Manz). 

Pour  extrait  : 

E.  UAUTcœuR. 
{La  fin  prochainement.) 


CHRONIQUE. 

1.  Livres  mis  a  l'Index.  Décret  du  26  janvier. —  Il  Mediatore,  giornale 
seltimanaîe  poUtico,  religioso,  scientifico,  letlerario,  diretio  dal  professore 
Carlo  Pdssaglia.  Torino,  stamperia  deH'Unione  tipografico  ediirice. 

i.  Michelet  :  La  Sorcière.  Paris,  collection  Helzel.  Dentu,  Palais  Royal. 
Almanacco  sacro    Pavesp-  per   l'anno   1865.    Pavia,   tipografia  dei  fratelli 
Fusi. 

2.  Il  y  a  longtemps  que  nous  désirons  annoncer  le  remarquable  ouvrage  de 
S.  E.  le  cardinal  Mathieu  :  Le  Pouvoir  temporel  des  Papes  justifié  par  l'his- 
toire. Elude  sur  l'origine,  l'exercice  et  l'influence  de  la  souveraineté  ponti- 
ficale (Paris,  A.  Le  Glère.  8'  687  pp.  7  fr.).  C'est  un  livre  qui  prendra 
un  rang  distingué  parmi  cette  foule  de  productions  que  la  situation  présente 
a  fait  naître,  et  dont  quelques-unes  lui  survivront.  Ce  qui  donne  une  impor- 
tance particulière  au  livre  de  Mgr  Mathieu,  c'est  que  l'auteur  a  pu  mettre  à  profit 
les  pièces  récemment  publiées  par  le  P.  Theiner  {Codex  diplumaticus  dominii 
temporalis  S.  Sedis.  5  vol.    fol.  Rome.  1861-1862). 

3.  Le  Souverain- Pontife,  par  Mgr  de  Ségur  (Paris,  Tolra  et  Haton.  in-lS, 
297  pp.  1  fr.).  C'est  un  de  ces  opuscules  dont  Mgr  de  Séiinr  aie  secret,  qui  sont 
écrits  pour  tout  le  monde  et  se  font  lire  par  tout  le  monde,  et  qui,  en  se  répan- 
dant à  des  milliers  d'exemplaires,  réalisent  un  bien  inappréciable.  Toutes  les 
questions  qui  se  rattachent  a  l'autorité  du  Pontife  suprême  y  sont  traitées 
avec  un  esprit  vraiment  catholique  et  dégagé  des  préjugés  nationaux. 

i.  Le  P.  Gratry  nous  donne  une  première  partie  d'un  Commentaire  sur 
l'Evangile  selon  saint  Matthieu  (Paris,  Douniol  et  LecotTie,  8°  2i7  pp.  4  fr.). 
Sa  méthode  consiste  à  traduire  en  français  le  texte,  de  ch:ique  chapiire  divisé  en 
sections  séparées  par  des  chiffres  romains;  puis,  viennent  des  développements 
qui  n'ont  pas  le  caractère  d'une  annotation  exégétique  :  ce  sont  plutôt  des  con- 
sidérations qu'un  commentaire  proprement  dit.  On  y  reconnaît,  comme  dans  tous 
les  ouvrages  du  célèbre  oratorien,  l'inspiration  d'un  beau  talent  et  d'une  âme 
profondément  chrétienne.  Cet  ouvrage  parait  plus  spécialement  destiné  aux 
laïques  instruits. 

S.  Un  ecclésiastique  français,  M.  l'abbc  Couissinier,  a  eu  l'excellente  idée  de 
faire  dessiner  et  graver  une  suite  de  sujets  propres  à  servir  à  l'enseignement  de 
la  doctrine  chrétienne.  Ce  livre,  composé  de  112  gravures  exécutées  par  des 
artistes  renommés  de  l'école  allemande,  est  vraiment  bien  conçu  et  très-propre  k 
atteindre  son  but.  L'exécution  artistique  en  est  remarquable.  Aussi  n'est  ce  qu'en 
comptant  sur  une  immense  diffusion  que  l'on  a  pu  atteindre  l'extrême  bon  marché 
nécessaire  à  une  œuvre  de  ce  genre.  Outre  des  éditions  allemandes,  anglaises 
et  hollandaises,  il  y  a  trois  tirages  en  français  :  une  édition  de  luxe  à  6  fr..  Une 
autre  à  â  fr.  50,  et  enfin  une  édition  populaire  à  1  fr.  Trente  mille  exemplaires, 
dit-on,  se  sont  déjà  vendus.  Vinjt-sept  évêques  ont recomma'îdé  l'ouvrage.  Il 
est  intitulé  :  La  Catéchisme  en  images,  dessiné  par  G.  R.  Elster,  et  gravé  par 
Richard  Brend'Amour,  sous  la  direction  de  M.  l'abbé  Couissinier  (Paris,  Schul- 
gen).  Puissent  ces  quelques  lignes  contribuer  à  la  faire  connaître  ! 

E.  HAUTCOEtJn. 


Arras.— Typ.  Rousseau-Leny,  rue  Saint-Maurice  26 


LA    VERITE 


FACULTÉ    DE    THÉOLOGIE    DE    PARIS 


clo    lOeS  à    16S12 


D  APRES     DES     DOCUMENTS     INEDITS. 


Premier  article. 


La  prétention  de  refaire  l'histoire  n'est  pas  un  exorde  con- 
ciliant. Elle  est  néanmoins  ici  d'accord  avec  la  plus  parfaite 
modestie.  Comme  tout  le  monde,  et  d'après  les  documents  et 
les  livres  connus  de  tout  le  monde,  j'attribuais  à  la  Faculté  de 
théologie  de  Paris  la  célèbre  déclaration  en  sis  articles  de 
4663,  dont  les  quatre  articles,  plus  célèbres  encore,  de  1682, 
ne  furent  à  peu  près  que  la  reproduction  rédigée  par  Bossuet. 
Je  ne  doutais  pas  non  plus  que  la  majorité  des  docteurs  n'eût 
accepté  et  acclamé  la  déplorable  formule  de  1682.  En  un  mot, 
que,  pendant  cette  période  de  1663  à  1682,  la  Faculté  se  fût 
rangée  en  masse  sous  le  drapeau  du  gallicanisme,  c'était  un 
fait  aussi  certain  pour  moi,  qui  le  nommais  une  chute,  que 
pour  les  gallicans  qui  s'en  font  une  autorité.  J'étais  encore, 
cette  année,  sous  l'influence  de  ce  commun  préjugé  (qu'on 
me  pardonne  le  terme,  il  sera  bientôt  justifié),  lorsqu'on  a 
mis  sous  mes  yeux  une  collection  de  documents,  dont  plusieurs 
inédits  et  fidèlement  transcrits  d'après  les  originaux  conservés 

Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vni.  7.8. 


98  LA  VÉRITÉ  [TomeVlIi. 

à  la  Bibliothèque  impériale.  J'ai  vu  alors,  à  mon  grand  étonne- 
ment,  non  d'après  des  témoignages  suspects,  mais  d'après  les 
lettres  et  les  notes  secrètes  de  Louis  XIV,  du  fameux  procureur 
général  de  Harlay,  de  Colbert,  et  des  autres  ministres  et  per- 
sonnages de  la  cour,  la  Faculté  de  théologie  se  débattre  contre 
la  pression  la  plus  tyrannique  et  la  plus  tenace  qu'on  puisse 
imaginer;  et  malgré  les  machinations,  les  menaces,  les 
exclusions,  les  lettres  de  cachet  et  les  exils,  rester  attachée 
à  la  doctrine  du  Saint-Siège.  J'ai  constaté  qu'on  ne  peut  pas 
lui  attribuer  les  six  articles  de  1663;  et  (ce  que  le  clergé  de 
France  était  loin  d'avoir  jamais  soupçonné),  j'ai  vu  qu'elle  avait 
rejeté  et  îx^prouvé,  à  la  majorité  de  seize  voix,  les  quatre  articles 
de  1682.  Je  n'ai  pas  même  le  mérite  d'avoir  découvert  ces 
pièces  :  je  ne  fais  que  les  publier.  Quant  aux  rectifications 
historiques  qu'elles  doivent  entrainer,  je  les  laisse  à  l'appré- 
ciation du  lecteur, 

La  nécessité  de  mettre  la  haison  et  la  clarté  convenables  dans 
cette  curieuse  page  de  noire  histoire,  m'a  fait  recourir  lussi 
à  de^  documents  déjà  publiés,  mais  dont  quelques-uns  sont 
peu  connus. 

§1. 

Situation  a  partir  de  1661. —  Affaire  de  la  thèse  du  12  décembre  de  celte  année 
au  collège  des  Jésuites. 

La  thèse  qui  se  soutint,  le  12  décembre  1661,  au  collège  des 
Jésuites,  nommé  alors  collège  de  Clermont  et  plus  tard  collège 
de  Louis-le-Grand,  était  conçue  en  ces  termes  :  Christum  nos 
ita  caput  Ecdesise,  agnoscimus,  ut  illius  regimen  dum  in  cœlos 
abiit,  primum  Petro,  tum  deinde  successoribus  comndserit,  et 
eamdem  quam  habebat  ipse  infallibilitatem  concesserit,  quoties 
(X  cathedra  loquerentur.  Datur  ergo  in  Ecclesia  i^omana  contro- 
versiarurn  fidei  judex  infallibilis,  etiam  extra  Conciliuni  géné- 
rale, ticm  in  quxstionibus  jicris,  twa  facti.  Les  mots  eamdem 


Àùûl  iSG3.]  SUR   L\  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   PaRIS.  93 

quam  habebat  ipse  pouvaient  être  interprétés  dans  un  sens 
inexact.  Les  Jansénistes  s'en  emparèrent  pour  soulever  la  tem- 
pête que  le  jésuite  Rapin  décrit  ainsi  au  16^  chapitre  de 
ses  Mémowes  inédits  (1)  : 

«  Bonrseis  (l'abbé)  aimait  la  cour  et  s'y  montrait  de  temps 
on  temps  sans  y  avoir  d'affaires  et  sans  raison,  pour  s'y  four- 
rer... Le  roi  demanda  à  la  reine-mère  si  l'abbé  de  Bourseis 
n'était  pas  janséniste.  A  quoi  la  reine  répondit,  qu'il  l'était  des 
plus  déclarés.  D'où  vient  donc,  dit  le  roi,  qu'on  le  produit  ici? 
Le  père  Annat  le  fit  avertir  de  ce  que  le  roi  et  la  reine  avaient 
dit.  L'abbé  vint  le  trouver  pour  savoir  ce  qu'il  avait  à  faire  sur 
cela,  protestant  n'avoir  aucune  attache  à  la  doctrine.  Q  faut, 
dit  le  père,  signer  le  formulaire.  Volontiers,  répondit  cet 
abbé.  Ce  qu'il  fit  peu  après  avec  éclat.  Cette  action  d'un 
vieux  docteur  de  Sorboime  dans  une  réputation  de  savant, 
parut  belle  à  ce  ministre  {Colbert)...  Il  crut  la  démarche  de 
l'abbé  sincère;  mais  il  vécut  depuis  d'une  manière  qui  en  fît 
douter  le  public.  L'occasion  de  se  signaler  auprès  de  ce  nou- 
veau maître,  et  de  se  signaler  selon  son  cœur,  arriva  bientôt. 
On  soutint  sur  la  fin  de  cette  année,  c'est-à-dire  le  12  <1é- 
cembre,  une  thèse  au  collège  des  Jésuites  sur  l'infaillibilité  du 
Pape,  dont  les  Jansénistes  se  servirent  fort  à  propos  pour  faire 
bien  du  bruit.  Ils  avaient  déjà  préparé  de  grands  traités  sur 
celte  infaillibilité,  qu'ils  voulaient  tout-à-fait  détruire,  comme 
ia  sciilc  ressource  qui  leur  restât  pour  défendre  leur  opinion. 
Car,  prouvant  que  le  Pape  peut  se  tromper,  ils  rétablissaient 
leurs  afïaires,  en  décréditant  les  deux  bulles.rC  était  à  quoi  ils 
pensaient  alors,  quand  ils  trouvèrent  cette  occasion  par  la 
faute  des  Jésuites,  Ce  fut  un  jésuite  flamand,  un  peu  averftu- 
rier  de  son  chef,  qui  proposa  cette  thèse,  dans  laquelle  il  sou- 
tenait que  V infaillibilité  du  Pape,  en  qualité  de  vicaire  de  Jésus- 


(1)  Ces  Mémoires,  actuelleinenl  sous  presse,  seront  prochuinemcnl 
mis  en  vente  chez  MM.  Caume  frères  et  Duprey,  à  Paris. 


10'!  LA  VÉRITÉ  [Tome  Vin- 

Christ,  était  la  même  que  celle  de  Jésus-Christ.  Le  Nonce  fut 
averti  par  des  gens  bien  intentionnés  qne  cette  proposition, 
dans  la  présente  conjoncture,  était  capable  de  remuer  les  es- 
prits ;  que  les  Jansénistes  étaient  alors  eu  alerte  sur  tout  ce 
qui  regardait  le  Pape,  et  que  cette  thèse  pourrait  leur  donner 
hfca  d'occuper  le  public  par  leurs  écrits,  ce  qui  ne  servirait 
qu'à  faire  diversion  de  leur  affaire... Le  Nonce  alla  trouver  le 
père  Annat  à  Saint-Louis  pour  lui  en  donner  avis.  Le  père 
Annat  entra  dans  le  sentiment  du  Nonce  et  dans  toutes  ses 
vues.  Il  jugea  à  propos  de  la  faire  supprimer.  Le  père  Jean 
Bagot,  vieux  théologien  du  collège  de  Clermont^  n'en  fut  pas 
d'avis,  parce  que,  la  thèse  étant  imprimée  et  répandue  dans  la 
ville  par  les  invitations  que  le  soutenant...  avait  déjà  faites, 
on  lui  dit  que  cet  avantage  qu'on  donnait  aux  Jansénistes  de 
la  supprimer,  pourrait  nuire  au  formulaire  dressé  par  l'as- 
semblée, reçu  eu  Soibonne,  et  dont  tout  le  monde  convenait. 
Le  P.  Claude  Fraguier,  préfet  alors  des  hautes  études  au  col- 
lège, fut  de  l'avis  du  P.  Bagot,  par  un  intérêt  secret.  C'était  un 
bon  e.sprit,  grand  théologien,  mais  délicat  sur  l'honneur,  et 
paresseux.  La  thèse  n'avait  paru  que  sur  son  approbation,  qu'il 
fallait  révoquer.  On  prétend  qu'il  la  laissa  passer  sans  se  don- 
ner la  peine  de  l'examiner...  Elle  fut  soutenue  dans  une 
grande  assemblée,  mais  attaquée  de  personne. 

a  Copendantles  Jansénistes...  en  font  des  trophées  partout, 
con.me  d'une  nouvelle  entreprise  dos  Jésuites  contre  la  cou- 
ronne. On  la  porte  aux  minisires  avec  des  interprétations  très- 
odieuses  du  pouvoir  du  Pape  sur  les  rois.  Letellier,  gagné  par 
son  fils  l'abbé,  qui  commençait  alors  à  briller  en  Sorbonne, 
dont  il  prenait  l'esprit  contre  les  Jésuites,  et  gouverné  par  son 
répétiteur  nommé  Cocquelin,  jeune  aventurier,  qui  chercha  à 
faire  fortune  par  la  nouvelle  doctrine  (1),  et  devint  enfin  quel- 
que chose  en  se  donnant  à  cet  abbé,  qui,  sifflé  par  ce  docteur 

)  C'est-à-dire  le  jansénisme. 


Août  1803.1  SUR    LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  ^01 

et  cajolé  par  les  importants  du  parti,  empoisonna  tellement 
cette  thèse  dans  Tesprit  de  son  père,  que,  rempli  des  plaintes 
que  son  fils  lui  er  faisait,  il  s'alla  plaindre  au  roi  qu'on  en 
voulait  à  sa  personne,  et  que  l'affaire  de  la  thèse  des  Jésuites 
allait  à  lui  enlever  sa  couronne  de  dessus  sa  tête.  De  Lionne,  qui 
était  mécontent  du  Pape,  parla  à  peu  près  de  la  sorte.  Mais  il 
n'est  pas  croyable  à  quel  excès  s'emporta  Tabbé  de  Bourseis 
pour  aigrir  l'esprit  de  son  nouveau  patron,  le  contrôleur  géné- 
ral des  finances  Colbert,  contre  les  Jésuites...  Il  lui  dit  que, 
dans  le  poste  où  il  était,  il  devait  regarder  cette  démarche 
des  Jésuites  comme  une  entreprise  contre  la  monarchie.  Les 
trois  ministres,  qui  se  trouvaient  de  même  sentiment  sur  cette 
affaire,  firent  tant  de  bruit,  qu'ils  étonnèrent  le  roi.  Il  s'en 
plaignit  au  père  Annat,  lequel,  pour  apaiser  la  cour,  fut  obligé 
de  faire  un  écrit,  afin  d'ôter  à  la  thèse  le  poison  qu'on  y  avait 
jeté  et  pour  l'expliquer  d'une  manière  qui  pût  fermer  la  bouche 
aux  ennemis  des  Jésuites...  L'explication  que  le  père  Annat 
donnait  à  lu  première  proposition  fut  qu'elle  devait  s'entendre 
de  la  même  infaillibilité,  comme  ou  dit  que  le  vicaire  a  la  même 
autorité  et  le  même  pouvoir  que  l'évêque,  l'ambassadeur  que 
le  prince  qui  l'envoie,.,  mais  que  le  pouvoir  du  vicaire,  le  pou- 
voir de  l'ambassadeur,  n'était  pas  universel  ni  indépendant 
comme  celui  du  souverain.  Par  exemple,  dans  la  question 
présente,  l'infaillibilité  du  vicaire  de  Jésus-Christ  était  bornée 
aux  matières  de  foi  seulement,  et  celle  de  Jésus-Christ  était 
générale,  universelle,  sans  bornes,  indépendante... 

«  Pour  la  seconde  proposition  de  la  thèse,  qu'il  y  a  dans 
V Église  un  juge  infaillible  des  controvefses  en  matière  de  foi  hors 
du  Concile^  il  répondait  qu'on  avait  tort  de  trouver  à  redire  à 
cette  proposition^  puisqu'il  était  de  notoriété  publique,  que  la 
même  proposition  avait  été  soutenue  en  Sorbonne  le  même 
jour  sous  le  docteur  Poussé  président,  et  qu'où  en  avait  sou- 
tenu au  collège  de  Navarre  une  pareille  conçue  en  ces  termes 
le  14  du  mois  di^  juin  dernier...   Ainsi  ce  fracas  que  firent  les 


-!02  LA    MÉRITÉ  ]Toni-  MI. 

Jansénistes  sur  la  thèse  fut  arrêté  par  l'explication  du  père 
Anuat.  Il  est  vrai  qu'ils  avaient  raison  d'en  faire  du  bruit,  car 
leur  parti  était  détruit  par  ces  deux  maximes,  dont  la  consé- 
quence évidente  était  que  la  décision  de  l'Eglise  snr  leur 
condamnation  était  de  foi,  par  le  fait  inséparable  du  droit  en 
cette  matière. 

«  C'était  le  sentiment  de  Pierre  de  Marca,  archevêque  de 
Toulouse,  le  plus  savant  du  clergé  en  ces  matières-là.  Ayant 
été  consulté  à  Toccasion  de  cette  tiièse,  il  répondit  que  dénier 
l'infaillibilité  du  Pape  pour  les  choses  spirituelles,  c'était  se 
diklarer  calviniste.  Et  il  fut  trouver  le  roi  pour  lui  ôter  ces 
frayeurs  qu'on  avait  voulu  lui  donner  sur  son  Étal  et  sur  le 
temporel  de  ses  affaires  par  cette  infaillibilité  qui  n'appartenait 
qu'aux  matières  de  foi...  Ce  que  ce  prélat  se  crut  obligé  de 
taire  pour  ne  pas  renverser  ce  que  les  deux  Papes  avaient  fait 
par  leurs  bulles  contre  le  livre  de  Jansénius,  et  ce  qui  avait 
été  réglé  par  les  deux  dernières  assemblées  du  clergé  pour  le 
formulaire,  qui  ne  pouvait  subsister  si  la  thèse  de  Clermont 
était  condamnée...  Il  est  vrai  qu'il  régnait  alors  un  méchant 
esprit  conçu  par  le  jansénisme  contre  Rome,  qui  commençait 
à  infecter  la  cour  et  le  parlement.  On  en  voulait  au  Pape,  ce 
qui  obligea  Pierre  de  Marca,  nommé  à  l'archevêché  de  Paris, 
qui  avait  prévu  cet  orage,  lequel  retomberait  sans  manquer 
snr  lui  dans  le  poste  où  il  était  nommé,  d'écrire  ses  sentiments 
sur  l'infaillibilité  du  Pape...  Cet  écrit  est  solide,  judicieux, 
sans  aucun  esprit  de  partiaUté,  propre  à  détromper  ceux  qui 
se  faisaient  un  fantôme  de  cette  question.  Et  comme  ce  fut 
pour  les  ministres  et  principalemeut  pour  Letellier  (alors  gou- 
verné par  son  fils  Tabbé  qu'il  aimait  uniquement  et  par  son 
répétiteur  Cocquelin),  il  ne  fut  pas  imprimé.  Il  s'en  trouve  des 
copies  au  séminaire  de  Saint-Sulpice  (1).  » 

(1)  Cel  écrit,  donl  Baluze  donne  une  analyse  (dans  la  Vie  de  P.  de 
Marca,  placée  en  lête  de  ses  œuvres),  et  qui  se  conservait  au  sémi- 
naire de  Sainl-Sulpice,  a  été  jusqu'ici  dérobé  à  la  publicité.  Une  thèse 


AoiJt  lSa3.]  SUR    LA,   FACULTÉ    DE    THÉOLOGIE    DE    PARIS.  "103 

Telle  était  la  situation  des  esprits  en  décembre  1661 .  Déjà 
l'orage  se  formait.  On  va  le  voir  éclater  à  l'occasion  d'une  autre 
thèse  en  janvier  1663  ;  et  ici  la  Faculté  de  théologie  de  Paris 
va  être  en  cause,  et  commencer  la  longue  lutte  dont  un  mys- 
tère de  silence  avait  enveloppé  jusqu'à  ce  jour  le  vrai  carac- 
tère. 

§11. 

Affaire  Je  la  thèse  de  Gabriel  Droiiet  de  Villeneuve,  condamnée  par  arrél  du 
parlement  du  22  janvier  1663.  Difficultés  de  la  part  de  la  Faculté  pour  l'en- 
registrement de  cet  arrêt.  Renseignements  confidentiels  transmis  à  Colbert 
sur  chacun  des  docteurs,  en  particulier  sur  Bossu°.t  et  les  Sulpiciens. 

I.  Extrait  du  réquisitoire  de  l'avocat  général  Talon.  «  A  dire 
vrai,  si  l'infaillibilité  du  Pape  était  un  jour  approuvée,  ce  serait 
ouvrir  la  porte  à  une  infinité  d'autres  propositions  séditieuses, 
préjudiciables  à  l'autorité  souveraine  du  roi  notre  maître,  aux 
droits  de  sa  couronne,  à  la  sûreté  de  sa  personne  royale  et  au 
bien  de  l'État...  Il  ne  suffit  pas  de  faire  quelque  réprimande 
en  particulier  au  syndic,  au  président  et  au  bachelier...  L'on 
ne  peut  douter  que  les  propositions  contenues  dans  la  thèse 
dont  il  s'agit,  ne  soient  contraires  aux  droits  du  roi  et  à  l'au- 
cienne  doctrine  de  l'Église,  et,  par  conséquent,  que  le  syndic  et 
le  président  et  le  répondant  ne  soient  coupables  j  et  il  est  im- 
possible d'arrêter  le  cours  de  ces  propositions  nouvelles,  si  Ton 
ne  punit  les  auteurs  par  quelque  châtiment  exemplaire.  Ce 
n'est  pas  guérir  le  mal  de  vouloir  ensevelir  toutes  ces  disputes 
dans  le  silence...;  on  doit,  au  contraire,  soutenir  hardiment  et 
sans  hésiter  la  doctrine  des  conciles  de  Constance  et  de  Bàle, 
et  traiter  comme  schismatiques,  perturbateurs  du  repos  public  et 
ennemis  de  l'Etat,  tous  ceux  qui  sont  assez  hardis  pour  admettre 

de  Pierre  de  Marca  en  faveur  de  l'infaillibilité  gênait  les  gallicans. 
Espérons  qu'ils  ne  seront  pas  ailés  jusqu'à  la  détruire.  En  allendant 
qu'on  la  publie,  on  en  Irouvera  quelques  passages  cilés  dans  V^nti- 
Jebronius  vlndicatus,  disserl.5,  cap.  2,  n.  S. 


404  LA    VÉRITÉ  (Tome  Vm. 

des   propositions    contraires.»    (Bibliothèque  impériale^  Ms. 
Colbert,  Vc.  155,  page  29.) 

II.  Arrêt,  du  parlement  contre  la  thèse.  Nous  nous  contentons 
d'indiquer  ce  document,  parce  qu'on  le  trouve  suffisamment 
reproduit  pard'Argentré  {Collectio  judiciorum,  tome  m,  part,  i, 
p.  89).  Il  y  est  fait  défense  d'écrire,  soutenir  et  enseigner  de 
pareilles  propositions,  à  peine  d'être  procédé  contre.  L'arrêt  con- 
tient en  outre  cette  clause,  de  laquelle  va  naître  le  conflit  : 
Et  sera  h  présent  arrêt  enregistré  es-registres  de  la  dite  Faculté. 

ni.  Le  parlement  se  rend  auprès  de  la  Faculté.  Conduite  de 
celle-ci. —  La  pièce  inédite  qu'on  va  lire  est  une  relation  adres- 
sée au  ministre  Colbert,  et  les  deux  premiers  mots  (  mémoire 
concernant)  ont  été  ajoutés  de  sa  main.  Elle  se  trouve  à  la 
Bibliothèque  impériale,  Ms.  Colbert,  Vc,  155,  page  47. 

Mémoire  concernant  ce  qui  s'est  passé  en  la  Faculté  touchant 
la  thèse.  —  a  Le  Parlement  députa  deux  conseillers  de  la  cour 
avec  un  substitut  de  M.  le  Procureur  général  pour^faire  regis- 
trer  sou  arrêt. 

«  Ils  se  trouvèrent  eu  Sorboune  le  dernier  jour  de  janvier 
i663. 

a  M.  de  Mince  dit  que  la  Faculté  n'avait  point  changé  de 
sentiment  et  pria  ces  messieurs  de  croire  qu'elle  n'approuvait 
point  la  thèse.  M.  de  Saint-André-des-Arts,  pour  justifier  ce 
qu'il  avait  dit,  représenta  que  la  Faculté  avait  censuré  San- 
tarel,  qu'elle  avait  fait  chasser  delà  Faculté  un  jacobin  nommé 
Biarats,  et  que  depuis  peu  ses  députés  avaient  censuré  la  thèse 
des  Jésuites,  dont  il  a  lu  la  censure,  pour  avoir  enseigné  la 
même  doctrine.  M.  Catinat  [l'un  des  deux  conseillers  députés  par 
le  parlement),  pressant  l'enregistrement,  s'offrit  de  mettre  les 
réponses  des  docteurs  dans  son  procès-verbal.  On  ne  conclut 
rien,  et  on  remit  l'affaire  au  premier  du  mois.  On  ne  fit  rien 
au  premier  du  mois,  ni  le  5  suivant,  qu'il  y  eut  assemblée. 

«  Le  9%  MM.  les  archevêques  d'Auch  et  de  Paris  s'y  trou- 
vèrent. Le  premier  fit  un  long  discours  et  se  plaignit  de  la 


Août  1863.]  SUR   LA   FACULTÉ  DK   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  i05 

troisième  proposition  contenue  dans  l'arrêt.  Il  se  servit  de 
quelques  passages  de  saint  Augustin  à  Boniface,  dont  il  lisait 
l'extrait,  pour  prouver  que  les  conciles  généraux  n'étaient 
point  nécessaires.  Après  avoir  parlé  des  appels  comme  d'abus, 
il  dit  qu'ils  étaient  fondés  sur  l'infraction  à  la  pragmatique, 
qui  {nota)  avait  été  faite,  disait-il,  sans  Charles  VI  (1).  Il 
prouva  que  le  Parlement  ne  peut  juger  de  ccs  matières,  et 
qu'elles  étaient  bien  différentes  de  celles  du  florentin  Jacob  et 
Tanquerel  ;  et  après  avoir  beaucoup  blâmé  la  conduite  du 
Parlement  et  diminué  son  pouvoir,  dit  qu'il  faudrait  censurer 
son  arrêt,  s'il  entreprenait  des  choses  de  cette  sorte.  Il  conclut 
pourtant,  après  avoir  fait  lire  un  écrit  de  M.  le  premier  Prési- 
dent, qu'il  fallait  députer  au  Parlement  et  lui  demander  deux 
choses  :  la  première,  savoir,  s'il  avait  prétendu  ôter  aux  doc- 
teurs le  pouvoir  de  censurer,  et  la  seconde,  lui  demander 
l'explication  de  la  troisième  proposition. 

«  M.  l'archevêque  de  Paris  parla  avec  beaucoup  de  modé- 
ration, et  dit  qu'il  ne  fallait  point  s'opposer  à  l'arrêt,  mais  qu'on 
aurait  satisfaction,  si  on  traitait  à  l'amiable  avec  M.  le  premier 
Président. 

a  On  fit  du  bruit  pour  dresser  la  conclusion.  M.  d'Auch  voulait 
qu'on  mît  que  les  conciles  généraux  étaient  seulement  néces- 
saires contre  le  schisme.  Les  autres,  qu'on  mît  qu'ils  étaient 
nécessaires  contre  le  schisme  et  contre  les  hérésies, et  en  mille 
autres  rencontres.  On  ne  spécifia  rien  en  particulier. 

«Le  15  du  mois,  M.  de  Saint-André-des-Arls  rapporta  eî 
lut  la  réponse  de  M.  le  premier  Président;  et  entendant  un 
grand  bruit,  dit  qu'il  s'étonnait  de  voir  la  Compagnie  si 
échauffée  contre  le  Parlement,  vu  qu'elle  avait  été  si  insen- 
sible lorsque  M.  Percheron,  aumônier  du  conseil,  et  des  huis- 


(I)  L'auteur  du  rapporl  veut  faire  remarquer  ici  un  lapsus  de  l'ar- 
chevêque d'Auch,  la  pragmatique  ayanl  élé  faite  sous  Charles  Vil,  en 
4438. 


•IOj  la  vérité  iTomo  vnr. 

siers  de  la  chaîne,  étaient  venus  la  troubler  plusieurs  fois  dans 
ses  délibérations, 

«  jNI.  Grandin  (alors  syndic  de  la  Faculté),  pour  se  justifier 
de  ce  qu'il  avait  signé  la  thèse,  parla  longtemps  et  tâcha  de 
donner  un  bon  sens  au  trois  propositions.  Il  répéta  ce  qu'il 
avait  dit  au  Parlement  la  première  fois  qu'il  fut  mandé.  11  ex- 
pliqua ainsi  la  première  proposition,  disant  que  par  le  mot  de 
privilèges  qui  était  dans  la  thèse,  on  pouvait  entendre  les 
exemptions  accordées  à  plusieurs  monastères  et  chapitres.  Il 
cita  pour  exemple  l'église  de  Boulogne.  Il  expliqua  ainsi  la 
seconde  proposition  :  qu'il  ne  fallait  entendre  ces  mots  supra 
Ecclesiam^  de  l'Eglise  lorsqu'elle  était  assemblée  en  corps,  mais 
seulement  de  toutes  les  églises  en  particulier,  et  qu'il  y  avait 
des  conciles  qui  définissaient  que  le  Pape  avait  puissance  in 
toiam  Ecclesiam.  Pour  autoriser  cette  explication,  il  cita  des 
épîtres  de  Cicéron  pour  montrer  que  in  et  supra  signifiait  la 
même  chose.  Il  expliqua  la  troisième  proposition  comme 
M.  l'archevêque  d'Auch  ci-dessus. 

c(  M.  de  Mince  fut  d'avis  qu'on  enregistrât  l'arrêt,  et  fut 
suivi  de  la  pluralité,  qui  ajoutèrent  qu'on  y  joindrait  ce  qu'a- 
vait dit  M.  le  premier  Président. 

«  M.  Morel  opina  qu'on  ne  registràt  point  jusqu'à  ce  qu'on 
eût  censuré  la  thèse.  Il  apporta  quelque  texte  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  ajoutant  que  si  l'on^registrait,  la  Faculté 
serait  semblable  à  la  statue  de  Memnon.  Il  fut  suivi  de  M.  An- 
noi.  Le  P.  Nicolaï,  jacobin,  MM.  Bail,  Joisel,  Ghamillard  et 
tous  les  docteurs  de  Saint-Sulpice  et  du  Chardronné  {la  maison  de 
Saint-Nicolas-du-Chardonnet)  furent  de  cet  avis,  et  déclamè- 
rent fort  contre  la  harangue  de  M.  le  substitut  du  procureur 
général. 

(t  M.  de  Lestocq,  professeur  de  Sorbonne,  voulut  prouver 
que  l'arrêt  était  nul,  tam  ex  parle  materise  quam  ex  parte 
fornm.  M.  Ghamillard  le  jeune  dit  que  le  concile  de  Constance 
n'était  point  reçu,  et  que  toute  la  doctrine  n'était  que  pro- 


AcMl  18C3.]  SUR   LA    FACULTÉ   DE    THÉOLOGIE   DE   PARIS.  iOT 

bable  ;   mais  la  plupart  des  docteurs  s'étant  élevés  contre  lui, 
il  fut  obligé  de  dire  qu'il  avait  été  reqn  en  partie. 

<i  Messieurs  Bossuet,  faisant  semblant  d'ouvrir  un  nouvel  avis, 
Leblond ,  p7'ofesseur  de  Sor bonne,  Boust,  aussi  professeur,  Joiselet 
Blanger  de  Sorbonne,  suivant  l'avis  du  père  Nicolaï,  sortirent  de 
leur  place  avec  fureur,  disant  qu'il  fallait  censurer  la  harangue 
du  substitut  de  M.  le  procureur  général.  Tous  les  professeurs 
de  Sorbonne  sans  exception,  et  les  pères  Louvet  et  Hermant, 
beruardins  et  professeurs  en  cette  maison,  parurent  fort 
échauffés  contre  Tautorité  du  Parlement.  Et  lorsque  le  père 
Hermant  entreprît  de  prouver  l'infaillibilité  du  Pape  et  sa  su- 
périorité sur  le  concile,  ils  furent  suivis  de  presque  tous  les 
moines. 

«  Le  preniier  de  mars,  M.  Grandin  empêcha  adroitement 
que  la  conclusion  du  15®  de  février  ne  fût  retirée,  et  dit  qu'il 
avait  à  parler  là-dessus,  afin  de  donner  lieu  à  la  brigue  de 
s'opposer  à  sa  confirmation.  De  fait,  M.  Morel  fit  un  discours 
en  l'air,  sans  qu'on  ait  pu  comprendre  ce  qu'il  voulait  dire. 
M.  Pignay  dit  que  si  on  registrait,  il  jetterait  son  bonnet  à  la 
rue,  et  que  la  Faculté  serait  bien  malheureuse,  parce  qu'on  la 
mettrait  dans  la  gazette  :  Projiciam  biretum,  quia  erimus  in 
gazeta  !  Il  fut  suivi  de  MM.  Bail,  Nicolaï,  Ghaillon,  doyen  de 
Beauvais,  homme  fort  violent,  Joisel  et  tous  les  professeurs  de 
Sorbonne  sans  en  excepter  aucun,  MM.  Magnay,  Charton, 
pénitencier,  etc.  Et  M.  Bail  ajouta  qu'on  ne  pouvait  enregis- 
trer sans  renouveler  le  schisme  d'Angleterre.  M.  Peaucellier 
distingua  trois  sortes  de  forum,  et  dit  force  sottises  que  per- 
sonne n'entendit. 

«  M.  l'abbé  du  Tilloy,  grand-maître  du  sieur  Villeneuve 
(c'est-à-dire  grand-maître  de  la  maison  à  laquelle  appartenait 
le  bachelier  Droiiet  de  Villeneuve),  et  qui,  par  conséquent, 
avait  signé  la  thèse,  ouvrit  l'avis  de  registrer  l'arrêt  avec  les 
explications  de  M.  Grandin,  qu'on  ne  lut  point  et  que  per- 
sonne ne  savait.   M.  Joisel  fut  de  son  avis,  et  le  prouva  par 


^08  LA    VÉRITÉ  [Tome  VIII. 

l'exemple  de  Baronius,  qui  refusa  le  chapeau  de  cardinal. 
MINI.  Leblond,  professeur  de  Sorbonne,  et  de  Lestocq,  préten- 
dirent que  Ton  avait  conclu  de  registrer  avec  les  explications 
de  M.  Grandin.  M.  Guyard,  de  Navarre,  dit  que  c'était  accuser 
la  fidélité  de  ceux  qui  avaient  dressé  la  conclusion,  et  qu'elle 
avait  passé  par  l'avis  de  M.  de  Saint-André  des  Arts. 

«  Les  sieurs  de  La  Barmondière  et  Leblanc,  de  Saint-Sulpice, 
accusèrent  la  Faculté  de  péché  mortel  ;  et  le  dernier  dit  que  c'é- 
tait par  lâcheté  et  par  crainte  des  puissances  temporelles  qu'on 
registrait  cet  arrêt. 

«  MM.  de  Mince  et  de  Saint-André,  et  plusieurs  docteurs, 
s'élevèrent  contre  l'insolence  de  ces  jeunes  gens.  M.  B langer, 
ap7'ès  avoir  fort  invectivé  contre  M.  le  premier  président,  fit  Va- 
pologie  de  la  scolastique  et  dit  qu'il  fallait  tous  aller  en  prison^ 
à  l'imitation  de  sainte  Agathe,  si  on  ne  se  trompe  clans  le  mot. 
Tous  les  professeurs  de  Sorbonne,  et  devant  et  après  lui,  furent  de 
son  avis,  et  M.  Grandin  lui  fit  compliment,  en  sortant,  de  ce  quil 
avait  si  bien  dit. 

a  Nota  que  M.  Cornet  n'a  point  paru  en  ces  assemblées  :  on  le 
croyait  malade.  Et,  néanmoins,  M.  Dumais  référa,  le  premier 
du  mois,  de  plusieurs  bacheliers  qu'il  avait  examinés  durant 
ce  temps  qu'on  le  croyait  au  lit. 

a  M.  l'abbé  Le  Camus  a  toujours  été  du  mauvais  parti.  Il 
croit,  par  ce  moyen,  faire  ses  affaires  en  cour  et  plaire  aux 
Jésuites,  »  (Manuscrits  de  la  Bibliothèque  impériale,  Ms. 
Colbert,  Vc.  155,  p.  47.) 

IV.  Relation  du  Père  Rapin,  jésuite  {extraite  du  chapitre  XVI 
de  ses  Mémoires).  —  et  On  ne  peut  assez  déplorer  la  dispo- 
sition où  se  trouvaient  les  ministres  de  France  à  l'égard  de  la 
cour  de  Rome.  Ils  se  firent  une  espèce  de  devoir  fort  mal  en- 
tendu de  maltraiter  le  Pape  dans  toutes  les  gazettes...  Col- 
berl,  peu  instruit  des  affaires  de  Rome,  s'en  rapportait  trop 
aisément  à  l'abbé  de  BourseiSj  encore  janséniste  dans  le  fond, 
quoiqu'il  eût  signé  le  formulaire  ;  ce  qui  fit  dire  alors  à  la 


Acfit  1863,]  SUR   LA   FACULTÉ   DE  THÉOLOGIE   DE  PARIS.  409 

reine-mère  que  ies  trois  ministres  avaient  chacun  leur  jansé- 
niste. Letellier  avait  Coquelin  ;  Golbert,  l'abbé  de  Bourseis; 
de  Lionne,  Gaudon;  tous  trois,  à  ce  qu'on  disait,  favorables 
au  parti. 

«  Cette  conduite  ne  laissait  pas  de  {contribuer  à  aigrir  les 
esprits  par  des  impressions  fâcheuses,  en  ce  qu'elles  iuspi- 
raient  à  la  cour  du  mépris  pour  le  Saint-Siège  ;  et  Ton  ne 
peut  assez  observer  ici  que  ce  procédé  fit  un  tel  eflet...,  qu'il 
altéra  tellement  l'esprit  des  minisires  contre  le  Pape,  qu'ils 
ne  cherchèrent  presque  plus  que  les  occasions  de  le  mortifier, 
comme  il  parut  dans  une  thèse  soutenue  en  Sorbonue  un  peu 
après,  dont  voici  la  suite. 

c(  Un  bachelier  de  Sorbonne  nommé  Gabriel  Droiiet  de  Vil- 
leneuve, breton,  qui  avait  pris  chez  les  Jésuites,  où  il  avait 
étudié  les  humanités,  des  sentiments  un  peu  moins  durs  à 
l'égard  du  Pape  qu'on  n'avait  alors  en  Sorbonne,  par  l'im- 
pression naturelle  qu'il  avait  d'en  parler  plus  favorablement, 
fit  une  thèse,  moins  pour  dire  ce  qu'il  en  pensait,  que  pour 
apprendre  ce  qu'on  en  devait  penser.  Cette  thèse  devait  être 
soutenue  en  la  grande  salle  de  Sorbonne,  le  19  janvier  de 
cette  année  1663,  en  la  dispute  de  la  grande  ordinaire,  depuis 
huit  heures  du  matin  jusqu'à  huit  heures  du  soir,  sous  maître 
Vincent  de  Mœurs,  aussi  breton,  docteur  en  la  Faculté  de 
théologie,  de  la  maison  de  Navarre.  Cette  thèse  contenait  trois 
propositions  favorables  au  Pape,  dont  le  Parlement  fut  clio 
que,  comme  contraires  aux  libertés  gallicanes  et  aux  maximes 
anciennes  du  royaume.  La  première  proposition  portait  que 
Jésus-Christ  avait  donné  à  saint  Pierre  et  à  ses  successeut'S  une 
souveraine  autorité  sur  l'Église.  La  deuxième  proposition, 
que  les  Papes  avaient^  pour  de  bonnes  raisons,  accordé  des  pinvi- 
léges  à  certaines  églises,  comme  à  celle  de  \France.  La  troisième 
proposition,  que  les  conciles  généraux  étaient  utiles  à  l'extir- 
pation des  hérésies,  des  schismes  et  autres  désordres,  iyiais  pas 
absolument  nécessaires.   Cette  thèse  avait  déjà  été  portée  chez 


itd  '  LA   VÉRITÉ  [Tome  VllI.     . 

Favocat  Talon,   et  empoisonnée  par  un   sorboniste  nommé 
Fortin,  principal  du  collège  d'Harcourt,  qui,  par  uu  reste  de 
venin  qu'il  avait  pris  dans  l'école  de  Richer,  ennemi  déclaré 
du  Pape,  et  un  des^principaux  émissaires  des  Jansénistes,  la 
porta  à  ce  magistrat,  accusant  ses  frères  d'infraction  des  ar- 
rêts. Talon    mit  la  thèse  entre  les  mains  du  procureur  géné- 
ral, lequel  en  fit  son  rapport  dès  le  lendemain  au  Parlement. 
L'avocat  général  Bignon  portant  la  parole,  on  délibéra  sur  les 
plaintes  des  gens  du  roi,  et  le  syndic,  le  président  et  le  sou- 
tenant furent  cités  pour  rendre  compte  à  la  cour  de  leur 
procédé  et  pour  s'expliquer  sur  ces  propositions.  Grandin, 
syndic  de  la  Faculté,    représenta  que,  dans  la  thèse,  on  avait 
évité  le  terme  d'infaillibilité,  qui  avait  été  retranché  du  manuscrit 
de  la  thèse,  dans  laquelle  il  n'y  avait  aucun  vestige  que  l'on 
prétendît  la  donner  au  Pape  ;  qu'en  parlant  dans  la  deuxième 
proposition  des  privilèges  accordés  par  les  Papes  à  l'Église  de 
France,  comme  à  bien  d'autres,  comme  on  ne  pouvait  nier, 
on  ne  faisait  aucune  mention  des  libertés  gallicanes,  à  quoi 
on  ne  touchait  pas.   Que  pour  la  troisième  proposition,   on 
savait  bien  que  TEglise  avait  été  trois  cents  ans  et  plus,  jus- 
qu'au concile  de  Nicée,  et  que,  cependant,  on  avait  éteint 
plusieurs  hérésies  sans  qu'il  fût  besoin  de  concile,   ce  qui 
montre  qu'ils  n'étaient  pas  toujours  nécessaires  et  que  cela 
suffisait  pour  sauver  la  thèse. 

«  Lamoignon,  premier  président,  leur  montra  que  ces  ex- 
plications ne  cadraient  pas  avec  les  termes  de  leur  thèse,  dont 
le  sens  naturel  était  contraire  aux  maximes  de  la  cour,  et, 
qu'en  supprimant  le  mot  à' infaillibilité ,  ils  devaient  encore 
supprimer  celui  de  souverain  pouvoir  sur  VÉglise,  le  Pape 
n'ayant  d'autorité  que  dans  l'Église,  non  pas  sur  l'Église, 
étant  obligé  d'obéir  aux  canons,  et  le  concile  étant  au-dessus 
de  lui,  selon  l'opinion  commune  du  royaume;  que,  pour  la 
troisième  proposition,  malgré  l'explication  forcée  qu'ils  don- 
naient à  leur  thèse,   on  pourrait  conclure,  des  paroles  gêné- 


Août  1863]  SUR  LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  lU 

raies  qui  y  sont,  que  les  Conciles  généraux  ne  seraient  néces- 
saires en  aucun  cas;  et  qu'on  y  a  trop  confondu,  dans  la 
thèse,  les  privilèges  avec  les  libertés  de  l'Église  gallicane,  qui 
sont  bien  difFérentes,  puisque  ces  libertés  ne  sont  que  le  droit 
commun,  dans  lequel  nos  ancêtres  se  sont  maintenus  contre 
les  nouveautés  qu'on  a  voulu  introduire  et  établir  en  droit 
nouveau.  L'avocat  général  Talon  voulut  parler  pour  exagérer 
l'imporlance  de  la  thèse,  qu'il  prétendait  avoir  été  conçue 
dans  un  dessein  de  complot  et  de  cabale  pour  élever  l'autorilé 
du  Pape  par  la  dépression  de  celle  de  l'Église  universelle  et 
des  conciles  ;  que  le  but  de  ces  factions  était  d'imposer  un 
nouveau  joug  aux  fidèles,  que  nos  pères  n'avaient  pu  porter  ; 
que  nous  ne  devons  pas  avoir  moins  de  vigueur  pour  défendre 
cette  liberté  sainte,  qui  est  le  principal  fleuron  de  la  cou- 
ronne, qui  nous  distingue  de  ces  pays  d'obédience,  où  les 
règles  de  la  chancellerie  et  les  décrets  d'un  réviseur  sont  plus 
considérés  que  les  canons  de  l'Église,  voulant,  par  ces  termes, 
marquer  la  Bretagne. 

«  Après  cet  avant-propos,  il  entreprit  d'expliquer  la  créance 
ancienne  de  l'Église  sur  le  Pape,  à  qui  l'on  n'avait  jamais  dis- 
puté la  primauté  du  siège  de  Rome  sur  tous  les  autres,  mais 
bien  la  prééminence  sur  toutes  les  églises,  prétendant  que  le 
Pape  n'est  que  le  collègue  dans  l'épiscopat  de  tous  les  évèques 
du  monde,  el  étant  soumis  aux  canons  comme  les  autres,  ja- 
mais souverain  au-dessus  d'eux...  Il  ne  laisse  pas  d'avouer  que 
l'Église  peut  condamner  une  erreur  sans  concile  général,  sur 
quoi  il  rapporte  le  sentiment  de  saint  Augustin  dans  le  livre 
à  Boniface,  el  il  avoue  même  qu'il  serait  dangereux  de  dire 
qu'on  ne  peut  maintenant  riea  déterminer  touchant  la  foi  sans 
concile;  ce  qu'il  prouve  par  la  licence  que  se  donneraient 
tous  les  visionnaires  et  tous  les  extravagants  de  débiter  leurs 
caprices,  et  tout  ce  que  la  vanité  ou  l'ignorance  peut  inspirer, 
s'il  fallait  des  conciles  pour  les  condamner. 

«  La  thèse  ne  disait  rien  autre  chose,  mais  on  était  déter- 


1<2  LA   VÉRITÉ  [TomeVllL 

miné  à  en  faire  du  bruit,  parce  que  cela  plaisait  aux  ministres, 
qui  ne  chetxhaient  qu'à  chagriner  le  Pape,  sur  quoi  même  ils 
avaient  tellement  prévenu  l'esprit  du  roi,  à  l'occasion  de  l'in- 
sulte faite  à  son  ambassadeur,  que,  tout  résolu  qu'il  était  de 
détruire  le  jansénisme  dans  ses  États^  une  personne  de  la  cour 
bien  intentionnée  lai  ayant  dit  que  les  Jansénistes  tireraient  de 
grands  avantages  de  ce  qui  allait  se  régler  au  Parlement  sur 
la  thèse,  il  répondit  qu'il  fallait  que  l'affaire  allât  son  chemin, 
et  quïl  laisserait  faire  le  Parlement.  Il  est  vrai  qu'on  lui  avait 
tellement  mis  dans  l'esprit  qu'on  en  voulait  à  sa  couronne,  à 
quoi  on  ne  pensait  pas,  qu'il  laissa  faire  ses  ministres  ;  et  que 
Tavocat-général  Talon,  qui  voulait  leur  plaire,  exagéra  telle- 
ment l'afi'aire  de  la  thèse,  qu'il  s'efforça  de  la  faire  passer 
pour  une  entreprise  de  cabale,  dont  les  auteurs  voulaient  se 
servir  pour  autoriser  le  pouvoir  du  Pape  sur  le  temporel  des 
rois,  et  pour  établir  ces  pernicieuses  maximes  qui  avaient 
autrefois  ébranlé  les  fondements  de  la  monarchie;  qu'ainsi, 
il  ne  suffisait  pas  de  faire  quelque  réprimande  en  particulier 
au  syndic  et  au  bachelier,  parce  que  le  public  attendait  une 
réparation  proportionnée  à  la  grandeur  de  l'injure,  qui  de- 
mandait une  rétractation  solennelle  ou  une  punition  exem- 
plaire ;  ajoutant  que  c'était  autoriser  ces  hardiesses  que  de 
les  dissimuler  dans  la  vue  de  ne  pas  exciter  du  trouble  pour 
si  peu  de  chose  :  mais  qu'il  fallait  sans  hésiter  soutenir  la 
doctrine  des  conciles  de  Constance  et  de  Bâle,  et  traiter  d'en- 
nemis  de  l'Etat  et  de  perturbateurs  du  repos  public  ceux  qui, 
en  qualité  d'émissaires  de  la  cour  de  Rome  et  de  gens  dévoués 
au  Pape,  vont  à  cet  excès  que  d'avancer  que  le  Pape  a  le 
même  pouvoir  sur  terre  que  Jésus-Christ,  comme  la  thèsfr 
soutenue  il  y  a  deux  ans  au  collège  de  Clermont  l'enseignait, 
en  enseignant  l'infaillibilité  toute  pure;  ce  qu'il  appelait  des 
blasphèmes,  des  hérésies,  des  scandales,  des  aboininations 
capables  de  porter  l'esprit  des  peuples  à  la  rébellion  ;  après 
quoi,  il  apostrophait  d'un  air  pathétique  la  Faculté,  qui  avait 


Août  1863.]  SDR   LA  FACULTÉ   DE    THÉOLOGIE   DE   PARCS-  113 

toujours  fait  éclater  son  zèle  et  sa  fermeté  à  combattre  ces 
erreurs,  qui  allaient  à  renverser  les  colonnes  de  l'État,  appe- 
lant les  docteurs  de  la  Sorbonne  les  dépositaires  de  ce  feu 
sacré  qui  est  la  doctrine  de  ce  corps  dans  iequel  consiste  la 
fortune  de  l'empire,  qu'ils  ne  pouvaient  laisser  éteindre  par 
leur  négligence,  qu'on  t  ^  fût  obligé  à  recourir  à  cette  auguste 
compagnie  du  Parlement  qui  avait  pris  les  canons  et  les  con- 
ciles en  sa  protection.  Il  conclut  enfin  que  la  tbèse  serait  sup- 
primée,défense  faite  à  toutes  personnes  d'avancer  de  pareilles 
doctrines,  tendantes  directement  ou  indirectement  à  établir 
l'infaillibilité  du  Pape,  et  à  diminuer  l'autorité  des  saints 
conciles,  à  peine  d'être  procédé  contre  eux  comme  perturba- 
teurs du  repos  public  et  ennemis  de  l'État  ;  ordonner  au 
syndic  qu'il  ne  souffre  jamais  dans  les  tbèses  des  propositions 
contraires  aux  conciles  de  Bâleet  de  Constance,  à  peine  d'être 
extraordinairement  procédé  contre  le  syndic  et  le  président; 
que  le  soutenant  sera  tenu  de  rétracter  sa  doctrine;  que  l'arrêt 
qui  sera  rendu  sera  lu  en  présence  de  la  Faculté  convoquée 
pour  cela,  et  enregistré  dans  le  registre  de  la  Faculté;  copies 
collationnées seront  envoyées  aux  bailliages.  L'heure  ayant 
sonné,  la.  délibération  de  la  cour  fut  remise  au  22  du  même 
mois. 

a  Ce  fut  un  vrai  opéra  que  ce  plaidoyer  de  l'avocat-général, 
qui  avait  eu  grand  soin  de  ramasser  tout  ce  qui  pouvait  se 
dire  contre  l'infaillibilité  ;  ce  qui  ne  lui  fut  pas  difficile,  les 
Jansénistes  ayant  ramassé  sur  cela  tout  ce  que  de  Dominis  et 
le  protestant  Blondel  en  avaient  écrit,  se  préparant  sur  cette 
matière  de  longue  main,  comme  sur  la  seule  ressource  qui 
leur  restait  après  leur  condamnation.  Ainsi  l'avocat-général 
fut  bien  servi  d'eux  en  cela,  et  les  servit  bien...  L'arrêt  du  22 
suivitles  conclusions,  et  Henri  de  Refuge  et  Pierre  deCatinat, 
conseillers  de  la  grande  chambre,  furent  commis  avec  le  sub- 
stitut du  procureur-général  Achille  de  Harlay  pour  l'exécu- 
tion :  ce  qu'ils  firent^   s'étant  transportés  le   même  jour  en 


^\'i  LA.   VÉRrTÉ  ITomcVm. 

Sorbonne  avec  îe  greffier  et  deux  huissiers.  Catinat  parla... 

((La  conclusion  de  cet  admirable  discours  fut  qu'il  demandait 
que  l'arrêt  du  Parlement  fût  lu,  que  le  registre  de  la  Faculté 
fût  apporté  pour  y  être  transcrit.  Et  aussitôt  Boileau,  greffier 
du  Parlement,  en  fit  la  lecture  ;  après  quoi  il  le,  mit  entre  les 
mains  du  greffier  de  la  Faculté  pour  être  enregistré.  Et  sur  ce 
que  quelques  docteurs  témoignèrent  de  la  difficulté  à  l'enre- 
gistrement, n'étant  point  dans  les  sentiments  des  propositions 
condamnées  par  cet  arrêt,  les  deux  commissaires  leur  remon- 
trèrent que  ce  n'était  pas  l'intention  de  la  cour  de  faire  injure 
à  la  Faculté,  que  ce  n'était  que  pour  les  exciter  à  persévérer 
dans  la  doctrine  reçue  de  tout  temps  et  soutenue  constamment 
par  la  Sorbonne  ;  qu'ils  devaient  obéir,  et  que  s'ils  avaient 
quelque  chose  à  proposer,  ils  pourraient  présenter  leur  requête 
à  la  cour. 

<  Quelques  jours  après,  le  recteur  et  le  syndic  ayant  été 
appelés  au  Parlement  pour  rendre  compte  de  l'enregistrement, 
répondirent  que,  pour  quelques  considérations,  on  l'avait 
différé  ;  sur  quoi  il  fut  dit  que  ce  retardement  venait  de  l'op- 
position de  quelques  particuliers  :  on  l'imputa  au  recteur  de 
l'Université  et  à  la  jeunesse,  qui,  dans  les  grands  corps,  est 
toujours  disposée  à  fronder.  Il  fut  cité  avec  les  procureurs  des 
quatre  nations  au  Parlement,  le  8  de  février,  pour  rendre 
raison  de  sa  conduite.  Il  n'y  parut  qu'avec  l'acte  de  l'enregis- 
trement et  avec  l'acte  des  certificats  signés  par  les  quatre 
procureurs,  déclarant  qu'on  n'avait  différé  que  pour  faire  la 
chose  plus  solennellement.  Mais  parce  que,  selon  l'arrêt  du 
22  janvier,  il  devait  encore  être  enregistré  dans  le  registre  de 
la  Faculté,  la  cour  fut  obligée  d'envoyer  quérir  le  syndic  pour 
savoir  s'il  l'avait  fait.  Il  se  présenta  accompagné  du  doyen  et 
de  quelques  autres  docteurs  à  la  cour  ;  et  le  premier  Président 
ayant  demandé  si  l'arrêt  du  22  janvier  était  écrit  dans  leur 
registre,  Antoine  Breda,  curé  de  Saint-André,  l'ancien  de  ces 
docteurs  députés,  lui  répondit  «  qu'il  avait  été  député  de  la 


AOÛM863.]  SUR   LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  115 

Faculté  avec  le  doyeu  et  le  syndic  pour  représenter  à  la  cour 
que  la  Faculté  avait  entendu  sou  arrêt  du  22  de  janvier  avec 
respect  ;  qu'elle  avait  cru  que  ce  n'était  pas  Tinteution  de  la 
cour  de  porter  un  jugement  doctrinal  et  de  qualifier  des  pro- 
positions théologiques,  ni  aussi  de  croire  qu'un  concile  général 
fût  absolument  nécessaire  pour  l'extinction  de  toutes  sortes 
d'hérésies,  comme  il  avait  paru  en  celle  de  Jansénius. 

a  Le  premier  Président  leur  dit  que  quand  la  cour  ordonnait 
quelque  chose,  tout  sujet  du  roi  devait  s'y  soumettre  sans  l'exa- 
miner ;  que  la  proposition  de  la  thèse  sur  les  conciles  étant 
générale,  d'où  l'on  peut  conclure  qu'ils  ne  sont  nécessaires  en 
aucun  cas,  la  cour  n'a  pas  dû  la  tolérer,  comme  contraire  à 
la  pureté  de  la  police  extérieure  de  l'Église,  qui  fait  une  des 
principales  parties  de  la  police  de  l'État  ;  que  la  cour  n'avait 
aucun  égard  à  leurs  distinctions  scolastiques,  qui,  bien  souvent, 
pouraienl  rendre  souteuables  en  apparence  les  propositions 
les  plus  dangereuses;  qu'elle  avait  intéressé  Tautorité  du  roi 
pour  arrêter  le  cours  de  ces  doctrines  qui  ne  servent  qu'à 
jeter  le  trouble  dans  les  esprits  et  à  les  scandaliser  j  qu'ils  eus- 
sent à  enregistrer  incessamment  l'arrêt,  la  cour  n'entendant  pas 
qu'il  soit  parlé  davantage  de  leurs  difficultés  sur  ce  sujet.  A 
quoi  la  Faculté  obéit  sans  répliquer  :  mais  on  ne  laissa  pas 
d'entrevoir  dans  le  pubhc  que  tout  cela  ne  se  faisait  que  pour 
humilier  le  Pape,  dont  on  était  mécontent.  Car,  franchement, 
la  proposition  d'une  puissance  souveraine  du  Pape,  celle  des 
privilèges  concédés  à  l'Église  dé  France,  et  celle  des  conciles 
qu'on  ne  croyait  pas  toujours  absolument  nécessaires,  ne 
pouvaient  avoir  aucun  mauvais  sens  qui  donnât  lieu  à  l'avo- 
cat-général  d'en  faire  tant  de  bruit. 

V.  Liste  des  docteurs  qui  ont  voté  pour  ou  contre.  —  Celte 
pièce  inédite  se  trouve  à  la  Bibliothèque  impériale,  Ms.  Col- 
bert  155,  Vc,  p.  50.  On  remarquera  que  Bossuet,  alors 
âgé  de  36  ans,  est  du  nombre  de  ceux  qui  votèrent  contre. 


^16  LA  VÉRITÉ  [Tome  MU. 

Liste  des  docteurs  qui  ont  voté  pour  ou  contre  l'enregistrement  de  l'arrêt 
du  Parlement  du  22  janvier  1665. 

«  Pro  :  MM.  Cospin,  De  Mince,  Patru,  de  Bréda,  les  curds  de  Saint- 
Paul  el  de  Saint-Euslaelic,  Bourgeois  (bernardin),  Dragon,  Vaillant, 
Bélille,  Tédinai  (bernardin],  Lenoir,  Descures,  Gosseï,  Grinet,  Fortin, 
Godin,  Bagncaux,  Banneret,  Lonergan,  Pagin,  Gabillon,  Guignard, 
Habert,  Restout,  Htiol,  Faure,  Peiitpied,  Béclierel,  Marais,  Basile, 
Gerbais,  Comart,  Ralonin,  Boileau,  Templeux,  Robert. 

•  Conira  ■  MM.  More),  Fignay,  Bail,  Nicolaï,  Ghalion,  Gobinet, 
Méaume,  Poussé,  Joisel,  Leblond,  Chamillard  eUons  les  professeurs  de 
Sorbonne,  Bossuet,  Cbarion,  Lamorlière,  Leblanc  (de  Saint-Sulpice), 
Larue,  Desdefonlaine,  Lebreton  (de  Saint-Suipice),  Blanger,  Laber- 
mondière,  Dufournel,  Louvet  (bernardin),  Lermant  (idem),  et  <ous  let 
moines,  à  l'exception  de  deux  ou  trois. 

«  Il  y  a,  outre  cela,  une  troupe  d'indifférents.  » 

VI.  Nombre  total  des  docteurs,  —  Nous  ue  pouvons  pas  l'in- 
diquer pour  l'année  1663,  mais  la  note  suivante^  transmise  au 
ministre  Golbert,  l'indique  pour  1682.  Elle  se  trouve  parmi 
les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  impériale.  {Mékinges-Col- 
bert,  7). 

Docteurs  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris,  en  1682. 

Archevêques  et  Ëvêques 4i 

Maison  de  Sorbonne H 69 

Navarre 83 

Mendiants ^24 

Bernardins  el  de  Ciuny 43 

Chanoines  de  Prémoniré  el  de  Saint- Victor  ...  6 

(Maison  des)  Cholets 10 

(Collège  du)  Cardinal  Lemoine -i 

Saint-Siilpice  .     , -12 

Naiions  étrangères 5 

Ubiquisles ' 238  » 

VII.  Renseignements  confidentiels  transmis  à  Colbert  sur  les 
docteurs  de  la  Faculté,  contenant  un  passage  sur  Bossuet,  et  un 
autre  sur  les  Sulpiciens. —  Cette  pièce  inédite  se  trouve  parmi 


Août  1863.]  SUR   LA   FACLLTÉ   DE  THÉOLOGIE   DE   PAKIS.  117 

les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  impériale,  Ms.  Colbert,  155, 
Vc,  p.  70.  Elle  me  paraît  être,  ainsi  que  la  suivante,  l'œuvre 
de  l'abbé  Bourseis,  ou  plutôt  du  club  de  théologiens  que  le 
ministre  lui  faisait  présider.  «  Colbert,  qui  avait  pour  lui  une 
grande  estime,  l'avait  mis  à  la  tête,  non-seulement  de  l'Aca- 
démie des  inscriptions,  mais  encore  d'une  autre  assemblée 
toute  composée  de  théologiens,  et  qui  se  tenait  dans  la  bi- 
bliothèque du  roi.  »  { Biographie  universelle,  Paris,  1843.  ) 
On  a  vu  plus  haut,  d'après  le  P.  Rapin,  que  «  Colbert  s'en 
rapportait  trop  aisément  à  l'abbé  de  Bourseis,  encore  jansé- 
niste dans  le  fond,  quoiqu'il  eût  signé  le  formulaire.  »  Quoi 
qu'il  en  soit  du  véritable  auteur  de  ces  deux  pièces,  leur  im- 
portance n'échappera  point  à  l'attention  du  public.  On  y 
veri'a  les  ressorts  habiles  qu'on  faisait  jouer  pour  attirer  la 
majorité  des  docteurs  au  sentiment  de  la  cour.  Voici  le  texte 
du  premier  de  ces  documents. 

Liste  des  docteurs  qui  ont  mal  agi  ou  qui  sont  suspects  au  sujet  de  l'arrêt 
du  Parlement. 

«  MM.  Cornet,  Grandin  (professeur),  Lèslocq,  it.,  Chamillard,  it., 
Leblond,  t(.,  Bousle,  il.,  Despérier,  it.,  Joisel,  Cliamillard  (frère  du 
professeur),  Pignay,  Morel,  Cliarlon ,  Gobinet,  Amiot,  Rousse, 
Alléauroe,  Demure,  Magnet,  Quairehommes,  Bossuel,  Labermon- 
dière,  Leblanc,  Desdefonlaine,  Bail,  Bufournel,  de  Pinteville,  Liverdy, 
Béranger,  Dumay,  Malels  (deux  frères),  Giioc,  l'abbé  Le  Camus.  » 

Religieux. 

«  Le  P.  Nicolaï  (jacobin),  huit  Carmes  (absents,  mais  présumés  con- 
traires), Cordelier»  (généralement  déplorés),  le  P.Louvel  (bernardin), 
le  P.  du  Laurent  (bénédiciin),  les  pères  Auguslins.  » 

Docteurs  qui  ont  bien  fait  dans  la  même  occasion. 

I  MM.  de  Mince,  curé  de  Gonesse,  Irès-bien  ;  de  Bréda,  curé  de 
Saint-André,  admirablement;  Dragon,  Vaillant,  Faure,  Forlin,  Coc- 
quelin,  Cospin.  » 


f  '8  LA   VÉRITÉ  [TonieVIII. 

Image  ou  blason  des  docteurs  qui  ont  mal  agi  ou  que  Von  soupçonne 
d'être  opposés  à  la  bonne  cause  en  cette  rencontre. 

«  Avant  de  faire  un  tableau  de  ces  Messieurs,  je  proteste 
sincèrement  que  je  les  considère  tous  comme  gens  de  bien  et 
pleins  d'un  zèle  vraiment  ecclésiastique,  mais  qui,  en  cette 
affaire,   ne  me  paraît  pas  tout-à-fait  conduit  selon  la  science. 

«  31.  Cornet  est  un  bel  esprit,  un  fort  habile  homme,  d'une 
vie  sans  reproche,  et  dans  une  telle  réputation  de  sagesse 
parmi  ceux  de  son  parti,  qu'il  en  est  le  chef  sans  contredit  et 
comme  l'àme  de  leurs  délibérations.  Ceux  qui  s'attachent  le 
plus  à  lui  sont  :  MM.  Grandin,  Chamillard,  Morel;  mais  les 
deux  premiers,  avec  retenue  et  ménagement,  et  le  dernier, 
avec  plus  d'ouverture  et  de  fi'ancliise. 

«  M.  Grandin  a  beaucoup  d'esprit  et  de  capacité.  11  est  cen- 
seur des  livres  qu'on  doit  imprimer  ;  a  eu  la  conduite  de 
quelques  monastères;  explique  en  Sorbonne  TÉcriture  sainte, 
ne  sachant  point  l'hébreu,  à  ce  qu'on  m'assure,  quoique  la 
fondation  de  la  chaire  qu'il  occupe  porte  que  ce  professeur 
sera  versé  dans  cette  langue.  Il  est  aussi  chanoine  en  Nor- 
mandie, quoique  la  même  fondation  veuille  que  le  professeur 
n'ait  point  de  bénéfice  qui  l'oblige  à  résidence  ;  et,  par  ces 
deux  raisons,  si  on  le  jugeait  nécessaire,  on  pourrait  l'ôter 
pour  en  mettre  un  autre  qui  eût  les  qualités  requises,  et  qui 
se  trouvât  également  éloigné  des  nouveautés  du  jansénisme 
et  de  celles  que  l'on  combat  à  présent,  depuis  le  nouvel  arrêt 
de  la  cour  ;  et,  en  ce  cas  là,  pour  avoir  égard  au  mérite  de  ce 
professeur,  on  le  renverrait  seulement  à  la  chaire  qu'il  a 
quittée  depuis  peu,  et  que  M.  Despérier  remplit  maintenant. 

«  M.  Lestocq  ne  cède  en  esprit  et  eu  suffisance  à  nul  de  ses 
collègues.  Il  a  eu  la  chaire  de  M.  de  Saints-Beuve  ;  et  l'on  pour- 
rait, ce  semble,  songer  s'il  ne  serait  pas  à  propos  de  la  rendre 
au  dit  sieur  de  Sainte-Beuve,  puisqu'en  ce  qui  touche  le  jansé- 
nisme il  parait  avoir  témoigné  toute  la  soumission  et  la  défé- 


AoùllSù3. 1  SUR   f.A  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DK   PARIS.  ^  !9 

reiice  qu'on  peut  exiger  d'un  ecclésiastique;  en  sorte  que 
MM.  les  grands-vicaires  et  tout  le  chapitre  de  l'église  de  Paris, 
quia  maintenant  la  juridiction  spirituelle  dans  le  diocèse,  lui 
ont  accordé  volontiers  des  provisions  de  la  cure  de  Saint-Leu, 
en  qualité  de  gradué  nommé,  M.Morel  même,  l'un  des  grands- 
vicaires,  le  portant  ouvertement  et  avec  éloge  dans  cette  occa- 
sion; ce  qui  pourrait  servir  non-seulement  de  prétexte^  mais 
de  raison  pour  le  traiter  plus  favorablement  qu'auparavant, 
puisqu'on  ne  ferait  que  suivre  en  cela  le  préjugé  de  ceux  qui 
gouvernent  l'église  de  Paris.  Ce  serait  un  coup  d'importance,  à 
moins  que  d'ailleurs  ou  n'y  trouvât  quelque  inconvénient  pour 
les  intérêts  du  roi,  du  royaume  et  de  l'église  gallicane;  étant 
certain  qu'il  attirerait  par  sa  suffisance  et  par  sa  réputation 
la  meilleure  part  des  écoliers  de  Sorboiine,  qui^  en  peu  de  temps, 
paraîtraient  remplis  des  véritables  et  anciennes  opinions  de  la 
Faculté,  lesquelles  on  entreprend  aujourd'hui,  quoique  sans  malice, 
de  détruire.  Mais  comme  il  s'agit  de  marcher  et  de  se  conduire 
au  milieu  de  deux  précipices  et  de  deux  dangers,  l'un  de  tom- 
ber dans  le  soupçon  de  favoriser  le  jansénisme  par  le  soudain 
rétablissement  d'une  personne  qui  l'a  autrefois  appuyé,  et 
l'autre  de  donner  cours  à  des  sentiments  préjudiciables  au 
royaume  sous  prétexte  de  combattre  le  jansénisme,  j'avoue 
que  la  chose  n'est  pas  moins  délicate  qu'importante,  et  je  n'ai 
d'avis  sur  cela  sinon  que  l'afFaire  mérite  d'y  penser.  Je  suis 
même  si  disposé  à  faire  justice  et  aux  autres  et  à  moi-même 
en  cette  occasion,  que  quoiqu'il  n'y  ait  nul  sujet,  grâce  à  Dieu, 
de  se  défier  de  mes  sentiments  dans  la  foi,  je  pardonnerais 
néanmoins  volontiers  à  ceux  qui,  par  un  scrupule  ou  une  ten- 
dresse de  conscience,  en  auraient  encore  quelque  doute,  n'y 
ayaut  que  Dieu  qui  pénètre  dans  le  fond  de  l'âme  et  du  cœur 
des  hommes. 

a  M.  Chamillard  est  homme  d'esprit,  de  savoir  et  d'une 
piété  vraiment  exemplaire.  Il  est  vénéré  comme  un  oracle  dans 
la  communauté  de  Saint-Nicolas  du  Chardonnet  où  il  demeure  ; 


-120  LA   VÉRITÉ  |Tome.  VÎII. 

et  l'on  voit  reluire  les  mêmes  qualités  d'esprit,  de  scieuce  et  de 
vertu  eu  la  persoune  de  M.  son  fràrc  , 

a  M.  Leblond  est  habile  et  modéré,  quoiqu'il  n'ait  pas  en  cette 
rencontre  observé  peut-être  toutes  les  mesures  qu'il  fallait. 

«  M.  Boust  jeune,  professeur,  a  vivacité  et  suffisance  pour 
son  âge  ;  et  si  on  lui  donnait  un  bénéfice  un  peu  considérable 
qui  l'appelât  ailleurs,  il  céderait  peut-être  aisément  sa  place 
à  un  autre  également  opposé  aux  erreurs  du  jansénisme  et 
favorable  à  l'autorité  des  conciles  œcuméniques. 

«  M.  Despérier,  professeur,  ayant  enseigné  environ  vingt 
ans  la  philosophie  dans  le  collège  de  Lisieux,  s'est  acquis  la 
réputation  du  plus  habile  de  l'université  dans  cette  science. 
On  ne  sait  pas  s'il  réussira  tout-à-fait  si  bien  en  celle  de  la 
théologie,  où  il  enseigne  le  traité  de  la  Trinité.  En  tout  cas, 
M.  Grandin  venant  à  rentrer  dans  la  chaire  qu'il  occupe,  on 
se  déferait  par  ce  moyen  d'un  homme  savant  et  vertueux  à  la 
vérité,  mais  peu  ami  de  la  puissance  souveraine  des  conciles. 

«  M.  Joisel  a  signalé  son  zèle  dans  le  voyage  qu'il  a  fait  à 
Rome  pour  y  poursuivre  la  condamnation  des  cinq  fameuses 
propositions  de  Jansénius  ;  mais  il  n'a  pas  mérité  la  même 
louange  en  ce  qui  touche  le  nouvel  arrêt  du  Parlement,  dont 
on  assure  qu'il  a  dissuadé  l'enregistrement  avec  chaleur. 

«  M.  Pignay  accompagne  un  esprit  doux  et  un  savoir  assez 
considérable  d'une  intention  pure  pour  l'honneur  et  le  service 
de  Dieu;  ce  qui  ne  l'a  pas  néanmoins  empêché  d'être  contraire 
à  la  bonne  cause  en  cette  occasion. 

«  M.  Morel  est  collègue  de  M.  Grandin  dans  la  charge  de 
voir  les  livre.=:  qu'on  veut  donner  au  public.  Sa  suffisance,  pour 
n'avoir  pas  un  fort  grand  éclat,  ne  laisse  pas  d'être  assez  pro- 
fonde et  étendue,  ce  qui  lui  a  donné  de  l'estime  et  de  l'accès 
auprès  de  Mgr  le  Chancelier.  Mais  il  s'est  laissé  si  fort  alarmer 
ou  prévenir  sur  le  sujet  dont  il  s'agit,  que,  ne  pouvant  pas 
réussir  dans  son  dessein,  on  lui  vit  jeter  enSorboune  des  larmes 
de  douleur,  pour  ne  pas  dire  de  dépit. 


1 


Août  1863.1  SUR  LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE    DE   PARIS.  -{2-1 

«  M.  Charton,  pénitencier  de  Notre-Dame,  est  remarquable 
encore  plus  par  sa  piété  que  par  son  savoir.  Il  défère  fort  à 
M.  Grandin,  et  s'emploie  aussi  à  la  conduite  d'une  école  par- 
ticulière, dont  nous  parlerons  ci-dessous. 

«  M.  Gobinet,  principal  du  collège  du  Plessis,  réussit  assez 
heureusement  dans  cet  emploi  ;  et  Ton  publie  qu'il  se  laisse 
gouverner  entièrement  par  M.  Grandin. 

«  M.  Amiot,  curé  de  Saint-Merri,  ne  manque  pas  de  talent 
pour  la  direction  des  âmes  ;  mais  il  a,  dit-on,  témoigné  de  la 
chaleur  avec  excès  dans  ces  dernières  occasions. 

«  M.  Housse,  a  lâché  les  rênes  à  son  zèle  à  peu  près  de  la 
même  sorte. 

«  M.  Alléaume,  modéré  de  son  naturel,  ne  s'est  échauffé 
contre  sa  coutume  dans  cette  circonstance  que  pour  appuyer 
son  écolier  qui  devait  défendre  en  Sorbonne  la  thèse  qui  a  fait 
du  bruit. 

«  M.  Demurc  est  celui  qui  soutint,  l'année  passée,  la  propo- 
sition condamnée  par  l'arrêt,  et  qui  devait  présider  à  l'acte  où 
l'on  était  prêt  à  la  soutenir  de  nouveau.  Sa  vie  édifiante  le  fait 
passer  pour  un  homme  apostolique  et  lui  a  gagné  plus  d'au- 
torité dans  le  monde  que  n'eût  su  faire  sa  capacité. 

«  M.  Magnet,  ci-devant  précepteur  de  M.  l'abbé  de  Pont- 
chateaux  et  maintenant  confesseur  de  Mgr  l'archevêque  de 
Rouen,  a  science  et  probité;  mais  il  a  cédé  en  cette  occurrence 
à  ceux  qui  ont  pouvoir  sur  son  esprit. 

«  M.  Quatrehommes  n'a  d'ordinaire  d'autres  sentiments  que 
ceux  que  lui  inspire  M.  Grandin;  par  où  l'on  peut  aisément 
juger  comme  il  s'est  conduit  dans  les  dernières  assemblées 
de  la  Faculté. 

«  M.  Bossuet  est  sans  contredit  un  bel  esprit;  a  bien  du 
savoir  pour  son  âge,  et  autant  qu'en  peut  avoir  un  jeune  homme 
qui  se  donne  à  la  prédication.  Mais  la  considération  ou  l'exem- 
ple de  M.  Cornet,  dont  il  est  la  créature,  a  été  peut-être  la 
cause  principale  qui  l'a  fait  gauchir  en  cette  occasion. 


i-2-2  LA   ^ÉR1T£  |Tom3  VIII. 

«  M.  de  Labermondière,  jeune  homme  d'environ  30  ans, 
demeure  à  Saint-Sulpice,  et  fait  profession  de  ce  zèle  ardent 
qui  auime  cette  vertueuse  communauté.  Mais  ce  zèle,  un  peu 
mal  réglé,  lui  fit  avancer  en  pleine  Sorbonne  cette  parole  sur- 
prenante, qu'il  ne  pensait  pas  qu'on  pût  consentir  l'enregistre- 
ment de  l'arrêt  sans  un  véritable  péché  mortel.  Et  comme  M.  le 
curé  de  Saint-André  voulut  lui  faire  comprendre  la  témérité 
de  son  jugement,  il  ne  put  souffrir  l'avis  charitable  de  ce  vieux 
l'octeur,  et  lui  répondit  avec  colère  qu'il  avait  tort  de  Tinter- 
;ompre. 

«  M.  Leblanc,  de  la  même  communauté,  un  peu  plus  âgé, 
mais  au  reste  de  la  même  force  et  du  même  esprit. 

«  M.  Desde fontaine,  aumônier  de  Monsieur,  a  de  la  lu- 
mière, mais  on  tient  qu'il  a  encore  plus  de  feu.  Il  témoigne 
un  zèle  tout  particulier  pour  la  recherche  et  la  réforme  des 
désordres  publics;  et  il  serait  à  souhaiter  qu'il  n'eût  pas  moins 
de  passion  pour  le  soutien  des  vrais  sentiments  de  sa  patrie, 

«  M.  Bail  a  donné  des  marques  de  sa  diligence  et  de  son 
étude  dans  une  somme  qu'il  a  publiée  des  conciles,  où  il  les 
met  fort  au-dessous  du  Pape,  comme  il  a  fait  aussi  dans  les  der- 
nières assemblées. 

«  M.  Dufournel  demeure  en  la  communauté  de  Saint-Ni- 
colas du  Chardonnet,  et  se  propose  par  conséquent  d'imiter  en 
toutM.Chamillarddans  les  règles  de  sa  doctrine  et  de  sa  piété. 

«  M.  de  Pinteville  ne  s'écarte  guère  des  sentiments  de 
M.  Morel  son  parent,  et  l'on  croit  même  qu'il  pourrait  un  jour 
lui  succéder  en  la  charge  de  théologal. 

«  M.  de  Liverdy  n'a  pas  laissé  de  s'opposer  à  l'arrêt  de  la 
cour,  quoique  M.  son  père  ait  eu  l'honneur  d'être  conseiller 
do  la  Grand'Chambre. 

«  M.  Béranger,  jeune  homme,  ci  -  devant  précepteur  de 
M.  l'abbé  de  Brienne,  a  esprit  et  suffisance,  d'un  naturel  assez 
doux  ;  mais  si  ennemi  del'arrêt  de  la  cour,  qu'il  n'a  paru  chaud 
et  violent  que  cette  fois  dans  la  Faculté. 


A0ÛHSC3.1  SUR    LA    FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE    PARIS.  123 

«  M.  Dumay  passe  pour  habile;  mais  il  a  suivi  dans  cette 
occasion  le  seutimeut  de  la  communauté  de  Saint-Nicolas,  où 
il  demeure. 

('  MM.  les  deux  Malets  frères,  dont  l'un  est  curé  près  de 
Tarfon  et  l'autre  grand  vicaire  à  Rouen,  sont  estimés  contraires 
au  parti  des  conciles  œcuméniques. 

«  M.  Giloc  est  un  bon  docteur,  et  maître  d'une  école  d'où 
peuvent  sortir  des  défenseurs  de  la  nouveauté  qu'on  veut  éta- 
blir aujourd'hui. 

«  M.  l'abbé  Le  Camus,  d'un  esprit  vif  et  bouillant,  qui  a  paru 
longtemps  en  Sorbonne  avec  éclat,  et  qui  d'ordinaire  avait 
témoigné  de  l'inclination  pour  les  conciles,  a  cru  devoir  les 
abandonner  tout-à-coup,  etleurôter  la  première  place,  que  la 
France  leur  a  toujours  donnée. 

Images  des  docteurs  religieux. 

«  Le  père  Nicolaï,  jacobin,  est  sans  contredit  des  plus  fameux 
et  des  plus  éclairés  de  son  ordre.  Il  a  de  la  suite  et  des  habi- 
tudes en  grand  nombre,  et  beaucoup  de  part  dans  les  conseils 
de  ceux  de  son  parti.  Il  s'est  montré  en  Sorbonne  fort  contraire 
à  l'exécution  et  à  l'enregislrement  de  l'arrêt. 

«  Ou  ne  peut  rien  espérer  davantage  ni  des  pères  Carmes, 
ni  des  peines  Auyustins,  ni  des  pères  Cordeliers  surtout,  qui  fout 
profession  de  favoriser  Sa  Sainteté  en  toutes  choses,  parce, 
dit-oii,  qu'ayant  besoin  de  leurs  privilèges  pour  prêcher  et 
exercer  les  autres  fonctions  sacerdotales  avec  le  moins  de  dé- 
pendance qu'il  se  peut  des  prélats  ordinaires,  ils  se  croient 
tous  obligés  de  faire  valoir  une  autorité  qui  est  le  fondement 
de  ces  mêmes  privilèges. 

«  Deux  pères  bernardins  ont  paru  fort  raisonnables;  mais 
le  père  Louvet,  du  même  ordre,  quoique  spirituel,  capable  et 
doux  pour  l'ordinaire,  s'est  fort  emporte  cette  fois-ci. 

«  Cinq  ou  six  pères  bénédictins,  que  l'on  soupçonne  d'au- 
cune sorte  de  cabale,  ont  bienfait  aussi;  mais  le  père  du  Lan- 


124  LA   VÉRITÉ  [ToraoVIlI. 

rent,  de  la  même  religion,  s'est  échappé  et  n'a  pas  cru  les 
devoir  imiter. 

«Les  pères  Augustins,  comme  j'ai  déjà  dit,  ne  s'en  sont  pas 
fort  bien  acquittés;  mais  on  excepte  le  père  Diel,  quoique, 
selon  quelques-uns,  il  ne  se  soit  peut-être  ménagé  que  pour 
ne  point  choquer  M.  le  président  de  Mesmes,  dont  il  est  l'écolier, 
comme  ayant  eu  une  place  de  bachelier  fondée  par  ce  prési- 
dent ou  ceux  de  sa  maison. 

Communautés  ou  Compagnies  à  craindre  en  cette  occasion. 

«  Celle  du  père  Bagot,  jésuite  renommé  par  son  grand  savoir 
et  sa  haute  piété,  s'assemble  en  deux  maisons,  l'une  au  fau- 
bourg Saint- Victor,  et  l'autre,  au  moins  ci-devant,  au  faubourg 
Saint-Michel;  et  l'on  assure  que  cette  nouvelle  congrégation  a 
quelques  rapports  à  celle  de  l'Hermitage  de  Caen,  dont  on  a 
tant  parlé. 

(/.Celle  de  Saint-Sulpice,  où  l'on  élève,  à  la  vérité,  des  ecclé- 
siastiques dans  un  esprit  d'une  parfaite  régularité,  mais  on 
assure  que  tout  y  est  extrême  pour  l'autorité  du  Pape  (l).  Elle  est 
d'autant  plus  considérable  que  l'on  y  nourrit  plusieurs  per- 
sonnes de  qualité,  et  qu'elle  s'intitule  le  séminaire  de  tout  le 
clergé  du  royaume,  où  elle  a  déjà  bien  des  maisons  qui  la  re- 
connaissent pour  leur  mère  et  leur  maîtresse. 

«  Celle  de  Saint-Nicolas  du  Chardonnet  n'est  pas  moins  rem- 
plie de  personnes  de  vertu  et  de  zèle  ecclésiastique;  mais  elle 
a  peut- être  un  peu  trop  d'inclination  pour  les  sentiments  d'au- 
delà  des  monts.  Elle  a  graud'part  dans  l'intendance  spirituelle 
du  diocèse  de  Paris,  où  elle  donne,  par  exemple,  des  exami- 
nateurs de  ceux  qui  se  présentent  pour  les  Ordres,  des  con- 
fesseurs et  des  directeurs  en  beaucoup  de  communautés  reli- 
gieuses. 

(1)  Malheureusement  la  Compagnie  de  Saint-SuIpice  ne  fut  pas 
longienips  lidèle  à  suivre  celle  impulsion  de  son  saiul  Fondaieur. 
Di'jâ  M.  Tronïon,  élève  de  M.  Oiier  el  troisième  Supérieur  de  ia 
Sociélé,  recommandait  l'enseignement  des  Quatre  Articles. 


Août  1863]  SUR  LA   FACDLTÉ  DE  TQÈOLOGIE   LE  PARIS.  ^25 

«  Celle qu  on  appelle  des  Trente-Trois,  parce  qu'on  y  élève  des 
jeunes  gens  en  ce  nombre  à  Fhôtel  d'Albiac,  près  du  collège  de 
Navarre,  est  conduite  par  M.  Charton,  pénitencier,  pour  en 
faire,  à  ce  qu'on  dit,  des  précepteurs  et  des  régents. 

«  Celle  de  M.  Giloc,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  est  animée 
à  peu  près  du  même  esprit. 

«  Il  y  a  aussi  des  particuliers  dévots  qui  contribuent  à  l'avan- 
cement de  l'ouvrage  que  les  bons  français  et  les  véritables 
sujets  du  roi  essaient  d'empêcher.  Les  principaux  sont  MM. 
d'Alàon,  de  la  Mothe  Fénelon,  et  quelques  autres  que  l'on  con- 
naît assez.  On  y  range  aussi  M.  Abelly,  personne  d'un  mérite 
aussi  éprouvé  en  toute  sorte  d'exercices  spirituels  et  ecclésia- 
stiques, que  sa  Majesté  a  cru  sagement  devoir  l'honorer  de 
sa  nomination  à  l'évêché  de  Rodez. 

Ceux  qui  ont  tout-à-fait  bien  agi. 

«  Je  laisse  le  blason  des  huit  docteurs  que  j'ai  désigné  ci- 
dessus  pour  avoir  agi  tout-à-fait  bien  dans  cette  rencontre,  leur 
doctrine,  leur  vertu  et  la  pureté  de  leurs  intentions  n'étant 
ignorées  de  personne.  Mais  comme  on  pourrait  seulement  les 
soupçonner  de  partiaUté  pour  le  jansénisme,  il  me  suffira  de 
remarquer  en  ce  lieu-ci,  que  dans  les  affaires  du  même  jansé- 
nisme, M.  de  Mince  a  paru  toujours  indifférent;  MM.  de  Bréda 
et  Cocquelin  positivement  contraires;  et  que  les  cinq  autres 
ont  au  moins  été  des  premiers  à  se  rendre,  et  à  témoigner  par 
leur  signature  leur  soumission  aux  onlres  de  l'Église. 

«  Pour  M.  Faure,  une  marque  de  la  bonté  de  ses  sentiments 
est  qu'il  a  l'honneur  d'être  dans  l'estime  fort  particulière  de 
Mgr  Letellier  ;  et  quant  à  M.  Cospin,  il  a  cela  de  recomman- 
dable  d'avoir  été  toujours  déclaré  passionnément  pour  les 
intérêts  de  feu  Son  Éminence  et  en  même  temps  pour  ceux  de 
Sa  Majesté.  » 

Ici  finit  cette  pièce  curieuse.  Nous  publierons,  dans  un  pro- 
chain article,  l'autre  document  que  nous  avons  annoncé. 

D.  Bouix. 


DE    L'ÉTAT    DE    NATURE 

ET   DU  PECHE   ORIGINEL. 

Quid  est  homo,  xive  conlroversia  de  statu  naturx  purx ,  auclore  Ant. 
Casinio,  S.  J.,  editio  aucla  et  nolis  illuslrala  opéra  D'  M.-Jos. 
Scheeben,  prof,  in  sem.  arcli.  Colon-  Mogunliœ,  ^862. 


Deuxième   article. 


Art.  IV.  —  De  la  concupiscence. 

Cet  article  est  un  des  plus  étendus,  et,  dans  la  citation  des 
Pères,  saint  Augustin  a  encore  la  principale  place.  Il  s'agit  de 
prouver  que  l'exemption  de  concupiscence  n'est  pas  due  à  la 
nature.  Nous  trouvons  d'abord  un  argument  indirect  tiré  de  ce 
que  le  saint  Docteur,  récapitulant  le  système  pélagien,énumère 
comme  des  erreurs  distinctes  la  négation  du  péché  originel  et 
la  négation  de  la  concupiscence.  Argument  non  péremptoire, 
mais  qui  n'est  pourtant  pas  à  dédaigner  ;  car,  si  l'homme 
innocent  avait  dû  être  exempt  delà  concupiscence,  la  seconde 
erreur  eût  été  une  conséquence  de  la  première,  et  ainsi,  au 
lieu  d'être  énoncée  comme  un  chef  distinct,  elle  eût  été  omise 
comme  bien  d'autres  conséquences  du  principe  pélagien. 

Viennent  ensuite  des  textes  fort  clairs,  où  saint  Augustin 
affirme  que  l'exemption  de  concupiscence  dans  le  premier 
homme  fut  une  grâce  autant  supérieure  à  la  nature  humaiuo 
que  la  béatitude  des  anges  est  au-dessus  de  la  nature  angé- 
liquc.  Quand  il  dit  ailleurs  (1)  que  l'image  de  Dieu  en  Adam 

(1)  Au  livre  iv  Imperf.  conl.  Jul.,  n.  39,  el  non  au  livre  i,  rornme 
M.  Sc-hceben  le  dit  par  erreur. 


Août  1863.)     DB  l'État  de  nature  et  du  péché  originel.  ^27 

demandait  cette  grâce,  cela  sigiiiile,  dit  M.  Scheeben,  que 
notre  nature  est  capable  de  ce  privilège  à  raison  de  Tàuic, 
qui  est  appelée  à  diriger  l'appétit  sensible,  tandis  que,  dans  les 
bctcs,  la  suppression  de  la  concupiscence  serait  la  destruction 
de  la  nature  même.  Cette  explication  est  belle;  mais  ne  pour- 
rait-on pas  dire  que,  par  l'image  de  Dieu,  saint  Augustin  en- 
tend rame  telle  qu'elle  était  dans  l'état  d'innocence  ?  Les  mots 
gux  nullo  fiierat  deformata  peccato,  ne  viendraient-ils  pas  à 
l'appui  de  celte  interprétation?  C'est  un  doute  que  nous  sou- 
mettons à  de  plus  habiles.  D'ailleurs,  même  dans  cette  hypo- 
thèse, l'exemption  de  concupiscence  ne  serait  pas  due  à  la 
nature,  puisque  nous  voyons  que  l'homme  racheté  et  sanctifié 
n'a  pas  ce  privilège;  seulement,  au  lieu  de  la  capacité  dont 
parle  M.  Scheeben,  il  faudrait  voir,  dans  l'argument  de  saint 
Augustin,  une  raison  de  convenance. 

L'auteur  cite  ensuite  plusieurs  passages  où  saint  Augustin 
enseigne  de  la  façon  la  plus  expresse  que  Dieu  eût  pu  sans 
injustice  créer  l'homme  avec  la  concupiscence  :  Quamvis  igno- 
rantia  et  difficultas,  etiamsi  essent  hominis  primordia  naturaiiUf 
nec  SIC  culpandus  Deus,  sed  laudandus  esset  (m  Lib.  arb.,  c.  xxii, 
nP  64;  I  Retr.,  c.  ix,  n"  6;  de  Dono  pers.,  c.  xi,  n"  27).  Jan- 
sénius,  pour  esquiver  la  force   de   ces  textes,  prétend  que 
saint  Augustin  n'admet  la  possibilité  de  la  concupiscence  ori- 
ginelle, que  parce  que  la  grâce  aiderait  alors  à  la  surmonter. 
Casini  répond  :    «  Dès  que  vous  admettez  que  Thomme  a  pu 
être  créé  avec  la  concupiscence,  cela  me  suffit  ;  je  prouverai 
ailleurs  qu'il  eût  pu  la  surmonter  avec  un  secours  divin  de 
l'ordre  naturel.  »  Nous  répondrions  ici  quelque  peu  différem- 
ment;  nous  accorderions  à  Jansénius    que   saint  Augustin, 
quand  il  suppose  l'homme  créé  a^ec  la  concupiscence,  n'a 
peut-être  pas  pensé  à  l'état  de  nature  pure,  et  que  peut-être 
il  parle  d'un  état  dans  lequel  la  concupiscence  accompagne- 
rait une  destinée  et  des  grâces  surnaturelles.  Du  moins,  il 
nous  parait  difficile  de  démontrer  que  telle  n'est  pas  la  pensée 


Î28  DE   l'état  DB  nature  (Tome  vin. 

du  saint  Docteur.  Mais,  de  ce  qu'il  n'envisage  .que  cette  hy- 
pothèse, on  ne  peut  pas  conclure  que,  selon  lui,  la  concupis- 
cence n'a  pu  être  instituée  originellement  par  Dieu/que  con- 
jointement avec  une  destinée  surnaturelle.  Au  contraire,  son 
raisonnement  conserve  toute  sa  valeur,  quand  même  on  y 
remplacerait  les  mots  :  Amantibus  ewn  a  quo  sunt,  prxstat  ut 
beatx  sint,  par  d'autres  expressions  qui  ne  pourraient  signi- 
fier que  des  secours  et  une  fin  de  l'ordre  naturel. 

Suivent  beaucoup  d'autres  citations  des  Pères,  que  M. 
Scheeben  résume  dans  uu  court  et  lumineux  exposé.  Dans  ces 
textes,  ou  bien  les  saints  Pères  rapportent  la  concupiscence 
aux  qualités  qui  appartiennent  à  notre  nature,  indépendam- 
ment de  la  grâce  et  du  péché;  ou  bien  ils  disent  que  l'exemp- 
tion de  concupiscence  n'était  accordée  à  Adam  qu'à  raison  et 
dépendamment  de  la  justice  originelle  ;  ou  bien  ils  enseignent 
que  les  mouvements  de  la  concupiscence,  n'étant  pas  des  pé- 
chés, peuvent  exister  dans  le  juste,  pour  qu'il  sente  ce  que 
sci'ait  sa  nature  sans  la  grâce,  et  pour  qu'il  ait  l'occasion  de 
combattre  et  de  vaincre,  d'où  il  suit  a  fortiori  que,  selon  eux, 
ces  mouvements  pourraient  exister  dans  l'état  de  nature  pure. 

Toutefois,  des  objections  graves  se  présentent.  D'abord  saint 
Paul  appelle  la  concupiscence  wn/jeVAç.  Ensuite,  saint  Augustin 
la  qualifie  souvent  de  mauvaise  ou  de  honteuse,  et  il  reproche  à 
Julien  de  la  dire  naturelle.  Casini  répond  à  la  première  objec- 
tion que  la  concupiscence  actuelle,  sans  être  un  péché,  en 
mérite  le  nom,  parce  qu'elle  n'existe  que  par  suite  d'un  péché, 
parce  qu'elle  porte  au  mal  avec  plus  de  force  qu'elle  n'eût  fait 
dans  l'état  de  nature  pure,  et  parce  que  la  révolte  d'où  elle  est 
sortie  rend  l'homme  indigne  des  secours  divins,  même  natu- 
rels. A  la  seconde  objection,  il  répond  :  1°  que  Julien  ayant 
prétendu  que  la  concupiscence  est  physiquement  bonne, 
quoique  sujette  à  abus,  comme  le  pain  elle  vin  (m  Cont.  Jul.  c. 
xx),  saint  Augustin  se  borne  à  affirmer  qu'elle  est  physique- 
ment mauvaise,  ce  qui  est  vrai   surtout  de  la  concupiscence 


Août  1863.)  ET  DU  PÉCBÉ   ORIGINEL.  129 

pénale  dont  il  parle,  et  ce  qui  suffit  pour  qu'il  la  puisse  appeler 
honteuse,  car  Fhomme  rougit  souvent  d'un  mal  physique;  2«» 
que  si  le  saint  Docteur  reproche  à  cet  hérésiarque  de  dire  que 
la  concupiscence  est  naturelle,  c'est  que  celui-ci  enlendait  par 
là  qu'elle  a  été  réellement  donnée  au  premier  homme  dans  la 
création,  et  qu^elle  n'est  nullement  la  peine  du  péché. 

Ainsi,  dans  cette  question,  comme  à  propos  du  lil^re  arbitre, 
Pelage  tombait  dans  l'un  des  extrêmes,  et  Baïus  dans  l'autre. 
Pelage  disait  la  concupiscence  aussi  bonne  que  toutes  les 
facultés  naturelles,  et  permettait  de  la  prendre  pour  fin  dans 
les  choses  licites; Baïus,  au  contraire,  y  voyait  un  mal  moral.  La 
vérité,  également  éloignée  de  ces  deux  excès,  et  clairement  ex- 
posée par  saint  Augustin,  est  que  la  concupiscence  est  un  mal 
physique  et  ne  mérite  le  nom  de  péché  que  dans  le  sens  d'un 
mouvement  désordonné  involontaire  (i).  C'est  ce  que  répète  M. 
Scheeben  dans  un  éclaircissement  imprimé  en  petit  caractère, 
et  où  l'on  désirerait  une  ordonnance  plus  rigoureuse.  «  Si  la 
concupiscence,  ajoute-t-il,  est  lionteuse,  ce  n'est  point  parce 
qu'elle  est  la  peine  du  péché;  au  contraire,  elle  est  devenue 
la  peine  du  péché,  parce  qu'elle  est  honteuse.»  Casini  dit, 
trois  pages  plus  haut  :  IJxc  enim  id  habet  pejus  ac  turpius  quod 
nimirum  est  ex  peccato.  Ces  deux  assertions  ne  sont  point  con- 
traires: elles  se  complètent  mutuellement.  Saint  Augustin,  dit 
encore  M.  Scheeben,  fait  consister  la  malice  de  la  concupis- 
cence en  ce  qu'elle  incline  la  volonté  autant  vers  les  plaisirs 
ilhcites  que  vers  les  licites,  et  en  ce  qu'elle  pousse  à  ne  re- 
chercher dans  l'honnête  même  que  l'agrément.  Il  prouve 
contre  Julien  qu'elle  est  mauvaise,  parce  qu'il  est  louable  de 
la  combattre.  Tout  cela  indique  un  mal  que  Dieu  pourrait, 
dans  l'état  de  nature,  non-seulemenl  permettre,  comme  le  dit 
ici  M.   Scheeben  par  inadvertance,  mais   vouloir  et   infliger 

(•<)  Le  P.  Lacordaire  a  méconnu  celle  vérilé  dans  &a  G  i»  Conférence, 
1.  IV,  jH.  313  ;  il  y  soulienl  que  la  concupiscente  est  un  mal  morai. 
Revue  pes  ScxeiNxes  KccLÉsiASXiouES,  t.  vm.  9-10. 


130  DE  l'état  de   nature  [TomeVlIl. 

pour  le  bien  même  de  l'homme,  comme  il  le  dit  clairement 
deux  pages  plus  haut  (1). 

Recourant  ensuite  au  raisonnement,  le  P.  Casini  montre 
que  la  volonté  ne  peut  empècber  naturellement  l'appétit  sen- 
sible d'agir  avant  elle,  et  même  malgré  elle  ;  non  que  cet 
appétit  soit  libre,  mais  parce  que  la  volonté,  loin  de  le  diriger 
despotiguentent,  comme  elle  dirige  la  faculté  locomotive,  ne  peut 
agir  sur  lui  que  politiquement,  c'est-à-dire  par  Tintermédiaire 
da  la  raison,  qui  elle-même  a  besoin  pour  cela  de  l'intermé- 
diaire du  sens  intérieur.  D'où  il  suit  qu'un  empire  absolu  de  la 
volonté  sur  l'appétit  sensible  n'a  jamais  pu  venir  que  de  la 
grâce. 

Jansénius  objecte:  Si  Dieu  nous  avait  créés  avec  la  concu- 
piscence, il  serait  responsable  de  tous  les  péchés  qu'elle  pro- 
voque. Casini  répond  :  Dans  cette  hypothèse,  la  responsabilité 
des  mouvements  désordonnés  retomberait  non  sur  Dieu,  mais 
sur  la  nature  de  l'homme.  Est-ce  la  faute  d'une  fontaine,  si 
avec  un  petit  vase  on  y  puise  moins  d'eau  qu'avec  un  grand? 
Dieu  est  la  source  de  toute  perfection,  et  à  cette  source  chaque 
créature  puise  plus  ou  moins  selon  ce  qu'elle  peut  naturelle- 
ment contenir.  Si  la  plante  y  puise  la  vie,  mais  non  la  seusi- 
bibité,  ni  l'appétit  sensible  ;  si  la  brute  n'y  puise  pas  la  raison 
ni  le  libre  arbitre  ;  si  l'homme  n'y  puise  pas  l'immortalité  ni 
l'exemption  de  concupiscence;  si  l'ange  n'y  puise  pas  l'impec- 
cabilité,  la  raison  en  est  dans  les  bornes  de  leur  nature.  Il  est 
vrai  que  l'ange  et  l'homme  peuvent  être  élevés  au  dessus  de  la 
leur  ;  mais  peu  importe  ici.  Le  roi  est-il  responsable  de  ce 
qne  tel  pauvre  n'a  pas  dix  mille  francs?  Pourtant  il  pourrait 

(i)  On  lit,  p.  150,  posi  med.  .-  Eam  esse  malum  quoddam  phijsi- 
cum;  quod  si  non  esset,  sane  remodonem  ejus  nos  tanquam  ingens 
Dei  benefidum  prsdicaremus,  qvocl  Dti  bonitafe  Adamo  collalum  sît. 
N;  us  croyons  que  7ws  esl  une  faule  et  que  la  vraie  leçon  est  non.  Si  la 
concupiscence  ^tait  un  mal  inoréil.  Dieu  n'eût  pu  la  raellre  en  Adara. 
L'cxempiion  de  ce  mal  eût  donc  été,  non  pas  un  bienfaii,  une  grâce, 
mais  une  condition  nécessaire  de  la  création. 


Août  1863.]  ET  DU  PÉCHÉ  ORIGINEL.  131 

les  lui  donner.  Dieu  est-il  responsable  du  péché,  parce  qu'il 
pourrait  ne  le  pas  permettre?  Il  ne  répond  donc  pas  des 
mouvements  de  la  concupiscence,  quoiqu'il  eût  pu  les  empê- 
cher. Mais  en  supposant  même  qu'il  en  fût  responsable,  il  ne 
le  serait  pas  des  péchés  qui  en  découleraient,  car  il  aiderait 
/homme  à  surmonter  ces  mouvements  déréglés  (1). 

On  objecte  eu  second  lieu  que  d'après  l'axiome  :  Spoliafum 
gratuitis,  vulneraium  in  naturali bus,  la  concupiscence  est  une 
blessure  de  la  nature.  Ici,  Casini  se  sépare  des  théologiens  qui 
prétendent  que  la  nature  n'a  été  blessée  que  par  la  soustrac- 
tion des  privilèges  qui  l'élèvent  au-dessus  d'elle-même.  Car, 
dit-il,  s'il  en  était  ainsi,  la  seconde  partie  de  l'axiome  ne 
serait  que  la  répétition  de  la  première.  Il  faut  donc  admetttre 
que,  par  le  péché,  nous  avons  perdu  quelque  chose  de  plus  que 
les  dons  gratuits,  ce  qui  peut  très-bien  se  concilier  avec  cette 
autre  vérité,  que  nous  avons  encore  lout  ce  qui  est  dû  à  la 
nature.  En  effet,  les  qualités  de  ce  dernier  ordre  peuvent  exis- 
ter à  des  degrés  fort  divers,  et  dans  une  perfection  beaucoup 
plus  grande  qu'aujourd'hui,  sans  sortir  des  limites  de  la  nature. 
Par  exemple,  la  concupiscence  pourrait  être  plus  gouvernable, 
comme  le  prouvent  sous  nos  yeux  certains  tempéraments  ex- 
ceptionnels. Or,  dans  l'état  de  nature  pu  le,  celîe  exception  eût 
été  la  règle  ;  celte  modération  de  la  concupiscence  eût  été 
l'apanage  de  tous;  car  il  n'y  eût  eu  alois  ni  le  péché  pour  nous 
en  rendre  indignes,  ni  la  grâce  pour  y  suppléer.  Ainsi,  l'homme 
innocent  eût  occupé  les  degrés  supérieurs  de?  qualités  dues  à 
la  nature,  tandis  que  nous  sommes  au  bas  de  l'échelle  ;  voilà 
comment  nous  sommes  blessés  in  naturalibus. 

M.  Schceben,  sans  contester  cet  aperçu,  rappelle  ce  qu'il  a 
dit  plus  haut,  que  la  plupart  des  théologiens  entendent  diffé- 
romment  Taxiome,  Spoliatum  gratuitis,  vulneralum  in  natura- 

(1)  L'a«!dilion  que  propose  M.  Sdicebcn  à  h  p  178  ne  nous  paraît 
pas  nécessaire.  Quid  esl  régi  par  animadverlendiim,  el  quod  signifio 
en  ce  que. 


■^132  DE  l'état  de  nature  [TomeVïlI. 

libus.  A  leurs  yeux,  le  premier  membre  se  rapporte  à  la  grâce 
sanctifiante,  et  le  second,  aux  privilèges  qui  eu  découlaient 
pour  remédier  aux  imperfections  de  la  nature,  privilèges  que 
l'on  est  convenu  de  désigner  par  le  nom  d'intégrité  ou  de  dons 
extra-naturels.  Mais  l'estimable  éditeur  rejette  beaucoup  plus 
catégoriquement  une  autre  explication  qu'ajoute  Casini,  et 
qui  consiste  à  dire,  que  la  concupiscence,  avec  laquelle  nous 
naissons  par  suite  du  pécbé  d'Adam,  tient  le  milieu  entre  celle 
qui  eût  existé  dans  l'état  de  nalure  pure,  et  celle  qui  existe 
dans  un  homme  qui  s'est  livré  à  de  mauvaises  habitudes.  Cela, 
dit  M.  Scheeben,  est  en  contradiction  manifeste  avec  la  thèse 
que  l'auteur  vient  d'établir  si  laborieusement;  car  alors  la 
privation  de  la  justice  originelle  nous  aurait  laissés  en  proie  à 
d'autres  maux  que  ceux  qui  découlent  de  l'imperfection  de  la 
nature.  Casini  a  cru  trouver  cette  doctrine  dan?  un  passage  de 
saint  Augustin  [Imp.  cont.  JuL).  Mais,  dans  ce  passage,  le 
saint  Docteur  n'examine  pas  le  degré  de  notre  penchant  au  mal; 
il  se  borne  à  demander  pourquoi  le  péché  du  premier  homme 
n'aurait  pas  introduit  ce  penchant  dans  la  nature,  puisque  le 
péché  actuel  le  fortifie  dans  la  personne.  Casini  fait  aussi  allu- 
sion à  ces  mots  du  concile  de  Trente  (sess.  5,  c.  i)  :  Totumque 
Adam  secundum  corpus  etanimam  in  deterius  commutatum  fuisse. 
Mais,  dit  M.  Scheeben,  ces  mois  sont  le  résumé  del'éimméra- 
lion  qui  les  précède,  et  ils  doivent  s'interpréter  comme  vulne- 
ratum  innaturalibus.  lieu  est  autrement  du  texte  de  Célestiu  I  : 
In  prxvaricatione  Adx  omneshomines  nafumlem  possibilitatemet 
innocentiam  perdidisse.  Ici  évidemment  il  s'agit  des  dons  sur- 
naturels, qu'on  a  quelquefois  appelés  naturds,  parce  que,  dit 
saint  Thomas,  ils  ont  commencé  avec  la  nature  (2  Sent.,  d.  19, 
q.  1,  a,  4),  et  étaient  destinés  à  se  propager  avec  elle  {Contra 
gent.  lib.  iv,  c.  52). 

Casini,  après  avoir  dit  que  l'appétit  sensible,  dans  l'état  de 
nature  pure,  serait  moins  porté  au  mal  qu'il  ne  l'est  aujourd'hui, 
ajoute  qu'il  en  serait  de  même  de  la  volonté.  Eileest  donc  plu& 


AoûtiN63.]  ET  DU   l'ÉCHÉ   ORIGINEL.  -133 

incliuée  vers  les  biens  sensibles  qu'elle  ne  le  serait  naturel- 
lement, et  c'est  même  cet  affaiblissement,  appelé  par  le  concile 
de  Trente  attenuatio  virium,  inclinatio  liberi  arbitrii,  qui  for- 
tifie la  révolte  de  l'appétit  inférieur. 

Eu  outre,  par  la  chute,  la  volonté  a  été  détournée  de  Dieu, 
aversion  qui,  constituant  le  péché  originel,  n'a  pu  venir  de  la 
nature  et  ne  survit  pas  au  baptême.  Toutefois,  tant  qu'elle  dure, 
elle  rend  aussi  la  volonté  plus  faible  contre  les  impressions  des 
objets  sensibles. 

M.  Scheeben  trouve  insuffisant  ce  que  dit  Casini  de  la  con- 
cupiscence spirituelle,  et  il  traite  ce  sujet  dans  un  éclaircisse- 
ment. Il  montre  que,  même  dans  la  raison  et  dans  la  volonté, 
il  y  a  un  côté  inférieur  qui  regarde  les  objets  finis,  et  qui,  par 
suite  de  l'influence  du  corps,  peut  contrarier,  comme  l'appétit 
sensible,  le  mouvement  régulier  de  rdme.  Cela  explique,  dit- 
il,  comment  saint  Thomas  a  pu  dire  (l  p.,  q.  95,  a.  1),  que  non 
seulement  la  soumission  de  l'appétit  sensible  à  la  raison,  mais 
celle  aussi  de  la  raison  à  Dieu  était  surnaturelle  et  gratuite  en 
Adam.  Cela  ne  peut  s'entendre  de  la  soumission  que  la  partie 
supérieure  de  la  raison  avait  pour  Dieu,  considéré  comme  Créa- 
teur. Car  cette  soumission  est  due  à  la  nciture.  Saint  Thomas 
parle  donc  du  privilège  par  lequel  le  côté  inférieur  delà  raison 
était  soumis  au  côté  supérieur  de  cette  même  raison. 

Je  ne  puis  partager  l'opinion  du  savant  professeur  sur  ce 
passage  de  la  Somme.  J'avoue  que  saint  Thomas  ne  parle  pas 
de  la  soumission  naturelle  de  la  haute  partie  de  la  raison  à 
Dieu  considéré  comme  créateur  et  fin  de  la  nature.  Car  il 
veut  démontrer  que  la  grâce  existait  en  Adam.  Mais,  pour  la 
même  raison,  il  n'a  pas  davantage  en  vue  la  soumission  extra- 
naturelle de  la  raison  inférieure  à  la  raison  supérieure.  I^ 
parle  de  la  soumission  surnaturelle  de  la  raison  à  Dieu  par  la 
grâce  sanctifiante.  Je  ne  nie  pas  que  dans  le  Commentaire  des 
Sentences  (d.  20,  q.  2,  a.  3),  et  q.  5  de  Malo,  a.  I,  saint  Thomas 
n'ait  distingué  ces  deux   dernières  soumissions  ;  mais  dans  la 


-18 'i  DE    l'état  de   NATURK  |TomeVn[. 

Somme,  à  Tendroit  indiqué,  il  désigne  la  dernière,  et  il  comprend 
l'aiitre  sous  les  mots  inferiores  vires  {{).  M.  Scheeben  avoue 
que  les  scolastiques,  en  parlant  de  la  justice  originelle,  ne  men- 
tionnent pas  expressément  l'exemption  de  concupiscence  spi- 
rituelle, et  il  dit  que ,  sous  leur  plume,  la  soumission  de  l'appétit 
sensible  à  la  raison  comprend  la  soumission  de  la  raison  infé- 
rieure àla  raisonsupérieure.Nous  croyons  qu'il  faut  appliquer 
cette  remarque  au  passage  de  la  Somme  dont  nous  venons 
de  parler.  Ce  qui  ne  nous  empêche  pas  de  reconnaître  avec 
iSI,  Scheebeu  que  les  scolastiques  font  une  allusion  expresse  à 
la  concupiscence  spirituelle,  quand  ils  disent  que  le  premier 
homme,  pour  sa  rectitude  naturelle,  avait  besoin  de  vertus  in- 
fuses per  accidens,  et  quand  ils  ajoutent  que  la  perte  de  l'inté- 
grité a  occasionné  dans  la  volonté  même  un  penchant  déréglé 
vers  les  biens  sensibles. 

i\l.  Scheeben  termine  en  insistant  sur  la  distinction  de  l'inté- 
grité et  de  la  grâce.  L'une,  dit-il,  est  comme  la  disposition  et  la 
matière,  l'autre  comme  la  forme  de  la  justice  originelle,  Dieu 
ayant  résolu  que  la  grâce  ne  se  propagerait  avec  la  nature,  que 
quand  celle-ci  serait  ornée  de  l'intégrité.  Le  péché  originel 
consiste  donc  matériellement  dans  la  privation  de  l'intégrité, 
et  formellement  dans  la  privation  de  la  conversion  surnaturelle 

(1)  Il  est  cerlaiD  que  si  la  pensée  de  sainl  Thomas  i^iaii  telle  que  le 
veut  M.  Scheeben,  le  sainl  docleur  n'aurait  pas  eu  l'idée  de  prouver 
par  la  qu'Adam  avail  hi  grâce.  Or,  il  a  voulu  le  prouver,  el  cela  nous 
suffit.  Maison  pourrail  doiiier  que  sa  preuve  .«oil  pérem.iloire,  f^ar 
Dieu  pouvait  donner  à  l'homme  l'intégrité  sans  la  grâ'  e,  et,  par  con- 
séquent, de  ce  qu'Adam  avail  la  première,  on  ne  peut  pas  conclure 
qu'il  avail  la  seconde.  Je  réponds  que  saint  Thomas  pose  en  principe 
que  la  soumission  de  la  raison  a  été  la  cause  de  relie  des  forces  infé- 
rieures, d'oi^i  il  suit  qu'elle  a  dû  être  surnaturelle,  si  celle-ci  l'élait. 
Mais  la  raison,  étant  déjà  .soumise  à  Dieu  naturellemcnl,  ne  pouvait 
l'éiresurnalurellemenlà  la  façon  des  forces  inférieures,  chez  lesquelles 
ce  privilège  a  pour  but  de  remédier  a  une  insoumission  naturelle. 
Saint  Thomas  a  donc  le  droit  de  sous-enlendre  que  la  soumission  de 
la  raison  ne  peut  êlre  surnaturelle  que  par  la  grâce. 


AOÛH863.]  ET   LE   PÉCHÉ   ORIGINEL.  135 

de  l'âme  vers  Dieu.  Ce  qui  explique  cet  axiome  de  saint 
Anselme,  qu'en  Adam  la  personne  a  vicié  la  nature,  et  qu'en 
nous  la  nature  vicie  la  personne.  Car,  en  Adam, la  perte  volon- 
taire de  la  grâce  a  mérité  la  perte  de  l'intégrité;  et  c'est  parce 
que  nous  recevons  une  nature  dépouillée  de  l'intégrité,  que 
nous  naissons  privés  de  tout  rapport  surnaturel  avec  Dieu.  Nous 
regrettons  d'abréger  ces  explications  du  savant  professeur, 
qui  ne  sont  elles-mêmes  que  le  résumé  des  travaux  plus  éten- 
dus auxquels  il  renvoie,  la  Dogmatique  de  Friedhof,  part.  2, 
p.  126;  celle  de  Berlage,  t.  4,  p.  231,  t.  5,  p.  241  ;  de  Rubeis, 
de  Pecc.  orig.;  Suarez,  Proleg.  IV  de  Grat.  (1). 

Article  V.  —  De  la  pleine  connaissance  du  dt^oit  naturel. 

Que  la  connaissance  des  premiers  principes  de  la  loi  natu- 
relle soit  due  à  la  nature,  ce  n'est  point  douteux.  Mais  en  est- 
il  de  même  de  toutes  leurs  conséquences  ?  Baïus  et  Jansénius 
le  soutiennent.  Notre  auteur,  au  contraire,  s'attache  à  démon- 
trer par  des  témoignages,  puis  par  le  raisonnement,  que 
l'homme,  dans  l'état  de  nature,  aurait  pu  être  sujet  à  l'erreur 
et  même  à  l'ignorance  invincible. 

L'argument  qu'il  emprunte  aux  conciles  et  aux  décrets  des 
Papes,  semble  à  première  vue  prouver  seulement  que  l'igno- 
rance invincible  d'un  point  de  la  loi  naturelle  excuse  du  péché. 
Mais  il  suit  de  là  que  Dieu  aurait  pu,  sans  être  l'auteur  du  péclié, 

(I)  M.  G.  Werner,  professeur  au  séminaire  de  Sa'nl-Pûellon,  en  Aii- 
triclie,  a  pubiit\  en  -1861,  un  livre  intitulé  :  Franz  Suarez^  nnd  die 
Schofaatik  der  letzten  Jafn  hunderle.  Dans  rénuméralion  qu'il  y  donne 
des  œuvres  de  Suarez,  il  cite  ï'O/jus  poslhumum,  ou  explications  contre 
le  jansénisme.  Oa  ne  conçoit  pas  trop  coniraenl  Suarez,  mort  en 
1G17,  aurait  réfuté  le  jansénisme,  Jansénius  étant  mort  en  1638,  el 
son  Jugiislinus  n'ayant  paru  que  deux  ans  plus  tard.  Mais  ce  qu'il  y 
a  de  plus  étonnant,  c'est  que  M.  Werner  nous  dit  que  cet  Opiis  poslhu- 
muni  se  trouve  dans  l'édition  de  Venise.  Nous  lui  serions  bien  reoon- 
niiissanl  de  nous  dire  où  il  a  puisé  l'indication  de  cet  ouvrage  ;  mai- 
gré  nos  recherches,  nous  ne  l'avons  vu  mentionné  nulle  part. 


i3G  DH-L'ÉTAT^DB,  NAT«!^K  [Tomi  VlII. 

créer  rhommedans  cette  ignorance  invincible,  ce  qui  renverse 
le  point  d'appui  auquel,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  le 
jansénisme  a  recours  dans  cette  question.  Les  autres  preuves 
d'autorité  qu'allègue  l'auteur  sont  moins  concluantes.  Il  cite 
d'abord  le  texte  de  la  Genèse  (c.  3,  v.  ])  :  Serpens  decepit  me. 
Mais  saint  Thomas  répond  que  la  femme,  avaul  d'être  trompée, 
avait  déjà  péciié  intérieurement;  de  sorte  que  d'elle  ou  ne  peut 
conclure  à  l'homme  innocent.  Quant  aux  textes  des  saints  Pères, 
comme  M.  Sclieeben  le  fait  remarquer,  beaucoup  de  ceux  que 
cite  l'auteur  n'établissent  que  la  gratuité  de  la  lumière  surna- 
turelle; mais  ils  ne  sont  pas  pour  cela  tout-à-fait  en  dehors 
de  la  question,  car,  en  attribuant  à  la  privation  de  cette  lumière 
l'ignorance  qui  a  suivi  le  péché,  ils  supposent  que  l'exemption 
primitive  de  cette  ignorance  n'était  pas  naturelle. 

Aux  objections  par  lesquelles  Janséjiius  tâche  de  tirer  à  lui 
saint  Augustin,  Casini  répond  que  ce  saint  Docteur  ne  voit  dans 
l'ignorance  qu'un  mal  physique,  et  qu'il  ne  s'en  sert  pour  prou- 
ver le  péché  originel,  qu'en  prenant  pour  point  de  départ  ce 
que  la  Révélation  nous  apprend  sur  l'état  primitif  de  l'homme. 
Reste  la  principale  objection,  qui  consiste  à  dire  que,  selon  saint 
Augustin,  l'ignorance  invincible  d'une  loi  naturelle  n'excuse 
pas  du  péohé;  d'où  il  suit  que  Dieu  n'a  pu  créer  l'homme  avec 
une  telle  ignorance. — Mais,  répond  Casini,  quand  même  saint 
Augustin  dirait  cela,  vous  n'en  pourriez  tirer  une  telle  conclu- 
sion. Car,  selon  vous,  si  l'ignorance  invincible  n'excuse  pas, 
c'est  parce  qu'elle  découle  d'un  péché  que  vous  prétendez  avoir 
été  volontaire  pour  nous  tous  en  Adam;  or,  cette  prétendue 
raison  n'existerait  pas,  si  l'ignorance,  au  lieu  de  venir  du  péché, 
avait  commencé  avec  notre  nature  (I  ).  D'ailleurs,  la  conclusion 


{\)  Casini  présente  ce  raisonnement  sous  une  forme  qui  nous 
paraît  moins  salisfaisanle.  Voici  ce  qui  remplace,  chez  lui,  noire  der- 
nière [ihrase  :  Ferum  eliamsi  komini,  ul  homo  est,  deberetur  legis 
naturalis  perfecta  notitia,  eamque  primits  homo  perceperit  ex  dono, 
non  ex  debito,  nihilominus  tamen  verum  est  ignorantiam  qua  modo 


Août  t8C3.|  ET   Dl!    Pî^CnÉ   ORlfilNEI..  -13*7 

fût-elle  bien  déduite,  il  est  certain  que  saint  Augustin  n'ensei- 
gne pas  le  principe.  Dans  les  passages  objectés,  il  parle  de 
l'ignorance  vincible,  et  soitvent  de  l'ignorance  de  la  loi  posi- 
tive. Et  ce  qu'il  appelle  peccatum  simul  et  pœna  peccati  n'est 
pas  toujours  un  mal  moral. 

Nous  regrettons  d'avoir  à  signialer,  ici  encore,  des  fautes 
considérables.  L'auteur  cite  un  passage  de  saint  Augustin  où 
il  est  dit  que  l'ignorance  n'excuse  pas,  et  où  il  s'agit  évidem- 
ment de  l'ignorance  de  l'Evargile  ;  puis  il  continue  :  Locus  hic 
igitur,  si  de  ignorantia,  qux  vinci  nequit,  est  serrno,  maxime  ferit 
Jansenium,  qui  lib.  6  de  St.  nat.  laps.  c.  6.5,  dum  contendit  igno- 
ranliam  juris  divini  invincibilem  a  peccato  immunes  homines  non 
reddere,  exemplum  statuit  in  infidelibus  Christi Evangelium  invin- 
cibiliter  ignorantiOus,  atque  ait,  non  audisse  Evangelium  Christi, 
satis  non  esse,  ut  excusationem  habeant  de  sua  infidelitate  gen- 
tiles.  Quare  suo  ipsemet  gladio  conficitur.  Or,  Jansénius  dit  pré- 
cisément le  contraire  de  ce  qu'on  lui  prêle  ici,  de  sorte  qu'il 
faut,  homines  reddere,  au  lieu  de  homines  non  reddei^e,  et  satis 
esse,  au  lieu  de  sads  non  esse.  Il  est  d'autant  plus  étonnaînt 
qu'une  telle  altération  ait  passé  inaperçue,  qu'elle  rend  inin- 
telligible tout  un  paragraphe  ;  car,  pour  que  Jansénius  se  réfute 
lui-même,  il  faut  qu'il  ait  dit  le  contraire  de  ce  qu'il  fait  di*è 
à  saint  Augustin.  En  outre,  eût-il  été  impossible  de  consulter 
le.«  œuvres  de  Janséuius,  on  devait  se  rappeler  la  p.  208,  où 
son  opinion  a  été  fidèlement  rapportée.  Ajoutons  que  l'indi- 
cation /.  6,  de  St.  nat.  laps,  est  inexacte.  Jansénius  n'a  que 


obruimtir,ea  ex culpa  fluxisse^qua  obstricH  singuli  nascimur,  Çutire, 
quod  iynn-anlia  hujusmo'/i  nunquamnos  salis  excusct,  ttt  sentit  Jan- 
sénius, cum  eo  nexum  non  est,  quod  homini,  ut  homo  est,  deberetur 
-tam  perftcla  notitia.  Ceux  qui  voudront  faire  rt^irorl  nécessaire  pour 
saisir  le  seiis  de  ce  pa-sage,  demeurpronl  convaincus  qu'il  faut  ajouter 
«on  avant  le  premier  debertiur.  Mais  avec  celle  correction  même,  on 
devine  plutôt  qu'on  ne  voil  la  pensée  de  l'écrivain. 


in8  DE   l'état   de  nature  ITome  VlII. 

quatre  livres  sur  l'état  de  nature  déchue^,  et  le  passage  dont  il 
s'agit  est  tiré  du  deuxième  (l). 

Dans  sa  démonstration  rationnelle^  l'auteur  part  de  ce  prin- 
cipe, qu'à  s'en  tenir  aux  lois  de  la  nature,  l'homme  n'acquiert 
la  science  habituelle  que  par  les  actes,  et  qu'il  ne  peut  rien 
connaître  sans  recevoir  les  impressions  des  objets  sensibles. 
Donc,  à  moins  d'un  privilège  extra-naturel,  il  ne  pouvait  avoir 
au  moment  de  sa  création  la  connaissance  du  droit  naturel, 
et  cette  connaissance,  même  après  de  longues  études,  n'eût  pas 
été  parfaite,  tant  sont  variées  et  nombreuses  les  notions  qu'elle 
devrait  embrasser  pour  être  telle. 

En  outre,  il  arrive  souvent  que  dans  un  problème  de  mo- 
rale, les  premiers  principes,  n'intervenant  que  par  des  con- 
séquences éloignées,  semblent  favoriser  également  les  deux 
partis  ;  et  quand  même  la  balance  pencherait  un  peu  d'un  côté, 
l'intelligence  pourrait  encore  se  méprendre  sous  l'empire  du 
libre  arbitre. 

On  objecte  que  Notre  Seigneur  a  pu  prendre  la  nature  hu- 
maine avec  les  seules  facultés  qui  en  sont  l'apanage  ;  or,  il  n'a 
pu  la  prendre  avec  l'ignorance  du  droit  naturel.  —  La  réponse 
est  facile.  En  prenant  notre  nature,  il  l'élève  au-dessus  de  ce 
qu'elle  était,  et  la  délivre  des  défauts  qui,  comme  l'ignorance 


(1)  Ces  fautes  sont  regrettables;  mais  il  s'en  commet  tous  les  jours 
de  pires,  et  s.ins  l'excuse  de  matières  abstraites.  Ainsi,  dans  une  leUrc 
inédile  de  Bossuet,  publiée  par  les  Archives  Ihéologiques  (janvier 
-1863),  et  contenant  ua  plan  d'éludés,  le  paragrai  be  relatif  à  la  lilur- 
gie  commence  ainsi  :  «  Le  faux  Denys  d"Halicarnasse  ;  c'esl  son  meil- 
leur ouvrage.  »  Comment  ne  s'esl-oa  pas  aperçu  qu'au  lieu  de  : 
d'Halicarnasse,  il  faut  de  Eccleslastica  hierarchia  ?  Les  mots  qui 
suivent  supposent  éviiieramenl  qu'on  vient  de  citer  un  titre,  et  l'on  ne 
pouvait  indiquer  en  cet  endroit  que  l'ouvrage  liturgique  de  saint  Denis. 
Nous  altendons  avec  confiance  la  vérification  q  le  l'on  fera  sur  le  ma- 
nuscrit, et  pour  récompense  de  la  présente  rectification,  nous  deman- 
dons que  l'on  veuille  bien  faire  savoir  au  public  où  l'on  a  trouvé  ce 
précieux  autographe. 


AOÙM863.]  ET  DU    PtCHÉ   ORIGINEL.  139 

et  la  rébellion,  sont  incompatibles  avec  une  élévation  si 
grande. 

Jansénius  objecte  encore  que  l'ignorance  du  droit  naturel  est 
une  peine  du  péché,  tandis  qu'il  n'en  est  pas  de  même  de 
l'ignorance  du  droit  positif.  Mais  cela  est  faux.  Jansénius  avoue 
lui-même  que  toute  misère  est  peine  du  péché  (1.  3  de  St.  nat. 
pur.,  c.  10)  ;  or  l'ignorance  de  l'Évangile  chez  les  infidèles, 
qu'il  avoue  ailleurs  (1.  2  de  St.  nat.  lap.,  c.  5)  être  une  igno- 
rance de  droit  positif,  est  un  grand  mal.  C'est  donc  aussi  un 
châtiment  du  péché. 

Enfin,  on  objecte  que  la  nature,  pour  atteindre  sa  fin,  doit 
connaître  ce  qui  peut  l'y  conduire  ou  l'en  écarter.  Mais  cette 
objection  n'est  pas  plus  fondée  que  les  précédentes.  Il  a  été 
prouvé  que  cette  connaisance  parfaite  est  au-dessus  des  forces 
de  la  nature  ;  et  d'ailleurs,  elle  n'est  pas  nécessaire,  car  il  suffit 
qu'on  ne  fasse  jamais  le  mal  qu'en  croyant  bien  faire.  Aussi  la 
révélation  surnaturelle  elle-même  ne  nous  préserve-t-elle  pas 
absolument  de  l'ignorance  invincible  en  matière  de  droit  na- 
turel. 

Article  VI.  —  Que  la  sainteté,  ainsi  que  les  vertus  et  les  actes 
qu'elle  comprend,  ne  sont  pas  dus  à  la  nature. 

L'argument  d'autorité  commence  par  des  textes  bibliques 
que  M.  Scheeben  résume  etfait  valoir.  L'Écriture  sainte,  dit-il, 
nous  appelle  dieux,  et  fils  de"  Dieu  par  adoption  ;  elle  dit  que 
nous  participons  à  la  nature  divine.  C'est  assez  indiquer  une 
dignité  qui  nous  élève  au-dessus  de  notre  nature.  Si  l'adoption 
seule  nous  fait  enfants,  ce  n'est  pas  le  péché  seul  qui  nous  fait 
esclaves.  Ou  plutôt,  il  ne  nous  fait  esclaves  que  du  démon,  car 
toute  créature  est  naturellement  esclave  de  Dieu.  D'ailleurs 
l'Écriture  sainte  répète  souvent  que  la  sainteté  est,  à  un  titre 
particulier,  un  don  divin. 

Suivent  de  nombreux  passages  des  saints  Pères,  dont  le  sens 


iAO  DE   l'état    de   nature  [Tomo  VIII. 

est  que  la  grâce  qui  nous  fait  eufants  de  Dieu  n'est  pas  due  à 
la  nature.  La  version  latine  d'un  passage  de  saint  Cyrille  pour- 
rait seule  faire  difficulté;  elle  est  ainsi  conçue:  Pro  naturali 
dig;aitate  gratix  bonum  consecuti.  Mais  ce  pro  répond  à  avtî,  de 
sorte  que  le  sens  est,  qu'au  lieu  d'avoir,  par  droit  de  nature, 
comme  Jésus -Christ,  la  filiation  divine,  nous  Tavons  par 
grâce. 

M.  Scheeben  a  rangé  sous  certains  chefs  toutes  les  considéra- 
tions par  lesquelles  les  saints  Pères  établissent  la  gratuité  de 
notre  filiation  divine.  i°  D'abord  ils  vont  jusqu'à  dire  queuous 
sommes  déifiés,  et  qu'il  n'est  pas  étonnant  que  nous  devenions 
dfis  dieux,  puisque  Dieu  est  devenu  homme  :  ce  qui  n'est  vrai 
qu'à  condition  de  sous-entendre  que  nous  ne  pouvons  arriver 
à  l'union  hypostatique.  2»  Ils  appellent  notre  élévation  par  la 
grâce  une  nouvelle  et  céleste  naissance,  et  disent  qu'à  l'inverse 
du  Verbe  dont  la  première  génération  est  divine,  et  la  seconde,, 
hiunaine,  nous  naissons  d'abord  de  l'homme,  et  secondement 
de  Dieu.  3°  Ils  font  consister  notre  participation  à  la  nature 
divine  en  ce  que  nous  vivons  delà  vie  de  Dieu,  et  Taimous 
de  la  même  charité  dont  il  s'aime.  4°  Outre  la  bonté  essentielle 
àfcla,  nature,  ils  affirment  une  autre  bonté  que  le  Saint-Esprit, 
seul  donne  ;  et  outre  les  actes  naturels,  d'autres  actes,  seuls 
méritoires  du  ciel,  et  dont  la  nature  est  radicalement  incapable, 
nouTseuiement  parce  qu'elle  est  déchue,  mais  parce  qu'elle  est 
créée.  S"  Ils  conapaTfent.n.otre  élévation  par.  la  grâce  à  l'éléva- 
tion de  rhuinauité  du  Sauveur  par  l'union  hypostatique. 
6^  Ils  disent  que  notre  nature  est  comme  transformée  en  la 
nature  divine,,  sans  confusion  des  substances,  prodige  qu'ils 
t^phent  de  rendre  intelligible  par  l'exemple  du  fer  rouge,  et. 
d^  l'air  illuminé.  M,  Scheeben  cite  à  cette  occasion  un  magni- 
fique passage  du  traité  de  saint  Bernard  De  Diligendo  Deo,c.  10, 
passage  dont  les  principales  idées  se  retrouvent  dans  Scot 
Erigène.  Quelque  utile  que  soit  ce  classement  des  textes,  il  y  a 
phw.de  profit  eflippre  à,  les  lire  dans  leur  intégrité.  Ils  peignent 


Août  1863.]  ET  DU  PÉCHÉ   OBIGINEL.  Hl 

SOUS  de  si  vives  couleurs  le  privilège  des  enfants  de  Dien,  que 
cette  lecture  a  été  pour  nous  une  jouissance  délicieuse.  Nous 
prédisons  à  ceux  qui  auront  la  consolation  de  goûter  ces  mor- 
ceaux choisis^  qu'indépendamment  des  Pères  plus  célèbres,  ils 
prendront  la  résolution  de  lire  les  œuvres  de  saint  Cyrille 
d'Alexandrie  et  de  saint  Fulgence. 

Cependant,  Bains  et  Jansénius  objectent  que,  selon  saint 
Augustin,  le  manque  de  charité  est  un  vice  de  la  nature  {de  Civ., 
1.  XXII,  c.  î,  n.  2).  Casini  répond  que  les  propositions  de  ce 
genre  doivent  s'entendre,  ou  d'une  nature  sanctifié^î  par  la 
grâce,  ou  d'une  charité  purement  naturelle.  —  Les  mêmes 
allèguent  encore  des  textes  dans  lesquels  saint  Augustin  af- 
firme que  les  enfants  morts  sans  baptême  auraient  droit  à 
l'adoption  divine,  s'ils  n'étaient  coupables  du  péché  originel. 
La  réponse  est  qu'il  ne  s'agit  là  que  de  l'ordre  de  choses 
actuellement  existant. 

L'argument  de  raison  est  très-court  ;  il  se  résume  ainsi  : 
1°  L'homme  est  naturellement  esclave  de  Dieu  ;  or,  tout  maître 
est  libre  de  ne  pas  adopter  \m  esclave  pour  son  fils  ;  2"  Dieu 
peut  donner  à  l'homme  innocent  quelque  chose  qu'il  ne  lui 
doit  pas  ;  or,  s'il  lui  doit  la  déification,  quel  bien  supérieur  esf-il 
libre  de  lui  refuser?  L'union  hypostatique  serait  alors  la  seule 
grâce  possible,  ce  que  les  Écritures,  les  Conciles  et  les  Pères 
aous  interdisent  de  penser  ;  3°  nous  allons  voir  que  la  béatitude 
céleste  est  au-dessus  de  la  nature  ;  donc,  il  en  est  de  même  de 
ce  qui  rend  capable  d'y  parvenir;  4»  enfin,  la  nature  aujourd'hui 
est  absolument  incapable  de  faire  par  elle-même  aucune  œuvre 
sainte  ;  or  si  elle  en  était  naturellement  capable,  la  déchéance 
le  lui  eût  rendu  difficile,  mais  non  impossible. 

Les  adversaires  objectent  que  toute  action  qui  n'est  pas 
inspirée  par  la  charité  est  mauvaise.  Mais  il  est  facile  de  com- 
prendre que  cela  est  faux,  même  de  la  charité  naturelle  ;  car 
il  n'est  pas  nécessaire  que  nos  actions  soient  rapportées  à  Djeu 
à  chaque  moment  ;  il  suffit  qu'elles  puissent  i'ètre,  c'est-â-dira 


142  DE   l'état   de   nature  [Tome  vil 

qu'elles  ne  soient  mauvaises  ni  dans  l'objet  matériel,  ni  dans 
robjet  formel,  ni  dans  le  mode,  et  qu'elles  ne  soient  pas  pro- 
hibées. D'ailleurs,  le  concile  de  Trente  a  décidé  qu'ap;ircn  vue 
de  !a  récompense  éternelle,  ou  par  la  crainte  de  l'enfer,  n'est 
pas  blâmable. — On  objecte  encore  que,  sans  la  charité,  l'homme 
ne  peut  résister  à  ses  passions.  De  ce  que  cela  est  impossible, 
répond  Casini,  dans  les  moments  où  les  passions  bouillonnent, 
on  ne  peut  conclure  que  l'homme  ne  puisse  jamais  rien  faire 
de  bien  sans  la  charité;  car  les  passions  ne  sent  pas  toujours 
en  effervescence.  11  semble  nécessaire  d'ajouter,  pour  compléter 
cette  réponse,  que  dans  les  moments  d'effervescence,  un  se- 
cours divin  de  l'ordre  naturel  serait  suffisant. 

Article  VII.  —  De  la  Béatitude  céleste. 

Les  Pères,  commentant  les  textes  bibliques  sur  l'invisibilité 
de  Dieu,  enseignent  si  clairement  que  la  béatitude  céleste 
n'est  pas  due  à  lanature,  quebeaucoupd'eutreeux,  pour  avoir 
dit  cela,  ont  été  accusés  de  nier  la  possibilité  de  la  vision  intui- 
tive. Casini  venge  de  ce  reproche  saint  Denys  l'Aréopagite, 
saint  Iréuée,  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  saint  Basile,  saint 
Grégoire  de  Nazianze,  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Ambroise, 
saint  Épiphane,  saint  Chrysostôme,  saint  Jérôme,  saint  Cyrille 
d'Alexandrie,  saint  Eucher,  Primase,  saint  Isidore  de  Séville. 
11  renonce  à  justifier  Origène,  Titus  de  Bostre,  Gennade, 
Théodoret,  Basile  de  Séleucie,  Anastase  le  Sinaïte,  CEcume- 
nius,  Théophylacte,  Euthyme,  l'homélie  de  Deipara  et  le  dia- 
logue sur  la  Trinité,  faussement  attribués  à  saint  Atlianase. 
Les  Pères  ne  sont  pas  moins  formels  en  commentant  les  pas- 
sages ^«^e  serye  bone,  etc.,  et  Servi  inutiles  sumus.  Ils  montrent 
que  la  béatitude  n'a  le  caractère  de  dette,  qu'à  raison  de  la 
promesse  de  Dieu. 

En  citant  les  décrets  d'un  grand  nombre  de  conciles  qui 
tiennent  le  même  langage,  l'auteur  s'exprime  ainsi  :  Auxilia 


f 


Août  1863.]  ET  DU  PÉCHÉ   ORIGINEL.  <43 

igïtar  ad  salut em  necessaria,  velin  statu  ipso  innocent ix  gratinta^ 
et  quod  consequens  est  non  débita  erant,  nam  si  ex  debito^jam  non 
ex  gratin.  Cela  peut-il  bien  s'accorder  avec  le  texte  de  saint 
Augustin  qu'il  cite  cinq  pagRs  plus  loin  :  Si  autem  hoc  adjuto- 
rium  vel  angelo  vel  homini  cum  primum  facti  sunt  defuisset, 
quoniam  non  talis  natura  facta  erat,  ut  sine  divino  adjutorio  pos- 
set  manere  si  vellet,  non  utique  sua  culpa  cecidissent  ;  et  avec  ce 
que  l'auteur  dit  lui-même,  à  la  p.  343,  en  parlant  de  la  grâce 
dans  l'état  d'innocence  :  Quamvis  homini,  ut  homo  est,  non  de- 
beretur  [gratia],  eidem  tamen  debebatur  ut  ad  finem  supernntura- 
lem  evecto;  neque  enim  potuit  Deus  homini,  qxiem  ad  eum 
finem  exlulerat,  opes  illas  atque  auxilia  denegare  sine  quitus 
finem  illum  adipisci  plane  non  potuisset.  Que  ces  propositions 
diverses  de  Casini  puissent  se  concilier,  ou  qu'elles  manquent 
de  précisiun,  sa  pensée  est  irréprochable;  elle  n'est  au!re  que 
celle  qu'expose  M.  Scheeben,  récapitulant  ici  encore  les  cita- 
tions empruntées  à  l'Ecriture  sainte  et  aux  Pères.  Le  bonheur 
céleste,  dit-il,  est  gratuit,  non  seulement  parce  que  la  grâce  qui 
le  mérite  est  donnée  gratuitement,  mais  encore  parce  que 
cette  grâce,  quoiqu'y  étaut  proportionnée,  ne  le  mériterait  pas 
sans  une  promesse  de  Dieu,  Ensuite,  ce  bonheur  étaut  un  hé- 
ritage, c'est-à-dire,  une  participation  des  droits  du  Fils  naturel 
de  Dieu,  est  encore  plus  au-dessus  de  la  nature  que  l'adoption 
et  la  régénération  par  la  grâce  sanctifiante.  Enfin,  les  noms  de 
royaume  des  cieux  et  de  vie  éternelle,  distingués  à  tort  par 
les  pélagiens,  et  les  noms  de  salut,  de  gloire,  de  ciel,  de  béati- 
tude, bien  que  pouvant  par  eux-mêmes  signifier  un  bonheur 
naturel  soit  aux  hommes,  soit  aux  anges,  signifient  évidem- 
ment, dans  les  Écritures  et  dans  les  Pères,  une  félicité  qui  n'est 
autre  que  celle  de  Dieu,  gaudium  Dominitui,  et  qui,  par  consé- 
quent, est  infiniment  au-dessus  de  toute  faculté  créée. 

On  objecte  que  saint  Augustin  semble  dire  que  la  nature 
déchue  est  indigne  du  ciel,  mais  que  la  nature  innocente  le 
méritait.  — Erreur  !  Saint  Augustin  affirme  souvent  le  mérite. 


144  DE   l'état   de    nature  [TomeVîH. 

même  pour  la  nature  déchue,  et  ici,  de  l'aveu  des  adversaires, 
le  mérite  n'exclut  point  la  grâce.  Donc,  la  nature  innocente 
peut  aussi  mériter  le  ciel,  sans  y  avoir  droit  par  elle-même. 
Toute  la  différence  qu'établit  saint  Augustin  entre  l'état  d'in- 
nocence et  !a  nature  déchue,  c'est  qu'aujourd'hui  nous  démé- 
ritons le  ciel,  et  que  la  grâce  nous  tire  de  plus  bas.  L'auteur 
fait  ici  un  intéressant  parallèle  entre  la  grâce  primitive,  et 
la  nôtre.  —  On  tire  encore  de  saiut  Augustin  une  objection 
analogue  à  la  deuxième  de  l'article  précédent.  Le  saint  docteur, 
dit-on,  argumentant  contre  les  pélagiens,  dit  que  les  enfants 
morts  sans  baptême  auraient  droit  au  ciel,  si  la  tache  origi- 
nelle ne  leur  en  fermait  l'entrée.  —  Il  est  clair  que  saint  Au- 
gustin n'a  pu  dire  cela.  Affirmant,  comme  il  le  fait,  que 
l'adulte  le  plus  vertueux  ne  peut  sans  la  grâce  mériter  le  ciel, 
comment  croirait  il  que  l'enfant  peut  le  mériter  sans  ri  m  faire? 
Il  s'appuie  donc  sur  ce  principe  que,  par  un  décret  de  la  Pro- 
vidence, nul  n'est  privé  du  ciel  que  par  suite  d'un  péché;  d'où 
il  suit  que  les  pélagiens,  rejetant  le  péché  originel,  sont  incon- 
séquents de  refuser  aux  enfants  morts  sans  baptême  le  royaume 
des  cieux.  Et  avec  cette  preuve  d'autorité,  il  oppose  aux  péla- 
giens un  argument  adhominem.  Vous  prétendez,  leur  dit-il,  que 
l'adulte  peut  mériter  le  ciel  par  ses  seules  forces  ?  Pourquoi 
donc  l'enfant,  qui  ne  peut  le  mériter,  ne  l'obtiendrait -il  pas  à 
titre  d'héritage,  quand  même  il  n'aurait  pas  reçu  le  baptême, 
puisque  selon  vous  il  a  l'innocence,  et  une  nature  capable 
de  mériter  ce  bonheur? 

Une  troisième  objection  se  tire  du  texte  de  saint  Céleslin 
que  nous  avons  cité  et  expliqué  plus  haut. 

On  eût  aimé  à  voir  l'auteur  discuter  ici  le  fameux  texte  de 
saint  Thomas  sur  le  désir  naturel  de  la  vision  intuitive,  texte 
qui  a  tant  préoccupé  les  commentateurs,  et  qui  a  donné  lieu  à 
de  si  intéressantes  controverses. 

L'argument  de  raison  s'appuie  uniquement  sur  ce  que 
l'homme  est  naturellement  esclave  de  Dieu,  tandis  que,  pour 


AmiUSSS.l  ET   DU    PÉCHÉ    ORIGfNEL.  H'. 

jouir  de  la  vision  intuitive,  il  faut  participer  à  la  nature  divine. 
A  des  objections  fondées  sur  ce  que  la  fm  naturelle  de  l'homme 
doit  être  la  pleine  contemplation  de  Dieu,  et  sur  ce  que  la  na- 
ture innocente  ne  peut  être  éternellement  condamnée  au 
malheur  d'être  privée  de  la  vision  divine,  l'auteur  oppose  la 
possibilité  d'une  contemplation  naturelle  de  Dieu. 

Conclusion. 

Il  est  à  regretter  que  le  P.  Casini  n'ait  pas  exécuté  la  se- 
conde partie  qu'il  avait  annoncée.  Ce  qu'elle  devait  contenir 
nous  est  révélé,  au  moins  partiellement,  par  quelques  indica- 
tions, quelques  renvois  de  l'auteur.  Après  avoir  parlé,  dans  le 
travail  dont  nous  venons  de  terminer  l'analyse,  de  ce  que  les 
jansénistes  ont  tort  d'attribuer  à  la  nature,  il  voulait  parler  de 
ce  qu'ils  ont  tort  de  lui  refuser  (p.  24).  11  aurait  démontré: 
loque  le  libre  arbitre  est  dû  'i  la  nature,  et  que,  par  conséquent, 
il  demeure  dans  l'homme  après  la  chute,  puisiiuc  ci-lle-ci  ne 
nous  a  pas  dépouillés  de  ce  qui  est  dû  à  la  nature  (p.  293); 
2'»  que  le  libre  arbitre  aurait  suffi  avec  un  secours  naturel  divin 
pour  vaincre  la  concupiscence  et  faire  le  bien  dans  l'état  de 
•nature  pure  (p.  131),  d'autant  plus  qu'alors  le  penchant 
de  l'homme  pour  les  biens  sensibles  n'eût  pas  été  aussi  impé- 
tueux qu'aujourd'hui  (p.  144,  146,  195)  ;  3°  que  dans  l'état  de 
nature,  l'homme  aurait  pu  aimer  Dieu  d'un  amour  naturel,  et 
que,  pour  faire  une  bonne  œuvre,  il  n'eiit  pas  même  eu  besoin 
d'être  mû  actuellement  par  cet  amour,  l'espérance  et  la  crainte 
sufîisaut  pour  cela  (p.  300)  ;  4"  que  l'ignorance  invincible  de 
Itt  loi  naturelle  eût  excusé  du  péché  (p.  213,  217,  22!)  ;  5°  que 
*aint  Augustin  donne  le  nom  de  peccatum  simul  et  pœna  peccati 
à  plusieurs  choses  que  Janséoius  avoue  n'être  pas  des  péchés 
■proprement  dits  (p.  227). 

Notre  sèche  analyse  ne  fait  connaître  qu'imparfaitement 
l'ouvrage  de  Casini.  Puisse-t^lle  au  mains  engager  à  le  lire  ! 


146  DU  l'état  de  nature  [TomeVUI. 

Il  va  plus  à  ga^nor  dans  un  tel  livre  que  dans  une  douzaine  de 
ces  écrits  apolotJîétiques  faits  à  la  hâte  qui  paraissent  et  dispa- 
raissent chaque  anuée.  Ceux  qui  se  nourriront  de  celte  forte 
doctriae,  discerneront  au  premier  coup  d'œil,  dans  les  pages 
des  écrivains  modernes  sur  le  péché  originel,  beaucoup  d'inex- 
actitudes et  d'incohérences. 

Autrefois,  même  en  évitant  de  mettre  avec  Jansénius  un 
abîme  entre  l'état  naturel  de  l'homme  et  l'état  de  déchéance, 
on  exagérait,  au  moins  dans  l'expression,  les  effets  de  la  chute. 
Les  anciens  catéchismes  qui  disent  que  nous  naissons  véritable- 
ment pécheurs,  et  les  anciens  rituels  qui  disent  :  L'enfant  que 
vous  apportez  inérite  la  damnation  éternelle,  contiennent  certai- 
nement la  vérité  ;  mais  en  écoutant  ou  en  répétant  ces  formules, 
beaucoup  se  figuraient  que,  selon  l'enseignement  de  l'Église, 
les  enfants  non  baptisés  sont  dans  le  même  état  que  l'homme 
coupable  d'un  péché  mortel  actuel,  et  qu'ils  endurent  dans 
l'autre  vie  des  peines  physiques.  On  a  senti  la  nécessité  d'une 
réforme  dans  le  langage  catéchétique;  mais  n'a-t-ou  pas  été 
tro])  loin  dans  le  sens  contraire?  Ceux  qui  se  bornent  à  dire 
que  nous  sommes  victimes  de  la  faute  d'Adam,  n'arrivent-ils 
pas  à  une  assimilation  excessive  de  la  nature  déchue  avec  la 
nature  pure?  A  voir  tous  les  efforts  que  Ton  fait  aujourd'hui 
pour  ne  pas  effaroucher  la  raison,  et  la  tournure  plausible  que 
l'on  donne  au  péché  originel,  il  y  a  souvent  lieu  de  se  deman- 
der: Où  est  donc  le  mystère  ? 

Sans  doute  il  faut  reconnaître  que  la  chute  nous  a  privés 
seulement  des  dons  gratuits;  que  Dieu  eût  pu  faire  l'homme 
tel  qu'il  naît  aujourd'hui;  qu'il  eût  pu  le  faire,  non  seulement 
soumis  à  la  douleur,  comme  l'entend  le  P.  Lacordaire,  mais 
avec  le  penchant  au  mal,  comme  le  prouve  si  clairement  le 
P.  Casini.  Mais  il  faut  proclamer  en  même  temps  que 
l'homme  naît  avec  une  souillure,  une  tache,  un  péché  h;tbituel 
qui  n'est  pas  la  suite  naturelle  du  péché  d'Adam,  et  qu'on  ne 
peut  expliquer  sans  un  décret  divin  statuant  que  nous  ne  se- 


Août  1863,]  ET  DU   PÉCHÉ  ORIGINEL.  -147 

rions  dans  l'ordre  et  dans  Tinnocence  que  par  la  grâce,  la  vie 
surnaturelle,  et  que  nous  n'aurions  la  grâce  en  naissant  que  si 
Adam  ne  la  perdait  pas  (I)  ;  il  faut  proclamer  en  outre  que  la 
preuve  du  péché  originel  par  l'état  acluel  de  notre  nature 
n'est  pas  un  sophisme,  et  qu'on  ne  peut  la  rejeter  sans  donner 
un  démenti  aux  plus  célèbres  des  saints  docteurs,  des  théo- 
logiens et  des  apologistes.  Saint  Thomas  lui-môme,  quoiqu'il 
ne  fasse  consister  le  péché  originel  que  dans  la  privation  de  la 
justice,  et  qu'il  suppose,  par  conséquent,  que  Dieu  eût  pu  créer 
l'homme  avec  les  misères  présentes,  s'exprime  en  ces  termes 
dans  un  chapitre  extrêmement  remarquable  de  la  Somme 
contre  les  Gentils^.  4,  c.  52)  :«  Ainsi  quoiqu'absolument  parlant 
ces  défauts  paraissent  être  naturels  à  l'homme,  quand  on  con- 
sidère la  nature  humaine  par  son  côté  inférieur,  cependant,  eu 
égard  à  la  Providence  de  Dieu  et  à  la  dignité  de  la  partie  su- 
périeure de  la  nature  humaine,  on  peut  prouver  avec  assez  de 
probabilité  que  ces  défauts  ont  un  caractère  pénal  ;  et  ainsi 
on  peut  conclure  que  le  genre  humain  a  été  vicié  par  un  péché 
originel  (2).  » 

(^)  Elsi  labes  originalis  cum  ipsa  nalura  propagetnr,  sufficiens 
Uinen  illius  propagandae  ralio  neque  in  nalurali  propagaiioiiis  lege, 
neqi:e  in  alia  qua(»iam  causa  mère  pliysiia  reponi  polCsl. (P.Schrader, 
Thtses  lh(o'og!Cœ.  Friboiirg,  J862,  p.  4S.) 

(2)  Vu  l'uiiporianie  de  re  passage,  nous  croyons  faire  plaisir  à  nos 
lecieiirs  t-n  le  leur  int^it^nl  sous  les  yeux  inlégralemerit  : 

Prsemillfnilurn  est  quoil  peccali  originalis  in  buniano  genire  pro- 
babililer  qnaedam  signa  apparent.  Quuni  enitn  Deus  bumanorum  ac- 
tuum  sic  curam  gerat  ni  bonis  operibus  praemium  el  maiis  pœnam 
rétribuât,  ut  in  superioribus  est  ostensum,  ex  ipsa  pœna  possumus 
cerlifu-ari  de  culpa  Palilur  aulein  coramuniler  humaoum  genus  di- 
vcrsas  pœnas  el  corporalfS  el  spiriluales.  Inler  corporales  poiissima 
est  mors,  ad  quaui  «nmes  aliae  lenduni  el  ordinanlur,  scilicet  famés, 
sitis  el  alla  biijusraodi.  Inter  spiriluales  aulem  esl  poiissima  débilitas 
rationis,  ex  qua  coniingil  quod  bomo  difliculter  pervenil  ad  veri  co- 
gnilionem,  et  de  facili  labilur  in  errorem,  el  appetiius  bestiales  oni- 
ninosuperaie  non  polesf,  sed  mullolies  obnubilatur  ab  eis. 

Posset  laraeii  aliquis  dicere,  hujusraodi  defecius,  tam  corporales 


1^8  DE    l'état   de   nature  (ToineVIJI. 

Ainsi  Dieu  eût  pu  nous  faii'e  tels  que  nous  sommes  ;  cepen- 
dant, quand  on  considère  ce  que  nous  sommes,  on  peut  conclure 
que  ce  n'est  pas  Dieu  qui  nous  a  mis  dans  cet  état.  Ces  deux 
propositions  s'appuient  l'une  et  l'autre  sur  la  tradition,  et  nous 
regrettons  que  la  difficulté  de  les  concilier  ait  porté  M.  Sclieeben 
à  sacrifier  la  seconde  (p.  14  et  passirn).  Quand  on  ne  verrait 
pas  le  moyen  de  les  concilier,  il  faudrait  les  admettre  ensemble 
comme  tant  d'autres  vérités  incontestables,  dont  nul  homme 
sensé  ne  doute,  quelque  contradictoires  qu'elles  semblent. 
Mais  ici  la  conciliation  n'est  pas  impossible.  On  a  vu  que  saint 
Thomas  l'a  essayée  en  ayant  recours  à  l'ordre  actuel  de  la 
Providence.  D'autres  auteurs,  dans  le  même  but,  disent  que  la 
coucupiscence,  dans  l'état  de  nature  pure,  eût  été  moins  forte 
qu'aujourd'hui,  ou  du  moins  qu'elle  eût  été  tempérée  chez 
tous  comme  elle  l'est  ma'ntenant  chez  quelques  uns  ;  que  l'a- 
version de  Dieu,  qui  constitue  le  péché  originel,  rend  le  bien 

quam  spiritiiales,  non  esse  pœnales,  seil  naiurales  déferlas  ex  neces- 
silale  maleria»  conséquentes.  Necesse  esl  enim  corpus  Uamanura, 
cum  sii  ex  coairariis  composilura,  corruptibile  esse,  el  sensibilem  ap- 
peiiium  in  ea  quœ  sunl  secundum  sensum  deleciabilia  moveri,  quae 
interdum  sunl  coolraria  rationi..  .. 

Sed  lamen,  si  quis  recle  considerei,  salis  probabiliier  poieril  aesti- 
mare,  divina  proviilentia  supposila,  qiise  singulis  perfeclionibiis  coa- 
grua  peifertibilia  coaptavit,  quod  Deus  superiorem  naluram  infiriori 
ad  hoc  conjunxil  ul  ei  dominarelur,  et  si  quod  hujus  dominii  iinpe- 
dimenlum  ex  defeclu  nalurse  contingerel,  ejus  speciaii  el  supernalu- 
rali  benefuio  lollerelur  ;  ni  scilicei,qiium  anima  raiionaîis  sii  aliioris 
nalurse  quam  corpus,  lali  condiiione  cre  lalur  corpori  esse  conjumia, 
quod  in  rorpore  aiiquid  esse  non  possil  conlrariura  animse  per  quara 
corpus  vvil,  et  similiier  si  raiio  in  homine  appeiiiui  sensurili  conjun- 
gilur  el  aiiis  sensilivis  poleniiis,  quod  ralio  a  sensitivis  po'eniiis  non 
irapedialur,  sed  magis  eis  dominelur...  Sic  igilur,  liujusmoUi  deleclus 
quanivis  nalurales  homini  videanlur  absoiuie,  considerando  huirianam 
naluram  ex  parle  ejus  quod  esl  in  ea  infonus,  lamen,  considerando 
diviaam  providenliain  el  dignilalem  superioris  partis  haraanee  nalu- 
rse, satis  probnbdiler  probari  polesl  hujusmoJi  defeelus  esse  pœuales^; 
el  sic  colligi  polesl  bumaauin  geaus  peccalo  aliquo  originaliier  esse 
infeclum. 


Août  1863.1  KT   DU   PÉCHÉ  ORIGINBL.  H9 

plus  difficile  ;  que  nous  méritons,  en  naissant,  la  privation  des 
secours  mêmes  que  Dieu  nous  devrait  dans  l'état  de  nature; 
que  la  chute  nous  a  rendus  les  esclaves  du  démon,  et  lui  a 
donné  plus  de  pouvoir  pour  tenter.  Notre  intention  n'est  pas 
de  faire  maintenant  la  critique  de  ces  opinion?,  contestées, 
sauf  la  dernière,  par  des  théologiens  éœinents;  ce  que  nous 
tenons  à  dire,  c'est  qu'elles  ne  sont  pas  nécessaires  pour  sauver 
la  preuve  expérimentale  du  péché  originel,  et  qu'il  suffit  pour 
cela  de  la  distinction  entre  nudus-  et  spoliatus.  Supposez  dans  la 
même  misère  deux  familles  :  l'une  qui,  de  temps  immémorial, 
n'a  point  connu  d'autre  sort  ;  l'autre  qui  vient  d'être  précipitée 
d'une  position  brillante  par  une  sentence  royale  :  quelle  inéga- 
lité d'infortune  dans  des  privations  identiques  !  Or,  l'homme, 
dans  l'état  de  pure  nature,  serait  un  malheureux  ignorant  son 
malheur  ;  tandis  que  l'homme  réel  est  un  grand  seigneur 
ruine,  un  ministre  destitué,  un  prince  détrôné,  un  français 
exilé.  De  là  cette  crainte  dont  parle  Bossuet  dans  un  sermon 
pour  le  jour  de  Noël;  de  là  ce  regret,  ou,  comme  on  voudra 
l'appeler,  souvenir,  désir,  malaise,  aspiration,  dont  on  retrouve 
les  traces  non  seulement  dans  l'histoire,  mais  dans  l'âme,  et 
q^i  suffit  ù  conclure  avec  le  grand  écrivain  et  penseur,  que 
l'homme  est  plus  inconcevable  sans  le- péché  originel,  que  ce 
mystère  n'est  inconcevable  à  l'homme. 

C.  Berton, 

Cban.  hon.  d'Amient  et  de  Perpignan. 


ÉTUDE  SUR  LA   VIE  DE  JÉSVS 


Par   M.    REIVAIV. 


Deuxième  article. 


§  IV.  —  M.  Renan  et  les  PROPHÉnEs  messianiques. 

C'est  avec  une  véritable  tristesse  que  nous  continuons  cette 
étude.  Fouiller  dans  cet  amas  dlncohérences,  de  contradic- 
tions et  de  divagations,  pour  en  extraire  ce  qui  peut  ressem- 
bler à  une  théorie;  respirer  d'une  manière  suivie  ce  fumet 
d'impiété  qu'exhale  chaque  page,  chaque  ligne,  et  le  faire 
respirer  à  nos  lecteurs,  c'est  une  tâche  pénible  et  ingrate. 
Nous  y  renoncerions,  et  nous  pensons  que  tous  les  écrivains 
catholiques  qui  s'en  sont  occupés  y  auraient  renoncé,  si  cette 
étude  n'avait  pour  but  que  de  convaincre  M.  Renan  person- 
nellement. On  ne  cherche  pas  à  ouvrir  le*  yeux  à  celui  qui, 
pour  les  soustraire  à  l'influence  de  la  lumière,  s'est  aveuglé 
volontairement.  Mais  il  est  bon,  comme  le  dit  admirable- 
ment M.  Freppel,  d'examiner  ce  que  l'incrédulité  moderne  a 
su  produire  de  plus  fort  en  France;  et  il  est  possible  que  la 
profondeur  même  de  l'abîme  que  nous  cherchons  à  sonder, 
ouvre  les  yeux  à  quelques  esprits  qui  résistaient  jusqu'ici  à 
d'autres  preuves. 

Les  prophéties  concourent  avec  les  miracles  pour  former  la 
grande  preuve  de  la  mission  diviue  de  Jésus-Christ.  Le  Sau- 
veur était  annoncé  depuis  l'origine.  Dieu  avait  souvent  parlé 
aux  prophètes  en  diverses  manières,  et  avait  fait  connaître 


AoiiM863.!  ÉTUDE  SUR  LA  VIE  DE  JÉSUS  PAR  M    RENAPT.  ^  54 

par  eux  Celui  qui  devait  être  l'atleute  des  nations  et  le  salut 
du  genre  humain.  L'accomplissement  de  ces  prophéties 
devait  nous  faire  reconnaître  la.  mission  divine  de  Jésus- 
Christ;  et  pour  empêcher  qu'elles  ne  pussent  être  déna- 
turées. Dieu  leur  a  imprimé  un  caractère  d'authenticité 
irréfragable  en  les  confiant  aux  mains  des  Juifs.  Que  va 
faire  M.  Renan  eu  face  des  prophéties?  En  appellera-t-il  de 
nouveau  à  Messieurs  les  Académiciens?  Ils  pourraient  opérer 
ici  en  plein,  et  nous  ne  pensons  pas  que  l'Académie  des  in- 
scriptions et  belles-lettres  trouve  jamais  une  tâche  plus  noble 
et  plus  excellente  à  remplir.  Mais,  comme  cet  appel  devient 
possible  ici,  M.  Renan  s'en  abstient,  et  il  procède  comme 
pour  l'histoire  évaugélique  :  il  nie,  il  dénature,  il  invente,  et 
nous  présente  une  histoire  à  la  hauteur  de  ses  conceptions. 
Or,  la  manière  dont  il  traite  les  prophéties  nous  semble  tout 
simplement  inepte.  Les  indications  que  nous  allons  donner 
montreront  que  le  terme  n'est  pas  trop  dur. 

Toute  l'histoire  des  Israélites  est  une  grande  prophétie  de 
Jésus  Christ.  On  ne  comprendra  jamais  l'existence  de  ce 
peuple,  singulier  entre  tous  les  autres,  si  l'on  méconnaît  l'at- 
tente dont  il  était  plein,  et  la  continuelle  intervention  de 
Dieu  dans  son  histoire.  Tout  ce  qui  constitue  l'originalité  de 
ce  peuple  est  à  la  fois  divin  et  symbolique.  Or,  à  ce  symbo- 
lisme, il  n'y  a  qu'une  clef,  et  cette  clef  est  Jésus-Christ,  le 
Roi  des  siècles,  qui  remplit  également  les  temps  qui  l'ont  pré- 
cédé et  ceux  qui  l'ont  suivi.  En  se  plaçant  au  centre  même  de 
l'histoire  de  ce  peuple,  Jésus-Christ  nous  met  daus  l'impossi- 
bilité de  le  regarder,  Lui,  sans  étudier  la  mission  des  Israé- 
lites ;  et,  en  dispersant  ces  derniers  dans  le  monde  entier,  Dieu 
nous  impose  le  problème  de  leur  histoire.  S'ils  n'étaient  partout 
devant  nous,  autour  de  nous,  il  serait  facile  de  les  ranger 
parmi  les  mythes;  mais  comment  y  aurait-il  des  Juifs,  s'il  n'y 
en  avait  pas  eu  au  temps  de  Jésus-Christ,  et  comment  y  en 
aurait-il  eu  à  cette  époque  et  auparavant,  si  toute  leur  his- 
toire n'était  surnaturelle  ? 


132  ÉTCDE   SUR   LA    VIE    I>E   JÉSUS  |Toi!ieVllI. 

M.  Renan  essaiera  donc  de  résoudre  ce  problème  :  «  Les 
Sémites,  dit-il,  éprouvaient  une  forte  antipathie  pour  les 
cultes  voluptueux  de  la  Syrie...  D'antiques  rapports  avec  l'E- 
gypte ne  firent  qu'augmenter  leur  horreur  pour  l'idolâtrie.  » 
Signé  :  Ernest  Renan.  Si  M.  Renan  n'abandonnait  son  appel  à 
l'Académie  dans  la  question  des  prophéties,  nous  serions  dé- 
sireux de  connaître  le  jugement  qu'elle  porterait  sur  cette  dé- 
couverte, 11  est  vrai  qu'il  en  dissimule  la  nouveauté  avec  une 
rare  modestie  en  employant  le  terme  sémitique  :  les  Beni- 
hraël,  au  grand  dépit  de  ceux  qui  mettent  en  suspicion  son 
savoir  hébraïque.  Mais  la  justice  veut  qu'il  en  reçoive  et  qu'il 
en  garde  le  bénéfice.  Car,  si  nous  avons  bonne  souvenance, 
cette  forte  antipathie  contre  les  cultes  voluptueux  de  la  Syrie 
n'empêchait  pas  de  fréquentes  rechutes  des  Beni-lsraël  dans 
ce  que  ces  cultes  avaient  déplus  im[iieetde  plus  voluptueux. 
Leurs  antiques  rapports  avec  l'Egypte  n'empêchèrent  pas  l'a- 
doration du  veau  d'or  au  lendemain  de  la  captivité  subie  daûs 
ce  pays.  La  répulsion  que  constate  M.  Renan  existait  tout  en- 
tière dans  la  loi,  et  elle  trouvait  place  dans  les  cœurs  selon  la 
mesure  de  leur  fidélité  à  cette  même  loi  ;  mais  elle  ne  tenait 
nullement  au  sémitisme.  Le  peuple  hébreu  n'a  été  mono- 
théiste que  par  suite  de  la  continuelle  intervention  de  Dieu 
dans  son  histoire  et  dans  ses  destinées.  Toutes  ces  choses  sont 
si  élémentaires,  que  nos  enfants  les  savent  dans  les  écoles  pri- 
maires. 

Le  deuxième  principe  explicatif  de  l'histoire  des  Juifs  erst 
celui-ci  :  «  Le  caractère  qui  distingue  essentiellement  Israël 
entre  les  peuples  théocratiques,  c'est  que  le  sacerdoce  y  a 
toujours  été  suboidonné  à  l'inspiration  individuelle.  Outre  le 
sacerdoce,  chaque  tribu  nomade  {sic)  avait  son  iiabi  ou  pro- 
phète, sorte  d'oracle  que  l'on  consultait  pour  la  solution  des 
questions  qui  supposaient  un  haut  degré  de  clairvoyance.  » 
Évidemment,  M.  Renan  subit  la  prétendue  loi  qu'il  a  formulée 
p.  xxxii  :  «  Nos  souvenirs  se  transforment  avec  tout  le  reste  ; 


Août  1853.1  PAR  M.   RENAR.  153 

l'idéal  d'une  personne  (ou  d'une  histoire)  que  nous  avons 
coxmue  change  avec  nous.  »  Il  ne  voit  plus  aujourd'hui  les 
prophètes  qu'à  travers  son  prisme.  C'est  lui  qui  prétend  sub- 
ordonner à  son  inspiration  individuelle  tous  les  trésors  de 
vérité  et  de  sainteté  confiés  au  sacerdoce,  et  le  rôle  auquel  il 
aspire  est  celui  de  nabi  au  milieu  des  Béni- Voltaire.  L'histoire 
qu'il  fait  à  leur  manière,  il  l'appelle  lui-même  une  vision  : 
«Je  fixai  en  traits  rapides  l'image  qui  m'était  apparue,  et  il 
eu  résulta  cette  histoire  (p.  liv).  »  Or,  il  y  a  entre  les  nabis 
anciens  et  les  nabis  modernes  plusieurs  différences  essen- 
tielles. 

La  mission  de  prophète  était,  chez  les  Israélite?,  une  mis- 
sion extraordinaire,  surnaturelle.  Pour  avoir  autorité  de  pro- 
phète, il  fallait  donner,  pour  preuve  de  cette  mission,  comme 
au  temps  de  Jésus-Christ,  des  miracles  et  des  prophéties,  et 
ces  dernières  ne  servaient  de  preuve  qu'autant  qu'elles  se 
réalisaient  dans  les  circonstances  annoncées  à  l'avance.  M. 
lîenau  n'a  aucune  prétention  de  ce  genre. 

11  y  a  une  deuxième  différence  où  il  voudrait  trouver  une 
ressemblance.  Il  appelle  les  prophètes  des  «  défenseurs  de 
l'ancien  esprit  démocratique,  ennemis  des  riches,  opposés  à 
toute  organisation  politique.  »  Non,  les  Beni-Israël  ne  con- 
naissaient pas  ce  produit  tout  moderne  qui  s'appelle  l'esprit 
démocratique.  A  entendre  M.  Renan,  ou  dirait  que  le  genre 
humain  n'a  pas  fait  de  progrès  depuis  trois  mille  ans.  Il  se 
trompe.  Entre  les  prophètes  et  les  démocrates  modernes,  il  y  a 
la  difîféreuce  du  tout  au  tout.  La  liberté  que  défendaient  les 
prophètes,  c'était  la  liberté  que  l'on  trouve  dans  l'observation 
de  la  Loi  divine  ;  mais  ils  étaient  grands  adversaires  de  plu- 
sieurs libertés  qu'affectionne  l'esprit  démocratique.  Ils  étaient 
d'implacables  ennemis  de  ceux  qui  s'emparaient  du  bien  d'au- 
trui,  des  princes  qui  opprimaient  leurs  sujets,  des  sujets  el 
des  princes  quand  les  uns  et  les  autres  se  séparaient  du  sacer- 
doce et  s'éloignaient  de  la  Loi  divine;  et  si  quelqu'un  avait 


154  ÉTUDE   SUR  LA   VIE   DE  JÉSUS  [Tome  VllI. 

parlé  aux  Beni-Israël  d'une  «  loi  ou  thora,  très-anciennement 
écrite  sur  des  tables  de  métal  {sic),  et  que  ceux-ci  rapportaient 
à  leur  grand  libérateur  Moïse,  »  nul  doute  que  les  nabis 
n'eussent  fait  mettre  hors  la  loi  l'audacieux  qui  aurait  produit 
pareille  nouveauté. 

Que  de  confusions,  de  négations,  d'inventions  entassées 
dans  ces  quelques  pages  où  M.  Renan  esquisse  à  grands  traits 
l'histoire  du  peuple  juif.  Nous  ne  nous  rappelons  avoir  vu 
pareil  amalgame  qu'une  fois  en  notre  vie^  dans  les  discours 
que  l'éminent  auteur  de  Fabiola  met  dans  la  bouche  du  rhé- 
teur Calpurnius.  Eu  les  relisant,  nos  lecteurs  se  feront  une 
idée  de  cette  manière  de  refaire  l'Ancien  Testament  qui  place 
l'origine  du  Peutateuque  à  l'époque  d'Ezéchias,  de  Josias  ou 
de  Jérémie,  la  fait  dériver  à  la  fois  et  des  croyants  forcenés  qui 
provoquaient  sans  cesse  des  violences  contre  tout  ce  qui  s'é- 
cartait du  culte  de  Jéhovah,  et  d'une  forte  tendance  vers  les 
questions  sociales.  Grâce  à  cette  double  origine,  M.  Renan 
signale  dans  le  Pentateuque  «  un  zèle  inconnu  à  la  grossière 
simplicité  des  juges,  et  des  tons  de  prédication  émue.  »A  par- 
tir do  celte  création  du  volume  sacré,  il  voit  «  l'histoire  du 
peuple  juif  se  dérouler  avec  un  entraînement  irrésistible,  et 
les  rêves  religieux  l'agiter  avec  une  sorte  de  passion  sombre... 
Les  psaumes  écloseut  de  ce  piéiisme  exalté,  etc.»Nous  savons 
bien  que  M.  Renan  n'est  pas  l'inventeur  de  tous  ces  rêves  qui 
sont  éclos  dans  des  tètes  allemandes;  mais  il  est  pitoyable 
qu'un  homme  qui  prétend  à  une  réputation  de  savant, 
vienne  se  faire  en  France  l'écho  de  ces  pauvretés. 

Le  caractère  général  des  prophéties  n'échappe  pas  à  M.  Re- 
nan :  «  De  bonne  heure,  dit-il,  les  prophètes  annoncèrent  des 
espérances  illimitées,  et  quand  le  peuple,  en  partie  victime 
de  leurs  conseils  impolitiques,  eut  été  écrasé  par  la  puissance 
assyrienne,  ils  proclamèrent  qu'un  règne  sans  bornes  lui  était 
réservé  ;  qu'un  jour  Jérusalem  serait  la  capitale  du  monde  en- 
tier, et  que  le  genre  humain  se  ferait  juif.  Jérusalem  et  son 


Aoirtl8v3.1  PAR    M.    RENAN.  155 

lemple  leur  apparurent  comme  une  ville  placée  sur  le  sommet 
d'une  montagne,  vers  laquelle  tous  les  peuples  devaient  accou- 
rir, comme  un  oracle  d'où  la  loi  .universelle  devait  sortir, 
comme  le  centre  d'un  règne  idéal,  où  le  genre  humain,  pacifié 
par  Israël,  retrouverait  les  joies  de  l'Eden  (p.  7).  »  Il  y  a  sans 
doute  ici  deux  grosses  inexactiludes  à  mettre  dans  la  collec- 
tion des  Mensonges  historiques  ;  car  Israël  ne  tomba  ni  sous  le 
joug  assyrien,  ni  sous  un  autre  joug  quelconque,  que  pour 
avoir  transgressé  sa  thora,  et  méprisé  les  avis  fort  politiques 
de  ses  nabis.  En  outre,  plusieurs  de  ces  prédictions  sont  anté- 
rieures et  à  la  domination  assyrienne  et  à  toute  autre  domina- 
tion. Abraham,  Isaac,  Jacob,  avaient  plusieurs  fois  entendu  de 
la  boL'-che  uième  de  Dieu,  que  toutes  les  nations  seraient  bénies 
en  leur  nom.  Jacob  avait  appelé  le  «  Désiré  des  nations,  l'at- 
lente  des  nations,  etc.  »  Mais  les  prophéties  que  M.  Renan 
admet  sont  suffisantes.  Le  «  règne  sans  bornes  n'est-il  point 
le  règne  de  Jésus-Christ,  qui  depuis  dix-huit  cents  ans  continue 
toujours  de  grandir?  Jérusalem  n'est-elle  pas  la  montagne 
sainte,  principe  de  ce  règne  idéal  (M.  Renan  met  souvent  idéal 
pour  divin)  où  «  le  genre  humain,  pacifié  par  Israël,  retrou- 
vera les  joies  de  l'Eden  ?  »  Les  visions  des  prophètes  se  sont 
donc  réalisées  dans  leur  caractère  général,  et  elles  viennent 
donner  un  éclatant  démenti  à  tous  les  efibrts  de* l'impiété  ger- 
manique ou  française.  Mais,  à  mesure  qu'elles  deviennent  plus 
précises,  elles  sont  plus  gênantes.  C'est  ce  que  nous  remar- 
quons surtout  pour  les  prophéties  de  Daniel. 

M.  Renan  revient  sur  ces  prophéties  à  chaque  page  de  son 
livre,  et  chaque  fois  qu'il  en  parle,  ses  idées  se  mêlent  et  se 
confondent  d'une  manière  étrange.  11  parle  de  a  l'auteur 
inconnu  du  livre  de  Daniel;  »  c'est  comme  si  l'on  disait  l'auteur 
inconnu  des  œuvres  de  M.  Renan.  Il  fait  éclore  «  cette  première 
apocalypse  sous  le  règne  d'Antiochus  Epiphane.  »  Or,  Antio- 
chus  Epiphane  mourut  l'an  164  avant  Jésus-Christ,  et  dès  332, 
au  rapport  de  Josèphe  {Antiq.  xi,  8,  5),  le  grand-prêtre  Jaddus 


4.j6  ÉTUDE   Slill  LA   VIE   DE  JÉSUS  iTomo  VIII. 

avait  apaisé  la  colère  d'Alexandre  en  déroulant  devant  lui  les 
prophéties  où  Daniel  avait  annoncé  sa  venue  et  ses  succès  en 
Asie.  «  Le  livre  de  Daniel,  poursuit  M.  Renan,  fournit  la  mise 
en  scène  et  les  termes  techniques  du  nouveau  messianisme,  n 
Or  cette  mise  en  scène  consiste  premièrement  dans  l'histoire 
anticipée  des  empires  qui  viendront  s'écrouler  aux  pieds  de 
l'empire  de  Jésus-Christ,  empire  d'Assyrie,  empire  des  Perses, 
empire  des  Grecs,  empire  des  Romains,  «  empires  qui  dispa- 
raîtront comme  la  paille  que  le  vent  emporte,  pour  faire  place 
au  royaume  qui  subsistera  éternellement,  et  qui  remplira  toute 
la  terre.  »  Cette  mise  en  scène  consiste,  en  second  lieu,  à  nous 
annoncer  que  cet  empire  sera  l'empire  du  «  Fils  de  l'Homme 
que  serviront  tous  les  peuples,  toutes  les  nations  et  toutes  les 
langues,  dont  la  puissance  est  éternelle  et  le  royaume  impé- 
rissable. »  Elle  consiste  troisièmement  à  nous  raconter  qu'à  la 
mort  violente  du  Messie,  du  Saint  des  Saints,  se  rattacheront 
et  la  cessation  des  sacrifices,  et  la  vocation  des  Gentils,  et 
le  rejet  du  peuple  qui  était  jusque-là  le  peuple  de  Dieu.  Elle 
consiste  quatrièmement  à  marquer  d'avance  la  date  précise  de 
ces  événements,  au  milieu  de  la  soixante-dixième  semaine 
d'années  qui  s'écoulera  depuis  l'ordre  donné  par  Artaxerxès 
pour  la  reconstruction  du  temple.  Qu'importe,  après  cela,  au 
point  de  vue  de  la  prédiction  messianique,  que  le  livre  de  Da- 
niel ait  été  écrit  au  temps  d'Antiochus  ou  pendant  la  captivité 
de  Babylone?  Les  événements  n'étaient  pas  plus  faciles  à  pré- 
voir, ni  les  dates  plus  faciles  à  préciser  à  l'une  de  ces  époques 
qu'à  l'autre.  La  mise  en  scène  reste  telle  que  Dieu  seul  a  pu 
en  être  l'auteur,  et  Terreur  de  date  de  M.  Renan  s'explique 
en  supposant  qu'il  a  bien  retenu,  de  son  cours  d'exégèse  de 
Saint-Sulpice,  les  objections,  mais  non  les  réponses. 

Non,  il  ne  sert  de  rien  de  rajeunir  de  mille  ans  le  Penta- 
teuque,  de  ranger  parmi  les  mythes  les  trtMs  quarts  de  l'Ancien 
Testament,  de  rapetisser  et  de  méconnaître  le  rôle,  l'inspiration 
et  la  mission  des  prophètes,  d'élaguer  de  leurs  livres  ce  qui 


Août  1863.]  PAR   M.    RENAN.  187 

déplaît,  de  leur  assigner  des  dates  au  hasard,  de  parler  ée 
l'esprit  prophétique  du  sémite,  et  de  se  jouer  dans  ces  néga- 
lions,  dans  ces  aflQrmations  et  dans  ces  altérations,  avec  un 
sans-gène  imperturbable.  Le  problème  n'en  reste  pas  moins 
insoluble  pour  «  qui  fait  abstraction  du  surnaturel.  »  Car 
M.  Renan  ne  peut  nier  qu'au  moment  de  la  venue  de  Jésus- 
Christ  «  ['attente  était  à  son  comble;  que  de  saintes  personnes 
passaient  leur  vie  autour  du  temple,  jeûnant,  priant,  pour 
qu'il  plût  à  Dieu  de  ne  pas  les  retirer  du  monde  sans  avoir  vu 
raccomplissemeut  des  espérances  d'Israël;  qu'on  sent  une  puis- 
sante incubation  proche  de  quelque  chose  d'inconnu  (p.  18).» 
Il  avoue,  de  plus,  que  ce  qu'il  appelle  «  un  mélange  confus 
de  claires  vues  et  de  songes,  de  déceptions  et  d'espérances, 
trouve  son  interprète  dans  l'homme  incomparable  qui,  b  etc., 
c'est-à-dire  dans  Jésus-Christ.  Or,  quand  même  les  prophé- 
ties ne  s'étendraient  pas  plus  loin  que  ce  que  M.  Retiau  daigne 
nous  accorder,  nous  devrions  conclure  que  Jésus-Christ  est  le 
Messie,  l'Envoyé  de  Dieu,  que  nous  devons  écouter. 

En  effet,  l'événement  dont  la  prédiction  forme  le  caractère 
général  des  prophéties,  sort  lui-même  de  toutes  les  lois  de 
l'histoire,  et  inaugure  à  lui  seul  une  histoire  toute  nouvelle. 
Ce  renouvellement  du  monde  était  attendu,  à  l'époque  de  Jé- 
sus, et  dans  la  Judée,  et  dans  tous  les  autres  pays,  comme 
devant  venir  de  la  Judée.  11  avait  été  annoncé  longtemps  à 
l'avance  avec  ses  suites,  ses  circonstances  et  à  date  fixe.  Il  doit 
donc  y  avoir  et  pour  cet  événement,  et  pour  l'attente  et  les 
prédictions  qui  s'y  rapportent,  une  cause  supérieure  et  aux 
lois  ordinaires  du  monde,  et  aux  prédictions  possibles  de 
l'homme;  or  cette  cause  ne  peut  se  trouver  que  dans  une 
double  intervention  divine.  Donc  l'homme  qui  se  présente  à 
jour  fixe,  qui  remplit  cette  attente,  et  qui  crée  ce  monde  nou- 
veau, est  l'Envoyé  de  Dieu,  le  Messie  qu'il  faut  écouter.  En 
rf'jelaut  ce  résultat,  M.  Renan  refuse  de  voir,  et  se  met  abso- 
lument en  dehors  de  l'esprit  scientifique.  Plusieurs  fois  déjà, 


^58  ÉTUDB   SDR   LA   VIE    DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

nous  sommes  arrivés  à  cette  conclusion  ;  nous  y  arriverons 
plus  d'une  fois  encore. 

Si  maintenant  nous  entrons  dans  l'examen  de  quelques  pro- 
phéties plus  précises,  nous  trouverons  la  méthode  de  M.  Re- 
nan plus  surprenante  encore.  Les  Mages  do  l'Orient  apprennent 
des  prêtres  et  des  scribes  que  le  Messie  doit  naître  à  Belhléliem; 
or,  c'est  à  Bethléhem  que  naît  Jésus.  Les  monuments  publics 
en  font  foi.  Circonstance  remarquable!  Qui  pouvait  prévoir  que 
le  renouvellement  du  monde  se  ferait  par  un  enfant  né  à  Be- 
thléhem? M.  Renan  dit  tout  simplement  que  «la  naissance  de 
Jésus  à  Nazareth  était  de  notoriété  publique  (p.  239).  »  Mais 
l'histoire,  mais  le  voyage  de  Marie  à  Bethléhem,  mais  le  re- 
censement ordonné  par  Cyrinus?  M.  Renan  n'est  pas  embar- 
rassé pour  si  peu.  Il  appelle  ce  récit  des  Evangiles  «  des  lé- 
gendes inventées  pour  le  faire  naître  à  Bethléhem;  »  mieux 
que  cela,  «  un  tour  par  lequel  on  rattache  son  oriaine  béthlé- 
hémite  au  recensement  de  Quiriuius.  »  N'admirez-vous  pas, 
amis  lecteurs,  la  prestesse  du  tour  que  joue  ici  M.  Renan?  Car 
nous  ne  saurions  qualifier  par  un  terme  plus  juste  que  celui 
qu'il  emploie,  le  procédé  à  l'aide  duquel  il  escamote  ce  récit 
des  ÉvaugileSo 

Les  prophètes  avaient  prédit  que  le  Messie  serait  «  Fils  de 
David,  »  et  Jésus  ne  pouvait  prétendre  (slyle  Renan)  au  titre 
^e  Messie,  s'il  n'était  point  reconnu  pour  tel.  Or,  cette  descen- 
dance de  Jésus  est  prouvée  par  la  double  généalogie  que 
donnent  de  lui  saint  Matthieu  et  saint  Luc.  M.  Renan,  fidèle  à 
son  procédé,  les  appellera  des  «  généalogies  fictives,  »  et  le 
tour  sera  joué.  D'ailleurs,  dit-il  pour  rassurer  le  lecteur  trop 
scrupuleux,  «  pour  le  galiléen  idéaliste,  le  titre  de  Fils  de  Da- 
vid était  suffisamment  justifié,  si  celui  à  qui  on  le  décernait 
relevait  la  gloire  de  sa  race  et  ramenait  les  beaux  jours 
d'Jsiaël.  »  Mais  vous  n'y  prenez  point  garde,  Monsieur.  Nous 
vous  contesterons  sans  doute  moins  qu'à  personne  le  droit  de 
délivrer  le  brevet  d'idéalisme  aux  Galiléens,  bien  que  jusqu'ici 


Août  1863.  PAR  M.    RENAN.  159 

ces  deux  idées  se  soient  peu  assimilées  dans  la  langue  de 
l'histoire;  mais  cela  ne  suffît  pas.  Il  y  avait  aussi  les  prêtres, 
les  scribes  et  les  pharisiens  de  Jérusalem,  moins  idéalistes  sans 
doute,  et  qui  pour  cela  même  devaient  rechercher  tout  d'abord 
si  la  prétention  de  descendre  de  David  était  fausse,  ou  pour  le 
moins  vaine.  La  preuve  leur  était  sans  doute  plus  facile  qu'à 
vous,  et  leur  bonne  volonté  ne  le  cédait  pas  à  la  vôtre,  puis- 
qu'ils subornèrent  de  faux  témoins  pour  faire  mourir  Jésus- 
Christ.  11  ne  pouvait  leur  échapper  plus  qu'à  vous  que  l'on 
ôterait  à  Jésus  tout  son  prestige,  en  démontrant  qu'il  n'avait 
aucun  titre  à  se  dire  Fils  de  David.  Us  ne  le  firent  point.  N'en 
conclurez-vous  donc  rien?  Ce  silence  des  ennemis  n'est-il  pas 
une  preuve  à  vos  yeux?  Si  au  moins  ils  avaient  émis  un  de  ces 
«  doutes  discrets  »  que  vous  aimez  tant!  Si  au  moins  vous 
aviez  pu  leur  inspirer  cette  idée  lumineuse  que  la  population 
de  la  Galilée,  étant  à  cette  époque  c<  fort  mêlée,  comme  le  nom 
même  du  pays  l'indique,  il  était  impossible  de  soulever  ici 
aucune  question  de  race,  et  de  rechercher  quel  sang  coulait 
dans  les  veines  de  Celui  qui  a  le  plus  contribué  à  effacer  dans 
l'humanité  les  distinctions  du  sang  (p.  22)?  »  Peut-être  cela 
eùt-il  suffi  pour  convaincre  d'imposture  les  récits  évangéliques 
dès  l'origine,  et  cette  peine  vous  serait  épargnée  aujourd'hui  ! 
Mais  nous  avouons  que  malgré  cette  «  observation  fine  »  où  se 
montre  l'esprit  pénétrant  du  professeur  d'hébreu,  il  nous  reste 
un  «  doute  discret.  »  Comment  les  évangélistes  eussent-ils  pu 
donner,  comment  eussent-ils  fait  accepter  au  public,  des  gé- 
néalogies de  Jésus  remontant  jusqu'à  David,  s'ils  n'avaient  pu 
s'appuyer  sur  des  monuments  publics  dans  lesquels  chacun 
pouvait  puiser  pour  contrôler  les  faits  ? 

Tout  le  cycle  des  prophéties  qui  se  rattachent  à  la  personne 
du  Précurseur,  n'est  pas  mieux  traité.  Les  mots  de  légende,  on 
raconta,  font  ici  l'office  de  baguette  magique.  Vous  voyez  ces 
prophéties,  vous  entendez  le  témoignage  de  Jean  la  première 
fois  qu'il  voit  le  Sauveur,  vous  savez  que  Malachie  avait  prédit 


5  GO  ÉTlJDB  SUR    LA    VIE   DE   JÉSUS  [TomeVUI. 

plus  de  quatre  cents  ans  à  l'avance  la  venue  du  Précurseur,  etc. 
Tout  ce  magniûque  tableau,  M.  Renan  le  touche  de  sa  ba- 
guette, il  prononce  les  mots  sacramentels  ou  cabalistiques  : 
légende,  on  raconte,  et  il  n'en  reste  plus  rien.  Je  me  trompe,  il 
en  reste  trois  choses  ;  1°  que  saint  Jean  faillit  détourner  le 
Sauveur  de  sa  mission,  et  que  le  meurtre  du  Précurseur  rendit 
très-heureusement  Jésus  à  lui-même;  2°  que  Jésus  n'apprit 
qu'une  chose  à  l'école  de  saint  Jean,  savoir,  à  bien  prêcher; 
3"  que  saint  Jean  douta  de  la  mission  de  Jésus.  A-l-on  jamais 
vu  sur  aucun  théâtre  du  monde,  un  changement  de  scène  plus 
merveilleux?  M.  Renan  n'a-t-il  pas  appelé  la  chose  par  son 
nom,  en  prononçant  discrètement  le  mot  de  toui^? 

La  grande  prophétie  d'Isaïesurles  soufifrances  de  Tllomme- 
Dieu  se  refusait  à  l'application  du  même  système.  Aussi 
est- elle  traitée  moins  cavalièrement.  M.  Renan  la  cite  in  ex- 
tenso comme  un  modèle  du  genre,  «  où  toute  la  force  prophé- 
tique du  génie  d'Israël  sembla  concentrée  (p.  8).  »  — «  Acca- 
«  blé  d'opprobres, délaissé  des  hommes,  tous  détournaient  de 
«  lui  la  face  ;  couvert  d'ignominie,  il  comptait  pour  un  néant. 
«  C'est  qu'il  s'est  chargé  de  nos  souffrances,  c'est  qu'il  a  pris 
«  sur  lui  nos  douleurs.  Vous  l'eussiez  pris  pour  un  homme 
«  frappé  de  Dieu,  touché  de  sa  main.  Ce  sont  nos  ciimes  qui 
«  l'ont  couvert  de  blessures,  nos  iniquités  qui  l'ont  broyé;  le 
«  châtiment  qui  nous  a  valu  le  pardon  a  pesé  sur  lui,  et  ses 
«  meurtrissures  ont  été  notre  guérison.  Nous  étions  comme 
«  un  troupeau  errant;  chacun  s'était  égaré,  et  Jéhovuh  a  dé- 

«  chargé  sur  lui  les  iniquités  de  tous Mais,  du  moment 

«  qu'il  aura  offert  sa  vie,  il  verra  naître  une  postérité  nom- 
((  breuse,et  les  intérêts  de  Jéhovah  prospéreront  dans  sa  main.» 

Telle  est  la  grandeur  de  ce  tableau,  que  M.  Renan  le  traite 
avec  un  certain  respect.  Il  y  reconnaît  des  o  accents  inconnus 
qui  exaltent  le  martyre  et  célèbrent  la  puissance  de  l'Homme 
de  douleurs.  »  Cette  explication  est  fausse  et  incomplète.  Le 
martyre  est  un  témoignage  rendu  à  la  vérité  :   il  n'est  pas 


Août  1^63. !  PAn    M.   RENAN.  ^6^ 

autre  chose.  Quel  martyr  a  jamais  pu  se  charger  de  nos  souf- 
frances, prendre  sur  lui  nos  douleurs?  Quel  martyr  a  jamais 
été  couvert  de  blessures  par  nos  crimes,  broyé  par  nos  ini- 
quités ?  Que  M.  Reuan  nous  dise  le  nom  de  cet  Homme  de 
douleurs  dont  le  châtiment  nous  a  valu  le  pardon,  dont  les 
meurtrissures  ont  été  notre  guérison  !  Le  mystère  du  sacrifice 
de  Jésus-Christ  est  exposé  ici  dans  toute  sa  grandeur,  car 
c'est  de  l'expiation  universelle  qu'il  est  question.  Les  mêmes 
pages  nous  parlent  de  la  vocation  générale  de  tous  les  hommes 
à  une  même  loi,  à  une  même  foi,  à  un  même  amour  de  Jého- 
vah.  Or,  voici  que  cflui  qui  répandra  le  culte  du  vrai  Dieu  sur 
la  terre  nous  est  montré  comme  le  plus  humilié,  le  plus 
souflfrant  des  hommes;  il  nous  est  représenté  comme  sortant 
du  cadre  ordinaire  de  l'humanité'  avec  une  génération  que  la 
langue  humaine  est  impuissante  à  exprimer.  Qnel  est  «  l'ins- 
piré »  qui  a  vu  toutes  ces  choses  de  si  loin?  Car  ce  mystère 
pénètre  dans  toutes  les  profondeurs  du  christianisme.  11  a 
fallu,  pour  écrire  celte  page,  connaître  plusieurs  siècles  à 
l'avance  (i)  ce  travail  de  la  propagation  de  l'Évangile  qui  se 
continue  depuis  dix -huit  siècles.  Il  a  fallu  éclairer  d'un 
flambeau  divin  celti;  nuit  des  temps  futurs  où  ces  événements 
devaient  s'accomplir,  pour  raconter  le  drame  du  Calvaire  avec 
la  précision  d'un  témoin  oculaire.  Il  a  fallu  monter  plus  haut, 
entrer  dans  les  conseils  éternels  de  Dieu  qui  «  a  aimé  le  monde 
au  point  de  lui  donner  son  Fils  unique,  »  -seule  victime  ca- 
pable de  «nous  valoir  le  pardon,  de  guérir  nos  meurtrissures.» 
Vous  dites  bien  que  ce  cantique  sur  les  souffrances  et  le 
triomphe  du  Serviteur  de  Dieu  est  d'un  inspiré;  mais  quel  est 
ce  genre  d'inspiration  qui  voit  si  loin,  avec  tant  de  précision, 
avec  tant  de  profondeur?  M.  Renan,  qui  ne  croit  pas  à  la  di- 
vinité du  Sauveur,  u'est-il  pas  surpris  de  trouver  que  l'inspirt? 

(1)  M.  Renan  n'adniei  pas  que  celle  proj  hélie  soit  d'Isaïe  ;  il  l'at- 
tribue à  un  «  iûspiré  »  d'une  époque  plus  récente. 

Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  t.  viii.  H-12. 


^62  ÉTUDE   SUR  LA  VIE   DE   JÉSUS  [Tome  VIIU 

de  l'ancienue  loi  parle  comme  saint  Jean  d^une  génération 
inénarrable  ? 

Il  passe  à  côté  de  ce  tableau  d'une  incomparable  grandeur 
sans  même  paraître  en  soupçonner  la  divine  et  saisissante 
portée.  Cet  aveuglement  lui  serait-il  infligé  comme  punition 
du  mépris  avec  lequel  il  traite  les  prophéties  en  général  ? 

§  V.  —  L'Incarnation. 

Lorsque  saint  Jean  nous  raconte  la  génération  éternelle  du 
Fils  de  Dieu  et  sa  venue  sur  la  terre,  il  désigne  sous  le  nom  de 
ténèbres  les  hommes  qui  ne  comprirent  point  cette  révélation 
de  Dieu.  La  justesse  de  cette  expression  se  comprend  admira- 
blement quand  on  étudie  M.  Renan,  Pour  comprendre  la  vé- 
rité, il  faut  écouter  ceux  qui  rendent  témoignage  de  la  vérité. 
Or,  Jésus-Christ  fut  précédé  du  témoignage  de  Jean  le  Précur- 
seur, et  ce  témoignage  nous  l'avons  vu  indignement  repoussé  : 
Jean  à  qui  les  Juifs  obéissaient,  que  les  pharisiens  craignaient, 
devant  qui  Héroi'e  tremblait,  Jean  n'est  pour  M.  Renan  qu'un 
chef  d'école,  et  Jésus,  à  qui  Jean  rend  témoignage,  n'est  aussi 
qu'un  chef  d'école.  Ces  deux  chefs  d'éeole  se  prodiguent 
devant  le  public  des  témoignages  de  respect  et  d'attention, 
tout  comme  M.  Renan  à  M.  Littré,  et  M.  Liltré  à  M.  Re- 
nan ;  mais  M.  Renan  ne  sait  au  juste  si  c'est  Jésus  qui  recule 
devant  Jean,  «  que  nous  nous  représentons  comme  un  vieil- 
lard, »  ou  si  c'est  Jean  qui  s'incline  devant  Jésus  «  soleil  le- 
vant. » 

Il  écarte  de  même  le  témoignage  qu'invoque  Jésus  :  x  Si 
vous  ne  voulez  me  croire,  moi,  croyez  à  mes  œuvres.  »  Ces 
œavres  sont  nulles  aux  yeux  perspicaces  de  M.  Renan,  car 
lorsqu'elles  ne  sont  pas  le  produit  de  légendes  populaires,  elles 
ne  sont  que  des  jongleries,  ou  des  traits  de  folie  et  d'halluci» 
nation.  Il  ne  croit  pas  ce  qu'ont  dit  les  prophètes,  et,  après 
avoir  ravalé  la  dignité  de  leur  mission,  il  détourne  les  pro- 


Août  18G3.1  TAR  M.   RENAN.  -163 

pliéties  de  leur  sens,  et  prétend  que  la  grande  préoccu- 
pation de  Jésus  était  de  s'en  attril)uer  le  bénéfice.  Enfin, 
ce  sens  divin  qui  nous  révèle  la  divinité  de  Jésus-Christ,  il 
l'enterre  profondément,  car  «  il  faut  faire  abstraction  du  sur- 
naturel. »  C'est  ainsi  qu'il  éteint  successivement  toutes  les  lu- 
mières que  projette  la  révélation  divine  dans  notre  esprit,  il 
devient  ténèbres,  et  nous  voyons  se  vérifier  cette  parole  de  l'É- 
vangile :  Et  tenebrx  cam  non  comprehendei^unt  ! 

11  va  plus  loin.  Non-seulement  il  renonce  à  toute  lumière 
surnaturelle,  mais,  pour  enlever  plus  sûrement  au  Sauveur  sa 
gloire  de  Fils  de  Dieu,  il  lui  refuse  la  lumière  naturelle  de  nos 
âmes,  la  lumière  de  la  raison.  Si  nous  comprenons  bien  M.  Re- 
nan, Jésus  ne  connut  pas  «  la  doctrine,  dite  spiritualiste,  qui 
coupe  l'homme  en  deux  parts,  le  corps  et  Tâme,  et  trouve  tout 
naturel  que,  pendant  que  le  corps  pourrit,  l'àme  survive  (p.  51 
et  55).  »  Nous  ne  savons  non  plus  au  juste  si  Jésus  crut  à  l'im- 
mortalité de  l'âme  que  l'on  commençait  alors  à  croire  à  cause 
des  persécutions  des  justes.  M.  Renan  expose  ces  doctrines 
d'une  manière  assez  confuse  en  disant  qu"  «  elles  étaient  en 
l'air  et  que  l'àme  de  Jésus  en  fut  de  bonne  heure  pénétrée.  » 
Mais,  où  ses  hésitations  l'abandonnent,  c'est  quand  il  prête 
son  panthéisme  au  Sauveur, 

Oii  donc  a-t-il  lu  que  «  le  Sauveur  n'ait  pas  eu  conscience 
de  son  individualité?  »  Le  Sauveur  nous  parle  à  chaque  page 
de  l'Évangile  de  son  union  avec  son  Père  et  de  son  union 
avec  nous.  Mais  nulle  part  il  ne  donne  lieu  de  confondre  sa 
personne  ni  avec  celle  de  son  Père  ni  avec  la  nôtre.  Même 
dans  les  pages  où  l'unité  de  sa  substance  avec  celle  de  son 
Père  est  le  plus  formellement  exprimée,  la  distinction  des  per- 
sonnes est  maintenue  avec  une  rigueur  absolue.  L'affirmation 
de  M.  Renan  n'est  pas  seulement  gratuite,  elle  est  en  opposi- 
tion avec  tous  les  textes.  Nous  le  défions  hardi  meut  lui,  tous 
ses  prédécesseurs  et  tous  ses  successeurs,  de  trouver  la  moindre 
trace  de  panthéisme,  ni  dans  les  pages  de  l'Lvangile  qu'il  ad- 


Jfi4  ÉTUDE   SUR   LA.  VIE   DE   JÉSUS  Tome  VIII. 

met,  ni  dans  celles  qu'il  rejette  ;  nous  le  défions  d'y  trouver  le 
moindre  mot  qui  rautorise  à  dire  :  «  Pour  Jésus  la  nature  et 
le  développement  de  l'humanité  n'étaient  pas  des  règnes  limi- 
tés en  dehors  de  Dieu...  II  n'y  avait  pas  pour  lui  de  surnaturel, 
car  il  n'y  avait  pas  de  nature  (p.  246).  » 

Un  moment  M.  Renan  semble  vouloir  laver  Jésus  de  la  tache 
du  panthéisme,  et  c'est  alors  qu'il  le  lui  impute  le  plus  forte- 
ment: «  Pour  bien  comprendre  la  nuance  de  la  (liéié  de  Jésus, 
dit-i!,  il  faut  faire  abstraction  de  ce  qui  s'est  placé  entre  l'E- 
vangile et  nous.  Déisme  et  panthéisme  sont  devenus  les  deux 
pôles  de  la  théologie...  En  rapetissant  Dieu,  et  en  le  limitant 
en  quelque  sorte  par  l'exclusion  de  tout  ce  qui  n'est  pas  lui,  on 
a  étouffé  au  sein  du  rationalisme  moderne  tout  sentiment 
fécond  de  la  divinité.  Si  Dieu,  en  effet,  est  un  être  déterminé 
hors  de  nous,  la  personne  qui  croit  avoir  des  rapports  parti- 
culiers avec  Dieu  est  un  visionnaire...  La  plus  haute  conscience 
de  Dieu  qui  ait  existé  au  sein  de  l'humanité  a  été  celle  de  Jé- 
sus (p.  74  et  75).  »  Si,  en  effet,  la  notion  d'un  Dieu  distinct 
du  monde  exclut  nécessairement  la  croyance  des  rapports  in- 
times avec  la  divinité,  il  faut  bien  admettre  que  Jésus  a  été 
panthéiste.  Si  réellement  la  conscience  de  Dieu  existe  au  sein 
de  l'humanité,  et  que  Jésus  ait  eu  cette  conscience  à  un  plus 
haut  degré  que  les  autres  hommes,  il  faut  admettre  que  Jésus 
a  été  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  panthéiste  au  monde,  et  nous 
ne  comprenons  pas  la  difficulté  qu'éprouve  le  panthéiste  Re- 
nan à  comprendre  la  nuance  de  la  piété  de  Jésus. 

Mais  il  n'y  a  dans  tout  cela  qu'une  fantasmagorie  absurde.. 
(Nous  prenons  le  mot  dans  le  sens  de  l'école.)  Si  nous  avions 
le  malheur  d'être  panthéiste,  nous  ne  voudrions  pas  nous  pro- 
clamer les  disciples  de  Jésus,  car  nous  trouverions  dans  l'É- 
vangile la  plus  haute  condamnation  du  panthéisme.  C'est  la 
coudamnalion  portée  non  point  au  nom  de  la  raison,  de  la 
Science  et  de  la  philosophie,  mais  par  l'apparition  dans  la 
chair  du  Dieu  vivant,  du  Dieu  personnel,  dont  le  panthéisme 


AOÙHS63.)  PAR   M.    RENAN.  165 

est  la  négation.  Dans  chacune  des  paroles,  dans  chacune  des 
actions,  dans  chacune  des  institutions  de  Jésus,  nous  retrou- 
vons la  manifestation  de  ce  Dieu.  Le  Dieu  de  l'Evangile,  c'est 
le  Dieu  vivant  et  éternel,  le  Dieu  qui  commande  à  la  nature 
et  aux  éléments,  le  Dieu  qui  tue  et  qui  vivifie,  le  Dieu  qui  dé- 
roge aux  lois  de  la  nature,  quand  il  lui  plait  et  comme  il  lui 
plaît.  Pour  affirmer  avec  M.  Renan  que  «  pour  Jésus  la  nature 
n'était  pas  un  règne  limité  en  dehors  de  Dieu,  »  il  faut  ou  bien 
mentir  Fcierament  à  une  vérité  aussi  éclatante  que  le  soleil, 
ou  bien  se  trouver  dans  un  étrange  état  intellectuel. 

Tous  ces  préambules  sont  pourtant  nécessaires  à  M.  Renan 
pour  se  dégager  de  la  grande  difficulté  que  rencontre  le  pré- 
tendu historien  rationaliste.  Car,  d'un  côté,  il  avoue  que«  dès 
ses  premiers  pas  Jésus  s'envisagea  avec  Dieu  dans  la  relation 
d'un  fils  avec  son  père,  que  là  est  son  grand  acte  d'originalité, 
et  qu'en  cela  il  n'est  nullement  de  sa  race  (p.  77) .  »  D'un  autre 
côté  il  écrit  :  «  Que  jamais  Jésus  n'ait  songé  à  se  faire  passer 
pour  une  incarnation  divine,  c'est  ce  dont  on  ne  saurait  dou- 
ter. »  Nous  nous  trouvons  placé  en  face  de  la  question  capi- 
tale :  Jésus  est-il  le  Fils  du  Dieu  vivant?  ce  dogme  se  trouve- 
t-il  dans  son  enseignement  ?  M.  Renan  affirme  que  non  ;  il 
daigne  nous  donner  des  preuves  de  sa  négation.  Discutons-les. 

«  Une  telle  idée  était  profondément  étrangère  à  l'esprit 
juif.  »  Cette  raison  paraît  peu  sérieuse  même  dans  la  bouche 
de  M.  Renan.  11  ne  s'agit  pas  ici  d'une  fiction,  d'un  produit 
de  l'esprit  juif:  la  divinité  de  Jésus,  de  l'Homme-Dieu,  est  un 
fait  unique  et  que  l'on  ne  peut  rejeter  sous  prétexte  qu'il  n'a 
point  de  précédents  et  d'analogues  ;  il  serait  bien  étonnant 
qu'il  en  eût  !  C'est  là  même  ce  qui  prouve  en  faveur  de  son 
caractère  historique.  Voyez,  par  exemple,  ce  qu'a  produit 
l'imagination  indienne,  et  vous  comprendrez  la  différence 
entre  l'histoire  et  le  mythe. 

Une  deuxième  raison  est  «  qu'il  n'y  a  nulle  trgce  de  cette 
idée  dans  les  évangiles  synoptiques.  »  Mais  lorsque,  dans 


i  ;  il  ÉTUDE   SUR   LA   VIE   DE   JÉSUS  [Tomo  MU. 

saint  Luc,  l'ange  annonce  à  Marie  que  «  le  saint  qui  naîtra 
d'elle  sera  appelé  Fils  de  Dieu,»  M.  Renan  relègue  cette  parole 
daus  la  légende  de  Jésus.  Y  relègue-t-il  aussi  cette  autre  pa- 
role: «Toutes  choses  m'ont  été  données  par  mon  Père.  Et 
nul  ne  connaît  le  Fils,  si  ce  n'est  le  Père,  et  nul  ne  connaît  le 
Père  si  ce  n'est  le  Fils  et  celui  auquel  le  Fils  aura  voulu  le  révé- 
ler. »  Cette  parole  se  trouve  dans  les  s3^nopliques  ;  elle  est  raêoïe 
tirée  des  discours  que  M.  Renan  appelle  si  complaisamment 
les  Logia  de  Matthieu,  et  qui  selon  lui,  forment  le  vrai  texte 
primitif  de  ce  livre.  S'il  les  met  de  côté  comme  tant  d'autres 
où  la  même  vérité  est  énoncée,  et  uniquement  parce  qu'elle 
s'y  trouve,  il  lui  sera  facile  de  dire  ensuite  qu'il  n'y  a  pas 
dans  l'Évangile  un  seul  texte  retatif  à  l'incarnation  et  <à  la  divi- 
nité de  Jésus-Chri&t  ;  mais  nous-demandons  à  tout  lecteur  sé- 
rieux, comment  il  faut  qualitier  de  tels  procédés?  Du  reste, 
pour  sa  juste  punition,  M.  Renan  se  verra  condamné  tout  k 
l'heure  à  donner  lui-même  un  démenti  catégorique  à  cette 
seconde  raison. 

En  troisième  lieu,  il  dit  que  «  parfois  Jésus  semble  prendre 
des  précautions  pour  repousser  une  pareille  doctrine.  »  Où 
M.  Renan  a-t-il  vu  ces  précautions?  Nous  l'ignorons  ;  mais 
nous  savons  bien  que,  loin  de  repousser  jamais  pareille  doc- 
trine, Jésus  a,  daus  toutes  les  circonstances,  parlé  et  agi  en 
Dieu.  Le  passage  allégué  par  M.  Renan  est  celui  où  un  chef 
du  peuple  demande  à  Jésus  :  «  Bon  maître,  que  ferai-je  pour 
avoir  la  vie  éternelle  ?  b  Jésus  lui  répondit:  «  Pourquoi  m'ap- 
pelez-vous bon  ?  Dieu  seul  est  bon.  »  Est-ce  que  Jésus  prétend 
ici  n'être  pas  bon?  est-cequ'il  affirme  n'être  pas  Dieu?  Ni  l'un 
ni  l'autre  ;  mais  cet  homme  n'ayant  pas  encore  la  foi  en  la 
divinité  du  Sauveur,  Jésus  lui  reproche  de  lui  donner,  sans 
le  croire  Dieu,  un  nom  qui  ne  convientqu'àDieu.  Si  précaution 
il  y  a  dans  ce  passage,  elle  tend  plutôt  à  repousser  l'idée  qu'il 
n'est  pas  Dieu,  que  l'idée  contraire. 

Une  quatrième  raison  est  que  «  Jésus  est  fils  de  Dieu,  mais 


Aoûtl8(î3.]  PAR   M.  RENAN.       '  167 

tous  les  hommes  le  sont  ou  peuvent  le  devenir  à  des  degrés 
divers.  »  Il  est  regrettable,  dans  les  rares  moments  où  M.  Renan 
prétend  donner  des  raisons,  de  voir  se  présenter  la  question 
de  bonne  foi.  Est-ce  bien  sérieusement  qu'il  prétend  établir 
une  parité  enire  la  manière  dont  nous  sommes  les  fils  de 
Dieu,  et  la  manière  dont  Jésus  affirme  qu'il  l'est  ?  Nous  ne  le 
pensons  pas,  car  la  cinquième  raison  dément  la  quatrième. 

«  L'accusation  de  se  faire  Dieu  ou  Tégal  de  Dieu  est  présen- 
tée, même  dans  l'évangile  de  saint  Jean,  comme  une  calomnie 
des  Juifs.»  M.  Renan  admet  donc  que  les  Juifs  reconnaissaient 
la  grande  originalité  de  Jésus  qui  se  disait  Fils  de  Dieu  d'une 
manière  particulière.  Mais  nous  croyons  encore  une  fois  qu'il 
cherche  à  nous  en  imposer,  car  s'il  est  une  vérité  qui  ressort 
de  Tévangiie  de  saint  Jean,  c'est  celle  de  la  divinité  du  Verbe 
incarné.  L'examen  que  nous  allons  faire  du  passage  allégué 
(c.  V,  V.  18  et  suiv.)  nous  montrera  dans  l'exégèse  de  M.  Renan 
une  grande  affinité  avec  le  délit  connu  sous  le  nom  de  faux  en 
écriture  publique. 

Si,  dans  le  passage  cité,  Notre-Seigneur  avait  eu  l'intention 
de  répondre  non  point  aux  Juifs,  mais  à  M.  Renan,  il  n'eût  pu 
la  faire  d'une  manière  plus  implacable. 

V.  18.  Les  Juifs  cherchaient  d'autant  plus  à  faire  mourir 
Jésus,  que  uon-seulemeut  il  violait  le  sabbat,  mais  il  ap- 
pelait Dieu  son  Père,  et  se  faisait  égal  à  Dieu.  [Ne  voyez-; 
vous  pas,  dit  M.  Renan,  que  l'évangéliste  accuse,  ici  les  Juifs 
de  calomnier  Jésus?]  Mais  «  Jésus  répondit  et  leur  dit: 

49.  «  ....  Tout  ce  que  fait  le  Père,  le  Fils  le  fait  également. 

20.  «  Le  Père  aime  le  Fils  et  lui  montre  tout  ce  qu'il  fait 
lui-même  :  et  il  montrera  des  œuvres  plus  grandes  encore 
pour  que  vous  les  voyiez. 

21.  «  Car  de  même  que  le  Père  ressuscite  les  morts,  et 
vivifie,  de  même  le  Fils  vivifie  ceux  qu'il  veut. 

2-2.  «  Le  Fère  ne  juge  personne,  mais  il  a  donné  tout  le 
jugement  au  Fils. 


^(jS  ÉTUDE   SUR   LA    VIE  DE   JÉSL'S  [Tome  VIII. 

23.  «  Afin  que  tons  honorent  le  Fils  comme  ils  honorent 
le  Père.  Celui  qui  n'honore  pas  le  Fils,  n'honore  pas  le  Père 
qiii  l'a  envoyé. 

24.  «  En  vérité,  en  vérité ;,  je  vous  dis  que  celui  qui 
écoute  ma  parole  et  croit  à  celui  qui  xn'a  envoyé,  a  la  vie  éter- 
nelle.... 

25.  «  Car  de  même  que  le  Père  a  la  vie  en  lui-même, 
ainsi  il  a  donné  au  Fils  d'avoir  la  vie  en  lui-même,  elc,  etc. 

