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R E E s
EEVÜE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
PREMIÈRE AVimÉlWi
1 OOS
avec 26 planches bors texte
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RÜB ICAZARINB, 68
1908
JUN 6 1924 Q M
EEVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
li« 1 I SOMMAIRE
pages
J. G. P&AZBR : St George and the Parilia 1
Maurice Dblafossb : Le peuple Siena ou Senoufo 16
Charles Borsux : Les poteries décorées de l'Egypte prédy-
nasüque. . / 33
Analyses : J. B. Pratt, The psychology of religious belief^
(GoBLBT d'Alvihlla) ; Koch-Grünbbrg, Südamerika'
nisehe Felszeichnungen (A. van Gbnmbp) ; G. Jacob,
Geschichte des Schattentheaters {id.)
53
Nouées bibliographiques 59
Sommaires des Revues 61
Chronique 63
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RUB MAZARINE, 68
Janvier 1908
PROGRAMME
de la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques.
Intematloiiale. MensoeUe.
Le titre de cette nouTelle Revae en indique assez le but, à la fois descriptif
et théorique. Les matières seront réparties suivant quatre rubriques : 1^ Mémoires
et articles de fond ; 2*» Descriptions d'objets, courtes communications, correspon-
dance ; 3^ Bibliographie ; 4® Renseignements concernant les personnes, les institu-
tions, les congrès, etc.
Par sociologie, nous entendons Tétude de la vie en société des hommes de tous^
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de leur ciyilisation matérielle. Le champ de la Revae est donc vaste. L'on y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé, la science
des religions, l'histoire de l'art, etc., et l'on y fera appel aux brauches spéciales
comme régyptologie, Tassyriologie, Torientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, ou étude aoatomique des variétés humaines, ne rentrera dans notre cadre que
dflJis la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déterminées et leurs civilisations : il en sera de même pour la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer révolution des institutions et des
idées. Il se dessine d'ailleurs, ces temps derniers, une direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la ReTue des Étades Btlmographiqaes et Sodologique»
compte collaborer effectivement.
D'une manière générale, la première rubrique sera consacrée de préférence aux
travaux traitant des influences qu'ont exercées les unes sur les autres les diverses
civUisations, à des tableaux de cycles culturels déterminés, à des essais de classi-
fication des phénomènes sociaux et à des études comparées ou monographiques.
La deuxième rubrique intéressera, nous l'espérons, les conservateurs des musées
Srovinciaux de France : il existe, dans un très grand nombre de villes de province,
es collections ethnographiques, dont quelques-unes fondées dès le XVIU* siècle
renferment des objets rares, parfois même devenus introuvables. Souvent les fonds
manquent pour la confection de catalogues complets et la Revae offrira l'occasion
de constituer ces catalogues peu à peu. Des richesses demeurent encore ignorées
que nous désirerions contribuer à faire connaître au monde savant.
Mous suivrons, entre autres, d'aussi près que possible le mouvement scientifique
en pays slaves, les travaux russes, polonais, tchèques, ruthènes, bulgares, etc.
manquant d'un organe français qui les mette en valeur comme ils le méritent. De
même, nous rendrons compte avec soin des travaux hongrois, roumains, grecs, etc.
Nous attribuerons une grande importance à la rubrique Bibliographie, qui com-
prendra des analyses critiques, de courts compte-rendus, les sommaires des revues
et des collections^
A la Revue sera annexée une Collection d'Études* Ethnographiques et
Sociologiques : monographies descriptives illustrées, documents inédits, études
d'ensemble, etc.
La langue de la Revue sera de préférence le fraiiçais ; mais l'anglais, l'alle-
mand et l'italien y seront également admis. Les honoraires seront de 1 fir. 25 =
1 mk = 1 sh, la page, les illustrations comptant comme texte. Les auteurs auront
droit à 25 tirages à part pour les Mémoires et Articles et à 10 pour les Communi-
cations, Descriptions d'objets, etc.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres^
Clamart, près Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur^ 68, Rue Mazarine, Paris (VI*), au
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques.
PRIX DE L'ABONNEMENT
France : 20 frs. Etranger : 22 frs.
Abonnement de luxe^pour donateurs ^ avec planches sur papier spécial : 150 /r.
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [P. 1^
ST. GEORGE AND THE PARILIA *.
by J. 6. Frazbb (Cambridge).
In the course of the preceding investigation we found reason to assume that
the old Latin kings, like their brethren in many parts of the world, were charged
with certain religious duties or magical functions, amongst which the maintenance
of the fertility of the earth held a principal place. By this I do not mean that
they had to see to it only that the rain fell, and that the corn grew and trees put
forth their fruit in due season. In those early days it is probable that the Italians
were quite as much a pastoral as an agricultural people, or, in other words, that
they depended for their subsistence no less on their flocks and herds than on their
fields and orchards. To provide their cattle with grass and water, to ensure their
fecundity and the abundance of their milk, and to guard them from the depreda-
tions of wild beasts, would be objects of the first importance with the shepherds
and herdsmen who, according to tradition, founded Rome ; ^ and the king, as the
representative or embodiment of the deity, would be expected to do his part
towards procuring these blessings for his people by the performance of sacred
rites. The Greeks of the Homeric age thought that the reign of a good king not
only made the land to bear wheat and barley, but also caused the flocks to multiply
and the sea to yield fish.'
In this connection, accordingly, it can be no mere accident that Rome is said
to have been founded and the pious king Numa to have been born on the twenty-
first of April, the day of the great shepherds' festival of the Parilia.' It is very
unlikely that the real day either of the foundation of the city or of Numa's birth
should have been remembered, even if we suppose Numa to have been an histori-
cal personage rather than a mythical type ; it is far more probable that both events
were arbitrarily assigned to this date by the speculative antiquaries of a later age
♦ Cet article est tiré, avec la permission de Messieurs Macmillan et Cie. de la troisième
édition sous presse du Golden Bough du même auteur.
1 See Varro, De re rustica, ii. 1. 9 sq, « Romanorum veropopulum apastoribus esse
ortum guis non dicit f n etc. Amongst other arguments in favour of this view Varro refei'S
to the Roman names derived from cattle, both large and small, such as Porciics, « pig-
man >», Omnvus^ « sheep-man, n Caprilius, « goat-man, » Equitius\ •• horse-man, » Tauriu^y
« bull- man, » and so forth. On the importance of cattle and milk among the ancient Aryans
see O. Schrader, Beallexihon der Indogermanischen Altertumskunde^ pp. 541 s^., 689
sqq.^ 913 sqq.
« Homer, Od., XIX. 109-114.
* As to the foundation of Rome on this date see Varro, Be re rustica, ii. 1. 9 ; Cicero,
De divinatione, ii. 47. 98 ; Festus, s. v. « Parilibus, n p. 236, ed. C. 0. Müller ; Pliny, Nat.
Bist, xviii. 247 ; Propertius, v. 4. 73 sq. ; Ovid, Fasti, iv. 801-806 ; id., Metam. xiv. 774 sq. ;
Velleius Paterculus, i. 8. 4 ; Eutropius, i. 1 ; Solinus, i. 18 ; Censorinus, De die natali, xxi.
6 ; Probus on Virgil, Qeorg. iii. 1 ; Schol. Veronens. on Virgil. /. c. : Dionysius Hallcarnas.
Ant. Rom. i. 88 ; Plutarch, Romuliis, 12 ; Dio Cassius, xliii. 42 ; Zonaras, Annals, vii. 3 ;
Joannes Lydus, De mensibus, i. 14, iv. 50. As to the birth of Numa, see Plutarch, Numa, 3.
The festival is variously called Parilia and Palilia by ancient writers, but the form Parilia
«eems to be the better attested of the two. See G. Wissowa, s. v. « Pales, n Roscher's
Lexikon der griech. und röm. Mythologie, iii. 1278.
J>. 2.] . R . E • E • S • [1908.
on the ground of some assumed fitness or propriety. In what did this fitness or
propriety consist ? The belief that the first Bomans were shepherds and herdsmen
would be reason enough for supposing that Rome was founded on the day of the
shepherds* festival, or even that the festival was instituted to commemorate the
event.^ But why should Numa be thought to have been born on that day of all
days ? Perhaps it was because the old sacred kings, of whom he was the model,
had to play an important part in the ceremonies of the day. The birthdays of
the gods were celebrated by festivals ; the kings were divine or semi-divine ; it
would be natural, therefore, that their birthdays should be identified with high
feasts and holidays. Whether this was so or not, the festival of the Parilia presents
so many points of resemblance to some of the popular customs discussed in these
volumes that a brief examination of it may not be inappropriate in this place.'
The spring festival of the twenty-first of April, known as the birthday of
Rome,^ was deemed second in importance to none in the calendar.^ It was held
by shepherds and herdsmen for the welfare and increase of their flocks and herds.^
The pastoral deity to whom they paid their devotions was Pales, as to whose sex
the ancients themselves were not at one. In later times they commonly spoke of
her as a goddess ; but Varro regarded Pales as masculine,^ and we may follow bis
high authority. The day was celebrated with similar rites both in the town and
the country, but in its origin it must have been a strictly rural festival. Indeed,
it could hardly be carried out in full except among the sheepfolds and cattle-pens.
At some time of the day, probably in the morning, the people repaired to the
temple of Vesta, where they received from the Vestal Virgins ashes, blood, and
bean-straw to be used in fumigating themselves, and probably their beasts. The
ashes were those of the unborn calves which had been torn from their mothers'
wombs on the fifteenth of April ; the blood was that which had dripped from the
tail of a horse sacrificed in October.''' Both were probably supposed to exercise a
fertilising as well as a cleansing influence on the people and on the cattle ; for
apparently one effect of the ceremonies, in the popular opinion, was to quicken the
wombs of women no less than of cows and ewes.^ At break of day the shepherd
purified his sheep, after sprinkling and sweeping the ground. The fold was
1 Dionysius of Halicamassus (Ant Rom. i. 88) hesitates between these two views. With,
truer historical insight Plutarch (Romultùs^ 12) holds that the rustic festival was older
than the foundation of Home.
* For modern discussions of the Parilia, see L. Preller, Römische Mythologie,^ i. 4ia
sqq. ; J. Marquardt, Römische Staatsverwaltung, iü.* 207 sq. ; W. Mannhardt, Antike
Wald' und Feldkulte, pp. 309-317 ; W. Warde Fowler, Roman Festivals, pp. 79-85 ; G. Wis-
sowa, *. V, « Pales, » Roscher's Lexikon der griech. u. röm. Mythologie, iii. coli. 1276-
1280 ; id., Religion und Cultus der Römer, p. 165 sq.
3 Cicero, De divinatione, ii. 47. 98 ; Ovid, Fasti, iv. 8C6 ; Calendar of Philocalus, quoted
by W. Warde Fowler, op. cit. p. 79 ; Probus on Virgil, Georg, iii. 1 ; Plutarch, Romulu^^
12 ; Zonaras, Annals, vii. 3.
* Dionysius Halicarn. Ant. Rom. i. 88.
5 Festus, s. r. « Pales, n p. 222, éd. C. 0. Müller ; Dionysius Halic. l. c.
® Servius on Virgil, Georg, iii. 1. See also Amobius, Adversu^ Nationes, iii. 40 ; Martia-
nus Capella, i. 50.
7 Ovid. Fasti, iv. 637-640, 731-734 ; Propertius, v. 1. 19 sq.
« Tibullus, ii. 5. 91 sq. —
« Et fetus matrona dabit, natusque parenti
Oscula comprensis aurions eripiet. n
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [P. 3.
decked with leafy boughs, and a great wreath was hung on the door.* The purifi-
cation of the flocks apparently consisted in driving them over burning heaps of
grass, pine-wood, laurel, and branches of the male olive-tree.* Certainly at some
time of the day the sheep were compelled to scamper over a fire." Moreover, the
bleating flocks were touched with burning sulphur and fumigated with its blue
«moke.^ Then the shepherd offered to Pales baskets of millet, cakes of millet, and
pails of warm milk. Next he prayed to the god that he would guard the fold from
the evil powers, including probably witchcraft ;^ that the flocks, the men, and the
dogs might be hale and free from disease ; that the sheep might not fall a prey to
wolves ; that grass and leaves might abound ; that water might be plentiful ; that
the udders of the dams might be full of milk ; that the rams might be lusty, and
the ewes prolific ; that many lambs might be born ; and that there might be much
wool at shearing.^ This prayer the shepherd had to repeat four times, looking to
the east ; then he washed his hands in the morning dew. After that he drank a
bowl of milk and wine, and, warmed with the liquor, leaped over burning heaps
of crackling straw. This practice of jumping over a straw fire would seem to have
been a principal part of the ceremonies : at least it struck the ancients themselves,
for they often refer to it.^
The shepherd's prayer at the Pariiia is instructive, because it gives us in short
a view of the chief wants of the pastoral life. The supplication for grass and
leaves and water reminds us that the herdsman no less than the husbandman
depends ultimately on vegetation and rain ; so that the same divine powers which
cover the fields of the one with yellow corn may be conceived to carpet the mea-
dows of the other with green grass, and to diversify them with pools and rivers for
the refreshment of the thirsty cattle. And it is to be borne in mind that in coun-
tries where grass is less plentiful than under the soft skies of northern Europe,
sheep, goats, and cattle still subsist in great measure on the leaves and juicy twigs
of trees.^ Hence in these lands the pious shepherd and goatherd cannot afford to
ignore or to offend the tree-spirits, on whose favour and bounty his flocks are
* Ovid, Fasti^ iv. 735-738. In his account of the festival Ovid mentions only shepherds
and sheep ; but since Pales was a god of cattle as well as of sheep (Arnobius, Adverstis
Naiiones, iii. 23), we may suppose that hei'ds and herdsmen equally participated in it.
Dionysius (I. c.) speaks of fouiiooted beasts in general.
« So Mr. W. Warde Fowler understands Ovid, FasH, iv. 735-742.
3 Ovid, Fasti, iv. 805 sq,
^ Ovid. Fastij iv. 739 sq.
5 Ovid, Fasiiy iv. 747 *g.—
« Consule, die, pecori pariter pecorisqite magistris :
Effugiat staJbulis noxa repulsa meis. »
With this sense of noxa compare id, vi. 129 sg., where it is said that buckthorn or haw-
thorn « tristes pellere posset a foribus noxas. »
* Ovid, Fasti, iv. 763-774. The prayer that the wolves may be kept far from the fold is
mentioned also by TibuUus (ii. 5. 88).
^ Ovid, Fasti, iv. 779-782 ; Tibullus, ii. 5. 89 sq. ; Propertius, v. U 19, v. 4. 77 sq. ; Persius,
i. 72 ; Probus on Virgil, Oeorg. iii. 1.
8 1 owe this observation to F. A. Paley, on Ovid. Fasti, iv. 754. He refers to Virgil,
Oeorg. ii. 435. Eel. i. 30 ; Theocritus, xi. 73 sq. ; to which may be added Virgil, Georg, iii.
300 sq., 320 sq. ; Horace, Epist. 1. 14. 28 ; Colimiella, De re ncstiea, vii. 3. 21, xi. 2. 83 and
99-101 ; Cato, De re rustiea, 30. From these passages of Cato and Columella we learn
that the Italian farmer fed his cattle on the leaves of the elm, the ash, the poplar, the oak,
the evei^green oak, the fig, and the laurel.
p. 4.] • R • E • E • S • [1908.
dependent for much of their fodder. Indeed, at the Parilia the shepherd made
elaborate excuses to these divine beings for any trespass he might unwittingly
have committed on their hallowed domain by entering a sacred grove, sitting in the
shadow of a holy tree, or lopping leafy branches from it with which to feed a
sickly sheep.^ In like manner he craved pardon of the wateroymphs, if the hoofe
of his cattle had stirred up the mud in their clear pools ; and he implored Pales
to intercede for him with the divinities of springs « and the gods dispersed through
every woodland glade. »*
The Parilia was generally considered to be the best time for coupling the
rams and the ewes ; ' and it has been suggested that it was also the season when
the flocks and herds, after being folded and stalled throughout the winter, were
turned out for the first time to pasture in spring.^ The occasion is an anxious
one for the shepherd, especially in countries which are infested with wolves, as
ancient Italy was.^ Accordingly the Italian shepherd propitiated Pales with a
slaughtered victim before he drove his flocks afield in spring ; ® but it is doubtful
whether this sacrifice formed part of the Parilia. None of the ancient authors
who expressly describe the Parilia mention the slaughter of a victim ; and in
Plutarch's day a tradition ran that of old no blood was shed at the festival.^ But
such a tradition seems to point to a contrary practice in after times. In the
absence of decisive evidence the question must be left open ; but modern analogy^
as we shall see, strongly supports the opinion that immediately at the close of the
Parilia the flocks and herds were driven out to graze in the open pastures for the
first time after their long winter confinement. On this view a special significance
is seen to attach to some of the features of the festival, such as the prayer for
protection against the wolf ; for the brute could hardly do the sheep and kine
much harm so long as they were safely pent within the walls of the sheepcote and
the cattle-stall.
As the Parilia is said to have been celebrated by Romulus, who sacrificed to
the gods and caused the people to purify themselves by leaping over flames,^ some
scholars have inferred that it was customary for the king, and afterwards for his
successor, the chief pontiff, or the King of the Sacred Rites, to offer sacrifices for
the people at the Parilia.^ The inference is reasonable and receives some confir-
mation, as we shall see presently, from the analogy of modern custom. Further,
the tradition that Numa was born on the day of the Parilia may be thought to
point in the same way, 'since it is most naturally explicable on the hypothesis that
the king had to discharge some important function at the festival. Still, it must
be confessed that the positive evidence for connecting the Roman kings with the
celebration of the twenty-first of April is slight and dubious.
On the whole the festival of the Parilia, which probably fell at or near the
1 Ovid, Fasti, iv. 749-754.
« Ovid, Fasti, iv. 757-760.
8 Columella, De re rtistica, vii. 3-11.
* The suggestion was made by C. G. Heyne in his commentary on Tibullus, ii. 5. 88.
^ 0. Keller, Thiere des classischen Alterthums (Innsbruck, 1887), pp. 158 sqq.
® Calpurnius, BucoL v. 16-28.
^ Plutarch, Romuliis, 12.
* Dionysius Halicam. Ant, Rom. 1. 88.
» This is the view of J. Marquardt {Römiscfie Staatsverwaltung^ iii.* 207), and Mr. W-
Warde Fowler {Roman Festivals, p. 83, note 1).
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [p, 5,
time of taming out the cattle to pasture iu spring, was designed to ensure their
welfare and increase, and to guard them from the insidious machinations or the
open attacks of their various enemies, among whom witches and wolves were
perhaps the most dreaded.
Now it can hardly be a mere coincidence that down to modern times a great
popular festival of this sort has been celebrated only two days later by the herds-
men and shepherds of eastern Europe, who still cherish a profound belief in witch-
craft, and still fear, with far better reason, the raids of wolves on their flocks and
herds. The festival falls on the twenty-third of April and is dedicated to
St. George, the patron saint of cattle, horses, and wolves. The Esthonians say
that on St. George's morning the wolf gets a ring round his snout and a halter about
his neck, whereby he is rendered less dangerous till Michaelmas. But if the day
should chance to be a Friday at full moon, or if before the day came round any
person should have been so rash as to thump the dirty linen in the wash-tub with
two beetles, the cattle will run a serious risk of being devoured by wolves. Many
are the precautions taken by the anxious Esthonians on this day to guard their
herds from the ravening beasts. Thus some people gather wolfs dung on the
preceding night, burn it, and fumigate the cattle with it in the morning. Or they
collect bones from the pastures and burn them at a cross-road, which serves as a
charm against sickness, sorcery, and demons quite as well as against wolves.
Others smoke the cattle with asa faetida or sulphur to protect them against witch-
craft and noxious exhalations. They think, too, that if you sew stitches on
St. George's morning the cubs of the wolves will be blind, no doubt because their
eyes are sewed up by the needle and thread. In order to forecast the fate of their
herds they lay eggs or a sharp weapon, such as an axe or a scythe, before the
doors of the stalls, and the animal which crushes an egg or wounds itself will
surely be rent by a wolf or will perish in some other fashion before the year is out.
So certain is its fate that many a man prefers to slaughter the doomed beast out of
hand for the sake of saving at least the beef.
As a rule the Esthonians drive their cattle out to pasture for the first time on
St. George's Day, and the herdsman's duties begin from then. If, however, the
herds should have been sent out to graze before that day, the boys who look after
them must eat neither flesh nor butter while they are on duty ; else the wolves
will destroy many sheep, and the cream will not turn to butter in the chum.
Further, the boys may not kindle a fire in the wood, or the wolfs tooth would be
fiery and he would bite viciously. By St. George's Day, the twenty-third of April,
there is commonly fresh grass in the meadows. But even if the spring should be
late and the cattle should have to return to their stalls hungrier than they went
forth, many Esthonian farmers insist on turning out the poor beasts on St. George's
Day in order that the saint may guard them against his creatures the wolves. On
this morning the farmer treats the herdsman to a dram of brandy, and gives him
two copper kopecks as « tail-money » for every cow in the herd. This money the
giver first passes thrice round his head and then lays it on the dunghill ; for if the
herdsman took it from his hand, it would in some way injure the herd. Were this
ceremony omitted, the wolves would prove very destructive, because they had not
been appeased on St. George's Day. After receiving the « tail-money n some
herdsmen are wont to collect the herd on the village common. Here they set up
their crook in the ground, place their hat on it, and walk thrice roand the cattle,
muttering spells or the Lord's Prayer as they do so. The pastoral crook should
p. 6.] • R • E • E • S • [1908.
be cut from the rowan or mountain-ash and consecrated by a wise man, who carves
mystic signs on it. Sometimes the upper end of the crook is hollowed out and
filled with quicksilver and asa fodida^ the aperture being stopped up with resin»
Some Esthonians cut a cross with a scythe under the door through which the herd
is to be driven, and fill the furrows of the cross with salt to prevent certain evil
beings from harming the cattle. Further, it is an almost universal custom in
Esthonia not to hang bells on the necks of the kine till St. George's Day ; the few
who can give a reason for the rule say that the chiming of the bells before that
season would attract the wild beasts.^
In the island of Dago down to the early part of the nineteenth century there
were certain holy trees from which no one dared to break a bough ; in spite of the
lack of wood in the island the fallen branches were allowed to rot in heaps on the
ground. Under such trees the Esthonians used to offer sacrifices on St. George's
Day for the safety and welfare of their horses. The offerings, which consisted of an
egg, a piece of money, and a bunch of horse-hair tied up with a red thread, were
buried in the earth.* The custom is interesting because it exhibits St. George in
the two-fold character of a patron of horçes and of trees. In the latter capacity
he has already met us more than once under the name of Green George.'
In Russia the saint is known as Yegory or Yury, and here, as in Esthonia, he
is a patron of wolves as well as of flocks and herds. Many legends speak of the
connection which exists between St. George and the wolf. In Little Russia the
beast is known as « St. George's Dog, » and the carcasses of sheep which wolves
have killed are not eaten, it being held that they have been made over by divine
command to the beasts of the field.^ The festival of St. George on the twenty-
third of April has a national as well as an ecclesiastical character in Russia, and
the mythical features of the songs which are devoted to the day prove that the
saint has supplanted some old Slavonian deity who used to be honoured at this
season in heathen times. It is not as a slayer of dragons and a champion of
forlorn damsels that St. George figures in these songs, but as a patron of farmers
and herdsmen who preserves cattle from harm, and on whose day accordingly the
flocks and herds are driven out to browse the fresh pastures for the first time after
their confinement through the long Russian winter. « What the wolf holds in ita
teeth, that Yegory has given, » is a proYerb which shows how completely he is
thought to rule over the fold and the stall. Here is one of the songs : —
We have gone around the field
We have called Yegory . . .
« 0 thou^ our brave Yegory^
Save our cattle^
In the field J and beyond the fields
In the foresty and beyond the forest^
Under the bright moon^
Ï Boecler-Kreutzwald, Ber Ehsten abergläubische Gebräuche, Weisen und Gevoohn-
heiten, pp. 82-84, 116-118; F. J. Wiedemann, Au^ dem inneren und äusseren Leben der
Ehsten, pp. 332, 356-361 ; Hoizmayer, « Osillana, n Verhandlungen der gelehrten Estni-
schen Gesellschaft zu Borpat, vii. (1872), p. 61.
* F. J. Wiedemann, op. cit, p. 413.
3 The Golden Bough, 2 d. ed., I. 209 sqq.
^ W. R. S. Ralston, Russian Folktales, pp. 344, 345,
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [P. 7.
Under the red sun^
From the rapaciow wolf^
From the cruel hear^
Frofn the cunning beast. »
A White-Russian song represents St. George as opening with golden keys, proba-
bly the sunbeams, the soil which has been frost-bound all the winter : —
Hohf Jury^ the divine envoy ^
Has gone to God^
And having taken the golden keys,
Has unlocked the moist earth.
Having scattered the clinging dew
Over White-Russia and aU the world.
In Moravia they « meet the Spring » with a song in which they ask Green
Thursday, that is, the day before Good Friday, what he has done with the keys,
and he answers : « I gave them to St. George. St. George arose and unlocked the
earth, so that the grass grew— the green grass. » In White-Russia it is customary
on St. George's Day to drive the cattle afield through the morning dew, and in
little-Russia and Bulgaria young folk go out early and roll themselves in it.' In
the Smolensk Government, when the herds are being sent out to graze on
St. George's Day, the following spell is uttered : —
« Deaf man, deaf man, dost thou hear us ? n
« I hear not. n
« God grant that the wolf may not hear our cattle ! »
« Cripple, cripple, canst thou catch us ? n
« / canfu>t catch, a
« God grant that the wolf may not catch our cattle ! n
« Blind man, blind man, dost thou see us ? v
« I see not »
« God grant that the wolf may not see our cattle ! »'
But in the opinion of the Russian peasant wolves are not the only foes of
cattle at this season. On the eve of St. George's Day, as well as on the night before
Whitsunday and on Midsummer Eve, witches go out naked in the dark and cut
chips from the doors and gates of farmyards. These they boil in a milk-pail, and
thus charm away the milk from the farms. Hence careful housewives examine
their doors and smear mud in any fresh gashes they may find in them, which
frustrates the knavish tricks of the milk-stealing witch. Not to be baffled, how«
ever, the witches climb the wooden crosses by the wayside and chip splinters from
them, or lay their hands on stray wooden wedges. These they stick into a post in
the cattle-shed and squeeze them with their hands till milk flows from them as
freely as from the dugs of a cow. At this time also wicked people turn themselves
by magic art into dogs and black cats, and in that disguise they sack the milk of
cows, mares, and ewes, while they slaughter the bulls, horses, and rams.'
^ W. R. S. Ralston, Songs of the Russian People, pp. 229-231.
> W. R. S. Ralston, op. cit., p. 389. French peasants of the Vosges Mountains believe
that St. George shuts the mouths of wild beasts and prevents them û*om attacking the
flocks which are placed under his protection (L. F. Sauvé» Le folk-lore [des Hautes- Vosges^
p. 127).
* W. R. S. Ralston, op. cit., p. 319 sq.
p. 8.] ' R * E ^ E > S • [1908.
The Ruthenians of Bukowina and Galicia believe that at midnight before
St. George's Day (the twenty-third of April) the witches come in bands of twelve
to the hills at the boundaries of the villages and dance there and play with fire.
Moreover, they cull on the mountains the herbs they need for their infernal
enchantments. Like the Esthonians and the Russians, the Ruthenians drive their
cattle out to pasture for the first time on St. George's Day ; hence during the pre-
ceding night the witches are very busy casting their spells on the cows ; and the
farmer is at great pains to defeat their fell purpose. With this intent many people
catch a snake, skin it, and fumigate the cows with the skin on the eve of the
saint's day. To rub the udders and horns of the cows with serpent's fat is equally
effective. Others strew meal about the animals, saying, « Not till thou hast
gathered up this meal, shalt thou take the milk from my cow So-and-so. n Fur-
ther, sods of turf, with thorn- branches stuck in them, are laid on the gate-posts ;
and crosses are painted with tar on the doors. These precautions keep the witches
from the cows. If, however, a beast should after all be bewitched, the farmer^s
wife drags a rope about in the dew on the morning of St. George's Day. Then she
chops it up small, mixes salt with it, and scatters the bits among the cow's fodder»
No sooner has the afflicted animal partaken of this compound than the spell is
broken.'
The Huzuls of the Carpathian Mountains believe that when a cow gives milk
tinged with blood, or no milk at all, a witch is at the bottom of it. Those male-
ficent beings play their pranks especially on the eve of St. George's Day and on
Midsummer Eve, but they are most dangerous at the former season, for on that
night they and the foul fiends hold their greatest gathering or sabbath. To steal
the cows' milk they resort to various devices. Sometimes they run about in the
shape of dogs and smell the cows' udders. Sometimes they rub the udders of their
own cows with milk taken from a neighbour's kine ; then their own cows yield
abundant milk, but the udders of the neighbour's cows shrivel up or give only
blood. Others again make a wooden cow on the spot where the real cows are
generally milked, taking care to stick into the ground the knife they used in
carving the image. Then the wooden cow yields the witch all the milk of the
cattle which are commonly milked there, while the owner of the beasts gets
nothing but blood from them.
Hence the Huzuls take steps to guard their cows from the machinations of
witches at this season. For this purpose they kindle a great fire before the house
on the eve of St. George's Day, using as fuel the dung which has accumulated
during the winter. Also they place on the gate-posts clods in which are stuck the
branches consecrated on Palm Sunday or boughs of the silver poplar, the wood of
which is deemed especially efficacious in banning fiends. Moreover, they make
crosses on the doors, sprinkle the cows with mud, and fumigate them with incense
or the skin of a snake. To tie red woollen threads round the necks or tails of the
animals is also a safeguard against witchcraft. And in June, when the snow has
melted and the cattle are led to the high mountain pastures, the herds have no
sooner reached their summer quarters than the herdsman makes « living fire » by
the friction of wood and drives the animals over the ashes in order to protect themt
against witches and other powers of evil. The fire thus kindled is kept constantly
^ R. F. Kaindl, << Zauberglaube bei den Rutenen in der Bukowina und Galizien, » Globus^
Ixi. (1892), p. 280.
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [P. 9.
burning in the herdsman's but till with the chilly days of autumn the time comes to
drive the herds down the mountains again. If the fire went out in the interval it
would be an ill omen for the owner of the pastures.^
In some parts of Silesia the might of the witches is believed to be at the
highest pitch on St. George's Day. The people deem the saint very powerful in
the matter of cattle-breeding and especially of horse-breeding. At the Polish
village of Ostroppa, not far from Gleiwitz, a sacrifice for horses used to be offered
at the little village church. It has been described by an eye-witness. Peasants
on horseback streamed to the spot from all the neighbouring villages^ not with the
staid and solemn pace of pilgrims, but with the noise and clatter of merrymakers
hastening to a revel. The sorry image of the saint, carved in wood and about an
ell high, stood in the churchyard on a table covered with a white cloth. It repre-
sented him seated on horseback and spearing the dragon. Beside it were two
vessels to receive offerings of money and eggs respectively. As each farmer gallo-
ped up, he dismounted, led his horse by the bridle, knelt before the image of the
saint, and prayed. After that he made his offering of money or eggs, according to
bis means, in the name of his horse. Then he led the beast round the church and
churchyard, tethered it, and went into the church to hear mass and a sermon.
Having thus paid his devotions to the saint, every man leaped into the saddle and
made for the nearest public-house as fast as his horse could lay legs to the ground.*
The Saxons of Transylvania think that on the eve of St. George's Day the
witches ride on the backs of the cows into the farmyard, if branches of wild rose-
bushes or other thorny shrubs are not stuck over the gate of the yard to keep
them out.' Beliefs and practices of this sort are shared by the Bounianians of
Transylvania. They hold that on St. George's Day the witches keep their sabbath
in sequestered spots, such as woodland glades, deserted farmsteadings, and the
like. In Walachia green sods are laid on the window-sills and on the lintels of
the doors to avert the uncanny crew. But in Transylvania the Roumanians, not
content with setting a thorn-bush in the doorway of the house, keep watch and
ward all night beside the cattle or elsewhere, to catch the witches who are at work
stealing the milk from the cows. Here, as elsewhere, the day is above all the
herdsman's festival. It marks the beginning of spring ; the shepherds are prepa-
ring to start for the distant pastures, and they iLsten with all their ears to some
wiseacre who tells them how, if the milk should fail in the udders of the sheep,
they have only to thrash the shepherd's pouch, and every stroke will fall on the
witch who is pumping the lost milk into her pails.^
The Walachians look on St. George's Day as very holy ; for they are mainly a
pastoral folk, and St. George is the patron of herds and herdsmen. On that day
also, as well as on the day before and the day after, the Walachian numbers his
herd, beginning at one and counting continuously up to the total. This he never
1 R. F. Kaindl, Die Huzulen, (Vienna, 1894), pp. 62 sq., 78, 88 sq. ; id., « Zauberglaube
bei den Huzulen, » Globus, Ixxvi. (1899), p. 233.
« F. Drechsler, Sitie, Brauch und Volksglaube in Schlesien, i. 106 sq. Tlie authority
quoted for the sacrifice is Tiede, Merkwürdigkeiten Schlesiens (1804), p. 123 sq. It is not
expressly said, but we may assume, that the sacrifice was offered on St. George's Day.
3 J. Haltrich, Zur Volkskunde der Siebenbürger Sachsen (Vienna, 1885), p. 281.
^ W. Schmidt, Las Jahr und seine Tage in Meinung und Brauch der Romanen Sieben-
bürgens (Hermannstadt, 1866), pp. 9, 11. It does not appear whether the shepherd's pouch
(« Hircentaschen ») in question is the real pouch or the plant of that name.
p. 10.] • R • E • E • s • [1908.
does at any other time of the year. On thia day, too, he milks his sheep for the
first time into yesseis which have been carefully scoured and are wreathed with
flowers. Then too a cake of white meal is baked in the shape of a ring, and is
rolled on the ground in sight of the herd ; and from the length of its course omens
are drawn as to the good or bad luck of the cattle in their summer pastures. If
the herd is owned by several men, they afterwards lay hold of the ring, and break
it among them, and the one who gets the largest piece will have the best luck.
The milk is made into a cheese which is divided ; and the pieces of the cake are
given to the shepherds. In like manner the wreaths of flowers which crowned the
pails are thrown into the water, and from the way in which they float down-stream
the shepherds presage good or evil fortune.*
The Bulgarians seem to share the belief that cattle are especially exposed to
the designs of witches at this season, for it is a rule with them not to give away
milk, butter, or cheese on the eve of St. George's Day ; to do so, they say, would
be to give away the profit of the milch kine.* They rise very early on the mor-
ning of this day, and wash themselves in the dew, that they may be healthy.* It
is said, too, that a regular sacrifice is still offered on St. George's Day in Bulgaria.
An old man kills a ram, while girls spread grass on which the blood is poured
forth. ^ The intention of the sacrifice may be to make the herbage grow abundantly
in the pastures. Amongts the South Slavs the twenty-third of April, St. George's
Day, is the chief festival of the spring. The herdsman thinks that if his cattle
are well on that day they will thrive throughout the year. He crowns the horns
of his cows with garlands of flowers to guard them agaiost witchcraft, and in the
evening the garlands are hung on the doors of the stalls, where they remain until
the next St. George's Day. Early in the morning of that day, when the herdsman
drives the cows from the byres, the housewife takes salt in one hand and a potsherd
with glowing coals in the other. She offers the salt to the cow, and the beast
must step over the smouldering coals, on which various kinds of roses are smoking.
This deprives the witches of all power to harm the cow. On the eve or the mor-
ning of the day old women cut thistles and fasten them to the doors and gates of
the farm ; and they make crosses with cow's dung on the doors of the byres to ward
off the witches. Many knock great nails into the doors, which is thought to be a
surer preventive even than thistles. In certain districts the people cut thistles
before sunrise and put some on each other's heads, some on the fences, the win-
dows, the doors, and some in the shape of wreaths round the necks of the cows, in
order that the witches may be powerless to harm man and beast, house and home-
stead, throughout the year. If, nevertheless, a witch should contrive to steal
through the garden fence and into the byre, it is all over with the cows. A good
housewife will also go round her house and cattle-stalls early in the morning of
the fateful day and sprinkle them with holy water. Another approved means of
driving the witches away is furnished by the froth which is shot from the spokes
of a revolving mill-wheel ; for common-sense tells us that just as the froth flies
from the wheel, so the witches will fly from our house, if only we apply the remedy
in the right way. And the right way is this. On the eve of St. George's Day you
^ A. and A. Schott, Walachische Maerchen, p. 299 iq.
^ A. Strausz, Die Bulgaren, p. 287.
^ A. Strausz, op. cit^ p. 337.
* W. R. S. Ralston, Songs of the Rtissian People, p. 230.
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [P. H,
must send a child to fetch froth from the mill, three stones from three cross-roads,
three twigs of a blackberry bush, three sprigs of beech, and three shoots of a wild
Tine. Then you insert the plants in a buttered roll, put the stones in the fire,
boil the froth, toast the buttered roll oyer the glowing stones, and speak these
words : « The blackberry twigs gather together, the beeches pull together, but the
foam from the wheel shakes all evil away. » Do this, and no. witch will then be
able to charm away the milk from your cows.^
Thus on the whole the festival of St. George at the present day, like the
Parilia of ancient Italy, is a ceremony intended to guard the cattle against their
real and their imaginary foes, the wolves and the witches, at the critical season
when the flocks and herds are driven out to pasture for the first time in spring.
Precautions of the same sort are naturally taken by the superstitious herdsman
whenever, the winter being over, he turns his herds out into the open for the first
time, whether it be on St. George's Day or not. Thus in Prussia and Lithuania,
when the momentous morning broke, the herd-boy ran from house to house in the
village, knocked at the windows, and cried : « Put out the fire, spin not, reel not,
but drive the cattle out ! » Meantime the herdsman had fetched sand from the
church, which he strewed on the road by which the beasts must go from the farm-
yard. At the same time he laid a woodcutter's axe in every doorway, with the
sharp edge outwards, over which the cows had to step. Then he walked in front
of them, speaking never a word, and paying no heed to the herd, which was kept
together by the herd-boys alone. His thoughts were occupied by higher things, for
he was busy making crosses, blessing the cattle, and murmuring prayers, till the
pastures were reached. The axe in the doorway signified that the wolf should flee
from the herd as from the sharp edge of the axe ; the sand from the church beto-
kened that the cattle should not disperse and wander in the meadows, but should
keep as close together as people in church.*
The first day in spring on which the cattle are turned out into the forest to
graze, for during the long and dreary northern winter they are confined almost
wholly to their stalls, has been from time immemorial a great popular festival in
Sweden. The time of its celebration depends more or less on the mildness or
severity of the season. For the most part it takes place about the middle of May.
On the preceding evening bonfires are kindled everywhere in the forest, because
so far as their flickering light extends the cattle will be safe from the attacks of
wild beasts throughout the summer. For the same reason people go about the
woods that night firing guns, blowing horns, and making all kinds of discordant
noises. The mode of celebrating the festival, which in some places is called the
feast of flowers, varies somewhat in different provinces. In Dalsland the cattle
are driven home that day from pasture at noon instead of at evening. Early in
the morning the herd-boy repairs with the herd to the forest, where he decks
their horns with wreaths of flowers and provides himself with a wand of the rowan
or mountain-ash. During his absence the girls pluck flowers, weave them into
a garland, and hang it on the gate through which the cattle must pass on their
return from the forest. When they come back, the herd-boy takes the garland
* F. S. Krauss, Volksglaube und religiöser Brauch der Südslaven^ pp. 125-127 ; id.,
Kroatien und Slavonien (Vienna, 1889), p. 105 sq,
* Tettau und Temme, Die Volkssagen Osipreussens, Litthauens und Westpreussens,
p. 263.
p. 12.] • R • E • E • S • [1908.
from the gate, fastens it to the top of his wand, and marches with it at the head
of his beasts to the hamlet. Afterwards the wand with the garland on it is set ap
on the muck-heap, where it remains all the summer. The intention of these
ceremonies is not reported, but on the analogy of the preceding customs we may
conjecture that both the flowers and the rowan- wand are supposed to guard the
cattle against witchcraft. A little later in the season, when the grass is well grown
in the forest, most of the cattle are sent away to the säter^ or summer pastures, of
which every hamlet commonly has one or more. These are clearings in the
woods, and may be many miles distant from the village. In Dalecarlia the depar-
ture usually takes place in the first week of June. It is a great event for the
pastoral folk. An instinctive longing seems to awaken both in the people and the
beasts. The preparations of the women are accompanied by the bleating of the
sheep and goats and the bellowing of the cattle, which make incessant efforts to
break through the pens near the house where they are shut up. Two or more
girls, according to the size of the herd, attend the cattle on their migration and
stay with them all the summer. Every animal as it goes forth, whether cow,
sheep, or goat, is marked on the brow with a cross by means of a tar-brush in
order to protect it against evil spirits. But more dangerous foes lie in wait for the
cattle in the distant pastures, where bears and wolves not uncommonly rush forth
on them from the woods. On such occasions the herd-girls often display the
utmost gallantry, belabouring the ferocious beasts with sticks, and risking their
own lives in defence of the herds.'
The foregoing customs, practised down to modern times by shepherds and
herdsmen with a full sense of their meaning, throw light on some features of the
Parilia which might otherwise remain obscure. They seem to show that when the
Italian shepherd hung green boughs on his folds, and garlands on his doors, he did
so in order to keep the witches from the ewes ; and that in fumigating his flocks
with sulphur and driving them over a fire of straw he intended to interpose a fiery
barrier between them and the powers of evil, whether these were conceived as
witches or mischievous spirits.
But St. George is more than a patron of cattle. The mummer who dresses
up in green bough on the saintes day and goes by the name of Green Geoi^e^
clearly personifies the saint himself, and such a disguise is appropriate only to a
spirit of trees or of vegetation in general. As if to make this quite clear, the
Slavs of Carinthia carry a tree decked with flowers in the procession in which
Green George figures ; and the ceremonies in which the leaf-clad masker takes a
part plainly indicate that he is thought to stand in intimate connection with rain
as well as with cattle. This counterpart of our Jack in the Green is known in
some parts of Russia« and the Slovenes call him Green George. Dressed in leaves
and flowers, he appears in public on St. George's Day carrying a lighted torch in
one hand and a pie in the other. Thus arrayed he goes out to the cornflelds,
followed by girls, who sing appropriate songs. A circle of brushwood is then
lighted, and the pie is set down in the middle of it. All who share in the cere-
mony sit down around the fire, and the pie is divided among them. The observance
has perhaps a bearing on the cattle as well as on the cornfields, for in some parts
^ L. Lloyd, Peasant Life in Sweden, pp. 246-251 ; A. Kuhn, Herabkunft des Fetters,
p. 163 sq.
« See The Golden Botigh^ I. 209 sqq.
1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. — -—^
of Russia when the herds go out to graze for the first time in spring a pie baked
in the form of a sheep is cat up by the chief herdsman, and the bits are kept as a
cure for the ills to which sheep are subject.^
Even when we have said that St. George of Eastern Europe represents an old
heathen deity of sheep, cattle, horses, wolves, vegetation, and rain, we have not
exhausted all the provinces over which he is supposed to bear sway. According
to an opinion which appears to be widely spread, he has the power of blessing
barren women with offspring. This belief is clearly at the root of the South
Slavonian custom, whereby a childless woman hopes to become a mother by
wearing a shirt which has hung all night on a fruitful tree on St. George's Eve.*
Similarly, a Bulgarian wife who desires to have a child will strike off a serpent's
head on St. George's Day, put a bean in its mouth, and lay the head in a hollow
tree or bury it in the earth at a spot so far from the village that the crowing of
the cocks cannot be heard there. If the bean buds, her wishes will be granted.^
It is natural to suppose that a saint who cau bestow offspring can also bring
fond lovers together. Hence among the Slavs, with whom St. George is so popular,
his day is one of the seasons at which youths and maidens resort to charms and
divination in order to win or discover the affections of the other sex. Thus, to
take examples, a Bohemian way of gaining a girl's love is as follows. You catch a
frog on St. George's Day, wrap it in a white cloth, and put it in an ant-hill after
sunset or about midnight. The creature quacks terribly while the ants are guawing
the flesh from his bones. When silence reigns again, you will find nothing left of
the frog but one little bone in the shape of a hook and another little bone in the
shape of a shovel. Take the hook-shaped bone, go to the girl of your choice, and
hook her dress with the bone, and she will fall over head and ears in love with
you. If you afterwards tire of her, you have only to touch her with the shovel-
shaped bone, and her affection will vanish as quickly as it came.^ Again, at
Ceklinj, in Grnagora, maidens go at break of day on St. George's morning to a well
to draw water, and look down into its dark depth till tears fill their eyes and they
fancy they see in the water the image of their future husband.^ At Krajina, in
Servia, girls who would pry into the book of fate gather flowers in the meadows on
the eve of St. George, make them up into nosegays, and give to the nosegays the
names of the various lads whose hearts they would win. Late at night they place
the flowers by stealth under the open sky, on the roof or elsewhere, and leave
them there till daybreak. The lad on whose nosegay most dew has fallen will love
the girl most truly throughout the year. Sometimes mischievous young men
secretly watch these doings, and steal the bunches of flowers, which makes sore
^ W. R. S. Ralston, Russian Folktales, p. 345.
* F. S. Krauss, Volksglaube und religiöser Brauch der Südslaven, p. 35.
^ A. Strausz, Die Bulgaren, pp. 337, 385 sq. There seems to be a special connection
between St. George and serpents. In Bohemia and Moravia it is thought that up to the
twenty-third of April serpents are innocuous, and only get their poison on the saint's day.
See J. V. Grohmann, Aberglauben und Gebräuche atùs Böhmen und Mähren^ §§ 326, 580,
pp. 51, 81 ; W. Müller, Beiträge zur Volkskunde der Deutschen in Mähren, p. 323. Various
other charms are effected by means of serpents on this day. Thus if you tear out the tongue
of a live snake on St. George's Day, put it in a ball of wax, and lay the ball under your
tongue, you will be able to talk down anybody. See J. V. Grohmann, op, cit., §§ 576, 1169,
pp. 81, 166.
* J. V. Grohmann, op. cit., § 1463, p. 210.
5 F. S. Krauss, Sitte und Brauch der Südslaven, p. 175.
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hearts among the girls.^ Once more, in wooded districts of Bohemia a Czech
maiden will sometimes go out on St. George's Eye into an oak or beech forest and
catch a young wild pigeon. It may be a ring-dove or a wood-pigeon, but it must
always be a male. She takes the bird home with her, and covers it with a sieve
or shuts it up in a box that nobody may know what she is about. Having kept
and fed it till it can fly, she rises very early in the morning, while the household
is still asleep, and goes with the dove to the hearth. Here she presses the bird
thrice to her bare breast, above her heart, and then lets it fly away up the chimneyi
while she says : —
« Out of the chimney J dove^
^Vi fly f^o^ *«"«•
Take me^ dear Hans, my hve^
None^ none so dear.
Fly to your rocks, fair dove,
Fly to your lea.
So may I get, mv love,
None, none out thee. »*
In the East, also, St. George is reputed to be a giver of offspring to barren
women, and in this character he is revered by Moslems as well as Christians. His
shrines may be found in all parts of Syria ; more places are associated with him
than with any other saint in the calendar. The most famous of his sanctuaries is
at Kalat el Hosn, in Northern Syria. Childless women of all sects resort to it in
order that the saint may remove their reproach. Some people shrug their shoul-
ders when the shrine is mentioned in this connection. Yet many Mohammedan
women who desired offspring used to repair to it with the full consent of their
husbands. Nowadays the true character of the place is beginning to be perceived,
and many Moslems have forbidden their wives to visit it.* Such beliefs and
practices lend some colour to the theory that in the East the saint has taken the
place of Tammuz or Adonis.'^
But we cannot suppose that the worship of Tammuz has been transplanted to
Europe and struck its roots deep among the Slavs and other peoples in the eastern
part of our continent. Rather amongst them we must look for a native Aryan
deity who now masquerades in the costume of the Cappadocian saint and martyr.
Perhaps we may find him in the Pergrubius of the Lithuanians, a people who
retained their heathen religion later than any other branch of the Aryan stock in
Europe. This Pergrubius is described as « the god of the spring, » as « he who
makes leaves and grass to grow, » or more fully as < the god of flowers, plants,
and all buds. » On St. George's Day, the twenty-third of April, the heathen
Prussians and Lithuanians offered a sacrifice to him. A priest, who bore the title
1 F. S. Krauss, op. cit., p. 175 sq.
* Reinsberg-Dûringsfeld, Fest-Kalender aus Böhmen, p. 104, sq. ; J. V. Orohmann, op.
cit., § 554, p. 77.
3 S. J. Curtiss, Primitive Semitic Religion To-day, p. 83 sq., 118 sq.
^ S. Baring-Gould, Curious Myths of the Middle Ages, pp. 278 sqq. The authority for
this identiflcation is the nominal translator, but real author, of the work called The Agri-
culture of the Nahataeans. See D. A. Chwolson, Veber Tammuz und die Menschenvereh-
rung hei den alten Babyloniem (St. Petersburg, 1860), p. 56 sq. Although The AgricuU
iure of the Nahataeans appears to be a forgery, the identification of the oriental St. George
with Tanmiuz may nevertheless be correct.
.1908.] FRAZER : ST GEORGE AND THE PARILIA. [P. 15.
of WurschaU^ held in his hand a mug of beer, while he thus addressed the deity :
• Thou drivest away the winter ; thou bringest back the pleasant spring. By thee
the fields and gardens are green, by thee the groves and the woods put forth
leaves. » According to another version, the prayer ran as follows : « Thou drivest
the winter away, and givest in all lands leaves and grass. We pray thee that thoa
wouldst make our corn to grow and wouldst put down all weeds. » After praying
thus, the priest drank the beer, holding the mug with his teeth, but not touching
it with his hands. Then without handling it he threw the mug backward over his
head. Afterwards it was picked up and filled again, and all present drank out of
it. They also sang a hymn in praise of Pergrubius, and then spent the whole day
in feasting and dancing.^ Thus it appears that Pergrubius was a Lithuanian god
of the spring, who caused the grass and the corn to grow and the trees to burst
into leaf. In this he resembles Green George, the embodiment of the fresh vege-
tation of spring, whose leaf-clad representative still plays his pranks on the very
same day in some parts of Eastern Europe. Nothing, indeed, is said of the
relation of Pergrubius to cattle, and so far the analogy between him and St. George
breaks down. But our accounts of the old Lithuanian mythology are few and
scanty ; if we knew more about Pergrubius we might find that as a god or personi-
fication of spring he, like St. George, was believed to exert all the quickening
powers of that genial season — in other words, that his beneficent activity was not
confined to clothing the bare earth with verdure, but extended to the care of the
teeming flocks and herds, as well as to the propagation of mankind. Certainly it
is not easy to draw a sharp line of division between the god who attends to cattle
and the god who provides the food on which they subsist.
Thus Pergrubius may perhaps have been the northern equivalent of the
pastoral god PaJes, who was worshipped by the Romans only two days earlier at
the spring festival of the Parilia. It will be remembered that the shepherds
prayed to Pales for grass and leaves, the very things which it was the part of
Pergrubius to supply. Is it too bold to conjecture that in rural districts of Italy
Pales may have been personated by a leaf-clad man, and that in the early age of
Rome the duty of thus representing the god may have been one of the sacred
functions of the king ? The conjecture at least suggests an excellent reason for
the tradition that Numa, the typical priestly king of Rome, was born on the day
of the Parilia.
1 J. Maeletius (Menecius), « De sacriflciis et idolatria veterum Borussorum Livonum
allarumque vicinarum gentium, n Mitteilungen der Litterarischen Oesellschaft Maswia,
Heft 8 (LOtzen, 1902), pp. 185, 187, 200 sq. ; id,, in Scriptures rerum Livonicarum, ii. (Riga
and Leipsic. 1848), pp. 389, 390 ; J. Lasicius, « De dus Samagitarum caeterorümque Sarma-
tarum, » ed. W. Mannhardt, in Magazin herausgegeben von der Lettisch-literarischen
Gesellschaft, xiv. (1868), p. 95 sq. The first form of the prayer to Pergrubius is from the
Latin, the second from the German, version of Maeletius's (Jan Malecki's) work. The des-
cription of Pergrubius as « he who makes leaves and grass to grow » (« der lest wachssen
laub unnd gras ») is also from the German. According to M. Traetorius, Pergrubius
was a god of husbandry (Deliciae Prussicae, p. 25).
p. 16.] • R • E • E • S • [1908.
LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO
par Maubiob Delafossb (Côte d'Ivoire).
ObgerYatlons prélimliudres.
Il a été jusquUci dit très peu de chose sar le peuple Siéua ou Sénoufo. Sa
bibliographie se réduit, à ma couuaissance, aux quatre publications suivantes, dont
trois ne traitent qu'accidentellement du peuple qui nous occupe :
V ly Tautain. — Le Bioulad(mgou d le Sénéfo (dans la Hevue d'ethnographie^
tome VI, 1887). r- hauteur parle, d'après des renseignements recueillis en pays
mandingue, des Sénoufo ou Siéna de la fraction Nord.
2"* L. (3. BrNGBB. — Du Niger au golfe de Guinée par le pays de Kong et le
Mossi. — Paris, 2 vol. gr. in 8, 1892. — L'auteur parle de visu de plusieurs sous-
tribus des fractions Nord (Siènérhé, Folo) et nord -est (Mbouin, Eomono), d'une
sous-tribu de la fraction sud (Guimini) et de quelques sous-tribus dont le rattache«
ment au peuple Siéna n'est pas encore prononcé (Kièfo, Dorhossiè, Karaboro).
3® M. Delafosse. — Vocabulaires comparatifs de plus de 60 langues ou dior
ledes parles à la Côte divoire et dans les régions limitrophes. — Paris 1904, in 8,
— Le chapitre VI traite de la langue Sénoufo et est précédé de quelques notes
ethnologiques et géographiques qui renferment d'ailleurs un certain nombre
d'erreurs, corrigées dans les pages qui vont suivre.
4® Gouvernement Général de l'A. O.F. — La Côte d'Ivoire (Notices publiées
à l'occasion de l'Exposition Coloniale de Marseille). — Paris 1906, gr. in 8. — Cet
ouvrage contient une étude rapide sur les Siéna ou Sénoufo du cercle de Dabakala
par M. l'administrateur Salvan et une étude surtout historique sur les Siéna du
cercle de Korhogo par l'auteur de ces lignes.
L'ouvrage publié en 1902 par MM. GloEel et Villamur sur les Coutumes
indigènes de la Côte d Ivoire est à peu près muet en ce qui concerne les Siéna ou
Sénoufo, qui avaient été englobés à tort parmi les populations Mandé ou Man-
dingues.
Les notes qui vont suivre sont fort incomplètes et ne sont souvent que l'indi-
cation de recherches à faire. Mais, étant donné le peu publié jusqu'à ce jour sur
les Siéna et l'intérêt que présente ce peuple pour l'ethnographie soudanaise, je n'ai
pas cru inutile de livrer ces notes au public, ne serait-ce que pour fournir un guide
à ceux qui pourront aller plus au fond des choses.
Mes observations ont été recueillies durant deux séjours et plusieurs voyages
dans le cercle de Bondoukou (Côte d'Ivoire) et la partie de la colonie anglaise du
Gold-Coast voisine de la Volta Noire, en 1902-03, et pendant quarante mois succes-
sifs de séjour et de voyages dans les cercles de Korhogo et de Dabakala (C!ote
d'Ivoire), en 1904, 1905, 1906 et 1907. A ceux qui s'étonneraient qu'après un
aussi long séjour en pays Siéna la récolte soit aussi maigre, je ferai observer :
1® que je n'avance que ce dont des observations répétées m'ont rendu à peu près
certain, 2^ que mes fonctions officielles me laissaient très peu de loisirs pour des
travaux même aussi indispensables que les études ethnographiques.
Planche I.
1908«] DBLAFOSSE : LB PEUPLE SIÊNA OU SÉNOUFO. [P. 17.
1. — Le nom.
Le mot Sénùufo est une appellation étrangère venant des Mandingues du Haut-
Niger: ces derniers appellent la langue du peuple qui nous occn^e séné-Tcan ou
siénorkan (langue des Séné ou Siéna) et par suite ils disent des gens parlant cette
langue : ou séné-kan fo (ils parlent la langue séné) ou simplement ou séné fo (ils
parlent séné)^ d'où est venue l'appellation Sénéfo (D^ Tautain), Sénofo ou Sénoufo
(M, Binger).
C'est à tort que, dans mes Vocabulaires comparatifs (note de la page 192)
j'avais hasardé comme possible l'étymologie sœnoforho (salutation de midi dans
certains dialectes siéna). Je crois aussi qu'il convient de rejeter l'étymologie
proposée par M. Binger : ou séné fo^ ou siénau foj ou sénou fo^ voulant dire en
mandingue « ceux qui disent siène pour signifier un homme » ; bien que « homme «
se dise en effet sien ou shien (prononciation intermédiaire entre les mots français
« sien » et « chien ») dans certains dialectes siéna, il semble que l'étymologie
expliquée plus haut est plus vraisemblable.
On pourrait maintenir le vocable Sénoufo^ actuellement le plus répandu parmi
les EuropéenSi d'autant plus que le peuple dont il est question ne semble pas
toujours se connaître un nom générique. Cependant il apparaît bien que ce nom
existe et qu'il est le mot Séné ou mieux Siéna employé par la plupart des Mandin-
gues pour désigner la langue ; on retrouve ce mot dans le nom de la sous-tribu du
Eénédougou, celle des Sénérhè ou Siénérhè {Siène-réde M. Binger), et aussi dans
le terme de Siénormana par lequel les Siéna du centre semblent désigner l'ensemble
de leur nation et des divers dialectes de leur langue.
Je propose donc d'adopter l'appellation Siéna^ qui est au moins le radical du
véritable nom de ce peuple.
J'ai dit que les Mandingues du Haut-Niger l'appellent communément Sénofo
ou Sénoufo ; les Dioula lui appliquent généralement la désignation légèrement
méprisante de Bambara^ qui correspond au Kafir des musulmans Arabes, au
Barbare des Grecs et au Gentil de la Bible, englobant un grand nombre de peuples
ethniquement fort différents les uns des autres et qui n'ont de commun que de ne
pas pratiquer la religion musulmane ; les Âbron et les Assanti appellent les Siéna
Tantara ou Banda-fo^ les Koulango les appellent Oan, les Baoulé les appellent
Kanga comme presque tous les Soudanais et, par dérision, nomment Alahon-fié^
Jcon (qu'on pourrait traduire par « les presque nus ») les Siéna fort peu vêtus du
Centre et du Nord-Ëst,
2. — L'habitat.
Les Siéna habitent, soit seuls, soit mélangés à des Mandingues et, à l'extrême
sud-est, à des Koulango et des Abron, l'immense région soudanaise comprise à peu
près entre les confins sud du district de Dienné au nord et le parallèle de Bondou-
kou au sud, entre le méridien de Bougouni à l'ouest et celui de Bobo-Dioulasso à
l'est, et se continuant à l'extrême sud-est par un territoire qui va grosso modo de
Bondoukou au coude de la Volta Noire.
De plus, ces mêmes Siéna, excellents agriculteurs mais guerriers médiocres
en général, ont été de tout temps le point de mire des conquérants chasseurs d'escla-
ves tels que Tiéba et Babemba, Fakaba et Mango-Mamadou, Mori Touré, Samori,
etc., et, vendus et revendus, se sont trouvés répaadus en grand nombre dans
presque toutes les provinces de l'Afrique Occidentale.
p. 18.] • R • E * E ^ S • [1908»
Dans plusieurs des pays dont ils forment la grosse majorité de la population,
les Siéna ont été placés à diverses reprises sous la domination plus ou moins effec-
tive d'étrangers de famille mandingue qui se sont infiltrés parmi eux et les ont
dominés, soit par la force des armes, soit par la supériorité de leur intelligence et
de leur état politique, religieux et social.
Un certain nombre de Siéna, surtout parmi les membres de Tancienne aristo-
cratie, ont adopté le costume et les noms de famille des Mandingues musulmans,
parfois leur religion, afin de conserver ainsi la première place dans la société
nouvelle ; la langue mandingue s*est répandue parmi eux, des alliances nombreuses
ont eu lieu et les enfants issus de ces alliances ont été marqués souvent du tatouage
propre à certaines tribus Siéna (trois cicatrices en éventail sur chaque joue) : c'est
là Torigine de la confusion que Ton a faite souvent entre Mandingues et Siéna^
entre étrangers dominateurs et vassaux autochtones, confusion encore augmentée
par rhabitude déplorable que nous avons prise de désigner sous le nom de Bambara
les gens parlant la langue mandingue alors que, dans le pays qui nous occupe en
ce moment, ce nom désigne précisément au contraire les gens de langue et de
civilisation non mandingues^ c'est à dire les Siéna. Au triple point de vue anthropo-
logique et surtout ethnographique et linguistique, la différence est profonde entre
la famille Mandingue et la famille Siéna ou Sénoufo.
Le pays habité par les Siéna est partout de même nature et procède du type
dit « soudanais » : pays de savanes et de forêts peu épaisses alternant les unes avec
les autres, riche en ruisseaux et rivières qui donnent naissance à de vastes prairies-
marécageuses lors de la saison des pluies mais dont beaucoup se dessèchent à partir
de janvier; d'une façon géoérale, le pays des Sieoa est mieux arrosé, même en
saison sèche, que celui des Agni, leurs voisins du sud. L'altitude est relativement
élevée, le pays étant composé de hautes vallées de divers bassins importants
(Bagbê ou Bagoé, Bafing, Baoulé ; Léraba-Gomoé, Nzi-Bandama, affluents du haut
Sassandra et de la Yolta Noire moyenne) et de massifs montagneux assez sérieux
qui donnent naissance à ces diverses vallées et les séparent les unes des autres.
Au sud, les Siéna ne dépassent pas la limite septentrionale extrême de la
zone proprement forestière ; à l'ouest comme au nord, ils n'atteignent pas la vallée
du Niger proprement dite, à Test ils s'arrêtent à celle de la Volta qu'ils ne pénè*
trent réellement que dans l'extrême pointe qu'ils poussent à l'est de Bondoukou.
3. — L'histoire.
Nous n'avons aucun document sur Torigine et l'histoire ancienne des Siéna. Les
géographes Arabes sont muets sur ce peuple. A vrai dire, ils nous parlent bien
d'une population fort primitive, à peu près nue, ayant même la réputation d'être
anthropophage, qui habitait à l'est du Haut-Niger et était en relations commercia-
les avec les Mandingues du royaume de Mali ou Melli ; ces derniers l'auraient
même conquise à diverses reprises ou tout au moins auraient fait chez elle d&
fructueuses incursions en vue de se procurer des esclaves. Ibn-Batouta, Aboulféda,
Edrisi donnent à cette population le nom de Lamîam ou Lenilem. Mais, quoique la
plupart de ce qu'ils nou9 disent de ces Lamlam puisse s'appliquer aux Siéna, on
ne peut en aucune manière affirmer que c'est bien des Siéna qu'ils ont voulu nous-
' parler ; très probablement même cette appellation de Lamlam s'appliquait à tous^
les peuples primitifs qui bordaient les Mandingues au sud et à l^est et correspondait
1908«] DBLAFOSSB : LB PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P, 19.
aux désignations aussi vagues qu'inexactes de Barbares, de Kafir, de Bambara,
etc.*.
Une légende qui m'a été racontée par des anciens de Korhogo (Siéna du Cen-
tre) dit que le premier ancêtre des Siéna a été créé par Dieu dans le pays actuel
4es Siéna. Mais chaque tribu ou sous-tribu revendique Thonneur d'avoir eu son
territoire choisi pour lieu de cette création. Tout ce que nous pouvons conjecturer
en nous basant sur cette légende, c'est que, d'une façon générale, les Siéna seraient
les autochtones de leur pays actuel ou au moins d'une bonne partie de ce pays.
D'après une autre légende recueillie par M. Binger près de Nièlé ou Nouellé
chez les Folo, cette ville aurait été fondée à une époque fort reculée par des
«chasseurs presque blancs venus du Nord, vivant à l'état nomade et chassant avec
des chiens. Un jour, ils coupèrent les feuilles d'un arbre et les présentèrent au
•chef du pays (un chef Siéna selon toute probabilité), demandant à se fixer près de
cet arbre. Ils y fondèrent un village qu'ils appelèrent NoueUé^ ce qui voulait dire
dans leur langue « qui nous est donné ». Plus tard ces mêmes gens, dont le nom
aurait été Naupé ou Nampau^ auraient fondé Eaouara dans la même province.
<2uelle que soit la partie de vérité renfermée dans cette légende, on ne trouve pas
trace actuellement de ces Noupé : Niêlé est habitée par des Siéna et Kaouara par
des Mandingues Dioula.
Kong ou mieux Kpon* aurait été fondée, également d'après M. Binger, en
même temps à peu près que Dienné, c'est à dire vraisemblement au XI^ siècle.
Son fondateur était un chef Siéna de la tribu Nafâna et ses premiers habitants
furent des Siéna Nafana et peut-être aussi des Siéna d'autres tribus ou sous-tribus,
dont les quelques descendants vivaut encore à Kpon sont appelés Fcdafàla. Ce chef
fondateur de Epon avait, d'après une légende que j'ai recueillie à Korhogo, un
esclave nommé Nenguéy lequel était principalement chargé de veiller aux planta-
tions de son maître. Ce dernier, fort satisfait des services de Nengué, l'affranchit,
lui donna une femme et des biens et lui permit d'aller s'établir en quelque endroit
où il serait son propre maître.
D'après une tradition légèrement différente recueillie à Niofouin chez les
Kassembélé par M. l'administrateur Terrassen de Fougères, c'est à la mort du
fondateur de Kong et par le successeur de ce dernier que Nengué et sa famille
auraient été affranchis.
Quoi qu'il en soit, Nengué (prononcez Nenge^ avec un g dur), s'avançant vers
l'ouest, se serait établi dans un pays alors désert, au pied d'une montagne appelée
Korhoge ou Korrogo^ et y aurait fondé un village qui prit le nom de la montagne.
Nengué devint l'ancêtre d'une famille qui prit le nom de Soroo (voir plus loin) et
qui passe pour la plus noble des familles Siéna ; il devint aussi l'ancêtre d'une tribu
qui prit le nom de Kiemharha.
^ Ngorho, située chez les Siéna de la sous-tribu Folo, serait, d*après M. Binger, la plus
vieille ville du pays Siéna. Cet auteur l'identifie avec le Ghana ou Ghanata des géographes
arabes, se basant sur quelques particularités mentionnées par El-Bekri (bois sacrés, chieus
de garde, tamtam dit déba ou dcLba) ; il la rapproche aussi du Gago ou Gogo de Léon TAf ri-
cain. n semble bien prouvé actuellement que Ghana n'est autre que Dienné : Ghana est
décrit par les auteurs arabes comme située sur une île avoisinaut le Niger, ce qui convient
parfaitement à l'île du Dienné-ri, mais nullement à Ngorho ; quant à Gogo, capitale des
Sonrhaî sur le Niger, ce ne peut être que Gao.
* C'est à Mungo-Park que nous devons PoHhographe Kcng^ généralement adoptée
aujourd'hui : ce voyageur a transcrit l'articulation kp par un simple A et a ajouté un g
final qui n'a pas plus de valeur que celui des orthographes anglaises Peking^ Tong-King^ etc»
P, 20>] > R ' E * E ^ S j^ [1908>
Après la mort da chef de Kong qui avait affranchi Nengué, les Nafäna, jaloux
de la situation prospère de Tancien esclave et de sa famille, seraient venus lui faire
la guerre. Mais Nengué les aurait repoussés au delà même de Kong (XI* ou XII* siè-
cle), tellement que la plus grande partie des Naf&na aurait émigré dans la région où
devait plus tard (XIV* ou XV* siècle) s'élever Bondoukou, et où habitaient alors des
Mandé- fou de la tribu des Gbin. Les Nafâna furent rejoints dans ce pays à des
époques successives par des Dégha venus du Gourounsi, des Koulango venus de la
région de Bouna qui construisirent les premières cases de Gotogo ou Bondoukou^
et des Mandingues Noumou, Huéla, Ligbi et Dioula, qui donnèrent à Bondoukou sa
prospérité et son renom. Enfin, vers le milieu du XV* siècle, arrivèrent des Agni-
Assanti de la tribu des Abron, qui, accueillis en amis par les Nafâna alors maîtres
du pays, firent régner bientôt leur domination politique sur tous ces éléments
hétérogènes. Actuellement les Nafâna habitent toujours la même région, où ils sont
connus de leurs voisins sous les noms de Pantara^ Ouandara^ Vandra^ et l'un de
leurs chefs est encore considéré à Bondoukou même comme le « maître du sol ■•
Postérieurement à la fondation de Korhogo et à Texode des Nafâna vers la
Volta, il y eut parmi les Siéna un certain nombre de discordes civiles entre les
tribus et sous-tribus qui se multipliaient au fur et à mesure que la population
devenait plus nombreuse et allaient coloniser les parties encore désertes du
territoire.
C'est ainsi qu'une partie des descendants de Nengué, qui résidait auprès de la
montagne Komboro^ proche de celle de Korhogo, ne trouvant pas assez de terres
disponibles pour subvenir à ses besoins, émigra plus an sud et fonda une série de
villages dont le plus ancien fut appelé KombarchKaha (village du Komboro), en
souvenir de la montagne patrie première de ses fondateurs : ce fut l'origine de la
sous-tribu des Nafarha. Une autre partie des descendants de Nengué, pour un
motif analogue sans doute, s'en fut dans le nord-est, traversa le Bandama, et fonda
le village de Félékessé-Kaha^ du nom de Fétékessé, chef de cette migration : ce
fut l'origine de la sous-tribu des Niarhafolo.
Après l'exode de la majorité des Nafâna vers la Volta, la ville de Epon ou Kong
était demeurée en la possession de Siéna, soit des Nafâna demeurés là, soit des
gens d'autres tribus qui y habitaient déjà, soit des compagnons de Nengué qui s'y
seraient installés après en avoir chassé les Nafâna. Quoi qu'il en soit, ces Siéna de
Kong, appelés Fàlafala^ jouissaient d'une certaine autorité s'étendant jusqu'au delà
du Bandama, puisque, d'après des traditions recueillies dans le district de Korhogo,
les tribus de ce district payaient redevance aux chefis de Kong et les consultaient
pour la désignation de leurs propres chefs. Cette sorte de vassalité se continua après
la prise de Kong par les Dioula, ces derniers devenant alors les suzerains, et ne
prit fin qu'au moment des conquêtes de Tiéba et de Babemba, qui firent passer
l'hégémonie de Kong à Sikasso.
Ce n'est que bien après l'époque de Nengué que des Mandingues de la triba
Dioula vinrent s'établir aux environs de Kpon, à Télenguéra, limbala, Borhoman-
Dougou, puis, plus tard, à Kpon même. Ils durent accepter tout d'abord la suze-
raineté des chefs Siéna. Ce n'est qu'à la fin du XVIU* siècle ou au commencement
du XIX* que, profitant d'une dispute survenue au marché, les Dioula des familles
Ouatara, Baro et Dao s'emparèrent de la ville, massacrèrent les che£s Falafala et
demeurèrent les midtres. (Tradition recueillie à Kong par M. Binger, puis par
moi-même). II resta cependant à Kong quelques fiimilles Fala&la qui y habitent
encore.
1908.] DELAFOSSE : LB PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 21*
Les Dioula étendirent ensuite leur domination sur les pays situés au nord de
Epon et habités par des Siéna des sous tribus Pala (ou Kpalagba), Sikolo, Komooo^
etc. Ils proToquèrent ainsi Tezode vers Touest d'une partie de la population au»
tochtone qui, sous la conduite du père ou de l'oncle de Sémignian, chef actuel des
Paîa, alla s'établir à l'ouest de la Lokonon, sur un territoire qui lui fut cédé par
le chef des Niarhafolo.
Je passe sous silence les guerres de tribu à tribu, de village à village, aussi
fréquentes que peu meurtrières, qui n'eurent que fort peu d'influence sur la civili-
sation et les mœurs des Siéna. Les sous-tribus Siéaérhè et Folo semblent avoir
joué un rôle prépondérant dans ces luttes intestines, grâce à l'influence que surent
acquérir certains de leurs chefs (Daoula, fondateur de Sikasso, mort en 1877, et
ses successeurs Tiéba — ou mieux Kièba — et Babemba, chez les Siéuérhè ; Fan,
Pégué, Ouahirimé et Bilaogolo, chefs successifs de Niêlé depuis 1880 ; Niamana,
Niarhalemba, 2ïbbo, chefs successifs de Mbégué de 1880 à 1889, chez les Foio).
L'infiltration Mandingtie dans le pays des Siéna eut au contraire sur ces der-
niers une influence indéniable. Elle fut tantôt pacifique et tantôt guerrière.
Les Diotda^ établis depuis longtemps au Ouorodougou (régions de Kani,
Mankouo, etc.), plus récemment à Bobo-Dioulasso, à Kong, à Odienné, et devenus
politiquement prépondérants dans ces divers pays depuis le XVIIP siècle environ,
se répandirent peu à peu parmi les Siéna, se livrant au commerce du sel, des
bœufs, des colas et des esclaves, opérant quelques conversions à l'islamisme, assez
rares d'ailleurs, et inculquant aux riches des goûts somptuaires, en particulier en
ce qui concerne le vêtement et l'habitation. Il n'y eut guère d'immigration Dioula
proprement dite que sur la périphérie du territoire Siéna et encore se réduisit-elle,
sauf du côté de Kong, à la fondation de quelques villages ; ailleurs les Dioula ne
pénétrèrent qu'isolément, voyageant le plus souvent, se fixant parfois et attirant
auprès d'eux quelques compatriotes. Cette pénétration toute pacifique, qui respec-
tait par principe les coutumes et l'organisation politique des autochtones, fut une
source de prospérité matérielle pour les pays où elle se produisit, mais n'amena
pas de changements notables dans la civilisation indigène, sauf dans le rayon
immédiat des centres Dioula. Souvent au contraire les coutumes des Siéna furent
adoptées, au moins en partie, par les Dioula établis au milieu d'eux.
Tout autre fut le résultat des conquêtes politiques des Ouatara de Kong chez
les Siéna de la haute Comoé et du Guimini (vulgairement Djimini), des conquêtes
guerrières des Konatè de Boron chez les Siéna du sud-ouest, des Touré d'Odienné
chez les Noholo, des Touré^ de Marabadiassa chez les Takponin, et de celles des
bandes cosmopolites, mais composées surtout de Mandingues, qui, à la suite de
Kièba, de Babemba, de Samori, désolèrent les provinces des Bamâna, des Siénérhè,
des Tagba, des Folo, des Kadlé, des Niéné, etc. Tout autre aussi fut le résultat de
l'immigration plus ancienne et considérable qui conduisit des Mandingues du
Ouassoulou dans le voisinage ou sur le territoire même des Siénérhè, des Noholo,
des Niéné. Ces conquêtes et cette immigration amenèrent des modifications notables
dans les mœurs et la civilisation des tribus ainsi soumises à la loi ou au contact
intime des Mandingues. Fut-ce à l'avantage des Siéna ? je ne le pense pas. Ces
guerres et invasions contribuèrent à étendre le domaine de la langue Mandingue
au détriment de la langue Siéna et celui de la religion musulmane au détriment de
la religion indigène, à développer l'usage des vêtements, à généraliser l'emploi du
Ouatara, Konatè, Touré sont des noms de familles Dioula.
p. 22.] • R • E • E • S • [1908*
fbsil aux dépens de Tare, à faire entourer certains Tillages de fossés et de murs
qui d'ailleurs ne les sauvèrent que bien rarement du pillage, enfin à faire perdre
à beaucoup d'indigènes le goût de Tagriculture pour leur inculquer celui du métier
des armes. Dans cette sorte d'évolution, la somme des inconvénients semble l'avoir
emporté sur celle des avantages, et encore j'ai passé sous silence l'appauvrissement
du pays, et la diminution de la population due aux massacres et aux captures
d'esclaves.
Je n'entrerai pas dans le détail de ces guerres et invasions, dont la plupart
ne remontent pas au delà de 1850 environ : le récit de ces razzias n'aurait qu'on
intérêt purement historique, parfois même simplement chronologique et il n'a rien
à voir avec l'ethnographie.
Après la prise de la ville de Sikasso et celle de la personne de Samori par nos
troupes (mai à septembre 1898), la paix française vint redonner aux Siéna une
partie de leur ancienne indépendance politique et permit à leur civilisation de
progresser normalement sous certaines réserves d'ailleurs nullement négligeables.
Jusqu'à présent, les modifications culturelles dues à notre occupation seraient
minimes, s'il n'y avait pas à compter l'abolition de la traite des esclaves et, depuis
une époque plus récente, la non-reconnaissance officielle de l'état de servage :
deux réformes qui, fatalement, amèneront peu à peu un changement assez notable
dans la vie sociale et familiale des indigènes ; la seconde surtout tendra à l'établis-
sement progressif de la propriété individuelle au détriment de la propriété collec-
tive ; il se peut fort bien aussi que cette révolution, inspirée par ce que nous
croyons être un sentiment humanitaire et égalitaire, arrive à doter les indigènes
de la plaie du paupérisme, qu'ils avaient ignorée dans leur société primitive. Il est
au moins intéressant, pour l'observateur impartial, de constater que les mêmes
idées, qui, en France, tendent à la lutte contre le capital et à l'établissement d'une
forme plus ou moins imparfaite de collectivisme, se manifestent dans nos colonies
d'Afrique selon une voie diamétralement opposée : ce phénomène serait inexplicable
s'il n'avait malheureusement une explication trop naturelle dans notre ignorance
absolue des mœurs, de la constitution sociale et des conditions réelles de la vie de
nos sujets noirs, dans notre indéracinable tendance à consulter sur ce qui convient
aux Nègres un membre d'une institution savante ou un orateur de réunions
publiques, assurément instruits et éloquents mais fort peu compétents, de préfé-
rence aux personnages moins illustres mais mieux documentés, enfin dans la
fatuité qui nous porte invinciblement à juger des autres peuples d'après ce qu'est
le nôtre et à considérer notre civilisation comme la seule capable d'assurer le
bonheur d'une fraction quelconque de l'humanité, quels que soient son milieu et
sa race.
4. — Les fk^ctions on tribus et les sous-trlbus.
J'ai dit (page 193 de mes Vocabulaires Comparatifs) que le peuple Sénoufo ne
parle en réalité qu'une langue unique : on en pourrait inférer qu'il ne forme
qu'une seule tribu. Il se divise cependant en un certain nombre de « fractions v
qui, historiquement et politiquement, ne sont pas des « tribus *, mais qui ont dû à.
une époque antérieure constituer chacune une ou deux tribus véritables et dont
chacune est actuellement composée de sous-tribus possédant des apparences exté-
rieures généralement semblables, un état de civilisation analogue, des dialectes
très voisins les uns des autres, et ayant subi des influences étrangères identiques,.
1908«] DBLAFOSSB : LB PEUPLE SIÊNA OU 8ÊN0UF0. [P« 28.
tandis que ces mêmes fractions se distinguent les unes des autres par des diver-
gences assez notables dans les apparences extérieures, Tétat de civilisation, la
langue, l'origine des influences étrangères. Cette division, à la fois ethnographique
et linguistique, se touve être en même temps géographique, et il y a lieu de penser
que le milieu naturel n'a pas été indifférent à ce fractionnement.
Nous avons cinq fractions ainsi définies, comprenant chacune — sauf la cin-
quième — plusieurs sous- tribus qui se divisent elles-mêmes parfois politiquement
en provinces ou cantons. La cinquième ne renferme qu'une sous-tribu, à laquelle
on peut sans inconvénient conférer le titre de « tribu n.
Ces fractions n'ont pas de noms indigènes, la tribu qui leur a autrefois donné
naissance s'étant tellement subdivisée dans la suite des temps qu'elle ne forme plus
qu'une partie médiocre du tout, si même elle n'a pas entièrement disparu. Je les
appellerai tout simplement fractions : 1^ du Nord^ 2° Centrale^ 3^ du Sud, 4^ du
Nord-Estj 5^ du Sud-Est, La première habite, d'une façon générale, le bassin du
haut Bagbê (Bagoé), la deuxième celui du Haut-Bandama, la troisième celui du
Haut-Nzi, la quatrième celui de la haute Léraba-Comoé, la cinquième celui de la
Volta Noire moyenne.
V La fraction du Nord comprend les dix sous-tribus : — des Bamâna (région
de Eoutiala), que les Mandingues appellent Bamâna-Sénoufo (Bamâna de langue
Siéna) pour les distinguer des Bamâna-Mandéfo (Bamâna de langue mandingue),
lesquels sont les Bamâna ou Bambara de Ségou et du Kaarta ; — des Siénérhè
(région de Sikasso ou Kéoédougou), qui furent peut-être la tribu initiale de la frac-
tion ; — des Tagba (Tagoua sur les cartes, entre Sikasso et Bobo-Dioulasso) ; —
des KadU ou Kanndéré (canton de Tengréla) ; — des Pongala ou Ponga (canton
de Kassiré) ; — des Pomporo (appellation probablement étrangère, cantons de
Nafadié et de Londiougo) ; — des Niéné (cantons de Eouto, de Kolia, de Tombou-
gou, du Niodougou) ; — des Ténéouré (canton de Boundiali) ; — des Zona (canton
de Kébi) ; — et des Noholo ou Naoulou (canton de Séguélo). — Les trois premières
sous-tribus habitent les cercles de Koutiala, Sikasso et Bobo-Dioulasso (Haut-
Sénégal et Niger), les cinq suivantes le district de Tombougou du cercle de
Eorhogo (Cote d'Ivoire) et les deux dernières le district d'Odienné du même
Cercle^
2* La fraction centrale comprend les dix sous-tribus : — des Folo ou Foro
(cantons de Ngorho ou du Folo-na dans le cercle de Bobo-Dioulasso et de Mbégué
et Niêlé dans le cercle de Eorhogo), qu'il ne faut pas confondre avec les Mandin-
gues du canton du Folo (district d'Odienné) et qui semblent participer à la fois de
la fraction Nord et de la fraction Centrale ; — des Kiembarha ou Kiegharha
(cantons de Nganndana, intercalé au milieu des Folo, et de Eorhogo ou Eoroko),
qui furent sans doute la tribu initiale de la fraction ; — des Nafarha ou Nafagha
(cantons de Eomboro-dougou, Sinématiali, Earakoro, Eâgbolo-dougou et Gbambélé-
dougon) ; — des Tafiré ou Tafilé (canton de même nom) ; — des Ko folo (cantons
de Guiembé, Diko-dougou et Eadioha) ; — des Qhannzoro (cantons de Eiémou,
Eafiné et Téninndiéri) ; — des Kafibélé ou Eafigué ou Eafougolo (cantons de
Sirhâsso et Eannorhoba) ; — des Kassembélé (cantons de Eatiali, Niofouin et
Siempurgo) ; — des Qbâto (cantons de Nafon, Nganahoni et Térikiélé) ; — et
1 II y aurait lieu de rechercher si le domaine des Siéna ne 8*étend pas encore au nord
du cercle de Koutiala et ne comprend pas les Sénou-Houmbéré et les Sénou-Bangasso qui
habitent â l'est et au sud-est du Massina.
p. 24.] • R • E • E • S • [1908.
enfin des Niarhafolo (canton de Félékessé-dougou), qui semblent participer à la
fois de la fraction centrale et de la fraction nord-est. — A part le canton Folo de
Ngorho, tous les cantons énumérés ci-dessus sont situés dans le cercle de Korhogo
(Côte dl voire) et tous aussi dans le district même de Korhogo, sauf ceux de Siem-
purgo, Nganahoni et Yérikiélé, situés dans le district de Tombougou.
3® La frtiction sttd ne comprend que deux sous-tribus — qui mériteraient
peut-être mieux le nom de « tribus » — très importantes l'une et l'autre : — celle
des Takponin ou Tagbona (Tagouano ou Tagouana sur les cartes : cantons de Longo,
Niangbo, Niankarama-dougou et Foundébougou dans le cercle et district de
Korhogo, cantons de Katiola, Fourougoula et Katiara dans le cercle de Dabakala,
Côte dlvoire) ; — et celle des Chiimini (Djimini sur les cartes, cantons de
Dabakala, Sokala ou Sokola, Finassîgui-dougou et Kafon-dougou, tous situés dans
le sud-est du cercle de Dabakala). Les Tillages situés au nord-ouest de la fraction
sud semblent participer en même temps de la fraction centrale.
4? La fraction Nord-Est comprend les quatre sous-tribus : — des Pala ou
Kpalagha (Pallakha des cartes, canton do môme nom dans le cercle de Korhogo) ;
— des Sikolo (canton de même nom au nord de Kong dans le cercle de Dabakala) ;
— dos Komono (nord-est de Kong, à cheval sur les cercles de Dabakala et de Bobo-
Dioulasso) ; — et des Falafàla (reste des autochtooes do Kong). — Il serait
important de rechercher s^il ne faudrait pas y ajouter tout ou partie des tribus ou
sous-tribus : des Karàhoro (région de Lorhognilé, cercle de Bobo-Dioulasso), des
Mboum ou Gouin (région de Léra, même cercle), des Dorhossiè (à Test des Karabora
et des Mbouin, même cercle), des Kièfo ou Tiéfo (entre les Dorhossiè et les Sia ou
Bobo-Dioula, même cercle), et enfin des Totissia et des Tourouka (région sud de
Bobo-Dioulasso), toutes tribus ou sous-tribus dont TidentificatioD n'est pas faite
encore et qui semblent participer à la fois de la fraction nord-est des Siéna et de
la famille Bobo-Mossi-Lobi-Gourounsi.
5® La fraction Sud-Est ne comprend que la seule tribu des Nafâna ou Nafanra,
appelés Bambara ou encore Ouandara ou Vaudra par les Mandingues, Pantara ou
Banda-Fo par les Abron, Gan par les Koulango, et qui habitent la région Bondoukou-
Oûrigué-Tambi dans le cercle de Bondoukou (Côte d'Ivoire) et, dans la colonie
anglaise du Gold-Goast, la région Kassa-Louha-Banda-Samgba (rive droite de la.
Volta).'
^ C'est par suite d'une erreur provenant d'une similitude de noms que, page 196 de me&
Yocabulaires Comparatifs, j'ai dit que la tribu Siéna des Nafâna se serait répandue vers
l'ouest jusqu'au Konian et qu'on en rencontrerait des représentants sur la rive droite du
haut Bandama, dans le Ouorodougou et près d'Odienné : il n'existe pas de Nafâna sur le
haut Bandama, mais des Nafarha ; quant aux Nafâna du Ouorodougou et du district
d'Odienné, ce sont des Mandingues et non des Siéna ; on trouve encore ce nom de Nafâna
donné à un canton Dioula voisin de Kong (peut-être en souvenir des anciens fondateurs de
Kong) et au canton Siéna de Papara ou de Nafadié. Je disais aussi qu'on rencontrait des
Nafâna ou Ouandara autour de Ouandarama (Guimini) ; c'est inexact - il se peut que Ouan-
darama doive son nom aux Ouandara, mais actuellement on n'y trouve pas de représen-
tants de cette tribu.
Puisque je viens de relever ces erreurs, je veux profiter de l'occasion qui se présente à
moi de corriger plusieurs autres inexactitudes se rencontrant pages 194 et 196 du même
ouvrage.
A propos du dialecte NoholOj j'ai dit qu'il était parlé par les autochtones « de la région
et de la ville d*Odienné » ; il faut lire « de la région située â Test et au sud-est d'Odienné ».
-4 J'ai dit que les Noholo avaient comme voisins : à l'est et au sud « des Nafâna, Sénoufo^
1908«] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÊNOUFO. [P. 25.
Chacune des cinq fractions du peuple Siéna, comme je le disais plus haut, a
subi des influences étrangères d'une origine différente et par suite a revêtu un
aspect ethnographique spécial : la fraction nord a subi Tinfluence mandingue,
principalement par l'intermédiaire des Mandingues proprement dits ou Malinké
(proprement Mandenga) et des Ouassoulounka qui s'y rattachent de fort près ; la
fraction sud a subi aussi l'influence mandingue, mais par l'intermédiaire des Dioula,
et, à un degré minime, l'influence agni-assanti par l'intermédiaire des Baoulé ;
la fraction nord-est a subi l'influence Bobo-Lobi-Gourounsi et, à un degré bien
moindre, l'influence Dioula ; la fraction sud-est a subi des influences très diverses
(Eoulango, Mandingue) mais surtout agni-assanti par l'intermédiaire des Àbron et
des Assanti.
Quant à la fraction centrale, c'est, de toutes, en raison de sa situation
géographique, celle qui a été le moins influencée et où la civilisation indigène
s'est conservée le plus purement : tout au plus, près des gros centres, peut-on
trouver des traces, faibles d'ailleurs, d'une influence mandingue assez récente.
6. — Fractions et sons-tribiis étudiées.
Les observations consignées dans la présente étude ont été recueillies chez les
Nafâna (fraction sud-est), chez les tiuimini et Takponin (fraction sud), chez les
Falafala, Sikolo et Pala (fraction nord-est), chez les Tafiré, Niarhafolo, Folo,
Nafarha, Eiembarha, Kofolo, Gbannzoro, Kassembélé, Kafibélé, Gbâto (fraction
centrale), et chez les Ténéouré, Niéné, Zona et Noholo (fraction nord), c'est à dire
comme eux » ; il faut rayer le mot « Nafâna » ; — au nord « des Foulbé et des Mandé-
Ouassoulounka », il faut metti'e « des Mandé-Foulanka ou Ouassoulounka » ; — à Touest
« des Mandé- Konianka *», il faut mettre ^ des Mandé-Nafàna ». — La phrase suivante
« Parmi les Noholo habite la tribu Mandé-Tan des Ouoguiéné-nka, apparentée aux Guio-
mané ou Guiomandé ou Maou, qui exerce la suprématie n est triplement erronée, géogra-
phiquement, ethnologiquement et politiquement, et doit être supprimée, ainsi que la
dernière du même paragraphe « les Noholo ne sont pas tatoués », également inexacte.
J'avais mentionné « le dialecte Na-ndaga^ parlé par une partie des autochtones du
Kourodougou, dans la région qui s*étend entre Sarhala et Marabadiassa, au nord des Mouin
et sous la tutelle des Dioula de la famille Sia » ; cette assertion est inexacte : il est fort
probable que la région en question était autrefois peuplée de Siéna ; on en trouve des
traces dans beaucoup de noms de lieux ; mais actuellement Télément mandingue semble se
manifester seul ; de plus cette région ne s'étend pas jusqu'aux Mouin et ne comprend pas
les Sia, qui en sont séparés par le Koyarhadougou (canton de Mankono) et qui semblent
bien ne pas être des Dioula. A la place de ce dialecte Nandaga fort hypothétique, il aurait
fallu mentionner le dialecte Nafarha et les dialectes connexes de la fraction centrale.
Dans le paragraphe relatif aux Folo^ j'avais mis que ces derniers « habitent des deux
côtés du haut Bandama, les régions de Kouton (Kouto) et de NiêJé, entre les Tagba au nord,
les Nafàna et les Kpalarha au sud, les Toronké à l'ouest et les Mbouin et Karaboro à l'est » ;
cette phrase renferme beaucoup d'inexactitudes : les Folo ne se rencontrent pas sur la rive
droite du haut Bandama, ni à Kouto qui est chez les Niéné, n'ont ni Nafâna, ni Kpalarha,
ni Toronké, ni Karaboro comme voisins au moins immédiats, mais bien des Nafarha, Kiem-
barha et Kassembélé au sud, des Pomporo et Kadlé à l'ouest, des Mbouin et Niarhafolo
à Pest.
Page 196, j'ai avancé « qu'il conviendrait de rattacher au dialecte Nafàna celui des
Boron, autochtones sénoufo de la région de Sarhala, et celui des GbàtOy autochtones
sénoufo de Koro et du Kaladiandougou » ; tout cela est faux : Boron est le nom d'un village
Mandingue situé au nord de Sarhala et non celui d'une tribu Siéna ; quant aux Gbâto. ils
n'habitent ni à Korp ni dans le Kaladiandougou (pays Mandingues) et leur dialecte se rap-
proche de celui des Nafarha et non de celui des Nafâna.
P, 26.] • R • Ë • E • S • [1908.
dans toutes les sous-tribas habitant la Côte d'Ivoire (KomonOi Eadlé, Pomporo et
Pongala exceptés) ; ces obsenrations ont été approfondies surtout en ce qui concerne
la fraction centrale, dont j'ai pu visiter à diverses reprises toutes les tribus sans
exception et au centre de laquelle j'ai fait le plus long séjour.
Les observations ne portant pas mention d'un nom de 8ous*tribu ni indication
d'une fraction spéciale sont communes à toutes les sous-tribus observées. Gelies
s'appliquant seulement à une ou plusieurs sous-tribus ou localités en portent
l'indication.
Je n'ai pas visité personnellement les sous-tribus Radié, Pomporo, Pongala,
Tagba, Siénérhè, Bamâna (toutes situées dans la fraction nord) ni les sous-tribus
Komono et Mbouin de la fraction nord-est ; aussi ai-je utilisé quelques indications
de M. Binger concernant certaines de ces sous-tribus, ainsi que celles que m'ont
fournies de nombreux indigènes habitant leur territoire et que j'ai rencontrés à
Kong, à Korhogo, à Tombougou, à Odienné et ailleurs.
6. — Ijes caïuotères physiques.
Les Siéna sont en général de haute taille (Nafarba et Pala notamment), peu
musclés (Nafarha en particulier), quoique robustes à l'ordinaire. Cependant on
trouve aussi parmi eux des gens trapus (Ouimini).
Le teint varie du brun clair au brun très foncé (Gbâto notamment), plus
souvent foncé que clair.
Le système pileux est en général peu abondant et la barbe ne vient aux hom-
mes qu'à un âge assez avancé ; cependant on voit beaucoup de gens barbus chez
les Gbâto.
Les individus de teint clair à cheveux rouges se rencontrent dans beaucoup de
localités, sans paraître plus nombreux dans telle sous-tribu que dans telle autre.
Il en est de même des albinos et des nains, ces derniers très rares. J'ai vu des gens
à cheveux rouges un peu partout ; j'ai remarqué quelques albinos complètement
blancs chez les Kiembarha, les Nafarha et les Noholo ; j'ai vu des nains dans deux
villages Nafâna (Oûrigué et Louhà ou Boue).
Les femmes sont généralement laides et souvent mal conformées.
Hommes et femmes ont les pieds grands et plats, les mains larges, le nez assez
long mais large, les lèvres grosses.
La j:ète en général est aplatie sur les tempes et haute du menton au front, le
cou étant le plus souvent mince et allongé ; les tètes rondes et les cous courts sont
plus rares.
Rien en somme de bien caractéristique et qui puisse faire reconnaître un
Siéna au premier coup d'œil.
7. — Ija ohevelore.
Les modes de coiffure sont assez variés. Beaucoup d'hommes se rasent com-
plètement la tète, d'autres portent les cheveux longs tressés en nattes courtes,
d'autres se rasent les côtés et ramènent les cheveux du milieu en cimier, d'autres
ne conservent qu'une mèche sur l'occiput à laquelle est presque toujours attaché
un talisman, d'autres se plaquent les cheveux avec de la bouse de vache (quelques
cas observés chez les Niarhafolo et les Pala) ; d'autres enfin — peut-être le plus
grand nombre — laissent croître librement leurs cheveux, se contentant de les
raccourcir quand ils deviennent trop longs. Les musulmans se rasent très généra-
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 27»
lement la tète. Dans le sud-ouest de la fraction centrale (Gbâto et Kafibélé), on
▼oit beaucoup d'hommes se faire, à l'imitation des Mandingues dn Eourodougou,
une grosse natte au-dessus de chaque tempe et une sur la nuque.
Les femmes portent en général les cheveux coupés courts, souvent elles se
rasent complètement la tète ; certaines portent les cheveux longs et les tressent en
grosses nattes à Timitation des femmes Dioula, ou encore se construisent un cimier
en ramenant leurs cheveux sur un boudin d'étoffe placé entre le front et la nuque
ou d'une oreille à l'autre (mode de coiffure emprunté aux femmes mandingues du
Haut-Niger).
Il ne semble pas que ces divers modes de coiffure constituent des particula-
rités tribales ni sociales, car on les rencontre souvent dans le même canton et dans
la même classe de la société. La coquetterie individuelle, la mode du moment, les
influences extérieures et religieuses semblent être les principaux facteurs de cette
diversité^
Il y aurait lieu de rechercher si certaines circonstances de la vie, telles que le
deuil, ne commandent pas tel ou tel mode de coiffure : je n'ai recueilli aucune
indication à cet égard.
8. — Les mutilations.
Dents. — Certains Siéna (hommes et femmes) ont les canines ou les premières
molaires limées en pointe, mais cette déformation est assez rare et semble emprun-
tée à une population étrangère (peut-être aux Mandé-Fou du sud du Cercle de
Séguéla). D'autres ont les deux incisives médianes de la mâchoire supérieure écar-
tées vers le bas, déformation commune à un grand nombre de peuples africains.
Mais en général les dents ne sont pas déformées.
Oreilles^ lèvres j nez. — Les hommes se percent parfois le lobe des oreilles et
y introduisent un cordon de cuir orné de cauries (fractions centrale et nord-est).
Les femmes se percent très souvent les oreilles et y introduisent un cordon de cuir
ou de cotonnade, une ficelle ornée de cauries ou de perles, des anneaux de cuivre,
parfois d'argent ou d'or ; quelquefois tout l'ourlet de l'oreille, du haut jusqu'en
bas, porte une série de petites boucles de cuivre.
Dans un grand nombre de cantons, surtout dans les fractions centrale et du
nord-est, moins souvent dans la fraction nord, les femmes se percent la lèvre
inférieure et y plantent un bâtonnet de quartz tourné la pointe en bas, ou bien une
pierre ronde, une paille, une pointe de fer, d'étain ou d'argent. Parfois les narines
supportent chacune un petit anneau de cuivre (observé par M. Binger chez les
Siénérhè et par moi-même chez les Nafarha). Ces mutilations des lèvres et du nez
semblent ne pas exister dans les fractions sud et sud-est*.
Cicatrices et scarifications. — Le seul mode de tatouage' usité chez les Siéna
est le tatouage par incisions de la peau : ces incisions, pratiquées à l'aide d'une
pointe de couteau, affectent tantôt la forme d'une ligne de longueur variable, tantôt
celle d'un point ; l'incision est abandonnée à elle-même, parfois on y met une
poudre destinée à produire une boursouflure lors de la cicatrisation. Les cicatrices
^ M. Binger signale les Mbouin comme se rasant la tète et dit que, chez les Dorhossiè,
les hommes tressent leurs cheveux tandis que les fenmies les rasent.
^ D'après M. Binger, chez les Mbouin, ce sont les hommes et non les femmes qui se
percent la lèvre inférieure et y introduisent une pointe.
8 Le mot est impropre, puisqu'il n'est pas fait usage de matières colorantes. (Ed.).
p. 28.] •^ R • E > E * S * [1908.
sont plus ou moins larges selon la profondeur de l'incision ; les unes apparaissent
en creux (c'est le cas le plus général pour les incisions linéaires de longueur appré-
ciable), les autres en relief (c'est le cas des points et des incisions linéaires courtes).
On rencontre bien des peintures faites à Taide de terres colorées ou de suie,
mais elles ne sont employées que dans des cas spéciaux (cérémonies religieuses ou
funéraires), et ne peuvent être considérées comme des tatouages, car elles sont
faites à même la peau.
La coutume des incisions épidermiques était autrefois universelle chez les
Siéna, d'après les anciens. Depuis l'arrivée des Dioula dans le pays, elle a diminué
beaucoup, les Dioula de race pure n'étant pas incisés et les musulmans déconseillant
le marquage comme une offense à Dieu dans la personne de sa créature.
On trouve actuellement chez les Siéna et dans la même sous-tribu des marques
très diverses : les plus fréquentes sont trois raies en éventail sur chaque joue ou
trois raies verticales, parfois les deux ; beaucoup d'indigènes ne sont pas marqués
du tout. C'est par pure coquetterie, disent les indigènes, que les parents adoptent
pour leurs enfants telle ou telle forme ou l'absence complète de mutilations : il n'y
aurait là aucune marque ethnique.
Cependant il arrive que certain mode d'incision épidermique domine dans une
fraction ou une sous-tribu donnée. Voici les observations que j'ai faites à cet égard,
mais qui n'ont rien d'absolu ; j'y ai ajouté celles de M. Binger. Sauf indication
contraire, les marques décrites sont communes aux deux sexes.
1® Fraction Nord. — Siénérhè et Tagba (M. Binger) : trois incisions de quatre
centimètres de long environ de chaque côté de la bouche, s'écartant légèrement en
é?entail sur les joues ; certains ont en outre une entaille de chaque côté du nez et
quelquefois deux ou trois entailles de deux centimètres de chaque côté des yeux ;
quelques hommes ont des incisions sur le ventre ; les femmes en ont le ventre et
la poitrine couverts.
Nohoh et Zona. — Incision la plus répandue : une virgule sous chaque œil et
trois séries superposées de très petites entailles verticales sur chaque tempe (fig. 1).
On trouve aussi la suivante : trois cicatrices verticales très fines sur chaque tempe
et une autre au milieu du front (fig. 2 et 3). Beaucoup d'indigènes ne portent
aucune incision.
2^ Fraction Centrale. — Gbâto : les gens marqués ne sont pas toujours les plus
nombreux ; incisions les 'plus fréquentes : trois petites entailles verticales sur
chaque tempe au-dessus de l'oreille (fig. 4), ou bien une raie verticale au milieu
du front (fig. 5).
Kassemhélé. — Deux ou trois virgules sous chaque œil (fig. 6), en plus de trois
cicatrices verticales ou en éventail sur chaque joue, lesquelles n'existent pas
toujours. Plusieurs indigènes — des chefs notamment — ne sont pas marqués du
tout.
Nafarha et Kienibarha. — Incisions les plus fréquentes : trois cicatrices par-
tant de la commissure des lèvres et s'écartant en éventail sur la joue (fig. 8), ou
bien trois cicatrices horizontales minuscules à la commissure des létres (fig. 9) ;
on trouve aussi trois longues cicatrices verticales sur chaque joue (fig. 10). Un
certain nombre de gens ne sont pas marqués.
Niarhafolo. — Mêmes marques que chez les Nafarha, mais en plus, souvent,
de nombreux points en relief sur le front et les tempes (fig. 11). Les femmes sont
couturées de cicatices rectilignes en relief et de points également en relief formant
des dessins divers, sur la poitrine, le ventre, le dos, les flancs, les bras, les cuisses.
1908«] DELAFOSSE : LB PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 29»
Tafiré, — Trois cicatrices assez courtes partant de la commissure des lèvres
et s'écartant en éventail sur chaque joue ; la plupart ont en outre deax lignes
horizontales de points entre l'œil et Toreille (fig. 12) et six incisions formant un
double éventail autour du nombril (fig. 13).
3^ Fraction Nord-Est. — Pala et Sikolo : trois cicatrices longues et larges
partant de la commissure des lèvres et s'écartant en éventail jusque près de
Foreille (fig. 14) ; fréquemment on voit en outre des points en relief sur le front et
entre Tœil et l'oreille, ainsi que des incisions autour du nombril.
Mbouin (M. Binger) : une, deux ou trois très petites entailles à chaque coin
de la bouche.
KomonOy Dorhassie et Kièfo (M. Binger) : incision de tête des Pàla^ avec une
petite cicatrice à hauteur de Tune des narines et douze incisions rayonnant autour
du nombril.
4® Fraction Sud. — Takpanin : trois cicatrices assez courtes partant de la com-
missure des lèvres et s'écartant en éventail sur la joue (fig. 15) ; une très notable
partie de la population ne porte aucune marque.
Guimini : même marque que les Takponin, mais le nombre des gens non
marqués est bien plus restreint.
6° Fraction Sud-Est. — Nafâna : marques fort rares, ou consistant seulement
en quelques points en relief à la nuque et entre Toeil et Toreille, à Timitation des
Agni-Assanti.
On a discuté le point de savoir si ces marques n'avaient pas un lien avec la
division en clans ou familles : M. Binger suppose que les trois raies en éventail
représentent les moustaches des félins, et on serait tenté de les rapporter à la
même origine que le nom de famille des Soroo, qui signifie « panthère », ce fauve
étant en effet le principal animal sacré de cette famille (voir plus loin). Mais un
obstacle assez sérieux vient se dresser à rencontre de cette hypothèse : c'est que la
même marque se rencontre chez les Yéo (famille de l'antilope rayée), les Tî4Ô
(famille du sanglier), etc., alors que, d'autre part, beaucoup de Soroo n'ont pas les
trois raies en éventail et portent une marque différente.
Circoncision et excision. — La circoncision, très antérieure à Tislam, existe
dans certaines sous-tribus et non dans d'autres ; dans la même sous-tribu il y a
des circoncis et des incirconcis, sans raison apparente. En général on circoncit les
garçons chez les non musulmans à un fige plus avancé (vers douze ans) que chez
les musulmans. L'opération s'accompagne de cérémonies qu'il conviendrait d'étu-
dier; elle est faite par des hommes spéciaux et dans des lieux spéciaux. —
M. Binger note les Siénérhè et les Dorhossiè comme étant circoncis, les Eomono
comme ne l'étant pas.
L'excision de l'extrémité du clitoris semble universelle chez les Siéna, sauf
en ce qui concerne les Nafâna, chez lesquels l'influence Agni-Assanti tend à faire
disparsdtre cette coutume. Elle est faite par des femmes spéciales sur les fillettes à
peu près nubiles, et s'accompagne de cérémonies qu'il conviendrait d^étudier. —
Chez les Siénérhè (M. Binger), les femmes ne sont excisées qu'après la naissance
de leur premier enfant.
9. — Les maladies.
Les plus redoutables et les plus fréquentes sont la variole, les maladies d'yeux,
le trypanoBOmiase (vulgairement « maladie du sommeil«, appellation fort impropre).
P> 80>] > R * Ë * E * S ^ [1908.
la blénorrhagie, les affections des bronches, et enfin la fièvre dite paludéenne ou
malaria. La dysenterie, la tuberculose et la syphilis existent aussi, mais dans de
moindres proportions. Les maladies de peau et la lèpre se rencontrent assez souvent
mais sont moins fréquentes que chez les peuples habitant la forêt.
(Voir plus loin, « hygiène et thérapeutique », pour la façon de traiter ces
maladies).
Gomme affections nerveuses, il convient de noter diverses sortes d^aliénation
mentale, notamment une relativement fréquente et qui est remarquable en ce
qu'elle n'apparaît chez le sujet que de façon intermittente et se manifeste alors,
chez les gens les plus doux à Thabitude, par la manie du meurtre.
.10. — Le vôtement.
Le vêtement varie beaucoup selon que Tinfluence étrangère — mandingue sur-
tout — a été plus ou moins grande.
Dans la fraction du centre, moins influencée et qui a conservé plus que les
autres les coutumes primitives, le vêtement usuel des hommes se compose le plus
souvent d'une bande de cotonnade indigène très étroite, presque un cordon, passée
entre les cuisses, prise sous une ficelle servant de ceinture, et retombant devant
et derrière. C'est ce vêtement sommaire que les Européens appellent communé-
ment bil-aj du mot mandingue bilan ou biîa. Parfois il se compose d'une bande de
cotonnade qui est roulée d'abord autour de la taille et ensuite passée entre les
cuisses et ramenée à la partie formant ceinture. D'autres fois la bande formant
ceinture supporte en avant une sorte de petit tablier de quatre centimètres de large
qui se termine par un cordon venant s'attacher à la ceinture au dessus des fesses.
— Les femmes portent une bande plus étroite encore, parfois une véritable ficelle,
pénétrant entre les fesses et arrêtée devant et derrière à la ceinture, laquelle se
compose, soit d'une ficelle ou d'un cordon de cuir, soit le plus souvent d'une série
de cordons de cuir formant une bande de six à douze centimètres de largeur. En
général elles portent en outre un paquet de feuilles attaché à la ceinture par devant
et ne retombant pas plus bas que la jointure des cuisses ; ce paquet de feuilles est
souvent remplacé par des fraoges de cuir ; quelquefois un second paquet de feuilles
est suspendu sur les fesses.
Dans la fraction sud et une partie au moins de la fraction nord-est (Pala,
Sikolo, Komono), le bila des hommes est généralement large et très long, atteignant
parfois, quand il est déployé, les dimensions d'une grande serviette de bain, et des
franges le terminent à chaque extrémité ; il est passé sous la ficelle de ceinture et
retombe devant et derrière jusqu'à hauteur des genoux ; la partie passée entre les
cuisses ne s'applique pas exactement contre les parties à cacher, mais demeure
flottante. Les hommes de la fraction sud portent souvent en outre un pagne enroulé
autour du corps et rejeté sur l'épaule gauche, laissant le bras droit entièrement
libre, ou bien la blouse courte qui sera décrite plus loin ; souvent aussi, ils rem-
placent le bila par une culotte large avec ceinture à coulisse et descendant jus-
qu'aux genoux, qui se porte, soit seule, soit accompagnée de la blouse courte ou
du pagne. On rencontre aussi le pagne, la blouse courte et la culotte dans la frac-
tion nord-est, mais beaucoup plus rarement. Le pagne est excessivement rare dans
la fraction centrale ; la culotte et la blouse courte s'y voient de temps en temps. —
Dans les mêmes fractions (sud et nord-est), les femmes portent presque toutes un
pagne allant de la ceinture au bas des genoux, sans vêtement intime par dessous.
1908.] DELAFOSSE : LB PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 31,
Cependant les ceintures de cuir et les feuilles se rencontrent souvent aussi dans la
fraction nord-est (plusieurs villages Pala, et, d'après M. Binger, les Mbouin et les
Dorhossiè^
Dans la fraction nord, on rencontre encore le bila étroit des hommes et le
cordon des femmes qui dominent dans la fraction centrale, mais l'usage de la
blouse courte, surmontant soit le hila soit la culotte, et celui du pagne chez les
/emmes, est très généralisé.
Dans la fraction -sud-est, les hommes ont adopté en général le tablier-caleçon
des Koulango (fort bien décrit par M. le D' Maclaud dans ses Notes sur les Pakhaîla^
dans YAnthropologie)^ et portent presque tous en outre le pagne rejeté sur l'épaule,
à la façon des Âgni-Assanti. — Les femmes portent le pagne noué à la ceinture,
soit seul, soit doublé en dessous du vêtement intime des femmes Agni-Assanti
(pièce d'étoffe pliée en bande épaisse et large de trois doigts, s'appliquant étroite-
ment contre les parties à cacher et maintenue devant et derrière par une cein-
ture de perles ou une simple ficelle).
En voyage ou en représentation, les Siéna du Centre ajoutent souvent à leur
hila la blouse courte en cotonnade indigène, composée de deux carrés d'étoffe cousus
sur les côtés et aux épaules, avec un trou en haut pour la tête et un trou de chaque
côté pour les bras ; cette blouse tombe jusqu'au nombril, parfois un peu plus bas.
Parfois elle se compose d'un simple rectangle au milieu duquel on a ménage un trou
pour pas&er la tête et dont les deux moitiés retombent sur chaque face du buste,
sans couture sur les côtés. Parfois aussi elle est agrémentée de manches fort
courtes, allant à peine jusqu'au coude. — Comme coiffure, ils portent très géné-
ralement un chapeau conique en paille tressée à bords le plus souvent très larges :
parfois, surtout chez les agriculteurs travaillant aux champs et chez les musiciens,
ce chapeau atteint les dimensions d'un parapluie. Les femmes vont tète nue, sauf
les femmes riches qui, dans les grandes occasions, se recouvrent la tête d'un
foulard noué sur la nuque. — Comme chaussures, hommes et femmes en voyage
portent souvent des sandales de cuir non tanné, mais ils vont pieds nus la plupart
du temps. Parfois, en temps de pluie, ils portent des sortes de soques en bois
formés d'une semelle reposant sur deux montants, très analogues à ceux qu'on
rencontre en Extrême-Orient. — Pour en finir avec la fraction centrale, j'ajou-
terai qu'un certain nombre de femmes, les jours de fête ou lors des grandes occa-
sions, ajoutent à leur cordon, au lieu de feuilles, un pagne court attaché à la
ceinture.
L'usage des sandales est commun à toutes les fractions Siéna. — Celui du
chapeau de paille conique, nu ou orné de plumes, est commun aux fractions du
Nord, du Centre, du Nord-Est et du Sud. Dans cette dernière, cependant, on
rencontre aussi le chapeau à fond hémisphérique et à bords relevés, en usage chez
les Dioula et les Haoussa. Ces deux sortes de chapeaux sont munis d'un cordon en
ficelle ou en cuir qui sert de mentonnière quand le chapeau est sur la tête, et qui
permet de porter le chapeau sur le dos, suspendu au cou, lorsqu'on veut avoir la
tête libre. — En outre du chapeau, l'usage d'un bonnet en cotonnade est assez
répandu, notamment dans les fhictions nord et sud : c'est le plus souvent le bonnet
^ M. Binger nous apprend que, chez les Dorhossiè, les hommes enferment leur membre
dans un étui ou doigt de gant en cotonnade, comme font la plupart des Lobi, Birifo, etc.,
et que, chez les Kièfo, ils vont complètement nus, comme font beaucoup de Birifo,
Dagàri, etc.
p. 32.] • R • Ë - E • S • [1908>
dont roavertare est formée par deux pointes, dit bonnet « à gueule de caïman »,
importé par les Mandingues du Haut-Niger ; mais on rencontre aussi dans la frac-
tion sud le bonnet napolitain des Dioula. Lies gens portant le bonnet ne Tenlevent
point pour mettre leur chapeau. — L'usage d^une coiffure quelconque est assez
rare dans la fraction sud-est ; on y rencontre cependant des chapeaux de feutre
de fabrication européenne et Ton y Toit des hommes portant au soleil une pièce
d'étoffe pliée comme une serviette et simplement posée sur le sommet de la tête.
Chez les Siéna mandicisés, les gens riches remplacent la veste ou blouse courte
par une sorte de dalmatique de même forme générale mais tombant jusqu'aux
genoux, avec de larges ouvertures pour les bras ou des manches aussi larges que
longues, ou encore complètement ouverte sur les côtés ; sur le devant est ménagée
une poche vaste et profonde s'ouvrant à hauteur de la poitrine. Les mêmes portent
généralement la culotte large et leurs femmes portent toujours le pagne.
Tous les vêtements dont il a été question jusqu'ici, à de très rares exceptions
près, sont confectionnés avec des tissus de fabrication indigène, tissés soit par des
Siéna, soit par des Dioula ou d'autres Mandingues.
Les gens très riches et les musulmans portent le costume généralisé chez tous
les Noirs musulmans de l'Afrique Occidentale : dalmatique ou gandoura dite boubou^
culotte, souvent haïk, burnous ou cafetan, bonnet blanc en tronc de cône souvent
finement brodé, bonnet napolitain ou « à gueule de caïman * brodé en couleurs
vives, ou bien chéchia de feutre rouge, avec ou sans turban, babouches ou bottes
de fabrication mandingue, haoussa ou sénégalaise. Les tissus européens, y compris
la soie et le velours, entrent fréquemment dans la confection de ces costumes de
luxe.
REES, 1908
Planche II.
NOHOLO et
h^5
ZONA
R^4 Rg5
GBÂTO
Fi^ 6 Fi^ 7
KAS5EMBELÉ
Kl EMBARHA et NAFARHA
NiARHAFOLO
TAPIRE
TAKPONINetGUIMINI
CICATRICES .. SCARIFICATIONS
1908.] BOREÜX : POTERIES DÉCORÉES DB l'ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 33.
LES POTERIBS DÉCORÉES DE L'EGYPTE
PRÉDYNASTIQUE
par Charles Boreux (Paris).
Les représentations figurées sur les vases appartenant à Tépoque égyptienne
prédynastique ont donné lieu déjà à bien des interprétations. En général, comme
les poteries décorées trouvées à Negadeh et à Ballas' — surtout si on y joint
celles provenant de Diospolis parva*, ainsi que la fresque peinte d'Hiérakonpo-
lis* — constituent une série importante et suffisamment complète, il a paru
légitime à ceux qui les ont étudiées de tirer tout de suite de cette étude des conclu-
sions d'ensemble. A ces témoins inespérés d'un très lointain passé on a d'autant
plus demandé qu'on avait plus longtemps attendu leur témoignage. Bien mieux, on
a d'ordinaire fait bon marché de l'intérêt artistique que ces représentations pou-
vaient offrir, pour s'attacher uniquement à leur valeur documentaire : et parce que
les vases de Negadeh nous font connaître uo type d'art représentatif du goût égyp-
tien à une certaine époque, on a voulu, par eux, essayer d'atteindre toute l'Egypte
de cette époque, reconstituer son état politique et retrouver ses croyances religieu-
ses, en un mot la ressusciter.
On ne saurait évidemment condamner « a priori » de semblables conclusions :
mais peut-être n'est-il pas inutile d'interroger ces vases une fois de plus.
I
On a depuis longtemps signalé l'étroite relation qui unit leurs représentations
aux « graffiti », et, d'une façon générale, aux représentations gravées sur les parois
de rochers. Pour bien comprendre les peintures des vases de Negadeh, il est donc
nécessaire d'étudier ces dessins rupestres par lesquels, dans tous les pays, se mani-
feste l'éveil artistique des populations primitives : on s'aperçoit assez vite que ce
qui caractérise ces dessins, c'est le choix du sujet, d'abord ; c'est ensuite et surtout
la façon très particulière dont ce sujet est mis en œuvre.
Les sujets des « graffiti » sont toujours empruntés à la nature proche, c'est-à-
dire à cette nature qu'un homme, si grossier qu'on le suppose, est forcé de voir et de
sentir» parce qu'il l'a constamment sous les yeux. Un « graffito n est une repro-
duction partielle du paysage de tous les jours, de l'horizon familier qui finit par
faire partie de l'existence même : c'est la seule forme d'art à laquelle puissent
s'élever des peuples ou des individus qui, déjà capables de voir, ne savent pas
encore interpréter ce qu'ils voient. Or ce qui frappe des hommes dont toute la vie
se passe en plein air, au milieu d'une nature tour à tour clémente ou hostile, c'est
l'arbre qui les protège ou le fauve qui les menace : dans un pays comme TEgypte
^ Et aussi à Abydos, Gebeleîn, El Amrah etc. Ces vases sont de couleur jaune et ornés de
peintures rouges. — Pour la bibliographie, cf. Capart, Les Débuts de Vkrt en Egypte^
pp. 7-8. — Des reproductions coloriées d'un certain nombre de ces vases se trouvent dads
de Morgan, RecTierches sur les origines de VEgypte T. I^ planches iV-IX.
« Pétrie, Diospolis parva, pi. XVI et XX.
3 Quibell et Green. — HieraJwnpolis, II, pi. LXXV sqq.
F. 34.] * R ^ E > E > s • [1908»
ce sera encore le fleuve, qui semble remplir toute la vallée, avec les montagnes,
qui la ferment. La guerre aussi, et la chasse jouent naturellement un grand rôle
dans les représentations rupestres ; la maison au contraire n'y apparaît presque
jamais, peut-être parce que la hutte primitive est une maison de fortune qui, dépla-
cée à tout instant, ne fait pas partie du décor habituel ; Thomme lui-même ne figure
qu'accessoirement, et le plus souvent luttant, soit contre ses ennemis, soit contre
des bêtes féroces. — La faune d^abord et avant tout, puis la flore, puis Teau et les
rochers, les armes de toute sorte, et enfin les bateaux, tels sont les motifs habituels
que reproduisent indéfiniment les « graffiti 9.
La technique, aussi, est toujours la même, qu'il s'agisse des gravures sur
roches du Sud-Oranais', ou des sculptures taillées par les Boschimans dans les
parois de leurs cavernes^. Un effort pour composer les scènes plutôt qu'une com-
position véritable, une méconnaissance complète des lois de la perspective et des
dimensions relatives des objets, ces traits sont communs à toutes les représentations*
rupestres : mais ce qui caractérise surtout cet art primitif, c'est la recherche, sinon
du détail, au moins d'un détail, de celui-là même qui est essentiel dans un être ou
dans un objet, parce qu'il lui donne une physionomie particulière, et qu'il permet
de le distinguer très facilement des autres. Les peuples jeunes ont une vision un
peu grosse, que l'habitude n'est pas venue affiner encore ; ils ont toujours besoin
de points de repère pour s'orienter. Aussi, de même que, dans la nature, ils ne
voient qu'un certain nombre de choses, ils n'aperçoivent ces choses elles-mêmea
que par certains côtés : et ce sont ceux-là seuls qu'ils essaient de fixer.
Quelques exemples suffiront à illustrer ce procédé qu'on pourrait définir Vexor-
gération du ou des détails caractéristiques au détriment de tous les autres. — Une
peinture de chasse' nous montre un animal assez informe et pourtant très aisé-
ment reconnaissable à la saillie de ses épaules : c'est un hippopotame. A Morhar*
un autre animal, d'une anatomie déconcertante, a été gratifié d'une longue queue
spiralée : ce n'en est pas moins une girafe, dont on a pu dire qu'elle était « frap-
pante de vérité » parce que le dessinateur a très bien rendu la disproportion qui
existe edtre la longueur du cou et l'exiguité de la tête. De même un éléphant se
résume tantôt en une énorme oreille retombante dont les membres de devant ont
l'air de n'être que le prolongement^, tantôt, comme à Tazina^, en une immense
trompe (qui ressemble d'ailleurs plutôt à une massue) et en deux pieds démesuré-
ment élargis à leur base. I/es bovidés de Thyout^ sont toujours nettement distin-
gués par la forme de leurs cornes : qu'importe que celles-ci soient plantées si bas
sur le front d'un buffle, qu'elles paraissent sortir de ses yeux ? Il suffit que ce soient
bien là des cornes de buffle. Et ainsi de suite*. Des animaux qui marchent (ou
1 Bonnet, Les gravures sur roches du Sttd-Oranais^ dans la Remce <r Ethnographie^
Vm, pp. 149 sqq.
2 Grosse, Les Débuts de VArt^ pp. 147 sqq.
s Tirée de Fréd. Christol, Au sud de V Afrique^ et reproduite dans V Anthropologie^ 1900»
page 78.
* Bonnet, I. c. flgure 6.
s Bonnet, 1. c. ligure 3.
« Au sud-ouest de Oéry ville. — V. Gsell, Les monuments antiques de V Algérie I, 44
^figure 11). — Cf. aussi le groupe des cinq éléphants gravés sur les rochers de THadjar
Jifahisserat (Bonnet, 1. c. page 157).
7 Au nord-est d*Aïn-Sefra. — V. Gsell 1. c. figure 10 et page 43,
^ V. p. ex., dans les carnets rapportés par G. Benedite d'une mission au Sinai^ les gra-
Yures rupestres représentant dlflërents animaux, notamment le chameau (pour ainsi dire
1908.] BOREUX : POTERIES DÉCX)RÉES DE l'ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 36.
plutôt qui courent : il s'agit d'une scène de chasse) lèvent si haut les pattes de
devant, que ces pattes sont parallèles au sol' : mais Texemple le plus curieux
est peut-être une représentation du sud de F Afrique* où des hommes jouent le
principal rôle. D^ordinaire les hommes, dans les gravures rupestres, sont extrême-
ment schématisés ; les membres, et souvent même le tronc, se réduisent à de sim-
ples lignes : c'est seulement le mouvement des bras — généralement levés en Fair
en signe d'adoration, ou d'émotion triste ou joyeuse — qui anime ces vagues sil-
houettes et leur donne la vie en les di£ferenciant. Ici nous avons affaire à des
tireurs : ils présentent cette particularité de n'avoir pas de tête, et, chose singulière,
on ne s'en aperçoit pas tout de suite en les regardant. C'est que, malgré soi on est
attiré par leur arc, un arc énorme qui ne peut laisser aucun doute sur l'occupation
à laquelle ils se livrent : à côté de cet arc tout disparaît, la tête elle-même devient
en quelque sorte un accessoire insignifiant et inutile. Il est probable que de très
bonne foi l'artiste ne la voyait même pas : et ce n'est qu'à la réflexion qu'on remar-
que soi-même cet oubli.
II
Ce qui est vrai pour les gravures du Sud-Oranais l'est aussi pour les peintures
australiennes' ou pour celles des Boschimans^ ; et toutes les préoccupations
habituelles de l'art rupestre se retrouvent également dans l'art de Negadeh.
Que distinguons-nous en effet sur les vases prédynastiques ? Un assez petit
nombre de motifs purement linéaires, et un très grand nombre d'ornements em-
pruntés directement à la nature. Ceux-là ne sont pas toujours très faciles à identi-
fier : ceux-ci, au contraire, en général, se reconnaissent du premier coup d'œil.
Que les spirales disposées symétriquement sur les parois des vases D 67a et
D 67c^ soient une imitation du calcaire nummulitique^, c'est possible ; que les
réseaux réguliers de lignes brisées qu'on remarque sur les vases D 45, D 50, D 51^
etc., représentent des cordes entourant le col ou la panse, c'est très probable ; mais
que les animaux peints sur les vases D 50, D 51, D 55' et tant d'autres soient
des autruches, cela est sûr. Après l'autruche qui parait être l'animal proféré des
artistes de Negadeh, le type le plus souvent reproduit est la gazelle' ; le croco-
dile, au contraire, n'apparaît qu'exceptionnellement''. — L'eau est figurée par
réduit à sa bosse — n«« 477, 478, 706, 754) et Tantiiope (caractérisée exclusivement par ses
cornes ^ n^ 510, 667). — Voir aussi une représentation typique de guerriers combattant
(page 44 du supplément).
1 Grosse, 1. c. planche III.
* L'Anthropoiogie, 1900, page 76.
3 Voyez surtout les peintures des cavernes du Glenelg, dans Grosse, 1. c. pp. 126 sqq.
* Fritsch, Die Eingebomen Süd-Aft'ihas dans Grosse, 1. c. pp. 138 sqq.
5 Pétrie, Naqada and Ballas pi. XXXV.
« Id., id. p. 40. — Cf. Schweinfurth, Ornamentik der ältesten Cültur-Epoche JEgyp-
tens, page 397.
7 Pétrie, 1. c. pi. XXXV.
8 Id , id. — Cf. aussi pi. LXVI, 3, 8, 9, 10 et pi. LXVII, 11-14 — et encore Diospolis
parva pi. XVC 53 c, 54 et 55 a.
» Naqada, XXXIV. D 36 c, 47 — LXVI, 2 ; LXVII, 11, 15, 16, 17 — et Hierakonpolis II,
pL 76-78.
10 Naqadà, LXVII, 12. ^ Notons encore un animal assez trapu, avec des pattes courtes,
une longue queue et un museau pointu, qui figure à plusieurs reprises sur la fresque
d'Hierakoupolis (H pi. 76-78).
P, 36,] * R > E « E * S • [1908.
des séries de lignes ondalées et parallèles' ; les montagnes, par des cônes séparés
les uns des aatres*, ou réunis de façon à former une véritable chaine^. Mais
ce sont surtout les arbres et les bateaux qui forment Télément le plus constant de
la décoration. Nous aurons Toccasion de reyenir sur les uns et les autres : disons
tout de suite cependant que deux variétés d^arbres seulement sont représentées^»
et que les bateaux, différenciés par la présence ou Tabsence de rames^, sont tous
surmontés de deux cabines dont l'une supporte une enseigne*. Au milieu de ce
décor de plein air Thomme joue un rôle assez effacé : à Negadeh deux personnages
sont debout sur la cabine d'un bateau'^ ; ou bien des femmes sont représentées
les bras levés, dans une attitude qui rappelle celle de la danse^ ; à Hierakonpolis
des hommes combattent soit avec d'autres hommes, soit avec des animaux*. Les
scènes de chasse sont naturellement très nombreuses : gazelles prises au piège'^
ou emmenées captives'*, autruches qu'un lien retient enchainées par lespattes'*
ou par le milieu du corps*', tous les poncifs de Tart préhistorique se retrouvent à
Negadeh'*.
Ils y sont traités de façon identique. Parmi les raisons qui ont empêché quel-
ques savants d'admettre la présence de bateaux sur les vases qui nous occupent'^,
quelques-unes sont tirées de ce que les rames de ces soi-disant bateaux sont beau-
coup trop nombreuses, ou bien de ce qu'elles devraient partir de la ligne supérieure
de la coque et non de la partie inférieure ; ou encore de ce que la plupart ne
sauraient atteindre le niveau de Teau, étant donnée la forme infléchie du bateau.
Mais c'est là méconnaître les lois auxquelles l'art rupestre obéit inconsciemment.
A Ksar el Ahmar'* une femme a des mains munies chacune de six doigts : faut-il
donc en conclure que ce ne sont pas des mains ? Personne n'y songerait sérieuse-
ment ; et puisque l'effet général est rendu, un ou deux doigts supplémentaires sont
une erreur sans importance. De même il est indifférent que les bateaux de Negadeh
aient jusqu'à cinquante rames et plus : l'artiste primitif a vu la barque en gros,
il a été frappé par ce long corps recourbé qui semble avancer sur ses rames comme
un insecte sur ses pattes : et c'est cette silhouette qu'il a dessinée, pas si maladroi-
tement après tout. Dans toutes les représentations de Negadeh on retrouve cette
même façon naïve de copier la nature. La tête des autruches est figurée par un
i Naqada, LXVII, 12.
« Id., id. 14 et 15.
^ Id., id. 13.
^ Elles sont le plus souvent réunies sur chaque vase. V. p. ex. Naqada LXVI, 6, 9»
10 etc.
s Encore convient-il de remarquer que tous les bateaux peints sur vases possèdent des
rames : seuls, ceux qui décorent la tombe d'Hierakonpolis en sont dépourvus.
^ Ces enseignes n'apparaissent pas sur les bateaux d'HierakonpouIis.
7 Naqada, pi. LXVI, 7.
« Id. LXVn, 14.
» Hierakonpolis H, planche 76.
w Id., id.
» Naqada, LXVII, 17.
w Id., id. 12 et 13.
w Id. LXVI, 10.
^^ Il faut y ajouter les armes, représentées par de longs bâtons recourbés que des hommes
tiennent presque à bout de bras (Hierakonpolis II, pL LXXVI), et aussi par des boucliers
plantés en terre (Schweinfurth, Ornamentik, page 399. — Cf. infra).
*5 Cecil Torr, dans l'Anthropologie, IX — et V. Loret dans la Revue EgyptologiqiLe X.
1Ö Au sud-ouest de Géry ville. — V. Gsell 1. c. I, page 45.
1908.] BOREÜX : POTERIES DÉCORÉES DE l' EGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 37.
miauBcuIe crochet, et leur cou est beaucoup trop allongé ; mais toiyours le corps
présente ce dos bombé, si caractéristique de Tanimal. Ou bien les gazelles sont
différenciées par la forme de leurs cornes' ; et le tombeau d'Hierakonpolis nous
fournit un exemple très intéressant de gazelle à cornes lyriformes*. Des membres
réduits à des lignes grêles et une tète en forme de boule n'empêchent pas des
hommes assis sur leurs talons d'être d'un mouvement très juste* ; d'autres
brandissent des armes qu'il n'est pas toujours facile de déterminer^, mais on ne
saurait douter que ce sont là des combattants. Il serait facile de multiplier ces
exemples. Nous avons vu que l'art des « graffiti » se résumait en une vision très
grosse de la nature : c'est cette même vision, un peu élargie, qui caractérise l'art
de Negadeh. Les sujets traités sont plus nombreux, mais ils sont traités de façon
semblable : c'est toujours cette même recherche confuse du pittoresque, et cette
sorte d'impuissance à voir, dans les objets environnants, autre chose que le profil
général ou le détail essentiel.
m
Tel qu'il est, cet art rudimentaire doit cependant avoir un sens, ou alors il ne
mériterait plus d'être appelé de ce nom. On l'a interprété loogtemps comme un
art purement décoratif, mais l'opinion ne paraît guère avoir prévalu, et un des
derniers savants qui se sont occupés de la question a pu écrire : « On a à peu près
abandonné aujourd'hui l'idée que ces images aient jamais pu être de la décoration
pure : nul ne croit plus que de pareilles images, toujours pareilles dans leurs
éléments essentiels, aient été laissées à la fantaisie des peintres^ ». D'une
façon générale, les arguments invoqués en faveur de cette thèse peuvent se rame-
ner à deux seulement, et qui sont assez contradictoires, semble-t-il : on dénie à
l'art de N^adeh son intention décorative, ou bien parce que cet art est trop primi-
tif, ou au contraire parce qu'il témoigne d'une civilisation relativement avancée.
Dans le premier cas on explique par la seule magie imitative* toutes les
gravures rupestres, et par suite toutes les poteries prédynastiques. Si les vases de
N^[adeh ressemblent étrangement aux « graffiti » du Sud-Oranais par exemple,
c'est que les artistes de l'Egypte primitive et ceux du nord-ouest de l'Afrique pour-
suivaient un but analogue : ils voulaient, en peignant un objet, créer véritablement
cet objet, et, par une sorte de résurrection, se le rendre favorable à l'avenir. —
En réalité, et sans vouloir nier ces « principes fondamentaux de la magie »'', que
les progrès de l'ethnographie et les travaux de Frazer ont fondés, dans ces dernières
1 • Les unes ont les corner recourbées (n«" 2, 15, 16), les autres les cornes en spirale n
(n^ 11, 17) (Pétrie, Naqada, page 49).
« Planche LXXVI.
' HierakonpolU II, planche LXXVII, en bas à gauche.
^ Id., id. LXXVI, en bas à droite.
5 G. Poucart, Sur la décoration des vases de la période dite de Neggadèh — dans les
Comptes rendus de V Académie des Inscriptions^ 1905, 1, page 259.
^ V. Capart, 1. c, pp. 207 sqq. L'auteur applique aux « graffiti n égyptiens les idées
exposées par S. Reinacb dans un article intitulé « VArt et la Magie à propos des peintures
et des gravures de Vàge du Renne ». — A propos de la distinction entre les animaux dési--
râbles et les autras, il fait d'ailleurs les objections nécessaires, et les résout en supposant
que, si certains animaux <> undesirable • ont été représentés par Fart primitif égyptien»
c'est parce que c'étaient des animaux déjà divinisés.
■^ Capart, 1. c. page 208.
F. 38.] • R • E • E • S • [1908.
anoées, sur des bases d'ailleurs très solides, il est sans doute permis de penser
qu'on en abuse un peu parfois. Ils peuvent aider à comprendre pourquoi certaines
peintures se rencontrent au fond de grottes obscures : ils n'expliquent pas néces-
sairement pourquoi la plupart des ^ graffiti » de la Haute Egypte sont gravés à
Fair libre, sur la paroi extérieure et très visible de rochers qui n'ont rien de mys*
térieux. Dès lors pourquoi ces « graffiti » — tracés généralement sur le côté du
rocher où l'artiste se trouvait à l'ombre ^ n'auraient-iis pas été surtout, pour
l'homme primitif, une manière d'occuper sa flânerie d'un instant, et d'utiliser, pour
essayer de se reconnidtre dans le désarroi de ses premières impressions d'art, le
seul et unique album qu'il eût alors à sa disposition ? D'ailleurs les dessina
rupestres présentent de très grandes analogies avec les marques de poteries : or,
quelle que soit la signification que l'on doive attribuer à ces marques^ il est bien
difficile de croire que la magie imitative y joue un rôle quelconque, et que le
graveur ait désiré créer en si grand nombre des reptiles, des lions et des hippo*
potames*, c'est à dire des animaux nuisibles pour la plupart. Dès lors si ces
marques doivent plutôt s'expliquer comme un essai de décoration, pourquoi les
« graffiti » ou les peintures de Negadeh, qui trahissent la même technique^,
s'expliqueraient-ils différemment ?
On objecte qu'à Negadeh, ces peintures décorent des vases funéraires^.
Parce que ces vases, recueillis en même temps que des arcs, des instruments de
pèche, des palettes, etc. constituent la première ébauche de ce qui deviendra, aux
époques postérieures, le mobilier funéraire, on en conclut qu'ils sont l'œuvre d'un
peuple assez civilisé (puisqu'il a déjà des idées sur la vie d'outre tombe) ; que, dès
lors, les peintures qui les ornent doivent avoir pour but d'illustrer des idées
funéraires, ou, pour le moins, de traduire, sous une forme figurée, quelques idées
religieuses très simples. Mais le raisonnement est assez surprenant. La destination
d'un objet peut bien lui imposer une certaine forme : on ne voit pas pourquoi elle
lui imposerait forcément une certaine décoration. Ou alors on se trouverait conduit
à rechercher, sur tous les vases funéraires de toutes les époques, quels symboles
peuvent bien se cacher derrière leurs représentations : il y aurait lieu de « traduire »
la céramique égyptienne tout entière, et il faudrait attribuer un sens mystérieux
aux poissons et aux fleurs de lotus, à tout ce décor d'eau et de plantes qui, aux
époques thébaines par exemple, constitue le fond principal de l'ornementation. La
vérité est que le vase, même funéraire, prête aussi peu que possible aux peinture»
symboliques. Par ses dimensions ordinairement restreintes, mais surtout par sa
forme toujours nettement limitée et précise, le vase est la « matière décorative »
par excellence ; aux plus anciennes époques c'est en outre le premier objet que
l'homme se sente à la fois désireux et capable d'embellir. Même il semble qu'il y
soit fatalement conduit par son esthétique très spéciale. Nous avons eu déjà
l'occasion de noter que les représentations rupestres n'étaient le plus souvent que
des silhouettes, et nous avons, pour expliquer le fait, invoqué cette sorte de vision
incomplète qui paraît être l'apanage des peuples encore très jeunes. Mais cette
1 Nous ne nous occupons ici que des marques représentant des figures d*animaux ou
d'objets : nous laissons de côté les marques à formes géométriques, où Pétrie a 'pu retrouver
les éléments des alphabets creto-égéens.
* Naqada, planche LI.
8 II suffit de comparer p. ex. les arbi^es en forme d'éventail (Naqada^ LXVI, 5, 7, etc.)
avec la marque 51 (Id. pi. LU) et les arbres à feuilles i^tombantes avec la marque 74.
^ Foucart, 1. c. page 259.
1908.] BOREÜX : POTERIES DÉCORÉES DE l'ÊGYPTB PRÊDYNASTIQUE. [P.39.
Tifiion elle-même, après avoir donné naissance à Tart, ne tarde pas à Torienter
dans une direction nouvelle. Dire que» soit paresse, soit impuissance, Thomme
primitif s'habitue à ne pas voir les choses exactement comme elles sont, mais à
n'en reproduire qu'on contour ou un détail caractéristiques, et à le reproduire
indéfiniment, c'est dire que, d'instinct, l'homme primitif est un décorateur. Quand
la figure n'est pas ou quand elle cesse d'être une copie de la nature, elle devient
un motif d'ornementation : et ce n'est plus alors qu'un thème, qui se développe
suivant des lois uniformes, en se stylisant de plus en plus.
En d'autres termes le vase est, après le rocher, l'album naturel où l'homme
s'essaie à reproduire la nature qui l'entoure : seulement la forme très particulière
de cet album oblige celui qui l'utilise à interpréter ses modèles. Par là s'expliquent
la plupart des particularités qu'on observe sur les poteries de Negadeh. D'abord la
composition est le plus souvent absente. Le vase D 55' nous montre bien une
troupe d'autruches figurées à égale distance de deux chaînes de montagnes : et sur
un outre vase* on voit des autruches encore, réunies cette fois par groupes de quatre
et alternant régulièrement avec des bateaux tous semblables. Mais ce sont là des
cas assez exceptionnels : même à HierakonpoUs, sur cette fresque qui semble, à
première vue, trahir un certain souci et un sens réel de la composition, les deux
bateaux de droite et de gauche ne se rattachent par aucun lien apparent aux quatre
bateaux du centre : et, quant aux autres scènes, une étude attentive montre qu'elles
ont été réparties au hasard des places disponibles^. Le même procédé est constant
è. Negadeh. Le plus souvent on a l'impression que le dessinateur s'était proposé de
réaliser, dans l'arrangement des scènes, une certaine symétrie : mais la dimension
du vase, la saillie de l'anse ou telle autre raison est venue contrarier son plan
primitif ; et il devient dès lors impossible de reconstituer celui-ci, même dans ses
lignes générales. Au reste l'artiste lui-même le perd bientôt complètement de vue ;
il utilise un motif pour remplir un coin resté vide, et ce motif lui en suggère un
autre, qu'il intercale de la même façon : au bout de peu de temps il en résulte une
inextricable confusion, un enchevêtrement d'êtres et de choses au milieu duquel il
n'est pas toujours facile de se reconnaître. Seul un zèle décoratif poussé à l'excès
peut expliquer pourquoi une autruche est comme perchée sur le sommet d'un
arbre^, ou paraît diriger avec ses pattes le gouvernail d'un bateau^ : vouloir
chercher un sens caché à de semblables représentations serait s'exposer à de
cruelles méprises.
Bien des détails qui paraissent ainsi surprenants, parce qu'on veut à toute
force leur attribuer une valeur documentaire, se comprennent au contraire tout
naturellement pour peu qu'on songe aux conditions dans lesquelles travaillent des
décorateurs. Ceux de Negadeh, en particulier, n'avaient à leur disposition qu'un
assez petit nombre de poncifs ; d'autre part leur technique était encore assez
rudimentaire ; il n'est donc pas étonnant qu'à force de répéter perpétuellement les
mêmes motifs, ils les aient parfois confondus, ou qu'ils les aient trahis en voulant
les traduire. L'habitude entrtdne vite l'inattention et le meilleur moyen de surmon-
ter une difficulté est encore de la supprimer. Deux variétés d'arbres sont repré-
i Naqada pi. XXXIV.
2 Id., pi. LXVn, 12. — Ce vase a été trouvé à Abydos.
3 Hierakonpolis II, page 21 : « The scenes seem to have been put where there waa
room for them, after the larger designs, such as the boats, had been drawn ».
* Naqada, LXVI, 3.
5 Id. LXVII, 14.
P,40,] ^ R * E * E ^ S > [1908,
dentées à Negadeh : que Tone reçoive les attributs réservés d'ordinaire à Taotre',
il faut rendre responsable de cette confusion la main seule du décorateur. De
même Tespèce de vase dans lequel Tun de ces arbres est habituellement planté^
s'échange souvent avec un autre objet' ; nous devons présumer que celui-ci est
un vase, lui aussi, quelles que soient d'ailleurs les formes étranges qu'il puisse
revêtir quelquefois^. Les ornements figurés à Tavant des bateaux et que l'on a
appelés les enseignes de proue^, représentent des palmes, ou des branches, tantôt
isolées*, tantôt réunies par groupes de deux'' ou de trois* ; au delà de ce nom-
bre l'artiste a voulu égayer un peu la monotonie de tous ces rameaux parallè-
les, et il en a rempli les intervalles par des séries de petites lignes' ; il a ensuite
appliqué machinalement le procédé, même quand il s'agissait seulement de repro-
duire le motif des deux branches ; et le type ainsi obtenu, qui n'est pourtant qu'un
motif végétal stylisé, risquerait d'être pris pour une banderoUe^^, si la comparaison
avec d'autres vases ne nous permettait pas de suivre ainsi les étapes successives de
sa transformation. — De même encore l'espace laissé vide entre les rames, dans
les représentations de bateaux, a été quelquefois interprété comme une porte ; et
l'on a pu édifier toute une théorie rien qu'en se basant sur ce détail. Il feiut y voir
seulement la trace d'une esthétique décorative qui différait suivant les artistes. La
plupart trouvaient l'effet meilleur ainsi ; d'autres au contraire jugeaient préférable
de ne pas rompre la ligne harmonieuse des rames, et les faisaient pendre sans
solution de continuité tout le long du bateau, depuis la proue jusqu'à la poupe".
Il se peut même que ces différences proviennent de raisons purement matérielles :
très probablement l'espace vide représente un arrêt momentané du travail, le repos
d'un instant que la main s'accordait, les rames de l'avant une fois peintes, avant
de passer aux rames d'arrière. Les unes et les autres en effet (sans doute pour mieux
épouser la forme du vase) sont ordinairement dirigées dans deux sens opposés ; et
si quelques artistes étaient assez habiles pour ménager insensiblement la transition^
la plupart, en revanche, étaient obligés de lever un peu la main et d'en changer la
position, afin de lui donner une direction nouvelle. Il arrive que le changement
s'opère d'une façon assez maladroite, et que le plan des rames de proue forme avec
celui des rames de poupe un angle beaucoup trop accentué ; si vraiment nous avions
affaire à des portes, beaucoup d'entre elles affecteraient la forme d'une pyramide
tronquée^*.
On le voit, sous quelque aspect qu'on envisage ces représentations, on se trouve
toujours conduit à la même conclusion : nous sommes ici en présence d'un art tout
à fait analogue, par son fond et par sa forme, à l'art rupestre, un peu plus laiige
seulement et trahissant une intention décorative plus manifeste et plus précise.
I Id. LXVI, 2.
« Id. LXVI, 10.
3 Id., id. 9 et 8 (vase du milieu).
* Naqada, LXVU, 14.
5 De Morgan, Recherches^ n, 92.
« Naqada, LXVI, 2, 5, 7 — et LXVII, 13. La branche elle-même se subdivise parfois ea
deux autres (LXVI, 3, 10 — et LXVn, 14) ou même en trois (LXVI, 4 et LXVn, 11).
' Id. XXXIV, 45 et LXVI, 10.
8 Diospolis parva XVI, 41 b.
« Naqada LXVI, 6.
w Id. 8, 9 et LXVII, 12.
II Naqada, LXVI, 6 et 9.
" Id. LXVI, 10. .
1908.] BOREUX : POTERIES DÉCORÉES DE l'ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 41,
IV
Est-ce à dire que cet art ne saurait nous fournir aucune indication sur TEgypte
prédynastique et sur les hommes qui Thabitaient ? Ce serait aller trop loin. Puisque
le grand procédé de Tart primitif est de reproduire la nature dans ce qu'elle a de
caractéristique, on est en droit d'espérer qu'un grand nombre des objets figurés à
Kegadeh se laisseront plus ou moins identifier : et si on les identifie en efiet, il est
légitime de s'appuyer sur les résultats obtenus pour essayer de pénétrer un peu
cette très lointaine époque.
Ce sont surtout des renseignements ethnographiques que nous avons chance de
recueillir ici. Quels étaient les hommes qui nous ont laissé ce précieux témoignage
de leur séjour à Negadeh ? Est-il possible de déterminer exactement le pays d'où
ils Tenaient? Si leur art peut nous fournir quelques données sur eux, il ne peut
guère nous fournir que celles-là. Les animaux ou les arbres qui les entouraient, les
armes dont ils se servaient à la guerre ou à la chasse, le décor habituel où s'écoulait
leur vie, voilà autant d'indices qui peuvent servir à préciser leur origine ; et voilà
en tout cas les seuls témoins qu'il nous soit possible d'interroger.
Malheureusement quelques-uns se récusent, et certains détails ne se prêtent à
aucune interprétation satisfaisante. Il faut ranger dans cette catégorie les signes en
forme de crochets ou de zigzags qui constituent à Negadeh un des éléments constauts
de la décoration'. De même les deux motifs représentés sur un vase d'Abydos, à
droite et à gauche d'un crocodile', sont peut-être des variantes grossières de
l'animal' : mais peut-être aussi sont-ce des objets dont l'usage a disparu depuis
longtemps, et que des modernes ne sauraient reconnaître. Quant à certaines figures
assez bizarres, ordinairement placées au dessous des bateaux, il n'est pas bien sûr
que ce soient des boucliers. On les avait d'abord assimilées à des mâts munis de
leur voile* : on pourrait aussi bien être tenté d'y reconnaître une hutte, vue par
en dessus, et dont les deux côtés s'appuieraient sur une longue perche courant
parallèlement au sol. Mais la voile, quand elle apparaît à cette époque, affecte une
forme carrée, au lieu d'une forme rectangulaire^ ; d'autre part les artistes de
Negadeh ignorent la perspective, et reproduisent toujours leurs modèles soit do
face, soit de profil. Il est donc très vraisemblable que nous avons affaire à des
boucliers de peaux, montés sur un bâton planté en terre^ ; mais enfin ce n'est là
qu'une hypothèse, dont nous retiendrons surtout que de semblables boucliers se
rencontrent encore chez les Dinka, les Bari et autres peuplades de la région du
Haut Nil.
D'autres motifs encore demeurent assez énigmatiques. On ne peut que faire des
conjectures à propos d'un objet singulier qui rappelle, au moins par sa silhouette
générale, la table d'offrandes de l'Egypte historique, et qui représente peut-être
^ M. Foucart (I. c. page 274) y voit des indications numériques. Il serait toiit aussi pos-
sible — et d'ailleurs aussi aventuré — d'y voir une façon de représenter le sol (l'eau est
déjà figurée à Negadeh par des séries de lignes brisées), une ébauche de ce qui deviendra
le signe des teri'ains dans l'écriture hiéroglyphique et surtout hiératique. Il est plus vi*ai-
semblable que ce sont des ornements.
* Naqada, LXVn, 18.
' Foucart, 1, c. p. 271. ~ Le motif de gauche, tout au moins, s'oppose absolument à
une semblable interpi*étation.
* NctqcLda, page 49.
5 Capart, 1. c. page 116. — Cf. Budge, History of Egypt, I, 80.
^ Schweinfürth, Ornamentik, page 399.
p. 42.]
R
£
£
[1908.
en effet un support sur lequel a été étenda un lit de branchages ou de feuilles^
Deux sortes de récipients rectangulaires, invariablement figurés des deux côtés du
bouclier*, pourraient bien être des carquois ; les crochets qui les terminent'
auraient alors servi à les fixer soit sur l'épaule, soit à la ceinture. Mais certains
ornements carrés, tantôt munis^ et tantôt dépourvus^ de frange, d'autres eocore
(par exemple ces objets allongés qui sont placés quelquefois' juste au dessous
des bateaux) résistent à toute explication. Èofin même la faune n'est pas bien
concluante. L'autruche et la gazelle sont des animaux très communs, et qui ont dû,
à toutes les époques, abonder aussi bien dans la vallée du Nil que dans les régions
situées plus au sud.
Au contraire la flore est extrêmement intéressante. Des deux espèces végétales
représentées à Negadeb, Tune au moins a pu être identifiée avec une quasi certi-
tude : c'est Taloès^. On sait que les aloès, qui appartiennent à la famille des
liliacées, se présentent sous la forme tantôt de petites plantes acaules, tantôt de
grands végétaux arborescents. Dans ce dernier cas, les feuilles commencent presque
à la base de Tarbro ; les plus rapprochées du sol sont ramassées autour de la tige,
et semblent l'enfermer dans un cercle très resserré ; les autres s'épanouissent
largement à droite et à gauche, et
de leur masse émerge une hampe
florale très haute, au long de laquelle
les fleurs sont disposées soit en grap«
pes, soit en épis*. C'est évidemment
cette dernière variété qui est figurée
ici. (Fig. l)Le motif a été très stylisé,
naturellement ; Tamour de la symé-
trie a même parfois donné naissance à
deux hampes florales au lieu d'une* ;
mais tous les éléments essentiels de
la plante sont fidèlement reproduits :
le cercle formé par les feuilles du
bas, quand il est apparent, est rendu
d'une façon toute géométrique^^, et
toujours le contraste du feuillage et
de la fleur, celui-là très épais, celle-
p,^ j ci très grêle, est fort heureusement
vase de Negadeh (Musée du Louvre). observé. £n OUtre il faut noter que
» Naqada, LXVU, 14.
« Id. LXVI, 6, 9.
3 Ces crochets sont très visibles sur certains vases. V. p. ex. Naqada LXVI, 10. Sur un
autre vase (id., id. 9) un groupe de quatre autruches a été si malenconti-eusement intercalé
dans la composition que l'une d'elles semble prise dans ce carquois comme dans un piège.
4 Naqada LXVI, 7.
5 Id., id. 9.
« Id., id. 7. — Peut-être faut-il voir dans ces objets des massues analogues à celles dont
se servaient les habitants de Fount, et qui sont repi^oduites dans Chabas, Etudes sur rAnti-
quite Historique, page 163.
^ Cette découverte est due à Schweinfurth, Ornamentik, page 392.
8 V. p. ex. Bâillon, Dictionnaire de Botanique I, page 120 (figure).
» Naqada LXVI, 6, et LX VIF, 14. — Cette dernière représentation nous montre peut-être
aussi le fruit de Tarbre.
1Ö Par un simple rond, d'où part la hampe florale. Id. LXVI, 8, 9, 10.
1908.] BOREUX : POTERIES DÉCORÉES DE l'ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 43.
les aloès de Negadeh sont plantés dans des vases', ce qui tendrait à prouver qu'ils
n'appartiennent pas à la flore spontanée de TEgypte*. De fait on ne les rencontre
plus à répoque historique* ; il est donc probable qu'ils auront été, à une date très
ancienne, importés d'un autre pays, et que les efforts tentés pour les acclimater
n'auront pas réussi. Ce pays même, semble-t-il, peut être assez exactement précisé.
Il est difficile de dire si la plante qui nous occupe ici est l'aloès vulgaire^ ou Taloès
sucotrin : mais comme l'un est originaire de l'Afrique orientale, l'autre de l'île de
Socotora et des bords méridionaux de la mer Rouge^, on voit que, de toutes façons,
nous nous trouvons en présence d'une flore apparentée à celle du futur pays de
Pount.
La seconde espèce figurée sur les vases estégalement très caractéristique. (Fig. 2)
Sa silhouette générale évoque immédiatemeot
l'arbre qui dans l'écriture hiéroglyphique
deviendra plus tard le signe du sycomore ;
et la disposition symétrique des branches,
leur direction constante de bas en haut, enfin
leur diminution progressive à mesurequ'elles
s'éloignent du pied, tous ces détails ne font
que confirmer une semblable interprétation.
Or le sycomore de l'époque pharaonique a
été assimilé® au Mimusops Shimperi Höchst,
lequel croît naturellement en Abyssin ie et
dans les régions avoisinantes ; en sorte que
les poteries de Negadeh pourraient très bien,
ici encore, nous avoir conservé le souvenir
d'un essai d'acclimatation, cette fois cou-
ronné de succès. L'hypothèse est d'autant
plus séduisante que, tout comme les aloès,
ces sycomores sont figurés dans des vases^.
Peut-être même avons-nous affaire à une
variété spéciale de sycomore, celle-là même
dont les habitants de Pount extrayaient le parfum ant?. On sait qu'à Deïr el
Bahari^ ces sycomores à parfum sont rapportés dans des couffes par les Egyptiens
venus en expédition au pays de Pount : au tombeau de Rekhmara^^ ils figurent
PI«. 2.
Vase de Negadeh (Musée du Louvre).
^ Ces vases affectent la forme cylindrique ou la forme cordiforme. V. Naqada, passim.
« Schweinfurth, 1. c. p. 392.
' L'aloès n'est pas mentionné dans la Flore pharaonique de V. Loret.
* C'est l'opinion do Schweinfurth (l. c. page 392), lequel rappelle à ce sujet que dans
tout rOrient, on emploie l'aloès vulgaire pour se préserver du mauvais œil.
' Bâillon, 1. c. page 120.
« Par Schweinfurth (Loret, La Flore pharaonique^ pages 61-62).
7 V. p. ex. Naqada, LXVI, 10, où l'on distingue nettement le vase, et l'extrémité du
tronc qui y est enfoncée : mais souvent ce vase se réduit à une espèce de crochet.
^ L'arbre qui produit Vanti est généralement désigné aujourd'hui sous le nom de
« sycomore à parfum » (Chabas, Etudes sur VAnt. Bist. p. 159. — Maspero, De quelques
navigations, p. 21 — et Naville, Deir el Bahari 111, page 15) — Hamy (Ettcde sur les pein-
tures ethniques d'un tombeau thébain, page 23) en fait « une térébinthacée du genre ôos-
toellia, le boswellia Carteri » (Virey, Le tombeau de Rehhmara, page 31).
» Deir el Bahari, pi. LXXIV.
io Virey, l. c. pi. IV.
p. 44.] • R • E • E • S • [1908.
aufifli parmi les tributs envoyés à Touthmès III par ces mêmes habitants de Fount.
Si Ton compare ces représentations avec celles de Negadeh, on ne peut pas ne
pas être frappé de la ressemblance : dans les trois cas, c^est la même silhouette
d'arbre, mieux précisée seulement sur les monuments de la XVIIP dynastie'.
On pourrait sans doute appuyer encore sur d'autres arguments ce rapproche-
ment entre Pount et Negadeh* ; mais il convient d'arriver maintenant à toute
une catégorie de représentations qui ont donné lieu déjà à de nombreux commen-
taires : nous voulons parler des bateaux. Quelques savants, comme on sait, ont
refusé d'admettre que ce fussent des bateaux, et ils les ont interprétés comme des
kôms primitifs, entourés d'une palissade et surélevés sur un talus*. Il semble
qu'à cette théorie, maintes foi réfutée déjà^ la découverte de la tombe d'Hiera-
konpolis eût dû porter un coup décisif* ; mais, puisqu'on la trouve reprise à nou-
veau dans des ouvrages tout récents^, il convient de lui opposer un document qui
n'a pas encore été, croyons-nous, utilisé jusqu'à présent, et qui clôt le débat d'une
manière définitive. Que le dessin reproduit ci-contre'^ représente un bateau, per-
sonne ne saurait le contester ; et que ce
bateau soit absolument du type des ba-
teaux de Negadeh, il suffit d'un coup d'œil
pour s'en assurer.
Il a été relevé sur un rocher* : et
par là s'affirme une fois de plus l'étroite
parenté qui unit l'art de Negadeh aux
Fiff- s. a graffiti » rupestres. Celui-ci est de date
Dessin rupestre relevé par M Sayce, entre Assouan , .
et Komombos. pl^s récente, mais il est traite tout comme
aux époques antérieures : et le document,
ajouté à tous ceux que nous fournissent les vases, nous permet de nous faire des
bateaux prédynastiques une idée suffisamment exacte. II faut se les représenter
(Fig. 4) sous la forme de ces barques légères que les Egyptiens de l'époque historique
employaient encore pour la chasse au marais. Ils étaient constitués par des bottes
de roseaux ou de papyrus qu'on serrait fortement* et qu'on relevait à Tavant et
^ Et plus allongée : à Negadeh, si l'arbre est plus large, c'est pour une raison de déco-
ration : il s'harmonise mieux ainsi avec la panse renflée du vase.
2 C'est ainsi qu'on a pu ralever à Negadeh, à propos des types de femmes représentés,
des traces de cette stéatopygie qui caractérise, à Deir el Baharl, les femmes du pays de
Pount (Schweinfurth, Ornamentik, page 400).
3 Cecil Torr et V. Loret (cf. plus haut).
^ On trouvera cette réfutation résumée dans Capart, 1. c. pp. 201 sqq.
5 HierakonpolUy II planche LXXV.
6 V. Loret. V Egypte au temps du totémisme pp. 24-25.
7 II est tiré de J. de Morgan, Catalogue des monuments et Inscriptions de VEgypte
antique I, page 203.
8 Entre Assouan et Kom-Ombos. Le relevé est dû au Prof. A. H. Sayce.
9 « Les joncs ou les roseaux étaient placés dans le sens de Taxe de Tembarcation : aux
deux extrémités les divera éléments étaient reliés entre eux par un fort nœud, tandis que
des liens très rapprochés les uns des autres traversaient la coque tout entière normalement
à son axe, en reliant entre elles toutes les tiges. Le bateau ainsi construit était formé d'une
véritable natte qui n'eût pas été suffisante si l'épaisseur des nattes n'eût été triplée ou
quadruplée, si des armatures de bois n'étaient venues maintenir l'ensemble rigide, et si un
enduit n'avait été appliqué pour rendre l'embarcation imperméable » (de Morgan. Recher»
cheSy II page 92). — « Un spécimen en albâtre provenant des tombes royales d'Abydos
montre clairement cette technique » (Capart, 1. c. p. 192). — Seul l'original du bateau
d' Assouan pourrait avoir été un bateau en bois.
08.] BOREUX : POTERIES DÉCORÉES DE L^ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 45.
irrière, afin que rembarcation, n'ayant qu'un faible tirant d'eau, pût naviguer
les fonds les plus bas'. Il est à présumer que ces bateaux n'étaient pas pon-
: ils supportaient deux
^tructions qui sont quel-
tois, mais très exception-
iement' réunies par une
re transversale, et entre
.quelles est ménagé un
..ace vide, destiné à faci-
r rembarquement'. A
rakoD polis la voile est
cote, ainsi que les rames:
Negadeh au contraire,
rtiste, dans une intention
orative^, a multiplié le
mbro des rames d'uue
on presque indéfinie. Des
inches sont plantées à
ivant du bateau*, ombra-
an t parfois^ un abri qui
viendra, aux époques dy-
tstiques, le chàteau-gail-
ird du pilote*^ ; au centre
') la barque ou sur Tune
es constructions du milieu
a mât se dresse, surmonté d'une enseigne. Enfin une aocre pend quelquefois à
extrémité de la proue', et nous possédons un exemple de rames-gouvernails atta-
hées à la poupe'.
Tous ces détails ne paraissent pas bien symboliques : et pourtant c'est princi-
palement sur les bateaux qu'on a voulu s'appuyer pour attribuer un sens mystique
aux peintures de Negadeh. On est parti de l'idée que ces bateaux représentaient
la sortie processionnelle du dieu dans sa barque, et on en a conclu par analogie
que tous les autres motifs reproduits sur les vases illustrent en quelque sorte le
mobilier funéraire d'un peuple qui ne le figurait pas encore sur des murailles, mais
Flg. 4
Vase de Negadeh (Musée du Louvre).
^ Cf. la représentation d'un bateau préhistorique à El-kab dans Capart, 1. c. page 198.
— Quelquefois l'avant seul est relevé, mais il l'est alors d'une façon démesurée {Hierahon-
polis n, pi. LXXVII).
* Trois seulement des bateaux d*Hierakonpolis présentent cette particularité. — Cf.
aussi Naqada LXVII, 14.
' Cet espace, sur quelques bateaux d'Hierakonpolis est colorié autrement que le reste
de la coque : il faut peut-être y voir l'indication d'une planche par laquelle on montait
dans le bateau. A Assouan la coque est pei*cée en cet endroit par un véritable sabord : ce
serait alors l'ouverture qui aurait servi à assujettir cette planche.
^ Cf. plus haut.
^ L'idée que ces branches peuvent avoir été une façon de dénombrer certains jours de
fêtes (Foucart, 1. c. page 270) paraît tout à fait insoutenable.
« HierakonpolU U pi. LXXV.
7 Deïr el Bahari, III pi. LXXUI. — Cf. Wilkinson I, 224.
« Naqada, LXVI, 10 ; Diospolis parva XVI, 41 b j Hierakonpolis II, pi. LXXV.
» Naqada, LXVH, 14.
p. 4e.]_ ^R - E - E > s « [1908,
le traçait seulement sur des objets votifs. En dernière analyse les vases déeorés ne
seraient que « Téquivalent des demandes, des scènes et des objets que la stèle des
âges postérieurs figurera sur les parois du tombeau »^ — En réalité on ne voit
pas très bien comment de telles prémisses peuvent entraîner une telle conclusion :
et cette conclusion, tout au moins, est contredite immédiatement par ces représen-
tations d'époques plus récentes sur lesquelles on veut la fonder. Car les représen-
tations murales, à partir du moment où on les voit apparaître, se caractérisent par
ce qu^on pourrait appeler leur immutabilité. Les peintures ou les bas relieb qui,
sur les parois des chapelles funéraires, racontent pour le défunt toute Thistoire de
Toffrande, se déroulent toujours d'une façon constante et identique ; les différentes
scènes se suivent dans un ordre éternellement le même, et se composent d'un
certain nombre de sujets dont les plus essentiels, au moins, se retrouvent invaria-
blement, même quand le graveur, faute de place, a été obligé de se borner. L'inté-
rêt du double exigeait en effet la fixité d'une décoration qui demeurait avant tout
rituelle ; et Ton comprend qu'il ne fallût rien oublier de ce qui devait assurer sa vie
d'outre tombe. Mais à Negadeh on ne trouve aucune trace d'une semblable préoccu-
pation. Certains motifs qui apparaissent sur un vase ont disparu sur un autre ; tel
détail, figuré très souvent à telle place, en occupe non moins souvent une toute
différente. La seule fantaisie de l'artiste semble avoir présidé au choix des scènes
comme aussi à leur arrangement* ; et ce désordre dont on ne saurait rendre
compte si l'on admet qu'il s'agit de représentations liturgiques, s'explique au con-
traire très bien, nous l'avons vu, par des raisons purement ornementales.
Il faut noter, en outre, que les vases du type négadien ne se retrouvent plus
dans les tombes thinites, où cependant les représentations murales ne sont pas
encore en usage ; ces mêmes tombes, en revanche, ont fourni toute une série de
monuments qu'il est bien intéressant de comparer, au point de vue qui nous occupe,
avec les vases de Negadeh : nous voulons parler des tablettes d'ivoire ou de bois
recueillies à Abydos par Amelineau et FI. Pétrie*. L'exécution de ces tablettes
est souvent grossière, et l'interprétation qu'il convient de leur donner demeure
assez incertaine. Ces monuments sont-ils destinés à commémorer des donations
faites par un roi à l'occasion de la fondation d'un temple?^ Ou bien conser-
vent-ils seulement le souvenir des premières fêtes Sed célébrées en Egypte?