Voilà  le  passage  par  lequel  M.  Renan  préleud  prouver  que 
l'accusation  de  se  faire  Dieu  ou  l'égal  de  Dieu  est  présentée, 
môme  dans  l'évangile  de  saint  Jean,  comme  une  calomnie  des 
Juifs.  Évidemment  il  a  une  confiance  entière  dans  son 
système  de  renvois.  Au  bas  de  chaque  page  vous  trouvez  in- 
diqués cinq  ou  six  passages  des  Evangiles,  passages  qui  ne 
sont  jamais  reproduits  ni  dans  le  texte,  ni  dans  la  note.  Le 
travail  de  recourir  au  texte  est  trop  fastidieux;  donc  il  sera 
permis  de  renvoyer  à  n'importe  quel  passage,  môme  à  ceux 
qui  prouvent  péremptoirement  le  contraire  de  ce  qui  est  avancé 
par  l'auteur.  Ce  procédé  dénote  dans  celui  qui  l'emploie  peu 
de  respect  pour  lui-même,  aussi  bien  que  pour  ses  lecteurs. 

Enfin,  la  grande  raison  d'éliminer  de  l'Évangile  le  dogme  de 
l'Incarnation  est  que  Jésus  est  le  Fils  de  son  Père,  comme 
M.  Renan  est  fils  de  l'abîme.  «  Dans  sa  poétique  conception  de 
la  nature  un  seul  souffle  pénètre  l'univers  :  le  souffle  de  l'homme 
est  celui  de  Dieu.  »  M.  Renan  use  ici  d'une  rare  discrétion; 
nous  ne  trouvons  pas,  au  bas  de  la  page,  la  moindre  petite  note 
pour  nous  renvoyer  à  un  évangile  quelconque.  Il  eût  pour- 
tant été  facile  de  trouver  plusieurs  renvois  aussi  heureux  que 
la  citation  que  nous  venons  d'examiner,  et  qui  eussent  prouvé 
juste  le  contraire  de  ce  qu'il  avance.  Puisque  Jésus  «croyait  à 
Satan  qu'il  regardait  comme  une  espèce  de  génie  du  mal,  »  il 
devait  admettre  au  moins  deux  souffles  dans  l'univers.  Pour- 
quoi M.  Renan  n'en  fait-il  pas  un  dualiste?  Il  poursuit: 
«  L'idéalisme  transcendant  de  Jésus  ne  lui  permit  jamais 


AOÙH803.1  PAR   M.    RENAN.  l&à 

d'avoir  une  idée  bien  claire  de  sa  propre  personnalité  :  il  est 
SON  PÈRE,  ET  SON  PÈRE  EST  LUI  !!!  »  La  pi  lime  nous  tombe  des 
mains  en  présence  d'une  telle  audace.  M.  Renan  nous  fait  ici 
la  même  impression  que  si,  en  plein  midi,  au  milieu  du  désert, 
sous  les  rayons  les  plus  vifs  et  les  plus  accablants  du  soleil,  il 
nous  disait  :  Vous  voyez,  messieurs,  qu'il  fait  nuit,  et  vous 
sentez  qu'il  fait  froid.  Ah!  qu'il  nièce  qui  lui  déplaît  daus 
l'Évangile,  nous  le  comprenons  ;  qu'il  prête  à  Notre-Seigneur 
quelques-unes  de  ses  propres  idées,  et  qu'il  le  taille  à  sa  façon, 
nous  le  concevons  encore.  Mais  introduire  dans  l'Évangile  les 
plus  révoltantes  conséquences  du  panthéisme,  jusqu'à  la  for- 
mule même  de  l'absurde,  et  mettre  cette  formule  dans  la 
bouche  de  Jésus,  c'est  dépasser  toutes  les  limites  qu'il  est  dé- 
fendu, même  à  M.  Renan,  de  franchir. 

Et  cependant  il  ressort  de  ceci  une  consolante  leçon.  Pour 
enlever  à  Notre-Seigueur,  l'Évangile  à  la  main,  la  dignité  de 
Fils  éternel  de  Dieu,  M.  Renan  n'est  pas  seulement  obligé  de 
fouler  aux  pieds  toutes  les  lois  du  respect:  il  faut  encore  qu'il 
renonce  à  toutes  les  exigences  de  la  logique  et  du  bon  S'^s. 

11  trouve  encore  que  les  évaugélistes  ne  croyaient  aucune- 
ment à  la  divinité  de  Jésus:  «  Ils  le  font  agir  en  pur  homme 
(p.  250).»  Quelle  preuve  donne-t-il?  «  Il  est  tenté,  il  ignore  bien 
des  choses,  il  se  corrige,  il  est  abattu,  découragé,  etc..  »  Les 
limites  de  notre  travail  ne  nous  permettent  pas  d'examiner  en 
détail  cette  longue  tirade  où  le  vrai  se  mêle  au  faux,  et  dans 
laquelle  une  nuance  générale  d'impiété  déteint  même  sur  le 
vrai.  Mais  accordons  à  M.  Renan  qu'être  tenté,  etc,  dénote  la 
nature  humaine  ;  qu'à  son  tour  il  confesse,  avec  les  évaugélistes, 
que  commander  à  la  nature,  réaliser  les  prophéties,  annoncer  à 
l'avance  ce  qui  doit  arriver  est  le  propre  de  la  nature  divine, 
et  nous  aurons  la  vérité  complète.  Nous  aurons  la  figure  vi- 
vante de  Jésus-Christ,  qui  ne  s'est  pas  seulement  montré  Dieu, 
mais  homme,  et  qui  dans  son  humanité  a  fait  éclater  la  splen- 
deur de  la  divinité.  Nous  adorerons  Jésus,  Dieu  et  homme  à  la 


170  ÉTUDE   SUR   LA   VIE  DE  JÉSUS  [Tome  M. 

fois,  réunissant  les  deux  natures,  divine  et  humaine,  dans  l'u- 
nité de  sa  personne  divine. 

M.  Renan  est-il  convaincu  que  Jésus  se  regardait  comme  un 
pur  homme?  Nous  ne  le  pensons  pas.  La  vérité  lui  échappe 
malgré  lui  à  travers  ses  mille  ambages,  tours  et  détours  : 
«  Jésus  franchissait  d'un  bond  l'abîme,  infranchissable  pour 
la  plupart,  que  la  médiocrité  des  facultés  humaines  trace 
entre  l'homme  et  Dieu  (p.  247).  »  Qu'est-ce  à  dire?  Cet  abime 
n'est-il  pas  infranchissable  pour  tous,  ou  bien  les  facultés  hu- 
maines, en  devenant  plus  parfaites,  le  feront- elles  disparaître? 
Dans  ce  cas,  cet  abîme  n'est  absolument  infranchissable  pour 
personne.  C'est  du  panthéisme  tout  pur  :  V  «  abîme  infran- 
chissable »  n'est  plus  même  une  simple  ligne  de  démarcation. 
.  Mais  celui  qui  nous  sépare  du  Dieu  de  Jésus,  du  Dieu  qui  fait 
des  miracles,  est  infranchissable  pour  tout  autre  que  pour 
l'Homme-Dieu,  et  confesser  que  Jésus  franchissait  cet  abîme, 
c'est  proclamer  au  moins  que  Jôsïis  se  considérait  lui-même 
comme  Dieu  et  se  faisait  adorer  comme  t(4. 

M.  Renan  ajoute  :  «  On  (je?)  ûe  nie  pas  qu'il  y  ait  dans 
ces  affirmations  de  Jésus  le  germe  de  la  doctrine  qui  devait 
faire  plus  tard  de  lui  une  hfjpostase  divine,  en  l'identifiant  avec 
le  Verbe  ou  Dieu  second,  ou  fils  aîné  de  Dieu,  ou  ange  mé 
tatrôno  que  la  théologie  juive  créait  d'un  autre  côté.  » 

Cet  aveu,  malgré  les  sottises  qui  l'accompagnent,  est  la  né- 
gation complète  de  l'assertion  citée  plus  haut,  que  Jésus  n^a 
certainement  jamais  songé  à  se  faire  passer  pour  une  incarna- 
tion divine.  Eh  quoi  !  vous  partagez  les  discours  de  Jésus  en 
deux  parties.  L'une  de  ces  parties,  vous  la  rejetez  a  priori,  sans 
aucun  fondement  ni  rationnel  ai  historique,  uniquement  parce 
qu'il  vous  plaît  ainsi,  afin  d'échapper  à  la  nécessité  d'adorer 
l'hjpostase  divine,  le  Verbe  de  Dieu  manifesté  dans  la  cbair  ; 
et  quant  aux  témoignages  que  vous  conservez,  parce  que  d'a- 
bord ils  vous  ont  semblé  moins  explicites,  vous  êtes  obligé  de 
convenir  que  le  germe   de  la  même  doctrine  s'y  trouve  ren- 


AoiU18i;3.!  PAU    .V..    lU.NAN.  I7i 

lermé  !  Que  pouvez-vous  désirer  de  plus,  si  Jésus  est  réellement 
Dieu  ?  Pouvait-il  nous  mieux  l'aire  counaître  sa  divinité  qu'en 
prononçant  deux  espèces  de  paroles  dont  les  unes  exprimaient 
directement  ce  dogme  tandis  que  les  autres  en  contenaient  le 
germe  ?  Or,  c'est  le  triage  que  vous  faites  vous-même,  et  vous 
osez  nous  dire  que  certainement  Jésus  n'a  jamais  songé  à  se 
faire  passer  pour  une  Incarnation  divine  ! 

Il  y  aurait  donc  un  grand  travail  à  faire  pour  M.  Renan, 
celui  de  se  mettre  d'accord  avec  lui-même.  Mais  comment  le 
pourrait-il  quand  tous  ses  soins  se  concentrent  à  mettre  d'ac- 
cord la  doctrine  chrétienne  et  le  Talmud,  et  à  nous  prouver, 
à  nous  chrétiens,  que  nos  dogmes  ne  nous  viennent  nullement 
de  Jésus-Christ,  mais  des  élucubrations  des  rabbins  !  Nous  qui 
croyons,  nous  sommes  à  ses  yeux  des  talmudistes  ;  lui  qui  a 
cessé  de  croire  d'une  manière  absolue,  il  est  le  vrai  chrétien  ! 
La  doctrine  de  la  sainte  Trinité,  qui  n'est  que  pauvrement  in- 
diquée dans  l'Évangile,  il  la  trouve  vivante  dans  l'esprit  sémi- 
tique de  celle  époque,  lien  est  de  même  de  l'Incarnation. 
«  Une  sorte  de  besoin  amenait  cette  théologie,  pour  corriger 
rextrème  rigueur  du  vieux  monothéisme,  à  placer  auprès  de 
Dieu  un  assesseur  autjuel  le  Père  éternel  est  censé  déléguer 
le  gouvernement  de  l'univers.  La  croyance  que  certains  hom- 
mes ont  des  incarnations  de  facultés  ou  de  puissances  divines, 
était  répandue.,.  C'était  le  germe  du  procédé  qui  a  engendré 
les  Sephiroth  de  la  Cabbaie,  les  ^Eons  du  Gnotiscisme,  les 
hypostases  chrétiennes,  toute  cette  mythologie  sèche,  consis- 
tant en  abstractions  personnifiées,  à  laquelle  le  monothéisme 
est  obligé  de  recourir  quand  il  veut  introduire  en  Dieu  la  mul- 
tiplicité (p.  248).  » 

Nous  demandons  pardon  à  nos  lecteurs  de  mettre  sous  leurs 
yeux  ces  lignes  où  la  crudité  du  blasphème  le  dispute  à  l'inep- 
tie des  rapprochements  et  à  l'ignorance  radicale  du  sujet 
traité  ! 

M.  Renan  sait-il  que  les  hypostases  chrétiennes  sont  trois 


472  ÉTUDE    SUR   LA   VIE   DE   JÉSUS  [Tome  VIII. 

personnes  distinctes  l'une  de  l'autre,  mais  participant  toutes 
trois  à  une  même  nature,  qui  est  la  nature  divine  elle- 
même? 

Sait-il  que  la  doctrine  des  cbréliens  sur  Trinité  n'est  pas 
moins  monolliéisie  que  celle  des  Israélites  sur  Jéhovah  ? 

Sait-il  que  les  vestiges  du  mystère  de  la  sainte  Trinité  se 
trouvent  dans  tout  l'Ancien  Testament,  non-seulement  dans 
les  derniers  liVres,  mais  dans  tous,  depuis  le  premier  jusqu'au 
dernier  ? 

Sait-il  que  les  livres  qu'il  fait  remonter  à  deux  siècles 
avant  Jésus-Christ,  se  trouvaient  dans  le  canon  des  Juifs 
plus  de  quatre  cents  ans  avant  la  naissance  du  Sauveur? 

Sait-il  qu'entre  les  Éons  du  gnosticisme  et  le  mystère  de  la 
sainte  Trinité,  il  y  a  la  même  ressemblance  qu'entre  sa  Vie 
de  Jésus  et  les  récits  des  Évangélistes,  c'est-à-dire  aucune  ? 

Sait- il  que  ces  mêmes  Éons  sont  postérieurs  et  non  contem- 
porains à  l'époque  où  vécut  Jésus-Christ,  et  que  ces  rêves  sont 
sortis,  non  du  besoin  de  corriger  un  monothéisme  trop  rigide, 
mais  de  l'opposition  à  la  vérité  des  trois  hypostases  divines, 
dont  l'une  s'est  incarnée  ? 

Sait-il  que  les  Sephiroth  Je  la  Cabale  ne  procèdent  pas 
plus  que  les  Éons  des  gnostiques,  du  besoin  de  corriger  un 
monothéisme  trop  rigide,  et  que  les  Juifs,  avec  tous  leurs 
Sephiroth,  sont  demeurés  aussi  monothéistes  que  par  le 
passé  ? 

Sait-il  que  Simon  le  Magicien  n'essaya  de  se  faire  passer 
pour  la  vertu  de  Dieu,  chez  les  Samaritains,  après  l'Ascension 
du  Sauveur,  que  pour  attirer  sur  sa  personne  quelque  chose 
du  culte  que  la  prédication  d'une  hypostase  divine  incarnée 
procurait  à  Jésus-Christ?  Et,  sait-il  ce  qu'il  en  advint? 

S'il  voulait  ouvrir  les  yeux  à  la  lumière,  il  verrait  dans  tout 
ce  travail  éonique  les  efforts  impuissants  que  fit  l'esprit  des 
ténèbres  pour  obscurcir  le  mystère  de  la  Trinité  et  celui  de 
l'Incarnation.  Et  s'il  voulait  évoquer  quelques  souvenirs  de  ses 


XoûH863.j  PAR  M.   RENAN.  ^73 

années  passées,  s'il  consentait  h  voir  ce  qui  se  passe  dans 
le  monùe  des  esprits  et  dans  le  monde  des  cœurs,  il  ne  nous 
parlerait  point  de  la  «  sécheresse  »  de  ces  mêmes  dogmes, 
qui  sont  aujourd'hui  de  la  «  mythologie  pour  lui.  » 

Un  moment  il  semble  comprendra  l'inconvenance  de  ce  lan- 
gage, et  il  ajoute  :  «  Jésus  parait  être  resté  étranger  à  ces 
raffiuements  de  théologie  qui  devaient  bientôt  remplir  le 
inonde  de  disputes  stériles.  «Tout cela  doit  donc  être  mis  sur 
le  compte  de  AI.  Renan  seul,  et  non  sur  le  compte  de  Jésus. 
Eu  vérité,  le  dédain  avec  lequel  M.  Renan  parle  des  a  raffine- 
ments de  théologie  »  nous  paraît  superbe,  et  celui  qu'il  affiche 
pour  Jésus  est  de  tout  point  transcendant.  Eu  vérité  Jésus 
est  noblement  défendu,  quand  son  cinquième  évangéliste  nou  s 
déclare  qu'il  paraît  être  resté  étranger  aux  éons  du  gnosticisme 
et  aux  sephiroth  de  la  Cabale.  Et  encore,  M.  Renan  n'en  est 
pas  sûr  !  La  vision  qui  lui  est  apparue  en  Palestine  ne  l'en  a 
pas  instruit  complètement  ! 

Si  M.  Renan  n'a  pas  la  faculté  de  distinguer  entre  Dieu, 
notre  Père  qui  est  au  ciel,  et  le  buthos  ou  abîme  des  éons,  si 
la  Trinité  chrétienne  n'est  pas  pour  lui  distincte  des  sephiroth, 
de  quel  droit  vient-il  nous  parler,  après  dix-huit  siècles  de 
christianisme,  de  la  Trinité  et  de  J'sus?  Qu'il  nous  parle  des 
gnostiques,  à  la  bonne  heure!  C'étaient  des  rêveurs  absurdes, 
il  n'est  pas  ^rcs-éloigné  de  leur  école  ;  mais  quand  il  y  mêle  le 
nom  de  Jésus  ou  le  mystère  de  la  Trinité,  nous  sommes  eu 
droit  de  dire  qu'il  n'y  entend  rien.  Et  quand  il  prétend  que 
les  «  raffinements  de  la  théologie  »  auxquels  Jésus  est  resté 
étranger,  comprennent  les  hypostases  ou  les  personnes  divines 
ce  n'est  pas  son  intellect  seulemenl  qui  nous  semble  être  en 
défaut.  Car  entre  plusieurs  textes  qu'il  laisse  subsister,  se 
trouve  celui-ci  :  «  Instruisez  toutes  les  nations  et  baptisez-les 
au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  saint  Esprit.  »  Que  veut-il  de 
plus  clair  que  cette  formule  ? 

J.-I.  SiMONIS, 


LITURGIE. 


REPONSES    A    QUELQUES    QUESTIONS. 


PREMIERE   QUESTION. 

Des  rapports  du  chant  ecclésiastique  avec  les  règles 
de  l'Église. 

Nous  avons  précisé,  le  mieux  qu'il  nous  a  été  possible  de  le 
faire,  les  rapports  du  chant  ecclésiastique  avec  les  règles  de 
l'Église,  t.  I,  p.  233,  en  répondant  à  cette  question  :  Qu'est-ce 
que  le  chant  romain?  Le  Cérémonial  des  évèques  avons-nous 
dit,  se  borne  à  donner  des  principes,  comme  il  le  fuit  en  par- 
lant des  draperies  destinées  à  la  décoration  des  églises.  Mais 
ne  pourrait-on  pas  donner  encore  des  règles  pour  l'applica- 
tion de  ces  principes?  En  réfléchissant  sur  les  questions  qui 
nous  ont  été  faites,  en  puisant  aux  sources,  et  après  avoir 
consulté,  sur  ce  point,  des  personnes  instruites,  voici  ce  que 
nous  croyons  pouvoir  dire  à  cet  égard. 

1°  De  même  que  les  peintures  profanes  ou  inconvenantes 
ne  doivent  pas  paraître  dans  nos  églises,  de  même  ou  doit 
en  exclure  tout  chant  profane.  Ou  peut  entendre  par  là 
celui  qu'une  coutume  ancienne  applique  à  des  chansons 
profanes.  Il  arrive  parfois  que  certains  chants,  plus  ou  moins 
harmonieux,  donnent  lieu  à  des  rapprochements  singuliers  : 
telle  une  certaine  mélodie  du  Tantum  ergo,  morceau  si  grave 
et  si  pieux,  dont  un  passage  rappelle  absolument  l'air  de 
cette  chanson   si  connue  :  Fi^ére  Jacques,  dormez-vous?  Qic..> 


AoÛtl8G3.]  LITURGIE.  175 

On  pourrait  même  dire,  en  règle  générale,  que  les  airs  appro- 
priés aux  cantiques  en  langue  vulgaire,  ne  peuvent  convenir 
aux  prières  liturgiques.  Personne,  nous  le  pensons,  ne  se 
sentira  disposé  à  contredire  cette  assertion. 

S'^  En  parcourant  avec  attention  les  livres  d'Office,  on  ne 
peut  s'empêcher  de  reconnaître  que  l'Eglise  a  attaché  une 
idée  à  certaines  modulations,  comme  elle  Ta  fait  pour  la  forme 
et  la  position  des  églises,  la  forme  et  la  couleur  des  vêtements 
sacrés,  et  pour  tout  ce  qui  constitue  le  culte  divin.  Ou  ne 
peut  pas,  sans  doute,  taxer  de  violation  des  règles  de  la  litur- 
gie l'inobservance  de  certains  détails  dans  cet  ordre  de  choses, 
mais  il  est  à  désirer  que  tous  soient  observés,  et  en  négliger 
un  grand  nombre  serait  détruire  l'ensemble.  Donnons  quelques 
exemples.  Dans  certaines  églises,  nous  avons  entendu  chanter 
0  salutaris  Hostia  I  sur  les  chants  des  hymnes  Creator. aime 
siderum,  Audi  bénigne  conditor,  Vexilla  régis  prodeunt,  pen- 
dant i'Avent,  le  Carême  et  au  temps  de  la  Passion  ;  nous 
avons  entendu  chanter  l'hymne  Exultet  orbis  gaudiis  sur  le 
chant  de  l'hymne  Audi  bénigne  conditor,  aux  Vêpres  de  saint 
Matliias.  Évidemment,  les  chants  dont  nous  parlons  ne  con- 
viennent point  aux  paroles  qui  leur  ont  été  adaptées.  Comme 
nous  nous  proposons  de  traiter  ces  questions  plus  en  détail, 
nous  nous  bornons  à  ces  observations. 

DEUXIÈME   QUESTION. 

L'usage  d'alterner  le  chant  du  Credo  entre  le  chœur  et  un  chantre 
placé  à  l'orgue,  est-il  conforme  aux  règles  de  la  liturgie? 

Nous  ne  le  pensons  pas.  Pour  motiver  notre  opinion  sur  ce 
point,  il  suffit  de  rappeler  les  règles  posées  par  le  Cérémo- 
nial des  évêques  sur  les  questions  suivantes  :  1°  quelle  est  la 
fonction  de  l'orgue  ;  2°  quelles  sont  les  parties  de  la  Messe  ou 
de  l'office  qui  peuvent  être  suppléées  par  le  son  de  l'orgue  ; 
3°  les  parties  de  la  Messe  ou  de  l'office  qui  ne  peuvent  pas 


176  LITURGIE.  [Tome  VIU. 

être  suppléées  par  le  son  de  l'orgue,  peuvent-elles  être  chan- 
tées pi  es  de  l'orgue  par  un  seul  chantre? 

I.  L'orgue  a  une  douhle  fonction  :  1°  remplir  quelques  mo- 
ments de  silence  pendant  les  saints  ofEces  ;  2°  suppléer  certaines 
parties  qui  seraient  chantées  au  chœur,  s'il  n'y  avait  pas  d'or- 
gue. Quelquefois  aussi  l'orgue  accompagne  le  chant  du  chœur. 
La  première  fonction  de  l'orgue,  qui  est  de  remplir  certains 
moments  de  silence,  est  clairement  exprimée  dans  le  Cérémo- 
nial des  évêques,  1.  i,  c.  xxviii,  n.  3  et  A.  On  y  prescrit  de  tou- 
cher l'orgue  à  l'entrée  de  l'évèque  ou  d'un  prélat.  La  même 
chose  est  indiquée,  ibid.  n.  9,  pour  l'offertoire  de  la  Messe  so- 
lonnelle,  et  durant  l'élévalion  ;  et  ailleurs  encore  dans  le  cours 
du  même  chapitre.  La  deuxième  fonction  de  l'orgue  est  spé- 
cialement traitée  aux  n"^  8  et  9. 

n.  Aux  vêpres  solennelles,  ou  touche  l'orgue  à  la  fin  de 
chaque  psaume  {Ibid.,  n.  8);  et  le  son  de  l'orgue  peut  rem- 
placer la  répétition  de  l'antienne  {Jbid.,  1.  ii,  c.  i,  n,  8).  On 
peut  alterner  le  son  de  l'orgue  avecle  chant  du  chœur  pendant 
l'hymne  et  le  cantique  {Ibid.,  1.  i,  c.  xxvni,  u.  8),  et  Catalani 
fait  meution  de  l'usage  de  certaines  églises  de  faire  la  même 
chose  au  dernier  psaume.  A  la  Messe,  on  joue  de  l'orgue  al- 
ternativement au  Kyrie  eleison,  au  Gloria  in  excelsis,  au  San- 
clus  et  à  VAgnus  Dei  {Ibid.,  n.  9).  On  lit  au  n"  suivant  :  Sed 
cum  dicitur  symbolum  in  Missa,  non  est  intermiscendum  orga- 
num,  sed  illud  per  chorum  cantu  intelligibili  proferatur.  Cette 
règle  est  suivie,  du  moins  en  partie,  dans  toutes  les  églises.  Il 
n'en  est  aucune  à  notre  connaissance,  où  l'orgue  supplée  cer- 
taines parties  du  symbole  sans  être  accompagné  au  moins  par 
une  voix.  La  raison  de  cette  règle  est  que  le  symbole  est  une 
profession  de  foi,  et  l'usage  de  certaines  églises,  où  tout  le 
chœur  chante  ensemble  le  Credo  sans  alterner  entre  les  deux 
côtés,  est  mentionné  et  regardé  comme  très-louable  par  d'an- 
ciens liturgisles  célèbres.  La  même  règle  s'applique  au  pre- 
mier verset  des  hymnes  et  des  cantiques,  aux  doxologies,  et 


Août  1861.]  LITURGIE.  177 

aux  versets  pendant  lesquels  on  doit  se  mettre  à  genoux.  Toutes 
ces  parties  de  l'ullice  doivent  être  chantées  par  le  chœur, 
quand  même  il  aurait  chanté  le  verset  précédent  [Ilnd.,  n.  6). 
III.  Toutes  les  fois  que  le  son  de  l'orgue  remplace  le 
chant  de  quelques  paroles,  ces  paroles  doivent  toujours  être 
prononcées  dans  le  chœur  d'une  manière  ntelligible,  et  il  se- 
rait louable  qu'elles  fussent  chantées  par  un  chantre  {Ibid., 
n.  7).  Celte  rubrique,  relative  à  la  manière  de  se  servir  de 
l'orgue,  fait  d'abord  une  prescription,  qui  consiste  à  ne  rien 
omeitre  de  ce  qui  fait  partie  de  Toffice;  de  plus  elle  donne  un 
conseil,  savoir,  de  faire  chanter  par  un  cliaufre,  plutôt  que  de 
les  réciter  simi)lement,  les  parties  de  l'office  que  l'oigue  sup- 
plée. Les  parties  de  l'office  exécutées  de  cette  manière  sont 
donc,  aux  termes  du  Cérémonial,  proprement  suppléées  par 
l'orgue,  et  par  conséquent  ni  aucun  verset  du  Credo,  ni  le 
premier  verset  des  hymnes  et  des  cantiques,  ni  les  doxologies, 
ni  les  versets  pendant  lesiiuels  on  se  met  à  genoux,  ne  peuvent 
être  chantés  par  un  seul  chantre  accompagné  par  l'orgue,  ou 
plutôt  accompagnant  l'orgue. 

TROISIÈME   QUESTION. 

Que  doit-on  penser  de  la  pratique  de  certaines  communautés  pour 
la  récitation  des  Litanies  des  Saints  le  jour  de  saint  Marc  et 
les  trois  jours  des  Rogations,  oh  le  prêtre  qui  doit  célébrer  la 
Messe  récite  à  l'autel  ces  Litanies,  étant  revêtu  de  tous  les  or- 
nements de  la  couleur  qui  convient  à  la  Messe  du  jour? 

Cet  usage  nous  parait  difficile  à  justifier.  Les  Litanies  ainsi 
récitées  parles  membres  d'une  communauté,  ne  nous  semblent 
pas  avoir  le  caractère  d'une  cérémonie  publique,  et  celui  qui 
préside  à  cet  exercice  n'est  point,  par  conséquent,  revêtu  d'or- 
nements. Si  c'était  une  cérémonie  publique,  les  ornements  se- 
raient l'étole  violette  avec  ou  sans  la  chape.  P.  R. 


LE  SÉMINAIRE  FRANÇAIS  A  ROME. 


Il  y  a  dix  ans,  une  pieuse  Congrégation,  représentée  par 
un  de  ses  membres  les  plus  distingués,  fondait  à  Rome  le 
Séminaire  français.  L'établissement  s'ouvrit  à  la  rentrée  de 
1853.  Bien  peu  d'élèves  se  rangèrent,  dès  ces  premiers  dé- 
buts, autour  du  P.  Lannurien.  On  commençait;  Tinstitution 
n'avait  pas  encore  la  sanction  de  l'expérience  et  du  succès  : 
quoique  fondée  avec  le  concours  de  l'autorité  ecclésiastique, 
elle  n'avait  pas  non  plus  celte  approbation  définitive  et  su- 
prême que  Rome,  dans  sa  prudence,  n'accorde  qu'après  une 
épreuve  suffisante.  Enfin,  la  France  savait  déjà  le  chemin  de 
Rome,  sans  doute,  et  les  rapports  doctrinaux  avec  le  centre 
de  la  catholicité  étaient  devenus  plus  fréquents  qu'autrefois, 
mais  on  n'avait  guère  l'habitude  d'aller  étudier  dans  des 
écoles  aussi  lointaines. 

La  petite  famille  réunie  dans  la  maison  louée  pour  le  sémi- 
naire près  de  la  place  du  Grillo,  atteignit  à  peine,  dans  le  cours 
de  cette  première  année,  le  chijffre  de  dix  ou  douze.  Depuis,  ce 
nombre  s'est  développé  considérablement;  le  local  provisoire 
du  Grillo  a  été  abandonné  pour  un  établissement  définitif, 
placé  on  ne  peut  mieux  au  centre  des  écoles  et  des  biblio- 
thèques :  enfin,  le  Souverain-Pontife,  par  lettres  apostoliques 
accordées  sur  la  demande  de  76  évoques  de  France,  a  donné 
à  l'œuvre  sa  dernière  consécration. 

Le  digne  P.  Lannurien  n'a  pas  vu  toutes  ces  choses.  Une 


Août  1863.]  LE   SÉMINAIRE   FRANÇAIS    V   ROME.  179 

terrible  maladie  l'enleva,  en  septembre  1854,  à  l'amour  et  à 
la  vénération  de  ses  enfants.  Mois  son  esprit  lui  survécut  dans 
ses  successeurs,  qui  se  mirent  à  l'œuvre  avec  le  même  dé- 
vouement et  la  même  intelligence  :  nous  aimons  aussi  à 
penser  que^,  d'un  séjour  meilleur,  il  se  souvint  de  sa  chère 
maison,  et  que  ses  prières  furent  pour  beaucoup  dans  les  ré- 
sultats si  consolants  que  nous  venons  d'indiquer. 

Pendant  cette  période  de  dix  années,  et  à  partir  même  du 
commencement,  les  élèves  du  Séminaire  français  se  sont  créé 
une  place  honorable  dans  les  diverses  écoles  dont  ils  fré- 
quentent les  cours,  au  Collège  romain,  à  l'Université  de  la 
Sapience,  au  Lycée  pontifical  du  Séminaire  romain.  Ils  se  sont 
distingués  dans  les  exercices  publics  et  dans  les  concours  :  un 
grand  nombre  d'entre  eux  ont  reçu  des  grades  en  théologie 
ou  en  droit  canon,  soit  au  Collège  romain,  soit  ailleurs. 

Il  y  a  quelques  jours,  M.  l'abbé  Didiot,  du  diocèse  de  Ver- 
dun, soutenait,  dans  VAula  maxima  du  Collège  romain,  un  de 
ces  exercices  entourés  d'nne  solennité  exceptionnelle ,  qui 
n'ont  lieu  qu'à  de  rares  intervalle?,  ordinairement  chaque  an- 
née. Ou  remarquait  dans  l'assistance  beaucoup  de  person- 
nages mar(|uants,  et  même  plusieurs  princes  de  l'Église. 
Le  soutenant  s'est  trouvé  à  la  hauteur  de  cette  distinction. 
Par  l'étendue  de  sa  science,  toujours  sûre  d'elle-même,  par  la 
précision  de  ses  réponses,  par  la  beauté  et  la  facilité  de  son 
élocution,  il  a  constamment  captivé  l'attention  d'un  audi- 
toire qui  a  le  droit  de  se  montrer  difficile,  et  qui  l'est  eu 
effet. 

Nous  croyons  que  nos  lecteurs  liront  avec  intérêt  le  petit 
discours  prononcé  en  cette  circonstance.  Ils  y  trouveront,  sur 
le  Séminaire  français  et  sur  l'esprit  qui  anime  cette  maison 
si  chère  à  tous  ceux  (|ui  l'ont  connue,  des  choses  que  nous  ne 
pourrions  exprimer  aussi  bien.  Ils  verront  aussi  que  nos  com- 
patriotes apprennent  dans  la  capitale  du  monde  catholique  ce 
beau  latin  dont  Rome  a  conservé  la  tradition. 


180  LE   SÉMINAIRE   FRANÇAIS   A   ROME.  [Tome VIII- 


Oratio  qnam  hahuit  Jnlius  Didiot  Viî'dunensis  diun  in  Collegio 
S.  J.  Romano  Thèses  theologkas  puhlicepropugnavit  XII  Kal.  Aug. 
MDCCCLXIII. 


Cum  primiis  e  Gallico  in  hac  Urbe  Seminario  Pii  Noni  Pontificis 
Maximi  indulgentia  et  auctoritale  recens  comprobato,  in  hanc  publicam 
arenam  piodeam  et  ex  hoc  loco  sane  conspiciio  plura  theologicae  disci- 
plinas dogmatii  propugnaiida  suscipinm,  Patres CardinalesEminentissirai, 
Prœsules  amplissimi,  Viri  quotqiiot  adeslis  ornatissimi,  bine  linior 
quidam,  iiteos  qui  primi  vadum  tentàré;^iribus  non  salis  firmisaudent, 
meum  qu.idamtenus  animum  praepedil  ;  inde  tamen  alpcrem  eterectum 
dat  qiiae  mentem  subit  et  suaviter  aiiicit  cogitalio. 

Quum  eniin  praîstantissimi  Galliarum  Episco|)i  septuaginta  sex,  quo 
nosirùni  juvenum  in  Ecclesiae  spem  succrescenliurn  uliHlali  consulerent, 
et  diœcesiim  quibus  regendis  a  Spiritu  Sancto  sunt  positi  corainoditati 
prospicerent,  datis  ad  Piiim  Nonum  litteris,  poslidaverint  ul  Gallicum 
Seminarium  Romaea  Patribus  Congregationis  Sancii  Spiiitus  et  Imma- 
culali  Cordis  Beatai  Mariae  Virginis  optimo  consilio  jam  inrhoatum, 
aposlolica  aucloritate  confirmaretur  ;  et  nihil  magis  optent  quam  operis 
a  se  procurati  fruclum  aliquem  percipere  :  divina  Providentia  factuno 
est  ut  ego  hodierna  hac  mea  concertatione,  qua!isdemumcumque  futura 
sit,  eorum  obsequar  votis  et  paternae  voluntati  si  ni)D  parem,  eam  certe 
quam  pra3stare  alumnus  potest,  ex  anime  referam  gratiam. 

Et  jure  sane:  beneficium  enim  quod  ex  nnstri  Semiuarii  instilutione 
in  nos  promanat,  adeo  grande  et  sanctum  est,  ut  illiid  animo  quidem 
gralo  recolere,  sed  oratione  mea  enarrare  nullus  i)ossim.  ISiniirum, 
quaravis  in  Catholicis  Seminariis  Ecclesiaruni  quae  per  universum  or- 
bem  ditïusaî  divina  consorlione  cum  Romana  Sede  devinciunlur,  incor- 
rupta  disciplinae  ratio  atque  casit  humanaeac  divinsesapientiae  supellex 
quœ  sacerdotes  deceat:  in  hac  Urbe  tamen,  quae  Calhoiici  Urbis  caput 
et  mater  est,  quœ  oh  principahorora  Pétri  Cathedram  (idei  columna 
est  atque  principium  catholicae  unitatis,  quse  propler  Eum  qui  princeps 
Episcoporum  et  pastoraHs  principatus  dignitate  praestans  Christi  vice 
fungitur  fjcta  est  magistra  catboHcae  veritatis,  ncmo  est  nescius  quanto 
uberior  et  salubrior  bauriatur  divinarum  rerum  cognilio,  quanto  purior 
et  sanctior  vitae  sacerdotahs  institutio  habeatur. 

Tantum  porro  munus  nobis  est  concessam. 

Nam,  ut  verbis  utar  Optimi  Patris  et  Pastoris  Summi  Pii  Noni,  in 


AoûttSOS.]  LE   SrMiNAIRE   FRANÇAIS   A   ROME.  \Bi 

litteris  aspostolicis  quib'us  Serainariuni  Gallicum  in  Urbe  erigitur  et 
Congregationi  Sancti  Spiritus  et  Immaculati  Conlis  BeatiB  Mariae  Vir- 
ginis  committitur,  «  ad  hoc  nostriirn  Seminar'mm  est  comparatura  ut 
«  Pliilosophiam,  Theologiam,  Sacros  RiUis  et  Caeremonias  ex  Romanae 
«  Ecclesiai  omnium  Ecclesiarum  matris  et  magistrae  more  institutisque 
«  condiscamus  ;  et  in  ecclesiasticas  disciplinas  addiscendas  diutius 
«  incumbere,  ac  veram  germanamque  divinartnn  sacranimque  rerum 
«  cognitioncm  et  scientiam  ex  ipso  fonte  majorem  in  modum  haurire 
«  et  coiisequi  possimus  :  qno  ipsi  religionis  pietatisque  studio  et  vero 
«  ecclesiastico  spiritu  incensi  ac  sana  solidaque  doctrina  instructi  in 
«  Galliam  redeuntes,  rei  praesertim  sacrae  usui  et  ornamento  esse  atque 
«  auxiiiariiini  propriis  sacrorutn  Antistitibus  in  vinea  Doniini  excolenda 
a  et  sempiterna  hominiim  salule  procuranda  operani  navare  queamiis.» 

Quod  si  laudes  ainplissimas  Galliarum  Episcopi  ab  ipso  Pontifice 
Maxime  meruerunt,  cum  «  hoc  facto  luculenter  os'er.dant  (ipsa  sunt 
«  Pontiticis  verba),  ac  testentur  quo  singulariamore,  obsequio  etvene- 
«  ratione  Romanam  prosequantur  Ecclcsiam  ;  et  quam  vehenienter 
G  ipsi  cupiant  suos  clericos  et  sacerdotes  sacris  praesertim  disciplinis 
a  accurate  penitusque  imbui  et  erudiri  ;  »  certe  a  nubis  qui  tanto 
fruimur  beneficio  majores  sunt  illis  et  laudes  delercndae  et  gratiae  ha- 
bendae  ;  alque  efficiendura  omnino  ut  «  quae  de  natali  suo  fonte  sapien- 
«  tiae  aquae  procedunt  (loquor  cum  Innocentio  primo  ad  concilium 
«  Cartliaginiense),  avidius  colligamus  et  capilis  incorrupti  latices  puros 
«  in  nostras  regiones  derivemus.  » 

Hiijus  aulera  nostrae  sollicitudinis,  gratique  animi  significationem 
cum  ipse  hodie  coram  Vobis,  Viri  praestantissimi,  exhibere  aggrediar, 
laetor  enimvcro  et  gaudeo  quam  qui  maxime. 

Nova  porro  mex  laetitiae  inde  fit  accessio  quod  hoc  anno  quo  tam 
solemniter  Tridenti  festa  saecularia  celebrata  sunt,  plures  mihi  Triden- 
tini  canones  de  Pœnitentia,  de  Extrema  Unclione  et  de  Matrimonio 
sunt  propugnandi  ;  et  quod  inter  catholicae  doctrine  placila  mihi  defen- 
denda  ea  sunt  quae  Malrimonii,  quod  »i  m;ignura  Sacramentum  est  in 
«  Christo  et  in  Erclesia,  »  germanam  prcebent  et  explanant  rationem. 
Quae  majori  luce  collustrata  cum  fucrint  nostris  hisce  temporibus 
solenmibus  Pii  Noni  Pontiticis  Maximi  déclara tionibus.  illis  autem  fide- 
lissime  inhaereani  illasque  tuear  sanclissinie,  clarius  ostendain  profecto 
Galliae  sacerdotalis  obsequium  erga  lllum  qui  arbiter  est  ligandorum 
et  solvendorum^  in  terreno  judicio  judex  cœli. 

Quare,  quanquam  ingénie  et  viribiis  diffîsus  meis,  quas  sentio  quam 
sint  exiguae,  audeo  taraen  me  Vobis,  Paires  Cardinales  Eminenlissirai, 


l8i  LE   SÉlIiNAiRE   FRANÇAIS   A   ROME.  [Toiiiô  Mil 

Praesules  amplissimi,  Viri  ornatissimi,  spécimen  meimet  daturus  sislere, 
cum  suavi  qijod  exposui  consilio  confirraatus,  tura  sustentalus  Veslra 
humanitate  ei  sapientia  qu»  niilitem,  pêne  dixerim  novitiimi,  primum 
publiée  decertantem  gralia  et  favore  suo  juvabit. 

Le  Séminaire  français  est  appelé,  croyons-nous,  à  rendre 
d'immenses  services.  Placé  à  la  source  de  l'esprit  apostolique, 
à  l'ombre  de  la  Chaire  de  Pierre,  près  des  tombeaux  des 
apôtres  et  des  martyrs,  sur  le  sol  illustré  par  leurs  combats 
et  leurs  triomphes,  il  est  par  cela  même  dans  une  situation  qui 
exerce  l'influence  la  plus  profonde  sur  la  formation  du  prêtre. 
Les  grâces  y  abondent,  la  piété  ne  peut  manquer  d'y  fleurir. 
En  outre,  Rome  est  proprement  la  ville  des  sciences  théolo- 
giques :  c'est  là  leur  centre  naturel  ;  elles  y  ont  d'illustres  re- 
présentants dans  tous  les  genres,  et  le  Collège  romain,  en  parti- 
culier, a  toujours  été  une  école  des  plus  illustres.  Sous  ce  rap- 
port aussi,  aucune  ville  ne  pourrait  ofi'rirles  mêmes  ressources. 

C'est  aujourd'hui  le  seul  établissement  national  où  l'on 
puisse  trouver  une  instruction  tliéologique  complète  et  vérita- 
blement à  la  hauteur  de  la  science.  Mais,  alors  même  que 
l'enseignement  théologique  sera  rétabli  parmi  nous,  —  et  ce 
besoin  si  urgent  ne  peut  manquer  d'être  satisfait  quelque 
jour,  —  le  Séminaire  français  n'aura  rien  perdu  de  ?on  uti- 
lité. Un  certain  nombre  de  sujets  d'élite  iront  y  chercher  le 
complément  de  leurs  études  et  s'initier  à  la  pratique  des  Con- 
grégations romaines.  C'est  aussi  le  Séminaire  français  qui 
fournira  les  éléments  de  cette  réorganisation  si  désirable,  en 
formant  des  théologiens  capables  d'occuper  les  chaires,  et  ré- 
solvant ainsi  une  des  diflîcultés  les  plus  graves  que  l'on  op- 
pose à  tous  les  plans  réformateurs.  Il  est  certain  que,  si  Von 
voulait  fonder  une  académie  théologique,  une  école  de  hautes 
études,  soit  en  l'annexant  à  un  séminaire,  soit  en  l'établissant 
d'une  manière  indépendante,  on  trouverait  des  éléments  sé- 
rieux parmi  les  docteurs  formés  à  Rome  depuis  dix  ans. 

E.  Hautcœur. 


MÉLANGES 


LE   CONCOURS   A   MUNSTER. 


Nous  croyons  utile  de  faire  connaître  l'ordonnance  suivante 
de  Mgr  l'évêque  de  Munster,  qui  institue,  avec  le  consentement 
du  Saint-Siège,  iine  nouvelle  forme  de  concours  pour  les  bé- 
fices  paroissiaux. 

Dans  la  partie  westphalienne  de  notre  diocèse ,  il  a  été  d'usage, 
depuis  le  Concile  de  Trente  et  conformément  à  ses  prescriplions, 
d'ouvrir  un  concours  spécial  pour  chaque  cure  vacante.  Dans  la  partie 
rhénane,  au  contraire,  un  concours  général  avait  lieu  tous  les  trois  ans 
à  Kevelaer,  et  ce  concours  servait  en  même  temps  d'examen  pour  pro- 
longer l'approbation  ad  curam  subsidiariam.  Des  raisons  graves  tirées 
des  circonstances  spéciales  oii  se  trouve  notre  diocèse,  nous  ont  fait 
désirer  depuis  longtemps  que  le  concours  général  pût  aussi  entrer  en  vi- 
gueur dans  la  partie  nommée  ci-dessus  au  lieu  du  concours  spécial, 
usilé  jusqu'à  présent  :  nous  croyons  atteindre  plus  pleinement  par  là  le 
but  que  se  sont  proposé  les  Pères  du  Concile  en  instituant  le  concours. 
En  conséquence,  nous  avons  exposé  au  Saint-Père  les  circonstances 
mentionnées  plus  haut,  et  nous  l'avons  supplié  de  permettre  que  le  con- 
cours général  pour  les  cures  pût  être  introduit  dans  la  partie  westpha- 
lienne, comme  il  existe  déjà  dans  la  partie  rhénane  de  notre  diocèse. 
Le  Saint  Père,  accueillant  notre  prière  avec  bienveillance,  nous  a  au- 
torisé, par  rescrit  de  la  Sacrée  Congrégation  pour  les  affaires  ecclé- 
siastiques extraordinaires  du  3  septembre  1862,  à  ouvrir  deux  fois  l'an 
un  concours  pour  les  cures,  à  condition  toutefois  que  l'épreuve  aurait 
lieu  de  vive  voix  et  par  écrit,  devant  les  examinateurs  synodaux  ou 
prosynodaux,  et  que  les  prêtres  approuvés  à  la  suite  d'un  concours  de 
ce  genre,  seraient  tenus  de  se  soumettre  à  une  nouvelle  épreuve  après 
un  certain  nombre  d'années,  autant  de  fois  que  nous  le  jugerions  con- 
venable. Par  conséquent,  en  vertu  des  pleins  pouvoirs  à  nous  confiés, 
nous  statuons  ce  qui  suit  : 

1"  Le  concours  général  pour  les  bénéfices  paroissiaux  est  introduit 
dans  tout  notre  diocèse,  excepté  le  territoire  non  soumis  à  la  domination 
prussienne.  Ce  concours  servira  d'examen  pour  l'approbation  adciiram 


-184  MÉLANGES.  1  T  me- VM. 

subsidiariam,  laquelle  sera  proroge'e  en  raison   du  résultat  obtenu. 

2°  Deux  concours  auront  lieu  chaque  année.  La  feuille  ofïiciolle  du 
diocèse  indiquera  en  temps  opportun  l'époque  à  laquelle  ils  auront  lieu, 
et  fera  connaître  les  ecclésiastiques  qui  devront  y  prendre  part.  Ces 
derniers  se  feront'  inscrire  au  secrétariat  et  produiront  en  même 
temps  un  témoignage  cacheté  de  leur  curé,  qui  portera  sur  leur  con- 
duite, sur  leurs  rapports  avec  les  autres  ecclésiastiques  et  avec  les  pa- 
roissiens, sur  leur  activité  et  leur  zèle  dans  l'exercice  de  leurs  fonc- 
tions, surtout  au  confessionnal,  dans  la  visite  des  malarles  et  des 
écoles;  enfin,  sur  leur  aptitude  à  prêcher,  à  catéchiser,  et  à  exécuter 
le  chant  ecclésiastique. 

5°  Tous  les  prêtres  appartenant  aux  parties  mentionnées  ci-dessus 
de  notre  diocèse  qui  ont  reçu  l'ordre  de  prêtrise  après  1840  et  depuis 
plus  de  cinq  ans,  qui  en  même  temps  ne  possèdent  aucun  bénéfice  pa- 
roissial et  n'ont  pas  encore  subi  trois  fois  les  épreuves  d'un  concours, 
sont  tenus  de  prendre  part  au  concours  général  pour  les  cures.  Ceux 
qui  ont  été  ordonnés  en  1810  ou  plus  tôt,  sont  exempts  de  iceite  obli- 
gation. Si  cependant  ils  désirent  être  promus  à  une  cure,  ils  doivent  se 
soumettre  à  cette  épreuve,  à  moins  qu'ils  ne  l'aient  déjà  subie  avec 
succès.  Ceux  qui  n'ont  pas  encore  cinq  années  de  prêtrise  sont  exclus 
du  concours,  et  par  conséquent  ne  peuvent  prétendre  à  aucun  bénéfice 
paroissial  avant  ce  temps  révolu. 

4°  Tous  ceux  qui  ont  subi  l'épreuve  du  concours  et  reçu  l'approba- 
tion, doivent  s'y  soumettre  de  nouveau  après  trois  années,  aussi 
longtemps  qu'ils  n'ont  pas  été  dispensés  d'une  manière  expresse  de 
cette  obligation. 

5"  Ce  concours  aura  lieu  dans  la  ville  épiscopale,  de  vive  voix  et  par 
écrit,  devant  les  examinateurs  synodaux  ou  prosynodaux,  pour  toute 
l'étendue  sus -mentionnée  du  diocèse,  même  pour  la  partie  rhénane. 
En  conséquence,  le  concours  qui  avait  lieu  jusqu'ici  à  Kevelaer  est 
supprimé.  La  condition  d'une  épreuve  orale. ajoutée  par  le  Saint-Père 
rend  nécessaire  celte  disposition. 

6"  Dans  tout  concours,  des  questions  seront  posées  sur  les  branches 
principalt  s  de  la  théologie.  En  outre,  on  devra  composer  par  écrit,  sur 
un  sujet  donné,  un  sermon  et  une  catéchèse.  Pour  donner  des  preuves 
df  son  aptitude  dans  l'exposition  orale,  on  devra  débiter  un  morceau 
d'un  sermon  préparé  d'avance.  Enfin,  il  y  aura  aussi  une  épreuve  re- 
lative au  chant  ecclésiastique. 

On  avertit  en  outre  que  les  compositions  par  écrit,  excepté  le  sermon 
et  la  catéchèse,  se  feront  en  latin,  et  que  l'on  indiquera,  en  annonçant 


Août  1863]  MÉLANGES.  185 

chaque  concours,  les  traités  auxquels  les  questions  seront  principale- 
ment empruntées. 

Nous  nous  réservons  de  faire  aux  dispositions  précédentes  les  chan- 
gements qui  nous  paraîtraient  convenables  par  la  suite. 

En  terminant,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  recommander  de 
nouveau,  avec  les  plus  vives  instances,  aux  ecclésiastiques  de  notre 
diocèse,  l'étude  des  sciences  théologiques.  Nous  les  exhortons  dans  le 
Seigneur,  à  méditer  souvent  les  grands  avantnges  qu'une  étude  sérieuse 
procure  au  prêtre,  et  combien  au  contraire  celui  qui  néglige  ce  travail 
se  nuit  à  lui-même  et  au  peuple  chrétien.  Ces  deux  sortes  de  motifs 
doivent  entretenir  sans  cesse  et  stimuler  leur  zélé  pour  l'étude.  Que 
chaque  prêtre  médite  souvent  ces  paroles  d'O.-ée  :  Parce  que  tu  as  re- 
poussé la  science,  et  moi  aussi  je  le  repousserai,  afin  que  tu  n'exerces 
plus  mon  sacerdoce;  parce  que  tu  as  oublié  la  loi  de  ton  Dieu,  moi  aussi 
j'oublierai  tes  enfants  [Os.,  4,  6).  f  Jean-George, 

Munster,  le  20  juin  18G3.  Évoque  de  Munster. 

Le  Pasloral-Blait  de  Munster  (u°  7,  -16  juillet  1863),  à  qui 
nous  empruntons  celte  ordonnance,  nous  apprend  que  l'époque 
du  premier  concours  est  fixée  aux  13,  14,  15  et  16  octobre  de 
cette  année.  Les  matières  désignées  pour  cette  fois  sont  les 
suivantes  : 

Dogmatique.  —  1"  Des  différentes  formes  de  la  révélation 
divine,  et  des  marques  auxquelles  ou  les  reconnaît.  2"  De  Dieu 
et  de  ses  attri'outs.  3°  De  la  création  ;  sa  liberté,  son  but.  4"  De 
l'état  primitif  de  Thomme.  5°  Des  sacrements  en  général. 

Morale  et  pastorale.  —  1°  Des  lois,  de  la  conscience,  et  des 
trois  vertus  théologales.  2"  De  l'administration  du  sacrement 
de  Pénitence. 

Droit  canon  et  histoire  ecclésiastique.  —  1"  Introduction  au 
droit  canon,  et  doctrine  sur  la  constitution  de  l'Église.  2°  His- 
toire ecclésiastiijue  des  sept  premiers  siècles. 

Exégèse  de  l'Ancien  Testament.  —  1"  Authenticité,  intégrité, 
véracité  des  livres  de  l'Aneion  Testament.  2°  Explication  des 
deux  premiers  livres  du  Pentateuque.  3'  Prophéties  messia- 
niques contenue?  dans  les  livres  historiques  de  l'Ancien  Tes- 
tament. 


-J86  MÉLANGES.  [Tome  VIII. 

Exégèse  du  Nouveau  Testament.  —  1"  lutroduction  générale 
aux  épitres  de  saint  Paul.  '^°  Explication  des  épitres  aux  Ro- 
mains et  aux  Hébreux. 

«  11  est  indubitable,  ajoute  le  Pastoral- Blatt,  que  le  con- 
cours général  institué  pour  notre  diocèse  sera  fécond  en  ré- 
.sultats  de  plus  d'un  genre,  et  qu'il  contribuera,  en  particulier, 
beaucoup  à  élever  le  niveau  sciantifique  du  clergé.  Rarement 
une  ordonnance  <jui  concerne  tout  le  monde,  et  qui  pénètre 
jusqu'au  vif  dans  les  intérêts,  a  été  accueillie  avec  une  satis- 
faction aussi  unanime.  » 

IL 
DE   l'inamovibilité   DES    CURÉS   DESSERVANTS. 

Solution  pratique  proposée  par  un  professeur  d'une  Université 
d'Allemagne, 

Que  faut-il  penser  de  la  situation  des  curés  desservants  ou 
succursalistes,  tels  qu'ils  existent  aujourd'hui  en  France  et  en 
Belgique?  Cette  question,  depuis  si  longtemps  débattue,  a  été 
adressée  dernièrement  à  un  professeur  qui  enseigne  avec  dis- 
tinction le  droit  canonique  dans  une  université  d'Allemagne. 
Il  a  cru  trouver  un  moyen  de  tout  concilier  dans  la  pratique 
de  certains  diocèses  d'Allemagne,  entre  autres  de  celui 
d'Eicbstsedt,  en  Bavière.  Les  curés  y  sont  mis  en  possession 
de  leurs  bénéfices,  avec  la  clause  acceptée  et  jurée  par  eux, 
que  t'évêque  pourra  les  transférer  aillews,  pour  cause  de  nécessité 
ou  d'utilité,  selon  la  louable  coutume  du  diosèse  :  Salvo  jure  or- 
dinarii  permutandi,  quando  utilitas  vel  nécessitas  urgebit,  juxta 
laudabilern  Ecclesix  Eystettensis  consuetudinem.  C'est  là  le  juste 
tempérament  (^ue  le  docte  professeur  pense  pouvoir  être  uti- 
lement adopté  pour  les  desservants  de  nos  diocèses.  Ils  ne 
seraient  pas  inamovibles  en  ce  sens  que  l'évêque  ne  put  pas, 
pour  cause  d'utilité,  les  transférer  à  un  autre  poste;  mais  ils 
ne  seraient  pas  non  plus  révocables  ad  nutum,  en  ce  sens  qu'ils 


A  ÙM8G3.]  MÉLANGES.  187 

pussent  être  privés  de  leur  cure  saus  un  vrai  motif  d'utilité 
et  sans  être  placés  ailleurs.  Persuadé  qu'une  transaction  de 
ce  genre,  si  elle  était  soumise  au  Saint-Siège,  serait  probable- 
ment approuvée,  et  qu'elle  concilierait  suffisamment  tous  les 
intérêts^  il  a  cru  pouvoir  la  suggérer  et  répondre  ainsi  à  la 
consultation  qui  lui  avait  été  adressée.  En  même  temps,  il  a 
bien  voulu  communiquer  à  la  Rédaction  de  notre  Revue  le  ré- 
sumé de  sa  pensée.  Nous  le  publions  textuellement. 

In  causa  amovibililatis  paroebi  succursalistœ  consilium 
juridicum  uuper  requisiti,  usu,  qui  in  nonnullis  ecclesiis 
Germaniai  obtinet,  exacte  considerato  ejusque  ratioijibus  rite 
perpensis  responsum  dedimus,  fieri  etiam  in  Galliis  posse,  ut 
et  parocbis  succursalistis  quse  ex  iustitutioue  canonica  fluunt 
jura  permaneant  et  episcopis  simul  asserta  censeatur  facultas 
paroclios  absque  prœvio  processu  canonico  locomovendi,  quin 
bi  per  ejusmodi  trauslationem  non  voluntariam  injuriam  sibi 
fieri  putare  debeant.  Et  hac  quidem  ratione  negotium  de 
amovibilitate,  quod  in  disputatione  versatur,  compoui  transi- 
gique  ita  posse  videtur,  ut  et  episcopi  et  paroebi  facillime  in 
eo  acquiesçant.  Et  quamvis  Galli  in  plerisque  omnibus  nego- 
tiis  ipsi  sibi  exemplo  sint  ueque  imitari  exteras  nationes  veliut, 
in  modo  banc  controversiam  dirimendi  tamen  a  probatissimis 
Germanise  ecclesiis  exemplum  sibi  sumere  possunt. 

Gallis  itaque  prai  cseteris  quse  adduci  possent,  diœcesis 
Eystettensis,  in  Bavaria,  spécimen  esto. 

Statuta  diœeesena  Eystettensia,  tit.  xiv,  c.  1,  §  3,  c?e  Foi^ma 
et  Effectu  ïnstitutionis  canonicx,  lisec  in  rem  uostram  babent  : 

A.  «  Examine  praemisso  neoapprobatus  parochus  coram 
Nobis  aut  vicario  Nostro  geuerali  fidei  professiouem  juxta 
prsescriptum  Tridentini  emittere  débet,  quam  dein  in  accep- 
tatione  novae  parochiae  repetere  débet. 

«  Jurabit  dein  in  manus  Nostras  vel  vicarii  Nostri  , 

1.  Quod  Reverendissimo  Domino  Episcopo  Eystettensi 
lUiusque  successoribus  canouice  intrantibus  necnon  Ejusdem 


I    8  MÉLANGES,  [Toii:e  Vlli. 

vicario  in  spiritualibus  generali  ac  officio  ecclesiastico  debi- 
tam  obedientiam  exhibere  eorumque  mandata  obedienler  et 
pro  posse  efficaciter  adimplere  velit  ; 

2.  Qaod  in  acceptatioue  parochiœ  vel  beneficii  non  inteices- 
serit  vel  intercédât  fraus,  dolus  aut  simoniee  labes  ; 

3.  Quod  de  bonis  ad  parocbiam  velbeneficium  perlinentibus 
iiibil  velit  alienare  aut  negligere  et,  si  quid  fuisset  alienalum 
aut  negleclum,  quod  id  totis  viribus  recuperare  velit  ; 

A.  Quod  si  resignare  velit  aliquaiido,  resignet  ad  mauus  li- 
béras Ordinarii; 

5.  Quod  a  vicariatu  citatus  ad  examen  pro  cura  absque 
mora  comparare  velit; 

6.  Quod  velit  curam  et  regimen  animarum  in  se  suscipere 
et  taliter  administrare,  ut  possit  reddere  rationem  coram  Dec 
et  suis  superioribus. — Salvo  jure  Ordinarii permutandi,  quando 
utilitas  vel  nécessitas  urgebit,  juxta  laudabilem  Ecclesix  Eystet- 
tensis  consuetudinem. 

«Emisso  juramento  fit  institutio  seu  commenda  per  extradi- 
tionem  documentorum  et  inde  neoparocbus  (quem  commenda- 
tum  vocant)  jus  accipit  in  ipsum  ministerium  spiritnale  et 
officium  beueficio  annexum  necaon  in  jura  temporalia,  admi- 
nhirand'i  v\(]ti\ice\.  proprium  beneficium  et  percipiendi  fructus 
inde  manante? Qui  a  Nobis  commendam  (hoc  est  paro- 
cbiam cum  dicto  juramento)  accipiunt,  owna' wo?/2en^o  temporis 
justa  aliqua  suadente  causa,  etiam  sine  crimine  injui^e  expresso, 
ab  uno  loco  ad  alterum  locum  seu  beneficium  irons ferri  possunt 

aut  etiam  debent,  prout  Nobis  in  Domino  melius  videbitur 

Quod  integrum  Nobis  relinquitur  tum  ex  peculiari  hujus  diœ- 
cesis  more  (St.  diœces.  an.  1700),  tum  ex  approbatione  Sedis 
Apostolicaî.  (S.  G.  G.  21  julii,  11  august.,  et  22  septemb.  1742 
in  causa  parochi  Untermessing  diœces.  Eystetteu.)  » 

21.  Quibus  addi  ea  debent,  quœ,  §  ,5,  «  de  Installatione  pai'o- 
chi  »,  liabentur  :  «  Finito  sermone  iustallator  sumens  ab  altari 
librum  llitualis  una  cum  clavibusecclesiee  iustallando  in  summo 


Août  18031.  MÉLANGES.  189 

gradu  altaris  genuflexo  ea  tangendo  tradens  dicit  clara  voce  : 
«  Aucloritate  Reverendissimi  in  Christo  Patris  ac  Domiui  N.  N. 
Episcopi  Eijslettcn&is  mihi  delegata,  immitto  te  in  possessionem 
hujus  ecc'esise  el  omnium  juriwn,  tam  spiritualium  qiiam  tem- 
porulium,  in  nomine  Patris  et  Filii  et  Spiritus  Sanc/i.  Amen,  » 

Tandem  prsetereunda  non  sunt  veiba,  quibus  Episcopns 
in  scriptis  utitur,  quum  parochiam  commeudato  parocho 
conferl  :  o  Ut  ecclesiam  parochialem,  inquit,  regere  et  inoffi- 
ciare  oniniaque  ibidem  mania  parochi,iliaobire,  necnonfructi- 
bus  et  proveiitibus  omnibus  et  singulis  ad  dictam  parochiam 
quoqiio  modo  spcctantibus  uti  ac  frui  possis  et  valeas  :  aucto- 
ritate  ordinaria  Nobis  bac  in  parte  concessa /j/enam  tibi  prai- 
sentinm  virtute  tribuimus  /'acw/^a^emaclicentiam  jurisdictio- 
nemque  ecclesiasticam  eo  requisitam.  » 

Ad  quos  textus  paucissimas  bas  notas  in  consilio  jutidico 
scripsisse  saiis  babui,  scibcet  : 

l»  Parocbi  Eystettenses,  quos  minus  proprie  commendatos 
vocant,  veris  parochis  ac  beneficiatis  accensendi  suut.  Quum 
enim  in  possessionem  ecclesix  sux  et  omnium  jurium  tam  spiri- 
tualium quani  temporaliumimmif(untur{B),Jus  in  ipsum  minis- 
terium  spirifualc  et  in  temporalia  ita  accipiunt,  ut  beneficium, 
cujus  possessionem  realem  pur  canonicam  inslallationcm 
adcpti  sunt,  tanquam  proprium  (A)  obfineant.  Et  quamvis 
episcopus  eosdem  quibiisdam  in  casibus  alio  coilocaro  valeat, 
eos  tamcn  non  ita  trausferre  potest,  ut  beueficio  omnino  pri- 
ventur. 

2o  Parocbi  Ej'stettenses  cerlis  ex  causis  etiam  inviti  ad  alia 
bénéficia  transfcrri  auctoritate  episcopi  possunt.  Episcopus 
enim  ecclesiam  ita  tribuit, ut  sibi  jus  reservet  eos  omni  temporis 
momento  justa  aliqua  suadente  causa  etiam  sine  crimine  in  jure 
expresso  ab  uno  loco  ad  alterum  locum  seu  beneficium  transfè- 
rent, prout  ipsi  in  Domino  melius  videbitur. 

3°  Parocbi  Eystettenses  non  tameu  sunt  ad  nutum  episcopi 
amovibiles  ;  quautumvislicet  enim  ex  co,  quod  per  Episcopum 


190  MÉLANGES.  [Ton;e  VUl 

omni  temporis  momenfo,  prout  ipsi  in  Domino  melius  visum 
fuerit,  mutari  possint,  ad  niitum  amovibiles  videantur,  ex 
jurejurando  tamen^  quod  inde  a  pluribiis  sœculis  in  adipis- 
cenda  possessione  parpcliiae  dant,  manifestum  est,  eas  trans- 
lationes  tantum  perniissas  esse  quœ  causam  urgentem  habeant 
utilitatis  Rui  necessitatis.  Praealiis  ergo,  qui  adnutum  Episcopi 
alio  transferuntur,  ut  puta,  prse  vicariis,  quibiis  administratio 
vacantis  ecclesise  committitur,  vel  qui  ex  hoàierna  consuetudine 
ab  Episcopo  constituuntur^  ut  parocbi  impedili  absentisve  vices 
gérant,  aliqun  sensu  inamovibilitatis  privilégie  frui  dicendisunt. 
Quse  quum  ita  sint,  Doctissimus  Dominas  Bouix,  quem  ut 
saororum  canonum  maximum  exactissiniumqueobservatorem 
colo  venerorque,  gratum  nostris  jurissacri  studiosis  faceret, 
si  suam  bac  in  parte  sententiam  dicereatque  in  prseclaris  suis 
novellis  tbeologicis  Bévue  des  sciences  ecclésiastiques  signi- 
ficare  vellet,  utrum  in  aliquibus  saltem  Galliarum  ac  Belgii 
diœcesibus  temporura  locorumque  adjunctaitacomparatanon 
sint^  ut  de  conseusu  episcoporum  Summo  Ponlifici  supplicari 
possit  pro  concedenda  parocbis  ea  conditione,  qua  inde  à 
pluribus  sœculis  jam  pastores  E3'stettenses  gaudent? 

(H. 

LA  SOCIÉTÉ  DES  ENFANTS  DU   S.  COEUR  DE  LA  MÈRE  ADMIRABLE. 

Un  des  signes  les  plus  consolants  de  notre  époque,  c'est  la 
multiplication  des  Instituts  religieux,  surtout  des  Congréga- 
tions de  femmes  vouées  à  l'enseignement  et  au  soin  des  ma- 
lades. Il  existe  aussi  des  Tiers-Ordres  pour  les  personnes 
qui,  sans  être  appelées  à  entrer  dans  le  cloître,  désirent 
mener  au  milieu  du  monde  une  vie  plus  parfaite  et  participer, 
dans  une  certaine  mesure,  aux  grâces  de  la  vie  religieuse. 

De  ce  genre  est  la  Société  des  Enfants  du  S.  Cœur  de  la 
Mère  admirable.  C'est  un  "tiers -ordre  de  la  Congrégation  des 
Eudistes,  institué,  vers  le  milieu  du  XYIl*  siècle,  par  le  véné- 


Août  1863.]  MÉLA^GES.  -iOt 

rable  fondateur  de  cette  Congrégation,  et  très-florissant  encore 
aujourd'hui.  Le  seul  diocèse  de  Saint-Brieuc  compte  plus  de 
6,000  associés  ;  celui  de  Rennes  en  a  davantage,  et  il  s'en 
trouve  aussi  dans  ceux  de  Vannes,  de  Nantes  et  de  Quimper. 
Ce  Tiers-Ordre  a  cela  de  particulier,  qu'il  est  ouvert  seule- 
ment aux  personnes  des  deux  sexes  qui  sont  dans  la  résolu- 
tion de  garder  toujours  la  chasteté,  ou  qui,  devenues  veuves, 
renoncent  à  un  nouveau  mariage.  Du  reste,  les  obligations 
spéciales  qu'il  impose  sont  restreintes,  et  nullement  de  nature 
à  erapècLer  sa  difl"asion.  Les  frères  et  les  sœurs  ainsi  agrégés 
deviennent,  dans  chaque  paroisse,  un  ferment  salutaire  qui 
agit  sur  toute  la  masse  ;  ils  usent  de  leur  influence  dans  la 
famille  et  au  dehors  en  faveur  de  la  cause  du  bien;  ils  se 
livrent  à  l'instruction  des  enfants  et  aux  autres  œuvres  de  la 
charité  chrétienne. 

Nous  empruntons  ces  détails  à  un  excellent  manuel  publié 
par  M.  l'abbé  Souchet,  doyen  du  chapitre  de  Saint-Brieuc  et 
supérieur  du  Tiers-Ordre  (1).  Nous  ne  pouvons  mieux  faire 
que  de  renvoyer  à  ce  livre  ceux  qui  voudraient  être  plus  am- 
plement renseignés  sur  l'association,  soit  pour  l'implanter 
ailleurs,  soit  pour  en  organiser  d'autres  sur  des  bases  ana- 
logues. Les  sœurs,  ou  les  bonnes  sœm^s,  comme  on  les  appelle 
eu  Bretagne,  étant  beaucoup  plus  répandues  que  les  frères, 
c'est  d'elles  spécialement  que  le  manuel  s'occupe,  c'est  à  elles 
surtout  qu'il  est  adressé. 

Il  faut  lire  les  pages  dans  lesquelles  le  vénérable  doyen 

(4)  Livre  des  Vierges  et  des  pieuses  Veuves,  ou  Règle  de  la  Société 
des  Enfants  du  S.  Caur  de  la  Mère  admirable.  Nouv.  éd.  enrichie 
d'explications  sur  lous  les  chapitres.  Saint-Brieuc,  Prud'homme,  1659. 
^  vol.  in-l8.  Les  explications  de  M  Souchet  font  de  ce  volume  un  livre 
de  piélé  qui  sera  lu  avec  fruit  en  dehors  même  de  l'associaiion  à  la- 
quelle il  est  suiloul  destiné.  Nous  citons  encore  un  autre  ouvrage  du 
même  auteur  :  Essai  sur  la  piélé  bretonne  dans  les  différents  états 
de  la  société,  et  principalement  dans  le  Tiers-Ordre  du  S.  Cœur 
de  la  Mère  admirable.  \  vol.  in-18.  1858. 


102  MÉLANGFS  [Tome  VIII 

de   Saint-Brieuc  décrit  leur  influence    au  sein  des  popu- 
lations de  la  Bretagne.  Citons  seulement  quelques  lignes  : 
((  Dans  les  lieux  mêmes  où  il  y  a  des  religieuses,  elles  sont 
loin  d'être  inutiles  :  d'abord,  parce   que  tout  bon  exemple 
porte  son  fruit  ;   ensuite,  parce  que  la  bonne  sœur,  dans  son 
lieu  natal,  a  un  genre  d'influence,  au  sein  de  sa  famille,  dans 
le  cercle  de  ses  connaissances,   qu'une  étrangère  obtiendra 
rarement.  La  jeune  fille,  la  mère  de  famille,  qui  voient,  sans 
autre  costume  que  le  leur,  dans  leur  propre  rang  ,   une  per- 
sonne qui  n'a  contre  les  dangers  du  monde  d'autre  soutien 
que  sa  vertu,  remplir  evec  fidélité  tous  ses  devoirs  et  triom- 
pher de  tous  les  obstacles  qui  leur  sont  communs,  et  dont 
quelques-uns  paraissent  invincibles,  admirent  sa  conduite,  la 
prennent  pour  modèle  et  pour  guide.  Elles  s'attachent  à  elle 
avec  d'autant  plus  de  raison,  qu'ayant  presque  toujours  les 
mêmes  afîaires,  elles  la  retrouvent  partout  pour  les  diriger 
sûrement  et  avec  bonté  dans  les  circonstances  les  plus  diffi- 
ciles. Elle  les  suit  dans  tous  les  genres  de  travaux  et  d'af- 
faires :  à  la  maison,  dans  les  champs,  à  l'atelier,  au  marché, 
à  la  foire;  partout  son  exemple  est  une  lumière  qui  éclaire, 
qui  montre  le  chemin  qu'il  faut  suivre  et  enseigne  le  langage 
qu'il  faut   tenir.  On  est  en  sûreté  dans  sa  compagnie.  Devant 
elle,  personne  n'oje  blesser  les  convenances  ;  tant  qu'elle  est 
là,  il  n'y  a  point  d'entraînement  à  craindre;  tout  devoir  s'ac- 
complit en  temps  et  lieu,  avec  paix  et  contentement.  Heureux 
ceux  qui  peuvent  approcher  souvent  cette  vertu  vivante,  agis- 
sante, combattante,  qui  attire  par  ses  charmes,  fortifie  par 
son  courage,  console  par  sa  sérénité,  réjouit  par  son  aimable 
gaîlé.  Voilà  ce  qu'est  l'humble  fille  de  Marie  dans  nos  cam- 
pagnes. »  {Livre des  Vierges,  etc.,  p.  18  s.) 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  nous  étendre  davantage,  et 
nous  renvoyons,  encore  une  fois,  au  Manuel  de  M.  Souchet, 

E.  Hautgceur. 


Arras.— Typ.  Rousseau -Leroy,  rue  SanU-Maurice  2fi 


LA    BIBLE 


ET    LA   SCIENCE   DE   LA   NATURE. 


BiBEL  UNO  NATUR.  Vorlesungen  iiber  die  mosaiche  Urgeschichte  und 
ihr  Verbaellniss  zu  dea  Ergebnissen  der  Nalurforschnng.  Von  Dr  F. 
H.  Reusch.  Freiburg,  Herder,  1862,— CosMOGONiA  naturale  comparata 
coi  Genesi,  del  P.  G.  B.  Pianciani,  D.  G.  D.  G.  Roma,  coi  tipi  délia 
Civiltà  cattolica,  1862.  —  Études  géologiques,  philologiques  et  scrip- 
turales sur  la  Cosmogonie  de  Moïse,  par  le  P.  Laurent,  prov.  des 
FF.  Min.  Capucins.  Paris,  Mme  veuve  Poussielgue-Rusand,  1863. 


Premier  article. 


La  théologie  ne  peut  remplir  son  but  et  occuper  son  rang 
parmi  les  autres  sciences,  qu'à  la  condition  de  s'approprier 
leurs  conquêtes,  et  d'employer,  dans  l'exposé  et  la  défense 
des  vérités  divines,  toutes  les  ressources  du  savoir  humain,  telles 
que  les  offre  l'encyclopédie  de  l'époque.  U  faut  aussi  qu'elle 
tienne  compte  des  nécessités  spéciales  amenées  par  le  mouve- 
ment des  idées  et  le  progrès  des  connaissances.  C'est  par  là 
qu'elle  devient  une  science  vivante,  capable  d'intéresser, 
douée  d'une  action  et  d'un  pouvoir  réels.  Pendant  la  grande 
période  de  ia  scolastique,  les  théologiens  cultivèrent  sur- 
tout la  philosophie  péiipaléticienne,  qui  jouissait  d'une 
graude.vogue  dans  les  écoles,  et  qui  occupait  les  esprits  d'une 
manière  presque  exclusive.  Mais  ce  serait  bien  mal  com- 
prendre les  conditions  de  la  science  que  de  nous  renfermer 
aujourd'hui  dans  le  môme  cercle  d'études.  Le  milieu  dans  le- 
quel nous  vivons  est  tout  différent,  les  besoins  ne  sont  plus 

Revue  des  sciences  ecclésiastioues.  t   vin.  13-44. 


194  LA.  BIBLE  [Tome  Vllî. 

les  mêmes,  nous  disposons  de  ressources  alors  inconnues. 
Essayons  donc  de  faire  ce  que  tous  les  docteurs  du  christia- 
nisme ont  fait  de  leur  temps,  et  ce  qu'ils  feraient  de  nos  jours, 
s'il  leur  était  donné  de  revivre  :  parlons  pour  notre  époque  et 
d'une  manière  qui  lui  soit  appropriée,  en  appelante  notre  se- 
cours les  travaux  antérieurs,  et  en  profitant  de  tous  les  pro- 
grès réalisés  depuis.  Ce  sera  bien  mieux  imiter  nos  anciens 
maîtres,  que  de  les  suivre  et  de  les  copier  servilement.  Si 
nous  abandonnions  cette  méthode  indiquée  par  la  nature  des 
choses  et  les  exemples  du  passé,  la  théologie,  reléguée  à  part 
en  dehoi's  de  tout  le  mouvement  scientifique  de  l'époque,  ces- 
serait d'exister  comme  science  ;  tout  se  bornerait  à  faire  ré- 
péter aux  candidats  du  sacerdoce,  in  futwam  oblivionem,  les 
pages  surannées  de  quelque  insipide  manuel. 


I. 


Les  sciences  qui  ont  été  le  plus  cultivées  de  nos  jours,  et  qui 
ont  été  conduites  à  des  progrès  vraiment  remarquables,  sont  les 
sciences  historiques  et  philologiques  d'une  part,  les  sciences 
physiques  et  naturelles  de  l'autre.  Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de 
rappeler  plus  amplement  ce  que  personne  n'ignore,  à  savoir 
combien  la  science  du  passé  et  en  particulier  celle  des  époques 
les  plus  obscures,  a  progressé  par  de  savantes  investigations: 
comment  des  caractères  et  des  idiomes  oubliés  depuis  des 
milliers  d'années  ont  livré  leurs  secrets  auparavant  impéné- 
trables ;  comment  enfin  on  est  arrivé  à  une  connaissance 
plus  sûre  et  plus  approfondie  des  langues  de  l'antique 
Orient,  dans  lesquelles  sont  écrits  les  monuments  primitifs  de 
notre  croyance.  Les  théologiens  comprendront  peut-être  à  la 
longue,  qu'ils  doivent  exploiter  plus  qu'ils  ne  l'ont  fait  ces 
branches  de  l'érudition,  et  qu'ils  ne  peuvent  sans  abdiquer 
se  tenir  en  dehors  de  recherches  qui  les  touchent  de  si  près. 
Il  est  déplorable  de  voir  la  science  incrédule,  protestante,  ra- 


Sept.  l^fiS-l  ET   LA  SCIENCE   DE    LA    NATURE.  19:> 

tionaliste,.  régner  presque  sans  partage  sur  un  terrain  qui 
était  autrefois  et  qui  devrait  cire  encore  le  nôtre  (1). 

Les  sciences  physiques  et  naturelles  ont  avec  la  théologie 
des  rapports  moins  directs  et  moins  nombreux.  Cependant, 
l'exégèse  biblique  est  obligée  d'y  avoir  recours  pour  leur  em- 
prunter des  lumières,  et  pour  éclaircir  certaines  difïieultés. 

Les  premiers  chapitres  de  la  Genèse  en  particulier,  ont 
donné  lieu,  depuis  un  demi -siècle,  à  de  nombreux  tra- 
vaux. Nous  ne  voulons  pas  en  faire  un  tableau  complet,  ce 
qui  nous  mènerait  beaucoup  trop  loin  (2)  ;  nous  nous  pi^opo- 
sons  seulement  de  passer  en  revue  quelques  ouvrages  récents 
publiés  sur  ces  matières  par  des  théologiens,  et  de  déterminer 
l'état  des  questions  en  traçant  sur  les  points  principaux  quel- 
ques rapides  aperçus. 

Tout  en  laissant  de  côté  la  masse  des  travaux  antérieurs  à 
ceux-ci  et  conçus  dans  le  même  sens,  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher  de  faire  une  remarque  générale.  Souvent  ces  travaux 
ont  pour  auteurs  des  naturalistes  étrangers  aux  études  d'exé- 
gèse et  de  théologie  :  leur  zèle  pieux,  leurs  talents,  leurs  con- 
naissances en  d'antres  genres  n'ont  pu  malheureusement  sup- 
pléer à  ce  qui  leur  manquait  sous  ce  rapport.  Ces  théologiens 

(l)Noiis  savons  que  les  circonslanros  sont  pour  beaucoup  dans 
celle  siluaiion  :  il  esl  à  peu  près  impossible  que  des  efforts  indiviiiuels 
moiiifienl  d'une  mnr.icre  sensible  un  6lal,  de  choses  qui  lient  à  la 
consiiiulion  actuelle  de  l'église  de  France  et  surtout  k  rorganisaiion 
de  l'enseignement  ihéologique.  C'est  Ik  qu'il  faudraii  une  réforme, 
et  nous  croyons  qu'elle  ne  serait  ni  impossible,  ni  même  difficile. 
V.  dans  la  Revue,  t.  ii,  p.  481  ss.,  et  t.  ni,  p.  5  ss.,  les  articles  inli- 
lult's  :  Des  InsfitnHons  académiques  dans  leurs  rapports  avec  T édu- 
cation inlellfctuellc  du  Clergé.  V.  aussi  1.  v,  p.  357  ss.,  la  iellre  de 
M.  le  D""  Biiss  :  Sur  la  fondation  d'Académies  théologiques  en  France. 
Ces  deux  essais  (aussi  édiles  à  pari)  ont  reçu  dis  adhésions  fort 
sympathiques.  Espérons  que  la  question  sera  reprise  ci  menée  enfin 
à  une  solution  pratique. 

(2)  M.  l'abbé  Sorignel  a  résunn';  d'une  nianicrc  Irès-complèlc  les 
travaux  français  dar.s  sa  Cosmorjonie  de  li.  Bible  devant  les  srknces 
perfectionnées  (Paris,  18S4],  p.  1-216. 


^96  LA   BIBLE  [TumeVIIL 

improvisés  torturent  le  texte  biblique,  en  étendent  ou  en 
restreignent  arbitrairement  le  sens,  et  quand  ils  ne  font  pas 
fausse  route,  ils  mêlent  à  des  thèses  excellentes  de  regrettables 
inexactitudes.  Les  développements  que  nous  donnerons  plus 
loin  feront  comprendre  mieux  ces  appréciations.  Elles  s'ap- 
pliquent du  reste  dans  toute  leur  étendue  à  certains  ecclésias- 
tiques plus  versés  dans  les  sciences  naturelles  que  dans  la 
théologie. 

Je  suis  loin  de  vouloir  ranger  parmi  eux  le  savant  et  regretté 
P.  Pianciani  (l).  Le  célèbre  professeur  du  Collège  romain, 
sans  avoir  approfondi  spécialement  l'exégèse  et  la  théologie, 
avait  sur  ces  matières  de  solides  connaissances.  Et  pourtant, 
dans  son  interprétation  du  texte  sacré,  on  sent  trop  la  main  du 
naturaliste  et  pas  assez  les  principes  d'une  exégèse  sobre,  saine 
et  savante.  Ce  qu'on  trouve  chez  lui,  c'est  un  excellent  ré- 
sumé des  faits  géologiques,  mais  son  livre,  quoique  très-re- 
marquable, n'est  pas  le  guide  que  nous  conseillerons  sous  tous 
rapports  et  sans  réserves. 

Ces  remarques,  nous  avons  le  regret  de  le  dire,  s'appliquent 
dans  une  mesure  bien  plus  étendue  aux  Etudes  du  P.  Laurent. 
Lui  aussi  est  naturaliste  :  il  a  fait  de  la  géologie  une  étude 
spéciale.  Nous  nous  plaisons  à  reconnaître  qu'il  se  rencontre 
dans  sou  livre  d'excellentes  idées,  des  critiques  légitimes  de 
certaines  interprétations  du  texte  biblique  ;  il  a  eu  raison  de 
rejeter  le  système  dos  Jow's-épogiies  et  les  artifices  exégétiques 
avec  lesquels  on  avait  jusqu'à  présent  essayé  de  l'établir.  Mais 
on  voit  que  sur  le  terrain  de  l'exégèse  il  n'est  plus  chez  lui  (2). 

(■<)  Avant  l'ouvrage  doni  nous  donnons  le  litre  plus  liaul,  le  P. 
Pianciani  avait  j  ublié  un  premier  eisai,  plusiturs  fois  réimprimé  de- 
puis, et  (jui  a  pour  lilre  :  In  hlslorlam  creaîionis  mosaïcom  commen- 
tatio.  NeapoH,  -{851. 

(2)  V.  par  exemple  p.  9'r,  97,  153,  -157,  159,  161,  ete.  Des  pas- 
sages comme  ceux-ci  sont  caraciérisliques  ;  «  Parmi  les  nombreuses 
Cïiljquts  dont  le  Pcnlalcuque  a  été  l'objcl,  ei  qui  se  Irouveni  résumées 
dans  Vllisloire  criiiqve  dé  l'Ancien  Testament,  par  Ridiard  Simon, 


Sept.  1863.]  ET  LA  SCIENCE  DE   LA  NATURE.  497 

En  outre  il  n'a  pas  des  idées  bien  précises  sur  l'autorité  de  l'É- 
glise et  l'interprétation  doctrinale  authentique.  11  va  jusqu'à 
prétendre  que  le  s  jsteaiti  des  Jours-époques  est  théologiquement 
réprouvé  par  renseignement  traditionnel  de  l'Église^  et  cette 
thèse  occupe  une  grande  partie  de  son  volume  (1).  Nous 
croyons,  nous,  qu'elle  est  fausse  exégétiquement ,  mais  nous  ne 
partageons  nullement  les  principes  qui  la  condamnent  au  nom 
de  Torthodoxie  :  nous  croyons  que  le  théologien  catholique, 
dirigé  par  l'enseignement  traditionnel  sur  les  points  qui  tou- 
chent au  dogme  et  à  la  morale,  a  beaucoup  plus  de  latitude. 
que  ne  semble  le  supposer  le  P.  Laurent.  Ce  n'est  pas  ici  le 
lieu  de  nous  étendre  davantage.  Nous  ne  disons  rien  non  plus 
de  la  méthode  et  de  la  distribution  du  livre,  qui  est  défec- 
tueuse, ni  de  la  manière  trop  inégale  et  trop  incomplète  de 
traiter  les  questions. 

L'ouvrage  du  D''  Reusch  est  incontestablement  le  plus  remar- 
quable. L'auteur  n'est  pas  naturaliste,  il  a  soin  de  nous  en 
avertir  lui-même  ;  il  est  théologien  de  profession,  et  nos  lec- 
teurs savent  qu'il  s'occupe  surtout  de  l'exégèse  de  l'Ancien 
Testament.  Pour  tout  ce  qui  touche  à  la  science  de  la  nature, 
il  s'en  rapporte  aux  principaux  ouvrages  publiés  en  France,  en 
Angleterre,  en  Allemagne  :  il  résume  d'après  les  meilleures 
autorités  les  résultats  obtenus,  en  ayant  soin  de  séparer  ce 
qui  est  certain  de  ce  qui  présente  un  caractère  purement 
hypothétique.  Cette  partie  nous  semble  très-complète,  et  la 
manière  dont  les  résultats  sont  appuyés  par  les  autorités  scieu- 

el  dans  les  Conjectures  sur  la  Genèse^  par  Astruc  et  Valer,  on  ne  voit 
pas  figurer  la  iransformalion  do  Moïse  en  poète,  etc.  (p.  102).  »— «  Le 
second  témoignage  est  celui  de  M.  le  chevalier  Drach^  ie  plus  célèbre 
hébraïsant  de  l'Europe...  Il  vient  de  travailler  à  la  réimpression  des 
hexaples  d'Origène,  qui  contiennent,  on  le  sait,  la  Bible  en  six 
langues  (p.  122).  » 

(i)  Toute  la  troisième  partie  des  éludes  (p.  IJo-308),  est  consacrée 
à  la  démon>lration  de  celte  thèse,  dont  la  conclusion  est  formulée 
p.  308  et  reprise  p.  250. 


U'8  LA   BIBLR  ITimcVIil. 

tifîques  les  plus  récentes,  lui  donue  une  grande  utilité  :  avec 
un  pareil  guide,  on  est  dispensé  de  recourir  à  des  livres  que, 
du  reste,  ou  n'a  pas  toujours  sous  la  main.  La  partie  exégé- 
tique  est  traitée  avec  un  très-grand  soin.  Quelle  que  soit  l'opi- 
nion que  l'on  se  forme  sur  divers  points  assurément  très- 
contestables,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  ici  l'œuvre 
d'un  théologien  sûr  et  d'un  exégète  habile.  Le  savant  profes- 
seur de  Bonn  allie  à  la  science  germanique  une  clarté  d'expo- 
sition peu  commune  et  une  forme  intéressante.  11  est  étonnant 
que  l'on  n'ait  point  songé  encore  à  une  traduction  française. 

C'est  à  ce  livre  surtout  que  nous  nous  attacherons  dans  l'ex- 
posé qui  va  suivre.  Après  avoir  établi  dans  un  premier  article 
les  rapports  généraux  entre  la  science  de  la  nature  et  les  docu- 
ments inspirés,  nous  consacrerons  une  courte  étude  aux  récits 
de  la  création  et  du  déluge,  tels  qu'ils  se  trouvent  consignés 
dans  la  Genèse,  en  les  comparant  avec  les  enseignements  de  la 
science. 


H. 


Le  Dieu  qui  se  révèle  dans  la  nature  est  le  même  qui  s'est 
révélé  aux  apôtres  et  aux  prophètes,  le  même  qui  vit  dans  son 
Église  et  enseigne  par  elle.  La  science  de  la  nature  et  celle  de 
la  révélation  sont  deux  rayons  émanés  du  même  foyer  de 
vérité  absolue;  il  ne  peut  doue  y  avoir  entre  elles  d'opposition 
et  de  contraste.  Si  parfois  nous  croyons  en  apercevoir,  c'est 
une  illusion  que  la  vérité  mieux  connue  fera  disparaître  pour 
montrer  l'harmonie  dans  une  pleine  lumière. 

Quel  est  le  but  de  la  science,  quelles  sont  les  limites  qui  lui 
sont  tracées,  quelle  est  la  nature  des  résultats  obtenus  jus- 
qu'ici? Toiles  sont  les  questions  que  doit  se  poser  celui  qui 
veut  établir  les  bases  d'un  accord  entre  elle  et  les  données 
de  la  révélation  divine. 

Le  but  poursuivi  dans  l'étude  de  la  nature,  c'est  l'explication 


Sept.  1801.]  ET   LA   SCIENCE   DE   LA   NATURE.  199 

scientifique  des  faits  fournis  par  l'observation  :  elle  est  par  là 
même  circonscrite  sur  le  terrain  de  l'expérience,  bornée  aux 
faits  que  constate  celle-ci,  et  aux  résultats  que  donne  une  in- 
duction légitime. 

Dès  que  l'on  poursuit  un  autre  but  et  par  d'autres  raoyenS;, 
on  abandonne  le  terrain  de  la  science  ;  on  se  place  sur  le 
sol  mouvant  des  préjugés,  on  se  livre  à  tous  les  caprices  île 
l'hypothèse.  C'est  ainsi  qu'en  cherchant  avant  tout  dans  la 
géologie,  par  exemple,  des  armes  contre  la  Bible,  on  a  créé 
une  immense  variété  de  systèmes  qui  n'ont  d'analogues  dans 
l'histoire  d'aucune  science.  Un  zèle  apologétique  mal  entendu 
contribua  pour  sa  part  à  augmenter  la  confusion.  Aussi  la  géo- 
logie a-t-elle  été  longtemps  à  se  constituer,  et  c'est  .'i  peine  si 
elle  commence  à  prendre  une  forme  en  présentant  des  résul- 
tats positifs  au  lieu  de  constructions  arbitraires. 

Même  pour  l'observateur  impartial,  et  indépendamment  des 
préjugés  qui  aveuglent,  il  n'est  pas  facile  de  lire  dans  le  livre 
de  la  nature.  Que  de  difficultés  à  vaincre  !  Que  d'obstacles  à 
surmonter  !  Ceux-là  seuls  le  savent  qui  se  sont  occupés  person- 
nellement de  géologie,  ou  qui  du  moins  ont  parcouru  quelque 
ouvrage  propre  à  les  éclairer  sur  la  marche  de  cette  science. 
Elle  offre  un  amas  de  faits  tellement  complexes,  tellement 
difficiles  à  combiner  et  surtout  à  expliquer,  que  souvent  l'esprit 
hésite  et  flotte  incertain.  Quand  il  s'agit  de  fixer  l'antiquité, 
l'âge  relatif  des  couches  géologiques,  leur  mode  de  formation, 
à  côté  de  quelques  données  certaines  le  doute  et  le  mystère 
occupent  une  large  place.  Semblable  à  un  de  ces  antiques 
palimpsestes  où  l'œil  exercé  du  paléographe  plonge  sous  une 
écriture  plus  moderne  pour  découvrir  les  traces  à  peine  visibles 
de  caractères  effacés,  la  terre  semble  nous  dérober  ses  secrets  ; 
sous  l'ordre  actuel  des  choses,  il  faut  à  grand  peine  retrouver 
les  traces  des  formations  primitives  et  découvrir  tout  le 
travail  des  siècles.  Les  procédés  rigoureusement  scientifiques 
n'étant  pas  toujours  applicables,  on  est   forcé   de  recourir 


200  LA  BIBLE  [Tome  VIII. 

à  l'hypollièse.  Evidemment,  celle-ci  n'a  de  valeur  qu'autant 
qu'elle  se  trouve  enharmonie  avecles  données  de  toute  nature 
dont  il  faut  tenir  compte  :  si  elle  se  heurte  par  quelque  point 
à  la  réalité,  si  elle  est  en  opposition  avec  des  vérités  certaines, 
elle  est  par  cela  même  inadmissible. 

Le  théologien  devra  donc  distinguer  soigneusement  ces 
deux  choses  :  d'une  part^,  les  résultats  obtenus  par  des  procédés 
rigoureux,,  acquis  définitivement  à  la  science,  et  regardés 
comme  tels  par  les  autorités  couipétentes  ;  de  l'autre,  les 
constructions  qui  reposent  sur  un  fondement  plus  ou  moins 
arbitraire.  C'est  ce  qu'on  peut  appeler  l'élément  fixe  et  l'élé- 
ment mobile  de  la  science.  Le  premier  demande  qu'on  en 
tienne  compte  d'une  manière  absolue,  mais  l'autre  ne  peut 
élever  de  semblables  prétentions,  car  il  repose  sur  une  base 
fragile  ;  l'hypothèse  croule,  si  elle  est  en  contradiction  avec 
une  vérité,  un  fait  bien  établi. 

Il  ne  peut  y  avoir  de  difficulté  sérieuse,  ou  du  moins  insur- 
montable, à  concilier  les  vérités  de  la  première  catégorie  avec 
les  données  positives  de  la  révélation.  En  supposant  que  l'on 
n'aperçoive  pas  de  suite  l'accord,  il  faut  faire  ce  que  l'on  fait 
tous  les  jours  en  présence  de  deux  vérités  scientifiques  du 
même  ordre  séparées  par  une  apparente  contradiction,  c'est-à- 
dire  attendre  que  le  progrès  de  la  science  amène  la  lumière, 
et  en  attendant  ne  renoncer  à  aucune  des  vérités  acquises. 
Notre  esprit  est  tellement  faible,  qu'il  n'aperçoit  ni  le  fond 
des  vérités  qu'il  possède,  ni  les  rapports  secrets  qui  les  unis- 
seul.  La  science  a  ses  mystères  comme  la  foi  :  si  l'on  devait 
rejeter  tout  ce  que  la  raison  est  impuissante  à  pénétrer,  tout 
ce  qui  est  en  apparence  inconciliable,  bien  peu  de  vérités 
résisteraient  à  cette  épreuve  dans  le  système  des  connaissances 
humaines.  Le  seul  parti  à  prendre  en  pareil  cas  est  celui  d'une 
sage  et  prudente  expectative  qui  ne  sacrifie  rien,  et  qui  attend 
avec  sécurité  des  lumières  plus  abondantes.  «  La  première 
règle  de  notre  logique,  dit  Bossuet,  c'est  qu'il  ne  faut  jamais 


Sept.  1863].  ET   LA  SCIENCE   DE   LA  NATURE  201 

abandonner  les  vérités  uue  fois  connues,  mais  qu'il  faut  au 
contraire,  pour  ainsi  parler,  tenir  toujours  fortement  comme 
les  deux  bouts  de  la  chaîne,  quoiqu'on  ne  voie  pas  toujours  le 
milieu  par  où  l'enchaînement  se  continue  (1).  » 

A  plus  forte  raison  ne  faut-il  pas  se  laisser  ébranler  par 
des  combinaisons  purement  hypothétiques.  En  pareil  cas,  la 
conduite  à  tenir  est  tracée  d'avance.  Une  hypothèse  ne  peut 
prévaloir  contre  une  vérité  certaine  ;  s'il  y  a  réellement  an- 
tagonisme, c'est  l'hypothèse  qui  doit  céder.  Mais  aussi  le 
théologien  ne  condamnera  point  trop  vite  une  opinion  comme 
contraire  à  la  vérité  religieuse,  car  il  n'est  ni  juste,  ni  prudent 
de  restreindre  sans  motif  la  liberté  de  la  science  :  il  évitera 
de  se  laisser  dominer  par  des  idées  étroites,  de  prendre 
ses  conceptions,  ses  théories,  ses  systèmes,  pour  des  dogmes 
de  foi.  Il  y  a  un  autre  écueil  non  moins  à  craindre.  C'est  d'ac- 
cueillir facilement  des  hypothèses,  parce  qu'elles  nous  semblent 
concorder  avec  le  récit  biblique,  et  d'étayer  en  quelque  sorte 
là-dessus  son  autorité.  Ce  procédé,  bien  peu  légitime,  est,  de 
plus,  extrêmement  périlleux.  Ces  rapports  fictifs  tourneront 
au  détriment  de  la  Bible,  quand  les  théories  imprudemment 
identifiées  avec  sa  narration  seront  renversées  par  d'autres 
hypothèses,  ou  démenties  par  les  progrès  de  la  science. 

La  théologie,  dans  ses  rapports  avec  les  sciences  expéri- 
mentales, doit  veiller  encore  à  ce  qu'elles  ne  sortent  pas  de 
leur  domaine  et  ne  forcent  pas  leurs  conclusions,  car  c'est  là 
une  nouvelle  source  de  malentendus,  et  ce  n'est  peut-être  pas 
la  moins  féconde. 

L'étude  des  phénomènes  et  des  lois  qui  les  régissent,  telle  est 
la  tâche  du  naturaliste.  Appuyé  sur  l'observation  et  l'induc- 
tion, il  détermine  la  marche  des  choses  dans  l'ordre  normal  et 
ordinaire,  tel  que  l'expérience  le  constate.  Cet  ordre  est-il  néces- 
saire et  absolu?  L'action  des  causes  secondes  ne  peut-elle  pas 

[])  Bossuel,  Traité  du  libre  arbitre,  ch.  iv. 


202  L\   BIBLE  [TomeVni. 

être  modifiée  par  l'interveniion  d'une  causalité  supérieure?  Le 
naturaliste,  comme  tel,  n'en  sait  rien,  car  l'expérience,  qui 
est  de  son  ressort,  est  ici  un  critérium  tout  négatif  et  insuffi- 
saut.  De  ce  que  M.  Maury  ou  M.  Littré,  par  exemple,  n'ont 
jamais  vu  de  miracles,  il  ne  s'ensuit  point  qu'il  n'y  en  a 
jamais  eu,  qu'il  ne  peut  y  en  avoir.  Si  donc  un  naturaliste 
argumente  contre  le  miracle,  s'il  prétend  en  démontrer 
l'impossibilité  ou  la  non -existence,  il  sort  de  ses  attributions, 
il  entre  dans  le  domaine  de  la  théologie,  de  la  philosopliie 
et  de  l'histoire.  Ce  n'est  pas  le  naturaliste  qui  parle,  c'est  le 
polémiste  ;  il  ne  puise  point  les  armes  qu'il  emploie  dans 
ses  connaissances  spéciales,  puisque  celles-ci  n'en  fournissent 
aucune:  il  va  les  chercher  ailleurs  dans  ses  préjugés,  dans 
ses  opinions  préconçues,  ou  du  moins  dans  un  ordre  d'idées 
et  de  faits  qui  sont  du  ressort  d'une  autre  science.  Ne  laissons 
donc  jamais  dire  que  les  résultats  acquis  par  les  sciences  natu- 
relles sont  incompatibles  avec  le  miracle.  Encore  une  fois,  ces 
résultats  fixent  les  lois  de  la  nature,  que  nous  sommes  loin  de 
nier,  mais  ils  n'établissent  point  que  le  Dieu  vivant  s'est  effacé 
devant  un  mécanisme  impitoyable,  en  y  enchaînant  à  tout 
jamais  sa  liberté.  L'expérience  et  l'induction  basées  sur  les 
faits  ordinaires  de  la  nature  sont  ici  d'une  complète  insuffi- 
sance :  c'est  ailleurs  qu'il  faut  s'adresser  pour  avoir  une 
solution. 

Il  faut  dire  la  même  chose  des  questions  d'origine.  Il  est  évi- 
dent qu'elles  sont  en  dehors  de  l'observation.  La  science  dit  : 
Donnez-moi  la  matière  et  les  lois  qui  la  régissent,  et  je  vous 
ferai  assister  au  développement  des  choses.  Soit;  mais  cette 
matière,  d'où  la  tirerez-vous  ?  Mais  ces  lois,  d'où  viennent-elles 
et  qui  les  a  établies?  Voilà  des  problèmes  que  l'observation  ne 
peut  résoudre,  et  sur  lesquels  l'induction  ne  fournit  aucune 
lumière  :  les  sciences  naturelles  sont  ici  encore  nue  fois  in- 
compétentes. 

Quand  donc  on  viendra  nous  parler  au  nom  de  l'expérience 


Sept.  l.Sr,3|  ET  LA   SCIENCE   DE   L\  NATURE.  203 

et  nous  dire  qu'elle  ne  fouruit  aucun  exemple  de  création  de 
substances,  nous  en  conviendrons,  mais  en  ajoutant  que  l'ob- 
servation  porte  uniquement  sur  lo  fait  actuel,  sur  le  monde 
tel  qu'il  existe  aujourd'hui  et  les  lois  qui  le  régissent.  Quant 
au  développement  primordial  dont  cet  état  de  choses  est  la 
résultante,  les  sciences  d'observation  ne  peuvent  e!i  assigner  ni 
la  cause  ni  le  mode  essentiel  :  leur  rôle  se  borne  à  éclairer  sa 
marche  par  des  conjectures  sans  remonter  jusqu'à  son  principe 
même.  Encore  ces  aperçus  sont-ils  eux-mêmes  hypothétiques. 
Ils  indiquent  comment  les  choses  ont  pu  se  passer,  et  non  pas 
comment  elles  se  sont  passées  en  effet.  Nous  répéterons  par 
conséquent  ici  ce  que  nous  disions  il  y  a  un  instant.  Ce  n'est 
pas  le  géologue  ou  l'astronome  qui  argumente  contre  le  dogme 
de  la  création  :  c'est  le  théologien  ou  le  philosophe  caché 
sous  le  manteau  du  géologue,  ou  plutôt  c'est  l'homme  incom- 
pétent que  ses  préjugés  lancent  dans  un  ordre  de  questions 
étranger  à  ses  études  habituelles,  et  qui  mêle  aux  résultats  de 
la  science  des  assertions  qui  en  faussent  le  caractère  en  en 
exagérant  la  portée. 

m. 

Le  théologien  et  Texégète  doivent  s'efforcer  à  leur  lour  de 
bien  saisir  le  sens  des  documents  bibliques,  et  de  ne  point 
leur  faire  dire  plus  ou  autre  chose  que  ce  qu'ils  contiennent. 

De  môme  que  le  naturahste  peut  mal  interpréter  le  livre  de 
la  nature,  de  même  le  théologien  peut  mal  interpréter  celui 
de  la  révélation.  L'Église  seule  est  infaillible  dans  son  inter- 
prétation authentique  des  Livres  saints,  en  tant  que  leur  con- 
tenu se  rapporte  à  la  foi  et  aux  mœurs.  Mais  sa  mission  s'ar- 
rête là.  Tout  ce  qui  est  histoire,  critique,  philologie,  tjut  ce 
qui  n'a  pas  un  rapport  direct  et  essentiel  aveu  la  doctrine,  est 
simplement  du  ressort  de  la  science  :  c'est  la  tâche  de  l'exé- 
gète.  Or  celui-ci,  comme  tout  autre  savant,  est  sujet  à  se 
tromper.  L'exégèse  requiert  une  aptitude  et  des  connaissances 


2P4  LA  BIBLE  [Tome  VIII. 

spéciales;  elle  suit  le  progrès  dos  connaissances  humaines,  elle 
est  sujette  aux  mêmes  vicissitudes,  aux  mêmes  variations,  aux 
mêmes  incertitudes. 

Quand  donc  on  a  peine  à  concilier  les  données  scientifiques 
avee  le  récit  delà  Bible  interprété  de  telle  ou  telle  façon,  il  faut 
voir  si  la  difficulté  tient  aux  choses  mêmes  et  non  à  la  manière 
dont  elles  sont  exposées  et  comprises  :  en  d'autres  termes,  si 
ce  n'est  pas  le  naturaliste  ou  le  théologien  qui  se  trompent, 
qui  interprètent  mal  la  nature  ou  la  Bible.  On  trouvera  bien 
souvent  qu'il  en  est  ainsi.  Le  naturaliste  se  sera  lancé  sur  le 
terrain  de  Thypothèse  ;  le  théologien  aura  entendu  la  lettre 
dans  un  sens  trop  étroit  ou  même  complètement  faux  ;  il  aura 
imposé  à  la  Bible  ses  idées  et  ses  conceptions  personnelles. 
Beaucoup  d'apparentes  autilogies  se  résoudront  sur  le  champ 
par  cette  méthode. 

Pour  bien  comprendre  les  récits  bibliques,  il  faut  se  faire 
une  idée  juste  de  leur  nature  et  de  leur  caractère  :  sans  cela 
on  est  exposé  à  y  chercher  ce  qu'ils  ne  contiennent  pas  et  à 
fausser  le  sens  en  forçant  les  expressions  ou  en  les  prenant 
dans  une  acception  trop  littérale. 

Qu'est-ce  que  la  Bible?  Que  sont  en  particulier  les  écrits  de 
l'Ancien  Testament?  Ce  n'est  point  une  encyclopédie  univer- 
selle écrite  eu  vue  de  faire  progresser  les  sciences  ou  de  satis- 
faire un  intérêt  de  curiosité  purement  humaine.  La  physique, 
l'astronomie,  la  géologie  n'ont  pas  à  y  chercher  des  lu- 
mières, 

La  Bible,  c'est  la  parole  de  Dieu,  c'est  le  recueil  inspiré  des 
oracles  de  Celui  qui,  ayant  parlé  autrefois  par  les  prophètes, 
nous  a  parlé  enfin  par  son  Fils.  L'Ancien  Testament  contient 
les  archives  de  la  révélation  depuis  les  premières  origines 
jusqu'à  l'ère  chrétienne.  Ce  sont  les  annales  de  la  théocratie  : 
annales  qui  manifestent  les  conseils  de  Dieu  sur  le  peuple  élu, 
et  les  moyens  qu'il  a  pris  pour  le  préparer  à  sa  grande  des- 
tinée; annales  qui  retracent  l'évolution  de  l'idée  divine  mani- 


Sept.  1863.]  ET   LA    SCIENCE   DE   LA   NATURE,  205 

festée  graduellement  au  monde,  jusqu'à  l'époque  où  elle  allait 
se  réaliser  dans  le  Christ. 

L'idée  religieuse,  par  conséquent,  voilà  Tesseuce  du  Livre 
divin,  voilà  son  objet  propre  :  le  reste  est  cadre  et  accessoire. 
Préparer  la  venue  du  Messie,  et  pour  cela  épurer  et  compléter 
les  croyances  religieuses,  entretenir  et  développer  les  espé- 
rances messianiques,  voilà  ce  que  Dieu  se  proposait.  L'inspi- 
ration des  écrivains  sacrés  ne  leur  ouvrait  des  horizons  nou- 
veaux que  dans  le  domaine  de  la  vérité  religieuse.  Moïse, 
David,  les  Prophètes,  quoique  favorisés  de  lumières  spéciales 
par  rapport  à  Téconomie  divine  dont  ils  étaient  les  instru- 
ments, n'avaient  pas  pour  cela  la  science  universelle.  En  dehors 
des  choses  que  Dieu  leur  révélait  et  qu'il  les  chargeait  d'an- 
noncer aux  autres,  ils  n'avaient  que  les  connaissances  de  leur 
époque  et  les  moyens  d'instruction  à  l'usage  de  leurs  contem- 
porains. La  nature  conservait  pour  eux  ses  mystères  et  ses 
voiles. 

Toutefois,  l'élément  naturel  et  humain  avait  aussi  sa  place 
dans  la  trame  de  leur  enseignement.  Il  était  impossible  que, 
sous  sa  forme  historique  ou  didactique ,  leur  exposé  ne 
touchât  point  des  choses  étrangères  à  son  contenu  direct.  Ainsi, 
Moïse  en  enseignant  au  début  de  son  livre  le  dogme  de  la 
création,  trace  le  tableau  de  l'origine  des  choses,  et  par  là- 
même  se  trouve  sur  le  terrain  des  sciences  naturelles. 

On  ne  peut  douter  que,  dans  ce  cas,  les  écrivains  sacrés 
n'aient  été  mis  à  l'abri  de  toute  erreur  par  le  don  de  l'inspira- 
tion. Une  erreur  quelconque  était  incompatible  avec  le  caractère 
divin  de  leur  œuvre  :  la  parole  de  Dieu  ne  peut  enseigner  le 
mensonge.  De  quelque  manière,  en  effet,  que  l'on  entende  le 
don  de  l'inspiration  (1),  il  faut  admettre  que,  dans  un  sens 
très-vrai,  les  écrits  inspirés  sont  l'œuvre  de  Dieu;  que  par 
conséquent  leurs  erreurs,  s'ils  en  contenaient,  remonteraient 

(^)  V.  l.  I  de  cette  Revue,  p.  442  ss.,  507  ss.,  les  articles  sur  Vlnspi- 
ration  des  Livres  saints. 


206  LA   BIBLE  [Tome  VIII. 

jusqu'à  Dieu.  C'en  serait  fait  aussi  de  leur  autorité.  A  ce 
propos,  nous  ferons  observer  combien  il  est  remarquable 
que  la  Bible  n^ait  pas  donné  dans  les  conceptions  cosmogo- 
niques  extravagantes,  dans  les  idées  sur  ia  nature  et  le  sys- 
tème du  monde  qu'avait  enfantées  l'imagiualion  des  peuples 
antiques,  et  que  nous  retrouvons  à  chaque  page  des  livres  sa- 
crés de  rinde.  II  n'y  a  pas  un  mot  dans  la  Bible  qui  rappelle 
ces  chimères,  et  qui  soit  en  opposition  réelle  avec  les  ensei- 
gnements de  la  science.  Les  écrivains  sacrés  se  renfer- 
ment à  cet  égard  dans  des  fora.ules  dogmatiques,  el  dans 
un  exposé  des  faits  où  la  raison  la  plus  exacte  n'a  jien  à  rele- 
ver, et  qui,  par  sa  large  contexlure,  permet  à  la  science  d'y 
adapter  tous  ses  résultats. 

Une  remarque  est  encore  nécessaire,  et,  faute  de  l'avoir 
faite,  l'incrédulité  du  dernier  siècle  ou  même  le  rationahsme 
de  notre  époque  ont  soulevé  contre  le  caractère  inspiré  des 
Livres  saints  de  puériles  difficultés.  Les  écrivains  bibliques 
se  servent  des  locutions  usuelles  que  le  langage  commun  a 
consacrées,  et  qui  sont  restées  jusque  dans  la  bouche  des  sa- 
vants de  profession.  Tout  le  monde  dit  :  Le  soleil  se  lève,  se 
couche,  disparait  à  l'horizon;  le  style  poétique  ou  soutenu 
admet  la  voûte  des  cieux,  les  fondements  de  la  terre,  etc.,  etc. 
Les  auteurs  inspirés  ont  parlé  le  langage  de  leur  temps  et  de 
tous  les  temps  :  s'adressant  à  des  hommes,  ils  ont  employé 
les  formules  du  langage  humain.  De  là,  pour  citer  un  exemple 
fameux,  la  parole  de  Josué  :  Soleil,  arrête-toi!  Aujourd'hui 
même,  il  serait  parfaitement  ridicule  de  s'exprimer  autre- 
ment. Le  langage  usuel  se  règle  toujours  d'après  les  appa- 
rences, quoique  nous  sachions  très-bien  que  ces  apparences 
sont  trompeuses. 

C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  faut  se  placer  pour  expliquer 
les  poétiques  métaphores  de  Job,  des  psaumes,  des  prophètes. 
Il  ne  peut  y  avoir  là  aucune  ditliculté  pour  un  esprit  sérieux. 

Mais,  en  employant  ces  locutions  usuelles,  les  auteurs  in- 


Sept.  1803.1  ET   LA   SCIENCE   DE   LA   NATURE.  Î^OT 

spires  y  attachaient-ils  un  autre  sens  que  leurs  contempo- 
rains? Avaient-ils,  sur  le  système  du  monde,  des  idées  plus 
exactes  et  plus  complètes?  Cela  nous  importe  fort  peu. 
L'essentiel  est  que  ces  locutions  ne  constituent  point  une 
tache  pour  le  livre  qui  les  renferme,  et  qu'elles  n'aient  pas 
le  caractère  d'une  erreur.  Or,  ceci  est  indubitable ,  car , 
aujourd'hui,  avec  des  notions  certaines  sur  toutes  ces  choses, 
on  ne  s'exprime  pas,  on  ne  peut  s'exprimer  autrement.  L'in- 
spiration n'avait  donc  point  à  garantir  nos  auteurs  contre  des 
formules,  non-seulement  légitimes,  mais  d'un  usage  indispen- 
sable. Ils  n'eussent  pas  été  compris  en  s'exprimant  d'uue  ma- 
nière différente.  Ce  miracle  n'était  pas  seulement  inutile  et 
sans  but  :  il  était  contraire  à  la  fin  même  de  la  révélation,  car 
il  eût  soulevé  contre  elle  des  difficultés  que  rien  ne  pouvait 
alors  empêcher  ou  aplanir,  à  moins  que,  par  un  nouveau  mi- 
racle psychologique.  Dieu  n'eût  mis  tous  les  lecteurs  à  la 
hauteur  du  livre  qui  leur  était  destiné.  C'est  ainsi  qu'en  aban- 
donnant la  simplicité  des  voies  de  Dieu,  nous  arrivons  immé- 
diatement à  l'absurde. 

Mais  enfin,  pour  en  revenir  à  la  question  proposée,  Moïse, 
David^  les  prophètes,  ne  partageaient-ils  pas,  comme  tous  les 
Hébreux,  les  idées  éveillées  par  les  locutions  qu'ils  emploient, 
et  que  nous  regardons,  nous,  comme  métaphoriques  ?  Sous 
les  réserves  posées  plus  haut,  nous  dirons  qu'il  n'y  a  vraiment 
aucun  motif  de  penser  le  contraire.  La  révélation  éclaire  l'es- 
prit du  voyant  sur  le  point  particulier,  sur  la  vérité  ou  la  doc- 
trine religieuse  qui  en  est  l'objet,  mais  elle  n'a  point  pour 
effet  de  lui  donner  la  science  universelle  et  de  lui  apprendre, 
par  exemple,  la  physique  et  l'astronomie.  En  vertu  de  l'inspi- 
ration, il  écrit  sans  se  tromper  ce  qu'il  a  mission  d'écrire  : 
il  n'a  pas  pour  cela  des  notions  complètes  sur  tout  ce  qui 
touche  à  cet  objet  d'une-  manière  indirecte,  et  sans  appartenir 
à  l'économie  du  salut. 

E.  Hautcoeur. 


LA    "VERITE 


FACULTE    DE    THÉOLOGIE    DE    PARIS 


do  leea  à  les» 


D  APRES    DES     DOCUMENTS    INEDITS. 


Dtioxième  article  (1). 


§111. 

Autres  renseignements  secrets  transmis  à  Colbert  sur  les  docteurs 
de  la  Sorbonne. 

A  la  pièce  publiée  dans  notre  premier  article,  nous  pou- 
■vons  en  joindre  une  autre  qui  n'est'pas  moins  curieuse,  et  qui  se 
trouve  aussi  à  la  Bibliothèque  impériale,  Ms.  Colùert  155,  Vc, 
(page  55  et  suiv.).  Elle  ne  servira  pas  peu  à  compléter  les  ou- 
vrages de  biographie.  Nous  nous  permettons,  en  la  transcri- 
vant, d'ajouter  un  numéro  à  chaque  titre. 

I. 

Les  Docteurs  de  la  maison  de  Sorbonne. 

Messier.  —  Accablé  de  vieillesse,  âgé  de  92  ans. 

De  Mince.  —  L'esprit  et  l'âme  d'un  vieux  gentilhomme 

(I)  Y.  le  numéro  d'août,  p.  97  ss. 


Sept.  486  3]  LA  VÉRITÉ  SUR  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  PARIS.  209 

français  ;  aimaut  sou  prince  et  son  uutorité,  et  haïssant  tout 
ce  qui  y  est  contraire;  incapable  de  fourlte;  dont  le  sens  com- 
mun et  la  présence  d'esprit  dans  les  occasions  pour  tourner 
une  affaire  dans  le  bon  sens,  et  se  défaire  de  tout  ce  que  l'on 
peut  lui  opposer  pour  lui  faire  de  la  peine,  est  sans  contredit 
extraordinaire,  aussi  bien  que  sa  fermeté. 

Morel.  —  Bon  naturellement,  honnête,  emporté  par  pre- 
mier mouvement,  cherchant  à  être  bien  à  la  cour  et  avec  les 
grands,  et  avec  tous  ceux  qui  ont  crédit,  attaché  à  M.  le  chan- 
celier par  sa  pension  pour  les  livres,  et  par  reconnaissance  de 
ses  caresses.  Bon  serviteur  du  roi  ;  que  Ton  gouverne  fort  fa- 
cilement, étant  fort  raisonnable,  et  point  trop  attaché  à  ses 
sentiments. 

Patu.  —  Rien.  Gouverné  quelquefois  par  M.  Morel,  lorsque 
M.  de  Mince  ne  lui  parle  pas  ;  sans  intérêt  ni  vue  ;  bon 
homme. 

Duchesne. — Homme  qui  est  toujours  bien  intentionné,  suivant 
toujours  son  sentiment;  n'en  changeant  jamais  quel  qu'il  soit; 
s'estimant  seul  infaillible.  Il  ne  faut  point  prétendre  le  gou- 
verner, mais  seulement  chercher  ses  inclinations  pour  lui  ca- 
cher les  choses  si  elles  ne  lui  plaisent  pas. 

Bétille.  —  Bonne  tète,  normand,  prenant  bien  son  parti,  in- 
dififérent  et  promettant  volontiers.  11  a  été  commissaire  dans 
l'affaire  des  propositions  et  a  fait  son  devoir. 

Bréda.  —  Homme  qui  a  été  toujours  porté  d'inclination 
pour  les  sentiments  anciens  de  la  Faculté;  qui  dans  sa  jeunesse 
les  a  sus,  eu  sorte  que  les  principes  lui  restent  ;  mais  l'appli- 
cation à  sa  cure,  ses  sermons  l'empêchent  de  savoir  les  choses 
à  fond.  Ainsi  il  ne  peut  pas  examiner  les  thèses,  voulant  être 
employé  par  M.  de  Paris  et  fort  attaché  à  lui.  Le  dernier  qui 
lui  parle,  pourvu  qu'il  le  flatte,  l'emporte,  et  lui  fait  même 
dire  un  sentiment,  bien  qu'il  se  soit  auparavant  déclaré  pour 
le  contraire.  Sujet  à  des  incommodités  et  des  fièvres;  mettant 
sa  félicité  dans  une  maison  de  campagne  qu'il  a,  où  il  se  tient 


210  ^  LA  VÉRITÉ  IToinoVllI. 

ordinairement.  Aussi  ne  peut-il  pas  faire  exactement  sa  charge 
de  syndic.  II  est  suivi  dans  la  Faculté  à  cause  qu^il  prend  sou- 
vent le  bon  parti  ;  et  comme  il  sait  se  soutenir  de  ceux  qui 
lui  parlent,  il  ne  se  fait  rien  d'un  côté  et  d'autre  dont  on  ne 
lui  parle,  gardant  loujours  sa  société  et  son  commerce,  et 
même  de  petits  divertissements  avec  M.  Grandin  et  autres.  Il 
parle  purement  latin,  et  tourne  assez  bien  les  aflaires. 

Flavigny. —  Gentilhomme  picard,  emporté  naturellement, 
et  opposé  aussi  dès  sa  jeunesse  à  tout  ce  qui  peut  plaire  à 
M.  Grandin  et  à  ses  amis.  C'est  un  homme  propre  à  faire  pro- 
poser tout  ce  que  l'on  veut,  pourvu  que  cela  soit  violent.  Op- 
posé à  Rome  et  à  ceux  qui  suivent  les  o^)inions  de  ce  pays  là, 
pourvu  aussi  que  l'on  l'assure  qu'il  ne  sera  pas  abandonné. 
Sachant  bien  la  langue  hébraïque,  et  rien  que  cela  ;  assez  bon 
humaniste.  Il  a  toujours  eu  des  procès  pour  sa  famille.  Il  est 
pauvre,  devant  partout,  hardi,  et  va  vite.  Ses  ennemis  ne 
manquent  pas  de  le  calomnier.  Sait  bien  sa  bible  hébraïque. 

Dndon.  —  Attaché  à  ses  intérêts,  homme  rustique,  pédant, 
point  de  considération  pour  la  cour,  ce  motif  le  choquant. 
Homme  caché,  faisant  réussir  ses  desseins  par  dessous  main, 
et  ne  parlant  point  en  public;  mais  tout-à-fait  opposé  aux  sen- 
timents de  Rome,  quels  qu'ils  soient,  et  à  ceux  qui  les  suivent. 
Aimant  mieux  sa  liberté  et  haïssant  toute  contrainte  et  domi- 
nation dans  ses  sentiments.  Assez  riche  pour  un  homme  de  sa 
condition  et  pour  ne  rien  souhaiter.  Propre,  quand  une  chose 
lui  plait,  à  parler  à  ses  amis  pour  la  faire  réussir. 

Lodencq.  —  Naturellement  chagrin  et  hargneux,  faisant 
profession  d'aimer  la  reconnaissance.  Fier  et  altier  dans  ce 
qu'il  s'est  mis  à  la  tète  ;  point  trop  intéressé  et  n'aimant  pas 
assez  le  bien  pour  en  acquérir  par  ses  actions,  mais  seulement 
pour  le  conserver;  fort  attaché  au  parti  des  Jansénistes;  fort 
attaché  à  M.  le  cardinal  de  Retz  ;  haïssant  tout  ce  qui  peut 
sentir  la  violence  et  choquer  sa  liberté  ;  fixé,  s'il  ne  change, 
à  vivre  et  mourir  le  reste  de  ses  jours  en  Sorbonne. 


Sept.l8G3.]  SUR  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  211 

Roullé.  —  Méprisé  par  tout  le  monde,  personne  n'ayant  de 
créance  en  lui.  Parlant  facilement  mal  latin,  mais  emporté 
quand  il  suit  son  naturel;  étant  pourtant  fort  opposé  aux  Jan- 
sénistes, et  voulant  tout  ce  que  l'on  lui  dit,  pour  plaire  à  la 
cour.  Je  ne  croirais  pourtant  pas  à  propos  de  lui  faire  propo- 
ser les  choses  que  l'on  pourrait  vouloir,  de  peur  de  rebuter 
plusieurs  personnes. 

Poncet.  —  Homme  d'honneur,  honnête  homme,  homme  de 
bien. 

Porcher.  —  Sage,  beaucoup  de  feu,  qu'il  retient  pourtant, 
savant,  le  meilleur  officiai  du  royaume;  aimant  les  Jansénistes, 
opposé  à  tout  ce  qui  vient  de  Rome;  ne  voulant  point  se  com- 
mettre avec  personne;  cherchant  souvent  pour  cela  dans  les 
assemblées  des  tiers  partis  qu'il  prend  pour  ne  choquer  pas 
les  gens.  Secret,  caché,  aimant  les  livres,  les  connaissant; 
n'aimant  point  le  bruit  ni  le  désordre,  ferme  dans  ses  desseins, 
plus  en  particuher  qu'en  public.  Propre  à  être  syndic,  s'il  n'y 
avait  rien  à  craindre  des  Jansénistes,  ou  s'il  ne  fallait  pas  que 
la  Faculté  y  eût  quelque  part,  auquel  cas  il  y  faudrait  bien 
penser. 

Mazure. — Curé  de  Saint-Paul,  homme  de  cabale  et  à  la  con- 
duire sûrement,  sourdement  ;  qui  veut  ce  qu'il  veut  ;  haïssant 
les  Jésuites  et  la  cour  de  Home  ;  qui  se  sert  bien  de  ce  qu'il  sait; 
lassé  des  persécutions  des  Jésuites,  mais  qui  y  résiste  par  bra- 
voure, plein  de  tierlé;  aimant  si  je  ne  me  trompe  les  affaires, 
et  un  peu  dangereux  à  ce  que  l'on  dit;  qui  a  beaucoup  de 
créance  dans  les  lieux  où  il  a  enti'ée;  qui  voudrait  pourtant  se 
reposeï'  honorablement  et  être  à  l'abri  de  l'insulte.  Intrépide 
et  homme  de  service  pourvu  qu'il  l'ait  promis  et  qu'il  le 
veuille  ;  fort  ami  de  tout  ce  qui  approche  du  jansénisme  et  qui 
est  opposé  à  Rome.  Fort  propre  à  proposer  et  soutenir  ce  que 
l'on  voudra,  qui  soit  conforme  à  ses  sentiments,  et  qui  prend 
bien  son  parti  dans  le  moment.  Bien  intentionné,  honnête 
dans  ses  sentiments;  de  la  coterie  de  MM.  Lodencq  et  Druion. 


212  LA    VÉRITÉ  [TomeV;iI. 

Prédicateur  et  par  conséquent  peu  savant,  mais  qui  sait  bien 
les  principes  contre  les  entreprises  de  Rome,  desquels  il  n'est 
pas  difficile  de  le  faire  servir. 

Grandin. —  A  beaucoup  d'esprit  pour  les  lettres,  fort  bon 
humaniste  et  qui  sait  les  belles-lettres.  Composant  extrême- 
ment bien  en  latin,  mais  le  récitant  mal;  faisant  bien  des  vers, 
et  s'attirant  l'estime  de  ceux  devant  qui  il  parle.  Voyant  dans 
les  affaires  tout  ce  qu'on  y  peut  voir  et  quelquefois  même  plus 
qu'il  ne  faut.  D'un  naturel  extrêmement  timide  ;  aimant  son 
repos  plus  que  toutes  les  choses  du  monde;  attaché  à  son  col- 
lège ;  respectant  naturellement  les  puissances  ;  attaché  d'in- 
clination aux  sentiments  de  Rome,  et  aux  Jésuites  et  à  toutes 
leurs  opinions  ;  en  connaissant  parfaitement  et  le  fort  et  le 
faible  des  unes  et  des  autres,  et  ayant  même  un  fond  d'indif- 
férence pour  toutes  les  opinions^  les  croyant  assez  probables. 
Ne  se  souciant  guère  de  sa  réputation;  infatigable  au  travail; 
fort  savant  dans  les  matières  de  l'école  et  des  thèses.  Peu  sûr 
pour  ses  amis,  ne  faisant  nul  état  des  lois  et  des  règles  de 
l'amitié,  quand  il  veut  faire  quelque  chose.  Plus  caché  et  cou- 
vert que  tous  les  hommes  du  monde.  Affectant  une  simplicité 
et  naïveté,  avec  quoi  il  fait  passer  les  choses  qu'il  veut  adroi- 
tement. Ses  ennemis  disent  qu'il  a  l'esprit  fort  dangereux, 
captieux  :  je  ne  le  crois  pas  pourtant,  ni  qu'il  soit  un  homme 
de  grande  cabale.  Il  se  peut  bien  gouverner,  pourvu  que  l'on 
le  prenne  selon  ses  faibles  et  que  l'on  ne  le  cabre  pas.  Il  est 
plus  propre  à  ètz*e  conduit  qu'à  conduire;  si  l'on  se  sait  servir 
des  connaissances  qu'il  a_,  et  l'en  faisant  ressouvenir,  il  y  a  fort 
peu  de  choses  dont  on  ne  le  fasse  convenir.  Il  a  beaucoup  de 
faiblesse  à  l'égard  de  ses  amis  qui  prennent  ascendant  sur  lui, 
aussi  bien  que  pour  ses  ennemis  qui  se  peuvent  faire  craindre. 
11  n'aime  nullement  les  affaires  et  les  embarras,  et  je  ne  pense 
pas  qu'il  soit  à  gages  pour  les  intérêts  do  Piome,  l'argent  ne 
venant  pas  de  ce  pays-là,  où  ils  sont  accoutumés  d'en  recevoir 
et  de  n'en  pas  donner.  11  faut  beaucoup  de  patience  et  de 


Sept.  1863  1  SUR   LA    FACULTÉ   DE  THÉOLOGIE    LE   PARIS.  213 

flegme  pour  le  conduire  et  ne  se  rebuter  pas  de  ses  inéga- 
lités, qui  paraissent  quelquefois  bizarres.  Cela  vient  d'un  fond 
qu'il  a  de  défiance  et  de  soupçon  contre  tous  ceux  avec  qui  il 
parle. 

Gamache.  — Esprit  pesant,  homme  de  bien  et  d'honneur, 
mais  faible;  peu  de  science,  beaucoup  de  probité  et  de  bonne 
intention;  fort  obsédé  par  les  dévots,  religieux  et  religieuses  ; 
enclin  et  attaché  aux  sentiments  de  Rome,  n'ayant  jamais  la 
les  autres  choses. 

Grenet,  curé  de  Saint-Benoît.  —  Homme  fier  dans  ses  senti- 
ments, hardi,  ne  craignant  rien.  Attaché  pour  tout  ce  qui  est 
contre  Rome,  non  pas  avec  emportement;  mais  quand  on  l'y 
oblige,  il  le  fait  paraître.  Inquiet,  actif,  entreprenant  quand  on 
le  pousse. 

Chaillon. — Homme  naturellement  fort  emporté,  et  beaucoup 
pour  Rome,  ayant  pour  son  premier  principe  que  Papa  oinnia 
potest.  Plus  jésuite  que  les  Jésuites  ;  faisant  par  son  impé- 
tuosité naturelle  beaucoup  de  bruit,  mais  ayant  peu  de 
créance.  D'ailleurs  homme  de  bien;  mais  persuadé  que  tous 
ceux  qui  ne  sont  pas  dans  ses  sentiments  sont  jansénistes,  et 
qu'ils  veulent  perdre  l'Église,  et  qu'il  faut  s'y  opposer.  Pouvant 
proposer  toute  chose,  s'il  est  excité  et  s'il  n'est  pas  fortement 
retenu. 

Gobinet.  —  Intime  de  M.  Grandin,  suivant  en  tout  ses  sen- 
timents, et  le  gouvernant  même  quelquefois  ;  mais  il  a  l'esprit 
rude,  entend  difficilement  raison,  et  ainsi  ne  pouvant  être 
gouverné;  sachant  bien  les  affaires. 

Banneret.  —  Rien,  et  gouverné  par  M.  de  Flavigny  ;  sachant 
assez  de  la  langue  hébraïque. 

Du  Tilloy. — Vit  honnêtement  ;  qui  a  bien  prêché  autrefois  ; 
indifférent  dans  ses  opinions,  et  gouverné  facilement  par  la 
cabale  de  Rome.  L'on  dit  même  qu'il  y  est  plus  attaché  qu'il 
ne  parait  et  qu'il  leur  donne  volontiers  les  avis  qu'il  peut;  mais 
je  ne  le  sais  que  par  ouï-dire. 


2i4  LA   VÉRITÉ  [Tonio  VIlI. 

Desgraves.  —  Est  extrêmement  médiocre,  à  la  réserve  qu'il 
est  fidèle  à  ses  amis  et  qu'ordinairement  il  prend  le  bon  parti, 
et  s'absente  volontiers;  aime  son  repos. 

Gaudin.  —  Voulant  plaire  à  tout  le  monde  et  ne  pouvant  se 
déterminer  par  lui-même  à  rien  ;  parlant  facilement  latin  ; 
toul-à-fait  attaché  à  M.  de  Paris,  et  ne  fait  que  ce  qu'il  voudra; 
et  ainsi  il  ira  toujours  bien  ;  prédicateur,  et  fort  peu  savant; 
ayant  bonne  opinion  de  tout  ce  qu'il  fait;  mais  point  de  suite 
dans  la  Faculté,  à  moins  qu'il  n'agît  dans  le  cloître  Notre- 
Dame,  avant  de  venir  à  la  Faculté,  auprès  de  quelques  cha- 
noines qu'il  y  a;  patelin  de  son  métier, 

S  achat ,  curé  de  Saint-Gervais.  —  Homme  attaché  à  ses 
plaisirs,  aimant  et  affectant  l'extérieur.  Ne  dit  jamais  son 
sentiment  dans  la  Faculté;  aussi  de  nulle  suite;  gouvernant 
ses  dévotes.  Il  est  assez  intéressé  et  ambitieux  pour  faire  ce 
que  l'on  voudrait  pour  et  contre.  Je  ne  le  connais  pas  par 
moi-même. 

Cappeluin.  —  Un  des  hommes  de  l'Europe  qui  sait  le  mieux 
les  langues  orientales  ;  plus  estimé  dans  le  pays  étranger  que 
dans  le  royaume,  où  à  peine  il  est  connu  :  c'est  un  trésor 
caché.  Étant  naturellement  timide;  d'une  humeur  difficile 
dans  la  conversation;  extraordinairement  particulier.  A  plus 
de  bien  qu'il  n'en  veut,  bien  qu'il  n'en  ait  pas  beaucoup.  A  de 
grands  desseins  sur  les  sciences,  mais  libertin  dans  ses  études  : 
cela  veut  dire,  n'étudiant  que  ce  qui  le  divertit  et  qui  lui  vient 
en  fantaisie;  de  nulle  cabale;  opposé  pourtant  à  Rome,  mais 
ne  s'en  souciant  point.  Préfère  à  toutes  les  choses  du  monde 
la  conversation  d'un  misérable  juif  ou  oiiental,  quand  il  en 
trouve  qui  savent  quelque  chose. 

Maynet.  — Médiocre;  est  tout-à-fait  à  M.  l'archevêque  de 
Rouen  ;  fort  porté  pour  Rome,  mais  qui  ne  parle  point  latin 
en  public. 

La  Magdelaine  Camus. — Fort  doux  et  paisible;  l'esprit  facile, 
délicat;  en  réputation  dans  la  maison  de  Sorbonne  et  dans  la 


Sept.  18G3]  SUR    LA   FACULTÉ   DE    THÉOLOGIE   DE   PARIS.  215 

Faculté  d'homme  de  probité.  Se  retirant  volontiers  pour  ne  se 
faire  pas  des  affaires,  quand  il  ne  voit  pas  sûrement  par  où  il 
en  sortira.  Il  est  ami  et  obligé  à  M.  de  Rancé,  qui  lui  a  donné 
un  de  ses  bénéfices.  L'inclination  des  gens  savants  et  modérés; 
a  du  discernement  pour  les  choses  ;  n'a  pas  déclaré  ses  senti- 
ments dans  les  dernières  affaires  ds  la  Faculté,  d'où  il  s'est 
absenté. 

Quatrehommes.  —  llîen  :  cela  veut  dire,  qui  ne  parle  pas 
dans  la  Faculté,  ni  qui  n'agit  pas  au  dehors  ;  et  qui  dit  son 
idem  avec  ceux  qui  sont  pour  Rome,  ne  sachant  point  ces 
matières  là  ni  beaucoup  d'autres. 

Galet.  —  Encore  rien. 

Ues  Ruols,  —  Neveu  de  feu  de  M.  de  Monchal,  archevêque 
de  Toulouse,  et  qui  avait  donné  de  beaux  commencements, 
ce  neveu  ayant  assez  de  dispositions  pour  le  monde  et  pour  les 
sciences  ;  mais  depuis  la  mort  de  son  oncle,  il  n'a  plus  tra- 
vaillé. Il  vient  dans  les  assemblées  quelquefois;  mais  de  nulle 
suite,  n'ayant  point  pris  de  parti  déterminé,  bien  que  d'incli- 
nation il  soit  contre  Rome. 

Lamet.  —  Esprit  délié,  pénétrant,  secret,  et  parlant  peu; 
savaut;  aimant  les  anciens  sentiments  de  la  Faculté,  les  fâ- 
chant bien  ;  ne  se  commet  point  ;  néanmoins  hardi,  quand  il 
s'est  déterminé  à  quelque  chose.  Qui  a  été  toujours  avec 
M.  le  cardinal  de  Retz,  de  fort  bonne  maison,  et  homme  d'ex- 
pédient et  d'ouverture. 

Chamillai^d  le  professeur.  — Naturellement  chaud,  aimant  sa 
réputation,  ferme  et  vigoureux.  Quand  il  entreprend  quelque 
chose  n'en  démordant  point,  si  ce  n'est  que  des  vues  essen- 
tielles l'en  détournassent  ;  d'une  grande  régularité  extérieure, 
et  aussi,  sans  doute,  intérieure  ;  qui  a  du  revenu  en  bénéfices; 
homme  de  sens  et  de  conduite.  Attaché  aux  sentiments  de 
Rome  et  d'inclination,  et  à  cause  de  la  dévotion  et  des  connais- 
sances qu'il  a  prises,  et  principalement  par  les  grandes  décla- 
.rations  qu'il  en  a  faites  dans  ses  leçons  publiques.  Aimant  la 


216  LA  VÉRITÉ  f Tome VIII. 

discipline  de  l'Lcole  et  de  la  Faculté  ;  eu  faisant  nu  grand 
capital  ;  naturellement  enclin  à  la  sévérité  pour  la  discipline 
de  l'Église.  Il  s'absentera  plutôt  que  de  faire  quelque  chose 
qui  déplaise  à  la  cour;  mais  aussi,  sans  la  dernière  violence, 
il  ne  se  déclarera  point  contre  Rome.  Il  chercherait  volontiers 
un  milieu.  Le  meilleur  est  de  ne  pas  songer  à  lui  pour  le  syn- 
dicat, à  moins  qu'il  ne  fût  nécessaire  de  pousser  les  Jansénistes 
par  la  Faculté;  auquel  cas  il  faudrait  prendre  beaucoup  de 
mesures  pour  s'assurer  qu'il  ne  souffrirait  pas  que  Ton  fit  rien 
pour  détruire  ce  qui  est  fait. 

Lestocq,  professeur.  —  L'esprit  beau ,  extraordinairement 
facile,  se  piquant  d'être  agréable  dans  les  conversations,  sait 
les  belles  lettres ,  aime  que  l'on  fasse  cas  de  lui  et  que  l'on 
l'estime;  voulant  assez  dominer;  fort  agissant  et  courant  vo- 
lontiers les  maisons  pour  faire  réussir  ce  qu'il  veut;  sait  les 
affaires  ;  parle  latin  très-facilement  ;  tournant  assez  bien  les 
affaires;  très-propre  à  être  syndic;  déclaré  contre  les  Jansé- 
nistes, bien  qu'ils  crussent  en  être  assurés;  c'est  pour  cela 
qu'il  y  aurait  de  la  peine  à  le  faire  réussir;  dans  le  fond  de 
l'âme  ne  croyant  point  et  n'étant  point  attaché  aux  opinions 
de  Rome  ;  il  s'en  est  expliqué  à  moi  là-dessus  ;  mais  pourtant 
il  garderait  beaucoup  de  mesures  honnêtes  pour  Rome.  Ayant 
ses  liaisons  avec  les  Jésuites,  et  s'est  même  déclaré  dans  le 
cours  de  ses  leçons,  étant  professeur  à  la  place  de  M.  de  Sainte- 
Beuve.  Il  loge  chez  M.  Catinat.  Se  piquant  de  n'être  pas  gou- 
verné, mais  plutôt  de  gouverner.  S'il  y  avait  à  le  ménager 
entre  Rome  et  les  Jansénistes,  prenant  des  mesures  avec  lui, 
il  serait  très-propre  pour  le  syndicat  ;  car  il  sait,  parle  faci- 
lement, entend  les  affaires.  Il  y  aurait  pourtant  quelque  peine 
pour  le  faire  élire  ;  la  maison  de  Sorbonne  aurait  peine  de  se 
réunir  pour  lui. 

Charnillard  le  jeune.  —  Sage,  modéré,  dévot,  bel  esprit,  la- 
borieux, aimant  uniquement  ses  livres,  savant,  naturellement 
timide,  régulier;  n'a  point  connaissance  du  monde;  le  fuyant 


Sept.  1S63.]  SUR   LA   FACULTÉ   DE  THÉOLOGIE   DE   PARIS.  2\1 

par  dévotion  ;  qui  juge  sainement  sur  les  sciences,  et  qui  se 
donnerait  assez  de  liberté  dans  ses  sentiments  et  ses  paroles, 
sans  l'obsession  des  dévots  et  de  son  frère. 

Boust,  professeur.  —  Professeur  de  Sorbonne,  fort  sage,  fort 
modéré,  craignant  Dieu  ;  froid,  mais  qui  voit  avec  un  peu  plus 
de  temps  ce  que  les  autres  voient  plus  vite.  Exact,  parlant 
peu,  honnête;  qui  ne  s'est  pas  voulu  déclarer  sur  ses  opinions, 
parce  qu^il  n'a  pas  encore  assez  étudié  ces  matières  pour  en 
juger  par  lui-même,  et  il  ne  s'en  veut  pas  rapporter  aux 
autre?.  C'est  un  homme  fort  propre  à  servir  quand  on  le  sait 
ménager,  connaissant  bien  les  esprits  et  leur  portée.  N'a  pas 
de  bien,  et  garde  une  chanoinie  à  Chartres  à  regret  et  par  né- 
cessité. Si  on  lui  en  voulait  faire  pour  l'exciter  à  se  déclarer, 
il  faudrait  que  ce  fût  dans  le  dernier  secret.  S'il  y  avait 
quelque  changement  dans  les  chaires  des  professeurs,  l'on 
aurait  peine  à  mettre  une  autre  personne  que  lui  à  la 
place,  à  cause  que  la  science  est  de  petit  revenu,  et  qu'il  y  a 
peu  de  sujets  propres  pour  remplir  ces  places,  parce  qu'il  faut 
de  la  science  et  parler  bien  et  facilement  latin. 

Leblond,  professeur.  —  Professeur  de  Sorbonne,  d'un  natu- 
rel impétueux,  bon  pourtant  dans  le  fond,  qui  va  brusque- 
ment là  où  il  croit  devoir  aller  en  conscience.  Est  persuadé 
des  opinions  romaines  autant  qu'on  le  peut  être,  et  de  bonne 
foi;  a  fort  lu,  sur  ces  matières,  !M.  Du  Perron.  Bon  ami,  sûr, 
plein  de  foi,  donnant  tout  à  l'amitié;  c'est  ce  qui  fait  qu'il  a 
quelque  crédit,  ses  amis  l'estimant  et  craignant  de  le  fâcher, 
ce  qui  arrive  fort  souvent.  Quoiqu'un  des  plus  emportés  en 
faveur  de  Rome,  à  moins  de  voir  lieu  de  réussir,  il  ne  propo- 
sera rien  ;  mais  aussi  jamais  il  ne  dira  un  mot  directement  ou 
indirectement  contre,  étant  homme  de  bien  et  persuadé  de 
bonne  foi.  N'y  ayant  point  d'espérance  qu'il  revienne,  peu 
suivi  dans  l'école,  à  qui  il  ne  faut  pas  parler  que  pour  lui 
faire  craindre  qu'on  pourrait  aller  plus  loin  qu'on  ne  veut  aller, 
et  par  là  il  se  modère  dans  les  occasions,  voyant  qu'il  ne 


218  LA   VÉRITÉ  [TomeVllI. 

reçoit  pas  tant  de  mal  qu'il  craignait.  Fort  ami  de  M.  Gran- 
d.in,  et  que  M.  Grandin  appréhende  extrêmement.  Ne  peut 
comprendre  qu'il  soit  de  l'intérêt  du  roi  de  s'opposer  à  l'établisse- 
ment de  la  souveraineté  de  la  puissance  du  Pape  expliquée  dans 
la  manière  romaine. 

Gobillon.  —  L'esprit  souple,  s'insinuant  hardiment,  déclaré 
contre  les  Jansénistes  dans  l'affaire  de  M.  Arnauld.  Assez  d'é- 
lévation dans  sou  esprit,  sachant  assez  les  matières  de  Rome 
et  son  saint  Thomas.  Député  dans  l'affaire  des  propositions,  et 
tint  bien  ce  qu'il  m'avait  promis.  Sûr  quand  il  est  appuyé,  et 
ne  s'est  jamais  trop  déclaré  ni  pour  ni  contre  ;  fort  attaché  à 
M.  de  Paris.  Il  serait  propre  à  être  syndic;  il  n'y  aurait  que 
les  bacheliers  d'incommodés,  à  cause  qu'il  est  curé  de  Saint- 
Laurent.  D'inclination  contre  Rome. 

Charton.  —  Homme  fort  médiocre  en  tout,  ne  le  croyant 
pas  être;  étudiant  seulement  les  cas  de  conscience.  Tout- 
à-fait  pour  tous  les  sentiments  de  Rome  ;  ne  pouvant  rien 
faire  contre  Rome,  si  ce  n'est  qu'il  fût  conduit  sans  savoir  ce 
qu'il  ferait.  11  a  du  crédit  sur  les  sous-pénitenciers,  et  cela 
fait  nombre;  mais  dans  la  Faculté  il  ne  parle  pas,  mais  il 
gronde  et  excite  ses  voisins  à  crier,  ou  il  s'absente  quand  il 
ne  croit  pas  être  utile,  croyant  que  sa  présence  autorise  ce 
qui  se  fait;  ainsi,  pourvu  qu'on  le  sache  gouverner,  il  est  fa- 
cile de  le  faire  absenter. 

Dessartes.  —  Homme  médiocre,  qui  se  peut  pourtant  gou- 
verner. 

Giloc.  —  Véritable  homme  de  bien,  vendant  le  fond  de  son 
bien  pour  entretenir  de  pauvres  écoliers  qu'il  fait  étudier  pour 
servir  l'Eglise.  D'une  discipUne  extérieure  et  intérieure  ri- 
goureuse, pour  lui  et  pour  ceux  qu'il  conduit.  Ne  se  soucie 
guère  des  choses  qui  se  passent  à  la  Faculté.  Ne  prenant  et 
ne  découvrant  son  parti  que  sur  le  lieu.  Incapable  de  cabale; 
néanmoins  enclin  aux  sentiments  de  Sa  Sainteté.  Ne  changeant 
point  de  sentiment,  quand  il  est  déterminé. 


Sept.  1S63.]  SUR   LA   FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  2i9 

Pinteville.  —  Il  faut  le  gouverner  comme  un  enfant  capri- 
cieux que  l'ou  ne  veut  pas  rebuter  ni  abandonner.  Pour  les 
affaires  ordinaires,  il  ne  faut  pas  s'y  amuser. 

Dumets.  —  Rien  aussi.  De  tous  les  sentiments  dos  dé- 
vots. 

Guéret. —  Rien  aussi,  bien  qu'il  ait  quelque  esprit  et  beau- 
coup de  simplicité  et  de  piété. 

Cocquelin.  —  A  l'esprit  élevé,  beau,  net,  adroit,  de  la  con- 
duite et  du  savoir-faire  ;  et,  pour  le  désigner  en  un  mot  avan- 
tageusement comme  il  le  mérite,  il  est  estimé  de  M.  Letellier 
et  est  à  lui.  Bien  intentionné  ;  a  fort  peu  de  bien,  parce  qu'il 
est  cadet  d'une  maison  que  son  père  a  ruinée  dans  le  service, 
et  que  son  abbaye  est  extraordiuaircment  petite.  Court  risque 
de  finir  le  reste  de  ses  jours  assez  incommodé,  quand  même 
le  roi  lui  donnerait  un  évèclié  de  petit  revenu,  à  cause  que 
n'ayant  plus  de  bien,  il  faudrait  qu'il  empruntât  pour  avoir 
des  bulles,  meubles,  vaisselle,  ornements,  chapelle,  équi- 
page, sacre,  voyage.  Tl  n'aurait  pas  assez  de  vie,  étant  déjà 
fort  gris,  pour  payer  ses  dettes,  principalement  étant  de  qua- 
lité à  ne  pouvoir  pas  vivre,  étant  en  place,  comme  un  misé- 
rable. Aussi  semble-t-il  que  les  évêcbés  de  petit  revenu  sont 
propres  pour  des  personnes  qui  ont  accoutumé  de  vivre  de 
peu  ou  qui  ont  du  bien  d'ailleurs,  ce  qu'il  n'a  pas.  Le  roi, 
ayant  entre  les  mains  plusieurs  grâces  à  faire,  serait  peut-être 
touché  en  sa  faveur,  s'il  avait  la  bonté  de  se  souvenir  qu'il  a 
fait  ce  qu'il  a  pu  pour  faire  paraître  son  zèle  pour  le  service, 
soit  dans  les  dernières  assemblées  du  clergé,  soit  dans  la  Fa- 
culté, où  il  a  imaginé  les  propositions  qu'elle  a  présentées  à 
Sa  Majesté. 

Sauvage.  —  Normand  d'une  humeur  fort  douce  ;  de  l'esprit, 
infirme,  n'a  pas  étudié.  A  obligation  à  M.  Grandin,  et  fort 
enclin  pour  Rome.  Il  est  auprès  de  M.  l'abbé  d'Albret. 

Petit  pied.  —  Procureur  de  Sorbonne,  conseiller  du  Cbâte- 
let,  incapable  d'autre  chose;   changeant  de  sentiment  et  de 


220  LA  VÉRITÉ  (Tome  VIII. 

coDduite  suivant  ses  petites  vues  d'intérêt.  De  nulle  sûreté, 
dangereux,  et  à  qui  il  ne  faut  point  parler  de  ce  que  Ton  veut 
faire,  que  quand  les  choses  sont  assurées. 

Catinat.  —  Honnête  homme,  fort  aisé,  homme  de  bien,  a 
étudié  Baronius. 

Bécherel.  —  Gentilhomme,  fort  français  dans  ses  senti- 
ments, fort  pauvre. 

Mailli.  —  Sait  bien  sa  philosophie,  l'ayant  professée  long- 
temps; qui  se  laisse  conduire  par  ceux  qui  savent  les  matières 
de  l'Église.  Il  ne  les  sait  pas.  Enclin  aux  bons  sentiments.  S'il 
travaillait,  il  serait  un  sujet  propre  pour  être  professeur. 

Bailli.  —  Il  n'a  rien  que  de  commun  ;  indifférent;  ordinai- 
rement absent  de  Paris. 

Montgaillard.  —  Bien  intentionné. 

Liverdy.  —  D'une  triste  figure,  l'esprit  aussi  mal  fait  que  le 
corps,  incapable  de  toutes  choses,  et  avec  qui  il  n'y  a  point 
de  mesure  à  prendre. 

Duval.  —  Rien.  Pour  Rome. 

Adrien.  —  Rien  aussi.  Demeure  avec  l'abbé  de  Chavigny. 

Des  fontaines.  —  Homme  de  bien,  dont  les  intentions  sont 
bonnes  ;  croyant  être  obligé  en  conscience  de  procurer  tout 
le  bien  qu'il  s'imagine  pouvoir  faire.  Appliqué  à  des  acadé- 
mies, où  il  se  donne  tout-à-fait  avec  fruit.  Aimant  pourtant 
les  sentiments  avantageux  au  roi,  et  ne  manque  pas  de  les 
suivre  quand  on  les  lui  fait  connaître. 

Barile.  —  De  peu  de  capacité  et  de  peu  d'espérance. 

Auget.  —  Rien  du  tout  à  faire. 

Bouchet.  —  Dévot,  et  rien  du  tout  à  faire. 

Gerbais.  —  Bou  français,  qui  parle  bien  latin  ;  hardi,  aimant 
à  se  remuer  et  à  donner  du  chagrin  à  M.Grandin  et  à  ses  amis. 
Pauvre  et  qui  pourrait  réussir  s'il  était  aidé  ;  ayant  du  génie. 
S'il  s*appliquait  à  la  théologie,  ce  serait  un  sujet  fort  propre 
pour  en  faire  un  professeur,  bien  qu'il  trouvât  bo^  «oup 
d'obstacles  dans  la  maison. 


Sept.  1803.1  SUR    LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE  DE   PARIS.  221 

Blanger.  —  Assez  d'esprit  et  de  feu;  point  d'étude;  mais 
attaché  à  tous  les  sentiments  roaiains,  à  cause  de  M.  Leblond. 
Il  est  auprès  de  M.  l'abbé  de  Brienne,  mais  il  ne  le  gâtera 
pas. 

Boileau.  —  Dangereux,  de  nulle  sûreté,  et  à  qui  il  faut  bien 
prendre  garde  de  ne  dire  pas  ce  que  l'on  veut  faire,  que  lors- 
que l'on  veut  que  tous  les  partis  le  sachent.  Naturellement 
malin;  aimant  le  désordre,  et  que  rien  ne  réussisse.  Atrabi- 
laire et  fort  désagréable  dans  ses  boutades.  Bon  latin  ;  hardi  ; 
fait  plus  de  mal  que  de  bien  dans  les  affaires,  car  il  est  inventif 
pour  détruire  ;  sans  quoi  ce  serait  un  sujet  bien  propre  pour 
en  faire  un  professeur. 

Varin.  — Honnête,  doux,  faible  de  corps  ^  aime  les  bons 
sentiments,  et  ne  manque  point  d'esprit;  qui  peut  servir  dans 
son  étendue. 

Ihiersonnier.  —  Est  peu  de  chose  ;  s'est  tourné  du  côté  de 
M.  Grandin;  fort  attaché  à  M.  Ghamillard.  Ils  voudraient  le 
faire  professeur. 

Maillet.  —  Rien  du  tout. 

Dubrec.  —  Gentilhomme  normand,  aimant  tout  ce  qui  peut 
choquer  Rome;  neveu  de  M.  l'évéque  de  Comminges  ;  aime 
singulièrement  le  désordre. 

Converset.  ■ —  Chapelain  de  la  reine  mère.  S'il  ne  craignait 
personne^  il  serait  dans  les  bons  sentiments. 

Vuanet.  —  Rien  du  tout. 

Des-périer,  professeur.  —  Professeur  de  Sorbonne  ;  nor- 
mand ;  s'insinuant  fort  adroitement  partout.  Ayant  beaucoup 
de  respect  et  d'attachement  pour  les  Jésuites,  cela  veut  dire 
pour  leurs  sentiments;  ne  sachant  pas  les  matières,  à  cause 
qu'il  n'a  étudié  toute  sa  vie  que  la  philosophie.  Parlant  facile- 
ment latin;  le  sens  commun  bon;  adroit;  et  qui  ne  s'est  pas 
encore  trop  déclaré  dans  ses  leçons  pour  Rome,  quoique  ce 
soit  son  inclination;  mais  il  tournera  du  bon  côté,  s'il  y  voii 
quelque  avantage  assuré,  aussi  bien  que  plusieurs  autres  gens. 


222  LA   VÉRITÉ  [Tome  VIII- 

Il  n'est  point  propre  à  être  syndic,  parce  qu'il  ne  sait  pas,  et 
qu'il  s'en  rapporterait  à  ceux  qu'il  n'est  peut-être  pas  expédient 
qu'ils  soient  ses  maîtres. 

Bagnolle.  —  Naturellement  bien  intentionné;  qui  avait  bien 
étudié  avant  d'entrer  en  licence.  Il  s'applique  uniquement  à  la 
dévotion  et  à  servir  le  diocèse  de  Chartres  ;  fort  uni  avec  les 
dévots. 

Savary.  —  L'on  le  fait  venir  de  la  cure  de  Clermont  pour 
favoriser  les  sentiments  de  Rome  ;  mais  il  ne  serait  pas  diffi- 
cile de  le  faire  venir  pour  être  contre  ces  mêmes   sentiments. 

Destously.  ~  Les  amis  de  M.  Grandin  le  font  venir  de 
Saint-Quentin,  lorsqu'ils  en  ont  besoin  pour  leurs  desseins. 

Lévesque.  —  Les  amis  de  M.  Grandin  le  font  venir  quand  il 
y  a  quelque  chose  à  faire  qui  en  vaut  la  peine,  suivant  leurs 
sentiments.  Ils  ont  comme  cela  d'autres  troupes  auxiliaires 
qu'ils  appellent  quand  bon  leur  semble,  qui  sont  des  curés  et 
des  chanoines  aux  environs  de  Paris. 

Mou f toi.  —  Faisant  profession  qu'on  ne  puisse  connaître  ni 
ses  sentiments,  ni  ses  desseins.  Ainsi,  difficile  à  gouverner, 
bien  que,  s'il  avait  promis,  il  tiendrait  parole,  faisant  profession 
d'être  gentilhomme. 

Ingoville.  —  Esprit  normand  :  je  ne  le  connais  pas. 

II. 

Les  docteurs  de  la  maison  de  Navarre. 

Messieurs  : 

Coppin.  —  Change  à  tous  vents,  et  peu  de  sens  commun, 
et  que  l'on  n'écoute  point  dans  la  Faculté.  Pouvant  pourtant 
proposer  ou  opiniât.''er  toutes  choses  d'un  côté  et  d'autre. 

Vaillant. —  Homme  fort,  qui  veut  fièrement  ce  qu'il  veut  ; 
ne  change  point;  qui  a  de  la  créance  parmi  tous  ceux  qui  sont 
opposés  à  Rome  et  enclins  aux  Janséniste?.  Qui  conduit  bien 


Sept.  1863.1  SUR   LA   FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  223 

ce  qu'il  entreprend  ;  qui  sait  beaucoup;  assez  intrépide  et  ne 
se  souciant  plus  beaucoup  de  fortune.  Parle  bien  latin  en 
termes  concis.  Qui  conservait  son  parti  dans  Navarre  contre 
M.  Cornet.  L'on  dit  que  le  cardinal  de  Richelieu  le  voulait 
faire  évèque  et  qu'il  prenait  plaisir  de  l'entendre  prêcher; 
qu'il  avait  beaucoup  de  feu  et  parlait  bien,  mais  ou  lui  rendit 
de  mauvais  offices. 

Thirement. — Porté  naturellement  et  de  faction  contre  Rome 
et  pour  les  Jansénistes;  que  l'on  conduit  facilement  pour  cela  ; 
d'ailleurs  il  n'est  propre  à  rien. 

Paris.  —  Esprit  fin,  délié,  qui  va  bien  à  son  but;  attaché  ù 
M.  le  carninal  de  Retz  ;  n'est  point  du  tout  favorable  à  Rome. 

Guyart.  —  Un  des  plus  fins,  des  plus  rusés  et  des  plus  dan- 
gereux de  la  compagnie  ;  hardi,  aimant  à  gouverner  et  à  ré- 
genter ;  voulant  se  mettre  à  la  place  de  M.  Cornet.  Qui  parle 
facilement  lalhi  ;  a  l'esprit  fort  ouvert  et  fort  propre  aux  af- 
faires. Affichant  la  discipline  et  la  justice  pour  s'acquérir  du 
crédit.  Tout-à-fait  dévoué  à  Rome,  aux  Jésuites,  aux  moines 
et  religieux  ;  cherchant  à  se  les  acquérir,  aussi  bien  que  les 
gens  ignorants.  Qui  sait  bien  son  métier  de  docteur;  n'a  pour- 
tant pas  lu  les  originaux,  et  c'est  pour  cela  qu'il  est  si  entêté 
des  opinions  de  delà  les  monts.  Navarre,  les  moines  et  les  igno- 
rants le  suivent  volontiers.  Homme  fort  propre  à  opposer  aux 
Jansénistes  en  cas  de  besoin.  Ne  veut  point  croire  que  les  Ro- 
mains aient  des  sentiments  contraires  au  service  du  roi. 

Guichart. —  Normand,  mais  peu  délié;  bon  homme;  peu 
capable  d'intrigue;  on  ayant  pourtant  envie, et  pour  cela  il  se 
donne  la  peine  de  s'acquérir  les  docteurs  par  la  distribution 
des  lieux.  Fort  attaché  à  Rome  par  inclination  et  par  trans- 
mission de  l'esprit  de  M.  Cornet,  à  qui  il  a  succédé  dans  la 
charge  de  graud-maitre. 

Bérulle.  —  De  qualité,  sage,  honnête,  enclin  pour  Rome 
autant  par  la  considération  du  nom  qu'il  porte  que  par  con- 
naissance; fort  attaché  dans  les  aflaires  des  Carmélites;  vient 
peu  aux  assemblées. 


224  LA.  VÉRITÉ  [Tome  VIII. 

Martin,  curé  de  Saint- Eustache. — Homme  de  bien;  aime 
son  repos  et  sa  maison  et  son  emploi;  un  peu  bizarre,  et  enclin 
contre  Rome,  quand  son  caprice  lui  permet  de  le  venir  témoi- 
gner, ce  que  M.  le  curé  de  Saint-Paul  obtient  quelquefois. 

Labbé.  —  Se  mêle  seulement  de  sa  paroisse. 

Lepère.  —  Ne  se  mêlant  de  rien. 

Régnier.  —  Emporté;  ne  pouvant,  à  cause  de  cela,  parler; 
étant  pourtant  dans  les  bons  sentiments  lorsque  l'on  le  con- 
duit. 

Hausson.  —  Je  ne  le  connais  point. 

Leblond.  —  Plus  emporté  pour  Rome  que  M.  Guyart  son 
ami;  délié,  bardi,  intrigant. 

Saussoy.  —  Professeur  de  Navarre.  C'est  un  esprit  que  je  ne 
connais  pas  particulièrement.  Bon  tbomiste.  Je  ne  le  ouïs 
parler  dans  la  Faculté  qu'en  faveur  de  Rome  et  pour  applau- 
dir à  M.  d'Aucb.  Il  a  été  à  M.  de  Narboune  ;  je  pense  qu'ils  se 
sont  lassés  l'un  de  l'autre. 

Bossuet.  —  Esprit  adroit,  complaisant,  cbercbant  à  plaire  à 
tous  ceux  avec  qui  il  est,  et  prenant  leurs  sentiments  quand  il 
les  connaît.  Ne  veut  point  se  faire  des  affaires^  ni  basarder  les 
mesures  qu'il  a  prises,  qu'il  croit  sûres  pour  aller  à  son  but. 
Ne  pouvant  croire  que  ceci  puisse  durer.  Ainsi  se  ménage 
extraordinairement,  et  cberche  dans  la  Faculté  quelque  mi- 
lieu à  prendre  et  quelque  détour  lorsqu'il  n'est  pas  contre, 
et  par  là  il  est  assez  suivi  par  plusieurs  personnes  ;  outre  qu'il 
parle  latin  nettement  et  agréablement,  a  même  assez  de 
connaissance  de  ces  matières,  parce  qu'il  a  étudié  avant  de 
s'adonner  à  la  prédication.  S'insinuaut  dans  le  monde  avec 
assez  de  facilité  à  cause  de  son  talent  de  la  prédication,  et 
par  là  il  ne  manque  pas  de  créance  dans  la  Faculté.  Atta- 
cbé  aux  Jésuites  et  à  ceux  qui  lui  peuvent  faire  sa  fortune, 
plutôt  par  intérêt  que  par  incbnation.  Car  naturellement 
il  est  assez  libre,  fin,  railleur,  et  so  mettant  fort  au-des- 
sus  de  beaucoup   de   cboses.   Ainsi,  lorsqu'il  verra  un  parti 


Sept.  18fi3. 1         SDR   LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE  DE  PARIS.  225 

qui  conduit  à  la  fortune,  il  y  donnera,  quel  qu'il  soit,  et  il  y 
pourra  servir  utilement.  Il  gouverne  paisiblement  le  doyen  de 
Saint-Thomas;  el  lePlessis  Geste  et  Thomassin  le  suivent  volon- 
tiers, 

Lodencq. —  Autant  pour  Rome  et  contre  les  Jansénistes  que 
son  oncle  est  pour  eux.  De  même, esprit  que  M.  Guyart,  et  fort 
amis;  encore  plus  emporté  que  Guyart. 

Guignard. —  Sage,  conduisant  doucement  et  sagement  une 
atfaire.  Dans  les  bons  sentiments.  S'il  travaille  encore  quelque 
temps,  ce  sera  un  vrai  sujet  pour  faire  syndic;  et  en  attendant, 
c'est  un  homme  fort  propre  à  insinuer  à  chacun  dans  Navarre 
les  sentiments  et  les  choses  que  l'on  voudra  faire  passer, 
suivant  l'intérêt  et  le  fort  et  le  faible  de  ses  confrères  avec  qui 
il  traitera. 

Montmignon. —  L'esprit  doux  ;  qui  sait  médiocrement.  Neveu 
de  feu  M.  Lemoine.  Pour  les  sentiments  de  Rome  sans  empor- 
tement, 

Thomassin.  —  Habile  dans  son  métier  de  docteur  ;  indifférent 
à  ce  que  l'on  dit.  Je  ne  le  connais  pas. 

Duplessis.  —  Honnête,  homme  de  probité  ;  aimant  les  avis 
particulici's;  ne  manque  point  de  vue;  ayant  suivi  avec  ména- 
gement Bossuet  ;  qui  se  pourra  bien  tourner  et  assez  utilement , 
ayant  assez  de  créance  ;  s'applique  à  faire  exactement  sa  fonc- 
tion d'archidiacre. 

Lamet.  —  Honnête  homme,  aisé,  ne  s'embarrassant  pas 
beaucoup  ;  suivant  les  sentiments  de  M.  Bossuet. 

Boucher.- — C'est  une  espèce  de  dévot  que  je  ne  connais  point  ; 
fait  les  entretiens  à  la  mission. 

Lecaron.  —  Honnête  homme,  qui  sait  bien  du  latin;  dans 
les  bons  sentiments,  mais  qu'il  n'a  osé  faire  paraitre,  à  cause 
qu'il  plaide  la  cure  de  Saint-Pierre-aux-Bœufs,  et  qu'il  a  craint 
de  s'attirer  des  ennemis  qui  lui  nuiraient.  Cela  passé,  c'est  un 
homme  sur,  de  mérite,  et  qui  pourra  servir.  Il  est  de  bonne 
naissance. 

Revue  des  Sc:E^"CES  eccléstastiques,  t.  vin.  15. 


226  LA  VÉRITÉ  [TomeVIIL 

Defieux.  —  Absent. 

Larue.  —  Rien,  je  ne  le  connais  pas. 

Ligny,  professeur. — Rien,  tout-à-fait  à  Guyart,  professeur  de 
Navarre. 

Legoût.  —  Rien;  à  Guyart  aussi;  fort  emporté  et  hardi. 

Forcedebras.  —  Rien;  à  Guyart,  à  ce  que  Ton  dit. 

Laplanche.  —  Rien  aussi. 

Lerade.  —  Il  sait  quelque  chose;  mais  attaché  à  Guyart,  si 
je  ne  me  trompe. 

Vinot,  professeur.  —  Sait  quelque  chose  ;  bien  la  scholas- 
tique;  mais  tout  à  Guyart,  et  professeur  de  Navarre. 

Defita.  —  Peu  de  chose.  A  les  inclinations  pour  les  bons 
sentiments  ;  mais  il  n'y  a  encore  rien  de  fort  sûr. 

Desmeurs.  —  C'est  ce  breton,  se  disant  gentilhomme,  qui  a 
fait  cette  grande  thèse  où  tout  ce  qui  peut  être  favorable  à 
Rome  est  mis  ou  désigné.  Dévot  de  profession,  et  je  pense  aussi 
dans  le  fond. 

Huby.  —  Fort  habile,  honnête  homme,  et  dans  les  bons 
sentiments.  Attaché  à  MM.  de  la  Rochefoucault. 

Martinet.  —  On  ne  sait  encore  ce  que  c'est;  l'esprit  joli;  qui 
prêche;  il  est  jeune. 

Hoyau.  —  Je  ne  sais  ce  que  c'est. 

III. 

Les  docteurs  ubiquistes. 

Pignay.  —  Bon  homme,  homme  de  bien,  craignant  Dieu  ; 
sait  parfaitement  sa  théologie  scholas tique  ;  n'a  jamais  lu  les 
Pères  ni  l'Histoire;  a  fort  lu  Suarez  et  autres  jésuites;  et 
par  là  croyant  dj  foi  tout  ce  que  ces  gens-là  disent.  Pleure 
aussi  facilement  que  les  femmes  ;  parle  latin  pitoyablement; 
aussi  n'a-t-il  point  de  crédit  que  parmi  les  dévots,  qui  sont 
touch's  de  sa  manière  de  parler  simple;  pouvant  pourtant 


Sept.  1863.]  SUR   LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  PARIS.  227 

porter  quelque  parole  que  ce  soit,  lorsqu'il  est  persuadé  qu'il 
le  doit,  et  il  se  persuade  facilement. 

Bail.  —  Homme  de  bieu,  de  la  dernière  simplicité  ;  qui 
croit  plus  en  faveur  de  l'autorité  du  Pape  que  le  Pape  même. 
Casuiste  de  son  métier;  visionnaire  sur  ses  pensées,  ne  se 
souciant  pas  si  on  les  approuvera,  les  disant  ou  écrivant  parce 
qu'il  en  est  persuadé.  Étant  du  sentiment  de  la  cabale  de 
Rome,  A  lu  et  examiné  les  canons  des  conciles,  mais  sans  dis- 
cernement^ n'eu  ayant  jamais  lu  les  actes.  Propre  à  proposer 
tout  ce  que  Ton  voudra  suivant  ses  principes,  et  à  dire  sim- 
plement ses  sentiments,  pourtant  sans  opiniâtreté,  à  moins 
qu'il  ne  fût  soufflé  par  M.  Guyart,  qui  est  toujours  placé 
derrière  lui.  A  quelque  créance  dans  la  Faculté  à  cause  de  sa 
bonne  vie  et  simplicité,  et  que  ceux  de  son  parti  le  croient 
très-savant. 

Gérard.  —  Un  extravagant,  parlant  facilement  et  beaucoup 
latin,  mais  mal.  Se  fait  moquer  de  lui  sans  s'en  soucier  ;  allant 
toujours  son  chemin,  sans  se  mettre  en  peine  de  rien;  tout  à 
fait  attaché  à  M.  Grandin  et  à  Rome,  et  à  ceux  de  ce  parti. 
Homme  à  proposer  tout  ce  que  Ton  voudra  pour  Rome,  mais 
de  nulle  suite;  mais  pourtant  fort  opiniâtre,  et  capable  de  faire 
délibérer  par  son  opiniâtreté,  s'il  était  soutenu,  ce  qu'il  propo- 
serait en  faveur  de  Rome. 

Lenoir.  —  Curé  de  Saint-Hilaire.  Ce  n'est  rien  ;  gouverné 
par  le  premier  et  par  celui  qui  veut  s'en  donner  la  peine. 

ThireL  —  Hibernois ,  correspondant  des  missions  qui  se 
font  en  son  pays,  et  pour  cela  fort  attaché  à  tous  les  dévots  et 
communautés  reUgieuses.  Propre  à  proposer  et  opiniàlrer  tout 
ce  que  ces  gens-là  voudraient  pour  Rome. 

Pancelier.  —  Il  porte  toujours  des  sentiments  particuliers 
et  opposés  au  sens  commun.  Pédant,  mais  bon  homme;  inten- 
tionné pour  le  bien,  mais  de  la  manière  dont  il  le  connaît; 
simple,  sachant  son  métier  de  docteur;  ayant  pourtant  beau- 
coup de  confusion  dans  son  esprit,  comme  un  homme  qui  ne 


228  LA  VÉRITÉ  [Tome  VIII. 

lit  pas  les  originaux,  mais  qui  lit  beaucoup  de  ramas;  prend 
les  impressions  pour  la  doctrine  le  plus  souvent  de  M.  Bail, 
avec  qui  il  demeure  aux  Cholets.  Propre  à  proposer  et  appuyer 
tout  ce  qu'il  se  mettra  eu  tête,  sans  se  soucier  de  ce  qui  en 
arrivera.  Son  caractère  est  l'irrésolution. 

Gausser^  curé  de  Sainte-Opportune.  —  Emporté  naturelle- 
ment; gouverné  facilement  par  M.  Fortin  et  autres,  quand  on 
s'en  veut  donner  la  peine,  et  ainsi  opposé  à  Rome. 

Daigneaux.  —  Rien,  et  gouverné  par  qui  l'on  veut. 

Egan.  —  Hibernois,  curé  de  Nangis  à  la  campagne;  faisant 
l'important.  Attaché  à  Thirel  et  par  conséquent  à  ses  opinions 
romaines.  Peu  de  suite  ;  sachant  sa  théologie. 

Poussé,  curé  de  Saint-Sulpice.  —  Gentilhomme  d'une  an- 
cienne maison  de  Champagne;  froid  et  du  sens;  extraordinai- 
rement  dévot  et  véiitablement.  Sans  ambition;  allant  toujours 
naïvement  au  bien  qu'il  voit.  Enclin  à  Rome  par  le  principe 
de  dévotion  plus  que  par  étude  ni  cabale.  ♦ 

Fortin.  —  Homme  fort;  ne  changeant  point  de  sentiments 
non  plus  que  de  conduite.  Cherchant  toujours  à  chagriner  les 
Jésuites  et  tous  ceux  qui  sont  attacliés  à  Rome.  Fort  zélé  pour 
tous  les  intérêts  du  Roi  et  du  Parlement  quand  ils  sont  joints. 
Il  sait,  et  fait  travailler  ceux  qui  se  mettent  sous  sa  conduite 
dans  son  collège  d'Harcourt,  dont  il  est  principal.  Il  connaît 
fort  bien  ce  qu'il  faut  Hre,  et  les  livres.  Fort  hardi,  point  in- 
téressé. Fort  ferme  et  propre  à  conduire  une  affaire  dans  la 
Faculté.  Qui  a  beaucoup  de  conduite  et  beaucoup  de  créance 
parmi  les  siens  et  ceux  de  son  parti.  Auquel  pourtant,  aussi 
bien  qu'à  quelques  autres,  il  faut  px-eudre  garde  qu'il  n'aille 
trop  loin  contre  Rome  ;  n'ayant  peut-être  pas  trop  examiné 
les  conséquences  fâcheuses  que  cela  peut  porter  dans  la  suite 
et  dans  les  occasions  qui  peuvent  naître.  Piquant  et  mordant 
naturellement;  tournant  en  plaisanterie  tout  ce  qui  ne  lui 
plaît  pas.  Le  coup  sur  pour  faire  proposer  tout  ce  que  l'on 
veut  contre  Rome.    Il  a  toujours  dans  chaque  licence  des 


Sept,  181)3.1  SLR  LA  FACULTÉ   UE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  229 

bacheliers  à  faire   soutenir  telles   thèses  que   l'on  voudra. 

Prou.  —  Hiérarchique,  et  ainsi  opposé  à  Rome.  Peu  de 
chose. 

Nugent.  —  Esprit  particulier;  bon  scholastique.  Comme  un 
homme  de  sa  nation  (irlandais)  porté  pour  Rome.  De  nulle 
suite  ;  mais  fort  opiniâtre  et  voulant  ce  qu'il  veut. 

Lonergm.  —  Hibernois,  mais  qui  sait  beaucoup  de  choses. 
Les  sentiments  libres  et  forts.  Qui  sert  de  répétiteur  à  plusieurs 
personnes  et  leur  inspire  ses  sentiments.  Il  peut,  en  cas  qu'on 
le  veuille,  donner  des  bacheliers  pour  soutenir  les  thèses  que 
l'on  voudra. 

Joisel.  —  Qui  méprise  tout  le  monde  et  qui  est  méprisé  de 
tous.  C'est  un  esprit  irrégulier,  de  nulle  conduite.  Fort  em- 
porté pour  les  sentiments  de  Rome;  payé  pour  cela  par  plu- 
sieurs bénéfices  qu'il  a,  à  ce  qu'il  dit.  Qui  a  pourtant  lu  les 
originaux,  mais  pour  sa  fin.  Fort  propre  à  proposer  pour 
Rome  tout  ce  que  l'on  voudra  et  à  l'appuyer,  et  à  courir  les 
maisons  pour  le  faire  réussir,  donner  des  espérances  si  l'on 
en  voulait  prendre,  se  servir  du  crédit  de  quelque  évêque 
porté  pour  Rome,  supposé  qu'il  y  en  eût  quelqu'un  qui  voulût 
venir  à  la  Faculté  pour  cela. 

Pujol.  —  Bon  homme,  honnête  homme,  curé  d'Issy  ;  dans 
les  bons  sentiments;  exact  aux  assemblées. 

Payen.  — Qui  n'a  point  de  sens.  Fait  profession  de  ne  parler 
jamais  dans  la  Faculté  que  pour  faire  rire  et  pour  choquer  les 
Jésuites  et  Rome.  Extraordinaircment  hardi;  ne  manquant  pas 
d'esprit;  de  qui  l'on  ne  se  peut  servir  pour  rien  faire  proposer 
ni  appuyer,  à  cause  de  la  réputation  où  il  est  d'être  extrava- 
gant dans  les  opinions  qu'il  porte. 

Luquet.  —  Sait  assez  sa  scholastique.  Demeure  avec  l'abbé 
de  Caumartin  ;  fort  médiocre  en  tout,  et  qui  se  gouverne 
facilement. 

Fermer.  —  Hardi,  parle  beaucoup,  mais  fort  mal.  Prédica- 
eur  de  son  métier;  point  savant.  Sur  qui  l'on  peut  faire  fond 


230  LA  VÉRITÉ  [Tome  VIII. 

qu'il  ne  prendra  pas  le  parti  de  Rome,  bien  qu'il  ait  un  oncle 
jésuite,  pour  qui  il  n'a  jamais  eu  de  complaisance  pour  les 
affaires  de  la  Faculté. 

Lamorlière.  —  Sous-pénitencier.  Peu  de  chose.  Attaché  aux 
sentiments  de  M.  le  pénitencier,  et  par  conséquent  pour  les 
opinions  de  Rome. 

Delattre.  —  Sous-pénitencier.  Peu  de  chose.  Je  ne  le  con- 
nais point  bien. 

L'Éveillé.  —  Vicaire  de  Sainte-Marguerite  sous  M.  le  curé 
de  Saint-Paul.  Suivant  les  sentiments  contre  Rome. 

Robert.  —  Honnête  homme,  d'esprit.  Dans  les  bons  senti- 
ments, et  qui  sait. 

Huchon.  —  Sous-pénitencier.  Grand  directeur  des  dévots 
de  qualité.  Dans  les  sentiments  de  Rome. 

Huot.  — Je  ne  connais  pas  cet  esprit;  mais  il  est  fort  contre 
Rome. 

Lecamus.  —  Reaucoup  vif. 

Faure.  —  Un  des  plus  savants  du  royaume  dans  les  matières 
ecclésiastiques.  Qui  travaille  continuellement  à  inspirer  les 
anciens  sentiments  de  la  Faculté  et  ceux  qui  sont  avantageux 
pour  le  Roi.  Fort  désintéressé,  bien  qu'il  soit  pauvre.  La  con- 
duite bien  plus  honnête  même  que  sa  condition  ne  le  demande. 
Il  n'y  a  point  de  jeune  homme  qui  ait  envie  de  se  donner  de 
la  réputation  sur  les  bancs  qu'il  ne  l'aille  voir.  Il  se  commu- 
nique très-facilement.  C'est  un  trésor  pour  le  pays  latin.  Qu^ 
aurait  pourtant  besoin  de  quelque  petit  bien  pour  lui  ôter  l'in- 
quiétude que  la  nécessité  donne  ;  et  cela  serait  d'un  grand 
exemple  parmi  ceux  qui  sont  dans  les  sentiments  anciens,  des- 
quels il  est  extraordinairement  estimé  ;  et  tous  les  gens  de 
talent  seraient  excités  de  travailler,  par  l'espérance  qu'ils  se 
pourraient  faire  connaître.  Il  est  judicieux,  de  bonnes  mœurs, 
aimant  sa  liberté,  et  ne  s'étant  voulu  donner  à  personne, 
bien  que  beaucoup  de  gens  l'aient  voulu  avoir.  Il  travaille 
pour  M.  Rignou  et  autres.  Il  ne  subsiste  que  par  ces  sortes 


Sept.  1863.]  SUR  LA   FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   PARIS.  231 

d'amis.  C'est  un  homme  à  qui  Ton  pourrait  faire  du  bien, 
si  d'autres  considérations  ne  Tcmpêchent  pas,  sans  consé- 
quence et  sans  donner  de  la  jalousie  à  personne.  Il  est  prin- 
cipal du  collège  Saint-Michel,  proche  la  place  Maubert,  où  il 
loge.  Le  seul  qui  soit  présentement  dans  la  Faculté  capable 
de  composer  un  livre  où  les  bache'iers  pourraient  prendre 
leurs  thèses  et  les  instructions  pour  les  soutenir  conformes  aux 
anciens  sentiments.  Ne  pouvant  point  à  leur  âge  avoir  puisé 
dans  les  sources  et  avoir  lu  les  originaux,  ils  ne  savent  où  aller 
chercher  ces  connaissances.  Aussi,  ceux  qui  ont  l'esprit  libre 
ne  peuvent  avoir  d'autre  recours  que  dans  les  hérétiques, 
comme  Blondel,  de  Domiuis  ;  et  n'ayant  point  ni  ne  pouvant 
avoir  le  discernement  sur  ces  matières,  ils  font  des  fautes  dans 
leurs  thèses  qui  embarrassent  la  Faculté  et  qui  l'embarrasse- 
ront davantage  à  l'avenir,  parce  que  l'on  aura  plus  de  liberté 
de  traiter  ces  matières,  à  quoi  il  est  difficile  de  remédier  sans 
cela.  C'est  un  homme  que  tous  ceux  de  l'aulre  parti  craignent, 
et  à  qui  l'on  ne  manquera  point  dans  toutes  les  occasions  de 
faire  quelque  mauvais  tour,  à  moins  qu'il  ne  paraisse  ap- 
puyé. Je  le  crois  assez  judicieux  et  savant  pour  n'avoir  pas 
besoin  que  l'on  lui  dise  d'être  modéré  dans  ses  ouvrages; 
néanmoins  il  n'y  aura  nul  danger;  cela  pourrait  l'empêcher 
de  mettre  des  mots  durs  dans  ses  ouvrages  contre  Rome  ;  car 
pour  le  fond  il  ne  manquera  pas. 

Leblanc.  —  Demeure  à  Saint-Sulpice;  a  été  huguenot,  et 
hait  tous  ceux  qu'ils  aiment  ;  et  par  ce  principe  et  celui  de  la 
dévotion,  tout-à-fait  porté  pour  Rome  avec  emportement. 
Propre  à  proposer  et  à  appuyer  ce  que  les  dévots  voudraient 
pour  Rome.  Ne  manque  point  de  hardiesse,  ni  de  feu,  ni  de 
capacité  ;  est  tout  rempli  de  zèle. 

Lebreton.  —  Demeure  aussi  à  Saint-Sulpice,  et  en  a  l'esprit; 
sachant  d'ailleurs  bien  son  saint  Thomas  ;  fort  homme  de  bien 
et  désintéressé,  et  fort  zélé. 

De  Beaumont.—  Je  ne  le  connais  pas,  mais  il  est  pour  Rome. 


232  LA  VÉBITÉ  ITomeVlU. 

Cramoisy.  —  Je  ne  le  connais  pas  ;  mais  sur  sa  réputation 
et  sur  sa  physionomie,  ce  n'est  rien. 

Ratonin. — Habitué  de  Saint-Paul;  ainsi,  dans  les  sentiments 
contre  Rome. 

Marais.  —  Aussi  habitué  de  Saint-Paul,  et  dans  les  mêmes 
sentiments  de  son  curé;  hardi;  peu  savant,  étant  musicien  et 
habitué. 

Petit.  —  Vicaire  de  Saint-Roch  ;  je  ne  le  connais  pas  ;  mais 
on  dit  qu'il  a  de  l'esprit;  fort  pour  Rome. 

Cornutier.  —  Emporté  contre  Rome  ;  sans  beaucoup  de 
jugement  ni  d'esprit;  je  pense  qu'il  est  aussi  habitué  de  Saint- 
Paul. 

Lefort.  —  Je  ne  le  connais  pas  ;  mais  il  a  opiné  toujours 
comme  Guyart,  cela  veut  dire  pour  Rome. 

Durivau.  —  N'a  pas  découvert  ses  sentiments  dans  la  Fa- 
culté ,  où  il  n'a  pas  parlé,  sans  doute  à  cause  de  ses  préten- 
tions, ne  se  voulant  attirer  personne  contre  lui.  Je  ne  pense 
pas  qu'il  ait  fort  étudié  depuis  sa  licence. 

Cauvet.  —  Habitué,  si  je  ne  me  trompe,  de  M.  le  curé  de 
Saint-Paul  ;  du  moins  fort  son  ami  ;  qui  a  beaucoup  de  latin  ; 
il  a  été  recteur  de  l'Université,  et  en  est  sorti  avec  approbation. 
Hardi,  fier,  ferme,  sait  beaucoup  et  travaille,  et  a  l'esprit  des 
sciences.  C'est  un  fort  bon  sujet,  qui  est  pauvre  et  qui  méri- 
terait peut-être  que  l'on  lui  fit  du  bien  ;  car  il  a  les  qualités 
pour  devenir  extraordinaire  dans  les  lettres  ;  mais  je  ne  pense 
pas  {sic)  que  la  nécessité  le  détourne  de  ses  études,  et  il  est 
dommage. 

Chanu.  —  Rien  du  tout  pour  la  science  et  pour  le  génie  ; 
néanmoins  est  plus  capable  de  dire  son  idem  pour  le  bon  parti 
que  pour  celui  de  Rome. 

Leborgne.  —  M.  Grandin  l'a  nourri  et  fait  étudier  ;  ce  n'est 
pourtant  rien  qui  mérite  réflexion  ;  mais  tout  pour  Rome. 

De  Templus.  —  Rien.  Je  ne  le  connais  pas. 

Aubin,  —  Je  ne  sais  ce  que  c'est. 


Sept.  18G3.]  SUR   LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE  PARIS.  233 

O'Molong.  —  Hibernois.  Pour  Rome. 

Roussel.  —  Je  ne  sais  ce  que  c'est  ;  mais  il  est  pour  Rome. 

Aubert.  —  Je  ne  le  connais  point  ;  mais  il  parait  fort  gros- 
sier. Est  vicaire  du  curé  de  Saint- Rarthélemy.  Fort  pour 
Rome. 

Terrier.  — A  l'esprit  court.  Fort  contre  Rome.  Sans  science. 
Il  a  soutenu  une  thèse  où  nos  propositions  sont. 

Grenet.  —  Est  aussi  gouverné  par  M.  Fortin  ;  et  contre 
Rome. 

IV. 

Les  docteurs  moines. 

L'Anglais,  jacobin.  —  Esprit,  à  ce  que  l'on  dit,  fin,  souple, 
propre  à  cabale  et  à  la  conduire.  Fort  romain.  Je  ne  le  connais 
pourtant  que  par  réputation,  ne  lui  ayant  jamais  parlé. 

Bourgeois,  bernardin.  —  Homme  de  bien,  de  mérite,  de 
sens.  Qui  n'est  point  de  cabale  ;  porté  pourtant  pour  Rome. 
Feu  M.  Cornet  était  fort  patron  dans  cette  maison.  Ainsi  il  n'y 
a  pas  grande  sûreté  parmi  tous  ces  bernardins. 

Nicolaïf  jacobin.  —  Homme  propre  à  conduire  un  parti  ou 
une  cabale;  sait  fort  bien  son  saint  Thomas,  mais  à  sa  mode, 
s'en  étant  fait  le  maître.  Haïssant  extraordinairement  les  Jan- 
sénistes; fort  pour  leur  résister;  et  généralement  attaché  à 
tous  les  sentiments  de  Rome  et  à  tous  ceux  qui  sont  pour  eux. 
D'ailleurs  un  fort  bon  homme,  et  qui  a  assurément  son  mérite 
fort  extraordinaire,  et  qui  incommode  fort  les  Jansénistes  dans 
la  Faculté,  parce  qu'il  sait  mieux  qu'eux  son  saint  Thomas, 
dont  ils  veulent  devenir  les  disciples. 

Tédenat,  bernardin.  —  Rien.  Qui  entend  les  procès.  AfiFec- 
tionné  pour  Rome. 

Louvet,  Jacobin.  —  Fort  opposé  au  père  Nicolaï,  et  dans  ses 
opinions  de  saint  Thomas,  et  dans  leurs  affaires  conventuelles. 


234  L\   VÉRITÉ  ITomo  Mil. 

Homme  d'intrigue.  Point  fort  attaché  à  Rome.  Bon  ami  de 
M.  de  L'Hôpital.  Il  a  assez  de  suite  ;  si  son  habit  ne  le  retenait, 
il  serait  volontiers  contre  Rome. 

Ft'émont  et  Lefèvre,  bénédictins.  —  Deux  moines  de  saint 
Benoit  qui  logent  au  collège  de  Cluny  ;  qui  ne  sont  rien  ;  et 
qui  veut  les  gouverne. 

Leroy ^  cordelier,  confesseur  de  la  reine-nnère.  — Fort  haï  dans 
son  couvent,  et  par  conséquent  point  de  crédit  dans  son  corps. 
Pour  Rome  d'inclination  aussi  bien  que  de  profession  ;  sans 
doute  raisonnablement,  étant  fort  sage  et  froid. 

Lombard,  carme.  —  Moine  de  profession  et  d'inclination. 
Hardi  dans  ses  actions  et  dans  ses  paroles.  Le  maître  des  doc- 
teurs de  son  ordre  ;  en  qui  les  autres  moines  ont  aussi  créance. 
Il  parle  facilement  latin.  Fort  passionné  pour  Rome.  C'est  lui 
qui  a  porté  la  parole  pour  eux,  lorsque  M.  de  Harlay  y  était. 
Est  fort  propre  à  proposer  et  à  appuyer  toutes  choses  pour 
Rome  et  contre  la  hiérarchie;  mais  l'espérance  de  rentrer 
dans  la  Faculté  le  retiendra  sans  doute,  craignant  que  ce  qu'il 
pourrait  faire  ne  serait  point  approuvé  de  la  cour. 

Guyart,  jacobin.  —  Homme  du  dernier  emportement  ;  fort 
hardi,  et  qui  sait  assez  pour  un  moine  ;  mais  capable  de  tout 
pour  soutenir  ses  opinions  transalpines. 

Hermant,  bernardin.  —  Qui  sait.  Professeur.  Assez  bien 
intentionné  et  dans  les  bons  sentiments;  dont  M.  Cornet 
n'était  pas  toujours  le  maître  comme  des  autres  de  son  ordre. 

Magnan,  cordelier.  —  Méchant,  plaisant,  et  point  de  bon 
sens  ;  mais  grand  babillard  et  choquant  hardiment  ceux  qui 
ne  parlent  pas  suivant  son  goût.  Emporté  pour  Rome  comme 
un  ignorant. 

Du  Laurens,  saint  Benoît.  —  Plus  grand  chicaneur  en  procès 
que  dans  l'école.  Qui  veut  ce  qu'il  veut  ;  hardi,  entreprenant, 
et  de  qui  l'on  ne  peut  répoudre  ;  se  prévenant  quelquefois  bi- 
zarrement. 

Louvet^  bernardin.  —  L'honneur  de  son  couvent;  judicieux. 


Sept.  1863.]  SUR    LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE  DE    PARIS.  235 

plein  d'honneur,  ferme,  raisonnable  sur  les  opinions  d«; 
Rome  ;  est  dans  les  sentiments  de  saint  Bernard  lorsqu'il  fai- 
sait réprimande  au  pape  Eugène. 

Bauchu,  bemm^din.  —  Peu  de  chose  ;  n'a  jamais  parlé  dans 
la  Faculté. 

Dubuisson,  cordelier.  —  Prieur  de  leur  couvent;  judicieux, 
peu  savant,  peu  entreprenant.  Raisonnable  sur  les  opinions 
de  Rome,  mais  pourtant  pour. 

Fi'éjaut,  cordelier.  —  Qui  sait  assez  bien  sa  positive,  bien  la 
scholastique.  Assez  d'esprit,  assez  d'honnêteté.  Modéré  pour 
les  sentiments  de  Rome.  Assez  judicieux. 

Larocheguibal,  bénédictin.  —  Peu  de  chose. 

Augustins  :  Robine,  augustin. — Il  n'y  a  rien  que  de  commun 
dans  les  Augustins.  Pas  un  ne  parle  dans  la  Faculté,  à  la  ré- 
serve de  Robine,  professeur  de  leur  couvent,  qui  est  fortement 
contre  Rome. 

Descreux,  cordelier. — Tient  tête  au  père  Leroy  dans  leur  cou- 
vent. Est  assez  maître  des  docteurs  qui  sont  dans  le  couvent. 
Pour  Rome. 

Richecœur,  jacobin.  —  Un  des  plus  raisonnables  en  toutes 
choses,  à  ce  que  l'on  dit. 

La  force  des  moines  consiste  dans  le  nombre  des  voix  qu'ils 
peuvent  avoir,  mais  nullement  dans  leur  savoir-faire  ni  dans 
le  mérite  des  sujets  (1). 


(1)  Sur  178  docteurs  nommés,  89  sont  décidément  romains;  5S 
anti-romaius;  34  douteux.  En  ajoutant,  aux  romains  nommés,  la 
mullilUfJe  innommée  des  moines  el  des  membres  des  communautés^ 
il  résulle  que  les  anti-romains  étaient  dans  une  inûmeel  presque  im- 
perceptible minorité.  L'expulsion  des  moines,  antérieure  à  la  rédac- 
tion du  présent  document,  avait  eu  lieu  a  la  séance  du  i^^  octobre 
^663•,  et,  dans  cette  séance,  M.  de  Bréda  fut  nommé  syndic  a  la 
plrce  de  M.  Grandin,  qui  se  démit. 

(Note  de  M.  Bouix.) 


233  LA  VÉRITÉ  SUR  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  PARIS.    [Tome  VIII. 

V. 

Les  bacheliers  licenciés. 

Les  bacheliers  qui  sont  présentement  en  licence  :   Mes- 
sieurs (1):.... 

D.  Bouix. 


(^)  Le  nombre  des  licenciés  énumérés  daas  celle  lisle  est  de  77. 
Nous  ne  la  [  ublions  pas.  11  suffira  de  noter  que  l'on  y  renconlre 
entre  autres  :  de  Brienne,  mentionné  comme  étant  dès-lors  dans  les 
bons  sentiments,  ce  qui  veut  dire,  contre  Rome;  et  s'en  rapportant 
plus  au  docteur  Fraure  qu'au  docteur  Blanger,  quoique  ce  deroier  fût 
près  de  lui;  —  Plrot,  qui  devint  plus  tard  syndic,  —  et  Humbelot, 
l'un  de  ceux  qui  furent  plus  lard  exilés  pour  n'avoir  pas  voulu  enre- 
gistrer les  quatre  arlicl»"s  de  ^682.  [Noie  de  M.  Bouix.) 


ÉTUDE  SUR  LA   VIE  DE  JÉSUS 


Par  M.    RElVilLlV. 


Troisième  et  dernier  article. 


§  VI.  —  M.  Reîsan  et  l'Église. 

Pour  arriver  à  la  conception  d'un  Jésus  qui  ne  serait  qu'une 
grande  personnalité  humaine,  il  ne  suffit  pas  de  nier  sa  divi- 
nité, et,  par  suite,  l'Incarnation.  Il  faut  le  poursuivre  dans 
chacune  de  ses  institutions,  dans  chaque  point  de  sa  n3orale  et 
de  son  dogme,  dans  chacune  des  paroles  qui  sont  sorties  de  sa 
bouche.  Il  faut  supprimer  tout  cet  ensemble  d'enseignements 
qui  forme  la  constitution,  l'âme  et  la  vie  de  l'Eglise.  M.  Renan 
le  comprend,  et  il  ne  recule  point  devant  cette  tâche.  Mais 
comme  il  a  appris  de  son  maître  Hegel  que  le  oui  et  le  non  ne 
s'excluent  pas  l'un  l'autre,  il  ne  niera  pas  l'Église  purement  et 
simplement;  il  nous  la  présentera  sous  un  triple  aspect.  D'a- 
bord il  l'affirme,  puis  ill'enveloppe  des  nuages  du  doute,  enfin 
il  la  nie  entièrement,  mais  par  parties,  en  niant  séparément 
tout  ce  qui  la  constitue. 

Il  l'admet  en  gros  et  la  nie  en  détail. 

Et  d'abord,  il  l'admet.  «  Que  Jésus  ait  voulu  fonder  une 
église,  c'est  ce  qu'on  ne  peut  révoquer  en  doute.  Cette  idée 
f  éconde  du  pouvoir  des  hommes  réunis  {Ecdesia)  semble  bien 
une  idée  de  Jésus.  »  Le  mot  semble  bien  est  sans  doute  destiné 
à  rendre  la  nuance  ;  il  nous  semble  voir  dominer  ici  la  nuance 


238  ÉTUDE  SLR  LA   VIE   DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

de  l'affirmation.  «  Plein  de  sa  doctrine  tout  idéaliste  que  ce  qui 
fait  la  présence  des  âmes,  c'est  Tunion  par  l'amour,  il  ensei- 
gnait que  toutes  les  fois  que  quelques  hommes  s'assembleraient 
en  son  nom,  il  serait  au  milieu  d'eux.  Il  confie  à  son  église  le 
droit  de  lier  et  de  délier,  (c'est-à-dire  de  rendre  certaines  choses 
licites  ou  illicites),  de  remettre  les  péchés,  de  réprimander, 
d'avertir  avec  autorité,  de  prier  avec  certitude  d'être  exaucé 
(p.  296).  » 

Voilà,  si  nous  ne  nous  trompons,  des  preuves  suffisantes 
pour  affirmer  positivement  que  Jésus  a  fondé  une  Église.  Nous 
y  trouvons  une  société  dont  le  but  est  déterminé,  dont  les 
membres  sont  unis  par  des  liens  nettement  définis,  possèdent 
des  biens  communs,  et  sont  soumis  à  une  autorité  investie 
d'une  pleine  puissance,  puisqu'elle  peut  remettre  les  péchés. 
Comment  donc  semble-t-il  seulement  que  l'idée  d'une  Église  ait 
été  une  des  idées  de  Jésus  ?  Comment  surtout  pourrons-nous 
croire  que  Jésus  n'a  voulu  fonder  qu'une  société  humanitaire 
dont  les  membres  seraient  formés  à  l'image  du  grand-prêtre 
Renan  ? 

Il  commencera  par  révoquer  en  doute  ce  qu'il  vient  d'affir- 
mer. Peut-être,  dit-il,  «  beaucoup  de  ces  paroles  ont  été  prê- 
tées au  maître  afin  de  donner  une  base  à  l'autorité  collective 
par  laquelle  on  chercha  plus  tard  à  remplacer  la  sienne.  » 
Impossible  de  sophistiquer  plus  habilement.  M.  Renan  regarde 
comme  incontestable  l'usurpation  par  laquelle  les  apôtres  cher- 
chèrent  à  remplacer  l'autorité  du  maître  par  une  autorité  col- 
lective, et  il  suppose  discrètement  qu'ils  ont  peut-être  fait 
beaucoup  de  faux  pour  appuyer  cette  autorité  usurpée.  Mais 
cette  habileté  n'est  pas  louable;  elle  repose  sur  une  hypothèse 
que  démentent  également  et  le  cri  de  la  raison,  de  l'bistoire, 
de  la  conscience,  et  le  sang  que  les  apôtres  ont  répandu,  et  les 
miracles  qu'ils  ont  faits.  L'accusation  qu'il  leur  lance  d'avoir 
prêté  des  paroles  au  Sauveur  pour  couvrir  leur  usurpation, 
n'est  pas  moins  grave  :  c'tst  là  un  de  ces  crimes  que  le  code 
pénal  punit  de  ses  sévérités. 


Sept.  181-3.)  PAR   M.    RENAN.  239 

La  progression  continue.  D'abord  nous  avons  vu  l'affirmation 
de  l'Eglise;  puis  est  venu  un  «  doute  discret  »  ;  enfui  vient  la 
négation.  Ce  qui  forme  TÉglise,  c'est  sa  foi^  ce  sont  ses  sacre- 
ments, c'est  la  constitution  que  Jésus  lui  a  donnée.  Nier  ces 
trois  choses,  c'est  nier  l'Église  tout  entière.  Or,  le  chapitre  des 
Institutions  de  /esws  nous  apprend  que  «  dans  l'enseignement  de 
Jésus  il  n'y  a  nulle  traced'uue  morale  appliquée,  ni  d'un  droit 
canon  tant  soit  peu  défini...  Nulle  théologie  non  plus,  nul  sym- 
bole (p.  297).  »  M.  Renan  ne  nous  apprend  pas  où  se  trouve 
consigné  cet  enseignement  de  Jésus  qui  ne  contient  nulle  théo- 
logie, nul  symbole,  etc.  Évidemment,  il  ne  parle  point  de  celui 
que  nous  trouvons  dans  les  Évangiles,  et  que  les  évangélistes 
«  prêtèrent  peut-être  à  Jésus.  »  Car  lui-même  il  va  nous  dire 
(même  page)  que  cet  enseignement  est  un  symbole  chargé  de 
plus  d'articles  que  lui,  Renan,  ne  voudrait  eu  trouver  ;  il  va 
nous  parler  et  du  baptême  et  de  l'Eucharistie  et  du  mariage, 
qui  sont  à  la  fois  des  dogmes  et  des  éléments  d'une  morale 
appliquée.  11  nous  a  redit,  à  la  page  précédente  et  ailleurs, 
la  constitution  même  du  christianisme  fondée  sur  le  pouvoir 
donné  aux  apôtres  et  en  particulier  à  Pierre.  Il  ne  peut  doue 
avoir  en  vue  l'enseignement  de  Jésus,  tel  qu'il  se  trouve  dans 
les  Évangiles.  Mais,  s'il  veut  parler  d'un  autre  enseignement, 
qu'il  le  dise,  et  nous  lui  accorderons  que  toutes  ces  choses  se- 
ront absentes  de  celui  qu  «  il  prêtera  à  Jésus  » .  Seulement  il 
devrait  alors  s'épargner  la  peine  de  nous  renvoyer  constam- 
ment à  une  foule  de  textes  qui  nous  disent  tout  autre  chose 
que  son  livre. 

Pas  d'enseignement  dogmatique  dans  les  paroles  de  Jésus  ! 
Voilà  où  mène  l'ambition  de  dire  du  nouveau.  Renier  Jésus 
tout  simplement  et  prendre  ainsi  place  à  côté  des  Juifs,  des 
Musulmans  et  des  païens,  c'était  suivre  modestement  ceux  à 
qui  la  conscience  ckrétienne  imprime,  comme  avec  un  fer 
rouge,  le  nom  d'apostats.  Cette  gloire  partagée  avec  tant 
d'autres  ne  pouvait  suffire  à  M.  Renan.  Il  en  a  cherché  une  plus 


240  ÉTCDE   SUR   LA   VIE   DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

grande.  Il  a  donc  imaginé  un  Jésus  qui  n'enseigne  pas  de 
dogmes,  qui  n'a  ni  théologie,  ni  symbole. 

Honneur  à  qui  honneur  est  dû  !  Il  a  réussi  à  dire  du  nou- 
veau. 

Depuis  plus  de  dix-huit  siècles,  l'Église  catholique  a  vécu  de 
sa  foi  dans  l'enseignement  dogmatique  qu'elle  trouvait  dans 
les  paroles  de  Jésus.  Détrompez-vous,  peuples  et  nations  de 
tous  les  lieux  et  de  tous  les  âges  :  Jésus  n'a  point  enseigné  de 
dogmes.  Magister  dixit. 

Depuis  plus  de  dix -huit  siècles,  les  hérésies  et  les  sectes  ont 
vécu  du  double  élément  et  des  dogmes  surnaturels  qu'ils  ont 
conservés  et  de  ceux  qu'ils  ont  vainement  cherché  à  raturer 
dans  l'Évangile.  Détrompez-vous,  hérétiques  et  schismatiques 
de  tout  nom  et  de  tout  système  :  M.  Renan  déclare  qu'il  n'y 
avait  rien  à  conserver,  rien  à  raturer.  Magister  dixit. 

Depuis  plus  de  dix-huit  siècles,  l'Église  trouvait  les  éléments 
de  sa  constitution  dans  les  paroles  de  Jésus.  En  vertu  de  ces 
paroles  elle  définissait  les  dogmes,  elle  jugeait,  elle  gouvernait, 
elle  excluait  de  son  sein  ceux  qui  refusaient  de  croire  ou  d'o- 
béir. Et  ceux-mêmes  qu'elle  excluait  ne  niaient  point  ces  en- 
seignements de  Jésus  :  ils  cherchaient  seulement  à  les  détour- 
ner de  leur  sens.  Erreur,  erreur!  Le  genre  humain  subissait 
une  hallucination,  en  se  réglant  sur  uu  vain  fantôme  qui  n'a 
jamais  existé.  Magiste?'  dixit! 

Depuis  plus  de  dix-huit  siècles  l'Évangile  est  lu  par  tout  ce 
qui  sait  lire.  11  a  souvent  été  mal  lu,  mal  compris.  Mais  per- 
sonne jusqu'ici  n'avait  découvert  que  le  dogme  en  fût  ab- 
sent. Tout  le  monde  y  avait  trouvé  le  dogme,  la  morale  et  l'É- 
glise, les  savants  comme  les  ignorants,  les  croyants  comme 
les  incrédules.  M.  Renan  le  premier  ne  l'y  trouve  pas,  et,  ne 
l'y  trouvant  pas,  il  affirme  que  tout  le  monde  s'est  trompé.  Que 
faut-il  penser  de  ce  jugement  ? 

Il  nous  dit  quelque  part  qu'on  connaît  aujourd'hui  la 
maladie  qui  a  fait  la  fortune  de  Mahomet.  Nous  ne  savons 


;-cpt.  1863.1  PAR   M.   RENAN.  241 

si  réellement  Mahomet  était  atteint  de  Vhisteria  muscularis, 
mais  nous  connaissons  fort  bien  la  maladie  qui  fait  la  fortune 
de  M.  Renan.  Elle  s'appelle  excitas  mentalis.  L'homme  qui 
seul  ne  voit  pas  ce  que  tout  le  monde  voit,  cet  homme  est  un 
aveugle.  Or  la  sagesse  des  nations  enseignait  jusqu'à  ce 
jour  que  les  aveugles  devaient  se  soumettre  au  témoignage 
des  voyants,  et  ne  pas  nier  la  lumière  parce  qu'ils  ne  pou- 
vaient la  percevoir.  M.  Renan  a  changé  cela.  Parce  qu'il  ne 
voit  pas,  il  prétend  que  le  genre  humain  se  trompe  en 
voyant.  Cette  prétention  nous  montre  que  son  cas  est  plus 
grave  que  celui  d'une  simple  perte  de  la  vue,  et  qu'il  y  a  chez 
lui  complication  de  maladies. 

Néanmoins,  il  n'est  pas  toujours  aussi  aveugle  qu'il  veut  le 
paraître.  Pour  se  former  un  Jésus  sans  théologie,  il  se  débar- 
rasse du  Sauveur  à  partir  de  son  dernier  voyage  de  Jérusalem. 
«  Dans  ce  monde  nouveau,  dit-il,  sou  enseignement  se  modi- 
fia nécessairement  beaucoup,  »  au  point  qu'il  cessa  d'être  lui- 
même.  «  Lui,  si  à  l'aise  au  bord  de  son  charmant  petit  lac, 
il  était  gêné,  dépaysé  en  face  des  pédants.  »  Cette  gêne  du 
provincial  en  face  du  pédant,  du  villageois  en  face  d'un  monde 
nouveau,  se  traduit  d'ordinaire  par  la  timidité,  la  réserve,  le 
silence.  Sur  Jésus  elle  produisit  l'effet  opposé  :  «  Il  dut  se  faire 
controversiste,  juriste,  exégèle,  théologien.  »  Nous  voilà  déjà 
loin  du  chapitre  des  Institutions  de  Jésus  où  nous  apprenions 
qu'il  n'y  a  dans  l'enseignement  du  Sauveur  ni  théologie,  ni 
morale  appliquée,  ni  droit  canon.  Nous  laissons  à  M.  Renan  le 
soin  «le  se  mettre  d'accord  avec  lui-même,  de  nous  dire  com- 
ment un  provincial,  un  villageois  ainsi  gêné  et  dépaysé  peut 
s'improviser  docteur  en  toutes  ces  matières,  et  dominer  d'une 
incomparable  hauteur  les  docteurs  les  plus  subtils  et  les  plus 
expérimentés.  Pour  nous,  nous  ne  voudrions  sans  doute  pas 
décerner  ces  noms  à  Jésus.  II  n'est  ni  juriste,  ni  exégète,  ni 
théologien  dans  le  sens  ordinaire  de  ces  mots.  Il  est  juriste  à 
la  façon  de  Dieu,  dont  la  volonté  est  la  base  de  tout  droit  ei 

IlEVl'E  PSS  SCIF.XCES  ifCCr.ÉSîASTIOUF.S,   T.    VHI.  16-17. 


242  ÉTUDE   SCR   LA   VIE  DE  JÉSUS  [Tome  VIIK 

de  toute  morale.  Il  a  la  théologie  du  Fils  unique  du  Père,  qui 
nous  révèle  les  mystères  éternels  de  Dieu.  Mais  laissant  aux 
mots  ce  sens  inférieur  au-dessus  duquel  M.  Renan  ne  sait  pas 
s'élever,  nous  prenons  note  de  ce  dernier  aveu  qui  détruit  les 
assertions  précédentes,  et  qui  nous  porte  en  plein  dans  la  lu- 
mière surnaturelle  de  la  vie  du  Sauveur. 

Donc,  Jésus  à  Jérusalem  lui  déplaît  souverainement.  Il  ne 
peut  le  souffrir  dans  ces  discussions  où  «  nous  aimerions 
mieux,  dit-il,  ne  pas  le  voir  jouer  quelquefois  le  rôle  d'agres- 
seur, ni  se  prêter  avec  une  condescendance  qui  nous  blesse^  aux 
examens  captieux  que  des  ergoteurs  sans  tact  lui  font  subir.» 
Le  Jésus  qu'il  aime,  c'est  le  Jésus  des  premiers  jours,  qui  n'en- 
seigne que  la  morale,  qui  fait  le  sermon  de  la  montagne. 
«  Après  ce  sermon  il  ne  fait  plus  que  gâter  son  œuvre.  » 

Ainsi,  parce  qu'un  jour  Jésus  aurait  prêché  de  la  morale 
et  un  autre  jour  exposé  du  dogme,  nous  serions  en  droit  de 
nous  plaindre  du  Jésus  du  second  jour  et  de  nous  proclamer 
les  disciples  du  Jésus  de  la  veille  ;  de  rejeter  son  dogme  et  de 
nous  réclamer  de  lui  pour  la  morale  !  Futilités  de  sophiste  ! 
La  modification  que  subit  l'enseignement  de  Jésus  à  Jérusalem 
n'est  point  celle  qu'indique  M.  Renan.  Elle  résulte  de  la  diffé- 
rence des  auditeurs,  et  n'existe  pas  dans  le  fond  de  l'enseigne- 
ment. Sur  la  montagne  Jésus  parle  eu  législateur,  il  promulgue 
sa  loi  ;  dans  le  temple,  nous  entendons  un  dernier  avertissement 
du  juge  avant  la  consommation  du  crime.  Mais  les  principes 
sont  les  mêmes,  renseignement  le  même,  la  morale  la  même. 

Sur  la  montagne  il  prêche  la  douceur  et  l'humilité  ;  dans 
le  temple  il  condamne  l'orgueil  et  la  dureté  des  pharisiens. 

Sur  la  montagne  il  défend  de  faire  l'aumône  au  son  de  la 
trompette  et  au  milieu  de  la  synagogue,  comme  font  les  hy- 
pocrites ;  dans  le  temple  il  loue  plus  la  veuve  qui  apporte  son 
obole,  que  les  pharisiens  qui  apportent  leur  superflu.  M.  Re- 
nan trouve  que  c'est  là  «  une  façon  de  regarder  en  critique 
tout  ce  qui  se  faisait  à  Jérusalem  !  » 


3epL  1863  ]  PAR  M.    RENAN.  243 

Sur  la  montagne  Jésus  flétrit  les  hypocrites  qui;,  pour  prier, 
se  tiennent  debout  dans  les  synagogues  et  sur  les  places  pu- 
bliques ;  dans  le  temple  il  tonne  contre  ceux  qui  consument 
les  maisons  des  veuves  en  récitant  de  longues  prières. 

Sur  la  montagne  il  nous  commande  d'aimer  non-seulement 
nos  proches  et  nos  bienfaiteurs,  mais  encore  ceux  qui  nous 
persécutent  et  nous  calomnient;  dans  le  temple  il  maudit  le 
pharisien  qui  laisse  mourir  de  faim  son  père  et  sa  mèrC;,  mé- 
connaissant à  la  fois  la  justice  et  la  charité. 

Si  révaugélisle  avait  prétendu  faire  une  œuvre  d'art,  et 
grouper  les  textes  évangéliques  à  la  façon  de  M.  Renan  pour 
en  faire  sortir  une  grande  instruction,  on  pourrait  croire  que 
ces  enseignements  de  Jésus  à  Jérusalem  ont  été  ainsi  réunis 
pour  former  pendant  avec  ceux  de  la  montagne.  D'un  côté,  les 
préceptes  ;  de  Tautre,  les  avertissements  à  ceux  qui  violent  les 
préceptes.  D'un  côté,  la  fidélité  à  la  loi  que  Jésus  n'est  pas 
venu  détruire,  mais  accomplir  ;  de  l'autre,  les  malédictions 
contre  les  fils  de  ceux  qui  ont  tué  et  crucifié  les  prophètes, 
contre  ceux  qui  vont  accomplir  tout-à-l'heure  le  crime  unique 
dans  l'histoire  de  la  création,  le  déicide. 

Mais,  serail-il  vrai  qu'il  y  a  innovation,  parce  que  les  der- 
niers discours  de  Jésus  sont  seuls  remplis  de  théologie  et  de 
surnaturel?  Cela  est  faux, —  faux  comme  toutes  les  assertions 
de  M.  Renan. 

Et  d'abord  la  morale  évangélique  tout  entière  n'est-ellc»  pas 
surnaturelle,  et  n'implique-t-elle  pas  toute  la  théologie  catho- 
lique ?  Ne  sont-ce  pas  les  dogmes  de  la  chute  et  de  la  Rédem- 
ption qui  nous  font  comprendre  ces  paroles  :  «  Bienheureux 
les  pauvres  d'esprit,  bienheureux  ceux  qui  sont  doux,  bienheu- 
reux ceux  qui  pleurent,  bienheureux  ceux  qui  souffrent 
persécution  pour  la  justice.  »  M.  Renan  professe-l-il  cette 
même  morale?  Aucun  de  ceux  qui  repoussent  le  christianisme 
la  professe-t-il?  Et  s'ils  la  professent,  sur  quelle  base  essaie- 
ront-ils de  l'appuyer?  Quel  sens  sauront-ils  lui  trouver?  Au- 


244  ÉTUDE  SUR  LA  VIE  DE  JÉSUS  ITome  VIII. 

ront-ils  quelque  chose  à  apprendre  au  pauvre  qui  sait  que  les 
souffrances  de  la  terre  sont  une  expiation  de  ses  péchés,  et 
qu'elles  lui  procurent  le  ciel  par  leur  union  avecles  souffrances 
du  Sauveur  crucifié?  Non^  la  morale  naturelle  n'a  ni  ce  ton, 
ni  cet  enseignement,  ni  ces  promesses.  Le  jour  où  Jésus  parlait 
ainsi,  il  était  aussi  théologien  que  dans  le  temple.  Indiquons, 
au  reste,  quelques-uns  des  dogmes  qu'il  enseignait  explicite- 
ment dès  lors. 

Dans  le  sermon  de  la  montagne  nous  trouvons  le  dogme 
des  récompenses  décernées  aux  justes  dans  le  ciel,  non  point 
dans  un  ciel  de  millénaires,  comme  le  pense  M.  Renan,  mais 
dans  le  ciel  où  se  réjouissent  les  prophètes  qui  ont  été  mis  à 
mort,  où  trône  ce  Dieu,  notre  Père,  à  qui  appartiennent  le 
soleil  et  les  éléments,  la  vie  et  la  mort. 

Dans  le  sermon  de  la  montagne  est  promulgué  le  dogme 
catholique  de  la  nécessité  des  bonnes  œuvres,  de  la  prière, 
du  jeûne,  de  l'aumône. 

Nous  y  trouvons  le  dogme  de  l'indéfectibilité  de  l'Église, 
dans  laquelle  les  paroles  de  Jésus  seront  conservées  jusqu'à 
la  consommation  des  siècles.  C'est  là  qu'est  inculquée  la  néces- 
sité pour  tout  homme  de  se  conformer  à  ces  paroles  ;  là  que 
se  trouve  le  premier  anathème  contre  celui  qui  en  violera 
seulement  la  moindre. 

C'est  là  que  Jésus  inculque^  et  qu'il  érige  en  dogme  l'unité 
et  l'indissolubilité  du  mariage. 

C'est  sur  la  montagne  qu'il  trace  la  grande  règle  de  la 
pastorale  chrétienne.  «  Ne  jetez  pas  les  choses  saintes  aux 
pourceaux,  de  peur  qu'ils  ne  les  foulent  aux  pieds,  et  qu'ils 
ne  se  retournent  contre  vous.  » 

C'est  dans  ce  même  sermon  qu'il  nous  prémunit  contre  les 
faux  prophètes  qui  viennent  à  nous  avec  des  vêtements 
d'agneaux,  et  qui  sont  intérieurement  des  loups  rapaces. 

Que  pense  de  tout  cela  M.  Renan? 
;    Nous  ne  prétendons  assurément  pas  trouver  toute  la  théo- 


Sept.  1863]  PAR  M.   RENAN.  245 

logie  de  Jésus  dans  le  sermon  de  la  montagne.  Mais  ces  indi- 
cations sufiûront  pour  montrer  que  le  sermon  de  la  montagne 
ne  s'accommode  pas  plus  que  les  discours  du  temple  au  système 
de  M.  Renan;  que  Jésus  n'y  est  pas  moins  blessant  pour  lui. 
Non,  il  n'y  a  pas  dans  la  vie  publique  de  Jésus  deux  époques  où 
l'on  puisse  trouver  des  enseignements  différents;  non,  il  n'a  pas 
prêché  la  «  religion  de  l'esprit  un  moment,  pour  l'abandonner 
dans  l'autre.  Mais  cette  religion  de  Tesprit  a  toujours  été  la 
religion  surnaturelle  qu'il  a  confiée  à  son  Église,  et  que  cette 
même  Église  nous  a  transmise  en  messagère  fi  lèle  à  travers 
dix-huit  siècles  de  luttes  terrestres  et  d'assistance  céleste.  Non, 
il  n'y  a  rien  dans  la  vie  de  Jésus  qui  prête  seulement  à  un 
malentendu. 

Si  ceux  qui  veulent  distinguer  entre  le  Jésus  des  premiers 
et  le  Jésus  des  derniers  jours,  savaient  ce  qu'ils  font,  nous  leur 
dirions  qu'ils  en  imposent,  et  que  les  pages  qulls  conservent 
dans  la  vie  de  l'Homme-Dieu,  les  condamnent  non  moins  que 
les  pages  qu'ils  déchirent  ;  mais  quand  ils  avouent  que  Jésus 
les  blesse,  ils  ne  nous  disent  point  toute  la  vérité.  La  pierre 
qu'ils  ont  rejetée  retombe  sur  eux,  d'après  la  parole  de  Jésus, 
et  en  tombant  sur  eux,  elle  ne  les  blesse  pas,  elle  les  écrase. 
Elle  écrase  M.  Renan,  car  lesefîorls  avec  lesquels  il  se  débat 
contre  la  doctrine  de  Jésus  ne  peuvent  être  comparés  qu'aux 
convulsions  du  reptile  qu'une  pierre  a  frappé.  Ses  plus  violents 
sarcasmes  sont  dirigés  non  point  contre  les  miracles,  non  point 
contre  les  prophéties,  mais  contre  la  doctrine  de  Jésus.  Elle 
seule  le  fait  sortir  de  cette  placidité  d'académicien  qu'il  af- 
fecte dans  tout  son  livre.  Il  l'appelle  «  une  pensée  à  double 
face,  une  chimère.  »  Il  l'appelle  encore  une  «  idée  fausse, 
froide,  impossible.  »  C'est  pour  un  point  de  la  doctrine  qu'il 
demande  positivement  le  pardon  de  Jésus  :  «  Pardonnons-lui 
son  espérance  d'une  apocalypse  vaine,  d'une  venue  à  grand 
triomphe  sur  les  nuées  du  ciel.  »  C'est  la  doctrine,  le  dogme, 
qui  lui  arrache  les  plus  incroyables  blasphèmes;  qui  lui  fait 


24^  ÉTLDE   fUR    LA   VIE    DF.   JÉSUS  [Toniu  VllI. 

faire  de  Jésus  «  un  enthousiaste,  un  visionnaire,  «  un  je  ne 
sais  quoi,  qui  n'a  encore  eu  de  nom  eu  aucun  temps  et  chez 
aucun  peuple,  mais  qui  est  un  composé  de  sottise,  de  fascina- 
tiou,  de  vues  supérieures,  d'hallucination  et  de  bassesse  de  ca- 
ractère. Nous  aurons  à  revenir  sur  quelques-uns  de  ces  points, 
mais  nous  devions  les  menlioimer  ici  parce  que  l'exaspération 
même  que  lui  inspire  la  doctrine  de  Jésus  montre  qu'il  n'y 
voit  pas  du  naturel  seulement  (1). 

Nous-avons  cru  devoir  insister  sur  l'enseignement  dogma- 
tique de  l'Évangile  dans  cette  partie  de  notre  étude  qui  est 
spécialement  consacrée  à  l'Église;  car  si  cet  enseignement 
n'existait  pas,  M.  Renan  aurait  raison  dans  sa  révolte  contre  la 
société  qui  le  perpétue;  et  s'il  existe,  il  a  tort.  Un  enseigne- 
ment surnaturel,  positif,  est  le  corrélatif  d'une  Église  surna- 
turelle, positive,  et  nous  pensons  que  le  trop  célèbre  profes- 
seur se  trouvei'ait  moins  gêné  eu  face  de  la  doctrine,  si  la  né- 
gatitm  de  la  doctrine  n'était  à  ses  yeux  une  justifîcatiou  du 
crime  d'avoir  abandonné  l'Eglise.  Nous  pourrons  donc  négli- 
ger l'examen  des  habiletés  par  lesquelles  il  cherche  plus  di- 
rectement à  effacer  de  son  livre  la  formation  et  la  constitution 
de  la  société  chrétienne.  Nous  n'insisterons  ni  sur  la  vocation 
des  apôtres,  ni  sur  la  primauté  donnée  à  Pierre, a  à  qui  Jésus 
semble  un  moment  promettre  les  clefs  du  royaume  du  ciel,  et 
lui  accorder  le  droit  de  prononcer  sur  terre  des  décisions  tou- 
jours ratifiées  dans  l'éternité.  » 

Nous  n'insisterons  ni  sur  la  nécessité  du  baptême,  ni  sur 
celle  de  la  foi,  ni  sur  celle  de  la  soumission  à  l'Église.  Nous 
nous  arrêterons  seulement  à  la  manière  dont  il  traite  l'institu- 
tion de  l'Eucharistie. 

Ce  sacrement  est  si  bien  l'âme  du  christianisme  qu'il  est  à 
la  fois  la  grande  pierre  d'achoppement  et  des  hérétiques  et 
des  impies.  Attaquant  en  plein  la  vie  de  Jésus,  M.  Renan  ne 

(1)  Voir  le  §x,  M.  Renan  et  la  personne  de  Jéfus. 


Sepl  1853.]  PAR  M.   RENAN.  247 

pouvait  passer  à  côté  de  cette  institution  dont  la  vertu  rayonne 
sur  toute  l'œuvre  du  Sauveur.  Mais  comme  il  prétend  en  même 
temps  exclure  le  surnaturel,  il  a  dû  imaginer  pour  ce  mystère 
une  explication  naturaliste.  Le  vide,  l'impuissance  et  les  con- 
tradictions de  cette  exégèse  suffiraient  seuls  à  faire  comprendre 
la  fausseté  de  tout  le  système^  à  montrer  que  l'abîme  qui 
sépare  la  Vie  de  Jésus  de  M.  Renan  de  la  véritable  histoire  de 
Jésus  est  aussi  infranchissable  que  celui  qui  se  trouve  entre  le 
sein  d'Abraham  et  la  demeure  du  mauvais  riche. 

M.  Renan  trouve  à  la  doctrine  de  l'eucharistie  un  triple 
fondement.  Le  premier  est  purement  naturel  :  «  Les  repas 
étaient  devenus  dans  la  communauté  naissante  un  des  mo- 
ments les  plus  doux  (p.  303).  » 

Nous  sommes  heureux  de  rencontrer  ici  cette  a  délicate  » 
allusion  au  discours  de  la  Cène  qui  ailleurs  était  appelé  raide, 
froid  et  faux.  Mais  nous  regrettons  de  voir  introduire  la 
(i  gaîté  a  de  Jésus  qui  est  à  la  fois  une  pure  invention,  une 
haute  inconvenance  et  un  mensonge  historique.  Bailleurs, 
nous  ne  voyons  pas  comment  la  douceur  de  ces  moments  a 
pu  faire  naître  la  pensée  de  la  sainte  FAicharistie. 

Le  second  fondement  se  trouve  dans  les  usages  de  la 
«  troupe  sainte,  »  qui  «  regardait  la  participation  à  un  même 
pain  comme  une  sorte  de  communion,  de  lien  réciproque. 
Le  maître  usait  à  cet  égard  de  termes  extrêmement  énergiques, 
qui  furent  pris  plus  tard  avec  une  littéralité  effrénée.  »  Suivant 
M.  Renan,  le  sens  des  paroles  eucharistiques  ne  serait  pas  plus 
profond.  Nous  croyons  qu'il  est  ici  induit  en  erreur  par  ses 
réminiscences  sémitiques.  On  raconte,  en  effet,  que  dans 
l'hospitalière  Arabie  il  suffit  d'avoir  mangé  avec  quelqu'un, 
même  un  étranger,  pour  devenir  au  moins  momentanément  son 
ami,  son  frère  à  la  vie  et  à  la  mort.  La  participation  à  un  même 
pain  devient  ainsi  «  une  sorte  de  lien  réciproque  ».  M.  Renan 
se  souvient-il  d'avoir  jamais  entendu  un  chef  arabe  lui  dire  en 
lui  présentant  du  pain  :  «  Prenez  et  mangez,  ceci    est  mon 


248  ÉTUDE   SUR   LA   VIE   DE  JÉSUS.  LTomoVIII 

corps;  »  et  en  lui  présentant  une  liqueur  quelconque:  «  Ceci 
est  mou  sang  qui  sera  répandu  pour  un  grand  nombre  pour 
la  rémission  des  péchés.  »  Trouve-t-il  qu'entre  l'usage  auquel 
il  fait  allusion  et  cette  manière  de  parler,  il  y  ait  la  moindre 
relation?  Les  termes  de  Jésus  sont  énergiques,  soit;  mais  la 
première  règle  du  langage  est  que  les  termes,  même  les  plus 
énergiques,  expriment  la  pensée  de  celui  qui  parle.  Or, 
y  a-t-il  entre  le  lien  formé  par  un  repas  pris  en  commun  et 
les  termes  que  nous  venons  de  citer  un  rapport  quelconque  ? 
Si  jamais  un  voyageur  entendait  ce  langage  chez  les  Arabes, 
ne  commencerait-il  pas  par  en  demander  l'explication?  Et  nul 
doute  qu'il  ne  fût  grandement  étonné  d'entendre  l'interpréta- 
tion que  nous  venons  de  citer.  Donc  avant  de  parler  d'un  mal- 
entendu des  disciples  qui  prirent  ces  termes  avec  une  littéralité 
effrénée,  il  était  bon  de  s'assurer  de  leur  valeur  dans  la  bouche 
de  Jésus.  S'il  est  constant  que  Jésus  a  voulu  dire  simplement 
ce  qu'il  a  dit,  aucune  littéralité  ne  peut  être  effrénée. 

Or,  et  ceci  est  le  troisième  fondement  qu'il  trouve  au  dogme 
eucharistique,  «  une  des  idées  favorites  du  maître,  c'est  qu'il 
est  le  pain  nouveau,  pain  supérieur  à  la  manne  et  dont  l'hu- 
manité allait  vivre.  »  Mais  dans  quel  sens?  «  Voulant  rendre 
cette  pensée  que  le  croyant  ne  vit  que  de  lui  ;  que  tout  entier 
{corps,  sang  et  âme),  il  était  la  vie  du  vrai  fidèle,  il  disait  à  ses 
disciples  :  «  Je  suis  votre  nourriture,  »  phrase  qui,  tournée 
eu  style  figuré,  devenait:  «Ma  chair  est  votre  pain  et  mon 
sang  votre  breuvage.  »  Si  les  paroles  avaient  chez  M.  Renan 
le  sens  qu'elles  ont  chez  les  autres  hommes,  ou  plutôt  si  son 
langage  était  moins  fuyant,  nous  pourrions  nous  plaindre  de 
la  netteté  de  sou  explication,  mais  nous  pourrions  en  admettre 
une  partie.  Oui,  Jésus  voulait  rendre  cette  pensée  que  tout  en- 
tier, corps,  sang  et  âme  (suppléez  divinité)  il  devient  la  vie  du 
fidèle.  Mais  comment  son  corps  devient-il  notre  nourriture  si 
les  mots  :  ma  chair  est  votre  pain,  et  mon  sang  est  votre 
breuvage,  doivent  être  pris  au  sens  figuré? 


^eP'lSGS)  PAK   M.    RENAN.  240 

Mais  quel  est  ce  sens  caché  sous  la  figure  ?  A  plusieurs  re- 
prises M.  Renan  affirme  que  ce  sens  est  :  «  Je  (corps,  sanpç 
et  àme)  suis  votre  nonrriture.  »  Ainsi  le  sens  propre  sera  : 
«  Je  (corps,  sang  et  àme)  suis  votre  nourriture.  »  bit  si  cette 
phrase  se  revêt  d'une  figure  elle  devient:  «  Mon  corps  est 
votre  pain,  et  mon  sang  votre  breuvage.  »  Nous  avouons  ne 
pas  voir  où  se  trouve  la  figure.  Nous  avons  beau  analyser 
grammaticalement  les  deux  phrases,  nous  y  trouvons  même 
sujet  :  d'un  côté  «je  (coi'ps,  sang  et  àme),  »  de  Tautre  «  mon 
corps,  mon  sang;  »  même  verbe,  «  suis,  est;  »  même  attri- 
but, «nourriture,  pain,  breuvage.  »  Donc,  le  sens  figuré  se 
confond  avec  le  sens  propre  et  littéral,  et  M.  Renan  n'échappe 
pas  plus  que  les  chrétiens  aux  rigueurs  d'une  littéralité  effrC- 
née. 

Il  essaie  en  vain  de  persuader  le  contraire  à  ses  lecteurs  : 
il  s'y  trouve  pris  comme  le  poisson  dans  le  filet.  Il  a  beau  se 
rejeter  sur  «  les  habitudes  du  langage  de  Jésus,  toujours  forte- 
ment substantielles,  »  le  sens  constant  qu'il  prête  à  Jésus 
pour  toutes  les  paroles  qui  se  rapportent  à  l'Eucharistie  est 
celui-ci  :  «  je  (tout  entier,  corps,  sang  et  âme),  suis  votre 
nourriture.  •>  Donc  sans  aucune  figure  «  sa  chair  est  notre 
pain;  »  sans  aucune  figure  «  son  sang  est  notre  breuvage,  » 
au  moins  dans  la  pensée  de  Jésus.  Il  a  beau  encore  parler 
du  «  mouvement  hardi  auquel  Jésus  se  laissa  un  jour  en- 
traîner dans  la  synagogue  de  Capharnaûm,  »  il  ne  parvient  pas 
à  trouver  un  autre  sens  à  la  parole  de  Jésus. 

II  mêle  plusieurs  autres  inventions,  et  que  l'institution  de 
l'Eucharistie  eut  lieu  sur  les  bords  du  lac  de  Tibériade,  et 
que  les  traditions  apostoliques  à  ce  sujet  sont  fort  divergentes 
et  probablement  incomplètes  à  dessein,  et  que  l'on  en  rapporta 
l'établissement  au  moment  le  plus  solennel  de  la  vie  du  Sau- 
veur. Il  appelle  encore  cette  prédication   bizarre,  et  répète 

que   «  Jésus n'eut  jamais  une   notion  bien    arrêtée    de 

ce  qui  fait  rindividualité.  »  Il  n'échappe  pas  à  la  force  et 


250  ÉTUDE   SUU   I.A   VIE  DE  JÉ-US  [TorrellI. 

à  la  précision  des  mots  :  u  Ceci  est  mon  corps ,  ceci  est 
mon  sang  ;  ma  chair  est  véritablement  une  noiuTiture  et 
mon  sang  véritablement  un  breuvage.  »  Il  n'y  peut  trouver  un 
sens  différent  de  celui-ci  :  «  Je  (corps,  sang  et  âme)  suis  votre 
nourrilure\  »  Ceci  seul  suffit  à  renverser  tout  cet  échafaudage 
d'une  Église  sans  institution  et  sans  vie  surnaturelles,  et  nous 
nous  retrouvons  aiusi  en  présence  de  cette  vérité  que  tous  les 
faits  racontés  dans  la  Vie  de  Jésus,  malgré  les  travestissements 
qu'ils  subissent,  sont  autant  de  protestations  contre  l'esprit 
général  du  livre.  Nous  retrouvons  ainsi  non-seulement  l'E- 
glise, mais  le  mystère,  qui  en  est  l'âme,  le  soutien  et  la  vie; 
et,  en  présence  de  cette  assertion,  qu'il  n'y  a  dans  l'enseigne- 
ment de  Jésus  nulle  théologie,  nul  symbole,  nous  voyons  une 
fois  de  plus  se  vérifier  cette  parole  :  Mentita  est  iniquitas  sibi. 

§  VII.  —  La  vision  de  M.  Renan. 

Cependant  Jésu^  a  fondé  une  œuvre.  Il  n'a  point  passé  sur 
la  terre  comme  un  météore  brillant  qui  ne  répand  surl'horizon 
qu'une  lumière  passagère. 

Son  œuvre  vit  encore  au  milieu  de  nous.  Il  est  le  maître  de 
nos  intelligences  et  de  nos  cœurs  ;  mais  la  lumière  qu'il  nous 
a  donnée,  c'est  la  lumière  de  la  foi  que  M.  Renan  rejette  ;  la  vie 
qu'il  nous  donne  se  trouve  dans  les  sacrements,  que  M.  Renan 
méprise.  Sou  influence  s'exerce  sur  nous  par  l'Église,  que 
M.  Renan  poursuit  de  sa  haine.  Comment  donc  cet  apostat 
conçoit-il  l'œuvre  de  Jésus  ?  Quelle  est  cette  «image  qui  lui 
apparut  »  en  Palestine  et  dont  le  monde  fût  resté  privé  à  tout 
jamais,  sans  la  mission  scientifique  dont  il  fut  chargé  ? 

Nous  surmonterons  la  profonde  répugnance  que  nous  inspire 
la  manière  dont  l'œuvre  de  Jésus  est  exposée  dans  ce  triste 
livre.  Notre  travail  s'adresse  à  des  croyants  ;  mais  dùt-il  tom- 
ber entre  les  mains  d'incrédules,  nous  espérerions  encore  les 
voir  tomber  à  genoux  devant  cet  exposé  pour  protester  contre 


Sept.  1S63.1  PAR    M.    RE.VAN  2?  I 

ces  coupables  inventions,  et  se  joindre  à  l'acte  d'adoration  et 
d'amende  honorable  des  croyants. 

La  grande  pensée  de  Jésus,  selon  M.  Renan,  était  l'idée  du 
royaume  de  Dieu  à  établir  sur  la  terre.  Il  lui  trouve  trois 
formes  de  cette  idée  : 

Celle  d'un  royaume  de  Diou  terrestre,  analogue  aux  rêves 
des  socialistes  qu'il  aurait  surpassés  ; 

Celle  d'un  royaume  de  Dieu  apocalyptique,  puisée  dans  les 
rêves  des  millénaires  ; 

Celle  d'un  royaume  de  Dieu  spirituel,  répondant  au  protes- 
tantisme avancé  de  nos  jours,  au  protestantisme  de  MM.  Scliérer, 
Réville  et  autres,  que  M.  Renan  déclare  avoir  pris  pour  guides. 

Le  royaume  de  Dieu  aurait  donc  été  primitivement  pour  Jésus 
«  l'avènement  des  pauvres.  »  M.  Renan  trouve  celte  idée  et 
dans  l'enseignement  et  dans  la  vie  du  Sauveur,  «  qui  était  ici 
certainement  le  frère  des  Esséniens.  L'avarice,  c'est-à-dire  le 
simple  attachement  à  la  propriété,  était  le  péché  capital.  La 
parabole  du  mauvais  riche  était  alors  simplement  la  parabole 
du  riche,  qui  est  en  enfer  parce  qu'il  est  riche.  De  cette  ma- 
nière, Jésus  alla  à  l'excès  et  porta  atteinte  aux  conditions 
essentielles  de  la  société  humaine...  La  vie  de  Jésus  et  de  ses 
disciples  était  conforme  à  ces  maximes,  bonnes  pour  un  pays 
où  la  vie  se  nourrit  d'air  et  de  jour.  Jésus  comprit  bien  vite 
que  le  monde  officiel  de  son  temps  ne  se  prêterait  nullement 
à  son  royaume.  Il  en  prit  son  parti  avec  une  hardiesse  extrême. 
Laissant  là  tout  ce  monde  au  cœur  sec  et  aux  étroits  préjugés, 
il  se  tourna  vers  les  simples.  Une  vaste  substitution  de  race 
aura  lieu.  Le  royaume  de  Dieu  est  fait  d»  pour  les  enfants  et 
ceux  qui  leur  ressemblent  ;  2"  pour  les  rebutés  de  ce  monde, 
victimes  de  la  morgue  sociale,  qui  repousse  l'homme  bon,  mais 
humble,  pour  les  hérétiques,  les  schismatiques,  les  publicains, 
les  samaritains,  les  païens  de  Tyr  et  de  Sidon.  » 

Nous  avons  dû  relire  soigneusement  cette  page,  pour  nous 
assurer  que  nous  comprenicas  bien.  Dans  le  royaume  que  Jésus 


252  ÉTUDE   SUR  LA  VIE   DE  JÉSUS  fTomeVIIl 

voulait  établir  sur  la  terre,  on  se  uoarrissait  d'air  et  de  jour, 
Le  monde  officiel  de  ce  temps  grossier  ne  se  prêtait  point  à 
un  tel  royaume  !  S'en  nourrissent,  s'ils  le  veulent,  les  simples, 
les  enfants,  les  rebutés  du  monde.  M.  Renan,  qui  appartient  au 
monde  officiel  de  notre  temps,  y  consentira  ;  car  nous  sup" 
posons  qu'il  n'a  voyagé  ni  en  simple,  ni  en  enfant,  ni  en  vic- 
time de  la  morgue  sociale,  pendant  sa  mission  scientifique  en 
Palestine.  Mais  il  a  vu  que,  dans  ce  pays,  les  hommes  bons 
et  humbles  s'accommodent  fort  bien  de  cette  nourriture. 

Que  u'évoquait-il  ce  précieux  souvenir,  lorsqu'il  expliquait 
la  multiplication  des  pains  dans  le  désert?  11  n'aurait  pas  eu 
besoin  de  marchander  leur  nourriture  aux  hommes  bons,  mais 
humbles,  qui  suivaient  Jésus,  et  de  les  réduire  à  une  «extrême 
frugalité.  ))  Ni  l'air  ni  la  lumière  ne  manquent  dans  le  désert, 
et  M.  Renan  pourra  y  envoyer  sans  souci  du  lendemain 
tous  les  rebutés  «  de  ce  monde  au  cœur  sec  et  aux  étroits 
préjugés.  » 

Il  appelle  cela  une  substitution  de  race  extrêmement  hardie. 
Pour  lui  la  race  des  enfants  et  de  ceux  qui  leur  ressemblent 
n'est  donc  pas  la  même  que  celle  du  monde  officiel.  Pourquoi 
donc  le  monde  officiel  s'occuperait-il  de  leur  nourriture  et  de 
leur  sort  ?  Ayez  une  hardiesse  extrême,  et  vous  leur  direz  : 
Enfants,  pauvres,  rebutés  de  ce  monde,  hérétiques,  schismati- 
ques  et  païens,  vous  n'êtes  pas  de  ma  race.  Nourrissez-vous 
d'air  et  de  jour,  je  vous  substitue  à  moi  ! 

Du  reste,  il  n'épargne  aux  pauvres,  que  Jésus  aimait  tant, 
aucun  de  ces  traits  amers  que  l'Écriture  stigmatise  ainsi  dans 
la  bouche  du  riche  repu  et  satisfait  :  ProdiU  ex  adipe  iniquitas 
iorum.  «  La  troupe  sainte  vécut  ainsi  bien  mieux  partagée  que 
les  riches.  Le  brigandage,  qui  était  très-enraeiné  en  Galilée, 
donnait  beaucoup  de  force  à  cette  manière  de  voir.  Le  pauvre, 
qui  n'en  souffrait  pas,  devait  se  regarder  comme  le  favori  de 
Dieu  ;  tandis  que  le  riche,  ayant  une  possession  peu  sûre, 
était  le  vrai  déshérité.  »  Ce  sarcasme  devient  d'autant  plus 


Sept.  1863.]  PAR  RENAN.  25* 

dur,  que  l'homme  qui  parle  aiusi  a  été  pauvre  aussi  avant 
d'appartenir  au  monde  officiel,  et  qu'il  a  dû  à  TÉglise,  avec  le 
pain  de  l'intelligence,  celui  du  corps.  C'est  peut-être  ce  souve- 
nir amer  qui  lui  fait-  ajouter  :  «  Dans  nos  sociétés  établies 
sur  une  idée  très-rigoureuse  de  la  propriété,  la  position  du 
pauvre  est  horrible;  il  n'a  pas  à  la  lettre  sa  place  au  soleil.  Il 
n'y  a  de  fleurs,  d'herbe,  d'ombrage,  que  pour  celui  qui  possède 
la  terre.  »  Ceci  est  un  excès  de  compassion,  après  un  excès  de 
dérision.  A-t-il  donc  complètement  oublié  l'air  et  le  soleil,  les 
fleurs,  l'herbe  et  l'ombrage  de  sa  Bretagne?  Sa  pauvreté  ne 
l'empêcberait  pas  d'en  jouir,  si  la  main  charitable  de  l'Église 
ne  l'en  avait  tiré.  Et  ne  trouve-t-il  pas  à  Paris  même,  des 
fleurs,  de  l'herbe  et  de  l'ombrage,  dont  peuvent  jouir  les 
pauvres,  les  déshérités  du  monde?  Que  ne  se  met-il,  lui  aussi, 
à  la  tète  d'uLe  troupe  sainte? 

Peut-être  toute  cette  ridicule  fantasmagorie  n'est-elle  placée 
ici  que  pour  gagner  les  suffrages  de  messieurs  les  socialistes. 
Il  est  inutile  d'observer  que  M.  Renan  n'y  croit  pas  lui-même  ; 
car,  lorsqu'il  nous  raconte  le  genre  de  vie  de  Jésus  et  de  ses 
disciples,  il  ne  parle  plus  ni  d'air,  ni  de  jour,  ui  d'herbe,  ni 
d'ombrage,  mais  de  biens  mis  en  commun.  «  La  communauté 
des  biens  fut  quelque  temps  de  règle  dans  la  société  nou- 
velle. »  Par  ces  mots,  il  dit  à  la  fois  trop  et  trop  peu.  11  dit 
trop  peu,  car  Judas  fut  jusqu'à  la  fin  le  trésorier  de  la  «  troupe 
sainte  ;  »  ce  que  saint  Jean  lui  reproche,  ce  n'est  pas  d'avoir 
possédé,  mais  d'avoir  volé.  Mais  il  dit  aussi  trop.  Car  si  Jésus 
faisait  renoncer  ses  disciples  k  tout  ce  qu'ils  possédaient,  il  ne 
posa  jamais  celte  règle  pour  tout  le  monde.  M.  Renan  le  sait; 
mais  il  écarte  pour  un  moment  ce  souvenir  qui  «  détonnerait 
dans  le  tableau,  »  et  lorsqu'il  le  mentionne,  il  dit  que  dans 
certains  moments  Jésus  «  était  moins  exagéré.  » 

Mais  quel  tableau  il  nous  trace  de  la  vie  de  Jésus  et  de  son 
entourage!  Pardon,  mou  Dieu,  si  je  le  rappelle  ici  pour  mon- 
trer jusqu'où  peut  descendre  l'homme  qui  a  cessé  de  croire  en 


20-1  ÉlUDE   SLR   LA   VIE    DE   JÉSLS  [Tomo  VIIl' 

VOUS  1  «  Tous  les  dédaignés  du  judaïsme  orthodoxe  étaient  ses 
préférés. |La  troupe  élue  offrait  un  caractère  fort  mêlé  et  dont 
les  rigoristes  devaient  être  très-surpris.  Jésus  aimait  à  diner 
chez  les  victimes  des  aberrations  du. sentiment  religieux; 
on  voyait  à  table,  à  côté  de  lui,  des  personnes  qu'on  disait 
de  mauvaise  vie,  peut-être  par  cela  seul  qu'elles  ne  parta- 
geaient pas  les  ridicules  des  faux  dévots  (1) On  conçoit 

que  ces  âmes  tendres,  trouvant  dans  leur  conversion  à  la 
secte  un  moyen  de  réhabilitation  facile,  s'attachaient  à  Lui 
avec  passion...  Les  enfants  et  les  femmes  l'adoraient.  Le 
reproche  d'aliéner  de  leur  famille  ces  êtres  délicats  toujours 
prêts  à  être  séduits,  était  un  de  ceux  que  lui  adressaient  le 
plus  souvent  ses  ennemis.  »  (Ici  M.  Renan  indique  pour 
source  l'Évangile  de  Marcion  pour  lequel  il  déclare  profes- 
ser, relativement  à  ce  point,  une  foi  absolue.)  «  Toute  l'his- 
toire du  christianisme  naissant  est  devenue  de  la  sorte  une 
délicieuse  pastorale.  Un  ^Messie  aux  repas  de  noces,  la  courti- 
sane et  le  bon  Zachée  appelés  à  ses  festins,  les  fondateurs  du 
royaume  des  cieux  comme  un  cortège  de  paranymphes,  voilà 
ce  que  la  Galilée  a  osé,  voilà  ce  qu'elle  a  fait  accepter.  » 
(P.  67,  185-87.) 

Les  larmes  coulent  des  yeux,  quand  on  voit  le  christianisme 
naissant  représenté  comme  «  une  délicieuse  pastorale»,  copiée 
des  immondices  de  nos  théâtres  et  de  nos  feuilletons.  «  Un 
Messie  aux  repas  de  noces  »,  voilà  ce  qui  reste  à  M.  Renau  de 
la  vie  de  Jésu?  !  Le  Dieu  qui  fait  des  miracles,  il  ne  l'y  voit 
pas.  Il  ne  le  verra  que  quand  ce  Dieu  fera  le  miracle  de  lui 

(I)  Ici  nous  sommes  en  présence  d'une  uouvelle  espèce  de  pliari- 
saïsme.  L'ancien  pharisien  trouvait  méprisables  même  les  hommes  les 
meilleurs,  qui  ne  partageaient  ni  ses  ridicules,  ni  ses  fausses  dévo- 
lions  ;  le  pharisien  moderne  lient  pardonnable  même  la  mauvaise  vie, 
pourvu  qu'elle  ne  soit  ni  en'.achée  d'une  dévotion  fausse,  ni  expiée  par 
une  dévotion  vraie.  Pharisaïsme  pour  pharisaïsme,  nous  sommes  bien 
tentés  de  préférer  celui  d'autrefois,  malgré  les  anaihèmes  dont  il  fut 
chargé  (.ar  le  Sauveur. 


Sept.  1803.)  PAR   M.    RENAN.  2"jb 

ouvrir  les  yeux.  «  Un  Messie  aux  repas  de  noces,  la  courtisane 
et  le  bon  Zacliée  à  ses  festins!  »  Non,  M.  Renan,  il  n'y  avait  là 
aucune  courtisane;  il  y  avait  une  pénitente  sublime  que  vous 
ne  comprenez  pas.  Et  le  bon  Zacliée  aussi  était  un  pénitent, 
quand  il  s'assit  à  la  table  du  Sauveur;  et  vous-même,  malgré 
votre  livre,  vous  y  êtes  attendu  avec  les  sentiments  de  la  péni- 
tente Marie-Madeleine  et  du  pénitent  Zacbée.  Mais  de  tout  ce 
tableau  que  vous  tracez,  la  Galilée  n'a  rien  osé  ;  elle  n'en  a 
rien  fait  accepter,  et  l'image  qui  vous  est  apparue  en  considé- 
rant la  terre  d'Orient,  était  un  feu  follet  qui  s'élevait  d'une 
mare  infecte. 

La  vue  de  Jésus  vous  pèse  donc  grandement,  et  vous  pour- 
suit comme  un  remords.  Elle  opère  sur  vous  comme  sur  ces 
démons  qui,  en  sa  présence,  s'acbarnaient  avec  plus  de  fureur 
sur  leurs  mallieureuses  victimes.  Cependant,  ces  démons  se 
contentaient  de  tourmenter  les  corps  qu'ils  possédaient;  ils  ne 
blasphémaient  pas  comme^vous.  Ne  soyez  pas  plus  impie  que 
les  démons  ! 

La  deuxième  phase  de  l'idée  de  Jésus  est,  pour  M.  Renan, 
la  phase  apocalyptique.  «  La  persuasion  qu'il  ferait  régner 
Dieu,  s'empara  de  son  esprit  d'une  manière  absolue.  R  s'envi- 
sagea comme  l'universel  réformateur.  Le  ciel,  la  terre,  la  na- 
ture tout  entière,  la  folie,  la  maladie  et  la  mort,  ne  sont  que 
des  instruments  pour  lui.  Dans  son  accès  de  volonté  héroïque, 
il  se  croit  tout-puissant.  Si  la  terre  ne  se  prête  pas  à  cette 
transformation  suprême,  elle  sera  broyée,  purifiée  par  la 
flamme  et  le  souffle  de  Dieu.  Un  ciel  nouveau  sera  créé,  et  le 
monde  entier  sera  peuplé  d'anges  de  Dieu.  » 

L'esprit  de  M.  Renan  nous  apparaît  bien  des  fois  comme  le 
creuset  d'un  chimiste.  Introduisez  un  corps  dans  ce  creuset, 
puis  chauffez.  Sous  l'influence  de  la  chaleur,  il  se  formera  un 
nouveau  composé  qui  n'aura  aucune  ressemblance  avec  le 
corps  primitif.  C'est  ainsi  que  toutes  les  paroles  de  l'Évangile 
deviennent  méconnaissables  dans  ce  triste  livre.  Jésus  annon- 


2o6  ÉTUDE  SUR  LA  VIE  DE  JÉSUS  [Tome  îll. 

çait  que  le  monde  serait  transformé;  M.  Renan  ajoute  :  «  S'il 
ne  se  prête  pas  à  cette  transformation  suprême.  »  Cette  pro- 
phétie se  rapportait  au  jugement  général  où  figureront  les 
bons  pour  la  récompense,  non  moins  que  les  méchants  pour 
le  châtiment.  M.  Renan  n'y  voit  qu'un  effet  de  vengeance. 
Sur  la  montagne  où  M.  Renan  nous  montre  son  Jésus,  le  Sau- 
veur nous  apprend  à  demander  que  le  règne  de  Dieu  arrive  ; 
M.  Renan  dit  qu'il  s'arrêta  d'abord  à  la  pensée  d'une  révolu- 
tion terrestre,  et  qu'il  se  laissa  dominer  plus  tard  par  la  pen- 
sée qu'il  ferait  régner  Dieu  sur  la  terre.  Nous  cherchons  la 
raison  de  ce  changement  que  M.  Renan  prête  à  Jésus.  Il  y  a 
là  quelque  chose  d'analogue  aux  transformations  chimiques. 
En  passant  par  la  plume  de  M.  Renan,  les  paroles  de  Jésus 
revêtent  la  forme  de  l'esprit  de  M.  Renan.  Ou  bien  ce  change- 
ment serait -il  amené  sur  la  scène  par  «  la  raison  d'art  »  comme 
un  deus  ex  machina,  semblable  aux  rencontres  fortuites  de  nos 
théâtres?  C'est  l'un  ou  l'autre.  Mais  la  raison  d'art  ne  devrait 
pas  faire  ajouter  que  «  dans  un  accès  de  volonté  héroïque,  Jé- 
sus se  croit  tout-puissant.  »  L'homme  qui  se  croit  tout-puissant 
dans  un  accès  de  volonté  héroïque,  cet  homme  a  reçu  son  nom 
depuis  trois  siècles,  c'est  don  Quichotte;  et  l'on  ne  présente 
même  pas  un  héros  de  théâtre  sous  les  dehors  du  célèbre  che- 
valier de  la  triste  figure.  Il  n'y  a  pas  ici  d'héroïsme  qui  tienne. 
La  volonté  qui  veut  broyer  la  terre  est,  ou  bien  la  volonté  du 
Tout-Puissant  que  vous  devez  adorer,  ou  bien  celle  d'un  hallu- 
ciné que  nous  ne  pouvons  que  plaindre.  Vous  voulez  abaisser 
le  Fils  de  Dieu  au  rôle  d'un  grand  homme,  et  votre  esquisse 
ne  nous  présente  qu'un  homme  odieux  ! 

M.  Renan  prétend  le  rendre  néanmoins  acceptable,  en  lui 
mettant  un  fard  révolutionnaire.  «  Cette  terre  nouvelle,  ce 
ciel  nouveau,  cette  Jérusalem  qui  descend  du  ciel,  ce  cri  : 
«  Voilà  que  je  refais  tout  à  neuf,  »  sont  les  traits  communs  des 
réformateurs.»  Ne  dirait-on  pas  que  M.  Renan  ignore  également 
et  l'Évangile  et  Thistoire,  qu'il  ne  connaît  ni  les  réformateurs. 


I 


Sept.  1863.]  PAR  M.  RENAN.  257 

ni  Jésus?  Les  réformateurs  nous  piomettent  des  changements 
sur  la  terre.  Jésus  nous  promet  le  monde  nouveau  à  la  suite 
de  la  résurrection  générale.  Les  réformateurs  prétendent  faire 
disparaître  les  maux  de  la  terre  ;  Jésus  nous  apprend  à  les 
supporter  pour  être  heureux  avec  lui  dans  le  ciel.  Les  réfor- 
mateurs promettent  la  paix  universelle  ;  Jésus  nous  déclare, 
avec  le  vieillard  Siméon^  qu'il  sera  un  signe  de  contradic- 
tion. Ses  récompenses  et  ses  châtiments  sont  les  récompenses 
et  les  châtiments  de  l'éternité. 

«  Jésus,  lisons-nous  encore,  annonçait  comme  imminente  la 
fin  du  monde^  l'apparition  du  Pilsde  l'homme,  la  résurrection 
et  le  jugement.  Ces  idées  étaient  généralement  reçues  chez  ses 
contemporains.  11  les  accepte  pour  en  faire  le  point  d'appui 
de  son  action,  ou,  pour  mieux  dire,  l'un  de  ses  points  d'ac- 
tion. » 

Sciemment  ou  non,  M.  Renan  confond  la  destruction  de  Jé- 
rusalem avec  la  fin  du  monde,  la  figure  avec  la  réalité,  la  fin 
d'une  ville  qui  avait  été  pour  longtemps  la  cité  de  Dieu  et  le 
trône  de  sa  gloire,  avec  la  catastrophe  qui  doit  venir  à  la  lin 
des  temps.  Il  ajoute  donc  :  «  Une  telle  doctrine,  prise  en  elle- 
même  d'une  façon  littérale,  n'avait  aucun  avenir.  Le  monde 
s'obstinant  à  durer,  la  faisait  crouler...  La  foi  de  la  première 
génération  s'explique,  mais  la  foi  de  la  seconde  génération  ne 
s'explique  plus.»  Ces  paroles  dénotent  autant  de  crédulité  que 
d'inconséquence.  La  foi  de  la  première  génération  ne  s'explique 
pas  saus  les  miracles  de  Jésus,  sans  cette  attitude  nouvelle  de  la 
nature  qui,  tout  entière,  plie  et  se  transforme  à  lavoixde  son 
maître.  M.  Renan,  qui  trouve  cette  foi  explicable  sans  ces  mi- 
racles, montre  ici  une  créduUté  qu'un  homme  du  peuple 
n'aurait  pas.  Mais  si  Jésus  a  prouvé  qu'il  était  l'envoyé  de 
Dieu,  il  était  impossible  que  les  événements  vinssent,  dans 
aucune  génération,  lui  donner  un  démenti. 

Et,  de  fait,  Jésus  prédit  la  ruine  de  Jérusalem  :  Jérusalem 
a  été  détruite.  Il  eu  indique  les  circonstances  :  ces  circon- 


25S  ÉTUDE   SUR    LA   VIE   DE   JÉSUS  [Tome  VIU. 

stances  se  sout  réalisées,  il  promet  que  cette  géuéraiion 
ne  passera  pas  sans  voir  ces  choses  ;  et  la  génération  qui 
entendit  Jésus,  pleura  sur  les  ruines  de  la  ville  déicide. 
Ainsi  la  seconde  génération,  qui  ne  vit  plus  les  miracles  de 
l'Homme-Dien,  vit  confirmer  sa  foi  par  l'accomplissement 
de  ses  prophéties.  De  même,  chaque  génération  voit  de  nou- 
velles preuves  s'ajouter  aux  preuves  anciennes  de  la  mis- 
sion de  Jésus.  Nous  voyons  son  royaume  continuer  sans  in- 
terruption; nous  voyons  son  Église  triompher  des  attaques 
de  l'enfer;  nous  voyons  prêcher  son  Évangile  dans  le  monde 
entier;  nous  voyons  ses  disciples  continuer  à  faire  des  mi- 
racles; nous  voyons  les  merveilles  de  la  sainteté  se  multiplier 
dans  l'Église,  et  à  la  vue  de  ces  choses  nous  nous  écrions  : 
«  Le  doigt  de  Dieu  est  ici.  »  Mais  M.  Renan  ne  voit  rien  de 
cela.  11  a  l'air  de  croire  réellement  que  Jésus  subit  d'abord 
l'influence  de  Juda  le  Gaulonite;  que  «  parfois  des  tentations 
étranges  traversèrent  son  esprit;  que,  ne  connaissant  pas 
la  force  de  l'empire  romain  ,  il  pouvait  espérer  que  son 
royaume  se  fonderait  par  l'audace  et  le  nombre  de  ses  parti- 
sans ;  que  plusieurs  fois  il  dut  se  demander  s'il  employerait 
la  force  ou  la  douceur,  la  révolte  ou  la  patience.  »  11  se  figure 
«  les  disciples  et  le  maître  attendant  à  chaque  instant  d'être 
transportés  dans  ce  jardin  délicieux  où  l'on  continuerait  à  ja- 
mais la  vie  charmante  que  l'on  menait  ici-bas.  »  Puis,  para- 
phrasant à  sa  manière  la  parole  de  cette  femme  qui  proclame 
le  bonheur  de  la  JNlère  de  Jésus,  il  ajoute  :  a  Heureux  qui 
a  pu  voir  de  ses  yeux  cette  éclosion  divine,  et  partager,  ne 
fut-ce  qu'un  jour,  cette  iUusion  sans  pareille.  Mais  plus  heu- 
reux encore,  nous  dirait  Jésus,  celui  qui,  dégagé  de  toute  il- 
lusion, reproduirait  en  lui-même  l'apparition  céleste,  et,  sans 
rêve  millénaire,  sans  paradis  chimérique,  sans  signes  dans  le 
ciel,  par  la  droiture  de  sa  volonté  et  la  poésie  de  son  âme, 
saurait  de  nouveau  créer  en  sou  cœur  le  vrai  royaume  de 
Dieu  (p.  194).  » 


Sept,  1863.]  Par  M.   RENAN.  259 

Donc,  le  vrai  royaume  de  Dieu  (3*  phase)  consiste  à  s'a- 
bandonner à  la  droiture  de  notre  volonté  et  à  la  poésie  de 
notre  cœur;  il  est  esseutiellemeut  le  «  royaume  de  l'esprit»; 
eu  d'autres  termes,  la  doctrine  de  Jésus  est  a  la  doctrine  du 
dédain  transcendant,  vraie  doctrine  de  la  liberté  des  âmes 
qui  seule  donne  la  paix.  »  Or  ce  dédain  doit  nous  affranchir  et 
du  pouvoir^civil  et  du  pouvoir  religieux. 

Le  dédain  transcendant  du  pouvoir  civil  est  cher  ù  M.  Re- 
nan tant  qu'il  ne  résulte  pas  de  la  nécessité  d'obéir  plutôt  à 
Dieu  qu'aux  hommes  ;  et  Jésus  lui  est  cher  pour  avoir  prati- 
qué ce  dédain.  c<  Jamais  il  ne  songea  à  se  révolter  contre  les 
Romains  et  les  Tétrarques.  »  Le  pouvoir  ne  doit  donc  pas 
prendre  ombrage  de  la  Vie  de  Jésus  ;  les  révolutionnaires  pas 
davantage,  car  «  sa  soumission  aux  pouvoirs  établis,  complète 
dans  la  forme,  était  dérisoire  au  fond.  »  Comme  notre  histo- 
rien est  ici  en  plein  rêve,  il  oublie  de  nous  renvoyer  comme 
d'habitude  à  un  texte  quelconque,  et  il  ne  voit  pas  combien  sa 
phrase  est  elle-même  dérisoire.  Voudrait-il  nous  dire  que 
Notre-Seigneur,  tout  en  se  soumettant  aux  lois  établies,  n'é- 
tait pas  obligé  de  s'y  soumettre,  parce  qu'il  est  le  Roi  des  rois 
et  le  Seigneur  des  seigneurs?  Dans  ce  cas,  son  expression  ne 
rend  guère  sa  pensée.  Mais,  comme  il  ne  voit  en  Jésus  qu'un 
pur  homme,  son  assertion  est  un  outrage  à  la  dignité  morale 
du  Sauveur,  en  même  temps  qu'un  blasphème  contre  sa  divi- 
nité. 

«  Jésus,  contiuue-t-il,  est  à  quelques  égards  un  anarchiste, 
car  il  n'a  aucune  idée  du  gouvernement  civil.  Ce  gouverne- 
ment lui  semble  purement  et  simplement  un  abus  (p.  127).  » 
M.  Renan  s'appuie,  sans  doute,  sur  cette  antithèse  de  Jésus  : 
«  Rendez  à  César  ce  qui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à 
Dieu.  »  Et  comme  pour  lui  Dieu  est  purement  et  simplement 
un  abus,  il  pense  que  César  était  aussi  un  abus  pour  Jésus. 
a  Tout  magistrat  lui  parait  un  ennemi  naturel  des  hommes  et 
de  Dieu  ;  il  annonce  à  ses  disciples  des  démêlés  avec  la  police 


2fiO  ÉTUDE   SUR  LA  VIE   DE   JÉSUS  Tome VIII- 

sans  songer  qu'il  veut  là  matière  à  rougir.  »  —Les  idées  se  suc- 
cèdent ici  comme  dans  un  rêve.  D'abord,  c'était  de  la  fantaisie 
pure;  puis  une  idée  quelconque  se  présente  avec  un  contour 
vague,  et  nous  ramène  insensiblement  au  souvenir  du  monde 
réel.  La  transition  de  la  fantaisie  pure  à  la  réalité  se  trouve 
ici  dans  l'idée  du  magistrat  que  certaines  réminiscences  d'é- 
cole présentent  à  M.  Renan  comme  ennemi  de  Dieu  et  des 
hommes.  Il  se  trouve  ainsi  ramené  aux  persécutions  de  tout 
genre  que  Jésus  annonçait  à  ses  disciples.  Mais  dans  cette 
prophétie  et  son  accomplissement  qui  nous  mettent  l'un  et 
l'autre  en  présence  de  trois  siècles  de  persécutions  sanglantes, 
suivis  de  quinze  autres  siècles  de  persécutions  plus  ou  moins 
déguisées,  il  ne  voit  que  des  démêlés  avec  la  police,  dont  il 
rougirait,  lui  !  Ah  !  que  l'on  tombe  vite  quand  ou  tombe  de 
haut.  Nous  n'avons  pas  lu  dans  l'histoire  des  martyrs  qu'un 
apostat  ait  jamais  invité  les  chrétiens  à  rougir  de  leurs 
démêlés  avec  la  police.  M.  Renan  est  le  premier;  il  a  inventé 
du  même  coup  et  la  chose  et  le  nom.  Il  va  plus  loin.  Quand 
il  s'agit  de  la  conscience,  il  ne  sacrifie  pas  seulement  avec 
bonheur,  sans  rougir,  sa  doctrine  du  dédain  transcendant 
sur  l'autel  du  pouvoir  civil;  mais  il  se  charge  lui-même 
de  dénoncer  à  ce  pouvoir,  non  point  le  gouvernement  de 
l'Église  et  sa  constitution,  non  point  le  dogme  catholique, 
mais  ce  que  la  morale  évangélique  a  de  plus  doux,  ce 
que  lui-même  appelle  des  «  accents  de  singulière  douceur, 
renversant  toutes  nos  idées,  »  l'amour  de  Jésus  comme  con- 
solation de  nos  souffrances  :  «  Un  grand  danger  résultait 
pour  l'avenir  de  cette  morale  exaltée,  exprimée  dans  un  lan- 
gage hyperbolique  et  d'une  effrayante  énergie.  A  force  de 
détacher  l'homme  de  la  terre,  on  brisait  sa  vie.  Le  chrétien 
sera  loué  d'être  mauvais  fils,  mauvais  patriote,  si  c'est  pour 
le  Christ  qu'il  résiste  à  son  père  et  combat  sa  patrie.  La  cité 
antique,  la  république- mère  de  tous,  l'Étal  loi  commune  de 
tous,  sont  constitués  eu  hostihlé  avec  le  royaume  de  Dieu.  » 
(P.  314.) 


Sept.  18G3.1  PAn  M.   RENAN.  261 

Il  ne  reste  donc  qu'un  seul  cas  où  la  soumission  au  pou.voir 
ne  doive  pas  être  dérisoire  au  fond,  celui  où  la  conscience  est 
engagée.  Alors  il  faudra  fouler  aux  pieds  le  cri  de  la  conscience, 
qui  pourtant  fait  seule  la  grandeur,  la  dignité,  la  liberté  de 
riiomme;  et  sous  peine  d'être  mauvais  fils,  sous  peine  d'être 
mauvais  patriote,  il  faudra  renoncer  au  cbristiasnismej  à  la 
vérité,  à  la  morale,  quand  l'État,  loi  commune  de  tous,  nous 
le  demandera.  En  dehors  de  là,  l'État  sera  un  abus  pure- 
ment et  simplement.  M.  Renan,  sous  le  pseudonyme  de  Jésus, 
n'ira  pas  se  révolter  contre  lui  ;  mais  il  pratiquera  la  théorie 
du  dédain  transcendant.  Il  ne  saura  rougir  que  d'une  seule 
chose,  d'avoir  des  démêlés  avec  la  police,  quand  la  loi  de 
l'État  lui  commandera  de  n'être  pas  chrétien  ! 

Ainsi  le  «  royaume  de  l'âme  »  fondé  par  Jésus  consiste  à 
être  afîranchi  vis-à-vis  de  l'État  de  toute  obligation  autre  que 
le  sacrifice  même  de  la  conscience.  L'affranchissement  vis-à-vis 
de  l'Église,  au  contraire,  sera  plein  et  entier,  et  le  vague  du 
rêve  fera  place  à  une  idée  fixe.  Il  ne  trouvera  ici  aucune  ma- 
tière à  rougir.  Jésus  est  tout  simplement  pour  lui  l'homme 
qui  a  aboli  la  loi  ancienne.  «  Si  quelquefois  il  usait  de  termes 
plus  discrets,  c'était  pour  ne  pas  choquer  trop  violemment  les 
préjugés  reçus.  » — Cependant  c'est  dans  les  /o^m  de  Matthieu, 
dans  le  sermon  de  la  montagne,  après  lequel  il  ne  fit  plus  que 
gâter  son  œuvre,  que  Jésus  disait  :  «Je  ne  suis  pas  venu  abolir 
la  loi,  mais  l'accomplir.  »  M.  Renan  veut  que  Jésus  Tait  abolie 
purement  et  simplement,  et  «  voilà,  dit-il,  voilà  dans  la  pra- 
tique son  acte  de  maître  et  de  créateur.  Jésus  est  révolution- 
naire au  plus  haut  degré  ;  il  appelle;tous  les  hommes  à  un  culte 
fondé  sur  la  seule  qualité  d'enfants  de  Dieu.  »  (P.  223,)  — Le 
culte  fondé  sur  la  foi  en  Jésus-Christ,  M.  Renan  ne  le  connaît 
pas  ;  le  culte  qui  exige  la  soumission  à  l'Église,  le  culte  qui 
nous  rend  enfants  de  Dieu  par  le  Baptême,  qui  nous  purifie 
par  les  mérites  du  Rédempteur,  qui  nous  donne  la  nourriture 
de  son  corps  et  le  breuvage  de  sou  sang,  ce  culte  n'est  pas  le 


202  ÉTUDE  SUR  LA   VIE  DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

culte  de  Jésus.  Si  Jésus  l'avait  fondé,  il  n'aurait  pas  fait  sou 
acte  de  maître  et  de  créateur! — ccMoise  est  dépassé,  le  temple 
n'a  plus  de  raison  d'être  et  est  irrévocablement  condamné,  » 
ce  qui  veut  dire  que  toute  religion,  que  tout  culte  autre  que  le 
culte  des  eufaîits  du  dieu  Renan  est  aboli  par  Jésus-Christ.  Celte 
pensée  ravit  M.  Renan,  et,  dans  son  transport,  il  est  bien  près 
de  vouloir  adorer  Jésus:  «  Le  jour  où  il  annonça  que  désor- 
mais Dieu  serait  adoré  en  esprit  et  en  vérité,  ce  jour-là  Jésus 
fut  véritablement  Fils  de  Dieu.  » 

Il  se  regarde  comme  le  prêtre,  l'apôtre  et  le  prophète  de  ce 
nouveau  culte.  «  Ce  jour-là  Jésus  fonda  le  culte  pur,  sans 
date,  sans  patrie,  celui  que  pratiqueraient  toutes  les  âmes  éle- 
vées jusqu'à  la  fin  des  temps.  Ce  fut  la  religion  absolue,  et  si 
d'autres  planètes  eut  des  habitants  doués  de  raison  et  de  mo- 
ralité, leur  religion  ne  peut  être  différente  de  celle  que  Jésus 
a  proclamée  près  du  puits  de  Jacob.  »  Mais  dans  son  enthou- 
siasme, notre  prophète  ne  s'oublie  pas  lui-même.  Cette  religion 
lui  devra  aussi  quelque  chose,  car  il  en  est  le  révélateur  comme 
Jésus  en  fut  l'auteur.  Les  hommes  n'ont  pas  compris  le  mot 
de  Jésus;  M.  Renan  le  leur  fera  comprendre,  et  son  œuvre 
sera  ainsi  plus  grande  que  celle  de  Jésus  :  «  Ce  mot  a  été  un 
éclair  dans  une  nuit  obscure  ;  il  a  fallu  di.K-huit  cents  ans 
pour  que  les  yeux  de  l'humanité  (notre  auteur  s'apercevant 
qu'il  est  contraire  aux  mœurs  oratoires  de  se  prendre  pour 
l'humanité,  se  corrige  entre  parenthèses  ;  Que  dis-je?  d'une 
portion  infiniment  petite  de  l'humanité),  s'y  soient  habitués. 
Mais  l'éclair  deviendra  le  plein  jour...»  par  le  ministère  de 
M.  Renan,  Ah  !  s'il  pouvait  comme  saint  Jean,  espérer  l'im- 
mortalité, quelle  reconnaissance  du  genre  humain  il  aurait 
en  perspective  !  Mais  qui  sait  s'il  ne  revivra  pas  un  jour  sur 
la  terre  ?  Car  lui  aussi  devient  apocalyptique  dans  sou  rêve. 
«  Qui  sait,  dit-il,  si  le  dernier  terme  du  progrès  dans  des 
millions  de  siècles  n'amènera  pas  la  conscience  absolue  de 
l'univers,  et  dans  cette  conscience  le  réveil  de  tout  ce  qui  a 


Sept.  1803]  l'AR  31.    RENAN.  263 

vécu  ?  Il  est  sûr  qu'un  jour  le  sentiment  de  l'honnête  pauvre 
homme  jugera  le  monde,  et  que,  ce  jour-là,  la  figure  idéale  de 
Jésus  sera  la  confusion  de  l'homme  frivole  qui  n'a  pas  cru  à 
la  vertu,  de  l'homme  égoïste  qui  n'a  pas  su  y  atteindre.  » 
(P.  288.) 

Le  jour  de  cette  palingénésie  universelle^  M.  Renan  par- 
tagera la  gloire  de  Jésus  qui,  «  en  nos  jours  troublés,  n'a  pas 
de  plus  authentiques  continuateurs  que  ceux  qui  semblent  le 
répudier.  »  (P.  287.)  Il  se  considère  dans  cette  gloire  comme 
le  point  de  mire  de  la  conscience  universelle  réveillée  ! 

Ici  se  termine  sa  vision.  Qu'il  se  console,  tout  n'y  est  pas 
fantastique;  Jésus-Christ  est  dès  aujourd'hui  le  point  de  mire 
d'un  grand  nombre,  et  le  nouvel  évangéUste  contribuera,,  nous 
l'espérons,  au  réveil  du  genre  humain, qui  se  groupera  autour 
de  notre  divin  maître  en  rangs  d'autant  plus  serrés  que  l'im- 
pudence de  ses  ennemis  monte  davantage. 

§  Vil.  —  M.  Renan  et  la  personne  de  Jésus. 

Le  cœur  nous  manque  pour  insister  sur  ce  dernier  point  de 
l'œuvre  de  M.  Renan.  Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de^relever 
bien  des  impiétés,  quantité  de  sottises,  d'innombrables  blas- 
phèmes; mais  ce  qui  nous  reste  à  dire  est  plus  triste  encore  » 
s'il  est  possible  de  trouver  quelque  chose  de  plus  triste.  Nous 
disions,  en  commençant  cette  étude,  que  le  livre  de  M.  Renan 
n'est  devenu  possible  que  par  l'étrange  maladie  intellectuelle 
qui  a  pris  le  nom  de  philosophie  hégélienne.  Bien  des  fois  nos 
lecteurs  auront  trouvé  cette]  origine  insuffisante  pour  un  tel 
produit.  Il  ne  suffit  pas,  pour  faire  un  livre  comme  celui-ci, 
d'avoir  abdiqué  la  raison,  il  ne  suffit  même  pas  d'avoir  étouffé 
en  soi  tont  ce  qui  fait  l'homme  :  le  cœur,  les  affections,  la  noble 
faculté  de  percevoir  le  vrai,  d'aimer  le  beau,  de  respecter  ce 
qui  est  grand,  d'adorer  ce  qui  est  'adorable  ;  il  faut  ressentir 
une  de  ces  haines  contre  Dieu  et  son  Christ,  qui  d'ordinaire 


264  ÉTUDE   SUR   LA  VIE   DE   JÉSUS  [Toni.  VIII. 

ne  se  rencontrent  pas  dans  des  cœurs  d'hommes  ;  il  faut  être 
arrivé  dans  sa  chute  bien  près  de  cehii  dont  la  volonté  ne 
respire  que  la  haine  pour  avoir  méprisé  Tamour.  Saint  François 
de  Saies  disait  :  «  Si  je  savais  qu'il  y  eîit  dans  mon  cœur  une 
fibre  qui  ne  fût  pas  pour  Dieu,  je  Ten  arracherais  aussitôt.  » 
M.  Renaa  semble  avoir  fait  le  serment  contraire,  et  pour  em- 
pêcher Dieu  de  rentrer  dans  son  âme,  il  s'efforce  de  chasser 
Jésus  du  cœur  des  autres,  et  de  détruire,  jusqu'au  dernier, 
tous  les  liens  qui  nous  attachent  au  Sauveur.  Suivons-le 
dans  les  sentiers  ténébreux  où  il  conduit  ses  lecteurs  ;  mais 
signons-nous  d'abord  pour  lui  opposer  d'avance  une  énergique 
protestation,  et  répondons  à  chacun  de  ses  blasphèmes  par  un 
acte  d'adoration. 

Il  s'attaque  d'abord  à  sa  Mère  pour  lui  ravir  la  gloire  de  sa 
virginité  en  même  temps  que  celle  de  sa  maternité  divine,  et 
il  ose  écrire  :  «  La  famille  de  Jésus,  qu'elle  provînt  d'un  ou  de 
plusieurs  mariages,  était  assez  nombreuse.  »  L'annonciatiou 
de  l'ange,  la  virginité  de  Marie,  son  incomparable  sainteté, 
tout  cela  n'existe  pas  pour  M.  Renan.  Mais,  par  une  juste  pu- 
nition, il  est  obligé  d'avouer  que  la  preuve  qu'il  donne  de  son 
assertion  est  nulle,  et  de  se  réfuter  lui-même  dans  une  note 
placée  au  bas  de  la  page.  Il  y  nomme  les  personnages  qui  sont 
cités  dans  l'Écriture  comme  «  frères  de  Jésus,  »  puis,  dans  la 
phrase  même  où,  mettant  en  oubli  l'élasticité  qu'a  le  mot  «  frère  » 
dans  l'hébreu,  il  les  appelle  «  fils  de  Marie,  mère  de  Jésus,  » 
il  reconnaît  qu'ils  sont  les  fils  d'une  autre  Marie,  parente  de 
la  sainte  Vierge  et  de  Cléophas,  et  qu'ils  étaient  les  cousins  et 
non  les  frères  de  Jésus.  (P.  24.)  Alors  il  se  rabat  sur  l'hypo- 
thèse que  l'évangéliste,  entendant  appeler  ces  quatre  fils  de 
Cléophas  frères  du  Seigneur,  aura  mis  par  erreur  leurs  noms 
à  la  place  du  nom  des  vrais  frères  restés  toujours  obscurs.  » 
(P.  25  en  note.)  Nous  ne  voyons  pas  d'où  M.  Renan  conjecture 
l'existence  de  ces  autres  frères.  Il  ne  s'en  trouve  rien  dans  les 
évangiles,  rien  dans  la  tradition,  mais  l'Évangile  et  la  tradition 


i 


Août  1P63.!  PAR    M.   RENAN.  265 

sont  unanimes  à  proclamer  la  virginité  de  Marie,  et  c'est  dans 
le  Symbole  même  des  Apôtres,  que  nous  proclamons  que  Jésus 
est  né  de  la  Vierge  Marie. 

11  poursuit  le  Sauveur  dans  les  années  de  sa  jeunesse  et  de 
sa  vie  cachée,  et  nous  raconte  la  formation  de  Jésus  avec 
des  réminiscences  empruntées  de  je  ne  sais  où.  Il  nous  décrit 
les  paysages  de  Nazareth  en  ajoutant  :  «  Tel  fut  l'horizon  de 
Jésus.  »  Il  entend  par  là  et  l'horizon  physique  et  l'horizon 
spirituel,  car  il  admet  que  Jésus  s'y  est  formé  à  l'école  de  la 
nature,  que  ses  pensées,  ses  affections,  sa  mission,  tout  lui 
était  inspiré  par  le  paysage  qu'il  avait  sous  les  yeux  : 
«  Cette  nature  à  la  fois  riante  et  grandiose  fut  toute  l'édu- 
cation de  Jésus,  et  si  jamais  le  monde  veut  remplacer  par 
d'authentiques  lieux  saints  les  sanctuaires  apocryphes  et  mes- 
quins où  s'attachait  la  piété  des  âges  grossiers,  c'est  sur  cette 
hauteur  de  Nazareth  qu'il  bâtira  son  temple.»  Loin  donc  der- 
rière nous  ces  âges  grossiers,  parmi  lesquels  le  nôtre  a  repris 
son  rang  si  notable,  où  la  piété  s'attachait  à  des  sanctuaires 
apocryphes  et  mesquins  !  M.  Renan  n'est  ni  de  notre  âge,  ni 
d'aucun  âge  grossier.  Il  est  à  la  fois  plus  délicat  et  plus  noble, 
car  il  méprise  cette  piété  mesquine  qui  honore  les  lieux  où 
le  Dieu-Homme  est  mort,  a  été  enseveli,  est  ressuscité  des 
morts,  est  monté  au  ciel!  Cum  in profundum  venerit,  contemnit. 
Loin  encore  derrière  lui  le  zèle  de  l'apostat  Julien  qui  faisait 
à  Jésus  rhonneur  de  lutter  contre  lui  et  de  lui  donner  un  dé- 
menti. M.  Renan  fera  mieux  que  de  rebâtir  le  temple  de  Jé- 
rusalem contre  Jésus  ;  il  bâtira  en  l'honneur  de  Jésus  le 
temple  maçonnique  sur  la  colhne  de  Nazareth.  Mais  le  second 
mépris  n'est  pas  plus  outrageant  que  le  premier  :  Cum  in  pro- 
fundum venerit,  contemnit. 

11  trouve  Jésus  fort  ignorant,  mais  il  ne  l'en  estime  pas 
moins.  «  Dans  cet  état  social,  dit-il,  l'ignorance,  qui  chez  nous 
condamne  l'homme  à  un  rang  inférieur,  est  la  condition  des 
grandes  choses  et  de  la  grande  originahté.»  Cette  glorification 


266  ÉTUDE   SUR   LA    VIE   DE  JÉSUS.  [Tome  Mil. 

de  l'ignorance  n'est  pas  un  oubli  de  M.  Renan  qui  dit  ailleurs 
que  la  nature  obéissait  à  Jésus,  parce  qu'il  ignorait  l'existence 
des  lois  de  la  nature.  Il  éuumère  donc  longuement  ce  que  Jé- 
sus ignorait,  et  ce  que  lui  Renan  sait  fort  bien.  Et  quand  l'É- 
vangile nous  raconte  que  l'Enfant  croissait  en  sagesse  et  en 
grâce  devant  Dieu  et  devant  les  hommes;  el  quand  l'Évangé- 
liste  nous  le  montre,  à  l^âgc  de  douze  ans,  interrogeant  les 
docteurs  de  la  loi  et  les  étonnant  par  ses  réponses,  M.  Renan 
répond  par  un  seul  mot  :  «  Tout  cela  est  la  légende  de  Jésus  ; 
Jésus  était  ignorant,  et  cette  ignorance  était  la  condition  de 
sa  grandeur,  a 

Il  se  complaît  dans  cette  énumération  des  choses  que  Jésus 
ignorait.  Tout  au  plus  daigne-t-il  admettre  que  Jésus  connais- 
sait quelques  livres  de  TAncien-Testament,  surtout  les  livres 
apocryphes,  et  qu'il  faisait  des  psaumes  la  nourriture  de  son  âme 
lyrique.  Mais,  du  reste,  Jésus  était  étranger  au  grec,  étranger 
à  la  scolastique  de  Jérusalem.  Il  n'eut  aucune  idée  précise  de 
la  puissance  romaine  ;  il  appelait  quelque  insipide  rue  de  Ri- 
voli de  Sébaste  «  les  royaumes  du  monde  et  toute  leur  gloire.  » 
■\L  Renan  lui  trouve  même  si  peude  sens  supérieur,  que  lorsque 
plus  tard  il  fit  une  course  du  côté  de  Tyr  et  de  Sidon  o  les 
séductions  des  cultes  naturalistes,  qui  enivraient  les  races 
plus  sensitives,  le  laissèrent  froid.  »  !!! 

Eh  oui!  il  ne  fut  pas  enivré  d'admiration  pour  ce  Pan,  ces 
nymphes,  etc.,  que  M.  Renan  ose  énumérer  ici,  et,  grâce  à  lui, 
nous  ne  le  sommes  point  non  plus.  C'est  lui  qui  nous  a  appris 
à  mépriser  ce  que  les  hommes  adoraient  sous  Tempire  du  dé- 
mon, et  c'est  lui-même  que  nous  adorons  comme  Roi  éternel 
des  siècles,  notre  Créateur  et  notre  Sauveur.  Mais  il  ne  fut 
point  insensible  à  ce  spectacle  de  l'idolâtrie  qu  'il  ressentait 
douloureusement  dans  les  profondeurs  de  son  âme.  Lui  qui 
était  venu  guérir  toutes  nos  plaies,  nous  consoler  de  tous  nos 
maux,  il  déplora  souverainement  cette  profanation  de  la  gloire 
de  son  Père  que  les  hommes  prostituaient  aux  idoles  ;  il  donna 


Sepi.  ISG3.)  PAR   IH.    HENAN.  2G7 

sa  vie  pour  expier  ce?  péchés,  et  pour  contraindre  les  hommes, 
par  la  violence  de  son  amour,  à  ne  plus  aimer  que  Lui  et  son 
Père  qui  est  dans  le  ciel. 

L'ignorance  de  Jésus!  On  est  stupéfait  devant  le  rappro- 
chement de  ce  mot  et  de  ce  nom.  Qu'on  nous  parle  de  l'obscu- 
rité du  soleil  et  l'on  fera  preuve  d\Tberjation  mentale^  parce 
que  le  soleil  est  le  foyer  de  la  lumière  et  le  foyer  de  la  chaleur. 
Otez  le  soleil  de  ce  monde  et  vous  en  ôtez  la  lumière,  vous  eu 
ôtez  la  chaleur,  vous  enlevez  la  vie;  la  terre  ne  sera  plus 
qu'un  vaste  cimetière  où  tout  sera  enterré,  plantes,  animaux 
et  hommes.  Plus  encore  que  le  soleil  matériel  pour  le  monde 
matériel,  Jésus  est  la  source  de  la  lumière,  le  foyer  de  l'a- 
mour, la  racine  de  la  vie  pour  l'intelligence,  et  si  le  monde 
depuis  Jésus-Christ  ne  ressemble  pas  au  monde  d'avant  lui,  si 
l'on  y  pratique  des  vertus  dont  autrefois  on  ne  connaissait 
même  pas  le  nom,  si  les  intelligences  sont  affranchies  du  joug 
honteux  du  paganisme,  si  les  cœurs  ont  été  purifiés  et  ont 
appris  à  s'élever,  c'est  par  Jésus  et  par  la  lumière  de  Jésus. 
Seul  il  est  lumière,  il  est  amour,  et  tous  les  jours  se  véiufie 
pour  ceux  qui  écoutent  sa  parole,  qu'il  est  la  voie,  la  vérité  et 
la  vie  ! 

Sans  doute,  Jésus  n'est  point  venu  nous  enseigner  la  phy- 
sique, la  chimie,  ni  les  langues  orientales  ;  Lui  qui  connaît 
les  lois  de  la  nature,  non  comme  nous  les  connaissons,  mais  à 
la  manière  de  Celui  qui  les  a  créées  et  qui  les  tient  en  sa  main; 
Lui  qui  connaît  la  pensée  de  l'homme  dans  quelque  profondeur 
qu'elle  se  cache,  et  quelque  idiome  qu'elle  revête,  il  n'est  venu 
nous  enseigner  que  l'unique  nécessaire.  Il  est  venu  pour 
rétablir  l'ordre  surnaturel  troublé  par  le  péché  ;  11  est  venu 
pour  que  nous  ayons  la  vie,  et  pour  que  nous  l'ayons  d'une 
manière  plus  abondante  qu'à  l'origine  ;  il  est  venu  nous  révé- 
ler les  mystères  de  l'éternité,  cachés  dans  le  sein  de  son  Père, 
et  nous  montrer  la  voie  pour  retourner  à  lui,  en  même  temps 
qu'il  nous  en  donnait  les  moyens.  Voilà  la  lumière  qu'il  est 


268  ÉTUDE    SUR  LA   VIE  DE  JÉSUS  [Tome  VIII. 

veuu  nous  apporter,  et  cette  lumière  il  nous  la  donne  aussi 
vive  que  la  vie  qu'il  nous  communique  est  abondante. 

De  belles  et  sublimes  pages,  sans  doute,  ont  été  écrites  sur 
l'Evangile,  mais  toutes  sont  pâles  pour  en  exprimer  la  gran- 
deur, la  beauté,  la  sublimité.  Ni  l'éloquence  humaine  n'est 
assez  puissante,  ni  la  poésie  assez  lumineuse  pour  parler  di- 
gnement des  enseignements  de  Jésus  ;  l'esprit  de  l'homme  ne 
peut  en  comprendre  toutes  les  splendeurs,  ni  son  cœur 
en  goûter  toute  la  vérité,  toute  la  suavité  et  toute  la  beauté. 
Ceux  qui  sont  les  plus  grands  dans  le  monde  des  intelligences 
s'en  sont  nourris  non  moins  que  les  plus  humbles,  et  l'esprit 
de  l'homme  grandit  d'autant  plus  dans  la  lumière,  le  cœur 
d'autant  plus  dans  la  sainteté,  que  nous  pénétrons  davantage 
les  enseignements  de  Jésus.  Et  M.  Renan  vient  nous  dire  que 
Jésus  était  ignorant,  et  qu'il  ne  fut  pas  «enivré  de  polythéisme, 
parce  que  le  monothéisme  enlève  toute  aptitude  à  comprendre 
les  religions  païennes  (p.  147)  »  !!! 

Tous  les  genres  de  honte  devaient  donc  être  réunis  dans  ce 
volume.  Hélas!  oui,  ils  le  sont  tous;  et  le  membre  de  T'Institut 
qui  enseigne  au  collège  de  France,  a  trouvé  moyen  d'en  en- 
tasser plus  encore  que  nous  n^en  avons  énuméré  jusqu'ici.  Ce 
n'est  point  la  science  seulement  de  Jésus  qu'il  trouve  en  dé- 
faut. Il  prononce  (p.  266)  les  mots  «  d'illusion  et  de  folie  ». 
Il  parle  «  d'hallucination,  d'imagination,  de  chimères  ».  Il  va 
plus  loin  encore,  et  après  avoir  écrit  le  mot  «  enthousiaste 
égaré»,  il  dit  (p.  318)  que  Jésus  «n'était  plus  libre,  qu'il  avait 
le  vertige  ;  »  et  il  écrit  encore  une  fois  (p.  326)  le  mot  «  folie,  » 
qu'il  avait  déjà  écrit  à  propos  de  miracles. 

Il  y  a  tout  un  chapitre  là-dessus  sans  compter  les  passages 
isolés  qu'on  retrouve  à  peu  près  dans  tous  les  chapitres.  Le 
chapitre  XIX  a  pour  titre  :  P rogression  croissante  d' enthousiasme 
et  d'exaltation. 

Nous  serions  en  droit  de  demander  où  se  trouve  une  pro- 
gression d'exaltation,  et  si  M.  Benau  «  est  encore  à  lui  »,  en 


eFfl8C3.]  PAR  M.  RENAN.  26'.> 

écrivant  ces  choses? Car  elles  dénotent  une  véritable  fureur. 
Les  hallucinations  cèdent  d'ordinaire  à  l'image  de  la  douceur 
et  de  la  paix.  M.  Renan  lui-même  prétendait  que  Jésus  gué- 
rissait les  maladies  par  le  charme  infini  de  sa  personne,  la 
douceur  de  sa  parole,  la  suavité  de  ses  relations;  et  ce  charme 
qu'il  reconnaît  avoir  été  exercé  par  le  Sauveur  même  sur  des 
personnes  atteintes,  selon  lui,  de  maladies  nerveuses,  ce 
charme,  M.  Renan  ne  le  subit  point.  Pour  lui  le  Sauveur  est 
atteint,  et  ramassant  les  plus  mauvais  propos  que  lui  adres- 
saient les  Pharisiens  dans  leurs  plus  mauvais  jours,  il  lui  jette 
ce  mot  :  Dsemonium  habes. 

Une  des  plus  belles  paroles  du  Sauveur  est  sans  doute 
celle-ci  :  «  Je  vous  laisse  ma  paix,  je  vous  donne  ma  paix,  et 
la  paix  que  je  vous  donne  n'est  pas  la  paix  que  le  monde 
donne.  »  Depuis  que  le  Sauveur  a  prononcé  cette  parole,  il  ne 
s'est  point  passé  un  jour  sur  la  terre  sans  qu'elle  'se  soit 
réalisée.  C'est  auprès  de  Jésus  que  nous  trouvons  la  paix  de 
nos  âmes,  c'est  au  pied  de  ses  autels  que  se  calme  la  fièvre  de 
notre  esprit^  que  s'apaisent  les  orages  de  notre  cœur.  Sans 
avoir  jamais  eu  le  bonheur  de  le  contempler  de  nos  yeux,  sans 
avoir  jamais  oui  le  son  de  sa  voix,  il  nous  suffit  d'évoquer 
devant  notre  âme  l'image  de  sa  vie,  telle  qu'elle  nous  est 
racontée  dans  l'Évangile,  pour  être  transportés  dans  une  ré- 
gion toute  céleste  de  paix,  de  calme,  ovi  nous  sentons  le  rayon- 
nement de  l'infiuence  divine.  Si  nous  écrivions  pour  M.  Renan, 
c'est  à  lui-même  que  nous  en  appellerions,  et  nous  serions 
sûrs  de  trouver  dans  l'histoire  de  sa  vie  une  confirmation  de 
ce  que  nous  écrivons  ici.  On  n'approche  pas  du  sanctuaire 
aussi  près  qu'il  s'en  est  approché  autrefois,  sans  y  ressentir 
quelque  chose  de  ce  charme  qui  s'appelle  la  joie  et  la  paix 
dans  le  Saint-Esprit;  et  uousluidemanderions  quelles  étranges 
inûuences  il  dû  subir  pour  découvrir  aujourd'hui  de  la  folie, 
de  liliusion,  et  autre  chose  de  celte  nature  dans  la  figure  vi- 
vante de  ce  Jésus  dont  la  présence  sacramentelle,  dont  le 
simple  souvenir  respire  une  paix  si  profonde. 


270  ÉriDE    SUU    LA    VIE   DE   JÉ;US  [Tome  VIII 

La  raison  de  ce  blasphème,  il  ne  s'en  cache  pas^  est  dans 
l'enseignement  surnaturel  de  Jésus,  dans  cet  enseignement 
dont  nous  avons  trouvé  chez  lui  la  négation  si  absolue.  C'est 
donc  un  nouveau  démenti  qu'il  se  donne  à  lui-même  après  tant 
d'aulres.  Car  il  a  nié  que  Jésus  ait  donné  une  doctrine  surna- 
turelle, et  c'est  en  présence  de  cette  doctrine  qu'il  le  traite 
d'halluciné  et  de  fou  ;  il  a  nié  que  Jésus  se  soit  dit  une  incar- 
nation divine,  et  il  affirme  que  «  son  idée  de  Fils  de  Dieu  se 
troublait  et  s'exagérait.  »  11  a  nié  que  Jésus  eût  fondé  une 
église,  et  il  avoue  que  Jésus  voulait  absolument  que  les  apôtres 
fussent  honorés  et  obéis  comme  lui-même.  Il  a  prétendu  que 
Jésus  était  venu  fonder  la  religion  naturelle,  la  religion  de 
l'esprit  pur,  et  il  avoue  que  son  œuvre  «  n'est  pas  une  œuvre 
de  raison,  et  qu'elle  se  joue  de  toutes  les  classifications  de  l'es- 
prit humain.  »  lia  ditque  Jésus  était  trop  ignorant  pour  savoir 
la  valeur  de  sa  doctrine,  et  ailleurs  il  avoue  que  la  grandeur 
de  ses  vues  sur  l'avenir  était  par  moments  surprenante.  Nous 
pourrions  continuer  l'énumération  de  ces  contradictions  dans 
lesquelles  il  faut  se  jouer  si  l'on  veut  nous  donner  une  vue  de 
Jésus  autre  que  celle  des  Évangiles.  Mais  ce  n'est  point  la 
dernière  étape  de  M.  Renan.  Il  va  plus  loin  qu'on  n'est  jamais 
allé,  si  loin  que  certainement  on  n'ira  jamais  plus  loin. 

A  mesure  qu'il  avance  dans  son  livre,  il  sent  augmenter 
l'embarras  que  lui  cause  son  rôle,  et  la  haine  que  lui  inspire  la 
personne  du  Sauveur.  Il  veut  en  finir  avec  Lui,  et  après  s'être 
rangé  avec  ceux  quipersécutèrent  et  insultèrent  Jésus  pendant 
sa  vie,  il  se  prépare  à  jusiifier  ceux  qui  lui  donnèrent  la 
mort.  Il  commence  donc  à  le  trouver  impossible.  «  Le  ton  qu'il 
avait  pris  ne  pouvait  être  soutenu  plus  de  quelques  mois  ;  il 
était  temps  que  la  mort  vint  dénouer  une  situation  tendue  à 
l'excès,  l'enlever  aux  impossibilités  d'une  vie  sans  issue,  et,  en 
le  délivrant  d'une  épreuve  trop  prolongée,  l'introduire  désor- 
mais impeccable  dans  sa  céleste  sérénité!  »  Si  M.  Renan  avait 
CTi  à  prononcer  le  jugement  sur  Jésus,  il  no  l'aurait  pas  envové 


Sept.  1803.1  PAR  M.   RENAN-  271 

à  la  mort:  il  se  serait  borné  à  lui  imprimer  la  triple  flétrissure 
d'ignorance,  d'illusion  et  de  folie.  Mais  les  Juifs  étant  allés 
plus  loin,  M.  Renan  se  constitue  leur  avocat  officieux;  il  fait 
du  même  coup  un  réquisitoire  contre  Jésus  et  un  plaidoyer 
en  faveur  des  Juifs,  en  faveur  de  Pilate,  en  l'honneur  de 
Judas  ! 

Il  ne  sera  point  embarrassé  !  Il  n'ira  point  comme  Judas, 
dans  l'ombre,  le  cœur  inquiet,  la  voix  tremblante,  tendre  une 
main  timide  en  disant:  Que  voulez-vous  me  donner  et  je  vous 
le  livrerai?  Il  n'ira  point  comme  les  Pharisiens  lui  reprocher 
simplement  de  s'être  dit  Fils  de  Dieu,  et  suborner  de  faux 
témoins  ;  il  n'ira  point  comme  Pilate  signer  à  contre-cœur  une 
sentence,  la  plus  coupable  qui  ait  jamais  été  signée  depuis  la 
création  du  monde.  Il  a  plus  d'audace,  plus  de  perfidie,  plus 
de  saug-froid  que  tous  ces  hommes.  Il  saura  produire  de  nou- 
velles accusations,  et  rendre  un  jugement  bien  autrement  mo- 
tivé. 

Il  souille  d'abord  le  caractère  du  Sauveur,  disant  de  lui  qu'il 
aimait  la  table,  où  du  reste  il  le  trouve  gai  et  charmant,  sans 
compter  ces  autres  blasphèmes  que  nous  lui  avons  vu  déterrer 
dans  l'évangile  de  Marcion,  et  qu'il  insinue  à  plusieurs  repri- 
ses. Ensuite,  il  nous  présente  le  Sauveur  pleinde  méchanceté, 
avec  «  un  tempérammeul  excessivement  passionné,  qui  le  por 
tait  à  chaque  instant  hors  des  bornes  de  la  nature  humaine 
(p.  318).  »  Il  lui  reproche  de  s'être  a  laissé  entraîner  par  la 
passion  aux  plus  vives  invectives  (p.  325),  »  et  félicite  Jésus  de 
n'avoir  «  rencontré  aucune  loi  qui  punît  l'outrage  envers  une 
classe  de  citoyens  ou  l'exercice  illégal  de  la  médecine  (p.  457j.» 
Il  rendra  hommage  en  passant  aux  a  traits  incomparables, 
traits  dignes  d'un  fils  de  Dieu  »  qu'il  lançait  contre  les  phari- 
siens ;  mais,  ajoutera-t-il,  il  était  juste  que  ce  grand  maître 
en  ironie  payât  de  la  vie  son  triomphe  (p.  334). 

Ce  ne  sont  là  cependant  que  les  accessoires  do  cet  étrange 
plaidoyer.  Il  y  a  des  choses  plus  graves  :  à  chaque  page  il 


272  ÉTUDE   SLR  LA  VIE   DE   JÉSUS  [Tome  VIII. 

proclame  Jésus  un  rm/)os/em'/  Nous  l'avouons,  quoique  tous 
nos  sentiments  de  chrétien  et  de  prêtre  se  révoltent  ici  en  nous 
avec  une  vigueur  que  nous  n'avons  jamais  connue,  nous  ne 
regrettons  pas  que  M.  Renan  en  arrive  à  cette  extrémité.  Il 
devait  en  venir  là,  il  y  est  venu,  il  y  restera;  et  si  dans  les 
siècles  futurs  on  parle  encore  de  lui,  on  dira  :  C'est  l'homme 
qui  a  proclamé  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  un  imposteur  ! 
Ce  stigmate  restera  éternellement  accolé  à  son  nom,  et  «  cette 
tunique  de  Nessus,  non  du  ridicule,  mais  de  l'odieux,  que  le 
juif  fils  d'une  nation  déicide  traîne  en  lambeaux  après  lui 
depuis  plusieurs  siècles,  »  il  la  traînera,  lui,  mais  d'une  ma- 
nière plus  ignominieuse.  Car  de  même  que  Judas  est  stigma- 
tisé plus  profondément  parce  qu'il  a  été  l'apôtre  du  Sauveur, 
de  même  on  dira  :  M.  Renan,  l'ex-séminariste  ! 

Indiquons  quelques  passages  :  «  Jésus  ne  se  croyait  pas  fils 
de  David,  il  se  laissa  donner  ce  titre,  et  finit  ce  semble  par  y 
prendre  plaisir  (238) .  ...  Le  besoin  que  Jésus  avait  de  se  donner 
du  crédit  entassait  les  notions  contradictoires  (p.  251).  ...  Bonne 
foi  et  imposture  sont  des  mots  qui.  dans  notre  conscience  ri- 
gide, s'opposent  comme  des  termes  inconciliables...  La  vérité 
matérielle  a  très-peu  de  prix  pour  l'oriental.  ...  L'histoire  est 
impossible  si  Ton  n'admet  hautement  qu'il  y  a  pour  la  sincé- 
rité plusieurs  mesures  (1)...  Il  nous  est  facile  à  nous  autres, 
d'appeler  cela  mensonge  (p.  233)...  Il  accepte  les  utopies  de 
son  temps  et  de  sa  race  (p.  28i).  11  recherche  les  malentendus 
et  les  proclame  à  dessein  »...  Presque  à  chaque  page  de  son 
livre,  nous  retrouvons  cette  même  pensée  plus  ou  moin?  claire- 
ment insinuée. 

Cela  ne  lui  suffit  point,  et  au  moment  où,  en  mémoire  de 
y  ave  rabbi  il  proclame  qu'en  Jésus  s'est  condensé  tout  ce  qu'il 


[\]  Eq  nous  déclarant  qu'il  y  a  pour  la  sincérilé  plusieurs  mesures, 
a  (lil  excellcmraenl  M.  de  Montaiemberl,  M.  lienan  nous  doDoela  me- 
sure ne  la  sieane. 


Su-pt-  1863.]  PAR  M.    RENAN.  273 

y  a  de  bon  et  d'élevé  dans  notre  nature,  il  nous  le  montre  en 
lutte  avec  ses  passions,  tenté  par  le  Satan  qu'il  portait  dans 
son  cœur,  puis  il  ajoute  que  beaucoup  de  ses  fautes  ont  été 
dissimulées  (p.  458). 

Ainsi  la  mort  de  Jésus  était  méritée  ;  car,  sans  compter  les 
contraventions  à  nos  lois  de  police  modernes,  il  était  coupable 
de  violences  excessives,  de  la  plus  haute  imposture  qu'il  y  ait 
jamais  eu  dans  le  monde,  et  de  plusieurs  autres  fautes  qui 
ont  été  dissimulées.  Cependant  il  aurait  pu  se  sauver  avec 
moins  d'opiniâtreté,  mais  «  il  se  perdit  cette  fois  par  la  grande 
équivoque  qui  avait  fait  sa  force,  et  qui  après  sa  mort  devait 
constituer  sa  royauté.  » 

Jésus  condamné,  il  reste  à  acquitter  ceux  qui  ont  été  les  in- 
struments de  sa  mort. 

La  conscience  publique  a  flétri  jusqu'ici  d'une  flétrissure 
d'exécration  les  noms  de  Judas  Iscariotb  et  de  Ponce  Pilate. 
M.  Renan  les  lave  l'un  et  l'autre  ;  il  «  croit  que  les  malédic- 
tions dont  on  charge  Judas  de  Kerioth  ont  quelque  chose  d'in- 
juste. Il  y  eut  peut-être  dons  son  fait  plus  de  maladresse  que 
de  perversité  (p.  382).  »  Quant  à  Pilate,  il  essaya  de  tous  les 
moyens  pour  sauver  Jésus,  mais  dans  l'aliernative  de  pronon- 
cer un  jugement  inique  ou  d'encourir  la  disgrâce  de  son 
maître,  «  il  ne  pouvait  guère  faire  que  ce  qu  il  fît  {p.  410).  » 
«  Ce  ne  furent  doue  ni  Tibère  ni  Pilate  qui  condamnèrent  Jésus. 
Ce  fut  le  vieux  parti  juif,  ce  fut  la  loi  mosaïque.  »  Cependant 
le  caractère  essentiel  de  cette  loi  était  de  préparer  la  venue  du 
Messie.  C'est  au  peuple  gouverné  par  elle  que  Dieu  envoya 
d'abord  ses  prophètes,  puis  son  Fils  unique.  Les  Pharisiens  la 
retournèrent  directement  contre  son  but.  Ils  demandèrent  à 
grands  cris  la  mort  de  Jésus  au  nom  même  de  la  loi  qui  devait 
les  mener  à  lui.  Crime  impardonnable  qui,  après  dix-huit 
siècles,  pèse  encore  sur  leurs  descendants.  M.  Renan  les  en 
absout  et  requiort  en  même  temps  contre  la  loi  qu'ils  ont 
violée.  R  l'accuse  d'être  «  détestable,  d'être  la  loi  de  la  férocité 

REVUIC  des  sciences  ECCLÉSTASTIQnES,  T.   Vltl.  IB-'iQ 


274  ÉTUDE   SUR   LA  VIE  DE  JÉSUS  [TomeVIIL 

antique^  »  puis  il  ajoute  que  «  le  héros  qui  s'offrait  pour  l'a- 
broger devait  avant  tout  la  subir  (p.  412).  »  S'il  était  capable 
de  fanatisme,  s'il  croyait  à  Tautorité  de  la  loi,  il  crierait  comme 
les  Juifs  :  «  Que  son  saug  retombe  sur  nous  !  »  Mais  comme  il 
n'est  aucunement  juif,  il  ira  du  même  coup  et  condamner  Jé- 
sus au  nom  de  leur  loi,  et  requérir  contre  cette  loi  qui  lui  est 
superflue,  }»arce  qu'il  a  trouvé  en  dehors  d'elle  de  quoi  justifier 
ce  jugement. 

On  raconte  que  l'empereur  romain  Caracalla,  de  triste  mé- 
moire, regretta  un  jour  que  le  genre  humain  n'eût  pas  une 
seule  tète,  afin  de  pouvoir  la  couper  d'un  seul  coup.  M.Renan 
termine  son  réquisitoire  contre  le  Sauveurpar  l'expression  d'un 
sentiment  analogue.  Jésus  est  placé  au  point  de  jonction  de  la 
synagogue  et  de  l'Église  chrétienne;  l'une  aboutit  à  lui,  l'autre 
dérive  de  lui;  mais  il  est  l'âme  de  l'une  et  de  Taulre.  En  con- 
damnant Jésus,  M.  Renan  s'etforce  de  condamner  du  même 
coup  et  la  loi  mosaïque  et  l'histoire  de  l'Église.  D'après  lui,  la 
loi  fit  mourir  Jésus  légalement,  et  l'Église  a  hérité  l'esprit  de 
la  loi,  en  «  concevant  Jésus  comme  un  affreux  Moloch,  avide  de 
chair  brûlée  (p.  412).  »  Donc  vous  tous  qui  croyez  en  Jésus, 
vous  êtes  coupables  à  votre  manière  de  la  mort  de  Jésus. 
Vous  tous  qui  croyez  à  ses  enseignements,  à  sa  vie,  à  sa  mort, 
à  son  Église,  faites  votre  mea  culpa;  au  lieu  d'honorer  Jésus, 
vous  l'avez  crucifié.  —  «  Hélas  !  il  faudi'a  plus  de  dix-huit 
cents  aufe  pour  que  le  sang  quïl  va  verser  porte  ses  fruits  !  » 
Le  Renanisme  sera  donc  le  fruit  du  sang  de  Jésus;  les  cou- 
pables de  sa  mort  ont  été  d'abord  Jésus  lui-même,  puis  la  loi 
mosaïque,  puis  l'Église.  M.  Renan  qui  n'est  ni  avec  Jésus,  ni 
avec  la  loi,  ni  avec  l'Église,  eu  est  seul  innocent.  Son  école  à 
lui  est  celle  de  la  tolérance  païenne  :  «  Certes,  le  monde  païen 
eut  aussi  ses  violences  rehgieuses.  Mais  s'il  avait  eu  cette 
loi  là,  comment  fût-il  devenu  chrétien?»  Quand  cette  tolé- 
rance des  Néron  et  des  Dioclétien  aura  de  nouveau  cours  dans 
le  monde,  et  se  sera  substituée  à  l'intolérance  de  l'Église, 


Sept.  1863.]  PLR  M.   RENAN.  275 

l'apostat  Renan  sera  satisfait,  et  n'aura  pas  à  craindre  a  les 
tortures  et  la  mort  que,  pendant  des  siècles,  on  infligea,  au 
nom  de  Jésus,  à  des  penseurs  aussi  nobles  que  lui.  » 

La  Vie  de  Jésus  nous  conduit  donc  comme  les  Évangiles  au 
pied  de  la  Croix,  mais  d'une  Croix  où  le  Sauveur  est  crucifié 
avec  toute  son  Eglise  de  tous  les  lieux  et  de  tous  les  siècles. 
En  face  de  cette  Croix  contenons  notre  indignation,  et  rappe- 
lons-nous cette  parole  du  Sauveur:  «Mon  Père,  pardonnez 
leur,  ils  ne  savent  ce  qu'ils  font  !  » 

Non,  M.  Renan  ne  sait  pas  ce  qu'il  fait,  car  nul  ne  cruci- 
fierait le  Fils  éternel  de  Dieu  dans  la  chair,  s'il  connaissait 
toute  la  scélératesse  de  son  crime. 

Il  ne  oait  pas  ce  qu'il  fait,  car  il  blasphème  comme  un  dé- 
mon; et  les  démons  tremblent,  dit  l'Écriture.  Lui,  il  ne  tremble 
pas;  il  a  cet  avantage  sur  Satan.  C'est  avec  un  sourire  avenant, 
un  regard  inspiré,  un  air  d'admiration  et  de  protection  en 
même  temps,  qu'il  nous  présente  son  Jésus,  — le  Jésus  de  sa 
façon  !  Voyez  comment  il  lui  fait  faire  son  entrée  dans  le 
monde.  Impossible  de  blasphémer  d'une  manière  plus  élé- 
gante, plus  délicate,  qui  sente  mieux  son  Satan  académicien, 
que  ue  le  fait  le  professeur  Renan. 

Il  ne  sait  pas  ce  qu'il  fait,  car  il  compare  Jésus-Christ  à 
Mahomet,  à  Luther,  aux  auteurs  de  la  Révolution  française, 
à  Çakya-Mouni,  à  tous  les  réformateurs  qu'il  trouve  dans  l'his- 
toire, à  sainte  Thérèse,  aux  soufis  de  l'Inde  et  à  saint  Augustin 
«  en  quelques  instants  de  sa  mobile  existence  !  » 

Il  ne  sait  pas  ce  qu'il  fail,  car  il  nous  présente  Jésus-Christ 
comme  l'homme  qui  en  a  le  plus  clairement  vu  et  le  plus  par- 
faitement réalisé  l'idéal,  et  il  en  retrace  ensuite  l'image  que 
nous  avons  vue. 

Il  ne  sait  pas  ce  qu'il  fait,  car  il  déshonore  l'intelligence 
de  l'homme  qui  ne  peut  rien  faire  de  plus  triste  que  de  salir 
la  figure  de  Jésus-Christ,  et  le  cœur  de  l'homme,  qui  ne  peut 
descendre  plus  bus  que  de  pousser  au  mépris  du  Dieu 
fait  homme  par  amour  pour  nous. 


276  ÉTUDE   SUR   LA  VIE  DE   JÉSUS  [  Icme  VII. 

Il  ne  sait  pas  ce  qu'il  fait,  car  il  traîne  dans  la  boue  ce  qui 
devait  faire  le  bonheur  et  la  gloire  de  sa  vie,  la  sainteté  du 
sanctuaire,  Tamour  du  cœur  de  Jésus,  sa  naissance,  sa  vie, 
son  agonie  dans  laquelle  il  lui  fait  évoquer  le  souvenir  a  des 
jeunes  filles  qui  peut-être  auraient  consenti  à  l'aimer  »,  — 
sa  passion,  sa  mort. 

11  ne  sait  pas  ce  qu'il  fait,  car  il  souille  d'un  même  trait  de 
plume  toutes  les  affections  naturelles  et  surnaturelles  de  l'hu- 
manité. Il  dédie  ce  livre  «  à  Tame  pure  de  sa  sœur  Henriette, 
à  côté  de  laquelle  il  a  écrit  ce  livre  sur  les  lieux  mêmes  oh  s'est 
passée  l'histoire  du  Sauveur,  et  gui  dort  maintenant  dans  la  terre 
d'Adonis,  près  de  la  sainte  Byblos  et  des  eaux  sacrées  ou  les 
femmes  des  mystères  antiques  venaient  mêler  leurs  larmes.  »  En 
lui  voyant,  au  seuil  même  de  son  vohime,  entremêler  la  pensée 
de  l'éternité,  le  nom  d'une  sœur  tendrement  aimée  et  celui 
de  Jésus  avec  le  souvenir  des  plus  infâmes  divinités  et  des 
phis  dégradantes  ignominies  du  paganisme,  il  faut  bien 
croire  que  M.  Renan  a  perdu  complètement  le  sens  de  la  véiité, 
du  respect  et  du  véritable  amour.  Tout  autant  que  les  instru- 
ments du  crucifiement,  il  méjite  d'entendre  cette  parole  : 
«  Pardonnez-leur,  ô  mon  Père,  ils  ne  savent  ce  qu'ils  fout  !  » 

C'est  certainement  là  le  sentiment  qui  restera  à  tout  esjirit 
sain,  après  la  lecture  de  ce  livre.  Mais  le  nombre  des  intelli- 
gences saines  et  droites  diminue  tous  les  jours.  Des  études  plus 
ou  moins  tronquées,  dans  lesquelles  la  solidité  de  l'instruction 
est  sacrifiée  au  besoin  de  passer  promptement  des  examens, 
l'absence  de  philosophie,  ratfaiblissement  de  l'iiifluence  reli- 
gieuse dans  l'éducation,  la  lecture  de  journaux  où  l'impiété 
se  produit  le  plus  souvent  sans  masque  comme  sans  frehi,  la 
diffusion  des  romans,  la  rareté  des  bonnes  lectures,  l'habi- 
tude de  négliger  les  instructions  religieuses  ,  —  toutes  ces 
causes  réunies,  et  plusieurs  autres  encore,  ont  amené  un 
affaiblissement  de  la  raison,  non  moins  qu'une  diminution  de 
la  foi.  Or,  quand  la  raison  est  faible  et  rinstruclion  pauvre. 


Sept.  1863.|  PAR   M.    RENAN.  277 

un  livre  comme  cette  Vie  de  Jésus  devient  souverainement  dan- 
dangereux,  et  le  grand  nombre  de  lecteurs  qu'il  a  trouvés  est 
assurément  un  des  plus  tristes  symptômes  de  notre  époque. 

Un  vrai  chrétien  s'abstiendra  même  d'y  toucher.  Plusieurs 
de  nos  premiers  pasteurs  ont  signalé  ce  devoir.  Il  est  à 
souhaiter  que  leurs  instructions  rencontrent  des  cœurs  dociles. 
Ici,  plus  que  jamais,  c'est  le  cas  de  condamuer  absolument 
l'excuse  d'un  grand  nombre  :«  Ce  livre  ne  me  fera  pas  de  mal, 
je  saurai  rejeter  ce  qui  n'est  pas  bon  !  »  Cette  excuse  est  tou- 
jours futile  et  absurde.  Si  l'on  veut  conserver  pur  et  intact  le 
respect  des  choses  saintes,  si  l'on  veut  conserver  vive  dans 
son  esprit  la  double  lumière  de  la  raison  et  de  la  foi,  si  l'on 
veut  maintenir  inaltérable  dans  son  âme  l'amour  du  Dieu- 
Homme,  on  ne  sera  guère  attiré  vers  des  pages  où  toutes  ces 
choses  sont  étrangement  maltraitées.  Et  si  l'on  veut  rejeter 
ce  qui  est  mauvais,  on  s'abstiendra  de  lire  même  une  seule 
page  de  la  Vie  de  Jésus  par  M.  Renan.  Tout  y  estmauvais, 
tout  y  est  blâmable,  tout  y  est  condamnable,  et  nous  procla- 
merions une  merveille  de  la  foi  l'homme  qui  la  lirait  sans  que 
la  pureté  de  son  christianisme  en  souffrît.  Mais  un  tel  héros 
de  la  foi  n'éprouvera  aucune  tentation  de  la  lire  !  Il  dira 
comme  un  grand  chrétien  de  noire  connaissance  :  «  Je  ne 
veux  même  pas  lire  une  réfutation  de  M.  Renan,  car  j'y  trou- 
verais l'exposé  de  doctrines  qui  me  feraient  cruellement 
souffrir  dans  tout  ce  que  j'aime  au  monde.  Je  n'ai  pas  besoin, 
pour  croire  à  Jésus-Christ,  qu'on  ait  réfuté  un  impie  de  plus. 
L'histoire  entière  et  du  Sauveur  et  de  son  Église  n'est  qu'une 
grande  réfutation  de  ceux  qui  nient  Jésus-Christ;  qu'un  impie 
de  plus  se  trouve  sous  le  coup  de  cette  condamnation,  cela 
n'ajoutera  rien  à  ma  foi.  Tout  ce  que  je  puis  faire  pour 
M.  Renan,  c'est  de  prier  pour  lui  et  pour  ceux  qui  le  lisent.  » 

Ce  sera  notre  conclusion.  Faisons  amende  honorable  à  Jésus 
et  prions  pour  les  impies,  prions  pour  notre  pauvre  France, 
où  ce  mauvais  livre  a  trouvé  tant  de  lecteurs  ! 

J.-l.  SiMONIS. 


DE    CERTAINES    COUTUMES 


EN   MATIERE   DE   LITURGIE. 


La  coutume  est  une  des  sources  du  droit  canonique  ;  mais 
pour  avoir  force  de  loi  générale  ou  particulière,  la  coutume 
doit  être  revêtue  de  certaines  conditions,  et  en  particulier, 
elle  doit  être  appuj'ée  sur  le  consentement  explicite  ou  légiti- 
mement présumé  du  législateur.  Tous  les  canonistes  sont 
d'accord  sur  ce  principe.  En  matière  de  liturgie,  toute  cou- 
tumedoit  être  immémoriale.  Telle  est lacondition  requise  dans 
la  huile  Àpostolici  ministerii  d'Innocent  XIII,  du  23  mai  17'23,  et 
tel  est  le  sens  de  divers  décrets  de  la  Sacrée  Congrégation  des 
Rites.  On  peut  conserver  les  coutumes  louables  et  immé- 
moriales, si  elles  ne  sont  point  en  contradiction  avec  les 
rubriques  et  si  elles  n'ont  pas  été  supprimées. 

On  sait  assez  tout  ce  qui  s'est  fait  d'illégal  dans  les  liturgies 
françaises  du  siècle  dernier.  Elles  sont,  moralement  parlant, 
supprimées  aujourd'hui.  Mais  il  est  des  coutumes  qui  se  rat- 
tachent à  ces  liturgies,  et  que  l'on  a  cru  pouvoir  maintenir 
eu  certaines  contrées.  Pourle;^  apprécier,  il  faut  les  examiner, 
non  point  avec  des  préjugés  d'éducation,  non  point  avec  le 
désir  de  trouver  ce  qu'on  voudrait  y  voir,  mais  il  faut  les 
envisager  à  la  lumière  des  vrais  principes  de  la  science 
liturgique  et  canonique.  C'est  ce  que  nous  allons  essayer 
de  faire  relativement  à  certaines  coutumes  sur  lesquelles 
on  désire  connaître  notre  sentiment.  Il  est  diiiicile,  nous 
le  savons,  de  soulever  ces  questions  sans  froisser  certains  es- 


Sept.  i863.1  LITURGIE.  279 

prits  dominés  par  la  crainte  de  voir  dans  ceux  qui  clier- 
chcnl  à  rétablir  les  vrais  principes  une  trop  grande  sévérité 
dans  leur  application.  Cette  raison,  évidemment,  ne  suffit 
pas  pour  passer  sous  silence  des  points  qui  ne  manquent  ni 
d'intérêt  ni  d'importance.  Si,  d'un  côté,  les  questions  relatives 
à  la  licéité  de  certains  usages  ne  peuvent  êtres  soulevées  de- 
vant certaines  personnes  sans  exciter  des  réclamations  qui 
ne  donnent  pas  à  ceux  qui  la  désirent  la  liberté  d'exposer 
les  vrais  principes  ;  d'un  autre  côté,  ces  doutes  nous  sont  posés 
par  d'autres  qui  ne  croient  pas  voir  des  avantages  sérieux  dans 
le  maintien  de  pratiques  contraires  à  la  lettre  ou  à  l'esprit  des 
lois  de  l'Église,  et  qui  font  consister  dans  la  prudence  à  procurer 
l'observation  de  ces  lois  l'application  de  cette  parole  de  l'Esprit 
saint  :  Littera  occidit,  spiritus  autem  vivifient.  Les  premiers 
croiront  peut-être  que  les  réformes  sur  quelques  usages  abusifs 
auront  pour  effet  d'aflÛiger  la  piété  des  fidèles  et  de  les  éloigner 
de  l'église  ;  mais  d'autres  pensent  que  l'exactitude  à  observer 
fidèlement  les  règles  de  l'Église,  qui  est  toujours  bénie  de  Dieu, 
ne  peut  produire  ce  résultat,  non  plus  que  les  actes  d'un 
prêtre  qui  les  aime  par  esprit  de  foi  et  d'obéissance,  qui 
sait  tendre  à  sou  but  avee  droiture  et  énergie,  et  tou!  disposer 
avec  douceur  et  prudence  ;  qui  sait,  en  ramenant  la  pratique 
des  véritables  règles,  prendre  des  moyens  de  rehausser  la 
splendeur  des  cérémonies,  moyens  trop  souvent  négligés, 
comme  la  décoration  des  autels  et  des  églises,  la  bonne  exé- 
cution du  chanl,  etc.  L'expérience  est  là  pour  montrer  qu'il  est 
facile  de  remplacer  par  d'autres  les  pratiques  qu'il  est  néces- 
saire de  supprimer. 

Les  coutumes  sur  lesquelles  ou  nous  consulte  spécialement 
se  rapportent  :  1"  au  costume  de  chœur  que  doivent  porter 
les  laïques  employés  dans  les  cérémonies;  2°  à  l'usage  exis- 
tant encore  dans  certaities  églises  de  les  revêtir  d'ornements 
sacrés;  3°  à  la  pratique  de  revêtir  de  chapes  ceux  qui  rem- 
plissent l'office  de  chantres  à  la  Messe  solennelle. 


280  LITURGIE.  [TomcVUI. 

§1- 

De  l'hahit  de  chœur  que  doivent  porter  les  laïques  employés 
daus  les  cérémonies. 

Les  règles  de  l'Eglise  supposent  que  les  cérémonies  sont 
remplies  par  des  ecclésiastiques  ;  mais  les  auteurs,  même  les 
plus  sévères,  permettent  aux  laïques  de  remplir  les  fonctions 
des  ordres  mineurs  et  de  porter  alors  la  soutane  et  le  surplis. 
Tel  est  le  sens  d'un  décret  de  la  S.  Congrégation  des  Rites 
du  9  juillet  1859,  rapporté  t.  iv,  p.  338.  Ces  laïques  peuvent 
être  des  enfants  de  chœur. 

L'habit  de  chœur  est  la  soutane  et  le  surplis  à  larges  manches. 
Tel  est  le  costume  qui  convient  à  tous  les  ecclésiastiques  qui  ne 
sont  pas  chanoines,  et  même  à  ees  derniers  hors  les  circon- 
stances où  ils  doivent  porter  l'habit  du  chapitre.  Une  doit  point 
y  avoir  deux  costumes  de  chœur  différents  pour  la  forme,  en- 
core moins  trois,  comme  serait  le  surplis  à  larges  manches 
pour  les  prêtres,  un  autre  genre  de  surplis  pour  les  laïques 
employés  dans  les  saintes  fonctions,  et  un  troisième  costume 
pour  les  enfants  de  chœur.  «  Il  ne  doit  y  avoir,  dit  M.  deConny 
«  {Cér.  rom.,  3«  éd.,  p.  28),  qu'un  seul  habit  de  chœur  dans 
«  une  église;  les  chantres  et  les  enfants  doivent,  eux  aussi, 
«  porter  le  surphs,  et  non  pas  l'aube  ni  le  surplis  sans  man- 
((  ches.  »  Le  même  auteur  ajoute  en  note  :  «  Aux  yeux  de 
«  l'Église,  on  fait  partie  du  clergé  ou  du  peuple.  Elle  tolère, 
«  il  est  vrai,  pour  suppléer  au  petit  nombre  de  clercs,  que 
«  plusieurs  laïques  soient  introduits  parmi  eux  ,  et  fassent 
«  quelques-unes  de  leurs  fonctions  eu  portant  leur  habit;  mais 
«  à  ce  moment,  elle  les  accepte  comme  s'ils  appartenaient 
«  réellement  au  clergé  et  non  pas  comme  faisant  un  ordre  in- 
«  terraédiaire  ;  on  ne  peut  donc  pas  leur  donner  un  costume 
«  spécial.  » 


Sept.  1863.)  LITURGIE.  281 

Les  chantres  et  les  enfants  de  chœur  doivent  donc  porter  le 
surplis  à  larges  manches.  «  Pour  la  couleur  de  la  soutane, 
«  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  l'on  conserve  l'usage  des  églises. 
«  A  Rome  même,  on  admet  pour  les  élèves  des  séminaires  ces 
«  diverses  couleurs  de  vêtements  permises  autrefois  à  tous 
«  les  clercs  {Ibid.,  p.  20).  »  Mais  ils  ne  peuvent  porter  ni  la 
barrette  ni  la  calotte  rouges.  Ces  règles  résultent  de  la  même 
décision.  Remarquons  encore  que  les  cardinaux  seuls  ont  le 
privilège  de  porter  une  coiffure  d'une  couleur  autre  que  la  cou- 
leur noire,  suivant  la  rubrique  du  Cérémonial  des  évêques,  1. 1, 
c.  I,  n.  4.  Ce  serait  aussi  admettre  deux  costumes  dififérents 
que  de  donner  aux  chantres  laïques,  au  lieu  de  la  barrette,  le 
bonnet  de  forme  conique  usité  autrefois  dans  un  grand  nombre 
de  diocèses  de  France. 

§n. 

De  l'usage  de  donner  à  des  laïques  des  ornements  sacrés. 

Cet  usage  existe  encore  dans  plusieurs  diocèses.  Mais  doit- 
il  être  mis  au  nombre  de  ces  coutumes  louables  qui  peuvent 
être  maintenues,  et  qui  sont  compatibles  avec  le  rétablissement 
de  la  liturgie  légitime  ?  Telle  est  la  question. 

Constatons  d'abord  que  nulle  part  dans  les  sources  des  règles 
liturgiques,  telles  que  le  Missel,  le  Bréviaire,  le  Rituel,  le  Pon- 
tifical, le  Martyrologe,  le  Cérémonial  des  évèques,  les  décrets 
de  la  S.  C.  des  Rites,  ni  dans  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  ces 
matières,  il  n'est  supposé  qu'un  laïque  puisse  jamais  être 
revêtu  d'un  vêtement  sacré;  Or,  personne  ne  peut  en  douter, 
an  usage  qui  est  dans  ces  conditions  doit  être  rangé  au  nombre 
des  abus.  S'il  n'est  pas  spécialement  condamné  par  une  loi 
positive,  la  raison  en  est  que  cette  loi  spéciale  n'est  pas  néces- 
saire, vu  l'ensemble  de  la  législation  qui  montre  assez  l'incon- 
venance d'une  pareille  pratique.   Aucune  loi  particulière  ne 


282  LITURGIE.  [Tome  VIII. 

défend  à  un  simple  prêtre  d'officier  poutificalemeut;  devra- 
t-on  en  conclure  qu'il  sera  permis  de  se  procurer  la  solennité 
d'une  messe  pontificale  en  revêtant  un  prêtre  des  ornements 
pontificaux  et  en  le  faisant  célébrer  à  la  manière  des  évèques? 
On  comprend  facilement  où  conduirait  un  pareil  principe,  et 
si  les  conséquences  n'ont  pas  été  poussées  jusqu'à  la  crosse  et 
la  mitre,  on  a  vu  des  prêtres  se  faire  assister  à  la  manière 
des  évêques  et  user  du  bougeoir  pontifical. 

Ces  réflexions  nous  amènent  tout  naturellement  à  cet  autre 
principe,  que  pour  figurer  les  cérémonies  de  l'Église,  il  faut 
y  être  autorisé  par  une  permission  du  Saint-Siège,  comme  est 
celle  de  remplacer  le  sous-diacre  par  un  clerc  en  cas  de  néces- 
sité, ou  celle  que  vient  d'obtenir  Mgr  l'évêque  de  Beauvais 
pour  son  diocèse,  relative  au  chant  de  la  Passion,  et  dont  il 
est  parlé  au  u'  de  juillet  dernier  t.  viii,  p.  54.  Il  est  difficile 
de  comprendre,  eu  effet,  qu'il  existe  dans  les  cérémonies  de 
l'Église,  cérémonies  si  saintes,  si  sublimes  et  si  mystérieuses, 
une  latitude  que  l'on  ne  trouve  nulle  part  ailleurs.  Quand 
verra- 1 -on,  par  exemple,  des  mercenaires  revêtus  de  la 
robe  du  magistrat,  de  la  ceinture  du  maire,  ou  parés  de  la 
croix  de  la  Légion  d'honneur,  figurer  au  milieu  des  pompes  du 
monde?  Les  théâtres  seuls  admettent  de  semblables  fictions. 
Si  l'on  pouvait  ainsi,  à  son  gré,  figurer  les  cérémonies  de 
l'Eglise  au  moyen  de  personnes  laïques,  il  faudrait  encore 
accepter  les  conséquences  de  cette  hcence.  Il  n'en  existe  déjà 
que  de  trop  extraordinaires  et  devant  lesquelles  on  auraitreculé 
il  n'y  a  pas  vingt  ans.  On  voit  aujourd'hui,  par  exemple,  dans 
certaines  églises,  des  troupes  considérables  d'enfants  dont  un 
certain  nombre  sont  habillés  en  évêques,  d'autres  en  cardinaux, 
tous  portant  le  rochet  et  la  mosette  :  quelques-uns  ont  au  cou 
un  commencement  d'étole,  et  un  vénérable  archevêque  a  été 
obligé  d'interdire  l'usage  de  leur  donner  la  crosse  et  la  mitre.  De 
pareils  abus  ne  pourraient-ils  pas  se  propager  et  devenir  en- 
core plus  criants  ?  Il  en  résultera  toujours  au  moins  une  chose 


Sept.  1863.)  LITURGIE.  28S 

bien  regrettable,  savoir,  l'oubli  de  la  grandeur  des  vêtements 
sacrés,  et  du  respect  qui  leur  est  dû.  Les  faits  confirment  ces 
résultats.  L'usage,  en  effet,  de  donner  des  chapes  à  des  chantres 
laïques  a  tellement  diminué  le  respect  que  l'on  doit  avoir  pour 
ce  vêtement  qu'aujourd'hui^  dans  les  processions  duTrès-saint 
Sacrement,  Tusage  s'est  introduit  de  revêtir  de  chapes  les 
moins  dignes  du  clergé,  qui  marchent  en  avant  de  ceux  qui 
portent  des  tuniques.  Un  prêtre,  invité  par  le  curé  d'une  pa- 
roise  à  officier  au  salut  du  Saint'Sacrement,  exprima  sa  sur- 
prise de  ce  qu'on  lui  présentait  la  chasuble  au  lieu  de 
la  chape  :  il  lui  fut  répondu  qu'on  voulait  lui  faire  honneur, 
et  ne  pas  lui  donner  l'habit  des  chantres.  Un  vénérable 
Cardinal,  dans  une  circonstance  solennelle,  ne  voulut  pas 
prendre  la  chape,  parce  que  son  cordonnier  la  portait.  Si  son 
cordonnier  ne  l'avait  pas  portée.  Son  Éminence  n'eût  pas 
éprouvé  ce  scrupule. 

Examinons  donc,  au  point  de  vue  du  droit,  quelles  sont  les 
cérémonies  qui  peuvent  être  remplies  par  des  laïques,  et  quel 
costume  ou  peut  leur  donner.  Il  leur  est  permis,  comme  nous 
l'avons  montré,  de  porter  l"habit  de  chœur  des  clercs,  savoir: 
la  soutane,  le  surplis  et  la  barrette.  Mais  peut-on  donner  à  cette 
concession  une  plus  grande  extension,  en  ce  sens  que  tous  les 
laïques  puissent  jouir  des  privilèges  qui  appartiennent  aux 
clercs,  et  raisonner  ainsi  :  Tout  clerc  peut  porter  la  chape  ; 
tout  clerc  peut  aussi  porter  la  tunique  pour  remplacer  le  sous- 
diacre  à  la  Messe  solennelle  en  cas  de  nécessité  ;  ces  fonctions 
étant  celles  des  ordres  mineurs,  les  laïques  peuvent  les  rem- 
plir? 

Observons  d'abord  que  la  conséquence  n'est  pas  rigoureuse. 
Elle  serait  rigoureuse  si  le  privilège  de  remplir  les  fonctions 
propres  aux  ordres  mineurs  entraînait  nécessairement  celui 
de  remplir  celles  dans  lesquelles  les  clercs  tonsurés  et  minorés 
peuvent  remplacer,  dans  un  cas  particulier,  les  clercs  engagés 
dans  les  ordres  majeurs. 


284  LITURGIE.  [Tome  VIII. 

Nous  pouvons  remarquer  en  second  lieu,  pour  ce  qui  est  en 
particulier  du  privilège  des  clercs  de  pouvoir  remplacer  le 
sous-diacre  à  la  Messe  solennelle,  que  la  S.  C.  exige  deux  con- 
ditions, la  première,  qu'il  n'y  ait  ni  sous-diacre,  ni  diacre,  ni 
prêtre  pour  remplir  cet  office  ;  la  seconde,  que  le  sous-diacre 
suppléant  soit  clerc.  Les  décrets  relatifs  à  cette  question  sont 
.  les  suivants  : 

V^  DÉCRET.  Question.  «  An  déficiente  subdiacono  pro  Missa 
«  solemni,  possit  per  superiores  substitui  constitutus  in  mino- 
«  ribus  ad  cantandam  epistolam,  paratus  absque  manipule?  » 
Réponse.  «  Data  uecessitate,  posse  permitti.  »  (Décret  du  5  juillet 
1698,  n»  3477,  q.  18.) 

2^  DÉCRET,  a  Extra  casum  absolutae  et  preecisse  necessitatis, 
«  non  posse  a  superiore  permitti  ut  clericus  in  minoribus  pro 
((  subdiacono  suppléât  in  Missis  solemuibus  paratus  sine  mani- 
«  pulo.  »  (Décret  du  18  décembre  1784,  n»  4418,  q.  2.) 

3*  DÉCRET.  Question.  «  An  permitti  possit  ut  clericus  regula- 
«  ris  interdum  nec  tonsura  iuitiatus,  subdiaconi  officiofunga- 
«  tur  in  Missa  solemni  ;  dum  alter,  vel  sacerdos,  vel  in  majo- 
<i  ribus  constitutus  ordinibus  adest,  qui  ut  subdiaconus  inservire 
«  potestetiam  Missae  solemni  ?»  ^e/jonse.  «  lu  casu  necessitatis, 
«  dummodo  non  sit  alter;  sed  debere  esse  clericum.  »  (Décret 
du  22  juillet  1848,  n"  5726,  q.  5.) 

La  première  condition  est  positivement  exprimée  dans  ces 
trois  décisions.  Si  donc  l'on  peut  parfois  interpréter  avec 
quelque  latitude  le  cas  de  nécessité,  on  ne  peut  légitimer  non 
plus  la  pratique  des  églises  où  le  sous-diacre  est  remplacé  par 
un  clerc,  tandis  qu'un  certain  nombre  de  prêtres  qui  pourraient 
facilement  remplir  cette  fonction  assistent  au  chœur.  La 
deuxième  est  supposée  dans  les  deux  premières  causes,  et  dans 
la  troisième  elle  est  clairement  exigée.  Or  elle  exclut  de  cet 
office  tout  laïque  même  religieux,  et  par  conséquent  encore  un 
séminariste  non  tonsuré  qui  porterait  habituellement  l'habit 
ecclésiastique.  Ajoutons  qu'il  s'agit  ici  seulement  de  remplacer 


Sept.  1803.]  LITURGIE.  2Sîi 

un  ministre  nécessaire  pour  la  Messe  solennelle.  On  pourrait 
l'étendre,  ce  semble,  au  salut  du  Saint-Sacrement  ;  mais  cette 
concession  ne  peut  autoriser  les  clercs  à  porter  lu  tunique 
partout  et  toujours,  ni  les  maîtres  des  cérémonies  à  revêtir  de 
cet  ornement  autant  de  clercs  qu'ils  en  peuvent  avoir,  pour 
assister  aux  processions  du  Saint-Sacrement,  auxquelles  les 
clercs  assistent  avec  l'habit  de  leur  ordre.  Telles  sont  les  rai- 
sons pour  lesquelles,  nous  n'en  doutons  pas,  s'il  a  été  accordé 
à  Mgrl'évêque  de  Beau  vais,  par  induit  spécial,,  de  faire  chanter 
«ne  partie  de  la  Passion  par  des  laïques,  on  n'a  point  con- 
cédé à  ceux-ci  d'autre  vêtement  que  le  surplis  ;  et  si  cet  office 
était  rempli  par  des  clercs  tonsurés  ou  minorés,  ceux-ci  de- 
vraient se  conformer  à  la  même  règle,  et  ne  point  paraître 
revêtus  d'un  ornement  qui  ne  leur  a  point  été  donné  par 
l'évèque  dans  la  cérémonie  de  l'ordination. 

Ces  raisons  sont  applicables  aux  ornements  qui  sont  l'insigne 
d'un  ordre,  comme  la  chasuble,  la  dalmatique,  la  tunique, 
l'étole,  le  manipule  et  l'amict.  Mais,  dira-t-on  peut-être,  elles 
ne  peuvent  pas  s'appliquer  à  la  chape,  qui  n'est  point  im 
habit  d'ordre  et  dont  on  peut  revêtir  tous  les  clercs,  comme 
on  les  revêt  de  la  soutane  et  du  surplis. 

Il  faut  remarquer  tout  d'abord  que  raisonner  ainsi,  c'est  con- 
clure du  moins  au  plus  :  la  parité  n'est  donc  point  soutenable. 
On  peut  jouir  du  privilège  de  porter  la  soutane  et  le  surplis 
sans  avoir  celui  de  porter  encore  la  chape.  Il  faut  observer 
encore  que  si  la  chape  n'est  pas  un  vêtement  d'ordre,  c'est  un 
habit  de  dignité  que  les  évêques  et  les  prêtres  portent  dans 
les  circonstances  les  plus  solennelles.  Toutes  les  fois  que  les 
ehanoiues  assistent  à  l'office  pontifical,  les  dignités  seules 
portent  la  chape;  à  l'office  papal,  ce  sont  les  cardinaux- 
évêques.  On  voit  par  là  combien  le  port  de  la  chape  convient 
peu  à  des  laïques,  et  nous  venons  de  voir  combien  l'usage  de 
les  en  revêtir  diminue  le  respect  qui  est  dû  à  ce  vêtement. 

Concluons  donc  qu'il  est  préférable  de  célébrer  les  vèprei 


286  LITURGIE.  [Tome  Vllî. 

solennelles  sans  assistants  en  chapes,  plutôt  que  de  revêtir  de 
cet  ornement  sacré  des  personnes  laïques,  s'il  n'y  a  pas  deux 
ecclésiastiques  pour  remplir  cet  office. 


III. 


De  l'usage  de  revêtir  de  chapes  ceux  qui  remplissent  l'office  de  chantres 
à  la  Messe  solennelle. 

Nous  avons  suffisamment  prouvé  que,  pour  porter  la  chape, 
il  faut  être  ecclésiastique.  Ajoutons  que  l'usage  de  revêtir  de 
cet  ornement  ceux  qui  remplissent  l'office  de  chantres  à  la 
Messe  solennelle  est  contraire  à  la  liturgie.  Il  n'en  est  point 
question  dans  la  rubrique  du  Missel.  Le  Cérémonial  des 
évêques,  traitant  de  la  Messe  pontiticale,  enseigne  qu'à  cette 
Messe  les  chanoines  sont  revêtus  d'ornements.  Mais  parlant 
ensuite  des  autres  Messes  solennelles,  il  dit  :  «  Gelebrantem 
«  paratum  planela  et  reliquis  paramentis  missalibus  prsece- 
«  duntdiaconus  et  subdiacouus  parati  dalmatica  et  tunicella, 
«  vel  pro  temporis  qualitate,  planetis  ante  pectus  plicatis... 
«  Nec  alii  preeter  ipsos  erunt  parati.  »  La  même  règle  résulte 
du  décret  suivant  :  Question.  «  Ex  asserta  diuturna  cousuetu- 
«  dine  pêne  immemorabili  in  ecclesia  S.  Sepulcri  et  S.  Jacobi 
«  vulgo  de  Barletta  intra  fines  archidiœcesisTranen.,  illud  est 
«  more  positum,  ut  dum  in  solemnioribus  Missas  solemnes  et 
«  vesperas  célébrant  rectores  earum,  prœter  ministres  inser- 
«  vientes,  eis  assislunt  alii  sex  presbyteri  pluvialibus  induti, 
a  Cum  autem  a  consuetudine  ista,  quœ  nullo  apostolico  in- 
«  dulto  innititur,  difficile  admodum  sit  desistere  absque  fide- 
«  lium  admiratione  et  scandalo,  rectores  ipsi  S.  G.  R.  humil- 
a  lime  rogarunt  ut  eam  confirmare  dignaretur,  adeo  ul  licite 
0  deinceps  in  ea  perseverare  valeant.  »  Réponse.  «  Permitti 
«  posse  quoad  vesperas  solemnes  tanlum.  »  (Décret  du  10  jan- 
vier 1852,  n»  5170.) 


Sept.  1863.]  LITURGIE.  287 

D'après  cette  décision,  il  demeure  bien  clair  que  la  sacrée 
Congrégation  n'admet  aucune  coutume  qui  puisse  autoriser 
cette  pratique. 

Les  motifs  de  cette  règle  nous  paraissent  les  suivants  : 
1"  les  raisons  pour  lesquelles  des  ecclésiastiques  peuvent  être 
revêtus  de  chapes  pendant  les  vêpres,  n'existent  pas  pour  la 
Messe.  A  la  Messe  solennelle,  le  célébrant  est  assisté  par  le 
diacre  et  le  sous-diacre.  De  même  aux  vêpres^  il  est  assisté  par 
des  ecclésiastiques  en  chape.  Ceux-ci  remplissent,  à  la  vérité, 
la  fonction  de  chantres  ;  mais  ils  le  font  d'une  manière  acci- 
dentelle. D'après  le  Cérémonial  des  évêques,  les  psaumes  des 
■vêpres  sont  toujours  entonnés  par  deux  chantres  en  surplis. 
Cette  règle  est  surtout  applicable,  d'après  l'ensemble  des  ru- 
briques du  Cérémonial,  d'après  les  auteurs  et  la  coutume  suivie 
à  Rome,  aux  vêpres  chantées  par  deux  chapiers  seulement. 
Lorsqu'il  y  a  quatre  ou  six  chapiers,  les  moins  dignes  font  or- 
dinairement l'office  de  chantres,  et,  s'ils  n'étaient  que  deux,  ils 
pourraient  encore  le  faire.  Si  quelques  auteurs  enseignent  que 
la  chape  est  le  vêtement  des  chantres,  ils  le  font  en  ce  sens. 
2°  Les  chantres,  à  la  Messe,  n'ont  aucune  fonction  particulière 
à  remplir  en  dehors  du  chant;  or,  comme  nous  venons  de  le 
voir,  on  ne  prend  point  un  vêtement  sacré,  si  ce  n'est  pour 
exercer  une  fonction  spéciale  pour  laquelle  ce  vêtement  est  in- 
diqué par  la  rubrique. 

P.  R. 


LE  TRQISIÉUË  ANPilVËRSÂlRE  SËCIJLMRB 


DU     CONCILE    DE    TRENTE 


Le  saint  Concile  de  Trente  se  termina  en  1563.  L'année  1863 
est  donc  le  troisième  anniversaire  séculaire  de  sa  clôture.  Des 
circonstances  spéciales  ayant  mis  obstacle  à  la  célébration  des 
deux  premiers,  le  troisième  seul,  celui  que  nous  ramène 
cette  année,  a  été  honoré  par  des  pompes  dignes  des  souvenirs 
qu'il  rappelle.  Un  Cardinal-légat,  des  évêques,  des  prêtres  et 
des  laïques  en  grand  nombre  se  sont  réunis,  au  mois  de  juin 
dernier,^  dans  la  ville  de  Trente,  et  ont  fêté  le  glorieux  sou- 
nenir  du  Concile  qui  en  sera  à  jamais  la  gloire. 

Les  journaux  religieux  ont  reproduit  les  détails  intéressants 
des  cérémonies  nombreuses  et  variées  qui  ont  eu  lieu  à  cette 
occasion.  Notre  but  n'est  pas  de  les  raconter  encore  une 
fois.  Nous  ne  voulons  pas  non  plus  retracer  la  longue 
histoire  du  dernier  de  nos  conciles  œcuméniques.  Sa  convoca- 
tion^ sa  translation,  ses  interruptions  et  ses  reprises,  l'arrivée, 
le  départ  des  évêques,  les  jalousies  et  le  concours  des  princes, 
le  zèle  des  Papes,  l'activité  de  saint  Charles  Borroraée,  les 
discussions  intérieures,  les  insultes  des  hérétiques,  l'heureux 
succès  enfin  des  décrets,  toutes  ces  choses  sont  connues  ;  le 
cardinal  Pallavicini,  dans  sa  réponse  au  pamphlet  de  Sarpi, 
ei  le  savant  Leplat,  ont  écrit  pour  toujours  les  divers  événe- 
ments qui  ont  signalé  la  tenue  des  dernières  assises  de  la 
chrétienté. 


Scpl.  1803.)  CONCILE   DE   TRENTE  28'J 

Le  protestantisme  était  par  sou  origine,  par  ses  principes, 
par  ses  tendances,  la  négation  de  toules  les  affirmations  ca- 
tholiques. Les  premiers  auteurs  se  renfermèrent  dans  cer- 
taines limites,  mais  l'impulsion  était  donnée,  toutes  les  digues 
étaient  rompues,  et  la  suite  a  montré  que  rien  ne  résiste 
quand  tout  est  soumis  au  contrôle  individuel.  L'arbre  a  été 
jugé  par  ses  fruits  :  en  religion,  en  philosophie,  en  politique, 
pas  un  point  n'est  resté  debout.  Le  protestantisme  a  été  une 
protestation  universelle  contre  toutes  les  vérités  ! 

Le  saint  Concile  de  Trente  fut  la  contre-partie  de  toutes  ces 
négations.  Cette  docte  assemblée  a  été  le  plus  fécond  de 
tous  les  conciles  à  raison  de  l'étonnante  quantité  de  questions 
qu'elle  a  décidées.  Le  symbole  de  la  foi,  le  canon  des  Écri- 
tures, les  traditions,  la  justiBcation,  le  péché  originel,  les 
sacrements,  les  dogmes  principaux,  ont  été  de  nouveau  définis 
et  confirmés.  En  droit  canonique,  les  réformes  les  plus  salu- 
taires ont  été  opérées  :  de  là  est  venu  le  droit  récent.  L'at- 
tention des  Pères  se  porta  sur  deux  points  d'une  extrême 
importance  :  il  commencèrent  la  rédaction  de  l'Index,  ouvrage 
salutaire  destiné  à  empêcher  la  publication  et  la  lecture  des 
mauvais  livres,  mesure  de  la  plus  grande  importance  au  point 
de  vue  religieux  et  social.  Ils  voulaient  aussi  revoir  le  Bré- 
viaire et  le  Missel.  Mais,  pressés  par  le  temps,  ils  renvoyèrent 
ce  double  soin  au  Pontife  romaiu.  Et  ce  fut  le  Saint-Siège  qui 
réalisa  la  double  pensée  des  Pères  de  Trente,  par  la  publi- 
cation de  l'Index  et  la  réforme  des  livres  liturgiques. 

Un  autre  caractère  du  saint  Concile  fut  l'accord  le  plus 
entier  avec  le  centre  de  l'Église.  Benoit  XIV  nous  apprend 
que  Pie  IV  accorda  aux  Pères  de  Trente  la  permission  de 
définir  les  questions  réservées  au  Saint-Siège.  A  chaque 
instant,  des  courriers  partaient  de  Trente  pour  Rome,  et 
revenaient  de  Rome  à  Trente.  Bien  plus  que  son  légat,  le 
Souverain-Pontife,  du  fond  de  son  palais,  gouvernaitet  dirigeait 
les  délibérations.  Plusieurs  fois,  parlant  de  l'autorité  du  Pape, 


290  CONCILE   DE   TRENTE.  ITome  VIll. 

los  évêqnos  réunis  In.i  donnent  les  titres  de  suprema,  maxima. 
Dans  leur  dernière  assemblée,  ils  lui  soumettent  tous  leurs 
décrets,  lui  demandent  sa  coufirmation,  lui  renvoient  la  déci- 
sion de  ce  qu'il  n'ont  pu  terminer  et  s'en  remettent  à  ses  soins 
pour  qu'il  soit  pourvu  de  la  meilleure  manière  à  l'observation, 
et  à  l'interprétation  de  leurs  décrets. 

Pleine  d'égards  pour  les  théologiens  catholiques,  ne  s'occu- 
pant  que  de  la  condamnation  des  hérésies,  l'assemblée  de 
Trente  évita  de  trancher  los  questions  qu'on  pouvait  appeler 
domestiques.  Cette  mesure  ne  résultait  point  de  l'incertitude 
dans  la  doctrine,  mais  elle  faisait  partie  d'un  grand  ensemble  de 
ménagements  alors  nécessaires.  Nous  en  trouvons  un  exemple 
dans  l'ouvrage  du  cardinal  Pallavicini  (1.  xix,  ch.  xv,  n.  5). 
Le  Concile  avait  préparé  un  décret  très-expressif  sur  l'autorité 
du  Pape.  Les  termes  de  la  discussion  étaient  tels  qu'ils  sem- 
blaient, dit  le  P.  d'Avrigny,  emporter  l'infaillibilité  du 
Pontife  romain  et  sa  supériorité  sur  le  concile  {Mémoires^ 
t.  m,  p.  236).  Le  cardinal  de  Lorraine,  à  la  tète  de  quelques 
évêques  français,  s'éleva  fortement  contre  ce  projet.  Après  de 
mûres  reflexions,  pour  éviter  des  inconvénients,  ou  s'abstint 
d'y  douner  suite.  Mais  le  cardinal  légat  déclara  hautement 
que  si  les  Français  voulaient  défendre  leur  opinion,  les  prési- 
dents du  concile  défendraient  la  vérité,  c'est-à-dire  la  supé- 
riorité du  Pape  sur  le  concile;  qu'ils  perdraient  plutôt  la  vie 
que  de  permettre  qu'on  mit  ce  point  en  question.  Si  Oi'atores 
studebant  suam  opinionem  iueri,  prxsides  studere  veriiatem 
propugnare,  hoc  est,  Pontifcem  superioremesseconcilio...  Etenim 
legatos  tam  certos  in  eo  persisfere,  ut  vitam  potius  amitterent 
quam  id  in  dubitationem  adduci  per  mi  fièrent. 

L'histoire  nous  montre  encore  combien  les  Papes  ont  fait 
d'efforts  pour  le  triomphe  de  la  réforme  disciplinaire  opérée 
par  le  Concile  de  Trente.  Après  l'avoir  confirmé,  ils  révo- 
quèrent tous  les  privilèges  contraires  à  ses  décrets  et  ils  établi- 
rent la  Congrégation  du  Concile  chargée  de  l'interpréter  sur 


Sept.  18G3.J  CONCILE  DE   TRENTE.  2!jî 

les  points  de  discipline,  les  questions  de  foi  étant  réservées 
au  Saint-Siégc.  Cette  Congrégation  veille  d  l'exécution  du  Con- 
cile, elle  l'explique,  elle  reçoit  les  comptes-rendus  des  évêques 
sur  l'état  de  leurs  diocèses,  elle  revoit  les  conciles  provinciaux, 
afin  de  tout  faire  marclier  dans  l'unité  de  la  loi  catholique. 
Aussi,  à  raison  de  toutes  ces  dispositions  et  de  la  volonté  clai- 
rement exprimée  de  Pie  IV  {Benedictus  Deus,  26  janvier  156-4), 
beaucoup  de  canouistes  enseignent  que  rien  ne  peut  prescrire 
contre  le  saint  Concile  de  Trente. 

Si  les  décrets  de  cette  vénérabl'^i  assemblée  avaient  été  par- 
tout otjservés,  l'Église  et  la  société  n'auraient  reçu  aucune 
des  tristes  secousses  qui  les  ont  si  fréquemment  ébranlées  de- 
puis trois  siècles.  Qu'on  Teutenile  bien,  Tidée  catholique  toute 
seule  est  et  sera  le  salut  du  monde  ;  Qui  elvngavt  se  a  te,  per- 
ibunt. 

Quant  à  la  France,  l'autorité  ecclésiastique  reçut  le  Concile. 
Il  serait  fort  inexplicable  qu'une  partie  de  l'Eglise  ne  reçût 
pas  ou  pût  ne  pas  recevoir  un  concile  œcuménique  approuvé 
par  le  Saint-Siège.  Les  conciles  de  Reims  (1364),  de  Rouen 
(1581),  de  Reims  (1583),  de  Bordeaux  (1583),  de  Tours  (1583), 
de  Bourges  (1584),  d'Aix  (1385),  de  Toulouse  (1590),  de  Nar- 
bonne  (1609),  de  Sens  et  d"Aix  (1612),  sans  parler  de  ceux  des 
provinces  de  Besançon  et  de  Cambrai  qui  sous  la  domination 
espagnole  avaient  déjà  devancé  les  conciles  de  France,  tous  ces 
conciles,  dis-je,  se  conformèrent  aux  décrets  du  saint  Concile 
de  Trente.  Les  synodes,  les  prescriptions  diverses  émanées  de 
l'autorité  épiscopale  sont  toujours  selon  les  mêmes  règles.  Le 
7  juillet  1615,  les  évêques  réunis  à  Paris  et  représentant  le 
clergé  de  France,  après  avoir  mûrement  délibéré  sur  le  sujet 
de  la  publication  du  Concile  de  Trente,  reconnurent  et  déclarè- 
rent être  obligés  par  leur  devoir  et  conscience  de  recevoir,  comme 
de  fait  ils  ont  reçu  et  reçoivent  le  dit  Concile.  Comme  il  y  avait 
quelques  points  qui  ne  pouvaient  être  observés  qu'avec  le 
concours  de  l'autorité  civile,  les  prélats  ajoutent  :  promettant 


292  CONCILE   DE   TRENTE.  [Tome  VIII. 

de  l'observer  autant  qu'ils  peuvent,  lis  sont  d'avis  que  los  con- 
ciles de  chaque  province  doivent  êtres  convoqués  dans  six 
mois  pour  la  réception  du  dit  Concile,  et  si  les  conciles  ne 
peuvent  être  tenus,  la  réception  se  fera  dans  les  synodes. 
Quant  à  rautorité  civile,  plus  de  dix  fois  le  clergé  de  France 
fit  auprès  d'elle  les  plus  vives  instances  pour  obtenir  que  le 
Concile  de  Trente  fût  reçu  comme  loi  :  tous  les  efforts  furent 
inutiles,  malgré  la  précaution  prise  par  les  évêques  d'assu- 
rer au  roi  que  Sa  Sainteté  serait  suppliée  d'accorder  à  la 
France  des  concessions  sur  des  points  spéciaux. 

Le  Concile  de  Trente  a  donc  été  reçu  en  France,  mais  il  n'a 
pas  été  en  tout  appliqué  par  l'autorité  religieuse  et,  jamais  il 
n'a  été  admis  par  l'autorité  civile. 

H.  Bernari). 


BIBLIOGRAPHIE. 


lies  médiateurs  et  les  moyens  de  la  llag^ie,  les  Hallucina- 
tions et  les  Savants,  le  Fantôme  humain  et  le  Principe 
-vital,  par  M.  Des  Mousseaux. — Un  volume  iu-8.  Paris,  Pion,  1863. 


M.  Des  Mousseaux,  par  ses  précédents  ouvrages  {Dieu  et  les 
dieux,  —  la  Magie  au  XIX"  siècle),  a  pris  une  place  honorable 
parmi  les  écrivains  —  calkoliques  et  savants  — qui  signalent  à 
l'attention  publique  les  transformations  de  la  magie  contem- 
poraine. Depuis  que  le  spiritisme,  héritier  du  magnétisme,  a 
dévoilé  son  caractère  et  ses  folles  prétentions;  depuis  qu'il 
ose,  en  quelques  provinces,  employer  les  manœuvres  agres- 
sives d'une  secte,  l'Église,  toujours  habile  à  découvrir  l'erreur 
sous  les  déguisements  dont  se  couvrent  les  hérésies,  toujours 
prompte  à  prévenir  les  fidèles  contre  toute  propagan^le  dan- 
gereuse, a  condamné  cette  forme  actuelle  de  la  superstition  ; 
et  de  nombreuses  publications  —  des  Revues  et  des  livres  — 
expliquant  les  avertissements  des  Kvèques  et  la  décision  du 
Saint-Office,  font  reconnaître,  dans  cette  prétendue  rehgion 
de  l'avenir,  l'ancien  ennemi  du  catholicisme,  de  la  science  et 
du  bon  sens. 

Le  livre  que  nous  annonçons  ne  ressemble  en  rien  à  ces 
difiérents  travaux,  tous  utiles  à  certains  égards,  et  destinés, 
les  uns  à  recueillir  les  faits  qui  prouvent  la  possibilité  et  la 
réafité  des  rapports  de  l'homme  avec  le  démon,  les  autres  à 
relever  les  impiétés  et  les  absurdités  de  la  doctrine  spirite,  sans 
oubfier  les  déplorables  résultats  de  ces  pratiques  supersti- 
tieuses auxquelles  s'adonnent  encore  des  incrédules  et  des  im- 
prudents. 


-9i  BIBLIOGRAPHIE.  )TomeVlII. 

M.  Des  Mousseaux  a  déjà  constaté  l'existence  de  la  magie 
retrouvée.  Avant  de  s'acquitter  d'une  tâche  délicate  en  pu- 
bliant ses  études  sur  les  Phénomènes  de  la  magie,  il  fait  aujour- 
d'hui justice  des  préjuijés  qui  empêchent  tant  de  personnes  de 
juger  sainement  l'influence  'u  démon. 

Homme  du  monde,  l'auteur  a  le  mérite  d'afBrmer  que 
l'Eglise  seule  possède  le  secret  de  réduire  les  sciences  occultes 
ù  leur  véritable  valeur.  Elle  est  le  guide  dont  il  faut  accepter 
la  direction,  si  l'on  ne  veut  pas  s'égarer  dans  les  recherches 
qui  touchent  à  la  démonologie. 

Une  affirmation  si  franchement  catholique  caractérise  cette 
œuvre  originale  et  savante.  Le  spirituel  écrivain  la  justifie  en 
disant  que  la  foi,  cet  assentiment  donné  à  la  parole  de  Dieu, 
nous  préserve  en  même  teiups  de  l'incroyance  et  de  la  super- 
stition, car  elle  est  également  éloignée  d'une  témérité  trop 
créduh,  et  de  cette  négation  systématique  qui  rejette,  avec 
l'existence  des  esprits,  les  vérités  surnaturelles.  Si  l'Eglise, 
par  sa  doctrine  sur  les  anges  bons  ou  mauvais,  ne  nie  pas  la 
possibilité  des  relations  de  l'homme  avec  le  démon,  elle  dé- 
fend ce  commerce  criminel  par  sa  conduite  prudente  et  sévère 
à  l'égard  des  pratiques  suspectes.  Ainsi,  la  religion  chrétienne, 
organe  de  la  vérité  et  de  la  sagesse,  ne  laisse  entrevoir  le 
monde  magique  que  pour  en  interdire  l'accès. 

C'est  donc  au  point  de  vue  catholique  qu'il  faut  se  placer, 
si  l'on  veut  mesurer  la  sphère  d'activité  des  puissances  infer- 
nales. Or,  la  magie  ancienne  et  moderne  apparaît  simplement 
à  l'Église  comme  une  contrefaçon  satanique  de  la  religion.  Le 
démon,  dit  TertulUen,  ne  peut  être  que  le  singe  de  Dieu. 
Ange  révolté,  l'ennemi  du  genre  humain  conserve,  sur  les 
créatures  inférieures,  un  pouvoir  dont  il  ne  saurait  abuser  ni 
contre  les  desseins  de  la  Providence,  ni  contre  les  fidèles,  s'ils 
ne  se  livrent  pas  à  ses  illusions.  Renfermé  dans  ces  limites,  et 
consumé  par  le  désir  d'atïaiblir  le  règne  de  Dieu  en  causant  la 
perte  des  hommes,  il  n'a  qu'un  moyen  de  nuire  :  c'est  de 


Sept.  1SG3.]  BIBLIOGRAPHIE.  295 

so  transformer  en  ange  de  lumière  pour  donner  au  mal  l'ap- 
parence du  bien;  c'est  d'assiéger  les  âmes  par  des  suggestions 
trompeuses,  et  de  substituer  en  elles  l'erreur  à  la  foi,  le  vice 
à  la  vertu,  la  superstition  à  la  prière.  Parodier  la  religion  afin 
de  la  détruire  en  nous,  voilà  le  but  que  poursuit  l'infatigable 
perversité  de  Satan  et  de  ses  anges. 

Pour  y  parvenir,  tous  les  moyens  lui  sont  bons.  Puissance 
de  ténèbres,  il  dénature  la  vérité  catholique  par  les  hérésies. 
Auteur  du  péché,  il  excite  les  hommes  à  vivre  dans  l'oubli  de 
la  foi  divine.  Propagateur  de  l'idolâtrie,  il  se  fait  adorer  sous 
le  nom  des  fausses  divinités.  Les  idées  courantes  favorisent- 
elles  l'incrédulité,  le  démon,  satisfait  de  voir  les  chrétiens  in- 
différents suivre  d'eux-mêmes  le  chemin  de  l'abîme,  laisse 
nier  son  existence  et  ses  forces,  au  lieu  de  réveiller  la  con- 
science humaine  par  des  manifestations  inopportunes.  Le  mer- 
veilleux a-t-il  un  nouvel  attrait  pour  le  siècle,  bientôt  la  su- 
perstition renaîtra  sous  une  multitude  de  formes,  inventées 
par  les  mauvais  esprits  comme  des  moyens  de  mettre  les 
hommes  sous  leur  dépendance,  et  malheureusement  acceptées 
par  leurs  dupes  comme  un  perfectionnement  des  pratiques 
religieuses.  Mais,  malgré  cette  diversité  apparente,  toutes  les 
formes  du  Prêtée  de  la  magie  se  ressemblent  en  ce  qu'elles 
sont  toujours  une  imitation  grossière  et  sacrilège  des  institu- 
tions divines. 

Tel  est  l'aspect  que  présente  la  superstition,  envisagée  à  la 
lumière  de  la  foi.  Sous  ce  titre  :  les  Médiateurs  et  les  Moyens 
de  la  Magie,  M.  Des  Mousseaux,  développant  cette  idée  fé- 
conde, pouvait  indiquer  les  contrastes  que  fait  ressortir  l'op- 
position de  la  magie  et  du  Christianisme.  Dieu,  par  la  reli- 
gion, se  met  en  communication  avec  nous  pour  nous  sauver; 
le  démon,  par  les  rites  de  la  magie,  s'efforce  d'entretenir  des 
relations  superstitieuses  avec  les  hommes  pour  les  perdre. 
L'ordre  surnaturel  relève  de  Dieu  seul,  auteur  de  la  grâce  et 
des  miracles;  les  prestiges  de  la  magie,  quand  l'imagination 


293  BIBLIOGRAPHIE.  |Tom  ■  VIU 

ne  les  a  pas  rêvés,  sont  des  faits  merveilleux,  préternaturels, 
qui  étonnent  l'homme  sans  dépasser  les  forces  des  créatures 
angéliques.  L'union  de  l'homme  avec  Dieu  exige  le  concours 
de  la  grâce  et  de  la  liberté  :  Dieu  vient  à  nous,  et  notre  âme 
se  dispose  à  le  recevoir;  les  communications  avec  les  esprits 
supposent  aussi  deux  conditions  :  que  les  anges  rebelles 
cherchent  à  intervenir  même  visiblement,  et  que  l'homme  les 
attire  par  sa  confiance  téméraire.  Voilà  pourquoi  les  phéno- 
mènes de  la  magie  se  distinguent  difficilement  des  faits  pure- 
ment superstitieux.  Jésus-Christ  continue  l'œuvre  de  la  sancti- 
fication des  hommes  par  l'action  de  ses  ministres,  et  par  la 
vertu  des  sacrements;  le  démon  a  des  médiateurs  choisis  et 
des  signes  sensibles,  qui  sont  les  instruments  de  l'art  occulte. 
L'usage  des  sacrements  est  une  profession  de  la  religion  chré- 
tienne, un  des  liens  qui  unissent  entre  eux  les  membres  de 
l'Eglise  ;  l'emploi  sérieux  des  moyens  de  la  magit?  est  un  pacte 
implicite  qui  engage  envers  le  chef  de  la  cité  du  mal. 

L'élude  de  ces  médiateurs  et  de  ces  moyens  de  la  magie  nous 
découvre  une  véritable  analogie  entre  le  culte  des  idoles,  la 
sorcellerie  et  le  spiritisme.  Les  médiateurs,  ces  personnages 
nommés  à  difî'érentes  époques  pythonisses,  magiciens,  sorciers, 
médiums,  jouent  le  même  rôle  dans  l'histoire  sous  diverses  dé- 
nominations :  ils  initient  aux  mystères  ;  ils  sont,  peut-être 
sans  le  savoir,  les  pontifes  de  l'esprit  de  mensonge.  Les 
moyens  de  la  magie  sacerdotale  des  païens  se  confondent  avec 
les  procédés  du  magnétisme.  Par  exemple,  le  sommeil  magné- 
tique ne  ressemble-t-il  pas  au  sommeil  mystérieux  par  le- 
quel  les  oracles  du  démon  contrefaisaient  l'inspiration  des 
prophètes?  Et  la  verge  des  magiciens  de  Pharaon,  le  caducée 
des  médecins  du  paganisme,  la  baguette  divinatoire,  le  bâton 
des  sorciers  ne  simulent-ils  pas  un  signe  de  l'autorité  reli- 
gieuse de  Moise  et  des  évéques  ?  Eufiu,  chacun  sait  que  l'im- 
position des  mains,  symbole  de  la  transmission  du  pouvoir 
spirituel,  est  parodiée  par  toutes  les  formes  de  la  magie  an- 
cienne et  moderne. 


Sepl.ISGS.]  BIBLIOGRAPHIh-.  2;'7 

Celte  solution  catholique  des  questions  que  soulèvent  les 
sciences  occultes,  explique  tous  les  faits  et  répond  à  toutes  les 
difficultés.  En  faisant  la  part  de  Timagination  et  du  charlata- 
nisme, elle  ne  laisse  aux  esprits  mauvais  que  le  pouvoir  de 
séduire  leurs  esclaves  volontaires.  Elle  nous  apprend  que  les 
spirites,  accusés  du  crime  de  magie,  rétablissent  le  culte  des 
démons.  Le  chrétien  fidèle,  au  contraire;  est  protégé  contre  la 
superstition  par  la  fermeté  de  la  foi  et  par  la  sagesse  de 
l'Église  ;  car  l'autorité  rcligieusi',  sans  nous  obliger  ù  consta- 
ter les  faits  singuliers  attribués  au  spiritisme,  condamne  les 
abus  du  magnétisme,  et  «  l'audace  téméraire  avec  laquelle 
certaines  personnes  s'arrogent  la  faculté  d'évoquer  les  morts, 
de  recevoir  leurs  réponses,  de  découvrir  des  choses  inconnues 
et  éloignées  et  se  livrent  à  d'autres  superstitions  de  ce 
genre.  » 

M.  Des  Mousseaux,  par  un  éloquent  appel  adressé  à  la 
science  profane,  conjure  les  médecins  de  réfléchir  à  l'injustice 
des  accusations  dirigées  sur  ce  point  contre  la  religion.  Le 
catholicisme  est  l'ennemi  de  la  superstition  dont  le  règne,  in- 
terrompu par  Jésus-Christ,  persévère  chez  les  peuples  ido- 
lâtres, et  recommence  parmi  les  chrétiens  quand  la  foi  est 
affaiblie,  ainsi  que  le  prouve  l'étrange  succès  des  tables  tour- 
nantes. Si  les  Facultés  de  médecine,  qui  doutent  de  la  possi- 
bilité des  possessions  et  considèrent  les  malheureux  exorcisés 
comme  des  malades  ordinaires,  daignaient  ouvrir  le  Rituel 
romain,  les  règles  de  l'exorcisme  apprendraient  aux  docteurs, 
que  l'Église,  pour  ne  pas  confondre  une  infirmité  commune 
avec  la  possession  réelle,  prend  toutes  les  précautions  exigées 
par  la  médecine. 

Dans  les  pages  intitulées  :  les  Hallucinations  et  les  Savants, 
l'auteur  ne  se  contente  pas  de  justifier  l'Église,  il  provoque  à 
son  tour  les  accusateurs  avec  une  ironie  chrétienne  qui  blesse 
pour  guérir;  il  décrit  les  symptômes,  les  progrès  et  les  suites 
funestes  de  cette  infirmité  spirituelle  qui  trouble  la  vue  des 


29S  BIBLIOGRAPHIE.  [TomeVIII. 

incrédules,  quand  ils  sont  en  face  de  la  vérité.  Sous  l'empire 
de  ce  mal  intellectuel,  ils  s'imaginent  que  les  hommes  reli- 
gieux sont  tous  hallucinés,  et  la  crainte  du  surnaturel  les 
expose  à  des  bévues  réjouissantes.  Quelquefois  même  une  in- 
vincible répugnance  ne  leur  permet  pas  de  discuter  les 
preuves;  ils  nieront  d'abord,  sans  examen,  la  possibilité  des 
faits  magnétiques,  merveilleux,  parce  que  ces  faits  ne  se  ré- 
pètent pas  avec  la  régularité  des  lois  physiques.  Et  les  mêmes 
représentants  de  la  science  incrédule,  par  une  contradiction 
dont  leur  conscience  a  le  secret,  inventeront  ensuite  des  théo- 
ries absurdes  pour  expliquer  naturellement  ce  qui  ne  vient  ni 
de  Dieu,  ni  de  la  nature. 

Ces  théories  physiologiques,  animistes  et  panthéistes  sur  le 
Fantôme  humain  et  le  Pt^incipe  vital  sont  une  nouvelle  preuve 
de  la  facilité  avec  laquelle  on  admet  l'impossible  pour  éviter 
le  surnaturel.  M.  Des  Mousseaux  les  expose  et  les  réfute  par 
les  principes  de  la  vraie  science  et  de  la  foi.  L'Église  aime  à 
voir  des  écrivains,  des  savants  défendre  ainsi  la  vérité,  et  nous 
savons  que  cet  esprit  catholique  règne  parmi  ces  médecins, 
jeunes  encore,  dont  la  nouvelle  école,  déjà  florissante,  ne 
désespère  pas  de  réconcilier  la  science  médicale  avec  la 
théologie. 

L'honorable  auteur  a  obtenu  la  première  récompense  de  ses 
convictions  et  de  son  respect  envers  l'Église.  Son  ouvrage  at- 
taque victorieusement  la  fausse  science  des  incrédules,  les 
préjugés  de  plusieurs  médecins,  et  les  vieilles  superstitions 
rajeunies  par  le  spiritisme. 

Nous  souhaitons  que  cet  écrit,  destiné  à  produire  du  bien 
dans  un  certain  monde,  soit  accueilli  favorablement.  Mais  le 
succès  lui  est-il  assuré  par  la  beauté  de  la  forme  qui  doit  s'a- 
jouter à  la  vérité  des  conclusions?  Il  faut  l'avouer  :  les  règles 
du  goût  demandaient  un  style  plus  naturel.  Cependant,  si 
M.  Des  Mousseaux,  en  s'adressant  aux  lecteurs  prévenus 
contre   l'Église  par  les   productions  malsaines  de  l'erreur. 


Sepl.  1865.1  BILLETIN.  299 

a  voulu,  grâce  à  Texcessive  origintxlité  de  ses  récits,  rendre  le 
contre-poison  plus  piquant  et  plus  efficace,  le  public  oubliera 
sans  doute  des  imperfections  pardonnables  pour  applaudir  à 
la  publication  d'un  bon  livre.  L.  Huguenin. 


BULLETIN. 

1.  Livres  mis  a  l'index.  —  Décret  du  Sa  juin  1863.  —  Sludii  sovra 
il  libro  primo  del  progetto  di  Codice  ciuile  prosentato  al  Senato  del 
Reguod'Italia  per  Giuseppe  Buniva,  professore  di  codice  civile  nella  Re"ia 
Uïiiversità  di  Torino.  Toriuo  1863.  " 

Enseignement  pratique  dans  les  salles  d'asile,  par  madame  Marie  Pape- 
Carpentier,  directrice  du  cours  pratique  des  salles  d'asile.  Paris,  librairie 
de  L.  Hachelte  et  C"  1854. 

Scripfa  omnia  romanenna  quœ  sub  Domine  utriusque  Alexandri  Dumas 
iu  lucem  édita  circumferuntur  quocumque  idiomute. 

La  Chiesa  e  l'italia  per  Eusebio  Reali  —  Voluuie  unico.  Milano  1862 
J)ecr.  S.  Officii  Fer.  IV.  die  25  Febrnarii  1863. 

Décret  du  25  août  18»  3.  —  Vie  de  Jésus,  par  Eroest  Renan,  membre  d« 
l'Institut.  Paris  1863. 

Les  Évangiles,  par  Gustave  d'Eicbtal.  Paris  1863. 

Le  Piaghe  délia  Chiesa  Milanese.  Milano  1863. 

//  clero   Veneto  nell'anno  1862,  per  un  testimonio  di  vista  e  di  fatto 
Bologna  186-2. 

Enseignement  pratique  dans  les  salles  d'asile,  par  madame  Marie  Pape- 
Carpentier,  directrice  du  cours  pratique  des  salles  d'asile.  Damnatur  et 
editio  altéra, 

2.  L'ouvrage  de  M.  Renan,  dont  ou  vient  de  lire  la  condamnation,  a 
été  un  événement  parmi  les  incrédules.  Nous  disons  parmi  Ips  incrédules, 
dont  il  flatte  les  penchants  et  fortifie  les  secrètes  espérances,  car  les 
fidèles  ne  se  préoccupent  de  ces  coupables  tentatives  que  pour  plaindre 
ceux  qui  en  sont  les  auteurs,  les  complices  et  les  victimes.  Quant  à  la 
science,  elle  n'a  rien  à  voir  absolument  dans  une  œuvre  qui  n'a  de  sé- 
rieux que  ses  prétentions,  et  qui  accuse  une  i;inorance  ou  une  mauvaise 
foi  peu  communes.  Strauss  au  moins  s'était  cru  obligé  de  savoir:  sa 
compilation  se  présente  toute  hérissée  du  pesant  apyiareil  de  l'érudition 
germanique.  M.  Renan  nous  arrive  avec  un  bagage  infiniment  plus  léger 
et  des  airs  moins  pédantesques  :  il  est  même  très-brouillé  avec  la  loniqus 
et  quelque  peu  aussi  avec  lu  bon  sens.  Il  fautUre  la  brochure  de  M.  l'abbé 
Freppcl,  qui,  armé  d'une  critique  incisive  et  d'une  érudition  de  très-bon 
aloi,  fait  bonne  justice  des  procédés  inqualifiables,  des  erreurs  sans 
nombre  et  de  l'ignorance  qui  s'étalent  dan.-  celte  pauvre  éhicubration. 
C'est  une  exécution  complète,  dont  le  sophiste  élégant  du  Collège  de 
France  no  pourra  pas  se  relever.  (Examen  critique  de  la  Vie  de  Jési's  de 
AL  Renan,  par  M.  l'abbé  Freppel.  Paris,  V.  Palmé.  3e  édition.  8»  de 
112  pp.  1  fr.  50.)  Le  célèbre  conférencier  de  N.-l).  est  aussi  entré  dans 
la  lice.  (A/.  Renan  et  sa  Vie  de  Jésus.  Par  le  R.  P,  Félix.  Paris,  Douniol, 
8o  de  48  pp.  1  fr.)  NN.  SS.  les  évêques  de  Nîmes  et  d'Alger  ont  discuté 
cette  nouvelle  production  de  l'esprit  d'impiété  avec  l'autorité  du  Pontife 
et  du  théologien.  [Instruction  pastorale  de  Mgr  Planlœr,  éuctjue  de  Nîmes, 
au  clergé  de  son  diocèse,  contre  un  ouvrage  intitulé  :  Vie  de  Jésus,  par  Er- 
nest Renan.  —  l^e  partie.  La  Dédicace.  — Les  Principes. —  Les  Sources. 
2e  édition.  Paris  et  Nîmes,  L.  Giraud,  8o  134  pp.  2  fr.  —  A  chacun  selon 
ses  oeuvres  !  Observations  de  Mgr  l'Evèque  d'Alger  sur  le  roman  intitulé  : 
Vie  de  Jésus,  par  M.  Ernest  Renan.  2^  éd.  Alger,  Bastide,  cl  Paris,  Chal- 
lamel.  8°  de  90  pp.)  Plusieurs  autres  prélats  ont  porté  des  condamnations 
solennelles  contie  ce  même  livre. 

Nous  n'en  finirions  pas  si  nous  voulions  énumérer  toutes  les  protesta- 


3'flO  BULLETIN.  [Toiua  VÎII. 

tioDs  énergiques  sorties  de  la  plume  de  MM.  Poujoulat,  Laureolie,  Hello, 
Lasàerre,  etc.  Contentons-nous  de  citer  encore  un  écrit  où  la  question 
est  reprise  à  un  point  de  vue  un  peu  plus  général  :  La  Critique  et  la  Tac~ 
tique.  Etude  sur  les  procédés  de  l' Antickristianisnte  moderne  à  propos  de 
M.  Renan,  par  le  P.  Delaporte.  Paris,  Douuiol,  8''  101  pp.  Ce  travail, 
instructif  dans  son  ensemble,  contient  sur  la  réorganisation  de  la  science 
catliolique  des  vues  que  l'auteur  a  développées  et  fait  admettre  au  sein 
du  Congrès  de  Maliues.  Nous  reviendrons  sur  cette  dernière  question. 

3.  Nous  regrettons  de  n'avoir  pu  annoncer  encore  une  nouvelle  série 
de  tlièses  publiées  par  le  P.  Schrader  depuis  quelques  mois.  L'éminent 
professeur  de  Vienne  a  suivi  la  même  méthode  que  dans  la  première 
série,  et  nous  ne  pouvons  par  conséquent  que  renvoyer  à  l'article  publié 
dans  la  Revue  t.  v,  p.  '2189.  Nous  ajouterons  seulement  qu'ici  les  indica- 
tions biblio;j;aphiques  sont  intinimenl  plus  complètes,  et  que  le  volume 
est  terminé  par  une  dissertation  sur  la  question  si  épineuse  de  la  pré- 
destination. [T/ieses  theologicœ  quas  in  Vindobonensi  academiu  synopsis 
instar  auditoribus  tradidit  P.  Clemens  Schrader  S.  J.  {Séries  altéra.) 
Accedtt  de  prœdcstinatione  commentarius.  Friburgi  Brisgoviœ.  Sumtibus 
Herder.   18ii3,  Gr.  8"  40-23  pp.) 

4.  La  Sainte  Communion  considérée  eu  point  de  vue  philosophique,  théo- 
logique  et  pratique,  par  le  R.  P.  Dal:airns,  prêtre  de  l'oratoire  de  S.  Phi- 
lippe de  Néri.  Ouvrage  traduit  de  l'Anglais  par  M.  l'abbé  L.  Godard, 
suivi  (ï un  Traité  sur  la  fréquente  Communion  emprunté  aux  Analecta 
Juris  Pontificii.  Paris,  Bray.  2  vol.  gr.  in-18,  360,  303  pp.  6  fr.  —  Tel 
est  le  tilre  d'un  savant  et  pieux  ouvrage  qui  vient  d'être  rendu  acces- 
sible au  public  français,  et  qui  est  déjà  célèbre  en  Angleterre  et  en  Al- 
lemagne. Nous  rappellerons  à  cette  occasion  un  autre  livre  également 
remarquable,  du  même  auteur  ;  De  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus, 
avec  une  introduction  sur  l'esprit  du  jansénisme.  Trad.  par  M.  l'abbê 
Poulide.  Paris,  Bray,  1856.  1  vol.  gr.  in-18.  xxiii-323  pp.  3  fr. 

5.  Nous  avons  annoncé  jadis  la  belle  édition  de  Grenade  que  publie  la 
maison  Vives,  et  nous  avons  rendu  un  juste  hommage  à  la  traduction 
du  premier  volume  qui  est  due  à  la  plume  de  M.  l'abbé  Bareille.  Les 
tomes  iij  Yi,  X,  XI,  xii  ont  paru  depuis.  Tandis  que  M.  Bareille  traduit 
de  l'espagnol  les  œuvres  ascétiques  et  didactiques  de  Grenade, 
MM.  Duval,  vicaire  général  d'Amiens,  A.  Crampon,  J.  Boucher  et 
G.  Berton  traduisent  du  latin  les  œuvres  oratoires.  Les  tomes  ii  et  vi 
sont  des  nouveaux  traducteurs.  Le  style  en  est  moins  coulant  que  celui 
du  tome  i.  Mais  après  une  comparaison  attentive  avec  le  latin,  nous 
pouvons  aftirmer  q'ue  cette  traduction  a  aussi  son  mérite,  et  même 
qu'elle  reproduit  avec  plus  de  fidélité  la  physionomie  toujours  originale 
et  parfois  un  peu  étrange  de  l'illustre  auteur.  Nous  espérons  pouvoir 
publier  bientôt  une  étude  sur  ces  sermons. 

G.  Nous  apprenons  que  l'éditeur  de  Grenade,  dont  l'activité  est  si  con- 
nue, fait  metae  en  ce  moment  sous  presse  de  nouvelles  éditions  des 
Dogmata  theologica  de  Petau  et  de  Thbmassin,  ainsi  que  du  Jus  canoni- 
cum  uniuersum  de  Reiû'eustuel.  Ce  sont  là  des  entreprises  qui  ont  toutes 
nos  sympathies.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  traduction  française  du 
Corpus  juris  canonici.  également  eu  voie  de  préparation.  Rarement  le 
malencontreux  système  des  traductions  a  été  appliqué  d'une  manière 
plus  inopportune. 

7.  Le  tome  i  de  la  réimpression  des  Acta  Sanctorum  annoncée  depuis 
si  longtemps  a  enfin  paru  chtz  l'éditeur  V.  Palmé,  à  Paris.  Les 
volumes  se  suivront  régulièrement,  à  ce  qu'on  assure. 

8.  Notre  collaborateur  M.  Grandclaude  publie  eu  ce  moment  un 
abrégé  de  philosophie  en  langue  latine  destiné  àleuseignement  dans  les 
séminaires.  L'ouvrage  aura  deux  volumes  in-l2.  Ceux  qui  out  lu  dans 
uotre  recueil  les  remarquables  études  de  M.  Grandclaude  apprendront 
avec  plaisir  qu'il  a  entrepris  de  nous  donner  un  livre  qui  nous  manque, 
c'est-à-dire  un  Manuel  rédigé  d'après  des  principes  irréprochables,  court 
et  cependant  assez  complet,  élémentaire  sans  être  superficiel. 

E.  Hautcœur. 


LA  LITTERATURE  THÉO  LOGIQUE  EN  ALLEMAGNE 

Pendant    l'année    1  SO!2. 

(Fin.) 


CORRESPONDANCE, 


VU. —  Droit  canonique. 

Nous  avons  vu  paraître  daas  le  cours  Je  l'aunée  dernière  deux  nou- 
veaux manuels  de  droit  canonique,  et  deux  autres  en  cours  de  publica- 
tion ont  été  achevés.  Ces  quatre  ouvrages  ont  tous  leur  raison  d'être  et 
leur  utilité  à  côté  de  ceux  que  nous  possédions  déjà. 

Et  d'abord,  le  D''  Phillips,  le  converti  bien  connu  de  vos  lecteurs, 
nous  a  donné  la  fin  de  son  Manuel,  qu'il  faut  éviter  soigneusement  de' 
confondre  avec  son  grand  ouvrage.  Ce  dernier  est  i;onçu  sur  un  plan 
tellement  vaste,  que  le  5»  volume  publié  en  1857  ne  fait"  que  commen- 
cer la  partie  spéciale.  Tous  les  canonistes  se  sont  réjouis  d'apprendre 
récemment  qu'il  va  être  continué  avec  activité.  C'est  en  effet  une  œuvre 
extrêmement  remarquable,  une  œuvre  qui  fait  époque  par  la  manière 
aussi  neuve  que  profonde  d'envisager  cette  science  du  droit  si  aride 
eu  apparence.  Le  Manuel  est  comme  un  extrait  du  grand  ouvrage, 
mais  un  extrait  qui  est  maintenant  achevé,  tandis  que  le  grand  ouvragé 
ne  le  sera  pas  de  longtemps.  Ou  ne  peut  conseiller  de  meilleur  livre  aux 
théologiens  qui  veulent  se  familiariser  avec  le  droit  canonique.  A  part 
quelques  minuties  qui  ne  valent  pas  la  peine  d'être  relevées,  il  n'a 
vraiment  qu'un  défaut  :  c'est  d'être  trop  étendu  et  trop  cher  à  cause 
des  citations  qui  l'ont  grossi  outre  mesure,  et  de  sa  brillante  exécution 
typographique.  [Lehrhv.ch  des  Kirchenrechts.  Regensburg,  Manz.  1839-63. 
80  xxvi-1302  pp.  7  thlr.  10  ngr.) 

Nous  avons  vu  aussi  s'achever  le  Manuel  du  droit  ecclésiastique  en  vi- 
gueur en  Autriche,  par  le  Di"  Giuzel,  chanoine  et  professeur  à  Leilmeritz 
en  Bohême.  [Hai{dbuch  des  in  Œsterreich  geltenden  Kircltenrechts.  Wien, 
BraumuUer,  1857-62.  2  Bde  in  3  Abth.  8»,  380,  973,  162  pp.  6  thlr! 
20  ngr.)  Le  titre  ludique  assez  le  but  spécial  de  l'ouvrage  :  il  est  destiné 
à  l'Autriche,  et  à  l'Autriche  sous  le  régime  du  concordat  de  1855.  Phillips 
a  pris  pour  base  de  son  plan  une  idée  théologique,  celle  du  triple 
pouvoir  donné  par  Jésus-Christ  à  l'Eglise,  jurisdictio,  magisterium,  mi- 
msterium;  Ginzel  retourne  à  la  vieille  division  de  Gratien,  la  couslitu- 
tiou  de  l'Eglise,  les  personnes,  les  choses.  Celte  dispo.sition  est  pins 
commode  peut-être  pour  les  recherches,  mais  au  point  de  vue  scienti- 
fique elle  laisse  beaucoup  à  désirer,  ne  fût-ce  que  par  la  confusion  et 
les  redites  qu'elle  amène  nécessairement.  11  est  plus  regrettable  encore 
que  l'auteur  manque  çà  et  là  de  précision  et  d'exactitude,  surtout  en  ce 
qui  louche  au  droit  commun  :  il  traite  d'une  manière  excessivement  la- 
pide et  incomplète  certaines  choses  qui  lui  semblent  à  tort  dénuées 
d'importance  pratique  (p.  ex.  les  censures,  le  sujet  de  la  propriété  ecclé- 
è\ni\.\(\\\c,  privatio  bf.neficiorum),  et  dépasse  au  contraire  toute  mesure 
par  rapport  à  certains  autres  points  (l'Ordre,  le  procès  canonique,  le 
patronal).  Après  la  puldicatiou  du  premier  volume,  on  a  reproché  au 
Or  Giiizel  (le  n'avoir  fait  qu'une  compilation  rapide  et  superficielle  em- 
pruntée à  Phillips,  Helfcrt,  Bouix,  etc.,  el  d'avoir  introduit  dans  son 
ex(osé  beaucoup  de  questions  qui  sont  du  ressort  de  la  dogmatique,  de 
la  morale  et  de  la  liturgie.  11  s'est  défendu  éncrgiquement  et  avec  un 
plein  succès  sur  le  premier  point  ;  quant  au  second  reproche,  qui  atteint 
presque  tous  nos  manuels  à  l'exception  de  celui  de  Sçhulte,  rédigé  d'à- 


302  CORRESPONDAKCE.  [Tome  VlII. 

près  une  méthode  juridique  très-exacte,  le  Dr  Ginzel  n'a  pu  le  repousser 
d'une  manière  aussi  décidée.  En  dehors  de  l'Autriche,  son  livre  peut 
être  utile  surtout  par  la  quantité  de  faits  qu'il  contient  et  qui  montrent 
à  une  époque  toute  récente  l'application  des  règles  du  droit  ecclésiasti- 
que en  vigueur  aujourd'hui. 

Le  Di'  Aichner,  chanoine  et  professeur  à  Brixen,  a  exposé  plus  briève- 
ment le  droit  ecclésiastique  autrichien.  {Compendinm  juris  ecclesiastici 
cum  particu/ai  i  attentione  ad  loges  porticulares  vi  conventionis  XVlllva 
augusfi  MDCCCLV  cum  sede  Apostolica  initce  in  imierio  Ausiriaco  vi- 
gentes.  Brixinae  et  Leontii,  Weger,  gr.  80  xvi-686-5t5  pp.  3  thlr.)  Les  juges 
les  plus  compétents  s'accordent  à  faire  de  ce  Coiyipendium  un  éloge  mé- 
rité. Le  Dr  Kober,  par  exemple,  dans  la  Theologische  Quartcdschrift  de 
Tubingue  (I  Hefl  i8o3,p.  154),  le  désigne  comme  un  travail  parfaitement 
réussi.  11  loue  l'érudition  et  la  science  de  l'auteur,  sa  méthode  claire, 
son  exposition  précise  et  complète  en  même  temps,  son  langage  facile 
et  coulant,  l'exactitude,  la  modération  et  l'habileté  avec  laquelle  il 
combat  les  doctrines  gallicanes,  fébroniennes  et  joséphistes.  Le  D' 
Aichner  a  eu  soin  de  traiter  avec  le  développement  nécessaire  toutes 
les  questions  pratiques,  de  façon  à  fournir  aux  étudiants  et  aux  prêtres 
employés  dans  le  ministère  un  guide  suffisant.  C'est  ainsi  que  le  traité 
du  mariage  occupe  à  lui  seul  130  pages. 

C'est  pour  la  Suisse  et  en  particulier  pour  le  cation  de  Lucerne  que 
le  D'  Winkler,  chanoine  et  professeur  dans  cette  ville,  a  composé  son  Ma- 
nuel de  droit  canonique.  [Lehriuch  des  Kirchenrechis,  mit  besonderer 
Rucksichi  auf  die  Schweitz.  Luzern,  Rœber,  8»,  xx-462  pp.  1  thlr  15  ngr.) 
Ce  travail  composé  sans  prétenliou  d'après  Walter  et  Pcrmaneder, 
comme  l'auteur  le  dit  lui-même,  est  loin  d'être  sans  mérite:  il  répond 
très-bien  à  son  but  pratique  et  à.  sa  destination  spéciale.  En  dehors  du 
public  auquel  il  s'adresse  plus  particulièrement,  il  peut  être  ulile  surtout 
à  cause  de  la  collection  des  lois  et  ordonnances  relatives  au  diocèse  de 
Bàlc  et  au  canton  de  Lucerne,  qu'il  contient  sous  forme  d'appendice. 

Outre  ceux  qui  viennent  d'être  cités,  nous  possédons  encore  et  nous 
étudions  bien  d'autres  manuels  de  droit  canonique,  surtout  ceux  de 
Walter  (IS*  éd.  186^,  Permaneder  (3e  éd.  185G),  Scbulte  {Katholische 
Kirchenrecht,  â  Bde  1836-60  ;  Lehrhuch  d.  Kath.  Kirchenrxhis,  1  Bd.  1863), 
et  Pachmann  [Lehrbuch  des  K.  R.  mit  bezug  auf  die  œs'err.  Verhœlinisse, 
4  Bde,  3<?  éd.  en  cours  de  publication).  Wàller  est  surtout  important  au 
point  de  vue  historique,  Permaneder  au  point  de  vue  de  la  pratique,  et 
Schulte  est  le  juriste  par  excellence  :  la  nouvelle  édition  de  Pachmann 
sera  quelque  chose  d'analogue  à  l'ouvrage  da  D"  Ginzel,  mais  plus 
étendu  et  plus  soigné.  Je  n'ai  ciié  qu'incidemment  le  Lehrbuch  du  W 
Schulte,  qui  appartient  par  sa  date  à  l'année  1863,  bien  qu'il  ait  réel- 
lement paru  eu  1862. 

A  CCS  ouvrages  généraux,  il  faut  joindre  un  bon  nombre  de  mono- 
graphies. 

Nous  devons  au  D^  Kober  un  traité  des  suspenses  composé  d'après  des 
recherches  entièrement  neuves,  et  qui,  comme  son  ouvrage  sur  l'excom- 
munication, est  un  vrai  chef-d'œuvre  de  méthode,  de  précision,  de  clarté, 
de  profondeur,  d'exactitude.  (Die  Suspensioa  der  Kirchendiener  nach  den 
Grundsœtzcn  des  canonisclien  liec/its  dargestcllt.  Tuhiugeu,  Laupp.  8°.  ix- 
409  pp.  1  thlr  28  ngr.  —Der  Kirchmbunn.  Ebd.  8°  1837.  2  Autl.  1863.) 
De  part  et  d'autre,  l'auteur  s'est  attaché  à  montrer  le  développement  his- 
torique du  droit  pour  eu  dégager  les  dispositions  actuellement  en  vi- 
gueur;, et  pour  en  faciliter  l'intelligence  et  l'applicalion.  Le  D"^  Kober 
nous  rromet  de  traiter  de  la  même  manière  les  peines  vindicatives, 
c'est-à-dire  la  déposition  et  la  dégradation.  Heureux  si  nous  pouvions 
avoir  un  jour  des  monographies  aussi  parfaites  sur  toutes  les  parties  du 
droit  ecclésiastique  ! 

Citons  encore  d'autres  monographies  moins  importantes,  mais  néan- 
moins très-estimal'les  :  celles  de  Lobcrscheiuer  surles  biens  ecclésiastiques 
en  Autriche  iDas  Kirchenverrnogen,  oder  die  gesetzi.  Art  der  Erwerbung 
und  Werwaltung  der  Gotleshnis-  und  Pfrundvennogens.  auf  (irnndlage  des 
œsterr.  Concordâtes  urid  der  in  Folge  dessen  geltenden  Bestirnmungen. 
Budweiss,  Hausen,  1  thlr  10   ngr)  ;   de   Daller,  sur   l'erreur  considérée 


Sepl.  1863.)  CORKEsPONDANCE.  30'J 

comme  empêchemeut  i-lirimaut  du  mariage  {Der  Irrthum  als  trennendes 
Ehehindurniss  nadi  KnUiolischem  Eherechte,  Landshut.  Wolflle.  10  ngrj; 
de  Gerlach  sur  la  déOniliou  du  droiL  canonique  [Logish-juridisclte  Ab- 
handlung  ûher  die  Définition  des  K.  R.  Paderborn,  Schœning,  8  ngrO,  et 
sur  la  situation  de  l'Eglise  catholique  vis-à-vis  de  la  législation  prus- 
sienne {Das  VerhœUidss  des  preusiisc/ten  Staats  zu  der  Katholischm  Kir- 
che,  ebd.  10  ngr.';  enfin,  celle  de  Sentis,  De  jure  testamenlonim  a  clcri- 
cis  ordinandorum  (Bonute,  Georgi). 

Diverses  coUectious  de  sources  ont  aussi  vu  le  jour.  F.  Walter,  le  cé- 
lèbre jurisconsulte,  a  réuni  dar.suu  livre  malheureusement  trop  coûteux: 
1°  un  choix  de  sources  historiques  disposées  par  ordre  chronologique  , 
2°  des  documents  empruntés  à  la  législation  actuelle  do  l'Eglise  et  dis- 
posés par  ordre  des  matières.  'Foules  jwis  ecclesiastici  antiqui  el  hodierni. 
Bonuœ,  Marcus,  xii-599  pp.  2  thlr  20  ngr,)  Le  curé  Burger  et  l'archi- 
viste Kothing  nous  ont  donné  des  recueils  qui  concernent  spécialement 
la  Suisse  ;  le  syndic  épiscopal  Vogt  a  recueilli  la  législation  diocésaine 
de  Rottenburg.  (J.  Burger,  Die  eidgenœssischen  und  kantonalenConcordate, 
Geseize  und  Verordnungen,  betreffend  die  Verekelichungen  in  der  Sc/iweitz 
zwisdteti  Atigeliisrigen  der  verschiedene  Kantone  und  des  Auslandes.  Bern 
u.  Solothurn.  Jent  u.  Gassmann.  ix-345  pp.  3  fr.  60  c.  —  M.  Kothing, 
Die  Bisthums-verhandlangen  der  sdtweizerisch-konstanzischen  Diœcesan- 
stœnde  von  1803  bis  1862.  Schwyz,  Sebstverlag.  s-428  pp.— A.  Vogt,  Kir- 
chliche  Verordnungen  fiïr  das  Bisthum  Rottenburg.  Gmûud,  Schmid.  x- 
467  pp.  1  thlr  10  ngr.)  U  faut  ajouter  un  opuscule  du  professeur  Huffer, 
de  Bonn,  important  pour  l'histoire  <les  sources  du  droit  canonique  au 
raoyeu-àge.  {Beitrœge  zur  Geschichte  der  Quellen  des  K.  R.  und  des  rœm. 
R.  ïm  Mittela/ter.  Munster,  Ascheudorf.  8»  vi-148  pp.  25  ngr). 

Pour  eu  finir  avec  la  littérature  canonique,  il  me  reste  à  dire  un  mot 
du  Manuale  latindatis  juris  canonici,  de  Rosshirt,  dont  vous  avez  déjà 
entretenu  les  lecteurs  de  la  Revue  (t.  vi.  p.  496).  Malheureusement,  ce 
n'est  qu'un  essai  bien  incomplet,  bien  imparfait,  une  pierre  d'attente  en 
quelque  sorte,  et  l'œuvre  reste  à  faire. 

VII.  —  Pastorale. 

J'arrive  bientôt  au  bout  de  nos  richesses.  Les  rubriques  suivantes 
comme  celle-ci  n'offriront  plus  qu'une  énumération  bien  courte.  Je  n'ai, 
eu  effet,  à  mentionner  ici  que  la  fin  de  la  pastorale  du  prof.  Kerschbau- 
mer,  et  les  deux  premiers  volumes  de  l'ouvrage  plus  développé  du  P. 
iienger.  Ce  dernier  est  au  fond  une  8e  édition,  considérablement  aug- 
mentée et  entièrement  refondue,  de  la  théologie  pastorale  de  Gallowitz, 
dont  les  dernières  éditions  avaient  été  revues  par  Vogl  et  Haringer.  Je 
reviendrai  sur  ces  deux  ouvrages  aussitôt  que  j'aurai  pu  les  comparer 
avec  le  travail  tout  à  fait  original  d'Amberger,  qui  a  maintenant  paru 
eu  entier. 

VIII.  —  Homilétique, 

Vous  me  permettriz  de  laisser  de  côté  la  masse  innombrable  de 
productions  moyennes  qui  se  pressent  ici,  et  qui  n'ont  d'autre  utilité 
que  de  fournir  un  secours  à  la  paresse.  Parmi  les  livres  qui  dépassent  ce 
uiveau,  je  citerai  spécialemout  les  deux  qui  suivent. 

Le  ThcopJiilus  du  D"  Martin,  évêque  de  Paderborn,  comprend  une  sé- 
rie d'instructions  sur  les  évangiles  des  fêtes  et  des  dimanches  de  l'année. 
(Theophilus,  oder  Vnterweisutigen  iibcr  die  Sonn-und  Festtœg!ich:n  Evan- 
gelien  des  Kirchenjahres.  Paderborn,  Schœning.  2  Bde  8o  xiv-420,  511  pp. 
1  thlr.  25  ngr.  Une  2«  édition  vient  de  paraître.)  Quand  je  dis  instructions, 
il  ne  faut  point  entendre  par  là  des  homéhes  proprement  dites,  ni  même 
un  commentaire  écrit  dans  un  simple  but  d'édification.  L'illustre  auteur 
réunit  les  résultats  de  la  science  exégétique  sur  chacun  des  textes  qu'il 
commente,  el  résout  toutes  les  difficultés  que  la  lecture  peut  faire  naître. 
Ecrit  principalement  en  vue  du  public  instruit,  son  ouvrage  peut  aussi 
être  d'une  grande  utilité  aux  maîtres  et  aux  ecclésiastiques  chargés 
d'expliquer  chaque  semaine  l'évangile  du  dimanche. 

Je  me  contente  d'indiquer  aujourd'hui   un  remarquable  ouvrage  du 


30 '<  CORRESPO!SDA>CF.  [Tome  VIII. 

D'  Deutipger,  autrefois  professeur  et  maintenant  prédicateur  de  l'uni- 
versité de  Munich  {Das  Reich  Gottes  nach  dem  Apostel  Johannes),  me 
réservant  d'en  parler  plus  longuement  après  la  publication  du  troisième 
et  dernier  volume  que  nous  attendons  encore. 

IX.  —  Liturgie, 

Jusqu'à  ces  derniers  temps,  pour  avoir  des  livres  liturgiques  convena- 
blement exécutés,  nous  étions  forcés  de  les  faire  venir  de  l'étranger, 
principalement  d'^  France  et  de  Belgique.  Cet  état  de  choses  a  cessé, 
grâce  surtout  aux  efforts  de  la  maison  Pustet,  à  Ratisbonne.  Cet  esti- 
mable éditeur  no^jsa  donné  l'an  dernier  une  magnifique  édition  in-8  du 
Missel,  dont  vous  avez  justement  fait  l'éloge  [Revue,  t.  v,  p.  488);  il  a  en 
outre  exécuté  une  édition  in-4''  du  Bréviaire  (en  quatre  parties),  qui 
pour  la  perfection  technique  comme  sons  le  rapport  liturgique  ne  laisse 
presque  rien  à  désirer  aux  critiques  les  plus  exigeants  'pr.  50  fr.)  ;  en- 
fin, quand  je  vous  écrirai  de  nouveau,  j'aurai  à  mentionner  une  édition 
in-f*  du  Missel  qui  réunit  les  mêmes  avantages. 

En  même  temps,  M.  Muhlbauer,  maître  des  cérémonies  de  l'Église 
métropolitaine  do  Munich,  réimprimait  l'édition  authentique  des  décrets 
de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  en  les  disposant  d'après  l'ordre  al- 
phabétique, plus  commode  pour  les  recherches.  Son  édition  reproduit 
tout  ce  que  renferme  celle  de  Rome,  y  compris  les  notes  de  Gardellini 
et  l'instruction  Clémentine  avec  le  commentaire  :  il  y  ajoute  un  bon 
nombre  de  décisions  inédites  ou  émanées  d'autres  Congrégations,  et  des 
constitutions  pontificales  se  rapportant  aux  matières  liturgiques.  Cinq 
fascicules  ont  paru  jusqu'à  présent.  [Décréta  uuthenticu  S.  R.  Cotigrega- 
tionis  cum  notis  Gardellini,  et  Insfructio  denientina  cum  commentcnnis  in 
unim  cleri  contmodiorem  orditie  alphabetico  concirmata.  Monachii,  Lentuer. 
Fasc.  1-5,  gr.  S»,  p.  1-736,  18  ngr  pro  fasc.)  11  a  également  paru  une  édi- 
tion du  Miinoriale  rituum  de  Benoît  XiV  (Ratisbonae,  Manz,  10  ngr.),  et 
une  traduction  allemande  bien  faite  de  ce  petit  livre  (Ib.  10  ngr.). 

Notre  correspondant  termine  eu  disant  qu'il  nous  laisse  exprimer 
nous-mêmes  à  propos  de  ce  tableau  de  la  littérature  Ihéologique  en 
Allemagne  pendant  le  cours  de  l'année  dernière  les  réflexions  qu'il  nous 
inspirera.  11  craint  d'être  aveuglé  par  son  patriolisme. 

Cette  simple  énumération  que  tout  le  monde  aura  lue  avec  un  vif  in- 
térêt, en  dit  plus  que  toutes  les  réflexions  du  monde.  Elle  accuse  un 
puissant  réveil  de  l'esprit  catholique  en  Allemagne,  où  le  rationalisme 
avait  fait  autreTois  tant  de  ravages  même  dans  les  rangs  du  clergé,  et  elle 
démontre  en  même  temps  que  sur  le  terrain  de  la  science  les  catho- 
liques ne  le  cèdent  en  rien  à  leurs  adversaires.  Il  se  publie  assurément 
plus  de  livres  du  côté  des  protestants,  mais  si  l'on  veut  peser  plutôt  que 
compter  les  productions,  si  l'on  écarte  les  futilités  qui  sont  un  em- 
barras au  lieu  d'être  une  richesse,  ou  verra  que  le  catholicisme  n'a 
rien  à  craindre  de  la  comparaison.  Il  peut  même  citer  des  noms  et  des 
œuvres  dont  il  ne  serait  pas  facile  de  trouver  l'équivalent  dans  le  camp 
opposé. 

Pour  nous,  théologiens  français,  en  présence  de  ce  mouvement  gigan- 
tesque, nous  n'avons  qu'à  baisser  les  yeux.  Il  serait  inutile  de  vouloir 
le  dissimuler  à  nous-mêmes  et  aux  autres  :  la  vie  intellectuelle  a  besoin 
d'être  puissamment  réveillée  parmi  nous.  Il  nous  faut  une  éducation 
théologique,  une  ou  plusieurs  écoles  spéciales  et  bien  organisées,  afin 
d'avoir  une  science  et  une  littérature  théologiques.  Il  y  va  de  l'avenir 
de  la  religion  en  France  et  jusqu'à  un  certain  point  en  Europe,  car  l'in- 
fluence de  notre  pays  est  immense. 

Pour  extrait  :  E.  Hautcœub. 


AiTiis  —  Typ.  iio.;bseaii-Ler)y,  rac  Sar.u  MLiurlce  3û 


LE  CHRIST  ET  LES  ANTECHRISTS  '". 


Ce  second  ouvrage  du  R.  P.  Decliamps  est,  comme  son 
aîné,  une  apologie  de  la  religion;  mais  le  point  de  vue  est 
complètement  différent.  Dans  la  Démonstration  catholique, 
l'auteur  nous  montre  que,  pour  reconnaître  la  divinité  de  la 
religion,  il  suffît  d'observer  deux  faits,  l'un  intérieur,  l'autre 
extérieur,  qui  se  recherchent  pour  s'embrasser.  Le  fait  inté- 
rieur est  le  désir  de  notre  âme  d'entendre  la  voix  de  Dieu  (2); 
le  fait  extérieur  est  la  voix  de  Dieu,  répondant  au  cri  de  notre 
âme  d'une  manière  éminemment  divine.  Ce  premier  livre 
nous  fait  comprendre  la  simplicité  des  voies  de  Dieu. 

Le  Christ  et  les  Antechrists,  au  contraire,  pourrait  êlre  in- 
titulé :  la  Splendeur  du  règne  de  Dieu.  Ce  livre  réunit  en  un 
vaste  tableau  l'ensemble  des  preuves  les  plus  convaincantes 
de  la  religion,  et  nous  présente  ainsi  comme  une  somme  apo- 
logétique à  l'usage  des  incrédules.  C'est  à  eux  que  l'auteur 
adresse  ce  beau  travail.  A  l'incrédule  formel,  il  ne  suffit  pas  de 
montrer  l'harmonie  divine  entre  le  cri  de  notre  cœur  et  la  voix 

(1)  La  Divinité  de  Jésus-Christ,  ou  le  Christ  et  les  Anleohrisls  dans 
les  Écritures,  l'Histoire  et  la  Conscience,  par  V.  Decliamps,  de  la 
Congr.  du  T.  S.  Rédempleur.  Paris  et  Tournai,  Casterman,  ^86^. 
2e  édil.,  2  vol.  in-! 2. 

('2)  Dans  la  Question  religieuse  (2  vol.)  le  P.  Decliamps  pose  la 
même  thèse  que  dans  son  premier  ouvrage,  mais  en  montrant  plus 
explicitement  que  son  point  de  départ  n'est  pas  seulenicnt  vn  besoin 
de  l'àme,  qu'il  est  en  même  (eraps  une  exigence  intellectuelle.  C'est 
la  raison.,  en  effet,  qui  veut  la  certitude  en  matière  de  foi,  et  c'est- 
elle  qui,  pour  atteindre  celte  certitude,  demande  le  témoignage  de 
Dieu. 

Revue  tes  Sciences  hcclésiasticubf,  t.  vm.  20-21. 


306  LE  CHRIST  ET   LES   ANTECHRISTS.  [Tome  VIII. 

de  Dieu  ;  le  cri  du  cœur,  il  l'étouffé  ;  la  voix  de  Dieu,  il  ne  l'ap- 
pelle pas,  et  tandis  que  l'homme  de  bonne  foi  demande  sim- 
plemeut  où  est  la  voix  divine,  riucrédule  demande  si  elle  est, 
et  ce  que  l'on  entend  par  là.  Il  faut  donc  lui  présenter  un 
autre  genre  d'apologie,  il  faut  lui  montrer  combien  est  pleine 
et  brillante  la  lumière  qui  l'inonde  de  toutes  parts  ;  il  faut  le 
forcer  dans  ces  retranchements  ténébreux  où  il  cherche  la 
paix,  l'amener,  opportune,  impoiHune,  à  changer  en  bénédic- 
tions les  malédictions  qu^il  prépare  dans  son  cœur  et  à  s'écrier 
avec  Balaam  :  Quam  pulchra  tabenincula  tua,  Jacob! 

Mais  il  est  impossible  de  réunir  en  un  volume  toutes  les 
preuves  de  la  religion.  Tout  ce  qui  est^  tout  ce  qui  a  été,  et 
tout  ce  qui  sera,  a  sa  raison  d'être  dans  Jésus-Christ,  le  Dieu 
béni  des  siècles.  Tout  vient  de  lui,  tout  s'éclaire  de  lui,  tout 
vit  par  lui  et  pour  lui,  tout  converge  vers  lui.  Il  ne  s'agit 
donc  pas  d'épuiser  les  preuves,  mais  d'obtenir  dans  la  dé- 
monstration le  plus  de  lumière  possible.  Pour  cela,  il  faut  se 
placer  au  centre  de  la  grande  question  religieuse,  il  faut  étu- 
dier Jésus-Christ  là  où  son  action  est  plus  immédiate  et  plus 
manifeste,  car  celui  qui  connaît  Jésus-Christ  connaît  le  Père  : 
«  Et  la  vie  éterntlle,  dit-il  lui-même,  consiste  à  vous  connaître, 
vous,  ô  mon  Père,  et  celui  que  vous  avez  envoyé.  »  Or,  Jésus- 
Christ  se  révèle  dans  l'Écriture,  dans  l'histoire  et  dans  la 
conscience  humaine.  C'est  donc  dans  cette  triple  manifesta- 
tion que  l'étudié  le  P.  Dechamps. 

Tous  les  apologistes  se  placent  nécessairement  sur  quel- 
qu'un de  ces  trois  terrains;  mais  où  nous  trouvons  la  gloire 
de  l'apologie  du  P.  DechaïupS;  c'est  d'avoir  réuni  si  admira- 
blement ces  preuves,  et  de  nous  avoir  montré  le  cadre  dans 
lequel  on  peut  les  grouper  pour  en  former  un  tableau  ravis- 
sant. D'autres  peut-être  reprendront  ce  travail  avec  bonheur 
encore  ;  mais  son  mérite  à  lui  est  de  nous  avoir  tracé  le  des- 
sin général  et  de  nous  avoir  montré  la  richesse  et  la  fécondité  ; 
de  son  plan.  Dans  l'étude  que  nous  allons  faire  de  son  ouvrage  '^ 


Oct.  1803.)  LE   CHRIST  ET   LES   ANTECHRISTS.  S^ 

il  nous  sera  impossible  de  le  suivre  dans  tous  ses  développe- 
ments. C'est  un  tableau  d'ensemble  qui  demande  à  être  exa- 
miné avec  soin  dans  chacune  de  ses  parties,  mais  nous  en  in- 
diquerons les  linéaments  généraux,  en  faisant  ressortir  l'im- 
portance du  plan  et  la  valeur  des  points  de  vue  de  l'auteur. 

I. 

JÉSUS-CHRIST   DANS   l'ÉCRITDRE. 

Le  point  de  vue  apologétique  qui  consiste  à  étudier  Jésus- 
Christ  dans  rÉcriture  est  peut-être  trop  négligé  généralement. 
A  force  de  suivre  les  adversaires  de  la  religion  sur  tous  les 
terrains  où  il  a  plu  à  ces  derniers  de  transporter  successi- 
vement la  lutte,  les  apologistes  ont  souvent  négligé  la  plus 
inépuisable  des  sources,  la  plus  brillante  des  lumières  qui 
puisse  se  projeter  sur  la  vérité  de  notre  sainte  religion.  Or,  ce 
n'est  jamais  sans  détriment  de  notre  cause  que  nous  négligeons 
de  pénétrer  jusque  dans  le  sanctuaire  même  de  notre  religion, 
pour  montrer  à  nos  adversaires  les  spleudeurs  de  la  vérité 
chrétienne.  Nous  borner  à  discuter  leurs  systèmes  ou  leurs 
imaginations,  c'est  nous  réduire  à  une  tâche  bien  ingrate.  Ils 
comprendront  quelquefois  qu'ils  ont  tort,  mais  ils  ne  sentiront 
point  pour  cela  un  véritable  attrait  vers  la  vérité.  Plus  d'un 
peut-être  sera  même  étonné  d'être  tellement  pris  au  sérieux. 
Ce  qui  subjugue  les  esprits,  ce  qui  dompte  les  cœurs,  c'est  la 
vue  de  Jésus-Christ  môme.  Quand  lé  Sauveur  apparaît  à  Saul 
et  qu'il  le  terrasse  sur  la  route  de  Damas,  ce  dernier  se  con- 
vertit parce  quïl  a  vu  Jésus-Christ.  C'est  l'histoire  de  la  plu- 
part des  âmes.  A  ceux  qui  croient  et  à  ceux  qui  doutent, 
comme  à  ceux  qui  nient  ou  qui  sont  indifférents,  il  faut  faire 
voir  la  sainte  et  divine  figure  de  Jésus-Christ,  et,  devant  les 
rayons  de  lumière  et  de  vérité  qui  émanent  de  lui,  plus  d'un 
s'écriera  dans  le  transport  du  ravissement  :  Mon  Seigneur 
et  mon  Dieu  ! 


308  LE  CHRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  [Tome  VIII. 

Mais  si  le  courant  des  erreurs  a  quelquefois  eiitrainé  l'apo- 
logiste à  étudier  d'une  manière  plus  spéciale  ce  que  nous 
pourrions  appeler  les  abords  et  les  contours  exlériiji.rs  de  la 
vérité  chrétienne,  c'est  encore  le  courant  de  l'erreur  qui  le 
ramène  nécessairement  à  considérer  directement  la  sainte 
humanité  de  Jésus- Christ  et  à  nous  présenter  le  tableau 
de  sa  vie,  de  ses  paroles  et  de  ses  œuvres  tel  que  nous 
le  trouvons  dans  l'Écriture.  C'est  à  la  personne  même  de  Jésus- 
Christ  que  s'adressent  les  coryphées  modernes  du  progrès  de 
l'irréligion  ;  il  en  doit  résulter  pour  les  fidèles  comme  pour  les 
inattentifs  et  les  indifférents  une  étude  plus  approfondie  du 
mystère  des  mystères  de  Dieu,  et  par  là  une  augmentation  de 
foi  et  d'amour  pour  Jésus-Christ. 

La  thèse  de  l'incrédulité  est  celle-ci  :  «  Jésus-Christ  a  été 
le  plus  grand  d'entre  les  hommes,  mais  il  n'est  pas  Dieu. 
L'Evangile  n'est  qu'un  code  de  morale;  Jésus-Christ  est  à  la 
fois  l'auteur  et  la  plus  haute  personnification  de  ce  merveil- 
leux enseignement,  mais  c'est  à  tort  que  les  chrétiens  le 
nomment  Dieu.  Lui-même  ne  s'est  point  donné  ce  titre; 
l'Évangile  ne  le  lui  reconnaît  point,  et  si  quelques  passages 
semblent  se  rapporter  à  sa  divinité,  ces  passages  plus  ou 
moins  obscurs  doivent  être  entendus  convenablement  et  ex- 
pliqués d'après  les  principes  naturalistes.  »  Se  plaçant  en  face 
de  cette  thèse,  le  F.  Dechamps  nous  montre  que  non- 
seulement  les  textes  abondent,  mais  qu'il  est  impossible  de 
lire  une  page  du  texte  sacré  où  cette  véiité  ne  soit  évidente. 
On  ne  saurait  concevoir  une  manifestation  de  Dieu  dans  la 
nature  humaine  de  Jésus-Christ,  qui  ne  se  trouve  dans  l'É- 
vangile. Jésus-Christ  y  est  appelé  Dieu,  et  tous  les  attributs 
de  Dieu  y  s^nt  proseutës  comme  attributs  de  Jésus-Christ.  U 
est  l'origine  et  le  principe  de  toutes  choses,  le  créateur  du 
monde,  le  Dieu  éternel  des  siècles,  infini  eu  grandeur,  en 
puissance,  en  miséricorde.  S'il  y  est  appelé  le  Fils  de  Dieu, 
il  est  Fils  par  génération  éternelle,  sorti  du  sein  du  Père  et  venu 


Oct.  1863.]  LE  CHRIST   ET    LES   ANTECHRISTS.  30i) 

dans  ce  monde  dont  il  est  aujourd'hui  le  Rédempteur,  et  dont 
il  sera  demain  le  juge.  Partout  il  se  montre  en  Dieu  :  il  com- 
mande en  Dieu  et  fait  annoncer  sa  loi  à  toutes  les  nations  ;  il  agit 
en  Dieu,  il  pardonne  en  Dieu,  il  promet  eu  Dieu,  il  récompense 
en  Dieu. Il  exige  pour  lui  le  culte  suprême, la  foi,  lespérance, 
l'amour.  Jésus-Christ  veut  être  aimé  en  Dieu  pardessus  toutes 
choses,  et  réclame  pour  lui  l'honneur  qui  n'est  dû  qu'à  Dieu 
seul.  Pour  effacer  les  témoignages  de  la  divinité  du  Sauveur, 
il  faudrait  donc  effacer  tout  d'abord  tous  les  témoignages  qu'il 
se  rend  à  lui-même.  Il  faudrait  effacer  tout  ce  que  ses  ennemis 
ont  dit  de  lui;  les  raisons  ou  les  prétextes  pour  lesquels  ils  le 
persécutent,  l'accusation  qu'ils  portent  contre  lui  et  devant  le 
tribunal  de  la  synagogue  et  devant  celui  du  gouverneur  païen. 
Il  faudrait  effacer  l'histoire  de  sa  passion  et  de  sa  mort-  Il  fau- 
drait déchirer  non-seulement  tout  ce  qu'a  écrit  saint  Jean  chez 
qui  il  a  été  tellement  impossible  de  méconnaître  la  confession 
de  la  divinité  qu'on  a  voulu  lui  en  attribuer  l'invention  ;  mais 
toutes  les  épîtres,  mais  tous  les  travaux,  mais  toute  la  théologie 
de  saint  Paul  ;  il  faudrait  n'entendre  plus  aucun  des  témoins  du 
Sauveur,  ni  Thomas  qui  met  ses  doigts  dans  Ico  plaies  du  Res- 
suscité, ni  Pierre  faisant  son  entrée  dans  la  carrière  apostolique 
par  un  double  miracle,  celui  d'une  guérison  et  celui  de  sa  pré- 
dication. Il  faudrait  supprimer  toutes  les  paroles  et  toutes  les 
actions  consignées  dans  les  pages  sacrées.  Mais  il  y  a  plus  en- 
core; il  faudrait  détruire  l'Evangile  d'une  manière  aussi  radi- 
cale qu'a  été  détruit  le  temple  de  Jérusalem,  en  sorte  qu'il 
n'en  restât  plus  une  ligne,  plus  un  vestige. 

Eu  effet,  tout  l'Evangile  est  dans  celte  union  suprême,  per- 
sonnelle ou  hypostatique  en  vertu  de  laquelle  le  Fils  unique 
offre  son  humanité  à  son  Père,  et  répare  ainsi  dignement, 
c'est-à-dire  divinement,  l'outrage  fait  à  l'infiiiie  majesté  de 
Dieu  par  le  péché;  tout  l'Évangile  découle  de  l'incarnation 
du  Verbe,  de  la  double  nature  du  Fils  de  l'homme  et  du  Fils 
de  Dieu.  De  là  le  mystérieux  mélange  de  puissance  et  d'infir- 


310  LE   CHRIST   ET   LES   ANTECHRIsTS.  |Toma  VIII. 

mité,  d'abaissement  et  de  grandeur,  d'humiliation  et  de  gloire 
qu'on  rencontre  partout  en  Jésus-Cbrist.  Il  s'incarne  dans  le 
sein  d'une  vierge  pour  être  véritablement  Fils  de  l'homme  et 
du  sang  d'Adam,  mais  il  s'incarne  par  un  acte  immédiat  de 
cette  toute-puissance  qui  forme  par  elle-même  le  nouvel 
homme,  comme  par  elle-même  elle  avait  formé  le  premier.  Il 
naît  dans  une  étable  repoussé  des  siens,  mais  il  attire  à  sa 
crèche  les  prémices  des  nations  etles  concerts  des  cieux.  Il  n'a 
pas  où  reposer  sa  tète,  et  il  marche  sur  les  flots  irrités.  Il  se 
laisse  charger  de  liens  par  les  hommes,  et  il  enchaîne  lui- 
même  les  éléments,  commandant  à  la  mer  et  aux  tempêtes.  Il 
rend  la  vue  aux  aveugles,  la  santé  aux  iuiirmes,  la  vie  aux 
morts,  et,  à  l'heure  de  sa  passion,  il  est  lui-même  sans  défense, 
il  soujffre  sans  mesure  et  meurt  sans  consolation,  abandonné 
dans  sa  peine  et  des  hommes  et  de  Dieu,  c'est-à-dire  de  lui- 
même,  le  Verbe  laissant  privées  de  sa  divine  influence  les  puis- 
sances sensibles  de  son  humanité  sainte.  Mais  dans  cet  abandon 
que  souôYe  le  cœur  de  l'homme  éclate  encore  la  force  de  Dieu  ; 
il  parle  dans  son  agonie,  et  chacune  de  ses  paroles  est  une 
source  de  lumière;  il  vide  goutte  à  goutte  son  trop  amer  calice, 
mais  l'œil  fixé  sur  les  prophéties  qu'il  achève  d'accomplir  ; 
il  expire  avec  puissance,  voce  magna,  et  en  mourant  fait  prendre 
le  deuil  à  la  nature,  et  il  ne  s'endort  du  dernier  sommeil  que 
pour  voir  sortir  de  son, côté,  avec  l'eau  et  le  sang  de  la  ré- 
demption, l'Église  son  épouse,  la  vraie  mère  des  vivants.  Ense- 
veli dans  la  mort,  il  transforme  son  sépulcre  en  source  de  vie, 
sort  du  tombeau  à  l'heure  qu'il  a  lui-même  marquée,  apparaît 
à  ses  disciples  effrayés  et  ravis,  et  transforme  ces  hommes  qui 
tremblaient  naguère  devant  de  faibles  femmes,  en  témoins  in- 
vincibles de  la  vérité  chez  toutes  les  nations.  C'est  ainsi  que 
Jésus-Christ  se  montre  partout  également  divin,  divin  dans 
ses  paroles,  divin  dans  l'exercice  de  sa  puissance,  divin  jusque 
dans  ses  humiliations,  dans  sa  mort,  dans  son  sépulcre. 
Mais  où  il  se  montre  le  plus  Dieu,  s'il  nous  est  permis  de  par- 


Oct.  1863.1  LE   CHRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  3H 

1er  ainsi,  c'est  dans  la  manifestation  de  la  justice  et  de  l'amour 
de  Dieu.  La  justice  qui  demande  le  sacrifice  d'un  Dieu  pour  la- 
ver l'offense  faite  à  un  Dieu,  l'amour  qui  conduit  Dieu  à  accep- 
ter ce  rôle  de  médiateur  et  de  victime.  Il  faut  suivre  ici 
l'exposé  que  nous  donne  le  P.  Dechamps  de  cette  manifesta- 
tion de  l'amour,  pendant  la  vie,  à  la  mort,  et  encore  après  la 
mort  de  Jésus  dans  la  sainte  Eucharistie.  Il  semble  que  ce 
grand  saint  Alphonse,  dont  le  cœur  était  tellenftnt  embrasé 
de  l'amour  de  Jésus-Christ,  ait  obtenu  à  ses  disciples  une  grâce 
particulière  de  parler  de  ce  même  amour,  et  de  faire  voir  à 
tous,  chrétiens  et  incrédules,  comment  partout  en  Jésus-Christ 
Dieu  se  révèle  par  sa  charité. 

Si  l'Évanvile  est  tout  plein  de  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
le  rapport  des  deux  Testaments  n'établit  pas  moins  claire- 
ment que  c'est  Dieu  lui-même  qui  se  révèle  en  lui.  La  mort 
du  Sauveur  est  le  grand  événement  du  monde  :  «  Le  Christ 
mis  à  mort,  le  peuple  qui  le  rejette  n'est  plus  un  peuple;  un 
autre  peuple,  instrument  de  la  justice  divine,  arrive  avec  son 
chef  et  détruit  la  ville  et  le  sanctuaire  ;  les  sacrifices  de  la  loi  dis- 
paraissent avec  le  temple;  la  nouvelle  alliance  commence  avec 
le  nouveau  sacrifice,  et  pendant  qu'elle  s'étend  aux  nations,  la 
ruine  de  Juda  se  consomme  sans  retour.  »  A  partir  de  là  com- 
mence un  nouveau  royaume,  royaume  spirituel,  surnaturel, 
universel  ;  l'empire  de  la  grâce  et  de  la  vérité  se  substitue  à 
l'empire  de  la  force.  Voilà  les  événements  qui  se  rattachent  à 
cette  mort.  Mais,  en  les  nommant,  nous  ne  faisons  que  citer 
les  prophéties.  Les  prophètes  ont  tout  vu,  au  moins  tous  les 
grands  traits  des  événements,  et  souvent  beaucoup  de  détails. 
Ils  ont  vu  le  Christ  attendu  des  nations,  arrivant  sur  la  terre 
comme  le  terme  des  événements  qui  avant  lui  ont  bouleversé 
le  monde,  et  comme  le  point  de  départ  d'un  monde  nouveau. 
Ils  ont  vu  le  lieu  et  les  circonstances  de  sa  naissance,  décrit 
son  caractère,  sa  mission  et  ses  œuvres,  prédit  sa  passion  et 
les  circonstances  de  sa  passion,  ses  anéantissements  et  ses 


312  LE   CHRIST   ET   lES  ANTECHRISTS.  [Torae  VII!. 

douleurs,  la  gloire  de  son  tombeau.  Ils  ont  fixé  non-seulement 
l'époque,  mais  l'année  même  dans  laquelle  ces  événements  se 
sont  passés,  et  ils  ont  chanté  le  cantique  que  son  cœur  mou- 
rant devait  chanter,  que  sa  bouche  expirante  devait  prononcer 
sur  la  croix.  Ils  ont  tout  vu  si  clairement,  que,  pour  échapper 
à  la  lumière  qui  jaillit  de  leurs  prédictions,  l'impiélé  même 
des  premiers  siècles  a  essayé  de  fermer  le  livre  de  leurs  pro- 
phéties. Nul»  doute  qu'elle  n'eût  fait  des  efforts  encore  plus 
grands  dans  ce  sens,  si  elle  n'avait  vu  se  dresser  devant  elle 
les  incorruptibles  dépositaires  de  ces  oracles  sacrés.  Elle  a 
donc  été  réduite,  ne  pouvant  fermer  les  hvres,  à  détourner  les 
yeux.  Tant  il  est  vrai  qu'on  ne  peut  regarder  le  Christ  ni  dans 
sa  vie,  ni  dans  sa  mort,  ni  dans  sa  mission,  ni  dans  ses  insti- 
tutions, ni  dans  les  prophéties  qui  ont  annoncé  sa  venue,  ni 
dans  la  manière  dont  il  les  a  accomplies,  sans  trouver  partout 
la  démonstration  évidente  de  sa  divinité. 


II. 


JESUS-CHRIST    DANS    L  HISTOIRE. 

L'histoire  de  l'humanité,  voilà  le  second  tableau  dans  lequel 
le  P.  Dechamps  nous  fait  contempler  Jésus-Christ.  Il  a  élargi 
son  cadre  de  manière  à  y  faire  entrer  les  plus  belles  démons- 
irations  de  Bossuet,  de  J.  de  Maistre,  de  M.  Auguste  Nicolas, 
dont  les  pages  textuellement  reproduites  trouvent  leur  place 
naturelle  dans  son  vaste  plan  à  côté  de  considérations  neuves 
que  d'autres  apologistes  feront  passer  à  leur  tour  dans  leurs 
écrits. 

L'histoire  du  monde  nous  est  montrée  dans  l'Apocalypse 
comme  un  livre  écrit  dedans  et  dehors,  et  scellé  de  sept 
sceaux.  Nul  ne  peut  l'ouvrir  que  «  l'Agneau  qui  a  été  mis  à 
mort  et  dont  le  sang  nous  a  rachetés  pour  Dieu.  »  En  dehors 
de  Jésus-Clirist,  cette  histoire  reste  une  énigme.  On  pourra 


Oct.  1863.]  LE   CBRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  3^3 

étudier  le  mouvement  politique,  juridique,  scientifique,  litté- 
raire, industriel,  artistique  des  nations.  Mais  cette  étude  ne 
nous  fera  comprendre  que  le  mouvement  des  hommes  et  des 
peuples  sur  eux-mêmes,  et  ne  nous  montrera  pas  le  mouve- 
ment général  qui  emporte  tous  les  autres,  le  mouvement  vers 
la  fin,  vers  le  but  de  riiuoianité.  Une  histoire  générale  doit 
nous  faire  connaître,  avant  tout,  notre  origine,  notre  nature, 
nos  destinées,  et  la  marche  générale  du  monde  moral  vers  sa 
destinée.  C'est  par  là  seulement  qu'elle  nous  dévoilera  le  lien 
des  peuples  et  des  temps,  et  qu'elle  acquerra  le  caractère  de 
ruuiversalilé. 

Cette  vérité  a  été  longtemps  méconnue.  On  a  vouUi  bannir 
Jésus-Christ  de  l'histoire,  et  l'on  a  fait  l'histoire  de  i'humanilé 
de  la  même  manière  que  l'anatomiste  peut  nous  faire  con- 
naître l'homme.  Là  où  il  n'y  a  plus  d'âme,  on  peut  recon- 
naître encore  les  organes  de  la  vie,  les  organes  des  fonctions  ; 
mais  le  ressort  qui  met  tous  ces  organes  en  mouvement,  mais 
le  principe  qui  préside  à  leur  formatiun  et  à  leur  développe- 
ment, mais  l'àme  qui  par  sou  union  avec  le  corps  constitue 
l'homme,  voilà  ce  qui  échappe  à  l'anatomiste.  De  même,  eu 
se  mettant  en  dehors  de  Jésus-Christ,  ou  ne  comprendra  plus 
rien  à  l'histoire,  et  «  il  faudrait  comparer  la  terre  et  les 
hommes  qui  l'habitent  à  un  champ  où  les  fourmis  se  disputent 
le  grain  qui  tombe,  et  où  les  cigales  chantent  quelques  jours 
au  milieu  des  fleurs  jusqu'à  ce  qu'arrive  l'hiver  avec  le  silence 
et  la  mort.  » 

Mais  si  l'histoire  générale  existe,  où  pourra-t-ou  la  trouver  '? 
Le  P.  Dechamps  en  suit  d'abord  les  vestiges  chez  tous  les 
peuples,  et  ces  ombres,  partout  dirigées  dans  le  même  sens, 
lui  font  voir  la  direction  de  la  lumière.  Il  constate  ensuite 
qu'il  est  sur  la  terre  une  société  perpétuelle  en  possession  de 
cette  histoire,  et  qui  nous  la  montre  écrite  dans  le  livre  par 
excellence,  dans  la  Bible, 

Le  fait  universel  dans  l'humanité,  avant  que  le  Christ  y 


314  LE  CHRIST   ET   LES  A>TECHRISTS,  [Tome  VIII. 

ait  été  annoncé^  est  la  base  sanglante  de  tous  les  cultes.  Ni 
dans  l'ancien  monde,  ni  dans  les  forêts  de  l'Amérique,  ni  chez 
les  tribus  que  nos  hardis  voyageurs  visitent  pour  la  première 
fois,  nulle  part  on  ne  trouve  un  peuple  sans  roligion,  nulle 
part  une  religion  dont  la  base  ne  soit  pas  dans  les  sacrifices 
sanglants.  Or  ces  sacrifices  ont  partout  le  sens  de  sacrifices 
expiatoires.  Le  sauvage  idolâtre  du  Nouveau-Monde  et  le  sec- 
tateiu'  policé  de  l'ancien  polythéisme,  croient  également  que 
sans  l'efïusion  du  sang  les  péchés  ne  peuvent  être  remis.  A 
cette  persuasion  se  joignent  deux  autres  croyances  dont  l'une 
se  rapporte  à  la  chute  et  à  l'état  de  dégradation  et  de  déchéance 
de  l'homme,  provenant  de  la  faute  du  premier  homme,  Tautre 
à  la  réversibilité  des  mérites.  La  victime  que  l'on  immolait 
n'était  point  le  coupable  lui-même  dont  la  faute  devait  être 
expiée,  mais  un  innocent  qui  payait  pour  le  coupable.  De 
celle  manière,  l'humanité  poursuitl'expiation  parles  sacrifices, 
dans  l'attente  de  la  grande  réparation  qui  se  fera  par  le  libé- 
rateur universellement  attendu. 