L'essentiel est que nous sommes sûrs ici d'avoir affaire à de véritables représenta-
tions : et nous en sommes sûrs parce que toutes les fois que, sur ces tablettes, un
certain nombre de motifs se trouvent associés, ils sont toujours associés de la même
façon. Deux bateaux, un palais (?), un bâton entouré d'une peau de bête, enfin un
cartouche royal, ces quatre éléments d'une des tablettes du roi Aha^ se retrouvent
tous sur une autre, et s'y retrouvent disposés dans un ordre exactement sembla-
ble^ De même, au troisième registre de l'une et l'autre de ces tablettes, l'analo-
1 Foucart, l. c. page 277.
* Par exemple M. Foucart (1. c. page 275) attache la plus grande importance aux quatre
gazelles de couleurs différentes qui sont figurées à Hiérakonpolis (II, planche LXXVI) au
dessus d'une des barques, et il y voit « les quatre espèces d'antilopes ou gazelles du sacri-
flee canonique. » — Mais alors pourquoi d'autres gazelles, au nombre de cinq^ sont-elles
figurées prises au piège, à côté de la barque voisine?
3 Elles ont été étudiées par F. Legge dans les Proceedings of the Society ofBihl. Arch.
vol. XXVill et XXIX.
^ C'est la conclusion à laquelle aboutit Legge.
5 Tablette n» 3 de Legge. — C'est la figure 5 de Pétrie, Royal Tombs H, pi. III A.
« Tablette n« 3 de Legge. — C'est la figure 6 de Pétrie, RoyalTombs n pi. m A.
1908.] BOREUX : POTERIES DÉCORÉES DE l'ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 47.
gie est complète entre les trois barques qui s'en vont vers la même enceinte fortifiée,
au milieu de laquelle se tient le même ibis'. Il serait facile de multiplier ces
rapprochements*.
Le procédé négadien est tout autre, nous l'avons vu : c'est donc sûrement
mésinterpréter les bateaux de Negadeh que de les interpréter partout comme des
barques processionnelles. Et puisque les deux éléments du problème sont d'une
part les deux constructions jumelles élevées au milieu de chaque bateau, de Tautre
les enseignes dressées sur Tune d'elles ou le plus souvent entre les deux, il nous
fietut maiatenant examiner ces éléments Tun après l'autre.
Le premier a été expliqué très ingénieusement' comme une « figuration de
l'idéogramme du temple », une forme primitive du bekhen^ c'est-à-dire du
pylône : les deux cabines, avec la barre transversale qui les réunit, ne représente*
raient pas autre chose que le naos de la barque divine. — En réalité cette barre
transversale n'apparaît qu'exceptionnellement, nous l'avons vu, à Negadeh, et
même à Hierakonpolis^ ; et quant aux cabines, on remarque vite, en les étudiant
d'un peu près, qu'elles sont traitées exactement comme les objets^ qui accom-
pagnent d'ordinaire les représentations de boucliers, et aussi comme les vases non
Fiff. 5.
Bateau de passage de Calcutta [Musée de la Marine, No 1M6).
cordiformes dans lesquels sont plantés les aloès : dans les trois cas il apparaît
clairement que la technique est la même. Autour de quatre montants dont on
1 Id., id.
2 Comparez par exemple, sur les tablettes n«» 2, 5 et 8 de Legge, la scène où est repré-
senté le roi mesurant Tenceinte du futur temple.
s Foucart, 1. c. page 262. — Nous laissons de côté, bien entendu, la théorie suivant
laquelle les deux cabines seraient deux tours encadrant une porte (Loret 1. c). Cette théorie
n'est qu'un aspect de la théorie plus générale qui refuse aux bateaux de Negadeh le carac-
tère de bateaux.
* Cf. plus haut.
5 Ces objets sont peut-être des carquois. — Cf. plus haut.
p. 48.] • R • E • E • S • [190&
aperçoit distinctement les sommets' (on n^en voit que deux parce que les cabines
sont figurées de face) un assemblage de joncs on de papyrus forme les quatre côtés
d'une yéritable boîte, dont les dimensions varient suivant les cas, mais qui semble
toujours destinée à recevoir et à conserver quelque chose, ici des flèches, là des
arbres ou, quand il s'agit de bateaux, des provisions de toute nature. Les peintures
de Negadeh nous rendent vraisemblablement les bateaux usagers des Egyptiens
prédynastiques, bateaux de voyage et de transport à la fois, qui après leur avoir
permis d'arriver dans le pays, leur permettaient encore d'y subsister, et de com-
muniquer de tribu à tribu. La dualité des cabines, aujourd'hui encore, caractérise
la barque de transport chez un très grand nombre de peuples ; et les collections
ethnographiques sont riches en modèles de bateaux qui par leur silhouette générale
(fig. 5), rappellent singulièrement les bateaux de Negadeh*. En Egypte même, les
bateaux de transport de l'ancien Empire sont munis d'une cabine, moins étroite
que celles de Negadeh, mais de forme tout à fait semblable'. La difficulté, pour
les hommes primitifs, de bâtir des constructions à la fois larges et solides les a
obligés à en élever deux au lieu d'une^ ; mais la destination est la même dans
l'un et l'autre cas. D'ailleurs, comme les bateaux des plus anciennes époques trans-
portaient en même temps des hommes et des marchandises, celles-ci étaient sans
doute renfermées dans l'une des cabines, et ceux-là dans une autre ; ou peut-être
Tune d'elles était-elle spécialement réservée au hai*em, en vertu d'une coutume qui,
sous la 12® dynastie par exemple, subsistait encore en Egypte^.
Et peut-être aussi, dans certains cas, tels qu'une fête de clan ou une émigratioa
en masse, la cabine, puisqu'elle recevait tout, recevait aussi le fétiche du clan.
Mais s'il est possible d'interpréter de la sorte une des représentations d'Hierakon-
polis®, celle-ci reste unique entre toutes les représentations de la période prédy-
^ Ces sommets sont d'abord de forme pointue ou arrondie, ou même ont Tapparence
d*un crochet : mais ils se stylisent de plus en plus et unissent par s'épanouir, comme à
Hierakonpolis, en un large cercle, quelquefois double.
* La différence consiste surtout en ce qu'un seul toit couvre les deux cabines. — V. p. ex.,
au musée de Manne du Louvre (outre le bateau reproduit ici), les n»« 1227 (Bateau du
Bengale), 1245 (Bateau de transport du Gange), et 1278 (Pirogue du Bengale). — Cf. aussi
un certain nombre de bateaux de TRxtreme Orient (entre autres n"* 1185, Sampan de Fou-
Tcheou).
« LDH, 104 et surtout II 62.
^ La barre transversale qui les réunit quelquefois ne serait donc qu'une barre de sou-
tien.
5 BeniHasan 1 29 (tombeau de Chnoum-hotep). Il est à remarquer qu'un des bateaux
d'Hierakoupolis nous montre deux cabines de forme différente, dont l'une parait cachée
par des peaux de bétes, ou par des ornements de couleurs très vives. Ce bateau (qui d'ail-
leurs n'est pas du type des autres) pourrait bien avoir été, soit un bateau de chef, soit un
bateau de harem.
^ Il s'agit d'une barque où Tune des cabines supporte un naos {Hterakonpolis, II, pi.
LXXVI. — Cf. Foucart 1. c. p. 264). — Quant au « graflito - d' Assouan, qui repix)duit assez
exactement, au moins dans sa composition générale, la fresque d'Hierakoupolis (dans i*une
et l'autre représentation, plusieurs bateaux de même type sont accompagnés d'un autra, de
type différent) l'inscription qui l'accompagne nous apprend seulement qu'il a été « fait par
le divin père, scribe de la salle divine du temple de Khnoum, TTiot-em-heb ». Ce qui pourrait
faire croire que nous avons affaire ici à une scène d'adoration, c'est que trois massues se
dressent à Tavant du bateau. Or la triplification du signe de la massue sert, à l'époque
ptolémaïque au moins, à exprimer le nom d'Horus (cf. von Bergmann, EteroglyphUche
Inschriften, page 21, note 2 et planche XXVIII, 1). — Les deux cabines du bateau se pro-
longent à droite et & gauche par une tente qui va d'un côté jusqu'à la poupe, de l'autre
1B08«] BORBüX : POTERIES DÉCORÉES DE l'ÉGYPTE PRÉDYNASTIQUE. [P. 49^
nasüque. On objecte, il est vrai, qu'à Negadeh le dieu est présent sur tous les
bateaux, puisque sou euseigae y figure'. Eu réalité rien n'autorise à croire que
les enseignes de poupe soient des enseignes divines. Au contraire les découvertes
faites dans ces dernières années sur le terrain du totémisme égyptien* entraînent
cette conclusion que TEgypte préhistorique n'a connu que « rinsigne-nom, l'insigne*
attribut ethnique »*, et que cet insigne a été élevé seulement plus tard à la
dignité d'insigne-dieu. Les hommes qui peuplaient les bords du Nil aux environs
de N^;adeh, en arborant tel ou tel insigne à l'arrière d'un bateau, voulaient seule-
ment affirmer que ce bateau était monté par des membres de tel ou tel clan, et au
cas de rencontre avec d'autres bateaux, se faire connaître tout de suite pour des
amis ou des ennemis^.
L'étude de ces insignes ne va pas sans quelques surprises^. Si l'on se reporte au
tableau ci-jointe, on est frappé d'abord par ;la ressemblance qu'offrent quelques-
unes de ces représentations avec certaines représentations de nomes de l'époque
historique : et le fait n'a rien de surprenant puisque les nomes, en somme, ne
sont que la survivance de clans primitif privilégiés, lesquels ont fini par triompher
de clans rivaux, et les ont supprimés en les absorbant. Mais alors on devrait
s'attendre à retrouver dans les insignes de Negadeh les nomes qui constitueront
plus tard la région de Negadeh ou les régions voisines, et à ne retrouver que ceux-
là. Or tel n'est pas le cas, comme il est facile de s'en convaincre en examinant ces
insignes«
nxxTnff
10 11 12 13 14 15 16 17 18
Flg. 6.
BQseIgnes de poupe.
Le n^ 1 représente le totem d'un clan qui, suivant toute vraisemblance, vivait
primitivement au pied de la montagne, en un endroit où celle-ci formait deux
presque jusqu'à la proue. Les personnages sont au nombre de quatre: deux hommes qui
élèvent le signe (?) et qui sont suivis par un chien (?) ; un ôti*e étrange, au crâne en forme de
pointe, qui tient dans ses mains une canne (cf. peut-être le bâton tenu par deux des person-
nages d'Hierakonpolis, II, LXXVI) ; enfin un homme qui tient l'hiéroglyphe de Pombre ?uiïbiû
au bout de son unique bras. Même s'il s'agit vraiment, dans ces deux exemples, d'une
scône religieuse, ces analogies peuvent signifier seulement qu'aux époques historiques,
l'esprit traditionnaliste des Egyptiens leur avait fait conserver, pour en faire la barque
processionnelle du dieu Hortes, la barque usagêre primitive de loui-s ancêtres Eoriens. Les
bateaux d' Assouan, vraisemblablement, ne repi*ésentent qu'une tradition archaïque, conti-
nuôe ft dessein dans une circonstance toute spéciale.
« i Poucart, 1. c. pp. 264 sqq.
* Ces découvertes sont dues ä M. V. Lorot. Elles illustrent de la façon la plus claire
• beaucoup de faits qui resteraient inexplicables autrement.
* Loret, V Egypte au temps du totémisme, p. 28.
4 Cf. de Morgan, Recherches II, page 93.
s Cette étude, a été faite déjà par Budge, (Gods of the J^fpptùms h p. 90) et par Poucart
. (1. c. pp. 263 sqq.). Pour ce dernier ces Iniignss sont exclusivement des insignes divins.
0 Ce tableau est emprunté à Budge, History of Egypt I, page 78.
p. 50.] • R • E • E • S • [1908.
pointes. A l'époque dynastique, ce clan forme le 12* nome de la Haute Egypte.
Pour des raisons analogues, d'autres clans tiraient leur nom de trois, quatre ou
cinq sommets qu'ils ayaient habituellement sous les yeux et qui les protégeaient
(n^ 13, 14 et 16) : mais ces totems ont disparu aux époques postérieures : seul le
premier des trois s'est conservé sous la forme divinisée àkau^ : en tout cas le
souvenir de son rôle ethnique s'est perdu.
Au contraire les n^" 4 et 11 se retrouvent facilement dans les 7* et 8* nomes de
la Basse Egypte (Métélitès et Phténéotès) symbolisés chacun par un harpon ; ils
représentent peut-être le dédoublement d'un clan qui avait pour totem deux harpons
réunis : ce seraient alors ces deux harpons superposés qui seraient figurés à Negadeh
sous le n* 12.
Le n^ 10 rappelle tout de suite à l'esprit les deux flèches qui caractérisent les
4« et 5* nomes de la Basse Egypte : la seule différence consiste en ce que le»
enseignes de ces nomes nous montrent les deux flèches croisées sur un bouclier et
formant avec lui une espèce de trophée. Mais si les boucliers relevés sur les vases
de Negadeh sont bien des boucliers en effet* Tinsigne n* 6 n'est lui aussi qu'un
bouclier, un peu plus stylisé seulement et placé dans le sens horizontal'. Nous
aurions donc affaire cette fois à deux clans originairement distincts (le clan des
deux Flèches d'une part, et le clan du Bouclier de l'autre) qui se seraient par la
suite confondus en un seul. Mais le souvenir d'un dualisme primitif paraît ne s'être
jamais complètement éteint, et aux époques historiques, le nome du Trophée se
subdivise encore en « Trophée du Nord n et « Trophée du Midi n.
De même si nous avons identiflé exactement la seconde des deux variétés
d'arbres figurées à Negadeh^, l'insigne n^ 17 devient un sycomore, et représente
dès lors l'arbre des 20* et 21* nomes (Heraclaéopoiitès et Arsinoitès)^ ou celui
des 13* et 14* nomes (Lycopolitès antérieur et Lycopolitès postérieur)* de la
Haute Egypte. — L'insigne n* 9 qui représente un poisson paraît être la forme
archaïque du läUure (16* nome de la Basse Egypte, ou nome Mendesios), de même
que l'insigne n^ 7 est la forme archaïque du 9* nome de la Haute Egypte (nome
Panopolitès)^. — L'insigne n* 8 est sans doute le prototype de l'arc qui sert plus
tard à désigner le 1*' nome de la Haute Egypte (nome Ombitès) : le clan de l'Arx^
ayant absorbé le clan de l'Eléphant, le totem de ce dernier (insigne n* 15) a dû se
résigner à symboliser seulement la capitale du nome ainsi formé« — L'insigne n* 5
peut être interprété comme une paire de cornes exprimant sous une forme abrogée
l'idée de taureau (on sait que le taureau est l'emblème du 6* nome de la Basse
Egypte, nome Xoitès) et l'insigne n* 3 représente peut-être la massue, c'est-à-dire
1 Cette remarque est due à M. Poucart (1. c. p. 266).
« Cf. plus baut.
> Au lieu d'être planté en terre : c'est pourquoi le b&ton de soutien & disparu.
^ Cf. plus haut.
B On désigne ordinairement l'un et l'autre par les noms de • Laurier>Ro6e(?)|dupérieur »
et « Laurier-Rose (?) inférieur «•
^ On les appelle communément le « Térébinthe inférieur » et le « Têrébinthe supérieur»
<Cf. Hamy 1. c).
7 Cf. les statues de Coptes, dans Pétrie, Coptos pi. m. Le mérite de oe rapprochement
rerient à Foucart, l. c. p. 265. — Mais il ne s'ensuit pas que le signe soit « l'équivalent de
la figuration du dieu Min. » Il représente en réalité un totem qui, à une époque postérieure,,
a été divinisé sous la forme et le nom de Min.
1908.] BORBUX : POTERIES DÊCORÉBS DB l'ÉGYPTE PRÉDYN ASTIQUE. [P, 61«
on des nombreux clans ayant pour totem le faucon^ ; les n^ 2 et 18, par contre,
ne prêtent à aucun rapprochement*.
Quelques insignes encore, -qui ne figurent pas dans le tableau jusquUci consulté,
donneraient lieu à des remarques intéressantes : c'est ainsi qu'un oiseau figuré
au-dessus d'une sorte de demi-cercle pourrait évoquer Horus sur son perchoir, et,
par suite, le 2* nome de la Haute Egypte (nome Apollinopolitès)*. Mais les exem-
ples énumérés suffisent à prouver que les bateaux de Negadeh, par leurs insignes,
nous donnent comme en puissance toute la géographie de la future Egypte : le
Saîd et le Delta, Elephantine et Saïs, en un mot toutes les divisions de l'Egypte
historique, voilà ce que nous rendent des représentations qui sont nettement
d'époque prédynastique.
U y a là en yérité un problème assez troublant ; pour le résoudre, il faut néces-
sairement admettre que les vases de Negadeh sont l'œuvre des conquérants horiens,
et contemporains de leur arrivée en Egypte. Car s'ils dataient d'une époque anté-
rieure, on ne comprendrait pas comment la plupart des insignes figurés sur ces
vases ont pu devenir, par la suite, les enseignes de nomes ayant pour dieu Horus
ou l'un des dieux du cyde^ ; au lieu que s'ils datent de l'invasion, on s'explique
très bien que certains de ces insignes aient pu donner naissance à des enseignes
de nomes non-horiens^. Les Horiens trouvèrent les Séthiens établis en Egypte*,
et ne purent s'y établir eux-mêmes qu'après des guerres interminables. Au cours
de ces guerres beaucoup de clans ont eu le temps d'être ballottés d'un parti à
l'autre, et de rompre le lendemain l'alliance qu'ils avaient contractée la veille''.
Il est naturel qu'au bout d'un certain temps il en soit résulté une très grande
confusion, et qu'après l'unification de l'Egypte, beaucoup de tribus horiennes,
fixées définitivement dans des régions assez éloignées de celle par où le clan du
Faucon avait jadis pénétré dans la vallée du Nil, n'aient plus gardé de leur véri-
table origine qu'un souvenir lointain et très vague.
Les détails relevés sur les vases de Negadeh ne contredisent pas cette théorie •
1 La massue paraît avoir été à l'origine un attribut particulier aux clans horiens« Aux
plus anciennes époques renseigne du chacal (c'est-à-dire du plus grand allié du faucon) est
traversée par la massue (E. Meyer, dans TA. Z. XLI, 104). — Un peu plus tard, la palette
de Nar-Mer nous montre le roi (complètement identifié avec le faucon, puisqu'il ne fait que
répéter le geste de Toiseau) brandissant cette même massue.
* L'insigne n« 18 est le même rameau qu'on retrouve à Tavant des bateaux,
3 Dtospoliê parva XVI, 41 b.
4 2* nome de la Haute Egypte et 6* nome de la Basse Egypte (divinité : Horus) ; 12*
(Anubis), 13« (Ap-ouaïtou) et 14" (Hathor) nomes de la Haute Egypte (cf. Brugsch, Oeoçra-
phie des aUen Aegyptens I pp. 130 sqq.) — 20* nome de la Haute Egypte (divinité : Hars-
faafl).
5 9* nome de la Haute Egypte (Min) ; 4« et 5* nomes de la Basse Egypte (Neith). — Le
1«' nome de la Haute Egypte se subdivisait en sous-nomes qui adoraient les dieux les plus
vailôs, parmi lesquels un Horus et un Set (Brugsch, 1. c. pp. 131-132).
^ « D'après la légende, Osiris, assassiné par Seth, fut vengé par Horus... Il est donc
certain que l'inyasion séthienne eut lieu avant, l'invasion horienne (Loret, L'Egypte au
temps du totémisme, page 37).
7 C'est ainsi qu'on TOit sur les palettes par exemple, le clan du Scorpion et le dan de
Min passer des Séthiens aux Horiens (Loret, V Egypte au temps du totémisme^ page 43).
p. 62.] . a . E . E . S . [1908,
Beancoapy D0U8 PaTons yu, trahissent one proyenance méridionale^ et permettent
des rapprochements avec ce pays de Pount que les Egyptiens de t'epoqae histo-
rique nommaient encore d'un nom assez mystérieux et dont ils sembhdent bien
reconnaître les habitants pour leurs ancêtres prédynastiques'. Même on a pu
soutenir' que la plante du Sud, n'était qu'une forme de l'aloès negadien, défi*
nitivement stylisé^ ; et l'hypothèse, qui paraît tout à fait plausible, vient encore
confirmer l'opinion suivant laquelle l'art de Negadeh serait l'art de ces Horions
qui, aux époques primitives, ont étendu leur domination sur tout le sud de
l'Egypte.
Mais ils l'ont ensuite étendue sur l'Egypte tout entière : dès lors pourquoi leur
art s'est-il à ce point perdu, qu'on n'en retrouve plus la trace qu'à Negadeh ou
dans les régions immédiatement voisines ? Ici encore ce sont les vases eux-même»
qui nous donnent le mot de l'énîgme. Ils peuvent bien, par un détail de flore^
fournir une indication d'origine : mais tout symbole, et même toute pensée est
absente de leurs représentations. Nous avons vu que l'art do Negadeh, pour le
fond comme pour la forme, se révèle identique de tous points à l'art rupestre ;
essai décoratif d'une race encore barbare, il s'est évanoui tout de suite au contact
d'une civilisation plus avancée que celle qu'il exprimait lui-même. Le Sud a pu
vaincre le Nord par la force des armes ; mais le Nord a pris sa revanche sur un
autre terrain. Et le bateau gravé sur les rochers d' Assouan est véritablement sym-
bolique ; il peut bien exalter le triomphe d'Horus et de la triple massue : dans son
archaïsme sans doute intentionnel, il ne garde jamais que la valeur et la portée
d'un « graffito n assez grossier.
^ Aux arguments déjà donnés on peut en ajouter un autre» tiré de la forme du naos
figuré à Hierakonpolis. (Pour cette forme cf. Erman, Die ägyptische Religion, ligure 3). Ce
naos représente le temple primitif particulier au sud de V^ypte ; le schema en sert
encore aux époques classiques, à déterminer les « atourou » du Sud.
Enfin il faut noter que Negadeh est situé presque en face de Koptos (c'est-à-dire au
débouché du Ouadi-Hammamat, qui est la route du pays de Pount) et non loin de Denderah
où eut lieu la grande bataille livrée à Set par Horus et ses forgerons. — Cf. Maspero.
Etudes de Mythologie U pp. 313 sqq — et Na ville, Mythe éC Horus, planches 12-19).
« Naville, Deir el Dahari m, 11. — Cf. Budge, History of Egypt, I page 46.
' Cette théorie est due à Schweinfurth (Omamsntih pp. 392-396). — Of. les observations
de L. Borchardt à ce s\]get (id., id.).
* C'est un aloès réduit à sa hampe florale, à la moitié du cercle formé par les feuilles d»
la base, et aux rangées extrêmes des feuilles du milieu*
1908.] ANALYSES. [P. 53.
ANALYSES.
James Bissbtt Peatt. Tlie Psychology of Heligious Belief. — Un vol. iQ-12 de
IX-327 pages. New-York, Macmillaa, 1907.
Les recherches les plus récentes en psychologie s'attachent à faire ressortir
l^importance de TactiYité émotiye qui constitue Tarrière plan, le fond, le support
de nos idées et de nos perceptions conscientes. C'est dans cette région profonde,
obscure, « linùnale • entre les phénomènes de la pleine conscience et de Tineen-
science, que les psychologues de Técole si brillamment représentée aux Etats-Unis
par M. William James, tendent actuellement à placer la principale source du senti-
ment religieux. Un de ses adeptes, M. J.-B. Pratt, professeur assistant de Philoso-
phie au Williams College, vient de publier sous le titre Psychology of Beligious
Belief un Tolume intéressant et suggestif, où, recourant à l'anthropologie et à l'his-
toire des religions non moins qu'à la psychologie, il cherche à établir quelles sont
les Traies bases de la croyance au divin.
Après avoir exposé de quelle façon les phénomènes qui se passent dans la
■ frange « de la vie consciente représentent « la forme primaire de la conscience »,
il fait ressortir l'existence de trois types de croyances, qu'il dénomme respective-
ment : religion de crédulité, religion de sentiment et religion de raison, en ajoutant
que ces trois formes passent l'une dans l'autre et même coexistent en proportions
diverses, au cours du développement religieux chez les nations et même les indivi-
dus. C'est, du reste, ce qu'il s'efforce de confirmer par des exemples empruntés aux
croyances des non-civilisés, aux religions respectives des Hindous, des Juifs et des
chrétiens, enfin à la psychologie religieuse de l'enfant et de l'adulte dans la société
actuelle. A voir la façon dont il s'est acquitté de cette partie de sa tache, on doit
regretter qu'il n'ait pas étendu son analyi>e aux autres religions qui présentent
certainement des phases analogues telles que les religions de l'Egypte, de la
Mésopotamie, de la Perse, de la Chine, de la Grèce.
En d'autres termes la croyance religieuse se présente comme :
1^ Une crédulité primitive qui tient pour vrai ce qui lui est donné comme tel,
soit par la tradition, soit par une première impression des sens. — Telle est la
croyance du jeune enfant qui néanmoins transforme nécessairement les matériaux
transmis par l'adulte. — Telle est également la caractéristique des peuples sauvages,
qui tiennent pour réelles non seulement leurs traditions tribales, mais encore les
▼isions du sommeil. — On la retrouve dans les mjrthes de l'Inde védique et, bien que
déjà moins accentuée, dans les traditions du peuple juif. — Elle domine chez nous
pendant les premiers siècles du moyen-âge ; elle tend à disparaître de nos jours.
2^ Un assentiment raisonné, qui cherche des motifs pour donner aux objets un
caractère de réalité. — Ce type de croyance n'implique pas seulement les théories
religieuses qu'on formule ou qu'on admet à la suite d'une argumentation, mais
encore les conclusions du raisonnement qui conduit à accepter les enseignements
d'une autorité extérieure tenue pour plus compétente ou mieux informée. Déjà,
chez les non-civilisés, le raisonnement pénètre dans la croyance avec la multiplica-
tion des esprits, ensuite ayec la création de dieux abstraits ou de divinités créatri-»
p. 54.] • R • E • E • S • [1908*
ces. — Dans Finde, nous voyons le doute provoquer les arguments, dès Tépoque da
Big-Veda ; et, de raisonnement en raisonnement, Tesprit hindou aboutit au monis-
me des Oupanishads. — Chez les Juifs, Texpérience historique de la nation engendre
une philosophie de Thistoire, qui conduisit également vers Tunité divine ; seulement,
les Juifs n'étaient pas, comme les brahmanes, une race de logiciens et de rationa-
listes par excellence ; ils avaient Torgueil racial très développé ; enfin ils attachaient
plus d'importance à la conception morale qu'à la conception métaphysique de la
Divinité. C'est pourquoi leur théologie prit la forme monothéiste, plutôt que pan-
théiste. — Dans le christianisme, bien que de bonne heure quelques esprits cultivés
aient cherché à justifier la croyance par des raisonnements, c'est surtout au XVIIP
siècle que l'usage exclusif des méthodes rationnelles a prévalu tant chez les défen-
seurs de l'orthodoxie que chez leurs adversaires de l'école déiste. — De nos jours,
on a observé que l'enfant commence à raisonner ses croyances vers l'âge de 10 ans
(ou même plus tôt en Amérique.). De 15 à 18, il s'occupe de toutes autres
choses. Mais alors s'ouvre une seconde période de scepticisme, plus raisonnée cette
fois, qui, chez les uns, se prolonge jusqu'à la vieillesse, et, chez les autres, fait
place, vers 30 ans, à un travail de reconstruction.
3^ Une aspiration de l'organisme ou le résultat d'une intuition. — Chez les
non-civilisés, la > religion de sentiment » assume en général une forme extravagante,
presque pathologique. Ce sont les phénomènes de possession, les manifestations
désordonnées des excitations artificielles, toutes les pratiques du shamanisme. Ce
type inférieur se retrouve chez les Yogis de l'Inde et même chez les nabis dlsraêl,
ces ancêtres des prophètes. On le constate encore dans les danses orgiaques des
mystères grecs, les superstitions démoniaques du moyen-âge, les rites frénétiques
de certaines sectes médiévales et même contemporaines, voire dans certaines scènes
des revivais anglo-saxons. Mais, à côté de ces manifestations violentes et anomales^
la religion de sentiment revêt fréquemment une forme subjective plus sobre et plus
profonde : c'est le désir ardent de communion mystique, le sentiment de l'identité
avec l'Ëternel. Encore absente chez les peuples primitifs, cette forme supérieure
se révèle dans les passages les plus élevés des Oupanishads ; dans les discours des
prophètes juifs de la grande période ; dans les effusions des mystiques occidentaux,
depuis François d'Assise et Thérèse d'Ahumada jusque, en dehors du christianisme
révélé, Emerson et Maeterlinck.
On serait tenté de croire que cet état psychique constitue de nos jours un
phénomène exceptionnel. Cependant telle n'est pas la conclusion de l'enquête que
M. Pratt a poursuivie dans son entourage et qu'il serait intéressant de rapprocher
de la consultation analogue organisée, cette année même, par le Mercure de France
dans le public lettré d'Europe. L'enquête de M. Pratt a le mérite d'être à la fois
plus localisée et plus précise. Les questions qu'il y posait étaient au nombre de dix,
sans compter leurs subdivisions. En voici les principales : « Qu'entendez- vous person*
« nellement par religion ? — Qu'entendez- vous par Dieu ? — Qu'est-ce qui vous fait
« croire en Dieu ? — Priez- vous et pourquoi ? — Croyez-vous à l'immortalité person*
« nelle ? — Acceptez-vous la Bible à titre d'autorité ? n Sur 550 circulaires envoyées
M. Pratt obtint 83 réponses : 57 provenant de personnes réalisant « le type ordi«*
naire des gens qui vont à l'église (churchgoers) » ; 26 transmises par des Intellec-
tuels (gradués, savants, professeurs, etc.). — Je me bornerai ici à relever deux
détails qui jettent un certain jour sur l'état actuel de la religion aux Etats-Unis :
1^ Il parait que 39 (y compris presque tous les Intellectuels) rejettent la Bible à
titre d'autorité. 2^ D'autre part, 56 déclarent avoir plus ou moins éprouvé les senti*
1908.] ANALYSES. [P. 55«
ments d'aspiration et de communion mystiques que Fauteur assigne comme bases
à la religion ; 40 fondent même exclusivement sur ce fait la justification de leur
religiosité. M. Pratt &it observer ajuste titre : « Que 56 personnes sur 83 croient
fermement avoir été en communication avec Dieu, c'est un fait profond •. Je Tad-
mets volontiers, tout en ajoutant qu'il faut tenir compte des 467 qui n'ont pas envoyé
de réponse, en grande partie sans doute parce qu'ils n'avaient rien à dire. — En
outre il ne faut pas méconnaître qu'il s'agit là d'un milieu protestant, américain, et
que le résultat eût été probablement tout autre dans les pays catholiques du vieux
inonde. Ce mysticisme était, du reste, fort gradué. Il évoluait d'une émotion esthéti-
que analogue à celle que provoquent les beautés de la nature jusqu'à la conversa-
tion courante avec un Etre personnel et mystérieux, dont l'influence agissait à la
fois comme un réconfortant et un stimulant moral.
L'auteur estime que ces intuitions constituent « la seule source d'où la religion
peut tirer sa vie en ces jours de naturalisme et d'agnosticisme, d'indifférence ou
d^hostilité ». Cest que, à ses yeux, les vieux arguments classiques à l'appui de
l'existence de Dieu sont en train de perdre leur prestige et leur validité, tandis que
la religion de sentiment continue à représenter avec une force irrésistible : l'héritage
accumulé du passé — la conscience organique de la race — le réservoir de l'héré-
dité — la sagesse instinctive souvent supérieure à tous nos raisonnements — le
facteur déterminant de notre caractère et de notre personnalité — notre lien avec
l'ensemble de la nature et les lois du cosmos. — Je le veux bien, mais en fait, si
cet « arrière-plan » est le réservoir des expériences et des impressions accumulées
dans la suite des générations, il est susceptible de s'ouvrir également aux influences
sceptiques de notre époque qui peuvent rapidement en altérer le caractère. On peut
se demander, d'ailleurs, si l'auteur n'a pas été entraîné à trop déprécier le rôle de
rintelligence. Si celle-ci, comme il l'admet, est la dernière née de l'évolution, il
£eint bien, à moins d'y voir un élément régressif, qu'elle constitue un organe mieux
adapté à la recherche de la vérité et dès lors les conceptions qu'elle nous fournit
doivent comporter, jusqu'à preuve du contraire, une validité supérieure à celle de
l'intuition. Cette dernière peut devancer, provoquer et même guider le raisonnement
dans une certaine mesure ; mais la raison doit avoir le dernier mot et c'est elle que
les psychologues prennent pour juge, alors même qu'ils concluent à sa propre infé-
riorité.
L'auteur, au début du volume, met en scène un habitant de Mars qui, descendu
sur la terre pour étudier le genre humain, se rend parfaitement compte de nos arts
et de nos industries, mais qui, comme il ne possède pas notre ^ arrière-plan » hérédi-
taire, n'arrive pas à comprendre comment la presque totalité des hommes dans le
présent et le passé ont pu croire à un Etre qu'ils n'ont jamais vu et dont ils ne
savent rien de certain. — Or de deux choses l'une : ou bien le Martien est incapable
de raisonner, et alors il ne comprendra rien de notre civilisation, si même il a
quelque curiosité de la connaître. Ou bien il est un être doué de ce que nous enten-
dons par raison, et alors il n'y a aucun doute qu'il ne comprenne — si même il no
les a déjà formulés — les syllogismes par lesquels l'esprit humain essaye de justi-
fier — à tort ou raison -^ sa croyance en l'existence d'une Cause première et d'une
Cause finale, d'un absolu qui sert de support au relatif et d'un Pouvoir qui travaille
pour l'ordre de l'univers. Ici, à défaut de la conscience marginale, c'est la raison
qui nous fournirait un lien cosmique avec notre frère extra-planétaire.
Ces réserves n'enlèvent rien aux mérites d'un ouvrage qui mérite d'être recom*
mandé à tous ceux qu'intéressent les progrès de la psychologie religieuse. L'auteur
P, 66,] * R > E ^ E > S > [1908>
déclare, dana sa Préface, qa'il a voalu écrire à la fois pour les spécialistes et pour
le public. Il a réussi à ce double point de vue et ce n'est pas un mince compliment
que de reconnaître à toutes les parties du livre des qualités de clarté et de style
trop souvent négligées par les spécialistes de la science mentale«
GOBIiBT d'AlYIELLA.
*
* m
jy Thsojdob Eogh-Gbühberq. Südamerikanische Fels$eiehnungen. — Gr. 8^ de
92 pages et 29 planches. Berlin, £. Wasmuth, 1907.
L'auteur a rapporté de son voyage d'exploration dans lo Brésil nord-occidental
une ample moisson ethnographique dont il a publié déjà des fragments, notamment
un livre sur Tart des Amérindiens du Brésil. Le présent volume n'est pas unique-
ment descriptif ; on y trouvera (section I) un excellent exposé de tout ce qui a été
publié à propos des gravures sur rochers si fréquentes dans l'Amérique du Sud ; la
section II renferme la description des pétroglyphes recueillis par l'auteur ; et la
section III une discussion rapide et précise des diverses théories émises à propos
de l'origine, de la destination et de la date de ces sculptures. Cette discussion résout
définitivement la plupart des problèmes qui se posent.
On a voulu voir dans ces dessins soit des témoignages d'une ancienne civilisa-
tion, supérieure à celle des Indiens d'aujourd'hui, soit des sortes d'avertissements
inscrits à demeure pour faire savoir aux générations postérieures que tel endroit
est poissonneux, tel autre dangereux, etc. ; M. Ehrenreich les regardait en partie
comme des sortes de bornes ; d'autres, en majorité, voyaient en eux une écriture
figurative. Aucune de ces théories ne convient à M. Koch- Grünberg. Il insiste, avec
Martius et Goudreau, sur Tabsolue identité de ces figures avec celles que dessinent
encore les Indiens actuels sur les parois de leurs cases, ou dont ils ornent leurs
tissus et leurs ustensiles. Dans la grande généralité des cas, les dessins sur rochers
n'ont pas d'autre sens que les dessins sur objets : ce sont des productions d'ordre
uniquement esthétique, sans utilité directe ou profonde.
Les théories rejetées doivent l'être d'autant plus que la difficulté principale,
technique celle-ci, est aisément intelligible. Les pétroglyphes sont incisés très
profondément, d'où Ton a supposé, soit leur grand fige, soit leur valeur sociale»
Mais les Indiens ont l'habitude, chaque fois qu'ils ont le temps, et ils l'ont
toujours, de suivro les lignes incisées avec une pierre pointue. L'auteur a constaté
ceci lui-même. Et cet acte est lui aussi esthétique : il a pour but de faire mieux
ressortir de nouveau le dessin sur le fond sombre de la roche. C'est ainsi que la
profondeur s'accroit insensiblement. Un cas fort net est fourni par l'inscriptioa
MB 1891, incisée par Maximiane Boberto, compagnon de Stradelli : les Indiens la
grattent elle aussi et déjà les traits sont relativement profonds.
Les planches contiennent, classées d'après leurs affinités, les figures relevées
par M. Koch-Griinberg ; on les comparera utilement aux dessins publiés par l'auteur
dans s^ Anfänge der Kunst im Urwald.
Dans son ensemble, l'argumentation de M. Eoch-Griinberg est décisive, sans
doute, d'autant plus qu'elle est le résultat d'une enquête sur place de deux années.
Cependant, peut-êtro cette explication des dessins comme le résultat d'une sort&
de jeu esthétique est-elle insuffisante pour les figures de personnages porteurs de
xnasques (cf. pp. 53 et suiv. avec les photos et les dessins). On ne peut s'empêcher
de penser aux peintures et sculptures des Australiens, chez qui précisément l'acte-
1908.] ANALYSES. [P. 57.
« inutile ■, de simple portée esthétique, apparaît comme rare. A plusieurs reprises,
l'auteur prémunit contre le danger des généralisations : n'en a-t il pas commis ici
une trop rapide à son tour ? Il est en effet difficile de concevoir que la représenta-
tion figurée d'objets sacrés, comme le sont les masques, puisse être accomplie pour
ainsi dire par n'importe qui, pour s'amuser seulement. Combien y a-t-il de gamins
chez nous qui « s'amusent » à dessiner sur les murs des Christs en croix, des vête-
ments sacerdotaux, des objets du culte ? De même, représenter un démon puissant
comme Popäla (p. 64) ne saurait avoir été un acte indifférent, sans portée aucune.
Il faut sans doute se garder de voir trop compliqué : mais il y a danger tout autant
à voir trop simple.
Aux questions que je lui ai posées à ce sujet, M. Kocb-Grünberg a bien voulu
me répondre que du moins les masques perdaient tout caractère sacré dès qu'on
s'en était servi rituellement. Par suite les dessiner sur un rocher ne serait qu'un acte
sans portée magico-religieuse. Pour les détails, je renvoie à l'intéressant article de
l'auteur sur les Danses masquées des Indiens du haut Rio Negro et du Yapurà
(Archiv für Anthropologie^ Neue Folge, IV, 4, 1906). On y relèvera ce fait, jusqu'ici
noté seulement avec la même certitude pour les Australiens : que l'objet cérémoniel
doit être neuf à chaque rite nouveau ; de même que les Australiens construisent de
nouveaux nurtunja ou waninga pour chaque acte de la cérémonie, quand bien
même les objets naturels représentés seraient identiques, de même les Amérindiens
observés par M. Koch-Grünberg n'utilisent chaque masque qu'une seule fois puis
le brûlent ou s'en servent comme récipient, ou encore le donnent ou le vendent. Il
y a dans ces deux cas un problème qui se pose : comment l'objet cérémonie! peut-il
ainsi, sans rite spécial, passer du domaine sacré au domaine profane ; le rite de
sacralisation étant connu, comment le rite de désacralisation nous demeure-t-il
ignoré, si même il existe ?
Il semblerait donc que pour les représentations figurées de masques et de
personnages porteurs de masques, l'interprétation « par le jeu » de M. Eoch-
Griinberg doive être admise. Mais pour celle des démons, on peut encore supposer
que leur représentation n'est terrible et sacrée que pour certains groupes, non pour
d'autres, tout comme la croix ou le croissant sont respectés par les uns et indiffé-
rents pour les autres.
Quoiqu'il en soit, le livre de M. Koch-Grünberg est à la fois une excellente
monographie des pétroglyphes sudaméricains, et un traité de portée théorique
générale par les problèmes qui s'y trouvent analysés et souvent résolus.
A. YAK GeNIOBP.
m
m *
J. Jacob. Geschichte des Schaùtentheaters. — In-16, 159 pages. Berlin, Mayer und
Müller, 1907. — 4 Marks.
Qn ne trouvera pas ici une histoire détaillée et complète des ombres chinoises,
comme on s'y attendrait d'après le titre, mais une série d'études monographiques
sur les modifications et les migrations de cette sorte de théâtre populaire, ainsi que
sur les pièces qu'on y a représentées. Comme son nom français l'indique, il nous
vient de Chine ; la première mention date du XI* siècle ; on la trouve dans le
ThofhSÖUf ou Histoire des Trois Royaumes. M. Jacob expose ensuite rapidement
les variations des ombres chinoises et des marionettes dans les Indes néerlan-
daises, à Ceylan et dans l'Inde, où la première mention de ce théâtre remonte au
VP siècle.
P> 58.] > R * E ^ E > S * [1908>
Ici une observation est nécessaire : il ne faudrait pas confondre la date d^inven-
tion d'un jeu, d'une institution, d'une coutume avec celle du document le plus ancien
où il en est parlé. Non que M. Jacob feusse absolument cette confusion : encore ne
sait-on au juste la valeur exacte qu'il attribue à ces questions de date. Bien que les
mentions hindoues soient antérieures aux chinoises, M. Jacob en effet soutient la
théorie de Torigine extrême-orientale, et la renforce en rappelant (cf. entre autres
pp* 150 et suiTantes) le grand nombre d'inventions (échecs, dames, cerfs-volants et
peut-être cartes à jouer, etc.) que l'Occident doit à l'Extrême-Urient.
Puis vient une deuxième observation, également importante. M. Jacob traite
comme une espèce unique à la fois les ombres chinoises et les marionettes, bien
que la différence de technique puisse avoir sa portée propre. On pourrait sans doute
prétendre que l'usage de l'écran n'est qu'une invention secondaire, en regardant
comme stade intermédiaire (cf. p. 12) le procédé javanais : les femmes sont placées
devant l'écran et les hommes derrière ; de sorte que les femmes voient des ombres
chinoises et les hommes des marionettes. Quoiqu'il en soit, cette question technique
ne doit pas être perdue de vue dans la défense d'une théorie de l'emprunt, non plus
que d'autres, comme la construction des figurines.
La littérature spéciale ne fournit ici aucun argument. Epique en Extrême
Orient, dramatique chez les Turcs et les Arabes, lyrique en France de nos jours
(Chat- Noir, etc.), elle a évolué chez divers peuples suivant des règles et des formes
sur lesquelles M. Jacob donne de fort instructifs renseignements (cf. tout le cha-
pitre II, avec analyse de pièces arabes et turques, traduction de passages typiques,
etc.).
Malgré l'argumentation serrée de M. Jacob, on se demandera pourtant si
l'invention des ombres chinoises et des marionettes est partie d'un centre d'origine
pour rayonner ensuite dans l'Asie et l'Europe, ou si, comme je crois plus vraisem*
blable, ces deux modes ont été d'abord distincts et inventés chacun par diverses
populations, indépendamment. A ce point de vue, l'étude des cérémonies religieuses
telles que les exécutent avec des sortes de poupées les Amérindiens septentrio-
naux ne manque pas d'intérêt (cf. les publications du Bureau of Ethnology, du
Field Columbian Museum de Chicago, etc.) ; il y aurait lieu aussi d'étudier le rôle
rituel des poupées proprement dites, aujourd'hui tombées au rang de jeu d'enfant,
tout comme Guignol. Là où des poupées étaient utilisées dans les cérémonies
sacrées, leur utilisation profane, c'est à dire l'invention du théâtre de marionettes,
était chose^possible et naturelle (cf. les poupées égyptiennes, grecques, etc.). D est
donc à souhaiter que M. Jacob continue ses recherches et élargisse son enquête en
la portant sur le terrain proprement ethnographique.
A. VAN Gbnnbp.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 59*
NOTIGES BIBLIOGRAPHIQUES.
E. H« GiDDiMGS : Readings in descriptive and historical sociology ; iQ-16, 553 pages,
New- York, Macmillan. — Maouel, destiné aux étudiants, formé d'extraits
d'ouvrages théoriques ou descriptifs et classés suivant un schéma dont on
trouvera la justification dans les travaux précédents de Tauteur : Principles
of Sociology et Inductive Sociology. Malgré leur précision apparente, je doute
que les subdivisions de. M. Giddings permettent une classification réelle des
faits sociaux ; elles sont trop calquées sur les classifications des sciences natu-
relles, pas assez malléables. £n général les extraits sont bien choisis ; les
explications qui les relient sont par contre souvent trop affirmatives et résolvent
volontiers des problèmes dont Tétude commence à peine.
William I. Thomas : Sex and Society, Studies in the social psychology of sex ;
in-16, 325 pages, Chicago, The University Press. — Recueil d'articles sur la
psychologie sociale do la sexualité parus dans TAmerican Journal of Sociology,
la Psychological Review et la Zeitschrift für Soeialwissenschaft : I différences
organiques des sexes ; II le sexe et le contrôle social primitif ; III le sexe et
le sentiment social ; IV le sexe et l'industrie primitive (étude sommaire,
d'après des sources de première main, de la séparation sexuelle du travail) ;
V le sexe et la morale primitive ; VI la psychologie de l'exogamie (explique
l'institution par la tendance du mâle à « préférer du nouveau, du non-familier,
du non-analysé ») ; VII la psychologie de la pudeur et du vêtement ; le carac-
tère adventice de4a femme ; l'intelligence de la femme et des races inférieures.
Giuseppe Belluoci : Il fetieismo primüivo in Italia e le sue forme di adattamento ;
in-16, 158 pages, Perugia, Unione tipografica cooperatrice, 4 lire. — M. Bel-
lucci a réuni peu à peu une admirable collection d'amulettes italiennes, dont
l'intérêt principal tient à ce qu'on y voit côte à côte des amulettes actuelle-
ment encore en usage et d'autres, identiques, datant de Tantiquité classique
et même proto ou préhistorique. Le volume qu'il vient de publier contient un
grand nombre de figures où se trouvent juxtaposées les deux catégories. Et
l'on se rend compte ainsi nettement de la persistance, à travers les siècles et
les civilisations, des vieilles pratiques magico-religieuses. Le mot fétichisme
est employé par l'auteur avec son acception classique, consacrée par de Brosses,
Tylor, etc., mais inexacte : en présence des faits mêmes, M. Bellucci se voit
d'ailleurs conduit (p. 7) à distinguer un fétichisme « primitif » d'un fétichisme
" dérivé ». En fait le fétichisme n'est pas une « religion v, ni un ■ système
religieux «.
BiOHABD Ain)BEE : Scapulimantia. Extrait (pages 143-165) du Boas Memorial
volume^ New- York. — M. R. Andrée est passé maître dans l'art d'accumuler
des parallèles et de les classer d'une manière instructive ; il a ainsi peu à peu
détruit un grand nombre de points de vue qu'on peut appeler « nationalistes »,
en montrant que les aires de dispersion et la possibilité d'inventions identiques
indépendantes excluent tout droit à assigner à telle ou telle coutume ou à tel
on tel objet un lieu d'origine unique. Dans son travail actuel, cependant, il
p. 60.] • R • E • E • 8 • [1908.
prouve que I'omoplatoscopie tout en étant plus répandue qu^on ne croyait,
et quoique utilisée aussi par des populations non pastorales, a été inventée
d^abord par les Mongols et s^est de là transmise jusqu'au Maroc et en Europe«
On ne la rencontre ni dans TAfrique centrale et méridionale, ni dans TAsie
méridionale, et pour TAmerique il n'existe qu'un seul témoignage, peu expli-
cite. Je signale à M. Andrée les bonnes descriptions, avec dessins, de Eatanov,
Oëerh Mimisinshago Okruga (Kazan) pp. 37-39 et de Potanin, Oöerki Sièvero-
Zapadnoi MangoUi^ II, (1881) pp. 88*91.
£. Hoffmanit-Keateb : FrucMbarkeiisriien im schweigerischen Volhsbrauch ;
Extrait (pages 238-269) des Archives Suisses des Traditions Populaires^ 1907.
— Excellent complément, peut-être un peu trop court seulement pour la
description des rites, aux travaux do Mannhardt, Frazor et Preuss sur les
démons et les rites de la fécondation et de la multiplication des végétaux, des
animaux et des hommes.
J. G. Fbazeb : Folk-lore in the Old Testament ; Extrait (pages 101-174) des
Anthropological Essays presented to E. B. Tylor^ 2 oct. 1907. Oxford. —
M. Frazer explique à Taide de la méthode dite « anthropologique » un certain
nombre de passages obscurs de TAncien Testament : 1 <" la marque de Caïn
était destinée à le rendre méconnaissable pour Tombre de sa victime ; 2? de
Tancien caractère sacré des chênes et des térébinthes en Palestine ; 3® Le caim
de Jacob et de Laban ; 4» l'adversaire de Jacob sur les bords du Jabbok était
le dieu du torrent ; 5^ dans son discours à David, Abigail fait allusion à la
possibilité de Textériorisation de Tâme ; 6'' le précepte « ne pas cuire un
chevreau dans le lait de sa mère » correspond à un tabou sympathique ; cet
acte aurait pour effet de tarir le lait de la chèvre ; bonne discussion sur les
soi-disant « cultes pastoraux » ; 7® les gardiens du seuil : discussion sur les
raisons du caractère sacré et saint du seuil ; 8** le « péché du recensement » :
compter les gens c'est attirer sur eux des calamités (Galla, Lapons, etc.)
E. Sidney Habtland : Concerning the rite at the temple of Mylitta ; t6. pp. 189-
202. — L'auteur distingue avec soin entre les rites de Mylitta (chaque femme
une fois dans sa vie devait s'offrir à un étranger et accepter sa pièce d'argent),
d'Ileliopolis (des vierges se prostituaient à des étrangers) et d'Arménie (con-
sécration comme prostituées à Anaïtis des vierges nobles par leur famille) ;
et c'est avec raison qu'il refuse d'y voir des rites en connexion avec d^anciennes
formes de mariage (communiste, tribal, etc.) ou de les rattacher à l'exogamie.
Gbobg Fbiedebici : Der Trânengruss der Indianer ; 8®, 22 pages, Leipzig, Sim-
mel, 1 mark. — Débute par une réfutation et une mise au point des opinions
erronées de R. B. SchuUer, de Santiago de Chile, dans son analyse d^un précé-
dent article (Globus, LXXXIX, p. 30 sqq.) de G. Friederici sur la « salutation
par les larmes » ; puis viennent des compléments à ce même article, d'où
ressort que la coutume en question est constatée pour les Athapascans ; le
bassin du Mississipi ; le Texas ; quelques Etats de TEst ; puis, dans l'Amérique
Centrale, pour les Caraïbes insulaires ; et dans l'Amérique du Sud, pour les
Charrûa, Lengua, Tupi, Guarani, Tapuya, Zaparo, Caraïbes des Guyanes et
peut-être Araucans. En outre des renseignements fragmentaires ou peu expli-
cites font penser que cette coutume était bien plus répandue encore dans les
trois Amériques. A. t. G.
1908.] SOMMAIRES DES REVUES. [P. 61*
SOMMAIRES DES REVUES.
JoTTBNAii OF THB AuTTHBOPOLOGiCAL iNâTiTUTB. 3 HaDOver Square, Londres.
T. XXXVIl (1907), fasc. 1-2, Jan?..Juin, 15 shill. Dedication to E. B. Tylor ;
W. Gowlaod, Pre8idefU*8 Address ^ The burial mounds and dolmens of the
early emperors of Japan; D. J. Ganningham, The head of an aboriginal
Australian ; Q. A. S. Northcote, The nilotic Kavirondo ; H, Balfour, The fric-
tion'drum; J. Roscoe, The Bahima^ a Cow-tribe of Enkole in the Uganda
Protectorate ; C. H. Stigand, Notes on the natives of Nyassaland^ (N.-E, Rho-
desia and Portugease Zambezia)^ their arts^ customs and mode of subsistence ;
E. Torday and T. A. Joyce, On the ethnology of the southrwestem Congo Free
State ; J. Jette, On the medicine-men of the TevCa ; W. I^. Hildeburgh, Chinese
methods of cutting hard stones ; Greenwell, Notes on a collection of brome
weapons^ implements and vessels found at Khindmdn to the west ofKermdn in
south-east Persia by Maj. P. Molesworth Sykes ; E. Naville, The origin of
egyptian civilisation.
AsTHSOPOS. Dir. P. W. Schmidt, Mödiing près Vienne, Autriche ; abonnement
18 francs. T. II (1907), fesc. 6. A. Bourlet, Les 'Chay (fin) ; J. Meier, Mythen
und Sagen der Admiralitätsinsulaner (suite) ; Bruns, Notes sur les croyances
et les pratiques religieuses des Malinké fétichistes (finj; L. Cadière, Philoso-
phie populaire annamite (suite) ; L. Besse, Un ancien document inédit sur les
Toda ; R. A. Durand, Christian influence on african folk-lore ; P. Gamboué,
Notes sur quelques mœurs et coutumes malgaches ; L. Dantzenberg, Alcunos
apuntos bibliograficos a4ierca de las Ungual de las Americas meridional y
central ; E. Bougier, Maladies et médecines à Fiji autrefois et aujourd'hui
(fin) ; V. M. Egidi, La tribu di Tanata (fin) ; 6. A. Adams, Die Banoho und
Bapuihu in Kamerun ; W. Schmidt, Die geheime Jünglingsweihe der Karesan-
Insulaner ; W. Schmidt, Les sons du langage et leur représentation dans un
alphabet linguistique général (fin ; ce Mémoire paratt aussi en allemand) —
Miscellanea — Bibliographie : W. Lehmann, Ergebnisse und Aufgaben der
mexikanischen Forschung (W. Schmidt) et Tradition des anciens Mexicains
(E. Jonghe); Th. Eoch-Grünberg, Südamerikanische Felszeichnungen (W.
Schmidt) et In^neriypen aus dem Amazonasgebiet (id.) ; S. H. Ray, Rep.
Cambridge Torres Straits Expedition^ Linguistics (id.) — Revue des Revues.
Rbtite de L^EbsTOiBB DBS RELIGIONS. Dir. J. Réville, éd. E. Leroux, 28, rue
Bonaparte, Paris; abonnement 25 francs. T. LVI (1907) n^" 2, Sept.-Oct.
J. Réville, Les Origines de VEucharistie (suite) ; 6. Ferrand, Textes magiques
malgaches ; Bibliographie : Dennett, At the back of the black man^s mind
(A. van Gennep) ; B. Bœntsch, Altorientalischer und israelitischer Monotheis-
mus (Ad. Lods) ; P. Fiebig, Altjüdische Gleichnisse und die Gleichnisse Jesu
(id.) ; BoUand, De evangelische Josua (G. Dupont) ; W. B. Smith. Der vor-
christliche Jesus (E. Picard) ; J. H. Genetsen, liechtwaardigmaking bij Pau-
lus (id.) ; L. Saltet, Les réordinations (R. Génestral) ; G. Lassen, Die Schöp-
fung (Ad. Lods) ; M. Löhr, Sozialismus und Individualismus im Alten Testor
p. 62.] • R • E • E • S • [1908.
ment (id.) ; W. L. Hare, Die BeUgian der Griechen (Gh. Werner) ; G. Giemen,
Die Entstehung des Neuen Testaments (Eng. Picard) ; Imbart de La Tour,
Questions d'histoire sociale et religieuse (P. Alphandéry) ; I Fioretti di San
Francesco (id.) ; Révélations de Sainte Oerirude (id.) ; E. H. Michand, Les
enseignements essentiels du Christ (id.) ; P. Saintyves, Le miracle et la criti-
que scientifique (id .) ; J. de Bonnefoy, Vers Vunité de croyance (id.) ; Ghronique.
VBBSLAOBN en MEDBDSEIiINaEK DBB EONIMELUKB AkADBHIB YAK WbTBNBOHAF-
PBN, Apdebling Lbttbbkukdb. Amsterdam, J. Müller. Série IV, Part.
YIII, 1907. Verslagen; Mededeelingen : G. G. Uhlenbeck, Karàkteristiék der
Baskische Grammatica ; A. Kluy?er, Over het woordt Massicot als naam van
eene verfstof; D. G. Hesseling, De koinè en de oude dialekten van GrieUand ;
G. Heymans, De geschiedenis als wetenschap ; J. Oppenheim, De suprématie
der grondwet ; A. G. Eruyt, De indonesische rechter in het hiernamaals ;
H. Kern, Vaifulya^ VetuUa^ Vetulyaka ; J. Verdam, Over het woord Schaats ;
id., Over het woord Zerk.
Bévue des Tbaditions Populaibes. Dir. P. Sébillot, éd. E. Guilmoto, 6, rue de
Mézières, Paris ; abonnement 15 francs. T. XXII (1907), n^ 10, Oct. A. Yer- |
moloff, Les traditions populaires en Russie (suite) ; R. Basset, Les météores
(suite) ; L. Pineau, Les plus jolies chansons des pays Scandinaves (suite) ; Yves 1
Sébillot, A. Bout, A. Uarou, J. Frison, Mythologie et folk-lore de Venfance \
(suite) ; A. Uarou, Le folk-lore du O.-D. de Luxembourg ; L. Desaivre, Rites i
et usages funéraires (suite) ; E. Edmond, R. le Bouzic, Pèlerins et pèlerinages
(suite) ; J. Frisoi^ Contes et légendes de Basse-Bretagne (suite) ; L. Desaivre, |
Les traditions populaires et les écrivains poitevins (suite) ; Paul Sébillot, Né-
crologie : Gh. Hercouet ; Bibliographie : J. G. Frazer, Questions (P. Sébillot) ;
P. du Châtelier, Les époques préhistoriques dans le Finistère (id.). Notes et
Enquêtes. Réponses.
The JouBNAii of Amebigak Fole-Lobe. Dir. A. F. Ghamberlain, Worcester,
Mass ; abonnement 3 dollars. T. XX, u? LXXVIII, Juillet-Sept. 1907. G. Bird
Grinnell, Some early cheyenne myths ; Clark Wissler, Some dakota myths
(suite) ;'G. H. Toy, The queen of Sheba; W. J. Wintemberg, Alsatian witch
stories; G. Staniland Wake, A widespread boy -hero story ; J. R. Swanton,
A concordance of american myths ; A. F. Ghamberlain and I. G. Ghamberlain,
Record of American Folk-Lore ; Notes and Queries ; Bibliographie : Fublicor
tions of the Folke Lore Society^ T. LV et LIX (A. F. Ghamberlain) ; A. van
Gennep, Tabou et Totémisme à Madagascar et Mythes et Légendes d* Austra-
lie (id.).
JoüBNAL OF THE Afbioan SOCIETY. The Imperial Institute, Kensington, Londres ;
abonnement, une guinée. T. VI, n*^ 3, Oct. 1907 (n* XXV). P. H. G. Powell-
Gotton, Notes on a journey through the great Ituri forest ; H. Jonhston, The
basis for a comparative grammar of the bantu languages ; G. Meinhof, Note
on the above ; H. Johnston, Additional note ; H. Nathan, Reminiscences of
Mary Kingsley ; Adebiyi Tepowa, A short history of Brass and its people.
Editorial notes. Bibliographie : Wallis Budge, The Egyptian Sudan ; L« Des-
plagnes. Le plateau central nigérien (N. W. Thomas) ; Passarge, Die Busch^
manner der Kalahari ; II. H. Keane, Stanford's Africa^ T. I. ; K. Axenfeld,
Der JEthiopismt4S in Süd-Afrika.
1908.] CHRONIQUE. [P, 63^
CHRONIQUE.
Les cours et conférences à l'Ecole d'Anthropologie, 16 rue de l'Ecole de Méde-
cine, seront pour Tannée 1907-1908 répartis comme suit :
GooTB : Aifn*HB0P0L0GiB PBiHiBTOBiQUB : M. L. Capitan. Les Bases des études
préhistoriques (suite), Industrie^ Art.
EthhoiiGOib : M. Georges Her?é. Histoire de V Ethnographie (état et progrès de la
science au XV IIP siècle).
AifrrHBOPOLOOiB zoologiqüb : M. P.-O. Mahoudeau. Origine de l'Homme. L*ordre
des Primates^ les Simiens (fin), les Anthropoïdes et les Hominiens.
Ahthbopolooib PHY8I0L0GIQÜB : M. L. Manouvrier. Physiologie psychologique
(sentiments^ émotions^ attention^ volonté).
Tbchkolooib ethnographiqos : M. Adrien de Mortillet. Etude comparée des
industries primitives anciennes et modernes. Les armes ^ leur classification et
leur évolution (suite).
SodOLOGiB : M. 6. Papillault. Le rôle social de la femme^
GioGBAPHiE ANTHBOPOLOGIQUE : M. Frauz Schrader. Les conditions géographiques
de divers groupes humains.
EIthkogbaphie : M. S. Zaborowski. Origines des nations^ langues^ mesurs. Le
Pourtour de la Méditerranée : Sicile, Italie, Grèce, etc.
Pbotohistoibb obibntalb : m. R. Dussaud. Vile de Chypre aux âges du cuivre
et du hronsse.
EoTHiroiioaiE oénbbale : M. J. Huguet. Les hommes à la surface du sol. Races et
groupements. Influence des mïUeux.
Emhbyogbkib bt anatomib : M. E. Rabaud. L'encéphale et plus particulièrement
le cerveau (constitution, évolution, morphogénèsé).
Paléontologib HTTiffAiinB (cours complémentaire) : M. R. Verneau. Les dernières
races quaternaires de VEurope.
Gonlërences : M. le D^ R. Anthony. Le cerveau chez l'homme d chejt les singes.
M. le ly Dubreuil-Chambardel. Les variations anatomiques, leur caractère héréd^
taire et leur influence en pathologie.
IL le D^ A. Marie. Psychopathologie comparée (les aliénés dans Thistoire, dégéné-
rescence des meneurs du peuple).
M. J. 6. Frazer yient de publier, sous les auspices de TUniversicé et du Musée
Archéologique et Ethnologique de Cambridge une brochure intitulée : Questions
on ihe Customs, Beliefs, and Languages of Savages (in-12 de 51 pages). Ce ques-
tionnaire est un développement de celui que M. Frazer fit circuler il y a quelques
iV«Wi
P. 64.] • R • E • E • S • [1908.
années et qui lui yalut des réponses scientifiquement si utilisables (notamment du
Bév. J. Roscoe) qu'il a cru nécessaire d'en préparer une édition refondue. Gomme
on peut s'y attendre, les paragraphes les mieux traités sont ceux qui intéressent
davantage M. Frazer lui-même : Toi^ganisation sociale et religieuse, les règles des
rapports sexuels, les rites, les croyances cosmologiques, eschatologiques, Fani-
misme, le démonisme, le totémisme, la magie, le tabou, etc. Ces « questions «
sont d'ailleurs plutôt destinées à servir d'aide-mémoire aux observateurs que de
cadre à remplir intégralement. Pour en recevoir des exemplaires on peut s'adresser
à M. Frazer, Trinity College, ou à M. von Hügel, Directeur du Musée, Cambridge.
CATALOGUES.
List und Francke, Leipzig, N» 390. Die aussereuropäischen Erdteile in Geschichte, Geogra-
phie und Altertümern ; Anthropologie, Ethnographie, Occultismus. 2741 N«*.
B. Seligsberg. Bayreuth, N« 279. Bibliothek des Folkloristen und schwäbischen Dialekt-
dichters Prof. G. Seufler ; Poetische Litteratur der europäischen Völker ; Deutsche
Mundarten ; Sagen, Märchen, Sprichwort, Rätsel, Volkskunde ; Kultur- und Sittenge-
schichte, etc. 3330 No».
A. Geering, Bale, N« 137. Bthliotheca historico-geographica, III; Allgemeine Geographie
und aussereuropäische Länder ; Reisen, Volkskunde ; Nachtrag zu allen 3 Geschichts-
katalogen ; 1116 N*».
— — Antiqtiarischer Anzeiger, N^ 197. Kulturgeschichte, Länderkunde, Socialwissen-
schaft, Sprachwissenschaft, Theologie, etc. ; 993 N«*.
P. Geuthner, Paris, Ephémérides Bibliographiques^ N<» 13. Histoire des Religions, Numis-
matique ; roiîent (Histoire de l'art, Archöologie, Histoire, Littératures, Philologie,
Voyages ; Assyriologie ; Egyptologie) ; livres d'occasion, A-Z. N«» 3443 à 3993.
J. Gamber, Paris, N® 39. Bibliothèques de feu Ulysse Robert et feu Albert Réville. Histoire
des Religions et de la civilisation ; judaica, americana ; histoire littéraire ; suppléments
aux cat. précédents. 2763 + 844 N«>«.
Von Zahn und JsBnscb, Dresde, N«" 203. Kultur- und Sittengeschichte, Volkskunde, Costüm-
kunde, Fi*auenlcben, Gauner, MOnchtum» Sexuelles, Spiele» etc. 3265 N<^.
Ernst Carlebach, Heidelberg, N« 287. Allgemeine Geschichte und Hülfswissenschaft^n,
Geographie, Volkskunde, Kulturgeschichte, Rechts- und Staatwissenschaften, N<» 2371
à 3230 dont 70noB éditions prinoeps des œuvres de Lassalle.
Ze Gérant : Pauii Gbüthhbb.
PAUL GEliTHNEB, RDE MAZARINE. 68, PARIS (6^)
MAGLER (F.). Histoire de Pbarmani Asman, traduite de rArméaien sur
le Ms. conservé à la Bibliothèque Nationale, 86 pp. îfi-8 (T.) 1906 2 fr. 50
Le RomAO ou l'histoire de Pharmani Asman est un das plus curieux documents de poésie
profane dans ia littérature ancienne de l'Arménie. CTest une version arménienne d'un origi-
nal persan ou pehlvi perdu dans le genre de la Braut&hrt allemande. On retrouve aon
sujet dans les poèmes du Moyen-âge (Prise d'Orange, Rother, Ortnit, Hugdietrich, Gudrun,
etc.). La ressemblance entre ces récits et le récit arménien est frappante. Tiré à 50 ezempl.
MONTGOMERY (J.). The Samaritans ; the earliest Jewish sect,
their history, theology and literature, 2 cartes, 13 pi. et 12 ill., tn-8, taiU,
1907, net 10 fr. 50
Table of contents : Re-discovery of the Samaritans : The land of Samaria and the city
of Sbechem ; The modern Samaritans ; Origin of the Samaritan sect ; The Samaritans
under the Hellenic empire ; The Samaritans under the Roman Empire ; The Samaritans
under Islam; Geographical distribution of the Samaritans ; The Samaritans in apocryphical
literature, the New Testament, and Josephns ; The Samaritans in the Talmud and other
rabbinical littérature ; Talmudic booklet, Mas^eket Kutim; Theology of the Samaritans;
The Samaritan's gno&ticism ; The languages and literature of the Samaritans ; Bibliogra-
phy, indexes.
The only existing treatises on this subject greatly lack in detail and completeness of
reference : they are also for the most part, largely technical, while the older material is
stored away in works that are no longer on the market ami which are rare in libraries.
Throughout this work the author has corroborated his statements by painstaking referenoet
to the sources, which give a mine of information concorning a subject often treated dis-
cursively rather than with exactness. (Author's advertisement.)
MOTTRIER (J.). L'Art au Gauoase, 2'' éd. nomb. fig. 203 pp. gr. in-S,
1907 12fr. 00
Arts religieux : Architecture, sculpture, orfèvrerie, émaux, peintures, manuscrits,
broderies.
Arts industriels : Poterie, verrerie, orfèvrerie, nielles, émaillerie, bijouterie, glyptiqu«,
costumi>.s, armes, habitation, mobilier, tapis, tissus, étoffes, bronzes.
SCHREINER (A.). Abrégé de Thistoire d'Annam, 2^ éd., revue et
augmentée de la période comprise entre 1858 et 1889, 587 pp. gr. in*8,
1906 30fr. 00
Les premiers temps — Luttes pour l'indépendance — l'empire au pouvoir des Chua —
Les Nguyen — Occupation française — Amiraux gouverneurs — Gouverneurs civils —
traités conclus par la France avec l'Annam, le Cambodge, la Chine, le Siam — tableaux
chronologiques : noms des souverains d'An nam. Tableau chronologique des souverains de
l'Annam, des chua Trinh, des chua Nguyen, des Mac, des souverains de la Chine, des
gouTerneurs français, résidents supérieurs, etc.
BROGKELMANN (C). Grundriss der vergleichenden Orammatik
der semitisohen Sprachen (in 2 Baenden) Band I : Laut- und Formen-
lehre jrr. *n-8, 1907.
Parus : Lief. 1 : pp. 1 à 128, Juin 1907, net 6 fr. 50 — Lief. S : 129 à 240, août 1907, net 6 fr.
Le prix de souscription est net. Après achèvement, il sera augmenté de 25 <*/o.
« In diesem Grundriss sollen die neueren Forschungen zur vergleichenden Grammatik
der semitischen Sprachen zusammengefasst, nach den Grundsätzen moderner Sprachpsy-
chologie erweitert und zu einem volibtändigen System ausgebaut werden. Das Ziel der
Forschung ist nicht mehr wie bei den Begründern der indogermanischen Sprachwissen-
■cbaft die Rekonstruktion einer Ursprache, sondern aas wissenschaftliche Verständnis des
Baues der einzelnen Sprachen, das aber eben nur durch Vergleichung der verwandten
Idiome gewonnen werden kann. In erster Linie soll die Grammatik der semitischen Lite-
ratursprachen dargestellt werden. Da aber ihre Entwicklung nur durch die Analogie der
Vorgange in den lebenden Sprachen verstanden werden kann, so mussten die neueren
Dialekte in weitestem Um&ng zur Vergleichung herangezogen werden.
Le tome I comprend la phonétique et la morphologie, le tome II la syntaxe.
GARROS (G.). Les usages de Gochinchine recueillis et commentés, 3 ta-
bleaux hors texte, XII, 476, 7, 10 pp. m-8, Saigon, 1905 . . 25 fr. 00
Usages relatifs à la propriété bâtie — usages relatifs à la propriété rurale : coutumes
indigènes — usages commerciaux (importations, exportations, opérations de banque, com-
merce chinois, etc.) — usages maritimes.
GIRON (Noël). Légendes coptes. Fragments inédits, publiés, tra-
duits, annotés, par N. G., avec une lettre à l'auteur par £. Revillout.
VIII, 81 pp. gr. >»»-8, 1907 5 fr. 00
/; Entretien d*Eve et du serpent -- II : Le sacrifice éC Abraham — HI : Histoire de
Marina — lY : Mistoire des filles de Zenon — V : Histoire de la fille de V empereur
Basüisque.
L'introduction est un essai sur l'origine des légendes coptes.
PAUL GEUTHNBI. BUE lAZAIINE. 68. PARIS (6')
VIROIXBAUD (Ch.) L'Astrologie Gbaldéenne t Le Uvre intitulé
« enuma (Änu) ilu Bel »^ publié, transcrit et traduit, in-foh^ 1907.
Ont paru : Fase. 2 : TeaOê cunéiforme : Shamoêh (le Soleil), 52 pL 1907, 7 fr. 50
— Faac. 4 : Texte cunéiforme : Adad (l 'atmosphère), 1907, 6 fr.
— Fasc. 6 : Transcription : Sbamash (le Soleil), 1905» 5 fr.
BABYIjONIAGA — Etudes de philologie assyro-babylonienne, publiées sons la
direction de Gh. ViroUeaud, première année (complète) 2 pi. 293 pp. (6 tàsc.)
gr. tn-8, Paris, Geuthner, 1906-1907, net 20 fr. 00
La premiôre année vient d'être terminde. Elle contient let articlei suivants :
Langdon (S.). La syntaxe du verbe sumérien. — Prolegomenon to Sumerian lezicogra*
phy. — The particle ma.
Yiroüeaua. Pronostics sur Tissue de diverses maladies av. 2 pi.
— — Sur le traité d'extispicine qui porte le titre de SElUMMA SHA. TAB.
— — Table des formes verbales contenues dans le premier supplément à la lista
de Bruennow.
— — Nouveaux fragments inédits du British Museum. •
— — Idem, 2* année, 1907-8. Abonnement 18 fir. 00
Paru fasc. 2 : Sayce (A.-H.). The Cappadocian cuneiform tablets. — Streck (Max). Lexi-
kalische Studien I. Die Wurieln hSttu und hädu, — Bommel (Priti). Der sechskdpfige
Drache von Jamutbal. — Dyneley (J. Prince). Note sur le nom Gilgames.
En préparation : Fasc. 2-3 : Langdon (S.). Sumerian compound verbe and loan words. — -
Streck (M.). Lexikalische Studien II. — YiroUeaud (G.). De quelques textes divinatoires. — •
Ce fascicule aura 4 planches hors texte.
DUSSAUD (R.). Li*tle de Ghypre, partioollèrement aux ftgres da
oiiivre et da bronze, 42 fig., 63 pp. in-8 (T.) 1907 . 3 fr. 00
Ce travail constitue un manuel des antiquités chypriotes antérieures A l'époque grecque
classique.
FERRAND (G.). Madagascar, 1 1 Essai de phonétlqae comparée da
malais et des dialectes malgaches, environ 320 pp, ifi^8, Paris,
Geuthner, 1908, net 12 fr. 50
L*auteur, qui depuis longtemps s*occupe de l'étude de l'histoire et des littératures des
peuples musulmans s'est récemment attacné spécialement au domaine des langues malaises.
Fendant son séjour à Madagascar il a pu recueillir un certain nombre de Mss. malayo-
malgaches dont Tétude forme la base du présent travail. Sauf quelques extraits ces Mss.
sont encore inédits.
I/enquéte de philologie comparée qu'a faite l'auteur lui a fourni dee résultats tout A fiiit
inattendus. La comparaison des langues malayo-malgaches avec le sanskrit hä a réoélé
V existence d*un élément sanscrit dans tous les dialectes malgackes sans exception aucune.
De ce fait, la date de la migration malaise sort du vague des conjectures : les Malais
immifçrés étant hindouisés, n'out pu quitter riodoné^ie qu'après le commencement de notre
ère. On trouve ainsi par des etymologies certaines, des indications relativement précises
sur leur type culturel et linguistique. Cette question sera plus amplement traitée dans
Madagascar tome II, qui sera spécialement consacré aux miçrations successives des MaiaiSy
Arabes^ Persans et à la pseudo-migration juive.
Dans cet essai de phonétique comparée figurent des formes empruntées à 33 dialectes
(29 dialectes modernes. 1 vocabulaire Antambahwaka ancien, 1 vocabulaire Anakara, les
dictionnaires de Flacourt (dialecte sud-oriental] et Houtman [Betsimisaraka ancien] et aux
Mss. de la Bib. Nat.|. La comparaison du malais et de ces différents dialectes a permis
d'établir les bases a'une phonétique malgache. Dans la pltmart des ccu^ les courbes^
notamment celles des diphtongues aboutissant à la monoptuongue présentent autant
d'intérêt pour la phonétique malayo-^nalgache que pour la phonStiaue générale. Comme
Tun des nombreux résultats obtenus de ces études phonétiques signalons particulièrement
la loi nouvelle de formation des verbes transitifs et intransitifs.
HERZ BEY (M.). Gatalogae raisonné des monaments exposés dans
le Musée National de Fart arabe, préoédé d'un aperçu de l'histoire de
Tarchitecture et des arts industriels en I^ypte, 2« éd., 8 pi., et 64 fig., LXXII,
351 pp. pet. in-Sj 1906, net 8 fr. 00
Plâtres — Pierres de taille — Msrbres — Boiseries et ivoire — Métaux ^ Céramique —
Tissus — Cuirs — Reliures — Tables votives — Verrerie.
MAGLER (F.). Mosaïque orientale. I. Epigraphica — 2. Historica. 1 pi. et
8 fig., 90 pp., gr. în-8, Paris, Geuthner, 1907 . . . . 6 tr. 00
Contient : I. Epigraphica : Une inscription punique au Musée archéologique de Genève
— L*inscription syriaque de Sainte-Anne de Jérusalem — L'inscription arabe du brancard
de Sahwet el-Khidr — Note sur l'inscription arménienne de la cathédrale de Bourges —
Note sur quelques écussons relevés à Mtlnster dans le Haut -Valais,
n Historica : Notice syriaque d'un Ms. arménien — Documents relatif à l'imprimerie
arménienne établie à Marseille sous le régne de Louis XIV — Requête de Ovanèe Oglou
Kivork, et Carabet frères (1778). — Index.
L'un des articles des plus intéressants sont les Documents (inédits) sur Timprimerie
arménienne en France au XVII* siècle publiés d'après un Ms. de la Bibliothèque nationale«
REVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
No 1ê t SOMMAIRB
Pages
Andrew Lang : Exogamy 65
Maurice Delafossb : Le peuple Siôna ou Sénoufo (suite) • . 79
Gabriel Pbrrand : Note sur le calendrier malgache et le
Fandruana 93
Analyses : R. von Lichtenberg, Beiträge jmr ältesten Qe-
schichte von Kyproa (A. J. Rbinach) ; R. Dussaud,
LHle de Chypre particulièrement aux âges du cui-
vre et du bronze (id.); B. Pbchubl-Lobschb, Yolks-
hunde von Loango (A. v. G.) ; Fr. S. Krauss, Dos
Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; Q. Fribdbrici,
Die Schi ffährt der Indianer {ïù,) 106
l^otiçes bibliographiques (C Mondon-Vidailhet, A. J. Rbi-
nach, A. v. G.) 117
Sommaires des Revues 186
PARIS
LIBRAIRIE PAUL OEUTHNER
68, RUB MAZARINE, 68
Février 1908
PROGEAMME
de la Bévue des Études Ethnographiques et Sociologigues
Intarnatioiiala, Mensiiell«
Le titre de cette Douvelle Revne en indique assez le but, à la fois descriptif
et théorique. Les matières seront réparties suivant quatre rubriques : 1® Mémoires
et articles de fond ; 2*" Descriptions d'objets, courtes communications, correspon-
.dance ; 3^ Bibliographie ; 4^ Senseignements concernant les personne«, les inatitu*
tionSy les congrès, etc.
Par sociologie, nous entendons Tétude de la rie en société des hommes de tous
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de leur civilisation matérielle. Le champ de la Revue est donc vaste. L'on y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé, la science
des relirions, l'histoire de l'art, etc., et l'on y fera appel aux branches spéciales
comme régyptologie, Tassyriologie, rorientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, QU étude anatomique des variétés humaiDOs, ne rentrera daus notre cadre que
dans la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déterminées et leurs civilisations ; il en sera de même pour la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer révolution des institutions et des
idées. Il se dessine d'ailleurs, ces temps derniers, une direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques
compte collaborer effectivement.
D'une manière générale, la première rubrique sera consacrée de préférence aux
travaux traitant des influences qu'ont exercées les unes sur les autres les diversea
cirilisations, à des tableaux de cycles culturels déterminés, à des essais de classi-
fication des phénomènes sociaux et à des études comparées ou monographiques.
La deuxième rubrique intéressera, nous l'espérons, les conservateurs des muséea
Srovinciaux de France : il existe, dans un très grand nombre de villes de prorince,
es collections ethnographiques, dont quelques-unes fondées dès le XVIEL'^ siècle
renferment des objets rares, parfois même devenus introuvables. Souvent les fonda
manquent pour la confection de catalogues complets et la Revue offrira l'occasion
de constituer ces catalogues peu à peu. Des richesses demeurent encore ignorées,
que nous désirerions contribuer à faire connaître au monde savant.
I<lous suivrons, entre autres, d'aussi près quo possible le mouvement scientifique
en pays slaves, les travaux russes, polonais, tchèques, ruthènes, bulgares, etc.
manquant d'un organe français qui les mette en valeur comme ils le méritent. De
même, nous rendrons compte avec soin des travaux hongrois, roumains, grecs, etc.
Nous attribuerons une grande importance à la rubrique Bibliographie, qui com-
prendra des analyses critiques, de courts compte-rendus, les sommaires des revues,
et des collections.
A la Revue sera annexée une Collection d'Études Ethnographiques et
Sociologiques : monographies descriptives illustrées, documents inédits, études
d'ensemble, etc.
La langue de la Revue sera de préférence le français ; mais l'anglais, l'alle-
mand et l'italien y seront également admis. Les honoraires seront de 1 fir. 25 =£
1 mk «= 1 sh. la page, les illustrations comptant comme texte. Les auteurs auront
droit à 25 tirages à part pour les Mémoires et Articles et à 10 pour les Communi-
cations, Descriptions d'objets, etc.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres^
Clamart, pi es Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur, 68, Rue Mazarine, Paris (VI*), au.
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques.
PRIX DE L'ABONNEMENT
France : 20 frs. Etranger : 22 frs.
Abonnement de luxe^ pour donateurs^ avee planches sur papier spécial : 160 fr^
1908.] LANG : EXOGAMY. [P» SB.
EXOGAMY.
by Andbew Lang (Londres).
More than forty years have passed since M' Lennan, in his Primitive Marriage
(1865) first introduced the word « Exogamy », and investigated exogamous rules
as they exist in savage society. Yet there is no approach to agreement among inqui-
rers into the origin of these rules, and the circumstances in which they may have
arisen. Looking at exogamy as it is found among the very backward tribeä of Aus-
tralia, we ask, out of what sets of people is a man legally bound to marry ? First,
he must marry out of his actual nearest kin by consanguinity. Nowhere may a
man wed his widowed mother, his sister, or the daughter of his wife. Again, each
tribe (except a few in which the system has broken down), is divided into two main
exogamous and intermarrying sections, or « phratries », usually bearing names
which, when they can be translated, are names of animals. A man in Crow phratry
must marry out of it, into Eagle Uawk phratry, and vice versa. All the women in
his own phratry, within three generations, are spoken of by him, as « mothers *,
« sisters n, or « daughters », and he may not marry any of them. In the opposite
phratry he may only marry women of his own age-grade, or generation, these
are noa to him, and he to them ; they are his potential spouses.
Again each man or woman belongs to one or other of the many « totem kins »,
that is kinships, (real or supposed;, each of which bears the name of an animal,
plant, or other object in nature, and regards the object with varying degrees of
affection and respect. In all totemistic societies (except the Arunta « nation ■) a
man must not marry a woman of his own totem name. In Australia, and in Ameri-
can tribes, with phratries, the totems are so arranged in the two phratries, that
the same totem never occurs in both. As there are thus no women of his own totem
in the phratry into which a man is bound to marry, he cannot marry a woman of
his own totem.
This condition of law prevails among many tribes which reckon descent and
inheritance in the female line, all persons being of their mothers' phratry and totem.
But, in some tribes with female descent, and in almost all tribes with male descent,
the two phratries are each divided into two or four named « matrimonial classes »,
and every one must marry out of his, or her matrimonial class, into one such class
in the opposite phratry. The more complex organisation, (or, at all events, the use
of special names to distinguish the tour or eight matrimonial classes), is certainly
later than the simpler organisation.
All attempts to find the origins and causes of these rules are impeded by the
fluctuating nature of the evidence ; or confused by the discoveries of facts hitherto
unknown. Up to 1899, we knew no totemistic society in which men were not obli-
ged to marry out of their own totem kins ; no totemistic society in which totem
names were not hereditary. But, in 1899, Messrs. Spencer and Gillen published the
results of their researches in Central Australia. (Native Tribes of Ceiitral Austra*
liß*) They discovered that the Arunta, the Upirra» the Unmatjera and the Kaitish
p. 660 • R • E • E • S • [1908,
tribes, in the parched centre of the Australian continent, presented totems of a
character hitherto unheard of. The Arunta had no names for their phratries, and
but each phratry, (or rather each main exogamous division), contained four « ma-
trimonial classes » — members of each such ■ class ■ must marry out of it, into
the appropriate class in the opposite division. These classes were inherited on the
male side. So far, the tribe was of the most highly complicated typo of social orga-
nisation that has been evolved from the original simple phratriac type. The com-
plex AruDta type is common in north and central Australia.
But the novel feature, previously unknown to science, is that, while each
member of the Arunta nation has his or her « totem name », — that, usually, of
some plant or animal, — these names are not, as everywhere else, hereditary ; the
chiidren may bear totem names which are neither those of their father nor of their
mother.
Moreover, contrary to universal rule, the same totem names may, and do,
exist in both main exogamous divisions, and even in the same matrimonial class.
Thus the tie which, among the Arunta, unites persons of the same totem name is
not, as elsewhere, a tie, real or supposed, of common blood. A man of the Wild
Cat totem is connected with other Wild Cats, merely in so for as all of them are
members of local clubs or societies, which perform magic ti\,Q& (It^tiehiuma) for the
Wild Cats, or other animals, plants, and so forth.
Again, by the necessity of the case, the Arunta totems are not exogamous.
A man may marry a woman of his own or any other totem, because, he being in
class A, women of his totem may be in class C, into which he is legally bound to
marry. In no other known totemic society can a woman of the legal intermarrying
class be of the same totem as that of a man in the class which lawfully marries
with hers*
Now it is easy to see bow, among the Arunta, and nowhere else, the same
totem may exist in two classes, and, of course, in both main intermarrying divi-
sions, and so must cease to be exogamous. Messrs. Spencer and Gillen have them-
selves explained the phenomena in a way which leaves nothing to be desiredi
though Mr. Spencer, later, changed his opinion.
The natives themselves say that, originally, « in the Alcheringa » the totems
Were divided, as they are everywhere else, so that the same totem never occurred
in both main exogamous divisions, (and, in that case, totems must, as elsewhere,
at that time, been exogamous.)'
This native opinion, of course, is of no historical value, indeed the Arunta
have contradictory myths. But, supposing, argumenti gratia^ that the totems of
the Arunta were once divided into the exogamous phratries, as everywhere else,
Mr. Spencer shows us how they ceased to be so, and ceased to be exogamous.
« Owing to the system according to which totem names are acquired, it is always
possible for a man to be, say, a Purula or a £uYnara^ » (that is, of A phratry),
« and yet a Witchetty », (a sort of grub, by totem), though, originally, in one
native opinion, all persons of that totem were confined to phratry B (Bulthara-
Kumara.)*
Thus it is « the system according to which totem names are acquired », among
the Arunta,. namely by chance, not by heredity, that scatters the same totems
among both main exogamous divisions, whereby they cease to be exogamous«
* Native Tribes of Central Auêtralia^ pp. 125, 18Ô. — « Ibidi, pp. 125j 126»
1908.] LANG : EXOGAMY. [P. 67.
A man of A division, must marry into B division. But there, among the Arunta,
he may find a woman of his own totem, and her he may marry. Nowhere else is
this possible.
The Arunta system of acquiring totem names, which makes the possibility,
must undeniably be relatively recent. Had it existed ever since the main exogamous
divisions arose, the necessary consequence would have been to scatter all totem
names as equally as possible between the two exogamous divisions. For the totem
names were not hereditary ; but were, (according to Mr. Frazer's theory) as we
shall see, allotted first by mere chance, later, by locality ; therefore, when the
tribe was divided, the totem names would occur as equally as chance permits, in
both divisions.
It is as if we supposed that a card was dealt to each of, say, a thousand per«
sons. Divide these persons into two sets of five hundred. There will be, roughly
speaking, about as many diamonds, hearts, spades, and clubs, in the possession of
one half of the persons as of the other. Certainly there is not likely to be a propor-
tion of, say, ten hearts and ten spades in division A ; and of ten clubs and ten
diamonds in division B ; while division A has only a proportion of three clubs and
three diamonds, and division B has only a proportion of three hearts, and three
spades.
But the supposed fortuitous distribution of totem names, among the Arunta,
has somehow assigned « the great majority » of each totem name to one or other
of the two main exogamous divisions. Chance distribution, (as in the case of the
cards), could not produce this result, especially as there are ten scores (201) of
totem names. Consequently, among the Arunta, chance distribution has only begun
to modify a system in which, not « the great majority », but the whole, of each
totem name was in one or the other of the two main divisions. The Arunta, there-
fore, have passed through a stage in which their totems were so arranged that the
same totem never appeared in both exogamous divisions : and at that time, neces-
sarily, their totems were exogamous, as everywhere else.
This argument is of mathematical certainty, it is not a matter of opinion. Yet
this argument is ignored by those who hold that the present Arunta system of
totemism is the most primitive known to science. Olher facts corroborate our view,
which needs no corroboration. Any one can make the experiment with the thousand
cards as often as he pleases. But he must remember that, in the case of the Arunta
totem names, there are not, as in the case of the cards, merely four suits, there
are two hundred and one suits, two hundred and one totem names.' Yet « the
great majority of any one totem belong to one moiety » (or to the other) « of the
tribe ». No mathematician will say that this can be the result of the present system,
which allots the names by chance. If further corroboration is needed, the natives,
even now, recognise the « right » and the « wrong » division, or class, for each
totem : thus it is distinctly « wrong » for a totem to be in both divisions ; and
therefore to be not exogamous. The wrong, the breach of rule, is caused by the
wayward spirits. A Lizard spirit who knows that he ought to enter and bo born
from a woman of the Bulthara class, has such « a strong predilection for fat wo^
men », that he deliberately enters into and is borne by a fat woman of the Kumara
class. When born he is « in the wrong class », right and wrong are thus recogoised
by the Arunta as by all other totemists. They remember the universal rule, tho
i Ifarffiem Tribes of Central Atcstralia^ pp. 767-T73.
p. 68.] • R • E • E • S • [1908.
same totem must never be in both exogamous divisions. Thus it is quite undeniable
that Arunta totemism has been exogamous, and that the present non-exogamy of
Arunta totems is a late aberration.
1 repeat that the « wrong » is wrought in the following manner. An Arunta
gets his totem, not hereditarily, (like all other totemists), but thus : the myth avers
that ancestors, half human, half bestial, of the Dream Time, (AUheringa) died,
and « went into the ground » at certain known places, called Oknanikilla. Their
spirits, all of one totem, haunt the decorated stone plaques, called Churinga Nanja^
which the ancestors left at the place where they died. When a woman first feels
the life of the babe within her, she believes that one of these local totemic spirits
has entered her. Her husband may be an Emu by totem, and his « right » class is
either Furula or Kumara. But, if she first feels the life of her child in a spot
haunted by spirits of the Witchetty Grub totem, her child is a Witchetty Grrub.
Where his mother became conscious of her pregnancy, her child's original chti-
ringa nanja is sought for and is found. The « right » division for Witchetty Grub,
is the Bulthara-Panunga division. But the child inherits his father*s division (Puru-
la- Kumara)^ so he is of that division — the « wrong » division ; for the « right %
division of the Witchetty Grubs is Bulthara-Pununga. Consequently, though him-
self a Witchetty Grub, he may marry a woman who is also a Witchetty Grub, in
the BuUhara Panunga division, into which he must marry.
Thus, as Messrs. Spencer and Gillen say, « it is the idea of (I) spirit individuals
associated with churinga (2), and resident in certain definite spots, that lies at the
root of the present totemic system of the Arunta tribe', n
These two ideas are found thus combined only in the Arunta nation, including
the Kaitish tribe, and only there do the same totems get into both exogamous
main divisions, and consequently cease to be exogamous. Yet, even now, the pro-
cess is so far from being complete, that « the great majority of any one totem
belong to one moiety, » (or the other) « of the tribe. »
Moreover though, among the Kaitish, the beliefs have scattered the same
totems in both exogamous divisions, the tribesmen very rarely take advantage of
the resulting license to marry into their own totems. The law now permits such
unions, but the old sentiment of totemic exogamy still forbids such unions : at
least, they rarely occur*.
In these circumstances, it is not easy, for me it is impossible, to resist the
inference that the Arunta rule, with consequent non-exogamy of totems, can be
nothing but a relatively recent innovation, which has not yet produced all its
necessary results. We are shown by Mr. Spencer exactly how the innovation arose ;
how it is, in a sense, regarded as « wrong n, and how it has not yet produced its
necessary effect, the scattering of all totems indiscriminately through both main
exogamous divisions.
Mr. Frazer, however, has very ingeniously invented another theory. Be sup*
poses that, at a period when the facts of procreation were not understood, (as
among the Arunta they are not,) but when mankind had invented the doctrine of
spirits, and of reincarnation, a woman, when first conscious of the life of a child
within her, explained the circumstance by the hypothesis that a spirit, emanating
from any object which caught her eye, or from the emu or yam or other food of
which she had just eaten, was incarnated in her. She therefore called the child Emu^
i i^i r. Ce Am p. ISd. - * Northern 2Wft^f , p. 17Si
1908«] LANG : EXOGAMY. [P. 69f
or Kangaroo, or Yam, or whatever it might be, and it was regarded as esscDtially
a Yam, Kangaroo, or Emu. Mr. Strehlow, a German misâonary amoog ihe Arimta,
has since found that this belief actually exists in some parts of the tribe. {Globus.
May 9. 1907.)
Next, in Mr. Frazer's theory, certain totems came to be assigned, as they
are at the present day, to certain districts, and each child receives its totem in
the way already described, and each man does magic for his own totem.
Next, all over the totemistic world except among the Arunta, totems became
hereditary'. This was natural enough but how did the totems also become exoga»
mous ? If I understand Mr. Frazer's theory, he holds that among all totemic peoples
except the Arunta nation, totems had become hereditary, either in the female or
male line, before « the tribe was split up into two intermarrying moieties. » (F. iï.
p. 461) The object ofthat division was to prevent the children of the same mother
from intermarrying. « Each tribe was, in fact, divided into two halves, all the
children of the same mother being assigned to the same half; and the men of each
half were obliged to take their wives from the other half, n {F. E. p. 459).
Let us say that there were two hundred totem-names, (two hundred and one
are now known among the Arunta.) The legislator, in tribes with hereditary
totems, would place mothers of a hundred totem names, with their children, in one
division ; the mothers of the other hundred totems in the other. Thus, as all folk,
by the new law, must marry out of their divisions, they must necessarily marry
out of their totem kins.
This was a large piece of legislation for a primitive age ; and it would have
sufficed to declare that children of the same mother must never intermarry. The
actual rule cut a man off, not only from his mother's daughters, but from half the
women of his tribe. However, though such over wide legislation does not seem
prima facie probable, it would produce the existing state of affairs in tribes with
phratries, female descent, and hereditary totems, where totems were hereditary.
The Arunta, however, as I understand Mr. Frazer, had not, like all other
tribes, made totems hereditary before they instituted phratries. Any mother with
six children might have children of six different totems. The plan must therefore
have been to put half the mothers, with their children, in division A ; and the other
half, with their children, in division B. The totems would be scattered as equally
as possible through both divisions, and men might marry women of their own
totems in the opposite divisions ; but as every man was always in the same division
as his mother's daughters, no man could ever marry his sister. These arrangements
in a tribe with non-hereditary totems, would, of course, produce the actual state
of Arunta marriage law. Men could marry women of their own totems. But Mr.
Frazer has not explained how, on his theory, the great majority of any given Arunta
totem is in one or the other « class » or exogamous moiety, and why the natives
recognise a « right » moiety for each totem. Chance could not cause these facts,
which can only be explained as late deviations firom the universal type of totemic
exogamy.
The question about the social condition of the Arunta, — whether they are to
be r^arded, on the whole, as socially advanced, or as extremely backward, or,
again, as advanced on the whole, but unprecedentedly backward in one or two
details, has cansed much controversy.
I Fortnightly Review. September 1905, pp. 455-457,
p. 70.] • R • E • E • S • [1908.
Mr. Frazer himself regards « group-marriage », (by which he seems to mean
the Dieri system of pirrauru, with its allotment of « secomlary spouses ») as more
primitive than individual marriage. He writes that progress in Australia towards
a higher form of social and family life « is marked by two great steps ; individual
marriage has been substituted for group marriage, and paternal descent of the
totem has prevailed over maternal descent, as well as over an even older mode of
transmitting the totem which still survives among the Arunta and Kaitish. » {F. li.
p. 452).
If these ideas are correct the condition of the Arunta is strangely anomalous.
They have made the great step from group marriage to individual marriage, while
retaining what is spoken of as the oldest extant mode of transmitting the totem.
Again, Mr. Frazer later doubts whether his other« great step », the paternal
descent of the totem, is any kind of step at all, for if the transition from the con-
ceptional » (Arunta) « to the hereditary form of totemism was eflPected in the man-
ner in which it seems to be actually taking place among the Central Australian
tribes, it is clear that the change could be made just as readily to paternal as to
maternal descent. » (F. H» p. 462).
To this point I shall return ; but it appears that, in Mr. Frazer's opinion,
any tribes which began by adopting paternal descent of the totem had already
instituted individual marriage. Thus he says that the Central Australian tribes,
while explicitly deoying that the child is begotten of the father, regard the father
« as the consort, and in a sense the owner of the mother, and therefore as the
owner of her progeny.... In short it seems probable that a man^s children were
viewed as his property long before they were recognised as his offspring. » (F. jB.
pp. 462*463). All this could only occur where individual marriage was an institution.
We thus reach the position that tribes may have made the great step to indi-
vidual marriage and paternal ownership of children, without having recognised
the father^s part in procreation ; while tribes with female descent, do recognise
the procreative part of the wife's husband ; yet do not always acknowledge pater-
nal ownership of children.
Can anything seem more paradoxical ? Among the Arunta, the father is not
recognised as procreator of the children, yet he " has their marriage » at his
disposal.
Among the tribes with female descent of the totem, and no sub-classes, on
the Murray river, « they believe that the daughter is of the father solely, being
only nurtured by her mother, « yet » the father has nothing to do with the bestowal
of his daughter », according to Mr. Cameron^
The Wolgal, with female descent of the totem, recognised paternal procreation,
and for that reason gave to the father the disposal of his daughter. (Ibid. p. 198)
Members of an unnamed tribe of female descent told Mr. Uowitt that « a woman
is only a nurse who takes care of a man's children for him ». (Ibid, p. 284).
It seems clear tome that the non-recognition of physical paternity is not
necessarily a survival of pristine ignorance of physiology, but is a logical conse-
quence of the Central Australian philosophy of eternal reincarnation of spirits.
Where that philosophy does not prevail, among tribes which have not made the
great step to paternal descent of the totem, the paternal function is recognised.
No philosophy of spiritual reincarnation has obscured the knowledge of the &cts.
Howitt, Native Tribes ofSouth-East Australia, p. 195,
1908»] LANG : EXOGAMY. [P».7i,
Even among the Arunta, in their wildest feasts of license, « the actual father 9
of a girl may not approach her, says Mr. Spencer, while all other men except her
actual brothers have this privilege^
If the mother's husband, among the Arunta, was never recognised as more
than the owner of her children, what can be the cause of this prohibition of pater«
nal incest ? The present denial of procreation by the Arunta, has not, it seems,
destroyed a prohibitive rule which must have been passed at a time when the
blood kinship of father and daughter was as much recognised as it now is in tribes
with female descent.
These facts appear to me to militate against the theory that the Arunta
B conceptional • totemism is the primitive form. It rests on an animistic theory of
life, and of evolution, which can scarcely be deemed « primitive. « and cannot
aafely be assumed to have been universal. (See Anthropological Essays. (1907)
pp. 210-218.) Mr. Frazer, however, argues that « both the hereditary kinds of
totemism, the paternal and the maternal, can be derived from it >, (from the local
Arunta forms) « whereas it can hardly be derived from either of them » . (F. B,
p. 454)
But the Arunta form, in which the totem is derived from one or another set
of totemic spirits haunting the assumed place where a child was conceived, could
easily succeed to hereditary totemism. Let us assume that the Arunta inherited
totems in the male line, before they elaborated their present philosophy of endless
reincarnation of primal spirits attached to stone churinga nanja marked with the
blazons of the totems. Let them next elaborate that philosophy. If they were to be
consistent reasoners they must either, like the Umbaia and Gnanji, retain the
hereditariness of totems by supposing that spirits of the husband's totem follow
his wife, wherever she goes, and that no other spirit can enter her with safety to
her life* ; or they must do what they have done, — abandon hereditary totemism.
One plan was just as easy as the other. Adopting the theory of reincarnation, the
Umbaia, Gnanji and Urabunna have retained hereditary totemism, by aid of their
myths ; while the Arunta, apparently under the influence of their peculiar belief
in churinga nanja ^ have sacrificed the hereditary character of their totems. Tet»
as we have shown, this step has not, even now, distributed the totems equally in
both exogamous divisions of the tribe. Probably the Arunta will be extinct before
that result has been archieved.
Leaving at this point the problem of Arunta totemism, we turn to the ques-
tion, why did the legislators, in Mr. Frazer's theory, desire to prohibit marriages
between children of the same mother ? Mr. Frazer suggests that, conceivably, such
unions were deemed injurious to the parties concerned. There is no evidence for
the existence of this belief, and, granting that it existed, the fact would only raise
another question, how did the belief come to be entertained ? Manifestly it must
have been the sanction attached to a taboo on such marriages.
The taboo, working automatically, will cause death or danger to brothers and
Bisters who intermarry. But there must have been an antecedent objection to such
unions, and that objection must have suggested the taboo. What could be the
origin of the antecedent objection ?
We make no advance towards a solution of our problem. Again, as we have
1 This paternal Incest was permitted among the Kumandaburi, says M' O'Donnéll«
N. T. Ä JT- A., p. W, - * Nwthm^ Trihes, pp. léWTê.
P, 72.] • R • E • E • S • [1908.
already said, as the relations of broterhood aad sisterhood were, by Mr. Fraier's
theory recognised, it would have been enough for the legislator to forbid unions ot
brothers and sisters. He had no need to make a much more sweeping rule, invol-
ving, as it does, many persons who were notoriously not « born of the same womb ; »
persons who, so far, were not even, in the wide « classificatory » sense of the words,
brothers and sisters in the phratry, for they could not be so, before phratries were
instituted.
Taming from Mr. Frazer's hypothesis to that of Mr. Spencer, our chief autho-
rity on the Arunta tribe, we find that the two theories are irreconcilable'. Mr. Spen-
cer believes that there were no rules prohibitive of marriage, till, for some reason
which he does not profess to understand, the legislator divided the community into
the two elogamous intermarrying sections. But, as to the method of the division,
Mr. Spencer differs toto cœlo from Mr. Frazer. In Mr. Frazer's opinion, the legisla-
tor merely wished to prevent unions of brothers and sisters uterine, which he did
by setting x mothers and their children on one side, and all the other mothers with
their children on the other side of the dividing line.
Mr. Spencer, on the other hand, must suppose that the legislator wanted to
prevent members of the totem societies in the tribe from intermarrying into their
own and many other totem kins for that was the result of the legislation. Why he
wanted to do that we cannot guess ; but what he did was to arrange half the totems
on one side, half on the other side, of the dividing line, forbid any marriages within
the two sides, and command all men and women to marry into the side opposite
their own.
This, of course, is the usual rule in the simplest types of tribal organisation.
But the legislator partially failed, says Mr. Spencer, to achieve his purpose, and a
small minority of each totem society, in each case, is now in the phratry opposite
to that which contains the great majority of its members and so a man may marry
into his own totem.
The cause of this failure, Mr. Spencer had explained, as we saw, in his first
volume. Native Tribes of Central Australia. 1899. The anomaly, elsewhere unex-
ampled, is due « to the system according to which totem names are acquired », a
system which, as we have demonstrated, is relatively recent.
But, in 1905, Mr. Spencer explained the facts by a new theory, supposing that
large unruly local totem societies disobeyed the legislator, and dragged with them
into their own phratry small groups of their neighbours whom the legislator had
assigned to the opposite phratry. Thus the Wild Cats, say, were allotted to phratry
A, the White Bats were allotted to phratry B. A large local group of Wild Cats,
however, among the Arunta, dragged a small neighbouring group of White Bats
with them, into phratry A. Consequently most White Bats are now in phratry B,
but a few are in phratiy A.
Manifestly we can see no reason why among the Arunta set of tribes, alone of
mankind, this unruliness flourished unchecked. Mr. Spencer's original explanation,
on the other hand, is certainly correct, for examples of the process of getting « into
the wrong class » actually occur in daily life, under stress of the Arunta method
of acquiring totem names.
Meanwhile Mr. Spencer^s new theory suggests no motive which could induce
the legislator to arrange one set of totems on one side, and a different set on the
1 Spencer's « Report of Australian Association for the advancement ot Science, n 1905.
1908*] LANG : EXOGAMY. [P, 73«
other side of the dividing line. It would scarcely be possible to do this, and also, as
in Mr. Frazer's theory, to keep each family of brothers and sisters on one or the
other side of the dividing line. For, by Mr. Frazor's theory, every child in a family
might be of a different totem, and some of their totems would, probably, on
Mr. Spencers theory be arranged on one side of the line, some on the other.
n.
It is my hope that my theory, of the evolution of Australian exogamy, as stated
in The Secret of the Totem^ encounters no logical difficulty. It may be entirely
erroneous, but I think that it is consistent with itself, and suggests natural human
motives, verae causae^ for every step in the evolution of Australian marriage rules,
as far as we know these rules.
Unlike most other theorists, I do not begin by examining the two main
exogamous divisions, or phratries, in the tribe. Like Mr. Frazer, I begin at the
other end of the scale, namely at the consanguineous family, recognised as such in
the maternal line. Thus Mr. Frazer holds that the legislator, in the first place,
desired to prohibit marriages between brothers and sisters, children, in each case,
of the same mother. But I do not postulate, in the beginning, a tribe, with legislators
and legislative assemblies : I start from the family group of the mother, her children,
and the male who habitually associates with them.
I looked for the first origin of marriage rules, in the usual source of savage
law : the interests of the dominant seniors. These seniors I found in the sires of
small fiunily groups. On the Darwinian hypothesis, these sires would have harems
of as many females as they could keep, probably not exclusive of their own
daughters ; and like stallions, would expel from their camps their young sobs, as they
reached puberty. Even if this appear too bold a conjecture, it is at least plain that
the adult male, or males, of small nomadic &mily groups, would find a sufficient
cause for prohibiting the amours of young brothers and sisters. These amours would
inevitably provoke murderous jealousies, and so destroy the peace of the fire-circle.
A young man's enemies would be they of his father's fire-circle. The idea of jealousy
I borrowed from the book of Mr. J. J. Atkinson, Primal Law^ a work in which he
sketched the gradual evolution of the smallest family groups into larger combina-
tions. {Primal Law is in the same volume as my Social Origins, Longmans, London,
1902).
I then showed how, in my opinion, totemism might arise in such communities.
Le Blason Populaire^ (as M. Gaidoz, in his book of that name, has shown,) among
many European peasants, and, as I added, in ancient Israel, and among American
barbaric tribes, nearly emancipated from totemism, confers sobriquets, in Europe
usually names of animals, on the people of each village or small district. Why the
people of one Cornish village are Mice, of another. Cuckoos, of a third, Grubs, and
80 on, nobody knows.
These European group sobriquets are not a survival of totemism, but they
indicate a popular tendency to give such group sobriquets, out of which totemism
may have arisen. Suppose that, in the remote past, early savage local groups
acquired such nicknames. In time, when they had adopted, and become accustomed
to the namesi they would fall under the fascination of the names. That a mystic
rapport between the name and the thing named is intensely strong, is an universally
admitted &ct of early reasoning'. This reasoning would induce the animal-named
Ct for example, Tylor, Early EUtory of Manhind,lpf. 126-128, 1870.
P, 74.] • R • E • E • S • [1908*
groups to regard their aDimal namegivers as in strong rapport with themselves in
each case. They would finally look on their animal as a potent kinsman, or ancestor,
or friend, or benefactor, as they do ; and the usage of abstaining from shedding his
blood, or eating him, with other such observances, would come into existenco.
When I wrote The Secret of the Totem I supposed, with Dr. Durkheim' that
the taboo against shedding the totem^s blood might comprise a taboo against
marriage between a man and a maiden of this or that totem kin. My theory, to
summariie it very briefly, ran thus, (1) the will of the Sire, or, (as family groups
increased, and included sire's brothers with their children), of the sires, forbade
marriage within the family group.
(2) Such groups received animal names.
(3) The rule was now : No marriages between members of the local group of
animal name, say Grow.
(4) The males of Grow local group violently captured women from any of
several accessible local groups, — Eagle Hawk, Bee, Duck, Wallaby, Iguana, —
and the males of these groups captured women from each other and from the Grows.
(5) The children of Eagle Hawk, Wallaby, Bee, Iguana, and other women,
bom into Grow group, were known, for the sake of distinction, by the names of
their mother's local groups. There were thus Eagle Hawks, Bees, Wallabys, Iguanas,
in Grow local group : and Crows, Bees, Wallabys, and Iguanas in Eagle Hawk local
group, and so on with the others. (This was the theory of Mr. M. Lennan).
Here the objection occurs, if distinctive names were thought desirable, why
were they not either matronymics or patronymics ? Thus if a woman from Wallaby
group was carried into Grow group, and bore children there to a Grow man, named,
say, Broken Nose, why were the children not simply styled « Broken Nose's sons,
or daughters ?» or, — let the woman's individual name be Trim Ankles, — as
« Trim Ankles' sons or daughters ? »
I have no answer to make, except that I am unaware of any Australian or
other savage tribe in which such patronymic or matronymic names as correspond
to our Johnsons and Dicksons and Dobsons exist. Nor do we hear that they follow
the old Border practice, in which Halbcrt, son of Simeon Armstrong, is « Sym's
Hah, 9 or David, son of Halbert Elliot, is « Hab's Dob. » It may be suggested that
the savage aversion to using the names of individuals, (cf. Tylor, Early History
of Mankindj pp. 142-145) bars the use of patronymics and matronsrmics. At aU
events, in totemistic tribes with female descent, a woman's children have the name
of her totem kin.
But let us, for argument's sake, suppose that here I am wrong. Suppose the
women of Iguana, Bee, and other groups, captured by Crow or Eagle Hawk, become,
with their children, Grows and Eagle Hawks. Let us see, later, what would result
from that experiment in hypothesis making; at present we adjourn its consideration.
(6) We now, by the theory, have local groups of animal names, each such
group containing members who, by female descent, also bear other animal names,
those of their mother's original local groups.
(7) Each local group is thus full of persons who are members, by female descent,
of other*and*otherwise named local groups. The groups, therefore, gradually cease
to be hostile. Let any two of them, say Eagle Hawk and Grow, make a treaty of
peace and intermarriage, and we have two phratries^ Eagle Hawk and Crow,
^ L'Année Sodoloçiqtie, vol. 1, p. 6.
1908.] LANG : EXOGAMY. [P. 75.
{Mukwara and Kilpara)^ each including several totem kios, namely the descen*
dants of mothers brought in from the other local groups of various names.
(8) But it is obvious that each of these two phratries, Eagle Hawk and Grow,
will naturally include members of totem kins by descent, as Wallaby, Iguana,
Duck, Bee, which are also represented in iho other phratry. Bee, in Eagle Hawk
phratry, must marry out of it, into Crow phratry. But may he marry a Bee woman
in Crow phratry ? Probably he may not ; he must not marry into a kin of his own
kin's animal name, whether by locality or by descent. If this were so, it was
necessary to rearrange the totems, so that one set was exclusively in Crow phratry,
the other set exclusively in Eagle Hawk phratry. This process, a process of conscious
legislation, necessarily cut a man off from marriage with a woman in his own
phratry, whatever her totem might be.
This is a brief summary of the earlier part of the scheme presented in The
Secret of the Totem. It provides, at least, human and intelligible motives for the
enforcement of the exogampus rule in the supposed family groups : the motive was
« the interest of the strongest ». It suggests that the earliest rule, ■ no marriage
within the family fire-circle », survived into larger groups, the development of
which is traced by Mr. Atkinson in his Primal Law. It shows how these groups
may have received the names of animals, plants, and other objects ; how, under
the influence of early superstitious ideas about names, the name-giving object came
to be regarded as a potent and sacred ancestor, kinsman, protector, or friend ; and
it suggests that the old exogamous rule of the anonymous local group was continued
by the animal-named group when its eponymous animal developed into a totem. It
explains the phratries as the result, not of an unmotived partition of a community
hitherto destitute of marriage rules, but as a combination, in the interests of peace,
union, and strength, of groups hitherto hostile and exogamous.
As was natural and desirable, many objections to my theory have been raised.
I have especially to thank for their criticisms Dr. Durkheim (L Année SociologiqiAe^
Vol. IX, pp. 400-404,) M. A. van Gennep, {Mythes et Légendes d'Australie^) and
Mr. Spencer {Report of the Australian Society for the Advancement of Science. 1W)6)
I have carefully considered all these and other criticisms, and prepared replies to
them, but here I wish to consider a difficulty which has not, to my knowledge,
been made, by others, a subject of speculation. In their second volume, {Northern
Tribes of Central Australia^ p. 71) Messrs. Spencer and Oillen write that, among
the Northern Urabunna, « men of one totem can only marry women of another
special totem ». This, at least « appears to be the case n.
The statement is not made in a tone of complete conviction, but Mr. Howitt
says that, according to Mr. Spencer, the Urabuuna informants were very firm on
this points Unluckily we are not told how the English inquirers communicate with
the Urabunna. Do they speak Urabunna, or do they employ an Arunta interpreter,
and does he translate the Urabunna statements into Arunta for Mr. Spencer's
benefit, or into « pidgeon English ? » Mr. Spencer now and then reports textually
sayings by one native or another, and they are usually given in pidgeon English»
It is really a pity that we are not told how the inquirers communicate with the
various tribes.
In this question of the limitation of one totem in Kirarawa phratry to marri-
i;N.}T. S.IE. A., p.ilSS.
P> 7e>] • R • E • E • s • [1908,
age with one totem only in Matfhurie phratry, miauoderstandiDgs might easily
arise. The Dieri have only one word, murduy both for phratry and for totem : only-
one word serves for both among the Urabunna and other adjacent tribes. If, then,
among the Urabunna and their neighbours, there exist a kind of « sub-phratries »,
within the two main divisions, and if these sub-phratrics couiain three or four
totems apiece, and bear animal names, (such as Dingo and Water hen) a native
might say that the Dingo murdu marries only into the Water-hen murdu. Yet his
meaning might be that Water-hen and Dingo were «< classes » not totem kins, that
each stood for and contained several totems, and thus one totem kin in one [ihralry
would not be restricted to marriage with only one totem in the other phratry. Tho
murdus meant might be a germinal form of « sub-classes ».
That this misunderstanding has not really occurred, may perhaps be iufcrrcd
from the statements of Mr. Hewitt's informant, Mr. O'Donnell. Speaking of many
tribes of primitive organisation, (with female descent, no « sub-classes, » and two
phratries), who dwell between the Dieri and the Burkiuji of tho Darling River,
Mr. Hewitt reports that what we may call « one totem to olo totem marriage » is
the rule among them. We are not told in what language Mr. O'Doonell communi-
cates with the little known tribes in question, (ioformation on this importaot point
is as rare as radium), but it is not very probable, though it is conceivable, that the
same misunderstanding of what the natives say has occurred here, and also in the
case of the northern Urabunna.
New and close inquiries ought to be made, for if our information about the
rule of « one totem to one totem marriage » be correct, all our theories must be
reconsidered. The situation is full of surprizes. If, among the Northern Urabunna
the men of one totem kin may marry into but one totem kin in the phratry not
their own, wives must be scarce with them. We have no statistical information, but
we can scarcely estimate the whole Northern part of the Urabunna tribe, even ia
its best days, at more than a thousand souls. Say that there are twenty totems in
the two phratries, (not an over estimate), this gives not more than fifty members
in each totem kin ; allowing, for the sake of argument, that all the kins were equally
populous, which is never the case. If there be twenty marriageable men in a totem
kin, their choice is limited to the women of their own agegrade (noa or nupa
women), in the one totem kin open to them in the phratry not their own. The
females of the senior and junior agegrades are barred to them. All this is grievous
to the Urabunna.
In what circumstances would reasoning men, who had enjoyed greater libeity,
limit themselves so stringently ? If the Urabunna once lived under the rule of the
Dieri, and many other tribes, by which a man may marry into any of the totems in
the phratry not his own, what conceivable motive could induce the Urabunna to
reduce, by, say, nine out often, their hopes of a happy matrimonial settlement?
It is not in nature that men should ever, without apparent motive, have intro*
duced this rule, if they once had their choice out of the women of perhaps ten totem
kins.
Moreover, if their motive is said to have been a conscientious desire to avoid
unions with « too near flesh », they went strangely to work, for their kin and the
kin- to which they now restricted themselves, must, in three generations have beco-
me very « near flesh » indeed, -* most closely consanguineous.
What were the Water-hens to hope for, if their intermarrying kin, the Din-
goes, became extinct, as totem kins sometimes do ? Mr. Hewitt thinks that the one
1908.] LANG : EXOGAMY. [P. 77.
totem to one totem rule is later thaa the phratry to phratry rule', but he do^ not
gire reasons for his opiuiooi which seems contrary to human nature«
This thing is plain, in tribes with the one totem to one totem rule, there are
as many exogamous divisions, or phratries, as there are totem kins. Each linked
pair of exclusively intermarrying totem kios, say Water-hen and Dingo, is as much
a phratry as Muhcara and Kilpara^ £agle Hawk and Grow ; except that this
phratry of Water-hen or Dingo has no other totem kins within it.
The words Kirarawa and Matthurie^ the phratry names, have now no meaning
to the Urabunna ; they do not denote two totem kins in opposite divisions. The
northern Urahnona, aud their neighbours eastward of the Dieri till we reach the
Barkinji, have as many pairs of phratries as they have pairs of totems, and their
professed phratry names, among the Urabunna, are mere meaningless titles for two
series of practical exogamous and intermarrying phratries.
What purpose, as regards marriage laws is served by Kirarawa and Matthurie ?
Let these words be forgotten, and Water-hen kin will go on marrying into Dingo
kin, and nowhere else, and each linked pair of totems will do the like, for ever.
What explanation can be given of this state of law ? Will Mr. Howitt, for
example, say that the ancestors of the northern Urabunna were once an « undi^»
de'l commune 9, with no rules restrictive of marriage, and that a medicine man
proclaimed a vision from a supernormal being, and a command that the tribe should
be bisected into two exogamous intermarrying phratries ? Will he say that, thinking
they could not have too much of a good thing, the Urabunnas next divided each
phratry into eight or ten totem kins, and made each pair of totem kins exogamous
and intermarrying?
lie will not say that they did this in the first enthusiasm of a great idea. He
says that the rule is later than the Dieri rule, — the ordinary rule, — whence it
follows that the north Urabunna, for no conceivable reason except a passion fpr
segmentation, not early checked, passed on to a self-denying ordinance.
My own theory is equally helpless. By my hypothesis, each animal*named
local group contained many members, by femalo descent, of several other groups.
Thus Malthurie and Kiraratca^ wien combined in alliance, would each contain
several totem kins. But why should these kins arrange to intermarry, exclusively |
by one and one ?
This question ray theory, as it stands, cannot possibly answer.
I must throw overboard my notion that captured women, brought into an ani«
tnal-named local group, say Crow, retained the names of the groups from which
they were stolen, (as Iguana, Bee, Rat, Kangaroo), and bequeathed theni to their
children. I must suppose that, in group Crow, all members, born in it, or dragged
into it, were Crows.
Let that be granted, and we have several hostile and exogamous groups of
animal name, capturing wives from each other.
Next say that two groups, for example Mukwara and Kilpara^ (Eagle Hawk
and Crow) first of all make peaceful connubium^ with exogamy. Suppose then, that
Water-hen and Dingo next do the same thing, peacefully intermarrying, (as at pre-
sent among the Northern Urabunna, only with each other). Other pairs of totem|i
follow suit.
Bat while each group is at peace with its linked groupi conceivably each pair
\ X, Té & B, Am p. 1S9,
p. 78.] • R . £ . E . S . [1908.
continued to capture women from the other groups, by acts of war. If so, things
were not very much more peaceful and comfortable than they had been of old.
The best remedy for this was that all the groups should range themselves
either under Eagle Hawk or Grow, either under Black Cockatoo or White Cockatoo,
either under Bumble Bee or ordinary Bee, to choose well known phratry names.
Water-hen would enter under the Crow, Dingo under the Eagle Hawk colours : the
groups would not e?en need to sacrifice their group names. But, in a truly conser-
vative spirit, Water-hen still kept marrying into Dingo alone, Crow into Eagle
Hawk alone. They secured tribal peace, union, and strength, but did not enlarge
their matrimonial field of choice.
Of course this appears a very stupid arrangement, but nobody can call it im-
possibly stupid, for it is the arrangement in which, as Mr. Howitt and Mr. Spencer
tell us, many tribes are living to this day.
It is not only a stupid, but an almost incredibly disadvantageous condition of
things. For tribes thus constituted, from the northern Urabunna to the Barkinji,
it is necessary that the numbers of totem kins in each phratry must always be even
numbers. If there is an odd totem kin, it must be a mateless totem kin, consisting
mainly of maids and bachelors ! Or the whole kin must adopt the totem of some
other kin, and we do not learn that, in Australia, even an individual can change
his totem.
The state of affairs reported by Mr. Spencer, and by Mr. Howitt on the autho-
rity of Mr. O'DonncIl, is thus so extraordinary, that wo wonder why our authorities
lay such slight stress on the phenomena, and why they do not try to explain them.
By the effect of female descent, the Water-hen kin must now consist entirely of
Dingoes, and Dingo must have only Water-hen members. If all Water-hen men
marry only Dingo women, all their children are Dingoes ; and all the children of
Dingo men are Water-hens, by female descent, except when a northern Orabunna
man marries an Arunta woman, (as is not uncommon), and his children by her
take her totem, say Grub, or Iguana, or Laughing Boy.
Now, if that totem was not previously enrolled among the Northern Urabunna
totems, clearly the children cannot marry among the Urabunna, for they are of
an odd totem^ without a mated totem in their tribe, and must seek wives and hus-
bands among the Arunta. If tribes began on the one totem to one totem principle,
most of them have emancipated themselves from it. The rule is only reported as
existing among tribes of confessedly primitive organisation, and but little known.
Even the Dieri no longer observe the rule. That rule, it will be seen, if arrived at
as I provisionally suggest, automatically prevents the same totem from appearing
in both phratries. The thing cannot possibly occur, for, as Water-hen was already
exogamous, intermarrying with Dingo, when it joined the alliance, each member
of the pair naturally went into a different side, or division, and so with all the rest.
There was no need for a legislative rearrangement of the totems, placing one set
in one a different set in the other phratry, as suggested in The Secret of the Totem
(pp. 171-173).
A simpler process, involving less of conscious legislation, is now suggested ;
provisionally, of course, for we need more conclusive evidence as to the actual
existence of the one totem to one totem rule If it exists, it is clearly the earliest
form, and the most disadvantageous form, of tribal organisation that has yet been
#NOvered.
1908«] DBLAPOSSB : LB PEUPLB SIÉNÂ OU SÉNOUFO. [P. 79*
LE PBUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO
par Maurice Délai* osse (Côte d'Ivoire).
(Suite).
11. — La parure.
Le métal qui domiae dans la parure varie selon les régions : c'est l'or chez les
Nafâoa en contact avec les Abron et les Assanti, Targent chez les sous-tribus en
relations fréquentes avec les Mandingues (Guimini, Noholo, etc.) et chez tous les
gens riches, le plomb ou Tétain, le fer et surtout lo cuivre chez les Siéna demeurés
les plus primitifs (tractions du Centre et du Nord-£st notamment). L'or provient
des mines de TAbron, du Donkira et du Lobi ; l'argent est fourni par nos pièces de
monnaie ; le fer est de fabrication indigène ; les autres métaux sont d'importation
européenne et les indigènes se les procurent auprès des commerçants.
Les bijoux d'or et d'argent ne sont pas à décrire ici, étant de fabrication
étrangère et se rapportant aux civilisations agni-assanti et islamo-mandingue. Je
ne parlerai donc que des autres.
Dans la fraction centrale, presque tous les indigènes, hommes et femmes, por-
tent au cou, soutenu par une ficelle formant collier, un petit carré de bois sur
lequel s'applique un bijou de cuivre plat, représentant un ou deux serpents, un
crocodile, un homme, et beaucoup d'autres sujets ; on m'a donné du port de cet
ornement diverses raisons se rapportant à la religion, à la caste, à la thérapeutiquOi
mais je n'ai pu obtenir aucune certitude à cet égard et le sujet est à étudier.
Les hommes et les femmes de toutes les fractions portent très souvent des
bracelets en cuivre uni et des anneaux de cou de pied de même métal et de forme
ronde ; les femmes ont aussi des anneaux de cou de pied en cuivre ayant la forme
de deux accents circonflexes accolés par leurs cxirémités, les sommets reposant
sur les chevilles. Des femmes de la fraction nord-est (Pala notamment) et des sous*
tribus voisines (Niarhafolo et Folo) portent sur le devant do la jambe une tige de
cuivre plate, droite ou contournée comme un serpent, retenue au-dessous du
genou et à hauteur des chevilles.
Le plomb, Tétain, le fer sont fréquemment employés en bracelets et anneaux
de jambe. Les hommes portent souvent au-dessus du coude des anneaux de cuir|
de bois, parfois d'ivoire.
Les cauries sont usitées comme parure chez les hommes et les femmes, surtout
chez ceux allant à peu près nus, enfilées à des ficelles et portées en turban, en
sautoir, en collier, en jarretière, en ceinture, etc. Les perles en verroterie sont
d^un emploi peu répandu, sauf chez les femmes riches et surtout celles des fractions
sud et sud-est, qui en portent en collier, ceinture, etc. Mais, par contre, on ren*'
contre assez firéquemment des colliers et ceintures en perles de pierre (quartz blano
en général) de fabrication indigène ou en perles de cornaline ou d'agathe venant
du Nord et peut-être de fabrication berbère ; les hommes même portent souvent
une ou plusieurs de ces perles suspendues au cou. Ces perles de cornaline ou
d^agathe sont assurément anciennes et on n'en trouve pas à l'état neuf ; elles sont
possièrement taillées, généralement en forme d'hexaèdre allongé ou de cigare à
p. 80.] -R-E-E-S* [1908.
facettes» plus rarement en forme d'hexaèdre aplati ; elles valent dans le pays de
0 fr. 50 à 1 fr. la pièce et sont d'autant plus rares et plus chères qu'on s'avance
vers le sud. — Les pierres ou perles amaigris (aggry heads) sont inconnues, sauf
chez les Nafâna touchant aux Abron et chez les Guimini et Takponin touchant aux
Baoulé.
J'ai mentiooné plus haut les ornements des oreilles, des lèvres et du nez. Je
ne parlerai pas ici des vêtements et parures de danse ni de ceux et celles spéciaux
à certaines cérémonies religieuses, qui seront examinés en temps et lieu.
Mais il me faut parler de la canne^ qui consiste le plus souvent en un bâton
vulgaire et qui n'est guère portée que par les chefs et les hommes âgés, et surtout
de la trousse dont ne se séparent jamais les Siéna aisés, surtout ceux du centre et
de l'ouest ; c'est une réunion d'objets bizarres : un cure-oreilles, un cure-nez, un
cure-dents, une ou plusieurs palettes pour prendre dans la tabatière le tabac à
priser, uu pinceau pour introduire ce tabac dans les narines, le tout en fer ou en
cuivre, et suspendu au cou par une chaîne de même métal (commun aux Mandin-
gues et à certains iMandé-fou — Lo, Ouobe, etc. — du cercle de Séguéla).
12. — Les soins de propreté.
Les Siéna en général sont sales, sauf les gens riches ou islamisés, qui se lavent
assez souvent et ont presque toujours des vêtements très propres, sauf aussi une
partie des Guimini et Takponin du sud, ainsi que des Mafàoa, qui ont appris la
propreté des Agni-Assanti et se savonnent tous les jours, souvent deux fois, tout le
corps à l'eau cbaudc.
Les autres sont plus ou moins sales, mais le sont presque toujours. Beaucoup
ne se lavent le corps que lorsqu'ils ont l'occasion de traverser une rivière profonde,
mais alors, quelque étrange que cela puisse paraître, ils semblent y prendre un
certain plaisir. Les femmes, qui vont puiser l'eau et ont par suite plus d'occasions
de s'y baigner, semblent se laver plus souvent que les hommes. Beaucoup de ces
derniers, surtout en saison sèche et particulièrement en voyage, dorment presque
toujours à même le sol et sont couverts d'une couche de poussière qu'ils ne cher-
chent même pas à secouer ; ils deviennent gris ; la pluie et la sueur forment des
sillons noirs très visibles sur l'ensemble grisâtre de la peau. Cette dernière esc
rugueuse et s'écaille durant la saison sèche, car les Siéna ne se la graissent pas,
comme les Agni-Assanti par exemple, pour la conserver souple. Les enfants sont
couverts d'une véritable couche de poussière et de boue, et malgré cela les maladies
de peau sont plus rares chez eux que chez les enfants tenus si propres des Agni-
Assanti.
Les quelques vêtements des primitifs (bila^ cordon des femmes, blouse courte)
sont lavés si peu souvent qu'ils prennent une teinte indéiinissabie ne permettant
pas de découvrir leur couleur initiale.
Les villages aussi sont très sales : les ordures et les eaux ménagères sont
répandues partout, à la porte même des cases, ou dans les trous semés à travers le
village et où a été prise l'argile destinée à construire les maisons. Les excréments
des animaux domestiques émailient partout le sol et ne sont que bien rarement
enlevés, pour être reportés d'ailleurs seulement quelques pas plus loin. Seule la
bouse de vache est recueillie, parce qu'elle sert à faire un enduit pour les
murailles et certains ouvrages en vannerie et est utilisée aussi par les Mandingues
pour la préparation de Tindigo«
REES. 1908
Planche III.
Q ^Ç-^^^ï^O -.Q Q^^
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CoTirtrucüüTL d&r murs d&r cases SIfNA
Fiö.EZ.^2as'& Fié. Z 3. ~ Coupe Fia. Z^—ElèrVation,
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t'iß.Za Fi^.Z6 Fi^.Zî Fc£.Z8
Ecore Couve
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(C)
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REES, 1908
Planche IV.
J^^. 30.. BocJ-e J^ StCou^e, médiane T^ J2.. EU^xxdioTi^
Case recta/^uZxire à toiture e/vpaUle 6l deux pans
lié 35— Joupe
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TiJ «^4 - Coufje mAdiane
Fva 3S.^ ElezycdioTi^
Case recia/TÂuloÀre- cl ÙKÙire plaie
1^.37
ßcxse d'u^rie^ cctsey oCe-
Type de mctison soudctn/xzfe à terjxifSe
1908«] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIEN A OU SÉNOUFO. [P. 81*
-
Kintérieur des babitotions seul est à pea près propre, poussière et fumée
mises à part, et est balayé assez souvent.
Les Siéna n'ont pas de fosses d'aisance ni d'endroits spéciaux pour vaquer à
leurs besoins naturels, sauf en certains villages Nafâna qui ont emprunté ce luxe
aux Abron. Ils font leurs besoins n'importe où, tout autour des villages, dans
rherbe, sur le bord des chemins ; dans le jour, ils s'abritent à peu près dans les
hautes herbes ou les broussailles, la nuit ils s'installent en terrain découvert. Les
abords des villages sont immondes.
Les épis de maïs dépouillés de leurs grains, des bâtonnets, des poignées
d'herbes, des paquets de feuilles servent aux Siéna de serviettes hygiéniques. Ils
s'accroupissent pour aller à la selle, mais urinent debout, les femmes aussi bien
que les hommes, à l'exception des musulmans qui s'accroupissent toujours pour
uriner. Comme tous les Noirs que je connais, ils se servent uniquement de la main
gauche pour approcher les parties du corps servant à rejeter Turine ou les matières
fécales, et uniquement de la droite pour manger.
Ils mangent avec la main comme tous les Noirs ; quelques gens riches seule-
ment se servent de cuillers en bois ou faites de petites calebasses sectionnées dans
le sens de la longueur, ou encore de cueillers européennes en fer ou en étain ; mais
on n'utilise jamais la fourchette ni le couteau. Les Siéna lavent en général leurs
doigts avant de les porter au plat, qui est commun pour tous ceux qui mangent
ensemble ; ils se lavent généralement aussi la bouche avant et après manger. Le
repas fini, ils se sucent les doigts et les essuient après un mur, un pilier de case,
ou sur leur propre peau ; parfois ils se lavent les doigts après comme avant le repas.
Ils prennent la nourriture farineuse (riz, pâte de mil, etc.) avec les doigts, mais en
général ils n'en forment pas des boulettes et la ramènent simplement sur la paume
de la main, où ils la recueillent avec la langue.
Gomme presque tous les Noirs, les Siéoa crachent loin d'eux, sur le sol ou sur
les murs, envoyant avec dextérité un long et mince jet de salive par l'action com-
binée de la langue et des dents serrées. Ils se mouchent en appuyant un doigt sur
la narine opposée à celle à vider et en projetant le liquide au dehors par une
contraction du nez ; ils ramassent avec l'index ce qui n'est pas tombé à terre et
s'essuient ensuite l'index sur un mur ou un morceau de bois.
Les gens en contact avec les Mandingues ou les Agni-Assanti se nettoient les
dents avec les petites branches mâchonnées de certains arbres ou arbustes, notam-
ment d'un arbre ressemblant extérieurement au karité. Mais beaucoup de Siéna,
surtout dans les campagnes, ne se les nettoient que rarement et les ont souvent
jaunes et gâtées ; les dents gâtées ne font pas défaut, d'ailleurs, à ceux qui se les
nettoient journellement : c'est un préjugé très faux que celui attribuant aux Nègres
le privilège d'avoir d^excellentes dents.
13. — L'habitatton.
On rencontre chez les Siéna cinq types principaux de huttes, cases ou maisons
iservant à l'habitation.
1^ Case siéna proprement dite ou case bi^ylindrique à toit ovoïde. — Cette
case se compose de deux parties. On a d'abord un mur cylindrique de 1 m. 75 à
û m. de hauteur, construit en briquettes d'argile crue séchées au soleil et mainte-
nues ensemble au moyen d'argile mélangée d'eau et battue à l'aide des pieds ; la
<Usposition et l'arrangement des briques varient : tantôt ce sont des briquettes
p. 82.] • R • E • E • S • [1908»
ovales placées sur un plan vertical mais inclinées à 45^ environ et formant des
coaches d'inclinaisons opposées, avec de petits morceaux d'argile durcie ou parfois
de petites pierres ou des résidas de minerai de fer fondu intercalés entre les cou-
ches (fig. 16) ; tantôt ces mêmes briquettes sont disposées pareillement, mais les
couches se succèdent sans interruption (fig. 17) ; tantôt les briquettes ovales sont
disposées de façon à ce que Tinclinaison varie de l'une à la suivante dans la même
couche, les couches successives se touchant par leurs angles de manière à figurer
des losanges entre les briquettes, losanges qui sont remplis d'argile non façonnée
(fig. 18) ; tantôt ce sont des briquettes plates en dessous et convexes en dessus,
alignées horizontalement Tune au bout de l'autre et l'une au dessus de l'autre, le&
couches étant séparées par des morceaux d'argile durcie ou de petites pierres
(fig. 19) ; tantôt ce sont des briquettes analogues à celles qui viennent d'être décri-
tes, mais les couches se succèdent sans interruption et le centre de chaque briquette
repose sur les extrémités de deux briquettes de la couche inférieure (fig. 20) ; tan-
tôt ce sont des briquettes à peu près sphériques disposées simplement par couches
successives séparées l'une de l'autre par une couche d'argile (fig. 21) ; parfois le
mur repose sur une assise de pierres (granite ou latérite), maintenues ensemble à
l'aide du même mortier d'argile qui sert à maintenir les briques. Le mur une fois
achevé, il est revêtu intérieurement d'un enduit d'argile ; l'extérieur est parfois
crépi, mais non poli, et souvent les briquettes y demeurent à nu ; quelquefois^ mais
très rarement, l'intérieur et, plus rarement encore, l'extérieur sont blanchis à l'aide
d'une sorte de kaolin qu'on trouve près de certains ruisseaux ou dans leur lit même ;
le plus souvent l'intérieur est enduit d'un mélange de terre et de cendre ou de bouse
de vache. Le cylindre a de deux à quatre mètres de diamètre, rarement plus^
Accolé à ce mur cylindrique en est un autre, plus bas que le premier, con-
struit de même ; les trois quarts du cylindre seulement sont achevés, en sorte qu'on
a, en avant du mur principal, une sorte de croissant.
Dans le mur cylindrique complet on a ménagé une ouverture assez étroite,
rectangulaire ou plus ou moins ovoïde, donnant sur la face concave du croissant
et reposant sur un seuil de 30 à 50 centimètres de haut, en sorte que, pour y
pénétrer, il faut lever la jambe et courber la tête ; cette ouverture n'est pas munie-
de cadre, au moins sur les côtés, sauf exception, mais elle est surmontée d'un&
planche grossière ou d'une couche de bâtonnets encastrés dans le mur et destinés
à soutenir la partie de muraille construite au-dessus de l'ouverture ; le mur formant
seuil est généralement nu, mais parfois il est revêtu d'une planche épaisse qui^
constitue la base du cadre de l'ouverture.
A gauche ou à droite de l'ouverture, un mur droit de même hauteur que le
mur cylindrique s'avance depuis la paroi de l'ouverture jusqu'au centre du cylindre ;
il est destiné à isoler de l'entrée la place réservée pour s'y coucher. Il convient dé-
noter cependant que ce mur n'existe pas toujours.
Le mur entourant le croissant antérieur est également percé d'une ouverture
qui fait vis-à-vis à celle du mur cylindrique ; cette ouverture est en général on
i Pour dessiner sur le sol le cercle que doit formw la base du cylindre, on se sert d'une-
corde mesurant la longueur que l'on veut donner au diamètre du cylindre ; les deux bouts,
de cette corde sont attachés ensemble et on la tend ensuite d*un bâtonnet â un autre ; l'un,
des bâtonnets est maintenu fixe, la pointe âchée en terre, par un opérateur, tandis qu'un
second opérateur, tirant sur la corde au moyen de l'autre bâtonnet, trace avec colui-d sur-
le sol une circonférence dont le premier bâtonnet marque le centre.
1908«] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 83»
peu plus large et un peu moins élevée au-dessus du sol que Touverture de la cham-
<bre inlérieure.
Le sol, à Tintérieur de la case, est battu et recouvert d'un enduit de bouse
^e vache.
La toiture, ou tout au moins sa charpente, se compose, comme la maçonnerie,
-de deux parties : la première, en forme de cône très bas, recouvre le mur cylin-
^ique ; elle est faite de morceaux de bois attachés ensemble à l'extrémité supé-
rieure du cône, très serrés les uns contre les autres, et reposant sur la partie supé-
rieure du mur, qu'ils ne dépassent pas ; la deuxième partie est faite de morceaux
de bois allant du sommet de la première toiture au bord supérieur du mur en
croissant, ce qui fait que la charpente du toit est double au-dessus de la partie du
•cylindre embrassée par le croissaot. Sur les bois sont placées des tiges de mil ou
de maïs, ou de la grosse paille genre roseau, disposées les racines en bas ; puis,
par dessus, sont fixées des herbes longues et plates, ayant à peu près la configu-
ration de très longues feuilles de chiendent, ou plus rarement des herbes minces
présentant l'aspect d'une paille assez fine, disposées la racine en haut, par couches
^successives dont les premières placées sont celles du bord inférieur du toit et les
dernières celles du sommet ; ces herbes sont assez grossièrement attachées, à l'aide
de lianes que l'on fait passer en-dessous de la charpente ; quand on est arrivé au
sommet du toit, deux larges touffes d'herbes sont placées en croix sur la pointe du
^ne et leurs extrémités rabattues et attachées au reste de la toiture. La couver-
ture de paille dépasse très peu le mur cylindrique ; elle dépasse davantage le mur
en croissant. L'ensemble de cette couverture, épaisse de 20 à 30 centimètres,
présente la forme de la moitié supérieure d'un œuf que l'on aurait sectionné du
gros au petit bout, forme due à ce que le sommet — par suite de la disposition de
la charpente — se trouve placé, non pas au centre de la construction, mais au
centre du cylindre qui n'en forme que la partie postérieure ; la pente est naturel-
lement très faible du côté le plus allongé (fig. 22, 23 et 24).
Les ouvertures sont fermées la nuit, ainsi que durant l'absence des habitants,
^u moyen de portos en bois ou en vannerie. Les premières, généralement réservées
à garantir Feutrée de la chambre cylindrique, sont taillées d'une seule pièce dans
ces énormes contreforts qui sont la partie aérienne des racines du Bomhax ou
fromager : elles sont munies sur un côté de deux montants courts enfoncés dans
la maçonnerie, l'un au-dessus, l'autre au-dessous de l'ouverture, et formant ainsi
•un double pivot ; la porte s'ouvre à l'intérieur et est plus grande que le cadre de
l'ouverture ; on la maintient fermée intérieurement à l'aide d'un bâton que l'on
passe dans un anneau de cuir fixé au centre de la porte et que l'on appuie sur
deux crochets fichés dans le mur à droite et à gauche de l'ouverture ; si l'on veut
4a fermer extérieurement — pour indiquer l'absence du propriétaire et empêcher
les chiens, moutons, etc. d'y pénétrer durant cette absence — le bâton est placé
^n dehors et simplement appuyé sur le cadre de Touverturo en travers de la porte ;
parfois, une planche grossière formant le bas de l'ouverture est munie d'une sorte
•de rainure où le battant de la porte, préalablement soulevé, vient s'encastrer.
Les portes en vannerie consistent en un rectangle tressé à l'aide de paille-
roseau, de rotin ou de lamelles de raphia et enduit de bouse de vache pour ne pas
•laisser passage au vent ni à la pluie ; ces portes, employées aussi bien pour la
chambre intérieure que pour le croissant extérieur, sont, ou bien suspendues par
le haut à un crochet en bois fiché en-dedans et au-dessus de l'ouverture, ou sim-
iplement posées sur le sol et appuyées contre le cadre ; on les maintient fermées
F. 84.] • R • E • E • S • [^®*^®*^
au moyen d'un bâton transversal comme il a été dit pour les portes en bois : la
porte est placée extérieurement si on veut la fermer à Tintérieur, intérieurement-
si on veut la fermer à Textérieur. Souvent, lorsque le propriétaire s'absente, il
dresse simplement la porte contre le cadre de Touverture, à l'extérieur, et la main-
tient à l'aide de quelques grosses pierres placées contre sa base.
Ce type de case se rencontre chez les Siéna peu ou non pénétrés par une civi*
lisation étrangère ; il domine de façon presque exclusive dans la fraction centrale-
et se rencontre accidentellement dans les fractions Nord, Nord-Est et Sud, surtout
dans les parties qui avoisinent la fraction centrale (Zona, Niéné, Pala, villages
nord du Takponin et du Guimini).
2^ Cckse dite Malinké ou case cylindrique à toit conique, vulgairement case-
ronde. — La maçonnerie se compose d'un mur cylindrique de 1 m. 75 à 2 m. 50
de haut et de 3 à 5 mètres de diamètre, construit en briquettes et en mortier
d'argile de la façon décrite pour la case bi-cylindrique, parfois en couches d'argile
molle sans intervention de briquettes, parfois aussi en morceaux de bois verticaux,
soudés ensemble avec de Targile ; ce mur est crépi à l'intérieur et la plupart du
temps aussi à l'extérieur, et assez souvent blanchi sur ses deux faces à l'aide du
kaolin dont j'ai parlé plus haut, ou bien revêtu intérieurement d'un enduit de bouse-
de vache. Le sol intérieur est battu et généralement enduit de bouse de vache
(fig. 2Ö).
Assez souvent, un mur droit part du mur cylindrique, à droite ou à gauche
de la porte d'entrée et s'avance jusqu'au centre du cylindre ; parfois il se continue-
plus loin, après avoir décrit un angle, et rejoint presque la paroi du mur cylin-
drique opposée à la porte, laissant entre elle et lui un passage, et formant ainsi
une Téritable chambre séparée du reste de la case (fig. 26).
L'ouverture servant à l'entrée est de forme rectangulaire, assez souvent aussi,
elle a à peu près la forme d'une urne légèrement renflée au premier tiers en partant
du bas ; le seuil est élevé de 20 à 60 J^ centimètres au-dessus du sol. Parfois de
petites ouvertures rondes ou ovales de 10 à 20 centimètres de diamètre, sont
ménagées de distance en distance le long de la partie supérieure du mur (deux,,
trois ou plus), servant en quelque sorte de fenêtres.
Le toit, conique, est en général construit à part, par terre, et posé d'une
seule pièce sur le mur, lorsqu'il est achevé. La charpente est en nervures de raphia,
ou en bambous, ou en morceaux de bois, selon les ressources du pays, réunis au
sommet du cône par des cerceaux de rotin et de place en place par des cercles,
parallèles de rotin auxquelles les poutrelles sont fixées à l'aide de liens en écorce
de lianes. Sur la charpente, on dispose de l'herbe sèche, soit une herbe fine res-
semblant à de la paille et arrangée en longs paillassons qui sont déroulés sur la
charpente en couches parallèles superposées, l'extrémité supérieure des herbes-
tournée vers le haut, soit une herbe plate et plus large fixée sur la charpente par
petites bottelettes, l'extrémité supérieure des herbes tournée vers le bas. Dans les^
deux cas on commence la couverture par la base du cône et on attache Therbe au
moyen de fibres de lianes qui sont passés au travers de la toiture au moyen
d'une sorte de grosse alêne en bois. Au sommet du cône, on place un chapeau
pointu en paille tressée, construit à part, surmonté généralement d'une tige de
bois formant flèche, ou de trois tiges figurant un trépied tourné vers le ciel, oa
encore d'un ornement en bois ou en fragment de calebasse représentant un crois»
sant, un poisson, un oiseau, etc., ou enfin de cornes de bœuf ou d'antilope. Une
fois le toit achevé, on le pose sur le mur, en le maintenant parfois à Tabri de»
1908«] DELAFOSSB : LE PEUPLE SIÉNA OU SÊNOUFO. [P. 85»
tornades à l'aide de grands crochets angulaires en bois dont une branche repose
contre la bce intérieure du mur et dont l'autre pénètre dans Tun des liens d'attache
de la toiture. En cas d'incendie, on renverse le toit. Ce dernier dépasse de 30 à
SO centimètres le bord supérieur du mur ; parfois il forme autour de la case une
sorte d'auvent ou de verandah et alors des piliers, plantés en terre parallèlement
au mur et à 75 centimètres environ de sa base, supportent la base de la toiture.
Le plus souvent on n'a aucun pilier à l'intérieur de la case (tig. 27^ ; cependant,
snrtout lorsque la case est très large et que la charpente du toit est en bois, la
toiture serait peu solide si son sommet n'avait pas de point d'appui et de plus elle
serait trop lourde et trop peu maniable pour pouvoir être transportée du sol sur le
mur : dans ce cas, un pilier en bois est planté en terre au centre de la case, les
poutrelles de la charpente sont fixées au sommet de ce pilier et la toiture est âûte
sur place (fig. 28).
Ce type de case (fig. 29) se rencontre chez les Siéna ayant subi l'influence
mandingue ; il domine dans les fractions nord et sud, et se rencontre assez
firéquemment dans la fraction nord-est (Pala notamment), et accidentellement
dans les fractions centrale (Niarhafolo, Folo, Gbannzoro) et du sud-est. — Les
portes sont analogues à celles décrites pour la case du premier type.
3^ Case rectangulaire à toiture en paille à deux pans. — Les murs sont cons-
truits en briquettes ou simplement en couches superposées d'argile molle, ou plus
souvent en clayonnage de bois rempli d'argile (système de muraille dit « tapade »).
Toujours crépis intérieurement, les murs ne le sont qu'exceptionnellement à l'ex-
térieur ; souvent même on aperçoit le clayonnage de bois. Parfois les murs sont
partout crépis et recouverts d'argile blanche. Une ouverture rectangulaire est
ménagée sur l'une des grandes faces ; on la ferme à l'aide d'une porte en bois ou
en vannerie analogue à celles décrites pour la case du 1^ type, ou encore à l'aide
d'une sorte de store en lamelles de raphia ou en grosse paille, qui peut à volonté
se rouler, maintenu en haut par un crochet en bois qui pend de la muraille, ou
descendre jusqu'à terre. Quelquefois les autres faces du rectangle sont percées
d'ouvertures carrées de 30 à 60 centimètres de côté, que Ton peut fermer à Taide
de stores identiques.
Très souvent la case renferme deux chambres, plus rarement trois, se suivant
dans le sens de la longueur du rectangle. Elles sont séparées l'une de l'autre par
un mur coupant le rectangle dans le sens de sa largeur et percé d'une ouverture
en son milieu ou bien à son extrémité la plus éloignée de la porte d'entrée de la
case, laquelle est unique.
La charpente de la toiture est en nervures de raphia, en bambous ou en
poutrelles de bois, disposés suivant deux plans inclinés sur l'horizontale et se
eoupant au faite, et liés ensemble suivant des lignes horizontales parallèles à l'aide
de rotins, de lattes de raphia ou de nervures de palmier à huile fixés aux pou-
trelles au moyen de fibres de lianes. Cette charpente est recouverte d'herbe plate,
plus rarement d'herbe fine. La toiture dépasse les deux grandes faces du mur de
fagon à former une sorte d'auvent souvent assez large, surtout sur la façade de
devant, et soutenu alors par quelques piliers. Elle est un peu plus longue que la
muraille, en sorte qu'elle protège un peu les côtés et le sommet des murailles
latérales, lesquelles ont la forme d'un carré surmonté d'un triangle.
Cette toiture repose sur une poutre faîtière horizontale qui s'appuie sur deux
piliers à fourche encastrés chacun au centre des murs latéraux, et de plus, si la
case est de grande dimension, sur un ou deux piliers médians encastrés dans le ou
p. 86.] • R • E • E • S • [1908.
les murs de séparation des chambres. Ces murs ne montent pas jusqu'au faîte et
s'arrêtent à la hauteur des murs de £E^^de ; seuls, les murs latéraux se terminent
en triangle et supportent le faite et les pans de la toiture.
Le sol intérieur, exhaussé au-dessus du sol environnant, est battu et souvent
enduit de bouse de vache.
Ce type se rencontre presque uniquement chez les Nafana, où il domine pres-
que partout ; on le trouve pourtant quelquefois chez les Guimini, et accidentelle-
ment chez les autres sous-tribus. C'est en somme la case Agni-Assanti des bassins
de la Comoé et de la Tano, plus grossièrement construite (fig. 30, 31 et 32).
IjOs Dioula du Guimini et du pays de Kong possèdent bien aussi une case
rectangulaire, mais beaucoup plus vaste et d'une tout autre apparence, qui est un
intermédiaire entre la case Agni-Assanti et la maison soudanaise à terrasse. Elle
n'est jamais habitée par des Siéna.
4^ Case rectangulaire à toiture plate. — Ce type est assez original. Le bâtiment
est un parallélipipède rectangle, souvent très long, partagé en deux, trois, quatre,
cinq et même parfois six chambres parallèles, au sol plus bas que le sol extérieur,
avec verandah étroite courant le long de la façade antérieure, et toiture plate très
basse, si basse qu'il est impossible à un homme de taille moyenne de se tenir debout
à l'intérieur de la case. Les murs sont en briquettes, en argile non &c<>i^née ou
encore en palissade de bois recouverte d'argile, très généralement crépis sur les
deux faces et souvent blanchis au kaolin. Chaque chambre est munie d'une porte
donnant sur la verandah ; les diverses chambres communiquent de plus l'une avec
l'autre au moyen de portes percées à l'une quelconque des extrémités des murs de
séparation. La verandah est en général bordée extérieurement d'un petit mur
d'appui.
La toiture est faite de poutres transversales reposant sur les murs de façade et
sur les poutres qui joignent l'un à l'autre les piliers de bois de la verandah ; ces
poutres transversales supportent de minces poutres longitudinales étroitement
serrées les unes contre les autres. Par dessus ces dernières sont placées des tiges
de sorgho, de mil ou de. maïs ou encore d'herbes-roseaux. Enfin sur le tout repose
une couche peu épaisse d'argile blanchâtre. La surface extérieure du toit présente
l'aspect d'une terrasse très légèrement convexe ou plus exactement d'une route en
dos d'âne très aplati ; on ne monte pas sur ces terrasses ; l'herbe y pousse et parfois,
vu le peu d'élévation, les chèvres vont y brouter. (Fig. 33, 34 et 35).
Ce type se rencontre presque uniquement dans la fraction nord-est, où il existe
soit seul soit concurremment avec la case ronde et la case bi- cylindrique (Pala,
Sikola, Falafala, Komono). Il semble se rapprocher beaucoup des cases Bobo
décrites par M. Binger et se retrouve chez les Dégha ou Guiamou de certains
quartiers d'Assafoumo ou Guioboué, village d'origine Gourounsi situé près de
Bondoukou. M. Binger signale ce type de case chez les Dorhossiè, à côté de quelques
cases rectangulaires à toitures de paille ; chez les Kièfo, d'après le même auteur,
on rencontre les grandes maisons à terrasse et à étage des Lobi, Dagâri, etc., dites
soJcala.
5® Maison à terrasse, dite maison sotédanaise. — Ce type se compose d'un
bâtiment à base rectangulaire ou carrée, avec murs en briquettes ou briques cuites
au soleil, murs plus épais à la base qu'au sommet, en sorte que leur face intérieure
est verticale tandis que la face extérieure est plus ou moins inclinée sur l'horizontale,
donnant ainsi à la construction un aspect pyramidal. Les portes d'entrée — il y en
a souvent plusieurs par bâtiment — sont rectangulaires ou trapézoïdales, avec seuil
1908«] DBLAFOSSB : LB PBUPLB SIÊNA OU SÊNOUPO. [P« 87»
peu élevé. On a parfois de très petites ouvertures rectangulaires ou triangulaires
servant de fenêtres.
La toiture forme terrasse. Sa charpente est analogue à celle des cases à toiture
plate décrites précédemment, mais il n^y a ni paille ni tiges quelconques entre la
-charpente et la couche d'argile et cette dernière, beaucoup plus épaisse, est remplie
de cailloux destinés à la rendre compacte et résistante, et a été soigneusement battue.
La terrasse est plate, mais assez inclinée pour permettre Técoulement des eaux,
qu'assurent des gargouilles en bois ou en terre cuite. Tout autour de la terrasse est
un parapet que surmontent de place en place, en général, des cônes ou pyramides
-de terre de 20 à 50 centimètres de hauteur ; souvent les angles de la maison ou les
portes sont surmontés de pyramides atteignant de un à deux mètres.
La maison est entièrement crépie à l'aide de terre grise et souvent recouverte
•en outre d'un revêtement d'argile blanche ou jaunâtre. Dans beaucoiy) de localités,
•on revêt l'extérieur d'un enduit formé d'argile grise ou blanche et d'une infusion
de racines faisant office de colle, enduit qui résiste assez bien aux pluies.
Une échelle construite à l'extérieur contre l'une des faces latérales donne accès
à la terrasse : elle est faite de barreaux de bois encastrés dans deux montants en
terre faisant corps avec le mur et rappelle les échelles verticales donnant accès aux
wharfs et jetées maritimes. Parfois on a à l'intérieur une échelle analogue ou une
•grossière échelle en bois et alors la terrasse est percée, au sommet de cette échelle,
4'une ouverture étroite entourée d'un rebord qui empêche l'eau de pluie de se
déverser en cascade dans la maison:
Il existe quelquefois un étage ou mieux une sorte de tourelle où l'on accède
par un escalier intérieur en terre, généralement bâti dans un seul plan, parfois
•coudé à angle droit.
Les portes extérieures sont presque toujours en bois ; elles possèdent quelque-
fois des loquets et des sortes de serrures en bois qui s'ouvrent et se ferment à l'aide
de longues clefs à crochets également en bois.
Ce type (fig. 36) ne constitue jamais à lui seul un village en pays Siéna, mais il
-se rencontre assez fréquemment, notamment dans les gros centres et les régions où
habitent des musulmans Dioula, ainsi que dans certaines sous-tribus du district de
Tombougou, même là où les musulmans sont fort rares (Kassembélé, Gbâto, Niéné,
Kadlé, etc.).
On voit à Félékessé-dougou (Niarhafolo) et à Eorhpgo (Eiembarha) deux' con-
structions à étage et à terrasse d'un aspect réellement architectural, avec fenêtres
à toutes les chambres, murs en briques moulées, etc. Ces deux « châteaux », bien
-que bâtis sur l'ordre et sur les plans de deux chefs Siéna (feu Nahouon à Félékessé-
dougou et Gbon à Korhogo), ont eu pour architectes des gens de Dienné embauchés
tout exprès, et n'ont rien à voir avec l'ethnographie des Siéna. On en peut dire autant
des mosquées à minarets pyramidaux qui s'élèvent dans plusieurs villages où les
•musulmans, presque tous mandingues d'ailleurs, sont en nombre relativement con-
sidérable.
J'ai décrit ci-dessus les types proprement dits d'habitation qui se rencontrent
-chez les Siéna. Mais il y a beaucoup de modèles intermédiaires, s'écartant plus ou
moins du type primitif ou procédant à la fois de deux ou même trois types. C'est
ainsi que, dans des villages où domine la case bi-cylindrique, on trouve des cases
-cylindriques à toit conique, mais basses de sommet et couvertes de même façon que
les cases à toit ovoïde ; parfois elles renferment une chambre intérieure carrée sur
"^ois de ses faces, la quatrième étant la paroi même du cylindre (fig. 37) ; souvent
p. 88.] • R • E • E • S • [1908.
aussi elles ne renferment ni chambre ni mur de séparation à Pintérieur et servent
alors généralement de cuisines, plutôt que d'habitations proprement dites. — Oa
rencontre souvent aussi des cases à toit conique, mais sans mur, ou pourvues seule-
ment d'un mur d'appui ou d'une main-courante n'ayant que 50 centimètres environ
au dessus du sol, la toiture reposant alors sur un cercle de lianes entrelacées que
supportent des piliers verticaux : ce sont des cases de réunion ou des ateliers de
forgerons. — On voit encore des cases cylindriques pourvues de deux ouvertures se
faisant face : ce sont en général des écuries.
Parmi les cases bi-cylindriques, certaines ont le croissant extérieur dépourvu
de murs ou entouré seulement d'une main-courante : ce sont en général des case&
destinées aux femmes ; la verandah en croissant sert de cuisine.
Là où domine la case rectangulaire à toiture en paille à deux pans, on trouve
aussi des cases cylindriques et de plus des cases carrées à toit conique^ intermédiaire
évident entre les premières et les secondes. (Observé dans plusieurs villages Nafâna^
notamment à Kassa, Dikrou et Louha ou Boue, dans le Gold-Coast).
On peut dire d'ailleurs que, dans presque tous les villages, môme dans des vil-
lages ne comptant qu'une dizaine de cases et à plus forte raison dans les gros cen-
tres, on trouve, à côté d'un type dominant, deux ou trois autres types distincts,
sans parler des types intermédiaires. Dans des villages de culture du nord de la
fraction sud (Sédala dans le canton Takponin de Niangbo, Pessan-kaha dans le
Guimini nord, et autres villages situés sur la route de Pessan-kaha à Tafiré-sôba),
j'ai vu côte à côte des cases cylindriques, des cases bi-cylindriques, des cases rec-
tangulaires à toit en paille à double pente, des maisons à terrasse et enfin des gre-
niers à toit plat, c'est à dire la réunion de tous les types de construction qu'on peut
rencontrer chez les Siéna. Dans le canton desPala, j'ai vu fréquemment des cases
cylindriques, des cases rectangulaires à toit plat et des cases bi-cylindriques dans
le même village, bien que le premier de ces types domine dans certaines localités
Pala et le second dans certaines autres, sans que l'on en puisse déterminer la raison.
On ne peut donc pas donner un type d'habitation comme caractéristique du
peuple Siéna : tout au plus peut-on dire que la case bi-cylindrique à toit ovoïde
semble être autochtone et que les autres types sont d'origine étrangère (mandingue
sans doute pour la case cylindrique, agni-assanti, pour la case rectangulaire à toiture
à deux pans, Bobo ou Gourounsi (?) pour la case à toit plat, berbéro- soudanaise (?)
pour la maison à terrasse). On peut encore compléter cette détermination assez
vague par une détermination négative : il est certains types d'habitation qu'on ne
trouve ^'a^nai^ chez les Siéna ; parmi ceux-là, je citerai : la grande sokala à terras-
ses et tourelles des Lobi, Birifo, Dagâri, etc. ; la case circulaire ou rectangulaire
avec cour intérieure qu'on trouve chez les Agni de l'ouest (Mango, Baoulé), chez les
Abè et Abidji, chez certains Mandé- Fou voisins du Bandama (Gouro) ; la case rec-
tangulaire à parois en nattes (certaines tribus de Kroomen ou Erou) ou en nervures
de raphia sans mortier d'ai^Ie (beaucoup de tribus habitant près de la mer) ; la
case cylindrique à plafond et à toiture conique très pointue (Mandé-Fou et Erou-
Bakoué des bassins du Sassandra et du Gavally) ; la case ovale d'un certain nombre
d'Agni de l'ouest (Baoulé) ; la hutte de paille en forme de ruche des Foulbé nomades.
Là où domine la case bi-cylindriqne, on compte en général un peu moins d'«n
habitant par case, jeunes enfants non compris (proportion établie de façon indis»
cutable par de nombreux recensements) : la raison de ce fait, qui peut, au premier
abord, paraître bizarre, consiste en ce que chaque chef de famille Siéna fait cons-
truire en général une case distincte pour chacun des membres adultes de sa famille^
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÊNOUFO. [P. 89.
(femmes et serfs compris), en ce qu'il existe beaucoup de cases dans lesquelles on
ne couche pas (cuisines, ateliers, cases de réunion), enfin en ce que le môt&e indi-
vidu possède souvent une case dans son village et une autre dans un hameau de
culture.
Ijà où domine la case ronde, la proportion est un peu plus forte, atteignant
presque toujours un habitant adulte par case et parfois un habitant et un tiers ; cela
tient à ce qu'il existe moins de cases affectées spécialement au travail des femmes,
la cuisine se faisant davantage en plein air.
La proportion va de 2 à 3 adultes par case là où domine la case rectangulaire
à toiture à deux pans.
Pour les cases à toit plat et les maisons à terrasse, on ne peut établir aucune
proportion, les dimensions de ces cases et le nombre de leurs chambres étant trop
variables.
Je dois dire maintenant un mot des greniers ou magasins. Outre les provisions
accumulées dans les cases d'habitation et notamment dans les cases réservées aux
' femmes et les cuisines, et contenues dans des récipients que nous examinerons au
chapitre « ameublement », les Siéna ont, pour conserver leurs céréales (riz, mil,
soigho, ignames') des greniers ou magasins indépendants des habitations et souvent
en nombre plus considérable que ces dernières.
Ces greniers appartiennent à trois types que j'appellerai les types cylindrique
(fig. 38), ovoïde (fig. 39) et rectangulaire (fig. 40). Tous les trois sont recouverts
d'un toit conique léger construit comme les toits des cases rondes et que l'on enlève
pour puiser dans le magasin ; parfois cependant, notamment dans la fraction nord-
est et dans son voisinage, on trouve des greniers à toiture plate en bois et paillé
recouverts de terre, maintenue à l'aide d'une pierre posée sur sa partie centrale.
Les greniers des trois types sont construits, comme les cases, en briquettes crues ou
simplement en argile molle non façonnée (notamment ceux du type ovoïde) et sont
crépis à l'intérieur et à l'extérieur, souvent enduits de bouse de vache, et parfois
blanchis extérieurement. Ils sont séparés du sol par de grosses pierres sur lesquel-
les ils reposent (trois pierres pour les greniers cylindriques et ovoïdes, quatre pour
les rectangulaires), ou par quelques dalles grossières supportant un cadre de bois
(greniers rectangulaires). Lies greniers paraissent en général être plus soignés et
plus ornementés que les cases, surtout chez les Siéna du centre à cases bi-cylindri-
ques, qui manifestent ainsi leur affection pour tout ce qui touche à l'agriculture et
à ses produits ; presque tous portent sur une ou plusieurs de leurs faces des figures
en relief, parfois coloriées, représentant le plus souvent une tête ou des cornes de
bœuf; beaucoup possèdent, un peu au dessous du toit, une ouverture rectangulaire
encadrée dans un motif d'ornementation en relief, ouverture qui permet de puiser
dans le grenier ou d'y introduire des céréales sans soulever la toiture, (fig. 41).
Les greniers cylindriques et rectangulaires varient en hauteur de 1 à 3 mètres
et parfois plus ; quelques*uns sont de véritables tours, un peu plus étroites au
sommet qu'à la base (cas observé à Félékessé-dougou, chez les Niarhafolo). Ceux
^ Le mais est conservé généralement en bottelettes suspendues à la branche d*un baobab
ou d*un fromager, à proximité des villages de culture, les épis demeurant entourés de leur
gaine et pendant la pointe en bas. Les arachides sont enfermées dans des feuilles, en
paquets ayant la forme et la taille d'une grosse citrouille, maintenus par un réseau de
liens et suspendus au toit à Pintérieur des cases. Les haricots se conservent en général
dans des uines ou jarres placées dans les cases.
p. 90.] > R > E > E ^ S ^ [1908.
qui dépassent la haateur d'homme sont pourvus d'une échelle analogue à celle
décrite à Toccasion des maisons à terrasse. La largeur varie de 1 à 2 mètres, ou
plus dans le cas d'une très grande hauteur. — Les magasins ovoïdes sont plus ou
moins renflés, plus ou moins vastes, mais n'atteignent jamais de très grandes
dimensions.