Voilà  les  ombres  que  projette  la  grande  histoire  de  l'huma- 
nité. Elles  se  retrouvent  partout,  et  partout  les  mêmes.  Mais 
la  source  même  de  cette  histoire  est  dans  la  Bible  qui  se  fait 
reconnaître  avec  clarté  comme  l'œuvre  divinement  originale, 
dont  toutes  les  autres  ne  sont  que  des  copies  altérées,  des 
souvenirs  infidèles.  En  eff'et,  de  toutes  les  histoires  elle  est  : 

l»  Manifestement  la  première  dans  l'ordre  des  temps,  anté- 
rieure non-seulement  à  tous  les  livres  historiques,  mais  à  tous 
les  livres  mythologiques,  poétiques  et  fabuleux. 

2°  Cette  histoire  est  la  première  par  l'ordre  des  choses 
qu'elle  contient.  Les  livres  sacrés  de  l'Orient,  de  l'Egypte  et 
de  la  Grèce,  ont  tous  un  caractère  dominant  de  nationalisme  ; 
la  patrie  y  absorbe  la  terre  et  le  ciel,  l'histoire  des  hommes  et 
des  dieux.  Les  écrivains  païens  nous  racontent  les  histoires 
des  peuples  et  de  leurs  princes;  Moïse  seul  raconte  Vhistoire 
primitive  de  l'humanité,  et  après  nous  avoir  fait  remontera 


Oct.  1S63.I  LE   CHRtST   KT  LES   ANTECHRISTS.  3fi> 

la  source  même  du  fleuve  des  généralions,  il  nous  fait  seul 
assister  au  spectacle  imposant  de  la  division  de  ses  eaux. 

30  La  Bible  porte  en  elle-même  un  cachet  unique  et  mani- 
festement divin.  Dans  ce  qu'elle  nous  apprend  sur  l'origine 
du  monde,  elle  reçoit  de  nos  jours  mêmes  la  confirmation 
de  toutes  les  sciences.  Dans  ce  qu'elle  nous  apprend  sur  le 
développement  de  la  famille  humaine,  elle  reçoit  un  cachet 
prophétique  inimitable  du  rapport  des  deux  Testaments.  Nulle 
part  on  ne  trouve  rien  qui  ressemble  même  de  loin  à  cette 
œuvre  dont  celui-là  seul  peut-être;  l'auteur  ou  l'inspirateur, 
pour  qui  le  passé,  le  présent  et  le  futur  se  confondent  dans  un 
invariable  présent, 

A^  La  Bible  est  inséparable  de  la  société  des  enfants  de  Dieu, 
société  qui  remonte  de  Pie  IX  «  sans  interruption  ju-qu'à 
saint  Pierre  établi  par  Jésus-Christ  prince  des  Apôtres  ;  d'où, 
en  reprenant  les  Pontifes  qui  ont  servi  sous  la  loi,  on  va  jusqu'à 
Aaron  et  jusqu'à  Moïse  ;  de  là,  jusqu'aux  patriarches  et  jusqu'à 
l'origine  du  monde.  »  Et  comme  le  point  capital  pour  nous  est 
de  connaitre  évidemment  querAncieu  Testament  est  antérieur 
à  Jésus -Christ^  nous  avons  le  témoignage  irrécusable  des 
Juifs. 

V^oilà  donc  que  le  même  volume  qui  nous  a  montré  en 
grands  et  splendides  caractères  la  divinité  du  Christ  nous  fait 
aussi  connaitre  seul,  mais  divinement,  l'histoire  générale  de 
l'humanité.  Nous  y  trouvons  la  racine  et  le  principe  des  tradi- 
tions générales  répandues  chez  les  divers  peuples.  Ainsi,  l'his- 
toire qui  n'a  besoin  d'être  confirmée  par  aucune  autre,  l'est  à 
la  fois  par  toutes.  Mais  la  clef  de  cette  histoire  du  monde  an- 
cien se  trouve  dans  Jésus-Christ  qui  seul  l'illumine  d'une 
clarté  souveraine. 

1°  Il  est  la  source  même  de  l'histoire,  puisqu'il  est  double- 
ment la  tin  de  toute  créature, /^rmo^emVMS  omnis  creaturx, 
car  Dieu  nous  a  créés  à  la  fin  de  glorifier  Jésus-Christ  son  fils; 
d'un  autre  côté,  la  vie  supérieure,  la  lumière  du  ciel,  la  forco 


316  LE  CHRIST   ET  LES   ANTECHRISTS.  [Tome  VIII. 

divine  que  réclame  notre  nature  dans  son  état  présent  ne  ?e 
trouvent  qu'en  lui.  Il  est  plus  encore  par  le  fond  même  de 
notre  être,  que  par  les  vœux  de  l'humanité,  l'espérance  et  le 
désiré  des  nations. 

2»  Il  est  le  prototype  suprême  dont  tous  les  grands  hommes 
de  l'antiquité  n'ont  été  que  des  images  multiples  et  imparfaites. 
A'Iam  est  le  chef  de  l'humanité  et  ainsi  la  figure  du  Christ  qui 
est  le  chef  de  la  vie  nouvelle  ;  Âbel  est  la  première  victime, 
Noé  le  premier  sauveur.  Chez  le  peuple  élu,  Abraham  est  le 
père  d'une  postérité  innombrable,  parce  qu'il  a  consenti  à  la 
mort  de  son  fils  unique;  Isaac,  la  victime  obéissante  qui  porte 
à  l'autel  le  bois  de  son  sacrifice  ;  Jacob,  le  fort  contre  Dieu 
comme  celui  qui  triompha  par  l'amour  de  la  justice  divine  sur 
le  Calvaire;  Joseph,  l'innocent  vendu  et  livré  par  ses  frères,  et 
devenu  par  là  même  le  sauveur  de  ses  frères  et  du  monde  ; 
Moïse,  Josué,  Samson,  David,  etc.,  etc.  Chez  les  autres  peuples, 
nous  le  voyons  figuré  par  Melchisédech,  le  pontife  du  sacrifice 
figuratif  par  excellence,  Job,  l'homme  des  douleurs  ;  et  tous 
ces  médiateurs,  et  tous  ces  libérateurs,  et  tous  ces  conquérants 
dont  l'antiquité  nous  a  transmis  le  souvenir  plus  ou  moins 
défiguré,  n'étaient-ils  pas  tous  autant  d'images  du  médiateur, 
du  libérateur,  du  conquérant  par  excellence  ? 

3°  Seul,  Jésus-Christ  nous  explique  par  son  sacrifice  la  base 
sanglante  de  tous  les  cultes.  Il  nous  offre  cette  expiation  inu- 
tilement cherchée  dans  le  sang  et  la  destruction  d'innombrables 
victimes.  Il  nous  fcit  comprendre  cette  idée  si  incompréhensible 
de  la  solidarité  et  de  la  réversibilité  des  mérites  que  nous 
trouvons  universellement  répandue.  Il  éclaire  donc  à  la  fois  et 
le  fait  universel  et  le  sentiment  intime  auquel  ce  fait  cor- 
respond. 

A°  Il  nous  fait  comprendre  les  anciennes  traditions  en  nous 
dévoilant  la  grande  unité  dont  l'histoire  ancienne  nous  fait 
voir  de  nombreuses  parcelles,  mais  des  parcelles  seulement; 
et  du  même  coup  il  fait  briller  à  nos  yeux  toutes   les  vérités 


Oct.  18C3.]  LE   CHRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  3^7 

que  le  paganisme  avait  défigurées.  Il  nousfait  retrouver  l'imité 
daus  les  relations  entre  le  monde  et  Dieu,  unité  rompue  par 
le  paganisme  qui  a  transporté  à  la  créature  la  gloire  due  au 
Créateur.  Il  nous  a  rappelé  l'unité  delà  famille  humaine  dont 
tous  les  membres  sont  devenus  ses  frères;  il  nous  montre 
l'unité  du  sacrifice  dont  les  sacrifices  anciens  n'étaient  que  la 
figure,  et  détruisant  ainsi  toute  idolâtrie  comme  une  dévia- 
tion de  la  vérité  primitive,  il  nous  fait  voir  en  lui  la  vérité  sur 
le  monde,  la  vérité  sur  l'humanité,  la  vérité  sur  la  religion, 
la  vérité  sur  les  anges,  la  vérité  sur  Dieu. 

5<'Enfin,  devant  lui,  nous  voyons  s'illuminer  les  ombres  que 
le  paganisme  avait  prises  pour  les  réalités  dernières.  Le  genre 
humain  avait  reçu  sans  nul  doute  une  tradition  primitive  sur 
la  trinité  des  personnes  en  Dieu.  On  ne  peut  expliquer  que  par 
cette  tradition  la  multiplicité  des  vestiges  que  nous  en  trouvons 
chez  divers  peuples.  Cette  vérité  ne  nous  est  pleinement  ré- 
vélée que  par  Jésus-Christ.  Le  genre  humain  avait  une  vague 
connaissance  du  mystère  de  l'Incarnation  qui  devait  s'accom- 
plir un  jour,  et  de  là  découlaient  ces  simulacres  de  fausses 
incarnations  qui  remplissent  les  mythologies.  Il  avait  comme 
un  pressentiment  du  mystère  de  l'Eucharistie.  Il  se  figurait 
que  les  dieux  accouraient  sur  l'autel  où  la  victime  était  immo- 
lée, et  qu'en  participant  au  sang  répandu  par  le  prêtre,  on 
participait  à  la  réconciliation  opérée  par  la  victime.  Toutes 
ces  idées  qui  percent  plus  ou  moins  clairement  à  travers  le 
chaos  idolâtrique,  étaient-elles  des  restes  de  traditions  an- 
ciennes, ou  sortaient-elles  comme  d'un  sentiment  profond  de 
la  nature  humaine  ?  n'importe  ;  ce  qui  est  certain,  c'est  que, 
parfaitement  incompréhensibles  sans  Jésus-Christ,  elles  sont 
parfaitement  lumineuses  en  lui,  et  qu'ainsi  il  est  à  la  fois  la 
lumière  des  temps  anciens,  la  clef  de  leur  histoire  générale, 
et  le  fanal  qui  éclaire  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  profond  dans 
notre  propre  nature. 

Nous  laissons  de  côté  tout  ce  grand  mouvement  def  peuples 


318  LE   CHRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  [Tome  VUI. 

et  cette  succession  des  empires  qui  nous  a  été  à  l'avance  ex- 
posé par  les  prophètes  comme  devant  aboutir  à  Jésus-Christ. 
Mais  le  développement  de  ce  plan  par  Bossuet  a  sa  place 
marquée  ici  dans  le  cadre  du  Père  Dechamps. 

Il  reste  à  considérer  Jésus-Christ  comme  la  clef  de  l'histoire 
du  monde  nouveau. 

Que  rhomme  ait  eu  le  malheur  de  perdre  la  foi;  que 
la  doctrine,  les  miracles,  la  vie  et  la  mort  de  Jésus-Christ 
n'aient  eu  aucune  prise  sur  lui  ;  qu'il  soit  plongé  jusque  par 
dessus  la  tète,  dans  le  naturalisn^e,  le  rationalisme  et  le  faux 
mysticisme  allemand,  du  moment  où  il  parcourra,  même 
sommairement,  l'histoire,  il  sera  ramené  à  ce  point  qui  est  en- 
core le  cauchemar  de  tous  ces  étranges  rêveurs  :  Un  personnage 
a  paru  dans  l'histoire  qui  a  enseigné  une  doctrine,  qui  a  pro- 
duit des  œuvres  sans  aucune  analogie  dans  le  passé,  auquel 
on  ne  peut  comparer  aucun  des  personnages  de  notre  race. 

Oui,  Jésus-Christ  est  là  qui  les  empêche  de  rien  comprendre 
au  monde  nouveau,  s'ils  ne  veulent  pas  confesser  sa  divinité. 
Car,  non-seulement  il  nous  révèle  l'harmonie  des  temps  qui 
l'ont  précédé,  mais  il  divise  les  siècles  en  deux  parties,  le 
monde  avant  lui  et  le  monde  après  lui,  et  notre  chronologie 
qui  prend  sa  naissance  pour  point  de  départ,  n'est  que  l'ex- 
pression du  fait  le  plus  universel  et  le  plus  divin  qu'on  puisse 
concevoir. 

Les  siècles  qui  suivent  Jésus-Christ  ont  reçu  de  lui  un  ca- 
ractère qui  les  distingue  essentiellement  de  ceux  qui  précédent. 
Ce  caractère  est  dans  le  règne  de  l'esprit  sur  la  chair,  de  la 
vérité  sur  la  force,  dans  la  délivrance  de  l'homme  de  la  servi- 
tude de  ses  passions,  dans  la  triple  défaite  de  l'idolâtrie  qui  a 
été  vaincue  dans  les  cœurs^  sur  les  autels  et  sur  les  trônes. 

Jésus-Christ  Va  vaincue  sur  les  autels,  malgré  les  innom- 
brables obstacles  qu'ont  opposés  à  cette  victoire  les  préjugés, 
les  passions  mauvaises,  l'orgueil,  la  cruauté,  la  prétendue 
raison  d'état,  le  tout  mis  au  service  de  l'enfer;  et  il  l'a  vaincue 


Juin.  18C3.1  LB   CeniST  ET   LES   ANTECHHrSTS.  319 

au  point  que  l'homme  le  plus  grossier  ne  peut  comprendre 
aujourd'hui  cette  déchéance  de  la  raison  humaine,  qui  va  pro- 
diguer son  aioration  à  d'autreâ  êtres  qu'à  l'Être  éternel  et 
infini.  Il  l'a  vaincue  dans  les  cœurs  qui  semblaient  s'être  iden- 
fiés  avec  un  culte  voué  à  des  dieux  faits  à  l'image  des  passion?:, 
et,  dans  ces  mêmes  cœurs,  il  a  allumé  le  feu  de  l'amour  divin. 
Parmi  les  sages  <le  la  philosophie  païenne,  un  très -petit  nombre 
a  entrevu  la  grande  loi  de  l'amour  de  Dieu  ;  mais  aucun  d'eux 
n'en  a  supposé  le  règne  possible,  aucun  n'a  demandé  à  Dieu 
de  l'aimer  et  de  le  suivre.  Ce  qu'aucun  n'a  même  su  rêver, 
Jésus-Christ  l'a  accompli,  et  bien  plus  encore.  Non-seulement 
il  a  obtenu  l'amour  suprême  pour  lui-même;  mais  il  a  obtenu 
l'amour  de  l'homme  pour  l'homme,  en  tant  qu'homme  et  en- 
fant de  Dieu,  et  il  a  ainsi  enfanté  des  prodiges  inconnus  du 
monde  païen. 

«  L'égalité  des  hommes  devant  Dieu,  la  dignité  de  la  femme, 
de  l'enfant,  du  pauvre,  de  l'esclave,  des  petits,  des  délaissés 
de  ce  monde,  fut  révélée  avec  la  grandeur  naturelle  et  surna- 
turelle de  l'homme.  De  cette  vérité  féconde,  de  cette  divine  se- 
mence de  la  parole  de  Jésus-Christ  jetée  dans  le  sein  de  l'hu- 
manité et  arrosée  du  sang  de  la  rédemption,  on  voit  sortir  l'u- 
nité et  l'indissolubilité  du  mariage,  et  avec  elles  la  pureté,  la 
force,  la  majesté  de  la  famille  toujours  défendue  par  l'Église 
contre  le  caprice  des  puissances,  comme  le  principe  de  tout  bien 
social  ;  l'adoucissement,  la  transformation,  et  enfin  l'abolition 
de  l'esclavage  si  absolument  nécessaire  aux  yeux  des  anciens, 
qu'Aristote  et  Platon  le  croyaient  fondé  sur  la  nature  même 
des  choses  ;  la  fin  de  l'infanticide  légal  patroné  à  son  tour,  à 
la  honte  de  l'esprit  humain,  par  le  plus  sublime  de  ses  sages, 
le  divin  Platon;  enfin,  les  grandes  œuvres  qui  ont  donné  des 
palais  aux  pauvres  et  à  toutes  les  infirmités  humaines,  avec 
une  cour  pour  les  servir,  avec  des  légions  d'anges  devwius 
ies  esclaves  volontaires  de  leurs  frères,  après  avoir  conquis 
pour  eux-mêmes,   à  force  d'amour,   la  liberté  parfaite  des 


320  LE  CHRIST   ET  LES   ANTECHRISTS.  [Tome  Vllf. 

enfants  de  Dieu,  la  liberté  du  dévouement  par  la  chasteté  !  » 

Entin,  l'idolâtrie  est  vaincue  sur  le  trône.  «  L'empire  ido- 
lâtre par  l'apothéose  du  maître,  était  une  véritable  théocratie 
sans  Dieu.  Aussi  le  pa.^auisme  voulait-il  que  tout  homme  fût 
fait  pour  l'État  et  non  l'État  pour  l'homme.  Dans  le  christia- 
nisme, au  contraire,  toute  autorité  est  servante.  L'homme  lui 
doit  obéissance,  sans  doute,  mais  c'est  parce  qu'elle  est  l'or- 
gane de  Dieu,  disposant  de  toutes  choses  pour  le  bien  tempo- 
rel et  spirituel  de  l'homme.  Là  est  le  but.  L'autorité  n'est  qu'un 
moyen  de  le  faire  atteindre,  »  et,  afm  qu'elle  ne  devienne  pas 
infidèle  à  sa  mission,  la  vraie  liberté,  c'est-à-dire  le  droit  de 
l'homme  à  la  pratique  de  ses  devoirs,  fut  mise  sous  la  protec- 
tion de  la  parole  et  du  sang  de  Jésus-Christ. 

C'est  là  le  caractère  de  cette  civilisation  qui  a  reçu  de  Jésus- 
Christ  le  nom  de  civilisation  chrétienne,  et  qui  par-là  devient 
incomparablement  supérieure  à  la  plus  haute  des  civilisa- 
tions anciennes. 

Que  sij  après  avoir  examiné  le  caractère  général  du  monde 
nouveau,  on  considère  les  événements  qui  l'ont  agité  depuis 
dix-huit  cents  ans,  on  verra  encore  que  Jésus-Christ  est  leur 
centre  et  qu'il  les  domine  tous.  Toutes  les  luttes,  toutes  les 
transformations,  toutes  les  révolutions  ont  finalement  tourné 
à  sa  gloire,  et  l'histoire  des  siècles  chrétiens  n'est  que  l'histoire 
des  triomphes  du  christianisme,  c'est-à-dire  du  Christ,  sur  la 
civilisation  et  la  barbarie,  sur  la  ruse  et  la  violence,  sur  le 
schisme  et  le  scandale,  sur  l'incrédulité  et  le  terrorisme.  Son 
Eglise  a  tout  traversé  avec  la  tranquillité  de  Dieu  :  Transiens 
per  médium  illorum,  ihat. 

Ainsi,  Jésus-Christ  embrasse  les  siècles  et  les  domine  tous. 
Son  influence  pénètre  tous  les  temps  qui  l'ont  précédé,  et 
aujourd'hui,  plus  de  dix-huit  siècles  après  qu'il  a  disparu  aux 
yeux  des  hommes,  il  est  encore  l'âme  et  la  vie  de  l'humanité 
dans  ce  qu'elle  a  de  plus  noble  et  de  plus  excellent,  dans  ce 
qu'elle  a  de  divin.  Aujourd'hui  encore  comme  toujours,  c'est 


Oct.  1(^63.  LE   CUKIST  ET   LES   ANTECHftlSTS.  321 

lui  seul  qui  réalise  les  aspirations  les  plus  larges  et  les  plus 
profondes  de  riiomine.  Toujours  l'homme  a  vénéré  la  religion 
de  ses  pères  ;  les  hommes  les  plus  sages  de  l'antiquité  ont  cru 
que  la  religion  était  d'autant  plus  pure  qu'elle  était  plus  près 
de  son  origine;  or,  la  religion  de  Jésus-Christ  est  celle  même 
de  l'origine,  et,  où  il  innove,  c'est  quand  il  dit  aux  défenseurs 
des  traditions  humaines  :  Ab  initio  non  fuit  sic.  Toujours  aussij 
l'homme  a  cru  au  progrès,  a  cherché,  a  aimé  le  progrès.  Or, 
Jésus-Christ  encore  a  été  un  progrès  divin  sur  les  lemps  anté- 
rieurs, et  sa  doctrine  nous  ouvre  la  carrière,  et  ses  institutions 
nous  offrent  un  stimulant  avec  les  forces  nécessaires  pour  un 
progrès  indétiui.  Oui,  Jésus-Christ  était  hier,  il  est  aujour- 
d'hui, et  il  sera  dans  tous  les  siècles. 


111. 


JESUS-CHRIST  DANS   LA  CONSCIENCE   HUMAINE. 

Cette  troisième  partie  de  l'étude  du  P.  Dechamps  nous 
semble  la  plus  belle.  Il  aime  à  revenir  sur  ce  sujet.  Ame 
pure  et  sereine,  il  se  sent  pénétré  de  la  lumière  de  Dieu.  Il 
goûte  et  il  voit:  il  goûte  Jésus-Christ  dans  cette  paix  ineffable 
que  le  Sauveur  a  promise  à  ceux  qui  l'aiment,  et  il  voit  dans 
le  Sauveur  le  complément  de  son  âûie  entière,  la  lumière  de 
ses  pas,  la  joie  de  son  cœur,  la  plénitude  du  bonheur. 

Dans  la  démonstration  catholique  de  la  vérité  chrétienne,  il 
a  tiré  du  rapport  intime  des  besoins  de  notre  âme  avec  la  ré- 
vélation toute  une  démonstration  de  la  divinité  de  l'Église,  et 
cependant  il  ne  considérait  qu'un  seul  de  ces  rapports.  Ici,  il 
élargit  son  horizon.  Il  considère  et  l'âme  et  la  religion  d'une 
manière  plus  générale,  sans  toutefois  épuiser  le  sujet.  «  Il  n'y 
a  pas  de  dogme  dausl'Éghse  catholique,  dit-il  après  de  Maistre, 
qui  n'ait  ses  racines  dans  les  dernières  profondeurs  de  la 
nature  humaine.  »  Pour  traiter  ce  sujet  d'une  manière  com- 


322  LE  CHRIST   ET   LES   ANTKCHRISTS.  [Tome  VUl. 

plèle,  il  faudrait  donc  sonder  toutes  les  profondeurs  de  nos 
mystères  et  toutes  les  profondeurs  de  notre  cœur,  et  celui  qui 
irait  le  plus  avant  dans  cette  étude  serait  encore  bien  éloi- 
gné de  l'avoir  épuisée. 

Les  faits  étant  ainsi  sans  nombre,  on  ne  peut  que  choisir. 
Le  P.  Decliatnps  choisit  comme  il  a  choisi  le  sujet  général  de 
son  livre,  de  manière  à  tracer  un  large  cadre  doul  il  indique 
les  principaux  développements.  En  le  suivant,  nous  verrons 
co;nbien  est  profonde  eu  nous  l'empreinte  de  notre  vocation 
et  de  notre  état  surnaturel  ;  nous  comprendrons  la  vérité  de 
cette  parole  de  Tertullien  :  Anima  natio^aliter  christiana;  ou 
plutôt  de  cette  autre  parole  de  saint  Paul  :  Miki  vivere  Christus 
est,  et  mori  lucrum. 

Le  premier  mystère  dont  Jésus-Christ  nous  donne  la  clef  est 
celui  de  la  lutte  intérieure  dont  l'homme  est  lui-même  le 
théâtre.  Le  principe  de  cette  lutte  est  dans  le  désordre,  dans 
la  révolte  des  sens  et  des  passions  contre  la  loi  de  la  raison. 
Les  éléments  en  sont  l'intirmité  de  l'âme,  sa  complicité 
même  qui  résulte  de  l'incHnation  au  mal,  à  la  rébellion, 
à  ^indépendance;  enfin  une  sorte  d'obscurité  ou  d'aveuglement 
intérieur  qui  sert  de  voile  â  ce  désordre.  Cette  lutte  ex- 
prime l'histoire  intérieure  de  chaque  homme,  mais  en  même 
temps  elle  présente  un  insondable  mystère,  quand  on  ne  con- 
sidère pas  l'explication  qui  s'en  trouve  dans  Jésus-Christ, 

En  lui  tout  s'éclaire.  Dieu  dans  notre  création  avait  uni  en 
nous  trois  vies  diverses  et  subordonnées,  et  n'avait  rendu  la 
vie  animale  docile  à  la  vie  morale  ou  spirituelle  qu'à  la  condi- 
tion de  la  soumission  libre  de  celle-ci  à  la  vie  surnaturelle  ou 
divine  Quand  l'homme  ingrat  veut  diviser  ces  trois  vies,  se 
contenter  des  deux  premières,  il  tombe  au-dessous  de  lui- 
même.  Quand  il  a  choisi  un  renversement  partiel,  il  a  trouvé 
un  di^'sordre  complet.  Jésus-Christ  nous  l'apprend.  Quand  le  fils 
ingrat,  dil-il,  veut  vivre  de  son  bien  dans  l'indépendance  de 
son  père,  il  tombe  dans  la  misère  et  la  dégradation  jusqu'à  dé- 
sirer la  pâture  des  animaux  immondes. 


Oct.  1863.]  LE   CHRIST  ET   LES   ANTECHRISTS.  32at 

Mais  en  même  temps  le  Sauveur  nous  montre  le  remède.  Si 
les  trois  vies  sont  inséparables  dans  l'homme,  nous  devons, 
pour  retrouver  l'empire  de  la  deuxième  vie  sur  la  troisième, 
nous  élever  de  nouveau  à  la  première.  Ce  retour  n'est  pas 
impossible,  car  nous  continuons  à  avoir  la  conscience  de  cette 
vie;  nous  y  sommes  appelés  du  dehors,  attirés  du  dedans,  et 
la  prière  nous  donnera  les  ailes  pour  y  remonter.  La  prière 
nous  obtiendra  la  grâce  surnaturelle  dont  la  foi  nous  fait 
connaître  les  opérations  divines.  Mais  combien  de  ces  grâces 
sont  des  faits  de  conscience  que  chacun  peut  vérifier?  L'aspi- 
ration de  la  nature  humaine  à  une  vie  supérieure  ou  surna- 
turelle ;  le  besoin  qu'elle  ressent  de  la  lumière  d'en  haut  pour 
être  éclairée  sur  celte  vie,  du  secours  d'en  haut  pour  y  être 
élevée,  et  en  même  temps  pour  être  guérie  de  sa  faiblesse  ; 
la  réalité  et  refficacité  de  cette  grâce  qui  guérit,  fortifie,  élève; 
cette  voix  intérieure  enfin,  ce  gémissement  de  l'esprit  qui 
aide  le  nôtre  à  retrouver  ce  qu'il  a  perdu, /)os^M/a^/)ro  nobis 
gêmitibus  inenairabilïbus .  Cette  voix  est  la  voix  de  Celui  qui 
nous  a  créés  pour  une  vie  toute  divine  d'amour  et  de  grâce, 
et  qui  nous  l'ofi're  encore  en  ouvrant  notre  cœur  à  la  prière 
qui  la  fait  revenir. 

Ces  faits  sans  doute  deviennent  plus  fréquents  et  plus  lumi- 
neux à  mesure  qu'on  s'efforce  davantage  de  les  vérifier  dans 
la  vie  pratique.  Mais  pour  ceux-là  mêmes  qui  restent  en  dehors 
de  cette  plénitude  de  lumière,  il  reste  vrai  que  «  la  religion 
résout  seule  le  problème  que  la  philosophie  pose,  p  comme 
le  dit  admirablement  Maine  de  Biran. 

Le  deuxième  mystère  que  J.-C.  nous  dévoile  est  celui  de  la 
douleur.  La  douleur,  en  dehors  du  christianisme,  est  inexpli- 
cable. Pour  donner  le  mot  de  cette  énigme  la  sagesse  humaine 
a  recouru  à  la  fable  de  la  métempsycose,  cette  négation  pué- 
rile et  audacieuse  de  la  conscience  humaine,  et  par  là  elle 
s'est  montrée  radicalement  impuissante  à  nous  en  révéler  le 
sens.  Mais  lors  même  qu'elle   eût  trouvé   une    explication 


324  LE   CHRIST   ET  LES    ANTECHRISTS.  [Tome  VIII. 

plus  satisfaisante  de  la  douleur,  jamais  elle  n'eût  réussi  à  nous 
la  faire  accepter  et  embrasser,  et  le  mystère  serait  resté  en 
plein.  Car  la  douleur  est  si  intimement  rivée  à  notre  existence, 
que  nous  ne  pouvons  que  la  porter  d'ime  manière  ou  d'une 
autre,  jusqu'au  dernier  jour  de  notre  existence. 

Pour  le  chrétien,  la  douleur  est  une  des  formes  que  revêt  la 
grâce  de  Dieu,  Dieu  a  deux  manières  de  secourir  notre  âme  : 
il  nous  aide  par  sa  force  et  il  nous  aide  par  l'infirmité  physique 
et  la  souffrance  morale.  La  souËFrance  est  une  expiation,  mais 
une  expiation  qui  devient  une  source  d'espérance  si  nous  l'u- 
nissons aux  mérites  de  Jésus-Christ  ;  elle  se  mêle  à  nos  luttes 
pour  nous  servir  de  remède  et  de  préservatif  en  ■  amortissant 
le  foyer  de  nos  passions,  et  en  nous  détachant  des  faux  biens. 
Elle  favorise  nos  aspirations  vers  la  vie  surnaturelle  qui  sera 
tout  heureuse  en  Dieu,  et,  si  elle  est  reine  ici-bas,  elle  n'y 
exerce  sa  puissance  que  pour  nous  rendre  libres,  libres  du 
péché,  libres  des  passions,  libres  du  monde  et  des  illusions. 

La  douleur  devient  ainsi  pour  le  vrai  chrétien  un  objet  d'amour 
à  cause  des  biens  qu'elle  lui  procure;  mais  elle  le  devient  plus 
encore,  parce  que  c'est  par  elle  que  J,-C.  nous  a  témoigné  son 
immense  amour  sur  la  croix.  Souffrir,  c'est  lui  devenir  sembla- 
ble; souffrir,  c'est  lui  témoigner  notre  reconnaissance;  souffrir 
pour  lui,  c'est  luirendre  amour  par  amour.  C'est  pourquoi  les 
saints  ont  aimé  la  soufifrance  comme  l'avare  aime  la  charge 
d'or  qu'il  porte  avec  amour  et  avec  joie;  c'est  pourquoi  encore 
le  chrétien  ne  devient  jamais  malheureux  par  la  souffrance, 
car  il  a  contre  elle  un  divin  antidote.  «  J'ai  entendu,  dit  le 
P.  Decharaps,  de  grandes  voix  dire  de  sublimes  choses  sur  la 
patience,  mais  jamais  elles  n'ont  dit  si  bien  que  le  pauvre 
prêtre  exhortant  le  pauvre  peuple  à  mettre  ses  peines  au  pied  de 
la  croie.  » 

Le  troisième  mystère  est  celui  de  la  mort.  La  mort  est  un 
triple  mystère  parce  qu'elle  semble  impliquer  une  triple  con- 
tradiction :  contradiction  dans  l'union  de  la  mort  avec  un  être 


Oct.  1863.]  LB   CHRIST   ET   LES  ANTECHRISTS.  325 

immortel;  contradiction  dans  la  relation  de  cette  mort  avec  la 
bonté  divine  ;  contradiction  dans  sa  relation  avec  l'espérance 
humaine.  Qui  nous  dira  les  secrels  de  la  mort?  Quand  l'esprit 
humain  a  voulu  pénétrer  sans  Dieu  dans  ces  mystérieuses 
profondeurs,  n'en  est-il  pas  remonté  plein  de  trouble  et  vo- 
missant des  blasphèmes?  n'en  a-t-il  point  rapporté  soit  la 
doctrine  sacrilège  des  deux  principes,  soit  l'humble  aveu  de 
son  impuissance  radicale  à  rien  expliquer? 

C'est  Jésus-Cbiist  qui  a  «  les  clefs  de  la  mort,  »  et  en  lui 
nous  voyons  la  mort  transfigurée  non  moins  que  la  lutte,  non 
moins  que  la  douleur,  mais  d'une  façon  plus  merveilleuse 
encore. 

Le  premier  secret  de  la  mort  est  que  Dieu  ne  l'a  point  faite. 
Le  second  c'est  qu'elle  est  l'œuvre  de  l'homme.  L'immortalité 
du  corps,  toute  surnaturelle  qu'elle  est,  entrait  dans  les  condi- 
tions de  la  parfaite  harmonie  de  notre  nature  avec  sa  destinée 
positive.  L'homme  par  le  péché  troubla  celte  harmonie,  et 
Dieu,  pour  le  punir,  s'est  borné  à  l'abandonner  à  lui-même. 
L'enfer,  cette  seconde  mort  que  Dieu  n'a  pas  faite  non  plus, 
n'est  encore  dans  son  fond,  dans  sa  peine  principale  qu'une 
séparation,  la  séparation  définitive  de  l'âme  et  de  Dieu,  de 
l'âme  obstinée  que  Dieu  laisse  enfin  à  elle-même,  comme  elle 
l'a  voulu. 

Voilà  ce  qu'est  la  mort  en  elle-même.  Mais  si  nous  acceptons 
en  union  avec  Jésus-Christ  ce  châtiment  de  la  première  mort, 
elle  nous  préservera  de  la  seconde,  et,  de  plus,  elle  sera  elle- 
même  un  jour  absorbée  dans  la  grande  victoire  du  Christ  qui, 
en  la  subissant,  lui  a  enlevé  son  aiguillon.  Elle  est  encore  le 
grand  dépouillement  de  l'homme,  mais  en  Jésus-Christ  elle 
n'est  que  la  grande  libératrice,  puisqu'elle  nous  fait  échanger 
la  lutte  contre  la  paix,  la  douleur  contre  la  joie  ;  elle  brise  les 
chaînes  de  nos  passions,  nous  délivre  du  poids  de  ce  corps 
corruptible,  du  fardeau  de  nos  péchés,  du  danger  d'y  succom- 
ber encore.  Elle  est  la  grande  séparation,  la  grande  division. 


32G  LE  CHRIST   ET  LES  ANTECHRISTS.  [Tome  VIII. 

puisqu'elle  va  jusqu'à  nous  diviser  nous-mêmes.  Mais  en 
Jésus-Christ  elle  devient  le  grand  moyeu  de  l'union  parfaite 
avec  Dieu. 

Qu'il  est  donc  vrai  de  dire  avec  saint  François  de  Sales,  que 
la  mort  vue  à  travers  la  croix  change  de  face  ! 

Le  quatrième  mystère  qu'étudie  le  P.  Dechamps  est  celui  de 
la  grande  aspiration  de  l'homme.  Le  désir  du  bonheur  est 
identifié  avec  notre  nature  parce  qu'il  est  l'inclination  même 
de  l'homme  vers  sa  fin.  En  Jésus-Christ,  ce  désir  illimité,  in- 
satiable, s'explique  et  se  comprend,  parce  qu'il  est  satisfait 
d'une  manière  toute  divine.  Jésus-Christ  répand  en  nous  l'a- 
mour qui  donne  la  paix.  Partout  il  promet  la  paix  qui  est  la 
révélation  intérieure  de  sa  divinité  au  cœur  de  l'homme,  et  la 
source  de  cette  paix,  il  nous  la  fait  jaillir  pour  la  vie  éternelle 
dans  la  foi,  dans  l'espérance  et  dans  l'amour,  surtout  dans 
l'amour. 

Il  identifie  l'amour  avec  le  devoir,  puisque  l'accomplisse- 
ment d'un  devoir  est  l'acte  d'amour  par  excellence,  celui  qui 
gagne  le  cœur  de  l'amour  même,  Deus  chantas  est. 

Par  là  il  lîous  rend  à  notre  vocation  qui  consiste  si  essentiel- 
lement à  aimer  Dieu,  que  l'amour  est  le  mouvement  même 
de  tout  notre  être.  Car  le  corps  e:i  nous  est  fait  pour  l'âme  ; 
dans  l'âme  l'intelUgence  est  faite  pour  éclairer,  et  en  mémo 
temps  pour  servir  la  volonté;  mais  la  volonté  pourquoi  est-elle 
faite,  sinon  pour  aimer?  Vouloir,  est-ce  autre  chose  qu'aimer? 
Que  veut-on,  si  ce  n'est  ce  qu'on  aime  ? 

Mais  comment  nous  fait-il  aimer  Dieu?  Il  lious  fait  aimer 
le  Dieu  invisible  en  nous  montrant  en  lui  toutes  les  tendresses 
qu'il  a  mises  au  cœur  de  ses  créatures,  a  II  a  donc  l'amour 
d'un  père,  d'une  mère,  d'un  frère,  d'une  sœur,  d'un  époux, 
d'une  épouse,  d'un  enfant  même,  puisqu'il  a  fait  le  cœur  de 
l'enfant  aussi,  et  qu'il  n'a  pns  dédaigné  d'être  enfant,  puisqu'il 
s'est  uni  personnellement  à  la  nature  humaine.  »  Quoique 
invisible,  nous  pouvons  donc  l'aimer  sans  bornes,  car  nous  ne 


Oct.  18C3J  LE   CHRIST   ET   LES  ANTBCHRISTS.  3i7 

voyons  rieu  de  ce  que  nous  aimons  le  pins  au  monde.  Ce  que 
nous  aimons  dans  nos  parents  et  nos  amis,  c'est  leur  âme  in- 
visible, et,  quand  leur  enveloppe  mortelle  est  flétrie,  et  qu'ils 
sont  morts,  nous  continuons  de  les  aimer. 

Cependant,  l'attente  de  notre  âme  ne  trouve  pas  encore  sa 
pleine  satisfaction  dans  Famour  du  Dieu  invisible.  Son  objet 
propre  est  dans  les  communications  parlées  avec  ce  même 
Dieu  rendu  visible.  Or  le  Verbe  s'est  fait  chair  et  il  a  habité 
parmi  nous,  et  il  a  ainsi  ofîertà  notre  âme  ce  trésor  d'un  Dieu 
devenu  semblable  â  nous.  L'aspiration  que  le  paganisme  n'a- 
vait fait  que  profaner  et  défigurer  trouve  ainsi  dans  le  chris- 
tianisme sa  réalisation  pleine  et  entière. 

Il  y  a  certes  dans  le  mystère  de  l'Incarnation  de  quoi  rem- 
plir le  cœur  le  plus  insatiable  d'amour  ;  il  n'y  a  pas  encore  de 
quoi  satisfaire  entièrement  le  cœur  de  Jésus-Christ.  De  même 
qu'il  sera  tout  à  tous  dans  la  gloire,  et  tout  à  chacun  des  élus, 
de  même  il  se  donne  tout  entier  à  chacun  de  nous  en  cette 
vie  comme  le  gage  véritable  de  la  vie  éternelle.  Il  n'a  de  trêve 
et  de  repos  qu'il  n'ait  accompli  son  grand  dessein  qui  est 
de  nous  transformer  en  lui  et  de  nous  faire  vivre  de  sa  vie 
divine. 

A  ne  considérer  que  le  cœur  de  l'homme,  il  semble  qu'il 
soit  insatiable  d'amour  et  il  demande  encore  plus^  toujours 
plus,  quelque  soitl'objelqueson  cœur  rencontre.  Jésus-Christ 
a  su  lui  proposer  de  quoi  le  satisfaire  en  lui  présentant  un 
objet  que  tous  les  cœurs  de  tous  les  hommes  seront  à  jamais 
incapables  d'aimer  suffisamment.  Objet  d'amour,  modèle  d'a- 
mour, il  est  aussi  source  d'amour  et  il  supplée  par  l'infinité  de 
son  amour  à  l'insuflisance  de  celui  que  nous  lui  portons. 

C'est  par  ces  considérations  sur  l'amour  divin  que  le  P.  De- 
champs  termine  son  étude  sur  Jésus-Christ.  Jésus-Christ  seul, 
dit-il,  a  demandé,  a  voulu  l'amour  des  hommes  et  des  siècles; 
Jésus-Christ  seul  a  été  aimé  des  hommes  et  des  siècles  comme  il 
l'a  voulu,  comme  on  est  aimé  de  ceux,  qu'on  aime,  aimé  des 


328  LE  CHRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  [Tome  VlII. 

cœurs  et  des  âmes,  de  cet  amour  qui  est  lui-uiême  l'âme  de 
la  vie.  Lui  seul  a  aimé  le  monde  comme  Dieu  seul  sait  aimer, 
et  lui  seul  a  été  aimé  du  monde  comme  Dieu  seul  mérite  de 
l'être.  C'est  ainsi  que  les  temps  et  les  cœurs  vaincus  nous 
parlent  de  lui  avec  la  même  puissance  que  l'Écriture,  et 
l'hymne  à  sa  divinité  sort  trois  fois  sublime  de  l'harmonie 
des  deux  Testaments,  de  la  conscience  de  l'homme  et  de  tous 
les  âges  de  l'humanité. 

IV. 

Les  ANTECHRISTS. 

Sur  ce  triple  terrain  de  l'Écriture,  de  l'histoire  et  de  la 
conscience  humaine,  on  ne  rencontre  pas  seulement  claire- 
ment et  nettement  tracée  la  ligure  du  Christ,  on  y  trouve  aussi 
celle  de  l'Antéchrist,  ainsi  appelé,  dit  S.  Jérôme,  parce  qu'il 
est  l'ennemi  du  Christ.  Il  y  a  entre  l'un  et  l'autre  une  lutte 
continuelle,  qui  a  commencé  dès  l'origine,  et  qui  ira  en  gran- 
dissant jusqu'à  la  fin  des  temps.  On  ne  comprendrait  pas  bien 
le  Christ,  si  on  n'étudiait  en  même  temps  son  adversaire  l'An- 
téchrist, et  nous  pensons  qu'un  traité  d'apologie  sera  nécessai- 
rement incomplet,  si  l'action  de  l'Antéchrist  n'y  est  mise  eu 
relief,  soit  dans  le  cours  du  livre,  soit  dans  des  chapitres  spé- 
ciaux. 

Mais  il  y  a  deux  sortes  d'Antechrists,  d'après  l'enseigne- 
ment de  l'Écriture,  l'Antéchrist  final  et  les  Antechrists  pré- 
curseurs. De  ceux-ci,  nous  dit  l'apôtre,  il  en  est  dès  à  présent 
plusieurs.  Leur  caractère  essentiel  est  d'être  menteurs  et  de 
séduire  les  hommes  en  niant  la  vérité  que  Jésus-Christ  nous 
a  révélée,  ou  plutôt  la  vérité  qu'il  est  lui-même.  Sont  donc 
Antechrists  d'après  lui,  tous  ceux  qui  nient  le  Fils  unique  en- 
gendré du  Père,  ceux  qui  nient  que  Jésus-Christ  est  venu  dans 
la  chair  ;  ceux  qui  divisent  Jésus-Christ  en  niant  l'union  de  la 
nature  divine  et  de  la  nature  humaiue  en  sa  personne.  Or,  en 
niant  le  Fils,  ils  nient  le  Père,  et  méconnaissent  à  la  fois  et 


Oct.  1863.1  LE  CHRIST  ET  LES   ANTECHRISTS.  329 

son  éternelle  fécondité  et  l'amour  dont  il  a  aimé  le  monde. 
Tous  les  hérésiarques  sont  des  Antechrisls,  images  et  pré- 
curseurs de  celui  qui  doit  venir  à  la  fin  des  temps.  Leur  travail, 
depuis  l'origine  jusqu'à  nous,  a  consisté  à  diviser  la  vérité. 
L'histoire  des  erreurs  de  tous  les  temps,  montre  qu'elles  se 
rattachent  à  une  source  commune.  Elles  sont  reliées  entre 
elles  par  un  étonnant  esprit  de  suite.  Les  hérésiarques  ont 
obéi  comme  à  une  loi  fatale  dans  la  forme  qu'ils  ont  donnée 
à  leurs  erreurs  ;  par  oii  l'on  voit  que,  même  pour  se  tromper, 
l'homme  n'a  pas  été  seul.  Ainsi  Dieu  a  donné  à  la  nature  de 
nous  redire  la  gloire  de  son  auteur;  aux  pères  des  nations,  à 
leurs  pontifes,  à  leurs  législateurs,  aux  saints  qu'il  leur  a 
envoyés,  il  a  donné  des  traits  de  ressemblance  avec  leur  divin 
modèle.  L'idolâtrie  dans  toutes  ses  formes  n'a  fait  que  diviser 
la  créature  du  Créateur,  l'image  de  son  objet  et  de  son  prin- 
cipe. Prenant  les  ombres  pour  la  réalité,  elle  demanda  aux 
victimes  figuratives  ce  qui  n'appartenait  qu'à  la  véritable  ;  et 
après  avoir  divisé  le  culte,  elle  alla  jusqu'à  diviser  aussi  le 
Christ  en  appliquant  aux  peuples  divisés  ce  qui  regardait 
l'humanité  tout  entière. 

Quelle  est  la  forme  de  toutes  les  erreurs  depuis  Jésus-Christ? 
Le  judaïsme  est  la  séparation  des  deux  alliances  dont  le 
Christ  est  la  divine  harmonie.  Les  premières  hérésies  chré- 
tiennes prétendaient  jeter  la  division  dans  la  nature  divine 
elle-même  par  la  doctrine  des  deux  principes  et  par  celle  des 
émanations.  Arius  et  Macédonius  prétendirent  diviser  la  Trinité 
en  niant  l'un  la  consubstantialité  du  Verbe,  l'autre  celle  du 
Saint-Esprit.  Les  iiérétiques  du  V^  siècle,  Nestoriens  et  Euty- 
chiens,  divisent  le  Christ  en  brisant  les  uns  et  les  autres  le  lien 
d'union  des  deux  natures  dans  la  personne  du  Verbe.  Les  Pé- 
lagiens  ont  voulu  diviser  les  dons  de  Dieu,  la  nature  d'avec  la 
grâce  surnaturelle.  Les  Iconoclastes  ont  brisé  l'harmonie  des 
deux  natures  sensible  et  spirituelle.  L'islamisme,  qui  veut 
réunir   les  trois  révélations    patriarcale  ,  mosaïque  et  chrô- 


330  LE   CHRIST   ET   LES   ANTECHRISTS.  [Tome  VIII. 

tienne,  les  déchire  toutes  les  trois  ensemble  en  méconnaissant 
la  rédemption,  qui  de  ces  trois  révélations  n'en  fait  qu'une. 
Enfin  le  protestantisme,  qui  est  une  hérésie  plus  radicale,  est 
en  même  temps  une  division  plus  profonde.  Il  sépare  la  foi 
de  la  charité;  Tespérance  d'avec  la  communion  des  saints; 
l'amour  divin  du  culte,  qui  en  est  l'expression  vivante,  surtout 
de  l'Eucharistie,  qui  en  est  le  foyer;  la  grâce  des  sacrements,  qui 
en  sont  les  grandes  artères,  etc.,  etc.  Enfin  le  protestantisme 
radical,  ou  le  rationalisme  consomme  cette  grande  œuvre  de 
division  et  de  négation.  Il  divise  la  raison  et  la  foi,  la  nature 
et  la  grâce,  Dieu  et  l'homme  :  et,  soit  qu'il  affecte  la  forme 
panthéistique,  soitqu^il  se  dise  athée  ou  déiste,  il  nous  ramène 
vers  le  dieu-nature  ou  le  dieu-humanité ,  vers  le  culte  du 
monde  et  des  esprits  créés,  vers  la  confusion  des  deux  puis- 
sances, et  vers  la  disparition  radicale  des  œuvres  et  des  insti- 
tutions inspirées  par  le  Christ  et  sa  croix. 

Voilà  l'antichristianisme  dans  l'histoire.  La  manière  dont  îl 
entre  dans  le  cœur  humain  nous  est  révélée  dans  la  tentation 
du  Sauveur.  C'est  l'appel  à  la  triple  concupiscence  qui  prépare 
l'avènement  de  l'homme  du  péché.  Les  caractères  de  celui  qui 
sera  FAntechrist  par  excellence  nous  sont  nettement  tracés 
dans  l'Ecriture.  Les  circonstances  de  son  avènement  et  de  son 
règne  nous  sont  prédites  aussi  clairement  que  n'importe 
quelle  circonstance  de  la  venue  du  Christ  lui-même.  Nous 
savons  «  qu'il  s'élèvera  au-dessus  de  tout  ce  qui  est  appelé 
Dieu,  qu'il  ira  jusqu'à  s'asseoir  dans  le  temple  de  Dieu  comme 
s'il  était  Dieu,  et  voudra  lui-même  passer  pour  Dieu  ;  »  nous 
savons  qu'il  établira  un  vaste  empire  antichrétien  ;  qu'il  aura 
une  grande  puissance  surnaturelle  ou  satanique.  Nous  savons 
qu'il  persécutera  grandement  les  saints  de  Dieu  ;  qu'en  face 
de  lui  surgiront  de  grands  témoins  de  la  vérité  qu'il  mettra  à 
mort,  et  qu'après  un  règne  de  courte  durée,  il  disparaîtra  au 
dernier  avènement  du  Christ  qui  viendra  juger  le  monde. 
Assurément  on  ne  peut  dire  avec  certitude  ni  où,  ni  com- 


Oct.  1803.]  LE  CHRIST  ET   LES  ANTECHRISTS.  33t 

ment,  ni  par  qui  se  formera  cet  empire.  Mais  ces  prédictions 
de  l'Écriture,  les  espérances  qu'elles  nous  donnent  du  secours 
de  Dieu  dans  ces  circontanees  solennelles  nous  expliquent 
comment,  à  mesure  que  Thistoire  se.  déroule,  nous  voyons  se 
préparer  Tavènement  du  grand  jour.  Les  caractères  anticbré- 
tiens  sont  plus  saillants  à  notre  époque  qu'aux  époques  qui 
ont  précédé.  Ce  n'est  que  de  nos  jours  qu'on  a  trouvé  par  une 
série  de  doctrines  professées  dans  d'innombrables  cliaires,  la 
tbéorie  du  dieu-bumanité;  ce  n'est  que  de  nos  jours  qu'on  a 
vu  s'établir  sans  répulsion  le  spiritisme,  cette  forme  de 
tbéurgie  moderne  qui  ne  vient  que  de  naître,  et  qui  est  déjà 
répandue  d'une  manière  effrayante.  Ce  n'est  que  de  nos  jours 
que  l'on  a  vu  tenter,  sans  que  le  monde  cbrétien  en  frissonnât, 
la  rébabilitation  de  Satan.  Sans  doute  elle  n'a  été  vomie  que 
par  quelques  bouches  impies;  mais  on  se  familiarise,  on  joue 
en  quelque  sorte  avec  Satan  au  moyeu  des  évocations. 

Voilà  comment  le  règne  de  l'Antéchrist  se  prépare.  D'un 
côté  nous  sommes  encore  loin  d'avoir  vu  se  réaliser  et  toutes 
les  promesses  faites  à  l'Église,  et  tout  le  travail  préparatoire 
de  l'Antéchrist.  Mais  il  est  remarquable  aussi  qu'au  moment 
où  les  espérances  de  l'Église  augmentent  au-delà  de  ce  qu'on  a 
jamais  vu  de  plus  beau  dans  le  cours  des  siècles,  les  caractères 
de  l'empire  antichrétien  se  dessinent  de  plus  en  plus  nettement. 
La  démonstration  qui  résulte  du  rapport  de  ces  événements 
avec  les  prophéties  consignées  dans  l'Écriture  sainte  appar- 
tient essentiellement  à  un  ouvrage  qui  a  pour  but  de  iious 
faire  connaître  le  Christ,  le  Fils  de  Dieu  qui  est  venu  en  ce 
monde  pour  détruire  les  œuvres  de  Satan  et  reformer  la 
grande  famille  des  enfants  de  Dieu. 

J.-I.  SiMONIS. 


NOUVELLES   RECHERCHES 


SUR    LA   VIE    DE    SAINT    DIE, 


Abbé. 


Saint-Dié,  dit  un  vieil  historien  (1),  «  est  une  des  quatre 
prévôtés  de  l'ancien  bailliage  de  Blois,  et  c'est  pour  cette  rai- 
son qu'il  faut  s'y  arrêter  un  peu  en  passant.  C'est  un  gros 
bourg  situé  sur  le  chemin  d'Orléans,  sur  le  rivage  de  la  Loire, 
et  bâti,  comme  tant  d'autres,  par  le  peuple  qui  s'y  est  assem- 
blé au  bruit  des  miracles  du  saint  dont  il  porte  le  nom.  Il  y 
avait  autrefois  un  monastère  que  le  roi  Clovis  P""  fonda  lors- 
qu'il visita  ce  saint  ermite  au  retour  de  la  bataille  qu'il  gagna 
sur  Alaric,  roi  des  Visigoths,  l'an  530  (2).  11  y  avait  pareille- 
ment une  maladrerie,  à  laquelle  Thibault  IV,  Hugues  de 
Chàtillou  et  Pierre  de  France,  comtes  de  Blois,  et  quelques 
particuliers,  ont  fait  des  charités.  Comme  le  bois  de  Cham- 
bord  s'étendait  en  ce  temps-là  jusque  sur  le  bord  de  la 
Loire  (3),  saint  Dié  le  choisit  pour  son  ermitage,  pour  faire 


(1)  J.  Bernier,  Histoire  de  Blois,  i  vol.  in-i°.  Paris  J86^.  Page  92. 

(2)  Acla  Suncli  Fridolini^  daos  la  bibliothèque  de  Labbe,  l.  n.  Les 
renseignemenls  de  Bernier  manquenl  d'exactitude,  comme  on  s'en 
convaiuora  par  la  comparaison  avec  ce  que  nous  dirons  eu  suile. 

(3)  Caiiulaire  manuscrit  de  Chartres. 


Oct.  1863.]     NOUVELLES  RECHERCHES  SUR  LA  VIE  DE  S.  DIÉ,  ABBÉ.  333 

pénitence,  sur  quoi  je  ne  m'étendrai  pas,  parce  que  le  Père 
Patrice,  capucin,  natif  de  Saint-Dié,  en  a  donné  Thistoire  au 
public  sur  des  mémoires  qu'il  a  trouvés  dans  l'église  parois- 
siale de  ce  lieu  (1).  p 

11  résulte  de  cette  histoire  locale  ou  légendaire,  qu'au  V«  ou 
au  VI*  siècle  (2),  un  personnage  pieux,  nommé  Dieudonné 
{Deodatus,  par  contraction  Dié  ou  Dyé)^  bâtit  un  ermitage 
dans  les  forêts,  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  à  quatre  lieues 
de  Blois.  Les  miracles  qu'il  y  fit  attirèrent  près  de  lui  des 
fidèles,  qui  construisirent  des  maisons,  Glovis  vint  visiter  le 
saint  homme,  et  changea  son  humble  cellule  en  un  riche 
monastère  (3).  Enfin,  le  nombre  des  habitants  s'étant  fort 
acciu,  on  entoura  le  bourg  d'une  muraille  .d'enceinte,  et  cette 
nouvelle  ville  devint  une  des  forteresses  du  Blaisoist  Elle 
faisait  un  commerce  de  vins  et  d'étoffes  de  laine  dont  il  reste 
encore  des  traces. 

Telles  étaient,  outre  les  renseignements  fournis  par  Jean 
Mabillon,  le  Père  Labbe  et  les  Boliandistes,  les  annales  de 
Saint-Dié,  lorsque  la  découverte  d'un  manuscrit  topique  est 
venu  jeter  de  nouvelles  lumières  sur  le  sujet  et  raviver  des 
discussions  éteintes  sur  celte  antique  légende. 

Nous  avons  appris  que  le  presbytère  du  bourg  de  Saint-Dié 
pobsé'-îait  un  manuscrit  fort  ancien.  Nous  en  avons  obtenu 
communication  de  la  bienveillance  du  curé.  Il  se  compose  de 
quatre  parties  :  1"  un  traité  des  hérésies  de  saint  Augustin; 
2°  une  réfutation  de  l'athéisme,  par  Claudiauus  Mamertus  ; 
3°  des  homélies  du  pape  saint  Grégoire  (ces  trois  parties  ont 


(1)  Bibliothèque  de  Labbe,  t.  n,  p.  365.  Cet  ouvrage  du  P.  Patrice 
est  la  iraduc'liou  de  la  fie  de  saint  Dié  que  nous  avons  retrouvée  et, 
dont  nous  parlerons  plus  loin. 

(2j  La  queslioii  chionologique  sera  Irailée  un  peu  plus  lard. 

(3)  Dans  les  derniers  temps  ce  n'élail  plus  qu'un  prieuré  dépendant 
de  l'abbaye  de  Ponllevoy, 


334  NOUVELLES  RECHERCHES  [icmeVM. 

été  imprimées  dans  la  Bibliothèque  des  Pères)  ;  4°  la  vie  de 
saint  Dié,  patron  de  l'église  paroissiale  de  cette  ancienne  petite 
ville.  Cette  biographie  a  été  composée  selon  les  récits  tradi- 
tionnels. A  la  fin  se  trouvent  les  proses  et  antiennes  de  l'é- 
glise, autrefois  chantées  en  la  fête  du  saint;  le  tout  conforme 
au  traité  de  sa  Vie,  ce  qu'on  n'aurait  pu  faire  sans  l'autorité 
des  supérieurs.  Cette  dernière  partie  du  manuscrit  est  inédite. 
Un  abrégé  seulement  en  a  été  publié  par  le  Père  Labbe  (1). 
Au  commencement,  sur  un  feuillet  spécial  en  papier,  on  lit 
une  note  d'une  écriture  du  XVIP  siècle  (dont  nous  nous 
sommes  servi),  qui  parait  être  de  la  main  du  religieux  béné- 
dictin Noël  Mars,  auteur  de  VHistoire  du  royal  monastère  de 
Saint-Lauraer  de  Biais,  manuscrit  déposé  dans  la  bibliothèque 
de  cette  ville. 

Les  caractères  de  l'ouvrage,  écrit  sur  parchemin  et  orné  de 
lettres  enluminées,  sont  du  XII®  siècle.  A  la  fin  se  trouve, 
comme  dans  le  manuscrit  de  saint  Victor  de  la  Chaussée,  dont 
nous  avons  parlé,  et  dans  celui  de  saint  Viâtre  de  Tremblevif, 
dont  nous  parlerons  un  jour,  l'office  de  saint  Dié  :  messe, 
antienne,  oraison,  plus  de  vieille  musique,  notée  en  neumes, 
écrite  sur  quatre  lignes  tracées  à  la  pointe  sèche.  Une  note 
terminale  sur  la  châsse  du  saint,  et  une  autre,  peu  lisible, 
inscrite  sur  la  couverture,  sont  encore  à  citer. 

A  ce  manuscrit  sont  joints  deux  livres  imprimés,  l'un  de 
petit,  l'autre  de  grand  format,  contenant  :  le  premier,  la 
traduction  en  français,  avec  remarques,  de  la  Vie  de  saint  Dié, 
par  frère  Patrice,  capucin,  et  l'autre  un  Recueil  de  prières, 
acrostiches,  jeux  de  mots  pieux,  par  le  même;  le  tout  publié 
au  XV1I«  siècle  (1658),  cliez  J.  Hoîot,  imprimeur  à  Blois. 


(1)  Nouvelle  bibliothèque  des  manuscrits  d'Aquilaine  el  du  Berry, 
tome  II,  p.  365.  Fie  et  Éloget  des  Saints  de  Bourges, Fie  de  saint  Dié, 
abbé. 


I 


Ocf.  1863.1  ^^'^  ^^  ^'^   ^^   SAINT   DIÉ,  ABBÉ.  335 

Ces  trois  ouvrages  sont  cVune  notable  curiosité  pour  le  pays. 
Le  manuscrit  surtout^  remarquable  sous  le  rapport  de  la  calli- 
graphie, mériterait  d'êlre  honorablement  placé.  La  fabrique 
de  Saiut-Dié,  comprenant  que  ces  livres  seraient  plus  digne- 
ment situés  dans  un  dépôt  pu])lic  que  dans  un  presbytère  peu 
fréquenté,  devrait  en  faire  don  aux  archives  du  département, 
011  ils  seraient  d'ailleurs  à  la  disposition  de  tous. 

Nous  exposerons  d'abord  la  vie  de  saint  Dié,  d'après  notre 
manuscrit.  Nous  relaierons  ensuite  les  différences  de  ce 
texte  authentique  avec  les  documents  antérieurement  con- 
nus. 

Le  récit  est  divisé  eu  dix-sept  chapitres.  L'auteur  loue  d'abord 
en  général  la  condition  et  les  mérites  de  son  personnage, 
a  confesseur  envoyé  de  Dieu.  »  11  traite  ensuite  en  détail  de 
son  nom,  de  son  éducation,  de  sou  dessein  d'entrer  en  reli- 
gion et  des  vertus  qu'il  mit  en  pratique  dans  cet  état.  Dié, 
élevé  à  Bourges  en  Berry,  se  rendit  très-jeune  dans  un  mo- 
nastère nommé  Yx  {Iccium,  Issoudun),  gouverné  alors  par  un 
abbé  nommé  Phallier  (1),  où  ses  jeûnes  et  ses  pénitences  lui 
valurent  une  renommée  qui  excita  l'envie  et  les  persécutions 
des  mauvais  moines,  qui  résolurent  de  le  faire  périr.  Le  saint, 
averti  par  Dieu,  souffre  d'abord  avec  patience  l'injustice,  puis 


(1)  Sainl  Phallier,  palroii  de  Chabris,  en  Berry,  sanctus  Phaleirus, 
23  novembre.  Dans  la  Vie  de  ce  saint,  donnée  par  Labbe  (l.  ii,  p.  437), 
il  càl  dil  que  l^hallier  ordonna,  en  monrant,  h.  Dié,  sonprcvôt,  de  l'en- 
sevelir dans  sa  cabane.  D'aucuns  veulent  que  ce  Phallier  soit  un 
autre  personnage  que  saint  l'hallier.  Remarquons  en  passant  la  con- 
fusion sysiémaliquc  cl  ridicule  de  Dulaure,  qui,  dans  son  ouvrage 
faux  :  des  Divinités  cjé,iéralrices,  {.h  dériver  1.:  culte  de  saint  Phal- 
lier des  honneurs  obscènes  rendus  au  ph^lus,  tandis  que  le  mol 
Phallier  vient  manifestement,  selon  (es  légendes,  de  Phalelrus,  qui 
rappelle  également  les  mois  phalerse,  collier,  ornenienl,  el  pharelra, 
caïquois,  ou  peut-être  mieux  falleira,  pour  phaleralaverOa,  paroles 
ornées. 


336  NOUVELLES  RECHERCHES  [TomeVin. 

prend  la  résolution  de  se  retirer  dans  un  autre  lieu.  Sur  ces 
entrefaites,  arrive  au  couvent  un  jeune  religieux  du  pays 
chartrain  nommé  Baudemire  (Baldomirus)  (1).  Une  douce 
amitié  s'établit  entre  les  pieux  personnages  et  ils  s'unissent 
dans  le  projet  d'aller  vivre  quelque  part  en  anachorètes. 
Baudemire  enseigne  à  son  ami  une  forêt  près  de  Blois,  lieu 
solitaire  et  propre  à  la  dévotion,  mais  hanté  par  un  démon 
dévastateur.  Dié,  espérant  vaincre  cet  ennemi  avec  l'assistance 
du  ciel,  obtient  la  permission  de  l'abbé  d'Issoudun,  et  pen- 
dant la  nuit  quitte  le  monastère  avec  son  compagnon.  Ils 
n'emportaient  que  leurs  cilices,  leurs  habits  d'ordre,  leurs 
manteauX;,  le  livre  de  leur  règle,  un  bâton  et  pas  de  provisions  ! 
Les  voyageurs,  chantant  des  hymnes  et  des  psaumes,  après 
avoir  marché  toute  la  nuit,  arrivent  le  lendemain,  à  la  pointe 
du  jour,  au  lieu  indiqué,  au  milieu  de  la  forêt  de  Ghambord. 
Là  Dieudonné  se  met  en  prières,  délivre  par  ce  seul  moyen 
le  pays  de  Tanimal  qui  l'infestait  (2)  et  se  bâtit  une  cellule.  Il 
y  vécut  avec  Baudemire  du  travail  de  ses  mains,  s'adonnant 
à  la  contemplation,  à  la  lecture,  à  l'oraison,  au  silence  et  aux 
larmes.  Sa  sainteté  éclatait  en  miracles.  Pendant  la  guerre 
avec  les  Goths  (3),  le  roi  Clovis  étant  venu  à  Chartres,  touché 


(l)Le  P.  Labbe  l'appelle  Baudouin,  Bodauvinus.  L'ancien  bréviaire 
du  diocèse  de  Blois  raconte  qu'il  élail  rharlrain,  prêtre,  el  disciple  de 
sainl  Soienne,  évêque  de  ce  pays.  Il  se  joignii ,  selon  la  même  aulorilé, 
à  sainl  Dié,  et  vécui  ermile  au  di'sert,  sur  les  rives  de  la  Loire.  Son 
corps  a  é(é  transpoilu  dans  l'c^glise  paroissiale  du  lieu,  où  sa  fêle  es' 
célébrée  le  dimanche  le  plus  proche  après  les  kalendes  (ler)  de  no- 
vembre. 

(2)  Il  s'agit  probablement  ici,  comme  dans  toutes  ces  légendes,  dont 
le  fond  esl  commun,  h.  la  fois  <run  monsire  réel,  désolanl  un  pays  de 
bois,  peu  habile,  et  du  monstre  de  l'idolâtrie,  symbolisée  par  un  ser- 
pent, toujours  vaincue  par  les  prières  des  saints. 

{'X)  L'écrivain  a  confomlu  la  guerre  gothique,  faile  au-delà  de  la 
LoiTp,  avec  la  guerre  ailémanique,  accomplie  dans  le  Xord,  à  la  suite 


Oct   1863.]  SUR  LA  VIE  DE  SAINT  Dit,   ABBÉ  337 

par  un  sermon  de  saint  Solenne,  évêqae  de  cette  ville  (1)  et 
devenu  catéchumène,  passa  dans  le  Blaisois,  «  où  il  fut  reçu 
du  peuple  avec  beaucoup  d'acclamation,  »  et  alla  se  prosterner 
aux  pieds  du  solitaire  de  la  Loire,  dont  la  renommée  était 
parvenue  jusqu'à  lui. 

Après  quelques  entretiens  avec  le  prince  franc,  qui  lui  de- 
mandait sa  bénédiction,  Dieudonné  l'engage  à  se  faire  baptiser 
et  lui  promet  la  victoire  à  ce  prix  (2).  Clovis,  vainqueur  de 
ses  ennemis,  revint  rendre  grâces  à  l'anachorète,  lui  donna  des 
terres  autour  de  sa  cellule,  de  Tor,  de  l'argent  pour  édifier  un 
monastère  et  faire  des  aumônes,  et  alla  se  faiie  baptiser  par 
saint  Rémi.  Les  vertus  et  Thumanité  de  Dieudonné  (qui  resta 
toujours  diacre  et  refusa  d'être  prêtre,  titre  plus  convenable 
pourtant  au  rang  d'abbé),  au  milieu  de  ces  nouvelles  riches- 
ses, convertirent  plusieurs  persoimes.  Le  nombre  des  reli- 
gieux s'augmentant  jusqu'à  quarante,  le  couvent  s'agrandit  et 
reconnut  Dieudonné  pour  chef.  Enfin,  le  Ciel  lui  révèle  sa 
dernière  heure;  et  après  une  exhortation  touchante  à  ses  reli- 
gieux, il  expire  au  milieu  de  leurs  regrets.  Le  bruit  de  son 
trépas  s'étant  répandu,  les  monastères  voisins  et  beaucoup  de 
peuple  vinrent  assister  à  ses  fuqérailles,  où  son  corps  exhalait 
une  odeur  suave.  On  distribua  aux  assistants,  comme  autant  de 
reliques,  son  habit  d'anachorète,  sa  tunique  et  son  manteau. 
L'abondance  des  miracles  qui  se  faisaient  sur  son  sépulcre 
engagea  les  habitants  du  lieu  à  édifier  au-dessus   de  la  tombe 

de  laquelle  Clovis  fui  baptisé,  longtemps  avant  son  expédition  contre 
les  Golhs.  Les  Bollandistes  reconnaissent  celte  confusion,  ainsi  que 
le  p.  Labbe  ;  et  Mabillon,  pour  cette  cause,  dislingue,  un  peu  à  la  lé- 
gère, deux  saints  Dié.  (Voyez  plus  loin.) 

[\)  Sainl  Solenne  vivait  en  499,  selon  la  chronique  de  Sigebert,  et 
sa  fête  se  célèbre  le  25  septembre. 

(2)  Celle  histoire  loule  nouvelle  de  la  conversion  de  Clovis  en  de- 
hors de  rinfluence  de  Clolilde  a  évidemment  un  raractère  spécial  et 
lopique  qui  nous  rejelle  des  certitudes  de  l'iiisloire  dans  les  problèmes 
de  la  légende. 

Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  t.  viii.  22-23 


338  NOUVELLES  RECHERCHES  [TomeVIII. 

une  belle  église,  avec  l'assistance  des  pèlerins  et  des  marchands 
delà  Loire,  qui  pourvoyaient  à  ses  besoins  par  un  péage  local. 
Mais  les  païens  (1)  ayant  tout  ruiné  et  réduit  la  [contrée  en  un 
désert,  la  mémoire  du  Saint  était  entièrement  perdue  lors- 
qu'elle fut  révélée  k  un  anachorète  nommé  Blidesinde,  qui 
apprit  du  Ciel  que  Dieudonné  était  mort  le  24  avril,  jour  où 
on  devait  célébrer  sa  fête.  Cependant  la  place  était  oubliée, 
lorsque,  sous  Charles-le-Chauve  (que  le  manuscrit  appelle 
«  Charles,  fils  de  Louis-Auguste,  »  c'est-à-dire  Louis-le-Dé- 
bonnaire,  vers  841),  un  prêtre  nommé  Aurélien,  envoyé  pour 
être  abbé,  releva  le  monastère,  embellit  l'église  et  rendit  la 
maison  florissante.  Après  la  mort  d'Aurélien,  son  neveu  et 
successeur  acheva  les  édifices  et  donna  à  l'église  des  orne- 
ments magnifiques  et  des  terres  fort  étendues  (2). 

La  narration  de  notre  manuscrit  n'est  pas  conduite  jusqu'au 
XII'  siècle,  époque  de  la  transcription,  ce  qui  ferait  supposer 
qu'il  n'est  que  la  reproduction  d'un  ouvrage  antérieur,  ter- 
miné à  la  fin  du  IX*  siècle  (3). 

Voyons  maintenant  ce  que  disent  les  écrivains  modernes. 

Le  Père  Labbe,  dans  sa  Bibliothèque  déjà  citée,  au  24  avril, 

donne  en  abrégé  la  biographie  que  nous  venons  de  présenter; 

puis  il  ajoute  qu'il  a  tiré  ce  sommaire  d'une  vie  plus  étendue 

que  lui  a  envoyée  le  Père  Patrice  de  Samt-Bié,  professeur  capu- 


{])  C'esl-U-dire  les  Normands,  liont  les  déprôdalioiis  furent  si  con- 
sidérables au  ix^  siècle. 

(2)  Selon  Mabillon,  ce  neveu  se  sérail  appelé  comme  son  oncle; 
car  on  lil  en  deux  endroits  de  ['Index  des  Annales  :  «  Aureliani, 
abbales  duo  sancli  Dcodaii  super  Ligerim,  «  et,  dans  le  texte,  le 
neveu  est  appelé  equivocus. 

(3)  Les  Boilandistes  semblenl  confirmer  celle  supposition  lorsqu'ils 
disent,  dans  leurs  noies  (t.  ni,  p.  273),  que  les  premiers  actes  de  la 
vie  de  saint  Dié  ont  été  détruits  et  que  ceux  qui  nous  restent  sont 
ceux  qui  furent  écrits  de  nouveau,  en  double  el  même  en  triple. 
(Vojez  plus  loin  ) 


Oct.  1863.]  SUR   LA   VIE  DE   SAINT  DIÊ,   ABBÉ.  339 

cin,  provenant  d'uu  manuscrit  de  la  petite  ville  de  Saint-Dié  (1). 
Labbe  termine  par  ces  mots,  que  nous  traduisons  simplement  : 
«  Le  Père  Patrice  m'a  dit  qu^il  a  appris  par  les  archives  de  la 
ville  que  Louis  XI,  ayant  lu  la  vie  de  saint  Dié,  donna  à 
l'église  une  chasse  d'argent  doré,  avec  des  reliques  du  Saint, 
pour  être  touchées  par  les  fidèles;  châsse  que  les  calvinistes 
ont  détruite,  à  la  grande  douleur  des  habitants,  à  la  fin  du 
siècle  dernier  (1568).  »  C'est  à  peu  près  le  fait  raconté  dans  la 
note  terminale  du  manuscrit  déjà  cité,  sauf  cette  variante  de 
la  note  :  que  ia  châsse  fut  dérobée  vers  J518  (2)  sans  qu'on 
ait  jamais  pu  la  retrouver. 

Les  Bollandistes  (3)  donnent  deux  Vies  de  saint  Dié,  sur  trois 
qu'ils  citent  :  la  première,  d'après  un  manuscrit  de  Rouen 
envoyé  par  le  jésuite  Jean  Wallon  ;  la  deuxième,  tirée  d'un 
manuscrit  de  la  Reine  de  Suède,  n°  J286  (probablement  de  la 
Bibliothèque  du  Vatican);  la  troisième,  envoyée  par  le  jésuite 
Jacques  de  Saulcon,  «en  mauvais  style  »,  tirée  du  manuscrit 
de  l'église  de  Saint-Dié,  traduite  par  le  père  Patrice  et  citée 
par  le  père  Labbe. 

Les  Bollandistes  attaquent  assez  vivement  ces  biographies. 
Ils  rejettent  la  présence  de  saint  Phaliier,  comme  ne  se  rap- 
portant pas  à  la  chronologie,  la  réalité  de  saint  Baudemirc  (4) 
sur  lequel  on  ne  trouve  aucun  autre  renseignement  et  qui  ne 
pourrait  être  un  diacre  du  même  temps,  mais  de  l'Église  lyon- 
naise. Ils  repoussent  l'assistance  de  Clovis  I^*",  qui  serait  plutôt,  à 


(l)Ce  sont  les  ouvrages  perdus,  qui  ont  été  retrouvés  et  signalés 
précédemment, 

(2)  C'est  probablement  une  erreur  pour  jo68,  épocLiic  réelle  des 
ravages  des  proleslan's  dans  le  Blalsois. 

,  (3)  ^cla  Sanciorum  Aprilis,  lomus  \n,   p.  273,  par  Henschen  et 
i'apcbroch. 

(  'i)  Les  raisonnements  ne  valent  rien  contre  les  fails.  Saint  Baude- 
raire  a  vécu  à  Saint-Dié,  où  on  a  conservé  ses  reliques  jusqu'en  J793. 


340  KOUVELLES  RECHERCHES  [Tome  VH!. 

leur  gré,  Clovis  II,  moins  célèbre  que  rautre,.et  dès  lors  rem- 
placé par  son  aïeul  dans  les  légendes  {i).  Us  terminent  leur 
critique  en  disant  qu'ils  ne  voient  pas  d'autorité  suffisante 
pour  mettre  saint  Dié  au  VI"  siècle,  mais  qu'ils  l'y  laissent 
faute  de  meilleurs  éclaircissements. 

Le  malheureux  esprit  de  critique  dans  lequel  est  conçu 
l'ouvrage  de  Papebroch  infirme  ces  allégations  vagues,  non 
prouvées,  et  nous  engage  à  en  tenir  peu  de  compte,  d'autant 
plus  (ainsi  qu'on  l'a  dit  en  commençant)  que  l'office  du  Saint, 
lire  de  sa  vie,  n'a  pu  être  établi  qu'avec  l'autorité  imposante 
des  supérieurs. 

La  première  Vie  de  saint  Dié,  publiée  par  Henschen,  d'après 
le  manuscrit  de  Rouen,  n'est  qu'un  sommaire  où  l'auteur  ne 
suit  pas  l'ordre  des  chapitres  et  rappelle  l'analyse  de  Labbe, 
lequel  se  conforme  plus  exactement  aux  divisions  du  ma- 
nuscrit. Les  dififérences  de  cette  Vie  avec  la  biographie  déjà 
racontée  se  réduisent  à  quelques  points  :  Dieudonné  alla  de 
Bourges  au  lieu  nommé  depuis  de  sou  nom  en  une  nuit.  Il 
passa  donc  par  Bourges  en  quittant  Issoudun,  tandis  que  notre 
manuscrit  dit  simplement  qu'il  parcourut  en  une  nuit  «  tout 
l'espace  d'un  chemin  à  l'autre,  »  c'est-à-dire  directement 
d'Issoudun  à  la  Loire.  Or,  la  route  droite  de  Bourges  à  Blois 
est  de  vingt-six  lieues,  en  passant  par  Vierzon  et  Romorantin. 
Il  y  a  huit  lieues  de  Bourges  à  Vierzon,  comme  d'Issoudun  à 
Vierzon  et  d'Issoudun  à  Bourges.  Ces  trois  villes  forment  un 
triangle  équilatéral.  Si  Dié  alla  directement  d'Issoudun  à 
Blois,  en  passant  par  Massay,  il  fit  vingt-six  lieues,  de  même 
que  s'il  alla  de  Bourges  à  Blois.  Si,  au  contraire,  il  alla 
d'Issoudun  à  Blois,  par  Bourges,  il  fit  trente-quatre  lieues,  U 
faut  ajouter  la  distance  de  Blois  à  l'endroit  choisi  :  quatre 
lieues,  ce  qui  ferait  trente-huit  lieues  dans  le  cas  du  plus  long 
trajet,  et  trente-qualre  dans  le  cas  du  ylus  court,  en  une  nuit, 

(1)  Noire  Saint  se  trouverait  ainsi  reculé,  un  peu  légèrement,  jus- 
qu'au yiu  siècle  ;  car  on  sait  que  Clovis  li  va  de  C3S  à  656. 


Oct.  1863]  SUR   LA   VIE   DE   SAINT  DlÉ,    ABBÉ.  3U 

Le  légendaire  a  bien  raison  de  dire  que  ce  Saint  ne  marcha 
point,  mais  plutôt  vola. 

Revenons  aux  différences  des  Bollandistes.  Clovis  était  alors 
à  Vendôme  (et  non  plus  à  Chartres),  (l  donna  au  saint  ermite 
vingt  livres  d'or,  autant  d'argent  (1).  Dié  mourut  le  8  des 
kalendes  de  mai,  et  tous  ses  vêtements,  sans  exception,  furent 
distribués  aux  assistants.  Il  n'est  fait  nulle  mention  du  catc- 
chuménat  de  Clovis,  du  sermon  de  saint  Solenne,  des  pèlerins 
et  des  marchands  de  la  Loire  ni  du  neveu  d'Aurélieu. 

La  deuxième  Vie,  publiée  d'après  les  manuscrits  de  la  reine 
Cbristine,  n'est  pas  un  abrégé,  mais  un  texte  entier,  ampli- 
fication de  rhétorique,  récit  diffus,  où  l'auteur,  se  mettant  à 
l'aise,  délaye  les  détails  et  s'abandonne  à  une  prolixité  inu- 
tile. Ce  qu'il  nous  apprend  de  neuf  se  résume  en  ceci  :  Bau- 
demire  et  son  compagnon  firent,  en  une  nuit,  soixante 
milles  (2);  Dié  vécut  ermite,  près  de  la  Loire,  pendant  qua- 
rante ans,  et  mourut  après  avoir  souhaité  son  trépas  pendant 
nombre  d'années;  le  péage  établi  sur  la  rivière, pour  relever 
son  église,  consista  pendant  fort  longtemps  dans  une  certaine 
quantité  de  sel  marin,  prise  sur  chaque  bateau  et  cédée  volon- 
tairement ;  le  sanctuaire  ayant  été  brûlé  par  les  soldats  et 
dépouillé  par  les  habitants  du  lieu,  après  la  révélation  faite 
par  un  ange  à  Blidesinde,  pendant  son  sommeil,  fut  rebclli  en 
entier  par  Aurélien  (3).  Il  n'est  fait  aucune  mention  de  son 
neveu. 

La  troisième  Vie  n'est  pas  publiée.  Évidemment  postérieure 
aux  deux  autres,  qui  s'arrêtent  au  premier  Aurélien  et  qui  pa- 
raissent ainsi  avoir  été  composées  au  ix'  siècle,  c'est  celle 


i\)  Labbe  dil  vingl-six  livres,  détail  peu  huportant. 

(2)  Ce  calcul  de  soixante  milles  (vingt  lieues)  donne  un  nouveau  diî- 
menli  à  l'hypclhèse  de  la  rouie  d'Issoudun  à  Blois  par  Bourges,  qui  au- 
rait fait  parcourir  à  noire  Saint,  comme  on  Ta  dit,  tren'e  quatre  lieues. 

(3)  Comme  on  le.  devine  aisémen»,  il  ne  reste  aucune  trace  de  cette 
construction  du  lv  siècle. 


3Î2  NOUVELLES  nECHERCHES  [Tome  VIII. 

dont  nous  connaissons  le  manuscrit  et  dont  la  copie  fut  en- 
voyée, par  Jacques  de  Saulcon,  aux  Bollandistes,  qui  la  négli- 
gèrent. Elle  tient  le  milieu  entre  la  brièveté  de  la  première  et 
la  diffusion  de  la  deuxième  et  semble  la  meilleure  au  point  de 
vue  de  la  rédaction,  malgré  les  dédains  de  Papebroch. 

Jean  îîabillon  (1)  reconnaît  qu'il  existait  un  monastère  an- 
tique dans  la  petite  ville  de  Saint-Dié^  mais  il  ne  croit  pas 
(sans  eu  donner  de  raison)  que  son  fondateur  ait  été  le  Saint 
de  ce  nom  qui  promit  la  victoire  à  Clovis  partant  contre 
Alaric  {-2)  ;  car  il  le  place,  au  contraire,  au  \lh  siècle,  vers 
696.  Le  savant  bénédictin  nous  apprend  peu  de  nouveau,  dans 
une  analyse  assez  brève  :  l'ancien  couvent,  jadis  considé- 
rable, était  remplacé,  de  son  temps,  par  un  prieuré  dépendant 
de  Pontlevoy  ;  ce  n'est  que  longtemps  après  la  fondation  de 
l'ermitage  que  la  ville  fut  entourée  de  murailles  (3)  ;  l'église 
primitive  fut  probablement  dédiée  à  Notre-Dame. 

L'ancien  Bréviaii'e  de  Blois,  (maintenant  remplacé  par  le 
Bréviaire  romain),  raconte  la  Vie  de  notre  anacborèle  de  la 
manière  suivante,  que  nous  donnons  fidèlement  pour  qu'on 
voie  ce  qui  est  accepté  de  la  Légende  par  l'autorité  supérieure, 
et  quelle  diflférence  peut  être  constatée  entre  cette  version  et 
celle  que  noas  avons  émise  d'après  d'autres  renseignements. 
—  Saint  Dié  vécut  ermite  sur  la  plage  de  la  Loire_,dans  le  ter- 
ritoire de  Blois,  au  lieu  où  est  maintenant  une  petite  ville  for- 
tifiée (4)  portant  son  nom.  Il  fut  célèbre  sous  Clovis  pr 
auquel  il  prédit  la  victoire  contre  les  Gotbs,  à  son  départ 

(1)  Anjiales  ordinis  Benedictini,  1. 1,  p.  60.J-6,  lib.  xvni,  690-700, 
sub  anno  693.  —  Bollandus  dit  d'ailleurs,  à  tort,  que  Mabillon  ne 
parle  pas  de  noire  ermiie. 

(2)  Ce  fail  prouve  qu'un  érudil  de  génie  peut  se  tromper,  quand  il 
ne  sait  pas  les  cboses  de  visu. 

(3)  11  reste  encore  quelques  pans  de  murs.  Une  vieille  porte  ilanquée 
de  deux  grosses  tours  rondes  (dont  un  de  nos  amis  a  fail  un  dessin), 
a  tMé  rasée  il  y  a  quelques  années. 

(i)  Oppidulum.  Les  fortifications  n'exislenl  plus. 


Ocf.  Ifl3,l  SUR   LA   VIE  DE  SAINT  DlÉ,   ABBÉ.  3i3 

pour  la  guerre.  Plusieurs  personne?  pieuses  vinrent  se  réunir 
à  lui.  11  les  gouverna,  tout  eu  demeurant  diacre,  sans  jamais 
accepter  le  sacerdoce.  Le  roi  Ghildebert,  allant  faire  une  expé- 
dition eu  Espagne,  visita  cet  anachorète  et  apprit  de  lui  les 
mérites  et  la  demeure  de  saint  Eusice,  caché  à  Précigny  (1). 
Dié  vécut  vieux,  mourut  en  grande  réputation  et  fut  enterré 
dans  sa  cellule  (2).  Le  monastère  fondé  par  lui  lleurit  long- 
temps après  sa  mort,  mais  fut  réduit  peu  à  peu  à  presque  rien. 
G^est  maintenant  (3)  une  simple  paroisse  avec  titre  de  prieuré, 
soumise  à  l'abbaye  de  Pontlevoy.  Les  reliques  du  Saint,  long- 
temps conservées  intactes  dans  l'égUse  et  enfermées  par 
Louis  XI  dans  une  châsse  d'argent,  furent  dérobées  en  1518. 

Les  hagiographies  abrégées,  telles  que  les  recueils  de 
Baillet  et  de  Godescard,  ne  mentionnent  pas  notre  ermite- 
abbé. 

L'auteur  d'une  Notice  sur  les  saints  de  Blois  (4)  raconte  les 
mêmes  faits  que  nous,  en  négligeant  toute  la  partie  légendaire 
et  miraculeuse.  Nous  noterons  seulement  qu'il  met  saint  Dié 
(écrit  sans  raison  Dyé),  au  commencement  du  Vie  siècle.  Il 
ajoute  l'histoire  de  Glovis  passant  à  Chartres  avant  son  expédi- 
tion contre  les  Goths,  celle  de  Ghildc!  Cit,  liis  de  Glovis  l*''  et 
roi  de  Paris,  quittant  sa  capitale  pour  aller  combattre  les  Vi- 
sigoths  ariens  et  visitant,  à  l'imitation  de  son  père,  en  passant 
aux  environs  de  Blois,  l'anachorète  de  la  Loire,  dont  il  reçoit 


(1)  Voyez  les  Fies  de  saint  Eusice  aux  Archives  de  Blois  (histoire 
maouscrile  de  l'abbaye  «le  Celles,  en  Btrry),  el  h  la  Lib'iolhèque  de 
l'Arsenal  à  Paris, 

(2)  Il  paraît  que  c'était  un  ancien  usage  d'ensevelir  les  saints  soli- 
taires dans  leur  habitation.  On  voit  souvent  ce  fait  relaie,  comme  dans 
la  biographie  de  saint  Phallier,  cilée  plus  haut. 

(3)  La  rédacliou  de  ce  bréviaire  est  aniérieure  à  la  Révolution 
française. 

(4)°  Blois,  IlSôO,  Benoît  Sivary,  inI2,  p;u-  A.  Dupi^S  bibliothécaire, 
pages  41  à  43.  CeUe  compi'aiion  esi.  un  bon  résumé  dos  pieuses 
chroniiiues  locales. 


344  NOUVELLES    RECHERCHES  [Tome  Mil. 

des  exhortations  encourageantes.  Selon  cet  auteur,  Dié  mourut 
peu  après  (c'est-à-dire  vers  542). 

M.  Fabbé  Morin,  curé  de  Suèvres,  qui  a  fait  beaucoup  de 
recherches,  encore  manuscrites,  sur  la  contrée  où  il  demeure, 
prétend  que  saint  Dié  s'établit  d'abord,  en  arrivant  du  Berry, 
dans  une  île  de  la  Loire,  située  au  territoire  de  Suèvres  et 
encore  nommée  Ue  de  saint  Dié.  Ce  ne  serait  que  plus  tard, 
après  avoir  joui  des  dons  de  Clovis  qui  entouraient  la  cellule, 
dit  le  manuscrit,  que  l'abbé-diacre  transporta  son  monastère 
sur  la  rive  gauche  pour  qu'il  fût  plus  grand,  et  c'est  là  l'époque 
réelle  de  sa  fondation. 

Je  ne  saurais  adopter  celte  opinion.  La  Légende  dit  claire- 
ment que  Dieudonné  se  retira  sur  le  bord  de  la  Loire,  «  au 
milieu  d'une  forêt  »  et  non  dans  une  île  du  fleuve  (qui  a  pu 
prendre  son  nom  du  voisinage).  Le  manuscrit  ne  dit  pas  non 
plus  (ce  qui  n'aurait  pas  été  négligé),  qu'il  se  procura  un  ba- 
teau pour  passer  l'eau  avec  Baudemire. 

M.  l'abbé  Pothée,  ancien  curé  de  Saint-Dié,  sur  lequel  il  a 
ramassé  beaucoup  de  documents,  prétend,  dans  une  disserta- 
tion manuscrite  dont  on  nous  a  parlé,  que  saint  Dié  eut  trois 
stations  successives  :  à  l'Écuelle,  au  lieu  oii  est  maintenant 
l'église,  et  dans  un  autre  endroit  qui  nous  échappe  ;  l'ana- 
chorète logea  d'aljord  dans  la  caverne  du  dragon,  (après 
l'avoir  tué  toutefois),  caverne  qui  existe  encore  et  forme  le 
propre  caveau  où  était  sou  sépulcre  et  au-dessus  duquel  est 
construit  l'autel  actuel;  il  se  sépara,  après  quelque  temps,  de 
Baudemire,  pour  vivre  dans  une  solitude  plus  entière. 

Tout  le  respect  que  nous  professons  pour  le  profond  savoir 
de  M.  l'abbé  Pothée  ne  peut  nous  empêcher  de  dire  que  ces 
assenions  ne  sont  que  des  suppositions  gratuites. 

La  situation  du  manuscrit,  retrouvé  sur  place,  les  traditions 
orales  persistant  dans  le  pays,  l'examen  des  lieux  et  du  nou- 
veau document,  tout  nous  semble  concorder  pour  apporter 
une  valeur  probative  incontestable  aux  récits  que  nous  avons 


Oc'.  1863)  SUR    LA   VIE   DE   SA?NT   DIÉ.  345 

présentés,  pour  réfuter  les  systèmes  'préconçus,  rejeter  les 
adjonctions  inutiles,  annuler  les  allégations  vagues,  repousser 
enfin  péremptoirement  les  objections  des  anciens  auteurs, 
^mêine  les  plus  érudits),  qui  n'ont  pas  vu  le  manuscrit  dans 
son  cadre  authentique,  le  presbytère  du  bourg,  et  n'ont  écrit 
que  de  loin,  sur  des  copies,  sans  connaître  spécialement  ni 
les  choses  ni  les  lieux  . 

En  résumé,  pour  vider  en  terminant  la  question  chronolo- 
gique, les  uns  font  vivre  saint  Die  sous  Glovis  l*"",  les  autres 
sous  Glovis  II,  au  V^,  au  VP  ou  au  VU"  siècle.  Mabillon  le  place 
à  cette  époque.  Le  père  Patrice  dit  dans  les  notes  de  sa  tra- 
duction qu'il  vivait  eu  490  (Glovis  I*^""  ayant  été  baptisé  à 
Saint-Martin  de  Reims  eu  496).  Labbe  dit  qu'il  vécut  proba- 
blement jusqu'en  530,  comme  on  peut  le  prouver  par  une  Vie 
manuscrite  de  saint  Eusèbe.  Les  Bollandistes  le  mettent  au 
VP  siècle,  ainsi  que  le  Bréviaire  du  diocèse  de  Blols  et  la  No- 
tice sur  les  Saints  de  Blois  (1).  La  tradition  générale  concorde 
ici  avec  la  majorité  des  auteurs,  et  la  guerre  desGoths,  admise 
par  le  plus  grand  nombre  comme  le  moment  de  l'entrevue  de 
Glovis  et  de  Dié,  étal)lit  une  époque  fixe.  Nous  pensons  donc 
qu'on  peut  affirmer  sans  crainte  d'une  erreur  trop  grossière, 
que  Tabbé  Dié,  anachorète  de  la  Loire,  vécut  dans  la  seconde 
moitié  du  V<=  siècle  et  mourut  dans  la  première  moitié  du  VP. 

Nous  nous  proposons  de  publier  la  légende  inédite  de  saint 
Dié,  avec  des  éclaircissements  dont  le  présent  travail  n'est 
qu'un  extrait  abrégé. 

A.  DE  Martonne, 

Archiviste  du  département  de   Loir-et-Cber,  Correspondant  du 
ministre  de  l'instruction  publique  pour  les  travaux  bisioriques. 

(4)  L'entrevue  de  Childeberl  el  de  Dié  avant  la  guerre  des  Yisigolhs, 
reculerait  la  mort  de  ce  dernier  au-delà  do  542,  comme  nous  l'avons 
vu. 


LA  QUESTION  LITURGIQUE  A  LYON. 


Examen   d'une   Apolog^îe   publiée   par  MM.    les   Curés 
de  cette  yille. 


Il  vient  de  paraître  une  brochure  de  quarante-cinq  pages, 
portant  ce  titre  :  A  propos  d'un  pamphlet  contre  MM.  les  curés 
de  Lyon,  quelques  mots  publiés  par  plusieurs  membres  des  con- 
seils de  fabrique  de  Lyon.  —  Lyony  imprimerie  d'Aimé  Vingtri- 
nier  y  rue  de  la  Belle-Cordi'tre,  14,  1863.  Ce  n'est  pas  l'œuvre 
de  MM.  les  fabriciens  de  Lyon,  comme  semble  l'indiquer  le 
titre,  mais  bien  celle  de  MM.  les  curés  de  cette  ville  : 
ce  sont  eux  qui  parlent  eu  leur  nom,  depuis  la  première 
page  jusqu'à  la  dernière.  Si  MM.  les  fabriciens  interviennent 
dans  le  titre,  et  s'ils  ont  bien  voulu  publier  Técrit  composé 
par  MM.  les  curés,  c'est,  sans  doute,  pour  que  nous  soyons 
ainsi  avertis  du  sentiment  de  ces  honorables  laïques  sur  la 
question  de  la  liturgie  lyonnaise. 

MM.  les  curés  de  Lyon  se  sont-ils  crus  en  droit  d'imprimer 
leur  opuscule  sans  demander  l'autorisation  de  l'ordinaire?  Ou 
bien,  l'ayant  demandée  sans  l'obtenir^  ont-ils  jugé  à  propos 
de  passer  outre?  Nous  ne  savons.  Toujours  est-il  que  l'appa- 
rition d'un  tel  écrit,  sans  la  formalité  de  Vimprimatur,  est  une 
regrettable  infraction  aux  lois  de  l'Église,  et  en  particulier  au 


Ocl.1863.1  L\   QUESTION   LITURGIQUE   A    LYON.  317 

décret  du  concile  provincial  de  Lyon  de  1850^  où  il  est  dit  : 
«  Omuino  prohibemus  ne  ullus  clericus,  in  sac  ris  ordinibus 
«  coustitutiis,  librum  quemcumque  ad  fîdem,  mores  aut  chri- 
«  stianam  disciplinam,  sive  directe,  sive  etiam  indirecte,  attin- 
«  gentem,  prœlo  maudare  prœsumat,  antequam  licentiaua  a 
«  jure  prgescriptam  obtinuerit.  »  (N"  ixviii,  p.  82.)  11  s'agit 
d'une  publication  où  MM.  les  curés  de  Lyon,  eu  nom  collectif, 
n'entreprennent  rien  moin^,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  que 
de  professer  et  de  soutenir  hautement  la  contradictoire  de  ces 
deux  déclarations  du  Souverain-Pontife  Pie  IX  :  1°  Breviarium 
et  Missale  Liigdunense  a  légitima  auçtoritate  minime  prodire; 
2°  ac  proinde  omnino  immutanda.  Que  Pie  IX  se  soit  prononcé 
«ir  ces  deux  points,  dès  185-4,  avec  une  entière  clarté  [ape?'- 
tissime  declaravit),  c'est  ce  qu'atteste  la  lettre  du  cardinal- 
préfet  (le  la  S.  Congrégation  des  Rites  à  Son  Éminence  le 
cardinal-archevêque  de  Lyon,  du  23  janvier  1863;  et  cette 
lettre  était  connue  de  MM.  les  curés  de  Lyon  lorsqu'ils  ont 
pris  la  plume,  puisque  leur  brochure  en  fait  mention.  A  rai- 
son surtout  de  cette  grave  circonstance,  comme  aussi  à  raison 
des  actes  de  Son  Éminence  le  cardinal  de  Bonald,  que  MM.  les 
curés  lyonnais  se  trouvent  amenés  à  discuter  et  à  juger,  il 
était,  ce  semble,  bien  naturel  qu'ils  songeassent  avant  tout  à 
remplir  le.s  prescriptions  de  la  loi  si  sage  de  l'Église  concer- 
nant l'impression  des  livres.  Il  est  vrai  que,  d'après  le  titre, 
l'opuscule  de  MM.  les  curés  de  Lyon  n'a  pas  été  publié  par 
eux,  mais  par  plusieurs  membres  des  conseils  de  fabrique.  Tou- 
tefois, comme  on  ne  saurait  supposer  que  ces  honorables 
laïques  aient  agi  sans  l'assentiment  des  auteurs  et  surtout 
malgré  leur  opposition  formelle,  la  responsabilité  de  la  publi- 
cation sans  imprimatur  retombe  en  déliuitive  sur  MM.  les 
curés  de  Lyon. 

Le  motif  qui  leur  a  fait  prendre  la  plume  est,  nous  disent- 
ils,  l'apparition  d'un  écrit  anonyme  imprimé  à  Rhodez  sous  ce 
titre  :  Relation  intéressante  par  laquelle  on  juge  liu  désagrément 


3Î8  LA   QUESTION   LITURGIQUE.  [TomeVIIL 

advenu  à  MM.  les  curés  de  Lyon  en  l'an  de  grâce  1863  (1).  Il 
paraît  que  MM.  les  curés  de  Lyon  reconnaissent  à  cette  pu- 
blication anonyme  de  Rhodez,  ou,  comme  ils  disent,  à  ce 
pamphlet,  une  certaine  importance  littéraire,  et  qu'ils  l'attri- 
buent à  un  laïque.  C'est  du  moins  ce  que  semblent  indiquer 
ces  mots  de  leur  brochure  (page  32)  :  «  Inutile  d'insister  sur 
l'habileté  de  la  plume....  Elle  est  de  bonne  famille  (sic),  nul 
n'en  doute  ....  Sûrement  cette  plume  n'est  point  celle  d'un 

prêtre » 

L'objet  de  MM.  les  curés,  dans  leurs  quelques  mots,  n'est 
pas  de  discuter  le  fond  même  de  la  controverse  sur  la  liturgie 
lyonnaise.  Ils  s'en  expliquent  ainsi  (pages  15-16)  :  «  M.  le 
chanoine  (des  Garets)  entame  une  discussion  dans  laquelle 
notre  but  n'est  pas  de  le  suivre  actuellement....  Notre  inten- 
tion n'est  pas  d'entrer  ici  dans  le  fond  de  la  question.  Peut- 
être  y  reviendrons-nous  pour  la  traiter  plus  spécialement.  » 
Néanmoins  MM.  les  curés  de  Lyon  ne  laissent  pas  de  trancher 
très-résolument  cette  même  question  fondamentale,  savoir  si 
leur  Bréviaire  et  leur  Missel  actuels  sont  légitimes  autrement 
que  par  une  tolérance  provisoire^  et  si  l'on  doit  les  changer. 
Pendant  que  le  Pape  Pie  IX,  parlant  assurément  du  Bréviaire 
et  du  Missel  actuels  de  Lyon,  déclare  formellement  (apertis- 
sime  declaravii)  quils  ne  viennent  pas  d'une  autorité  légitime  et 
qu'on  doit  en  conséquence  en  changer,  eux  soutiennent  la  con- 
tradictoire et  disent  que  ces  mêmes  livres^  à  raison  des  cor- 
rections qu'ils  ont  subies  en  1844,  sont  devenus  légitimes  : 
«  Nous  tenons  à  peu  près  tous,  et  profondément,  à  notre 
liturgie  actuelle;  elle  n'est  plus  intégralement  l'œuvre  de 
Mgr  de  Montazet;  cette  œuvre  a  été  admirablement  corrigée 
en  1844.»  (Page  27.)  S'ils  croient  pouvoir  y  tenir  profondé- 
ment, c'est  avec  l'entière  persuasion  que  ces  livres  sont  au- 


(1)  Celle  [>roduclioa  m'est  eatièrement  inconnue.  J'en  ignore  l'au- 
teur el  n'en  ai  vu  aucun  exemplaire. 


Oct.  1863.]  A  LYON.  349 

jourd'hui  parfaitement  légitimes,  et  que  Pie  IX  s'est  trompé 
en  déclarant  le  contraire.  Car  Pie  IX  parle  bien  des  livres  ac- 
tuels, en  disant  :  Ac  proinde  omnino  immutanda,  et  non  des 
livres  antérieurs  à  1844,  donl  l'usage  a  déjà  cessé. 

Ces  remarques  préliminaires  font  entrevoir  déjà  l'attitude 
prise  par  MM.  les  curés  de  Lyon  dans  leur  polémique  et  la 
voie  dans  laquelle  ils  ne  craignent  pas  de  s'engager.  Ils  vou- 
dront bien  nous  permettre  de  les  y  suivre  et  de  répondre  aux 
reproches  qu'ils  nous  adressent. 

§1. 

Les  faits  antérieurs  à  la  lettre  du  cardinal  Patrizi. 

I.  Commission  nommée  pour  rédiger  le  propre  du  diocèse  selon 
le  rit  romain.  —  Le  il  novembre  186^2,  Son  Éminence  Mgr  le 
cardinal  de  Bonald  ayant  réuni  le  chapitre  de  son  église  pri- 
matiale,  «  dit,  que  plusieurs  prêtres  étrangers  à  son  diocèse, 
récitant  le  bréviaire  romain  et  voulant  néanmoins  s'unir  à 
nos  fêles,  désiraient  avoir  un  propre  lyonnais,  selon  le  rit  ro- 
main. «(Brochure  de  MM.  les  curés  de  Lyon,  page  7.)  Son  Émi- 
nence invita  le  chapitre  à  nommer  une  commission  pour  ce  tra- 
vail. Le  chapitre  déféra  sur  le  champ  à  cette  invitation.  La  com- 
mission fut  composée  de  quatre  membres,  savoir  :  de  MM.  les 
chanoines  de  Serres,  des  Garets,  et  P.  (alors  absent),  et  de 
M.  Denavit,  directeur  au  grand  séminaire.  Tel  est  en  sub- 
stance le  narré  de  MM.  les  curés  de  Lyon,  relativement 
à  la  commission  nommée.  Nous  le  supposons  exact,  n'ayant 
jusqu'ici  aucune  information  en  sens  contraire. 

II.  MM.  les  curés  de  Lyon  prennent  l'alarme,  ils  se  réu- 
nissent et  signent  leurs  trois  lettres  collectives.  —  «  MM.  les 
curés  de  Lyon...  conçurent  des  inquiétudes.  Ce  propre  lyon-» 
nais  selon  le  rit  romain,  était-il  bien  seulement  pour  les 
prêtres  étrangers  au  diocèse  qui  le  sollicitaient?  N'y  avait-il 
pas  uue  arrière-pensée  dans  la  demande  qu'ils  en  avaient  faite  t 


350  LA  QUESTION  LITURGIQUE  [Tome  VIII. 

Ce  propre  lyonnais  une  fois  entre  les  mains  des  directeurs  du 
grand  séminaire,  n'y  avait-il  pas  lieu  de  présumer  que  ceux-ci 
emploieraient  leur  crédit  auprès  des  jeunes  séminaristes,  pour 
le  leur  faire  adopter  avec  la  liturgie  romaine?  Le  zèle  de  ces  Mes- 
sieurs de  Saint-Sulpice  ne  pouvait-il  pas  être  soupçonné  d'être 
d'autant  plus  ardent  qu'il  était  de  plus  fraîche  date?  Aurait-on 
déjà  perdu  le  souvenir  de  ces  fameux  républicains  delà  veille? 
Le  clergé  du  diocèse  de  Lyon,  jusque-là  si  uni,  ne  risquait-il 
pas  d'être  divisé  par  ces  tentatives  de  changement  de  liturgie? 
N'allait-on  pas  voir  revivre  parmi  nous  ces  regrettables  que- 
relles entre  des  partisans  des  différents  rites  qui  ont  affligé  tant 
de  diocèses  de  l'empire?  Quel  bien  pourrait  eu  espérer 
l'Église?  Pressés  par  tant  de  considérations  si  graves.  Messieurs 
les  Curés  se  réunirent,  comme  ils  avaient  l'autorisaiion  de  le 
faire  depuis  longues  années.  Ils  écrivirent  trois  lettres,  l'une 
à  Son  Éminence  le  cardinal  de  Donald,  l'autre  à  MM.  les 
Chanoines  de  la  primatiale  de  Lyon,  et  la  troisième  à  M.  le 
Supérieur  général  de  Saint-Sulpice  (pp.  8  et  9).  » 

Tel  est  le  narré  de  MM.  les  curés  de  Lyon.  11  donne 
lieu  à  quelques  observations.  MM.  les  curés  de  Lyon  parais- 
sent avoir  mal  compris  l'autorisaiion  de  se  réunir,  qu'ils  disent 
leur  avoir  été  accordée  depuis  longues  années.  Les  réunions 
des  curés  d'un  diocèse,  autrement  qu'en  synode  et  sous  l'œil 
de  l'ordinaire,  ne  sont  pas  sans  danger.  Lorsqu'une  pareille 
faveur  est  accordée  aux  curés  d'une  ville,  c'est  toujours  avec 
Ig,  clause  (exprimée  ou  sous-entendue)  que  ces  assemblées  de- 
vront seconder  le  légitime  exercice  de  l'autorité  qui  gouverne 
le  diocèse,  et  jamais  l'entraver  eu  lui  suscitant  des  difl3cullés 
et  des  obstacles.  Cette  clause  a-t-elle  été  sauve  dans  les 
réunions  de  MM.  les  curés  de  Lyon?  Non;  en  voici  la 
preuve.  Quel  est  le  dessein  arrêté,  la  volonté  bien  connue  de 
l'autorité  ecclésiastique  relativement  au  bréviaire  et  au  missel 
actuels  de  Lyon?  En  ce  qui  concerne  le  pape  Pie  IX,  c'est  un 
fait  notoire  qu'il  a  déclaré  ces  livres  illégitimes,  et  qu'il  veut 


Col.  18C).l  A  LYON.  334 

qu'on  y  substitue  le  bréviaire  et  le  missel  romains  aussitôt  que 
possible.   WM.  les  cui'és    de   Lyon  savent    tout    aussi  bien 
que  nous  cette  pensée  et  cette  volonté  de  Pie  IX.  En  ce  qui 
concerne  l'érainent  prélat  qui  gouverne  le  diocèse  de  Lyon,  il 
est  certain  qu'il  avait  déjà  fait  nommer  une  commission  char- 
gée de   rédiger    le    propre    selon   le  rit  romain.    MM.    les 
curés  de  Lyon  ont  craint,  disent-ils,  que  ce  ne  fût  avec  Var- 
rière-pensée  d'en  venir  plus  tard  à  substituer  dans  tout  le  dio- 
cèse le  bréviaire  et  le   missel  romain.  Nous  croirions  faire 
injure  à  Son  Éminence,  si  nous  ne  regardions  pas  comme  indu- 
bitable cette  arrière-pensée,  c'est-à-dire,  la  disposition  sincère 
d'obéir  au  Vicaire  de  Jésus-Christ,  qui  a  prescrit  le  retourna  la 
liturgie  romaine  dans  le  diocèse  deLyon.  Nous  oserons  ajouter, 
puisque  c'est  maintenant  un  fait  trop  regreUablement  notoire, 
que  ce  retour  aurait  eu  lieu  depuis  longtemps,  si  la  prudence 
de  Mgr  de  Bonald  n'avait  eu  à  compter  avec  les  résistances 
d'une  partie  de  son  clergé.  Telle  était  donc  la  situation,  lors- 
que MM.  les  curés  de  Lyon  s'assemblèrent  pour  aviser.  La 
première  autorité  de  l'Église,  le  Saint-Siège  voulait  et  avait 
prescrit  le  retour  au  bréviaire  et  au  missel  romains  :  de  son 
côté,  Son  Éminence  Mgr  l'archevêque  de  Lyon  commençait 
à  exécuter  cette  volonté  du  Saint-Siège,  eu  faisant  rédiger  le 
propre  du  diocèse,  et  nul  doute  que  son  intention  ne  fût  et 
ne  soit  de  l'exécuter  entièrement  en  son  temps.  C'est,  disons- 
nous,  à  ces  deux  autorités,  et  au  légitime  exercice  de  leur 
droit,  que  MM.  les  curés   de  Lyon   ont  suscité  des   entra- 
ves, faisant  servir  à  cette  fin  F  autorisation  qu'ils  disent  avoir 
obtenue  de  se  réunir  en  corps.  En  effet,  ils  ont  écrit  collective- 
ment trois  lettres  l'une  à  Son  Éminence  le  cardinal  archevêque 
de  Lyon,  l'autre  à  MM.   les  chanoines,   et  la  troisième    à 
M.  le  Supérieur  général  de  la  Congrégation  de  Saint-Sulpice. 
Qu'exprimait  la  teneur  de  ces  lettres?  Une  simple  prière? 
MM.  les  curés  de  Lyon  le  disent;  mais  qu'ils  publient  cei? 
trois   lettres    et  l'on  verra  si   elles  se  bornent  à  formuler 


352  LA   QUESTION  LITURGIQUE  [Tome  VIII. 

une  humble  supplique.  On  y  verra  l'assemblée  délibérante 
de  MM.  les  curés  soutenir  et  conclure  comme  certaine  la 
légitimité  du  bréviaire  et  du  missel  actuels  de  Lyon,  ainsi  que 
l'inopportunité  d'un  changement:  c'est  exacte  aient  la  contra- 
dictoire du  jugement  du  Souverain-Pontife.  Prier  l'autorité 
de  se  désister,  en  lui  disant  qu'elle  s'est  trompée,  c'est  quel- 
que chose  de  plus  qu'une  simple  prière  :  il  est  regrettable  que 
MM.  les  curés  de  Lyon  ne  l'aient  point  compris.  Mais 
admettons  l'excuse  par  rapport  à  l'une  des  trois  lettres,  celle 
qui  s'adresse  à  l'autorité,  c'est-à-dire,  au  Cardinal-archevêque. 
Pourquoi  la  circulaire  à  MM.  les  chanoines  ?  Pourquoi  la 
lettre  à  M.  le  Supérieur  général  de  Saint-Sulpice  ?  Il  est  cer- 
tains cas  oii  le  droit  canonique  accorde  au  chapitre  cathédral 
le  faculté  d'intervenir  en  matière  liturgique.  Par  exemple, 
s'il  s'agit  d'abandonner  une  hturgie  légitime,  antérieure  de 
deux  cents  ans  aux  bulles  de  saint  Pie  V,  pour  lui  substituer 
la  liturgie  romaine,  le  changement  ne  peut,  aux  termes  de  ces 
mêmes  bulles,  être  opéré  par  l'évèque  seul;  il  faut  de  plus  le 
consentement  des  chanoines.  Mais,  dans  le  cas  présent,  le  cha- 
pitre de  Lyon  n'a  aucun  droit  d'opposition.  Il  s'agit  d'aban- 
donner une  liturgie  notoirement  illégitime,  et  déclarée  telle 
par  le  Souverain- Pontife  :  il  s'agit  d'obéir  au  Saint-Siège  qui 
en  ordonne  la  cessation. 

Mgr  l'archevêque  n'a  besoin  du  consentement  d'aucun 
membre  de  son  clergé  pour  mettre  fin  à  cette  situation  anti- 
canonique, pour  faire  exécuter  la  volonté  du  suprême  Pasteur 
de  l'Eglise.  Les  Chanoines  n'ont  pas  plus  que  les  Curés  le 
droit  de  lui  faire  opposition  en  ce  point.  Et  ce  que  nous  disons 
des  Chanoines  est  applicable  à  plus  forte  raison  à-la  Congré- 
gation de  Saint-Sulpice  et  à  son  supérieur  général.  Pourquoi 
donc,  disons-nous  à  MM.  les  curés  de  Lyon,  vous  êtes-vous 
adressés  à  MM.  les  chanoines? 

Évidemment  vous  avez  voulu  créer  un  obstacle  à  votre 
Archevêque  et  fortifier  votre  opposition  de  celle  du  chapitre. 


Oct,  1863.]  A   LYON.  353 

La  preuve  en  est  dans  la  troisième  phrase  de  votre  circulaire 
aux  chanoines.  Il  y  est  dit  :  «  Comme  vous  êtes,  M.  le 
Chanoine,  canoniquement  appelé  à  vous  occuper  de  cette 
question,  nous  vous  prions  de  vouloir  bien  écaiHer  par  vos 
conseils  et  par  votre  décision  une  mesure...  »  (Voir  cette  cita- 
tion dans  la  brochure  de  MM.  les  curés  de  Lyon,  intitulée  : 
Quelques  mots,  p.  20.)  ^ 

Et  dans  sa  lettre  à  M.  le  chanoine  de  Serres,  M.  le  curé  de 
Saint-Polycarpe  s'exprime  ainsi  :  «  Nous  vous  reconnaissons 
canoniquement  chargé  de  la  question  du  bréviaire',  nous  ne  vous 
transmettons  point  de  décision,  mais  seulement  la  prière  d'en 
donner  une  conforme  à  nos  désirs,  s'il  est  possible  (ibid.).  » 
Ainsi  vous  avez  reconnu  aux  chanomes  le  droit  de  donner  une 
décision  contraire  à  celle  du  Souverain-Pontife,  à  celle  de 
l'Archevêque,  si  celui-ci  voulait  agir  selon  les  prescriptions 
du  Saint-Siège  ;  et  c'est  pour  obleûir  une  pareille  décision  du 
chapitre,  pour  opposer  à  votre  Archevêque  ce  mur  d'arrêt, 
que  vous  avez  adressé  votre  circulaire  aux  chanoines.  Agir 
ainsi  envers  son  évêque,  est-ce  une  simple  prière?  A  notre 
avis  c'est  quelque  chose  déplus,  c'est  exercer  une  pression,  c'est 
faire  de  l'émeute.  A  cette  pression  combinée  de  votre  assem- 
blée délibérante  et  du  chapitre  cathédral,  n'avez-vous  pas 
tenté  d'ajouter  celle  d'une  corporation  influente,  et  n'est-ce 
pas  là  le  but  de  votre  lettre  à  M.  le  Supérieur  général  de 
Saint-Sulpice  ?  —  Vous  répondrez  peut-être  :  C'était  pour  que 
les  Sulpiciens  ajoutassent  leurs  prières  aux  nôtres.  —  Mais  ce 
courant  de  prières  dirigé  par  vous  contre  votre  Archevêque 
n'était-il  pas  de  nature  à  le  gêner  et  à  l'entraver  dans  le  légi- 
time exercice  de  son  droit?  Si  votre  excuse  était  admissible, 
il  s'ensuivrait  que  vous  auriez  pu  aussi  écrire  une  circulaire 
à  tous  vos  paroissiens,  les  inviter  à  cerner  le  palais  archi- 
épiscopal, et  à  vociférer  une  prière  pour  la  conservation  de 
votre  liturgie.  Non,  l'autorisation  alléguée  de  vous  assembler 
et  de  délibérer  en  corps  ne  saurait  être  entendue  dans  ce  sens  : 


3:54  L\  QUESTION  LITURGIQUE  [Tome  VIII. 

jamais  elle  n'a  pu  vous  être  accordée  pour  de  tels  faits  et  ges- 
tes. On  n'a  dit  que  la  vérité  en  qualifiant  vos  trois  lettres  col- 
lectives d'entreprise  anticanonique.  Loin  de  nous  la  pensée  de 
suspecter  votre  bonne  foi  :  nous  connaissons  trop  votre  piété, 
votre  zèle,  vos  vertus  sacerdotales;  mais,  tout  en  rendant 
hommage  à  la  droiture  de  vos  intentions,  permettez-nous  de 
dire  qu'il  y  a  eu  erreur  dans  votre  manière  d'entendre  le  droit 
de  vous  assembler  et  d'agir  en  corps. 

m.  MM.  les  curés  de  Lyon  avouent  que  dans  un  passage  de 
leur  lettre  collective,  ils  ont  fait  descendre  leur  liturgie  du  cœur 
de  saint  Jean  FEvangéliste  :  et  néanmoins  ils  se  fâchent  de  ce  que 
nous  avons  affirmé  le  même  fait.  —  Voici  leur  aveu  :  «  Son  Emi- 
uence,  nous  ne  faisons  pas  diflQculté  de  l'avouer...,  a  critiqué 
certain  passage  de  notre  lettre,  qui  faisait  descendre  notre  li- 
turgie du  cœur  de  saint  Jean  VEvangéliste.  En  prenant  trop  à  la 
rigueur  les  termes  de  ce  passage,  elle  a  plaisanté,  c'est  le  mot, 
en  nous  disant  que  cette  liturgie  venait  plutôt  et  en  partie  du 
cœur  de  Mgr  de  Montazet.  Nous  aurions  pu  lui  répoudre  que 
cela  n'était  plus,  depuis  qu'elle  nous  avait  donné  le  bréviaire 
que  nous  récitons,  et  qu'elle  a  puisé,  ainsi  qu'elle  nous  l'af- 
firme, dans  nos  vieilles  traditions.  »  {Quelques  mots,  etc., p.  40.) 
Le  démenti  formulé  par  ces  mots  :  nous  aurions  pu  lui  répondre 
que  cela  n'était  plus,  ne  fut  pas  donné  de  vive  voix  par  MM.  les 
curés;  mais  aujourd'hui  ils  le  publient  imprimé.  Laissant  an 
public  le  soin  de  l'apprécier  à  un  point  de  vue  qui  ne  peut 
échapper  à  personne,  nous  nous  contenterons  d'en  faire  res- 
sortir l'inexactitude.  Est-il  vrai  qu'en  1844,  Mgr  de  Bonald 
ait  substitué  au  bréviaire  introduit  par  Mgr  de  Montazet  un  bré- 
viaire substantiellement  différent  ?  Qu'on  veuille  les  confronter, 
et  l'on  verra  que  le  second  n'est  qu'une  édition  expurgée  du 
premier.  Nous  disons  expurgée',  et  l'on  sait  à  quelles  traces 
trop  visibles  de  jansénisme  nous  faisons  allusion.  Le  bré- 
viaire Montazet  (c'est-à-dire,  celui  de  Paris,  comme  Mgr  de 
Montazet  l'atteste  lui-même)  avait  subi  ailleurs  ces  quelques 


\ 


Oct.  1S63.1  A  LYOI<.  335 

modifications  plus  urgentes.  Mgr  de  Bouald  crut  opportun  de 
rendre  le  même  service  au  diocèse  de  Lyon  ;  et  il  va  sans  dire 
que  le  prélat  fît  ces  corrections  dans  le  sens  des  vieilles,  c'est- 
à-dire,  des  saines    traditions.  Mais  de  même  que  le  bréviaire 
actuel  de  Paris,  pour  avoir  subi  ces  quelques  corrections,  n'a 
pas  cessé  d'être  réellement  le  bréviaire  parisien,  de  même  le 
bréviaire  Montazet,  malgré  l'édition  de  Mgr  de  Conald,  est 
resté  en  substance  le  bréviaire  Montazet.  Si  quelqu'un   est 
compétent  pour  dire  ce  qu'a  fait  et  voulu  faire  Mgr  de  Bonald 
en  1844,  c'est  bien  le  prélat  lui-même  :  or  en  1863,  Son  Émi- 
nence  plaisantant  sur  l'érudition  de  MM.  les  curés  lyonnais, 
qui  faisaient   descendre  leur  liturgie  du  cœur  de  saint  Jean 
l'Évangéiiste,  ne  dit  pas:  C'est  moi  qui  en  suis  l'auteur:  elle 
ditj  «   que  cette  liturgie  venait  plutôt  et  en  partie  du  cœur  de 
Mgr  de  Montazet.  »  Mgr  de  Bonald  ne  croit  donc  pas  vous 
avoir' rfonjie  le  bréviaire  que  vous  récitez  ;  il  croit  ne  vous  avoir 
donné  qu'une  nouvelle  édition  de  ce  bréviaire.  Il  est  vrai  qu'il 
ne  le  fait  descendre  qn'enpartie  du  cœur  de  Mgr  de  Montazet. 
Mais  cela  s'explique,  et  il  devait  parler  ainsi  pour  être  exact. 
Mgr  de  Montazet  n'avait  pas  composé  lui-même  le  bréviaire 
dont  il  dota  le  diocèse  de  Lyon  ;  il  ne  fit  que  lui  octroyer  celui 
de  Paris,  en  y  agençant  quel((ues  offices  propres.  L'existence 
de  la  liturgie  actuelle  de  Lyon  ne  vient  donc  qu'en  partie  du 
cœur  de  2\lgr  de  Montazet;  il  en   fui  l'introducteui-,  non  l'au- 
t«ur.  Pour  révéler  la  paternité  adéquate  de   cette  liturgie  ii 
faut  remonter,  non  pas  au  cœur  de  saint  Jean,  mais  au  cœur 
de  Mésenguy  et  autres,  qui  la  rédigèrent  primitivement,  et 
l'on  sait  dans  quel  esprit. 

Allons  plus  loin.  Supposons,  ce  qui  n'est  pas^  que  Mgr  de 
Bonald  eût  voulu  en  1844  cbauger  substantiellement  votre 
liturgie,  et  vous  en  donner  une  de  sa  composition.  Cet  acte, 
contraire  aux  lois  de  saint  Pie  V,  serait-il  plus  légitime  que 
celui  de  Mgr  de  Montazet?  Écbapperait-il  davantag(;  à  la  dé- 
claration de  Pie  IX,  qui  dit  en  parlant  de  votre  bréviaire  et  do 


356  LA  QUESTION  LITURGIQUE  [Tome  VlII. 

votre  missel  actuellement  en  usage,  a  légitima,  auctoritate  non 
prodire,  ac  proinde  omnino  immutanda?  En  objectant  à  Son 
Éminence  l'édition  de  1844,  vous  avez  pu  réussir  à  lui  faire 
de  la  peine  (succès  dont  nous  ne  vous  félicitons  pas);  mais, 
assurément,  vous  n'avez  pas  rendu  votre  cause  meilleure. 

Vous  criez  à  l'injure  parce  que,  dans  notre  article  du  20 
avril  1863,  nous  avons  écrit  ces  lignes:  «  Si  nous  sommes  bien 
informés,  MM.  les  curés  de  Lyon  en  étaient  encore  à  se  per- 
suader que  leur  liturgie  actuelle  est  sortie  du  cœur  de  saint 
Jean  l'Évangéliste.  »  Mais  n'en  faites-vous  pas  vous-mêmes 
l'aveu  formel  ?  Dans  le  passage  cité  plus  haut  vous  dites  : 
«  Son  Éminence,  nous  ne  faisons  pas  difficulté  de  l'avouer,  a 
critiqué  certain  passage  de  notre  lettre  qui  faisait  descendre  notre 
liturgie  {\)du  cœur  de  saint  Jean  l'Évangéliste  (p.  10).  »  Vaine- 
ment, après  avoir  expliqué  les  causes  de  votre  attachement  à 
votre  liturgie,  vous  ajoutez  :  a  Cela,  monsieur,  ne  veut  pas 
dire  que  nous  fassions  descendre  notre  liturgie  actuelle 
du  cœur  de  saint  Jean  l'Évangéliste,  co?nme  nous  en  accuse  votre 
contes  pondant  (p.  28).  »  L'accusation,  c'est-à-dire  l'informa- 
tiou  de  notre  correspondant  n'affirme  autre  chose  que  ce  cer- 
tain passage  de  votre  lettre  collective,  passage  dont  vous  ga- 
rantissez vous-mêmes  l'authenticité. 

IV.  Comment  les  lettres  collectives  de  MM.  les  curés  de  Lyon 
ont  été  accueillies  par  Son  Éminence  le  Cardinal-archevêque,  par 
MM.  les  chanoines,  et  par  M.  le  Supéîieur  général  des  Sulpiciens. 

1"  An  dire  de  l'écrit  anomyme  imprimé  à  Rhodez,  Sou 
Eminence  aurait  exprimé  avec  énergie  kMM.  les  curés  le  blâme 
qu'ils  méritaient  pour  un  acte  aussi  ii'régulier,  et  qui  constituait 
une  véritable  révolte  contre  son  autorité.  Elle  leur  aurait  déclaré 


[\)  Ces  mois  :  notre  liturg'e,  ne  peuvent  évidemment  s'entendre 
que  de  la  lilurgie  actuelle  de  Lyon.  C'est  pour  celle-là  que  plaidaient 
MM.  les  curés  dais  leur  lellre  coUeclive  ;  el  d'ailleurs  le  mol  notre 
eût  été  absurde  pour  toule  lilurgie  qui  aurait  cessé  dêlre  la  lilurgie 
actuelle  du  diocèse  de  Lyon. 


Ocl.  1863. 1  A  LYON.  357 

que  le  propre  du  diocèse  serait  rédigé  selon  le  rit  romain  et  serait 
soumis  à  l'approbation  du  Saint-Siège.  (Voir  la  brochure  de 
MM.  les  curés  de  Lyon,  p.  10.)  MM.  les  curés  de  Lyon  con- 
testent l'exactitude  de  ce  narré.  Ils  avouent  que  Son  Emi- 
nence  a  critiqué  le  passage  de  leur  lettre  oùil  font  descendre 
leur  liturgie  du  cœur  de  saint  Jean  l'Évangéiiste;  mais  ils 
n'accordent  pas  qu'il  leur  ait  été  fait  aucun  'autre  reproche 
(ib.  p.  11).  L'auteur  de  l'écrit  anonyme  de  Rhodez  nous  étant 
complètement  inconnu,  nous  préférerons  ici  à  son  témoignage 
celui  de  MM.  les  curés  de  Lyon,  tant  qu'il  n'aura  pas  été  in- 
firmé par  des  renseignements  de  meilleure  source. 

2°  En  ce  qui  concerne  M,  le  Supérieur  général  de  Saint- 
Sulpice,  il  aurait  fait  savoir,  s'il  faut  en  croire  l'écrit  anonyme 
de  Rhodez,  que  l'acte  des  cuises  était  anticanonique,  et  qu'il  ne 
leur  répondrait  pas.  MM.  les  curés  de  Lyon  ne  rejettent  pas 
cette  assertion  de  l'anonyme.  Us  se  contentent  d'ajouter  ; 
«  C'est  fier:  M.  le  Supérieur  général  le  prend  de  haut.  Il  a  le 
a  sentiment  de  sa  dignité  ;  il  ne  répondra  pas  à  MM.  les 
«  curés  de  Lyon,  parce  que  leur  acte  est  anticanonique.  MM.  les 
((  curés  de  Lyon  osent  iui  demander  humblemeut  quels  sont 
«  les  canons  qui  règlent  leurs  rapports  avec  le  supérieur  d'une 
a  simple  société  de  prêtres,  et  qu'ils  auraient  eu  le  malheur 
a  de  violer  par  la  lettre  qu'ils  se  sont  permis  de  lui  adresser.» 
[Quelques  mots  de  MM.  les  curés  de  Lyon,  p.  11  et  12.)  En 
attendant  que  M.  Carrière  juge  à  propos  d'envoyer  à  MM.  les 
curés  une  indication  plus  précise  des  canons  violés  par  leur 
lettre,  nous  nous  permettrons  d'en  consigner  ici  une  plus  gé- 
nérale :  Votre  lettre,  leur  dirons-nous,  ayant  pour  objet  de 
susciter  à  votre  archevêque  des  entraves  dans  l'exercice  légi- 
time de  son  droit,  et  surtout  d'empêcher  l'exécution  d'une 
mesure  arrêtée  et  prescrite  par  le  Souverain-Pontife,  consti- 
tue par  le  seul  fait  une  transgression  des  lois  ecclésiastiques 
les  plus  capitales,  celles  qui  formulent  le  devoir  de  respect 
et  d'obéissance  de  tous  les  membres  du  clergé  à  l'égard  de 


358  LA  QUESTION  LITURGIQUE  Tome  VIII. 

leur  évêque  respectif  et  à  l'égard  du  suprême  Pasteur  de  toute 
TÉglise.  Quant  aux  égards  dus  aux  membres  et  au  supérieur 
général  d'une  pieuse  et  respectable  congrégation,  nous  crai- 
gnons bien  que  le  public  ne  les  trouve  aussi  quelque  peu  vio- 
lés dans  la  brochure  de  MM.  les  curés  de  Lyon. 

3°  La  conduite  de  MM.  les  chanoines,  telle  que  l'exposent 
MM.  les  curés  de  Lyon,  est  un  fait  grave,  et  mérite  d'être 
signalée  avec  soin. 

Au  dire  de  l'écrit  anonyme  de  Rhodez,  le  chapitre  aurait 
répondu  par  un  blâme  formel  à  la  lettre  de  MM.  les  curés.  Que 
le  blâme  infligé  aux  curés  ait  été  réellement  inséré  dans  le 
procès-verbal  des  délibérations  capitulaires,  MM.  les  curés  en 
font  l'aveu  [Quelques  mois,  p.  12).  Mais  ils  prétendent  que 
M.  le  secrétaire  du  chapitre  a  jsris  sur  lui  cette  insertion  :  qu'à 
la  séance  suivante,  «  en  entendant  la  lecture  de  ce  blâme  posh 
thume,  le  chapitre  se  serait  récrié  contre  une  aussi  inquali- 
fiable supercherie  [ib.  p.  13)  ;  qu'il  aurait  émis  le  vœu  de 
casser  immédiatement  son  secrétaire,  à  cause  de  cette 
grave  infidélité  ;  que  le  secrétaire  n'aurait  obtenu  de  con- 
server ses  fonctions,  qu'à  la  condition  d'etiacer  du  procès- 
verbal  ce  prétendu  blâme  infligé  à  MM.  les  curés  de  Lyon,  » 
{Ib.  p.  13.)  Ces  assertions  nous  étonnent.  On  comprendra  que 
nous  laissions  au  chapitre  le  soin  de  se  prononcer  à  leur 
égard,  s'il  le  juge  opportun.  D'une  part,  la  véracité  d'un  de 
ses  membres;  de  l'autre,  celle  de  MM.  les  curés  se  trouvant 
en  cause,  notre  devoir  est  celui  de  l'abstention.  Disons  seule- 
ment, en  général,  que,  dans  les  délibérations  capitulaires,  il 
intervient  parfois  des  malentendus  dont  l'explication  change 
totalement  le  caractère  des  faits  qui  en  étaient  résultés.  La 
bonne  foi  et  la  loyauté  se  trouvent  constatées  de  part  et 
d'autre,  et  l'on  reconnaît  qu'il  y  a  eu  seulement  erreur. 

Voici  d'autres  faits  non  moins  graves  affirmés  par  MM.  les 
curés  de  Lyon.  La  commission  pour  la  rédaction  du  propre 
avait  été  nommée  par  le  chapitre,  le  M  novembre  1862,  et 


Ocl.  1863.)  A   LYON.  359 

M.  le  chanoine  P...,  alors  absent,  fut  l'un  des  quatre  membres 
députés  pour  ce  travail.  «  A  son  retour,  nous  disent  MM.  les 
«  curés  de  Lyon,  M.  P...  avait  décliné  cet  honneur.  Invité  à 
«  lui  donner  un  remplaçant^  le  chapitre  se  refusa  à  faire  une 
«  nouvelle  nomination.  Bien  plus,  éclairé  sur  le  but  (1)  qu'on 
«  voulait  atteindre  en  provoquant  la  composition  d'un  propre 
«  selon  le  rit  romain  et,  sur  désormais  qu'on  chercherait  à 
0  l'introduire,  par  le  grand  séminaire,  au  sein  du  jeune 
c<  clergé  du  diocèse,  et  qu'il  ne  serait  pas  exclusivement  ré- 
«  serve  aux  iwêtres  étrangers,  ainsi  qu'on  l'avait  d'abord  an- 
a  nonce,  il  déclara,  à  la  majorité  de  huit  voix  contre  deux  (2), 
«  qu'il  annulait  et  causait,  autant  qu'il  était  en  son  pouvoir, 
a  la  formation  de  la  commission  précédemment  élue.  » 
[Quelques  mots,  etc.,  pp.  13  et  14.)  MM.  les  curés  disent  que 
la  commission  se  trouva  ainsi  incomplète  et  boiteuse,  et  ils 
ajoutent  :  «  La  commission  a  pris  tout  de  même  son  travail  au 
«   sérieux,  à  ce  qu'on  nous  assure.  »  {îb.  p.  15.) 

Un  mot  sur  ce  tout  de  même.  Il  veut  dire  sans  doute  que  le 
chapitre  ayant  annulé  et  cassé  la  commission,  le  pouvoir  de 
l'archevêque  n'est  plus  suffisant  pour  la  maintenir,  et  partant 
qu'elle  travaille  en  pure  perte,  quoique  par  ordre  du  prélat. 
En  d'autres  termes,  MM.  les  curés  de  Lyon  supposent  que 
Son  Eminence  n'a  pas  le  droit  de  faire  rédiger  le  propre  par 
des  hommes  désignés  par  elle,  sans  le  consentement  du  cha- 
pitre. C'est  une  erreur.  Mgr  de  Bonald  aurait  pu  rédiger  lui- 
même  le  propre  en  question  :  il  aurait  pu  en  confier  la  rédac- 
tion à  des  hommes  étrangers  au  cliapitre  et  même  d'un  autre 
diocèse.  La  seule  condition  requise  pour  la  canonicité  de  cette 
partie  de  l'office,  c'est  l'approbation  du  Saint-Siège,  qui  est 

(1)  La  particule  oh  fonclionne  ici  évidemment  à  la  place  de  Son 
Étninence  le  Cardinal-archevêque,  puisque  la  coramission  avait  été 
nommée  sur  l'invilalion  du  Prélat. 

(2)  iMiM.  de  Serres  el  des  Garels,  comme  la  brochure  le  déclare  un 
peu  plus  loin. 


360  LA   QUESTION   LITURGIQUE  [Tome  Mil. 

donnée  par  l'entremise  de  la  S.  Congrégation  des  Rites.  Avec 
cette  approbation,  le  propre  sera  canonique  et  obligatoire, 
quoique  rédigé  seulement  par  MM.  de  Serres  et  des  Garets,  et 
quand  même  le  chapitre  aurait  annulé  et  cassé  la  nomination 
de  ces  deux  chanoines.  Sans  cette  approbation,  il  ne  serait  pas 
canonique,  eùl-il  l'assentiment  unanime  des  chanoines,  des 
curés,  et  même  de  l'archevêque  de  Lyon.  Telle  est  la  loi  rela- 
tivement aux  propres  des  diocèses.  Si  MM.  les  curés  de  Lyon 
ne  l'avaient  pas  complètement  ignorée,  trouveraient-ils  ridi- 
cule que  MM.  de  Serres  et  des  Garets  prennent  au  sérieux 
le  travail  dont  leur  archevêque  les  avait  chargés  d'abord  de 
concert  avec  le  cliapitre,  et  qu'il  leur  ordonne  de  continuer, 
depuis  que  le  cliapitre,  selon  l'assertion  de  la  brochure,  leur 
aurait  retiré  son  assentiment  ? 

Quant  au  vote  des  huit  chanoines,  mentionné  dans  le  pas- 
sage transcrit,  il  prouverait,  nous  l'avouons,  que  la  majorité 
du  chapitre  partage  jusqu'à  un  certain  point  les  erreurs  de 
MM.  les  curés.  Si  le  chapitre  ne  croit  pas  mériter  cette  assimi- 
lation, c'est  à  lui  de  rectifier  l'exposé  des  faits  qui  amènerait 
à  la  conclure.  Nous  attendrons  qu'il  se  soit  expliqué  lui- 
même, 

§11. 

Les  faits  depuis  la  publication  de  la  lettre  du  cardinal  Patrizi 
dans  uotre  Revue. 

1.  Ce  que  MM.  les  curés  de  Lyon  pensent  et  disent  de  ce  docu- 
ment. —  Le  texte  en  a  été  publié  dans  notre  numéro  du  20 
avril  4863  (p.  384),  et  reproduit,  avec  nos  réflexions,  dans  le 
journal  le  Monde,  le  29  du  même  mois.  Voici  comment 
MM.  les  curés  de  Lyon  ont  accueilU  et  appprécié  cette  pièce. 

1°  Ils  aflarment  que  la  S.  Congrégation  des  Rites  a  été 
trompée  par  un  faux  exposé  de  leurs  adversaires  ;  que  par  suite 
le  blâme  dont  ils  sont  l'objet  de  la  part  du  cardinal  Patrizi 


Oct.  1863,]  A  LYON.  361 

doit  être  considéré  comme  non  avenu  ;  que  ce  Cardinal  se 
serait  bien  gardé  de  condamner  ainsi  la  conduite  des  curés  de 
Lyon,  s'il  eût  eu  les  renseignements  de  Son  Émimence  Mgr  de 
Bonald.  «  Vers  la  fin  de  janvier  1863,  nous  apprîmes  que 
nous  avions  été  dénoncés  à  la  Cour  romaine,  et  que  Son  Émi- 
nence  le  cardinal  Patrizi  nous  avait  biàmés  dans  une  lettre 
adressée  à  Son  Éminence  le  cardinal  de  Bonald.  Nous  en 
fûmes  affligés  sans  en  être  surpris.  Accusés  par  ceux  qui  nous 
avaient  déjà  jugés  si  brutalement,  comme  on  Fa  vu  plus 
haut  (1),  nous  n'ignorions  pas  sous  quelles  couleurs  on  avait 
dû  nous  représenter  auprès  de  la  Congrégation  des  Rites,  et 
nous  nous  expliquions  le  blâme  dont  nous  étions  l'objet  d'après 
le  faux  exposé  qu'on  avait  fait  de  notre  démarcbe.  »  [Quelques 
mots,  etc.,  p.  23  et  24.)  «  Ce  n'est  pas  lui  (Mgr  de  Bonald) 
qui,  s'il  eût  écrit  au  cardinal  Patrizi,  se  serait  exprimé  de 
manière  à  nous  attirer  le  reproche  d^avoir  oublié,  à  l'égard 
de  notre  premier  pasteur,  le  respect  et  l'obéissance  promis  au 
jour  de  notre  ordination  »  («é.  p.  27). 

A  ces  fins  de  uon-recevoir,  nous  répondons  : 
Avant  d'accuser  la  S.  Congrégation  des  Rites  de  s'être  pro- 
noncée sans  les  renseignements  nécessaires,  vous  auriez  dû  en 
avoir  des  preuves.  Vous  affirmez  qu'aucune  information  n'a 
été  envoyée  à  Rome  par  le  cardinal  de  Bonald,  ni  par  son 
ordre  ;  mais  cette  affirmation  est  purement  gratuite.  Faites 
attester  ce  fait  par  Son  Éminence,  ou  par  l'un  de  MM.  les 
grands-vicaires,  ou  par  le  secrétaire  de  l'archevêché,  et  nous 
vous  croirons.  Sans  cela  votre  assertion  ne  saurait  être  admise, 
attendu  qu'elle  incrimine  et  taxe  de  légèreté  l'une  des  autori- 
tés les  plus  vénérables,  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites,  en 


(1)  Il  s'agit  de  MM.  de  Serres  et  des  Garels,  qui  avaient  essayé  de 
faire  comprendre  à  MM.  les  curés  rirrégularité  de  leur  lenlalive,  et 
dont  la  brochure  cile  plus  haut  quelques  fragmenls  de  leilres,  avec  les 
réponses  de  M.  le  curé  de  Saint-Polycarpe. 


362  LA  QUESTION  LITURGIQUE  [Tome  VllI. 

l'accusant  de  vous  avoir  injustement  blâmés  sur  le  faux  rap- 
port de  deux  adversaires. 

Bien  plus,  votre  assertion  est  convaincue  d'inexactitude  par 
la  teneur  même  du  document.  En  effet,  le  cardinal  Patrizi  énu- 
mère  les  divers  renseignements  sur  lesquels  il  motive  son 
blâme.  Or,  tous  ces  renseignements  se  trouvent  parfaitement 
exacts.  Montrons-le  pour  chacun  en  particulier. 

Le  cardinal  préfet  affirme  en  premier  lieu  que  Mgr  de 
Bonald,  dans  «ne  réunion  des  chanoines  du  W  novembre 
1862,  avait  chargé  une  commission  de  rédiger  le  Proprium, 
pour  l'usage  des  directeurs  du  séminaire,  des  cliapelains  des 
églises  paroissiales  et  des  autres  communautés  ecclésiastiques, 
qui  récitent  ou  veuleul  réciter  le  bréviaire  romain,  et  que  Sa 
Sainteté  Pie  IX  avait  appris  et  approuvé  cette  mesure.  c<  Dura 
Sanctissimus  Dominus  noster  Plus  Papa  IX  resciret  et  proba- 
ret  Eminentiam  Vestram,  in  capitulari  conventu  habito  die 
ll=*  novembris  aoni  mox  elapsi,  delegisse  commissionem  ad 
etformandumjuxla  régulas  liturgicassanctseRo  mante  Ecclesiae, 
Proprium  sanctorum  istius  LugJuneusis  diœcesis,  in  usum 
directorum  seminarii  Sancti  Sulpitii,  capellanorum  ecclesiarum 
parocliialium  aliarumque  ecclesiasticarum  communitatum , 
qui  intra  fines  diœcesis  ipsius  lioras  caiionicas  jaui  recitant 
vel  recitare  desiderant  juxta  Breviarium  Romanum,  etc.»  Jus- 
que-là le  cardinal  Patrizi  a  été  bien  renseigné  :  nous  ne  pen- 
sons pas  que  MM.  les  curés  de  Lyon  songent  à  le  contester. 
Poursuivons. 

«  Sa  Sainteté  (ajoute  le  Cardinal)  a  vu,  non  sans  étonnement, 
que  plusieurs  curés  de  Lyon  ont  réclamé  contre  une  mesure 
si  salutaire;  et  qu'ayant  formé  une  espèce  de  coalition,  con- 
trairement aux  prescriptions  canoniques,  ils  oui  souscrit  une 
lettre  circulaire,  qu'ils  ont  adressée  au  directeur  du  séminaire 
de  Saint-Sulpice,  aux  chanoines  nommés  pour  rédiger  lepropre 
et  aux  autres  membres  du  chapitre.  »  Que  MM.  les  curés  de 
Lyon  veuillent  nous  dire  ce  qu'il  y  a  là  d'inexact.  Ils  ne  peuvent 


Oct.  1863  I  A  LYON.  363 

pas  nier  qu'ils  n'aient  réclamé  contre,  la  mesure  prise  :  qu'est- 
ce  que  leur  circulaire,  sinon  une  plainte,  une  réclamation? 
Se  récrieront-ils  contre  Fexpression,  gui  agmine  veluti  facto  ? 
Mais  ces  mots  n'expriment  autre  chose  sinon  que  pour  don- 
ner plus  d'efficacité  à  leur  démarche,  ils  l'ont  faite  collective- 
ment ou  en  corps.  Nieront-ils  qu'il  en  soit  ainsi  ?  Le  Cardinal 
ajoute  que  leur  acte  a  été  anticanonique  ;  et  il  le  motive  (qu'on 
le  remarque  bien)  non  sur  la  lettre  au  cardinal  de  Bonald, 
qui  aurait  pu  absolument  être  excusée^,  si  elle  avait  été  seule 
et  de  forme  convenable,  mais  sur  la  circulaire  envoyée  aux 
sulpiciens  et  aux  chanoines.  Celle-ci  ne  pouvait  tendre  qu'à 
susciter  des  oppositions  et  des  entraves  à  l'autorité  de  l'Ar- 
chevêque dans  le  légitime  exercice  de  son  droit.  Jamais  les 
curés  de  Lyon  n'ont  eu  et  n'auront  le  droit  de  se  réunir  et  d'a- 
gir collectivement  pour  de  tels  actes.  Ainsi  sur  tous  ces  faits, 
le  cardinal  Patrizzi  a  été  parfaitement  renseigné,  puisqu'ils 
sont  tous  entièrement  exacts. 

«Cette  circulaire  inconsidérée  des  curés, continue  le  Cardi- 
nal, outre  qu'elle  est  une  critique  de  ce  qui  avait  été  ordonné 
par  leur  propre  Archevêque,  auquel  dans  leur  ordination  ils 
ont  promis  obéissance  et  respect,  ne  peut  en  aucune  manière 
être  dite  conforme  (I)  à  la  volonté  du  Souverain-Pontife 
Pie  IX.  »  Que  MM.  les  Curés  de  Lyon  veuillent  bien  nous  si- 
gnaler dans  ces  lignes  quelque  inexactitude,  quelque  trace  de 
faux  renseignements  transmis  par  leurs  adversaires,  MM.  de 
Serres  et  des  Garets.  NieronMls  que  leur  circulaire  renferme 
une  critique,  censuram  mandatorum  proprii  Ordinarïi  ?  Mais 
quel  était  donc  l'objet,  quelle  était  la  conclusion  de  leur  lettre 
collective  ?  Ne  demandaient-ils  pas  qu'on  abandonnât  précisé- 
ment cette  entreprise  d'un  Propre,  dont   l'Archevêque  avait 

{\)  Ces  mois  font  sans  doute  allusion  au  passage  de  la  lellre  des 
curés  oii  ils  allaient  jusqu'à  prétendre  que  leur  réclamation,  pour  le 
maintien  de  leur  liturgie  actuelle,  était  conjorme  à  la  volonté  de 
Pie  IX. 


364  LA   QUESTION    LITURGIQUE  [Tome  VIII. 

ordonné  la  rédaction?  Us  jugeaient  donc  inopportun  et  mau- 
vais ce  qu'avait  statué  l'autorité  archiépiscopale.  Si  les  vi- 
caires d'une  paroisse  de  Lyon  écrivaient  une  circulaire  aux 
paroissiens  pour  les  engager  à  obtenir  de  leur  curé  qu'il  re- 
nonçât à  une  mesure  arrêtée  par  lui,  cet  acte  des  vicaires  ne 
serait-il  pas  une  crit<que  (censura)  de  la  mesure  de  leur  curé? 
Quand  le  Cardinal  Patrizzi  appelle  inconsidérée  la  circulaire 
des  curés,  il  motive  cette  expression  par  des  faits  qu'il  rap- 
porte et  dont  aucun  ne  peut  être  traité  d'inexact. 

Mais  le  passage  qui  aurait  dû  faire  rentrer  eu  eux-mêmes 
MM.  les  curés  de  Lyon,  est  celui  où  le  cardinal-préfet  atteste 
officiellement  le  jugement  et  la  volonté  du  Souverain-Pontife. 
Le  voici  ;  «Dans  la  lettre  adressée  à  Votre  Éminence  en  1834, 
Sa  Sainteté  a  déclaré  de  la  manière  la  plus  expresse  (apertis- 
sime  declaravit)  que  le  bréviaire  et  le  missel  de  Lyon  ne  vien- 
nent pas  d'une  autorité  légitime,  et  doivent  par  conséquent 
être  changés.  11  est  vrai  que,  postérieurement.  Sa  Sainteté  a 
permis  de  s'en  servir  encore  ;  mais  elle  a  renfermé  cette  per- 
mission dans  les  limites  d'une  simple  tolérance  provisoire,  et 
jamais  elle  n'a  voulu  que  cette  permission  fût  perpétuelle, 
ainsi  que  le  pensent  les  curés  réclamants.  »  Nous  demande- 
rons à  ]\1M.  les  curés  de  Lyon,  si  c'est  par  les  faux  rapports 
de  MM.  de  Serres  et  des  Garets,  que  le  cardinal  Patrizzi  a 
connu  celte  déclaration  et  cette  volonté  expresse  du  Souverain- 
Pontife,  dont  il  fait  ici  l'intimation  oiBcielle.  Le  faitdecejuge- 
ment  et  de  cette  volonté  de  Pie  IX,  le  niez-vous  ?  Si  vous  n'osez 
pas  le  nier,  que  penser  de  votre  brochure,  qui  en  est  la  con- 
tre-thèse la  plus  obstinée  ! 

Vous  dites  :«  Le  Souverain-Pontife  peut  commander,  nous 
le  savons;  nous  devons  obéir  »  (p.  36).  —  Mais  le  Souverain- 
Pontife  adéjà  commandé.  Dès  1834  il  a  déclaré  l'illégitimité dti 
bréviaire  et  du  missel  de  Lyon  et  l'obligation  de  les  changer: 
relis (^z  les  muts,  apertissime  declaravit.  En  4863,  il  a  fait  dé- 
clarer que  la  permission  d'en  continuer  encore  l'usage,  n'était 


Oct.  1863.1  A   LYON.  363 

accordée  par  lui  que  dans  les  limites  d'uue  simple  tolérance 
provisoire.  —  De  son  côté  votre  Archevêque  a  commandé  la  ré- 
daction du  Propre,  dans  le  but  de  mettre  à  exécution  la  vo- 
lonté du  Souverain-Pontife.  En  présence  de  ces  deux  comman- 
dements, que  faites- vous  ?  Réunis  en  assemblée  délibérante, 
vous  signez  une  sorte  de  manifeste  qui  établit  que  le  Pape 
et  l'archevêque  ont  tort  de  vouloir  vous  ôler  votre  liturgie  ; 
et  qui  exhorte  les  Chanoines  et  les  Sulpiciens  à  faire  leurs 
efforts  pour  empêcher  ce  changement. 

Vous  dites  :  «  Ne  nous  est-il  pas  permis  de  prier  Sa  Sain- 
teté de  ne  pas  commander?  »  (Ibid.,  p.  36)  —  Prier  le  supé- 
rieur de  ne  pas  commander,  quand  il  a  déjà  formulé  sou  com- 
mandement, c'est  un  peu  singulier.  Tout  au  plus  pourriez-vous 
mettre  en  question,  s'il  vous  est  permis  de  prier  le  Souverain- 
Pontife  de  retirer  son  commandement.  Mais,  en  premier  lieu,  ce 
n'est  point  là  ce  que  vous  faites.  Le  commandement  qui  a  déjà 
eu  lieu,  vous  le  tenez  comme  non  avenu.  Vous  écrivez  une 
circulaire  aux  Chanoines,  pour  qu'ils  écartent  par  leurs  con- 
seils et  leur  décision  la  mesure  (p.  20)  dont  il  est  question,  c'est- 
à-dire  précisément  celle  que  le  Saint-Siège  a  déclarée  obliga- 
toire et  sur  laquelle  portent  ses  injonctions.  En  second  lieu, 
quand  on  VQwi  prier  le  Pape  de  retirer  un  commandement,  on  le 
peut  sans  doute,  pourvu  qu'on  se  borne  réellement  à  une 
supplique,  et  qu'en  attendant  la  réponse,  ou  oèmse  aux  injonc- 
tions déjà  reçues  du  Saint-Siège.  Vous  ètes-vous  bornés  à  sup- 
plier le  Pape  de  retirer  son  commandement  ?  Votre  circulaire 
s'adresse  aux  Chanoines  et  aux  Sulpiciens,  et  votre  brochure 
au  public,  tt  que  prélendez-voiis  leur  persuader?  Exactement 
le  contraire  de  ce  quià  déclaré  le  Souverain-Pontife  ;  c'est-à- 
dire,  que  votre  liturgie  actuelle  n'est  pas  illégitime,  qu'il  n'y  a 
point  d'obligation  d'en  changer,  et  que  ce  changement  serait  un 
malheur.  Qucut  à  la  û'eciseon  et  à  la  volonté  contraires  de  Pie  IX, 
eu  vous  en  niez  l'existence,  ou  vous  ne  voulez  leur  recohnaitre 
aucune  autorité,  puisque  vous  ne  daignez  pas  même  en  faire 


36C  LA   QUESTION   LITURGIQUE  [TomeVI!I. 

mention.  Ainsi,  loin  de  vous  borner  à  supplier  le  Pape  de  reti- 
rer son  commandement,  vous  avez  sollicilé  des  résistances  pour 
que  ce  commandement  ne  fût  pas  exécuté.  Singulière  façon 
d'user  du  droit  de  supplique  auprès  du  Saint-Siège! 

On  nous  objectera  peut  -  être  que  MM.  les  curés  de  Lyon 
n'ont  pas  connu  la  décision  et  la  volonté  formelle  de  Pie  IX 
relative  à  leur  liturgie.  —  Nous  serions  heureux  de  pouvoir 
admettre  cette  hypothèse.  Mais,  depuis  la  brochure  de  MM.  les 
curés  de  Lyon,  ce  n'est  plus  possible.  En  effet,  ils  attestent 
eux-mêmes  qu'ils  ont  connu  la  lettre  du  cardinal  Patrizi  à 
leur  Archevêque,  et  ne  songent  pas  à  contester  l'authenticité 
du  document.  Or  cette  pièce  constate  officiellement  et  la  déci- 
sion de  Pie  IX  qui  prononce  l'illégitimité  du  bréviaire  et  du 
missel  actuels  de  Lyon  ainsi  que  l'obligation  de  les  abandon- 
ner, et  sa  volonté  expresse  du  retour  à  la  liturgie  romaine.  Les 
termes  excluent  toute  chicane.  Apertissime  declaravit,  voilà 
bien  une  déclaration,  une  décision.  Et  qu'a  décidé  le  Souverain- 
Pontife  ?  Breviarium  et  Missale  Lngdunense  a  légitima  ouctoritate 
minime  prodire,  oc  proinde  omnino  immutanda.  Pie  IX  prononce 
donc  (en  4854)  qu'il  y  a  obligation  de  changer  le  bréviaire  et  le 
missel  de  Lyon.  Il  parle  évidemment  du  bréviaire  et  du  missel 
en  usage  en  1834,  puisqu'il  dit  omnino  immutanda.  De  phis, 
Pie  IX  prononce  que  ce  bréviaire  et  ce  missel  (en  usage  eu 
Î854)  ne  viennent  pas  d'une  autorité  lér^itime.  Enfin  il  décide 
cquivalemment  que  ce  bréviaire  et  ce  missel  sont  restés  illé- 
gitimes, puisque  de  leur  provenance  illégitime  il  conclut  à 
l'obligation  de  les  abandonner  ;  conclusion  évidemment  ab- 
surde, s'ils  avaient  cessé  d'être  illégitimes.  Voilà  pour  la  déci- 
sion. Mais  après  avoir  décidé  l'obligatioû,  Pie  IX  a-t-il  usé  de 
son  autorité  pour  en  dispenser  le  clergé  lyonnais?  Il  est  vrai 
qu'il  a  permis  d'emjjloyer  encore  ce  bréviaire  et  ce  missel  (ea 
adhuc  adhiberi  permisit),  mais  il  a  renfermé  cet  induit  (veniam 
istam)  dans  les  limites  d'uue  simple  toléi^ance  p7'ovisoi)'e  (intra 
limites  simplicis  tolerantiae  temporaneee).  Donc  la  volonté  ex- 


Oct.  1863.]  A  LYON.  367 

presse  de  Pie  IX  est  que  le  diocèse  de  Lyon  retourne  à  la  litur- 
gie romaine,  comme  il  y  est  tenu  en  droit  ;  et  Sa  Sainteté  ne 
dispense  de  cette  obligation  quepour  le  temps  raisonnablement 
requis  pour  faire  la  substitution.  C'est  après  avoir  connu  le 
document  officiel  qui  constate  cette  décision  et  cette  volonté 
de  Pie  IX,  que  MM.  les  curés  de  Lyon  ont  écrit  leur  brochure 
dans  laquelle  ils  supposent  que  le  Saint-Siège  n'a  rien  décidé, 
rien  commandé.  Bien  plus,  ils  y  soutiennent  que  leur  liturgie 
est  légitime,  et  que  ce  serait  un  malheur  d'eu  changer.  Ils 
croient  s'être  suffisamment  débarrassés  de  la  lettre  du  cardinal 
Patrizi,  en  disant  qu'elle  a  été  écrite  d'après  un  faux  exposé 
de  MM.  les  chanoines  de  Serres  et  des  Garets. 

Nous  demanderons  à  MM.  les  curés  de  Lyon  s'ils  croient  de 
bonne  foi  que  le  cardinal  Patrizi  ait  certifié  la  décision  de 
Pie  IX  de  1854,  sans  la  connaître,  et  sur  des  témoignages 
étrangers?  Nous  croyons  l'esprit  de  MM.  les  curés  très-préoc- 
cupé; mais  non  pas  au  point  d'oser  s'inscrire  en  faux  contre 
le  fait  capital  attesté  par  le  cardinal  Patrizi,  et  consigné  dans 
la  lettre  adressée  en  1854  à  Mgr  de  Donald,  lettre  qui  doit  se 
trouver  aux  archives  de  l'archevêché  de  Lyon. 

C'est  donc  à  tort  que  MM.  les  curés  attribuent  à  un  faux 
exposé  le  blâme  à  leur  adresse  formulé  dans  la  lettre  du  cardi- 
nal Patrizi.  Le  Cardinal  motive  ce  blâme  sur  une  série  de  faits; 
et  comme  chacun  de  ces  faits  est  rigoureusement  exact, 
MM.  les  curés  sont  forcés  d'en  convenir,  il  résulte  que  le  blâme 
en  question  ne  peut  être  attribué  à  un  faux  exposé  de  leurs 
ardversaires. 

2°  MM.  les  curés  de  Lyon  attribuent  à  la  lettre  du  cardinal 
Patrizi  d'avoir  affirmé  que  leurs  sentiments  étaient  ceux  de  la 
minorité  du  clergé  lyonnais.  «  Ce  n'est  pas  Mgr  de  Bonald, 
disent-ils,  qui  aurait  représenté  nos  sentiments  comme  ceux 
de  la  minorité  du  clergé  lyonnais.  Son  Émincnce  sait  parfai- 
tement que  l'immense  majorité  du  clergé  de  son  diocèse  pense 
comme  les    curés  de   Lyon».    [Quelques  mots  etc.,  p.  27.) 


368  LA  QUESTION  LITURGIQUE  l  Tome  VIII. 

Évidemment  MM.  les  curés  dans  ces  lignes  se  plaignent  de 
quelque  passage  où  le  cardinal  Patrizi  aurait  mentionné  leur 
opinion  comme  partagée  seulement  par  la  me'nor/fe  du  clergé  de 
leur  diocèse.  J'ai  lu  et  relu  la  pièce,  sans  pouvoir  y  découvrir 
l'affirmation  incriminée.  Le  seul  passage  où  le  Cardinal  parle  de 
la  portion  du  clergé  lyonnais  qui  ne  partage  pas  le  sentiment 
de  MM.  les  curés,  est  celui-ci:  «  Qnos  (les  curés  de  Lyon) 
sperare  licet  jam  facti  pœnituisse,  et  modo  cum  reliquo  spec- 
tabili  et  multis  nominibus  commendabili  clerc  Lugdunensi,  felici 
eemulalione  adlaboraturos  ut...  quantocius...  inducatur  et  con- 
stabiliatur  liturgia  sanctse  Romanai  Ecclesiee.  »  Messieurs  les 
curés  auraient-ils  pris  le  mot  spectabili  pour  synonyme  de 
numerosiori?  Ce  serait  une  erreur  de  linguistique.  Une  mino- 
rité peut  très-bien  mériter  Tépilbète  de  spectabilis  et  même  de 
multis  nominibus  commendabilis .  ^ous  l'avons  déjà  dit,  le  lan- 
gage de  MM.  les  curés  de  Lyon  porte  l'empreinte  d'une 
grande  préoccupation  ;  elle  les  aura  empêchés  de  lire  attenti- 
vement la  lettre  du  cardinal  Patrizi. 

IL  MM.  les  curés  de  Lyon  blâment  la  publication  de  la 
lettre  du  cardinal  Patrizi  dans  notre  Revue  et  dans  le  journal  le 
Monde.  Ils  se  prétendent  injuriés  par  nos  réflexions  sur  ce  docu- 
ment. —  Voici  en  quels  termes  ils  expriment  leurs  griefs  : 
«  On  avait  pris  plusieurs  copies  de  la  lettre  du  cardinal  Pa- 
trizzi...  Une  de  ces  indiscrétions  bien  volontaires  mit  une  de 
ces  copies  aux  mains  du  rédacteur  de  la  Revue  des  Sciences 
ecclésiastiques,  qui  s'empressa  de  l'insérer  dans  son  numéro 
du  20  avril  et  la  fit  suivre  de  réflexions  qui  nous  étaient  inju- 
rieuses. Le  rédacteur  du  Monde  s'empara  de  cette  tartine  {sic), 
qui  lui  allait  si  bien,  et  il  en  régala  ses  lecteurs  le  29  du 
même  mois.  »  {Quelques  mots,  etc.,  p.  24  et  23.)  Ils  ajoutent, 
en  parlant  des  «  dignes  rédacteurs  du  Monde  et  de  la  Revue  des 
Sciences  ecclésiastiques  »  :  «  Fidèles  à  leur  passé,  ils  nous 
avaient  indignement  attaqués,  sans  nous  consulter  ni  nous 
prévenir  »  (ibid.,  p.  31). 


Oct.  1853.]  A    LYON.  369 

1"  En  ce  qui  concenip,  la  publication  du  document^  nous 
trouvons  naturel  que  MM.  les  curés  de  Lyon  la  désap- 
prouvent. A  leur  point  de  vue,  elle  n'était  pas  opportune  ;  il 
valait  mieux  que  la  pièce  restât  ensevelie  dans  un  éternel  si- 
lence. Mais  de  même  que  nous  ne  leur  reprochons  pas  cette 
déduction  de  leurs  principes,  nous  souhaiterions  la  même  to- 
lérance pour  notre  opinion  divergente.  Que  MM.  les  curés 
veuillent  bien  nous  en  croire  :  c'est  une  intention  droite, 
et  la  pensée  de  servir  utilement  la  bonne  cause  qui  nous  a 
guides.  Celte  persuasion  n'a  pas  changé  :  si  le  document 
n'était  pas  publié,  nous  nous  ferions  encore  aujourd'hui  un 
devoir  de  le  faire  connaître. 

2°  MM.  les  curés  de  Lyon  sont-ils,  comme  ils  le  pré- 
tendent, injuriés  et  attaqués  indignement  dans  les  réflexions 
dont  nous  avons  fait  suivre  la  publication  de  la  pièce  ?  Leur 
plainte  na  nous  spmble  pas  fondée. 

Les  passages  qui  les  concernent  se  réduisent  à  deux.  Voici 
le  premier  : 

«  Nous  ne  pensons  pas  qu'on  soit  désormais  tenté  de  renou- 
veler l'interprétation  des  curés  de  Lyon.  »  11  s'agit  de  l'inter- 
prétation que  le  cardinal  Patrizzi  venait  de  mentionner  et  de 
déclarer  fausse  par  ces  mots  :  «  Quod  si  Sanctitas  Sua  ea 
adhuc  adhiberi  permisit,  veniam  istam  intra  simplicis  tem- 
poraneae  tolerantiae  limites  cirumscripsit;  nec  uuquam  voluit 
eam  esse  perpetuam,  veluti  arbitrantur  reclamantes  parochi.  s 
MM.  les  curés  de  Lyon  se  figuraient  que  Pie  IX  avait  au- 
torisé indéfiniment  l'usage  du  bréviaire  et  du  missel  actuels 
de  Lyon  :  le  cardinal-préfet  déclare  qu'ils  se  sont  trompés. 
Après  une  telle  déclaration  officielle,  quoi  de  plus  simpleet  de 
plus  légitime  que  cette  ligne  :  «  Nous  ne  pensons  pas  qu'on 
soit  désormais  tenté  de  renouveler  l'interprétation  des  curés 
de  Lyon.  »  11  nous  est  impossible  d'y  voir  aucune  trace  d'in- 
jure, ni  rien  qui  sorte  des  convenances  de  la  polémique. 

Le  second   passage,  où  nous   parlions  de   MM.  les  curés 

Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vui.  24-25. 


370  LA  QUESTION  DE  LITURGIQUE  |Tome  VIII. 

de  Lyon,  était  ainsi  conçu  :  «  L'erreur  des  curés  de  Lyon, 
signalée  par  le  cardinal  Patrizzi,  n'était  pas  la  seule  de  leur 
circulaire.  Si  nous  sommes  bien  informés,  ils  en  étaient  encore 
à  se  persuader  que  leur  liturgie  actuelle  est  sortie  du  cœur  de 
saint  Jean  l'Évangéliste  et  leur  a  été  transmise  par  saint  Irénée. 
Ils  ne  paraissent  pas  s'être  doutés  non  plus  que,  d'après  les 
dispositions  du  droit  ecclésiastique,  les  curés  n'ont  point  le 
droit  de  délibérer  et  d'agir  en  corps  icoUegialiter).  Leur  in- 
tention a  été  louable,  nous  n'en  doutons  pas,  et  ils  seront  les 
premiers  à  combattre  leur  erreur  après  l'avoir  connue.  » 

11  est  vrai  que  dans  ces  lignes  nous  attribuons  à  Messieurs 
les  curés  l'opinion  (passablement  singulière,  il  faut  en  con- 
v€nir)  qui  fait  descendre  du  cœur  de  l'apôtre  saint  Jean  la  litur- 
gie actuelle  du  diocèse  de  Lyon.  Mais  nous  l'avons  vuplusbaut, 
ces  Messieurs  avouent  que  cette  étrange  opinion  était  réelle- 
ment formulée  dans  un  certain  passage  de  leur  lettre  au  car- 
dinal de  Donald,  et  que  Son  Éminence  en  a  plaisanté.  Nous 
n'avons  donc  pas  été  mal  informés.  Depuis  quand  ne  serait-il 
plus  permis  dans  la  polémique  d'attribuer  aux  adversaires 
nne  opinion  qu'ils  avouent  eux-mêmes  avoir  émise?  11  s'agit, 
nous  en  convenons,  d'un  lapsus  un  peu  étrange.  Mais  à  qui 
la  faute?  Etions-nous  obligés  de  passer  celte  erreur  sous  si- 
lence ?  En  la  signalant  sous  cette  forme,  ils  en  étaient  encore  à 
se  persuader  que...,  nous  n'avons  fait  qu'énoncer  la  simple 
réalité  du  fait.  Où  sont  les  injures,  les  attaques  indignes  dont 
ou  se  plaint?  Nous  ne  les  voyons  pas. 

La  plainte  ne  se  fonderait  pas  mieux  sur  les  lignes  où  nous 
disons:  «  Ils  ne  paraissent  pas  s'èti'e  doutés  non  plus  que, 
d'après  les  lois  ecclésiastiques,  les  curés  n'ont  point  le  droit 
de  délibérer  et  d'agir  en  corps.  »  MM.  les  curés  nous  disent 
qu'ils  n'ont  point  ignoré  cette  disposition  du  droit  canonique, 
et  que,  s'ils  ont  agi  en  corps,  c'est  en  vertu  d'une  autorisation 
obtenue  par  eux  depuis  loiigtemps.  Nous  n'élevons  pas  le 
moinJa'c  doute  sur  1 1  véracité  de  leur  affirmation.  Mais  ils 


Oct.l8C3,]  A  LYON.  371 

voudront  bien  admettre  qu'avant  cette  explication  donnée  par 
eux,  nous  étions  excusables  de  présumer  le  contraire.  Nous 
avons  dit,  ils  ne  paraissent  pas  s'être  doutés  ;  et  les  apparences 
étaient,  en  effet,  dans  ce  sens.  De  telles  autorisations  ne  se 
donnent  guère  et  peuvent  être  considérées  comme  des  anoma- 
lies. D'ailleurs,  on  est  ici  en  présence  d'une  alternative  :  Ou 
bien,dirons-uous  à  MM.  les  curés  de  Lyon,  vous  avez  ignoré  que 
vous  ne  pouviez  en  vertu  du  droit  commun  agir  collectivement; 
ou  le  sachant,  et  vous  étant  munis  d'une  dispense,  vous  avez 
cru  qu'il  vous  était  permis  de  susciter  des  oppositions  et  des 
entraves  au  Saint-Siège  et  à  votre  Archevêque  dans  le  légi- 
time exercice  de  leur  droit.  Dans  les  deux  hypothèses  il  y 
aurait  eu  erreur  de  votre  part  ;  et  Terreur  de  la  première  se- 
rait, ce  semble,  moins  regrettable  que  celle  de  la  seconde. 
Nous  avons  dit  que  vous  paraissiez  être  tombés  dans  la  pre- 
mière, et  votre  explication  nous  amène  à  reconnaître  que 
cette  assertion  n'est  pas  exacte.  Mais  vous  ne  pouvez  pas  dire 
qu'elle  vous  soit  injurieuse,  puisque  la  rectification  que  nous 
avons, à  substituer  vous. est  bien  plus  défavorable.  Voici  cette 
rectification  :  «  MM.  les  curés  de  Lyon  ne  se  sont  pas  doutés 
que  l'autorisation  de  délibérer  et  d'agir  en  corps,  qu'ils  disent 
avoir  obtenue,  n'a  jamais  pu  leur  être  donnée  pour  des  actes 
qui  entraveraient  le  Souverain-Pontife  ou  leur  Archevêque 
dans  le  légitime  exercice  de  leur  droit.  » 

En  résumé,  nous  avons  signalé  comme  un  écart  la  circu- 
laire de  MM.  les  curés  de  Lyon  :  nous  avons  fait  ressortir  le 
caractère  anticanonique  et  les  erreurs  dont  elle  nous  a  paru 
entachée.  Mais  nulle  part,  que  nous  sachions,  notre  polémique 
n'a  tourné  en  injures  ni  en  attaques  indignes.  Cette  plainte,  que 
nous  pardonnons  volontiers  à  une  sensibilité  trop  expansive, 
nous  semble  encore  moins  juste  à  l'égard  de  MM.  les  rédac- 
teurs du  journal  le  Monde,  qui  se  sont  abstenus  de  toute  ré- 
flexion, et  n'ont  fait  que  reproduire  nu  article  déjà  publié. 

m.  MM.  les  curés  de  Lyon  nous  adressent  une  lettre,  avec  de- 


372  LA   QUESTION   LITURGIQUE  [Tome  VUI. 

mande  d'insertion.  Nous  ne  croyons  pas  devoir  l'insérer.  Son 
£minence  le  cardinal  de  Bonald,  à  qui  nous  la  communiquons, 
partage\notre  avis.  MM.  les  curés  la  publient  dans  leur  brochure. 
—  MM.  ]es  curés  de  Lyon  présentent  ainsi  les  faits  :  «  Impri- 
mer notre  réponse  !  Le  pouvaient-ils  sans  l'autorisation  de 
notre  Arcbevêque  ?  Aussi,  pour  faire  taire  leurs  scrupules,  ils 
envoyèrent  la  lettre  de  MM.  Ghaumont  et  Valadier  à  Son  Émi- 
nence  le  cardinal  de  Bonald.  Son  Eminence  pria  alors  M.  le 
curé  de  Saint-lrénée  de  vouloir  bien  consentir  à  ce  que  cette 
réponse^ne  fût  pas  publiée.  »   (P.  31  de  la  brocbure.) 

Le  motif  qui  me  fit  refuser  Finsertion  ne  fut  autre  que  l'in- 
térêt même  de  MM.  les  curés  de  Lyon.  Je  voyais  ces  respec- 
tables ecclésiastiques  se  jeter  dans  une  fondrière,  et  je  vou- 
lais leur  éviter  les  regrets  qui  devaient  être  tôt  ou  tard,  selon 
moi,  la  conséquence  de  cette  publication.  Ce  fut  là  tout  mon 
sc7'upule.  En  communiquant  au  cardinal  de  Bonald  la  lettre  de 
MM.  les  curés,  je  disais  à  Son  Eminence  que  l'insertion 
n'étaitj point  dans  leur  intérêt,  tant  à  cause  de  la  teneur  même, 
que  des  réflexions  dont  je  devrais  l'accompagner.  J'exprimais 
le  désir  que  Son  Eminence  détournât  MM.  les  curés  de  publier 
leur  lettre.  Son  Eminence  daigua  me  répondre:  «  J'espère  que 
MM.  les  curés  ne  la  publieront  pas:  je  viens  d'écrire  à  ce  sujet  à 
M.  le  curé  de  Saint-lrénée.  » 

MM.  les  curés  s'étaient  rendus  à  l'avis  de  leur  Archevêque; 
mais  ils  ont  cru  depuis  pouvoir  s'en  départir,  à  cause  de  l'écrit 
ajionyme  de  Rhodez.  Dans  leur  brochure  en  réponse  à  cet 
écrit,  ils  ont  publié  eux-mêmes  celte  pièce,  dont  nous  aurions 
voulu  leur  épargner  les  fâcheuses  conséquences.  En  voici  le 
texte,  tel  qu'il  nous  a  été  envoyé. 


Oct.  18C3.]  A  LYON.  373 

Messieurs  les  curés  de  Saint-Polycarpe  et  de  Saint- Irénée,  de  Lyon, 
à  Monsieur  le  Rédacteur  de  la  Revue  des  Sciences  ecclé- 
siastiques. 

Monsieur  le  Rédacteur, 

Vous  avez  dernièrement  publié,  dans  la  Revue  des  Sciences  ecclé- 
siastiques, une  lettre  de  son  Eminence  le  cardinal  Patrizi  à  son  Émi- 
nence  le  cardinal  de  Donald,  archevêque  de  Lyon  ;  vous  avez  jugé  à 
propos  de  commenter  cette  lettre  et  de  terminer  votre  commentaire  par 
un  paragraphe  offensant  pour  MM.  les  curés  de  Lyon  (1).  Le  Monde 
a  reproduit  la  lettre  et  vos  commentaires. 

Nous  avons  l'honneur  d'être  du  nombre  des  trente  curés  de  celte 
grande  cité  ;  nos  paroisses  sont  sous  le  vocable  l'une  de  saint  Poly^ 
carpe,  l'autre  de  saint  Irénée,  patrons  du  diocèse.  Ce  glorieux  patro- 
nage nous  fait  un  devoir  de  protester  contre  les  insinuations  malveil- 
lantes que  renferme  votre  article  (2). 

Nous  ne  venons  pas  ici  soulever  une  discussion.  Nous  ne  vous  de- 
manderons pas  s'il  convenait  de  publier  ce  document  dans  un  journal 
et  d'en  tirer  des  conséquences  sur  la  conduite  à  tenir  (3)  par  Nos- 

(1)  Ce  paragraphe  a  élô  cilé  plus  haut  :  le  lecleur  a  pu  voir  qu'il 
n'y  a  rien  d'offensant. 

(2)  Le  texte  publié  par  MM.  les  curés  dans  leur  brochure  est 
ici  un  peu  différent.  Au  lieu  des  mots  :  «  Nous  avons  l'honneur  d'être 
du  nombre  des  trente  curés  de  celle  grande  cité,  »  ils  ont  mis  siinple- 
plement  :  «  Nous  avons  l'honneur  d'être  curés  à  Lyon.  »  El  à  l'ex- 
pression insinua/ions  malveillantes,  ils  ont  substitué  :  insinuations 
injurieuses.  Nous  avons  fait  voir  plus  haut  qu'il  n'y  a,  dans  notre  ar- 
ticle, aucune  trace  d'injure  ni  de  malveillance.  Au  reste,  dans  le  cas 
où  nous  aurions  dépassé  les  convenances  de  la  polémique,  Messieurs 
les  signataires  n'auraient  [as  eu  besom  d'alléguer  le  glorieux  patro- 
nage de  saint  Polycarpe  el  de  saint  Irénée  pour  justifier  leur  protes- 
tation. 11  nous  semble  que  le  curé  de  la  plus  humble  paroisse  aurait 
eu  le  même  droit. 

(3)  Nous  n'avons  point  tiré  de  conséquence  sur  la  conduite  à  tenir 
par  ces  prélils.  Notre  arlic.e  s'arrête  en  deçà  de  ces  conséquences. 
Ce  sont  MM.  les  curés  de  Lyon  qui  les  montrent  du  doigt  par 
delà  ;  et  ce  n'est  pas  sans  doute  pour  nous  attirer  de  la  bienveillance. 


37*»  LA  QUESTION   LITURGIQLE  [Toc.e  Vllî. 

seigneurs  les  archevêques  et  évêques  de  Lyon,  de  Paris,  de  Besan- 
çon, d'Orléans  et  de  Belley,  qui  savent  certes  bien  ce  qu'ils  ont  à  faire. 
Nous  n'examinerons  pas  non  plus  s'il  n'y  a  pas  eu  plus  d'indiscrétion 
que  de  sagesse  (i),  de  la  part  de  votre  correspondant,  à  vous  donner 
copie  d'une  lettre  particulière,  que  notre  vénéré  Cardinal,  guidé  par 
cette  délicatesse  de  procédés  qui  s'unit  chez  lui  au  savoir  et  à  l'expé- 
rience, n'a  pas  jugé  à  propos  de  communiquer  même  aux  curés  de 
Lyon,  qu'elle  concernait. 

Mgr  de  Bonald  est  le  père  de  ses  prêtres  ;  il  connaît  nos 
sentiments  de  profonde  vénération  pour  Son  Eminence  (2).  Ce  n'est 
pas  lui,  Monsieur,  qui,  s'il  eût  écrit  à  Son  Eminence  le  cardinal  Patrizi, 
se  serait  exprimé  de  manière  à  nous  attirer  le  reproche  d'avoir  oublié, 
à  l'égard  de  notre  premier  Pasteur,  le  respect  et  l'obéissance  promis 
au  jour  de  notre  ordination.  Ce  n'est  pas  Mgr  de  Bonald  qui 
aurait  représenté  nos  sentiments  comme  ceux  de  la  minorité  {3}  du 

(1)  Ce  que  MM.  les  curés  n'examinent  pas,  nous  l'avons  exa- 
miné fort  mûrement  ;  el  le  résultai  de  notre  examen,  c'est  qu'il  y  a 
eu  sagesse  et  poial  indiscrétion  à  publier  la  lettre  de  son  Eminence 
le  cardinal  Paliizi.  Ce  que  nous  ne  croyons  pas  opportun,  c'est  de 
déiiiiire  i  i  les  motifs  de  celle  appréciation, 

(2)  Celte  profonde  vénération  ne  vous  a  pas  empêchés  :  1"  de  pu- 
blier votre  lettre  contrairement  à  l'avis  de  voire  Archevêque;  2° de 
solliciler,  par  votre  circulaire,  des  opposiiions  à  la  mesure  arrêtée  par 
lui  con -ernanl  le  Propre,  et  même  une  décision  contraire  de  MM.  les 
chanoines  ;  3°  de  traiter  de  boiteuse  la  commission  maintenue  par 
le  Prélat,  et  de  trouver  fort  sol  que  les  membres  de  celle  com- 
mi^sion  prissent  leur  travail  au  sérieux  ;  4"  d'imprimer  à  lyon  votre 
brochure  sans  ['imprimatur  de  Son  Eminence,  conirairemcnt  aux 
presTiplions  du  Sainl-Si^ge,  el  à  la  défense  formelle  du  Concile  pro- 
vincial de  Lyon,  de  J8o0;  o°  d'affirmer,  dans  voire  brochure,  que, 
selon  l'assiuince  du  Prélat,  le  Propre  n'élail  des  iné  qu'aux  prêtres 
étrangers,  et  que,  néanmoins,  on  avait  une  arrière-pensée  :oute  con- 
traire; en  sorte  qu'il  faut  conclure  un  manque  de  franchise,  si  la  par- 
ticule on  doit  s'entendre  de  Son  Eminence,  ou  bien,  s'il  faut  l'entendre 
autrement,  que  le  Prélat  ne  gouverne  plus,  mais  est  gouverné.  Tout 
ceci  rappelle  involoiilairemenl  ce  mot  d'Agamemnon  :  Je  veux  }7ioins 
de  respect  el  plus  d'obéissance. 

(3)  Le  cardinal  Pnlrizi  n'a  point  représenté  !a  partie  du  cierge  lyon- 
nais qui  partage  le  sentime'.îl  de  MM.  les  curés  comme  formant 
la  minorilé,  ni  les  partisans  du  sentiment  contraire  comme  étant  en 
majorilé.    .\insi    que   nous   l'avons   riil   plus  haut,  SIM.    les   curés 


Oct.  1863.1  A  LYON.  375 

clergé  lyonnais;  Son  Eminence  sait  parfaitement  que  l'immense  majo- 
rité du  clergé  du  diocèse  pense  comme  les  cures  de  Lyon. 

Oui,  Monsieur,  nous  tenons  à  peu  prés  tous  et  profondément  à  notre 
liturgie  actuelle.  Elle  n'est  plus  intégralement  l'œuvre  de  Monseigneur 
de  Montazet;  cette  œuvre  a  été  admirablement  corrigée,  en  1844, 
par  Son  Eminence  Mgr  de  Bonald  (i).  Nous  y  tenons,  non-seule- 
ment parce  qu'elle  est  maintenant  l'œuvre  de  notre  vénéré  Cardinal, 
si  dévoué  au  Saint-Siège,  mais  encore  et  surtout  parce  qu'elle 
renferme  de  précieux  et  notables  restes  de  notre  antique  liturgie,  et 
que  notre  Archevêque  nous  a  fait  un  devoir  de  les  conserver  religieu- 
sement. 

C'est  lui-même  qui  nous  a  fait  cette  recommandation,  chère  à  tous 
nos  cœurs  :  «  Copiosam  non  minus  ac  seledam,  qiix  nobis  superest, 
«  paternorum  rituum  suppellectilem  religiose  ciistodiatis,  fratres 
«  carissim'ï  (2).  » 


auront  pris  le  mol  speclabilis  dans  !e  sens  de  plus  nombreux,  ce  qui 
est  un  lapsus. 

(i)  Ici,  MM.  les  curt's  écrivent,  sans  s'en  apercevoir,  leur 
propre  condamnation  :  tenir  profondément  à  des  livres  liturgiques 
déclarés  illégitimes  par  le  Saint-Sic'se,  et  après  que  le  Souverain- 
Pontife  a  intimé  Vobligation  de  les  abandonner,  c'est  un  altacliement 
inexcusable.  Or,  en  ^854,  Sa  Sainteté  Pie  IX  a  déclaré  que  le  bré- 
viaire et  le  missel  de  Lyon,  alors  en  usafro.  c'  par  conséquent,  le 
missel  et  le  bréviaire  corrigés  par  Mgr  de  Bonald,  ne  venaient 
point  d'une  autorité  légiiime,  ei  qu'il  y  avait,  par  conséquent,  obliga- 
tion de  les  abandonner  ;  Jperlissima  declaravit  Breviarium  et  Missale 
Lugdunense  a  légitima  auciorilale  minime  prodire,  ac  proinde  om- 
nino  immutanda.  Est-il  permis,  est-il  raisonnable  d'être  et  de  se  pro- 
clamer profondément  attaché  à  ce  qui  est  illégitime? 

(2)  MM.  les  curés  savent  bien  que  Mgr  de  Boaald,  en  1844,  n'a  fait 
qu'une  édition  corrigée  da  bréviaire  et  du  missel  de  Ljon. Est-il  exact 
de  dire  que  ces  deux  livres  sont  maintenant  son  œuvre?  Ce  qui 
est  son  œuvre,  ce  sont  les  quelques  corrections  urgentes  que  le  Prélat 
crut,  à  celle  époque,  devoir  leur  faire  subir.  D'ailleurs  l'autorité  de 
Mgr  de  Donald,  en  -1844,  aurait-elle  été  plus  compétente  que  celle  de 
Mgr  de  Montazet  pour  rendre  légitimes  un  bréviaire  ou  un  missel  (lui 
fût  son  œuvre  ? 

Au  sujet  des  précieux  et  notables  restes  de  leur  antique  liturgie, 
MM.  les  curés  se  foui  coinplcieraent  illusion.  Ces  rites,  que 
Mgr  de  Montazet  dil  avoir  respectés,  sont  ceux  de  ranciennc  liturgie 


376  L.V   QUESTION  LITURGIQUE  [TonieVdl. 

Cela  ne  veut  pas  dire,  M.  le  Rédacteur,  que  nous  fassions 
descendre  notre  liturgie  actuelle  du  cœur  de  saint  Jean  l'Evangéliste, 
comme  nous  en  accuse  votre  correspondant  (l).  Quelque  attardés  et 
ignorants  qu'il  nous  suppose,  et  vous  avec  lui,  nous  connaissons  tout 
le  mal  que  Mgr  de  Monlazet  a  fait  à  notre  antique  et  vénérée 
liturgie,  malgré  l'opposition  du  Chapitre  et  les  vives  réclamations  du 
Clergé.  Nous  savons  que  cette  opposition  et  ces  réclamations  furent 
alors  déposées  aux  pieds  du  Souverain-Pontife  ;  mais  nous  ignorons  ce 
que  fit  le  Saint-Siège  pour  s'opposer  aux  entreprises  de  l'Archevêque 
de  Lyon  ;  nous  croyons  même  qu'il  garda  le  silence  (2).  Malgré  son 


romaine,  implantée  à  Lyon,  comme  dans  le  reste  des  Gaules,  au 
temps  de  Charlemagae.  Ce  ne  sont  point  des  rites  propres  de  la  litur- 
gie aaiérieure  de  Lyon.  MM.  les  curés  pourraient  s'en  convaincre  s'ils 
vvulaicQl  lire  le  travail  si  distingué  de  M.  l'abbé  de  Conny,  ou  même  la 
^érie  d'articles  publiés  dans  notre  Revue  sur  cette  matière.  C'est  au 
manque  d'utude  sur  ce  point  qu'il  faut  sans  doute  aSlribuer  cette  afflr- 
malien  si  naïvement  confian'.e  :  «  Quelques-uns  (de  ces  rites)  re- 
montent certainement  jusqu'au  glorieux  Patron  de  notre  bien-airaé 
diocèse,  et,  par  lui,  jusqu'à  saint  Polycarpe  et  à  sainl  Jean  l'Evangé- 
liste. »  Q!ie  MM.  les  curés  veuillent  entreprendre  de  justifler  ce 
certainement  pour  un  seul  de  ces  rites,  et  leur  illusion  sera  bientôt 
dissipée. 

Rien,  au  reste,  n'empêcherait  le  clergé  lyonnais  d'exposer  au  Saint- 
Siège  son  désir  de  conserver  ces  quelques  cérémonies  Ce  point  est 
secondaire  et  pourrait  peut-être  devenir  l'objet  d'un  induit.  Mais, 
quant  au  bréviaire  et  au  missel  Montazet,  même  corrigés  en  18^/i,  le 
Souverain-Ponlife  ayant  déclaré  l'obligalion  de  les  abandonner  {oyn- 
nino  îmmuianda),  il  est  regrettable  d'entendre  des  prêlres  catholiques 
protester  en  public  qu'ils  y  tiennent  profondément. 

(1)  La  preuve  que  vous  avez  fait  descendre  votre  liturgie  actuelle 
du  cœur  de  saint  Jean  V Évangéliste,  c'est  que  vous  l'avez  affirmé 
dans  un  certain  passage  de  votre  lettre,  comme  vous  en  faites  l'aveu 
dans  voire  brochure,  page  -10  Là,  vous  dilts  :  «  Son  Émineni^e  a  cri- 
tiqué certain  passage,  de  noire  lettre  qui  faisait  descendre  notre 
liturgie  du  cœur  de  saint  Jean  rÉvangéliste.  »  Évidemment  vous  par- 
liez, dans  ce  passage,  de  ro^re  liturgie  actuelle,  et  non  d'une  liturgie 
disparue,  puisque  vous  donniez  cette  raison  comme  motif  de  conser- 
ver la  liturgie  que  vous  avez  présentement.  I!  est  des  lapsw;  qu'on 
aggrave  en  cherchant  à  les  pallier. 

(2)  MM.  les  curés  de  Lyon  doivent  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  ces 
heureux  temps  où  les  questions  de  liturgie,  et  autres  de  même  na 


Oct.  iàù3.]  A  LYON.  o"7 

omnipotence  et  son  amour  pour  la  nouveauté,  Mgr  de  Monlazet 
toutefois  n'a  pas  touché  à  nos  rites  et  à  nos  cérémonies  ;  c'est  lui-même 
qui  nous  dit  en  tête  de  son  Missel  :  «  A  rilibus  et  cxremoniis  mamim 
«  abstiniàtmis.  » 

Heureux  donc  de  posséder  encore  des  restes  abondants  et  précieux 
de  nos  vieilles  traditions  échappées  au  naufrage,  a  Copiosam  non  mi- 
nus ac  seleclum  suppellectilem,  »  heureux  surtout  de  l'union  qui 
régne  dans  le  clergé  du  diocèse  et  des  avantages  qui  résultent  pour  les 
fidèles  des  rites  et  des  cérémonies  qui  leur  sont  q^ers  comme  à  nous, 
avions-nous  donc  si  grand  tort,  nous,  plus  môles  que  vous  et  votre 
correspondant  aux  choses  pratiques  de  la  religion,  plus  rapprochés  des 
peuples,  en  contact  immédiat  avec  les  administrations  temporelles  des 
paroisses,  avions-nous  donc  si  grand  tort  d'exprimer  nos  vœux  à  notre 
Père  et  Pasteur  vénéré,  de  lui  exposer  quelques-uns  des  graves  incon- 
vénients qu'aurait  pour  nous  et  pour  les  fidèles  un  changement  radical 
de  liturgie  ? 

Ce  n'est  pas  tout,  M.  le  Rédacteur,  vous  blâmez  encore,  comme 
contraire  au  droit  ecclésiastique,  les  réunions  des  curés  de  notre  ville. 

Votre  correspondant  vous  a  bien  mal  renseigné  :  il  pouvait  pourtant 
vous  apprendre  que  Mgr  de  Donald  et  son  prédécesseur  dans 
l'administration  du  diocèse  ont  autorisé  ces  réunions  (1)  ;  qu'ils  les 
ont  fait,  tous  deux,  présider  assez  souvent  par  un  de  leurs  vicaires 


ture,  élaient  décidées  en  dernier  ressort  par  le  Parlement  de  Paris  et 
par  le  Conseil  du  Roi,  où  le  Saint-Siège  était  forcé  de  dissimuler  et 
de  se  taire,  pour  ne  pas  voir  ses  réclamations  et  ses  brefs  rcjelés  et 
publiquement  blâmés,  non-s2u!enjenl  par  les  gens  du  Roi,  mais  même 
par  les  assemblées  générales  du  clergé  de  France. 

(1)  Ni  Mgr  de  Bunald,  ni  son  prédécesseur  n'ont  jamais  pu  ni  voulu 
autoriser,  pour  un  pareil  but,  les  délibérations  en  corps  de  MM.  les 
curés  de  Lyon.  La  circulaire  de  MM.  les  curés  a  eu  pour  objet  d'em- 
pêcher l'exéculion  des  me-ures  arrêtées  et  prescrites  par  le  Saint- 
Siège  el  par  l'Archevêque.  Elle  s'adressait  aux  Chanoines  et  aux  Sul- 
piciens,  el  les  exhortait  à  faire  leurs  efforts  dans  ce  sens.  Elleatlri- 
buail  même  au  Chapitre  le  droil  d'interjeter  une  décision  contraire.  De 
pareils  actes  collectifs  de  MM.  les  curés  n'ont  pu  être  autorisés  par 
personne.  Us  ne  sont  pas  une  humble,  une  simple  prière,  comme 
MM.  les  curés  voudraient  le  persuader.  Quand  on  est  humble  el  qu'on 
veut  se  borner  à  prier  l'autorité,  on  ne  s'adresse  pas  aux  subordon- 
nés pour  les  soulever  contre  elle. 


37S  LA    QUEbTIOX   LITURGIQUE  [Tome  VIIl. 

généraux  ;  qu'ils  ont  sanctionné  les  mesures  générales  adoptées  par 
l'assemblée  des  curés  pour  le  bien  de  leurs  paroisses.  Votre  corres- 
pondant aurait  pu  vous  dire  encore  que,  dans  une  de  ces  réunions, 
dont  le  souvenir  nous  est  précieux,  nous  avons  discuté  sur  les  moyens 
à  prendre  pour  défendre,  dans  notre  religieuse  cité,  les  intérêts  de 
l'Eglise  et  du  Saint-Siège,  et  pour  venir  en  aide  au  Père  commun  des 
fidèles  aux  jours  de  ses  tribulations. 

Terminons,  M.  le  Rédacteur.  S'il  nous  était  permis  de  le  dire, 
en  imitant  vos  hardiesses  (1),  la  suprême  autorité  du  Chef  de  l'Eglise 
ne  pourrait-elle  pas  trouver  le  moyen  de  concilier,  avec  notre  attache- 
ment pour  nos  anciens  rites,  avec  les  intérêts  du  bien  qui  s'opère  parmi 
nous  et  des  âmes  qui  nous  sont  confiées,  ses  droits  sacrés,  que  nous 
vénérons,  que  nous  aimons  du  plus  intime  de  nos  cœurs  ? 

Car,  M.  le  Rédacteur,  pour  tout  résumer  en  deux  mots,  nous 
nous  glorifions  d'être  les  enfants  de  saint  irénée,  dont  les  leçons  éner- 
giques nous  ont  invariablement  attachés  à  la  sainte  Église  romaine, 
tout  en  nous  inspirant  un  attachement  profond  pour  nos  anciens  rites, 
dont  quelques-uns  remontent  certainement  jusqu'au  glorieux  Patron  de 


(I)  Nos  hardiesses  ronsislenl  à  nous  soumettre  aux  décisions  du 
Î5aiut-Siége  et  à  dire,  conform.émenl  à  la  déclaration  expresse  de 
Pie  IX,  Breviarium  et  MUsale  Lugdunence  a  légitima  anctoritatc  mi- 
nime prodire,  ac  proinde  omnino  immvtanda.  Vos  hardiesse"^,  à  vous, 
cofisislenl  a  proclamer  la  conlradictoire;  vos  circulaires  et  voire  bro- 
chure peuvent  se  résumer  dans  celle  conclusion  :  Noire  bréviaire  et 
noire  misse!  actuels  sont  légiliines,  el  c'est  une  aberraijon  de  vouloir 
/es  changer.  Vous  demandez  si  le  Pape  ne  "pourrait  pas  autoriser 
votre  lilurgie  actuelle?  La  question  n'est  pas  de  savoir  s'il  le  pourrait, 
mais  s'il  le  veut  el  le  juge  utile.  Il  vous  a  répondu  négativement. 
Non  seulement  il  vous  dit  que  votre  lilurgie  est  illégitime,  mais  il 
ajoute  que  vous  êtes  tenus  d'en  changer,  ce  qui  veul  dire  apparem- 
ment qu'il  ne  juge  pas  opportun  de  la  légiliiner.  Après  une  telle  dé- 
cision, oflîciellemenl  attestée  par  le  cardinal  Palrizi  el  bien  connue 
de  vous,  votre  brochure  s'harmonise  peu  avec  les  prolesialions  de 
respect  el  d'obéissance.  Le  droil  de  se  soustraire  aux  pnscriplions 
du  Sainl-Siége  ne  saurait  s'acheter  par  aucune  espèce  de  dévouement. 
Et  nous  ne  vous  félicitons  pas  d'avoir  menlionné,  dans  cette  cir- 
constance,votre  zèle,  si  louable  d'ailleurs,  pour  l'œuvre  du  denier  de 
Saint-Pierre. 


Oct.  ISG3  ]  -  A    LVON.  370 

notre  bien-airaé  diocèse,  et,  par  lui,  jusqu'à  saint  Polycarpe  et  à  saint 
Jean  l'Évangéliste  (i). 

Nous  espérons.  Monsieur,  que  vous  voudrez  bien  donner  place  à 
notre  lettre  dans  les  colonnes  de  votre  journal,  et  nous  croire 
Vos  trés-humbles  serviteurs. 

Chaumont,  Yaladier, 

Cxt,rè  de  Saint-Polycarpe.  Curé  de  Saint-lrênée . 

Lyou,  le  17  mai  1863. 

§  ni. 

Observations  sur  deux  faits  graves  affirmés  par  MM.   les  curés  de  Lyon. 

Ils  affirnaent  en  premier  lieu,  que  la  presque  totalité  des 
prêtres  de  leur  diocèse  partage  leurs  sentiments.  Ils  affirment, 
en  outre,  qu'ils  y  sont  encouragés  et  fortifiés  par  les  prélats 
français  qui  faisaient  autrefois  partie  du  clergé  de  Lyon.  Nous 
citons  :  «  Vous  avez  d'ailleurs  à  faire  à  des  têtes  afifermies  de 
longue  date  dans  leur  opinion...  Et  puis,  vous  lesavez,  ce  n'est 
pas  seulement  à  Lyon  qu'on  a  ces  idées,  c'est  dans  tout  le 
diocèse.  A  part  quelques  exceptions  imperceptibles,  tous  les 
prêtres  qui  ont  entre  leurs  mains  notre  bréviaire,  désirent  le 
conserver. 

«  Ils  sont  fortifiés  dans  ce  désir,  et  par  les  illustres  prélats 
que  notre  diocèse  a  donnés  à  la  France  et  par  les  prêtres  des 
diocèses  étrangers...  »  {Quelques  mots,  etc.,  p.  21  et  22.) 

«  Marchant  avec  les  quatre  cinquièmes  de  notre  respectable 
chapitre  et  a\ec  l'universalité  morale  du  clergé  diocésain,  forti~ 
fiés  même  dans  nos  pensées  par  les  illustres  évêques  que  notre 

(t)  MM.  les  curés  do  Lyon  tiennent  fori,  comme  on  voit,  à  faire 
descendre  leur  liturgie  du  cœur  de  saint  Jean  l'Evangéliste.  La  glo- 
rieuse généalogie  forme  la  conclusion  de  leurlellre-  C'est  le  bouquet. 
Ici,  toutefois,  ils  bornent  la  prétention  à  quelques-uns  de  leurs  nies, 
mais  ils  la  fortifient  d'un  éoergiqne  cerlainemenl.  Ils  nous  avertissent 
qu'ils  n'ont  pas  voulu  entrer  dans  le  fond  de  la  question.  Quand  ils  y 
seront  entrés,  et  auront  bien  voulu  essayer  de  répondre  k  notre  série 
d'articles  sur  la  Liturgie  de  Lyon  au  point  de  vue  de  Chistoire  et  du 
droit,  nous  ne  douions  pas  qu'ils  ne  renoncent  eulièremenl  à  la 
glorieuse  descendance. 


380  LA  QUESTION   LITURGIQUE  A  LYON.  ITomcVlII. 

diocèse  a  fournis  à  la  France,  nous  ne  devons  pas  être  épou- 
vantés par...  »  {Ib.,  p.  17.) 

Plus  loin  ils  affirment  que  Son  Éminence  le  cardinal  de 
Bonald  a  prononcé /j/MSîewrs  fois  ces  paroles  :  «  Sur  cent  prêtres 
de  mon  diocèse,  il  n'y  en  a  pas  un  qui  veuille  la  liturgie  ro- 
maine. »  {Ib.,  p.  35.) 

I.  Nous  avouons  que  les  encouragements  donnés  à  MM.  les 
curés  par  les  prélats  sortis  du  clergé  de  Lyon  seraient  un  fait 
très-grave.  La  proposition  est  universelle,  les  illustres  évêques 
que  notice  diocèse  a  fournis.  Elle  atteint  tous  ces  prélats  sans 
exception.  Si  les  égards  dus  aux  respectables  curés  de  Lyon 
ne  nous  permettent  pas  d'en  contester  Texactitude,  d'autres 
égards,  on  le  conçoit,  nous  commandent  ici  une  réserve  sévère. 
Nous  regrettons  que  MM.  les  curés  n'aient  pas  accompagné  de 
preuves  une  allégation  de  cette  nature.  Ainsi  énoncée,  elle  ne 
peut  évidemment  avoir  aucune  portée  dans  la  discussion. 

H.  Le  fait  de  la  presque  unanimité  du  clergé  lyonnais  dans 
le  sens  de  MM.  les  curés,  est  aussi  fort  digne  d'attention.  Nous 
nous  disons  :  Quel  a  dû  être  l'enseignement  traditionnel  dans 
les  écoles  cléricales  de  ce  diocèse,  pour  aboutir  à  un  pareil 
résultat  !  Peut-être  que  la  portion  du  clergé  qui  accepte  avec 
soumission,  respect  etamour,  la  décision  de  Pie  IX  (breviarium 
et  missale  Lugdunense  a  légitima  auctoritate  minime  prodire, 
ac  proinde  omnino  immutanda),  cette  portion  que  le  cardinal 
Patrizi  appelle  spectabilem  et  multis  nominibus  commendabilem, 
sera  étonnée  de  se  voir  si  imperceptible  dans  les  affirmations 
de  MM.  les  curés.  Mais  quelle  que  soit  son  importance  numé- 
rique, elle  ne  doit  pas  moins,  selon  nous,  se  féliciter  de  son 
inviolable  attachement  à  la  doctrine  et  à  l'autorité  du  Vicaire 
de  Jésus-Christ,  de  cette  pierre  sur  laquelle  a  été  bâtie  l'Église, 
que  nuls  efforts  n'ébranleront  jamais,  et  à  laquelle  quiconque 
se  heurte,  ne  peut  manquer  de  se  briser. 

D.  Bouix. 


ÉTUDES   SUR  LA  PREDICATION. 


I. 


Nous  nous  proposons  de  publier  une  suite  d'articles  sur  la 
prédication.  Les  Revues  ecclésiastiques  ne  doivent  pas  se 
borner  à  présenter  des  théories  et  des  spéculations;  elles 
rendent  un  véritable  service  au  clergé  en  descendant  dans 
la  pratique,  en  s'adressant  au  grand  nombre  des  prêtres, 
à  ceux  qui,  à  raison  de  l'exercice  du  saint  ministère,  se  trou- 
vent plus  immédiatement  eu  rapport  avec  les  populations. 

Quoique  nous  soyons  à  une  époque  où  la  foi  est  amoindrie, 
l'action  du  sacer  Joce  n'est  pas  méconnue  ;  mais,  il  faut  l'a- 
vouer, trop  souvent  elle  est  appréciée  par  son  côté  humain, 
bien  plus  que  par  son  caractère  surnaturel.  Ceux  mêmes  qui 
ne  voient  pas  dans  le  prêtre  le  représentant  de  Dieu,  l'es- 
timent et  l'affectionnent  s'il  est  éclairé,  s'il  a  une  certaine 
mesure  d'instruction  et  de  science. 

La  science  qui  concilie  au  clergé  la  faveur  la  plus  marquée, 
la  plus  étendue,  est  incontestablement  la  science  de  la  prédi- 
cation. A  tous  les  degrés,  dans  toutes  les  positions,  même  les 
plus  humbles,  le  prêtre  qui  prêche  bien  est  considéré  et  res- 
pecté. On  lui  pardonne  facilement  d'êti-e  étranger  aux  sciences 
du  monde  ;  on  ne  demande  pas  même  à  celui  qui  exerce  la 
charge  pastorale  d'être  un  grand  théologien  ou  un  savant  ca- 
noniste  ;  mais  on  veut  qu'il  porte  dignement  la  parole.  Il  n'est 
pas  de  paroisse  si  modeste  où  l'on  ne  rencontre  quelques 


382  ÉTUDES  SUR  LA   PRÉDICATION.  ITomeVIlL 

hornmes  d'un  esprit  cultivé,  et  ces  hommes  ne  sont  pas  tou- 
jours les^  plus  religieux.  Si  un  pasteur,  de  temps  à  autre,  à 
l'occasion  d'une  solennité,  prononce  un  discours  qui,  sans 
être  au-dessus  de  la  portée  des  simples  tidéles,  ait  quelque 
valeur  littéraire  et  révèle  des  études  sérieuses,  un  tel  pasteur 
est  assuré  d'avoir  une  véritable  autorité  et  d'exercer  une  salu- 
taire influence,  même  sur  ceux  qui  sont  le  moins  Lien  dispo- 
sés. 

Ou  a  publié  dans  ces  derniers  temps  des  traités  sur  la  pré- 
dication. Ces  ouvrages  ont  produit  et  pro<îuisent  encore  un 
bien  réel.  Mais,  tout  utiles  qu'ils  sont,  ils  n'ont  pas,  ils  ne 
pouvaient  avoir,  dans  certaines  parties  essentielles,  les  déve- 
loppements sufiBsaniS.  Nous  voudrions,  dans  notre  travail, 
suppléer  à  ce  qui  nous  a  paru  manquer  à  ces  traités  nécessai- 
rement élémentaires. 

Ces  considérations,  que  nous  soumettons  à  l'appréciation 
des  lecteurs  de  la  Revue  des  Sciences  ecclésiastiques  n'étaient 
pas  destinées  à  la  publicité.  Développées  au  sein  d'une  so- 
ciété d'amis  désireux  de  relever  le  niveau  des  études,  ces  con- 
sidérations ont  paru  propres  à  faire  quelque  bien.  C'est  cette 
pensée,  et  cette  pensée  toute  seule,  qui  nous  a  déterminé  à 
les  livrer  à  l'impression;  elle  nous  autorise  à  réclamer  l'in- 
dulgence du  lecteur  pour  une  œuvre  qui  ne  peut  avoir  d'autre 
mérite  que  celui  d'être  inspirée  par  uae  kwigue  expérience  du 
ministère  pastoral. 

Quelques  réflexions  sur  les  vrais  caractères  de  la  prédication 
évaugélique  serviront  d'introduction   à  notre   travail. 

Pour  produire  un  bon  efiet,  les  discours,  même  les  plus 
solennels,  doivent  avoir  la  clarté,  la  simplicité,  la  variété, 
l'abondance.  11  est  surtout  essentiel  que  le  prédicateur  parle 
avec  autorité  et  qu'il  se  propose  un  but  pratique. 

Tout  discours  public  où  les  idées,  passant  rapidement  dans 
Fesprit  de  l'auditeur,  échappent  pour  ainsi  dire  à  la  réflexion 
et  à  l'étude,  doit  être  facile  à  saisir.  11  faut  donc  (et  ceci  est 


Oct.  1SG3.I  ÉTUDES   SIR   lA    PRÉDICATION.  381 

surtout  nécessaire  pour  l'auditoire  chrétien,  qui  se  compose 
en  majeure  partie  de  personnes  d'une  intelligence  peu  exercée,) 
il  faut  donc  que  l'expression  soit  toujours  nette  et  précise, 
sans  la  moindre  obscurité,  sans  le  moindre  nuage;  qu'elle  se 
rapproche  autant  que  possible  des  locutions  vulgaires;  qu'elle 
évite  les  néologismes,  le?  termes  scientifiques,  les  mots  tech- 
niques. Les  hommes  les  plus  éclairés,  ceux  qui  ont  fait  de 
solides  et  profondes  études,  ne  sont  pas  toujours  de  bons  pré- 
dicateurs; ils  parlent  souvent  sans  être  compris  ;  on  voit  faci- 
lement que  le  travail  du  cabinet  les  a  tenus  éloignés  des  masses 
dont  ils  ne  connaissent  ni  la  portée,  ni  les  habitudes,  ni  le 
langage. 

La  simplicité  n'est  pas  moins  nécessaire  que  la  clarté,  outre 
que  «la  véritable  éloquence,  dit  Fénelon  (1),  n'a  rien  d'enflé 
et  d'ambitieux,  qu'elle  se  modère  et  se  proportionne  aux  gens 
qu'elle  instruit.  »  Le  prédicateur  qui  ferait  le  bel  esprit  et 
remplirait  son  discours  de  fleurs  et  d'ornements  ne  ferait  aucun 
bien.  Quelles  que  pussent  être  en  réalité  ses  intentions,  11 
s'exposerait  à  l'accusation  de  se  prêcher  lui-même,  de  chercher 
à  plaire,  et  à  se  faire  une  belle  réputation,  au  lieu  de  chercher 
à  instruire  et  à  édifier.  En  surchargeant  sa  composition  de 
traits  brillants,  d'un  jeu  perpétuel  de  phrases  et  d'antithèses, 
en  visant  sans  cesse  à  produire  de  grands  efîets,  «  on  est  ap- 
te plaudi,  dit  encore  Fénelon  (2),  par  des  femmes,  et  par  le 
«  gros  du  monde  qui  se  laisse  facilement  éblouir  ;  mais  cela 
«  ne  va  jamais  qu'à  une  certaiue  vogue  capricieuse,  qui  a 
«  besoin  d'être  soutenue  par  quoique  cabale.  Les  gens  qui 
«  savent  les  règles  et  qui  connaissent  le  but  de  l'éloquence, 
«  n'ont  que  du  mépris  pour  ces  discours  en  l'air  ;  ils  s'y  en- 
«  nuient  beaucoup.  »  Il  nous  est  bien  permis  d'ajouter  qu'ici 


(1)  Dialogues  sur  réloquence^  I.  xxi,  p.  79,  édition  de  L^be), 

(2)  Ibid.,  p.  39. 


38i  ÉTUDES  SUR   LA   PRÉDICATION.  [  Tome  VIIU 

s'applique  le  mol  de  saint  Paul  :  Non  in  persuabilibus  kumanse 
sapientis&lverbis  (1). 

La  monotonie  paralj^se  Feffet  d'une  instruction.  Sans  la 
variété  du  tour  et  de  Texpression,  on  ne  commandera  jamais 
l'intérêt,  on  n'éveillera  pas,  on  ne  soutiendra  pas  l'attention. 
Un  prédicateur  n'est  pas  un  docteur  qui  fait  un  cours  de 
faculté,  un  écrivain  qui  compose  un  livre;  il  doit  s'identifier 
avec  son  auditoire,  entrer  en  scène  avec  lui,  l'interroger,  l'in- 
terpeller, l'accuser,  le  confondre,  l'exhorter,  le  presser,  le 
consoler,  l'encourager.  S'il  se  contente  d'exposer  la  doctrine, 
de  bien  conduire  son  raisonnement,  de  bien  suivre  et  de  bien 
exprimer  sa  [pensée,  il  pourra  jouir  de  la  réputation  d'un 
homme  de  savoir  et  de  talent;  il  sera,  si  l'on  veut,  un  profes- 
seur habile,  un  académicien  disert,  un  savant  ^consommé,  il 
ne  sera  jamais  un  vrai  ministre  de  la  parole  sainte. 

Quand  on  ne  dit  tout  juste  que  ce  qu'il  faut  pour  revêtir 
ses  pensées,  ses  sentiments,  d'une  forme  sensible,  d'ordinaire 
on  ne  les  grave  pas  dans  les  esprits  et  dans  les  cœurs.  Sans 
doute,  il  faut  éviter  les  répétitions  et  les  redites;  mais  graduer, 
enchainer  ses  motifs  et  ses  preuves,  les  fortifier  par  des  dé- 
veloppements successifs,  les  produire  sous  un  nouveau  jour, 
sous  des  aspects  divers,  les  présenter  avec  des  images  toujours 
plus  vives,  plus  animées,  plus  frappantes,  ce  n'est  pas  se  ré- 
péter, c'est  tout  simplement  connaître  les  hommes  et  les 
traiter  selon  l'exigence  de  leur  nature.  Lorsqu'on  ne  cherche 
qu'à  être  clair,  vigoureux  et  précis,  ou  devient  sec  et  aride  ; 
avec  une  abondance  tempérée  par  la  discrétion,  la  sagesse  et 
le  goût,  ou  intéresse  et  on  entraîne. 

Les  conférences  sur  la  Religion  ont  rendu  à  notre  époque 
les  services  les  plus  signalés  ;  les  auteurs  de  ces  magnifiques 
apologies  se  sont  élevés  à  une  grande  hauteur;  ils  ont  incon- 
testablement le  premier  rang  parmi  nos  orateurs   chrétiens. 

(i)  ICor.  n,  4. 


Oct.  18(  3.1  ÉTUDES   SLR   LA   PilÉDICATION.  385 

Mais  ce  genre  d'instruction  est  un  genre  à  part,  qui  n'est  rien 
moins  que  la  prédication  catholique  :  il  demande  une  assem- 
blée exceptionnelle.  Telle  était,  au  reste,  la  pensée  des  Frays- 
siuous,  des  Ravignan,  des  Lacordaire.  Les  discours  philoso- 
phiques ne  conviennent  qu'à  des  auditeurs  choisis.  Dans  nos 
stations  d'Avent  et  de  Carême,  à  plus  forte  raison  dans  les 
prédications  pastorales,  outre  rinconvénient  de  s'adresser  à 
des  absents,  ils  fatiguent  les  masses  généralement  croyantes; 
en  voulant  trop  prouver,  ils  scandalisent  les  simples,  ils  font 
naitre  des  doutes  dans  l'esprit  des  vrais  fidèles.  D'ailleurs,  la 
véritable  manière  de  prouver  la  religion  est  de  la  bien  expo- 
ser ;  elle  se  prouve  elle-même,  quand  on  en  donne  la  vraie 
idée.  Pour  le  dogme,  les  faits  historiques,  l'exposition  simple 
de  la  doctrine  sur  TÉglise  en  disent  plus  que  tous  les  raison- 
nements. La  morale  chrétienne  ne  demande  qu'à  être  présen- 
tée pour  frapper  d'admiration  les  incrédules  eux-mêmes  qu'il 
conviendrait  de  ne  pas  attaquer  directement,  de  ne  pas  nom- 
mer. Lorsqu'on  les  désigne,  qu'on  affiche  la  prétention  de 
les  combattre,  de  les  confondre,  ils  se  cabrent,  ils  s'irritent. 
S'il  n'ont  ni  prévention,  ni  défiance,  il  arrive  qu'ils  se  laissent 
persuader  et  entraîner  par  la  beauté  de  la  morale  évaugélique, 
par  la  charité  du  prédicateur. 

La  chaire  chrétienne  n'est  pas  une  chaire  Je  philosophie  ou 
de  théologie;  le  prédicateur  n'est  pas  un  professeur.  Le 
grand  caractère  de  son  enseignement,  c'est  l'autorité.  11  parle 
au  nom  du  Dieu  de  vérité,  au  nom  de  l'Eghse  infaillible  ;  il 
a  le  droit  d'être  cru  sur  parole.  Et  en  réalité,  qu'arrive-t-il  ? 
Ambassadeur  de  Jésus-Christ,  les  fidèles  le  reçoivent  et  l'écou- 
tant, comme  ils  recevraient  et  écouteraient  Celui  qui  l'envoie 
et  qu'il  représente. 

Nous  n'oserions  dire  que,  de  temps  à  autre,  il  ne  soit  pas 
utile  de  donner  quelque  discours  philosophique  ou  apologé- 
tiques ;  mais  on  n'acceptera  ces  discours  qu'autant  qu'ils  ne  se- 
ront ni  trop  relevés  ni  trop  profonds.  Il  est  surtout  important 


385  ÉTUDES   SUR    LA   PRÉDICATION.  [Terne  Vlir. 

d'y  ramener  quelque  réflexions  propres  à  intéresser  les  bons 
chrétiens  qui  sont  toujours  en  majorité  dans  nos  églises. 

Malheureusement  beaucoup  de  prédicateurs  négligent  1 
pratique  ;  ils  se  perdent  dans  des  considérations  générales  et 
vagues,  qui  ue  mènent  à  rien.  Leurs  sermons  ne  peuvent, 
quant  au  fond,  captiver  les  auditeurs  ;  la  forme  en  est  inacces- 
sible au  plus  grand  nombre,  même  dans  les  villes  d'une  cer- 
taine importance.  Nous  ne  dirons  pas  avec  l'illustre  Arche- 
vêque de  Cambrai  {i)  que  les  meilleurs  prédicateurs  seraient 
les  pasteurs  qui  connaissent  mieux  les  besoins  de  leur  trou- 
peau, et  qui  savent  mieux  approprier  leur  langage  à  l'intelli- 
gence des  masses,  mais  nous  n'hésitons  pas  à  affirmer  qu'on 
ne  remplira  pas  dignement  le  ministère  de  la  parole  sainte, 
si  on  ne  s'applique  à  être  utile  et  populaire. 