Tous ces magasins ou greniers sont épars dans les villages, parmi les cases et
autour d'elles ; on en trouve aussi au milieu des champs, en dehors de tout lieu
d'habitation même temporaire. Les trois types se rencontrent fréquemment dans
la même localité.
Un mot maintenant sur la conformation et l'aspect des villages. Les cases et
greniers sont disposés de façons diverses, mais le plus souvent à l'aventure, for-
mant des groupes compacts où il est impossible de trouver trace d'un plan défini
d'avance et épousant les sinuosités du terrain sans qu'on ait cherché à y remédier.
Cependant certains villages de médiocre dimension affectent une forme circulaire :
les cases extérieures sont disposées sur une circonférence et réunies les unes aux
autres par un petit mur en briquettes, en sorte qu'on a un cercle où ne donne accès
qu'une seule ouverture ménagée dans le mur, ouverture que l'on ferme la nuit au
moyen de souches ou de fascines ; bien entendu, les pprtes des cases sont toutes à
l'intérieur du cercle, sans nécessairement faire face au centre ; au lieu que l'inté-
rieur du cercle soit vide, comme il arrive dans beaucoup de villages soudanais, il
est en général rempli d'un fouillis sans ordre de cases et surtout de greniers.
Dans d'autres villages plus vastes, on a des quartiers distincts. Ces quartiers
sont parfois isolés, séparés les uns des autres par de vastes étendues de terrain
cultivé ou de pâturages, et par les bois ou bosquets sacrés dont il sera question au
chapitre « religion » ; d'autres fois ils font corps les uns avec les autres, séparés
seulement par des ruelles tortueuses et de largeur fort inégale, ou par des places
quelquefois très vastes et plantées d'immenses arbres (ficus, fromagers, StereuUa
Cordifolia^ etc.), à l'ombre desquels travaillent les tisserands et se tiennent les
marchés. Chaque quartier est, soit ouvert — c'est-à-dire sans enceinte d'aucune
sorte groupant ensemble les cases qui le composent — , soit fermé par des murs
réunissant ensemble les cases extérieures du quartier, ou encore (surtout dans les
pays de l'ouest où habitent des Mandingues pêle-mêle avec des Siéna) par des
palissades faites de paillassons ou d'épines.
Le chef a souvent un quartier considérable, entouré d'un mur assez haut qui
réunit ensemble les façades postérieures de toutes les habitations de la périphérie,
dans lequel on n'a accès que par une porte unique, en général s'ouvrant dans une
sorte de vestibule : c'est là ce que nous appelons communément un tata, du mot
mandingue tannda ou tata, qui signifie simplement « mur ». Ces iota sont de
véritables dédales de ruelles, de cours, de vestibules, où s'entassent en chaos cases
et greniers, et où il est à peu près impossible à un étranger de s'orienter, les murs
et les toits très rapprochés les uns des autres empêchant d'apercevoir aucun objet
extérieur qui puisse servir de point de repère.
Les villages Siéna sont bâtis en rase campagne et sont entourés le plus géné-
ralement de champs cultivés ou de pâturages ; ils ne se dissimulent à la vue qu'à
l'époque où le mil est assez haut pour cacher les maisons.
Pour se garantir des hordes dévastatrices des Fakaba, Babemba, Samori et
autres pillards de moindre envergure, beaucoup de villages Siéna ne reculèrent pas
devant un travail énorme, consistant à entourer le village entier d'un et quelque-
fois de deux murs d'enceinte, garnis extérieurement d'un fossé. Ces fortifications^
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 91.
faites sans doute sur le modèle — bien réduit d'ailleurs — de celles édifiées à
Sikasso par Tiéba vers 1880 et complétées plus tard par son successeur Babemba,
n'ont pas souvent servi à grand chose, les Siéna ayant préféré le plus fréquemment
évacuer leur village, plutôt que d'essayer d'y soutenir un siège. Actuellement on
n'en trouve plus guère que des vestiges ou des ruines que personne ne songe à
relever ni à réparer.
Ces murs d'enceinte semblent n'avoir existé que dans les fractions du nord et
du centre, les seules ayant eu des relations suivies avec les rois de Sikasso. J'en ai
observé des restes encore assez considérables à Eorbogo et Tiorho-Niarha-dougou
(Eiembarha), à Sirhâsso (Kafibélé), à Nganahoni (Gbâto), à Sienso et Dienguélé
(Noholo), et dans quelques autres localités ; on m'en a signalé un grand nombre
dans le nord du district de Tomboagou ainsi que chez les Folo, où il a môme existé
des camps fortifiés, en dehors de tout village.
Les murs sont fort minces, dépassant rarement 80 centimètres d'épaisseur au
sommet (ils sont un peu plus larges à la base). Us ont de 2 à 4 mètres de hauteur,
sont faits de mottes d'argile superposées et maintenues par un revêtement de même
nature, et affectent dans leur ensemble une forme serpentine qu'on leur a donnée
pour maintenir leur équilibre et qui, à l'observateur placé assez loin du village,
produit Vapparence d'une série de tours cylindriques soudées ensemble par des
murailles de même hauteur. Le sommet est en général hérissé de petits cônes placés
de distance en distance et ressemblant à des créneaux, mais qui ne pouvaient avoir
aucune utilité, attendu que nul chemin de ronde n'existait permettant à des tireurs
de s'abriter derrière ces cônes. On ne voit pas de meurtrières, en sorte que les
assiégés ne pouvaient tirer sur les assiégeants qu'en montant sur les toitures des
maisons, à moins de lancer, un peu au hasard, des flèches, dont la trajectoire peut
être très recourbée. Le mur était percé d'une ou de deux portes, situées chacune
dans une sorte de tourelle très étroite coupée à moitié par un mur intérieur, de
façon à ne livrer passage qu'à une personne à la fois et à interdire l'accès du village
aux cavaliers.
Tout le long du mur d'enceinte, à l'extérieur, court un fossé généralement
très bien creusé, profond d'un à deux mètres, lai^ge d'autant, parfois davantage, et
qui se remplit d'eau à la saison des pluies, à condition qu'on l'y aide un peu par
de grossières canalisations. Parfois, comme à Korhogo, à Sienso, à Dienguélé, une
rivière voisine, coulant toute l'année, permettait de remplir le fossé en toute saison
an moyen d'un barrage primitif et facile à établir.
A la base des murs, du côté de l'intérieur de l'enceinte, on voyait parfois des
statues en terre (peut-être des idoles ?) ; j'en ai vu deux sur les ruines du mur
d^enceinte de Dienguélé (Noholo).
Ce dernier village présente un type très original de double mur d'enceinte, le
mur intérieur renfermant le village, et le mur extérieur séparé du premier par de
vastes étendues cultivées que traverse une rivière coulant en toute saison. Le mur
extérieur n'avait pas moins de 5 à 6 kilomètres de tour et s'adossait à l'est et à
l'ouest à de hautes collines rocheuses et boisées, très difficilement accessibles. Tout
cela aurait dû rendre le village imprenable pour des ennemis n'ayant pas d'artille-
rie, les habitants pouvant d'ailleurs supporter assez longtemps le siège pour décou-
rager les assaillants, grâce aux champs enfermés entre les deux enceintes, aux
troupeaux qu'on y pouvait entretenir, à l'eau que l'on avait à volonté. C!es fortifica-
tions, cependant, qui avaient coûté des milliers de journées de travail, ne servirent
de rien aux malheureux indigènes de Dienguélé : peu confiants dans la protection
p. 92.] • R • E • E • S • [1
de leurs murs et dans leur force de résistance, ils avaient, à Tannonce de Ta
des bandes de Fakaba, caché leurs femmes et leurs enfants dans les grott
montagnes qui avoisinent le village ; un Dioula qui se trouvait parmi eux
le secret de ces asiles à Fakaba et y guida ses guerriers ; ayant entendu 1
d'^roi que poussèrent les femmes surprises par Tennemi, les gens de Die
sortirent de leur enceinte pour courir à la défense de leurs mères, de leurs é j
et de leurs enfants, tombèrent dans une embuscade et furent à peu près to '
ou faits prisonniers. Presque partout, pour des raisons diverses, les murs d'ei I
furent aussi inutiles et les grottes des montagnes sauvèrent plus de Siéna de ] i
ou de la captivité que les fortifications si péniblement édifiées^
Je dois dire un mot des villages de culture. Ce sont tantôt des villages
nents, habités toute Tannée par les fermiers ou serfs d^un notable et ne so
guant pas des villages ordinaires, tantôt des hameaux construits de même c
que les petits villages permanents, mais habités seulement au moment d
travaux des champs ; ces villages sont surtout remarquables par le nombre
incroyable des greniers qui les entourent.
On voit aussi dans les champs des huttes grossières en herbes sèch<
branches d'arbres qui ne servent d'abri que tout à fait temporairement, ei
pluie ou lorsque Turgence des travaux force les agriculteurs à passer la nuit ^ .
les champs ; ce sont de grossières toitures coniques posées à même le sol ou des toits
à pente unique plus rudimentaires encore, qui d'ailleurs ne durent pas plus d'une
saison.
L'ornementation des cases est assez rare et en tout cas fort rudimentaire chez
les Siéna. J'ai mentionné déjà l'ornementation des greniers et certains motifs
architecturaux qui décorent les maisons à terrasse. Les cases bi-cylindriques sont
dépourvues de toute ornementation quelconque, ainsi que les cases à toit plat. On
voit parfois des cases cylindriques dont les murs sont peints en rouge et en noir ou
ornés de dessins coloriés ou de figures en relief, mais ces cases sont généralement
habitées par des étrangers. Chez les Nafâna, les murs intérieurs des cases rectan-
gulaires sont parfois peints en noir jusqu'à mi hauteur (à l'aide de charbon pilé
délayé dans de l'eau) ; on en voit aussi décorés de bandes rouges, blanches, bleues,
noires ou d'un pointillé de ces diverses couleurs (le rouge est obtenu avec une
argile ferrugineuse, le blanc avec du kaolin, le bleu avec de l'indigo, le noir comme
il vient d'être dit) ; on y remarque encore des figures en relief (fig. 42 et 43) ; mais
ces diverses ornementations paraissent empruntées aux Abron et aux Assanti, de
même que les motifs surmontant le cône des cases cylindriques et les cônes ou
pyramides des maisons à terrasse semblent empruntés aux Mandingues.
Je ne parle pas ici des sculptures ou reliefs d'ordre religieux, qui ne rentrent
pas dans l'ornementation de l'habitation.
^ n ne faudrait pas inférer de cela que les Siéna habitassent, même temporairement,
des grottes et des cavernes ; ils en usent seulement — • quand il s'en trouve dans leur voisi-
nage — en cas de gueiTes ou de razzias. J'ajouterai môme que, bien qu'une bonne partie du
territoire Siéna soit assez montagneuse, les villages ne sont jamais bâtis sur les montagnes
et sont toujours éloignés d'un kilomètre au moins de la base des montagnes ou collines les
plus proches. J'ai vu cependant une exception : le petit village de Dogniégué chez les
Noholo, entre Ngapié et Kouokoun sur la route de Tombougou à Odienné, est bâti sur le
flanc même d'une montagne, mais d'ailleurs à l'endroit où ce flanc vient s'appuyer sur la
plaine.
REES. 1908
ri.AXCHE V.
Tù^. 38.. Srenier t^Iindnaue Fid 33..ßrefiLer ovoidc FiS. 4û..Greru£r redcutquUare
'Ti^. 4-1
Moüf d'orTiemmlaiùn d'unefinäre dejrenieroooiià àSuOROOEOO-WMEk < PALA)
F^. 4-3
Jfj'arure.F crv reà^ (£ècorani lé mur iTitérieur <£'un£ ccùtfe cU- XASiSA.
C Vi^la^ MEM MtuJ 7W71 loin delà nre droiée de IcL MaJoi/yi en, ffŒJJ'CQAST )
1908.] PBRRAND : LB CALENDRIER MALGACHE BT LB PANDRUANA. [P. 93«
NOTE SUR LE CALENDRIER MALGACHE ET LE
FANDRUANA
par Gabbibl Febband (Stuttgart).
Le Galendbibb des Malgaches dû Sud-Est.
Deux séries de noms de mois sont en usage à Madagascar. L'une reproduit les
noms arabes des douze signes du zodiaque. L'autre, la plus ancienne, est d'origine
indienne :
Malgache
J^ara- masai'
Asard-he*
Vairavatra
Asutri
Eaisiha
ywlàrsircf
Sanskbit ;
Malgache :
Sanskrit
Fusa
Maka
Tsiahia ou Hiahia
pauça
mägha
jyaiçiha
Fisàka-msLsaii^ j
Fisaka-ye^ \
vaiçakha
Vulam-ftîto*
?
asodha
bhâdrapada
caitra
karttïka
çïrsa in märga-cirsa ou
ciras in mrga-ciras
Dans le sud-est de Madagascar l'année compte douze mois à 28 jours. Les
colons arabes qui ont islamisé cette région n'ont imposé ni leurs noms de mois ni
leur calendrier. La série sanskrito-malgache a été conservée et chacun des 28 jours
du mois a reçu le nom arabe de l'une des 28 mansions lunaires. Flacourt en a, le
premier, donné la liste, mais il leur attribue une valeur purement astrologique.
L'indication est partiellement inexacte : c'est avant tout un véritable calendrier
-emprunté à l'astronomie arabe^.
D'après la méthode empirique adoptée par As-Sûsi et d'autres auteurs arabes,
c'est-à-dire en divisant les 28 mansions lunaires par 12, celles-ci se trouvent
réparties également entre chaque signe du zodiaque. < Sachez, dit As-3i^li que
chacun des signes du zodiaque a deux mansions et un tiers, savoir :
Dans Ahhamal^ le Bélier : I aS-iarataîn^, les deux marques, a ß y <^u Bélier ;
II ehbotain^ le petit ventre, s $ ip du Bélier ; et un tiers de III afh-tharayyâ^ les
Pléiades.
Dans Atk'thaûr^ le Taureau : les deux tiers des Pléiades, IV ad-dabarânj celui
qui vient derrière, oc du Taureau, et deux tiers de V airhakda (ainsi appelée parce
1 Utt. : le petit Asara. — * Litt. : le grand Amra. — » Litt. : le mois de Sira^ — * Litt, i
le petit Fisaka. — * Litt. : le grand Fisaka. — « Litt. : le mois de Bita.
"^ Les noms des mois et des 28 jours de chaque mois ont, en effets une valeur astrologique
Hlistincte de leur valeur chronologique. Cf. G. Ferrand, Un chapitre d'astrologie arabica^
^malgache d'après le ms. 8 du fonds arahico-malgache de la Bibliothèque Nationale de PariSy
in Joum. Asiat, septembre-octobre 1905, p. 193-273.
^ LecbifiGre romain est un numéro d'ordre qui sera ^produit devant la forme arabioo*
malgache du nom des mansions lunaires.
p. 94.] • R • E • E • S • [1908.
qu^elle ressemble à la protubérance ronde qui se trouve à la partie supérieure du
poitrail du cbeval, en arabe al-hàkda)^ X 9 f ' d'Orion.
Dans AUdjaûzâf les Gémeaux : un tiers de ahhakda ; VI aUhancCa^ la marque
que Ton imprime sur le cou des chameaux, y ( <1^ Oémeaux et VII odz-darâ , le
braS| a ß des Gémeaux.
Dans A8'$ar{Uân^ le Cancer : VIII an-nathra^ le dessous du nez, ß y S de
TEcrevisse ; IX aUtarf^ le regard, X^ de TEcreTisse, \ du Lion ; et un tiers de X
alrdjahha^ le front, a ij y Ç du lion.
Dans AV-asady le lion : les deux tiers de at-djabha ; XI ae-Bobra^ Tépaule ou
la crinière du Lion ; et les deux tiers de XII (is-sarfa, litt, changement, elle est
ainsi appelée à cause de la disparition de la chaleur à son lever et du froid à soa
coucher, ß du Lion.
Dans AVadgrâ^ la Vierge ou Gérés' : un tiers de as-sarfa ; XIII al-*atrfc?â,
le hurleur*, ß y ^ s de la Vierge ; XIV as-simak^ le soutien, ce de la Vierge.
Dans AUmizân^ la Balance : XV aUghafr, le yoile', f i a de la Vierge ; XVI
ae-eubânâ^^ oc ß de la Balance ; et un tiers de XVII al4klil^ le diadème^, ß S tc du
Scorpion.
Dans AVakrab, le Scorpion : les deux tiers de aliklil ; XVIII al-kaXb^ le cœur^
a du Scorpion ; et les deux tiers de XIX aj-iaula, la queue', X v du Scorpion.
Dans AUkaûSf le Sagittaire : un tiers de aëëaûla ; XX an-nâHm^ les autruches^
(les quatre qui sont à la pointe de la flèche, à la poignée, à Textrémité méridionale
de Tare et auprès du membre droit antérieur de la bètc [le Centaure], sont appelées
par les Arabes les Autruches qui arrivent, an-naâm altvarida^ parce quUls
comparent la voie Uctée à un fleuve où ces bétes viennent s'abreuver), Y^sTjacprC
du Sagittaire ; XXI albalda^ Ç 0 iv S 7 u du Sagittaire.
Dans Alrdjadt^ le Capricorne : XXII sa^d ads-dzâblk (tout près de la boréale,
se trouve une petite étoile sans éclat qui, disent les Arabes, est le mouton qui vient
d'égorger la grande ; de là son nom), a ß du Capricorne ; XXIII sa^d hula^ (elle est
appelée halia\ dit Easwini, celle qui avale, parce qu'elle semble avaler sa Toisine
qui a moins d'éclat et lui avoir pris la lumière), v s du Verseau ; et un tiers de
XXIV sa^d aa-scCûdj la fortune des fortunes, ß Ç du Verseau.
Dans Ad daîû^ le Verseau : les deux tiers de sa^d as-sdäd; XXV sà*d al-
akhbia^ la fortune des tentes (ainsi appelée parce que lors de son apparition, les^
insectes se cachent dans la terre à cause du froid), y ^ it i] du Verseau ; et deux
tiers de XXVI fargh cd-awwal^ le premier fargh (partie de la cruche entre les deux
aoses par laquelle on la vide), a ß de Pégase.
Dans Al-hûti les Poissons ; un tiers de fargh al-atatoal; XXVII fcirgh cUh-^hânt^
le second fargh^ y de Pégase et a d'Andromède ; et XXVIII bain aUhût, le yentre
1 Le nom du 6* mois malgache Asumbula^ est emprunté à l'arabe CLS-sunbula^ TEpi.
2 Ces étoiles font partie de la Vierge et se trouvent à côté de son épaule droite. Les-
Arabes les comparent « à des chiens qui poursuivent le Lion de leurs aboiements. »
•' D'après Kazwini, on l'appelle le voile parce qu'à son apparition la terre semble couvrir
d'un voile sa verdure et sa beauté.
* Les deux Pinces du Scorpion.
^ « Autour (d'al-iklil) est une rangée d'étoiles qui ornent comme un diadème cet asté^
risme si bien disposé. — Les gens en ont fait le signe de reconnaissance de la mansion^
qu'ils appellent, à cause de cela, le àtadême ».
' * On appelle cette mansion Saûla^ parce qu'un certain nombre de ses étoiles sont relevées-
«omme une queue«
1908«] PBRRAND : LB CALENDRIER MALGACHE BT LB PANDRUANA. [P. 96«
<la poisson (mansion lunaire composée d'un grand nombre d'étoiles formant le
•contour d'un poisson dont la queue serait du côté de ITemen et la tête dans la
direction de la Syrie), étoiles diverses avec ß d'Andromède^ ».
A Madagascar, pour supprimer les fractions de mansions, on a attribué trois
mansions aux 1*^, 4*, 7* et 10* signes du zodiaque et deux à chacun des huit autres :
Alahamadi*. I Asorutin' Adimizana. XV Alukufura
II Alobutin ^ XVI Azubana
m Azuriza XVII Alikilili
Adauru. IV Adobora Alakarabu XVIII Alakalibi
V Alahaka XIX Asaola
Adizauza. VI Alahena Alakosi. XX Anahimu
VU Azera XXI Alibalada
Asurutani. VIII Anasara Adidzadi. XXII Sada-zabe
IX Atarafi XXIII Sada-bulaga*
X Alizaba XXIV Sada-sudi
Alahasati. XI Azubora Adalu. XXV Sada-alakabia*
XII Asarafa XXVI Fara'-alimukadimu^
Asumbula. XIII Alahaua^ Alahutsi. XXVII Fara-alimukaru'
XIV Asimaka XXVIII Batan-alohotsi
Les noms arabes des 28 mansions lunaires modifiés conformément aux lois de
la phonétique malgache sont ainsi devenus les noms des 28 jours du mois. Mention-
nés en même temps qu'un jour de la semaine, ils tiennent lieu du quantième que
les textes arabico-malgaches indiquent très rarement par un chiffre.
Les noms des jours de la semaine ont été également empruntés à Tarabe. Je
q'ai pas encore retrouvé trace des noms de jours de la semaine qui étaient en
usage antérieurement à la colonisation arabe.
Arabe : al-ahad^ dimanche,
al'iihnîny lundi,
ath-thalaihâ^ mardi,
al-arbaà^ mercredi,
alrkhamîSj jeudi,
al-djumda^ vendredi,
aS'Sabt^ samedi,
Malgache
alahadi,
alaisinainù
talata,
alarubia^
alakamisi^
asaibutsi.
^ Les mansions lunaires des Arabes, texte arabe en vers de Mohammed el-Moqri traduit
-et annoté par A. de 6. Motylinski, Alger, 1899, in-8<>, p. 68-69. Les notes ayant trait à cette
citation sont également empruntées A l'ouvrage précité, passim.
* Les noms des douze mois malgaches reproduisant les noms arabes des signes du zodia-
que, sont cités en dialecte Merina, le dialecte malgache le plus répandu.
' Pour les noms malgachisés des 28 mansions lunaires des Arabes, cf. G. Ferrand, Un
chapitre éCastrologie arabico-malgache, loc. cit. et les auteurs cités.
^ Les 13* et 14« mansions de la liste donnée par Flacourt (loc. ciU p. 174) ne sont pas à
leur place. Ce sont exactement les î^* et 26«.
' La forme malgache bulaga provient de la transformation fréquentes du ' ain en ghain^
d'où bulagh, en malgache bulaga, pour bula '.
* Le A^ arabe devient h en inalgache.
^ Contrairement à l'exemple précédent, au lieu de fargh, c'est la forme farà* qui est
passée en malgache. .
* De l'arabe fora' al-mohaddim.
* De l'arabe fara^ alrtnuahhir.
F. 96.] • R • E • E • S • [1908>
D*après les indications qui précèdent, la date : andru alatsinaini nahuidahaka
nahu vula Maka^ doit se trsîduire : le jour do lundi, alahaka «= 6® jour du mois de
Maka, autrement dit : le lundi 5 Maka.
Les années malgaches de 336 jours furent groupées par cycle de 7 ans ou semai-
ne d'années, chaque année portant le nom d'un jour de la semaine. « Les années, dit
Flacourt, se comptent par les jours de la semaine, sçavoir : Tannée du Dimanche,
celle du Lundy et ainsi en continuant. L'année 1650, ils (les Malgaches du sud-est}
la comptaient pour Tannée du Vendredy en laquelle ils faisaient la circoncision^ ».
Les Malgaches sud-orientaux n'ont malheureusement pas numéroté leurs
cycles ; la concordance de leurs indications chronologiques avec notre année solaire
n'est donc possible que lorsque les témoignages de voyageurs européens nou&
permettent de l'établir.
Dans son Histoire de la grande isle Madagascar (chap. LXII, p. 343), Flacourt
donne une indication précieuse qui m'a servi de base pour établir la concordance du
calendrier malgache Antanosi avec le nôtre. « Le vingt-troisième d'Aoust (1653),
premier (jour) de la lune (du mois de) Hiahia, tous les Rohandries {Roandriany
princes) se baignèrent après avoir accomply leur jeusne à leur mode, qui est que
pendant la lune (du mois de) Maca (Maka) qu'ils nomment cette année Ramavaha*,.
et les Arabes Ramaddan, ils ne boivent point de vin, et ne mangent point depuis le
Soleil levant jusques au Soleil couchant, la nuict ils mangent et boivent tant qu'ils
veulent, à l'exception du vin qui leur est deffendu n. Dans les tables qui suivent,
le premier jour du mois de Maka correspond au 26 juillet 1653 et le 28 Maka au
22 août. La première de ces dates est exactement celle du 1*' jour de Ramadan de
Tan 1063 de Thégire. Il y a, en 1653, concordance accidentelle entre la date du
jeûne musulman et celle du jeûne des Malgaches islamisés. Ceci explique la remar-
que de Flacourt : par suite de cette coïncidence exceptionnelle, les Malgaches sud-
orientaux ont appelé Ramavaha =: Ramadan, le mois de Maka, ce qui revient à
dire qu'ils ont donné au mois de jeûne malgache le nom du mois de jeûne arabe.
Autre remarque très importante : le mois de Maka se termine le 22 août, le mois
de Ramadan le 24 août, deux jours plus tard. Ramadan a, en effet, 30 jours tandis
que le mois malgache n'en a que 28.
D'après les indications précédentes, j'ai établi une table de concordance dea
mois et années Antanosi et grégoriennes pour la période comprise entre le 23 mai
1637 et le 4 juillet 1670. C'est à cette époque qu'ont vécu à Madagascar Gauche,
Flacourt, François Martin, les premiers missionnaires Lazaristes dont nous possédons
les relations et La Case dont les chroniques indigènes racontent les campagnes.
La table de coocordance a été continuée jusqu'en 1907 de façon à pouvoir être
utilisée pour les textes arabico-malgaches anciens et modernes. D'après les concor-
dances grégoriennes indiquées par Flacourt, les mois Antanosi commencent un
samedi.
Année dn Wendredl
Asaramasai^
AsaraliO .
Vatiavatra.
Asutri.
Hatsiha
Vulasira .
23 mai 1637
Fusa 7 novembre
20 juin
Maka 5 décembre
18 juillet
Hiahia Rama4ân 1047 H, 2 Janvier 168a
15 août
Fisakamasai 17 janv.-15 fév. 30 janvier
12 septembre
Fisakave .... 27 février
10 octobre
Vulambita .... 27 mars
1 Histoire de la grande\isle Madagascar^ Paris, 1661, in-4*, p. 177.
* Forme malgache de Tarabe Ramatfân.
• La date grégorienne est celle du l««" de chaque mois.
1908«] FBRRAND : LB CALENDRIER MALGACHE BT LE PANDRUANA. [P« 97*
Asaramasai
Asarabe .
Vatravatra.
Asutri.
Hatsiha
Yulasira .
Asaramasai
Asarabe •
Vatravatra
Asutri.
Hatsiha
Vulasira .
Asaramasai
Asarabe
Vatravatra
Asutri.
Hatsiha
Vulasira .
Asaramasai
Asarabe
Vatravatra
Asutri.
Hatsiha
"Vulasira .
Asaramasai
Asarabe
Vatravatra.
Asutri. *
Hatsiha
Tulasira .
Jkaatte da ll^anieill
24avrir Fusa . . . . 9 octobre
22 mai Maka . . . . , 6 novembre
19 juin Uiahia 4 décembre
17 juillet Fisakamasai Rama4ân 1048 H, i""^ Janvier 1639
14 août Fisakave 6janv.-4fév. 29 janvier
11 septembre Vulambita . . . ' • ' 26 février
Année da Dimanehe
26 mars
13 avril
21 mai
18 juin
16 juillet
13 août
Fusa 10 septembre
Maka 8 octobre
Hiahia 5 novembre
Fisakamasai Rama4ân 1049 H, 3 décembre
Fisakave 26 déc.-24 janv. 31 décembre
Vulambita .... 28 janvier 1640
Annie da Londl
25 février Fusa
24 mars Maka .
21 avril Hiahia .
19 mai Fisakamasai .
16 juin Fisakave
14 juillet Vulambita Rama4ân 1050 H,
15 déc.-13 janv.
Année da Mardi
26 Janvier 1641 Fusa
23 février Maka .
23 mars Hiahia .
20 avril Fisakamasai .
18 mai Fisakave
15 juin Vulambita Ramadan ia51 H,
4 déc.-2 janv.
Année da Mereredi
28 décembre
25 Janvier 1642
22 février
22 mars
19 avril
17 mai
Fusa
Maka .
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Année da Jeadi
Asaramasai Rama4ân 1052 H, 29 novembre
23 nov.
22 déc.
Asarabe
Vatravatra.
Asutri.
Hatsiha
Vulasira .
Asaramasai
Asarabe RamarjAn 1053 H,
Vatravatra 13 nov.-12 déc.
Asutri
Hatsiha «...
Vulasira . • . •
27 décembre
24 Janvier 1643
21 février
21 mars
18 avril
Fusa
Maka .
Hiahia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Année da WendredI
31 octobre
28 novembre
26 décembre
23 Janvier 1644
20 février
19 mars
Fusa
Maka .
Hiahia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
11 août
8 septembre
6 octobre
3 novembre
1 décembre
29 décembre
13 juillet
10 août
7 septembre
5 octobre
2 novembre
30 novembre
14 juin
12 juillet
9 août
6 septembre
4 octobre
l«' novembre
16 mai
13 juin
11 juillet
8 août
5 septembre
3 octobre
16 avril
14 mai
11 juin
9 juillet
6 août
3 septembre
p. 98.]
R
£
[1908.
Année ém
Asaramasai
Asarabe RamajAn 1054 H,
Vatpavatra l«'nov.-30nov.
Asutri
Hatsiba . . • •
Yulasira . • • .
I«' octobre
29 octobre
26 novembre
24 décembre
21|tiivl
18 février
Aanie da
Fusa
Maka
Hiahia .
Pisakamasai
Pisakave
Vulambita
Asaramasai ... 2 septembre
Asarabe .... 80 septembre
Vatravatra. Rama4àn 1055 H, 28 octobre
Asutri 21 oct.-19 nov. 25 novembre
Hatsiha .... 23 décembre
Vulasira •
Fusa
Maka
Hiahia .
Pisakamasai
Pisakave
20 Itnvler 164« Vulambita
Asaramasai
Asarabe ....
Vatravatra.
Asutri Ramadan 1056 H,
Hatsiha 11 oct.-^ nov.
Vulasira ....
4 août
1*' septembre
29 septembre
27 octobre
24 novembre
22 décembre
Fusa
Maka
Hiahia .
Pisakamasai
Pisakave
Vulambita
Année en Mardi
Asaramasai . . . 6 juillet Fusa .
Asarabe .... 3 août Maka .
Vatravatra. ... 31 août Hiahia .
Asutri 28 septembre Pisakamasai
Hatsiha Ramadan 1057 H, 26 octobre Pisakave
Vulasira 30 8ept.-29 oct. 23|novembre Vulambita
Année dn Mercredi
Asaramasai
Asarabe ....
Vatravatra. ,
Asutri
Hatsiha Rama4àn 1058]H,
Vulasira 19 sept.-18 pet.
6 juin
4 juillet
1«' août
29 août
26 septembi*e
24 octobre
Fusa ,
Maka
Hiahia .
Pisakamasai
Pisakave
Vulambita
18 mars
15 avril
13 mai
10 juin
8 juillet
5 août
17 février
17 mars
14 avril
12 mai
9 juin
7 juillet
19 Janvier 1647
16 février
16 mars
13 avril
limai
8 juin
21 décembre
18 Janvier I64r
15 février
14 mars
11 "avrîl
9 mai
21 novembre
19 décembre
16 Janvier 1649^
13 février
13 mars
10 avril
Année dn Jendl
Asaramasai . ,
Asarabe ....
Vatravatra.
Asutri
Hatsiha Ramadan 1059 H,
Vulasira 8 8ept.-7 oct.
Asaramasai
Asarabe
Vatravatra.
Asutri.
Hatsiha
8 mai
SJjuin
3 juillet
31 juillet
28 août
25 septembre
Fusa
Maka
Hiahia .
Pisakamasai
Pisakave
Vulambita
Année da Vendredi
9 avril
7 mai
4 juin
2 juillet
30 juillet
Vulasira Ramadan 1060 H, 27 août
Fusa
Maka
Hiahia .
Pisakamasai.
Pisakave
Vulambita ,
28 août-26 sept.
23 octobre
20 novembre
18 décembre
15 Janvier 165(h
12 février
12 mars
24 septembre*
22 octobre
19 novembre
17 décembre
H Janvier 1651i
11 février
1908*] FBRRAND : LB CALENDRIER MALGACHE BT LB PANDRUANA. [P. 99*
itanie da Saneill
Asaramaaai
Asarabe
Vatravatra.
Asutri.
Hataiha •
Vulaaira •
Asaramasai
Aaarabe
Vatravatra,
Asutri.
Hatsiha .
Vulaaira .
Asaramasai
Asarabe •
Yatrayatra.
Asutri.
Hatsiha .
Vulaaira «
Asaramasai
Asarabe •
Vatrayatra.
Asutri.
Hatsiha .
Vuiasira •
Asaramasai
Asarabe .
Vatravatra
Asutri.
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Vuiasira •
Asaramasai
Asarabe .
Vatravatra
Asutri.
Hatsiha •
Vuiasira ..
Asaramasai
Asarabe •
Vatravatra
Asutri*
Hatsiha .
Vuiasira •
11 mars
8 avril
6 mai
3JUÜ1
1« Juillet
29 Juillet
Jkmmèe ém
10 février
9 mars
6 avril
4mai
!•' juin
29 Juin
Fusa
Maka
Hiahia
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Ramadan 1061 H,
18 août-16 sept.
Fusa
Maka
Hiahia
Fisakamasai .
Fisakave
Vulambita .
Rama4ÂD 1062 H.
6 août-4 sept.
iUnie ém EmaM
11|aiivi6r1653
8 février
8 mars
Saviii
3 mai
31 mai
Fusa
Maka Rama4ânl063 H,
Hiahia 26 Juiilet-24 août
Fisakamasai. . • .
Fisakave . . . • .
Vulambita ....
Ammèe en Mardi
13 décembre
10 ianviar 1654
7 février
7 mars
4 avril
2 mai
Fusa
Maka
Hiahia Raixia4&n 1064 H,
Fisakamasai 16 juill.>14 août
Fisakave . . . .
Vulambita ....
26 août
23 septembre
21 octobre
18 novembre
16 décembre
13 Janvier 1662
27 juillet
24 août
21 septembre
19 octobre
16 novembre
14 décembre
28 juin
26 juillet
23 août
20 septembre-
18 octobre
15 novembre
30 mai
27 juin
25 juillet
22 août
19 septembre
17 octobre
Aaaée da Mercredi
14 novembre Fusa i*r mai
12 décembre Maka . , . • . 29 mai
9 Janvier 1656 Hiahia 26 Juin
6 février Fisakamasai Rama4ân 1065 H, 24 Juillet
6 mars Fisakave 5juillet-3août 21 août
3 avril Vulambita • . » . ISseptembm
Aaaie da Jeadi
16 octobre
13 novembre
11 décembre
8 Janvier 1656
5 février
4 mars
Fusa .
Maka .
Hiahia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
l«f avril
. , . . 29 avril
27 mai
Ramadan 1066 H, 24 juin
23 juin-22 juillet 22 juillet
19 août
Aaaée da WeadredI
16 septembre Fusa . . • . , 3 mars
14 octobre Maka 31 mars
11 novembre Hiahia 28av]-il
9 décembre Fisakamasid. . . 26 mai
6 janvier 1657 Fisakave Ilama4ân 1067 H, 23 Juin
3 février Vulambita 13 juin-12 juiUet 21 juillet
p. 100.]
E
£
[1908.
Amiée da Swnedl
Asaramasai
Aflarabe
Vatravatra
Asutri.
Hatsiba
Yulasira .
Asaramasai
Asarabe »
Vatravatra
Asutri. ,
Hatsiha
Yulasira .
Asaramasai
Asarabe .
Vatravatra
Asutri.
Hatsiha
Vulasira .
18 août
15 septembre
13 octobre
10 novembre
8 décembre
6 lanvlor 1668
Fusa
Maka
Hiahia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Ramadan 1068 H,
2 juin-1« juillet
2 février
2 mars
30 mars
27 avril
25 mai
22 juin
Année ém Dlmaiiehe
20julll^
17 août
14 septembre
12 octobre
9 novembre
7 décembre
Fusa
Maka .
Hiahia .
Fisakamasai .
Fisakave
Vulambita
Aanée do Eioiidl
21 juin
19 Juillet
16 août
13 septembre
11 octobre
8 novembre
Fusa
Maka .
Hiahia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Anne du Mardi
Asaramasai Rama4àn 1070 H, 22 mai Fusa .
Asarabe llmai-Ojuin 19 juin Maka .
Vatravatra. . . • 17 juillet Hiahia .
Asutri 14 août Fisakamasai
Hatsiha .... 11 septembre Fisakave
Vulasira .... 9 octobre Vulambita
Année du Mereredl
Asaramasai Ramadan 1071 H, 23 avril Fusa
Asarabe 30 avril-29 mai 21 mai Maka .
Vatravatra. . . . 18 juin Hiahia .
Asutri 16 juillet Fisakamasai
Hatsiha .... 13 août Fisal<:ave
Vulasira .... 10septembi*o Vulambita
Année du Jeudi
Asaramasai . . . 25 mars Fusa
Asarabe Rama4ân 1072 H, 22 avril Maka .
Vatravatra 20 avril-19 mai 20 mai Hiahia .
Asutri 17 juin Fisakamasai
Hatsiha .... 15 juillet Fisakave
Vulasira .... 12 août Vulambita
Année dn Wendredi
Asaramasai ... 24 février Fusa
Asarabe .... 24 mars Maka .
Vatravatra Ramadan 1073 H, 21 avril Hiahia .
Asutri 9avril-8mai 19 mai Fisakamasai
Hatsiha .... 16 juin Fisakave
Vulasira . . . . 14 juillet Vulambita
4|aiivlerfe69
1«" février
l*''mai*8
, . . 29 mars
26 avril
Rama4ân M)69 H, 24 mai
23 mai-21 juin
6 décembre
3 Janvier 166a
31 janvier
28 février
27 mars
24 avril
6 novembre
4 décembre
1 ianvier 1661
29 janvier
26 février
26 mai*s
8 octobre
5 novembre
3 décembre
31 décembre
28 Ianvier 1662^
25 février
9 septembro
7 octobre
4 novembre
2 décembre
30 décembre
27 Janvier 1663:
11 août
8 septembre
6 octobre
3 novembre
1" décembre^
29 décembre
Id08«] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE PANDRUANA. [P, 101.
Asaramasai
Asarabe .... 23 février
Vatravatra Rama4ân 1074 H, 22 mars
Asutri 28 iiiar8^26 avril 19 avril
Hatsiba .... 17 mai
Vulatsira . . . . 14 juin
Jkmmie da HmaÊtM
26 laiivier f 664 Fusa
Asaramasai
Asarabe ....
Vatravatra
Asutrî Rama4ân 1075 H»
Hatsiba 18 mai-s-lG avril
Vulasira ....
Asaramasai
Asarabe ....
Vatravatra
Asuti-i
Hatsiba Ramadan 1076 H,
Vulasira 7 mars-5 aviil
Asaramasai
Asarabe ....
Vatravatra
Asutri
Hatsiba Rama4àD 1077 H,
Vulasii*a 25 f év. • 26 mars
Asaramasai
Asarabe .
Vatravatra.
Asutri.
Hatsiba
Valasira Rama#n 1078 H,
14 février-14 mars
Asaramasai
Asai*abe .
Vati-avatra.
Asutri.
Hatsiba
Vulasii*a .
Asaramasai
Asarabe
Vatravatra
Asutri
Hatsiba
Vulasira .
Maka
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
iijuiée dn Pfi«The
27 décembre
24|aiivtor1666
21 février
21 mars
18 avril
16 mai
Fusa
Maka
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Année dn Eiudi
28 novembre
26 décembre
23 Janvier 1666
20 février
20 mare
17 avril
Fusa
Maka .
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
JüBBie da Mardi
30 octobre
27 novembre
25 décembre
22ianvtor1667
19 février
19 mars
Fusa
Maka .
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambuta
Année dn Mereredi
1*' octobre
29 octobre
26 novembre
24 décembie
21 Janvier 1668
18 février
Fusa
Maka
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Année du Jeudi
1«' septembre
29 septembre
27 octobre
24 novembre
22 décembre
Fusa
Maka
Hiabia .
Fisakamasai
Fisakave
Ramadan 1079 H,
2 f évrier-3 mars
19 Janvier 1669 Vulambita
Année dn Wendredl
3 août
31 août
28 septembre
26 octobre
23 novembre
21 décembre
Fusa
Maka
Hiabia
Fisakamasai
Fisakave
Vulambita
Hama<}àn 1060 H,
23 ianvier-21 février
Année dn Suiedi
12 juillet
9 août
6 septembre
4 octobre
l«' novembre
29 novembre
13 juin
Il juiriet
8 août
5 septembre
3 octobre
31 octobre
15 mai
12 juin
10 juillet
7 août
4 septembre
2 octobre
16 avril
14 mai
11 juin
- 9 juillet
6 août
3 septembre
17 mars
14 avril
12 mai
9 juin
7 juillet
4 août
16 février
16 mars
13 avril
11 mai
8 juin
6 juillet
18 Janvier 1670
15 février
15 mars
12 avril
10 mai
7 juin
Asaramasai
5 juillet
p. 102.]
R
E • E
S
[1908.
Da S aoftt 1669 au 31 mai 1901, il s'est écoulé 36 cycles de 7 années de
886 jours chacnne. .En partant du 1* asaramasai de l'année du Tendredi =»
S août 1669, le 1*' asaramasai de chaque année du vendredi suivante correspond
aux dates grégoriennes ci-dessous :
11 janvier
1676
23 décembre
1733
8 décembre
1791
22 novembre
1849
18 juin
1682
l«^jum
1740
17 mai
1798
l"mai
1856
25 novembre
1688
9 novembre
1746
25 octobre
1804
9 octobre
1862
5mai
1695
18 avril
1753
4 avril
1811
18 mars
1869
13 octobre
1701
26 septembre
1759
11 septembre
1817
26 août
1875
22 mars
1706
5mars
1766
19 février
1824
2 février
1882
30 août
1714
. 12 août
1T72
29juUlet
1830
12juiUet
1888
6 février
1721
20 Janvier
1779
5 janvier
1837
20 décembre
1894
lôjuiUet
1727
29 juin
JkMM
1785
15 juin
WemärtM
1843
30 mai
1901
Du 30 mai
l 1901
au 30 avril 1902.
Awiée ém HmaêtM
Du 1*' mai 1902 au 1*' avril 1903.
Auée ém DÜMUMhe
Du 2 avril 1903 au 2 mars 1904.
Ammèe ém Ëjmméï
Du 3 mars 1904 au 1*^ février 1905.
Anaiée ém Mardi
Du 2 février 1905 au 3 janvier 1906.
Année ém Mercredi
Du 4 janvier 1906 au 5 décembre 1906.
Année ém JeadI
Du 6 décembre 1906 au 6 novembre 1907.
Année ém WendredI
Al
■née ém Sunedil
Asaramasai. . 7 novembre 1907
8 octobre
Asarabe
5 décembre
Asarabe
5 novembre
Vatravatra .
2|tiivler190e
Vatravatra .
3 décembre
Asutri .
30 janvier
Asutri . .
31 décembre
Hatsiha
27 février
Hatsiha
. . 28|aiivltr1909
Vulasira
26 mars
Vulasira
. . 25 février
Fusa .
23 avril
Fusa .
25mars
Maka .
21 mai
Maka .
22 avrU
Hiabia .
18 juin
Hiahîa .
20 mai
10 juillet
Fisakamasai
. . 17 juin
Fisakave
13 août
Fisakave
. . . 15 juillet
Vulambita
10 septembre
Vulambita
12 août-8 septemb«
Un texte Aûtaimuni', récemment publié par M. Ë.-F. Gautier, m^a permis
d^ utiliser les tables de concordance et d'en vérifier Texactitude.
Voici les indications chronologiques relevées dans ce document :
Année dn Dlnanehe.
P. 129 : mercredi Asaratan* du mois do Maka. lire : jeudi (!*' des 3 jours de)-
Asaratan du mois de Maka ^s 8 Maka.
1 Un manuscrit arcUnco-malgache sur les campagnes de La Case dans l^Imoro^ de 1659'
d i663 par E.-F. Gautier et H. Froidevaux, in Notices et extraits, t XXXIX, p. 31-177.
< Les noms malgaches dérivés des noms arabes des signes du zodiaque sont ici en dialecte
sud-oriental qui diffère sensiblement du Meriiui, le dialecte de la région dont Tananarive
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 103,
P. 129 : luQdi Alahaka ss lundi 5 (Hiahia). Pour ce jour et les quatre suivauts
le nom du mois n'est pas indiqué, mais il s'agit du mois qui vient après Maka,
c'est-à-dire de Hiahia.
P. 129 : mardi Alahaka. Lire : mardi Alahana. Le scribe a confondu les noms
des b^ et 6* mansions lunaires : Alahaka et Alahana. Mardi Alahana = 6 (Hiahia).
P. 130 : mercredi Aladira. Lire : mercredi Alazera ou Azera = mercredi 7
(Hiahia). Le scribe a mis par erreur au dessous du d arabe le point diacritique qui
doit se trouver au dessus de cette lettre, pour représenter le son (Z0, en arabico-
malgache jer.
P. 132 : samedi et dimanche =: 10 et 11 (Hiahia).
Année dn Liundl«
P. 132 : samedi Alidzadi de Hatsiha =: samedi (3* jour de) Alidzadi =: 24
Hatsiha.
P. 133 : Alidzadi = samedi 24 Hatsiha, Adaluvi' =« dimanche 25 et lundi 26,
Alubutsi = mardi 27 et mercredi 28 Hatsiha, Alahamali »jeudi 1*% vendredi 2
et samedi 3 Vulasira, Asoru* a= dimanche 4 et lundi 5 ; Alidzuna, erreur de gra-
phie pour Alidzuza = mardi 6 et mercredi 7, jeudi Asaratan »» 8 Vulasira.
P. 133 : mardi Alakosi de Vulasira = mardi 20 Vulasira.
P. 134 : lundi Adaluvi de Vulasira »» lundi 26 Vulasira.
Année eu Mardi.
P. 138 : vendredi Asaratan de Hatsiha = vendredi 9 Hatsiha.
P. 139 : Alidzaba = samedi 10 Hatsiha, Alahasadi' = dimanche 11 et lundi 12,
Asumbula »=: mardi 13 et mercredi 14, Alimiza^ »s jeudi 15, vendredi 16 et samedi
17, Alakarabu = dimanche 18 et lundi 19, Alakosi, s= mardi 20 et mercredi 21,
jeudi Alidzadi == jeudi 22 Hatsiha.
Année du Mereredi.
P. 147 : mardi Alahasadi. Lire : lundi Alahasadi = lundi 12, ou mardi Asum*
bula=s mardi 13.
Année dn Jendt.
P. 152 : mardi Alahaka. Lire : mardi Alahana = mardi 6. Même erreur de
graphie que ci-dessus, année du Dimanche.
Voici comment je suis arrivé à établir les équivalences précédentes. Le texte
dit, par exemple, p. 132, 1. 2 : au mois de Hatsiha de Tannée du lundij samedi^
destin de Alidzadi ; p. 133, 1.14:^ lakosi mardi du mois de Vulasira. Le mois de
Hatsiha précède immédiatement celui do Vulasira.
D'après le tableau des 28 mansions lunaires, Alidzadi a 3 jours ; Alakosi, 2.
La mention expresse que Alidzadi coïocide avec un samedi et Alakosi avec un
mardi, indique qu'il s'agit seulement d'un des trois jours d'Alidzadi, d'un des deux
est la ville principale. 11 y a lieu de faire remarquer que les noms malgaches en question
ue sont pas, dans le cas présent, en fonction de noms de mois, mais de noms de signes du
zodiaque auxquels sont attribuées tantôt deux, tantôt trois mansions lunaires. Enfin, les
mansions lunaires représentent chacune un des 28 jours du mois et tiennent lieu de quan-
tième.
^ Ou Adalu.
* Il est intéressant de constater que l'arabe ath-thaûr est devenu Asoru en dialecte sud-
oriental et Adauru, en Merina.
.^ En Merina Alahasaii.
* £n Merina Adimizana.
p. 104.] - R - E * E ' S * [1908.
jours d'Alakosi, et non d'une période do trois et de deux jours. Pour que le scribe
n'ait pas précisé dayantage, il faut que Texpression : Älakosi mardi du mois de
VuUuira soit une formule concrète, connue de tous et d'une précision parfaite. Elle
est, en effet, très claire : il faut lire, comme je Tai iudiqué : samedi Alidsadi de
Hatsiha ^^ samedi 2é Hatsiha ; mardi Älakosi de Vulasira — mardi 20 Vulasira.
L'étude du texte publié par Gautier m'a amené à conclure que Tannée du
dimanche commençait un jeudi et que chaque mois avait 28 jours ; par conséquent,
tous les mois de Tannée du dimanche et des années précédentes et suivantes com-
mencent également un jeudis Sur trente-sept dates relevées dans le texte précité,
trente-trois concordent exactement avec ces indications, deux dates inexactes sont
de simples erreurs de graphie {Alahaka pour Alahana ; p. 129 et 130, Alahaha
est la mansion lunaire indiquée pour deux jours différents ; cf. la même erreur p.
152) ; deux seules dates enfin, p. 129, diffèrent d'un jour. On peut donc consi-
dérer celles-ci comme des erreurs matérielles du rédacteur : trente-trois et même
trente-cinq dates concordantes sur trente-sept suffisent, il me semble, pour établir
l'exactitude des tables de concordance. La preuve est du reste, facile à faire : si les
mois avaient plus de 28 jours et commençaient par un autre jour que le jeudi, toute
concordance des dates malgaches entre elles disparaîtrait. Gautier admet, au con-
traire, que les Antaimuru du XVII* siècle avaient un calendrier identique à celui
des Merina du XIX% c'est-à-dire l'année de 354 jours répartie en 12 mois ayant
respectivement le nombre de jours suivants : 30 + 29 + 29 + 30 -|- 29 -|- 29 +
30 + 29 -|- 29 -j- 30 + 29 + 31 = 354 jours. L'erreur est manifeste. Si, par
exemple, samedi Alidzadi de Tannée du lundi = 24 Hatsiha, le 29, dernier jour du
même mois, sera un jeudi et le premier de Vulasira, le mois suivant, un vendredi.
Asaratan et Alakosi correspondent à une date immuable qui ne peut être que le 8,
9 ou 10 et le 20 ou 21. Le 1*' Vulasira étant un vendredi, le 8 sera également un
vendredi, le 9 un samedi et le 10 un dimanche : le texte dit p, \Zi^ jeudi ; le 20 et
le 21 de Vulasira seront un mercredi et un jeudi : le texte dit p. 133, mardi. Si
Hatsiha avait 30 jours au lieu de 29, l'écart augmenterait de 24 heures. Pour que
les indications du texte concordent avec le jour correspondant à la mansion lunaire
qui indique le quantième, il faut, je le répète, que tous les mois commencent un
jeudi et n'aient que 28 jours de durée. A l'appui de cette restitution, Flacourt
1 Dans ses Notes sur Vécriture Antaimoro (Alger, 1902, in-8», t. XXV des PuMicatloDS
de l'Ecole des Lettres d'Alger), Gautier a publié un texte extrait du môme manuscrit
arabico-malgache qui contient les quatre indications chronologiques suivantes : p. 48$
samedi au commencement d* Alakosi ; p. 51, vendredi Adaiuvi ; p. 56, lundi Adabaran ; p. 63,
vendredi Alahasadi. Les deux premières dates et la quatrième doivent se lire : samedi 20,
vendredi 26 et vendredi 12 ; les noms de mois ne sont pas indiqués, mais d*api<ès le contexte
(p. 67) l'année en question est une année du mercredi. Les trois dates ci-dessus impliquent
un lundi comme premier jour du mois et non un jeudi. Ceci tendrait à démontrer que
toutes les tribus du Sud-Est n*avaient pas un calendrier unique et que certains groupe-
ments commençaient le mois un lundi, d'autres un jeudi les Antanosi (vide supra) un samedi.
La troisième date est à rectifier soit en jeudi Adabaran = jeudi 4, soit en lundi Anasara «
lundi 8 Quoi qu'il en soit, le principe du calendrier sud-oriental : Tannée de 336 jours divisée
en 12 mois d*égale durée, n*est en rien atteint par cette divergence. Que le mois commence
un samedi, un jeudi ou un lundi, il faut de toute façon qu'il n'ait que 28 joura. Pour le cas
présent, trois dates sur quatre confirment la théorie nouvelle. Il y a lieu d'ajouter que le
texte publié dans les Notes sur VéctHture Antaimoro a trait à une gueri*e entre deux
cliefs indigènes ; il forme un tout par lui-même et n'a aucun rapport avec les campagne»
de La Case.
1908«] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 105.
fournit un argument décisif. « Le jeusne (du Ramadâo, dit-il p. 67, n'a point de
mois réglé, et se fait tantost en un mois tantost en un autre, suivant la Constitution
et la qualité de l'année, ce qu'ils (les indigènes) observent par les cours de la Lune
et des estoilles ». Si Tannée des Malgaches sud-orientaux avait eu 354 jours au
XVIP siècle, elle aurait été égale en durée à l'année musulmane : le jeûne annuel
aurait donc toujours eu lieu pendant le même mois, comme le Ramadan islamique.
Mais il est, au contraire, « tantost en un mois tantost en un autre ». C'est qu'il n'y
a pas concordance entre l'ère musulmane et l'ère malgache, par conséquent l'année
malgache sud-orientale n'a pas 354 jours.
p. 106.] • R • E • E • S • [1908.
ANALYSES.
Rbinhold, FREmxRB YON LiCHTBNBBsa. Beiträge ssur ältesten Geschichte von
Kypros. — In-8^, 79 pages et 9 planches. Berlin, Peiser, 1906.
Les plus anciens documents écrits qui nous soient parvenus sur Chypre sont
les passages des Annales de Thoutmes III (1515-1461) où, après les grandes victoires
du roi en Syrie, on voit le prince d'Asiy ou Asebi lui envoyer des lingots de cuivre
et de plomb, des essences et des bois, des bœufs et des esclaves, des dents d^éléphant
et de la pierre bleue qui est sans doute ce lapis lazuli artificiel que les Grecs
nommèrent kyanos. Bien que, dans le butin de Mageddo, figurent des chars dorés
et argentés d^ Asebi, M. de L. cherche à établir quUl n'y a eu ni conquête, ni même
suzeraineté égyptienne en Chypre ; le monarque chypriote, comme plus tard le
souverain Lagide ou l'empereur romain, est propriétaire des mines de cuivre et en
envoie le produit en Egypte, demandant, en retour, des barres d'or ou d'ai^gent.
Un siècle plus tard, les tablettes d'el-Amarna montrent encore les rois d'Alasia
expédiant à leur frère le Pharaon de 5 à 500 talents de cuivre et leurs ministres
ajoutant « à titre de cadeau 5 talents de bronze, 3 de cuivre, 1 dent d^éléphant »
pour leurs collègues d'Egypte. Ici encore il n'y aurait pas tribut puisqu'on voit un
prince chypriote expliquer à Aménophis III (1427-1392) dans des termes qui ne
paraissent guère à M. de L. convenir à un vassal, que, loin de prendre part aux
razzias des Sukki en terre égyptienne, ses sujets voient chaque année sa ville de
Sihru pillée par ces corsaires, et qu'il sait réclamer énergiquement la restitution
des biens d'un négociant chypriote décédé en Egypte.
Après avoir précisé ainsi, dans cette première partie de son travail, les données
égyptiennes déjà mises en œuvre par W. Max MtlUer sur Asiy-Alasia, M. de L.
cherche à trouver, dans les découvertes archéologiques, un fondement solide pour
l'hypothèse esquissée par Ohnefalsch-Richter : la civilisation primitive de Chypre
devrait être étroitement rapprochée de celle de Troie et toutes deux ne seraient que
des manifestations particulièrement brillantes de la grande civilisation néolithique
de la Hongrie descendue en Asie-Mineure avec les Thraco-Phrygiens. Après s'être
développée à Chypre pendant un millier d'années dans un état puissant et unifié,
cette civilisation aurait cédé peu à peu, à partir du XIV« siècle, devant les attaques
des Achéens en qui M. de L. voit, avec Reisch et Doerpfeld notamment, les porteurs
de la civilisation proprement mycénienne. Dès 1200, ces envahisseurs ont morcelé
l'île entre les cités que Ramsès UI énumère à Medinet-Habu au nombre de celles
des peuples de la mer qu'il prétend avoir obligé à se soumettre : Ithal (Idalion),
Salomaski (Salamine), Kathium (Kition), Sali (Soli), Maquas (Akamas), Kerena
(Kerynia), etc. ; vers 1100, à la place des rois commerçants d'Alasia qui correspon-
daient avec les Pharaons, le prêtre d'Ammon et les Phéniciens qui l'accompagnent,
jetés par une tempête sur les côtes de Chypre, trouvent un peuple hostile qui ne
les comprend que par voie d'interprète.
S'il parait avéré que Chypre a été conquise, au temps des Ramessides, par une
population nouvelle, M. de L. n'a pu établir de façon aussi certaine que la population
antérieure était d'origine thraco- phrygienne et non égéenne, au sens où l'on emploie
ce terme pour désigner la population de la Crète dans la r* moitié du II"»* millénaire*
1908.] ANALYSES. [p. J 07.
Les arguments archéologiques sur lesquels M. de L. se foode sont loin d'être
décisifs : s'il est vrai qu'on ne trouve qu'en Hongrie, à Troie et en Chypre certains
vases en forme de couronne ou en forme de marmite et d'autres pots dont la panse
ronde est surmontée par deux goulots parallèles ou qui, en outre d'un col renversé
vers l'anse, ont, au milieu de la panse, un bec par où l'eau, introduite par le col,
pouvait être versée goutte à goutte, le hasard des fouilles peut mettre au jour une
céramique semblable en Grèce ou en Crète. Quant à ces poignards de cuivre en
forme de feuille de laurier dont la nervure centrale se prolonge en une longue tige
destinée à s'enfoncer dans la matière même du manche et qui ont toujours semblé
caractéristiques de la civilisation chypriote, s'il est vrai que Hissarlik et la Hongrie
en ont livré de semblables, il est facile de se convaincre que, d'une part, à Chypre
même, ce poignard est issu du poignard triangulaire primitif par allongement
progressif de sa languette supérieure et que, d'autre part, en Hongrie, comme en
Italie ou en Ibérie, en Gaule ou en Suisse, en Egypte ou en Phénicie. les poignards
de type chypriote sont des produits d'imitation, sinon d'importation^ En tout cas,
si l'on tient à leur trouver un centre de diffusion continental, convient-il de réserver
son opinion jusqu'à ce que nous soyions mieux renseignés sur la civilisation du
centre et du nord de l'Asie Mineure au temps de l'empire hittite'. Non seulement la
poterie qu'on y rencontre rappelle-t-elle étroitement la céramique nupénienne,
mais un aussi bon connaisseur des choses de Chypre' que M. I. L. Myres a pu
proposer récemment de chercher autour des mines des Chalybes le centre de
dispersion de ce javelot métallique, la sigynna ohsidéros^ qui aurait donné son
nom aux Sigynnes qu^'Hérodote connaît en Hongrie tandis qu'Aristote cite encore
ce nom de sigynne comme désignant une arme particulière à Chypre.
Sans aborder cette question tant débattue des rapports entre les Ehêtas et les
Kefti des documents égyptiens, M. de L. pense que ce dernier nom, qu'on a cherché
successivement à localiser en Cilicie ou en Phénicie, en Chypre ou en Crète, ne se
rapporte pas à tel ou tel pays particulier : les Kefti ou Keftiou désigneraient, pour
les Egyptiens, l'ensemble des populations maritimes des côtes syriennes et des îles
du large avant l'apparition des Pouloushati, Shardana, Aquaionscha et autres
envahisseurs du Nord. Ce serait un demi-siècle à peine avant leur invasion (v. 1450)
que les fameuses peintures des tombes thébaines de Bekhmara et de Senmut, le
ministre et l'architecte de Thoutmès III et d'Amenhotep II, nous montreraient,
sons le nom de Kefti, le défilé des diverses populations comprises sous ce nom. En
conformité avec la théorie indiquée plus haut, M. de L. veut voir en ces Kefti,
non des tributaires venant prêter hommage, mais des alliés venant échanger les
produits de leur industrie et l'on peut remarquer, à l'appui de cette thèse, que
certains de ces Kefti, à la différence des Nègres du Koush ou des Sémites du
Lotanou, ont le carquois à gauche et le poignard mycénien sur Tépaule droite,
attitude qui ne conviendrait guère à des sujets ou des feudataires. Parmi ces Kefd,
M. de L. vou^lrait reconnaître commo des gens de Chypre ceux qui portent les
dents d'éléphant achetées en Syrie et les barres jaunâtres et verdâtres qui provien-
draient des mines du mont Troodos. Il aurait pu les rapprocher du saumon de cuivre
trouvé à Enkomi, la première Salamine de Chypre, marqué du si chypriote ce qui
l'a fait considérer dès 1900 par M. Evans comme ayant une valeur monétaire.
' (X, mon article pt^to dans le Dictionnaire des Antiquités^ t. IV, p. 762.
« £. Pottier, Bull de Corr, Bell. 1907, p. 129.
^ Anihropoiogical Essays presented to E. B. Tylor^ 1907, p. 265.
P, 108.] • R • E • E • S • [1908.
Depuis on en a rapproché les saomons semblables provenant da Hagia Triada en
Crète, Mycènes, Chalcis en Eubée et Serra Ilixi en Sardaigne' ; lenr poids moyen,
variant de 27 à 37 kg., serait celui du shekel babylonien léger en usage alors en
Egypte et telle tablette de Knossos représentant 60 lingots de ce genre suivis par
un dessin en forme de balance répété 52 fois et une fois à moite exprimerait, selon
M. Evans, ce fait que 60 lingots sont égaux à 52 1/2 talents ; ce serait aussi une
monnaie divisionnaire que ces fragments d*or ou d'argent arrondis ou allongés et
marqués parfois de signes dont on a retrouvé des spécimens tant à Enkomi qu'à
Knossos et que M. Evans compare aux plus anciennes statères lydiennes ou phocéen-
nes. Enfin ces tètes de taureau en bronze remplies de plomb découvertes à Knos*
SOS figureraient à titre de poids sur les inventaires de ce palais comme entre les
mains de certains Kefti du tombeau de Rekhmara*.
Ainsi, pour ce qui touche aux poids et monnaies, comme pour le reste de sa
civilisation, Alasîa, loin de se tenir à part du monde égéea pour se rapprocher de
Troie et de la Hongrie, parait apartenir à la même civilisation qui a dominé, au
début du II"*® millénaire, dans les îles et sur les côtes grecques et qui a pénétré en
Syrie et en Egypte.
Les arguments d'ordre linguistique que M. de L. reprend, après Dîîmmler, ne
sont guère plus probants : sans doute on nous parle de Teukroi à Salamine de
Chypre et de Teukroi qu'un roi de Salamine, Teukros, aurait amenés en Troade ;
les Gerginoi descendraient des premiers, les Gergithes des seconds. Mais M. Hall',
après Pétrie et Maspéro, n'a-t-il pas montré qu'il fallait reconnaître dans ceux-ci
les Gergésiens de la Bible et les Girgashi qui s'allient avec les Khètas contre
Ramsès II, dans ceux-là les Tchakaray, qui attaquent l'Egypte sous Bamsès III
avec les Thuirsha et les Shardana. Si même l'on n'admet pas ces identifications,
M. de L. n'a-t-il pas reconnu dans cette fondation de Salamine, attribuée à l'épo-
nyme des Teukroi, — dont les Teukrides, rois-prêtres d'Olba, conservent le nom sur
la côte cilicienne opposée — l'un des faits qui marquent la conquête d'Alasia par les
peuples de la mer, occupants du second palais remanié de Knossos ? Bien qu'il les
considère comme les destructeurs de la civilisation thraco-phrygienne de l'île, il
admet que son nom primitif d'Alasia n'a pas seulement survécu dans le vocable
d'Alasiôtas porté par un Apollon de Chypre, mais il voudrait que le souvenir de
son téménos ait subsisté dans la localité Cretoise d'Alassos ou d'Alassa. Cette
terminaison en aeroç, comme le suffixe vGoç qui devait exister dans la forme première
du nom des Gergithes, est pourtant l'une de celles dont Fiek^ a essayé d'établir le
1 A. .). Evans, Journal of the Anthrop Inst, 1900, p. 215 ; Pigorini, Bollet, di Paletnologia
Ital , 1904, p. 91 ; A. J. Reinach, Revtce d. Etudes Grecques, 1905, p. 83 ; R. Dussaud, 12. de
VEc, d' Anthrop,, 1907, p. 186.
* A. J. ICvans, Corolla Numismatica, 1906, p. 336. M. R, Dussaud, loc. cit. p. 189 a fait
justice de la théorie de Ussauer selon laquelle les bipennes en cuivre perforées des tombes
préhistoriques d'Allemagne, de Suisse ou de France seraient des lingots envoyés de Chypre
en lots enrtlés ; ce sont des haches votives comme on en a trouvé dans la caverne du Diktè
et sur une amphore de Curium. \
3 H. R. Hall, Oldest civilisation in Greece, 1901, p. 151.
^ Cf. A. Fick, Nordgriechische Ortsnamen^ 1905, p. 153. Cf. 0. Hoffmann, Orientalische
Litteratur-Zeitung 1907. p. 45. Des noms comme Assos, Amamassos, Limassos, Apaises
ou comme Sinda, Lapathos, Tembros, Tréméthous sont probablement d'origine asianique, -
comme Hylai est Magnète, Asinô Dry ope, Gérénia Messénien, Bassai Arcadien etc. Sur la
toponomastique chypriote, Tune des plus curieuses qui soient par la superposition des
conquêtes franques, vénitiennes et turques sur les vieux fonds helléniques et préhellé»
1908.] ^ ANALYSES. [P* 109»
■■■'■ ■■ '■ - ■■— '■'■" ..I........ .II» Ill ■ I I ii.iii»
-caractère hittite et qui se retrouvent en si grand nombre dans le sud de l'Asie-
Mineure. On ne saurait donc tirer parti des Teukriens, des Gergithiens ou d'Alassos
pour montrer Torigine thraco-phrygienne de la première population de Chypre,
alors que les uns et les autres n'apparaisBent pas avant le XIV* siècle sur les côtes
4isiatiques et dans la mer Egée. — Sans prétendre tirer aucune conclusion de cet
examen critique de la thèse soutenue par M. de L. , il faut reconnaître que les
•pièces versées par lui au débat ne permettent guère de conclure en faveur de
Torigine thraco-phrygienne — et, partant, aryenne — de la civilisation cypriote.
Â. J. Beinaoh.
Rens Dussaüd. Vile de Chypre partieulièrement aux âges du Cfiivre et du broHMe*
In 8«, 65 p. et 42 figures. (Extrait de la Bévue de VEeole ^Anthropologie^
mai-juillet 1907, tirage à part en dépôt à la librairie Qeuthner).
Au contraire de M. de L., M. Dussaud est un partisan convaincu de Thypo-
thèse égéenne^ hypothèse qui suppose une race qu'on ne va pas toujours jusqu^à
-considérer comme libyenne, mais qu^on tient en tout cas pour antérieure à Tarrivée,
<sar les rives de la mer Egée, des populations indo-européennes et sémitiques. Cette
position, que M. D. a prise si nettement, est d'autant plus importante que, spécia-
liste des choses de Syrie et de Phénicie, il devait être tenté de reconnaître dans
les peuples de ces régions ces intermédiaires qu'on a si longtemps voulu voir en
•eux entre les civilisations du Nil et de la Mésopotamie et celle du futur monde
{[rec. Mais, rejetant dès 1905 cette hypothèse dont les fouilles de Crète ont achevé
4e montrer l'impossibilité, M. D. écrivait^ : • Quand on ne connaissait en fait
<l'antiquités Cretoises que les boucliers votifs de la grotte de l'Ida, on pouvait sup-
poser une forte action de la Phénicie sur le développdment de la civilisation mycé-
üienne. Les découvertes postérieures ont montré que c'est une erreur. Après
MM. Milchhoefer et S. Reinach, M. Evans a rejeté l'influence phénicienne et l'on
peut dire que cette discussion, dans laquelle on a dépensé de part et d'autre tant
4e science et de talent, est définitivement close ». Une fois admis le principe de
Tinfluence exercée en Syrie par les Egéens, il s'agit de vérifier cette thèse par son
application aux grands faits archéologiques : M. D. n'a pas tardé à montrer que les
alphabets sud-sémitiques, le sabéen notamment, se rapprochaient bien plutôt du
^ec archaïque que du phénicien et que c'est de Gaza, la capitale de ces Philistins
qui sont venus de Crète, que l'alphabet égéen a dû se répandre dans la Syrie méri-
dionale* ; c'est peut-être aussi par Gaza, au temps où les Pulushaii y apportèrent,
avec son premier nom de Minoa, le culte de 2^us Krétagénès, que s'est répandue
•cette céramique mycénienne que les fouilles ont rencontrée dans la 3"* ville de
Tell-el-Hesi qui se place vers 1450-1350 avant notre ère ; de là aussi ces petits
bronzes qui représentent un personnage coiffe d'un haut bonnet, un pagne autour
des reins, un bouclier au bras gauche et brandissant une arme de la main droite
dont M. D. a catalogué quinze exemplaires : 1 à Mycènes, 1 à Tirynthe, 1 en Thes-
niques. on trouvera beaucoup de renseignements, malheureusement mal ordonnés, dans le
ToTcwvupiixov ttJc KiSnpov de S. Ménardos (Athènes, 1907) qu'on peut compléter déjà pour ce
qui touche aux noms de lieux en saint ~ il y a plus de 60 Hagios-Oiorgios — par le travail
du P. H. Delehaye, Analecta Bollandiana, 1907, p. 267.
1 Qu^estions Mycéniennes^ dans la Revue de V Histoire des Religions^ 1905, T. LI, p. 52.
< Cf. Dussaud, Journal Asiatique^ 1904, 1, p. 357 et Les Arabes en Syrie avant Vlslam^
<1907) p. 85.
p. 110.] • R • E • E • s • [*®°^
salie, 1 en Crète, 3 en Phénicie, 8 en Chypre, qui semble être leur centre de diffu-
sion. Ce rôle joué par Chypre dans la transmission à TOrient cananéen des produits
du monde égéen a amené M. D. à étudier particulièrement la grande île dans c&
cours d'archéologie orientale et préhellénique qu'il fait depuis 1902 à TEcole d'An-
thropologie. Bien qu'elle ne soit guère plus longue que l'opuscule de M. de L., la
brochure où M. D. a résumé les cinq conférences qu'il a consacrées en 1907 à
l'étude de la civilisation mycénienne en Chypre nous apporte des résultats autrement
probants : par une étude précise de l'art primitif de Chypre, il met en évidence la
prédominance artistique que la grande île exerce sur la Phénicie et la Philistie
durant tout le 2°°* millénaire. C'est aux mines de cuivre du Mont Troodos que se
développe ce type de poignard en feuille de saule à tige très allongée dont on con-
naît des spécimens en Phénicie ; c'est là aussi que se perfectionne cette poterie
géométrique qui importe en Palestine ses vases à engobe blanc où se détachent les
ligues droites ou sinueuses d'un décor noirâtre jusque là inconnu en Syrie ; c'est
de Chypre enfin que vient cette déesse nue qu'on a considérée comme une Ishtar-
Astarté jusqu'à ce que S. Reinach eût démontré que l'art oriental a toujours repré-
senté vêtue sa déesse de la fécondité et que seul l'art égéen l'a représentée dans^
sa nudité. Tout en admettant les résultats essentiels de ce travail paru en 1895,
M. D. a pu observer que les fouilles de Crète avaient montré depuis la Déesse aux
serpents ou à la colombe de la Crète minoenne, non pas nue, mais habillée de la
jupe à volants et du corsage collant s'arrêtant sous les seins saillants qui suffisent
à marquer la fécondité de la déesse. Aussi peut-on se demander si l'art égéen a
vraiment connu la déesse nue. A Chypre, en tous cas, on la trouve d'abord sous
forme d'un rectangle allongé figurant le corps au dessus duquel un rectangle plus |
petit figure la tète ; des lignes incisées marquent les traits du visage, les plis de la j
robe sous les seins et à la ceinture, les bras descendant vers la taille ; ensuite le
nez et les oreilles se détachent en relief, deux trous profonds marquent les yeux,
deux rondeurs proéminentes les seins sous lesquels se rejoignent des mains grossiè-
rement modelées ; mais toujours des incisions figurent la robe au dessus de la taille.
Au dessous, le corps finit en cette gaîne informe qui survivra dans l'Hermès clas-
sique ; comme le phallos au dessus de la gaine de l'Hermès, le kteis marque le sexe
sous la taille de l'idole plate, mais qui n'en est pas moins habillée comme en
témoignent les lignes incisées. Enfin, par un dernier progrès de cet art grossier, en
même temps que les oreilles ressortent en saillies énormes que percent des anneaux,,
et que, sous l'arcade sourcilière, deux ronds coocentriques figurent un œil déme-
suré, la gaîne inférieure, gardant sous la taille sa largeur primitive, descend, en
s'amincissant de part et d'autre, de ces flancs robustes vers des chevilles étroites,,
tandis qu'une incision médiane sépare les deux jambes allongées l'une contre
l'autre. Comment représenter, sur cette figurine désormais modelée en ronde bosse,
l'ample et rigide robe de la déesse ? Comment, si on voulait le figurer, ne pas voiler
par là le sexe de l'idole ? Pris entre la nécessité religieuse de marquer le sexe et
l'impossibilité matérielle de le recouvrir en même temps des vêtements hiératiques,
« on aboutit à cet étrange compromis de figurer le sexe par les mêmes traits incisés
qui dessinent les plis du vêtement » puis, de ces « idoles au caleçon » — car ces-
lignes triangulaires qui marquent la taille, loin do vouloir faire ressortir le sexe,
prétendent le cacher — par la négligence de l'artiste qui oublie peu à peu
rimportance religieuse de ces lignes, se dégage la déesse qui paraît nue parce
'qu'aucune incision n'interrompt plus le modelé de son corps. Cette transformation^
paraît achevée au XI' s., époque où commence le grand essor de la Phénicie, profi-
1908.] ANALYSES. [P. 111.
tant da désordre où Tinvasion dorienne rejette le monde grec. Colonisée bientôt
par Sidon, Chypre, avec le décor géométrique de sa poterie inspirée de celle du
Dipylon et la palmetto peut-être assyrienne de ses patères, donnait sa déesse nue
ÜUX Phéniciens comme article de leur commerce de pacotille. C'est ainsi que celle-
ci a pu passer pour représenter leur Ishtar, comme les boucliers de Tlda ou les
-coupes de Caere ont été considérés comme de fabrication phénicienne ; on recon-
naît seulement aujourd'hui que, élaborées en Chypre par la combinaison d'éléments
orientaux avec les traditions égéennes, ces œuvres d'art ne sont phéniciennes que
d'exportation et que « l'art industriel phénicien, si brillant soit-il, n'est que le pro-
longement en terre asiatique de l'industrie cypriote », art d'exportation qui, à la
&çon de l'alphabet phénicien, n'est qu'une lointaine filiale du monde égéen.
A. J. Rbinach.
£. Pechubl-Loebchb. Volkskunde von Loango (2* fasc. du T. III de Die Loango"
Expedition). — 4*^, 482 pages. Stuttgart, Strecker und Schröder, 1907, 24 Mks.
On attendait avec quelque impatience l'apparition de ce volume : la Loango-
Expedition, envoyée par la Société Allemande pour l'Exploration de T Afrique
Equatoriale, et qui comprenait Bastian, Güssfeldt, Falkenstein et Pechuël-Loesche,
remonte à 1873-1876. En outre il a paru ces dernières années plusieurs travaux sur les
populations entre TOgowé et le Congo, les plus importants étant ceux de £. Dennett
{Seven years among the Fjort ; Notes on the Folk-lore of the Fjort et surtout At the
Back of the Black Mah*s Mind, Londres, Macmillan, 1906). Déjà le livre de
Bastian (Die Deutsche Expedition an der Loango-Küste^ léna 1875, 2 vol.) avait
posé quelques problèmes importants, bien qu'il contînt moins des observations
.personnelles qu'une utile mise au point des travaux antérieurs (de Degrandpré,
Proyart, Barbot et Casseneuve, etc.) Mais l'intérêt pour les populations du Loango
et des régions voisines a surtout été éveillé par les observations et les théories de
Dennett' dont la valeur a besoin d'un contrôle qu'on espérait obtenir par la publi-
cation des recherches des Allemands.
En fait, on n'a rien perdu pour attendre, M. Pechuël-Loesche étant, depuis
1876, allé une deuxième fois au Loango, ayant parcouru diverses colonies allemandes
d'Afrique et s'étant assuré le concours de plusieurs missionnaires et colons. Son
volume a gagné ainsi en exactitude et l'on y trouvera une exposition détaillée du
droit et de la religion des Bafiote (Fjort) dont les Bavili de Dennett sont une
fraction, celle qui vit dans la région côtière, et qui par suite doit, suivant la remar-
que de Pechuël-Loesche, être regardée comme davantage contaminée par la pro-
pagande plus de quatre fois séculaire des missionnaires. Dennett a eu pour
informateur principal leur chef actuel (on ne saurait lui donner aujourd'hui son
ancien titre du roi-dieu), le Ma-Luango : diaprés lui, il y aurait un système de
correspondances entre les fonctions du roi, les départements administratifs, les
lieux sacrés, les animaux et les végétaux sacrés, les phénomènes naturels. On ne
trouve rien de tel dans la monographie allemande, mais seulement des enumerations
et des descriptions détaillées de coutumes, de rites, de croyances, « de fétiches »
plus ou moins spécialisés, de lieux, d'animaux et de végétaux sacrés, avec une
;. 1 On trouvera des comptes-rendus critiques de ces théories dans la Revue des Idées ^ 1907
jpp. 59-68, V Année Sociologique^ T. IX, pp. 305-311 et la Revue de V Histoire des Religions^
T. LVI,d90if) pp. 219-225.
p. 112.] • R • E • E • S • [*J??^
discussion sar quelques restes de totémisme (p. 466-7). De même, les institution»
juridiques y sont décrites aTec assez de minutie, mais leur lien intime n'est pas
déterminé. Il semble que c'est faute d'avoir saisi la dépendance de Pethnographie
vis-à-vis de la sociologie, que Pechufil-Loesche n'a pas fait de recherches précisé*
ment sur le problème posé par Dennett. A priori, dans toute société, le lien de
correspondance entre les éléments constitutifs existe ; dans la nôtre, malgré la plus>
grande multiplicité des nuances do détail, on le découvre asses aisément. Les
sociétés chinoise, tibétaine, etc. fournissent une matière d'observation encore plus>
commode.
Que d'ailleurs M. Dennett ne puisse être entièrement dans le faux, c'est ce que
montre non seulement l'existence d^ systèmes de même type que le sien chez les
Australiens et les Amérindiens^ mais encore que Pechuêl-Loesche a découvert
chez les Bafiote un système d'ordre géocentrique : la terre est regardée comme la
Mère de toutes choses, le roi comme unique possesseur de la terre ; les individus et
les groupes sont catégorisés d'après leur dépendance vis-à-vis de la terre ; les
serments se font « par la terre «, etc. (cf. pp. 194 sqq ; 212, 223, 277, 285, etc.).
Pechuël-Loesche n'est pas éloigné de regarder ce système comme la base fondamen-
tale de l'organisation sociale des Bafiote.
Mais si l'on se reporte au livre de Dennett, on constate que le système géo*
centrique n'est chez les Bavili qu'une fraction d'un tout plus vaste : la fraction
du Léopard*, qui associée à la fraction du Crabe (la Mer) constitue la section II
(Nkala-ngo) du système total (Dennett, p. 102) ; sous l'idée de Terre se subsume-
raient les solides, la justice, l'intelligence, les herbes, le cœur, la maternité
(ib. p. 109) puis le groupe des lieux sacrés appelé Tchibwinji, un groupe de rivières,
d'arbres, de présages, etc.
Il semble donc qu'un système complet existe aussi chez les Bafiote de l'inté»
rieur, système auquel Pechuêl-Loesche s'est heurté et dont il n'a vu qu'une frac-
tion, assez systématisée déjà pour attirer son attention et provoquer son étonne-
ment, tout comme il s'est heurté à un autre système de classification, le totémisme^
qu'il a mal compris aussi parce qu'il n'en a étudié que les formes extérieures. Il
est difficile de déterminer, actuellement, si la classification totémiste concorde ou
non chez les Bantous avec un système plus général, dont des traces se rencontrent
d'autre part dans la langue (classes dites nominales).
Le fait le plus remarquable de discordance entre les deux auteurs, c'est que
Dennett a constaté, sur la foi du Ma-Luango, une hiérarchie des attributions (aux
six titres du roi correspondent six administrations qui se partagent le gouvernement
de toutes les choses sociales tant juridiques et économiques que politiques), hiérar-
chie qui se rencontre aussi chez les Bini du Niger (cf. Dennett, tableau pp. 240-241),.
alors que Pechuël-Loesche ne donne dans ses chapitres I et II qu'une répartition
de ces attributions non strictement codifiée. C'est ainsi qu'il parle longuement, et
à plusieurs reprises, des Messagers-du-roi, les Mafuka^ qui sont les courtisans n* 6
de Dennett ; mais il ne montre pas la place exacte des 1 1 autres, qu'il énumère
un peu au petit bonheur.
1 Cf. E. Durkheim et M. Mauss, De çpieîques systèmes primitifs de classification. Année-
Sociologique, T. VI (1903).
< Pechuêl-Loesche a d'ailleurs fort bien vu le caractère spécial du léopard et il donne de»
oérémooies de purification auxquelles est soumis Tindividu qui en a tué un, une descriptioa
minutieuse de grande portée théodque.
1908.] ANALYSES. [P. 11 3»
Pechuêl-Loesche semble avoir encore rencontré une autre catégorie, celle du
feu : du moins sa description des rites et son analyse de leur rapport avec d'autres
phénomènes, tant naturels que sociaux (cf. p. 172 sqq.) rapprochée des descriptions
et des interprétations de Dennett donne assez cette impression qu'on a affaire ici à
on fragment de système. La catégorie du feu comprendrait d'après Dennett :
Tamour, l'union, le mariage, la lumière, la chaleur et le froid, la matrice, l'odeur ;
or PechuëULoesche note la relation entre les rites du feu et les actes sexuels dans
leur sens soit physique, soit social. Sans doute, l'idée d'assimiler la production du
feu par friction simple ou avec l'ignitérébrateur à l'acte sexuel peut s'expliquer
directement par l'analogie des gestes, et ceci d'autant mieux que cette assimilation
est à peu près universelle. Mais les analogies ainsi formulées par diverses popula-
tions appartiennent au processus psychique qui conditionne la formation de tout
système de classification.
C'est entre autres par les détails sur la vie sexuelle des Bafiote que le volume
allemand se distingue du volume anglais, auquel il apporte ainsi d'utiles et impor-
tants compléments ; p. 467 on trouvera une bonne discussion sur la distinction que
tracent les Bafiote, comme tant d'autres demi-civilisés, entre la parenté physique
et la parenté sociale ; p. 162 sqq., des renseignements utiles sur la société spéciale
formée par les femmes à l'intérieur de la société générale, et sur le rôle, surtout
Jadis, de leur chef, la Makunda; pp. 198, 238, 242-4, sur l'évolution du matriarcat
dans les familles princières.
£nfin il y aura lieu de tenir compte des descriptions détaillées données dans
le chap. Ill des diverses divinités, elles aussi hiérarchisées, mais dont cependant
la classification n'est pas suffisante. PechuëULoesche a conservé l'ancien terme de
• fétiche I» ; mais, et en ceci il vient définitivement affermir la position de Den-
nett, il reconnaît : 1° que le fétichisme n'est ni une religion, au sens vague du mot,
ni un système religieux bien défini ; 2^ mais qu'il est une conception dynamiste du
monde ; il s'agit nettement de puissances, ou mieux, de formes spéciales que prend
la puissance magico-religieuse immanente en toutes choses, c'est à-dire le mana
{cf. pp. 347, 350, 353, et les définitions p. 354). Cette puissance est transportable,
assimilable ; des actes la créent, d'autres actes l'anéantissent ; et des individus
spéciaux apprennent à s'en servir, à l'appliquer dans la vie quotidienne, ou à la
rendre inoffensive.
Mais, comme le remarque l'auteur (p. 353) : on a progressé au Loango. Dans
te cas spécial il faut entendre que le mana ne se présente déjà plus à l'observateur
sous une forme pour ainsi dire brute et confuse : il a été dissocié en de nombreux
éléments, tous animés d'une vie propre, et c'est à cette dissociation que correspond
la multiplicité des « fétiches n doués d'attributs spéciaux. Ils se groupent plus ou
moins grossièrement, dans leur domaine propre, suivant deux catégories : les bien-
faisants et les maléficients. C'est ce qu'avait aussi reconnu Dennett qui nomme
Tidongdisme le système bon, et nkiciisme le mauvais ; de même PechuëULoesche se
donne quelque peine pour distinguer la puissance de Nzambi, bonne, de celle de
BûQssi, mauvaise ; et les deux ethnographes tendent, Dennett avec plus de préci-
sion, à nommer religion le mana bénéficient, magie le mana maléficient, ce qui
certes est exact d'un point de vue extérieur et populaire mais inadmissible à con-
sidérer le mécanisme interne, qui est exactement le même qu'il s'agisse de l'une
ou de l'autre force.
Enfin Pechuël-Loesche a pris un soin tout spécial d'énumérer le plus possible
de tschina {töina)yO\i interdictions. Il voit commo de juste qu'ils correspondeni
p. 114.] • R • E • E • 8 • [1908-.
aux tabtrns mélano-polynésieiis ; il note encore que le mot de tiina s'appliqae tan-
tôt à des interdictions proprement magico-religieuses, tantôt à de simples défenses
d'ordre juridique. Cette distinction repose sur l'acte auquel se rapporte le tHna ^
une lacune importante du livre est que les sanctions consécutives à la violation des
deux catégories de tèina n^ont pas été décrites avec une précision suiBBsante ; car
Tétude des sanctions permet de découvrir si une interdiction actuellement juri-
dique, par ex. le tabou de propriété, n'a pas eu des débuts uniquement magico-
religieux ; et la signification primitive de Tinstitution, p. ex. de la propriété, est
alors obtenue sans chance d'erreur.
Je signalerai encore à M. Pechuël-Loesche une autre lacune, et ceci surtout-
avec Tespoir qu'il pourra la combler, puisqu'il avertit dans sa courte Préface qu'il
ne donne dans le présent volume qu'une partie des matériaux qu'il a recueillis.
En effet la valeur du tëitM en tant que rite négatif n'est pas déterminée. Ceci
tient à ce que Pechuël-Loesche a exposé séparément les actes positifs magiques
et religieux puis en une autre partie du livre les interdictions prises toutes«
ensemble et considérées en dehors de la vie sociale, ou même magico-religieuse,.
totale. Ainsi les deux aspects du culte, inséparables dans la théorie tout autant que
dans la pratique, sont artificiellement écartés l'un de l'autre, et leurs rapport»
intimes deviennent impossibles à établir. 11 y aurait lieu aussi d'étudier le rapport
de tèina avec les conceptions cathartiques, tiina correspondant dans certains cas à-
impur ; d'où l'ensemble complexe des rites de purification, bien exposés dans la
description des rites funéraires, mais pas assez dans celle des autres rites et céré-
monies.
La masse de matériaux fournis par M. Pechuël-Loesche est considérable, et il
n'était possible ici que d'en examiner quelques-uns. Du moins aurai-je, je l'espère,
fait comprendre l'intérêt, non seulement au point de vue descriptif spécial, mais-
aussi pour la théorie générale, de cette monographie qui compte comme l'une des
plus importantes qu'on connaisse sur un groupement africain bien délimité.
A. VAN Gennep.
* *
Fbiedbich s. Kbauss. Das Geschlechtleben in Glattben^ Sitte und Brauch der
Japaner, — 4*^, 161 pages, LXXX planches. Leipzig, Deutsche Verlagsactien-
gesellschaft, 1907, 30 marks.
L'étude de la signification sociale de la sexualité a fait ces années dernières-
des progrès importants grâce aux efforts combiués de savants divers par leur
spécialité ordinaire : Havelock Ellis avant tout psychologue et médecin, Iwan Bloch,,
médecin spécialement syphiligraphe et psychiatre, Fr. S. Erauss, bien connu comme
folk-loriste et ethnographe, pour ne citer que les auteurs de travaux d'ensemble ; des
périodiques comme le Jahrbuch für sexuelle Zwischenstufen et VAnthropophyteia
traitent spécialement des questions sexuelles considérées du point de vue ethnogra-
phique et sociologique, mais non plus seulement tbéologique, éthique ou médicaL
Ce point de vue ayant acquis enfin la suprématie, on s'étonne qu'il ait fallu atten-
dre jusqu'au début du XX« siècle pour que cette idée très simple, et naturelle,
soit venue aux savants de considérer les effets sur la vie sociale de la fonction de-
reproduction avec la même indépendance de jugement qu'on avait fait jusqu'ici des
effets sociaux de la fonction de nutrition.
La période actuelle de l'étude sociologique de la sexualité se caractérise, on
«'y attend, par la mise en ordre et l'explication plus ou moins approfondie de&
1908.] ANALYSES. [P. 115.
-documents ethnographiques accumulés, plutôt au hasard, par les observateurs anté-
rieurs. Ensuite seulement pourront venir des enquêtes systématiques dont l'objet
.sera d'abord de combler les lacunes d'information signalées par les travaux parus
dès maintenant. En ce sens la présente monographie de Fr. S. Krauss est d'une grande
utilité : on y constate que la vie sexuelle a pris au Japon une grande variété de formes,
lesquelles sont ici décrites, mais dont on ignore les effets profonds sur Torganisation
sociale. Ainsi le chap. Ill est consacré à la filiation masculine et à la famille
patriarcale : mais les documents sont si rares et si peu détaillés qu'on ne peut se
rendre un compte exact de l'évolution de cette institution au Japon. De même
Tr. S. Krauss a réuni dans le chap. IV les documents qui se rapportent à l'union
temporaire où il veut voir une survivance du matriarcat, théorie que cependant il
«st aussi impossible de démontrer que de nier. Le V* chap, est consacré à l'uranisme,
le VI* donne la description des divers procédés et instruments employés pour
l'obtention du plaisir solitaire, le VII® est une intéressante étude de Tart erotique
au Japon : petits livres pour l'instruction des fiancées, caricatures, art erotique
populaire, etc. La sexualité a joué un rôle considérable dans l'art japonais et sans
jamais aucune arrière-pensée « perverse n, l'acte sexuel étant pour les Japonais
un acte normal, qu'on peut, qu'on doit même varier ; les organes sexuels, des organes
dont on doit affiner la sensibilité, tout comme en Europe on raffine l'acte de
nutrition ; mais le ■ gourmet » sexuel chez nous est d'ordinaire méprisé et honni.
Enfin la conclusion du livre est une étude du rôle sexuel du renard dans la
littérature populaire japonaise. Gomme illustrations, comme descriptions et comme
explications générales, dénuées de tout préjugé éthique ou théologique, le livre de
Fr. S. Krauss est de premier ordre. Le seul point sur lequel il fait, je crois, fausse
route — en suivant d'ailleurs Buckley (de Chicago) — c'est quand il parle, chap. II,
du culte soi-disant rendu par les Japonais aux organes sexuels de l'homme et de
la femme. Mais les arguments qu'il donne, à propos des bornes phalliques entre
autres, ne valent pas mieux que ceux qu'on apporte en faveur d'un culte du
phallus dans l'antiquité classique à propos des hermès et des priapes. Bien mieux,
les faits qu'il cite, et ceux fournis par M. Buckley, prouvent nettement que les rites
japonais sont, comme l'avait bien vu Ashton, magiques et pas autre chose : on utilise
rituellement la représentation des organes sexuels pour obtenir de la nature l'exé-
cution de la fonction à laquelle ils répondent, fonction de fécondation et de repro-
duction des plantes, des animaux et des hommes. Il va de soi que les ex-voto
sexuels ne sont pas l'indice d'un culte phallique. L'introduction du livre est d'ordre
comparatif.
Les planches, quelques-unes d'une fantaisie déconcertante, montrent comment
les Japonais ont réussi à rendre esthétique la représentation même des actes les
plus charnels : dans l'un des « livrets de fiancée » il y a des paysages de fond qui
correspondent à l'état d'âme, si je puis dire, des acteurs ; dans un autre, l'état
d'âme se marque par les diverses contorsions autour de son perchoir, d'un
perroquet, et le livret s'appelle « Les oiseaux » ; le plus intéressant, comme
combinaison do réalisme dans les acteurs et d'idéalisme dans les paysages, est le
livret intitulé « L'île des Femmes ».
A. YAN Gennep.
*
« «
p. lié.] • R • E • E • s • [1908.
Geobo Fbebdbbici, Die Schiffahrt der Indianer. — 8®, 130 p., ill. Stuttgart, Stre-
cker et Schröder, 1907, 4 M.
Ce volume est le premier fascicule d'une collection nouvelle, Stiidien und
Forschungen zur Menschen- und Völkerkunde^ placée sous la direction scientifique
de M. Georg Buschau, le fondateur-directeur du Zentralblatt für Anthropologie^
Ethnologie und Urgeschichte. Ce genre de collections est comme on sait d^un usage
très répandu en Allemagne et ceci pour presque toutes les disciplines, mais surtout
pour les questions théologiques et religieuses d^une part, et de Tautre pour les ques-
tions économiques ; puis les philologues ont adopté le même système, et aussi les
linguistes, notamment les arabisants. En ce sens la publication d'après un plan qui
a fait ses preuves de monographies ethnographiques de dimensions variables et
paraissraot à intervalles irréguliers (Zwanglose Hefte) est un symptôme qui vaut
d'être sigaalé : il siguifîe que Tethnographie et en général les sciences de Thomme
acquièrent un rang de plus en plus important, en Allemagne, parmi les diverses
branches de la connaissance.
11 ressort du Programme que les revues spéciales allemandes sont encombrées
de travaux qui se rapprochent davantage de la monographie que de l'article et qu'il
vaut mieux par suite publier isolément. La collection ne comprendra que des tra-
vaux d'au moins 6 feuilles in 8°, les uns comparatifs, les autres spéciaux et traitant
d'anthropologie pure, de préhistoire, d'ethnographie et d'ethnologie. Parmi les
Études annoncées, je relève celle de Lasch sur le serment chez les divers peuples,
celles de Kohlbrugge sur la psychologie des Javaûais et sur la descendance de
l'homme, celle de Hahne sur le problème des éolithes, celle de Vierkandt sur les
bases de l'ordre social chez les demi- civilisés, etc.
Si plusieurs des études promises marquent une tendance théorique, le premier
fascicule par contre n'est guère que descriptif. Ceci ne doit d'ailleurs pas ôtie pris
en mauvaise part : un critique a reproché à M. Friederici, à propos de sa monogra-
phie sur le scalp (1906) de se « donner une peine digne de sujets meilleurs n. On ne
conçoit pas, étant donné Tétat actuel de l'ethnographie, la raison d'être d'un tel
reproche : ce qu'il nous faut avant tout, mainteuant, ce sont d'abord des études
approfondies directes, entreprises avec toute la rigueur nécessaire chez les demi-
civilisés encore observables. A défaut, il nous faut des monographies approfondies
sur des sujets bien délimités. Puis seulement viennent les synthèses plus ou moins
partielles et autant que possible explicatives, mais dont l'auteur doit toujours
prendre garde à ne considérer son travail que comme un essai destiné à guider les
enquêteurs, mais non à imposer des points de vue ni des schémas définitifs.
M. Friederici décrit d'abord en détail les divers types de radeaux, de pirogues,
de canots et de bateaux construits par les Indiens des trois Amériques. Puis vien-
nent : un chapitre sur « l'esprit marin » des Amérindiens, et des chapitres sur
l'utilisation des canots « dans la paix et la guerre, la joie et la douleur ». Chemin
faisant, Fauteur parle de la cartographie amérindienne et de l'usage rituel des
canots : ce dernier point méritait d'être exposé plus en détail.
Mais le but de M. Friederici était avant tout d'étudier un fait d'ordre techno-
logique, et il l'a fait avec un soin digne d'éloges ; sa documentation est proprement
étonnante. Ce n'est pas d'aujourd'hui, d'ailleurs, qu'il prend rang parmi les meil-
leurs ethnographes allemands. La technologie est par excellence le domaine scien-
tifique de ses compatriotes, et aussi des savants américains. A. tan Gennbp.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES, [P. 1174
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.
J. F. SnbliiEman. Verslag 1906 , Museum voar land en volkenkunde, te Rotterdam^
S"", 33 pages. — A signaler dans ce 33* Rapport annuel du Musée Ethnogra-
phique de Rotterdam les acquisitions du Loango (statuettes avec cloas fichés,
reproduites en frontispice, etc.) et une discussion sur le fétichisme (p. 29-30).
M. Soellemann a également publié dans la revue Hct huis oud en nieuiv
(10 pages, 4*) un article bien illustré sur des' nattes artistiques de Halmaheira
et dans la revue de Aarde en haar volJcen n^ 27 un travail sur les curieuses
poteries des îles de Kei.
£abl Psnka. Die Entstehung der neoUthischen KuUur Europas. 8®, 29 pages,
Leipzig, Thüringische Verlags-Anstalt (Beiträge zur Rassenkunde^ Heft 2).
L'auteur expose pour le grand public instruit ses idées bien connues sur la
région de départ (Schleswig, Jutland, îles danoises) des Aryens et de leur civili-
sation, qui est la civilisation néolithique ; de là, ils Font emportée dans
TËurope centrale, où elle s'est superposée à la civilisation paléolithique : mais
Tune ne provient pas, par transformation, de l'autre; tous les arguments
invoqués pour combler « Tabime entre le paléolithique et le néolithique »
sont sans valeur. Sans valeur aussi serait la théorie de l'origine orientale du
néolithique.
Herkunft der alten Völker Italiens und Griechenlands wie ihrer Kultur (ib.
Heft 5). — L'auteur reprend, à propos des ouvrages récents de Hirt et de
Modestov, la question de la race, de la langue et de la civilisation des Ligures
et des Illyriens, qu'il rattache, contre Hirt et Modestov, aux Indo-Germains.
Quant aux Etrusques, ils étaient métissés dès une haute antiquité : comme
Otfried Müller, M. Penka regarde le peuple étrusque comme un mélange de
Tyrrhéniens venus d'Asie Mineure et de Retiens venus de l'Allemagne du Sud ;
anthropologiquement, ils sont une combinaison d'éléments sémitiques, aryens
et mongoloïdes (ce mot désigne les brachycéphales bruns). Si le premier tome de
Hirt appelle nombre de critiques, le volume de Modestov est, pour M. Penka,
« en majeure partie manqué », et l'on ne doit s'en servir qu'avec la plus grande
prudence. Le grand mérite de M. Penka, c'est qu'il s'efforce de tenir également
compte des données archéologiques, anthropologiques, historiques et linguisti-
ques du problème, effort bien rare chez les préhistoriens. A. y. 0.
L. Hahn. Rom und Ramanismus im griechisch-römischen Osten bis auf die Zeit
Hadrians. Leipzig, Dieterich, 1906. In 8®, XVI-278 p. — Trop longtemps, au
gré de M. Hahn, on a encadré l'histoire du premier siècle de l'Empire entre
les deux vers tant répétés : Graeciâ capta ferum victorem cepit et Syris in
Tiberim deftuxit Orontes. Sans doute, dans le domaine intellectuel comme
' dans le domaine religieux, ce sont les conceptions et les sentiments de la Grèce
puis de l'Orient qui ont pénétré peu à peu le monde romain depuis César jus-
qu'à Hadrien ; mais, à côté de cette conquête spirituelle dont les belles leçons
de Franz Cumont sur Les Religions orientales ,dans h Faganisme fomain
yienhent de préciser les étapes, il j a eu« dans le lipmaine matériel, une priso >
p. 118.] ♦ R > E « E * S » [1908^
en possession du monde grécoH>rientaI par la civilisation romaine dont Tim-
portance n'est guère moindre. Née du fait même de la conquête, c'est par
les fonctionnaires, les négociants et les soldats romains qu'elle s'est d'abord
affirmée : convenius et canabae^ colonies et camps, ont été partout des centres-
efficaces de romanisation. Non seulement l'armée, la finance et le personnel
gouvernemental parlent latin, mais, comme le latin est la langue des empereurs,
le droit romain devient le droit impérial et le scire latine la condition nécessaire
à être citoyen de Rome et à gravir le cursus lèonorum. Non seulement la toge
remplace le chiton, le denier le drachme, le mille le stade, mais, dépassant ces
institutions officielles, le goûc romain a bientôt fait d'introduire l'amphithéâtre
à côté du théâtre et les gladiateurs à côté des lutteurs ; bien plus, le culte
impérial vient dominer toutes les religions de l'Orient et la littérature, — où
l'admiration de Rome va croissant de Polybe à Denys d'Halicarnasse et de Stra-
bon à Plutarque, — s'imprègne de plus en plus des formes et des mots latins^
Le christianisme même, commencé dans l'horreur de la Babylone romaine, à
mesure qu'il se dégage de ses origines judaïques, se rapproche, d'abord de l'es-
prit grec, puis de l'esprit latin. Quand la persécution de Néron et le martyre
de Pierre et de Paul ont sanctifié Rome, au temps même où disparaissait la
ville sainte des judéo-chrétiens, c'est la capitale du monde romain qui remplace-
Jérusalem comme capitale du monde chrétien et, dans la lettre de Clément aux
Corinthiens, qui confirme et complète l'organisation de ce citoyen romain que
St-Paul n'était pas en vain, c'est déjà la discipline, la hiérarchie et la centra-
lisation de Rome qui s'imposent à la miUtia Christi ; bientôt, régularisant et
canalisant sans cesse le flot tumultueux des sources orientales du christianisme,,
elles vont l'organiser assez puissamment pour qu'il puisse devenir la religion de
l'Empire. — Touchant à tant de questions délicates, dont beaucoup attendent
encore un travail approfondi, M. H. n'a pu qu'indiquer pour chacune le sens^
où il lui semble qu'on devrait chercher la solution ; et cette solution, vers la-^
quelle convergent toutes les parties de son brillant essai, se résume dans l'épi-
graphe qu'il a tirée de l'inscription gravée orgueilleusement par quelque Romain
de la décadence sur les roches de Wadi-Mukatteb en plein massif du Sinaî :
Cessent Syri ante Latinos Eomanos (C. I. L., III, 86). A. J. Reinagh.
Ferdinand Gcldstbin. Die sociale Xhreistufentheorie. Extrait (18 pages) de la.
Zeitschrift für Socialwissenschaft^ T. X (1907). — Critique rapide de la
théorie périmée des trois stades économiques par lesquels aurait passé l'huma-
nité (chasse, élevage, agriculture), avec apport d'un point de vue personnel :
le demi-civilisé qui fait de l'élevage n'agit pas ainsi dans un but d'utilité, mais-
simplement pour thésauriser, le bétail, le chameau, la chèvre, la Yolaille, et
peut-être le mouton étant regardés comme des objets de valeur en soi, en
dehors de toute idée de valeur d'usage. Go mémoire constitue donc une
contribution à l'étude, absolument négligée ju<qu'ici, de la notion de valeur
chez les demi-civilisés, Schurtz dans ses études sur la monnaie ayant manquo^
de définitions économiques sures.Cette manie de thésaurisation n'a pu donner,
d'après M. Goldstein, naissance à un élevage d'utilité (agriculture, industries).
Aux exemples qu'il cite, on pourra ajouter celui que fournit l'élevage du cheval
chez les anciens Arabes et chez quelques Turco*Mongols, élevage qui n'a pour
i M. Hahn a repris la question des influences latines sur le gi^ec dans un mémoire inséré-
dans le X* Supplementband du Phitologus (1907).
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 119.
but Di la monte, m le trait. Le tort de Tautear, c'est de ne pas rechercher les
raisons de cette « thésaurisation », raisons d^ordre magico-religieux exposées
par Robertson Smith {The religion of the Semites)^ J. G. Frazer (The Golden
Bough) et avec quelque exagération par Jevons (Inérodiiction to the science
of Religion). La manie définie par M. Goldstein a certes joué un rôle dans le
développement de Thumanité, mais pour des motifs intelligibles, et non avec
Tampleur quUl tend à lui attribuer. L'intérêt quo portent de plus en plus les
économistes allemands à l'ethnographie est un symptôme intéressant à signaler.
RiCHABD Andbee. Ethnologische Betrachtungen über die Hockerbestattung. Extrait
(pp. 283-307) de V Archiv für Anthropologie^ 1907, 4"», 2 planches.
Il est devenu banal d'affirmer que pour comprendre les coutumes des grou-
pements préhistoriques, protohistoriques et même de Tantiquité classique, il
faut leur comparer celles on usage chez les demi-civilisés actuels. Mais encore
faut-il que cette comparaison soit étendue, détaillée et critique. C'est à un
travail de ce genre qu'est consacré le mémoire de M. Andrée. II reprend, avec
rérudition qu'on lui connait, le problème do la signification réelle d'un rite
funéraire spécial, celui qui consiste à donner au cadavre la position accroupie.
Il montre d'abord que ce rite est, actuellement encore, bien plus répandu qu'on
ne croit, et sans prétendre que la liste qu'il a dressée soit même complète.
L'énumération des populations où M. Andrée a rencontré le rite, soit comme
rite général, soit comme rite spécial (âge, sexe, classe sociale, etc.) vaut d'être
donnée ici : 1^ Amérique : Aléoutes, Eskimo, Colombie britannique, Yuki de
Californie, Mound Indians, Mexique (Maya), Guatemala, Brésil, Colombie,
Paraguay, Pérou et Bolivie ; 2® Europe paléolithique et surtout néolithique,
Egypte ancienne ; 3® Afrique : Hottentots, Bantous Méridionaux, du Congo et de
l'Afrique Occidentale, Calabar ; 4"" Asie antérieure préhistorique, Inde ancienne,
Andamanes, Malacca, Indonésie, Philippines, Japon ; 5"^ en Australie, le rite
est très répandu ; 6® Papous, Mélanésiens et Polynésiens : Carolines, Nouvelle-
Guinée, Iles Salomon, Nouvelle-Calédonie, Fiji, Nouvelle-Zélande, Tahiti, etc.
— Dans le détail, le rite varie : on enterre le cadavre, on l'attache sur une
claie, on l'introduit dans une urne funéraire, etc. Quelles sont maintenant les
causes du rite ? Avant tout M. Andrée juge (p. 283) qu'on ne doit pas admettre
une cause unique, car les divers groupements demi-civilisés actuels varient
eux-mêmes sur le sens qu'ils lui attribuent. Quelques-uns prétendent qu'ils
préfèrent ce rite par manque de place, d'autres par paresse. Par contre il
n'existe aucune preuve directe qu'on dispose ainsi le mort parce que c'est la
position de repos des vivants (opinion de Virchow et de Wilken, de Letourneau,
de Eöhl, de Ferrer^ etc., et qu'il faut rejeter). Le plus souvent on a expliqué le
rite en le prétendant une imitation de la position du fœtus dans le sein de sa
mère', tels Peter Kolben, 0. Peschel,Wo8insky, A. Dieterich; mais déjà Fritsch,
Virchow, Heierli, Kohi, avaient rejeté cette interprétation ; M. Andrée la dis-
cute à fond : il ne trouve pas, parmi les diverses explications des demi-civilisés
actuels, celle dont il s'agit, ce qui s'explique par leur ignorance absolue quant
à la position exacte du fœtus. Nous rencontrons donc ici un cas typique de
transposition : Tattribution aux « sauvages » de connaissances scientifiques
qui ne sont même en Europe que très récentes. De plus, et c'est là l'un des
^ Interprétation que je trouve répétée encore sans discussion critique par J.-F. Hewitt»
Primitive traditional hûtory, T. I, p. 218, T. II, pp. 823-4.
p. 120.] • R • E • E - S • [1808.
arguments principaux des partisans de Texplication analogique en question»
loin d'être assuré d'un ■ repos étemel « comparable à celui de Tenfant non
encore né, le cadavre accroupi est le plus souvent exhumé au bout d'un certain
temps ; par suite sa « renaissance • est impossible. Il ne reste donc qu'à se
rallier à Texplication la plus simple, et qui est aussi celle que donnent de leur
coutume la grande majorité des demi-civilisés : on donne au mort la position
accroupie pour Tempôcher de revenir et de faire du mal aux vivants. Ce n'est
pas tant la position accroupie qui importe, mais le fait, jusqu'ici regardé trop
souvent comme secondaire par les théoriciens, que le mort est attaché^ lié^
rendu incapable de se mouvoir. Lier le mort, non pas seulement replié sur
lui-même de force, mais aussi allongé est l'un des rites funéraires les plus
répandus ; dans cette catégorie rentre l'emploi de bandelettes, de filets, etc.
— Je crois que l'opinion de M. Andrée, étayée d'un grand nombre de preuves,
doit être admise, d'autant que l'acte de lier est lui-même contraignant, surtout
avec des nœuds, dont la vertu directe est bien connue. Peut-être n'est-ce pas
seulement l'âme du mort qu'on lie ainsi, mais aussi la contagion qui émane de
lui ; car la mort et l'impureté qu'elle entraîne sont le plus souvent regardées
comme transmissibles par contact et à distance. Autrement dit, le rite peut
être non seulement à base animiste, mais aussi à base dyoamiste. Il va de soi
que la tombe, qu'elle soit un trou, un cercueil, un tombeau ou une urne, n'a
que pour but aussi de mettre les vivants à l'abri du mort et de la mort.
R. P. Delattbe. Le Culte de la Sainte Vierge en Afrique d'après les Monuments
Archéologiques. 8^, 232 pages, Paris, Société St-Augustin et Lille, Desclée,
De Brouwer et Gie. 5 fr. — A force de fouilles et de patientes recherches, le
P. Delattre a établi que le culte de Marie était à la fois plus ancien et plus
répandu dans l'Afrique du Nord qu'on ne croyait ; il le fut surtout, semble- t-il,
dans l'ancien diocèse de Carthage, à en croire le grand nombre de monuments
qui ont été retrouvés en Tunisie, et pour la plupart conservés aujourd'hui au
musée Lavigerie. Ce sont quelques bas-reliefs, des statuettes et des carreaux
de terre cuite, des plombs de bulle antérieurs au VIU^ siècle ; puis, datant
de la période arabe, des médailles, des statuettes, et quelques monnaies et
jetons d'importation européenne. Plusieurs planches et un grand nombre de
dessins illustrent cette étude d'une érudition, comme toujours, très sure.
£. Destaing. Fêtes et coutumes saisonnières chez les Beni-Snous. Extrait
(pp. 245-284) de la Revue Africaine^ 1907. A. Jourdan, Alger. — L'auteur,
déjà connu par divers travaux importants, est l'un des principaux berbéri-
sants de cette pléiade de savants qui se groupe à Alger autour de M. René
Basset. La présente étude complète celle sur VEnnayer publiée par M. Des-
taing en 1905, dans la même revue. Le texte est donné in extenso, traduit et
expliqué par des notes linguistiques, folk-loriques ou comparatives, surtout
d'après des ouvrages arabes. La description des divers rites est donnée en
détail : ils sont pour la plupart sympathiques et ont pour objet essentiel d'as-
surer de bonnes récoltes, la chute de la pluie, le succès dans l'élevage des
moutons, etc. Remarquez dans l'Ennayer les déguisements (en lion, en cha-
meau) et dans l'En-Nisan, les rapports de la pluie et de la baraka (sainteté,
bénédiction). Les mêmes rites qui assurent la productivité de la terre, assurent
la fécondité des femmes. La majeure partie des rites décrits ont leurs parallèles
« exacts un peu partout sur le globe ; le nombre des rites négatifs (ou tabous),
est considérable.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P.121*
I. Bbllon. Kultus und Kultur der Tschi-Neger im Spiegel ihrer Sprichwörter.
Basier Missionsstudien, fasc. 33, pet. d*', 92 pages. Bale, Missionsbuchhand-
lung, 1,25 fr. — Le procédé qui consiste à décrire la vie d'une population en
prenant pour base ses proverbes est assez dangereux : il risque de donner des
idées fausses, parce que les proverbes, dictons, locutions sont des témoignages
pour ainsi dire fossiles, des immobilisations de modes do sentir, de penser et
d'agir qui ont varié avec les générations et l'état général ou local de leurs civi-
lisations. Sous leur forme immuable ils transmettent ce qui est mort depuis
longtemps. D'où ces contradictions plus ou moins accusées et ces flottements
que connaissent bien tous ceux qui ont, fut-ce en passant seulement, feuilleté
un recueil parémiologique. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que le tableau de la
pensée et do la vie des Tschi (Côte d'Ivoire) tracé par M. Bellen ne concorde
que rarement avec ce que nous ont appris de ces populations des observateurs
plus spécialement ethnographes et psychologues. D'une manière générale,
cependant, ce livre n'est pas sans utilité, surtout pour les sections qui décri-
vent la vie matérielle, familiale, juridique et politique. Sur la religion et
l'éthique, M. Bellen ne donne que peu de renseignements : mais peut-être sa
qualité de missionnaire Ta-t-elle empêché de pénétrer fort avant sur ce
point.
Paul Hebmant. Les coutumes familiales des peuplades hahifant TÉtat Indépendant
du Congo. 8**, 76 pages, Bruxelles, Vanderauwera et Cie, 1906. — Ce mémoire
n'est aucunement théorique, et pour cause : les renseignements qu'on possède
actuellement sur les institutions des indigènes du Congo, tant belge que fran-
çais, sont trop fragmentaires pour permettre de s'en faire une idée juste.
M. Hcrmant a donc dépouillé un assez grand nombres de sources, qu'il a
complétées par quelques renseignements inédits, et il a classé les faits provi-
soirement sous huit rubriques : 1° Pygmées, 2° Nilotes, 3° A-Zandé, 4*> Bantous
du Bas-Congo, 5** Région du Sud-Est, 6° Région orientale du Haut-Congo,
V Entre l'Oubanghi et le Congo, 8® Région du Kwango. Chacune de ces
rubriques se subdivise en plusieurs paragraphes où sont décrites : la technique,
l'organisation politique, enfin les coutumes familiales. Par endroits, on croit
comprendre que l'auteur verrait volontiers un lien génétique entre l'organisation
économique et le système matrimonial. Le principal mérite de ce mémoire est
qu'il offre un point de départ sufl&sant pour des enquêtes directes futures, les
détails à enquêter et les lacunes étant signalés.
D. Angel Baebeba. Lo que son y lo que dében ser las posesiones espaholas del
golfo de Guinea. 8^, 46 pages, 4 planches, 1 carte, Madrid, Ed. Arias, 1907.
L'auteur, ancien gouverneur général intérimaire de la Guinée Espagnole,
affirme que cette colonie est dans une situation lamentable. Sur le continent,
l'autorité de l'Espagne n'est que nominale, et les indigènes y sont ou en révolte
ouverte, ou paresseux ; et à Fernando-Po, où les conditions sont un peu
meilleures, tout développement ultérieur est arrêté faute de voies de commu-
nication et de main-d'œuvre. Parmi les remèdes préconisés par iM . Barrera, on
notera : l'établissement de postes militaires nombreux et des encouragements
aux missions catholiques su/ le continent, et la fondation d'une douzaine de
postes de police à Fernando-Po « afin d'amener les Bubi à travailler » et les
empêcher « d'aller vivre comme des brutes dans les bois, où la famille est un
mythe •. A- ^- ^'
p. 122.] • R • E • E • S • [1908*
^
J. Faitlovitoh. Proverbes abyssins^ traduits ^ expliqués et annotés ^ 8^, 86 pages.
P. Geuthner, Paris, 5 francs. — Si, comme on dit, les proverbes sont la sagesse
des nations, ils sont aussi un des traits caractéristiques de leur génie. On peut
les comparer à ces fleurs sauvages, poussées dans les brousses désertiques, au
parfum particulièrement pénétrant. Quelques peuples n^ont même d'autre
littérature que ces phrases souvent obscures, presque toujours frustes, ou
leur mentalité s'épanouit sans effort. Les nègres les plus arriérés de l'Afrique
nous en offrent des exemples intéressants ; mais, de même que leur mentalité
diffère profondément de la nôtre, les produits qu'elle donne ont un cachet
particulier, dont la saveur nous échappe et dont la moralité reste souvent
difficile à pénétrer.
Les Abyssins ont sur la plupart des peuples africains cet avantage, fort
appréciable pour nous, que leur état d'esprit se rapproche du nôtre. N'ayant
rien de commun avec les Nègres qui les avoisinent que la couleur fort brune
de leur teint, ils ont les traits physiques des Européens et par leur religion,
comme par leur éducation, qui en est la conséquence naturelle, ils se rappro«
chent énormémentj^de nous. Devenu chrétien au IV* siècle de notre ère, le
peuple abyssin a amalgamé, sous l'influence du christianisme, des populations
d'origine très diverse, que la religion a marquées d'un cachet particulier. Or,
nul n'ignore que, chez les peuples d'Europe, ceux même qui croient s'être
(]éli?rés complètement de toute subjection religieuse, n'en subissent pas moins
l'influence atavique d'un état d'esprit plusieurs fois séculaire. A plus forte
raisoa, un peuple gardo-t-il cette empreinte lorsque la foi est encore vivante
au sein des familles.
Les institutions politiques et sociales exercent une aussi grande influence
sur ces effluves de l'esprit national. Il y a beaucoup à apprendre dans les
proverbes abyssins, même au point de vue de la géographie et des mœurs. Ces
bouts- rimes, si j'ose m'exprimer ainsi, résument parfois bien des pages de nos
géographies. En voici un exemple recueilli par M. Guidi :
« Gondar pour le gouvernement^ ; — le Dambyà pour la culture ; — le
« Wolqaj^t pour les vêtements ; — le Godjam pour les chevaux ; — le Choâ
« pour les burnous de laine ; — le Tigré pour les artilleurs* ; — le Semên pour
« le vont* ; — le Waldebbâ pour le bien de l'âme* ; — Aksoum pour se sancti-
« fier* ; — Debra-Damo pour s'y faire moine ; — Massaouah pour les manteaux
« de soie ; — Adouah pour les tuniques ; — le Wagarâ pour la course*. »
Voilà, résumés en quelques mots, des renseignements politiques, géographi-
ques, industriels et religieux. Tout cela est rimé en petits vers de cinq syllabes
et reste profondément gravé dans l'esprit des enfants.
Les incidents ordinaires de la vie publique sont résumés ainsi en de petits
dictons. Mais le plus grand nombre des proverbes concordent avec les idées
sous une forme souvent très différente. Il suffit pour s'en convaincre de lire le
recueil des Proverbes abyssins publiés par M. Faïtlovitch, qui les a rapportés
d'un voyage en Abyssinie. Ce recueil enrichit sensiblement la collection com-
mencée par le P. Stahl et d'Abbadie, amplement continuée par le savant italien,
^ Gondar était la capitale politique du pays avant Addis- Ababâ.— « Le Tigré est une pépi-
nière de guerriers. — ^ Le Semën est le pays le plus élevé de PEthiopie. — * Le Waldebbâ
est rempli de couvents. — ^ Aksoum est la .ville sainte de TEthiopie. — ^ C'est un pays de
plaines.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 123.
M. I. Guidi, et à laquelle nous avons ajouté personnellement quelques broutilles,
dans le Journal Asiatique. Gela fait plus de 300 proverbes on dictons, qui
permettent de se rendre compte de l'esprit général du peuple abyssin.
Gomme chez tous les peuples orientaux, cet esprit est généralement tourné
vers la subtilité, ce qui rend parfois assez difficile l'interprétation de leurs
proverbes. M. Faïtlovitch y est généralement parvenu avec bonheur ; il a eu
d'ailleurs, dans cette tâche,le concours de quelques Abyssins,ce qui n'est jamais
à mépriser, lorsqu'on veut reproduire avec exactitude le sentiment qui les a
inspirés.
Nous en conseillons la lecture à ceux de nos lecteurs que ces questions de
P^olklore sont capables d'intéresser. G'est peut-être dans les proverbes qu'on
saisit le mieux la pensée populaire, dont ils sont en géoéral l'émanation la
plus originale.
Le livre de M. Faïtlovitch a été publié avec le plus grand soin, ce qui en rend
la lecture facile. Il est en outre précédé d'une notice sur la langue abyssine
ou amharique, où sont résumés les détails les plus intéressants concernant cet
idiome, l'un des plus importants de l'Afrique, car il est la langue officielle
d'une dizaine de millions d'hommes ; — on ne saurait évaluer à moios la
population de l'empire actuel d'Ethiopie. G. Mondon-Vidaelhet.
AV. Planebt. Australische Forschungen : I Aranda-Grammatik Extrait (pages
551-566) de la Zeitschrift für Ethnologie, Beriin, Behrend. — M. Planert a
obtenu de M. Wettengel, missionnaire chez les Aranda (ou Arunta) et Dieri de
l'Australie centrale un certain nombre de renseignements sur la grammaire de
ces populations, ainsi qu'un vocabulaire et quelques textes. Mais quelle que
soit la bonne volonté de l'informateur européen, mieux vaut avoir aiFaire à
des indigènes, et il serait utile qu'on pût envoyer M. Planert poursuivre sur
place des investigations approfondies : aucun linguiste spécialisé n'est encore
allé en Australie, bien que la connaissance exacte des langues australiennes
soit de première importance. Les quatre textes publiés et traduits sont fort
intéressants: ils rentrent dans la catégorie des productions littéraires, juridiques
et rituelles que nous ont fait connaître Spencer et Gillen, W et Miss Howitt,
etc. Dans le premier, M. Planert a eu tort de traduire crinja-kuna par Teufel ;
il s'agit d'un démon de type connu. Dans le 2* on trouve une variante du thème
de l'arbre qui touche au ciel. Le 3* est un règlement juridique : défenses de tuer
et sanctions. Le 4? enfin est un recueil de tabous concernant des animaux,
mais sans explication aucune du sens (totémique ou non) des interdictions.
W. E. Roth. North-Queensland Ethnography, Bulletin n® 9 : Burial ceremonies
and disposal of the dead. Extrait (pages 365-403) des Records of the Australian
Museum^ T. VI, 1907-8. — Quiconque s'est occupé des Australiens estime à
leur valeur les Bulletins de M. Roth, aujourd'hui juge en Guyane anglaise.
Les collections de M. Roth ayant passé au Musée de Sydoey, c'est ce dernier
qui continuera la publication des Bulletins, dont les manuscrits sont terminés.
On regrettera que le Musée n'ait pas continué la série dans le format primi-
tif (4®). Pour le détail, l'exactitude et la prudence des informations, le présent
mémoire ne le cède en rien aux précédents. La plupart des rites funéraires,
qui varient avec la tribu, le clan, l'âge, le sexe et la postiion sociale du mort,
ont pour objet de le venger et de mettre à l'abri de ses tentatives malfaisantes
les survivants. Cependant, certains détails demeurent incompréhensibles et
p. 124.] • R • E • E • S • [1908.
seule une étude comparative des rites funéraires dans toute TAustalie pourrait
mettre sur la voie de leur interprétation exacte. Sept planches et plusieurs
dessins dans le texte illustrent le mémoire, où Ton trouvera entre autres des
compléments utiles au travail de M. R. Andrée sur la Hocher bestaUung.
AiiFBED Seabcy. In Australian Tropics. S"", 374 p. 1 carte, 56 pi. London, Kegan
Paul, Trench, Trübner & O". 1907. 10 sh. 6. — Récits vifs et amusants d'ex-
plorations dans les régions maritimes du Territoire Septentrional de TAustralie
du Sud, habitées par les tribus dites de Port-Darwin, de Port-Essington, de Daly-
Rivor et do Fitzmaurice : p. 58, 177-8, échange d'enfants entre tribus amies ;
250-4, 288, rite de répartition commune de la responsabilité individuelle en
cas de meurtre. Enfin l'auteur cite des cas étonnants de cruauté des Blancs à
l'égard des Noirs et confirme ainsi les Rapports de W. E. Roth (1906) et les
renseignements de H. Klaatsch sur ce point.
Thob. g. Thbum. Hawaiian Folk-Tales. 8®, 284 pages, 16 phototypies, Chicago,
A. C. Me Clure et Co. 1907, 3 dollars. — L'occupation par les Etats-Unis de
Hawaii aura, semble-t-il, pour l'ethnographie, cet avantage de procurer aux
recherches sur la civilisation et le folk-lore indigènes des moyens pécuniaires
et des éditeurs suffisants. Déjà le Bureau of Ethnology de Washington s'occupe
des indigènes de Cuba, et il a été créé aux Philippines un Bureau of Ethnology
spécial : nul doute que les Américains, ne s'intéressent aussi bientôt, avec
l'ardeur qui les caractérise, aux populations polynésiennes et mélanésiennes,
Hawaii leur servabt de prétexte. En ce sens le livre de M. Th. G. Thrum est
symptomatique. C'est un recueil de traditions soit seulement traduites (par
Téditeur, le rév. A. 0. Forbes, M"'" E. M. Nakuina, M. K. Nakuina etc.) soit
commentées (par le rév. C. M. Hyde, le D^ N. B. Emerson, etc.), recueil qui
n'a pas la prétention de donner une vue d'ensemble ni systématique de la
production littéraire sacrée des Hawaiiens, mais seulement de préserver de
l'oubli définitif un certain nombre de récits légendaires visiblement anciens.
Le chapitre XXV est une collection de contes et de croyances relatifs aux
poissons ; un glossaire des termes indigènes termine le volume, dont les illus-
trations représentent surtout les sites dont il est question dans les légendes.
N. N. PANTdSOW. Materialy k izuceniiu narièiiia Taraniei Hiiskago okruga. Li-
vraisons I (1897) à IX (1907). 8°. Kazan, Imprimerie de l'Université (en vente
chez l'auteur, à Vierny, Turkestan russe). — M. Pantoussoff est l'un des
savants russes qui connaissent le mieux l'Asie centrale, sur l'archéologie,
l'histoire et l'ethnographie de laquelle il a publié déjà un nombre assez consi-
dérable de travaux*. Dans la série de fascicules intitulée Maiériaux pour
Vétude du dialecte des Taranii (Tarantchi) du district de VHi il donne des
documents intéressant con seulement la linguistique, mais aussi l'histoire des
1 Entre autres je signalerai sa publication de V Histoire des souverains de la Kachgarie
due au raulla Musa ben Aïsa (1905), ses Maténaux pour Vétude du dialecte des Kirghizes-
Kazaks (4 fascicules), etc. puis un mémoire intéressant, sur l'emploi de la croix sur certains
monuments anciens en Kachgarie [Sliêdy Khristianstwa v nadmogilnykh kirgizskihh
pamiatnikakh po r. Kohâalu, avec 1 planche ; Société russe de géographie, section d'Omsk,
1903) : la croix est le tamga du clan des Kucu, répandus dans les Turkestan russe et chinois,
et M. Pantoussoff n'est pas loin d'admettre que c'est là une preuve de leur ancienne conver-
sion au christianisme : mais il resterait à déterminer d'où vient ce clan, dont l'arrivée dans
le Turkestiin russe date seulement de 400 ans environ.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 126.
religions et le folk-lore ; dans tous on trouvera le texte Tarantchi et la traduc-
tion russe. Le fasc. 1 est Ténumératiou des jours fastes et néfastes ; le fasc. 2
un recueil d'énigmes et de devinettes ; le fasc. 3, la liste des années fastes et
néfastes. Les Tarantchi ont accepté le cycle chinois des animaux, cycle égale-
ment en usage, d'après M. Katanov, qui a préfacé les Matériaux^ chez les Mon-
gols, les Ouriankhai, les Turcs Altaîens, les Téléoutes, les Kirghizes et les Turcs
du Tian-Shan. Ces cycles adaptés ont été étudiés par E. Ghavannes, Le cycle
turc des Douée Animaux, T'oung-Pao, 1906. Le 4"* fascicule donne 60 présages
fondés sur la conduite des animaux et 29 présages d'après divers phénomènes
naturels (tonnerre, éclipses, couleur du ciel, comètes, arc-en-ciel, étincelles du
feu, etc.) ; ces présages sont pour la plupart fondés sur un raisonnement ana-
logique ; il est remarquable qu'aucun des présages animaux ne présente de
nuance totémiste, alors que le totémisme a été sans aucun doute un système
religieux autrefois répandu chez les Turco-Mongols. Le 5* fascicule est le recueil
des prières et des incantations que prononcent les bakii (bakshi = kirghize
baksi) Tarantchi : ce sont d'anciens chamanes tombés au rang de sorciers-gué-
risseurs et de plus islamisés du moins dans les rites oraux, sinon dans les
gestes ; ils font en effet usage d'une bannière qui correspond exactement, comme
le remarque M. Patkanof dans sa Préface, au tronc de bouleau des chamanes
de Sibérie ; les divinités que le chamane invoque ont été remplacées par Allah
et des saints musulmans ; le totem-protecteur par Satuk-Bugru-Ehan, introduc-
teur légendaire de Tlslam dans l'Asie Centrale. Dans le 6* fascicule on trouvera
une poésie sur Yakoub-Bek, souverain de Kachgarie et les événements de son
temps. Le 7* est la Clef des Songes tarantchi, au nombre de 235 ; la qualité de
bon ou de mauvais augure des animaux est difficile à comprendre sans notes
explicatives ; à remarquer que le prçcédé d'interprétation est presque toujours
analogique direct, mais très rarement analogique inverse, comme c'est si souvent
le cas ailleurs : pourtant pour les Tarantchi, voir un voleur dans la maison,
c'est signe de gain (p. 40). Les fascicules 8 et 9 sont consacrés aux jeux des
Tarantchi adultes et enfants Le maïlise est une sorte de main chaude, qu'on
accompagnait de chants rythmés alternativement chantés par le chœur des
jeunes gens et celui des jeunes filles ; ce jeu, très répandu encore pendant
l'occupation chinoise, disparait de plus en plus sous l'influence de l'Islam ; les
strophes parlent soit de boire de l'eau de vie, soit d'amour, et en termes libres ;
le bababut est une ronde enfantine alternée ; le bàï-bermcts^ une variante
de la mère et ses enfants ; le rnükü-rnuküjäng est notre cache-cache ; le
mäeräp est une sorte de divertissement collectif, avec lectures pieuses, musique,
danses, etc. Les Matériaux de M. Pantoussof fournissent comme on voit des
documents intéressants dans plusieurs directions, et l'on espère qu'il en conti-
nuera la publication et décrira successivement les institutions, les rites matri-
moniaux, funéraires, etc. des Tarantchi. A. v. G.
rr-^tMk-iffr
P. 126.]
R
Ë
E
[1908.
SOMMAIRES DES REVUES.
RiviSTA Italiana di SocaoLOGiA. Dir. C. Ca-
vafflieri, G. Sergi, E. Tedeschi; éd. Fi'a-
telli Bocca, adm. 8 Via Venti Settembre,
Rome ; ab. 14 lire. T. XI (1907). Fasc. IV-V,
Juillet-Octobre.
E. Catellani. V Africa nuova e il diritto
publico africano.
R. Livi. La schiavitù medioevale e la
sua influenza sui caratteri antropo-
logici degli Italiani.
P. Doraldo. // trattamento del delin-
quente e la scienza modema,
F. Squillace. Di alcuni problemi della
sociologia.
F. Carli. 11 personalismo e la Chiesa.
Analyses : N. Pinkas. Ba^ Problem des
yormalen in der Nationalökonomie
et C. Supiiio. Le crisi economiche (A.
I^oria). — R. Caggese. Classi e comuni
rurali nel medio evo italiano, T. I,
(G. Luzzatto). — A. Martin. La crise
du clergé (A. Lepri). Rassegna deile
publicazioni ; notizie.
BiJDRAGEN TOT DE TAAL, LAND EN VOLKEN-
KUNDE VAN Nederlandsch-Indië. Institut
Royal des Indes Néerlandaises, La Haye.
Série VII, Partie VI (T. LX de la collection
complète (1907), Liv. 1-2; prix variable,
d'après le nombre de feuilles et de planches.
E. van Dam van Isselt. Mr. J. van Dam
en zijae tuchtiging van Makassar in
iößO.
H. Kern. Een oudjavaansche oorkonde
gevonden op de helling van den Katoi,
C. Snouck Hurgronje, Aanteekeningen
op G. P, Rouffaer's opstel over At-
J(>hsche soeltanzegels.
H. H. Juynboll. Nieuwe bijdrage tot de
hennis van het Mahàyânisme op
Java.
A. Kern. Eenige soendasche fabels en
ve7'telsels.
E. J. van den Berg et J. H. Neumann. De
Batoe Kemang nabij Medan, ^
J. A. Loeber Jr., Het spinneweb-môtiéf
op Timor.
Ph. S. van Ronkel. Een maleisch con-
tract van iGOO.
M. C. Schaddée. Bijdrage toi de hennis
van den godsdienst der DajaÄs van
Landah en Taj an,
Martine Tonnet. De godenbeelden aan
den buitenmuur van den Çivatempel
te Tfandi Prambanan en de vermoe-
delijke leeftijd van die tempelgroep,
N. Adriani. BreukinJCs bijdrage tot
eene Gorontalo'sche spraakkunst
H. Kern. Austronesisch en Austroa^ia*
tisch,
H. Kern. Bet vooord voor pauw in san-
tali, mon en indonesisch,
H. de Vogel Hzn. Mededeelingen betref-
fende Sidenreng, Rappang en Soepa,
Ph. S. van Ronkel. Catalogua der Ma-
leische Hs, van het K, /. v, T. L, en
Ykkde V, N, L
Archiv für Religionswissenschaft. Dir.
A. Dieterich, éd. B. G. Teubner, Leipzig ;
ab. 16 Mk. T. XI (1907-8), fasc. 1.
A. van Gennep. Le rite du refus,
L. Radermacher. Schelten und Fluchen,
A. Nagel. De?^ chinesische Küchengott
(Tsan-Kyun),
H. Osthoflf. Etymologische Beiträge zur
Mythologie und Religionsgeschichte,
R. Hirzel. Der Selbstmord.
Berichte : Fr. Kaufmann. Altgermani-
sche Religionen,
W, Caland. Indische Religion (1904-
1906).
Mitteilungen und Hinweise :
Lindsay Martin. Ein neuer Baustein
zur Religionsgeschichte,
N. Terzaghi. Die Geisselung des Helles-
pontos.
R. Eisler, Das Pferderennen als Ana-
logiezauber zur Beförderung des
Sonnenlaufs,
Th. Zachariae. Einem sterbenden das
Kopfkissen icegziehen,
Brandt. Das Pflugfest in Hollstadt,
A- Ostheide. Zu Archiv IX, i ff,
C. N. Becker. Arabischer Schiffszauber ^
A. Dieterich. Dika.
L. Deubner. Zu Kosmas und Damian.
1908«]
SOMMAIRES DES REVUES.
P. 127.]
Kevue des traditions populaires. Dir. Paul
Sébillot, éd. P. Ouilmoto, 5 rue de Mézières,
Paris. Ab. 15 f. 1907 n^ 11 (novembre).
Paul Sébillot. Le Folh-Lore en sommeil,
L Les Eoangiles des Qtceiiouilles.
Paul Sébillot. Le Folk-Lore à r Acadé-
mie des Inscriptions,
René Basset. La fraternisation par le
sang.
J. Frison, Alfred Harou. Mythologie et
folk-lore de l'enfance,
René Basset. Les Taches de la lune.
Léon Pineau. Les plus jolies chansons
des pays Scandinaves.
Yan Kergwened. Légendes contempo-
raines,
Alfred Harou. Les Pourquoi,
René Basset. Contes et Légendes de
r Extrême Orient,
Jacques Rougô. Le Folh-Lore de la
Touraine,
J. Frison. Contes et Légendes de Basse-
Bretagne,
Âlfi'ed Harou. Vos qui chante.
Baron de Maricourt. Le chat qui parle,
conte de Valois,
René Basset. Les Empreintes merveil-
leuses,
Alfred Harou. Rites et usages funé-
raires.
P. S. Traditions et superstitions de la
Haute-Bretagne,
Alfred Harou. Le Folh-Lore du Grand-
duché de Luxembourg,
Achille Robert. Sid ali Tatar, légende
arabe.
Léo Desaivre. Les traditions populaires
et les écrivains poitevins.
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sche Schwanke (René Basset). — F.
Hahn. Bliche in die Geisteswelt des
heidnischen Volks (id.). — Paul Daba-
len. Pratiques médicales populaires
dans les Landes (Paul Sébillot). — Le-
vezier. Recueil de pronostics nor-
mands et français (id.).— Jean Bertot.
En allant vers Vonibre (id.).
Notes et Enquêtes. — Réponses.
Hessische BLäTTER für Volkskunde. Dir.
K. Helm et H. Hepding, Giessen ; éd. B. G.
Teubner, Leipzig. T. VI (1907), liv. 2.
0. Knoop. Die Princessin mit der Nadel
im Kopf
Id. Polnische Märchen aus der Provinz
Posen.
W. Lenz. Vom Tod : Sitten, Gebräuche
und Anschauungen, besonders im
Lumdatal.
Kleinere Mitteilungen : A. van Gtonnep.
Ueber neue Erscheinungen auf dem
Gebiete dei* Ethnologie und Soziologie
der australischen Eingeborenen, bei
Gelegenheit von Northcote W. Tho-
mas, Kinship organizations and
group marriage in Australia.
H. Hepding. Begräbnishosten.
Analyses : R. Wallaschek. Anfänge der
Tonkunst (H. Siebek). — K. F. Baltus.
Märchen aus Ostpreussen (0. Knoop).
— H. Glöde. Märhisch'pommersche
Volkssagen, Erzählungen, Sitten und
Gebräuche (id.). — E. Kurtz. Volkslie-
der aus der Toskana (R. Petsch). —
G. Doncieux. Le Romancero Popu-
laire de la France (W. Küchler). —
A. Struck. Makedonische Fahrten (H.
Hepding). Hessennunst, III (id ). —
F. Hofifmann et B. Rölffel. Beiträgelzur
Glockenkunde des Hessenlandes (Ba-
der). — A. Bonus. Isländerbuch, I, (K.
Helm). — E. Siecke. Drachenkätnpfe
(id.). — Gerlach. Die Stundenlieder der
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Questionnaire, par M. von Leonhardi,
sur le rhombe en Allemagne.
Archives suisses des Traditions Popu-
laires. Dir. Ed. Hofl&nann-Krayer et Max.
Reymond. Bale, 8 Augustinergasse; Ab.
8 frs. 1903, livr. 3-4.
F. G. Stebler. Die Hauszeichen und
Tesslen der Schweiz.
A. Rossat. Prières patoises recueillies
dans le Jura bernois.
E. Hoffmann-Krayer. Fruchtbarkeits-
riten im Schweizerischen Volks-
brauch.
John Meier. Kleinigkeiten.
Mélanges : Ch. de Roche. La chanson
du guet de nuit.
J. Blicher. Sennereigerätschaften einer
Obwaldner Alpkütte.
A. Dettling. Kuhreihen,
J. Schneebeli. Das Spräggelen im Bezirk
Affoltem,
E. A. Stückelberg. Alte Galgen,
Comptes-rendus : A. Ledieu. Contribu-
tion (Hoffmann-Krayer). — Fr. Hottei»-
roth. Die nassauischen Volkstrachten
(id.). — S. Singer. Schweizer Märchen
(id.). — J. Hunziker. Das Schweizer-
haus (id.). — J. Jegerlebner. Was die
Sennen einzahlen. — 0. Böckel. Psy-
chologie der Volksdichtung (id.). —
Fr. Heiermann. Teil bibliographie Qt
Aberglaube (id.). — F. S. Steller. Am
Lötschberg (id),
Bibliogi^aphie suisse pour 1906; corri-
genda.
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Rbyub Intbrnationalb DBS Etudbb Bas-
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ffrafia de los Vascos (fotograbados).
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S. Albizuri. Euzkerearen aidez.
J. Vinson. Spécimens de variétés dialeo
tales basques.
J. de Urquijo. Notas de Bibliografia
Vasca. m. Exercicio Spirituala,
G. Laoombe. Louis Etcheverry.
M. de Arriandiaga. Euzkera ala Eus-
hera.
A. Campion. Segunda defensa del nomr
bre antiguo, castizo y légitima de la
lengua de los Bashos, contra el so-
îîado Euzkera.
F. Fita. La Vasconia Romana.
Bibliografia. Table. Errata.
L'Homme préhistorique. Dir. D' Chervin et
A. de Mortillet, éd. Schleicher frères, 61
Rue des Saints-Pères, Paris; Ab. 10 frs.
T. V (1907) n« 11, novembre :
H. Martin. Nouvelle coupe de la Quina.
Tabariès de Grandsaignes. Recherches
de Mangez sur les barqties monaxyles.
Denix. Fouilles aux alignements du
Bois-Hude.
Fouilles et découvertes ; nouvelles ; né-
crologie ; livres et revues : Pro Alesia;
R, E. E. S. — Fr. Pérot. Légendaire
des eaux minérales thermales du
centre de la Gaule.
Id. n» 12 (décembre).
N. Gabillaud. De Chàtillon-sur-Sèvre à
Chalet, monuments et objets préhisto-
riques.
P. de B. La station préhistorique de
Beaurepaire-sur- Oise.
A. Pialat. La Grotte du Taï ;
Congrès préhistorique de France, session
d'Autun, 1907.
Fouilles et Découvertes ; Nouvelles ; Né-
crologie.
Livres et Revues : Hue, Musée Ostéolo-
gique. — S.MuUer. V Europe préhis-
torique (Charles Schleicher).
Musées départementaux.
Babtloniaca. Dir. Ch, Virolleaud; éd.
P. Geuthner, Paris. Ab. 18 fr. T. n (1907-8)
fascU.
St. Langdon. Syntax of compound verbs
in Sumerian.
Id. Sumerian loan^oords in Babylo-
nian.
Id. Lexicographical note : natu, galädu-
galätu.
Ch. Virolleaud. De quelques textes divi*
natoires.
Analyses: L. W. King, Babylonian
Chronicles (St. Langdon).
BUrXETINS BT MÂMOIRBS DE LA SOCIBTB D*AN-
THROPOLOGIE DE PARIS. 1907. PSSC. 3.
G. Cîourty. Sur les pétroglyphes à tra-
vers le monde.
Zaborowski. A propos de Vorigine son-
danienne des Malgaches.
Salle. Les funérailles chez les Betsileo.
L, Manouvrier. Les crânes et ossements
du dolmen de Menouville (Seine-et-
Oise).
Zaborowski. Relations primitives des
Germains et des Finnois.
Nippgen. Origine et époque des emr
prunts d'anciens mots germaniques
par les langues finnoises baltiques,
A. Laville. Au sujet d'un instrument
recueilli dans une carrière à Ville-
neuve-Saint- Georges.
Lieutenant Picard. Observations sur les
Mahafalys.
Alexandre Schenk. Les populations de
la Suisse depuis la période paléoli-
thique jusqu'à répoque gallohelvéte.
S. Wateff. Taxihes pigmentaires chez
les enfants Bulgares.
Louis Lapicque. Tableau général des
poids somatique et encéphalique dans
les espèces animales,
E.-T. Hamy. Deux crânes de Oualolos»
REVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
Mo 8 t SOMIIAIRE
Pages
A. VAN Gbnnbp : Une nouvelle écriture nègre ; sa portée théo-
rique 129
Oaudbfroy-Dbmonbynbs : Rites, métiers, noms d'agent et
noms de métier en arabe 140
A. Wernbr : Some notes on the Bushman race 145
Mauricb Dblafossb : Le peuple Siéna ou Sénoufo (suite) . . 151
Oabribl Fbrrand : Note sur le calendrier malgache et le
Fandruana (suite) 160
Analyses : Hüntinoton, The Puise of Asia (A. v. G.) ; Fynn,
T%e American Indian as a product of environment
(id.) ; FAÏTLOvrrcH, Proverbes abyssins (R. Basset);
Galtibr, Coptica^rabicay I (id.) ; Burrows, T?^
Discoveries in Crete et Mosso, Sscursioni nel Medi-
terraneo{k.3.KBisACE) 165
Notices bibliographiques (M. Delafossb, 0. Fbrrand.Ch. Mon-
tbu,, a. v. G.) 179
Sonmiaires des Revues 189
Chronique 192
. PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RUB MAZARINE, 68
Mars 1908
PROGRAMME
de la Bévue des Etudes Ethnographiques et Sociologiques
Inteniationale, MensaeUe
Par sociologie, nous entendoDS Tétude de la vie en société des hommes de tous
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de leur civilisation matérielle, he champ de la Revue est donc vaste. L'on y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé, la science
des religions, l'histoire de l'art, etc., et l'on y fera appel aux branches spéciales
comme Tégyptologie, Tassyriologie, Torientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, ou étude anatomique des variétés humaines, ne rentrera dans notre cadre que
dans la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déterminées et leurs civilisations ; il en sera de même pour la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer révolution des institutions et des
idées. Il se dessine d'ailleurs, ces temps derniers, une direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques
compte collaborer effectivement.
Mous suivrons, entre autres, d'aussi près quo possible le mouvement scientifique
en pays slaves, les travaux russes, polonais, tchèques, ruthènes, bulgares, etc.
manquant d'un organe français qui les mette en valeur comme ils le méritent. De
même, nous rendrons compte avec soin des travaux hongrois, roumains, grecs, etc.
Nous attribuerons une grande importance à la rubrique Bibliographie, qui com-
prendra des analyses critiques, de courts compte-rendus, les sommaires des revues
et des collections.
La langue de la Revue sera de préférence le français ; mais l'anglais, l'alle-
mand et l'italien y seront également admis. Les honoraires seront de 1 fr. 25 =s
1 mk = 1 sh. la page, les illustrations comptant comme texte. Les auteurs auront
droit à 25 tirages à part pour les Mémoires et Articles et à 10 pour les Communi-
cations, Descriptions d'objets, etc.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres,
Clamart, près Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur, 68, Bue Mazarine, Paris (VP), au
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques.
Abonnement pour un an : France : 20 frs. — Etranger : 22 frs.
Abonnement de luxe, planches sur Japon : 160 frs. — Années écoulées 30 frs.
MO 1 : Janvier 190e : J. G. Frazbr : St George and the Parilia. — Maurice Delafossb : Le
peuple Siéna ou Sénoufo. - Charit Boreux : Les poteries décorées de l'Egypte prédy-
nastique. — Analyses : J. B. Pratt, The psychology of religious belief {Goblet d'Al-
viELLA); Koch-Grünberg, Südamerikanische Felszeichnungen (A. van Gennep); G.
Jacob, Geschichte des Schattentheaters (id.). — Notices bibliographiques. — Sommaires
des Revues. — Chronique.
N« 2 : Février 190e : Andrew Lang : Exogamy. — Maurice Delafosse : Le peuple Siéna ou
Sénoufo (suite). - Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fandniana.
— Analyses : R. von Lichtenberg, Beiträge zur ältesten Geschichte von Ej^pros (A. j!
Reinach) ; R. Düssaud, LHle de Chypre particulièrement aux âges du cuivre et dû
bronze (id.); E. Pechuël-Loesche, Yolkshunde von Loango (A. v. G.) ; Fr. S. Krauss,
Las Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; G. Frdbderici, Die Schiffahrt der Indianer (id.)!
— Notices bibliographiques (C Mondon-Vidailhbt, A. J. Reinach, A. v. G.). — Sommai-
res des Revues.
REES, 1908
PliAMOHB VI
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1908.] VAN GENNEP : UNE NOUVELLE ÉCRITURE NÈGRE. [P. 129.
UNE NOUVELLE ÉCRITURE NÈGRE ; SA PORTÉE
THÉORIQUE
[>ar A. VAN Gennep (Clamait).
On ne connaissait jusqu'ici qu'un seul système d'écriture dont on fût sûr qu'il
a été inventé par des Nègres : récriture vaï. Cette écriture a été l'objet de maintes
études et de maintes discussions, qu'on trouvera exposées et critiquées dans un
article de Maurice Delafosse^.
Tout récemment, M.Göhring^, missionnaire au Kamerun, a annoncé la création,
dans une région relativement peu éloignée de celle où habitent les Vaï, d'un sys-
tème d'écriture qui se rapproche de celui des Vaï sur quelques points, tout en s'en
éloignant beaucoup sur d'autres. Cette invention est, semble-t-il, restée inaperçue ;
du moins je ne sache pas qu'on en ait mis en lumière les caractères, qui sont tels
que la question compliquée de l'origine de l'écriture et des alphabets se trouve
subitement avancée d'un grand pas. €ur quelques éléments secondaires du problèmOi
cependant, les deux articles de M. Göhring ne donnent pas de renseignements. Je
lui ai donc écrit, et il a bien voulu répondre, avec une obligeance dont je tiens à le
remercier ici, aux questions que je lui posais.
La région de Bamum, dans le Kamerun allemand, est actuellement gouvernée
par un jeune roi, Njoya, doué de beaucoup d'initiative. Il s'était fait remarquer déjà
à plusieurs reprises par des innovations intelligentes et c'est sur son ordre et sous
sa direction qu'a été combinée la nouvelle écriture. Sous le règne de son père
vinrent dans le Bamum un certain nombre de marchands haoussa, qui apportèrent
avec eux des livres écrits en arabe : cette vue éveilla l'intérêt du jeune Njoya,
alors âgé de seize ans. Il acheta très cher sept de ces livres, dont un Qoran.
M. Göhring obtint du roi de les envoyer à Bale pour les faire examiner par des
arabisants « qui essaieront de déchiffrer cette écriture ancienne^ ».
Il eût semblé naturel que le jeune Njoya apprit simplement l'écriture arabe,
pour la répandre, après son avènement, dans ses Etats. Mais il se refusa, en partie
par orgueil, en partie par xénophobie, à adopter cette écriture étrangère, de même
que plus tard il ne voulut pas de l'écriture « européenne », importée par les mis-
sionnaires et les fonctionnaires coloniaux. Mais il se résolut à doter son peuple
d'une écriture nouvelle.
Il réunit un certain nombre de ses soldats et ordonna à chacun « d'inventer un
* Maurice Delafosse. Les Vaï; leur langue et leur système (T écriture. ExtcaÀt (43 pages)
de V Anthropologie^ T. X (1899). L^écriture vaï est linéaire et cursive.
* Der König von Bamum und seine Schrift, Der Evangelische Heidenbote, T. LXXX
{I901)n^e,pi>. il'42; Die Bamum-Schrift, ib. 1907, n» 11, pp. 83-86. On trouvera repro-
duites ici les deux planches publiées par M. Göhring dans VEv. Heidenbote; j'ai traduit en
français les mots allemands et numéroté les colonnes et les signes pour faciliter le manie-
ment de la seconde. On trouvera en outre dans le n«» 2 de 1908 du même journal quelques
signes Bamum reproduits à une plus grande échelle.
' J'ignore le résultat de Texamen; mais de toutes manières je doute qu'il puisse fournir
des éclaircissements sur la technique de l'alphabet de Njoya, sauf, si dans le nombre des
manuscrits s'en trouvaient de « magiques », pour quelques signes dont je parlerai plus loin*
^nn.
P. 130.1 • R • E • E • S • [1908.
signe spécial pour chaque mot monosyllabique, et pour les mots polysyllabiques,
autant de signes différents que le mat contiendrait de syllabes » . Il compara tous
les signes ainsi obtenus entre eux, « les simplifia ou les compliqua à son idée ».
L'écriture une fois fixée, le roi en organisa l'enseignement ; il acheta aux mis- ^
sionnaires des ardoises et se mit à instruire en personne ses sujets. Pour les exercer, £^
il échange avec eux dos lettres. Vers le milieu de 1907 il y avait déjà dans la capi-
tale Fumban (à tort désignée par les Européens sous le nom de Bamum), plus de
600 indigènes capables de lire et d'écrire. En outre le roi a commencé des archives ; ^
il inscrit les recettes et les dépenses sur des livres spéciaux, etc. -«^
Tels étaient les premiers renseignements publiés. 11 en ressortait quatre faits <
importants : 1*^ Tinventcur est un chef, c'est-à-dire un individu qui a un intérêt ?^
plus direct à pouvoir écrire et lire ; 2** l'idée de l'invention lui a été suggérée par
la vue d'écritures importées, arabe et latine . 3^ il a fait appel, pour Tinvention
matérielle, à un nombre assez grand d'individus et ne s'est réservé que la codifica- ^«^
tion de ces inventions individuelles ; 4** il a préféré l'écriture syllabique à l'écriture
alphabétique d'une part, ou idéographique complète de l'autre.
L'examen de la planche VI donnait cependant à penser que ces inventions
individuelles ont été soumises à des règles. Le fait par exemple que Ü == homme^ -
y est représenté par un homme les bras écartés faisait supposer que les autres .^ '
signes doivent avoir aussi un sens figuratif. Ce sens était impossible à découvrir /
à l'aide du texte traduit (le paier), qui renferme en majorité des mots abstraits. Z-
Plus tard, M. Göhring a donné la liste complète des signes, au nombre de 350, qui
constituent le système du Bamum (pi. VII) : on y constate un grand nombre d'idéo- ^ ^
grammes, dont les suivants m'ont été affirmés et expliqués par M. Göhring dans sa ^
lettre :
>
Col. 8 n** 1 1 viser : un arc avec une flèche ; ^<^
— 8 — 14 poule : corps avec deux jambes ;
— 8 — 17 serpent ;
— 9 — 4 lit : cadre du lit ;
— 9 — 16 panier ; ,y^
— 9-18 pot; Z7
— 11—6 perles : deux perles fixées à un fil ; y
— 11 — 7 tabouret : pour s'asseoir ; ^
— 12 — 10 gaîne : pour les couteaux ; p"^
— 12 — 14 ventre : on voit le cou, la tête et les jambes, mais la partie du K, -*
corps désignée spécialement est exagérée ;
— 12 — 16 soleil; ^
— 12 — 17 couteau : dans la gaîne col. 12, n** 10 ; *^
— 9 — 25 oreille ;
— 9 — 26 tambourin ;
— 1 — 13 champignon ;
— 2 — 17 oiseau : volant ;
— 13 — 20 instrument de musique, violon, guitare ;
— 7 — 10 poches, pochettes ;
— 16 — 19 fil, corde ;
— 6 — 1 assiette, plat ;
— 14 — 1 gens ;
— 6 — 9 en haut : sur les gens j
^<.
■^ ^.
Planche VII
f ^ "^^ i^ Ï5;i « :2r
. ■^,,^^ ir^^ M^ ■^■^^' p'^'"^'
^^^iL --^ ^^4^ '^^^^ /^^
xTt^ ^ ^tce/iuvii, " /^^
* /7 ^ [
-Lad »>
.^
1908.] VAN GENNEP : UNE NOUVELLE ÉCRITURE NÈGRE. [P. 131.
Col. 2 u^ 9 cuire : sorte de trépied en fer sur lequel ou pose le pot pendant
la cuisson ;
tombe ;
œil : les deux yeux ;
lune.
On pourrait aisément compléter cette liste; et j'ai indiqué par l'abréviation
(iJ.) dans le tableau suivant^ les signes qui me paraissent être à coup sûr des idéo-
grammes directs.
1 —
9
2 —
1
13 —
13
Col. 1.
14 être enceinte
11 5
15 dourah
12 dormir
1 [Début de la ligne]
16 moutons (id.)
13 soir
2 [Fin de la ligne]
17 oiseau (id.)
14 hanches
3 Banane (id.)
15 salut
4 craindre
Col. 3.
16 avoir fini
5 soir
17 et
6 construire une maison
, 1 vous
lier (id.)
2 dire
Col. 5.
7 venir
3 tomber
8 [syllabe]
4 oublier
1 6
9 tombe (id.)
5 circoncire
2 7
10 rester longtemps a^sis
6 tue-le 1
3 8
11 ôter qque chose de
7 mon défunt père I =
4 9
12 ami
serment
5 10
13 champignon (id.)
8 crayon (id.)
6 sorte de danse (id.)
U oncle
9 ils
7 bois à brûler (id.)
15 champ (id.)
10 cheval (id.)
8 forge
16 travailler
11 cornes (id.)
9 mon, ma
17 pluie (id.)
12 a
10 ma maison
18 prendre, tenir
13 laver
11 tenir
14 boire
12 choisir parmi
Col. 2.
16 cour (id.)
13 battre la brousse
16 époux
14 sauter
1 œil (id.)
15 feu
2 flèche (id.)
Col. 4.
16 bufle (id.)
3 gronder, injurier
4 enfanter
1 enfant (id.)
Col. 6.
5 être fou
2 échelle (id.)
6 fort
3 je
1 assiette, plat (id.)
7 être enthousiasmé
4 appartenir à
2 éléphant (id.)
8 payer une dette
5 deux dix (orteils?) = 20
3 ta maison
9 cuire (id.)
6 fossé do circonvallation
4 eau (id.)
10 en haut
7 1
5 terre (id.)
1 1 commettre Tadultère
8 2
6 refuser
12 garder [des bestiaux]
9 3
7 maïs (id.)
13 sentir, sentir mauvais
10 4
8 conserver, cacher
1 La ligne d'écriture au bas de la planche signifie : (signe de début) son nom NdSoya,
Pa-mum ma Fu-mbân fsigne de terminaison), c'est-à-dire : Njoya, Pamum à Fumban (noms
du roi, du pays et de la capitale).
p. 132.]
• R • E • E • S
[1908.
9 en haut, ciel
11 viser (id.)
5 briser en ouvrant
10 CO
12 dire (au roi)
6 ?
11 aplanir (à la hache)
13 donner
7 noir
12 écouter
14 poule (id.)
8 entendre
13 derrière (prép.)
15 bois de palmiers exploi-
9 vieux
14 devant (»)
té pour le vin de pal-
10 arbre
15 quoi?
me (id.)
11 poser sur, mettre (un
16 laisser, quitter
16 épouser
bonnet, etc.)
17 serpent (id.)
12 poivre (id.) .
Col. 7.
18 combien?
13 midi (id.)
19 enfants, gens (id.)
14 plume (id.)
1 nager
20 poison à flèches
15 écrire
2 veodre
21 revenir, retourner
16 ordonner, défendre
3 [syllabe]
17 médecine, remède
4 [négation, avec le verbe Col. 9.
18 caisse
être]
19 canot
5 en vain
1 bateau (id.)
20 partager
6 après
2 battre du tambour (id.]
21 et
7 cœur
3 pierre (id.)
22 frères
8 céder, remercier
4 lit (id.)
23 sorte de légume (id )
9 ils
5 montagne (id.)
24 tenir, attraper
10 poche (id.)
6 jour férié et sacré
25 penser
11 cadavre (id.)
7 carquois (id.)
26 dos (id.)
12 termite à ailes (id.)
8 gomme (id.)
27 va-t-en !
13 faire
9 huile de paimo
14 suspendre à uu clou (id )10 Tinsensé
Col. 11.
15 introduire
11 fumier
16
12 œuf (id.)
1 un homme (générique)
17 couper
13 funérailles
2 ferme (id.)
18 beaucoup
14 discourir, bavarder
3 déposer
19 non
15 aider
4 crier, pleurer
20 noix de Kola (id.)
16 panier (id.)
5 répondre
21 m
17 sorte d'abcès
6 perles (id.)
22 cercueil (id.)
18 pot (id.)
7 tabouret, chaise (id.)
23 [syllabe]
19 ê:ro fatigué
8 poison
24 se reposer
20 vite
9 couper
25 mourir
21 Dieu
10 bras (id.)
22 poisson
11 pisang(id.)
Col. 8.
23 mesurer
12 brûler (maison)
24 aujourd'hui
13 s'en aller
1 ne pas être présent
25 oreille (id.)
14 viande
2 long
26 tambourin (id.)
15 lOX 10.000=100.000
3 regarder
27 fer
16 jeu, jeu do dés, (id.)
4 chèvre (id.)
17 neveu
5 vin de palme
Col. 10
18 compter
6 [syllabe]
19 hache
7 atteindre, réussir
1 adulte (id.)
20 aiguille (id.)
8 plante qu'on sème
2 nous
21
9 [syllabe]
3 calebasse
22 germer (id.)
10 prêter à gages
4 à vous, à eux
23 sorte d'arbre
1908.] VAN GENNEP : UNE NOUVELLE ÉCRITURE NÈGRE. [P. 133,
24 là-bas
15 cancer (maladie)
17 miel
25 ici
1 6 démolir (une maison etc
^)18 fumer (du tabac)
17 aller se promener
19 année
Col. 12.
18 sorte de mets
19 cime de palmier
20 chanter
1 blanc
20 violon
Col. 16.
2 pioche, pelle
3 os
4 i
Col. 14.
1 grande cour (quartier)
2 ?
3 perto, dommage
5 chercher •
1 gens
6 doux, sucré
2 planter des céréales
, 4 guerre, combat
7 serrure, fermer (id.)
etc. (id.)
5 rôtir
8 ?
3 être plein
6 toi, tu
9 vêtement, habits
4 haricot (id.)
7 limon, boue
10 gaine (id.)
5 aller
8 voler (prendre)
11 chose, objet
6 tout, tous
9 peau, cuir
12 travailler
7 lance (arme)
10 mamelle
13 propriétaire d'une cour 8 appelle-le
1 1 rêve, rêver
(maison) (id.)
9 sel
12 porter
14 ventre (id.)
10 caurie
13 gobelet
15 bouche (id.)
11 à lui
14 frapper
16 soleil (id.)
12 hippopotame
15 être perdu
17 couteau (id.)
13 don, cadeau
16 maison
18 amulette (id.)
14 bois, forêt
17 mon
19 apprendre
15 [particule]
18 ils
20 ils
16 petit chef
19 fil, corde (id.)
21 bœuf à bosse
17 couvrir (la maison
22 vivre
d'herbes)
Col. 17.
23 manger
18 son (possessif) (?)
24 farine
19 être (verbe) (?)
1 tu, toi
25 cou
2 être doué, intelligent
26 faim
Col. 15.
3 sorte d'arbre dont le
fruit est comestible
Col. 13.
1 longue pipe
4 jeune fille qui garde les
2 aider à sortir de
chevaux
1 ?
3 ambassade
6 hutte d'herbes (id.)
2 sorte d'abcès
4 [syllabe]
6 [syllabe]
3 assiette
5 ?
7 pied, jambe (id.)
4 semaine
6 alligator
8 truffe (id.)
5 clef (id.)
7 dehors, en plein air
9 fouet (id.)
6 cheveu
8 mauvais, abimé
10 rouge, brun, jaune
7 nuit, sombre
9 bière de doura
Il furieux, en colère
8 visage (id.)
10 mon
12 100
9 voir, regarder
11 ville, pays
13 1.000
10 rire
12 cour devant la maison
14 ?
11 10.000
13 mets, manger (id.)
15 tête (id.)
12 faire lever en frappant
14 marché (emplacement)
16 vent, orage
le sol de son bâton
(id.)
17 rasoir (id.)
13 lune (id.)
16 roi
18 voir, regarder
14 riche, richesses
16 beau, bon
19 [signe terminal]
p. 134.] • R • E • E • S • [1908.
On sera peut-être porté à reconnaitre à bien d^autres sigues qu'à ceux marqués
(id.) uoe valeur idéographique directe. Mais l'examen d'idéogrammes certains,
comme celui de l'œil (col. 2, n* 1), do la tète (col. 17, n^ 15), de l'œuf (col. 9,
n* 12) doit rendre prudent : les soldats de Njoya et Njoya lui-même ont tu et
rendu les objets d'une manière plutôt déconcertante, au moins pour des Européens.
L'écart entre notro dessin et notre vision d'une part, et ceux de ces Nègres est
surtout frappant si on examine par exemple les idéogrammes égyptiens, dont
quelques-uns seulement nous causent d'abord un certain étonnement, qui se dissipe
assez vite. Il faut, pour trouver une vision et des procédés de représentation
comparables à ceux de Njoya recourir aux pictogrammes amérindiens par exemple.
Même les dessins égyptiens archaïques, graffiti ou marques sur poteries^ sont,
comme lignes, plus proches de nos habitudes. On peut en dire autant des signes
idéographiques en usage dans diverses écritures anciennes de la Méditerranée
orientale.
Ainsi les animaux sont ici rarement représentés complets : le mouton (col. 2,
n^ 16) est difficile à reconnaître ; de la chèvre (col. 8, n^ 4) on ne voit que la tête
et les cornes ; du poulet (col. 8, n^ 14) que le corps et les pattes ; de l'hippopotame
(col. 14, n^ 12), de l'éléphant, (col. 6, n® 2) et du crocodile (col. 15, n*» 6) qu'une
sorte de schéma, qui représente peut-être une projection du dos, vu d'en haut.