Il  est  des  discours  qui  sont  purement  humains,  et  qu'on 
pourrait  très-bien  prononcer  dans  iiue  académie.  L'Ecriture 
sainte  n'y  est  citée  que  par  bienséance,  tandis  qu'elle  devrait 
en  faire  le  fond.  On  dirait  que  ceux  qui  composent  ces  dis- 
cours sont  étrangers  aux  sciences  ecclésiastiques,  et  qu'ils 
n'ont  jamais  puisé  aux  sources  de  la  saine  doctrine.  Ils  n'ont 
pas  étudié,  ou  n'ont  étudié  qu'imparfaitement  les  saintes  Let- 
tres, la  tradition,  la  théologie,  les  règles  de  la  vie  et  de  la 
piété  chrétiennes. 

«  J'ai  remarqué  en  bien  des  occasions,  dit  Fénelon  (1),  que 
«  ce  quimanque  le  plus  à  certains  orateurs,  qui  ont  d'ailleurs 
«  beaucoup  de  talents,  c'est  le  fond  de  science.  Leur  esprit 
«  paraît  vide  ;  on  voit  qu'ils  ont  bien  de  la  peine  à  trouver  de 
«  quoi  remplir  leurs  discours.  Ce  sont...  des  gens  qui  vivent 
«  au  jour  le  jour  sans  nulle  provision...  Ils  ne  songent  à  une 
«  matière  qu'au  moment  où  ils  sont  engagés  à  la  traiter... 
«  Quand  on  ne  s'applique  qu'à  des  actions  détachées,  on  est 


H)  Dialogues  sur  l'éloquence,  t.  xxi,  p.  99. 
(2)  Ibid.,  p.  38  el  39. 


Oct.  1863.1  ÉTUDES   SUR   LA   PRÉDICATION.  387 

«  réduit  à  payer  de  phrases  et  d'antithèses,  on  ne  traite  que 
a  des  heux  communs,  on  ne  dit  rien  que  de  vague  ;  on  coud 
«  des  lambeaux  qui  ne  sont  pas  faits  les  uns  pour  les  auties, 
0  on  ne  montre  pas  le  vrai  principe  des  choses,  on  se  borne 
a  à  des  raisons  superficielles  et  souvent  fausses,  on  n'est  pas 
«  capable  de  montrer  l'étendue  des  vérités,  parce  que  toutes 
<j  les  vérités  générales  ont  un  enchaînement  nécessaire,  et 
«  qu'il  les  faut  connaître  prescpie  toutes  pour  en  traiter  soli- 
«  dément  une  en  particulier.  » 

Pour  être  un  bon  prédicateur  «  il  faut,  aj(nite  Fénelou, 
«  avoir  passé  plusieurs  années  à  faire  ua  fond  abondant.  » 

Puissions-nous  en  publiant  les  articles  que  nous  avons  an- 
noncés venir  en  aide  au  jeune  clergé  !  Quand  on  aura  pris 
connaissance  de  l'ensemble  de  notre  travail,  on  verra  quelle 
peut  être  la  valeur  des  réflexions  préliminaires  qui  font  le 
sujet  de  ce  premier  article. 

Nous  traiterons  successivement  de  TEcritur;  sainte,  des 
Pères,  des  grands  maîtres  de  la  chaire.  Les  études  que  nous 
indiquons  doivent  évidemment  entrer  dans  la  préparation  gé- 
nérale, indispensable  à  ceux  (jui  sont  chargés  du  ministère 
de  la  parole. 

Nous  pensons  que  les  prêtres,  même  les  plus  occupés  aux 
fonctions  extérieures,  peuvent  se  ménager  le  loisir  de  puiser, 
au  moins  dans  une  certaine  mesure,  à  ces  mines  si  riches  et 
si  fécondes. 

Au  moyen  d'un  travail  plein  de  charme,  plusieurs,  en  plus 
grand  nombre  qu'on  ne  pense,  trouveront  le  secret  de  de- 
venir d'excellents  prédicateurs  :  tous  apprendront  à  parler  au 
peuple  chrétien  d'une  manière  digne,  intéressante  et  fruc- 
tueuse. 

ÔARCIET, 

Chanoine-archiprêlre  d'Audi. 


GORRESPOKDANGE 


Monsieur  le  Directeur, 

11  paraît  que  le  20  mars  d862  vous  avez  inséré  dans  votre  Revue 
des  Sciences  ecclésiastiques  une  critique  de  l'ouvrage  :  Les  archives  de 
la  S.  Congrégation  des  indulgences  ouvertes  annuellement  aux  ecclé- 
siastiques, année  1862,  laquelle  était  signée  :  L'abbé  Le  Roy.  J'avoue 
n'avoir  pas  lu  cet  article  dans  votre  publication  périodique  que  je  n'ai 
pas  l'avantage  de  connaître  ;  mais  dernièrement,  un  prêtre  ayant  bien 
voulu  m'en  avertir,  j'ai  pu  en  lire  la  copie  qu'il  m'a  transmise  et  que 
j'ai  lieu  de  croire  fidèle. 

Évidemment  la  forme,  le  fond  et  le  but  de  cette  critique  sont  mal- 
veillants (2). 

(1)  Cette  lettre,  d'une  date  un  peu  ancienne,  n'a  pas  été  publiée  jusqu'à  pré- 
sent, parce  que  la  rédaction  primitive  excédait  ouvertement  le  droit  de  défense. 
M.  Cloquet  ayant  retiré  lui-même  plusieurs  expressions,  et  nous  ayant  permis 
de  faire,  en  les  lui  soumettant,  les  autres  modifications  que  nous  jugerions  con- 
venables, nous  imprimons  immédiatement  cette  pièce,  sans  même  user  de  la  fa- 
culté que  l'auteur  nous  concède.  Les  lecteurs  apprécieront.  M.  l'abbé  Le  Roy, 
à  qui  nous  avons  donné  communication  de  la  lettre  de  Jl.  Cloquet,  s'est  con- 
tenté d'ajouter  au  bas  des  pages  quelques  courtes  observations  :  il  n'entend  en 
aucune  façon  prolonger  ce  débat  assez  futile,  qui  d'ailleurs  ne  profiterait  ni  au 
public,  qui  s'en  met  peu  en  peine,  ni  à  M.  Cloquet,  qui  ne  tient  aucun  compte 
même  des  justes  et  sévères  admonitions  qu'il  a  reçues  soit  de  Rome  soit  de 
M.  le  Vicaire  général  de  Bourges,  et  qui  sont  consignées  dans  les  feuilles  pu- 
bliques de  France  et  d'Italie.  [Note  de  la  rédaction.) 

(2)  Que  l'on  veuille  bien  prendre  la  peine  de  relire  ce  petit  article  de  six 
pages,  et  je  suis  convaincu  que  tout  le  moude,  sans  exception,  rendra 
pleine  justice  à  l'esprit  de  modération  qui  l'a  inspiré  et  à  la  parfaite  conve- 
nance de  la  forme.  Cela  est  si  vrai  que  M.  Cloquet  n'a  pu  y  relever,  comme  on 
le  verra,  une  seule  expression  blessante.  On  m'écrivit  de  Rome  (je  n'avais  con- 
sulté personne  en  cette  ville  pour  faire  mon  article),  dès  que  cet  article  parut, 
que  j'avais  péché  par  excès  de  eomplaisance  et  de  modération.  J'avais,  en  effet, 


OcL  4863.)  CORRESPONDANCE.  389 

Loin  de  suivre  M.  l'abbé  Le  Roy  dans  cette  voie,  je  me  propose  de 
prouver,  par  des  raisonnements  aussi  simples  que  solides,  combien  sont 
erronées  ses  assertions,  et  de  lui  dire  que,  s'il  avait  à  faire  à  l'auteur 
des  At'chives  quelques  observations  qu'il  crût  justes,  il  eiit  été  plus 
sage  et  plus  prudent  de  les  lui  écrire  directement,  à  l'exemple  des 
milliers  de  prêtres  qui,  dans  le  courant  du  dernier  semestre,  lui  ont 
adressé  leurs  adhésions  à  son  œuvre.  Il  lui  eût  évité  la  peine  de  le  ré- 
futer publiquement. 

M.  l'abbé  Le  Roy  commence  sa  critique  par  un  aveu  (i)  qu'il  est 
bon  de  recueillir  de  sa  bouche.  —  «  C'est  sans  doute,  dit-il,  dans  le 
«  dessein  de  favoriser  une  dévotion  non  moins  profitable  aux  morts 
«  qu'aux  vivants,  que  d'estimables  auteurs  font  paraître  de  si  nom- 
«  breux  traités  ou  recueils  d'indulgences.  Malheureusement,  ils  n'ont 
«  pas  toujours  l'exactitude  désirable,  nécessaire  même  en  pareille  ma- 
te tière  ;  ils  renferment  des  erreurs  fort  regrettables.  C'est  ce  qu'a 
«  solidement  démontré  un  prêtre  missionnaire  du  Berry,  M.  l'abbé 
a  Choquet.  Par  une  faveur  toute  spéciale  du  Saint-Père,  il  a  pu,  pen- 
«  dant  sept  mois,  compulser  les  archives  de  la  S.  Congrégation  des 
«  indulgences.  11  nous  est  ainsi  revenu  de  la  ville  éternelle  chargé 
«  d'un  riche  butin  recueilli  à  loisir  dans  un  trésor  que  personne  avant 
((  lui  n'avait  pu  ou  voulu  exploiter.  » 

M.  l'abbé  Le  Roy  avoue  donc  \°  que  les  ouvrages  autres  que  celui 
de  l'abbé  Choquet  renferment  des  erreurs  fort  regrettables  ; 

2°  Que  Tabbé  Choquet  l'a  solidement  démontré', 

3"  Que  l'abbé  Clioquet  a  compulsé  les  archives  pendant  sept  tnois, 
ce  que  n'a  pas  fait  M.  l'abbé  Le  Roy;  par  conséquent,  que  le  premier  a 
puisé  ses  enseignements  à  bonne  source  et  que  sur  le  contenu  des  docu- 
ments officiels  de  la  secrétairerie  des  indulgences  il  peut  en  savoir 
autant  qu'un  autre. 

4°  Peut-être  même  qu'il  en  doit  savoir  plus  que  qui  ce  soit,  s'il  est 


dès  lors  reçu  de  ceUe  ville  d'importants  et  authentiques  documents  qui  re- 
latent à  peu  près  tout  ce  qui  s'est  passé  enire  le  Saint-Père  et  M,  Choquet,  no- 
tamment sa  lettre  k  Pie  IX  de  l'année  dernière;  entre  le  cardinal  Asquini  et 
M.  Choquet  ;  entre  les  consulteurs  et  prétendus  apiirobateurs  et  M.  Choquet,  etc. 
Je  n'en  ferai  point  usage,  et  ces  notes,  que  j'abrège  le  plus  possible,  sont  et  se- 
ront ma  première  et  dernière  réponse  à  M.  l'abhé  Choquet.  {N.-C.  Le  Roy.) 

(1)  Ce  mot  d'aveu  est  très-mal  choisi.  Je  suis  heureux  de  reconnaître  le  bien 
partout  oii  il  se  trouve,  et  j'ai  rendu  pleine  justice  à  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  bon 
dans  l'cjuvre  de  M.  Choquet.  {N.-C.  L  ) 


390  CORRESPONDANCE.  [Tome  VIII. 

avéré,  comme  le  confesse  M.  l'abbé  Le  Roy,  que  personne  avant  lui 
(Choquet)  n'avait  pu  ou  voulu  exploiter  ce  trésor. 

5"  Enfin,  que  l'aiileiir  de  l'ouvrage  :  Les  Archives,  etc.,  possède 
chez  lui  les  copies  des  pièces  officielles,  puisque  M.  l'abbé  Le  Roy  publie 
que  l'abbé  Choquet  nous  est  revenu  de  la  ville  éternelle  chargé  d'un 
riche  butin,  7'ectieilli  à  loisir  dans  ce  trésor. 

N'oublions  pas  ces  cinq  aveux,  volontaires  ou  non,  et  qu'ils  soient 
comme  autant  de  flambeaux  à  la  lumière  desquels  nous  cherchions  la 
vérité  parmi  les  ténèbres  qu'a  créées  M.  Tabbé  Le  Roy  par  ses  asser- 
tions contradictoires  à  l'enseignement  des  Archives.  Qu'une  faute  typo- 
graphique échappe  à  l'imprimeur,  ou  qu'une  ou  deux  inadvertances 
dans  la  rédaction  du  calendrier  surtout  soit  commises,  en  cela  rien 
d'impossible,  etl'auteur  n'a  pas  besoin  d'une  forte  dose  d'humilité  pour 
ne  pas  se  croire  infaillible  et  encore  moins  son  imprimeur. 

Errare  Immanum  est.  Mais  il  est  des  choses  sur  lesquelles  il  ne  doit 
pas,  il  ne  peut  pas  se  tromper  :  ce  sont  les  pièces  officielles,  puisqu'il 
les  possède  et  les  a  puisées  à  bonne  source.  M.  l'abbé  Le  Roy  ne  peut 
affirmer  en  sa  faveur  le  même  avantage. 

Mais  avant  d'entrer  dans  l'examen  de  ces  assertions  erronées,  remar- 
quons que  M.  l'abbé  Le  Roy  n'a  pas  même  une  idée  nette  et  précise 
du  lieu  ou  de  la  secrétairerie  où  se  trouvent  les  documents  officiels^  ni 
de  la  manière  dont  quelques-uns  peuvent  émaner  de  l'autorité  supé- 
rieure. On  le  comprend  à  la  manière  dont  involontairement  il  dénature 
le  sens  d'assertions  vraies  qu'il  a  puisées  dans  l'ouvrage  :  Le$  Archi- 
ves, etc. 

«  M.  Choquet  déplore  avec  raison,  dit-il,  la  négligence,  l'oubli  ou 
«  peut-être  l'ignorance  de  plusieurs  personnes  qui,  après  avoir  obtenu 
a  du  Saint-Siège  des  indulgences  générales,  communes  à  tous  les  fi- 
«  déles,  n'ont  pas  le  soin  de  faire  remettre  au  Secrétariat  de  la  S.  Con- 
«  grégation  des  indulgences  le  dowWe  dw  Bref  ou  Rescrit  pontifical 
«  délivré  à  la  secrétairerie  des  Brefs.  » 

Sans  parler  du  mot  Secre'^ana/ (1),  qui  signifie  e?;i/;/oi,  fonction 
de  secrétaire,  tandis  qu'il  s'agit  de  la  Secrétairerie,  c'est-à-dire,  du 
lieu  où  se  trouvent  déposées  les  archives,  l'auteur  de  l'ouvrage  répond 
à  M.  Le  Roy  qu'il  n'a  pas  tenu  ce  langage  plein  de  confusion.  Nulle 
part  dans  l'ouvrage  les  Archives,  M.  l'abbé  Le  Roy  ne  lira  que  quel- 
qu'un soit  tenu  de  déposer  à  la  secrétairerie  de  la  S.  Congrégation  des 

(1)  Nos  lecteurs  n'ont  pas  besoin  d'être  édifiés  sur  cette  remarqne  de  puriste, 
d'ailleurs  si  parfiiitenient  inexacte.  (N.-C  L.) 


Oct.  ISGâ.]  CORRESPONDANCE.  39-1 

indulgences,  le  double  du  Bref  ou  Rescrit  pontifical  délivré  à  la  se- 
crélairer'ie  des  Brefs. 

M.  Le  Roy  apprendra  sans  doute  avec  profit  qu'il  existe  trois 
moyens,  trois  voies  ordinaires  par  lesquelles  on  peut  obtenir  des  con- 
cessions d'indulgences. 

Le  Saint-Père,  dans  une  audience  particulière,  peut  attacher  une 
indulgence  générale  à  une  pratique  ou  à  une  prière  que  lui  soumet 
une  personne. 

Le  plus  souvent  maintenant  les  indulgences  émanant  du  Souverain- 
Pontife  sont  promulguées  par  Bulle  ou  Bref  de  la  secrélairerie  des  Brefs 
ou  par  Décret  ou  Rescrit  de  la  secrélairerie  des  Indulgences. 

Or,  c'est  du  premier  de  ces  Irois  cas  qu'il  est  question  dans  le  Dé- 
cret du  14  avril  1856.  et  que  l'auteur  a  voulu  parler  à  la  page  9  des 
Archives.  En  rappelant  le  passage  du  décret  de  Benoît  XIV,  publié  un 
siècle  auparavant,  Sa  Sainteté  Pie  IX  a  eu  l'intention  de  parler  des  per- 
sonnes qui,  dans  une  audience  privée  ou  par  lettre  particulière  du  Saint- 
Père,  obtiennent  une  indulgence  que  tous  les  fidèles  peuvent  gagner. 
Elles  doivent  présenter  ce  Rescrit  pontifical  uniquement  à  la  secrélai- 
rerie des  indulgences,  afin  que  là  on  en  prenne  une  copie  fidèle  et  qu'il 
constate  de  son  authenticité.  Mais  jamais  on  n'est  tenu  de  présenter  à 
la  secrétairerie  des  indulgences  le  double  de  la  concession  dindulgen- 
ces  faite  par  l'intermédiaire  de  la  secrétairerie  des  Brefs.  A  cette  secré- 
tairerie, par  la  minute  du  bref,  l'authenticité  de  l'indulgence  accordée 
est  suffisamment  constatée  pour  le  présent  et  pour  l'avenir. 

Donc,  M.  l'abbé  Le  Roy  a  peu  compris,  mal  interprété  et  exprimé 
en  termes  impropres  ou  inexacts  la  vérité  émise  dans  l'ouvrage  les 
A  rchives  (  I  ) . 


il)  Le  décret  approuvé  par  Benoit  XIV,  le  28  juniver  1756,  est  *  toujours 
«  en  vigueur  depuis  un  sièele,  et  a  été  rappelé  et  confirmé,    en  1856,  par  Sa 

«  Sainteié   Pie  IX,  dans  le  décret  précité  : Impétrantes  poslhac  hujus- 

*  modi  générales  concessiones,  lenert  sub  nullitalis  pana  gTatiop  oblentas 
«  exemplar  ea>umdem  concessionum  ad  Secretar'iiim  ejusclem  S.  Congreg. 
«  {Indulg.)  déferre.  »  Toutes  ces  lignes  gi'il'.eniolées,  sauf  le  mot  entre  pa- 
renthèses, nécessaire  pour  compléter  le  sens  de  la  phrase,  se  trouvent  textuel- 
lement dans  les  Archives  de  M.  Choquct  (Sancerre,  Lyon  (Rhônr)  [sic),  1862, 
p.  8  et  9).  Or,  il  me  semble  bien  que  si  on  doit  porter  (déferre)  à  la  secrétai- 
rerie des  Indulgeuces,  la  minute  même  (exemplar)  de  la  grâce  obtenue,  n'im- 
porte par  quelle  voie,  le  décret  ne  fait  aucune  distinction,  c'est  apparemment 
atin  qu'elle  y  reste  en  dépôt  définitif,  ou  qu'on  y  en  laisse  au  moins  une  copie. 
Et  c'est  aussi  ce  qu'on  fait  pour  les  indulgences  générales  nouvellement  concé. 


392  CORRESPONDANCE.  (Tome  VllU 

Après  ce  début,  il  consacre  plusieurs  pages  (1)  à  des  insiuuations 
aussi  hasardées  que  peu  bienveillantes  relativement  à  l'ouvrage  les 
Archives,  auxquelles  nous  croyons  plus  digne  de  ne  répondre  provisoi- 
rement que  par  le  silence.  D'ailleurs,  nous  avons  hâte  d'arriver  au 
passage  où  il  dit  :  «  //  est  temps  d'entrer  dans  le  détail  et  de  justifier 
nos  assertions.  » 

Examinons  donc  ses  assertions  et  surtout  ses  preuves. 

«  \°  A  la  page  33  des  Archives,  dit  M.  l'abbé  Le  Roy,  on  lit  : 
«  Les  missionnaires  en  pays  étrangers  peuvent  seuls  gagner  les  indul- 
«  gences  plénières,  à  défaut  de  confesseur,  en  faisant  un  acte  de  con- 
0  trition  au  lieu  de  la  confession.  —  1729.  » 

«  Il  est  vrai,  ajoute  M.  Le  Roy,  que  cette  faveur  fut  concédée  à  ces 
missionnaires  par  Clément  Xll,  le  20  septembre  1731,  et  non  pas  en 
1729.  .) 

Réponse.  —  J'en  demande  bien  pardon  à  M.  Le  Roy,  mais  je  main- 
tiens la  date  1729,  et  suis  peu  disposé  à  la  changer  sur  son  affirma- 
tion sans  preuve.  J'ai  vu  de  mes  propres  yeux,  sur  l'original,  c'est-à- 
dire  sur  la  feuille  d'audience  présentée  au  Pape  alors  régnant,  et  signée 
de  sa  main,  la  date  17-29,  et  non  i75L  J'ai  donc  raison  de  donner  la 
date  de  concession,  que  j'ai  vue  et  copiée,  et  d'opposer  au  démenti  de 
M.  Le  Roy  un  démenti  plus  autorisé.  Car  M.  Le  Roy,  sans  parler  des 
archives  de  Rome,  qu'il  n'a  pas  vues,  aurait  pu  indiquer  à  quelle 
source  il  a  puisé  une  date  différente. 

dée,  coinine  le  disait  tout  dernièrement  îlgr.  Castellani  Brancaleone,  sulistitut 
à  la  scrétairerie  des  Brefs,  à  une  personne  qui  me  l'a  écrit  de  Rome  ;  et  on  a 
pu  voir  récemment,  dans  le  journal  le  Monde,  la  signature  de  Mgr  Al.  Prinzi- 
valli,  substitut  de  la  S.  C.  des  Indulgences,  attestant  que  telles  et  telles  indul- 
gences accordées  cette  année  avaient  été  présentées  et  enregistrées  audit  secré- 
tariat ou  secrétairerie.  {N.-C-  L-) 

(1)  Plusieurs  pages,  c'est  à  dire  six  lignes  : -telle  est  l'ariilimétique  de 
M.  Choquet.  Voici  le  passage  en  entier  :  «  Et  celte  diffusion  de  l'erreur  serait 
d'autant  plus  facile,  ^qu'elle  semblerait  plus  autorisée  :  M.  Choquet  prétend, 
nous  ne  vouluus  pas  entrer  à  ce  sujet  dans  des  explications  désagréablcF,  prétend 
avoir  reç;;  pour  tous  ses  ouvrages  l'approbation  solennelle,  après  un  sévère  et 
consciencieux  examen  des  consultenrs  les  plus  éniincnts  députés  par  Sa  Sain- 
teté. »  —  Voilà  tout.  Nous  avons  énoncé  sous  une  forme  modérée  un  fait  dout 
nous  avons  la  preuve  péremptoire,  et  dont  nous  connaissons  tout  le  détail. 
M.  Choquet  n'a  aucune  approbation  définitive  et  authentique,  du  moins  il  ne  l'a- 
vait pas  à  l'époque  oii  notre  article  a  paru,  et  même  plus  récemment.  S'il  est 
inainteuaut  eu  règle  de  ce  côté,  qu'il  produise  le  document  •  nous  serons  heu- 
reux de  le  faire  connaître.  {N.-C.  L.) 


Ocl.  {S03.]  CORRESPONDANCE.  393 

M.  Le  Roy,  qui  a  lu  le  Raccoîta  (I),  recueil  italien,  et  qui  nous  en 
parlera  beaucoup  dans  la  suite^  doit  se  souvenir  qu'il  est  loin  d'être 
entièrement  exact,  et  que  de  la  première  prière  de  ce  livre,  le  Sandus, 
nous  attaquons  la  date  de  concession  comme  fautive  (voyez  à  la  page  99 
et  suivantes  des  Archives),  à  plus  forte  raison  nous  permettra-t-il, 
non-seulement  de  révoquer  en  doute,  mais  de  nier  l'autorité  de  tout 
autre  ouvrage,  en  présence  de  la  pièce  oSTicielle  que  nous  avons  en 
main. 

Ajoutons  cependant  une  remarque  instructive  et  qui  peut  donner  la 
solution  de  cette  divergence.  11  n'est  pas  rare  que  la  date  de  promul- 
gation d'un  décret  diffère  (mais,  ordinairement,  seulement  de  quelques 
jours  ou  au  plus  de  quelques  mois)  de  la  date  de  concession  faite  par 
ie  Pape  et  signée  sur  la  feuille  d'audience.  L'auteur  des  Archives  suit 
ordinairement  la  date  de  concession,  car  souvent,  à  la  secrétairerie, 
c'est  la  seule  dont  il  soit  fait  mention  ;  or,  il  est  possible  que  M.  l'abbé 
Le  Roy  ait  reproduit  au  contraire  la  date  de  promulgation  ou  de  pu- 
blication du  décret.  Cependant  l'espace  de  deux  ans  est  bien  long  et 
peu  probable. 

D'ailleurs  M.  l'abbé  Le  Roy  ne  donne-t-il  pas,  quelques  lignes  plus 
loin,  la  preuve  que  la  date  de  concession  et  la  date  de  publication 
peuvent  différer,  puisque  ces  dates  diffèrent  dans  le  décret  qu'il  cite, 
lequel  commencerait  par  :  Ex  audientia  SS.  D.  N.  démentis  PP.  XIV, 
habita  die  17  MAii  1772,  et  finirait  par  :  Datum  ex  xdibus  S.  Con- 
gregationis  die  23  maii  1772  ? 

C'est  ce  môme  décret  de  1772  qu'il  oppose  pour  prouver  qu'il  fut 
dérogé  au  décret  de  1729. 

L'abbé  Cloquet  répond  qu'il  n'a  pas  trouvé  le  décret  de  1772  dans 
la  secrétairerie  de  la  S.  Congrégation  des  Indulgences  :  il  ne  pouvait 
donc  en  faire  mention.  Où  M.  l'abbé  Le  Roy  a-t-il  vu  ce  décret? 
Voilà  encore  ce  qu'il  eftt  été  à  propos  de  dire  en  le  citant  f2). 

Le  Dictionnaire  des  Indulgences,  page  550,  d'après  le  Traité  des 
Indulgences,  par  Mgr  Bouvier,  dit  bien  «  qu'en  1729  (notez  1729,  et 
«  non  1731),  la  S.  Congrégation,  consultée  par  l'évéque  de  Mélia- 
«  pour,  lui  donna  le  conseil  de  demander  la  dispense  de  la  confession 


(1)  C'est  M.  Cloquet  qui  écrit  partout  LE  Raccoîta.  {Note  de  la  RédacUon.) 

(2)  J'ai  puisé  la  date,  différente  de  telle  de  M.  Cloquet,  et  la  révocation  du 
privilège  octroyé  anx  missionnaires  réguliers,  dans  l'excellent  Traité  du  Jubilé  de 
M.  l'abbé  J.   Loiseaux,  pp.  179-181.  (Pari.*;,  1859,  Casterman  et  Leihieller.x.) 

{N.-C.  L.) 


39-1  CORBESI'O.NDANCE  ,Tomc  VIII. 

a  pour  les  missiQiinaires.  Ces  missionnaires  la  demandèrent  effective- 
«  ment,  dit  Mgr  Bouvier,  et  l'obtinrent,  comme  l'atteste  Benoît  XIV, 
«  dans  sa  constitution  Inter  prseteritos  du  3  décembre  1749,  §  6.  La 
((  même  dispense  fut  aussi  accordée  en  1734  aux  Pères  Capucins  de 
«  France  et  d'Irlande,  qui  travaillaient  dans  les  missions  parmi  les  lié- 
«  reliques.  »  (Théodore  du  Saint-Esprit,  1''^  partie,  chap.  xi,  page 
347.) 

Mais^  dans  ce  passage,  nous  ne  voyons  rien  en  faveur  de  l'assertion 
de  M.  Le  Roy,  et  nous  ne  trouvons  pas  qu'il  y  soit  question  de  déro- 
gation en  1772. 

Néanmoins,  une  observation  importante  doit  trouver  ici  sa  place.  A 
la  page  4  des  Ardnves,  il  est  dit  :  «  On  ne  commença  à  réunir  ces 
«<  précieux  documents  et  à  en  former  les  archives  d'une  secrétairerie 
«  spéciale  qu'en  1777,  et  la  date  du  document  le  plus  ancien,  ainsi 
«  recueillie,  n'est  pas  antérieure  à  1667.  »  Or,  nous  savons  que  deux 
des  premiers  tomes  de  cette  collection,  renfermant  chacun  les  pièces  de 
plusieurs  années,  ont  été  perdus  lors  du  transfert  des  archives  de  la 
S.  Congrégation  dans  le  local  qu'elles  occupent  actuellement  au  palais 
de  la  Cliancellerie  apostolique.  Il  serait  possible  que  le  décret  de  1772, 
cité  par  M.  l'abbé  Le  Roy,  fùldansl'undeces  tomes  perdus.  Cependant, 
comme  il  est  peu  probable  que  M.  Le  Roy  ait  trouvé  ces  volumes,  il 
était  nécessaire  qu'il  fit  mention  de  l'ouvrage  dans  lequel  il  a  puisé  lô 
décret  qu'il  cite. 

II.  M.  l'abbé  Le  Roy  passe  à  un  autre  point. 

«  M.  Cloquet,  dit-il,  donne  souvent,  dans  ses  Archives  et  ailleurs, 
la  petite  invocation  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  :  «  Doux  Cœur  de  mon 
«  Jésus,  faites  que  je  vous  aime  toujours  plus  {ou  davantage),  sempre 
«  più.  »  Mais  il  omet  constamment  le  mot  toujours,  sempre,  qui  se 
trouve  pourtant  dans  les  imprimés  relatifs  à  cette  Confrérie  et  dans 
toutes  les  éditions  de  la  Raccolta  di....  Indidgenze.  » 

Réponse.  —  1°  Pour  faire  tomber  cette  objection,  il  suffirait  de  ci- 
ter la  traduction  donnée  par  les  Archives,  etc.  La  voici  : 

«  Dqux  Cœur  de  mon  Jésus, 
«  Faites  que  je  vous  aime  de  plus  en  plus.  » 

M.  l'abbé  Le  Roy  aurait  bien  dti  avoir  la  sincérité  de  la  citer  lui- 
même  :  le  lecteur  se  serait  aperçu  de  la  futilité  de  la  remarque  en 
voyant  que  la  traduction  des  Archives  revient  exactement  à  celle  qui 
est  réclamée.  Que  M.  Le  Roy  se  tranquillise  donc  en  suivant  pieuse- 


Oci.  1S03.]  CORUKSrorsDANCE.  3!  5 

ment  la  susdite  traduction,  et  soit  assuré  que  s'il  aime  déplus  en  plus, 
il  aimera  sempre  più,  toujoun  phts. 

2°  11  semble  que  l'oreille  française  n'est  pas  charmée  de  la  chute  : 
«  Toujours  plus  »,  recommandée  par  M.  Le  Roy,  et  que  l'euphonie 
lui  préfère  cette  autre  cadence  :  a  Faites  que  je  vous  aime  de  plus  en 
plus.  » 

ô'^  En  traduisant  :  «  Faites  que  je  vous  i-ime  de  plus  en  plus  », 
l'abbé  Cloquet  est-il  le  seul  auteur  de  cette  traduction?  Non.  Ont  tra- 
duit exactement  de  même  :  Mgr  Bouvier,  page  271  de  son  Traité  des 
Indulgences; — M.  l'abbé  Pinard,  page  96  de  son  Nouveau  Traité  ;  — 
la  9*  édition  des  Instructions  pratiques  sur  les  indulgences,  page 
172,  approuvée  par  Mgr  l'évêque  du  Puy  et  par  S.  E.  le  cardinal  de 
Lyon; — et  même  M.  l'abbé Pallard,  dans  son  Recueilde  Prières,  etc., 
version  du  Raccolta  .approuvée  de  la  S.  Congrégation. 

4°  Quand  M.  Le  Pioy  aura  passé  au  moins  deux  heures  chaque  jour, 
pendant  cinq  ou  six  mois,  chez  S.  E.  le  Cardinal-préfet  de  la  S.  Con- 
grégation des  Indulgences,  pour  faire  réviser  une  traduction,  épreuve 
subie  par  celle  de  l'abbé  Cloquet,  il  sera  admis  à  lui  opposer  la  sienne. 
De  plus,  Son  Éminence  a  témoigné  le  désir  que,  tout  en  évitant  les 
fautes  de  traduction  commises  par  un  autre  traducteur  du  Raccolta, 
l'auteur  de  la  nouvelle  en  rapprochât  le  plus  possible  la  sienne,  par 
l'emploi  des  mêmes  expressions  et  la  tournure  de  ses  phrases,  afin  de 
moins  troubler  les  fidèles  :  telle  est  encore  une  des  principales  raisons 
pour  lesquelles  il  ne  croit  pas  devoir  se  rendre  au  vœu  de  M.  Le  Roy 
qui  serait  une  innovation  malheureuse. 

IIL  Poursuivons  l'examen  de  sa  critique.  «  M.  Cloquet,  dit-il,  exige 
«  qu'on  visite  une  église  des  RR.  PP.  Franciscains  pour  gagner  les 
«  indulgences  accordées  par  Martin  V  et  par  Eugène  IV  à  ceux  qui 
«  assistent  à  l'office  ou  à  la  messe  durant  l'octave  de  la  Fête-Dieu. 
«  Cependant  la  Raccolta  ne  fait  aucune  distinction  d'églises  pour  cette 
«  indulgence.  » 

Réponse.  —  La  vérité  est  que  l'autour  des  Archives,  à  la  page  296, 
ne  parle  point  et  n'a  pas  eu  l'intention  déparier  des  indulgences  accor- 
dées à  tous  les  fidèles  par  Mariin  Vet  Eugène  IV  :  il  le  fera  néanmoins 
dans  une  autre  édition.  Mais  au  vendredi,  premier  jour  dans  l'octave 
du  Saint-Sacrement,  il  s'est  borné  à  parler  de  celles  qui  sont  indiquées 
au  n°  1 1 ,  page  186,  tome  i  du  Manuel  des  Frères  et  Sœurs  du  Tiers- 
Ordre  de  Saint- F rançois-d' Assise.  Celte  assertion  est  facile  à  prouver 
en  rapprochant  le  passage  des  Archives  de  celui  du  Manuel. 

Voici  ce  qu'enseignent  les  Archives,  §  ii,  page  296  : 


396  CORRESPONDANCE.  [Tome  VIII. 

«  Pour  tous  les  fidèles  qui,  dansl'oclave  du  Saint-Sacrement,  assis- 
«  tent  aux  offices  dans  les  églises  des  Franciscains,  il  y  a  200  jours 
«  pour  Matines,  200  jours  pour  la  Messe,  200  jours  pour  les  Vêpres 
«  et  80  jours  pour  les  autres  heures  de  l'office.  » 

Or,  dans  le  Manuel  du  Tiers-Ordre,  on  lit: 

«  Les  indulgences  suivantes  ont  été  accordées  à  tous  les  fidèles  qui 
«  assistent  aux  offices  dans  les  églises  de  l'ordre  (de  Saint-François- 
«  d'Assise),  à  la  Fête-Dieu,  à  l'Iramaculée-Gonception  et  pendant  les 
«  octaves.  » 

Jour  de  la  fête.  —  400  jours,  etc. 

Octave.  —  200  jours  pour  matines,  200  jours  pour  la  Messe,  etc. 

Il  est  donc  vrai  que  les  fidèles  qui  assistent  aux  offices  datis  une 
église  des  Franciscains  gagnent  ces  indulgences  (i).  Ce  Manuel  a  été 
approuvé  par  la  S.  Congrégation. 

Decretum.  —  S.  Congregatio  indulgenliis  sacrisque  R.  praeposita 
prsefatum  indulgentiarum  Suramaiiuni  Tertii  Ordinis  S.  Francisci  re- 
visum  et  cum  suis  originalibus  coUatum  uti  aulhenticum  recognovit, 
typisque  gallico  idiomate  imprioii  ac  publicari  posse  perraisit.  Datuni 
Roniae  ex  secretaria  ipsius  S.  Congregationis  indulgentiarum,  die  16 
raartii  1859. 

F.  Gard.  Asquinius,  prsef. 

A.  archip.  Prinzivalli,  substitutus. 

IV.  fl  Ce  même  recueil  romain  {la  Raccolta),  ajoute  M.  l'abbé  Le 
«  Roy,  atteste  que,  par  son  bref  du  15  mal  1784,  Pie  VI  accorde  une 
«  indulgence  plénière  deux  dimanches  de  chaque  mois  aux  trois  per- 
'<  sonnes  associées  pour  la  récitation  des  sept  Gloria  Palri.  M.  Cloquet 
«  prétend  (page  570)  qu'elles  la  peuvent  gagner  tous  les  dimanches, 
«  mais  sans  citer  aucune  autorité.  » 

Ré^jonse. — La  vérité  est  que  M.  Cloquet  ne  prétend  pas  que  l'indul- 
gence plénière  puisse  être  gagnée  tous  les  dimanches  {'2).  Il  veut  bien 

(1)  Je  n'ai  certes  point  nié  cette  indulgence  pour  les  églises  des  Francis- 
cains ;  j'ai  seulement  prétendu  et  prétends  toujours  (et  M.  Cloquet  promet 
d'abonder  en  mo:i  sens  •  dans  une  autre  éditioa  »  ),  que  ces  indulgences  se 
peuvent  gagner  dans  toutes  les  églises  sans  exception.  (iV.-C  L.) 

(2)  Pourquoi  a-t-il  donc  mis  «  tous  les  dimanches  »  en  tête  de  l'aliuéa  où 
il  parle  de  cette  indulgence?  11  osi  siir  qu'un  lecteur  pressé  ou  peu  attentif  se 
contentera  de  celte  indication  qui  précède  immédiatement,  dans  son  livre,  cette 
dévotion  des  sept  Gloria  Palri.  J'avoue,  pour  ma  part,  que  je  n'avais  pas  aperçu 
le  correctif  qui  se  trouve  dix  lignes  plus  loin.  (iV.-C  L) 


Oct.  1863.]  CORRESPONDANCE.  397 

VOUS  croire  de  bonne  foi  dans  cette  erreur.  Il  regrette  cependant  que 
vous  ne  preniez  pas  assez  soin  de  lire  avant  d'écrire,  et  que  vous  le 
mettiez  dans  l'obligation  de  vous  donner  publiquement  une  petite  leçon 
de  lecture.  Veuillez  donc  ouvrir  l'ouvrage  les  Archives  aux  pages  370 
et  371,  et  y  lire  l'article  Tous  les  Dimanches  : 

«  A  l'union  de  trois  personnes  en  l'honneur  de  la  Sainte-Tri- 
«  nité,  etc.  ont  été  accordés  100  jours  d'indulgences  chaque  jour, 
«  1  ans  7  quarantaines  chaque  dimanche,  et  une  indulgence  plénière 
((  à  deux  dimanches  du  mois.  » 

Vous  le  voyez,  les  Archives  portent  7  ans  7  quarantaines  chaque 
dimanche  et  une  indulgence  plénière  à  DEUX  dimanches  seulement 
chaque  mois,  et  non  pas  plénière  TOUS  les  dimanches,  comme  vous  le 
leur  reprochez  à  tort. 

Pour  relever  la  dernière  inexactitude  de  votre  assertion  erronée, 
c'est-à-dire  que  M.  Cloquet  prétend,  etc.;  mais  sans  cite)'  aucune  au- 
torité, il  pourrait  apporter  ici,  in  extenso,  le  texte  italien  du  décret 
primitif,  puis  le  texte  latin  ;  mais  il  en  croit  pas  à  propos  d'en  fa- 
tiguer inutilement  le  lecteur. 

V.  M.  l'abbé  Le  Roy,  après  avoir  terminé  la  critique  des  Archives, 
dit:  «  Voyons  maintenant  si  le  Mois  libérateur  n'aurait  point  aussi 
«  besoin  de  quelques  corrections.  La  petite  offrande  au  Sacré- Cœur  de 
«  Jésus,  indiquée  à  la  page  75,  doit  se  faire  «  devant  une  image  du 
«  saint  Cœur,  »  et  l'indulgence  partielle  ne  se  gagne  qu'une  fois  par 
«  jour  :  ainsi  porte  la  Raccolta,  qui  donne  le  rescrit  de  concession  du 
«  pape  Pie  Vil.  M.  Cloquet  veut  que  l'on  puisse  gagner  cette  indul- 
a  gence  chaque  fois  qu'on  réitère  cette  offrande  et  il  ne  dit  mot  de  la 
«  condition,  essentielle  cependant,  delà  présence  de  l'image.  » 

Réponse.  —  11  n'y  a  que  deux  ou  trois  inexactitudes  dans  cette  af- 
firmation de  M.  l'abbé  Le  Roy  ;  en  voici  les  preuves  : 

1»  Le  Raccolta  ou  Recueil  italien,  ne  donne  pas  le  rescrit  de  con- 
cession du  pape  Pie  VII,  comme  le  prétend  à  tort  M.  l'abbé  Le  Roy  : 
cet  ouvrage  ne  relate  que  les  dates,  non  d'un  seul  (comme  il  le  dit 
encore  par  erreur),  mais  de  deux  rescrits  émanés  de  la  secrétairerie 
des  Mémoriaux. 

2°  De  quelle  édition  du  Mois  libérateur  a  l'intention  de  parler 
M.  Le  Roy?  Est-ce  de  la  première?  Ecoulée  complètement  depuis 
longtemps,  je  ne  saurais  dire  si  on  y  lit  chaque  [ois,  au  lieu  de  chaque 
jour  et  si  celte  faute  est  de  l'auteur  ou  simplement  typographique. 
Mais  ayant  entre  les  mains  un  exemplaire  de  la  seconde  édition,  voici 
textuellement  ce  que  j"y  lis  : 


398  CORRESPONDANCE.  [Tomo  VllI. 

«  Daignez  leur  appliquer  les  iOO  jours  d'indulgence  attachés  à 
«  l'offrande  suivante  : 

«  Moi  NN...  par  reconnaissance,  etc. 

«   100  jours  chaque  joiw  et  plénière  chaque  mois  » . 

5«  En  exigeant  que  la  susdite  prière  soit  faite  •  devant  une  image 
du  Saint-Cœur  »  selon  ses  expressions,  et  en  appelant  cette  condition 
essentielle,  M.  l'abbé  Le  Roy  ne  serait-il  pas  dans  une  erreur  que  par- 
tagent quelques  auteurs  ?  Pour  me  réfuter  il  fait  appel  au  Raecolta.  Eh 
bien  !  j'y  consens,  lisons  le  RaccoUa  et  donnons-en  une  traduction 
complète,  non  faite  de  la  main  de  l'abbé  Cloquet,  mais  celle  qu'a  faite 
M.  l'abbé  Pallard  avec  approbation  de  la  S.  Congrégation. 

Or,  à  la  page  188  de  ce  recueil  on  lit: 

«  Le  pape  Pie  VII,  par  deux  rescrits  du  9  juin  1807  et  du  26  sep- 
«  tembre  1817,  émanés  de  la  secrétairerie  des  Mémoriaux,  accorda, 
«  une  fois  le  mois,  l'indulgence  plénière  et  la  rémission  de  tous  les 
«  péchés  aux  fidèles  qui,  sétant  confessés  et  ayant  fait  la  communion 
«<  à  un  jour  de  leur  choix,  réciteront  chaque  jour  du  dit  mois,  la  pieuse 
«  offrande  suivante  au  très-saint  Cœur  de  Jésus,  à  la  condition,  toute- 
«  fois,  de  prier  selon  l'intention  du  Souverain-Pontife.  Sa  Sainteté 
«  accorda  de  plus,  une  fois  le  jour  seulement,  l'indulgence  de  cent 
«  jours  à  ceux  qui  la  réciteront  avec  un  cœur  véritablement  contrit. 

Offrande. 

a  Moi  NN etc.,  »  et  le  reste  de  la  prière,  mais  rien  de  plus, 

et  pas  la  moindre  mention  de  l'image  que  M.  Le  Pioy  regarde  comme 
une  condition  essentielle.  Puisque  c'est  au  Raecolta,  dites-vous,  que 
vous  en  appelez  et  que  le  RaccoUa  ne  parle  pas  d'image,  c'est  donc 
lui  qui  vous  condamne.  C'est  ce  qu'on  appelle  être  battu  par  ses 
propres  armes  ;  inutile  d'en  employer  d'autres  que  cet  argument  ad 
hominem  qui  est  concluant  (1). 


(1)  Comment  se  fait-il  que  M.  l'abbé  Cloquet,  qui  relève  si  doctemeut  par- 
tout ailleurs  les  erreurs  de  traduction  et  d'omission  de  M.  l'abbé  PaUard,  pré- 
fère ici  l'ouvrage  français  au  texte  formel  de  la  Raecolta  ?  On  lit  effectivement, 
dans  ce  Recueil  romain  ces  paroles  qui  n'ont  pu  échapper  à  sa  perspicacité  : 
«  OfFerta  al  Sanlissinio  Cuore  di  GesU  avanli  la  sua  sacra  imagine,  »  et  qu'on 
ne  peut  bonnement  traduire  que  par  celles-ci  :  «  Offrande  au  Très-saint  Cœur  de 
Jésus  devant  son  image  sacrée.  »  (N.-C.  L  ) 


Oci.   1S63.]  CORIiESrOiNDANCE.  399 

VI.  a  La  dernière  édition  de  la  RaccoUa  (1855),  qui  n'est  pas  in- 
(f  connue  de  notre  censeur,  continue  M.  Fabbé  Le  Roy,  ajoute  à  la 
a  prière  de  louange  :  «  Dieu  soit  béni,  »  après  les  mots  :  «  Béni  soit 
a  le  nom  de  Marie  Vierge  et  Mère,  »  ces  paroles  :  «  Bénie  soit  sa 
«  sainte  et  Immaculée-  Conception.  »  Il  les  a  omises.  » 

Réponse.  —  Oui,  l'auteur  du  Mois  libérateur  des  âmes  du  purgatoire 
les  a  omises,  et  a  eu  raison  de  faire  cette  omission,  puisque  ces  paroles 
ne  se  trouvent  pas  dans  le  décret  de  concession  qui  seul  devait  être  la 
règle  du  RaccoUa  comme  elle  doit  être  la  nôlre.  Nous  ne  devons,  nous 
ne  pouvons  suivre  la  doctrine  du  RaccoUa  qu'autant  qu'elle  est  con- 
forme aux  décrets;  dès  lors  qu'elle  s'en  écarte,  il  est  de  notre  devoir 
de  n'en  pas  suivre  les  errements.  Or^  il  est  certain  que  sur  ce  point  il 
s'en  écarte. 

La  preuve  en  est  facile.  Cet  ouvrage  déclare  que  le  dernier  décret 
d'après  lequel  son  article  est  rédigé  date  du  8  août  1847.  C'est  le  plus 
récent.  Or,  l'auteur  du  Mois  libérateur  a,  in  extenso,\&  texte  latin  de  ce 
décret  imprimé.  Il  Ta  puisé  à  Rome,  dans  l'imprimerie  officielle  de  la 
Rév.  Chambre  Apostolique.  Sur  cette  pièce  irrécusable,  le  texte  italien 
de  la  prière  entière  précède  le  décret  en  langue  latine.  Cette  prière  se 
compose  seulement  de  8  phrases  et  non  de  9,  et  il  n'y  a  pas,  je  l'af- 
firme, ces  paroles  :  «  Bénie  soit  sa  sainte  et  immaculée  Conception  » ,  qui 
n'ont  pu  être  ajoutées  qu'après  1854. 

De  ce  qu'il  a  plu  à  la  piété  de  Monsignor  Prinzivalli,  vénérable  ar- 
chiprêtre,  rédacteur  de  la  IS*'  édition  du  RaccoUa,  d'insérer  en  1855, 
c'est-à-dire  après  la  définition  du  dogme  de  l'Immaculée-Conception, 
cette  louange  en  son  honneur,  et  cela  sans  nouveau  rescrit  qui  l'y  au- 
torisât, ce  n'est  pas  plus  légitime  que  ne  le  serait  l'insertion  arbitraire 
de  cette  louange  :  «  Bénis  soient  les  saints  martyrs  du  Japon,  »  s'il 
plaisait  désormais  à  un  auteur  de  la  mettre  au  nombre  des  autres  que 
cite  le  décret.  Ce  décret  est  seul  infaillible,  donc  cette  doctrine  là  seule 
est  sûre,  et  M.  l'abbé  Le  Roy  n'est  pas  en  droit  de  faire  un  reproche 
de  l'avoir  suivie  (1). 

Qu'il  nous  permette  de  terminer  en  appliquant  à  sa  critique  ses 
propres  paroles  :  «  Il  serait  facile  de  rencontrer  en  d'autres  endroits. .. 


(1)  Cette  addition  a  été  introduite,  non  par  le  caprice  de  Mgr  Prinzivalli,  mais 
par  un  rescril  de  la  Seorétairerie  des  Brefs  du  27  avril  1851.  {Résolut lOnes  seu 
décréta  authenlicaS.  G.  Induly.,  n»  595,  éd.  Crux.,  p.  233.) 

(N.-C.  L.) 


400  CHRONIQUE.  [Tome  VIII. 

«  de  nouvelles  erreurs  ou  d'autres  inexactitudes  :  celles  que  j'ai  indi- 
«  quées  suffiront,  et  au-delà  pour  éclairer  et  prémunir  (1).  » 

Sancerre  (Cher),  le  8  juillet  1862. 

L'abbé  Cloquet, 

Auteur  des  ouvrages  :  Les  Archives,  etc.  ; 
et  le  3Ioîs  libérateur,  etc. 


CHRONIQUE. 


Nous  disposons  aujourd'hui  d'un  espace  bien  restreint.  Force  nous  est 
donc  de  mentionner  simplement  une  nouvelle  édition  du  livre  du  P.  Ma- 
tignon, déjà  dignement  apprécié  dans  ce  recueil  (t.  v,  p.  438  ss.)  :  La 
Question  du  surnaturel,  ou  la  grâce,  le  merveilleux,  le  spiritisme  au 
XIX'  siècle,  2^  éd.  Paris,  A.  Le  Clère,  in-12  de  xiii-580  p.  Cette  seconde 
édition,  outre  qu'elle  a  subi  des  modifications  importantes,  est  augmen- 
tée d'une  troisième  partie,  consacrée  à  établir  l'existence  du  surnaturel. 

Nous  sommes  obligé  au  même  laconisme  vis-cà-vis  d'un  nouvel  opuscule 
de  M.  de  Herdt,  dont  nous  ne  voulons  pas  différer  plus  longtemps  l'an- 
nonce :  Çompendiosa  subdiaconornm  et  diaconorum  instructio  cïrca  Breviarii 
Romani  recitationem  et  funciionum  suarum  exercitinm.  Lovanii,  Vanlin- 
thout,  in-8,  80  p.,  65  c.  L'utilité  pratique  de  cet  opuscule  est  manifeste, 
et  l'auteur  est  assez  connu. 

Le  çTemieT  volume  d\i  Breviarium  philosophiœ  scholaiticœ,de  M.  Grand- 
claude,  vient  de  paraître.  (Paris,  Gaume,  Pélagaud,  iu-12,  viii-359  p.)  Le 
second  volume  suivra  de  près,  de  sorte  que  l'ouvrage  peut,  dès  à  pré- 
sent, être  employé  dans  les  classes.  E.  Hautcœur. 

(1)  Pitoyables  représailles  !  Moi,  je  me  permets  de  lui  dire  qu'il  s'est  bien 
gardé  de  reconnaître  les  autres  erreurs  manifestes  que  je  relevais  dans  mon 
article,  par  exemple  les  indulgences  des  médailles  pour  la  fêle  de  saint  Barnabe, 
celles  de  l'.Vrehiconfrévie  de  l'Assomption,  etc.  Il  ne  pouvait  pas,  on  le  pense 
bien,  les  rejeter  sur  son  imprimeur.  Il  aura  craint,  peut-être,  que  cet  acte  d'hu- 
milité ne  nuisît  à  la  réputation  qu'il  s'est  faite,  même  hors  de  France,  auprès 
de  ceux  qui  se  laissent  prendre  a  de  pompeuses  réclames.  J'ajoute,  en  finissant, 
qu'on  m'a  signalé,  de  Rome,  plus  de  trente  autres  erreurs,  etc.,  découvertes 
dans  ses  publications.  {N.-C.  L.) 


Auras  — Typ.  Rousseau-Leroy,  rue  Saint-Mr.urice.  26. 


LA    BIBLE 


ET    LA    SCIENCE   DE   LA    NATURE. 


BiBEL  UND  NATUR.  Vorlesuugen  ûber  die  mosaiche  Urgeschichte  und 
ihr  VerhaBltniss  zu  den  Ergebnissen  der  Natiirforschung.  Von  Dr  F. 
H.  Reusch.  Freiburg,  Herder,  ise^,— Oosmogonia  naturale  comparata 
col  Genesi,  del  P.  G.  B.  Pianciani,  D.  G.  D,  G.  Roma,  coi  tipi  délia 
Civiltà  cattolica,  1862.  —  Études  géologiques,  philologiques  et  scrip- 
turales sur  la  Cosmogonie  de  Moïse,  par  le  P.  Laurent,  prov.  des 
FF.  Min.  Capucins.  Paris,  Mme  veuve  Poussielgue-Rusand,  1863. 


Deuxième    article. 


IV. 


Nous  allons  maintenant  étudier  le  récit  de  la  création  dans 
Moïse,  en  cherchant,  par  une  application  exacte  des  lois  de 
riierméneutique,  à  dégager  ce  qu'il  contient  rigoureusement. 
Nous  ferons  ensuite  un  travail  analogue  sur  les  données  four- 
nies par  les  sciences  naturelles,  et  nous  comparerons  les  ré- 
sultats obtenus  par  cette  double  voie. 

La  Bible  nous  raconte  les  origines  du  monde,  mais  au  point 
de  vue  qui  lui  est  propre.  Rappelons-nous  les  observations  faites 
dans  le  premier  article.  Rien  ici  qui  soit  destiné  à  satisfaire 
une  curiosité  purement  humaine.  Dieu,  en  se  révélant  à  nous, 
en  choisissant  certains  hommes  pour  être  ses  interprètes  au- 
près des  autres  hommes,  s'est  proposé  une  fin  mille  fois  plus 
noble  et  plus  digne  de  lui.  11  serait  déraisonnable  de  demander 
aux  écrivains  divinement  inspirés  autre  chose  que  ce  qui  se 
rapporte  à  l'objet  même  de  leur  mission,  c'est-à-dire  à  la 
grande  œuvre  du  salut,  préparée  sous  l'économie  mosaïque 

Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  t.  vui.  26-27. 


402  LA   BIBLE  [Tou>eVlll, 

et  réalisée  enfin  par  le  Christ.  Pour  le  reste,  les  prophètes  et 
les  écrivains  de  l'Ancien  Testament  se  trouvaient  dans  la 
même  condition  que  les  autres  hommes  de  leur  époque.  Ils  ne 
recevaient  aucune  lumière  spéciale  sur  la  physique,  la  géologie, 
l'astronomie.  L'inspiration  les  a  seulement  garantis  de  toute 
erreur  dans  leur  exposé,  en  tant  qu'il  touche  nécessairement 
à  des  questions  de  cette  nature. 

Aulre  remarque.  La  terre  étant  le  séjour  de  l'homme  et  le 
théâtre  de  l'histoire  biblique,  c'est  d'elle  surtout  que  s'occupe 
le  récit  de  la  création  :  le  reste  est  accessoire  et  ne  trouve 
place  ici  qu'à  raison  d'un  enseignement  dogmatique.  L'auteur 
établit  que  Dieu  est  le  créateur  de  l'univers  :  puis  il  s'occupe 
en  détail  de  ce  qu'il  a  fait  pour  préparer  la  demeure  de 
l'homme.  Le  ciel,  les  astres,  la  lune,  le  soleil  ne  sont  envisa- 
gés que  dans  leurs  rapports  avec  notre  planète  et  ses  habitants. 
C'est  qu'effectivement  ce  morceau  sert  d'introduction  à  une 
histoire  spéciale,  celle  de  la  Révélation,  et  par  conséquent  ne 
doit  point  s'étendre  en  dehors  de  ses  limites  :  donc,  à  ce  point 
de  vue  encore,  il  ne  faut  pas  chercher  ici  une  cosmogonie 
complète  et  développée. 

Ces  principes  étant  posés,  nous  abordons  l'explication  du 
premier  chapitre  de  la  Genèse. 

«  1.  Au  commencement,  Dieu  créa  le  ciel  et  la  terre; 

«  2.  Et  la  terre  était  déserte  et  vide,  et  les  ténèbres  étaient 
répandues  sur  la  surface  de  l'abime,  et  l'Esprit  de  Dieu  pla- 
nait sur  la  surface  des  eaux.  » 

Les  Hébreux  ne  possèdent  pas  de  mot  spécial  pour  désigner 
l'ensemble  des  choses,  l'univers;  ils  se  servent  de  celte  péri- 
phrase, le  ciel  et  la  terre.  (Gen.  ii,  1,4;  xiv,  19,  22.  Ps.  lxix, 
35  ;  cxv,  15  ;  cxxi,  2;  cxxiv,  8.)  Donc,  au  sein  de  ces  ténèbres 
primitives  où  nous  transporte  le  récit  biblique,  le  monde  exis- 
tait, mais  non  pas  le  monde  sous  sa  forme  actuelle,  le  monde  : 
organisé,  peuplé,  disposa  comme  il  l'est  aujourd'hui.  Ce  qu'a- 


Nov  1803].  ET   LA  SCIENCE   DE   LA   NATURE.  403 

perçoit  l'œil  du  voyant,  c'est  une  masse  informe  et  chaotique 
enveloppée  dans  les  eaux  comme  dans  un  linceul  :  ce  sont  les 
éléments  que  la  maiu  du  Créateur  va  façonner  et  disposer. 

L'état  primitif  de  la  matière  est  donc  décrit  dans  les  deux 
versets  qui  nous  occupent.  La  vie  n'habite  point  encore  ici- 
bas;  la  terre  est  informe  et  nue,  déserte  et  vide,  tohu  vabohu^ 
xivoiij.a.  xaiouûév  (Aquila).  L'Esprit  de  Dieu  plane  sur  la  surface 
des  eaux;  il  les  féconde  de  sou  souffle  vivificateur;  il  s'apprête 
à  faire  sortir  de  ce  mélange  informe  et  confus  les  merveilles 
de  la  nature  organisée.  Le  verbe  employé  ici  (nsn^l'Û  )  éveille 
ridée  de  l'incubation  qui  prépare  l'éclosion  de  la  vie.  Ou  ne 
le  retrouve  qu'une  seule  fois  dans  l'Ancien  Testament  fDeut., 
XXXIII,  11)  :  encore  est-il  pris  dans  un  sens  un  peu  détourné, 
puisqu'il  s'applique  à  l'aigle  voltigeant  au-dessus  de  ses 
petits.  Mais  la  notion  fondamentale  a  été  mieux  conservée 
dans  la  langue  syriaque,  où  elle  se  trouve  confirmée  par  de 
nombreux  exemples  (1). 

Saint  Jérôme  fait  à  ce  sujet  la  remarque  suivante  :  «  Pro  eo 
quod  in  nostris  codicibus  scriplum  est  ferebatur,  in  Hebreeo 
\\dibBiMerefeth,(\\xoà  nos  appellare  possumus  incubabat,  sivecon- 
fovebat,  in  similitudinem  volucris  ova  calore  animant! s.  Ex  quo 
intelligimus,  non  de  spiritu  mundidici;,  ut  nonnulli  arbitrantur, 
sed  de  Spiritu  sancto,  qui  et  ipse  vivifîcator  omnium  à  prin- 
cipio  dicitur  (2).  » 

Et  l'Église  chante  magnifiquement,  à  l'office  du  Samedi 
saint  :  «  Deus  cujus  Spiritus  super  aqnas  inter  ipsa  mundi 
primordia  ferebatur,  ut  jam  tum  virtutem  sanctificationis 
aquarum  substantia  conciperet,  etc.  » 

Quelques  écrivains  ecclésiastiques  (3),  et  un  grand  nombre 
de  rabbins,  k  la  suite  d'Onkelos,  croient  que  ce  fiuach  Elohim, 
spiritus  Dei,  était  simplement  un  grand  vent.  Mais  ce  sens  est 

(\)  V.  Gcnesius,  Thésaurus,  p.  ^285. 

(2)  HieroD.  Tradit.  hebr.  in  h.  1. 

(3)  Terl.  Cotitra  Hermog.  c.  52.  —  Theodor.  q.  8  m  Gen. 


AOÂ  LA  BIBLE  ITonie  VII}. 

aussi  vide  que  forcé.  Rien  de  plus  commun  dans  rAncien 
Testament  que  l'usage  de  la  formule  en  question  pour  dési- 
gner une  force,  une  vertu  divine  à  laquelle  ou  rapporte  les 
œuvres  de  la  toute-puissaiice  tant  dans  l'ordre  delà  nature  que 
dans  l'ordre  de  la  grâce.  Les  passages  sont  tellement  nombreux 
et  tellement  connus,  qu'il  serait  fastidieux  et  inutile  de 
les  citer.  Il  est  évident  que  lo  nôtre  se  rattache  à  cet  en- 
semble. Toutefois,  l'Esprit  de  Dieu  n'apparaît  point  clairement 
ici,  ni  en  général  dans  l'Ancien  Testament  comme  une  hypos- 
tase  distincte  :  il  appartenait  à  l'économie  nouvelle  et  à  la  ré- 
vélation par  Notre-Seigueur  de  soulever  entièrement  le  voile 
qui  recouvrait  le  plus  auguste  des  mystères,  celui  de  la  Irès- 
sainle  Trinité.  Mais,  dès  à  présent,  un  rayon  perce  la  nuit,  un 
premier  trait  se  dessine;  peu  à  peu  l'image  deviendra  plus 
complète  et  mieux  accusée  jusqu'à  ce  que  les  ombres  se  dis- 
sipent à  la  lumière  du  Nouveau  Testament. 

La  masse  confuse  et  ténébreuse  que  l'annaliste  sacré 
nous  montre  à  ce  premier  instant,  n'existe  point  par  elle- 
même  et  d'une  manière  indépendante  ;  elle  est  l'œuvre  de  la 
toute-puissance  divine,  c'est  Dieu  qui  l'a  o^éée.  Ainsi  nous 
trouvons  inscrite  en  tète  de  la  Genèse  cette  solution  du  pro- 
blème de  l'origine  des  choses,  la  seule  vraie,  la  seule  qui  soit 
compatible  avec  les  doctrines  spiritualistes  et  qui  n'aille 
point  se  perdre  dans  les  aberrations  du  panthéisme. 

Qu'il  soit  question  ici  d'une  création  véritable,  d'une  création 
ex  nihilo,  pour  employer  le  langage  de  l'école,  c'est  ce  dont  il 
n'est  pas  possible  de  douter.  Le  verbe  bara  a  bien  manifes- 
tement dans  l'usage  de  la  langue  hébraïque  un  sens  spécial 
qui  ne  s'applique  à  aucune  des  formes  ordinaires  de  l'ac- 
tivité, qui  se  rapporte  à  un  acte  exclusivement  du  ressort 
delapuissancedivine.il  est  vrai  que  la  signification  fondamen- 
tale, conservée  à  la  forme  pihel,  est  celle  de  couper,  tailler, 
façonner.  Mais  qu'un  le  remarque  bien,  Tétymologie  n'est  pas 
ce  qui  fixe  le  sens  précis  des  ujots  :  la  seule  et  unique  règle,  c'est 


Nov.  1863  ET   LA    SCIENCE   DE   LA   NATURE  40.1 

l'usage,  que  l'étymologie  vient  aceessoiremeut  éclairer  et  con- 
firmer. Or,  l'usage  ici  est  constant.  Le  verbe  bara,  à  la  forme 
hal,  n'est  employé  que  quand  il  s'agit  de  Dieu  et  de  ses 
œuvres  :  à  la  différence  des  verbes  analogues  qui  ont  la  no- 
tion d'arranger,  façonner,  disposer,  il  n'est  jamais  accompagné 
d'un  accusatif  exprimant  la  matière.  Il  désigne  par  consé- 
quent l'action  de  créer,  réservée  à  Dieu  seul,  et  qui  ne  sup- 
pose aucun  sujet  préexistant.  Quelquefois,  il  est  vrai,  on  le 
transporte  à  des  opérations  analogues,  à  des  rénovations  ou 
transformations  totales  ;  c'est  ainsi  que  l'on  dit  créer  un  cœur 
nouveau,  pour  changer  entièrement  les  dispositions  de  -quel- 
qu'un  {{)  ;  créer  Jérusalem,  pour  la  relever  d'une  ruine  complète 
qui  l'avait  en  quelque  sorte  anéantie  (2).  Ces  exemples  cadrent 
évidemment  fort  bien  avec  les  autres,  et  loin  d'infirmer  nos 
preuves,  ils  ne  font  que  leur  apporter  une  confirmation  nou- 
velle. 

Tout  ceci  ne  peut  guère  être  contesté  au  point  de  vue  philo- 
logique. Mais  alors  même  que  le  mot  bara  n'aurait  point  par 
lui-même  et  exclusivement  ce  sens  de  créer,  il  ne  saurait  sub- 
sister aucun  doute  sur  la  pensée  du  narrateur.  Il  est  bien  clair, 
d'après  l'ensemble  du  contexte,  qu'il  a  voulu  exprimer  une 
création  véritable,  une  production  de  la  matière,  façonnée 
ensuite  dans  l'œuvre  des  six  jours  (3).  Aussi,  c'est  bien 
le  sens  que  toute  la  tradition  juive  a  donné  à  ses  paroles  (4), 
et  cette  interprétation  est  confirmée  par  l'ensemble  de  la  doc- 
trine biblique.  On  retrouve  en  effet  à  chaque  page  de  TAncien 
Testament  l'idée  d'un  Dieu  créateur  de  toutes  choses,  cause 
adéquate  de  toute  existence.  C'est  lui  qui  a  tout  créé  par  le 
souffle  de  sa  bouche  :  il  a  dit  et  tout  a  été  fait  (5).  La  mère 

(1)  Ps.  LI,  \1. 

(2)  Is.  Lxv,  -17, 18. 

(3)  V.  Ges.  Thés.  h.  v. 

(4)  V.  Maïraoaides,  Moreh  Nebochim^ni,  ^3  ;  Joh.  à  Lent^  de  Mo- 
derna  Theologia  Judaïca,  p.  ^74  ss. 

(5)  Ps.  xxxui,  6,  9  ;  cxLvui,  8.  Is  XLvni,  ^3,  etc. 


-^06  LA    BIBLE  iTomoVIII. 

des  Machabées  ne  fait  que  résumer  ces  enseignements  quand 
elle  s'écrie  (1)  :  «  Je  te  conjure,  mon  fils,  de  regarder  le  ciel  et 
la  terre,  et  en  voyant  toutes  les  choses  qu'ils  renferment,  de 
reconnaitre  qae  Dieu  les  a  créées  du  néant  {il  oùx  ovtwv 
iTTotVjGEv).  »  Si  dans  le  livre  de  la  Sagesse  (2),  il  est  dit  que 
Dieu  a  tiré  le  monde  d'une  matière  informe  {il  àfxôp'^ou  uXviç), 
cette  phrase  doit  s'entendre  de  l'œuvre  des  six  jouis,  telle 
qu'elle  est  décrite  dans  les  versets  3-31  du  premier  chapitre 
de  la  Genèse  :  elle  n'exclut  nullement  un  premier  acte  pro- 
ducteur de  la  matière  elle-même.  Les  règles  d'une  saine  in- 
terprétation nous  font  une  loi  d'expliquer  cette  incidente  je- 
tée comme  en  passant,  d'après  les  textes  si  nombreux  où 
la  doctrine  de  la  création  est  traitée  d'une  manière  plus 
explicite,  et  spécialement  d'après  le  récit  de  la  Genèse  avec 
lequel  il  est  si  facile  de  le  mettre  en  harmonie  (3). 

Voilà  donc  un  résultat  bien  acquis  :  les  deux  versets  qui 
commencent  notre  récit  expriment  eu  quelque  sorte  le  pre- 
mier acte  de  la  création,  la  production  de  la  matière  ;  le  reste 
expose  comment  dans  cette  masse  informe  l'ordre  et  la  vie  se 
sont  développés.  Quelques  interprètes  néanmoins  n'admettent 
pas  cette  distinction  :  ils  croient  que  les  versets  1-2  contiennent 
un  simple  résumé,  un  sommaire  de  la  narration  contenue  dans 
le  reste  du  morceau.  Le  fait  de  la  création  serait  d'abord  ex- 
primé en  deux  mots,  puis  détaillé  dans  ses  moments  successifs. 
Nous  ne  croyons  pas  que  cette  interprétation  soit  admissible, 

(!)  II  Macli.  vu,  28. 

(2)  Sap.  XI,  18. 

(5^  Il  a  fallu  loules  les  préoccupalions  ralionalisles  d'un  Bunsen 
pour  faire  de  la  création  ex  nihilo  une  question  scolasliquc  totale- 
ment étrangère  à  l'enseignement  lie  la  Bible  (Bunsen,  Bibelwerk,i,b). 
Les  exégèles  mêmes  irès-avancés  (il  faut  cependant  excepter  encore 
Lwald;  sont  ici  d'accord  avec  nous.  Voici,  par  exemple,  comment 
s'exprime  Knobe!  :  «  Comment  Dieua-l-il  créé  la  matière  et  d'oùl'a- 
t-il  tirée  ?  D'après  notre  historien,  sans  aucun  doute,  il  l'a  créée  par 
Tacle  seul  de  sa  volonté,  et  par  conséquent  il  l'a  tirée  du  néant.  » 
(Knobel,  Die  Genesis  erklœrt^  p.  8.) 


Nov.  1303.]  ET    LA   SCIENCE   DE   LA    NATURE  4ê? 

Le  texte  en  effet,  exprime  clairement  un  état  chaotique,  infor- 
me, confus,  résultat  de  l'acte  initial  et  précédant  l'œuvre  des 
six  jours  (1). 

L'écrivain  sacré  nous  apprend  encore  que  cet  acte  créa- 
teur eut  lieu  au  commencement,  Iv  àpx?>  formule  toute 
relative,  qui  en  elle-même  indique  une  simple  priorité  d'époque 
par  rapport  aux  formations  successives  détaillées  dans  le  cours 
du  récit,  mais  qui,  en  vertu  du  contexte  et  par  voie  de  con- 
séquence, marque  le  commeiicemeut  absolu  des  choses  créées. 

Un  bon  nombre  de  Pères  et  d'écrivains  ecclésiastiques  (2) 
ont  cru  que  les  mots  inprincipio  se  rapportent  au  Verbe  divin, 
pai'  qui  tout  a  été  fait,  selon  la  doctrine  des  saintes  Écritures. 
Mais  le  mot  rT^ÎDï^lj  principium,  n'a  nulle  part  cette  signification 
dans  l'Ancien  Testament  (2)  :  et  d'ailleurs  interpréter  ainsi  le 
premier  verset  de  la  Bible,  n'est-ce  pas  méconnaître  le  carac- 

(1)  Exislimavil  hic  Chrysoslomus,  primis  illis  verbis  non  describi 
aliquarum  lerum  crealionem,  quœ  primum  diem  et  ceterarum  rerum 
produclionem  anlecesserit,  sed  uuiversim  compendio  Moysen  referre 
voluisselolutn  opus  crealionis  muodi,  quod  sex  diebus  perfectuin  est, 
caeli  nerape  et  terrje  iiomine  lolum  munduro,  seu  quidquid  caelum  in- 
ler  et  lerram  conlinelur  comprehendendo  ;  pusiea  vero  ad  singuias 
ejus  parles  descendere.  Sed  hanc  explicalionem  non  paliunlur  quae 
sequunlur  :  Terra  aulem,  elc...  Necesse  est  igiiur  staluere  Lfec  tria, 
cœlum,  lerram  claquas,  iniiio  anle  priraum  diem  ex  nihilo  producta 
esse,  seu  proprie  dicta  créai. one  :  cetera  deinceps  sex  diebus,  el  ceriis 
moris  inierjeclis  producla  non  crealione  presse  sumpia,  sed  ex  male- 
ria  prœexistente  el  prius  creala  :  quee  lamen  eliam  creata  dicunlur, 
quia  eorum  tnaleria,  ex  qua  sunl  producla,  ab  eodem  auctore  Deo 
paulo  anle  ex  nihilo  facia  iuerat.  Bonfrerius,  in  h.  1. 

(1)  Ou  peut  les  voir  elles  dans  une  disserlalion  érudile  du  P.  Falrizi, 
De  Interpretatione  Scripturarum  sacrarum^  ii,  ^9-28. 

(2)  Dans  le  passage  cilé  parle  P.  Patrizi,  /.  c,,p.26  (Prov.  ix,-l  3).Io  mol 
n"'î2Jbi'1  n'est  pas  employé  d'une  manière  absolue,  mais  avec  une  appo- 
sition qui  le  détermine  :  principium  viee  ejus.  L'exemple  ne  prouve 
donc  pas.  Puis,  l'usus  loquendi  de  l'époque  salomonique,  appuyé  sur  un 
développement  doctrinal  tout  nouveau,  ne  peut  êlre  ainsi  transporté  a 
un  temps  bien  anléritur,  où  la  doctrine  de  la  sagesse  Ijyposlalique 
n'apparaît  pas  encore. 


408  LA   BIBLE  [TomeYlII 

tère  de  progrès  que  Dieu  a  voulu  imprimer  à  son  œuvre? 
N'est-ce  pas  devancer  le  développement  doctrinal  et  tout  con- 
fondre dans  l'histoire  de  la  Révélation?  Enfin,  cette  interpré- 
tation a  quelque  chose  de  si  forcé  qu'on  ne  peut  s'empêcher 
de  dire  avec  un  interprète  très-sage  :  «  Nemo  facile  mihi 
persuaserit  hanc  interpretationem  litterali  sensui  conve- 
nire  (1).  » 

Quelques  anciens  auteurs^  à  la  suite  d'Aben-Esra,  ont  tra- 
duit :  Au  commencement  que  Dieu  créa  le  ciel  et  la  terre,  la 
terre  était  déserte  et  vide,  etc.  Les  règles  de  la  grammaire 
hébraïque  empêchent  de  construire  ainsi  la  phrase  (2).  En 
présence  de  cette  raison  décisive,  quelques  auteurs  (Ewald, 
Bunsen)  ont  proposé  une  construction  différente,  mais  telle- 
ment forcée,  tellement  en  opposition  avec  le  style  simple  et 
coulant  du  morceau,  qu'il  est  impossible  de  s'y  arrêter.  Ils 
traduisent  :  Au  commencement  que  Dieu  créa  le  ciel  et  la 
terre,  —  la  terre  alors  était  déserte  et  vide,  etc. —  Dieu  dit,  etc. 
Cette  longue  parenthèse  séparant  les  deux  membres  d'une 
période  est  de  tout  point  inacceptable  :  elle  trahit  à  première 
vue  un  artifice  exégétique  destiné  à  éliminer  l'idée  de  créa- 
tion (3). 

Reste  donc  le  sens  très-simple  et  très-naturel  que  nous  avons 
adopté  :  les  deux  premiers  versets  nous  représentent  l'état 
des  choses  à  la  suite  de  leur  production  première  et  avant  que 
l'ordre  présent  fût  introduit  par  une  action  nouvelle  du  prin- 
cipe créateur.  Combien  cet  état  primitif  a-t-il  duré?  c'est  ce 
que  notre  texte  ne  précise  en  aucune  façon  :  il  laisse  place  à 
toutes  les  conjectures  et  n'en  exclut  aucune.  La  durée  la  plus 
courte  comme  la  plus  longue  sont  ici  également  admissibles  ; 
car,  qui  a  scruté  les  conseils  du  Tout-Puissant  ?  Qui  peut 
pénétrer  le  voile  mystérieux   qui   les  recouvre,  quand  lui 

{^)Bouf^e^ius,  in  h.  1. 

12)  Il  faudrait  ^nïin  ^nnV 

(5)  V,  Knobel,  h.  1. 


Nov.  1SG3,  ET   LA   SCIENCE   DE   LA  NATURE.  -'iOO 

même  ne  daigne  pas  le  soulever  en  partie  ?  Il  pouvait  créer  le 
monde  en  un  instant  :  il  a  pu  également,  si  tels  étaient  ses 
desseins,  prolonger  pendant  des  centaines  et  des  milliers  de 
siècles  ces  ténèbres  primitives  sur  lesquelles  planait  l'Esprit 
vivifîcateur. 

Autre  question  également  insoluble  d'après  les  termes  du 
récit  biblique.  L'état  qu'il  dépeint  ainsi  dès  le  début  n'a-t-il 
été  précédé  d'aucun  autre  ?  Le  monde  a-t-il  commencé  par  le 
chaos  ?  Qui  oserait  l'affirmer,  et  surtout  qui  oserait  dire  que 
c'est  le  sens  précis  de  l'écrivain  sacré  î  Peut-être  une  ou  plu- 
sieurs créations  avaient-elles  déjà  disparu  par  l'effet  d'un  ca- 
taclysme dont  la  cause  nous  échappe.  La  Bible  n'en  dit  rien, 
mais  elle  n'enseigne  pas  non  plus  le  contraire.  Elle  laisse  dans 
une  complète  obscurité  la  période  antégéaésiaque  :  un  trait  lui 
suffit  pour  la  décrire  ;  elle  va  droit  à  son  but  et  nous  trans- 
porte immédiatement  sur  le  théâtre  où  va  se  dérouler  l'histoire 
de  la  Révélation.  Le  reste  est  étranger  à  son  objet;  elle  ne 
s'en  occupe  pas.  Que  dis-je  ?  Le  regard  inspiré  à  qui  Dieu  mon- 
tre toutes  ces  choses,  ne  perçait  sans  doute  pas  lui-même  au- 
delà  des  ténèbres  primitives  :  la  Révélation  s'arrête  à  ce  qui 
concerne  immédiatement  l'homme  et  son  salut.  Il  est  donc 
probable  que  l'auteur  du  récit  contenu  dans  le  premier  cha- 
pitre de  la  Genèse  ne  s'est  point  posé  ces  problèmes  ou  en  a 
ignoré  la  solution. 

Le  silence  de  la  Bible  n'exclut  donc  pas  l'hypothèse  dont 
nous  parlons  :  on  ue  peut  non  plus  lui  opposer  aucune  autre 
difficulté  vraiment  décisive.  On  a  beau  dire  qu'une  destruction 
de  tous  les  êtres  pour  aboutir  à  un3  restauration  n'est  point 
probable  ;  qu'on  ne  voit  pas  quels  auraient  été  les  desseins  de 
la  Providence  ;  que  Dieu,  dans  cette  hypothèse,  ressemble  à 
un  ouvrier  inhabile  et  mécontent  de  son  œuvre  qui  la  brise 
pour  se  livrer  à  de  nouveaux  essais,  etc.  Nous  ignorons  quel 
peut  avoir  été  le  plan  de  la  Providence,  comme  nous  ignorons 
la  nature  et  les  causes  de  la  catastrophe,  si  réellement  elle  a 


410  LA    BIBLE  IToincVIIf. 

eu  lieu.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'elle  n'est  pas  due  à 
l'imperfection  d'un  premier  essai.    De   bonne  foi  est-il   né- 
cessaire de  s'arrêter  à  un  motif  aussi  ridicule?  Ne  peut-il  pas 
y  en  avoir  eu  d'autres  qui  nous  échappent,  mais  qui  à  coup 
sûr  auront   été  dignes  de  la  sagesse  et  de  la  puissance  du 
Créateur  ?  Il  n'est  pas  nécessaire  pour  les  découvrir  de  se  li- 
vrer à  des  conjectures  dénuées  de  base  et  d'appui:  il  suffît  de 
savoir  qu'on  peut  raisonnablement  les  supposer,  si  de  fait  il 
faut  admettre  des  créations  multiples  et  successives.  Certains 
auteurs  ont  dépassé  les  bornes  de  cette  sage  réserve  en  voulant 
suppléer  au  silence    de  la   Bible  par  des  hypothèses  aussi 
invraisemblables  que  dénuées  de  tout  fondement.  Ils  suppo- 
sent que  les  anges  habitèrent  d'abord  noire  planète,  et  que  leur 
chute  amena  la  catastrophe,  cause  de  la  confusion  universelle 
décrite  dans  les  deux  premiers  versets  de  la  Genèse.  Wes- 
termayer  parmi  les  catholiques  s'est  spécialement  constitué 
le  défenseur  de  cette  opinion  (1).  Elleesten  grande  vogue  chez 
les   illuminés  ,  tels  que  Bœhme ,    Saint-Martin,    Hahn  ,  Fr. 
Mayer,  etc  ;  elle  a  aussi  beaucoup  de  partisans  chez  les  Luthé- 
riens, entre  autre  Delitzsch  et  Kurlz  (2).  Que  rien  dans  le  texte 
ne  vienne   appuyer  ces  suppositions,  c'est  ce  dont  convien- 
nent parfaitement  leurs  auteurs  mêmes,  au  moins  les  plus  rai- 
sonnables :  ils  n'interprètent  pas  le  récit  biblique,  ils  le  com- 
plètent, ils  suppléent  à  son  silence.  Mais  comment  le  font-ils, 
et  sur  quoi  s'appuient  leurs  conjectures?  La  science  n'a  rien  à 
gagner  à  ces  créations  fantastiques.  Est-il  donc  si  difficile 
d'avouer  notre  ignorance  sur  des  problèmes  aussi  obscurs? 
Et  n'est-ce  point   le  seul  parti  conseillé  par  la  prudence, 
alors  que  nous  n'avons  aucune  donnée  pour  les  résoudre  ? 

(t)  Weslerraayer,  Das  Alt  Testament  und  seine  Bedeulung,  \  Band, 
s.  n-60. 

(2)  Delizsch,  Genesis  (3  Auû.  ^8G0),  p.  103  s.  —  Kurtz,  Bibel  und 
Astroncmie  {i  Aufl.),  p.  87  ss.,  445  ss.,  538  ss. 

(3)  V.  Ruriz,  Bibel  und  Astronomie,  p.  ^35  ss.,  575  ss. 


Nov.  18G1.]  ET   LA   S^CIENCE   DE   LA  NATUnE.  411 

Il  y  a  plus:  cette  hypothèse,  considérée  de  près,  ne  conduit 
à  rien  moins  qu'à  regarder  les  anges  comme  des  créatures 
matérielles.  Car  enfin,  si  la  terre  a  été  préparée  et  peuplée 
pour  être  leur  séjour,  si  Dieu  a  créé  pour  eux  des  animaux  et 
des  plantes,  ils  étaient  donc  dans  une  relation  quelconque  avec 
ces  êtres,  ils  avaient  des  nécessités  physiques  à  satisfaire,  ils 
étaient  eux-mêmes  doués  d'un  corps.  Les  protestants,  Kurtz 
par  exemple,  ne  reculent  pas  devant  cette  conséquence.  Mais 
si  la  dogmatique  luthérienne  s'en  accommode,  il  n'en  est  pas  de 
même  de  la  dogmatique  orthodoxe,  fondée  sur  l'enseignement 
traditionnel  et  infaillible  de  l'Église,  consacrée  par  la  défini- 
tion solennelle  du  iv'  concile  de  Latran  (1).  Il  y  a  donc  ici  une 
barrière  que  rien  ne  peut  franchir,  et  si,  comme  nous  le 
croyons,  le  séjour  des  anges  sur  la  terre  dans  les  conditions 
que  l'on  suppose  ne  peut  convenir  à  de  purs  esprits,  l'hypo- 
thèse est  jugée  par  cela  seul.  Au  reste,  il  nous  suffît  de  faire 
remarquer  qu'elle  n'est  fondée  en  rien  sur  l'enseignement  de 
la  Bible,  ni  sur  la  doctrine  de  l'Église  {2),  et  de  la  laisser 
pour  ce  qu'elle  vaut  dans  le  domaine  des  conceptions  pure- 
ment gratuites. 

Rien  ne  s'oppose  néanmoins,  comme  nous  l'avons  dit,  à  ce 
que  l'on  suppose,  sous  les  termes  généraux  des  versets  1  et  2, 
un  ou  plusieurs  cataclysmes  dont  nous  ignorons  le  temps,  l'é- 
poque, le  mode  et  la  cause.  Le  texte  n'en  dit  rien,  mais  il  n'af- 
ûrme  pas  non  plus  le  contraire  :  il  nous  laisse  à  cet  égard  dans 
une  complète  indécision.  Si  par  conséquent  des  découvertes 
positives  dans  le  domaine  de  la  nature  établissaient  que  l'état 
de  notre  globe  suppose  des  révolutions  successives,  accom- 
plies à  de  longs  inlervalles  pendant  une  période  antéhistorique, 

(1)  V.  Perrone,  Tractatus  de  Deo  Creatore,  p.  i,  cap.  2. 

(2)  Les  deux  témoins  les  plus  ancl-ns  que  l'on  ail  pu  citer  sont  le 
roi  Edgar  (x«  siècle),  V.  Tholuck, FerwmcA/e  Schriffen,  ii,  230,  et  le 
poêle  anglo-saxon  CœJmon  (vu"  siècle).  V.  Delilzsch,  Genesis,  613, 
n.  10. 


4J2  LA  BIBLE  LT  LA  SCIENCK  DE  LA  NATURE.  [Tome  VIII. 

rien  n'empêche  de  donner  place  à  ces  faits  dans  le  cadre  si 
large  de  notre  récit.  L'état  chaotique  décrit  dès  le  début  peut 
être  attribué  à  des  révolutions  de  cette  nature.  Nous  ne  disons 
pas  que  cela  est,  mais  simplement  que  cela  peut  être  :  c'est  aux 
naturalistes  à  établir  que  cela  doit  être.  S'ils  parvienneut  à  en 
fournir  la  preuve  d'une  manière  certaine,  l'hypothèse  se  chan- 
gera en  thèse  :  et  ce  résultat,  tout-à-fait  en  dehors  du  récit  bi- 
blique, n'aura  rien,  absolument  rien  qui  puisse  y  contredire. 
Seulement,  nous  montrerons  ici  vis-à-vis  des  naturalistes  la 
réserve  que  nous  avons  montrée  tout  à  l'heure  vis-à-vis  des 
théologiens.  Nous  avons  repoussé  sur  le  terrain  de  la  théolo- 
gie des  hypothèses  sans  fondement  sur  le  rôle  des  anges  déchus 
dans  les  faits  qui  ont  amené  le  chaos  primitif:  nous  rejetterons 
de  même,  sur  le  terrain  des  sciences  naturelles,  les  hypothèses 
qui^  sans  s'appuyer  sur  des  faits  certains  et  sur  leurs  consé- 
quences légitimes,  placeraient  à  l'origine  des  choses  toute  une 
série  de  créations  et  de  destructions  successives. 

Ces  réserves  une  fois  faites,  il  est  clair  qu'on  peut  suppléer 
au  silence  de  la  Bible,  et  faire  à  l'aide  de  la  géologie  et  de 
l'astronomie  ce  qui  se  fait  à  l'aide  de  l'histoire  et  de  l'archéo- 
logie. En  se  servant  des  données  fournies  par  la  science 
profane,  on  jette  parfois  un  jour  inattendu  sur  des  points  que 
l'histoire  de  la  Révélation  touche  comme  en  passant,  parce 
qu'ils  sont  eu  dehors  de  son  cadre  et  qu'elle  n'a  point  mission 
de  les  éclaircir.  On  lit  pour  ainsi  dire  entre  les  lignes  du  texte 
sacré,  on  en  remplit  les  pages  blanches,  on  complète  son 
côté  humain.  Quand  cela  se  fait  avec  la  prudence,  la  réserve, 
le  tact  nécessaires,  la  Religion  comme  la  science  ne  peut  avoir 
qu'à  s'en  louer. 

E.  Hautcceur. 


LA    VERITE 

SUR  LA 

FACULTÉ    DE    THÉOLOGIE    DE    PARIS 
do  lees  à  les» 

d'après   des  documents   inédits. 

Troisième  article  (1). 


§IV. 

L'enregistrement  de  l'arrêt  du  22  janvier  1663  fut  exécuté  forcément.—  Il  n'ex- 
prime pas  le  sentiment  de  la  Faculté.  —  Protestation  de  plusieurs  docteurs 
contre  cet  enregistrement,  restée  inconnue  jusqu'à  ce  jour. 

I.  Il  est  certain  que  le  9  février  1663,  la  Faculté  conclut  au 
refus  d'enregistrement.  Voici  le  procès-verbal  de  sa  délibé- 
ration :  «  Senatus  arnplissimi  decretum,  proutjacet,  non  esse 
inscribendum  in  suis  tabulis.  Adeundum  esse  augustissimum 
senatum  per  sapientissimos  magistros  nostros  Morel,  de  Breda, 
Bail,  de  Gamaches,  Grandin  syndicum,  Tirol  et  Guyart;  qui 
cuni  honore  et  reverentia  debitis  pètent  ab  eodem  augustis- 
simo  senatu,  ut  velit  et  dignetur  exponere  imeutem  suam  non 
fuisse  sibi  adscribere  judicium  doctrinale  in  materia  fidei  et 
Ecclesise  dogmatibus,  vel  Isedere  jura  facultatis,  aut  innuere 
necessarium  esse  absolute  concilium  générale  ad  extirpanda 
quselibet  schismata  et  quaslibet  haereses,  verbi  gratia,  Pelagia- 
nam  et  Jansenianam,  quas  constat  suflacienter  extinctas  absque 

(1)  V.  les  numéros  d'août,  p.  97  ss.,  cl  septembre,  p.  208  ss. 


414  LA    VÉRITÉ  lTomcV;iL 

concilio  generali,  quod  tantum  in  aliquibus  casibus  dici  potest 
absolule  necessarium.  Qaod  si  negotium  hoc  pacto  non  con- 
ficiatur  apud  senatura,  adeimdum  esse  regeni  christiauissi» 
mum  »...  (D'Argentré,  Collectio  judiciorum,  t.  m,  part,  i, 
p.  87  et  88.) 

Les  sept  docteurs  désignés  arrêtèrent  de  concert  avec  le  pre- 
mier président  Lamoignon,  et  avec  les  trois  ministres  du  Roi, 
la  formule  de  l'allocution  qu'ils  devaient  prononcer  et  qu'ils 
prononcèrent,  eu  effet,  devant  le  Parlement.  (Voir  ce  fait  et  la 
formule,  op.  cit.  p.  88.) 

«  Le  premier  président  leur  dit,  que  quand  la  cour  ordonnait 
quelque  chose^  tout  sujet  du  Roi  devait  s'y  soumettre  sans  l'exa- 
miner... Qu'ils  eussent  à  enregistrer  incessammeut  l'arrêt,  la 
cour  n'entendant  pas  qu'il  soit  parlé  davantage  de  leurs  diffi- 
cultés sur  ce  sujet.  »  {Mémoires  inédits  du  Père  Rapiu,  chap.  16.) 
«  Debere  omnem  régis  subditum,  cum  aliquid  senatus  sanxit 
obtemperare.  »  (D'Argentré,  /.  c.) 

Il  est  évident  que  la  Faculté  n'était  plus  libre.  Et  il  faut  que 
le  fait  de  la  violence  ait  été  bien  notoire,  pour  que  le  syndic 
Grandin  ait  osé  dire,  peu  après,  au  Parlement  a  qu'il  fallait 
passer  ces  mauvais  temps,  et  qu'il  n'en  signerait  plus  de  pareil- 
les (thèses) ,  jusqu'à  ce  que  la  liberté  eût  été  rendue  à  la  Faculté.  » 
{Mémoires  du  Père  Rapin,  chap.  46.) 

II.  A  la  fin,  la  Faculté  dut  céder  à  la  force,  et  l'enregistre- 
ment eut  lieu.  On  ne  saurait  douter  que  la  majorité  des  doc- 
teurs, y  compris  Bossuet,  n'ait  été  d'un  sentiment  contraire. 
11  est  probable  que,  pour  éviter  les  poursuites  judiciaires  ou 
d'autres  conséquences  analogues,  la  plupart  s'abstinrent  d'as- 
sister à  la  séance  où  l'injonction  du  parlement  fut  exécutée;  et 
que  la  faction  des  docteurs  jansénistes,  capable  de  tout  pour 
plaire  au  pouvoir,  adhéra  seule  à  l'insertion  de  cet  arrêt 
schismatique,  où  le  Parlement  usurpait  le  droit  de  prononcer 
définitivement  en  matière  de  foi. 

III.  Mais  le  fait,  qui  avait   été  jusqu'ici  soigneusement 


Nov.  1863)  SUR  LA   FACULTÉ   DE  THÉOLOGIE    LE   PARIS.  4^S 

étoufifé  dans  le  silence,  c'est  la  protestation  de  plusieurs  doc- 
teurs envoyée  au  Nonce.  Voici  une  pièce  inédite  où  ces  docteurs 
sont  dénoncés  au  ministre  Colbert  comme  des  rebelles  et  des 
séditieux.  L'original  se  trouve  à  la  Bibliothèque  impériale, 
ms.  Colbert,  155  Vc,  p.  105. 

a  A  Paris  ce  28  mai  1663. — Mémoirt  touchant  les  docteurs  de 
Sorbonne  qui  ont  fait  des  protestations  contre  l'enregistrement  du 
premier  arrêt  du  Parlement  au  sujet  de  l'infaillibilité.  —  On 
sait  de  bonne  part  qu'il  y  a  22  docteurs  de  la  Sorbonne  qui  ont 
fait  des  protestations  qui  ne  peuvent  être  que  criminelles  et 
séditieuses,  contre  l'enregistrement  du  premier  arrêt  du 
Parlement  au  sujet  de  l'infaillibilité  du  Pape  ; 

«  Que  les  dites  déclarations  et  protestations  ont  été  en- 
voyées au  Nonce  qu'on  a  fait  sortir  l'année  dernière  de  France 
depuis  le  ditïérend  avec  Rome. 

«  Messieurs  Chamillard  frères,  le  curé  de  Saint-Sulpice,  le 
sieur  Blanger  (qui  a  été  précepteur  de  l'abbé  de  Brienne),  les 
sieurs  Grandin,  Leblond,  Joisel,  Pignay,  Lestre,  Leblanc  et 
autres  sont  du  nombre  de  ces  derniers  protestants,  qui  disent 
être  prêts  de  mourir  pour  le  corUenu  de  leurs  dites  protestations. 

«  Il  sera  facile  de  savoir  cela  de  certitude,  en  mandant  les 
notaires  ou  leurs  syndics,  ou  bien  faisant  faire  jurement  à  ces 
docteurs,  s'il  n'est  pas  vrai  qu'ils  aient  fait  de  semblables 
déclarations,  ou  quelque  chose  d'approchant. 

a  Les  mêmes  docteurs  ont  fait  de  semblables  protestations  contre 
les  articles  naguère  présentés  au  roi  par  la  Faculté  ;  en  quoi  le  dit 
sieur  Grondin  se  montrerait  extrêmement  prévaricateur  et  ex~ 
traordinairement  dissimulé. 

«  Il  est  même  à  prendre  garde  que  le  dit  Chamillard  l'aîné, 
l'un  des  professeurs  de  Sorbonne,  lequel  a  été  envoyé  avec  le 
sieur  Leblond,  docteur,  et  sont  partis  le  21  de  ce  mois  de  Paris, 
pour  aller  à  Auxonne  (au  sujet  de  quelques  religieuses  pos- 
sédées qui  y  sont),  n'aient  quelque  entrevue  sur  l'affaire  que 
dessus  avec  le  susdit  Nonce,  qu'on  dit  s'être  arrêté  à  Chambéry 


■î^6  LA  VÉRITÉ  ITomeVlir. 

(d'où  ils  peuvent  de  part  et  d'autre  s'achemiuer  en  fort  peu  de 
temps  et  s'entrevoir  sur  les  frontières),  ou  du  moins  reçoivent 
de  ses  lettres,  instructions  et  ordres,  sur  cette  cabale. 

«  De  plus  on  sait  que,  dans  un  sermon  que  le  dit  sieur 
Pignay  fit  dans  la  mission  aux  ecclésiastiques,  il  recommanda 
à  leurs  prières  trois  guerres  :  la  première,  du  Roi  contre  le 
Pape;  la  seconde,  des  Jansénistes  contre  l'Église;  et  la  troi- 
sième, du  Parlement  contre  la  Sorbonne  ;  comme  si  c'étaient 
des  entreprises  injustes  et  violentes  et  pour  donner  une  bor- 
reur  de  la  conduite  du  Roi  et  du  Parlement.  » 

Il  ne  sera  pas  inutile  d'appeler  Tattention  du  lecteur  sur  les 
circonstances  suivantes  :  1°  la  protestation  a  été  faite  au  sujet  de 
V infaillibilité;  2°  les  docteurs  qui  faisaient  cette  démarche  cou- 
rageuse n'ignoraient  pas  qu'elle  serait  traitée  de  séditieuse  et  de 
criminelle  ;  3"  la  protestation  est  envoyée  au  Nonce,  non  sans 
péril,  ce  qui  prouve  qu'il  eût  été  plus  périlleux  de  la  faire  pu- 
bliquement en  pleine  Faculté  ;  4°  elle  est  faite  par  la  partie  la 
plus  éminenle  de  la  Faculté.  Il  est  dit  ici,  22  docteurs  de  la 
Sorbonne,  le  curé  de  Saint- Sulpice,  etc.  D'autre  part,  les  pièces 
précédemment  publiées  attestent  que  tous  les  professeurs  de  la 
Sorbonne,  sans  aucune  exception,  s'étaient  prononcés  dans  ce 
sens. 

.§v. 

Les  six    fameux  articles  de   1663   ne   doivent  pas  être  attribués  îi  la  Faculté. 

I.  Situation  de  la  Faculté  lorsque  la  déclaration  des  six  ar- 
ticles fut  habilement  extorquée.  — Le  4  avril! 663,  un  Cistercien, 
nommé  Laurent  Desplantes,  soutint  une  thèse  où  se  trouvaient 
ces  mots:  «  Summus  Pontifex  in  tota  Ecclesia  et  in  foro  tam 
interno  quam  externo  plenitudinem  jurisdictionis  obtinet.  » 
(Voir  d'Argentré,  table  du  l®'"  volume,  p.  xxxit.)  Le  syndic 
Grandin  avait  signé  cette  thèse  au  mois  de  décembre  1662,  et 
par  conséquent  avant  l'arrêt  du  22  janvier  1663.  C'était  un 


Nov.  18G3.]  SUR   LA   FACULTÉ   DE    THEOLOGIE   DE   PARIS.  417 

parti  pris  de  susciter  d  la  Faculté  toutes  sortes  de  tracasseries, 
pour  l'assouplir  etTameuer  àladoctriue  qu'on  voulait  lui  faire 
professer.  La  thèse  du  Cistercien  fournissait  une  occasion.  Elle 
fut  exploitée.  Le  14  avril  1663,  Grandin  eut  à  comparaître  à 
la  barre  du  Parlement.  On  lui  reprocha  d'avoir  signé  une 
thèse  comprise  sous  les  termes  prohibitifs  de  Tarrêt  du  22 
janvier  1663.  11  eutbeau  s'excuser  sur  la  date  desa  signature, 
qui  était  antérieure  :  il  fut  suspendu  de  ses  fonctions,  et  le 
cistercien  Desplantes  fut  eu  même  temps  déclaré  exclus  de 
la  licence  (1).  Ce  coup  jeta  l'alarme  dans  la  Faculté,  qui,  selon 
le  récit  du  P.  Rapin,  se  remua  pour  empêcher  V  interdit  du  syndic. 
{Mémoires^  chap.  16.)  Pour  l'effrayer  davantage  et  la  rendre 
plus  docile,  les  ministres  et  le  procureur  général  faisaient  ré- 
pandre le  bruit  de  graves  réformes  auxquelles  elle  serait 
bientôt  soumise,  stratagème  qui  continuait  encore  en  1682.  A 
cette  époque  le  procureur  général  de  Harlay,  dans  une  lettre 
au  minisire  Le  Tellier,  rappelait  avec  complaisance  ces  habi- 
letés de  1663.  En  lui  proposant,  sous  le  nom  de  réformes,  de 
nouvelles  menaces  de  vexation  contre  la  Sorbonne,  il  lui  di- 
sait :  «  Toutes  ces  choses  répandues  engageront  les  docteurs  à 
tâcher  de  les  éviter  par  quelque  démarche  de  leur  part  qui 
pût  réparer  leur  faute  auprès  du  roi,  comme  ils  ont  fait  leurs 
articles  en  1663,  par  les  soins  que  vous  en  prîtes,  après  l'inter- 
diction du  sieur  GranJin.  »  (Lettre  du  16  juin  1682  Ms.  de 
Saint-Germain,  165,  à  la  Bibliothèque  impériale.)  La  faction 
des  jansénistes  était  déjà  puissante.  Non-seulement  elle  avait 
envahi  le  parlement,  mais  elle  comptait  de  nombreux  adhérents 
dans  la  Faculté.  Quant  aux  chanoines  de  Paris,  l'abbé  Le- 
gendre,  secrétaire  de  l'archevêque  de  Harlay,  dit  qu'ils  étaient 
tous  jansénistes,  excepté  lui  et  deux  autres.  (Mémoires  de  Le- 
gendre,  récemment  publiés  à  Paris,  chez  Charpentier.)  Cette 


(I)  L'original  de  cel  arrêl  se  trouve  à  la  Eib'iolhèque  impériale. 
Ml.  Cotbert,^5b,  Vc,  p.  97. 


418  LA   VÉRITÉ  [TomeVlII. 

faction  voulait  amener  la  Faculté  à  se  déclarer  contre  l'infail- 
libililé  du  Pape.  C'était  la  seule  ressource  du  jansénisme,  qui 
venait  d'être  frappé  par  plusieurs  bulles.  Telle  était  la  situation, 
lorsqu'un  certain  nombre  de  docteurs,  poussés  par  le  ministre 
Le  Tellier,  redigèrent  et  présentèrent  au  roi  la  déclaration  des 
six  articles  ;  déclaration  el  démarche  attribuées  jusqu'à  ce  jour 
h  la  Faculté. 

II.  Texte  des  six  articles.  Critique  par  l'avocat  Pinson.  —  Nous 
donnons  ce  texte  d'après  d'Argentré  {Collectio  judiciorum, 
tom.  m,  part,  i,  p.  90): 

1°  Non  esse  doctrinam  Facultatis  quod  Summus  Pontifex  ali- 
quam  in  temporalia  Régis  christianissimi  auctoritatem  habeat. 
Imo  Facultatem  sernper  obstitisse  etiam  iis  qui  indirectam  ian- 
tummodo  esse  illam  authoritafem  voluerunt, 

1°  Esse  doctrinam  Facultatis  ejusdem  quod  Rex  christianis- 
simus  nullum  omnino  agnoscit  nec  habet  in  temporalibus  supe- 
riorem  prseter  Deum,  eamque  suam  esse  antiquam  doctrinam,  a 
qua  nunquam  recessura  est. 

3°  Doctrinam  Facultatis  esse,  quod  subditi  fidem  et  obedientiam 
Régi  christ ianissimo  ita  debent,  ut  ab  iis  nullo  prxtextu  dispen- 
sari  possint, 

4°  Doctrinam  Facultatis  esse,  non  probarenec  nnquam  probasse 
proposiliones  ullas  Régis  christianissimi  authoritati  aut  germanis 
ecclesix  gallicanx  libertatibus  et  receptis  in  regno  canonibus 
contrarias,  verbi  g)'atia,  quod  Summus  Pontifex  possit  deponere 
Episcopos  adversus  eosdem  canones. 

5°  Doctrinam  Facultatis  non  esse  quod  Summus  Pontifex  sit 
supra  Concilivm  œcumenicuyyi, 

6°  Non  esse  doctrinam  vel  dogma  Facultatis,  quod  Summus 
Pontifex,  nullo  accedente  Ecclesix  consensu,  sit  infallibilis . 

Tels  sont  les  six  fameux  articles,  qui  devaient  se  réduire  à 
quatre,  en  1682,  sous  la  plume  de  Bossuet.  Doctrine  inouïe 
jusqu'à  la  confusion  momentanée  de  l'époque  de  Gerson  et  du 
concile  de  Constance,  et  qui  avait  été  presque  aussitôt  frappée 


Nov.  1>C3."|  SUR    LA   FACULTÉ    DE   TUÉOLOGIE   DB   PARIS.  419 

d'une  réprobation  et  d'un  mépris  universels.  Elle  reparaissait 
pour  la  première  fois  en  1663.  On  a  dit  que  la  forme  négative  : 
Aon  esse  doctrinam  Facultatis,  exprimait  moins  que  les  quatre 
articles  de  168^  :  ceux  qui  le  soutiennent  s'accordent  sur 
ce  point  avec  l'avocat  Pinson,  dont  nous  allons  transcrire  les 
curieuses  observations.  Cet  avocat,  qui  avait  été  probablement 
consulté  par  Colbert,  est  connu  pour  son  Commentaire  de  la 
pragmatique,  et  par  son  édition  des  œuvres  de  Dumoulin.  Cette 
pièce  inédite  se  trouve  à  la  Bibliothèque  impériale,  Mss.  Colbert 
i55,  p.  103. 

«  Obsei'vai ions  par  M.  Pinson,  avocat  au  Parlement.  —  En 
mai  1663.  —  Ces  déclarations  devaient  être  en  termes  affir- 
matifs  et  non  point  négatifs  ;  car  autrement  l'on  n'eu  peut 
rien  conclure  de  positif. 

«  1 .  Cette  première  déclaration  captieuse  devait  être  générale 
et  affirmative,  savoir  que  le  Pape  n'a  aucun  pouvoir  sur  le 
temporel,  non-seulement  du  roi,  mais  de  qui  que  ce  soit, 
comme  sur  le  patronage  laïque,  sur  les  dîmes  inféodées,  sur 
le  revenu  des  bénéfices  et  autres  appartenant  aux  particuliers, 
et  ils  devaient  s'expliquer  de  ceux  qui  ont  voulu  donner  une 
autorité  indirecte  au  Pape  sur  le  temporel. 

«  2  Le  roi  n'a  pas  besoin  de  l'aveu  de  la  Faculté  pour  prouver 
qu'il  ne  connaît  pas  de  supérieur  dans  le  temporel,  l'aveu  en 
étant  bien  plus  avantageux  de  la  part  des  Papes  mêmes  qui 
le  reconnaissent  ainsi,  comme  le  pape  Innocent  III,  au  cha- 
pitre Per  venerabilem,  dans  les  Décrétales. 

«  3.  Cette  répétition  tant  de  fois  faite  de  Roi  très-chrétien  à 
des  Français  était  inutile,  et  il  eût  été  pins  avantageux  eu  par- 
lant du  roi  de  ne  lui  donner  aucun  autre  titre.  Mais  elle  ne 
peut  être  que  suspecte  en  cet  article,  n'y  ayant  aucune  dif- 
férence a  faire,  pour  Tobéissance  et  la  soumission  des  sujets, 
de  la  véritable  religion  et  autres  ;  les  Papes  n'ayant  droit  en 
nul  cas  de  dispenser  du  serment  de  fidélité  et  de  l'obéissance 
oux  souverains,   et  les  sujets  étant  obligés  d'obéir  à   leurs 


420  LA   VÉRITÉ  [TomeVllI. 

princes,  etiam  dyscolis,  et  n'ayant  que  les  vœux  et  les  prières 
pour  leur  conversion. 

«  4.  Cette  quatrième  est  équivoque  et  suspecte  ;  et  TafFectation 
qu'a  eue  la  Faculté,  en  parlant  des  libertés  de  FÉglise  galli- 
cane, d'user  du  mot  germanis  les  pourrait  faire  passer  pour 
Allemands,  et  non  pour  véritables  Français  ;  les  libertés  de 
l'Église  gallicane  n'étant  généralement  autre  chose  que  Tobser- 
vation  des  anciens  canons  de  l'Église;  et  il  ne  fallait  point 
spécifier  ici  un  cas  particulier  de  la  déposition  des  évèques 
plutôt  qu'un  autre. 

«5.  L'affectation  de  concevoir  le  5®  article  en  termes  négatifs 
ne  peut  être  que  suspecte:  la  Faculté  ayant  toujours  tenu  en 
termes  affirmatifs  que  le  concile  était  par-dessus  le  Pape,  et 
qu'il  était  obligé  de  s'y  soumettre  et  d'y  obéir.  Pour  la  preuve 
de  cette  doctrine  positive  et  affirmative,  il  faut  voir  la  note  des 
compilations  des  Pt^euves  des  libertés  de  l'Église  gallicane,  vo- 
lume I,  cbap.  XII,  article  dernier. 

«  tî.  Le  dernier  article  ne  devait  pas  non  plus  être  conçu  en 
termes  négatifs,  mais  affirmatifs;  savoir  que  le  Pape  n'est 
point  infaillible  de  lui-même,  sans  le  consentement  de  l'Église 
universelle.  Et  le  terme  de  nullovel  non  accedente  Ecclesix  con- 
sensu  est  trop  équivoque  en  cet  endroit.  Car  il  faudrait  savoir 
si  c'est  de  l'Église  imiverselle  que  la  Faculté  entend  parler, 
ou  du  conseil  ordinaire  du  Pape,  savoir  de  consilio  fratrum,  y 
ayant  bien  de  la  dififérence  à  faire  à  cet  égard.  » 

III.  Commeyit  les  six  articles  furent  suggérés  et  concertés  avec 
le  ministre  Le  Tellier.  La  joie  qu'en  eut  la  cour.  Les  docteurs  des 
Ordres  religieux  exclus  des  assemblées  de  la  Faculté,  à  V exception 
de  deux  pour  chaque  ordre. — Le  Père  Rapin  (dans  ses  Mémoiy^es 
inédits,  chapitre  16),  s'exprime  ainsi  : 

«  On  dit  même  que  ses  amis  (du  syndic  Grandin),  lui  ména- 
gèrent une  conférence  avec  Le  Tellier,  secrétaire  d'État,  aux 
Chartreux,  dans  la  chambre  du  Prieur,  où,  après  plusieurs 
discours  par  où  le  syndic  tâchait  à  justifier  ses  sentiments  sur 


Nov.  1863.]  SUR   LA   FACULTÉ  DE   TDÉOLOGIE   DE   PARIS.  421 

le  Pape,  qu'il  prétendait  sains,  ce  ministre  lui  conseilla  d'en 
faire  un  abrégé  qu'il  présenterait  au  roi,  eice  fut  dans  cette 
conférence  que  se  fit  le  premier  projet  de  la  déclaration  dans  les 
six  propositions,  qui  lui  plut,  et  le  syndic  fut  très-content  de 
lui,  quoique  ce  ministre  fût  accompagné  de  l'évêque  de  Saint- 
Pons  qui  aigrissait  les  choses  qui  regardaient  le  Pape.  Le  syn- 
dic leur  fit  comprendre  qu'ils  gâteraient  tout  s'ils  pensaient  à 
détruire  tout-à-fait  l'infaillibilité {\).  LeTellier  en  convint  et  crut 
que  la  religion  serait  en  danger,  de  le  croire  tout-à-fait  faillible; 
ce  qui  lui  fit  dire  que  le  syndic  lui  avait  parlé  de  bon  sens, 
mais  que  l'infaillibilité  lui  tenait  au  cœur.  L'archeoêque  de 
Paris  fit  le  reste  pour  la  déclaration  avec  Le  Tellier,  qui  en  parla 
au  roi,  comme  d'un  avantage  sur  la  Sorbonne  pour  la  sûreté  de  ses 
affaires  et  comme  d'un  rempart  contre  la  cour  de  Rome.  Cepen- 
dant les  docteurs  disaient  tout  haut  que  le  syndic  ne  devait 
point  être  puni,  n'étant  nullement  coupable  ;  ce  qui  fit  prendre 
la  résolution  à  la  Faculté  de  députer  au  roi  pour  empêcher 
cet  interdit,  et  de  lui  présenter  cette  déclaration  de  sa  doctrine 
sur  le  Pape  :  on  dit  toutefois  que  ce  n'était  pas  une  députât  ion 
dans  les  formes,  mais  un  nombre  de  docteurs  des  plus  zélés  pour 
l'honneur  de  leur  corps,  présentés  par  l'évêque  de  Piodez, 
Hardouiu  de  Péréfixe,  nommé  proviseur  de  Sorbonne.  Mécon- 
tents qu'ils  étaient  du  traitement  rude  du  Parlement  et  surtout 
de  l'avocat  général  Talon,  qui  les  appela  schismatiques,  en- 
nemis de  l'État  et  perturbateurs  du  repos  public,  ils  prirent  le 

(1)  C'est  là  probablement  le  mot  de  l'énigme  pour  la  formule  né- 
gative non  esse  do^lrinam  Facultatis.  Grandin  et  les  autres  dupes 
que  le  ministre  Le  Tellier  menait  habilement  à  ses  fin?,  ne  voulaient 
pas  détruire  tout-à-fait  l'infaillibilité  du  Pape  ;  ils  voalaicnl  seule- 
ment la  détruire  un  peu,  sans  doute  par  esprit  de  conciliation,  et 
pour  qu'on  laissât  enfin  la  Faculté  tranquille.  Us  se  seront  persuadé 
qu'en  employant  la  forme  négative,  ils  ne  détruisaient  pas  tout  à-fait 
l'infaillibilité  du  Pape,  ni  sa  supériorité  sur  les  Conciles  et  son  pou- 
voir indirect  sur  le  temporel.  Et  les  renards  de  la  cour  leur  auront 
fait  cette  concession,  en  riant  de  leur  bonhomie,  et  sachant  bien  ce 
qu'ils  feraient. 


422  LA    VÉRITÉ  ITi.nic  VU!. 

pai'li  d'aller  au  roi,  de  lui  présenter  la  déclaration  de  leur 
doctrine  sur  le  Pape  et  sur  le  temporel  des  rois,  pour  lui  faire 
connaître  qu'on  lui  en  faisait  accroire  sur  cet  article,  et  qu'ils 
étaient  aus^i  bous  serviteurs  du  roi  que  ceux  qui  les  accusaient 
de  ne  l'être  pas.  Cette  déclaration  contenait  six  propositions  : 
la  première,  que  ce  n'est  nullemerd  la  doctrine  de  la  Faculté  que 
le  Souverain- Pontife  ait  aucune  autorité  sur  le  temporel  des  rois. 
La  seconde,  que  c'est  la  doctrine  de  la  Faculté  que  le  roi  très- 
chrétien  n'a  que  Dieu  au-dessus  de  lui  pour  le  temporel  ;  que  c'est 
son  ancienne  doctrine  de  laquelle  elle  ne  se  départira  jamais.  La 
troisième,  que  les  sujets  du  roi  lui  doivent  une  fidélité  et  une 
obéissance  dont  ils  ne  peuvent  être  dispensés  sous  quelque  prétexte 
que  ce  soit.  La  quatrième,  que  la  même  Faculté  n'approuve  point 
et  n'a  jamais  approuvé  aucune  de  ces  propositions  contraires  à 
l'autorité  du  roi,  aux  libertés  de  l'Eglise  gallicane  et  aux  canons 
reçus  dans  le  royaume,  par  exemple  que  le  Pape  peut  déposer  les 
évêqiies,  contre  ces  mêmes  canons.  La  cinquième,  que  ce  n  est  pas 
la  doctrine  de  la  Faculté  que  le  Pape  soit  au-dessus  du  Concile. 
La  sixième,  que  ce  n'est  pas  aussi  la  doctrine  de  la  Faculté  que 
le  Pape  soit  infaillible  sans  quelque  consentement  de  l'Eglise.  Ce 
fut  l'éclaircissement  que  ces  docteurs  donnèrent  de  leurs  sen- 
timents sur  ce  sujet.  Le  roi  leur  répondit  qu'il  verrait  son  con- 
seil; mais  en  attendant  la  réponse  de  S.  M.,  il  se  fit  eu  Sor- 
bonue  une  suspension  de  toutes  les  fonctions  de  disputes, 
exercices  et  fonctions  qui  regardaient  le  syndicat  par  l'interdit 
du  syndic. 

«  A  l'occasion  d'une  autre  thèse  qui  fut  soutenue  à  Poitiers, 
au  collège  des  Jésuites,  par  un  théologien  de  leur  Compagnie, 
qui  attribuait  au  Pape  une  espèce  d'infaillibilité  quand  il  par- 
lait ejc  cathedra,  le  procureur  général  eut  avis  que,  pour  remé- 
dier aux  inconvénients  de  ces  thèses  favorables  au  Pape,  il 
fallait  renouveler  l'observation  des  anciens  règlements  de  la 
Faculté,  qui  ordonnent  aux  religieux  mendiants,  après  qu'ils 
ont  reçu  le  degré  de  docteur,  de  se  retirer  dans  les  couvents 


Nov.  18(;3.1     SUR  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  PARIS.         423 

de  leur  profession,  pour  répandre  dans  tout  le  royaume  les 
bonnes  semences  de  la  doctrine  qu'ils  ont  apprise  dans  celte 
école.  C'était  un  pur  prétexte  pour  réduire  le  nombre  de  chaque 
ordre  à  deux  religieux  dans  les  assemblées  de  Sorbonne,  de  crainte 
que  la  multitude  de  ces  réguliei's,  de  leur  fond  attachés  au  Pape, 
ne  l'emportât  sur  les  docteurs.  Sur  quoi  Achille  de  Harlay,  son 
substitut,  requit  à  la  chambre  des  vacations  un  arrêt  pour 
régler  ce  nombre,  ce  qui  se  fit  le  25  septembre,  où  les  arrêts 
rendus  sur  ce  sujet  les  années  4552,  1621  et  1648,  furent  con- 
firmés. Mais  l'opposition  s'étant  faite  de  la  part  de  tous  les 
Ordres  religieux,  le  roi  fut  requis  de  le  demander  en  son  nom 
parce  qu'il  s'agissait  de  la  sûreté  et  de  la  fidélité  df3  son  ser- 
vice ;  ce  qui  se  fit  avec  toute  la  solennité  qui  pent  donner 
autorité  à  un  ordre  de  cette  nature.  Deux  conseillers  députés, 
accompagnés  du  substitut  du  procureur  général,  allèrent  en 
Sorbonne  :  le  substitut  loua  la  Faculté  de  sa  déclaration  qui 
fut  portée  sur  la  fin  du  parlement  à  la  grand'chambre,  et  par 
ce  moyen  le  syndic  Grandin  rétabli  ;  dit  aux  docteurs  assem- 
blés que  cette  déclaration  avait  donné  bien  de  la  joie  à  la  cour  ; 
que  c'était  un  nouveau  gage  de  la  pureté  de  sa  doctrine  et  de 
sa  fidélité,  et  comme  un  établissement  solide  des  anciennes 
vérités  et  la  guide  certaine  de  sa  conduite.  L'estime  aussi  que 
la  cour  a  toujours  eu  pour  cette  compagnie,  lui  a  fait  prendre 
beaucoup  plus  de  part  en  cette  satisfaction  publique  que  tous 
les  autres  ordres  du  royaume  ;  et  pour  marquer  cette  satisfac- 
tion par  le  rétablissement  d'une  doctrine  si  chrétienne  et  si 
française,  elle  l'a  fait  insérer  dans  ses  registres  et  lui  a  bien 
voulu  donner  place  entre  ses  arrêts  les  plus  souverains;  la 
déclaration  aussi  par  laquelle  le  roi  a  voulu  que  ses  articles 
fussent  publiés  dans  toute  l'étendue  de  ses  Etats,  pour  y  être 
la  règle  certaine  des  sentiments  de  tous  ses  sujets,  comme 
ceux  que  nous  dressa  le  dernier  siècle  le  furent  de  la  foi  de 
tout  ce  royaume,  est  une  approbation  incontestable  de  son 
estime  et  de  son  aflfection.  Ça  été  sans  doute  dans  cette  pensée 


424  LA   VÉRITÉ  [Tome  VIII. 

qu'il  vient  d'ordonner  par  un  arrêt  l'exécution  du  règlement 
qui  avait  autrefois  été  fait  pour  régler  le  nombre  des  religieux 
dans  les  assemblées  de  la  Faculté  à  deux  seulement. 

«  Sur  quoi  un  carme  nommé  Lombart  voulut  parler  pour 
former  opposition  à  ce  règlement,  prétendant,  pour  lui  et  pour 
tous  les  autres  religieux,  qu'ils  ne  devaient  pas  être  de  moindre 
condition  que  les  autres  docteurs,  qui  avaient  droit  d'assister 
aux  assemblées  dès  qu'ils  avaient  pris  le  bonnet,  sans  limita- 
tion. On  lui  a  remontré  qu'il  pourrait  faire  telle  réquisition 
que  bon  lui  semblerait,  mais  que,  cependant,  il  fallait  obéir 
à  l'arrêt,  et  la  chose  eu  demeura  là.  C'était  ainsi  qu'on  dé- 
pouillait le  Pape  de  ses  secours  en  le  dépouillant  de  ses  pou- 
voirs, car  les  religieux  sont  d'ordinaire  ceux  qui  sont  les  plus 
attachés  au  Saint-Siège,  et,  de  tous  les  serviteurs  du  Pape, 
les  plus  fidèles,  non  pas  en  qualité  d'émissaires  et  d'esclaves, 
comme  disait  l'avocat  général  Taion,  mais  parce  que,  dans  le 
fond,  ils  ont  plus  de  christianisme  et  de  vraie  piété,  comme 
tout  le  monde  sait,  que  tous  les  autres  sujets  du  Pape.» 

IV.  Arrêt  du  parlement  et  ordonnance  du  roi  pour  sanctionner 
les  six  articles  et  défendre  de  rien  enseigner  de  contraire.  — 
a  Arrêt  de  la  cour  de  parlement  :  Ce  jour,  les  gens  du  roi, 
maitre  Denis  Talon,  avocat  dudit  seigneur,  portant  la  parole, 
ont  dit  à  la  cour  que  le  syndic  de  la  Faculté,  avec  sept  doc- 
teurs en  la  Faculté  de  théologie,  mandés  suivant  l'arrêt  du 
jour  d'bier,  étaient  au  parquet  des  huissiers.  Eux  entrés,  le 
premier  président  leur  a  dit  que  la  cour  les  avait  mandé? 
pour  apporter  la  déclaration  faite  par  la  Faculté  de  théologie 
de  ses  sentiments  touchant  l'autorité  du  Pape.  Le  doyen  de 
la  Faculté  a  dit  que,  pour  obéir  aux  ordres  de  la  cour,  ils 
avaient  apporté  la  dite  déclaration  extraite  des  registres  de  la 
dite  Faculté  et  signée  par  le  bedeau  d'icelle;  contenant  ; 
Primo,  non  esse  doctrinam  Facultatis,  etc.  Icelle  déclaration 
lue...,  les  gens  du  roi,  par  la  bouche  de  maître  Denis  Talon, 
ont  dit  :  Personne  n'ignore  les  efforts  et  les  artifices  pratiqués 


Nov.  4863.1  SUR   LA   FACULTÉ  DB   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  423 

par  les  partisans  de  la  cour  de  Rome  depuis  trente  ans  pour 
élever  la  puissance  du  Pape  par  de  fausses  prérogatives...  La 
Faculté  de  théologie,  occupée  par  une  cabale  puissante  de 
moines  et  de  quelques  séculiers  liés  avec  eux  par  intérêt  ou 
par  faction,  a  eu  de  la  peine  à  se  démêler  de  ces  liens  injustes 
et  à  suivre  les  traces  des  Gerson  et  des  autres  personnages 
illustres  qui  ont  été  dans  tous  les  siècles  les  principaux  dé- 
fenseurs de  la  vérité.  Mais  enfn,  par  un  généreux  effort,  ayant 
fait  réflexion  sur  ce  qu'elle  doit  au  roi,  au  public,  à  sa  propre 
réputation,  elle  a  expliqué  ses  sentiments...  Et  comme  les  six 
propositions  qui  viennent  d'être  lues  et  expliquées  par  l'or- 
gane du  doyen  contiennent  non-seulement  la  condamnation 
de  tout  ce  qui  pouvait  établir  quelque  supériorité  du  Pape  sur 
le  temporel,  mais  aussi  de  cette  chimère  d'infaillibilité  et  de 
cette  dépendance  imaginaire  du  concile  au  Pape,  il  est  inutile 
d'examiner  si  toutes  ces  p?'opositions  sont  conçues  en  termes 
affirmatifs  ;  étant  certain  qu'il  n'y  a  point  de  milieu  entre 
deux  propositions  contradictoires,  et  que  si  la  Faculté  ne  croit 
pas  que  le  Pape  soit  infaillible,  il  faut,  par  une  conséquence 
nécessaire,  qu'elle  juge  qu'il  peut  tomber  ou  être  induit  en 
erreur  et  corrigé  par  une  puissance  supérieure  qui  ne  peut 
être  autre  que  celle  du  Concile  et  de  l'Église  universelle... 

«  La  dite  cour  a  ordonné  et  ordonne  que  les  dits  articles 
contenus  en  la  déclaration  de  la  dite  Faculté  de  théologie  se- 
ront enregistrés...  A  fait  et  fait  inhibitions  et  défenses  de  sou- 
tenir aucune  doctrine  contraire  aux  dits  articles.  Ce  faisant,  a 
levé  les  suspensions  portées  par  l'arrêt  du  14  avril  dernier... 
Fait  à  Paris  le  trenlièrae  jour  de  mai  1663.  »  (D'Argeutré, 
Collectio  judiciorum,  t.  m,  part,  i,  p.  91.) 

L'ordonnance  royale  est  du  4  août  1663.  Elle  défend  toute 
doctrine  contraire,  à  peine  d'être  procédé  contre  eux  extraor- 
dinairement .  (Voir  le  texte,  ib.  p.  93.) 

Le  docteur  de  Flavigny,  janséniste  fougueux,  disait,  peu 
après,  dans  une  assemblée  de  la  Sorbonne,  que  par  la  déola- 


J,2ù  LA    \ÉRITÉ  ITomo  VUI. 

ration  des  six  articles,  la  colère  du  roi  s'était  apaisée  :  ut 
etiam  y^egis  ira  quieverit.  (Voir  ce  discours  dans  la  Collectio 
Judiciorum  de  d'Argentré,  première  partie  du  tome  m,  p.  95.) 

V.  Protestation  de  plusieurs  docteurs  contre  les  six  articles. — 
Nous  avons  rapporté  plus  haut  (§  3)  la  pièce  inédite,  datée  du 
28  mai  1663,  qui  constate  cette  protestation.  Il  y  est  dit: 
«  Les  mêmes  docteurs  ont  fait  de  semblables  protestations  contre 
les  articles  naguère  présentés  au  roi  par  la  Faculté  ;  en  quoi  le 
dit  sieur  Grundin  se  montrerait  extrêmement  prévaricateur  et 
extraordinairement  dissimulé.  »  Et  auparavant  on  trouve  ces 
mots  :  «  On  sait  de  bonne  part  qu'il  y  a  eu  vingt-deux  doc* 
teurs  de  la  Sorbonne  qui  ont  fait  des  protestaiions,  qui  ne 
peuvent  être  que  criminelles  et  séditieuses,  contre  l'enregis- 
trement du  premier  arrêt  du  parlement  au  sujet  de  l'infailli- 
bilité. » 

Examinons  maintenant  si  les  articles  de  1663  peuvent  être 
considérés  comme  l'œuvre  consentie  par  la  majorité  des  doc- 
teurs de  la  Faculté. 

VI.  Les  six  articles  de  1663  n'expriment  pas  le  sentiment  de 
la  Faculté  et  ne  doivent  pas  lui  être  attribués.  —  Le  document 
rapporté  par  d'Argentré  {loc.  C2Ï.,  p.  91)  aISrme  non-seule- 
ment que  la  Faculté  consentit  aux  six  articles,  mais  qu'elle  y 
consentit  à  l'unanimité.  11  y  est  rapporté  que,  le  H  mai  1663,  il 
se  tint  une  assemblée  extraordinaire,  et  que  rarchevêque  de 
Paris,  de  Harlay,  y  rapporta  comment,  avec  les  docteurs  députés 
par  la  Faculté,  il  était  allé  trouver  le  roi,  et  lui  avait  lu  les  six 
articles.  Puis  le  procès-verbal  ajoute  :«  His  ita  relatis,  prœdicta 
omnia,  ab  illustrissimo  Farisiensi  archiepiscopo  nomine  Fa- 
cultatis  apud  regeai  christianissimum  acta,  omnes  et  singuli 
magistri  comprobarunt .  »  On  s'étonnera  qu'en  présence  d'un 
pareil  document,  nous  osions  nier  que  les  six  articles  soient 
l'œuvre  librement  consentie  de  la  Faculté.  Nous  le  nions  tou- 
tefois, et  voici  nos  motifs. 

1^  Tout  fait  présumer  que  l'assemblée  où  furent  admis  les 


Ool.l8fi3. 1  SUR   LA  FACULTÉ   DE  THÉOLOGIE   DE   PARIS.  427 

six  articles  fut  seulement  une  fraction,  ou,  pour  mieux  dire, 
une  faction  de  la  Faculté,  et  rien  ne  prouve  le  contraire. 
Nous  avons  déjà  vu  que  les  articles  avaient  été  suggérés  par 
le  ministre  Le  Tellier  et  concertés  avec  lui.  Il  s'agissait  de  les 
faire  endosser  à  la  Faculté.  On  pouvait  compter  sur  le  zèle 
des  docteurs  jansénistes,  qui  n'étaient  pas  en  petit  nombre,  et 
pour  qui  les  six  articles  étaient  la  planche  de  salut  contre  les 
bulles  du  Pape. 

L'archevêque  de  Paris,  de  Harlay,  ce  prélat  de  si  ti'iste  mé- 
moire (1),  s'était  mis  en  campagne  pour  faire  réussir  la  ma- 
chination qui  devait  donner  tant  de  joie  à  la  cour.  On  mettait 
en  avant  qu'au  moyen  de  la  déclaration  des  six  articles,  la 
colère  du  roi  s'apaiserait,  le  syndic  Grandin  serait  rétabli 
dans  ses  fonctions,  et  que  la  Faculté  éviterait  les  réformes 
dont  elle  était  menacée.  D'autre  part,  ceux  des  docteurs  qui 
auraient  voulu  voter  contre  les  six  articles  ne  pouvaient  le 
faire  sans  péril.  Par  là  même  ils  auraient  été  accusés  d'en- 
freindre les  arrêts  du  Parlement,  qui  avaient  prohibé  de  soute- 
nir l'infaillibilité  du  Pape,  sa  supériorité  sur  le  concile,  et  même 
son  plein  pouvoir  de  gouverner  l'Église,  et  ce  sous  peine  d'être 
procédé  contre.  On  les  aurait  traités  de  criminels  et  de  séditieux. 
Dans  cette  situation,  quesera-t-il  arrivé  ?  La  majorité  des  doc- 
teurs de  la  Faculté  se  sera  abstenue,  et  l'assemblée  extraordi- 
naire où  l'afiaire  des  six  articles  fut  bâclée,  n'aura  été  qu'une 
fraction,  composée  des  jansénistes  et  d'un  certain  nombre 
d'autres  que  leservilisme  rendait  capables  de  tout.  Pour  prouver 
le  contraire  il  faudrait  produire  des  procès-verbaux,  relatant  le 
nombre  des  docteurs  présents,  et  montrant  que  la  Faculté  y 
était  moralement  représentée.  En  attendant,  notre  hypothèse 
est  seule  vraisemblable.  Elle  s'appuie  en  outre  sur  des  faits 
positifs. 

Premièrement.  Cette  déclaration  en  six  articles  fut  faite  au 
roi  par  sept  docteurs  soi-disant  députés  par  la  Faculté.  Mais 

(I)  Le  scandale  de  ses  moeurs  élail  public  à  Paris,  comme  l'éta- 
blissent suraLondammenl  les  mémoires  de  l'époque. 


428  LA   VÉRITÉ  [Tome VIII. 

cette  députalion  fut-elle  réellement  considérée  dans  le  public 
comme  une  députation  de  la  Faculté?  Selon  le  témoignage  du 
P.  Rapin,  il  fut  dit  que  ce  n'était  pas  une  députation  dans  les 
formes,  mais  un  nombre  de  docteurs  des  plus  zélés  pour  l'honneur 
de  leur  corps.  Comment  cette  idée  se  serait-elle  répandue  dans 
le  public,  si  la  Faculté  eût  été  réellement  représentée,  et  si 
les  délibérations  eussent  été  régulières  ?  Dans  cette  affaire, 
l'escamotage  se  trahit  de  toutes  parts.  On  dira  peut-être  que 
les  docteurs  non  consentants  aux  six  articles,  auraient  dùré- 
clanjer.  C'est  facile  à  dire.  Mais  auprès  de  qui  et  comment?  Ils 
protestèrent  et  envoyèrent  leurs  protestations  au  Nonce,  re- 
légué alors  hors  frontières.  Mais  cet  acte  fut  traité  de  criminel 
et  de  séditieux,  et  on  Fétouffa  tellement  dans  le  silence,  que  je 
suis  le  premier  à  le  faire  connaître  en  1863. 

Secondement.  Une  autre  preuve  que  l'assemblée  où  furent 
acceptés  les  six  articles  n'était  qu'une  faction,  c'est  l'unani- 
mité constatée  par  le  procès-verbal  :  Omnes  et  singuli  magistri 
compt'obarunt .  Puisque  tous  les  membres  de  cette  réunion  accep- 
tèrent, les  vingt-deux  docteurs  de  Sorbonne,  le  curé  de  Sainl- 
Sulpice  et  autres,  qui  firent  la  protestation  relatée  au  numéro 
V,  ne  s'y  trouvaient  donc  pas.  Donc  cette  réunion  n'était  pas 
toute  la  Faculté.  Que  prouve  l'absence  de  ces  protestants  et  de 
ces  séditieux,  comme  ils  sont  nommés  dans  la  dénonciation  au 
ministre  Golbert,  si  ce  n'est  que  la  majorité  des  docteurs,  op- 
posée aux  six  articles,  s'abstint  d'aller  à  ce  conciliabule,  faute 
de  liberté  pour  émettre  leur  opinion? 

Troisièmement.  Nous  montrerons  bientôt  que  les  quatre  ar- 
ticles de  1682  furent  réprouvés  et  rejetés  à  la  majorité  de  seize 
voix,  malgré  la  pression  la  plus  tyrannique,  et  quoique  la  Fa- 
culté fût  misérablement  mutilée  par  l'exclusion  des  docteurs 
des  Ordres  religieux,  tous  attachés  à  la  doctrine  romaine,  à 
l'exception  de  trois.  Or,  les  quatre  articles  de  1682  ne  furent 
que  la  reproduction  des  six  articles  de  1663.  Comment  sup- 
poser quela  Faculté  aitréprouvé  en  1682,  une  doctrine  qu'elle 
aurait  professée  en  1663?  Certes,  ce  serait  mal  placer  les 


Nov,  1863.]  SUR   LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  429 

conversions  à  la  doctrine  romaine.  Non,  rien  ne  prouve  que 
les  six  articles  de  1663  puissent  être  attribués  à  la  Faculté,  et 
c'est  plutôt  le  contraire  qui  résulte  des  raisons  indiquées. 

Mais  ces  raisons  fussent-elles  sujettes  à  litige,  il  en  resterait 
une  incontestable,  et  qui  suffit  pour  dépouiller  à  jamais  la 
funeste  formule  de  1663,  de  l'autorité  de  la  Faculté  de  Paris, 
dont  on  l'a  crue  jusqu'ici  inséparable.  La  voici. 

S*'  Les  décisions,  non-seulement  d'une  faculté,  mais  même 
d'uu  concile  écuméuique,  fussent-elles  votées  à  Tunanimité, 
sont  nulles  et  de  nulle  autorité,  si  elles  sont  l'eflet  de  la  con- 
trainte, des  menaces,  de  la  peur;  en  un  mot,  si  elles  ne  sont 
pas  libres.  C'est  là  un  principe  sur  lequel  aucun  catholique  ne 
saurait  élever  le  moindre  doute.  11  s'applique  même  aux  défi- 
nitions du  Saint-Siège.  Dès  lors  qu'on  pourrait  constater  le 
manque  de  liberté,  la  définition  devrait  être  regardée  comme 
non  avenue,  La  raison  en  est  simple  :  le  jugement  émis  sous 
l'influence  des  vexations,  des  menaces  et  de  la  peur,  ne 
transmet  pas  d'une  manièi'e  certaine  la  pensée  de  celui  qui  le 
prononce. 

Ce  principe  posé,  supposons  (ce  qui  n'est  pas  selon  nous,) 
que  les  six  articles  aient  été  réellement  admis  par  la  majorité 
des  docteurs  :  pourrait-on  dire  qulls  expriment  la  peusée,  la 
véritable  doctrine  de  la  Faculté  ?  Évidemment  non,  puisque 
la  Faculté  n'était  plus  libre,  aiusi  qu'il  ressort  des  documents 
cités.  Résumons-les:  peu  avant  les  six  articles,  c'est-ù-dire, 
le  14  avril  1603,  le  syndic  Grandin,  l'homme  de  la  conciliation, 
disait  en  plein  Parlement  qu' il  fallait  passer  ces  mauvais  temps, 
jusqu'à  ce  que  la  liberté  eût  été  rendue  à  la  Faculté.  Le  discours 
de  l'avocat  Talon  nous  fait  assez  entendre  à  quelle  pression  la 
Faculté  avait  été  soumise.  L'aveu  est  à  noter:  «  La  faculté  de 
théologie,  dit-il.  a  eu  de  la  peine  à  se  démêler  de  ces  liens  in- 
justes et  à  suivre  les  traces  des  Gersou...  Mais  enûn  par  ua  gé- 
néi^eux  effort,.,  elle  a  expliqué  ses  sentiments.  »  En  1682,1e 
procureur  géjiéral  de  Harlay  rappelle  au  ministre  Le  ïellier, 
qu'il  est  bon  d'efïrayer  les  docteurs  pour  en  obtenir  les  dé- 


^30  LA  VÉRITÉ  [Tome  VIII. 

marches  qu'on  souhaite,  et  cite   en  preuve  ce  qui  était  arrivé 
en  1663:  Comme  ils  ont  fait  leurs  articles  en  1663  par  les  soins 
que  vous  en  prîtes,  après  l'interdiction  du  sieur  Grandin.  Ainsi  la 
cour  voulut  cette  déclaration;  le  ministre  Le  Tellier  la  conseilla 
(c'est-à-dire  Timposa)  et  en  arrêta  la  formule;  et  le  valet  des 
volontés  des  ministres^  l'archevêque  de  Harlay,  pesa  sur  les 
docteurs  de  tout  le  poids  de  son  autorité  pour  faire  réussir 
l'entreprise.  Ce  n'est  pas  tout:  repousser  les  six  articles,  c'était 
soutenir  l'infaillibilité  du  Pape,  sa  supériorité  sur  le  concile, 
son  plein  pouvoir  de  gouverner  l'Église.  Or,  des  arrêts  du 
Parlement  avaient  défendu  d'enseigner  et  de  soutenir  de  pa- 
reilles propositions,  sous  peine  d'être  procédé  contre.  Ainsi  chacun 
des  docteurs  qui  aurait  voulu  se  déclarer  contre  les  six  articles, 
ne  s'exposait  à  rien  moins  qu'à  des  poursuites  judiciaires.   Il 
s'exposait  surtout  à  l'animadversion  de  l'indigne  archevêque 
de  Harlay,  dont  la  bienveillance  était  nécessaire  à  la  plupart  de 
ces  docteurs  pour  avoir  de  quoi  vivre.  On  peut  se  faire  une  idée 
de  cette  situation  par  le  passage  suivant  de  l'abbé  Legendre, 
secrétaire  de  ce  prélat.  «  Quelques-uns  de  ces  messieurs...  lui 
«  ayant  reproché  (à  Lefèvre,  syndic  de  la  Faculté  en  1695)  les 
«  cabales  qui  se  faisaient  pour   et  contre  Marie  d'Agréda  : 
«  Nous  sommes  plus  à  plaindre  qu'à  blâmer,  dit  ingénument  le 
«  syndic  ;  la  Faculté  a  toujours  été  et  sera  toujours  le  Jouet  et 
«  l'esclave  des  puissances  qui  la  dominent  :  de  la  cour,  parce  que 
«  d'un  trait  de  plume  elle  peut  casser  nos  privilèges  ;  du  parle- 
<(  ment,  parce  qu'il  les  restreint  et  les  étend  comme  il  lui  plaît  ; 
a  et  principalement  de  l'Archevêque  de  Paris,  parce  que  la  plu- 
V  part  de  nous  ne  vivant  que  de  confesse  et  de  prêche,  il  peut, 
«  quand  il  lui  plaira,  7ious  ôter  le  pain  de  la  main.  Quelle  pitié 
«  qu'une  compagnie  d'ecclésiastiques,  qui  font  serment  de 
G  soutenir  la  vérité  jusqu'à  reffusion  de  leur  sang,   changent 
«  selon  le  temps  de  maximes  et  de  sentiments  en  choses  même 
«  les  plus  graves  !  11  y  a  plus  de  cent  ans  que  le  cardinal  du 
((  Perron  lui  a  fait  ce  sanglant  reproche  aux  États  de  Paris, 
«  sans  que  depuis  elle  ait  tenu  d'autre  conduite.  »  {Mémoires 


Nov.  l!î(J3.i  &UU   LA   FACULTÉ   Dli   THÉOLOGIE    DE    PARIS.  -^31 

de  Vabbé LegendrCy  p.  "228;  Paris,  Charpentier,  1863.)  Mais  ce  qui 
montre  à  quel  point  la  liberté  fut  étouffée,  c'est  la  protestation 
contre  les  six  articles,  signée  et  envoyée  au  Nonce  par  vingt- 
deux  docteurs  de  Sorbonne,  par  le  curé  de  Saint-Sulpice  et 
autres  ;  démarche  que  la  police  du  gouvernement  parvint  à 
découvrir,  et  qui  fut  dénoncée  au  ministre  Colbert  comme 
criminelle  et  séditieuse.  Si  tous  ces  docteurs  avaient  espéré  de 
pouvoir  émettre  impunément  leur  opinion  à  l'assemblée  où 
l'on  accepta  les  six  articles,  ils  s'y  seraient  rendus,  et  il  n'y 
aurait  [>as  eu  unanimité.  Puisqu'ils  ne  s'y  rendirent  pas,  et 
qu'ils  ne  virent  d'autre  moyen  de  satisfaire  à  leur  conscience 
que  d'envoyer  une  protestation  secrète  au  Pape,  c'est  qu'il  n'y 
avait  plus  ombre  de  liberté.  Dès  lors  que  signifie  l'adhésion 
des  docteurs  présents  à  cette  assemblée  ?  Quand  même  toute 
la  Faculté  s'y  serait  trouvée  au  complet,  quand  même  elle  au- 
rait voté  unanimement  pour  les  six  articles  demandés  par  les 
ministres,  cet  acte,  par  le  fait  notoire  de  la  pression  et  du 
manque  de  liberté,  resterait  à  jamais  frappé  de  nullité  .-jamais 
on  ne  pourrait  le  produire  comme  l'expression  authentique  de 
la  doctrine  de  la  Faculté.  Mais  nous  sommes  loin  d'admettre 
que  la  réunion  qui  adhéra  aux  six  articles  ait  représenté  la 
Faculté.  Nous  l'avons  dit  plus  haut,  ce  ne  fut  qu'une  faction. 
Et  chose  étrange,  qui  ne  jette  pas  peu  de  lumière  sur  cette 
ténébreuse  machination,  le  syndic  Graudin,  avec  lequel  le 
ministre  Le  Tellier  avait  concerté  et  arrêté  la  formule  des  six 
articles-  est  du  nombre  de  ceux  qui  protestent  contre  ces 
mêmes  articles  auprès  du  Saint-Siège  !  Que  s'était-il  passé 
dans  celte  conscience?  Et  si  le  co-rédacteur  des  six  articles  a 
lui-même  déploré  sa  malheureuse  concession,  que  penser  des 
autres  ? 

Inutile  d'ajouter  que  la  prétendue  déclaration  de  la  Faculté 
uufi  fois  obtenue,  il  ne  fut  plus  possible  aune  voix  quelconque 
do  faiie  entendre  une  syllabe  de  réclamation.  L'arrêt  du  Par- 
lement et  l'ordonnance  du  Roi  se  hâtèrent  d'y  apposer  leur 
redoutable  cachet.  Vouloir  imprimer  une  ligne  en  sens  con- 


432  LA  YÉRITÉ  I^TomeVlII. 

traire,  dans  une  llièse  ou  dans  un  livre,  eût  été  une  tentative 
inutile.  Et  quiconque  aurait  hasardé  une  opposition  de  vive 
voix,  en  Sorbonne  ou  ailleurs,  aurait  appris  à  ses  dépens  ce 
que  signifiait  la  formule,  à  peines  d' être  procédé  contre  eux  ex- 
traordinairement .  C'était  l'époque  des  lettres  de  cachet. 

Ainsi  s'écroule  le  point  d'appui  du  livre  de  la  défense,  attri- 
bué à  Bossuet.  Abandonnant  les  quatre  articles  de  1682 
{abeat  quo  libuerit  declaratio),  il  se  rattachait  à  la  doctrine  de  la 
Faculté  de  Paris,  aux  six  articles  de  1663.  Mieux  que  tout  autre, 
Bossuet  devait  savoir  que  les  six  articles  n'étaient  pas  la  doc- 
trine de  la  Faculté.  Mais  le  roi  lui  avait  ordonné  d'écrire  une 
défense  ;  et  il  est  douloureux  de  penser  qu'un  prélat  qui  jouis- 
sait d'une  telle  position  dans  l'Église  de  France  a  pu  justifier 
les  renseignements  confidentiels  transmis  à  Colbert  en  1663  : 
Lorsqu'il  verra  un  parti  qui  conduit  à  la  fortune,  il  y  donnera 
quel  qu'il  soit,  et  il  y  pourra  servir  utilement  (V.  §  2,  n.  vni). 
Quoiqu'il  en  soit,  les  documents  cités  plus  haut  ne  laissent 
aucun  doute  sur  l'état  des  choses.  Un  jour,  sans  doute,  on 
cessera  d'avoir  une  admiration  et  une  confiance  trop  aveugles 
pour  Bossuet  :  on  distinguera  l'orateur  et  le  théologien  de  l'é- 
vêque  et  l'on  arrivera  à  une  appréciation  juste  de  sa  conduite 
et  de  ses  actes. 

Il  nous  serait  aisé  d'étendre  nos  conclusions  à  laschismatique 
censure  du  livre  de  Vernant,  prononcée  le  24  mai  1664,  et 
condamnée  par  le  pape  Alexandre  VII.  La  censure  se  fit  au 
nom  de  la  Faculté  ;  mais  cette  faculté  n'était  plus  libre  :  ce 
n'était  plus  elle  qui  agissait,  c'était  une  faction.  Nous  omettons 
cet  événement  intermédiaire,  ayant  hâte  d'arriver  à  l'affaire 
capitale  des  quatre  articles  de  1682.  Jusqu'ici  on  a  fait  endos- 
ser à  la  Faculté  ces  trop  célèbres  articles  ;  on  les  a  supposés 
admis  et  contresignés  par  elle.  On  va  voir  dans  le  prochain 
article  ce  qui  en  est.  D.  Bouix. 

[La  suite  lirochainement ,) 


LES  SERMONS 


LOUIS     DE     GRENADE 


ŒiiTres  complètes  de  lionis  de  (ïrenade^  traduites  intégrale - 
ment,  pour  la  première  fois,  en  frnnçjnij,  par  MM.  Bareille,  Duval, 
Crampon,  J.  Bouclier,  Berton,  etc.  20  vol.  in-S».  Paris,  Vives. 


Uu  de  nos  collaborateurs,  dans  un  article  précédent,  a  surtout 
considéré  et  étudié  Louis  de  Grenade  comme  auteur  ascétique. 
Aujourd'hui,  nous  nous  occuperons  spécialement  de  ses  ser- 
mons. 

Dès  l'abord  une  difficulté  nous  arrête.  En  quelle  langue 
Grenade  composa-t-il  ses  sermons  ?  Ils  ont  été  imprimés  plu- 
sieurs fois  à  Anvers  en  six  volumes  lalins,  à  la  fin  du  XVI« 
siècle  et  au  commencement  du  XVIP,  et  ce  latin  est  évidem- 
ment original.  Mais  Girard  dit  les  avoir  traduits  de  l'espagnol. 
L'auteur  les  aurait-il  successivement  rédigés  en  deux  langues? 
ou  bien  l'édition  espagnole  dont  Girard  s'est  servi  n'est-ellc 
que  l'ouvrage  d'un  traducteur  ?  Et  si  Grenade  n'a  écrit  ses 
sermons  qu'en  latin,  les  a-t-il  jamais  prêches  ?  Les  documents 
nous  manquent  pour  résoudre  ces  questions  avec  certitude. 
Nous  inclinons  pourtant  à  croire  que  l'édition  espagnole  n'e.it 
pas  originale,  et  nous  conjecturons  que  les  sermons  ont  été 
prêches  en  latin  devant  les  novices  de  l'ordre  de  Saint- Domi- 
nique à  Lisbonne. 

La  méthode  employée  par  Grenade  dans  ses  sermons  mérite 
d'être  signalée.  Beaucoup  de  prédicateurs  pensent  que  lameil- 

Reyue  des  sciences  ecclésustioues.  ï   vni.  28-29. 


^^ï  LES   SERMONS   DE   LOUIS   DK   GRENADE.  [TonieVilL 

louie  manière  d'annoucer  au  peuple  la  parole  de  Dieu  est 
d'expliquer  chaque  dimanche  tout  l'évangile.  D'autres  jugent 
plus  utile  de  s'attacher  à  une  idée  qu'on  développe  suivant  les 
règles  de  la  rhétorique.  Grenade  est  le  seul  orateur,  à  notre 
connaissance,  qui  ait  voulu  réunir  ces  deux  méthodes  dans 
chaque  sermon.  Il  commence  par  expliquer  l'évangile  verset 
par  verset  ;  puis,  dans  un  discours  eu  règle,  il  eu  étudie  à 
fond  le  passage  qu'il  a  pris  pour  texte. 

Sa  fécondité  n'est  pas  moins  remarquable.  Il  a  trois  ou 
quatre  sermons  pour  chaque  dimanche,  pour  chaque  fête  de 
Notre-Seigneur,  de  la  sainte  Vierge  et  des  principaux  saints; 
pour  les  mercredis  et  vendredis  de  l'Avent  et  du  Carême,  et 
enfin  pour  le  commun  des  martyrs,  des  confesseurs  et  des 
vierges. 

Grenade  est  un  grand  écrivain  qui  réunit  tous  les  mérites 
littéraires  et  qu'on  peut  opposer  aux  beaux  modèles  d'Athènes 
et  de  Rome.  Le  bon  goût  ne  l'abandonne  jamais.  Sa  profonde 
connaissance  de  la  langue  latine  étonne,  même  dans  un  homme 
qui  vivait  à  une  époque  où  c'était  la  langue  commune  des  sa- 
vants de  l'Europe,  qui  presque  tous  étaieut  d'habiles  huma- 
nistes. Il  l'écrit  avec  une  pureté,  une  élégance,  un  atticisme 
que  peu  de  modernes  ont  égalés. 

A  ce  mérite  secondaire,  il  en  joint  un  plus  grand  :  chez  lui 
les  faits  et  les  idées  abondent.  De  chaque  sujet  il  tire  des  argu- 
ments inattendus,  des  développemeuts  du  plus  haut  intérêt, 
qu'avec  un  art  infini  il  rattache  à  son  texle^,  et  qullva  chercher 
de  tous  côtés,  dans  l'histoire,  dans  los  saints  Pères,  dans  les 
auteurs  profanes,  poètes,  philosophes,  moialistes,  et  surtout 
dans  la  Bible. 

La  Bible  !  voilà  le  grand  arsenal  où  puise  Grenade.  Il  la  cite 
très-souvent,  mais  lors  même  qu'il  ne  la  cite  pas,  il  y  fait 
sans  cesse  allusion  ;  il  en  emprunte  les  paroles  pour  les  fondre 
dans  !a  trame  de  son  style. 

Il  prend  beaucoup  aussi  dans  la  scolastique,  et  pour  le  goûter 


Nov.i863.]  LES   SERMONS   DE    LOUIS   DE   GRBNADK.  43S 

pleinement  il  faut  n'être  pas  moins  familier  avec  la  philosophie 
du  moyen  âge  qu'avec  l'antiquité  classique  et  avec  la  Bible- 
Quelques  critiques  pourraient  trouver  qu'il  abuse  un  peu 
des  comparaisons.  Il  est  vrai  qu'il  eu  fait  un  fréquent  usage. 
Il  n'y  a  guère  de  page  où  l'on  n'en  trouve  plusieurs.  Mais  elles 
sont  si  variées,  si  fines  et  si  spirituelles,  qu'on  n'a  pas  droit  de 
s'en  plaindre. 

Grenade  sait  mêler  sans  disparate  une  douce  et  fine  plai- 
santerie aux  sujets  les  plus  graves  et  1  s  plus  sérieux.  On  ne 
peut  quelquefois  .s'empêcher  de  sourire  des  saillies  qu'il  jette 
en  passant  pour  faire  sentir  les  ridicules  du  vice.  Toutefois, 
cette  plaisanterie  est  toujours  inoffensive  ;  on  sent  qu'elle  part 
du  désir  de  réveiller  le  pécheur. 

Mais  ce  qui  donne  sans  contredit  le  plus  de  charme  aux 
sermons  de  Grenade,  ce  qui  en  fait  une  œuvre  tout-à-fait  su- 
périeure et  des  plus  édifiantes  qui  existent,  c'est  Tonction.  La 
France  est  justement  fière  de  ses  orateurs  sacrés.  Le  grand 
Bossuet  est  un  génie  hors  ligne  ;  Bourdaloue,  un  rude  jouteur; 
Fénelon  etMassillon,  des  syrènes  enchanteresses.  Grenade, qui 
est  digne  d'être  nommé  à  côté  de  ces  grands  écrivains,  les 
surpasse  quelquefois  par  l'onction,  et  peut-être  aussi  par  la 
souplesse  et  la  variété. 

En  résumé,  une  élocution  élégante  et  pure,  nourrie  d'idées 
et  de  faits,  une  érudition  inépuisable,  une  connaissance 
profonde  du  cœur  humain,  une  grande  sagacité  d'observa- 
tion, une  onction  pénétrante,  une  conviction  puissamment 
établie  qui  se  communique  au  lecteur,  une  urbanité  et  un 
atticisme  remplis  de  finesse  et  de  sel,  tels  sont  les  principaux 
traits  qui  caractérisent  cet  éminent  prédicateur.  Il  est  pl(!in 
de  verve  et  d'esprit,  parfois  un  peu  caustique,  et  en  même 
temps  il  vous  ravit,  vous  enchante  et  vous  entraîne  par  ses 
peintures  des  délices  spirituelles.  On  ne  saurait  mieux  parler 
des  grandeurs  de  Dieu,  des  misères  de  Thomme  pécheur,  du 
houheur  inaltérable  du  juste,  des  suavités  de  la  vie  surnatu- 


436  LES   SER3I0>S  DE  LOUIS   DE   GREDADE.  [Tou.e  VllL 

relie.  Son  cœur  déborde  quand  il  revient  sur  ces  sujets,  et  il 
y  revient  souvent,  mais  toujoiirs  sous  des  formes  nouvelles, 
et  sans  avoir  l'air  de  se  répéter. 

Tel  est  Tauteur  dont  on  nous  offre  une  nouvelle  traduction. 
Nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  regretter  que  M.  Vives, 
concurremment  avec  son  édition  française,  n'ait  paspubliéune 
édition  latine  des  sermons.  Bon  nombre  de  prédicateurs  au- 
raient aimé  à  les  lire  dans  l'original.  Aujourd'hui  on  ne  trouve 
guère  que  dans  les  bibliothèques  puliliques  les  éditions  d'An- 
vers, et  [le  caractère  en  est  si  fin  et  si  compacte  qu'elles  fa- 
tiguent énormément  les  yeux.  De  plus,  elles  fourmillent  de 
fautes  qui  altèrent  le  sens.  Nous  y  avons  vu  terrain  pour 
tetrarn,  gentes  pour  inycnfes,  et  autres  bévues  semblables  qui 
rendent  souvent  inintelligible  une  phrase  entière.  Une  nou- 
velle édition,  faite  dans  les  bonnes  conditions  dont  M.  Vives 
ne  se  départ  jamais,  aurait  été  fort  bien  accueillie.  Nous 
croyons  même  que  beaucoup  d'ecclésiastiques,  pour  qui  les 
œuvres  complètes  sont  d'un  prix  trop  élevé,  auraient  été  heu- 
reux de  pouvoir,  au  moyen  de  l'édition  latine,  acquérir  sé- 
parément les  sermons. 

Mais  voyons  la  traduction  nouvelle.  Nous  avons  d'abord  le 
regiet  de  dire  à  l'éditeur  qu'Use  fait  illusion  quand  il  annonce 
dans  ses  prospectus  que  sa  traduction  est  la  première.  Les 
sermons  de  Grenade  ont  été  traduits  de  l'espagnol  par  Girard, 
archidiacre  d'Angoulêuie,  mort  en  1663.  Nous  en  avons  sous 
les  yeux  une  édition  publiée  à  Paris,  en  1698,  chez  RouUand. 
Plus  anciennement,  les  mêmes  sermons  avaient  été  traduits 
du  latin  par  le  P.  Jean  Charon,  docteur  en  théologie,  prieur 
des  religieux  dominicains  à  Picims,  1603,  Paris,  Buon.  La  dé- 
dicace est  de  1599,  et  Charon  parle  d'une  traduction  plus  an- 
cienne encore,  composée  par  Colin,  chaiioine  de  Reims.  La 
nouvelle  traduction  n'est  donc  pas  la  première  ;  ce  qu'il  y  a 
de  vrai,  c'est  qu'elle  est  la  première  qui  soit  bonne. 
^En  effet,  le  Jpremier  volume,  œuvre  de  M.  l'abbé  Bareille, 


Nov.  1863  ]  LES   SERMONS   DE   LOUIS    DE    GRENADE.  ^37' 

est  certainement  d'un  grand  mérite.  Nous  l'avons  comparé 
soigneusement  avec  le  latin,  car  lorsqu'on  veut  juger  une  tra- 
duction sans  se  livrer  à  ce  minutieux  et  pénible  examen,  on 
est  exposé  à  tomber  dans  de  lourdes  méprises,  à  critiquer  ce 
qui  est  bien,  à  approuver  ce  qui  est  mal.  Nous  avons  donc  fait 
cette  comparaison  pour  chacun  des  volumes  dont  nous  aurons 
à  parler,  et  le  résultat  en  a  été  favorable  à  M.  Bareille.  Sa 
traduction  (sauf  quelques  distractions  peu  importantes)  rend 
fidèlement  la  pensée  de  l'auteur.  Le  style  en  est  élégant,  coloré, 
limpide,  tel  en  un  mot  qu'on  pouvait  l'attendre  de  l'auteur 
d'Emilia  Paula.  Nos  lecteurs  pourront  en  juger  par  l'extrait 
qui  suit;  c'est  la  fin  du  deuxième  sermon  pour  le  jour  de 
Noël: 

«  Ainsi  les  anges  se  réjouissent  de  notre  salut.  Embrasés 
d'une  charité  toute  fraternelle,  ils  s'intéressent  à  ce  qui  nous 
intéresse,  et  en  conséquence,  ils  se  joignent  à  nous  pour  re- 
mercier Dieu  et  célébrer  ses  louanges.  C'est  en  effet  le  carac- 
tère de  la  vraie  charité  d'estimer  sienne  la  félicité  d'autrui,  et 
d'en  rendre  grâces  à  Dieu  comme  si  nous  étions  eu  cause.  Tels 
ne  sont  pas  les  sentiments  des  chrétiens  qui  usent  des  biens 
du  prochain  (1),  qui  sont  tourmentés  J'cuviedu  bouheurd'au- 
trui,  qui  sèchent  de  jalousie  quand  il  lui  arrive  quelque  avan- 
tage, et  pour  qui  le  bien  qui  arrive  à  leurs  frères  est  un  vé- 
ritable supplice.  Mais  revenons  au  cantiijue  des  anges.  Nous 
les  voyons  cliauter  les  louanges  de  Dieu,  en  retour  du  bienfait 
del'hicarnation,  encore  que  Jésus-Christ  ne  les  ail  pas  délivrés 
de  la  captivité  du  démon,  et  qu'il  n'ait  pas  élevé  leur  nature 
à  une  dignité  infinie.  Et  nous,  chrétiens,  que  ce  bienfait  con- 
cerne spécialement  ;  nous  qu'il  a  exaltés,  ennoblis,  rachetés, 
comblés  de  tous  les  biens,  soustraits  aux  puissances  des  ténè- 

(^)  91  y  a  eu  lalin  alienis  bonis  utunlur.  Ne  faudrait-il  [)as  plulôt 
urunlur,  qiu  Si>Dt  irrités  des  avantages  de  leur  procliain  ?  Cc(  i  "(in- 
firme ce  que  nous  disions  des  fautes  qui  allèrent  le  sens  des  (édifions 
latines. 


438  LES   SERMONS  DE   LOUIS   DE   GRENADE.  [TomeVllI. 

bres,  et  rendus  participants  de  la  nature  divine  ;  nous  qui, 
sans  le  Sauveur,  aurions  été  précipités  dans  l'enfer,  nous  ne 
remercierions  pas  le  Seigneur  de  ce  bienfait  inénarrable?  nous 
ne  cbauterions  pas  ses  louanges  ?  et  à  peine  accorderions-nous 
un  instant  à  la  méditation  de  ce  qu'il  y  a  de  magnificence  dans 
cette  libéralité  de  notre  Dieu?  Quel  est  parmi  vous  celui  qui 
dérobe  une  seule  beure  aux  occupations  terrestres,  pour  tâ- 
cber  de  comprendre  l'infinie  cbarité  de  Dieu  envers  les  bom- 
mes,  et  de  découvrir  les  moyens  de  s'assurer  le  salut  promis 
aux  âmes  qui  s'occupent  des  mystères  célestes?  Des  cbré- 
liens  qui  prétendent  croire  en  Jésus,  le  fils  de  Dieu,  né  d'un?. 
Vierge,  etcoucbé,  pour  nous  sauver,  dans  une  misérable  crê- 
cbe,  osent  bien  ne  pas  s'abandonner  à  la  contemplation  de 
ces  merveilles,  et  ne  songent  même  pas  à  s'en  entretenir  dans 
leurs  maisons  et  bors  de  leurs  maisons,  la  nuit  et  le  jour,  en 
eux-mêmes  ou  avec  leurs  semblables  !  Un  disciple  du  Gbrist 
pourra-t-il,  en  ces  jours  de  fête,  parler  d'autre  cbose  que  de 
son  maître  nouveau-né  et  enveloppé  de  langes?  0  folie,  ô  in- 
sensibilité humaine  !  «  Le  bœuf  reconnaît  celui  qui  le  soigne, 
et  l'âne  la  crèche  de  son  maître,  »  IsAî.  i,  3  ;  et  des  chrétiens 
négligent  de  visiter  par  la  méditation  Jésus  dans  la  crèche  où 
il  repose  !  Ainsi,  nous  nous  souvenons  si  peu  de  ce  bienfait, 
qu'en  ce  temps  destiné  par  TÉglise  à  en  rappeler  la  mémoire, 
nous  ne  réfléchissons  pas  à  la  nature  de  ce  mystère.  0  ingra- 
titude effrayante  de  l'homme  !  ô  cœurs  de  fer,  inaccessibles  à 
des  sentiments  que  les  bêtes  farouches  éprouvent  et  témoignent 
autant  qu'd  est  en  leur  pouvoir! 

»  Que  vous  dirai-je  encore,  mes  frères?  Je  ne  sais  ;  mais  pre- 
nez garde  de  ne  pas  recueillir  le  fruit  de  la  Rédemption,  vous 
qui  n'appréciez  pas  le  bienfait  du  Rédempteur.  Pour  les  per- 
sonnes que  les  mystères  de  notre  foi  ne  touchent  eu  aucune 
mauière,  Jésus-Christ  semble  n'être  pas  né  ni  avoir  souffert. 
Ce  n'est  pas  à  ces  personnes,  en  effet,  mais  aux  bomuies  de 
bonne  volonté,  que  les  anges  aujourd'hui  annoncent  la  paix  . 


Nov.  1853.]  LES   SKRMO>'S  DE   LOUIS  DE  GRENADE.  <'i3j 

non  Ta  paix  que  donne  le  monde,  mais  la  paix  que  le  Roi  de 
paix  a  apportée  du  ciel  sur  la  terre,  laquelle  surpasse  tout  sen- 
timent. Ne  poussons  pas  si  loin  l'iugralitude  et  la  folie,  et  ne 
négligeons  pas  des  mystères  qui  nous  intéressent  de  si  près. 
Cessons  de  ressembler  aux  animaux  sans  raison,  et,  à  l'exem- 
ple de  David,  demeurons  toujours  auprès  de  Dieu  et  soyons 
toujours  avec  lui.  Pour  cela,  visitons  assidûment  la  crèche 
adorable,  prenons-y  la  nourriture  divine  qui  nous  y  sera  of- 
ferte, afin  de  croître  pour  le  salut;  et  ainsi  devenus  un  jour 
des  hommes  parfaits,  nous  entrerons  dans  la  gloire  de  l'iui- 
mortalité.  Ainsi  soit-il.  »  (PP.  239,  240.) 

Plus  loin  on  lit  :  «  Ces  considérations  bien  approfondies  dis- 
siperaient aisément  les  prétextes  et  les  difficultés  qui  s'offrent 
ordinairement,  lorsqu'il  s'agit  de  réformer  sa  vie  et  de  régler 
sa  conduite.  La  plupart,  effrayés  de  la  gi-andeur  de  l'entreprise, 
ne  manquent  pas  de  faire  ces  objections  que  leur  inspirent  la 
faiblesse  et  la  lâcheté:  Comment  réussirai-je  à  me  sevrer  en- 
tièrement de  ces  voluptés  qui  sont  ma  vie?  Pourrai-je  bien 
mortifier  ma  chair,  persévérer  dans  la  prière,  retrancher  de 
mes  désirs  et  de  mes  convoitises,  substituer  à  une  vie  molle  et 
efféminée,  une  vie  consaorce  à  porter  la  croix  de  Jésus-Christ? 
Sans  doute,  mou  frère,  ce  changement  sera  chose  difficile  pour 
vous,  si  vous  n'avez  égard  qu'à  vos  propres  forces.  Il  vous 
sera  facile  et  agréable,  si  vous  tenez  compte  de  la  vertu  divine 
et  du  secours  de  l'Esprit-Saint,  qui  certes  ne  vous  manquera 
pas.  Vou«  avez  tort  de  ne  regarder  qu'en  vous-même  :  levez 
encore  les  regards  vers  le  Ciel.  Ce  serait  insulter  à  la  provi- 
dence et  à  la  sagesse  de  Dieu,  ce  serait  lui  refuser  la  connais- 
sance de  la  faiblesse  humaine,  que  d'imposer  à  l'homme  de  sa 
part  l'obligation  de  maintenir  ou  de  rétabhr,  abandonné  à  ses 
seules  forces,  la  pureté  et  la  sainteté  dans  sa  nature  viciée. 
Croyez-vous  donc  que  le  Seigneur  vous  ordonnera,  à  vous  que 
les  ténèbres  du  siècle  environnent,  que  la  mort  assujettit  à  ses 
lois,  que  le  pééfhé  enveloppe  de  ses  liens,  de  vous  diriger  vers 


i'O  LES   SERMONS    DE   LOUIS   DE   GriENADE.  [Tot^cVIH. 

la  terre  des  vivants,  sans  vous  munir  des  armes  et  des  provi- 
sions nécessaires  à  un  voyage  aussi  périlleux  ?  Écoutez  plutôt 
cette  comparaison,  et  vous  verrez  ce  que  vous  devez  penser  de 
votre  ignorance  ou  de  votre  défiance  exagérée.  Remettez-vous 
en  mémoire,  je  vous  prie,  d'un  côté  les  obstacles  qui  séparaient 
les  Hébreux  de  la  terre  promise,  de  l'autre  :es  merveilles  de- 
vant lesquelles  ils  s'évanouirent  tous.  »  (P.  358.) 

M.  Bareille  traduit  librement,  et  cela  est  certainement  per- 
mis quand  il  s'agit  d'un  auteur  qui,  comme  Louis  de  Grenade, 
puise  dans  le  vocabulaire  latin  avec  une  abondance,  une  pro- 
fusion <iui  rendent  fort  difficile,  souvent  même  impossible,  une 
traduction  littérale.  Peut-être  cependant  l'originalité  de  l'au- 
teur est  elle  moins  bien  reproduite  par  ce  système  d'interpré- 
tation qu'elle  ne  le  serait  par  un  autre  qui  serrerait  de  plus 
près  le  texte.  Nous  regrettons  aussi  quelques  omissions  (peu 
importantes  à  la  vérité,  mais  il  ne  faut  rien  perdre  d'un  tel 
autour,  surtout  dans  une  édition  complète),  et  quelt^ues  trans- 
positions, dont  le  but  a  été  de  ramener  les  sermons  à  l'ordre  des 
Évangiles  de  la  liturgie  romaine.  Car  Grenade  suivait  le  rit 
dominicain.  Mais  ces  transpositions,  outre  qu'elles  n'étaient 
pas  nécessaires,  sont  incommodes  quand  on  veut  comparer  le 
latin  avecle  français  ;  une  note  les  aurait  suppléées  avec  avan- 
tage. Surtout  nous  regrettons  que  M.  Bareille  n'ait  pas  mis  en 
tête  du  premier  volume  la  préface  de  Grenade.  Cette  préface 
est  très-longue  et  très-belle.  Grenade  y  explique  parfaitement 
le  but  qu'il  s'est  proposé  et  le  plan  qu'il  a  suivi  dans  ses  ser- 
mons. Où  sera-t-elle  placée  maintenant? 

Comme  on  le  voit,  ces  tàcbes  sont  légères.  Nous  les  signa- 
lons pour  attester  combien  notre  examen  a  été  consciencieux. 
Elles  n'empèthent  pas  le  premier  volume  d'être  excellent. 

Le  tome  II  n'est  plus  de  M.  Bareille.  Pendant  qu'il  continue 
à  traduire  de  l'espagnol  les  œuvres  ascétiques,  des  collaborateurs 
lui  ont  été  donnés  pour  traduire  du  latin  le  reste  des  sermons. 
Le  désir  d'aller  plus  vite  a  été   sausdoute  la  cause  qui  a  porté 


NoY.  ÎPC3  ]  LES   SERMONS   DE    LOUIS   DE   GRENADE.  i  '  I 

Téditeur  à  prendre  cette  mesure.  (Vest  regrettable.  Quel  que 
soit  le  mérite  des  nouveaux  traducteurs,  il  eût  mieux  valu 
laisser  M.  Bareille  finir  ce  qu'il  avait  si  bien  commencé.  Deux 
hommes,  fussent-ils  également  capables,  ne  traduiront  jamais 
de  la  même  manière.  Tel  mot  familier  à  l'auteur  sera  rendu 
tantôt  par  un  terme,  tantôt  par  un  autre,  ce  qui  donnera  au 
lecteur  une  fausse  idée  de  l'original.  Si  encore  tous  les  noms 
avaient  figuré  sur  chaque  volume,  il  n'y  aurait  pas  eu  de  bi- 
garrure apparente.  Mais  les  souscripteurs,  qui  avaient  lu  sur 
la  couverture  du  premier  volume  que  M.  Bareille  traduisait 
les  œuvres  complètes,  ont  dû  éprouver  un  désappointement, 
en  voyant  le  titre  du  lome  II  en  contradiction  avec  le  titre  du 
premier. 

Ouvrons  maintenant  le  tome  II.  C'est  encore  une  bonne  tra- 
duction, quoique  d'un  genre  diffèrent.  Elle  est  moins  coulante, 
moins  agréable  que  celle  du  premier  volume;  on  y  remarque 
un  certain  nombre  d'imperfections  légères;  mais  elle  est  cor- 
recte, et  elle  reproduit  plus  fidèlement  toutes  les  nuances  et 
tous  les  contours  de  l'original.  Cette  grande  fidélité  va  même 
jusqu'à  prêter  le  flanc  à  la  critique.  Nous  étions  quelquefois 
porté  à  blâmer  certains  passages,  en  les  jugeant  d'après  les 
habitudes  modernes  ;  mais  quand  nous  recourions  au  latin, 
nous  reconnaissions  que,  pour  faire  disparaître  ces  sortes  d'ex- 
centricités, il  eût  fallu  affaiblir  le  texte,  et  remplacer  quelque 
chose  de  saillant  par  une  tournure  banale.  Aussi  nous  ne  se- 
rions pas  étonné  que  beaucoup  d'ecclésiastiques,  ne  pouvant 
se  procurer  le  latin,  préférassent  la  traduction  qui  s'en  rap- 
proche le  plus.  Car  ce  qu'un  prédicateur  cherchera  dans  un 
tel  ouvrage,  ce  ne  sont  pas  des  phrases  qui  flattent  l'oreille,  et 
qu'il  paisse  copier;  c'est  la  saveur  et  la  physionomie  de  l'o- 
riginal. Voilà  en  effet  ce  qui  inspire,  voilà  ce  qui  grave  dans 
l'esprit  les  idées  de  l'auteur,  et  aide  à  les  présenter  sous  une 
forme  nouvelle. 

Voici  un  extrait  du  deuxième  volume  :  c'est  la  fin  d'un  ser- 


A'i2  LES   SERMONS   DE    LOUIS   DE   GRENADE.  ITomeVlIl' 

mon  sur  l'évangile  du  paralytique.  «  Mais,  mes  frères,  je  veux 
ici  vous  interpeller  brièvement.  Pour  le  moment,  je  ne  vous 
exhorterai  pas] à  la  piété  en  voiîs  effrayant  de  la  géhenne;  ce 
que  j'ai  à  vous  dire  est  moins  terrible.  Supposez  que  Dieu  ait 
annoncé  à  quelqu'un  de  vous  que,  pendant  trente-huit  ans 
avant  de  mourir,  il  endurerait  la  maladie  de  ce  paralytique. 
Quels  ne  seraient  pas  les  soucis,  les  inquiétudes,  les  anxiétés 
de  celui  qui  aurait  la  itriste  certitude  qu'un  si  long  supplice, 
sans  espoir  de  guérison,  lui  est  réservé.  Si  à  cet  homme,  li- 
vré à  de  telles  angoisses,  Dieu,  comme  autrefois  à  David  adul- 
tère, donnait  à  choisir,  ou  de  subir  cette  paralysie,  ou,  s'il 
voulait  en  être  délivré,  d'embrasser  la  vie  monastique  chez 
les  Chartreux  avec  un  silence  absolu  ;  qui  doute  que  chacun 
de  nous  ne  préféràtce  genre  de  vie  avec  un  corps  sain  et  plein 
de  santé,  plutôt  que  d'avoir  à  lutter  tant  d'années  contre  la  pa- 
ralysie?... 

»  Maintenant,  mes  frères,  je  vais  vousfaireunedemande,  et 
de  celte  demande  je  prendrai  à  témoin  le  ciel  et  la  terre.  Si 
la  seule  crainte  d'une  longue  maladie  produit  sur  vous  une 
si  vive  impression,  que  vous  embrasseriez  volontiers,  non-seu- 
lement la  loi  commune  du  Décalogue,  mais  même  les  règles 
austères  de  la  vie  monastique,  pour  vous  dérober  à  un  mal  de 
trente -huit  années;  je  vous  le  demande,  comment  l'appré- 
hension d'un  feu  éternel,  de  tortures  sans  fin,  ne  peut-elle  vous 
déterminer,  non  pas  à  embrasser  la  vie  monastique,  mais  à 
vouloir  porter  le  joug  suave, le  fardeau  léger  de  Jésus-Christ? 
(^ui  ne  s'étonnerait?  Qui  ne  serait  frappé  de  stupeur?  Qui  ne 
sentirait  ses  cheveux  se  dresser,  en  voyant  un  tel  aveuglement 
dans  des  gens  raisonnables?  Qu'y  aura-t-il  d'étonnant,  si  cela 
ne  l'est  pas?  »  (PP.  219,  220.) 

Plus  loin,  dans  un  sermon  sur  l'aumône  (p.  615),  on  lit  ce 
qui  suit:  «  Mais  si  ces  considérations  font  peu  d'impression 
sur  nous,  rappelons-nous  une  parole  célèbre,  autant  que  vraie, 
de  saint  Ambroise  :  «  La  miséricorde  seule  accompagne  les 


Nov.  1863.1  LES   SERMONS    DE   LOUIS   DE   GRENADE.  -î'iS 

dtil'unts.  »  11  est  cerlain  que  nous  tous  ici  présents,  nous  sor- 
tirons bientôt  de  ce  monde.  Il  est  certain  que  nous  en  sortirons 
seuls.  Fussiez-vous  roi,  empereur,  monarque  de  toute  la  terre, 
vous  partirez  seul  d'ici  pour  une  contrée  inconnue.  Vous  ne 
serez  accompagné,  ni  de  serviteurs,  ni  d'amis,  ni  de  parents, 
ni  d'enfants  chéris,  ni  d'une  tendre  épouse,  encore  moins  de 
vos  domaines  et  de  vos  richesses,  pour  lesquels  vous  avez  tant 
sué.  Toute  cette  pompe  du  siècle  suivra  votre  cadavre  jusqu'au 
tombeau;  des  obsèques  solennelles  seront  célébrées,  des  flam- 
beaux allumés  ;  des  enfants  et  des  serviteurs  vêtus  de  noir  vous 
rendront  les  derniers  honneurs  ;  mais  vous,  sans  aucune  es- 
corte, vous  comparaîtrez  seul  devant  le  Juge,  tandis  que  vos 
serviteurs  retourneront  à  la  maison  vide  de  son  maître.  Car 
comme  le  Seigneur  a  donné  cet  ordre  aux  flots  et  à  la  mer  en 
courroux  :  «  Tu  viendras  jusqu'ici  et  tu  n'iras  pas  plus  loin; 
ici  s'arrêtera  l'orgueil  de  les  flots,  »  Hue  usque  ventes,  et  non 
procèdes  ampUus,  et  hic  confringes  tumentes  fluctus  tuos 
Job,  XXXVIII,  11;  ainsi  ce  même  Seigneur,  au  moment  de  la 
mort,  dit  aux  royaumes  et  aux  empires,  et  à  toute  puissance 
du  monde  :  Tu  viendras  jusqu'ici,  et  n'iras  pas  plus  loin;  ici 
finit  le  drame  de  la  vie  humaine,  et  toute  la  pompe  des  choses 
terrestres... 

»  Quel  ne  sera  pas  l'étounement  des  âmes  de  ceux  qui  ont 
été  puissants  en  ce  siècle,  et  qui,  de  leur  vivant  ne  marchaient 
qu'entourés  d'un  nombreux  domestique,  lorsqu'elles  verrront 
leur  médité,  leur  solitude  au  milieu  de  ces  afireuses  régions? 
lorsqu'elles  pourront  dire  avec  le  Prophète:  «  Je  regardais  à 
ma  droite,  et  il  n'y  avait  personne  qui  me  connût?  »  Ps. 
GXLi,  5.  A  ce  moment,  lorsque  tous  ces  hochets  de  la  fortune 
ne  pourront  vous  apporter  aucun  soulagement,  et  que  vous 
serez  dépouillé  de  tout,  la  vertu  et  la  commisération,  la  piété 
et  la  bienfaisance,  fidèles  compagnes,  seront  seules  à  vos  cô- 
tés ;  et  non-seulement  elles  vous  accompagneront,  mais  aussi 
elles  vous  protégeront.  Alors  ce  qui  vous  suivra,  c'est  donc, 


Ai'*  LES   SERMONS   DE   LOUIS   DE  GRENADE.  (Tome  VIII 

non  ce  que  vous  avez  amassé  péniblement  et  ardemment,  mais 
ce  que  vous  avez  distribué  d'une  main  bienfaisante  ;  non  ce 
par  quoi  vous  avez  enriclii  votre  maison,  agrandi  votre  en- 
tourage, rehaussé  votre  noblesse,  attiré  à  vous  l'admiration 
de  la  foule,  mais  ce  avec  quoi  vous  avez  nourri,  entretenu, 
sustenté  les  pauvres  du  Christ;  voilà  les  richesses  qui  vous 
accompagneront  au  sortir  de  la  vie.  Votre  sécurité  la  plus 
grande  viendra  alors  des  consolations  que  vous  apportez 
maintenant  aux  mendiants  et  aux  pauvres.  » 

Le  plus  grand  défaut  du  tome  fi  est  dans  les  transitions,  et 
c'est  encore  un  effet  de  la  trop  grande  fidélité.  Pour  parer  à 
ce  défaut,  il  faut  s'écarter  notablement  du  latin,  où  la  liaison 
des  idées  n^est  pas  toujours  facile  à  suivre. 

Le  tome  vi  vient  de  paraître.  Nous  croyons,  d'après  un  pre- 
mier et  rapide  examen,  qu'il  est  d'une  main  plus  habile,  d'une 
main  qui  a  su  réunir  jusqu'à  un  certain  point  l'élégance  du 
premier  volume  à  la  fidélité  du  deuxième. 

Espérons  que  les  volumes  suivants  auront  le  même  carac- 
tère. On  ne  nous  dit  pas  quelle  est,  dans  ceux  qui  ont  paru,  la 
nart  respective  de  chaque  traducteur.  Mais  on  promet  de  don- 
ner ce  renseignement  au  public  dans  la  préface  de  l'un  des  vo- 
lumes futurs. 

Il  ne  nous  reste  plus  maintenant  qu'à  parler  de  l'exécution 
matérielle.  Elle  est  magnifique  et  en  tout  semblable  à  celle 
des  œuvres  de  Bossuet.  L'édition  sur  papier  vergé  est  surtout 
remarquable;  celle  sur  papier  vélin,  d'un  tiers  moins  jher,  est 
très-belle  encore,  et  peut  soutenir  la  comparaison  avec  ce  que 
font  de  mieux  les  premières  librairies. 

N.-C.  Leroy. 

P.  S.  Depuis  que  cet  article  est  imprimé,  le  hasard  nous  a 
apporté  deux  renseignements  qui  pourront  intéresser  nos 
lecteurs.  D'abord,  nous  avons  trouvé,  tome  m,  p.  481  de  l'é- 
dition latine,  le  passage  suivant  :  Ut  autem  lectorem  fatigatuni 


Nov.  1865.]  LES  SERMONS  DE  LOUIS   DE   GRENADE.  445 

aligna  sermonis  voluptate  demulceam...,  qui  prouve  que  les  ser- 
mons de  Grenade  out  été  écrits  pour  être  lus.  Nous  persistons 
cependant  à  supposer  qu'ils  ont  été  prononcés  en  latin,  au 
moins  quant  à  la  substance,  devant  les  novices  des  Domini- 
cains de  Lisbonne  ;  car  à  la  fin  du  quatrième  sermon  pour  le 
jour  de  Noël,  l'auteur  donne  quatre  pièces  de  vers  composées 
par  ces  novices.  Il  est  regrettable  que  M.  Bareille  ait  omis  ces 
poésies,  ainsi  que  l'avertissement  de  Grenade  qui  les  précède. 
En  second  lieu,  nous  venons  d'apprendre  l'exislence  d'un 
abrégé  latin  des  sermons  de  Grenade,  abrégé  fort  bien  fait,  et 
dont  la  réimpression,  k  défaut  de  celle  des  sermons  latins 
eux-mêmes,  serait  fort  utile.  En  voici  le  titre  :  R.  P.  Ludovici 
Granatensis  concionum  in  epitomen  redactarum  tom.  i  et  ii  (pp. 
645  et  299)  opéra  F,  Pétri  Merssei  (cognomento)  Gratepolii, 
Instituii  D.  Francisci  fratrum  conventualium  Colonise.  Lugdu- 
ni,  1595. 


LES    SEPT    PROPOSITIONS 


IVotées  par  le  .^aint-Office. 


Quatrième  arlxle  (1). 


Nous  avions  suspendu  la  publication  de  nos  articles  sur  les 
sept  propositions,  parce  qu'il  nous  avait  semblé  que  la  lumière 
était  faite  et  l'accord  suffisamment  conclu. 

Nous  nous  étions  trompé  !  L'ontologisme  avait  seulement 
pris  le  temps  de  se  recueillir  et  reparaît  aujourd'hui  tout  armé 
pour  sa  défense  en  se  proclamant  «  le  système  le  seul  philoso- 
phique, la  philosophie  invincible  qui  ne  demande  pour'  elle  ni 
bienveillance  ni  mcdveillance,  et  qui  se  contente  de  la  vérité  (2).  » 

«  Les  disciples  de  saint  Thomas  »  repoussent  ces  prétentions 
comme  n'étant  ni  fondées,  ni  légitimes,  et  insinuent  que  le 
Saint-Office  n'est  point  sympathique  à  cette  philosophie,  parce 
qu'il  n'y  reconnaît  point  la  piiilosopbie  des  Pèies,  ni  la  tra- 
dition constante  des  écoles  catholiques  (3). 

Pour  nous,  qui  ne  sommes  point  directement  mêlé  à  ces 
débats  auxquels  nous  empruntons  seulement  quelque  mérite 

(1)  V.  dans  celte  Revue,  lome  v,  p.  374  ;  tome  vi,  p.  ^8^  et  374. 

'^2)  Défense  de  rOntotogisme  contre  les  attaques  récentes  de  quel- 
ques écrivains  qui  se  disent  disciples  de  saint  Thomas,  par  M.  l'abbé 
Fabre.  Paris,  Castermaa,  éditeur. 

(3)  Lettre  du  R.  P.  Ramière  à  Dom  Gardereau  sur  VUnité  dans 
renseignement  de  la  philoiophie.  (Revue  du  Monde  catholique, 
25  octobre  H 863.) 


NoT.  18G3.]    LES  SEPT  PROPOSITIONS  NOTÉES  PAR  LE  S.  OFFICE.  447 

"'actualité  pour  l'accomplissement  de  notre  tâche  ,  nous 
désirons  rester  dans  l'humble  rôle  que  nous  avons  entrepris, 
de  «  déterminer,  à  nos  risques  et  périls,  le  sens  contre  lequel  let 
Sacrée-Congrégation  du  Saint-Ofp.ce  a  voulu  prémunir  (1).  » 

Cela  posé,  nous  passons  à  l'examen  de  la  proposition  sui- 
vante : 

Propositig  IV.  Congenita  Dei  tanquam  entis  simpliàter  notifia 
omnem  aliam  cognitionem  eminenfi  modo  involvit,  ita  ut  per 
eam  omne  ens,  sub  quocujnque  respectu  cognoscibile  es/,  impli- 
cite cognitum  habeamus, 

I.  Cette  quatrième  proposition  se  révèle,  à  première  vue, 
comme  le  corollaire  des  trois  précédentes.  En  effet,  étant 
donné,  ce  que  personne  ne  conteste,  que  l'ordre  des  idées 
correspond  à  l'ordre  réel,  on  ne  peut  affirmer,  ce  semble, 
la  connaissance  immédiate  de  Dieu  comme  essentielle  à  notre 
intelligence,  on  ne  peut  dire  que  l'Être  qui  nous  apparaît  en 
toutes  choses  et  sans  lequel  nous  ne  pouvons  rien  comprendre, 
est  l'Être  divin  lui-même,  que  les  universaux  à  patate  rei  ne 
sont  pas  réellement  distincts  de  Dieu  et  ne  font  qu'une  seule 
et  même  chose  avec  lui,  sans  être  amené  à  celte  conclusion 
logique  que  l'idée  de  Dieu  innée  et  counaturelle  à  notre  âme, 
renferme  toute  autre  connaissance  et  manifeste  implicitement 
tout  ce  qui  peut  être  connu. 

Or,  nous  avons  réfuté,  une  à  une.  toutes  les  prémisses  de 
cette  affirmation,  et  nous  avons  démontré  qu'elles  sont  à  la  fois 
contraires  aux  saintes  Écritures,  injurieuses  à  la  théologie  des 
Pères  el  en  désaccord  complet  avec  la  croyance  générale  des 
fidèles.  L'arrêt  qui  les  atteint  est  donc  également  applicable  à 
toutes  les  conséquences  légitimes  qui  en  décoident,  et  nous 
pourrions  sans  peine  nous  dispenser  de  rien  ajouter  à  ce  que 
nous  avons  dit,  s'il  n'importait  enfin  de  faire  voir  par 
quelle  étrange  confusion  des  notions  philosophiques  les  plus 

(^)  Rbtue,  tome  v,  p,  574. 


-^•48  LES   SEPT    PROPOSITIONS  ITome  VIII. 

simples,  on  élargit  en  tous  sens  les  voies  funestes  qui  condui- 
sent à  l'abîme  et  préparent  la  ruine  de  toute  religion  comme 
de  toute  philosophie. 

II.  Quand  donc  on  vient  nous  affirmer  que  l'idée  de  Dieu 
innée  et  connaturelle  à  notre  âme  représente  l'être  pur,  ens 
simpliciter,  il  est  naturel  de  nous  demander  aussitôt  ce  que 
c'est  que  l'être  pur,  et  ce  qu'il  faut  entendre  par  cette  déno- 
mination aussi  ancienne  que  la  philosophie.  L'idée  de  Dieu 
est,  en  effet,  une  si  grande  chose  qu'elle  a  de  tout  temps  préoc- 
cupé l'intelligence  humaine  et  incliné  l'esprit  des  philosophes 
à  en  rechercherl'origine,  et  à  en  déterminer  le  vrai  caractère.  La 
grandeur  de  l'Être  que  cette  idée  représente  a  dû  faire  croire 
aussi,  comme  il  est  naturel  de  le  penser,  qu'elle  n'était  point 
le  fait  de  l'homme,  ni  le  fruit  spontané  de  son  activité  intellec- 
tuelle ,  mais  un  vrai  don  du  ciel,  destiné  par  le  Créateur  à 
orner  le  front  de  celui  qu'il  avait  fait  à  son  image  et  à  sa 
ressemblance,  d'un  rayon  anticipé  de  sa  gloire  immortelle. 
Certes,  une  philosophie  si  pleine  de  poésie  et  de  charmes,  était 
faite  pour  séduire  les  âmes  et  pour  faire  préférer  à  mainte 
intelligence,  même  de  philosophe,  le  chemin  facile  de  l'ima- 
gination et  du  cœur  à  celui  de  l'austère  discipline  du  raison- 
nement et  de  la  vraie  philosophie  ! 

Qu'esl-ce  doue  que  l'être  pur  dont  certains  philosophes 
modernes  nous  vantent  sans  cesse  les  merveilleuses  propriétés, 
que  l'on  ideutifîe  avec  l'idée  de  Dieu  et  avec  Dieu  lui-même  ? 
Le  voici  :  l'être  pur,  comme  tel,  d'après  le  sentiment  unanime 
des  philosophes  les  plus  autorisés,  n'est  rien  autre  chose  que 
l'être  abstrait,  c'est-à-dire  l'être  qui  vient  s'offrir  aux  regards 
de  notre  âme,  qui  pose  devant  l'œil  de  notre  esprit,  lorsque 
nous  considérons  un  objet  quelconque  comme  étant  quelque 
chose,  ou  comme  n'étant  pas  le  néant.  Voilà  l'être  pur,  ens 
simpliciter^  au  sens  le  plus  étruileuient  philosophique. 

Et  vous  osez  dire  que  cet  être  est  Dieu  !  En  vérité,  c'est  une 
petite  gloire  pour  la  Majesté  divine,  mais  n'est-ce  pas  aussi 


Nov.  1S63.]  NOTÉrS   PAR   LE    S.    OFFICE.  4i9 

un  miuce  honneur  pour  nous-mêmes  de  voir  représenter 
notre  Dieu,  l'Être  divin  par  essence,  l'Être  le  plus  grand,  le 
plus  réel,  le  plus  parfait,  sous  la  forme  de  l'être  le  plus  com- 
mun, le  plus  infime,  le  plus  vide  de  réalité  et  le  plus  voisin 
du  néant  ! 

Supposons,  en  effet,  s'il  vous  plaît,  un  homme  quelconque 
dans  toute  la  plénitude  de  son  individualité  personnelle,  c'est- 
à-dire  un  homme  individuel  déterminé  par  ce  que  les  philoso- 
phes appellent  les  notes  indiviiîuantes.  Essayons  ensuite  par  le 
moyen  de  l'abstraction  la  plus  sévère,  la  plus  rigoureuse,  de 
séparer  une  à  une  toutes  ces  notes  qui  l'individualisent.  Qu'en 
restera-t-il  ?  Il  restera  l'unité  spécifique,  ou  cette  perfection 
qui  constitue  la  nature  humaine,  etqui  place  au  rang  d'animal 
raisonnable  l'homme  individuel  dont  il  s'agit. 

Si  nous  poursuivons  notre  tâche  en  généralisant  toujours 
davantage  le  concept  déjà  obtenu,  nous  arriverons  par  des 
abstractions  successives,  au  concept  générique  d'animal,  au 
concept  de  corps,  au  concept  de  substance.  Puis,  étant  obtenu 
le  concept  du  genre  suprême  de  substance,  il  nous  sera  libre 
encore  d'abstraire,  si  nous  voulons,  du  mode  lui-même  dont 
cette  substance  existe,  ou  en  d'autres  termes,  nous  pourrons 
considérer  cet^e  substance  comme  simplement  existante,  et 
alors  soudain  nous  nous  trouverons  eu  face  de  l'être  pur,  entis 
simplicùer. 

Ce  procédé  intellectuel  serait,  bien  entendu,  également  ap- 
plicable à  une  pierre,  à  un  arbre,  à  un  cheval,  à  un  être  indi- 
viduel quelconque,  d'où  nous  concluons  que  cette  raison  d'être 
abstraite  est  commune  à  tous  les  êtres,  quels  qa'ils  soient  en 
général,  ce  qui  explique  peut-être  pourquoi  nous  donnons  le 
nom  d'être  à  tout  ce  qui  est,  à  tout  ce  qui  participe  à  un  degré 
quelconque  de  l'existence. 

IIF.  Mais  comment  qualifier  ensuite  cette  idée  d'être  ob- 
tenue par  le  procédé  que  nous  venons  de  décrire!  Cette 
idée  est-elle   identique   et  une   avec  l'idée  de  Dieu,  ou  en 


4b0  LES  SEPT    PROPOSITIONS  [Tome  MU. 

est-elle  diËFéreiite?  Si  l'on  affirme  qu'elle  n'est  pas  identique, 
toute  la  quatrième  proposition  est  fausse  et  croulera,  faute  de 
soutien,  par  sa  base,  attendu  que  tout  en  elle  affirme  cette 
identité  que  je  suppose.  Si  vous  admettez  au  contraire  que 
cette  identité  existe,  vous  vous  heurterez  sans  remède  contre 
l'absurde  qui  vous  cerne  et  vous  accable  de  toutes  parts. 

11  n'est  pas  possible  en  effet  que  l'idée  de  l'être  ainsi  obtenue 
par  voie  d'abstraction  soit  identique  à  l'idée  de  Dieu,  proclamée 
connaturelle  à  notre  intelligence,  sans  que  les  caractères  qui 
constituent  l'un  et  l'autre  de  ces  deux  co;i.cepts  ne  soient  eux- 
mêmes  identiques.  Or,  nous  l'avons  déjà  fait  voir,  l'idée  de 
l'être  pur,  que  nous  appellerions  désormais  plus  commodé- 
ment l'être  abstrait,  ne  renferme  rien  de  particulier,  rien  de 
déterminé,  rien  de  concret.  C'est  une  idée  essentiellement 
générale,  universelle,  commune,  dans  laquelle  on  ne  ren- 
contre absolument  rien  que  la  note  la  plus  abstraite  qu'il  soit 
possible  de  concevoir,  l'idée  de  la  réalité  la  plus  minime,  qui 
se  trouve  comme  placée  sur  les  confins  les  plus  reculés  de 
l'être  et  du  néant.  Donc,  l'être  pur,  considéré  comme  tel,  ne 
représente  pas  unêlre  réel,  auquel  ou  puisse  rapporter  comme 
à  son  objet  adéquat  cette  raison  d'être  universelle,  et  si  l'on 
admettait  qu'un  tel  objet  existe,  cet  objet  ne  posséderait  pour 
toutavoir  etpour  tonte  essence  que  la  note  qui  lereprésenterait 
à  nos  yeux  comme  n'étant  pas  le  néant,  ou  comme  étant  sim- 
plement quelque  chose.  Contradiction  manifeste  comme  nous 
l'avons  dit,  puisque  tout  ce  qui  existe  est  nécessairement  dé- 
terminé, particulier,  concret. 

Ou  se  souvient,  sans  doute,  que  nous  avions  déjà  précédem- 
ment établi  cette  vérité.  Mais  toute  erreur,  eu  matière  si  dé- 
licate, devant  nécessairement  déteindre  sur  la  théorie  de  la 
connaissance  elle-même  et  de  son  objet,  nous  ne  saurions 
trop  redire  que  l'universel,  envisagé  comme  tel,  n'a  point 
d'objet  adéquat  qui  lui  corresponde.  L'objet  de  l'universel, 
c'est  l'être  créé,  existant  ou  possible,  qui  représente,  selon 


Nov.  1863.1  NOTÉKS   PAR   LE   S.   OFFICE.  •^"-4 

les  modes  divers  dont  il  peut  exister,  cette  idée  universelle 
perçue  par  notre  intelligence,  d'où  nous  concluons  par  voie 
directe,  non-seulement  que  tout  ce  qui  existe  n'est  point  le 
néant,  est  quelque  chose;  mais  que  c'est  telle  chose  détermi- 
née, tel  objet  particulier.  Or,  mieux  que  tout  autre^  l'Être 
divin  est  doué  de  cette  admirable  individualité  qui  exclut  la 
multiplicabilité  dans  la  même  nature  spécifique,  et  se  trouve 
constitué  par  essence  un^  particulier,  déterminé  ;  d'où  je  conclu- 
rai encore  que  représenter  Dieu  comme  ens  simpliciter,  comme 
l'être  pur  dans  le  sens  de  simple  opposition  avec  le  néant,  ou 
comme  étant  simplement  quelque  chose,  c'est  méconnaître 
Dieu,  abaisser  sa  majesté  suprême,  et  nier  toutes  ses  infinies 
perfections. 

Cependant,  l'on  pourrait  nous  dire  que  Dieu  est  si  bien  l'être 
pur,  et  l'essence  qui  le  constitue,  si  véritablement  ce  que  nous 
concevons  de  plus  simple,  de  plus  pur  et  de  plus  parfait  dans 
l'être,  que  les  saintes  Écritures,  les  saints  Pères  et  tous  les 
docteurs  catholiques  n'ont  qu'une  voix  pour  appeler  Dieu 
l'Être  pur,  très-pur,  très-simple  et  très-parfait. 

Oui,  sans  doute,  et  nous  nous  garderons  bien  de  le  contester. 
Dieu  est  l'Être  le  plus  pur  et  le  plus  parfait,  et  nous  savons 
aussi  que  c'est  Dieu  lui-même  qui  nous  a  appris  à  le  nommer 
simpliciter  Celui  qui  est.  Ego  sum  qui  sum  {Exod.  m,  14). 

Nous  n'ignorons  pas  non  plus  que  saint  Bouaventure  l'ap- 
pelle l'être  très-pur,  ens  purissimum,  l'Être  qui  est  simplement, 
ens  quod  est  simpliciter,  l'Être  en  acte  et  qui  est  acte  pur,  ens 
in  actu  et  quod  e^t  actus  purus  {Itiner.  mentis,  c.  m  et  v). 

De  plus,  saint  Thomas  avance  comme  une  vérité  indubitable 
et  universellement  admise  que  Dieu  est  l'Être  pvLv  simpliciter 
et  sine  additione  {Summa  fheoL,  p.  i,  q.  3,  a.  4). 

Mais  précisément  parce  que  nous  savons  tout  cela,  nous 
osons  soutenir  que  ni  les  saintes  Écritures,  ni  les  Pères,  ni  les 
Écoles  cathoUques  toutes  ensemble  n'autorisent  rien  de  sem- 
blable à  l'interprétation  qu'on  nous  oppose,  et  qui  n'a  pour 


-552  LES   SEPT   PKOPOSITIONS  [Tome  VUI. 

toute  base  qu'une  équivoque  fraf^ile  que,  d'un  trait  de  plume, 
€t  il  y  a  longtemps,  saint  Thomas  s'est  chargé  de  faire  dis- 
paraître. «  Aliquid  cui  non  fit  additio,  dit  le  saint  Docteur, 
potest  iuteliigi  dupliciter  :  uno  modo  ut  de  ratione  ejus  sit 
quod  non  fiât  ei  additio,  sicut  de  ratione  animalis  irrationalis 
est  ut  sit  sine  ratione.  Alio  modo  intelligitur  aliquid  cui  non 
fiât  additio,  quia  non  est  de  ratione  ejusquod  sibi  fiât  additio, 
sicut  animal  commune  est  sine  ratione,  quia  non  est  de  ratione 
animalis  communis  utiiabeat  rationem,  sed  nec  est  de  ratione 
ejus  ut  careat  ratione.  Primo  igitur  modo,  esse  sine  addito  est 
esse  divinuni;  secundo  modo  esse  sine  addilo  est  esse  commune.  » 
{Summa  theol.  p.  i;  q   3,  a.1,  ad.  1.) 

Remarquons  bien  que  saint  Thomas  s'exprime  d'une  ma- 
nière différente,  des  modes  divers  dont  une  chose  peut  ne 
recevoir  aucune  addition.  L'une  qui  concerne  l'Être  divin, 
ens  divinum,  est  toute  poiitive,  «  ut  de  ratione  ejus  sit,  »  c'est- 
à-dire  qu'd  est  de  la  nature  de  l'Être  divin,  qu'il  appartient  au 
mode  essentiel  de  son  existence  de  contenir  la  plénitude  de 
l'être,  sans  que  rien  puisse  ni  le  limiter,  ni  le  restreindre. 
L'autre,  qui  regarde  l'être  commun,  l'être  en  général,  est  né- 
gative, «  non  est  de  ratione  ejus,  »  c'est-à-dire  qu'au  point  de 
vue  universel  etabstrait,  cet  être  n'est  pas  plus  l'être  créé  que 
l'otre  incréé;  ei  voilà  pourquoi  il  ne  peut  être  considéré  comme 
une  chose  réelle,  adéquate,  en  dehors  de  l'intelligence  qui  le 
perçoit,  parce  qu'il  ne  saurait  être  conçu  en  acte,  en  dehors 
des  modes  qui  déterminent  et  constituent  la  nature  diverse  de 
tous  les  êtres  existants. 

Donc,  autre  chose  est  l'Être  pur,  en  tant  qu'il  est  l'Être 
divin,  et  autre  chose,  en  tant  qu'il  est  l'être  universel.  L'Être 
pur  divin  ne  peut  être  conçu  comme  susceptible  d'une  addi- 
tion quelconque,  tandis  que  l'être  pur  universel,  quoiaue  sus- 
ceptible d'être  conçu  per  se  sans  addition  ne  peut  toutefois 
exister  comme  tel.  «  Quod  commune  est  vel  universale,  dit  saint 
Thomas  dans  sa  Somme  philosophique,  sine  additione  esse  non 


NoT.  1863.)  NOTÉES   PA:i  LE   S.   OFFICE.  453 

potest,  sed  sine  additione  consideratur.  Non  enim  animal  po- 
test  esse  absquerationalivel  irratioualidiffer'ntia  quamvis  sine 
his  dififerentiis  cogitelur  ;  licet  etiam  cogitetiir  univer?ale  abs- 
que  additione,  non  tamen  absque  receplibilitate  additionis  est. 
Nain  si  aniraali  nulla  dififerentia  addi  posset ,  genus  non 
esset,  et  similiter  est  de  omnibus  aliis  nominibus.  Divinum 
autem  esse  est  absque  additione,  non  solum  cogitatione,  sed 
etiam  in  reruai  nalura  ;  et  non  solum  absque  additione,  sed 
etiam  absque  receptibilitate  additionis.  »  {Cont.  Cent,  i,  26.) 

Nous  sommes  donc  forcés  de  conclure  que  le  mot  simpliciter 
applique  à  l'être,  comme  terme  positif,  exprime  l'essence 
même  de  l'Être  pur,  qui  est  Dieu;  mais  considéré  comme 
terme  négatif,  il  n'exprime  plus  que  le  mode  abstrait  dont 
notre  esprit  perçoit  l'être  en  général.  Il  ne  saurait  donc  être 
imaginé  une  différence  plus  radicale  et  plus  profonde  entre 
deux  concepts,  et  rien  n'est  plus  absurde  par  conséquent 
que  d'identifier  l'Être  pur  qui  est  Dieu,  avec  l'être  universel 
et  abstrait,  dans  lequel  on  voudrait  nous  faire  connaître  im- 
plicitement toutes  cboses. 

Le  Saint-Office  a  donc  eu  bien  raison  de  penser  qu'un  ensei- 
gnement pbilosophique  qui  se  met  ainsi  tout  d'abord  en  con- 
tradiction avec  les  grands  docteurs  catholiques,  et  qui  fait 
ensuite  de  notre  Dieu  un  Dieu  idéal  et  abstrait,  constitue  un 
danger  réel  pour  notre  foi.  Car  d'autres  viendront,  et  aper- 
cevant ce  Dieu  abstrait  et  sans  majesté,  ils  iront  se  prosterner 
devant  le  Dieu-Monde,  le  Dieu-Soleil,  l'Absolu,  qui  ne  sont 
eux-mêmes  qu'un  voile  grossier  qui  recouvre  le  Dieu-Néant 
de  l'athéisme. 

P.  P.  Armand. 


LITURGIE. 


SUR   LA  FORMULE   DE   L  ABSOLUTION   SACRAMENTELLE. 

Le  mot  Deinde  qui  se  trouve  dans  la  formule  de  l'absolution  sa- 
cramentelle :  Ego  te  absolve  a  peccatis  tuis,  est-il  une  rubrique, 
ou  fait-il  partie  de  la  formule? 

Les  rubricistes  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  nature  du  mot 
Deinde  qui  précède  les  paroles  :  Ego  te  absolvo  a  peccatis  tuis. 
D'après  les  uns,  ce  mot  est  une  rubrique,  insérée  à  cet  endroit 
pour  indiquer  les  paroles  sacramentelles  ;  suivant  les  autres, 
il  fait  partie  du  texte,  et  doit  être  prononcé  par  le  confesseur. 
Les  Rituels  imprimés  à  Rome  ne  sont  pas  d'accord  sur  ce 
point,  les  décrets  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  ne  sont 
pas  suffisamment  clairs,  et  les  auteurs  les  plus  recomman- 
dables  sont  eux-mêmes  divisés. 

En  faveur  du  premier  sentiment^  nous  pouvons  citer  les  der- 
niers rituels  imprimés  à  Rome  et  à  Malines,  où  le  mot  Deinde 
se  trouve  en  caractères  de  couleur  rouge,  et  le  Rituel  com- 
menté par  Barruffaldi,  dans  le  texte  duquel  il  y  a  deux  points 
après  le  mot  Deinde,  et  dont  le  commentaire  montre  que  le  sa- 
vant auteur  ne  regardait  pas  ce  mot  comme  appartenant  au 
texte. 

En  faveur  du  second  sentiment,  on  peut  citer  Catalaui  et  les 
autorités  qu'il  allègue.  Le  savant  liturgiste  s'exprime  ainsi  : 
«  Unum  adhuc  restât,  quod  hic  praeteriri  nequaquam  débet, 
«  adverbium  nerape  illud,  Deinde,  quod  eodem  charactere  exa- 
«  ratum    absolutioni    peccatorum  immédiate  praemitlitur... 


Nov.  1863  I  LITURGIE.  455 

«  recitandum  esse  cum  ipsa  absolutione.  velut  ejuscîem  con- 
«  textuin.  Noaenim  ad  rubricamspectat.  »  L'auteur  cite  alors 
l'autorité  de  saint  Charles.  Saint  Liguori,  d'après  Busembaum, 
et  M.  Falise  mettent  aussi  le  mot  Deinde  dans  la  formule  de 
Tabsolution. 

Deux  décisions  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  dé- 
fendent de  rien  innover  à  cet  égard  Mais  comme  le  voium  du 
maître  des  cérémonies  n'a  point  été  publié,  on  ne  voit  pas 
bien  à  laquelle  des  deux  leçons  se  rapporte  la  défense.  Les 
deux  décrets  sont  les  suivants. 

l*""  Décret.  —  Question.  «  Utrum  verbum  Deinde  in  forma 
«  absolutionis  in  nonnuUis  editionibus  rubro  charactere  im- 
c(  pressum  omittendiim  sit?  »  Réponse.  «  Nibil  esse  innovan- 
a  dnm.  »  (Décret  du  11  mars  1837,  n.  4809). 

2«  DÉCRET.  —  Question.  «  Au  in  forma  absolutionis,  anie 
«  verba  :  Ego  te  absolvo  a  peccatis  tuis,  dicendum  sit,  vel 
a  omiltendum  verbum  Deinde?  i>  Héponse.  a  Detur  decretum 
a  in  Veronen.  Diei  H  mart.  1837.  »  (Décret  du  28  février 
1847,  n.  5089,  q.  1.) 

Avant  ces  réponses,  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  avait 
renvoyé  la,  décision  à  la  Sacrée  Congrégation  de  l'Inquisition, 
par  une  réponse  du  27  août  1836  (n.  4782,  q.  5) . 

D'après  la  teneur  de  ces  décisions,  il  semblerait  que  l'inno- 
vation rejetée  serait  le  premier  sentiment.  Mais  pour  soutenir 
celte  opinion,  il  fandrait  admettre  que  les  Rituels  imprimés  à 
Rome  depuis  que  la  question  a  été  soulevée,  sont  fautifs  à  cet 
endroit,  par  suite  de  l'incurie  des  éditeurs  on  des  typographes. 
Ce  fait,  sans  doute,  ne  serait  pas  absolument  impossible,  mais, 
pour  trancher  une  question  controversée  sur  une  formule  sa- 
cramentelle, nous  pouvons  nous  en  tenir  k  une  édition  qui 
fait  autorité,  jusqu'à  une  nouvelle  décision  de  la  part  de  la 
Sacrée  Congrégation. 

P.  R. 


DECISIONS 

DE    LA    S.     PÉNITENGERIE. 

Nous  reproduisons,  en  les  empruntant  à  la  Correspondance 
de  Rome,  les  décisions  suivantes  sur  les  dispenses  relatives  à 
la  loi  de  l'abstineuce. 

Eminentissime  Princeps.  Quidam  sacerdotes  regnoriim  Belgii  et 
HoUandiae,  ad  tranquillitatem  conscientiae  suae  et  ad  cerlam  fidelium 
direclionem,  instanter  petunt  ab  Eniinenlia  Vestra  solulionem  sequen- 
tium  dubiorum  : 

Gury,  Scavini  et  alii  référant  tanquara  responsa  S.  PœnitentiariaB 
data  die  16  januarii  1834  : 

«  Posse  persoriis,  quai  sunt  in  potestate  patrisfamilias,  cui  facta  est 
légitima  facilitas  edeiidi  carnes,  permitti  uti  cibis  patrifamilias  indultis^ 
adjecfa  conditione  de  non  perraiscendislicitis  atque  interdictis  epulis  et 
de  unica  conif -i;one  in  die,  iis  qui  jejiinare  tenentur  .  n 

Igitur  quœril  *r  '  1.  An  haec  resoiutio  valeat  ubique  terrarum  ?  2. 
Dum  dicilur  permit!  posse,  petitnr  a  qno  ista  perraissio  danda  sit,  et 
an  sufficial  permissio  data  a  simplici  confessario? 

Altéra  resoiutio  :  o  Fidelt-s  qui  ratione  aetatis  vel  laboris  jejunare 
non  tenentur,  licite  posse  in  quadragesima,  dum  induUum  concessum 
est,  omnibus  diebus  ind'.dto  comprehensis,  vesci  carnibus  ant  lacti- 
ciniis  per  idem  indultum  permissis,  quoties  per  diem  edunt.  « 

Dubiiatur  igitur,  an  haec  resoiutio  valeat  in  diœcesi  cujus  episcopus 
auctoritate  aposiolica  concedit  fidelibus  ut  feria  2'', 3^,  3*  temporis 
quadragesimae  possint  semel  in  die  vesci  carnibus  et  ovis,  iis  vero  qui 
ratione  setatis  vel  laboris  jejunare  non  teneiitur,  permitlit  ut  ovis  sae- 
pius  in  die  utantur. 

Qaeritur  itaque  :  1.  An  non  obstantibus  niemorata  phrasi  ovis  sse- 
piiisin  dieutantur,  et  tenore  concessionis,  possint  ii  qui  ratione  aetatis 
vel  laboris  jejunare  non  tenentur,  vi  dictae  resulutionis  vesci  carnibus 
quoties  per  diem  edunt?  —  2.  An  iis  qui  jejunare  non  tenentur  ra- 
tione aetatis  vel  laboris,  agquiparandi  sint  qui  ratione  infirmaj  valetu- 
dinis  ajejunio  excusantur,  adeo  ut  istis  quoque  pluries  in  die  vesci 
carnibus  lioeat? 

S.  Pœnitentiaria,  mature  consideratis  propositis  dubiis,  dilecto  in 
Christo  oralori  in  primis  respondet  Iransmillendo  declarationem  ab  ipsa 
S.  Pœnitentiaria  alias  datam,  scilicet:  «  Ratio  permissionis,  de  qua 
in  resolutione  data  a  S.  Pœnitentiara  1(3  januarii  1834,  non  est  in- 
dultum patrifamilias  concessum,  sed  irapotentia  in  qua  versantur  filii 
farailias  observandi  prseceptura.  » 


iNov,  1863,  BREF   DE   S.    S.    PIE   IX.  457 

Deinde  ad  duoprjora  dubia  respondet  :  Quoad  primum,  alTirraative; 
quoad  secundura,  sufficere  permissionem  factam  a  simplici  confessario. 

Ad  duo  vero  posteriora  dubia  respondet:  Quoad  primum,  négative  ; 
Quoad  secundum,  non  aequiparari. 

Datura  Romae  in  S.  Pœnitentiaria,  die  27  raaii  1863. 

A.  M.  Gard.  Cagiano  M.  P. 


BREF 

de  Sa  Sainteté  le  Pape  Pie  IX,  relatif  à  un  nouvel  Office  de 
r  Immaculée-Conception. 

Plus  PP.  IX 

AD     PERPETUAM    REI    MEMORIAM. 

Quod  jampridem  ab  hac  Apostolica  Sede  communia  fideliiim   vota 
precesque  postulaverant,  quod  ad  augcndiim  in  terris  Realissimae  Ge- 
nilricis  Dei  gloriam  maxime  pertinebat,  id  Nos  tandem  divino  adflante 
Spiritu  praestitiraus  quuin  sexto  Idus  Decembris  Anni  niillesimi  octin- 
gentesimi  quinquagesimi  quarti  in  Patriarchali  B.ssilica  Noslra  Vati- 
cana  frequcntissima  adstante  S.  R.  E.  Cardmalium  et  Sacrorum  Antis- 
titum  corona,  pronuntiavimus,  declaravimus  ac  defiuivinius  doctrinam, 
quae  tenel  Beatissimam  Yirginem  Mariam  in  primo  inslaiitisuae  Goncep- 
tionis  fuisse  singulari  Dei  Omnipotentisgralia  et  privilégie,  intnitume- 
ritorura  Jesu  Christi  Redemploris  humani  generis,  ab  omni  originalis 
culpae  labe  praeservatam,  esse  a  Deo  revelalam,  atque  idcirco  ab  omni- 
bus tldelibus  firmiter,  constanterque  crcdendam.  Difficile   porro  dictu 
est  quanto  exinde  gaudio  peifusi  fuerint  univcrsi  Caihobci  Oibis  An- 
tistites  fum  Clero  suo,  nec  non   Principes  viri,  ceterique  cujuscumque 
ordinis  fidèles,  quippe  qui  inflammato  studio  ducti  honore  débite  pro- 
sequendi  immaculalam  Yirginem  Genitiicem  Dei  Maiiam,  majorum 
exempla  semulati,  idipsum  novissinm  hac  aelale  iteratis  pi  ecibus  ab  hac 
Sancla  Sede  imploraverant.  Nos  quidem  vixdum  ad  universae  Ecclesiae 
regiraen  meritis  licet  imparibus  evecti  fuimus,  id  praecipue  curavirnus 
ut  secundum  Ecclesiœ  vola  ea  perageremus  quae  ad  augendum  Deipa- 
rae  Virginis  cultum  pertinerent,  utque  exccllentissimae  iilius  dotes  et 
collala  divinilus  privilégia^  alquo  ornamenta  fidelium  oculis  clarius  ni- 
tescerent  ;  qua  de  causa  novum   ecclesiasticum    Otficinm ,  novamque 
Missara  approbavimus,  ut  solemnius  telrbraretur  fe^tum  Bcatissimse 
Virginis  sine  labe  original!  conceptae  ;  atque  ita  arcano  Deiconsilio  non 


'i^S  BRhF   DE    S.     S.    PIE    IX.  [Tome  VIIK 

intermissis  hujii>modi  curis  via  quodammodo  sterni  visa  est  ad  solemne 
edendum  decietum,  quod  de  iinmaculalo  Deiparae  conceptu  memorata 
die  atque  anno  pronuiiliavimus.  Verumiamen  quoniam  necessarium  esse 
novimus  ut  cumlege  credendi  lex  convenint  supplicandi,  idcirco  eo  cu- 
ras Noslras  convertimus  ut  novura  conderetur  OîTicium  cura  nova  Missa 
lam  in  Vigilia,  ubi  concessa  est,  qiiam  in  festo  immaculataî  Concep- 
tionis,  quibus  singula  haec  ex  ordine  recolantur,  et  faustissimi  eventus 
séries  futuris  in  posterum  aetatibus  innotescat.  Jam  vero  qiium  hujus- 
modi  opus  ad  optatum  exitumperductumsit,  menioratiim  OfficiumMis- 
samque  respondentera  de  consiiio  peculiaris  Congregationis  Sacroruni 
Ritniim  ad  id  apposite  per  Nos  deputatae  Auctoritate  Nostra  Apostolica 
approbandani  existirnavimus.  Ilaque  de  ejusdem  Congregationis  con- 
siiio, certa  scientia,  ac  matura  deliberalione  Nostra  superius  indicatum 
Offîcium,  INlissaraque  Olïïcio  respondentem,  nec  non,  pro  lucis  ubi  est 
concessa,  Missani  pro  Vigilia  immaculatseConceptionis  Auctoritate  Nos- 
tra Apostolica  per  praesentes  Litteras  probamus,  eademque  Autoritate 
prsecipimus,  ut  hoc  unice  Offîcium  et  Missam  quicumque  de  Clero  saecu- 
iari,  et  regulari,  non  exclusis  Monialibus,  ad  Horas  Canonicas  persol- 
vendas  quocumque  titulo  teneantur,  adsumeredebeant,  Romae  quidena, 
atque  ubi  fieri  commode  possit,  hoc  ipso  anno  vertente,  alibi  vero 
sequenti  Anno  MDCCCLXIV,  sub  pœna  Divini  Officii  omis  minime 
adimplendi.  Ne  quls  Vero  reptttet  peculiari  quocumque  titulo  etiam  spe- 
eiatim  designando  hujusmodi  général!  praescriptione  minime  compre- 
hendi,  Auctoritate  Nostra  Apostolica  abolemus,  et  proscribimus  quod- 
cumque  aliud  Officium,  et  quamcumque  aliam  Missam  de  immaculata 
Conceptione,  etiamsi  sint  ritus  a  Romanodiversi,  aclicet  singnlari  pri- 
vilegio  concessa  fuerint,  etiam  cuicumque  Ordini  regulari,  acjubemus, 
ut  in  novis  editionibus  Breviarii,  et  Missalis  lioc  unice  apponatur  Offi- 
cium in  corpore  Breviarii,  et  Missa  imprimatur  in  corpore  Missalis  die 
VIII  Decembris  ;  in  appendice  vero  Missalis  Missa  de  Vigilia  adji- 
ciatur  pro  locis,  ubi  ex  Apostolica  concessione  vigilia  celebratur.  El  quo- 
niam noniuilliB  regulanum  familiae  ritum  servant  a  Romano  diversura, 
volumus  ut  ipsse  quantociiis exbibere teneantur  CongregationiSacrorura 
Rituum  pro  opportuno  examine  et  revisione  additiones,  aut  variationes 
proprio  ritui  responelentes.  Haec  volumus,  jubemus,  mandamus,  con- 
trariis  speciali  licet,  atque  individua  mentione  dignis  non  obstantibus 
quibuscumque. 

Djtum  Romae  apud  Sanctum  Petrjm  sub  Annulo  Piscatoris  die XXV 
Septembiis  MDCGCLXIII  Ponlificatus  Nosiri  Anno  Decimo  octavo. 

N.  GARD.    PARACCIANICLARELLI 


BIBLIOGRAPHIE. 


Haniîale  totius   «fnris  canonici,  aiictore   D.  Craisson.  Tom.  m 
et  IV.  Paris,  Palmé.  In-12  de  752,  735  pp. 


Les  deux  derniers  volumes  de  l'ouvrage  de  M.  Craisson 
venant  de  paraître,  nous  allons  reprendre  et  achever  l'étude 
que  nous  avions  commencée  de  l'ouvrage  entier.  C'est  toujours 
la  même  exécution  typographique  très- satisfaisante,  tou- 
jours la  même  distribution  de  la  matière  par  numéros.  Le 
m®  tome  en  752  pages  comprend  2122  numéros  ;  le  IV  en  735 
pages  à  1160  numéros.  Ce  dernier  contient  une  table  alphabé- 
tique très-développée  de  tout  l'ouvrage  (p.  395-634).  Cette 
table  est  suivie  elle-même  d'une  dissertation  sur  le  calen- 
drier, du  catalogue  de  tous  les  évêcliés,  des  articles  orga- 
niques ,  de  la  réclamation  du  cardinal  Caprara  contre  ces 
mêmes  articles,  et  de  formules  d'induits  accordés  aux  évêques 
par  la  Sacrée  Péuitencerie. 

Dans  cette  dernière  partie  de  son  travail,  M.  Craisson  con- 
tinne  son  traité  des  Sacrements,  à  partir  de  l'Eucharistie  ; 
puis  il  parle  des  Sacramentaux,  des  Bénédictions,  des  Suffra- 
ges, des  Indulgences,  des  Funérailles,  des  Cimetières,  des 
Lieux  sacrés,  des  Fêtes  et  des  Jeûnes,  de  la  sainte  Liturgie  et 
des  Vœux,  toutes  matières  coniprises  dans  la  deuxième  partie 
du  droit  canon  sows  le  titre  de  choses  spirituelles.  Aux  choses 
spirituelles  sont  attachées,  ainsi  que  cela  se  retrouve  dans  toute 
la  religion,  les  choses  temporelles.  M.  Craisson  traite  cette  der- 
nière question  à  la  fin  de  son  troisième  volume.  L'Église  est- 
ellc  apte  à  posséder  des  biens  temporels?  Qui  les  administre? 
Comment  les  administre-t-on  ?  Quelles  sont  les  règles  rela- 


460  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VIll 

tive3  à  leur  aliéuation  ?  Après  ces  coiisiilérations  générales, 
l'auteur  parle  de  ces  mêmes  biens  eu  particulier,  des  prémices, 
des  dîmes,  des  oblatious,  des  bénéfices,  des  commendes  et 
des  pensions- 

Le  quatrième  volume,  sous  le  titre  de  Judiciis,  est  consacré 
aux  jugements,  aux  délits  et  aux  peines. 

Le  plan  général  de  l'ouvrage  est  simple  et  commode. 
L'Église  est  une  société.  Toute  société  se  compose  de  personnes; 
les  personnes  ont  besoin  de  plusieurs  choses  et  commettent  des 
fautes  qui  doivent  être  jugées  et  punies.  D'où  la  division  juste, 
facile  et  claire  d'un  cours  de  droit  canon  en  trois  parties  :  de 
personis,  de  rébus,  de  judiciis. 

Notre  impression  sur  l'œuvre  de  M.  Craissou  reste  la  même. 
Les  deux  derniers  volumes  ressemblent  aux  premiers.  La 
doctrine  est  saine,  on  y  retrouve  les  lignes  véritables  du  droit. 
Mais  il  w'y  a  pas  toujours  assez  de  plénitude,  assez  d'énergie 
dans  l'exposition;  l'auteur  va  puiser  trop  souvent  à  des 
sources  secondaires,  il  charge  son  texte  de  citations  fort  inu- 
tiles et  qui  ne  paraissent  avoir  aucune  raison  d'être.  Pour 
n'en  citer  qu'un  exemple,  à  la  page  182  du  tome  troisième, 
on  lit  :  Extrenia-unctio  est  sacramentum  novx  legis  quo  per  olei, 
etc.,  etc.;  Ita  theologia  tolosana.  On  se  demande  pourquoi, 
à  propos  de  la  définition  d'un  sacrement,  répétée  dans  tous  les 
livres,  ou  trouve  citée  une  théologie  qui,  dénuée  de  toute 
importance  scientifique,  laisse  beaucoup  à  désirer  sous  un 
rapport  plus  essentiel,  mémo  après  les  retouches  qu'elle  a 
subies.  Ceci  n'est  qu'un  détail,  mais  ce  détail  n'est  pas  sans 
analogues. 

Ailleurs  (tome  m,  p.  375),  l'estimable  canouiste  enseigne 
qu'il  semble  que,  dans  les  diocèses  où  l'on  n'a  pas  de  formules 
de  bénédictions  adaptées  à  certains  objets  que  l'on  voudrait  bé- 
nir, on  pourrait  employer  la  formule  approuvée  par  Pie  IX,  le 
iO  septembre  1847,  formule  qui  se  lit  dans  la  Collection  de 
Gardeliini,  u.  5119;  tome  iv,   p.  141,  de  la  2«  édition.  En  quoi 


Nov.  1SG3.]  BIBLIOGRAPHIE.  461 

M.  Craisson  nous  paraît  se^tromper.  Sans  dire  que  sa  doctrine 
ferait  supposer  qu'il  faut  pour  chaque  objet  une  formule 
particulière, —  erreur,  pour  le  dire  en  passant  qui  a  fait  pul- 
luler dans  nos  riluels  illégitiuies  tant  de  formules  variées,,  — 
la  vérité  est  que  la  formule  dont  il  parle  a  été  accordée  pro 
gratta,  et  que  la  Congrégation  a  permis  au  clergé  de  la  ville 
et  du  diocèse  de  Périgueux  st  ulement  de  l'employer,  afque  a 
clero  civitatis  et  diœcesis  Petrocorensis  adhiberi  posse  permisit. 
Or,  évidemment,  un  teliaugage  n'exprime  pas  une  concession 
universelle.  On  peut  tirer  une  nouvelle  preuve  de  ce  que  la 
Sacrée  Congrégation  a  permis  à  un  diocèse  voisin  d'employer 
la  formule  de  bénédiction  commune  accordée  à  Périgueux,  et 
qu'elle  a  indiqué  (l'i  août  1854)  la  manière  de  bénir  un  objet 
quelconque  dans  le  cas  où  la  formule  de  bénédiction  de  cet 
objet  ne  se  trouverait  pas  dans  le  Rituel,  (Mau.  tome  iif,  p.  420.) 
De  ce  qu'une  grâce,  un  office,  une  formule,  sont  accordés  à 
un  lieu,  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'ils  puissent  en  pratique 
être  regardés  comme  concédés  pour  d'autres  lieux. 

A  la  page  372,  nous  croyons  trouver  un  défaut  de  rédaction. 
L'auteur,  après  avoir  distingué  la  classe  des  bénédictions  ré- 
servées aux  évêques,  et  que  les  évêques  ne  peuvent  auctoritate 
propria  commettre  aux  simples  prêtres,  ajoute  qu'assez  com- 
munément on  range  dans  cette  catégorie  la  bénédiction  des 
linges  et  vêtements  sacrés,  et  que  cependant  Pie  IX  lui  a 
assuré  se  dédisse  omnibus  episcopis  facultatem  deleyandi  meros 
sacerdotes  pro  benedicendis  sacris  paramentis...  Cela  prouve 
très-bien  que  les  évêques  délèguent  pour  cette  bénédiction  en 
vertu  des  pouvoirs  .spéciaux  qui  leur  sont  accordés  ;  mais 
cela  n'établit  en  aucune  façon  que  les  évêques  peuvent  dé- 
léguer de  leur  propre  chef. 

Nous  aurions  d'autres  détails  de  ce  genre  à  relever.  Nous 
les  omettons  très-volontiers.  Notre  but  n'est  i)as  de  suivre  page 
par  page  le  manuel  dont  nous  entrenons  nos  lecteurs:  nous  vou- 
lons uniquement  moutrer  que,  très-bon  dans  l'ensemble,   il 


462  BIBLIOGRAPHIE.  [TomeVlII. 

pourrait  s'y  rencontrer  des  points  où  il  n'est  pas  d'une  exac- 
titude entière.  Non  ego  paucis  offendar  maculis. 

Avec  le  défaut  de  ne  pas  citer  assez  les  grands  auteurs  et 
les  premiers  sources,  et  de  trop  citer  au  contraire  des  auteurs 
secondaires  ou  dangereux,  ou  même  proscrits  par  la  sainte 
Église  ;  avec  quelques  inexactitudes  de  détails,  nous  repro- 
cherions à  ce  livre  de  n'être  pas  assez  complet  sur  des  choses 
mémo  nécessaires.  Au  chapitre  des  Messes  votives  (t.  m,  p.  129), 
nous  lisons  :  Quomodo  autem  missse,  votivx  sint  dicendx,  vide 
apud  de  Herdt...  S.  Liguori.  Revue  des  Sciences  ecclésiastiques. 
En  un  sujet  aussi  pratique,  ou  aimerait  à  trouver  de  suite  les 
indications  nécessaires  sans  être  obligé  d'aller  les  chercher 
ailleurs.  Cette  observation  se  reproduit  plusieurs  fois  dans  la 
lecture  du  livre  de  M.  Craisson. 

En  résumé,  tout  en  reconnaissant  que  ce  livre  est  excellent 
dans  Teusemble,  nous  faisons  des  réserves,  et  elles  portent 
principalement  sur  certaines  petites  faiblesses  qui  nous  sem- 
blent lui  ôtor  quelque  peu  de  son  mérite.  Le  vénérable  auteur  a 
sacrifié  légèrement  à  un  désir  de  conciliation  très-honorable 
du  reste,  mais  qui  ne  doit  jamais  nous  faire  rester  en  deçà 
de  la  ligne  doctrinale  par  crainte  de  la  dépasser. 

Cette  tendance  à  modérer  et  affaiblir  est  plutôt  dans  l'es- 
prit de  son  livre  que  dans  son  livre  lui-même.  Elle  ne  s'y  tra- 
hit pour  un  œil  attentif  que  dans  certaines  circonstances,  par 
des  erreurs  de  détail,  par  de  légers  symptômes,  et  par  le 
ton  général  de  l'exposition. 

Aprèsavoir  fait  ces  petites  réserves,  auxquelles  nous  attachons 
individuellement  le  plus  grand  prix,  car  nous  ne  croyons  pas 
que,  dans  les  temps  où  nous  vivons,  on  serve  suffisamment  la 
vérité  en  l'affaiblissant  plus  ou  moins,  nous  tenons  à  répéter 
encore  que  le  i/ani/e/ de  M.  l'ancien  Vicaire  général  de  Valeiice 
est  un  fort  bon  et  fort  utile  travail.  S'il  n'atteint  pas  absolument 
en  tout  et  toujours,  et  dans  tous  les  détails,  la  ligue  exacte  du 
droit,  il  l'atteint  presque  partout  et  s'en  rapproche  beaucoup 


Nov   1863.1  BIBLIOGRAPHIE.  46J 

plus  qu'un  autre  cours  de  droit  cauoniqne  public  il  y  a  quel- 
ques années.  Pour  s'en  convaincre  sur  un  point  donné,  on 
n'aurait  qu'à  comparer  l'étrange  manière  ôonl  les  Prxlectio7ies 
j'ui'is  canonici  (tome  ii,  p.  397  et  suiv.)  envisagent  les  liturgies 
illégitimes  et  ce  qu'en  dit  avec  tant  de  vérité  M.  Craisson 
(tome  m,  p.  583).  Encore  aurail-ilpu  enriciiir  ce  passage  de  la 
réponse  donnée  le  28  août  1856  pour  Besançon.  On  voit  en 
ceci  un  exemple  frappant  de  la  manière  dont  on  peut  confis- 
quer et  présenter  à  un  point  de  vue  syslématiquo  les  ques- 
tions les  plus  graves. 

Nous  voudrions  maintenant  reprendre  les  principales  affir- 
mations renfermées  dans  le  Manuel.  Ce  serait  une  tâche  fa- 
cile, agréable  et  même  utile.  Nous  verrions  que  malgré  le 
travail  de  rénovation  et  de  résurrection  qui  s'opère  si  heu- 
reusement parmi  nous,  nous  sommes  encore  un  peu  en  retard 
sur  l'étude  et  l'application  des  règles.  Puissent  tous  nos  sé- 
minaires s'enrichir  d'un  bon  cours  de  droit  canon  !  puissent 
tous  nos  prêtres  appliquer  sincèrement  les  prescriptions  du 
droit!  11  y  aurait  Va,  nous  le  croyons,  un  puissant  moyen  de 
résurrec  ion  et  de  vie,  parce  que  le  droit  est  la  volonté  de 
l'Église,  qui  est  la  volonté  même  de  Dieu,  et  vita  in  voluntate 
ejus  (Ps.  XXIX,  6).  Le  manuel deM.  Craisson  est  donc  une  bonne 
action  et  un  bon  livre.  11  obtiendra,  nous  le  croyons  el  nous 
le  désirons,  le  but  qu'il  s'étaitproposé  et  qu'il  exprime  en  ter- 
minant :  Utinam  cedat  in  maximam  Dei  gloriatn,  Lcclesix 
honorem  el  utilitatem  I 

Le  respectable  auteur  nous  rendra  la  justice  de  penser  et 
de  croire  que  les  observations  présentées  sur  son  livre  ne  pro- 
viennent que  de  l'intérêt  qu'il  nous  inspire.  Nous  tenons  tant 
à  l'unité,  nous  voudrions  tant  voir  disparaître  ces  principes 
d'oi'position  et  d'aigreur  qui  pourraient  nous  troubler,  et 
partant  nous  affaiblir  en  nous  séparant,  même  en  peu  de 
choses,  du  Pape,  qui  est  le  Sacrement  vivant  de  l'unité 
ecclésiastique,  que  nous  sommes  très-chatouilleux  sur  les  livres 


2i64  BIBLIOGRAPHIB.  [Tome  VIII. 

destinés  à  l'enseignement.  Nos  légères  critiques,  atlénuëes  par 
un  profond  sentiment  de  vénération,  ne  sont  qu'un  hommage 
rendu  à  un  bon  livre  et  à  un  excellent  auteur.  Que  le  Manuel, 
en  se  répandant,  serve  la  cause  sacrée  de  l'unité  dont  l'Église 
chante  qu'elle  gonverne  tout  !  In  unitate  quse  gubernat  omnia! 
[in  festo  SS.  Pétri  et  Pauli.)  H.  Girard. 


lie   ]^'ouTeau    Testament  de   IVotre-^eîg'neur    «lésns-Christ, 

tradr.clion  nouvellt;  avec  introduction,  sommaires  et  notes,  par 
M.  l'abbé  A.  Gaume,  chanoiDe  de  Paris,  publiée  avec  l'autorisation  de 
rordinaire.  Paris,  Gaume  frères  et  Duprey,  2  vol.  iu-12  de  sxiv-504, 
540  pp.  Prix,  7  fr. 

Le  Nouveau  Testament  !  ce  n'est  pas  le  cas  de  redire  ici 
tout  ce  que  les  saints,  tout  ce  que  les  écrivains  ecclésiastiques 
ont  proclamé  de  ce  Livre  divin  qui  renferme  la  parole  de  vie. 
On  croirait  qu'un  tel  ouvrage,  objet  d'une  admiration  si  pro- 
fonde et  si  constante,  a  dû  conquérir  au  moins  le  respect 
des  méchants  :  à  quelques  exceptions  près,  il  n'en  a  rien  été. 
Le  rationalisme  et  le  protestantisme  se  sont  attachés  à  nier,  à 
fausser,  à  dénaturer  la  parole  de  Dieu.  Nous  n'avons  pas 
besoin  de  retracer  ici  les  combats  livrés  aux  saints  Livres  par 
ceux-là  mêmes  qui  prétendaient  en  faire  la  règle  unique  de 
leur  foi  :  on  saiit  jusqu'oîi  les  ont  conduits  les  écarts  de  i'esnrit 
individuel,  et  le  rationalisme  antichrétien  de  nos  jours  n'est  que 
le  développement  normal  du  principe  de  la  Réforme.  Strauss  et 
Renan  sont  les  héritiers  légitimes  de  Luther  et  de  Calvin.  Et 
comme  tout  se  tient  dans  l'ordre  des  principes,  il  s'ensuit  qu'en 
ébranlant  la  base  de  la  foi,  on  a  ébranlé  la  base  même  de 
l'ordre  social  et  moral.  C'est  le  progrès  de  ces  funestes  doc- 
trines qui  donne  à  notre  époque  un  caractère  particulier  d'a- 
mertume et  de  tristesse. 

Comme  le  Nouveau  Testament  renferme  la  connais.sance  de 
Notre-Seigneur,  les  preuves  de  sa  divinité  et  les  maximes  de 


Vov.  1862.]  BIBLIOGRAPHIE.  465 

sa  pure  doctrine,  il  est  bon  que  la  foi  et  l'amour  aillent  se 
retremper  dans  ces  sources  vivifiantes.  Quesnel  et  les  autres 
Jansénistes  qui,  animés  de  l'espril  de  la  Réforme,  rendaient 
la  lecture  des  saintes  Lettres  absolument  nécessaire  ,  ont  été 
justement  condamnés.  Mais  cette  lecture  est  permise,  moj^en- 
nant  des  garanties  légitimes  :  elle  peut  souvent  être  utile, 
aujourd'hui  surtout  que  l'on  n'épargne  plus  même  la  personne 
adorable  de  notre  Sauveur. 

Frappé  de  ces  considérations,  M.  l'abbé  Gaume,  chanoine 
de  Noire-Dame  et  ancien  professeur  de  théologie,  a  consacré 
six  années  à  faire  sur  l'Évangile  un  travail  qui  pût  en  rendre 
la  lecture  facile  et  avantageuse  aux  simples  fidèles. 

Il  nous  en  communique  aujourd'hui  le  résultat  dans  les  deux 
volumes  admirablement  édités  dont  nous  allons  donner  un 
simple  aperçu.  Une  introduction  très-substantielle  est  consa- 
crée à  des  notions  préliminaires  sur  le  titre  du  Nouveau 
Testament,  les  parties  dont  il  se  compose,  son  autorité,  son 
utilité,  sa  richesse,  sur  la  méthode  que  l'auteur  a  suivie  dans 
la  traduction  et  l'explication  dutexte,  sur  les  dispositions  avec 
lesquelles  ou  doit  le  lire.  Vient  ensuite  une  courte  explication 
de  quelques  mots  et  locutions  souvent  reproduits  dans  le 
Nouveau  Testament,  et  trop  peu  compris  de  bien  des  per- 
sonnes. 

Après  cette  introduction  se  trouve  la  traduction  du  texte 
sacré,  dont  nous  ferons  en  deux  mots  l'éloge  quaml  nous 
dirons  qu'elle  est  exacte  et  naturelle,  qu'elle  suit  le  texte  sans 
s'écarter  du  géuie  de  notre  langue. 

Mais  ce  qui  fait  de  l'œuvre  de  M.  Gaume  une  œuvre  à  part, 
ce  sont  les  notes  qui  accompagnent  la  traduction.  Avant  chaque 
épître,  une  note  préiiminaire  donne  sur  cette  épîlre  des  expli- 
cations fort  intéressantes  qui  en  disent  l'occasion,  le  but  et  le 
plan,  et  jettent  par  là  même  le  plus  grand  jour  sur  la  peusée 
de  l'écrivain.  En  outre  des  sommaires  développés  relient  toutes 
les  idées  entre  elles  selon  le  plan  général  de  l'épitre.  C'est  là 

UEVUE  des  SCIENXES  ECCLÉSiASf IQUES,  T.  \\\\.  ^0 


460  BIBLIOGRAPHIE.  [TomeVIlI. 

selon  nous,  une  amélioration  notable  qui  assure  au  travail  de 
M.  Gaume  un  caractère  très-spécial  d'utilité. 

Les  notes  explicatives,  géuéraleaient  très-courtes,  sont  au 
nombre  d'enviion  quatre  mille.  L'auteur  les  a  rejetées  au  bas 
d  es  pages  et  les  a  fait  imprimer  dans  un  caractère  spécial  pour  ne 
p  oint  interrompre  la  lecture.  Elles  sont,  nouspouvons  le  redire 
après  des  hommes  fort  compétents,  «  un  résumé  clair  et  sub- 
stantiel des  commentaires  les  plus  accrédités.  »  L'estimable 
auteur  les  a  tirées  du  trésor  antique  de  la  tradition  catholique, 
mais  il  les  a  formulées  d'une  manière  viaircent  nouvelle  :  une 
difficulté  expliquée,  un  dogme  accentué,  une  vue  d'ensemble 
habilement  jetée,  une  exhortation  faite,  une  pensée  pieuse 
émise  en  peu  de  mots  :  voilà  ce  qu'on  y  trouve.  Nous  pourrions 
en  citer  bien  des  exemples. 

L'auteur  a  fait  aussi  une  part  assez  restreinte,  vu  le  carac- 
tère de  l'ouvrage,  mais  suffisante,  à  la  polémique  déloyale 
des  sociétés  bibliques.  Leurs  agents  répandent  partout  des 
exemplaires  du  Nouveau  Testament,  où  quantité  de  pas- 
sages sont  soulignés  à  l'encre  rouge  et  commentés  d'une  ma- 
nière perfide  sur  de  petites  bandes  collées  en  marge.  aTourà 
tour  agressifs  et  insolents,  insidieux  et  perfides,  dit  M.  Gaume, 
ces  petits  papiers  ne  tiennent  aucun  compte  des  réponses  mille 
fois  données,  et  toujours  demeurées  sans  réplique  sérieuse. 
D'un  Ion  fort  dégagé,  ou  avec  un  air  de  candeur  et  d'innocence, 
ils  provoquent^  des  doutes,  affirment  des  mensonges,  débitent 
des  faussetés  et  dos  hérésies,  formulent  des  accusations  et  se 
posent  eu  amis  de  la  vérité.  Tous  ces  imprimés,  qui  suent  le 
venin,  nous  les  avons,  malgré  notre  dégoût,  vérifiés  et  exami- 
nés les  uns  après  les  autres,  et  nous  n'en  avons  laissé  passer 
aucun  sans  en  faires justice,  soit  par  une  réfutation  directe, 
nécessairement^  tiès-courte;  soit  au  moins  en  plaçant  en  re- 
gard la  doctrine  des  siècles  chrétiens.  Car,  il  eût  été  impossible 
de  faire  autant  de  traités  qu'ils  abordent  de  suje!s,  pour  nier, 
et  nier  avec  une  hardiesse  d'autant  plus  efirontée  qu'elle  est 
plus  dépourvue  de  preuves  (Introd;  p.  XV).  » 


Nov.180.]  BIBLIOGRAPBIE.  467 

Enfin  pour  être  dans  la  règle,  le  vénérable  chanoine  de 
Paris  a  fait  munir  son  travail  de  l'approbation  de  l'ordinaire. 

Eu  préparant  le  Nouveau  Testament  que  nous  avons  le 
plaisir  d'annoncer,  Mj  l'abbé  Gaume  n'a  pas  oublié  une  classe 
très-nombreuse  de  lecteurs  pour  lesquels  on  ne  songeait  point 
assez  à  remplir  les  conditions  du  droit  canonique.  Depuis 
longtemps  on  met  entre  les  mains  des  enfants  dans  les  écoles, 
des  extraits  considérables  du  Nouveau  Testament.  C'est  un 
usage  fort  louable,  mais  pour  lequel  ou  a  trop  oublié  de  se 
conformer  aux  prescriptions  de  l'Église.  En  effet,  on  était 
habitué  à  faire  circuler  ainsi  beaucoup  de  traductions  sans 
noms  d'auteurs,  sans  notes,  sans  autorisation  régulière. 

M.  l'abbé  Gaume  a  offert  aux  personnes  qui  le  désirent  le 
moyen  d'observer  désormais  les  lois  de  TÉglise  en  cette  matière 
sans  augmentation  de  dépense,  malgré  les  nombreux  avan- 
tages que  présente  son  recueil. 

Nous  venons  de  voir  avec  bonheur  ce  petit  livre,  format 
in-18.  Il  est  intitulé  :  Epîtres  et  Evangiles  des  dimanches  et  fêtes 
de  Vannée,  et  porte  en  tête  une  approbation  très-flatteuse  de 
Sou  Éminence  Mgr  le  cardinal  Morlot.  On  le  trouve  à  la  même 
librairie  que  le  Nouveau  Testament.  Le  prix  en  est  de  50  c. 

N.  G.  Le  Roy. 


li'Ecclésiaste  de  S»alomou,  traduit  de  l'hébreu,  précédé  d'une 
Étude  sur  le  caractère,  le  plan,  l'auteur  et  l'âge  de  ce  livre,  par  A. 
GiLLY,  docteur  en  théologie  et  en  droit-canon,  directeur  de  Séminaire. 
Paris,  V.  Palmé.  In-] 2  de  x-167  pp. 

Plus  d'une  fois  déjà  nous  avons  signalé  l'importance  des 
études  exégétiques,  et  témoigné  le  désir  qu'elles  fussent  cul- 
tivées avec  tout  le  développement  nécessaire.  C'est  donc  avec 
bonheur  que  nous  voyons  entrer  dans  cette  voie  un  jeune  cri- 
tique, préparée  ce  genre  de  travaux  par  ses  études  antérieures 
et  par  ses  occupations  de  tous  les  jours. 

Ici,  je  me  sens  iu],médiatement  arrêté.  Des  liens  trop  éhoits 
m'attachent  à  la  personne  de  l'auteur,  pour  que  je  puisse  d'une 


468  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  Mit. 

manière  digne  et  convenable  entreprendre  l'examen  de  son 
œuvre.  Je  me  bornerai  donc  à  une  simple  annonce,  en  priant 
las  amis  des  saintes  Lettres  de  lui  réserver  le  meilleur  accueil. 

S'il  m'est  interdit  de  parler  ici  en  mon  nom,  personne  du 
moins  ne  trouvera  mauvais  que  je  cède  la  parole  à  l'un  des 
prélats  les  plus  illustres  de  l'Église  de  France.  Mgr  Plantier, 
évêque  de  Nîmes,  écrivait  tout  récemment  à  M.  l'abbé  Gilly  : 

«  Entre  les  divers  livres  de  nos  saintes  Écritures,  mon  clier 
abbé,  VEcch'siaste  est  un  de  ceux  dont  la  science  rationaliste  a 
le  plus  méconnu  le  sens  et  blasphémé  la  divine  inspiration.  Je 
vous  sais  gré  d'avoir  consacré  à  le  venger  de  ces  méprises  et 
de  cer.  outrages  les  fortes  connaissances  de  philologie  et  d'exé- 
gèse que  vous  avez  puisées  à  Rome.  Ce  travail  est  le  premier 
fruit  de  votre  intelligence  jeune  encore.  Mais  consciencieusement 
préparé,  j'aime  à  croire  qu'il  sera  goûté  par  les  esprits  qui 
s'occupent  d'études  sérieuses,  et  qu'il  éclairera  pour  eux  de 
lumières  décisives  un  point  de  critique  sur  lequel  le  faux  savoir 
de  notre  temps  s'efiorce  d'accumuler  chaque  jour  de  plus  épais 
nuages. 

«  Je  bénis  le  livre  et  son  auteur,  le  livre  afin  qu'il  ait  de 
bonnes  destinées,  l'auteur  afin  qu'il  puisse  rendre  encore  de 
nouveaux  services  à  l'Église.   » 

t  HENRI,  ÉVÊQUE  DE  Nîmes. 

Espérons  que  ce  vœu  parti  de  si  haut  sera  réalisé,  et  que 
de  nombreux  travaux  viendront  s'ajouter  à  celui-ci. 

E.  Hautcceur. 


Philosopliia  Chrîstiana  cum    antiqua  et    nova  coiuparata, 

auciore    Cajelaao    Sanseverino.   Neapoli.     typis    Vinceutii   Manfredi, 
1S62. 

Les  ouvrages  qui  exigent  de  longs  travaux,  de  profondes 
méditations  et  de  patientes  recherches  sont  devenus  très-rares 
de  nos  jours  ;  la  brochure  seule  est  de  mode,  et  encore  faut-il 
qu'3lle  ne  s'avise  en  aucune  sorte  d;  toucher  aux  questions 


Nov.   1863)  BIBLIOGRAPHIE.  Aù^ 

un  peu  abstraites,  ou  qu'elle  ne  s'aventure  point  dans  l'exainen 
trop  sérieux  des  questions  historiques.  Si  elle  s'égare  dans  la 
spéculation,  on  crie  à  Tobscurilé;  si  elle  veut  étudier  de  près, 
ne  serait-ce  qu'une  question  de  fait,  l'auteur  deviendra  aux 
yeux  du  public  lourd,  fatigant,  intolérable.  Aujourd'hui 
donc,  poui"  être  goûté,  il  faut  écrire  en  laissant  soigneusement 
de  côté  la  science  et  l'érudition,  et  même,  au  besoin,  la  doc- 
trine et  la  vérité,  pour  peu  que  celle-ci  demande  d'attention 
pour  être  saisie. 

Quel  succès  peut  donc  espérer  un  écrivain  qui  vient  nous 
donner  en  latin  un  de  ces  grands  ouvrages  de  philosophie,  qui 
nous  rappellent  les  monuments  scientifiques  du  moyen  âge  et 
du  XVII*  siècle  !  Où  trouver  des  lecteurs  quand  il  s'agit  d'une 
publication  de  ce  genre?  On  ne  les  trouvera  point  assurément 
parmi  les  rationalistes,  qui  cependant  auraient  grand  besoin 
d'une  étude  un  peu  sérieuse  des  questions  philosophiques;  mais 
comme  tout  le  monde  sait,  le  rationaliste  est  simplement  chargé 
d'instruire  le  genre  humain,  sans  pour  cela  être  obligé  d'en- 
tendre les  questionsqu'il  traite.  Heureusement,  il  reste  encore 
dans  le  monde,  parmi  les  ecclésiastiques,  des  hommes  capables 
d'apprécier  ces  travaux,  des  hommes  qui  accueilleront  avec 
joie  la  Philosophia  Christiana  de  M.  le  chanoine  Sauseverino, 
.et  sauront  reconnaître  toute  la  valeur  de  cette  publication. 

Il  s'agit  en  effet  ici,  non  d'un  ouvrage  élémentaire  destiné 
à  l'enseignement,  mais  d'un  grand  traité,  où  l'auteur  expose 
la  philosophie  chrétienne,  en  la  comparant  à  la  philosophie 
ancienne  et  à  la  philosophie  moderne.  Une  connaissance  ap- 
profondie des  pères  et  des  docteurs  de  l'Église,  une  règle  sûre 
pour  apprécier  les  doctrines,  une  étude  patiente  et  complète 
des  travaux  de  tous  les  philosophes  anciens  et  modernes,  voilà 
ce  qui  caractérise  surtout  l'ouvrage  en  question.  Ajoutez  à 
cela  que  l'auteur  est  parfaitement  au  courant  de  toutes  les 
publications  contemporaines,  et  qu'il  a  suivi  avec  soin  le 
mouvement  des  idées  en  France,  en  Italie  et  en  Allemagne. 


470  BIBLIOGRAPHIE.  ITomeVII!. 

M.  Sanseverino  n'a  encore  publié  que  la  première  partie  de 
la  logique,  ou  la  dialectique,  qui  embrasse  deux  volumes  in-S», 
et  la  Dynamilogie,  ou  études  des  puissances  de  Tâme,  qui 
comprend  trois  volumes.  On  peut  juger  par  là  de  l'étendue  du 
travail.  L'auteur  commence  d'abord  par  donner,  dans  une 
introduction,  un  résumé  rapide  mais  précis  de  l'histoire  de  la 
philosophie  jusqu'à  nos  jours. 

La  logique  nous  rappelle  ,  pour  l'oi'dre  et  la  nature  des 
questions  qui  y  sont  traitées,  l'enseignement  traditionnel  des 
universités  catholiques  jusqu'au  XVI^  siècle.  L'auteur,  après 
avoir  exposé  très  en  détail  la  question  des  univcrsaux  consi- 
dérés au  point  de  vue  dialectique,  ainsi  que  celle  des  catégo- 
ries, passe  à  l'étude  de  la  proposition  et  du  syllogisme.  Un 
exposé  irès-approfondi  de  la  vraie  nature  de  l'induction  nous 
a  intéressé  d'une  manière  toute  spéciale  :  il  révèle  une  rare 
pénétration  desprit.  Les  nombreux  écrits  du  R.  P.  Gratry  sur 
ce  point,  et  les  controverses  auxquelles  ils  ont  donné  lieu,  ont 
appelé  l'attention  sur  les  rapports  du  syllogisme  inductif  au 
syllogisme  déductif.  Notre  auteur  discute  donc  avec  soin  le 
procédé  dialectique  du  R.  P.  Gratry,  dont  il  est  loin  de  partager 
les  sentiments.  En  effet,  selon 'M.  Sanseverino  : 

\°  Aristote  n'enseigne  point  que  l'induction  n'a  que  deux 
tei*mes,  et  que  le  mouvement  du  particulier  à  l'universel  est 
immédiat  ; 

2°  il  est  inexact  de  dire  quels  syllogisme  nepeutservirqu'à 
démontrer  la  vérité,  mais  nullement  à  la  découvrir;  de  plus 
l'induction  ne  procède  pas  du  même  au  différentiel  le  syllogisme 
du  même  au  même  ; 

3°  L'analyse  infinitésimale  ne  peut  être  alléguée  comme 
une  contirmation  du  système  du  R.  P.  Gratry,  puisque  cette 
analyse  ne  repose  nullement  sur  l'induction  ; 

Enfin,  4°  le  sens  divin,  qui  serait  l'instrument  du  procédé, 
n'existe  pas,  et  n'est  qu'une  rémiuiscence  de  l'instinct  inné  de 
Reid  et  de  l'école  écossaise. 


Nov.  1863.]  BIBLIOGRAPHIE.  47^ 

La  sensation  produite  en  France  et  à  l'étranger  par  les  bril- 
lantes publications  de  l'illustre  écrivain  français,  donne  un 
intérêt  tout  particulier  à  la  hardie  et  savante  réfutation  du 
chanoine  napolitain.  On  voit  aussi  par  là  que  l'auteur  de  la 
Philosophia  Christtana,  non-seulement  connaît  la  philosophie 
scolastique,  mais  n'est  étranger  à  aucun  des  travaux  sérieux 
des  contemporains, 

Dans  la  Dynamilogie,  M.  Sanseverino  examine,  dans  lapar^ee 
générale,  la  nature  de  la  distinction  entre  l'essence  et  les  fa- 
cultésde  l'âme;  il  passe  ensuite  à  l'énumération  et  au  principe 
de  distinction  de  colles  ci. 

Ld.  partie  spéciale  consiste  dans  une  étude  détaillée  et  ap- 
profondie de  toutes  ces  puissances,  dont  il  a  décrit  la  nature 
et  indiqué  la  classification.  En  même  temps  que  l'auteur  expose 
sur  les  perceptions  sensibles  et  sur  la  connaissance  intellectuelle 
la  doctrine  de  tous  les  docteurs  de  l'Église,  doctrine  formulée 
avec  toute  la  précision  possible  par  saint  Thomas,  il  s'attache 
à  montrer  les  équivoques  et  les  lourdes  méprises  des  philoso- 
phes contemporains  qui  ont  voulu  rectifier  les  scolastiques . 
Il  met  en  évidence  l'inanité  de  la  psychologie  de  l'école  écos- 
saise, qui  osait  s'adjuger  la  découverte  de  cette  partie  de  la 
philosophie.  Eufiniisuit  avecsoin  et  attaque  avec vigue,ur  les 
théories  de  Rosmini  et  les  divagations  périlleuses  de,,GiQherti. 

La  Philosophia  christiana  est  donc  un  ouvrage  qui  doit  fîgu- 
Ter  dans  la  bibliothèque  de  tous  ceux  qui  veulent  s'occuper 
d'une  manière  un  peu  sérieuse  des  questions  philosophiques 
de  ou  théologiques.  Le  théologien  doit  entendre^  les  écrits 
saint  Thomas,  de  Suarez  et  de  tous  les  docteurs  de  l'école; 
celui-là,  en  effet,  ne  peut  être  théologien,  qui  n'einteud  pas 
même  les  écrits  des  grands  maîtres  dans  la  science  sacrée  ;  or 
pour  arriver  à  une  pleine  intelligence  de  tant  de  magnifiques 
monuments  théologiques,  il  faut  une  connaissances  approfondie 
de  la  philosophie  scolasiique.  .G.,C, 


CORRESPONDANCE 


I.  —  Sur  la  Philosophie  de  saint   Thomas,  et  quelques-uns 
de  ses  représentants  actuels. 


Monsieur  le  Rédacteur, 

Veuillez,  je  vous  prie,  accueillir  avec  votre  bienveillance  qui  m^est 
connue,  et  insérer  dans  voire  Revue,  animée  d'un  si  excellent  esprit, 
les  lignes  suivantes  que  m'a  dictées  mon  amour  pour  saint  Thomas  et 
pour  sa  doctrine. 

Un  des  faits  consolants  de  notre  époque  si  fertile  en  désastres  et  en 
ruines  de  tout  genre^  c'est,  sans  contredit,  l'esprit  de  retour  à  la  véri- 
table philosophie,  je  veux  dire,  à  la  philosophie  chrétienne,  dont  les 
principaux  traits  ont  été  si  admirablement  esquissés  par  saint  Augitstin, 
et  dont  l'ensemble  et  les  détails  ont  été  perfectionnés,  d'une  manière 
si  simple  et  si  profonde  à  la  fois,  par  le  plus  grand  génie  philoso- 
phique qui  ait  illuminé  le  monde,  par  l'incomparable  Docteur  angé- 
lique.  De  tous  côtés,  en  effet,  en  Italie,  en  Allemagne,  en  France,  etc., 
il  s'est  opéré,  depuis  quelques  années  surtout,  un  mouvement  prodigieux 
en  faveur  de  saint  Thomas  et  de  ses  doctrines.  Je  vois  dans  ce  mou- 
vem.ent  qui  s'étend  de  jour  en  jour  le  pré'ude  d'une  grande  restauration 
philosophique,  et  par  là  même,  le  commencement  d'une  nouvelle  ère 
pour  la  théologie. 

Or,  vous  n'ignorez  pas,  Monsieur  le  Rédacteur,  que  l'un  des  hommes 
qui  ont  le  plus  contribué,  en  Italie  surtout,  à  remettre  en  honneur  les 
grandes  et  fécondes  théories  de  l'Ange  de  l'École,  c'est  le  savant 
P.  Liberatore.  Ce  n'est  pas  d'hier  que  l'ihustre  Jésuite  s'est  voué  à 
la  réhabilitation  philosophique  de  saint  Thomas.  De[)uis  plusieurs 
années,  le  P.  Liberatore  s'est  appliqué,  soit  dans  des  articles  publiés 
dans  la  Civiità  Cattolka  (I),  soit  dans  des  ouvrages  italiens  trop  peu 
connusen  France,  soit  dans  une  philosophie  adoptée  en  quelques-uns 

y 

ft)  Je  dois  dire,  à  la  louange  de  celte  exceUente  Revue,  que  tous  ses  rédac- 
teur» professent  uu  respect  et  un  amour  sincères  pour  saint  Tliumas  et  pour  ses 
doctrines. 


Nov.  iSCi.]  CORKESrOiN'DANCE.  41^ 

de  nos  séminaires  (1),  à  faire  connaître,  goûter,  aimer  la  philosophie 
de  saint  Thomas.  On  ne  saurait  trop  engager  ceux  qui  s'occupent 
d'études  philosophiques  à  lire  et  relire  les  œuvres  du  P.  Liberatore, 
surtout  ses  livres  italiens,  qui  développent  merveilleusement  quelques- 
unes  des  thèses  de  sa  philosophie  latine,  et  qui  lui  donnent  une  vie, 
une  force,  une  ampleur  que  ne  comporte  point  un  abrégé  ou  un  livre 
élémentaire  (2). 

Toutefois,  telle  qu'elle  est,  la  Philosophie  latine  du  P.  Liberatore 
(je  parle  de  la  dernière  édition)  a  une  valeur  incontestable.  Outre  que 
le  célèbre  auteur  s'attache  à  reproduire  fidèlement  les  doctrines  si 
lumineuses  de  saint  Thomas,  il  les  ex|)lique  et  les  commente  de  ma- 
nière à  satisfaire  largement  aux  besoins  de  la  science  actuelle.  Le 
P.  Liberatore  est  un  homme  de  son  temps,  un  homme  qui  sait  faire 
parler  saint  Thomas  pour  les  vrais  savants  de  notre  siècle. 

Je  n'en  dirai  pas  autant  d'une  Philosophie  latine  qui  vient  de  paraître 
aussi  à  Rome,  et  qui,  tout  en  admettant  les  idées  de  saint  Thomas  sur 
certains  [loinls,  par  exemple  sur  l'origine  de  nos  connaissances,  s'é- 
carte du  saint  Docteur  sur  des  points  fondamentaux,  tels  que  la  ques- 
tion de  la  matière  et  de  la  forme,  de  l'essence  et  de  Vexistence,  de  la 
substance  et  de  Vaccident.  Or,  tous  ceux  qui  ont  tant  soit  peu  étudié 
saint  Thomas,  savent  combien  ses  doctrines  sur  ces  divers  points  sont 
connexes  et  tiennent  à  la  notion  profonde  de  Vacte  et  de  la  puissance. 

Il  est  vraiment  à  regretter  que,  dans  sa  Philosophie,  le  P.  Ton- 
giorgi  se  soit  séparé,  spécialement  en  ce  qui  concerne  la  matière  pre- 
mière et  la  forme,  de  saint  Thomas  et  de  saint  Augustin,  dont  le 
Docteur  angélique,  toujours  si  fidèle  interprète,  n'a  fait  que  reproduire 
la  sublime  doctrine.  Je  sais  ce  qu'on  peut  dire  pour  justifier  le  P.Ton- 
giorgi  :  on  en  appelle  à  la  science  moderne,  et  l'on  prétend  que  saint 
Thomas  changerait  aujourd'hui  d'avis. 

Eh  bien  1  nous  disons,  nous  :  Non,  saint  Thomas  ne  changerait  pas 
d'avis  sur  la  grande  question  de  la  matière  et  de  la  forme,  attendu  que 

(1)  A  Blois  et  à  Poitiers,  par  exemple.  Vous  savez  combien  M.  (Ireuié,  que  la 
mort  vient  de  ravir  k  l'affection  île  ses  nombreux  amis,  était,  au  séminaire  de 
Poitiers,  le  propagateur  ardent  et  zélé  des  doctrines  de  l'Ange  de  l'écol?. 

(^)  Les  livres  dont  je  parle  sont  :  1"  les  deux  volumes  intitulés  ;  Délia  Co- 
noscenza  inlellettuale;  2°  le  volume  dernièrement  publié  sous  ce  titre  :  Del 
Composta  umano.  Ces  trois  volumes  contiennent  les  thèses  psychologiques  les 
plus  intéressantes  exposées  avec  force  et  clarté,  suivant  les  principes  de  saint 
Thomas.  Plus  lard,  il  me  sera  peut-être  donné.  Dieu  aidant,  de  publier  une  ana- 
lyse étendue  de  ces  beaux  ouvrages. 


JiH  CORRESPONDANCE.  [Toinc»  VI1[. 

les  découvertes  et  les  progrès  de  la  science  ne  nuisent  en  rien  à  la 
théorie  du  saint  Docteur,  théorie  toute  métaphysique  et  inaccessible 
aux  cotips  de  la  science  physique.  Mais  ce  n"ost  pas  ici  le  lieu  de  ven- 
ffer  saint  Augustin  et  saint  Thomas.  Je  renvoie  le  lecteur  au  dernier 
ouvrage  du  P.  Liberatore  :  Del  Composta  timano.  11  y  verra  exposée 
et  défendue  d'une  manière  scientifique,  appuyée  même  sur  les  faits 
constatés  par  la  chimie  et  la  physique  modernes,  la  grande  thèse  des 
scolastiques  et  de  saint  Thomas  sur  les  (ormes  substantielles  II  y  verra, 
en  outre,  et  par  surcroît,  des  réponses  solides  à  toutes  les  difficultés 
qui  pourraient  être  exposées  par  le  P.  Tongiorgi  et  autres,  au  nom  de 
la  science  actuelle. 

Je  regretterais  donc  vivement,  dans  l'intérêt  de  la  doctrine  de  saint 
Thomas,  doctrine  qui  est  tout  d'une  pièce,  si  je  puis  parler  ainsi,  et 
que  l'on  ne  saurait  ébranler  sur  un  point  sans  que  tous  les  autres  en 
souffrissent,  je  regretterais,  dis-je,  que  la  Philosophie  du  P.  Ton- 
giorgi s'implantât  en  France,  au  détriment  de  celle  du  P.  Liberatore. 
Caserait  un  point  d'arrêt,  pour  ne  pas  dire  un  recul,  dans  le  mouve- 
ment qui  s'opère  en  faveur  du  Docteur  angélique.  Je  conviens  toute- 
fois, que  la  Philosophie  du  P.  Tongiorgi  est  un  progrès,  si  on  la  com- 
pare avec  certains  traités  modernes. 

J'e-père,  monsieur  le  Rédacteur,  que  vous  daignerez  accueillir  ces 
quelques  lignes  avec  d'autant  plus  d'indulgence ,  que  votre  Revue 
s'est  montrée,  à  diverses  reprises,  pleine  de  zèle  et  de  dévouement  pour 
les  enseignements  du  Docteur  angélique. 

Daignez  agréer,  etc.  F.  J. 

II.  —  Une    réclamation. 

Le  R.  P.  Laurent,  provincial  des  Capucins,  nous  adresse  une  lon- 
gue lettre  à  propos  du  jugement  que  nous  avons  porté  sur  ses  Etudes 
géologiques,  etc.  iN"  de  septembre,  p.  IQQ,  197.) 

Pour  éviter  jusqu'à  l'apparence  d'un  prétexte  de  plainte,  nous  la 
reproduisons,  tout  en  faisant  remarquer  que  rien,  ne  nous  y  obligeait.  11 
s'agit  en  effet  ici  d'un  article  de  critique,  où  la  personne  de  l'auteur 
n'est  nullement  enjeu.  Si  nous  devions  accueillir  tout  ce  qu'il  plaît  à 
certaines  personnes  de  nous  envoyer  à  propos  d'opinions  ou  de  juge- 
ments en  matière  purement  scientifique,  nos  colonnes  seraient  en  grande 
partie  absorbées. 

Monsieur  le  Directeur, 

Votre  savante  Revue  cou  lient  dans  son  numéro  de  septembre  un  article  de 
M.  l'abbé  Hautcœur  dans  lequel  nos  Études  sur  la  cosmogonie  de  Moïse  sont 


Nov.  1803.]  CORRESPONDANCK.  475 

appréciées  d'une  façon  si  singulière,  il  présente  des  inexactitudes  et  des  erreurs 
si  graves  (1)  que  nous  ne  pouvons  les  passer  sous  silence.  Je  vous  prie  en  con- 
séquence de  vouloir  bien  insérer  ma  réponse  dans  le  plus  prochain  numéro  de 
la  Revue. 

1°  En  parlant  des  nombreux  travaux  auxquels  ont  donné  lieu  les  premiers 
chapitres  de  la  Genèse,  votre  honorable  collaborateur  observe  que  «  ces  travaux 
ont  souvent  pour  auteurs  des  naturalistes  élranfzers  aux  éludes  d'exégèse  el  de 
théologie...  Ces  théologiens  improvises,  dit-il,  torturent  le  texte  biblique,  en 
étendent  ou  en  restreignent  arbitrairement  le  sens...  Ces  remarques  s'appliquent 
aux  Études  du  père  Laurent.  • 

M.  l'abbé  Hautcœur  nous  accuse  d'abord  de  torturer  le  texte  bi- 
blique, d'en  restreindre  ou  d'en  étendre  arbitrairement  le  sens.  Une  pareille 
'mpuiation  serait  grave,  si  elle  était  méritée  ;  mais  elle  ne  l'est  pas,  et  nous  la 
repoussons  éncrgiquemeni  (2).  Quelques  citations  eussent  été  ici  de  bon  aloi  : 
notre  critique  n'en  fait  point.  Ayant  à  combattre  des  udversaiies  qui  s'arrogent 
abusivement  le  droit  d'interpréter  les  saintes  Écritures,  nous  avons  consacré  un 
chapitre  tout  entier  à  établir  que  ce  droit  n'appartient  qu'à  l'Église  et  aux 
commentateurs  accré  dites  par  l'Église  (5).  Comment  donc  nous  serions-nous 
permis  de  torturer  arbitrairement  les  textes  sacrés?  L'interprétation  que  nous 
avons  donnée  à  tous  ceux  que  nous  avons  cités,  nous  l'avons  toujours  empruntée 
aux  Pères,  aux  docteurs  et  aux  exégètes  les  plus  autoi'isés.  On  n'a  qu'à  jeté'" 
un  coup-d'œil  sur  notre  travail  pour  se  convaincre  de  la  vérité  de  cette 
assertion. 

Après  avoir  rendu  justice  à  la  valeur  intrinsèque  Je  nos  Études,  et  re- 
connu que  nous  sommes  dans  le  vrai  en  combattant  les  jours-époques,  notre 
criiique  ajoute  :  «  Mais  on  voit  que,  sur  le  terrain  de  l'eNégèse,  l'auteur  n'est 
plus  chez  lui.    » 

Cette  ignorance  est  possible;  mais  les  preuves  que  M.  Hautcœur  en  donne 
ne  sont  pas  plausibles.  1°  Il  cite  les  pages  94.,  97.  155,  157,  159,  161  de 
l'ouvrage.  Nous  avons  relu  attentivement  ces  pages  ;  dans  aucune  d'elles,  il  n'est 
question  d'exégèse.  Nous  y  tirons  de  certains  textes  des  inductions  et  des 
conséquences  que  nous  croyons  rationnelles.  Ce  n'est  pas  là  de  l'exégèse;  et, 

(1)  C'est  prendre  les  choses  de  bien  haut,  surtout  quand  on  ne  peut  relever  ni 
une  erreur,  ni  une  inexactilnde.  E.  H. 

(2)  Le  R.  P.  Laurent  me  permettra  de  lui  faire  observer  qu'il  se  trompe  en 
prenant  pour  lui  la  remarque  contenue  à  la  p.  195  de  l'article  en  question,  Le 
texte  n'autorise  pas  cette  supposition,  et  en  tout  cas  j'affirme  que  telle  n'a  point 
été  ma  pensée.  Ce  qui  a  pu  causer  cette  erreur,  c'est  la  transition  employée 
à  la  page  suivante  :  «  Ces  remarques,  nous  avons  le  regret  de  le  dire,  s'appli- 
quent dans  une  mesure  bien  plus  étendue  aux  Études  du  P  Laurent.  »  Mais  il 
«si  clair  qu'il  s'agit  des  observations  contenues  dans  le  contexte  immédiat  et 
relatives  à  la  Cosmogonia  du  P.  Pianciani.  E.   H. 

(5)  Ce  passage  et  autres  supposent  une  théorie  au  sujet  de  laquelle  nous 
faisons  les  réserves  les  plus  formelles.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  développer 
notre  pensée,  et  de  montrer  qu'il  existe  une  exégèse  scientifique.         E.  H. 


/76  CORRESPONDANCE.  [Tome  Vlir. 

lorsque  nous  les  comuieutons,  ce  sont  les  comnienlaires  des  Pères  et  des  Théolo- 
giens que  nous  rapportons. 

Il  allègue  en  second  lieu  comme  caractéristique  le  passage  où  nous  citons 
l'Histoire  critique  de  l'Ancien  Testament  par  Richard  Simon,  et  les  Con- 
jectures sur  les  Mémoires  originaux  dont  il  parait  que  Moïse  s'est  servi 
pour  composer  le  livre  de  la  Genèse,  par  Astruc.  Ce  titre  a  été  mutilé  par 
le  typographe. 

De  quoi  s'agissait-il  pour  no\is  ?  De  montrer  l'étrangeté  et  la  fausseté  de  la 
qualification  de  poète  donnée  à  Moïse  pnr  certains  écrivains  pour  éluder  le  sens 
littéral  de  la  Genèse;  et,  entre  autres  preuves  nous  disons  que,  parmi  les  nom- 
breuses objections  coulre  la  Genèse  présentées  dans  ces  deux  ouvrages,  et  surtout 
dans  le  premier,  il  n'est  pas  fait  mention  de  celle-ci. 

Il  relève  eufin  une  erreur  typographique  couceruaut  les  versions  des 
Hexaples  d'Origène,  erreur  qui  aurait  dû  lui  sauter  aux  yeux. 

Il  n'est  i)as,  en  effet,  de  théologien,  si  mince  soit-il,  qui  ne  connaisse  les 
versions  grecques  d'Aquila,  de  Symmaque,  de  Théodotion,  etc.,  dont  se  com- 
posent les  Hexaples.  Nous  avons  vainement  cherché,  et  d'autres  juges  aussi 
compétents  que  M.  Hautcœur  ont  cherché  à  se  rendre  compte  de  ces  preuves 
caractéristiques,  leur  perspicacité  n'a  pu  aller  jusque-la  (1). 

50  M.  Hautcœur  affirme  que  ■  l'auteur  des  Études  n'a  pas  des  idées  bien 
précises  sur  l'autorité  de  l'Église  et  l'interprétation  doctrinale  authentique.  Il  va 
jusqu'à  prétendre  que  le  système  des  jours-époques  est  théologiquement  repoussé 
par  l'enseignement  iradilionnel  de  l'Église.  Pour  nous,  nous  croyons  qu'il  est 
faux  exégéiiquement,  mais  nous  ne  partageons  pas  les  principes  qui  le  condam- 
nent au  nom  de  l'orthodoxie.  » 

Nous  en  demandons  pardon  à  l'auteur  de  l'article;  mais  nous  devons  nous 
inscrire  en  faux  contre  ces  accusations  :  il  nous  fait  dire  ce  que  nous  n'avons  pas 
dit.  Dans  tout  le  cours  de  notre  thèse,  nous  n'avons  jamais  invoqué  l'auiorité  de 
l'Église,  moins  encore  l'interprétation  doctrinale  authentique,  laquelle,  par  sou 
infaillibilité,  constitue  le  dogme.  Nous  avons  dit  que  le  système  des  jours-époques 
est  théologiquement  répoussé  par  la  tradition  chrétienne  :  rien  de  plus,  rien 
de  moins  ;  et  nous  l'avons  prouvé  par  le  témoignage  unanime  des  Pères,  des 
interprètes,   des   commentateurs  et   des  théologiens.    M.    Hautcœur    garde  le 


(1)  Mes  preuves  .sont  très-suffisantes  en  elles-mêmes,  et  le  caractère  de  mon 
article  ne  nie  permettait  pas  de  les  développer  davantage,  quand  j'en  aurais  eu 
la  pensée. 

Ce  n'est  point  une  mutilation  de  titre  que  j'ai  voulu  relever  dans  le  passage 
relatif  à  VH'Stoire  critique  de  R.  Simon,  et  aux  Conjectures  d'Asiruc;  j'ai 
voulu  faire  sentir  ce  qu'il  y  a  d'étrange  à  donner  ces  deux  ouvrages  comme  un 
arsenal  d'objections  contre  le  Pentateuque,et  surtout  k  croire  qu'ils  représentent 
sur  ce  livre  divin  l'état  des  idées  jusqu'à  notre  époque.  Quant  aux  fautes  typo- 
graphiques, je  ne  les  ai  nullement  soupçonnées  en  cet  endroit,  non  plus  que  dans 
celui  qui  vient  après,  et  si  je  n'avais  la  parole  du  R.  P.  Laurent,  je  ne  les 
soupçonnerais  pas  encore  aujourd'hui,  E.   H. 


Nov.  18G3.]  CORRESPONDANCE.  477 

silence  sur  ces  témoignages  :  la  justice  demandait  pourtant  qu'il  en  fît 
mention  (1). 

Ajoutons  qu'il  n'est  point  exact  de  dire  que  nous  avons  condamné  ces  systèmes 
géologiques  au  nom  de  l'orthodoxie.  L'orthodoxe  est  celui  qui  croit  ce  que 
l'Église  lui  prescrit  de  croire.  Ici  encore  notre  pensée  et  notre  langage  ont  été 
mal  interprétés.  M.  Hautcœur,  lui  qui  n'est  pas  un  théologien  improvisé,  ne 
saurait  ignorer  qu'indépendamment  des  articles  de  foi  et  des  dogmes  formels, 
il  y  a  les  dogmes  que  certains  théologiens  ai^pellent  matériels  :  doi/mala  mnte- 
rialia.  L'Écriture  et  la  irailition  ont  formulé  des  vérités  auxquelles  le  chrétien 
doit  croire  fermement  et  inébranlablement,  bien  que  l'Église  ne  se  soit  pas  for- 
mellement prononcée  à  leur  sujet.  Ce  sont  les  vérités  contenues  dans  les  écri- 
tures, transmises  par  la  tradition  et  qui  ne  paraissent  ni  dans  les  symboles  ni 
dans  les  dogmes  formels. 

Avant  la  proclamation  du  dogme  de  l'Immaculée-Conception,  l'Église  ne  s'était 
pas  prononcée  sur  ce  priviicge  exclusivement  accordé  à  la  bie.ihcureuse  Vierge  ; 
la  proposition  contraire  n'avait  pas  été  condamnée  ;  elle  n'avait  élé  flétrie  par 
aucune  des  expressions  que  la  censure  ecclésiastique  emploie  contre  toute  espèce 
d'hétérodoxie.  On  pouvait  la  soutenir  sans  toniber  dans  l'hérésie,  sans  cesser 
d'être  orthodoxe.  Et  cependant,  l'Immaculée-Conception  de  Marie  n'en  était  pas 
moins  une  vérité  divinement  révélée,  et  proclamée  par  toute  la  tradition. 

Nous  pourrions  encore  demander  U  notre  critique  comment  une  thèse  qu'il  re- 
connaît être  fausse  exégétiquemeut,  c'est  à-dire  contraire  au  véritable  sens  des 
Écritures,  pourrait  ne  pas  être  fausse  en  théologie  (2). 

4°  Enfin,  M.  Hautcœur  trouve  la  méthode  de  notre  livre  défectueuse  et  la 
manière  de  traiter  les  questions  trop  inégale. 

11  se  peut  que  celte  méihode  paraisse  défectueuse  aux  yeux  de  notre  critique  ; 
nous  préférons  à  son  appréciation  celle  de  saint  Thomas  qui  a  suivi  cette  mé- 
thode dans  sa  Somme  (5).  En  la  lisant,  on  voit  qne  ce  docteur,  avant  d'établir  la 
vérité  de  ses  propositions,  commence  par  déblayer  le  terrain,  en  résolvant  toutes 
les  objections  contraires.  Quel  était  le  but  principal  de  notre  travail?  De  prouver 


(1)  Il  y  a  ici  une  complète  dissidence  entre  le  R.  P.  Laurent  et  nous.  Il 
croit  que  la  question  des  jours-époques  peut  être  résolue  par  la  tradition  ;  nous 
pensons  au  contraire  que  c'est  une  question  purement  scientifique,  oii  il  n'y  ^ 
pas  à  invoquer  le  Consensus  Patrum,  l'enseignement  traditionnel  de  l'Église. 
Tout  est  là,  et  je  ne  me  suis  en  aucune  façon  mépris  sur  la  pensée  de  l'auteur, 
puisqu'il  la  reproduit  aujourd'hui  dans  les  mêmes  termes.  Naturellement,  je  ne 
pouvais  citer  tout  le  cortège  d'autorités  dont  il  s'entoure,  ce  qui  du  reste  ne 
fait  rien  à  la  question  posée  comme  elle  vient  de  l'être.  Ce  qu'ajoute  le  R.  P. 
Laurent  ne  fait  qu'embrouiller  les  choses.  E.  H, 

(2)  Wa  pensée  et  mes  expressions  sont  ici  reproduites  d'une  manière  Irès- 
inexacte.  (V.  p.  197  de  mon  article.)  J'aurais  d'autres  observations  à  faiie,  mais 
je  les  supprime  pour  ne  pas  prolonger  isiutilement  celte  discussion.         E.  H. 

(3)  Saint  Thomas  n'a  que  faire  ici,  et  assurément  on  ne  s'attendait  point  à  le 
voir  cité  comme  garant  de  la  méthode  employée  dans  les  Etudes.         E.  H. 


478  CORRESPONDANCE.  [Tome  VIII. 

qae  ces  systèmes  géologiques  sont  en  désaccord  avec  la  révélation.  Deux  adver- 
saires se  présentaient  à  nous:  des  géologues  et  des  CNégètes.  Avant  d'exposer 
nos  preuves,  nous  avons  dû  faire  justice  de  leurs  objections.  Cette  marche,  qui 
nous  paraît  logique,  explique  en  même  temps  l'inégalité  de  la  manière  dont 
nous  avons  dû  traiter  les  diverses  questions. 

Eu  résumé,  ne  doutant  point  des  intentions  ni  de  l'érudition  de  M.  Haulcœur, 
nous  ne  devons  attribuer  les  erreurs  de  sa  critique  qu'à  la  précipitation  avec 
laquelle  il  aura  lu  notre  ouvrage.  Toutefois,  qu'il  veuille  bien  nous  permetire, 
dans  l'intérêt  uiême  delà  Revue,  une  modeste  observation.  Quand  on  juge  aussi 
sévèrement  un  ouvrage  scientifique  et  religieux,  un  ouvrage  dont  on  a  reconnu 
soi-même  la  bonté  et  l'utilité,  et  dont  le  but  est  de  rapprocher  les  sciences  na- 
turelles des  sciences  sacrées,  il  conviendrait,  ce  nous  semble,  de  ne  pas  se 
borner  à  affirmer  doctoralement  ses  idées,  mais  d'édifier  les  lecteurs  sur  la 
justesse  de  ses  blâmes  par  des  preuves  irréfragables. 
Veuillez  agréer,  etc. 

P.  LAURENT, 
Provincial  des  frères  Mineurs  Capucins. 


Il  m'est  impossible  d'accepter,  sous  cette  forme  ou  sous  une  autre, 
la  leçon  qui  termine  la  lettre  du  R.  P.  Laurent.  Je  puis  me  tromper 
assurément ,  et  je  ne  prétends  point  au  privilt^ge  de  l'infaillibilité  ; 
mais  je  possède  assez  l'amour  de  la  vérité  et  de  la  justice  pour  ne  point 
agir  avec  la  légèreté  que  l'on  m'impute.  Dans  le  cas  présent  en  parti- 
culier, l'accusation  semblera  bien  étrange  aux  personnes  compétentes 
qui  auront  lu  soit  mon  article,  soit  le  livre,  soit  même  siniplement  la 
lettre  du  Révérend  Père. 

Je  regrette  d'avoir  pu  causer  de  la  peine  à  un  homme  dont  j'honore 
profondément  le  caractère  et  dont  je  respecte  la  position.  Il  serait  plus 
agréable  sans  doute  d'avoir  à  décerner  toujours  des  éloges,  mais  ce 
n'est  pas  ainsi  que  nous  comprenons  le  rôle  de  la  critique,  et  si, 
grâces  à  Dieu,  nous  n'apportons  dans  l'accomplissement  de  notre  pénible 
tâche  aucun  sentiment  de  malveillance  pour  personne,  nous  espérons  ne 
sacrifier  jamais  non  plus  à  de  molles  complaisances. 

E.  Hautcœur. 


CHRONIQUE. 


1.  Le  P.  Gury,  si  coauu  par  sou  Conipendium  theologiœ  tnoralis,  uous 
donne  maintenant  un  recueil  de  cas  de  conscience  où  sans  doule  on 
retrouvera  les  solides  qualités  qui  ont  assuré  à  son  premier  ouvrage 
un  grand  et  légitime  succès.  {Casus  conscient iœ  in  prœcipuas  quœstiones 
theologiœ  moralis.  Paris,  Buffet,  in-18  jésus,  vn-721  pp.)  L'estimable 
auteur  devrai!  bien  après  cela  mettre  la  dernière  main  à  son  cours  dé- 
veloppé de  théolofiie  morale.  Nous  avons  souvent  entendu  formuler  ce 
vœu,  auquel  nous  nous  associous  de  grand  cœur. 

2.  Pour  un  iiraud  nombre  de  nos  lecteurs,  nous  annonçons  trop  lard 
la  Chanté  chrétienne  et  ses  œuvres,  par  Mgr  Dupanloiip,  éuéque  d'Orléans 
(iu-8o  de  276  pp.  Paris,  Douniol).  Tout  ce  qui  sort  de  la  plume  de  l'élo- 
quent prélat  a  le  privilège  de  se  trouver  immédiatement  dans  toutes  les 
mains. 

3.  Une  série  d'opuscules  que  vient  de  publier  le  P.  Decbaraps  sur 
des  questions  pleines  d'actualité,  se  recommande  par  elle-même  à  l'at- 
tention des  membres  du  clergé.  En  voici  les  titres:  La  Vie  de  plaisirs. 
Lettres  à  des  gens  du  viande,  suivie  de  Lettres  nouvelles  sur  le  même  sujet 
et  d'Un  ruot  aux  riches.  (Paris,  Lelbielleux.  In-18,  114  pp.  50  c).  —  La 
Franc-Maçonnerie,  son  caractère,  son  organisation,  son  extension,  ses 
sources,  ses  affluents,  son  but  et  ses  secrets,  suivi  de  :  Les  Masques  bibliques, 
ou  la  Loge  et  le  Temple,  (Ib.  in-18  de  ]v-162  pp.  75  c).  --  Avertissement 
aux  familles  chrétiennes  sur  plusieurs  erreurs  relatives  à  l'éducation. 
(Ib.  in-18  de  85  pp.  50  c.).—  Du  Progrès  des  arts  et  de  leur  sécularisation 
absolue,  à  propos  d'un  congrès  artistique.  (Ib.  in-18  de  88  pp.  50  c). 

4.  Nous  regrettons  de  n'avoir  pu  faire  connaître  plus  tôt  et  analyser 
plus  lojguemeutune  brochure  intitulée:  T  roi- ièmc  anniversaire  séculaire 
du  Concile  de  Trente.  Appel  aux  cuVtoliqms,  par  F. -G.  Buss,  professeur 
de  droit  canon  et  de  droit  public  à  l'Université  de  Fribourg.  (Strasbourg, 
Leroux.  8»  de  76  pp.  Extrait  de  la  Revue  catholique  d'Alsace.)  L'auteur 
peinlen  traits  rapides  les  travaux  de  cette  grande  assemblée  :  il  demande 
que  le  troisième  anniversaire  séculaire,  célébré  celte  année  même,  soit 
marqué  par  un  jubilé  universel,  festum  vrbis  et  orbis.  «  Il  va  sans  dire, 
ajoute-t-il,  que  l'organisation  de  la  fête  elle-même  appartient  aux  auto- 
rités ecclésiastiques.  11  s'agit  d'en  solliciter  la  réalisation  par  les  voies 
canoniques.  Le  peuple  a  besoin  de  connaître  la  grande  importance  que 
l'Eglise  a  toujours  reconnue  au  Concile  de  Trente  ;  mais  une  fois  instruit 
sur  ce  point,  il  se  joindra  au  clergé  pour  prier  les  évoques  de  célébrer 
comme  il  convient  la  mémoire  d'un  si  grand  événement.  L'épiscopat 
déposera  les  vœux  des  fidèles  et  des  prêtres  aux  pieds  du   Saint-Père  et 


^80  CHRONIQUE.  ITomeVIII. 

demandera  une  fête  œcuménique  en  forme  de  jubilé.  La  réponse  du 
Saint-Siépe  sera  universelle  comme  la  demande;  le  cri  des  peuples  catho- 
liques et  du  Père  commun  des  fidèles  sera  celui  du  concile  de  Clermont: 
Dieu  le  veut!  Dieu  le  veut  (p.  76)  !  » 

5.  Eu  même  temps  qu'il  lançait  cet  appel  au  monde  catholique,  le 
savant  jurisconsulte  entreprenait  la  défense  d'un  pays  menacé  de  perdre 
le  plus  précieux  des  biens,  l'uuité  de  la  foi.  {Rechtfertigung  icsAmpruchs 
Tirais  aiif  seine  Glau'jenseinhcil.  lunsbruck,  Rauch.  8*  de  xxvi-'98  pp.)- 
Puisse  cette  démarche  généreuse  déterminer  daus  l'Allemaiine  catholique 
un  courant  puissant  d'opinion,  opposé  aux  clameurs  pseudo-libérales  ! 
Puisse  le  Tyrol  conserver  un  héritMge  historique  incontesté  jusqu'ici,  et 
qu'il  est  en  droit  de  défendre  par  toutes  les  voies  léj^ales  ! 

6.  Bien  des  livres  sont  là,  accumulés  devant  nous  et  altenrlant  leur 
tour.  Citons  du  moins  quelques  biographies,  dont  chacune  a  sou  intérêt 
et  son  mérite  particulier  :  Sftuit  Venonce,  évêque  de  Viviers,  sa  vie,  ses 
miracees,  ses  reliques,  par  T abbé  Champion,  chan.  hon.  de  Valence.  (Valence, 
Nivoche,  ia-18,  xi-185  pp.)  —  Vie  de  la  vén.  mère  Aynès  de  Jésus,  par 
M.  d:  Lantages,  dont  les  additions  de  M.  l'abbé  Lucot  ont  fait  pour  ainsi 
dire  un  nouveau  livre.  Nous  y  reviendrons  prochainement.  (Paris, 
M""  veuve  Poussielgue.  2  vol.  8°,  12  fr.)  —  Vie  abrégée  du  rén.  serviteur 
de  Dieu  Mgr  Vincent-Marie  Strambi,  de  la  congr.  des  Passionistes,  évêque 
de  Macerata  et  de  Tolentino,  pur  le  P.  Turennius  du  Sacré-CtPur  de  Marie, 
prêtre  de  la  même  Congrégation.  (Paris,  Vives.  In-12  de  S03  pp.) —  Vie 
de  M .  Gorini,  ce  prêtre  modeste  qui  dans  une  simple  cure  de  campagne, 
au  milieu  de  difficultés  inouïes,  sut  cultiver  à  foud  les  sciences  histori- 
ques, et  acquérir  cette  érudition  dont  il  a  donné  des  preuves  si  frap- 
pantes dans  sa  Défense  de  l'Église.  Cette  biographie  très-intéressante  a 
pour  auteur  M.  l'abbé  Martin.  (Paris,  Tolra  et  Haton.  Iu-18  jésus  de 
xix-294  pp.) 

7.  Ou  a  lu  plus  haut  le  bref  qui  approuve  un  nouvel  office  de  l'Im- 
maculée-Conception,  et  qui  le  rend  obligaloire  dès  cette  année  partout 
où  son  introduction  immédiate  sera  possible.  Ou  peut  se  procurer  chez 
les  divers  éditeurs  liturgiques  l'Office  et  la  Messe,  pour  être  iuîercalés 
dans  les  Bréviaires  et  Missels. 

3.  On  attend  prochainement  le  compte-rendu  de  l'assemblée  que  les 
savants  catholiques  d'Allemagne  viennent  de  tenir  dans  l'abbaye  de 
Saiut-Boniface,  à  Munich,  Divers  journaux  donnent,  dès  à  présent,  le 
texte  d'un  jugement  motivé  sur  la  nouvelle  Vie  de  Jésus.  Voici  la  pro- 
position qui  le  résume,  et  dont  toutes  les  parties  sont  ensuite  dévelop- 
pées :  «  L'assemblée  des  savants  catholiques  déclare  que  le  récent  ou- 
vrage d'Ernest  Renan,  intitulé  Vie  de  Jésus,  n'est  pas  seulement  une 
œuvre  anti-chrétienne,  mais  que,  de  plus,  il  est  complètement  dépourvu 
de  valeur  scientifique,  superficiel,  et  immoral.  »  On  peut  voir  dans  le 
dernier  no  du  Correspondance  verdict  tout  aussi  sévère  porté  par  FAlIe- 
magne  protestante  et  ratioualiste.  E.  Hauicœur. 


Arras  — Typ.  KnussKAL'-LEROY',  rue  Saint-Maurice,  2G. 


A    NOS     LECTEURS. 


Avec  l'année  1864,  la  Revue  des  Sciences  ecclésiastiques  va  termi- 
ner sa  première  période  quinquennale  et  sa  première  série  de  dix  volu- 
mes. Commci.céepar  quelques  prêtres  isolés  l'un  de  l'autre,  sans  appui 
d'aucune  sorte  et  avec  de  très-grandes  difficultés  à  vaincre,  noire  œuvre 
a  prospéré  malgié  tout  :  c'est  qu'elle  répondait  à  un  besoin  vivement 
senti.  Alors  que  toutes  les  sciences  possédaient  leur  organe  spécial,  la 
théologie  seule  n'en  avait  pas.  Nous  venions  donc  combler  une  lacune 
des  plus  regrettables  :  et  comment  n'aurions-nous  pas  rencontré  des 
sympathies  dans  un  clergé  nombreux  qui  connaît  trop  bien  le  prix  de 
la  science  pour  ne  point  s'efforcer  de  reconquérir  sous  ce  rapport  la 
haute  position  qu"il  occupait  jadis?  Nous  devons  exprimer  ici  notre 
profonde  gratitude  pour  les  encouragements  qui  nous  sont  arrivés, 
cette  année  encore,  en  Irès-grand  nombre  et  de  toutes  les  contrées. 

Nous  sommes  aussi  très-reconnaissants  dos  conseils,  des  demandes, 
des  communications  de  toute  noture  que  l'on  a  bien  voulu  nous  adres- 
ser :  nos  correspondants  peuvent  être  sûrs  que  nous  leur  accordons  la 
plus  grande  attention,  et  que  ces  rapports  nous  sont  toujours  précieux, 
alors  môme  que  nous  ne  pouvons  utiliser  directement  ce  qui  nous  est 
transmis. 

Des  sujets  nombreux  et  variés  ont  été  traités  dans  la  Fîkvue,  quel- 
quefois des  sujets  délicats  et  des  questions  brûlantes.  Avons-nous 
toujours  évité  les  inconvénients  qui  s'attachent  à  ces  sortes  de  questions  ? 
Nous  n'en  savons  rien  :  ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  nous  noussommes 
constamment  mis  en  garde  coiitre  l'esprit  de  parti  et  les  tendances 
systématiques,  c'est  que  nous  avons  été  mus  par  l'intérêt  seul  du  bien 
et  de  la  vérité.  Il  y  a  un  zèle  qui  n'est  pas  selon  la  science.  Dieu  nous 
garde  de  ce  zèle  intempestif  qui,  par  son  ardeur  inconsidérée  et  son 

Revue  des  Sciences  ecciésiastiques,  t.  viu.  31-32, 


482  A   NOS   LECTEURS.  [Tomo  VHI. 

ignorance  des  vrais  principes,  se  laisse  entraîner  à  des  dcarts  que  per- 
sonne ne  déplore  autant  que  nous. 

Les  comptes-rendus  des  livres  nouveaux  donnent  lieu  à  des  difficultés 
spéciales.  D^s  le  principe,  la  Revue  a  pris  nettement  sa  position: 
ménagements  pour  les  personnes,  convenance  dans  le  ton  et  dans  la 
forme  des  articles,  mais  la  vérité  avant  tout  et  dans  tous  les  cas,  telles 
sont  U'S  maximes  qui  nous  ont  guidés.  Les  éditeurs  et  les  auteurs 
n'entendent  pas  la  chose  ainsi.  Us  sont  habitués  à  être  bercés  si  dou- 
cement! Us  devraient  bien  voir  néanmoins  que  l'éloge  n'a  aucune 
valeur  quand  la  critique  ne  peut  s'y  associer.  Quoi  qu'il  en  soit,  les 
clameurs  ne  nous  effraient  pas,  ni  les  mauvais  procédés  non  plus.  Qu'on 
le  sache  une  fois  pour  toutes  :  les  campagnes  de  prospectus  et  d'articles 
de  journaux,  les  jaseries  de  commis  voyageurs  allant  de  presbytère  en 
presbytère,  nous  laissent  parfaitement  impassibles,  et  ne  nous  empê- 
cheront jamais  de  remplir  un  devoir. 

On  nous  adresse  quelquefois  un  reproche  d'une  nature  assez  parti- 
culière, celui  d'être  trop  savants  !  Sans  doute,  nous  bannissons  de  nos 
colonnes  la  phrase  creuse  et  la  période  académique,  nous  n'écrivons 
pas  d'articles  pour  ne  rien  dire  :  ce  n'est  point  là  ce  que  l'on  peut 
blâmer  en  nous.  Veut-on  dire  que  nous  donnons  des  travaux  ayant  une 
couleur  trop  spécifiquement  scientifique,  des  travaux  qui  n'intéressent 
qu'un  petit  nombre  de  savants  de  profession,  ou  même  ne  peuvent  être 
compris  que  par  eux  ?  Tout  le  contenu  de  nos  huit  volumes  prolesterait 
contre  cette  appréciation.  Nous  faisons  de  la  science,  mais  de  la 
science  accessible  à  tous  ceux  qui  possèdent  les  notions  élémentaires  de 
la  théologie,  de  la  science  qui  intéresse  tous  les  prêtres  et  à  laquelle 
aucun  d'eux  ne  peut  demeurer  inditférent.  11  y  aurait  place,  à  côté  de 
la  Revue,  pour  une  publication  consacrée  à  la  haute  science  théologique 
et  s'adressant  à  un  public  plus  restreint.  Peut-être  comblerons-nous 
bientôt  cetîe  lacune. 

L'administration  de  la  Revue  s'associe  à  nos  eflbrts,  et  elle  se  pro- 
pose de  réaliser  dans  l'exécution  typographiquede  notables  améliorations. 
A  partir  du  prochain  numéro,  la  Revue  sera  imprimée  avec  un 
caractère  neuf  et  sur  un  papier  plus  beau. 

L\   RÉDACTION. 


LA    VERITE 

SUR   LA 

FACULTÉ    DE    THÉOLOGIE    DE    PARIS 

do    lees  à  169% 

d'après   des   documents   inédits. 


Quatrième  et  dernier  article  (!). 


La  Facullé  de  théologie  de  Paris  a  rejeté  et  réprouvé  les  quatre  riiticles  de  1682 . 

I.  Renseignements  connus  jusqu'à  ce  Jour.  Ils  avaient  révélé  une 
partie  de  la  vérité,  mais  non  la  plus  impof^tante.  —  Picot,  riiu 
des  écrivains  les  mieux  renseignés,  s'exprime  ainsi  : 

«  La  déclaration  du  Clergé  est  du  19  mars  1682.  Immédia- 
tement après  parut  un  édit  du  Roi  pour  en  ordonner  l'ensei- 
gnement... Le  Parlement  de  Paris  mit  cà  l'exécution  une  viva- 
cité et  une  rigueur  qui  étaient  de  nature  à  provoquer  de 
nouvelles  plaintes.  Le  procureur-général  de  Harlay...  alla  le 
2  mai  en  Sorbonne...  et  fit  publier  en  sa  présence  Fédit_,  ainsi 
que  l'arrêt  du  Parlement,  pour  qu'on  l'enregistrât.  La  Faculté 
de  théologie  s'étant  assemblée  le  1**  juin  suivant,  plusieurs 
docteurs  se  plaignireni  de  la  manière  insolente  dont  la  décla- 
ration avait  été  enregistrée.  Il  devait,  disaient-ils,  leur  être 

(1)  V.  les  numéros  d'août,  p.  07  ss.  ;  septembre,  p.  208  ss.,  ot  oc- 
lobre,  p.  413  ss. 


permis  de  délibérer  sur  cette  affaire...  Que  pourrait-on  atten- 
dre d'un  enregistrement  forcé?  On  nomma  donc  quatorze 
docteurs  pour  voir  ce  qu'il  y  aurait  à  faire.  Le  Parlement  fut 
très-mécontent  de  ces  délais.  Il  mauda,  le  5  juin,  le  doyen  et 
quelques  docteurs,  et  leur  ordonna  de  tenir,  le  lo,  une  as- 
semblée extraordinaire  et  d'y  terminer  toute  délibération  à 
ce  sujet.  Les  députés  s'assembler  eut  trois  fois,  et  arrêtèrent 
qu'on  supplierait  le  Roi  de  laisser  à  la  Faculté  les  privilèges 
dont  elle  avait  toujours  joui.  L'assemblée  du  do  fut  très-ora- 
geuse. Tons  furent  d'avis  de  présenter  des  remontrances  : 
seulement  les  uns  voulaient  qu'elles  précédasseni  l'euregistre- 
ment,  et  les  autres  consentaient  à  commencer  par  l'enregis- 
trement. 

«  Ce  fut  alors  que  Tabbé  de  Chamillart  fit  un  discours  qui 
nous  a  été  conservé  manuscrit.  Micbel  de  Gbamillart,  d'une 
famille  de  magistrature,  et  oncle  du  contrôleur  général  de  ce 
nom,  avait  renoncé  aux  espérances  que  le  monde  pouvait  lui 
offrir,  pour  entrei  dans  l'état  ecclésiastique,  et  s'y  livrer  aux 
fonctions  du  ministère,  il  vivait  dans  la  retraite  et  dans  la 
piété,  avait  refusé  les  places  et  les  honneurs,  et  après  avoir 
fait  longtemps  le  ca-técbisme  à  Saint-Nicolas,  s'était  borné, 
malgré  les  représentations  de  sa  famille,  au  titre  et  aux  fonc- 
tions de  vicaire  de  cette  paroisse.  Il  crut,  dans  cette  circon- 
stance, devoir  réclamer  confie  l'obligation  d'enseigner  les 
quatre  articles.  Son  discours  est  en  latin...  Quelque  idée  que 
l'on  ait  de  ce  discours,  on  trouvera  peut-être  étonnant  (t)  que 
l'abbé  de  Chamillart,  malgré  le  crédit  de  sa  famille,  fut  exilé 
pour  une  opinion  émise  avec  modération.  Il  fut  envoyé  à  fs- 
soudun  avec  d'autres  docteurs  qui  avaient  opiné  comme  lui,  et 
il  1  iassa  cmg  ans  dans  cet  ex. 1,  d'où  ilne  revint  qu'en  août. 1687, 

i\)  Ce  qu'il  y  a,  uon  pas  seuleinent  |d'étonnanl,  mais  d'affl  goant, 
c'est  qu'un  callioliqvie  tel  que  Piiot  n'aii  eu,  pour  flétrir  ces  atrocités, 
nue -celle  bénigne  formule  :  on  trouvera  peut-é/re  étonnant.  La  laie 
du  '  allicanisme  obscurcit  lou',  même  les  faiis  historiques. 


Ej  Jl       IjA     OUIJIimjIÏ      Ulï      LjA     llAlUnEi- 


Nous  luî  connaissons  poiut  le  nombre  et  les  noms  de  ces  doo- 
lours.  Nous  savons  seulement  que  parmi  eux  se  trouvait 
Marin  Humbelot ,  depuis  chanoine  de  Saint-Nicolas  du  Lou- 
vre, et  auteur  d'un  Abrégé  de  la  Bible,  où  il  y  avait  des  choses 
singulières.  Il  mourut  eu  1719...  Le  16  juin,  le  Parlement 
défendit  les  assemblées  de  la  Faculté,  et  ordonna  au  greffier 
de  la  Faculté  d'enregistrer  de  suite  l'édit  et  la  déclaration;  ce 
qui  fut  fait.  Le  mois  suivant  il  permit,  cependant,  que  la  Fa- 
culté s'assemblât  comme  à  l'ordinaire,  sur  une  requête  que 
pré-^entèrent  cent  soixante-trois  docteurs,  qui  protestèrent 
qu'ils  n'avaient  jamais  voulu  s'écarter  du  respect  dû  à  la  dé- 
claration et  à  l'édit.  »  {L'Ami  de  la  religion,  22  novembre  1820, 
p.  36  ss.  du  tome  xxvi.) 

«  Le  23  mars  (1682),  le  Roi  avait  donné  son  édit  pour  l'en- 
seignement des  quatre  articles.  Nous  avons  parlé  ailleurs 
(n.  656)  de  ce  qui  se  passa  en  Sorbonne  à  ce  sujet.  Plusieurs 
docteurs  réclamaient^  au  moins  la  liberté  d'examiner  la  décla- 
ration qu'où  voulait  leur  faire  souscrire.  Environ  douze  doc- 
teurs parlèrent  dans  ce  sens.  Mais  le  Parlement  traita  dans 
cette  occasion  la  Faculté  de  théologie  avec  beaucoup  de  du- 
reté. Quelques  docteurs  furent  exilés  à  îssoudun,  où  ils  res 
tèrent  cinq  ans.  Dans  ce  nombre  étaient  les  docteurs  Chamil- 
lart  et  Humbelot.  Martiu  Grandin^  autre  récalcitrant,  qui  était 
professeur  de  Sorbonne  depuis  quarante  ans,  n'évita  l'exil  qu'à 
raison  de  son  âge  et  de  la  considération  dont  il  jouissait  dans 
sa  compagnie  et  dans  le  clergé.  »  {L'Ami  de  la  religion,  19  sep- 
tembre 1821,  tomexxix,p.  169.) 

Ce  narré  constate  de  graves  difficultés  pour  l'euregistremeut; 
mais  il  laisse  ignorer  l'essentiel,  savoir  si  la  majorité  des  doc- 
teurs se  déclara  contre  la  doctrine  des  quatre  articles.  On 
remarquera  que  Picot  n'indique  point  ses  sources.  Voici  des 
renseignements  bien  autrement  significatifs. 

II.  Lettre  de  Louis  XIV,  du  16  mai,  à  Piroi,  syndic  de  la 
Faculté,  ùi'donnant  d'enregistrer  les  quatre  articles,  sans  laisser 


-^80  LA   AÉRlTK  jTomeMII. 

parler  aucun  docteur  sur  cette  matière.  —  «  Écrit  à  Versailles, 
le  16  mai  1682.  —  Ayant  été  informé  que,  dans  l'enregistre- 
ment qui  se  doit  faire  de  l'édit  donné  sur  la  déclaration  du 
clergé,  quelques  docteurs  de  la  Faculté  de  théologie  se  sont 
disposés  à  parler  sur  celte  matière,  j'ai  bien  voulu  vous  faire 
cette  lettre  pour  vous  dire,  que  n'étant  question  que  de  l'en- 
registrement de  cet  édit,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'aucun  des 
docteurs  de  ladite  faculté  parle  sur  des  matières  depuis  si 
longtemps  décidées;  et  je  veux  même  que  si  quelqu'un  se  met- 
tait en  état  de  le  faire,  vous  ayez  à  l'empêcher,  en  lui  déclarant 
Vordre  que  vous  avez  reçu  de  ma  part  par  la  présente  lettre;  la- 
quelle n'étant  à  autre  fin,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  ait,  M.  l'abbé 
Pirot,  en  sa  sainte  garde,  »  (Tome  iv,  p.  139,  de  la  Con^espon- 
dance  administrative  de  Louis  XIV,  publiée  par  Depping,  dans 
la  Collection  de  documents  inédits,  Paris,  1853.)  C'est  le 
2  mai  (1682)  que  le  procureur-général  d3  Hailay  était  allé 
en  Sorbonne  pour  faire  enregistrer  l'édit.  Les  ministres  comp- 
taient sur  une  docilité  parfaite;  il  en  fut  autrement.  La  Fa- 
culté ne  voulut  point  procéder  à  l'enregistrement  sans  en 
avoir  délibéré;  elle  fixa  la  délibération  au  prima  mensis,  c'est- 
à-dire  au  1"  juin  (1682).  Informés  de  cette  résolution,  les 
ministres  en  furent  effrayés  :  il  pouvait  arriver  que  la  Faculté 
rejetât  les  quatre  articles,  ce  qui  aurait  été  pour  le  Pape  un 
triomphe  qu'il  fallait  empêcher  à  tout  prix.  Dans  ce  but,  ils 
s'arrêtèrent  au  parti  de  faire  adopter  les  quatre  articles  et 
l'édit,  sans  qu'il  fût  permis  à  aucun  docteur  de  parler.  Ils  cru- 
rent qu'un  ordre  du  Roi  serait  un  m  >)  en  efficace  pour  obtenir 
ce  résultat;  et  le  Roi  écrivit  la  lettre  que  nous  venons  de 
reproduire.  Les  ministres,  comme  on  va  le  voir  par  les  pièces 
suivantes,  no  se  dissimulaient  pas  l'inconvénient  de  ce  moyen. 
On  ne  manquerait  pas  de  dire  à  Rome  que  la  Faculté  avait 
agi  par  contrainte  et  sans  aucune  liberté.  Mais  l'éventualité 
d'un  vote  contre  les  quatre  articles  était  encore  plus  à  crain- 
dre. Ils  se  résignèrent  à  faire  de  l'oppression  notoire. 


Dôo.  1SG3.]  SUR   LA   FACLLTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  'tS7 

Mais  bientôt  la  lettre  du  Roi  et  Vordre  qu'elle  contenait  ne 
leur  parurent  pas  un  moyen  assez  sûr,  et  le  conseil  du  Roi 
examina  s'il  ne  serait  pas  opportun  de  faire  retourner  en 
Sorboune  le  président  du  Parlement,  pour  y  faire  cette  fois 
exécuter  l'enregistrement  de  vive  force,  séance  tenante  et  sans 
délai.  On  va  voir  que  c^t  expédient  ne  fui  pas  adopté,  par  la 
crainte  de  faire  paraître  trop  d'autorité  et  de  faire  connaître  à 
la  cour  de  Rome  que  les  sentiments  de  la  Faculté  sur  le  sujet  de 
la  déclaration  du  clergé  ne  sont  pas  conformes  à  ce  qui  est  contenu 
dans  ladite  déclaratioîi.  Paroles  qui  autorisent  déjà  cette  con- 
clusion :  les  ministres  avaient  donc  appris  que  la  majorité  des 
docteurs  était  opposée  à  la  doctrine  des  quatre  articles.  Voici 
les  pièces  à  l'appui  de  ces  faits. 

III.  Mémoire  et  lettres  du  ministre  Colbert.  —  «  Mémoire  de 
Colbert  pour  le  pi^ocureur-général.  —  L'expédient  proposé  pour 
l'enregistrement  de  la  déclaration  du  clergé  et  de  l'édit  donné 
en  conséquence,  de  faire  retourner  M.  le  premier  Président  et 
M.  le  procureur-général  pour  faire  transcrire  cet  édit  dans 
les  registres  de  la  Faculté,  fait  paraître  beaucoup  d'autorité 
et  ne  remédie  pas  à  Tinconvénient,  qu'on  craint  de  faire  con- 
naître  à  la  cour  de  Rome  que  les  sentiments  de  ladite  Faculté  sur 
le  sujet  de  la  déclaration  du  clergé  ne  sont  pas  conformes  à  ce  qui 
est  contenu  dans  ladite  déclaration.  Il  paraîtrait  plus  convena- 
ble qu'en  conséquence  de  ce  qui  a  été  fait  la  première  fois 
que  le  Parlement  y  a  été  en  corps,  M.  le  procureur-général 
requit,  le  lundi  matin,  que  le  syndic  de  la  Faculté  fût  appelé 
pour  apporter  le  registre  dans  lequel  l'édit  et  la  déclaration 
ont  du  être  transcrits;  en  suite  de  quoi,  ledit  syndic  appelé 
et  ayant  répondu  que  l'enregistrement  a  été  différé  a  l'assem- 
blée du  prima  mensis,  il  serait  ordonné  par  arrêt  qu'un  com- 
missaire du  Parlement  se  transporterait  dans  ladite  assemblée 
pour  voir  enregistrer  ladite  déclaration  en  sa  présence,  et  il 
serait  fait  défense  par  le  même  arrêt  à  toutes  personnes  de  déli- 
bérer dans  ladite  assemblée  sur  cette  matière,  attendu  qu'il  n'est 


ASS  LA   VÉRITÉ  [Tomr;  VIII. 

plus  question  que  de  l'enregistrement,  conformément  au  pre- 
mier arrêt  donné  par  le  Parlement,  ce  gui  pourrait  être  fortifié 
par  une  lettre  de  cachet  du  Roi,  que  le  syndic  aurait  ent7^e  les 
mains  et  dont  il  ne  se  servirait  qu'en  cas  que  quelqu'un,  non- 
obstant la  défense  du  Parlement,  entreprit  de  parler  sur  cette 
matière.  »  {Correspondance  administrative  de  Louis  XIV,  t.  iv, 
p.  126.) 

«  Colbert  à  Vayxkevêque  de  Paris  Harlay  de  Champvalon, 
le  31  mai  1682.  —  Le  Roi  ayant  examiné  la  proposition  qui  a 
été  faite  de  renvoyer  le  Parlement  en  corps  à  la  Faculté  de 
théologie  pour  l'enregistrement  de  la  déclaration  du  clergé 
et  de  l'édit  donné  en  conséquence,  et  ayant  entendu  sur  cela 
M.  le  procureur-général,  Sa  Majesté  a  estimé  plus  à  propos 
que  M.  le  premier  Président  envoyât  quérir  le  syndic  pour 
lui  donner  ordre  de  rapporter  au  Parlement  ce  qui  sera  fait 
demain  sur  ce  sujet,  et  de  lui  défendre  de  permettre  que  per- 
sonne parle  sur  ce  sujet  de  la  déclaration  dans  l'assemblée; 
ce  qui  étant  fortifié  par  la  lettre  de  cachet  du  Roi  qui  a  été  re- 
mise ès-mains  dudit  syndic,  a  paru  suffisant  à  Sa  Majesté  pour 
empèclier  les  suites  qui  seraient  à  craindre.  C'est  de  quoi  j'ai 
cru  devoir  vous  donner  avis,  et  vous  dire  en  même  temps 
qu'il  est  bon  que  vous  fassiez  venir  le  syndic,  et  que  vous  lui 
ordonniez  de  ne  se  servir  qu'en  cas  de  nécessité  de  la  lettre  de 
cachet  qui  lui  a  été  remise.  »  [Correspondance  administrative 
de  Louis  JIV,  tome  iv,  p.  120.) 

Le  1"  juin  (1682),  malgré  Vordre  du  Roi  ^i\di  lettre  de  cachet, 
les  docteurs  parlèrent,  l'enregistrement  ne  fut  pas  obtenu,  et 
l'opposition  de  la  majorité  à  la  doctrine  des  quatre  articles  fut 
suffisamment  constatée,  pour  qu'on  écrivît  au  Roi  que  tout 
était  perdu,  et  qu'on  se  repentît  de  n'avoir  pas  employé  l'expé- 
dient ci-dessus  mentionné,  de  faire  retourner  le  Parlement  en 
Sorbonne  à  l'efTet  d'obtenir  l'enregistrement  de  vive  force, 
séance  tenante.  C'est  ce  que  nous  apprend  la  lettre  suivante 
de  Colbert,  éciite  le  jour  même  de  cette  mémorable  séance  de 
la  Faculté. 


Dec    I8i'.3.  I  SUR    LA   FACULTÉ   Dli   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  481) 

«  A  Versailles,  le  l^*"  juin  1682.  —  J'ai  rendu  compte  au 
Koi  de  ce  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'écrire  sur  ce  i|ui 
s'est  passé  dans  l'assemblée  de  la  Faculté  de  Paris;  et  je  com- 
mencerai par  vous  dire  que  Sa  Majesté  a  reçu  en  même  lemps 
une  lettre  ;?«;•  laquelle  il  paraissait  que  tout  était  perdu,  et  que 
la  faute  qu'on  avait  faite  de  n'y  point  faire  aller  le  Parlement 
était  irréparable.  Sa  Majesté  a  eu  la  pensée  de  chasser  dès 
demain  les  sieurs  Mazures,  Despériers  et  Blanger,  qui  parais- 
sent avoir  plus  de  part  à  ce  qui  s'est  passé  dans  ladite  assem- 
blée; et  quoiqu'elle  ait  fait  réflexion  depuis  que  c'était  en 
quelque  sorte  manquer  au  principe  qu'on  a  suivi  jusqu'à  pré- 
sent, d'éviter  autant  qu'il  se  peut  qu'il  ne  paraisse  de  la  contra- 
diction de  la  part  de  la  Faculté,  et  de  l'autorité  de  la  part  de 
Sa  Majesté,  elle  n'a  pas  laissé  de  m'ordonner  de  vous  deman- 
der votre  avis  sur  le  sujet  de  ces  trois  docteurs  et  sur  tout  ce 
que  vous  estimez  nécessaire  de  faire  dans  la  conjoncture  pré- 
sente. Je  vous  dirai  même  qu'elle  a  ordonné  d'écrire  la  même 
chose  à  Mijr  l'archevêque  de  Paris^,  qui  fera  réponse  entre  ci 
et  demain  matin;  et  qu'ainsi  il  sérail  bien  nécessaire,  s'il  était 
possible,  que  vous  prissiez  la  peine  de  me  renvoyer  cet  extrait 
pour  demain  matin  neuf  heures.  »  {(Correspondance  adminis- 
trative de  Louis  X/F,  tome  iv,  p.   140.) 

IV.  Brouillon  d'une  lettre  du  procureur-général  de  Harlay  au 
ministre  Colbert,  du  2  juin  1682,  oh  il  est  dit  que  les  pi'élats 
de  l'assemblée  de  1682  changeraient  dès  l'instant  et  de  bon  cœur 
^eur  déclaration,  si  on  le  leur  permettait.  —  Cette  pièce,  écrite 
en  entier  de  la  main  de!M.  de  Harlay,  se  trouve  à  la  biblio- 
thèque impériale  (Ms.  Harlay  367,  pièce  143).  Elle  porte  ce 
titre  :  Projet  de  règlement  pour  la  tenue  des  assemblées  de  Sor- 
bonne.  C'est  le  brouillon  que  de  Harlay  garda  chez  lui,  et  dont 
il  fit  sans  doute  une  transcription  plus  soignée  qu'il  envoya  au 
ministre.  11  y  expose  les  raisons  de  ne  pas  faire  intervenir  trop 
ostensiblement  l'autorité  du  Roi,  et  de  procéder  plutôt  de 
manière  à  ce  que  la  Faculté  paraisse  agir  librement.  Puis  il 
continue  ainsi  : 


490  LA    VÉRITÉ  [TomcVlU. 

«  De  trouver  si  étrange  que  la  Faculté  se  plaigne  de  la 
forme  de  l'édit  du  roi,  el  pour  la  nouvelle  soumission,  et  pour 
le  chancelier  de  l'Eglise  de  Paris,  et  enfiti  pour  l'obligation 
d'enseigner  une  doctrine,  lorsqu'une  assemblée  du  clergé 
dont  la  plupart  changeraient  demain  et  de  bon  cœur  si  l'on  leur 
permettait  (i),  cela  n'est  pas  tout  à  fait  sans  prétexte.  Mais 
enfin  aucun  n'a  manqué  de  respect  à  l'édit  du  Roi,  et  n'a  parlé 
contre  la  doctrine  du  clergé.  Plusieurs  ont  parlé  en  faveur  de 
ces  sentiments,  et  s'ils  avaient  opiné  au  fond,  d'honnêtes  gens 
m'ont  assuré  qu'il  aurait  passé  pour  prendre  le  bon  parti. 

Je  ne  saurais  que  désirer  que  l'autorité  du  Roi  n'éclate  pas 
si  souvent,  lorsque  les  choses  se  peuvent  faire  par  d'autres 
voies,  et  sur  des  gens  qui  se  rebutent  et  s'aigrissent,  mais  qui 
ne  se  conduisent  point  assurément  par  ces  voies  qui  leur  ont 
déjà  donné  tant  d'éloignement  de  certaines  personnes.  2  juin 
iB85.  »  (Ms.  Harlay,  367,  pièce  145,  à  la  Bibliothèque  im- 
périale.) 

On  voit  que  de  Harlay  n'approuva  pas  les  mesures  de  rigueur 
mentionnées  dans  cette  phrase  de  la  lettre  de  Colberl  datée  de 
la  veille  :  Sa  Majesté  a  eu  la  pensée  de  chasser  dès  demain  les 
sieurs,  etc.  Il  se  faisait  encore  illusion  en  ce  moment  (2  juin 
1682)  sur  le  sentiment  de  la  majorité  des  do3leurs.  D'honnêtes 
gens  l'avaient  assuré  que  s'ils  avaient  opiné  au  fond,  le  bon 
parti  l'aurait  emporté.  L'assemblée  du  15  juin  dissipa  tota- 
lement cette  illusion,  comme  on  va  voir  par  les  lettres  du  15 
et  du  16  juin. 

V,  Lettres  du  procureur  général  de  Harlay,  constatant  que  la 
Faculté  réprouva  et  rejeta  la  quatre  articles,  à  la  majorité  de  \^ 
voix.  —  «  Le  procureur  général  de  Harlay  à  Golbert  —  le  15 
juin  1682. — Je  ne  doute  point  que  vous  ne  soyez  déjà  informé 
de  ce  qui  s'est  passé  ce  matin  dans  la  Faculté  de  théologie. 
Mais  pour  la  plus  grande  précaution,  je  ne  laisserai  pas  de 
vous  informer,  que   le  sieur  Grandin  ayant  ouvert  l'avis  d'o- 

{\)  Ce  membre  de  phrase  est  resté  inaciievé  ou  irrégulier. 


II(V.    1863.]  SLR    LA    KACLITÉ   DK   THÉOLOGIE    DE    PAKIS.  491 

Léir  aux  ordres  du  Roi  et  de  faire  ensuite  des  remonlrances 
à  Sa  Majesté  sur  la  difficulté  d'enseigner  et  de  soutenir  les 
propositions  du  clergé,  le  sieur  Chamillart,  et  plusieurs  au- 
tres de  cette  secte  après  lui,  ont  été  d'avis  de  faire  ces  remon- 
trances avant  d'obéir,  et  particulièrement  sur  l'article  4,  qui 
regarde  l'infaillibilité  du  Pape,  prétendant  que  l'assemblée  du 
clergé,  tenue  en  1655,  n'avait  pas  été  dans  les  sentiments  où 
celle  qui  se  tient  présentement  se  trouve,  et  plusieurs  parlant 
avec  peu  de  respect  de  cette  assemblée.  Le  sieur  Pancelier, 
d'autre  part,  ayant  été  d'avis  d'ajouter  à  la  relation  dont  vous 
avez  vu  le  projet,  qu'ils  n'approuvaient  pas  apparemment  cette 
doctrine,  plusieurs  ont  opiné  pour  ajouter  ces  termes,  non 
approbantes  ou  improbantes.  Et  comme  les  deux  opinions  qui  se 
seraient  réunies  eussent  été  les  plus  fortes,  et  qu'il  eût  au  moins 
passé  à  ajouter  ces  deux  paroles,  le  syndic,  par  l'avis  de  ceux 
qui  sont  dans  les  bons  sentiments,  a  fait  remettre  l'assemblée 
à  demain  pour  achever  d'opiner.  Mais  comme  la  disposition 
des  esprits  ne  changera  pas,  il  semble  nécessaire  de  prévenir  la 
fin  de  cette  délibération  par  les  voies  que  le  Roi  jugera  les 
moins  mauvaises  pour  finir  celte  affaire,  où  l'on  a  engagé  si 
avant  son  autorité  avec  des  gens  que  l'on  ne  gouverne  pas  si 
aisément  que  d'autres.  Du  reste  je  ne  suis  ni  assez  sage,  ni  en 
même  temps  assez  indiscret  pour  en  propo.ser  des  moyens  ;  et 
en  attendant  les  commandements  du  Roi,  je  demeure  avec 
respect  »...  {Correspondance  administrative,  tome  iv,  p.  li^.) 

La  lettre  suivante,  adressée  au  grand  chancelier,  se  trouve 
à  la  Bibliotbèque  impériale,  Ms.  Harlay  165. 

«  Monseigneur,  après  avoir  évité  autant  qu'il  a  dépendu  de 
mes  soins  d'employer  avec  éclat  l'autorité  qu'il  plaît  au  Roi  de 
uous  donner  pour  faire  obéir  la  Faculté  de  théologie,  dans 
l'espérance  que  j'avais  que  les  docteurs,  lesquels  y  sont  en 
très-grand  nombre  très-savants  et  bien  intentionnés,  l'em- 
porteraient sur  le  parti  contraire,  les  commencements  qu'eut 
hier  leur  délibération,  et  l'assurance  que  Von  avait  que  le  mau- 


4f^2  LA    VÉRITÉ  [TomeVIlI. 

vais  parti  prévaudrait  avjourd'hui  environ  de  i5  voix,  ainsi  que 
vous  eu  avez  sans  doute  été  informé,  m'ayant  fait  changer 
d'opinion,  je  n'ai  plus  pensé  qu'à  exécuter  les  ordres  du  Roi, 
que  nous  apporta  Mer  au  soir  M.  de  Seiguelay.  Vous  verrez, 
Monseigneur,  par  l'arrêt  dont  je  vous  envoie  copie,  aussi  bien 
que  du  discours  que  M.  le  premier  Président  a  fait  aux  docteurs 
qui  sont  venus  au  Parlement,  la  manière  en  laquelle  nous  y 
avons  procédé,  avec  bien  du  déplaisir  de  ma  part,  qu'avec 
autant  do  peine  que  je  suis  obligé  d'en  avoir  pour  ces  affaires, 
nous  apportions  des  remèdes  uresqv.Q  aussi  fâcheux  que  le  mal, 
et  que  nous  soyons  encore  exposés  à  beaucoup  de  choses 
désagréables. 

îfCependant,  Monseigneur,  ce  serait  une  grande  consolation 
si  l'on  voulait  profiter  de  celte  extrémité  pour  le  service  du 
Roi,  en  travaillant  sérieusement  à  la  réforme  nécessaire  de  ce 
corps,  pour  le  conserver  en  état  de  servir,  et  les  laissant  passer 
le  1"  juillet  sans  avoir  permission  de  s'assembler.  La  douleur 
de  l'interruption  de  la  tenue  de  leur  tribunal,  les  projets  de 
réduction  du  nombre  infini  des  docteurs  et  même  des  licenciés, 
de  règlement  pour  le  collège  de  Sorboune  d'où  vient  princi- 
palement le  désordre,  d'une  bonne  réforme  des  professeurs, 
de  l'exécution  de  l'édit  du  Roi  à  leur  égard,  afin  de  faire  pré- 
parer dès  à  présent  ceux  qui  devront  enseigner  l'année  pro- 
chaine, enfin  de  la  réduction  des  séminaires  et  de  toutes 
communautés  à  certain  nombre  pour  entrer  dans  les  assem- 
blées, toutes  ces  choses  répandues  engageront  les  docteurs  à 
tâcher  de  les  éviter  par  quelque  démarche  de  leur  part  qui  pût 
réparer  leur  faute  auprès  du  Roi,  comme  ilsfirent  leurs  articles 
en  1663,  par  les  soins  que  vous  en  prîtes  après  l'interdiction 
du  sieur  Grandin,  et  à  quoi  MM.  les  Prélats  qui  sont  de  ce 
corps  pourraient  travailler  utilement.  El  si  ces  réflexions  et 
les  offices  ne  faisaient  point  rentrer  ces  docteurs  dans  leur 
devoir,  on  exécuterait  tous  ces  projets  de  règlements,  sans 
lesquels  ce  corps  non-seulement  ne  sera  pas  utile  au  Roi,  7nais  même 


Dec    iSU'i.]  SUR    LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  493 

il  y  deviendi^a  enfin  contraire,  si  l'on  le  laisse  sans  règles  et  si 
l'on  continue  à  le  traiter  comme  on  fait  depuis  quelques 
années. 

«Je  vous  explique^  Monseigneur,  mes  pensées  peut-èlre  trop 
librement.  Mais  voire  bonté  me  donne  cette  confiance  ;  et 
d'ailleurs  celte  affaire  me  parait  si  importante  qu'il  me  semble 
que  tout  le  monde  doit  y  travailler  avec  afî'ection.  Je  ne  doute 
pas.  Monseigneur,  que  l'on  n'y  trouve  beaucoup  de  contradic- 
tion; et  vous  voyez  bien  mieux  que  moi  d'où  elle  viendra. 
Mais  si  vous  en  faites  connaître  Timportancc  au  Roi,  l'utilité 
qu'on  en  peut  tirer  pour  son  service  et  la  nécessité  de  n'avoir 
autre  considération  que  le  bien  et  de  ne  pas  reculer  quand  on 
aura  avancé,  j'espère  que  ce  malheur  aura  un  bon  succès  qui 
le  pourra  faire  oublier.  16  juin  168'2.  » 

Vr.  Résumé  des  faits  constatés  jusqu'ici.  —  1°  Déjà  d^s  la 
séance  du  i"  juin,  on  avait  écrit  au  Roi  que  tout  était',  perdu, 
et  le  Roi  eut  la  pensée  de  chasser  dès  le  lendemain  les  docteurs 
de  qui  venait  l'opposition  aux  quatre  articles.  Mais  M .  de  Harlay 
espérait  encore  avoir  la  majorité.  2"  A  la  séance  du  15  juin, 
il  fut  notoire  que  les  opinions  pour  le  rejet  des  quatre  articles 
eussent  été  les  plus  fortes  ;  que  la  doctrine  des  quatre  articles 
allait  être  réprouvée  par  les  mots  non  approbantes   ou  impro- 
bantes ;  enfin  on  avait  l'ossicrance  (et  c'est  de  Harlay  qui  le  dit) 
que  le  mauvais  parti  allait  prévaloir  d'environ  i5  voix.   S"  Au 
moment  oîi  la  Faculté  allait  ainsi  voter  contre  les  quatre  arti- 
ticles  à  la  majorité  de  15  voix,  le  syndic  Pirot  reçut  avis  de 
lever  la  séance,  et  le  docile  syndic  remit  au  lendemain.  4°  Le 
soir  même,  le  Roi  envoyait  ordre  au  Parlement  de  défendre  à 
la  Faculté  de  s'assembler  et  de  délibérer  jusqu'à  nouvel  ordre. 
5°  Nous  le  demandons  maintenant:  n'est-il  pas  manifeste  que 
la  Faculté  a  réprouvé  et  rejeté  la  doctrine  des  quatre  articles 
à  la  majorité  de  15  voix?  11  est  vrai  qu'on  empêcha  le  vote. 
Mais  on  avait  l'assurance  qu'il  allait  se  faire  dans  ce  sens  ;  et 
c'est  pour  cette  raison  que  la  séance  fut  levée  et  toute  nouvelle 


■494  LA   VÉRITÉ  [TomeYIII. 

assemblée  interdite.  Le  fait  de  la  réprobation  des  quatre  arti- 
cles par  la  Faculté  est  donc  certain,   aussi  certain  que  s'il  eût 
été  exprimé  avec  la  formule  et  le  procès-VL^rbal  ordinaires. 
H"  On  ne  doit  pas  perdre  de  vue,  que,  par  ordonnance  de  sa 
Majesté,  on  avait  exclu  des  assemblées  de  la  Faculté  les  doc- 
leurs  réguliers,  à  l'exception  de  deux  pour  chaque  ordre  reli- 
gieux. Or,   ces  docteurs   étaient  en    l'>82  au  nombre  de    176, 
(voir  plus  haut,  §  2,  document  du  n°  VI)  ;  et  tous,  à  l'exception 
de  trois,  s'étaient  prononcés  pour  la  doctrine   romaine.  Par 
suite  de  l'ordonnance,  il  n'y  eu  avait  plus  que  12  environ  qui 
pussent  assister  aux  assemblées  de    la   Faculté.  Donc   si  la 
Faculté  n'avait  pas  été  ainsi  mutilée,  la  majorité  contre  les 
quatre  articles  aurait  eu  160  voix  de  plus;  elle  aurait  été  de 
175.  Lorsqu'il  s'agit  de  savoir  quelle  a  été  la  doctrine  de  la 
Faculté  de  Paris,  il  faut  considérer,  non  pas  une  fraction  de 
cette  Faculté,  mais  la  Faculté  entière.  Or  ainsi  considérée,  on 
peut  dire  qu'elle  repoussait  les  quatre  articles  à  la  majorité  de 
17o^voix.  7°  Les   voix  des  docteurs  jansénistes  devraient  être 
comjjtées  pour  rien,  et  nous  avons  vu  qu'elles  étaient  mal- 
heureusement nombreuses  à  cette  époque.  Si  on  les  élimine, 
avec  celles  des  docteurs  que  domina  la  crainte  de  se  compro- 
mettre et  d'encourir  la  disgrâce  de  l'archevêque  de  Paris,  on 
aura,  non  pas  seulement  la  majorité  çle  15   voix,  avouée  et 
attestée  par  le  procureur  général  de  Harlay,  mais  la  presque 
unanimité.  8°  Cette  réprobation  des  quatre  articles  de  1G82  est 
d'autant  plus  significative,  que  l'assemblée  des  prélats  auteurs 
des  quatre  articles  durait  encore  au  moment  où  la  Faculté 
les  réprouvait.    Quelle   humiliation  pour  ces   prélats!   Nous 
dirons  aussi  bientôt  la  vérité  sur  rassemblée  de  168:2,  et  nous 
produirons  des  docuraenis  dont  on  ne  se  doute  guère.  Eu  atten- 
dant, nous  laissons  les  membres  de  cette  assemblée  sous  le 
Stigmate  indélébile  que  leur  a  imprimé  le  procureur  général 
de  Harlay,  pendant  que  leur  assemblée  durait  encore  :  La  plu- 
part chanyei-aient  demain  et  de  bon  cœur  si  l'on  leur  permet- 


l»oc    lfiG3!  SDR    LA    FACUI.Tfi    DR   THÉOLOGIE    LE    PARIS.  49S 

TAIT.  (Lettre  citée  ci-dessus,  p.  222.)  L'assembloe  fut  dissoute 
par  ordre  du  I^oi  le  29  juin.  Aiusi,  d'après  le  témoignage  du 
procureur  de  Harlay,  les  prélats  de  l'assemblée  de  lb82^  par 
leur  célèbre  déclaration  des  quatre  articles,  enseignèrent  le 
contraire  de  ce  qu'ils  pensaient,  et  cela  parce  qu'on  ne  le w 
permetlcit  pas  de  dire  autrement!  Les  documents  suivants 
achèveront  do  mettre  enlumière  la  conduite  de  la  Faculté  rela- 
tivement aux  quatre  articles  de  1682. 

VIL  Mémoire  sur  la  conduite  de  la  Faculté,  —  Huit  docteurs 
exilés.  —  Celte  pièce,  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  impériale, 
Registres  secrets,  paraît  être  une  relation  otBcielle,  où  Ton  a  eu 
soin  de  dissimuler  habilement  le  fait  capital,  l'opposition  de  la 
majorité  des  docteurs  aux  quatre  articles. 

«  Mémoire  de  ce  qui  s'est  passé  à  l'assemblée  de  la  Faculté 
de  théologie  sur  l' enregistrement  de  la  déclaration  du  clergé 
—  Le  24e  fie  juin  1682.  —  Le  Parlement  ayant  été  informé 
que  dans  l'assemblée  de  la  Faculté  de  théologie  du  1"  de  juin, 
dans  laquelle  on  devait  convenir  de  la  relation  de  ce  qui  s'était 
passé  le  l^""  jour  de  mai,  lorsque  le  Parlement  en  corps  y  fut 
pour  Tenregislrement  de  l'édit  du  Roi  du  mois  de  mars  der- 
nier sur  la  déclaration  du  clergé,  il  y  avait  eu  plusieurs  dif- 
ficultés proposées  sur  les  termes  de  cette  relation,  ce  qui  avait 
empêché  que  l'édit  ne  fût  transcrit  dans  les  registres  de  ladite 
Faculté,  M.  le  premier  Président  envoya  chercher  les  douze 
plus  anciens  docteurs,  le  mardi  2"  de  juin,  et  leur  enjoignit  de 
s'assembler  le  lundi  15'  de  juin,  pour  convenir  des  termes  de 
la  relation,  ne  voulant  pas  qu'ils  dififérassent  davantage  de 
transcrire,  suivant  l'arrêt  du  Parlement,  l'édit  et  la  déclaration 
du  clergé  dans  kurs  registres. 

L'assemblée  s'étant  tenue  le  15*  de  juin,  la  plus  saine  partie 
des  docteurs,  au  nombre  de  trente-cinq,  alla  à  approuver  tout 
ce  qui  avait  été  fait  et  à  enregistrer  sur  la  champ.  Vingt-neuf 
autres,  gens  de  cabale  ^onv  \di  plupart,  furent  d'avis  qu'avant 
l'enregistrement  on  fit  des  remontrances  au  Roi  sur  plusieurl 


496  LA   VÉRITÉ  [TomeVlIL 

chefs  qui  ne  regardaient  pas  le  fond  de  la  doctrine,  mais  des 
prétentions  de  la  Faculté  de  n'être  pas  assujettie  à  l'arclievéi]ue 
de  Paris,  auquel,  suivant  l'édit,  les  professeurs  doivent  tous 
les  ans  apporter  leurs  cahiers.  Les  choses  étant  en  cet  état, 
l'assemblée  finit  à  l'heure  accoutumée,  sans  qu'il  y  nùt  rien 
de  décidé,  plusieurs  des  jeunes  docteurs  n'ayant  pas  eu  le 
temps  d'opiner {\).  Et  le  Parlement  ajant  été  informé  du  retar- 
dement "qu'avaient  apporté  les  docteurs  à  l'exécution  de  ses 
ordres,  et  de  la  continuation  des  cabales  qui  allaient  à  se 
soustraire  à  l'obéissance  qu'ils  doivent,  envoya  appelé;-  le  len- 
demain vingt  des  plus  anciens  docteurs,  leur  défendit  de  s'as- 
sembler sur  ce  sujet  ni  sur  aucun  autre  jusqu'à  nouvel  ordre, 
et  ordonna  que  l'édit  et  la  déclaration  seraient  mis  sur  les  re- 
gistres de  la  FacuUé,  qui  furent  à  cet  effet  apportés  au  gretfe 
de  la  cour. 

Le  Roi  ayant  su  depuis  que  les  auteurs  de  la  cabale 
avaient  tenu  des  discours  fort  emportés  dans  leurs  opinions, 
et  ayant  estimé  de  son  service  de  les  réprimer,  à  donné  des 
ordres  à  hicit  des  plus  coupables  de  se  retirer  de  Paris,  et  de 
s'en  aller  dans  les  lieux  des  provinces  qui  leur  ont  été  indi- 
qués.» (Manuscrits  de  la  bibliothèque  impériale,  —  Registres 
secrets.  Correspondance  administrative  de  Louis  XIV,  publiée 
par  Depping,  tome  iv,  p.  144.) 

VIII.  Reproches  du  Parlement  à  la  Faculté. — Enregistrement 
des  quatre  articles  opéré  de  vive  force.  —  «  Le  premier  Prési- 
dent a  dit  :  Nous  apprenons  avec  douleur  que  l'esprit  de  paix 
ne  règne  plus  parmi  vous,  et  que  la  cabale  empêche  la  sou- 
mission que  vous  devez  aux  ordres  de  la  cour.  O.i  vous  mé- 
connaît parmi  ces  voix  uidiscrètes  que  le  plus  giand  nouibre 

(I)  On  leva  la  séance  el  on  ne  laissa  pas  acliever  d'o;  iiier,  parce 
qu'on  avait  l'assurance  que  te  mauvais  parti  allait  reiii[ior!er  de 
^o  voix,  et  rejeter  les  quatre  arlirles  avec  le  nio!  non  appr<ibnn'€S. 
Celte  pièce  a  été  rédigée  de  manière  à  déguiser  rtniinilia  le  défaite 
du  pouvoir.  C'est  probablement  la  relation  qu'on  envoya  à  l'ambas- 
sadeur à  Rome,  et  à  d'autres,  ;  our  donner  le  change  au  public. 


Nov.1863.]  Sun  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE   DE   PARIS.  497 

aurait  dû  étouffer.  Ce  n'est  plus  cette  sage  conduite  qui  fit  re- 
chercher les  avis  de  vos  prédécesseurs  et  qui  leur  acquit,  sans 
aucun  titre,  la  liberté  de  s'asseiûbler  dans  les  occasions  de  doc- 
trine. La  cour  n'aurait  jamais  cru  que  vous  eussiez  osé  différer 
l'enregistrement  qu'elle  vous  avait  ordonué.  Votre  désobéis- 
sance lui  fait  regretter  les  marques  d'estime  dont  elle  vous 
avait  honorés.  Persuadée  que  vous  ne  méritez  plus  sa  confiance, 
elle  vous  défend  de  vous  plus  assembler  jusqu'à  ce  qu'elle 
vous  eu  ait  prescrit  la  manière;  ce  qu'elle  aura  soin  de  faire 
avant  le  1*'  juillet.  Et  ensuite  M.  le  premier  Président  ayant 
demandé  si  le  scribe  de  la  Faculté  y  était  et  s'il  avait  apporté 
son  registre,  M.  le  premier  Président  lui  a  dit  de  passer  au 
greffe  et  d'enregistrer  dans  son  registre  Tédit  du  Roi,  du  mois 
de  mars  dernier,  la  déclaration  des  sentiments  du  clergé  de 
France  touchant  la  puissance  ecclésiastique,  etc.,  ce  qui  a  été 
fait.  »  [Mélanges  Colbert  3,  à  la  bibliothèque  impériale;  Cor- 
respondance administrative  de  Louis  XIV,  tome  iv,  p.  145.) 

Ainsi  l'édit  et  la  déclaration  furent  alors  enregistrés,  mais 
de  vive  force  et  sans  aucune  participation  de  la  Faculté. 

§VII. 

Histoire  de  la  requête  de  juilllet  1682,  par  laquelle  un  certain  nombre  de  doc- 
teurs oftrirenl  d'enregistrer  l'édit  et  la  déclaration  des  quatre  articles. 

On  a  vu  tout  ce  que  le  roi,  les  ministres,  le  parlement  et 
l'archevêque  de  Paris  avaient  employé  d'activité,  de  stra- 
tagèmes et  de  violence  pour  arracher  à  la  Faculté  l'adhésion 
tant  désirée  aux  quatre  articles.  L'échec  avait  été  solennel. 
Ce  corps,  tout  mutilé  qu'il  était  et  embarrassé  des  membres 
morts  du  jansénisme,  avait  résisté  à  la  majorité  de  15  voix. 
Pour  pallier  cette  humiliante  défaite,  on  imagina  de  pousser  le 
plus  grand  nombre  possible  de  docteurs  a  présenter  une  re- 
quête par  laquelle  ils  oflriraient  d'enregistrer  l'édit,  pourvu 
qu'on  permit  à  la  Faculté  de  tenir  ses  assemblées.  —  On  les 


49  î  LA  VÉniTF.  [Tome  VI-I. 

lui  avait  interdites  ;  on  avait  exilé  huit  membres  ;  et  l'on 
faisait  graud  bruit  de  réformes  qui  allaient  réduiie  la  Faculté 
à  rien.  Le  tout,  comme  Tavoiie  le  procureur  de  Harlay,  pour 
effrayer  ces  pauvres  docteurs, les  amènera  résipiscence,  etobte- 
nir  qu'au  moins  un  assez  i^rand  nombre  d'entre  eux  fissent  une 
démarche  favorable  à  l'édit  et  à  la  déclaration  des  quatre  ar- 
ticles. Voici  quelques  documents  qui  éclairent  suffisamment 
cette  nouvelle  trame. 

«  Colbert  au  premier  président  du  parlement  de  Paris.  —  A 
Versailles,  le  8  juillet  1682.  —  Le  roi  m'ordonne  de  vous  in- 
former de  ce  que  vous  avez  déjà  appris  par  M.  le  procureur  gé- 
néral sur  les  assemblées  qui  se  doivent  tenir  chez  M.  l'archevêque 
de  Paris  au  sujet  de  la  réforme  de  la  Faculté  de  théologie,  et 
de  vous  dire  ea  même  temps  que  si  vou=;  estimez  ))lus  à  pro- 
pos de  ne  vous  y  pas  trouver,  on  prendra  soin  de  vous  infor- 
mer de  tout  ce  qui  s'y  passera,  et  de  prendre  vos  avis  sur  le 
tout,  avant  que  de  rien  décider.  Ayez  agréable  de  me  faire 
savoir  le  parti  que  vous  prendrez  sur  cela.  »  {Mélanges  Colbert, 
3;  Correspondance  administrative,  publiée  par  Deppiug  dans  la 
Collection  de  documents  inédits.  Paris,  1855,  t.  iv,  p.  146.) 

Ce  fameux  projet  de  réforme,  qu'on  tenait  toujours  comme 
un  épouvanlail  suspendu  sur  la  tête  des  docteurs,  est  détaillé 
dans  les  deux  pièces  suivantes.  Elles  sont  pleines  d'intérêt,  et 
jettent  un  grand  jour  sur  toule  cette  affaire,  et  sur  les  senti- 
ments réels  de  la  Faculté  de  théologie. 

Projet  de  réforme  pour  la  Faculté  (1). 

«  Ce  qui  s'esl  passé  le  15  de  juin  dernier  (1682)  dans  la  Faculté 
esl  l'ouvrage  d'une  pure  cabale.  Ceux  qui  l'avaient  ménagée  s'étaient 
appliqués  à  gagner  les  esprits  depuis  le  2  mai,  sons  preiex;e  que  la 
forme  de  l'enregislremenl  blessait  les  immunités  et  les  privilèges  de  la 
Facullt^.  C'est  pourquoi  ils  ne  se  sont  déclarés  contre  la  doclriiie,  que 

(1)  Celle  piètre  inédile  se  trouve,  ainsi  que  la  suivante,  parmi  les 
papiers  du  propureur  général  de  Harlay,  à  la  Bibliothèque  impériale, 
Ms.  Harlay 'St -Germain,  ^. 


Nûv.  18t>3.1  SUR    LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  509 

lor>qu'il!>  ont  vu  qu'ils  avaient  alliré  beaucoup  de  personnes  dans 
leur  seniiraenl,  qui  craignaient  de  bonne  foi  que  cet  exemple  ne  fil 
préjudice,  dans  la  suite,  k  la  liberté  dont  la  Faculté  usait,  depuis 
plusieurs  .siècles,  de  donner  son  jugement  doctrinal  sur  les  matières 
qui  se  pr(^scntaienl. 

«  Dans  l'assemblée  du  premier  de  juin  el  dans  les  conférences  des 
députés,  ils  n'ont  fait  aucune  plainte  que  touchant  la  forme  ;  el  lors- 
qu'ils ont  vu  qu'on  leur  accordait  une  partie  de  ce  qu'ils  pouvaient 
espérer,  pour  mettre  à  couvert  les  iinmutiilés  de  la  Faculté,  et  qu'où 
leur  faisait  espérer  qu'ils  seraient  délivrés  du  reste  lorsqu'ils  auraient 
obéi,  il>  ont  porté  les  sieurs  Grandin  el  Cli;imillard  à  se  déclarer 
contre  la  dociroie  ;  el  connue  ils  avaient  fait  venir  à  la  Faculté  plu- 
sieurs personnes  qui  n'avaient  pas  accoutumé  de  se  trouver  aux  as- 
semblées, ils  espéraient  donner  atteinte  à  la  déclaration  par  le  nombre 
des  suflrages  qui  se  seraient  trouvés  conformes  à  celui  du  sieur  Clia- 
niillard. 

«  Si  le  collège  de  Sorbonne  et  les  professeurs  peuvent  êlre  consi- 
dérés comme  l'unique  source  de  celle  cab.ile,  on  doit  se  servir  de 
celle  occfision  pour  y  apporter  des  remèdes  si  efflcaces,  qu'on  pré- 
vienne dans  la  suite  de  semblables  désordres.  La  maison  de  Sor- 
bonne, exeepié  six  ou  sept,  est  élevée  dans  des  seaiiments  conlraiies 
à  la  dociaraiion.  Les  professeurs,  excepté  M,  le  syndic  (Pirol),  y  ont 
une  si  grande  opno>iiion,  que  ceux  mêmes  qui  sont  payés  par  le  roi 
n'ont  pas  voulu  eii.seig)ier  aucune  des  ■propositions  qui  ont  été  ■présen- 
tées à  Sa  Majesté  en  li  6;i,  quoique,  dans  le  collège  de  Sorlionne  el 
de  Navarre,  il  y  ait  des  chaires  fondées  pour  enseigner  la  contro- 
verse. 

t  On  ne  saurait  empêcher  le  mal  que  cette  cabale  a  fait  dans  celte 
occasion,  et  le  bruit  qui  s'en  est  répandu  parloul ,  mais  il  faut  préve- 
venir  de  semblables  entreprises,  et  tirer  même  quelque  avantage  de 
ce  désordre  pour  la  Faculté. 

«  Si,  par  un  arrêt  du  coiîseil,  on  privait  du  suthage  el  des  droits 
de  la  Faculté  ceux  qui  ont  opiné  uvec  si  peu  de  respect  poAT  Sa  Ma- 
jesté, pour  tes  arrêts  de  la  cour  et  pour  la  déclaraiion  du  clergé, 
celte  peine  permanente,  qui  serait  toujours  de\anl  les  yeux  de  ceux 
qui  composent  les  assemblées,  les  tiendrait  dans  le  devoir,  et  la  mé- 
moire de  cet  exemple  se  conserverait  longtemps  dans  la  Faculté  et  y 
proiunail  de  très-bons  effets.  [1  faudrait  y  comprendre  ceux  qui  sont 
exilés,  et  même  quelques-uns  qni  ont  opitié  aussi  sédilieusement 
qu'eux,  comme  Boucher,  chanoine  de  Noire- Dame;  Gobelin,  curé  de 
Saiul-Laiireul  ;  Bouste,  professeur  de  Sorbonne,  etc. 

«  ...  Les  trois  professeurs  de  Sorbonne  ont  des  bcnéliccs  qui  de- 
mandent résidence,  el  si  le  roi  nommait  d'autres  docteurs,  qui 
fussent  alFeclionnés  à  celte  doctrine,  ils  l'enseigneraient  avec  fruit. 


SOO  LA   VÉRITÉ  i^Tomc  Vllf. 

Ce  n'est  pas  vne  affaire  que  ce  changement  en  Sorbonne.  La  maison 
mérite  bien  d'êlre  privée  de  la  liberté  d'y  nommer  dans  celle  occa- 
sion. 

«  ...  Le  grand-maître  de  Navarre  prétend  être  obligé  d'enseigner 
en  qualité  de  grand-niaîlre  ;  mais  la  profession  publique  qu'il  fait 
«si  en  exécution  de  la  fondation  du  roi,  qui  le  paie  :  ainsi,  on  le 
pourrait  priver  de  celte  chaire,  et  la  conférer  à  une  personne  qui  fût 
dans  les  sealimenls  de  l'Église  gallicane,  et  lui  laisser  la  charge  de 
grand-maîne. 

«...  L'occasion  est  favorable  pour  apporter  quelque  remède  qui 
empêche  entièrement  les  cabales  dans  la  suite. 

«  (lomme  ce  sont  les  communautés  qui  y  donnent  lieu,  et  qu'elles 
sont  plus  faciles  à  y  entrer  et  aies  lortilier,  on  pourrait  réduire  ie 
nombre  de  ces  communautés,  qu'on  a  grossies  et  augm'-ntres  dans  le 
dessein  de  s'en  servir  dans  de  semblnbles  occasions.  Celle  de  Sor- 
bonne est  la  plus  nombreuse  et  la  plus  irrégulière.  Ces  messieurs 
étudient  peu  ;  ils  manqenl  ensemble  ;  le  temps  qui  n'est  pas  employé  à 
i'éiude  peut  facilement  être  employé  à  cabaler -,  ceux  qui  ont  l'auto- 
rité dans  ce  collège,  l'ont  tellement  dominé,  qu'ils  ont  fait  recevoir 
des,  esprits  faibles,  propres  à  entrer  dans  les  sentiments  qu'ils  leur 
voudiont  inspirer,  el,  par  ce  moyen,  ils  sont  devenus  les  maîtres  de 
celle  commuriauté... 

On  propose  ici  la  réforme  du  collège  de  Navare,  puis  le  pro- 
jet continue  ainsi  : 

n  II  faudrait  léàuire  de  même  les  docteurs  des  autres  communau- 
tés :  2  (le  Saint-f^iclor,  2  de  Cluny,  S  des  Bernardins,  i  de  Prémon- 
tré^  parce  qu'il  n'y  en  pas  beaucoup;  ^  de  la  Merci,  \  de  Suinte- 
Croix  de  la  Brelounière,  ^  de  la  Compagnie  de  SamlSulpice,  \  du 
séminaire  des  Missions  étrangères,  1  de  la  comninnauié  de  Suint- 
Aicolas,e[  faire  une  semblable  règle  pour  les  communautés  qu'on  éri- 
gerait dans  la  suite. 

«  ...  Ponr  punir  la  maison  de  Sorbonne  d'avoir  fait  celle  cabale,  el 
pour  l'humilier  en  quelque  manière,  et  en  tirer  un  fruit  solide  dans 
la  suite,  il  faudrait  ordonner  que  les  assemblées  de  la  Faculté  se  tien- 
draient aux  Jacobins.  » 

Le  projet  contient  encore  d'autres  mesures  rigoureuses 
contre  les  membres  anti-gallicans  de  la  Faculté.  Nous  ne  les 
transcrivons  pas. 


I 


Dec    1863.]  SUR   LA    FACULTÉ  DE   TnÉOLOGIE   DE    PVRIS.  50! 

Autre  projet  de  reforme,  de  l'année  1683. 

Cet  autre  Mémoire,  probablemeut  du  même  auteur,  pro- 
pose de  nouvelles  réformes  pour  achever  de  dompter  les  doc- 
teurs anti-gallicans  qui  se  sont  opposés  à  la  censure  de  Tar- 
chevêque  de  Slrigonie. 

«  ..  Si  la  con('uile  qu'on  a  remarquée  dans  les  rlocleurs  qui  de- 
meuraient dans  le  collège  de  Sorbnnne,  lorsqu'ou  a  désir6  Tenregis- 
Iremenldes  articles  du  clergé,  de  l'édil  du  roi,  et  de  i'arrêi  du  Parle- 
ment dans  la  Facullé,  cl  lorsqu'il  a  été  queslion  de  signer  la  requôle 
pour  obtenir  la  liberté  de  tenir  les  assemblées  ordinaires,  avait  ins- 
piré la  pensée  d'apparier  quelque  rtmèile  h  une  cabale  si  dangereuse, 
ce  qui  s'est  passé  dans  l'examen  de  la  proposition  sur  laquelle  le 
Parlement  a  fait  l'honneur  à  la  Facullé  de  lui  demander  son  avis  doc- 
trinal, oblige  indi^pensablement  ceux  qui  onl  l'aulorilé  et  qui  aiment 
le  bien  public,  li-s  maximes  el  les  libertés  de  l'Église  gallicane,  de 
prévenir  par  des  précautions  fortes  et  permanentes  les  maux  el  les 
désordres  qu'on  pourrait  craindre,  dans  la  suite,  d'une  cabale  si  liée, 
si  puissante  el  si  échauffée. 

«  Le  nombre  de  ceux  qui  demeurent  dans  ce  collège  est  très-con- 
sidérable, ils  sont  tous  unis  dans  les  senliments  ulliamon/aîns,  ex- 
cepié  qualre  ou  cinq. 

«  Tau.';  les  professeurs,  même  les  royaux,  exoepic  M.  Piroî,  syndic 
de  la  Faculté,  sont  dans  les  mêmes  maximes. 

«  Ce  grand  nombre,  qui  demeure  dans  ce  collège,  est  encore  forli- 
lié  par  31.  Grondin,  qui  est  entièreniinl  lié  avec  eux,  el  qui  leur 
attire  du  inonde  du  dehors.  Le  principal  du  collège  du  Ple^sis  et 
ceux  qu'il  emploie  et  protège  d;ins  son  collège  ou  hors  du  collège 
soûl  absolument  unis  avec  ceux  de  Sorbonne.  M.  Desperriers  ne  s'en 
est  jamais  éloigné,  el  il  est  regardé  comme  une  des  colonnes  de  celle 
cabale. 

«  Les  proiesseurs  peuvent  facilement  engager  des  personnes  qui 
onl  étudié  en  Sorbonne.  Ceux  de  ce  collèg(i  qui  président  aux  ades, 
ou  qui  sont  grands-maîtres  des  barheliers,  onl  la  liberté  de  leur  in- 
spirer leurs  senlimenls.  Ou  voit,  d'ailleurs,  qu'ils  onl  une  liaison  cer- 
laine  et  assurée  avec  les  docteurs  qui  dtmeurenl  dans  les  séminaires 
ou  dans  d'autres  communautés  semblables.  Ceux  de  Saint Sulpice, 
des  Mi-sions  élranyères  el  de  Saint-Ncolas,  qui  ont  opine  dans  celle 
affaire,  ont  été  de  l'avis  des  Sorùonnistcs.  Is  sont  aussi  unis  avec  les 
Mendiants,  el  il  est  tout  public  que  c'est  M.  Leslocq  qui  a  obligé  le 
P.  Fiassen,  gardien  des  Cordeliers,  à  quitter  le  senliraenl  des  dépu* 


î)02  LA   VÉRITÉ  [Tom    MU. 

tés,  avec  lesquels  ii  avait  élé  d'avis  de  condamner  la  proposiiion, 
pour  suivre  celui  du  collège  de  Sorbonne,  el  il  a  fait  opiner  un  an- 
cien Curdelier  en  leur  faveur,  pour  empêrlier  que  le  P.  Dubuisson 
n'eûl  [las  la  Iibcrié  de  o'ire  son  sentiment,  qui  aurait  élé  pour  les  dé- 
putés, l'ar  le  Uiênie  moyen,  ils  ont  engagé  deux  jeunes  Auguslins  à 
parler... 

(i  En  même  temps  qu'o>i  humili>'rait  si  juslement  ces  trois  profes- 
seurs, Leslocq,  Boust  et  Desperriers,  dont  la  conduite  s'est  fait  remar- 
quer de  tout  le  monde  dans  celle  occasion,  on  ferait  un  grand  b>en 
par  un  exemple  qiii  est  de  peu  de  conséquence,  si  on  auf/mcn/aii  de 
qutlqite  chose  le  revenu  de  la  c'iaire  de  M.  Leièvre.  de  Navarre,  qui 
enstigne  les  maximes  du  royaume,  qui  est  capable  de  rendre  de 
grands  services,  el  qui  ea  a  rendu  de  très-efficaces  dans  celte  occa- 
sion, el  qui  a  toutes  les  qualités  pour  êire  un  bon  syndic.  CeUe  pro- 
tection, qui  serait  publique,  el  qui  marquerait  l'inlenlioii  qu'on  a  de 
bien  établir  ces  senliinenls,  serait  capable  de  produ  re  de  grands 
biens  et  d'attirer  les  jeunes  gens...  • 

L'auteur  propose,  en  outre,  contre  les  rebelles,  des  me- 
sures plus  sévères  que  celles  indiquées  dans  le  Mémoire  de 
1682. 

On  trouve  d'autres  traces  de  ces  projets.  Voici,  par  exemple, 
une  note  sommaire  qui  s'y  rapporte. 

«  Mj;r  rarchevêque  de  Paris  avait  proposé  que,  pour  exci- 
ter les  docteurs  qui  n'ont  point  encore  signé,  à  suivre  l'exem- 
ple de  leurs  confrères,  vous  allassiez,  dans  vos  conclusions, 
à  permettre  aux  docteurs  qui  auraient  signé  la  requête  de  s'as- 
sembler â  l'ordinaire,  avec  défense  aux  autres  de  s'i/  trouver.  Et 
Sa  Majesté  m'ordonne  de  vous  en  faire  l'ouverture,  pour  sa- 
voir vos  sentiments  sur  ce  sujet.  »  (Correspondance  administra- 
tive, tome  IV,  p.  140.) 

Par  ces  manœuvres  et  ces  menées,  on  voulait  oblenij- 
des  docteurs,  ou  du  moins  d'un  certain  nombre  d'entre  eux, 
un  acte  de  faiblesse.  Voici  la  suite  des  pièces  qui  se  rappor- 
tent à  celte  intrigue. 

a  Le  même  (Colbert)  au  procureur  général  de  Harlay.  — 
24  juillet  1682.  —  J'ai  rendu  compte  au  roi  de  ce  que  vous 
m'écrivîtes  par  votre  lettre  d'hier,  et  Sa  Majesté,  après  avoir 


Ddc.lSG3]  sua    LA    FACULTÉ   DE    TnÉOLOGIE    DE   PAIM?.  .'03 

examiné  toutes  les  raisons  contenues  dans  cette  lettre,  m'or- 
doune  dn  vous  écrire  qu'elle  persiste  toujours  dans  la  résolu- 
tion de  ne  point  permettre  à  la  Faculté  de  théologie  de  s'assem- 
bler que  le  projet  de  la  réformalion  n'ait  été  exécnlé,  ce  (]ui 
ne  se  pourra  pas  avant  le  !<>•■  septembre,  étant  nécessaire 
d'attendre  des  nouvelles  de  Rome.  Cependant,  comme  elle  a 
trouvé  que  les  raisons  contenues  dans  votre  lettre  sont  consi- 
dérables, elle  estime  que  le  meilleur  moyen  d'ajuster  toutes 
choses  est  de  faire  présenter  au  parlement,  dans  cinq  ou  six 
jours,  la  requête  qui  a  été  signée  par  les  docteurs,  sur  laquelle 
vous  donnerez  vos  conclusions  dans  le  premier  ou  le  second 
du  mois  d'août,  et  ensuite  sera  donné  l'arrêt  qui  leur  permette 
de  s'assembler  au  premier  jour  de  septembre.  De  cette  sorte, 
les  docteurs  connaîtront  le  bon  eflfet  qu'aura  eu  la  requête 
qu'on  leur  aura  fait  signer,  et  on  aura  tout  le  mois  d'août  pour 
attendre  des  nouvelles  de  Rome,  suivant  lesquelles  on  travail- 
lera à  la  réformation,  h  {Correspondance  administrative,  t.  4, 
page  140.) 

Voici  maintenant  l'historique  de  cette  requête,  d'après 
l'abbé  Legendre,  secrétaire  de  l'archevêque  de  Paris. 

«  Défense  fut  faite  aux  docteurs  de  se  réunir  avant  qu'on 
leur  eût  prescrit  l'ordre  et  la  forme  qu'ils  auraient  à  observer 
dans  les  assemblées  qu'on  leur  permettrait  de  tenir.  Ce  fut 
alors  qu'ils  crurent  plus  fortement  que  jamais  que  c'était 
M.  de  Paris  qui,  sous  le  nom  de  parlement,  voulait  leur  don- 
ner des  lois,  et  ce  fut  la  peur  qu'ils  en  eurent  qui  leur  fit  pré- 
senter précipitamment  requête,  par  laquelle  ils  offraient  d'en- 
registrer l'édit,  pourvu  qu'on  leur  rendît  la  liberté  de  s'as- 
sembler à  l'ordinaire.  »  [Mémoires  de  Legendre,  p.  54.) 

«  M.  de  Harlay,  en  habile  homme,  sut  les  réduire  peu  h, 
peu  (les  docteurs  de  la  Faculté)  à  ne  faire  que  ce  qu'il  jugeait 
de  raisonnable  ;  mais  cette  servitude  le  rendait  si  odieux  à  la 
compagnie,  qu'elle  l'accusait  de  tout  ce  qui  lui  arrivait  de  dés- 
agréable. »  {Ibidem,  p.  53.) 


504  LA    VÉRITÉ  ITonij  \  II. 

Nous  avons  relaté  plus  haut  (a»  I)  ces  paroles  de  l'Ami  de  la 
Religion  (tome  xxvi,  p.  36)  :  «  Le  mois  suivant  (juillet  1682), 
il  permit  cependant  que  la  Faculté  s'assemblât  comme  à  l'or- 
dinaire, sur  une  requête  que  préseutèreut  cent  soixante  doc- 
teurs. » 

Si  l'on  nous  objeclait  cette  requête  comme  équivalant  de  la 
part  de  la  Faculté  à  une  acceptation  de  la  doctrine  des  quatre 
articles, et  par  conséquent  à  une  palinodie,  nous  répondrions: 
1°  Ce  fut  la  peur,  comme  l'avoue  le  secrétaire  panégyriste  de 
rindignc  arche ^'cque  de  Harlay,  qui  leur  fit  présenter  cette 
requête;  et  certes,  cette  peur  s'explique  aisément,  après  les 
lettres  de  cachet  qui  venaient  d'en  faire  disparaître  huit,  par- 
tis pour  l'exil,  et  api'ès  les  bruits  et  menaces  que  l'habile  pro- 
cureur de  Harlay  voulait  qu'on  répandit,  afin  de  pousser  les 
docteurs  à  faille  d'eux-mêmes  des  démarches  pour  apaiser  le 
roi.  2°  Ce  fut  une  démarche  faite  précipitamment,  au  dire  du 
même  Legeadre,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  eut  aucune  délibéra- 
tion de  la  Faculté,  aucune  résolution  arrêtée  en  corps,  3"  Pi- 
cot nous  dit  que  ccut  soixante  docteurs  y  prirent  part.  Ce 
chiflre  est-il  bien  authentique?  Picot  n'indique  pas  de  docu- 
ment à  l'appui,  et  je  n'en  ai  encore  remarqué  aucun  qui  le 
justifie.  Eu  supposant  le  cbiffre  exact,  il  faudrait  se  rappeler 
le  document  inédit  relaté  précédemment  (  §  2),  d'uprès  lequel 
le  nombre  total  des  docteurs  de  la  Faculté  de  Paris,  en  1682, 
était  de  plus  de  sept  cents.  Les  adhérents  à  la  requête  ne 
représenteraient  donc  pas  la  majorité.  4°  Cette  requête,  s'il 
fallait  l'attrijjuer  à  la  Faculté,  c'est-à-dire  à  la  majorité  des 
docteurs,  serait  une  palinodie  relativement  à  la  mainfe^tation 
doctrinale  des  séances  du  1  et  du  lo  juin,  manifestation  at- 
testée par  les  doléances  du  procureur  de  Harlay,  qui  en  était 
désolé.  Que  prouverait  une  palinodie  arrachée  par  la  peur, 
en  dehors  de  toute  assemblée  régulière  ?  5°  Il  faudrait  voir  si 
le  texte  de  la  requête  exprime  l'adhésion  à  la  doctrine  des 
quatre  articles,  ou  seulement  des  protestations  rfe  respect  pour 


Doc.  18G3.]  SUR  LA   FACULTÉ  DE  THÉOLOG'E  DE  PARIS.  5flî$ 

redit  du  roi  et  pour  l'assemblée  de  1682.  Ce  n'est  pas  la  même 
chose,  et  je  n'ai  pas  le  texte  de  la  requête.  6"  L'hypothèse 
que  la  fraction  janséniste  et  dévouée  à  l'archevêque  et  aux 
ministres  aura  seule  signé  cette  requête,  et  que  le  nombre 
des  signatures  aura  été  exagéré  dans  les  récits  du  temps, 
reste  probable  jusqu'à  preuve  du  conlraire.  7"  De  quelque 
manière  qu'on  l'envisage,  cette  requête  n'est  pas  un  acte  de  la 
Faculté  :  elle  laisse  dans  toute  sa  valeur  le  fait  de  la  réproba- 
tion des  quatre  articles  à  la  majorité  de  quinze  voix. 

§  VIII. 

Affaire  de  la  censnre  des  quatre  articles  par  le  concile  national  de  Hongrie.  — 
On  arrache  k  la  Faculté  de  Paris  la  condamnation  de  cette  censure.  —  Cet 
acte  ne  fut  pas  libre,  et  ne  peut  pas  être  attribué  à  la  majorité  des  docteurs 
de  celle  Faculté. 

H  nous  suffira  de  transcrire  ici  les  documents  suivants  :  le 
lecteur  en  tirera  la  conséquence. 

«  (Juillet  1082.)  L'archevêque  de  Strigonie  ayant  condamné 
les  quatre  articles  du  clergé  et  avancé  dans  sa  censure  qu'il 
n'appartient  qu'au  Pape  de  juger  les  choses  de  foi,  le  parle- 
ment, à  qui  cette  proposition  avait  été  déférée,  ne  voulut  rien 
statuer  qu'elle  n'eût  été  examinée  par  la  Faculté  de  théologie. 
Les  docteurs,  nation  timide  et  soupçonneuse,  prirent  cela 
moins  pour  un  honneur  que  pour  un  piège  qu'on  leur  tendait 
pour  les  faire  expliquer  sur  les  articles  du  clergé.  En  cfiet, 
deux  d'entre  eux,  l'un  nommé  Boucher,  curé  de  Saint-Nicolas 
du  CUardonnet,  et  l'autre  appelé  Chatnillart,  supérieur  du 
séminaire  du  même  nom,  ayant  parlé  en  Faculté  contre  ces 
quatre  articles  avec  moins  de  ménagement  que  pcut-êlre  il 
ne  convenait,  furent  exilés  incontinent.  On  les  plaignit,  parce 
qu'ils  étaient  fort  estimés,  principalement  pas  leurs  verttis... 
Ces  deux  exilés  n'étaient  pas  seuls  de  leur  avis,  et  si  beau- 
coup d'autres  qui  le  partageaient  n'osèrent  parler  si  lorte- 


î)06  LA  VÉRITÉ  [Torao  Vlil. 

ment  qu'eux,  ce  fut  la  crainte  qui  les  retint.  Rieu  ue  faisait 
mieux  voir  la  répugnance  qu'ils  avaient  à  flétrir  la  proposi- 
tion, que  le  temps  qu'ils  prirent  à  s'y  décider.  Après  quarante- 
cinq  séances,  chacune  de  plus  de  trois  heures,  à  peine  la  Fa- 
culté put-elle  former  son  jugement.  »  [Mémoires  de  l'abbé 
Legendre,  secrétaire  de  l'arclievèque  de  Harlay,  p.  54  et  55.) 

«  Neque  deuique  id  memoria  excidit  quod  sub  finem  prae- 
teriti  sseculi  et  a  tempoi-e  famosorum  cleri  gallicaui  articulo- 
rumanni  1682,  cum  archiepiscopus  Strigoniensis  in  Hungaria 
asseruisset,  quod  ad  solum  Papam  perliaeret  articulos  fidei 
definire,  ejus  propositio  ad  Facultatem  theologicam  Parisieu- 
sem  ad  censuram  delata,  quamvis  censurse  factio  regia  auctori- 
tate  fulcita  esset',  suminas  tamen  passa  sit  contradictiones, 
pluresque  hujus  Facultatis  doctores  maluerint  exilium  pati 
quam  hujus  propositionis  damuationi  subscribere.  »  (Petit- 
didier,  de  Auctoritate  et  infallibilitate  Summorum  Pontificum, 
capite  XV,  §  5,  sub  finem.) 

a  Le  marquis  de  Seignelay  au  procureur  général  de  Harlay. 
—  Le  28  janvier  1683.  —  Sa  Majesté  m'ordonne  de  vous  dire, 
sur  l'ouverture  qui  vous  a  été  faite  par  le  syndic  de  la  Fa- 
culté, qu'elle  n'estime  pas  à  propos  de  proposer  aux  docteurs 
qui  seront  appelés  au  parlement  la  question  concernant  l'au- 
torité du  Pape  dans  les  matières  de  foi  et  de  doctrine,  sans 
parler  de  la  censure  de  l'archevêque  de  Strigonie;  parce  que  cela 
pourrait  passer,  à  Rome,  pour  une  espèce  de  nouvelle  querelle, 
et  qu'il  vaut  mieux  qu'il  paraisse  eu  cela  que  l'on  n'agit  que 
pour  se  défendre;  et  pour  cet  effet,  il  faut  marquer  l'occasion  qui 
a  obligé  le  parlement  à  demander  l'avis  de  la  Faculté,  en  ob- 
servant pourtant  qu'iV  ne  faut  pas  que  les  docteurs  comprennent 
qu'on  leur  donne  à  examiner  tout  ce  qui  est  dans  la  censure  de 
l'archevêque  de  Strigonie,  mais  seulement  la  proposition  qui 
altriljue  au  Pape  seul  l'autorité  dans  les  matières  de  foi.  » 

«  Le  4  février.  -  Sa  Majesté  m'ordonne  de  vous  écrire  que, 
(.ommc  la  censure  de  la  proposition  concernant  l'autorité  du 


Hcc.  1803.]  SUR    LA    FACLLTE    DE    THEOLOLIK    DE    PARIS.  ÙIU 

Pape  dans  le.s  matières  de  foi  ne  peut  être  trop  bien  soutenue, 
elle  estime  du  bien  de  son  service  que  vous  preniez  la  peine 
de  faire  un  discours  au  parlement,  qui  puisse  être  inséré  dans 
l'arrêt  qui  sera  rendu  en  conséquence  de  la  censure  de  la  Fa- 
culté. S;i  Majesté  estime  qu'il  ne  faudra  pas  laisser  traîner 
celte  afïaire  jusques  au  premier  jour  du  mois  de  mars,  maio 
qu'il  sera  à  propos  de  faire  tenir  une  assemblée  extraordinaire 
à  la  faculté  de  lundi  prochain  en  huit  jours.»  {Correspondance 
administrotiv(;,  t^me  iv,  page  126  et  suiv.) 

'.(  Colbert  au  même  (de  Harlay,  procureur  général).  —  Ce 
1o  mars  1683.  —  Comme  les  assemblées  de  la  Faculté  ont  été 
interrompues  depuis  mardi  dernier,  et  que  le  roi  est  informé 
du  préjudice  qu'en  peut  recevoir  son  service,  tant  parce  que 
cela  donne  lieu  aux  mal  intentionnés  de  fortifier  leur  cabale,  que 
parce  que  ce  loug  délai  oblige  plusieurs  des  docteurs  qui  sont 
dans  de  bons  sentiments  de  se  retirer  dans  les  villes  de  leur  sé- 
jour ordinaire,  sa  Majesté  m'ordonne  de  vous  écrire  qu'elle 
veut  que  vous  examiniez  s'il  ne  serait  pas  à  propos  que  le 
parlement  mandât  les  mêmes  docteurs  qui  furent  appelés  il  y 
a  quelque  temps,  pour  ordonner  à  la  Faculté  de  continuer  ces 
assemblées  jusqii'à  l'entière  décision,  nonobstant  les  prises  de 
bonnet  et  autres  prétextes  dont  on  pourrait  se  servir.  »  (6'or- 
respondanee  administrative,  tome  iv,  page  141.) 

«  Le  marquis  de  Seignelay  au  même  (<le  Harlay).  —  Le 
3  avril.  —  Le  roi  m'ordonne  de  vous  écrire  que  son  intention 
est,  pour  terminer  prompteraent  les  affaires  qui  regardent  la 
Faculté  de  théologie,  que  M.  le  premier  président  envoie 
chercher  cinq  ou  six  des  plus  anciens  docteurs,  pour  leur  cx- 
pli<juor  que,  le  parlement  ayant  demandé  depuis  longtemps  la 
décision  de  la  Faculté  sur  la  question  de  l'autorité  du  Pape,  et 
sachant  que,  dans  les  précédentes  assemblées  qu'ils  ont  tenues 
à  cet  efifet,  plusieurs  docteurs  se  sont  laissé  aller  à  des  digres- 
aions  inutiles,  en  sorte  que  le  tiers  de  ceux  qui  doivent  donner 
ler.r  opinion  n'ont  point  encore  parlé;  il  les  envoie  chercher 


DUS  LA    VKHllh  lioinoVlU 

pour  leur  dire  que  riuteution  du  parlement  est  qu'ils  tienueal 
leurs  assemblées  sans  discontinuation^  et  qu'ils  se  mettent  en 
état  de  donner  leur  décision  entre  ci  et  la  Quasimodo,  »  {Ib., 
page  126  et  suiv.) 

«  Versailles,  7  avril  1683.  —  ...  Et  à  l'égard  de  la  proposi- 
tion que  vous  faites  de  donner  un  arrêt,  par  lequel  il  soit  or- 
donné que,  dans  les  Miatièros  qui  seront  agitées  dans  la  Fa- 
culté, aucun  docteur  ne  pourra  délibérer  plus  longtemps  qu'une 
demi-heure,  Sa  Majesté  estime  qu'il  en  faudra  venir  à  cet  ex- 
pédient, mais  elle  croit,  comme  vous,  qu'il  n'est  pas  temps  de 
le  mettre  en  usage.  »  [Ms.  Harlay  367,  vol.  v,  pièce  -40.) 

La  lettre  suivante  du  procureur  de  Harlay  au  syndic  Pirot 
est  écrite  en  entier  de  la  main  de  M.  de  Harlay. 

»  Monsieur,  j'ai  dissimuléju.  qu'à  cotte  heure  les  longueurs 
affectées  qu'apportent  aux  délibérations  de  la  Faculté  parti- 
culièrement les  docteurs  du  collège  de  Sorbonne.  Mais  quand 
à  des  discours  peu  convenables  à  la  réputation  et  à  l'intérêt  du 
corps  dont  ils  fout  partie,  ils  ajoutent  des  éloge  s  de  l'inquisi- 
tion, commp  on  prétend  qu'a  fait  le  sieur  Fromageot,  il  serait 
difficile  de  garder  la  même  conduite.  Ainsi,  monsieur,  je 
vous  prie  de  jme  mander  la  vérité  de  ce  qui  s'est  passé  sur  ce 
sujet,  afin  qu'en  étant  informé  je  fasse,  à  l'égard  de  ce  der 
nier,  cCi^que  je  jugerai  à  propos.  Au  surplus,  nos  Sorbonistes 
peuvent  être  assurés  que,  s'ils  nous  apportent  quelque  oracle 
dans  l'obscurité  duquel  ils  prétendent  cacher  des  sentiments 
conliaires  à  ceux  que  les  théologiens  français  ont  eus  jusqu'à 
cet  heure,  nous  les  'fe7'ons  déclarer  s'ils  croient  le  Pape  supé- 
rieur au  concile  et  infaillible,  et  s'ils  renoncent  au  concile  de 
Constance.  »  {Ms.  Harlay  Saint-Germain  165,  à  la  Biblioihèqne 
impériale.) 

Autre  lettre  du  même  de  Harlay. 

«  20  juillet  1683.  —  Monsieur,  je  vous  envoie  une  copie  de 
l'anèt  rendu  sur  la  censure  de  l'archevêque  de  Sirigonie,  Je 
ne  doute  point  que  vous  n'ayez  été  informé  de  la  déclaration 


qu'a  faite  le  sieur  Pirol  de  vouloir  quitter  le  syudicat  de  la 
Faculté  de  théologie,  et  comme  le  roi  aura  saus  doute  appris 
la  source  vérilablc  des  contradictions  qu'il  a  fallu  essuyer  au 
sujet  de  la  ceusure  de  l'archevêque  de  Strigonie,  et  que  Sa 
Majesté  conuait,  mieux  que  personne,  combien  il  est  impor- 
tant à  sou  service  d'empêcher  le  progrès  que  font  dans  la  Fa- 
culté de  théologie  les  cabales  et  la  mauvaise  doctrine  du  collège  de 
Sorbonne,  elle  ordonnera  sur  ce  sujet  ce  qu'elle  estimera  plus 
convenable,  afin  que  cette  place  soit  remplie  par  un  homme 
qui  n'ait  aucune  dépendance  ni  d'inclination  que  pour  bien  faire 
et  pour  conserver  la  bonne  doctrine  dont  il  sera  persuadé  lui- 
même,  n'y  ayant  de  sûreté  qu'avec  ceux  qui  agissent  par  leurs 
sentiments.  M.  Faure  et  M.  Feu_,  qui  sont  ceux  avec  qui  j'ai 
plus  de  commerce,  et  qui  ont  plus  de  considération  dans  leur 
corps,  aussi  bien  que  de  mérite,  jettent  les  yeux  sur  M.  Le- 
fèvre.  Vous  pourrez,  monsieur,  vous  en  informer  plus  parti- 
culièrement à  votre  retour,  pour  en  rendre  compte  au  roi,  et 
je  sais  seulement  qu'il  a  de  la  capacité,  que  c'est  le  seul  profes- 
seur qui  enseigne  nos  maximes,  et  qu'il  est  très-juste  d'inter- 
rompre la  prescription  que  le  collège  de  Sorbonne  prétendi-ait 
avoir  acquise  par  l'élection  ou  par  la  nomination  que  l'on  a 
faite  des  derniers  syndics  ;  et  si  on  laisse  faire  ces  messieurs, 
après  la  dernière  épreuve  que  l'on  a  faite  de  leurs  forces  il  y  a 
lieu  de  croire  qu'ils  feront  encore  sur  ce  sujet  une  bonne  par- 
tie de  ce  qu'ils  entreprendront  pour  le  bien.  Je  suis  avec  res- 
pect, e'x.  (Bib.  imp.  Ms.  Harlay  Saint-Germam  163.) 

Note  du  procureur  de  Harlay. 

«  N'étant  pas  à  propos  que  ces  bous  docteurs  sortent,  en  au- 
cune manière,  de  la  dépendance  du  parlement,  qu'ils  doivent 
reconnaître  comme  leur  juge,  n  (Bib.  imp.  Ms.  Harlay  Saint- 
Germain  165.) 

Chanson  (sur  l'air  de  :  0  Fïlii  et  Filise)  sur  les  propositions 
du  c'ergé  de  France,  1682. 


ÔIU  LA   VKRllE  ITomeVlU. 

Les  ilocleurs  avaienl  de  l'esprit, 
El  l'on  croyait  au  Sainl-Esprit  : 
L'archi'vêqiie  a  changé  cela, 
Alléluia  ! 

La  Sorbonne  défend  la  foi. 
Et  le  dericé  l'édil  du  roi  : 
Ou  ne  sait  qui  l'emporlera, 
Alléluia  ! 

Harlny,  La'^haise  et  Champvalon, 
El  le  président  de  Novion, 
N'ont  voulu  que  le  roi  cédât, 
Alléluia  ! 

Qu'on  nous  tienne  pour  insensés 
S'ils  sont  jamais  canonisés, 
A  moins  d'un  bon  mea  culpa, 
Alléluia! 

(A  la  Bibliothèque  impériale.  Manuscrit  intitulé  :  Recueil  de  chan- 
S071S  ClfiirambauU,  tome  u,  année  ^687.) 

(Concluons  :   1°  11  est  clair,  d'après  les  documents  relatés, 
(ju'au  moment  où  fut  arrachéo  la  pièce  contre  la  censure  du 
concile  national  de  Hongrie,  la  Faculté  n'agissait  plus  libre- 
ment. 2"  On  ne  peut  pas  dire  que  les  assemblées  de  cette 
époque  représentassent  la  Faculté.  Les  160  docteurs  apparte- 
nant aux  Ordres  religieux  avaient  été  éliminés.  De  plus,  deux 
docteurs  du   clergé  séculier,   qui  avaient  osé  dire  leur  senti- 
ment sur  les  quatre  articles,  venaient  d'être  exilés,  comme  les 
liait  qui  l'avaient  été  précédemment.  On  doit  tenir  pour  cer- 
tain quun  très-grand  nombre  s'abstinrent  d'assister  aux  as- 
semblées, n'y  pouvant  plus  émettre   impunément  leur  opi- 
nion. En  un  mot,  ce  n'était  plus  la  Faculté.  3"  Ce  qui  étonne, 
c'est  que,  sous  cette  pression  et  malgré  ces  périls,  il  y  ait 
encore  eu  dans  ces  réunions  une  si  forte  résistance.  Les  mi- 
nistres ne  purent  arracher  la  pièce  qu'après  des  débats  qui 
occupèrent  quarante-cinq  séances.  Et  le  docile  Pirot  lui-même, 
accusé  de  manquer  de  zèle  pour  le  service  du  roi,  comme  ou 
disait  alors,   donna  sa  démission.  11  ne  faut  pas  que  ce  nom, 


Dec.  18G3.}  I  SUR   LÀ   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   PARIS.  5-i  t 

un  de  ceux  qui  personnifient  la  conciliation  et  la  docilité, 
échappe  à  la  justice  de  l'Histoire.  Nous  lui  infligeons  les  lignes 
suivantes  de  l'abbé  Legendre,  qui  partageait  comme  lui  les 
faveurs  de  l'indigne  et  méprisable  archevêque  de  Paris,  M.  de 
Harlay  : 

«  Si  des  gens  comme  Lenoir  criaient  avec  violence  contre 
M.  de  Harlay,  il  y  eu  avait  d'autres,  comme  les  docteurs  eu 
théologie  de  la  Faculté  de  Paris,  qui,  avec  plus  de  retenue,  se 
plaignaient  aussi  de  lui.  Ces  docteurs  disaient  qu'il  opprimait 
leur  liberté,  jusque-là  qu'il  ne  leur  laissait  pas  le  choix  de 
leurs  oflBciers.  11  y  avait  du  vrai  dans  ces  plaintes,  car,  selon 
les  lois  et  l'usage  de  la  Faculté,  le  syndic,  qui  en  est  le 
principal  officier,  doit  être  élu  tous  les  deux  ans  à  la  pluralité 
des  voix,  ait  rnativement  entre  les  docteurs  ubiquhtes,  c'est- 
à-dire  ceux  qui  ne  sont  d'aucune  maison,  et  les  docteurs  qui 
sont  ou  de  la  maison  de  Sorbonne  ou  de  la  maison  de  Na- 
varre; et  le  docteur  Pirot,  non  du  gré  de  la  Faculté,  mais  par 
la  volonté  de  M.  l'archevêque,  fut  syndic  plus  de  vingt  ans  de 
suite...  Son  principal  talent  était  d'être  souple,  rampant  et  prêt 
à  tout  faire  pour  plaire  aux  puissances.  C'était  à  ces  conditions 
que  Mgr  l'archevêque,  tant  de  sa  propre  autorité,  que  de  celle 
du  roi^  l'avait  fait  maintenir  syndic.  Cela  s'appelait  parmi  les 
docteurs  exercer  sur  eux  une  sorte  de  tyrannie  ;  mais,  à 
l'archevêché,  on  disait  qu'en  user  ainsi  c'était  une  sage  pré- 
caution pour  introduire  l'ordre  dans  une  compagnie  où  il  n'y 
en  avait  quasi  jamais  eu.  »  {Mémoires  de  l'abbé  Legendre,  p.  31 
et  52.) 

Avant  de  terminer,  nous  écarterons  une  autre  calomnie,  la 
prétendue  adhésion  que  la  Faculté  aurait  donnée  à  Vappel  au 
futur  concile,  le  8  octobre  1688.  Comme  tout  le  monde,  j'avais 
été  induit  en  erreur  par  les  documents  des  procès -ver  bjux  des 
assemblées  du  clergé  (tome  v,  page  314  et  suiv.  des  Pièces  jus- 
tificatives). On  y  voit  qu'en  efifet  le  parlement  et  le  roi  interje- 
tèrent appel  au  futur  concile,  le  "27  septembre  1688.  Puis 


512  LA    VÉRITÉ  [TomnYlIÎ. 

on  trouve  cel  extrait  des  registres  de  l'Université  de  Paris  : 
«  L'an  1688,  le  huitième  jour  du  mois  d'octobre,  avant 
raidi,  rUaiversité  de  Paris  s'est  assemblée  avec  un  nombre 
d'autant  plus  grand  de  docteurs  et  de  maîtres  des  différentes 
Facultés,  que...  ;  pour  entendre  ce  que  M.  de  Harlay...  avait 
k  dire  à  la  compagnie  de  la  part  de  Sa  Majesté...  Après  qu'il 
s'est  assis  dans  la  chaise  qui  lui  avait  été  préparée,  il  a  dit 
qu'il  avait  une  lettre  du  roi  à  rendre  à  l'université,  et  a  mis 
entre  les  mains  de  M.  le  recteur  une  lettre  de  cachet,  dont  la 

suscription Et   au   dedans  était    écrit....   Laquelle  lettre 

ayant  été  lue,  ledit  sieur  procureur  général  a  dit Mon- 
sieur le  procureur  général  ayant  fini  son  discours...,  le  rec- 
teur est  allé  à  tous  les  chefs  d'ordre  pour  demander  leur  avis, 
et  tous  ces  chefs,  ayant  conféré  chacun  avec  son  ordre,  et 
mûrement  délibéré  {\),  les  avis  étant  recueillis,  et  le  rapport  en 
étant  fait  par  les  doyens  de  la  sacrée  Faculté  de  théologie,  de 
la  très-savante  Faculté  de  droit,  de  la  trè.s-salutaire  Faculté  de 
médecine,  et  par  les  procureurs  des  quatre  nations  :  de  l'ho- 
norable nation  de  France,  de  la  très-fidèle  nation  de  Picardie, 
de  la  vénérable  nation  de  Normandie,  et  de  la  très-constante 
nation  d'Allemngne,  le  dit  sieur  recteur,  du  consentement 
général  de  tous  les  ordres,  a  dit....  Ce  discours  étant  fini, 
on  a  pntendu  de  tous  côtés  cette  acclamation  générale  :  Nous 
sortîmes  tous  de  cet  avis,  novs  sommes  prêts  d'adhérer  à  l'appel.  » 
Le  commun  des  lecteurs  s'imaginera  que  lo  Faculté  de 
théologie  était  suuîsauiment  représentée  dans  cette  assemblée 
de  rCniversité,  pour  que  l'adhésion  enthousiaste  à  l'appel 
doive  lui  être  attribuée;  et  j'avoue  que  j'y  avais  été  pris  moi- 
même.  Voici  la  pièce  inédite  qui  m'a  désabusé. 

«  Au  procureur  général.  —  H  octobre  1688.  —  Le  roi  a 
fort  approuvé  le  discours  que  vous  avez  tenu  à  l'université,  et 
Sa  Maji-sté  trouve  bon  que  vous  le  fassiez  imprimer,  pour  le 

(I)  Ce  mot  fsl  risiblo  irj.  Tout  fut  bach'^  en  un  i^slant  s;'ance  te- 
nante. 


Dec.  1863.]  SLR  LA  FACULTÉ  DE   TD-^OLOGIE  DK   PARIS.  5^,l 

rendre  public.  Riais  clic  ii'eslime  pas  à  propos  que  les  dépu- 
tes des  Facultés  de  droit,  de  médecine  et  des  arts,  donnent  part 
à  leurs  corps  de  ce  qui  s'est  passé  dans  l'assemblée  générale, 
parce  qu'elle  ne  prévoit  pas  qu'on  puisse  prendre  assez  de  con- 
fiance aux  assurances  que  quelques  docteurs  de  la  Faculté  de 
théologie  ont  données,  pour  hasarder  la  même  chose  à  l'égard  de 
ladite  Faculté.  »  [lîcg.  sec?xUariat,  1688,  0,  folio  265  vei^so, 
A7'chives.  —  A  la  Biblioluèque  impériale.) 

A  l'aide  de  ce  document  on  voit  que  l'adhésion  donnée  à 
l'appel  dans  l'assemblée  générale  de  tous  les  corps  de  l'uni- 
versilé,  n'implique  pas  du  tout  l'adhésion  de  la  Faculté  de 
Théologie.  1°  Il  y  eut,  il  e=t  vrai,  à  celte  assemblée,  des  dé- 
putés de  la  Faculté  de  Théologie,  comme  de  celle  de  mé- 
decine et  des  autres;  mais  la  Faculté  elle-même  ne  s'y  trouvait 
pas.  2°  Ces  députés  étaient  envoyés  pour  recevoir  la  commu- 
nication que  M.  de  Harlay  avait  à  faire  de  la  part  du  Roi;  mais 
ils  n'avaient  aucun  mandat  pour  agir  au  nom  de  leurs  corps 
respectifs.  Les  députes  purent  exprimer  leur  sentiment  per- 
sonnel, mais  non  celui  de  la  Faculté  qui  les  avait  envoyés.  La 
preuve  c'est  la  mesure  proposée  par  de  Harlay:  il  voulait  que 
les  députés  fissent  leur  i-apport  à  leurs  facultés  respectives  de 
ce  qui  s'était  passé  à  l'assemblée  générale  du  8  octobre  1688, 
atin  que  celles-ci  ratifiassent  l'adhésion  à  l'appel.  3"  IMais  le 
roi  craignit  d'échouer  auprès  de  la  Faculté  de  Théologie  ;  il 
ne  voulut  pas  hasarder  la  chose  à  l'égard  de  ladite  Faculté. 
Et  pour  cette  raison,  la  mesure  proposée  par  de  Harlay  n'eut 
lieu  pour  aucune.  4"  11  est  donc  certain  que  la  Faculté  de 
Théologie  n'a  fa^t  aucune  adhésion  au  schismatique  appel  de 
1G88.  Je  voudrais  qu'il  fût  aussi  facile  d'excuser  entièrement, 
par  rapport  à  cet  appel,  les  prélats  de  l'assemblée  qui  se  tint 
à  la  môme  époque. 

Conclusion.  —  Noire  lâche  est  terminée.  Nous  croyons 
avoir  démontré  qu'on  a  fait  endosser  à  tort  à  la  Faculté  de 
théologie  de  Paris  les  six  articles  de   16G3,  les  quatre  articles 

HEVUE  tes  SciF.NCES  iiCCI-tSIASTlCUES,   T.   V!II.  33-34. 


5^4  LA   VÉRITÉ   SUR   LA    FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE.         [Tome  VllI. 

de  4682,  en  un  mot,  l'égarement  doctrinal  qu'on  a  coutume 
de  désigner  par  la  formule  de  système  gallican.  Les  défenseurs 
de  ce  système  avaient  intérêt  à  se  couvrir  d'une  si  grande 
autorité.  Ils  l'ont  fait  à  leur  aise  et  sans  contradiction.  Les 
faits  avaient  été  défigurés,  et  le  mensonge  avait  passé  dans 
l'Histoire  comme  à  l'état  de  certitude.  Désormais,  au  nom  des 
pièces  sorties  enfin  du  mystère  profond  où  l'esprit  d'opposi- 
tion au  Saint-Siège  les  avait  si  soigneusement  ensevelies,  nous 
demandons  que  la  vérité  soit  rétablie.  Assurément,  ces  pièces 
ne  nous  montrent  point  la  Faculté  de  théologie  de  Pari?  saine 
et  irréprochable  de  tout  point.  Mais  ses  défaillances  ne  furent 
pas  les  énormes  chutes  qu'on  a  inscrites  sous  son  nom.  Le 
chancre  du  jansénisme  et  du  régalisme  !'a  rongée  et  défigurée  ; 
beaucoup  de  ses  membres  en  furent  atteints;  mais  la  majo- 
rité résista  aux  terribles  influences  de  ces  épidémies  du 
temps.  D'autre  part,  le  lecteur  voudra  bien  ne  pas  oublier 
que  nous  avons  fixé  la  période,  objet  de  nos  appréciations  ; 
elles  se  renferment  entre  ces  deux  dates  :  1603  et  1682.  Que 
postérieurement  à  16S2  elle  ait  sombré  complètement  dans 
le  gallicanisme,  nous  ne  l'examinons  pas  ici.  Nous  disons 
qu'avant  i6S2,  et  malgré  les  quatre  articles  de  la  célèbre  as- 
semblée, le  naufrage,  c'est-à-dire  la  profession  du  gallica- 
nisme, n'avait  pas  eu  lieu.  Car  nous  comptons  pour  rien  le 
vertige  momentané,  et  désavoué  presque  aussitôt,  dout  elle  fut 
saisie  sous  l'influence  de  Gerson  (I)-. 

D.  Bouix. 


(!)  I.ts  [)icces  inédiles  ci'.éesdans  noire  Iravaii,  el  qui  en  font  toule 
la  valeur,  nous  ont  clé  fournies  par  AI.  Charles  Gérin.  On  a  de 
M.  Cliarles  Géria  une  disserlalion  sur  la  préicntlue  Pragmatique 
sanction  de  saint  Louis.  Des  écrivains  modernes,  entre  aiUrcs 
M.  Toinassi.  avaient  déjà  prouvé  la  fausseié  de  ce  trop  célèbre  docu- 
menl.  A  l'aide  de  nouvelios  recherches,  M.  Charles  Gérin  a  porté  la 
défflonstraîion  jusqu'à  l'évidence.  Ainsi  s'écroule  pour  jamais  un  des 
principaux  appuis  du  livre  de  la  Déftnse,  alU'ibué  à  Bossuel. 


LA    BIBLE 


ET    LA    SCIENCE    DE    LA    NATURE. 


BiBEi,  DND  NATL'R.  Vorlesuugen  ûber  die  rnosaiclie  Urgeschicbte  uud 
ihr  Verliaelluiss  zu  den  Ergebnissen  der  Nalurforschung.  Von  D'  F. 
H.  REUscn.  Freibiirg,  Herder,  1862, — Cosmogonia  natuiule  coiuparata 
col  Geucsi,  del  P.  G.  B.  Pianciani,  D.  G.  D.  G.  Roma,  coi  lipi  délia 
Civillù  cattolica,  1862.  —  Etudes  géologiques,  pbilologiques  et  scrip- 
turales sur  la  Cosmogouie  de  Moïse,  par  le  P.  Lauhent,  prov.  des 
FF.  Min.  Capucins.  Paris,  Mme  veuve  Poussielgue-Rusaud,  18G3. 


Troisième  article. 


V. 


Reprenons  la  suite  du  récit  gcnésiaquc. 

«  3.  Et  Dieu  dit  :  Que  la  lumière  soit  !  Et  la  lumière  fut. 

«  4.  Et  Dieu  vit  que  la  lumière  était  bonne,  et  il  sépara  la 
lumière  des  ténèbres  ; 

«  5.  Et  il  appela  la  lumière  jour,  et  aux  ténèbres  il  donna 
le  nom  de  nuit,  et  le  soir  vint,  puis  le  malin  :  ce  fut  îe  premier 
jour.  » 

Ici  commence àproprement  parler  l'histoire  denotre  monde. 
La  courte  introduction  qui  précède  nous  a  fait  voir  la  matière 
comme  un  mélange  confus,  enseveli  sous  la  masse  aqueuse, 
enveloppé  dans  les  ténèbres:  c'est  le  chaos,  c'est  la  mort, 
mais  le  chaos  qui  précède  l'ordre,  et  la  mort  qui  précède  la 
vie,  car  l'Esprit  vivificateur  est  là,  avec  son  activité  féconde. 
Tout-à-coup  la  parole  divine  se  fait  entendre,  ce  sombre  voile 
de  ténèbres  se  déchire,  et  la  lumière  resplendit  sur  l'abimc. 
L'historien  sacré  rend  en  deux  coups  de  pincerai  inimitables 


5i6  LA   BIBLE  |To!neVlII. 

cette  scène  grandiose.  Notre  langue  îie  peut  exprimer  le  tour 
vif  et  rapide  que  présente  le  texte  original. 

Ces  authropomorphismes  qui  prêtent  à  Dieu  une  boticlic  et 
des  paroles,  des  mains  pour  agir,  des  yeux  pour  voir,  etc., 
sont  une  des  particularités  les  plus  fréquentes  du  style  bibli- 
que. Nous  la  rencontrerons  dans  tout  le  cours  de  ce  récit.  Le 
langage  abstrait  de  la  raison  est  bon  pour  les  écoles  de  méta- 
physique :  il  n'a  ni  la  même  énergie,  ni  la  même  vivacité  que 
celui  qui  parle  aux  sens  et  à  rimagination,  et  qui  peint  en 
quelque  sorte  les  choses  ;  il  est  d'aillenrs  très-peu  accessible 
aux  masses.  La  vraie  notion  de  Dieu  n'est  point  altérée  par 
ces  images.  Elle  ne  le  serait  que  par  une  interprétation  stupi- 
dement littérale,  contre  laquelle  protestent  et  les  idées  reli- 
gieuses contenues  dans  la  Genèse  et  dans  tout  le  Pentateuque, 
etla  teneur  mèii;e  de  celte  narration  qui  nous  occupe.  Un  écri- 
vain qui  se  fût  réellement  représenté  Dieu  sous  une  forme 
humaine  n'eût  point  conçu  l'idée  de  création  :  il  n'eût  pas 
davantage  écrit  la  phrase  célèbre  qui  caractérise  si  bien 
l'essence  métaphysique  du  Souverain-Etre  :  Je  suis  celui  qui 
suis  (I).  Ceci  soit  dit  en  passant  et  sous  forme  de  simple  obser- 
vation, pour  les  esprits  attardés  qui  trouveraient  encore  du  sel 
dans  les  froides  plaisanteries  de  Voltaire. 

Donc,  au  commandement  divin  la  lumière  jaillit,  les  ténèbres 
se  voient  disputer  une  partie  de  leur  empire  :  elles  alterm-ronl 
désormais  avec  la  clarté  du  jour.  Mais  comment  s'établit  cette 
alternative?  Comment  la  lumière  peut-elle  régner,  alors  que 
le  soleil,  la  bine  et  les  astres  ne  sont  point  créés  encore  et  ne 
le  seront  qu'au  quatrième  jour?  Il  est  évident  que  la  difïusion 
de  la  lumière  dut  être  assujettie  dans  le  principe  à  des  condi- 
tions spéciales.  Cette  circonstance  n'a  pu  échapper  ni  à  l'auteur 
inspiré,  ni  à  ses  prem.iors lecteurs.  Comment  n'auraient-ils  pas 
vu  que  les  astres,  créés  au  quatrième  jour,  comme  il  est  ra- 
conté quelques  lignes  plus  loin,  n'ont  pu  auparavant  éclairer 

[\)  Ey.  m, -14. 


Dec  181)1.]  ET   LA   SCIENCE   DE    LA   NATLUE,  V)\7 

le  monde?  Ils  ont  assurément  remarque  la  diiiicuKé  :  ils  ont 
eu  leur  solution,  leur  manière  d'entendre  la  chose.  Aujour- 
d'hui, la  physique  nous  enseigne  que  la  lumière  est  due  à  nu 
iluidc  spécial  répandu  dans  l'atmosphère  et  mis  en  vibration 
par  les  corps  célestes.  Rien  de  plus  IHcile  à  expliquer,  par 
conséquent,  que  la  présence  de  la  lumière  indépendamment 
de  toute  influence  sidérale  :  il  sutfit  d'admettre,  pour  les  trois 
premiers  jours,  un  moteur  difTérent.  Lequel,  nous  n'en  savons 
rien,  mais  qu'importe?  Nous  savons  en  général  que  la  chose 
est  possible,  et  c'est  assez.  Admirons  comment  Thistorien  sacré 
a  devancé  des  théories  qu'il  ne  pouvait  ni  connaître,  ni  deviner. 
Il  énonce  un  fait  qui  pendant  de  longs  siècles  semble  contrarier 
toutes  les  idées  reçues:  nous  disons  semble  contrarier,  car 
on  pouvait  trouver,  même  alors,  des  explications  très-raison- 
nables et  très-plausibles,  mais  enfin  il  y  avait  là  une  diiliculté. 
Et  voilà  que  les  derniers  progrès  de  la  science  viennent  jeter 
un  jour  inattendu  sur  ces  paroles  longtemps  enveloppées 
d'obscurité  ;  ils  nous  en  montrent  la  parfaite  exactitude  dans 
le  sens  le  plus  simple  et  le  plus  littéral.  On  reconnaît  ici  cette 
inspiration  supérieure  qui  guide  l'écrivain.  Un  poète,  un  in- 
venteur de  cosmogonie,  n'aurait  point  songé  à  faire  paraître 
lahimière  avant  le  soleil  :  il  eût  regardé  cela  comme  unccueil 
et  un  manque  de  vraisemblance. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  probable  que  Moïse  n'a  point  péné- 
tré le  sens  si  profondément  vrai  que  nous  attachons  maintenant 
à  cette  partie  de  sa  lîarralion,  car,  oh  ne  saurait  trop  le  redire, 
le  don  de  l'inspiration  n'a  point  direclemert  pour  objet  des 
vérités  scientifiques  :  les  écrivains  inspirés  étaient  à  cet  égard 
dans  la  même  situation  que  leurs  contemporains,  sauf  un 
secou.rs  tout  négatif  dont  nous  avons  précédemment  indiqué 
la  portée.  H  aura  donc  pu,  avec  ses  lecteurs,  ne  penser  à 
aucun  mode  déterminé  de  transmission  de  la  lumière  pen- 
dant les  premiers  jours,  et  croire  simplement  la  chose,  en  s'en 
rapportant  à  la  puissance  divine;  ou  bien  encore,  penserqu'une 


5i8  LA    BIBLE  [TomeVIIt. 

masso  luminense  avait  été  créée  dès  le  premier  jour,  et  divisée 
au  quatrième  pour  former  notre  système  plauctairs.  C'est 
l'explicatiou  à  laquelle  se  sont  arrêtés  beaucoup  de  Pères  de 
rj'^glise  et  d'anciens  commentateurs  (1).  Au  reste  tout  ceci  im- 
porte fort  peu  :  l'esscutiel  est  que  le  texte  présente  un  sens 
correct  et  inattaquable.  Or,  uon-seulemeatil  eu  est  ainsi,  mais 
par  un  effet  bien  remarquable  de  l'inspiration,  il  anticipe  en 
quelque  sorte  sur  les  progrès  de  la  science,  qui  lui  apporte 
après  plus  de  trente  siècles  une  éclatante  confirmation. 

Quelques  interprètes,  et  parmi  eux  des  écrivains  autorisés, 
ont  cru  que  les  astres  furent  créés  dès  le  premier  jour,  mais  que 
l'atmosphère  encore  épaisse  ne  laissait  pénétrer  quela  lumière 
diffuse,  comme  il  arrive  quand  le  temps  est  brumeux.  Au  qua- 
trième jour  seulement,  l'atmosphère  se  trouva  dans  des  con- 
ditions suffisamment  favorables  pour  qu'un  observateur  placé 
sur  la  terre  pût  les  apercevoir.  Avant  leur  appariti  jn,les  astres 
n'exislaient  point  pour  notre  globe  :  c'est  donc  réellement  alors 
qu'ils  furent  créés  pour  lui,  et  c'est  dans  ce  sens  que,  par  une 
figure  toute  naturelle  et  toute  simple,  l'historien  emploie  le 
mot  de  création  (2). 

(!)  «  Torlio  et  opliiue,  Beda,  Hugo,  Magister,  S.  Thomns,  S.  Bona- 
venlura,  Lyianus,  Abuleosis,  el  favel  S.  Dyonisiiis?;iipia,  pulanl  lucem 
hàiic  fuisse  corpus  lucidura;  sive  cœli,  aul  potius  abjssi  lucidara 
parleiii,  quœ  in  circuli  aul  columnae  speciem  conforniata  orbi  praeful- 
scril,  qiiœqiie  fuerit  instar  maleriœ  ex  qiia  posiœotiurji  in  partes  dis- 
lincta  el  divisa,  adaucla  el  veluL  in  igiieos  globos  fabrieaia,  sol,  luna 
et  sielke  facia;  fueriul.  Uude  IS.  Uionias  ail  hanc  iucem  fuisse  ipsum 
solem  adhuc  iiirt)imem  et  impeifeclum.  Idem  asicril  Pcierius  el  aiii.  » 
Cornélius  a  Lapu/e,  in  li.  1. 

(2)  «  D'aulres  ODl  pensé  que  la  lumière  (cri't'e  au  premier  jour)  tîlait 
tout  simplement  celle  du  soleil,  opinion  qu'ils  irouvaienl  dans  les 
éirils  connus  sous  ie  nom  de  S.  Dcnys  l'artopagile.  Cesealiment  eut 
l'approbalion  des  anciens  rabbins,  amsi  que  le  rapporte  Maïaionide.  Il 
plul  égaleniciil  au  Docleur  angôlique.oonmie  aussi  à  Siouchus  Mufiu- 
binus,  Calarinus,  Pererius  el  autres.  »  (Pianciani,  Cusmogonia.,  p.  528.) 
Cfr.  Reusch,  Bibcl  tind  Nulur,  p.  233.  Wisenian,  Discours  sur  les  rap- 
ports entre  la  science  et  la  religion  révélée^  col.  160   (éd.  Aligne, 


Dde.  «803.1  F.T   LA   SCllîNCE   DE    LA    NATURE.  519 

Ce  sens,  il  faut  en  convenir,  e;t  Lieu  peu  naturel.  «  Dieu 
dit:  Qu'il  y  ait  des  astres  dans  le  tiimament,  pour  diviser  le 
jour  et  la  nuit  (v.  4).  »  Comment  voir  sous  ces  paroles  un 
simple  lever  de  rideau,  au  lieu  de  l'acte  créateur  auquel  les 
astres  doivent  leur  existence?  Évidemment  nous  sommes  en 
présence  d'un  essai  de  conciliation  entre  l'œuvre  du  premier 
jour,  et  celle  du  quatrième,  mais  cet  essai  a  le  tort  de  ne  pas 
se  i)réoccuper  suffisamment  du  texte.  Mieux  vaut  avouer  son 
ignorance,  et  renoncer  provisoirement  h  une  solution  que  de 
donner  aux  mots  un  sens  arbitraire  et  forcé.  Une  difficulté, 
une  olîscurité  même  en  apparence  insoluble  n'ont  rien  qui 
puisse  nous  effrayer.  L'autorité  divine  de  la  Bible  ne  tient  pas 
à  si  peu  de  chose,  et  notre  foi  est  assez  solide  pour  ne  point  se 
laisser  ébranler  par  un  atome. 

La  formule  du  v.  8,  répélée  après  chaque  création  nouvelle, 
a  été  souvent  inlerprètée  d'une  manière  inexacte.  Il  faut  tra- 
duire à  la  lettre  :  Et  il  fui  soir,  et  il  fut  matin,  un  jour  ;  c'est-à- 
dire,  le  soir  arriva,  et  le  matin  à  son  tour  ayant  mis  fin  à  la 
nuit,  le  premier  jour  fut  complet.  Le  nombre  cardinal  est  em- 
ployé pour  le  nombre  ordinal,  unus  louc primus  :  le  soir  et  le 
matin  désignent  respectivement  la  fin  du  jour  et  la  fin  de  la 
nuit,  dont  la  réunion  constitue  le  jour  civil,  le  jour  de  vingt- 
quatre  heures.  Ainsi,  d'après  cette  manière  de  compter  qui 
est  la  vraie,  le  premier  jour  commence  avec  l'explosion  sou- 
daine de  la  lumière  :  c'est  la  clarté  qui  ouvre  cet  r,acpovuxTiov, 
ce  sont  les  ténèbres  qui  le  terminent  ;  il  expire  à  l'aube  du  jour 

Déra.  é\.,  l.  xv).  C'est  à  lort  néanmoins  que  le  savant  cardinal  cite 
comme  ét:nu  de  celte  opinion  Origène,  S.  Césaire  el  S.  Basile.  Le  pre- 
mier c'jl  peu  explicile  (Periarchon,  1.  i,  c.  -16)  :  les  deu.\  autres  sont 
décidément  conire  el  ne  la  mentionnent  même  pas. (S.  Cœs.,  Dial.  i,in- 
terrog.  89,  93,  94.  S.  Basil.  Hexaem,  hom.  ii.)  S.  Basile  a  sur  la 
nature  de  la  lumière,  el  le  rapport  de  i'œuvre  du  premier  jour  avec 
celle  du  quatrième  un  passage  très-remarquable  que  l'on  croirait 
écrit  d'après  les  idées  aujourd'hui  reçues  en  physique.  Il  se  trouve 
dans  l'homélie  vi  de  VHexaémcron,  éd.  des  Bénéd.,  t.  i,  page  51. 


520  LA    BIBLH  [TùineVIlI. 

suivant.  Les  jours  de  la  création  vont  donc  d'un  aurore  à 
une  autre  aurore,. ils  embrassent  la  période  marquée  parla 
succession  de  la  lumière  et  des  ténèlires.  Tel  est  le  sens  très- 
simple  des  paroles  de  Moïse,  comme  l'ont  très-bien  vu  Hofmann, 
Kurtz,  Deliizscli,  Keil,  Reusch;,  Pianciani,  et  comme  plusieurs 
anciens  Tavaient  avant  eux  rcmanjr.é  (1). 

(I)  Les  Pères  de  l'Eglise  onl  ici  devancé  les  nioleriics.  Voici, 
par  exemple,  comment  S.  Ambrolse  explique  ce  passage  :  «  QuEeruril 
aiiqui,  car  prius  vesperum,  poslea  mane  Scriplura  uienioraveiil,  ne 
forie  noclem  priusqiiam  diem  signifiraie  viileniur,  Nec  adveriunl 
primo  quoi  ptfcmiseril  diem,  dicendo  :  El  vocaril  Deus  lucem  dicm, 
et  tenebras  vocovit  noriem  :  deinde  qiiod  vesper  liais  diei  sil,  el  mane 
iinis  nocîis...  Piinijiium  ergo  diei,  vox  De:  csl  :  Fiat  lux,  et  Jacta 
est  lux.  Finis  diei  vi-sper  est.  Jam  sequens  dies  ex  noclis  fine  succedit. 
Senlentia  aulem  Dei  cviiicn*:,  quia  diem  primo  vocavit  lucem,  el  se- 
cundo vocaviL  lencbras  noclom...  Pu'clire  ;iuum  viceni  uiramque 
uiiu:!i  dicuirus  diem,  malulino  line  coiiclusil,  ut  el  a  luce  inthoare 
dicni  doL'orel,  el  in  lucem  desinere,  ISon  enim  esl  inlcgrnm  diei  lem- 
pus,  Misi  el  nocUs  fueril  explelum.  Unde  et  nos  scniper  quasi  in  die 
honesie  ambulemus,  elabjiciamus  opéra  lenebrarum,  etc.  »  (S.  Anib., 
Hexaem.  1.  i,  c.  4  0.)  —  S.  Auguslin  donne  la  même  explicalion  : 
«  Idce  lenebree  (celies  qui  pTéi-cdèrcal  l'appaiilion  de  la.  lumière)  non- 
dum  traui  nox,  nondum  etiim  pra'cesserut  dies  :  divisil  quippe  Deus 
inler  lucem  el  lencbras,  cl  prias  lucem  voeavil  diem,  deiude  lenebras 
noclem  el,  fada  luce  usque  ad  alUrum  mane,  rommenioralus  esl 
dies  unus  :  mimifesluiu  esl  euim  iilos  du-s  a  luce  CEeiiisse  el  liansacla 
luce  usque  ad  niano  siiigulos  terminales.  >  (S.  Aug.,  Surm  lxxix,  de 
Divers.  Cfr.  de  Gen.  lonlr.  Munich.,  1.  ;,  c.  -10.)  On  peul  ciler  en- 
core dans  le  même  sens  Procope,  le  Vûi.  Bède  [Hexaem.,  I.  i),  Ho- 
iiorius  d'.Vulnn  {Hexaem.,  c.  m),  Pierre  Comeslor  {Hùt.  schoL,  lib. 
Gen.,  c.  m),  Plnlippe  de  Bonne-Espérance  [Ep.  \),  Nicolas  de  Lyra. 
Parmi  les  inlerprèles  plusrécenls,  voici  ce  qiiC  dit  Cornélius  a  Lapide  : 
«  Ilicdiem  et  noclem  persui  terminuin  vocal,  Yespere  el  Mane,  q.  d. 
Decurfo  jam  diei  curriculo  (quod  l'uil  ■ii2  horarum)  per  succedenlem 
vesperam,  el  pcraclo  quoque  noclis  spalio  (quod  pariier  12  iioraruai 
esl]  persuceedens  illi  mane,  complelus  esl  dics  primus  24  horarum  : 
ila  aEgidius  Uomniius,  i  pari.  Hexaem.  iv=  «  Cornélius  a  Lapide,  ia 
h,  1.  On  voil  que  celle  explicalion  n'esl  point  une  découverte  due  à  la 
s,agacilé  des  modernes,  comme  plusieurs  l'onl  pensé  (Keil,  Genesis, 
p.  IS),  ni  même  queiq^ie  chose  d'à  peu  près  inconnu  dans  la  Iradilion 
exi''g('liquc.  L'exégèse  a  beaucoup  a  gagner  par  l'élude  des  Pères  el 
des  anciens  coiiimcnlalcurs. 


Dec.  1S63  ET   L\    SCIENCE   DE   LA   NATURE.  r;2l 

C'est  la  seule  explication  qui  soit  philologiquemenl  bit-n 
fondée,  et  c'est  la  seule  aussi  qui  réponde  à  la  marche  des 
choses  telle  ([ue  lerécit  nous  la  représente.  On  iiailuit  viilyai- 
reraeut  :  Du  soir  et  du  matin  se  fit  le  premier  jour.  On  prétend 
que  le  soir  désigne  la  nuit,  que  le  malin  signifie  le  jour,  et 
que  la  réuuion  de  ces  deux  parties  constitue  le  jour  civil.  Mais 
pourtraduire  et  expliquerde  cette  manière,  ilfiuit  violeu'er  le 
sens  des  mots,  comoie  la  construction  de  la  phrase,  outre  que 
l'on  n'explique  point  pourquoi  la  nuit  vient  avant  le  jour.  Je 
sais  ijue  les  Hébreux  comptaient  de  la  sorte,  et  que  pour  eux 
le  jour  civil  commençait  le  soir;  mais  celte  coutume  n'était 
pas  le  moins  du  monde  basée  sur  le  récit  de  la  création.  Elle 
venait  de  ce  que  le  c;dendrier  et  toute  la  supputation  des 
temps  étaient  réglés  d'après  les  fêtes,  et  que  celles-ci  com- 
mençaient toujours  le  soir,  au  moînent  ou  cessait  le  travail  de 
la  journée.  Ici,  la  marche  de  la  narration  et  les  paroles  de 
l'historien  indiquent  un  mode  de  supputation  différent  :  le  pre- 
mier jour  s'onvrant  par  la  création  de  la  lumière,  il  n'a  point 
commencé  par  la  nuit.  Celle-ci  au  contraire  l'a  borné,  limité, 
et  ainsi  elle  forme  la  Irausilion  au  jour  suivant,  qui  à  son 
tour  s'ouvre  par  la  réapparition  de  la  lumière. 

Les  jours  de  la  création,  aux  termes  de  liofre  récit,  sont  donc 
marqués  par  la  succession  de  la  lumière  et  des  ténèbres.  11  est 
naturel  de  croire  qne  celte  succession  eut  lieu  dès  l'origine 
pendant  l'intervalle  que  la  terre  met  à  accomplir  une  révolution 
sur  son  axe.  C'est  ce  que  l'auteur  sacré  .«emble  indi(]uer  par 
CCS  (laroles  :  Et  il  sépara  la  lumière  des  ténèbres,  et  il  appela 
la  lumière  jour,  et  les  ténèbres  nuit,  et  le  soir  vint,  puis  le  ma- 
tin :  ce  fut  le  premier  jour.  L'impression  qui  résuite  de  ce  pas- 
sage, c'est  que  la  succession  régulière  du  jonr  et  de  la  nuit 
commença  dès  lors,  avec  les  mêmes  intervalles  ou  à  peu  près 
que  quand  cis  alternalives  furent  liées  à  d'autres  conditions 
cosmiques. 

Chacun  des  actes  de  la  création  se  rattache  à  l'une  de  cespé- 


322  LA    BIBLE  [Tome  VIII. 

riocles  diurnes  dont  on  vient  do  voir  l'onyine  et  qui  mesurent 
encore  aujourd'hui  notre  existence.  Sept  jours  enchaînés  entre 
eux  (l'une  manière  étroite  par  une  continuité  non  interrompue, 
foirucut  une  soiriainc  divine,  type  de  la  seuiaine  d'ici-bas,  de 
l'activité  qui  en  occupe  la  plus  grande  part  et  du  repos  <|ui  la 
couronne  en  la  sanctifiant.  Grande  leçon  que  Dieu  a  voulu 
doimer  à  l'homme,  et  dont  il  a  fait  consigner  le  récit  à  la  tête 
de  nos  livres  saints.  C'est  en  acte  le  commandement  promulgué 
sur  le  Sinai  :  Tu  travailleras  pendant  six  jours  et  tu  vaqueras  à 
tes  divers  travaux  ;  mais  le  septième  jour ^  c'est  le  Sabbat  de  Jé- 
hovuk,  ton  Dieu  :  tu  ne  feras  aucun  travail,  car  Dieu  a  créé  en 
six  jours  le  ciel,  la  ferre  et  la  mer,  et  tout  ce  quils  contiennent, 
et  il  s'est  reposé  le  septième  jour;  c'est  pourquoi  le  Seigneur  a 
béni  le  jour  du  Sabbat,  et  il  l'a  sanctifié  (1). 

On  le  voit:  tout  de  cette  manière  est  simjde,  régulier, 
harmonique  ;  le  récit  présente  une  application  naturelle  et 
saisissante.  Il  n'eu  est  plus  de  môme  s;,  conformément  à  une 
hypothèîe  qui  a  trouvé  et  qui  compte  encore  beaucoup  de 
partisans,  on  transforme  ces  jours  en  de  longues  [lériodes.  Et 
d'abord  sur  quoi  s'appuie-t-on  pour  entendre  de  la  sorte  un 
récit  dont  les  termes  on  ne  peut  plus  simples  paraissent  s'impo- 
ser par  leur  évidence  même? Le  mot  hébreu  iom.,  nous  dit-on, 
ne  signifie  pas  seulement  un  jour,  mais  aussi  une  période,  un 
espace  de  temps  plus  ou  moins  considérable.  De  même,  les 
mots  Erebcl  Baker,  soir  et  matin,  peuvent  signifier  aussi  mé- 
lange, confusion,  —  ordre,  disposition  régulière.  D'où  il  suit 
que  ces  paroles:  Et  il  fut  soir,  et  il  fut  matin,  un  jour,  jicuvent 
se  traduire  aussi  :  11  y  eut  désordre  et  confusion,  puis  ordre  el 
disposition  régulière,  ce  qui  conslilue  la  première  période. 
«Quiconque  n'est  point  absolument  élranger  à  la  connaissance 
de  l'hébreu  et  de  Texégèse,  dit  M.  Ileusch,  ne  peut  s'empê- 
cher de  sourire  de  pitié  en  entendant  débiter  sérieusement  de 

(!)  Cx.xx,  un. 


Dec.  1R03|  ET    LA   SCIENCt:    DE    l.K   NATURE  0-3 

pareilles  choses  (I).  »  Roprenons-lcs  une.  à  une  sans  nous  y 
arrêter  beaucoup,  car  vraiment  cela  n'est  pas  fort. 

Le  mot  lom  en  hébreu  sit^niHela  même  chose  que  notie  mot 
français  yof*;-  et  le  mot  lalin  dics  ni  plus,  ni  moins.  Il  désigne 
quelquefois  le  jour  lialurel,  qui  s'étend  depuis  le  lever  du  so- 
leil jusqu'à  sou  coucher,  le.  temps  de  la  lumière,  en  un  mot, 
par  opposition  h  celni  des  ténèbres,  ainsi  que  l'indique  le 
verset  même  qui  nous  occupe  :  Et  Dieu  sépara,  la  lumière  des 
ténèbres,  et  il  appela  la  Imnière  jour,  et  les  ténèbres  nuit.  Son- 
vent  aussi  il  désigne  le  jour  civil,  formé  de  la  rénnion  du 
jour  naturel  et  de  la  nuit,  et  embrassant  une  révolution  dinnie 
complète,  une  durée  de  vingt-quatre  heures.  Nous  le  voyons 
pris  immédiatement  dans  cette  seconde  acce[)tion  dès  ce  même 
verset  :  Et  il  fut  soir  et  il  fut  ma(in,  un  joxir. 

Voilà  le  sens  propre  et  primitif  du  mot  iom.  Cependant, 
comme  le  mot^oar  en  français  et  le  mot  dies  en  latin,  il  se 
prend  aussi  quelquefois  dans  une  acception  plus  large  où  il 
ne  conserve  guère  que  la  notion  générale  de  temps,  mais  cette 
acception  est  secondaire,  dérivée,  métaphorique,  et  elle  ne  se 
rencontre  que  dans  quelques  expressions  et  formules  particu- 
lières. Ce  n'est  donc  pas  un  usage  général  et  constant,  mais  un 
usage  particulier,  borné,  qu'il  ne  faut  point  étendre  en  dehors 
lie  ses  limites.  Ainsi  les  Hébreux  se  servent  du  mot  jour  au 
pluriel  comme  synonyme  de  temps,  parce  qu'en  effet  le  temps 
n'est  qu'une  colleclion  de  jours.  Le  temps  (uiot  à  mot  les  jours) 
que  David  régna  sur  Israël,  fui  de  40  années  (2).  Le  temps  lies 
jours),  des  années  de  votre  vie  (3).  Très-souvent  on  trouve  : 
dans  ces  jours-là,  pour  :  en  ce  temps-là,  etc.  Ici,  à  la  rigueur,  le 
mot  peut  conserver  sa  signification  propre,  et  d'ailleurs  ces 
exemples  ne  prouvent  point  pour  le  singulier.  On  en  cite  d'au- 


(!)  Bihel  und  Naiur,,  p.  12S*. 
[i)  Reij.  1  (Vuig.  5  7{e(7.),  n,  W. 
{3j  Gcn.  XLvn,  8. 


o2-î  L\   BIBLE  [Tume  Vilt. 

très:  par  exemple,  la  formule  qui  revient  si  souvent  chez  les 
prophètes,  en  ces  jours-là,  c'est-à-dire  au  temps  du  Messie;  le 
jour  ou  vous  mangerez  de  ce  fruit,  vous  mourrez  (I)  ;  Le  jour  ou 
Jéhovah-Élokim  créa  le  ciel  et  la  terre  {•!).  Les  Hébreux  parlent 
aussi  du  jour  de  la  captivité,  du  jour  du  Seigneur,  comme 
nous  parlons  du  jour  du  combat,  du  jour  de  la  victoire,  etc. 
Mais  ces  locutions,  qui  se  rencontrent  plus  ou  moins  dans 
toutes  les  langues,  ont  un  caractère  spécial  qui  ne  peut 
échapper  à  personne,  et  aucune  ne  présente  une  analogie 
véi'itable  avec  le  texte  que  nous  expliquons.  Ajoutons  que 
l'auteur  de  la  Genèse  semble  s'être  entouré  de  toutes  les  pré- 
cautions pour  n'être  point  mal  compris.  A  coup  sûr,  il  n'y  a 
pas  songé,  mais  s'il  en  avaiteu  rinleulion,  il  n'aurait  pu  choi- 
sir des  termes  plus  clairs.  Ainsi  les  jours  sont  ênumérés, 
comp'és,  distingués,  ce  qui  indique  une  signification  précise 
et  arrêtée,  et  non  pas  cette  extension  plus  vague  qui  se  ren- 
conlre  en  certains  cas.  C'est  le  premier,  le  second,  le  troisième 
jour,  et  ainsi  de  suite  jus(ju'au  septième.  Enfin,  l'auteur  a 
soin  d'indiquer  la  limite  de  chacun  des  jours  génésiaques,  à 
savoir  le  retour  de  !a  lumière  qiii  commence  le  jour  suivant: 
ce  sont  des  jours  qui  vont  d'un  matin  à  un  autre  matin,  et  par 
conséquent  des  jours  calculés  d'après  notre  mesure,  des  jours 
semblables  aux  noues. 

Il  est  plaisant  de  voir  par  quels  moyens  des  auteurs  moins 
exacts  que  féconds  en  ressources,  se  débarrassent  des  termes 
de  soir  et  de  matin,  qui  dérangent  leurs  calculs.  On  a  recours 
à  je  ne  sais  quelles  conjtM'tures  étymologiques,  qui  n'oni  même 
pas  le  mérite  de  s'appuyer  sur  des  données  exactes,  et  qui  en 
tout  cas  sont  dénuées  de  toute  valeur,  car  enfin  ce  n'est  pas 
l'étyniologie  qui  règle  le  sens  âes  mots,  c'est  l'usage.  Avec  des 
procédés  de  ce  genre,  on  peut  tirer  tout  ce  qu'on  veiit  d'un 


(I)  Gcu.  n,  17. 
(2'  Geii.  u,  4. 


Dec.  1SC3,]  ET  LA   SCIENCE   DE   LA  NATURE.  5?5 

texte  quelconque.  Erch,  dans  l'usage  de  la  langue  hébraïque 
signifie  le  soir,  el  pas  autre  chose  (I)  ;  hoker  signifie  le  matin, 
et  n'a  jamais  non  plus  d'antre  signitication.  Rappelons-nous 
bien  que  le  sens  d'un  mol  est  un  fait  contre  lequel  aucune 
conjecture  ne  peut  rien.  Pourquoi  nous  permettre  en  hébreu 
ce  qui  serait  absurde  en  latin  ou  en  français,  ce  qui  n'est  permis 
dans  aucune  langue? 

L'hypothèse  des  jours-époques,  telle<qu'on  la  présente  d'ordi  • 
naire,  est  donc  insoutenable  au  point  de  vue  philologique.  Si 
l'on  examine  le  sens  profond  du  récit  génésiaque,  et  l'ensei- 
gnement religieux  qui  en  est  le  but,  la  conclusion  n'est  guère 
plus  favorable  à  ce  système  d'interprétation.  L'œuvre  des  six 
jours,  nous  l'avons  fait  remarquer  plus  haut,  est  le  type  divin 
de  la  semaine  d'ici-bas,  couronnée  par  le  repos  du  soplièrac 
jour.  L'harmonie  est  frappante  si  les  jours  de  la  Genèse  sont  de 
vraisjourssemblables  aux  nôtres:  elle  l'est  beaucoup  moins  dans 
le  cas  contraire,  bien  qu'assurément  elle  subsiste  dans  ce  qu'il 
y  a  d'essentiel,  six  actes  ou  six  moments  consacrés  au  travail, 
puis  un  septième  où  le  repos  commence.  Nous  ne  donnons  pas 
cet  argument  comme  absolu,  mais  on  conviendra  que  l'inter- 
prétation naturelle,  obvie,  cadre  beaucoup  mieux  avecl'inten- 
tion  manifeste  de  l'auteur  sacré,  ou  plutôt  de  Celui  qui  a 
disposé  ses  œuvres  et  les  a  fait  écrire  en  vue  de  notrâ  utilité. 

Ce  tnéme  argument,  tiré  du  symbolisme  de  la  création, 
milite  aussi  contre  un  système  que  le  P.  Pianciani  met  en 
avant,  sans  néanmoins  le  détendre  ou  l'adopter,  «  Nous  ne 
«  pouvons  ni  ne  voulons,  dit-il,  passer  sous  silence  la  seule 
«  difficulté  grave  qui  se  présente  contre  le  système  des  pério- 
«  des  :  elle  se  tire  des  paroles  six  fois  répétées:  Et  il  fui  soir, 
«  et  il  fut  matin,  un  jour...  Et  il  fat  soir,  et  il  fut  matin,  le 
«  second  jour.  Ainsi   porte  littéralement  le   texte  original.  Si 

(J)  121Ï?,  furia  miscella,  qui  se  rencontre  Ex.  xn,  38,  el  ailleurs,  esi 
un  auirc  mol,  |ioaclué  dilTéiemmenl  el  dérivé  d'une  racine  distincte. 
V.  le  Thésaurus  ou  le  diclioiinaire  de  Geseuius. 


526  LA  BiBLE  ITomc  YllI. 

«  CCS  [aroles  démontraient  véritablement  que  les  six  jours 
a  mosaïques  ne  diffèrent  en  rien  de  nos  jours  de  vingt-quatre 
«  heures,  on  pourrait  dire  peut-être  qu'il  n'est  pas  nécessaire 
((  de  supposer  qu'ils  se  sont  succéiié  sans  intervalle.  Ces  jours 
«  mémorables  et  solennels  furent  ceux  où  se  réalisaient  des 
«  choses  très-frappantes,  comme  l'apparition  de  la  lumière 
«  on  des  astres,  ou  bien  encore  ceux  où  commençait  une 
((  nouvelle  Sihie  d'œu^es  importantes  ;  mais  entre  un  jour 
«  et  un  autre  s'écoulait  un  temps  indéterminé,  et  chacun  de 
«  ces  six  jours  était  le  commencement  d'antant  de  périodes 
«  successives  (1).  » 

Outre  la  raison  tle  symbolisme,  invoquée  tout-à-l'heure, 
l'examen  du  texte  en  fournit  une  autre  qui  nous  semble  ren- 
verser de  fond  en  comble  le  système  des  jours  non  conti- 
nus. Tout  s'enchaîne,  tout  se  lie  de  telle  sorte  dans  le  récit, 
que  les  jours  apparaissent  comme  se  succédant  immédiate- 
ment l'un  à  l'autre.  Cette  formule  à  chaque  fois  répétée  :  Et 
il  fut  soir,  et  il  fut  matin,  un  jour:  et  il  fut  soir,  et  il  fut  ma- 
tin, le  second  jour  ;  celte  formule,  dis-je,  n'a  plus  de  sens,  si 
le  matin  qui  borne  un  jour  n'est  pas  l'aurore  du  suivant,  si 
ces  jours  ne  forment  pas  entre  eux  une  chaîne  et  une  succes- 
sion non  interrompue,  si  le  second  jour  ne  suit  pas  immédia- 
tement le  premier,  et  ainsi  de  suite. 

Nous  n'en  avons  pas  fini  encore  avec  les  systèmes.  Un 
théoloyion  d'un  talent  très-remarquable,  le  docteur  Reuscb, 
dont  je  ne  saurais  trop  recommander  le  livre  inscrit  en  tête 
de  cet  article,  a  bien  compris  et  parfaitement  démontre  que 
les  jours,  dans   l'Écriture   comme  partout,  sont  des  jours,  et 


(  )  Pianciaiii,  Cosmogonia  natmale  compnrala  col  Genesl,  p.ôSss. 
Son  livre  lalin  conlienl  déjà  celle  hypollièse  presque  dans  les  mêmes 
termes,  p.  27  (Neapoli,  I8'>1).  Il  elle  [Cosmogonia,  p.  3."j0),  le  b;irna- 
bile  italien  Ermenegildo  Pini,  qui  semble  le  premier  l'avoir  mise  au 
jour  dans  son  livre  inlilulé  :  Sui  s'uleini  geologici.  Milano,  181 1,  p. 
86  8s. 


Doc.  1803  1  ET    LA    SCIENCE   DE   L\   NATURE.  5i7 

non  pas  je  ne  sais  quelles  périodes  indéterminées  (1).  Mais 
ensuite,  il  trouve,  et  il  cherche  à  établir  avec  beaucoup  de 
pénétration,  que  l'idée  (issentielle  dans  la  forme  du  récit  et 
dans  la  marche  de  la  création,  est  celle  de  semaine,  le  nom- 
bre septénaire  servant  de  type  h  l'institution  du  Sabbat.  Peu 
importe  si  les  parties  composant  la  semaine  génésiaque  sont 
des  jours  semblables  aux  nôtres  :  dans  le  cas  contraire,  l'au- 
teur a  pu  désigner  chacun  de  ces  temps  successifs,  quelle  que 
fût  leur  durée,  par  une  expression  métaphorique  empruntée 
à  la  semaine  d'ici-bas,  et  transportée  au  type  divin  qu'elle 
représente.  Que  le  moijow,  ainsi  employé,  ait  été  mal  com- 
pris des  lecteurs  primitifs  et  pris  dans  son  acception  littérale, 
c'est  lu  un  détail  sans  importance  :  la  vérité  esseniielle  du 
récit  n'en  souffre  pas;  l'auteur  a  pu  négliger  celte  considéra- 
tion et  ne  pas  se  préoccuper  d'une  erreur  matérielle  sans  con- 
séquence aucune,  à  laquelle  son  texte  pouvait  donner  lieu 
accidentellement. 