Les objets ovales deviennent triangulaires : l'œuf (col. 9, n® 12), le visage
(col. 13, n*» 8), la bouche (col, 12, n^ 15).
Remarquables encore sont les signes représentant des êtres humains (col. 11,
n* 1 ; col. 8, n® 19 ; col. 11, n* 17 ; col. 14, n*" 1 ; col. 1, n* 14). De même les signes
représentant des végétaux nous déroutent (col. 10, n° 10 ; col. 17, n® 3), mais les
graines gardent leur forme : col. 6, n® 7 (épi de maïs, vraisemblablement) ; col. 10,
n^ 12 (grain de poivre) ; col. 14, n® 4 (haricot).
Il existe une tendance assez nette à la duplication et à la triplication. Je
laisse de côté les signes représentant des organes (col. 2, n^ 1, l'œil ; col. 16, n^ 10
la mamelle) ou des membres (col. 17, n"" 7 la jambe ; mais cf. col. 11, n^ 10, le
bras), où le redoublement s'explique, bien qu'il ne soit guère nécessaire. Par
contre les autres cas de redoublement (col. 1, n^' 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12 ; col. 2,
n^« 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, ; col. 3, n*« 4, 6, 7, 13, 14, 16 ; col. 5, n^ 7, 11; col. 6, n^ 4,
5, 6, 9, 10, 12, 13, 14 ; col. 7, n*^- 2, 4, 5, 6, 11, 13 ; col. 8, n«« 6, 9, 10, 12, 18 ;
col. 9, n*> 21 ; col. 10, n«» 4, 7, 9, 16, 17 ; col. 11, n«- 8, 12, 22 ; col. 12, n<« 1, 9,
11, 12, 19, 20 ; col. 13, n«- 3, 4 ; col. 14, n« 3, 8, 9, 13, 15, 17, 18 ; col. 15,
n* 2, 3, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 18 ; col. 16, n«" 1, 2, Ö, 6, 7, 9, 14, 18, 19;
col. 17, n*»" 2, 3, 6, 10, 11, 14, 16) et de triplication (col. 2, n« 14, 15 ; col. 5,
n«- 9, 12 ; col. 6, n^ 8, 16 ; col. 7, n« 10, 12, 16 ; col. 9, n« 20 ; col. 11, n« 13, 17 ;
col. 12, n~ 2, 4, 8, 22 ; col, 13, n«>» 7, 17 ; col. 14, n°» 5, 13 ; col. 15, n*» 5 ; col. 16,
n® 3 ; col. 17, n^ 1) ne sont guère intelligibles a priori, même en admettant que le
but de Njoya ait été d'éviter toute amphibologie. Le redoublement s'explique peut-
être pour les signes col. 4, n*^ 5 (2 fois 10 ;) et 17 (et ; cf. col. 10, n« 21) ; col. 5, n** 6
(une sorte de danse, peut-être à directions alternées) et 10 (maison peut-être à
deux corps) ; col. 6, n® 9 (en haut : des gens sur des gens, d'après M. Göhring) ;
col. 7, n® 17 (couper : le double signe peut avoir pour but de représenter le section-
nement ; cf. encore col, 10, n~ 5, 13 ; col. 13, n** 16) et 18 (beaucoup) ; col. 16,
n® 12 (porter, peut-être avec les deux bras, ou sur les deux épaules) ; col. 17, n** 9
1 Cf. entre autres J. Capart, Les Débuts de VArt en Egypte, Bruxelles, 1904, flg. 101.
1908.] VAN GENNEP : UNE NOUVELLE ÉCRITURE NEGRE. [P. 135.
(fouet, peut- être à deux lanières) et 15 (tête ; sommet du crâne, nez et yeux ;
peut-être le dessin est-il renversé : sourcils, yeux et bouche, ou menton). Peut-
être le signe pour « être enceinte » (col. 2, n® 14) représente-t-il la figure, les seins
et le ventre de la femme ; maLs cela est peut probable.
D'une manière générale, la duplication et lu triplication d*un signe simple
atteignent surtout les signes ayant à désigner des abstractions : qualités, actions,
conditioos, etc. Pour retrouver le lien originel du dessin, du son et du sens, il
iaudra donc dans tous ces cas ne prendre comme poiut de départ de Tenquète que
le signe simple fondamental. Il est probable que ces modifications sont Tœuvre de
Njoya. Ainsi deviendrait intelligible cette phrase du Heidenbote^ p. 42, col. 2 :
" il mit à répreuve, avec soin, les ilossins qu'on lui avait apportés, les simplifia ou
les compliqua à son idée ».
C'est chose connue que, sauf pour des individus très conscients, et très maîtres
de leur main, le renouvellement d'une technique ou d'un motif ornemental est des
plus difficiles. Les recherches sur le dessin des enfants ont démontré que la faculté
d'invention est au début très limitée : si par exemple on a donné à un enfant un
modèle consistant en un cercle, un trait vertical et quatre traits obliques pour
représenter un être humain, il éprouvera une grande difficulté à se débarrasser de
ce schéma ; il pourra compliquer les extrémités, mettre un carré sur le cercle pour
indiquer un chapeau, etc. Mais il ne lui viendra pas à Tidéo de dessiner de lui-même,
en partant de Tobservation directe, un profil ou un trois-quarts, ni à croiser les
bras sur la poitrine, etc. Ce processus est tout aussi marqué chez les demi-civilisés,
bien qu'il n'ait guère attiré encore l'attention des esthéticiens, sauf sous sa forme
supérieure, en tant que caractère typique d'arts ou de motifs spéciaux (art égyptien,
mycénien, etc. ; méandre, arabesques, etc. ; écoles).
C'est donc en obéissant sans le savoir à une tendance esthétique et psychique
générale que le roi Njoya a sous prétexte d'unification doublé ou triplé la plupart
des signes simples. Et ce procédé une fois trouvé, il n'a pu s'en débarrasser. Dans
un certain nombre de cas, le roi a obtenu des arrangements symétriques^ mais
sans qu'on puisse constater cependant une tendance à la symétrie proprement dite,
et encore bien moins à la géométrisation. D'autre part, l'allure générale des écri-
tures arabe et européenne (latine ou gothique) n'a pas influé sur celle de l'écriture
bamum.
Quelques idéogrammes (du cheval, col. 3, n® 10 ; de la chèvre, col. 8, n^ 4 ; du
serpent, col. 8, n** 17 ; du crocodile, col. 15, n® 6) présentent cette particularité d'être
verticaux et non, comme on s'y attendrait, horizontaux^. Ce quart de conversion
est en général un phénomène assez rare, sauf si les idéogrammes représentent des
objets. Il est par contre courant dans les écritures chinoises archaïques''^.
* Dans sa lettre, M. Göhring a de même dessiné le serpent debout, preuve que telle est bien
la direction normale de ces signes.
* Cf. des cas de ce genre dans F. H. Chalfant, Early Chinese writing, Mem. of the Carne-
gie Museum, T. IV, n« 1, Pittsburgh 1906 : signes 1 (éléphant), 2 (tigre), 4 (cheval), 7 (chien),
8 (poisson), 10 (tortue), 12 (oiseau à longue queue), etc.
M. Chalfant a par hypothèse redonné â ces signes, dans la colonne consacrée aux v formes
originelles probables », la direction horizontale. Mais cette supposition est inutile, comme le
prouve l'écriture bamum.
Voir pour d'autres cas, ib. p. 33 sqq. les idéogrammes relevés sur écailles et os gravés,
trouvés (au nombre de plus de 3000 fragments) en 1899 près do Wei-Hui-Fou (Honan) et qui
portent à ce qu'il semble les plus anciens caractères chinois connus.
p. 136.] • R • Ë • E • S • [1908.
J'avais demandé à M. Göhriog de chercher comment les divers signes avaient été
inventés et pour quelles raisons chaque individu avait représenté tel son par tel
signe de préférence à tel autre signe. Cette question portait moins, il va de soi,
sur les signes présentant une valeur idéogrammatique directe que sur les autres,
d'une interprétation plus difficile, surtout à distance. Ainsi la syllabe si signifiant
oiseauy (col. 2, n^ 17), la représentation de ce son par un oiseau devait se présenter
d'elle-même à l'esprit de l'inventeur. Et dans ce cas l'intervention du roi Njoya ne
pouvait agir que dans des limites assez restreintes, les retouches n'ayant à porter
que sur des détails d'ordre plutôt ornemental et esthétique.
11 semblerait, si l'on examine les réponses des indigènes à M. Göhring, que
l'utilisation scripturale de Tidéogramme n'a pas été atteinte consciemment. « J'ai
interrogé les gens, m'écrit-il et ils m'ont répondu : nous avons fait ainsi sans trop
savoir pourquoi^ n. Or j'avais demandé en même temps à M. Göhring sî les Nègres
du Bamum font usage de marques de propriété. A plusieurs reprises, j^ai proposé
de chercher dans cette institution l'origine des alphabets. A mon sens, les alphabets
arabes sont le résultat d'un choix fait parmi les anciens t^asm ; l'alphabet de
rOrkhon vient des anciens tamga; les alphabets runiques, tant Scandinaves que
finnois et slaves, proviennent des marques entaillées. N'ayant pas de preuves direc-
tes que tel a été le processus primitif, j'espérais en trouver une enfin au Kamerun.
Or M. Göhring est très affirmatif ; il m'écrit : « Il n'existe ici ni marques tribales,
ni marques de propriété, sauf que tous les originaires du Bamum portent une cica-
trice verticale sur le front », au dessus de la racine du nez.
Maurice Delafosse m'avait dit de même que les Vaï ne font pas usage de
marques de propriété et que l'origine de l'écriture vaï demeure inconnue. Il est
* Voici d'ailleurs la lettre que m'a écrite M. Göhring :
Bamum, Post Bamenda, 25/10, 07.
Ihren Brief vom 5. 7'*° habe ich erhalten. Sie interessiren sich für unsere neue Bamum-
Schrift und fragen : « Wie sind die' Zeichen (Runen etc.) entstanden? Warum hat jeder
Soldat dieses anstatt jenes Zeichen gewählt ? n
Das ist eine recht schwierige Frage. Ich habe die Leute ausgefragt und zur Antwort
erhalten : « Das haben wir eben so gemacht, warum wissen wie selber nicht ». Nach länge-
rem Forschen bin ich jedoch zu dem Resultat gekommen : Die Zeichen sind bildliche
{malerische) Barstellungen von Gegenständen. Zum Beweis meiner Behauptung setze ich
einige Zeichen hierher : [Suit la liste des idéogrammes citée plus haut p. 130-131].
Bei sinnlich wahrnehmbaren, also bei konkreten Gegenständen ist das sofort klar und
einleuchtend. Wie steht's nun aber bei Âbstrakta ? Da habe ich auch eine ErklâLrung : die
Leute haben eben nirgend ein Zeichen gemacht, ohne viel dabei zu denken,wie sie mir auch
selbst versichert haben.
Stammeszeichen oder Eigentumszeichen linden sich hier nicht ; ausser dass alle durch
Geburt abstammenden Bamum eine Narbe tragen über die Stime [marque analogue à celle
des Gbato de la Côte dlvoire, REES- PI. II, flg. 5].
Wie die Leute zu den Zeichen [col. 7, n^ 18 ; col. 3, w 4 ; col. 10, n<» 1 et col. 11, n» 13]
gekommen sind, weiss ich nicht ; vielleicht haben sie hier mit einem Malam, d. h. Schrift-
gelehrten der Haussa conferiert ».
C'est la première fois qu'il est donné aux ethnographes de pouvoir suivre dans le détail la
genèse d'un système d'écriture ; et l'on ne saurait assez prier M. Göhring d'en surveiller de
près l'évolution. Le procédé de Njoya fournit un argument inattendu en faveur des théories
de Wimmer sur la création de Palphabet runique par « un homme de génie inconnu », le
« Maître des Runes n Cf. mon article A propos de Vorigine des runes, Revue des Traditions
Populaires, 1906, pp. 73-78, où je fais cependant remarquer que cet inventeur génial a dû
puiser dans un fonds commun de signes, marques de propriété ou autres. En tous cas Njoya
est le « Maître des Runes » du Bamum.
1908«] VAN GENNEP : UNE NOUVELLE ÉCRITURE NÈGRE. [P. 137.
en tout cas certain que ni Talphabet vaï, ni l'alphabet de Njoya ne sont des
décalques ou des adaptations d'autres écritures connues^
Quant aux signes désignant des idées abstraites, leur origine et leur sens sont
plus difficiles encore à déterminer. Les recherches de M. Göhriog ue Tont conduit
sur ce point qu'à recevoir cette réponse : que pour inventer ces sigues, «< il a fallu
beaucoup penser s. Rien cependant, dans leur facture, ne différencie ces signes des
idéogrammes certains, ni une plus grande complexité, ni une plus grande géomé-
trisation, sinon la duplication et la triplication de signes simples dont il a été
parlé ci-dessus.
L'enquête devient donc ici fort délicate. Mais un fait, d'ordre il est vrai plutôt
psychologique, doit être mis en avant : pas plus que Njoya, qui n'a inventé une
écriture que pour avoir vu écrire des Haoussa et des Européens, les soldats n'ont,
je crois, à proprement parler créé des sigoes. Création et invention sont doux termes
qu'il te faut jamais prendre que dans un sens limité, relatif. Le progrès ne se fait
pas par créations successives, mais par perfectionnements de détails et par trans-
positions. Le cas extraordinaire, incroyable même, serait que les soldais eussent,
subitement et par ordre, acquis une connaii^sance du dessin telle que les signes
tracés par eux fussent intelligibles à leurs compatriotes et à leur roi. D'avoir fait
■ sans guère y penser » les idéogrammes, cela signifie je crois que les inventeurs
avaient traditionnellement coutume d'attribuer à ces dessins une signification
déterminée. Tel serait en effet le cas si les signes provenaient de marques de
propriété. Cette hypothèse devant être rejetée, il s'en présente une autre : un
certain nombre de signes ne seraient-ils pas la reproduction de motifs ornementaux
courants ? Une étude approfondie de l'art ornemental, sur cases, ustensiles, armes,
étoffes, etc. dans la région de Bamnm donnerait peut-être cette fois la clef du
problème.
Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses n'est formulée ici à tout hasard, comme
le prouvent entre autres les passages suivants d'une intéressante étude sur les
marques et tatouages dos insulaires de Timor récomment publiée par M. Riedel^ :
« Les habitants de Timor, pour indiquer leurs droits de propriété, utilisent
des moyens secrets et prohibitifs, mala ou signes, qu'on cache, avec une crainte
héréditaire, aux voisins et aux étrangers et où, d'après la croyance populaire,
résident des puissances surnaturelles, à savoir les qualités répressives de membres
décédés du clan On utilise ces signes pour marquer des arbres et parmi eux,
ceux qui contiennent des ruches sauvages, puis les chevaux, les bœufs de trait....
ces mêmes signes sont utilisés sur les i^ëlimuts et autres vêtements de fabrication
domestique, en jaune, en rouge ou en noir. Chaque ligne de chacun de ces signes
a un sens secret, connu seulement des membres mâles de la famille, agnats du
propriétaire originel. Mais actuellement, il n'est plus possible d'en obtenir une
explication exacte Les marques héréditaires de famille et territoriales sont
également tatouées sur les femmes et c'est d'après les tatouages sur ses joues,
son menton et ses seins qu'on reconnaît à quel clan appartient une femme ».
Il ressort de ces passages que le même signe est à la fois : P ulo marque collec-
' Cf. pour Talpliabet vaï, Delafosse, loc, cit., pp. 32 36; les rares analogies relevées entre
quelques caractères vaï et quelques caractères berbères ne sont pas autre chose que des
coïncidences fortuites.
* J. G. F. Riedel, Prohibilieve Teekensen Tatuage vormen op hei eiland Timor ^ Extrait
de la Tijdschrift r. h. Bat Gen. t?. K. en W., XLIX, 3-4, 1907, av. 2 planches.
p. 138.] • R • E • E • S • [1908.
live de propriété territoriale et mobilière ; 2® une marque de clan et de descen-
dance ; 3^ un motif ornemental. Gomme forme, les signes reproduits par M. Kiedel
ittr sa première planche tiennent à la fois de l'idéogramme et du signe alphabéti-
forme.
Cette utilisation d^un même dessin comme marque de propriété et de parenté
et comme motif ornemental, et toujours avec la valeur magico-religieuse du tabou
n'est pas un phénomène rare : il est au contraire de règle chez un grand nombre de
populations dcmi-civiiisces. Il se pourrait donc qu^en cherchant, on fiuisso par con-
stater qu'un certain nombre des signes reproduits par les soldats de Njoya étaient
déjà antérieurement d'un usage courant comme motiâ d'ornementation.
On remarquera que des dessins de ce genre, présentant parfois une certaine
ressemblance ayec les idéogrammes bamum, se rencontrent au Dahomey, au
Benin, au Loango et en d'autres régions guinéennes. Les explorateurs ont négligé
jusqu'ici de faire de tous ces signes des relevés complets ; ils se sont le plus
souvent contentés d'en parler comme d'ornements ou de symboles d'une certaine
valeur magico-religieuse. Cependant quelques ethnographes ont jugé que l'étude
de ces signes conduirait à des résultats intéressants. L'invention de l'écriture bamum
fournit un motif de plus pour que tous ces « symboles » soient relevés avec soin.
Ici encore on constatera certainement l'existence de règles à la fois psychologiques,
esthétiques et techniques, probablement identiques à celles qui président à la
figuration des symboles amérindiens (Huichol, Indiens-Pueblos, Dakota, Sioux, Bel-
la-CooIa, etc.).
Nous nous trouvons donc en présence d'un double groupe d'éléments dont il
s'agit de détermina le lien possible : 1® au Bamum, il existe une série de signes,
quelques-uns idéogrammatiques, qui ne sont employés que pour représenter des
sons ; 2^ ailleurs, dans les régions voisines, et chez un très grand nombre d'autres
peuples, il existe des séries de signes, quelques-uns aussi idéogrammatiques, qui ont
une valeur magico-religieuse, juridique et esthétique. Il y a lieu sans doute de ne pas
généraliser, en passant par exemple d'une population à une autre fort éloignée ; il
faut d'abord étudier chaque cas séparément. Mais, et c'est là la grande utilité de
la méthode comparative, on doit essayer de déterminer les rapports de dépendance
de chaque institution considérée abstraction faite des conditions de temps et de lieu.
Il suffirait que ce lien de dépendance entre les deux groupes d'éléments dont j'ai
parlé fût constaté au Bamum pour que la question des origines des écritures et des
alphabets fit un progrès considérable.
Il apparait provisoirement comme inutile de tenter l'interprétation critique de
chacun des 360 signes du roi Njoya. Quelques-uns cependant attirent spécialement
l'attention. Ainsi la croix représente une aiguille^ la croix branchue la flèche (on
▼oit nettement que le signe est obtenu par la combinaison de quatre flèches) ; une
sorte de triskele (fylfot) veut dire s'en aller (est-ce la représentation d'un chemin
duquel en part un autre, c'est-à-dire la représentation d'un carrefour ? Le carrefour
se représente au Loango par une croix). La polygénèse de la croix ne saurait faire
de doute, pour peu qu'on étudie ce signe, non pas, comme on l'a fait jusqu'ici,
isolément, mais en même temps que tous les autres signes utilisés par le môme
peuple. Des emprunts, comme de juste, sont cependant toujours possibles : le signe
^ De valeur magique ésotérique, fait très important pour Tétude théorique des débuts de
l'art ornemental, et qui peut servir aussi d'indication pour les recherches sur l'art omemen-
tal.des.Nègres.
1908.] VAN GENNEP : UNE NOUVELLE ÉCRITURE NÈGRE. [P. 139,
pour 100 (col. 17, Q'' 12) est nettement le prétendu « sceau de Salomon » et provient
sans douto de quelque grimoire magique importé par les Haoussa, ou a été copié
sur une amulette musulmane. On le retrouve inscrit dans un cercle (col. 9. tx° 6)
pour désigner un jour férié, c'est-à-dire sacré.
Quelques-uns des signes bamum ont peut-être une valeur idéographique
indirecte. Je veux dire qu'on a pu rendre par exemple une syllabe en représentant
un objet dans le nom duquel entre cette syllabe ; soit, avec des mots français : un
tablier pour rendre la syllabe ta puis le mot abstrait agitation ; une voiture pour la
syllabe tu et le mot abstrait vertu. Les signes pour faim (col. 12, n*' 26), travailler
(col. 1, n® 16 et col. 12, n® 12) frapper (col. 16, n^ 14), etc. représentent bien, à ce
qu'il semble, des objets concrets, dont le lien cependant avec ces mots n'est pas
manifeste. C'est peut-être à la recherche de mots répondant à un tel desideratum
que les indigènes faisaient allusion alors qu'ils répondaient à M. Göhring, que pour
trouver les signes se rapportant à des abstractions « il leur a fallu beaucoup penser n.
Ici encore il faut attendre ; nous ne savons d'ailleurs pas si, chose peu probable,
les 350 signes de la planche VI rendent toutes les syllabes sans exception du dia-
lecte bamum.
Il importait en ce moment surtout d'attirer l'attention sur l'invention de
Njoya et sur la découverte de M. Göhring, alors que toute la question des origines
et des débuts de Técriture vient d'être renouvelée par les découvertes récentes en
Egypte, en Crète, à Chypre, etc. de systèmes d'écritures archaïques. Si l'invention
de l'alphabet vaï — le seul alphabet proprement nègre connu jusqu'ici — demeurait
obscure, du moins dans le cas présent aucune idée d'emprunt ni de contamination,
sauf pour quelques rares signes isolés, ne saurait venir à l'esprit. Njoya est
venu montrer comment peut naître une écriture, fait considérable puisqu'il nous
oblige à rejeter un grand nombre d'hypothèses, mais à en accepter d'autres préci-
sément regardées jusqu'ici comme les plus improbables ; il nous fournit un cas
remarquable d'expérimentation en matière ethnographique, autrement intéressant
que l'écriture de Sequoia. Et l'expérience n'est pas près d'être terminée : il sera»
on l'espère, possible à M. Göhring de suivre de près la transformation de cette
écriture, qui tendra forcément à se modifier très vite sous l'influence des individus
et à prendre un caractère cursif — à moins que le roi Njoya n'ait l'idée de faire
fondre des caractères et de fixer ainsi, au moins relativement, les hiéroglyphes de
son invention.
)
/yyW^
p. 140.] • R • E • E • S • [1908.
LINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE.
I
Rites, métiers, noms d'agent et noms de métier en arabe.
par Qaüdbfboy-Demombynes (Paris).
Parmi les idées que M. Meillet a déjà semées dans le champ lioguistique^, il
en est une qui semble prête à faire lever une moissoo particulièrement abondante
d^obseryations nouvelles : c^est que la linguistique, vue sous un certain angle, est
un fait social, c'est-à-dire que certains phénomènes ne sont point la conséquence
des conditions physiques imposées à Thomme par la structure de ses organes par
exemple, mais résultent du caractère de sociabilité inhérent à la race humaine.
En conséquence, Texplication de ces phénomènes ne devra point être cherchée
dans les conditions d'une psychologie individuelle discutable, mais dans celles d'une
psychologie sociale éclairée par l'histoire. C'est un tout petit fait de ce genre
que l'on va essayer d'indiquer ici.
Dans toute société primitive, certains actes magiques ou religieux, entourés
de rites très formalistes, ont dû être accomplis sur un individu à certaines époques
de sa vie par des personnes que leurs relations sociales avec cet individu rendaient
spécialement aptes à remplir ce rôle ; il en est ainsi, par exemple, du lavage rituel
des morts par les membres de leur famille dans le monde musulman, des lamenta-
tions proférées par les femmes autour du cadavre, etc. L'élargissement du cadre
social et la complexité particulière de relations que créait, dans des agglomérations
humaines importantes, le voisinage d'individus n'appartenant pas au même grou-
pement primitif, amenèrent les Arabes à un état de civilisation où l'étude des rites
sociaux est remplacée dans la vie du commun des hommes par d'autres préoccu-
pations ; tout en respectant les rites et en conservant la croyance en leur caractère
obligatoire, la société nouvelle arrive à en confier l'exécution à des individus les
ayant spécialement étudiés et se faisant de leur accomplissement une sorte de
profession ; c'est ainsi que chez les Arabes modernes des villes, le laveur des
morts et la pleureuse sont des professionnels, qui, moyennant salaire, satisfont à
des gestes rituels que la famille du défunt connaît mal et qu'elle répugne à remplir
elle-même. Cette évolution de la fonction sociale devra se manifester dans la
langue, si celle-ci renferme des catégories grammaticales qui se prêtent à cette
transformation ; on sait que les langues sémitiques, l'arabe en particulier, possè-
dent pour l'observation d'un phénomène de cet ordre des instruments d'une parfaite
précision.
L'arabe en effet connaît une forme de substantif verbal pour désigner l'individu
qui exécute l'action exprimée par les trois consonnes radicales d'un verbe, forme
qui peut être représentée par c^âcHc^ ; mais si l'individu répète cet acte, qu'il
devienne pour lui une habitude, une profession, la forme de substantif employée
ï Cf. entre autres travaux de A. Maillet : Comment les mots changent de sens. Année
sociologique, T. IX (1906) et VÉtat acttcel des études de linguistique générale^ Revue
des Idées, 1906, pp. 296-308.
19Q8.] G.-DEMOMBYNES : LINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE. [P. 141.
deyiendra c^acHHi^ ; e^est ainsi que de hamil, « celai qui porte i», on arrive à
hammàl,, « porte-faix ». Donc si, dans les circonstances indiquées précédemment,
la langue a suivi l'évolution sociale, on devra trouver, dans la période ancienne,
une forme c^äc^ic^^ et dans une période postérieure une forme c^ac^c^äc^,
La période ancienne est ici celle des débuts de Tislamisme, c'est-à-dire du
septième siècle de notre ère, et il peut sembler qu'il y ait quelque présomption à
raisonner sur la langue que Ton parlait à cette époque à Médine ou à Goufa. Mais
si nous ignorons à peu près tout de sa phonétique, nous connaissons bien sa mor-
phologie. Ce n'est point en effet une langue châtiée et artificielle que nous livrent
les traditionnistos et les grammairiens de la période classique, c'est le langage de
tous les jours, celui de la tente et de la rue. Pour le traditionniste qui veut résoudre
une question de droit conformément aux prescriptions du prophète, pour le gram-
mairien qui veut préciser une question de syntaxe, pour Thistorien qui veut rappeler
un fait célèbre, ce n'est point un texte qu'il faut chercher à reproduire, c'est une
phrase du prophète, accompagnée souvent des propos les plus divers de ceux qui
l'approchaient, c'est le vers du poète et un commentaire vivant donné d'un mot par
un contemporain, c'est le récit d'un témoin oculaire ; et jamais le style indirect ne
viendra travestir l'expression reproduite ; nous sommes toujours en face du propos
même, de la parole vivante. Quels que soient les remaniements que ces « textes n
aient parfois subi, on peut dire que les recueils des traditions prophétiques ou
hadithf les poésies anciennesde forme si familière en général, et les recueils his-
toriques livrent les secrets de la langue parlée à l'époque classique, et que ces livres
et les admirables dictionnaires, tels que le Lisän el Arabj où des érudits ont pos-
térieurcmeiit classé une quantité énorme de vocables, nous permettent des recher-
ches et des constatations assez précises pour autoriser des comparaisons avec la
langue actuelle. La langue de l'époque classique connaît les deux formes de sub-
stantif qui ont été indiquées plus haut ; la langue actuelle se sert de l'une et de
l'autre. Cherchons donc si, par une différence d'expressions, elles vont marquer
l'évolution sociale que nous avons signalée.
D'après la législation musulmane ou sounna^ le lavage des morts est un acte
rituel très compliqué, qui est suivi d'un ensevelissement rituel et qui doit être
accompli, soit par le conjoint du mort, soit par un de ses proches dont la liste est
soigneusement dressée par la loi, d'après un ordre déterminé. Mais sous les influen-
ces sociales qui ont été indiquées précédemment, les musulmans des villes cessèrent
bientôt, pour la plupart, d'accomplir eux-mêmes sur les membres de leur famille
des rites funéraires, dont ils négligeaient de s'instruire et dont l'exécution impar-
faite pouvait avoir pour leur vie éternelle, comme pour celle du défunt, les plus
terribles conséquences. Ce furent des fouqdha^ des hommes pieux et savants dans
les rites, qui, formaat une sorte de confrérie d'ensevelisseurs, se chargèrent désor-
mais des funérailles ; mais ils semblent n'avoir point eu toujours une compétence
parfaite, et surtout ils se consacrèrent sans doute uniquement aux obsèques des
grands personnages. Un ouvrage fort intéressant du XIV"" siècle, le Madkhal
d'Ibn el Hadj^, qui est le traité des choses qu'un bon musulman ne doit pas faire,
dit en effet : Parmi ces hommes, « il en est qui connaissent bien les principes, mais
qui ne savent pas les appliquer ». L'auteur conseille donc à tout fidèle qui veut
être enterré correctement, de désigner par mesure testamentaire le personnage
1 Kitäbou el Madkhal par Abou 'Abd Allah Mohammed el Abdéri Ibn el lladj : le Caire
1320 hég., 3 vol. — Voy. t. ill, p. 9 et suiv.
p. 142.] • R • E • E • S • [^^^1:
pieux qui de ses propres mains, pratiquera sur lui les rites, ou qui du moios en
suryeillera scrupuleusement Texécution. Ce personnage, accomplissant un acte
religieux qui lui sera aussi profitable à lui-même qu'au défunt, s'il est vraiment un
brave homme, mm *ahli Ikhaïri waç çalâhi, n'attendra sa lécompense que de la
faveur divine. Ibn el Hadj constate avec regret que cet espoir est, pour la plupart
des laveurs de morts, un billet à trop lointaine échéance, et qu'ilj ont pris l'habi-
tude de s'approprier les vêtements du défunt ; pour éviter cette soustraction, les
familles, avant de livrer les cadavres au laveur, les dépouillent de tous leurs habits
et les laissent ainsi dans un état de nudité que réprouve la loi musulmane, comme
les mœurs. Ibn el Hadj, très opportuniste, pense donc qu'il serait préférable de ne
point s'en tenir strictement aux principes et d'accorder aux laveurs un salaire, en
leur interdisant formellement de s'approprier les vêtements des morts.
En présentant ces observations, l'auteur désigne constamment le laveur par le
mot ghâsil^ qui est la forme classique et juridique du nom d'agent. Mais, tout-à-
coup, jetant un nouveau coup d'oeil vers la réalité et parlant do la situation lamen-
table où, de son temps, les mœurs sont parvenues à Fez, il raconte que les laveurs
de morts peuvent y être divisés en deux catégories; Tune est composée de gens
instruits et consciencieux qui, sans rétribution, lavent selon les rites les musulmans
morts après une vie pieuse et respectée; quant aux autres, qui lavent, moyennant
salaire, le reste de la population, ce sont des gens sans moralité et sans instruction,
qui appartiennent à la plus basse classe. Et devant ce détail précis, d'une réalité
immédiate, il emploie la forme de nom de métier, ghassâlin, et fournit ainsi la
preuve que, de son temps, la langue avait déjà suivi l'évolution de l'institution
sociale. Au Maghreb, à l'heure actuelle, c'est en effet la forme ghassäl qui est géné-
rale^ et, la fonction sociale est salariée et peut être considérée partout comme un
métier. Ailleurs il ne semble pas que l'évolution se soit faite, et le laveur de mort,
même habituel et professionnel, est vosié ghâs il. Eu Egypte, où un texte d'Ibn lyas
(XV® siècle), donne ghasila'^^ en parlant d'une femme qui parait bien une profession-
nelle, il semble qu'on emploie encore aujourd'hui un nom d'agent, celui de la
seconde forme verbale monghassiP, Dans les proverbes de Burckbardt^, c'est aussi
ghcLsila que l'on trouve; mais un proverbe peut conserver une expression vieillie.
L'évolution parallèle de l'institution sociale et de la langue est plus difficile encore
à observer dans le cas des pleureuses funèbres. Les lamentations accompagnées de
gestes rituels que les femmes font entendre autour du cadavre non encore inhumé
et auxquelles elles joignent son éloge funèbre, constituent une vieille cérémonie de
la vie arabe, où Mahomet craignait d'entendre invoquer d'anciens dieux et qu'il
s'efforça d'abolir ; mais il ne put y réussir, car cinq femmes seulement, dit un hadith
de Oumm Atiyya^', se décidèrent à lui obéir, et la coutume est restée aussi vivante
parmi les Arabes modernes et les Arabisés qu'elle Tétait à l'époque antéislamique :
* Voir notamment Desparmet : Enseignement de Varahe dialectal : t. II, p. 257. —
Dictionnaire de Bbaussibr, etc.
* En 840 (1436),le sultan défend aux femmes de sortir dans la rue la nuit; «quand Xdighcuila
voudra sortir de nuit pour aller laver un mort, elle prendra une feuille de eireulation chez
le préfet de police (mohtasib) et elle la portera sur son bandeau de front, cousue à son voile,
podr qu'on sache bien qu'elle est ghasila, » Ibn lyas, Histoire d'Egypte, cité par Dozy in
Diction, des noms de vêtements, p. 29.
8 Lane : Modem Egyptians, 5« édit. 1860, p. 513.
* BuRCKHARDT : Arabic proverbs, 2« éd. 1875, n^ 412.
5 El Bokhari ; Les traditions Islamiques, trad. Houdas et Marçais. Paris 1903, I, p. 422.
1908.] G.-DEMOMBYNES : LINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE. [P. 143.
il ne parait pas possible d^ailleurs de tracer des limites à l'étendue géographique de
cet usage. Les lamentations sont des actes rituels, accomplies par les femmes de la
famille et de la fraction de tribu qui forme une unité et un groupe distinct de tentes ;
mais reloge du mort exige des qualités d'improvisation, des dons poétiques qui ne
sont point accordés à toutes les femmes au même degré ; et chaque groupement
social eut Dcccssaircmeut une ou plusieurs improvisatrices, qui preoaient tout
naturellement la première placo dans les cérémonies funèbres, et chez lesquelles
Texécution de Tacte rituel tournait à Thabitude, sioon au métier. L'éloge funèbre
devint par le génie de quelques-unes un genre littéraire, et tout le monde arabe
connaît el Khansa, qui fit durant toute sa vie Téloge de ses frères Sakhr et Moawia
tués dans d'anciennes querelles et dont le Ehalifo 'Omar, fatigué de l'entendre
pleurer, cherchait sans doute à calmer l'enthousiasme poétique en lui disant qu'elle
déplorait avec raison le trépas de païens morts avant la mission du prophète et
voués aux feux tie Tcnfer^. La langue classique ne parait avoir laissé aucune trace
du caractère d'habitude que la lamentation funèbre a dû prendre chez certaines
femmes, et c'est la forme de nom d'agent nâïha et nädiba, au pluriel nawaih et
nawädS) qui seule se trouve dans les textes. Le kiidbou el màhasin wal addäd^
attribué à cl Djahiz et remontant tout au plus au dixième siècle, ne fait aucune
allusion aux pleureuses de son temps et désigne les émules d'el Khansa par le nom
d'agent, au pluriel « sain » nädibäV^, Ihn el Hadj, qui, au quatorzième siècle, expose
en détail dans son madkhal les rites des lamentations funèbres et qui les réprouve,
semble ne connaître que les pleureuses appartenant à la famille du mort ou aux
maisons parentes ou voisines; il emploie aussi le nom d'agent naïhat^. Dans un texte
d'ibn lyas, on trouve encore nädiha^ bien qu'il semble qu'il s'agisse d'esclaves
professionnelleb^. Dans l'arabe moderne, le nom de métier est général : il existe
en Orient, en Egypte, en Algérie, au Maroc : c'est nadddbät^ nawwâhat^ ou encore
waççafatj c'est-à-dire celles qui « décrivent » les mérites du mort^. Mais il faut
établir une distinction : ces expressions ne désignent que les pleureuses à gages qui
viennent renforcer, pour ainsi dire,le bataillon des parentes qui continuent à pratiquer
les rites funèbres : quant à ces dernières, il semble qu'elles ne soient désignées par
aucun substantif; on exprime l'acte qu'elles accomplissent par un verbe à un mode
personnel.
Ces observations, un peu vagues, posent une question, plutôt qu'elles ne la
résolvent. Des exemples comme ceux qui précèdent sont trop peu nombreux et
trop peu précis pour permettre une généralisation. Il faudrait se demander pourquoi
des mots qui désignent un métier ou une habitude, comme läjir^ << un marchand »,
fâriSf « un cavalier » ont gardé la forme du nom d'agent ; pourquoi un mot tel que
* Le livre des beautés et des antithèses y attribué à el Djahiz, éd. Van Vloten. Leyde.
1898, p. 188.
* Ibid. p. 186 suiv.
3 Un texte de Bokhari (éd. du Caire, t. Il, p. 27, et trad. Houdas et Marçais, t. II, p. 72)
parlant du salaire des esclaves pleureuses, emploie toujours näihät.
* «Quand mourut el Melik el Moayyad... on ne trouva pas dans sa maison un caleçon
(mizar) pour couvrir les parties naturelles du cadavre; on prit alors le caleçon de Tune des
pleureuses (aljawäri nnäthät)n; cité par Dozy, Diet, des noms de vêtements. Amsterdam,
1845, p. 39.
5 Voir Dictionnaires do Bocthor et de Beaussier ; — Daumas, Vie arabe, p. 137 ; — ^
Cohen-Solal, Mots iisuels, p. 89; — Desparmet, op. ci7. p. 254; — Doutté, Merrahech, l,
p. 355, etc.
p. 144.] • R • E • E • S • [*®°8-
qäbila^ « one sage-femme^ », n'est point devenue qabbala quand l'acte devenait
nettement un métier^. Quoi qu'il en soit, il serait intéressant d'essayer de constater
le principe supposé de la concordance entre la langue et le fait social dans la
géographie linguistique et sociologique du monde arabe, c'est-à-dire d'examiner si,
parmi les habitants d'une ville soumise à des mœurs qui s'écartent de vieilles
coutumes, des noms de métier ne désignent point des personnes qui, chez des tribus
campagnardes, peu transformées depuis quatorze siècles, portent des noms ayant
conservé la forme du nom d'agent. On pourrait ainsi saisir sur le vif des modifica-
tions lioguistiques, dont les conditions sociales pourraient être observées avec une
précision que ne permet point l'étude des textes.
^ Voy. sur ce mot, notam. Desparmet, op. cit. p. 8.
* Nourrice qui était en arabe classique mour(jtfa, nom d'agent de la quatrième forme
est devenue rcujUfä'a déjà dans Ibn Qounfoud (15* siècle), in J. A. 1851, 1. 1, p. 55. d. 1.
(trad. Cherbonneau).
REES, 1906
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1. « Portuguese Angoni «, i. e. from beyond the Portuguese border which runs N-S. along
the Kirk Mountains. — Photo taken at Mandata by Mr. Jamieson.
2. « Angoni n girl, sifting meal. — Photo by J. Gray Kunje (Blantyre).
REES, 1908
Planche IX
3. « Angoni » ticld workers (boys and girls) at the Lunzu,
near Blantyre. — Photo by Mr. .lamieson.
4. « Angoni n Held workers. — Photo by Mr. Jamieson (Blantyre).
1908.] WERNER : SOME NOTES ON THE BUSHMAN RACE. [P. 145.
SOME NOTES ON THE BUSHMAN RACE
by Miss A. Webneb (Londres).
Comparatively little is known, even now, of the South African Bushmen,
though the researches of Schinz, Passarge and Stow, not to mention the late
W. H. J. Bleek and Miss Lucy Lloyd (much of whose most valuable material is un-
fortunately still in MS) have done something to correct the misconceptions current
with regard to that remarkable people. Statements unthinkingly copied by one
« popular V writer from another — such as that the Bushmen are destitute of even
the rudiments of government and tribal organisation, that family ties and family
affection are all but unknown to them, that they may be taken as representing
the very lowest level of « primeval savagery », that their language scarcely attains
the level of articulate speech are now shown to have little or no foundation.
It may be taken as certain that the Bushmen were (if we leave out of account
the doubtful traditions of an earlier race referred to by the late Dr. Stow') the
aborigines of South Africa, and occupied as nomadic hunters the whole of what is
now the Cape Colony. It would seem that Ihey had not, at the time of Van
Riebeek's landiog, been entirely displaced by the later Hotteotot immigrants, for
we find that the latter were continually at war with the (( Sonqua » (Bushmen),
and it is probable that one of the tribes mentioned in the early records (the
Hessequa) were either Bushmen, or a mixed race, partly Bushman and partly
Hottentot*. The Bushmen are now, as a separate race, virtually extinct in this part
of the country. They are still, however, to be found, in comparatively large, though
diminishing numbers, in the Kalahari, where Dr. Passarge estimates them at,
roughly speaking, about 3000. For the outlying districts, in the absence of even
the imperfect data on which the above computation is based, it is impossible to
arrive at even an approximate number, but it is probable that the total may be
somewhere between 5000 and 10000 souls. The latest Transvaal Government
Report on Native Affairs states that there are some Bushmen in the Wolmarans-
stad and Ermelo districts, besides the few scattered ones still to be found in the
Orange River and Cape Colonies. Among other erroneous notions with regard to
the Bushmen is that which assumed them to have no tribal differences, but to be
alike, in language and otherwise, wherever found. The remarkable uniformity of
their habits, weapons, implements, &c, arising from the similar, if not identical
conditions under which they live, gives some colour to this idea; and their language
was for many years so little studied, that uniformity in this respect was more or
less taken for granted. Dr. Bleek and Miss Lloyd, it is true, became aware of
dialectic differences even in the small number of Bushmen accessible to them, but
the subject has been very little followed up, and as late as 1897 we find that a tra-
veller who discovered the existence of Bushmen beyond the Okavango, did not think
it worth his while to take down any words of their language.
^ Races of South Africa, pp. SO, 80.
• Id. ib., pp. 244, 248.
p. 146.] • R • E • E • S • [^®^®*
Dr. Passarge has collected yocabularies of no less than six Bushmen dia-
lects, some of which, at least, are certainly entitled to rank as distinct languages.
In all, we may reckon some 29 or 30 tribes for the Kalahari region, not counting
the Cape Colony Bushmen (who call themselves Khuai), those previously moDtionep
in the Transvaal, and one or more extinct tribes in Basutoland and elsewhere. It is
possible that the so-called Vaalpens of the Transvaal are also a Bushman tribe, as
their language, according to the latest information, contains click-sounds and can
be understood by Bushmen from the Cape Colouy.
Dr. Passarge considers that the Kalahari Bushmen belong to two stocks, one
speakiog (with dialectical variations) the ^Aikwe, the other the '^Aukwe language.
These languages are so different that not only is each unintelligible to the speakers
of the other, but little or no similarity can be traced in their word-roots. There
may possibly be a third stock further south, comprising the southern '^Kung,
Ma^gwikwe and Hei ^Guin, but too little is yet known about these tribes to speak
with any certainty.
Considering the relatively large area occupied by the Aikwe and Aukwe lan-
guages, the variety of language among the southern Bushmen, as reported by Hahn
seems truly remarkable. Passarge^s explanation is probably the right one : — I. c. iz.
that, lying in the line of the great tribal migrations, fragments of dismembered
and displaced peoples were crowded together at the extremity of the continent.
« In der Kalahari dagegen, dem Gebiete der relativen Ruhe und Stagnation, haben
sich die grossen Völker erhalten^ n.
But, when we speak of the Bushmen as virtually extinct we must, as above,
add the qualification, « as a separate race ». They have left their mark on the
population of South Africa both by way of friendly intermarriage and forcible
incorporation of captive women and children in the conquering tribe.
The Tamaha, or Red People are said* to be a mixture of Bechuana and
Bushmen ; the « Tambukis » of Cape Colony are a blend of Bantu and Bushmen'
and individuals or families showing evidences of Bushman descent are frequently
met with among Bantu tribes. The family of Nondenisa, in the Noodsberg district
of Natal (belonging to one of the Zulu tribes settled in that country) followed up to
a comparatively recent time the Bushman custom of amputating the last joint of
the little finger on one hand^. This was formerly done by the Tambukis, and
^ P. 30.
« Stow, p. 427.
^ stow, 129, 160-70. They were a division of the Abatembu tribe who intermarried with
the Bushmen tribe of ^Tarabu'ki. « Isolated fugitives from the various advancing branches
first came in contact with the aboriginal Bushmen occupying the country, then came small
detached clans far in advance of the main body, too few in number to appear in any other
guise than that of friends and suppliants. During this phase of the intercout*se between
the various races,... friendly relations were maintained, and a half-casie race with various
gradations of intermixture sprang up at the different points of contact. »
* Stow, p. 129. This « was almost universal among the Bushman tribes ». It « was
performed with a sharp stone, » and was believed to ensure their happiness after death.
Other authorities state that it was believed to increase the general strength of the body.
Dr. Passarge does not mention it as in use among the Kalahari Bushmen. — I may add that
the present representative of the Nondenisa family above referred to says that his father
considered the mutilation too bai^barous, and discontinued it, substituting three parallel
soars on the cheek. My acquaintance and his children, the elder ones, at any rate, all bore
this last mark.
1908.] WERNER : SOME NOTES ON THE BUSHMAN RACE. [P. 147,
seems to be derived from the Bushmen, wherever found. It is practised by the Hill
Damara, who, if not partly Bushman by descent, have at least adopted some Bush-
man habits.
These mixed races have, unlike the pure Bushman, who has never been
anything but a hunter, taken to agriculture — in the case of the Hill Damara in a
very elementary form, but still suflBcient to mark an advance.
It has often struck me that there must be a considerable proportion of Bushman
blood in the so-called « Ângoni » of the western districts of Nyasaland. The real
Angoni, of course, are the Zulu conquerors who came from the south during the
first half of the last century ; but the name is also applied to the various tribes who
became incorporated with them in the course of their wanderings, and also to their
Ânyanja and other subjects. Many of these Anyaoja west of the Shire River, while
speaking the same language as the the Mang'anja of the Shire Highlands and the
river banks, who are typical Bantu, differ very considerably from the latter in phy-
sical type. They are small and wiry, (whereas, among the Mang^anja,men of six feet
are not uncommon), but are dark brown instead of beiug yellow like the Bushmen.
1 should say also, though on this point I would not like to speak confidently without
further observations, that in some individuals the hair exhibits a tendency to the
floconné or « pepper-corn » growth so characteristic of Hottentots and Bushmen.
As in most cases, the depth of colouring varies to some extent in different families,
or even between different members of the same family ; and I remember one girl
who was noticeably light-complexioned, but without any tinge of yellow ; it was
rather as if the brown had been bleached, so may have been purely accidental.
These « Aogoni » are often found working on plantations at Blantyre, and
very good specimens are frequently to be met with in the gangs of carriers
(« tenga-tenga men t) employed in the transport of goods and passengers between
KatuDga's and Blantyre or Matope. As a good deal of intermarriage with Yaos took
place some twenty-thirty years ago, in consequence of the Angoni raids into the Shire
Highlands, there would be a greater variety of types in the present generation, but
in 1893-4 the one above referred to was still very marked. A curious contrast was
afforded by a few men of what has been called the Ndotic type — tall and thin, wit h
immensely long legs, and, if I can trust my recollection, of a somewhat lighter
shade of brown than their neighbours. These described themselves as coming, so
far as one could make out, from the Matengo country, north of the Uovuma, where
they had attached themselves to a band of the Augoni on their return migration
southward.
These » Angoni » live by cultivating the soil, and during the dry season hire
themselves out for plantation or carrier work as aforesaid. Men as well as women
work in breaking up the ground and sowing the seed ; the subsequent weeding is
chiefly done by the women. But they are also, to a certain extent, hunters. A man
here and there possesses a flint-lock or percussion-cap gun, and bows' (disused by
the Yaos) are in common use, with iron arrows for war and blunt wooden ones for
killing birds. They set pitfalls and traps for game, and also hunt with dogs. But
they are also, as Passarge says of the Bushmen*, « collectors », though not in so
systematic a fashion as if this were their only resource. All sorts of plant, known
^ 1 have noticed some bows, at least,which have the string attached at one end, but only
wound round the other, for convenience in tightening up, as mentioned by Passargo, p. 5di
' « Der Buschmann ist heutzutage in erster Linie Sammier» nicht mehr Jäger. » P. 57*
p. 148.] • R • E • E • S • [1908.
to them as good to eat kukadza njcHa^ — « in the time of hunger ■ — are
sought for in the bush and on the open plain, during that interval at the beginning
of the rains when the last season^s corn is finished, and the new is not yet ready.
Locusts and wild figs, both despised by the more prosperous dwellers on the other
side of the Shire (who say of both these articles of diet « the Angoni eat them 1 i
in a tone which implies «The Angoni would eat anything 1 ») — beetles, caterpillars,
white ants, wild honey — all is fish which comes to their net. For cultivation, the
iron hoe is in general use, but the digging-stick of the Bushmen (nchokoto) seems
to be known by tradition. As to their moral character, they possess the good
qualities ascribed to the Bushmen by those who have had the means of knowing
them best, with the additional advantage of the traioing gained through generations
of agricultural life. They are kindly, cheery, faithful and hardworking ; very
patient under difficulties and hardships, not of great muscular strength but
with marvellous powers of endurance. They have warm family afftc- tions, and
the modest simplicity of their women is very pleasing.
They live in round huts, made of posts interwoven with grass, and covered
with a conical thatched roof. This type of hut (as distinguished from the hemisphe-
rical huts of the Zulus, Hereros and others, and the rectangular constructions to be
found in some parts of the Congo basin) seems to prevail throughout East Equato-
rial Africa, and as far south as Delagoa Bay. I am not aware whether the exact
limits of these three types of architecture have been worked out.
The domestic animals kept by the « Angoni » are goats, a few sheep (ihe native
fat-tailed kind), fowls, pigeons, the paria dogs which pick up a living somehow
about the kraal and the hunting dogs previously mentioned, which are of a better
breed and better cared for, but not possessed by every one. The fashion of shaving
the head in patterns, leaving tufts and ridges of short hair, rather than building up
the hair into a more or less complicated structure is practised by the Bantu all
over this part of Africa. Passarge^ speaks of it as common among the Kalahari
Bushmen. A fashion which I was accustomed to hear spoken of as specially « Angoni»
was that known as Tcu teka mimu^ — the head is shaved on both sides, leaving a
crest running along the median line of the skull down to the nape of the neck. The
hair on this crest is allowed to grow, and, when long enough, separated into tails
which are tightly bound round with palm fibre. Passarge says (1. c). « Man sieht
auch Leute, deren Kopf bis auf einen Schopf über der Stirn oder einem Kamm in
der Winkel linie des Scheitels glatt rasiert ist » — but does not mention any further
treatment.
Two or three interesting points are to be noted in connection with ornaments.
Bangles cut out of hide are frequently worn both by Bushmen and Angoni, and I
also obtained some specimens of the plaited grass rings which Passarge speaks of
(pp. 90-91). He says that he at first took them for brass rings, and thinks other
observers may have done so too, as « in der ganzen Literatur finde ich keine
Erwähnung dieser originellen Schmuckgegenstände. Leutnant Gentz ist der einzige
der sie sah und auch sammelte ». It is uncertain whether these were made in imita-
ation of brass wire bangles, or if the latter, which are very popular among the Bush-
men as well as other natives, have tended to replace them. Passarge who thinks
them of great importance from an ethnographical point of view, inclines to the latter
view ; the former may perhaps be supported by the Zulu etymology of the word
» P*3ô.
1908.] WERNER : SOME NOTES ON THE BUSHMAN RACE. [P. 149.
umpekambedu which, according to Coleaso's Dictionary meaos « the indigo plant,
80 called because children dye armlets of grass with indigo, then dry them in the
sun (peJca) and so imitate izimhedu (brass rings) with them » All depends here on
whether the word uhedu (singular of izimhedu) originally meant rings of brass, or
was only transferred to them when they superseded rings of some oth r material.
I have not been able to verify the « indigo » plant which, from the context would
seem to be used for a yellow dye ; the rings I obtained both in Nyasaland and Natal
were not dyed ; and this agrees with Passarge's description : « Diese Grasringe
sind, wenn neu, hellgelb glänzend. Namentlich die Gräser des Flussgebiets liefern
prachtvolle Ringe, die besonders von den Sklavenkindern gefertigt und getragen
werden n. He describes them as « spiralig geflochten «. Those made by children in
Natal were spirally twisted, like a rope, but not plaited, but those made by the
« Angoni » children at Ntumbi (Upper Shire District of Nyasaland) were very
neatly plaited round a central core, probably of grass stalks. The men were also
very neat-fingered in making little reed combs to be worn in the hair, of the same
kind which are seen throughout Nyasaland ornamented with bead- work. The Angoni,
however, used to ornament theirs with a kind of mosaic in slips of black and white
grass stuck on with gum.
Glass beads of European origin are now so universal throughout Africa that we
are apt to forget that there was a time when the natives were without them. The
Afigoni now know, so far as I am aware, no other kind ; but I have sometimes won-
dered whether they did not in former times produce home-made beads like the
letsa} of the Bushmen. The only trace I have been able to find of such manufacture,
if it ever existed, is in the discs attached as rattles to the musical instrument
called sansi^ which are chipped out of the shell of the Achatina snail, and their
edges ground smooth on a stone. Stow's description* of the ostrich- egg-shell beads
made by the Bushmen recalled to my mind a number of these shell discs in a more
or less unfinished state, which I once found at Ntumbi, and which are now in the
Ethnological Museum at Cambridge.
I do not know whether to class among small arts which may have been handed
down to these Angoni by their possible Bushman ancestors the making of string bags
by a process best described as netting without a knot : a row of loops is first made
and increased by passing the end of the string through each one, going round and
round till the desired size is reached. I never saw a bag so made by an adult, nor
a specimen of more than a few inches in length ; the art seemed to be chiefly prac-
tised as a pastime by children. It is interesting to note that when I showed one of
these bags to the Ituri pygmies who were recently in England, they recognised it
at once, and said that they made the same kind at home.
A musical instrument known as mtangala, of which a specimen is now in the
Cambridge Museum resembles the bushman goraj but is of still simpler construc-
tion. It is merely a straight reed about two feet long, with a string attached to one
end and wound round the other, so that it can be tightened or loosened at pleasure.
One end is held in the mouth and the string made to vibrate with the finger ; there
is no quill as in the gora. I have since heard from Miss M. E. Woodward that the
instrument is common at Likoma, but only played by women. My specimen, the
only one I ever saw, was obtained from a girl. This might suggest that the ancestors
of the Angoni were a Bantu clan who had taken Bushwomen as wives.
^ Passarge pp. 84-86. Moletsa is a Sechwana word — the Bushmen call them * Khore.
* Pp. «3, 52, 139.
p. 150.] • R • E • E • S • [1908.
Another instrumeot, if it can be so called, is mentioned by Dr. Passarge : the
bull-roarer, the Nodiwu of the Amaxosa. Of this he only saw one specimen, in the
possession of a slave-child among the Batauana, who was clearly of Bushman
origin. It was known to the Bushmen who accompanied the traveller, and is also
known to the Ituri Pygmies, who call it tora. With them, as with the Amaxosa, it
is a toy for children ; but in the latter case there are traces of a former religious
significance, which it apparently still possesses among the Yoruba. The distribu-
tion and use of this instrument in Africa has still to be studied.
A subject which would repay further study is the possible connection between
the Zinyau dance of the Anyanja, and the Nadro of the Bushmen. An excellent
photograph and description of this dance, as witnessed at Mikorongo, are given by
M. Edouard Foa in La Traversée de V Afrique^ pp. 40 et seq. The animal masks are
well shown in the illustration, and should be compared with Stow's account of the
Nadro (pp. 45-46 — pp. 97-98; cf. also pp. 82-83 and 111 &c.) Mr. Sutherland
Rattray says : « The Chinyau .,. is undoubtedly in some way connected with
totemism... this custom has, no doubt, near mission stations and anywhere where
the natives have become partly civilised, lost all its original significance, and
become just a dance in which men dress up as animals and dance ^ for the fun
of the thing v, as the account in Dr. Scott^s Dictionary shows, and which any half-
civilised native will tell you is all that is meant by it. The Zinyau dance is con-
stantly heard all over the Angoniland plateau, and can be easily distinguished by
the particularly weird cadence of the songs which are sung. The following is all the
writer has been able to discover about it : It is danced in connection with a fune-
ral, always when there is no moon, or before the moon rises. In connection with it
there is a mystic society and only members of this society can be present at the
dance. Any one not a member was instantly killed if found intruding. New mem-
bers wishing to join the society had to undergo all sorts of ordeals, some amounting
to torture, some revolting, and some frequently resulting in death, and all this to
impress on the novice the necessity of secrecy with regard to all that he saw and
heard. The society had a cryptic language and a pass-word with a countersign. r>
At the dance «... different men (members of the society) dressed up as animals
and danced about (women were allowed to be present as they are supposed to be
« foolish n and « easily deceived ») .. The idea in the whole affair seems to be to
make people think the animals are real animals, and that one is the dead man
risen from the grave and reincarnated. » (pp. 178-179). According to other autho-
rities, however, this dance takes place at the initiation of young people, and not at
funerals. It is possible that practice varies locally in this respect. We were given
to understand at Ntumbi, that girls were not « danced », i. e. that no initiation
ceremonies took place there. Certain dances whieh went on at night, and may have
been connected with funeral celebrations,were described to us as unyago (=chinyau).
These few notes have no pretension to do more than indicate some lines on
which I think further inquiriesi might be puroned.
* The works referred to in the foregoing are :
Stow (G.-W.) The Native Races of South Africa. London (Sonnenschein) 1905.
Passarge (Prof. Dr. Siegfried). Die Buschmänner der Kalahari. Berlin (D. Reimer) 1907.
Rattray. (R. S.). Some Folk-lore, Stories and Songs in Chinyairja. London (S.P.C.K.) 1907.
Foa (Edouard). Bu Zambêze au Congo Français. La Traversée de V Afrique. Paris
(Plon-Nourrit et Cie.) 1900.
I
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P, 151.
LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO
par Maubice Delafossb (Côte d'Ivoire).
(Suite).
14. — L'ameublemeat.
Les meubles propremeDt dits sont rares et peu compliqués.
Chez les Siéua noo islamisés et n'ayaut pas subi d^iofluence étraugère, le lit
est souvent absent : on couche sur le sol même de la case, parfois sur une natte
assez grossière en paille d'herbe ou en lamelles de nervures de raphia ; cependant
on rencontre aussi (fractions centrale et du nord- est) un lit fait d'une seule pièce
do bois, très étroit, ressemblant à un banc très bas, pourvu de quatre pieds massifs,
avec Tune des extrémités relevée comme un avant de bateau et servant dWeiller.
On trouve aussi de petits billots do bois sur lesquels ceux qui couchent par terre
appuient, non pas la nuque — car les Noirs ne dorment pas sur le dos en général —
mais le côté de la mâchoire. Dans les fractions sud et sud-est, les nattes, plus
fines, sont en feuilles de raphia et on les recouvre souvent d'une sorte de couver-
ture faite de Técorce d'un ficus frappée et étendue à coups de maillet ; dans les
mêmes fractions, comme partout où Tinfluence mandingue a pénétré, on trouve
parfois de véritables lits, bas mais assez larges, en nervures de raphia, avec l'endroit
de la tète surélevé : on les recouvre de tissus épais en coton, de fabrication indi-
gène, et parfois de couvertures de fabrication européenne. Chez les Nafâna, comme
chez les Abron leurs voisins, on dispose en général plusieurs pagnes sur la natte
avant de s'y étendre.
Les sièges sont très rares là où les influences mandingue ou agni-assanti ne se
sont pas fait sentir et consistent le plus souvent en une pièce de bois cylindrique,
sorte de billot à surface légèrement concave, reposant sur trois ou sur quatre pieds
grossiers. La plupart du temps les Siéna s'asseoient par terre, ou sur leurs talons,
ou sur un rondin de bois ou une pierre, ou encore sur le manche d'une houe posée
de façon à ce que l'angle de l'emmanchure s'ouvre vers le sol ; les femmes au
marché s'asseoient sur leurs corbeilles renversées. — Chez les Nafâna, on trouve
les tabourets rectangulaires des Abron, à siège incurvé et à pied central ouvragé ;
on y voit aussi, sur beaucoup de places publiques, trois minces troncs d'arbre
reposant sur des fourches verticales et étages de façon à ce qu'on puisse appuyer
les pieds sur le bois inférieur, le derrière sur celui du milieu et le dos sur celui du
haut ; cette sorte de banc orne également les places de plusieurs villages Siéna des
autres fractions, mais il est beaucoup moins répandu que chez les AgniAssanti. —
Chez les Guimini et les Takponin, on trouve le tabouret rectangulaire sans pied, à
intérieur évidé ou non et à poignée sur le côté, en usage au Baoulé, ainsi que des
chaises en nervures de raphia à dossier très incliné et des tabourets carrés également
en raphia mais avec siège en paille. — Enfin, partout où a pénétré soit l'influence
mandingue soit l'influence agni-assanti, on rencontre l'universelle petite chaise
basse au siège fait d'une planche polie reposant sur quatre pieds très courts et
pourvue d'un dossier formé d'un morceau de bois incurvé que soHtiennent deux
p. 152.] • R • E • E • S • [1908.
montants prolongeant en haut les pieds de derrière. Les chefs en déplacement se
font toujours escorter d'uo jeune garçon — souvent l'un de leurs fils — portant une
chaise de ce modèle ou encore une chaise pliante en bois et fer ou une chaise
cannée de fabrication européenne.
On aperçoit parfois chez les gens riches des hamacs en ficelle de raphia, tressés
comme des filets, que Ton suspend sous un arbre ou sous Tauvent de la case et
dans lesquels on fait la sieste ; mais ce luxe est excessivement rare chez les Siéna
non mandicisés.
Comme meubles correspondant aux coffres absents, on doit citer les grandes et
petites calebasses sphériques pourvues d'un col en bois, en écorce ou en cuir, sur
lequel s'adapte un couvercle, ainsi que les urnes et divers récipients en poterie qui
garnissent le bas dos murs de chaque case à l'intérieur, reposant souvent sur des
socles en terre construits a4 hoc^ et qui vont parfois se superposant les uns aux
autres jusqu'à la toiture. Il faut y ajouter les sacs en vannerie et en cuir pendus
aux poutrelles du toit.
Certains récipients sont spéciaux aux voyageurs : ce sont des gourdes et
calebasses de formes et contenances diverses, qu'on se suspend à l'épaule au moyen
d'une ficelle de chanvre ou de raphia, et qui renferment de la farine de mil destinée
à être mélangée à l'eau de boisson pour la rendre nutritive, des cauries pour les
menus achats, etc. ; c'est encore la peau de bouc ou d'antilope en forme d'outre
que l'on porte en sautoir ou pendue à l'épaule et qui sert de valise au voyageur
quelque peu fortuné ; c'est enfin la petite sacoche en cuir ouvragé de fabrication
étrangère (Mandingues du Nord, Haoussa, etc.) où Ton enferme les objets précieux
(monnaie française, talismans, papiers délivrés par l'administration, etc.). Chez les
gens portant le costume musulman, la vaste poche située sur le devant de la robe
(dalmatique ou gandoura), et qui va de la poitrine aux genoux, tient facilement
lieu de valise ; le fond rabattu du bonnet malinké ou dioula sert également de
réceptacle à la tabatière, à divers papiers, à des médicaments, au bâtonnet à
nettoyer les dents quand il n'est pas passé sur l'oreille, etc.
Le foyer j qu'il soit situé dans la case ou au dehors, se compose de trois pierres
entre lesquelles sont passés les morceaux de bois à brûler, disposés comme les
rayons d'une roue, et sur lesquelles repose la marmite, toujours à fond sphérique
ou ovoïde. Chez les Siéna les moins primitifs, les pierres sont souvent remplacées
par les mottes d'argile durcie en forme de cône ou de moitié d'œuf qu'on trouve
universellement employées chez les Agni-Assanti et fréquemment chez les Man-
dingues.
Dans un certain nombre de localités — notamment dans le nord de la fraction
sud, dans la fraction nord-est et dans le nord-est de la fraction centrale — on voit,
accolé au mur extérieur de la case, sous l'auvent que forme le bord du toit, ou,
plus rarement, à l'intérieur, une sorte d'établi en argile durcie à la surface duquel
est encastrée une dalle de granite préalablement polie par les pluies ; une autre
pierre de granite, également polie, et de forme vaguement cylindrique ou cubique,
tenue des deux mains par les femmes, leur sort à réduire en farine les grains posés
sur la dalle de l'établi. Cette sorte de meule, qui remplace avantageusement le
mortier à pilon, n'est qu'exceptionnelle chez les Siéna, tandis qu'elle est générale
chez les populations de la haute Volta (Lobi, Dagâri, etc.).
1908«] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. ±53.
16. — Les ustensiles de ménage et de cuisine
D'abord les poteries : elles sont en général de forme sphérique ou sphéroïdale,
brunes et assez grossières dans les fractions du nord et du centre ; yentrues^ noires
et plus fines dans les fractions du nord-est, du sud et du sud-est. La coloration
brune est obtenue par la cuisson, la coloration noire au moyen du suc de certains
fruits. Les poteries des Siéna sont généralement fort sobres d'ornements : souvent
elles n'en ont aucun, souvent on se contente d'un ou de deux légers filets en creux
entourant le col du vase, parfois le bord des plats et des assiettes est comme gaufré,
ou orné de dessins géométriques en creux (triangles, losanges, points et traits) ; ce
n'est que très rarement qu'on observe des figures en relief, et elles sont alors fort
grossières.
Certaines poteries ne sont pas destinées à aller au feu et servent, soit à con-
server l'eau ou les grains dans les cases (immenses jarres sans col contenant de 10
jusqu'à 50 litres et plus), soit à puiser l'eau dans les rivières et les fontaines
(jarres plus petites, à col assez allongé et évasé par en haut, ou sphériques avec
ouverture assez étroite et sans col), soit à tenir lieu de plats et d'assiettes (écuelles
aplaties, compotiers à pied qui, debout, servent de plat, et, renversés, servent de
couvercles). D'autres poteries, mieux cuites, sont faites en vue d'aller au feu : ce
sont les immenses marmites où se prépare la bière de grains, et les marmites
spbéroïdales ä col court et évasé ou sans col, de dimensions plus modestes, qui
servent à cuire les aliments ; il n'existe pas de couvercles proprement dits, mais
on fait usage souvent, pour en tenir lieu, d'une seconde marmite renversée sur la
première, ou d'un plateau en vannerie qui sert habituellement de van ou de séchoir.
On trouve aussi des plats en hois noirci, en forme d'écuelles ou d'assiettes
creuses sans bords, et des plateaux de bois circulaires servant à la préparation du
cousscouss, et, incidemment, à supporter les charges des femmes en voyage, mais
ces plateaux ne se rencontrent guère chez les Siéna non mandicisés.
Les calebasses desséchées puis vidées jouent un rôle considérable dans la vie
domestique des Siéna, moins cependant que dans celle des Mandingues. On trouve
la grande calebasse sectionnée en demi sphère qui sert à laver le linge et les
aliments, et dans laquelle on dépose les galettes de pâte de mil ou de maïs ou le
riz après cuisson ; elle est utilisée aussi comme malle par les femmes en déplace-
ment, au moyen d'un filet qui embrasse et la calebasse et ce qu'elle contient et se
noue au sommet de l'édifice. On trouve encore des calebasses de même forme, mais
plus petites, servant d'écuelles, de verres à boire, de cuiller à puiser Teau dans les
fontaines ou les grandes jarres, etc. ; des calebasses-gourdes servant, les grosses de
bouteilles, les petites de poires à poudre ; de minuscules calebasses sphériques
servant de tabatières ; des calebasses rondes munies de couvercle précédemment
décrites au chapitre de l'ameublement ; d'autres calebasses également munies de
couvercle, mais plus petites, servant à enfermer du tabac, de la graisse, etc. ;
enfin des petites calebasses à col très allongé qui, sectionnées en deux suivant la
longueur, font office de cuiller à pot ou de vase à boire^
Un instrument de cuisine fort répandu est un agitateur en bois servant à
remuer la bouillie de mil ou de maïs en ebullition : c'est un bâtonnet de 40 à 50
^ La petite gourde à mince col allongé et souvent recourbé qui sert chez les Agni-
Âssanti aux injections rectales ne se rencontre que chez les Siéna des fractions sud et sud-
est en contact intime avec des Baoulé, des Nguié (Mango-Foué) ou des Abron.
p. 154.] • R • E • E • S • [1908.
centimètres de loog, terminé par une sorte de palette en forme de pelle (fig. 44).
On voit aussi un agitateur formé d'une tige do plante arborescente ou d'arbuste au
sommet de laquelle on a conservé, sur Tespace de trois à quatre centimètres, les
branchettes latérales ; cet agitateur, qui ressemble eu [ilus grand à celui doat usent
les Anglais des tropiques pour préparer le cocktail, sert parfois à la cuisine, mais
est surtout employé pour remuer la bière de mil et pour agiter la teinture d'indigo.
Les couteaux sont, soit des couteaux droits de fabrication indigène en forme
de poignard effilé à double tranchant et à manche court, soit des matchetes ou des
couteaux droits de fabrication européenne.
Les balais sont faits, les uns de minces branches d'un arbuste spécial (analogues
à nos balais de genêt), les autres de paille d'herbe fine réunie en un long et mince
cylindre.
En vannerie on a : des vans ellipsoïdaux, servant aussi à faire sécher au soleil
des champignons, légumes et condiments ; des sacs ; des corbeilles de formes diver-
ses, dont la plus originale se compose d'un fond plat carré ou rectangulaire pourvu
de quatre anses circulaires formant les quatre faces de la corbeille : on entasse les
objets sur le fond et l'on maintient l'échafaudage en attachant les anses l'une à
l'autre au moyen d'une ficelle ; c'est cette corbeille dans laquelle les fimm(s trans-
portent au marché les céréales, légumes, etc. ou les rapportent des plantations ;
au marché, elles vident leur corWille, en étalent le contenu à terre, la renversent
sur ses anses et s'assoient sur l'envers du fond comme sur un siège.
Il me faut aussi mentionner les corbeilles de forme hémisphérique, générale-
ment enduites de bouse de vache, qui servent à transporter les céréales et graines
qu'on ne saurait entasser dans la corbeille à anses (mil en gerbes ou en grains, riz,
haricots, etc.). On en use aussi pour abriter les poules pourvues déjeunes poussins
contre les entreprises des milans.
Les cages à poules , qui servent à transporter la volaille le matin dans les champs
et à l'en rapporter le soir, ou à la transporter aux marchés, sont en général des
sortes de corbeilles hémisphériques ou à peu près coniques, faites d'arceaux de bois
disposés verticalement et maintenus entre eux à l'aide de ficelles formant des lignes
horizontales ; la base est en vannerie ou en filet grossier ; près de la base est ména-
gée une ouverture étroite que ferme un petit arceau de bois supportant un treillage
de ficelle. Ces cages à poule sont portées sur la tète, ou, plus souvent, à deux à la
fois, suspendues par le sommet aux deux extrémités d'un bâton que l'on porte sur
l'épaule.
Le décorticage du riz, l'écrasement des ignames bouillies et la mise en farine
des grains de mil, maïs, haricots, etc., se font dans le mortier de bois universel
dans l'Afrique nègre, au moyen de longs pilons à deux têtes ; les feames pilent
seules ou à deux, parfois à trois, alternant alors les coups de pilon sur un rythme
fort régulier ; on mouille de temps en temps l'extrémité du pilon en la trempant
dans l'eau (dans le cas d'écrasement d'aliments cuits), pour empêcher la pâte de
s'accumuler et de gêner ainsi l'opération. Les mortiers des Siéna sont lourds et
grossiers. Parfois, on use, pour la préparation de la farine, de la meule sur établi.
(Voir au chapitre U).
Les graines oléagineuses, les feuilles et écorces ou racines servant de médica-
ments, les feuilles de tabac, etc., s'écrasent sur une grosse pierre de granite bien
polie, plate ou légèrement concave, posée à terre, à l'aide d'une petite pierre ronde
de quartz ou de granite ou encore d'un rouleau de bois dur, que l'on tient des deux
mains, accroupi ou agenouillé par terre.
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1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 155.
En général, les Siéoa n'ont d'autre moyen de s'éclairer la nuit que d'aviver,
en soufflant dessus, le feu qui couve sans cesse dans les cases, au moins dans celles
des femmes, ou d'y allumer des torches primitives faites de brins de paille réunis
en forme de balai cylindrique, brins de paille qui sont souvent empruntés à la toi*
ture de la case. Cependant, surtout dans les pays d'influence mandingue, on fait
souvent usage de lampes de fer fabriquées par les forgerons Siéna ou Mandingues :
ces lampes consistent en une sorte d'écuelle accolée par le bord à Textrémité supé-
rieure d'une tige de fer dont le bout inférieur est pointu et se fiche dans le sol
(fig. 45) ; Técuelle est remplie de beurre de karité ou de iama dans lequel trempe
une grossière mèche de coton ; l'un des bouts de cette mèche est amené sur le bord
de l'écuelle et, enflammé, répand une lueur assez vive mais fuligineuse et fort mal
odorante.
Les Siéna, comme tous leurs voisins d'ailleurs, ne connaissent ou tout au moins
n'emploient aucun moyen artificiel d'allumer le feu. Ils disent qu'à l'origine le feu
a été donné à leurs premiers ancêtres par un incendie produit par la foudre ; depuis,
dans chaque famille, on a soigneusement conservé le feu en l'entretenant nuit et
jour à l'aide d'essences de bois qui font peu de flamme et peu de fumée, se con-
sument lentement, mais s'éteignent fort difficilement ; lorsqu'on se déplace pour
quelque durée et qu'on sait ne pas trouver de feu là où l'on doit séjourner ou cam-
per — par exemple, quand on va aux plantations et qu'on doit y cuire le repas ou
y coucher, ou bien quand une longue étape sans village force le voyageur à coucher
sur le bord de la route — on emporte quelques-uns de ces tisons avec soi ; les Siéna
les tiennent à la main, le bout embrasé tourné vers le sol, et les agitent de temps à
autre pour entretenir la combustion ; lorsqu'il fait froid, ils les tiennent presque
appuyés contre leur poitrine entre leurs bras croisés ; souvent les chefs qui se sont
adonnés à Tusage de la pipe se font suivre d'un jeune garçon porteur d'un tison. Si,
dans une famille, on a laissé éteindre le feu, on va en chercher dans la famille voi-
sine ; il arrive parfois que, dans un petit hameau, les feux, laissés au dehors en
raison de la température trop chaude, ont tous été éteints par la pluie durant la
nuit : un homme est alors délégué pour se rendre au village le plus proche et en
rapporter du feu.
Bien que moins répandues que chez les peuplades côtières, les armes à feu sont
assez connues des Siéna, sous la forme de fusils à pierre, pour qu'ils sachent qu'on
peut obtenir du feu en frappant un caillou de silex ou de quartz contre un morceau
de fer et, si le silex n'existe pas chez eux autrement que sous la forme des pierres
à fusil d'importation européenne, le quartz est assez commun ; mais ce procédé
nécessite, pour produire une flamme utilisable, soit une matière très sèche et facile-
ment inflammable comme de l'amadou, soit de la poudre, deux choses qu'on ne
trouve pas partout et dont beaucoup d'indigènes sont démunis ; aussi, exception
faite des chasseurs qui utilisent parfois leur fusil et leur poudre pour allumer du
feu dans la brousse, le seul procédé usité chez les Siéna est la conservation du feu.
Je ne cite que pour mémoire quelques gens riches qui font usage des allumettes
européennes dites suédoises, assez répandues parmi les Mandingues aisés.
16. — Les outils et ustensiles divers.
1** Outils et ustensiles de culture. — Bien que les Siéna soient avant tout et par
dessus tout des cultivateurs, leurs outils de culture ne sont ni plus variés ni plus
perfectionnés que ceux des peuples a voisinants. Le labourage se fait avec la grande
p. 156.] • R • E • E • S • [1908.
houe pour les terres neuves et avec la petite houe ou houe commune pour les terres
déjà ameublies. La grande houe (fig. 46) se compose d^uno pelle ou plaque de fer
mince, très large, de la forme d*un rectangle arrondi à la partie inférieure et légè-
rement convexe, mesurant environ 35 centimètres de long sur 25 de large, emman-
chée dans une sorte de trident aplati en bois, dont deux dents recouvrent la partie
convexe do la lame et dont la dent médiane recouvre la partie concave ; ce trident
continue en quelque sorte la lame et lui donne une dimension plus grande encore ;
il se termine par un coude aigu auquel fait suite le manche proprement dit, lequel
est très incliné sur le plan de la lame et n^est pas sensiblement plus long que cette
dernière ; lo trident, le coude et le manche ne forment qu^un seul morceau, taillé
dans un bloc de bois dur. Cette houe, exclusivement de fabrication indigène, se
manie à deux mains, entre les jambes écartées du laboureur, et son maniement
demande un certain entraînement. Ses dimensions permettent d^enlever d'un seul
coup une quantité de terre considérable et d'arriver très rapidement à la confection
de ces buttes énormes qui remplacent en général les levées de terre bordant nos
sillons et sur lesquelles les Siéna plantent ou sèment leurs céréales. Cet outil est
répandu chez tous les Siéna, bien que dans la fraction Sud-Est il soit plus rare que
la petite houe.
Cette dernière, commune à tous les Noirs de TAfrique Occidentale, se compose
d'une lame presque plate, en forme de demi-ellipse, mesurant de 15 à 20 centimè-
tres seulement de long sur 10 à 12 de large, et terminée à sa partie supérieure par
une pointe qui vient s'enfoncer dans le trou d'un manche droit, faisant avec la lame
un angle moins aigu que celui que fait le manche de la grande houe (fig. 47). Le
manche est toujours de fabrication indigène, mais la lame est parfois, au moins
depuis quelques années, d'importation européenne. Cette houe se manie comme
celle précédemment décrite, mais souvent on n'emploie qu'une seule main. Elle
sert surtout pour planter des tubercules ou pour biner une terre précédemment
labourée.
A ces deux ustensiles, il faut ajouter : une sorte de maillet en bois, en forme
de crosse grossière, qui sert à casser les mottes de terre ; une hache à lame très
étroite, rappelant assez un gros ciseau à froid placé sur le côté, emmanchée comme
la petite houe, mais dans un manche plus long s'ouvrant presque à angle droit et
fortement renflé à l'extrémité où vient s'adapter la lame : cette hache sert à abattre
les arbres, à enlever les souches, et aussi à fendre le bois à brûler ; une serpette
toute petite en forme de croissant peu incurvé, à manche très court, qui sert à cou-
per l'herbe ou les plants de mil repiqués et à faucher le riz ; enfin un plantoir en
bois, que l'on emploie pour semer certaines graines et surtout pour repiquer le riz
et le mil.
2° Outils et ustensiles de construction, — Plusieurs outils ou ustensiles servant
à la construction des habitations ont été déjà décrits au paragraphe précédent on
au chapitre traitant de l'habitation ; tels sont : la houe (grande et petite) avec
laquelle on ramasse l'argile et prépare le mortier ; la hache dont on se sert pour
couper les piliers, fourches et divers bois de charpente ; les grandes poteries dans
lesquelles on apporte l'eau pour délayer l'argile.
Il faut y ajouter le matchete ou coupe-coupe, outil universel et par la quantité
des Noirs qui s'en servent et par ses usages multiples : c'est en somme notre sabre
d'abattis, c'est-à-dire une lame large de 4 à 6 centimètres, longue de 30 à 40, légè-
rement relevée à la pointe, et pourvue d'un manche très court ; les indigènes en
fabriquent, mais je crois que le plus grand nombre, au moins actuellement, est
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIEN A OU SÉNOUFO. [P. 157.
importé d^Eorope. Ce coupe-coupe, habilement manié, sert à couper de petits
arbres, à les écorcer, à préparer les bois de charpente, à pratiquer des mortaises,
etc.
Pour certaines charpentes plus soignées, pour Téquarrissage des cadres de
porte et Taplanissement des portes elles-mêmes, on se sert de petites herminettes
de fabrication indigène, qui ressemblent à de petites houes de largeur très réduite
ou à des haches dont la lame aurait subi une conversion de 90 degrés. Souvent
d'ailleurs le même outil sert tantôt de hache et tantôt d'herminette suivant la façon
dont on dispose la lame.
A ces quelques outils, il convient d'ajouter encore une pique en fer, de fabri-
cation indigène, qui sert à forer les trous où Ton enfoncera les piliers, mais qu'on
remplace souvent par un simple coupe-coupe, et enfin des sortes de battoirs^ faits
d'un morceau de bois aplati en dessous et pourvu d'un manche très court, battoirs
qui servent à tasser et durcir le sol des cases de la même façon qu'on en usait
chez nous pour le sol des routes avec les « dames » ou « demoiselles » avant
l'invention des rouleaux (fig. 48).
Ce sont les pieds qui servent à pétrir l'argile et les mains (|ui servent à façonner
les briquettes, placer le mortier et crépir les murs. Pourtant on se sert aussi de
petits balais de paille pour étendre la terre blanche ou l'enduit de bouse de vache.
3^ Outils et ustensiles servant à divers usages. — Le couteau, soit le couteau
droit d'importation européenne, soit le couteau légèrement recourbé de fabrication
indigène, sert chez les Siéna comme partout à de nombreux usages, y compris
les travaux de vannerie, sculpture sur bois, cordonnerie, etc. L'herminetto, déjà
décrite, sert à la construction des pirogues et aux gros travaux de sculpture sur bois,
les détails et le finissage étant faits au couteau.
Je dois mentionner le maillet à encoches qui sert à la préparation des couver-
tures en écorce de ficus : c'est un cylindre de bois dans lequel on a pratiqué de
multiples entailles et qui est prolongé par un manche court ; on en frappe Técorce
d'un ficus spécial jusqu'à ce qu'elle devienne une sorte de pâte fibreuse, et on
arrive ainsi à souder les unes aux autres des plaques d'écorce et à confectionner
des couvertures très vastes qui ont presque l'apparence et la malléabilité d'un tissu
grossier. Je dois dire d'ailleurs que cette industrie ne semble pas indigène chez
les Siéna et ne se rencontre que dans les fractions fortemeut imprégnées d'élé-
ments Mandingues ou Agni-Assanti.
Lies ustensiles des amateurs de tabac sont : la pipe en bois, très peu répandue,
sauf chez les indigènes aisés qui alors se servent de pipes européennes, et sauf
aussi dans l'extrême nord est, où a pénétré la pipe à très long tuyau des peuples
de la haute Volta ; (M. Binger la sigoale chez les Dorhossiè) ; — la fabaiière^
beaucoup plus fréquente, qui se compose le plus souvent d'une petite calebasse de
la forme et de la grosseur d'une mandarine, fermée par un bouchon de bois que
l'on enlève au moyen d'un petit cordon de cuir ; dans les fractions sud et sud-est,
on se sert aussi, à l'imitation des Baoulé et des Abron, d'une coquille de très
gros escargot ; — enfin la trousse du priseur^ décrite précédemment, et dont la
pièce la plus curieuse est le petit pinceau qui sert à approcher des narines le tabac
que Ton aspire ensuite.
Les outils et ustensiles spéciaux aux métiers proprement dits — c'est-àdira
ceux des tisserands, teinturiers, potiers, forgerons, bijoutiers, cordonniers — seront
décrits an chapitre traitant des industries.
p. 158.] • R • E • E • S • [1908.
17. — Les armM et les engins de cluuBtse et de poche«
Il oe semble pas que les Siéna aient jamais eu de grandes dispositions pour
les expéditions guerrières ; aussi leur armement a toujours été rudimentaire, et
plutôt compris pour la défense que pour Tattaque. Ils n'ont connu qu'assez tard
les armes à feu, dont Tusage s'est surtout répandu lors des expéditions de Kiéba,
de Uabemba et de Samori.
Actuellement le fusil se rencontre à peu près partout, mais est surtout com-
mun dans les fractions Sud et Sud-Est : c'e&t le fusil à pierre d'importation
européenne, qu'il me paraît inutile de décrire ici ; je dois noter cependant que
souvent la crosse et le lût primitifs, ayant été brisés ou biûlés, ont été remplacés
par des artisans indigènes ; parfois même on rencontre des chiens, des vis et d'autres
pièces fabriquées par des forgerons du pays. Généralement les indigènes protègent
le fût en l'encastrant dans un revêtement d'écorce et ils recouvrent la batterie
d'une gaine de cuir qui garantit le bassinet en cas de pluie.
On ne rencontre que rarement chez les Siéna la ceinture-cartouchière des
Agni-Assanti^ qui n'a guère pénétré que dans les fractions Sud et Sud-Est, et qui
renferme toute une série de petits étuis de bois contenant chacun une charge de
poudre. En général ,4es Siéna usent d'une poire à poudre faite soit d'une gourde,
soit d'une corne de bélier. — Comme projectiles, ils emploient des morceaux de
plomb ou de fer, ou encore de petits cailloux très durs à arêtes vives. — La poudre
est soit d'importation européenne, soit — surtout dans la fraction centrale —
de fabrication indigène.
L'arc se rencontre partout, sauf dans la fraction Sud-Est, où les Nafâna
semblent l'avoir complètement abandonné. Ailleurs il est employé concurremment
avec le fusil, et même plus que ce dernier dans les fractions Centrale et du Nord-Est.
(M. Binger l'a rencontré chez les Mbouin, taudis qu au contraire il signale l'usage
du fusil chez les Dorhossiè). L'arc des Siéua est de taille moyenne, fait de bois
très dur, et pourvu en guise de corde d'une lamelle de rotin. Les flèches sont faites
d'une tige d'herbe-roseau dans l'une des extrémités de laquelle a été enfoncée une
courte tige de fer terminée par une pointe plus ou moins barbelée ; la pointe est
maintenue adhérente au roseau à l'aide d'une ligature en tibre de raphia généra-
lement recouverte d'un enduit de caoutchouc ; on obtient cet enduit en cassant une
branchette fraîche de liane à caoutchouc et en enroulant autour de la ligature le
fil ténu de latex qui se forme à la cassure. On empoisonne généralement la pointe
des flèches qui servent à la guerre en la trempant dans une mixture dont la compo-
sition ne m'est pas connue, mais dont l'un des éléments actifs serait, m'a-t-on
assuré, le suc d'un Strophantus. — Les flèches sont renfermées dans un carquois
cylindrique en cuir, court et étroit, qui se porte sous l'aisselle gauche, suspendu à
Tépaule. — L'équipement de Tarcher se complète d'un bracelet de cuir épais porté
au poignet gauche et destiné à amortir le choc en retour de la corde de l'arc.
Tout guerrier et tout chasseur, qu'il soit armé du fusil ou de l'arc, porte tou-
jours en outre un coupe-coupe passé dans la ceinture, enfermé ou non dans une
gaine de cuir. En cas d'attaque corps à corps, une fois le fusil déchargé ou la flèche
lancée, ce coupe-coupe devient une arme véritable. — Dans la même catégorie
d'armes, il me faut mentionner Vépée droite à poignée en croix, que portent souvent
les notables et les riches, plutôt d'ailleurs comme ornement de parade que commo
arme, et qui a été introduite chez les Siéna par les Mandingues. — Plus originales
sont les haches de guerre^ répandues surtout dans les fractions Nord, Centrale et
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. ±59.
Nord-Est, et qui se composent d^une lame coudée à un ou deux angles, emman-
chée dans une sorte de courte massue souvent hérissée de pointes de fer, en sorte
que le côté du manche est à peu près aussi dangereux que le côté de la lame
(fig. 49 et 50) ; ces haches se portent sur l'épaule ; leur forme spéciale et la précau-
tion que l'on a prise de ne rendre tranchante que l'extrémité de la lame leur per-
mettent de se maintenir d'elles-mêmes sur l'épaule.
Enfin il existe des armes entièrement en bois : d'abord la massue, ou casse-tête,
en forme de crosse épaisse à manche assez court, qui se porte à Tépaule comme la
hache de guerre et sert comme elle à frapper l'ennemi à la tête (fig. 51 et 52) ; cette
massue est répandue chez tous les Siéna, quoique moins fréquente chez ceux du
Sud et surtout du Sud-Est. — Ensuite le sabre de bois^ qui m'a paru être spécial à
la fraction Nord- Est et surtout à la soustribu des Pala : c'est une lame de bois
aplatie et plus ou moins recourbée, dont la tranche convexe a été amincie jusqu'à
devenir aussi tranchante qu'une lame d'acier : entre les maius des jeunes Pala,
cette lame de bois est une arme dangereuse, aussi bien pour l'ennemi que pour le
gibier qui se laisse approcher. On se sert de cette arme comme d'un sabre ordi-
naire ; on ne la lance pas comme un boomerang. Elle est faite d'un bois très dur,
légèrement jaunâtre, proveoant d'un arbre dont j'ignore le nom (fig. 53 et 54),
A la chasse, outre les diverses armes que je viens de décrire, les Siéna
emploient encore : de grands filets à mailles énormes dans lesquels ils réussissent
à capturer des antilopes de moyenne taille ; des collets en rotin ou en ficelle, très
analogues à ceux de nos braconniers ; des trappes faites d'une motte d'argile que
supporte un léger bâtonnet reposant sur un support, système dont le poids de l'ani-
mal s'introduisant dans la fosse de la trappe détermine le déclanchement.
Je dois signaler encore des pièges à hyène que j'ai observés à l'entrée de
plusieurs villages de la fraction centrale et de la fraction nord : ils se composent
d'une sorte de couloir construit à l'aide do pierres plates plantées debout sur les
deux côtés et l'une des faces ; l'autre face demeure ouverte pour permettre à l'hyène
de s'introduire dans le couloir, où l'attire une proie disposée contre la paroi du
fond ; une énorme pierre plate est placée au-dessus du couloir, reposant sur quatre
bâtons que l'animal doit fatalement bousculer en entrant dans le couloir, ce qui
fait tomber sur son dos la pierre en question. L'hyène n'est pas tuée par la chute
de cette pierre, mais elle est parfois assommée et se trouve en tout cas emprisonnée :
ses hurlements de douleur attirent les habitants du village, qui l'achèvent à coups
de matchete ou à coups de fusil. Le piège a juste au total les dimensions néces*
saires pour donner accès à une hyèoe de grande taille, soit 1 m. 50 environ de
haut sur 2 m. de long. L'apparence générale est celle d'un petit dolmen ou plutôt
d'une petite allée couverte, mais la destination ne fait pas de doute.
Les Siéna, habitant udo région qui n'est guère arrosée que par des cours d'ean
temporaires ou par la partie supérieure de fleuves d'ailleurs très bas en saison sèche,
s'adonnent peu à la pêche. Cependant les riverains des cours d'eau les plus impor-
tants capturent du poisson au moyen de nasses et engins divers faits généralement
de raphia ou de rotin, ou de filets qui se placent en général sur des ouvertures
aménagées dans des barrages de raphia. Ils disposent aussi dans le lit des rivières
des palissades formant labyrinthe, à l'intérieur desquelles les gros poissons se
trouvent prisonniers, et ils harponnent alors ces poissons à l'aide de longues piques
de bois.
p. 160.] • R • E • E • S • [1908.
NOTE SUR LE CALENDRIER MALGACHE ET LE
FANDRUANA
par Gabbiel Fbbbakd (Stuttgart).
(SuHe).
II.
Calekdbieb des Malgaches du Nobd-Oüest et des Comobiens.
Au XIX* siècle, Taimée musulmane de 354 jours et le cycle de sept ans sont en
usage sur la côte Nord-Ouest de Madagascar et aux îles Gomores. « Les Comorois, dit
Vincent Noel, divisent le temps par période de sept années lunaires. La première
année de chaque période est celle du vendredi, jour saint des musulmans ; la
seconde, celle du samedi, et ainsi de suite jusqu^à celle du jeudi, qui est la
septième. L'année 1836 était celle du mercredi^ s. La date d'un traité conclu en
1619 entre des Jésuites portugais et le roi de Majunga, et Touvrage de Guillain sur
la côte occidentale de Madagascar confirment l'indication de Noel en ce qui concerne
les Malgaches du Nord-Ouest. La concordance des années malgache et musulmane
rend facile la vérification des dates en question''^. Elles ont trait dans l'ouvrage de
Guillain, à la période comprise entre septembre 1821 et mai 1839. Les Gomoriens
et Malgaches du Nord-Ouest se servent d'un calendrier à noms de mois bantous et
arabes. L'année commence et finit en même temps que l'année musulmane, mais
âawwâl et les mois suivants ont perdu leur nom arabe qui a été remplacé par un
nom bantou signifiant : 1*' mois, 2* mois, 3* mois, etc. c'est-à-dire 1% 2% 3* mois
après Ramadan.
Au XVIP siècle, des Jésuites portugais furent autorisés par le roi du pays à
résider pendant un an à Majunga. L'acte officiel qui mentionne l'autorisation accor-
dée aux missionnaires, a été publié en traduction française par MM. A. et 6.
Grandidiei^. Il est ainsi daté : « ces conventions (entre les Jésuites et le roi mal-
gache) ont été établies au mois fungàlo^ le sixième jour de la lune, de l'an Juma
atano molongo antini peti nerufi^ c'est-à-dire le 4 novembre 1619 ». Le sens des
quatre derniers mots en italique m'est inconnu : il est possible que les traducteurs
aient mal lu l'original. Le commencement est au contraire très clair et facile à
rectifier. Il faut lire : funguo wa (bi)li (2* mois après Ramadan, c'est-à-dire Dzû'l-
t:a'da), le sixième jour (de la troisième décade) de la lune de l'année dyuma tanu
(année du mercredi). La date grégorienne correspond au 11* mois de l'année 1028
de rhégire, dzûl-ka'da, qui commence le 10 octobre 1619. Le 6* jour de la troisième
décade = 26 dzû'l-ka'da = 4 novembre 1619, ainsi que l'indique le document pré-
cité. J'ai supposé qu'en 1619 les Malgaches du Nord-Ouest comptaient par années
1 Recherches sur les Sahkalava (sic) in Bull. Soc. Geog. de Paris, n*» 115, juillet 1843,
p. 50 note 1.
* Toutes les dates musulmanes sont empruntées aux tables de concordance de Wüstenfeld.
8 Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar^ t. II, Paris, 1904, in- 8®,
p. 325, note % in fine.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 161«
de 351 jours, c^est-à-dire par années musulmanes. Cette conjecture s'est pleinement
vérifiée.
En partant de la date précédente : 26 dzuU-ka'da 1028 H^ = 4 novembre 1619,
Tannée 1028 de rfaégire est une année du mercredi. Elle commence le 19 décembre
1618 et se termine le 7 décembre 1619. 1029 H = 8 décembre 1619 à 25 novembre
1620, est donc Tannée du jeudi. L^année du vendredi, 1030 de Thégire, commence
le 26 novembre 1620. Â partir de cette date, les années du vendredi correspondent
aux années musulmanes et grégoriennes ci-dessous :
Amiics du Vendredi.
1030 H = 26 novembre 1620 — 15 novembre 1621.
1037 H = 12 septembre 1627 — 30 août 1628.
1044 H = 25 juin 1634 — 16 juin 1635.
1051 H = 12 avril 1641 — 31 mars 1642.
1058 II = 27 janvier 1G48 — 14 janvier 1649.
1065 II = 11 novembre 1654 — 30 octobre 1655.
1072 II == 27 août 1661 - 15 août 1662.
1079 H = 11 juin 1668 — 31 mai 1601).
1086 H = 28 mars 1675 — 15 mars 1676.
1093 H = 10 janvier 1682 — 30 décembre 1682.
1100 Ü = 26 octobre 1688 — 14 octobre 1^89.
1107 U = 12 août 1695 — 30 juillet 1696.
1114 II = 28 mai 1702 — 17 mai 1703
1121 H = 13 mars 1709 — 1 mars 1710.
1128 H --= 27 décembre 1715 — 15 décembre 1716.
1135 H = 12 octobre 1722 — 30 septembre 1723.
1142 H — 27 juillet 1729 — 10 juillet 1730.
1149 U = 12 mai 1736 - 30 avril 1737.
115Ü H = 25 février 1743 — 14 février 1744.
1163 H = 11 décembre 1749 — 29 novembre 1750.
1170 n = 26 septembre 1756 - H septembre 1757.
1177 II = 12 juillet 1763 — 30 juin 1764.
1184 H = 27 avril 1770 - 15 avril 1771.
1191 II = 9 février 1777 - 29 janvier 1778.
1198 II = 26 novembre 1783 — 13 novembre 1784.
1205 II = 10 septembre 1790 — 30 août 1791.
1212 H = 26 juin 1797 — 14 juin 1798.
1219 H = 12 avril 1804 — 31 mars 1805.
1226 H = 26 janvier 1811 — 15 janvier 1812.
1233 H = 11 novembre 1817 — 30 octobre 1818.
Année du Samedi.
1234 H = 31 octobre 1818.
Année dn Dimanche.
1235 H = 20 octobre 1819.
Année da I^nndi.
1236 H = 9 octobre 1820.
1 H = hégire.
p. 162.1 R • E • E • S • [1908.
Année du Mardi ^ 1 9S7 II.
Cjmmcucc le 28 septembre 1821.
p. 67 : FongouamoiiHsi {fungv>o wa munsi^ 1°*^ mois) = Sawwâl = 21 juio au
19 juillet 1822^
Finit le 17 septembre 1822.
Année du Mercredi -=^ I «3S II.
Commeucc le 18 sepitmbre 1822.
p. 70 : Fongomisita (fnnguo wa sita, C mois) = Ribî' 1«' = IG novombro-
lôdéceiiibic 1ÖJ2
Finit le 6 septembre lb23.
Année da Jeudi -- 1 1B99 II.
CommeLCC le 7 septembre 1823.
p. 78 : 11*" jour de Fongouamounsl (fungiw wa munsi^ 1" mois) = 17 Sawwâl
= 15 juiu 1824. Guillain dit inexactement : 2 juillet 1824^.
Finit le 25 août 1824.
Année da Vendredi ^ I *^ iO II.
Commence le 2G août 1824.
p. 94 : Fongouàkendra (fonguo wa kendra^ 9** mois) = Djumâdâ II = 21 jan-
\ier ~ 18 février 1825.
Finit le 15 août 1825.
Année da «amedi = I ^ 1 1 II.
Commence le 16 août 1825.
p. 107 : 9 liamazan = 9 Ramadan = 17 avril 1826. Guillain dit inexactement :
15 avril.
Finit le 4 août 1826.
Année da Dimanche == I 9419 H.
1242 11 = 5 août 1820-24 juillet 1827.
Année da Landl ^ I «43 II.
1243 H = 25 juillet 1827-13 juillet 1828.
Année da Mardi = I 944 H.
Commence le 14 juillet 1828.
P. 115 : Djumâdâ II = 9 décembre 18286 janvier 1829.
P. 115-116 : ir jour de la lune Hamal du calendrier swahili ^ avril 1829
d'après Guillain. Le mois musulman correspondant est Sawwâl^ = 6 avril-4 mai
1829.
Finit le 2 juillet 1829.
Année da AlercredI = 1945 II.
1245 H = 31 juillet 1829-21 juin 1830.
^ Cette date et les suivantes ont été relevées dans l'ouvrage de Guillain, Documents sur
r histoire, la géographie et i<? commerce de la partie occidentale de Madagascar^ Paris,
1845, in- 8«.
2 Les tables de concordance de W'üsteiifeid n'ont été publiées qu'en 1853, postérieurement
au travail de Guillain. Les erreurs que j'ai relevées sont donc facilement explicables.
^ Il est intéressant de con-tator quo le cil« uilrlor swahili comme celui des Morina
(vide infra) contient la môme équivalence : IJamal == Merina : Alahamadi^ le Bélier du
Zodiaque = Sawwâl.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 163.
Année da Jeudi -- 1 9 16 II.
1246 H ==22 juin 1830-11 juin 1831.
Année da WendredI = I !$ 17 II
CommeDce le 12 juin 1831.
P. 118 ; le 30 août, fin du mois de Fonjouasita (fonguo wa sita, 6** mois).
Lire : 21 fonguo tva sita = 21 Rabî' Y^ = 30 août 1831.
P. 119 : Mercredi de Fongouasaha (fonguo wa saba^ V mois) == 6 Rabî' II ==
14 septembre (et noa 13 septembre) 1831.
P. 121 : mois de èebani -^ Sa'bân = 5 jaQvier-2 février 1832.
Fiait le 30 mai 1832.
Année da Siamedl == I ^1 S H.
Commence le 31 mai 1832.
P. 121 : mardi, 17° jour de Fongouatano (fonguo tva tano, 5® mois) = 17 Çafar
= 16 juillet (et non 15 juillet) 1832. •
Finit le 20 mai 1833.
Année da Dimanche == 1 !t 19 II.
1249 H = 21 mai 1833-9 mai 1834.
Année da iiondi = I ^50 II.
1250 H = 10 mai 1834-28 avril 1835.
Année da Mardi = I « 5 1 II.
Commence le 29 avril 1835.
P. 128 : 1" Radjab = 23 octobre (et non 10 octobre; 1835.
P. 130 : 8 Eamazan = 8 Ramiulân = 28 (et non 27) décembre 1835.
P. 130 : 26 Fongouapiïi (fonguo tea pili, 2* nioisj = 26 Dzû'l-ka'da = 14 (et
non 13) mars 1836.
P. 131 : 17 Fongouatano (fonguo tra tano^ 5 mois. Lire : 3® mois ; le 5® mois
correspondrait à ^^far 1252 H = année du mercredi) = 17 Dzû'l-hidjdja = 4 (et
non 5) avril 1836.
Finit le 17 avril 1836.
Année da Mercredi =^ I 959 II.
1252 H = 18 avril 1836 6 avril 1837.
Année da JeadI = I 953 II.
Commence le 7 avril 1837.
P. 132. Guillain dit : Dans le couraut du mois de Fongouani {fonguo wa ne,
4* mois) de Tannée Djumatauo, avril 1837. Lire : fonguo wa ne de Tannée dyuma
sua = Moharram = 7 avril-6 mai 1887. Dyuma tano est Tannée du mercredi
qui fie it le 6 avril 1837.
P. 135, Guillain dit : 16® jour de la lune Znlhadja de Tanuéo Arba (du mercredi),
1254 de Thégire, 11 mars 1838. Lire : 16 D/û'l-hidjdja de Tannée Kamisi (du Jeudi)
1253 H = 13 mars 1836. L'( rreur est évidente car 1254 de Thégire ne commence
que le 27 mars.
Finit le 26 macs 1838.
Année da WendredI = I 95 i II.
Commence le 27 mars 1838.
P. 135 : V' Djumâdâ V' = 23 (et non 24) juillet. Guillain dit : de Tannée
p. 164.] • R • E • E • S • [1908.
Tsélaiséf cW-à-dire du mardi. G^est sans aucun doute année du vendredi qu'il
faut lire.
P. 136 : 27 Sawwâl. D'après Guillain : 4 novembre 1838. Au lieu de 27 Sawwâl,
lire : 16 Sa bâo = 4 novembre.
P. 186 : 20 Ramazan = 20 Ramadan = 7 (et non 6) décembre 1838. Cette
date qui vient quelques lignes après la précédente, confirme la rectification ci-dessus.
P. 137 : 20 Dzû'l-hidjdja = 6 mars 1839.
Finit le 16 mars 1839.
Aimée du iiaiiiedi ^ I «55 II.
Commence le 17 mars 1839.
P. 138 : vers le milieu du mois de Forigouatano (fonguo tva iano) de Tannée
Djuma (munsi, du samedi), dans les premiers jours do mai 1839. Funguo na tano,
lo Ö« mois = Çafar = 16 avril-14 mai 1839.
Finit le 4 mars 1810.
Année da Dlmanehe.
1256 H = 5 mars 1840 22 février 1841.
Année da liandl.
1157 H «= 23 février 1841-11 février 1842.
Année da Mardi.
1258 11 = 12 février 1812-31 janvier 1843.
Année da Mereredl
1269 11 = 1*^^ février 1843-21 janvier 1844.
Année da Jeadi.
1260 H = 22 jaiiVier 1844-9 janvier 1845.
Années da WendredI«
1261 11 = 10 janvier 1845-29 décembre 1845.
1268 H = 27 octobre 1851 14 octobre 1852.
1275 H == Il août 1858-30 juillet 1859.
1282 II = 27 mai 1865-15 mai 1866.
1289 H = Il mars 1872 28 février 1873.
1296 II = 26 décembre 1878-14 décembre 1879.
1303 H = 10 octobre 1835-29 septembre 1886.
1310 H = 26 juillet 1892-14 juillet 1893.
1317 H = 12 mai 1899-30 avril 1900.
1324 H = 26 février 1906-13 février 1907.
La concordance de toutes les dates relevées dans le document portugais et les
ouvrages de Noel et de Guillain nous attestent qu^au début du XVIP siècle, les Mal-
gaches du Nord-Ouest avaient adopté déjà le calendrier musulman à noms de mois
bantous et arabes, alors que les indigènes du Sud- Est comptaient à cette él)oque
par années de 336 jours à noms de mois sanskrito-malgacbes.
1908.] ANALYSES. [P. 165.
ANALYSES.
E. Huntington. The Pulse of Asia, a journey in Central Asia illustratitig the
geographic ha^is of history. — In 8", 415 pages, nombreuses cartes et planches.
Londres, A. Constable; Boston etNew-York, Houghton, Mifflin&C*». 1907. 14 sh.
Le livre de M. Huntington est une précieuse contribution à la science des
milieux, ou ethologie. Cette science est de date récente, bien que l'idée soit
déjà ancienne d'admettre un rapport de cause à effet entre l'habitat d'uu peuple
d'une part, et de Tautre sa civilisation et sa psychologie. Un moment même, l'in-
Huence du milieu naturel avait été exagérée ; puis vint une réaction. Le résultat
de cette oscillation a été que vers la fin du siècle dernier on a constaté la néces-
sité de reprendre la question sur de nouvelles bases, plus larges et comparatives.
Surtout le départ avait été maladroit : on avait voulu dès l'abord déterminer les
influences réciproques des individus ou des groupements humains et de leurs
milieux d'après Texamen des formes qu'elles revêtent en Europe, où précisément
la complexité de ces interactions est de nature à fausser l'observation et les
résultats.
En ce domaine encore, c'est à l'ethnographie qu'il a fallu recourir. On a
commencé par transposer aux demi-civilisés les méthodes et les généralisations
qui avaient si mal réussi à propos des civilisés. Cette transposition pure et simple
de formulés générales a conduit comme de juste à des échecs. Le livre récent de
M. Fynn sur les Indiens américains en tant que produits de leurs milieux, analysé
ci-dessous, est un exemple des inconvénients de cette manière de faire. Ainsi
s'explique aussi le peu d'importance et de validité de l'anthropogéographie telle
que l'ont élaborée Ratzel et ses disciples. Tout ce qui subsiste de la masse de
travail ainsi dépensée, c'est la conscience fort nette qu'ont acquise à la fois les
géographes, les historiens, les ethnographes et les sociologues qu'il faut reprendre
la question méthodiquement. Dans nombre de monographies ethnographiques
récentes, on trouve des chapitres consacrés à la description détaillée du pays, de
sa géologie, de son orographie, de son hydrographie, de sa climatologie, etc.
D'autre part, les géographes, du moins quelques-uns d'entre eux, ont compris
que leur science ne saurait être uniquement descriptive : elle se doit d'être aussi,
et surtout, explicative, c'est-à-dire qu'elle doit avoir pour objet de déterminer les
relations de cause à effet entre la nature physique et la nature animée (faune,
flore, humanité). C'est cette conception nouvelle de la géographie que met en
pratique M. Huntington.
Pendant quatre années de séjour en Turquie d'Asie et trois années d'explo-
rations en Asie Centrale (Turkestan russe et chinois, bassin du Tarini et du
Lob-Nor, monts Nan-shan et Kwen-lun, Kashmir, Perse), il a observé concurem-
nient le pays et ses habitants en se plaçant toujours à son point de vue de géo-
graphe moderne. Déjà le choix de cette région a une signification propre : quand
bien même l'Asie Centrale ne serait pas, comme on le croyait naguère, le berceau
de l'humanité, elle a joué dès le début des temps historiques un rôle important.
Les explorations récentes ont confirmé d'anciens témoignages : les régions au-
p. 166.] • R • E • E • S • [^®°8-
jourd'hui arides étaicuit autrefois le sirjxe de rivilisatious avancées. Ainsi l'étude
entreprise par M. Himtington devait jiort^T aussi sur le pjrssé ; et des facilités
particulières lui ont été otfeites sur ce poiut par sa C()naboration à l'expédition
Punipelly. L'un des mérite s de son livre < st <le démontrer, par l'examen des con-
ditions physiques actutlies, que la dessication, jusqu'ici supjmsée seulement, s'est
bieù produite, mais non pas progressiv euK nt. Il y a eu des i)ériodf s de dessi-
cation, suivies de périodes d'humi<lité, jiheuomene comparable à la succession
des périodes glaciaires et interjrlaciaires.
Aux périodes d'humiilité out répondu d<*s périodf^s de peuplement, de civilisa-
tion, de bien-être,et des immigrations; aux ]>ériodes d(» sécheresse, des émigrations,
des dt^générescences culturelles, d(\s arrêts d'évolution. La civilisation pastorale et
nomade répond aux conditions d'aridité, la civilisation agricole et sédentaire aux
conditions d'humidité. Et les mêmes peuples ont dans la même région passé tour
à tour, ceci en ligne générale, par l'agricultuie et le nouiadisme. Je' renvoie au
livre de M. Huntington pour les détails : on y trouvera notamment (chap. V.)une
étude intéressante de la civilisation kirghize considérée dans sa dépendance à
l'égard du milieu physique», les hauts plateaux, et une autre sur les Chanto des
plaines du Turkestan.
L'antithèse entre montagnards vt gens de la plaine se marque dans l'Asie
Centrale avec une netteté tout autre que dans nos pays d'Europe, du moins de
l'Europe occidentale : car les populations de s Carpathes comparées à celles des
plaines danubiennes offrent un sujet d'étuele» tout aussi typique. On a écrit sur ce
point bien des banalités. M. Huntiugton au moins donne des observations neuves
qui permettent des conclusions précisées. De plus il évite ce défaut si répandu de
ne voir dans la civilisation te)ute entière el'un groupement que le résultat d'un
seul facteur, p. ex. du milieu jdiysique. Ce de^-nier ne conditionne en fait que la
civilisation nuitérielle proi)rement dite (la technologie), puisTorganisation écono-
mique : mais il ne sem])le» pas avoir eu d'influence sur l'organisation matrimo-
niale, juridique, politique ou religieuse.
Ceci doit être retenu, et Ton regre^ttera même que M. Huntington n'ait pas
assez insisté sur la limitation que subit le principe explicatif d'ordre géographique.
Ce principe vaut pour la vie économique, mais (^n partie seulement pour le tempé-
rament individuel et collectif, et nullement ])our tous h's éléments qui constituent
chaque type de civilisation. C'est C(» qu'aurait aisément démontré à M. Huntington
une étude plus approfondie, d'après les monographies des ethnographes russes,
des divers groupements de nomades de la Sibérie et du Turkestan.
Pour acquérir une idée exacte de l'influence du milieu d'un peuple sur sa
civilisation entière, l'examen des parallélisme's ne suftit pas : tout aussi nécessaire
est celui des discordances. Il existe certainement, entre les peuples qui vivent
dans des régions arides, des ressemblances, et même des identités, p. ex. entre
les Kirghizes nomades et les Touaregs nomades ; mais le facteur climatique
et phy Biographique n'explique certes i)as les diflerences considérables d'organi-
sation familiale, politique et sociale qui existent entre ces deux groupements.
Matériellement, « l'homme de nature « dépend sans doute davantage de la nature,
que le civilisé : mais cette dépendance, il la sent moins ; ou plutôt il la nie. L'un
des résultats, à première vue paradoxal, les plus intéressants de l'ethnographie,
ces années dernières, c'est d'avoir reconnu que loin de modeler son organisation
sociale sur la nature, le demi-civilisé se représente la nature comme modelée sur
l'organisation sociale.
1908.] ANALYSES. [P. 167.
En définitive, M. Hiintiufrton explique, jnec une nuiîtrise qu'on louera, ce
qu'il y a de proprement mécanique dans révolution individuelle (t collective.
C'est là un grand progrès pour la science, et qui tend même à nu ttre sur la voie
d'une interprétation nouvelle de Thistoire universelle.
Son étude approfondie de la ^^éo'^rapliic^ de TAsie Centrale conduit M. Hun-
tington à trois constatations : 1" le milieu physique a ntral-asiatique ( st, par rap-
port aux mœurs [au sens restreint indiqué ci-(h ssus] clans la relation de cause à
effet; 2' pendant les temps liistoriquc^s (2000 ans au moins) le climat, qui est
rélénient le plus important du milieu j)hy>ique, a Hihi des modifications impor-
tantes ; 3® les modifications du climat ont causé des modifications correspondantes
dans la répartition, les mœurs tt le tfm})éran;rnt d( s hommes. D\m suit que le
climat est l'un des facteurs fondamentaux de» rhis1(»ir(» de Thumanité. L'Asie
Centrale n*est pas en effet une re^gion singulière ou ahcrranlc, si je puis dire ; elle
est au contraire le cas le i)lus ne't d'un tyi)e géograidiiepie hien déterminé, le^ type
du pays aride et désertique. Les conclusions ol)tenu( s pour l'Asie Centrale sont
donc applicables aux autres re'^gions de même type* : Perse, Arabie^ Afrique du
Nord, Afrique Australe*, Australie^, e»tc., où se sont e'^galeme^nt succédé des alter-
natives d'humidité et de elessication. A ces alternatives correspondent, comme il
a été dit, des flux et des reflux de populations et de\^ oscillatiems de civilisation.
Tour à tour l'Asie Centrale a attiré et repoussé des vagues humaines, et ainsi
s'expliquent ces vastes mouvements qu'on nomme les Grandes Invasions. J'ajou-
terai que c'est peut-être par des oscillations climatériques de l'Asie Centrale que
s'expliquent les vicissitudes subies, pendant 6000 ans, par la Mésopotamie*. La
dégénérescence de l'Egypte, la mort de l'Afrique du Nord, l'apauvrissement et
l'abandon de la Syrie, l'état staticmnaire de l'Europe méridionale, etc. (chacun
complétera aisément cette enumeration), autant de phénomènes dont la cause
fondamentale n'est autre que la dessication. Le principe explicatif de M. Hun-
tington fournit même une solution ne)uvelle d'un problème qui nous touche de plus
près : d'où vient le rapide développement économique», à partir du Moyen-âge, de
l'Europe Centrale ? Bien des théories ont été formulées à ce propos : on a mis en
avant, tour à tour, le facteur racial (invasions), le facteur politique et social
(romanisation), le facteur religieux (moines défriclieurs) ; on a parlé de l'augmen-
tation de la population, du déboisement, etc. Mais M. Huntington fait remarquer
qu'au moment de la conquête romaine l'Europe Centrale était un pays humide,
par suite couvert d'une végétation très dense, telle que que seules des populations
^ Cf. L Gaidi, BoUetlino délie lingue e lelterature semitiche (Extr. de la Rwisia degli siudi
orientally T.I) p. 369, rendant compte d'un travail de L. Caetani di Teano.
* L'étude de cette question pour TAfrique australe est facilitée par l'excellente monographie,
toute récente, de S. Pasaarge, Südafrika, eine Landes- Volks- und Wirtschaftshunde, Leipzig,
Quelle et Meyer, 1907.
3 Pour rAustralie, dont M. Huntington ne parle pas, et à Thistoire comme à l'ethnographie de
laquelle nombre de conclusions et de suggestions exposées ci-dessus s'appliquent exactement,
▼oirles premiers chapitres de Spencer et Gillen, The Native Tribes of Central Australia^ The
Northern Tribes of Central Australia et de Howitt, The Native Tribes of South and South-
East Australia, puis les travaux de J. W. Gregory, notamment The Dead Heart of Australia.
Cependant la portée réelle, pour l'ethnographie et la sociologie australiennes, du principe clima-
tologique et géographique de M. Huntington ne pourra être apprécié qu'après plusieurs cam-
pagnes de fouilles en Australie Centrale.
^ On trouvera un exposé dramatique en sa concision de ces vicissitudes dans le petit livre de
H. Winckler, Die babylonische GeisteskuHur, Leipxig, Quelle et Meyer, 1907, pp. 14-41.
p. 168.] • R • E • E • S • [^^^®*
très nombreuses eussent pu la défricher ; encore cette végétation aurait-elle
repoussé aussitôt ; si, cependant, au cours des Aj^es elle a été vaincue par riiouinie,
malgré la faible densité de la population, cVst que des modifications importantes
du clinmt se sont produites pendant le Moyen-a«re. La dessiccation progressive
qui a tué la civilisation d(* l'Afrique du Nord a créé celle de l'Europe Centrale.
Bien mieux : ce ne sont pas seulement ces grandes oscillations du climat,
mais même les oscillations de moindre ampleur (p. ex. les cycles dits de Brück-
ner) qui influent sur Tétat général de la civilisation et sur Thistoire universelle.
Si la pluie manque, cVst pour Tlnde et la Cliine^ entières, la famine. Et peut-ètr<»
une période de plusieurs années consécutives d(* sécliei'(*sse sera-t-elle, plus qu'un
événement proprement politique, la cause profonde du choc futur entre l'Europe
et l'Extrême-Orient.
Quoi qu'il puisse être de l'avenir, le passé du moins de Thumanité s'anime
d'une vive clarté à la lumière du principe de M. Huntington. Son livre a pour but
de poser que la géographie, au sens qu'il donne à ce mot, est la base de l'histoire.
Ce point de vue, qu'il s'agit maintenant d'appliquer dans le détail à d'autres
régions et à d'autres population, est de nature à vivifier l'ethnographie tout autant que
l'histoire. Bien mieux, c'est aiLX ethnographes qu'il ap^xirtient, par des enquêtes
nouvelles, plus encore qu'aux géographes et aux historiens, de faire l'épreuve du
principe de M. Huntington et de rechercher jusqu'à quel point certaines formes
d'organisation sociale sont des moyens de lutte contre les influences physiogra-
phiques et surtout climatériques. J'ajouterai enfin qu'il est en tout cas un pro-
blème ethnographique et historique du plus haut intérêt dont le livre et le point
de vue de M. Huntington permet de proposer une solution simple et précise : celui
des causes des Grandes Invasions. Que le point de déj)art de ces invasions a été
l'Asie Centrale, cela est hors de doute. Non pas que les populations germaniques
et slaves soient toutes venues de ce point unique : mais elles ont été forcées de
se déplacer sous la pression de populations plus orientales qu'elles. C'est par une
série de heurts se transmettant de proche en proche qu'elles ont été projetées les
unes contre les autres, avec une force variable. Mais quelle était la raison du heurt,
uo plutôt des heurts initiaux ? On a prétendu le plus souvent que cette cause pre-
mière était la surpopulation. Les groupements turco-mongols se seraient, aux pre-
miers siècles de l'ère chrétienne, multipliés dans une proportion trop grande pour la
puissance productive du pays. Il y aurait eu comme un écoulement de surplus de
population. Au facteur principal on en adjoignait d'autres, tout aussi hypothé-
tiques : guerres, epizootics, etc. Jusqu'à ces années dernières on ignorait que les
vastes plaines du Turfan, de la Kachgarie, etc. eussent été autrefois des centres
de civilisation. Cette découverte et la preuve que fournit M. Huntington du pro-
cessus de dessication donnent la clef du problème.
L'Asie Centrale a pu nourrir, jusque vers le début de l'ère chrétienne, des
populations relativement non\breuses : mais elles se sont vues obligées peu à pen
de quitter des régions qui devenaient de plus en plus arides. Des migrations lentes
1 Je ne sais si la théorie de M. Huntington est applicable à la Chine : en ce cas le triste état
des canaux et des grands travaux anciens d'irrigation ne doit plus être donné comme une
preuve d'impôritie du peuple chinois ou de ses gouvernants ; le cas serait le môme qu*en Pales-
tine, dans l'Arabie méridionale etc.. Que pouvait, surtout sans nos moyens modernes de lutte
contre la nature, le Chinois, le Juif ou TÂrabe contre un tel changement, progressif et inaperçu,
sinon dans ses conséquences extrêmes !
1908.] ANALYSES. [P. 169.
se sont donc produites, qui ont opéré sur les populations voisines des poussées de
plus en plus fortes au cours des âges. Le changement de climat rendait nécessaires
ces déplacements, et empêchait absolument tout retour en arrière. Ils ne se sont
pas tous produits dans la même direction, mais en rayonnant. Le retrait des habi-
tants de TAsie Centrale s'est opéré autant du côté de la Chine, que du côté de la
Mongolie, de la Sibérie méridionale, du Caucase, de la Perse, de l'Afghanistan et
peut-être de Tlnde. Il n'y a donc pas eu de surpopulation, mais bien une pression
inéluctable de populations en danger de i)érir sur d'autres, soit sédentaires soit
nomides. Tant que les déplacements se sont opérés dans des régions où la vie
demeurait possible, sinon aisée, le processus a pu être semi-pacifique : mais cer-
tains groupements se sont trouvés acculés à des régions peu habitables, par suite
du froid, de Taridité locale, du manque de pâturages, de la condition marécageuse
du sol, etc. Ce sont ces populations-là qui ont dû se frayer par la force une route
nouvelle, et ce sont elles qu'on a vu envahir la Russie méridionale et l'Europe
Centrale.
Cette explication est la seule qui rende compte de la durée et de la périodicité
des grandes invasions : elles cessèrent dès que les régions de l'Asie Centrale
atteintes par la sécheresse eussent été toutes évacuées. Les déplacements de
populations ol)servés depuis en Sibérie et au nord du Caucase n'ont eu ni la même
ampleur, ni le menu* caractère de nécessité. On a même pu voir vers la fin du
XIX** siècle des groupements sibériens, surtout Kirghizes, ignorants des causes
physiques qui nécessitèrent les migrations de leui's pères, dessiner un retour vers
TAsie Centrale ; de même on i)eut constater de nos jours un déplacement vers le
même lieu des populations du hinterland Chinois. Mais la nature impose à de tels
retours une barrière invincil)le, malgré Taide qu'ai)porte aujourd'hui à ces sortes
d'entreprises la science de l'ingénieur.
Cet essai d'explication de mouvements de peuples constatés historiquement
montre comment on p(nit tirer parti des enquêtes climatologiques et géographiques
de M. Huntington. Il me semble que tout aussi féconde serait leur application à
rétude des mouvements de populations au Soudan. Notamment le problème peul
s'éclaire alors d'une manière nouvelle. Ce n'est pas le lieu de développer l'argu-
ment : à mon sens, il ne faut pas chercher le point de départ des migrations peul
dans le Soudan Egyptien ou l'Abyssinie, mais bien dans les régions centrales du
Soudan saharien, aujourd'hui atteintes par la dessication. On sait combien ce
processus de dessication est rapide, même actuellement, par le remarquable rétré-
cissement annuel du lac Tchad. Tous les explorateurs qui ont été quelque temps
en contact avec les Peuls ont éprouvé la sensation confuse d'avoir à faire à des
déracinés de sorte supérieure. Pasteurs et nomades, ces gens gardent comme
IVmpreinte d'une civilisation antérieure déjà fixée et élaborée. Peut-être l'explo-
ration méthodique du Soudan saharien nous résers^e-t-elle des suprises analogues
à celle que nous cause la découverte, en pleins sables central-asiatiques, de cen-
tres anciens d'une civilisation stable.
Quoiqu'il en puisse être de cette suggestion, on voit dès à présent la portée,
pour l'histoire et l'ethnographie, des recherches et du principe de M. Huntington :
son livre sur les pulsations de VAsie est à lire avec soin, et à méditer.
A. VAN Gennep.
*
p. 170.] • R • E • E • S • [1908.
A. J. Fynn. The American Indian, as a product of environment, with special refe-
rence to the Pueblos. — pet. ft**, 275 [)ages, 8 planches. Boston, Little, Brown
& C«, 1907.
Que le milieu physique exerce une influence sur Fhomme, soit isolé ou groupé,
cela n'est pas discutable. Mais cette proposition générale n'a aucune valeur expli-
cative. Ce qu'il s'agit de déterminer c'(\«^t la modalité et la quantité de cette
influence ; et c'est précisément ce qui n'a été fait encore en détail pour aucuo
groupement, sauf pour quelques tribus de l'Asie Centrale par M. Huntington. Pour
de telles recherches, on ne saurait débuter par l'étude d'un peuple européen, où
les interactions anthropologiques, culturelles, sociales, politiques, économiques,
compliquent les phénomènes à définir. D'où les échecs qu'éprouvèrent successi-
vement, dans la deuxième moitié du siècle dernier, ceux qui prétendirent expli-
quer les divers tempéraments collectifs et les divers modes de civilisation par
divere milieux naturels.
Le problème intéressant du rapport entre le milieu d'une part, la civilisation
et le développement intellectuel de l'autre, problème fondamental de l'ethologie,
ne sera résolu que par Tétude préalable, à ce point de vue, des populations demi-
civilisées : c'est-à-dire par l'application des méthodes ethnographiques et socio-
logiques. Il ne semble pas que M. Fynn ait vu toute la portée de son titre, car il
accepte volontiers des généralisations périmées, sans se douter qu'on doit faire
table rase de presque tout ce qui a été écrit jusqu'ici sur ce sujet par des théo-
riciens et fonder à nouveau Tethologie, sur des bases nouvelles.
La tentative de M. l'^rni n'^n ^st pas moins intéressante et instructive. Il
montre d'abord comment les diverses tribus amérindiennes se répartissent, soit
en pays de montagnes ou de plaines, dans des régions arides ou bien arrosées, et
comment l'organisation sociale, plus ou moins lâche ou serrée, tend à concorder
avec la facilité ou la difiiculté des communications, de l'agriculture et de l'indus-
trie. De plus il a bien choisi le groupement qu'il voulait étudier spécialement :
les Indiens Pueblos. Il décrit, toujours du point de vue ethologique : leurs terri-
toires, leurs demeures, leurs villages, leur nourriture, leurs vêtements, leur orga-
nisation politique et sociale, leurs systèmes d'éducation, leurs industries, leurs
arts, leurs sciences, leur religion, leurs danses et leurs cérémonies. Ces descrip-
tions sont fondées en majeure partie sur les publications du Bureau of Ethnology
et du Field Museum de Chicago ; mais M. Fynn a contrôlé et complété les obser-
vations de ses prédécesseurs par des enquêtes directes, entreprises au cours de
plusieurs séjours dans l' Arizona.
M. Fynn constate un grand nombre de concordances entre le milieu naturel
d'une part et de l'autre l'organisation et surtout la civilisation matérielle des
Pueblos. Mais il n'a pas assez insisté sur la portée économique des cérémonies,
ni sur la relation entre la division de l'univers en orients et la localisation des
clans et des demeures. Ces concordances de détail ont également été constatées
déjà pour la plupart des peuples : il va de soi que p. ex. l'abondance d'arbres ou
la présence de pierres conditionnent le matériau des maisons ; de même, l'abon-
dance du bison, ou ailleurs des poissons, déplace le centre technologique, etc. ;
dans certains cas, toute l'organisation sociale et religieuse a pour pivot un cycle
déterminé d'occupations, comme chez les Toda de l'Inde, où ce pivot de la vie
sociale est la laiterie.
M. Fynn n'arrive pas, en dehors de ces constatations superficielles, à des
1908.] ANALYSES. [P. 171i
résultats inii)()rtauts. Ils no pourraient d'ailleurs être obtenus qu'après une étude
parallèle des réactions du ^'roupe humain sur le milieu naturel. Dans le cas actuel,
cette réaction s(^ manjue surtout par ce fait (jue les Indiens Pueblos se font de
rrnivers une conception modelée sur leur ortranisation sociale.
Le contenu du livre ne répond donc pas exactement à son titre : mais c'est
un excellent manuel, un bon tableau de la vie économique et sociale de l'un
des groupements amérindiens les j)lus intéressants ; un index bibliographique, où
numquc nt malheureuscMuent les dates et le lieu de jaiblication, fournit à chacun
(Fauteur s'adresse davantage au grand public instruit qu'aux spécialistes) le moyen
d'entreprendre des n*ch(M*ch(»s personnelles plus approfondies.
A. VAN Gennep.
Jacques Faïtlovitch. Proverbes abyssins^ traduits, annotés et expliqués. Paris,
(leuthner, 1907, 86 p. in-8.
On a dit ([ue les proverbes étaient la sagesse des nations : on a dit aussi qu'ils
fournissaient à la paresse* de Tesprit un nombre de phrases stéréotypées évitant
à la masse la fatigue do penstu* et de s'exprimer d'une façon personnelle. L'une
et Tautre ojûnion ont leur part de vérité : il nVn faut pas moins reconnaître que
les proverbes ont conservé une tournure particulièn* d'expression qui peut bien
être devenue banale mais qui, à un moment donné, n'en a pas moins été origi-
nale. Le fait niêmc^ d'avoir été conservés sans altération donne aux proverbes,
au point de vue de la langue, une vahMir tout<» particulièn*.
L'amarina en eflet, ne remonte pas haut, du moins sous sa forme écrite. Il a
sans doute existé avant (pfon en ti*ouv(» des traces dans la littérature écrite, et
certainement avant le XIII'" siècle, dat» assignées par M. Faïtlovitch pour la sup-
pression du ghee^z comme langue ])ailée. Il a donné, dans son introduction (p. 23,
note 1, 24 note» 1, 26-27, note 1) une liste des publications en amarina ou relati-
ves à cette langue, mais (dh» (»st loin d'être complète^ Ainsi les premiers spéci-
mens de gramnmire amarina furent doimés bien avant Ludolf par Achilles Vene-
rius dans ses Chaldcœ seu uJ'Jthiojneœ Imguœ institut iones^. Comme textes d'une
haute importance en raison de leur ancienneté relative, il fallait mentionner les
chants populaires sur divej's princes : signalés par Zotenberg'^, ils ont été repris
par Praetorius'*, publiés in extenso par (luidi'' et étudiés en partie par Pereira®.
Déjà la langue du Marha- Ewur traduit de» Touvrage copte du patriarche Deme-
trius XII, est très fortement mélangée d'amariùa et ce dernier présente des for-
mes archaïques, plus régulières que les modernes"^. La liste de M. Faïtlovitch
est singulièrement incomplète : puisqu'il y fait figurer les traités de Jacobis, de
* Je ne lui reprocherai pas de n'avoir pas cité des pauvretés comme Piano, Raccolte délia Jrasi
più usuali in amàrico, Rome, 1887, in 18 ; ou Scolart, Frasario amarica oromona, Naples,
1888, in 12, ou AUori, Piccolo dizionavio eritreo-italiano-arabo-amarico^ Milan, 1896, ou Mahler,
Praktische Qrammatik der amharischen Sprache^ Vienne, 1906, in 8.
« Rome, 1830, in 8, p. 43-46.
' Cataloffue des manuscrits éthiopiens de la Bibliothèque Nationale de Paris^ Paris, 1877,
in 4, p. 218-219.
-* Amharische Sprache, Halle, 1879, in 4, p. 499-502.
^ Le Canzoni Geez-amarina, Rome, 1889, in-8.
^ Cançâo de Gaîavdevos, Lisbonne, s. d., in 4.
7 Cf. Guidi, Il Marha-'Ewur, Rome, 1896, in 8.
P.172.] • R • Ë • E • S • [1908.
Coulbeanx et d'Iseuberg^ (en partie) et de Flad- p. 23, 24 uote 4, il n'y avait pas
de raison pour ne pas mentionner les suivants : Tëmhërta Kërstyân, Rome 1900 ;
Evangelia saneta.,. in linguam amharicam (version d'Abou Ramsis)^, le Psalic-
rium Davidis, aethiopici et amharici*, les Einsiola Apostohmm aethiopici et
amharici°, le Novum Tesianientum en aniharique, version d'Abou Roumi** ; la
Bible en amliarique''. La liste des grannnaires contient des lacunes*^ ; je n\v trouve
pas El Malhat cl Djallyah livm'rifat el loghat cl habachyah par Mikhayil Djird-
jir El Habachi'», ni le Manuel pratique de langue abyssine de Perruchon^", ni la
(wrammatica linrjua amariha d'Afework". Vai môme t(MUi)s que M. Faïtlowitch
publiait ses Proverlies, paraissaient trois ouvrages importants qu'il ne pouvait
évidemment citer dans sa Bibliographie : Guidi, Leggende storiche in Abissittia^^ ;
id., Strafe e brcvi testi amarici^^ et Mittwoch, Proben aus amharischnn Volks-
kmundc^*.
L'auteur passe aussi en revue les travaux relatifs aux autres langues sémiti-
ques d'Abyssinie, et là encore, il est incomplet. Ainsi à la liste qu'il donne des
ouvrages parus sur le tigré (p. 13, note I), il faut ajouter Nöldeke, Ein neuer
Tigre- Text^'", Enno Littmann, En Sang pu Tigre-Spraket^^ ; id., Die pronœnina
im Tigre^'^ ; id., Das Verbum der Tigre Sprache^^ ; A. H. C. pour apprendre aux
enfants à lire le Tigré^^ ; Evangelium enlight Markus pa Tigre Spraket^^ ; Cam-
perio, Manuale tigre-italiano^^ ; Gallina, Indovinelli Tigray^^. Pour le tigraï ou
tigrina : Evangelia sacra, trad, en tigrina par le Debter a Matheos et publiés par
Krapp3 j Ghebre-Medhin Dignei, Apohghi cd Ancddoti in lingua tigrihna'^* ;
L. de Vito, Esercizi di lettura in lingua tigrigna^' ; Fasha Gherghis, Notizie del
viaggio d'un Etiopico dalV Etiopia alV Italia^^ ; Schweinfurt, Abyssinischc Pflan-
sennamen^'^ ; Conti-Rossini, Leggende tigray, dans les Note etiopiche^^ ; Enno
^ La Geografya yamëdêi" tëmhirt d'Isenberf^ a eu une ^e'onde é.lition à S. ChiiscKona, 1872.
Lfs ouvrages suivants d*Isenberg ne »ont pas indiqués : Amharic Spelling hook, Lon<lies, 1840,
in 8; Amharic Cntechism, Londro.«, 1841, in 8; Adnmbratio historiae mundi, Londres, 1842,
in 8; L*turgia, (Common prayer book) una cum psalicrio amharico, Londrep, 1842, in 8.
^ A l'ou\rage cité de Flad, il fallait ajouter The God of Israel in the God of Salvation. S. Cris-
chona, 18G6. in 18; Proofs from the Old Testament that Jesus of Nazareth is th** son ofGods^
S. Criscbona 1867, in 18
3 Ed Pell Piatt, Londrep, 1824. in 4. — -« Bale, 1872, in-8. — * Bale, 1878, in 8.
ß Bale, 1870, in 8. — ^ 3 parties in 8. S. Criscbona, 1871-1873.
^ La grammaire anibariqne de M. Tiuidi a eu en 1892 une seconde édition trôs angm^'ntée.
^ Le Qaire, 1289 bôg., in 8. — C'est plu'At une série de vocabulaires accompagnée dr' dialogues
et d'anecdote!".
1^ Paris. 1898, in 8, 2« édition très augmentée sous le titre de : Aperçu grammatical de la
langue amharique, Louvain, 1899, in 8.
î^ Rome. 1905, in 8.
1« Rivista degli Studii Orientali, T. I, p. 5-30. Rome, 1907.
^8 Mittheilungen des Seminars für Orientalische Sprachen zu Berlin. T. X, 2« r^rtie, Berlin,
1907, p. 167-184.
Ï* Mittheilungen ibid, p. 18&-241.
15 Zeitschrift für Assyriologie, t. XVI, p. 65-78.
1^ Up^ala, s. d., in 8.— Malgié le titre suédois:, Tinfroduction et la traduction sont en allemand.
*7 Zeitschrift für Assyriologie, t. XIII, p. 188 31ô.
ï8 Zeitschrift für A&^yriologie, t. XIII, p. 134-178; t. XIV, p. 1-102.
1» M'kullo, 1889. — 20 M'kullo, 1889. - " Rome, 1893, in 18. — «« UOriente, 1894, p. 28-33.
" S. Crischona, 1886, in 12.— ^ Rome,1902, in 8.— ^ Rome, 1894, in 8.— ^ Rome, 1895, in 8.
" Berlin, 1893, in 4. — «« Rome, 1897, in 8, p. 3-13.
1908.] ANALYSES. [P. 173.
Littiiiann, Specimens of popular Literature of Modern Abyssinia^. Pour le Gou-
ragiié (p. IG), hi première conuaissance de ce dialecte est due au vocabulaire,
aux paradigmes et au texte recueillis par Mayer et publiés après la mort de
l'auteur par Krai)f : Kurze Wo y ter Sammlung in eiiglish, deutsch, amharisch, galla-
nisch, guraguesch'^, et enfin pour le Harari (p. 16, note 2) l'ouvrage de Builon,
First footsfrj s in East Africa^ renferme une grammaire et un vocabulaire de
cette langue.
C'est à la suite d'une mission eu Abyssinie, spécialement en vue d'une en-
quête sur les populations falacha, que M. Faïtlovitch a rapporté ces proverbes*.
La traduction est correcte, et à l'occasion, l'auteur a fait des rapprochements
avec des collections semblables (Guidi, Praetorius). On peut y joindre les suivants
empruntés au recueil de Mittwoch paru en même temps que celui de M. Faïtlo-
vitch :
Proverbe 4 (F), dans M = n" 81 (M.) avec cette variante pour la 2^ partie :
il n'y a i)as d'appréciature an dessus du juge.
Pr. 19 (F) = 14 (M.) avec un commentaire phis étendu.
Pr. 83 (F) - 8 (M.)
Pr. 40 (F) = 13 (M.) avec une variant(\
Pr. 96 (F) -= 3 (M.) avec un commentaire.
P.I. 98 (F) = 10 (M.)
J'ai insisté sur les lacunes que présente la bibliographie de M. Faïtlovitch,
mais je dois reconnaître que son ouvrage est une utile contribution à l'étude de
la société abyssine et qu'il rendra des services à celui qui plus tard fournira un
Corpus d(»s proverbes amarinas. Cette publication est de bon augure pour les
suivant(»s. René Basset.
*
* *
Emile Galtier. Coptica-arahica^ iasc. I. Le Caire, 1906, Lnprimerie de l'Institut
français d'archéologie orientale, 78 p. in-4, 9 fr.
J'ai eu j)récédemment l'occasion de signaler dans la Rfvue des Traditions
jfojni'aires un ouvrage de M. E. Galtier, intéressant au point de vue du folk-lore'*.
Celui (pli vient de paraître, quoique n'étant i)as exclusivement consacré à la litté-
rature* populaire, n'en conti(Mit pas moins de précieuses contributions. Dans la
j)arti(' intitulée Arabica^ Fauteur étudie le recueil de sentences attribuées à des
sagt^s *^ivc<,, composé par Abou'l Faradj l)en Hindou et cpii mérite d'être rappro-
* Journal of the American oriental Society, t. XXIII» p. 51-55. — On peut ajouter  celte liste,
pour la compléter, des publications dont M. Fbïtiovitch n'a pu avoir connaissance, puisqu'elles
ont paiu en même lemps que la sienne ou même depuis : Conti Rossii i, Racconti e canti bileni,
Parii», 1907, in 8 p. 27-34, textes amariùi, et p. 34-64, textes tigiô. Enno Littmann, Canzone
tigre, Rivista degli Studi Orientalin t. I, p. 211-215.
* Bale, 1876, in 8. — ^ Londres, 1856, in 8.
^ Deux au'res publications relatires â cette mi.-sion ont déjà paru : Notes d*un voyagechez les
Falachas, Pari?, Leroux, 1905; Mota-Musé (\sl mort de Moïse), apocryphe éthiopien traduit en
fiançiis, Pari.«, Geuthner, 1906. — Aux légendes arabes ayant trait à la mort de Moïse et indi-
quées p. 6, note 1, il fallait ajouter H)(h Tha'alibi, Qisa^ el Anhyà (Le Qaire, 1298 hég., in 4,
p. 215-218); Gitlnbaum, Neue Beitraege zur Semitischen Sagenkunde (Leiden, 1893, p. 183-185) ;
Monadjàt Mousa, texte arabe (Beyrouth, s. d., in 8. p. 23-26).
5 Contribution à r étude de la littérature arabe copte. Le Qaire, 1905, in 4. Cf. Revue des
Traditions populaires, juin 1906, p. 265-267.
p. 174.] • R • E • E • S • [^®*^^-
che de la V* partie du Djawid'an  hired' d'ibn Miskawoih^ et du recueil éthio-
pien connu sous le nom de Mash'afa l'ahibâh'^. A côté des nuixinies attribuées à
des philosophes grecs, se trouvent des fabl(\s : ainsi celle de la liesacc^ est mise
dans la bouche de Demosthenes, puis vient une série d'autres : ic renard et la
lionne^ ; le loup et la grue'» ; le chevreau et le loui)^ ; la vipère et le fagot d'épi-
^ Cf. la notice du texte arabe que J'ai donnée dans la préface de mon ôiition de la ver-^icn
arabe du Tableau de Cébès (Alger, 1898, in 8, p. 9-13). Une traduction persane (celle du Taqi ed-
din Moh'ammed, el An-adjàni ?) a été lithographiôe à Téhéran en 1294 hég.
' Cf. les ixtrairs donnés par Dillmann. Chrestomathia aethiopica^ Leipzig, 1866, in 8, p. 40-55
ei le mémoire de Corn ill, Das Buch der loeisen Philosophen, Leipzig, 1875, in 8.
^ Outre la fabla ésopique publiée par Halm et citée par M. Galtier, il y est fait allusion par
Plutarque ( Vie de Crassus, XXXII) à l'occasion des contes milésiaqucs trouvés par Suréna dans
les bagages de l'armée de Crassus. Cf. aussi Phèdre (L. W. f. 10); Avianus(f. XIV), un apologue
de Tab jô Pior (De vitis patrum. L. III § 136 ap. Migne Patrologia latina T. 73, col. 783. Paris,
1879 g^ in 8) ; Perse (Sut. IV v. 24) : Sed praecedenti spectatur mantica tergo.
Erasme y fait allusion (Eloge de la folie, trad. Develay. Paris 1876, in 8, p. 86) ainsi que Sha-
keh-p^are (Coriolan, acte II, se. 1). C'est la fable VII du livre I de La Fontaine, qui a été uiise en
vers latins par C. Lebeau [Carmina^ Paris, 1782, in 8, L. III, p. 134-136). Cf. aussi Delboulle,
Les Fables de La fontaine, Paris, 1891, in 12, p. 13-14.
* Cf. les rapprochements indiqués dans mon Loqmàn berbère^ Paris, 1890, in 12, p. Cl et
Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes, T. III. Liège ol Leipzig, 1899, in 8, p. 29.
5 Cf. outre la fable ésopique mentionnée : Weber, Indische Studien, III, 350-351 ; Wagener,
Essai sur les rapports entre les apologues de VInde et de la Grèce, Bruxelles, s. d. in 4, p. 49-50,
117; DelaLoubôre, Du royaume de Siam, Paris, 1891, 2 v. in 12, T. II, p. 25-26 ; Pallegoix,
Description du royaume thaï. Paris, 1854, 2 v. in 12, T. II, p. 20; Gabrias, Quatrains, 39. Le
loup et la grue; Apbthonios, fdb. 25; Phèdre, L. I, f. 8, Lupus et Grus ; Romulus L. I, f. 8
(Hervieux, Fabulistes latins, T. II, Paris, 1884, in 8, p. 180); Romulus de Berlin, f. 8 (Hervieux,
op. laud. p. 250-251); Walter l'Anglais, f. 7. De Lupo a Grue (Hervieux, op. laud, p. 429);
Romulus d'Oxford, f. 7, Lupus et Ciconia, (Hervieux. op. laud. p. 367); Romulus de Vienne,
II, 7. De Lupo et Grue (Hervieux, op. laud. p. 287); Komulus de Nilant f. 9, Quod, unus quidam
Lupus ossa roderet, unum ex ossibus fauabus ejus inhacsit. (Hervieux, op laud, p 334); Fabu-
lae Phadriana I, 9, Lupus et Grus (Hervieux, op. laud. p. 149); Adhômar de Chabann'es, f. 64
(Hervieux. op, laud. Lupus et Grus (Hervieux, op. laud. p. 144) ; Anonyme de Nevelet, f. 8;
Romulus de Berne f. 4. Lupus et Grus (Hei vieux, op. laud. p. 342); Alexandre Ntquam, Aller
Aesopus f. 1. De Lupo et Grue (Hervieux, op. laud. p. 787; E. Du Môril, Poésies inédites du
moyen âge. Paris, 1854, in 8, p. 176); Jacques de Vitry, Exempla (éd. Crane. Londres, 1890,
p. 61) n® 136; Rhylmicae fabulae. L. I, f. 9 (ap. Wright, Sdectio7is of latin stories); Vincent
de Beauvais, Speculum historiale^ L. III. f. 5, Lupus et Grus (Hervieux, op. laud, p. 236);
Mari • de France, f. 7 (E. Warucke, Halle, 1898, in 8, p. 26-28) ; Robei t, Fables inédites des Xlhy
XlIPet XrV^ siècles, (Pari?, 1825, 2 v. in 8). T. I, p. 193; Ysopet de Lyon. éd. Foersler (Alt
französische Bibliothek T. V, Heilbronn. 1882, in 12), fable VIII, Dou lou et de la grue, p. 13-14;
Nicole Bozon, Contes moralises n® 72. Quod divites modica dayit et raro (éd. Toulmin Smith
et Meyer, Paris, 1889, in 8, p. 91-92); Ruiz de Hita, copia 242, Ensieniplo del Lobe, e de la Cabra
a de La Grulla (ap, Sanchez. Poesias castellanas anteriores al Siglo XV. Paris, 1842, p. 442-
443); Libro de losGatos, § 2. Enxemplo del Lobo con la ciguena (a p. P. de Gayangos. Escritores
en prosa anteriores al siglo XV (Madrid, 1859, in 8, p. 543) ; Brou. yard. Summa praedicantium,
6, IV, 16 ; KWchof jWendunmuth, 7, 42 ; Steinhöwel, Jüsop, (éd. Oesterley, TObingeo, 1873, in 8)
L. I, f. 8, Von dem wolf und krauch, p. 89; Corrozet, fable VI. Du Loup et de la Gi-ue (Fables
d'Esope mises en vers, Paris, 1882, in 8, p. 17-18); Hugo von Triemberg, Renner f. 14; Guicciar-
dini, Dötti et fabli notabili (Lyon, 1808, in 12, p. 198), Il Lupo ed il Ginl ; Parma, Fables, 56,
Lupus et Grus; Nicoiaus Pergamenus, Dialogus creaturarum. Dial, 117, De sienia et taxa (ap.
Graesse, Die beiden ältesten latehiischen Fabelbücher des Mittelalters, Tübingen, 1880, in 8,
p. 272) ; Decourdemanche, Fahles turques^ f. 68, Le Loup et la Cigogne^ (Paris, 1882, in 18,
p. 140-141) ; G. Le Noble. Contes et fables (Paris, 1700. 2 v, in 12, T. I, p. i.v-31), f. 8, Dm Loup
et delà Grue, C'est la fable IX du L. III de La Fontaine. Cf. aussi La Fontaine, éd. Régnier
T. I (Paris, 1883, in 8), p. 228-229 ; Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes, T. lu, p. 19.
^ A ajouter aux versions indiquées par V. Chauvin (Bibliographie des ouvrages arabes, T. III,
p. 56) le ms. 3462 de la Bibliothèque Nationale de Paris, £»• arabe, f. 76 (f. 119) Le boite et le loup.
1908.] ANALYSES. [P. 175,
nes ; le renard et la ronce"^. On trouve plus loin la traduction française et le texte
espagnol d'un récit en aljaraiado (espagnol écrit en caractères arabes), intitulé
Le bain de Zarieb. C'est le développement d'une anecdote arabe qu'on trouve
Behâ ed din El Auiili^. Elle est suivie d'une version de la légende de la ruse de
Didon (la peau coupée en lanières), appliquée à la construction de la mosquée
de'Amr au Vieux Qaire. C'est une recension à ajouter à celles qui ont été énu
mérées dans la Revue des Tradiiiom populaires . Enfin le dernier article qui se
rapporte au iblk-lore traite de la croyance à la résurrection partielle des morts
qui aurait lieu une fois par an aux environs du Qaire.
On voit l'intérêt que présente le premier fascicule des Copiica- Arabica de
M. E. Galtier. Il faut espérer que le second ne se fera pas attendre et que nous
aurons une fois de plus l'occasion de reconnaître la sagacité et l'érudition de
l'autour, au grand profit du folk-lore. René Basset.
*
* *
Ronald M. Burbows. The Discoveries in Crete and their bearing on the history of
ancient civilisation. Londres, Murray, 1907, in-8<*, XVI-236 p. et 4 planches.
Angelo Mosso. Escursioni nel Mediterraneo e gli scavi di Creta. Milan, Treves,
1907, gr. in-8^ 290 p. 2 planches et 187 illustrations».
Les découvertes de Crète, qui ont si profondément modifié les opinions reçues
sur la préhistoire du monde grec, ne sont encore connues que par les rapports
des explorateurs imprimés dans des périodiques peu accessibles ou par telles
études plus approfondies sur certaines questions d'archéologie ou d'histoire reli-
gieu.se, études pareillement insérées dans des Revues spéciales. Si le public français
a pu se tenir au courant de ces découvertes par les articles de M. S. Reinach dans
V Anthropologie a\ixquels on doit ajouter ceux de MM. R. Dussaud et E. Pottier, il
ne paraît pas en avoir été de même en Angleterre où, cependant, l'exposition d'art
Cretois en 1903 au Burlington House, puis l'installation par M. Evans lui-même
des collections de doubles et de copies à l'Ashmolean d'Oxford, ont éveillé le plus
vif intérêt ; aussi M. Burrows, professeur de grec à Cardifi*, a-t-il cru opportun de
donner aux scholars de son pays un aperçu d'ensemble non tant sur le détail
même des fouilles de Crète que sur les données nouvelles qu'elles apportent et
les problèmes qu'elles posent. Parfaitement au courant de tout ce qui a été écrit
à ce sujet* et secondé d'ailleurs par les fouilleurs de Knossos, MM. Evans et
Mackenzie, et par les meilleurs spécialistes anglais — MM. Hall, Myres, King et
^ C'. Cliauvin, Bibliographie des outrages arabes^ T. III (p. 75); à qui il faut »jouter le nis.
3462 de la Bibl. Nat. de Paris, i^* arabe, f. 9 ot 82, et Abou'l Ma*uli Moh'ammed ben 'Abdoun,
Tacî^^Atra^, dont la fable est citée d'aprôs le msF. de Londres dans laCbrestomathie arabe de
Durand et Cheikho (Elementa grammaticae arabicae^ Beyrouth, 1897, p. 319).
2 Kechkoul, Le Qaire, 1316, bôg. in 4, p. 73.
3 Cet ouvrage vient de parairre en anglais sous le titie : The palaces of Crete and their buil-
ders, sans modificatiop sinon un plus beau papier et une couverture cartonnée : d'où 27 frs au
lieu de 8 ! Sur les fouilles italiennes décrites par M. Mosso voir en dernier lieu Pernier, Ausonia,
1907, pp. 109-120.
^ Cimme omissions importantes je ne vois à sij^naler que les articles do R. Weill dans la
Revue archéologique de 1903 et de 1904 sur la question de l'ôcriture linéaire et le vase de
Phaestos; ceux de S. Reinach dans \ Anthropologie^ l'étude de Miss E. H. Hall ^ur Part décoratif
de l'âge du bronze en Crète (Philadelphie, 1907), IVxcellent résumé sur l'état des découvertes en
Crôte publié par S. A Xanthoudidis dans rAÔT,va de 1904, les Neue Darstellungen a myke-
nischeryy Gesandten de W. M. Müller, et les Beiträge ... su Kypros de K. von Lichtenberg dans
p. 176.] • R • E • E • S • [1908.
Conway — il lui a été posssible, non seulement d'exposer correctenient, mais
même de préciser et de développer les opinions, parfois assez fuyantes, que ces
savants ont dispersées dans leurs différents écrits. Un excellent index aidant, on se
trouve en présence d'un véritable répertoire de ce qui a été dit sur la plupart ties
questions créloises jusqu'en mai 1907 : le palais de Knossos est-il le labj-rintlie du
Minotaure V les Keftî de la tombe ilv Rekhmara sont-ils des Cretois ? les Etéo-
crétois descendent-ils des Cretois de Minos V la religion primitive en Crète est-elle
aniconique ? quelles sont les influences égyptiennes ou babyloniennes en Crète et
quelles sont les influences Cretoises en Egypte ? le palais d'Alkinoos représente-t-il
celui de Minos et la Pliaeacie n'est-elle pas une Crète idéalisée? les Achéens
ont-ils détruit la civilisation minoenne ou ont-ils seulement précipité sa décadence?
la langue dans laquelle sont écrites les tablettes Cretoises est-elle indo-euro-
péenne ? — M. B. ne s'est pas contenté de poser ces questions (avec moins de clarté
souvent qu'on n'eût désiré ; il n'a pas résisté au plaisir de s'étendre en deux longs
chapitres) d'abord sur la chronologie égyptienne pour maintenir en définitive la
XII* dynastie, contemporaine du Moyen Minoen II, à 2700-500, date intermédiaire
entre le 3400 de Pétrie et le 2000 de Ed. Meyer; puis sur la poterie néolithiqm*
à spirales pour opposer sans grand profit la théorie de l'origine égéenne à celle
de l'origine indo-européenne. A côté de ces digressions, qui l'ont empêché
d'approfondir aucune des questions posées, on doit aussi regretter les vives polé-
miques où l'auteur se laisse entraîner contre VValdstein qui aurait voulu faire
descendre l'art minoen jusqu'au VIP siècle ou contre Rouse qui cherche le
Labyrinthe à Gortyne, contre Doerpfeld qui verrait des Cariens dans les fondateurs
de la civilisation minoenne ou contre Lang qui suppose que l'auteur primitif de
l'Iliade ne connaissait que le bronze pour armer ses héros. Ce sont là autant de
théories, ou bien dont il a été fait assez justice pour qu'il soit inutile d'y revenir
comme celles de Rouse ou de Waldstein, ou bien qui sont trop complexes pour qu'on
puisse prétendre les démolir en dix pages comme celles de Ed. Meyer, Lang ou
Doerpfeld. Sans doute, ces discussions, impétueusement menées, contribuent-elles
à rendre brillant et vivant le livre de M. B. ; mais elles l'ont empêché d'être
complet ou même clair sur bien des points essentiels et enlèvent malheureusement
beaucoup à sa valeur scientifique. Alors qu'il eut été facile à M. B., avec sa
connaissance approfondie de la matière, de donner dès maintenant un pendant à
l'excellent ouvrage de Tsountas et Manatt, The Mycenean Age (Londres, 1897),
son livre, peut-être trop rapidement composé, risquerait — n'étaient l'index et la
bibliographie très commodes qui l'accompagnent — de ne pas faire avancer
beaucoup plus l'étude de la Crète minoenne* que ne peuvent le faire les notes et
Vorderasiatische MiUeilungen de 1904 et 1906. Je ne sais si M. B. a pu encore connfaUie le
travail de M. Pottier dans le Bulletin de Correspondance Hellénique^ 1907, p. 129, les articles
du p. Lagrange dans la Reitue Biblique de 1907, les travaux de M. Dussaud sur Chypre, le
Canaan du P. Vincent (Paris, 1907) et le premier fascicule à'Orchomenos par H. Bulle (Leipzig,
1907). En tout cas il est impossible de comprendre pourquoi M. B. a encombré sa bibliographie
de livres qui ont aussi peu de rapport avec la Crète que Chadwick, Origin of the English Nation ^
MeTsteihans, Grammatik der attischen Inschriften, Passow, Tragoudia Romaiika et une
disaine dautres de môme ordre tous désignés par des abréviations qui forment de véritables
logogriphes : Rhys, W P. (= The Welsh People !), Pick, H. 0. V. S. (= Die homerische Odyssee
in der Ursprünglichen Sprachform !) Que dire aussi de phrases de ce genre qui veulent caracté-
riser la conquête achôenne en Crète (p. 100) « For Crete the sack is ^Egospotami, Late Minoan III,
th9 long months that culminate in the surrender of Athens ; the sack is Leipzig, Late Minoan III,
the slow closing in on Paris that leads up to the abdication of Napoleon » ! !
1908.]. ANALYSES. [P. 177.
impressions de voyage réunies par M. Mosso. On pouvait espérer davantage de
Térudition et du talent de M. Burrows.
Physiologiste et sociologue, le professeur Mosso s'est passionné de bonne
heure poiu* les découvertes de Crète : dès 1902, dans son beau livre Mens sana
in corpore sano, il célébrait et regrettait cette éducation pliysique qui faisait des
femmes comme des hommes du temps do Minos de si souples toréadors et des
boxeurs si puissants. Bientôt, sur les pas de Sergi, il commençait à mesurer les
plus anciens crânes mis à jour en Etrurie ou dans le Forum et se déclarait à sou
tour contre la théorie indo-germanique " inventée par les philologues allemands. «
Il n'y a pas de race aryenne : au moins, dans le bassin de la Méditerranée ne
trouve-t-on, à l'origine, que des « Méditerranéens « . Au printemps 1906, M. Mosso est
donc allé chercher en Crète des documents pour ses recherches sur les crânes et
squelettes préhistoriques et pour ses analyses des armes de cuivre et de bronze.
Il n'a pas seulement visité et suivi les fouilles en compagnie de leurs directeurs,
Evans, Pernier ou Xanthoudidis, mais, avec l'émotion du néophyte, il a lui-même
dégagé des tombes aux environs de Phapstos et fait creuser dans le Palais
un puits de 5 mètres au fond duquel il a eu le bonheur de rencontrer, avec
des tubes d'os qui auraient embouché des flûtes préhistoriques, une masse
(le fer météorique à côté d'une statuette féminine en terre cuite tatouée
d'une croix sur le flanc gauche ; ainsi se confirme l'interprétation que les
fétiches de pierre à peine anthropoïdes de la Villa Royale de Knossos, avaient
permis de donner de la légende crétoiso selon laquelle Kronos aiu'ait dévoré son
tils sous forme d'ime grosse pierre emmaillotée. Comme en Syrie et en Cappadoce,
la Terra Mater et son fils, le dieu de la foudre, auraient été, en Crète, adorés d'abord
sous les espèces de ces bolides tombés du ciel ou considérés comme tels. —
D'autres sondages ont permis à M. M. de constater que, tandis que, à Knossos il
faut creuser à 10 ou 12 m. pour atteindre le sol vierge, à Phaestos, elle est mise
à nu par lui puits de 5 m. dans le grand coidoir des magasins et à 1 m. à peine
dans la cour du Palais. Il n'en résulte pas seulement, comme Ta vu M. M., que
les constructeurs du Palais ont dû niveler une surface qui paraissait plate jus-
qu'ici ; mais, le calcul qui, à Knossos, a fait assigner une antiquité de 12 à 14000
ans au premier établissement néolithique s'en trouve compromis puisque la même
céramique noire lisse qui caractérise cette période se rencontre à Phaestos à une
profondeur qui, d'après le même calcul, ne remonterait qu'à 5000 ans avant notre
ère ; il faudrait ainsi admettre que, à Tépoque de la civilisation «l'Abydos en
Egypte, la Crète était encore en plein âge néolithique.
A côté de résultats semblables, M. M. nous apporte plus d'un renseignement
nouveau sur ces fouilles italiennes encore si mal connues. Il est notamment, le
premier à publier ce chef d'œuvre qui ne le cède qu'à la coupe des moisson-
neurs, (fig. 33-4), la coupe de steatite, déjà connue par une description de Paribeni
(Rendicantiy 1903, p. 324) où un chef, dont la chevelure abondante descend
jusqu'au ceinturon, appuyé sur une lance aussi haute que lui, parait donner des
ordres à un lieutenant qui, plus petit, les cheveux ramenés sur la tête, l'épée au
creux de l'épaule droite, les transmettra aux soldats alignés derrière lui dont le
grand bouclier ne laisse passer que les pied s guêtres et la tête chevelue. A la Pa tela
de Priuia, M. M. annonce la découverte eu 1906 par M. Pernier d'une stèle
où un guerrier « gigantesque y> à la targe ronde et à knémides se dresse devant
la figure suppliante d'un homme vêtu à la mycénienne, peut-être un conquérant
acheo-dorien donnant l'aman à quelque étéo-crétois.
p. 178.] • R • E • E • S • Ç.^^^^-
N'étant pas archéologue," M. M. se contente de mentionner de pareilles
découvertes ; il se plait surtout à insister sur ce qui intéresse en lui le naturaliste.
Ainsi, Ton apprend que le taureau des fresques Cretoises est très^ près du Bos
primif/enius et la chèvre de la Capra aegagrus ; que les poissons volants se voient
encore dans la mer de Crète ; que le chat, qu'on croyait d'origine égyptienne,
figure déjà sur une fresque de Hngia Triada, une porcelaine de Knossos et une
terre cuitt* de Gouriiia^ et que la colombe, que Helm faisait venir de Syrie au
V* sièclf , a j)lutôt pris sou vol de Dodone pour envahir TA sie et l'Afrique ; que le
châtaignier dinde no p(ut être d'aussi lointaine^ provenance que l'indiquerait son
nom puisqu'on le reconnaît sur un vast* de Kamarès et qu(» h» murex, qui jouo un
si grand rôle dans l'art miuof n, témoigne que la pourpre a été connue en Crète
bien avant de l'être en Phénicie ; que l'huih» d'olive l)riilait dans les lampadères
en steatite des palais crétois et, enfin, que le peuple qui fit de si grandes choses
avec Minos aurait été C()mi)osé e^n moyenne de dolicocéphales à cheveux noirs et
peau brune, hauts de I m. 60 à en juger par h» squelett(» d'une larnax d'Artsa
(cf. les mesures crAniologiques deDuckworth bien exposées par Burrows, p. 165-8).
Tout cela c^st dit un i)eu pêle-mêle, au milieu de (Inscriptions poétiques et de
considérations philosophiques, et l'enthousiasme sincère qui anime tout l'ouvrage
en rend la lecture particulièrement attrayant(\ Il no manquera pas de gagner,
en Italie, des amis et drs appuis à ces fouilles qui, à interpréter avec M. Mosso
un vers fameux, seraient presque nationales pour le peuple d'Enée :
Mons lâaeus uhi et gentis cunabula nostra ?
A. J. Reinach.
1 M. M. ne cite que ce dernier monument. J*ajou(e la porcelaine votive de Knofsos d'après
Evans, Annual^ IX, p. 77 et la fresque d*H. Triada d*aprôs les Monumenti Anlichi, XIII, p. 57.
Le chat de la fresque comme ceux des poignards de Mycônes, parait, d'ailleurs, au milieu d'un
paysage tout égyptien ; mais on sait que Bast, la déesse Chatte, viendrait de Libye selon Wiede-
mann. C'est de là qu'elle a pu gagner la Crôte comme l'Egypte. M. M. conclut à tort de l'absence
du cheval en Crète au caractère non-aryen de sa population. On pourrait opposer le même fait
aux théories d'origine libyenne vers lesquelles il incline avec raison, d'autant plus que Ridgeway
a montré récomment que tous les chevaux du bassin oriental de la Méditerranée étaient de race
libyenne {Origin and influence of thoroughbred horse, 1905); on peut ajouter qu'on reconnaît
Ikisément un cheval barbe poité sur un navire crétois (Annuah XI, fL%, 7).
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P, 179.
NOTIGES BIBLIOGRAPHIQUES.
Eduard Meyer. Uehej^ die Anfänge des Staats und sein Verhaltniss zu den Geschlechts-
verbänden und zum Volkstum i>itzungsberichte der K. Preussisclien Akademie der
Wissenschafton, hist. phil. Classe, p. 1907, XXVII, 8'S 31 pages — Ce mémoire fournit
une preuve importante, étant donné le rang scientirtque de l'auteur, des progrès de
Tethnographie dans des milieux jusqu'ici plutôt réfractaires. L'auteur de la célèbre
« Histoire de l'Antiquité » admet en effet que pour comprendre les institutions antiques,
une connaissance suffisante des résultats généraux de l'ethnographie est nécessaire.
Non qu'il admette ces résultats : il les critique môme avec quelque violence ; mais c'est
déjà là un hommage. Sur plusieurs points il a raison, notamment quand il se refuse à
admettre la théorie qui fait de l'Etat une résultante de l'évolution convergente de
groupements d'abord autonomes et petits ; il objecte à bon droit que dans les sociétés
peu évoluées on constate un entassement et une pénetiation de groupes souvent plus
larges que l'Etat (gi'oupes totémiques, groupes matrimoniaux, etc.). De môme sa
démonstration de l'indépendance du mariage (acte social) et de l'union (acte purement
physique est à retenir. Les quelques erreurs de détail (M. Meyer admet la promiscuité
primitive, australienne, etc. p. ex.) n'enlèvent que peu de force aux arguments exposés.
Par contre on admettra malaisément que l'Etat ne soit qu'un fait psychologique, la
conscience qu'ont les individus et les groupements faecondaires de n'exister que par
rapport à un tout *. L'Etat est une réalité sociale au même titre que chacun de ces
groupements, et tous ne se conçoivent que par rapport à la seule réalité vivante,
l'individu.
M. G AiDOZ, Introduction à Vctude de V ethnographie politique (Extrait, 44 pages, de la
Revue Internationale de V Enseignement, l^fi}. — Enumeration intéressante des grands
groupements qui se sont constitués au XIX« siècle, analyse de leurs oppositions, de leurs
antagonismes et de leurs connexions. L'auteur montre bien comment l'évolution induS'
trielle amoindi-it le principe de nationalité en face du principe nouveau de classe et
comment, parallèlement à cette tians format ion, une autre se dessine, fort complexe :
l'opposition entre les nations à civilisation capitaliste européenne et les nations fortes eu
réserves de « bras à bon marché ». Puis vient un chapitre sur la dissociation nécessaire
entre le senthnalisme et les nécessités politiques. La conférence se termine par une
revue rapide des divers pa?2s (pangermanisme, etc.) et des réflexions sur le panmongo-
lisme, le plus redoutable de tous : ** La crainte réciproque entre Blancs et Jaunes sera
le principe de la sagesse et, si elle peut se maintenir, ce soia le bienfait de l'humanité. »
Be Vétude des traditions populaires ou folk-lore en France et à V Étranger, Extrait
(2^ i^^ge^) ÙQ^ Krplorations pyrénéennes, [^\x\\q{\x\ trimostriel de la Société Ramond,
1907. — Conférence pi'ononcéo devant un public composé plutôt de naturalistes et qui
devrait ôtro répandue en grand nombre pour attirer à l'étude du folk-lore plus de
partisans actifs en province. On notera un bon historique du développement de ces
études en France ; le rôle de J. J. Ampère et l'influence sur Napoléon III de l'Allemand
Firmcnich, puis le défaut d'enthousiasme du Comité des Travaux Historiques sont bien
mis en lumière. M. Gaidoz regrette avec raison qu'il n'y ait pas davantage d'études
historiques ou comparatives de folk-lore en France ; « par là s'explique son infériorité
à regard de l'Allemagne et de l'Angleterre ». La place de cette dernière est bien carac-
térisée, de môme que celle de l'Allemagne ; pour l'Amérique, M. Gaidoz oublie les tra-
vaux et la revue de M. F. H. Chamberlain ; et si les publications de F. S. Krauss reçoi-
vent l'éloge qui leur revient, il reste en revanche des lacunes : aucune mention n'est
faite ni de M. Hoffman n-K rayer et de ses collaborateurs aux Archives Suisses des Tra-
^ Cf. d'ailleurs pour un exposé détaillé des points de vue de M. Meyer, Revue des Idées,
1907, pp. 1130-1138. j^
p. 180.] • R • E • E • S • [1908.
ditions populaires^ ni de M. Polivka et des Tchèques, ni de M. Kaarie Krolm et des Fin-
landais, ni des Hongrois, ni des nombreux et savants folk-loristes russes. Dire des
missions protestantes qu'elles « fournissent peu à Tethnographie >», cela semble étrange,
étant donnée Timportance des travaux des missionnaires anglais et allemands sur les
populations africaines, océaniennes et extrême oiientales.
C* GoBLEr d'Alviella. De quelques récentes thèses transactionnelles dans Vhistoire des
religions. Extrait (30 pages) des Bulletins de l'Académie Royale de Belgique, 1907. —
Des thèses de cet ordre n*ont plus guère dans les milieux scientiöques qu'une action
superficielle ; mais elles agissent encore sur le public cultivé et M. Goblet d*Alviella a
rondu service en montrant les faiblesses et les illogismes des tlièses de Jordan, de
l'ratt, (le .levons, de l'alibô Loisy, et aussi de René Worms. La méthode comparative
est telle que si on veut rappliquer à des fins apologétiques, elle se retourne contre
ceux-là mômes qui prétendent ainsi la faire dévier de son objet propre.
Albkrt h Kl l wig. Ein eigenartiger Di ebsaber glaube in Europa und Asien; Appetitliche
Zauber tränke ; Der böse Blick als Mordmotio ; das Ameisenbad ala üeihniilcl ;
Regenwurmmedizin ; Erbschlüssel und siebentes Buch Mosis, Tirages à part de
VArchio für KriminalanVwopologie und Kriminal Statistik, 1907. — M. Hell wig s'est
donné pour spécialité de rocheicher quels sont, dans les crimes et délits qui se com-
mettent en £ul^^pe, les éléments d'ordre folk-lorique et traditionniste. Que ces éléments
soient nombreux et variés. C'^st ce qu'on devine aisément. Leur étude uniquement scien-
tifique est insuffisante : .M. ilelLwig voudrait que les juges eussent des idées plus exactes
de ce qu'est la << sui>ei stition », et c'est in leur intention qu'il analyse, et explique par
des lapprochements, un certain nombre de détails dont la signiticaiion réelle a été
méconnue par les tribunaux. Telle la coutume des voleurs de déposer leur excréments
à l'endroit du vol : ce n'est là ni la suite d'un malaise physiologique« ni un geste d'offense
à l'égard du volé ou de la justice, mais bel et bien un rite magique de défense : la
croyance est que le voleur ne saurait être atteint tant que ses excisemen ts sont encore
chaud:«. Cette coutume est aussi répandue au Japon. M. Hellwig montre dans les courts
articles cités ci-dessus» comme dans ses travaux antérieurs, que les codes et les tribu-
naux sont à la fois trop sévères pour des actes accomplis en vertu d'une pression tradi-
tionnelle (un homme ayant déposé dans un certain sens après consultation d'une table
tournante fut condamné à 8 mois de prison : il ne méritait guère que huit jours, sa
responsabilité étant limitée par l'autosuggestion) et pas assez sévères lorsque l'indi-
vidu en jeu fait métier dutiliser et d'augmenter la crédulité d'autrui (cartomanciennes,
sorciers, « sages de village n, etc.). Les codes européens, sauf le code autrichien, ne
font pas mention du « crime de superstition », parce que, après la Révolution française,
on a prétendu, théoriquement, la superstition abolie. 11 n'en est pas ainsi, et M. Hellwig
réclame même une « loi spéciale » qui donnerait aux juges une action plus efficace dans
cette direction.
Frédéric Macler. Mosaïque orientale ; I. Epigraphica ; II Historica. 8», 90 pages,
Paris, Paul Geuthner, 1907. — M. Macler décrit d'abord des écussons qu'il a relevés à
Münster, dans le Haut- Valais, et qu'il a identiflôs; ils présentent un certain intérôt
pour l'étude de l'héraldisation en Suisse des marques de propriété et de famille (Haus-
marken) ; puis sont reproduites et commentées : une ;inscription punique du Musée
archéologique de Genève, une inscription syriaque de Sainte Anne à Jérusalem, une
inscription arabe, une inscription arménienne de la cathédrale de Bourges. La seconde
partie renfeiiuo «Une notice syriaque d'un manuscrit arménien » et des recherches
intéressantes, d'après des documents inédits, sur l'imprimerie arménienne établie à
Marseille sous le règne de Louis XIV et sur la requête (traduite) de Ovanès Ogloii
Kivork et Carabet frères. Un index très détaillé termine le volume.
Hugo Winckler. Die babylonische Geisteskullur in ihren Beziehungen zur Kulturen t-
Wickelung der Menschheit. In-lC, 152 pages, 1 planche, Coll. Wissensehaft und Bil-
dung, n« 15, Leipzig, Quelle et Meyer, 1907. 1 mk. 25. — Bien que ce petit livre ne soit
pas destiné spécialement aux ethnographes, mais plutôt au grand public cultivé, on
leur en recommandera la lecture, à la fois parce qu'ils y verront en quel dédain l'ethno-
graphie est tenue par M. Winckler (elle l'est plus encore par ses disciples), et parce que
le tableau de l'évolution des civilisations babyloniennes y est présenté de main de
maître sous une forme vivante et enthousiaste. Le désaccord entre M. Winckler et les
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 181.
ethnographes repose sur un postulat : « Nous regardons, dit Tauteur (p. 51) tout le
système ( Weltanschauung) babylonien comme quelque chose de fini dont on i>eut
suivre la formation au cours des temps historiques.... Il ne s'agit pour nous que de
déterminer ce que l'humanité qui croyait en ce système y mettait, ot comment il a
rayonné ensuite de tous côtés.. Pour en comprendre la formation.... il faut considérer
le système comme un tout Uni, tel qu'il était juste avant que les sources historiques
nous le fassent connaître. C'est pourquoi nous n'avons pas à en préciser les stades
antérieurs à partir desquels il s'est développé : par l'intégration du monde animal
sous la forme du totémisme, du monde des esprits aériens sous celle du culte des morts,
ni de toutes les autres formes supposées de début {aile die vermeifiilichen Ursprünge). »
Autrement dit, M. Winckler n'étudie le système raagico-religieux babylonien que sous
sa forme astrale, et à partir du moment où il a revêtu cette forme plus spécialement.
C'est son droit : il peut limiter son sujet comme bon lui semble, et tout le re»te du
volume est en effet consacré à une excellente exposition do ce sujet ainsi limité. Mais
il tombe dans le parti-pris dès qu'il dit de la forme choisie qu'elle est la forme essen-
tielle et principale. L'adjectif intercalé, [supposé, vermeintlich', indique ce parti-pris,
qui s'affirme dans la phrase suivante : « Tout ceci [c'est-à-dire ces formes] est autant
que le reste compris dans le système, et Ton peut tout autant formuler le problème :
jusqu'à quel point tous ces phénomènes sont-ils chez les peuples moins civilisés des
restes du système assyro-babylonien dégénéré? » A première vue, cette phrase est
assez vague, et la seconde partie semble contredire la première, ou du moins M. NA'inck-
1er avoue que le système contient aussi autre chose que la << forme n astrale. Mais les
disciples de M. Winckler ont, comme c'est si souvent le cas, exagéré la pensée du maître,
et en ont ainsi dévoilé la tendance profonde : l'école astrale, avec M. Stucken, M. Siecke,
etc., veut prouver que tous les systèmes magico-religieux des demi-civilisés actuels et
anciens (c'est-à-dire des populations de la Méditerranée orientale) ont reçu des Baby-
loniens une doctrine cohérente, qui ensuite a dégénéré. Ils se fondent en premier lieu
sur des similitudes dans les croyances et les rites relatifs aux astres, puis sur des
parallèles isolés, plus ou moins adroitement extraits de leurs milieux. Ils donnent ainsi
un bel exemple d'incompréhension des règles de la méthode comparative, laquelle ne
consiste pas en simples juxtapositions sans aucune ciitique approfondie des documents
ni des faits. Il semblerait que pour cette école d'assyriologues et de folk-loristes, tout
le travail accumulé par l'école anglaise et par l'école française ces vingt dernières
années soit resté lettre morte. Lorsqu'un assyriologue est au courant des progrès
récents de l'hiérologie, comme l'est par exemple M. Bezold, un scrupule lui vient, très
puissant, de regarder Babylone comme la matrice de toutes les magies et de toutes les
religions, anciennes et modernes, car il voit aisément que les similitudes de croyances
et de rites s'expliquent par leur but môme (voyez l'uniformité des rites destinés à faire
tomber la pluie), par la matière utilisée et par le mécanisme psycho-physiologique et
mental identique dans les grands traits chez tous les hommes. Si encore M. Winckler
avait le mérite de l'originalité ! Point : on reconnaît la vieille théorie théologique, mais
déplacée. Ce ne sont plus le peuple Juif ni la Bible qui sont la source de toutes les reli-
gions : oe sera donc Babylone !
Jacques Flach. Le code de Eammourabi et la constitution originaire de la propriété
dans V ancienne Chaldée. Extrait (20 pages) de la Reçue Historique, 1907, t. XCIV.
La propriété collective en Chaldée et laprétendue féodalité du code de Eammourabi.
Extrait (80 pages) de la Revue Historique, 1907, t. XCV. — Le code de Hammourabi n'a
guère été étudié jusqu'ici que par des linguistes ; M. Flach, juriste et surtout historien
des institutions, ayant constaté dans leurs traductions et dans leurs commentaires des
« impossibilités » s'est mis à l'œuvre : il a appris Fassyriologie ; et dans ses deux
mémoires il rectifie un certain nombre d'erreurs de ses devanciers, qui font espérer de
lui une étude complète de ce code à tant d'égards si important. Il montre dans le pre-
mier mémoire le caractère sacré de la propriété familiale en Chaldée, qui se marque
entre autres par la sainteté des kudurru, bornes comparables aux hermès. M. Flach
revient sur cette question dans son second mémoire ; il montre notamment le lien
intime entre le contrat d'une part et de l'autre le sceau et le kudurru ; on rapprochera
sa discussion pp. 7-8 de la théorie de M. MeiUet sur Mitra = dieu-contrat. La deuxième
partie du mémoire rectifie les interpétations proposées par Hrozny (Wiener Z. f. d,
Kunde d. Morgenlandes, 1907) des inscriptions de l'obélisque de ManiStu-su.
p. 182.] • R • E • E • S • [1908.
Edith H. Hall. Ttie decorative art of Crete in the bronze age, 40, 47 pages, 69 fig., 3 pi.,
Philadelphie, J. C. Winston C«. — L'auteur s'est donné pour but de contrôler, en utili-
sant les dernières trouvailles en Crête, l'exactitude de la théorie de Furtwangler, en
1878, qui prétendait qu'à rexcei)tion de la spirale et de quelques motifs dérivés du
tissage, tous les motifs ornementaux sur vases avaient été originairement des repré-
sentations d'objets naturels. On remarquera l'intérêt, pour les ethnographes, do la
discussion de Miss Hall, bien que l'art crétois soit déjà loin d'être « primitif ». L'étude
comparée de tous les motifs rencontrés lui fait admettre plusieurs catégories : L dessins
imitatifs ; a) naturalistes purs ; h) naturalistes (îonventionnels ; c) naturalistes stylisés ;
d) sacrés ; II. dessins non-imitatifs : a] simples, b) compliqués. On possède des docu-
ments sur l'évolution de l'art ornemental crétois pendant plus de 2000 ans ; et l'on con-
state que les motifs des périodes minoennes archaïques sont géométriques, que les
dessins naturalistes n'apparaissent que pendant le minoen moyen et évincent peu à
peu les dessins géométriques : ce n'est donc que pour cette période que l'opinion de
Furtwangler est exacte, et pour les périodes postérieures, où en effet la stylisation des
motifs naturalistes a ramené au motif géométrique. On pourrait sans doute, mais miss
Hall ne l'a pas fait, penser que les motifs « géométriques »• primitifs sont eux-mêmes
naturalistes ; E. Grosse, Haddon et d'autres ont montré que tel est souvent le cas. Mais
ce serait vouloir forcer l'évidence : d'une manière générale, le dessin géométrique et le
dessin naturaliste sont synchroniques, aussi « primitifs » l'un que l'autie ; le plus qu'on
puisse dire, c'est que souvent le dessin géométrique sur poteries est imitatif des combi-
naisons obtenues dans la vannerie et le tressage.
Jean Capart. Vart et la par tn^e féminine dans V ancienne Egypte. S*», 20 pages, flg., Bru-
xelles, Vromant et C'e. — Les fouilles en Kgypte ont mis au jour un grand nombre
d'objets de toilette qui prouvent un souci, picsque comparable à celui des Japonais,
de rendre artistiques même des ustensiles destinés à de petits usages quotidiens.
M. Capart indique rapidement dans le texte, mais surtout par de nombreuses illustra-
tions, et bien réussies, comment la nécessité de styliser l'ornementation n'a pas fait
perdre aux artistes égyptiens leur sincérité et leur souplesse.
0. Maspéro. Causeries d'Egypte. 8°, 360 pages, Paris, E. Guilmoto, s. d. [1907], 7 fr. 50. —
M. Maspéro a eu l'excellente idée de réunir en volume les « causeries n qu'il avait
données au Journal des Débats de 18<)3 à 1907. Ce sont soit des comptes- rendus de
fouilles ou de livres, soit l'exposition pour le grand public cultivé, de problèmes égyp-
tologiques intéressants. Par leur forme littéraire, ces causeries sont bien faites pour
sortir l'égyptologie de cet isolement auquel les spécialistes condamnent, souvent par
leur faute, l'objet de leurs études ; ils n'ont point droit ensuite à se plaindre des défor-
mations que font parfois subir aux faits et aux théories des vulgarisateur qui ne sont
que cela. Cette exposition littéraire ne doit d'ailleui's pas tromper : M. Maspéro ne res-
sasse pas des banalités, mais il donne des généralisations dont seul l'appareil i*este
invisible, et ne se fait pas faute d'exprimer des idées personnelles et des théories nou-
velles. C'est pour cette raison que ce volume est également nécessaire aux égyptologues
et aux ethnographes, sans compter qu'ils y pourraient suivre l'évolution des opinions de
M. Maspéro lui-môme sur divers points théoriques. Comme de juste, la plupart des
causeries traitent de sujets d'ordre technologique ou religieux, A. v. G.
Général L. de Beylié, Prome et Samara, Voyage archéologique en Birmanie et en Méso-
potamie. Publications de la société française des fouilles archéologiques, t. I, gr. 8",
146 pages, IX pi., 100 flg. E. Leroux, Paris. — Journal de voyage vif et amusant, où
l'on trouve quelques notes d'ethnographie (p. 6. 12, 41, 5:^, 70) et de bonnes photogra-
phies de types birmans, kurdes, etc. L'intérêt du livre réside surtout dans la partie
archéologique, rapports sur les fouilles de l'auteur à Prome et à Samara. Prome était
la capitale de la principauté des Plu, tribu venue du Tibet; elle fut détruite au XI«, au
profit de la nouvelle capitale. Pagan. La récolte du général de Beylié a été des plus
intéressantes : je noterai que les chapelles bouddhiques ont leurs voûtes construites
d'après les procédés persans et mongols, que plusieurs tablettes votives sont nettement
tibétaines et que les deux inscriptions recueillies sont écrites en caractères encore indé-
chiffrés, identiques à ceux d'une inscription découverte par l'auteur à Pagan en 1906.
Ses fouilles â Samara ont permis au général de Beylié de relier l'architecture des Aché-
1908«] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 183«
iBénides à rarchitectuie des monumeüts postùriours à l'iiéf^ire et de déteriuinor les
cauractèi'ea jusqu'ici inconnus de rarchitecturo sissanido. \1. d: Bevlié est l'auteur
d'une œuvre importante, V Architecture hindoue en Kctrcme Orient ( lî)07) : en ôtudian t
l'architecture musulmane, en Asie Mineure, en Syrie, en Igypte, il lui arrive, dans
son Journal de voyage, de signaler des inlluenccs chinoises et liindoues (cf. entre
autres p. 74), " absolument curieuses ». La détermination exacte d'influences de cet
ordre, d'un bout de l'Asie à l'autre, est un sujet d'un grand intérêt pour les ethno-
graphes.
A. Meillet. Le dieu indo-iranien Mitra. Extrait (11) pages) du Journal Asiatique, 1907. —
Des recherches approfondies de ISI. Meillet il ressort que le dieu indo-iranien Mitra
n'est pas originairement une force naturelle divinisée (p. ex., comme on le croyait, le
soleil), mais bien un phénomène social, et divinisé : le contrat. Il faut entendre que
Mitra est à la fois le contrat et la puissance immanente du contrat (acte religieux,
fait avec des rites bien déterminés). 11 se pourrait do même que Varuna soit la « loi »
divinisée. Ces conclusions sont obtenues par l'analyse des mots mitra et vartma ; et si
Ton ne connaissait à la fois la science de M. Meillet en ces matières, et la prudence do
ses raisonnements, on croirait volontiers au paradoxe. La divinisation d'un phénomène
social comme le « contrat » ou d'une notion comme la « loi » (divine, s'entend) semblerait
appartenir plutôt à un stade très avancé du développement religieux. Mais tel est en
effet le cas pour ces noms de divinités : ce sont probablement des héritages d'un passé
fort lointain, qui commence à se dévoiler si la découverte de M. Winckler de Varuna,
Indra et Mitra sur des inscriptions mitani de Boghaz-Keui (cf. Oriental. Litteraturzeit.
1908) 86 confirme. A. v. G.
M. LoNGWORTH Dames. Popular poetry of the Daloches, Vol. 1 (traduction) de XL-
204 pages, vol. II (textes) de 224 pages in-8°. Londres, Royal Asiatic Society, 1907. 15 sh.
les 2 volumes. — Les poésies populaires publiées par M. Longworth Dames appar-
tiennent au folklore du Béloutchistan septentrional. L'auteur les a divisées en six
catégories : I. poésies épiques anciennes ayant trait aux guerres et aux migrations des
Béloutchis ; II. poésies postérieures sur les guerres intertribales ; III. ballades roman-
tiques ; IV. chansons d'amour et chansons lyriques ; V. poésies religieuses et didac-
tiques, légendes sur les saints ; VI. petites poésies, chansons pour endormir les enfants,
énigmes rimées et devinettes.
D'après les poésies de la première catégorie (p. 1-57 de la traduction), les Béloutchi
formaient autrefois un groupement composé de plusieurs tribus soumises aux familles
ou clans Rind et Lachàri. Us émigrèrent à une date indéterminée dans les plaines de
riiide par la passe du MouUà et les passes voisines. Peu après, un chef Rind, Mir Tchâ-
kour, et un chef Lachàri, Mir Gwaharâm, s'éprirent tous deux de la belle Gohar.
Celle-ci repoussa Gwaharâm et se réfugia auprès de Tchâkour. Vers la même époque,
à la suite de l'injuste attribution à un cavalier Rind du prix de la course réellement
gagnée par un Lachâii, les contribules du véritable vainqueur razzient des chameaux
appartenant à Gohar. Tchâkour entre en campagne pour venger l'insulte faite à sa
bien-aimée, mais il est battu et s'enfuit à Kandahar. A l'exception des 4 poésies sur
Bâlàtch, les 36 autres de la première catégorie constituent ce qu'on pourrait appeler le
cycle de Tchâkour, c'est-à-dire les traditions populaires ayant trait aux faits et gestes
de cet ancien chef et de ses partisans et alliés.
Les poésies de la seconde catégorie (p. 58-110) sont au nombre de 18. Quelques-unes
ßont très intéressantes, d'autres ne sont guère que des listes de noms de guerriers.
La section III ne contient que 6 poésies. La première est une curieuse version béloutchi
de la célèbre histoire arabe de Leila et de Kaïs ben Molawwah des Beni-*Amir,plus connu
sous le surnom de Madjnoun (le fou), parce que son amour pour Leïla lui fit perdre la
raison. La langue de ces ^ ballades romantiques » est simple, claire, exempte des formes
corrompues qui abondent dans les poésies de la section II et du pédantisme de certaines
chansons d'amour (p. XXV). Dans la quatrième catégorie (p. 124-133), ont été comprises
les chansons d'amour et chansons lyriques qui ont un caractère plus lyrique que des-
criptif (p. XXVI). Cinq de ces poésies sont attribuées à l'illustre poète Djâm Dourrak
qui vivait à la cour du Khân de Kilàt vers le milieu du XVIII« siècle. La cinquième
catégorie contient 21 pièces d'inspiration musulmane (cf. le commencement des poésies
p. 144 et 146 : Lakcharàn fils de Sumêlân chante ; il glorifie Dieu et le Pro-
p. 184.] • R • E • E • S • [1908.
phéte^ il glorifie les i2 Imâms, etc .., qui ont un caractère chiite ti^ès net ; — cf. égale-
ment les légendes sur *Alî p. 161 : Salut à toi 'Ali, roi des hommes, tu es certainement
le Maître de notre foi). Le conto intitulé Moïse, le fal^ir^ le moullâ, la gazelle et le
serpent (p. 153), est une amusante satire contre le pharisaïsme du clergé musulman.
Un pieux moullâ est informé par Moïse, qui le tient de Dieu lui même, qu'il sera damné,
malgré ses jeûnes et ses nombreuses prières (ce faux dévot est un simple pharisien
sans foi sincère). Au contraire, le fakir ivrogne sera sauvé parce qu4l croit sans res-
triction à la toute-puissance do Dieu qui « peut faiie passer cent chameaux chargés
par un chas d'aiguille (p. 155) n. La fin do l'histoire est décevante. En appienant qu*ii
est damné, le moullà brise l'écuelle contenant Teau destinée aux ablutions rituelles.
Une goutte d'eau abreuve une fourmi altérée et ce bienfait involontaire vaut à son
auteur d'être compté parmi les élus : Dieu se ravisant, juge le moullâ digne du ciel
parce qu'il a rendu service à la fourmi. On a évidemment réuni en un seul deux contes
moraux qui n'ont aucun rapport l'un avec l'autre. Dans le premier, le prêtre sans fui
est damné et ie fakir ivrogne mais croyant, sauvé ; dans le second, le service involon-
taire rendu à lu fourmi vaut le ciel au moullà. La moralité des deux contes va de soi :
la foi vaut mieux que les œuvres : un bienfait même inconscient, est méritoire aux
yeux de Dieu. Enfin, la sixième catégorie (p. 182-204) contient 74 petites pièces de un à
quatorze vers, la seconde (de 42 vers) exceptée.
Le premier volume (traduction) comprend, en outre, une introduction (sources impri-
mées et inédites d^s poésies, caractère de la poésie béloutchi, classification des poésies,
métrique, manière do chanter ces poésies, leur ancienneté, système de transcription
des phonèmes béloutchi) et une coui*te note explicative en tête de chaque pièce ; le
second volume se termine par une note sur la langue poétique du dialecte biéloutchi
septentrional (p. 180-191), un glossaire des mots rares et désuets, un index des noms
propres et des noms géographiques, et un index général.
Cette rapide analyse de la Popular poetry of the Baloches montre l'importance de
ces deux volumes ; ils présentent autant d'intérêt pour le linguiste et l'historien que
pour le folkloriste. M. Longworth Dames qu'un long séjour au Béloutchistan a fami-
liarisé avec la langue, les mœurs et les coutumes des indigènes, est l'un des rares spécia-
listes qui pouvaient mener à bonne fin une œuvre aussi délicate et diflScile. On doit l'en
féliciter sans restriction et savoir gré à la Folklore Society et à la Royal Asiatic
Society d'avoir assuré la publication de cet important travail.
Gabriel Fbrrand.
Fr. Hirth. Chinese metallic mirrors. Extrait (55 pages) du Boas Memorial volume, New-
York, 1906 ; 8", planches — Un vieux proverbe (dynastie des Shang, 1766-1122 av. J.-C.)
implique que pour voir son image, on se regardait dans l'eau ; les miroirs métalliques
existaient en 673, comme ornements de ceinture, et étaient utilisés dès le IV« siècle av.
J.-C. pour la toilette. Auparavant, et comme substituts de l'eau, on avait utilisé des
miroirs de jade et même, semble- t-il, des miroirs de pierre et de brique polies. Pen-
dant la dynastie des Chou, on fixa les proportions du cuivre et de l'étain de divers
objets de bronze, cloches et urnes cérémonielles, haches, lances, lames de sabi^e, têtes
de flèche, miroirs ; on fit aussi des miroirs de bronze contenant de petites quantités
d'argent, et des miroira de fer. Quant aux miroirs de verre (surtout de verre vert) on
en importa en Chine dès une haute antiquité, probablement de Syrie. Les miroirs
métalliques furent très recherchés au Japon et peut-être les miroirs dits ■ scythiques n
sont-ils originaires de Chine, ou imités de modèles chinois. Les miroirs chinois étaient
d'ordinaire circulaires et petits, de manière à ne réfléchir que le visage ; dans ce but on
les faisait convexes. On s'en servait pour la toilette, comme objet cérémoniel (dans ce
cas le miroir était concave et mettait le feu à des herbes sèches, etc.\ contre le mau-
vais œil et toutes sortes d'influences maléficicntes, en médecine, comme instruments
prophétiques, pour « faire chanter les oiseaux », etc. Fort intéressante est la discussion
de M. Hirth sur l'ornementation des miroirs anciens, qui diffère essentiellement de
celle des vases sacrés du temps des Chou. M. Hirth est d'avis que les campagnes du
général Chang K'ien (126 av. J.-C.) divisent nettement la civilisation chinoise tout
entière en deux périodes, préchangkiénique et postchangkiénique. De ces campagnes en
effet date l'influence hellénique qui se marque p. ex. sur les miroirs par le motif de la
grappe, ou celui des cercles concentriques ; bien d'autres motifs, végétaux ou animaux,
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P* 186«
dénotent une influence hellénique, et plus exactement bactrienne. La description
détaillée et critique de miroirs du Musée Guimet fournit à M. Hirth Toccasion dlnter-
pi'étcr un certain nombre de motifs ornementaux et de compléter nos connaissances
sur les « miroirs magiques », étudiés surtout par St. Julien (1847) et F. Jagor {Zeitschrift
fü7^ Ethnologie, Verhandl. 1898.) Un index très détaillé termine le mémoire.
G. M. Stenz. Beiträge zur Volkskunde Sud- Shantungs, herausgegeben und eingeleitet
von A Conrady. Veröffentlichungen des städtischen Museums für Völkerkunde
zu Leipzig, fasc. I, 4«, 116 pages, 19 planches et fig.,R. Voigtländer, Leipzig, 1907.
8 Marks. — Dans sa Préface, M. Conrady constate avec quelque mélancolie que le
nombre des monographies consaciées à l'ethnographie des groupements actuels de la
Chine ne dépasse guère celui des doigts de la main. Pourtant des monographies de ce
genre seraient d'autant plus utiles que. grâce à la base religieuse de l'organisation
sociale et au conservatisme chinois, elles permettraient de comprendre et d'expliquer
nombre de documents historiques importants. En outre, nulle part au monde il n'est
possible de remonter avec autant de sécurité le cours des temps et de déterminer l'évo-
lution, [tendant de nombreux siècles, des diverses croyances et coutumes. M. Conrady
a cent fois raison : l'ethnographie chinoise est de première nécessité, et tant qu'elle
n'aura pas été mieux étudiée, on ne pourra tenter avec quelque chance de succès une
synthèse de l'évolution culturelle de l'humanité ; elle nous réserve peut-être des sur-
prises, et c'est d'elle surtout qu'on attend une meilleure possibilité de formuler des lois
ethnographiques et sociologiques.
M. Conrady convie au travail les sinologues, trop volontiers spécialisés dans la
recherche historique. On espère que son appel sera entendu : d'ailleurs, si les Euro-
péens continuent à se désintéresser do l'ethnographie chinoise, nul doute, à en juger
d'après leur récente orientation, que les Japonais ne se mettent bientôt à la besogne :
et les ethnographes devront aux dix ou douze langues qu'il leur faut déjà connaître,
ajouter le japonais, et mériteront le reproche d'avoir dédaigné l'un des domaines ethno-
graphiques les plus importants et les plus riches.
La monographie du Père Stenz n'a pas l'ampleur de celle de M. Grube sur la vie popu-
laire à Pékin, sur le plan de laquelle, d'ailleurs, elle a été conduite. Il a étudié succes-
sivement : les coutumes iwpulaires d'après les divers jours de Tannée ; les rites de la
naissance et de la première enfance ; les rites des fiançailles et du mariage ; les rites
funéraires. Un certain nombre do rites et d'observances actuels ont été rapprochés de
ceux dont font mention les textes chinois ; en outre M. Conrady a indiqué les ressem-
blances et les différences entre les coutumes du Shantung méildional et celles qu'ont
signalées d'autres observateurs comme MM. Grube et de Groot. Si Ton ajoute que le
Père Stenz a publié dans TAnthropos, T. I, une étude détaillée sur le paysan du Shan-
tung, on ne pourra faire moins que de le regarder comme Tun des pionniers de l'eth-
nographie des Chinois. Avec ces deux travaux, il facilite leur besogne aux autres
enquêteurs : notamment les consuls en Chine des diverses puissances européennes sont
impardonnables de se désintéresser autant de la vie locale.
On trouvera enfin dans la préface de M. Conrady une étude du plus haut intérêt sur les
rapports du rite, du mot et de la représentation figurée du sens, qui constitue une utile
contribution à l'étude sociologique de la langue, et qui complète le travail, davantage
d'ordre psychologique, de E. Chavannes sur Le Symbolisme du décor chinois,
QiSBERT CoMBAZ. Sépuîtures impériales de la Chine. Tirage à part (85 pages) des Annales
de la Société d'Archéologie de Bruxelles, 1907, Vromant et Cie, Bruxelles. — Intéres-
sant mémoire, illustré de 37 figures et de IX planches excellentes. Par une étude des
croyances (d'après De Groot) et de l'art (d'après E. Chavannes) chinois, Fauteur a rendu
intelligibles un certain nombre de détails architecturaux. A signaler pp. 27 33, une
discussion bien conduite sur les portiques d'honneur, sujet qui mériterait une étude
ethnographique générale : la forme rudimentalre du portique est l'éciiafaudage formé
de deux poteaux verticaux en supportant un horizontal qui marque en Afrique le
tabou de passage. La « valeur symbolique », comme dit M. Combaz, des portiques
extrême-orientaux est connue : il faudrait seulement en connaître la signification
exacte. A. v. G.
p. ise,] • R • E • E • s • [^^^^*
D. Macdonald. The oceanic languages ^ their grammatical structure, vocabulary and
oriffin. Iü-8°, XVI.352 pages et 2 cartes. Londres, Henry Fiowde, 1907. 10 s. 6 d. net —
Dans un précédent travail {Oceania : Linguisiical and Anthropological, Londres,
1889), le Rév. Maodonald croyait avoir montré que « l'ancienne langue mère océanienne
était une branche delà famille sémitique au même titre que Téthiopien, Thimyaiite,
l'arabe, l'hébreu, le syriaque, le chaldéen, le phénicien et l'assyiien (p. 14) »». On sait
ce qu'il faut penser de cette prétendue parenté que rien ne justitie. Cett« théorie insou-
tenable a été reproduite et développée dans le présent volume. Pour donner une idée
des rapprochements que Fauteur considère comme décisifs, je citerai seulement les
exemples suivants :
p. 28 : Arabe sit ta et Malgache enina, six ; Ar. sab' a et Malg. fitu^ Javanais piiu,
sept ; Ar. hhamsa et Marquésan hima, Malg. limi^ dimi. Maori rima, cinq ; Ar. tis^a
et Malg. sivi^ Maori iwa neuf ;
p. 29 : Ar. arba'alun (le ta final qui avait été négligé dans les exemples précédents,
est utilisé dans celui-ci) et Malais ampat^ Malg. efatra, quatre ; Araméen j^erah, pira
et Malais buwah, Malg. vua, fruit
La transcription de certains phonèmes indonésiens est tcut-à-fait inattendue. L*fi
vélaire est représenté par un g surponctué ; les tr et ts malgaches par t et s, alors qu'ils
se composent très nettement celui-là d'une occlusive et d'une vibrante, celui-ci d'une
occlusive et d'une sifflante. La morphologie comparée des langues malayo-polyné
siennes présente de graves inexactitudes. Ainsi -tana et -tan sont donnés comme des
« formative suffixes ». Or, Malais surätan = sural + suffixe an et non sura + tan \
parallèlement, Malgache surâtana = süratra (issu d'un ancien sûrat) + suffixe ana
et non sura + tana. Môme observation pour les suffixes rana^ fana, hana, mana, etc.
Les indications ayant trait au dialecte d'Efatedes Nouvelles-Hébrides sont intéres-
santes et utiles ; le vocabulaire pourra en être consulté avec fruit. Mais il s'agit de
linguistique pure et c'est un sujet qui n'entre pas dans le cadre de la Revue. Rien, au
contiaire, n'est à retenir de la théorie sur l'unité d'origine des langues océaniennes et
sémitiques. La lecture des magistrales études de Kern aurait sans doute dissuadé le
Rév. Macdonald d'entreprendre le travail qu'il vient de publier-
Gabriel F£Rrand.
R. Sutherland Rattray. Some folklore stories and songs in Chinyanja, toith english
translation and notes, In-18, 224 p. London, Soc. Prom. Christ. Knowl. 1907. —
Ce petit livre marque surtout un progrès considérable dans nos connaissances jusqu'ici
peu étendues, du totémisme bantou. On trouvera à la note 47 (pp. 174-179) une liste des
clans Anyanja, avec l'explication de leur nom ; môme les Européens ont été introduits
dans la classification : les Anyanja les regardent comme constituant le clan totémique
du fourmilier car « pour répondre, nous disons Ye sere = Yes sir, sere étant le fourmi-
lier, Ye l'interjection d'appel ». Le tabou de tuer, blesser, détruire l'objet ou l'animal
dont on porte le nom est absolu ; il en est de môme de la règle exogamique ; ce toté-
misme semble à base réincarnationiste (cf. encore la note 21, pp. 197-8 sur le culte des
morts et la note 10 p. 207 sur les 7nzimu). Il existe une danse qui semble en relation avec
le totémisme, dite zinyau, et des « sociétés secrètes » avec langage secret, sur les rites
d'initiation desquelles l'auteur ne donne malheureusement pas grands details. Quant
aux textes recueillis et traduits, ils se rapportent surtout à des coutumes (ordalies,
funérailles, funérailles d'un chef Angoni, cérémonie unamwali, dont la description
n'est pas ti*ès développée, rites de la naissance, du mariage, prières, etc.), excellent
pixxîédé à double fin. On attend maintenant de l'auteur une monographie suivie des
populations Anyanja et Angoni du British Central Africa Protectorate. A. v. G.
R. P. H. Greffier. Guide de la conversation en quatre langues français-volof-diola-
sérêr. Nouvelle édition. In-32, 295 pages. St Joseph de Ngasobil (Sénégal), Mission catho-
lique, 1907. — Fruit d'une longue pratique, cet ouvrage contient assurément de nom-
breux et utiles renseignements ; mais son emploi est à peu près exclusivement limité
aux rapports avec les noirs qui, vivant dans l'entourage immédiat des Français et
surtout des missionnaires, se trouvent, de ce fait, teintés d'une certaine civilisation
européenne. De plus, Tinsuflisancc de la partie grammaticale empoche le débutant,
pour qui ce guide pai^ait être fait, d'adapter les exemples indiqués aux circonstances
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 187.
diverses de la vie courante. A remarquer, aussi, que le vocabulaire, qui aurait gagné à
cire mieux condensé, ne fait môme pas allusion aux religions indigènes. Le Guide de
la Convei^sation français-volof, (In 32 de 167 pages, ibidem, 1907) du môme auteur est
un extrait du livre pi'ôcédent. augmenté de quelques règles grammaticales et d'une très
courte fable. Ch. Monteil.
Lieutenant L. Desplagnes. Le Plateau Central Nigérien. 8<», 504 pages, 236 flg. sur
119 planches, Paris, 1907, E. Larose, 12 fr. — Il est assurément regrettable que M. le
lieutenant Desplagnes ait gâté les résultats fort intéressants d'un beau voyage en
croyant devoir sacritter à la manie de Tétymologie par des rapprochements accumulés
do syllabes ou même de simples consonnes. Cette manie fâcheuse est assez répandue et
elle a conduit des hommes de talent et des travailleurs consciencieux à formuler des
conclusions aussi bizarres qu'inattendues. C'est elle, par exemple, qui a amené M. le
général Frey à prétendre que M. Bingei*, dans sa si remarquable exploration de la
Boucle du Niger, n'aurait pas compris ses guides Mandingues parce qu'il ignorait la
langue annamite ; c'est elle encore qui a permis à M. le capitaine Figeac de découvrir
que les Pélasges, puis les Peuls, descendraient d'Apollon, pour l'unique raison que
chacun de ces trois mots renferme un P et un L. (J'ignore d'ailleurs pourquoi les Polo-
nais sont exclus de cette descendance.) J'en passe et des meilleurs, et, si j'ai rappelé
ces deux noms, c'est que M. Desplagnes s'appuie sur leur autorité.
Je dois avouer que j'ai été moi-même tenté autrefois de m'adonner quelque peu à
celte manie, mais c'était là un péché de jeunesse dont je crois m'être corrigé avec l'âge,
en apprenant peu à peu que coïncidence de sons ne signifie pas communauté d'origines.
11 me semble en tout cas que, lorsqu'on veut baser un système sur l'étymologie, il serait
au moins nécessaire de connaître les langues auxquelles on emprunte ses exemples.
M. Desplagnes en a emprunté à une cinquantaine d'idiomes, tant méditerranéens que
soudanais, et qu'il mêle les uns aux autres avec un sans-gêne réellement surprenant.
Or, pour ne citer que des langues dont j'aie quelque droit de parler, il ignore certaine-
ment l'arabe et le mandingue, auxquels pourtant il a constamment recours.
En ce qui concerne Tarabe, je ne reviendrai pas sur l'extraordinaire façon dont il écrit
le nom des sectateurs de Abd-el-Ouahhàb, l'attention du public ayant été attirée déjà sur
cette bizarre fantaisie. Trouver un rapport étymologique entre le nom des Otmhhabites
et celui des Ouankoréow Ouangara n'est pas plus saugrenu que de rappix)cher, pai*
exemple, des Bouddhistes les Boudouma du lac Tchad. J'ai eu entre les mains le livre
d'un fou qui était bourré de rapprochements étymologiques - tirés de la langue univer-
selle n (? î), rapprochements analogues à ceux dont est hérissé le livre de M. Desplagnes.
Ce dernier d'ailleurs puise avec une élégante facilité dans toutes les langues, sans les
nommer, interprétant telle syllabe d'un mot dans un dialecte et telle autre syllabe du
même mot dans un second dialecte, avec une désinvolture tout au moins puérile. S'il
avait connu le Mandingue, il n'aurait pas avancé que mori — qui signifie « musulman n
en cette langue — fût le pluriel de moro (ou mieux morho, avec un r gras) qui signifle
« homme n et fait ynorho-lou au pluriel ; il n'aurait pas davantage cherché dans le nom
d'une imaginaire famille Bo l'étymologie de l'appellation Bobo, simple onomatopée qui
signifie « bègue n chez les Mandingues et par laquelle ces derniers désignent un peuple
qui se donne à lui-môme divers noms selon ses diverses tribus mais qui repousse le
nom de Bobo comme un sobriquet injurieux.
Je ne puis relever toutes les fantaisies de ce genre qui remplissent les 82 pages de la
![• partie et les 35 pages de la IV«, et qui émaillent encore çà et là le reste du volume :
il y faudrait consacrer tout un ouvrage aussi volumineux que celui de M. Desplagnes
lui-môme, et véritablement ce serait là besogne inutile.
Tout cela, je le répète, est regrettable, car la première partie du livre, consacrée à
l'étude des vestiges archéologiques relevés et recueillis par l'auteur, et la troisième
partie, qui est une monographie très étendue des Habbé, auraient, dégagées du fatras
historico-étymologique dans lequel elles se trouvent ensevelies, fourni la matière d'une
excellente et utile monographie d'ethnographie soudanaise. Malheureusement, quand
on a lu le roman des Ma, des Oua et des Sa, des Rouges, des Blancs et des Noirs, on ne
peut se défendre d'un certain scepticisme à l'endroit du reste du volume.
A tout prendre d'ailleurs, ce livre mérite de trouver place dans les bibliothèques : il
renferme eu effet 236 photographies pour la plupart très curieuses et très instructives
p. 188.] • R • E • E • S • [1908.
et toutes fort bien reproduites, une excellente carte du nord de la Boucle du Niger,
une très bonne note minéralogique de M. le professeur Lacroix, une étude cràniologîque
de M. le Docteur Hamy, et une très intéressante contribution au folklore nigérien due
à M. rinterprète-principal Dupuis. Toute la partie proprement descriptive, où M. Des-
plagnes relate ses observations ethnographiques sur les populations des plateaux et
colline? avoisinant le Niger moyen, est la première étude sérieuse et documentée que
nous possédions sur ces intéressantes peuplades, et Ton doit être reconnaissant à
M. Desplagnes de ravoir fournie. .M. Delafosse.
Kl). DB Jonche. Les Sociales secrètes au Bas-Congo. Extrait (74 pages) de \siRevif3 des
questions historiques^ oct. 1907. Bruxelles. — Pour la documentation, il n'y a qu'à
dire du Lien de ce petit mémoire. Les sources ont été toutes dépouillées avec soin,
comparées et critiquées. Mais pour le classement des faits et pour leur interprétation,
il faut faire des réserves. L'auteur n'a pas vu quel est le sens réel, profond, des céré-
monies dites d'initiation, ni le rôle, dans les sociétés générales, de sociétés spéciales
comme celles qui sont dites « secx*ètes ». La première phrase déjà implique un postulat :
« Les cérémonies qui consacrent au Bas-Congo l'époque de la puberté... . ». Il faudrait
cesser enfin de regarder, avant toute démonstration, les rites d'initiation comme iden-
tiques à des lites de la puberté. On ignoi*e l'âge vrai de la puberté chez les Nègres du
Bas Congo, comme d'ailleurs chez la plupart des demi-civilisés ; en quoi les cérémonies
congolaises sont- elles sexuelles? En réalité il y a une puberté physiologique et une
puberté sociale^ comme il y a une parenté physique et une parenté sociale, une
maturité physique et une maturité sociale^ etc. Il ne faut pas confondre.
M. de Jonghe a raison de rejeter les interprétations de Frobenius, fantaisistes, et
celles de Schurtz, proprement métaphysiques. Mais il a eu tort de se refuser à recon-
naître que l'élément central des rites étudiés n'est autre que la dramatisation de la
mort après la résurrection du novice.
Partout^ chez les Australiens comme dans V Eglise catholique {baptême^ ordina-
tion^ prise de voile), dans les mystères de P antiquité comme dans les divers rites
du sacrifice, dans les cérémonies du mariage, de la mort, etc, c'est cette même idée
de mort à un état antérieur (au monde profane, ou à la société enfantine, etc) et
de renaissance à un monde nouveau {monde sacré, clause d'âge nouvelle, état de
mariage, etc.) qui est dramatisée.
Ce point de vue très simple, et qui permet de s'orienter rapidement parmi la masse
des faits rituels, est d'une grande importance théorique.
Le mérite de M. de Jonghe c'est de permetti^e, par sa collection de faits de détail,
une démonstration lîgoureuse, pour les cérémonies d'initiation du Bas-Congo, du point
de vue brièvement indiqué ci dessus. D'abord le novice est brutalement séparé de la
société profane (intoxication, flagellation, peintures corporelles); puis il est agrégé à la
société sacrée; enfin il est réintroduit dans la société profane : l'initié ne reconnaît d'abord
personne, il ne sait pas manger, se fait porter, bref se conduit comme un nouveau-né
(cf. pp. 55-56). L'initié meurt deux fois et renaît deux fois. Enfin M. de Jonghe n'a pas
vu que les interdictions (tabous) sont des rites négatifs, équivalents des rites positifs,
et leur contrepartie. A. van Gennep.
1908.]
SOMMAIRES DES REVUES.
[P. 189.
SOMMAIRES DES REVUES.
MàN [A monthly record of anthropoloaiccU
science). Anthropological lastitute, 3 naoo-
ver Sqaare, Londres. Ab. 10 sh. T. VIII, n« 1
(Janvier 1908).
F. R. Barton. Note on stone pestles from
British New Guinea»
T. A. Joyce. Note on the relation of the
bronse heads to the carved tusks, Benin
City,
W. L. H. Duckworth. Report on a human
cranium f)rom a stone cist in the isle of
Man.
M. Ë. Cjnninjrham. Notes on excavations
at Olivers Camp near Dsvizes, ^Viltshi'
re ; fig.
Analyses : G. Murray, The rise of the greek
epic (A. Lang).
Anthropological notes.
Globus [lUusirierte Zeitsehriß für Länder- und
Völkerkunde. Dir. H. Singer et R. Andrée.
Brunswick, Fr. Vieweg et fils. 4® Hebdoma-
daire. Ab. 24 mks. 1908. N"» 1, 2 Janvier.
Koch -Grün berg. Der Fischfang hei den In-
dianern Nordwestttrasiliens.
Pöch, Wanderungen im nördlichen Teile
von Süd-Neumecklenhurg,
Aus den Ergebnissen <Ur Ostkamerun-
Grenzexpedition .
Fischer. Paparudà und Scaloian.
Zur Frage nach dem Alter der Ruinen
Rhodesias,
BQcherschau : Holm, Aus Mexiko. — Fro-
benius» Im Schatten des Kongostaates. —
Gallien), Neuf ans à Madagascar, —
Hettner, Grundlage der Länderkunde,
1. Band : Buropa.
Kleine Nachrichten : Zur Geschichte, Geo-
graphie und Bedeutung von Trinidad,
— Dispkignes neue Forschungen über
die Vorgeschichte des Nigergebiets. -^
Die letzten lebenden Sprachreste der Na-
tik' Indianer.
N« 2, 9 Janvier.
Koch-GrOnberg. Der Fischfang bei den In-
dianern Nordwestbrasiliens, (Schlusz.).
Freise. Bergbauliche Unternehmungen in
Afrika v>ährend des Altertums.
Struck. Zur Kenntnis des G â Stammes
(GoldkOste). I.
BQcherschau : Diener, Reise in das moder-
ne Mexiko. — Clemenz, Schlesiens Bau
und Bild. — Ott, Bevölkerungsstatistik
in der Stadt und Landschaft Nürnberg
in der ersten Hälfte des d5. Jahrhun-
derts.
Kleine Nachrichten : Djs häusliche Leben
in Uganda. — Die Sigynnen des Hero*
dot. ^ Die heiligen Eichen und Terebin-
then der Hebräer. — Die Mission L^n-
fant. — RoiUe C. dementis durch Süd-
china, — Zu dem Artikel A. van Gennep's
« Ein eigentiimlicher Wettermantel ».
N« 3, 16 Janvier.
von Koenigswald. DieBotokuden in Süd'
brasilien.
Die Insektenwachs- Industrie in Ssetseh-
wan.
Baldacci. Die Slawen von MoUse,
Der heutige 8%harahandel,
BOcherschau : Ferdinand von Richthofens
Tagebücher aus China,
Kleine Nachrichten t Strümpels zweite Rei*
se durch Süd-Adamaua. — Die Steinzeit
in Marokko, — Die wirtschaftliche Ent-
wickelung Angolas, — John Frederick
Mann f. — Geheimbünde der Neger.
N« 4, 23 Janvier.
Baldacci. Die Slawen von Molise (Schlusz.)
Die Selenka- Expedition nach Trinil.
Tetzner. Zur litauischen Sprichwörteiyoe-
sie.
Kleine Nacli richten : Die Feuerpumpe. —
Prähistorische Funde in Versien. — Die
Steinschneidearbeiten der Chinesen, —
Der iß internationale Amerikanisten-
kongress, ^ v. Lusehan über Rassenver-
^wandtschaften der Hottentotten. — Louis
Gentils Reisen in Marokko 1907, — Zu
dem Aufsa'Z « Dis Rumänen in der Bu-
kowina $>. — Historische Ueberlieferun-
gen und prähistorische Funde wie Brut-
plätze des Kranichs zur Jetztzeit in
Deutschland — Zeitschrift « La Misce-
lanea n in Santo Domingo.
N» 5, 30 Janvier.
Gengier. Fränkische Vogelgeschichten,
S mend. Negermusik und Musikinstrumen-
te in Togo.
Moreira. Zur Kennzeichnung der Farbi*
gen Brasiliens.
Winternitz. D. H, Müllers Beiträge zur
südarabischen Volkskunde,
Bucherschau : Friea\\,Bämdütsch als Spie-
gel bernischen Volkstums. 2. Band. —
Tauber, Nnie Gebirgsnamen-Forschun-
gen. — Scenz, Beiträge zur Volkskunde
Süd-Schantungs, — Forrer, Reallexikon
der prähistorischen, klassischen und
frühchristlichen Altertümer, — Bielen-
stein, Die Holzbauten und Holzgeräte
der Letten. 1. Teil.
Kleine Nachrichten : Ethnologische Be-
trachtungen über Hockerbestattung. —
Entdeckung der Lage der alten Haupt-
stadt des Ghanatareiches. — Steinzeitli-
che Funde in Dänemark. — Fewke's
Forschungen über die Eingeborenen von
Porto Rico. — Zum antikeii Weinhan»
p. 190.]
R
Ë
E
[1908.
del. — Die deutsche Küste als Siedelungs-
gebiet, — Häufigheit des Storches in
Deutschland,
N« 6. 6 Février.
Woi&seiiberg. Das neugaborenp. Kind bei
den südrussischen Juden.
Die Zustande in Rhodesia.
Smond ^Ntgermustk und Musikinstrumen-
te in Togo. (Schlusz).
Die Schouteninseln.
BQcherscIiau : Wissenschaftliche Ergebnis-
se der Expedition Fiichner nach China
und Tibet. X. BJ. 1 Teil. — Musil, Ara-
bia Pelraea. II. Edom. 1. Teil. — Siein-
inann Einführung in die Paläontologie.
2. Aufl. — Riehl. Die Pfälzer. 3. Afl —
üayef. La cixilisation pharaonique. 2.
aiirt. — von Itierinj^. Archhelenis und Ar^
chinoiis, — Preise. Geschichte der Berg-
bau- und Hüttentechnik. I. Band.
Kl-^ine Nachrichten. Die elsä.^Sischen
Trachten. — Die soziale Dreistufentheo-
rie. — Ausarabungen auf der Insel Bah-
rain. — Karte von Teilen der Bezirke
Ossidinge y B amend a und Dschang. —
Die Saharadurchquerungen Dubois* und
der Mission Arnaud- Cor tier, — Iw-
tschenkos Beobachtungen in der Kirgi-
Sênsteppe und in der Steppe ton 'i w ke-
stan. — Zum Artikel ^ Ein eigentüm-
licher Wettermantel n. — Die anthropo •
logische Frage Aegyptens, — Geburt und
Tod bei den Wasuaheli, — Physische
Anthropologie der Elsasz- Lothringer. —
üsseglios Heise im Küstengebiet stoischen
Beira und der Sambesimündung. —
Eine alte chinesische Beschreibung des
wandelnden Blattes (Phy Ilium). —
Evans* kretische Ausgrabungen.
Rkvub DB l'Ecole d'Anthropologie de Paris.
T. XVIII, Fasel (Janvier 1908). Ed. F. Alcan.
B*> S* Germain. Ab. 10 fr.
Zaborowski. Les introducteurs du cuivre
sur la côte orientale de V Espagne et en
Sicile,
F. Ameghino. Les documents paléo- anthro-
pologiques du Sud américain et le pro-
cessus écolutif des primates.
Bibliographie : Maraghiannis» Antiquités
Cretoises, — A. Mosso, Escursioni nel
Mediterraneo e gli scavi di Creta et
R. M. Burrows, The discoveries in Crete
(K. Dussaud).
Z ENTRA BLATT FÜR ANTHROPOLOGIE. Dir. Georg.
Buschan ; od. Fr. Vieweg, Brunswick, Ab.
15 marks.
Section III : Ethnologie et ethnographie ;
analyses critiques de : Schneider, Mu-
schelgélditudien (von Luschan). — vou
Luschan, Ueber Boote aus Baumrinde
(Buschan). — Fr. S. Krauss. Anthropo-
phyteia (I. Näcke). — J. Wassilieff.
Croyances des Votiaks (en russe) (Viéra
Kbàruziû). — E. Pechuel-Loesche, Vo/Äs-
kunde von Loaugo (B. Ankermann). —
R. E. Dennett. At the back of the black
man* s mind (id.). — Passarge, Die
Buschmänner der Kalahari (v. Luschan).
— Kurt Breysig, Die Völker ewiger Ur-
zeit, T. I. (G. Fnederici). — G. B. Gordon.
The serpent motive in the ancient art of
Central Amertca and Mexico (W. Leh-
mann). — J. L. Pic, Die Urnengräber
Böhmens (H. Seger). — K. Buchfela. Die
Lausitser und schlesischen Brandgräber
in Böhmen (id )
Rkvlk DK l'Histoire des Religions, 1907.
T. LVI, fasc. 3.
G. Raynaud. Tlaloc.
M. Goguel. La nouvelle phase du problème
synoptique (1899-1907).
H. Norero. Le dernier ouvrage de M, Wundt
en tant que contribution à la psycho -
login religieuse.
Revue des livres : I Analyses et comptes
rendus ; M. Jastrow. Die Religion Baby-
lonifns und Assyriens (Jean Kéville). —
D. Völter. Aegypten und die Bibel (Aâ.
Lod*). — R. Düssaud. Les Arabes en
Syrie avant l* Islam (id ) — H. Gnmme.
Dus israelitische Pfingstfest und der Ple-
jadenkult (Ad. J. Reuiach). — G. Gundel.
De stellarum appellatione et religione
romana (\à.) - G. Hölscher. Der Saddu-
zäismus (Kd. Montei). — W. G. Allen.
A critical and exegetical commentary
of the Gospel according to S, Matthew
(M. Goguel;. — P. Sainty veii. Les saints
successeurs des dieux (Jean Ré vi lie). —
L. Serba'. Les assemblées du clergé de
France (Rod. Reuss).
II. Notices bibliographiques,
1® E. Behrens. Assyrisch-babylonische
Bnefe kultischen Li halts aus der Sargo-
nidenseit (L. Delaporte) — 2^ K. Frank.
Bilder und Symbole babylonisch-assyris-
cher Götter (id.) — 3<» J. E. Harrison,
The religion of ancient Greece (J. Tou-
lain). —'40 H. Thôdenaî, Pompéi (id.) —
ÏP S. Eitrem. Der homerische Hymnus
an Hermes (K. Poisson). — 6«> N. P.
Vlachos. Some aspects of the religion of
Sophokles {\ii ,) — 7<»J. Blecher. De exti
spicio capita tria (id.) — S'* Ausgewählte
Mischnatractate in deutscher Ueberset-
2ung (Jean Réville). — 9^ W. Staerk.
NeiUestament liehe Zeitgeschichte (id.) —
10° W. Staeik. Die Entstehung des Alten
Testaments (Ch. Mercier). — 11° G. Holïz-
mann. Christus (Ed. Montet). — 12« A.
Audollent. Defixionum tabellae(â. Tou-
tain). — 13° P. Monceaux. Histoire litté-
raire de V Afrique chrétienne^ T. Ill
(id.) — 14° n. Keck end or f. Mohammed
und die Seinen (Ed. Montet). — 15'» C.
Laireille. Joseph de Maistre et la Papauté
(Rod. Reuss).
Revue des traditions populaires. T. XXII
(1907) fasc. V2.
Denis Bressan ; Paul Sôbillot. Moitié de
coq.
Alfred Harou. Légendes sur V origine de
C homme.
Paul Sébillot. Légendes contemporaines,
Mazeret. Superstitions gersoises»
Alfred Harou. Coutumes de Noël, —Singu-
lières manières de prêter serment.
F. D. Pèlerins et pèlerinages,
Alfred Harou. Les redevances féodale».
1908.]
SOMMAIRES DES REVUES.
[P. 191.
Ed. Rdmont. Coutumes de mariage.
A. Dagnef. Croyances et Légendes du Mor-
bihan.
H. de Kerbeuzec; O.C Théologie populaire,
H. do Kerbeuzec; Baron du Roure. Les
chasses fantastiques.
Alfred Harou. Le folk-lore du Grand
duché de Luxembourg.
Bibliographie : Ernest Myrand, Nocls an-
ciens de la Nouvelle France (P. S.) —
E. T. H^my. Les debuts de Lamarck (id.)
Notes et Enquôte».
Kklbti Szkmlk. (Revue orientale pour les études
ouralo-altaïf^ues). Dir. I. Kûnos et B. Mun-
kàcsi. Leipzig, Harrassowitz, Ab. 8 marks.
T. VIII, fdsc. 1.
I. Kùno.s. Türkisches Volksschauspiel.
B. Munkâcsi. Die Weltflottheiten der wogu-
lischen Mythologie (II).
0. Mô-zâros. Matériaux sur les croyances
populaires iurques-osmanli (en hongrois)
Analyse«« : Futterer, Durch Asien{^. Hart-
mann).
MèlangeF.
Mkdrdrbungkn van wbgb het nbdrri.andsgub
Zkndeunggknootschap. (Bijdrage tot de
hennis der sending en der taal-land- en vol-
kenkunde van Nederlandsch-Indië). Dir. G.
Poensen ; éd. M. Wyt en zonen, Rotterdam.
T. LI (19(n).
Section Ethnographie seulement :
W. Dunnebier. De sending in Bolaäng-
Mongondow.
S. Luinenburg. Javaansche radsels.
J. H. Meerwaldf. Gebruiken der Bataks in
het maatschappelijk leven (3» suite).
S. Luinenburg. Jets over ila-ila bij den
Javanen.
J. Louwerier. Een noodkreet ten behoeve
van i^eduwen en weezen in deMinahassa.
Journal dp trb African Society. Ed. Macmil-
lan et C». Ab. 1 livre st. T. VII (fasc. XXVI.
Janvier 1908).
Major Melden. Noies on Sudanese in
Uganda.
J. H. Venning. Rhodesian ruins.
K. Meinhof. Codification of native law.
Cap. F. F. W. Byng Hall. The Okpoto and
Igara tribes.
A. Werner. Native affairs in South-Africa.
F. Swanzy. A french voyage to West- Africa.
Editorial notes (A. Werner).
Bibliographie : A. Werner. The natives of
of British Central Africa (H. H. John-
ston). — B. Alexander. From the Niger
to the Nile (an). — G. Mc. Call Theal.
History and Ethnography of South-
AMca (an). — F. Rosen. Eine deutsche
Gesandtschaft in Abessinien (an.).
Journal dk la Société des Américanistbs db
Paris. Nouvelle série. T. IV. Fasc. 1. (1907)
Ed. Leroux. Ab. 20 fr.
E. T. Hamy. Le bas relief de Vhôtel du
Brésil au musée départemental d'anti'
guiles de Rouen.
E. Salone. Les sauvages du Canada et les
maladies importées de France au XVII^
siècle et au X VI li* siècle : la picote et
V alcoolisme.
L Diguet. Le peyote et son usage rituel
chez les Indiens du Nayarit.
H. Bcuchat et D' Rivet. Contribution à
l'étude des langues Colorado et cayapa
{République de l'Equateur).
H. CorJier. Bahia en 1847: deux lettres de
M. Forlh-Rouen.
De Charoncey. Textes et documents : in'
structions du colonel don Fernando de
la Concha.
Bulletin critique (£. de Jonghe, D' Rivet,
H. Beuchat.)
Melanges et nouvelles : Anse Berthin,
b' (xaillard dd Tiremois. H. Beuchat»
J. de Kergorlay, E. de Jonghe.
L'uoMMB PRÉHISTORIQUE. T. VI. Fasc. 1 (Jan-
vier 1908).
L. Schaudel. Revêtements de cabanes du
musée de Chambéry.
P. Baudet. Dolmens de V Aisne.
H. Müller. Les outils préhistoriques.
Bibliographie : Lortet et Gaillard. La faune
momifiée de V ancienne Egypte (Ë. Hue).
Musées départementaux (A. Loppé).
— Fasc. 2 (Février).
M. Dumas. Dalle sculptée de St Victor
(Gard).
0. Häuser. Fouilles dans la Dordogne,
M. Baudouin. Menhir du Bourg de Saint-
Mayeux.
Musées départementaux (A. Loppé;.
Bulletin de la Société Belgb dr QAoorapuib.
Bruxelles. Dir. E. Cammaerts. Ab. 15 fr.
T. XXXI (1907) n« 6.
P. Clerget. Les communications transaU
pestres.
J. Denucé. Les îles Lequios {Formose et
RiuKiu) et Ophir.
Bibliographie :VanOverbergh et De Jonghe,
Les Bangala (L. Delardrier).
p. 192] • R • E • E • S • [1908.
CHRONIQUE.
Expedition scientifique en Nouvelle-Guinée Allemande — Après eu lente
des ministères prussiens de ilnstruction publique, de la Marine et des Affaires
étrangères, une expédition scientifique a été chargée d^onquêtes uniquement ethno-
logiques et ethnographiques en Nouvelle Guinée allemande. Elle a été placée sous
la direction du médecin de marine Stephau, auquel on doit déjà plusieurs monogra-
phies ethnographiques ; il emmène comme collaborateurs M. Edgar Waiden, attaché
au Musée ethnographique de Berlin, M. Otto Schiaginhaufen, assistant au Musée
anthropologique de Dresde et M. Richard Schilling, photographe. Le Norddeutscher
Lloyd a fait des conditions de transport spéciales, de même que la Neu Guinea
Kompagnie ; la Marine a chargé le croiseur Planet de garantir la sécurité des
explorateurs, et Tappui effectif du Gouverneur de la Colonie, le D^ Hahl, est assuré ;
enfin la publication officielle Marine-Rundschau donnera à partir de 1908 des ren-
seignements périodiques sur les progrès de l'expédition. Etant donnée Timportance
d'une exploration approfondie de la Nouvelle- Guinée pour les sciences anthropolo-
giques, cette entreprise allemande ne peut qu'être encouragée, d'autant plus qu'elle
incitera, on l'espère, les Gouvernements anglais et hollandais à ne pas rester scien-
tifiquement en arrière pour les régions néo-guinéennes qui leur appartiennent.
Création d'un Service Bthnographique. — Grâce à l'initiative de M. F.
Dubief, ancien ministre, de M. Gervais, rapporteur du budget du Ministère des
Colonies à la Chambre et de M. Saint-Germain, rapporteur de ce même budget au
Sénat, il vient d'être créé à l'Office Colonial du Ministère des Colonies un Service
Ethnographique^ chargé de recueillir et de publier les documents concernant la vie
sociale des indigènes des diverses Colonies françaises. Il est entendu que le Service
prendra progressivement de l'extension.
CATALOGUES.
L. Horstmann. Göttingen. No 38. Kultur- und Sittengeschichte. I4ö8 No».
Von Zahnet Jœnsch, Dresde, N« 205. National-Œkonomie, Staats- und Social Wissenschaften,
Politik, Statistik. 2490 N»«.
K. W. Hiersemann. Leipzig, N« 348. Ostasien, Australien, Océanien. 1183 N^s.
List und Francke, Leipzig, No 397. Historische Hilfswissenschaften, Kulturgeschichte,
Volkskunde. 3407 No«.
J. Baer, Francfort s/M., No 554. Folklore : Allgemeine Werke und Zeitschriften, Sagen und
Mythenkundc, Märchen, Legenden, Volkslieder, Sprichwörter, Riltsel, Aberglaube,
Zauberwesen, Hexen wahn, Nachtrag. 1000 N©?.
H. Kesler, Ulm, No 306. Geschichte und Geographie : erste Abteilung : Anthropologie, Ur-
geschichte, Allgemeine Kirchen-, Literatur- und Kunstgeschichte, Geographie, Alte
Geschichte. 2024 Nos.
P. Geuthner, Paris, No 30. Science des religions : Philosophie de la religion, Religions et
mythologie comparées, Religions de l'AntiquiJbô. de l'Orient, d'Amérique et des peuples
non civilisés, le Christianisme, 0 riens christianus, Scriptores chrîstiani orientales.
3121 Nos.
Le Gérant : Paul Geuthnbb.
REVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
Mo« 4-5 t SOMIIIAIRE
Pages
W. E. Roth : Cratch-cradle in British Guiana 193
A. Bel : Lsl population musulmane de Tlemcen 200
G. Ferrand : Le calendrier Malgache et le Pandruana (fin) . 226
M. Delafosse : Le peuple Siôna ou Sônoufo (suite) 242
Communications : I, A. van Gbnnep, WenVEncj/clopcedia eth-
nographica ; n, 0. Fbrrand, Le destin des quatre
éléments dans la mairie malgache : m« GaudefbIot-
Demoicbynbs, Métiers et noms de métiers en arabe . 276
Analyses : K. Hirzbl, Themis, Dike und Verwandtes (P. Hu-
TBLiN; : J. Watson, The philosophical basis of reli-
gion (G. d'Alviella) ; L. von Pbtraztcei, üeber die
Motive des Handelns (P. Huvei^in) ; R. Hildebrandt,
Recht und Sitte (A. v. G.) ; Fr. Boas, Anthropology
(id.) ; Fr. Nik. Finck, Die Sprache der armenischen
Zigeuner (A. Mbillet) ; N. Giron, Légendes coptes
(R. Basset) ; J. Laoranoe, La Crète ancienne (A. J.
Reinach) 279
Notices bibliographiques par : R. Basset, H. Beughat, M. De-
lafosse, A. T. G., P. HüVEUN, A. Mbillet» a J. Rbi-
NACH, Th. Smolbnski 300
Sommaires des Revues 314
Chronique : Congrès de l'été 1908 320
PARIS
LIBRAIRIE PAUL OEUTHNER
68, RUE MAZARDCE, 68
Avril-Mai 1908
EXTRAIT DU PROGRAMME
de la Revue des Etudes Ethnographiques et Sociologiques
Intematioiialey Menanelle
Par sociologie, nous entendons Tétude de la Tie en société des hommes de tous
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de leur civilisation matérielle. Le champ de la Revne est donc vaste. L'on y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé, la science
des religions, l'histoire de l'art, etc., et l'on y fera appel aux branches spéciales
comme Tégyptologie, l'assyriologie, l'orientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, ou étude anatomique des variétés humaines, ne rentrera dans notre cadre que
dans la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déterminées et leurs civilisations ; il en sera de même j^ur la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer l'évolution des institutions et des
idées, n se dessine d'ailleurs, C€s temps derniers, une direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la Revue des Études Ethnograpliiqaes et Sociologiqaes
compte collaborer effectivement.
Nous attribuerons une grande importance à la rubrique Bibliographie, qui
comprendra des analyses critiques, de courts compte-rendus, les sommaires des
revues et des collections.
La langue de la Revue sera de préférence le français ; mais l'anglais, l'alle-
mand et l'italien y seront également admis. Les honoraires seront de 1 fr. 25 =»=
1 mk = 1 sh. la page. Les auteurs auront droit à 25 tirages à part pour les Mémoi-
res et Articles et à 10 pour les Communications, Descriptions d'objets, etc.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres,
Glamart, près Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur, 68, Bue Mazarine, Paris (V^P), au
nom de la Revue des Études Etlmographiques et Sociologrlques.
Abonnement : France : 20 /r. — Etranger : 22 fr. — 'Années écoulées 30 fr.
M» 1 : Janvier 1906 : J. G. Frazer : St George and the Parilia. — Maurice Delafosse : Le
peuple Siéna ou Sénoufo. — Charles Boreux : Les poteries décorées de l'Egj'pte prédy-
nastique. — Analyses : J. B. Pratt, The psychology of religious belief (Goblet d'Al-
viBLLA) ; Koch-Grûnberg, Südamerikanische Felszeichnungen (A. van Gennep) ; G.
Jacob, Geschichte des Schattentheaters (id.). — Notices bibliographiques. — Sommaires
des Revues. — Chronique.
Mo 2 : Février 1908 : Andrew Lang : Exogamy. — Maurice Delafosse : Le peuple Siéna ou
Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fandruana.
— Analyses : R. von Lichtenberg, Beiträge zur ältesten Geschichte von Kypros (A. J.
Reinach) ; R. Düssaud, Vile de Chypre particulièrement aux âges du cuivre et du
bronze (id.); E. Pechuël-Loesche, Volkskunde von Loavgo (A. v. G.) ; Fr. S. Krauss,
Das Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; G. Friederici, Die Schiffahrt der Indianer (id.).
— Notices bibliographiques (C Mondon-Vidailhet, A. J. Reinach, A. v. G.). — Sommai-
res des Revues.
No 8 : Mars 1908 : A. van Gennep : Une nouvelle écilture nègre ; sa portée théorique. —
Gaudefroy-Demombynes : Rites, métiers, noms d'agent et noms de métier en^arabe. —
A. Werner : Some notes on the Bushman race. = Maurick Delafosse : Le peuple Siéna
ou Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fan-
druana (suite). — Analyses : Huntington, The Puise of Asia (A. v. G.) ; Ftnn, r%e
American Indian as a product of environment (id.) ; Faïtlovitch, Proverbes abyssins
(R. Basset) ; Galtier, Coptica-arabica, I (id.) ; Burrows, The Discoveries in Crete et
Mosso, Escursioni nel Méditerranée (A. J. Reinach). — Notices bibliographiques
(M. Delafosse, G. Ferrand, Ch. Monteil, A. v. G.). — Sommaires des Revues. —
Chronique.
1908.]
ROTH : « CRATCHtCRADLE m in british GUIANA.
[P. 193*
« GRATCH*CRÀDLE » IN BRITISH GUIANA
by Walter E. Roth (British Guiana).
In the course of certain ethnological investigations that are now engaging
my attention on the Poraeroon and Moruca Rivers, British Guiana, I have met
with the game of « cratch-cradle n which, so far as I am aware, has not hitherto
been recorded from this Colony. The following notes derived from amongst the
Aru-ak or Ara-wak (Ark.) and VVarrau (War.) Indians may accordingly prove
of some interest. It is the latter tribe which has supplied me with far the larger
number of illustrations.
The game itself is known as Ashinakotahu (Ark.) and nioi-i waka-waka
(War.), the former term denoting a joining- binding- or fastening-together, the
latter word literally indicating finger (moho)-string.
It is played by children of both sexes, rarely by adults, though I am. informed
by some of the older Indians that they can well remember seeing, several years
ago, many of the elder natives on Wakapoa Creek (a branch of the Pomeroon R.)
invariably carrying the string round their necks, and making figures with it even
while carrying on a conversation. Only in one case, that of the « Sting-Ray »
(Fig. 12), have I seen two strings brought into requisition, when of course two
players are necessary. In certain of the figures, eg. the « Silk-Cotton » tree (Fig.
15) and the Canoe (Fig. 2) there is an evolution of one ideogram out of another
without removal of the string from the hands, very much after the manner in
which the European form of the game is played.
The following notes will help to make the illustrations clearer :
Fig. 1. Mosquito. Yu-wau-o (Ark.)
Fig. 2. A « dug-out « canoe, the
corial of the Colonists, shewing
two seats.
p. 194.]
R
E • £
[1908.
Fig, 3. Another representation of
the preceding, before the seats
are inserted, and supposed to be
viewed from above. Without ta-
king the string off the hands, this
figure is successively developed
into the two subsequent ones.
Fig. 4. The old form of canoe or
present-day « bateau « of the
Colonists. The bow and stem are
cut off abrupt, and the gaps filled
with a more or less triangle-sha-
ped piece of wood.
Fig. 5. Honey, or rather the
aperture in the hollow tree-
trunk or branch whence it is
extracted. This representation
of a hollow tree is parallelled
in North Queensland where a
similar ideogram is symbolic
not only of honey, but of an
opossum, such a situation con-
stituting its sleeping-place by^
day [see W. E. Roth. North
Queensland Ethnography ^BulL
^0 4. PI. VIII, fig. 6 ; PI. IX,
fig. 1].
Fig. 6. Crab. As the player's right
hand is gradually extended further
and further, so the crab starts to
crawl along. This regular marching
of the crabs during August, Septem-
ber and October from the riverbanks
onto the flats is always anxiously
awaited for by the Indians with a
view to replenishing the larder and
changing the menu.
1908.]
ROTH : c( CRATCH-CRADLB » IN BRITISH GÜIANA. [P. 195.
Fig. 7. The nest of the Korri-Korri
(War.), a bird which I have nei-
ther seen nor identified more than
that it is « a sea-bird, is red all
over, and has feet like a fowl ».
It is said to be peculiar however
in the marked regularity with
which the twigs composing the
nest are fixed relatively to one
another.
-^^VY/.-^/;y^(\
V>---H
\
1 \' / ■
Fig. 8. Snake.
Fig. 9. The yawahu of the Aruaks,
the « jumbi » of the Negroes. This
is the spirit of a deceased person
who can see everything and can
travel any where : he is lience
generally described as being all
eyes and legs. I have seen this
figure made by both tribes of
Indians, but always with the
string looped on itself.
Fig. 10. A simpler form (War.) of
the preceding, shewing legs and
eyes alone.
p. 196.]
E - E
L1908»
Fig. 11. The wabu-kai-i (War.) lit.
rat-trap. This is a game identical
with what, as boys in our London
school, we used to practise on
the unwary : directly the new-
comer put his finger, as requested,
into the loop, the string was slip-
ped ofl'both thumbs and the digit
tightly gripped.
Fig. 12. Tliehu-e(War.)or - >tiug-
ray « fish. Two people mani-
pulate the two endless strings
simultaneously.
Fig. 13. The conical wicker-work
fish-trap, known as « mas
-war r to both Indians and
Colonists though it is possible
that the term maybe of African
origin. [See Stedman. Exfedi--
Hon to Surinam. 1796. Vol. II
p. 228].
Fig. 14. Intended to shew the more
or less convex thatched roof of a
« beuab », a structure composed
of corner uprights supporting a
palm-leaf roof for temporary shel-
ter from sun, rain, or dew. Though
" benab « is a word used through-
out the colony, it is either a
corruption of the Aru-ak term
[to]banna-bohu lit leaf-stick, or
an abbreviated form of the War-
rau name naba-kobahi
1908.]
ROTH : «"CRATCH-CRADLE » IN BRITISH GUrANA. [P. 197*
Fig. 15. The " Silk-Cotton « tree
of the Colonists, a species of
Eriodendron. Although repre-
sented in the ideogram by its
flanges, it is 'only fair to state
that many another tree is sup-
ported in similar fashion by
natural buttresses. On the other
hand, this particular tree is
believed to have attached to it
a certain superstitious venera-
tion derived, more or less
doubtfully, from African sour-
ces [see Bkett. Indian tribes
of Guiana, 1861, p. 369].
Without removal from ofiF the
hands, this figure (War.) is
successively developed into the
two following ones.
Fig. 16. A bird's-uest in the
Silk-cotton tree.
Fig. 17. By slipping off the two
middle loops on either side,
they will each curl up more
or less, so as to represent,
according to different Indians,
either tlie four eggs or the four
younglings about to leave the
nost.
Fig. 18. Two ^ islands » joined
])y a log (War.) When these
Indians speak english they use
the word « island r to express
any piece of land, even a few
yards square, surrounded in
its entirety by a creek or
swamp.
P« 198.]
R • E • E • S
[1908.
Fig. 19. A swamp or i-na (War.)
with a felled log thrown across.
Fig. 20. The Mauritia flexuosa
palm, the ohi-ju (War.) or i-te
(Ark.) A fibrous plant of great
economic value locally.
Fig. 21. A turtle, waku (War.)
Fig. 22. A palm with long radia-
ting roots, perhaps the Iriartia
exorrhiza^ mu-anuru (War.),,
bo-ba (Ark.)
1908«] ROTH : oc CRATCH-CRADLB » IN BRITISH GUIANA. [P« 199«
1
^
1
s
Kfi
.r:«-'^
Fig. 23. Butterfly, waro-waro
(War.)
Fig. 24. The moon, wauaiku
(War.)
p. 200.] • R • fi • E • S • [1908.
LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMGEN.
par A. Bel (Tlemcen).
Ttemcen, rancieaae Pomaria des Romains, qui fut au moyen-âge la capitale
d^un royaume musulman, a déjà fait couler beaucoup dienere. Les géographes arabes
ont décrit et vanté son opulence et les avantages de son admirable situation, les
chroniqueurs ont retracé les fastes de sa monarchie, les poètes ont chanté sa beauté
et la gloire de ses rois, les hagiographes ont écrit l'histoire merveilleuse de ses grands
et illustres saints dont les nombreux et blancs tombeaux, objets de pieuses visites,
constellent la verdoyante campagne tlemcenienne.
Depuis que Tlemcen est devenue française, les savants, les touristes, les admi-
rateurs de cette vieille cité musulmane ont écrit les résultats de leurs recherches
et de leurs observations dans un grand nombre d'ouvrages, dans des brochures et
des articles de Revues et de Journaux. Il serait déplacé d'en faire ici une enume-
ration, même sommaire^.
On se bornera à remarquer que le dialecte, quelques traits des mœurs, des
croyances, certaines légendes des Tlemceniens ont fait l'objet de publications
interessantes^ ; mais aucune étude d'ensemble de la société musulmane de Tlemcen
dans sa vie publique et privée, dans ses croyai.ces et ses mœurs, dans ses habitudes
religieuses et intellectuelles, économiques et sociales, n'a paru jusqu'à ce jour.
Cependant, cette société qui, par certains côtés de sa civilisation nous reporte à
notre moyen-âge, est bien digne de retenir notre attention. Il est temps de noter les
particularités de ces musulmans tlemceniens d'aujourd'hui, les principaux traits de
leurs usages et de leurs croyances, remontant à une haute antiquité, avant que
l'influence de notre présence parmi eux et le contact de notre civilisation les ait fait
disparaître.
Pas plus au point de vue ethnique, qu'au point de vue de la vie matérielle et
intellectuelle, la population dont il va être ici question ne forme une individualité
nettement originale. Elle ressemble certes beaucoup à la majeure partie de la
^ J'ai donné la liste de ces publications dans un Guide de Tlemcen qui paraîtra prochainement
sous les auspices de la Société de Géographie du département d'Oran.
* Citons par exemple : Marçais, Le dialecte arabe parlé à Tlemcen (Paris, 1902)» dont la
2« partie donne des renseignements abondants et variés sur les mœurs, croyances, etc.. ; une
bonne étude dfes Aïssâoua à Tlemcen (Châlons s. M., 1900) de E. Doutté qui a exposé aussi
certains traits de la vie religieuse et matérielle des Tlemceniens dans ses Marabouts (Paris, 1900)
et Merrakech (le»" fasc, Paris, 1905) ; une brochure utile sur les usages de droit coutumier dans
la région de Tlemcen (Tlemcen, 1906) est due à ÂBOU Bbkr, qui a écrit aussi plusieurs articles
sur le Rebate la Tebia, les Marabouts guérisseurs à Tlemcen, dans le Bull, de la Soc, de Géog,
d'Oran et la Revue africaine ; quelques bons renseignements aussi dans un Récit en dialecte
tlemcenien t\e Abd el Azlz Zenagui (Paris, 1904) ; M. G. Dkmombynes. dans sa brochure sur les
cérémonies du mariage chez les indigènes de V Algérie (Paris, 1901) a parlé du mariage À Tlemcen ;
M. E. Destaing dans ses Fêles et coutumes saisonnières chez les Béni Snoûs^ et UEn-Nayyer
(dans la Revue africaine) a mentionné dans les notes un certain nombre de coutumes tlemce-
niennes. L'auteur de ces lignes a lui-même noté quelques unes des coutumes tlemceniennes,
dans La Djâzya (extrait du Jour, asiat, Paris, 1903) et Quelques rites pour obtenir la pluie (Alger,
1905).
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 201.
population musulmaoe algéneone, formée à quelques exceptions près, d'éléments
hétérogènes yenus à des époques diverses s^allier à Télément primitif berbère.
Toutefois, les auteurs arabes du moyen-âge disent yolontiers que les Tlemce-
niens, par leur genre de vie, par leur goût pour Tétude, par les industries auxquelles
ils se livrent, par leur piété même, par leurs qualités propres, ont une allure
particulière qui les différencie des autres musulmans.
« Les habitants de Tlemcen, dit Tun de ces écrivains, portent sur leur visage
« l'expression de leurs qualités ; ils se distinguent des tribus qui les entourent... »
« Tlemcen, écrit un autre (XIV® siècle de J.-C.) est la patrie d'une foule
« d'hommes de bien et d'honneur, de personnes sûres et respectables, de gens
« hounêtes et religieux.... Pour la plupart, les habitants de Tlemcen s'adonnent à
<< l'agriculture et à la fabrication des haïks en laine ; ils excellent dans la confection
« des vêtements fins.... C'est ce qui a valu aux Tlemcenieos la réputation dont ils
« jouissaient jadis et qu'ils ont encore à présent. Les produits de l'industrie
^ tlcmcenienno sont vendus sur les marchés les plus reculés de l'Orient et de
« rOccident. Ajoutez à cela que Tlemcen est une pépinière de savants réputés pour
« leur enseignement remarquable, et de saints bien connus pour leur profonde
« piété. »
Au XVP siècle enfin, Léon TAfricain donne des renseignements succincts, mais
originaux sur les « écolierîj, marchands, soldats et artisans » de Tlemcen.
Cette population de citadins musulmans a conserve aujourd'hui encore, une
physionomie qui lui est propre et dont on va essayer de marquer les traits principaux.
Ce n'est d'ailleurs qu'une esquisse sommaire de cette société indigène que l'on
a voulu tracer dans les quelques pages qui suivent.
MM. Perdrizet et Chantron, professeurs au Collège de Tlemcen, sont les auteurs
des clichés photographiques reproduits ici. Je les remercie vivement du concours
si utile qu'ils m'ont aiosi apporté.
Quant aux nombreux musulmans tlemceniens, de toutes les classes de la société,
qui m'ont toujours documenté avec empressement sur les mœurs locales, depuis
huit ans que je suis ici, il me serait bien diSicile d'en faire une enumeration
complète ; je préfère leur adresser à tous un collectif et cordial merci, avec l'assu-
rance de ma sympathie bien sincère.
Les groupes ethniques musulmans.
En 1902, on comptait 13321 musulmans à Tlemcen (intra muros) et 24175,
dans la commune entière ; le recensement de 1906 donne les chiffres de 14567 pour
la ville et de 25533 pour la commune.
Les musulmans tlemceniens peuvent se diviser en trois catégories principales,,
au point de vue ethnique.
1^ Les Hadar (au sing. masc. liadri ; on trouve aussi le pluriel hadriyîn) ou
« citadins » qui sont des Berbères arabisés, c'est-à-dire plus ou moins mélangés de
sang arabe.
Les Hadar habitent les quartiers Nord-Est et Est de la ville (fig. 2). Ce sont
eux que les géographes appellent les Maures. Us sont le produit des croisements
successifs de l'élément berbère autochtone avec les divers conquérants qui se sont
succédés dans TAfrique septentrionale. Ce n'est pa& dans les plaines de Tell, et
p. 202.] • R • E • E • S • [1908.
encore moins dans les villes, qu'il faut chercher des représentants du pur sang
arabe ou berbère ! Aussi bien ne doit*on pas se risquer à affirmer, comme certains
ont cru pouvoir le faire, qu^on trouve à Tlemcen des Arabes ou des Berbères de
pure race. Il est bien plus probable au contraire, que Berbères et Arabes réunis ici,
depuis bientôt treize siècles, par une commune religion, Tlslàm, ont contracté
entre eux des unions continuelles. Dans les Hadar de Tlemcen il faut voir surtout
le produit du croisement de ces deux peuples. L'influence berbère domine ; on la
retrouve non seulement dans le type ethnique des individus, mais encore dans le
dialecte arabe qulls parlent, ainsi que dans les croyances et les mœurs populaires.
Parmi les Hadar tlemceniens se trouvent les descendants de nombreux Maures
andalous, qui abandonnèrent la péninsule ibérique aux XIV* et XV* siècles pour
venir se fixer dans la capitale des Béni Zeïyàn. Ce sont ceux-là qui ont dû importer
à Tlemcen et dans l'Afrique septentrionale ces chants grenadins dont résonnent
encore les cafés maures et que Ton nomme r'arnata (nom de Grenade) à cause de
leur origine.
2® Les Koulouglis (prononcé qprour'li au sing, et qprour^lân ou qprour'liyîn^
au pluriel) sont le produit du croisement des Turcs avec les femmes indigènes. Us
sont généralement blancs de peau, leqr teint est coloré, leur figure ronde et
pleine ; ils ont souvent les yeux bleus ou clairs et les cheveux châtains ou blonds.
Leur physionomie est ouverte et intelligente.
Le quartier qu'habitent les Koulouglis est situé à TOuest et au Sud-Ouest de
la ville. Quelques-uns demeurent aussi dans la partie Sud-Est de Tlemcen et dans
les jardins autour de la ville.
Hadar et Koulouglis n'ont jamais vécu en bonne intelligence. Au moment de la
conquête française ils étaient en guerre ouverte les uns avec les autres et les
Koulouglis se sont mis aussitôt du côté des Français. Aujourd'hui, grâce à Tautorité
de l'administration française et à son rôle pacificateur, les deux clans vivent en
assez bons rapports Tun avec Tautre ; mais une inimitié latente existe encore
cependant entre les membres d'un çof et ceux de l'autre. Koulouglis et Hadar
habitent comme on l'a vu des quartiers distincts (à de bien rares exceptions près) ;
ils se fréquentent assez peu et s'unissent très rarement par le mariage.
Les Hadar disent volontiers : « Les Koulouglis sont vêtus de cabans ; ils portent
« des souliers bien cirés ; mais il n'est parmi eux ni chérif, ni marabout I s
Ou bien encore : « Les Koulouglis sont une race de mulets, la géhenne leur est
réservée 1 »
Et aussi : « Les Koulouglis sont des esclaves et les Hadar leurs Seigneurs, s
De leur côté, les Koulouglis, pour ne pas rester en retard, ont décoché aux
Hadar quelques dictons satiriques dans le genre de celui-ci : « Les Koulouglis,
« ô Madame, quels beaux noms^ ils ont ! leur nuque est blanche comme l'albâtre ;
« ils portent des turbans enroulés I Les Hadar, ô Madame, quels vilains noms sont
« les leurs I leur nuque est de la couleur des sauterelles ; ils portent des haillons
« méprisables. »
S'' Les Nègres^ qui viennent en général du Touat et du Soudan, ne sont pas
nombreux à Tlemcen et s'emploient surtout au service des musulmans aisés. Tous
^ On sait que le nom de rindividu joue un rôle important dans les croyances populaires des
peuples barbares ; il en va encore ainsi pour les musulmans de l'Afrique septentrionale. Sur le
pouToir magique du nom on peut consulter par exemple Fkazbr, Rameau d*or, trad. fr. I. 369»
372 et pass. (Paris, 1903) et DouttA, Merrahech, 1«' fasc. Paris 1905, p. 342 et suiv.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P, 203.
parlent Tarabe, mais dans tears fêtes religieuses, ils font encore usage de dialectes
soudanais, que les musulmans blancs nomment ^t«enaouî^a(guinéen). Leur religion
est la religion musulmane fortement imprégnée de croyances païennes qui s'expri*
ment par des rites magiques très anciens et plus ou moins influencés par Tlslâm.
Les Nègres ont conservé encore vivace le souvenir de leur ancienne situation
d'esclaves. Beaucoup se considèrent comme une marchandise humaine et non
comme des hommes libres. C'est ainsi du reste quMls sont encore traités au Maroc.
Aussi bien le musulman blanc nomme- t-il le nègre 'abd^ c'est à dire « esclave »
tandis que celui-ci ne Tappelle que sidi « monseigneur ».
A Tlemcen les nègres recherchent très peu Tinstruction aussi bien musulmane
que française ; il est très rare qu'ils envoient leurs enfants dans les écoles.
Les Mozabites, si nombreux dans la plupart des villes de TAIgérie, n'ont à
Tlemcen aucun représentant.
IL
La vie religieuse.
Tlemcen passe pour être encore aujourd'hui l'un des principaux foyers
d'orthodoxie musulmane de l'Algérie. Cette orthodoxie se traduit par une observance
assez stricte des cérémonies du culte et du rituel musulman. Mais l'LsIâm est ici
— comme dans toute l'Afrique septentrionale — dans toutes les classes de la société,
surtout chez les femmes et les gens du peuple, très imprégné de magie et de
sorcellerie et de croyances animistes.
A) L^Islâm orthodoxe. — Si la foi musulmane est ici très vivace — beaucoup
plus certes que chez les populations des villes du littoral ou chez les ruraux qui
ignorent la loi religieuse et ne pratiquent guère avec exactitude que le jeûne de
ramadan — cette foi sincère n'exclut pas une certaine tolérance dans les rapports
avec les non-musulmans. Toutefois les musulmans de Tlemcen ne permettraient
pas à un de leurs coreligionnaires de se mettre ostensiblement en opposition avec
sa loi religieuse ; par exemple, un musulman qui romprait publiquement dans la
journée le jeûne de ramadan serait maltraité, je l'ai constaté déjà de mes propres
yeux. Le musulman qui ne suit pas strictement les prescriptions de l'Islam est ici
médiocrement considéré, et si ses coreligionnaires lui font parfois bonne figure,
c'est par prudence ou parce qu'ils ont besoin de lui, mais au fond ils le méprisent
comme un renégat.
Une semblable intransigeance religieuse se retrouvait, il n'y a pas si longtemps,
dans la société catholique française ; et des catholiques, assez peu convaincus,
allaient encore, il y a peu d'années, assister aux offices religieux pour ne pas
tomber dans le mépris public.
Les cérémonies publiques de la religion orthodoxe sont à Tlemcen, comme
dans toute l'Algérie, le monopole presque exclusif des hommes. Bien rares sont les
quelques vieilles femmes qui vont, à la mosquée, faire la prière du vendredi et des
jours de fête ; les jeunes femmes n'y sont pas admises. La religion de la femme se
réduit en général au culte des saints et à la croyance naïve aux esprits malfaisants
dont elle se protège par des rites magiques.
Les fonctionnaires du culte, à la tête desquels setrouve le Mufti, sont attachés
aux nombreux mosquées et oratoires de Tlemcen et des environs. Deux mosquées-
cathédrales se trouvent dans la ville, l'une, la Grande Mosquée, est fréquentée par
p. 204.] • li • E • E • S • [1908*
les Hadar, l'autre la Mosquée de Sidi-Brahim, reçoit surtout les Koulouglis. Beau-
coup de Tlemceoiens vont aussi faire la grande prière du veudredi à la Mosquée de
Sidi Bou Medièn à El-Eubbâd.
L'éducation religieuse est dounée dans la famille par les parents — le père
surtout — à leurs enfants. On se borne à apprendre à Tenfant à faire les ablutions
rituelles et les prières. Lorsque le fils atteint Tage de 7 ans, le père Tinvite, mais
sans l'y forcer, à faire les prières quotidiennes, mais ce n'est en réalité que vers
rage de douze à treize ans que le fils est astreint à prier ; il y a d'ailleurs bien des
parents qui s'en désintéressent. Pour le jeûne de ramadan, les parents se montrent
très exigeants vis-à-vis de leurs enfants. Aussi n'est-il pas rare de voir ici des
bambins de dix ans jeûner comme père et mère pendant le mois de ramadan ; c'est
contraire à la loi musulmane qui n'oblige au jeûne que l'enfant pubère.
Tout l'enseignement religieux se réduit donc à la connaissance sommaire du
rituel musulman.
L'enseignement du Coran, que relativement peu d'enfants reçoivent, se donne
dans plusieui*s écoles à TIemcen. Gomme partout ailleurs, cet enseignement,
encombré de cérémonies magiques ayant pour but de faciliter la mémoire de
l'étudiant, consiste, de la part de l'instituteur, à taire apprendre de mémoire et
sans les comprendre les sourates du Coran.
La prière à la mosquée est beaucoup plus une question de forme qu'un acte
de foi. Le fidèle doit avoir soin d'observer aussi exactement que possible le rituel
prescrit : il ne saurait être en état d'impureté légale, et doit même choisir l'emplace-
ment qu'il occupe à la mosquée. 11 ne faudrait pas, par exemple, croit-on, que
l'imam soit célibataire, la prière, faite sous sa direction, n'aurait aucune valeur ;
certains évitent aussi de se trouver à prier devant un boucher, car la prière ainsi
faite ne serait pas agréée par Allah.
Un grand nombre de Tlemceniens sont afiiliés aux confréries religieuses. Parmi
celles qui comptent le plus d'adeptes, on citera les confréries des Qadriyîn (7 moqad-
dems et 2 zaouïas), des Tayyebiyin, des Aïssâoua, des Derqaoua, des Kerzâziya,
dos Tidjâniya. Les femmes y sont également affiliées, mais elles tiennent leurs
réunions séparées des hommes, et ont à leur'tête une moqaddema, qui est d'ordinaire
la femme du moqaddem de la confrérie. Les confréries religieuses à TIemcen et les
réunions qu'elles donnent n'offrent rien de particulier ; elles ont les mêmes rites,
les mêmes récitations pieuses, les mêmes danses que les sections des mêmes ordres,
dans les autres villes maghribines.
Malgré la grande place que la religion orthodoxe occupe dans l'existence du
TIemcenien, on est surpris qu'elle soit si peu étudiée. C'est peut-être ce qui fait
que le musulman, ignorant en général tout ce qui constitue la partie dogmatique et
morale de sa religion, la rabaisse à la valeur d'une formule ou d'un rite.
Dieu est Un et Tout-Puissant, Mohammed est Son Prophète, le Coran est Sa
Parole, voilà ce que doit savoir tout musulman ; c'est aussi, à peu près, ce que
contient la profession de foi musulmane. On le ressasse à l'enfant dès son plus bas
âge. Il suffira pour mériter le ciel de suivre ponctuellement les - prescriptions
rituelles, qui, avec la profession de foi, forment les bases et les piliers de la religion.
On le méritera plus sûrement encore par des prières surérogatoires, des jeûnes
fréquents, un ascétisme austère. C'est pourquoi, la plupart des vieillards, préparent
avec soin leur vie future par un redoublement d'ardeur à prier, à jeûner, à réciter
des oraisons.
Les fêtes orthodoxes de l'Islam ont lieu à TIemcen en grande pompe. Elles se
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE< TLEMCEN. [P. SOÇ»
traduisent, en général, en dehors des cérémonies obligatoires, par des distributions
de vivres aux pauvres par les musulmans aisés. Ces fêtes étant ici très entachées de
fétichisme et de croyances animistes, on en parlera plus loin.
B) Croyances et superstitions étrangères à i^Islâm. — L'Islam orthodoxe
n'est pas encore parvenu, à Tlemcen, à détrôner à son profit et à anéantir les
anciennes croyances primitives et les vieux rites païens. Dans toutes les classes de
la société, les musulmans sont demeurés fidèles aux vieux cultes et aux antiques
croyances de leurs ancêtres. Ces cultes, ces usages pieux sont quelquefois à peine
islamisés, d'autres fois ils se sont conservés intacts, et malgré Tinterdiction formelle
qu'en a proclamé Tlslâm. Dans le peuple, pour les femmes et les enfants surtout, la
véritable divinité est le marabout dont on peut toucher le sanctuaire et auquel ou
peut parler, sacrifier des victimes, brûler des parfums. D'ailleurs si le marabout
est d'ordinaire représenté par le tombeau d'un prétendu saint homme, aux cendres
duquel on adresse ses prières (fig. 3) souvent aussi l'objet du culte consiste dans ua
corps quelconque (pierre, arbre, source, etc.). On citera seulement ici, à titre
d'exemple, un caroubier — auquel on donne la vague nom de Rjâl el-Kherrauba —
sur le chemin d'El-Eubbâd, au pied duquel on dépose de petits cailloux et l'on
brûle de l'encens ; des chiffons sont attachés aux branches de l'arbre par les fidèles.
Près de Tlemcen, sur le plateau de Lalla Setti, se trouve la source de Fawwâra que
les musulmans du voisinage vénèrent sous le nom de Sidi Ras eU Aïn et où l'on
brûle de l'encens. Pour certains, sans doute, le saint est considéré comme un puis-
sant intercesseur auprès de Dieu — comme dans la religion catholique — mais
pour la masse du peuple, pour le cerveau borné, qui a besoin de se représenter la
divinité sous une forme concrète, pour celui qui veut voir et toucher son dieu, le
saint constitue la vraie divinité ; on lui rend un culte, on la prie, on l'implore, on
lui fait des sacrifices de victimes.
D'une manière générale, pour le Maghrib, le « maraboutisme » et les mani-
festations auxquelles il donne lieu a été exposé dans une remarquable étude, très
claire et très substantielle, de M. E. Doutté. Nous ne saurions mieux faire que de
renvoyer à ce beau travail quiconque voudra se documenter sérieusement sur la
question^.
Le culte des saints à Tlemcen ne diffère pas au fond de celui auquel se livrent
avec une foi si ardente tous les musulmans du Maghrib.
On remarquera cependant que sous le rapport des saints, Tlemcen jouit d^une
faveur toute spéciale. C'est par centaines qu'on pourrait compter les tombeaux
sacrés do marabouts, tant à Tlemcen que dans la banlieue.
Actuellement on ne pourrait citer, dans la région de Tlemcen, aucune famille
maraboutique et aucun saint vivant, jouissant d'une réelle influence et d'une
renommée de sainteté et de puissance*. Un marabout célèbre dans le pays tlemce-
nien. Si Mohammed Bou Sif, vivait encore à Beni-Saf il y a environ trois ans ; il
jouissait d'une grande réputation à Tlemcen et dans tout l'arrondissement ; son
' Noies sur Vlslâm maghribin : Les marabouts^ extrait de la Revue de THist. des Helig. tom.
XL et XLI (Paris, 1900) ; voir aussi E. Doutté, L'Islam algérien en Van i900 (Alger, 1 vol. in-8),
chapitres V et IX.
Une excellente étude d'ensemble sur le culte des saints dans llslâm est celle de M. I. Goldziher,
Die Heiligenverehrung im Islam dans ses Muhammedan. Studien, {2 vol. in-8, Halle, 1890)
t. n. p. 275 à 378.
- * On ne saurait citer ici aucune famille dans le genre de la maison d'Ouazzân par exemple, et
aucun puissant marabout comparable À Sid Ahmed« ben Tekkouk de Mostaganem.
p. 206.] • R • E • E • S • [1908.
tombeau est aujourd'hui uo lieu de pèlerinage, mais le moqaddem qui a remplacé
Bou Sîf est loiu de jouir du crédit du marabout défunt. Les quelques familles
maraboutiques de Tlemceo et des eovirons sont respectées sans doute, mais aucune
ne jouit d'une vénération bien remarquable^.
Ici comme ailleurs , les moqaddems (gardiens) des tombeaux de saints
tlemcenieos ont hérité d'une partie de la vénération accordée au marabout ; ils sont
les intercesseurs souvent indispensables entre le fidèle et le saint, et interprètent
d'ordinaire les volontés du marabout qu'ils représentent.
Peu de tombeaux de marabouts ont ici un moqaddem résidant à côté du
sanctuaire ; la plupart de ces moqaddems demeurent dans la ville et se rendent au
tombeau du saint qu'ils représentent, aux jours de visite des fidèles. Lorsqu'une
victime est offerte par un fidèle à un saint, c'est le moqaddem qui Tégorge ; il reçoit
pour sa part, la tète et les pattes, la peau et les viscères, ainsi qu'un quartier de la
viande^. Si la victime n'est qu'un coq ou une poule, le moqaddem reçoit dix
centimes. Les moqaddems des santuaires les plus importants sont aujourd'hui
nommés par l'administration française sur la proposition du mufti. La fonction de
moqaddem est honorifique et souvent lucrative.
Pour le Tlemcenien, le monde est peuplé d'êtres invisibles, mais qui peuvent
cependant prendre des formes définies, même la forme humaine^. Ces êtres sont les
djinns {djinn et au pluriel djenaûn). La croyance aux djinns est du reste admise par
rislâm orthodoxe. Ces génies sont des êtres souvent dangereux. U faut se concilier
leur bienveillance ou les écarter de sa personne ou de sa maison si l'on veut éviter de
graves malheurs. De là de nombreux rites magiques, des sacrifices spéciaux, des
formules particulières, le tout destiné à chasser ou à se rendre favorables ces
esprits. Le Tlemcenien se gardera bien de prononcer même le nom,c^'mn on djenaûn,
de ces êtres redoutables ; il les appelle hadouk en-nâs « ces gens-là » ou ehmaume-
nîn, el-moslimînf « les croyants n, « les musulmans ». Des formules musulmanes
appropriées aux circonstances, des versets du Coran, des invocations à ÂUah,
servent à éloigner les djinns, de même que chez les catholiques un signe de croix,
un recours en Dieu, suffit pour se protéger des atteintes de Satan.
Les hagiographes nous apprennent que tel ou tel savant et saint professeur
avait lo don d'enseigner la science religieuse aux hommes et aux djinns en même
temps. Sidi Ya'qoub, dont le tombeau est près de Tlemcen, était, nous disent-ils,
de ce nombre. Go cite couramment aujourd'hui à Tlemcen le cas d'un musulman,
mort il y a quelques mois, qui outre sa femme légitime avait aussi pour épouse une
djinniyîa (djinn du sexe féminin).
La magie est aussi à Tlemcen très en vogue. Nos musulmans en sont encore à
cet âge de la crédulité humaine où la magie vit en bonne harmonie avec la religion.
Ce que l'on ne peut obtenir par la religion en s'adressant à Dieu, on tente de
^ Il faut faire toutefois une exception en faveur des familles maraboutiques du village de Arn
el-Hout (à quelques kilomètres au nord de Tlemcen) qui descendent d'un certain cherif nommé
Abdallah ben Mançoùr (f en 890 Hég.). Les descendants actuels de ce saint reçoivent des offrandes
pieuses de plusieurs familles tlemceniennes et de quelques tribus de la région, notamment de la
fraction des Béni *Ad (pros d'Aïn Fezza, commune mixte de Sebdou).
' Le moqaddem de Sidi Bou Mediôn garde d'ordinaire pour lui la victime tout entière.
3 Ces êtres extraordinaires apparaissent généralement de nuit, mais il est des Tlemceniens qui
affirment avoir vu Tergou en plein Jour. Tergou est Tune des apparitions les plus communes à
Tlemcen et nombreux sont les Tlemceniens qui assurent Tavoir vu. Sur l'une de ces apparitions
cf. Marçais, Le dialecte arahe^ p. 254 et suiv.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 207*
Tobteair par la magie, en forçant la nature ou les esprit», par des rites spéciaux
qui provoquent l'effet attendu. La croyance au pouvoir des amulettes et des sorciers
est géoérale^. Chacun croit aussi à la réalité des apparitions qui surviennent dans
les songes.
Les remarques que Ton vient de faire sur les habitudes religieuses des Tlemce-
niens s'appliquent aussi bien à tous les musulmans de TAfrique septentrionale. Nous
verrons maintenant comment se manifestent, pour Tlemcen, ces croyances diverses,
dans les fêtes publiques et dans les principaux actes et cérémonies de la vie privée.
C) Les fêtes et cérémonies publiques. — On commencera par les fêtes de
rislâm, en ne signalant, dans les pratiques orthodoxes, que celles qui revêtent à
Tlemcen un caractère local qui les distingue du rituel musulman. On indiquera
surtout les croyances et coutumes locales relatives à ces fêtes.
1^ 'Achoûr (ou * Achoûra) tombe le 10 du mois de moharrem. Cette fête musul-
mane marque l'anniversaire de divers événements bibliques et de certains faits
mémorables de Tlslâm. A Tlemcen 1" Achoûr représente plus particulièrement pour le
peuple Tanoiversaire de la mort d'ËUHoçaïn fils d'Ali et de Fatima, par conséquent
petit-fils du Prophète, qui fut tué à la bataille de Kerbela 61 de Thégire). Pendant
le mois qui suit T' Achoûr, les chérifs (descendants du Prophète) devraient porter
le deuil, ne pas changer de vêtement, et ne se faire raser la barbe ni les cheveux ;
mais les chérifs de Tlemcen ne suivent plus guère cet usage. La loi musulmane
recommande au musulman d'abandonner le jour d'* Achoûr le dixième (el-*ochr) de
son bien aux pauvres. Dans la pratique, il n'en est rien. Le Tlemcenien fait bien ce
jour là des aumônes aux pauvres, mais la plus grande partie de l'argent dépensé
est consacrée par lui à acheter des cadeaux à sa femme et à ses enfants.
On choisit de préférence le jour d'*Achoûr pour la circoncision des enfants. Le
henné acheté ce jour-là est un véritable talisman ; il est précieusement conservé à
la maison et sert à soigner les malades dans le courant de l'année. C'est pourquoi
il se fait à Tlemcen, pour 1" Achoûr, un grand commerce de henné. On pourrait
rapprocher de ces croyances, celles qui s'attachent dans nos campagnes au rameau
béni pendant la messe du jour des Rameaux. Nombreux sont aussi chez nous les gens
qui croient que les plantes sauvages ramassées le jour de l'Ascension font des
tisanes merveilleuses pour guérir toutes sortes de maladies.
A Tlemcen, le jour d" Achoûr les forgerons distribuent gratuitement de petits
anneaux de cuivre. L'anneau acquis ce jour-là et que l'on met à son doigt, ou
l'anneau de pied, que l'on porte, protège également contre les atteintes de certaines
maladies^ surtout du ^ain.
Pendant toute la journée d" Achoûr, l'eau de Tlemcen jouit des mêmes
propriétés curatives que celle du saint puits de Zemzem, à La Mekke.
Voici encore quelques autres croyances relatives aux grâces attachées à
certaines actions faites par le tlemcenien le jour d^Achoûr^. Celui qui fait ses
ablutions ne tombe pas malade dans l'année ; celui qui se met du koheul (sulfure
1 £q ce qui concerne la croyance (i^ônôrale au mauvais œil {eî-^atn) et les procôdôs pour s'en
débarrasser, à Tlemcen, Je renvoie à ma note dans La Djàzya^ parue dans le Journal asiatique
1903, p. 359 et suiv. tir. & pt. p. 178 et suiv.
2 On croit par exemple, que l'anneau de cuivre mis ce Jour-là au petit doigt de la main droite
protège contre les maladies des doigts.
3 Quelques unes de ces actions recommandées pour le Jour d'Achoûr figurent au nombre des
doute actions que conseillent de faire pour l'Achour certains commentateurs de Mohhtaçar
de Khelil (Cf. Second sixième du commentaire deKhirchi, publié à Fâs» 1285 de TH., page 80.)
p. 208.] • R • E •_£ • S • [1908.
d'aotimoine) aux yeux, n'aura pas de maux d'yeux durant l'année ; celui qui prend
en pitié un orphelin en demandant que Dieu l'assiste, en retirera une grande
récompense ; celui qui jeûne ce jour-là, jouira des mêmes grâces que s'il avait
jeûné pendant un mois ; celui qui fait une aumône, c'est comme s'il avait
fait une aumône sept cents fois plus importante. La partie ensanglantée de la chemise
de Tenfant circoncis le jour d'' Achoûr est précieusement conservée par les parents ;
c'est un talisman qui met à Tabri de toute condamnation en justice.
Le jour d^'Achoûr est ici considéré comme étant le premier jour de Tannée.
2^ Le Moâled (maûlidun-nabî^ anniversaire de la naissance du Prophète)
tombe chaque année le 12 du mois de rabi'-el-aouel. Les pauvres reçoivent à cette
occasion des vivres et des aumônes.
Le jour du Moûled, chaque fiancé doit envoyer à sa fiancée des cadeaux
consistant en quelques pièces d'or ou un vêtement, une pièce montée faite de pâte
sucrée (fanîd) en forme de candélabre et une ou deux douzaines de petites bougies
en cire coloriée. La pièce de biscuit est ofiPerte avec un joli foulard neuf en soie de
couleur (tnendil) qui la recouvre.
Le Moûled est surtout la fête des enfants, qui, vêtus de beaux habits neufs,
parcourent les rues, lancent des pétards, pour « faire parler la poudre » et chantent
des couplets dans le genre du suivant : « Ah ! Mouloûd, Mouloûd I c'est la naissance
du Prophète I Et les anges dans les cieux se réjouissent de la naissance du Prophète !
ô Aïcha I ne dors pas, cette nuit va naître le Prophète, ainsi que la Planche (divine),
le Livre (Coran), la Nouvelle Ecriture, ô Madame I ... etc.... »
Les zaouïas (loges) des confréries religieuses sont ouvertes toute la nuit au
public ; on y mange et Ton y entend de la musique. Le lendemain, les fillettes,
parées de leurs riches costumes, de colliers de pièces d'or (ou de cuivre pour les
pauvres), de bijoux, se promènent en ville et se font admirer ; elles recommencent
le septième jour qui est appelé jour de ichouïcha. Le huitième jour enfin, les enfants
vont se promener, à pied et en voiture, sur le chemin de TIemcen à EUEubbâd,
tandis que les membres des confréries religieuses, montent, bannières déployées et
musique en tête, en pèlerinage au tombeau de Sidi Bou Medièn, le saint patron de
TIemcen (fig. 4 et 5).
Cette fête était célébrée en grande pompe à TIemcen au temps de ses rois.
Des festins, des fêtes musicales réunissaient au palais du Sultan un très nombreux
public, et des poètes déclamaient de longues pièces de vers de leur composition,
en l'honneur du Prophète^.
3^ L"aïd eç-çrHr « la petite fête », qui est V'aid el-Fitr « fête de la rupture du
jeûne » de la loi musulmane, est celle qui marque la fin du mois de ramadan.
A TIemcen elle dure trois jours. La veille de la fête, annoncée par le crieur public,
par ordre du cadi, après le coucher du soleil, chaque chef de famille distribue aux
pauvres, conformément à la prescription canonique, quatre modd en-nebî (de la
capacité d'environ un demi litre pour chaque modd) de blé ou d'orge, par tête de
personne que compte sa famille. Celui qui, au jour de la fête, n'est pas en état de
donner, mesure la quantité de sable qu'il devrait donner en blé ou en orge, et
la met de côté pour distribuer aux pauvres l'équivalent en blé ou en orge dès qu'il
a les moyens de le faire.
Le premier jour de la fête commence par une grande prière publique avec
^ Sur la fête du Moûled et les côrômonies de la naissance chez les tlemceDiens, voyez
W. Marçais, Le dialecte arabe parlé à TIemcen^ 1 vol. in-8» Paris, 1902, p. 274 à 281.
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1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 209*
^ermoD, vers hait heures du matin. Cette prière doit avoir lieu, selon la loi musul-
mane, dans un endroit découvert (appelé Moçalla) en dehors de la ville ; mais à
Tlemcen elle se fait à la mosquée
Pendant les trois jours de T' aïd, la plupart des musulmans tlemceniens chôment ;
tous, en costume de fête, se promènent, flânent, et font des visites à leurs parents^
et amis. On s'aborde alors en se disant : « Que votre fête soit bénie I » la réponse
<est généralement : « Mon Dieu, accordez-nous à tous votre pardon ! » Les femmes
font des pâtisseries que Ton offre aux visiteurs.
Le second jour de la fête, vers dix heures du matin, les enfants vont jouer sur
le chemin d'£l-Eubbâd, et ceux d'entre eux qui ont quelques sous en poche se
paient des sucreries et se font traîner dans des voitures de place, qui vont et viennent
le long du cimetière musulman. Ce jour là, les confréries religieuses se rendent en
pèlerinage au tombeau de Sidi Bou Medièn (fig. 6).
Le 3** jour de la fête, les mêmes confréries religieuses, surtout celles des
Aïssâoua, des Tayyebiyîn, et les Nègres, vont visiter les tombeaux des marabouts
d'Aïn el-Hoût, petit village indigène à quelques kilomètres au Nord de Tlemcen
{tig. 7). Une foule de musulmans et d'enfants les y accompagne et Ton ne remonte à
Tlemcen que le soir^.
4"" VAïd el'kebîr^ « la grande fête », est la fête des sacrifices ; elle tombe le
10 du mois de dzou-1-hijja (mois du pèlerinage) et dure trois jours. La veille même
{jour de ' Arafa) est fête chômée à Tlemcen. Le premier jour vers huit heures du
matin a lieu la prière de la fête à la Mosquée, comme pour TAïd eç-çr'îr. A Tissue
de la prière, le mufti égorge un mouton sur le seuil de la mosquée ; c'est le signal
du commencement des sacrifices.
Chacun des fidèles rentre chez lui pour y égorger le mouton du sacrifice rituel
orthodoxe.
Le sang de la victime est recueilli dans un plat où Ton a eu soin de mettre
quelques morceaux de sel grossier et deux ou trois tiges de thym. Il est de vieilles
Tlemceniennes qui savent tirer des augures de Texamen de ce sang coagulé. Eu tous
cas, si le lendemain le sang laissé dans le plat s'est recouvert de goutelettes d'eau,
on peut être certain que Tannée sera pluvieuse. Lorsque le sang du sacrifice de
T'aïd est desséché, on le conserve précieusement à la maison, car il est employé
à divers usages et sert notamment à calmer les grands vents^.
On garde avec soin aussi le gros intestin du mouton, après Tavoir fait sécher au
soleil, car des fumigations faites avec un morceau de cet intestin jeté sur les charbons
d'un brasero sont un remède infaillible contre les vertiges et les lourdeurs de tête.
Certains Tlemceniens savent aussi tirer des augures de Texamen de Tomoplate
du mouton sacrifié.
Si le chef de famille possède un jardiu, un verger, il ne manquera pas de
suspendre les cornes du mouton de Taïd aux arbres de sa propriété ; cette mesure
assurera une bonne récolte de fruits.
^ Pour la fête qui suit immédiatement le mariage d'une Jeune fille les parents mâles dô celle-ci
«6 réunissent chez elle« Quand ils y sont tous, la jeune femme vient les voir ; la figure recouverte
entièrement d'un voile de soie, elle embrasse successivement la täte de chacun d'eux. Chacun de
ceux-ci lui &it cadeau de quelques pièces de monnaie.
' Sur ces processions à Sidi Bou Mediôn et à Aïn el-Hoùt et surtout pour les scènes des ÂïsBa-
oua, voir Ë. Doutté, Les Aïssaoûa à Tlemcen, Chalons s. M., Martin, 1900, 1 broch. de 32 p.
' Sur la divination par le sang, l'omoplate et sur certaines coutumes relatives à cette fête ches
les Rahâmna marocains, voir les détails donnés par B. Doutt6, Merràhech^ Paris 1905, fasc. I
du T. I, p. 368, 369.
p. 210.] . ß • ja • E • b • [i9oa*
Le moutoQ sacrifié pour l"Aïd el-kebtr ne doit être ni borgne, ni aveugle, ni
boiteux, ni avoir, en un mot, aucun défaut apparent. 11 doit être mangé tout entier
par les personnes composant la famille ; et Ton ne doit ni en donner, ni en vendre.
La peau elle-même doit être conservée dans la maison. Une pièce de ce mouton,
comprepant la queue et les reins, est salée et séchée, pour n'être mangée qu'au jour
de TÂcboûr. Le jour d'Achoûr, le chef de famille découpe cette pièce de viande,
préalablement cuite avec du « kouskous » ; il distribue les morceaux ainsi obtenu»
à raison de un par individu que compte de la famille, y compris les chiens et lea
chats de la maison, et garde pour lui-même la queue que nul autre ne doit manger
que lui.
A côté de ces grandes fêtes d'origine musulmane, il en est d'autres, moina
importantes et qui n'ont pas toutes par leur origine, pas plus que par les croyances
et les rites qui s'y rattachent, un caractère de pure orthodoxie. Ce sont les NefqaSy
dont quelques-unes sont recommandées par la tradition islamique, et dont les près*
criptions sont marquées par les commentateurs du droit canonique par les mots :
A Tlemcen, le soir de la nefqa (annoncée la veille par le cadi), a lieu un repas
avec de la viande. Ce soir là, le chef de famille doit distribuer de la viande et de
la nourriture aux pauvres de son voisinage. Pour que les grâces attachées au jour
de la nefqa soient encore plus nombreuses, le TIemcenien complète souvent cette
fête par le jeûne strict de toute la journée, comme pour un jour de ramadan ; les
vieillards surtout, et les vieilles femmes — qui étant plus près que d'autres du tom-
beau, désirent se préparer une sainte mort — ne manquent pas de jeûner pour les
nefqas.
Les nefqas sont aussi à Tlemcen des fêtes en l'honneur des morts récents de la
famille. Ces jours là, les femmes vont au cimetière visiter la tombe des parents ;
elles reçoivent à la maison la visite des amies et parentes ; on pleure en commun
en retraçant les mérites des disparus, car on croit que ce jour-là Tâme du défunt
revient à la maison ; on fait aussi un repas en commun, sorte de repas funéraire
(comme aux 3® et 7* jours qui suivent l'enterrement). Chaque visiteuse doit appor--
ter avec elle un cadeau qui consiste dans un objet comestible. Il semble bien que
ce cadeau constitue la part contributive de chacun au repas funéraire, auquel doit
prendre part l'âme du défunt. Celui qui n'apporterait pas son offrande pourrait être
en butte à la colère de l'âme du mort. Et ce qui marque bien le caractère de cette
offrande, c'est la formule que chaque femme emploie en apportant son cadeao
•o^ J^ öAo fiJufc « ceci est une aumône pour (l'âme d') un tel ».
Les nefqas n'existent pas chez les musulmans ruraux, qui ne fêtent guère que
leurs saints locaux dans une grande réunion appelée tc^a' (2a ayant lieu généralement
une fois, quelquefois deux, par an. .
II y a douze nefqas par an à Tlemcen, soit :
Deux nefqas à l'occasion de l'Achoûr (le jour d'Achoûr et le lendemain). La
première est appelée nefqeirélrqqMîd^ « nefqa de la viande séchée », parce que
c'est ce jour-là que la famille mange la pièce du mouton de T'aïd'-el-kebir, desséchée
et conservée dans ce but (V. ^xx^vk^" Aïd eUTcehir), La seconde est Idknefqd-el^
kham^ parce que l'on mange de la viande fraîche.
Deux nefqas à l'occasion du Mouled (le 1' et 7® jour de la fête). Pendant la
nuit qui suit ces nefqas on allume quelques petits cierges dans la chambre princi-
pale et on les laisse brûler jusqu'au bout. Les enfants allument aussi des bougies
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 211»
«qu'ils portent sar des candélabres en bois ou en pâtisserie (tsriyia). On mange aussi
<:es jours- là des pâtisseries spéciales (fanid) en forme de pièces montées.
Deux nefqas ont lieu pendant le mois de redjeb (le 15 et le 27). Elles ont pour
4>ut, disent les TIemceniens, de se préparer pieusement au jeûne du mois sacré de
ramadan, qui lavera le musulman de ses péchés.
Deux nefqas ont lieu pendant le mois de cha*ban (le 15 et le 27). Elles ont le
même but que les précédentes. La nefqa du 27 de ce mois a ici une très grande
importance, car c'est à cette date que TArbre des destinées humaines, au Ciel, laisse
tomber des feuilles qui représentent autant de vies humaines ; les mortels dont la
me correspond à Tune des feuilles tombées mourront dans l'année. Pour savoir si
l'on est du nombre de ces derniers, il suffit, dans la nuit qui suit la nefqa, do se
placer entre la lumière d'un quinquet posé au milieu de la chambre et le mur ; si
la longueur de l'ombre projetée contre le mur est plus courte que la taille de l'ex-
périmentateur, c'est signe de mort.
C'est aussi dans cette nuit du 27 cha'bân que les djinns sont attachés par les
anges, pour un mois entier ; mais il ne faut pas néanmoins éveiller la colère de ces
mauvais esprits. Les TIemceniens y arrivent par des pratiques spéciales et des
sacrifices à certains marabouts locaux, chefs des djinns^.
Deux nefqas ont lieu pendant le mois de ramadan (le 16 et le 27). Celle du 27
^est la plus importante de toutes les nefqas fêtées à Tlemcen.
Deux nefqas enfin ont lieu à l'occasion de VEn-Naïr. L'En-Naïr est encore
une survivance d'une très ancienne fête dans l'Islam actuel. C'est l'anniversaire du
l' janvier (januarius) de l'année julienne. Célébré, avec des rites à peine différents,
par les musulmans de toute l'Afrique septentrionale, l'En-Naïr tombe à Tlemcen le
12 janvier (l' janvier de l'année julienne). C'est une fête agraire, pour les détails
de laquelle je renvoie à l'article de M. Destaing^, dans lequel on trouvera, en
notes, tous renseignoments utiles sur l'En-Naïr à Tlemcen.
Pour l'uno des deux nefqas de l'En-Naïr, à Tlemcen, on doit no manger que
des fruits, du pain, des œufs durs ; c'est la nefqei-èlrkermoûs^ « nefqa des figues ».
Ce jour-là, comme cadeau à sa future femme, le fiancé doit envoyer un iîfoûr
^petite table ronde et basse) chargé de figues, noix, dattes, grenades, amandes,
ceufs, petits pains, le tout recouvert d'un foulard de soie. Les parents de la fiancée
renvoient le tîfaûr couvert de beignets (sfendj) et un pot de miel.
Les TIemceniens ont encore quelques autres fêtes et cérémonies publiques aux*
quelles il n'est pas possible d'attribuer une origine musulmane, malgré les rares
formules islamiques et les quelques rites musulmans dont on a cru devoir les orner.
Nous citerons seulement les principales :
V La fête (oui Ad) de ch^hh Snoussi qui a lieu chaque année. Cette oua'da
•consiste en un repas commun, offert par les TIemceniens aux pauvres et aux étran-
gers, au cimetière musulman, dans le voisinage du tombeau du saint Cheikh Snoussi
(fig. 8). Le menu du repas se compose de kouskous et de viande de mouton. Cette
fête est un sacrifice pieux offert au saint marabout, pour obtenir de lui, ou par son
intermédiaire, que la pluie nécessaire aux récoltes ne vienne pas à manquer.
^ Pour ees rites et lacrifices, ainsi qae pour la nefqa du 27 ramadan, on pourra consulter les
renseignements fournis par M. Abd-bl-Aziz ZRNàOui, dans une note de son article intitulé Rédt
•en dialecte Uemcenien, in Joum. asiat., 1904 p. 101-102, et t. à pt., p. 61-62.
* E. Dbstaino, VEnnayer chez les Béni Snoiis^ dans la Retue afHcaine n<» 256 (l* trimestre
1905) p. 51 et suiv. — On lira aussi de fort intéressants détails sur VJnnàfr chei les Rabâmna
du Maroc dans l'ouvrage de M. E. Doorrâ, Merrakech, &sc. I» p. 373 et s.
p. 212.] • R • E • E • S • [^^^^*
L'époque de la fôte n'est pas fixe, mais c'est toujours en hiver, quand les céréales
sont en herbe.
2^ EIrLatîf ou Tolb elrLatîf (tolb eti^ou chez les ruraux) est une cérémonie,
ou plutôt une série de cérémonies, dont les rites ont pour but de provoquer la pluie
en temps de sécheresse. A Tlemcen, comme dans le reste de TAfrique septentrionale
et dans bien d'autres pays, ces cérémonies donnent surtout lieu à des manifestations
du culte des saints et à des rites magiques intéressants et bien éloignés de VIstisqa
de rJslam orthodoxe, qui en renferme cependant déjà une part appréciable'.
3" La ' Ancra qui correspond à nos « feux de la St- Jean » est la fête du solstice
d'été, comme TEn-Naïr représente la fête du solstice d'hiver. A Tlemcen pour la
Ancra, on brûle des sept plantes suivantes : rue, thym, graine de cerfeuil, camo-
mille, geranium, pouliot et mélisse, et l'on se livre à des cérémonies magiques que
Ton retrouve plus ou moins accentuées dans toute l'Afrique septentrionale*.
4® La Derdeba^^ fêtée par les nôtres tlemceniens, est encore ici une fête
agraire, qui a lieu chaque année, mais à date variable, généralement en été
(en 1907, la fête a eu lieu en septembre). Après avoir fait la quête en ville (fig. 9), la
confrérie des nègres (confrérie de Sidi Blâl) achète un taureau et, s'il y a assez d'ar-
gent, un bélier et un bouc. Le jour de la fête, le taureau, dont la tête et les cornes
ont été revêtues de brillantes étoffes, suivi du mouton et du bouc, est conduit pro-
cessionnellement et en musique (joueurs de qerqâhou et de tebel), auprès du tombeau
de Sidi Ya qoûb (à 1 km. à l'Est de Tlemcen) (fig. 10). On brûle du benjoin autour des
victimes avant de les sacrifier. Lorsque le taureau a la gorge coupée il est abandonné
et peut encore faire quelques pas ; selon qu'il fait plusieurs pas, peu ou pas du tout
l'année sera bonne, médiocre ou mauvaise. Il est des nègres qui boivent du sang
chaud du taureau, d'autres qui s'en mettent un peu sur le front, entre les deux sour-
cils, d'autres qui en conservent comme une panacée. A l'occasion de cette fête
beaucoup de musulmans viennent pour faire sacrifier des poules par le sacrificateur
nègre (qui dans cette circonstance est d'ordinaire le caïd des nègres) pour chaque
poule sacrifiée, le sacrificateur reçoit une pièce de 0,10 centimes. Les nègres seuls
et les musulmans qui sont affiliés à la confrérie de Sidi Blâl, doivent manger la
viande du taureau et des deux autres victimes ; tout autre croirait faire une faute
grave en en absorbant un morceau.
D) Les fêtes et les cérémonies privées. — On ne saurait prétendre, dans ce
court chapitre, vouloir étudier toutes les cérémonies qu'accomplit le Tlemcenien
pour se concilier les djinns et les marabouts ou pour se protéger, lui et les siens
contre leurs redoutables atteintes. On se bornera, pour cette fois, à indiquer les
principales circonstances dans lesquelles ont lieu ces rites et quels ils sont :
l® Naissance et rites relatifs à Venfant en bas-âge^. — Une femme mariée et qui
^ Pour ces cérômonies et pour TOuaMa de cheikh Snoussi, je renvoie à mon étude : Quelques
rites pour obtenir la pluie en temps de sécheresse^ Alger. Fontana, 1 brocb. in-8, 54 pp., p. 22
et suiv. ; Voyez aussi E. Doutté, Merrakech, fasc. I, p. 382 et suiv.
* Pour des détails sur la 'Ançra chez les Beni-Snous, à Tlemcen et en divers autres lieux du
département d'Oran, voir Destaing, Fêtes et coutumes saisonnières chez les Béni 8noiks
dans Revue africaine, n» 262, p. 261 et s. ; sur la 'Ancra chez les Raf^anma, voir Doutté, Mer-
rakech, I, 377 et suiv.
3 Sur les derdebars (sic) des nôgres voir Andrsws, Les fontaines des génies (Alger,. I903>
p. 20 et suiv.
^ Les usages relatifs à la naissance, à la circoncision, au mariage, au décès, à Tlemcen ont
été exposés au point de vue du caractère de certain« d'entre eux de mutualité obligatoire, par
M. Abou Bekr, Usages de droit coutumitr dans la .région de Tlemcen, Tlemcen 1906, 1 broch»
in-8, p. 91 et suivantes.
1908«] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 213^
n'a pas d'enfant fait tous ses efforts pour devenir mère. Elle s'adresse à certaines
ibibas « femmes- médecins » qui ont le secret de mixtures souveraines contre la
^stérilité. La tbiba prépare la mixture que la patiente avale ou qu'elle se place dans
le vagin. Le remède magique, ordinairement employé pour cette dernière opération,
consiste en une pâte formée de djaûea daqqa {espèce de poivre),nä6^a( mélisse) ,^iyoti
^mentha pulegium), et cervelle de chameau ; le tout bien pilé est mélangé avec un
peu d'eau de lavande (ater) et du beurre fondu, vieux de trois ans. La pâte ainsi
faite est enfermée dans un petit sachet de laine que l'on place ensuite dans l'endroit
indiqué ci-dessus. L'opération doit recommencer plusieurs jours de suite. D'ailleurs
«ne femme saura si elle doit avoir des enfants en se mettant dans le vagin une
tète d'ail chaude et légèrement écrasée ; si Todeur de l'ail se répand à ce moment
par sa bouche, c'est un indice certain qu'elle ne sera pas stérile.
Un bon remède contre la stérilité consiste dans certaines formules écrites
•(avec du çmaq ou de l'eau de safran) ; les caractères d'écriture ainsi tracés sont
lavés avec de l'eau que doit boire ensuite la femme (ou quelquefois le mari). Le
(aleb qui a fait ce remède ne reçoit le prix convenu que si l'opération a produit
l'effet désiré.
Un autre moyen consiste à consulter une gu^zzàna (chiromancienne) qui
indique à la femme le marabout auquel elle doit adresser ses prières. La femme
^oit aller visiter ce marabout un certain jour de la semaine, pendant sept semaines
de suite ; elle doit en outre faire sa visite avant le lever du soleil, parce que l'âme
•du marabout rentre dans le tombeau lorsque le jour arrive.
a) Grossesse, L'enfant est un être faible qui offre une proie facile aux mau-
irais esprits ; il faut le protéger, alors même qu'il est encore dans le sein de sa
mère. Les pratiques auxquelles doit s'astreindre la mère (et même aussi le père)
ont lieu généralement pendant le V mois de la grossesse, elles ont toutes un carac-
tère magique. Nous citerons seulement les suivantes : Pendant le V mois de la
grossesse, la mère va cueillir 7 feuilles d'un certain laurier-rose et d'une certaine
façon ; elle les conserve à la maison, les pile et les mélange avec un peu d'huile.
L'onguent ainsi obtenu sert à enduire le corps du nouveau-né et le protégera contre
les mauvaises influences.
Une poule noire achetée par la mère (le V mois) est élevée à la maison jusqu'au
Jour de l'accouchement et mangée alors par la mère d'une certaine façon. Si la
poule a abandonné la maison avant la naissance de l'enfant, elle a emporté avec elle
les esprits malins qui menaçaient l'enfant ; c'est pourquoi parfois cette poule après
être restée quelque temps à la maison est emportée par une vieille femme qui la
lâche dans le quartier juif.
Un oignon acheté par la mère et jeté par elle dans le quartier juif, après
qu'elle y a piqué 101 grains d'orge, produit le même effet.
Il est intéressant de noter que ces objets, dont la mère s'est servie pour un
i^harme de ce genre, deyiennent pour elle taboues ; elle ne devra plus en acheter
avec son argent, mais les faire acheter, si elle en a besoin, par d'autres personnes^.
b) Accouchement. La malade est généralement assise par terre sur le fond
d'un grand plat à kouskous retourné. L'accoucheuse (qâbla) est aidée par une
^ On trouvera des détails sur ces eoatumes tlemceniennesy daDs rartiele de M. àbou-Bbrr»
Za Tebia ou Mauvais génies ravisseurs d'enfants en bas ùge (dans le Bulk de la Soc, de Géog»
dOran, t. XXV, fasc. CIV, 1905).
p. 214.] • R • E • E • S • [1908..
auxiliaire (cheddâda) qui soutient la malade par les épaules. Pour faciliter l'opé-
ration, la qâbla chante s^v*3^ a^^ ^ \^^ s-iW^J^ \t Ä^US\ « Anges, ô mes amis t
montrez-moi la figure de l'absent I » et la Cheddâda répond Sjjü^ ^ SjljüV} Sjuü\
aU^ \2 Sjjü\ iSjb uté.j\ dU\ juL£ (^ a Souffrance sur souffrance ; mais la souffrance vient
de Dieu I soulage cette souffrance ô mon Dieu I ».
On a eu soin dans la maison pour rendre l'accouchement plus facile, d'ouvrir
portes et fenêtres, cadenas et serrures. Ce rite de magie sympathique est répanda
chei beaucoup de primitifs^.
Pour faciliter l'accouchement, le mari doit se laver les doigts du pied droit et
faire boire cette eau à sa femme.
La délivrance (ster) et le cordon ombilical sont de vrais talismans. Le père
garde soigneusement la délivrance, qui a été séchée au soleil ; c'est un porte-bon-
heur. La mère conserve le morceau du cordon ombilical, resté adhérent à l'enfant^
qui tombe de lui-même avant le 7* jour ; elle s'en sert comme d'un puissant remède
pour guérir son enfant du rhume de poitrine (en le lui attachant en guise d'amulette
sur la poitrine quand l'enfant est enrhumé) et des maux d'yeux (en le passant légè-
rement sur les paupières de l'enfant, après l'avoir préalablement amolli en le trem-
pant dans l'eau tiède). La sage-femme enterre secrètement la partie du placenta
qui n'est rejetée qu'en dernier lieu par la mère (kholâç).
La naissance d'un garçon est accueillie par des cris joyeux (sept youyous)
poussés par les femmes, tandis que la naissance d'une fille ne donne lieu à aucun
cri de joie.
Le jour de la naissance on offre, à tous les amis qui viennent à la maison, de
la isaqneitsa (pâte de semoule avec de l'huile, du miel et du sel, cuite dans une
casserole en terre). La mère mange beaucoup de cette pâte.
Le 3*" jour a lieu un repas en commun, au milieu du jour, entre parents et
amis (hommes à part et femmes à part). L'accoucheuse change ce jour-là les langes
de l'enfant, l'enduit de henné, lui met du koheul aux yeux.
c) Collation du nom. Le 7" jour on donne un nom^ à l'enfant. Pour cette
cérémonie, le père convie ses amis, tue un mouton quand il le peut et l'on fait un
festin. Souvent aussi on tue une poule, si l'enfant est un garçon, ou un coq, si l'en-
fant est une fille ; on en fait du bouillon que boit la mère. Ce jour-là l'enfant est
lavé et revêtu d'habits neufs ; l'accoucheuse lui enduit de henné les mains et les
pieds, puis lui fait tendre la main et les visiteuses y déposent des pièces de monnaie
qui sont destinées à la mère.
Le soir de ce jour, l'enfant ne doit plus coucher dans son berceau pendant
33 nuits ; on l'installe par terre sur un petit matelas (offert par la grand'mère
maternelle ou une parente de la mère). L'accoucheuse, avant de déposer l'enfant
sur ce matelas, marque avec sa main, contre le mur à la tête de l'enfant sept points
de henné en ligne droite, et allume à côté de lui une bougie de cire verte.
Les cérémonies qui accompagnent la naissance se terminent par un grand repas
le 40^ jour, qui est celui où l'on remet le jeune enfant dans son petit berceau.
Quand il fait beau ce repas se fait de préférence à la campagne, dans les jardins
d'amis.
^ Voir par exemple Prazbr, Le Rameau (Tor, trad. fr. 1. 1, Paris 1903, pp. 319 et suiv.
• ' Le nom de Bou Medièn (oa plus communément EUKaoutH) est trôs commun chez les Tlem-
ceniens, à cause du saint patron de la ville, Sidi Bou Medièn eUK^oûts.
1908«] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 215»
 partir de ce moment l'enfant est encore soumis à de nombreuses pratiques
magiques qui n'ont pas seulement pour objet de le protéger, mais aussi de le débar-
rasser des mauvais génies qui ont pu malgré tout pénétrer en lui.
Ainsi par exemple si Tenfant pleure souvent, on Temmène en pèlerinage au
tombeau de Si-1-R'omâri. La mère couche Tenfant sur la dalle du tombeau, implore
la pitié du saint, brûle une bougie blanche et un peu d'encens ; elle recommence
pendant 3 jours et rapporte un peu de terre du tombeau, qui suspendue dans un
4sachet au cou de Tenfant doit le guérir.
A Tenfant de trois ou quatre ans qui ne parle pas encore, on fait avaler un
bouillon préparé avec 7 langues d'animaux divers et on lui en fait aussi manger la
'Chain On peut aussi dans le même but lui faire boire quelques gorgées d'eau de la
baignoire des tourterelles que gardent les moqaddems des tombeaux de Sidi Ahmed
Belhassen, Sidi Lahsen ben Makhloûf ou de Sidi-Dàoudi.
L'amulette la plus en vogue àTlemcen pour garantir l'enfant contre les inflnen-
-ces néfastes est une petite main en or ou en argent qu'il porte sur lui. La main
•est quelquefois remplacée par les cinq fèves (d'une gousse qui n'en contenait pas
plus de cinq) que l'on met dans un petit sachet de cuir de forme carrée (une fève
•dans chacun des angles du carré et la cinquième au milieu).
2^ La circoncision se fait en général pour le jour de 'Achoûr, alors que l'enfant
•est âgé de sept à huit ans environ. La veille on lui enduit de henné les mains et les
pieds et on le revêt d'habits neufs. C'est un hadjjêm « celui qui pratique les
saignées », (ce métier est exercé à Tlemcen par les coiffeurs). qui est chargé de la
•circoncision ; il vient à la maison (plus rarement on porte l'enfant chez lui) et prend
d'abord part à un repas avec le père et ses amis. Ce repas consiste d'ordinaire en
un grand plat de viande rôtie au four. Le repas fini, le hadjjêm s'assied, tandis que
son aide (son fils habituellement) lui présente l'enfant, qu'il circoncit avec des
ciseaux ; on saupoudre la plaie d'un peu de henné pilé, on couche l'enfant auquel
les invités remettent quelques pièces de monnaie destinées au père. La fête se fait
parfois en musique. Le soir ou le lendemain les femmes amies de la maison viennent
■à leur tour voir le nouveau circoncis et chacune lui remet quelques pièces de mon-
naie destinées à la mère ; on entend de la musique, on danse ou l'on regarde danser
•et la fête est terminée.
L'enfant doit rester couché pendant 3 jours ; il est conduit au bain maure le
1 5* jour.
La prépuce a été soigneusement ramassé par le hadjjêm, dans un plat conte-
nant un peu de poudre de henné ; le hadjjêm l'emporte et doit l'enterrer lui-même
•en un lieu qu'il ne révélera à personne.
3*^ Le mariage. — Bien qu'aucune cérémonie religieuse ne soit prescrite par
l'LsIâm pour le mariage, les coutumes variées auxquelles donne lieu l'union légale
de l'homme et de la femme chez les musulmans maghribins sont, comme on le
4saitj chez la plupart de ces populations tenues pour de véritables obligations reli-
gieuses. Les pratiques du mariage à Tlemcen sont très entachées de rites magiques,
^ont on se bornera ici à exposer brièvement les principaux^.
^ M. E. DoüTTft (in Merrakech fasc. I, p. 331 n. 2) a donnô la liste des principales publications
fournissant des détails sur les oérômonies du mariage dans l'Afrique du Nord ; depuis, il a paru
une description assez complote du mariage à Sfax de M. K. Nabbbsbubrr Aus dem Leben der
^rabtsehen Bevolkerunç in Sfax^ Leipzig» 1907, p. 4 à 20 ; pour Tlemcen, voir surtout Zbnagui^
loc, cit. p. 33 et s» (Joum. asicU. p. 73 et s.) ; Q, Dbmombtnbs, Zoc. cit, pass« et Abou Bbrr, loc. cit,^
p. 97 et suiv.
p. 216.] • R • E • E • S • [1908.
Lorsque les parents ont convenu de marier deux enfants (un cousin avec sa
cousine généralement), il faut d^abord passer le contrat'. La cérémonie a d'ordinaire
lieu à la mosquée, en présence de parents et amis (hommes seulement) : c'est la
fâtha. Deux ou trois jours après, parfois le même jour, a lieu la cérémonie dite
ehhonna-Ç'Çrîra. Le père du fiancé doit préparer à cette occasion pour les parents
do la jeune fille un ou deux tifoûrs chargés de henné, d'arachides, de fruits, d'un
pain de sucre (marocain), d'une pièce de soie (foûta) et faire jeter des arachides
aux enfants dans la cour de la maison. Il invite en outre les amis à manger et leur
fait servir du kouskous au beurre et au sucre (seffa) et d'autres plats selon ses
moyens.
Les négresses, servantes de la maison, emportent les ttfoûrs et autres cadeaux
à la maison de la fiancée, ainsi qu'un pot de lait (couvert d'un foulard de soie) des-
tiné à être bu exclusivement par la tiaucée, le train de derrière d'un mouton ou
un mouton entier, et deux cierges en cire verte^. Les parents de la fiancée
doivent donner à manger aux négresses du miel et du pain blanc ; c'est d'un bon
effet pour le bonheur du futur ménage.
Ce jour-là et la nuit suivante sont fêtés à la maison de la fiancée. On invite
amies et parentes ; on mange, on fait de la musique, on danse, et chacune des per-
sonnes présentes donne quelques pièces de monnaie à la fiancée. Pendant la nuit,
une femme, dont c'est le métier (on la nomme à Tlemcen Bents Kolîla) badigeonne
au henué (ofiert par le père du fiancé) les mains et les avant-bras de la fiancée. Ce
qui reste du henné reçu en cadeau ce jour-là, ainsi que les fruits et le sucre, est j
partagé entre toutes les invitées^. i
Quelques mois après, a lieu une fête analogue, on l'appelle élrhannarUkbîra ;
mais l'une de ces deux fêtes suffit et l'autre peut être remplacée par une somme
d'argent donnée par le père du garçon au père de la fille.
A partir du moment où les jeimes gens sont fiancés par les parents (la fâtha a
lieu d'ordinaire environ un an avant le mariage), le fiancé doit envoyer des cadeaux
à sa future femme (surtout à l'époque d'En-Naïr et des deux *Aïds).
Le versement, partiel ou total, de la dot par le père du fiancé se fait en
argent ou en bijoux et généralement à la mosquée, de huit jours à un mois avant
le mariage ; il a lieu en présence de parents et d'amis.
L'avant-veille du mariage (yoûm eiriechlil)^ la fiancée va au bain maure avec
ses amies, aux frais du père du fiancé.
La veille a lieu un grand repas et une soirée musicale chez le fiancé ; c'est ce
qu'on nomme loûchi.
Le matin du mariage, qui peut se faire n'importe quel jour, sauf le jeudi et le i
vendredi, le fiancé va se faire raser chez le coiffeur, avec ses amis, et paie pour
tous ; il les ramène déjeuner avec lui à la maison. L'après-midi, ils vont tous ensem-
^ Souvent les parents décident de marier Tun à l'autre deux enfants encore au berceau. Le
jour où Ton prend cette décision, le pore du garçon envoie environ 1 kilog. de feuilles de henné
dans un foulard de soie au pore de la fillette. C'est ce qu'on appelle honnet-ettsbéts^ le henné
de la promesse («a»ljjï^£jL^).
* Le plus grand de ces deux cierges est conservé pour élre allumé dans la chambre naptiale, la
nuit du mariage ; l'autre est brûlô la nuit même dans la chambre de la fiancée.
' La fiancée doit se cacher à son père et à ses parents mâles à partir du Joor de la Î&xIja.
Jusqu'au 3"^ jour après la fête de tionnaççr'ira. Il en est de môme du fiancé, vis-à-Tis de son pére^
de sa mère, de ses frères plus âgés, etc. ; il va généralement, pendant cette période d'interdic*
tion, habiter chez des amis.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 217»
ble au bain maure, où le fiaocô devra mettre ses habits de noce^ et n'en ressortent
qu^à la tombée de la nuit.
Ce même jour les parentes et amies des familles des fiancés font des visites
aux mères de ceux-ci et leur donnent quelques pièces de monnaie. On mange des
raisins secs, de la viande et du miel ; et Bents Kolila fait la toilette au henné de la
mariée en lui traçant des dessins géométriques de henné aux deux pieds (jusqu'à
mi-mollet) et aux deux mains (jusqu'au coude).
Dans l'après-midi, les parents de la fiancée envoient à la maison du futur mari
de leur fille, pour être mis dans la chambre nuptiale, les matelas et paillasses, des
couvertures, le cierge (de honna ç-çr'îra), un coffre en bois ou une armoire.
Puis, avant le coucher du soleil, la mariée se rend à pied chez son mari avec
quelques parentes et amies qui lui font cortège et poussent des youyous. A partir
du moment où la jeune tille quitte la maison de ses parents, elle ne doit plus par-
ler ni se retourner, jusqu'à ce que son mari soit seul avec elle.
Arrivée chez ses beaux-parents, la fiancée est remise à Bents Kolîla qui lui
maquille la figure (pomettes en rouge, une raie de 7 points blancs et rouges sur le
front, un trait rouge ou blanc de haut en bas au milieu du menton). Ainsi parée,
les cheveux épars dans le dos, la tète seulement couverte d'une châchiya, couverte
de ses plus riches bijoux (parmi lesquels est une petite main (khamsa) en or), la
mariée est exposée, les yeux fermés, dans la cour de la maison nuptiale ; les
parentes et amies viennent l'admirer et lui disent : (.^^U4t4\ y ^«U j^uJ^ « que (Dieu)
et les Jchamsa (mains) te protègent 1 »
La mariée est ensuite introduite dans la chambre nuptiale, assise sur une
chaise, le visage couvert d'un foulard en soie, une négresse (Djellâsa) assise à
ses côtés ; elle doit demeurer là sans parler et les yeux fermés.
A la tombée de la nuit, le marié, accompagné de ses amis, sort du bain, on le
fait monter par la droite (hors montoir) sur un cheval tourné du côté du sud (qibla).
Trois des amis du marié tiennent, pendant la .marche, le cheval par la tête et par
chacun des étriers. Et le cortège s'avance, précédé d'un orchestre à corde (âliyîn)
et suivi d'un autre orchestre {tfibbâlîn)^ éclairé par la lueur des bougies des tsriyîa^
et de feux de Bengale. Dans cette promenade du marié à travers la ville, on fait
de courtes haltes devant les sanctuaires des marabouts qui se trouvent sur le pas-
sage, et le marié leur demande mentalement leur protection. Pendant tout le trajet,
il ne doit ni parler, ni se retourner*.
^ Les vêtements de mariage d'un Tlemcenien doivent être entièrement neufs; ils ne se composent
que des plôces suivantes : une châchiya ou calotte rouge, une chemise {qemedfa\ deux gilets
(mqàfel), un paletot (r*olila\ une culotte blanche, des pantoufles sans talon et Jaunes (blàr'i)^
un bernons blanc, à glands bleus ou blancs en soie. Il ne doit avoir ni ceinture, ni turban, ni
corde en poil de chameau. La coulisse qui serre sa culotte à la ceinture esX en coton de couleur et
ses extrémités doivent pendre hors de la culotte. Le marié ne doit pas non plus boutonner ses
gilets et son paletot.
* La Uriyia est un candélabre, qui est ici en bois peint, formé de plusieurs planchettes parallèles
réunies par une tige de bois qui les traverse en leur milieu. Les tariyia du mariage aont louées
par le mari et doivent être déposées dans la chambre nuptiale pendant 7 jours à partir du
mariage. Les bougies qui garnissent les tsriyla sont aussi achetées par le marié et ce qui reste
après avoir garni les tsriyla est distribué aux enfants de la famille, sauf 7 qui sont données à
7 marabouts et % au bain maure.
' Cette interdiction au marié et à la mariée de parler et de se retourner est due à ce qu'on craint
pour ces Jeunes gens de graves maléfices. C'est surtout à ce moment que les mariés sont suscep-
tibles d'être ensorcelés par des rites de magie sympathique. A ce propos on lira des détails très
curieux dans l'article de M. Abou Bbrb, Er-R^bat ou moyen de nouer VaiffuiUeUe (dans BuU.
de la Sœ. de Qéog. d^Oran^ avril-Juin 1906 p. 169 et suiv.)
p. 2 18.] • R • E • E • S • [1908.
Le marié descend de cheval devant la maison de son père, entre en courant,
donne dans la cour un violent coup de pied à un seau en bois dans lequel les
femmes ont mis un œuP et pénètre dans la chambre nuptiale, où la djellâsa le
laisse seul avec sa femme.
A partir de ce moment la musique fait grand bruit dans la maison, et la
djellâsa attend, à la porte de la chambre, le pantalon de la mariée.
Le marié, après une prière de deux reJccia^ s'approche de sa femme, toujours
immobile, lui découvre le visage, lui essuie la figure, lui marche sur le pied^ et
la soulève de sa chaise ; il lui enlève ses vêtements, sans toucher au pantalon qui
n'est retiré et remis par le mari à la négresse, que lorsqu'il est taché de sang.
Lorsque le pantalon ensanglanté est remis à la djellâsa, la musique cesse, les
femmes poussent des youyous et les jeunes parentes de la mariée entrent auprès
d'elle la féliciter. Pendant ce temps, la négresse présente le pantalon au père et
à la mère du marié et aux invités présents ; chacun lui donne quelque argent ;
puis elle va rapidement le remettre aux parents de la mariée, qui l'attendent avec
impatience, et la récompensent.
Cette première nuit se nomme lUet-edäkhoul « la nuit de Tentrée^ ■•
La journée du lendemain, appelée çobàh « matinée » est remplie par la visite
des parents et amis à la maison nuptiale. Chaque visiteur dépose dans un plateau
de cuivre, placé devant l'orchestre des musiciens {âUyîn)^ son cadeau au marié
(de 5 à 50 francs)^ et tout le monde est invité à faire un repas dont le menu inva-
riable est préparé par les parents de la mariée.
Le lendemain de ce jour (appelé tseqiyîl « soirée ») a lieu la visite des femmes,
parentes et amies, qui passent l'après-midi à la maison nuptiale. On y mange (aux
frais des parents du marié), on fait de la musique et Ton danse. Ce jour-là, le
marié emmène ses amis passer la journée à la campagne (aux cascades d'El-Ourit)
ou au calé maure.
Pendant les sept jours qui suivent le mariage, les garçons d'honneur et amis
intimes du marié passent toutes leurs journées avec le marié et prennent tous
leurs repas chez lui.
C'est le 7* jour (sâbd) que le marié et sa femme doivent abandonner leurs
vêtements de mariage ; ils peuvent s'habiller comme tout le monde et doivent
mettre une ceinture.
Le jour de sâba' les amis de la famille sont encore invités à midi et l'on donne
un grand repas de tous points semblable à celui du jour de çobah avec seulement,
en supplément, des gâteaux appelés meqroût.
^ Dès que le marié a donné le coup de pied, les femmes se précipitent pour voir si l'œuf a été
cassé, car ce serait un mauvais présage s'il ne Tétait pas. Lorsque le marié entre dans la chambre
nuptiale, il y trouve une de ses parentes qui, avec un mouchoir lui essuie la figure. Le marié
doit faire ses efi'orts pour prendre ce mouchoir, que la femme défend de son mieux. Si le marié
réassit à lui enlever le mouchoir, c'est un heureux présage ; sinon, il doit lui offrir de l'argenr,
pour faire des mchâhed (petits gâteaux au beurre et au miel), et la femme lui remet le mouchoir
en échange.
^ Il sera sûr, par ce moyen, d'être le maître dans son ménage.
3 Les ordures balayées dans la chambre nuptiale pendant les 7 jours qui suivent la lilet
ed-dkhoûl doivent être laissées dans un coin de la chambre. C'est le 7* Jour seulement que l'on
peut les enlever et laver la chambre.
^ Le nom de chaque donateur et la somme donnée sont soigneusement notés. Cette somme
doit être rendue par le marié au donateur dans les mômes circonstances, si elle ne constitue pas
déjà une restitution.
1908»] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 219.
L'après-midi, le marié se rend solennellement au café maure ; il est suivi de
tous les amis de la famille et un orchestre d'aliyîn ferme le cortège. On prend le
thé aux frais du marié.
La mariée a reçu en cadeau de son mari, la veille ou Tavant-veille, une paire
de ciseaux, un peigne, un ruban de soie pour les cheveux, un flacon de parfums.
Tous ces objets sont neufs et la mariée les emploie ce jour-là à se coiffer (elle se sert
des ciseaux pour se tailler les cheveux sur le devant du front). Bents Kolîla lui
maquille les joues avec du vermillon.
Le 15^ jour est un grand et dernier jour de fête. La mariée, pour la première
fois depuis le mariage, va au bain maure et y convie ses parentes et amies de tout
âge. Le marié paie les frais de ce bain maure, pour tout le monde, et fait offrir à
toutes les invitées des gâteaux et du café. Après le bain, on revient à la maison où
Ton fait un grand festin et Bents Kolîla vient encore ce soir-là maquiller la mariée,
exactement comme le soir du mariage.
On a vu que les jeunes mariés, à certains moments, pendant la période du
mariage doivent s^interdire certains gestes, certains objets, certaines attitudes. Us
doivent aussi s'abstenir de voir leurs parents et d'être vus par eux pendant un
temps. Le marié, à partir de la veille du mariage jusqu'au 7® jour après, doit éviter
de se montrer à ses parents et à ceux de sa femme plus âgés que lui (père, mère,
tante, oncle, sœurs et frères aînés, beau- père, belle-mère, etc.). La mariée, de
quatre jours avant le mariage à la première fête de T'aïd qui le suit, ne doit se
montrer à aucun de ses parents mâles plus âgés qu'elle. Elle peut toutefois, à
partir d'un mois après le mariage, voir son beau-père. A la première entrevue que
le marié ou la mariée ont avec leurs parents, après cette période d'interdiction,
ils doivent leur embrasser le front et la main droite, en signe de soumission.
Pendant plusieurs années, les deux mariés ne peuvent rester ensemble en pré-
sence de l'un ou l'autre de leurs parents plus âgés qu'eux. Si un parent plus âgé
entre en leur présence, l'un des deux doit immédiatement se cacher ou disparaître.
4® Décès et culte des morts. — A côté du rituel musulman, prescrit pour les
funérailles — dont on n'a guère conservé que le lavage du cadavre et la prière des
funérailles — on retrouve à Tlemcen, comme dans tant d'autres pays musulmans
et non musulmans, des rites anciens ayant surtout pour objet de protéger les
vivants contre les atteintes de l'âme du mort ; celle-ci, en effet pourrait, mécon-
tente de la façon dont le corps a été traité après la mort, venir tourmenter les
vivants.
Chez les Tlemceniens, dès qu'une personne (homme ou femme) meurt, les
femmes de la maison du mort poussent des cris de douleur et s'écorchent le
visage^ On fait alors venir une femme (c'est d'ordinaire une prostituée ou une
femme de mauvaises mœurs), nommée ehermâta, qui procède à la toilette des
parentes du défunt, les revêt de vêtements noirs et les enveloppe dans de vieux
tapis retenus par de morceaux de corde et des chevilles en bois. Puis les femmes
ainsi accoutrées forment le cercle dans la cour de la maison. La chermafa se tient
au milieu d'elles et pousse des cris et des lamentations auxquelles répondent les
femmes de la maison. Toutes ont le visage découvert*.
^ On sait que cette coutume est formellement réprouvée par llslârn.
^ Lorsque le mort est un enfant de moins de trois ans ou un vieillard, la chermafa est génôra-
lement supprimée, et les cérémonies funèbres sont un peu simplifiées. La chermafa est payée de
cinq à" dix francs, par une des plus proches parentes du défunt. Les dépenses des funérailles
sont généralement supportées par les parents du côté paternel. (Cf. Abou Bbkr, usages de drcU
coût., p. 111).
p. 220.] • R • E • E • S • [190S-
Les voisines viennent aussi se ranger dans la cour, contre les murs, et pleurent
silencieusement en se tenant la face couverte par le haïk.
Lorsque le mort est un homme, ce sont des hommes qui pratiquent le lavage
rituel du cadavre, tandis que des toi bas chantent la Borda^ et récitent du Coran.
On brûle du benjoin autour du cadavre et dans la chambre mortuaire^. Le corf:»
est ensuite enveloppé dans un linceul blanc après qu'on Ta revêtu d'une chemise
et d'une culotte blanche et qu'on lui a aspergé la barbe et les cheveux d'eau de
lavande ('ater).
Pour une femme, c'est une laveuse de morts, qui, moyennant deux ou trois
francs, doit pratiquer le lavage du cadavre, faire la toilette de la morte^, lui asperger
les cheveux d'eau de lavande. On ne récite pas le Coran et l'on ne chante pas la
Borda pendant cette opération. Le cadavre de la femme est ensuite placé dans un
cercueil de bois, peint extérieurement en jaune (au safran) ; la tête repose, dans
le cercueil, sur un oreiller bourré de henné et contenant au moins deux amulettes^.
Le corps de l'homme dans le linceul, étendu sur une natte de palmier nain,
ou le cercueil de la femme, sont exposés dans la chambre mortuaire. Les femmes
se réunissent autour pour crier et se lamenter.
L'enterrement a lieu, le plus souvent, moins de 24 heures après le décès.
A l'heure convenue (généralement au milieu du jour ou au commencement de
l'après midi) les amis de la famille (hommes seulement) se réunissent devant la
maison mortuaire, ainsi que les toi bas. Les parents du défunt font sortir le corps
sur une civière {tCach)^ tandis que les femmes, qui poussent des cris de douleur,
cherchent à s'opposer à la sortie du cadavre. La civière mortuaire est emportée
au cimetière sur les épaules des personnes du cortège qui se disputent la faveur
de porter le mort un instant. Le cortège s'avance d'un pas rapide, tandis que les
tolbas chantent la Borda ; après chaque couple de vers, l'assistance chante, sur le
même ton, la chahâda (profession de foi du musulman)^ . Au cimetière a lieu la
prière des fuûérailles, conformément au rituel orthodoxe. Cependant si l'enterre-
ment a lieu un vendredi, la prière des funérailles a lieu à la grande mosquée et
non au cimetière. Le corps est ensuite descendu dans le tombeau. Les poignées de
terre jetées dans la tombe par les assistants, le repas funéraire au retour de l'enter-
rement ont lieu à Tlemccn et sont conformes au rituel orthodoxe des funérailles.
Le soir de l'enterrement, au coucher du soleil, des tolbas viennent réciter du
Coran dans la chambre mortuaire ; ils recommencent le lendemain et le surlende-
main et prennent, quand ils out fini, un repas (kouskous à la viande) avant de
partir. Ils vont également le lendemain matin et les deux jours suivants, bien avant
^ Ce poôme à la louange du Prophète, par le Cheïkh El-Bouçiri, est ici le véritable chant funèbre.
^Jamais on ne suit le coriôge en biûlant des parfums comme cela avait lieu dans l'Arabie
antéislamique, et même encore après l'Islam.
3 Dans le cercueil, la femme est revêtue de ses habits les plus riches ; mais elle ne porte aucun
bijou et n*a pas de cbâchiya sur la tête ; ses cheveux sont ôpars ; elle est roulée dans un suaire
blanc. La loi musulmane blâme cependant foi mollement la coutume d'enterrer les morts avec de
belles étoffes.
^ Ces amulettes (sou ' aldt) se paient très cher, de dix à quinze francs au moins. Quelquefois
des amulettes du même genre sont déposées dans la tombe, à côté du corps de l'homme. Cette
coutume a pour but, disent les Tlemceniens, d'aider au défunt à supporter les souffrances
d'outre-tombe.
^ Voir des détails sur ce point et la notation musicale de cet air ap. E. Douttâ, Merrakech^
fasc. I, pp. 360 à 363,
1908«] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P# 221»
le lever du soleil, réciter également quelques chapitres du Coran, au cimetière sur
la tombe du défunt (fig. 11).
Le lendemain de Tenterrement, avant le lever du soleil, ainsi que les deux
jours suivants, les femmes de la maison, les proches parentes du défunt et les
amies intimes, vont au cimetière où elles restent, une bonne partie de la matinée,
à pleurer sur la tombe.
Pendant les sept jours qui suivent Tenterrement, les parents et amis viennent
à la maison mortuaire et apportent, en guise d'offrande, du café, du sucre, de la
nourriture.
La troisième nuit après l'enterrement se nomme lilet-elrr'erîba ; toutes les
proches parentes viennent la passer dans la chambre mortuaire et pleurent. La
croyance très répandue ici, est que Tâme du défunt demeure pendant ces trois
jours dans la chambre mortuaire, au dessus de la porte. Dans beaucoup de familles,
on porte le matin qui suit la lilet el-r'erîba du kouskous à la viande aux tolbas,
qui sont sur la tombe ; ceux-ci répandent sur le tombeau les reliefs de ce repas
qui leur est offert.
On croit aussi que pendant quarante jours Tâme du mort revient visiter la
maison un moment avant le lever du soleil et visite aussi le tombeau. Mais après
le quarantième jour, Tâme ne revient plus guère au tombeau que de temps à autre,
surtout les jours des nefqas et des grandes fêtes, les jeudis, les lundis ou les ven-
dredis. C'est pourquoi ces jours-là les femmes vont visiter la tombe.
C'est le quarantième jour après l'enterrement que l'on place sur la tombe les
deux pierres funéraires (l'une à la tête et l'autre aux pieds) (fig. 12). Les to' bas,
les parents et les amis sont conviés à cette occasion à un repas, qui a lieu sur la
tombe, et dont les reliefs sont abandonnés aux pauvres.
£n dehors de ces cérémonies, le culte des morts se manifeste chez les femmes
par de fréquentes visites qu'elles font sur la tombe. Beaucoup d'entre elles répandent
même de temps à autre de l'eau et des miettes de pain ou de nourriture sur le
tombeau, en pensant que si les oiseaux ou les fourmis mangent cette nourriture, le
mort en ressentira un adoucissement. On plante quelquefois des fleurs sur les
tombes, et on ménage une petite écuelle dans laquelle peuvent venir boire les
oiseaux.
Les jours de nefqa, on fait souvent un plat de kouskous à la viande, spéciale-
ment destiné au défunt récent, et on le donne au premier mendiant qui vient à la
porte^. Les femmes marquent aussi leur douleur en conservant pendant plusieurs
jours le déguisement que leur a fait la chermâta et en ne faisant aucune toilette
de corps.
La veuve qui s'est remariée ne doit plus prononcer le nom de son ancien mari
devant le nouveau ou devant les parents de son second mari; elle doit aussi s'abstenir
de retourner sur la tombe de son premier mari.
5^ Quelq[ues mots sur les croyances tlemceniennes relatives aux Djinns.
— Les croyances des musulmans tlemceniens se rapportant aux esprits et aux saints,
ainsi que les manifestations populaires par lesquelles elles se traduisent, ressem-
blent au fond à celles que l'on rencontre chez tous les indigènes nord-africains ;
c'est à peine si parfois elles en diffèrent par quelques minces détails de forme.
^ De leur côtô, les mendiants demandent toujours l'aumône au nom des parents disparas du
inaitre de la maison, ou au nom des marabouts les plus réputés de la région, ou encore au nom
d'Allah.
p. 222.] • R • £ • R • S • [1908.
Le culte des morts et les croyances relatives à Tame dans sa survie ne se
séparent pas facilement du culte des esprits dont Timagination du primitif a peuplé
le monde. Entre le djinn, Tesprit d'un mort ou d'un marabout défunt, Tâme de la
victime d'un meurtre (dont Tombre réapparaît parfois à Tendroit du meurtre), il
n'y a pas de distinction bien marquée pour le Tlemcenien. Tout cela constitue pour
lui le monde invisible des esprits. Ces esprits ne sont pas essentiellement méchants;
ils sont comme Thomme, plus ou moins irascibles ; c'est pourquoi Ton se garde de
leur donner la moindre cause de colère, en évitant de les blesser au physique et au
moral.