A  coup  sur,  l'hypothèse  des  jours-époques  n'a  jamais  été 
défendue  avec  plus  de  talent ,  et,  nous  le  reconnaissons 
volontiers,  si  elle  pouvait  triompher,  ce  serait  sur  le  ter- 
rain où  le  savant  professeur  de  Bonn  vient  de  l'établir.  Mal- 
gré tout,  cependant,  le  docteur  Reusch  ne  nous  a  point 
persuadé.  Car  enfin,  pour  admettre  \\n  sens  métaphorique, 
il  faut  une  raison;  jusqu'à  preuve  du  contraire,  les  mots  con- 
servent leur  signification  propre.  Or,  cette  raison,  je  la  cher- 
che, et  je  ne  la  trouve  pas.  On  me  dit  bien  que  si,  de  fait,  les 
parties  de  la  création  se  sont  accomplies  à  de  longs  inter- 
valles. Moïse  a  pu  se  servir  très-convenablement  du  moijow 
pour  désigner  chacun  de  ces  moments  successifs  formant  par 
leur  réunion  une  semaine  typique.  On  cite  la  parabole  des 
Ouvriers  et  de  la  Vigne,  où  les  époques  de  la  vie  humaine 
sont  symbolisées  par  les  heures  du  jour.  Soit!  Mais  pourquoi 

(1;  BiLel  und  ]Siitu7',  12S  s:-. 


528  LA  BIBLE  ET  LA  SCIENCE  DE  LA  NATURE.  [Tome  VIII. 

faire  une  bj-potlièse  complètement  en  dehors  du  récit,  où 
l'on  n'en  trouve  pas  le  plus  lé^er  indice  ?  Est-ce  que  ]e 
texte  ne  devrait  pas  indiquer  d'une  manière  quelconque 
ce  sens  métaphorique,  s'il  est  i-éel  ?  Avouons-le  :  sans  des 
préoccupations  iièes  de  la  science  profane,  on  no  songe- 
rait guère  à  sortir  des  termes  si  simples  du  récit  pour  recou- 
rir à  de  telles  cvokitions.  Ce  sens  est  possible  à  la  rigueur 
peut-être,  mais  il  n'est  pas  exégétiquement  vraisemblable. 
Peut-être  même  pourrais-je  donner  à  cette  observation  une 
tournure  plus  accentuée.  Les  formules  tant  de  fois  citées  : 
Et  il  fut  soir,  et  il  fut  matin,  etc.,  indiquent  bien  la  fin  d'un 
jour  naturel  et  semblent  exclure  toute  idée  de  métaphore.  La 
parabole  citée  lout-à-l'heure  ne  fournit  qu'une  analogie  fort 
incomplète.  Les  heures,  dans  la  parabole,  symbolisent  les  dif- 
férents âges  de  la  vie  humaine  comparée  à  la  journée  de 
l'ouvrier  ;  c'est  un  élément  essentiel  de  la  comparaison  ;  rien 
d'étonnant  qu'elles  soient  citées  et  mises  en  relief.  Mais  ici,  à 
quoi  bon  parler  du  soir  et  du  matiu,  si  ce  n'est  pour  indiquer 
la  limite  du  jour  pris  dans  sou  sens  propre  et  littéral  ?  Quelle 
signification  particulière  peut  s'attacher  à  ces  expressions 
prises  comme  métaphores  ?  Puis,  une  parabole  n'est  pas  un 
récit  historique  :  on  ne  peut  confondre  deux  genres  si  diflie- 
reuts  et  conclure  de  l'un  à  l'autre.  Dans  la  parabole,  le  lec- 
teur ou  l'auditeur  sait  à  quoi  s'en  tenir,  il  cherche  naturel- 
lement sous  les  expressions  un  sens  figuré.  Il  en  est  tout  au- 
trement dans  l'histoire,  où  ce  sens  ne  se  suppose  pas  si  rien 
ne  l'indique.  Or,  encore  une  fois,  rien  ici  ne  fait  supposer  que 
le  mot  jour  ne  soit  pas  pris  dans  son  acception  ordinaire  et 
commune.  C'est  donc  là  qu'il  faut  nous  en  tenir,  à  moins  de 
raisons  très-graves  et  de  preuves  péremptoires. 

E.  Hautcceur. 


LA  QUESTION  LITURGIQUE  A  LYON 


Moavelles    observations  sur  la  circulaire   et  l'écrit  aitolo- 
g^étiquc  fie  AIU.  les  curés  (1). 


Des  documents  et  des  ronseigtictnents  nouveaux  sont  venus 
à  notre  connaissance.  Ils  jettent  un  plus  grand  jour  sur  la  cir- 
culaire et  l'écrit  apologétique  de  MM.  les  curés  de  Lyon,  et 
nous  permettent  de  compléter  l'examen  qui  en  a  été  fait  dan? 
l'article  précédent. 

I.  La  prétention  de  MM.  les  curés  de  s^être  bornés  à  une  humble 
supplique,  est  convaincue  d'inexactitude  par  le  texte  (2)  même  de 
leur  circulaire  aux  chanoines.  —  «  Nous  ne  pensons  pas,  disent 
MM.  les  curé?,  avoir  manqué  à  aucun  de  nos  devoirs.  11  est  de 
droit  naturel  que  des  enfants  puissent  faire  parvenir  à  leur 
père,  et  des  subordonnés  à  leurs  supérieurs,  l'humble  expres- 
sion de  leurs  vœux.  C'est  ce  que  nous  avons  fait  auprès  de  notre 
Archevêque.  »  [Quelques  mots,  etc,  page  3G.)  «  Depuis  quand 
des  prières,  des  désirs  exprimés  à  un  chapitre  sont-ils  devenus 
une  œuvre  anti-canonique?  »  {fbid.  p.  20.)  «  Si  l'on  veut  nous 
offrir  une  nourriture  qui  nous  paraît  indigeste  (.3),   sommes- 

())  V.  le  numéro  d'octobre,  p.  546  ss. 

(2)  Ce  lexle  a  été  donné  par  le  Monde  (S  novembre  ^863},  cl  l'avait 
été  prtîcédemmenl  par  l'écrit  anonyme  de  lUiodez.  Lorsque  nous 
avons  publié  dans  la  Herue  des  Sciences  l'article  du  20  oriobre,  nous 
n'en  connaissions  que  les  extraits  cilés  piir  MM.  les  curés  de  Lyon, 
dans  leur  apologie  intitulée  Quelques  mots,  etc. 

(3)  C'est  à  la  liturgie  romaine  que  MM.  les  curés  adaptent  la  qua- 
liQcalion  de  nourriture  indigeste. 


530  LA   QUESTION    LITURGIQUE  [ToineVIII. 

uous  rebelles  eu  manifestant  d'avance  notre  répugnance  au 
Père  qui  uuus  la  donne  ou  aux  ministres  chargés  de  la  préparer? 
Nous  n'avons  fait  et  prétendu  faire  que  cela  dans  nos  suppliques. 
11  n'y  a  donc  dans  nos  démarches,  ni  rébellion,  ni  mesure 
auli-canonique,  ni  immixtion  en  choses  qui  uous  soient  étran- 
gères. »  (Ibid.  p.  20  et  21.)  Ainsi,  le  système  de  défense  de 
MxM.  les  curés  repose  tout  entier  sur  celte  affirmation  :  Nous 
nous  sommes  bornés  à  d'humbles  prières. 

Malheureusement  cette  affirmation  est  en  contradiction 
flagrante  avec  le  texte  de  leur  circulaire  à  MM.  les  chanoines. 
Le  voici. 

Monsieur  le  chanoine, 

«  Les  journaux  de  Lyon  uous  ont  révéhi  une  tentative  qui 
nous  inquiète  et  nous  afflige.  Il  serait  question  de  composer 
un  Propre  à  l'usage  des  prêtres  étrangers  à  Lyon  qui  y  résident. 
Com:ne  vous  êtes,  monsieur  le  chanoine,  canoniquement  ap- 
pelé à  vous  occuper  de  cette  question,  nous  vous  prions  de 
vouloir  bien  écarter,  par  vos  conseils  et  votre  décision,  une  me- 
sure que  vous  regardez,  ainsi  (jue  noiis,  com.\UQ inutile  et  très- 
funeste.  Siles  prêtres  non  diocésains  tiennent  à  avoir  le  Piopre 
lyonnais,  ils  le  trouveront  dans  nos  Bréviaires,  nos  Antipho- 
naires  et  nos  Missels.  La  composition  de  ce  Propre  ne  serait, 
eu  apparence  et  eu  réalité,  qu'un  préparatif  pour  nous  dépouil- 
ler de  notie  Bréviaire  et  de  noire  Liturgie  dans  un  moment 
donné.  Le  changement  du  Bréviaire  amènerait  nécessairement 
celui  du  chant  et  de  la  Liturgie.  Ce  Propre  serait  aussi  un 
moyeu  de  faire  passer  au  Uomain  les  jeunes  ecclésiastiques  du 
diocèse,  au  grand  détriment  de  la  paix  et  de  l'unité.  Nous  avons 
écrit  à  Sou  Émiuence  et  à  M.  le  Supérieur  de  Saint-Sulpice 
pour  PROTESTER  contrc  ce  projet;  nous  vous  prions  d'unir  vos 
efl'orts  aux  nôtres.  //  ne  suffit  pas  de  s'abstenir  ;  veuillez  vous 
opposer,  autant  qu'il  est  en  vous,  à  un  pi^ojet  qui  persévèi  e,  qui 
fait  un  pas  menaçant  et  qui  ne  vient  ni  du  cœur  de  notre  ar- 
chevêque, ni  de  celui  de  Fie  IX,  lequel  tolère  les  institutions 


Dec.  1863.1  ^   LYON.  531 

liturgiques  de  Lyon,  aujourd'hui,  comme\e  pape  Elcuthère  les 
approuvait  du  temps  de  saint  Iréuée.  Nous  sommes  avec  res- 
pect, etc.  »  (Suivent  les  signatures  de  28  curés.) 

Qu'on  le  remanjuc  l)i<'n;  ce  sont  MM.  les  curés  eux-mêmes 
qui  disent  dans  leur  circulaire  aux  chanoines  :  Nous  avons  écrit 
POUR  PROTESTER  Confiée  ce  projet.  Il  s'agit  d'une  mesure  arrêtée 
parleur  archevêque.  L'objet  des  lettres  collectives  de  MM.  les 
curés  est  donc  cehii-là  même  qu'exprime  le  mot  protester  ;  la 
particule  pour  qui  le  précède  ne  permet  aucun  doute  à  cet 
égard.  La  prétention  de  s'être  hornés  à  d'humbles  prières  ne 
saurait  être  admise,  à  moins  que  le  mot  protestation  ne  soit 
synonyme  de  celui  de  supplique.  IMiNL  les  curés  auraient-ils  cm 
à  celte  identité  de  sens?  Nous  craindrions  de  leur  faire  injure 
en  le  sup^iosant.  Ouvrons  le  dictionnaire  de  l'Académie  :  pro- 
tester, verbe  neutre,  déclarer  en  forme  qu'on  tient  pour  nul, 
pour  illégal,  etc.,  ce  qui  a  été  résolu,  délihéi'é  ou  fait,  et  que  l'on 
se  pourvoira  contre.  Ainsi,  à  moins  d'avoir  voulu  parler  un 
français  inconnu  jusqu'à  ce  jour,  ÏNIM.  les  curés  doivent  recon- 
naître que  cette  formule  :  Nous  avons  écrit  pour  protester  contre, 
équivaut  rigoureusement  à  celle-ci  :  Nous  avons  écrit  pour  décla- 
rer en  forme  fiue  nous  tenons  pour  nulle,  pour  illégale,  etc.,  la 
mesure  résolue,  délibérée  et  arrêtée  par  notre  archevêque,  et  que 
nous  voulons  nous  pourvoir  contre. 

Hûtons-nous  de  l'ajouter  :  autant  il  esi  notoire  que  MM.  les 
cures  ont  dit  cola,  autant  nous  sommes  persuadés  qu'ils  n'ont 
pas  voulu  le  dire.  Comme  il  arrive  parfois  sous  l'influence  de 
la  préoccupation,  l'expression  aura  dépassé  leur  pensée.  Nous 
le  concluons  des  efiforts  même  qu'ils  font  pour  expliquer  leurs 
actes  et  leurs  démarclies  dans  le  sens  d'une  simple  prière.  Ces 
explications,  nous  les  acceptons  volontiers.  Quoique  dans  leur 
circulaire  aux  chanoines  ils  se  soient  expressément  posés 
comme  formulant  une  protestation  et  non  une  supplique,  nous 
ne  voulons  voir  là  qu'une  vivacité  de  rédaction  trop  peu  ré- 
fléchie. Que  les  explications  aillent  jusqu'à  retirer  la  malen- 


532  LA   QUESTION   LITURGIQLE  ToJie  VIII. 

contreusc  formule,  et  toute  contestation  si?ra  finie  sur  ce  point. 
La  radiation,  nous  n'en  doutons  pas,  s'étendra  aussi  sur  la 
phrase  :  Veuillez  vous  opposer^  et  sur  les  autres  de  même  pb}'- 
sionomie.  Elles  sont  anti-canoniques,  aussi  bien  que  la  protes- 
tation. MM.  les  curés  finiront,  il  fautl'espérer,  par  reconnaître 
que  le  savant  Supérieur  général  de  Saint-Sulpice  et  MM.  les 
chanoines  de  Serres  et  Des  Garets  ne  se  sont  point  trompés, 
en  traitant  d'illicites  leurs  lettres  collectives.  Surtout  ils  défé- 
reront à  l'autorité  bien  autrement  significative  du  cardinal 
Palrizi,  qui  en  a  porté  le  même  jugement. 

II.  Protestation  de  M.  le  chanoine  Des  Garets,  secrétaire  du 
chapitre,  accusé  par  MM .  les  curés  d'avoir  inséré  frauduleusement 
dans  le  procès-verbal  un  blâme  contre  leur  conduite..  —  L'accu- 
sation est  ainsi  formulée  par  MM.  les  curés,  dans  leur  écrit 
apologétique  intitulé,  Quelques  mots,  etc.  (page  1 2)  :  «  Est-il  bien 
«  vrai  qu'ils  aient  répondu  (MM.  les  chanoines)  par  un  blâme 
«  formel  à  notre  lettre  ?...  Le  secrétaire  des  délibérations  du 
«  chapitie...  n'aurait-il  pas  pris  sur  lui  d'insérer  dans  le  pro- 
a  cès-verbal  le  blâme  aux  curés  dont  vous  parlez?  A  la  séance 
«  suivante,  en  entem.^ant  la  lecture  de  ce  blâme  posthume,  le 
«  chapitre  ne  se  serait-il  j-as  récrié  contre  une  aussi  inquali- 
«  fiable  supercherie'!  N'auiait-il  pas  émis  le  vœu  de  casser  im- 
ft  médiatemeiitson  secrétaire  à  cause  de  cette  grave  infidélité? 
(1  Et  le  secrétaire  n'aurait-il  pas  obtenu  de  ne  conserver  ses 
«  fonctions  (sic)  qu'à  la  condition  d'effacer  du  procès-verbal 
«  ce  préleudublàme  inlligéà  MM.  les  curés  de  Lyon  ?..,.  C'est 
«  donc  par  de  semblables  moj-ens  que  vous  cherchez  à  jeter 
c  de  la  déconsidération  sur  le  clergé  de  Lyon  !  »  Ce  qui  étonne 
le  plus  à  la  lecture  de  ces  lignes,  c'est  le  manque  de  toute 
preuve  à  l'appui,  dans  une  accusation  de  cette  nature.  Elle  n'i- 
rait à  rien  moins,  si  elle  était  fondée,  qu'à  fiétrir  un  d'-'S  ecclé- 
siastiques les  plus  honorablesdu  clergéde  France.  Pour  y  croire, 
non-seulement  ou  peut,  maison  doit,  selonles  principes  de  la 
théologie,  attendre  les  preuves.  Tant  que  TatUrmation  nuisible  à 


Dde.  I8G3.1  A  LYON.  ^33 

l'honneur  du  procliain  demeure  purement  gratuite,  elle  doit 
être  repoussée  et  tenue  pour  nulle.  C'est  l'altitude  que  nous 
avions  gardée.  Sauvegardant  des  deux  côtés  l'honneur  sacer- 
dotal, nous  nous  disions  :  il  y  aura  eu  erreur.  Selon  la  protes- 
tation suivante,  que  nous  adresse  M.  le  chanoine  Des  Garcls, 
il  y  en  aurait  eu,  en  eliet,  une  fort  regrettable  de  la  part  de 

MM.  les  curés  de  Lyon. 

«  Lyon,  10  novembre  1803. 

Monsieur  Tabbo, 

«  Votre  article  sur  la  Question  liturgique  à  Lyon,  \)uh\ié  dans 
«  la  Revuedes  Sciences  ecclésiastiques,  numéro  du  20  octobre  1863, 
«  a  porte  sur  tous  les  points  de  la  France,  et  ailleurs  encore, 
«  la  connaissance  de  l'écrit  intitulé  :  Quelques  mots  à  propos 
a  d'un  pamphlet  ;  et  en  particulier,  du  fait  imputé  au  secrétaire 
«  du  chapitre  (pages  1 '2  et  13  de  cet  écrit)  d'avoir,  par  une 
«  supercherie  inqualifiable,  introduit  un  fait  imaginaire  dans 
«  un  procès-verbal,  etc. 

«  J'ignore  oùles  auteurs  de  cette  accusation  ont  puisé  leurs 
«  renseiguements  et  je  m'étonne  qu'il  les  aient  acceptés  sans 
«  coutnMe  ;  je  veux  bien  supposer  que  dans  leurs  préoccupa- 
«  lions,  ils  n'en  ont  pas  compris  toute  la  gravité. 

0  j:t  cependant  cette  accusation  est  entièrement  erronée. 
c(  Au  besoin  les  procès-verbaux  du  chapitre  sont  là  pour  ma 
«justification;  celui  du  mois  de  septembre  dernier  entre 
«  autres  contient   ma  protestation  et  en  reconnaît  la  justice. 

«  Je  vous  prie,  M.  l'abbé,  de  vouloir  bien  aussi  insérer  ma 

0  réclamation  et  ma  protestation  dans  la  prochaine  livraison 

«  de  la   Revue  des  Sciences  ecclésiastiques. 

«  J'ai  l'honneur  d'être,  etc.,  N.  Des  Garkts, 

«  Cbanoine,  secrétaire  du  chapitre.  » 

L'accusation  porte  incontestablement  sur  une  matière  théo- 

logiquement  grave,    et  la  circonstance  de  la  publicité  par  le 

moyen   de  la   presse   ajoute   à  cette  gravité.   MM.   les  curés 

peuvent-ils,  au  point  de  vue  de  la  conscience,  s'en  tenir  à  leur 

affirmation  gratuite  ?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Eu  présence  de 


53î  LA    QUESTION   LITURGIQUE  [Tonic  VU!, 

la  dénégation  formelle  de  M.  Des  Garets,  et  de  son  allégation 
des  procès-verbaux  du  chapitre,  ils  sont  tenus,  d'après  tous 
les  principes  de  la  théologie  morale,  ou  d'exhiber  dos  preuves 
à  ce  même  public  auiiuel  ils  ont  si  regrettablement  adressé 
leur  accusation  flétrissante,  ou  delà  rétracter  en  reconnaissant 
qu'ils  ont  été  induits  en  erreur.  Ajoutons  que  par  rapport  à 
une  erreur  de  ce  genre,  même  purement  involontaire,  le 
silence  ne  saurait  satisfaire  aux  prescriptions  de  la  théologie 
morale  Le  tort  fait  à  la  réputation  du  prochain,  dès  qu'il  est 
reconnu  injuste,  réclame  comme  réparation  le  désaveu. 

lit.  MM.  les  curés  savaient  que  le  Souverain- Pontife,  tout  en 
exigeant  le  changement  du  bréviaire  et  dumissel,  voulait  permettre 
au  diocèse  de  Lijon  de  conserver  ses  anciens  usages  ;  néanmoins!, 
dans  leur  écrit  apologétique,  ils  supposent  un  dessein  contraire,  et 
s'en  font  un  motif  d'opposition.  —  Sou  Em.  le  cardinal  de  Bo- 
nald  avait  transmis  officiellement  au  chapitre  ces  paroles 
de  Pie  IX  :  Vous  avez  de  vieux  usages  ;  je  ne  veux  pas  vous  les 
ôter:  gardez-les.  Mais  vous  avez  un  missel  et  un  bréviaire  qui  ne 
viennent  pas  d'une  autorité  légitime;  il  faut  changer  cela.  L'émi- 
nent  prélat  daignait  m  "écrire  à  moi-uième,  à  la  date  du  I^''juin 
1863:  Le  Souverain-Pontife  veut  que  nous  conservions  nos  cérémo- 
nies, qu'onne  pourrait  changer  sans  faire  un  très-grand  mal,  sans 
troubler  la  paix  pour  longtemps.  Assurément,  Son  Éminence, 
connaissaiit  à  quel  point  ses  curés  tenaient  à  leurs  anciens 
rites,  ne  leur  aura  pas  laissé  ignorer  cette  concession, 
monument  de  mansuétude  et  de  bonté  de  l'admirable  Pie  IX. 

D'autre  part,  le  secrétaire  du  chapitre,  M.  le  chanoine  Des 
Garets,  nous  écrit  :  «  Dans  ma  réponse  à  MM.  les  curés,  je  leur 
rappelais  les  paroles  du  Pape,  transmises  officiellement  au 
cha[)itre  par  Son  Eminence  :  Vous  avez  de  vieux  usages,  je  ne 
veux  point  vous  les  ôter,  etc.  »  Cette  réponse  à  MM.  les  curés, 
est  sans  doute  celle-là  même  dont  MM.  les  curés  citent  le  début 
{Quelques  mots,  page  15),  et  qui  était  datée  du    12  déc.  1862. 

L'intention  de  Pie  IX  de  ne  pas  ôter  au  diocèse  de  Lyon  ses 


Dec.  1803.  A   LYON.  S3o 

vieux  usages,  était  donc  parfaitement  connue  do  MM.  les  curés 
lorsqu'ils  ont  publié  leur  écrit  intitulé  Quelques  mots.  Nous  ne 
voyons  jjus  du  moins,  quant  à  nous,  comment  risnorance  de 
cette  volonté  du  Souvcraiu-Pontife  pourrait  se  concilier  avec 
les  faits  mentionnés. 

Néanmoins,  MM.  les  cures,  dans  leur  éciit  apologétique, 
supposent  le  projet  d'un  changement  jruîical,  qui  doit  emporter 
aussi  les  rites  et  cérémonies  d'usage  ancien  dans  leur  diocèse. 
C'est  même  sur  cette  hypothèse  qu'ils  n:!Otivent  leurs  plus 
pathétique?  doléances.  En  voici  un  échantillon  :  «  Mgr  de 
<(  Montazet  n'a  pas  touché  à  nos  îiles  et  à  nos  cérémonies... 
a  Heureux  donc  de  posséder  des  restes  ahondants  et  précieux 
<(  de  nos  vieilles  traditions...,  et  des  avantages  qui  résultent 
«  pour  les  tldèles  des  rites  et  des  cérémonies  qui  leur  sont 
«  cliers  comme  à  nous,  avions-nous  donc  si  grand  toit...  d'ex- 
«  primer  nos  vœux  à  notre  père  et  pasteur  vénéré,  de  lui 
«  exposer  quelques-uns  des  graves  inconvénients  qu'aurait 
<(  pour  nous  et  pour  les  fidèles  un  changement  radical  ùq  litur- 
«  gie  ?  »  [Quelques  mots,  etc.,  page  29.) 

Lorsque  vous  écriviez  ces  lignes,  dirons-nous  à  MM.  les 
curés,  vous  saviez  très-bien  que  le  changement  ne  devait  pas 
être  radical.  Vous  saviez  que  le  pape  Pie  IX  avait  dit:  Vous 
avez  de  vieux  usages;  je  ne  veux  pas  vous  les  ôter.  Ce  mot  de 
mansuétude,  de  conciliation  et  de  paix,  pourquoi  le  passer 
sous  silence  ?  Les  populations  du  diocèse  s'inquiètent  peu,  je 
le  suppose,  du  bréviaire  et  du  missel  Moutazet.  Si  le  change- 
nie:it  liturgique  les  préoccupe,  c'est  sans  doute  à  raison  de  ces 
quelques  cérémonies  d'usage  antique,  dont  l'aspect  halntuel 
a  été  si  longtemps  l'auxiliaire  de  leur  piété.  Pour  calmer  à  peu 
près  toutes  les  inquiétudes  et  faire  bénir  la  mesure  arrêtée 
par  le  Saint-Siège,  il  eût  suffi  de  dire  à  ces  admirables  catho- 
liques lyonnais  :  «  Les  anciennes  cérémonies  seront  conser- 
«  vées,  c'est  la  volonté  de  Pic  IX.  Ce  n'est  pas  l'antique  bré- 
«  viaire,  l'antique  missel  de  Lyon  qu'on  va  changer,  mais  un 


536  LA    QUESTION    LITURGIQUE  [TonieVIIl. 

«  J)réviairc  et  un  missel  introduits  parmi  nous,  en  des  temps 
«  mauvais,  et  maigre  les  réclamatious  du  clerp;é  de  celte  épo- 
«  que;  bréviaire  et  misse'  notoirement  illégitimes,  et  que 
f(  Pie  IX  a  déclaré  tels.  » 

Nous  n'insisterons  pas.  Que  MM.  les  curés  veuillent  expliquer 
eux-mêmes,  s'ils  le  jugent  à  propos  ,  pourquoi,  connaissant 
très-bien  la  volonté  de  Pie  IX  de  conserver  au  diocèse  de  Lyon 
ses  anciens  usages,  ils  ont,  dans  leurs  écrits,  supposé  une  volon- 
té contraire. 

IV.  Le  Propre  a-t-il  été  primitivement  destiné  aux  seuls  prêtres 
étrangers,  comme  l'affirment  MM.  les  curés  de  Lyon? — Parmi  les 
motifs  de  leur  protestation  collective,  MM.  les  curés  font  valoir 
celui-ci  :  On  aurait  déclaré  d'abord  que  le  propre  était  exclu- 
sivement vv.?>i}.v\Q  aux  prêtres  étrangers;  mais  ils  auraient  craiut 
non  sans  fondement  qu'on  ne  voulût  l'étendre  à  d'autres:  «  Ce 
propre  était-il  bien  seulement  pour  les  prêtres  étrangers  an 
diocèse  qui  le  sollicitaient?»  {Quelques  mots,  etc,  page  8.) 
Et  ailleurs  ils  disent  :  «  Exclusivement  réservé  aux  prêtres 
«  étrangers,  ainsi  qu'o/i  l'avait  d'abord  annoncé.  »  (Ib.,  p.  14.) 

A  l'affirmation  de  MM.  les  curés,  nous  opposons  le  témoi- 
gnage suivant,  qui  a  toute  notre  conliance  :  «  Ces  iMM.  sup- 
posent que  son  Émiuence  destinait  le  Propre  seulement  aux 
prêtres  étrangers,  ce  qui  est  parfaitement  inexact.  Mgr  avait 
donné  pour  motif  àe  sa  démarche,  que  les  Sulpiciens  venaient 
d'être  astreints  au  Romain,  et  que  plusieurs  aumôniers  suivaioAit 
aussi  le  Piomain  avec  leurs  communautés.  Or  tous  ces  aumô- 
niers ne  sonf  pas  des  étrangers.  » 

V.  Aut7'e  assertion  inexacte.  — Dans  leur  écrit  apologétique 
{Quelques  mots  etc.,  page  li),  MM.  les  curés  s'expriment  ainsi 
en  parlant  du  chapitre  :  «  II  déclara,  à  bi  majorité  de  huitwoïx 
contre  deux,  qu'il  annulait  et  cassait  autant  qu'il  était  en  sou 
pouvoir  la  formation  de  la  commission  précédemment  élue.» 

Il  y  aurait  là  une  erreur.  0;i  nous  la  signale  en  ces  termes  : 
«  La  commission  pour  travailler  au  Propre  n'a  pas  été  révo- 


D.5c.  1803.]  A    LYON.  S57 

quée  par  huit  voix,  mais  par  six,  ce  qui  cluiuge  notablement 
les  proportions.  » 

Yl.  Le  passage  ou  iMM.  les  curés  affirment  que  le  projet  de 
rétablir  à  Lyon  la  liturgie  romaine  ne  vient  pas  du  cœur  de 
Pie  IX,  réclame  une  explication.  —  Le  10  décembre  1862, 
MM.  les  curés  disaient  dans  leur  circulaire  aux  chanoines  : 
«  Ycnillez  vous  opposer,  autant  qu'il  est  en  vous,  à  un  projet 
qui  persévère:,  (jni  fait  nn  pas  menaçaut ,  et  qui  ne  vient  ni 
du  cœur  de  notre  archevêque,  ni  de  celui  de  Pie  IX.  » 

La  difficulté  est  de  concilier  cette  affirmation  avec  le  fait  sui- 
vant. En  juin  1862,  c'est-à-dire  cinq  ou  six  mois  avant  la  circu- 
laire de  MM.  les  curés  aux  chanoines,  plusieurs  ecclésiastiques 
de  Lyon,  alors  à  Rome,  furent  admis  à  l'audience  du  Souverain- 
Pontife.  Parmi  eux  se  trouvaient,  nous  assure-t-on,  trois  curés, 
entre  antres  M.  Dutel,  cuié  de  Saint-Cernard,  au  tôuioignage 
duquel  nous  nous  en  rapportons  cntièrenient  pour  rectifier 
ce  que  nos  renseignements  auraient  d'inexact.  Le  Saint-Père. 
d'une  voix  forte  et  très-intelligible,  prononça  ces  paroles,  sinon 
textuellement,  au  moins  quant  au  sens  :  Voilà  notre  bon  clergé 
de  Lyon,  si  dévoué  au  Saint-Siège,  et  qui  lui  sera  bien  plus  uni 
bientôt  par  l'adoption  de  la  liturgie  romaine.  Ces  mots  furent 
entendus,  non-seulement  des  ecclésiastiques  lyonnais  présents 
ù  l'audience,  mais  de  quelques  autres  qui  s'y  trouvaient  aussi. 
Le  fait  se  trouve  confirmé,  ce  semble,  par  ce  passage  du  cardi- 
nal Patrizi  :«Imoamantissimis  verbis,  etEmineutiamVestram, 
et  quos  alloqui  potuit  de  clero  Lugdunensi,  opportune  cohortari 
non  destilil  adassumptionem  LiturgiœRomanœ.»  Si  les  i)aroles 
adressées  par  Pie  IX  aux  ecclésiastiques  de  Lyon  avaient  été 
connues  de  MM.  les  curés,  ils  n'auraient  pas  pu  dire  que  le 
projet  d'établir  la  liturgie  romaine  dans  leur  diocèse,  ?2C  venait 
pc(S  du  cœur  de  Pie  JX.  Et  d'autre  part  on  s'expliqu(;  dilfici- 
lemeut  que  cette  allocution  pontificale  leur  soit  restée  incon- 
nue. 11  y  a  l't  un  nuage,  trompeur,  sans  doute,  et  que  MM.  les 
cures  dissiperont;  mais  qui  suffit,  ce  semble,  pour  justifier 
notre  désir  d'une  explication.  D.  Bouix. 


ÉTUDES    SUR   LA   PRÉDICATION 


Dciixi  me   arlicle 


©c     l'Écriture -Sainte. 

Le  prédicateur  doit  être  instruit,  et  parmi  les  difFérea'cs 
branches  de  connaissances  qui  lui  sont  indispensables,  il  faut 
placer  en  première  ligne  la  science  des  saintes  Ecritures.  Eh  ! 
quel  est  celui  qui  oserait  s'ingérer  dans  le  ministère  de  la 
parole  sainte,  s'il  ne  connaissait  cette  parole,  s'il  ne  Tavait 
profondément  méditée  dans  les  saints  Livres  qui  en  sont  le 
dépôt,  et  dans  les  commentateurs  habiles  qui  en  révèlent 
les  obscurités  et  en  font  apprécier  toutes  les  richesses  ?  Quel 
que  soit  le  genre  de  discours  qu'on  adresse  aux  fidèles,  la 
doctrine  et,  autant  que  possible,  les  expressions  do  l'Ecriture, 
doivent  en  être  le  fond  et  la  substance;  nous  sommes  les  am- 
bassadeurs de  J.-C.  auprès  des  peuples,  et  un  ambassadeur 
n'a  d'autre  mission  que  de  porter  à  un  prince  étranger  les  pa- 
roles de  son  maître  et  de  son  roi  ;  il  serait  prévaricateur,  s'il 
agissait  autrement.  Ainsi  donc,  si  nous  mettions  dans  nos 
discours  nos  propres  conception^,  b^s  conce[itious  de  la  science, 
quelque  habiles  qu'elles  fussent  du  reste,  nous  méconnaîtrions 
le  caractère  dont  nous  sommes  revêtus,  d'avance  nous  frap- 
perions notre  ministère  de  stérilité,  nous  nous  rendrions  cou- 
pables d'une  profanation  que  l'apôtre  compare  au  vice  le  plus 
honteux:    «  Adultérantes  verbum  Dei,  etc.  (I),  n  Et  d'ailleurs, 

(I)  II  Cor.  II,  17. 


Dde.  )SG3,1  ÉTUDES   itVR   LA   PRÉDICATION.  539 

OÙ  trouvcrious-nous  nue  source  plus  féconde  que  la  sainte 
Écriture?  Elle  est  le  pain  qui  alimente  la  vie  spirituelle,  le 
llambeau  (jui  dirige  nos  pas,  et  la  lumière  qui  éclaire  notre 
route  ;  c'est  un  glaive  pénétrant  qui  atteint  jusqu'à  la  division 
de  l'âme;  c'est  un  feu  qui  consume  l'iniquité,  et  un  marteau 
qui  brise  l'orgueil  ;  c'est  un  trésor  plus  riche  que  l'or  et  le 
topaze,  un  baume  plus  doux  que  le  miel,  c'est  le  remède  à  tous 
les  maux  :  Neque  herba,  ncquc  malagma  sanavit  eos,  scd  tuus, 
Domine,  sermo,  qui  sanot  omnia  (1). 

Y(,'ut-on  exposer  les  dogmes  de  la  fui?  Ils  sont  pour  la  plu- 
part énoncés  ou  figurés  dans  l'Ancien  Testament  ;  ils  sont  tous, 
ou  presque  tous,  clairement  exprimés  dans  le  Nouveau  ;  les 
faits  évangéliques  en  fournissent  les  preuves  les  plus  frap- 
pantes, les  plus  simples,  les  plus  populaires.  Yeul-on  faire 
counailru  la  morale  cbrélienne  ?  On  en  trouve  les  préceptes  à 
cliaque  page  de  l'Evangile  ;  le  sermon  sur  la  montagne  en  pré- 
sente le  tableau  le  plus  saisissant,  le  plus  sublime  ;  les  sentences 
profondes  semées  dans  saint  Matthieu  la  font  pénétrer  comme 
des  traits  dans  les  cœurs.  S'agit-il  d'en  faire  l'application  aux 
différents  étals,  aux  situations  diverses?  Saint  Paul  a  tout  dit 
sur  cet  objet;  il  trace  avec  une  remarquable  précision  les 
devoirs  des  rois  et  des  pontifes,  des  prêti'es  et  des  ministres 
inférieurs,  des  vierges  et  des  veuves,  des  pères  et  des  enfants, 
des  maitres,  des  serviteurs  et  des  esclaves;  il  apprend  aux 
riches  comment  ils  doivent  user  de  leurs  biens,  aux  pauvres 
comment  ils  doivent  supporter  leurs  maux;  il  mozitre  à  ceux 
qui  ïouffrent  persécution  dans  le  temps,  le  poids  immense  de 
gloire  qui  les  attend  dans  rétcrnité;  il  prêche  le  pardon  des 
injures,  l'amour  des  ennemis,  la  nécessité  de  la  pénitence,  les 
avantages  de  l'hospitalité  et  de  l'aumône,  et  après  avoir  résume 
tous  ces  détails  si  vrais,  si  attachants,  dans  le  grand  précepte 
de  la  charité,  il  pratique  lui-môme  ces  préceptes  de  la  manière 
la  plus  généreuse  eu  renonçant  au  droit  que  lui  donnent  ses 

(1)  Sap.  xYi,  12. 


340  ÉTUDES   SUR   L.V   PRÉDICATiOX.  ITomc  VIII. 

travaux  pour  se  vouer  aux  plus  incroyables  fatigues,  aux  plus 
amcrcs  sollicitudes.  Faut-il  d'autres  exemples  à  l'appui  des 
leçons?  Quels  beaux  traits  de  vertu  dans  le  Livre  des  Rois, 
quelle  pureté  de  mœurs  dans  Rutli  et  dans  Tobie ,  quel 
courage  dans  Judith^  quelle  patience  et  quelle  grandeur  d'àuie 
dans  Job  ! 

Mais  les  malheurs  des  temps  et  les  progrès  de  rincrédulité 
n'ont-ils  pas  créé  des  besoins  nouveaux?  et  le  prédicateur,  pour 
défendre  la  religion,  ne  doit-il  pas  puiser  à  d'autres  sources? 
L'Écriture  sainte  n'est-elle  pas  insuffisante?  A.  Dieu  ne  plaise 
que  nous  nous  permettions  de  blâmer  des  travaux  qui  honorent 
et  servent  utilement  la  religion;  l'Eglise  a  dans  tous  les  temps 
protégé,  encouragé  toutes  les  sciences  et  tous  les  arts.  !Mais 
nous  n'hésitons  pas  à  dire  i]uq  l'Ecriture  sainte  renferme  des 
armes  pour  combattre  toutes  les  erreurs,  des  preuves  irréfra- 
gables pour  abaisser  touteinlelligence  qui  s'élève  et  la  captiver 
sous  le  joug  de  la  Fui.  Lorsque  J.-C.  a  envoyé  ses  ap(Mres  an- 
noncer sa  doctrine  au  monde,  aux  peuples  comme  aux  rois,  aux 
savants  comme  aux  ignorants,  aux  Grecs  comme  auxbarbares, 
il  ne  leur  a  pas  ordonné  de  consulter  les  sages  du  siècle,  d'ap- 
peler à  leur  secours  la  philosophie,  les  sciences  et  les  arts;  il 
leur  a  dit  :  Prœdicate  Ecangelium  omni  créature  (I).  Et  lui- 
même  quand  il  voulut  confondre  les  Juifs  et  dans  leurpersonnc 
tousles  incrédules,  il  ne  prononça  que  cette  parole  :  Scrutamini 
scripturas,  illce  sunt  qux  testimomum  perhibent  de  me  (2). 

On  ne  nous  désavouera  pas,  quand  nous  dirons  que  le 
Discours  sur  l'iiistoire  universelle  de  Bossuet  est  la  plus  belle  et 
la  plus  complète  apologie  delareligion.  Or,  ouïe  sait,  la  partie 
la  plus  forte,  la  plus  sublime  de  cet  immortel  ouvrage,  n'est 
qu\iue  éloquente  analyse  des  Livres  saints  ;  elle  a  pour  litre  : 
la  Suite  de  la  Religion. 

(1)  Marc,  xvr,  Ij. 

(2)  Joan.  v,  59. 


Dec    1SG3.1  ÉTUDES   SUR   LA   PRÉD1C\TI0\.  oU 

La  divinité  do  J.-C,  voilà  le  point  capital;  ce  point  établi, 
le  reste  suit  comme  conséquence  rigoureuse.  Cérinthe  avait 
osé  nier  ce  dogme  fondamental  de  notre  croyance  :  saint  Jean 
a  écrit  son  évangile  pour  confondre  cet  hérésiarque.  Il  serait 
difficile  de  mettre  la  vérité  dans  un  plus  grand  jour;  quand 
l'écrivain  sacré  ne  serait  pas  l'organe  de  l'Esprit-Saint,  il  de- 
meurerait toujours  le  logicien  le  plus  vigoureux,  l'orateur  le 
plus  entraînant. 

Et  cependant,  qu'oppose  saint  Jean  aux  raisonnements  cap- 
tieux de  Cérinthe?  Le  simple  exposé  des  faits  de  l'Évangile, 
les  miracles.  Comme  les  Juifs,  lui  dit-i!,  vous  vous  scandalisez 
de  voir  a  le  Verbe  divin  dans  l'infirmité  de  la  chair;  vous  re- 
«  fusez  de  voir  le  Fils  de  Dieu  dans  le  fils  de  Marie  ;  eh  bien  ! 
a;  à  vous  comme  aux  Juifs,  J.-C.  présente  ses  titres;  il  rend  la 
«  vue  aux  aveugles,  l'ouïe  aux  sourds,  la  parole  aux  muets  ; 
«  il  l'edresse  les  boiteux,  il  guérit  les  malades,  il  ressuscite  les 
«  morts;  frappée  par  cesprodiges,  unemultitude  innombrable 
«  croit  en  lui  et  publie  sa  divinité,  toute  la  nation  s'attache  à 
((  sa  personne.  »  Les  scribes  et  les  pharisiens,  déguisant  mal 
leur  dépit  sous  un  faux  semblant  de  bonne  foi,  s'approchent 
de  Jésus  et  lui  disent  :  Si  vous  êtes  le  Christ, l'envoyé  de  Dieu, 
pourquoi  nous  tenez-vous  en  suspens  ?  Dites-le  ouvertement. 
Et  Jésus  leur  répond  :  Opéra  qux  ego  facio  testimonium  perhi' 
bcnt  de  me...  Si  mihi  non  vultis  credere.,  operibus  crédite,  ut  co- 
gnoscatis  et  credatis  quia  Pater  in  mi  est,  et  ego  in  Patine  (I). 

La  réponse  est  sans  réplique,  parce  qu'en  cflfet  le  miracle 
est  la  prouve  la  plus  logique,  la  plus  frappante  ;  il  satisfait 
également  le  savant  et  l'ignorant,  les  grands  et  le  peuple. 

Négliger  cette  arme  puissante,  dire  qu'elle  ne  va  pas  aux 
préventions  de  l'époque,  c'est  faire  injure  aux  génies  de  tous 
les  âges,  qui  l'ont  employée  avec  succès,  c'est  rougir  de 
l'Évangile. 

(!)  Joan,  X,  •2-;,  38. 


542  ÉTUDES   SLR    LA   PRÉDICATION.  |Ton.e  VIII. 

11  est  vrai  que  les  scribes  et  les  pharisiens  ue  se  rendent 
pas;  à  l'éclat  de  la  vcrilé  ils  opposent  la  violence,  susiulerunt 
lapides  Judxi  ut  lapidarent  eum  (1),  et  plus  tard,  dans  la  ré- 
flexion, ils  inventent  cette  absurde  et  ridicule  objection  que 
Jésus  chasse  les  démons  au  nom  du  prince  des  démons  :  mais 
Jésus  sait  de  quelle  source  impure  vient  leur  résistance,  et  il 
met  le  doigt  sur  la  plaie  quand  il  leur  dit  :  Omnis  qui  maie 
agit  odit  lucem,  et  non  venit  ad  hicem,  ut  non  arguantur  opéra 
ejus  (2). 

11  est  possible  qu'en  présentant  aux  impies  de  nos  jours 
l'Évangile  dans  toute  sa  simplicité,  et  surtout  en  leur  rappor- 
tant les  faits  miraculeux,  nous  ne  rencontrions  qu'un  dédain 
superbe,  une  indifférence  mortelle.  Au  lieu  de  laisser  glacer 
nos  cœurs  à  ce  désolant  spectacle,  imitons  le  Sauveur.  Osons, 
nous  au>si,  dire  aux  contempteurs  de  noire  foi  :  o  Omnis  qui 
«  maie  agit,  odit  lucem.  Il  n'est  pas  étonnant  que  vous 
a  fermiez  les  yeux  quand  vous  avez  tout  à  redouter  de  la  lu- 
«  mière  qui  éclairerait  en  vous  des  mystères  d'iniquité;  votre 
«  jugement  est  trop  intéressé  pour  qu'il  fasse  loi,  pour  qu'il 
«  vous  soit  permis  de  l'opposer  à  nos  discours.  Si  vous  voulez 
c(  être  de  bonne  foi,  si  voulez  suivre  les  règles  de  la  jiistice 
«  humaine,  soyez  d'avance  résolus  à  tous  les  sacrifices,  re- 
«  noncez  à  vos  passions  qui  obscurcissent  vos  esprits,  rendez 
«  à  vos  cœurs  le  calme,  le  sang-froid,  l'impartialité  (]ui  doi- 
«  vent  présider  à  tous  les  jugements,  et  alors  vous  aurez  le 
«  droii  de  contredire  nos  paroles;  mais  alors  toute  obscurité 
a  cessera,  alors  vous  serez  convaincus  et  entraînés  :  Si  quis 
«  voluerit  voluntatem  ejus  {patris)  facere,  cognoscet  de  docirina 
«  utrum  ex  Deo  sit,  an  ego  a  mexpso  loquar  (5).  » 

N'est-il  pas  manifeste  que  ce  langage  va  à  la  noble  indépen- 


(!)  Joan.x,  Z\. 

(2)  Joan.  M,  20. 

(3)  Joan.  YM,  17. 


Dec,  18C3.1  ÉTUDES   SLH   LA   PRÉDICATION.  5-^3 

dance  de  l'orateur  sacré? Or,  ce  langage,  qii'est-il  autre  chose 
que  le  propre  langage  des  saintes  Écritures  ? 

Il  est  facile  de  concevoir  avec  quoi  succès  on  penl  développer 
les  idées  que  nous  venons  d'indiquer.  Beaucoup  résistent 
aux  raisonnements;  peu  refusent  de  se  rendre  à  l'évidence  des 
faits.  Et  quels  faits  plus  éclatants  que,  d'une  part,  les  crimes, 
les  catastrophes,  les  ruines  que  traîne  après  elle  rimpiétc  ;  et 
de  l'autre,  les  vertus,  le  dévouement,rhéroïsme,  les  merveilles 
qu'enfante  la  foi  chrétienne?  Et  ici  encore,  quelles  ressources 
ne  fournissent  pas  les  Écritures  en  général,  et  en  particulier 
l'Evangile  de  saint  Jean,  que  ceux  qui  sont  charges  du  minis- 
tère de  la  parole  devraient  savoir  par  cœur,  dans  ce  siècle 
d'incrédulité  et  d'égoismc. 

L'Ecriture  sainte  est  donc  une  mine  féconde  où  nous  trouvons 
tout  ce  que  nous  devons  prêcher  aux  iidèles.  Aussi  les  Pères 
et  les  docteurs  nous  font-ils  uu  devoir  d'y  puiser  sans  cesse. 
Saint  Ambroise  l'appelle  le  livre  des  prêtres  (I),  saint  Bernard, 
le  miroir  des  pasteurs  (2)  ;  saint  Ephrem  y  voit  un  arsenal,  un 
trésor  qui  renferme  les  l'émèdes  les  plus  précieux  :  Deus  divi- 
natn  nobis  donavit  Scripturam,  veluti  armamenlum,  atque  thésau- 
rus ynedicamentorum  (3). 

Il  faudrait  citer  tous  les  Pères  et  les  Conciles  si  nous  voulions 
mentionner  toutes  les  autorités  qui  ordonnent  au  prédicateur 
d'établir  ses  instructions  sur  le  fondement  solide  des  saintes 
Écritures.  Qu'il  nous  suflise  de  rappeler  ces  paroles  de  saint 
Jérôme  au  saint  prêtre  Népotien  :  Sermo presbyteri  scripturarum 
lectione  conditussit  (4). 

Saint  Augustin  déjà  prêtre  et  depuis  longtemps  orateur 
consommé,  comprenait  bien  cette  obligation,  quand  effrayé 
du  ministère  de  la  prédication,  dont  son  évèque  Valero  voulait 

(1)  S.  Ambros.,  de  Fide,  iib.  m,  cap.  7. 

(2)  Sermo  ad  Paslor.  iti  Synodo. 
(5)  Scrmo  de  Pal.  et  comp. 

(4)  HJeron.  EiAsf.  ad  ISepot. 


S44  ÉTUDES    SLR   LA.   PRÉDICATION.  [Tome  VIII. 

le  charger,  il  demanda  qu'on  lui  accordât  an  moins  du  temps, 
pour  se  préparer  à  ce  ministère  par  une  étude  plus  approfondie 
de  la  sainte  Écrituie  (I),  et  saint  Jean  Cbrysostôœe  nous  fait 
sentir  le  prix  et  les  avantages  de  celte  étude,  lorsqu'il  nous 
dit  en  narlaut  des  Epitres  de  saint  Pau!,  qu'il  lisait  ti-ois  fois 
chaque  semaine  :  Ncque  cnùnnos  quse  scimus  {si  qtix  scimus)  ab 
ingenii  bonitate  atquc  acumine  sciriws  :  sed  quod  illi  nos  vù'o 
impense  a/fecti,  ab  illius  Icctione  nunqiiam  discedimus  (2). 

Les  saints  Fères  ont  commencé  par  faire  eux-mêmes  ce  (ju'ils 
recommandent  avec  lant  de  soin  aux  autres.  On  n'en  trouvera 
pas  un  seul  qui  à  chaque  page  de  ses  écrits  ne  cite  les  Livres 
saiuts  ;  et  saint  Bernard  en  était  tellement  pénétré  qu'il  ex- 
prime presque  toujours  sa  pensée  avec  les  propres  paroles  de 
l'écrivain  sacré;  on  dirait  en  lisant  ses  ouvrages  qu'on  lit 
l'Ecriture  saiute  elle-même. 

Oui  sans  doute,  dira-t-on  peut-être,  oui  sans  doute  le  fond 
des  choses  est  dans  l'Ecriture,  mais  ne  pourrait-on  pus  trouver 
une  forme  plus  parfaite?  et  ne  sera-t-il  pas  permis  à  l'orateur 
sacré  de  s'inspirer  par  la  lecture  des  grands  maîtres  de  l'élo- 
quence profane?  Nul  doute  que  celte  lecture  ne  puisse  être 
utile.  Toutefois,  la  pratique  des  premiers  lemps  est  bien  digue 
de  remarque.  «  Ceux,  dit  Fénelon  (3),  qui  avaient  étudié  les 
«  lettres  humaines  lorsqu'ils  étaient  dans  le  siècle,  s'en  ser 
«  valent  pour  la  défense  delà  religion  ;  mais  on  ne  permettait 
«  pas  à  ceux  qui  les  ignoraient  de  les  apprendre,  quand  déjà 
«  ils  étaient  initiés  à  l'étude  des  saintes  Lettres  ;  on  était  per- 
ce suadé  que  l'Écriture  suffisait.  Si  vous  voulez  de  Thisloire, 
«  disent  les  Constitutions  apostoliques,  si  vous  voulez  des  lois, 
«  des  préceptes  moraux,  de  l'éloquence  et  de  la  poésie,  vous 
«  trouverez  tout  dans  rÉcriture.  » 

Et  de  nos  jours,  n'est-ce  pas  une  chose  avéïée,  au  jugement 

(1)  Eimt.  21  ad  Yalcr.  (alias  i^S.) 

(2)  Proœm.  cor.iniCnt.  in  epistol.  ad  Rom. 

(3)  Dialocjxies  sur  Vtloqucncc,  lomc  xxi,  p    10!. 


<5c,  1863.1  ÉTUDES   SDR  LA  PRÉDICATION.  "  S45 

vies  critiques  les  plus  accrédités,  les  plus  judicieux,  que  les 
beautés  littéraires  de  l'Écriture  l'emportent  de  beaucoup  sur 
les  beautés  des  auteurs  profanes?  Les  plus  belles  productions 
qui  honorent  notre  langue,  ne  sont-elles  pas  inspirées  par  les 
Livres  saints?  Il  suffit  de  lire  les  grands  maîtres  de  la  chaire 
pour  voir  qu'ils  ont  emprunté  à  cette  source  sacrée  leurs 
pensées  les  plus  nobles,  leurs  images  les  plus  frappantes,  et 
jusqu'aux  mouvements  les  plus  sublimes.  Et  si  Bossuet  s*est 
placé  au  premier  rang,  s'il  a  parlé  un  langage  que  nul  n'avait 
parlé  avant  lui,  et  que  nul  sans  doute  ne  parlera  après  lui, 
s'il  a  laissé  bien  loin  tous  les  orateurs  anciens  et  modernes, 
c'est  qu'on  s'a  jamais  été  plus  pénétré  que  lui  des  vérités 
saintes,  c'est  qu'aucun  prédicateur  n'a  égalé  ce  grand  homme 
dans  la  connaissance  dos  Écritures. 

Je  ne  purs  mieux  établir  ce  que  je  viens  de  dire  sur  Télo- 
quence  des  Livres  saints  qu'en  citant  les  belles  paroles  du 
P.  Lamy  dansunsavant  ouvrage  sur  l'objet  qui  nous  occupe  (1). 
<(  Los  prédicateurs,  dit  le  savant  oralorien,  sont  d'autant  plus 
«  iuexcufables  de  négliger  l'Écriture,  qu'il  n'y  a  point  pour 
«  eux  de  fonds  plus  riche  et  plus  inépuisable.  Tout  ce  qui 
«  soutient  l'éloquence,  les  actions  extraordinaires,  les  mots 
«  éclatants,  les  exemples,  les  comparaisons,  les  paraboles  s'y 
a  trouvent  avec  abondance.  Non-seulement  on  y  puise  la  vé- 
«  ritable  doctrine  ;  on  y  découvre  encore  tous  les  ornements 
a  qui  donnent  de  la  force  aux  discours.  Quelle  manière  d'en- 
«  seigner  plus  claire  et  plus  brève  que  l'Évangile?  Quel  ora- 
«  tour  peut  égaler  l'élévatiou  et  la  vébémence  des  Prophètes? 
«  Qui  sait  mieux  tourner  l'esprit  et  toucher  le  cœur  que  saint 
«  Paul?  Quoi  de  plus  propre  à  donner  au  discours  l'éclat  et  la 
«  magnificenci;  de  la  poésie  que  les  psaumes  de  David?  Enfin 
«  quelle  foule  innombrable  de  sentences  et  de  maximes  dans 
«  les  livres  de  Salomon  ?  » 

ji)  iniroduclioa  à  i'itcrilure-SalQlL',  jjréface. 

Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  t.  viu.  33-36. 


546  ÉTUDES   SUR   LA   PRÉDICATION.  [Torao  Mil, 

Après  un  témoignage  aussi  forme],  la  plupart  i]es  prêtres, 
déjà  fort  occupés  par  les  fonctions  si  nombreuses  clu  ministère 
et  qui  pourtant  ne  veulent  pas  négliger  une  des  plus  impor- 
tantes, celle  de  la  prédication,  devraient  peut-être  s'écrier 
avec  saint  Augustin  :  Omis^is  et  repudiatis  înusis  theatricis  et 
poeticis,  divinarum  Scripturarum  eonsideratione  et  tractafione 
pascamus  animum  (1). 

La  connaissance  de  la  sainte  Écriture  est  donc  indispensable 
au  prédicateur  ;  mais  cette  connaissance  ne  peut  s'acquérir 
qu'au  moyen  d'une  étude  profonde,  constante,  jounialière;  ce 
n'est  qu'en  la  méditant  sans  cesse  qu'on  peut  se  la  rendre 
familière  et  s'en  approprier  la  doctrine  et  les  expressions.  Et 
d'ailleurs  l'expérience  comme  l'autorité  des  hommes  les  plus 
doctes  et  les  plus  pieux  prouve  qu'on  découvre  chaque  jour 
dans  cette  mine  féconde  desbeautés  et  des  richesses  nouvelles. 

Divinam  scripturam  ssepius  lege  (1),  dit  saint  Jérôme  à  son 
cher  et  fidèle  Népotien,  imo  de  manibus  iuis  nunquam  sacra 
lectîo  deponatur  ;  disce  quod  doceas,  obtine  eum^  qui  secundum 
doctrinam  est,  fidelem  sermonem,  ut  possis  exhortari  in  doctrina 
sana  et  cont^mdicentes  revincere. 

On  dit  qu'il  est  difficile  de  composer  une  bonne  instruction 
Nous  ne  le  contestons  pas  ;  mais  qu'il  nous  soit  permis  de  dire 
qu'avec  l'étude  approfondie  de  l'Écriture  sainte,  un  très-grand 
nombre  de  prêtres  pourraient  surmonter  les  difficultés,  dont 
il  nous  semble  qu'on  s'effraie  beaucoup  trop.  A  l'exemple  de 
tous  les  saints  prêtres,  livrons-nous  avec  courage  à  cette  étude. 
Dans  une  première  lecture  suivons  la  Bible  en  entier,  en  nous 
attachant  à  connaître  le  vrai  sens  du  texte,  à  l'aide  d'un  court 
commentaire,  celui  de  Ménochius  par  exemple.  Lisons  la 
encore  une  seconde  fois,  et  marquons  les  différentes  parties 
qui  nous  semblent  offrir  plus  de  ressources  pour  la  prédication. 


(1)  S.  Aug.,  de  Fera  religione,  c.  n. 

(2)  S.  Hi  ron.  Epist.  ad  Nepot. 


Dec.  18fi3.j  ÉTUDES  SUR   LA   PRÉDICATION.  547 

Et  puis,  prenant  ces  parties  les  unesaprèsles  autres,  méditous- 
ea  profondément  et  le  fond  et  la  forme  ;  confions  à  notre 
mémoire  les  morceaux  les  plus  saillants;  repassons-les  sans 
«esse  dans  notre  esprit,  dans  nos  maisons  et  dans  nos  voyages, 
en  nous  levant  et  en  nous  couchant,  selon  cette  parole  du 
Deutéronome  :  Meditaberis  in  eis  sedens  in  domo  tua,et ambulans 
in  itinere,  dormiens  atque  consurgens  (t)  /  cherchons  le  parti  que 
nous  pouvons  tirer  de  tel  ou  tel  passage  pour  tel  ou  tel  sujet; 
indiquons  dans  un  cahier  par  ordre  alphabétique  et  l'endroit 
du  texte  et  nos  impressions  ;  et  soyons  assurés  qu'après  une 
étude  ainsi  conçue  et  ainsi  dirigée,  nous  serons  riches  de 
pensées  et  d'expressions. 

S'agit-il  de  composer  un  sermon?  A  l'aide  de  tant  de  bous 
livres,  il  n'est  pas  extrêmement  difficile  d'élablir  sur  un  sujet 
d'une  utilité  pratique  un  plan  suivi,  avec  une  division  ou  deux 
points  qui  ne  rentrent  pas  l'un  dans  l'autre  ,  deux  ou  trois 
subdivisions  ou  chefs  de  preuves  accompagnés  de  quelques 
applications  ou  détails  de  mœurs.  Cela  fait,  la  connaissance 
que  nous  aurons  acquise  de  l'Ecriture  sainte  nous  fournira 
beaucoup  plus  de  passages  qu'il  ne  nous  en  faudra.  Et  pour 
peu  qu'on  se  soit  exercé  à  lier  quelques  idées,  à  construire 
quelques  phrases,  onécrira  sans  une  grande  peine  son  discours  ; 
dans  la  chaleur  de  la  composition,  les  impressions  anciennes 
se  réveilleront,  et  les  allusions  les  plus  heureuses,  les  propres 
paroles  de  l'Ecriture  viendront  se  placer  comme  d'elles-mêmes 
sous  la  plume.  Un  sermon  ainsi  fait,  pourra  bien  manquer  à 
<juelques-uncs  des  règles  de  l'éloquence  profane;  il  péchera 
peut-être  en  quelques  points  contre  l'unité  du  sujet  ;  la  période 
ne  sera  pas  toujours  bien  arrondie,  la  phrase  bien  cadencée, 
il  y  aura  quelques  dissonances  dans  les  mots,  quelque  impro- 
priété dans  l'expression;  mais  ce  sermon  sera  un  discours 
utile,  un  discours  chrétien,  ce  sera  la  parole  de  Dieu.  Et  tan- 

(I)  Deutcroa.  m,  7. 


S48i  ÉTUDES  SUR    LA   PHÉDICADION.  [ToinoMlI- 

dis  que  l'orateur  disert^  en  laissant  son  auditoire  froid  et  glacé, 
n'excitera  que  l'admiration  de  quelques  hommes  superficiels, 
de  quelques  femmes  vaines  et  légères,  l'orateur  chrétien,  le 
vrai  prélicateur  tiendra  suspendues  à  ses  lèvres  les  masses  ef- 
frayées ou  attendries.  Il  ne  songeait  qu'au  triomphe  de  la 
vérité  et  à  la  gloire  de  son  Dieu  :  les  gémissements  et  les  larmes 
des  pécheurs  lui  apprendront  qu'il  a  frappé  juste  et  lui  décer- 
neront les  palmes  du  vrai  mérite  :  Lacrymse  auditorum  laudes 
iux  sint  (1).  C'est  bien  ici  le  lieu  de  s'écrier  avec  le  cardinal 
Maury,  faisant  l'éloge  de  l'éloquence  tout  évangélique  de 
Bridaine  :  «Orateurs  qui  ne  songez  qu'à  votre  seule  renommée, 
«  reconnaissez  ici  votre  maître  !  Tombez  aux  pieds  de  cet 
«  homme  apostolique,  et  apprenez  d'un  missionnaire  ce  que 
a  c'est  que  la  véritable  éloquence  !  Le  peuple  !  le  peuple  ! 
«  voilà  le  véritable,  le  premier  juge  de  votre  talent,  et  dans 
a  votre  carrière,  l'infaillible  et  suprême  dispensateur  de  la 
a  gloire  (2).  » 

Toutefois,  on  doit  le  reconnaître ,  plusieurs,  quoiqu'en 
moindre  nombre  qu'on  ne  pense,  sont  dans  l'impossibilité  de 
composer  un  sermon.  Il  faut  pourtant  qu'ils  instruisent  : 
nécessitas  iacumbit.  Ils  le  feront  dans  de  courtes  homélies,  dans 
l'explication  du  catéchisme,  explication  raisonuée  pour  le 
peuple,  toute  simple  pour  les  enfants. 

Quant  aux  homélies,  le  plan,  la  suite,  les  sujets,  les  détails, 
tout  est  prêt  pour  celui  qui  a  quelque  connaissance  de  la 
sainte  Écriture.  Qu'il  lise  attentivement  et  d'avance  l'Évangile 
iixé  pour  chaque  dimanche  ;  avec  l'aide  de  quelques  livres, 
le  prêtre  le  plus  médiocre  se  mettra  à  même  de  dire  à  son 
peuple  d'excellentes  choses,  et  pour  peu  qu'il  ait  d'exercice, 
de  piété  et  de  zè'.e,  il  sera  souvent  très-heureux,  et  intéres- 
sera d'autant  plus  son  auditoire  qu'il  se  présentera  avec 
moins  de  prétention  et  d'apprêt. 

(1)  S.  Hieron.  Evisl.  ad  Nepot. 
(2)  Maury,  jBssaî  SMr  Céloquence^  I.  i,  p.  156. 


Dec.  1863.1  ÉTUDES   SUR   I.A    PRÉDICATION.  ;J49 

S'agit-il  de  l'explication  de  la  doctrine  chrétienne  ?  La  reli- 
gion repose,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  sur  les  faits  évan- 
géliques  ;  souvent  le  pasteur  n'aura  qu'à  rapporter  ces  faits  à 
nos  grandes  solennités  de  l'Annonciation,  de  Noël,  de  Pâques, 
de  la  Pentecôte;  l'histoire  des  grands  événements  que  rap- 
polieiit  CCS  fêtes  fera  tous  les  frais  du  prône;  et  si  le  pasteur 
a  su  saisir  la  manière  si  naïve,  si  populaire,  si  dramatique  des 
historiens  sacrés,  il  verra,  à  l'attitude  de  son  peuple,  qu'il  a 
trouvé  le  secret  de  le  charmer. 

On  trouvera  dans  les  livres  historiques,  dans  les  paraboles 
de  l'Evangile,  dans  la  vie  de  J.-C.  et  des  Apôtres,  mille  traits 
qui  feront  toucher  du  doigt  la  vérité,  et  les  moyens  les  plus 
efficaces  d'intéresser  les  plus  grossiers,  de  fixer  l'attention 
des  plus  volages.  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  meubler  sa  mémoire 
des  récils  si  authentiques  de  nos  Livres  saints,  que  de  certaines 
histoires  sans  gravité,  sans  autorité,  qui  ressemblent  parfois 
à  des  contes  puérils,  et  avec  lesquelles  un  homme  trop  simple 
ou  peu  judicieux  peut  compromettre  la  religion  dans  l'esprit 
des  gens  sensés. 

Que  n'aurions-nous  pas  à  dire  des  avantages  que  donne  au 
prêtre  la  connaissance  des  Livres  saints  pour  la  plupart  des 
autres  fonctions  de  son  ministère  ?  Mais  il  est  temps  de  terminer 
cet  article. 

Puissè-je  avoir  montré  que  l'étude  de  l'Écriture  sainte 
fournit  au  prédicateur  d'innombrables  richesses.  Quoiqu'il  eu 
soit  de  mes  paroles,  le  prêtre  pénétré  de  l'esprit  de  foi  n'en  de- 
meurera pas  moins  empressé  pour  une  étude  aussi  précieuse, 
parce  qu'il  aura  toujours  présente  à  l'esprit  cette  recomman- 
dation de  l'Apôtre  :  Attende  lectioni...  Omnis  sc7'iptura  divinitus 
inspirata  utilis  est  ad  docendum,  ad  arguendum,  adcorripienduniy 
ad  erudiendum  injustitia  (1). 


Barciet, 
Chauoine-archiprêtre  d'Aucli. 


(1)  1  Tim.  IV,  13  ;  —  II  Tim.  m,  16. 


PATRONS    ET    TITULAIRES 


DES   EGLISES   NON   CONSACREES. 


Depuis  quelques  années,  il  se  répand  une  opinion  ayant 
trait  à  l'une  des  questions  les  plus  graves,  et  en  même  temps 
les  plus  pratiques  de  la  science  des  saints  Rites  :  différents 
Ordo  en  font  mention  dans  leurs  prxnotanda ;  des  Revues  s'en 
occupent,  quoiqu'un  peu  superficiellement;  des  auteurs  ré- 
cents en  ont  même  écrit,  mais  sans  s'inspirer  assez  et  de  la 
véritable  teneur  des  décrets  de  la  Sacrée  Congrégation  des 
saints  Rites,  et  de  la  belle  et  profonde  doctrine  des  maîtres  de 
la  science  liturgique.  Nous  allons  essayer  de  combattre  cette 
opinion,  ou  plutôt  d'exposer  dans  toute  son  ampleur,  de  bien 
préciser,  et  en  elle-même  et  dans  ses  conséquences,  la  grande 
vérité,  autour  de  laquelle  elle  s'exerce  sans  la  saisir,  sans  lui 
donner  tous  les  droits  qu'elle  a,  soit  à  l'attention  publique, 
soit  à  l'observation  exacte  des  principes  qui  en  dépendent. 

Énonçons  tout  d'abord,  d'une  manière  claire  et  formelle,  la 
pensée  qui  forme  la  base  de  cette  opinion  :  elle  suppose  que 
les  patrons  ou  titulaires  des  églises,  des  oratoires  publics  n'ont 
pas  de  condition  liturgique.  (Nous  userons,  dans  le  cours  de 
cet  article,  d'un  langage,  de  termes  un  peu  techniques,  re- 
quérant même  d'assez  amples  notions  liturgiques;  tout  cela 
est  plus  que  permis  avec  les  lecteurs  habituels  de  la  Revue 
des  Sciences  ecclésiastiques;  c'est  une  haute  convenance  pour 
eux,  ce  sera  pour  nous  un  grand  avantage.)  Avant  d'examiner 
de  près  la  valeur  des  principes  sur  lesquels  prétend  s'appuyer 
la  question  qui  nous  occupe,  il  sera  utile  de  faire  quelqm^s 


Dec.  18C3.1  TAIRONS  ET  TITULAIRES  DES  ÉGLISES  NON  CONSACRÉES.        5b^ 

observations  générales,  qui  sont  de  nature,  ce  nous  semble, 
à  jeter  un  grand  jonr  sur  toute  cette  matière. 

Les  patrons  ou  titulaires  des  édifices  députés  au  culte  divin 
et  tout  spécialement  à  la  célébration  du  Saint-Sacrilice,  pour 
avoir  une  condition  liturgique,  doivent  leur  être  attribués, 
imposés  par  la  sainte  Eglise  elle-même  d'une  manière  solen- 
nelle, c'est-à-dire  par  l'action  de  ses  ministres,  lesquels,  gé- 
néralemeut  ou  spécialement  qualifiés  à  cet  effet,  accomplissent 
en  son  nom  les  cérémonies  saintes  qu'elle  a  déterminées  dans 
ce  dessein  :  ces  cérémonies  sont  la  Dédicace  ou  consécration, 
strictement  réservée  aux  évéques,  et  pour  cela,  décrite  seule- 
ment dans  le  Pontifical;  la  bénédiction  d'une  église  nouvelle 
ou  d'un  oratoire  public,  exprimée  dans  le  Rituel,  qi:i  peut 
être  confiée  à  un  simple  prêtre,  en  vertu  d'une  délégation 
spéciale  de  l'ordinaire  du  lieu.  —  Primitivement,  la  dédicace 
ou  consécration  était  seule  emplo3'ée  et  se  trouvait  même  ab- 
solument obligatoire  pour  tous  les  lieux  du  moins  où  devait 
être  ofïert  le  Saint-Sacrifice,  ainsi  qu'il  appert  de  ce  texte  re- 
marquable de  Benoît  XIII  {In  Concil.  Roman.,  tit.  xxv,  c.  1)  : 
«  Antiqua  mandant  Sanctorum  Patrum  décréta,  ut  sicut  non 
«  alii  possuut  quam  sacrati  Domino  saccrJoies,  sacia  pera- 
«  gère,  et  liostias  offerre  super  allare,  ita  non  alibi,  nécessitas 
«  nisi  summa  coegeril,  quam  in  Deo  dedicatis  locis,  i.  e.  in 
«  Tabernaculis,  divinis  ab  Episcopo  precibus  delibutis,  divina 
((  deljeiit  sacriticia  celebrari.  Incumbant  quocirca  episcopi, 
6  ut  ecclesise  saltem  catbedrales  et  parocbiales  et  majora  ip- 
(1  5orum  altaria  solemniter  consecrentur.  »  Disons-le  en  pas- 
sant, la  doctrine  reiifermée  dans  ce  texte  n'est  pas  tout-à-fait 
conforme  à  celle  communément  admise  aujourd'hui  en  France  : 
tout  récemment,  cette  doctrine,  si  on  peut  lui  donner  ce 
nom,  figurait  dans  la  bouche  d'un  auteur  réputé  grave,  ayant 
écrit  en  latin  et  publié  plusieurs  traités  de  théologie  morale, 
ainsi  qu'on  dit  vulgairement;  cet  auteur  affirmait  qu'on  ne 
peut  consacrer  que  des  cathédrales  ou  des  édifices  équivalents, 


bb2  PATRONS   ET  TITLLAinES  (Tome  Mil. 

monnmeDtaiix,  mais  que  de  simples  églises,  même  parois- 
siales, ne  sauraient  prétendre  à  cet  honneur. 

A  quelle  époque  le  rite  de  la  consécration,  cessant  d'être 
strictement  obligatoire,  a-t-il  été  remplacé  par  celui  de  la 
bénédiction  solennelle  ?  —  Le  docte  Fornici  [Inst.  lit.,  part,  m, 
c.  9),  résumant,  suivant  son  habitude,  tout  l'enseignement, 
déclare  que  les  auteurs  s'abstiennent  communément  de  préci- 
ser le  temps  auquel  s'est  opérée  cette  substitution.  Mais  une 
chose  est  certaine,  dit  Paul  Carli  [Bibliotheca  hturg.,  v.  Eccle- 
sia),  s'autorisant  de  la  doctrine  de  Catalani  [Comm.  in  Rit,, 
vol.  II,  tit.  VIII,  c.  29\,  de  celle  de  Cavalieri  (vol.  I,  c.  il,  dec.  3), 
de  Barrufaldus  {In  Rit.,  tit.  lxxii,  n.  88);  c'est  que  la  bénédic- 
tion n'est  employée,  en  un  sens,  que  provisoirement  :  «  In 
«  subsidi'.im  et  ad  modum  provisionis,  non  autera  de  natura 
«  loci  tam  digni,  cui  de  jure  consecratio  adbibenda  est.  »  De 
sorte  que,  loin  d'exclure  la  dédicace  qui  pourrait  avoir  lieu 
subséquemment ,  elle  l'attend  plutôt  et  la  réclame.  C'est 
d'ailleurs  ce  qu'insinue  assez  clairement  le  Rituel  par  ces 
paroles  :  «  Ecclesia  vero  quamvis  a  simplici  sacerdote,  ut  su- 
«  pra,  benedicta  sit,  ab  Episcopo  tamen  consecrauda  est.  » 
{Ritus  bened.  nov.  eccl.  seu  orat.  publ.)  Ces  termes  ont  paru 
même  si  expressifs  à  Castaldus,  qu'il  l'ont  déterrai ué  à  les 
commenter  ainsi  :  «  Ecclesia  autem  hoc  modo  a  simplici  sa- 
«  cerdote  benedicta,  débet  omniuo,  opportuno  tempore  po- 
0  stea  ab  Episcopo  consecrari.  » 

Or,  quoique  le  rit  de  la  bénédiction  soit  un  cérémonial  in 
subsidium,  per  modum  provisionis  relativement  à  la  consécra- 
tion proprement  dite,  il  ne  laisse  pas  d'avoir  avec  elle  d'in- 
times rapports  quant  aux  effets.  «  Ainsi,  dit  Fornici  {ioc.  cit.), 
les  oratoires  seulement  bénis  sont  et  demeurent  perpétuelle- 
ment voués  à  Dieu  tout  aussi  bien  que  les  églises  qui  ont  été 
solennellement  consacrées,  et  c'est  pour  ce  motif,  continue  le 
même  auteur,  que  les  oratoires  érigés  dans  les  demeures  pri- 
vées, ne  pouvant  pas  être  voués  perpétuellement  à  Dieu,  mais 


Dér,  1863.1  Ï^ES  ÉGLISES   K0.\   CONSACRÉES.  553 

seulement  selon  le  bon  plaisir  de  celui  qui  jouit  du  privilège 
des  dits  oratoires,  ne  sauraient  être  l'objet  de  la  bénédiction 
solennelle  prescrite  par  le  Rituel  ;  on  doit  seulement  les  sanc- 
tifier par  l'aspersion,  en  faisant  usage  de  la  formule  de  prière 
générale  et  commune  que  le  Rituel  indique  pour  la  sanctifica- 
tion d'yne  maison  nouvellement  édifiée.  » 

Examinons  à  présent,  d'une  manière  directe  et  positive,  la 
valeur  de  l'opinion  que  nous  avons  indiquée.  —  Il  est  hors 
de  doute  que  les  titulaires  ou  patrons  des  églises  et  oratoires 
solennellement  bénis  ont  toute  la  condition  liturgique  que  le 
droit  reconnaît  à  ceux  des  édifices  solennellement  consacrés. 
Un  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  fixe  irrévoca- 
blement ce  point  de  la  doctrine  liturgique  considéré  en  tant 
que  principe  :  ce  décret  est  du  21  juin  1740.  C'est  ce  que  dé- 
montre avec  la  dernière  évidence  l'illustre  Cavalier!  (vol.  I, 
c.  2,  déc.  3),  le  prince  des  commentateurs  des  décrets  litur- 
giques.^ainsi  que  le  désigne  Gardellini,  si  bon  juge  en  pareille 
matière.  Après  s'être  posé  toutes  les  objections  qui  pouvaient 
être  faites  à  ce  sujet  et  les  avoir  viclorieuseaient  réfutées, 
Cavalieri  développe  la  doctrine  sur  laquelle  repose  ce  décret 
mémorable.  iVoici  une  idée  sommaire  de  son  enseignement  : 
1°  Les  rubriques,  en  faisant  mention  du  titulaire  ou  patron 
d'ime  église,  ne  disent  absolument  rien  de  la  circonstance  de 
sa  consécration;  2»  le  patron  ou  titulaire  d'une  église,  suivant 
tous  les  auteurs,  étant  le  saint  ou  le  mystère  sous  le  nom  du- 
quel cette  église  a  été  érigée  et  vouée  au  culte  divin,  il  en  est 
de  ce  nom  comme  de  celui  qu'on  impose  à  l'enfant  au  bap- 
tême :  il  sert  à  la  désigner,  ainsi  que  cbaque  fidèle  est 
désigné  par  le  nom  qui  lui  a  tté  donné  dans  la  sainte  cérémo- 
nie baptismale  Or,  toute  église,  d'après  le  rit  de  la  bénédic- 
tion, reçoit  aussi  bien  que  suivant  celui  de  la  consécration  la 
dénomination  d'un  saint,  d'un  mystère  ;  donc,  en  toute  ri- 
gueur de  principe,  ce  saint,  ce  mystère  en  devient  vraiment 
le  patron  ou  le  titulaire  :   £rgo  in  omni  omnino  rigore  res  illa, 


Sj4  patrons    et   titulaires  ITumc  Vîîl. 

sanctusilleest ej usdem  titularis  aut  patronus.  Etde  fait,  coDiinue 
ce  même  auteur,  ce  lieu  ainsi  bénit  passe  d'un  état  profane  à 
un  état  saint,  qui  le  rend  participant  de  tous  les  privilèges,  de 
toutes  les  immunités  que  le  droit  civil  et  le  droit  ecclésiastique 
attribuent  aux  édifices  sacrés,  et  il  en  jouit  absolument  comme 
s'il  eût  été  sanctifié  par  la  consécration  proprement  dite; 

Mais  il  faut  à  l'instant  répondre  à  une  question,  qui,  pour 
être  en  soi  secondaire,  ne  laisse  pas  de  dominer  par  sou  im- 
portance pratique  dans  toute  cette  matière,  et  d'être  même, 
on  peut  du  moins  le  penser,  la  seule  et  vraie  cause  de  l'er- 
reur que  nous  combattons  ici.  En  effet,  celte  question  jette 
dans  plusieurs  esprits  une  grande  confusion,  et,  s'y  trouvant 
mêlée  à  la  première,  empècbe  d'en  bien  saisir  toute  la  por- 
tée ;  c'est  à  notre  avis  la  principale,  pour  ne  pas  dire  la 
seule  raison  qui  a  occasionne,  même  après  le  décret  si  formel 
du  21  juin  d710,  tant  d'indécision,  tant  d'erreurs  en  cette  ma- 
tière. Que  faut-il  entendre  ici  par  église  seulement  bénite, 
dont  le  titulaire  ou  patron  doive  prendre  rang  dans  les  droits, 
privilèges  et  prescriptions  liturgiques?  Nous  dirons  d'abord, 
toujours  avec  le  savant  Cavalieri,  qu'il  ne  saurait  être  ques- 
tion ici  de  patrons  ou  titulaires  d'oratoires,  de  chapelles,  d'an- 
tels  compris  dans  l'enceinte  d'un  édifice  religieux,  tout  en 
faisant  mention,  pour  être  scrupuleusement  exact,  qu'il  a 
existé  autrefois  une  assez  forte  controverse  à  ce  sujet,  la- 
quelle a  élé  dirimée  par  le  décret  du  28  août  1628;  ce  décret 
paraît  avoir  été  ignoré  jusqu'à  la  publication  de  la  Collection 
authentique  de  Gardellini. 

En  second  lieu,  il  ne  peut  s'agir  ici  non  plus  des  oratoires 
érigés  dans  des  maisons  privées  ou  ailleurs,  mais  sans  une 
destinalion  exclusivement  et  perpétuellement  religieuse,  qu'on 
leur  attribue  ou  non  des  patrons  ou  des  titulaires  ;  car  ces 
oratoires  n'étant  pas,  ne  pouvant  pas  être  bénits  solennelle- 
ment, ainsi  qu'il  a  été  observé  plus  haut,  n'ont  pas  reçu  de  la 
sainte  Église,  dès  lors  ne  possèdent  pas,  à  proprement  parler, 
de  patron,  de  titulaire. 


DJc.   18G3.]  DES   ÉGLISES   KON   CONSACRÉES.  555 

Ici  se  présente  d'elle-même  une  question  qui  ne  manque  pas 
de  gravité  :  tout  le  monde  sait  que,  parmi  nous,  il  arrive  assez 
souvent  qu'on  fait  usage  de  ia  béuédiclion  solennelle  pour 
sanctifier  des  oratoires  purement  privés  ou  des  chapelles  qui 
ne  doivent  servir  que  temporairement  au  culte.  Quid  juris? 
Qu'une  telle  bénédiction  soit  pleinement  illicite,  il  ne  peut 
exister  aucun  doute  à  cet  égard,  attendu  qu'en  l'employant, 
ou  viole  une  loi  ecclésiastique  positive,  qui  ne  ressort  pas 
seulement  de  l'enseignement  général  de  la  sainte  Église  concer- 
nant cette  matière,  mais  qui  se  trouve,  de  plus,  formellemciit 
consignée  dans  une  de  ses  ordonnances  (Dec.  Il  aug.  1820). 
Cette  bénédiction  devient-elle,  en  outre,  radicalement  nulle? 
Il  nous  semble  qu'on  pourrait  l'affirmer  sans  crainte  :  il  s'agit 
ici  d'une  prescripliou  positive  et  générale  reposant  même  sur 
de  très-graves  motifs  d'une  valeur  intrinsèque.  Ou  sait  qu'en 
pareil  cas  le  Souverain-Fontife  seul,  usant  de  son  pouvoir 
plein  et  absolu,  peut  octroyer  une  dispense  de  nature  à 
légitimer  un  acte  opposé. 

Nous  dirons  en  troisième  lieu  que  s'il  s'agit  de  tout  autre 
édifice  religieux,  qu'on  lui  donne  le  nom  d'oratoire,  de  cha- 
pelle, ou  tout  autre  de  ce  genre,  nul  doute  qu'on  ne  doive 
en  honorer  le  titulaire  ou  le  pati'on,  selon  toutes  les  prescrip- 
tions liturgiques  qui  règlent  ce  point  de  disciphne,  quoique  le 
dit  oratoire  n'ait  pas  été  consacré,  mais  seulement  solennel- 
lement bénit.  «  Si  sermo  sit  d3  capellis,  prout  earumdem  nu- 
a  mine  veniunt  sacella,  oratoria  vel  ecclesiolae  in  quibus  missa 
«  celebratur,  non  dubitamus  earumdem  titulumvelpatronum 
<(  cum  officie  et  missa  sub  ritu  dupl.  1.  cl.  cum  octava  excoli 
«  debere,  tametsi  non  sit  consecrata  sed  solummodo  bene- 
«  dicta,  cum  ad  festivitatem  de  titulo  inducendam  juxta  prae- 
«  sens  decretum,  consecratio  non  requiratur  sed  benedictio 
«  sulficiat  :  ratio  autem  horum  est  quia  prsefatse  capellae  pu- 
«  blicse  veniunt  nomine  ecclesite.»  (Vol.  I,  c.  ii,  dec.  3,  n.  22.) 
Ainsi  parle  Cavalieri,  lequel  qualifie   celte  doctrine  de  senti- 


5^6  PATRONS  ET  TITULAIRES  [Tom-  VIII. 

ment  commun  parmi  les  Jiturgistes.  C'est,  en  effet,  celui  de 
Guyet,  du  Parnormitain,  de  Syivester,  de  Diana,  de  Leau- 
der,  etc. 

Toutefois,  cette  même  doctrine  doit  paraître  pour  le  moins 
étrange  à  tous  ceux  qui,  lisant  le  présent  article,  ont  pu  voir 
cette  matière  traitée  en  d'autres  Revues,  et,  à  l'instant,  il  leur 
est  venu  à  l'esprit  le  décret  du  12  novembre  1831,  que  ces 
Revues  ne  cessent  de  produire,  l'accompagnant  de  nombreux 
commentaires,  et  cela,  chose  étonnante  !  sans  l'avoir  jamais 
compris;  on  pourrait  dire  plus,  sans  l'avoir  jamais  bien  lu. 

Une  réflexion  d'abord  se  présente  tout  naturellement.  Per- 
sonne n'ignore  que  les  Congrégations  romaines  sont  l'au- 
torité la  plus  grave,  non-seulement  par  l'éminence  de  la  di- 
gnité des  membres  qui  les  composent,  mais  aussi  et  plus  en- 
core, si  c'est  possible,  par  la  science  vaste  et  profonde  dout  ils 
sont  ornés.  C'est  dire  peu,  en  affirmant  qu'ils  se  trouvent 
parfaitement  au  courant  de  la  doctrine  ayant  quelque  rapport 
avec  les  questions  qu'ils  ont  à  résoudre.  Si  on  avait  le  moindre 
doute  à  cet  égard,  on  n'aurait  qu'à  jeter  un  coup  d'œil  sur 
le  travail  préparatoire  du  premier  consulteur  venu  ayant  à 
rendre  compte  d'une  difficulté  proposée:  on  verrait  à  l'instant 
qu'il  n'est  rien  de  plus  complet  en  fait  d'observation,  de  cri- 
tique, d'érudition,  en  un  mot,  pour  tout  ce  qui  tient  à  la  vé- 
ritable science.  Une  autre  chose  est  également  certaine  :  c'est 
que  rarement,  ou  pour  mieux  dire  jamais,  les  réponses  que 
donnent  les  Congrégations  ne  se  trouvent  opposées  au  senti- 
ment commun  des  docteurs;  très-souvent,  au  contraire, 
même  en  matière  fortement  controversée,  elles  se  bornent  à 
dire  :  Probatos  consulant  auctorcs.  Cela  étant,  comment  aurait- 
il  pu  arriver  que  le  décret  du  12  novembre  1831  eût  le  sens 
qu'on  lui  attribue,  lequel  se  trouve  en  opposition  formelle 
avec  l'enseignement  que  nous  venons  d'exposer,  et  qui  est 
bien,  en  effet,  au  témoignage  de  Cavalieri,  le  sentiment  com- 
mun des  docteurs  ? 


Dec.  13G3.1  DF<î   ÉGHSE3   NON   CONSACRÉES.  bbl 

Mais  répondons  directement  à  la  difficulté  qu'on  fait  à  ce 
sujet.  1°  La  demande  adressée  à  la  Congrégation  est  d'une 
généralité,  d'un  vague  remarquable,  dénotant  une  ignorance 
peu  commune  des  notions  les  plus  élémentaires  de  la  science 
liturgique  ;  elle  exigerait  sept  ou  huit  sous-questions,  et  en- 
core parfaitement  circonstanciées  ,  pour  être  suffisamment 
claire  et  précise  :  on_.  demande  purement  et  simplement  si  la 
fête  du  titulaire  des  chapelles  publiques,  des  oratoires  qui 
existent  dans  les  demeures  épiscopales,  les  séminaires,  les 
hôpitaux,  les  communautés  des  Réguliers,  les  maisons  pri- 
vées, doit  être  célébrée,  etc.  La  réponse  est  ce  qu'elle  devait 
être,  ce  qu'elle  est  toujours  en  pareil  cas,  négative.  Notez  en- 
core qu'il  n'est  fait  nullement  mention  dans  la  demande  du 
fait  de  la  bénédiction  solenuelie^des  dits  oratoires,  point  fon- 
damental duquel  dépend  rigoureusement  la  légitimité  des 
patrons  et  titulaires. 

La  plupart  de  ces  observations  s'appliquent  aussi  à  un  autre 
décret  du  12  septembre  18i0,  duquel  on  prétend  s'autoriser. 
La  question  posée,  quoique  plus  simple,  puisqu'elle  ne  con- 
cernait que  l'oraisou  A  cunctis,  n'ayant  pas  la  précision  et  la 
clarté  convenables,  la  réponse  est  aussi  négative,  ainsi  que 
pour  le  décret  précédent.  On  le  voit,  les  écrivains  qui  ont 
voulu  trouver  dans  ces  décrets  une  doctrine  opposée  à  celle 
des  maîtres  de  la  science  liturgique,  n'ont  pas  été  fort  heu- 
reux, à  tout  le  moins,  dans  leurs  déductions. 

Mais  voici  une  dernière  preuve  qui  doit  clore  absolument  le 
débat.  En  1852,  la  société  de  Marie,  dont  la  maison  principale 
est  à  Lyon,  ne  se  trouvant  pas  pleinement  satisfaite  appa- 
remment de  l'interprétation  qu'on  donnait  aux  décrets  de  1831 
et  de  1840,  adressait  pour  sou  usage  particulier  à  la  Sacrée 
Congrégation  des  Rites  une  demande  qui  avait  au  moins  l'a- 
vantage d'être  très-claire,  très-précise,  pleinement  circonstan- 
ciée :  on  sollicilait  d'abord  une  règle  sûre,  positive  et  authen- 
tique, pour  discerner  l'oratoire  public  susceptible  de  la  béné^ 


SS8  PATRONS   ET    TirULAIRES  |Tomo  VIU - 

diction,  de  l'oratoire  strictement  privé,  qui  ne  peut  en  être 
favorisé  ;  en  second  lieu,  dans  la  prévision  que  cette  règle 
serait  (ce  qui  arrive  en  effet)  celle-là  même  que  donnent 
généralement  les  auteurs  et  notamment  Gardellini,  dont  la 
Sacrée  Congrégation  aime  tant  à  s'inspirer  dans  ses  décisions  : 
Oratoria  publica  illa  sunt  qux  cunctis  patent  et  in  viam  publi- 
cam  habent  apertum  ostium  (aduot.  ad  dec.  11  mart.  1820),  il 
avait  été  exprimé  que  la  société  de  Marie  avait  plusieurs  ré- 
sidences possédant  des  oratoires  dans  les  susdites  conditions, 
ayant  été  bénits  solennellement  par  l'ordinaire  du  lieu  lui- 
même  ou  par  un  prêtre  à  ce  très-spécialeraent  délégué  par 
lui.  La  Sacrée  Congrégation  répond  qu'on  doit  solenniser  la 
fête  de  leurs  patroiis  ou  titulaires,  en  faire  le  suffrage,  etc., 
ajoutant  cette  restriction,  qui  manifeste  si  bien  toute  sa  pen- 
sée :  Ab  us  tantum  qui  inho.bitant  domum  qux  o.dnexum  habet 
prxdictum  oratorium.  Ce  décret  important  est  du  l^""  avril 
1852  ;  nous  avons  eu  l'avantage  d'en  avoir  entre  les  mains  le 
texte  authentique  et  de  le  lire  plusieurs  fois  attentivement.  Il 
est  à  regretter  que  la  Revue  intitulée  :  Analecta  juris  Ponti- 
ficii,  qui  se  publie  à  Rome,  n'ait  pas  eu  la  bonne  fortune, 
ainsi  qu'en  d'autres  occasions,  de  rencontrer  le  décret  en 
question  ;  publié  par  elle,  ce  décret,  vu  la  grande  circulation 
dont  elle  jouit,  aurait  dissipé,  ou  plutôt  prévenu  bien  des 
incertitudes,  bien  des  méprises,  bien  des  erreurs  mêmes,  et  la 
simple  lecture  de  ce  décret  si  précis  et  si  formel  aurait  suffi 
pour  ne  point  permettre  qu'on  en  vînt,  entre  autres  choses,  à 
faire  usage  eu  cette  circonstance,  dans  un  article  assez  étendu 
concernant  cette  matière,  d'un  langage  assez  mal  sonnant  d'a- 
près lequel  on  désigne  à  plusieurs  reprises,  sous  le  nom  de 
Congrégations  séculières^  les  corps  religieux  approuvés  par  le 
Saint-Siège  et  émettant  des  vœux  simples  et  perpétuels. 

Si  nous  nous  permettons  de  relever  cette   manière  de  s'ex 
primer,  ce  n'est  pas  pour  faire  une  difficulté  de  mots  à  l'au- 
-teur   qui  l'emploie,   encore  moins  pour  lui  reprocher  de  ne 


Bée.  18G3.]  DES   ÉGLISES   NON  CONSACRÉES.  559 

pas  savoir  que  les  instituts  religieux  à  vœux  simples  et  perpé- 
tuels ne  difierenl  pas,  quant  à  l'essence,  de  ceux  qui  émettent 
des  vœux  ou  solennels  ou  solennisés  ;  mais  il  nous  a  paru  im- 
portant pour  la  cause  de  la  vérité,  en  ce  qui  touche  à  la 
liturgie,  de  ne  pas  laisser  supposer  que  les  nouvelles  Sociétés 
régulières  que  le  Saint-Siège  approuve  en  ces  temps  ne  sont 
pas  à  ses  yeux  sur  le  même  rang,  au  moins  pour  tout  ce  qui 
concerne  les  prescriptions  liturgiques,  que  les  anciens  corps 
approuvés  antérieurement.  C'est  d'ailleurs  ce  que  vient  de 
confirmer,  avec  une  force  et  une  évidence  qui  peut-être  ne 
s'était  pas  encore  produite  jusqu'à  ce  jour,  le  décret  qui  ac- 
corde un  Calendrier  propre  à  la  société  du  Très-Saint-Sacre- 
ment, approuvée,  comme  on  sait,  dans  le  courant  même  de 
cette  année.  Nous  transcrirons  sur  l'authentique  même  ledit 
décret  à  la  fin  du  présent  article. 

Après  ces  données  diverses,  nous  dirons,  en  énonçant  une 
conclusion  directe  et  succincte,  que,  et  suivant  la  doctrine  des 
auteurs,  et  suivant  la  teneur  des  décrets  du  Saint-Siège,  il  est 
indubitable  que  les  titulaires  ou  patrons  des  oratoires  publics 
solennellement  bénits,  jouissent  de  tous  les  droits  liturgi- 
ques qui  afférent  à  ceux  des  églises  consacrées;  c'est-à-dire  : 
l**  que  les  ecclésiastiques  qui  desservent  ces  oratoires  leur 
sont  atî.ach(''S  en  toute  rigueur  de  service;  les  religieux  ou 
autres,  tels  que  séminaristes,  qui  résident  dans  des  maisons 
auxquelles  sont  annexés  les  dits  oratoires,  doivent  en  célébrer 
l'oûice  sous  le  rit  double  de  première  classe  avec  octave,  et 
en  faire  mémoii-e  aux  suffrages  toutes  les  fois  qu'il  y  a  lieu, 
2°  Que  tout  prêtre  offrant  le  Saiut-Sacrilice  dans  ces  mêmes 
oratoires  doit  exprimer  le  nom  de  leurs  patrons  dans  l'oraison 
A  cunctis,  quand  il  arrive  que  celte  collecte  est  prescrite  par 

les  rubriques. 

Ph.  m. 

Voici  le  décret  concernant  la  société  du  Très-Saint-Sacre- 
ment, dont  il  a  été  fait  mention  ci-dessus. 


560  PATRONS  ET  TITCL    DES  ÉGLISES  NON  CONSACRÉES.       [Tome  Vils 

SOGIETATIS   PRESBTTERORUM    SANCTISSIMI  SACRAMENTI. 

Quum  Alumni  Societatis  Presbyterorum  Sanctissimi  Sacra- 
inenti  nuperrime  in  Gallia  erectae  et  a  Sancta  Sede  canonice 
approbata;  die  8*  mox  elapsi  Mensis  Maii,  vehementer  cupe- 
rent  etiam  in  recitatione  Horarum  Cauouicarum  et  celebra- 
tione  Sacrosancti  Mistse  Sacrificii,  arctius  adheerere  Sauetae 
Romanai  Ectlesiœ,  sacerdos  Petrus  Juiianu.s  Eymard,  institu- 
tOïT  Societatis  ip.'ùns,  Sanctissimo  Domino  Nostro  Pio  Papoe  IX 
humillime  supplicavit  ut  suprema  Auctorilate  sua  decornere 
diguaretur,  (piod  in  omnibus  Societatis  domibusperpetuo  non 
alius  aJhibeatur  Ordo  Divini  Oiïicii  persolvendi,  et  Sucro- 
saincti  Missse  Sacrificii  celebraudi  quam  ilie  qui  quovis  anno 
typis  cusus  proponitur  Clero  Sœculari  Almae  Urbis,  cui  quidam 
Ordini  conformare  se  unice  debeant  omnes  et  singnli  Societa- 
tis Alumni.  Sanctitas  porro  Sua,  refeiente  subscripto  Sacro- 
rum  Rituuni  Congregationis  Secretario,  precibus  clementer 
annuere  dignita  est,  attamen  sub  condilioue,  ut  Kalendario 
Romauo  addere  debeant  testa  diœcesana,  uinairum  Sancti  prse- 
cipui  Patroni  loci,  Titularis,  et  Dedicationis  Ecclesiœ  Cathe- 
dralis,  ad  qua&  juxta  Rubricas  et  Décréta  etiam  Reguîares  te- 
nentur.  Coutrariis  non  obstantibus  quibuscumque. 

Die  11  juuii  1863. 

G.  Ep.  PoRTDENs.  et  S.  RuEiN^  Gard.  Patrizi 
S.  R.  C.  Prsef. 

Loco  t  sigil. 

D.  Rartolini  s.  R.  C.  secretarius. 


DES   EGLISES. 


1.  Différents  noms  donnés  aux  églises  des  chrétiens. —  II.  Diverses 
espèces  d'églises. —  III.  Des  basiliques. 

§1. 

Des  différents  uoius  donués  aux  églises  des  chrétiens. 

Les  chrétieus  donnèreut  de  bonne  heure  à  leurs  temples  le 
nom  d'églises.  Les  mots  templum  et  fanum  désignant  les  temples 
des  païens,  les  chrétiens  évitèrent  de  s'en  servir,  et  il  faut 
entendre  eu  ce  sens,  comme  le  fait  remarquer  Médus,  le  té- 
moignage d'Origène,  de  Lactanoe  et  autres  écrivains  ecclésia- 
stiques, d'après  lesquels  les  chrétiens  n'eurent  pas  de  temples. 

Chez  b.s  Grecs,  le  mot  éxxXviffta  signifiait  l'assemblée  du 
peuple.  On  le  trouve  employé  dans  ce  sens  chez  les  écrivains 
du  Nouveau-Testament.  ^"^  cum  hoc  dixisset,  dimisit  ecclesiam 
(Act.  XIX,  40).  Mais  dans  la  première  épître  de  saint  Paul  aux 
Corinthiens  (xi,  22),  nous  lisons  :  Numquid  domos  non  habe- 
tis  ad  manducardum  et  bibendum?  aut  ecclesiam  Dei  contenmi- 
tis?  Ici  l'apôtre  entend  par  église  le  temple  sacré,  comme 
il  est  hors  de  doute  et  comme  l'interprètent  saint  Augustin, 
saint  Basile,  saint  Jean  Ghrysostôme,  Sédulius  et  Théophy- 
lacte. 

En  parcourant  les  difierents  monuments  relatifs  aux  églises 
des  chrétiens,  on  les  trouve  encore  désignés  sous  divers  autres 
noms,  tels  que ora/orjum,  dominicum,  basilica,  templum ^  titulus, 


062  DES   ÉGLlvES.  [TomeYHI. 

prophetxum,  apostolxum,  martyriuni,  mensa,  sacellum,  capella, 
ecclesiastirion,  trophxa  ou  tropxa,  area,  casa. 

Le  mot  oratûrium  {orare)  signifie  lieu  consacré  à  la  prière. 
Mais  cette  dénomination  s'applique  spécialement  aux  temples 
moins  considérables  et  manquant  de  certaines  conditions  ca- 
noniques pour  êtres  des  églises  proprement  dites.  Il  en  a  été 
question  t.  vi,  p.  259. 

Le  moi  dominicum  [domus  domini]  correspond  au  mot  xuptaxY} 
des  Grecs,  d'où  le  nom  .germanique  Kercke  ou  Kirch,  et  le  mot 
anglais  Chuvch.  Celte  dénomination  employée  par  les  histo- 
riens a  fait  dire  à  certains  auteurs  que  la  religion  chrétienne 
a  été  portée  en  Angleterre  par  les  Grecs.  La  conséquence  est 
loin  d'être  rigoureuse.  Les  Latins,  en  effet,  comme  le  remarque 
Asséraani,  ont  retenu  beaucoup  de  mots  grecs  et  ont  donné 
à  beaucoup  de  choses  des  noms  tirés  de  Ja  langue  grecque. 

Le  mot  basilica  {domus  regia)  a  surtout  été  employé  au  qua- 
trième et  au  cinquième  siècles,  soit,  dit  le  cardinal  Bona, 
a  propter  aedificii  magnificentiam,  vel  quia  ibi  Régi  omnium 
«  Deo  cultusetsacrificia  ofierunîur,  vel  quia  profanse  basilicse 
«  in  ecclesias  Dei  coriversse  sunt.  »  On  appelait  basiliques  cliez 
les  anciens  Romains  des  édifices  publics  ornés  de  portiques  et 
eutonrés  de  promenades  magnifiques,  où  les  princes  et  les 
magistrats  rendaient  la  justice.  Les  empereurs  donnèrent 
quelques-uns  de  ces  édifices  aux  chrétiens  pour  en  faire  des 
églises.  Saint  Ambroise,  saint  Augustin  et  saint  Jérôme  se 
servent  souvent  de  cette  expression.  Aujourd'hui,  le  mot 
basilique  exprime  un  titre  donné  à  une  église,  litre  eu  vertu 
duquel  cette  église  jouit  de  certains  privilèges.  Nous  en  parle- 
rons ci-après. 

Pour  les  raisons  ci-dessus  énoncées,  il  esta  peine  un  auteur 
chrétien  qui  se  soit  servi  du  mot  templum  pendant  les  trois 
premiers  siècles  de  l'Église.  Après  la  destruction  du  paga- 
nisme, plusieurs  historiens  commencèrent  à  l'employer.  Quant 
au  mol  fanum,  jamais  il  n'a  été  employé  que  pour  désigner 


D<5c.  18G3.]  DES   ÉGLISES.  o65 

les  temples  des  païens  ou  des  hérétiques,  et  toutes  les  fois  que 
les  auteurs  expriment  de  la  douleur  ou  de  l'indignation  sur 
leur  existence  ou  leur  érection. 

Le  mot  titulus  signifie  titre  bénéficiaire,  ou  encore  le  titre 
donné  à  l'église  dans  sa  consécration  ou  bénédiction ,  ou 
enfin  le  titre  de  la  croix  placé  à  la  porte  de  l'église.  1°  D'après 
'ancien  usage  adopté  à  Rome,,  ou  donne  le  nom  de  titre  ou 
église  titulaire  aux  églises  les  plus  insignes  auxquelles  étaient 
préposés  des  cardinaux-prêtres,  suivant  une  bulle  de  Sixte  V, 
du  13  mai  1587.  «  Religiosa  sanctorum  Poutificum...  provi- 
«  dentia  institutum  olim  fuit...  ut  S.  R.  E.  presbyteris^  certse 
«  in  Urbe  Roma  Ecclesiae,  tituli  appellatœ,  quasi  quœdam 
«  proprise  cujusque  diœeeses,  etc.  Qiiœ  quidera  sancta  institu- 
«  tio...  ita  viget  ut  prceter  sexepiscopos  cardinales,  qui  certis 
((  calhedralibus  ecclesiis  Urbi  finitimis  prsesunt,  singulis  pres- 
«  byteris,  et  diaconis  cardinalibus  proprise  in  Urbe  ecclesise, 
«  tituîi  videlicet  et  diaconise  cum  suis  clero  et  populo,  ac 
a  quasi  episcopali  jurisdictione  in  spiritualibus  et  teniporali- 
«  bus  regendae  et  administrandse  committantur.  »  2"  Ces 
tiUes  se  divisaient  en  titres  proprement  dits,  diaconies  et  ora- 
toires. Les  diaconies  étaient  des  hôpitaux,  et  les  oratoires  des 
lieux  sacrés  où  l'on  ne  faisait  aucune  fonction  publique. 

On  a  donné  aux  églises  les  noms  de  Prophetseunt,  Aposto- 
Ixum  et  Martyrium,  suivant  la  quaUté  des  Saints  auxquelles 
elles  étaient  dédiées.  Eusèbe  et  autres  donnent  le  nom  de 
martyrium  Salvatoris  à  l'église  que  bâtit  Constantin  sur  le 
Golgotha  en  l'honneur  de  Jésus-Christ  Sauveur,  et  le  plus 
grand  des  martyrs.  Les  latins  ont  appelé  cette  église  Memoria 
Martyris.  On  a  même  donné  le  nom  de  Martyrium  à  une  église 
érigée  à  la  mémoire  d'un  saint  qui  n'était  pas  martyr.  On  a 
aussi  désigné,  suivant  le  témoignage  de  Sozomène,  par  Mi- 
chxlium  une  église  dédiée  à  saint  Michel. 

Le  mot  Mensa  signifie  la  table  commune  où  l'on  offre  le 
divin  sacrifice,  et  l'église  que  l'on  bâtit  sur  le  lieu  du  martyre 
de  saint  Cyprien  fut  appelée  Mensa  Cypriani. 


565  DES   ÉGLISES.  [Tofue  Vlll. 

L'expression  sace/^w?n  est  un  diminutif  de  sacer  et  signifie 
un  lieu  saint  de  petite  dimension.  On  doit  donner  la  même 
signification  au  mot  capella.  Il  a  été  introduit  dans  la  langue 
par  suite  de  la  coutume  de  porter  les  reliques  des  saints.  Les 
français  ont  nommé  chapelains  les  clercs  chargés  de  porter  à 
la  guerre  châsse  de  saint  Marlin  {capsa  ou  cappa).  De  là  le 
nom  de  chapelle  pour  désigner  les  clercs,  et  aussi  le  lieu 
de  la  prière.  En  Italie  on  appelle  encore  capella  le  chœur  des 
chantres  (Ducange,  Catalani  Pontifical,  t.  ii,  p.  470). 

Pour  le  mot  ecclesiashrion,  «  Aliud  est  ecclesia,  dit  Isidore 
«  lie  Péluse  (1.  ii,  p.  246),  aliud  ecclesiastirion  :  nam  ea  es 
«  imraaculatis  animis  constat;  hoc  aulem  ex  lapidibus  et  lignis 
a  aedificatur.  n 

Le  nom  trophxa  ou  tropxa  est  employé  par  saint  Jérôme 
(Ep.  18  ad  MarcelL).  Les  églises,  en  effet,  bâties  sur  les  tom- 
beaux des  Martyrs  sont  des  trophées  élevés  en  l'honneur  de 
leur  triomphe. 

Le  nom  tabernaculum  est  employé  pour  désigner  l'oratoire 
que  fit  bâtir  Constantin  dans  son  expédition  contre  les  Perses. 
On  le  trouve  aussi  dans  les  saintes  Ecritures. 

Les  noms  à'area  et  ca&a  ne  demandent  pas  d'explication. 

§•11 

Des  différeutes  espèces  d'églises. 

Les  églises  se  divisent  1°  sous  le  rapport  de  la  dépendance 
les  unes  à  l'égard  des  autres,  en  églises  mcres  et  églises  filles 
{matrices,  filiales)  ;  2°  sous  le  rapport  de  l'espèce,  ou  des  fonc- 
tions qui  s'y  font,  d'après  le  droit,  en  primatiales,  métropoli- 
taines, cathédrales,  collégiales,  paroissiales,  couventuelles  ; 
3°  sous  le  rapport  des  fonctions  qui  s'y  font,  et  aussi  sous 
celui  de  la  nature  et  de  l'importance  de  l'édifice,  on  les  divise 
en  églises  proprement  dites  et  oratoires  ou  chapelles  ;  i"  les 
oratoires  ou  chapelles  se  divisent  en  chapelles  ou  oratoires 


Dér,  1803.  DES   ÉGLISES.  0   .J 

privés,  et  chapelles  ou  oratoires  publics;  o»  certaines  églises 
jouissent  de  privilèges  particuliers  et  sont  décorées  du  titre  de 
basiliques  majeures  ou  mineures. 

Ou  appelle  église  mère  (matrix)  celle  à  laquelle  d'autres 
églises  sont  subordonnées,  et  ces  églises  sont  filles  {filiales) 
par  rapport  à  celle-ci.  On  appelle  primatiale  l'église  où  se 
trouve  le  siège  d'un  primat,  métropolitaineVégWse  où  se  trouve 
le  siège  d'un  métropolitain,  et  cathédrale  l'église  où  se  trouve 
le  siège  de  l'èvèqne  diocésain  Le  mot  cathédrale  vient  de 
cathedra,  siège,  du  trône  de  l'èvèque  ,qui  doit  ?e  trouver  dans  le 
chœur  de  cette  église,  comme  le  prescrit  le  Cérémonial  des 
évoques.  Dans  une  église  qui  n'est  pas  cathédrale,  le  trône  de 
l'ovéque  ne  doit  point  se  trouver  à  demeure,  suivant  cette 
décision  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites.  Question.  «  An 
et  episcopus  Naulen.  j^ossit  in  qualibet  suœ  diœcesis  ecclesia 
a  erigere  cathedram  episcopalem  et  baldachinum,  etiam 
a  teraporequo  episcopus  non  residet,  et  functiones  episcopaîes 
«  non  exercet  in  dicta  ecclesia,  maxime  si  dicta  ecclesia  suae 
«  diœcesis  parum  distet,  nempe  per  milliarium  circiter  ab  ec- 
«  clesiacathedrali?»  iRe/)onse«Juxtavotum,nempeNegative.T> 
(Il  juillet  1771,  n.  3837,  in  Naulen.)  On  a])])<i\\e  collégiale 
celle  où  est  un  chapitre  sans  siège  pontifical,  et  paroissiale, 
l'église  à  laquelle  appartient  un  peuple  sous  la  direction  d'un 
curé.  Ou  appelle  conventuelle  l'église  d'une  communauté  ap- 
prouvée par  l'Eglise.  Elle  se  divise  elle-même  en  régulière  et 
séculière,  suivant  que  cette  communauté  se  compose  de  régu- 
liers ou  de  séculiers.  On  donne  encore  le  nom  d'églises  à  cer- 
tains oratoires  ou  chapelles,  à  raison  de  leur  importance  ou  de 
la  structure  de  l'édifice,  quoique  aucun  peuple  n'y  soit  attaché. 
Ou  appelle  chapelles  ou  oratoires  les  églises  conventuelles  moins 
considérables,  ou  les  lieux  sacrés  qui  sont  à  l'usage  des  évo- 
ques ou  des  simples  particuliers.  Ces  oratoires  sont  publics  ou 
privés.  Les  questions  qui  s'y  rattachent  ont  été  développées 
dans  l'article  cité  plus  haut. 


Î>(i6  DES   ÉGLISES.  [Tom     Ylil. 

§  IH. 

Des  Basiliques. 

Ou  cherche  eu  vain  dans  les  auteurs  des  règles  positives 
touchant  les  privilèges  dont  jouit  une  église  par  le  titre  de 
basilique.  Tous  ceux  qui  ont  traité  cette  question  se  sont  bor- 
nés à  discuter  Tétymologie  du  mot,  et  à  décrire  les  anciens 
monuments  appelés  basiliques,  dont  il  est  parlé  §  1.  De 
plus,  les  privilèges  accordés  à  chaque  basilique  sont  des 
privilèges  spéciaux  à  chacune  d'elles  et  proportionnés  à 
leur  antiquité  et  à  leur  célébrité  respective.  Les  rensei- 
gnements les  plus  positifs  que  nous  puissions  avoir  sur 
celte  matière  se  trouvent  dans  une  cause  in  Lucerina,  du  27 
août  1836.  Sur  la  demande  du  chapitre  de  la  cathédrale,  cette 
église  fut  érigée  en  basilique  mineure  par  le  pape  Grégoire  XVI, 
in  vertu  d'un  bref  du  8  août  1834.  Une  autre  demande  du 
même  chapitre  relative  à  l'usage  des  insignes  pontificaux 
dans  les  saintes  fonctions  à  l'instar  des  abbés  fut  renvoyée 
pas  Grégoire  XVI  à  la  sacrée  Gongrégalion  des  rites  qui,  le  6 
septembre  de  la  même  année,  rejeta  celte  demande,  tout  en 
accordant  à  cette  église  les  privilèges  dont  jouissent  les  basi- 
liques mineures. 

Dans  l'exposé  de  la  cause,  après  ce  que  nous  venons  de  vap- 
porler,  il  est  dit  :  «  Gum  autem  receusilis  in  litteris  generice 
«  sermo  instituatur  de  privilcgiis,  graliis,  prseemineutiis,  ex- 
ce  eniptionibus,  indultis,quibusah£ebasilic8e  minores  utuutur, 
((  harumlitlerarum  secretariumcanonici  adiverunt  postulantes 
a  ut  sibi  signifîcaretur,  quidnam  privilegiorum,  gratiarum, 
a  cœierumqueprœmissoi'um  nomme  veniat,  quibus  dum  titulo 
«  basilicœ  minoris  Ecclesia  aliqua  decoralur,  illius  canonici 
«  honestantur.  Nulla  apposita  declaratione  recepta  per  alium 
tt  supplicem  libellum  S.  R.  0.  humillime  supplicarunt,  ut  sibi 
<i  siguificarelur  quid  eorumJemverborum  seu  vocum  nomiue 


Pcc.  IPi'.3|.  DKS  ÉGLISES  ."67 

«  veniret,  atque  hoc  potissimura  fine,  ne  aut  concessionis 
o  fines ipsi  excédèrent,  aut  aliquid ex  sibiconcessisadimerent.» 
La  sacrée  Congrégation  a  répondu  :  «  Dilata,  et  cxquiratur 
et  votum  magistri  cœremouiarum  ». 

3.  Celte  réponse  montrait  déjà  que  la  S.  G.  ne  voulait  pas 
donner  une  décision  sans  avoir  fait  étudier  la  question. 

Le  votum  du  maître  des  cérémonies  rapporte  d'abord  ce  que 
nous  avons  dit  ci-dossus,  touchant  le  silence  des  auteurs  surcette 
matière.  Il  entre  ensuite  dans  quelques  détails  sur  les  édifices 
publics  qui  portaient  d'abord  le  nom  de  basiliques,  et  montre 
comment  les  Souverains-Pontifes  en  ont  fait  un  titre  dont  ils 
ont  honoré  certaines  églises  insignes.  Les  basiliques,  ajoute- 
l-il,  sont  majeures  ou  mineures,  c'est-à-dire,  de  premier  ou  de 
second  ordre.  Les  basiliques  majeures  sont  les  quatre  prin- 
cipales églises  de  Rome,  savoir  Saint-Jean  de  Latran,  Saint- 
Pierre  du  Vatican,  Saint-Paul  sur  la  voie  d'Oslie,  et  Saiate-Ma- 
rie-Majeure.  Ces  églises  sont  appelées  patriarcales  en  mémoire 
des  quatre  premières  cathédrales  patriarcales  :  la  première, 
suivant  Macri  et  autres,  représente  le  siège  de  Rome  ;  la 
seconde  celui  de  Cousiantinople  ;  la  troisième  celui  d'Alexan- 
drie, et  la  quatrièni'i  celui  d'Autioche. 

4.  Cela  posé,  quelle  est  la  différence  entre  les  basiliques 
majeures  et  les  basiliques  mineures  ?  Quels  sont  les  privilèges 
des  unes  et  des  autres  ?  Et  partant_,  quelle  est  la  signification 
de  ces  paroles  des  lettres  Apostoliques:  «Regale  et  cathédrale 
«  templum  Luceriae  Neapolitani  regni  in  basilicam  minorem 
«  cum  omnibus  et  siugulis  privilegiis...  quibus  basilicae  mi- 
a  nores  utuntur,  vel  uti  et  frui  possunt  et  poterunt,  erigimus 
«  et  constituimus.  »  Pour  résoudn;  cette  question  il  suffit  de 
remarquer  que  parmi  les  privilèges  dont  jouissent  les  basi- 
liques, il  en  est  de  communs  à  toutes,  d'autres  sont  accordés  à 
quelques-unes  seulement.  L'usage  du  conopée  ou  padiglione  (1) 

(1)  Oa  enlend  par  là  un  petit  pavillon  que  l'on  porle  aux  proces- 
sions 


iJCS  '  DES  ÉGLISES.  ITonie  VIU- 

et  celui  du  tintinnabulum  est  accordé  à  toutes,  et  cet  insigne 
précède  toujours   le   clergé  de  la  basilique  soit  dans  l'église, 
soit  lorsqu'il  parait  en  corps  avec  tout  le  clergé.  Dans  toutes 
les  basiliques,  l'habit  de  chœur  est  pendant  l'hiver,  la  capo 
ornée  de  peau  d'hermine,  et  le  surplis  sur  le  rochet  pendant 
l'été.  Outre  ces  insignes,  communs  à   toutes  les  basiliques, 
quelques-unes,  comme  Saint-Laurent  in  Damaso    et   Sainte- 
Marie  tyrans  Tibenrn,  ont  obtenu  la.  paimatojna  (1)  dans  quelques 
Messes  solennelles.  11  résulte  de  là  que  ce  dernier  insigne  est 
le  seul  sur  lequel  la  concession  pourrait  être  douteuse.  Pour 
confirmer  ce  qu'il  vient  de  dire,  le  maître  des  cérémonies  rap- 
pelle une  concession  faite  à  une  église  du  diocèse  de  Syracuse* 
dans  le  même  sens,  avec  cette  restriction,  qu'aux  processions 
où  son  clergé  se  trouverait  avec  celui  de  la  cathédale,  elle  dé- 
poserait  ses   insignes.  Or   cette  dernière    condition   ne   peut 
exister  pour  Luceria,  qui  est  elle-même  une  cathédrale.  «  His 
«  omnibus  peracîis  (conclut  le  maître  des  cérémonies),  atienta 
a  dignitate  cathedralis  ecclesise,attentislitteris  Apostolicis  quse 
«  eidem  cathedrali  ecclesiœ  minoris  titulo  honeslatse  privilégia, 
«  praeeminenlias   coucedunt   quibus   alise    basiiicai    minores 
«  gaudent,  attentis  aliarum  minorum  basilicarum  exemplis, 
«  ne  coucessio  fruslanea  et  specie  tantum  data  videatur,  res- 
«  pondendum  putarem  :  Per  privilégia,  prxeminentias ,  gratias 
«  intelligi  conopxum,  omni  tamen  auri  et  argenti  ornatuexciuso, 
a  et  tintinnabulum,  usum  cappx,  ut  supra  dictum  est  ;  quibus, 
t  EE.Pl^.,  si  ad  exemplumnonnullarum  minorum basUicarum 
«  Urbis  palmaioriam  propria  tantum  in  ecclesia  addere  velitis, 
a  haud  quiJem    repugnarem,  cum  aliquo   modo    Aposloiicas 
«  litteras  favorabiliter  inlerpretando  posset  in  ludi,  et  ad  R. 
«  D.  secretarium,  cum  Sanctissimo.  »   La  répunse  définitive, 
donnée  le  27  août  183()  (n"  4781)  a  été  celle-ci  ;  «  Juxta  vutum 
«  magistri  cairemoniarum,  excepta  palmatoria.  »         P.  H. 

{{)  La  palmatoria  esl  le  bougeoir  épi^copal. 


I 


LITURGIE. 


Faut-il  lire  in  honore  ou  in  honorem,  dans  la  prière 
Suscipe,  Sanctas  Trinitas? 

Il  y  a  un  peu  plus  d'une  aunéo,  un  évêque  d'Angleterre  in- 
vitait les  membres  do  son  clergë  à  changer  les  mois  in  honore 
dans  la  prière  Suscipe  sancta  Trinitas,  telle  qu'elle  est  impri- 
mée sur  les  canons  d'autel,  en  ces  autres  :  in  honorem,  comme 
étant  la  vraie  leçon  du  Missel. 

Ou  trouvera  sans  doute  que  c'est  revenir  un  peu  tard  là- 
dessus,  mais  nous  n'avons  pu  le  faire  plus  tôt,  et  le  sujel  a 
bien  son  importance. 

Dans  la  prière  Suscipe  sancta  Trinitas,  que  le  prêtre  récite 
à  l'autel  après  le  Lavabo,  les  mots  ob  memoriam  passionis,  re- 
surrectionis  et  ascensionis  Jesu  Ch?nsii  Domini  nosttn,  sont  suivis 
dans  certains  Missels  de  la  formule  :  et  in  honore  beatse.  Matrix 
semper  virginis,  etc.  Dans  d'autres  on  lit  :  et  in  honorem,  etc. 
Cette  dernière  leçon  paraît  prévaloir  aujourd'hui.  Les  der- 
nières éditions  de  Rome,  celles  de  Malines  et  celles  de  Paris 
donnent  m  honorem;  dans  le  Cérémonial  de  Baldeschi  et  dans 
celui  de  M.  Falise,  où  se  trouvent  au  long  les  prières  de  la  Messe, 
on  lit  aussi  in  honorem.  Cette  leçon  est  donc  appuyée  sur  de 
graves  autorités.  L'erreur  ne  serait  pas  moins  possible  :  d'au- 
tant mieux  que  dans  les  livres  anciens,  Vm  final  était  souvent 
remplacé  par  un  trait. 

Le  P.  Lebrun  {Cérémonies  de  la  Messe,  part,  m,  art.  ix) 
soutient  qu'il  faut  dire  m  honore,  et  appuie  son  assentiment  sur 
des  arguments  assez  solides  et  de  nombreux  documents.  Nous 
avons  vérifié  ceux  que  nous  avons  pu  nous  procurer. 

L'auteur  s'exprime  ainsi  :  «  Dans  plusieurs  nouveaux  Mis- 
«  sels,  aussi  bien  que  dans  les  canons  qu'on  met  en  une  seule 


570  LITURGIE.  [Tome  VIII. 

«  feuille  sur  l'autel^  et  dans  la  plupart  des  ordinaires  de  la 
«  Messe  qu'on  imprime  tous  les  jours  on  lit  in  honorem.  Mais 
((  anciennement  on  lisait  in  honore:  dans  les  Missels  d'Utrecht 
«  vers  Tan  900,  et  dans  le  Sacramentaire  de  Trêves  du 
a  dixième  siècle,  où  cette  oraison  est  à  la  tète_,  il  y  a  in  honoi-e. 
a  On  lit  de  mêmr^  dans  le  livre  sacerdotal  imprimé  pour  la 
«  première  fois  sous  Léon  X  à  Rome,  et  ensuite  à  Venise,  dans 
«  les  Missels  de  Pie  V,  de  Clément  VJII,  d'Urbain  VIII,  et  dans 
((  tous  les  Missels  romains  qui  ont  été  imprimés  avec  quelque 
«  soin  jusqu'à  présent,  aussi  bien  que  dans  les  anciens  Missels 
«  des  autres  églises,  et  dans  l'ancien  ordinaire  des  Carmes.  Il 
«  n'y  a  donc  pas  lieu  de  douter  qu'il  ne  faille  dire  in  honore. 
«  Ceux  qui  ont  mis  in  honorem  ont  cru  que  cette  expression 
«  était  plus  latine,  ou  qu'il  était  indifférent  de  mettre  in  ho- 
•  nore  ou  in  honorem  :  cependant  ces  deux  expressions  sont 
«  également  latines,  et  le  sens  en  est  différent.  L'Église,  en 
«  effet,  ne  voudrait  pas  dire  deux  fois  la  même  chose  dans  une 
«  oraison  si  courte.  Or,  si  nous  disions  ici  in  honorera,  en  l'hon- 
«  neur,  nous  le  répéterions  d'abord  après,  puisque  nous  disons 
«  aussitôt  ut  illis  proficiat  ad  honorem,  afin  qu'elle  serve  à  leur 
«  honneur.  Il  faut  donc  remarquer  la  différence.  Dans  l'an- 
«  cienne  latinité,  ou  lit  quelquefois  m  honore  deorum,  non  pas 
«  pour  dire  eu  l'honneur  des  dieux,  mais  pour  dire,  dans  la 
«  iete  des  dieux,  dans  la  célébrité  des  jours  qui  leur  étaient 
«  consacrés,  ou  dans  l'exhibition  du  culte  qu'on  leur  rendait. 
«  C'est  en  ce  sens,  par  rapport  aux  saints,  que  l'Eglise  dit  in 
«  honore^  c'est-à-dire  que,  dans  la  mémoire,  ou  dans  la  fête 
«  que  nous  faisons  d'eux,  nous  demandons  à  Dieu  de  recevoir 
c(  l'oblation  eu  célébrant  leur  fête  ou  leur  mémoire  :  comme 
«  dans  la  préface  de  la  Vierge,  le  samedi,  nous  disons  qu'il 
«  est  bienjustedelouer  Dieu  en  le  servant,  invenerationeB.M  V. 
«  collaudare.  C'est  là  précisément  le  sens  de  l'Église.  Car,  en 
a  premier  lieu,  il  y  a  des  Missels  qui,  dans  cette  oraison  Sus- 
ct  cipe,  ont  ou  in  veneratione  ou  in  commemoratione,  au  lieu  de 


nc.ISnS.  i  LITURGIK.  o71 

«  mettre  in  honore.  En  second  lien,  on  lit  quelquefois  dans  les 
n  plus  anciens  Sacramentaires,  aux  titres  des  Messes  des 
«  saints,  Mism  in  veneratione,  Missa  in  honore,  c'est-à-dire, 
«  messe  pour  la  fête  du  saint  dont  on  célèbre  la  mémoire.  Et 
«  en  troisième  lieu,  il  est  si  clair  que  par  in  honore  on  a  en- 
a  tendu  :  dans  la  fête  des  saints,  que,  selon  l'ancion  rit  de 
a  Milan,  ou  ne  dit  cette  oraison  qu'aux  jours  de  fête  :  ce  qui 
«  est  aussi  marqué  de  même  daiis  le  Manuel  de  Chartres,  de 
((  Tan  1500.  La  plupart  des  églises  néanmoins  disent  cette 
«  oraison  chaque  jour  à  la  messe  depuis  sept  ou  huit  cents  ans, 
«  parce  qu'on  fait  toujours  mémoire  des  saints  à  la  Messe.  » 

Le  cardinal  Bona  [Rerum  liturgicarum  L.  ii,  c.  ix,  §  2), 
parlant  des  prières  de  l'ofiFertoire  usitées  autrefois  dans  dififé- 
rentcs  églises,  en  cite  quelques-unes,  dont  la  première  seule 
pourrait  servir  à  soutenir  la  leçon  in  honorent. 

«  In  antiquis  missalibus  mouasticis  hac  unica  oratione 
«  panis  et  vinum  offeruntur.  Suscipe,  sancta  Trinitas,  unus 
«  Deus,  hanc  oblationem  quant  tibi  offerimus  in  memoriam 
*  beatx  passionis,  resurrectionis,  et  ascensionis  Domini  nostri 
«  Jesu  Christi,  et  in  houorem  beatx  Marix  semper  Virginis 
«  genitricis  ejusdem  Domini  nostri,  et  omnium  sanctorum  et 
a  sanctarum,  cœlestium  virtutum  et  vivificse.  crucis  :  ut  eam  ac- 
«  ceptare  digneris  pro  nobis  peccatoribus ,  et  pro  animabus  omnium 
«  fidelium  defunctorum.  Qui  viv'is.  Ita  olim  Cisterciences.  Ritu 
«  Ecclesise  Lugdunensis. , .  inclinât  se  (sacerdos)  ante  altare  et  di- 
«  cit  :  Suscipe,  sancta  Trinitas,  hanc  oblationem. ^quam  tibi offero 
«  inmemoriam  incarnat ionis,  nativitatis, passionis, resurrecttonis, 
«  et  ascensionis  Domini  nostri  Jesu  Christi.  et  in  honore  Virginis 
a  Marix,  et  in  honore  omnium  sanctorum  tuorum  qui  tibi  pla- 
«  cuerunt  ab  initio  mundi,  seu  eorum  quorum  hodie  festivitas 
«(  celebratur,  et  quorum  nomina  et  j^eliquix  hic  habentur,  ut  illis 
«  proficiat  ad  honorem,  nobis  autem  ad  salutem  :  ut  illi  omnes 
«  sanctipro  nobis  intercedere  dignentur  in  cœlis,  quorum  memo- 
<(  riam  agimus  in  terris.  Per  eumdem  Dominum  nostrum.  Kitn 


572  LITURGIE.  [Tome  VIII. 

«  Ecclesiae  Sarisburiensis  panis  et  vinum  simul  offeruuliir 
a  hac  oratioue  :  Suscipe,  sancta  Irinitas,  hanc  oblationem  quam 
«  ego  indignus  peccator  offero  in  honore  tuo,  beatx  Marise,  et 
a  omnium  sanctorum  tuorum,  pro  pcccatis  et  offensionibus  meis, 
a  et  pro  salute  vivorum,  et  requie  omnium  fîdelium  dcfunctO' 
«  rum.  » 

Janssens  {Explic.  Rub.  Miss.,  part,  i,  ii,  tit.  vi,  n"  52  et 
Appeud.  final.  §  8)  tient  aussi  pour  la  leçon  in  honore,  et  ap- 
puie son  sentiment  sur  le  texte  des  exemplaires  imprimés  à 
Rome,  il  Omnia  exemplaria,  tam  editionis  Vaticanaî,  quam  de 
a  Propaganda  fide  habent  et  in  honore;  depost  enim  sequitur 
«  ad  honorem.  Pauci  autem  legunt  :  et  in  honorem.  » 

Benoit  XIV  {De  Sacrosancto  Missx  sacrificio,  1.  ii,  c.  xi), 
suppose  qu'en  doit  lire  in  honorem  ;  mais  le  savant  Pontife  ne 
parait  pas  avoir  examiné  la  question  qui  nous  occupe  :  il  ex- 
plique la  prière  dans  le  sens  donné  par  le  P.  Lebrun  et  cite 
même  cet  auteur.»  In  eadem  oratione  {Suscipe  sancta  Trinitas) 
c(  sacerdos  sanctissiraam  Trinitatem  deprecatur  oblationem  ut 
a  accipiat  in  honorem  beatse  Mariae  Virginis,  S.  Joannis  Bap- 
«  tislae,  SS.  Apostolorum  Pétri  et  Pauli,  sanctorum  quorum 
(t  reliquise  conditœ  sunt  in  allari,  et  omnium  aliorum  sancto- 
a  rum  M^  illis  proficiat  ad  honorem  nobis  autem  ad  salutem. 
a  Quidquid  enim  honoris  et  gloriae  adepti  sunt  sancti,  id  omne 
«  vi  sacrificii  Christi  sunt  cousecuti.  » 

Nous  ne  prétendons  pas  donner  la  solution  de  ce  doute.  La 
correction  des  éditions  de  Rome,  qu'ont  suivi  celles  de  Ma- 
lines  et  de  Paris,  serait  un  argument  assez  fort  pour  sou- 
tenir la  leçon  in  honorem,  qui  se  trouve  dans  les  nouveaux 
Missels  et  môme  dans  le  Canon  pontifical  imprimé  à  la  Propa- 
gande. Cependant,  comme  nous  l'avons  fait  observer,  cette 
leçon  peut  être  le  résultai  d'une  interpolation  involontaire. 
Nous  faisons  appel  à  tous  ceux  qui  pourraient  fournir  de  nou- 
veaux documents  pour  arriver  à  une  solution  définitive  de 
cette  question.  P.  R. 


COMMENT  QUELQUEFOIS  LES  USAGES  S'INTRODUISENT 
ET  L'ENSEIGNEMENT  SE  FAUSSE. 


D'après  d'Héricourt,  les  libertés  de  l'Église  gallicane  «  ne 
«  sont...  que  l'ancienne  liberté  de  l'Église  universelle,  c'est- 
0  à- dire,  l'ancien  droit  commun  conservé  en  France  sur  un 
«  plus  grand  nombre  d'articles  et  avec  plus  de  soin  que  chez 
«  toutes  les  autres  nations  de  TEglise.  » 

Le  fait  avancé  par  d'Héricourt  fùt-il  exact,  il  ne  s'ensuivrait 
pas,  sans  doute,  que  les  Églises  gallicanes  aient  pu  avoir  le 
droit  de  se  maintenir  indépendantes  vis-à-vis  du  pouvoir  su- 
prême de  l'Église,  et  de  conserver  une  législation  qui  serait 
jugtîe  inopportune  aujourd'hui  par  ce  même  pouvoir  ;  mais  le 
fait  est-il  bien  exact  eu  lui-même  ?  Est-il  vrai  que  les  libertés  de 
l'Église  gallicane  ne  soient  «  que  l'ancienne  liberté  de  l'Eglise 
«  universelle,  c'est-à-dire  l'ancien  droit  commun  conservé  en 
«  France  sur  un  plus  grand  nombre  d'articles...  que  chez  les 
«  autres  nations?  »  Il  est  permis,  certes,  d'en  douter,  et  l'on 
serait  bien  embarrassé  s'il  fallait  apporter  des  preuves  pé- 
rcmptoires  à  l'appui  d'une  semblable  assertion;  ou  plutôt  le 
contraire  a  été  maintes  et  maintes  fois  démontré.  Les  libertés 
prétendues  de  l'Église  de  France  sont  nouvelles  et  fondées  sur 
des  maximes  inconnues  à  l'antiquité.  Nous  n'entrerons  pas 
dans  le  détail  des  preuves  que  nécessiterait  la  démonstration 
de  la  proposition  que  nous  avançons.  Qu'il  nous  suffise  de  faire 
voir,  par  un  seul  exemple,  comment  souvent  s'opèrent  les 
changements  dans  les  usages  et  les  maximes  d'un  pays  où 
l'autorité  du  Saint-Siège  n'a  pas  toujours  été  aussi  respectée 
qu'elle  aurait  dû  l'être. 


5.7^  COMMENT    LES    USAGES   s'iNTRODUiSExM  [Tone  VilL 

C'est  un  point  de  discipline  incontestable  en  droit  commun, 
que  les  bénéflces-cures,  c'est-à-dire  les  paroisses,  ue  doivent 
pas  être  unis  aux  chapitres,  aux  prébendes  et  dignités  des 
cbapitrcs,  aux  abbayes,  aux  monastères,  aux  séminaires,  à  la 
mense  épiscopale.  Clément  V,  dans  le  concile  œcuménique 
devienne  va  jusqu'à  dire:  «  Quod  si  Episcopus,  sui  etiam 
cap'.tuli  accedente  consensu,  mensee  suae  vel  ipsi  capitule 
aliquam  duseril  Ecclesiam  uniendam,  hoc  irritum  esse  deeer- 
nimus  etiuane,  contraria  quavis  consuetudine  non  obstante,  » 
{Clemeat.  lib.  3,  tit.  4,  c.  2.)  Et  ie  saint  concile  de  Trente{se=s. 
2i,  c.  13)  sanctionne  la  même  discipline  en  ces  termes  :  Ec- 
clesise.  parochiales  monasteriis  quibuscumque,  aut  abbatiis,  seu 
diyniiatibus  sive  p)'sebendis  ecclesix  cathedralis  vel  collegiatx, 
sive  aliis  benefîciis  simplicibus,  aut  hospitalibus  militUsve  non 
unianlur. 

Ferraris  (v.  Unio,  n^  5)  conclut  de  ces  textes  qu'un  évèque 
ne  pourrait  unir  une  église  paroissiale  à  son  chapitre,  quand 
même  il  aurait  pour  motif  la  nécessité  de  conserver  le  nombre 
de  ses  chanoines  déjà  réduits  au  strict  nécessaire,  et  il  apporte 
à  l'appui  de  son  opinion  une  décision  de  la  Sacrée  Congréga- 
tion, en  date  du  30  mars  lo9-4. 

Cette' discipline,  établie  et  sanctionnée  par  deux  conciles 
œcuiLéniques,  dont  l'un  même  s'était  tenuà  Vienne  en  Fiance 
par  un  Pape  tout  dévoué  à  la  France,  par  Clément  V,  devait 
trouver  crédit  parmi  nous  :  au?si  était-elle  spécialement  re- 
connue et  adoptée  en  France,  si  on  en  juge  par  ces  paroles 
de  Rousseaud  de  la  Combe  [Recueil  de  Jurispi^udence,  v.  Unkn, 
sect.  o)  :  0  Nous  trouvons  bien  (dans  le  droit)  que  deux  églises 
c<  paroissiales...  peuvent  être  unies,  mais  non  pas  une  éfjlise 
«  paroissiale  à  un  chapitre,  ou  à  un  autre  bénéfice...  Les 
«  évêques  du  concile  de  Trente  trouvèrent  l'union  des  cures 
«  si  peu  canonique,  que  dans  la  sess.  24,  chap.  13  de  Reform... 
(C  ils  défendirent  d'unir  aux  églises  canoniales  des  bénéfices- 
«  cures  :  disposition  si  sainte  que  les  États  de  Blois l'ont  em- 


Dec.  1863.1  ET  L'HNSEIGNEMENT   SE   FAUSSE.  575 

a  brassée.  »  Et  en  effet  rorclonnance  de  Blois  autorise  seu- 
lement l'union  des  bénéfices  simples  aux  chapitres  et  aux 
collèges. 

Voilà  donc  le  droit  commun  bien  reconnu  en  France  quant 
à  l'union  des  cures  aux  chapitres  :  et  cette  discipline  a  dû 
être  en  vigueur  jusqu'à  la  Révolution  de  1789. 

Or_,  qu'est-il  arrivé  au  commencement  île  ce  siècle?  «Par 
«  une  circulaire  du  20  mars  1807,  dit  M.  Dieulin  {Guide  des 
«  curés,  p.  464)^  le  ministre  des  cultes  invite  les  évêques  à 
«  réunir  aux  chapitres  les  cures  des  églises  métropolitaines 
«  et  épiscopales,  afin  de  faire  cesser  les  inconvénients  et  les 
a  discussions  qu'entraîne  l'existence  d'une  cure  indépendante 
«  du  corps  du  chapitre;  aussi  la  plupart  des  évêques  se  sont- 
«  ils  empressés  d'opérer  cette  union  qui  existe  aujourd'hui 
«  dans  presque  tous  les  diocèses.  »  On  doit  présumer  que 
Nosseigneurs  les  Évêques,  en  se  rendant  au  désir  du  ministre 
des  cultes,  n'ont  pas  manquéauparavant  de  se  munir  des  induits 
apostoliques  qui  leur  étaient  nécessaires  pour  opérer  l'union 
désirée,  puisqu'elle  était  contraire  aux  SS.  Canons  en  vigueur 
en  France.  On  voit,  en  effet,  dans  M.  André,  v.  Union,  que  Mgr 
l'évê  jue  de  Chartres  avait  pris  cette  précaution.  Mais  soit  que 
cette  formalité  n'ait  pas  toujours  été  remplie,  soit  que  les 
auteurs  n'y  aient  pas  assez  fait  attention,  depuis  lors  l'ensei- 
gnement s'était  établi  parmi  nous  que  ces  sortes  d'unions 
étaient  licites  et  pouvaient  s'opérer  par  la  seule  autorité 
épiscopale  de  concert  avec  le  gouvernement.  Non-seulement 
M.  Lequeux  (n.  1 194)  ne  paraît  voir  à  cela  aucune  difiBculté, 
mais  Dieulin  semble  du  même  avis,  à  l'endroit  cité  tout  à 
l'heure.  M.  André  {Cornas  de  droit  canon;  v.  Lnion,)  va  jusqu'à 
dire  que  «  rien  n'empêche  qu'on  unisse  une  cure  à  un  cano- 
«  nicat  de  cathédrale  si  la  cure  et  la  prébende  sont  dans  la 
«  même  ville  et  surtout  dans  la  même  église.  »  Et  ce  qui  e?t 
plus  fort  encore,  voici  ce  que  nous  lisons  dans  le  Traité  de 
l'administration  temporelle  des  paroisses  de  Mgr  Affi'e,  4^  édit. 


Ô7()  COMMENT    LES   USAGES  vS'iNTRDDOrSENT.  [tonoVftl. 

p.  40  :«  Une  ordonnance  du  Roi,  rendue  le  14  juillet  1824  en 
conseil  d'État,  a  décidé  les  point  ssuivants  contestés  entre 
l'évêque  de  Chartres  et  le  curé  de  la  cathédrale  de  la  même 
ville  : 

a  1°  Un  cvèque  peut,  sans  abus,  opérer  la  réunion  d'une 
cure  au  chapitre  de  son  diocèse. 

«  2°  Cette  union  peut  avoir  lieu  du  vivant  du  titulaire  de  la 
cure  et  sans  son  consentement,  et  l'évêque  peut  ordonner  que 
les  fonctions  seront  exercées  par  un  vicaire  amovible.  4 

«  3°  Celle  union  étant  opérée,  l'évêque  a  pu  interdire,  de         \ 
piano  et  sans  jugement,  à  un  curé  qui  desservait  la  cure  réunie 
au  chapitre,  la   prédication   et  l'adroinistration  des   Sacre- 
ments. » 

Et  tout  cela  est  relaté  sans  la  moindre  observation  d'où  Ton 
puisse  conclure  que  l'évêque  a  besoin  pour  opérer  toutes  ces 
choses  contraires  aux  canons,  d'une  autorisation  spéciale  du 
Saint-Siège.  Ce  seul  fait  pourrait  peut-être  donner  l'explication 
de  bien  d'autres  transformations  semblables  qui  ont  eu  lieu  ï 
en  France  à  des  époques  plus  ou  moins  reculées.  Voilà  donc 
comment  quelquefois  les  doctrines  se  faussent  et  les  usages 
s'iiilroduisent. 

Craisson  (1). 

(1)  On  peut  voir  ces  questions  traitées  dans  mon  Manuale  totius  juris 
canonici. 


DECISION 

DE   LA   S.    CONGREGATION   DES   RITES 
Relative  aux  Litanies  du  saint  Nom  de  Jésus. 


Nous  avons  donné,  tom.  vu,  p,  57,  les  litanies  du  saint  Nom 
«le  Jésus  telles  qu'elles  ont  été  approuvées  (1)  et  enrichies 
d'une  indulgence  de  trois  cents  jours  pour  les  diocèses  où  l'on 
en  fait  la  demande.  Notre  petit  article  conlenait  quelques  ré- 
flexions en  réponse  à  des  questions  qui  nous  avaient  été 
adressées  spécialement  sur  la  conclusion  de  l'oraisou  Sancfi 
nominis.  On  nous  communique  sur  ce  point  un  décret  de  la 
S.  Congrégation  des  rites,  d'où  il  résulte  qu'il  n'y  a  rien  à 
changer  à  cette  conclusion. 

(!)  Nous  trouvons  dans  le  Manuale  sacerdotum  du  P.  Srlincider, 
(2e  éd.  18G5,  p.  81),  un  dt'crcl  qui  fixe  !e  sons  de  la  proliibilion  dont 
sonl  frappées  les  litanies  qui  n'ont  pas  reçu  l'approbation  de  la  S. 
C.  des  Rites.  «  Proposilo  in  sacra  Indicis  congregalione  dubio  :  Quid 
censendum  sitde  libris  prectini  variarum  in  qiiibus  praeler  lilanias 
majores  et  Lauretanas,  ut  vocani,  alise  conlinenliir  vi  decrelorum 
generalium  Aposlolicae  Sedis  haclenus  vetitae  ac  nihiiominus  diiilurno 
jam  pridena  usu  in  plerisque  catholici  orbis  regionibus  receplae  ?  Res- 
ponsum  fuit  :  Provisum  nu  e?  decrelo  suprernœ  Congregaliouis  S. 
Officii  feria  IV,  die  ^8  Aprilis,  cujus  haec  punt  verba  : 

Lilaniseomnespraeter  antiquissiraas  el  communes,  quaein  Breviariis, 
Missalibus,  Ponlifii-alibus  et  Rilualibus  eontinenlur,  et  praeler  lilanias 
de  D.  M.  V.,  quee  in  sacra  seJe  Lauretana  decanlari  soient,  non  edan- 
tur  sine  revisione  et  adprobatione  Ordinarii,  nec  piiblice  in  ecclesiis, 
pubiicis  oratoriis  el  proccssionibus  reritentur  absque  lieentia  et  adpro- 
batione Sacrorum  Rittium  Congrcgationis.  »  S.  lad.  C.  25  aprilis  1860. 

Revue  des  sciences  ecci.ésiastiqces,  t.  vui.  37-38 


578  DÉCISION  DE  LA   S.    C.   DES   RITES.  |Torac  VIIK 

Question.  c<  Post  Litanias  SS.  iS'ominis  Jesu  a  S.  C.  uuper 
t  approbatas  ex  decreto  21  augusti  4862,  indicantur  dicendae 
a  duse  orationes.  Domine  Jesu  Christe  et  Sancti  nominis  tui.  Quse 
a  quidem  secunda  oratio,  excerpta  ex  ofBcio  et  Missa  Domi- 
«  nicae  II  post  Pentecosten,  cum  conclusione  propria  huic 
«  officio  et  Missœ,  nempe  Per  Dominum.  In  usu  aiitem  repe- 
«  ritur  conclupio  ad  Filiiim  ilirecta  Qui  vivis,  ex  eo  quod  ad 
«  ipsum  Filium  dirigantur  litanise,  et  quidem  conclusio  mi- 
«  nor  :  Qui  vivis  et  régnas  in  sœcula  sxculorum.  Unde  circa 
a  praedictarum  oralionum  conclusionena  quseritin  {^  utrum 
a  servari  possit  et  debeat  oonclusio  minor,  an  conclusio  ma- 
«  jor  ?  »  Réponse  :  a  Hsec  S.  Rituum  Congregatio,  diligenter 
«  expensis  quse  a  te  requirebantur  circa  conclusionemsecundae 
«  orationis  de  mandato  Summi  Pontifîcis  additse  litaniis  SS. 
«  N  ominis  Jesu  superiori  anuo  1862,  die  21  augusli,  approbatis, 
c  necessarium  vidit  nil  prorsus  in  ea  immutari  ;  nam  etsi 
((  litaniae  ipsse  sint  reapse  de  SS.  Nomine  Jesu,  bsec  seciînda 
«  oratio  adjecta  fuit  ad  promovendum  magis  timorena  pariter 
«  et  amoremi  SS.  Nominis  Domini.  Die  21  Maii  1863. 


BIBLIOGRAPHIE. 


Dictionnaire  des  preuTCS   de  la  divinité   de   «Vésns-Christ. 

Paris,  Migne,  1  vol.  gr.  in-8»  à  2  col. 


A  la  foule  des  brochures  provoquées  par  la  Vie  de  Jésus  de 
M.  Renan,  ont  succédé  quelques  publications  d'un  caractère 
plus  positif,  ayant  directement  pour  but  de  prouver  la  divinité 
de  Jésus-Christ.  Nous  ne  mentionnerons  que  le  volume  de 
Mgr  Parisis  :  Jésus-Chist  est  Dieu.  Il  serait  diflScile  défaire  une 
œuvre  plus  magistrale.  Et  si  le  bruit  fait  en  ces  derniers  temps 
par  l'impiété,  amène  quelques  esprits  dévoyùs  à  se  replacer  en 
face  de  la  question  vitale  par  excellence  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ,  ils  trouveront  dans  ces  pages  une  solidité  d'ar- 
gumentation et  une  pléuitudede  lumière  capables  de  subjuguer 
l'esprit  le  plus  rebelle. 

Nous  vouions  sigualer  aux  lecteurs  de  la  Revue  une  publica- 
tion plus  ancienne,  le  Dictionnaire  des  preuves  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ.  On  y  trouve  une  abondance  de  preuves  et  de 
faits  qui  peuvent  difficilement  prendre  place  dans  un  autre 
ouvrage.  Les  développements  sont  pour  la  plupart  empruntés 
aux  apologistes  modernes  les  plus  célèbres  :  Bossuet,  Bergier, 
l'abbé  Combalot,  le  P.  Lacordaire,  Aug.  Nicolas,  etc.  L'auteur  les 
réunit,  en  y  ajoutant  souvent  du  sien,  dans  les  articles  :  Jésus- 
Christ,  Incarnation,  Messie,  Rédemption,  Christianisme,  Révé- 
lation, Miracle,  etc.  Les  extraits  sont  assez  longs  pour  épuiser 
chaque  fois  une  preuve  entière. 


380  BIBLIOGRA  [Tome  Mil. 

Ce  qui  nous  plaît  spécialement  dans  ce  volume,  c'est  l'im- 
portance donnée  aux  faits  subsistants  que  nous  avons  sous  les 
yeux,  et  à  la  vue  desquels  il  nous  est  impossible  d'échapper. 

Le  fait  rantériel  de  rexisleuce  de  l'Eglise  nous  montre  la 
divinité  de  son  Auteur  non  moins  que  les  miracles  qu'il  opérait 
de  son  vivant.  Cette  pensée  de  saint  Augustin  a  reçu  ici 
un  large  développement.  Chacun  des  dogmes,  chacune  des 
fêtes,  chacune  des  pratiques  de  l'Église  est  un  rayonnement 
de  cette  vérité.  La  sainteté  de  l'enseignement  de  Jésus-Christ, 
des  moyens  de  salut  qu'il  nous  donne  et  des  fruits  qu'il  a  pro- 
duits dans  le  passé  et  surtout  dans  le  présent,  constitue  un  fait 
moral  qui  peut  être  constaté  par  tout  homme  dans  la  société 
et  en  lui-même.  La  parole  :  Gustate  et  videte  n'a  jamais  reçu 
de  démenti  de  l'expérience  d'un  vrai  chrétien.  Ce  fait  nous  est 
tellement  présent,  que  la  vie  de  chacun  de  nous  devient  divine 
dans  la  mesure  selon  laquelle  l'esprit  de  Jésus-Christ  domine 
eu  nous.  Nous  sommes  de  plus  en  présence  d'un  fait  intellec- 
tuel essentiellement  divin.  En  Jésus-Christ  et  en  lui  seul  se 
trouve  la  révélation  entière  de  Dieu,  la  solution  des  problèmes 
que  la  philosophie  pose,  et  qu'en  dehors  du  christianisme  elle 
ne  résoud  guère  que  par  le  panthéisme  ou  l'athéisme.  En 
lui  se  trouve  l'objet  de  tous  les  instincts,  sentiments,  aspirations 
de  notre  cœur;  en  lui  se  concilient  la  justice  et  la  miséri- 
corde, etc.,  etc. 

Toutes  ces  preuves  sont  longuement  développées  dans  le 
Dictionnaire  à  côté  <  -s  preuves  plus  classiques  des  miracles  et 
des  prophéties. 

ilais  parmi  ce  .aiis  il  en  est  un  où  brillent  plus  que  partout 
ailleurs  les  rayons  de  la  divinité:  «  Prophéties,  miracles,  ré- 
surrection, conversion  presque  subite  du  monde  entier,  tous 
ces  prodiges  surnaturels  ne  sont  que  comme  l'auréole  et  le 
cadre  du  prodige  des  prodiges  qui  est  la  personne  même  du 
Christ.  »  L'auteur  s'y  arrête  longuement;  il  y  multiplie  plus 
qu'ailleurs  ses  citations,  et  c'est  avec  raison.  En  considérant 


Dcr.  18G3.]  niULIOGIUrniE.  o84 

Jésus-Christ  dans  sa  vie_,  dans  ses  paroles,  dans  sa  conduite 
avec  les  apôtres,  dans  ses  actions,  on  se  trouve  sous  l'empire 
de  celte  vertu  qui  sort  de  lui  et  qui  guérit  ceux  quiapproclient 
de  sa  personne. 

Nous  exprimerons  cependant  un  regret.  Nous  aurions  voulu 
trouver  plus  de  développements  sur  quelques  questions,  par 
exemple,  sur  les  prophéties  de  Jacob,  de  Daniel,  etc..  En 
outre,  l'exécution  typographique  ne  permet  pas  de  distinguer 
suIli~ammentoù  s'arrêteutjles  citations. 

J.-I.  SlMONlS. 


lia  Cause  catholique,  par  le  R.  P.  Dechamps,  de  la  Congrégation 
du  Très-saint  Eédempteur.  Paris,  Lethielleux  ;  Tournai,  Caslerman. 
In-18  Jésus  de  138  pp. 


Empêché,  par  une  indisposition  subite,  de  prononcer  à 
l'assemblée  de  Matines  le  discours  qu'il  avait  préparé,  le  Ré- 
vérend Père  Dechamps  vient  de  le  publier.  Ce  travail  est  as- 
surément une  des  pièces  les  plus  remarquables  émanées  de  ce 
congrès. 

Devant  une  réunion  de  cathoHques  fervents  et  actifs,  qui  , 
s'était  formée  sous  l'impulsion  «  d'une  pensée  catholique,  de  la 
«  foi  en  la  cause  catholique,  de  Tamour  de  la  cause  catholique,  » 
le  Révérend  Père,  pour  relever  les  courages  et  les  âmes,  ne 
pouvait  mieux  faire  que  de  montrer  a  qu'au  point  de  vue  doc- 
0  trinal  et  au  point  de  vue  social,  comme  vérité  et  comme  vie 
«  la  cause  catholique  est  grande  entre  toutes,  et  la  plus 
«  grande  de  toutes.  Pourquoi  l'est- elle  au  point  de  vue 
«  doctrinal?  Parce  qu'entre  les  questions  doctrinales,  la 
a  question  suprême  aux  yeux  de  la  raison,  c'est  la  question 
«  religieuse  :  »  —  elle  répond  à  ce  besoin  qui  tourmente 
l'homme  de  connaître  le  but,  le  terme  de  sa  vie  pour  coor- 
donner ses  actions  d'après  cette  notion;  «  parce  qu'entre  les 


582  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VIII. 

«  doctrines  qui  répondent  à  cette  question,  celles-là  seulement 
«  sont  vraiment  grandes,  celles-là  seules  doivent  compter, 
«  celles-là  seules  méritent  l'examen  de  la  raison,  qui  viennent 
«  à  elle  en  lui  demandant  sa  foi  :  »  —  la  raison,  inca- 
pable de  résoudre  par  elle-même  le  problème  de  la  destinée 
future  de  l'bomme,  avoue  si  bien  ce  besoin  d'un  secours 
étranger  à  qui  elle  soumette  sa  foi,  que  quand  elle  rejette  celui 
de  la  révélation  divine  elle  recherche  «  la  révélation  des  esprits 
0  et  de  quels  esprits!...  Enfin,  parce  qu'outre  les  doctrines 
a  qui  demandent  la  foi  à  l'esprit  humain,...  la  nôtre  seule  est 
«  la  foi  de  la  raison.  »  Elle  est  «  la  foi  de  la  raison,  parce  que 
«  c'est  la  raison  qui  oblige  l'homme  à  croire...  à  la  parole  de 
«  Dieu  quand  il  s'est  assuré  que  cette  parole  est  de  Dieu,  ou 
«  quand  il  a  constaté  lescaractères  divins  de  la  révélation.  »  Or, 
parmi  ces  caractères  divins,  ces  faits  divins,  le  père  Dechamps 
choisit  avec  raison  ceux  que  «  poursuit  la  haute  critique.  »  Il 
prend  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament;  démontre  par  l'ac- 
complissement des  prophéties  eu  Jésus-Christ  et  par  la  perpé- 
tuité de  son  œuvre,  «  qu'il  est  le  maître  des  temps,  le  roi  éternel 
0  des  siècles,  le  vrai  Fils  de  Dieu;»  que,  par  conséquent,  il  est 
la  vérité  et  que  le  monde  doit  croire  en  lui.  Enfin,  comme  der- 
nière preuve  en  faveur  de  la  vérité  du  Catholicisme,  l'orateur 
pose  en  fait  que  seul  il  a  pu  soutenir  l'épreuve  de  la  science  ; 
seul,  il  a  vu  les  plus  brillants  génies,  les  savants  les  plus 
distingués  s'incliner  devant  lui;  seul,  il  a  pu  réduire  au  silence 
les  adversaires  qui  l'ont  combattu.  Arius  a-t-il  réfuté  saint 
Athanase  ?  L'idolâtrie  a-t-elle  trouvé  un  représentant  qui  ait 
répondu  à  saint  Augustin?  Le  manichéisme  a-t-il  répliqué  à 
saint  Anselme,  à  saint  Bernard,  à  saint  Thomas  d'Aquin  ? 
Quel  protestant  a  misa  néant  l'argumentation  de  Bellarmin,  et 
enlevé  à  Bossuet  la  victoire  qu'il  avait  remportée  sur  la  réforme 
par  son  Histoire  des  Variations  ?  Quel  rationaliste  a  osé  se 
mesurer  avec  de  Maistre  et  Lacordaire?  a  J'ai  lu  cent  fois 
«  les  phrases  des  lettrés  et  des  folliculaires  qui,  se  répétant 


Dé^.  Iiô3.)  BIBLlOGRAPaïK.  583 

•  les  uns  les  autres,  reproduisent  à  propos  de  ces  génies 
«  supérieurs  les  formules  de  dédain  que  vous  connaissez  tous; 
«  mais  jamais  je  n'ai  vu  qu'ils  osassent  citer  les  ouvrages  que 
«  la  plupart  d'entre  eux  n'ont  pas  même  touchés...  Ils  ne 
«  nous  lisent  pas,  parce  qu'ils  nous  craignent,  ou  plutôt  parce 
«  qu'ils  rencontrent  chez  nous  la  vérité  qu'ils  redoutent  ;  et 
«  s'il  leur  arrive  exceptionuelleraent  de  nous  lire,  ils  out  soin 
«  de  garder,  sur  ce  qu'ils  ont  lu,  le  plus  profond  silence.  Oui, 
a  le  silence  est  pour  eux  tout  un  système  :  ils  savent  qu'en 
«  parlant  de  la  science  catholique  et  de  ses  œuvres,  ils  révè- 
«  leraient  à  leurs  adeptes  la  source  d'une  lumière  qui  les 
((  a  toujours  ramenés  ou  confondus.  » 

Le  privilège  de  supporter  l'examen  de  la  bonne  foi  et 
l'épreuve  de  la  science  n'appartient  donc  qu'à  la  vraie  foi  : 
c'est  pour  cela  qu'elle  est  la  plus  grande  des  causes  doctri- 
nales. Elle  est  également  grande  au  point  de  vue  social. 
Le  Catholicisme,  c'est  la  vie  des  peuples,  parce  que  c'est 
la  civilisation;  et  c'est  la  civilisation,  parce  que  c'est  le  progrès 
de  l'homme  et  de  la  société.  De  l'homme,  ci  qui  il  donne  Dieu 
comme  le  type  de  perfection  qu'il  doit  reproduire;  de  l'homme 
qu'il  forme  pour  la  vie  civile  en  détruisant  chez  lui  régoïsme, 
en  suscitant  dans  son  âme  les  nobles  dévouements,  en  lui  ap- 
prenant à  faire  luire,  comme  son  Père  céleste,  le  soleil  de  sa 
miséricorde  sur  les  justes  et  sur  les  méchants.  De  la  société, 
à  qui  il  rend  les  véritables  notions  de  l'autorité,  de  la  justice, 
de  la  liberté  ;  de  la  société  dont  il  réforme  les  éléments  en 
punliant  la  famille,  en  la  reconsti  tuant  sur  ses  bases  premières, 
en  lui  donnant  une  autorité  religieuse  qui  empêche  l'autorité 
civile  d'être  despotique,  ce  qui  arrive  quand  elle  tient  les  deux 
glaives;  en  consacrant  enhn  le  principe  d'autorité,  sans  lequel 
les  sociétés  ne  peuvent  subsister.  L'orateur  traite  en  cet  endroit 
avec  beaucoup  de  solidité,  de  tact  et  d'à  pro|  os  la  question  des 
rappoi  ts  mutuels  de  la  société  liomestique,  de  la  société  civile 
et  de    la   société  religieuse.  Il  termine  en  exhortant  d'une 


S85  BIBLIOGRAPHIE.  [Tome  VIII. 

manière  chaleureuse  tous  ces  chrétiens  généreux  à  défendre 
cette  grande  cause;  car,  dit-il^  c'est  le  Catholicisme  qui  peut 
seul  conserver  au  monde,  menacé  de  la  perdre,  cette  vie  qu'il 
lui  a  donnée. 

Comme  on  le  voit,  la  pensée  fondamentale  de  tout  ce  discours, 
c'est  l'étude  du  Catholicisme  en  face  de  la  société  moderne.  Le 
Père  Dechamps  a  traité  ce  sujet  d'une  manière  supérieure  : 
aussi  son  travail  sera-t-il  lu  avec  tout  l'intérêt  qui  s'attache 
à  une  question  actuelle,  et  avec  le  profit  qu'on  retire  toujours 
en  étudiant  une  œuvre  sérieiise.  H.  Girard. 


Vie  de  la  Vénérable  llère  Ag:nès  de  Jésus,  religieuse  de 
l'ordre  de  Saint-Uomiûique  et  prieure  du  mouastère  de  Sainte-Galhe- 
rine-de-Sier.ne,  à  Langeac,  par  M.  de  Lantages,  prêtre  de  Sainl-Sulpice. 
Nouvelle  édition,  soigneusement  revue  et  considérablement  augmentée 
d'après  les  manuscrits  conservés  aux  archives  du  monastère  de  Sainle- 
Catherine-de-Sienne,  à  Langeac,  et  des  séminaires  de  Saint-Sulpice  de 
Paris,  du  Puy  et  de  Viviers,  par  M.  l'abbé  Lucot.  2  volumes  in-S»  de 
cxx-559,  724  pp.,  plus  4  gravures  et  un  autograplie.  Paris,  Mme  veuve 
Poussielgue-Rusand.  Prix  net  :  12  fr. 

Rarement  nous  avons  lu  une  biographie  aussi  intéressante, 
aussi  remplie  du  parfum  suave  de  la  piété,  aussi  nourrie  de 
faits  et  de  doctrine  que  celle  dont  nous  venons  de  transcrire 
le  titre.  Nous  la  recommandons  non-seulement  aux  religieuses, 
mais  à  toutes  les  personnes  adonnées  à  la  vie  spirituelle,  et 
spécialement  aux  directeurs  des  âmes. 

La  vénérable  mère  Agnès  de  Jésus,  née  au  Puy  en  1602,  fut 
distinguée  dès  son  enfance  par  les  dons  les  plus  précieux  de  la 
grâce.  Après  une  jeunesse  passée  dans  l'exercice  de  toutes  les 
vertus,  sous  la  conduite  de  directeurs  éclairés,  elle  parvint  à 
réaliser  son  vœu  le  plus  ardent,  et  fut  reçue  en  1623,  d'abord 
comme  sœur  converse,  ensuite  comme  religieuse  de  chœur  au 
couvent  des  dominicaines  de  Langeac.  Déjà  auparavant,  Dieu 
l'avait  favorisée  de  grâces  surnaturelles.  Les  épreuves  ne  lui 
avaient  pas  manqué  non  plus.  Depuis,  nous  la  voyons  tantôt 
consolée  par  son  divin  époux,  qui  lui  prodigue  ses  dons  les  plus 


I 


Dcr,  18C3.]  B:BLIOGIlAPniK.  o8"> 

merveilleux,  tantôt  éprouvée  par  les  contrariétés  qui  sont  la 
pierre  de  touche  de  la  vraie  et  soUde  vertu,  mais  toujours 
humble,  patiente,  résignée,  pleine  de  force  et  d'amour.  Succes- 
sivement maîtresse  des  novices  et  prieure,  elle  fait  paraître  dans 
l'accomplissement  de  ces  charges  des  lumières  et  une  sagesse 
toutes  surnaturelles.  Son  influence  s'étend  au  dehors  :  on  recourt 
à  elle,  ou  la  consulte,  ses  directeurs  eux-mêmes  tirent  profit 
de  ses  lumières  et  de  ses  grâces.  Enfin  elle  meurt  en  1634,  à 
l'âge  de  trente-deux  ans.  Depuis  lors,  elle  n'a  cessé  d'être  ea 
grande  vénération,  et  de  nombreux  miracles  se  sont  opérés 
à  son  tombeau.  La  cause, de  la  béatification,  instruite  un  peu 
tard,  fut  conduite  assez  lentement,  par  suit»  de  divers  obstacles. 
Enfin,  en  1808,  le  pape  Pie  Vil  déclara  qu'il  était  tellement 
constant  que  la  vénéi^able  servante  de  Dieu,  Agnès  de  Jésus,  avait 
pratiqué  les  vertus  dans  un  degré  héroïque,  qu'on  pouvait  procéder 
à  la  discussion  de  quatre  miracles. 

La  cause  en  est  resiée  là  jusqu'à  présent.  La  pieuse  société 
de  Saint-Sulpice  et  son  chef,  M.  Émery,  s'étaient  occupés 
avec  beaucoup  de  zèle  de  cette  affaire,  et  avaient  mis  enjeu 
toutes  les  influences  dont  ils  pouvaient  disposer.  En  agissant 
ainsi,  ils  ne  faisaient  que  continuer  une  tradition  dont  les 
Sulpiciens  actuels  sont  à  leur  tour  les  héritiers.  C'est  que  leur 
société  doit  à  la  mère  Agnès  son  fondateur,  car  c'est  elle  qui 
poussa  M.  Olier  dans  les  voicb  de  la  perfection.  11  est  juste 
que  le  clergé  français  tout  entier  s'associe  à  cette  reconnais- 
sance :  Saint-Sulpice  et  les  séminaires  fondés  sur  le  même 
modèle,  ont  ravivé  chez  lui  l'esprit  du  sacerdoce.  Tant  il  est 
vrai  qu'une  humble  servante  de  Dieu,  priant  dans  sa  cellule, 
exerce  souvent,  sur  les  destinées  du  monde  et  de  TÉglise,  une 
influence  que  les  sages  du  siècle  sont  loin  de  soupçonner  ! 

Le  livre  que  nous  examinons  est  lui-même  un  fruit  de  la 
tendre  vénération  .  e  Saint-Sulpice  pour  la  mère  Agnès  :  il 
Test  sous  sa  première  forme,  tel  qu'il  parut  en  1665,  puisqu'il 
a  pour  auteur  un   sulpicieu  ;  il  l'est  sous  sa  forme  actuelle, 


586  BlLIOGRPAHIE.  [Tome  VIII. 

car  M.  Lucot,  élève  deSaint-Sulpice,  a  entrepris  ce  travail  à 
la  prière  de  ses  anciens  maîtres.  Il  a  conservé  la  narration  de 
M.  de  Laatages.  Elle  se  recommande  en  effet  par  sa  forme 
simple  et  gracieuse  dans  sa  naïveté,  comme  aussi  par  ce  sen- 
timent immédiat  qui  s'y  fait  sentir  partout,  et  qui  met  pour 
ainsi  dire  sous  nos  yeux  la  personne,  la  vie,  les  dons  et  les 
vertus  de  la  mère  Agnès.  Rien  n'égale  le  charme  et  la  vérité 
de  ces  récits  écrits  sous  l'impression  encore  vive  des  événe- 
ments, dans  le  pays  même  où  ils  se  sont  accomplis,  par  un 
homme  très-versé  dans  les  voies  intérieures,  capable  par 
conséquent  de  comprendre  et  de  retracer  une  vie  comme  celle 
de  la  vénérable  Prieure  de  Langeac. 

Toutefois,  M.  Lucot  ne  s'est  point  borné  au  rôle  d'éditeur. 
Il  a  corrigé  un  petit  nombre  d'expressions  aujourd'hui  suran- 
nées, il  a  changé  quelques  dates  dont  Tinexaclitude  était  bien 
démontrée,  mais  surtout  il  a  complété  le  texte  de  M.  de  Lan- 
tages  par  une  foule  de  citations  tirées  des  actes  originaux  et 
des  mémoires  du  temps.  Ces  additions  sont  mises  entre  cro- 
chets, pour  les  distinguer  du  travail  de  l'auteur  primitif  :  les 
sources  sont  scrupuleusement  indiquées.  Enfin,  des  notes 
nombreuses  au  bas  des  pages,  d'autres  plus  étendues  à  la  fin 
de  chaque  partie,  des  pièces  justificatives,  quelques  chapitres 
supplémentaires,  contiennent  une  foule  d'éclaircissements  et 
de  documents  qui,  dans  l'ensemble,  offrent  beaucoup  d'inté- 
rêt. Nous  ne  voulons  pas  examiner  si  quelques-unes  de  ces 
notes  auraient  pu  être  abrégées  ou  retranchées;  c'est  un  point 
sur  lequel  les  appréciations  peuvent  différer,  et  qui  ne  touche 
en  rien  au  mérite  essentiel  du  livre. 

C'est  donc  eu  réalité  un  ouvrage  nouveau  qui  nous  est  offert. 
Nous  ne  pouvons  qu'applaudir  au  soin  consciencieux  de  l'édi- 
teur, aux  maximes  qui  l'ont  dirigé  dans  son  travail,  à  la  science 
et  à  l'esprit  de  critique  dont  il  fuit  preuve.  La  critique  de 
M.  Lucot,  nos  lecteurs  doivent  l'avoir  compris  déjà,  n'est 
point  celle  qui  consiste  à  éloigner  le  surnaturel  et   le  mer- 


Dec.  1S03.|  BIBLIOGRAPHIE.  587 

veilleux.  Celte  critique  a  fait  sou  temps.  Nous  ne  sommes 
plus  à  cette  époque  où  l'on  se  croyait  obligé  de  «  retrancher 
la  plus  grande  partie  des  visions  et  apparitions  gui  remplissaient 
la  vie  de  la  mère  Agnès  [Avertissement  de  l'éd.  de  4808).  »  En 
pareille  matière,  il  y  a  tout  aussi  peu  de  critique  à  laisser  dans 
rombre  ce  qui  offusque  d'étroits  préjugés,  qu'à  tout  recevoir 
sans  contrôle.  Nous  félicitons  M.  Lucot  d'avoir  suivi  les 
bonnes  traditions  de  l'hagiographie  chrétienne. 

L'éditeur  mérite  aussi  sa  part  d'éloges,  car  l'exécution  ty- 
pographique est  vraiment  splendide,  et  la  correction  parfaite. 
La  Vie  de  la  V.  mère  Agnès  est  un  très-beau  livre  de  biblio- 
thèque. Les  gravures,  outre  qu'elles  ont  leur  utilité  pour 
l'intelligence  du  texte,  contribuent  par  leur  cachet  artistique 
à  rehausser  encore  cet  air  de  distinction  que  l'œuvre  pré- 
sente dans  son  ensemble.  E.  Hautgceur. 


llanuale  Sacerilotuiu  in  quo  ii  qiiibus  cura  animarum  commissa  est 
ad  maoum  liabent  tutn  quae  in  privata  dcvotione,  tum  quae  in  Missae 
celebratione,  Sacramentonim  adiuinistratione  el  quoruudam  aliorum 
sui  muueris  ofticiorum  exseculione  usui  esse  possunt.  CoUegit,  dispo- 
suil  et  edidit  P.  Josephus  Schneider,  S.  J.  Editio  altéra  emendata  et 
aucla.  18(i3.  ColoniaR,  Baclieœ.  In-18  de  xxi-731  pp.  1  thlr.  10  ngr. 

Nous  avons  fait  connaître  déjà  la  première  éditioii  de  cet 
excellent  ouvrage.  La  seconde,  qui  vient  de  paraître,  contient 
des  remaniements  et  des  additions  d'une  certaine  importance, 
mais,  j;ràce  à  une  légère  augmentation  du  format,  le  volume 
est  resté  également  portatif.  Ces  730  pages  d'une  impressioji 
conipacte,  bien  que  très-belle  et  très-nette,  offrent  aux  pas- 
teurs des  âmes  un  recueil  de  matériaux  extrêmement  com- 
mode, et  qui  sera  de  plus  en  plus  apprécié.  Tout  ce  qui  se 
rapporte  à  la  pratique  du  saint  ministère  y  est  résumé  d'une 
manière  très-claire,  suffisamment  complète  et  en  même  temps 
très-sûre;  on  y  trouve  les  formules  liturgiques  dont  ou  a 
besoin  dans  l'administratiou  des  sacrements  et  autres  fonc- 
tions pastorales;  il  y  a  enfin  une  partie  ascétique  contenant  de 


5S8  BIBLIOGRAPHIE  ITorac  Ylil. 

belles  prières,  une  méthode  et  des  sujets  de  méditation,  un 
ordo  viise.  sacerdotalis.  Et  tout  cela  dans  un  petit  livre  que  l'on 
peut  prendre  pour  compagnon  de  ses  courses  et  porter  habi- 
tuellement avec  soi. 

Le  traité  delà  pénitence  s'est  enrichi  dansla  seconde  édition 
de  plusieurs  articles  nouveaux:  Monita  pro  confessariisexvûriis 
autoribus  (p.  332-339)  ;  de  Modopœm'tentem pracfice disponendi ad 
dolorem  depeccatis  (p.  340-34:^);  Quid  incumbat  confessatno eorum 
quiad  restitutionem  tenentur  (p. 35 1-353).  En  outre,  des  additions 
moins  importantes  se  rencontrent  pour  ainsi  dire  à  chaque 
page.  Ce  sont  surtout  des  décrets  des  congrégations  romaines,  et 
des  extraits  du  dernier  concile  de  Cologne  cités  dans  les  notes. 

L'auteur  a  donné  plus  d'extension  à  certaines  parties:  ainsi, 
le  petit  traité  de  Conformitate  Missx  cum  officio  Ecclesix  in  qua 
celebradw  (p.  208-212);  ain^i  encore  la  question  des  cas 
réservés  et  le  traité  du  Mariage.  Le  formulaire  liturgique  et 
les  modèles  de  demandes  à  adresser  soit  aux  congrégations 
romaines,  soit  aux  évoques  ont  aussi  reçu  des  additions  no- 
tables. Enfin,  l'ouvrage  se  termine  maintenant  par  une  table 
alphabétique,  et  les  recherches  sont  ainsi  rendues  plus  faciles. 

L'éditeur,  cédant  à  une  observation  que  nous  avions  faite, 
à  réimprimé  en  langue  française,  anglaise  et  hollandaise  les 
quelques  formules  ou  modèles  d'exhortations  que  le  P.Schnei- 
der a  données  en  allemand.  Cela  forme  un  petit  appendice  que 
l'on  peut  se  procurer  séparément,  et  ajouter  à  son  exemplaire. 

Nous  recommandons  vivement  le  Manuale  sacerdotum  à  tous 
nos  confrères  dans  le  sacerdoce  :  il  est  peu  de  livres  qui  puis- 
sent leur  être  aussi  utiles.  L'éditeur  ferait  bien  d'en  établir  un 
dépôt  chez  un  libraire  de  Paris  ,  afin  d'en  rendre  l'acquisition 
plus  aisée.  E.  Hautcœhr. 

lie  Chant  du  dernier  Jour. 

Nous  avons  entre  les  mains  une  publication  fort  intéressante. 
C'est  une  pièce  musicale  composée  au  dixième  siècle.  Elle  fut 


Dec.  18G3.]  BIBMOGRAPBIE.  589 

découverte  eu  1838,  sur  les  gardes  d'un  livre  en  parchemin, 
provenant  de  l'abbaye  d'Aniane,  et  est  signalée  au  u^  6  des 
manuscrits  de  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Montpellier  dans 
le  tome  i  du  Catalogue  général  des  manuscrits  des  bibliothè- 
ques des  départements  publié  en  Î849,  à  l'imprimerie  natio- 
nale. Le  chant  de  cette  pièce,  notée  en  signes  neumatiques 
anciens,  vient  d'être  traduit  en  plain-chant  par  M.  l'abbé 
Tesson,  président  de  la  commission  Rémo-Cambrésienne,  et  a 
été  publiée  chez  M.  Lecoj0Fre  en  deux  formats  différents,  le 
premier  grand  in-4°  donnant  la  notation  neumatique  avant  la 
notation  en  plain-chant,  le  deuxième  in-8<'  donnant  seulement 
la  notation  en  plain-chant.  Après  le  texte  de  cette  pièce,  on  en 
donne  la  traduction  française. 

M.  Paulin  Blanc,  bibliothécaire  de  Montpellier,  s'exprime 
comme  il  suit  au  sujet  ee  cette  composition.  «  La  prose  de 
«  MontpeUier,  ce  Chant  du  dernier  jour,  que  nous  publions 
«  aujourd'hui  en  notation  moderne,  est  une  des  œuvres  musi- 
«  cales  les  plus  remarquables  du  dixième  siècle.  On  sait  les 
«  étranges  terreurs  qui  agitaient  à  cette  époque  tous  les  peu- 
((  pies  chrétiens.  Une  opinion  à  peu  près  universelle  assignait 
«  la  fin  du  monde  à  l'an  1000;  et  à  mesure  qu'on  approchait 
«  de  ce  terme  fatal,  les  imaginations  de  plus  en  plus  troublées 
((  croyaientreconnaitre  les  signes  avant-coureurs  de  la  dernière 
c(  catastrophe,  et  voir  commencer  l'accomplissement  des  pro- 
«  phéties.  La  belle  composition  que  nous  publions  &  été  inspirée 
«  par  cette  préoccupation  générale.  L'auteur  inconnu  a  trouvé 
«  pour  chanter  le  dernier  jour  du  monde,  des  paroles  d'une 
«  poésie  simple  et  grandiose,  et  une  mélodie  digne  des 
«  paroles.  » 

Le  Chant  du  dernier  jour  se  com^^ose  de  vingt-quatre  strophes 
La  première  strophe  cummence  par  la  première  lettre  de  l'al- 
phabet, et  ainsi  de  suite.  On  omet  seulement  les  lettres  J  et  i\ 
qui  ne  sont  pas  distinctes  des  lettres  J  et  V.  Pour  avoir 
les  lettres  K  et  X  on  a  écrit  Karactere  et  Xristus,  substituant 


590  BIBLIOGUAPHIE.  [Toma  VIIL 

la  lettre  grecque  à  la  lettre  latine.  La  dernière  strophe  com- 
mence par  A  SI. 

Nous  croyons  faire  plaisir  à  nos  lecteurs  en  leur  faisant  con- 
naître cette  publication.  Ceux  qui  entendent  exécuter  cette 
pièce  de  chant  peuvent  juger  combien  l'harmonie  du  chant 
ecclésiastique  était  alors  supérieine  à  celle  d'aujourd'hui.  Nous 
donnons  en  entier  le  texte  de  cette  composition. 


Audi  tellus,  aiid.i  magni  maris  limbus; 

Audi  homo,  audi  omrie  quod  vivit  subsole. 

Veniet,  prope  est  dies  irae  supreraae^ 

Dics  invisa, dies  araara, 

Qua  cœlum  fiigiet,  sol  erubescet, 

Luna  mutabitur,  dies  nigrescet, 

Sidéra  supra  terram  cadent. 

Heu  miseri  !  heu  miseri  ! 

Quid  homo,  ineptam  sequeris  laelitiam  ? 

Bene  fundata  hactenus  mansit  terra  ; 
Tune  vacillabit  veUit  maris  unda, 
Non  erit  civitas,  non  castella,  non  turres  ; 
In  quibus  vana  nuncspes  exultst, 
Siccabuntur  flumina,  mare  non  erit, 
Chaos  immane  os  denudabit, 
Tartarus  horrens  hiabit. 
Heu  miseri  1  etc. 

Cunctae  gentes  velut  lignum  arescent  ; 

Erit  robur  in  illis  ; 

Undique  terrores,  undique  formidines, 

Undique  luctus,  undique  clades. 

Tune  dicent  mon  tibus:Operite  nos;  collibus: 

Et  abscondite  nos  ocius; 

Talia  cernere  non  possumus. 

Heu  miseri  !  etc. 


Dies  illa  tara  amara,  tam  tremenda, 
Dies  illa  dira  nuntiabit  signa. 
Rugient  maria  sicut  leo  in  sylva  ; 
Littori  nova  mandabunt  praefia; 
Commeatus  navium  ibunt  in  interitum; 
Non  transmarinse  quaerentur  merces; 
Cis  pontura  et  cilra  lues. 
Heu  miseri  !  etc. 


tWo.  1863]  BIBLIOGRAPHIE.  b^{ 

Erunt  signa  in  sole,  et  luna,  etstellis, 

Gentium  pressura  in  terris, 

Surget  gens  in  genlem,  et  regnum  contra  regnum  ; 

Et  terrae  moins  magni  per  loca, 

Pestilentiae  et  famés,  de  cœlo  terrores, 

Bella  et  liles,  vix  iilla  fides; 

Divident  dulces  schismata  fratres. 

Heu  miseri  !  etc. 


Fraus,  dolus  et  dira  cupido 
Jam  régnant  in  toto  mundo  : 
Praevalet  impius,  iaude  dignus  est  pravus  ; 
Probitas  horret,  sanctitas  displicet  ; 
Versutus  est  optiraus,  utilis  est  subdolus, 
Hebes  est  innocens,  sanctus  injustus, 
Gradiens  recte  perversus. 
Heu  miseri  !  etc. 


Gladius  vindex  et  ira  cœlestis 
His  protinus  imminet  malis. 
Solvetur  Satanas,  seducet  omnes  gantes, 
Vestiens  carnem  homo  videbitur, 
Qui  cum  sit  de  semine  natus  iniquo, 
Dicet  se  de  Virgine  procreatum, 
Praebens  se  tanquam  sit  Deus. 
Heu  miseri  !  etc. 

Hic  regem  cœli  se  praedicabit. 
In  temple  Dei  sedebit^ 
Pervertet  populos  arte  mira  nocendi. 
Cupides  namque  flectet  muneribus, 
Fortes  in  fide,  constantes  in  opère 
Terrebit  signo,  pulsabit  pœnis  ; 
Disertos  verbo  eludet  verbis. 
Heu  miseri  !  etc. 


llle,  nutu  permissus  superno, 
Regnabit  in  toto  mundo  ; 
Gentibus,  populis  credere  suadebit  : 
Facietmira,  portenta  magna; 
Colliget  discipulos  versutos  et  callidos, 
Lingua  peritos,  vita  malignes, 
Quos  totum  mittet  in  mundum. 
Heu  miseri  !  etc. 


392  BSBLIOGRAFniE.  [Tome  VIIL 

Karaclere  norainis  sui  nefandi 
Homines  jiibet  insigniri, 
Dividat  proprios  ut  a  cœlu  Sanctorum. 
Hic  arma  sumet  contra  bcatos; 
Neroiie  sœvior,  Decio  atrocior, 
Flammis  et  lerro,  bestiis  lerrae 
Coi  pora  tradet  bealorum. 
Heu  niiseri!  etc. 


Laiirea  siirnunt  Martyres  Christi, 

Fidei  armis  praecincti  ; 

Respuunt  honores,  contemnunt  cruciatus, 

Nec  blandimenlis  peclora  molliunt; 

Terminum  Ecclesiaeconsecrabunl  sanguine. 

Ut  velut  principiiim  sit  finis  quoque 

Simili  radians  fnlgore. 

0  quara  beati,  qui  nonduni  nati, 

Jam  cives  œternae  scripti  eslis  patriae  I 

Magnum  prassidium  SancHs  suis 
Christus  mittet  a  sedibus  almis  : 
Heliam  et  Enoch,  candelabra  liicentia, 
Magnos  praecones,  testes  mirabiles. 
Hi  dabiint  prodigia,  signa  et  portenta; 
Conforlabunt  Irepidos,  convertent  Judaeos, 
Antichristo  conlradicent. 
0  quam  beati  ad  hoc  preparati, 
A  metu  carnis  penitus  alieni  ! 

Nulla  in  eos  valet  potestas, 
Donec  ponant  animas  sanctas  ; 
Eonimque  lingiiae  clavcs  cœli  sunt  factae. 
Nubibus  dicent  ne  pliiant  inibrem  ; 
Ipsorum  ab  ore  ignis  exibil, 
Qui  resislentes  mox  devorabit, 
Debituni  donec  compleant  cursum. 
0  quam  beati  ad  hoc  praeparati, 
Tanto  in  turbine  navem  Christi  gubernare  1 

Occidet  eos  tandem  profanus, 
Nutu  Dei  perraissus. 
Eorum  corpora  jacebunt  insepuUai  ; 
Tertia  die  résurgent  incolumes. 
Inimici  videbunt  et  confundentur  ; 


De-.  1863.)  BIEUOGRAI'IHF..  ^^^ 

Uli  résurgent,  in  cœlum  conscendent 

Triumphos  gioriae  portantes. 

0  quam  beati  ad  hoc  préparât!, 

Tanto  in  turbine  navera  Ctiristi  gubernare  ! 

Post  gloriosos  horurn  triuirphos, 

Acuet'hostis  iram  iniquus, 

Rlodico  tpn)pore  utpile  regnaturus. 

Sseviet  die,  saeviet  nocte  ; 

Vendere  non  polerunt,  emere  nequibunt, 

Nisi  caractère  notati  fronte, 

Dexlera  gestantes  hoc  nomen. 

Heu  miseri  !  etc. 

Quanti  mundum  premunt  errores! 
il'.e  superbus  respuet  omnes. 
Pseudoprophetse  hostes  erunt  imnaanes  ; 
Seducent  génies,  populos  subvertent. 
Erigent  slaïuam  iili  prolano  ; 
Spirituni  sumet  bestiai  imago, 
Loqueiur  vcrbainaudita. 
Heu  miseri  !  etc. 

Rum|)et  abyssum  Stella  de  cœlo, 

(Monens)  reprobos  prœvio  signo  : 

trumpent  locusiae  hactenus  nunquam  visae 

Similesequis  belle  jjaratis, 

Galcato  vertice,  lohcato  corpore, 

Caudis  ut  scorpius  aculeataei  < 

Faciès  illis  humanae. 

Heii  miseri  1  etc. 

Stridor  alarura  ut  sonus  nquarura  ; 
Dénies  earuu)  dentés  leonum. 
Vulabunt  celeres,  rugient  ut  quadrigae; 
Angclum  ergo  ferunt  abyssi, 
Qucm  Hebraéus  Abaddon,  Grsecus  Apollyon, 
Exterminantem  dicel  Latinus, 
Tormentum  malis  mensibus  quinis. 
Heu  miseri  !  etc. 

Truces  per  mundiim  équités  currunt; 
Terliani  paricm  boiii'num  occidunt. 
Vicies  millies  millia  eruni  dena; 
Sicut  leonum  capita  eorum  ; 


S94  BIBLIOGRAPHIE. 

Caudge  eorum  capita  serpenlium  ; 
Ignis  et  sulphur,  pestifer  fumus 
Prodiet  ore  ipsorum. 
Heu  miseri  !  etc. 


Vesano  redactae  gentes  errore 
Congregabuiitur,  Satana  duce, 
Praeliiim  facturai  contra  Regeni  supernura 
Hebrasus  dicit  locum  Annagedilon. 
Castra  Sanclorum,  civitatem  dilectam 
Tune  circumdabunt  :  igné  superno 
Omnes  ibiperibunt. 
Heu  miseri  !  etc. 


Xrislus  ab  allô  rutilans  regno, 
Crucis  descende!  prtvio  signo. 
Sanctorum  cum  eo  agmina  Angelorum, 
Omnes  Prophetae  et  Patriarchae, 
(Sanclij  Apostoli,  Martyres  purpnrei, 
Confessores  liicidi,  Virginum  chori, 
Virtutum  lampade  praedari. 
Veni,  bénigne  (Jesu),  Rex  pie, 
Subveni  redemplis  pretioso  sanguine. 


Ydrus  peribit  ille  superbus, 

Jesu  apparente,  prostratus; 

Rapiet  aeternos  Satanas  cruciatus  : 

Cœlum  desursum,  terra  dcorsum, 

Ignis  in  medio  succendens  cuncla, 

T  empestas  ingens,  contra  d^mnandos, 

.]udice  pugnabunl  praesente. 

Heu  miseri  !  heu  miseri  ! 

Spes  quibus  januae  nulla  est  reserandae. 


Zelo  superni  Judicis  cuncta 
Visitabiinlur  cordis  occulta; 
Veiborum,  operum,  ipsuis  cogitatus 
Tune  ralionem  omnes  reddemus. 
Arguet  exterius  qui  videt  interius, 
Alite  quem  nuda  et  manifesta. 
Et  non  sunt  cuncta  sécréta. 
Heu  miseri  !  etc. 


[IcmeVlII. 


Dec.  dSeS.)  CORRESPONDANCE.  ^95 

A  îî  Jesu  bénigne, 

Qui  tenesclaves  mortis  et  vitae, 

Arbiter  vivorum  qui  es  et  mortuorura, 

Rex  Cliriste,  nostra  posside  corda. 

Ut  laeti  judicem  te  venientem 

Cum  virtutum  lampade,  mereamur  videre, 

Tua  certi  de  pietate. 

Gloria  Patri,  et  tibi  Nate, 

SanctocuiûSpintu.canimus  sine  fine.  Amen 

P.  R. 


CORRESPONDANCE 


Monsieur  le  Directeur, 

Je  viens  de  recevoir  enfin  le  numéro  de  juin  de  votre  excellente  Re- 
vue. Je  remercie  M.  Armand  des  observations  qu'il  veut  bien  rae  faire 
et  surtout  de  l'exquise  politesse  avec  laquelle  il  me  les  fait.  Je  vous 
prie  d'insérer  dans  votre  prochain  numéro  cette  réponse,  que  j'abrège 
le  plus  possible. 

J'aime  à  croire  que  M.  Armand  ne  connaissait  pas,  lorsqu'il  a  écrit 
cet  article,  ce  que  je  lui  avais  répondu  dans  la  Revue  catholique,  nu- 
méro de  février- mars.  S'il  en  était  autrement,  il  ne  reproduirait  pas 
certaines  objections,  sans  avoir  égard  à  mes  réponses. 

Je  crois,  avec  saint  Thomas  et  toute  la  théologie,  qu'il  ne  suffit  pas 
que  Dieu  crée  et  conserve  les  êtres,  mais  qu'il  est  encore  nécessaire 
qu'il  les  vivifie,  qu'il  les  féconde,  ou  qu'il  les  meuve.  Il  n'y  a  pas  d'ex- 
ception pour  l'intelligence.  Je  donnerai,  dans  la  Vérité,  des  textes  for- 
mels de  saint  Thomas  à  cet  égard,  et  je  montrerai  que  le  sentiment 
contraire  est  erroné.  Admettre  la  nécessité  de  cette  motion,  ce  n'est 
donc  pas,  ainsi  que  le  prétend  M.  Armand,  tendre  la  main  aux  pan- 
théistes, en  confondant,  comme  ils  le  font,  l'action  de  Dieu  avec  l'es- 
sence de  l'âme  humaine  (p.  564).  Est-ce  que  l'on  a  jamais  reproché  à 
ceux  qui  disent  que  le  soleil  féconde  les  germes,  de  confondre  le  soleil 
avec  ces  germes  ? 


59G  CORRESPONDANCE.  [lomeVI!;. 

M.  Armand  assure  que  d'une  impression  quelconque,,  tin  sujet  iri' 
telUgent  peut  bien  conclure  en  général  à  l'existence  d'une  cause  qui 
l'impressionne;  mais  que  cette  impression  ne  lui  dira  rien  des  caractères 
de  l'objet  par  lequel  elle  a  été  produite  (p.  565).  Ceci  me  paraît  tel- 
lement opposé  à  toute  expérience,  que  je  crois  devoir  dire  à  M.Armand: 
Je  vous  prie  d'expliquer  votre  pensée  que  je  ne  puis  comprendre.  Jus- 
qu'ici j'ai  cru  que  nous  ne  connaissions  les  êtres  que  par  leurs  mani- 
festations et  qu'ils  ne  se  manifestaient  en  nous  qu'en  nous  impres- 
sionnant. Me  suis-je  trompé?  Et  quelle  hardiesse  ya-t-ii  à  transformer, 
au  moyen  des  facultés  que  Dieu  nous  a  données,  cette  impression  en 
idée  ?Qu'y  a-t-il  \h  de  légèrement  contradictoire'! C'esl,  répond  M.  Ar- 
mand, que  vous  admettez  que  l'impression  de  Dieu,  qui  modifie  l'âme, 
devient  idée  et  que  cette  idée  se  présente  comme  infinie,  nécessaire, 
etc.  Et  il  ajoute:  «  Comment  la  modification  d'une  âme  finie,  relative, 
contingenle,  peut-elle  être  autre  chose  qu'une  modification  finie,  con- 
tingente, relative?  »  {Ibidem],  Je  ne  dis  rien  de  sem'olaule.  Je  dis  que 
la  modification  d'un  être  fini,  provenant  de  l'infini  Moteur,  est  la  cause 
qui  nous  fait  parvenir  à  l'idéede  l'Infini.  Je  dis  que,  par  la  partie  la  plus 
élevée  de  notre  âme,  nous  sommes  spirituellement  touchés  par  Dieu. 
Je  dis  enfin  que  ce  moyen  de  connaissance,  qui,  bien  loin  d'exclure  les 
autres,  les  suppose,  n'est  pas  une  vision,  et  que  dès  lors  je  ne  puis  ad- 
mettre que  l'Iieure  est  venue  de  chanter  les  immortels  cantiques  de  la 
patrie,  ahm  qm  mêle  reproche  M.  Armand.  Je  professe  que  nous 
connaissons  Dieu  par  ce  procédé  d'une  manière  analogue  à  celle  qui  fait 
connaître  'a  un  aveugle  le  corps  qui  le  touche. 

Transportons-nous  à  la  page  5(56.  Il  est  incontestable  qu'à  l'occasion 
d'un  fantôme,  qu'il  rend  intelligible  par  l'abstraction,  notre  esprit  s'é- 
lève à  la  connaissance  des  idées  universelles  que  ce  fantôme  représente 
d'une  manière  particulière.  L'intellect  a  donc  la  propriété  de  percevoir 
l'universel.  Mais  où  le  perçoit-il?  Telle  est  la  difficulté,  dont  M.  Ar- 
mand ne  s'occupe  pas.  Il  ne  peut  l'extraire  du  particulier,  qui  ne  le 
renferme  point.  Hegel  a  très-bien  dit  :  «  Faites  abstraction  de  ce  qui 
détermine  un  être,  il  ne  restera  plus  un  être;  vous  le  détruirez.  »  11 
restera,  si  vous  le  voulez,  un  être  abstrait,  idéal,  impossible  à  réaliser, 
et  qui  équivaut  au  néant.  De  quel  droit  faites-vous  d'une  telle  idée, 
une  idée  universelle?  Par  une  création  de  votre  esprit?  Vous  tombez 


Déi.  1<<"3.]  '  CORRESPONDANCt-:.  "  07 

dans  le  système  de  Fichte.  Il  faut  donc  que  vous  expliquiez  oij  l'in- 
tellect jierçoit  cet  universel  que  Dieu  lui  a  donné  la  faculté  de  percevoir? 
Il  faiil  que  vous  expliquiez,  à  plus  forte  raison,  où  vous  percevez  l'infini. 
M.  Armand  renvoie  ici  ses  lecteurs  à  saint  Thomas  (1  p.,  q.  14,  a.  i.) 
L'Ange  de  l'Ecole  y  dit,  d'après  Aristota,  ainma  est  quodam  modo 
omnia,  c'est-à-dire,  selon  l'exposition  de  Suarez,  que  l'âme  a  le  pouvoir 
de  tout  connaître  -/ûy  dll  encore  queVàme  a  qnamdam  in  finitatem,  c'est 
A-dire,  comme  il  l'explique  lui-même,  que  limUée  par  nature,  elle  est 
infinie  secundum  quid,  parce  que  virtiis  intelledus  extendit  se  quo- 
dammodo  ad  \nfin\ta,  à  une  infinité  d'objots.  Or  tout  cola  ne  ditpasoii 
e*'  comment  l'intellect  perçoit  l'universel  et  surtout  l'Infini  proprement 
dit.  Ce  grand  Docteur  a  dit:  «  Par  des  effets  non  proportionnés  à  leur 
cause,  on  ne  peut  arriver  à  une  conn;iissance  parfaite  de  cette  cause; 
on  peut  cependant  de  tout  effet  conclure  l'existence  d'une  cause.  » 
(1  p.,  q.  2,  a.  2,  ad  3.)  On  ne  peut  donc  logiquement c(ix\c\\xve  du  fini 
à  l'infini.  Aussi  au  procédé  par  voie  de  causalité,  saint  Thomas  ajonte- 
t-il  le  procédé  d'éminence  et  d'élimination,  et  il  s'agit  de  savoir  com- 
ment on  peut  légitimement  attribuer  à  Dieu  en  un  degré  infini  ce  qui  se 
trouve  en  un  degré  limité  dans  ses  effets  ;  car  a  ces  négations,  dit  en- 
core saint  Thomas,  ne  signifient  pas  qu'il  manque  à  Dieu  ce  qu'on  nie 
de  Lui,  mais  qu'il  le  possède  en  excès»  (I  p.,q.  12,  a.  12.],  c'est-à- 
dire  d'une  manière  infinie  et  positive.  Eh  bien,  je  ne  crains  pa> 
de  répondre  :  Cela  provient  de  la  motion  de  Dieu,  et  c'est  en  nous 
tournant  vers  Lui  que  nous  perfectionnons  notre  intelligence.  Sui- 
vons saint  Augustin  :  i  Ce  bien,  que  nous  appelons  fspri<,  et  alors 
même  qu'il  n'est  pas  assez  bon  pour  se  tourner  vers  le  hicn  ijnmuahle, 
nous  plaît  tellement  que  nous  le  préférons  à  la  lumière  physique 
elle-même,  si  nous  sommes  vraiment  intelligents.  Or,  ce  n'est 
point  par  lui-même  que  l'espril  nous  plaît;  c'est  in  illa  arle  qua 
factus  est.  Lorsqu'il  est  fait,  on  l'approuve  d'ajirès  ce  que  l'un  voit 
où  il  est  comme  possible,  c'est-à-dire  dans  la  Vérité,  le  Bien  ab- 
solu, le  Bien  même,  le  souverain  Bien.  Le  bien  qui  vient  d'un  autre 
bien  est  le  seul  qui  puisse  augmenter  et  diminuer.  Pour  devenir  bon, 
l'esprit  se  tourne  donc  vers  Celui  qui  lui  a  donné  d'être  un  esprit. 
S'agit  il  de  perfectionner  cet  esprit  ?  La  volonté  est  en  harmonie  avec 
la  nature  lorsqu'elle   se  dirige  avec  amour  vers  ce  Bien  qui  est  son 


593  CORRESPONDANCE.  [Toui     Vlll. 

principe  et  que  l'on  ne  perd  pas  même  par  l'éloignement  volontaire^ 
Car,  en  se  détournant  du  souverain  Bien,  l'esprit  cesse  d  être  bon  ; 
mais  il  ne  cesse  pas  d'être  esprit,  ce  qui  est  un  bien  supérieur  à  tous 
les  biens  sensible;  ;  seulement  la  volonté  perd  ce  qu'elle  avait  acquis.  » 
Voulez-vous  maintenant  savoir  en  quel  sens  saint  Augustin  admet 
cette  connaissance  en  Dieu?  Il  vous  répond  lui-même,  en  continuant 
ainsi  : 

«  Or  ce  bien  n'est  pas  éloigné  de  nous  :  car  in  ipso  vivimus,  mo- 
vemur  et  siunus.  »  {De  Trinitate,  1.  viii,  c.  3,  n.  4  et  o.)  Que 
M.  Armand  daigne  rapprocher  ce  texte  de  ceux  de  saint  Thomas  que 
nous  avons  cités  dans  la  Revue  catholique,  février-mars  ;  si  cela  ne  lui 
suffit  point,  qu'il  ait  la  bonté  d'attendre  ceux  que  nous  donnerons  bien- 
tôt, et  il  verra  que  d'après  l'Ange  de  l'Ecole,  comme  d'après  saint  Au- 
gustin, il  faut  rapporter  toute  connaissance  à  la  motion  de  Dieu  comme 
cause  première. 

Maintenant  nous  prions  le  lecteur  de  se  transporter  à  la  page  369  de 
l'article  de  M.  Armand.  Nous  répondons  :  Oui,  l'idée  de  Dieu  en  nous, 
est  une  idée  imparfaite,  une  idée  finie  subjectivement  ;  mais  elle  ne 
l'est  pas  à  tous  les  points  de  vue,  puisqu'elle  provient  de  Dieu  et  qu'elle 
se  rapporte  à  Dieu,  par  lequel  nous  vivons,  nous  sommes  mus  et  nous 
sommes.  Dans  le  ciel  même,  l'idée  de  Dieu  sera  imparfaite  et  finie  ; 
mais  elle  se  rapportera  à  l'Infini  vu  à  sa  propre  lumière,  et  non  à  l'In- 
fini ne  mettant  en  mouvement  que  la  lumière  naturelle  qu'il  nons  a 
donnée.  Cette  idée  est  négative  en  ce  sens  que  nous  procédons  par  voie 
de  négation  en  Dieu  de  la  limite  qui  est  dans  la  créature.  iMais  fina- 
lement, c'est  là  l'affirmation  la  plus  absolue  de  l'infini  positif  dans  le 
Créateur  qui  nous  actue  incessamment.  Si  cette  idée  s'éclaircit,  c'est, 
selon  nous  et  selon  saint  Augustin,  parce  que,  au  lieu  de  contempler 
les  créatures,  nous  nous  en  détournons,  mais  pas  tout  à  fait,  pour  nous 
tourner  vers  la  lumière  qui  illumine  notre  lumière  par  sa  motion,  et 
que  Xœil  de  notre  âme  devient  plus  limpide  à  mesure  que  nous  le  di- 
rigeons vers  notre  principe.  Quant  au  texte  de  saint  Paul,  il  ne  me 
dit  nullement  que  la  connaissance  par  voie  d'éminence  soit  pour  ainsi 
dire  purement  négative,  et  je  ne  crois  pas  que  cesparoles  de  la  Sagesse  : 
A  magnitudine  speciei  et  creaturx  cognoscibililer  poterit  Creator  ho- 
rumvideri,  soient  contraires  à  une  doctrine  qui  professe  que  nous  acqué- 


Dec    ISfirt.]  CORRESPONDANCE.  599 

rons  l'idée  de  l'infini  à  l'occasion  du  fini  en  vertu  de  la  motion  du 
Créateur  actuant  l'image  qu'il  a  créée  en  nous.  Quant  à  la  connaissance 
abslractive^  nous  l'admettons  dans  ce  procédé  en  tant  qu'elle  est  op- 
posée à  l'intuitive.  Nous  l'admettons  dans  le  même  sens  que  M.  Ar- 
mand dans  les  autres  procédés. 

Nous  sommes  d'accord  avec  cet  écrivain  remarquable  sur  la  valeur 
de  l'argument  de  saint  Anselme.  Ici  je  dois  lui  demander  pardon  de  la 
peine  que  je  lui  ai  donnée  pour  saisir  ma  pensée.  Dans  mes  Eludes,  que 
j'analysais  rapidement,  le  texte  de  Tournély  n'est  cité  que  pour  fortifier 
l'objection.  Dans  mon  analyse,  par  une  distraction  impardonnable,  j'ai 
dit:  J'assure  avec  Tournély...  et  j'ajoute:  J'aurais  pu  invoquer  l'axi- 
torité  de  Fénelon.  Je  crois  devoir  faire  observer  à  M.  Armand  que 
Fénelon  fait  sien  l'argument  de  saint  Anselme,  et  lorsque  j'ai  écrit: 
Pour  que  l'argument  de  saint  Anselme  fût  démonstratif,  il  faudrait 
d'après  saint  Thomas,  si  nous  avons  bien  saisi  sa  pensée,  que  l'on  eût 
prouvé  que  l'idée  de  l'essence  divine  représente  un  être  réel,  je  sous- 
entendais,  qui  la  cause.  Or,  je  persiste  plus  que  jamais  à  croire  que 
«  si  nous  ne  pouvons  conclure  de  l'idéal  (ajoutez,  s.  v.  p.  conçu  à  la 
suite  d'une  impression  provenant  d'un  être),  la  perception  extérieure 
est  impossible,  etc.  (p.  568  de  l'art,  de  M.  Arm.).  En  admettant  la 
perception  immédiate  des  corps,  M.  Armand  abandonne  la  doctrine  de 
saint  Thomas,  comme  il  peut  le  voir  en  lisant  l'exposé  exact  qu'en  fait 
M.  Roux-Lavergne  dans  l'introduction  de  son  Compendium  philos,  j,. 
doct.  s.  Thom.,  p.  lxvih  ;  il  admet  deux  choses  contradictoires,  une 
perception  extérieure,  et  une  perception  immédiate  et  intuitive,  ce  qui 
l'a  conduit  à  se  faire  une  fausse  notion  de  la  vision  intuitive  de  Dieu, 
ainsi  que  nous  le  montrerons  dans  le  prochain  numéro  de  la  Vérité. 

Agréez,  Monsieur  le  Directeur,  etc. 

Gros. 

Saint-Nazaire  [Hérault),  5  novembre  1863. 


Ne  pouvant  éternellement  répondre  à  toutes  les  répliques 
que  M.  Gros  inflige  périodiquement  à  quelque  Revue  scieuti- 


GCO  CORRESPONDANCE,  [To.uî  Vill. 

fique,  nous  nous  bornons  aujourdliui  à  la  simple  réflexion 
suivante. 

Tout  auteur  qui  publie  un  livre  peut  naturellement  le  défen- 
dre, c'est  sou  droit.  Mais  peut-il  exiger,  s'il  est  contredit,  que 
l'on  réponde  sans  fin  à  toutes  les  indignations  de  sa  plume? 
Nous  ne  le  pensons  pas.  Ce  serait  méconnaîtrties  lois  les  plus 
simples  d'une  bonne  et  discrète  polémique,  dont  le  mérite 
principal  est  de  profiter  aux  lecteurs.  Si  M.  Gros  pouvait  être 
de  notre  avis  sur  ce  point,  nous  ne  serions  certes  pas  éloignés 
de  nous  entendre  ;  car  il  ne  s'agit  au  fond  que  d'une  chose 
fort  simple,  M.  Gros  croit  «  qu'il  ne  suffit  pas  que  Dieu  crée  et 
»  conserve  les  êtres  {les  intelligences),  mais  qu'il  est  encore  néces- 
«  saire  qu'il  les  vivifie,  quil  les  féconde  ou  qu'il  les  meuve,  par 
«  une  motion  vivifiante  qui  rend  l'âme  intelligente  et  lumineuse 
c(  en  acte.  »  Pour  nous,  tout  en  reconnaissant  le  concours  uni- 
versel et  immédiat  de  Dieu  dans  les  opérations  de  l'enten- 
dement, nous  n'admettons  point  la  nécessité  de  cette  motion 
de  Dieu  spéciale,  mais  nous  croyons  avec  les  scolastiques  que 
nos  idées  sont  le  produit  de  notre  activité  intellectuelle  et 
qu'il  n'existe  aucun  texte  de  saint  Tliomas  qui  euseigne  le 
contraire. 

Voilà  tout  le  fond  de  la  question.  Que  IM.Cros  apporte  donc 
paisiblement  les  textes  promis;  nous  les  lirons,  nous  les  médi- 
terons avec  respect,  et  si  M.  Gros  a  raison,  nous  le  féliciterons 
le  premier  de  sou  succès  comme  nous  aurons  été  les  premiers 
à  applaudir  à  sou  courage. 

P. -P.  Armand. 


Monsieur  le  Directeur, 

Ce  n'est  pas  sans  surprise  que  j'ai   vu  votre  typographe  m'altri- 
buer,  sur  la  couveiture  du   dernier  numéro,  un  article  signé  par 


D,'c    1^03.1  COURESrONDANCK,  GÇA 

M.  Le  Roy  (1).  Comme  cet  article  roule  sur  une  publication  en  tête  de 
laquelle  je  suis  inscrit  comme  collaborateur  (quoique  je  n'y  aie  pas 
encore  travaillé),  je  tiens  à  ce  que  l'on  sache  que  l'erreur  typographique 
est  dans  la  table  des  matières,  et  non  dans  la  signature. 

Je  profite  de  cette  occasion  pour  soumettre  quelques  observations  à 
M.  Le  Roy,  dont  l'article  bienveillant  et  impartial  a  d'ailleurs  inspiré 
à  mes  collaborateurs  et  à  moi  une  vive  reconnaissance.  Les  défauts 
dont  il  parle,  et  que  nous  ne  contestons  pas,  viennent  de  ce  qu'étant 
très-occupés  tous  les  quatre,  et  ne  pouvant  aller  aussi  vite  que  l'éditeur 
le  voulait,  nous  avons  été  obligés  d'avoir  recours  pour  une  partie  de 
notre  tâche,  à  un  cinquième  collaborateur  plus  libre,  et  qui  a  désiré 
garder  l'anonyme.  Dorénavant  cet  anonyme  ne  traduira  plus,  et  tous 
les  volumes  à  paraître  seront  dans  le  genre  du  tome  VI,  pour  lequel 
M.  Le  Roy  n'a  que  des  éloges. 

Notre  estimable  critique  exprime  le  désir  qu'on  réimprime  le  texte 
latin  des  sermons  de  Grenade,  et  une  des  raisons  qu'il  en  donne,  c'est 
qu'on  pourrait  alors  acheter  les  sermons  sans  les  œuvres  complètes.  Je 
suis  heureux  de  pouvoir  lui  apprendre  que  l'éditeur  vend  séparément 
les  sermons  traduits  en  français. 

Quant  au  but  que  Grenade  s'est  proposé,  nos  collaborateurs  ont 
rencontré  dans  le  texte  latin  un  grand  nombre  de  passages  semblables 
à  celui  que  cite  M.  Le  Roy,  et  ils  sont  d'avis  que  ce  recueil  de  sermons 
a  été  surtout  composé  pour  l'utilité  des  prédicateurs. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Directeur,  etc.  . 

A.  Berton. 

(1)  Cette  erreur,  résultat  d'une  méprise  de  la  part  du  compositeur,  a  été  aper- 
çue trop  tard  pour  être  réparée.  Nous  insérons  la  lettre  de  notre  collaboiateur, 
à  cause  des  observations  ou  renseignemeiits  utiles  qu'elle  contient. 

{Note  de  la  rédaction.) 


CHRONIQUE. 


1.  Nous  avons  annoncé  dans  notre  numéro  d'octobre  (p.  400),  \e  D?-e- 
viuriuni  philosophiœ  scholaslicœ  de  M.  Grandclaude.  Le  second  volume, 
qui  termine  l'ouvnige,  est  sous  presse  et  va  paraître  en  janvier.  Nous 
nous  proposons  de  donner  alors  sur  l'ensemble  une  appréciation  plus 
complète.  Voici,  en  attendant,  le  jugement  porté  sur  le  premier  volume 
par  un  recueil  des  plus  autorisés:  «Maintenant,  dans  les  écoles  caîholiques, 
«  on  ne  discute  plus  si  l'on  doit  ou  non  revenir  aux  doctrines  philoso- 
«  plaques  de  saint  Thomas;  on  examine  seulement  quelle  estl'interpré- 
«  talion  la  plus  vraie,  quel  est  le  plus  heureux  interprète  de  cette  doc- 
«  trine,  et  enfin  quel  est  le  cours  le  plus  propre  à  la  faire  entendre  et 
«  retenir.  Aussi,  dans  ce  but,  a-t-on  publié  en  Italie  un  grand  nombre 
.  «  d'institutions  qui  ont  concouru  les  unes  plus,  les  autres  moins,  à  faire 
«  revivre  les  enseignements  du  Docteur  angélique. 

«  Nous  sommes  heureux  aujourd'hui  de  pouvoir  annoncer  un  cours 
a  semblable  publié  en  France.  Nous  constatons  dans  cet  ouvrage  trois 
«  heureuses  qualités  :  méthode  rigoureusement  scolaslique,  et  par  là 
«  très-bien  appropriée  à  l'enseignement;  excellente  distribution  des  ma- 
«  tières,  non-seulement  dans  les  parties  principales,  mais  encore  dans 
«  les  parties  secondaires  et  accessoires  ,  et  enfin  grande  clarté  d'idées 
«  et  de  style.  Ces  trois  qualités  précieuses  le  recommandent  beaucoup 
«  comme  texte  de  classe. 

«  Nous  formons  donc  le  vœu  que  le  complément  de  l'ouvrage,  ou  le 
«  deuxième  volume  annoncé,  soit  prochainement  publié,  parce  qu'alors 
«  le  service  que  M.  Grandclaude  a  rendu  à  la  science  de  la  philosophie 
«  catholique  sera  plus  facilement  utilisé.  »  [Civiltà  cattolica,  1  sabbato  di 
«  novembre,  p.  348.) 

2.  Les  Casus  conscientiœ  du  R.  P.  Gury,  dont  le  second  et  dernier  vo- 
lume est  encore  Eous  press?,  ne  seront  mis  en  vente  que  dans  le  cou- 
rant de  janvier,  chez  M.  Pélagaud  (Lyon  et  Paris). 

3.  Sous  ce  titre  :  La  Question  liturgique  à  Lyon,  paraîtra  trè=- pro- 
chainement une  brochure  qui  reproduit  tous  les  articles  publiés  dans  ce 
Recueil  par  M.  Bouix.  L'auteur  y  ajoute  quelques  observations  relative:  à 
une  lettre  de  S.  E.  le  cardinal  de  Bouald,  en  date  du  30  octobre  18C3.  La 
brochure,  éditée  par  M.  Rousseau-Leroy,  sera  également  mise  en  vente 
à  Lyon,  chez  MM.  Girard  et  Josserand  ;  à  Paris,  chez  MM.  Gaume  frères 
et  Uuprey. 


De.-.  lRG-2.]  CnnONîQUE.  6   5 

4.  Nonslavons  parlé  plusieurs  fois  d'une  Revue  qui  se  publie  à  Munster, 
et  qui,  sous  un  volume  peu  considérable,  avec  des  conditions  de  bon 
marcbé  inouïes  (3  fr.  50  c.  par  an),  reflète  de  la  manière  la  plus  fidèle 
tout  le  mouvement  littéraire  de  l'époque.  {V.  Revue,  l.  v,  p.  411,  et  t.vi, 
p.  492  s  )  Depuis,  le  Literarischer  Handweisern'afait  que  grandir  en  succès 
et  en  importance  :  il  compte  aujourd'hui  plus  de  cinq  mille  abonnés.  L'as- 
semblé'; des  savants  catholiques  tenue  eu  septembre  dernier  dans  la 
capitale  de  la  Bavière,  l'a  honoré  d'une  distinction  flatteuie.  On  propo- 
sait de  fonder  un  orsiane  central  de  la  science  catholique,  destiné  à  la 
représenter  dans  son  ensemble  et  dans  toutes  ses  tendances,  destiné  en 
même  temps  à  offrir  aux  hommes  d'étude  un  moyen  de  communications 
ou  de  correspondance  publique.  Cette  idé:!  était  en  grande  partie  irréalisa- 
ble. Mais  tout  en  la  repoussant,  plusieurs  membres  proposèrent  de  choisir 
îe  Literarischer  Handwei^er  comme  organe  des  communications  que  le.s 
savants  auraient  à  se  demander  ou  à  s'adresser  réciproquement. 
Celte  proposition  fut  acceptée  par  l'a-scmblée,  et,  au  uom  du  journal, 
par  son  rédacteur,  M.  le  D""  F.  Hûlskamp,  qui  était  présent.  Ainsi  donc, 
à  partir  du  numéro  de  janvier  1864,  le  Literarischer  Handweiser  con- 
tiendra, sans  augmentation  de  prix,  une  section  destinée  à  cette  corres- 
pondance. Naturellement,  les  théologiens  français  ne  sont  pas  exclus. 
Nous  les  invitons  à  profiter  largement  de  la  facilité  qui  leur  est  offerte, 
car  il  est  à  désirer  qu'il  s'établisse  un  échange  de  plus  en  plus  fréquent 
d'idées  et  de  communications  entre  nous  et  les  théologiens  d'Allemagne. 
On  adineltra  tout  ce  qui  rentre  dans  les  rubriques  suivantes: 

1°  Questions  sur  des  points  de  bibliographie. 

V  Réputées  à  ces  questions. 

30  Communications  et  demandes  de  savants  et  d'écrivains  relativement  à 
des  ouvrages  projetés  on  en  voie  d'exécution. 

4»  Courtes  additions  ou  corrections  d'auteurs  à  des  ouvrages  récemment 
publiés. 

5»  Annonces  de  découvertes  importante  1  en  fait  de  manuscrits,  documents 
imprimés,  lettres,  etc. 

5.  Nous  recevons  le  compte-rendu  de  l'assemblée  de  Munich,  dont 
nous  venons  de  dire  un  mot.  [Verhandlungen  der  Versanirnlung  kalho- 
lischer  Gelehrten  in  Mûnchen.  Regensburg,  Manz,  8°  de  143  p.  12  ngr.) 
Malheureusement,  il  paraît  que  ce  compte-rendu  n'est  pas  rédigé  avec 
tout  le  soin  possible.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  comient  beaucoup  de  ciioses 
intéressantes,  snr  lesquelles  nous  aurons  occasion  de  revenir.  Nous  avons 
également  sous  les  yeux  le  compte-rendu  de  l'Assemblée  catholique  de 
Francfort,  beau  volume  de  371  pages,  dont  l'impression,  commencée 
pendant  la  réunion  même,  était  achevée  huit  jours  après  sa  clôture. 
C'est  là  une  activité  très -louable,  et  qni  mériterait  d'être  imitée  ailleurs. 
I  Verhandlungen  der  fiinfzehnten  Generaluersammlung  der  Kalho/.  Ve- 
reine  Deutschlands  in  Frankfurt  a)7i  Mein.  Frankf.  a.  M.,  Harnacher, 
20  ngr.) 

E.  Hautcœuu. 


TABLE     DES    MATIERES. 