Bien qu'invisibles, les djinns ont cependant, pour le Tlemcenien, une place
dans l'espace. Aussi craint-on de les blesser, quand on jette de Teau chaude ou un
corps dur par exemple, ou bien en marchant dans les endroits affectionnés par eux,
comme les flaques de sang, les tas d'ordures, les ruisseaux (surtout pendant la nuit),
etc...^
C'est également pour ne pas attirer leur attention ou leur colère que le Tlem-
cenien — la femme surtout — évite de prononcer leur nom et emploie des eulogies
pour les désigner.
Les djinns sont partout, mais ils affectionnent plus particulièrement les lieux
sombres et humides, les grottes et les cavernes, les étuves des bains maures^, les
sources, les fontaines, bassins et puits, les endroits où l'on fait du feu, les ruines,
les dépots de fumier ou d'ordures, les latrines, le sang répandu dont ils font leur
nourriture préférée^ ; ils aiment aussi à respirer l'odeur du benjoin, et les Tlemce-
niennes leur en offrent autant qu'aux marabouts et à l'âme des morts.
Les djinns sont de toutes les couleurs et ils ont une préférence marquée pour
les objets de la même couleur qu'eux ; on Us nomme Lahmar, Laçfar^ .... « le
rouge n, « le jaune », .... et on leur donne encore beaucoup d'autres noms dont on
n'essaiera pas d'apporter ici une nomenclature, même sommaire^.
Comme les hommes, les djinns sont des deux sexes, les uns mâles, les autres
femelles ; ils ont aussi diverses religions, les uns sont musulmans, d'autres chrétiens^
d'autres juife, etc..
Ils peuvent prendre toutes les formes. Telle ou telle légende tiemcenienne
nous montre le djiun apparaissant sous l'aspect d'un chat noir, d'un chien, d'un
bouc, d'une chèvre, d'une gazelle, d'un âne, d'un taureau, d'une vache, d'un
^ Quand on commet une action qui pourrait blesfer un djinn, il faut prononcer l'invocation à
Allah « bismiUàh errahmàn errahim n qui a l'avantage de forcer le djinn k s'écarter. C'est peut-
ôtre pour ne pas blesser les djinns qui sont assez souvent au seuil des maisons ou des chambres,
que le Tlemcenien évite soigneusement de s'y asseoir (sauf cependant les jours d'enterrement).
^ On cite tel bain maure à Tlemcen, dans Tétuve duquel, lorsque personne ne s'y trouve, on
entend le bruit des seaux de bois qui s'entrechoquent, bousculés par les djinns.
3 C'est la pirtie de la victime qu'on leur offre quand on fait un sacrifice. C'est dans le but de
se concilier les djinns qu'on leur offre le sang des victimes, et non pour les chasser comme l'ont
cru certains auteurs (voyez par ex. Monchicourt ^ in RevxM tunisienne, n® de Janvier 190S, p. 16).
* Une enquête sommaire nous a permis de constater que certains noms des djinns des nègres,
dont M. Andrews (ioc. cit. p. 26 et suiv.) a donné une courte liste, sont aussi connus des nègres
de Tlemcen. Un poème marocain que l'on chante à Tlemcen dans certains cafés maures et qui
commence par les mots sd dât el qalà el-hânij donne les noms d'une douzaine de 4iinns connus
à Tlemcen, et réputés parmi les plus redoutables (des *afrit). Le poète dit les avoir chargés de la
garde de sa maîtresse. — Sur le culte des djinns à Tanger, on pourra consulter Salmon, in
Archives marocaines, t. II, p. 262 et s. (Paris, 1904).
1808.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 223*
serpent^, d'un homme même ; tandis que les marabouts apparaissent plutôt sous
la forme d^un lion.
Le Tlemcenien qui dort seul dans sa chambre, pour se protéger des djinns
pendant la nuit, place d'ordinaire sous son oreiller un couteau ouvert et un morceau
de galette, et dépose à ses pieds un vase plein d'eau. Pour être mieux défendu
encore, il mettra, à sa tête et à ses pieds, ainsi qu'à sa droite et à sa gauche, des
morceaux de papier sur lesquels un (aleb a tracé quelques yersets du Coran,
d'ordinaire la sourate GXII. Cela ne suffit pas toujours pour être garanti.
On terminera ces courtes remarques sur les djinns tlemceniens par l'exposé
d'une cérémonie courante à Tlemcen pour connaître l'avenir par leur intermédiaire.
Les détails de cette cérémonie permettent de comprendre assez bien la conception
que le Tlemcenien se fait des djinns. Cette cérémonie nommée* oehet-élrfêl « la soirée
(ou le souper) du bon augure » se pratique du reste ailleurs qu'à Tlemcen et avec
des rites quelquefois un peu différents^.
'Öchet el-fêl consiste en un repas nocturne que l'on offre aux djinns et à la
suite duquel on interroge ces mêmes djinns sur le sort réservé à telle ou telle
personne à laquelle on s'intéresse et qui se trouve dans telle ou telle situation.
Cinq ou six femmes, parentes ou amies entre elles, s'entendent pour accomplir
les cérémonies de 'öchet el-fêl. Deux d'entre elles sont chargées de faire les invita-
tions aux djinns, dans l'après midi ; elles se rendent d'abord dans les étuves de
sept bains maures et dans chacune elles déposent un peu d'orge et trois ou quatre
clous de fer à cheval, en disant :
« Maîtres de ce lieu (djinns) I prenez ce grain pour donner à manger à vos
« montures, et ces clous pour les ferrer. Soyez les bienvenus, vous et vos chevaux,
« ainsi que le sol sur lequel vous marchez I Vous êtes invités cette nuit dans telle
« maison^. »
Cette invitation est renouvelée auprès de sept tas d'ordures (ou dans sept
écuries), de sept fontaines, de sept fours, de sept bouches d'égouts ; mais en ces
lieux, les femmes ne déposent ni orge, ni clous, et suppriment la première phrase
dite dans les bains maures.
Les invitations terminées, il faut préparer le repas, qui consistera en un bon
plat de kouskous au sucre (seffa), La farine doit être achetée dans un magasin
1 C'est pour une grande part à cette croyance que Ton doit attribuer la répugnance ou la
Tônération (ce qui s'exprime souvent de la môme façon) de nos indigènes pour certains animaux
et pour leur chair. On trouvera une liste de ces animaux pour quelques tribus tunisiennes dans
la Revue tunisienne (n^ de janvier 1908, p. 12 et suiv.). Beaucoup de Tlemceniens affirment qu'on
a vu autrefois dans Tôtuve d*un bain maure (celui qui passe pour ôtre le plus ancien des bains de
Tlemcen et que l'on nomme hammam eç-çebbûrHn\ un énorme serpent qui n'était autre qu'un
djinn, le maître du lieu. On m'a assuré encore qu'un djinn, sous la forme d'un nôgre, apparaît
souvent anx abords de la mosquée de Sidi Brahim, en pleine ville, surtout dans les latrines de
cette mosquée. Les légendes qui courent ici sur des apparitions de djinns ou esprits similaires
sont très nombreuses.
' Une cérémonie analogue et de même nom se pratique à Fez ; elle est exposée sommairement
par E. AUBIN, Le Maroc (Taujour^hm, Paris 1905, 1 vol. in-8, p. 314. — Cpn. Cbrteux et Car-
NOY, r Algérie traditionnelle, Paris 1884, 1. 1, p. 83-84.
^ Parfois, an lieu de convoquer les djinns dans la maison de Tune des femmes, on les convoque
à tel ou tel marabout. C'est généralement à Lalla Setti que les femmes convient les djinns pour
la'ochetei-fél.
Quand la convocation est faite pour une maison située en ville, il faut que cette maison donne
sur une rue et ne se trouve pas dans une impasse.
p. 224.] • R • E • E • S • [1908.
ouvrant du côté du sud et avec l'argent obtenu en demandant un sou à plusieurs
parents ou amis célibataires ou sans enfant.
Lq kouskous est préparé, à la maison dans laquelle aura lieu le repas, par
une jeune fille vierge et réputée pour ses bonnes qualités ; celle-ci doit rouler la
farine de la main gauche (tandis qu^elle se roule d^ordinaire de la main droite) et
ne pas j mettre de sel. Pendant toute cette préparation elle ne doit pas dire un
seul mot, et bien se garder surtout de prononcer Thabituel bismiuâh « au nom
d^Allâh 1 0 en commençant son travail, parce qu'elle chasserait ainsi tous les djinns.
Une fois le plat de kouskous préparé, la jeune fille met la couvert des djinns,
toujours sans dire un mot. Â cet effet, elle étend dans la chambre destinée à
recevoir les djinns un tapis de laine aux couleurs variées, ou, à défaut, des foulards
de soie de toutes les couleurs^ ; sur le tapis, autant que possible au-dessous d^une
fenêtre, elle dépose le plat de kouskous recouvert d'un foulard de soie.
Au crépuscule, à l'heure de la prière du Maghreb, la jeune fille qui a préparé
le repas des djinns, ainsi qu'une de ses amies, vierge comme elle — ayant chacune
à la main un foulard de soie (l'une tient un foulard rouge, l'autre un jaune) qu'elle
agite — parcourent le couloir qui donne accès dans la maison et la cour intérieure
en disant : « Que la paix soit avec vous et avec la terre sur laquelle vous marchez !
Soyez les bienveuus I n
£t le repas des djinns est censé commencer. Bien entendu, personne ne doit
demeurer dans la chambre des djinns, ni chercher à voir ce qui s'y passe. Au
surplus, pendant toute la durée des préparatifs et du repas, aucun homme ne doit
demeurer dans la maison. S'il y a dans cette maison de tout jeunes garçons on peut
les y laisser, mais à condition toutefois de tracer à chacun d'eux, avec du koheul,
une raie verticale entre les deux yeux, au milieu du menton et sur le coup de pied
droit.
Vers le milieu de la nuit, généralement après minuit, lorsque la ville est
silencieuse et que tout le monde est endormi, les femmes qui ont offert le repas aux
djinns se préparent à aller les interroger.
Cette seconde partie de la cérémonie a lieu sur la ten'asse de la maison dans
laquelle a lieu le repas, ou bien, si c'est au sanctuaire de Lalla Setti ou d'un autre
marabout, à côté de ce sanctuaire.
Les femmes se rendent donc en silence sur la terrasse, munies d'une provision
de benjoin et de boulettes de graisse^. Elles brûlent du benjoin et se parlent à voix
basse pour se communiquer les questions qu'elles veulent poser aux djinns.
La femme chargée par ses compagnes d'interroger les djinns, lance une
boulette de graisse avec force, droit devant elle, en disant :
« fêl yâ fel'fêl yâ miartaq sêia qfêl »
« semmdni halfêl men foum ouletis el-halêl »
« ô Fêl I ô toi qui est dans le Fêl I ô toi qui peux briser sept cadenas 1 Fais-moi
tt entendre un Fêl (bon augure) par la bouche des honnêtes filles (c'est-à-d. des
« djinns) ! »
> C'est pour que chaque djinn vienne s'asseoir, pour le repas, sur la couleur qui correspond à
la sienne«
^ Ces boulettes de la grosseur d'une noisette sont préparées par lea femmes elles-mêmes, avec
des graines pilées de nielle (sénoud^) et de la graisse des rognons d'un mouton égorgé comme
victime le Jour de T^aïd el-keblr.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 225*
Elle ajoute aussitôt ces mots :
« hûdi'ala flên » ou « hâdi 'ala fléna »
« celle-ci (cette boulette) est pour un tel ou pour une telle ».
£u môme temps quWle prononce ces mots avec le nom de la personne pour
laquelle elle consulte le sort, elle doit dire mentalement ce qu^elle désire connaître
relativement à cette personne ; par exemple tel malade guérira-t-il, tel jeune
bomme ou telle jeune fille se marieront-ils, tel prisonnier sera-t-il bientôt mis en
liberté, tel individu, absent, en voyage ou en pèlerinage par exemple, revien-
4rit-t-il bientôt, etc....
Cette opération faite, toutes les femmes présentes prêtent Toreille pour entendre
la réponse des djinns.
Lorsqu'on interroge les djinns à propos de la guérison d'un malade, ce malade
guérira certainement si Ton entend de joyeux youyous ; il doit bientôt mourir si
Ton entend des cris de douleur comme ceux que poussent les femmes à la mort d'un
parent.
Quand on veut savoir si tel individu se mariera, les djinns invisibles feront
«ntendre immédiatement le bruit des orchestres qui accompagnent un marié le jour
<le sa noce, pour indiquer que le mariage se fera.
S'il s'agit d'un prisonnier, de joyeux youyous annonceront sa prochain 3 déli-
vrance, ou bien le bruit sinistre de portes qui se ferment lourdement, de chaînes
•qui grincent, indiquera que le malheureux prisonnier est loin d'être mis en liberté^.
Pour un absent enfin, on entendra comme le bruit des pas de chevaux et le
roulement d'une voiture et ce sera l'assurance du prochain retour de l'absent ; ou
bien, si l'on n'entend rien, on pourra tirer mauvais augure de ce silence des djinns.
II parait que lorsque les djinns ont répondu, c'est qu'ils sont contents du festin
qu'on leur a offert, et en redescendant de la terrasse, les femmes qui se rendent
dans la chambre du repas des djinns, trouveront le kouskous entièrement absorbé
«t le plat renversé.
Lorsque les djinns ne répondent pas aux questions qui leur sont posées, on
pense que Ton a dû négliger l'un des rites nécessaires à la réussite de l'opération, et
qu'ils ne se sont pas rendus à l'invitation. D'ailleurs on retrouve dans ce cas le plat
de kouskous intact dans la chambre où on l'avait placé ; il faut alors recommencer
la cérémonie un autre jour en prenant plus de précautions.
^ D'ordinaire, quand il s'agit d an prévenu easoeptible d'une condamnation à la prison, les
femmes se rendent en pèlerinage au tombeau (haouîta) de Sldi Hadld, au N-B. de Tlemcen, en
dehors et non loin du rempart actuel. Ce pèlerinage a lieu un vendredi. Au. moment où les
mueddins font le premier appel à la prière du ^ohour (vers midi), les visiteuses dôposent sur le
tombeau iept cadenas fermés et s'en vont ; elles reviennent quand la prière est finie (vers une
heure ou une heure et demie) et ramassent les cadenas ; si les sept cadenas, ou quelques un«
d'entre eux, se sont ouverts pendant leur absence, c'est un indice certain que l'inculpé auquel
on s'intéresse ne fera pas de prison, ou s'il y est déjà, qu'il en sortira bientôt.
p. 226.] • R • E • E • S • [1908.
NOTE SUR I.E CALENDRIER MALGACHE ET LE
FANDRUANA
par Gabbibl Febbakd (Stuttgart).
(Suite).
m.
Lb OALBNDBIBB BBS MbBINA BT LB FaKBBVANA^.
« Alahamadi, dit Ellis, is invariably the first month in the Malagas! year ;
this in 1821 occurred in June (lire : July) ; in 1829 in the month of April The
Malagas! year consits of 354 days, namely :
12 months of 28 days each 336
And additional or intercalary 18
The 18 intercalary are added, by allowing one day between every month as its
viniana (destiny), and one day extra to each of four months in the year, and twa
at the close of the year, determined by the mode of calculating which the Malagas!
adopt in tixinfj their great annual fest or Fandruana^. »
Ignorant Torigine du calendrier Merina, Ellis a seulement constaté que l'année
comptait 4 mois de 30 jours, 7 de 29 jours et un de 31 jours = 354 jours. Voici
l'historique du calendrier en question. Les Merina ont eu Tannée de 12 mois du
type sanskrito-malgache à 28 jours chacun == 336 jours. Lorsqu'ils ont été islamisés
ainsi qu'en témoignent la série des noms de mois du type Alahamadi et les noms
de jours actuellement en usage, ils ont adopté en même temps ou postérieurement
à leur islamisation. Tannée lunaire musulmane de 354 jours. Pour faire concorder
l'ancienne ère avec la nouvelle, ils ont ajouté: 1® un jour intercalaire à chaque
mois ; 2** un autre jour intercalaire aux l®"", 4', 7* et 10* mois ; 3** deux jours
épagomènes au 12® mois. Ces 18 jours supplémentaires sont donc répartis de la
façon suivante:30 (=28 -f- 1 + 1), 29 (= 28+1), 29 (= 28+1), 30 (=28+1+ 1),
29 (= 28+1), 29 (= 28+1), 30 (= 28 + 1 + 1), 29 (= 28 + 1), 29 (= 28 + 1),
30 (= 28 + 1 + 1), 29 (= 28 + 1), 31 (= 28 + 1 + 2). Ainsi détaillée. Tannée
Merina à 354 jours est très nettement le développement d'une année antérieure de
336.
Les Merina ont établi une correspondance entre les 12 mois et les points
cardinaux. D'après la figure ci-dessous empruntée à Touvrage d'Ellis^, les 12 mois
sont inscrits sur la rose des vents dans Tordre : nord-est, est, sud-est, sud, sud-ouest,
ouest, nord-ouest et nord.
Le carré ci-dessus représente la maison malgache. « Le plan de toute ancienne
case chez les Merina, dit le Père de La Vaissière, étant un parallélogramme un peu
allongé, oiienté du Nord au Sud avec porte et fenêtre à l'occident, fut considéré
comme une sorte de projection de la sphère céleste, pouvant correspondre assez
exactement par ses angles et ses cloisons aux différentes positions occupées par le
soleil dans les 12 mois de Tannée, et participant du même coup à chacune de leurs-
destinées (au destin astrologique de chaque mois)^ ».
» Litt, le bain, — * History of Madagascar, Londres, 1838, in- 8», 1. 1, p. 446.
8 loc, cit. p. 447, 1. 1. — ^ Vingt ans à Madagascar, Paris, 1885, in- 8o, p. 273.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 227.
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Les 1", 4®, 7® et 10^ mois « ont trois jours », disent les Malgaches. Il faut
entendre qu'à chacun des signes du zodiaque qui ont donné leur nom à ces quatre
mois, correspondent, d'après la théorie arabico- malgache (R • E * E • S -, p. 95), trois
mansions lunaires. Les Merina ont donné à chacune les noms de : vava^ bouche
(les Antaimuru appellent la l^''* mansion ïuAa, tête^), c'est-à-dire ouverture,
commencement ; vuntu, litt. : enflure ; fara^ dernier, final. Les huit autres mois
« ont deux jours » dont le premier est appelé également vava^ et le second viidi^
partie postérieure, le derrière. Ces termes ont un sens magique. Ils signifient que,
dans le premier cas, l'influence astrologique du signe du zodiaque commence le
1" jour ; s'enfle, atteint son maximum le 2« jour ; et décroît et se termine, le 3* ;
dans le second cas, l'influence du signe du zodiaque s'exerce en croissant pendant
le premier jour et eu décroissant pendant le second.
Toujours d'après Ellis, les 30 jours du mois d'Alahamadi sont respectivement
«oumis aux influences astrales suivantes :
Alahamadi
Asurutani
Vava 1er jour
Vuntu 2e —
Para 3« —
Vava séjour
Vuntu 9e —
Para 10« —
Adauru ^
Alahasati
Vava 4e jour
Vudi 5e —
Vava lie jour
Vudi 12e —
Adizauza
Asumbula
Vava 6e jour
Vudi 7e —
i Vava 13e jour
( Vudi 14e —
1 Cf. E.-F. Gautier, Notes sur Vécrittire AtUaimoro, Paris, 1902, in-8, p. 48. 1. 10.
p. 828.]
E
E
[1908.
Vava ISejour /VavalSejour /Vava20ejour
Adimizana Vuntu 16« — Alakarabu } Alakausi |
Fara 17« — ( Vudi 19« — (Vudiîl« —
Vava 22« jour /Vava 25« jour iVava27eiour
Adidzadi Vuntu 23« — Adalu I Alahutsil
Fara 24« - ( Vudi 26« — ( Vudi 28« — ^
Les 29® et 30* jours du mois d^Âlahamadi sont soumis à Tinfluence du signe
du zodiaque qui donne son nom au mois, en Pespèce à celle du Bélier. J'ai tenu à
reproduire cette division des jours du mois au point de vue astrologique pour
montrer combien, en toute circonstance, Tancienne division du mois en 28 jours,
c'est-à-dire l'ère de 336 jours, se retrouve facilement dans l'ère postérieure.
Les mois Merina correspondent respectivement aux mois musulmans suivants:
X. Sawwâl, 29 jours.
%l. Dzû'l-ka'da, SO —
XIL Dzû'l-hidjdja, 29 —
I. Mbharram, 30 —
IL Safâr, 29 —
: IIL Rabr l^, 30 -
IV. Rabr II, 29 —
V. Djumâdâ I", 30 —
: VI. Djumâdâ II, 29 —
: VIL Radjab, 30 —
VIII. Sa'bân, 29 —
: IX. Ramadan, 30 —
Cette concordance nous est attestée de façon certaine par plusieurs témoi-
Rainandriamampandry, l'ancien gouverneur de Tamatave, Tun des Merina.
les plus intelligents que j'aie connus, l'indique dans un petit livre en malgache,
publié en 1896 à Tananarive et intitulé : Tantara sy fomban-droeana nangoninor
sy nalaha-dRainandriamampandry^ Histoires et coutumes des ancêtres qui ont été
réunies et mises en ordre par Rainandriamampandri (p. 99). L'auteur ne donne
pas les raisons pour lesquelles Alabamadi correspond à Sawwâl ; il les ignorait
sans doute. Je le cite sans en tirer argument en faveur de l'identification précé-
dente. Je dois à l'obligeance de M. le major Estèves Pereira, le savant orientaliste
portugais, communication de deux lettres officielles adressées par le gouverneur
Merina de Majunga au gouverneur de la colonie portugaise de Mozambique. La
première, en arabe, est datée du 11 Safar 1249 de l'hégire = 30 juin 1833; la
seconde en merina, est en date du 14 Alahasati 1833 = 14 Çafar 1249 = 3 juil-
let 1833. Les deux lettres invitent les Portugais à établir des relations commerciales
avec Majunga ; elles sont signées : Ranaivu, gouverneur Merina en résidence dans
le grand port de la côte Nord-Ouest. Très vraisemblablement, ces deux lettres qui
ont le même objet, ont été expédiées ensemble. La lettre en arabe est plus détaillée
que la lettre en merina ; mais celle-ci rédigée dans la langue du signataire, est le
vrai document officiel. Le gouverneur de Mozambique avait à sa disposition un
interprète arabe ; il n'est pas certain qu'il eût aussi un interprète malgadie. La
lettre officielle en langue orientale est fréquemment accompagnée d'une traduction
I.
Alabamadi,
30 jours
H.
Âdauru,
29 —
III.
Adizauza,
29 —
IV.
Asurutani,
30 —
V.
Alahasati,
29 —
VI.
Asumbula,
29 —
VIL
Adimizana,
30 —
VIII.
Alakarabu,
29 —
IX.
Alakausi,
29 —
X.
Adidzadi,
30 —
XI.
Adalu,
29 —
XII.
Alubutsi,
31 —
1 loc. cit. 1. 1, p. 449.
1908.] FERRAND I LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P, 229#
^ans une tierce langue familière aux deux correspoudauts ou à leurs traducteurs,
lorsqu'il s^agit de correspondance entre fonctionnaires orientaux et agents diplo-
matiques ou coloniaux européens. G^est le cas, par exemple, au Siam où les lettres
émanant du ministère royal des Affaires Etrangères sont expédiées en double, en
«iamois et en traduction anglaise. Le texte malgache et sa traduction ou sa para-
phrase en arabe sont donc parfaitement conformes aux usages diplomatiques : les
Merina ont toujours eu la prétention puérile de ne rien ignorer des exigences du
protocole.
Alahasati correspondrait donc à Çafar. Gomme les mois merina et musulmans
se succèdent dans un ordre immuable, la concordance précédente impose celle
<l^Aluhutsi avec Ramadan et de Alahamadi avec Sawwâl. Ces concordances entraî-
nent par conséquent celles du l^' Alahamadi avec le 1'^ Sawwâl, c^est-à-dire de la
grande fête musulmane de 'id al-fiir ou' id as-saghir avec la grande fête malgache
du Fandruana, Gette identification extrêmement importante ne me parait pas
douteuse.
un sait on quoi consiste le jeûne du Ramadan : le musulman ne doit prendre
ni aliment ni boisson, ni fumer, ni respirer des parfums, ni même avoir de relations
avec ses femmes depuis Taube (litt. : depuis le moment où il est possible de dis-
tinguer un fil blanc d'un fil noir^) jusqu'au coucher du soleil. Ge doit être un
mois de pénitence, de recueillement et de prières.
La plus ancienne description du jeûne malgache nous est fournie par Flacourt.
^ Ghapitre XXL Jbusne ou RAMAVAHA^ autbembnt dit MIAFOUTGHE».
Ge jeusne n'a point de mois réglé, et se fait tantost en un mois tantost en un
un autre, suivant la Gonstitution et qualité de Tannée, ce qu'ils (les Malgaches
sud-orientaux) observent par le cours de la Lune et des estoilles, j'en descriray la
façon que Ton a veu pratiquer à un Roandrian (prince) nommé Dian Machicore^,
qui fut le premier jour de la lune de Novembre qu'ils nomme Sacavei (Sakave)'\
Dès trois heures du matin, Dian Machicore avec toute sa famille mangea du ris
cuit à la façon du païs, et d'une espèce de confiture faite avec miel et ris nommée
Toubihé. Il ne fit aucun repas toute la journée jusques à minuit, le long de laquelle
il fut assis sur son angarate^ qui est une espèce de table, devant sa principale
porte, où personne n'oseroit s^asseoir que luy, ayant mis tous ses gens à Tentour
de luy, assis à terre sur des nattes, et les entretenant comme ses ancestres avoient
accoustumé de célébrer les jours de jeusne; puis il fit venir le joueur (Therravou^,
qui est un violon à une seule corde, lequel chante en jouant du violon, les hauts
faits de ses ancestres et de tous les Grands du païs. Deux heures après, tous ses
gens s'en allèrent quérir une brassée d'herbes, qu'ils jetteront devant sa porte et
crièrent tous d'une voix : Dria^ Dria^ Dria, Roandrian Tacalounau^^ et luy
» Cf. le Korân U 183.
^ Forme malgacbisée de Parabe Ramc^ân,
^ Jeûner = mi, préfixe verbal -\-afiUche, jeûne, action de jeûner. Cf. Malais ipuwäsa
<iérivé lui-même du Sanskrit : upavâsa. C'est une des survivances caractéristiques de la
migration malaise hindouisée qui a colonisa la grande île africaine vers les premiers siècles
•de notre ère. Cf. à ce sujet : G. Ferrand, Essai de phonétique comparée du malais et des
dialectes malgaclies, Paris, 1908, in- 8».
^ Pour Andrian Maéikoro ou Andria-Maéikoro,
*. Forme aphérésée de Fïsaka-ve,
« Cf. Malais Herbàb probablement dérivé de Tarabe ràbâb.
^ « Seigneur^ Seigneur^ Seigneur^ Seigneur, nous rows souhaitons bonheur^ traduit Fla-
court (toc. cit.) p.71. Il faut traduire : Salut, salut, salut 1 Seigneur, (que cela soit) ton amu-
p. 230.] • R • R • E • S • [1908.
s'écrie semblablement : Tacalounareo coa Hanareo^. Gela fait, ils firent sonner
toutes les ansives^ ou cors du village, et trois Aeoulahfi ou tambour qui son-
nèrent ensemble une espèce de son qui a quelque cadence. Sur l'entrée de la
nuict, ils escoutèrent tous Vherravou deux heures durant ; après cela tous les
Anacandrian^ vindrent s'asseoir sur VAngarate^ et luy estant dans sa maison
leur distribua du toubibé, lequel après avoir mangé ils dirent ces mots : Brian
Ulis aminanhahar^j c'est-à-dire : saluons le diable et Dieu ; car ils font tou-
jours passer le Diable devant Dieu^ ; puis ils se retournèrent devers Dian Machi-
core et luy dirent : Driay Dria^ Dria, Boandrian^ nous vous saluons Seigneur.
Minuit estant venu, ils firent chauffer de Peau bien chaude, et s'en lavèrent
avec une herbe pillée nommée tamboure^ ou bethel, et d'une autre herbe puante
appelée ZamaJo^ ; puis en maschèrent pour se rendre les dents, gencives et
lèvres bien noires selon la coutume de tous les grands et petits : mais le ftim-
boure se masche avec la chaux vive, et une graine qui s'appelle Voafcntsi^
ou Voadourou^j et les Matatanois^^ avec TArreca qu'ils appellent Four<»i
Fourou^^. ils firent apporter de l'eau chaude, dont ils se lavèrent les jambes
et les pieds. Dian Machicore se fist apporter une poulie cuitte au ris et fit sortir
tous ceux qui estoient dans sa maison, et demeura tout seul, il prit une cuillerée
de ris et avant que la manger il dit : que les François et autres estrangers me
puissent bien apporter de For, de l'argent, du corail et autres denrées. A la
deuxiesme cuillerée, il dit : que Dieu m'envoye bien du ris, des Ignames, des
fèves et autres fruits de la terre. A la troisiesme cuillerée, il souhaita qu'il vint
bien souvpnt des navires luy apporter des richesses. Après, il fit venir sa femme et
ses enfants manger avec luy et s'alla coucher. Cependant qu'il dormoit, tous ceux
de sa maison chantoient, eXYHerravou jouoit toute la nuit. Le lendemain matin,
il s'en alla à Fansbere^^ qui est le village du roy nommé Dian Ramach^', pour
lette^ ion préservatif {coniTe le mal). Takalu est vraisemblablement le malais taiüiah amu-^
lette, préservatif. Dria -= Kavi : çriya, bonheur, prospérité, salut, du sanskrit çriya,
1 D'après Tinterprétation précédente : que ce soit également un préservatif pour vous.
' Antsiva, grand coquillage dont on sonne comme d'une trompe. Les sonneries û^antsiva
sont une prérogative princière.
' HazU'lahi litt. : bois mâle, espèce de tambour.
* Anak'andrian, litt. : als de prince.
^ Andriam-Bilisi amin^Aiiahari^ litt. Monseigneur le Diable avec Dieu. Bilisi est la
forme malgachisée de l'arabe Ihîis^ StaßoXoc Anahari = aûa, préfixe des noms divins et
royaux et fiari, le jour, le soleil divinisé; litt, le Seigneur Soleil.
^ c'est-à-dire : ils craignent et honorent davantage le génie ou dieu du Mal que le bon génie.
7 Tamburu, bétel. Cf. Sanskrit : iâmbula,
* « Zamaîe^ dit Flacourt (loc. cit, p. 128), c'est une rampe qui est extrêmement puante et
toutes fois bien recherchée par les habitants pour le mesme effect (noircir les lèvres, la
bouche et les gencives) et pour guérir les ulcères des gensives ; ceux qui en ont mangé
sentent si puant qu'il est impossible de souffrir leur haleine qui sent plus mauvais que la
fiente humaine la plus corrompue ; et ce néant moins entre eux ils ne sentent point cela,
ainsi qu'en France ceux qui ont mangé de Tail ne sentent point ceux qui en ont mangé
aussi. Les Nourrices maschent cette herbe pour en frotter les gencives des petits enfants,
afin de leur appaiser la douleur des dents qui commence à leur sortir ».
* « Voafontsi ou Yoadourou, dit Flacourt (loc, cit. p. 123;, c'est le fruit de la plante du
balizier, des feuilles duquel on couvre les maisons ».
^0 Indigènes du bassin oriental du fleuve MatataAa, le Matitanana des cartes modernes.
" Furufuru, Cf. Farabe f auf al ou füfaU
" Fandzahira d'après les textes anciens.
^3 Andi'ian Ramaka.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 23 !•
le visiter et pour luy rendre hommage ainsi que firent tous les autres Roan-
drian du païs qui sont de la lignée des Zufferamini^, et luy firent des présents
de vin de miel, d'ignames, de volailles et autres fruits de la terre, et ainsi que
Dian Machicore s'en allèrent tous se présenter devant luy, et lui crièrent : Dria^
Dria^ Dria^ Roandrian ; et Dian Ramach leur respondit : Tœalounarreo, Fali'
nasareo Aho^, c'est-à-dire : je vous souhaite du bonheur, je me reconlmande
à vous autres ». Et ne mangèrent de tout le jour. Ils coupèrent la gorge à un bœuf,
et celuy qui le tua, arrosa tous les Roandrian du sang de la beste, qui dirent :
Dria, Dria^ Dria^ prirent leurs enfants et les firent toucher à la gorge du. bœuf,
<;royant que cela les exempteroit de maladie toute Tannée. Celuy qui tailla toute
la beste en morceaux, en prit un morceau quUl jota à costé droit et dit : c'est pour
le diable ; et un autre morceau qu'il jetta à gauche et dit : c'est pour Dieu'.
Il distribua toute la viande aux Roandrian qui en prirent du poil qu'ils attachèrent
à leur col ou sur leurs testes, et dirent : issa, roë^ télloUy effats^ limi, onem (sic),
fitou^ vahUy siviy faulo* et le répétèrent par trois fois, puis chantèrent par trois fois :
^iàlea zaho, mialea zàho^ midlea zaho'*. Le lendemain, Dian Machicore s'en
retourna en son village qui s'appelle Gocombe (comme firent tous les autres Roan-
drian, chacun dans leurs villages) où estant il fit apporter deux sines (sini) ou
cruches de vin et de miel, et en respandit deux tasses sur son Angarata (sic), et
dit pareillement : voilà pour le diable ; et de Tautre : voilà pour Dieu ; après, en
fit boire à tous les Roandrian et Anacandrian qui estoient présens, et à tous les
Nègres et esclaves. Cela fait, il s'en alla avec tous ses gens dans le champ de ris
le plus proche, et dit que Dieu luy avoit bien fait naistre du ris, et derechef tua
une beste et en couppa un morceau qu'il jetta dans le champ en disant que ce n'est
<}ue pour Dieu qui luy a bien donné du ris, et en fit cuire (du bœuf) en salaza^
ou carbonnade un autre petit morceau qu'il donna à un sien captif, lequel le passa
par dessus la teste de sa femme et de ses enfants, en disant par cinq fois : issa^
roéy tellouy effais^ limij enem^ fitou, valouj sivi^ foulou^ ; puis, il s'en vint et
dit à son père ces mots : Dria Racaüa zaho tay vare izo Ri soiia^y c'est-à-dire :
je vous salue, mon père, je viens de voir le Ris qui est beau. Lorsque le ris com-
mença à grener, il dit : Terac^^ c'est-à-dire : il est germé. Et quand le Ris fut
grand et prêt à cueillir, il fit mener une vache noire dans le champ, la sacrifia et
la fit manger à ses esclaves, et en fit jetter une partie dans le champ, en estant
^ Zafi'Ramini ou Zafin-Dramini, les descendants de Ramini. Après plusieurs tentatives
infructueuses, j'ai pu enlln identifier le nom de cet ancêtre éponyme des tribus sud-orien-
tales : Ramini signifie le Sumatranais, l'indigène de Sumatra ; et son doublet féminin
Raminia, la Sumatranaise, Cf. à ce sujet, G. Ferrand, Les îles Ràrnny, Lâmery, Komor,
Wâhioâk des géographes arabes et Madagascar in Jout*nal Asiatique, novembre-
•décembrê 1907.
* p. 71 du même ouvrage : falissanaho, au pluriel falissanareo. Probablement pour :
iahalunareo falinareo aho, je (vous souhaite) des préservatifs et des tabous (contre le mal),
3 Toutes les pratiques religieuses malgaches ont pour objet d'écarter d*abord les maléfices
4u dieu du mal. Le dieu bon, le bon génie n'est invoqué qu'en second lieu.
^ un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix.
5 Peut-être pour miaîa zaho, je me retire, je m'en vais.
^ Gril pour boucaner la viande.
7 Vide supra note 4.
" Dria raiho zaho tam-bari izo ri sua, litt. : Salut, 6 mon père ; j'étais au riz, il (rt)
«st beau.
» Teraha, litt. : né.
p. 232*] • R • E • E • S • [1908.
celle qui y estoit auparavant, et fit dire sur le Ris : Dria^ Dria^ Dria^ roandria^
ahi (lire obi) iombouc anahanhcure^^ c'est-à-dire : nous te saluons Seigneur,
toutes choses croissent de Dieu ; puis après, les Nègres apportèrent pour le tribut
chacun 4 paniers de ris et 30 ignames, les uns plus, les autres moins. Tous ces jours
de cérémonie achevez qui durèrent toute la Lune, ils s'assemblèrent au village soit
Roandrian soit esclaves, où ils firent Tezercice de la Sagaye qu'ils nomment
Mitavan^. Ce fait, chacun s'en alla chez soy manger tout le saoul pendant trois
jours et trois nuicts, lesquels finis, ils firent encor le Miiavan, et derechef chacun
s'en retourna chez soy, en disans comme par action de grace que Dieu leur avoit
donné du ris, et respandirent tous chacun devant leur porte un peu de ris et ainsi
se finit le Miafoutche ou Jeusne, pendant lequel si quelqu'un a mérité la mort,
ils ne le tuent point mais le mènent à la rivière et l'estouffent dans l'eau, ainsi
que Dian Ramach fit faire à un de mes nègres au commencement de la guerre, ne^
voulant pas ce mois là espandre du sang^, crainte de souiller le Ramavaha, ce
que les Turcs et Arabes nomment Ramaddan (Ramadan)^ n. « Chapitre LXIP.
Le vingt-troisième d'Aoust, premier (jour) de la lune (du mois de) Uiahia, tous les
Roandries (Roandrian) se baignèrent après avoir accomply leur jeusne à leur mode
qui est que pendant la lune (du mois de) Maca (Maka), qu'ils nomment cette année
Ramavaha, et les Arabes Ramaddan (Ramadan), ils ne boivent point de vin et ne
mangent point depuis le Soleil levant jusques au Soleil couchant; la nuict, ils
mangent et boivent tant qu'ils veulent, à l'exception du vin qui leur est deffendu.
Le lendemain, après s'estre lavez, ils célèbrent leurs Missavats^ ».
Chez les Taimuru ou Antaimuru, la fête annuelle du Fandniana est ainsi célé-
brée à la fin du XIX* siècle : « This tribe of Malagasi, dit un document indigène,
who inhabit a part of the south-eastern coast of Madagascar, keep this annual fes-
tival, as do the Hova (Merina) and other tribes, and they take great care to observe
the proper time without any alteration, in the manner now to be described ....
They abstain from rum-drinking for a month before the festival, whatever may be
the occasion, and wherener they may be. But they also get in a stock of rum ; those
who have sugar-cane crushing it and distilling the juice, and those who have none
doing this work for those who have and dividing the produce with them. And those
who cannot do either of these things buy rum, for as the Fandruana is coming,
how ashamed they will be if they have none to drink then. Many people also buy a
quantity to sell again at a profit as rum is always dear at that time n.
« The time of the festival is about the new moon, but two or three days after
the exact date. So that if the Fandruana is to-morrow, the king bathes first to-day^
a blessing being invoked before going down into the water, and should the king be
attacked by a crocodile, then the Fandruana is not observed by the people. And
this is also the case should any other misfortune occur. Should nothing of the kind
happen, however, and the time be propitious, people are chosen to watch the water
where the bathing is to be on to-morrow. They reason of this, they say, is lest the
water should be bewitched, and so injury or death be caused ».
^ Dria Roandrian obi tumbuka amtn'Âûahari, litt. : Salut, ô Seigneur, toutes {choses>
croissent par Dieu.
^ En malgache moderne, tavan, tavana^ signifient seulement saïUs^ bonds.
* Cette interdiction de verser le sang, réduite il est vrai à quelques jours, étaient récem^
ment encore en usage chez les Merina, vide infra.
^ Loc, cit. p. 67-70.
5 LOC, CiL p. 343-344.
* En Merina, misautra, remercier, faire des actions de grâces.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 233»
« At cock crow they all go together in a body and bathe, first pouring the water
over the head three times, also over the back, letting it pour down from the right
shoulder, and then they plunge into the water. This done they go home, every one
then cooking what food they may have, though it may be only sweet-potato leaves,
and calling their family to partake ; and when they have eaten, then they drink
the rum they have obtained during the month of abstinence. And oh, what a quan-
tity is drunk, and what drunkeness there is ! so that they have no sense left ».
« The children sing in the village, carrying with them rum in a bottle, and
some go to visit the chief with a present of rum, who again gives rum to all who
visit him. And the unmarried girls go round singing at the houses of the young men,
these latter giving rum, up to two or four bottles, to the young girls. This singing
and amusement goes on for three or four days, or even for a week, together with
rum- drinking ».
« People from one village also go about to sing at other villages, and the people
at these visit their visitors in return ; and the chief entertainment supplied is still
tuaka (rum), so that a caskful is often drunk at a time, or two or three demijohns.
Each village choses a chief, who has to bathe the king at Ivato^. This completes
the ceremonies of the Fandruana^ for very few oxen are killed at the time ; but if
any one does buy an ox for killing, it is very dear, if he himself kills it. The reason
of their not allowing their slaves or the people generally to slaughter oxen is, they
say, because these do not know how to worship, and so they kill without giving
thanks or performing the proper ceremonial^ n.
« With regard to the customs observed at the festival in places by the sea-shore,
the time when the rice is ripe is the time for keeping it. So the young men and the
young women talk together and say : we will bathe in the sea. So all the women
plait hats for the men, but they are not given one by one, but the hats are arran-
ged in the Government house, and the older ones choose the first. And the youths
in return give geese and ducks, and fowls and fish, as well as rice. Then the elder
ones arrange the others, one of the youths doing this for his companions, and one
of the young women doing the same for her friends. And the older people in the
village provide oxen for them all, an they sing and amuse themselves on the
sea-shore. This goes on for a week, if the provisions last as long, and when they go
home they wear flowers as ornaments on their heads. Their fathers and mothers
meet them at the gate of the village and escort them to the Oovernment house,
where they again dance and sing before they break up^ ».
Ellis qui nous a transmis d'intéressantes informations sur les Merina du com-
mencement du XIX** siècle, décrit ainsi la fête du Bain. « The most important and
popular festival celebrated in Madagascar, is that of the new year, in which the
sovereign acts a conspicuous part. The Malagasi year commences with a national
feast or lustration called mandru^ to bathe, or fandruana, bathing. It receives this
designation, because bathing constitutes one principal part of the ceremony ; but
the whole is not always observed with equal formality. In the early part of Rada-
ma's reign (1810-1828), he adhered more strictly to the ancient national observances
than during the last two or three years. The following description of the feast is
taken from observations made in 1821 ».
^ Village de la rive gauche du fleuve, non loin de son embouchure.
* Tout récemment encore rabattage des animaux était une des prérogatives nobiliaires.
3 T?ie Fandruana or annual festival of the Taimuru translated from a native ms. by
J. Sibree. Antananarivo Annual and Madagascar Magazine^ Tananarive, 1898, p. 149-150.
F. 234.] * R * E « E * S • [1908.
« Tho Malagasi year consists of twelve months, and an additionnai day
to each month which is supposed to precede the fist day of the new moon. The
ceremonies commence on the day after the termination of the last month in the
year, and are continued through a great part of the night and of the next or new
year's day. The design of the feast appears to be simply the celebration of the new
year. For about a week previous to the commencement of the general ceremonies,
the sovereign and royal family abstain from all animal food. On the day before the
Fandruana^ many of the principal people crowd towards the palace-yard with
present for the king as voluntary donations, and as expressions of joy in the anti-
cipation of the new year. These presents consist of fuel, mats, silver, charms, etc.
The hasina} is always paid in money. About sunset, on the eve of the new year,
the sovereign, who presides as priest during all the ceremonies, kaving entered the
royal house, called Mdhitsfi^ there sacrifices a cock, intimating that the blood of
this animal is the last shed in the year, and that with it thanksgivings are offered
for the past twelve months, and blessings supplicated for the next. From this place,
decorated with a splendid scarlet robe, and accompanied by his guard, the king
proceeds to the lapa^y or house called BesakanaK At this time the whole country
is illuminated. Every village, every hut, has its torch or bonfire, "which may be seen
from the capital (Tananarive) to the distance of thirty miles or upwards. The king
having entered Besakana, and taken his seat, the several nombers of the royal
family take theirs also, according to precedence. He then retires to the north east
part of the house^, which is partitioned off for the occasion, where he bathes,
exclaiming, with laughter and vivacity, that the water is cold. On coming out of
^ the bath, he repeats : Samba, samba^^ nu tratra hariva tauna^ Happy, happy, we
have reached the eve of the year*^. All presents then exclaim iTarantära /, reach
a good old age. At this moment the cannons are fired, and the king, having brought
with him from the bath a horn filled with water considered sacred, pours a little
into his hand, and sprinkles all present within reach, after which he resumes his
seat, all continuing to repeat : Trarantitra ! He then receives the hasina^ from
members of his family, and from any foreigners who may be present. During this
part of the ceremony, three culinary vessels are brought in, and placed upon a fire
arranged and attended by a person appointed to that office. They contain rice and
beef ; the latter being the portion kept specially from the fandruana of the last
year. Some rice and honey are then placed on silver dishes, a portion of the beef
on the rice, and the whole is then handed round, that each individual may take a
small quantity. In taking it, every one repeats the word samba^ happy or blessed,
as before, placing also a little rice and honey upon his head, and repeating nearly
the same words : Samba, samba Andriamanitra Andriananahari ; blessed, blessed
^ Somme d'argent donnée au souverain ou à son représentant en signe d'allégeance.
* Litt. : le juste.
3 Palais.
^ La grande barrière,
^ L'angle nord-est d'une maison est sous rinfluence d'AIahamadi, le Bélier du zodiaque,
qui est spécialement propice au roi et aux nobles.
^ Litt. : hommage (à Dieu). Cf. le malais sembah^ révérence, hommage, adoration.
7 La véritable invocation est : hu arivu tratry ni tauna, qu'on atteigne mille ans (de vie).
C'est un souhait de longévité.
* Tribut d'allégeance payé en espèces.
1908«] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 235^
be the lord god^. This custom is called taiau^f and signifies perfect concord amoogst
the parties concerned. The assembly, after this, breaks up, and the court-yard is
deserted by the dense crowd. All then bathe ; every parent acting the part of priest
for his own household, and performing on a small scale what had just been com-
pleted by the king. Weeping for their friends and relations who may have died
during the past year, then follows ; and the whole country becomes a Ramah, where
lamentations and mourning are heard in every house. Heads of families recount
also to their households the deeds of former days — the origin and honours, the ex-
ploits and fame,of their ancestors — and thus, by tradition, perpetuate the memory
of men and actions which must otherwise pass into oblivion n .
« The king has one particular bullock for himself and his family, which is kil-r
led soon after sunset, just when the old year has expired^. The people, however, are
noc allowed to kill their until the following morning. It is a custom strictly adhered
to, that the bullocks killed on this occasion should all be good ones ; that of the
king's particularly, must be free from all blemish, and of the most perfect symme-
try. If it is a lame, has any sore, has the end of the thail cut off, has one of its horns
turned up and the other down, or if it has a spot on one side without having a
similar one on the other, it is deemed wholly unfit for the purpose ; for in the view
of the natives, this bullock is the representative of all the others, and, before it is
killed, is presented or dedicated to god by a prayer which the king offers on the
occasion. The person who kills the bullock must also be properly qualified. He must
be without any spot or blemish on his body, and both his parents must be living,
otherwise he cannot be allowed to make the sacrifice, as it were, in the presence of
the deity ».
« Towards the close of the day previous to the festival, multitudes may have
been seen washiog their clothes and mats at every pond, or brook, or spring in the
neighbourhood ; and during the evening, the people bathe themselves and one
another. Well would it be, if such a practice prevailed once every week, instead of
only once in the year. About this time, several of the king's own bullocks are
driven into the court-yard, to be subsequently killed and distributed as dsfoka, or
annual presents, among his attendants. Next morning, by break of day, a great
number of cattle belonging to the people are driven into the court- yard. The king
makes his appearance at the sacred stone, a coarse block about twelve or eighteen
inches square, planted in the ground, near Besakana. A speckled heifer, previously
selected as fit to be offered in sacrifice, is then killed near the stone, and before
being perfectly dead, a small pièce is cut out of the rump, which the king receives,
and with it touches is forehead, the tip of his tongue, and right knee, generally
saying : « I have tasted of the blessings of the year ; may we continue to enjoy
them and taste the same at the expiration of this (new year) ». Part of this sacrifice
is then put aside, and kept for the next annual festival ; which the Malagasi have
a method of preserving perfectly sweet and palatable, although no salt is permitted
to be used in keeping it. The animal being next cut up, small fires are kindled
^ Hommage à Andriamanitra (litt. : le seigneur, manitrUy bon par excellence. On traduit
inexactement manitra par odoriférant, parfumé : c'est un véritable contre-sens. Je publierai
prochainement une note à ce sujet) et Andriananahari (le Aiiahari de Flacourt>, litt. : Art'
driana, le prince ; Awa, seigneur ; hari, soleil.
< Litt, ce qui est placé au dessus ou action déplacer au dessus,
3 Comme les Arabes, les Malgaches considèrent la journée terminée au moment du cou-
cher du soleil.
p. 236.] • R • E • E • S • [1908.
before the royal tombs ia the court-yard, and small pieces of this sacred beef arc
fixed OQ pieces of wood, and put into the fire by the sovereign himself, as a sort
of burnt-offering to his departed ancestors. After this, the king enters the palace,
where he changes his apparel, and, again, coming out, approaches the tomb of
Andriamasinavaluna^, holding two rods in his hand. He supplicates that chieftain of
former times as having « gone to god, and seeing him, and talking with him to
intercede with god in his behalf, and to prosper his kingdom, to grant him success
in arms, to extend his dominion, and to confer happiness on him and on his
subjects n. He then leaves the capital (Tananarive) and visits Ambuhimanga*,
accompanied by few attendants. At the tomb of his father (Andrianampuinimerina
1787 ?*1810) he performs similar ceremonies and supplicates similar favours. This
visit is sometimes omitted, but not when there is a prospect of any important
military expedition being undertaken ».
tt The cattle having now been driven by their respective owners or their servants
out of the court-yard, where it is supposed they received some benefit from the king's
sacrifices, prayers and benedictions, the whole town and country become one vast
slaughter-house.... From ten to fifteen thousand bullocks are usually killed on this
occasion .... Of all that are killed in the town, the allotted portion, the rump, is
presented to tbe sovereign ; and in the country, the same portion is presented to the
chiefs and nobles. It is usual for the sovereign to distribute a large number of cattle
himself, especially if about commencing an expedition. In 1821, the number given
by Radama I was not less than two thousand. By a general edict the people are
forbidden to kill aoy bullocks for a few days previous to the feast, and for a week
or ten days afterwards ».
« In the course of the afternoon of the great feast-day, the beef is cut up into
small pieces and cooked. It is then placed on rice and handed round in each family
to any friends and acquaintance who may be present.... The whole of the first
month of the year is called Vulam-padina, or sacred month, and is not unfrequently
occupied by an interchange of visits, to partake of each family's ä^aia. Friends
often travel a very considerable distance on such occasion, to prove their attachment
and respect. Radama I was in the habit of inviting his family and nobles to eat dzaka
with him, and in return he went and partook of theirs. The act of eating dzaka
with any one is by the Malagasi considered as a pledge of amity — a sacred test
and bond of mutual friendship and concord^ ».
Chez les Antanosi du XVIP siècle, les prescriptions islamiques concernant le
jeûne sont encore partiellement observées ; les Antaimuru du XIX* siècle s'abstien*
nent d^alcool, mais pendant le Ramadan seulement. Les Merina et les autres
Malgaches modernes ont réduit le mois de jeûne à une simple abstinence de viande
pendant quelques jours. La proclamation au peuple d'un ancien souverain Merina,
1 Ce souverain régnait vers la tin du XVII« siècle ou le commencement du XVIII*. Le
Père Abinal le fait régner de 1667 à 1687, le Père Malzac de 1675 à 1710, A. Jully de 1705
à 1725, Mullens vers 1720, Tacchi de 1730 à 1750, M. A. Grandidier de 1696 à 1740. Cf.
A. Grandidier, V origine des Malgaches, Paris, 1901, in-4°, p. 79, note, et p. 82.
* L'ancienne ville sainte qui contenait les tombes royales.
* Loc. cit. 1. 1, p. 360-366. Cf. également, James Sibree, The Faiidroana or new year's
festival of the Malagasy, Antananarivo Annual and Madagascar magazine, Tanana-
rive, 1900, p. 489-496. La fete du Fandruana sera ultérieurement étudiée en détail au
point de vue religieux et ethnographique. La présente note n'a d'autre but que d^établir
son identification avec la fête musulmane qui suit le jeûne du Rama4än pendant la période
historique, c'est-à-dire du xvi« siècle à nos jours.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 237*
à roccasioQ du Fandruana^ qui nous a été conservée dans les Tantara ny Andriana\
en fait mention : <» Voici ce que je vous fais savoir, dit le roi, ô Ambanilanitra^ et
voici l'ordre que je vous donne. Ce sera (bientôt le jour du) Fandrttana. Celui qui
tuera un animal (litt. : une chose vivante) cioq jours avant et cinq jours après,
enfreindra (mes ordres ;) il sera réduit en esclavage (ainsi que) sa femme et ses
enlaots. Qu'on ne se baigne pas, qu'on ne tue ni bœuf ni aucun animal cinq jours
avant ni cinq jours après. Lorsqu'on pourra mettre à mort des animaux, qu'on ne
tue ni oiseaux ni poulet. Je vous donnerai ce qu'il faudra tuer (je vous fournirai les
animaux qu'on pourra tuer). Si quelqu'uo eofreint cet ordre, tue bœuf, porc ou
mouton, je lui couperai (sic) la tête^ ». Voici d'autre part en traduction littérale,
d'aprè« Ny Gazety Malagasy^ y la proclamation de Ranavaluna III à son peuple à
l'occasion du Fandruana de 1884 :
« Moi, Ranavaluna qui règne, par la grâce de Dieu et la volonté du peuple,
reine de Madagascar et protectrice des lois de mon pays, etc., etc., etc. (sic*^) ».
« Voici ce que je vous dis, ô Ämbanilaniira. Par la bénédiction de Dieu,
Tanoiversaire de ma naissance et de mon couronnement est revenu, ce jour que j'ai
décidé être un jour de réjouissance sera celui du Fandrtuina. Comme, par la
bénédiction de Dieu, Moi et vous Ambanilanitra nous sommes (encore) vivants,
nous nous réjouirons eosemble à l'occasion du Fandruana, le premier depuis le jour
de mon avènement. Remercions (en) Dieu n.
■ Puisque vous êtes réunis ici (sur la place) d'Anduhalu, à l'endroit saoctifié
par les douze rois, ainsi que je vous y ai convié ; que vous avez été fidèle au reudez-
vous fixé par Moi, Ranavaluna qui règne, et que vous êtes arrivés au jour prescrit
pour votre venue, je vous en remercie ô mes parents ; je vous en remercie, ô Amba-
nilanitra^ parce que en vous j'ai un père et une mère, puisque je vous ai, o
Ambanilanitra, Car il faut que je sois vraiment la remplaçante (de mes ancêtres)
Andrianampuioimerina®, Radama F, Rabudunandrianampuinimerina^, la reine
Rasuherina® et Ranavaluna IP^. (En voyant) ce que vous avez fait, ô Ambanilanitra^
^ Histoire des rois de Vlmerina, Tananarive, 1873, 1. 1 de la 1" éd. le seul paru.
^ Litt. : ceux qui sont sous le ciel. Dans les proclamations royales, le peuple était appelé
Ambanilanita ou Ambaniandru (ceux qui sont sous le jour).
3 Lac. cit. p. 46-47.
^ « La gazette Malgache », journal officiel de Tancien gouvernement royal de Madagascar.
^ Cette formule, grotesque sous toutes les latitudes, était aussi peu appropriée que pos-
sible à l'ancienne royauté malgache. Il y a lieu de dire à sa décharge, que Tadoption lui en
fut recommandée par des étrangers. Le parti européen hostile au développement de notre
influence, avait imaginé de faire passer les Meiina pour des protestants convaincus, d'admi-
rables chrétiens ouverts à toutes les idées de droit, d'honneur et de justice. L'Europe ne
devait donc pas tolérer que la France fît la conquête d'un pays aussi bien pensant. On
inventa alors la formule ci-dessus pour les proclamations royales. L'ancien protocole s'in-
quiétait peu de la grâce de Dieu et de la volonté du peuple ; les souverains de Tananarive
s'exprimaient ainsi : « Moi, roi de la terre et du ciel ». On inventa bien d'autres cocas-
series pendant les trente années qui précédèrent notre installation à Madagascar ; j'espère
avoir les loisirs de les conter un jour.
« A régné vers 1787?-1810.
^ A régné de 1810 à 1828. Fils du précédent.
^ Veuve de Radama P' également appelée Ranavaluna P«. Elle régna de 1828 à 1861.
Andrianampuinimerina avait expressément proclamé ses droits au trône dans le cas où
elle survivrait à son mari. Le nom de son âls, Radama II (1861-1863) n*est jamais mentionné
dans la liste des souverains. Il régna 21 mois et fut étranglé le 12 mai 1863.
» Veuve de Radama II. Elle régna de 1863 à 1868.
10 Elle a régné du 7 juillet 1868 au 14 juiUet 1883.
p. 238.] • R • E • E • S • [1908.
j'ai confiance (en vous). Vivez (longtemps), soyez bien, soyez bons, que Diea vous
bénisse ».
« Que Dieu nous bénisse, que nous puissions voir (de nombreux) anniversaires » .
« En ce qui concerne le Fandruana :
I. Vendredi, 21 novembre, le seizième jour prochain à compter de celui-ci,
aura lieu le bain. Le lendemain, samedi, on tuera les bœufs.
II. Le soir de Vendredi, jour du bain, on pourra tuer des fu tsi aritra^ ; mais
les animaux à quatre pattes n'en faites pas des fu tsi ariira (c'est-à-dire : ne les
tuez pas).
III. § 1. Lundi est le dernier jour pendant lequel on pourra tuer des bœufs.
Personne ne devra faire couler le sang depuis cette date, à l'exception de celui des
fu tsi aritra du vendredi soir, jour du bain. Samedi est le jour où on abattra des
bœufs, mais il est interdit de tuer d'autres animaux que les bœufs. Après samedi,
personne ue peut tuer de bœufs ou d'autres animaux jusqu'à jeudi (27 novembre).
C'est seulement à partir de ce jeudi qu'on pourra de nouveau faire couler le sang.
§ 2. La chair des bœufs tués jusqu'au dernier jour (avant le Fandruana où il
est permis de le faire =^17 novembre) ne doit pas être mélangée et vendue avec
celle (des bœufs tués pour) le Fandruana, on ne doit pas faire de tsangan'afu- ;
elle doit être consommée avant le vendredi, jour du bain.
§ 3. On ne doit pas faire souffrir les bœufs*.
IV. Le temimpandruana* est fixé à un quart de piastre (= I franc 25 es) pour
le fils aîné, uu huitième de piastre pour les autres enfants et un seizième de piastre
pour le plus jeune fils. Ces indications ont trait aux veuves, aux pauvres, aux gens
ftgés, aux orphelins. Si, en présence des chefs féodaux (litt. : les seigneurs des
domaines féodaux et les chefs du pays), vous ne donnez pas à chacun sa part ; s'il
y en a qui prennent de force (la part des autres), que les (plus) forts prennent
(toute) la viande (distribuée à l'accasion du Fandruana) ; plus encore, s'il y en a
qui emploient la fraude ; si quelqu'un ne partage pas équitablement l'argent du
temim-pandruana, je le déclare fautif et coupable.
V. § 1. Le vudi'hena^ ue doit être partagé qu'au palais royal.
§ 2. La peau des bœufs que vous tuerez, ô Ambaniandru^j je ne la prendrai
pas pour ce premier anniversaire de mon avènement. Le suif, l'huile de pied de
bœuf, je ne les prendrai pas non plus.
VI. Aujourd'hui, jeudi, date de cette proclamation, commence la collecte du
ha^ina qm est de cinq centimes par personne.
Je vous le dis pour que vous l'entendiez et le sachiez.
« Failes bien attention à mes paroles. Ma loi est arrivée jusqu'à vous, car je
ne la cache pas. Si vous la transgressez, les AntiW me le feront savoir. Si les Antili
1 Litt. : cœur sans patience. Nom donné aux volailles qu'on est autorisé à manger la
veille du jour où il sera permis de tuer des bœufs.
« Litt. : feu debout. Signal indiquant qu41 y a du bœuf à vendi'e.
3 Les bœufs sont généralement tués assez cruellement.
. * Litt. : décorations du bain. Nom donné à la somme réunie en famille pour l'achat
d'un bœuf, à roccasion du Fandruana.
5 Litt. : le derrière de la viande (le derrière du bœuf). Partie réservée au souverain et
aux seigneurs féodaux.
• Litt. : ceux qui sont sous le jour.
'^ Sorte de fonctionnaires. Litt. : ceux qui sont en sentinelle.
1908.] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE FANDRUANA. [P. 239»
font autrement (qu'ils ne doivent faire) et ne veillent pas (à Texécution de la loi)^
faites-le moi savoir ».
« Que Dieu vous bénisse pour que vous soyiez raisonnables et observateurs des
lois, pour que vous, vos femmes et vos enfants soient prospères. Que progresse dana
mon royaume la justice (ou : la vérité) basée sur Tévangile de Jésus-Christ, que
toute chose vaine (litt. : chose vide) disparaisse. Que Dieu soit mon maître et le
vôtre, ô Afnbanilanitra}^
A dit
Banavaluna qui règne,
la Reine de Madagascar,
etc. etc. etc.
Ces paroles sont vraiment celles de Ranavaluna qui règne, la reine de
Madagascar,
A dit
Rainilaiarivuni .
Premier Ministre et Commandant en chef de Madagascar, etc. etc. etc.^
(Fait) dans le palais, le 6 novembre 1884s ».
Du XVIP siècle à la fin du XIX*, l'évolution du jeûne est bien marquée. Les
Antanosi contemporains de Flacourt jeûnent effectivement ; les Antaimuru s'abstien-
nent seulement de rhum ; les Merina, enfin, ne mangent pas de viande de boucherie
pendant une dizaine de jours. Chacune de ces périodes de jeûne total ou partiel est
suivie d'une grande fête dite fête du Bain. L'assimilation du Fandruana avec la
fête musulmane de 'îd as-saghîr me parait ainsi nettement établie^.
Le récit d'Ëllis contient un passage particulièrement intéressant. « Le premier
mois de l'année, dit-il, (c'est-à-dire le mois de Alahamadï) est appelé vulam-padivia
ou le mois sacré (plus exactement : le mois où on s'abstient de certaines choses, le
mois pendant lequel certaines choses sont fadl^ tabouées;*^ ». Fadina est l'exact
équivalent de l'arabe moJmrram^ défendu, prohibé, inviolable : c'est le nom du
premier mois de l'année musulmane. Si Tépithète malgache avait pour but de
rappeler l'interdiction d'abattre des animaux pendant les premiers jours diAlàhon
fnadi, elle devrait s'appliquer également au mois précédent, Aluhutsi = Rama--
doHj pendant les derniers jours duquel cette interdiction est aussi en vigueur :
mais ce n'est pas le cas. Comme les autres Malgaches, les Merina ont eu l'année
de 336 et la série des noms de mois sanskrito-malgaches. En adoptant l'islam, les
Merina ont remplacé la série d'origioe indienne par la série arabico- malgache
rappelant les noms arabes des signes du zodiaque. Asaramasai est devenu Alahor
modi correspondant à Moharram. Cette équivalence a donné naissance au doublet
milam-padina qui traduit exactement l'arabe moharram et ne peut par conséquent
s'appliquer qu'au premier mois de l'année malgache. L'année Merina n'ayant que
^ L'esprit de cette proclamation royale est d'inspiration occidentale. Cf. la précédente,
extraite des Tantara ny Andriana qui est, au contraire, nettement malgache.
* En anglais dans le texte de la proclamation : Prime minister sy commander-in-chief.
3 Ny Gazety Malagasy, n» 36 du 7 novembre 1884. La disposition typogi»aphique des
signatures est identique à celle de l'original.
-* Cette identification n'a trait qu'à la période comprise entre le xvi« siècle et la fin du xk«.
Il est évident que les Malgaches célébraient antérieurement une fête annuelle sur laquelle
nous n'avons aucune renseignement historique. Les rites anciens ont été seulement mis en
harmonie avec la fête musulmane.
5 Vide supra p. 236.
p. 240.] _ _^ ^ *_? \J^^ ? * [1908.
336 jours de durée, par conséquent vague par rapport à Tannee musulmane de 354,
Alahamadi, dès la seconde année de cette réforme onomastique (qui, dans ma
conjecture, aurait précédé la réforme chronologique), était en retard de 18 jours
sur Tannée musulmane, puis de 86, puis de 54.... En d'autres termes, Alahamadi
correspondait successivement à tous les mois musulmans, dans le sens du douzième
au premier. Pendant cette période, la fête du Fandruana, identifiée avec ^id as-
saghtTy devait avoir lieu également dans tous les mois, comme chez les Antanosi du
XVII* siècle^. Vers la fin du XVP siècle ou dans les premières années du XVIP, le
roi Merioa Ralambu décréta, dit la tradition, que le Fandruana aurait lieu le
1*' Alahamadi « parce que son destin était celui de Alahamadi «, c'est-à-dire
parce qu'il était né sous Tinfluence d'Alahamadif le Bélier du zodiaque. Il va de
soi que la tradition ne doit pas être prise à la lettre : Ralambu n'institua pas le
Fandruana^ mais il en fixa seulement la célébration au mois d' Alahamadi. Très
vraisemblablement, ce prince transforma Tannée malgache de 336 jours en année
de 354 sur le modèle de Tannée musulmane. Alahamctdi correspondait à cette
époque au 1*' Sawwâl et la concordance s'est ainsi maintenue dans la suite. Je
ne vois pas d'autre explication vraisemblable du triplet Alahamadi = Vulam-
padina »= Moharram correspondant chronologiquement au 1*' Sawwâl.
La réforme attribuée à Ralambu, s'est maintenue intacte jusqu'en 1864. A cette
époque, sous le règne de la reine Rasuherina, le Fandruana aurait dû avoir lieu le
jeudi 10 mars « 1*' Sawwâl. « The observances connected with the feast of the
new year, dit Ellis, extend over a number of days, or even a longer period, but
especially three days — the day before the close of the year, the evening of the
last day of the year, and the first day of the new year, which is the great day of
the feast. It was fixed by the diviners that the coming year should Ix^in on the
first Sunday in March (lire : in Alahamadi)^ consequently the observances com-
menced CD the friday^ ». Alahamadi commença donc le dimanche 13 Mars avec
un retard de trois jours : le P' Alahamadi eut lieu le 4 Sawwâl au lieu du 1*' de
ce mois. En 1883, d'après Ny Gazety Malagasy (n<» 5 du 25 Août 1883), lundi
5 Alahamadi = 6 Août, donc 1 Alahamadi = 2 Août, mais 1^ Sawwâl 1300 H =
5 Août. L'année malgache est toujours en retard de trois jours : le comput du
temps n'a pas varié depuis 1864. En 1884, la cérémonie du bain royal eut lieu le
21 novembre au soir ; le lendemain, 22, jour anniversaire de naissance de la reine
Ranavaluna IIP, fut décrété fête nationale à l'exemple des gouvernements monar-
chiques européens. Dès lors, la date du bain royal est définitivement fixée au
21 novembre de chaque année et celle de l'ancienne fête du 1^' Alahamadi, au
jour suivant. Le calendrier lunaire arabico-malgache continue à être en usage dans
le peuple, mais le calendrier grégorien est adopté par la cour et le gouverne-
ment Merina. Le Fandruana n'est plus célébré depuis notre prise de possession
de la grande île africaine : il a été supprimé par arrêté du gouverneur général.
1 Vide supra p. 229, la remarque de Flaeourt à ce sujet.
* W. Ellis, Madagascar revisited^ Londres, 1867, in-8<>, p. 383.
3 D'après un avis inséré dans le n<* 12 de Ny Gazety Malagasy du l«' Décembre 1883, la
reine est née le 22 novembre 1861, est montée sur le trône le 13 juillet 1884 et s'est montrée
au peuple pour la première fois le 22 novembre 1883.
1908«] FERRAND : LE CALENDRIER MALGACHE ET LE PANDRUANA. [P« 241«
Les publications des missions française et anglaise ne s'accordent pas sur la
durée des mois de Tannée lunaire malgache. Les almanachs pour 1894 présentent
les divergences suivantes :
Catholique français.
Anglais^
Adidzadi
Adalu
Aluhutsi
Alahamadi
Adauru
Adizauza
Asurutani
Alahasati
Asumbula
Adimizana
Alakarabu
Alakausi
7 janvier,
6 février,
8 mars,
; 6 avril,
: 6 mai,
: 4 juin,
; 3 juillet,
; 2 août,
31 août,
29 septembre,
29 octobre,
28 novembre,
30 jours
30 —
29 —
30 —
29 —
29 —
30 —
29 —
29 —
30 —
30 —
29 —
7 janvier, 30 jours
6 février, 29 —
7 mars, 30 —
6 avril, 30 —
6 mai, 29 —
4 juin, 29 —
3 juillet 30 —
2 août, 29 —
31 août, 29 —
29 septembre, 30 —
29 octobre, 29 —
27 novembre, 30 —
i Publication de la Friends'forelgn mission association.
p. 242.] • R • E • E • S • [1908.
LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO
par Maubicb Delafossb (Côte d'Ivoire).
(Suite).
18. — L'agricoltare.
L*agriculturè est Toccupatioa principale des Siéna. Dans les régions où ils sont
demeurés les plus primitifs, comme dans la fraction nord-est et chez la plupart des
tribus de la fraction centrale, on peut même dire que Tagriculture est, avec la
chasse, la seule raison d'être des indigènes. Partout, sauf là où les Mandingues ont^
par leur nombre, une influence prépondérante, on aperçoit des champs vastes, bien
travaillés, bien alignés, bien entretenus. Là où la population est dense, comme
dans les environs de Korhogo et dans le territoire des Nafarha, la « brousse » a
complètement disparu, sauf dans les endroits où la roche, aiBeurant le sol, rend
toute culture impossible. Tous les espaces utilisables ont été utilisés ; on rencontre
même des essais primitifs de drainage et de canalisation qui ont demandé de réels
efforts, largement compensés d'ailleurs par les belles récoltes que donnent les
rizières. Les collines même et les flancs des montagnes sont couvertes de cultures,,
et, seuls, les rochers nus ne portent pas trace de travail humain.
Toute Tannée, on travaille aux champs et tout le monde y travaille selon ses
aptitudes, hommes, femmes et enfants. Les Siéna se livrant au commerce de
colportage sont une exception, sauf dans les sous-tribus mandicisées des fractions
nord et sud, et en réalité il n^ a que la caste d'ailleurs peu nombreuse des artisans
proprement dits qui ne s'adonne pas exclusivement à Tagriculture. C'est pourquoi,
malgré leur nature soumise et facile, les paysans Siéna n'aiment pas beaucoup
s'engager comme porteurs ou travailleurs pour une durée un peu longue et en
dehors do leur pays : la nature de leur sol en effet et leur système de cultures ne
permet pas qu'un champ soit abandonné pendant une période de plusieurs semaines
sans que la récolte annuelle ait à en souffrir.
Le labourage se fait à l'aide de la grande et de la petite houes décrites au
chapitre 16. Les herbes sont au préalable soit brûlées, soit le plus souvent arrachées
et laissées sur le sol où elles se dessèchent et pourrissent en partie. La terre végétale,
d'une faible épaisseur en général, est ramenée en tas à l'aide de la houe, de façon à
former soit des buttes coniques de 0 m. 50 à 1 mètre de haut, soit des sortes de levées
continues de hauteur moins considérable. Les ignames et le manioc se plantent
toujours dans des buttes, ainsi que divers légumes ; le mil, le maïs, l'arachide, se
sèment soit sur des buttes, soit sur des levées ; le riz en général se sème dans les
sillons qui séparent les levées ou les alignements de buttes, et qui se convertissent
en ruisseaux lors des grandes pluies ; on le repique ensuite sur les levées. (Je parle
ici du riz dit « de montagne n, le riz de rizière étant toujours repiqué dans des
terrains bas et inondés). Lorsqu'une butte a été ensemencée, on recouvre son
sommet d'une pierre ou d'un paquet de feuilles pour empêcher la pluie de décou-
ronner le sommet et de venir pourrir la semence ; parfois même, notamment chez
les Nafarha, chaque butte une fois ensemencée est surmontée d'une sorte de cha-
peau en terre blanche façonné à la main et durci.
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 243«
Pour empêcher l'appauvrissement du sol, on alterne les cultures de saison en
«aison dans le même champ et même, lorsque la population n'est pas trop dense
dans la région, on laisse les champs en friche une année sur trois. Lorsque le peu
-de terrain disponible ne permet pas ce procédé, les indigènes n'hésitent pas à
abandonner leur village et à le transporter parfois à 20 kilomètres ou plus, dans
une région à peu près déserte ou abandonnée depuis longtemps. Chez les Pala et
les Niarhafolo, ce système est poussé à un point tel que les indigènes peuvent à la
rigueur être considérés comme des nomades, ne demeurant souvent pas trois années
de suite dans le même endroit. Ce procédé, rendu nécessaire par l'absence presque
totale de calcaire dans le sol de cette partie de l'Afrique, n'a pas peu contribué à
empêcher la civilisation des Siéna de progresser ; il s'oppose en effet à la constitu-
tion de gros centres permanents qui pourraient à la longue devenir des foyers de
progrès.
Ailleurs, il existe bien de gros villages permanents, presque des villes. Mais
-chaque famille de ces centres possède à 10, 15, 20, 30 kilomètres de Ih un hameau
où elle demeure la plus grande partie de l'année, où certains de ses membres
habitent même continuellement, et autour duquel sont ses cultures. Système un
peu analogue à celui des grands seigneurs d'autrefois qui allaient se montrer à la
<^ur et possédaient un hôtel dans la capitale, tandis que leurs serfs faisaient valoir
les propriétés territoriales qu'ils avaient en province et dont ils tiraient leurs
revenus.
Ces diverses circonstances sont très importantes à connsdtre. Si on les ignore,
on ne peut comprendre exactement l'organisation politique et sociale des Siéna, ni
se rendre compte que des hameaux très éloignés d'un centre donné dépendent
cependant de ce centre et non pas d'un autre beaucoup plus rapproché. Ce sont au
contraire ces circonstances qui expliquent Téparpillement des Siéna, le morcelle-
ment de leurs sous-tribus, la variation énorme que présente la densité de la popula-
tion selon la degré de richesse du sol, enfin la présence de nombreuses ruines qui
sont loin de provenir toutes du passage d'un conquérant dévastateur et les change-
ments considérables que subissent en quelques années la répartition, la nomenclature
et la situation des petites localités.
J'ai dit plus haut que, pour la culture du riz blanc ou riz de rizière,
{vulgairement « riz de marigot »), les Siéna pratiquaient des drainages et des
canalisations ; parfois même ils détournent complètement le lit d'une rivière et la
font s'épandre dans une vaste rizière préparée à l'avance. Ce riz est semé dans des
sillons fréquemment arrosés ou dans des terrains légèrement marécageux ; une fois
levé, il est repiqué à la main dans le lit même des rivières ou dans les zones
d'épandage, après qu'on a ameubli le terrain à la houe. Les rizières qui donnent
les plus belles récoltes sont celles établies en pleine eau courante.
Le riz gris ou rosé, dit « riz rouge a ou « riz de montagne », se sème également
dans des sillons, mais se repique dans des terrains non inondés, préalablement
dépourvus de toute végétation étrangère.
Le petit mil est également repiqué, mais en partie seulement. C'est à dire qu'on
le sème à poignées, et qu'une fois la touffe de tiges bien levée, on arrache la
moitié au moins de ces tiges afin de dégêner les autres, puis on coupe les feuilles
terminales des tiges ainsi arrachées et on les repique ensuite par petites touffes.
Les espèces végétales les plus communément cultivées par les Siéna sont les
suivantes : le petit mil (nombreuses variétés, répandu partout, surtout dans les
fractions nord, centrale et nord-est) ; le maïs (également répandu partout, et d'autant
p. 244.] • R • E • E • S • [1908»
plus abondant que les Mandingnes sont plus nombreux dans la contrée ; il s'accom-
mode mieux que le mil des terrains légèrement sablonneux) ; Vigname (nombreuses
yariétés, répandue surtout dans les fractions sud-est, sud, centrale et nord-est,
moins commune et de moins bonne qualité à mesure qu'on s'avance vers le nord ;
elle réclame un sol assez riche et semble l'épuiser assez vite) ; le manioc (deux
espèces : l'une, vénéneuse lorsque le tubercule n'a pas été soumis à la fermentation»
se rencontre fort rarement ; l'autre, que l'on peut sans danger aucun consommer
même crue, est beaucoup plus cultivée et présente au moins deux variétés) ; le
sorgho ou gros mil (cultivé surtout en vue de la nourriture des chevaux, et
seulement là où il existe des chevaux, sauf cependant dans certaines parties
de la fraction nord-est, où, à l'exemple de leurs voisins de la haute Volta, les
indigènes le cultivent pour leur consommation personnelle) ; le petit sorgho
ou petit mil à grappes, (cultivé seulement autour de quelques villages, surtout
dans la fraction centrale et la fraction nord) ; le riz gris ou rosé ou riz de mon-
tagne (qu'on rencontre surtout dans les fractions centrale et nord, mais qui
existe aussi dans plusieurs parties des autres fractions) ; le rijs blanc ou riz de
rizière (cultivé sur une très grande échelle dans la fraction centrale et à un degré
moindre dans les fractions nord-est, nord et sud, inconnu ^ je le crois du moins —
dans la fraction sud-est) ; le haricot (plusieurs variétés, les unes noires, les autres
rouges, toutes rampantes, cultivées un peu partout) ; Varachide (se rencontre dans
toutes les fractions en plus ou moins grande abondance, surtout dans celles du centre
et du nord-est ; affectionne les terrains sablonneux) ; V arachide-haricot (cultivée
seulement sur une échelle assez médiocre) ; Varachide sans coque (que je n'ai
rencontrée que dans la fraction nord-est et la partie orientale de la fraction centrale,
sans pouvoir affirmer pourtant qu'elle soit inconnue ailleurs) ; les calebasses (nom-
breuses variétés, les unes comestibles, les autres servant seulement à confectionner
des ustensiles, les premières cultivées partout, les secondes fréquentes surtout dans
la fraction nord) ; la patate (cultivée auprès de presque tous les villages, mais sur
une échelle assez restreinte) ; le gingembre (que je n'ai vu cultivé que dans la
fraction centrale) ; divers légumes et condiments (cultivés partout autour des villages,
et parmi lesquels je citerai des sortes d'aubergines amères, le gombo, différentes
feuilles comestibles, plusieurs variétés de piment, des concombres à graines
oléagineuses).
Comme cultures non vivrières, je dois mentionner celles : du coton (trois
variétés au moins, l'une à bourre grisâtre, la seconde à bourre rousse, la troisième
à bourre blanche ; la dernière peu répandue sauf là où les Mandingues sont établis,
les deux autres se rencontrant à peu près partout, surtout dans les fractions du
centre et du sud) ; du tabac (cultivé dans toutes les fractions) ; d'une sorte de chanvre
dont les fibres sont utilisées pour fabriquer des cordes et que Ton cultive surtout
dans la fraction centrale.
Il existe aussi des espèces, arborescentes pour la plupart, qui constituent ce
que j'appellerais volontiers des demi-cultures, c'est à dire qu'elles ont été à l'origine
importées et plantées par la main de l'homme, mais qu'elles ont été ensuite aban-
données à elles-mêmes. Ces espèces peuvent sembler à première vue spontanées,
mais on a la preuve du contraire en constatant qu'on ne les rencontre que dans les
plantations ou les anciennes plantations, ou à proximité des villages ou des
emplacemeuts d'anciens villages ; on peut même assister de nos jours à la mise en
terre de plusieurs de ces plantes et aux soins que prennent les indigènes pour
assurer et faciliter leur reproduction. Dans cette catégorie se rangent : Varbreà
1908*] DELAFOSSB : LE PEUPLE SIENA OU SÉNOUFO. [P. 245.
ieurre (se en mandinguei vulgairement kariié du mot marka khari-ié qui signifie
« beurre de khari ») ; le finsan (ainsi appelé par les Mandingues, donne un fruit
dont la pulpe est comestible et oléagineuse) ; le néié ou néré (ainsi appelé par les
Mandingues, ses graines sont entourées d'une pulpe qui sert à la préparation du
condioQient bien connu sous le nom mandingue de soumbara) ; le baobab (dont les
fruits renferment une pulpe connue vulgairement sous le nom de « pain de singe a
€t utilisée pour agrémenter le goût de Peau de boisson) ; le palmier à huile (que
Ton ne rencon^e guère que dans les parties méridionales de la fraction sud et de la
fraction nord, ainsi que dans la fraction sud-est, et dont les indigènes retirent et
-du vin de palme et de Thuile de palmistes) ; le citronnier (abondant surtout dans
les fractions sud-est et sud, moins fréquent dans les autres) ; le papayer (que Ton
rencontre un peu partout, mais en moins grande abondance et donnant des fruits
de moindre qualité à mesure qu'on s'avance vers le nord) ; le bananier (deux
espèces : celle donnant la grande banane légume, cultivée seulement dans quelques
localités, surtout dans les fractions sud-est et sud, et celle donnant la petite banane
fruit, plus généralement répandue) ; Vananas (abondant et savoureux surtout dans
le sud et dans l'ouest, souvent stérile dans le centre, le nord et l'est).
Depuis une époque toute récente, on peut ajouter à cette liste la liane à
^caoutchouc, dont la culture et l'entretien ont été entrepris en beaucoup de localités
du pays Siéna, notamment dans la fraction centrale, sous l'impulsion des autorités .
françaises.
Il existe aussi dans la région nombre d'espèces végétales qui croissent et se
reproduisent spontanément, sans que l'intervention humaine apparaisse en quoi que
<^ soit, mais dont certaines parties sont recueillies et utilisées par los indigènes.
A cette catégorie appartiennent : le tama (arbre croissant au bord des cours d'eau,
surtout dans les fractions centrale et nord, et dont les fruits donnent un beurre
végétal analogue au karité) ; la liane à caoutchouc (répandue surtout dans les ter-
rains argilo-ferrugineux et moyennement boisés, abondante dans les fractions cen-
trale et nord-est, existe aussi dans les autres fractions ; les Siéna, sauf ceux dos
fractions sud et sud-est, s'adonnent peu en général à l'extraction du caoutchouc et
abandonnent cette industrie à des étrangers, notamment à des Mandingues du
Ouassoulou) ; le palmier raphia (répandu dans certaines vallées des fractions sud-
est, sud et nord, plus rare dans les fractions centrale et nord-est ; ses feuilles servent
à la confection des nattes, des chapeaux, etc., et ses nervures à la construction des
toitures, à la fabrication des corbeilles, des nasses, etc.) ; la liane à indigo (assez
<M)mmune dans la fraction sud, plus rare dans les autres ; ses jeunes pousses servent
à la préparation d'une teinture très analogue à Tindigo, universellement employée
dans la Boucle du Niger pour la coloration du coton et des tissus en diverses
nuances de bleu) ; le carapa (qu'on rencontre au bord de certains cours d'eau, dans
les fractions sud-est, sud et centrale, moins dans les deux autres ; ses fruits servent
à fabriquer un savon excellent) ; le rotin ou palmier-liane (très commun dans les
bas-fonds marécageux ; sert à de multiples usages en construction, en vannerie,
^tc.) ; le caïlcédra (énormément répandu dans les savanes ; on détache son écorce
pour en faire des ruches et aussi pour recouvrir les passerelles de fortune en ron-
dins de bois que l'on jette sur les rivières). A cette liste fort incomplète, j'ajouterai
une foule de végétaux dont j'ignore les noms même vulgaires et qui sont utilisés
par les Siéna, les uns pour leur bois (bois de construction, bois d'ébénisteric, bois
de chauffage), les autres pour leurs fruits comestibles (le ntaba ou Sterculia Cordi-
folia entre autres, ainsi que le petit dattier épineux), d'autres encore pour les'
p. 246.] • R • E • E • S • [1908«.
propriétés médicinales de leurs feuilles, de leurs fruits, de leurs racines ou de leur
écorce, ou pour leurs propriétés comestibles (certaines plantes herbacées, certaines
feuilles, des champignons divers), enfin les herbes et roseaux divers utilisés pour
une foule d^usages.
Il serait fort désirable qu'un spécialiste dressât la liste de tous les végétaux
utilisés à un titre quelconque par les Siéna et établit de façon précise quels sont
ceux qui furent importés et quels sont ceux que Ton peut à coup sur considérer
comme indigènes : je n'ai malheureusement ni la compétence ni la documentation
nécessaires pour traiter cette question à fond, et je n'ai pu fournir que dea
données que d'autres compléteront, préciseront et rectifieront au besoin.
Je crois utile d'indiquer approximativement quels sont les travaux agricoles
auxquels se livrent les Siéna suivant les saisons de l'année. D'une façon générale,
la saison sèche dure de décembre à fin mars, et la saison des pluies de juin à fia
novembre, avec une saison dont la tenue est très variable et qui dure d'avril à fin
mai. L'époque la plus sèche, celle où soufile l'harmattan, va de fin décembre à fin
février : c'est aussi le moment où la température tombe le plus bas (4- 10^ au lever
du soleil, comme minimum) et monte le plus haut (-f- 35® vers une heure après-
midi, comme maximum). Les coups de vent violents et les tornades se produisent
généralement en mai et en septembre-octobre ; les plus gros orages ont lieu en juil-
let-août, bien que souvent cette période marque une certaine accalmie dans les
pluies, août surtout ; les plus fortes pluies tombent en septembre-octobre. Enfin la
moyenne de la température, qui est annuellement de 25** environ, est le plus souvent
la plus élevée en mars (27<' à 28'') et la plus basse en juillet-août (22<' à 23''). Toutes
ces indications naturellement sont données à titre général, d'après trois années^
consécutives d'observations, mais les exceptions peuvent être fréquentes.
En décembre et janvier, on coupe les hautes herbes qu'on laissse pourrir ou
sécher sur place, on laboure les terrains et on plante les premières ignames.
En février et mars, on continue les labours et on achève d'ameublir les terrains
qui n'avaient été que préparés durant la période précédente.
Dès les premières pluies d'avril, on sème le maïs, ainsi que les légumes et con*
diments divers, puis, en mai, on sème le coton et les arachides et l'on plante le
manioc.
En juin et juillet, on récolte les ignames plantées en décembre, et, dans les
terrains où elles se trouvaient et qu'on a labourés à nouveau, on sème le soi^ho,
le mil et les haricots. C'est aussi à la fin de cette même période qu'on commence k
récolter le maïs semé en avril et qu'on en sème pour la seconde fois.
En août et septembre, ou plus exactement lorsque commencent les dernières
pluies, on sème le riz, on repique le mil, on bine et désherbe les champs, on
repique le riz, on récolte le maïs semé en juin, on arrache le manioc et les ara-
chides.
En octobre et novembre on récolte successivement le mil, le sorgho, les hari*^
cots, les ignames plantées en juin, le riz gris, le riz blanc et enfin le coton.
19. — L'élevage.
Les Siéna possèdent quelques bestiaux, mais en nombre assez restreint et ne
sont pas des éleveurs à proprement parler, car, sauf là où ils ont subi profondément
l'influence mandingue, ils ne prennent aucun soin de leurs troupeaux. La volaille
au contraire est très abondante et est l'objet de soins continuels.
1908.] DELAFOSSB : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 247.
Les animaux domestiques que Ton rencontre en pays Siéna sont le bœuf, le
mouton, la chèvre, le chien et le chat. Tous servent à l'alimentation, bien que le
chien et le chat ne soient pas proprement des animaux de boucherie : les chiens,
très nombreux, sont conservés comme gardiens des villages et des plantations, et
les chats, plus rares, sont élevés en vue de la destruction des rats ; mais, à Tocca-
fiion, on ne dédaigne pas leur chair.
Les hceufs appartiennent à trois races distinctes : Tune, qui paraît indigène et
qu'on rencontre dans toute la Côte d'Ivoire jusqu'à la mer et dans la Boucle du
Niger jusqu'au Mossi inclus, est basse sur pattes, râblée, à cornes petites, de pelage
habituellement blanc ou noir ou tacheté de blanc et de noir ; c'est celle qui donne
la viande la meilleure ; elle existe dans toutes les fractions, mais semble abonder
surtout dans les fractions sud et centrale. En second lieu on a une race plus grande,
à longues cornes, de robe fauve ou brune, qui parait provenir de l'ouest et qui a des
représentants surtout dans l'ouest des fractions centrale et nord ; elle semble
s'acclimater parfaitement au pays et son union avec la race indigène a donné des
produits de type intermédiaire ; sa chair est bonne et elle a plus de lait que la race
indigène. (Les Siéna d'ailleurs ne traient pas leurs vaches, exception faite de quel-
<][ues chefs riches et mandicisés qui font traire les leurs par des bergers mandingues,
sarakolé ou foula). Enfin on trouve parfois, surtout dans la fraction nord, des repré^
sentants du bœuf à bosse des Foula, de robe grise ou brune ; cette dernière race
vit assez mal et sa chair est médiocre ; elle n'est jamais utilisée par les Siéoa pour
le portage, non plus d'ailleurs que les deux autres races.
A part les chefs et les notables aisés, les Siéna ont peu de bœufs : il existe
beaucoup de villages qui n'en possèdent pas un seul, et si on en voit parfois des
troupeaux de plusieurs centaines de tètes dans les prairies qui avoisinent les gros
centres, il ne faut pas oublier que la plus grande partie de ces troupeaux appartient
à des étrangers, soit à des Mandingues résidant dans le pays, soit à des Foula ou
à des Sarakolé voyageurs qui les ont amenés pour les vendre. Les Siéna qui possèdent
des bœufs les laissent paître librement autour des villages ; le seul soin qu'ils en
prennent est de les ramener le soir dans des cases ou dans des parcs pour les
mettre à l'abri des hyènes et des panthères.
Ijes moutons et surtout les chèvres sont plus abondants que les bœufs. Les
premiers appartiennent presque exclusivement à la race indigène, petite, à poils
rudes et droits, à chair assez bonne ; on rencontre parfois des moutons hauts sur
pattes, efflanqués, à chair médiocre, amenés par les Maures, et plus rarement
encore des moutons à laine du Massina ou des moutons frisés, très blancs, qu'on
nomme « moutons d'Israël » ; mais les moutons des Maures et ceux du Massina
vivent assez mal et sont tués en général aussitôt achetés ; quant aux moutons
illsraël, les femmes des chefs aiment à en posséder dont elles se font suivre comme
par un chien. Seuls ces derniers sont châtrés, et par les Mandingues ou les Sarakolé
-qui les ont introduits dans le pays. Mais les Siéna ne châtrent ni les taureaux, ni
les béliers, ni aucun animal.
Les chèvres appartiennent à deux races : la race du sud, petite, râblée, forte,
de poil fauve en général, répandue partout ; et la race du nord, haute sur pattes,
élégante et fine, de robe grise tachetée de noir et de blanc, répandue surtout dans
la fraction nord.
Les Siéna ne prennent aucun soin de leurs moutons ni de leurs chèvres ; dans
le jour, ils vaguent parmi le village et aux alentours, broutant l'herbe naissante,
les jeunes feuilles et les détritus ménagers ; la üuit, ils se réfugient sous les auvents^
ou dans les cases vides.
p. 248.] • R • E • E • S • [1908.
Les chiens^ fort nombreux, sont eo général petits, de couleur fauve, avec des
oreilles droites ; quelques-uns sont noirs, d'autres ont le pelage tacheté de Thyène.
Ils aboient à tout venant, surtout la nuit, mais sont peureux et peu redoutables.
Ils accompagnent leurs maîtres aux plantations. Us sont le plus souvent couverte
de tiques.
Les chats sont le plus souvent gris avec des bandes noires ; on en voit parfois
de blancs et même de rougeâtres. Ils sont assez peu casaniers, changent souvent
de maître et vont la nuit à la maraude, ainsi d'ailleurs que les chiens.
Les chèvres, les chiens et les chats semblent s'accommoder parfaitement du
climat et on ne signale pas d'épidémies parmi eux. Les moutons résistent assez
bien, mais pourtant une assez grande mortalité sévit parfois sur eux à la suite des>
grandes pluies. Il en est de même des bœufs, qui semblent souffrir, plus que les
autres animaux, des épizooties qui désolent de temps à autre certaines localités.
Les mouches tsétsé sont assez communes auprès des cours d'eau dans la plus grande
partie du pays Siéna : j'ignore si elles sont pour quelque chose dans ces épizooties.
Il semble bien en tout cas que c'est à l'une d'elles qu'est due la propagation
de la trypanosomiase du cheval, qui, connue des Mandingues sous le nom Aesoumà
(maladie du froid), décime les chevaux sur une très vaste échelle à la saison des
pluies : très peu des chevaux qui voyagent en cette saison et qui ont à traverser des
cours d'eau résistent ; ceux qui demeurent au village ou au pâturage durant la
saison pluvieuse durent parfois quelques années, mais un cheval qui vit dans le
pays depuis cinq ans est une rareté, et il est plus rare encore de voir une jument
mettre bas un poulain viable ou résister à l'accouchement. Aussi le pays des Siéna
ne peut en aucune façon être considéré comme un pays d'élevage pour le cheval.
Cependant, surtout depuis quelques années, un certain nombre de chefs et de
notables tiennent à se payer le luxe de posséder un ou plusieurs chevaux, dont ils
se servent d'ailleurs rarement, mais dont ils abusent lorsqu'ils s'en servent. On n'en
rencontre pour ainsi dire pas dans les fractions sud-est et sud, mais il en existe
un certain nombre dans les fractions centrale, nord-est et nord. Tous sont amenés
du nord par des Dioula ou des Sarakolé, la plupart du temps de la région de Ségou
et de Banamba. En général, les Siéna qui ont des chevaux en prennent le plus
grand soin, veillant eux-mêmes au pansage et à la préparation de la nourriture,,
les logeant dans des cases bien aérées, et chauffées par les temps humides, faisant
pour eux des plantations de sorgho, les soignant dès qu'ils sont malades. D'autre
part, lorsqu'ils les montent, ils ne craignent pas de les fatiguer outre mesure, de
leur mettre la bouche et les flancs en sang, de les arrêter brusquement lorsqu'ils
sont lancés au triple galop, etc.
Us se servent, pour monter à cheval, de selles de bois recouvertes de cuir
fabriquées par des Mandingues ou provenant du Mossi ou du Niger, d'étriers très
étroits d'ouverture mais à semelle longue et incurvée, de mors à pointe ou à palette
et de guidons en cuir tressé. Gomme éperons, ils emploient de simples pointes de
fer fixées par une courroie au talon nu du cavalier. Tout cela est d'importation
étrangère et offre peu d'intérêt en ce qui concerne l'ethnographie des Siéna.
J'ai dit plus haut que la volailh était très abondante et qu'elle était l'objet de
beaucoup de soins. Il n'est pas de petit village Siéna qui ne possède des quantités
souvent considérables de poulets et surtout de pintades ; les fractions centrale et
nord-est sont les plus riches à cet égard. Les poulets sont petits, de chair assez
coriace ; les coqs n'ont pas de plumes retombantes à la queue ; une maladie fort
contagieuse, ressemblant à celle qu'on appelle la <: pépie n dans nos campagnes^
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÊNOUFO. [P, 249.
exerce sur eux de grands ravages à la saison sèche. Les pintades domestiques, qui
sont analogues aux nôtres, résistent très bien au contraire et ne semblent pas
sujettes à cette maladie ; les Siéna les obtiennent en ramassant dans la brousse des
œufs de pintades sauvages, qu'ils font couver par des poules : les oiseaux qui
sortent de ces œufs, au lieu d'avoir les pattes noires des pintades sauvages, ont les
pattes jaunes et portent quelques plumes blanches aux ailes, ce qui ne se rencontre
pas chez leurs mères et sœurs de la brousse ; parfois, au bout de plusieurs généra-
tions domestiques, on obtient des oiseaux entièrement blancs. Les pintades même
domestiquées n'aiment pas pondre dans les cases ni pondre tous les jours au même
endroit ; elles n'aiment pas non plus couver leurs œufs : aussi les femmes les suivent
lorsqu'elles les voient s'écarter du village pour pondre, ramassent les œufs qui, sans
cela, deviendraient la proie des serpents ou des mangoustes, et font couver ces
œufs par des poules.
Les Siéna construisent pour leurs volailles des poulaillers en terre ou en
briquettes tantôt adossés à la case, tantôt (surtout dans la fraction nord-est) bâtis
à part comme les greniers. Le soir, on y enferme les poules en les y attirant au
moyen de quelques grains de maïs jetés devant l'ouverture et en les glissant une à
une à la main par cette ouverture, que Ton obstrue ensuite à l'aide de rondins de
bois. Les pintades souvent, ne couchent pas dans les poulaillers, mais vont se
percher sur les toits des cases ou sur les arbres qui avoisinent le village. Lorsque
les hommes se rendent aux travaux des champs, ils emportent avec eux leurs
volailles en les enfermant dans des sortes de corbeilles hémisphériques à fond plat :
deux de ces corbeilles étant suspendues aux deux extrémités d'une perche, le
cultivateur met cette perche en équilibre sur son épaule et transporte ainsi sa
basse-cour dans ses plantations. Là, on rend la liberté aux poulets, qui picorent
les vers, larves et insectes que le paysan met au jour en retournant la terre avec
sa houe : on obtient ainsi un double résultat, celui d'engraisser la volaille, et celui
de détruire bon nombre d'ennemis de Tagriculture. De plus, les Siéna vont fréquem-
ment chercher des fragments de termitière qu'ils apportent, leurs alvéoles encore
pleines de termites, devant les poulaillers, où ils les concassent avec leurs maillets
en forme de crosse : les poules et les pintades dévorent les termites, qui constituent
pour la volaille une excellente nourriture. Cette chasse aux termites pour la volaille
est pratiquée dans tous les pays Siéna, mais nulle part sur une échelle aussi vaste
que dans la fraction nord-est : j'ai vu chez les Pala nombre de sentiers fort bien
frayés qui ne servent pas à autre chose qu'à aller chercher des fragments de
termitière pour la volaille.
Outre les poules et les pintades, on rencontre souvent aussi chez lesSiéna de gros
canards^ et parfois des pigeons pour lesquels des pigeonniers sont améoagés contre
la partie supérieure des murs des cases. J'ai vu aussi, mais seulement chez les Pala
et dans un seul village, des sortes d'oies brunes qui m'ont paru être un intermédiaire
entre l'oie proprement dite et le canard.
Un élevage auquel les Siéna s'adonnent beaucoup, surtout dans les fractions
centrale et nord* est, est celui des abeilles. Us fabriquent des ruches en vannerie ou,
le plus souvent, en écorce, utilisant pour cela l'écorce du caïlcédra, qui se détache
aisément par fractions cylindriques embrassant tout le tronc ; on retire ces fractions
en y pratiquant une incision verticale tout du long, et on reconstitue ensuite le
cylindre à l'aide de trois liens en rotin, puis on le place dans la fourche d'un arbre.
Les abeilles viennent «'y installer, et, le moment venu, on les chasse de nuit au
moyen de torches fumeuses, et on retire le miel et les rayons. Le miel est consommé
p. 250.] • R • E • E • S • [1908.
par les indigènes et forme même un article de vente très commun sur les marchés ;
la cire est en partie utilisée par les bijoutiers pour faire des bijoux à la méthode
de la cire perdue, et en partie vendue aux maisons de commerce européennes. Cet
élevage des abeilles avait été signalé déjà par M. Binger chez les Dorhossiè : je Tai
vu pratiquer chez les Guimini, chez les Takponin, chez les Pala, et chez toutes les
sous-tribus de la fraction centrale.
20. — La noarriture, les boissons, les excitants et les parftims.
Gomme la plupart des Nègres de civilisation peu développée, les Siéna sont à
la fois sobres et gloutons, en ce sens qu'ils se nourrissent de peu, sans paraître en
souffrir, lorsqu'ils ne peuvent faire autrement, mais qu'ils se rattrapent avec
voracité chaque fois qu'ils en trouvent l'occasion ; d'autre part ils semblent -ne
pouvoir se livrer de façon suivie à aucun travail fatigant s'ils n'absorbent pas une
quantité assez considérable de nourriture.
Ils n'ont pas d'heures réglées pour leurs repas, mangeant lorsque la nourriture
est prête» parfois une seule fois par jour, le plus souvent deux, fréquemment trois
ou quatre fois. En général, lorsqu'ils résident chez eux et sont maîtres de leur
temps et de leurs occupatious, ils font un repas dans la matinée et un autre plus
sérieux un peu avant la tombée de la nuit. S'ils visitent quelqu'un et le trouvent
en train de manger, ils partagent généralement le repas de leur hôte, sur l'invita-
tion qui leur en est faite par ce dernier, même s'ils viennent de manger chez eux
ou sont sur le point de le faire.
Les hommes mangent à part et sont servis les premiers ; les femmes mangent
ensuite et les enfants ont pour eux un plat mis à part. Cependant les tout jeunes
en&nts mangent avec leur mère, et les adolescents partagent souvent le repas des
adultes. Fréquemment les femmes se font pour elles une cuisine différente de celle
qu'elles servent aux hommes et la mangent à une autre heure que celle du repas
des hommes.
Les repas se prennent en plein air, devant la case, lorsqu'il fait beau ; s'il
pleut, on les prend dans la case ou plus souvent sous l'auvent ou dans l'avant-case,
quand il en existe. Lors des travaux des champs, le repas du matin est souvent
cuisiné au village et porté ensuite à la plantation par les jeunes femmes ou les
petites filles. Si les travaux de la saison retiennent toute la famille aux champs
durant la journée entière, les femmes préparent le repas sur la plantation même,
dans une hutte ad-hoc^ au moyen de marmites et de provisions apportées le matin
du village ou conservés dans la hutte tant que durent les travaux.
Les serfs prennent en général leurs repas avec leurs maîtres et mangent au
même plat. Cependant les notables se font parfois servir à part et invitent un ou
deux de leurs parents, amis ou serfs préférés à manger avec eux, tandis que les
autres hommes de leur famille, nobles ou serfs, mangent à un autre plat. J'ai dit
plus haut, à propos des soins de propreté, comment les Siéna absorbent leurs
aliments.
La base de la nourriture est, comme partout, un farineux : selon la contrée et
la saison, c'est le mil, l'igname, le maïs, le riz, le manioc ou les haricots. Le
mil, le maïs et les haricots sont d'abord réduits en farine, soit dans un mortier,
soit sur la meule fixe que j'ai décrite plus haut, et cette farine est cuite à l'eau
dans une marmite de façon à former une bouillie très épaisse, presque pâteuse,
que l'on retire avec une cuiller de bois ou de calebasse et que Ton dispose sur un
1908*] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIEN A OU SÉNOUFO. [P, 251»
plat creux, par morceaux ayant la forme de grosses lentilles de lunettes astrono-
miques. L'igname et le manioc sont coupés en gros morceaux, cuits à l'eau, puis
réduits en pâte dans le mortier ; la ménagère façonne à la main de grosses boules
de cette pâte, qui sont disposées sur un plat. Quant au riz, une fois décortiqué^
il est cuit à Teau et servi en grains entiers, mais agglomérés ensemble en une sorte
de gâteau un peu pâteux. Quel que soit l'aliment farineux employé, on n'y met
jamais de sel, et il n'est jamais servi mélangé à de la viande ni à de la sauce.
La viande est chez les Siéna un aliment de luxe, dont les gens aisés seuls usent
journellement et dont le menu peuple ne mange pas tous les jours. Mais, et sans
doute à cause même de sa rareté, elle est prisée par tous à un très haut degré.
Lorsque la générosité d'un chef ou une chasse fructueuse permet de manger de la
viande à satiété, ce sont des frémissements et même des cris de joie parmi toute
la population.
Tout ce qui est chair d'ailleurs est bon aux Siéna, quelle que soit l'espèce de
l'animal dont cette chair provient, quel que soit le morceau et quel que soit l'état
de conservation de la viande. C'est ainsi qu'outre la chair des animaux domestiques
(bœuf, mouton, chèvre, et même chien et chat), de la volaille et du gibier propre-
ment dit, les Siéna mangent très volontiers les rats, les serpents, les oiseaux de
proie, les chauves-souris, certaines larves et certaines chenilles, les termites ailés,
les grandes sauterelles, etc. Les crapauds et les grenouilles cependant m'ont semblé
être un objet de répulsion et je n'en ai jamais vu manger.
Dans un animal, les Siéna ne laissent rien perdre : les intestins, à peine
débarrassés des matières à demi ou entièrement digérées et grossièrement lavés, la
peau, une fois les poils enlevés par un passage à la flamme, même la corne des
pieds quand elle n'est pas par trop dure et les os quand ils ne sont pas par trop
gros, tout trouve son emploi culinaire. Les intestins forment même un morceau de
choix.
J'ai vu des Siéna manger sans aucune répugnance, et d'autre part sans en
paraître indisposés, des viandes en état de putréfaction réelle.
Le poisson est très prisé, surtout lorsqu'il a été séché ; cependant on le mange
aussi à l'état frais, si tant est qu'on puisse appeler frais certains poissons morts
souvent depuis plus d'un jour et qui répandent une odeur nauséabonde^.
Lorsque les Siéna ont peu de viande à leur disposition, ils la font cuire avec
un condiment ou une sauce, et elle est servie dans un plat creux avec sa sauce, en
même temps que l'aliment farineux mais à part : chacun de ceux qui mangent au
même plat prend alors avec ses doigts une boulette de l'aliment farineux, trempe
cette boulette dans la sauce et l'absorbe ; lorsque la sauce est finie, on se partage
la viande, qui avait été au préalable coupée en menus morceaux avant d'être mise
à cuire. Si la viande fait défaut, on mange l'aliment farineux en le trempant dans
une sauce maigre.
* Le riz est généralement décortiqué au pilon, par les femmes, au fur et à mesure des
besoins. Il en est quelquefois de môme du mil, mais en général ce dernier est décortiqué ou
séparé de Tépi au fléau par les hommes, sur une aire battue préparée auprès du village ou
dans la plantation, parfois sur un grand rocher plat. On use aussi quelquefois de ce procédé
pour le riz.
^ Je parlerai plus loin des aliments dont certaines familles, certains clans, certains indi-
vidus ne mangent pas, pour des raisons d'ordre religieux ou autre. Lorsque je dis que les
Siéna mangent de toutes les viandes, cela doit s'entendre de la généralité du peuple : cer-
tains Siéna ne mangent pas de certaines viandes, mais il n'est pas une viande dont une
partie au moins des Siéna ne mange pas.
p. 252.] • Il • E • E • S • [1908.
Lorsqu^au contraire oq se trouve avoir de la viande en abondance, une partie
seulement est cuite pour le repas par la ménagère. Le reste est séché devant une
flamme de paille ou de menu bois, enfilé par morceaux sur une baguette de bois
fichée verticalement en terre devant le feu, ou même posé directement sur le feu,
en sorte que cette viande est fumée autant que rôtie. Une partie est dévorée séance
tenante, chaude plutôt que cuite. Le reste est conservé pour les jours suivants. Les
Siéna allant en voyage emportent souvent avec eux de ces brochettes de viande
séchée, qui répandent une odeur épouvantable, odeur dont ils ne semblent éprouver
aucune gêne.
J'ai parié tout à Theure des sauces : elles sont assez variées, moins cependant
chez les Siéna que chez leurs voisins du sud. Les divers légumes que j'ai énumérés
au chap. 18 — arachide-haricot, arachide sans coque, calebasses comestibles,
patates, aubergines, et surtout le gombo et les diverses variétés de feuilles comes-
tibles — entrent dans la composition des sauces, principalement des sauces maigres.
Le sel entre toujours dans les sauces, du moins lorsqu'on en possède, car cette den-
rée est chère et rare chez les Siéna, bien que les communications plus faciles per-
mettent aujourd'hui l'importation du sel marin provenant d'Europe ou de sel du Cap
Vert qui reviennent moins cher que le sel gemme du Sahara, autrefois le seul connu
des Siéna. Les condiments sont aussi presque une nécessité : ce sont les piments
divers, le poivre sauvage, et surtout le sounibara fait avec la pulpe des fruits du
nâe, produit nauséabond lorsqu'il est crû, mais au goût duquel on s'habitue
facilement. On use également du gingembre.
Les oléagineux entrent pour une grande part dans la confection des sauces,
surtout lorsque les légumes font défaut. L'huile ou beurre de se ou karité, qu^on
retire des fruits de l'arbre à beurre par ebullition et décantation, la pâte d'arachides
ou de graines de courge grillées puis écrasées, le beurre de tama obtenu de même
façon que le kariié^ Thuile de palmistes dans les contrées où croit le palmier à huile,
sont les principaux corps gras employés pour la confection des sauces. Il faut y
ajouter les graisses animales retirées du bœuf, du mouton et de la chèvre.
En général les repas des Siéna ne comprennent qu'un seul service : l'aliment
farineux et la sauce, celle-ci avec ou sans viande. Parfois on sert en outre une sorte
de brouet de mil ou d'ignames qui peut à la rigueur correspondre à ce que nous
appelons le potage. Quant au dessert, il est inconnu, ou du moins il n'accompagne
pas les repas proprement dits ; mais, à des heures quelconques de la journée, il
arrive que les indigènes mangent des fruits (bananes, ananas, papayes, fruits
sauvages divers qui se vendent sur les marchés et parmi lesquels les fruits des lianes
à caoutchouc et lianes analogues figurent au premier rang). Dans les villages un
peu populeux, dans les localités situées sur les grandes routes des caravanes et aussi
sur presque tous les marchés, des femmes préparent des beignets de farine de mil
frits dans l'huile de karitc\ que les passants achètent pour quelques cauries et dont
ils se montrent très friands ; les gourmets les mangent en les trempant dans du miel.
Une autre friandise très appréciée des voyageurs est un brouet de farine de mil crue
délayée dans l'eau et mélangée à du miel.
La boisson ordinaire des Siéna est l'eau ; ils ne sont pas plus difficiles sur la
qualité de l'eau que sur celle de la viande, et pour cause : dans certaines parties
de la fraction centrale (Kiembarha et Nafarha) et d'une façon générale dans les
pays faisant partie du bassin de la Sassandra, il existe des rivières coulant toute
l'année et, auprès des montagnes, des sources donnant en toute saison une eau pure
et excellente ; mais ce ne sont là que d'heureuses exceptions, et, dans la majeure
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIENA OU SÉNOUFO. [p. 253.
partie du pays Siéna, notamment dans les bassios de la Comoé et du Niger et dans
la partie orientale du bassin du Bandama, tous les cours d'eau — les fleuves et
quelques très grosses rivières exceptés — sont complètement à sec à partir de
janvier environ jusqu'en juin, et le reste de Tannée ils roulent une eau le plus
sonvent bourbeuse. Durant la saison sèche, la majeure partie des indigènes n'a à sa
disposition qu'une eau blanchâtre, parfois une véritable bouillie d'argile, que l'on
obtient en creusant des trous dans le lit desséché des ruissoaux.
Cependant les Siéna ont besoin de boire beaucoup ; ils ne boivent jamais durant
les repas et avalent quelques gorgées d'eau seulement à la fin ; mais dans le courant
de la journée, surtout s'ils se livrent à un travail fatiguant ou s'ils marchent aux
heures de soleil, ils ont besoin d'absorber une grande quantité de liquide.
Lorsque l'eau est rare et mauvaise, on y remédie en y mélangeant du « pain
de singe » (pulpe du fruit de baobab) ou du jus de citron, qui donnent à l'eau un
goût acidulé ; la pulpe du tamarin est employée dans le même but, là où cet arbre
existe (fractions nord et nord-est notamment, et la partie nord de la fraction cen*
traie). Les Siéna en voyage emportent presque toujours avec eux, dans une calebasse
suspendue à l'épaule, de la farine de mil qui, délayée dans l'eau de boisson, donne
un peu de goût à cette dernière et présente en outre l'avantage de la rendre
nutritive ; souvent, dans les villages, on offre aux voyageurs de l'eau ainsi mélangée
de farine.
Enfin les Siéna sont grands amateurs de la bière de mil ou de maïs connue des
Mandingues sous le nom de ndoro ou dolo. Une bonne partie du grain récolté sert
à la préparation de cette boisson, qui s'obtient en cuisant le mil ou le maïs dans
d'immenses marmites remplies d'eau : après de nombreuses heures d'ébuUition, on
décante le liquide et on le laisse refroidir et fermenter dans des jarres ; souvent on
donne du piquant à cette préparation en y mélangeant du piment. Les Siéna aiment
à boire le doh chauffé et fermenté au soleil ; les Européens le préfèrent froid et
rassis, car alors il rappelle assez la bière. C'est surtout dans les fractions nord-est,
centrale et nord que l'on fait usage du dolo ; bien que cette boisson soit assez peu
alcoolisée, les Siéna s'enivrent souvent en en buvant, tant à cause des quantités for-
midables qu'ils en absorbent qu'à cause de leur inaccoutumance à l'alcool fort.
L'ivresse causée par le dolo est d'ailleurs légère et ne dure pas longtemps.
Dans les fractions sud-est et sud, et dans la partie sud-ouest de la fraction
nord, on use du vin de palme concurremment avec le dolo. On le retire du palmier
à huile, en sectionnant ce dernier au ras du sol et en perforant ensuite le tronc
abattu, dans les fractions sud-est et sud, à Timitation de la méthode employée par
les Agni-Assanti ; — en incisant le sommet du tronc de l'arbre demeuré debout,
dans la fraction nord, à l'imitation de la méthode employée par les populations de
la Haute-Guinée et que les Baoulé eux-mêmes emploient pour le vin de rônier.
Dans certains villages, j'ai vu aussi préparer une liqueur alcoolique obtenue
par la fermentation de miel délayé dans l'eau (hydromel).
Quant aux alcools d'origine européenne (tafia et^m de traite), si répandus parmi
les populations de la côte et de la grande forêt, ils sont presque inconnus chez les
Siéna (fraction sud-est et partie de la fraction sud exceptées). Tout au plus quelques
chefs se sont-ils adonnés à l'absinthe, et encore n'ont-ils pris cette habitude que
poussés par des Européens irréfléchis et ne s'y livrent-ils que de loin en loin. On
peut dire que la plaie de l'alcoolisme n'a pas encore atteint le peuple Siéna et il est
facile aux autorités françaises d'empêcher qu'elle ne l'atteigne.
• Comme excitants, je n'en connais que deux qui soient employés par les Siéna :
p. 254.] ^ • R • E > E ' S * [1908.
la cola et le tabac. Le colatier n'existe pas, ou ne se rencontre que tout à fait
occasionneilemeat, en pays Siéna, mais on le cultive à la lisière de la grande forêt
chez les Assanti, les Ntakima, les Abron, les Ngan du Mango et du Guiaœmala,
les Baoulé, toutes populations limitrophes des fractions sud-est et sud des Siéna.
De plus, beaucoup de caravanes du nord qui vont acheter les cola des Lo et des
Bêté aux marché de Boron, Sarhala, Mankono, Kani, etc., traversent en s^en
retournant les fractions centrale, nord et nord-est du pays Siéna, et beaucoup de
colporteurs payent avec des colas leurs dépenses de nourriture et d'hospitalité.
Aussi la cola est relativement abondante et les Siéna aisés en usent assez fréquem-
ment, la mâchonnant comme une chique de tabac. Cependant ils en sont beaucoup
moins friands que les Mandingues et les riverains du Niger et du Sénégal.
Quant au tabac, il est cultivé, sur une plus ou moins grande échelle, dans tout
le pays Siéna, et de plus il s'y importe une quantité, assez restreinte d'ailleurs, de
tabac américain introduit par les commerçants européens. Le plus souvent, le tabac
est prisé ou chiqué : dans les deux cas, les Siéna se servent de tabac en poudre,
obtenu en desséchant les feuilles sur une plaque de métal chaufifée au feu et en les
écrasant ensuite sur une pierre plate au moyen d'une pierre ronde ; souvent, on
mélange au tabac un peu de sel de soude obtenu de la manière suivante : on réduit
en cendres des pelures de banane ou des écorces de certains arbres, puis on place
ces cendres dans un petit sachet disposé au-dessus d'une plaque de fer placée sur
des charbons ardents, et on verse de l'eau chaude qui filtre à travers la cendre et
vient tomber goutte à goutte sur la plaque où elle s'évaporise, laissant un petit
cristal de seP.
Les Siéna, surtout ceux de la fraction centrale, prisent en général le tabac,
non pas en le portant à leur nez avec les doigts, mais au moyen d'une sorte de balai
minuscule dont j'ai parlé plus haut et dont les brins, imprégnés de tabac, sont
approchés de l'ouverture des narines.
Pour chiquer, on se verse dans le creux de la main un peu de tabac en poudre,
on le ramasse avec la langue et on en forme, à l'aide de cette dernière, une petite
boule qui est ramenée entre la joue et la mâchoire. Parfois cette boule est déposée
par la langue sur la lèvre inférieure, où elle demeure pendant plusieurs heures.
Peu de Siéna fument le tabac : cependant la pipe n'est pas inconnue, surtout
dans les fractions sud-est, sud et nord-est. Dans ce cas le tabac est fumé brut,
c'est-à-dire en feuilles non coupées ou simplement déchirées en quelques gros frag-
ments dont on n'a même pas retiré les nervures ; aussi, pour entretenir la combus-
tion, on est obligé de laisser un charbon allumé sur la pipe, par dessus le tabac, et
le fumeur aspire, avec la fumée, une certaine quantité d'acide carbonique et même
un peu d'oxyde de carbone.
Les Siéna, dont la toilette corporelle est la moindre préoccupation, ne semblent
pas être grands amateurs de parfums. Ils vivent, sans en paraître incommodés, au
milieu des pires odeurs, que répandent dans leurs cases le soumbara^ le karité
rance, les viandes putréfiées, la bouse de vache, la fiente des volailles, etc., sans
parler de la fumée produite par les feux de cuisine. Quelques femmes de gens riches
et de gros notables font bien usage parfois de certaines écorces balsamiques, à
l'imitation des femmes Mandingues ou Agni-Assanti, mais c'est là une bien rare
exception, et le chapitre des « parfums n peut se résumer par le mot ' néant ».
1 Dans quelques localités de la fraction nord-est, où les gens, très pauvres, ne peuvent
acheter de sel véritable, j'ai vu préparer de la même manière un grossier sel de soude que
les indigènes emploient pour saler leurs aliments.
1908*] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 255.
21. — Les voles et moyens de transport.
Les chemins en pays Siéaa peavent se classer en deux catégories : l'une
comprend des sentiers aménagés ou du moins améliorés par la main de Thomme,
l'autre ne comporte que des pistes tracées dans les labours ou les terrains incultes
par le passage répété d'un certain nombre d'individus, simples foulées qui peu à
peu se sont transformées en sentiers. Les chemins réunissant entre eux les villages
de quelque importance ou conduisant aux marchés ou aux plantations appartiennent
à la première catégorie ; on a primitivement utilisé une simple piste, mais on l'a
améliorée en redressant un peu le tracé, en élargissant à la houe le sentier primitif,
parfois en aménageant de grossières passerelles sur les cours d'eau ou en jetant un
tronc d'arbre en travers de leur lit, enfin en enlevant de temps à autre les hautes
herbes qui croissent sur les bords du chemin et tendent à l'obstruer lorsque la
pluie et le vent les couchent à terre. Ces routes sont assurément grossières ; souvent,
à force d'être creusées par le passage répété des hommes et l'écoulement des eaux de
pluie, elles se transforment en ornières profondes et étroites où l'on a peine à poser
les deux pieds : les passants alors créent une nouvelle piste sur le bord de l'ancienne
ornière et ainsi se fait peu à peu un nouveau sentier. En général cependant les
routes qui conduisent aux principaux centres et celles surtout qui mènent aux points
où l'on va puiser l'eau sont suffisamment larges et assez bonnes pour la marche. Je
ne parle pas des routes de trois à six mètres de large, souvent bordées de fossés et
pourvues de passerelles permanentes, que l'administration française a créées et
entretient entre les différents postes ainsi qu'entre les gros centres commerciaux :
ce sont d'ailleurs les indigènes qui ont fait et qui entretiennent ces routes, sur
Tordre des autorités, et ils s'y entendent assez bien, mais ils n'en avaient pas eu
l'idée avant notre intervention.
Pour le passage des grosses rivières et des fleuves où la largeur du lit et la
rapidité du courant rendent la construction de passerelles à peu près impossible,
les Siéna se servent de pirogues. Ces embarcations, creusées dans un tronc de
fromager à l'aide du feu d^abord et d'une herminette ensuite, sont les plus gros-
sières que j'aie rencontrées en Afrique ; lourdes, mal équilibrées, souvent équarries
plutôt qu'incurvées, presque toujours coudées ou sinueuses, elles ne pourraient
aucunement servir pour un voyage même de fort courte durée ; elles ne peuvent
être utilisées que pour la traversée des cours d'eau sur lesquelles elles se trouvent,
et encore ne faut-il pas trop les charger. Les gens qui les conduisent sont d'ailleurs
absolument ignares en fait de navigation et, la plupart du temps, n'ont pas d'autres
instruments qu'une perche grossière ou une pagaie plus grossière encore. On ne se
sert de ces pirogues que quand on ne peut pas faire autrement : dès que la hauteur
des eaux le permet, on passe à gué, en utilisant les rochers répandus en certains
endroits en travers du lit. Ces pirogues n'existent pas partout et, à la saison des
hautes eaux, les voyageurs sont obligés souvent de faire un long détour pour ren-
contrer un bac.
Nous venons de voir quelles sont les voies de communication : toutes primitives
qu'elles soient, elles sont suffisantes pour assurer le trafic pourtant relativement
important qui existe dans le pays, tout ce trafic ou presque se faisant par porteurs
humains.
On a beaucoup médit du portage en France ces dernières années ; on en a
parlé comme d'une coutume barbare, comme d'une forme d'esclavage, que noua
aurions introduite en Afrique et' imposée aux malheureux Nègres. Cela prouve
p. 256.] • R • E • E • S • [1®^^*
simplement qu^oa aime à parler ea France de ce qu^on ne connaît pas. Les plus
anciens géographes et voyageurs qui nous aient parlé des Nègres du Soudan —
Hérodote chez les Grecs, El Bekri ches les Arabes — ont raconté que, une fois
passé le Sahara, comme les chameaux et les chevaux ne résistaient pas au climat,
les indigènes transportaient eux-mêmes leurs fardeaux sur leur tète et cela à de
très longues distances. Il en a toujours été ainsi, et les Siéna trouvent aussi naturel
de porter sur la tète une charge d^une trentaine de kilos que nous trouvons naturel
de porter à la main une canne ou uu parapluie. La seule modification que nous
ayons apportée a été de réduire au maximum de 25 kilos les charges transportées
à tète d'homme pour le compte de l'administration et de remettre un salaire aux
porteurs que nous employons, tandis que les habitants portent pour leur propre
compte des charges pesant parfois jusqu'à 50 kilos et que les che£s indigènes qui
emploient des porteurs ne paient pas ces derniers. Cela n'empêche pas que, pour
les humanitaristes en chambre, nous sommes et serons toujours les barbares qui
martyrisent les malheureux Nègres.
Les hommes et les femmes transportent également des fardeaux. Généralement
ce sont les femmes qui portent aux plantations la nourriture des travailleurs et en
rapportent les céréales et produits agricoles divers ; ce sont elles aussi qui trans-
portent ces produits sur les marchés pour les vendre : dans les deux cas, elles se
servent des corbeilles décrites plus haut, qu'elles placent sur un coussinet de coton-
nade indigène, de pagne d'écorce ou simplement d'herbes tordues, lequel coussinet
est posé sur le sommet de la tète. Ce sont encore les femmes qui vont puiser Teau
à la rivière ou à la fontaine et qui vont chercher dans la brousse le bois à brûler :
la jarre contenant l'eau et le fagot do bois se portent également sur la tète.
Les hommes d'autre part transportent aux plantations les volailles et les outils
de culture et rapportent à la maison les fragments de termitière destinés aux poules.
Ce sont eux aussi qui transportent les bois de construction et les bottes de paille
dont on fera les toitures.
Dans les déplacements de quelque durée et dans les voyages ayant un but
commercial, les hommes portent en général les fardeaux les plus lourds et les
produits ou denrées destinés à la vente, tandis que les femmes se chargent des
vivres de route et des ustensiles de ménage et de cuisine. Elles se servent alors
souvent d'un large plateau de bois ou d'une immense calebasse sur lequel ou
laquelle sont entassés les divers objets constituant la charge, le tout maintenu
ensemble par un filet noué sur le sommet du fardeau. Ce système a été emprunté
aux Mandingues. Les hommes empruntent parfois aussi à ces derniers une sorte de
long panier en lattes de raphia, ayant la forme d'un demi cylindre, et dans lequel
sont placés, maintenus à l'aide d'une corde, les objets à transporter.
On aperçoit quelquefois en pays Siéna des ânes et pluâ rarement des bœufs à
bosse employés comme animaux de transport, mais ce ne sont jamais des Siéna qui
les emploient : seuls les Maures, les Foula, les Sarakolé et les Dioula se servent
d'animaux pour leurs transports. Quant aux chevaux, les Siéna en usent, comme
je Tai dit plus haut, mais seulement comme bêtes de selle, et encore est-ce là un
luxe réservé aux riches et aux grands chefs.
Lorsqu'ils voyagent pour leur propre compte, les Siéna font des étapes fort
irrégulières, selon qu'ils ont ou non des amis ou des parents dans les villages de la
route, selon la saison, la nature du pays, etc. Aussi leur façon d'apprécier les dis-
tances par le nombre des « journées » de marche est^Ue très incertaine : tel individu
compte cinq jours d'un point à un autre alors qu'un second individu n'en comptera
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIENA OU SÉNOUFO. [P. 257.
<}ue trois entre les mêmes points. En général ils partent dès quHI fait jour, c'est-à-
dire une demi-heure environ avant le lever du soleil et marchent sans interruption
jusque vers huit heures du matin, ce qui fait environ trois heures de marche
représentant à peu près quinze kilomètres. Ils font alors une courte halte, mangent
un peu ou absorbent de la farine délayée dans de Teau, et repartent pour une heure
environ. Ils se reposent durant les heures chaudes du jour, et marchent une heure
•encore dans la soirée, s'arrètant vers 5 heures dans la localité où ils passeront la
nuit. C'est là la journée de marche normale, qui représente de 25 à 30 kilomètres.
Lorsque la lune permet la marche nocturne, les Siéna en profitent volontiers, soit
pour allonger Tétape après le coucher du soleil, soit pour partir de meilleure heure
le matin, suivant la phase de la lune. Mais ils ne le font guère que lorsqu'ils sont
«n nombre, n'aimant pas voyager seuls, ou même à deux ou trois, durant la nuit,
par crainte des hyènes, des éléphants et aussi des esprits malfaisants.
En arrivant au village où ils désirent passer la nuit, les voyageurs vont deman-
der l'hospitalité à un ami ou un compatriote, s'il s'en trouve dans ce village, ou
sinon à un notable auquel ils ont été recommandés ou qui a la réputation do bien
accueillir les étrangers. L'hôte ainsi choisi fait préparer quelque nourriture pour
les voyageurs : c'est souvent pour ces derniers le reul repas proprement dit de la
Journée. La nuit est passée dans une case mise à leur disposition, ou sous un hangar,
ou même à la belle étoile s'il fait beau. Le lendemain, avant de repartir, les
voyageurs remettent à leur hôte quelques colas ou des cauries, ou encore un peu
de monnaie, pour l'indemniser. Si cependant l'hôte est un parent, on ne lui paie
pas son hospitalité, car il sera lui-même traité de façon analogue lorsque les
•circonstances l'amèneront dans le village de son parent.
22. — Le commeree et les monnaies.
J'ai dit plus haut que les Siéna étaient un peuple essentiellement agricole. Ils
ne s'adonnent pas, comme certaines tribus Mandingues et notamment celle des
Dioula, au commerce proi)renient dit, ou ne le font qu'exceptionnellement, et alors
presque toujours pour le compte et sous la direction de Dioula résidant en leur
pays.
Le principal commerce chez eux est purement local et se réduit à la vente
des produits agricoles. Ces produits eux-mêmes se vendent rarement en gros,
chaque famille ayant ses champs et produisant à peu près ce qui est nécessaire à
sa propre consommation. Cependant il arrive que l'année a été mauvaise dans une
région ou que tel champ n'a pas donné ce qu'on en attendait ; il arrive aussi que le
même produit n'arrive pas à maturité partout à la fois, que certaine famille n'a
pu se livrer à des travaux agricoles étendus parce que plusieurs de ses membres
étaient en voyage ou malades. Enfin il faut compter aussi avec les étrangers
résidant momentanément dans une localité et qui n'y ont point de cultures, avec
les voyageurs de passage, etc. Tout cela nécessite un certain échange et a amené
la création de marchés peu importants mais fort nombreux, surtout dans les fractions
centrale et du nord-est, où la population est plus dense, et dans la fraction nord
où les étrangers peu cultivateurs, les Dioula en particulier, sont plus nombreux.
Ces marchés se tiennent, non seulement dans les gros villages, mais aussi dans
de très petites localités choisies en raison de leur situation centrale par rapport
aux villages environnants. Chez les Nîarhafolo et les Pala, j'ai même vu des marchés
se tenir régulièrement en des endroits éloignés de plusieurs kilomètres de tout lieu
habité.
'y
Pr258".] • R • E • E • s • [1908.
Les marchés ont lieu à date fixe daos chaque localité ou chaque endroit
réservé à cet usage ; lorsque le marché est éloigné de tout village, le lieu où il se
tient porte un nom spécial. Dans la fraction sud-est et dans certaines parties de la
fraction nord, le marché revient chaque semaine au même jour, soit le dimanche,,
soit le lundi, etc. Mais dans la majeure partie du pays Siéna et en tout cas dans
toute rétendue de la fraction centrale et chez les sous-tribus des autres fractions qui
Tavoisineut, le marché revient tous les six jours^ ce qui pourrait faire croire
qu'autrefois, avant Tintroduction de certaines coutumes mandingues et notamment
du calendrier musulman, la semaine Siéna devait ne compter que six jours^.
Dans les deux cas, on s'est arrangé pour que deux localités voisines n'aient
pas leur marché le même jour. Cela permet aux vendeurs et aux acheteurs de se
rendre successivement dans les divers marchés voisins.
Sur les petits marchés, on ne trouve que quelques produits agricoles, princi*
paiement des légumes, des herbes comestibles et des condiments, toutes choses
apportées et vendues par les femmes, qui disposent leur marchandise en petits tas
dont chacun se vend cinq, dix, quinze ou vingt cauries,ce dernier chiffre représentant
en général un demi-sou de notre monnaie. On y trouve aussi parfois des poteries,
vendues par des femmes, du tabac en poudre et des houes, vendus par des hommes.
Plus rarement des hommes, presque toujours des étrangers, y vendent des bandes
de cotonnade enroulées, des pagnes, et des menus articles de fabrication européenne
(couteaux, verroterie, allumettes, etc.). Sur les marchés des gros villages, on
rencontre les mêmes produits, mais eu plus grandes quantités, et en outre on y
vend des fagots de bois à brûler, du sel, des colas, de la volaille, de la viande au
détail, des bestiaux sur pied, des étoffes, des objets en cuir et en vannerie, des
ignames, du riz, du mil, du maïs, de la bière de mil, des beignets chauds, etc. etc.
Certains marchés ont une spécialité : on va à tel marché pour y acheter des
poteries, à tel autre pour la volaille, à tel autre pour les outils en fer, etc.
Tous les marchés, sauf là où les autorités françaises ont fait construire des
bâtiments ad hoc, se tiennent à Tombre de grands arbres, sur une place un peu
isolée des habitations. On reconnaît facilement ces emplacements, même lorsqu'ils
sont vides, à ce que le sol a été rendu poussiéreux par les continuels piétinements,
et aussi à un grand nombre de pierres noircies qui servent aux vendeuses à construire
des foyers auprès desquels elles se chauffent lorsque les matinées sont fraîches.
C'est vers midi qu'en général les marchés battent leur plein. Ils sont alors
extraordinairement bruyants, par suite du caquetage des femmes : acheteuses et
vendeuses rivalisent à qui criera le plus fort et parlera le plus, si bien qu'il est fort
difficile de s'entendre. Les disputes sont nombreuses et le marchandage se fait en
grand : des discussions fort animées durent un quart d'heure ou plus, qui ont pour
objet la valeur d'un centime.
Bien que les Siéna non maudicisés se livrent peu au grand commerce, il arrive
cependant que, tentés par les bénéfices qu'ils voient réalisés par les Dioula, certains
vont de temps en temps au loin vendre des produits de leur pays. C'est surtout dans
les fractions sud et nord que les Siéna s'adonnent de plus en plus au commerce de
colportage, à l'imitation des iMandingues. Ils vont dans le sud, chez les Âgni du
Baoulé, du Mango, du Ndénié, transportant des charges de karité^ de soutnbaray
de piment, de poteries, de houes indigènes, de poules et pintades vivantes, parfois
^ Les Avikam ou Brignan, population côtière dont le centre est Grand-LAhou, ont,
m'a-t-on assuré, une semaine de six jours.
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P, 269»
de riz ot de maïs. D'autres exportent du caoutchouc, qu'ils vont vendre dans les
factoreries du sud, à Tiassalé et à Aboisso.
Au retour, ils rapportent soit de l'argent, soit des articles de fabrication
européenne pour leur usage personnel, soit encore du coton du Baoulé ou des colas
du Mango. Mais en général ils ne font pas le commerce d'importation proprement
dit, qu'ils laissent aux mains des Dioula et de leurs compatriotes mandicisés, ainsi
qu'à celles des Maures, Foula, Sarakolé qui viennent du Haut-Sénégal : ces derniers
importent du nord en pays Siéna le sel en barres du Sahara, des bœufs, des moutons,
•des chèvres, des couvertures en laine et en coton, des objets de cuir ; du sud, les
Dioula et les Guimini mandicisés rapportent du cuivre et des tissus et objets divers
<ie fabrication européenne.
La monnaie universellement répandue chez les Siéna consiste en ces coquillages
univalves que nous nommons cauries et qui, dès le XI* siècle, d'après les géographes
arabes, étaient importés au Soudan des pays méditerranéens et utilisés comme
monnaie par les Nègres de la vallée du Niger. Le cours des cauries est variable
d'un pays à l'autre, et, dans le même pays, selon leur abondance ou leur rareté.
En général, chez les Siéna du sud-est, on a adopté le cours de I.OOO cauries pour
un franc, basé sur ce qu'on appelle en mandingue le « cent musulman r — silamia"
kyémé — ou cent cauries à la centaine ; dans les fractions sud, nord-est et centrale,
le cours est généralement de 800 cauries pour un franc, parce qu'on y compte au
« cent malinké n — mali-n-kyémé — ■ ou quatre-vingts cauries à la centaine ; enfin,
dans certains parties de la fraction nord, on use du « cent bamana » — hamana-^
kyémé — soit soixante cauries seulement à la centaine et alors on n'a que 600 cau-
ries pour un franc. Lorsque les cauries deviennent rares, les Dioula qui les ont peu
à peu accaparées les remettent en circulation en faisant monter le cours du « cent
musulman » au « cent malinké n ou même au « cent bamana ».
Avant même notre occupation du pays Siéna, les pièces de cinq francs en
argent y étaient connues. Depuis que nous sommes installés dans cette région, notre
monnaie d'argent s'y est très répandue, surtout les pièces de 5 francs et celles de
50 centimes. Les pièces de 1 franc sont plus rares ; celles de 2 francs sont peu
prisées des indigènes ; quant à celles de 20 centimes, elles sont inconnues. Notre
monnaie de billon commence seulement à se répandre, et il n'en existe en pays
Siéna qu'une infime quantité. La monnaie de nickel serait, je crois, assez appréciée,
mais elle n'a pas fait encore son apparition. Les Siéna ont emprunté aux Man-
dingues leurs appellations et leur façon de compter en ce qui concerne notre mon-
naie : ils appellent la pièce de cinq francs dàlassi (dollars, thalers) ou doromé (de
l'arabe dirhem, drachme) ; « cent francs » se dit ioko « vingtaine n (20 pièces de
5 francs) et « mille francs » se dit sila « double centaine » (200 pièces de 5 francs).
La poudre d'or n'est usitée comme monnaie que chez les Nafâna du Sud-Est
voisins des Abron et encore elle l'est fort peu et de moins en moins. Là où on s'en
sert encore, on fait usage de la terminologie employée par les Agni-Assanti et
basée sur le poids et non sur la valeur. La terminologie arabe par mithkâl est con-
nue des Dioula mais ignorée des Siéna.
23. — Les industries.
Les industries pratiquées en pays Siéna doivent se diviser en deux catégories :
l«" celles auxquelles se livrent indistinctement des individus appartenant à n'impoite
quelle caste ; 2^ celles qui sont exclusivement aux mains d'une caste particulière
{voir plus loin le chapitre qui traitera des « castes »).
p. 260-] • R • E • E • S • [1908»
Daos la première catégorie se classent, outre les industries ménagères et
agricoles dont il a été question précédemment, les industries plus spéciales du
filage du coton, du tissage, de la teinture, de la vannerie, de la fabrication de la
poudre, du savon, des huiles, du soumbara, de l'indigo, de la bière de grains, des
sandales, du tabac. Certaines de ces industries sont pratiquées par les femmes
(filage, fabrication du savon, des huiles, du soumhara^ de la bière de grains) ;
d'autres ne sont pratiquées que par les hommes (tissage, fabrication de la poudre,
confection des sandales, préparation du tabac) ; d'autres enfin sont pratiquées
indisiinctement par les deux sexes (teinture, préparation de Tindigo, vannerie).
Dautre part, il est bon d'observer que plusieurs des industries précitées
(tissage et teinture notamment) ne sont pratiquées qu'exceptionnellement par des
Siéna, et seulement — à quelques exceptions près — par des Siéna plus ou moins
mandicisés. La plupart du temps les tisserands et les teinturiers sont des étrangers,
les tisserands des Dioula, les teinturiers des Uioula, des Sarakolé ou Marka et
quelquefois des Haoussa.
Les femmes procèdent de la façon suivante à la confection du fil de coton. Le
coton étant sorti de sa coque, on en retire les graines en les chassant de la bourre
au moyen d'une tige de fer que l'on roule à deux mains sur la bourre placée elle-
même sur une pierre plate ; les graines se trouvent ainsi chassées en avant et sont
ensuite retirées à la main. Gela fait, on carde le coton au moyen d'une sorte de
petit arc que l'on tient d'une main, tandis que de l'autre main, on tire la bourre
sur la corde de l'arc. Récemment les Européens ont introduit des cardes à main,
sorte de brosses en fils métalliques, dont l'usage se répand de plus en plus. Une
fois cardé, le coton est enroulé autour d'une tige de bois que la fileuse tient de la
main gauche ; de la main droite, elle saisit et étire un brin de coton se détachant
de la quenouille et l'enroule sur l'extrémité supérieure d'une aiguille de bois qui
porte à son extrémité inférieure une sorte de boule pesante en terre cuite et que
le mouvement des doigts de la main droite fait tourner rapidement, comme un toton
ou une toupie, sur le fond d'une assiette de bois. Le coton, étiré entre la main
gauche qui soutient la quenouille et la main droite qui retient et fait tourner la
tige du toton, s'allonge et se transforme en un fil, lequel s'enroule autour de l'ai-
guille du toton. Pour faciliter le glissage du fil entre les doigts de la main droite,
les femmes se mettent à ces derniers une poudre blanche fabriquée avec des o»
pulvérisés et comprimés ensuite en un petit pain ressemblant à un pain de blanc
de guêtre.
Le fil est, après cela, déroulé, puis enroulé de nouveau autour d'une tige de
bois, de façon à former de grosses pelotes cylindro-coniques. Lorsqu'on veut l'uti-
liser pour le tissage, on le tend en le faisant passer autour de quatre pieux fichés
en terre et disposés en forme de quadrilatère très allongé.
Les femmes fabriquent aussi du fil de fibres de feuilles d'ananas et du fil d'une
sorte de chanvre, qui servent à confectionner des ficelles et des cordes, notamment
des ficelles pour ceintures.
Le savon se fabrique soit avec l'huile de carapa (ou touUmcouna), soit avec
l'huile de kariié ou de iama^ mélangée à de la lessive de cendre. Oe sont les fem-
mes qui se livrent à cette fabrication. Le savon de carapa, plus dur que les autres,
se conserve mieux et est de beaucoup supérieur ; on le fabrique surtout dans les
fractions sud et sud-est. Il se fait en pains affectant la forme d'un énorme cigare
très renflé en son milieu ; ces pains sont entourés de feuilles larges et ficelés avec
de la paille, et peuvent ainsi se transporter au loin, ou se conserver longtemps,.
1908*] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIENA OU SÉNOUFO. [P. 26 !•
suspendus aux poutres des toitures. Le savon de karité ou de tama est pâteux et
on est obligé de le mettre dans des assiettes ou des terrines ; on le fait surtout dans
les fractions centrale, nord-est et nord. Dans cette dernière on fabrique aussi du
«avon avec Thuile de palme : c'est le moins bon de tous.
Les huiles ou beurres végétaux sont également préparés par les femmes/
L'huile de carapa'ne sert qu'à faire du savon. Celles extraites du Jcarité, du tama,
de Tarachide et des palmistes servent à la fois pour la consommation alimentaire
et pour les usages industriels. Toutes s'obtiennent à peu près de la même façon :
par ebullition des fruits et décantage. L'huile de karité et l'huile de tanui, une fois
refroidies, prennent la consistance du beurre ; l'huile d'arachide et Thuile de palme,
peu répandues d'ailleurs chez les Siéna, demeurent au contraire liquides, ou tout
au moins se figent simplement sans durcir.
Le sùumbara, comme je l'ai dit plus haut, est un condiment d'odeur très
repoussante quand il est cru> mais de saveur assez agréable lorsqu'il est cuit dans
les sauces ; les femmes le préparent en faisant fermenter la pulpe contenue dans
les gousses du nété (arbre ressemblant au tamarin et dont le nom scientifique est
Farhia Biglobosa) et en soumettant ensuite cette pulpe fermentée à une manipu-
lation dont je ne connais pas le détail. Il revêt alors la forme de petites boules
brunes, légèrement poisseuses, qui peuvent se conserver assez longtemps et se
transporter fort loin, à condition de les exposer de temps en temps à l'air et au
soleil.
J'ai parlé plus haut de cette autre industrie féminine qui consiste à fabriquer
la hière de mil ou de maïs.
Le tissage a été introduit chez les Siéua, à une date relativement récente, par
los Dioula, mais cette industrie s'est beaucoup moins développée chez les Siéna —
■ceux de la fraction sud exceptés — que chez leurs voisins méridionaux les Baoulé,
<}ui l'ont reçue également des Dioula, au moins selon toute vraisemblance. Les
tisserands Siéna opèrent comme tous les tisserands nègres de l'Afrique Occidentale
et se servent des mêmes instruments : métier à lamelles suspendu à une pièco de
bois reposant sur deux fourches, navette évidée en forme de pirogue, levier à
pédales permettant de croiser alternativement les deux rangées de lamelles du
métier ; les fils sont tendus au moyen d'une grosse pierre reposant sur le sol en
avant du tisserand j et ce dernier est assis sur un tréteau grossier placé en arrière
de celui supportant le métier, de façon à ce que les pieds du tisserand viennent
s'appuyer sur les pédales. Cet attirail est installé en général à l'ombre des grands
arbres qui se dressent sur les places des villages ou encore sous des abris de feuil-
lages construits tout exprès. Les lais de cotonnade obtenus sont des bandes de 10
à 15 centimètres de large ; on en coud un certain nombre ensemble pour arriver
à la largeur exigée pour les pagnes ou les vêtements. Je n'insiste pas davantage
sur cette industrie, qui a été maintes fois décrite, et qui, chez les Siéna comme
chez les autres Noirs, est l'apanage exclusif des hommes.
La fabrication de la poudre est assez originale, au moins telle qu'elle est pra-
tiquée chez les Siéna ; elle m'a semblé être chez eux localisée à la fraction centrale
et à la partie sud de la fraction nord. Cette même industrie d'ailleurs est plus
répandue chez les Mandingues habitant au sud des Siéna de l'ouest et chez les
Mandé-fou de la même région (les Lo notamment). Cette poudre est obtenue par
un mélange de salpêtre et de charbon de bois pulvérisé, sans addition de soufre.
Le salpêtre provient d'une sorte de terre verte qui ne se trouve que dans certaines
régions et que l'on vend sur plusieurs marchés ; cette terre, généralement humectée
P.2e20 • R • E • E • s • [1908>
avec de Turine pendant plusieurs jours, est ensuite lavée ; la boue résultant de ce
lavage est filtrée dans une pièce de cotonnade et Teau de filtrage est traitée par
ebullition d'abord, par évaporalion ensuite : on obtient ainsi de petits cristaax
blancs qui sont du salpêtre. Le mélange du charbon et du salpêtre s'opère dana
une sorte de creuset naturel qui n'est autre chose qu'un bloc de granit dans lequel
Taction séculaire de la pluie a formé une concavité appréciable : une pierre ronde
que Ton tient à la main remplace le pilon. Cette poudre s'allume assez difficilement
et supporte mal l'humidité ; mais, bien sèche, elle brûle bien et a à peu près autant
de force d'expansion que la poudre de traite importée d'Angleterre et d'Allemagne»
£lle n'est pas fabriquée par des professionnels : chaque chasseur fabrique lui-même
sa poudre ; par suite, elle ne fait pas l'objet d'un commerce, ou tout au moins ne
fait-elle Tobjet que d'un commerce très restreint et tout à fait local.
Il en est de même des sandales^ j'entends des sandales grossières qui se com-
posent simplement d'une pièce do peau séchée et non tannée, avec un cordon de cuir
attaché en avant et qui, passant entre le gros orteil et le doigt suivant, se relie sur
le pied à deux autres cordons attachés de chaque côté de la sandale. Chaque honmie
&brique lui-même, au moyen d'un couteau et d'une peau de mouton ou de chèvre,,
ses sandales et celles des membres de sa famille qui en portent : les artisans se
réservent les travaux de cuir un peu plus compliqués.
J'ai décrit plus haut la préparation du tàbdc en poudre : je n'y reviendrai
donc pas ici.
La teinture est, comme le tissage, d'importation étrangère et relativement
récente. Les Siéna ne s'y livrent guère que dans la fraction sud, laissant ailleurs-
cette industrie aux mains des Dioula et autres étrangers. Les hommes et les femmes
s'y livrent également. La seule couleur connue des teinturiers Siéna est le bleu de
nuances diverses, allant du bleu pâle au noir presque absolu ; elle est exclusivement
obtenue des pains dits d'indigo, préparés avec les jeunes pousses d'une liane qui
n'a aucun rapport botanique avec l'indigotier mais qui fournit la même couleur..
Ces pains sont dissous dans l'eau, en plus ou moins grande proportion selon qu'on
veut obtenir des nuances plus ou moins foncées. Le liquide de teinture est placé
dans de vastes poteries enterrées jusqu'au col, dans lesquelles on met à tremper le
fil de coton ou la pièce d'éto£fe à teindre ; parfois, ces poteries sont remplacée»
par des sortes de cuves cylindriques en argile dont la surface interne a été cuite
au moyen de feux de charbon de bois entretenus à l'intérieur. Les teinturiers se
servent, pour agiter leur teinture, de grandes baguettes de bois terminées par quatre
ou cinq dents divergentes disposées comme les branches d'une étoile. On teint
généralement le fil de coton avant de le tisser, et c'est ainsi qu'en mariant le fil
resté blanc et les fils teintés de diverses nuances, les tisserands arrivent à obtenir
des dessins qui ne manquent ni d'élégance ni de bon goût. Parfois, on teint les-
pagnes une fois qu'ils sont terminés, et alors on obtient des dessins assez originaux
et des nuances fondues d'un effet spécial, en serrant fortement certaines parties du
pagne au moyen d'une ficelle, de façon à ce que la teinture pénètre d'autant moins
le tissu qu'il se trouve serré davantage : ce procédé n'est employé, à ma connais-^
sance, que chez les Takponin et les Guimini du sud et a été emprunté par eux aux
Baoulé. Les fils ou tissus nouvellement teints répandent une odeur très forte et
bleuissent au moindre contact les objets qui les touchent ; après quatre ou cinq
lavages, l'odeur disparaît et la teinture ne s'en va plus que très difficilement, au
moins si l'on a eu affaire à un bon teinturier.
Les pains dits d'indigo sont préparés indistinctement par les hommes et les-
1908.] DBLAFOSSB : LB PEUPLB SIÉNA OU SÊNOUFO. [P, 263»
femmes, et non pas par ceux qai se livreot à Tindustrie de la teinture, mais par Ies>
habitaats des régions où pousse la liane à indigo, laquelle n'existe pas partout.
J'ignore les détails de la préparation des pains d'indigo ; je sais seulement qu'on
y met en général de la bouse de vache pour agglomérer la matière tinctoriale,
laquelle se compose de pousses et bourgeons de liane à indigo. On obtient ainsi
des sortes de galettes légères, d'une odeur très caractéristique, qui font dans tout
le Soudan Occidental l'objet d'un commerce important. Les Siéna n'en fabriquent
qu'une assez faible quantité, qui ne suffit pas même aux besoins locaux, puisqu'on
•en importe du Baoulé de grandes provisions.
La vannerie n'est pas une industrie réservée à une caste spéciale, au moins
•chez les Siéna. Il y a à la vérité des gens plus experts que d'autres en l'art de
tresser des nattes et des paniers, de confectionner des corbeilles ou des chapeaux,
et ces gens font de la vannerie leur métier, tandis que d'antres moins habiles ne
s'y livrent qu'exceptionnellement et seulement pour répondre à leurs propres
besoins. Mais les vanniers de métier eux-mêmes se recrutent indistinctement dans
toutes les castes. Ce sont en général des hommes, bien qu'on rencontre parfois des
femmes se livrant à la confection des nattes et des paniers. L'outillage des vanniers
Siéna n'est pas compliqué : il se compose en général uniquement d'un couteau.
€e couteau sert à couper les feuilles de raphia, les tiges de rotin, les herbes et les
branches de bois qui fournissent la matière première ; il sert aussi à diviser les
feuilles de raphia en fines lamelles longitudinales qui, une fois séchées, serviront à
tresser les nattes, les sacs, les chapeaux ; sectionnées de même en lamelles, les
nervures de raphia se convertiront en stores ; sectionnées en deux parties suivant
leur longueur, les minces tiges de rotin deviendront des liens servant à attacher
ensemble les diverses parties des paniers et des corbeilles ; les tiges d'herbes servi-
ront à confectionner des paniers des nattes grossières ; les branches de bois fourni-
ront les anses des corbeilles ou, façonnées en planches grossières, le fond des
mômes corbeilles.
Nous arrivons maintenant aux industries qui sont l'apanage exclusif des castes
d'artisans : celles-là sont plus développées chez les Siéna que les industries dont il
vient d'être parlé, elles y sont moins abandonnées à des mains étrangères, et cer-
taines d'entre elles, celle du fer entre autres, si elles ne sont pas indigènes, paraissent
tout an moins exister chez les Siéna de temps immémorial. Ce sont les industries
du fer, du bois, du cuir, de l'argile et celle du cuivre : les quatre premières sont
pratiquées par la même caste, celle que nous appelons en général la « caste des
forgerons » et qui porte le nom de naumau en langue mandingue (j'ignore son nom
siéoa) ; ce sont les hommes qui travaillent le fer, le bois et le cuir, et ce sont les
femmes qui travaillent l'argile. Quant à l'industrie du cuivre, elle est réservée à
une caste spéciale, qui semble n'appartenir originairement ni au peuple Siéna ni
au peuple Mandingue, mais qui est installée depuis fort longtemps en pays Siéna et
parle tantôt la langue Siéna, tantôt la langue Mandingue, tantôt les deux : c'est
la caste des LorhOj dans laquelle les hommes seuls sont artisans, les femmes ne
s'occupant que du ménage et des travaux agricoles.
L'industrie du fer est, de toutes, la plus répandue chez les Siéna : elle comprend
à la fois la fabrication du métal et ses diverses utilisations. Il semble qu'autrefois,
sur toute l'étendue du pays Siéna, on fabriquait du fer à l'aide du minerai qui
abonde dans toute la région ; depuis une vingtaine d'années et surtout depuis notre
installation dans le pays, le fer brut et travaillé provenant d'Europe a été importé
en si grandes quantités et il a atteint un prix relativement si minime que Tindustrie^
p. 264.] • R • E • E • S • [1908>
métallurgique iodigène a été fortement battue en brèche. Eile a à peu près dis-
paru, au moins en c^ qui concerne la fabrication du métal, dans les fractions sud-est
et sud, et a certainement diminué d'importance dans les autres fractions, bien que
les besoins de Babemba et de Samori en armes de toutes sortes aient redonné
momentanément, de 1889 à 1898 euTiron, une activité passagère à cette industrie.
Actuellement elle est encore vivace dans la fraction centrale, dans la fraction nord-
est, et dans une faible partie de la fraction nord. Tantôt les forgerons Siéna qui
fabriquent le fer forment des villages à part, tantôt ils constituent seulement un
quartier dans un village habité pour le reste par des gens d'autres castes (par
exemple à Kiémou chez les Gbannzoro et à Sienso chez les Noholo).
Le minerai de fer, extrait du sol au moyen de piques en fer et de houe»
épaisses, est concassé à Taide de blocs de granit et mélangé, dans des hauts-four-
neaux que je décrirai un peu plus loio, avec du charbon de bois. Ce dernier est
préparé par les mêmes forgerons qui s'en serviront pour traiter le minerai de fer.
Leur méthode de préparation du charbon est absolument identique à celle de nos
charbonniers de France : des branches d'arbre de petite dimension sont entassées
les unes sur les autres, par couches disposées en alternant à chaque couche le sens
des branches, de façon à former un tas de 2 mètres de hauteur sur 4 mètres environ
de diamètre, de forme à peu près hémisphérique ; ce tas est recouvert d'herbe et
de mottes de terre ; on l'allume par le bas et le tout se consume lentement, la
fumée filtrant à travers la couche d'herbes et de terre. Le charbon une fois obtenu,
on le transporte au quartier des forgerons : une partie servira à préparer le fer^
une autre partie à alimenter le feu des forges.
Les hauts-fourneaux revêtent, selon les régions, des formes assez diverses; En
général, ils se composent d'un cône d'argile arrondi à son extrémité supérieure ;
à la base ont été ménagées trois ou cinq ouvertures semi-circulaires ; une autre
ouverture a été aménagée au sommet. Souvent, le cône porte en son milieu deux
appendices qui m'ont semblé figurer des mamelles et qui n'ont aucune utilité
pratique : sans doute c'est un symbole dont il faudrait chercher l'origine dans le
culte spécial aux forgerons (fig. 55). L'ouverture supérieure sert à verser dans
l'intérieur du cône le minerai et le charbon. Les ouvertures du bas servent d'abord
à allumer le feu et à l'activer par le courant d'air qu'elles établissent de concert
avec l'ouverture supérieure. Lorsque le feu est bien pris et que son action commence
à se faire sentir sur le minerai, on dispose contre chacune des ouvertures du bas
une sorte de tube cylindro-conique en argile épaisse, dont on soude les bords contre
ceux de l'ouverture correspondante du haut-fourneau au moyen d'un revêtement
d'argile grasse. Parfois (fig. 56) à chaque ouverture du haut-fourneau correspondent
deux tubes encastrés dans une sorte de trappe qui s'adapte à cette ouverture. Le
fer contenu dans le minerai entre en fusion sous l'action du charbon incandescent
et tombe peu à peu à la base du haut fourneau, d'où, grâce à la pente qui a été
ménagée, il s'écoule dans les tubes d'argile ; là, il se refroidit et se solidifie.
On laisse le feu achever de se consumer et ensuite on retire les tubes et on les
brise. De chacun d'eux on retire une barre d'un for très impur, chargé de scories
de charbon, et présentant un peu l'aspect extérieur d'une éponge : ce morceau de
métal est trempé dans l'eau, puis transporté sur une dalle de granite où, durant
des heures et des heures, un forgeron le frappe avec un bloc de granite poli, jusqu'à
ce que le fer lui-même devienne lisse et poli. On le porte alors au rouge sur un feu
de charbon, on le trempe dans l'eau froide alors qu'il est bien rouge» puis on le
martèle à l'enclume et il est alors bon à employer. Le fer ainsi préparé doit assu-
t.909*l DELAFOSSE : LB PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 265«
rément conteoir une certaine quantité de charbon et constitue une sorte d'acier
plutôt que du fer pur. Tel qu'il est, en tout cas, il suffit à tous les usages auxquels
l'emploient les forgerons Siéna. Quant aux scories de minerai, elles renferment
encore du fer après l'opération, mais elles ne sont pas utilisées, sauf quelquefois
CQmme pierres à bâtir, les forgerons ayant l'habitude de s'en servir pour former la
base des murs de leurs habitations et de leurs ateliers.
Les outils de forge, très primitifs, sont analogues à ceux des Noumou Man-
dingues, bien souTent décrits : une pierre de granite sert d'enclume, une barre de
fer de marteau ; une tige de fer pour agiter le feu, une paire de pinces fort gros-
sières, un soufflet double en peau posé à terre et qu'un enfant manœuvre en soule-
vant alternativement chaque peau^ complètent l'attirail. Il faut y ajouter encore
quelques pointes de fer servant à forer des trous, et c'est à peu près tout. Cet
outillage si primitif permet cependant aux forgerons Siéna de transformer leurs
blocs de fer en houes, en couteaux, en pointes de flèche ; très légèrement perfec-
tionné, il leur a permis, au moment des guerres de Samori, de fabriquer pour ce
dernier des chiens de fusil, des gâchettes, des baguettes, et même des ressorts à
boudin et des culasses entières copiées sur les culasses de nos fusils modèle 1874 ;
j'ai vu et tenu entre mes mains plusieurs fusils de ce modèle dont toutes les pièces,
sauf le canon, avaient été fabriquées par des forgerons Siéna : il y avait assurément
bien des défauts dans ces armes, surtout en ce qui concerne le fini des pièces :
néanmoins on pouvait tirer avec ces fusils, ce qui est bien un résultat appréciable.
On m'a même affirmé que des canons de fusil avaient été également fabriqués par
des forgerons Siéna, en deux pièces semi-cylindriques accolées ensuite et soudées
au rouge métal contre métal : mais je n'ai pas vu de ces canons et, s'il en a été fait,
je doute qu'ils aient pu être utilisés ; les rayures en tout cas devaient être fort
irrégulières et ne pouvaient que contrarier la vitesse du projectile au lieu de l'accé-
lérer. D'autre part, j'ai vu ces mêmes forgerons fabriquer pour les Européens,
d'après un modèle ou même un simple dessin accompagné d'explications verbales,
des pièces de rechange pour fusils de chasse, des mors, des étriers, des boucles,
des pointes, des vis, des charnières, des pentures, des clefs, etc.
L'industrie du bois^ très répandue également chez les Siéna, n'y existe qu'à
un stade beaucoup plus primitif. Les artisans ébénistes, dont l'outillage ne se
compose guère que d'une herminette et d'un couteau, fabriquent surtout les mortiers
pour piler les céréales, les pilons, les tabourets, les lits en bois, les fûts de fusil,
les manches de couteaux et d'outils divers ; ce sont eux aussi qui confectionnent
les sabres de bois et casse-têtes dont j'ai parlé plus haut, ainsi que les arcs et les
Mèches. Enfin ils sculptent des statuettes, des masques, des figurines qui servent
pour les danses ou pour les cérémonies religieuses et dont le travail dénote, sinon
un sens artistique bien développé, au moins un louable souci de rendre les détails
tout en les exagérant.
L'industrie du cuir est très peu développée, ou du moins elle est abandonnée
par les Siéna aux artisans de famille Mandingue établis parmi eux, et qui fabriquent
des carquois, des fourreaux de sabre, des étuis pour talismans, des babouches,
parfois même des bottes et des selles. Cette industrie peut être considérée comme
étrangère.
L'industrie de Vargile au contraire, est relativement développée. Gomme je
l'ai dit plus haut, ce sont les femmes de la caste des artisans qui s'y livrent exclu-
sivement. Elles vont chercher la terre grise, la transforment en une pâte épaisse et
la tournent entre leurs doigts sur un plateau de bois posé sur le sol jusqu'à ce
p. 266.] • R • E • E • S • [1908.'
que la pate ait pris la forme du vase à fabriquer ; les potières Siéaa ont uue grande
habileté à mouler la pâte outre leurs doigts agiles et savent se servir du simple
plateau de bois comme d'un tour. Les formes une fois obtenues sont disposées sur
une couche de sable où on les laisse sécher un peu. Ensuite elles sont cuites dans
des fours d'argile très primitifs, ou le plus souvent sous une couche de cendre que
recouvre un feu ardent. Divers procédés sont employés pour polir et vernir les
poteries, mais je ne les connais pas exactement. On trouvera plus haut la description
des divers vases que Ton rencontre chez les Siéna.
Les bijoux de cuivre (pendentifs, anneaux, etc.) sont fabriqués par des artisans
de la caste spéciale des Larho^ au moyen de métal acheté aux commerçants euro-
péens. Le procédé de fabrication est à peu près le même que celui des forgerons :
le métal est ramolli au feu, puis martelé sur Tendume jusqu'à ce qu'il ait reçu la
forme désirée ; des rayures et des relieâ sont obtenus à l'aide d'une pointe de fer
sur le métal ramolli par l'action du feu. Cependant, les Lorho obtiennent aussi des
objets par le procédé de la cire perdue : ils confectionnent avec de la cire le modèle
du bijou qu'ils veulent faire, entourent ce modèle d'argile en ménageant au sommet
une ouverture en forme d'entonnoir, et, par cette ouverture, versent le cuivre en
fusion au moyen d'une sorte de creuset en terre muni d'un long manche de fer et
de bois ; le métal en fusion fait fondre et s'évaporer la cire et prend sa place ; il ne
reste plus qu'à briser le moule d'argile et l'on a le bijou.
24. — La chasse et la poche.
Je ne crois pas qu'il existe chez les Siéna une caste spéciale de chasseurs ou
de pêcheurs, en tout cas je n'en ai jamais entendu parler. J'ajouterai même que les
chasseurs et pêcheurs professionnels, c'est à dire se livrant exclusivement à la
chasse ou à la pêche, sont fort peu nombreux parmi les Siéna non mandicisés. Il
existe cependant quelques chasseurs de métier dans les régions de population
clairsemée, riches en forêts et en gibier, notamment dans certaines parties du
Guimini, du Takponin, du Tafiré, du Pala, du Niarhafolo, du Folo. Il existe
également quelques pêcheurs de métier le long de la Gomoé, du Bandama, du
Bagbê. Mais il est à remarquer, au moins pour les chasseurs, que la plupart des
professionnels sont des Mandingues ou des Siéna mandicisés.
D'une façon générale, les Siéna riverains des cours d'eau importants se livrent
à la pêche lorsque les eaux se retirent (commencement de la saison sèche), et ils
font sécher le produit de leur pêche qu'ils envoient vendre par leurs femmes sur les
marchés. Mais cette industrie est chez eux fort peu développée,tout à fait primitive
et n'occupe qu'une partie restreinte de la population.
En ce qui concerne la chasse, on peut dire que presque tous les Siéna sont
chasseurs, mais qu'ils ne le sont qu'occasionnellement. Chaque fois qu'ils se rendent
aux champs, ils emportent leurs fusils ou leurs arcs et, s'ils aperçoivent du gibier
ou relèvent des traces fraîches, ils se livrent à la chasse avec un succès d'ailleurs
fort relatif. Durant la saison sèche et lorsque les travaux agricoles subissent un
temps d'arrêt, beaucoup de Siéna habitant des petits villages isolés s'adonnent à la
chasse de façon plus suivie, soit en pratiquant isolément la chasse à l'affût, soit en
se réunissant par bandes de 10 à 50 hommes pour faire des battues ou cerner le
gibier que des rabatteurs mettent en fuite en fouillant les buissons et en mettant le
feu aux herbes sèches.
D'une façon générale, les Siéna ne tirent le gibier qu'au posé, surtout s'il s'agit
de gibier à plumes.
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 267.
Daps le Gaimini, j'ai vu des geius utiliser pour la chasse des chiens dressés à
fouiller les buissons et à débusquer le gibier.
Les Siéna chassent peu la grosse bête, exception faite cependant pour l'hippo*
potame, dont les mœurs font une proie relativement aisée pour le chasseur à Taffût.
Presque tous les chasseurs d'éléphants sont des Mandingues du Ouassoulou. Les
antilopes, d'espèces fort variées du reste, constituent le principal gibier des
chasseurs Siéna.
Je dois signaler ici des greniers à gibier que j'ai observés en plusieurs régions
du pays Siéna, notamment chez les Folo, les Niarhafolo et les Takponin : ce sont
de petits greniers analogues aux greniers à céréales, mais édifiés en pleine brousse,
sur des affleurements granitiques qui les mettent à l'abri des termites. Les chasseurs,
qui s'établissent parfois durant deux à trois semaines loin de tout lieu habité,
sèchent au feu le produit de leurs chasses au fur et à mesure qu'une nouvelle pièce
de gibier est abattue, et enferment la viande dans ces magasins jusqu'à ce que la
période de chasse soit terminée : ils emportent alors le tout dans leurs villages et le
mettent en vente.
26. — La masiqne et la danse.
Les musiciens appartiennent en général à une caste spéciale ; les danseurs au
contraire sont rarement des professionnels, sauf pour ce qui regarde les danses
religieuses, et, dans ce dernier cas seulement, ils appartiennent à une caste spéciale.
Quant aux chanteurs de métier ou de caste, ils n'existent pas, à ma connaissance
du moins, chez les Siéna : on en rencontre il est vrai, surtout dans l'entourage des
cheft, et des deux sexes, qui appartiennent à la catégorie connue des Européens
du Soudan sous le nom de ■ Griots », mais ce sont tous des étrangers, soit des
Mandingues, soit des Ouolofs.
Instruments de musique. — Ils sont, comme l'art musical des Siéna, peu
perfectionnés et n'offrent à ma connaissance rien de particulièrement intéressant
qui les distingue des instruments de musique répandus dans tout le Soudan«
Cependant, je signalerai des sortes de harpes^ en usage chez les Niéné et autres
sous-tribus du district de Tombougou, et qui se composent d'une vaste calebasse,
servant de caisse de résonnance, surmontée d'une perche haute de deux mètres
environ le long de laquelle sont tendues les cordes : j'ai entendu des orchestres
composés de cinq à six harpistes qui arrivaient à jouer des mélopées réellement
harmonieuses et agréables à l'oreille, quoique fort monotones.
La guitoâre commune, sorte d'arc terminé en bas par une calebasse et suppor-
tant trois à sept cordes d'inégale longueur, est fort répandue dans la fraction nord.
Dans toutes les fractions, mais surtout dans celle du centre, on rencontre
partout le xylophone soudanais vulgairement appelé « halafan » par les Européens,
des mots mandingues balan fo (jouer du « balan », ce dernier mot étant le nom
mandingue de l'instrument en question). Le « balafon » est universellement connu :
il se compose d'un cadre trapézoïdal en bois léger sur lequel sont fixées des touches
de bois d'inégale longueur, des calebasses vides étant suspendues au-dessous des
touches pour augmenter la résonnance ; l'instrument se porte suspendu à l'épaule
par une corde et vient reposer contre le bas-ventre du musicien ; ce dernier frappe
les touches au moyen de deux baguettes terminées par une boule de caoutchouc
plein. Certains « balafon » donnent jusqu'à douze notes différentes, ce qui permet
à l'artiste une certaine fantaisie. Le son n'en est pas désagréable, surtout entendu
d'assez loin.
F. 268] • R • E • E • S • [1908.
Parmi les instruments à vent, je citerai les flûteSj donnant de trois à six notes,
et les carnes^ olifants et trompes de bois^ qui donnent une ou deux notes seulement,
mais avec lesquels on arrive à constituer des orchestres harmoniques en donnant à
chaque musicien une corne ou trompe de note spéciale. Certains airs joués par les
orchestres de flûtes ou de trompes ne manquent ni d'élégance ni d'agrément :
malheureusement ces airs«e composent toujours d'une phrase musicale unique et
très courte que les musiciens répètent interminablement, ce qui ne parait pas
fatiguer les oreilles indigènes mais est peu agréable aux oreilles européennes.
Tous les instruments que je viens de passer en revue, quoique primitifs,
méritent le nom d'instruments de musique puisque soit seuls, soit combinés plusieurs
ensemble, ils peuvent produire une harmonie. Mais ils sont moins répandus, je
dirai même moins essentiels, chez les Siéna, que les instruments que l'on pourrait
appeler « instruments de rythme » et qui ne servent en effet qu'à rythmer une
danse, une marche ou un chant, parfois même qu'à faire du bruit. Ces instruments,
dans nos orchestres européens, sont peu nombreux et constituent ce que nous
appelons la « batterie » ; cbez les Siéna, comme, il me semble, chez tous les Nègres,
ils constituent la partie principale do tout orchestre, quand ils ne constituent pas
tout l'orchestre à eux seuls. Ce sont : les tambours hémisphériques que l'on frappe
de la main ; les tambours cylindriques que l'on frappe avec des baguettes ; les
tambours bi-couiqucs, que l'on tient sous le coude gauche et dont les peaux sont
reliées l'une à l'autre par des cordes que l'on peut serrer ou relâcher à volonté à
l'aide du coude, ce qui fait que le marteau de bois que l'on tient de la main droite
peut donner deux notes différentes ; les gourdes recouvertes d'un filet chargé de
cauries et qui, secouées, rendent un bruit de castagnettes ; les clochettes de fer ;
les cylindres de fer évidés le long desquels on frotte une tige de même métal ; enfin
les anneaux et pendeloques de ferraille que l'on suspend au pourtour des tambours,
au manche des guitares, à la caisse de résonnance des harpes, au poignet des
joueurs de » balafon », aux jambes des musiciens, et'qui, en s'entrechoquant grâce
aux vibrations de l'instrument ou aux mouvements du musicien, produisent un
cliquetis fort apprécié, semble-t-il, des auditeurs.
Musiciens. — Les hommes seuls font usage de tous ces instruments de
musique ou de rythme. Je ne connais qu'un seul instrument dont jouent les femmes :
il se compose d'une courge fort longue, ressemblant à un très grand concombre, qui
a été évidée et dont Tune des extrémités a été sectionné^ ; dans certaines danses
que j'ai observées chez les Siéna de la fraction centrale et qui, sans doute, se
retrouvent dans d'autres fractious, les femmes et surtout les fillettes, tout en dan-
sant et chantant, frappent contre la paume de leur main gauche l'extrémité sec-
tionnée de cette courge tenue légèrement de la main droite, ce qui produit un son
grave dont la modalité varie selou la taille de la courge.
Chaque chef de village ou de canton entretient une ou plusieurs troupes de
musiciens qui l'accompagnent dans ses déplacements et, en temps ordinaire,
donnent des divertissements au public et font danser les habitants.
Le nombre des musiciens qui composent ces troupes, leur habillement, leur
recrutement varient avec la richesse des chefs et avec leurs goûts. Les chefs pauvres
se contentent de quelques tambours et de quelques trompes. Les chefs riches, sur-
tout dans les fractions du centre et du nord, ont jusqu'à cinq ou six orchestres diffé-
rents, comprenant chacun une dizaine d'exécutants, et composés, l'un de joueurs
de « balafon », l'autre de joueurs de tambours, le troisième de flûtistes, le quatrième
de joueurs de trompes, etc. En général, les joueurs de trompe n'ont pas de costume
1908«] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 269«
particulier ; les joueurs de tambour et de « balafon n se distinguent le plus souvent
par d'immenses chapeaux de paille atteignant parfois les dimensions d'un parapluie ;
une chose à noter chez les joueurs de tambour hémisphérique, c'est qu'ils déposent
sur le devant de la peau de leur instriunent un pâté d'une sorte de poix dont ils
s'humectent les doigts de temps en temps pour éviter que le frappement répété de
leurs mains sur le tambour ne détermine des ampoules. Les flûtistes sont générale-
ment vêtus d'une veste rouge et coiflFés d'un chapeau demi-circulaire rappelant un
peu la forme des coiffures que portaient les dandys du Directoire, chapeau dont les
faces sont ornées de petites glaces encastrées dans du drap rouge et dont le pourtour
est orné de cauries et de houppettes ; un ou plusieurs joueurs do tambour à cordes,
habillés de même, accompagnent toujours les flûtistes, et chantent pendant que ces
derniers jouent.
Les chants. — Le chant accompagne assez souvent la musique instrumentale
et la danse, moins souvent pourtant chez les Siéna que chez leurs voisins du sud
(Agni-Âssanti) et que chez les Mandingues. Ces chants sont tous monotones, très
primitifs comme musique, très courts et d'un ton généralement mélancolique.
Ils se divisent en soli, exécutés par l'un des musiciens de l'orchestre ou l'un
des danseurs, en chœurs chantés par l'un seulement des sexes, et en chœurs chan-
tés par tous les assistants, hommes et femmes. Comme je le disais plus haut, il n'y
a pas — je le crois, du moins, — de chanteurs de profession ni de hérauts analogues
aux « griots » parmi les Siéna proprement dits. Mais dans chaque orchestre existe
généralement une sorte de chef de musique qui indique à ses co-exécutants l'air à
jouer et qui, souvent, fait le tour de l'assemblée en chantant sur cet air soit des
paroles connues, soit une improvisation de son crû motivée par les circonstances.
Parfois, c'est un personnage de l'assistance qui remplit ce rôle : il chante alors une
sorte de mélopée, en l'accompagnant de force gestes et jeux de physionomies. Le
plus souvent l'assistance reprend cet air en chœur, et les femmes battent la mesure
en frappant des mains, tandis que l'orchestre fait rage et que les danseurs évoluent
à l'intérieur du cercle formé par les spectateurs-chanteurs. Ces chœurs sont exécu-
tés tantôt à l'unisson, tantôt en parties, sans que rien, semble-t-il, ait été convenu
à cet égard. Les voix ne sont pas agréables, mais elles sont justes en général, et il
est rare qu'on entende de fausses notes.
J'ai entendu chez les Guimini des chœurs de femmes fort mélancoliques, mais
d'assez bonne tenue musicale. Je crois d'ailleurs que les chœurs de femmes seules, qui
généralement ne sont accompagnés par aucun instrument de musique^ sont supé-
rieurs aux chœurs exécutés indistinctement par les deux sexes pour accompagner
les danses.
Les paysans agrémentent parfois leurs travaux agricoles de chants qui rappel-
lent — d'assez loin — les tyroliennes des montagnards alpins. Lorsqu'un chef fait
exécuter de gros travaux pressés, tels que le défrichement d'un champ, le battage
du grain, la construction d'une maison, il excite souvent le zèle des travailleurs à
l'aide d'un orchestre de tambours et de « balafons », que les travailleurs eux-mêmes
accompagnent parfois de leurs chants.
Les chants des cérémonies religieuses et funèbres sont d'un caractère musical
plus relevé en général que les chants ordinaires, mais sont cependant fort primitifs
encore et tous, au moins pour qui n'entend pas les paroles, sont empreints d'un ton
de mélancolie fort caractéristique.
Les danses, — Il y a chez les Siéna des danses qu'on pourrait appeler générales,
auxquelles prennent part les individus de tout sexe, de tout âge et de toute classe :
P.270*] • It • K • E • S • [1908.
elles ont lieu sur les places publiques, à roccasion d'uu évènemeot marquant tel
qu^une fête locale, le passage d'un personnage de marque, etc. Un orchestre s'in«
stalle le long du mur d'une case ou à l'ombre d'un arbre, un cercle se forme et les
danseurs é?oluent au centre du cercle, tandis que les assistants chantent et battent
des mains. Le plus souvent un jeune homme se détache de l'assistance, indique à
L'orchestre un air de son choix, et danse seul sur le rythme de cet air, exécutant
des sauts plus ou moins agiles, des volte-faces, des pirouettes, des glissements sur
les doigts de pieds, et, s'il est vêtu de vêtements amples, agrémentant ses mou-
▼ements en développant les étoffes qui le couvrent à la façon de la Loîe Fuller et
de ses imitatrices. Quelquefois deux hommes dansent ensemble, se faisant vLs-à-vis.
D'autres fois, une femme sort du cercle et trottine à pas menus en soulevant ses
seins ou en faisant des grâces avec ses bras. Souvent un danseur et une danseuse
se font vis-à-vis ou tournent l'un autour de l'autre. On voit aussi des théories
d'hommes faire le tour du cercle à la queue leu-leu, suivies de théories de femmes,
parmi lesquelles les plus vieilles sont celles qui se démènent et minaudent le plus.
De tout jeunes enfants même prennent part à ces réjouissances et provoquent, par
leur souplesse ou leur gentillesse, les cris d'admiration de leurs parents, de leurs
mères surtout. Lorsqu'un danseur s'est particulièrement distingué, l'un des mem-
bres de Torchestre s'approche de lui et le suit dans ses évolutions en activant le jeu
de son instrument ; dans le mémo cas aussi, l'un des amis du danseur se détache
de l'assistaoce et vient lui saisir le bras droit, qu'il élève au-dessus de sa tête ; cela
se fait surtout pour honorer un chef ou un fils de chef qui montre à la fouie ses
talents chorégraphiques. S'il s'agit d'une danseuse habile ou de noble extraction,
on l'honore de la même manière, ou bien en jetant un pagne sur l'une de ses
épaules.
Il existe aussi des danses auxquelles ne prennent part que les femmes : elles
ont lieu le plus souvent à la tombée de la nuit, une fois les soins du ménage termi-
nés, ou plus tard encore, au clair de la lune. Ces danses ont plus de caractère que
les danses auxquelles tout le monde prend part ; souvent elles consistent en de
véritables jeux, les femmes se laissant à tour de rôle tomber en arrière sur les mains
de leurs compagnes, ou se frappant deux à deux derrière contre derrière, ou sautant
en l'air par pirouettes gracieuses. Ces danses sont toujours accompagnées de chants
et de battements de mains, mais en général il n'y a pas d'instruments de musique
pour en marquer le rythme, exception faite des longues courges dont j'ai parlé plus
haut et qui d'ailleurs ne sont usitées que dans certaines danses. Parfois cependant,
une ou deux femmes rythment le chant et la danse en frappant sur une calebasse
qui a été renversée sur une autre calebasse plus grande et remplie d'eau.
On remarque encore des danses spéciales à la caste des artisans. C'est ainsi
que j 'ai vu à Korhogo (Kiembarha) les forgerons du lieu exécuter une danse fort
curieuse qui met en valeur tous les muscles de chaque danseur, notamment ceux
de la poitriae et des cuisses. A Boundiali (Téuéouré), j'ai assisté aussi à une danse
de forgerons caractérisée par de véritables tours d'acrobatie, notamment des cul-
butes, des marches sur les mains, etc. Chez les Ouimini, j'ai vu des artisans se
livrer, au son des instruments et selon uq rythme parfait, à un simulacre de lutte à
mains plates, et des femmes d'artisans exécuter, non pas la danse du ventre, mais
une danse des fesses tout à fait extraordinaire.
Quant aux danses funèbres et aux danses religieuses, je n'ai pu en observer
que fort peu chez les Sléna, et ce sont, plutôt que des danses proprement dites, des
cérémonies dont je parlerai plus loin à propos des funérailles et de la religion.
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 271.
Je ne crois pas qu'il existe chez les Siéna des danseurs professionnels ; j'en ai
Yu, il est vrai, chez les Noholo, mais il m'a semblé que c'était là une importation
étrangère, les danses exécutées étant tout à fait semblables à celles auxquelles se
livrent les danseuses et danseurs professionnels de Kimbérila, village mandingue
voisin d'udienné qui est célèbre dans toute la contrée par son corps de ballet.
Je ne parlerai pas ici des costumes spéciaux à certains danseurs ni des masques
de danse, ces costumes et ces masques m'ayant paru réservés, chez les Siéna non
mandicisés, à certaines cérémonies religieuses ou dérivant tout au moins de la reli-
gion.
Toutes les danses dont j'ai parlé ont lieu la nuit aussi bien que le jour : elles
ont même lieu de préférence la nuit, d'abord parce que nulle occupation n'empêche
alors de s'y livrer ou d'y assister, ensuite parce que la chaleur est moins forte que
pendant le jour. Lorsque la lune est dans tout son éclat, les danses battent leur
plein et durent jusqu'à ce que l'astre disparaisse ; lorsqu'il n'y a pas de lune, on
y supplée à l'aide de feux de paille, qui produisent d'ailleurs plus de fumée que de
lumière.
Les vieillards et les notables assistent parfois aux danses publiques, mais n'y
prennent pas part, les femmes exceptées. Il arrive cependant que de jeunes chefs
ne résistent pas au plaisir de faire admirer leur agilité, mais c'est considéré par
le peuple comme une faiblesse de leur part et un manque de tact. Quant aux
danses purement féminines, seuls parmi le sexe fort les jeunes gens se permettent
d'y assister de près.
26. — La sculpture et la peinture.
Si la musique est peu développée chez les Siéna, la sculpture et la peinture le
sont moins encore. Le premier de ces arts existe à peine à l'état infantile, repré-
senté par les grossières statuettes de bois, les bijoux et statuettes de cuivre que
fabriquent diverses catégories d'artisans, et par les représentations d'argile plus
grossières encore, figurant soit des êtres humains, soit des crocodiles, qui décorent
plusieurs bois sacrés. C'est surtout dans la confection des masques religieux que se
révèle l'art indigène, et encore cet art, rustique dans l'exécution, conventionnel
dans l'invention, est-il tout à fait grossier.
Quant à la peinture, autant dire qu'elle n'existe pas, même à l'état de peinture
décorative, les revêtements polychromes observés sur quelques murs des cases
Nafâna ou Noholo, imités d'ailleurs des procédés Assanti ou Mandingues, étant
trop informes pour mériter qu'on leur accorde une idée d'art quelconque.
27. — La poésie et la littérature.
Comme tous les Noirs même les plus primitifs, les Siéna ont une littérature
orale dans laquelle les chants représentent la poésie et où la prose est représentée
par les fables, les proverbes, les légendes historiques et religieuses. Comme je l'ai
dit plus haut, je ne crois pas qu'il existe chez les Siéna de ces bardes de profession,
à la fois poètes, acteurs et même improvisateurs, tels qu'on en rencontre chez les
Mandingues et autres peuples du Soudan. Mais, en ce qui concerne les chants,
l'improvisation du public ou de quelques individus particulièrement doués joue un
grand rôle, et le fonds poétique se renouvelle sans cesse. La tradition au contraire
a un rôle prépondérant en ce qui regarde les fables, les proverbes et les légendes,
lesquelles se transmettent de génération en génération. A la vérité, chaque conteur
p. 272.] • Il • E • E • S • [1908.
ajoute quelques détails de son crû ou donne un tour spécial au conte traditionnel,
mais le fonds demeure le même.
Je regrette de ne posséder aucun document me permettant de donner une idée
du folk-lore siéna; je n'ai pu étudier suffisamment la langue pour recueillir des échan-
tillons de cette littérature orale que les interprètes, tous étrangers, dénaturent
singulièrement en la traduisant. Je dois me contenter de signaler à ceux qui auront
Toccasion de vivre en contact avec les Siéna Timportance qu'il y aurait à recueillir
de la bouche des indigènes le plus graod nombre possible de fables, de proverbes
et surtout de légendes.
28. — Létiquette et la politesse.
Ici encore, je ne puis donner que des indications générales, faute d'avoir eu
avec les Siéna un contact assez intime pour pouvoir pénétrer le sens de certaines
maoifostations extérieures et de certaines formules, aussi bien que pour pouvoir
distinguer ce qui appartient en propre aux autochtones de ce qui a été importé du
dehors.
Il m'a paru que l'étiquette et le protocole étaient beaucoup moins compliqués
et moins sévères chez les Siéna que chez les Agni-Assanti et même que chez les
Mandingues, moins formalistes cependant que les populations du Baoulé, de l'Abron
et de l'Assanti. Dans l'entourage des grands chefs cependant, on observe un proto-
cole qui a ses rites définis quoique difficilement définissables.
Je ne reviendrai pas sur les règles do savoir-vivre concernant l'absorption de
la nourriture, règles dont j'ai parlé déjà au chapitre des « soins de propreté ».
Les Siéna accordent en général de grandes marques de respect aux chefs et
aux vieillards, évitant de les coudoyer, s'inclinant lorsqu'ils sont obligés de passer
devant eux de façon à les frôler, se levant sur leur passage, leur offrant un siège
s'ils les voient demeurer debout, etc. Dans un cortège, il est d'usage que les per-
sonnages les plus considérables soient placés les derniers.
Les salutations sont moins compliquées, aussi bien comme gestes que comme
formules, que chez les Mandingues et surtout les Agni-Assanti ; cependant il existe
' un certain nombre de formules différentes, selon l'heure de la journée et les
circonstances do la rencontre. D'une façon générale, c'est toujours l'arrivant qui
salue le premier, quels que soient son âge, son rang social et son sexe. Lorsque
deux personnes se croisent dans une rue ou sur un sentier, c'est celle du rang le
moins considérable qui salue la première, en faisant place au personnage salué :
les serfs saluent les nobles, les enfants saluent les adultes, les adultes les vieillards,
les femmes saluent les hommes. Dans le cas d'une visite, le visiteur salue le pre-
mier ; on lui rend son salut, on lui offre un siège et on lui demande les nouvelles ;
s'il s'agit d'un voyageur, on ne lui demande les nouvelles qu'après lui avoir offert
de se rafraîchir.
Les hommes saluent généralement en levant le coude droit à hauteur du
menton, les femmes en faisant une génuflexion, le dos tourné à la personne qu'elles
saluent. Les musulmans saluent en se posant la main droite sur la poitrine et en
prononçant des formules empruntées aux langues arabes et mandingues ; souvent
on salue les musulmans notables en se prosternant devant eux et en appuyant le
front sur le bas de leur <« boubou n ; cette coutume est même employée par des
Siéna non musulmans quand ils saluent un chef très influent.
Dans plusieurs régions, on rend hommage à l'autorité d'un chef ou à la respec-
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 273#
tabilité d'un notable en lui saisissant le poignet droit et en l'élevant au dessus de
sa tête.
29. — L'hygiène, la thérapeutique et la chirurgie.
C*est là un chapitre dont Tétude mériterait de tenter les médecins européens
appelés à résider en pays Siéna : outre que cette étude serait fort intéressante au
point de vue de la science pure, je suis absolument persuadé qu'elle fournirait des
enseignements précieux à la thérapeutique tropicale.
L'hygiène proprement dite semble peu développée : il est fort rare que les
Siéoa prennent des précautions contre le froid et contre l'humidité, qui pourtant
sont les plus grands ennemis de leur santé générale. L'hygiène de l'alimentation,
celle de l'enfance en bas-âge, paraissent aussi être plutôt négatives. Les règles
d'hygiène concernant l'état de grossesse semblent être plus strictement suivies, et les
accouchements m'ont paru s'opérer dans d'assez bonnes conditions, sous la direction
de iemmes âgées qui exercent la profession de sages- femmes et qui ne manquent
ni d'expérience ni de bon sens.
La thérapeutique, par contre, semble avoir atteiot un degré relativement
élevé. Les Siéna font un usage, qui, daos mon incompétence, m'a paru judicieux,
d'un très grand nombre de médicaments tirés par la plupart de matières végétales
ou empruntés plus rarement aux règnes animal et minéral. J'ai pu constater l'effi-
cacité de beaucoup de médications indigènes, et c'est là que nos médecins auraient
à apprendre s'ils voulaient se donner la peine d'observer attentivement et renoncer
à un dédain préconçu pour tout ce qui n'appartient pas à la matière médicale du
<:odex. Il est vrai que, dans la fagon dont les indigènes exercent les suins médi-
caux, il y a presque toujours deux parts fort différentes : l'une, purement médicale,
consiste en Tapplication à une maladie donnée d'un médicament réel, dont l'effica-
cité a été établie par une longue expérience ; l'autre part relève du charlatanisme
et a son origine dans la nécessité où, de par la nature humaine, le médecin se
trouve d'en imposer à son malade : il ne peut se contenter de lui appliquer un
remède, il lui faut en outre agrémenter cette application de quelques recomman-
dations aussi extraordinaires qu'inutiles ou de quelques talismans en lesquels le
malade aura beaucoup plus foi qu'en le remède lui même. C'est ainsi que l'appli-
cation de certaines pâtes sur la poitrine m'a paru agir efficacement contre le rhume,
de la même manière qu'agirait une application de teinture d'iode ; mais le malade
aurait peu de considération pour le médecin qui appliquerait ces pâtes d'une
manière quelconque, sans tracer avec elles sur la peau du patient des dessins
compliqués et bizarres. Je ne serais pas d'ailleurs loin de croire que le médecin
indigène, qui tient sa science uniquement de la tradition et ne raisonne pas son
empirisme, soit lui même persuadé que le rite selon lequel le remède est appliqué
est absolument nécessaire pour obtenir la guérison du malade.
J'ai dit qu'il y a des sages-femmes de profession. Il existe aussi quelques
médecins profeseionnels, dont plusieurs appartiennent à la caste des sorciers ou
des prêtres, plusieurs à la caste des artisans, mais dont la plupart n'appartiennent
à aucune caste spéciale. Il existe des médecins des deux sexes et qui soignent
indifféremment les malades des deux sexes, saufen ce qui concerne les soins relatifs
k la grossesse et à la parturition, lesquels sont en général l'apanage des médecins
du sexe féminin.
En dehors de ces médecins professionnels, on rencontre beaucoup d'individus
des deux sexes qui, soit par leur expérience personnelle, soit par une expérience
transmise dans leur famille de génération en génération, ont acquis la connaissance
p. 274.] ^ R • E • E • S • [^^^®*
de certaiüB remèdes applicables à certaioes maladies spéciales. Tel individu par
exemple soigne les maladies d'yeux, tel autre soigne les désordres intestinaux, tel
autre la tuberculose, etc. On vient de fort loin consulter ces praticiens, qui se font
ainsi avec leur spécialité un assez joli revenu.
Lorsqu'il s'agit de maladies graves, le client reste en pension chez son médecin
jusqu'à guérison complète et ne le paie qu'une fois guéri. S'il vient à mourir pen-
dant le traitement, sa famille paie le médecin, mais les honoraires sont alors fort
réduits.
A côté de ces praticiens qui sont en réalité des médecins véritables, il existe
un grand nombre de purs charlatans, qui vendent très cher aux naïfs des talismans
de leur fabrication dont la vertu médicale est absolument nulle et que n'accompa-
gne aucune médication réelle. Mais la foi des indigènes en ces talismans est au
moins aussi grande que la confiance qu'ils ont dans les remèdes véritables dont
l'expérience a démontré l'efficacité. Ces talismans — dans la vertu desquels le
charlatan qui les fabrique et les vend croit peut-être lui-même — se composent en
général de cornes d'animaux, de bracelets ou bijoux en cuivre représentant des
serpents ou des objets spéciaux, de queues d'animaux, d'anneaux en peau de ser-
pent, enfin de petits sachets de cuir ou de coton renfermant un papier sur lequel
est écrite en arabe une formule magique. L'éclectisme religieux lé plus complet
règne en matière de talismans : les prêtres de la religion indigène et les musulmane
lettrés en fabriquent également, les musulmans en demandent volontiers aux prê-
tres païens et les païens paient très cher des amulettes à formules islamiques. La
remise d'un talisman s'accompagne presque toujours de recommandations compli-
quées et parfois d'un véritable régime alimentaire à suivre : c'est ainsi que j'ai vu
un charlatan Kiembarha traiter une fillette atteinte de la maladie du sommeil en
lui faisant porter à chaque poignet un serpent de cuivre et lui défendant de manger
du riz de rizière. Lorsqu'il s'agit d'un talisman écrit par un musulman, il est géné-
ralement prescrit au malade de prononcer certaines formules de prières à des jours
donnés ou même d'écrire ces formules sur la planchette usitée pour apprendre à
écrire, de laver la planchette avec de l'eau et de boire cette eau ensuite.
Tous les talismans n'ont pas un but médical. Beaucoup sont demandés et
acquis pour obtenir des faveurs spéciales, soit négatives, soit positives, telles que
celles de ne pas être blessé à la guerre, de tuer beaucoup de gibier, de ne pas être
empoisonné par son ennemi, de gagner au jeu, d'être vaillant dans les luttes amou-
reuses, etc., etc. Certains indigènes sont presque littéralement couverts de talis-
mans dout chacun est sensé avoir une vertu spéciale, vertu en laquelle les intéressés
ont une fui inébranlable.
La chirurgie n'est pas inconnue des Siéna : j'en puis au moins citer deux
exemples typiques. J'ai observé le premier chez les Pala, au village du chef Nanguio>
(NangyoJ : j'ai vu là un homme auquel on avait sectionné la jambe au dessous du
genou (t qui marchait à l'aide d'une véritable jambe de bais, très analogue à la
classique Jambe de bois de nos invalides ; on m'a dit que cet homme avait été blessé-
au pied par une flèche empoisonnée et qu'on lui avait sauvé la vie en amputant le
membre atteint ; l'opération avait eu lieu trois ou quatre ans avant le jour où je
rencontrai cet homme ; il était d'un âge assez avancé, se portait fort bien et ne
ressentait aucune douleur.
Quaut à l'autre exemple, je l'ai observé en 1906 àKorhogo. Gbon, chef de
Korhogo, avait acheté récemment d'un étranger (un Mandingue, m'a-t-on dit) le
secret d'une opération destinée à arrêter la marche de cette terrible maladie vul-
gairement connue sous le nom de « maladie du sommeil » et appelée par les méde--
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P* 275.
-eins actuels « trypaoosomiase de Thomme ». On sait que, dans ses débuts, cette
maladie se manifeste, eutre autres symptômes, par le gonflement et Tinduration de
<îertaines glandes du cou et de la nuque. A tort ou à raison — je laisse aux spécia-
listes le soin de se prononcer — les indigènes de TAfriquc Occidentale prétendent
que le germe de la maladie est au début localisé dans ces glandes ; partant de ce
principe, certains affirment que, si Ton enlève ces glandes à temps, on peut sauver
le malade ou tout au moins retarder de plusieurs années la marche de la maladie.
Voici comment opérait le frère du chef Gbon, que ce dernier avait chargé d'exploi-
ter le secret payé 800 francs, m'a-t-on dit, au Mandingue qui en était détenteur :
après avoir soigneusement ausculté le cou du patient et avoir reconnu quelles
étaient les glandes gonflées par la maladie, l'opérateur frottait la peau recouvrant
•ces glandes à Taide de feuilles d'une sorte de ficus qui sont rugueuses comme da
papier de verre ; ce frottement enlevait la peau et mettait la glande à nu ; prenant
alors du latex de caoutchouc fraîchement recueilli, il l'appliquait sur la glande et
le recouvrait ensuite d'un tampon de coton. Au bout de trois jours, il faisait revenir
le patient : le caoutchouc s'était coagulé et formait un tout avec la glande ; saisis-
sant alors ce corps compact à l'aide de ses doigts, l'opérateur tirait violemment et,
avec le bloc de caoutchouc, amenait la glande à extraire. Un pansement fait
simplement avec de l'huile de palme et du coton, et renouvelé tous les jours,
amenait en une semaine environ la cicatrisation de la plaie. J'ai vu opérer ainsi des
<]uantités d'individus. Parfois, l'opérateur enlevait le môme jour cinq ou six glandes
au même malade, qui souffrait assurément, mais ne semblait se ressentir aucunement
des suites de l'opération au bout d'une quinzaine de jours. Gbon faisait payer
7 fr. 50 par malade opéré, quel que soit le nombre des glandes extirpées.
30. Les connaissances scientifiques.
Ce que je viens de dire de la pratique de la médecine et de la chirurgie semble
indiquer chez les Siéna, ou tout au moins chez certains d'entre eux, une connais-
sance relative du corps humain et des conditions de la vie. Ce que j'ai dit plus haut
<le l'agriculture et des industries, notamment de l'industrie du fer et de la fabrica-
tion de la poudre, pourrait autoriser à leur accorder une certaine science des lois
physiques. Cependant on peut aussi soutenir avec quelque raison que ce ne sont là
•que des données expérimentales acquises par tradition ou provenant d'un emprunt
initial purement empirique fait à une population étrangère, sans que les Siéna aient
même la notion de la cause dont ils obtiennent mécaniquement l'effet.
D'autre part, j'ai pu m'apercevoir qu'ils avaient des données proprement spécu-
latives sur la formation du monde, le cours du soleil et des astres, le régime des
^ents et des saisons, l'origine de la pluie, de la grêle, de la foudre, etc. Il ne s'agit
plus là de manipulations pratiques qu'un bon ouvrier peut accomplir avec succès
tout en demeurant parfaitement ignorant des raisons pour lesquelles il réussit. Il
s'agit bien cette fois de science véritable. Je n'ai que des données fort vagues, et
trop incomplètes pour que je songe à les exposer ici, sur la manière dont les Siéna
expliquent les phénomènes énumérés plus haut. Je sais seulement qu'ils les expli-
quent et j'en déduis que leur esprit n'est pas absolument rebelle aux conceptioas
scientifiques.
Il serait fort intéressant de rechercher quelles sont leurs conceptions à cet égard
et de quelle manière ils sont arrivés à les avoir. Pour l'instant je me contente de
signaler cette lacune dans mes données sur l'ethnographie de ce peuple et de
formuler le vœu qu'elle soit comblée. (A suivre.)
p. 276.] • R • E • E • S • [1908.
.11, I --«- ■ ■ ' ' ■ — "— ■■— ■
COMMUNICATIONS.
I.
Vera r « Enoyolopœdia Ettanographioa »
par A. VAN GxNNBP.
A propos de : Gyn. van 0 verbergh et Bd. de Jooghe, Les Bangala (458 p.) et Les MayomJbe
(470 p.). T. I et II de la Collection de Monographie$ Ethnographiques, Bruxelles, 1907,
Institut International de Bibliographie ; 10 fr. par vol.
Il n*est pas un seul ethnographe, je pense, qui n*ait été k maintes reprises saisi d'un
véritable désespoir en face de la multiplicité et de la complexité des matières qui font l'objet
de ses études. Âu début surtout, on passe par de mauvais moments. Les autres sciences sont
axées depuis plus ou moins longtemps ; le débutant y trouve à sa disposition des manuels, des
dictionnaires, des encyclopédies ; il peut suivre des cours, où le professeur expose la méthode
propre à la science choisie, fait le départ des travaux utiles et de ceux qui sont à négli-
ger, trace Thistorique de la science entière ou de ses subdivisions, critique les théories et en
montre l'enchaînement. En ethnographie, rien de pareil, mais seulement une masse énorme
de descriptions qu'il s'agit de dépouiller soi-même, où on se perd si on n'a pas d'idées géné-
rales préalables, mais qu'on interprète souvent mal, si on possède ces mêmes idées généra-
les. Puis, dès qu'on veut traiter une question quelconque, large ou étroite, on se heurte aux
difficultés matérielles : où consulter tous les livres nécessaires, comment visiter toutes les
collections qu'il faudrait, ne serait-ce que pour savoir s'il s'y trouve des documents utiles ?
Sans compter qu'il faut commencer par appi*endre quatre ou cinq langues, au minimum.
Et il n'est pas un ethnographe qui n'ait i*évé d'une vaste Encyclopédie, où tous les docu-
ments seraient republiés in extenso, œuvre énorme sans doute, mais qu'on voit réalisable à
condition de s'arrêter aune date déterminée, mettons 1880 ou 1900. Les grandes collections
américaines sur les Philippines, celle de la Hakluyt Society, le Lexikon de Roscher, puis le
Pausanids et le Golden Bough de J.-G. Prazer sont des approximations dont on doit ici
tenir compte. Une telle Encyclopœdia Ethnographica, possible seulement, il va sans dire,
par coopération internationale, éviterait les longues recherches dans les bibliothèques
publiques et permettrait à chacun de ne plus placer sur ses rayons que les traités de portée
théorique et les publications postérieures & la date choisie. Comme l'ethnographie n'a pris
un réel essor que depuis une vingtaine d'années, on voit, après un peu de réflexion, que
l'Encyclopédie proposée serait à tout prendre moins volumineuse et moins chèi*e qu'il ne
parait à première vue. Etant donné que les corps officiels (Instituts, Académies, etc.) portent
encore peu d'intérêt à l'ethnographie, il faut tout attendre ici, ou presque, de l'initiative
privée, tant des Sociétés d'Anthropologie et d'Ethnographie que des individus mêmes.
Combien en définitive *ce pian est réalisable, c'est ce que montre la publication pai*
M. Cyrille van Overbergh, avec la collaboration de M. de Jonghe, des deux monographies
citées, auxquelles feront suite plusieurs autres. Les auteurs s'en tiennent aux populations
du Congo. Ont été décrits déjà les Bangala et les Mayombe ; puis viendront les Basonghe, etc.
La genèse de cette Collection de Monographies Ethnographiques est connue : ellea
datent, en principe, du Congrès mondial de Mons (1905). Une Commission Internationale prit
des mesures provisoires et entreprit des démarches préparatoires en vue de la ci'éation d'une
Conférence Internationale qui arrêtera les bases d'une organisation permanente. L'un des
membres les plus actifs du Congrès et de la Conférence, M. Halkin^ publia, sous les aus-
pices de la Société Belge de Sociologie, un Questionnaire, dont, malgi^ ses lacunes, on ne
peut que louer l'utilité.
La meilleure preuve qu'on en puisse donner, ce sont les réponses obtenues. Etant donné
que ce sont des savants belges qui ont inauguré ce mouvement, il est naturel que les enquêtes
aient porté d'abord sur les indigènes de l'Etat Indépendant. On reporta sur fiches les rensei-
gnements déjà connus relatifs à ces populations, on classa les fiches d'après le Question-
naire, on imprima à plusieurs exemplaires les résultats, et on envoya à des personnes
résidant pai*mi les populations à enquêter et d'une culture suffisante, ces épreuves, avec
prière de compléter les renseignements imprimés. Ainsi ont été faites, par collaboration, les
^ On doit à M. Halkin une monographie. Quelques peuplades du district de Vudé (BruxelIes»^
1907), conçue sur le plan du Questionnaire.
1908.] COMMUNICATIONS. [p, 277»
Monographies dont il s*agît- M. Cyrille van Overbergh étant Directeur général do i*Ensei-
:gnement supérieur, a pu obtenir plus aisément qu'un autre les compléments désirés : mais
on ne voit pas pourquoi en d'autres pays, et je pense surtout à TAngleterre et à la France,
les corps et les personnages officiels n'adopteraient pas le même procédé. Les Allemands
43ont assez actifs dans le domaine ethnogi*apliiquo pour qu'on n'ait pas, non plus qu'aux
Américains, de conseils à leur donner.
Ces Monographies belges sont d'autant plus un acheminement à VEncyclopœdia
Ethnographica que les documents sont donnés in extenso, et non traduits en français, que
la bibliographie est aussi complète que possible, que les pages sont détachables, et qu'on a
laissé de nombreux blancs, pour insertion des compléments ultérieurs. Je ne sais si beaucoup
<i'ethnographes détacheront les pages : étant donné le classement des matières» les volumes
âont faciles à consulter. Ce classement est d'ailleurs basé sur les caractères extérieurs, mais •
non sur le sens interne des faits : ainsi, dans le volume sur les Bangala, pp. 399-400 on lit :
« F. Vie sociale ; e) organisation politique ; 177 ; «< Le chapeau [lukusu) on peau de singe ou
•de léopard était réservé aux chefs. Dans les réunions, l'orateur s*en affublait. Quand le chef
boit, ses esclaves se lèvent, battent des mains ou agitent des sonnettes, yt Hanolet, Belgique
<Mlon,. III (1897), 244 a ». Il est évident que ce passage n'a rien à voir avec l'organisation
politique^ sinon en ce qu'il y est question du chef ; mais on y trouve une indication de
totémisme (le léopard, totem des familles principales, comme au Loango ; cf. en outre les
théories de Sidney Hartland sur le totémisme des Bantous, Folk-Lore, 1901, pp. 30et suiv.),
puis une règle d'étiquette en rapport avec la sainteté du chef, laquelle se communique à
tous ses actes (voir le Golden Bough de J.-G. Frazer et mon Tabou et Totémisme à Mada-
gascar), QoQi pour dire qu'on ne saurait se contenter de classer les tiches une fois détachées
d'après les titres donnés dans la monographie même ; ou de chercher sous tel ou tel titre
spécial, sans lire les volumes en entier. De même, la terminologie laisse à désirer, comme
le prouve l'usage comme titre de section des mots fétiche et fétichisme, mots qu*on devrait
décidément éviter d'employer à l'avenir, puisqu'il s'agit de croyances et d'actes magico-
religieux nullement spéciaux à l'Afi'ique occidentale et centrale.
Il n'y aurait pas d'inconvénient, je crois, à ce que le choix des termes servant de titre
fût conforme aux progrès incessants de la théorie, quitte à expliquer en note, pour les
enquêteurs locaux, le sens exact des mots propres à la terminologie ethnographique, ceci
surtout pour frayer la voie à des recherches nouvelles sur des sujets peu connus souvent
<lans leur détail.
Chaque volume se termine par une carte, due à MM. Macs et Viaene. Cette question des
cai*tes sera difficile à résoudre lorsqu'il s'agira de créer VEncyclopœdia Eihnograpica ; il
faudra, je crois, publier un volume spécial où seront roproduites les cai-tes anciennes et
dressées des cartes nouvelles. Quant aux illustrations, M. Cyr. van Overbergh n'en a pas
admis dans ses monographies, mais il renvoie, au début de chaque volume, à celles qui se
trouvent insérées dans les publications antérieures, et surtout dans les Annales du Mtisée
du Congo. On ne pourra rotenir dans VEncyclopœdia que la représentation de types et
4*objet8 caractéristiques. ^^^^^^._
n.
Le destin des quatre ôléments dans la magie malgache
par Gabriel Fbbbakd (Stuttgart).
Lorsque j'ai publié le texte magique ayant trait au destin faste ou néfaste, suivant les
^roonstances, des trois feux, trois terres, trois vents et trois eaux *, je n'avais aucun
renseignement sur cette croyance que, à ma connaissance, mentionne seul le manuscrit 8
du fonds arabico-malgache de la Bibliothèque Nationale de Paris* J'en ai récemment
retrouvé l'origine : elle a été empruntée à l'astrologie musulmane. Il va sans diro que les
quatre éléments devaient figurer dans les 4tes magiques antérieurs à l'islamisation de
^ La croyance au caractère redoutable du léopard existe aussi chez les Mayombe : lobserva-
tien est classée, dans le volume qui leur est consacré, sous la rubrique « chasse » (p. 169.)
^ Un chapitre d*astrologie arabico-^nalgache in Journal Asiatique, septembre-octobre 1905,
p« 269 273. Par destm, il faut entendre l'influeiiee magique des Aanstons lunaires ou des signes
^u zodiaque sur les quatre éléments. '.--,,:
p. 278.] • R • E • B • 8 • [1908.
Madagascar ; mais ce n'est qu'une coqjecture vraiatmblable. En Teapèee, les formules teUeSr
qu'elles nous sont parvenues dans le document piréoité sont ovidenment d'origine musul*^^
mane.
<< Les (28) mansions (lunaires) dit Motylinski, ont tenu également une plaoe^
importante dans l'astrologie judiciaire. Les aut«ui« qui en traitent indiquent presque
tous, après les avoir décrites, leur nature et leur influence. Sept d'entre elles sont de nature
ignée. {nàriyya)y sept de nature aqueuse (màvfiyya)^ sept de nature aérienne {hawâïyya)
et sept de nature terrestre (tarâJtnyya), Neufs sont funestes, défavorables ou maligne»
(fi ghâyya, nahU anrfiahs), d'autres favorables ou bénignes (^*i<f), et certaines, mixtes
{mumtazicy) » ^
Dans l'astrologie malgache, les sept mansions de nature ignée deviennent les trois feux :
celles de nature aqueuse, les trois eaux ; celles de nature aérienne, les trois vents et oellea
de oature terrestre, les trois terres. Cette divergence s'explique sans difficulté. Au lieu de
rapporter aux ^S mansions lunaires l'influence magique sur les quatre éléments, soit sept
mansions par élément, les Malgaches ont dû l'attribuer aux douze signes du zodiaque,
soit trois signes par élément. L'expression malgaehé : dettin d€9 trois feicx^ trois eatcx^ etc.,
devrait donc être interprétée: destin des tr^is (signée du zodiaque = sept mansions
lunaires régissant la) terre, F eau, etc. Cette hypothèse est d'autant plus vraisemblable que
d'après les anciens astronomes arabes, les 28 mansions lunaires étaient en relations intimes
avec les signes du zodiaque. « Sachez, dit As-Sikll, que chacun des signes du zodiaque a
deux mansions et un tiers » <. L'auteur arabe indique ensuite la répartition des 28 man-
sions dans chacun des douze signes. Trois signes. du zodiaque représentent donc trois fois
deux mansions et un tiers, c'est-à-dire sept mansions. Cette parfaite concordance ne me parait
pas laisser place au doute.
Le texte malgache sur le destin des quatre éléments a été publié et traduit dans le
Journal AsiatiqtLC ; il est inuüle de le reproduire ici. Cette note a seulement pour but d'in-
diquer Torigine de cette croyance qui, autant que je sache, ne s'est pas conservée dans la
magie arabico-malgache moderne.
D'après l'identiflcation précédente et à titre d'exemple, le texte doit être interprété
ainsi : « (avec) le destin des trois feux (c'est-à-dire des trois signes du zodiaque de nature
ignée : le Bélier, le Taureau et les Gémeaux), (si) on va faire la guerre, faire du commerce, .
construire (une maison), (r)inaugurer (quand elle est terminée), et qu'on voie du feu (on) que
la chaleur du soleil soit intense, donne suite à tes projets (: c'est un signe) faste ».
m.
Métiers et noms de métiers en arabe
par Gadbeprot-Dbmombyneb (Paris).
M. W. Marçais m'envoie, au sujet du petit article qui a été publié dans le numéro de
mars de la Revue, une longue lettre qui est à la fois trop technique et trop âunllière pour
que je puisse la reproduira ici. M. Marçais y indique : que la forme c^ac^c^äl, au sens de
nom de métier, lui parait être rarissime en ancien arabe et que les exemples connus sont
d'origine étrangèra ; -r- que cette forme est fréquente en ancien arabe au sens de partidpo
intensif ; — que sous l'influence araméenne, la forme c^ac^c^àî, nom de métier issu d*un
substantif, a pénétré de bonne heure dans la langue ; — qu'au m« siècle de l'hégire, l'emploi
du nom dé métier a commencé à se développer très-largement en arabe, jusqu'à prandre
actuellement une importance de plus en plus grande. C'est à partir de cette date (m* siècle
de l'hégire) que M. Marçais propose de commencer à se servir de l'explication que j'af
supposée possible et dont il accepte le principe. — Je prévoyais la discussion sur Tancienneté^
de c^ad^c^äl, nom de métier ; mais en l'abordant j'aurais CTaint de sortir du cadra de la
Revue, et aussi je ne me sentais nullement armé pour résoudra la question. J'espèra que
M. Marçais la reprendra ailleurs en lui donnant toute son ampleur linguistique; nous
essayerons alors de déterminer nettement le rôle de l'évolution sociale dans le développe-
ment des noms de métier en arabe.
^ Les mansions lunaires des Arabes, tejtß arabe en Ters de Mohammed el-Moqri traduit et
annoté par A. de C. Motylinski. Alger, 1899, in-8, p. ix.
^ Les mansions lunaires des Arabes , loc. cit., p. 68« Cf. le fascicule 2 de la Revue p. 93.
1908.] Analyses. [P, 279.
ANALYSES.
BuBOixF HiBZEL. Themis, Dike und Verwandtes, Ein Beitrag zur Geschichte der
Bechtsidee bei den Griechen. — Leipzig, 1907, un vol. gr. in-S**, 445 pp.
10 marks. S. Hirzel edit.
Parmi les travaux préliminaires qui doivent servir à la constitution d'une
i(ociologie, il en est peu de plus importants que ceux qui se proposent d'analyser
scientifiquement les conceptions populaires relatives au droit. D s'agit de recher-
<5her, dans la littérature et le folk-lore aussi bien que dans les formules, les sym-
boles et le rituel proprement juridiques, les idées plus ou moins nettes, plus ou
moins conscientes, que les hommes d'un milieu défini se sont faites de ce qu'on
jitemme la justice et le droit, de classer ces idées, d'en scruter les origines et les
destinées, d'étudier leurs variations et leurs déviations avec les causes d'où elles
procèdent, en un mot de faire l'histoire de la conscience sociale (religieuse,
morale et juridique) de ce milieu. L'entreprise n'est pas nouvelle. On l'a souvent
tentée, mais peut-être, à l'origine, avec des ambitions trop vastes pour y réussir
pleinement : c'était au temps où Kreutzer écrivait sa Symbolique du droit, et
AOchelet ses romantiques Origines du droit français. Mais, depuis cette époque,
les chercheurs ont restreint leurs prétentions ; à la phase des synthèses univer-
selles a succédé la phase des monographies analytiques. Cette méthode plus sûre
nous fournit dès maintenant des matériaux éprouvés. Les monographies dont
nous disposons sont dues ordinairement à des philologues ou à des historiens. Il
faut constater à regret que les juristes professionnels se désintéressent trop de
ces études : ce qui explique pourquoi le droit romain, sûr qui ils prétendent ime
«orte de monopole, reste si en retard à cet égard sur les autres droits, et pourquoi
nul n'a fait pour lui ce qu'a fait Grimm pour le droit germanique par exemple.
Le droit grec, au contraire, est un de ceux qui ont le plus largement profité de
l'orientation scientifique nouvelle : en l'espace de quelques années, on a vu
paraître les livres de Bonucci (Ija legge comune nel pensiero greco, 1903), de Levi
{Dditto e pena nel pensiero dei Greei, 1903), de Rudolf Hirzel ('Aypafoç vojaoç.
Abh. der sâchs. Gesellschaft der Wissenschaften ; XX ; — Der Eid, 1902), de
Glotz (La solidarité de la famille dans le droit criminel en Grèce, 1904 ; L'ordalie
dans la Grèce primitive, 1904 ; Etudes sociales et juridiques sur V antiquité grecque,
1906) ; et voici que paraissent presque simultanément, en France, VEssai sur le
développement historique de la notion de droit naturel dans Vantiquité grecque^ de
Burle (1908), et la Themis, Dike und Verwandtes de Hirzel (1907), dont nous
•devons spécialement nous occuper.
La méthode de M. Hirzel est exclusivement philologique. Pour préciser le
-contenu des représentations collectives relatives au droit, malgré la variété et la
complexité qu'elles affectent selon les temps, les lieux et les races, M. H. entre-
prend d'analyser le développement sémantique des principaux mots (9i(i.iç, SU>j,
^e^^c, vo(iLOÇy etc.) par lesquels ces représentations s'expriment ; il suit ces mots
pas à pas, depuis le temps des poèmes homériques jusqu'au temps du déclin de
J».280.] ^R • E ^ E » S > [1908»
la littérature attique, et il s'eflForce de reconstituer chaînon par chaînon tout
l'enchaînement des concepts auxquels ils ont successivement ou simultanément
correspondu. Un résumé du livre de M. H. suffira à donner un aperçu de cette
méthode et des résultats auxquels elle conduit.
Les plus anciens et les plus généraux des mots à étudier sont Oé^i; et {(xtj. Les
Grecs ont divinisé sous les noms de Thémis, et, plus tard, de Dikè, deux concepts
juridiques importants. C'est à eux que M. H. consacre la majeure partie de ses
recherches.
Dans Homère, Thémis est surtout la déesse du ban conseil. Conseillère de
Zeus, elle est aussi, comme déesse des oracles, la conseillère des hommes ; elle
inspire les décisions qu'on prend dans l'àyopà, et préside aux graves entretiens
des banquets. Plus tard, elle passe du conseil à l'acte ; elle devient la déesse du
bon secours. Le nom commun Oépitç reflète les mêmes idées. On désigne originai-
rement du nom de Oé(jii<rTeç les bons conseils donnés par les dieux ou par les
hommes. Il y a des OéjAi<rre; divines, qui se manifestent exceptionnellement, par
les oracles, à tous les mortels, et ordinairement, par révélation directe, à certains
mortels privilégiés (chefs, rois, etc.) ; il y a aussi des 8é(Jii<TT£ç humaines : ce sont
les décisions d'intérêt général que prennent les chefs, ou les réponses que formu*
lent les juges quand on les consulte ; c'est, plus tard, la loi elle-même : d'abord
la loi non-écrite, expression de la volonté des dieux, ou des chefs inspirés par les
dieux ; puis aussi, mais à une époque très récente, la loi écrite. Par l'eflfet d'un
lent développement, le mot 6£(xtç devient synonyme du mot Oeojjiiç, dont il se dis-
tinguait nettement, et avec qui il n'est point lié étymologiquement, malgré une
opinion trop répandue. La déesse du bon conseil devient ainsi la déesse du droit
(p. 1-56).
Le sens primitif de Suct) est obscur, son étymologie incertaine. En rappro-
chant StxY] de Seixvivai (= lat. dicere : montrer, révéler), et en utilisant les données
du droit comparé sur la révélation de la coutume par des experts-diseurs-de-droit,
on a parfois traduit îfao] par coutume. Mais cette interprétation s'accorde mal
avec le témoignage des textes. La JbcTj est bien plutôt la sentence judiciaire. Le
juge homérique ne se borne point, en eflfet, à enregistrer passivement la coutume ;
il est investi de la toute puissance, ainsi qu'en témoigne le bâton symbolique
(oxîjTrrpov) qu'il porte à l'instar du roi, et il peut faire dans sa sentence œuvre
personnelle. S'interposant entre les parties en lutte, il joue le rôle d'un juge de
camp, et le geste par lequel il sépare les combattants, soit en étendant, soit en
jetant entre eux son bâton, soit en en frappant un coup, porte à proprement parler
le nom de Sixt] (de Swceîv, frapper). La Sbtij est droite (iOeta Sfxij) ou oblique (<ixoXià
î(x>]), et la sentence est impartiale ou partiale, selon que le jet du bâton sépare
également ou inégalement les plaideurs. De ce sens découlent toutes les accep-
tions postérieures de Stx>] : peine ; vengeance ; droits et obligations Sunt partie à
un litige ; droit en général ; équité ; coutume ; prétention portée en justice par un
demandeur ; cmnpositUm pour délit.
Le juge de l'époque la plus ancienne n'a qu'à décider lequel des deux plai-
deurs dit vrai, et lequel ment. Même quand les pouvoirs du juge s'élargissent, les
notions de térité et de droit demeurent unies. AIxtj et 'ÂX^Oeioe sont toutes deux
filles de Zeus. Pour sauvegarder cette union idéale contre les leçons de l'expé-
rience, qui relève plus d'un désaccord entre le droit et la vérité, on imagine un
droit pur, qui est le droit vrai, et qu'on nomme Véquité (éTçisixéç). Par là, là &xij
se différencie de la Oé|i.i; : elle vise le passé et tend à découvrir la vérité ; la Oéjiic
Tise l'avenir et tend à réaliser une utilité.
1908.] ANALYSES. [P. 281^
On pourrait croire que la Sixnj ainsi conçue n'est qu'une notion théorique, et
qu'elle ne représente qu'un idéal sans espoir de réalisation. Il n'en est rien. Le
contraste qu'on a voulu relever entre elle et le jtis romain, qui seul reposerait
sur une idée de puissance, est plus apparent que réel. La vérité qui se révèle
dans la Xtxnj est une vérité qui tend nécessairement à se traduire en acte. En droit
criminel tout au moins, l'exécution est liée de si près à la sentence que S(x>) finit
par désigner la peine^ et Dikè, la bienveillante divinité du droit, devient la déesse
impitoyable de la peine et de la vengeance. En ce sens on distingue le droit que
sanctionne Dikè dans le monde infernal du droit que sanctionne Thémis dans le
monde céleste. Mais le contraste n'est jamais absolu. On ne peut jamais opposer
Oéfxiç et SbcTj comme les termes d'une division bipartite englobant tout le droit,
Oéjiiç comprenant le droit religieux, et Sîxy) le droit laïc.
Avec le temps, la 5îx>] l'a emporté sur la 8é|xi;. C'est la SUt] qui donne son
nom à \di, justice (St)caio<iûvij). La justice, inconnue encore de l'époque homérique,
est la vertu de l'époque nouvelle. Elle consiste d'abord à restituer à chacun ce
qui lui appartient, et, plus largement, à exécuter les engagements pris ; elle con-
siste aussi à infliger aux délinquants des châtiments égaux à leurs infractions
(système du talion). Plus tard, elle s'élargit ; elle consiste alors à accomplir son
devoir social. L'idée de l'utile se joint ainsi à celle du juste, et le droit passe
désormais pour fondé sur un contrat conclu dans l'intérêt commun. L'idée du
contrai social domine tous les esprits en Grèce, au V** et au IV* siècles : le droit
s'humanise dans ses sources mêmes.
Ainsi conçue, la StxT} pénètre partout. Au dessus de la société humaine, elle
conquiert la société des dieux. Au-dessous, elle conquiert la société animale (la
cité — TcoXiç — des animaux, qu'on modèle à l'image des cités humaines) et la
nature tout entière. Il existe un droit de la nature, qui n'est autre chose que l'ordre
et l'harmonie du monde (xoojloç) (p. 56-228).
A l'idée de droit se joint indissolublement l'idée à^ égalité. Dès une antiquité
reculée, la balance est l'emblème de la justice. Les préoccupations égalitaires
jouent im rôle plus important en Grèce que partout ailleurs (sauf peut-être dans
la France moderne). Ces préoccupations se développent progressivement dans la
vie publique. La société homérique se fonde encore sur l'inégalité. Mais de bonne
heure Athènes s'efforce vers ri<Tovo[jL(a, c'est-à-dire vers l'égalité des lois pour tous
et vers l'égalité de tous devant la loi, — plus tard, vers la participation de tous à
la souveraineté. Le souci de la liberté ne se manifeste qu'après le souci de l'égalité.
Cependant le sentiment de l'indépendance nationale s'exalte au cours des guerres
médiques, et entraîne avec lui le sentiment de la liberté civique, puis de la liberté
morale. L'indépendance devient une vertu. Par l'essor de l'idée de liberté, l'idée
d'égalité gagne en profondeur. De la combinaison des deux idées naît le régime
démocratique. Les préoccupations égalitaires gagnent même la vie privée. Tous
les hommes prétendent jouir des mêmes droits privés (droits de famille, de pro-
priété, etc.).
Les aspirations égalitaires trouvent pourtant des adversaires. A vrai dire,
ceux-ci n'osent guère heurter de front le vœu général ; ils ne proclament point
encore la « morale des maîtres « ni le « droit des surhommes ». Mais il y a des
philosophes (les épicuriens) qui prennent à revers l'idée égalitaire, en prétendant
substituer à la notion d'une égalité mathématique et absolue la notion d'une égalité
proportionnelle et relative, variable avec les individus. Cette égalité proportion-
nelle assure le concours harmonique de tous les éléments sociaux en un tout bien
P;3S2.] •R*E*E*S- [1908>
ordonné ; et le mot x<SapLOç sert, par une extension de sens, à désigner ce tout, que
l'on conçoit comme une œuvre d'art, le fruit de l'ingéniosité et de l'expérience
humaines. La recherche des moyens propres à réaliser le x6<j(jloç donne naissance
à la théorie politique. Elaborée d'abord par les despotes qui, en serrant leurs
intérêts propres, servent souvent aussi ceux de leurs sujets, elle traduit plus tard
les aspirations du peuple même. On va jusqu'à imaginer l'état comme un être
vivant. Cette conception nouvelle de l'état en tant que xo<j(xoç dispute la préémi-
nence à l'ancienne conception contractuelle, comme la notion de l'égalité propor-
tionnelle la dispute à la notion de l'égalité mathématique.
Les mêmes fluctuations se prolongent dans le monde des dieux. Ancienne-
ment, c'est contre les manquements à l'égalité mathématique que réagit la jalou-
sie ((pOdvoç) des dieux ; plus tard, c'est contre les manquements à l'égalité
proportionnelle que réagit leur v£(Ae(rtç. — On transporte enfin l'idéal égalitaire
dans la nature. On la conçoit comme soumise aux règles d'une distribution symé-
trique dans l'espace, ou, tout au moins, d'un mouvement symétrique dans le
temps (d'un rythme). L'égalité devient une panacée (p. 225-320).
A côté de là oé{i.iç, décision des dieux ou des chefs, et de la XUtj, décision du
juge, apparaît une autre source de droit, la loi. Deux expressions grecques diffé-
rentes correspondent à notre mot loi. Ce sont 6eap.(iç et v<S[j.oç.
0e9[4.<i; paraît désigner un ordre durable : tel est notamment l'ordre de vie
établi par le mariage entre l'épouse et l'époux. En ce sens Demeter OEcjioipipoc
préside à la fois aux mariages, aux travaux réguliers des champs, aux fondations
des villes (par l'union de groupements jusque là autonomes) ; la notion du Oeapoç
est liée au culte de cette divinité. Dans une acception ptUs large, Oeopioç désigne,
surtout en matière religieuse, certains ensembles cohérents de règles adaptées à
un but : ce que nous appelons des institutions. Enfin Oe(S(iL6ç désigne encore le
fonds des principes que développent et complètent les lois proprement dites
(v6|jL0i). En Attique, le sens de 6s(7[x.6; se précise. On nomme Hza\L6% le corps de
droit qui se forme peu à peu, au cours des années, et que fixent les thesmothètes :
les systèmes juridiques de Dracon et de Solon sont qualifiés de Bsc[J(.o(. Obligatoires
seulement dans le principe par l'effet d'un serment, les Oe^oC ont été, dès le
temps de Dracon, sanctionnés par des peines civiles. Le Oe<?(x6ç, tout en s'inspi-
rant de l'esprit de la Stx>], ne se confond point d'ailleurs avec elle, pas plus qu'il
ne se confond avec la coutume. Mais le Oeoji-iç peut, avec le temps, prendre lui-
même un caractère coutumier. L'assentiment des intéressés pendant un long délai
transforme le Oe(r[x6ç, simple expression d'une volonté souveraine, en loi propre-
ment dite, en v<5|jloç (p. 321-358).
NöfJLo;. — Les Grecs ont vécu longtemps sous l'empire de la coutume ; ils l'ont
toujours honorée d'un respect particulier, tenant les usages (18>]) pour les mani-
festations naturelles du caractère (tjOo;) propre à chaque état. INöjjlo; désigne un
ensemble d'usages et de coutumes. Ainsi les poètes épiques entendent uniquement
par v(S(i.oç la façon de vivre propre à chaque espèce d'animaux, ou à chaque société
humaine, et qui caractérise cette espèce ou cette société. De même chaque
famille a son v<5(x.o< particulier, lié à ses traditions ancestrales (wdcTpia). C'est au
nom de ces v6(jloi que se produisent toutes les résistances qu'on oppose aux inno-
vations des OsdfiLoi. Mais, eu vieillissant, les 6e<r|jLoC deviennent, par Paccoutu-
mance générale, des v6(;.ou Ainsi à Athènes, la constitution de Solon devient si
bien, en moins d'un siècle, une Tudcrpioç TîoXiTeia, que, lorsque les Pisistratides
l'abolissent, il n'y a qu'une voix pour en réclamer le rétablissement. Dès lors>
1908.] ANALYSES. [P. 283.
par la force des choses, vdjAOC change de sens : c'est désormais un ordre sanctionné
par la contrainte publique. Et, comme il faut bien un mot pour désigner la cou-
tume, c'est le mot lOo^ qui se spécialise dans cette acception. La notion du voaoç
et de son pouvoir souverain s'élargit et pénètre partout. On en vient, surtout sous
l'influence des sophistes, à parler de lois des diverses sciences et des divers arts.
La loi sert de mesure à la justice : ce qui est légal est juste. Lorsqu'on n'arrive
pas, malgré tout, à réaliser l'accord de la loi positive avec l'idée qu'on se fait du
juste, on imagine du moins, pour y parvenir, une loi non écrite (àypaçoç vofAOç),
dont le contenu diffère du contenu de la loi positive, mais dont la notion formelle
est la même. Ainsi le v6p.oç prend la première place parmi les sources du droit.
Comme la Sucij, qui a débordé la sphère des intérêts humains, le vojxoç finit
par s'étendre à toute la nature. L'idée d'une loi de la nature (y uffscoç v<5(i.oç) se
rattache à la conception fataliste d'un ordre nécessaire (àvdcyxTj), que les philo-
sophes et les théologiens ont également contribué à faire admettre. Le philo-
soplie Heraclite donne à cette doctrine l'impulsion décisive en attribuant à toutes
les lois humaines et naturelles un fondement unique, la volonté divine, qui régit
le monde entier comme une seule et grande cité. Les théologiens la fortifient en
subordonnant, par souci d'unité et d'harmonie, l'activité de tous les*dieux à la force
régulatrice du destin, de la Moira. L'épicurisme même, qui, dans son principe,
répugne aux spéculations fatalistes, puisqu'il oppose à l'àv^Y^'l ^® hasard et la
volonté, ne demeure pas toujours conséquent avec lui-même, — ainsi qu'en
témoigne le poème de Lucrèce. D'ailleurs ràvc*.y)CTfj primitive n'a rien d'une néces-
sité inéluctable ; les lois naturelles se laissent fléchir ; le soleil lui-même s'arrête
parfois dans sa course. Mais peu à peu la rigueur du principe fataliste s'accentue ;
la nécessité s'assujettit irrésistiblement le monde. Alors seulement la nature
devient le modèle et la source du droit positif. Une autre influence coopère à ce
développement : c'est la croyance à un lien de sympathie qui rend solidaires l'un
de l'autre la nature et l'homme. Par la compassion que la nature témoigne aux
injustices humaines, les lois qui répriment ces injustices prennent un caractère
universel et sacré (p. 35MI1).
On peut se rendre compte, par le résumé qui précède, combien M. H. remue
d'idées intéressantes. Dans toutes les questions qu'il touche, il apporte les vues
les plus ingénieuses et les plus fines, appuyées sur la documentation la plus
abondante. Je ne crois pas qu'on trouve ailleurs, sur ces questions, un ensemble
plus complet de références aux sources grecques. M. H. est un philologue cons-
ciencieux et averti ; et, ce qui donne à son travail tout son prix, c'est aussi un
écrivain clair, précis, élégant.
Pourquoi faut-il qu'avec tant de qualités il gâte souvent, par un parti-pris de
méthode, les résultats de son effort ? Le cas de M. H. fournit vraiment un bon
exemple de l'impuissance d'une discipline isolée, telle que la discipline philolo-
gique, à maîtriser toute la vérité. M. H. semble se piquer de n'être que philologue ;
bien plus, il affecte de n'être que philologue allemand : c'est, comme on sait, être
philologue deux fois. Jamais il ne fait paraître la moindre teinture de sociologie,
et, notamment, d'histoire comparative des religions ou du droit. J'entends bien
que, pour un homme aussi intelligent et aussi cultivé que M. H., cette lacune n'est
point fortuite, et je sens bien que M. H. ne se passe des synthèses provisoires dont
nous disposons que parce qu'il les tient pour insuffisamment sûres.
Le malheur est qu'une méthode unilatérale et analytique est bien moins sûre
encore. Livré à la seule interprétation des mots pour parvenir aux choses, sans
p. 284.] • R • E • E • S • [1908»
guide pour le choix des questions que les mots doivent résoudre, il aboutit très
souvent à des résultats arbitraires. Si Sixt] désigne le geste par lequel le juge sépare
de son bâton les parties qui vont en venir aux mains, comment ce mot en vient-il
à désigner la sentence ? Arrêter la lutte n'est pas résoudre le point ligitieux, ni
dire qui a raison, qui a tort : c'est si vrai que, dans certaines civilisations (à Rome,
p. ex.), le magistrat qui sépare les parties ne se confond point avec le juré qui
les juge. Tout l'enchaînement des sens de SixTj repose donc sur une idée préconçue.
Il eu est de même pour la plupart des biographies sémantiques que M. H. nous pré-
sente. En y regardant de près, le classement des témoignages relatifs à tel ou tel
mot révèle beaucoup d'artifice. L'Iliade connaît pareillement Tfaémis — déesse du
bon conseil et Thémis — déesse du bon secours ; et cependant, aux yeux de M. H.,
Théniis-déesse du bon conseil est l'aînée de Thémis-déesse du bon secours. Peut-
être a-t-il raison, peut-être a-t-il tort. Mais la seule méthode philologique ne four-
nit pas le critérium, que la comparaison sociologique fournirait peut-être. De
même encore, telle idée passe pour acquise tardivement parce que cette acquisi-
tion tardive cadre mieux avec un système préconçu : ainsi la notion d'un droit
propre aux animaux résulterait d'une extension récente de la 8ix7] (p. 212 et sqq. ).
Mais le tabou des bêtes de labour (p. 216, 3) est certainement ancien, en Grèce
comme ailleurs (Cf. pour Rome, Plin., //. N. VIII. 45; Val. Max., \ïll, 1),
puisqu'il se rattache à des cérémonies religieuses anciennes. J'ai à peine besoin
de fiiire remarquer d'ailleurs que M. H. ne prononce à ce propos ni le mot tabou,
ni le mot MéniismCy et (ju'il semble ignorer que Frazer a écrit des pages sugges-
tives sur les Bouphonia.
Faut-il s'étonner dès lors si, du point de vue étroit où il se place, M. H. n'ar-
rive pas à des conclusions vraiment fermes et solides? A grand peine panient-il,
en juxtaposant patiemment de minuscules touches assez Houes, — et encore avec
quelles hésitations, et combien de reprises ! — à marquer dans son tableau des
conceptions juridiques grecques, un certain contraste entre la Oê|âiç (= bon con-
seil) et la SiîcYj (= sentence judiciaire), — alors que la moindre étude de droit
comparé Teut convaincu que ce contraste correspond à l'opposition primordiale
et universelle du droit familial (eu entendant par là le droit de caractère public
qui régit la vie intérieure des groupes sociaux primitifs, fondés sur la communaut^^
de sang et de culte) et du droit interfamilial (en entendant par là le droit de
caractère privé qui régit les rapports de ces groupes entre eux). Cette conclusion
ressort notamment des beaux travaux de Glotz. Mais M. H. semble ignorer les
travaux de Glotz, comme il ignore aussi ceux de Bonucci et de Levi que j'ai cités
plus haut, comme il ignore toute la littérature sociologique^ et toute la littérature
du droit comparé, comme il ignore encore, sur le terrain même des études hel-
léniques, la Critique des traditions religieuses chez les Grecs, de Decharme, la
Philosophie de la feature y de C. Huit, la Némésis, de Tournier, la Tychè, d'Allègre,
le Problème du devenir dans la philosophie grecque de Rivaud, les études de
Francotte siir le Décret et la loi à Athènes, etc., etc. Je cite au hasard de la plume,
et j'en oublie ! J'ai peine à croire que tant d'omissions ne soient pas volontaires.
Il faut regretter que, par l'emploi d'une méthode étroite, le livre à la fois sédui-
sant et décevant de M. H. doive nous fournir des matériaux plutôt que des résul-
tats. Paul Huveltn.
^ P. ex. les Idées égalitairei de Bougie, qui eussent fourni de précieases suggestions pour le
pages 228*320 du livre de M. H.
1908.] ANALYSES. [P. 285.
John Watson, The philosophical basis of Religion. 1 vol. in-8** de 485 pages.
Glascow, J. Maclehose, 1907.
Œuvre originale et non dépourvue de profondeur, abstraction faite de la
question de savoir si elle nous apporte une solution aussi entièrement neuve et
satisfaisante que semble le croire l'auteur. Celui-ci n'hésite pas à déclarer que, ou
bien il faut construire la philosophie de la religion sur des bases exclusivement
rationnelles, ou bien il faut s'abstenir de raisonner sur le sujet, et nous devons
reconnaître qu'il reste jusqu'au bout fidèle à son principe. — Tour à tour il soumet
à sa critique tranchante non seulement les vues de ceux qui, comme le cardinal
Newman, les « modernistes >; catholiques et un certain nombre de protestant»
contemporains, s'efforcent de faire une large part à la raison, tout en maintenant,
pour suppléer à l'insuffisance de cette dernière, l'autorité soit de l'Eglise, soit
des Pères, soit de l'Ecriture, mais encore les thèses des philosophes qui ont
cherché à expliquer les rapports entre l'homme et la Divinité — avec Kant, en
opposant la raison pratique à la raison pure ; — avec Herbert Spencer, en procla-
mant notre impuissance absolue à pénétrer au-delà des symboles ; — avec le
gros des idéalistes, en niant toute réalité objective en dehors de la science ; —
avec les néo-réalistes, en affirmant la corrélation exacte des objets et de leur
représentation dans la conscience ; — avec les panthéistes, en confondant le
monde en Dieu; — avec les néo-psychologues de l'école de William James,en pré-
sentant la Religion comme un simple phénomène de sentiment, engendré dans la
conscience « subliminale «, laquelle nous rattache à toute la chaîne des impres-
sions héréditaires et à l'ensemble de l'univers ; — avec les mystiques, en comptant
sur une intuition extrarationnelle pour réaliser la perception du divin — enfin,
avec Harnack et ses disciples, en réduisant la religion à la moralité pratique et
la philosophie de la Religion à son histoire. — Non moins intéressants sont les
chapitres où l'auteur condense lui-même l'histoire de la pensée religieuse depuis
Platon et Philon. Il y fait surtout ressortir avec netteté la part qui revient aux
gnostiques des premiers siècles dans la formation de la théologie chrétienne et
on ne peut s'étonner de la faveur avec laquelle il les traite, quand on réfléchit
que, en somme, son point de vue est le même : l'appel à la seule raison pour
construire la théologie, — en tenant compte, bien entendu, du progrès scientifi-
que qui remplace, par des données certaines, les spéculations fantaisistes du
gnosticisme.
Mais ce n'est pas tout de démolir ; l'auteur veut rebâtir pour son compte.
Faisant largement usage de la méthode éclectique pour recueillir chez ses devan-
ciers ce que chacun a professé de juste et de logique, il en arrive à proposer un
système qu'il qualifie d'Idéalisme constructif. Il cherche d'abord à établir que
Tunivers n'est pas une simple juxtaposition de phénomènes unis par des rapports
fortuits, mais bien la manifestation d'une intelligence suprême. En effet, si la
nature entière est soumise à des lois fixes, ces lois ne sont pas les mêmes pour le
monde intellectuel que pour le monde physique. Ici prédomine exclusivement la
loi de la conservation de l'énergie ; là, les êtres conscients se reconnaissent un
but en eux-mêmes. Le principe ultime qui seul peut rendre compte de l'univers,
c'est la Raison. C'est celle-ci qui nous amène graduellement à constater : l*' que
les rapports des phénomènes constituent des lois fixes ; 2® que l'unité de dévelop-
pement implique une unité organique ; 3** qu'il existe des êtres ayant conscience
de leurs relations avec le reste de l'univers ; 4*^ que ces êtres conscients font eux-
p. 286.] • Il • E • E • S • [1908.
mêmes partie de l'univers et qu'ils sout tenus de considérer celui-ci coaiuie IVx-
pression d'un principe absolument rationnel. Ce principe, c'est Ténergie divine
dont la présence continue est indispensable à la production de n'importe quel
phénomène. Nous sommes ainsi ramenés, peut-être par des voies rajeunies, au
fameux axiome de Hegel qui fait de Thomme un être fini prenant graduellement
conscience de sou essence en tant qu'être absolu. M. Watson, toutefois, refuse do
sacrifier à la notion de T Absolu soit la liberté humaine, soit même la réalité au
moins relative du fini, de l'imparfait et du mal. Le fini est pour lui un mode
éternel de Tinfini. une étape constante vers l'idéalisation dont le dernier t<*rme
est la communion avec l'absolu. Le mal ne doit pas être considéré comme une
limitation ou une négation absolue ; il n'existe qu'afin d'être surmonté et, en un
certain sens, il est inséparable du bien. Quant à l'argument que la perfectif)u
absolue de l'enseuible est incompatible avec la liberté des parties, il répond qu'«»n
peut concevoir une forme supérieure d'unité qui se concilierait avec la spontanéité
des éléments constitutifs. Ainsi, expose-t-il, la Société est un organisme composé
d'individus dont l'activité est nécessaire à l'ensemble, mais où l'idée de l'ensem-
ble est, eu outre, présente chez chacun et y devient un mobile d'action, conforme
à l'intérêt général. A plus forte raison doit-il eu être ainsi de la société univer-
selle sub specie actcrni.
Il serait hors de propos de discuter ici cette thèse qui a ses côtés séduisants,
mais qui ne manquera pas de soulever des objections, en vertu de l'assimilation
que l'auteur prétend établir entre la raison humaine et le principe des choses.
On répondra peut-être qu'il est ditficile, sans tomber dans l'anthropomorphisme,
de conclure d'un princii)e qui nous paraît rationnel à l'existence absolue d'une
Personiuilité raisonnante et que la nuirche de l'esprit vers l'unité ne lui permet
pas de s'arrêter, tant qu'il n'est })as arrivé à statuer l'unité de loi pour tous les
phénomènes de l'univers, y compris les manifestations de la raison et de la
conscience. Goblet d'Alviei^la.
* *
L. VON Petrazycki. Ueher die Motive des Handelns und über das Wesen der Moral
und des Hechts. Trad, du russe en allemand par P. Balson. 64 p. in-8^, Berlin.
H. W. Müller, 1907, 1 mark 50.
Les travaux de M. de Petrazycki sont toujours intéressants. On n'ignore pas
que le père de la CivilpolUih a introduit dans la circulation bon nombre de
théories généralement incomplètes et fragiles, mais également suggestives et
ingénieuses. Le mémoire qu'il consacre aux motifs de Vactian fournit un bon
échantillon de sa manière : c'est un effort intéressant, mais décevant, pour fonder
une fois de plus la morale et le droit sur la psychologie individuelle.
L'impuissance des tentatives antérieiu-ement faites dans le même sens pro-
vient, selon M. de P., de la mauvaise classification des faits de conscience qu'a
adoptée la psycliologie traditionncvUe. La division tripartite de ces faits en faUs
représentatifs, faits affectifs et faits volitifs, a le tort d'omettre certaines manifes-
tations psychiques, à la fois passives et actives qui sont les appétits (faim, soif,
appétit sexuel, etc.) M. de P. prétend séparer ces manifestations passives-actives
(sous le nom i'impuhions ou iTcmotions) des manifestations purement passives,
qui sont les sentiments, et des manifestations purement actives, qui sont les
volitions. Les émotions ainsi définies constituent les mobiles essentiels de Tacti-
1908.] ANALYSES. [p. 287»
vite humaine. Jamais cette activité ne procède, du moins directement et immé*
diatement, des facteurs hédonistiques (recherche du plaisir, fuite de la douleur)
ou, plus généralement, des facteurs- téléologiques auxquels on veut souvent la
rattacher. L'émotion d'où procède l'action peut avoir, il est vrai, sa source dans
une représentation téléologique, mais celle-ci ne constitue alors que la source
médiate et indirecte de l'action; elle peut au«si avoir sa source dans la repré-
sentation de l'acte même à accomplir : car la représentation de certains actes
(un mensonge, un meurtre, un bienfait, etc.) peut susciter directement et immé-
diatement en nous des réactions émotionnelles aussi spontanées que celles de la
faim ou du désir sexuel. On dit, dans un cas, qu'il y a motivation téléologique, et,
dans l'autre, qu'il y a motivation de principe.
Il existe plusieurs sortes de motivations rentrant dans les motivations de
principe : telles sont les règles de la bienséance ; telles sont surtout les émotions
éthiques ou émotions du devoir. Celles-ci présentent des traits distinctifs remar-
quables : elles affectent un caractère transcendant et mystique ; elle se comportent
comme des impératifs, restrictifs de notre liberté. Parmi ces émotions, on peut
citer : celles que suscite la croyance, si répandue, à des lois obligatoires et éter-
nelles; la représentation des sujets des devoirs, des conditions d'exercice de ces
devoirs, des faits qui déterminent les normes, etc. Les obligations ne sont donc
que des projections idéales issues de notre conscience : peu importe leur contenu.;
peu importe que l'obligé ait de la raison ou» de la volonté.
Ces obsen^ations générales s'appliquent au droit. Nos droits n'ont pas leur
source dans notre volonté ou notre intérêt, mais dans une sorte particulière
d'obligations d'autrui envers nous. Tout droit se ramène à une obligation qui pèse
sur autrui à notre profit. Dans toutes les langues, la terminologie juridique révèle
cette conception. — Des obligations d'autrui qui forment notre droit, il faut dis-
tinguer les devoirs d'autrui qui ne nous donnent pas de droit : ce sont les devoirs
moraux. Il y a donc deux sortes de normes imperatives (ou principes éthiques) :
celles qui commandent une certaine attitude (= normes imperatives stricto sensu^
et celles qui, en outre, attribuent à quelqu'un le bénéfice de cette attitude
(= normes imperatives-attributives). Ces dernières sont celles que nous appelons
normes morales.
La conscience de l'obligation morale et la conscience de l'obligation juridique
présentent, dans leurs éléments intellectuels et émotionnels, beaucoup de traits
communs, mais aussi beaucoup do contrastes; dans les éléments intellectuels de
la conscience juridique figurent la représentation de ce que l'une des parties doit
à l'autre et la représentation des deux parties à Tobligation, tandis que dans les
éléments intellectuels de la conscience morale ne figure aucune représentation
d'objet ni de sujet; au point de vue émotionnel, la conscience d'im droit provoque
chez son titulaire une impulsion motrice que ne provoque point la conscience
d'une règle morale.
Telle est la thèse dont M. de P. étudie, dans le reste de sa brochure, les
corollaires possibles : p. ex. en ce qui concerne la théorie des sujets du droit
(spécialement des personnes morales), eu ce qui concerne les rôles respectifs de
la conscience morale et de la conscience juridique dans l'action individuelle et
sociale, etc. Il est inutile de le suivre dans l'exposé de ces corollaires; on a pu
suffisamment apercevoir le vice initial du principe. L'analogie alléguée entre cer-
tains instincts liés à des fonctions physiologiques, et les émotions que suscitent
en nous les faits moraux et juridiques, ne saurait se défendre : à peine est-il besoin
P, 288] • R • E • E • S • [1908.
de remarquer que ces émotions n'ont rien d'universel et de nécessaire, qu'elles
n'existent point partout, ni toujours, ni au même degré chez tous les hommes.
L'histoire et l'observation directe — que M. de P. néglige également de consul-
ter, — établissent surabondamment que la réaction émotionnelle appulsive ou
répulsive que peut soulever un meurtre, un mensonge, un bienfait, varie selon les
milieux sociaux, et que, par conséquent, elle n'est point innée, mais acquise; elle
n'existerait point sans le milieu social qui Timpose à l'individu. C'est parce
qu'elle s'impose à lui du dehors que la norme qui y correspond a ce caractère de
transcendance et cette autorité imperative que M. de P. constate sans les
expliquer, P. Huvelin.
*
R. HiLDEBEAND. Rccht und êSMc auf den primitiveren tcirischa filichen Kulturstu-
fen. 2" ed. augm. 8", 189 pages, léna, G. Fischer, 1907, 5 marks.
M. Hiklebrand est, comme on sait, l'un des représentants les plus fervents de
la théorie économique en tant qu'explicative de la formation et du développement
des institutions. Sa position s'est dessinée avec plus de précision encore dans la
deuxième édition de son livre, où l'on trouvera surtout développée la section
traitant de l'organisation politique, économique et juridique des Germains. C'est
dlailleurs la partie qui avait été critiquée avec le plus de violence, surtout par les
historiens allemands, qui ont montrtV à ce sujet plus de nationalisme que de
science.
Le débat a cette portée méthodologique, que les historiens ne veulent com-
parer des documents et des faits que dans leur ordre chronologique local, au lieu
que M. H. prétend au droit de les comparer dans leur ordre chronologique cultu-
rel. C/est ainsi qu'il rapproche de l'organisation agraire germanique, l'organisa-
tion agraire hindoue d'après surtout Baden-Powell. Pour les ethnographes, la
méthode de M. H. apparaît comme normale; ils ne comprenneut même que diffi-
cilement l'opposition des historiens allemands. Et surtout l'on remarquera que
M. H. ne compare pas, comme si souvent l'école anthropologique anglaise ou
française, pour le simple plaisir d'accumuler des parallèles : « il ne suffit pas de
comparer les divers phénomènes relevés dans les domaines du droit et de la cou-
tume chez les divers peuples en divers temps ; il faut encore les grouper d'après
des degrés déterminés de civilisation. »
Mais c'est cette sériation, justement, qui est l'œuvre difficile; et Ton ne sau-
rait dire que sur tous les points de détail M. H. y ait réussi. Il a raison de
regarder la vie économique comme la base même de toute vie sociale : l'étude
cependant de cette vie économique ne rend compte que d'un très petit nombre de
phénomènes; elle n'explique ni tout le droit, ni toute la religion, ni tout l'art, ni
toute l'organisation domestique ou politique, comme le prouve le fait par exemple
des juxtapositions de sociétés particulières (classes d'âge, groupes totémiqties,
phratries, etc.) au sein ou à travers des sociétés générales.
L'exposition des divers systèmes économiques de début est bien conduite.
On trouvera dans le volume de M. H. la meilleure critique qu'il y ait de la théorie
des trois stades, cueillette (chasse et pêche) élevage et agriculture, et de toutes
les théories secondaires connexes. Ces trois stades peuvent ou non suivre dans
l'ordre indiqué, et dériver ou non l'un de l'autre. On ne voit pas pourquoi M. H.,
qui ignore les travaux de Jevons, de Frazer, de Marillier, etc. refuse, pour le
plaisir d'être en désaccord avec Hahn, d'admettre que la domestication ait pu
1908.] ANALYSES. [P. 289.
^voir par endroits une origine religieuse. De même il ne voit dans la laiterie qu'un
fait économique, au lieu que chez les Toda de Tlnde (cf. H. Rivers, The Toda),
chez les Masaï (cf. Merker, Die Masaï) elle est proprement un ensemble d'actes
rituels, le lait étant bien nourriture, mais nourriture sacrée.
Il semble que la question germanique ait trop absorbé M. H. pour lui permet-
tre de se documenter ici plus à fond que dans sa première édition : ainsi pour les
Australiens, il eût été nécessaire de consulter Spencer et Gillen, et Howitt, pour
éviter au moins des affirmations comme celle de la p. 4 sur la répartition du
travail entre les sexes; M. H. aurait vu que Thomme ne se contente pas de com-
battre et de dominer, mais qu'il prend sa part dans l'industrie commune : il
fabrique les armes, les engins de pêche, etc., opération compliquée, longue et
délicate ; en outre, et c'est là son travail le plus pénible, il exécute les innom-
brables cérémonies religieuses, fait qu'aucune des sources de M. H. (Grey, Eyre,
Ourr) ne pouvait faire supposer.
Sur le mariage par rapt, M. H. en est encore à ce vieux point de vue, qu'il
5'agit d'une forme de mariage proprement dite. Il serait temps qu'on comprenne
que le rapt n'est qu'un rite, analogue à celui du soulèvement par dessus une pierre
{qu'on a voulu expliquer comme une survivance) et que dans toute cette catégorie
d'actes il ne faut voir qu'im rite de désagrégation de la femme vis-à-vis de son
groupe primitif, rite suivi ensuite de rites d'agrégation au groupe nouveau. Ces
rites n'ont rien d'économique.
M. H. a raison de ne pas admettre la promiscuité primitive ; il élargit trop le
^ens de « matriarcat » ; il exagère l'importance de la jalousie, sentiment indivi-
duel et qui ne saurait être, malgré aussi A. Lang, à la base d'une institution.
Toute la seconde partie est un commentaire approfondi des passages de
Tacite et de César. Le chapitre IV traite des débuts de la propriété foncière ;
l'argument fondamental est qu'il faut distinguer entre propriété et possession
foncière : celle-ci seule existe chez les demi-civilisés et existait chez les Germains
tant sous sa forme individuelle que sous sa forme collective. M. Hildebrand a
SUT ce point raison contre ses nombreux adversaires. A. van Gennep.
*
* *
Jbakz 'Qoâ&. Anthropology, 8®, 28 pages, New-York, Columbia University Press,
1908.
Dans cette conférence faite à l'Université de New-York, M. Boas marque
magistralement la situation actuelle de ranthropojogie, le mot pris dans son sens
large de science de l'homme. Elle utilise à la fois la méthode biologique, la
méthode psychologique et la méthode sociologique. Son avenir est immense, non
pas en tant que science proprement dite mais, par suite de la spécialisation pro-
gressive nécessaire, en tant que point de vue et que méthode. Au point de vue
biologique : il est acquis que l'homme doit être considéré comme un animal
•domestique, d'où sa tendance à la variabilité. Au point de vue ethnologique : il
existe deux types extrêmes, la race nègre et la race mongole, dont tous les autres
types sont des mutations récentes, la variété blanche n'ayant été au début qu'in-
signifiante ; mais on ignore le lieu de toutes les races actuelles avec la race
quaternaire d'Europe ; depuis leur formation, les variétés ont montré une grande
stabilité ; mais on ignore l'action réelle du milieu physique sur la race. Il n'est
point prouvé que le système nerveux se soit développé et perfectionné chez les
1^.290.] • R • E • E • S • [1908^
diverses variétés depuis leur formation ; et il est impossible de prétendre, si Ton
tient compte de l'amplitude des différences à l'intérieur de chaque catégorie,
qu'une race soit supérieiu'e physiquement à d'autres.
L'anthropologie physique tient surtout compte des différences ; l'anthropologie
psychologique, des ressemblances. Dans cette direction ont influé autant Darwin
et la théorie evolutionniste que Bastian et la théorie du Völkergedanke. Mais
l'une et l'autre théories ne sont plus admissibles sous leur forme simple. Lesi-imi-
litudes sont frappantes dans l'organisation sociale, dans la technologie, dans l'art,
dans la religion ; d'où l'on a conclu : P à l'unité fondamentale de l'esprit humain;
2® à l'exactitude de la théorie evolutionniste, allant de l'inférieur et du simple au
supérieur et au complexe. Mais à mesure qu'on examine de près les civilisations
dites inférieures, on constate avec celles dites supérieures des points de contact
nombreux, qui s'expliquent en partie par des emprunts mais aussi — et M. Boas
n'a pas fait allusion à ceci — en partie par l'identité des échelles de valeurs : il y
a lieu de tenir compte des transvaluations qui nous ont été imposées par le sys-
tème romain classique et par le système chrétien. En outre, on constate que les
soi-disant formes de début sont souvent plus complexes et les formes dites d'arrivée
plus simples. Ceci se remarque notamment dans l'organisation sociale (systèmes
de classification), dans la musique, dans le langage.
Quant à la théorie " psychologique » de Bastian, elle a subi aussi des modifi-
cations à mesure qu'on connaissait mieux les « systèmes philosophiques n des
demi-civilisés. A mon sens, Terreur fondamentale de Bastian a été de vouloir intro-
duire de force dans nos cadres logiques les mentalités, caractérisées par d'autres
logiques, des demi-civilisés, et ceci précisément pour n'avoir pas tenu compte des
dissemblances. L'avenir de l'ethnographie, maintenant que les ressemblances ont
été définies (le Golden Bough tout entier de J. G. Frazer est par exemple 'une
codification des ressemblances), est dans la dissociation des éléments en vue d'une
définition des différences : il y a lieu dorénavant, en théorie générale, de marquer
le typique mais non plus tant le commun.
Cependant M. Boas a bien fait de citer Bastian comme chef de tendance :
c'est un grand méconnu, et non pas sa faute, mais par la faute même de l'ethno-
graphie au sens large, universel même qu'il donnait à ce mot. Il a voulu synthéti-
ser par des paroles un macrocosme d'une complexité à peine imagiuable. Par des^
paroles : et on l'a accusé de ne pas savoir écrire ! En fait, Bastian devient intel-
ligible à mesure qu'on sait davantage. Savoir autant que lui est impossible : aussi
ses livres ne sont-ils faits que pour ceux qui ont des années et des années d'études
comparatives derrière eux. En outre, l'ethnographie n'était pas pour Bastian une
sèche nomenclature, mais la description du drame même de l'humanité.
M. Boas enfin, parle rapidement de la portée pratique de « l'anthropologie »,
qui détruit les exclusivismes et les préjugés et qui, sous l'impulsion de l'école de
Galton, — mais ici Ton fera des réserves sur les postulats éthiques et sociaux de
cette école — peut indiquer aux générations futures les voies à suivre pour
atteindre une plus grande perfection physique et mentale, relativement.
A. VAN Gennep.
*
1908.] ANALYSES. [P. 29 il
Fr. Nik. Finck. Bk Sprache der armenischen Zigeuner, Extr. 131 p. 4', des
Zapiski de l'Ac. des Sc. de St-Pétersbourg, cl. hist.-phil. T. VIII, n« 5, (1907),
JouBNAL OF THE Gypsy Lobe Society, New Ser. T. I, fasc. 1, Liverpool, 6 Hope
Place, Juillet 1907.
La Gypsy Lore Society, qui avait interrompu le cours de ses publications
s'est reformée récemment et a commencé une nouvelle série de son Journal. Le
premier fascicule de oette nouvelle série renferme plusieurs articles dont
l'un de M.J.Sampson, sert surtout à mettre au point l'état actuel du problème de
la langue tsigane et dont le plus original et le plus neuf est celui de M. Finck sur
le parler des tsiganes arméniens. M. Finck a publié d'autre part un travail
détaillé sur la même question dans les Mémoires de l'Académie de St-Pétersbourg.
Les recherches de M. Finck aboutissent à des résultats qui sont importants
à plusieurs points de vue.
L'étude de M. Finck ne repose pas sm' des observations nouvelles et person-
nelles, mais l'auteur a rassemblé tous les témoignages déjà recueillis sur la
langue des tsiganes arméniens, témoignages dont les uns étaient dispersés dans
des recueils d'accès difficile, dont les autres étaient inédits. Et surtout il a mis en
<euvre ces matériaux jusqu'ici non classés avec ime méthode sure et rigoureuse
qui lui a permis d'en tirer des conclusions importantes et neuves.
Le parler des tsiganes arméniens se distingue de tous les autres parlers
tsiganes jusqu'ici étudiés par ceci qu'il n'a pas de grammaire particulière mais
seulement un vocabulaire qui lui est propre. Tous les éléments grammaticaux du
tsigane arménien sont des formes de l'arménien moderne occidental (type nor-
mal de la plupart des parlers arméniens de Russie), non seulement le dictionnaire
<'t la conjugaison, pour lesquels c'est de toute évidence mais aussi les petits mots
accessoires comme al, « aussi n, les éléments de formation comme an, premier
terme des composés pour exprimer la négation, le verbe " être n entier, Turticle, les
conjonctions, etc. Le nom de nombre ochty^ « sept « est une forme du karabagh
(ce que n'indique pas M. Finck; il y aurait du reste intérêt à examiner le voca-
bulaire des tsiganes arméniens en le rapprochant du vocabulaire en partie si
énigmatique des parlers arméniens actuels). Une forme comme katel ** où n, est
siu'prenante : le second élément doit être le mot tel^ « lieu » mais ce mot se
prononce /ey depuis longtemps et la forme tél^ qui reproduit une prononciation de
rarménieu classique, est au premier abord inexplicable. En dehors de ces élé-
ments pm'eraent formels, le tsigane arménien ne renferme à peu près aucun mot
arménien ; ou s'il en présente quelques-uns qui sont sans doute d'origine armé-
nienne, il les a déformés, de manière à les rendre méconnaissables : xmor, thunt
sont remplacés par amor " levain », nunt^ " papier «; mozi, « veau w, reçoit un
suffixe et devient moztan, « l)œuf »» ; caclel, « couvrir » est remplacé par caczi
karel. En principe, aucun des mots qui expriment des choses précises et qui ne
soient pas de simples outils grammaticaux n'est un terme arménien sous sa forme
usuelle et immédiatement reconnaissable. On est en présence d'une langue dont
la grammaire (au sens le plus large) est purement arménienne, et dont le voca-
bulaire est tout entier arménien.
Le tsigane arménien n'est donc pas une langue véritable. Il est plutôt com-
parable à un argot. Mais il est différent de l'argot au point de vue historique. En
effet le vocabulaire du tsigane arménien est celui d'une population d'origine
étrangère; il est constitué essentiellement de mots hindous, tout comme plusieurs
autres parlers tsiganes. La population qui l'a constitué s'est donc arménisée assez
pour ue pa;5 conserver de grammaire hindoue mais a continué à former un groupe
p. 292.] * R > E ♦ E * 8 * [1908.
isolé qui avait intérêt à n'être pas compris de tous et qui a gardé son Yocabulaire.
Il serait intéressant de savoir quelles conditions ont déterminé un état de choses
aussi curieux et aussi rare ; malheureusement le travail de M. Finck ne porte que
sur la langue et ne fournit aucune donnée sur les gens qui la parlent, ni sur leur
situation sociale. Quoi qu'il en soit, on observe ici un cas très impartant au point
de vue de la linguistique générale. On connaissait des langues qui, gardant leur
grammaire, empruntent plus ou moins complètement un vocabulaire étranger ; on
a ici un idiome qui, perdant sa grammaire et empruntant celle des peuples au
milieu desquels vivent sans doute en parasites les tsiganes arméniens, se sert de
son vocabulaire pour en faire le fond d'une sorte d'argot. Maintenant que ce type
de faits est signalé on en trouvera peu1>étre d'autres exemples; mais il semble
que celui-ci soit le premier de ce genre.
L'étude de M. Finck est d'autre part importante au point de vue de l'histoire
des Tsiganes. On admet d'ordinaire que les divers dialectes tsiganes forment une
unité remontant à un seul type. De bonne heure il y a eu une séparation des
Tsiganes asiatiques et des Tsiganes européens; les parlers de ces derniers com-
prennent, outre un fond hindou qui parait être le même que celui des Tsiganes
asiatiques, des éléments arméniens et grecs qui attestent un passage des Tsiganes
sur des territoires de langue arménienne et hellénique. On s'attendrait donc k
voir dans les Tsiganes arméniens une sorte d'arrière-garde demeurée sur un ter-
ritoire par où ont passé autrefois les Tsiganes qui se sont dispersés sur l'Europe.
Or les choses se présentent tout autrement. M. Pischel a constaté depuis long-
temps que, au lieu de conserver dans le nom de la main (skr. hasta) le groupe —
st — , comme le font sans exception tous les parlers tsiganes d'Europe et d'Asie,
le tsigane arménien a ime forme hath^ ath qui repose sur la forme prâkrite kattho
et qui représente un autre type dialectal hindou que la forme à — si — (propre
à un petit groupe du Nord-Ouest). De même, en face de ëero, *< tête » du tsigane
ordinaire, qui rappelle le skr. çirsa — , le tsigane arménien a sis qui repose sur une
forme du type prâkr. Sîsam, Dans l'ensemble, les mots du tsigane arménien
paraissent assez différents de tous ceux des dialectes tsiganes ordinaires.
M, Finsch n'en a pas facilité l'examen parce qu'il ne note pas les formes
tsiganes existant par ailleurs en regard de chaque forme arménienne; mais
sa conclusion semble certaine. Il résulterait de là que le tsigane arménien
provient d'une émigration hindoue différente de celle qui a fourni les autres
dialectes tsiganes et représente un autre dialecte de l'Inde,
Mais les points de contact entre les deux formes de tsigane sont nombreux,
et il n'aurait pas été superflu de les mettre en évidence. Par exemple les sonores
aspirées sont représentées par des sourdes : le tsigane européen pfcrdZ, « père r,
maintien d'un groupe jpAr représentant l'ancien bhr; le tsigane arménien phaly
avec élimination de r, ce qui concorde avec le traitement — th — du groupe — st — •
L'aspirée éuigmatique de tsig. arm. anJchor « noix « ne se trouve-t-elle pas dans
la forme tsig. eur. ^ikhor? L'w de tsig.-eur. &tt^ « beaucoup » rappelle celui de
tsig. arm. huhn. Et en revanche, il est permis de douter que la forme jpo/titr du
tsig. allemand, imité de patiw « honneur », tienne à une substitution de u en i
comme l'indique M. Finck, p. 62; il s'agit simplement de la forme pafcr courante
arménienne dans la flexion de la dérivation. M. Finck a posé le problème des
rapports entre le tsigane arménien et les autres dialectes; mais il ne Ta pas traité
et a seulement fourni les éléments arméniens de la question. Par là même il a
cependant apporté à l'étude du tsigane une contribution d'une importance capi-
tale. A. Meillet.
1908;] ANALYSES. [P. 298i;
Noel Gibon. Légendes coptes, fragments inédits, publiés, traduits et annotés^
avec une lettre à l'auteur par M. Eugène Revillout, 8**, 80 pages, Paris^
P. Geuthner, 1907.
Les découvertes et les progrès en égyptologie ont fait justice de bien des
idées fausses qu'on avait sur la civilisation égyptienne. Ainsi la prétendue aver-
sion des Egyptiens pour la mer a été démentie par le récit des aventures d'un
prédécesseur de Sindbâd le marin^. La même chose est arrivée pour la littérature
copte où Ton a trouvé des contes et des légendes, d'une invention bien pauvre et
d'un style bien prosaïque en réalité, mais enfin, des œuvres qui montrent que les
Coptes n'ont pas été dépourvus d'imagination^. Les unes, comme le fragment
du roman d'Alexandre^, ou celui de Cambyse* sont empruntées à l'antiquité clas-
sique, mais la plus grande partie appartient aux littératures juive ou chrétienne^.
Cî'est à cette seconde catégorie que M. Giron a empininté les matériaux de ce livre
où il a réuni cinq fragments de légendes, dont les deux premières seulement,
contrairement à ce que dit le titre, sont entièrement inédites, la quatrième l'est
en partie, enfin la troisième et la cinquième ont été complètement publiées.
Le premier fragment (Entretien du démon et d'Eve) est trop court pour qu'on
puisse le juger et le comparer aux traditions apocryphes sur le même sujet :
toutefois le résumé que Weil a donné de ces dernières* me paraît autrement vif
que ce que nous donne M. Giron de ce qui nous reste de la narration copte.
Le fragment II (Le sacrifice d'Abraham) présente plus d'originalité. Le
dialogue concis du verset 7 du chap. XXII de la Genèse est développé en une
conversation malicieuse où Isaac emploie tous les arguments pour sauver sa vie''*
Le fragment III (Histoire de Marina) n'est nullement inédit. Il se compose
de deux morceaux de la légende de S^* Marine, publiés, le premier d'après un
manuscrit d'Oxford^ le second, d'après un manuscrit de Paris. Or tous deux avaient
déjà paru avec une traduction française par les soin& de M. Hyvernat^. Cette
dernière édition est d'ailleurs préférable à celle de M. Giron en ce qu'elle donne
la disposition du texte du manuscrit de Paris, ce qui permet de se rendre compte
' 1 Cf. Golônischeff. Sur un ancien conte égyptien^ Berlid, 1881, in 8 ; J. M. Esteves Pereira,
•0 naufragOy Coïmbra, 1901, in 4; Maspôro, Contes égyptiens, Paris 1882, petit in 8, p. 137-148.
Cf. sur Tensemble de cette littérature Tintroduction de ce dernier ouvrage p. 1-lxxx et aussi
WiedemanUp Die' Unter haltungslitteratur der alten ^ypter, Leipzig, 1902, in 8, et la traduc-
tion anglaise de Hutchinson, Populär literature in ancient Egypt, Londres 1902, in 12. On y
retrouvera les idées émises dans Tintroduction de M. Giron qui n'a pas cité cee ouvrages.
* Cf. comme tableau d^ensemble, l'histoire de la littérature copte de Leipoldt dans la Geschichte
der christlichen Literaturen des Orients^ Leipzig 1907, in 8, p. 121-183.
' Cf. 0. von Lemm, Der Alexanderroman bei den Kopten^ S. Pétersbourg 1903. in 4.
^ Möller, Zu den Bruchstücken des koptischen Kambysesroman^ Zeitschrift für œgyptische
Sprache, T. XXXIX, p. 113-116; H. Schäfer^Bruchstück eines hoptischen Romans über die
Eroberung ^yptens durch Kambyzes dans les Sitzungsberichte d, hgl, Preuss, Akad. d. Wis-
senschaften, 1899, p. 727-744.
^ M. Amélineau a publié sur le même sujet ses Contes et légendes de l'Egypte chrétienne
{Paris 1888, 2 v. pet. in 8). Mais bien qu'il ait négligé absolument d'indiquer ses sources, on
peut admettre que la très grande majorité, sinon la totalité de ses récits, est traduite, non du
copte, mais de Tara be.
0 Biblische Legenden der Muselmänner^ Frankfurt a. M. 1845, in 12, p. 20-27.
^ Dans le Midrach et chez les Musulmans, le dialogue est tout autre et modifié par Tinterven-
lion de Satan. Cf. Grünbaum, Neue Beiträge zur semitischen Sagenkunde, Leiden 1893, in 8^,
p. 113-116.
« Revue de l'Orient chrétien, T. VU, 1902, p. 136-152. *
p. 294.] • R • E • K • S • [1908>
de son état et de la valeur des restitutions qu'a tentées le nouvel éditeur. Le seul
mérite de ce dernier est d'avoir donné le verso du f^ qui nous fournit la date de
640 de Tère des martyrs = 924 de J. C. Par l'examen de l'écriture, M. Hyyemat
était arrivé à une conclusion semblable quoique moins précise (X* siècle). Quant
à la légende de S** Marine (la jeune fille portant des habits d'homme et accueillie
comme un moine dans un couvent^, «'entendant attribuer la paternité d'un enfant
naturel, ne protestant pas par humilité, l'élevant, et reconnue seulement pour
une femme après sa mort), M. Giron n'a trouvé d'autre point de comparaison
qu'un chapitre de la Légende dorée de Jacques de Voragine. C'est insuffisant, et ce
recueil du XIIP siècle aurait dû être remplacé par d'autres plus anciens qui
auraient servi de base à une discussion sur la source de la légende : ainsi la ver-
sion grecque, dont une des recensions remonte aussi au X* siècle^, et la version
syriaque publiée par M. Nau* qui considère cette légende comme ayant été trans-
posée primitivement en grec ou traduite du syriaque en grec*. La tradition
locale place encore aujourd'hui à Kanoubine (KoivöSiov), près de Tripoli de Syrie^
le couvent où habitait la sainte dont le tombeau est encore vénéré de nos jours.
Le fragment IV (Histoire des filles de Zenon) complète, mais non entièrement,
les fragments coptes qu'avaient publiés MM. Amélineau* et de Rossi*. Les lacunes
sont comblées à l'aide d'une version arabe empruntée au Synaxaire et traduite
par le premier"^. Il eût été intéressant de la comparer soit à la version syriaque^
soit à la version carchounie dont il existe plusieurs manuscrits* et qui a été ana-
lysée par M. Sachau^o. Dans cette dernière, la femme du roi, qui n'est nommée
ni dans le copte, ni dans Tarabe, est appelée » Chams el Monir n.
Le fragment V n'est pas inédit : c'est la reproduction d'extraits donnés par
1 Cf. une liste d'exemples de ce genre dans les Ada sanctorum^ Janvier« T. I, p. 258.
* Cf. L. Clugnet, Yie de Si* Marine, texte grec, Revue de FOrient chréUen. T. VI, 1901^
p. 572-5«B.
' Histoire de Sf* Marine^ Revue de VOrieni chrétien^ T. VI, p. 276-290.
^ Elle existe d'ailleurs, bien avant la date de la rédaction copte, dans la version syriaque du
Paradisus Pairum, publiée par le P. Bedjan, Acta martprum et sanetùrwn T. Vil, Paris 1897,.
p. 272. Or cette compilation fut faite au vu« siècle par Enanjesu et la version copte ne date que
du X«. Un des manuscrits représentant la première série des recensions latines est du ix* siècle.
Cf. L. Clugnet, Vie de S^ Marine, texte latin, Revue de VOrient chrétien^ T. VI, 1901, p. 357-
358. Je ne parle pas des versions arabes publiées par MM. Guidi et Blochet (Revue de VOrie^vt
chrétien, T. VII, 1902, p. 245-276) non plus que du texte éthiopien tiré du Synaxaire et publié par
M. Esteves Pereira (Revue de VOrient chrétien, T. VIII, 1903, p. 614) : elles sont toutes postô>
Heures au copte ainsi que les versions françaises et allemandes.
5 Histoire des deux filles dé V empereur Zenon, extr. des Proceedings of the Society of BibU'^
cal archaeology, fév. 1888.
® Frammento relativo alla vita di S, Harüme, Metnqrie délia reale Ac, di Torino, 1888,
2« série. T. XXXVIII, p. 282. M. Amélineau (Rapport sur les travaux faits en égyptologie de
1889-1891^ Woking 1893, in 8 p. 15) mentionne un article où M. 0. von Lemm compare cette
légende au conte de la princesse de Boukhten : je n'ai pas eu ce travail sous les yeux.
7 La \ersion du Synaxaire, trad, par Wüstenfeld (Synaxarium, das ist Heiligen-Malènder^
Gotha, 1879, in 8, 2« partie, p. 252-254) est beaucoup plus concise.
8 Wright, Catalogue of the syriac Manuscripts in the British Museum, Londres, 3 v. in 4,
1872. T. Ill, n« DCCCCXVIII, 4 h (p. 1046) ; n» DCCCC, 25 (p. 1110), où les personnages se nom-
ment Marie et Théodose; DCCCCLIV, 4lp. 1118); DCCCCLVIII, 10 (p. 11121).
* Uni, Catal, cod. orient. Bib. Bodleianœ, T. I cod. syr. et carchuni. n?90, 1; Sachau, Ver.
keichniss der syrischen Randschr, mu Berlin. Berlin 1899, 2 v. in 4. T. I, n^CXI, 10; n» CXII„
l;T.IIii<»CCXLV,4.
10 Op. /awrf. T. I p. 381882.
19O80 ANALYSES. [P. 295»
2oegaa^. Le sujet est assez singulier : un patriarche d'Alexandrie qui a été diacre
à Constantinople répète, pour l'édification de ses auditeurs, le récit qui lui a été
fait par son oncle Dorothée, eunuque des empereurs. L'impératrice, femme de
Bâsilisque, s'aperçoit au bain que sa fille est enceinte. Héliodore, patriarche de
Constantinople, attribue le fait à l'opération du S. Esprit et.il est appuyé par
-des évêques gagnés à sa cause. L'empereur s'adresse à Théodose, patriarche
d'Alexandrie, qui envoie Paphnuce, évèque d'Ausem pour réfuter Héliodore
devant l'empereur. Celui-ci est directement intéressé à la question, car si sa fille
-est reconnue coupable, il sera, en vertu d'une loi imaginée par le conteur, déposé
et ses biens seront confisqués. Le récit s'arrête au milieu du débat entre Héliodore
et Paphnuce. Il est probable que la discussion se terminait par la défaite du
premier, pour la plus grande gloire de l'Egypte : peut-être même un miracle
faisait-il reconnaître Héliodore comme complice ; l'enfant proclamait son père.
Mais ce ne sont que des conjectures et il serait à désirer, comme le dit M. Giron,
qu'un hasard fît retrouver un manuscrit complet de cette histoire.
En somme, par la publication de son livre, l'auteur a rendu service aux
études coptes et aux recherches qui ont les légendes pour objet ; mais on peut
regretter qu'il ne soit pas suffisamment au courant de la littérature du sujet :
cette partie de son travail devra être reprise. René Basset.
*
M. J. I1A6&AN6B. La Crète ancienne, — In-S**, 155 pages, 1 planche et 95 figures.
Paris, LecoflFre, 1908.
Sous ce titre imprécis, le P. Lagrange ne nous donne pas seulement, comme
le prétend trop modestement son avant-propos, ses impressions d'une visite faite
en octobre 1906 aux ruines de Knossos et de Phaestos ; c'est, sinon une synthèse
complète dont le moment est loin d'être encore venu, du moins un essai de mise
au point des résultats acquis sur l'architecture et l'aménagement des palais crétois,
les conceptions religieuses de leurs constructeurs et les origines mêmes de ces
constructeurs et de leur civilisation.
Dans la description des palais, qui résume très clairement les rapports des
explorateurs, je ne ferai de réserves ici que sur deux questions chronologiques.
M. L. place vers 1500 l'incendie par des envahisseurs des seconds palais de
Knossos et de Phaestos et la fin du Minoen récent II ; comme l'invasion dorienne
ne peut guère avoir eu lieu avant le XI* s., resteraient ainsi 4 siècles pour le Minoen
récent III qui correspond à la civilisation mycénienne de la Grèce continentale.
Cependant, les seconds palais fournissant des synchronismes pour toute la durée
de la XVin® dynastie, on ne voit pas pourquoi on placerait leur fin avant celle
de cette dynastie, 1350 selon Meyer et Breadsted. C'est sous le 5® roi de la d}Tiaâ-
tie suivante que les Aqaïousha apparaissent pour la première fois dans l'histoire,
vers 1220 ; alliés des Libyens, il y a tout lieu de croire que la Crète était le point
de départ de leurs expéditions comme elle l'est de la razzia qu'Ulysse raconte à
Eumée. Ce serait donc entre 1350 et 1220, je crois, que se placerait l'occupation de
la Crète par les Achéens déjà maîtres de Mycènes et les remaniements du 2* palais
de Knossos dont on n'admet plus la destruction soudaine. Dans cette hypothèse,
les 4"',82 de profondeur qu'occupent les débris qui s'étendent à Knossos depuis
la transformation du 2'"* palais jusqu'au début même de la civilisation minoenne
^ Catalogus codieum copticorum (reprod. anast.). Leipzig 1903, in 4, n« CLXVn» p. 283-267»
P.296.] > R « E * E » S ' [1908.
(contemporaine des premières dyn. égytiennes), représenteraient un peu plus de
2 millénaires, 3500-1300, soit une accumulation d'environ 2", 40 par millénaire.
En appliquant cette même progression aux 6'",43 que remplissent à Knossos les
couches de l'âge de pierre, on est loin d'arriver aux 12 ou 14.000 ans avant notre
ère que le P. L. admet pour leur origine à la suite de M. Evans qui compte
1 m. par millénaire ; le néolitique crétois débuterait vers 6550, ce qui paraît bien
être la date également de l'origine de la civilisation néolithique en Egypte.
Au chapitre de la religion, il y aurait beaucoup plus de rémarques à faire.
Sans doute, le P. Lagrange a bien étudié les deux catégories de lieux de culte,^
cavernes profondes comme celles de l'Ida ou du Diktè ou petites chapelles que
le roi-prêtre crétois fait réserver dans son palais ; il a bien mis en évidence la
prédominance d'une divinité féminine dont il faudrait distinguer deux aspects
essentiels : la déesse nue, les bras croisés sous les seins qui, lorsqu'elle est
accompagnée de colombes, serait plus particulièrement la déesse de la fécon-
dité, Ariadnè généralement identifiée à Aphrodite ; la déesse vêtue, coiffée
ou non du poloSy les seins saillants au-dessus de sa ceinture serrée et de
sa robe à volants, la pofnia thérôn qu'accompagnent des lions ou des serpent«,
celle que les Crétois auraient appelée Britomartis-Diktynna et que les Grecs
auraient identifiée à Demeter, Artemis ou Hécate. A côté de ces deux types
de déesses, il y aurait eu un grand dieu de la foudre que l'on devrait imaginer,
sur le modèle des Zeus de Labranda et de Dolichè, debout sur un taureau,
la bipenne à la main, un aigle pour attribut. A côté de ces divinités à figure
humaine, le P. L. admet, comme legs d'une période antérieiu-e, le culte des pierres
levées ou des blocs tombés du ciel, celui de certains arbres et de certains ani-
maux à moitié anthropomorphisés comme le Triton, le Minotaure ou le Sphinx.
Mais ce ne seraient là, à la grande époque minoenne, qu'autant de symboles, au
même titre que la croix simple ou gammée, la hache double ou le bouclier en
forme de 8, la rosace et le nœud, les protomes et cornes de taureaux, certains
poissons et coquillages. En effet, le P. L. serait disposé à attribuer aux Minoens
une pensée religieuse déjà très élevée : dans les scènes où des hommes dansent
en arrachant un arbre, <* l'arbre déraciné marque la fin d'une vie humaine n ;
sur les vases où des animaux divers semblent sortir d'un poulpe ou d'un arbre,
il faudrait recourir à l'hypothèse de M. F. Houssay qui y verrait une représen-
tation de la genèse par créations successives, une sorte de palingénésie univer-
selle ; sur d'autres vases où un grand volatile paraît enlever un poisson « l'oiseau
au milieu de la mer, porté par le poisson, est l'âme qui traverse l'océan céleste
pour aboutir au céleste séjour. Elle va bientôt toucher au pollen, nourriture
des bienheureux ; dans un second panneau, deux autres âmes sont déjà arrivées ;
elles s'en rassasient, pendant que le poisson, son rôle terminé, gobe un coquil-
lage, n Sur un sarcophage de H. Triada des oiseaux symboliseraient également
l'âme du mort auquel on offrirait une barque pour traverser l'Océan céleste ;
sur un autre sarcophage, ce seraient encore des défunts se rendant au séjour
suprême que les deux personnes enlevées dans les airs par un char que traînent
deux griôous. En un mot, c'est tout le symbolisme des catacombes que le P. L.
croit pouvoir appliquer à l'interprétation des monuments religieux de la Crète.
Malgré tout ce qu'on peut dire des influences syriennes ou égyptiennes en
Crète, de semblables spéculations ne me paraissent pas mieux faites pour expli-
quer les conceptions religieuses de la Crète que les extravagances de la r€Ugkm&
preellenica de M. Milani, où tout est symbole dactylique et phallique ! Sans
i908.] ANALYSES. [P. 297*
pouvoir reprendre en détail le développement du P. L., sa faiblesse ne se corn-
prend que trop bien si l'on remarque que toute explication entachée de totémisme
est aussi sévèrement bannie de son exposé de la religion Cretoise qu'elle Test
de ses Etudes sur les Religions sémitiques (1903). Il serait facile de montrer, au
contraire, combien les découvertes archéologiques ont apporté de précisions et de
confirmations à ce que, déjà, le seul examen de la mythologie Cretoise pouvait
laisser entrevoir de fétichisme primitif sous ses trois espèces litholâtrique,phytolâ-
trique et zoolâtrique. Ce sont le saule sacré de la grotte de Zeus sur l'Ida et le pla-
tane ou le pilier qui marqueraient son tombeau à Knossos; ce sont, sur l'Ida encore
ou sur le Diktè, ces pierres, tombées du ciel, pierres à foudre qui semblent des frag-
ments de la hache du tonnerre ou blocs oblongs qui évoquent grossièrement la
forme d'un bouclier, autour desquels les Kurètes et les Daktyles dansent en
entrechoquant des boucliers ou des haches ; c'est là un moyen bien connu de
conjurer le tonnerre, comme le saut dans la mer de Britomartis — la douce
vierge — rappelle ce rain-charm qu'est la plongée d'une vierge dans une eau pure
et comme la fuite éperdue de cette déesse poursuivie par Minos est un écho de la
Wilde Jagd, Dans la grotte du Diktè, qui dépendait sans doute de Lyttos, on
assignait pour mère ou pour nourrice à cette pierre emmaillotée (que Rhéa, dan»
la légende postérieure, aurait oflFerte à Kronos comme son fils),la chèvre du Diktè,
Diktynna, sans doute le totem des Lyttiens ; fils de cette chèvre, Zeus a pour
vêtement, puis pour bouclier, la peau de chèvre, Végide ; le tonnerre roule quand
il l'agite comme la foudre éclate s'il brandit sa bipenne. A Milatos, c'est la louve
qui aurait nourri le dieu et il semble qu'il ait été interdit de chasser le loup dans
certaines régions de la Crète^. Dans la grotte de Psychro, Zeus se serait uni à
Europe, une des formes de la génisse sacrée, pour engendrer Minos. Issus de cette
union, les rois-prêtres de la dynastie minoenne conservaient naturellement le
culte du taureau. Il est probable qu'ils nourissaient perpétuellement dans le
Labyrinthe cet Apis crétois qu'est le Minotaure et, que, de même que le Pharaon,
ils laçaient le taureau sacré dans des fêtes solennelles. Pour resserrer les liens de
sang entre le taureau et son peuple, la reine, costumée en génisse, devait s'unir
à lui,comme les femmes de Memphis se découvraient pendant quarante jours devant
Apis ou comme la basilissa athénienne s'unissait ime fois l'an à Dionysos-Taureau,
dans ces cérémonies du houkoleion qu'on a rapprochées, par l'intermédiaire de la
Crète, des mystères d'Isis et d'Osiris. Quoiqu'il en soit de cette hypothèse, c'est
par un rite pareil que s'explique dans tous ses détails la légende de Pasiphaè.
Faut-il rappeler encore cette danse du géranos qui implique l'existence d'un clan
de la Grue, comme les taurobolies, kriobolies ou élaphébolies doivent provenir de
clans du Taureau, du Bélier, du Cerf? Faut-il ajouter la déesse aux serpents, aux
lions et aux colombes, que présentent de nombreux monuments, le dieu-sanglier
dont on a l'image, le dieu-pic dont on possède l'épitaphe, le dieu-coq dont on
^ Sar ce point, voir ma note dans la Revue d'Histoire des Religions^ 1908 p. 110. Il semble
avoir été de même dans d'autres régions de la Crète, des ours et des serpents. Une interdiction
totale de nourriture animale pour les rois-prôtres de Knossos explique sans doute que Minos ait
été représenté comme un végétarien, (roir encore le nouveau fragment des Crétois d*Ëuripide,
Berliner Klassikerteate^ 1007, XVII, 1). Pour les autres faits allégués on trouvera facilement
les textes dans la Krèta de Hoeck ou dans la Griechische Mythologie de Gruppe. Un recueil
de tous les texte« mythologiques relatifs à la Crète serait aujourd'hui particulièrement utile;
c*est là qu'on retrouverait, au milieu de bien des transformations, les traditions qui permettent
d'expliquer les monuments minoens, la plupart de ces légendes remontant à des rites indigènea
mal compris par les conquérants achôens ou dorions.
p. 298*1 • R • E • E • S • [1908.
connaît le uoiu crétois, Welchanios, le dieu et la déesse-poissons qui paraissent
«ur tant de vases ou de gemmes et dont les Grecs firent le Triton et la Tritô de
Knossos ?
Ces quelques exemples suffisent à faire entrevoir, à l'origine de la civilisa-
tion Cretoise, ime de ces religions de clans totémistes qui commencent à se grou-
per en alliant et fondant leurs totems; c'est l'état même de celle qu'on connaît si
bien dans l'Egypte des premières dynasties. Il est particulièrement regrettable que
le P. L. ne se soit pas laissé guider par cette analogie si frappante, d'autant plus
qu'il a bien vu les rapports étroits qui rapprochent la civilisation minoenne de celle
de l'Egypte contemporaine. L'Egypte elle-même présente avec l'Élam certaines
analogies ; M. de Morgan a récemment insisté sur le développement parallèle de
la poterie dans « ces deux foyers des arts céramiques^ n ; c'est de là que cer-
tains procédés de figuration animale se seraient répandus en Canaan, en Chypre et
en Crète. De ces parallélismes, M. de Morgan s'est gardé de conclure à une com-
munauté d'origine des civilisations qui les ont vus se produire. Plus aventureux,
le P. L., après avoir accumulé les similitudes entre la Crète et l'Élam (hommes-
taureaux sur des cylindres de Suse semblables à ceux des sceaux de Zakro, les
trois troncs d'arbres liés ensemble, bipenne, croix, svastika) tend à admettre, avec
Winkler^, que les Koudour élamites qui ont succédé aux Sargon d'Agadé dans
l'hégémonie de l'Asie antérieure ont poussé, comme eux, jusqu'à Chypre pour venir,
de là, eu Crète ruiner les premiers palais de Knossos et de Phaestos. Le P. L.
est pourtant trop bon orientaliste pour ignorer que L. W. King^ a établi réceiu-
ment que cette mer occidentale qu'on faisait traverser à Sargon pour Tamener
jusqu'à Chypre est, en vérité, la mer orientale, le golfe Persique, d'où il a gagné
le Magan qui est loin d'être nécessairement le Sinaï ; que, si les Élamites avaient
occupé le Sinaï vers 2800, il s'y serait produit une rencontre avec l'Egypte dont
nous serions i)robablement informés ; que la domination élamite est antérieure à
2000 taudis que le grand développement des premiers palais crétois se pl^ce en
2000-1800, au temps de la XIP dynastie... Devant toutes ces objections, on aurait
aimé que le P, L. abandonnât l'hypothèse élamite comme il a renoncé à chercher
en Crète aucune trace d'influence sémitique. Il aurait été bon de reprendre tous
les arguments indiqués par A. Evans et D. Mackenzie en Angleterre. Orsi et
Paribeni en Italie, S. Reinach et R. Dussaud en France, qui tendent à faire de la
Crète le centre d'expansion de la civilisation égéenne. Les nombreux textes qui
parlent de colonies Cretoises en Sicile, dans le golfe de Corinthe et le golfe Sai'o-
nique, sur les côtes d'Asie Mineure, à Troie, Erythrées, Milet, Magnésie, Kaunos,
dans les îles de la Mer Egée, à Chypre et dans les villes philistines de Syrie, toutes
ces traditions prennent de jour en jour plus de valeur à la lumière de certains faits
archéologiques comme la dispersion dans ces diverses régions de la céramique
ou de la glyptique qui paraissent atteindre en Crète leur plus grand développe-
ment. Enfin, comme uue grande île, dans la situation privilégiée de la Crète, peut
bien être devenue le foyer d'une civilisation aussi brillante, mais ne peut guère
avoir donné naissance aux porteurs de cette civilisation dont on comprendrait
difficilement le soudain essor après la longue nuit de l'âge de la pierre, il aurait
^ •). de Morgan, Revue de V Ecole <V Anthropologie, 1907, p. 409.
« H. Winckler, Der Alte Orient, VI. 1 ; VIT, 2.
^ L. W. King, Chronicles concerning early babylonian Kings, (Luzacs series, 1901). Voir les
analyses de la Retue Archéologique^ 1908, p. 150, 3C0.
1908.] ANALYSES. [P. 299.
fallu chercher d'où a pu venir la population minoenne. Les indices les plus divers^
(type physique, chevelure retombant en longues tresses, pagne, étui phallocrypte,
système graphique, culte du taureau et des autres animaux-totems) reportent vera
l'Egypte dont la brillante civilisation néolithique semble contenir en germe tous
les éléments qui se développeront dans la civilisation minoenne ; et les mêmea
indices engagent à rapprocher des Libyens les Néolithiques de l'Egypte. Sans m'é-
tendre davantage sur ces grands problèmes^ qui s'imposent à l'attention et qu'on
regrette que le P. Lagrange n'ait pas plus sérieusement abordés, il ne me reste
qu'à recommander son livre à tous ceux qui s'intéressent aux questions soulevées
f)ar les découvertes Cretoises^. Puisque les articles de S. Reinach dans V Anthro-
pologie, la Gazette et la Chnmigue des Beaux^Arts n'ont malheureusement pas été
réunis et fondus en volume, l'opuscule du P. L. est le premier ouvrage français
donnant de ces découvertes un résumé clair et, surtout, très bien illustré. Il nous
apporte même la primeur de deux œuvres de premier ordre jusqu'ici inédites : le
rhyton des lutteurs de Hagia Triada et le sarcophage de la même provenance
dont les peintures montrent de si curieuses scènes religieuses : sacrifice à des
oiseaux perchés sur des piliers terminés en bipennes et offrande à un mort
debout entre un arbre sacré et la porte d'une tombe monumentale. Souhaitons
qu'une prochaîne réédition, en faisant disparaître quelques lapsus, enrichisse
encore cette abondante illustration qui fera plus que bien des commentaires pour
l'élucidation du problème crétois. A. J. Reinach.
1 Je me permets de renvoyer â mon étude sur FEgypie préhistorique (édition de la Itetué des
Idées, 1908, 55 p. in-d^*). Je compte reprendre ici-roéme la question au point de vue de la Crète
dana un prochain article.
^ La faveur avec laquelle ne manquera pas d'être accueilli ce premier aperçu d'ensemble sur
une question qui a paru assez importante pour qu'on la fasse figurer cette année au programme de
l'Agrégation d'Histoire, nous fait un devoir de signaler les bizarreries d'expression qui déparent
trop souvent l'opuscule du P. L. Je relève au hasard, p. 11 : des piliers environnés de larges
(nombreuses t) offrandes ; p. 22 : le but de tous deux (2 piliers) était évidemment statique
(architectonique ?) ; p. 30 : le bibelot est nombreux (varié ?) dans le style dit mycénien ; p. 108 :
minimisé le sens religieux.... des savants aussi ewceptioneUement éminents ; p. 139 : il a reconnu
que ses premières audaces n'étaient pas assez résolues (sic \) ; dans toute la p. 149 gentilice est
dit pour ethnique et le texte biblique cité l'est de façon telle qu*il faut recourir À l'original pour
le comprendre ; d'ailleurs il n'est pas mis dans la bouche d'un Amalécite, comme le dit le P. L.
mais d'un esclave égyptien, ce qui semble expliquer son imprécision géographique. Bien d'autres
erreurs, évidemment typographiques, seraient à signaler qu'une prochaine édition devra faire
disparaître : p. 99, lire Phaestos au lieu de Pehastos, p. 106, lire Weicker au lieu de Welcker,
p. 144, Teukros, estjrère et non père d'AJax etc.
P, 800] • R • K • E • S • [1908*
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.
Sociological Papers, T. Ill 4^, 382 pages. Publié pour la Sociological Society par Macmillan
et C>% Londres, 1907.— Ce volume contient, comme les deux premiers, un certain nombre
de conferences lues devant les membres de la Société suivies de discussions critiques.
Fort remai*quable est une double tendance : vers l'obtention d'une définition exacte de
ce qu'est la sociologie et le fait social, et vers une méthode d'application, au dévelop-
pement futur des sociétés, des résultats de la théoi le. La sociologie appliquée, sous le
; nom ù^eicgénique a pour principal protagoniste en Angleterre M. Fi*aucis Galton,
autour duquel se groupent un certain nombre de disciples. Le présent volume contient
précisément un article de W. Me. Dougall qui propose d'établir les taux de salaires
d'après le nombre des enfants du salarié, dans Tespèce, du fonctionnaire civil, de
manière à constituer une « élite ». Les membres de la Société qui prirent part à la dis-
cussion s'élevèrent vivement, eu généï'al, contre ce point de vue. Le premier article du
volume, par G. Arcbdall Keid traite des bases biologiques de la sociologie : il s'agit de
la question de l'hérédité, ou non, des caractères acquis, surtout mentaux : les conclusions
pratiques seraient qu'il faut, non pas tant encourager la formation d'une élite qu'em-
pêcher la multiplication des éléments sociaux inférieurs. Mais quels sont ces éléments ?
En pratique, c'est là qu'est le nœud de la question. Sont-ce ceux dont les tendances
concordent avec les tendances générales ambiantes, ou sont-ce ceux qui s'opposent à
elles et sont par suite les « éléments de variation » ? — M. l. Lionel Taylor étudie com-
parativement les bases de la science de l'individu et celles de la science des groupements
(sociologie). M. A. Thomson reprend le problème des bases biologiques de la sociologie ;
M. Oeddes voudrait un musée social ; M. A. do WcsseliU^ky parle, en « libéral n, de la
Révolution russe ; M. Beveridge propose une solution étatiste du problème du sans-
travail ; ceux qui décidément se montrent « incmployables - seraient déportés dans des
colonies pénitentiaires, pour, je suppose, leur apprendre à vivi'e en l'égirae capitaliste ;
M. Beveridge est professeur â TUnivei'sité d'Oxford. L'article de M" Sidney Webb sur
les méthodes d'investigation ne donne que des généralités. M. R. M. Wenley voudrait
voir créer dans les Universités une faculté de sociologie comprenant la sociologie his-
torique (ethnographie, géographie, anthropologie et psychologie), la psychologie sociale
(psychologie comparative et ethno-psychologie; psychologie expérimentale, linguistique,
archéologie), la sociologie systématique (éthique, philosophie sociale, hiérologie, his-
toire des civilisations) et la sociologie statistique (biologie et biométrique, eugénique,
économie politique). Ce schéma en vaut un autre : la vie sociale est si variée qu'on ne
peut la forcer dans des limites rigides. D'ailleurs une telle répartition des cours univer-
sitaires n'est possible qu'en Amérique, dans quelque ville à croissance rapide ( M, Wenley
est professeur à P Université de Michigan), mais non en Europe, où un tel rémaniement
serait proprement une révolution. Fort intéressante est la communication de M. Crawley
sur l'origine et la fonction de la religion : il y combine le point de vue théologique avec
le point de vue de psychologie expérimentale cher â M. Havelock Ellis ; les opinions de
M. Crawley ont été battues en brèche dans les discussions orales ou écrites auxquelles
prirent part N. W. Thomas, E. Clodd, Goblet d'Alviella, Leuba, K. R. Mai'ett, Sergi,
Staibuck, Steinmetz, Tönnies, etc. On ne voit pas ce que M. Crawley a gagné quand il
a dit de la religion que c'est une diathèse ou que c'est une philosophie vitaliste, ou 101*5-
qu'il s'exprime ainsi : « l'émotion religieuse et la doctrine théologique tracent une courbe
qui commence et finit avec la courbe physique ; mais le premier et le dernier résultat
biologique de la religion, c'est d'élever la nature humaine vers une puissance supé-
rieure » (p. 249) ; la « crise religieuse - actuelle est pour M. Crawley le début d'une péiiode
nouvelle, celle de « la connaissance et de l'application scientifique de la religion -. Enfin
M. Wells nie l'existence même, comme science, de la sociologie et affirme qu'elle ne peut
consister qu'en la création û' Utopies. A. v. G.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. P. 301.]
J. F. Hewitt. Primitive tradittonnal history, 2 y oh S'* , 1024 page.«, cartes, planches. J. Par-
ker et O, Londres, 1907. — On ne saurait nier la patience ni Térudîtion de M. Hewitt,
auteur, déjà, de plusieurs traités sur «< Thistoire et la chronologie de l'époque m:^ho-
poétique » et sur « les races dominatrices des temps préhistoriques ». Son dernier
Ouvrage repi'ésente un effort considérable, non seulement documentaire, mais surtout
d'interprétation. Celle-ci est malheureusement d*une qualité telle qu'on ne peut en
faire la critique que malaisément. Le point^de vue de Fauteur est que les mythes et les
légendes des peuples de l'antiquité classique, égyptienne, assyro-babylonienne, exti*éme-
orientale d'une part, hindoue de l'autre, puis des peuples demi-civilisés actuels sont de
véritables documents historiques. Au lieu de les tourner en dérision, on ferait mieux
de les comprendre. Sur ce point, M. Hewitt a pleinement raison, et nous pensons comme
lui que la comparaison des légendes australiennes ou amérindiennes et des mythes de
l'antiquité européenne ou orientale est le seul procédé qui puisse conduire à l'intelligence
de ces derniers. Comment I C'est ici qu'on ne suit plus M. Hewitt que difficilement. Il
affirme en effet que toute la production mythologique est à base astrale. Il distingue
l'Age de l'Etoile Polaire, l'Age Lunaire-Solaire et l'Age Solaire. Pendant le pi*emier de
ces Ages, l'année a été mesurée par la révolution de Canope, dés Pléiades et d'Orion, puis
du Soleil autour du Pôle, etc. M. Hewitt tente en conséquence de déterminer si, chez,
les diverses populations, le calcul du temps répond à l'une ou à l'autre des divisions et
des subdivisions qu'il a pensé découvrir par l'étude comparée des textes « les plus-
anciens ». Il a occasion ainsi d'examiner tour à tour toutes les croyances et tous les
actes rituels qui conceinent les divers astres, les divers animaux, les diver*ses plantes,
les diverses institutions et de construire comme une histoire univei*selle des religions.
— n semblera, je pense, inutile d'indiquer combien cette méthode diffère de la nôjtre. 11
est peu de livres où il soit aussi peu tenu compte de tous les facteurs qui contribuent à
la formation et à révolution des religions. Il en est peu aussi qui démontrent comment
la méthode comparative peut, entre des mains inexpérimentées, et sous l'influence d'un
système préconçu, devenir un instrument dangereux pour la science même à la consti-
tution progressive de laquelle elle a pour objet de contribuer. A. v. G.
Marsymilian Baruch. Boze siopki. Archeologia i folklor hamieni z wyzXobionymi ski'
dami stop, Warszawa, E. Wende i Sp. 1907. 8» pp. 113. — L'auteur désigne du nom de
« Bo^e Stopki » (pieds divins) les empreintes merveilleuses en forme de pieds, qu'il décrit
très soigneusement. Nous trouvons dans cet ouvrage 276 faits classés dans un ordre
géographique. En ce qui concerne l'Europe la plus grande place est donnée naturellement
à la description des empreintes polonaises (57 faits) et aux légendes qui s'y attachent.
Quant aux autres, elles ont été d^â, pour la plupart, recueillies dans les collections
occidentales (« Revue des traditions populaires »et « Archivio delle tradizioni •*).
M. Baruch nous promet une nouvelle édition de son travail : il serait à désirer que la
deuxième édition ne fût pas une répétition des faits recueillis dans la première, mais
plutôt un supplément et un essai de classification d'une collection de matériaux déjà
bien riche. Thadée Smolbnski.
Ed. Meyer. Das erste Auftreten der Arier in der Geschichte (extrait des Sitzungs-
berichte de l'Académie de Berlin, 1908, l, p. 1419). — Uno importante série de tablettes
d'argile, découverte récemment en Cappadoce et dont M. H. Winckler, l'assyriologue
bien connu, a donné un premier aperçu, a fourni un traité conclu par un roi de Mitani
avec un roi des Hittites au début du XIV« siècle av. J. C. Parmi un grand nombre de
divinités d'origines diverses invoquées par le roi de Mitani, se rencontrent quatre dieux
du panthéon indo-iranien : Mitra et Uruuma ou Aruna (c.-à-d. Varuna) d'une part,
Tndar ou Indara (c-à-d. Indra) et les Naiatia (c-à-d. les Näsatya) de l'autre. Tel est
le fait sur lequel l'éminent historîen de l'antiquité, M. Ed. Meyer, appelle l'attention
dans cette note.
Les conclusions sûres à tirer de là sont d'abord que le panthéon indo-iranien, tel qu'il
apparaît d'une façon claire dans les Véda8,et indirectement dans l'Avesta était constitué
d'une manière précise dès le commencement du XIV« siècle av. J. C, que par consé-
quent les Aryens (au sens précis du mot, à savoir : Indo iraniens) formaient dès lors
un groupe bien défini, et, en second lieu, qUe les Aryenâ ettarçaient déjà une influence
jusqu'en Cappadoce. Ce second fait était du reste établi par ceci que plusieurs rois de
p. 302.1 • It • E • E • S • [laOÄ.
Mitani (sur le haut cours de PEuphrate) portent au XV« s. av. J. C. des noms de type
visiblement indo-iranien. Sur les influences indo-iraniennes du XVni«au XIV« s. av. J.C.
dans le monde connu par les peuples assyriens et égyptiens, M. £d. Meyer promet de
donner de plus amples détails dans uu prochain cahier de la Zettschrift für ver-
gleichende Sprachforschung. La nouvelle trouvaille n'est donc pas un fait isolé. Telle
qu'elle est, elle fournit le premier témoignage de l'entrée des Aryens (Indo-Iraniens)
dans rhistoire, et même le premier témoignage positif qu'on possède d'une langue
indo-européenne quelconque.
Pour discuter les vues de M. Ed. Meyer, il convient d'attendre la mise au jour du grand
article qu'il annonce ; il y aura peut être lieu de revenir alors sur la question. En
attendant, on se bornera ici à de brèves remai'ques.
Sous la forme où les noms sont livrés, ils sont exactement pareils aux formes védi-
ques, et difTérents des formes iraniennes : on a naèatia, c.-à-d. le védique näsaiya^ et
non näha^ya (zend nänhaiSya), M. Ed. Meyer conclut de là que le passage ûe s à. h
qui caractérise éminemment l'iranien n'était pas encore accompli. Mais, bien que les
Aryens les plus proches qui soient attestés à date historique soient les Iraniens, est-on
sûr qu'il s^agiäse ici d'Iraniens, déjà 1 Sans doute, la ressemblance que les formes attes-
tées présentent avec le* formes sanskrites est fortuite et tient simplement à ce que le
sanskrit a gardé pour tous ces mots la forme indo-iranienne commune d'une manière
âdèle, conformément aux règles générales de sa phonétique. Sans doute aussi la
ressemblance des dieux attestés ici avec les dieux védiques plus qu'avec les dieux
iraniens tient à ce que le panthéon aryen n'est conservé exactement que dans Finde,
et à ce que l'Avesta en gai'de seulement un souvenir indirect et présente dans Tenscmble
une religion nouvelle. Mais il a pu et dO y avoir d'autres tribus de langue indo-iranienne
qtie celles qui ont fourni los populations <^ védiques » d'une part, les populations ii*a-
niennes de l'autre. Le plus sage est de demeurer sur la réserve à cet égard ; on est trop
loin de Tlnde et de l'Iran, trop loin aussi des premiers textes datés de l'Inde et de l'Iran
pour pouvoir rien affirmer.
On s'est demandé si les Aryens étaient entrés en Asie par l'Est ou par l'Ouest de la
Caspienne. La nouvelle trouvaille viendrait plutôt appuyer l'hypothèse qui fait passer
les Aryens par le Caucase. Et alors il n'y aurait aucune raison pour «pire que l'aryen
du roi de Mitani soit spécialement de l'iranien. C'est peut-être un tout autre dialecte
qui aurait disparu par la suite.
Il y a eu de tout temps des relations entre les populations de langue indo européenne
et le monde assyro-babylonien. M. Joh. Schmidt l'a montré depuis longtemps en ce qui
concerne l'indo-européen commun ; le nom sanskrit paraçw- et grec pelekus de la
hache, qui est emprunté à l'assyrien piJakhu, en est la preuve la plus certaine.
M. Oldenberg a soupçonné des emprunts de la religion védique à la religion baby-
lonienne. Voici maintenant que l'on découvre les noms des principaux dieux indo-
iraniens dans un traité écrit en caractères cunéiformes. Pour être lointaines, les
relations n'en ont pas moins été reprises constamment, on le voit. A. Meillet.
R. DB RusTAFJAELL. PaloeoHthic Vessels of Egypt. Londres, Macmillan, 1^7. In-S«, 23 p.
et 13 planches. — Au printemps 1906, M. de R. a exploré avec soin les dépôts paléolir
thiques disséminés sur le plateau désertique qui s'étend à l'ouest de Nagada, Thèbes et
Gébêlen. A côté des belles séries de silex éclatés et taillés qu'il y a recueillies comme
tous les explorateurs qui l'ont précédé, il a été le premier à remarquer de véritables
amas de blocs d'un calcaire très spongieux grossièrement évidés. Api'ès les avoir pris
d'abord pour des lusus naturae, il s'est bientôt convaincu qu'il était en présence de
géodes creusés de main d'homme qui affectent toutes lea formes depuis la petite cupule
arrondie jusqu'aux grandes auges quadrangulaires. Leur découverte permet de s'expli-
quer les vases de pierre dure qu'on trouve parvenus à une étonnante perfection au
Néolithique égyptien ; ces vases seraient le résultat, pour la forme, de l'évolution
de ces géodes paléolithiques, et pour le décor, de l'imitation des calebasses serrées
par des cordes ou des paniers en vannerie. A. J. Reinach«
Ad. Lods. La croyance d la vie future et le culte des morts dans r antiquité Israelite^
2 V. in-8, 1. 1, VlII-292 p. ; t. II, VM90 p. Paris, Fischbacher, 1906-7: — Animistes à la
façon de tous les peuples primitifs, les Hébreux ont cru d'abord qu'il y avait, dans
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 3Ö8#
l'homme, un double qui le faisait vivre et qui survivait à la mort. Par opposition au
corps, basar, on trouve ce second élément essentiel de Têtre appelé tour à tour nefech
et rouah. M. L. incline à ne pas voir entre ces deux termes plus de diflTérence que nous
n'en mettons entre-« âme » et « esprit n. Cependant nefech ayant fini par signifier « le
cadavre n et par désigner la stèle funéraire elle-même, il est possible que ce terme
remonte à une époque où Ton croyait que le double demeurait dans le corps même aprè«
la mort ; cette âme corporelle réside essentiellement dans le sang que les Hébreux
pourront offrir à lahvêh comme l'essence même de ses victimeis, mais qu'ils se refuseront
à absorber pour ne pas troubler leur âme individuelle par l'invasion d'âmes étrangères.
Lorsque « le sang crie »», M. L. pense que c'est parce que l'âme y subsiste. La rouah
" semble appartenir, au contraire, à une conception plus spiritualiste, postérieure à la
Captivité. C'est proprement le souffle qui, dans la Genèse, est envoyé et retiré à l'homme
au gré de Dieu ; on glisse déjà sur la pente qui conduira à considérer l'âme individuelle
comme une émanation de l'âmeuniverselle. De môme, les rites funéraires se diviseraient
en rites préservatifs, procédant de la crainte du nfort et de la mort, et en rites propi-
tiatoires destinés à mettre en communion avec le mort et à se le rendi'e favorable. Dans
la l" catégorie rentreraient : fermer les yeux du mort pour enlpêeher son esprit de
sortir ; ôter ses vêtements et se i-evêtir du sac pour éviter toute contagion ; jeûner
pour ne pas risquer d'avaler l'esprit du mort avec les aliments contaminés ; se rouler
dans la poussière, se couvrir de condi'e pour se rendre méconnaissable ; dans la 2«'» : les
lamentations, mutilations, offrandes de la chevelure, repas funéi'aiies et sacrifices. Dans
cette dernière période il y a évidemment culte des ancêtres, mais rien n'indique qu'ils
aient été conçus comme autant û*eiohim rivaux ou du moins indépendants de lahvôh
dans le cheol, ni même incarnés dans les teraphim protecteurs de la maison qui sont
plutôt les t< génies* du lieu ». Rien ne permet surtout de ne considérer comme propre-
ment religieux que les rites impliquant l'adoration du mort à l'exclusion de ceux qui
sont fondés sur sa crainte : la tonsure paraît bien du même ordre que la prise du sac,
le hululement n'est pas moins eflacace que le roulement à terre pour détourner l'esprit
du mort. — Bien que cette mécompréhension du phénomène religieux fausse dans une
certaine mesure tout l'ouvrage de M. L., il n'en gardera pas moins la valeur du plus
complet et du plus méthodique recueil de textes existant sur ces matières complexes.
A. J. Reinach.
.JosEF VoRMOOR. Soziale Gliederung im Frankenreich ; Leipziger historische Abhand-
lungen, edit, par Brandenburg, Seeliger et Wilcken, VI. Leipzig, 1907, Quelle et Meyer,
105 p. in-8<>, 3 mks 50. — Ce livre porte un titre qui ne correspond pas exactement à son
contenu.' Kn réalité, il traite presque exclusivement des personnes placées dans une
- ; situation intermédiaire entre l'esclavage et la liberté, c'est-à-dire des affranchis, des
Romains, des homines regii et ecclesiastici, des colons, etc. En outre il n'étend ses
investigations, dans l'espace, qu'aux seuls territoires occupés directement par les tribus
franques, et il en exclut d'importantes parties de l'empire franc (le midi de la France,
entre autres).
Primitivement, il n'y a de pleinement libres que les Francs ingénus qui font partie
d'une Sippe. On leur assimile toutefois, par faveur spéciale, les esclaves affranchis dans
la forme f ranque par excellence, celle de la manumissio per denarium ante regem*
'A côté de ces personnes pleinement libres il existe aussi des personnes qui ne jouissent
que d'une demi-libei*té. Ce sont, dès avant les invasions, les Utes, qui se distinguent
pourtant des esclaves par certains privilèges juridiques ; ce sont, après les invasions,
les Romains, et l'on comprend sous ce nom, non seulement les Romains de race, mais
aussi les esclaves affranchis par des procédés romains (affranchissement jper tabulam
et per cartam). Sous les Carolingiens, l'infériorité sociale des Romains ingénus s'efface ;
ils acquièrent la pleine liberté, et l'assimilation complète avec les Francs ; le terme de
Francus désigne désormais un homme libre, quelle que soit sa race (sauf dans ÏEwa
Chamavorum, où Yhomo francus est un noble). Les affranchis dans les formes romai-
nes obtiennent aussi, grâce à l'intervention de l'Eglise, d*être traités cOnmie les ingénus
quant aux droits politiques ; mais, dans le domaine du droit privé, ils restent frappés
de certaines infériorités successorales, et rattachés à leurs anciens maîtres par certains
' • liens de dépendance. A partir du IX« siècle, le développement prend une direction nou-
velle. Quand un madtre affranchit son esclave par un mode romain, il en fait le plus
T. 804] • R •_£ •_£ • S^- ^ [1908»
souvent remise à TEglise, qui le prend sous sa protection moyennant une l'edevance,
certains services déterminés, et ceitains droits à percevoir en cas de moi't ou de maiiage.
Ce système ne tarde pas à paraître avantageux même à des ingénus qui, poussés par la
pauvreté ou le sentiment de leur faiblesse, se livrent & TEglise. Ainsi se développe la
catégorie des censuaîes. On a souvent beaucoup de peine à décider, d'après les termes
de la charte do tradition, si ces cetuuales demeurent libres ou non.
Ainsi les anciennes inégalités sociales tendent à se niveler par le relèvement des
classes placées originairement dans une condition inférieure. La même évolution se
réalise pour les homines regit et ecclesiastid. Ces protégés du roi ou de l'Eglise, qui
jouissent comme tels de certains prïvilèges refusés aux protégés des personnes privées,
n'ont point à l'époque mérovingienne la pleine liberté ; leur wergeld reste inféiieur de
moitié à celui des Francs. Mais à l'époque carolingienne, cette inférioiité disparait, et
ils obtiennent la libellé de droit commun. Aussi cessent-ils de porter, dans les sources
carolingiennes, le nom à'homines regit ou ecclesiastid. La terminologie change, et
ceux qu'on désigne ainsi sont des fiscalini, serfs des domaines royaux.
Même dans les plus basses classes, un relèvement analogue s*obscrve : ainsi presque
partout le tarif du toergeld est augmenté pour les Mes.
Ce relôvement des classes inférieures est le témoignage d'une fusion des races autrefois
juxtaposées. La ditTôrence d'origine s*atténue et cesse de fonder une difféi'ence de con-
ditions sociales. Dès la tin du IX« siècle les lois pei^sonnelles cèdent la place aux lois ter-
ritoriales. Il ne faudrait pas croire pourtant que toute distinction juridique s'efface entre
les personnes, et imaginer une société fondée sur Tégalité. Bien au conti*aire : on voit
certaines distinctions s'accuser, d'autres, toutes nouvelles, apparaître. Mais elles ont
leur source non plus comme auti-ofois, dans la différence des nationalités, mais dans la
différence des situations économiques, et, suilout, dans la différence des titres aux-
quels on possède la terre.
Telles sont, en raccourci, les conclusions du livre de M' V. Elles sont, sinon très
originales«, du moins très pioidentcs et très sensées. Elles s'appuient sur un dé(X)uil-
lement consciencieux des principales sources (lois barbares, capitulaires, formules,
chartes, polyptyques). Elles manquent sans doute de vues sufßsamment pénétrantes sur
les conditions économiques du développement, et de toute notion de sociologie ou de
droit comparé : ce n'est pas à M' V. qu'il faudra demander par exemple quelles sont les
origines et la portée des rites d'affranchissement qu'il décrit : Sans doute W V. foimé
à l'école do G. Seeliger, estime-t-il que la recherche historique exclut toute préoccu-
pation généralisât rice?— Quoi qu'il en soit, on pourrait, même au point de vue de la
méthode qull suit, lui adi^esser certaines critiques. Je me bornerai à noter qu'il parait
ignorer toute la littét^ature non-allemande de son sujet. Il n'a utilisé ni l'essai capital
de M. Fouiaier sur Les formes et les effets de V affranchissement, ni l'article de Van-
derkindere sur les tribularii, ni les travaux d'Hanauer et Mossmann sur les oolonges
alsaciennes ou lorraines, etc. ; et les travaux de Fustel de Coulanges méritaient mieux
que la mention incidente qui leur est consacrée.
P. HUVEUN.
Philipp Heck. Die friesischen Standesverhältnisse in nachfränhischer Zeit, (Avec des
^ notes linguistiques de Theodor Stiebs). Extr. (p. 51-230) de la Festgabe der Tübinger
Juristenfahultät für Friedrich von Thicdichum, Tübingen, 1907. H. Laupp^ in-8^ —
Ceci est un ouvrage de polémique. Le débat porte sur la question suivante : La loi des
Frisons, rédigée à l'époque Carolingienne, connaît trois classes de personnes : les
nobiles (edelingen), les liberi (frilingen) et les liti (kUen), dont la différence de con-
dition se manifeste notamment par une tarification différente pour le toergeld et les
amendes. Que sont devenues ces trois classes au cours du Moyen Age ? Richthpfen
enseignait qu'elles ont subsisté. Heck a soutenu au contraire, dans plusieurs ouvrages,
qu'elles se sont fondues, et ont fait place à une classification sociale entièrement diffé-
rente. Mais récemment le numismate Jaekel a repris la question, et, tout en adhérant
à certaines conclusions de Heck, a cherché à établir notamment que la tarification
différente du toergeld et des amendes s'est maintenue durant tout le moyen âge. C'est
contre ce principe et ses corollaires que polémique Heck dans le présent mémoire, en
versant d'ailleurs au débat tout un matériel de preuves nouvelles ou renouvelées. II
établit, par une argumentation convaincante, qu'il n'existait qu'un tarif des aînées
1908«] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P, 305*
pour toutes les classes (p. 62-103) ; que ce tarif est celui des Edelingen de la lex Frisio-
num, et non celui des FHiingen (p. 103-177), et que cette unification s'explique par
l'ascension des classes inférieures jusqu'au niveau de la classe privilégiée, et spéciale-
ment par la conquête de la pleine liberté réalisée par les Frilingen (p. 177-221).
P. HUVELIN.
JE- VON KûNssBERG. üßber die Strafe des Steintragens. (Fase. 91 des Untersuchungen
zur Deutschen Staats- und Rechtsgeschichte publiées par G. Gierke), 8», 65 pages,
Breslau, M. et H. Marcus, 1907, 2,40 Marks — Il s'agit, dans cette monographie fondée
sur un dépouillement étendu des recueils de droit coutumier allemand, et surtout
bavarois et autrichien, du supplice appelé llthophorie en France, (la pierre des mau-
vaises langues^ la pierre de scandale). On y condamnait uniquement les femmes, pour
querelles en public, insultes aux personnes respectables, emploi de mots défendus, etc.
Le point de départ serait la France : de là la coutume se serait répandue dans le reste de
l'Europe Centrale, et surtout dans la Basse-Autriche. On devait porter de grosses pierres
ordinaires, souvent au nombre de deux et attachées par une corde ou une chaîne, soit
des pierres servant do poids, soit encore des pierres en forme de bouteille, de tête, etc.
La condamnée avait à faire un certain parcours, soit dans la commune ou jusqu'à ses
limites, soit dans la commune voisine ; elle était l'objet des risées publiques ; cet ensem-
ble d'actes constitue la Harmschar {harmiscara de Du Gange). La portée et la forme
sociales de la sanction y sont très nettes. Grimm a voulu y voir une survivance atténuée
de la lapidation. Waitz voit dans la pierre la marque de la spécialité ancienne des
femmes, de moudre le blé, et note que souvent la pierre de scandale était une vieille
meule de moulin, ou se conservait au moulin. M. von Künssberg accepte cette interpré-
tation; il rappelle des sanctions analogues : le chevalier avait à porter un chien, l'évoque
un manuscrit, le paysan une roue de charrue, etc., et regarde toutes cesphories comme
représentant, d'une manière symbolique, l'ancien asservissement de la femme, du
chevalier, du paysan, de l'homme d'église, etc. ayant contrevenu à certaines règles de
droit ou ayant porté atteinte à Ihonneur d'autrui. L'auteur s'est arrêté là : il est évident
qu'une étude plus étendue, comparative, de id^phorie comme sanction serait fort inté-
ressante. Notamment les procédés usités chez les divers peuples pour marquer l'asser-
vissement pour dettes ou encore la déchéance de classe ou de caste fourniraient des
parallèles utilisables. A. v. G.
Jiî. Begemann. Zur Legende vom Heiligen Georg, dem Drachentöter, Extrait (pp. 97-116)
delà Festschrift présentée par l'Ecole Normale d'Altona au AS" Congrès des Philo-
logues Allemands.
E. 0. Gordon. Saint George, Champion of Christendom and Patron Saint of England,
8o, 142 pages, 25 planches, Londres, Swan Sonnenschein, 1907, 21 sh.
Contre Vetter, M. B. admet que la légende de St. Georges telle qu'elle se trouve dans
Des Knaben Wunderhorn provient, par Ein christliches catolisches Rue f bucht, 1601 , de
de la Légende Dorée de J. de Voragine ; il montre, en juxtaposant les deux textes, leurs
analogies, et combien minimes sont les variantes. L'auteur examine ensuite de près deux
poésies populaires grecques relatives au saint et discutées déjà par Kirpitchnikof et par
Vetter ; il montre qu'elles ne sont pas toutes deux Cretoises, comme on l'admettait : la
première, fragment d'un poème plus long, est en dialecte grec méridional, mais non pas
Cretois. Le poème en dialecte crétois daterait du milieu du XV« siècle, plus exactement
entre 1453 (chute de Constantinople) et 1522 (prise de Rhodes par les Turcs).
Le livre de M« Elizabeth Oke Gordon est fait à un autre point de vue : le seul thème
légendaire examiné est celui de la Légende Dorée, complété par les renseignements des
Acta Sanctorum, et accompa;;né de plusieurs planches (notamment des photos des
ruines de Lydda). L'intérêt du volume tient à une revue intéressante des adaptations
locales, surtout anglaises, de la légende (dragons de Wantley, de la Forêt St. Leonhard
près Norsham, de Lyminster, etc.). Le 2« chap, décrit les offices et les fôtes consacrées à
St.Georges dans les liturgies anciennes et dans les institutions plus modernes (La Société
•de St.Georges et la Table Ronde, etc.) puis l'entrée de la légende dans l'ancienne litté-
rature anglaise. Puis vient une histoire de l'ordre anglais de St-Georges et la biographie
des principaux chevaliers. Le chapitre IV traite de St-Georges dans l'art anglais ; il est
illustré de nombreuses photographies d'après d'anciens manuscrits et d'anciens bois.
F. 806.] • R • E • E • S • [1908.
La reliure elle-même, en relief, reproduit une vieille reliui-e du XVI' siècle représentant
St. Georges, le Dragon, la vierge sacrifiée, un ch&teau-fort, et une scène de chasse.
Puisque Tauteur a pris goût, comme tant d'autres, à l'étude de St.Georges, on voudrait
lui voir publier un traité spécial sur Ticonographie, non plus seulement anglaise,
mais aussi continentale et orientale, du Saint. A. v. G.
F. G. Stebler. Am Lötschberg; Land vvd Volk von Lötschen. 8», 130 pages, 138 ill.,
Zurich, A. Müller, 1907. 4 frs. — On devait déjà à M« Stebler une admirable monographie
snr l'industrie pastorale et la vie de montagne en Suisse, Alp-und Weide-WirUchaft
(Berlin), puis deux monographies. Ob den Heidenreben (Berne) et Das Goms und die
Gomser (Zurich, Bürkli, 1903, 3 frs.). Dans ces travaux, comme dans le deraier, on
trouve une application modèle de la méthode descriptive. M. Stebler en effet montre
sans cesse le lien entre la nature physique et Torganisation sociale, et comment la mon-
tagne entraine nécessairement des systèmes de propriété et d'exploitation spéciaux. Le
procédé d'exposition est géographique : poui- montrer le genre de vie dans la vallée de
Loésche, M. Stebler la remonte depuis le Rhône et décrit tour à tour les villages
traversés, la nature des terres qui leur appartiennent, les petites industries locales ; il
résume leur histoire, cite m extenso les légendes, etc. Puis viennent dos chapitres
spéciaux sur la plaine, la montagne, les bois ; sur la maison, la grange et Tétable ; sur
les bergers et la laiterie, sur les marques de maison et le système des tessles, morceaux
de bois où se marquent les titres de propriété ; sur les coutumes, de la naissance à la
moit: sur les prix, la propriété foncière, la nourriture et le ciostume; sur les fêtes
populaires ; sur le caractère du peuple et ses dialectes. M. Stebler a utilisé, en outre de-
ses observations personnelles, toute la littérature antérieure, tant sur la vallée de Goms
que sur celle de Loésche, et compte explorer ainsi successivement les diverses régions
du Valais. Un grand nombre de dessins sont d'ordre ethnographique. On conseillera, à
quiconque voudrait entreprendre une description d'un petit groupement européen, de
prendre pour modèle les monographies de M. Stebler. On a trop fait du folk-loi*e, qui
est proprement l'étude complète de la vie populaire, une sorte de compartiment où ne
trouvent place que des croyances, des légendes« des superstitions ; notamment la vie
économique a été trop laissée de côté, en sorte que l'ethnographie des populations fran-
çaises par exemple reste encore à faire. A. v. G.
J, MoüRiBR. UArt au Caucase, 8», 200 pages, illüstr. î* éd. Bruxelles, Ch. Bulens, 1907. —
Ce volume est plutôt un guide artistique excellent pour ceux, plus nombreux chaque
année, qui vont faire un voyage ou un séjour au Caucase. M. Mourier étudie d'abord
l'art religieux (architecture, sculpture, orfèvrerie, émaux, peintures, manuscrits,
broderies) puis les arts industriels. Des rapprochements enti-e les styles anciens et l'art
actuel permettent de suivre l'évolution de rai*t au Caucase. U a été soumis à diverses
influences, surtout persanes et byzantines, mais a pris rapidement une forme propre.
L'art actuel, tel qu'il se marque chez les populations du Daghestan par exemple, est sur
plusieurs points oiâginal. En définitive cependant, et M. M. a raison de mettre ce fait
en lumière, le Caucase présente au point de vue esthétique le môme caractèro qu'aux
points de vue linguistique et sociologique : des juxtapositions, mais nullement une
fusion d'éléments essentiellement différents par leur origine et leurs tendances. Dans
les plaines on note une déchéance rapide des arts indigènes sous l'influence des deman-
des du marché européen, en sorte que l'originalité relative de l'esthétique caucasienne
ne s'y marque plus que dans les ustensiles et les petits objets d'usage domestique. L'ar-
chitecture et en général les arts religieux sont morts. Les fouilles de Chantre,De Moi'gan,
Zichy, etc. nous ont fait connaître l'art caucasien ancien ; de même l'art du Moyen-Age
a été étudié déjà : mais il faut reconnaître que les arts actuels, comme en général
l'ethnographie du Caucase restent inconnus du monde savant. Les travaux des savants
russes ou indigènes sont insuflSsants. Il est grand temps pourtant qu'on se mette au
travail. Le livre de M. Mourier montre combien intéressant est ce domaine, combien
peu est fait, combien reste à faire. Les illustrations, la plupart des photos, sont bonnes
et bien choisies. A. v. G.
Wladimir Pappafava. Die Advokatur in der Türkei, trad, de l'Italien en Allemand par
A. Simon. Innsbruck 1908, Verlag der Wagner'schen Universitäts-Buchhandlung, 40 p.
in.40, ^ L'intérêt de cette brochure serait assez mince si elle se bornait à traiter le^
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 307*
sujet énoncé dans son titre. Mais elle ne consacre à l'étude du baiTeau turc qu'un tiers
de ses développements (p. 26-40). Les deux autres tiers sont consacrés à des questions
d'une portée plus générale : le développement de la législation civile et son état actuel
(p. 1-7), et Torganisation judiciaire (ainsi que la procédure) en Turquie. Sur ces points
l'auteur nous présente un tableau généralement correct et précis des institutions tur-
ques. Mais ce tableau n'est guère qu*une esquisse ; il faudrait qu'il fût beaucoup plus
poussé pour pouvoir nous rendre de bons services. P. Huveun.
iH. LÜDERS. Das Würfelspiel im alten Indien (Abhandlungen der K. Ges. d. Wissenschaf-
ten, Göttingen, Phil.-Hist. Kl., N. F. IX, 2.). 4«, 75 pages, Berlin, Weidmannsche
Buchhandlung, 1907, 5 marks. — De Tépoque védique â nos jours, le jeu de dés a été
l'un des divertissements les plus appréciés des Hindous, comme en témoignent nombre
de documents que M. Lüders a analysés avec soin. Il y avait, et il y a encore plusieurs
manières de jouer (en jetant les dés dans un trou en terre, ou sur une planchette plate,
etc.) et de compter le nombre des points. Les dés anciens avaient la forme d'un prisme
rectangulaire, dont les quatre faces longues étaient numérotées de 1 à 4, fait important
pour la discussion de l'origine du jeu. Toutes les variétés du jeu poi*tent le nom géné-
d'oÀ^a. Dans le Mahâbhârata, IV, 1, 25, il est parlé de dés noirs et rouges. M. Lüders
n'insiste pas sur ce fait de détail. C'est pourquoi je rappellerai que St. Culin, Chinese
games with dice and dominoes, (Rep. U. S. Nat. Mus. for 1893, Wash. 1895) dit :
« I think that it is probable that the color of the « fours » was derived, with the dice
themselves, from India i>. Sur les dés chinois, 4 et I sont peints en rouge, 6, 5 3 et 2 sont
peints en noir. L'usage de peindre le 4 en rouge daterait, d'après le Wa kan san sai
dzu e d'un empereur do la dynastie des Ming fl368-1643) : il s'agit, comme Ta montré
Himly (Die Abteilung der Spiele im « Spiegel der Mandschu- Sprache », T'oung Pao,
1898. p. 96), sur Particio de qui M. Hirth a eu l'obligeance d'attirer mon attention, de
Ming-Huang, nom populaire de l'empereur Hüan-Tsung, de la dynastie T'ang (713-796,
J. C). L'usage des couleurs sur les dés serait donc plus ancien en Chine que ne le croyait
Culin. Mais rien ne permet de croire que la Chine ait empiomté cet usage à l'Inde : du
moins aucun des savants cités, ni M. Chavannes, ne connaissent de document pi'écis sur
<» point. — D'autre part, le dé chinois est cubique et poi*te des nombres sur ses six
fajces ; le dé hindou ancien est rectangulaire et n'a que quatre faces numérotées : on
ne voit donc pas comment la foime hindoue aurait donné naissance à la forme chinoise.