Piges. 
ETUDE    SUR  LA    VIE  DE    JESUS,  de  M.  Renan,  par  iM.  l'abbé 

SiMONis 5,   150,  237 

DE    L'ETAT     DE    NATURE     ET    DU     PÉCHÉ    ORIGINEL,    par 

M.  le  chanoine  Berton 32,  !26 

DIVERSES  CONCESSIONS    faites  par  le  Saint-Siège    au  diocèse 

de  Beauvais 47 

LE  PRINCIPE  VITAL  DANS  L'HOMME,  par  M.  l'abbé  N.  L.    .     .  5C 

LA  VÉRITÉ  SUR  LA   FACULTÉ  DE  THEOLOGIE  DE  PARIS,  par 

M.  r&bbé  D    Bouis 97,208,413,483 

LA    BIBLE    E\    lA    SCIENCE   DE    LA    NATURE,  par  M.  l'abbé 

Hautcœur 193,  401,   515 

LE  CHRIST  ET  LES  ANTECHRITS,  par  M.  l'abbé  SiMONis  ...  803 
NOUVELLES  RECHERCHES  SUR   LA    VIE  DE  SAINT  DIÉ,  abbé, 

par  M.  de  Maktonne 332 

LA  QUESTION  LITURGIQUE  A  LYON,  par  M.  l'abbé  D.  BoL'iX  .  346,  529 
ÉTUDES  SUR  LA  PRÉDICATION,  par  M.  le  chanoine  Barciet.  381,  338 
LES    SERMONS     DE    LOUIS    DE     GRENADE  ,    par    M.    l'abbé 

N.-G.    Le  Roy 433 

LES  SEPT  PROPOSITIONS    NOTÉES    PAR    LE    S.    OFFICE,    par 

M.  l'abbé  Armand  .     .     , 446 

LE  SEMINAIRE  FRANÇAIS  A  ROME,  par  M.  l'abbé  E.  Hautcœur.  178 
LE  TROISIÈME  ANNIVERSAIRE  SÉCULAIRE  DU   S.  CONCILE  DE 

TRENTE,  par  M.  l'abbé  N.-C.   Le  Roy 288 

COMMENT  LES  USAGES  S'INTRODUISENT,  par  M.  le  chanoine 

Craisson 573 

LITURGIE.  —  Réponses  à  quelques  questions 172 

—  De  certaines  Coutumes 278 

—  Formule  de  l'absolutiou  sacramentelle 454 

—  Patrons  et  titulaires  des  églises  non  consacrées.     .        550 

—  Des  Églises 361 

—  Des  mots  in  honore  ou  in  honorem.    ......        5G9 

ACTES  DIVERS  DU    SAINT-SIÉGE 77 

BLIEF  DE  SA  SAINTETÉ  PIE  IX,  relatif  à  un  nouvel  Office  de.     . 

rimuiaculé.j-Conception. 457 

DÉCISIONS  DE  LA  S.  C.  DU  CONCILE     .     , C8 

DÉCISIONS  DE  L  ÉNITENCERIE 456 

DÉCISION  DE  LA  S.  C.  DES  RITES 577 

CORRESPONDANCE    - 90,  301,  472,  595 

MÉLANGES 183 

BIBLIOGRAPHIE ,     .     .    .     .      83,  293,  459,  579 

CHRONIQUE ,     .     •      69,  299,  400,  479,  602 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


Absolution.  —  Sur  la  formule  de  l'absolulion  sacramentelle,  Atîl. 

i\BSTiNE>CE.  —  Décisions  de  la  S.  Pénilencerie,  -^56. 

AiCQNER  (le  D').  —  Compendium  Juris  eccltsiastki,  302. 

Allemagne.  —  Littérature  ihéologique  (Î862),  90 ss.,  301  ss. 

Barue  —  Défense  de  la  porter,  80. 

Basilique.  —  V.  Églises. 

Beauvais.  —  Diverses  concessions  faites  par  le  Sainl-Siége  à  ce 
diocèse,  47  ss. 

Bible  (la)el  la  S'Mence  de  la  nature,  194 ss.,  iOl  ss.,  515  ss. — Travaux 
du  P.Piaiiciani.l94.  du  P.  Laurent,  IC6,  474,  et  du  D'Ueusch,  197, 
— Rapports  généraux  entre  la  science  de  la  nature  et  les  documents 
inspirés,  198.  —  Explication  du  récit  de  la  Genè-e,  401,  515.  — 
Les  jours  génésiaques,  leur  délimitaiioo,  519,  leur  durée,  321.  — 
L'hypoilicse  des  jours-époques  combattue  sous  ses  diverses  formes 
522  ss. 

Binage.  —  Décision  concernant  l'honoraire  de  la  seconde  messe,  77. 

Bizouard  (J.).  —  Des  Rapports  de  r homme  avec  le  démon,  86. 

Buss  (F. -G).  —  Troisième  anniv.  séc.  du  Concile  de  Trente,  459. 

Cargn.  —  Méthode  deplain-chant,  bi3. 

Casinius.  —  V.  E'at  de  nalwe 

Catéchisme.  —  Le  Catéchisme  en  images,  par  l'abbé  Couissinier,  97. 

Chant  ecclésiastique  dans  ses  rai  ports  avec  les  règles  liturgiques, 
175  ss. 

Chant  du  dernier  jour,  588. 

Chantres-Laïqles.  —  V.  Coutumes. 

Christ  (le)  et  les  Antecbrisls,  305  ss.—  J.-C.  dans  l'Écriture,  307.— 
J.-C,  dans  l'histoire,  312. — J.-C.  dans  la  conscience  humaine,  321 . 
—  Les  Anttchrists,  328. 

(loquet  (l'abbé).  —  Lettre  au  directeur  de  la  Reçue,  38?. 

Cobbett.  —  Lettres  sur  la  réforme,  9-î. 

Co.NCiLE  (décision  de  la  S.-C.  du)  68  ss.  —  Juris  nominandi  deputntos 
pro  Seminario,  68.  —  Distributtcnum,  70.  —  Dutium  validatis 
dispcn.satîonis  matrimonialis,  72. 

Concours.  —  V.  Curés. 

(Coutumes.  —  De  certaines  coutumes  en  matière  de  liturgie,  278  ss — 
De  l'usage  de  donner  à  des  laïques  des  ornements  sacrés,  261 ,  ci 
en  particulier  des  chapes,  286.  —  Comment  les  usages  s'iutro- 
duisenl,  573. 

Création.  —  V.  Bible. 

CnAissoN  (D  ).  —-  Manuale  lotius  Juris  cancnici,  4.)9. 


€f  G  TABLE    ALPHABÉTIQUE.  [Tome  VIII. 

Curés.— Question  de  l'inamovibililé,  186.— Le  concours  à  Mûnsle^,^83. 
CusA  (le  Ca'  Nicolas  de),  95. 

Dalgairns  (le  P.).  —  La  sainte  Communion,  le  Sacré-Cœur,  500. 
D£CHAMPS(le  P.).  —  Le  Christ  et  les  Jntechrists,  305.  —  Opuscules 

divers,  479.  —  La  Cause  catholique,  589. 
Des  Mousseauî.  —  Les  Médiateurs,  elc,  265. 
Dictionnaire  des  preuves  de  la  divinilé  de  J.-C,  579. 
DiÉ  (S^j.  —  Nouvelles  recherches  sur  la  vie  de  ce  Saial,  d'après  ua 

document  inédit,  532  ss. 
Droit  Canonique.  —  Publicalions   diverses  en  Allemagne,  Z0\.  — 

V.  Craisson,  Ginzcl,  Phillips. 
Dupanlodp  (Mgr).  —  La  Charité  chrétienne  et  ses  œuvres,  479. 
Églises.  —  Difîérenls  noms,  :;6i.  —  Diverses  espèces  d'églises,  564. 

—  Des  basiliques,  566. 
Friedrich  (le  D';.  —  Jean  TIus,  Jean  fVessel,  93. 
Gams  (le  l'.)  —  Histoire  de  V Église  d'Espagne,  92. 
Gauue  (l'abbé). — Le  N.  T.  de  N.-S.  J  -C,  traduction  nouvelle,  464. 
Gilly  (le  D"-).  —  L'Ecclésiaste,  467. 
GiNZEL  (le  Df).  — Manuel  du  droit  ecclésiastique,  301. 
Grandclaude-  —  Breviarium  philosojjhix  scholasticae,  400,  602. 
Gratry  (le  P.) — Commentaire  sur  l'évangile  selon  saint  Matthieu,  96. 
Grenade.  —  Les  sermons  de  Louis  de  Grenade,  433  ss.  —  Grenade 

considéré  comme  orateur  sacré,  433. —  La  nouvelle  traduction,  436. 
Gury  (le  P.)  —  Ca^us  conscientiae,  479,  602. 
Hauscoer  (le  P.)  —  Paschase  liadbert,  03. 
Hefele.  —  Histoire  des  Conciles,  92. 
Herdt  (de).  —  Compendiosa  subdiaconurum  et  diaconorum  instru- 

ctio,  eîc,  400. 
Histoire  ecclésiastique. — Prin'  ipaux  manuels  usités  en  Allemagne, 

91. 
llcEFLER.  —  Les  conciles  de  Prague  avant  la  période  hus$ite,  94. 
fiuLSKAMP  (D"")  Ltterari>cher  Handwei^er,  605. 
Immaculée-Conception   —  Bref  dt'  SS.  Pie  IX,  relatif  à    un  nouve- 

Oftire,  457. 
Inamovibilité.  —  V.  Curés. 
Index.  —  Livres  mis  k  l'Index,  96,  299. 

Indulgences. — Indulgences  accordées  à  l'Archicoiifrérie  de  l'Assomp- 
tion, 7i).  —  V.  Cloquel. 
Jours,  —  V.  BiLte. 
JÉSUS  [Vie  de).  —  V.  Renan. 
KoDER  (le  D'J.  —  Traiié  des  suspenses,  302. 
L^MMER  (le  D"^).  —  Édition  cVEusèbe,  90.  —  Spicilegium  Romanum, 

fti-,,94. 
Laurent  (le  P.)  —  V.  Bible. 
Libéra  TORE  (le  P.)  —  V.  Principe  vital. 


Dec.  1863.]  TABLE  ALPeABÉTIQUE.  607 

Litanies.  —  Sens  de  la  prohibition  qui  concerne  les  lilanies  non  ap- 
prouvées, 577.  V.  Liturgie. 

Liturgie. — Réponses  a  diverses  questions,  174,  <75,  177,434.— 
Faut-il  dire  in  honore  ou  in  //onorem  dans  la  prière  Suscipe,  sancta 
Trin/ïas,  569.  —  Décision  de  la  S.  C.  des  Riles,  concernanl  les 
litanies  du  S.  Nom  de  Jésus,  577.  —  Publications  liturgiques  en 
Allemagne,  30-5.  —  V.  Absolution,  Beauvais,  Chant,  Coutumes, 
Eglises,  Lyon,  Patrons. 

LucoT  ;rabbe),  584. 

LïON.  —  La  question  liturgique  k  Lyon  :  Examen  d'une  Apologie 
publiée  par  MM.  les  curé.*  de  celle  ville,  346  ss. — Les  faits  antérieurs 
à  la  lettre  du  cardinal  Patrizi  au  cardinal  de  Bouald,  349.  —  Les 
faits  depuis  la  publication  de  celle  lettre,  360.  — Nouvelles  obser- 
vations, 529  ss.  ;  texte  de  la  circulaire  à  MM  les  chanoines,  530.— 
Pro'.estalion  de  M.  le  chanoine  Des  Garets  contre  les  faits  à  lui  im- 
putés, 533. 

Martin  (le  D--).  —  Theophilus,  303. 

Martin  (l'abbé).  —  rie  de  M.  Gorini,  480. 

Mathieu  (le  C*i).  —  Le  Pouvoir  temporel  des  Pages,  96. 

Matignon  (le  P.)  —  La  Question  du  surnaturel,  400. 

Messe.  —  V.  Binage. 

MuHLBAUER.  —  Décréta  aulhentica  S.  Rit.  Cong.,  304. 

Natcre  (de  l'état  de)  et  du  péché  originel,  d'après  Casinius,  32  ss. 
126  ss.  —  Caractère  de  la  censure  des  propositions  de  Baïus  et  sons 
authentique  de  ces  propositions,  33.  —  Gratuité  des  dons  que  le 
péi  hé  originel  nous  a  fait  perdre,  59.  —  De  l'immortalité,  42.  — 
De  la  douleur,  43.  —  De  la  concupiscence,  126.  ■—  De  la  pleine  con- 
naissance du  droit  naturel,  135.  —  Que  la  sainteté,  ainsi  que  les 
veriusel  les  actes  qu'elle  comprend,  ne  sont  pas  dus  à  la  nature,, 
159.  —  Delabéalilude  céleste,  442.  —  Conclusion,  145. 

Patri.stique  en  Allemagne,  90. 

Patrons  et  titulaires  des  églises  non  consacrées  et  des  oratoires,  550  ss. 

Pénitencerie.  —  V.  .abstinence. 

Phillips  (le  D'').  —  Ouvrages  sur  le  droit  canonique,  301. 

Philosophie.— Les  sept  propositions  noiées  par  le  Saint-OfGce,  446  ss. 
Lettre  de  M.  l'abbé  Cros,  !;93.  —  V.  Principe  vital,  Sanseverino, 
Thomas. 

PiANCiANi  (le  P.)  —  "V.  Bible. 

Plain-Chant.  —Des  rapports  du  chanl  ecclésiasiique  avec  la  règle  de 
l'Église,  174.  —  De  l'usage  d'alterner  le  chant  du  C7edu  entre  le 
chœur  el  un  chantre  placé  à  l'orgue,  175. 

PoHLMANN  (D'').  —  Travaux  sur  S.  Ephrem. 

Prédication.— Etudes  sur  la  prédication,  381  ss.,53S  ss.— Importance 
de  l'art  oratoire,  ibid.  —  Qualités  du  discours  chrétien,  382.  — 
De  l'Écriture  sain  le,  538  ss. 


(•.08  TABLi;    ALPiîAEÉTiQUE.  [Tome  V!1I. 

Principe  vital  (le)  dan- l'homme,  à  propos  d'uu  livre  du  P.  Libera- 
lore,  06  ss. 

Renan.  -  Élude  sur  la  Fie  de  Jê^us,  par  M.  Renan,  5  ss.,  +30  ss., 
237  ss.— M.  Renan,  5  ;— M  Renan  el  l'Histoire  t'vangélique,  11  ;  — 
M.  Renan  el  le  miracle,  20;  — M  Renan  et  les  prophéties  messiani- 
ques 130.  —  L'incarnaiion,  li>2.  —  M.  Renan  el  l'Église,  257,  — 
La  vision  di  M.  Renan,  2o0.  ~  M.  Renan  et  la  personne  de  Jésus, 
2G3.  —  ^ote  sur  la  Fie  de  Jésus,  '299.  —  Jugement  de  la  science 
Mllemandc,  480. 

Reusch  Ile  D').  —  V.  Bble. 

RiiTER.  —  Manuel  d'histoire  ecclésiastique,  91. 

Sanseverino.  —  Philosophia  Chrisliana,  468, 

ScHARPF  (D').  —Travaux  sur  Nico'as  de  Cusa,  93. 

ScHEEBEN  (le  D').  —  Quid  est  homo,A.  Casinio,  V.  Nature, 

Schneider,  Manuale  sacerclotum,  387. 

ScHRADER  (le  p.).  —  Thèses  Ihcologicse,  500. 

ScnwANE  (le  D').  —  Histoire  des  dogmes,  91. 

Séminaire  (le)  Français  à  Rome,  478. 

Ségur  (Mgr  de).  —  Le  Souverain  Pontife,  96. 

S0RBOXNE.  —  La  vérilé  sur  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris,  de  4663 
à  1082,  d'aprè-)  des  documents  inédits,  06  ss,,  208  ss.,  413  ss., 
483  ss.  —  Situation  à  partir  de  1601,  98.  —  AflF.iire  de  la  thèse  de 
Gabriel  Drouèl  de  Villeneuve.  Renseignements  transmis  à  CoU>erl 
sur  les  docteurs,  en  particulier  surBo;suel  et  les  Siiipicieos,  -103. — 
lienseigneraenls  sur  les  docteurs  i!e  la  Sorbonno,  208.  —  Les  doc- 
leurs  de  ta  maison  de  Navarre,  2:22.—  Les  dorieurs  ubiquisles,  226. 
—  Les  docteurs  moines,  25'.  —  Les  bacheliers  en  licence,  236.  — 
Arrêt  du  22  janvier  4663,  enregistré  forcément.  Ai'.).  —  Les  six 
fameux  articles  de  1665  ne  doivent  pas  être  a'iribués  à  la  Faculté, 
410.  —  Elle  a  défait  rejeté  el  réprouvé  les  quatre  articles  de 
1682,  lesquels  n'ont  été  enregistrés  que  par  force,  483  ss.  —  Nou- 
velles menées,  menaces,  mesures  d'iniimidalion  pour  la  ramener 
à  des  senlimenls  difl'érenls,  497. — On  lui  arrache  la  condamna- 
lion  delà  ceDîure  de  l'Archevêque  de  Slrigonie,  50.j. — Sa  prétendue 
adhésion  .n  l'appel  au  futur  concile,  en  1188,514. 

Stadler  (le  D').  — Dictionnaire  universel  d'hagiographie,  95. 

Thomas  (S').  —  Sa  philosoiihie,  472. 

Trente.  —  Troisième  anuiversaire  du  Concib',  288.  — V.  Buss. 

Walter.  —  Fontes  juris  ecclesiaUci,  303. 

Watterich  (le  D"*).  —  Fies  des  Papes  du  X^  au  XIP'^  siècle,  92. 

Vverner.  —  Histoire  de  la  littérature  apologétique  et  polémique,  91. 

WiNKLER  (le  D""].  —  Manuel  de  droit  canonique,  302. 

Arras, — Typ.  Rousseau-LerDy,  rue  Saiiu-Maurice  i& . 


LA  THEOLOGIE  DES  CATACOMBES. 


TROISIEME    PARTIE. 

LES     CATACOMBES     CATHOLIQUES. 

Les  dogmes  chrétiens  ne  sont  pas  de  folles  abstractions, 
mais  de  divines  réalités,  qui  vivent  dans  la  sainte  Église  et 
par  elle.  Or,  l'Eglise,  renfermée  aux  Catacombes,  y  a  laissé 
son  empreinte  et  son  image  ;  les  grains  de  sable,  la  pierre  et 
le  marbre  qu'elle  a  touchés,  le  tombeau  qu'elle  s'est  façonné, 
le  silence  même  et  l'ombre  de  ces  souterrains  parlent  d'elle. 
Plus  les  persécuteurs  la  comprimaient,  plus  elle  développait 
d'énergie  là  où  elle  était  refoulée,  et  cette  énergie  s'est  mani- 
festée par  des  œuvres  puissantes  comme  les  œuvres  de  Dieu. 
Il  est  donc  possible  de  demander  tout  l'ensemble  de  nos* 
dogmes  à  l'Église,  et  de  retrouver  l'Église  tout  entière  dans 
la  Rome  souterraine.  C'est  le  sujet  de  ce  travail  (1). 

L'Église  des  Catacombes  nous  dira  de  quelle  sorte  elle 
comprit  dès  lors  son  essence,  sa  mission,  sa  hiérarchie,  sa 
préparation  dans  l'Ancien  Testament,  et  ses  rapports  avec  la 
sainte  Trinité,  le  Verbe  Incarné,  les  ordres  Angéliques, 
triple  idéal  dont  elle  est  l'imitation  sur  la  terre  ;  comment 
et  par  quelles  voies  secrètes  de  la  grâce  elle  engendrait  les 
hommes  à  la  vie  chrétienne  ;  de  quels  aliments  divins  elle 

(1)  Nous  n'entendons  pas  discuter  ici  des  questions  spéciales  d'his- 
toire, d'archéologie,  de  symbolisme,  etc.;  mais  nous  attachant  à  ce  qui 
a  été  dit  de  plus  solide  en  ces  matières,  nous  eu  indiquons  rapidement 
les  principaux  résultats  au  poiut  de  vue  dogmatique  et  apologétique. 

1 


578  LA    THl'.OLOGTf:    DiS    C.vTACOMP.F.S. 

soutenait  et  agrandissait  leur  intelligence  et  leur  cœur  ;  par 
quels  coups  funestes  les  fidèles  sont  arrachés  à  leur  mère, 
et  par  quelle  vertu  elle  leur  rendait  la  vie;  elle  nous  décou- 
vrira l'activité  qui  propagea  cette  vie  surnaturelle  jusqu'à 
nous  ;  et  enfin  les  mystères  de  notre  naissance  à  l'Eglise 
des  Cieux,  les  gloires  de  la  Résurrection  et  de  la  Vision 
bienheureuse.  Ainsi,  la  sainte  Église  Romaine  sera  le  pre- 
mier et  le  dernier  mot  de  cette  étude,  le  point  central  de  cet 
essai  de  synthèse  théologique  et  archéologique  (1  . 

I.  —  L'Église  romaine. 

On  a  longuement  et  savamment  prouvé  l'existence  et  l'or- 
ganisation sociales  de  l'Église,  pendant  les  trois  premiers 
siècles  de  l'ère  chrétienne.  Mais  toute  la  certitude  de  ce  tra- 
vail n'égale  point  la  conviction  que  produit  dans  l'âme  une 
visite  rapide  aux  Catacombes.  Cette  cité  souterraine,  une 
des  merveilles  du  monde,  ne  peut  être  que  l'œuvre  d'un 
peuple  entier. 

(1)  Au  siècle  dernier,  un  savant  auteur  disait:  «  Rem  maguam  feceril 
«  ae  tbeologis  peropportunam  qui  ex  adcuraliorijjus  antiquariis  cuncta 
«  Chrisliana  monumenta  seligeret  et  in  unum  sacrée  rei  autiquariae  cor- 
«  pus  redigeret,  divisum  scilicet  ia  cujusdam  Theologici  systematis  capita, 
«  sub  quibus  moDumenta  cuique  respondenlia,  suis  adjectis  int^rpreta- 
«  tiouibus  adtîgerentur  :  inde  siquidem  allicerentur  vehenoenler  Theologi 
«  ad  rei  antiquariis  usum,  babentes  utique  ad  manum  ea  —  suis  illu- 
«  strandis  Iher.ibus —  erudilionis  documenta.  »  (J.-B.  Gêner  S.  J.  Theo- 
logia  dogmatiro-scolastica,  Romae  1767,  tom.  I,  p.  319.) 

C'est  encore  le  vœu  que  formait  naguère  le  R.  P.  Garrucci,  en  don- 
nant la  nouvelle  édition  de  ses  Veiri  ornati  di  figure  etc.;  in-4o  et 
atlas  in-fol.  (Rome,  typ.  des  beaux  arts,  1864.)  Nous  ferons  de  largea 
emprunts  à  cet  admirable  ouvrage,  dont  nous  avons  déjà  annoncé  la 
première  édition.  (Cf.  Revue  des  Sciences  ecclésiastiques,  1862,  n"  de 
novembre.)  —  Le  R.  P,  Garrucci  publie  en  ce  moment,  à  Rome,  une 
série  de  dissertations  arcbéologiques  du  plus  haut  intérêt  ■  nous  les 
recommandons  à  l'attention  de  nos  lecteurs;  ils  y  constateront,  une  fois 
de  plus,  que  la  vraie  science  est  encore  aujourd'hui  une  des  gloires  de 
l'Eglise  catholique,  et  que  la  science  qui  se  dit  séparée,  est  bien  plus 
vaniteuse  que  solide. 


LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  579 

Et  ce  n'était  pas  une  Eglise  invisible,  purement  idéale, 
qui  se  préparait  ici  un  sépulcre  et  un  temple.  Qu'en  aurait- 
elle  eu  besoin?  Ce  n'était  pas  davantage  une  foule  confuse 
de  rêveurs  indépendants  :  ses  ouvrages  eussent  manqué  de 
Yunité  de  plan  qui  caractérise  les  Catacombes.  Au  temps 
même  de  saint  Pierre,  l'architecte  qui  ouvrit  le  premier 
cimetière,  celui  de  Priscille,  essaya  d'une  méthode  très- 
avantageuse  à  certains  points  de  vue  :  «  Il  s'attacha  à  mé- 
«  nager  comme  une  suite  continue  de  chambres,....  de 
«  grandes  cryptes  et  de  cubicula  se  tenant  ensemble,  et 
«  devant  servir,  en  même  temps,  à  l'ensevelissement  des 
«  morts  et  à  la  réunion  des  fidèles  (1).  »  Toutefois,  il  re- 
marqua bientôt  qu'un  pareil  système  exposerait  son  œuvre 
à  une  ruine  totale,  et  il  l'abandonna  pour  s'attacher  à  un 
autre,  moins  grandiose  sans  doute,  mais  où  l'emploi  alter- 
natif de  galeries  longues  et  étroites,  et  de  salles  plus  spa- 
cieuses, offrait  à  la  fois  des  assurances  de  solidité  et  d'é- 
légance. Ce  nouveau  plan  est  dès  lors  suivi  avec  une 
inviolable  fidélité.  L'unité  de  style  dans  les  inscriptions, 
les  chapelles,  les  autels,  les  peintures  symboliques,  accusent 
l'existence  d'une  autorité  qui  a  tout  dirigé  -,  l'arbitraire  ne 
règne  pas  dans  les  Catacombes,  les  caprices  de  l'art  ont  été 
réprimés  par  une  loi  constante;  le  langage  du  premier  siècle 
ne  contredit  point  celui  du  quatrième;  les  peintres  contem- 
porains des  apôtres  n'ont  rien  dessiné,  que  les  générations 
suivantes  n'aient  vénéré  et  reproduit.  Donc,  l'Eglise  qui 
exécuta  cette  œuvre,  était, wne;  donc,  elle  était  soumise  à 
un  pouvoir  hiérarchique  qui  maintenait  l'immulabilité  du 
culte,  du  dogme,  des  traditions  morales  et  esthétiques. 

Jésus-Christ  a   promis   d'habiter  dans  l'unité    de    son 
peuple;  la  sainteté,  qui  est  le  fruit  de  sa  présence,  ap|)araît 


(1)  Notice  sur  deux  catacombes  de  la  nouvelle  vote  Salaria,  olc,   par 
l'abbé  A.  ScoguamigUo,  ParU,  1863,  p.  17. 


580  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.   , 

bien  dans  les  Catacombes.  Palmes  gravées  sur  les  couches 
funèbres,  emblèmes  du  combat,  symboles  de  la  virginité, 
du  détachement,  de  l'espérance;  aspirations  vers  Dieu; 
professions  de  foi  à  l'ordre  invisible  et  surnaturel,  que  votre 
concert  est  éclatant  !  Le  sang  généreux  des  martyrs  a  bai- 
gné ce  sable,  le  parfum  céleste  des  vierges  monte  encore 
sous  ces  arcades,  et  les  hymnes  des  confesseurs  prolongent 
leurs  échos  dans  ces  galeries  oij  je  crois  les  entendre  et  oiî 
je  mêle,  pour  ainsi  dire,  ma  voix  à  leurs  chants. 

Les  plus  anciens  Pères  invitaient  souvent  les  hérétiques 
à  consulter  les  archives  de  l'Eglise  romaine,  pour  constater 
la  succession  fidèle  des  Apôtres.  Or,  elle  n'avait  pas 
de  plus  nobles  archives  que  ses  cimetières:  Pierre  y  repo- 
sait, et  tous  ceux  à  qui  il  avait  transmis  le  pontificat 
suprême.  Leurs  épitaphes  composaient  les  pages  d'un  livre 
très-solennel  et  très-authentique,  que  ni  le  temps  ni  la 
haine  du  bourreau  ne  pouvaient  détruire.  Ou  venait,  des 
extrémités  de  la  terre,  lire  ces  annales  brèves  et  énergiques, 
et  raffermir  l'autorité  ébranlée  des  églises  particulières,  en 
les  rattachant  à  l'évidente  a^ostolicité  de  l'Eglise  romaine. 
L'aposlolicité  devenait  ainsi  le  fondement  de  la  catholicité 
dont  les  Catacombes  étaient  le  centre:  les  docteurs  de' 
l'Orient  et  de  l'Occident,  Polycarpe,  Hégésippe,  Justin  le 
Philosophe,  Irénée,  Origène,  Terlullien,  Pierius  et  bien 
d'autres,  s'y  sont  rencontrés  aux  pieds  de  saint  Pierre 
vivant  dans  ses  successeurs.  Les  missionnaires  qui  évangé- 
lisaient  le  monde  entier,  s'élançaient  de  là  ;  et  c'est  chose 
touchante  que  de  relire,  aux  Catacombes,  la  conclusion 
invariable  de  l'histoire  des  papes  martyrs;  «  Il  fit  une 
ordination  et  créa  beaucoup  d'évêques  en  divers  lieux  », 
episcopos  per  diversa  loca.  La  foi  jaillissait  de  ce  foyer  et  y 
revenait  bientôt,  sur  les  ailes  de  l'amour.  Le  charme  divin 
qui  amène  de  nos  jours  à  Rome  tant  de  nobles  chrétiens, 
exerçait  déjà  son  influence  dans  le  monde  :  les  descendants 


LA    THÉOLOGIi;    DKS    CATACOMBES.  581 

des  Druides  ou  des  sages  de  l'Aréopage,  les  Germains  et  les 
Ibères,  les  habitants  des  montagnes  de  la  Syrie,  des  plaines 
de  Babylone  ou  des  bords  du  Nil,  se  rassemblaient  au  Co- 
lysée,  pour  se  réunir  ensuite  aux  Catacombes:  toutes  les 
tribus  de  la  terre  y  sont  représentées-  elles  y  ont  mêlé  leurs 
noms  et  leur  sang  (1). 

C'est  ainsi  que  Rome  souterraine  démontre  l'existence 
et  la  divinité  de  l'Église  romaine,  une,  sainte,  catholique 
et  apostolique!  Démonstration  d'une  autorité  incomparable, 
puisqu'elle  est  la  voix  des  temps  qui  suivirent  immédiate- 
ment le  Christ,  la  voix  des  papes  et  de  leur  clergé,  jusqu'au 
règne  de  Constantin,  la  parole  que  l'Église  universelle  reçoit 
comme  celle  de  Dieu  même,  la  voix  que  saint  Irénée,  et 
Origène  venaient  entendre  et  honorer  de  leur  soumission, 
la  voix  que  les  hérétiques  ont  contredite  sans  pouvoir 
jamais  l'étouffer.  Nous  pouvons  donc  l'écouter,  à  notre 
tour,  sûrs  de  recueillir  l'enseignement  de  l'Église  primitive, 
la  doctrine  des  Apôtres,  la  vérité  de  Dieu. 

II.  —  Idéal  de  l'Église. 

Dieu  un  en  trois  personnes.  —  L'Incarnation.  —  Les  Anges. 

I.  La  croyance  des  premiers  âges  chrétiens  à  l'unité  abso- 
lue de  Dieu,  est  un  fait  trop  évident  pour  en  demander  les 
preuves  aux  Catacombes.  Les  traces  de  polythéisme  qu'on 
y  a  voulu  signaler,  sont  l'œuvre  et  la  propriété  d'une  secte 
gnostique.  Le  pinceau  de  nos  peintres  représentait  les  saints 
et  la  Mère  de  Dieu  elle-même,  les  bras  élevés  au  ciel,  dans 
l'attitude  de  la  prière,  en  sorte  que  l'ignorance  ne  pût  les 
prendre  pour  des  divinités.  Et  pourquoi  ce  sang  recueilli 


(1)  Voyez  l'excellent  ouvrage  réceuinient  publié  par  le  R.  P.  Perrone: 
S.  Pietru  in  Rom'.i  (Rome,  1864),  surloul  cbap.  m,  §7. 


582  LA    TLIÈOLOGlt:    DES    G  VTACOMBES. 

dans  (Jes  ai]i[)nul(\s  que  je  vénère  sur  les  tombeaux?  Pour- 
quoi la  présence  de  rÉglise  au  sein  de  la  terre?  Parce  que 
le  sang  des  martyrs  et  la  voix  du  peuple  chrétien  ont  con- 
fessé l'unité  de  Dieu,  et  que  Rome  idolâtre  n'a  point 
voulu  le  souffrir.  Aussi  \esfossores  écrivent  sur  la  tombe  du 
fidèle  : 

IN  VNV  DEV  CREDEDIT. 

«  Il  a  cru  en  un  seul  Dieu!  »  (1) 

II.  Le  dogme  de  la  Trinité  est  très-difficile  à  exprimer 
dans  le  symbolisme  chrétien;  son  caractère  essentiellement 
métaphysique,  la  doctrine  théologique  qui  attribuait 
l'invisibilité  au  Père,  et  au  Verbe  les  manifestations 
divines,  le  danger  de  mettre  sous  les  yeux  de  néophytes 
trop  familiers  avec  le  polythéisme,  la  représentation  sensible 
et  imagée  des  trois  personnes  divines,  arrêtèrent  long- 
temps les  peintres  desCatacombes.il  est  vrai  que  le  triangle 
se  voit  quelquefois  sur  les  locuH,  mais  sa  valeur  symbolique 
est  loin  d'être  certaine  (2).  En  revanche,  les  inscriptions 
étaient  explicites  : 

(m)  NOMINE  BEI  PATRIS  OMNIPOT  {enti)  S 
ET  DOMINI  NOSTRI  lESV  I  FI  [lii  et) 
SANCTI  PARAGLETI  EVSEBIVS  IN  FA... 

(ren)OVAVlT  CYMETERlV(m)  TOTV(m). 

«  Au  nom  de  Dieu,  le  Père  tout-puissant,  et  de  Notre- 

(1)  Musée  chrétien  de  Latran.  Quant  aux  sigles  D.  M.,  D.  M.  S.  que 
l'on  voit  quelquefois  dans  nos  cimetières,  ou  bien  ils  apparaissent  sur 
des  pierres  sépulcrales  venues  du  paganisme  et  employées  ensuite  par 
les  chrétiens;  ou  bien,  ils  ont  été  inspirés  par  une  idée  parfaitement 
juste  et  signifient:  a  A  Dieu  très-grand, —  Consacré  à  Dieu  très-grand  !  » 

(2)  Cf.  Geuer,  tom.  ii,  p.  375-376.  Les  païens  employaient  le  même 
si^ne  sur  leurs  sépultures.  Le  Spicilége  de  Solesme  (tom.  iv,  p.  499) 
rapporte  nue  inscription  carthaginoise  où  le  sens  du  triangle  et  des  trois 
points  qui  l'accompagnent  n'est  guère  plus  certain. 


LA  théoi.ocie  des  catacombes.  583 

«  Seigneur  Jésus-Christ,  son  fils,  et  du  saint  Paraclet,  Eu- 
«  sèbe...  a  renouvelé  tout  le  cimetière  (1).  » 

0  0EOC  0  KA0HMENOG 
EIC  AESIA  TOT  nATPOC 

Eic  TonoN  ArmN  coy 

NERTAPEOY  TO  U'VXA 
PION  rPA<I>E. 

«  0  Dieu,  qui  êtes  assis  à  la  droite  du  Père,  inscrivez  la 
«  petite  âme  de  Nectarée  dans  le  livre  du  royaume  des 
«  saints  (2).  » 

Un  grand  nombre  d'épitaphes  portent  la  formule  :  In  Spi- 
ritu  sancto,  Spiritasancta,  in  Spiritosanctobono,  etc.;  quoique 
parfois  elle  s'applique  peut-être  à  l'àme  des  fidèles,  il  est 
des  cas  où  sa  signification  divine  est  constante,  comme  en 
ce  monument  du  troisième  siècle,  retrouvé  dans  la  cata- 
combe  de  Saint-Hermès,  et  publié  par  le  Père  Marchi  : 

nPiîTOG  EN  Ariiî  llNEVMATl  0EO 
EN0AAE  KEITAl  «WPMIAAA  AAEA<1)H 
MINHMHG  XAPIN. 

«  Protus,  repose  ici,  dans  le  saint  Esprit  de  Dieu!  Fir- 
M  milla,  sa  sœur,  en  souvenir!  »  (3) 

CAR  RYRIACO 
FIL.  DVLCISSIMO 
VIDAS  IN  SPIRITO  SAN. 

«  A  notre  cher  Cyriaque,  très-doux  fils  1  Vis  dans  l'Es- 
«  prit-Saint  (4)  ».         . 

(1)  Inscription  conservée  à  Saint-Paul-hors-les-Murs. 

(2)  Boldetti  :  S.  Priscil.,  p.  58. 

(3)  Monumenti  primitivi,  etc.,  p.  198.  Une  sépulture  di^  la  catacombc 
des  saints  Marceliin  et  Pierre,  représentait  une  colombe  courontiée  d'un 
diadème,  el  surmontant  une  cliaire  pontificale  dont  elle  paraissait  inspi- 
rer le  possesseur.  (Voir  plus  loin,  v.  3.) 

(4^  Cette  belle  pierre  sépulcrale  est  du  cimetière  de  yaint-CHlixlc,  et 
reproduite  au  musée  de  Latran. 


58/|  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

Quand  la  théorie  des  théophanies  commença  à  changer 
de  direction  dans  les  écoles  chrétiennes,  un  sarcophage  de 
Sainte-Agnès  et  un  autre  des  catacombes  de  Lucine,  repré- 
sentèrent le  Père  éternel  comme  un  vieillard.  Un  bas-relief 
de  la  même  époque,  qui  se  voit  au  musée  du  Latran,  a 
figuré  la  Trinité,  dans  la  création  d'Eve.  Les  trois  personnes 
sont  parfaitement  semblables:  elles  ont  les  mêmes  traits  de 
l'âge  mûr,  bien  que  la  première  occupe  un  trône  et  préside 
ainsi  à  l'œuvre  divine. 

III.  L'Église  qui  est  une  et  distincte  comme  le  Père,  le 
Fils,  et  l'Espril-Saint,  possède  un  autre  modèle  qui  lui  est 
d'autant  plus  cher,  qu'elle  en  est  l'effet  et  l'éternelle  conti- 
nuation. Jésus-Christ  a  deux  natures  unies  hypostatique- 
ment  et  sans  confusion  ;  l'une  est  l'élément  divin,  l'autre, 
l'élément  humain,  et  la  personne  qui  subsiste  en  elles,  est 
le  Verbe  de  Dieu.  Ainsi,  l'Eglise  est  à  la  fois  chair  et  esprit, 
invisible  et  visible,  céleste  et  terrestre,  grandissant  et  se 
développant  jusqu'à  ce  qu'elle  atteigne  à  la  pleine  mesure 
du  Christ.  —  Idéal  vraiment  divin!  et  avec  combien 
d'éloquence  les  Catacombes  disent  que  Jésus-Christ  est 
Dieu  ! 

Les  fresques  et  les  sculptures  ;1)  rappellent  les  prophé- 
ties et  les  miracles  par  lesquels  ilprouvait  sa  divinité;  elles 
lui  attribuent,  comme  je  le  dirai  tout-à-l'heure,  les  œuvres 
etles  révélations  de  Jéhovah,  le  Dieu  de  l'ancienne  alliance; 
pendant  les  premières  persécutions,  elles  ne  le  représentent 
guère  que  dans  ses  mystères  glorieux,  de  peur  que  la  vue 
trop  fréquente  de  ses  souffrances  n'affaiblisse  la  foi  à  son 
infinie  majesté  ;  quoique  l'Évangile  rapporte  qu'il  a  prié, 
elles  ne  le  montrent  jamais  dans  cet  acte,  qui  procède  de  la 
nature  humaine  ;  s'il  est  assis  sur  les  genoux  de  sa  mère, 

(1)  Les  monuments,  dont  il  est  ici  question,  sont  trop  nombreux  pour 
que  je  les  indique  en  détail:  du  reste,  beaucoup  d'entre  eux  reviendront 
sous  nos  yeux,  dans  la  suite  de  cette  étude. 


LA   ja^OWWlE    pfiS   CA'M(^OMBES.  5$^, 

Marie  l'adore,  en  élevant  les  bras  au  ciel,  mais  lui,  la  splen- 
deur et  le  verbe  du  Père,  garde  l'attitude  qui  convient  à 
Dieu  ;  les  Mages,  la  gentilité,  et  Rome  avec  eux,  se  pro- 
sternent à  ses  pieds-,  Polyc^rpe,  Irénée,  Origène,  voient  ces 
peintures  et  ne  les  jugent  point  idolâtres. 

Ils  voient  sans  les  accuser  d'impiété,  ils  approuvent  et 
dictent  eux-mêmes  les  inscriptions  qui  nomment  Notre- 
Seigneur  «  le  dieu  assis  à  lu  droite  du  Père  {[)  ;  le  Christ 
SAINT  »,  source  et  récompense  de  nos  mérites  : 

A  I  li 
PATRI  ET  MATRI  LEONI  ET 
MAXIMiLIANETI  LEOPARDVS  FlLl 
VS  BENE  MERENTIBVS  IN  XPO 
SANCTO  FECIT  •  PATER  DEP.  VI 
IDVS  lAN  (2). 

«  Le  Diçu  et  SEIGNEUR  Christ,  en  qui  les  fidèles  souhaitent 
«  à  des  â.mes  chéries  de  reposer  et  de  vivre: 

EPMA  EIGXE  •  (I>aÇ  =  Z 
UG  EN  0EÛ  KYPEI 
Q  KPEICTiî  ANN 
ÛPOYM  •  X  •  MHGli 
POYM  SEPTE. 

«  Hermès,  possède  la  lumière!  Tu  vis  en  Dieu,  le  Sei- 
«  GNEUR,  le  Christ!  Il  mourut  âgé  de  dix  ans  et  sept 
«  mois  (3)  ». 


(1)  Voyez  plus  haut,  l'iascription  de  Nectarée. 

(2)  Gatacombe  de  Gyriaque  (Boldetti,  p.  343.) 

(3)  Nous  avons  recueilli  au  musée  de  Latraji  cette  iQ.scripl(ion  bar- 
bare, et  pourtant  admirable  ;  on  remarquera  que  la  première  partie  est 
grecque,  la  seconde  latine  et  écrite  avec  les  deux  alphabets.  La  voyelle 
i  est  remplacée  par  la  dyphtongue  ei;  ZHC,  pourrait  se  traduire  aussi  [)ar 
l'acclamation  :  «  Vis  en  Dieu  !,..  » 


586  LA   THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

Une  autre  inscription  consacrée  par  Domitia  à  sa  fille, 
très-chère  et  très-innocente  enfant,  commence  par  ces 
mots; 

IN  D.  GHRISTO. 
«  En  Dieu,  le  Christ!  »  (1) 

Pretectus,  enfant  de  neuf  ans,  avait  été  élevé  pour  le 
Dieu  Christ,  dans  son  amour  et  celui  des  martyrs  : 

NVTRICATVS  DEO  CRISTO  MARTVRIBVS  (2). 

Le  chevalier  de  Rossi  découvrit,  en  1851,  sur  la  chaux 
qui  fermait  un  loculus  du  cimetière  de  Prétextât  (3),  l'accla- 
mation :  «  Deus  Christus  omnipotens,  refrigeret  spiritum 
tuum!  » 

Le  monogramme  :  %.  "k.  X.,  ce  signe  du  Christ,  ainsi 
que  l'appelle  une  épitaphe  de  la  catacombe  de  Priscille  (4), 
ce  signe,  qui  devait  plus  tard  apparaître  à  Constantin, 
couronner  ses  aigles  et  glorifier  devant  le  monde  entier  la 
divinité  de  Notre-Seigneur,  la  proclamait  déjà  aux  Cata- 
combes. Qu'il  soit  une  partie  essentielle  des  textes  lapidaires 
où  on  le  rencontre,  ce  n'est  point  douteux,  et  cela  est  sou- 
vent nécessaire:  par  exemple  :  ....  NEOFITVS  IN  I  — 
SCIMVS  TE  IN  ^  -  ■  VALE  IN  :S  —  TE  IN  PAGE  ^  FA- 
CIAT,  que  d'autres  épitaphes  expliquent:  «fVale  in  XP, — 
in  XPO  sancto,  —  in  pace  Cristi.  »  Les  Ariens  des  temps  à 

(1)  De  la  catacombe  de  Cyriaque,  au  musée  de  Latran. 

(2)  Ibid. 

(3)  Cette  inscription  latine,  en  caractères  grecs,  a  été  publiée  par  M.  de 
Rossi  dans  son  Bullettino,  no  1,  p.  2. 

(4)  «  ^  SIGNV  CRISTI.  »  {Notice  sur  deux  catacombes,  elc,  pi.  n.) 
Sur  la  date  et  l'emploi  du  monogramme,  voyez  Garrucci  :  Vetri,  pas- 
sim;  Deux  monuments  des  premiers  siècles  de  l'Église,  p.  15;  et  les 
études  archéologiques  du  chanoine  Profili  dans  le  Journal  de  Rome,  de 
1864. 


LA    THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES.  587 

venir  étaient  donc  condamnés  à  l'avance  par  les  inscriplious 
suivantes  : 

AEQVITIO  •  IN  I  DEO  •  INNOFITO 

BENEMERENTI  QVI  VIXIT 

AN  XXVI.  M.  V.  D.  IIII.  DEC.  III.  NON.  AVG. 

«  Dans  le  Christ  \)\z\s\  ^Equitius,  néophyte,  bien  raéri- 
«  tant,  qui  vécut  vingt-six  ans,  cinq  mois,  quatre  jours, 
«  et  mourut  le  troisième  des  nones  d'août  (1).  » 

ERENEA  VI 
BAS  IN  DEO  aIîî. 

«  I renée,  vis  en  Dieu^  le  Christ!  (2)  » 

DEO  SANG  ^   VNI 
LVCI  TEGVM  PAGE. 

«  Au  Dieu  saint,  le  Christ,  un!  Lucius,  la  paix  soit  avec 
0  toi  1  (3)  »  Oui,  gloire  au  Dieu  saint,  qui  est  le  seul  vrai 
Dieu,  et  qui  est  le  Christ  consubstantiel  à  son  Père,  subsis- 
tant en  deux  natures,  mais  «n  par  l'union  hypostatique,  ' 
etanathème  à  ceux  qui  le  divisent  d'avec  son  Père  ou  d'a- 
vec lui-même  ! 

Très-souvent  aussi,  le  monogramme  est  accompagné  des 
lettres  alpha  et  oméga  : 

Que  ce  signe  est  lumineux  î  Que  l'idée  en  est  profonde  î 

(1)  Catac.  de  Cyriaque;  au  Latran. 

(2)  Musée  Kircher. 

(3)  Aringhi,  t.  ii,  p.  21.  —  Gêner  (  t.  il  p.  60  )  y  ajoute,  d'après  les 
mss.  de  Muratori,  un  monogramme  et  le  bon  pasteur  portant  la  brebis 
sur  ses  épaules,  ce  qui  précise  davantage  encore  le  sens  de  l'inscription 
et  la  rattache  plus  étroitement  à  Notre-Seigneur, 


588  LA    THÉOLOGIE    DES  CATACOMBES. 

L'alphabet  est  l'expression  de  la  science,  le  vêtement 
de  Téloquence,  la  figure  matérielle  de  la  poésie,  l'enve- 
loppe de  tout  ce  qui  est  notre  gloire  ;  et  vous.  Seigneur 
Jésus,  vous  en  êtes  l'A  et  VU,  la  splendeur  dont  nos 
lumières  sont  un  reflet,  l'idéal  qu'elles  imitent,  même 
quand  elles  s'en  défendent,  et  la  vérité  que  les  lèvres 
humaines  doivent  glorifier  !  Vous  êtes  le  premier  et  le 
dernier,  Tocéan  d'être,  la  perfection  sans  limites,  l'acte 
très-pur  dont  l'existence  ne  connaît  pas  de  succession, 
puisque  vous  êtes,  en  un  même  temps,  TA  etl'tîl 

Verbe  divin  !  votre  nature  ne  reçut  point  d'une  autre 
l'existence  ;  elle  est  à  soi-même  sa  cause,  car  vous  êtes 
l'alpha!  Tandis  que  tout  le  reste,  las  de  soi-même, 
cherche  au-dehors  le  bonheur,  vous  êtes  votre  fin  et  votre 
terme,  l'oméga  au-delà  duquel  il  n'y  a  rien. 

Vous  êtes  TA,  le  principe  de  ce  qui  est  possible  et  de 
ce  qui  existe  ;  de  tous  les  degrés  de  l'être,  des  relations 
et  des  lois,  de  l'harmonie  et  de  la  beauté  1  Vous  êtes 
l'û  à  qui  tout  obéit;  tout,  sortant  de  votre  puissance, 
est  irrésistiblement  entraîné,  par  son  essence,  vers  votre 
justice  ou  votre  miséricorde;  comme  tous  les  signes  de 
notre  langage  sont  compris  entre  l'A  et  l'ii,  ainsi  tout 
est  renfermé,  disposé,  ordonné  en  vous. 

Oh  1  je  t'adore  Aii!  tu  t'es  incarné!  et  c'est  pourquoi 
je  vois  le  labarum  de  Constantin,  étroitement  enlacé 
dans  ton  sein  :  «  )J(  w  !  Tu  n'as  point  cessé  d'être  mon 
Dieu  immense  et  éternel;  mais  lu  es  de  plus,  l'époux,  le 
principe  et  la  fin  de  la  sainte  Église  qui  est  née  de  ton 
sang! 

L'IX0Y3,  si  familier  aux  chrétiens  de  la  Rome  souter- 
raine, est  une  autre  confession  de  la  divinité  du  Christ; 
son  image  rappelle,  et  son  nom  renferme  les  lettres  sacrées  : 
0Y,  initiales  des  mots  0£oïï  Yloç-,  c'est  la  doctrine  des 
Pères,  la   tradition  constante  de   l'Église.    Donc,  chaque 


LA  THÉOLOrTlE    DES   CATACOMBES,  589 

fois  que  les  fossores,  les  peintres  et  les  sculpteurs  retraçaient 
ce  symbole  ;  chaque  fois  que  les  chrétiens  s'en  paraient 
comme  d'un  ornement,  ou  le  saluaient  dans  les  Catacombes, 
ils  proclamaient  Jésus-Christ  Fils  de  Dieu,  et  Sauveur  (I). 

Enfin,  la  colombe  unie  à  la  croix,  comme  sur  des  lampes, 
et  autres  objets  des  premiers  siècles  chrétiens,  marque  la 
nature  divine  du  Christ,  car  TEsprit-Saint  a  apparu  sous  la 
forme  de  la  colombe,  afin  de  témoigner  de  l'incarnation  du 
Ve.rbe  (2). 

Notre-Seigneur,  qui  est  vraiment  Dieu,  est  aussi  vraiment 
homme.  On  n'en  douta  jamais  dans  la  Rome  souterraine, 
et  je  ne  m'arrête  à  ce  dogme  que  pour  signaler  quelques 
protestations  contre  les  rêveries  des  docètes.  Non-seulement 
plusieurs  monuments  représentent  l'enfant  Jésus  dans  sa 
crèche  que  les  bergers  vénèrent,  et  entre  les.  bras  de  Marie, 
mais  une  fresque  de  la  voie  Salaria  le  montre  allaité  par  sa 
u]ère  (3),  en  sorte  qu'il  faut  s'écrier,  en  l'adorant:  Ave 
verum  corpus  natum  de  Maria  Virgine ;  la  croix  qui  com- 
pose le  monogramme  indique  la  réalité  de  ses  souffrances  ; 
l'agneau  qu'il  porte  sur  les  épaules  figure,  au  témoignage  de 
l'antiquité  ecclésiastique,  la  nature  humaine,  «  la  Pâque 
immolée  pour  le  salut  du  monde  (4).  »  Quand  donc  la 
cornaline  du  musée  Kircher,  si  savamment  décrite  par  le 
R.  P.  Garrucci   (5),  réunissait,  dès  le  deuxième  siècle,  la 

(1)  Sur  l'i/Oùi;,  voir,  outre  les  ouvrages  du  R.  P.  Garrucci,  les  im- 
menses recherches  de  S.  E.  le  cardinal  Pitra  et  de  M.  de  Rossi,  dans  le 
Spiciiége  de  Solesme  (tom.  m).  Les  musées  de  Rome  conservent  un 
grand  nombre  de  lampes,  de  pierres  gravées,  de  verres,  qui  portent  le 
nom  ou  l'image  du  poisson  symbolique  ;  et  de  petits  poissons  d'ivoire,  de 
cristal,  etc..  des'tinés  à  être  suspendus- au  cou,  et  qui  furent  sans  doute 
l'origine  des  croix  et  médailles  que  la  dévotion  catholique  lient  en  si 
légitime  estime  {V.  Aringhi,  t.  n,  p.  62»), 

(2)  Cf.  Deux  monuments  etc.,  p.  26-27. 

(3)  Cf.  Sco-  lamiglio.  op.  cit.,  p.  22.  Cette  peinture  est  au  moins  du  ii» 
siècle,  au  jugement  de  plusieurs  auteurs. 

(4)  Cf.  Garrucci;  Veiri,  p.  60.  Deux  monuments  etc.,  p.  25  et  29. 

(5)  Deux  monuments  etc.,  p.  19. 


590  LA   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

croix,  l'agneau  et  la  colombe,  elle  traduisait  dans  un  lan- 
gage visible  l'inscription  de  Lucius:  «  Deo  sancto  Christo 
uni.  »  —  Outre  plusieurs  significations  que  nous  indique- 
rons plus  loin,  la  cithare  du  bon  Pasteur  et  d'Orphée  sym- 
bolise elle-même  l'humanité  du  Sauveur.  «  Le  Verbe  de 
«  Dieu,  dit  Eusèbe  (1),  le  Verbe  très-sage,  et  très-habile  en 
0  toute  harmonie,  voulant  appliquer  aux  esprits  humains, 
«  corrompus  par  de  nombreuses  infirmités,  tous  les  genres 
«  de  remèdes  possibles,  prit  dans  ses  mains  un  instrument 
«  de  musique,  créé  par  sa  propre  sagesse,  c'est-à-dire,  la  nature 

«  humaine » 

VI.  Le  troisième  idéal  que  l'Église  reproduit  en  ce  monde 
est  l'armée  des  anges,  et  leurs  gracieuses  images  réjouissent 
souvent  les  tableaux  dogmatiques  des  Catacombes  :  ils  se 
jouent  dans  les  rameaux  de  la  vigne  sacrée,  au  milieu  des 
oiseaux  du  ciel  et  des  animaux  de  la  terre  ;  ils  rassemblent 
les  fruits  de  l'arbre  fertile  ;  ils  entourent  d'un  voile  de 
gloire  le  Sauveur,  qui  est  aussi  leur  roi,  et  Marie,  qui  est 
leur  souveraine  :  ministres  de  Dieu  et  de  l'Église  tout 
ensemble,  ils  ont  été  envoyés  pour  le  service  de  ceux  qui 
recevront  l'héritage  du  salut.  L'Église  est  la  mère  des  saints, 
et  les  anges  les  reçoivent  de  son  sein  maternel  pour  les 
présenter  à  Dieu: 

SEVERO  FILIO  DVLCISSIMO,  LAVRENTIVS  PATER  BENËMERENTl, 
UVl  BIXIT  ANN.  IIII.  ISJE.  VllI.  DIES  V. 
ACCERSITVS  AB  ANGELIS  VU.  IDVS  lANVA. 

«  Laurent,  à  Sévère,  son  très-doux  fils,  et  bien  méritant, 
«  qui  vécut  quatre  années,  huit  mois,  cinq  jours,  appelé 
a  par  les  Anges,  le  7  des  Ides  de  janvier  (2^ .  » 


(l)    De  Laudibus  Constantini. 

(-2)  Calacombe  de  S.  Calixte,  Fabretti,  p.  581. 


LA.    THÉOLOGIE   DES    CATACOMBES.  591 

III.  —  Préparation  évangélique. 

La  Création  et  la  chute  originelle.  —  Le  Rédempteur.  —  L'Église  et 
Jésus-Christ  dans  l'Ancien  Testament. 

I.  L'homme  n'est  pas  un  produit  spontané  de  la  terre, 
ni  une  émanation  panthéistique  de  la  nature  divine  :  un 
sarcophage  du  musée  de  Latran  offre  une  image  intéres- 
sante de  son  origine.  Le  Verbe,  «  par  qui  toutes  choses 
ont  été  faites,  et  sans  lequel  rien  n'a  été  fait,  »  vient  de 
tirer  la  femme  du  côté  d'Adam,  qui  sommeille,  et  il  la  pré- 
sente aux  bénédictions  de  Dieu  le  Père,  assis  sur  son  trône, 
tandis  que  le  Saint-Esprit  se  tient  debout  et  la  main 
appuyée  sur  le  trône  :  le  Fils  prélude  ainsi  à  une  création 
plus  haute,  a  la  formation  surnaturelle  de  l'Église  qui  naî- 
tra de  son  cœur  entr'ouvert.  En  attendant,  la  nature  maté- 
rielle sortie  des  mains  de  Dieu,  en  reçoit  une  impression 
de  sainteté  que  le  péché  d'Adam  n'effacera  pas  complète- 
ment. Les  gnostiques  et  manichéens  disaient  que  la  matière 
est  mauvaise,  fruit  d'un  principe  mauvais  :  mais  l'Église 
des  Catacombes  écrit  leur  condamnation  en  traits  impéris- 
sables sur  les  tombeaux  de  ses  enfants. 

Le  Fils  de  Dieu  fit  l'homme  droit  et  juste  ;  il  mit  un 
ordre  parfait  dans  ses  puissances,  dans  ses  facultés  sensibles 
et  intellectuelles,  en  sorte  qu'il  fut  un  accord  (1)  de  cette 
grande  harmonie  qui  est  le  monde.  Les  saints  Pères  com- 
parent l'univers  à  la  cithare  qui  révèle  l'existence  de  l'ou- 
vrier et  l'art  du  poète.  Clément  d'Alexandrie  veut  que  les 
chrétiens  gravent  sur  leurs  anneaux  et  leurs  sceaux,  la  lyre 
musicale  dont  s'est  servi  Polycrate  (2).  Eh  bien!  les  peintres 
de  Rome  souterraine,  obéissant  à  cette  doctrine,  nous  ont 
dessiné  Orphée   et  le  bon  Pasteur,    qui   avec  la  lyre,  la 

(1)  Voj'ez  le  texte  d'Eusèbe  cité  plus  bautg 
ii)  Pœdagog.  lib.Ul,  c.  xi. 


592  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

cithare  ou  la  flûte  pastorale,  célèbrent  la  Trinité  par  un 
hymne  digne  de  sa  gloire.  L'homme,  hélas  !  brisera  ce 
concert,  mais  le  vrai  Polycrale,  le  «  Tout-Puissant  »,  saura 
bien  le  rétablir  par  sa  miséricorde  et  sa  grâce. 

II.  La  chute  originelle  est  souvent  figurée  dans  les  mo- 
numents de  l'art  chrétien  primitif.  Tantôt  c'est  la  scène 
biblique  de  la  tentation  et  de  la  faute  :  Adam  et  Eve 
entourent  l'arbre  de  la  science  chargé  de  fruits  qu'une 
peinture  de  S.-Calixte  met  au  nombre  de  sept,  comme  les 
péchés  capitaux.  Le  serpent  s'enroule  autour  de  l'arbre  ;  il 
regarde  la  femme  et  parfois  lui  présente  la  pomme  funeste  ; 
les  coupables  reconnaissent  qu'ils  ont  perdu  leur  brillant 
vêtement  de  grâce  surnaturelle,  et  ils  cherchent  à  voiler  la 
honte  de  leur  péché  ^1).  La  scène  du  jugement  apparaît  sur 
un  sarcophage  de  S.-Calixte,  et  Dieu  interroge  nos  premiers 
parents.  D'autres  fois  encore,  prononçant  la  sentence,  il 
remet  à  Adam  une  gerbe  de  blé,  symbole  du  travail  pénible 
et  des  grandes  souffrances,  mais  aussi  du  pain  de  vie  qui 
descendra  du  ciel  et  détruira  la  mort  entrée  en  ce  monde 
avec  le  péché  :  à  Eve,  il  donne  l'agneau,  les  travaux  du 
foyer,  la  douceur,  l'humilité,  mais  surtout  l'Agneau  divin 
qui  naîtra  de  la  seconde  Eve  et  qui  fut  immolé  depuis  l'ori- 
gine du  inonde  (2). 

III.  Dès  ce  moment,  en  effet,  la  Rédemption  commence, 
et  les  chrétiens  ne  rappellent  si  fréquemment  l'idée  de  la 
déchéance,  que  parce  qu'ils  peuvent  lui  opposer  celle  de 
la  réhabilitation.  Le  Christ  est  vraiment  notre  Sauveur:  son 
nom  est  IX0Y2,  dont  la  dernière  lettre  est  une  lettre  de 

(1)  Sur  les  lampes  et  les  verres  ornés  de  figures,  ce  sujet  est  aussi 
abrégé  de  deux  manières  ;  le  serpent  ou  l'un  des  coupables  seul  apparaît. 
(Cf.  Garrucci,  Vetri,  Tav.  2.)  Eve  est  trois  fois  représentée  avec  des  or- 
nements frivoles,  pour  indiquer,  peut-être,  qu'elle  pécha  par  légèreté  et 
qu'elle  séduisit  son  époux.  (V.  Garrucci,  Vetri,  p.  20.) 

(2)  Voyez  les  pages  magiiifiques  que  ce  symbolisme  a  inspirées  à  Mgr 
Gerbet  (op.  cit.  Tradition  inonumentale). 


LA    THEOLOGIE    DES    ^,ATACOMBES.  593 

rédemption,  qu'un  monument  très-ancien  (1)  commente 
ainsi  :  IX0YSÎ2THP.  Sa  vie  tout  entière  est  une  œuvre 
de  salut.  Quel  est  son  rôle  dans  le  cycle  artistique  et  dans 
les  inscriptions  des  Catacombes?  Il  ouvre  les  yeux  à 
l'aveugle,  il  guérit  l'hémorrhoïsse  et  le  paralytique,  ressus- 
cite Lazare,  multiplie  les  pains  pour  nourrir  son  peuple, 
recherche  et  rapporte  avec  amour  la  brebis  égarée, 
ranime  Tespérance  et  conduit  au  ciel!  Tout  parle  de  sa 
rédemption  :  le  navire  qui  reçoit  les  naufragés,  le  phare 
qui  leur  fait  éviter  l'écueil,  le  bercail  ouvert  aux  agneaux 
épouvantés,  le  souffle  divin  qui  protège  les  enfants  dans  la 
fournaise,  la  main  qui  porte  Habacuc  au  secours  de  Daniel 
et  défend  celui-ci  contre  les  lions...  Mais  pourquoi  effeuil- 
ler cette  couronne  de  miracles?  Réservons-nous  de  l'ad- 
mirer ailleurs  avec  plus  de  soin,  et  disons  seulement  que  si 
Jésus-Christ  nous  a  rachetés,  il  l'a  fait  par  sa  croix. 

La  croix  était  un  signe  très-familier  aux  confesseurs  et 
aux  marlyrs.  Souvent  ils  la  dissimulaient  sous  des  formes 
étranges,  que  les  initiés  seuls  pouvaient  reconnaître;  sou- 
vent aussi,  ils  la  produisaient  au  grand  jour,  dans  ses 
nombreuses  variétés,  latine,  grecque,  égyptienne,  etc. 
D'anciens  Pères  déclarent  que  le  X  est  son  image  ;  et  ainsi, 
instrument  de  salut,  elle  fait  partie  du  nooi  salutaire 
IX0Y2,  et  du  monogramme,  qui  est  le  symbole  du 
triomphe  :  x,  -{-.  Elle  est  parfois  encadrée  dans  une  cou- 
ronne, parce  qu'elle  fut  la  source  d'où  découlèrent,  avec 
le  sang  du  Christ,  les  grâces  et  les  mérites  ;  elle  s'entrelace 
à  la  lettre  N  v'*'"'-?)  "^l^^  ^^t  le  cri  de  la  victoire;  elle  est 
accompagnée  de  deux  étoiles,  car  elle  est  la  lumière  du 
monde  ;  elle  se  joint  à  l'ancre  de  l'espérance,  elle  se  voile 
sous  le  nom:  PAX,  dans  les  épitaphes;  le  monogramme 
d'un  simple  fidèle,  récemment  découvert  à  S.  Calixte,  la 
représente  jusqu'à  deux  fois  ;   on   la  voit,  sur  des  pierres 

(1)  SpicHé'je  de  Solesne,  loin,  iii,  loc.  cit. 


594  LA   THÉOLOGIE   DES   CATACOMBES. 

gravées,  entourée  de  plusieurs  poissons,  c'est-à-dire  des 
chrétiens  (1)  qui  trouvent  en  elle  la  vie;  elle  est  le  mât  qui 
domine  le  vaisseau  de  l'Eglise.  Un  sarcophage,  peut-être 
destiné  d'abord  à  une  sépulture  païenne,  et  ensuite  chris- 
tianisé, montre  Ulysse  attaché  à  l'arbre  de  son  navire;  il 
figure  Notre-Seigneur,  crucifié  pour  nous  ;  les  oreilles  de 
ses  compagnons  sont  fermées  par  la  cire,  «  car  la  vertu  de 
la  croix,  dit  saint  Maxime  de  Turin  (2),  ferme  les  oreilles 
des  fidèles  aux  enchantements  du  vice,  pendant  leur  navi- 
gation sur  la  mer  pleine  de  tempêtes  et  d'écueils  qui  les 
sépare  du  port.  »  Auprès  d'Isaac,  dont  les  chrétiens 
aimaient  à  rappeler  le  sacrifice  mystérieux,  ils  n'oubliaient 
point  de  placer  le  bois  du  supplice  ^  ils  représentaient 
Notre-Seigneur  lui-même,  chargé  de  sa  croix,  ou  la  con- 
fiant à  saint  Pierre,  pour  gage  et  marque  de  sa  puissance 
sur  l'Église.  Les  martyrs  la  reçoivent  aussi  de  ce  roi  céleste  ; 
par  exemple,  saint  Laurent,  sainte  Euphémie,  saint  Jan- 
vier (3);  car  c'est  le  secret  de  leur  force.  Le  R.  P.  Garrucci 
remarque  très-justement  (4),  que  souvent  le  bon  Pasteur 
porte  la  brebis,  absolument  comme  s'il  voulait  représenter 
le  crucifix  :  ses  bras  sont  très  ouverts,  et  la  brebis  étendue 
touche  à  peine  ses  épaules  sacrées  :  «  Quant  à  moi,  dit  le 
«  savant  écrivain,  je  ne  doute  pas  du  tout  qu'on  n'ait  voulu 
«  faire,  en  ceci,  une  allusion  à  la  croix,  sur  laquelle  le  Fils 
«  de  Dieu  a  daigné  souffrir.  C'est  une  chose  bien  connue, 
«  et  je  l'ai  démontrée  ailleurs,  que  la  brebis  signifie  la 
«  nature  humaine,  que  le  Verbe  s'est  unie  hypostatique- 
«  ment...   pour  expier  en  elle  les  péchés  dont  elle  était 

«*  coupable »  Et,  pour  tout  résumer  en  un  seul  trait, 

une  sculpture  du  ^  musée  de  Latran,  représente  le  labarum 

(1)  Voyez  plus  loin  l'explication  de  cet  autre  symbolisme  de  l'i/ôùç. 

(2)  Homilia  in  fer.  Yi  maj.  hebdom. 

(3)  Cf.  Garrucci,  Veiri,  p.  119  et  suiv. 

(4)  Vetri,  p.  CO. 


LA  THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES.  595 

de  Constantin  environné  d'une  couronne  magnifique  ;  deux 
colombes  aspirent  à  en  goûter  les  délices...  «  Ma  plus 
«  sublime  philosophie,  dira  un  jonr  saint  Bernard,  est  de 
«  savoir  Jésus  crucifié!  Je  ne  cherche  pas,  comme  l'épouse, 
«  oij  il  repose  au  midi,  ce  Sauveur  que  je  contemple  sur 
«  la  croix  :  cela  est  plus  sublime,  c'est  le  pain  solide  ;  mais 
«  Jésus  crucifié  est  plus  suave  ;  c'est  le  lait  qui  remplit  le 
«  sein  maternel  (1).    » 

TV.  Or,  le  Christ  était  hier,  et  il  est  aujourd'hui,  et  il  sera 
dans  tous  les  siècles.  La  tradition  des  premiers  temps  chré- 
tiens distinguant  entre  les  caractères  personnels  du  Père 
et  du  Fils,  sans  diviser  leur  nature,  et  remarquant  que 
celui-ci  est  la  splendenr,  le  Verbe,  le  discours  du  Père,  et 
que  d'ailleurs  les  siècles,  toute  l'économie  chrétienne,  ont 
été  faits  et  consommés  par  lui,  attribuait  à  la  première 
personne  de  la  Trinité  une  invisibilité  absolue,  et  à  la 
seconde  toutes  les  manifestations  divines,  toutes  les  théo-' 
phanies.  Nous  n'avons  point  à  expliquer  ni  à  défendre  ici 
cette  doctrine,  qui  nous  paraît  l'une  des  plus  belles  et  des 
plus  profondes  de  la  théologie  catholique,  mais  nous  en 
voulons  montrer  l'expression  dans  l'art  des  Catacombes, 
justifier  ainsi  la  parole  de  Notre-Seigneur  :  «  Avant  qu'A- 
braham fût,  je  suis  »,  et  établir  sur  la  croyance  de  l'Église 
apostolique  les  relations  des  deux  Testaments.  Que  les 
gnostiques  cessent  d'y  voir  un  antagonisme  déclaré  :  le 
Christ  qui  se  révèle  à  nous,  est  l'auteur  unique  des  révéla- 
tions préliminaires,  le  fondateur  de  l'ancienne  alliance,  le 
créateur  du  monde. 

Le  type  de  Notre-Seigneur  dans  les  monuments  des  Cata- 
combes, est  franchement  accusé  et  très-reconnaissable. 
C'est  un  jeune  homme  aux  traits  nobles,  à  la  figure  im- 
berbe, à  la  chevelure  flottante  et  partagée  ou  plus  courte 
sur  le  front;  il  est  ordinairement  vêtu  de  la  tunique  et  du 

':,lj  Serm.  xii  iu  Caulicinn. 


596  LA   THÉOLOGJE    DLS    CATACOMBES. 

manteau  ;  souvent  il  tient  en  main  la  verge  de  la  toute- 
puissance.  Eh  bien  !  c'est  à  lui  que  les  sarcophages  attri- 
buent la  création  de  l'homme  :  il  le  touche  de  son  sceptre, 
et  l'anime  d'un  soufle  immortel  -,  c'est  lui  qui  juge  la  faute 
originelle,  et  confie  aux  coupables  le  blé  et  l'agneau,  em- 
blèmes sous  lesquels  il  est  mystérieusement  désigné.  Abra- 
ham sacrifie  son  fils  Isaac,  c'est-à-dire  Jésus,  au  pied  du 
tribunal  de  Pilate  (1).  D'après  des  verres  publiés  parle 
R.  P.  Garrucci,  Jésus  le  Pontife  éternel,  déjà  symbolisé 
par  Isaac,  remplace  Abraham  lui-même  (2).  Il  se  sacrifie 
donc  à  la  justice  divine,  et  en  retour,  il  recevra  toutes  les 
nations  pour  héritage  :  car  la  corde  qui  servait  de  mesure 
agraire  chez  les  Orientaux,  est  enroulée  auprès  de  lui  (3). 
Joseph  sauvé  de  la  citerne  du  désert  prophétise  sa  résur- 
rection (4). 

Ce  n'est  pas  non  plus  Moïse,  mais  le  Christ  qui  frappe  le 
rocher,  pour  en  faire  jaillir  l'eau  désirée  [b).  Or,  dit  saint 
Paul,  la  pierre  était  le  Christ  :  et  si  Moïse  fut  l'initiateur  de 
la  révélation  du  Sinaï,  le  Verbe  préludait  en  lui  et  par  lui 
à  la  révélation  définitive  de  Bethléem,  du  Thabor  et  du 
Calvaire.  —  Le  Verbe  incarné  est  donc  Yàme  de  l'économie 
judaïque.  Le  voici  sous  l'image  du  serpent  d'airain  (6).  Le 
voilà  encore,  ce  véritable  Orient,  qui,  le  front  revêtu  des 
rayons  du  soleil,  commence  à  apparaître  au  monde,  dont  il 
tient  le  globe  en  sa  main;  devant  lui  repose  le  livre  de  la 
révélation;  près  de  lui,  la  Vierge  sa  mère  est  debout  entre 
deux  oliviers,  c'est-à-dire  entre  les  deux  testaments  :  elle 
prie,  les  mains  élevées  au  ciel,  parce  qu'elle  est  de  notre 
création,  tandis  que  son  Fils  est  Dieu  ;  Isaïe  le  prophète, 

(1)  Bottari,  Tav.  XLix,  nn.  5  et  6. 

(2)  Vetri,  Tav.  i,  fig.  2^  —  Tav,  ii,  fig.  8=. 

(3)  Vetri,  lav.  n,  fig.  8\ 

(4)  Ibid.,  p.  36. 

(5)  Ibid.,  Tav.  i,  fig.  2=.— Tav.  Il,  fig.  10'  etc.,  etc. 
G}  Veirt .  T;iv.   I.  li^:    5'. 


LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  597 

contemple  celte  vision,  l'annonce  à  la  terre,  et  tout  à  l'heure 
joindra  la  confession  du  sang  au  témoignage  de  la  parole  : 
il  souffre  le  supplice  de  la  scie  cruelle,  et  ses  bras  en  croix 
disent  assez  de  qui  il  est  le  martyr  el  la  figure  (1).  Les  en- 
fants précipités  dans  la  fournaise  de  Babylone  y  sont  rafraî- 
chis d'une  rosée  très-douce  :  qui  les  a  secourus  ?  Jésus  qui 
élève  sur  eux  la  verge  et  la  houlette  de  consolation  (2).  Si 
Tobie  chasse  le  démon  Asmodée,  et  rend  la  vue  à  son  père 
aveugle,  c'est  par  la  vertu  de  Jésus-Christ  que  symbolise 
le  poisson  retiré  du  fleuve,  et  le  saint  patriarche  est  si  bien 
la  figure  du  Messie,  qu'ils  sont  parfois  remplacés  l'un  par 
l'autre  (3).  Enfin,  Jonas  renfermé  trois  jours  dans  le  sein 
du  monstre,  n'est-il  point  l'image  du  divin  crucifié  ?  Pour- 
quoi reproduire  si  h'équemment  ce  miracle  aux  Catacombes, 
sinon  pour  rappeler  celui  de  la  résurrection  ?  Mais  ce  qui 
achève  de  démontrer  la  présence  secrète  du  Messie  dans 
l'Ancien  Testament,  c'est  un  monument  fort  curieux, 
récemment  édité  par  le  R.  P.  Garrucci  :  un  verre  des  cata- 
combes représente  l'arbre  sous  lequel  Jonas  s'est  laissé 
tomber,  accablé  de  tristesse  et  de  fatigue  ;  mais  le  prophète 
n'apparaît  pas  ici:  à  sa  place,  l'artiste  a  figuré  l'tx^ùç,  le 
poisson  mystérieux.  Or,  n'est-ce  pas  là  substituer  le 
Christ  à  Jonas,  la  réalité  à  l'ombre,  le  principe  de  l'action 
surnaturelle  à  son  phénomène  ?  (4) 

Oui,  répétons  avec  l'Apôtre  :  Le  Christ  qui  est  aujourd'hui 
était  hier:  «  Heri  et  hodie  !  »  Il  était  dans  l'ancienne 
alliance,  il  est  le  Dieu  créateur,  le  Jéhovah  qui  a  établi  le 
premier  Testament.   Concluons   aussi  de  ces  témoignages 

(1)  Vetri.  Rien  n'est  plus  magnifique  et  plus  profond  '  qUè' célfe 'cdfn- 
poâition  symbolique,  dont  le  R.  P.  Garrucci  (p.  6  et  suiv.)  donne  admi- 
rablement l'interprétation. 

(2)  Virga  tua  et  baculus  tuus  ipsa  me  comolata  s^f^  (t^àl  '^m^l.j'^H, 
Tav.  l'.fig.  P.  '  •"'8-«' 

'3)  Vetri  p  16  ^'''^  *®^  lieJàb  isiaisfa  sD  (§) 

(4)  Vetri,  Tav.'i',  fig.  6'.  ^    '-    '  '-^^'^  "^  '^''*"«'f  -^^  (^) 


598  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

décisifs,  que  réconomie  de  Moïse  fat  vraiment  typique  et 
symbolique  :  les  protestants,  quand  ils  nient  cette  asser- 
tion, devraient  songer  qu'ils  contredisent  la  croyance 
manifeste  des'temps  apostoliques  (1). 

V.  La  sainte  Église,  inséparablement  unie  à  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  se  retrouve  partout  oii  il  se  rencontre 
lui-même.  Elle  est  figurée,  et  c'est  le  sentiment  des  Pères 
les  plus  autorisés,  elle  est  figurée  par  l'Arche  surnageant 
au-dessus  des  flots,  ou  s'arrêtant  enfin  sur  la  montagne 
éternelle,  et  Noé  y  est  fréquemment  remplacé  par  des 
chrétiens.  Quand  on  voit  près  du  bûcher  d'Isaac  la  mesure 
qui  fixe  les  limites  des  campements  d'Israël  et  la  part  d'hé- 
ritage de  chaque  tribu,  ne  se  souvient-oo  pas  que  Dieu  a 
promis  à  son  Fils  une  Église  universelle  et  catholique?  Le 
rocher  du  désert  n'est-il  pas  l'Église  aussi  bien  que  le 
Christ  ?  et  ses  eaux  vives  ne  promettent-elles  pas  que  l'É- 
glise et  les  sacrements  jailliront  du  cœur  transpercé  du 
Messie  ?  Les  chrétiens  substitués  aux  enfants  dans  la  four- 
naise ou  représentés  autour  de  Daniel  dans  la  fosse  aux 
lions,  nous  révèlent  que  ces  martyrs  de  l'ancienne  alliance 
appartenaient  déjà  à  la  nouvelle.  Daniel,  l'homme  de  désirs 
et  de  prière,  s'avance  vers  le  dragon  de  Babylone  et  lui 
présente  une  nourriture  mortelle.  Jésus-Christ  se  tient  près 
de  là.  Daniel  l'invoque  du  regard  et  reçoit  ses  ordres  (2). 
Oui,  le  Sauveur  et  l'Église  agissent  dans  le  monde  depuis 
le  commencement  des  temps.  Dès-lors  l'Église  et  Babylone 
sont  aux  prises  ;  l'issue  de  la  lutte  n'est  point  douteuse, 
car  le  Christ  combat  pour  l'Église.  Constantin,  secouant  avec 
mépris  le  cadavre  du  paganisme,  dira  un  jour  au  monde  : 
Voilà  ce  qui  fut  ton  Dieu!  «  Ecce  quem  colebatis(3)  !  » 


(1)  Cf.  Patrizi,  Institutiode  interpretalione  bibliorum.  Rome  1862.  1  vol. 
m-80. 

(2)  Ce  dernier  détail  est  d'un  verre  imagé  :  Vetri,  Tav.  m,  fig.  13. 

(3)  Cf.  Daniel,  c.  xiv,  v.  22  et  suiv. 


LA    THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES.  599 

Les  deux  Testaments  sont  donc  étroitement  liés  ;  l'Église 
s'appuyant  sur  les  patriarches  et  les  prophètes,  aimait  à 
peindre  leur  histoire  pour  ses  enfants  :  elle  y  trouvait  des 
exemples  de  courage,  des  modèles  de  vertu,  des  motifs 
d'espérer,  des  raisons  de  croire  à  sa  divinité  comme  à  celle 
de  son  Epoux.  A  ceux  qui  l'accusent  d'être  née  d'hier,  elle 
répond  qu'elle  fut  au  berceau  du  genre  humain  ;  aux  Juifs 
qui  lui  reprochent  de  détruire  la  Loi,  elle  démontre  qu'elle 
en  écarte  seulement  les  voiles,  pour  apparaître  au  grand 
jour,  comme  la  fleur  qui  brise,  doucement  et  sans  injustice, 
son  enveloppe  obscure.  Elle  prend  plaisir  à  unir  les  faits 
des  deux  alliances  afin  d'en  montrer  la  secrète  harmonie, 
et  si,  par  son  culte,  par  ses  mœurs,  par  les  noms  qu'elle 
donne  à  ses  fils,  elle  se  sépare  absolument  de  la  synagogue, 
elle  maintient  toutefois  l'accord  des  deux  Testaments 
et  les  représente  à  bon  droit  sous  l'image  de  deux  oli- 
viers ;  elle  est  leur  centre  commun,  la  paix  est  faite  entre 
eux. 

Le  Christ,  dit  saint  Paul,  récapitule  tout  en  lai-même  ! 

IV.  —  Définition  de  l'Église. 

L  Les  SS.  Docteurs  des  Catacombes  envisageaient  l'Église 
d'un  regard  très-simple  et  très-profond  :  il  semble  qu'ils 
aient  moins  considéré  son  élément  humain,  et  les  change- 
ments qu'elle  subit  par  la  succession  des  pontifes  et  des 
générations  chrétiennes,  pour  l'étudier  davantage  dans  son 
principe  surnaturel,  dans  Jésus-Christ  et  les  apôtres.  Là, 
elle  est  nécessairement  immuable  :  c'est  Jésus  et  Pierre 
qui  enseignent  et  qui  gouvernent.  Il  est  vrai  que  le  chef 
de  l'Église  se  nomme  aujourd'hui  Calixte,  qu'il  se  nommait 
hier  Zéphyrin,  et  que  demain  il  se  nommera  Urbain  ;  mais 
ce  sont  là  de  purs  phénomènes.  L'histoire  de  l'Église  n'at- 
teint pas  son  essence,  et  à  parler  nettement,  nous  n'avons 


(iOO  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

pas  d'histoire  des  dogmes  chrétiens,   mais  seuleLient  une 
histoire  de  leur  développement  et  explication. 

Voyez  ce  navire  «  avec  son  pilote  au  gouvernail,  et  trois 
«  pécheurs,  dont  l'un  relire  dans  ses  filets  un  gros  pois- 
«  son  :  comme  saint  Pierre  est  facilement  reconnaissable 
«  sous  les  traits  du  pilote,  il  est  manifeste  que  ses  trois 
«  compagnons  représentent  les  apôtres  il  .  »  Quelle  est, 
pensez-vous,  cette  barque?  L'Eglise  assurément!  (2)  Mais 
lisez  ces  caractères  gravés  sur  le  flanc  du  vaiseau  ; 

IHGOYC. 

Oui,  Jésus  lui-même!  il  est  l'Eglise,  eil' Église  est  Jésus, 
et  ils  ne  sont  qu'un  ;  les  Pères  disaient  la  même  chose, 
quand  ils  rappelaient  comme  une  vérité  fondamentale  que 
c'est  le  Christ  qui  baptise,  confirme  par  l'effusion  du  Saint- 
Esprit,  nourrit  le  fidèle  de  sa  chair  et  remet  les  péchés, 
Nous  verrons  plus  tard  comment  ce  principe  servit  à  co!i- 
fondre  les  Montanisles.  En  vertu  d'une  unité  si  intime, 
l'Église  s'appuie  sur  Notre- Seigneur,  et  trouve  en  lui  la 
force  de  lutter  contre  les  flots  dont  elle  est  battue,  contre 
les  puissances  ennemies  qui  veulent  la  faire  sombrer.  Trois 
monumeiits,  au  moins  (3),  montrent  le  dauphin  nageant 
dans  l'Océan  et  y  soutenant  un  frêle  bateau;  or,  ce  dauphin 
est  le  symbole  du  Dieu  très-miséricordieux  et  très-puissant 
qui,  s'adressant  à  ses  disciples,  leur  demanda  :  «  Pourquoi 
craignez-vous,  hommes  de  foi  médiocre?  et  il  commanda 
aux  vents  et  à  la  mer,  et  il  se  fil  un  grand  calme.   »  Quand 


(1)  Garrucci,  Deux  monuments,  p.  29.  Ce  sujet  est  sculpté  sur  un 
ivoire  du  Vatican  et  reproduit  sur  une  pierre  précieuse,  autrefois  au 
musée  Borgia. 

(2)  Cf.  Vlem.  Rom.  ep.  i  ad  Jacobum,  n.  14.  —  Co7tslitul.  Apost.  1.  n, 
c.  57. 

(3)  Cf.  De  Rossi,  De  ChrisUanis  monumentis  i/^"'''  exhibentibus ,  p.  1». 


LA  THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  (301 

je  contemple  ce  navire  symbolique  sur  les  tombeaux  où 
dorment  nos  pèies,  il  me  semble  entendre  leur  voix  qui 
me  dit  avec  amour  :  «  L'Église  est  l'Arche  véritable.  Le 
«  màt  et  l'antenne,  qui  tendent  ses  voiles  et  les  ouvrent 
«  au  souffle  céleste,  ne  sont  rien  que  la  croix  ;  le  prince 
«  des  apôtres  tient  la  barre  d'une  main  vigoureuse,  et  ses 
«  compagnons,  que  le  Christ  a  faits  pêcheurs  d'hommes , 
«  nous  ont  recueillis,  pauvres  naufragés,  et  déposés  au 
«  rivage.  Laisse-toi  captiver  par  leurs  filets  qui  ne  se 
«  rompent  point  ;  cède  à  la  divine  et  douce  amorce  de  leur 
«  parole  :  et  passager  sur  leur  barque  immortelle,  travaille 
«  toi-même  à  la  puissante  manœuvre  qui  doit  sauver  le 
«  monde.  Quand  la  tempête  grondait,  nous  jetions  les 
«  ancres,  et  nous  reposions  sur  elles  :  la  tempête  ne  les 
«  arrachait  point,  car  la  croix  est  bien  un  scandale  pour 
«  les  Juifs,  une  folie  pour  les  Gentils,  mais  c'est  la  force  de 
«  Dieu  pour  tout  croyant. 

«,  Notre  sœurbien-aimée,  Firmia  Victora,  qui  vécut  LXV 
«  années,  et  fut  ensevelie  au  cimetière  de  Gordien, 
«  demanda,  comme  nous,  que  les  flots  et  le  navire  fussent 
«  figurés  sur  le  marbre  de  son  loculua  (1),  mais  elle  voulut  ' 
«  que  les  fossores  y  ajoutassent  l'image  d'un  phare:  la 
«  flamme  vivo  y  resplendit  au  sommet  d'une  tour  à 
«  quatre  étages,  en  retraits,  et  ses  rayons  éclairent  la  nuit 
«  sombre  oii  vogue  le  vaisseau  :  elle  en  avait  appris  la 
a  signification  du  prêtre  Hermas.  Car  ce  grand  mystique  et 
«  théologien  nous  disait,  dans  l'assemblée  des  fidèles  : 
«  Tontes  les  nations  qui  sont  sous  le  ciel  ont  entendu^  ont  cru, 
«  et  ont  été  appelées  d'un  même  nom,  qui  est  celui  du  Fils  de 
«  Dieu.  Ayant  donc  été  marquées  de  son  sceau,  elles  ont  toutes 
a  reçu  la  même  prudence  et  le  même  sens  ;  elles  eurent  une 

«  seide  foi  et  une  seule  charité C'est  pourquoi  la  structure 

c(  de  cette  tour,  formée  de  tous  les  peuples  et  bâtie  sur  le  Christ  y 
(1)  Il  est  conservé  au  musée  de  Latran. 


602  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

«  conserve^  dans  tout  son  ensemble,  la  même  couleur,  resplen- 
«  dissant  à  l'égal  du  soleil  (1).  —  Ainsi,  TÉglise  donne  à 
«  l'esprit  l'objet  de  ses  plus  ardents  désirs,  et  de  ses  plus 
«  constantes  recherches  :  nous  avons  eu  soif  de  lumière, 
«  et  l'Eglise  nous  en  a  inondés,  car  elle  est  le  phare  dont 
«  l'éclat  ne  pâlit  jamais  !    » 

II.  Le  Sauveur  avait  défini  son  œuvre:  «  Ovile  unum  et 
a  umis  pastor!  un  seul  bercail  et  un  seul  pasteur  !  »  L'É- 
glise romaine  voulut  maintenir  rigoureusement  cette  unité, 
et  elle  la  recommandait  sans  cesse  à  ses  enfants.  Il  importe 
peu  de  discourir  des  rapports  artistiques  plus  ou  moins 
contestables  qui  rattacheraient  la  figure  du  bon  pasteur  des 
Catacombes  à  des  œuvres  fameuses  de  la  peinture 
païenne  (2'  ;  il  suffit  de  signaler  quelle  est  la  plus  multi- 
pliée de  toutes  celles  qu'on  admire  dans  Rome  souterraine. 
Le  «  Pasteur  unique,  »  le  «  bon  et  grand  Pasteur  des 
âmes,  »  le  «  Prince  des  pasteurs  »  (3),  ne  souffre  pas 
que  ses  brebis  s'éloignent  du  troupeau  :  si  elles  s'en 
séparent,  il  les  rapporte  tendrement  sur  ses  épaules  -,  il  les 
conduit  toutes  ensemble  vers  une  seule  bergerie;  il  en  est 
de  bonnes,  et  aussi  de  mauvaises  qui  sont  représentées 
par  les  boucs,  mais  Notre-Seigneur  a  pour  les  unes  et  les 
autres  des  caresses  affectueuses  ;  son  regard,  doux  et  pro- 
fond, repose  sur  elles;  il  converse  avec  elles,  leur  enseignant 
la  foi,  principe  de  l'unité  des  intelligences  ;  il  leur  donne 
la  même  nourriture,  principe  de  l'unité  des  cœurs  ;  il  a, 
pour  [elles,  une  seule  bénédiction,  afin  que  nous  soyons 
un,  comme  lui  et  son  Père  sont  un.  Tel  est  le  plan  divin  : 
la  grâce,  l'amour,  la   foi    sont    les  liens,  et  comme  parle 

(1)  Pastor  Hermœ,  lib.  m,  Similit.  ix,  §§.  12,  13,  17. 

(2)  Voyez,  Raoul  Rochette,  Tableau  des  Catacombes,  ch.  3  etsuiv.  Nous 
avoD3  dit  notre  pensée  sur  ce  sujet,  dans  la  2^  partie  de  ce  travail  (Revue, 
août  1864). 

(3)  Cf.  Ezech.  xxxiv,  23;  xisvii,  24;  Zach,  xiii,  7,  coll.  Matth.  xxvi, 
31;  Marc.  xiv.  27;  Joau.  x,  14-16;  Hebr.  xill,  20:  1  Pet.  ii,  25  ;  v,  4. 


L\    THÉOLOGIE    DES    CATAGOMRES.  603 

saint  Paul,  les  nerfs  qui  donnent  l'unité  et  la  vie  au  corps 
mystique  dont  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  le  chef. 

III.  Qu'est-ce  encore  que  l'Église  ?  Une  société  qui  veut 
changer  la  face  du  monde,  et  à  sa  nature  corrompue  subs- 
tituer la  vie  divine.  Elle-même  !e  déclare  :  je  vois  sur  un 
sarcophage  du  mi^sée  de  Lalran,  un  quadrige  guidé  par  la 
main  d'un  soldat,  et  furieusement  emporté  dans  la  plaine  : 
il  va  renverser  et  broyer  un  petit  enfant,  un  de  ces  pauvres, 
un  de  ces  humbles  qui  portent  en  leur  cœur  la  vertu  ban- 
nie de  la  terre  ^  mais  Jésus-Christ  est  là  :  de  son  sceptre,  il 
arrête  le  prince  du  mal,  et  lui  dit  :  «  Tu  viendras  jusqu'ici 
et  pas  plus  loin  !  »  Le  monde  répondra  par  la  persécution  ; 
mais  quand  nos  martyrs  contempleront  à  la  voûte  des 
arcosolia  l'arche  de  Noé,  et  en  regard,  les  enfants  sains  et 
saufs  au  milieu  des  flammes,  ils  s'écrieront  avec  le  psal- 
miste  :  «  Voici  que  nous  traversons  l'eau  et  le  feu,  et  vous 
nous  donnerez,  au-delà,  un  éternel  rafraîchissement  !  » 
Job,  passant  de  la  misère  aux  joies  de  l'abondance,  Ézé- 
chiel  qui  vit  se  ranimer  les  ossements  desséchés,  Daniel 
qui  changea  le  cœur  de  Darius,  et  obtint  de  lui  un  décret 
en  faveur  de  la  véritable  religion,  Jonas,  qui  transforma 
Ninive,  le  vieil  Orphée,  entraînant  les  forêts  et  adoucissant 
les  animaux  féroces,  tous  ces  personnages  mystérieux  que 
l'Église  des  Catacombes  représentait  sur  ses  monuments, 
indiquent  bien  quel  but  elle  poursuit  ici-bas. 

Elle  réunit,  dans  un  immense  embrassement,  la  gentilité 
et  le  judaïsme  :  le  mur  qui  les  séparait  est  désormais  ren- 
versé-, les  patriarches  de  la  loi  mosaïque  mêlent  leurs 
graves  figures  à  celles  delà  Samaritaine,  de  la  Chananéenne, 
des  mages  et  des  fils  même  de  Romulus.  L'Église  offre 
son  sacrifice  par  les  mains  d'un  prêtre  sorti  de  la  gentilité, 
en  présence  d'Abraham,  revêtu,  lui  aussi,  du  costume  de 
l'Occident  (1).  Jésus-Christ  portera  quelquefois  la  tunique 

(1)  Voir  plus  loin  la  description  de  cette  magnifique  peinture  (n.  vi) . 


604  LA    THtOLOGlE    DES    CATACOMBES. 

très-courte  et  la  chlamyde  étroite  des  jeunes  plébéiens  de 
Rome  (1)  ;  il  veillera  sur  son  troupeau,  entre  les  deux 
arbres  qui  signifient  le  peuple  hébreu  et  les  gentils  (2) .  En 
un  mot,  l'Église  est  essentiellement  catholique^  parce  que 
son  divin  Époax  est  le  sauveur  de  tous  ceux  dont  il  a  pris 
la  nature  :  et  d'après  les  saints  Pères,  cette  nature  unie  au 
Verbe  est  l'hameçon  céleste  jeté  dans  la  mer  immense,  ou 
bien  encore  la  flûte  précieuse  au  son  de  laquelle  le  bon 
Pasteur  conduit  toutes  ses  brebis. 

IV.  Enfin  l'Eglise  e.si  la  colonne  de  la  vérité:  «  Columna 
et  firmamentum  veritatis,  »  dit  l'apôtre  (3).  Plusieurs 
coupes  imagées,  retrouvées  dans  les  Catacombes,  sont  l'ex- 
pression sensible  de  cette  grande  pensée.  Une  colonne 
entourée  des  princes  des  apôtres,  supporte  le  monogramme 
du  Christ  :  Notre-Seigneur  est  la  vérité,  et  il  repose  en  son 
Église  ;  l'Église,  par  la  voix  de  Pierre  et  de  Paul,  proclame 
ses  divins  enseignements  ;  des  pierres  précieuses  ornent  de 
leur  éclat  la  divine  colonne.  On  la  voit  encore  seule  ou 
surmontée  d'une  couronne,  ou  bien  soutenant  des  cartels 
qui  renferment  les  noms  des  apôtres  et  des  martyrs.  0  forte 
et  sublime  Église  sur  laquelle  nos  pères  se  sont  appuyés 
dans  les  persécutions,  toi  que  l'orage  n'a  point  renversée, 
et  que  la  foudre  n'a  point  découronnée,  demeure  à  jamais 
notre  espoir  et  notre  orgueil  !  (4) 


(1)  Garrucci,  Vetri^ç.  2fi.  Le  Daute  a  dit  exceUemment:  «  Cette  Rome, 
par  laquelle  le  Christ  est  Romain » 

(2)  Ibid.  p.  57. 
(3)ITim.  ni,  16. 

(4)   Vetri,  Tav.  xi,  fig.  2,  3  et  5.  —  XVlll,  2.  —  SIX,  5,  6,  7.  —  XXYII, 
1.  —  XXVI,  U. 


LA    THÉOI.OGll-     DIS    CATACOMBES.  005 

V.  —  Le  premier  Pape. 

Saint  Pierre  dans  l'Ancien  Testament.  —  Saint  Pierre,  Jésus-Christ  et 
l'Église.  —  Le  Prince  des  Apôtres  :  ce  qu'il  faut  penser  des  rapports  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul. 

I.  Les  Catacombes  ne  déposeraient  pas  c;i  faveur  de  la 
primauté  de  saint  Pierre,  que  nous  n'en  serions  pes  effrayés  : 
«  Le  paganisme  ne  disait  pas  aux  chrétiens  de  renoncer  au 
Pape,  mais  d'abjurer  le  Christ  {■]).  »  Et  il  était  moins 
nécessaire  de  les  instruire  des  droits  de  l'Évêque  de  Rome 
que  de  réternelle  et  divine  génération  de  Celui  qui  les  lui  a 
donnés.  Cependant,  qu'on  ne  s'y  trompe  point  :  Rome  sou- 
terraine revendique  bien  haut  pour  son  siège  apostolique 
et  pour  ses  pontifes,  la  plénitude  du  pouvoir  spirituel,  la 
source  de  la  juridiction  ecclésiastique.  Depuis  le  jour  oii 
Mgr  Gerbet  écrivit  ses  admirables  études  sur  la  Tradition 
monumentale  (2),  la  science  archéologique  a  fait  d'immenses 
progrès,  de  grandes  découvertes,  dont  le  R.  P.  Garrucci  a 
publié  jusqu'à  deux  fois  le  résultat,  dans  son  traité  des 
verres  imagés  de  l'antiquité  chrétienne:  cet  avancement  de 
la  science  a  particulièrement  servi  à  la  gloire  de  saint 
Pierre.  Encore  une  fois,  nous  n'aurions  pas  été  découragés, 
mais  j'aurais  été  surpris  du  silence  des  martyrs  à  l'endroit 
du  Chef  de  l'Église  ^  or,  nous  le  savons  aujourd'iiui,  ils  ont 
dit  :  «  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  l'Eglise  est  bâtie,  » 
aussi  clairement,  aussi  fortement  qu'ils  disaient  à  Jésus  : 
«  Vous  êtes  le  Christ,  le  Fils  du  Dieu  vivant  !  » 

Déjà,  glorieux  prince  des  apôtres,  déjà  l'Ancien  Testa- 
ment est  tout  occupé  de  vous  et  rempli  de  votre  présence. 
Chef  de  l'Eglise,  vous  assistez  à  sa  longue  préparation. 


(l)  Esquisse  de  Rome  chrélienne,  tom.  ii,  p.  6f. 

i-i)  ib:.]. 


606  LA   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

J'ai  vu,  dans  les  tableaux  des  -Catacombes,  Abraham 
remplacé  par  le  Christ,  et  voici  que  le  sacrificateur  qui  offre 
Isaac,  n'est  ni  Abraham,  ni  le  Christ,  mais  Simon,  fils  de 
Jean  (1), 

J'ai  vu  le  Messie  substitué  à  Moïse,  et  voici  qu'une  pein- 
ture de  S.  Calixte  représente  le  saint  prophète  ôtant  ses 
sandales  devant  la  majesté  de  Dieu,  puis  en  face  de  ce 
premier  sujet,  le  miracle  des  eaux  qui  jaillissent  de  la 
pierre  :  mais  ici  Moïse  est  transfiguré;  ses  traits  ne  sont  plus 
ceux  qui  le  distinguaient  auprès  du  buisson  ardent  ^  et  dans 
ce  prophète  qui  frappe  le  rocher,  je  vous  reconnais,  ô  Cé- 
phas  ! 

L'or  ciselé  de  ce  calice  (2)  me  montre  le  même  rocher 
symbolique  d'oià  ruisselle  l'eau  verte  et  brillante  ;  le  chef 
du  peuple  de  Dieu  tient  encore  élevée  la  verge  de  la  puis- 
sance. On  ne  peut  le  méconnaître,  son  nom  est  gravé 
près  de  lui  :  mais  ce  n'est  pas  Moïse  ;  mais  c'est  Pierre  : 
PETRVS ! 

Sur  plusieurs  des  sarcophages  du  Lalran,  la  même  scène 
Sculptée  en  bas  relief  «  est  placée,  non  au  milieu  des 
«  représentations  tirées  de  la  vie  de  Moïse,  mais  au  milieu 
«  de  celles  qui  se  rattachent  à  la  vie  de  saint  Pierre  (3).  » 

Prince  et  Père  de  tout  le  peuple  chrétien.  Pontife  souve- 
rain, modèle  et  premier  docteur  de  notre  foi,  comme  Abra- 
ham fut  prêtre,  roi  et  père  de  tous  les  croyants,  tel  est  saint 
Pierre  ! 

Législateur  et  chef  absolu  de  la  nation  sainte,  initiateur 

aux  mystères  de  la  grâce,  guide  et  juge  des  douze  tribus, 

fondateur  et  centre  de  l'unité,  comme  Moïse  dans  l'ancienne 

loi,  tel  est  saint  Pierre.  Oui,  dit  saint  Augustin,  Moïse  a 

,été  la  figure  de  Pierre  :  «  Figura  fuit  Pétri  !  (4)  »  et  per- 

(1)  Garrucci,  Vetri,  p.  89. 

(2)  Ibid.  p.  89,  n.  9. 

(3)  Northcote,  les  Catacombes,  p.  76. 

(4)  Sermo  351,   4". 


L\   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES.  607 

sonne  ne  peut  boire  de  l'eau  du  rocher,  de  la  grâce  salu- 
taire, s'il  ne  la  demande  à  Pierre,  à  qui  seul  il  est  donné 
de  la  faire  couler. 

II.  Abraham  et  Moïse  sont  les  figures  de  Jésus  et  de 
saint  Pierre:  Saint  Pierre  et  Jésus  ne  sont-ils  pas  un? 
Quand  les  artistes  des  Catacombes  veulent  rappeler  la  pas- 
sion du  Sauveur,  ils  lui  substituent  souvent  lo  piiiice  des 
apôtres  (1).  On  le  voit  entraîné  par  les  soldats  et  chargé  de 
la  croix,  suivant  son  ma2^re  jusqu'à  la  mort. 

La  verge  royale,  signe  d'autorilé  suprême  et  de  toute- 
puissance,  ce  sceptre  divin  par  lequel  l'eau  est  changée  en 
vin,  Lazare  ressuscité,  tous  les  miracles  et  la  création 
même  opérés,  appartient  à  Pierre  comme  à  Notre-Seigneur 
et  n'appartient  qu'à  eux  ;  Moïse  ne  la  possède  que  lorsqu'il 
en  frappe  le  rocher,  et  alors  il  est  le  type  du  Chef  invisible 
et  du  Chef  visible  de  l'Église.  «  Un  bas-relief  sculpté  sur 
«  la  face  principale  d'un  sarcophage  de  Latran  offre  un 
«  remarquable  exemple  de  ce  fait  :  A  la  suite  de  scènes 
«  retraçant  différents  miracles  du  Christ,  où  il  tient  lui- 
«  même  la  baguette,  vient  un  groupe  où  il  ne  la  porte  plus, 
«  mais  il  l'a  confiée  à  saint  Pierre,  ou,  pour  mieux  dire, 
«  ce  groupe  ne  représente  pas  autre  chose  que  le  don  fait  à 
«  saint  Pierre  de  cette  baguette  (2).  » 

Si  Élie  remonte  au  ciel,  entraîné  sur  le  char  enflammé, 
il  n'oublie  point  de  laisser  son  esprit  avec  son  manteau,  à 
Elisée  (3)  ;  le  disciple  reçoit  le  don  de  son  maître  avec  une 
humilité  profonde,  et  se  jugeant  indigne  de  toucher  le 
manteau  qui  a  recouvert  l'envoyé  de  Dieu,  il  enveloppe 
ses  mains  dans  son  propre  pallium  et  reçoit  ainsi  le  gage 
du  prophétisme.  Or,  cet  Élie  et  cet  Elisée  sont  bien  diffé- 
rents de  ceux  qui  portèrent  leurs  noms  dans  l'ancienne  loi; 

(1)  Vetri,  p.  11. 

(2)  Norihcote,  p.  77  et  150. 

(3)  Peinture  de  la  catacombe  des  saints  Nérée  et  Achillée  ;  sculptures 
et  inscripliûus  dn  musée  de  Lalran. 


608  LA   THÉOLOGIt;    DES    CATACOMBES. 

à  leurs  traits,  je  reconnais  et  j'adore  Jésns,  je  reconnais 
et  je  vénère  Pierre;  Jésus,  qui  transmet  sa  royauté  spiri- 
tuelle, son  pouvoir  doctrinal,  son  sacerdoce,  et  Pierre,  qui 
se  revêt  de  Jèsus-Christ,  roi  et  maître  de  l'Eglise  :  donc,  déso- 
béir à  Pierre,  c'est  se  révolter  contre  Jésus. 

III.  Une  fresque  autrefois  décrite  par  Bosio,  et  décou- 
verte dans  le  cimetière  des  saints  Marcellin  et  Pierre  aux 
deux  Lauriers,  représeiitait  de  profil  une  chaire  pontificale, 
entourée  de  tentures:  personne  ne  l'occupait,  si  ce  n'est 
que  la  colombe,  couronnée  de  diamants,  pour  signifier  sa 
nature  divine,  versait  sur  elle  des  flots  de  lunjière  et  de 
grâce  (1).  La  perte  de  ce  symbole  de  la  Chaire  de  saint 
Pierre  est  assurément  fort  regrettable  :  mais  le  R.  P.  Gar- 
rucci  nous  a  révélé  un  monument  plus  important  encore  (2). 
Il  est  arrivé  qu'une  fragile  coupe  de  verre  a  traversé  quinze 
ou  seize  siècles,  afin  de  nous  apprendre  ce  que  les  chrétiens 
des  Catacombes  pensaient  du  Siège  apostolique.  Une  chaire 
épiscopale  s'élève  sur  une  montagne  dont  la  verdure 
marque  la  fertilité,  et  d'où  jaillit  un  ruisseau  d'or.  Elle 
supporte  le  moiiogramme  du  Christ  accompagné  de  deux 
pierres  précieuses;  à  la  cime  de  la  montagne,  un  arbre, 
planté  comme  celui  de  l'Écriture,  sur  le  bord  des  eaux, 
donne  sou  joyeux  feuillage  et  ses  fruits  abondants.  Près  de 
là,  un  homme  et  une  femme  richement  vêtus,  unis  par  la 
même  foi  et  la  incme  espérance,  c'est-à-dire  par  le  livre  de 
la  Révélation  placé  entre  eux,  et  par  le  monogramme  qui 
rayonne  au-dessus  de  leurs  tètes,  élèvent  les  mains  au  ciel, 
confessant  leur  croyance,  priant  et  glorifiant  Dieu.  Oh  ! 
que  ce  langage  est  clair,  et  cette  harmonie  délicieuse  à 
entendre  :  l'Église  romaine  est  bâtie  sur  le  rocher  immuable 
qui  est  Jésus-Christ  et  Pierre  lui-même;  elle  est  le  prin- 


(1)  Aringhi,  tom.  ii,  p.  53. 

[i)  Vtir/.  [}.  U-i;  tav.  sxv.  hi 


LA  THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  609 

cipe  du  progrès  véritable  ;  elle  est  l'arbre  de  vie  qui  croissait 
autrefois  dans  l'Éden,  et  qui  nous  a  été  rendu,  mais  com- 
bien plus  vivant  et  plus  vivifiant!  Elle  est  ce  fleuve  do  la 
grâce  et  de  la  gloire,  auprès  duquel  le  Pactole  de  la  fabu- 
leuse antiquité  ne  roulait  qu'un  vil  limon  ;  de  sa  chaire, 
comme  de  l'oracle  infaillible  de  Jésus-Christ,  descendent 
les  enseignements  de  la  vérité;  c'est  par  elle,  et  dans  son 
unité,  que  npus  croyons,  que  nous  espérons,  que  nous 
aimons  -,  c'est  elle  qui  fait  briller  dans  les  cieux  le  signe 
de  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Rédempteur!...  0  Pontife 
romain,  s'écriait  saint  Jérôme,  «  je  m'unis  de  communion 
«  à  votre  béatitude,  c'est-à-dire,  à  la  chaire  de  Pierre  ;  je 
«  sais  que  l'Eglise  est  bâtie  sur  cette  pierre!  et  en  vous  sui- 
«  vant  ainsi,  je  suis  le  Christ,  et  point  d'autre!  (1)  » 

IV.  Saint  Jérôme,  écrivant  cette  admirable  protestation, 
n'était  que  l'écho  des  apôtres:  Pierre  fut  leur  prince,  et  ils 
le  reconnurent  hautement.  Je  ne  sais  quelle  secte  gnostique 
de  nos  jours,  veut,  comme  les  gnostiques  du  temps  d'Iré- 
née,  diviser  les  Apôtres,  et  les  présenter  comme  d'irrécon- 
ciliables antagonistes.  Les  Catacombes,  aussi  bien  que  les 
saints  Pères,  combattent  cette  prétention.  Leurs  peintures  . 
et  leurs  sculptures  nous  montrent  les  doute  apôtres  serrés 
étroitement  autour  de  Notre-Seigneur,  écoutant  son  en- 
seignement qui  est  un,  portant  en  leurs  mains  le  même  sym- 
bole de  foi,  brebis  fidèles  qui  suivent  le  pasteur  (2),  pasteurs 
eux-mêmes  qui  s'eff'orcent  d'amener  les  agneaux  au  même 
et  unique  bercail  (3),  pêcheurs  embarqués  sur  le  même  na- 
vire, traînant  le  même  filet,  et  ramant  de  concert.  Et  saint 


(1)  Ad  Damasum  ep.  15. 

(2)  Quand  les  brebis  qui  accompagnent  le  bon  Pasteur  sont  au 
nombre  de  douze,  elles  représenleut  évidemment  les  aiiôtres;  et  alors, 
elles  sout  toutes  attentives  à  sa  voix. 

(3)  Peinture  de  la  catacombe  de  Galixte, 

3 


filO  LA    THÉOLOGIE    DES   OATACOMBES, 

Pierre  est  le  pilote,  l'apôtre  privilégié  qui  suit  immédiate- 
ment Notre-Seigrieur,  approche  le  plus  près  de  sa  chaire, 
s'élève  au-dessus  des  autres  pour  recevoir  la  Loi,  qui  n'est 
confiée  qu'à  lui  :  il  est  figuré  dans  l'ancien  Testament  où 
ses  frères  n'apparaissent  pas  encore  ;  si  quelque  apôtre  est 
représenté  seul  avec  Jésus-Christ,  c'est  toujours  lui  ;  seul, 
il  reçoit  le  sceptre  du  Fils  de  Dieu;  seul,  il  remplace  par- 
fois son  maître.  Eu  un  mot,  Pierre  est  cet  Elisée  qui,  seul 
d'entre  les  fils  et  les  disciples  des  prophètes,  a  reçu  le  man- 
teau d'Élie. 

La  prééminence  de  saint  Pierre  sur  saint  Paul  lui-même, 
est  d'une  incontestable  évidence  dans  les  monuments 
chrétiens  primitifs.  Ici,  les  deux  apôtres  portent  Tétole 
antique,  mais  celle  de  Pierre  est  ornée  de  perles  qui  en 
rehaussent  l'éclat  (1).  Là,  Paul  est  placé  à  la  droite,  mais  il 
n'est  vêtu  que  de  la  toge  et  assis  sur  un  simple  escabeau, 
tandis  que  Pierre,  drapé  dans  un  large  pallium,  occupe  une 
sorte  de  chaire  à  dossier  (2).  Sur  une  cinquantaine  d« 
coupes  imagées  oii  ils  sont  réunis,  et  on  l'on  peut  détermi- 
ner avec  certitude  la  place  que  l'artiste  a  assignée  à  chacun 
d'eux,  saint  Pierre  tient  quarante-cinq  fois  la  droite,  et  la 
cède  sept  fois  à  peine  à  saint  Paul  ;  et  encore,  il  est  de  ces 
cas  extraordinaires  oii  l'intériorité  du  rang,  accordée  au 
prince  des  apôtres,  est  merveilleusement  compensée  par 
d'autres  avantages.  Si  l'on  tient  aussi  compte  des  erreurs 
qui  ont  pu  échapper  au  burin  du  graveur,  si  Ton  remarque 
avec  le  R.  P.  Garrucci  que  le  Christ  lui-même  abandonne 
'  parfois  la  place  d'honneur  à  S.  Paul,  Marie  à  sainte  Agnès, 
les  époux  a  leurs  épouses  (3),  on  verra  que  l'objection  tirée 
des  exceptions  que  je  signale,  n'est  pas  même  spé- 
cieuse. 

{\)  Garrucci,  Velri,  p.  95. 

(2)  Ibid.,  p.  99. 

(3^  Uîid.,  p.  103,  ]5r  p!c. 


LV    THÉOLOGIE    DES    GATAGOMBliS.  Gll 

Trouve-t-on  réellement  parmi  les  scènes  historiques  des 
Catacombes,  des  traces  de  la  controverse  qui  s'éleva  entre 
saint  Pierre  et  saint  Paul  au  sujet  des  coutumes  ju- 
daïques (1)  ?  Cela  me  paraît  fort  problématique  et  il  n'est 
nullement  prouvé  que  les  artistes  chrétiens  y  aient  fait 
illusion  lorsqu'ils  ont  représenté  les  saints  Apôtres  dans 
une  intime  conversation.  Mais  il  est  incontestable  que 
leurs  images,  conslara^nent  rassemblées,  indiquent  com- 
bien on  croyait  alors  à  l'unité  de  leurs  doctrinesi.  De  concert 
ils  entourent  leur  divin  Maîlre  et  reçoivent  son  enseigne- 
ment qui  est  un;  de  concert,  ils  vénèrent  Marie  et  les 
saints;  Pierre  confie  à  Paul  les  Livres  sacrés;  ils  semblent 
conférer  de  leurs  croyances  et  soutiennent  ensemble  l'Eglise 
qui  est  la  colonne  de  la  vérité  ;  ils  n'oat  à  eux  deux  qu'un 
seul  exemplaire  de  l'Évangile,  qu'un  seul  monogramme 
pour  devise,  qu'une  seule  couronne  pour  prix  de  leurs 
travaux:  le  Christ,  planant  sur  leurs  tètes,  les  récompense 
tous  deux  à  la  fois  :  le  Christ  est-il  divisé  (2)  ? 

Cette  théorie  de  la  primauté  absolue  de  saint  Pierre  est 
résumée  par  un  admirable  tableau  ciselé  dans  un  calice  de 
verre  et  divisé  en  deux  parties  (3).  La  première  est  remplie 
,par  une  montagne  fertile  d'où  s'échappent  sept  ruisseaux. 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  se  tient  debout  au  sommet  de 
cette  colline  autrefois  figurée  par  le  Sinaï.  A  droite,  le  pal- 
mier de  l'Orient  étend  sts  rameaux  sacrés,  au  milieu  des- 
quels repose  le  Phénix,  symbole  de  la  résurrection.  Le 
véritable  Moïse,  saint  Pierre,  s'avance  vers  son  maître,  et 
dans  les  plis  de  son  manteau,  reçoit  du  Sauveur  ressuscité, 
un  livre  déroulé  sur  lequel  on  peut  lire  les  restes  du  mot 

(1)  Galat,  II. 

(2)  Voir,  pour  tous  ces  détails,  le  bel  ouvrage  du  R.  P.  Garrucci, 
passim . 

(3)  Ibid.,  p.  83  et  suiv.  La  plupart  des  traits  de  cette  composition 
sont  reproduits,  séparément  ou  ensemble,  sur  beaucoup  de  sarcophages 
chrétiens. 


612  LA   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

Domimts.  Le  chef  du  peuple  chrétien  porte  sur  l'épaule  la 
croix  de  J.-C:  c'est  ainsi  quels  Messie  et  l'Eliacin  dont 
parle  le  prophète  portaient  la  marque  de  leur  royauté  (1), 
Cependant,  le  Sauveur  semble  adresser  la  parole  à  un  per- 
sonnage placé  à  sa  droite,  et  qui  est  probablement  saint 
Paul:  d'un  geste,  il  lui  confie  la  mission  d'enseigner,  mais 
c'est  à  Pierre  qu'il  réserve  le  pouvoir  et  l'autorité  suprêmes. 
Quand  les  empereurs  romains  envoyaient  un  vicaire  ou  gou- 
verneur dans  les  provinces,  ils  lui  déléguaient  la  souveraine 
puissance  en  lui  remettant  le  code  des  constitutions  impé- 
riales ;  le  gouverneur  les  recevait  dans  les  plis  de  son  pal- 
lium.  La  légende  écrite  sur  le  livre  confié  à  Pierre  doit  donc 
se  compléter  ainsi  :  Domimis  legem  dat,  comme  elle  se  lit, 
en  effet,  sur  un  sarcophage  chrétien  conservé  à  Arles.  0 
véritable  Vicaire  du  Christ,  et  gouverneur  de  la  sainte  Église 
de  Dieu,  Simon,  qui  avez  été  nommé  Céphas,  c'est-à-dire 
Pierre  ;  votre  héritage  est  plus  grand  que  celui  de  vos  frères 
dans  l'apostolat:  les  communications  intimes  du  nouveau 
Sina,  la  loi  surnaturelle,  la  royauté  du  Fils  de  Dieu,  sont 
votre  partage. 

La  seconde  partie  de  ce  tableau  développe  l'idée  conte- 
nue dans  le  plan  supérieur.  Le  bélier  mystérieux  apparaît 
sur  une  colline  d'oii  jaillissent  les  quatre  fleuves  évangé- 
liques  désignés  par  l'inscription  lORDANES;  des  brebis 
sortant  de  Jérusalem  et  de  Bethléem  viennent  s'y  désalté- 
rer. Bethléem  et  Jérusalem  sont  l'Église  catholique;  le 
Jourdain  est  sa  pure  doctrine  ;  les  brebis  sont  les  fidèles 
qui  reçoivent  de  Jésus,  la  vérité,  la  lumière  et  la  vie.  Pierre 
est  chargé  de  la  distribution  de  ces  biens  ineffables,  et  de 
la  conduite  du  troupeau. 

Je  ne  m'étonne  plus,  glorieux  Prince  des  Apôtres,  que 
nos  pères  nous  aient  si  souvent  rappelé  le  souvenir  de  votre 
chule:  vous  pressez  du  doigt  vos  lèvres  qui,  un   instant, 

(1)  Is.  IX.  6,  XXII.  22. 


LA   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES.  613 

trahirent  Notre-Seigneur;  le  coq  dont  le  chant  fut  le  signal 
de  votre  repentir  est  à  vos  pieds.  Mais  votre  faiblesse  même 
prouve  la  divinité  de  votre  mission,  et  quand  on  vous  voit 
près  de  là,  saisi  par  les  soldais  et  confessant  la  foi  que 
vous  nous  avez  enseignée,  on  songe  aux  grandes  paroles  de 
Notre-Seigneur  :  Et  toi,  quand  un  jour  tu  seras  converti, 
confirme  tes  frères  !  Simon,  fils  de  Jean,  m'aimes-tu  ?  Pais 
mes  agneaux^  pais  mes  brebis  ! 

VI.  —  La  vie  surnaturelle  dans  l'Église. 

Baptême,  Eucharistie,  Pénitence. 

De  la  montagne  oià  saint  Pierre  recevait  la  Loi,  nous 
avons  vu  découler  sept  ruisseaux:  il  est  temps  d'approcher 
de  ce  grand  fleuve,  qui  est  la  grâce  répandue  en  nos  âmes 
par  les  sept  Sacrements. 

Les  Sacrements  le  plus  souvent  figurés  dans  le  symbo- 
lisme des  Catacombes,  sont  le  Baptême,  l'Eucharistie,  la 
Pénitence  (l)^  de  fait,  ils  sont  la  base  de  la  vie  chrétienne, 
et  s'ils  lui  sont  toujours  nécessaires,  ils  le  deviennent 
davantage  encore  à  l'heure  des  persécutions. 

L  Suivant  un  principe  constant  dans  l'Eglise,  le  Baptême 
est  l'œuvre  de  Jésus-Christ;  Notre-Seigneur  lui-même  nous 
baptise  par  la  main  de  ses  ministres  visibles.  C'est  lui  qui 
ouvre  les  yeux  à  l'aveugle-né,  comme  la  vertu  du  poisson 
avait  guéri  la  cécité  de  Tobie,  et  qui  présage  ainsi  la  grande 
illumination  des  âmes  (2).  C'est  lui,  ce  divin  Agneau,  que 
l'on  voit  sur  le  sarcophage  de  Junius  Bassus,  baptiser  un 
agneau  plus  petit,  tandis  que  la  colombe  planant  au-dessus 


(1)  Ils  sont  représentés  isolément,  ou  plus  souvent  tous  ensemble,  en 
sorte  qu'ils  forment  comme  un  cycle  sacramentel  qui  est  signalé  par  tous 
les  auteurs. 

(2)  Cf.  Hebr.  vi,  4,  etc.  On  rencontre  à  chaque  instant  cette  scène 
dauB  les  Catacombes. 


61/i  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

de  ce  groupe,  répand  l'eau  ou  l'huile  de  la  sanctification  (1). 
C'est  de  lui,  pierre  mystérieuse  du  désert,"  que  jaillissait 
l'eau  régénératrice,  et  c'est  son  sceptre  qui  la  faisait  couler. 
Les  chrétiens  naissent  et  nagent  dans  ces  flots  (2);  la  tradi- 
tion les  désigne  sous  les  noms  de  pinces,  phciculi  ;  ils  se 
laissent  prendre  au  doux  hameçon  de  TÉglise  (3),  et  sus- 
pendre à  l'ancre  renversée  en  forme  de  croix  (4).  De  là,  cette 
heureuse  assimilation  de  l'homme  à  Jésus-Christ  :  il  est, 
comme  lui,  l'agneau  bien-aimé  de  Dieu  ;  comme  lui,  atta- 
ché à  la  croix,  ou  la  portant  sur  ses  épaules;  comme  lui 
surtout,  le  poisson  sacré  qui  vit  dans  Tocéan  du  monde  sur- 
naturel. Une  inscription  sépulcrale  du  musée  Kircher  au 
Collège  romain  nomme  le  Rédempteur  : 

IX0YI;  ZiîNTûN 

le  poisson  des  vivants  !  Jésus-Christ^  Fils  de  Dieu,  Sauveur 
des  vivants  !  le  véritable  îy9ùç  dont  nous  recevons  la  vie, 
la  Vie  infinie  qui  se  communique  à  nous  pour  le  temps  et 
pour  l'éternité.  «  Le  Christ,  dit  saint  Cyrille  de  Jérusalem, 
est  le  père  de  la  nouvelle  génération  (5)  ;  »  et  Sévérien  de 
Gabala  :  «  Le  poisson  consacre  les  poissons  ;  piscis  conse- 
crat  pisces  [&].  » 

En  effet,  le  Baptême  détruit  le  péché  originel:  une  pein- 
ture exécutée  à  la  voûte  d'un  nrcosolium  du  cimetière  des 
saints  Marcellin  et  Pierre,  met  en  regard  la  chute  du  pre- 
mier homme,  et  Moïse  tirant  l'eau  du  rocher;  au  centre, 

(1)  Deux  monuments,  etc.  p.  26.  Le  sarcophage  de  J,  Bassus  est  con- 
servé dans  la  catacombe  Vaticane. 

(2)  Ce  sujet,  si  fréquent  sur  les  monuments  antiques  de  l'Église,  a  été 
heureusement  reproduit  dans  un  bénitier  de  la  basilique  de  Sainte-Croix- 
on-Jérusalem,  à  Rome. 

(3)  Peintures  de  saint  Calixte.  etc.  «  Jésus  te  prend  à  l'hameçon,  non 
«  pour  te  faire  mourir,  mais  afin  qu'étant  mort,  tu  reviennes  à  la  vie.  » 
(Cyrill.  Hierosol.  Procatech.  c.  Y.) 

(4)  Ibid,  Cf.  de  Rossi,  î^ôùç. 

(5)  Caiech.     vil,  10. 

(6)  Ap.  Bottari,  tom.  ni,  p.  31. 


LA   THÉOLOGm    DES    CATACOMlîKS.  015 

Noé  traverse  le  déluge,  et  la  colombe  lui  apporte  l'olivier  et 
la  paix.  Dès  lors,  l'homme  prend  un  nom  nouveau:  Celui 
qui  a  confiance  au  Seigneur^  «  fidens  in  Domino-,  »  le  fidèle 
d'entre  les  fidèles,  «  niGTOG  ER  niGTiiN  ;  »  l'illuminé  ^ 
«^ilTI20El2;  le  béni,  «  benedictus;  »  le  fidèle  serviteur 
de  Dieu,  «  0EOY  AOYAOC  HICTOC  »  etc.  Il  ne  lui  faut 
plus,  pour  devenir  un  vrai  soldat  du  Christ,  que  recevoir 
l'imposition  des  mains  du  Pontife  et  l'onction  du  chrême. 
Nos  pères  ne  séparaient  guère  la  Confirmation  du  Baptême 
dont  elle  est  le  complément,  et  c'est  pour  cela  qu'ils 
ne  lui  consacraient  point,  ordinairement,  de  symboles  par- 
ticuliers (1). 

Les  enfants  recevaient  leur  part  d'un  si  glorieux  héri- 
tage. La  tendresse  de  l'Église,  qui  est  la  mère  de  notre 
mère,  comme  dit  saint  Augustin,  en  serait  une  preuve 
suffisante  ;  mais  voici  davantage  :  les  épitaphes  des  petits 
enfants  moissonnés  dès  l'aurore,  leur  donnent  le  titre  de 
bien  méritants:  «  Bene  raerentes  »;  elles  joignent  à  leur 
nom  le  monogramme  du  Christ,  le  poisson,  l'ancre,  l'iinage 
de  la  colombe  innocente;  elles  expriment  des  souhaits  pour 
leur  repos  dans  la  paix,  ou  leur  demandent  de  prier  pour 
ceux  qu'ils  laissent  sur  la  terre.  Penser  que  tout  cela 
s'adresse  à  une  âme  qui  n'était  point  à  Dieu  et  à  l'Église, 
serait  méconnaître  l'Église,  et  blesser  l'honneur  des  martyrs. 
Écoutez  plutôt  l'inscription  de  «  Dyonisius,  nouvellement 
illuminé^  (âgé)  d'un  an  (et)  quatre  mois  (2).   » 

I  DIONYCIC  NEOa>aTIM 
ENIAYTOY  ENOC  MH 
NiîN  TECCAPiîN 

;i)  Cependant  une  peinture  du  cimetière  de  Sainl-Calixte,  que  j'ai 
déjà  signalée  dans  cette  Revue  (novembre  1862),  est  une  remarquable 
exception  à  cette  règle. 

(2)  Inscription  trouvée  l'an  dernier  dans  la  catacombe  de  saint  Calixte 
et  publiée  par  le  chanoine  Profili.  (Journal  de  Kome,  janvier  1864). 


616  LA    THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

Lisez  encore  cette  autre,  si  gracieuse  et  si  chré- 
tienne: 

D  M  S 

FLORENTIVS  FILIO  SVO  APRONIANO 
FECIT  TITVLVM   BENEMERENTI  Q  VIXIT 
ANNVM  ET  MENSES  NOVE  DIES  QVIN 

QVE  CVM  SOLD  AMATVS  FVISSET  A  MAIORE  SVA  ET  VIDIT 
HVNC  MORTI  CONSTITVTVM  ESSE  PETIVIT  DE  AECLESIAVT  FIDELIS 
DE  SECVLO  RECESSISSET 

«  Consacré  à  Dieu  très-grand  ! 

«  Florentius  a  fait  cette  inscription  à  son  fils  Apronianus, 
«  bien  méritant,  qui  vécut  un  an  et  neuf^nois  (et)  cinq  jours. 
«  Comme  il  était  vivement  aimé  de  son  aïeule,  celle-ci  le 
«  voyant  tout  près  de  la  mort,  demanda  à  l'Eglise  qu'il  pût 
«  sortir  «  fidèle  »  de  ce  siècle  (1).  » 

Nous  citerons  aussi  Paulin,  néophyte  de  huit  ans,  — 
Candide,  néophyte  de  vingt  et  un  mois, —  Zozime,  néophyte 
de  cinq  ans^  huit  mois  et  treize  jours,  —  Magus,  petit  enfant 
innocent,  que  nous  re verrons  tout  à  l'heure,  —  Matronata 
Matrona,  morte  à  l'âge  d'un  an  cinqiiante-deux  jours,  et  dont 
on  implore  les  prières,  —  et  une  très-innocente  petite  fille 
qui,  ayant  vécu  neuf  jours  et  cinq  heures,  repose  dans  le 
Dieu  Christ,  en  paix!  Les  épitaphes  de  ces  anges  terrestres 
et  de  beaucoup  d'autres,  sont  conservées  au  musée  de 
Latran. 

II.  Une  des  plus  grandes  choses  qu'il  soit  accordé  à  un 
chrétien  de  voir  en  ce  siècle,  c'est  la  célébration  de  la  messe 
aux  Catacombes.  Les /bssores  ouvrent  les  souterrains  sacrés; 
les  pas  du  prêtre  font  tressaillir  les  martyrs  et  les  confes- 
seurs au  fond  de  leurs  tombes  :  on  croit  voir  apparaître 
dnns  l'ombre  les  diacres  de  la  primitive  Église,  et  la  figure 

(1)  Cette  ïDscriptioa  provieut  des  cimetières  de  la  nouvelle  voie  Sala- 
ria, et  elle  est  coQBervée  au  Latran. 


LA.   THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  617 

du  jeune  Tarcisius,  le  doux  acolyte  qui  donna  son  sang  pour 
celui  de  Notre-Seigneur...  Arrêtez-vous,  chers  et  glorieux 
témoins  du  Christ,  et  faites-nous  entendre  les  peintures 
symboliques  du  sacrifice,  les  images  mystérieuses  de  l'Eu- 
charistie, les  emblèmes  qui  signifient  et  voilent  à  la  fois  le 
sacrement  du  Corps  et  du  Sang  de  .Tésus-Christ. 

Et  les  diacres  disent:  «  Les  peintres,  les  sculpteurs,  les 
«  graveurs  sortis  de  nos  écoles  connaissaient  les  rapports 
«  étroits  des  deux  Testaments  et  fondaient  sur  eux  la  loi 
«  principale  de  l'art  et  du  symbolisme  catholiques.  Quand 
«  donc,  ils  ont  représenté  l'agneau  et  le  froment  entre  les 
«  mains  d'Adam  et  d'Eve,  l'offrande  d'Abel,  l'immolation 
*(  d'Isaac,  les  victimes  du  tabernacle  mosaïque  et  la  manne 
«  du  désert,  ils  ont  voulu  porter  nos  pensées  plus  haut,  et 
«  sous  la  figure,  nous  faire  toucher  à  la  réalité.  Leur  but 
«  n'était  sûrement  point  de  rappeler  une  histoire  étrangère 
«  à  nos  dogmes,  ni  surtout  de  constituer  au  profit  de 
«  l'ancienne  alliance,  un  privilège  qui  manquerait  à  la  nou- 
«  velle.  Nous  avons  donc  nous-mêmes  notre  sacrifice  et 
«  notre  manne! 

«  N'avez-vous  point  remarqué  sur  les  bas-reliefs  des  tom-i 
«  beaux,  les  disciples  qui  présentent  à  Notre-Seigneur  des 
«  raisins,  une  gerbe  de  blé  et  un  agneau,  puis  cet  agneau 
«  qu'un  juge  criminel  dévoue  à  la  njort;  puis  le  bon  Pas- 
«  teur  entouré  de  ses  brebis  et  donnant  un  pain  à  chacune 
«  d'elles  (1)?  Le  vase  qui  contient  le  lait  céleste  est  à  ses 
«  pieds  (2);  ou  bien,  ce  vase  mystérieux  est  entouré  d'une 
«  anréole  de  gloire  et  porté  par  un  agneau  qui  s'avance 
«  avec  la  palme  du  triomphe  (3).  Oh!  tout  cela  est  si  clair, 
«  que  la  discipline  du  secret  paraît  ici  se  trahir  elle-même. 

(1)  Plusieurs  sarcophages  du  musée  de  Latran. 

(2)  Vetri,  p.  62, 

(3)  Peinture  catacombale  publiée  par  Bosio,  p.  363.  Cf.  Buonarotli   Ve- 
tri, p.  xivil;  etc. 


018  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

«  Béni  soil  le  Christ  immolé  pour  nous  sous  les  accidents 
«  du  pain  et  du  vin,  l'Agneau  de  notre  pâque,  ce  corps  et 
«  ce  sang,  que  les  saints  Docteurs  nomment  le  pain  et  le 
«  lait  divins  (i). 

«  Oh  voit  encore  aux  Catacombes  Notre-Seigneur  chan- 
«  ger  l'eau  en  vin  ou  multiplier  les  pains  et  les  poissons. 
«  Une  sculpture  met  en  parallèle  avec  ce  miracle  l'arbre 
«  de  la  science  du  bien  et  du  mal.  Ailleurs,  cette  femme 
«  syro -phénicienne  dont  parle  l'Évangile,  s'approche  de 
«  Jésus,  et  lui  demande  les  miettes  qui  tombent  de  la  table 
«  des  enfants  (2"'.  On  voit  le  repas  des  sept  disciples  sur  le 
«  bord  du  lac  de  Tibériade,  quand  Jésus  vint,  prit  du  pain 
a  et  le  leur  donna,  et  du  poisson  pareillement  ^3).  Or,  la  tra- 
«  dition  s'accorde  à  reconnaître,  dans  te  miracle  de  Cana, 
«  une  figure  de  la  transsubstantiation  eucharistique  ;  dans 
«  le  pain  et  le  poisson,  une  allégorie  de  la  nourriture 
«  céleste.  Nous  croyons  donc  et  nous  confessons  par  ces 
«  peintures,  que  nous  recevons,  sous  les  apparences  sacra- 
«  raentelles,  le  vrai  corps  et  le  vrai  sang  de  Jésus-Christ, 
«  fils  de  Dieu.  » 

Tandis  qu'on  recueille  cet  enseignement  de  l'antiquité 
chrétienne,  et  qu'on  s'avance  vers  la  chapelle  'préparée  pour 
le  sacrifice,  on  aperçoit  sur  les  tombes,  l'image  des  pains 
marqués  au  signe  de  la  croix,  ou  encore  le  calice  rempli  de 
ces  pains  eucharistiques  (4).  On  se  sent  au  milieu  d'un 
peuple  nourri,  enivré  de  la  chair  et  du  sang  d'un  Dieu;  et 
l'on  ne  s'étonne  plus  que  ce  peuple  soit  un  peuple  de 
martyrs  ! 

(1)  Voir  les  citations  des  saints  Pères  dans  les  Vetri  du  P.  Garracci, 
pp.  62  et  63. 
(2j  D'après  un  sarcoph.  du  Latran.  Cf.  Marc  vu,  26. 

(3)  Joan.  XXI,  1-14.  Il  faut  observer  que  la  vérité  historique  des  dé- 
tails n'est  pas  toujours  gardée  dans  ces  peintures,  ce  qui  fait  ressortir 
davantage  leur  signidcation  mystique. 

(4)  Vetri,  p.  xill.  D'après  une  épitaphe  de  la  catacombe  de  Poo- 
tieu. 


LA    THÉOLOGIE    DÈS    CATACOMBES.  (519 

Nous  arrivons  au  terme  du  pèlerinage  :  un  cubiculutn 
spacieux  s'ouvre  devant  nous  :  la  lumière  qui  tombe  d'un 
lucernaire  tapissé  d'herbes  fleuries,  de  roses  et  de  lys  des 
champs,  permet  d'y  reconnaître  une  basilique  complète, 
séparée  en  deux  parties  (1),  munie  d'une  chaire  épiscopale, 
des  bancs  du  clergé,  des  sièges  particulièrement  réservés 
aux  diacres.  Plusieurs  arcosolia  décorés  de  fresques  sont 
creusés  dans  les  murs  ;  la  palme  et  la  fiole  de  sang  disent 
que  des  martyrs  y  sont  ensevelis.  Une  dalle  de  marbre 
recouvre  leur  corps  et  c'est  la  table  du  sacrifice;  voici 
encore  la  prothesis  ou  crédence,  complément  nécessaire  de 
nos  autels.  Et  tout  cela  est  l'œuvre  des  fossores  du  deuxième 
siècle... 

Les  murs  sont  ornés  de  peintures:  la  première,  répétée 
deux  fois,  représente  un  poisson  soutenant^  sur  son  dos, 
un  panier  de  pains,  de  ces  pains  gris  et  cendrés  que  les 
Romains  regardaient  comme  sacrés:  dans  la  corbeille,  on 
distingue  les  traits  d'un  calice  plein  de  vin  rouge,  et  l'en- 
semble de  cette  figure  rappelle  les  paroles  de  saint  Jérôme  : 
«  Rien  n'est  plus  riche  que  celui  qui  porte  le  corps  du  Sei- 
«  gneur  dans  une  corbeille  et  osier,  et  son  sang  dans  une 
«  coupe  de  verre  (2).  »  C'est  donc  Jésus-Christ  lui-même 
qui  nous  offre  le  pain  des  anges,  le  vin  qui  fait  germer  les 
vierges. 

On  reconnaît  près  de  là  la  Table  du  Seigneur,  chargée 
de  pains  et  d'un  poisson,  environnée  des  sept  corbeilles 
qui  furent  remplies  des  restes,  après  la  multiplication  des 
sept  pains  et  des  poissons. 

Plus  loin,  sur  la  même  table,  toute  pareille  aux  trépieds 
sacrés  de  l'antiquité,  je  vois  de  nouveau  le  pain  et  le  pois- 
son :  à  gauche,  un  personnage  vêtu  d'un  palliura  rouge, 

(!)  Alors,  les  femmes  avaient  leur  place  réservée  dans  les  assemblées 
religieuses. 
(2)  Ep.ad  Rusiicwn,  a.  20;  édit.  Vallars.,  t.  i,  p.  947, 


6*20  LA  THÉOLOGIE  DES  CATACOMBES. 

comme  les  philosophes  grecs,  impose  les  mains  sur  ces 
dons  et  cette  nourriture  ainsi  préparés;  à  droite,  une  femme 
étend  les  bras  pour  la  prière.  Et  de  peur  que  le  sens  de  cette 
peinture  ne  demeurât  incertain,  l'artiste  a  mis  en  regard 
Abraham  et  Isaac  vêtus  à  la  manière  des  Occidentaux  et 
élevant  les  mains  au  ciel;  auprès  d'eux,  l'agneau  et  le  bois 
de  l'holocauste.  La  figure  fait  comprendre  la  réalité:  aux 
sacrifices  de  l'Ancien  Testament  succède  un  sacrifice  d'un 
prix  infini,  offert  à  Dieu  par  les  gentils  eux-mêmes  :  «  In 
omni  loco...,  in  gentibus  (1).  »  La  victime  est  le  nouvel 
Isaac,  l'Agneau  divin  déjà  immolé  sur  le  bois  de  la  croix; 
l'Église  accompagne  de  ses  vœux  l'œuvre  du  consécrateur, 
et  demande  à  Dieu  d'accepter  l'oblation  du  corps  et  du 
sang  de  riX0Y2,  de  Jésus-Christ  Sauveur!  (2) 

En  présence  de  ces  peintures,  que  l'on  saisit  bien  la 
grandeur  et  l'immutabilité  de  notre  foi!  Comme  le  cœur 
d'un  catholique  s'épanouit  et  bat  à  son  aise  au  milieu  de 
ces  dogmes  vivants  ! 

III.  L'Église,  persécutée  dans  sa  foi,  le  fut  en  même  temps 
dans  sa  miséricorde;  à  sa  douleur  de  perdre  ses  enfants 
pour  le  temps,  les  Montanistes  voulurent  ajouter  celle  de 
les  perdre  pour  l'éternité,  et  dénièrent  aux  successeurs  des 
apôtres  le  droit  de  remettre  les  fautes.  On  leur  répondit  par 
les  faits,  par  l'Écrilure  et  la  Tradition,  et  aussi  par  les  mo- 
numents des  Catacombes  :  nos  artistes  y  multiplièrent  à 
l'infini  les  symboles  de  la  rémission  de  tous  les  péchés  sans 
exception.  Des  scènes  de  pénitence,  de  réconciliation  avec 

(1)  Malach.  ii,  11. 

(2)  Cf.  de  Rossi,  tx9U,  p.  22  et  23;  et  surtout  Garrucci,  op.  cit., 
p.  67-68.  Les  peintures  que  je  viens  de  décrire  sont  du  cimetière  de  Saint- 
Calixte.  Enfin,  les  fouilles  exécutées  l'an  dernier  dans  la  catacombe  de 
Saint-Calixte  ont  amené  la  découverte  d'une  autre  de  ces  peintures 
eucharistiques.  Une  femme  se  tient  debout  entre  deux  tables  servies 
pour  le  repas  :  le  poisson  ne  manque  pas  d'y  figurer,  et  l'on  comprend 
que  l'Église  nous  dit  :  «  Venez,  mes  amis,  mangez  mon  pain,  et  buvez 
le  vin  que  j'ai  mêlé  pour  vous...  et  vivez!  »  (Proverb.  ix,  5.) 


LA    THÉOLOGIE   DES  CATACOMBES.  (Î21 

Dieu,  se  retrouvent  à  chaque  pas,  et  l'œil  n'y  rencontre 
point  de  tableaux  qui  exciteraient  au  désespoir  ou  à  une 
crainte  excessive.  Que  de  fois  Notre -Seigneur  n'est-il  pas 
représenté  guérissant  le  paralytique,  et  donnant,  par  là, 
une  image  et  une  preuve  de  la  puissance  qu'il  a  d'ab- 
soudre tous  les  péchés  !  Que  de  fois  ne  le  voit-on  point  se 
retourner  vers  Pierre,  le  convertir  et  lui  parr'oin  t,  afin 
d'apprendre  à  l'Église  dont  il  est  le  chef,  que  l'apostasie 
même  n'est  pas  hors  des  limites  de  sa  juridiction  et  de  sa 
compassion.  Que  de  fois  le  divin  ami  de  Marthe  et  de  Ma- 
rie rappelle  leur  frère  de  la  corruption  du  tombeau  !  Lazare 
est  debout  dans  son  loculus,  enveloppé  d'un  suaire  et  de 
bandelettes ,  ses  sœurs  intercèdent  en  sa  faveur,  prosternées 
aux  pieds  de  Jésus-Christ. 

Le  bon  Pasteur  prend  soin  de  toutes  ses  brebis,  et  charge 
sur  ses  épaules  celles  qui  l'ont  quitté.  Une  peinture  de 
Saint-Galixte  le  montre  dans  cet  acte  de  tendresse,  et,  chose 
singulière!  elle  place  un  bouc  à  sa  droite,  et  une  brebis  à 
sa  gauche:  celle-ci,  comme  le  fils  demeuré  fidèle,  paraît  un 
instant  oubliée,  tandis  que  celui-là,  comme  l'enfant  pro- 
digue, reçoit  des  témoignages  particuliers  d'amour.  De' 
chaque  côté  du  bon  Pasteur,  un  apôtre  s'efforce  de  rassem- 
bler tout  le  troupeau  dans  le  bercail;  aussi  bien  la  brebis 
négligente  ou  coupable,  que  les  brebis  fidèles.  Sans  doute, 
la  rosée  qui  indique  la  grâce  divine,  tombe  sur  elles  avec 
plus  ou  moins  d'abondance,  suivant  leurs  dispositions,  et 
laisse  tout-à-fait  à  sec  celle  qui  s'enfuit,  mais  l'amour 
et  le  pardon  du  divin  Maître  leur  sont  offerts  à  toutes  (1). 

C'est .  donc  Notre-Seigneur-Jésus-Christ  lui-même  qui 
absout,  et  si  Dieu  seul  peut  remettre  les  péchés.  Dieu  les 
remet  par  le  ministère  de  l'Eglise.  Que  répondra  Tertullien? 

(1)  Fresque  très-aucleone  du  cimetière  de  Saint-Calixle.  La  rosée  cé- 
leste répandue  sur  les  brebis  est  ua  remarquable  emblème  de  la  grâce. 
(Cf.  Northcote,  p.  1«1  suiv.) 


622  LA    THÉOLOGIE    DKS    CATACOMBES. 

Il  joindra  la  subtilité  au  mensonge,  naais  il  n'établira  ja- 
mais que  la  tradition  de  rÉglise  Romaine  soit  favorable  à 
Montan. 

La  découverte,  que  le  R.  P.  Marchi  fit,  il  y  a  quelques 
Jinnées,  de  véritables  confessionnaux  dans  la  catacombe  de 
Sainte- Agnès,  est  trop  connue  de  nos  lecteurs  pour  que 
nous  nous  y  arrêtions  ^1).  Sans  doute,  on  peut  imaginer 
des  difficultés  contre  le  système  du  savant  archéologue, 
mais  on  ne  saurait  le  renv(;rser,  et  il  conservera  son  impo- 
sante probabilité  jusqu'au  jour  oii  de  nouveaux  faits  relè- 
veront à  la  certitude. 

Le  docteur  Northcote,  dans  son  travail  sur  les  Catacombes 
romaines,  signale  enfin  une  fresque  de  la  catacombe  de 
Saint-Hermès,  qui  met  en  parallèle  la  guérison  du 
paralytique,  et  l'administratioi!  réelle  du  sacrement  de 
pénitence,  c'est-à-dire,  «  un  homme  agenouillé  à  deux 
«  genoux,  devant  un  prêtre  qui  lui  confère  Tabsolu- 
«  lion  (2).  » 

VIL  —  Le  Mariage  chrétien.  —  La  Virginité, 
LE  Sacerdoce. 

L'Église  catholique  n'a  point  borné  son  œuvre  de  restau- 
ration à  l'homme  individuel;  étendant  son  action  à  la 
famille  et  à  la  société  tout  entières,  elle  les  a  fait  entrer 
dans  l'économie  du  monde  de  la  grâce,  la  famille,  par  le 
sacrement  de  mariage  qui  en  est  le  principe,  la  société,  par 
le  sacrement  de  l'Ordre  qui  en  est  le  lien.  Aussi,  quand 


(1)  Mgr  GerbeL  a  admirablemeut  traité  ce  point  dans  son  Esquisse  de 
Rome,  t.  II,  Tradition  monumentale,  et  ddinsles  notes  de  ses  Considérations 
sur  le  sacrement  de  Pénitence. 

(2)  Tableau  des  Catarombes  romaines,  p.  78.  —  Voyez  l'iuscription  de 
saiut  Damase  pabli(ji>  daus  cette  Uivi.e,  t.  X,  p.  bo. 


LA   THÉOLOGIE   DES    CATACOMBES.  G 23 

même  on  accorderait  qu'avant  la  venue  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  la  famille  et  la  société  ne  relevaient  que 
d'elles-mêmes  et  ne  dépendaient  pas  de  l'ordre  surnaturel, 
il  n'est  plus  permis  de  le  penser  depuis  que  l'Évangile  nous 
a  été  donné. 

I.  Pour  les  chrétiens  des  Catacombes,  le  Mariage  est  un 
état  sacré,  étroitement  lié  aux  dogmes  de  la  foi,  rl^vé  à  une 
dignité  qui  n'est  pas  de  la  terre,  sanctifié,  on  un  mot,  par 
un  Sacrement.  Entendons,  en  premier  lieu,  le  langage  des 
inscriptions  : 

1°  «  A  Aurélia  Géminia,  trés-douce  épouse,  femme  mo- 
«  deste,  chaste  et  d'une  parfaite  fidélité,  Félix,  diacre  (1).   » 

2"  «  Aurélius  d'Himère  (?)  avec  (mon)  fils  Zethus. 

«  Après  qu'elle  eut  vécu  noblement  et  sagement,  avec  moi 
«  son  époux,  Stratonice,  néophyte,  sortit  de  ce  monde 
«  à  l'âge  de  trente  ans,  et  je  la  déposai  dans  le  sanctuaire 
«  des  martyrs,  là  oii  Von  repose  bien  en  paix  ;  et  j'ai  fait  ce 
«  monument,  pour  rappeler  sa  sage  conduite  envers 
«  moi. 

«  Et  j'ai  bien  vécu  avec  mon  fils  et  je  me  suis  endormi  à 
«  l'âge  de  cinquante-cinq  ans  (2).   » 

3"  «  Sépulture  de  Lucifera,  très-douce  épouse,  d'une  infi- 
«  nie  tendresse,  qui  a  laissé  ici-bas  son  mari  dans  une 
«  très-grande  affliction  et  a  mérité  qu'on  lui  gravât  cette 
«  inscription,  afin  que  chacun  d'entre  les  frères  qui 
«  la  lira,  prie  Dieu  de  recevoir  cette  âme  sainte  et  inno- 
«  cenle. 

«  Elle  vécut  XXII  ans,  IV  mois,  VI  jours  (3).  » 

4°  «  Probilianus  à  Félicité  (?)  son  épouse, 

«  Tous  les  voisins  (vicinales)  ont  admiré  sa  fidélité,  sa 

(1)  Musée  de  Latran  :  Ex  agro  Portuensi. 

(2)  Ibid.,  provenant  de  la  nouvelle  voie  Salaria:  inscription  grecque 
d'une  lecture  et  d'une  interprétation  difficiles;  la  dernière  ligne  nous 
paraît  avoir  été  ajoutée  par  le  fils,  après  la  mort  de  son  père. 

(B)  Ibid. 


624  LA    THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

«  chasteté,  et  éprouvé  sa  bonté.  Durant  huit  années  que 
«  son  époux  fut  absent,  elle  a  conservé  sa  chasteté,  et  cest 
«  pourquoi  (unde)  elle  a  été  déposée  en  ce  saint  lieu,  le  iii^ 
«   des  calendes  de  février  (1).   » 

D'où  viennent  de  si  admirables  vertus?  Voici  la  réponse 
à  cette  question  : 

5°  «  Sans  cesse  et  à  jamais  ce  sera  ma  douleur,  que  la 
«.mort  ne  me  permette  plus  de  contempler  ton  vénérable 
«  visage,  ô  mon  épouse,  tille  d'Albe,  toi  qui  me  fus  toujours 
«  fidèle  et  demeuras  toujours  chaste.  Je  gémis  d'être  seul 
«  loin  de  toi,  ô  dépôt  sacré  que  Dieu  tn  avait  divinement  con- 
«  fié!  Tu  as  abandonné  les  tiens,  et  tu  reposes  en  paix; 
«  mais  un  jour,  tu  te  réveilleras,  comme  lu  le  mérites,  de 
«  ce  sommeil;  car,  le  repos  qui  t'a  été  donné,  n'est  que 
«  temporaire...  Elle  vécut  quarante-cinq  ans,  cinq  mois, 
«  treize  jours.  Qu'elle  dorme  en  paix!  — Cyriaque,  son 
«   mari,  lui  a  fait  cette  inscription.  PAXl   [2).  » 

Le  lecteur  remarquera  quelle  haute  idée  ce  chrétien 
s'était  faite  du  mariage  :  «  Mihi  sanctum  te  dederat  divi- 
nitus  Autor.  »  Son  épouse  lui  avait  été  donnée  par  Dieu 
(Autorj,  l'Auteur  infini  de  tout  bien  -,  et  d'une  façon  particu- 
lièrement divine  (divinitusj,  qui  sort  de  l'ordre  naturel; 
aussi,  son  épouse  était,  pour  lui,  une  chose  sainte  (sanc- 
tum), sanctifiée  par  la  grâce  du  sacrement  qui  la  fit  chaste 
et  pieuse. 

Le  Mariage  étant  un  grand  mystère  en  Jésus-Christ  et 
son  Eglise,  c'est-à-dire  signifiant  très-clairement  leurs  rap- 
ports et  leur  communication  mutuelle  de  grâce  et  de  charité. 


(1)  Epitaphe  trouvée  dans  le  cimetière  de  saint  Calixte  en  1863  ;  la 
phrase,  unde  deposita  est,  est  très-remarquable,  car  elle  prouve  qu'on 
n'admettait  pas  indistinctement  tous  les  chrétiens  dans  nos  Catacombes 
et  qu'on  n'y  recevait  que  les  justes. 

(2)  Nous  traduisons  librement  cette  belle  inscription  latine,  qui  semble 
avoir  été  composée  avec  goût  et  science,  mais  gravée  avec  beauLoup. 
de  négligence;  elle  est  conservée  an  Lulrau. 


LA    THÉOLOGIE    DliS   CATACOMBES,  625 

nos  artistes  ont  représenté  sur  des  coupes  de  verre,  deux 
époux  chrétiens  qui  entourent  la  colonne  de  vérité:  ils  se 
donnent  la  main  en  face  de  cette  Eglise  dont  ils  devront 
imiter  l'indissoluble  unité;  la  couronne  céleste  (îst  entre 
eux  comme  la  récompense  promise  à  l'état  sacré  et  surna- 
turel oii  ils  sont  engagés.  Ailleurs,  le  codex  de  l'Evangile 
ou  le  monogramme,  remplacent  la  couronne  ;  parfois,  l'un 
des  époux  porte  seul  le  Livre  saint,  car  sa  confession  de  foi 
est  aussi  celle  de  l'autre.  Ici,  Notre-Seigneur  dépose  sur 
leur  front  le  diadème  des  élus,  ou  bien,  apparaissant  sous 
la  figure  du  bon  Pasteur,  il  répand  sur  eux  ses  béné- 
dictions. Là,  enfin,  les  saints  Apôtres  les  protègent  et  les 
sanctifient  (1).  La  grâce  de  Dieu  a  passé  dans  le  monde  et  a 
régénéré  la  famille. 

IL  Mais,  dit  l'Apôtre,  la  Virginité  est  meilleure!  Le  soin 
que  prenaient  nos  pères  de  reproduire  fréquemment  les 
traits  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  de  placer  à  ses  côtés 
des  oiseaux  dont  l'innocence  rappelât  sa  merveilleuse  pu- 
reté, de  lui  donner  le  costume  des  vierges  grecques,  de 
revêtir  du  voile  et  d'une  riche  dalmatique  sainte  Agnès  et  les 
jeunes  vierges  chrétiennes,  et  de  les  environner  de  colombes 
symboliques,  ce  soin  est  un  indice  remarquable  du  prix 
que  l'on  attachait  à  la  virginité  dès  les  trois  premiers  siècles. 
Il  y  avait  déjà  des  âmes  nobles  qui  ne  voulaient  d'autre 
époux  que  Jésus-Christ,  et  qui  s'engageaient  à  lui  par  des 
vœux  solennels.  MM .  Raoul  Rochette  et  A.  Scognamiglio  (2), 
ont  signalé  à  l'attention  du  monde  savant  des  peintures 
catacombales  où  ils  ont  reconnu  la  consécration  des  vierges 
et  l'imposition  du  voile.  Plusieurs  inscriptions  renferment 
les  titres  de  Sacra  Virgo,  Sancta  Virgo,  Virgo  devota,  et  tout 
nous  assure  que  lesépithètes  de  sainte,  de  sacrée,  de  vouée, 


(1)  Voir  les  Vetri,  pp.  151  ss. 

(2)  Raoul-RocheUe,   Tableau  des  Catac,  p.  182.—   Scognamiglio.  op. 
cil.,  p.  25. 

4 


626  LA    THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

ne  sont  pas  une  pure  allusion  à  la  piété  de  ces  vierges. 
L'expression  û'ancilla  Dei,  de  virc/o  Dei,  est  encore  plus 
claire  ;  par  exemple: 

A  )K  il  I.a  colombe 

NIGELLA  VIRGO  DEI  QVE  VI 
XIT  ANNOS  P.  M.  XXXV  LE 
POSITA  XV.  KAL.  MAIAS  BENE 
MERENTI  IN  PAGE 

«  Nigella,  vierge  de  Dieu^  qui  vécut  environ  trente-cinq 
«  ans;  pleine  de  mérites,  elle  fut  ensevelie  le  XV  des  ka- 
«  lendes  de  mai.  En  paix!  (1)   » 

Il  faut  joindre  à  cette  inscription  celles  des  Viduœ  Dei, 
ou  Veuves  consacrées  à  Dieu,  qui  vivaient  ordinairement  des 
aumônes  de  l'Eglise  : 

OC.  TA.  VI.  AE  .  MA.  TRO.  NAE. 
VI.  DV.  AE  .  DE.  I. 

ce  A  Octavia,  matrone,  veuve  consacrée  à  Dieu  !  (2)   » 


DAFNEN  VIDVA.  Q.  CVN  VIX. 
ACLESIA  NIH.  GRAVAVIT. 


«  Daphné,  veuve,  qui  ayant  vécu ne  fut  en  rien  à  la 

«  charge  de  l'Église  (3).  » 

Je  citerai,  pour  tout  résumer,  l'admirable  épilaphe 
«  d'Adeodata,  digne  et  bien  méritante  vierge^  qui  repose 
«  ici  en  paix,  son  Christ  l'ordonnant  ainsi  (4).  » 


(1)  Musée  de  Latrau. 
i2)  Ibid.,  trouvé  à  sainte  Sabine. 
(3)  Ibid. 

l't)  Delà  catacombe  deCyriaque  au  Latran  ;  petit  monument  en  forme 
de  portique  et  unique  dans  les  Catacombes. 


LA   THÉOLOGIE    DUS  (,ATAC0.\1EES.  627 

ADEODATE  ET  QVIESCIT 

La  Croix  ! 

DIGNAE  ET  HIC  IN  PAGE 

MEKITAE  IVBENTE 


VIRGINI  XPO.  EIVS. 

Le  Christ  pouvait-il  donc  appartenir  d'une  façon  spéciale 
à  celte  vierge,  si  elle  ne  lui  eût  voué  son  amour  et  fait  pro- 
fession de  le  servir  exclusivement  ?  L'expression  :  «  Chrhto 
ejus  )),  restera  comme  une  des  plus  tendres  et  des  plus 
profondes  que  la  piété  catholique  ait  inspirées. 

IIL  Le  chevalier  de  Rossi,  chargé  par  le  souverain-pontife 
Pie  IX  de  réunir,  dans  une  des  galeries  du  palais  de  Latran, 
les  inscriptions  les  plus  intéressantes  et  les  plus  importantes 
des  Catacombes,  les  a  divisées  en  un  grand  nombre  de 
classes,  qui  sont  comme  les  chapitres  de  nos  annales  ecclé- 
siastiques pendant  quatre  siècles.  La  dixième  et  la  onzième 
renferment  les  inscriptions  consacrées  aux  divers  membres 
de  la  hiérarchie,  depuis  les  évéques  et  les  prêtres  jusqu'aux 
diacres,  acolytes,  exorcistes,  notaires,  et  jusqu'aux  fossores 
mêmes  qui  formaient  une  corporation  chargée  de  la  con- 
struction des  Catacombes  et  des  sépultures  (1).  Nous  avions 
d'abord  le  dessein  de  présenter  ici  comme  une  sorte  de 
dyptique,  où  des  épitaphes  catacombales  eussent  représenté 
tous  les  ordres  de  l'Eglise,  avec  celte  excellente  disposition 
qui  fait  sa  force  et  sa  beauté  (2).  On  y  aurait  reconnu  que 


(1)  Plusieurô  iuscriplious  meuUouuent  des  achats  de  tombeaux,  par 
exemple:    Çonstantius   et   Sosanna  se   vivi   locum  sibi  emerunt  prœsenlis 

a  /K  0)  omnis  fossores.  «  Çonstantius  et  Suzanne,  de  leur  vivant,  ont 
«  acheté,  pour  eux-mêmes,  ce  loculus  en  présence  de  tous  les  fossores.  » 
Serbulus  émit  bisomû  a  Leontio  fbssore.  «  Servulus,  a  acheté  un  double 
«  tombeau  de  Leontius  fossor.  »  Un  simple  loculus  se  vendait  parfois  30 
francs  (1  solidus  l/2j. 

(2)  Voir,  dans  l'épître  de  saint  Ignace  à  l'église  de  Philadelphie 
(§.  \"),  et  dans  sa  lettre  aux  Epliésiens  (§.  iv^),  une  comparaison  ma- 
gnifique de  l'Église  avec  la  cithare  des  poètes.  La  lyre  aux  mains  d'Or- 


628  LA    THÉOLOGIE    DtS    CATACOMBES. 

soD  organisation  était  aussi  ferme,  aussi  bien  établie  à 
l'époque  de  Dioclélien,  qu'elle  l'est  aujourd'hui.  Mais  le 
désir  de  ménager  nos  lecteurs,  et  d'ailleurs  l'évidence  même 
des  faits  nous  ont  arrôlé. 

La  théorie  d'un  sacerdoce  vulgaire,  et  commun  à  tous  les 
fidèles,  sans  distinction  de  rang  ni  de  caractère,  ne  perce 
pas  une  seule  fois  dans  les  monuments  primitifs  de  l'art 
chrétien.  Il  est  vrai  que  les  laïcs  portent,  aussi  bien  que 
les  apôtres,  le  livre  de  l'Évangile,  mais  seulement  pour 
croire  et  vivre  suivant  ses  lois:  l'enseignement  est 
réservé  aux  apôtres  ;  et  Notre-Seigneur  ne  confie  qu'à  eux  la 
mission  de  gouverner  l'Eglise,  et  de  décider  les  questions 
doctrinales. 

Le  Sacerdoce  et  les  parents  chrétiens  veillaient  dès  lors 
avec  un  grand  soin  à  l'éducation  des  générations  nais- 
santes, et  nous  en  avons  plus  d'une  preuve  dans  la  Rome 
souterraine.  L'adoption  des  enfants  abandonnés  [alumni] 
était  extrêmement  fréquente,  puisqu'elle  est  bien  plus  sou- 
vent rappelée  dans  l'épigraphie  des  Catacombes  que  dans 
les  inscriptions  païennes,  pourtant  infiniment  plus  nom- 
breuses. 

Près  des  cubicula,  oii  l'on  offrait  le  saint  sacrifice,  se 
trouvent  parfois  des  salles  assez  étendues,  mais  sans  autels 
et  sans  peintures  ;  des  bancs,  taillés  dans  le  tuf,  garnissent 
les  parois  longitudinales  et  se  terminent  par  deux  ou  trois 
sièges  plus  élevés.  Leur  ensemble  prouve  clairement  qu'elles 
ont  servi  d'écoles  pour  les  catéchumènes  et  les  jeunes  néo- 

phée  peut  doue  très-bien  désigner  l'Église  elle-même,  «  in  qud  Jésus 
Christus  canitur.  »  D'après  les  SS.  Pères,  la  lyre  désigne  encore  les  au- 
teurs inspirés;  (Justin,  Cohort.  ad  Grœcos,  n.  8,  etc.)  ou  enfin,  les  corps 
sacrés  des  martyrs  qui,  frappés  par  le  bourreau  «  tauquam  aereum  tym- 
panum,  pielatis  carmen  pulsati  succiuuut  »  (Johan.  Chrysost.,  serm.  2. 
de  S.  Rom.  m.)  Nous  avons,  à  plusieurs  reprises,  insisté  sur  ce  symbole 
de  la  Lyre  d'Orpbée,  parce  qu'il  est  à  la  fois  l'un  des  plus  beaux  que  l'on 
rencontre  aux  Catacombes,  et  l'un  des  plus  décriés  par  les  arcliéologues 
protestants  ou  ralioualistes. 


LA   THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  650 

phytes.  Là  étudiait  sans  doute  rauteiii    du    iitulus  sui- 
vant: 

OBPIMOC  nAAAAàUi 

rAYRYTATii  ANEUlii 

CYNCXOAACTH  MNHMHC 
XAPIN 

«  Obrimos,  à  Palladius,  mon  très-doux  cousin  et  compa- 
*  gnon  d'école^  en  souvenir!  (1)  » 

Là  enseignait  Coritus,  un  des  aînés  de  la  grande  et 
généreuse  phalange  des  maîtres  chrétiens  : 

I  SPIRITO  SANTO  BONO 
FLORENTIO  QVI  VIXIT  ANIS  XIII 
CORITVS  MAGITER  QVI  PLVS  ÂMAVIT 
QVAM  PROPRIVM  FILIVM  ET  GOIDEVS 
MATER  FILIO  BENEMERENTl  FEGERVNT 

«  Dans  l'Esprit  saint  et  boni  Au  bien  méritant  Florentins 
«  qui  vécut  treize  ans,  Coritus,  son  maître,  qui  l'aima  plus 
«  que  son  propre  fils,  et  Coideus  sa  mère,  à  son  fils!  (2)  « 

Là,  on  nourrissait  les  petits  enfants  pour  Notre-Seignenr 
Jésus-Christ  et  les  martyrs,  expression  touchante  et  plus 
sublime  encore,  qui  résume  tout  le  programme  de  l'éduca- 
tion catholique. 

PREGTEGTVS  ^  GESQUET  ^ 
IN  PAGE  I  VIXIT  ANNIS  VIIU 

tentuT'n  MENSES  VIIU  DIES  m 

rameau. 

NVTRIGATUS  DEO  CRISTO  MARTVRIBUS 
«  Pretectus  repose  dans  la  paix  du  Christ!  II  vécut  neuf 

(1)  De  la  catacombe  de  Priscille:  inscription  publiée  par  A  Scognami- 
glio,  op.  cit.  pi.  II. 

(2)  De  la  catacombe  de  la  nouvelle  voie  Salaria,  au  Latrau. 


630  LA   THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

«  ans,  neuf  mois,  trois  jours  :  Nourri  pour  Dieu  le  Christ  et 
«  ses  martyrs.'  A'''  » 

Un  calice  de  verre  nous  montre  l'enfant  qui  apprend  à 
lire  les  saintes  Écritures  sous  la  conduite  de  son  père  et  de 
sa  mère  (2).  Un  autre  représente,  au  milieu  des  arbres, 
symboles  de  l'Eglise,  deux  petits  enfants,  Pompéianus  et 
Tliéodora,  entourés  de  leurs  parents;  les  enfants  tiennent 
tous  deux  à  la  main  un  exemplaire  de  l'Evangile,  et  Pom- 
péianus fait  remarquer  du  doigt  le  monogramme  placé 
au  centre  de  cette  famille  chrétienne;  leur  père  porte  la 
[»arole  et  leur  explique  les  enseignements  de  la  foi  (3). 

VIII.  —  L'Église  au-delà  de  ce  monde. 

«  Joseph,  touchant  au  terme  de  sa  vie,  dit  à  ses  frères  : 
«  Après  ma  mort.  Dieu  vous  visitera,  et  vous  fera  monter 
«  de  cette  terre  à  celle  qu'il  promit  par  serment  à  Abraham, 
«  Isaac  et  Jacob.  Et  il  les  conjura  et  il  leur  dit:  Dieu 
«  vous  visitera  :  Emportez  mes  ossements  de  ce  lieu  avec 
a   vous  !  (4)  » 

Les  chrétiens  ont  reproduit  plus  d'une  fois  aux  Cata- 
combes cette  scène  du  transport  des  ossements  de  Joseph. 
Car  il  y  a  une  patrie  plus  haute,  dont  ce  monde  n'est  qu'un 
parvis,  et  où  nous  montons  par  la  mort.  Dieu  veut  que  la 
possession  des  joies  éternelles  date  de  l'heure  où  com- 
mencent les  tristesses  de  la  sépulture.  Le  ciel  et' la  terre  se 
partagent  le  chrétien  expirant:  l'une  garde  son  corps,  et 
l'autre  revendique  son  esprit-,  et  tandis  que  les  anges  por- 
taient au  sein  de  Dieu  les  âmes  des  martyrs,  les  fossores 
ensevelissaient  leurs  corps  dans  l'ombre  de  la  Rome  sou- 
terraine. C'est  pourquoi  j'aime  à  contempler,  sur  les  arco' 

(1)  Musée  de  Latran. 

(î)  Vetri,  tav.  xxxii,  fîg  1». 

(3)  Ihid.,  Tav.  xxix,  fig.  4'. 

(4)  Geues.  L,  23,  24. 


LA    THÉOLOGIE    DES   '".ATACOMBES.  631 

soiia,  les  images  de  ces  courageux  et  modestes  fossores, 
précurseurs  de  tous  les  grands  artistes  qui  s'inspireront, 
jusqu'à  la  fin  du  monde,  aux  sources  vives  de  l'art  catho- 
lique; j'aime  à  les  voir,  dans  leurs  pénibles  travaux, 
s'éclairant  d'une  lampe  symbolique,  frappant  du  pic  les 
murailles  de  tuf,  mesurant  de  l'équerre  et  du  compas  les 
tombes  de  nos  pères,  et  y  déposant  leurs  restes  sacrés,  afin 
qu'ils  y  attendent  le  jour  de  la  résurrection.  Oji,  ces  ou- 
vriers sont,  avec  les  anges,  les  initiateurs  de  la  vie  véritable  ! 

I.  Qu'est-ce  donc  que  la  mort?  Est-ce  un  coup  de  foudre, 
lancé  par  une  main  aveugle  et  fatale?  Non,  c'est  un  départ 
heureux, —  un  voyage^  —  une  absence  passagère, —  un  som- 
wee7  jusqu'à  l'aurore,  —  un  repos  pris  dans  la  paix  I 

Les  Catacombes  sont  un  dortoir,  un  sanr.tiiaire  où  l'on  dort 
bien  et  doucement.  Les  salles  qu'elles  renferment  se  nomment 
cubicula,  car  la  tombe  est  une  couche  bénie  à  laquelle  on 
est  confié  jusqu'à  ce  que  le  Maître  vienne,  et  où  l'on  est 
déposé  pour  un  temps. 

Les  nomenclatures  et  les  énumérations  ont  parfois  leur 
éloquence,  et  je  cède  ici  au  plaisir  de  citer  les  expressions 
qui  rappellent  le  plus  ordinairement  la  mort  dans  l'épigra- 
phie  des  Catacombes  :  Kot(xy)T/ipiov  —  cœmeterium,  —  cubi-' 
culum,  -^  locus  sanctus,  —  ayiov  [xâpxupcov, —  auxoir/i, — decessio, 
— recessio, — somnus,  —  sopor, — dormitio ,  —  requietio, — quie- 
scere,  —  xelnOai  —  eçÉp^edôat  Ix  roZ  x()5[Ji.ou 

Les  images  de  la  mort  ne  sont  pas  plus  lugubres  ;  disons 
mieux  :  elles  sont  aussi  gracieuses:  la  moisson  des  épis  du 
pur  froment;  la  cueillette  des  fruits  sur  les  arbres  féconds ^ 
la  vendange  des  raisins;  le  pressoir  céleste  oii  ils  sont  por- 
tés par  les  anges!  Car  c'est  à  l'appel  des  anges  que  nous 
obéissons,  quand  nous  passons  du  désert  à  la  terre  promise  : 
«  Accersitus  ab  angelisl  »  et  quand  b  colombe  s'envole 
vers  l'azur  des  cieux,  c'est  par  l'ordre  de  son  Christ:  «  Ju- 
bente  Christo  ejus  !  » 


652  LA    THÉOLOGIE    DES    CiVTACOMBES. 

L'àme,  très-dislincte  du  corps,  ne  meurt  pas  avec  lui,  et 
sur  les  cercueils  des  Catacombes,  on  lit  souvent  :  «  Paix  à 
son  esprit!  »  (Trvsïïfxa) ;  «  Paix  à  son  âme!  »  (vj^uy-r))*,  «  Que 
Jésus  écrive  la  petite  âme  (^^u/apiov)  de  Nectarée  dans  le 
livre  des  saints  !  »  Elle  ne  fait  qu'échanger  la  vie  inquiète 
du  temps,  pour  la  vie  immuable  de  l'éternité  : 

MAGVS  l'VEH  INNOCENS 
ESSE  lAM  INTER  INNOCENTES  CŒPISTI 
QVAM  STA VILES  TIVI  HAEG  VITA  EST 
QVAM  TE  LETVM  EXCIPET  MATER  ECLESIA  EDEOG  (1) 
MVNDO  REVERTENTEM  /  COMPRIMATVR  PECTORVM 
GEMITVS  /  STRVATVR  FLETVS  OCVLORYM 

La  palme. 

«  Magus,  enfant  innocent,  tu  as  déjà  commencé  d'être 
«  parmi  les  innocents.  Que  cette  vie  est  stable  pour  toi! 
«  Que  ta  joie  fut  grande  en  ce  jour,  oii  l'Eglise  notre  mère 
«  t'accueillit  à  Ion  retour  de  ce  monde  I  Comprimez  les 
«  gémissements  de  vos  cœurs  !  Arrêtez  les  larmes  de  vos 
«  yeux  1  » 

L'Eglise  embrasse  donc  la  terre  et  le  ciel;  elle  règne  sur 
le  monde,  dont  la  figure  passe,  et  sur  le  monde  où  la  vie 
est  sans  changements  !  Ici,  elle  donne  à  ses  enfants  l'inno- 
cence, pour  qu'ils  puissent  être  là,  parmi  les  innocents! 
Elle  accompagne  de  vœux  et  de  secours  le  voyageur  à  sou 
départ,  et  c'est  encore  elle  qui  le  reçoit  à  l'arrivée!... 

Toutefois,  la  justice  et  l'expiation  ne  sont  pas  toujours 
complètes  quand  notre  Christ  ordonne  de  venir  à  lui;  alors 
elles  s'achèvent  au  purgatoire!  L'Eglise  n'y  abandonne  pas 
ses  enfants;  elle  prie  pour  les  morts  et  engage  à  prier  pour 
eux  :  MNHC0HG  IHGOÏG  0  XVPIOG  TEKNON  «  Souviens- 
«   toi.  Seigneur  Jésus,  de  notre  enfant I   (2)  » 

(1)  lïdeoc  pour  de  hoc  ou  ex  hoc;  de  même  staviles  ponr  stabilis,  cl 
excipet  pour  excepit.  —  Cette  inscription  est  au  musée  du  Latran. 

(2)  Noithcote,  p.  182. 


LA   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES.  633 

«  Meruit  titulum  inscribi  ut  quisque  de  fratrihus  legerit, 
«.  roget  Deum  ut  sancto  et  innocenti  Spirito  ad  Deurft  suscipin- 
«   iur  (1).   » 

Elle  demande,  pour  eux,  la  récompense  infinie,  la  vision 
béatifique,  qui  est  : 

1.  La  vie  par  excellence,  éternelle  et  immuable  : 
vita  stabitis  (2),  —  MNHG0H  AYTOY  0  0EOG  EIC  TOVG 
AliiNAC  (3).  —  AGAPE  VIBES  IN  ETËRNVM  —  (4). 

2.  La  vie  en  Dieu,  dans  Jésus-Christ,  dans  l'Esprit-Saint, 
c'est-à-dire,  la  vie  dans  sa  source  même:  «  Suscipialur  ad 
Deum  (5).  »  —  «  Filios  IV.  secum  habet  ad  Dominum  (6).  » 
—  Vivas  in  Deo.  »  —  «  ZHGAIG  EN  0E$i  »  —  «  Vivas  in 
Crisio.  »  —  «  Vivas  in  Deo  Cristo  (7).  »  —  «  Scim.us  te 
in  ^  (8).  »  —  «  Vivas  in  Spirito  san.  (9).  »  —  «  REGiNA 
BIBAS  IN  DOMINO  ZEZV  (lapaime)  »  :  «  Begina,  vivez 
dans  le  Seigneur  Jésus/  (10),  »  inscription  touchante  à 
laquelle  l'orthographe  bibas  pour  vivas  ajoute  un  charme 
nouveau:  «  Vous  rappelez-vous  le  bibas  in  Domino  Zezu? 
«  écrivait  un  jeune  pèlerin  de  Rome;  pour  moi,  j'ai  sou- 
«  vent  pensé  à  cette  superbe  faute  d'orthographe.  C'est 
«  aux  Catacombes  seulement  que  l'on  peut  trouver  de  si 
«  sublimes  choses,  et  soit  pour  cette  vie,  soit  pour  l'autre, 
«  je  ne  saurais  rien  vous  souhaiter  de  mieux  que  de  vivre 


(1)  Fragment  de  l'inscriptiou  de  Lucifera  (V.  plus  haut,  vn). 

(2)  Inscription  de  Magus. 

(3)  «  Dieu,   souvenez-vous  de  lui  dans   tous  les  siècles  !  »  (Cité  par 
Norlhcole,  p.  182.) 

(If)  «  Agapé,   lu  vivras  éternellement  !    »  Inscription  de   la   nouvelle 
voie  Salaria,  au  Latran. 

(5)  Inscription  de  Lucifera. 

(6)  ...  «  Ses  quatre  fils  sont  maintenant  avec  elle  devant  le  Seigneur.  » 
(Northc.  p.  172.) 

(7)  «  Vivez  en  Dieu,  dans  le  Christ,   dans  le  Dieu  Christ...  »  (passim.) 

(8)  «  Nous  vous  savons  dans  le  Christ...  »  (Voir,  plus  loin,  l'inscription 
de  Gentianus.) 

(9)  Voyez,  plus  haut  (n),  les  inscriptions  de  Protus  et  de  Cyriaque, 

(10)  Au  musée  du  Latran,  de  la  nouvelle  voie  Salaria. 


634  LA  THÉOLOGIE   DES    CATACOMBES. 

«  en  Notre-Seigneur,  et  de  boire  à  son  doux  calice  !...  » 
Aussi,  voit-on  sur  plusieurs  tombeaux,  des  colombes  qui 
aspirent  à  se  désaltérer  à  un  calice  richement  orné... 

3"  Le  ciel,  c'est  le  bien  infini  auprès  duquel  tous  les  autres 
perdent  leurs  charmes:  «  Spiritus  tuus  in  bonof  »  C'est  la 
grappe  et  les  fruits  divins  que  l'oiseau  savoure... 

4.  C'est  le  séjour  des  saints  et  des  innocents,  où  l'on  de- 
mande à  Dieu  de  placer  l'âme  de  Nectarée,  et  oii  Magus 
règne  déjà,  «  TOnOG  APUÎN  1).  »  —  «  Inter  innocentes  (2). 
—  META  TiîN  AriiiN  .  (3) 

5.  Le  rafraîchissement  dans  les  flots  de  la  bonté  et  de  la 
tendresse  divines:  «  Refrif/era  Deus  animam  hominis.  »  — 
«  Spiritum  tuum  Deus  refrigeret.  »  —  «  Deus  tibi  refrirje- 
ret,  »  etc.;  et  ce  souhait  que  l'Eglise  répète  encore  après 
seize  et  dix-sept  siècles,  est  une  marque  très-frappante  de 
sa  croyance  constante  aux  feux  vengeurs  du  purgatoire. 

6.  La  lumière!  «  0  Hermès,  possède  la  lumière  1  »  — 
AETERNA  TIBI  LVX  TIMOTHEA  IN  :  «  Que  la  lumière 
«  éternelle  te  soit  donnée  dans  le  Christ,  ô  Timothée!  (4)  » 

DOMINE  NE  QVANDO 
ADViMBRETVR  SPIRITUS 
VENERES.  DE  FILIUS  IP 
SEIVS  QVI  SVPERSTI 
TIS  SVNT  BENEROSVS 
PROIECTUS 

«  Seigneur,  que  l'âme  de  notre  mère  Vénus  ne  demeure 
«  point  dans  les  ténèbres!  —  Ceux  de  ses  fils  qui  lui  ont 
«  survécu,  Venerosus  et  Projeclus  (ont  érigé  ce  monu- 
«  ment)  (5).  » 

(1)  V.  plus  haut  l'épilaphe  de  Nectarée. 
\%]  luscriptioQ  de  Magus. 

(3)  Voir  plus  loin  le  titulus  de  Dyonisius. 

(4)  NorUicote,  p.  184. 

(5)  Musée  de  Latran. 


LA    THÉOLOGlt:    DES   CATAGOMRES.  635 

L'Eglise  demande  encore  aujourd'hui  à  Dieu  de  ne  point 
laisser  les  âmes  fidèles  dans  les  ténèbres  du  purgatoire,  et 
de  leur  accorder  ce  séjour,  où,  dans  la  lumière  de  Dieu,  nous 
verrons  la  lumière^  où  nous  contemplerons  Dieu,  non  plus  en 
énigme  ou  par  une  image,  mais  face  à  face. 

7.  Le  repos  et  la  paix!  «  Spi?itus  tuus  hene  requiescat  in 
Deo  (1).  »  —  «  EVKOITH  META  EIPHNHC  (2).  —  ...  CES- 
QVET...  QVESQVAET...(3)etc.   » 

La  formule  :  pax  —  in  pace  —  in  pacem  —  sîpv^vr,  — 
èv  eip^ivri  —  exprimée  de  cent  manières  ou  symbolisée  par 
le  rameau  d'olivier,  est  incontestablement  la  plus  fréquente 
de  toutes  celles  qu'on  trouve  aux  Catacombes.  Nous  avons 
déjà  précisé  le  sens  qu'elle  comporte  dans  les  inscriptions 
juives;  dans  les  inscriptions  chrétiennes,  elle  est  plus  claire 
encore.  Quoiqu'on  aient  dit  plusieurs  écrivains,  d'ailleurs 
très-recomraandables,  1°  il  est  sûr  que  jamais  elle  ne  se 
borne  à  constater  le  repos  matériel  que  le  corps  trouve  dans 
la  poussière  ;  2»  sauf  quelques  exceptions,  elle  ne  désigne 
pas  simplement  que  le  fidèle  est  mort  dans  la  communion  de 
l'Église.  M.  de  Rossi  a  fort  bien  montré  (4)  que  la  formule 
vixit  in  pace  est  très-rare   à   Rome;    que  plusieurs   des^ 
inscriptions  où.  elle  se  lit,  ne  sont  pas  purement  romaines, 
ou  bien  appartiennent  à  des  chrétiens  étrangers  et  pèlerins, 
dont  l'orthodoxie  aurait  pu  être  douteuse;  3°  l'expression  in 
pace  se  rapporte  donc  à  la  paix  que  l'âme  goûte  dans  la  pos- 
session de  Dieu,  et  de  nombreux  exemples  prouvent  qu'elle 
est  une  prière,  une  invocation,  une  acclamation  :  Suscipia- 
tur  in  pace!  —  Dormi  in  pace!  —  Quiesce  in  pace!  —  In 

(1)  «  Que  ton  esprit  repose  bien  en  Dieu!  »  (Inscription  d'Anatolius, 
citée  plus  loin.) 

(2)  Epitaphe  de  Stratonice  (Cf.  n    vn). 

(3)  Formes  barbares  du  mot  quiescere  très-fréquentes  dans  les  Cala- 
combes  de  Rome.  Les  pauvres  ne  pouvant  recourir  à  un  graveur  instruit, 
faisaient  de  leur  mieux,  et  nous  ont  ainsi  transmis,  avec  l'expression  de 
leur  foi,  des  vestiges  curieux  des  dialectes  vulgaires  de  Rome. 

(4)  Spicilcg.  Solesm.  Tom.  iv. 


636  LA   THÉOLOGIE    DES   CATACOMBES. 

pace    cstote!  —  le   in  pacef  —  Leonti,  pax  à   fratribus! 
vale!  [{)  —  Pax  tecumf  —  Pax  tibi!  etc.  etc. 

8.  Le  ciel,  enfin,  c'est  la  couronne  de  chêne  ou  de  laurier 
qui  brille  sur  la  tête  des  martyrs,  le  nimbe  qui  environne 
le  front  des  saints,  les  étoiles  dont  la  splendeur  leur  sert 
comme  de  manteau,  le  diadème  orné  de  pierres  précieuses, 
les  fleurs  et  la  palme,  le  jardin  de  l'Époux...,  et  pour  finir 
par  un  trait  qui  complète  tous  les  autres,  le  ciel  est  la  com- 
pagnie de  Notre- Seigneur  Jésus-Christ!  Les  peintures  de 
Rome  souterraine  représentent  souvent  les  saints  auprès  de 
ce  divin  Maître;  il  se  donne  à  eux;  il  est  leur  récompense 
et  leur  possession  ;  et  nos  apôtres,  nos  martyrs,  nos  con- 
fesseurs et  nos  vierges  semblent  répéter  avec  un  doux  sou- 
rire: «  Et  ainsi  nous  serons  toujours  avec  le  Seigneur!  » 
Et  sic  semper  cum  Domino  erimus  ! 

Cependant,  la  chair  qui  a  pris  part  aux  combats  de  l'es- 
prit, a  mérité  de  partager  ses  triomphes:  Mérita  resurgesf 
disait  Cyriaque  à  son  épouse  (2).  Et  défait,  si  la  mort  est  un 
sommeil,  le  réveil  aura  son  heure;  si  elle  est  un  départ, 
l'âme  reviendra  au  corps  abandonné  ;  si  elle  est  un  repos, 
le  mouvement  et  la  vio  renaîtront  :  Temporalis  tibi  data  re- 
quietio  (3)/  Oui,  s'écriait  Mgr  Gerbet: 

« dans  ce  sable  liuinain  qui  dans  nos  mains  mortelles 

«  Pèse  si  peu, 
«  Germent  pour  le  grand  jour  les  formes  immortelles 

«  De  presqu'un  Dieu  !  » 

Celui  qui  n'a  point  connu  la  corruption  du  tombeau,  et 
«  qui  a  pu  briser  les  liens  funestes  de  la  mort,  celui-là 
a  donne  la  vie  aux  germes  terrestres  qui  meurent...  »  C'est  la 
profession  de  foi  et  l'espérance  de  «  Ibérianus,  déposé  le 
troisième  des  ides  d'août  :  en  paix!...   » 

(1)  CT  Léontius,  tes  frères  te  souhaitent  la  paix  !  Adieu!  »  Inscription  de 
la  catacombe  de  Priicille,  et  publiée  par  M.  de  Rossi  (Bullettino, feh.  1864). 

(2)  V.  plus  haut,  n.  vu.  —  f3)  Ibid. 


Là  THJÈOLOGIE    DES  CATACOMBES.  637 

VIVERE  QVI  PRESTAT  MORIRNTl 
A  SEMINA  TERRAE  SOLVERE  QVI  POT 
VIT  LETALIA  VINGVLA  MORTI  (s) 
DEPOSITVS  lEBERlANVS  III  IDVS.  ACV 
QSTAS  IN  PAGEM  (1) 

En  appliquant  à  une  foule  de  peintures  des  Catacombes 
la  grande  règle  d'interprétation  artistique,  qui  prescrit  de 
demander  aux  écrivains  religieux  la  clef  du  symbolisme  sa- 
cré admis  à  leur  époque,  on  reconnaîtra  facilement  que  les 
scènes  du  déluge^  de  Joseph  retiré  de  la  citerne,  de  Jonas 
englouti,  puis  rejeté  sain  et  sauf  parle  monstre,  des  enfants 
dans  la  fournaise,  de  la  vision  d'Êzéchiel,  de  la  résurrection 
de  Lazare,  sont  des  allégories  el  des  promesses  de  la  résur- 
rection des  corps.  On  reconnaîtra  de  même  que  \q  phénix 
etlepaow,  etc.,  en  sont  des  emblèmes  (2).  C'est  pourquoi 
la  grande  vierge  romaine,  sainte  Cécile,  fit  sculpter  l'image 
du  phénix  sur  la  tombe  de  Valérien.  —  Il  est  beaucoup 
d'épitaphes  qui  portent  l'image  d'une  sorte  de  racine,  où 
l'on  peut  voir  la  même  signification  :  plantes  confiées  à  la 
terre  et  humiliées,  nos  corps  fleuriront  quand  la  véritable 
aurore  apparaîtra  dans  lescieux... 

II.  L'Eglise  travaille  à  préparer  cet  admirable  renouvelle- 
ment, et  déploie  son  activité  sur  un  triple  théâtre;  sur  la 
terre  o\i  elle  nous  façonne  pouj  les  cieux,  au  purgatoire  où 
elle  achève  son  œuvre,  au  ciel  où  elle  triomphe.  Mais  par- 
tout, c'est  toujours  la  même  el  sainte  Église  catliolique. 
Nous  avons  vu  les  rapports  de  prière  et  d'intercession  qui 
relient  le  purgatoire  à  la  terre  ;  il  nous  reste  à  considérer 
ceux  qui  unissent  la  terre  et  le  ciel. 

Du  fond  des  Catacombes,  l'Église  militante  honorait  les 


(1)  Au  musée  de  Latraa. 

('•2)  Cf.  Aringhi,  Roma  suUerrunea,  et  Garrucci,  Vetri,  passim. 


638  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

saints:  elle  célébrait  le  sacrifice  eucharistique  sur  leurs 
tombes;  elle  peignait  leurs  images  sur  le  tuf  de  ses  souter- 
rains, les  ciselait  sur  les  coupes  de  cristal  ou  les  sculptait 
sur  les  sarcophages. 

Elle  souhaitait  à  Rufa  de  vivre  au  nom  de  saint  Pierre  ;  et 
à  un  autre  de  vivre  au  nom  de  saint  Laurent,  comme  elle 
nous  souhaite  de  vivre  au  nom  du  Christ  ! 

RVFA  OMNIBVS  SVBDITA  ET  ATFABILIS 
blBET  IN  NOMINE  PETRI  IN  PAGE 

a  Rufa,  soumise  et  affable  envers  tous,  vivra  au  nom  de 
«  Pierre,  dans  la  paix  du  Christ.  » 

VIVAS  IN  NOMINE  LAVRENTII. 

«  Puissiez-vous  vivre  au  nom  de  Laurent!  (1)  » 

Bosio  lut  sur  un  loculus  du  cimetière  souterrain  de  Saint- 
Hippolyte  : 

REFRIGERl  TIBl  DOMNVS  IPOLITVS. 

«  Que  saint  Hippolyle  vous  obtienne  le  rafraîchisse- 
«   ment!  (2)  » 

Et  (îansla  crypte  de  Saint-Janvier,  qui  fait  partie  du  cime- 
tière de  Prétextât  et  qui  fut  découverte  en  1858,  le  cheva- 
lier de  Rossi  trouva  les  mots  suivants,  écrits  sur  la  chaux  vive 
d'une  sépulture  qu'il  rapporte  à  l'antiquité  la  plus  reculée; 

«  Spiritum...  refrigeri  Januarius,  Agatopus,  Felicissimus, 
martyres!  »  «  Que  les  saints  martyrs  Janvier,  Agapit  et 
«  Félicissime,  rafraîchissent  l'âme  de...  [_3).  » 

(1)  Norlhcote,  p.  185,  et  surtout  Garrucci,  Vetri,  p.  121. 

(2)  lloma  sotterr.,  p.  U09. 

(3)  Cf.  Bullettino,  n<»  !«',  p.  1  à  6. 


LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES.  630 

Le  fragment  d'un  calice,  publié  par  le  R.  P.  Garrucci, 
porte  l'épigraphe  :  PETRVS  PROTEG.  «  Que  saint  Pierre 
te  protège!  »  (t). 

On  célébrait  dès  lors  les  fêtes  des  saints,  car  Tépitapiie 
de  «  Pécori,  douce  âme  »  nous  apprend  qu'elle  vint  dans 
le  cimetière  le  huitième  des  ides  de  juillet,  et  fut  déposée  le 
lendemain  du  jour  des  martyrs  (2). 

«  Pecori  dulcis  anima  bénit  in  cimitero 

«   VIU  idus  iulii.  dep.  postera  die  marturorum,  » 

Cette  dévotion  pour  les  saints  portait  nos  artistes  à  repré- 
senter la  Mère  de  Dieu  au  milieu  des  apôtres  qui  lui 
adressent  la  parole,  et  célèbrent  sans  doute  ses  louanges, 
en  même  temps  qu'ils  nous  instruisent  de  nos  devoirs  en- 
vers elle.  D'autres  fois,  ils  paraissent  soutenirses  bras  éle- 
vés au  ciel,  de  peur  qu'ils  ne  se  fatiguent,  et  que  le  peuple 
privé  de  ses  prières  ne  faiblisse  devant  l'ennemi.  Parfois 
encore,  ils  entourent  d'autres  saints,  sainte  Agnès,  par 
exemple,  et  honorent  ainsi  ceux  que  Jésus-Christ  lui-même 
a  prorais  de  glorifier. 

Les  fidèles  aimaient  à  se  choisir  une  sépulture  auprès 
des  martyrs,  et  même  sous  le  sol  des  galeries  voisines  (3). 
Ils  écrivaient  sur  les  murs  environnants,  de  ferventes  aspira- 
tions et  prières  en  leur  honneur.  Ils  leur  recommandaient 
les  âmes  des  morts  : 

SOMNO  HEÏERNALI. 
AVRELIVS  GEMELLVS  QVI  BIXIT  AN. 
ET  MESES  VIll.  DIES  XVIII  MATER 
FILIO  CARISSIMO  RENAEMERENTI  FECIT  IN  PA 
COMMANDO  BASILLA  INNOGENTIA  GEMEfXL 

(1)  Vetri,  p.  77  et  81. 

(2)  De  la  catacombe  des  saints  Processe  el  Martinieu,  sur  la  voie  Au- 
rélia; au  musée  de  Latrau. 

(3)  Correspondance  de  Ro)7ie,  (là  mars  1864  ),  d'après  le  chanoiue  Pro- 
&li. 


ÔAO  LA    THÉOLOGIE    DES    CATACOMBES. 

«  Sommeil  éternel...  (1). 

«  Aurélius  Gemellus,  qui  vécut  un  an  et  huit  mois  et 
«  dix-huit  jours.  Sa  mère  a  fait  ceci  pour  son  fils  très-cher 
u  et  bien  méritant.  En  paix  !  Je  vous  recommande,  ôBasilla, 
«  l'innocence  de  Gemellus. . .  » 

DOMINA  BASSILLA  COM 
MANDAMVS  TIBI  CRES 
CENTINVS  ET  MICINA 
FILIA  NOSTRA  CRESGEN 
QVE  VIXIT  MEN  X  ET  DES 

«  0  sainte  Basille,  nous,  Crescentinus  et  Micina,  nous 
«  vous  recommandons  notre  fille  Crescentia  (?),  qui  vécut 
«   dix  mois  et  ...  jours.  » 

Les  chrétiens  imploraient  enfin  pour  eux-mêmes,  l'inter- 
cession des  justes  qui  vivent  dans  le  sein  de  Dieu  : 

AVRELIVS  AGAPETVS  ET  AVRELIA 
FELIGISSIMA  ALVMNE  FELICITATI 
DIGNISSIMAE  QUE  VIGSIT 

ANIS  XXX  ET  VI 
EPPETE  PRÛ  CELSINIANV  CONIVGEM 

«  Aurélius  Agapetus  et  Aurélia  Félicissima  à  Félicité, 
«  leur  très-digne  fille  adoptive,  qui  vécut  trente-six  ans. 
«   Et  prie  pour  Celsinianus,  ton  époux!  (2)  « 

PETE  PRO  PARENTES  TVOS 
MATRONATA  MATRONA 
QVE  VIXIT  AN.  I.  DI.  LU. 

«  Prie  pour  tes  parents,  Matronata  Matrona,  qui  vécus 
«  un  an  et  cinquante-deux  jours  !  (3)  » 

(1)  Oui,  éternel;  mais  en  revanche,  la  mort  prend  le  nom  de  sommeil. 
Cette  inscription  et  la  suivante,  sont  du  cimetière  de  sainte  Basilla 
[aujourd'liui  catacombe  de  Saiul-Hermès),  et  se  conservent  au  Latrao. 

[i)  De  la  nouvelle  voie  Salaria;  au  Latraii. 

(3)  Ibid. 


LA    THÉOLOGIE    DFS    f.ATACOMRES.  6/|1 

ANATOLIUS  FILIO  BENEMERENTl  FEGIT 
QVI  VIXIT  ANNIS  VII  MENSIS  VII  DIE 
BVS  XX  ISPIRITVS  TVVS  BENE  UEQVIES 
CAT  IN  DEO  PETAS  PRO  SORORE  TVA. 

«  Anatolius  a  fait  (  ce  monument)  à  son  fils  bien  méritant 
«  qui  vécut  sept  ans,  sept  mois,  vingt  jours.  Que  son  âme 
«  repose  bien  en  Dieu  I  Prie  pour  ta  sœurf  (1)  » 

GENTIANVS  FIDELIS  IN  PAGE  QVI  VIX 
IT  ANNIS  XXI.  MENSS  VIII.  DIES 
XVI  ET  IN  0  I  I  I  RATIONIS  TVIS 
ROGES  PRO  NOBIS  QVI  A  SCIMVS  TE  IN  I 

«  Gentianus  fidèle.  En  paix  !  Il  vécut  vingt-et-un  ans, 
u  huit  mois,  et  seize  jours.  Et  dans  tes  prières,  prie  pour 
«  nousy  parce  que  nous  te  savons  dans  le  Christ!  (2)  » 

AIONVCIOG  NHniOG  ARAKOC  EN0AAE 
KEITE  META  TQN  AFIliN  MNHCREC0E 
AE  KAl  HMÛN  EN  TAIS  AFIAIC  TMIÎN 
nPEYXAlC  KAI  TOY  TAÏWANTOG  KAI 
rPAWANTOC 

«  Dyonisius,  enfant  innocent,  repose  ici  avec  les  saints. 
«  Souvenez-vous  de  nous,  en  vos  saintes  prières  ;  et  de  moi 
«  qui  ai  gravé  et  qui  ai  écrit  (3).  » 


IX. 


L'histoire  est  l'adversaire  le  plus  redoutable  des  liérésies. 
Elles  ne  peuvent  s'accommoder  aujourd'hui  à  leurs  formu- 

(l)Ibid. 

(î)  It.  ibid. 

(3)  D'après  Norlhcole,  p.  190. 


6/l'2  LK    THÉOLOGIE    DES    CAI  ACOMP.ES. 

laires  et  confessions  d'hier  :  le  passé  les  confond,  le  présent 
condamne  déjà  leur  avenir. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  de  l'Église  romaine.  Plus  on  avance 
dans  la  connaissance  de  ses  origines,  plus  on  admire  sa 
divine  immutabilité. 

Il  n'y  a  pas  eu,  et  il  n'y  aura  jamais  de  découverte 
dans  Rome  souterraine,  qui  ne  prête  un  puissant  secours 
et  n'appoTte  un  nouvel  éclat  à  la  Théologie  des  Cata- 
combes. 

L'abbé  J.  D. 


TABLE    DES    MATIÈRES, 


Pages  . 
ÉTUDE  SUR   LA    LÉGISLATION   MOSAÏQUE  (2»,  3*,  4e,  5»  el  6«  ar- 
ticles), par  M.  l'abbé  A.  Gilly   0,103.240,305,401 

L'EXEMPTION  DES  RÉGULIERS  ET  LE  CLERGÉ  DE   FRANGE,  par 

M.  l'abbé  H.    Moiitrouzier 17 

LA  THÉOLOGIE  DES  CATACOMBES  (4e,  S»,  6«  articles),  par  M.  l'abbé 

J.  D 49,  130,577 

DU   DROIT   COUTUMIER    DANS  L'ÉGLISE  (5e  article),  par  M.  l'abbé 

Graiidclaude 140 

DE  L'ORDRE  SURNATUREL,  par  M.  l'abbé  H.Girard 63 

QUESTION   CANONIQUE.  —  Du  Refus  de  sépuUure  prononcé  contre 

les  suicidés,  par  M.  l'abbé  H.  Mûiitrouzier 75 

DU  CHANT  ECCLÉSIASTIQUE  (3-^  et  dernier  article),  par  M.  l'abbé  P. 

R 79 

DE  L'INDULGENCE  DE  LA  PORTIONCULE,  par  M.  l'abbé  N.-C.  Leroy       97 

DU  PROBABILISME,  par  M.  l'abbé  E.  G 161 

DES  CHAPITRES  CATHÉDRAUX  EN  FRANCE,  par  M.  l'abbé  Craisson.     184 
LA  QUESTION  LITURGIQUE  DANS   L'ORDRE  DE  CITEAUX,  par  M. 

l'abbé  E.  F 209 

EXAMEN  DE  QUELQUES  ERREURS  CONTEMPORAINES  SUR  LE 

SURNATUREL,  parle  R.  P.  Marin  de  Boylesve 232 

LA   MATIÈRE  ET  LA  FORME   (1"  et  2^  articles),  par  le  R.   P.  Ra- 

mière 200,  337 

IDÉE  DE  LA  BIBLE,  par  M.  le  chanoim*  Berton 414 

DE  LA  MANIÈRE  DE  PRÊCHER  SUR  L'ENFER,  par  le  R.   P,  Mont- 

rouzier 430 

TRIPLE  GALLICANISME,  par  le  Môme • 497 

LA  PERSÉCUTION  RELIGIEUSE  EN  ANGLETERRE,  par  M-  l'abbé  Giily.    529 

DE  L'INAMOVIBILITÉ   DES  DESSERVANTS 540 

THÉOLOGIE  MORALE    —  Peut-on    admettre  à  la  sainte  table   les 

^i/e«  encem/es?  par  M.  l'abbc  Craisson • 279 

—  Est-il  nécessaire  de  réitérer  l'absolution  à  celui  qui  accust  des 
péchés  mortels  oubliés,  par  le  Même 284 

—  Sur  les  Sociétés  secrètes  prohibées,  par  le  Même 443 

DE  LA  PRÉSÉANCE  DANS  LE  CLERGÉ,  par  le  Môme 321 


64/1  TABLE    DES    j\L\TlÈRES. 

QUESTIONS  LITURGIQUES.—  Des  Fonctions  funèbres,  par  M.  l'abbé 
P.  R 195 

—  Examen  de  quelques  difficultés  relatives  aux  églises  et  oratoires, 

par  le  Même 268 

—  Questions  diverses,  par  le  Même 274,  549 

—  De  la  Consécration  des  églises  et  de  la  fête  de  la  Dédicace,  par 

le  Même    .    .    .  • 348 

—  De  l'Habit  de  chœur,  par  le  Même 4SI 

L\  POLÉMIQUE  ENTRE  LE  R.  P.  NEWMAN  ET  LE  Dr  KINGSLEY.  290 

DÉCRETS  DE  LA  S.  G.  DES  INDULGENCES •    .    .  385 

DÉCRETS  DE  LA  S.  C.  DES  RITES ."^87 

CIRCULAIRE  DE  LA  S.  C.  DE  L'INDEX 565 

LETTRE  AUX  ÉVÉQUES  DE  BELGIQUE,  sur  certaines  doctrines  ensei- 
gnées k  Louvain 568 

DÉCISIONS  DE  LA  S.  C.  DU  CONCILE 474,  556 

ARCIIICONFRÉRIE  DE  L'ASSOMPTION  DE  N.-D 389 

CORRESPONDANCE    89 

—  Un  Essai  malheureux  de  fusion  religieuse 376 

BIBLIOGRAPHIE,  98,  100,  202,  203,  206,  301,  304,  597,  485,  487,  491,  571 
CHRONIQUE 105,  208,  494 


TABLE   ALPHABETIQUE. 


Absolution  de  péchés  oubliés,  284. 

AcTà  Sanctorum.  —  Réimpression,  49H. 

Adoration  de  la  Croix  le  jeudi  saint,  555. 

Amovibilité  des  desservants.  —  Décision  de  la  S.  C.  du  (".outile,  540- 

Angleterre.  —  Polémique  du  P.  Newman  avec  le  D''  Kiiigsley,  290.  —  Un 
Essai  malheureux  de  fusion  religieuse,  376.  —  La  persécution  religieuse  en 
Angleterre  sous  les  successeurs  d'Elisabeth,  529  ss.  —  Portrait  d'Elisabeth, 
530.  —  La  persécution  sous  Jacques  !«',  oôl.  —  Fondations  anglaises  sur  le 
continent,  556.  —  Période  de  châtiment  :  Charles  l^''  et  Gromwell,  537. 

Autel  PRiviLÊiiiÊ,  384. 

Baronids.  —  Annal,  ecclesiastici,  485. 

Bible.  —  Idée  de  la  Bible,  414  ss.  —  Parole  et  Écriture,  ibid.  —  Destinée 
de  la  Bible,  418.  —  Essence  de  la  Bible,  419.  —  Ancien  et  Nouvcnu  Tes- 
tament, 423. 

Bibliographie.  —  Articles  divers,  98,  100,  202,  205,  206,  501,  50i,  397, 
485,487,  491,  571,  573,  576. 

BlBLlOTHÈftDES  CATHOLIQUES,   495. 

BONAVENTURE  (S').  —  Édition  nouvelle  de  ses  œuvres,  207.  —  Compte  rendu, 
397. 

BossuET.  —  V.  Probabilisme. 

BouvRY.  —  Expositio  rubricarum  Breviarii,  Missalis  et  Ritualis  Romani, 
495. 

Carbonari.  —  V.  Sociétés  secrètes. 

Catacombes.  —  La  Théologie  des  Catacombes,  49  ss.,  130  ss.,  577  ss.  (V.  la 
table  du  t.  IX).  — L'Hérésie  et  les  Catacombes  romaines,  49  ss.  —  Histoire 
des  Catacombes  hérétiques,  ibid. — Description  et  examen  Ihéologique  de  leurs 
monuments,  55,  130.  —  Distinction  des  Catacombes  hérétiques  et  des  Cata- 
combes catholiques,  136.  —  Les  Catacombes  catholiques,  577.  —  L'Église 
romaine,  578.  —  Idéal  de  l'Église;  Dieu,  l'Incarnation,  les  Anges,  581.  — 
Préparation  évangélique  :  la  création,  la  chute,  le  Rédempteur,  etc  ,  591.  — 
Définition  de  l'Église,  599. —  Le  premier  Pape,  605. —  P.aiiiême,  Eucharistie, 
Pénitence,  615.  —  Le  Mariage  chrétien,  la  Virginité,  le  Sacerdoce,  62-2.  — 
La  vie  future,  630. 

Chant  ecclésiastique,  79  ss.  (V.  la  table  du  t.  IX),  —  Des  Psaumes,  79.  — 
Des  Versets,  85,  —  Des  Répons  brefs,  86.  —  Des  Lamentations  de  Jérémie, 
ibid.  —  Des  Litanies,  ibid.  —  Est-il  permis  d'appliquer  un  rythme  non 
liturgique  a  des  parties  de  l'ottice  non  énumérées  précédeunneni?  87.  —  De 
l'Usage  du  Plain-Chanl  musical,  ibid. 


()/|6  TABLE  ALPHABÉTIQUE. 

Chapitres  cathédraux.  —  V.  Pelletier . 

Communion.  —  A'imission  à  la  sainte  Table,  280. 

CoNGnÉGATiONS.  —  Décrets  de  la  S.  C.  des  Indulgences,  583.  —  De  la  S.  C. 

des  Rites,  387.  —  De  la  Congrégalion  du  Saint-Office,  579.  —  De  la  S.  C. 

du  Concile,  473,  540,  «66. 
CORRKSPONDANXE,  —  89,  290,  576. 
ConTCME.  —  Du  Droit  coutumier  dans  l'église,  140  ss.  (V.  la  table  du  l.  IX), 

—  Des  Conditions  canoniques  du  Droit  coutumier,  140.  —  Matière  de  la 
Coutume,  141 .  —  Forme  de  la  Coutume,  147. 

Croix.  —  Son  adoration,  5S5. 

Crampon  (l'abbé).  —  Les  Quatre  Évangiles,  202. 

Curés. — Décision  de  la  S.  C  du  Concile  sur  le  Concours,  479.  V.  Amovibilité. 

Destombes  (l'abbé).  —  La  Persécutioyi  religieuse,  S29  ss. 

Église.  —  Examen  de  plusieurs  diffii'ullés  relatives  aux  églises  et  oratoires, 
268,  554. — De  la  Consécration  des  églises  e'  de  la  fête  de  la  Dédicace,  548. 

Enfer.  —  De  la  Manière  de  prêcher  sur  l'Enfer,  450  ss.  —  Danger  de  l'exa- 
gération, 431  ;  —  de  la  diminution,  452.  —  Feu  métaphorique,  455.  — 
Mitigaiion  des  peines  de  l'Enfer,  436. 

Exemption  (r)  des  Réguliers  et  le  Clergé  de  France,  17  ss.  —  L'exeinplion 
est  bien  plus  le  droit  du  Souverain-Poniifc  que  le  privilège  des  religieux,  18, 

—  L'Ancien  Clergé  de  France  n'a  pas  eu,  louchant  l'exemption,  nne  autre 
doctrine,  52.  —  Aujourd'hui  comme  autrefois  l'exemption  des  Réi;uliers  doit 
être  reconnue,  58.  —  Conditions  indispensables  pour  qu'une  Communauté 
puisse  revendiquer  le  bénéfice  de  l'exemption,  40.  —  L'exemption  des  Ré- 
guliers n'amène  aucun  inconvénient  sérieux  soit  pour  la  discipline  religieuse, 
soit  pour  l'administration  épiscopale,  ibid. 

Francs-maçons.  —  V.  Sociétés  secrètes. 

Fredault  (le  D').  —  Anthropologie,  261. 

Funérailles.  —  Des  Fonctions  funèbres,  195. 

Cali.ia  Christiana.  —  Réimpression,  :208. 

Gallicanisme.  —  Triple  gallicanisire,  497  ss.  —  Gallicanisme  parlementaire, 

."iOS. —  Gallicanisme  ihéologique,  506.  —  Gallicanisme  pratique,  516. 
Grades  théologiques  à  Montauban,  208. 
GoizoT.  —  L'Église  et  la  Société  chrétienne,  252. 
GuRY  (le  r.).  —  V.  Probabilisme. 

Habit  de  choeur-  —  Du  Rochet,  451,  —  Du  Surplis  et  de  sa  forme,  468. 
Imprimatur.  Sa  nécessité,  545. 
Index.  —  Livres  mis  à  l'index,  105,  405,  —  Circulaire  de  la  S.  G.  de  l'Index, 

565. 
Indulgekcbs.  — Décrets  de  la  S.  C.  des  Indulgences,  585. —  V.  Portioncule, 

Maurel. 
KiNGSLET  (le  D').  —  V.  Angleterre. 
Labis.  —  Ecclesiœ  catholicœ  demonstratio,  493. 

LÉGISLATION   mosaïque.    —  V.    MoïsC. 

Litanies  diverses,  manière  de  les  réciter,  leur  usage  public  et  privé,  550. 
Liturgie.  —  La  Question  liturgique  dans  l'ordre  de  Cileaux,  209.  —  Origines 


TAIUK    ALPHARÉTIQIII'.  (^/|7 

et  (lisposilion  de  la  Liturgie  cistercienne,  ibid.  —  Réformes  diverses  au 
XVIle  siècle,  218.  —  Le  Bréviaire  de  Paul  V  est  seul  logiliine,  ^25.  — 
Questions  liturgiques, 549.  —  V.  Autel.  Chant,  Croix,  Église,  Funirailles, 
Habit  de  chœur,  Ordo,  Lilanies,  Préséance. 

LouvAiN.  —  Lettre  aux  évèqucs  de  Belgique  sur  certaines  doctrines  ensei- 
gnées à  Louvain,  568. 

Malet.  —  La  Paroisse  d'après  les  saints  Canons,  104. 

Manninc.  —  La  Confession  ou  l'Amour  de  Jésus  pour  les  pénitents,  tra- 
duit par  L.  Pallard,  191. 

Mariage.  —  Déeisiou  de  la  S.  C.  du  Concile  conoernant  le  rapt,  473. 
Maurel  (le   P.).  —  Guide  pratique   de  la    Liturgie  romaine,    104.  —  Le 
Chrétien  éclairé  sur  la  nature  et  l'usaje  des  indulgences,  ibid. 

MiGNE  (l'abhé).  —  V.  Patrohgie. 

Moïse.  —Sa  Législation,  .^  ss.,  105  ss.,  240  ss.,  505  ss.,  405  ss.  (V.  la 
table  du  t.  IX).  —  Le  31osaï'.;me  n'est  pas  le  développement  des  institutions 
patriarcales,  6  ss.,  105  ss.  —  Il  n'est  pas  le  produit  du  polythéisme  épuré, 
122  ss.  —  État  du  peujile  juif  au  moment  de  la  ]iromulgaiion  de  la  loi 
mosaïque,  240.  —  Éducation  et  mission  de  Moïse,  241.  —  Le  Décalogue, 
2S1.  —  Tableau  succinct  des  institutions  religieuses  de  Moïse,  50^.  —  Insti- 
tutions sociales,  401.  —  Institutions  politiques,  411.  —  Conclusion,  412. 

NEWMANde  R.  P.)  — V.  Angleterre. 

Option  des  bénéfices,  —  Décision,  556. 

Oratoires.  —  V.  Église. 

Ordo.  —  Questions  diverses  sur  l'Oj-do,  219,  554. 

Ordre  surnaturel.  —  Compte-rendu  d'un  ouvrage  sur  l'Ordre  surnaturel, 
par  le  P.  Schrader  S.  J.,  65  ss.  —  Ordre  logique,  Ordre  ontologique,  ibid. 
—  Distinction  logique  entre  l'Ordre  naturel  et  l'Ordre  surnaturel,  69.  — 
Kéalité  de  cette  distinction,  70.  —  Du  préicrnaturel,  73. 

Patrologie.  —  Un  Mot  sur  la  Patrologie  de  M.  l'abbé  Migne,  304. 

Pelletier  (l'abbé  V.).  —  Des  Chapitres  cathédraux  en  France  devant  l'É- 
glise et  devant  l'État,  104.  —  Compte-rendu  de  cet  ouvrage,  184. 

Péronne,  — Memoriale  prccdicatorum,  etc.,  206. 

Petau  (le  P.).  —  Drjonisii  Petavii  opus  de  Theologicis  doginatibus ,  a  J.-D. 
Thomas,  in  Seminario  Virdunensi  Th.  Prof,  recognitum  cl  annotatum,' 
t.  I,  98. 

Philosophie.  — La  Matière  et  la  Forme,  260  ss.,  357  ss.  —  Exposition  de 
cette  théorie,  263.  —  Expli"cation  de  la  composition  des  coriis  d'après  les 
philosoplies  catholiques,  337.  —  Conclusion,  545. 

Pie  (Mgr).  —  Instructions  synodales  sur  les  principales  erreurs  du  temps 
présent,  208.  —  Compte-rendu,  301. 

Pierret  (rai)bé).  —  Manuel  d'archéologie  pratique,  575. 

PoRTiONCULK  'Indulgeuco  de  la),  97. 

Prédication.  —  V.  Enfer. 

Préséance.  —  De  ia  Préséance  dans  le  clergé  d'après  les  lois  canoniques, 
521  ss.  —  Règles  générales,  ibid.  —  Règles  spéciales,  525. 

Probabilisme  (Casus  conscientix  aucl.  J.  P.  Gurij),   l.'iS  ss.  —  Historique 


6^8  TABLE    ALPHABÉTIQUE. 

ilu  Probabilisme,  ibid.  »—  Qu'est-ce  que  le  Probabilisme  ?  162.  —  Compa- 
raison du  Probabilisme  et  du  Probabiliorisme,  164.  —  Fondement  du  Pro- 
babilisme, 166.  —  De  l'Assemblée  du  clergé   de   France  de  1700,  167.  — 

Réfutation  des  motifs  présentés  par  Bossuet  contre  le  Probabilisme,  172.  

État  actuel  de  la  Question,  176, 

PoRGATOiuE.  —  Archiconfrérie  de  l'Assomption  de  N.-D.  pour  le  soulagement 
des  âmes  du  Purgatoire,  589. 

Réguliers.  —  V.  Exemption. 

RiANCEY  (H.  et  Ch.  de).  —  Histoire  du  Monde,  496. 

RoHRBACHEK. —  Histoîre  ecclésiastique,  571. 

Rosaires.  —  Leur  bénédiction,  585. 

RouAED  DE  Cabd  (le  R.  P.).  —  L'Ordre  des  Frères- Prêcheurs    et  l'Imma- 
culée Conception  de  la  Très-sainte  Vierge,  205. 

Rua  (l'abbé).  —  Cours  de  Conférences  sur  la  Religion,  100. 

Saint-Sacrement.  —  Huile  qu'on  doit  brûler  devant  le  Sainl-Sacremeni,  587. 

ScHRADEii.  —  V.  Ordre  surnaturel. 

Sépulture.  —  Du  Refus  de  sépulture  prononcé  contre  les  suicidés,  75. 

Sociétés  secrètes.  —  Règles  de  conduite  pour  les  confesseurs,  443. 

Soutane.  —  Sa  forme  pour  les  simples  prêtres,  549. 

Statues  voilées  au  temps  de  la  Passion,  552. 

Surnaturel.   —  Examen  de  quelques  erreurs  contemporaines  sur  le  surnatu- 
rel, 252. 

Théologie.  —  V.  Catacombes. 

Thomassin.  —  Dogmala  theologica,    495.  —  Ancienne  et  nouvelle  Disci- 
pline de  l'Église,  ibid. 

Tonciorgi  (le  P.).  —  Sa  Philosophie,  89.  —  V.  Philosophie. 

Van  der  Burcu.  —  Brevis  elucidalio  totius  7nissce,  576. 

ViLLEcouRT  (le  Cal).  —   Yte  et  Institut  de  saint  Alphonse- Marie  de  Li- 
guori,  495. 


Errata  du  tome  X. 

Page  234,  ligne  18,  au  lieu  de  :  s'il  est  en  Dieu  quelque  chose  que  je  ne  puis 
naturellement  connaître,  lisez  :  que  je  puis  naturellement  connaître. 
Pag.  418,  lig.  5,  bas  :  des   peuples,  Usa  :  de  peuples. 


-     4-20,  -  6, 

il  s'est  laissé 

— 

et  s'est. 

-    ibid.,—  7, 

; 

— 

> 

—    425,  —  7, 

séparait 

— 

séparerait. 

—     ibid-,—  7,  bas 

par  les 

— 

avec  les. 

—    424,  —  20, 

fondation 

— 

fortuatiou. 

—     428,  —  6,  bas 

éclatante 

éclatant. 

Arras. — Typ.  Rousseau-Leroy,  rue  Saint-Maurice  26. 


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