Quant à la matière, elle importe peu dans le débat : Les dés hindous archaïques
étaient des noix de vibhîdaka ; on utilisait aussi des pierres colorées (Lüders p. 67), des
caurîos ; les dés proprement dits étaient en bois, en os, en or, etc. Il semble que
St. Culin ait ensuite oublié sa théorie, puisque p. 533-534 il est porté â dériver le dé
cubique de l'astragale ; mais p. 535 il y revient à propos des couleurs sur les dés hindous
dits k*ab\ ils sont cubiques, mais marqués seulement sur quatre faces. Il y a lieu
enfin, pour montrer la complexité de cette question, de rappeler les dés (cubiques â
six faces marquées) de Naucratis (600 av. J. C), grecs et romains, dont l'origine indienne
est encore plus discutable que ceUe des dés chinois et les nombreuses formes du jeu de
dés chez les Amérindiens (Cf. le grand mémoire de St. Culin, Games of North Ameri-
can Indians, 24th. Rep. Bur. of Ethnol. Wash. 1907, pp. 44-225) où, comme dans l'Inde
ancienne, (cf. Lüders, pp. 51-54) le dé sert d'instrument de divination ; il en est de même,
partout, des astragales. A. v. 6.
Henri Cordier. Les Lolos, état actuel de la question. Extrait (92 pages, 7 planches et
1 carte) du Toung Pao, Série II, vol. VIII (1907). — En attendant la publication des
renseignements recueillis sur les Lolo du Yunnan par le Cap. d'OUonne, M. Cordier a
jugé utile, et avec raison, de publier, en les classant d'après leur date et leur contenu,
les données qu'on possède actuellement sur cette population. Les sources chinoises ne
fournissent qu'une nomenclature et des dessins, reproduits à la fin du mémoire, dessins
d'un faible secours, sinon pour l'étude de quelques éléments du costume. M. Cordier a
eu l'excellente idée de l'eproduire in extenso les passages, relatifs aux Lolo, des publi-
cations antérieures de : Bridgmann (1859), Playfair (1876), Clarke (1883), Devéria (1886),
Sainson (1904), de Vaulserre (1898) qui a communiqué à l'auteur une carte chinoise du
Ta Leang chan, Charria (1905), Fenouil (1861), Blakiston (1861), Fr. Gamier (1868),
Thorel (1868), Richthofen (1872), Baber (1877), Rocher (1880), Hosie(1882), Colqhoun (1883),
p. 308.1 • Il • E • E • S • [1908.
Bourne (1885), Vial (1890-8), Guébriant (1898), A. Leclère(1898), Henry (1903), dont Farticle
dans le 7. A. /., 1903, méritait mieux que la brève analyse des pp. 81-82. Liétard (1904),
François (1904), L. de Ligonquière (1906), BonifEtcy (1906), Young (1905), pour ne citer que
les auteurs auxquels on doit le plus de renseignements, ce qui ne veut pas dire qu'on
sache grand'chose. On remarquera que tous ces auteurs, en effet, ne sont que des
ethnographes d'occasion ; pas un seul d'entre eux, sauf peut-être M. A. Henry, n'a su
quels faits observer de préférence. Le seul point sur lequel on puisse se faire quelque
idée, c'est le costume, qui avait également attiré l'attention des « ethnographes »
chinois. La plupart des renseignements sont des on-dits, ou ne se rapportent qu'A quel-
ques individus (troupe de brigands, esclaves, escorte). Ainsi le mémoire de M» Cordier
indique avec précision combien il reste de lacunes à combler et semra par suite de point
de départ pour toutes les recherches ultérieures. Peut-être M. d'Ollonne nous ferat-il
en tin connaître l'organisation des sociétés lolo ; on peut en tout cas espérer que l'Ecole
Française d'Extrême-Orient chargera un jour ou l'autre un véritable ethnographe d'une
enquête en pays lolo et miao-tseu. A. v. G.
A. Reichel. Ueber Analogien einiger ostasiatischer Ornamente mit Formen der hretish-
mykenischen Kunst, 15 p. in 4«» avec 7 flg., extrait de Memnon, 1, 1907. — Quiconque a
vu les chefs d'œuvre de l'ait de la Crète minoenne ne peut s'empêcher de les comparer
à ceux de l'art japonais. Il n'y a pas seulement, de part et d'autre, même sentiment
profond de la nature végétale ou animale, même liberté et même grâce dans sa repré-
sentation par le pinceau ou le ciseau, mais certains détails techniques semblent étroi-
tement apparentés. Il était inévitable que, de ces analogies, on conclût à une influence
récipro(iue et que, dans la puissante réappaiition du mirage oriental que l'on doit aux
panbabylonistes, le point de départ de ces formes d'ai't fût cherché, sinon au Japon,
du moins dans la Chine occidentale, dans ces bassins du Tarim et du Lob-Nor dont
Ton tend à faire le berceau de l'humanité ; et de là elles auraient rayonné vers les
deux îles orientale et occidentale du Soleil, Japon et Crète. TeDe est la thèse que
reprend A. Reichel en insistant surtout sur deux analogies techniques : la représen-
tation du sol sous forme de nuages^ à lignes plus ou moins concentriques alternati-
vement claires et foncées, dispersés dans le champ (terraintoolken); les jupes à can*eaux
alternativement blancs et noirs de la soi-disant danseuse de H. Triada {Monumenti^
XIII, pi. X). Il faudrait remarquer que ce carrelage ne suffit guère à faire considérer
ces iupes comme tissées en soie chinoise et que les ntiages de la fresque au chat de
H. Triada ou du poignard aux lions de Mycènes ne sont pas une figuration convention-
nelle du terrain, mais une très réaliste représentation des rochers au milieu desquels
se placent ces scènes de chasse ; mais, avant de discuter une semblable théorie, il faut
attendre que ses protagonistes nous apportent à l'appui des monuments chinois de
mille ans au moins antérieurs au plus ancien bronze invoqué jusqu'ici qui date au plus
tôt de 700 avant notre ère. A. J. Rrinach.
Stewart Culin. — Games of the North American Indians. 24tii Annual Repoit of the
Bureau of American Ethnology. Washington. 1907, 846 p. in-4«, 1112 flg. — Ce livre ne
peut se « raconter » ; c'est plutôt un catalogue qu'un travail original. M. Culin, sur
Pinvitation de M. Mac Gee, le compila dès 1898, et c'est le résultat de son travail depuis
cette époque qu'il publie aujourd'hui.
La classification est des plus rudimentaires ; les jeux sont classés sous deux cheô
principaux : ceux de hasard et ceux d'adresse ; une troisième division contient les jeux
« mineurs ». Les jeux de hasard comprennent : les dés. joués avec de petits bâtons
gravés et les jeux de « supposition »; ces derniers sont : 1® les jeux dans lesquels une
poignée de bâtonnets (à l'origine des hampes de flèches) est divisée entre les mains ;
celui qui joue doit deviner dans quelle main se trouve un des bâtonnets, marqué d'une
façon particulière ; 2° ceux où deux ou quatre petits morceaux de bois, dont un ou deux
sont marqués, sont tenus dans les mains ; l'opposant doit deviner dans quelle main se
trouvent les bâtons non marqués ; 3° ceux dans lesquels quatre bâtonnets sont marqués
par paires et cachés ensemble : on doit deviner leur position relative ; 4» ceux dans
lesquels un petit objet (une pierre, une balle, etc.) est caché dans une parmi quatre
petites boites de bois ou dans un parmi quatre mocassins.
Les jeux d'adresse comprennent le tir à l'arc ; le jeu qui consiste à envoyer sur la.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 309».
terre durcie ou sur la glace une javeline ou une massue ; celui qui fait glisser son pro-
jectile le plus loin est le gagnant ; \echunkeyy qui consiste à envoyer une flèche ou une-
javeline sur un but en mouvement, généralement un anneau rempli de paille tressée ;.
le jeu de balle, qui possède des formes très variées; la course à pied.
Parmi les jeux mineurs on nous cite le volant, le bouchon, la balançoire, les échasses,
la toupie et le toton, le disque à deux trous dans lesquels on passe une ficelle et que
Ton fait tourner rapidement en tirant rythmiquement sur les deux extrémités delà
ficelle, le canon de bois, enfin le jeu qui consiste à faire des figures avec un lien passé
sur les deux mains et que les Anglais désignent sous Je nom de « cat's cradle ». Les jeux
empruntés aux Européens sont le « base bail », les jeux de cartes et surtout ceux déri-
vés des échecs et des dames.
A Texception de ces derniers, qui sont fort irrégulièrement répandus, les jeux signa-
lés se reti-ouvent dans toute Taire Nord-américaine.
L'intérêt principal de l'étude de M. Culin réside dans la théorie qu'il propose pour
expliquer l'unité des règles de jeux, ainsi que dans les conclusions ethnogi'aphiques
qu'il en tire. Il voit à l'origine de toutes ces distractions des rites, expliqués par des
mythes se référant, en dernière analyse, à une tradition analogue à celle des Jumeaux
divins chez les Zufii. Les jeux que l'on trouve souvent dans les mythes d'origine con-
sistent en général en compétitions, dans lesquelles le créateur, le premier homme, ou le
héros civilisateur est victorieux d'un adversaire par suite d'une adresse, d'une ruse
supérieure, ou par l'usage d'une magie plus efficace. La comparaison de ces mythes
révèle non seulement leur unité d'origine, mais encore montre que les premiers joueurs-
furent les Jumeaux, rejetons miraculeux du Soleil, qui jouent un rôle prééminent dans
beaucoup de mythologies indiennes. Or, si nous examinons l'autel des dieux de la guerre
des Zuûi (qui ne sont autres que les Jumeaux) nous voyons qu'on y trouve des instru-
ments qui rappellent divers objets qui servent dans les jeux, entre autres les bâtonnets
usités comme dés. Ces derniers ne sont autre chose que les flèches que les enfants divina
donnèrent aux hommes pour assurer leur suprématie sur le monde des animaux ; on
voit encore sur cet autel les arcs, les flèches, les javelines, encore usités dans les jeux
d'adresse. D'ailleurs M. Culin semble être assez disposé à admettre une parenté plus ou
moins définie entre le jeu de dés et tous les autres. Pour résumer sa pensée, si nous la
comprenons bien, voici quel aurait été le processus de formation, puis de dispersion des
jeux dans l'Amérique du Nord : le culte des Jumeaux et de leurs flèches aurait amené
la création du jeu de dés, tout rituel à l'origine et peut être aussi du tir des flèches ; de
ces deux sortes de distractions se seraient peu à peu différenciés les autres jeux ; ils se
seraient étendus, sui^tout dans les temps récents, par suite do l'abolition des guerres
tribales.
Le centre de fonnation des jeux serait le Sud-Ouest des Etats-Unis (pays des Pueblos)
où ils présentent encore les formes les plus archaïques ; si nous nous éloignons dans les
directions du Nord, du Nord-Est et de l'Est, nous trouvons des jeux de types de plus en
plus spécialisés et éloignés du modèle primitif. Peut-être aussi un courant allant vers
le Sud a-t-il contribué à la formation des jeux mexicains.
Nous ne saurions accepter cette opinion qui soulève une multitude d'objections ; nous
ne croyons pas à un centre de création et de dispersion unique des jeux. M. Culin a placé
ce centre dans le pays des Pueblos et il a pris pour prototype des jeux celui des dés
parce qu'il le trouve encore attaché à des rites religieux chez les Zuni et chez les Hopi.
Mais qui lui prouve qu'il existe là dans sa forme primitive; qui lui prouve aussi que
chez les autres peuples (les Algonkins par exemple) on n'attachait pas une importance
rituelle à tous ces jeux, comme c'est encore le cas pour le jeu de dés funéraires des
Ojibveè, pour le jeu de balle des Chiroki ? Qui lui a dit que le mythe des Jumeaux
est universel dans l'Amérique du Nord ? Nous ne croyons pas que des jeux aussi spécia-
lisés que l'est celui de la balle chez tous les peuples de l'aire algonkine-iroquoise, soient
dérivés du jeu de dés et soient nés chez les Pueblos ; et pour les peuplades du Nord-
Ouest, il nous semble qu'on a vraiment fait trop abstraction de l'influence asiatique.
Sous ces réserves, le livre est excellent et nous souhaiterions avoir des catalogues
aussi complets des jeux des différentes parties du monde. H. Beuchat.
Hermann G. Harris. Haicsa stories and riddles, with notes on the language and a con-
cise Haicsa dictionary. Chez l'auteur, 5, Belvedere Road, West Taunton, 1908, in-18(xvi,
P, 310.] _ •_?: • *- • ^_' ^ • [1908*
112 et 34 pp.). — M. H. 0. Harris, qui a résidé depuis 1892 comme missionnaire en Tri-
politaine, en Tunisie, en Algérie et en Egypte, a mis à pit)üt ses longs séjours au milieu
de colonies Haoussa établies dans ces contrées, ainsi que ses relations avec des voya-
geurs Haoussa originaires de Kano, d'Asben, de Zinder, du Noupé, etc., pour l'ecueiilir
un certain nombre de contes, de proverbes, d*énigmes et de récits qu'il a publiés dans le
texte, en les accompagnant de notes nombreuses et en les faisant suivre d'une sorte de
précis grammatical et d'un vocabulaire donnant la traduction de plus de 1200 mots
haoussa.
Au point de vue linguistique, le travail de M. Harris m'a paru très utile pour faciliter
l'étude de la langue. L'alphabet adopté est simple et suffisamment précis, la prononcia-
tion m'a semblé être exactement rendue, les différences dialectales sont nettement
indiquées, le précis grammaiical — quoique très court — est exoeUent, et les notes qui
accompagnent les textes sont fort précieuses. On doit aussi savoir gré à l'auteur d'avoir,
dans son introduction, précisé de très juste manière à quoi se réduit l'influence de
l'arabe sur le haoussa (introduction do termes religieux et légaux, de noms de vête-
ments, de mots abstraits), et fait bonne justice de la légende, qu'avait cherché à accré-
diter le chanoine Robinson, d'une prétendue littérature écrite chez les Haoussa :
M. Harris explique qu'à pail; quelques chansons, indéchiffrables d'ailleurs pour tout
indigène qui ne les sait pas par cœur, tout ce qui a été écrit par les Haoussa l'a été en
langue arabe et non pas en langue haoussa.
Au point de vue historique, ce petit livre contient plusieurs récits et légendes qui
présentent un certain intérêt, notamment les n»" 12 (soulèvement du Mahdi), 13 (prise
de Khartoum), 25 (guerres entre Kauo et Hadejia).
Un certain nombre de récits de voyages et quelques auto-biographies nous fournissent
quelques documents sur la vie de caravane (n<» 7, 9, 10, 14, 15, 18, 19, 24, 26, 30).
Au point do vue ethnographique proprement dit, on peut relever quelques contes qui
viennent enrichir le folk-lore haoussa, qu'ont contribué ànous révéler Schoen, Krause.
Robinson, Brooks et Nott, Mischlisch, Prietze, Lippert, Merrick et, en français, René
Basset. A citer les n°^ 1 à 6, 8, 16, 22 (qui rappelle un conte analogue du Magana Bausa
de Scho<>n). Les fragments qui m'ont paru les plus intéressants sont les proverbes (n^ 21)
et les énigmes (n^ 11), ces dernières accompagnées d'une traduction anglaise.
On peut seulement regretter que les textes — les n«» 1, 11 et 31 exceptés — ne soient
pas suivis d'une traduction qui permettrait d'en tirer parti aux folkloristes et ethno-
graphes non familiarisés avec la langue haoussa. M. Delafosse.
P. J. Hendle. Die Sprache der Wapogoro (Deutsch-Ostafrica) tome VI de V Archiv für
das Studium deutscher Kolonialsprachen^ 8*>, VII + 171 pages, Berlin, G. Reimer. —
La collection, déjà considérable, des contes de l'Afrique orientale, vient de s'enrichir
par l'apparition du volume de P. J. Hendle, qui en contient une série en chipogoro,
langue parlée par les Wapogoro, dans l'Afrique orientale allemande. Les récits sont au
nombre de dix et, sauf un, ne portent pas la marque d'un emprunt, bien qu'ils aient
pour héros les personnages ordinaires des fables de cette région : le lièvre, la hyène, la
belette, le buffle, la chauve-souris, le pluvier, l'oiseau railleur, la perdrix, le chardon-
neret, le singe, la grenouille et le lion. Comme chez les Bantous et la plupai*t des peuples
africains, c'est le lièvre qui est l'animal le plus rusé : revêtu d'une peau do léopard, U
réduit la hyène à dévorer toute sa famille (conte I. Le lièvre et la hyène) : c'est aussi
un épisode assez maladroitement rattaché au conte IX {Le lièvre et le singe). Il par-
vient à se délivrer de la belette grâce à la tortue (conte II, Le lièvre et la belette)
le trait de la belette qui, dans ce dernier conte se cache en terre et ne laisse voir que
ses dents, ce qui effraie les autres animaux, se retrouve dans le conte VII (La perdrix
et la belette) où cette dernière est vaincue par la musaraigne. Dans le conte IV, un
épisode qui ne tient nullement au reste du récit nous montre le lièvre amusant le
sanglier, puis l'antilope dans la bouche desquels il a mis un os de » Lukunghuluera m
et les faisant dévorer par les autres animaux, et ainsi de suite jusqu'à ce que tous aient
péril. Dans le conte X (La grenouille et le lion), c'est la première qui joue le rôle du
1 Cf. dans Bleek, Reinehe Fuchs in Süd-Afrika (Weimar 1870, 8» p. 15), dans le conte hotten-
tot, Qui était le voleur , comment le chacal fait accuser la hyène d'avoir mangé la graisse volée.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 311.
lièvre et amène le lion, par crainte de ses railleries, à dévorer les autres animaux.
Dans le conte V, le chardonneret ayant fait amitié avec la chauve-souris veut la recevoir
comme il a été reçu lui-même et lui sert des pommes de terre, mais il ne réussit qu'à
se brûler. Le môme trait se rencontre dans la fable VIII (V éléphant et le chardonneret)^
et c'est à la suite d'un raisonnement semblable que dans la fable VI, le buffle périt pour
avoir voulu imiter le pluvier.
Il est à désirer que Texemple de M. Hendle soit suivi et que nous possédions une col-
plus considérable de récits en chipogoro : comme on le voit par ces spécimens, ils offrent
un intérêt particulier. René Basset.
Das Trappisten- Missionskloster Marianhill, Bilder ans dem afrikanischen Missions-
leben. Publié au profit de la Mission ; 4», 188 pages, ill. caite ; Fribourg en Brisgau, Her-
der, 1907. — Le chap. IV de cet ouvrage est spécialement consacré à une description des
Cafres du Natal et surtout à leur vie matérielle. D'admirables photographies montrent
les phases delà construction des huttes, les diverses parties du vêtement, (cf. les plan-
ches p. 124, 125, 126, 127), les ustensiles de ménage (pp. 128, 129), les poteries (p. 130),
les armes, la fabrication de la bière indigène, etc. Tout le volume contient des types, la
plupart bien réussis (cf. p. 121 les femmes Amabaca ; p. 133 magicien conjurant la grèle ;
p. 134 et suiv., opérations d'une magicienne ; p. 140, 141 Cafres, etc. ; nombreux
groupes d'enfants passim). Une carte de l'Afrique Orientale montrant la diffusion des
trappistes termine le volume, en majeure partie consaci'é, il va sans dire, à l'historique
et à la description des différentes missions. A. y. G.
Siegfried Passarge. Süd- Afrika, Eine Landes-, Volks- und Wirtschaftskiinde, 8*
355 pages, 47 flg., 34 planches, nombreux profils, Leipzig, Quelle et Meyer, 1908, 8 marks.
— M. Passarge, qui a exploré aux points de vue géologique et ethnographique une
grande partie de l'Afrique du Sud, et surtout la région du Kalahari, a réussi à donner
dans ce volume un tableau vraiment complet de ce vaste pays. Ce sont les chapitres
traitant de la géologie, de la géographie descriptive, de la géographie économique, de
la faune et de la flore qui sont de beaucoup les plus développés, et, semble-t-il, les plus
originaux. Je signalerai celui qui est consacré à l'important problème du dessèchement
de l'Afrique Australe. M. Passarge est conduit, d'après ses observations personnelles,
& ne pas admettre uniquement des causes physiques : les animaux ont joué un gi*and
rôle dans le dessèchement ; ainsi les écureils en creusant leurs terriers, les fourmis en
faisant leurs nids dans les fentes des roches, les ruminants en se creusant des abreuvoirs
et en se vautrant dans les sols humides ont, au cours des siècles, causé la disparition
de Phumus et son remplacement par les sols sous-jacents (sables, graviers, etc.). Cepen-
dant un dessèchement général depuis le début du quaternaire ne saurait faire de doute.
Il a comme de juste entraîné l'abandon successif des centres d'habitation et le dépla-
cements de tribus entières. — Dans la partie ethnographique du livre (chap.XIX-XXV),
M. Passarge ne donne qu'un tableau superflciel des civilisations locales : mais il en
montre le lien avec les autres civilisations africaines, sans conserver, pai* endroits, la
prudence nécessaire en un livre destiné, comme il est dit dans la Préface, au grand
public cultivé. P. 209 il admet presque la parenté, proposée par Lepsius, du hottentot
et de l'égyptien. P. 211, il prétend que les langues bantou sont récentes, parce que très
semblables les unes aux autres, et que les dissemblances entre langues parlées par des
peuples voisins (p. ex. par les Nègres du Soudan) sont un signe d'ancienneté : or tout
dépend du « génie » des langues considérées ; comparez à ce point de vue les langues
sémitiques, si semblables, et les langues indo-germaniques, qui le sont bien moins ;
dira-t-on que les premières sont plus récentes que les secondes î Tout le chap. XXIII
est consacré à « la civilisation primordiale des indigènes de l'Afrique du Sud » ; on y
trouvera résumées, et présentées comme si c'étaient des résultats déflnitifs (qu'elles ne
sont même pas pour leurs auteurs mêmes) les conclusions des mémoires comparatifs
de Frobenius, d'Ankermann et de Qi'œbner. C'est trop vite mettre en circulation des
théories qui ont encore besoin d'être mieux fondées, et dont les bases méthodologiques
ont lieu d'être révisées. M. Passarge expose les arguments des partisans de l'origine
orientale (sémitique générale, himyarite ou arabe, etc. : Bent, Schlichter, Hall, etc.)
ceux des partisans de l'origine nègre (Mac Iver, von Luschan, etc.) des ruines de la
Rhodésie, et tend (p. 269) à se ranger du côté de ces derniers. De bons chapitres sur les
p. 312.] • R • E • E • S • [1908*
formes que prend dans TAfrique du Sud la ctTilisation européenne. Les langues nou-
velles (Hollandais du Cap. bien ôtudié par Hesselinget p:ir 6. Du Bois du Tcit, Gand)
méritaient mieux que les quelques lignes des pp. 211-212. En somme, M. Passarge a
écrit une monographie vraiment intéressante, que les éditeurs ont bien pi*ésentée, dont
un index détaillé, précédé d'une bibliogmphie sommaire, facilite le maniement. Il n*est
pas inutile de noter que M. Fassarge est anti-humanitaire : « Toute humanité à l'égard
du Noii' est en même temps une cruauté à Tégaid du Blanc — et il faut inculquer aux
Noirs le respect et l'obéissance, les traiter avec sévérité mais avec justice et les estimer
ce qu'ils valent, c'est-à-dire comme une race inférieure » (pp. 240 et 341). Sans doute, la
main d'œuvre devenant trop chère, et les conditions de la lutte économique trop dures
en Europe, il faut bien que les Noii*8 servent à quelque chose : de quel droit passeraient-
ils leur vie à ne rien faire, c'est-à-diie sans utilité aucune pour les Blancs ! Malheureu-
sement pour eux, les Noii-s de l'Afrique Australe n'ont pas d'aussi bons arguments à
opposer à ce point de vue des Blancs que les Japonais. A. v. G.
Oeoroe Mo Call Theal. Eistory and ethnography of Africa, south of the Zambesi.
T. I : The Portuguese in South Africa from i505 to ilOO. 8®, 501 pages, 4 cartes et
planches, Londres. Swan Sonnenschein, 1907. — Il est inutile de rappeler les titres
scientitiques de M. Me Call Theal, sans contredit le meilleur connaisseur de l'histoire
des populations blanches et de couleur de l'Afrique du Sud. On lui doit des recueils de
folk-lore, des traités et des recueils do documents historiques. C^est un véritable monu-
ment qu'il a (Mevé ainsi à son pays, et dont la moindre partie n'est pas cette Histoire,
qui en est à sa Iroisièrae édition. L'auteur y a ajouté toute une partie ethnographique :
chap. I Büschimans ; chap. Il, Hottentots; chap IlI-VII. Bantous méridionaux ; chap. VIII
les Arabes et les Persans dans l'Afrique Sud-orientale. A partir du chap. IX, il n'est
plus question que des expéditions portugaises et de leurs luttes avec.les Bantous ; on y
trouvera nombre de renseignements intéressants parce qu'anciens et dii-ectement
tii'és des documents portugais par l'auteur. Les chapitres ethnographiques ne donnent,
comme de juste, que des tableaux sommaires, quelques-uns d'après des recherches per-
sonnelles, la plupart d'après Stow, Hahn, etc. Tropde valeur est attribuée aux théories
linguistiques de Bleek et de Dohne. On trouvera pp. 172 173 des renseignements nou-
veaux sur les droits des apparentés de la mère sur ses enfants ; le rôle du frère aîné est
bien mis en lumière; et pp. 121-122 un tableau des tabous matrimoniaux chez les diverses
tribus bantou de la colonie du Cap. M. iMc Call Theal ne se pœnonce pas nettement (cf.
pp. 175-179) sur la question de la date et de Porlgine des grandes i-uines de la Rhodesia
(Zimbabwe, etc.) mais semble pourtant disposé à admettre les conclusions de Randall
Me Iver. Deux autres volumes compléteront cette série. A. v. G.
L. Peringuey. On rock- engraving s and the human figure, the work of South-African
aborigines and their relation to siynilar ones found in Northern Africa. Extr.
(p. 401-412) des Transactions de la Société Philosophique de l'Afrique du Sud, T. XM.
(1906). — Je crois utile de signaler cet article, bien que paru il y a quelque temps déjà,
non seulement parce que les rapprochements proposés par l'auteur entre les pétroglyphes
de l'Afrique du Sud et ceux de l'Afrique du Nord sont intéressants, mais surtout pour
sa valeur documentaire. On y trouvera en effet reproduits sur 5 planches des dessins
sculptés sur i*ochers, notamment de Klerksdorp, Jagdpanfontein, etc. La technique des
incisions, qui ont été faites par ponctions, en creusant à petits points différa parfois de
celle de l'Afrique du Nord, où on a tracé un trait qu'on a creusé ensuite en y repassant
plusieurs fois. En divers endroits on a trouvé in situ les pierres (reproduites par
M. Peringuey) qui ont servi à l'incision, et dont les extrémités sont arrondies par usure.
L'auteur a raison de ne pas admettre la distinction proposée par Stow, Nat. Races
South Afr. p. 12, entre peintres et sculpteurs, des Bushmen, en tant que constituant
deux groupes de tribus distinctes. Enfln M. Peringuey pense qu'une première race a
peuplé TAfrique au stade paléolithique, et qu'ensuite sont venus, au néolithique, les
Bushmen (Afrique du Nord, Egypte, Congo, Afrique du Sud) ; mais on attendra pour se
prononcer la publication annoncée d'un autre travail, plus étendu, sur ce sujet, du
même auteur. A. v. G.
J. F. VAN Cordt. The origin of the Bantu, a preliminary study. Le Cap, Colonial Secre-
tary's Ministerial Division, 1907. 8°, 97 pages. — L'auteur veut tout simplement continuer
et terminer l'œuvro jadis entreprise par Bleek, mais il ferait bien d'empininter à son
1908«] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [p, 3t3«
devancier cette méthode rigoureuse et prudente grâce à laquelle la « Comparative
Orammar » est un monument de premier ordre. M. v. 0. a trop d'imagination et trop
peu de môthode linguistique. Il rapproche à tort et à travers les mots bantous de tous
dialectes, et d'eux, des mots malayo-polynésiens, ouralo-altaïques (qu'il nomme toura-
oiens), indo-germaniques (qu'il nomme aryens) et sémitiques, pour en définitive apparen-
ter linguistiquementet ethnologiquement les Bantous aux Finnois, aux Japonais et aux
Sakai et Semang de Malacca. On ne conçoit pas que le gouvernement du Cap ait pris à
sa charge la publication de cet étrange fatras. J'oubliais d'avertir que M. v. Oordt fait
descendre les Mongols d'une race « turano-hamitique » produite par « l'amalgame des
Sakai et des Semang n. Comme c'est simple ! A. v. G.
Fr. Crambr, Afrika, in seinen Beziehungen zur antiken Kulturwelt^ n" 64 de la Gymna-
sial-Bibliothek, pet. S«», 133 pages, 34 flg., 3 cartes. Gütersloh, Berteismann, 2 mk. 50.
— Ce petit volume, destiné, comme toute la collection, aux élèves des gymnases peut
être cité comme typique des tendances pédagogiques grâce auquelles l'ethnographie
est devenue en Allemagne un sujet d'intérêt général. En effetl'auteur, en déciivant
rapidement les superpositions de civilisations en Afrique, tient compte des décou-
vertes récentes (p. ex. des ruines de la Rhodésie), expose les grandes lignes du
problème de Punt, décrit les ruines i*omaines en Tunisie et en Algérie ; et non
seulement ses sources sont en général bonnes, mais il énumère les titres des
ouvrages consultés, parmi lesquels les travaux français occupent la place qui leur
revient. Les sujets étudiés sont : la marche des Egyptiens vers le Haut-Nil ; les Egyp-
tiens et le pays de Punt ; la question des sources du Nil dans l'antiquité ; la vallée du Nil
80US l'occupation romaine; le Pays de l'Or sud-africain dans l'antiquité; le commerce
de l'Afrique orientale ; les Carthaginois dans l' Afiique Occidentale ; les Romains dans
TAfiîque du Nord. A. v. 6.
I. Vasiuibv, Obozriénie^iazyceskpkhobriadov.sitéviéTjiiviêrovanji Votiakov kazanskqj
i Yiatikoj gubemji {Rites^ superstitions et croyances des Votiak des gouvernements
de Kazan et de Viatka). Ëxtr. (88 pages) des Izviêstja de la Société d'archéologie,
histoire et ethnographie de Kazan, T. XXII et XXIII, 8«, 1896. » Les travaux sur les
Votiak sont fort nombreux déjà, mais dans la plupart la description détaillée des céré-
monies et des croyances i*eligieuses ne tient qu'un rang secondaire. L'un des meilleurs
sur ce sujet spécial était celui de Jean Wassilieff dans les Mémoires de la Société Finno-
Ougrienne, T. XVIII ; le même auteur a continué ses recherches et dans le présent mé-
moire il donne une description de la vie religieuse des Votiak païens vraiment utile.
Les cérémonies sont décrites en détail, la liste des divinités est très étendue, les opinions
sous-jacentes sont rendues dans les termes mêmes des informateurs. On signalera sur-
tout les passages sur l'usto-tuno, catégorie de magiciens qui tient ses pouvoirs des dieux
de son clan; l'ordination présente une série de rites de changement de la personnalité,
réels ou imaginaires (flagellation, initiation, etc.) ; on les conduit de village en village,
chacun de ceux-ci acceptant, par inscription rituelle des tamga sur une planchette, la
responsabilité du sort ultérieur du magicien.Le caractère chamanique (c'est-à-dire : d'une
activité essentiellement psycho-pathologique) est très atténué chez les magiciens
votiak actuels. Une autre catégorie est constituée par les sorciers, qui n'ont pas
de situation ni d'action sociale-reconnue, mais sont en marge ; les premiers guérissent,
prophétisent, participent aux cérémonies, les seconds se changent en bêtes pour faire
du mal. En outre, dans les cérémonies collectives, des individus élus (par la commune
ou le clan) ou héréditaires tiennent fonction de prêtre. La plupart de ces cérémonies ont
un caractère agraire très accentué et sont accomplies dans des sanctuaires spéciaux,
placés d'ordinaire au milieu des bois. A noter p. 68-70 la cérémonie de l'expulsion des
maladies et des démons la veille des Rameaux et la réception de Pâques. L*auteur décrit
aussi en détail les rites de la naissance, du mariage, des funérailles, etc. et donne tu
extenso des incantations et des prières. Une liste de présages classés d'après le calen-
drier termine cette excellente monographie qui vient compléter sur des points impor-
tants celle do Bogaïevski, Etnografitcheskoe Obozriénie^ 1890, fasc. S. A. v. Q.
p. 314.]
R
E • E
S
[1908.
SOMMAIRES DES REVUES.
Journal op thr Royal Anthropological Insti-
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F. W. Knocker, The aborigines of Sungei
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N» 2. Février.
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J. G. Frazer, The australian marriage
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E. Wf'stermark, The killing of the divine
king,
R. \], Mathewp, Social organisation of the
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Reviews : Anthropological essays presen-
ted to E. B. Tylor (W. W. Skeat). —
Gurdon, The Khasis (M. Longworth
Dames). — Friederici, Skalpieren in
Amerika (J. Mooney). — Fülleborn, Das
deutsche Nyassa und Ruvmma Gebiet
Anthropological Notes.
N» 3. Mars.
A. von Hagel, Decorated maces from the
Solomon Islands,
A. Breton, Archœology in Mexico.
A. van Gennep, Questions australiennes, \l,
W. A. Dutt. New palœolithic site in the
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A. C. Haddon, The regulation for obtain
ning a diploma of anthropology in the
university of Cambridge.
W. L. H. Duckworth, Note on Mr. Klint-
berg*s studies upon the folk-lore and
dialects of Gothland.
Reviews : Prazer, Adonis, Attis^ Osiris
(R. R. Mareti). — Turner, Craniology of
the natives of Borneo, the Malays^ the
natives of Formosa and the Tibetans
(A. Keane). — Schlagin bau fen. Cranio-
logie der Semang (Duckworth).
Anthropological notes.
N'» 4, Avril.
W. G. Smith, Eoliths.
J. Gray, A new instrument for determining
the colour of the hair, eyes and shin.
R. W. Reid, Decorated maces from Solo-
mon Island.
C. Patridge, The killing of the divine king.
Reviews : Villeneuve, Verneaa et Boole,
Les grottes de Grimaldi (W. W.). — Ja-
cobson et van Haspelt. Degongfabricatie
te Samarang (K. Shelforu). — Mc Call
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ca, south of the Zambezi (A. Werner). —
A. S. Bradley, Canada in the XXth cen-
tury (T. H. J.).
Anthropological Notes.
Globus. T. XCIII (1908).
N*» 7, 20 Février.
Grabowsky, Der Reisbau bei den Dajaken
Südost-Borneos. — Wagner, Das Gen-
nargentu- Gebiet, — Ata dem Geisterglau-
ben der Wahehe, — Wester mark, Rein-
lichkeit, Unreinlichkeit und Askese.
BOcherschau : Blom und Giese, Wie ersch
Hessen wir unsere Kolonien?— Kohrbsxih,
Süd-u>est Afrika.
Kleine Nachrichten : Die bayerischen
Ausgrabungen in Orchomenos, — Er-
steigung des Kabru in Sihkim. — Nord-
amerikanische Bevölkerungs- und Ras-
senprobleme. — Die Grundlagen der
natio ) » alen Bevölkerungsentwickel ung
der Steiermark,
N» 8, 27 Février.
Moisel, Zur Geschichte von Bali und
Bamum, — Neger, Die Pflanz enverbrei-
tunq in Chile, — Glaunings neue Züge
in Nordwestkamerun,
Bücherschau : Nieuwenhuis, Quer durch
Borneo, II. Teil. — Bronner, Von deut-
scher Site und Art.
Kleine Nachrichten : Salzgewinnung durch
die Eingeborenen in Uniamwesi. —
Erland Frhr. v. Nordenskiölds neue
Forschungsreise nach Südamerika. —
Irrtümliche Vorstellungen über das nor-
dische Mammut. — Der Handel Ben-
ghasis. — Ein weiblicher Mischling der
1908.]
SOMMAIRES DES REVUES.
[P. 31 5.
ausgestorbenen Tasmanier russe. — Son'
dersprachen und ihre Entstehung.
N« 9, 5 Mars.
POoh, Reisen an der Nordhüste von Kaiser
Wii helmstand. I. — Seh u lez, Drei Sagen
aus Ostpolynesien. — Sonne, Mond und
Sterne im Volksglauben der Kaschuben
am Weitsee.
BQcherschau : Dieterich, Aus dem Balkan'
winkeL — Willers, Neue Untersuchungen
über die römische Bronseindustrie von
Capua und Niedergermanien,
Kleine Nachrichten : Die alten HandelsbS'
siehungen des Murbodens mit dem Aus-
lände. — Mitteilungen des Vereins für
kaschubische Volkskunde. — Die Lo^
rentzsche Neuguinea-Expedition. — Was
die Polynesier vom Wetter wissen.
N« 10, 12 Mars.
Pöch, Reisen an der Nordküste von Kaiser
Wilhelmsland. (Forfsetzting). — Beyer,
Der « Drache « der Mexikaner.
BQcherschau : Kirchhof, Länderkunde
von Europa. III. Teil : Russland. —
Breysig, Die Geschichte der Menschheit,
l. Band : Die Amerikaner des Nordwes-'
tens und des Nordens»
Kleine NAchrichten: Prähistorisches Feuer,
— Die « prähistorischen n Funde von
Neuguinea. — Die asiatische Einwände'
rung nach den Vereinigten Staaten. -~
Wissenschaftliche Erforschung des Süd'
seegebietes. — Arbeiten der Züricher
anthropologischen Schule. — Norddeut-
sche Moorleichen funde. — Die Haarfar-
ben und deren Bestimmung. — Die
Wasserleitungen (« Bisses ») im Kanton
Wallis.
N» 11, 19 mars.
Biebor, Da^ staatliche Leben der Kaffitscho,
— Pöch, Reisen an der Nordküste von
Kaiser Wilhelmsland. (Scbluss.) — Meh-
li*. Der <« Hexenhammer n von Dörren-
bach i. d. Pfal^ und Verwandtes. —
Waldeyer, Erklärung^ betreffend die
Selenka-Expedition nach Trinil (Java),
BQcherschau : Villamnr et Delafosse, Les
Coutumes Agni. — François, Notre colo-
nie du Dahomey. — Delafossp, Lesjron-
tières de la Côte d' Ivoire ^ de la Côte d'Or
et du Soudan (H. Singer-.
Kleine Nachrichten : Graf Lesdains Reise
durch Zentralasien und Tibet. — Han-
del in Nordtogo. — Niegers Bericht über
Lapérrines Reise vom Fuat nach Tao-
deni.
N« 12, 26 mars.
Bieter, Das staatliche Leben d'tr Kaffit-
scho. (Schluss.) — Preuss, Ein Besuch
bei den Mexicano { A stehen) in der Sierra
Madre Occidental. — von Koenigswald,
Die landesüblichen Bezeichnungen der
Rassen und Volkstypen in Brasilien.
No 13, 2 Avril.
iCoch-6i Qober^, Jagd und Waffen bei den
Indianern Nordwest-Brasiliens. — Sin-
ger, Das neue deutsche Kolonialpro-
gramm und die Eingeborenenfrage, —
Hartmann, Wädi Fara. — Slawisches.
BQcherschau : Friedet ici, Die Schiffahrt
der Indianer. — Arldt, Die Entwickelung
der Kontinente und ihrer Lebewelt. —
Srrehlow, Die Aranda- und Loritja-
stämme in Zentralaustralien.
Kleine Nachrichten : Die » Mahdin- Auf-
stände in Kamerun. — Einführung von
Nadelhölzern nach Altägypten.
Rbvub DK l'Ecolk d'Anthrûpologir, T. XVin
(1908).
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C. E. D. Black, Count de Lesdain's travels
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N» 4, Avril.
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and Asia, 1608-1667, ed. by Sir K. C.
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O. V. Buchwald, Vohabular der Colorados
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Tb. Koch-GrOnberg et G. Habner, Die Ma-
kuschi und Wapischana.
. E. Brückner, Ausgrabungen in Usadel.
W. Herrmann, Die ethnographische Er^
gebnisse der Deutschen Pilcomayo-Expe'
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F. V. Luschan, Neue Erwerbungen ausKa"
merun.
Fr. Mayntzhusen, Ausgrabungen am Alto
Parana.
R. Neuhausf, Neuordnnng der Photogra-
phiensammlung der B, Gesellschqft,
0. Olshausen, Die Leichenverbrennung in
Japan.
0. Schlaginh&ufen, Orientirungsreise nach
Kieta auf Bougainville.
G. Schweinfurth, Brief aus Biskra.
R. Thurnwald, Nachrichten aus Nissau
und V071 den Karolinen.
H. Virchow, Kopf eines Guajaki- Mädchens.
Besprechungen : Voiz, Da^ geologische Al-
ter der Pithecanthropus-Schichten bei
Trinil, Java (Klaatsch). — Fr. Sarasin,
Versuch einer Anthropologie der Insel
Celebes II (id.).
Fasc. II.
H. Basedow, Vergleichende Vokabularien
der Aluridja- und Arundta- Dialekte
Zentral- Australiens.
E. Brandenbuff[.l7et«r Grabêteinmuster in
Anatoiien.
Eichhorn. Depotfund im Münehemrodaer
Grund bei Jena.
E. Hol lack. Die Grabformen der oetpremt^
sischen Gräberfelder.
R. H. Mathews, Some mytholcoy of the
Gundungurra Tribe, N. S. Wales.
M. Mosskowski, üeber swei nichtma-
layische Stämme ton Ost-Sumatra,
W. Belck et A. Bertholet, Die Erfinder der
Eisentechnik.
0. MOnsttf'rbprg, Einfluss Westasiens auf
osttisiatische Kunst in torchristlicher
Zeit.
Besprechungen : K. Breysig, Die Geschickte
der Menschheit^ T. I ; Die Völker ewiger
Urzeit (Ehrenreich;. — D. Itchikawa, IHe
Kultur Japans (Baelz). — 0. Mtlnster-
berg, Japanische Kunstgeschichte^ T. m
(Nachod). — Pechuel-Loësche, Volks-
kunde van Loango (Staudinger). —
Rathgen, Staat und Kultur der Japaner
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S. Ottolenghi. Osservazioniantropologiche
forensi negli scavi fatti sotto la coUmna
Trajanna.
S. Frassetto. Crani Felsinei del Ve IVsecolo
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Bibliografia : Thurston, Ethnographie
Notes in Southern India (S. Sergi). —
Koc h - Gl a n berp. Südamerikanische Fels-
Zeichnungen (K. Pi(taluga).
Riviste.
ZSNTRALBLAtT PQR AnTHRO POLOGIB. T. XHI
(1908).
Fasc. af.
Comptes-rendus critiques de :
Fr. Galton, Probability, the foundation of
Eugenics (P. Bartels). — R. Sommer,
Familien forschung und Vererbungslehre
(D«" Warda). — W. Johannsen, üeber
Dolichokephalie und Brachykephalie ;
zur Kritik der Indexangaben (P. Bar-
tels). — > G. Kropatschek, De amuletorum
apud antiquos usu capita duo (0. von
Hovorka). — H. Grothe, Zur Landes^
künde von Rumänien (A. Byhau). —
F. Nopcsa, Das katholische Nordalbanien
(id.). — Fr. S. Krauss, Das Geschlechts-
leben der Japaner (Näcke). — N. W.
Thomas, Kinship and marriage in Aus-
tralia (Fr. Grsebner). — F. von Luschan,
Sammlung Bcessler (Th. Mollison). —
Pa rk i nson , Dreissig Jahre in der Südsee
(Fr. Grœbner). — Friederici, Schiffahrt
der Indianer (Fr. Krause).
1908.]
SOMMAIRES DES REVUES.
[P. 317.
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KUNDE VAN NEDERLANDSCO-lNOlft. T. LX
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de verovering van Banda en Ambon in
iT96 en omirent den toestand dier eilan*
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Halmahèrasche » iaalgroep,
H. H. Juynboll, Biidrage tot de hennis der
vereerinff van wi^u op Java.
J. J. Kreemer, Bijdrage tot devolksgenees-
hunde bij de Maleiers der Padângsche
Benedenlanden,
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omirent hun oorsprong,
Pb. S. van RonkeL Beschrijving der Ma-
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T. LXI (1908), liv. 1-2.
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R. Torii, On the Negrito question.
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C. Otabara, Bear festival in Saghalien.
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N« 27, Avril.
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Bibliographie : J. Mensah Sabah, Fanti na-
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Frontières de la Côte d'or, etc. — Hen-
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En Arabe. T. XI, 1908.
N** 1, Janvier.
A. Poidebard, Une noce tcherhesse.
Anastase, La langue arabe dans sa période
de formation.
Bibliographie.
Varia.
N« 2, Février.
A. M. Raad, Debra Libanos, ancient cou-
vent d'Abyssinie.
Anastase, Jm lanaue arabe dans sa période
de formation (fin).
Bibliographie.
Varia.
Analbcta Bollanoiana publié par la Société
des Bollandistes, 775, Boulevard Militaire,
Bruxelles. Ab. 15 fr. T. XXVn, (1908),
Pasc. 1.
A. Poncelet, La vie et les œuvres de Thierry
de Fleury.
Ed. Kur'z, Einige kritische Bemerkungen
zur Vita des al. Demetrianes.
Hipp. Delebaye, Le pèlerinage de Laurent
de Pdszthô au Purgatoire de St Patrice.
F. Savio, Sur un épisode peu connu de la
vie de S, Bassien de Lodi.
Bulletin des publications hagiographiques
(H. Moretus, Paulus Peeters, A. Ponce-
let. H. Delehaye, Fr. van Onroy, E. Ho-
cedez).
Supplement : Alb. Poncelet, Catalogue
codicum hagiographicorum bibliotheca-
rum romanarum prœter quam Vatieanœ
(suite).
Revue des Traditions Populaires. T. XXm
fl908).
Fasc. 1.
Yves Sébillot, Contes et légendes de Basse-
Bretagne.
A. Harou, Folk-lore du Limbourg hollan-
dais.
A. Dido, Contes estoniens.
E. Bern us, Pèlerins et pèlerinages.
P. Sébillot, M«« L. Texier, H. de Kerbeu-
zec et E. Hamonic, C/ian^on5 de la Haute-
Bretagne.
A. Millien, Le Père Roquelaure, conte du
Nivernais.
P. Sébillot, Légendes contemporaines.
L. Quesneville, Petites légendes locales.
L. de V. H. et Fra Deuni, Traditions et
superstitions de la Haute-Bretagne.
Ed. Edmont, Afunennes coutumes du pays
d'Artois.
H. de Kerbeuzec, Traditions et supersti-
tions de Basse-Bretagne.
p. 318.]
R
E
E
[1908.
D«" Poromerol, Devinettes de T Auvergne.
H. de Kerbfuzec. Les traditions populaires
et les écrivains français.
E. MénanI, Les Entrées frauduleuses en
paradis.
A. Hhiou, Légendes et superstitions préhis-
toriques,
BiMio^raphie : A. Ermolov, La sagesse
agricole populaire (A. van Gennep). —
H. Le Girguet, Enlèvement d*une jeune
fille par les Hollandais, (P. S.)-
Nutes et Enquêtes.
Fasc. 2-3.
S. Roudeiiko, Légendes et contes Bachhirs.
A. <)e Cuck, Les statues qu'on ne peut
déplacer, Belgique flamande,
R. Basset, Contes et légendes arabes.
L. Pineau» Les plus jolies chansons des
pays Scandinaves.
P. Sébillot. Fra Deuni et E. Mônard, Colites
et légendes de la Haute- Bretagne.
A. Harou, Le folk-lore du Grand-duché
de Luxembourg (suite).
E. Ëdmont, Petites Légendes chrétiennes,
E. Ménard, La mer et les eaux,
A. de Cück, Le folk-lore en sommeil.
H. de Kerbeuzec, Le peuple et Vhistoire,
A. Harou, Folk-lore du Limbourg hollan-
dais.
M«"« Des! riche, Robin, chanson du Maine.
E. Guenin, Légende et superstition préhis-
toriques. CXVL. Questionnaire sur les
menhirs.
Bibliographie : Karl Knortz, Was ist die
Volkskunde {René Basset). — - E. Siecke,
Mythen, Märchen in ihren Beziehungen
zur Gegenwart (id.). — L. Dubreuil-
Chambardel, Figures médicales touran-
gelles (Jacques Rouge). — Martin, Folk-
Lore de saint Rémy (P. S.). — 0. Colson,
Table générale des publications de la
Société liégeoise de littérature wallonne^
(P. S.). — Jean de la Chesnaye, Au pays
des Chouans, — Formule ttes enfantines
(P. S.)
Notes et Enquêtes.
Réponses.
The Journal of Amkrican Folr-Lore. T. XX
(1907).
N« LXXIX, Oct.-Déc. 1907.
H. Parkor, Folk- Lore of the North Caro-
lina Mountaineers,
G. L. Kittredge, Ballads and Rhymes from
Kentucky.
G. T. Flom, The lay of Thrym, or the
fetching of Thor' s hammer.
J. R. S wan ton, Mythology of the Indians
of Louisiana and the Texas Coast,
F. A. Golder. Tlingit myths. — A Kadiak
island story ; the white-faced bear,
Fletcher Gardner, Tagalog folk-tales^ II.
Millington et Max field, Visayan folk-tales,
H. M. Beiden, Old-country ballads tn Mis-
souri,
Zeitschrift dks Vekkins für Vol&srlnok, Dir.
Joh. Bolte, éd. Behrend et C>«, Berlin. Ab.
12 marks. T. XVIII (1908) fasc. 1.
R. Loewe, Rübezahl im heutigen Volks-
glauben.
G. Schläger, Nachlese zu den Simmlungen
deutscher Kinderlieder.
J. Bolte, Der Schwank von dtr faulen
Frau und der Katze,
B. Cbalatianz, Die iranische Heldensage
bei den Armeniern^ compléments.
J. Hertel, Der kluge Vezier, ein kaschmi-
rischer Volksroman ^ (traduit par).
Kleine Mitteilungen (J. Bolte, E. K. BlQm-
mel, R. F. Kaindl, W. Zuidema).
Bibliographie : Neue Forschungen über....
den Hausbau (0. Lauffer). — S. R. Stein-
metz, De Studie der volkenkunde (B.
Kahle). — R. F. Kaindl, Geschichte der
Deutschen in den Karpathenl ändern^ I-
II (B. Kahle). — Th. Abeling, Das Niebe-
lungenlied und seine Literatur (H. Mi-
chel). — 0. Wiener, Das deutsche Hand-
werkerlied (id.). — P. Sébillot, Le folk-
lore de France, T. IV (J. Bolte). — E'
Diederichs, Deutsches Leben des Vergan-
genheit (id.). — L. Sa h 1er, Montbéliard
à table {^. Hahn). — N. G. Politis, Gamè-
lia Symbola (E. Samter).
Notices bibliographiques.
Hessische Bi.äTTER für Volkskunde. T. VI
(1907) fasc. 3.
A. Becker, P falser bruhlings feiern.
K. Helm, Fasinachts- und Sommertags-
verschen aus Hessen.
Btlcheischau : 0. Böckel. Psychologie der
Volksdichtung (W. Wandt). — Volks-
kunde in Breisgau (A. Becker). — 0-
Meisinger, Volkskunde von Rnppenau
(id.). — J. K. Büncker, Schwanke, Sagen
und Märchen fn heanziscker Mundart
R. Petsch). — R. Fischer, Oststeirisches
Bauernleben, 2« éd. (id.).
Questionnaire sur la météorologie populaire.
Supplément (366 pages) au T. V : Volks-
kundliche Zeitschrißensckau für i9(ßy
publié sous la direction de L. Dietrich :
excellent répertoire du contenu de tous
les périodiques relatifs au folk-lore et
à l'ethnographie.
1908.]
SOMMAIRES DBS REVUES.
[P. 319.
Rktub Internationale des Etudes Basques,
T. II, n« 1.
H. Schuchardf, La Déclinadôn Ibérica
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T. de Aranzadi, Problemas de Etnografia
de los Vctscos (Post-Scriptum).
J. d'Etcheberri, Lawurdiri gomendioxco
carta^ edo gtUhuna.
G. Adéma, I. Eshual-herrsko eliza-bestah.
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Pierre Lhande, Vémigration basque (suite)
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Congrès Basque de 1907.
Mémoires de la Société de Linguistique de
Paris. Ed. H. Champion, T. XV, (1908).
Fasc. I.
A. Cuny, Essai sur Vév6l%Uion du conson"
nantisme sémitique,
A. Meillet. Notes sur quelques formes ver-
baies slaves,
W. Marçais, Le dialecte arabe des Ulad
Brdhim de Saïda (suite).
L'Homme préhistorique, T. VI (1908).
N« 3, Mars.
E. Hue, La Pierre auœ couteaux.
0. Courty, Haches néolithiques calcinées,
Denise, Grottes ou dolmens à VIsle-Adam.
P. Berthiaux, Préhistorique de Montereau-
Fault (Yonne),
A. Chainet, Station de Cordie {Char, Inf,)
. Fouilles et découvertes.
Nouvelles.
Musées départementaux.
N» 4, Avril.
Th. Baudon, Bisques en craie.
A. de Mortillet, Cachette de Boutiguy,
G. Hautin, Stations préhistoriques de Ma-
rolles s. Seine (S. et M.).
Roseville des Grottes, Sépultures caraïbes.
Fouilles et découvertes.
Nouvelles.
Bibliographie : Bull, de la Soc, arch,
champenoise, T. II, n<> 1.
Musées départementaux.
Amrrioan ANTHROPOLoeiST. Organe de TAmeri-
can Anthropological Association, de T Anthro-
pological Society de Washington et de l'Ame-
rican Ethnological Society de New- York.
Dir. F. W. Hodge, 1333 F. Street, Washing-
ton, D. C. ; ab. 4 dollars, 8<». New Series,
T. X, (1908). No 1.
D. I. Bushneil. Jr., Ethnographical Mate-
rial firom North America in Swiss CoHee-
lions.
T. A. Joyce, The southern limit of inlaid
and incrusted u)ork in ancient America,
J. R. S wanton. The language of the Taënsa,
H. Montgomery, Prehistoric man in Moni-
toba and Saskatchewan,
M. Herzog, The brain-weight of the Fili-
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VEcole d* Anthropologie (A. F. Chamber-
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lytiques d'articles de revues) (A. F. Cham-
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Anthropologie miscellanes.
Archiv für Rassen- und Grseluschafts-Biolo-
GiE. Publié par la Société. Munich, 23, Kle-
menstrasse, 2. Dir. A. Ploetz. Edition B.
(biologie humaine et sociologie), ab. 12 Marks.
6 fasc. par an.
R. Pöch, Rassenhygienische und ärstUche
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Chr. von Ehrenfels, Erwiderung aufD^A.
Ploetz' Bemerkungen zu meiner Abhand-
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0. Belocb» Ricerche êulla storia delîapopo-
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R. Bru ci, Eguaglianza di diritto e dise-
guaglianze di fatto.
F. Coietti, Alcuni caratteri antropometrici
del Sardi e la questione delta dégénéra-
»ionedeVa razza..
Analyses : A. Lizier, Leconomia rurale
neW età prenormanna nell Italia meri^
dionale et P. S. Leicht, Studi suUa pro-
prietà fondiaria nel medio evo^ II (G.
Luziatto). — A. Graziani, Instituzioni di
economia politica, 2« éd. (F. Flora) —
G. Deganello, Le persone giuridiche di
diritto pubbltco (A. Pagano).
Rassegna délie pubblicazioni.
T'ouKG Pag. Archives concernant Vhistoire^ les
langues^ la géographie et V ethnographie de
V Asie orientale, 8^, 6 fasc. par an. Dir. : H.
Cordier et Ed. Cbavannes. éd. B. J. Brill,
Leyde; ab. 2.5 fr. Série II, vol. IX. (1908)
fasc. 1.
B. Laufer. Die Bru-za Sprache und die
historische Stellung des Padmasambhava.
H. Gordier, Le consulat de France à Canton
au Xy III* siècle.
Correspondance : Mission d'OUone.
Bulletin critique : Dahlgren, Voyages fran-
çais à destination de la Mer du Sud avant
Bougainville (H. Cordier). — J. W. Fos-
ter, American diplomacy in the Orient
(id.). — H. H. Robbinx, Ourjirst ambas^
sadorto China (id.). — 0. Pranke. Chi-
nesische Tempelinschrift aus Idihutiari
bei Turfan (Ed. Chayannes). — F. W.
K. Müller, Neutestamentliche Bruch-
stücke in soghdischer Sprache (id.).
Livres nouveaux.
Périodiques.
Chronique.
CHRONIQUE.
Congrès : InterDational de Géographie, à Genève, du 27 juillet au 6 août.
— Préhistorique de France, à Cbambéry, du 24 au 30 août.
— International des Américanistes, à Vienne (Autriche), du 9 au 14 sept«
— International d^Histoire des Religions, à Oxford, du 15 au 18 septembre.
— Jubilaire de la Folk-Lore Society, à Londres, du 21 au 23 septembre.
— des Naturalistes et Médecins Allemands, à Cologne, du 20 au 27 sept.«
Le Gérant : Paul (îeuthneb.
PAUL GEIITHNEB. BUE lAZARINE, 68. PARIS (6«)
VAIjLA (Robert). La 16gende da Christ, 36 pp. in-S, 1908 , 1 fr. 00
Opuscule plus que moderoiRtei qui a pour auteur un Jeune asiyriologue trte en Tue,
mais qui Fe cacbe sous le pseudonyme de Robert Valla.
ICAGLiER (F.). Mosaïque orientale. I. Epigraphica — 2. Historica. 1 pi. et
8 fig., 90 pp., gr. m-8, Paris, üeuthner, 1907 . . . 6 fr. 00
Contient : I. Epigraphica : Uoe inscription punique au Musée archéologique de Genome
— L'inscription syriaque de Sainte- Anne de Jérusalem — L'inscription arabe du brancard
de Sahwet el-Khidr — Note sur l'inscription arménienne de la cathédrale de Bourges —
Note sur quelques écussons relevés A Munster dans le Haut- Valais.
II Historira : Notice syriaque d'un Ms. arménien — Documents relatif à l'imprimerie
arménienne établie À Marseille sous le régne de Louis XIV — Requête de Ovanès Oglou
Kivorlr, et Carabet frères (IT78). — Index.
L*un des article^^ des plus intéressants sont les Documents {inédits) sur Timprimerie
arménienne en France au XVII* siècle publiés d'après un Ms. de la Bibliothèque nationale.
VIROLLEAUD (Gh.). L* Astrologie Glialdéenne t Le livre intitulé
« enuma (Anu) ilu Bel », publié, transcrit et traduit, infoL^ 1905-1907.
Ont paru : Fasc. 2 : Texte cunéiforme : Shamash (le Soleil), 52 pi. 1907, 7 fr. 50
— Pasc. 4 : Texte cunéiforme : Adad (l'atmosphère), 1907, 6 fr.
— Fasc. 6 : Transcription : Shamash (le Soleil), 1905, 5 fr.
DITSSAIJD (R.). li'tle de Chypre, partiouUèrement aux Ages du
cuivre et du brpnze, 42 fig., 63 pp. tn-8 (T.) 1907 3 fr. 00
Ce travail constitue un manuel des antiquités chypriotes antérieures à l'époque grecque
classique.
FERRAND (0.). Madagascar, 1 1 Essai de phonêtiqne comparée da
malais et des dialectes malgaches, environ 320 pp, m-8, Paris,
Oeuthner, 1908, à l'impression net 12 fr. 50
L*auteur, qui depuis longtemps s'occupe de l'étude de l'histoire et des littératures des
peuples musulmans s'est récemment attaché spécialement au domaine des langues malaises.
Pendant son séjour à Madagascar il a pu recueillir un certain nombre de Mss. malayo-
mâlgaches dont Tétude forme la base du présent travail. Sauf quelques extraits ces Mss.
sont encore inédits.
L'enquête de philologie comparée qu'a faite Fauteur lui a fourni des résultats tout ä fait
inattt>ndus. La comparaison des langues mala yo- malgaches avec le sanskrit lui a révélé
V existence d'xm élément sanscrit dans tous les dialectes malgaches sans exception aucune.
De ce fait, la date de la migration malaise sort du vague des conjectures : les Malais
immigrés étant hindouisés, n'ont pu quitter l'Indonésie qu'après le commencement de notre
ère. On trouve ainsi par des etymologies certaines, des indications relativement précises
sur leur type culturel et linguistique. Cette question sera plus amplement traitée dans
Madagascar tome II, qui sera spécialement consacré aux migrations successives des Malais^
Arabes, Persans et à la pseudo-migration juive.
Dans cet essai de phonétique comparée figurent des formes empruntées à 33 dialectes
(29 dialectes modernes. 1 vocabulaire Antambahwaka ancien, 1 vocabulaire Anakara, les
dictionnaires de Flacourt (dialecte sud-oriental) et Hontroan [Betsimisaraka ancien] et aux
Mss. de la Bib. Nat.|. La comparaison du malais et de ces différents dialectes a permis
d'établir les bases d'une phor>étique malgache. Dans la plupart des cas, les courbes,
notamment celles des diphtongues aboutissant à la monopMonaue présentent autant
■ d'intérêt pour la phonétique malayo^malgache que pour la phon&'que générale. Comme
l'un des nombreux résultats obtenus de ces études phonétiques signalons particulièrement
la loi nouvelle de formation des verbes transitifs et intransitifs.
FAITIiOVITCH (J.). Proverbes abyssins, traduits, expliqués et
annotés, 86 pp. in-8, Paris, Geuthner, 1907 . 5 fr. 00
Ce travail donne un recueil de 120 proverbes en amharique, la langue moderne de
l'Abyssinie. Le texte est accompagné d'une transcription en caractères latins pour en faci-
liter la lecture & ceux qui ne sont pas familiers avec l'alphabet éthiopien.
GIRON (Noël). Légendes coptes. Fragments inédits, publiés, tra-
duits. annotés, par N. G., avec une lettre à Tauteur par £. Revillout.
Vlll, 81 pp. gr. m-8, 1907 5 fr. 00
/; Entretien d*Eve et du serpent — II: Le sacrifice d* Abraham — III : Histoire de
Marina — IV : Histoire des filles de Zenon — F ; Histoire de la fille de Vempereur
Basilisque,
L'introduction est un essai sur l'origine des légendes coptes.
AFEVORK (O.), Guide du voyageur en Abyssinie, 270 pp. m-8, 1908
12fr. 50
Manuel pratique de la langue amharique, utile ä ceux qui se rendent dans le pays. Il
contient des dialogues. locutiouF, une riche nomenclature en amharique, avec transcrip-
tion et traduction françaises.
REVUE DES IDÉES
ÉTUDES DE CRITIQUE OÉNÉBALE
Paraissant le 15 de chaque mots
DIRECTEUR : EDOUARD DUJARDIN. rédacteur i^ cuef : REMY DE GOUR&fONT
La programme de la Bévue des Idées embrasse toutes les branches de la con-
naissance scientifique : philosophie, psychologie, mèathématiques, physique, biologie,
ethnographie, histoire, sciences religieuses, sciences militaires, sociologie, linguis-
tique, histoire littéraire et scientifique. Son but est de tenir le public au courant
des travaux les plus intéressants, sous une forme accessible à tous les esprits cnlti-
Tés et non pas seulement aux spécialistes de chaque domaine. Instrument de culture
générale, la Bévue des Idées publie des articles sur la situation présente des grands
problèmes, des recherches monographiques originales, des exposés critiques des
diverses méthodes en matière d'investigation scientifique, des mises au point de
questions complexes, etc.
Indépendante de tout système et de tout parti-pris d'école, comptant comme
collaborateurs les savants les plus réputés, la Bévue des Idées est le plus sûr
représentant des tendances actuelles et des progrès de la science.
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Revue des Traditions popnlalres
Directeur : Paul Sébillot
La Revue, organe de la Société des Tradi-
tions Populaires, est un recueil mensuel de
mythologie, littératures orales, ethnographie
tradition nelle, art populaire, etc.
Elle publie des articles de fond, de« collec-
tanea de notes et de documents, des Questions
et des réponses sur des sujets d'ordre folk-
lorique, des descriptions d objets, avec illu-
strations, des airs populaires avec musique
notée, des analysée et des comptes-rendus
critiques.
Chaque livraison mensuelle in-S^' a de 48 à
64 pages. Pour recevoir un numéro specimen,
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Bévue d'histoire des doctrines
économiques et sociales
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La Revue publie les articles relatifs à
Vhistoire de tout ce qui est science écono-
mique, théorie de politique économique»
doctrine d'art économico-social, et môme
ceux, pourvu qu'ils aient un caractère net-
tement historique, décrivant ou exposant,
en tant qu'elles révèlent ou commandent
une certaine opinion économique, des insti-
tutions économiques, politiques ou juridi-
ques, ou des théories de morale i*eligieuse
ou de morale indépendante.
Trimestribllb
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BABYLO.\IACA
ÉTUDES DE PHILOLOGIE ASSYRO-BABYLONIENNE
PUBLIÉES AVEC LE GONCOX7B8 DE
MUUKHHIilAll STRGCK ET STEPHEÜ I^AÜfiDOlV
PAR
CH. VIROL.LEAUD
Recueil consacré exclusivement à Texamen des questions soulevées par le
déchiffrement des Cunéiformes. U y sera &it une place importante aux Etudes
concernant rhistoire, les arts, les croyances et les institutions des BabylonienSi en
d'autres termes à tout ce qui contribue à définir le rôle de Babylone dûs Thistoire
de la civilisation.
Abonnement : 18 francs, France et Etranger.
BEVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LÀ DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
Mo* «-7 f SOMMAIRE
Pag<ee
F. Oaud : Organisation politique des Man^ja (Congo) ... 321
A. VAN Gennep : Linguistique et sociologie, n. Essai d'une
théorie des langues spéciales 327
A.-J. Rbinach : La lutte de Jahvô avec Jacob et avec Moïse et
l'origine de la circoncision 338
Analyses : A. Loist, Les Evangiles synoptiques (V. Ermoni) ;
G.-A. Reisnbr, The Early dynastic cemeteries of
Naga-ed'Dêr (A.-J. Rbinach) 363
Notices bibliographiques par : G. Cœdâs, A. v. G., M. Dbla-
F088E, A.-J. RrINACH» TH. SmOLBNSKI '.374
Sommaires des Revues 383
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RUB MAZARINB, 68
Juin-Juillet 1908
EXTRAIT DU PROGRAMME
de la Revue des Etudes Ethnographiques et Bodologiques
Intemationalei Mensuelle
Par sociologie, nous entendoDS Tétude de la Tie en société des hommes de tous
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de lenr ciTilisaticm matérielle. Le champ de la Revue est donc vaste. Uon y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé« la science
des religions, l'histoire de l'art, etc., et l'on y fera appel aux branches spéciales
comme Tégyptologie, Tassyriologie, Torientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, ou étude anatomique des variétés humaines, ne rentrera dans notre cadre que
dans la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déterminées et leurs civilisations ; il en sera de même pour la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer révolution des institutions et des
idées. Il se dessine d'ailleurs, ces temps derniers, une direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques
compte collaborer effectivement.
La langue de la Revue sera de préférence le français ; mais l'anglais, Talle-
mand et Titalien y seront également admis.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres,
Clamart, près Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur, 68, Rue Mazarine, Paris fVP), au
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques.
Abonnement : France : 20 fr. — Etranger : 22 fr. —Années écoulées 30 fr.
N« 1 rianvior 1908 : J. G. Frazer : St George and the Parilia. — Maurice Delafosse : Le
peuple Siéna ou Sénoufo. — Charles Boreux : Les poteries décoi'ées de l'Egypte prédy-
nastique. — Analyses : J. B. Pratt, The mychology of religious belief (Goblet d'Al-
viELLA) ; Koch-Grünberg, Südamerikanische Felszeichnungen (A. van Gennep) ; G.
Jacob, Geschichte des Schattentheaters (id.). — Notices bibliographiques. — Sommaii^es
des Revues. — Chronique.
No 2 : Février 1906 : Andrew Lano : Exogamy. — Maurice Delafosse : Le peuple Siéna ou
Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fandruana.
— Analyses : R. von Lichtenberq, Beiträge zur ältesten Geschichte von Kypros (A. J.
REiNAcn) ; R. Düssaud, Vile de Chypre particulièrement aux âges du cuivre et du
bronze (id.); E. Pechuël-Loesche, Volkskunde von Loango (A. v. G.) ; Fr. S. Krauss,
Dcw Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; G. Friedkrici, Lie Schiffahrt der Indianer (id.).
— Notices bibliographiques (C Mondon-Vidailhet, A. J. Reinach, A. v. G.). — Sonunai-
les des Revues.
Mo 8 : Mart 1908 : A. van Gennep : Une nouvelle écriture nêgi*e ; sa portée théorique. —
Gaudefrot-Demombynes : Rites, métiers, noms d'agent et noms de métier en arabe. —
A. Werner : Some notes on the Bushman race. — Maurice Delafosse : Le peuple Siéna
ou Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fan-
druana (suite) — Analyses : Huntington, The Puise of Asia (A. v. o.) ; Fynn, The
American Indian as a product of environment (id.) ; FAÎTLOvrrcH, Proverbes abyssins
(R. Basset) ; Galtier, Coptica-arabica, I (id.) ; Burrows. The Discoveries in Crete et
Mosso, Escursioni nel Mediterraneo (A. .1. Reinach). — Notices bibliographiques
(M. Delafosse, G. Ferrand, A. v. G, Ch. Monteil). — Sonunaires des Revues. —
Chronique.
S«» 4-5 : Avril-Mai : W.-E. Roth : Cratch-Ci-adle in British Guiana, avec 24 figures. — A. Bel :
Ld, population musulmane de Tlemcen, avec planches.— G. Ferrand : Le calendrier Mal-
gacne et le F«ndruana(fln). — M. Delafosse : Le peuple Siéna ou Sénoufo (suite). —
Communications : A. van Gennep, Vers V Encyclopœdia ethnographica, — Ferrand, Le
destin des quatre éléments dans la maoie malgache. — Demohbynes, Linguistique et
Sociologie. — Analyses : Hirzel, Themis, Dike und Verwandtes (P. Hüvblin;.— Watson,
Philosophical basis of religion (G. d' Alviella). — Petrazycki, Motive des Handelns
(P. HuvELiN). — Hildebrandt, Recht und Sitte (A. v G.). — Boas, Anthropology (id.). —
FiNCK, Spracfie der armenischen Zigeuner (A. Mbillbt). — Giron, Légendes coptes
(R. Basset). — Lagrange, La Crète ancienne (A. J. Rbinach). — Notices bibliogra-
phiques (K. Basset, H. Beuchat, M. Delafosse. A. v. G.. P. Huvelin, A. Meillbt« A. J.
KEiNACH, Th. Smolenski) — Sommaires des Revues. — Chronique.
REES, 1908
Planche XIV
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Types Mandja et Banda (Con^o)
i^W
OF
1908«] GAUD : ORGANISATION POLITIQUE DES MANDJA. [P. 321#
ORGANISATION POLITIQUE DES MANDJA (Congo)
par Fernand Gaud (Paris).
A la base même de la société Maudja on trouve le groupe familial formé du
père, des mères et des enfants issus de Tun et des autres.
Ija réunion des divers groupes familiaux issus d'une souche commune forme
le clan mandja. — Lorsque» celui-ci est nombreux, il se fragmente en plusieurs
villages séparés.
Chacun de ceux-ci est connu sous le nom de son chef, qui est comme un délé-
gué du chef de clan.
Il n'existe aucun groupement caractérisé au-dessus du clan, mais simplement
des désignations, basées sur des différences de langage ou sur la situation géogra-
phique ; les clans à Touest de la rivière Nana, affluent du Gribingui, sont appelés
ui-ngo (gens de Touest) par ceux de Dekoy et ceux-ci sont désignés sous le nom
de ui'dau (gens de l'Est) par les premiers ; les clans du Kaga Kazamba sont
connus sous le nom de zoukoro, parce que parlant un dialecte un peu different.
Enfin les Mandja du bassin du Gribingui se désignent sous le nom de Mandja
Baya, tandis que celui de Mandja M'Bakka est réservé aux gens du bassin de la
Oua.
Le clan seul présentant une réelle unité sociale et politique, c'est lui seul
que nous étudierons ici avec détail.
Noms des clans, — L'énumération des noms des clans mandja du Haut Chari
permettra aux voyageurs de trouver des identifications ou des parentés avec
d'autres clans indigènes dans d'autres régions de l'Afrique centrale.
Mais ces noms en eux-mêmes ne nous disent rien sur ceux qui les portent ;
c'est i)ourquoi nous avons cherché à savoir comment et pourquoi ces noms avaient
été donnés et par qui. Nous n'y avons réussi qu'à moitié : en interrogeant de
nombreux indigènes appartenant aux divers clans, il nous fut possible d'apprendre
quelle signification la tradition donnait à ces noms qui ne trouvent pas place
dans le vocabulaire courant.
Nous livrons telles quelles les versions qui nous ont été données, nous réser-
vant de rechercher ultérieurement les corrélations qui peuvent exister au point
de vue linguistique et ethnographique.
Il faut noter que le préfixe bou implique la même idée de collectivité que le
Ä'^r breton ; tous ceux qui..., chez ceux qui..
Boudoua Ceux qui ont des cabris
« déago — élèvent la panthère
" mandja — font de la farine
" démané — sont mêlés trois villages en un seul
« bagouté — vont chercher beaucoup de bois
« « — sont batailleurs (2® sens)
" goumi — font beaucoup de mil
« tt — mangent les boys dans la marmitt» (2® sens)
« zoubali — habitaient à côté de l'Oubangui (Bali)
p. 822.]
Ë
Ë
S
[1908«
Boukouin
« doboë
« ssingiii
« bar
« kaimba
« nrbiri
u u
« kenguétoyo
« bakka
« kouddou
« kengué
tt u
« in'boë
u u
« bandjia
« bénio
« frani
»* tarfo
" ssoukouta
^ n'galo
« gouété
« soussou
« goro
« bada
«« tangaro
« koiiedou
u goyo
tt u
« fourou
« boada
« zérou
« tuessou
" panoë
« kadda
« bimbi
« gouau
« doui
« gania
« bakoyo
« ssriki
« doua
« baguiro
Ceux qui pleurent toujours
— se mettent toujours en colère
— font des plantations de sésame
— sont mal circoncis (2* sens)
— creusent les tombes avec des pieux (3* sens)
— faits prisonniers, puis relaxés, sont morts
— habitent à côté de l'eau en rentrant (ba, côté —
ï, eau)
— font la graisse
— sont gourmands (2* sens)
— mangent du chien
— disent des plaisanteries
— voient dans la brousse épaisse
— déplacent volontiers leurs villages
— mangent en commun (2* sens)
— se mouchent en bouchant une narine avec le doigt
— promènent dans la brousse
— ont peur des revenants
— refusent les cadeaux
— vont ch(Tcher l'igname sauvage
— mangent beaucoup de mil
— fout leurs cases dans les endroits rocailleux
— mangent le foie des hommes tués
— après une rixe avec un voisin, s'exilent et revien-
nent longtemps après
— font des plantations de courge
— font beaucoup de miel
— font de grandes nattes pour les greniers sans
avoir du mil à y mettre
— après avoir lancé ime flèche qui a manqué le but^
coupent la corde de leur arc
— sont habiles à jeter la sagaie
— n'ont pas les incisives limées
— dansent toujours (2* sens)
— habitent des places de sable
— ont de grands gi^niers à mil
— cherchent du poisson
— sagaient
— bavardent toujours
— couchent sous des verandahs
— tuent leurs enfants
— sentent mauvais
— mangent les serpents
— en fuyant regardent demère et tombent dans un
trou
— tuent le poisson
— boivent de l'eau bouillie
— ont eu une femme ayant accouché d'un cabri
— font du feu
1908.] GA
lUD : ORGAN
Ceux qui
ISATION POLITIQUE DES MANDJA. [P, 323#
Boudaïgou
ne mangent pas de panthère
« banda
—
mangent le cynocéphale
« bamassa
—
mangent le lion
« baouin
—
ayant les cheveux blancs se suicident
« ainbéri
—
travaillent le cuivre
« bolo
~
habitent Teau
« gayoura
—
ne s'assoient pas
« baléfi
—
sont toujours morts
« bazémo
—
sont nombreux
« ankana
—
fabriquent des sagaies
« guézou
—
penchent la tête sur l'épaule
« bassada
—
font les premiers le mil
« })aga
—
sont incestueux
« bakaroua
—
sont les uns circoncis, les autres non
« déué
—
ont du coton graissé (pas de pagne)
« mangadzéna
—
accouchent la nuit
« zambourou
—
cherchent l'igname
« goussin
—
chassent la pintade
« déiuané
—
habitent une montagne à trous où on s'égare
« kaudi
—
achètent du bois rouge
« foulé
—
couchent par terre
« m'biti
—
dont les enfants meurent
« grédou
—
sont gourmands de mil
« tama
—
mangent la tortue.
Le chef de clan. — Le chef de clan ou de village s'appelle en mandja oifi-ioa
corruption de ouhèn-toa : littéralement parlez-case. Il nous fut très difficile de
trouver ce sens du mot oin-toa qui était inconnu même du vieux chef Makourou.
C'est seulement à force de causer avec divers chefs mandja et en rapprochant les
renseignements que nous avons pu établir ceci :
Autrefois avaient été choisis comme chefs de clans les Mandja qui étaient
réputés comme connaissant bien les " médicaments n (nous conservons ici au mot
médicament son acception indigène : tout ce qui peut être remède, poison ou
fétiche ou est employé à un usage si)écial).
Or parmi ces pratiques réservées à ces seuls initiés, il en était une qui con-
cernait le choix de l'emplacement des cases. Chaque fois qu'un Mandja désirait
édifier une case, il allait quérir le oultèn-ioa pour faire tracer par lui les fonda-
tions de l'édifice.
Cet usage s'est perdu depuis longtemps, ce qui explique l'impossibilité de
reconstituer les rites et les cérémonies dont l'acte était certainement accompagné.
Seule la désignation de ouhèn-toa est restée qui a été conservée aux fils des
sorciers, héritiers de leur science et de leur fonction, et il est demeuré par exten-
sion à tous ceux qui président aux destinées des clans mandja.
Le rôle et l'autorité du chef, dans le clan mandja, ont singulièrement évolué
depuis l'occupation européenne.
Autrefois le chef possédait une sorte d'autorité morale qui faisait de lui le
premier du clan : ses avis étaient toujours écoutés et les décisions de sa justice
exécutées, quoiqu'il n'eût aucun moyen matériel à sa disposition pour forcer les
mauvaises volontés : pas de gardes du corps, pas de police, pas même de clients.
p. 324.] • R • E • E • S • [1908*
Mais il était protégé par l'espèce de crainte respectueuse qu'inspirait au vulgaire
sa descendance d'un sorcier plus ou moins fameux et s'il faisait jamais des mécon-
tents, ceux-ci étaient vivement mis à la raison par la majorité. En principe les
membres du clan ne versaient au chef aucune indemnité ; seulement en cas de
guerre, au moment de partager le butin, le chef se sentait le premier — et il ne
manquait pas de s'adjuger la meilleure part.
La meilleure preuve de cette autorité, nous la trouvons dans le résultat
obtenu de 1897 à 1899 par le chef Makourou ; il put obtenir des Mandja un effort
assez grand et continu pour faire pasf-er à travers le Haut Chari toutes les charges
et tout le matériel de guerre (dont un bateau à vapeur) de la mission Gentil —
toutes ces charges étant transportées à tête d'homme.
Les Mandja espéraient que ce coup de collier ne se renouvellerait plus. —
Lorsque en 1901 fut créé le Territoire militaire du Tchad et que les charces
vinreut s'accumuler dans les magasins de transît en bien plus grand nombre qu'au
temps de Gentil, ils commencèrent à perdre la confiance et le respect qu'ils
avaient eu jusqu'alors pour leurs chefs.
Voici pourquoi :
Après les corvées demandées et principalement celles du portage, les hommes
percevaient un modeste paiement de perles ou de sel ; quant au chef, il recevait
un cadeau, le seul qui fût réellement apprécié : le fusil à piston, la poudre et lej*
capsules.
Les Mandja fatigués se soucièrent fort peu de travailler ainsi pour le seul
profit des chefs : ils commencèrent à fuir pour aller se joindre aux villages
rebelles. D'autre part, les chefs eux-mêmes se trouvaient placés devant le
dilemne suivant : ou bien écouter les doléances de leurs administrés et refuser
le portage, et alors ils s'exposeraient aux rigueurs administratives (amende,
prison, répression). Ou bien ils tâchaient de satisfaire de leur mieux aux exigences
de l'occupation française ; dans ce cas, c'était la lutte avec leurs hommes, lutte
quotidienne dans laquelle ils finissaient par recevoir un coup de sagaie ou par
être empoisonnés. De nombreux exemples viennent malheureusement à l'appui
de ces afiirmations.
De telle sorte que vers la fin de Tannée 1902, la situation de chef d'un village
mandja était intenable : aussi personne ne se souciait-il d'accepter cette fonction.
Quelques-uns se démirent volontairement : ceux dont l'agglomération était petite
se joignirent à leurs voisins plus forts (ce fut le cas le plus général) ; d'autres
prirent la fuite sans explications.
Nous observons ainsi un phénomène politique assez curieux : les Mandja au
début de l'occupation définitive (c.-à-d. en 1901) étaient fragmentés sous l'auto-
rité de nombreux cliefs. Jusque vers le milieu de 1902, ce nombre augmenta par
suite de l'appât du cadeau réservé aux chefs : les armes à feu.
Mais l'efiort demandé étant trop grand, on observe une décroissance rapide
du nombre des chefs mandjas. En 1903, nous aidâmes à cette réduction en favo-
risant les fusions des petits villages en vue d'unifier le commandement.
Cette décroissance, ralentie en 1904, n'a cependant pas cessé. Dans l'état de
choses actuel, nous ne croyons pas d'ailleurs, que ce soit un mal. Il serait excel-
lent que l'on puisse arriver, si cela est aujourd'hui matériellement possible, à
reconstituer les clans mandja, à choisir les plus importants, à condenser les plus
faibles ou les plus affaiblis, à les agglomérer pour n'avoir plus sous la main que
quelques chefs sérieux, d'une fidélité éprouvée, ayant une autorité indiscutée
1908.] GAUD : ORGANISATION POLITIQUE DES MANDJA. [P. 325.
s'appuyant sur uous. C'est l'œuvre du temps : oil ne peut y songer avant la sup-
pression (lu portage.
Voici le recensement des cheflferies :
(la zone mandja n'est pas encore entière-
ment connue),
(décroissance à partir de Juin 1902).
1"
Janvier
1902
217
cliefferies
l"
Janvier
1903
265
30
Juin
1903
137
SI
Décembre
1903
98
1"
Octobre
1904
112
(par suite de diverses soumissions).
Les observations précédentes s'appliquent uniquement aux villages demeurés
fidèles : il n'en est plus de même dans les villages rebelles.
On y observe en effet le phénomène politique absolument contraire. Il va de
soi que plus le nombre des villages soumis diminuait, plus s'augmentait celui des
groupes rebelles, puisque sauf les pertes importantes dues au portage ou à la
variole, il n'y en avait aucune du fait d'un exode en dehors de notre zone d'action.
Les villages ou mieux les fragments de villages rebelles, sentant le danger,
ne groupaient autour du chef le plus courageux, celui qu'ils savaient en état de
tenir au besoin campagne contre les Européens. L'autorité de ces chefs devenait
énorme en quelques mois : il fallait la briser à tout prix. En règle générale, dès
qu'on avait pu détruire ce chef ou s'assurer de sa personne, les rél)ellions les plus
.sérieuses s'apaisaient en peu de temps.
L'un d'eux, M'Ba, chef des Monts Kazamba fut le maître incontesté de toute
la zone pendant toute l'année 1902. La rébellion prit fin dès que M' Ba, après
quatre jours de siège, à bout de résistance, vint en personne faire sa soumission.
De mai 1902 à Janvier 1904, le chef Sendia commanda la région entière de
la Koumi, attirant vers lui tous les mécontents, les groupant dans des fourrés
inextricables, les préparant à la résistance à outrance. Les répressions échouèrent
toutes les unes après les autres ; finalement Sendia traversa la Fafa et nous
écliappa. Ces cas sont loin d'être isolés.
En somme, ces deux chefs, M'Ba et Sendia qui jusqu'au jour de leur ré\olte
avaient été de vulgaires chefs de clan, dont le nom était à peine connu hors de
leur zone, n'eurent une autorité redoutée et bien assise qu'une fois chefs de bande.
En d'autres circonsi;auces, il eût été possible de faire adopter aux Mandja
du Haut Chari un chef unique, déjà connu, offrant toutes les garanties de fidélité.
Makourou, chef du clan Bougoumi, l'un des plus nombreux parmi les clans Mandja,
Makourou le grand ami de Gentil, était tout désigné pour occuper cette haute
situation. Mais les perturbations profondes apportées dans le pays par les néces-
sités inéluctables de l'occupation du centre africain ne pouvaient manquer de faire
avorter ce projet.
Makourou qui fut d'un concours précieux pour Gentil, ne put servir notre
cause avec profit dès que h» portage eût été institué en grand. Il le comprit lui-
même et se retira dans son village pour y vivre désormais ignoré. En 1902, on le
chargea d'aller porter des paroles de paix aux rebelles établis entre Koumi et
Nana. Il fut non seulement re^u comme un intrus, mais presque malmené. Au
début de 1903, on le chargea de provoquer une reconcentration des Mandja autour
du poste de la Nana. Ses efforts furent littéralement stériles.
En Juillet 1903, il fut nommé Grand Chef de la tribu Mandja, en résidence au
chef-lieu Fort Crampel. Mais ce ne fut jamais qu'un titre honorifique octroyé
p. 326.] » R > E > E » 8 > [1908.
comme récompense des services rendus : à peine le Grand Chef réussit-il à grouper
autour de lui les fragments du clan Bougoumi disséminés un peu au hasard. Mais
tous les autres clans afifectèrent de ne le pas connaître, malgré les marques exté-
rieures d'autorité que le commandement européen lui prodigua.
Makourou avait cependant un passé ; il était pour tous les Mandjas l'ami de
«« Cambacéré » (Gentil) ; sa famille était honorée et son clan important.
Fin, rusé, énergique quand il le fallait, Makourou avait de réelles qualités
de commandement.
Il fut impossible de l'imposer. On devine à quels résultats on fût arrivé avec
un chef ordinaire, peu connu et sans prestige.
Sous-chefs. Le chef de clan ou de village est aidé et suppléé par un ou deux
sous-chefs, suivant l'importance du clan. Ces auxiliaires sont choisis par le chef
qui les emploie à tout service qu'il ne peut assurer lui-même ou pour lequel il ne
lui plaît pas de se déranger (communications à faire à des villages voisins — ren-
seignements à prendre — ordres à porter, etc.).
Depuis l'occupation française, ces sous-chefs sont devenus des capolars. Cette
déformation de notre mot « caporal >» indique assez l'analogie des fonctions entre
le subalterne militaire et le sous-chef Mandja. D'autant plus que notre venue, en
élevant le portage familial à la hauteiu- d'une institution d'Mtat, a créé une nou-
velle attribution aux capolars : ce sont eux qui, dans les convois, surveillent 'et
dirigent le contingent de porteurs fournis par leur village respectif. Si un de leurs
hommes est trop fatigué, ils doivent se charger de son colis pendant le temps qui
lui est nécessaire pour se remettre ; ils sont responsables de la fuit« des porteurs,
de la perte des caisses, des avaries. Nous devons reconnaître que d'une façon
générale, ces capolars s'acquittent consciencieusement de leur besogne. Il est
vrai qu'ils y étaient encouragés par les avantages attachés à cet emploi : double
paiement de leurs journées de portage, gratification de temps à autre de la part
de l'Administration, octroi d'un fusil à piston lorsque le chef en ayant déjà un
pour lui, en recevait un second comme prime au portage ou prime aux collecteiu-s
de caoutchouc et d'ivoire — enfin le capolar pouvait escompter plus ou moins la
succession de son chef, qui lui échéait lorsque celui-ci décédait sans enfant
mâle.
Assemblées. — Lorsqu'arrivait un événement important qui exigeait une déci-
sion engageant la collectivité, le chef convoquait tous les membres du clan
présents — par une batterie spéciale du grand tam-tam de guerre — il exposait
les faits et les discutait. Chacun pouvait exprimer librement son avis — et on
adoptait la résolution de la majorité, à laquelle l'unanimité finissait toujours par
se ranger. C'était souvent l'avis du chef qui triomphait, surtout lorsque ce chef
jouissait d'une réelle considération.
Mais ces réunions n'avaient lieu qu'en cas d'événements graves : craintes
ou projets de guerre, presqu'uniquement. Elles constituent le seul symptôme
d'organisation collective chez les Mandja et leur limitation à ce seul cas de
l'union pour la lutte contre l'ennemi donne la mesure du manque de cohésion et
d'homogénéité de leur vie sociale.
1908.] VAN GENNEP : LES LANGUES SPÉCIALES. [P. 327«
LINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE.
II
Essai dnne théorie des langues spéciales
par A. VAN Gennep.
Le problème des langues spéciales n'a été envisagé jusqu'ici que sous des
points de vue étroits, partiellement par suite de la prédominance accordée à Tétude
des argots européens. D'où Ton avait été conduit à ces conclusions, géoéralement
admises encore, que les langues spéciales sont des formations aberrantes, des cas
tératologiques, devant leur formation à des circonstances exceptionnelles. C'est ainsi
entre autres que M. Sainéan^ semble l'expliquer par une sorte de génération spon-
tanée lorsqu'il dit « Aucun argot européen ne remonte au-delà du XV* siècle »,
alors que le fait est seulement, qu'aucun des documents actuellement connus ne
remonte au-delà de cette date. Mais comme dans les Serees de Guillaume Bouchot
on voit rangés daod une même catégorio les argots des merciers, des mendiants et
des voleurs, et que ces groupements sociaux secoadaires ne datent évidemmeot pas
de ce moment, il est normal d'admettre que ces argots existèrent aussi aotérieure-
ment.
C'est ce que vient démontrer ce fait que daus toutes les civilisations, les corpo-
rations des métiers et surtout les marchauds possèdent des langues spéciales qui
leur servent en définitive de moyen de défense contre l'acheteur. Ainsi l'examen du
problème dans toute sa généralité, c'est*à-dire par utilisation de la méthode ethno-
graphique, s'impose également sur ce domaine. Il est remarquable que Max Müller,
qui s'intéressa aux tabous linguistiques, n'ait pas songé à faire des recherches
générales dans ce sens. Et comme les travaux synthétiques de Fr. Müller, Wundt,
Van Ginneken, etc. ne mentionnent pas le phénomène, les ethnographes spécialisés,
bien que frappés à maintes reprises par l'universalité et l'importance des langues
spéciales, n'ont pu le catégoriser à leur tour linguistiquemcot.
Pour une théorie des langues spéciales, il faut se rappeler qu'il existe dans la
vie sociale des conditions spéciales, plus exactement des besoins collectifs spé-
<:iaux auxquels répondent des institutions déterminées. Ces besoins peuvent demeu-
rer latents quelque temps, et jusqu'au moment où ils émergent dans les consciences
individuelles leur satisfaction demeure potentielle. Mais du jour où l'émergence se
produit souvent, à plus de reprises, et chez des individus pluâ nombreux, et de plus
en plus rapprochés par de mêmes besoins, la tendance se manifeste, d'abord spora-
diquement et timidement, puis avec une puissance peu à peu accrue, à l'unification
des efforts en vue de la création d'institutions nouvelles nécessaires.
C'est ici que sera d'un grand secours l'ethnographie expérimentale. Je ne donne
pas à ce mot un sens aussi absolu que dans les sciences naturelles en général, mais
le sens restreint qu'il a dans certaines expériences de biologie, par exemple lors-
qu'on étudie l'évolution et la manière de se comporter des êtres dans des milieux
artificiels, eau salée, bouillons de culture, etc. C'est un tort de croire que Teth-
L. Sainôan, Vargol ancien, Paris, 1907, pp. 11 et 5.
p. 328.] • R • E • E • S • [1908.
nographie n'est qu'une science d'observation après coup : en fait, quelqu'un qui
désire observer un phénomène déterminé peut agir sur les groupes ou les individus
sujets de l'observation en variant les conditions de l'observation, conditions psycho-
logiques (par des questions ; par un choc à l'imitation, etc.) ou matérielles (par
introduction d'éléments nouveaux de la civilisation matérielle). C'est ainsi que les
missionnaires font inconsciemment de l'expérimentation ethnographique lorsqu'ils
introduisent chez des peuples nus ou à demi-nus nos vêtements et notre conception
de la pudeur, introduction dont les effets sociaux se marquent de proche en proche.
C'est ainsi, encore, que l'apport de l'écriture arabe et de l'écriture européenne au
Kamerun allemand a permis de suivre en détail la genèse de l'écriture de Njoya,
roi du Bamum.
Pour le problème des langues spéciales, le fait dont il faut partir, et qui a été
bien constaté à maintes reprises par les sémasiologues, c'est qu'un même mot
appartenant à la langue générale n'a pas le même sens pour chacun des groupe-
ments restreints qui existent à l'intérieur de la société. C'est ainsi que le mot
opération^ comme l'a remarqué M. Bréal, change de sens selon qu'il est employé par
un chirurgien, un militaire, un financier, un maître de calcuU ou un marchand de
vin^. Il existe donc à l'intérieur de chaque langue commune autant de langues
spéciales qu'il y a de métiers, de professions, de classes, bref de sociétés restreintes
à l'intérieur de la société générale. La situation linguistique de chaque langue
dépendra de la situation sociale du groupement qui la parle. Rapprochée par sa
conformation de la langue générale s'il s'agit d'une profession reconnue, elle s'en
éloignera plus ou moins selon que le groupement se trouvera en état d'antagonisme
plus ou moins marqué vis-à-vis de la société géoérale. C'est pourquoi le langage
spécial des voleurs différera le plus possible de la langue générale. C'est là, dans
nos sociétés, le cas extrême de tonte une série de langues spéciales.
Le problème se trouve donc posé sur ses vraies bases d'ordre sociologique : il
s'agit de rechercher quelles sont, dans chaque société générale, les sociétés spé-
ciales, et de déterminer la situation qu'elles occupent entre elles d'une part et vis-
à-vis de la société commune de l'autre. C'est cette situation qui conditionnera le
Caractère plus ou moins secret, plus ou moins spécial de chaque langue restreinte.
L'enquête n'a de chances de conduire à des résultats valables que si elle porte
non pas seulement sur nos sociétés modernes, où nombre de différences se sont
atténuées ou ont fait place à d'autres, mais elle doit être largement comparative.
En outre toute classification des langues spéciales indépendamment des langues
générales avec lesquelles elles coexistent risque do fausser les idées. La limitation
de l'horizon constitue précisément le grave défaut à la fois, comme je l'ai dit, des
travaux parus jusqu'à ce jour sur l'argot mais aussi de l'enquête entreprise autre-
fois sur les « langues secrètes » par la revue Am Urquell (vol. II à V) et de l'essai
de systématisation de Richard Lasch^.
^ M. Brôal, Essai de sémantique^ 2« éd. p. 285 et suiv.
^ A. Meillef, Comment les noms changent de sens^ Année Sociologique, T. IX, p. 14, où Ton
trouvera encore cités : Duvau, Mém, Soc, de Ling. XIII, 234 et suiv. ; Meringer, Indog, Forsch.,
XYII; Roques, Journal des Savants, 1905 ; etc.
' R. Lascb, Ueber Sondersprachen und ihre Entstehung, Extrait (36 pages) des Mitteilungen
de la Société Anthropologique de Vienne, 1907. Voici, en outre de la plupart des trayaux cités
dans les notes du présent Essai, quelques indications bibliographiques complômentaires à l'inté-
ressant mémoire de M. Lascb :
V. I. lochelson, Po rièkam lasacnoî i Korkodonu, hv. de la Soc. Russe de géogr. 1898^
1908.] VAN GENNEP : LES LANGUES SPÉCIALES. [P. 329.
Bien mieux, cet ethnographe semble même s'opposer (p. 14) à toute tentative
d^explication des langues spéciales par leur rattachement à des catégories sociales
déterminées : « On rencontre, dit-il, dans les sphères d'activité des hommes
[opposés aux femmes] un grand nombre d'occupations au cours desquelles sont
utilisées des formes de langage spéciales. Mais il serait prématuré de dériver leur
existence uniquement des besoins spéciaux des métiers et occupations mêmes en
question ; au contraire, ces motifs sont de beaucoup inférieurs en importance par
rapport aux tabous linguistiques qui se basent sur les influences religieuses n. Prise
au pied de la lettre, cette opinion est exacte en ce sens que les métiers et profes-
sions ne sont pas en effet, chez ces demi-civilisés, la condition suffisante pour la
formation des langues spéciales ; mais elle est inexacte en ceci, que Ton n'a pas le
droit de donner aux mots occupation, métier et activité quand il s'agit des demi-
civilisés le sens uniquement profane qu'ils ont dans nos sociétés modernes.
Chez nous, les sociétés secondaires ou restreintes sont d'ordinaire constituées
par des individus ayant môme activité économique ; dans ce cas les langues spécia-
les prennent chez nous le caractère de simples terminologies. Mais déjà le langage
du prêtre présente un caractère plus complexe. Et si de proche en proche on
remonte aux sociétés demi-civilisées, on constate une prédominance de plus en
plus grande du caractère sacré de la plupart des langues spéciales.
Ce mot de sacré est pris ici dans le sens précis que lui a donné ces années
dernières la science des religions ; il signifie à la fois : doué de puissance surnatu-
relle, impur, et mis à part (tabou, interdit). 11 n'existe aucune différence de prin-
cipe entre la langue de métier moderne et telle langue sacrée demi-civilisée : seule-
ment le caractère spécial linguistique n'affecte pas les mêmes catégories sociales
que chez nous.
Autrement dit, les sociétés restreintes qui existent à l'intérieur de nos sociétés
générales ne se rencontrent pas nécessairement chez les demi-civilisés, dont les
sociétés générales, en revanche, contiennent des sociétés restreintes que nous n'avons
pas, ou que nous n'avons que partiellement et à un degré moindre.
A. Langues spéciales sacrées. — On constate dans toutes les civilisations la
coexistence d'une langue sacrée et d'une langue profane. Il va de soi que plus la
société restreinte qui a pour spécialité l'activité sacrée est organisée, plus sa
langue spéciale l'est aussi, au point d'être parfois une véritable langue tombée
hors de l'usage général : c'est le cas du sanskrit dans l'Inde, du latin en pays catho-
liques, du vieux-slave en Russie, etc. et peut-être du sumérien dans l'Assyro-Baby-
lonie ancienne. Ce procédé d'immobilisation d'une langue entière est le cas extrême
d'un procédé propre, plus ou moins, à toutes les langues sacrées. Toute la langue
liturgique présente un caractère sacré d'autant plus facile à lui conserver que la
liv. 3, p. 258 (Youkagbires : tabous lingaistiques en relation avec le système dassificatoire ;
langue des hommes et langue des femmes).
Sieroszewski, Le chamanisme chez les Yahoutes. Revue de l'Histoire des Religions, 1902»
T. II, p. 219-220 (tabous linguistiques intéressants, du cbamane, etc.).
Casalis, Etudes sur la langue sechuana, Paris 1841, p. 49 « euphémismes ».
M. Cartwright, Folk-Lore of the Basuto, Folk-Lore, 1904, p. 258 (tabous linguistiques relatifs
aux morts).
Dawson, Australian Aboriffines, Melbourne, 1881, p. 29-30 (tabou linguistique entre belle-
mère et gendre).
P. Sébillot, Le Folk-Lore des Pécheurs, Paris 1903, passim (tabous linguistiques des pécheurs,
surtout de France et d'Angleterre) ; Le Folk-Lore de France, (index, s. v. mots et nom).
A. von Kremer, j^ypten, Leipzig, 1863, T. L, p. 163 (langage de voleurs arabes).
p. 380.] • R • E • £_• S • [1908.
société profane n'en fait pas usage. Qae si Ton examine ce qui se passe dans des
dvilisatioDs moins élaborées que celles énumérées ci-dessus, on découvre également
l'existence de langues spéciales aux activités magico-religieuses ; mais ces langues
sont moins développées ; elles consistent principalement en termes inintelligibles
au profane soit parce que réellement archaïques, soit parce que forgés artificielle-
ment au fur et à mesure des besoins. L'un et l'autre procédés sont souvent très
visibles dans les incantations, les formules magiques, etc.
Ainsi, d'un bout à Tautre de Thumanité on trouve des langages sacrés d'un
emploi réservé aux prêtres, aux magiciens ou à des individus quelconques pourvu
que, au moment de Tusage, extraits par des rites appropriés du monde profane et
munis de la puissance magico-religieuse nécessaire à quiconque veut faire partie
temporairement du monde sacré.
On arrive ainsi à chercher quelles sont les autres activités et les situations qui
peuvent présenter, à un moment donné, ce caractère sacré. Cette recherche est
facilitée par les travaux parus en grand nombre ces dernières années sur les divers
rites magico-religieux, d'où ressort que chez les demi-civilisés le domaine du sacré
est beaucoup plus vaste que chez nous, au point qu'il n'est guère d'activité sociale
qui ne participe à un moment ou à un autre du rite magico-religieux. Et chaque
fois que ce fait se présente, il doit y avoir emploi, en théorie, d'un langage spécial,
hypothèse que les données actuelles permettent de regarder comme exacte dans un
très grand nombre de cas. Ces langages spéciaux usités temporairement présentent
le plus souvent un caractère fragmentaire : ou du moins, sauf sporadiquement, ils
ne sont constitués que par un nombre plus ou moins considérable de termes d'usage
interdit, c'est-à-dire par des tabous linguistiques.
Le tabou peut frapper non seulement le nom des divinités proprement dites,
mais aussi celui des divinités de toutes catégories : démons bienfaisants ou malfai-
sants, héros civilisateurs, et en général les divinités qui président aux diverses
activités spéciales : accouchement, naissance, initiation, sacrifice, etc. Il atteint
aussi les divinités zoomorphiques, phytomorphiques ou astrologiques ; et enfin les
totems (divinités de clan), les protecteurs d'individus et de toutes sortes de groupe-
ments. Partout où le chef est regardé comme saint, et c'est là un fait dont la vaste
difi'usion a été démontrée par J.-G. Frazer, il existe un langage spécial quand on
parle au chef ou aux membres de sa famille, ou quand on en parle. Il en est de
même, comme je l'ai démontré eu détail pour Madagascar, quand il s'agit des morts
ou de la mort. De même encore on emploie un langage spécial à propos de plantes,
comme le riz en Indonésie, dont la culture présente un caractère sacré.
Nous arrivons ainsi au second domaine, celui des activités : il en est dans chaque
société, un certain nombre qui portent avec netteté un caractère sacré. Telles la
pêche et la chasse un peu partout, notamment les chasses rituelles totémiques.
Dans l'Indonésie on trouve le langage sacré des chercheurs de camphre ou de bois
d'aigle ; ailleurs on rencontre un langage de guerre spécial. Enfin dans cette même
catégorie rentrent les langues des forgerons, qui occupent dans nombre de sociétés
une position intermédiaire entre le monde profane et le monde sacré.
On peut en dire autant du langage des femmes, celui d'entre les langages spé-
ciaux qui a le plus frappé les observateurs et à leur suite les théoriciens. En fait
l'existence d'une langue spéciale aux femmes s'explique normalement par la situa-
tion même de la femme dans les sociétés demi-civilisées. En principe, elle n'appar-
tient pas à la société générale, laquelle n'est constituée que par les hommes ayant
passé par les rites d'agrégation à la communauté.
1908«] VAN GENNEP : LES LANGUES SPÉCIALES. [P. 331*
Elle rentre ainsi dans la même catégorie que Tétranger. Or l'étranger et la
femme possèdent intrinsèquement une qualité magico-religieuse spéciale, toujours
considérée comme maléficiente, ainsi qu'il a été démontré par J.-6. Frazer,
H. Grierson, moi-même, Crawley, etc. Les raisons de détail de ce point de vue
n'importent pas ici, mais seulement ce fait qu'elles sont d'ordre magico-religieux et
que, étant donné un groupement homogène formé d'hommes adultes, il est normal
que les individus non agrégés à ce groupement parlent une langue différente de la
langue du groupement en question.
En règle générale, tout groupement formé d'individus ayant mêmes intérêts et
mêmes activités tend à demeurer homogène et à se protéger contre l'intrusion
d'éléments hétérogènes. Or un clan est par essence un tel groupement, et tendra
par suite à s'isoler par tous les moyens possibles, le moyen linguistique étant l'un
des plus puissants. Cette tendance se rencontre ensuite dans la tribu, puis dans le
conglomérat de tribus et de proche en proche jusque dans le peuple et la nation.
Parallèlement se marque la tendance de ceux qui demeurent en dehors à for-
mer eux aussi un groupement armé pour son propre maintien.
Le mécanisme et les raisons d'être de la formation des langues spéciales sacrées
se marque surtout avec netteté dans celle des langues dites « secrètes »ou » d'ini-
tiation ». Ces langues ont été l'objet de recherches assez étendues, surtout quant à
leur vocabulaire, mais on ne semble pas avoir jusqu'ici compris leur place logique
dans l'ensemble des rites d'initiation. Par ce terme on enteod les rites qui accom-
pagnent, sanctifient et légalisent le passage d'une classe d'âge à une autre, ou d'une
classe mystique à une autre (mystères). Or ces rites ont pour objet : P de séparer
le novice de son milieu autérieur ; 2® de l'agréger à un milieu nouveau ; 3° de le
réintégrer dans le milieu général. Au point de vue linguistique le processus se
décompose ainsi : 1^ oubli de la langue antérieure (langage enfantin, langue des
femmes, langue générale vulgaire) ; 2^ assimilation de la langue du milieu nouveau
(langue secrète, langage mystique, langue théologique) ; 3® retour à la langue vul-
gaire et générale, avec conservation à un certain nombre de mots vulgaires d'un
sens spécial, ou conservation de tout un langage spécial à utiliser seulement dans
des circonstances données et avec des individus donnés. On verra, en appliquant ce
schéma aux cas spéciaux, par exemple aux langues « secrètes » du Bas-Congo^, qu'il
rend intelligible le fait linguistique en lui donnant sa vraie place parmi tout un
ensemble complexe de faits d'un caractère social général et magico-religieux spé-
cial. Dans ce cas encore la « langue secrète » est, non pas un produit aberrant, mais
une résultante normale de nécessités sociales générales.
Il en est de même encore de la langue des enfants. Les enfants forment, même
dans nos sociétés où il n'y a plus de classes d'âge hiérarchisées, une société spéciale,
ayant ses tendances propres qui sont nettement individualistes. Le langage des
enfants est sans doute soumis à des facteurs physiologiques ; mais on verra souvent
les enfants conserver entre eux un langage propre (fait frappant surtout dans les
familles nombreuses, dans les écoles) qui n'est autre qu'un moyen de défense à
l'égard des adultes, considérés comme oppresseurs, ou en tout cas comme personnes
à éviter. Dans les sociétés demi-civilisées, les enfants rentrent dans la même caté-
gorie que les femmes et emploient leur langage spécial, qu'ils doivent ensuite
désapprendre lors des rites de passage à la première classe d'âge. Dans certains
^ £. de Jonghe^ Les sociétéi secrètes au Bo^-Con^o, Bruxelles, 1907. Ces faits n*or.t pas été
compris par Webster, Secret Societies, New- York, 1908, p. 42.
p. 332.] • R • E • E • S • [1908.
cas, les eofaats demi-civilisés possèdent encore un langage propre coexistant avec
celui de» femmes : il rentre alors dans la catégorie suivante, celle des langues
profanes.
B. Langues spéciales profanes. — Le point extrême de développement de la
langue des enfants, c'est la langue spéciale des étudiants, qu^on peut regarder
comme une survivance d^une classe d'âge et des langues secrètes dUnitiation, en
tenant compte de ce fait fondamental que ces langues spéciales modernes n'ont
aucun caractère sacré, non plus que les expressions du passage de Tadolescence
à rage mûr.
Les langues enfantines des demi-civilisés n'ont guère été étudiées encore. En
tout cas on doit rejeter absolument la théorie de M. Lasch, qui, d'accord avec
Haie, regarde le langage des enfants comme le résultat d'un « instinct de jeu »,
identifie, suivant un cliché vraiment trop usé, le sauvage à Tenfant et regarde en
définitive ce même « instinct de jeu » comme « la force interne • qui a amené la
formation de toutes les langues spéciales^
Ce n'est pas le lieu de démontrer que le célèbre « instinct de jeu b de l'enfant
et du sauvage n'est qu'une invention des psychologues introspectifs. Depuis les
travaux des biologistes sur l'instinct, et de ceux de Karl Groos sur les Jeux des
animaux^ et les jeux des hommes, fondés sur des documents bien critiqués et sur
des connaissances approfondies en biologie, on sait que les actes animaux, enfan-
tins et humains qu'on regardait comme une dépense désintéressée d'activité ne sont
que des adaptations préalables à une fin utile ultérieure, des pré-exercices. Or c'est
bien cet élément d'utilité que j'espère avoir fait ressortir au cours de cet exposé
et qui est leur vrai but. M. R. Lasch prétend que les langues des enfants ne sont que
des « amusements » ; et c'est dans cette même catégorie qu'il classe une langue
spéciale des Maori dont cependant Taylor précise le but : « They have another
amusement, which consists in rendering their conversation unintelligible to stran-
gers ».
Ce même caractère d'utilité se marque dans les langues de métiers, sur les-
quelles il n'est pas nécessaire d'insister longuement. Quelques unes d'entre elles
participent du caractère sacré du métier et des gens qui s'y adonnent, ainsi qu'il a
été (lit ci-dessus (pêcheurs, chercheurs de camphre, forgerons). L'une des plus
connues est celle des maçons et tailleurs de pierres, qui constituaient dès l'époque
grecque une corporation très fermée et très individualisée. Ces langues de métier
prennent, au fur et à mesure du développement culturel, le caractère de simples
terminologies.
Là où les métiers et les professions constituent des sociétés spéciales bien déli-
mitées à l'intérieur de la société générale, le langage spécial prend au contraire un
caractère très accusé. Tel est le cas partout où existe le système des castes (Inde,
Afrique Occidentale). Et ceci nous conduit à rechercher le lien qui peut exister
entre la race, la profession et la langue. Les forgerons fournissent, pour plusieurs
régions de l'Afrique un cas typique ; c'est ainsi que les Wandorobbo, qui vivent au
nûlieu des Masaï, sont forgerons, parlent leur langue propre, à ce qu'il semble non
hamitiquc, et sont d'une autre race que les Masaï. Ce cas montre donc la combinai-
son de trois éléments dont j'ai parlé : caractère sacré, spécialisation de métier,
séparation de l'étranger. On comparera encore le cas des Tsiganes, spécialement
' loc. cit. pp. 3, 12, 35.
* Trad, française, Paris 1902.
1908.] VAN GENNEP : LES LANGUES SPÉCIALES. [P« 333«
adonnés à la chaudronnerie et. gardant, par procédé de défense, leurs dialectes
composites au milieu des autres langues générales. A Tintérieur même de toute la
collectivité tsigane prise en bloc on note des spécialisations linguistiques, causées
d'une part par la pression des langues générales ambiantes et de l'autre par Tintro-.
duction dans la collectivité d'éléments hétérogènes (voleurs, assassins, out-laws de
toute sorte). Ainsi le tsigane primitif s'est en diverses régions d'Europe transformé
en cette sorte de langue spéciale qu'on qualifiera plus étroitement « d'argot ». La
constitution, avec le développement actuel de notre civilisation, de toute une caté-.
gorie de femmes spéciale, celle des prostituées, a également entraîné la formation
d'un argot spécial.
Je passe à l'examen de l'aspect proprement linguistique du problème.
Gomment, au point de vue linguistique strict, les langues spéciales sont-elles
constituées ? A cette question M. Lasch ne répond que comme suit :
Il distingue quatre procédés :
P La périphrase : au lieu de « soleil « on dira « le brillant » ; au lieu de bois,
« ce qui se porte sur l'épaule ».
2? L'emprunt à des langues étrangères : la langue des femmes caraïbes contient
des éléments arawak.
3^ Les archaïsmes (langue des prêtres dajak, etc.).
4^ La modification par métathèse, incorporation ou redoublement de sons et
de syllabes (javanais des prostituées ; langue des enfants, etc.).
Ce classement est certes exact mais ne me semble pas d'une grande utilité
pour le problème même des langues spéciales. Il n'est pas un seul de ces procédés
en effet qui ne soit appliqué également dans la formation des langues ordinaires :
le grec ou le français par exemple font usage de la périphrase, de l'emprunt aux
angues étrangères, des archaïsmes, des métathèses, des redoublements, etc. ; ce
qui prouve une fois de plus que la langue spéciale est un phénomène normal.
Plus utile serait déjà une détermination exacte du rôle de l'analogie dans la
formation des langues spéciales.
En tout cas, étant donné que spécial s'oppose à général, il s'agit de classer les
faits conformément aux termes du problème. Il me semble donc plus rationnel de
distinguer dans chaque langue spéciale :
a) Les mots qui se rattachent à un radical non en usage dans la langue géné-
rale du moment considéré ; dans cette catégorie rentrent les mots étrangers, les
mots archaïques, les mots inventés de toutes pièces (d'ordinaire par formation ana-
logique).
b) Les mots formés d'éléments en usage dans la langue générale : ce sont d'or-
dinaire des qualificatifs, ou encore des mots communs transformés par métathèse,
insertion de syllabes ad libitum, redoublement.
Il est souvent difficile de discerner à première vue dans laquelle de ces deux
catégories rentre un mot spécial donné ; j'ai tâché naguère de le faire pour les
vocabulaires malgaches relatifs aux chefs et aux morts, sans y réussir. C'est donc
affaire à chaque spécialiste de dresser la liste des mots d'après leur appartenance
ou non à la langue commune.
Cependant chacun, même avec les documents si souvent insuffisants qu'on pos-
sède sur les langues non indo-européennes ni sémitiques peut arriver assez aisé-
ment à reconnaître les qualificatifs. £t ce travail déjà en vaut la peine, car trop
p. 334.] • R • E • E • S • [1908.
souvent les observateurs affirment en toute bonne foi que tels ou tels mots sont
fabriqués de toutes pièces, alors que des recherches comparatives montrent quMls
sont la simple mise en œuvre d'éléments appartenant à la langue commune. C'est
ainsi que Miss Werner^ s'est donné la peine de rechercher les radicaux Zoulous
auxquels se rattachent les mots hlonipa (taboues) donnés par Coienso dans son
Dictionnaire et qu'elle a réussi à trouver Torigioe de la plupart d'entre eux. Ici
encore il s'agit de qualificatifs. Or certains observateurs sont portés à exagérer l'in-
fluence des mots taboues sur la variation des dialectes^ alors que d'autre part trop
de linguistes l'ignorent totalement et dressent des tableaux de concordance des mots
sans tenir compte de l'influence possible de ces facteurs de discordance, influence
déjà relevée par Herdeland dans son Dictionnaire Dajàk et par Kern. Ce savant
notamment a attiré l'attention sur un procédé oublié par M. Lasch, et qu'on peut
appeler le procédé par remplacement : en Oalélaré au lieu de o sähe, tète, on dira
0 hutUj cheveu ; c'est-à-dire qu'on prendra la partie pour le tout ; ou le contenu
pour le contenant^, etc. Les mômes conclusions découlent des recherches de A. Meil-
let^ sur les noms de l'ours, du serpent, de la souris, du renard, etc., pour droit et
gauche dans les langues indo-européennes, et de Miss Werner^ sur les mots pour
soleil, pour lune, pour droit et pour gauche dans les langues bantou. La périphrase
est le procédé le plus employé ; mais concurremment on rencontre des radicaux dis-
tincts. J'ajouterai que le qualificatif comme nom propre de divinité est d'un usage
extrêmement fréquent (cf. Useacr, Göiternamen).
Il y a donc lieu de noter que sur ce point la langue spéciale peut rester en
contact permanent avec la langue générale, même si le vocabulaire spécial présente
un caractère sacré proprement dit. Par là même la langue spéciale se montre ce
qu'elle est en réalité : non pas un jeu ni un amusement, mais une forme particu-
lière d'un processus linguistique universel et fondamental^. De plus la langue spéciale
peut se marquer aussi, non seulement dans le vocabulaire, mais aussi dans la mor-
phologie. C'est ce qu'a bien vu J. G. Frazer. Avec R. Brugmann, J. G. Frazer
distingue le genre subjectif et le genre objectif, le premier indiquant le genre de
celui qui parle, le second le genre de l'être ou de l'objet dont il est parlé. Supposez
maintenant, et connaissant l'existence si répandue chez les demi- civilisés de la
coexistence d'une langue spéciale aux hommes et d'une langue spéciale aux femmes,
supposez que les hommes du Latium aient dit equus pour cheval et les femmes equa^
tout comme les hommes Arawak disent tctëe pour certainement et les femmes tara.
^ A. Werner, The custom of hlonipa in its iftfluence on language^ Jl. Afr. Soc. n« XV (Avril
1905) pp. 346-356.
* Cf. mon Tabou et Totémisme à Madagascar, Paris, 1904. pp. 112-113.
3 Kern, Woordverwisseling in het GaJelareesch, Bijdr. T. L. Vk, Ned. l., 1893, p. 120-128.
* A. Meillet, Quelques hypothèses sur des interdictions de vocabulaire dans les langues indo-
européennes, 1905.
^ A. Werner, Note on the termes used for « right hand » and ^ left hand » in the Bantu
languages, Jl. Afr. Soc. n^ XIII (1904) p. 112-116 ; complété pour les langues du Congo par
Stapleton, ib. n« XVI (19 ) p. 431-433).
® C eft CA que n*a pas vu R. Brandstetter, Ein Prodromus zu einem vergleichenden Wörter'
buch der maL-pol. Sprachen, Lucerne, 1905 qui s'est contenté pp. 69-73 d'amorcer Tétude com-
parée des tabous linguistiques dans les langues malayo-polynôsiennes, sans connaître mes
recherches sur ceux de Madagascar, où il aurait trouvé des indications suffisantes de méthode;
cf. Tabou et Totémisme à Madagascar (Paris, 1904) pp. 105-113 (langage relatif au chef); 151-
163 (tabous linguistiques de caste et de clan) ; 190-191 et 247) (langage peut-être héraldique, en
tout cas magico-religieux et économique) et à l'index, 8..v. linguistiques {tabous).
1908.] VAN GENNEP : LES LANGUES SPÉCIALES. [P. 335.
Ici le genre est encore subjectif. Mais peu à peu on aurait adopté un système
transactionnel, la nécessité des doublets cessant d'être évidente. On en serait alors
arrivé au genre objectif, equus désignant le chevalet equa \B,junient ; enfin us et a
seraient devenus, par abstraction, les indications du genre.
Or, en dehors du parallèle arawak, je ne connais pas de faits où le passage du
genre subjectif au genre objectif se marque sur le même radical. En générai, le
vocabulaire diffère du tout au tout^.
yhypothèse de Frazer ne va donc pas, quelque séduisante qu'elle soit, sans
soulever nombre d'objections. Et surtout, la différence quant au caractère subjectif
ou objectif ne porte pas seulement sur le genre. Le genre linguistique n'est en fait
qu'un fragment d'un système de classification des êtres et des choses et dont il faut
tenir compte. Le classement des êtres et des choses d'après le sexe, qui se marque
dans la langue par le genre, se complète chez un très grand nombre de peuples par
un classement fondé sur d'autres qualités : grandeur ou petitesse, intelligence,
raison ou instinct, classes d'âge, classes sociales, classes de parenté, classes poli-
tiques, et enfin catégories naturelles (terre, ciel, etc. ; orients et points cardinaux).
Que ces classifications, à bases diverses, puissent avoir une influence sur la
langue, cela est admissible à priori. Voici du moins quelques cas très nets, qui
prouvent qu'ils peuvent on avoir à la fois sur le vocabulaire et sur la terminologie,
et ceci autant dans les langues spéciales que dans les langues générales.
Pour les individus apparentés, ce qui compte dans la vie, ce n'est pas le sexe,
et dans la langue, ce n'est pas le « genre » subjectif ou objectif, mais le degré de
parenté qui est objectif et subjectif à la fois. C'est pourquoi le système « classifica-
toire n influe par exemple sur la langue chez les Stlatlumh de la Colombie britan-
nique : un même mot signifie grand-grand-père ou grand-grand-mère ; grand-père
ou grand-mère ; petit-fils ou petite-fille ou petit-neveu ; fils, fille ou enfant. Ici
le genre linguistique à base sexuelle n'existe même pas, le seul cas où M. Hill-Tout
l'ait noté étant celui de mon fils (ten skôza) et ma fille (tin skôza), où le genre se
marque par un changement de voyelle dans le pronom possessif.
Même possibilité d'action pour la formation du pluriel : « Les seuls noms hupa
[Californie] qui changent de forme pour indiquer le pluriel sont ceux qui classent
les êtres humains d'après leur sexe et leur situation dans la vie, ainsi que les
termes de parenté^ » bien que cependant l'usage du pluriel, même avec ces mots,
soit rare.
D'autre part, « le verbe hupa possède, outre les formes ordinaires du nombre
(sing, duel, plur.) une forme spéciale de la troisième personne pour parler d'un
enfant hupa ou d'une personne très âgée ou pour parler à des membres d'autres
^ Cf. pour d'autres faits, mon analyse du mémoire de Frazer dans la Revue des Idées^ 1904,
sous le titre : Le genre des mots. Cf. encore le fait suivant, typique du processus de changement
de genre d*un mot sous l'influence de représentations mythologiques : « Quand les Romains ont
commencé dose représenter l'Amour fous l'apparence d'un Jeune garçon armé d'un arc et sous
les traits de PEros grec, ils ont changé l'idée du mot latin Cupide ; mais ils ont gardé le nom,
quoique nom féminin comme libido, dulcedon, Bréal, Pour mieux connaître Homère, Paris 1906
p. 266.
» C. Hill Tout, Rfport on the Ethnology of the Stlatlumth, Jl. Anthrop. Inst., 1905, pp. 160 et
206. La formation, si répandue, du masculin et du féminin par adjonction des mots pour mdle
et femelle n'entre pas ici en ligne de compte.
' P. E. Goddard, Morphology of the hupa language, Berkeley, Univ. Cal. Ill, 1905, p. 24 ;
l'auteur renroie, pour un cas analogue de limitation dans l'usage du pluriel, à un mémoire du
P. Morice sur les Indiens des Carrières, Trans. Can. Inst., T. I, n<* 2, p. 184.
p. 336.] • R • E • E • S • [1908.
txibus, ou d'autres races, ou aux auimaux ». Autromeot dit : cette forme spéciale
s'emploie lorsqu'il s'agit d'êtres n'appartenant pas à la communauté adulte, cen-
trale, de la tribu.
Ce dernier fait est très instructif : sur un point au moins la langue bupa géné-
rale présente un caractère typique des langues dites secrètes et parlées en règle
générale par un groupe spécial à l'intérieur d'un groupe général. Il y a donc lieu
de se demander si le fait linguistique relevé dans le bupa n'est pas l'indice d'un
point de vue normalement répandu cbez les demi-civilisés se trouvant à un stade
social et linguistique moins avancé.
Je fais allusion à la multiplicité des dialectes cbez certains peuples, multipli-
cité proprement étonnante parfois. Ainsi le moindre groupement australien possède
son dialecte propre, parlé parfois par une vingtaine de personnes seulement. J*ignore
le nombre exact de ces dialectes australiens, mais il dépasse certainement 200 pour
quelques milliers d'individus en tout^. De même à Timor, Crawftird comptait
40 dialectes pour 100.000 individus, et en Nouvelle-Ouinée, Erdweg trouvait
4 dialectes pour 294 babitants répartis en 4 villages^. Des langages non fixés par
l'écriture sont comme de juste sujets à une plus grande variabilité : mais si l'on
ne se contente pas de cette constatation d'ordre vague, si on examine d'un peu
près par exemple le maintien du dialecte arunta à côté du dialecte urabunna et du
dialecte dieri dans l'Australie centrale on s'étonne qu'il n'y ait pas fusion étant
données les relations constantes entre les membres de ces très petits groupements.
£t ceci vaut pour tous les dialectes australiens de procbe en proche. Le fait bupa
suggère alors l'interprétation suivante : cbaque dialecte n'assumerait-il pas la fonc-
tion d'une langue spéciale vis-à-vis de tous les autres, malgré l'absence d'une
langue générale proprement dite, langue spéciale consciemment voulue telle en tant
que facteur vital du maintien et de l'autonomie du groupement parlant ce dialecte^ ?
Ce caractère serait la forme de début d'une évolution qui atteint sa forme définitive
avec nos langues « nationales » d'Europe (cf. le polonais, le rutbène, etc., comme
éléments vitaux des nationalités polonaise et rutbène).
En ce sens la notion de ^ langue spéciale » ne devient plus, quand il s'agit de
demi-civilisés, qu'une notion relative. Et nous obtenons ainsi comme une gradation
partant de la langue spéciale d'un tout petit groupement d'apparentés localisé à
la languo générale de toute une nation et passant par : a) le langage des sexes ;
b) le langage des âges , c) le langage des occupations, tous ces langages pouvant
soit appartenir strictement à la catégorie sacrée ou à la catégorie profane, ou appar-
tenir aux deux à la fois.
Le langage spécial perd ainsi définitivement son caractère de « jeu » et de
« phénomène anormal », mais vient au contraire prendre place dans le développe-
ment linguistique normal, comme corollaire du sectionnement, lui aussi normal,
des sociétés générales en sociétés secondaires. Or, de même que ces sociétés ont
pour règles internes des règles qui valent pour la société entière (sinon elles s'en
détacheraient pour former des sociétés autonomes), do même les langues spéciales
suivent les règles fondamentales de la langue générale à laquelle elles sont liées.
^ Cf. entre autres les listes de Ciirr, The Australian Race, 3 vol., 1886.
' Cités par Lascb, loc. cit. p. 2, du tir. à part, note 2.
3 Je rappelle que ^ cbaque fraternité [société magico- religieuse] Zuni emploie un dialecte
différent de celui des autres *> Mrs Stevenson, 24th Ann. Rep. Bur. Ethnol. Wash., p. XV. Mais
je ne sais s'il s'agit d'un dialecte proprement dit ou d'une langue secrète de société d'initiés du
type ordinaire, c'est-à-dire à syntaxe conforme à celle de la langue générale.
1908.] VAN GENNEP : LES LANGUES SPÉCIALES. [P. 337,.
Aussi voit-on le caractère de spécialité ne porter que sur des élémentsd étermiaés,
soit sur une partie du vocabulaire général, soit sur certains éléments (pronom, ou
conjonction, ou formes verbales, ou manque du genre ou du nombre, etc.), mais
non sur les caractères fondamentaux. Du moins je no connais pas de cas précis où
la langue spéciale, (des femmes, des initiés, des professions, etc.), posséderait une
syntaxe propre. Et si un tel cas existe, jV verrais plus volontiers ud cas d'intro-
duction du dehors (par mise en esclavage des femmes de toute une tribu vaincue)
ou un cas de convergence (par fusion de deux groupements originairement distincts)
qu'un cas de langue spéciale. Cette observation vaut notamment pour un certain
nombre de « langues tsiganes^ n.
Il est évident, cependant, qu'en Tétat actuel de nos connaissances, toute affir-
mation absolue serait prématurée. G^est pourquoi on ne saurait assez recommander
à tous ceux qui sont à même de le faire, d'entreprendre des recherches approfon-
dies, non pas seulement, comme jusqu'ici, sur le vocabulaire des langues spé-
ciales, mais surtout sur leur mécanisme interne.
Que si maintenant on se place au point de vue de Thistoire universelle des
civilisations, on constate que les langues spéciales ont une raison d'être biologique :
elles ne sont que Tun des innombrables moyens par lesquels les collectivités de tout
ordre maintiennent leur existence et résistent aux pressions de Textérieur. Elles
sont à la fois un moyen de cohésion pour ceux qui les emploient, et un moyen de
défense contre l'étranger, ce mot pris au sens vaste qu'on doit lui donner en ethno-
graphie, et dont quelques nuances ont été indiquées ci-dessus, la notion d'étranger
se marquant autant dans le domaine de la parenté, de Tage, de la religion, du droit,
que dans le domaine politique. L'un des caractères par quoi se différencie l'étran-
ger sera, en outre de la couleur de peau, du faciès, du costume : la langue.
Ainsi la langue spéciale joue à l'intérieur de la société générale le rôle que
chaque langue générale joue vis-à-vis des autres langues générales. C'est l'une des
formes de differentiation, formes voulues, et nécessaires à la vie même en société.
Et l'on remarquera que cette interprétation d'un phénomène limité (limité
comme phénomène linguistique d'abord, puis comme phénomène linguistique spé-
cial), vaut pour un grand nombre d'autres institutions, elles aussi limitées à deux
degrés. Elle vaut pour les classes matrimoniales, pour les classes d'âge, pour les
phratries, pour les clans totémiques, pour les divers systèmes d'organisation fami-
liale, pour les castes, etc., toutes organisations partielles à l'intérieur d'organisa-
tions générales opposées, elles aussi les unes aux autres. D'un mot : ces diveraes
institutions répondent en même temps à la double tendance de cohésion et de diffe-
rentiation collectives.
^ Telle la langue secrôte spéciale aux anciens magiciens celtes et devenue ensuite langage
spécial des rétameurs, Tsiganes, etc. anglais ; cf. Leland, The Tinkers* Talk, Journal Gypsy
Lore Soc, N. Sér. T. I. (1907-08) pp. 168-180. Le cas est moins net pour d autres langues
« tsiganes », mais ceci paut-ôtre par suite de l'insuffisance de nos connaissances tsiganologiques«
p. 338.] • R • E • E • S • [1908.
LA LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET AVEC MOÏSE
ET L'ORIGINE DE LA CIRCONCISION.
par A. J. Rbinach.
Tout le monde connaît le combat de Jacob et de l'Ange et Thistoire de Moïse
assailli par Jahvé. Bien que ces morceaux, dans leur version primitive, aient dû
affliger singulièrement la piété juive, ils étaient si célèbres que les réviseurs sacer-
dotaux n^ont osé les faire disparaître entièrement. Mais, en les conservant en
partie, ils ne les ont pas seulement mutilés et tronqués, ils les ont altérés sciem-
ment et ces altérations répondaient si bien aux idées nouvelles sur les rapports de
Dieu et de Thomme qui s'établissaient de leur temps et qui n'ont pas cessé depuis
de dominer, que c'est avec ces altérations et grâce à elles que ces récits sont devenus
classiques. Ce n'est que tout récemment qu'on paraît être enfin parvenu, par de
simples corrections grammaticales, à restituer la version primitive dans ses lignea
essentielles et cette version est si contraire aux opinions reçues et si fertile en
résultats inattendus que les spécialistes semblent ne s'y résigner qu'avec peine.
C'est à indiquer les conséquences qu'on en peut tirer sur le sens primitif de la
circoncision que cet article sera consacré.
Du récit composite contenu dans le chap. XXXII de la Genèse on s'accorde à
rapporter les versets suivants à la plus ancienne version Jahvéiste. On sait que
Jacob, allant des monts de Ouiléad rejoindre Esaü en Edom, a fait traverser aux
siens nuitamment le gué du Jabboq : ^ Et Jacob resta seul et quelqu'un lutta avec
lui jusqu'au lever de l'aurore (25). Et lorsqu'/Z vit quHl ne pouvait l'emporter, il le
frappa sur le plat (ou à la paume) de la cuisse (26a). Alors il dit : « laisse-moi aller,
car l'aurore monte ■. Mais il répondit : « je ne te laisserai point aller jusqu'à ce
que tu m'aies béni » (27). Et Jacob interrogea et dit : « apprends-moi ton nom »»
Alors il dit : « pourquoi me demandes-tu mon nom ?» Et il le bénit sur le champ.
Alors le Soleil se leva (32a) r.
La difficulté de ce passage vient toute do ces divers il dont on ne sait trop au-
quel des deux lutteurs on doit les rapporter chaque fois. L'Élohiste, sans doute plus
récent que le Jahvéiste (on admet généralement que J date du début et E de la fin du
VHP s.)^, a déjà résolu la difficulté dans le sens exigé par la piété juive. Comme le
^ Je suppose connues les notions essentielles sur la composition du Pentateuque : les deux
versions primitives, celle qui appelle la divinité Jahvé (J.), li^ plus ancienne, probablement
originaire de Juda, et celle qui appelle la divinité Ëlohim (E.), qui utilise dôjÀ la première et lui
oppose parfois les traditions particulières aux tribus josôphites du royaume du Nord ; une pre-
mière fusion du Jahvéiste et de VElohiste opérée au temps de l'exil de Baby lone (586-538) par un
ou plusieurs rédacteurs qui reprirent en sous-œuvre, dans l'esprit du Dentôronome (D) publié
en 621, J et E pour en tirer le récit dit Jéhoviste (JE + D) ; enfin, dans la deuxième moitié du
V« s. un (ou plusieurs) réviseur sacerdotal ajoutant à l'Hexateuque, constitué alors par l'adjonc-
tion du Livre de Josué^ les chapitres dits du code sacerdotal (P. = priesterkodeœ)^ où l'influence
du clergé jérusalémite est si manifeste : c'est avec les modifications imposées ainsi, par ce clergé
que l'Hexateuque a passé à la postérité.
1908.] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P. 338,
„ — —...., — ..„. . — -~..........-...^...,ip.......~...-.~..„..-..«^.«_.^.«.^„....._..^„..,^.„.„..^„.,.„^_ — --.-«.._»...^..„..^.., — .»««.„,.„... — -.,„.-»-
Dieu des Armées ne peut être frappé, même par Jacob, e'est Jahvé qai frappe Jacob
à la cuisse et qui lui demande son nom, d'où la réponse fameuse : « Tu ne t'appel-
leras plus Jacob mais Israël car tu a» combattu avec Dieu et avec les hommes et tu
Tas emporté^ 9. Dans la pensée de FÉIobiste tu l'as emporté ne s'appliquait appa-
remment qu'aux hommes ; c'est à cet effet que la mention des hommes avait été
intercalée après celle de Dieu, Tépisode de Laban et d'Ësau pouvant justifier leur
présence. En fait, tu Vas emporté répondait au hrsquHl vit qu'il ne pouvait rem-
porter du Jahvéiste ; et il était Jahvé pour TÉlohiste qui, ainsi, pour éviter de
laisser frapper le Seigneur par Jacob, faisait reconnaître au dieu la supériorité de
son adversaire mortel ! S'il se trouvait obligé de laisser constater par Jahvé lui-
même, en parole sinon en action, cette supériorité de Jacob, c'est que l'explication
même des deux noms de Jacob-el (Ya'qob-el dont Ya^qob est la forme apocopée).
— « Dieu l'emporte » ou « Dieu supplante n — et d'Israël — « Dieu brille » ou
« Dieu lutte n — impliquait une pareille constatation. Une semblable raison étiolo-
^ique a amené l'Ëlohiste à conserver la blessure à la cuisse, eocore que, si Jahvé
en était l'auteur, cette violence (apparemment interdite dans une lutte comme celle
des bords du Jabboq) fit peu d'honneur au dieu d'Israël. Il s'agissait, en effet, d'ex-
pliquer pourquoi les Hébreux ne mangeaient point le tendon de la cuisse. Aussi
ï'Élohiste — ou, trois siècles plus tard, le rédacteur sacerdotal — crut-il devoir
préciser en ajoutant que, lorsque Jacob eut déparé le lieu de la lutte qu'il appela
Pénéël (la Face de Dieu), « il boitait de la cuisse. Et c'est pour cela que les Bénê
Israël ne mangent point aujourd'hui même le nerf qui est sur la paume (ou le plat)
de la cuisse parce que le lutteur avait touché, à ce nerf, la cuisse de Jacob ».
Ainsi amorcée, la transformation de ce passage devait s'accentuer encore. Bien
que les noms de Pénéël et d'Israël, si étroitement liés à la légende, parussent
impliquer que c'était bien El — Élohim en personne — qui avait lutté contre Jacob,
on profita bientôt de ce qu'il n'était pas nommé expressément — du fait, sans
doute, d'un premier remaniement — pour remplacer Élohim par son Maléàk. Quoi
que ce terme de Maléak (ou Melek, Moloch) — le Seigneur — ne soit, à l'origine,
comme Ëlohim ou Adonaï qu'un des titres génériques que portait la divinité en
pays sémitique, dès le VIII^ siècle, il semble avoir désigné une sorte de lieutenant
du Seigneur des Armées, qui le remplace partout où il ne peut se rendre en per-
sonne. S'il y avait une aventure dans laquelle il semblait que Élohim ne devait pas
se compromettre, c'était bien cette lutte du Jabboq. Gomment, d'ailleurs, môme un
patriarche tel que Jacob, eut-il vu Dieu en face, alors que Moïse et qu'Élie seraient
morts {Ex. XXXIII, 17-23 ; I Reg.^ XIX) si Jahvé, lorsqu'il les entretint sur l'Ho-
reb, n'avait pris soin de dérober à leur vue ses traits redoutables? Aussi, Osée
écrit-il : « Daos le sein maternel, Jacob prit déjà son frère par le talon et, dans la
force de l'âge, il combattit avec Élohim. Il combattit avec l'Ange — maleah — et
l'emporta^ s. On saisit ici la transition entre les deux versions : le combat avec
' L'Ëlohiste qui a rédigé la seconie vision de Bethel ignorait évidemment ce passage puisqu'il
a cru nécessaire de faire bénir de nouveau Jacob par Elohim avec ces mots : << Ton nom est Jacob ;
tu ne seras plus appelé ainsi, mais Israël » (Ex. XXV, 12). Voir les commentaires de Dillmann, de
Nowack et de Holzinger.
2 Osée, XII, 45 avec le commentaire de Van Hoonackar, Les Petits Prophètes (Paris, 1908),
p. 112. Ce commentateur n'a pas tenu compte de la nouvelle traduction proposée par Cbeyne,
Traditions and beliefs of ancient Israel^ 1907, 402 : « A Beth>on il usa de ruse avec Ashhur — &
One il lutta avec Elohim » — Beth-on serait un doublet de Béthel ; Ashhur le dieu éponyme de la
région de l'Arabie du Nord dont Jacob serait originaire. La mention du maleah serait une glose*
A quelle époque la placer?
p. 340.] * R • E •^^l ^ J [1908>
Dieu est encore mentioDoé ; mais la victoire de Jacob est rapportée à un combat
avec TAnge. et les midraschim discuteront bientôt s'il s'agit de Tarcbango Michel
ou du prince Êdom^. Le grand développement que Tangélologie prend, à partir du
IV* siècle, dans la religion juive, devait inciter à substituer partout les anges au
dieu dlsraël comme Thagiolâtrie du Moyen-Age remplaça partout Dieu par se&
saints. Aussi, Dieu acbève-t-il de disparaître de l'épisode du Jabboq dans le récit
qu'en donne Josephe, récit où Taction du rationalisme grec vient s'ajouter à celle
du piétisme sacerdotal et de Tallegorisme prophétique pour défigurer l'antique
légende : ■ Jacob, demeuré seul, rencontre un fantôme qui commence à combattre
avec lui, et il en triomphe ; ce fantôme prend alors la parole et lui conseille de se
réjouir de ce qui lui est advenu et de se persuader que ce n'est pas d'un médio-
cre adversaire qu'il a triomphé ; il a vaincu un ange divin et doit voir là un
présage de grands biens à venir, l'assurance que sa race ne s'éteindra jamais et
qu'aucun homme ne le surpassera en force. Il l'invita à prendre le nom d'Israël(os) ;
ce mot signifie, en hébreu, celui qui résiste à V envoyé de Dieu ; voilà ce qu'il révéla
sur la demande de Jacob ; car celui-ci, ayant deviné que c'était un envoyé divin,
lui avait demandé de lui dire ce que la destiuée lui réservait. L'apparition, après
avoir ainsi parlé, s'évanouit ; Jacob, tout heureux, nomme l'endroit Pbanouël(os),.
c'est-à-dire la face de Dieu. Et comme, dans le combat, il avait été blessé près du
nerf large, il s'abstint lui-même de manger de ce nerf, et à cause de lui il ne nous
est pas permis non plus de le manger^ ■•
Par ce récit, qui restera la version classique de l'épisode, on voit comment le
noyau primitif a fini par disparaître sous le poids des éléments adventices. On ne
s'est pas seulement efforcé de tourner l'antique duel en récit d'édification, on a
voulu encore en tirer parti pour expliquer plus d'un fait obscur remontant aux ori-
gines de l'histoire juive : pourquoi Jacob recevait parfois le nom dlsraël ? pourquoi
s'élevait près du Jabboq une ville nommée Pénéël ? pourquoi il était interdit de
manger le nerf sciatique ?
Sans doute certains de ces éléments ont pu venir s'agréger de très bonne heure
à la légende du duel. Une légende locale a pu attribuer à une apparition de Dieu le
nom de fcLce de Dieu — Strabon (XVI, 2, 15} traduit théou prosopon le nom, évi-
demment semblable, d'un promontoire voisin de Tripolis de Phénicie et la Péné-
baal phénicien correspond au Péné-el judaïque — donné au rocher d'une ville
voisine du Jabboq, rocher sacré qu'on considérait probablement comme siège du
dieu^. Le nom même du Jabboq ou Jabbaq a pu être expliqué par abaq^ lutter ; il
Osée semble avoir prophétit^ô entre 743 et 735. Cette date serait bien proche — aDtérieurc
même, je crois — de celle où on place l*Èlobiste. Mais on a prouvé que les prophéties mises sous
le nom d'Osée ont été largement interpolées, surtout aux ni« et n« s. av. J. G. Peut-ôtre est-ce à
cette date qu'il faut placer notre verset ou du moins la glose si le verset est bien d*Osée.
> Je ne connais ces Midrashim que par Cbeyne, loc, cit. Ce sont Bereskith rabba, 77 et Targ,
Jon. in Gen, 32» 24. Ëdom étant le nouveau nom d'Ësau comme Liraël est celui de JacobyOaa^pu
supposer qu'il lui avait été donné par un dieu à la suite d'une lutte semblable à celle que son
frère subit sur les bords du Jabboq; on a pu même croire, avant que s'imposât la version de
leur rencontre pacifique, que c'était entre les deux freies qu'avait lieu le duel du Jabboq.
* Josephe, Antiquités Judaïques, I, 20, 331-5. Edition Th. Reinach.
3 Cheyne, Encyclopaedia Biblica, art. Gilead, Succoth et JegarSahadutha et Traditions
and beliefs of Ancient Israel, 1907, p. 385 a essayé d'établir que Penôël serait l'acropole de
Sukkoth et (art. Wrestling) que l'histoire du duel est un lointain souvenir de la conquête de
cette ville par les Jakobélites, la conquête e£fective étant accompagnée d'une conquête symbolique
du dieu du peuple vaincu par le dieu du peuple vainqueur. D'après le récit de la prise de Penéel
1908.] REINACH : LUTTE DE JAHVE AVEC JACOB ET MOISE. [P. 341.
fallait donc qu^uae lutte ait eu lieu sur ses bords aux temps héroïques. De même,
la prohibition du uerf sciatique pouvait-elle mieux se légitimer que par la blessure
que lui aurait infligée un être divin ? et le surnom de Jacob, à interpréter Israël
<:omme le fait Joseph, comment mieux le justifier ? Enfin, ce surnom de « le fort de
Jacob - qu'on trouve donné à Jahvé, comment mieux Texpliquer que par une
pareille victoire ? Ainsi, dans cet épisode comme en bien d'autres, Jacob, à
riostarde tousles patriarches d'Israël, a vu grouper en quelque sorte autour de lui
des légendes de toute nature. A être mis en rapport avec ces ancêtres divios, il
n'est rien qui ne gagnât une origine vénérable et sacrée. Le duel lui-même dut
paraître longtemps comme le symbole des épreuves imposées par Dieu à son peu-
ple, épreuve où, seule, la perfidie pouvait arrêter un moment Tinéluctable triomphe
du Seigneur des Armées. Mais, pareille interprétation n'était possible que si, dans :
•^ il le frappa sur le plat de la cuisse », le sujet était bien le lutteur mystérieux.
Comment la maintenir et comment justifier Jacob si c'est lui qui frappait au lieu
d'être frappé^ ? Aussi se garda- t-on d'envisager une aussi troublante hypothèse.
C'est pourtant cette hypothèse qui correspondait à la réalité première, réalité
qui nous reporte bien avant l'époque où Jacob fut transformé en patriarche
d'Israël : une lutte victorieuse du vieux dieu cananéen contre ce Jahvé qui devait
devenir le dieu d'Israël, voilà ce que cet épisode commémorait tout d'abord.
Voyant qu'il ne peut l'emporter sur son adversaire nocturne, Jacob imagine
de le frapper à la cuisse et c'est bien là un exploit que les Cananéens du sud de
la vallée du Jourdain devaient prêter à leur dieu, Jacob-el, devenu Jacob, le géant
à qui on attribuait sans doute l'érection dans la plaine des roches de Giléad, de
Bethel et de Pénéël, Abir Jacobj « le Fort (du peuple de) Jacob r, comme Abir
Israël, l'ennemi avec qui il va s'unir, est « le Fort d'Israël ». Réduit à user de ruse
avec le dieu dlsraël, le dieu de Jacob, malgré cette victoire dernière obtenue par
un coup plus habile que loyal, se trouvera obligé de lui céder Beth-el et Péné-el ;
l'absorption du dieu suit celle des lieux de culte ; Jacob, à dater de cette lutte,
devient Israël. Son combat avec Jahvé trouvait d'abord comme un doublet affaibli
dans son combat avec l'Ange, puis, il se dédoublait en combat avec Esaii et com-
bat avec Laban ; et, dans ces dernières luttes, ce n'est plus la force du géant primitif
dont on retrouve la massue aux mains de ses frères Goliath et Akmon qui triomphe,
mais l'astuce du Cananéen, archer ou frondeur, infaillible et fertile en ruses, comme
David qui sera, avec Jacob, le héros, populaire entre tous, du peuple d'Israël^.
sur les gens de Sukkoth et de Midian par Gédéon (Juges, VIII), il semble, en tout cas, que
Penôêl était bien la citadelle de cette région comprise dans l'angle que forment à leur jonction le
Jabbok et le Jourdain. On peut se demander, du reste, si dans cet étrange morceau d'épopée, on
n'a pas placé sous le nom de Oédéon et d'Israöl des fragments de geste f cananéens relatant la
conquête do Pénéël par la tribu de Yakob-el et leurs guerres contre les Edomites (voir plus loin)
ou les Midianites qui sont, eux aussi, des adorateurs d'Jahvé (voir plus bas, p. 358). De plus,
l'explication des noms de Pénôël et de Jabboq que fournit cette légende indique qu'elle a du se
développer dans cette région ; Gunkel {Genesis, p. 323) croit même que le coup à la cuisse et la
boiterie qui en résulte ne seraient qu'un récit étiologique destiné à expliquer dos danses sacrées
qui auraient eu lieu à Pénôël, danses où l'on devait procéder par sauts à clocbe-pied.
1 C'est W. M. Müller, Asien und Europa, 1893, p. 163 note 1 qui a indiqué le premier que
les il devaient se rapportera Jacob, point de vue développé par B. Luther, Zeitschrift fO.r Altes-
tamentliche Wissenschaft, XXI, 1901 p. 65 et par Gunkel, Genesis^, 1902, p. 320.
* Sur Jacob comme dieu cananéen, outre l'article cité de B. Luther, voir ses intéressantes
pages dans Ed. Meyer, Die Israeliten, p. 109-12 et Ed. Meyer, tMd., p. 271-87. Le combat de
David avec Goliath et avec Akmon est apparemment un écho de l'épopée cananéenne et permet de
p. 342.] • R • E • E • S • [1808.
Une fois qu^on a compris que Jacob est bien un aacioo dieu cananceoy l'histoire
de la lutte s'éclaire, semble-t-il, d*uD jour tout nouveau. On remarquera d'abord
que l^assaut qu'il subit est nocturne. Or, Jabvé, dieu de la flamme et de la foudre,
invisible le jour et flamboyant la nuit dans le buisson ardent ou la colonne de feu,
est un des rares dieux sémitiques, qui, à Torigine, no se manifestent que dans la
nuit. GVst nuitammoDt que son ange va avertir Lot dans Sodome {Gen. XIX, 1-25) ;
c'est la nuit eocore que Jabvé descend sous forme de flamme dévorante parmi les
victimes qu'Abraham a eu soin de lui imnloler avant d'entrer en Canaan. De même
c'est après avoir passé le Jabboq, que Jacob, qui a négligé ce devoir, se voit assailli.
Or, il y a lieu de croire que cet afiluent du Jourdain a marqué, durant l'une des
étapes de l'invasion israélite, la frontière entre les Cananéens du Nord et les tribus
QaïDO-édomites, étroitement alliées, sinon apparentées, aux tribus d'Israël et
surtout de Juda qui, à partir du XIP siècle, s'étaient établies au Sud et à l'Est de
la Mer Morte^.
Comme la rencontre avec Laban se produit autour de pierres sacrées qui
marquent la frontière entre Cananéens et Araméens — le double nom du lieu, Galeed
et Jagar-Sahadutha, signifie le « tas des témoins » le premier en cananéen, le second
en araméen — celle de Jacob et d'Ésaii se produit à la pierre frontière de Pénéël.
En passant le Jabboq, Jacob marche, en effet, à la rencontre de son frère £saû qui
prendra le nom d'Ëdom quand Jacob recevra celui d'Israël. Héros national et
sans doute dieu des Êdomites, comme Jacob est dieu ou héros en Canaan, c'est au
XVI* s. que Ésaii-Édom, profitant du dépeuplement du Sé*ir causé par l'invasion
des Hyksôs en Egypte, établit son peuple le long de la chaîne de l'Arabah d'où
il devait pousser au Nord par les hauteurs d'Abarim'^. Les Êdomites paraissent
avoir adoré Jahvé"^ comme leurs frères d'Israël ; il n'y a donc rien d'impossible à
80 figurer comment elle devait conter les exploits de Jacob. Le caractère gigantesque des adver-
saires de David confirme qu'on a affaire à d'anciens demi-dieux ; on peut rappeler aussi que le nom
donné par Josephe et par les Septante à leur arme, rhomphaia, est celui du glaive flamboyant du
Dieu des Ârmôes et de TArchange Michel (voir mon article Rhomphaia dans le Lictionnaire des
Antiquités.)
^ Steuernagel, T)ie Einwanderung der israelit. Stämme in Kanaan, 1901, p. 37, 60; Ed. Meyer,
op. cit. p. 372-8 ; Isidore Levy, Retue des Etudes Juives, 1906, p. 32-51 ; J. Wellhausen, Israeli-
tische Geschickte, (6" ed.), 1907; p. 14-5.
* Je me rallie au s^'stöme exposé par M. Isid. Levy, article cité.
^ Rien n'implique, d'ailleurs, dans le texte jahvéiste, que l'inconnu qui attaque Jacob soit
Jahvé. Si le Jahvéiste parlait également de Penéël, il en résulterait qu'il considérait comme un
El l'adversaire de Jacob, forme abrégée lui-même de Jacob-El; d'autres peuples que celui
d'Israël donnant ce nom à leur dieu, Ismaélites, Malkiélites, Jéramélites etc., on n'en peut rien
conclure sur le peuple à qui était censé appartenir PEl de Pénéël. Stade (Bibl. Theologie des A.
r., I, p. 58 et Gesch. d. Volkes Israel, I, p. 145) pensait que l'adversaire de Jacob était un Israël,
dieu éponyme des Israélites, et que Ja lutte symbolisait l'incorporation des Israélites des bords du
Jabboq aux Jacobôlites, comme le mariage de Jacob avec Rachel et avec Léa exprimerait l'al-
liance de la tribu de Jacob avec des tribus de la « brebis n et de la « biche ». Pour Gheyne [Tradi-
tions and beliefs, p. 377) le dieu serait le même que celui dont Rachel dit (Gen. XXX, 7) : «avec
ma sœur j*ai combattu des combats d'Èlohim et je l'ai aussi emporté d. Ce combat entre les deux
sœurs devrait être mis en parallèle avec celui des deux frères Jacob et EsaQ et l'Ëlohim serait^
dans les deux cas, celui qui aurait porté les noms d'Yerahme'el et d'Âshhur. D'après Fraser
(Mélanges Tylor^ 1907, p. 136) ce serait le dieu du Jabboq, une sorte de djinn des eaux, que
Jacob, désirant apprendre de lui quelque secret, aurait attendu, seul, sur les bords du fleuve,,
pourrie surprendre lors de son apparition nocturne. Le nom d'El, impliqué seulement par
Pénéël, mis à part, la seule caractéristique divine du personnage — encore n'est-elle marquée
que très légèrement — c'est qu'il ne doit ni se faire surprendre par le Jour, ni révéler
1903. J REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOÏSE. [P. 343»
<^e que ce soit ce dieu qui assaille Jacob qui vient d'entrer dans sa terre sans avoir
pris soin de propitier le dieu par quelque sacrifice. Peut-être, le Jabboq était-il
même consacré au dieu que nous retrouverons manifestant sa puissance auprès
d'autres eaux. Guerrier avant tout, il semblait naturel qu'il garda ainsi ses fron-
tières contre les intrus et rien n'indique que ni Jacob ni les chantres de ses exploits
se soient étonnés, ni de la soudaineté de son attaque, ni de la forme sous laquelle
elle se produit, dette forme, toute humaine, atteste particulièrement l'antiquité
de l'épisode ; le dieu est loin encore du mystérieux maître des orages qui vit,
invisible et fatal à qui l'entreverrait, sur les cimes volcaniques ou dans les nuées
ardentes. Il combat comme un dieu de VIliade aux prises avec un héros et il se
conforme évidemment à toutes les règles du duel qu'il impose au voyageur suivant
un thème habituel aux légendes grecques. C'est Jacob qui s'écarte de ces règles,
après plusieurs heuresde combat, en avisant à un moyen, évidemment imprévu sinon
illicite, de s'assurer la victoire qui lui échappe. Ce duel étant sans armes — et,
par là, il semble qu'on en doive faire remonter l'invention avant l'apparition des
armes — on pourrait penser à une lutte corps à corps, une lutte à mains plates où
tous les coups de poing seraient interdits. Même ainsi, le coup à la cuisse, comme
moyen suprême, est impossible à comprendre. On ne voit ni comment un tel coup
aurait empêché le dieu de s'en aller quand rapproche de l'aurore l'y oblige, ni
pourquoi il aurait permis à Jacob d'exiger de lui son nom^ et ^a bénédiction. Si le
son nom. De même, Jahvô, qui fulgure la nuit dans la colonne ardente, reste invisible
le jour et son nom ne doit pas ôtre prononcé. Mais, rien n'indique non plus que Tad-
versaire de Jacob soit un dieu de la flamme et de la foudre comme le Jahvô de TExode. Il
'faudrait exclure tout-à-fait Jahvé si Ton pouvait démontrer que Tauteur premier de l'épisode
du combat du Jabboq connaissait déjà les apparitions de Jahvé à Jacob dans Bethel (Gen.,
XXVIII et XXXV) et chez Laban; non seulement VÉlohim de ses pères le comble de ses faveurs
dans ces deux occasions mais, avant Parrivôe au Jabboq, il semble envoyer des maleaks Elohim
pour lui montrer la route (XXXn, 1). On considère généralement que ces maleaks sont des anges
«t que c'est à un ange que Jacob a eu à faire; maisTangôIologie ne commence à se développer
qu'à dater d'Hézékiel (592-70) (cf. Marti, Gesch. der Israelitischen Religion, 1907, p. 270) ; Osée
<cf. p. 339, n. 2) est peut-être le premier à avoir parlé d'une lutte avec Van^e, Si l'ange maudit
apparaissait dans la littérature biblique avant le iv« s. (Zach. I[I),on pourrait croire qu'Osée s'ima-
ginait un Jacob vainqueur du Tentateur. Maleak^ d'ailleurs, ne s'est distingué de Jahvô lui-même
<|ue par le désir des piétistes d'attribuer à un sous-ordre dû dieu suprême les aventures qu'ils
Jugeaient trop compromettantes pour la majesté de l'Eternel. Comme aucun scrupule religieux
n'eût empêché de désigner explicitement un ange, il faut, pour que l'Elohiste n'ait pas eu recours
a ce moyen, que la tradition fut très forte en faveur du combat de Jacob avec Dieu même. Ne
pouvant ni supprimer, ni transformer, l'Elohiste s'est contenté de passer sous silence la person-
nalité de l'adversaire de Jacob. Le passage cité d'Osée peut montrer encore que les contem-
porains ne s'y trompaient pas et que l'ange n'arrivait que comme doublet du Dieu et pour être
▼aincu; on pouvait faire combattre ainsi le Seigneur des Armées, au moins sans le résultat
humiliant qu'on mettait à la charge de Pange. Si ce maleak a remplacé le cheroubim d'une
version primitive, on peut penser à ces duels de démons-animaux comme en connaissait Baby-
lone (cf. Delitzsch, Bibel und Babel, I, p. 43). Cinq siècles apres Osée, les Septante parlent
seulement de ïhomme qui lutta avec Jacob, avÖpwTro«; (vir dans la vulgate). C'est probablement
qu'ils avaient sous les yeux une version analogue à celle d'Osée où le Maleak Jahvé était appelé,
comme il arrive souvent, « un homme de dieu » (notamment Jud,^ XIII, 2 et G).
^ On sait que le nom véritable du dieu est considéré comme aussi redoutable que le dieu-même;
on ne le communique qu'aux initiés qui, par la connaissance de ce nom, sont censés avoir une
action particulière sur le dieu (cf. Dieterich, Eine Mithrasliturgie^ p. 112). Aussi la demande de
flon nom que Jacob adresse à son adversaire est-elle comme la consécration de sa victoire; elle
devait être originellement suivie d'une révélation de ce nom qui disparut lorsqu'on attribua &
Abraham la révélation du nom El-Shaddai et à Moïse celle du nom Jahvô. Ces deux révélation»
p. 344.] • R • E • E • S • [190&.
dieu se réconcilie et s'allie par là avec sod adversaire de la nuit, c'est sans doute
que Jacob a su trouver le moyen de Ty coutraindre. Quel peut-être ce lien magique
qui confère à Jacob une action si puissante sur le dieu ?
C'est dans Texamen des épisodes bibliques semblables à celui que Ton vient
d'étudier qu'il faut chercher la solution de ce problème. La lutte de Jacob avec
Jahvé n'était pas, en effet, seule de son espèce. Il semble même que c'était là un
thème fort répandu, chacun des grands ancêtres légendaires des tribus qui se fon-
dirent en Israël ayant, sans doute, affirmé sa supériorité par une semblable victoire
sur le dieu de la tribu voisine^. Si le futur dieu d'Israël semble être celui que Jacob
a combattu à son entrée en terre iduméenne — puisque le chant de Deborah, le
plus ancien monument littéraire d'Israël, fait venir Jahvé de Se'ir et d'Édom —
les autres baalim ont dû être l'objet de récits analogues. Après le triomphe d'Israël
et de son dieu, c'est autour des vainqueurs que vinrent s'amalgamer les légendes
éparses. Tous les héros des tribus victorieuses ou admises à s'agréger à elles
prirent place parmi les ancêtres d'Israël ; et Jahvé tendit à se substituer aux
divers baalim que combattaient ces héros ; la victoire qu'il remportait sur eux
présageait et consacrait à la fois l'entrée dans Israël de la tribu du héros ainsi
conquis. Le dieu d'Israël, en effet, ne pouvait être vaincu par les héros transformés
en ancêtres d'Israël. Aussi fut-on amené bientôt à supprimer, tronquer ou transfor-
mer les récits de ce genre. La lutte de Jacob ne subsista, on l'a vu, qu'au prix de
la transformation en victoire de la défaite du dieu ou de la substitution au dieu
invincible d'un ange dont on admettait plus volontiers qu'un être à demi-divio,
comme Jacob-Israël, put être vainqueur. Cette lutte impie, qu'on se refusait à
attribuer au patriarche, on devait répugner plus encore à la prêter au prophète
même, fondateur du culte de Jahvé. Et pourtant, magicien puissant tel qu'on
l'imagina tout d'abord. Moïse devait pouvoir vaincre par ces sortilèges, comme la
force et la ruse assuraient le triomphe de Jacob. Aussi, et bien qu'on paraisse
s'être efforcé pour les réduire et les déguiser, nous est-il parvenu plus d'un vestige
de ces luttes de Moïse avec Jahvé.
On peut reconnaître encore deux versions principales, avec six variantes cha-
cune au moins^, de la querelle qui aurait eu pour théâtre Me Mérîbah. Mérîbah,
précédant un véritable traité d'alliance entre le dieu et le héros auquel il s'est révélé, on peut
supposer un covenant pareil dans notre passage. La bénédiction devait venir comme sanction de
cette alliance à la fia du passage qui b'ouvrait par la révélation du nom.
^ Pour l'emploi des traditions cananéennes et araméennes — notamment de chants de guerre
et autres morceaux épiques — dans l'histoire des patriarches, on trouvera un aperçu nourri de
faits dans le 1«' chapitre de A. H. Sayce, The early history of the Hebrews (Londres, 1897). Je
ne crois pas devoir prendre en considération la théorie de D. Vötter, .Ägypten and die Bibel
(Leyde, 1907) qui ne voit dans l'histoire des patriarches qu'une transposition des mythes égyp-
tiens : Jacob serait Qeb, le dieu de la Terre et sa lutte avec Jahvé serait un souvenir du combat
par lequel Schou était censé séparer chaque matin Qeb de sa femme Nouït, la voûte céleste;
parce qu'Amon-Râ est le dieu de la fécondité il se retrouverait dans le dieu d'Abraham qui
institue la circoncision ! !
' On trouvera dans la suite des raisons pour distinguer : 1» une version qaïnite touchant la
source sacrée de Massah-Méribah au sortir du désert de Shour; t^ une version maramte touchant
la source sacrée de Marah-EUm, au sortir du désert de Shin, chacune de ces versions prétendant
expliquer tour à tour ces noms de lieux, 1^ par une querelle àe Moïse seul (A) ou avec Aaron (a)
ou dlsrael (B) avec Jahvé; 2<> par une épreuve imposée à Moïse, seul (A) ou avec Aaron (a) ou À
Israel (B) par Jahvé — épreuve qui amène le doute et Tincrédulitô (c) ou la foi et la sanctifica-
1903«] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEG JACOB ET MOISE. [P, 345.
« l'eau de la querelle » est le nom de la source qui jaillit en cascade puissante du
rocher, contrefort du Horeb, dominant à Test Qadesh — le lieu saint — Tua des
centres primitifs des Qaïnites adorateurs de Jahvé. Comme taut d'eaux courantes
en pays syrien, la source de Qadesh est divine. Grâca à cette divinité, Méribah ser-
vait d'arbitre suprême dans les litiges que Thomme ne pouvait ou n'osait résoudre.
On sait qu'on jurait aux sept sources de Beersheba^ et la législation du Pentaleuque
sanctionne l'usage, pour la femme suspectée, de boire l'eau mêlée de la poussière
du tabernacle ; coupable, l'eau sera pour elle une « eau d'amertume qui fait gonfler
son ventre et dessécher son flanc'^ n. Dans le Hadramaout, les sorcières présumées
sont plongées dans une source où surnagent les coupables ; à Aphaka, ce sont les
présents agréés qui sombrent ; il en va de même dans une source voisine de La
Mecque, tandis que, au lac des Paliques, les tablettes véridiques sont seules à se
maintenir à la surface. A Carthage, l'eau sacrée ne coulait que pour les hommes de
bien ; au lac Asbaméen de Tyane,elle était douce pour les innocents, mais saisissait
et glaçait les parjures^.
Sans qu'on puisse deviner laquelle de ces espèces d'ordalie on pratiquait à la
« source de la querelle » ou *< des litiges r,^ le nom de Massah^ « l'épreuve » qu'on
trouve associé à Mérîbah comme celui d'une localité voisine ou, peut-être, comme
une autre désignation de Mérîbah, suffirait à indiquer que ses eaux jouissaient d'une
vertu probatoire. Peut-être, Moïse y avait-il enlevé de haute lutte à Jahvé les secrets
de sa justice, comme Midas oblige Silène à lui livrer les siens, comme Ménélas
contraint Prêtée à lui dévoiler l'avenir, comme Numa arrache à Jupiter les rites
d'expiation pour la foudre. Dans le fameux morceau de la Bénédiction des Douze
Tribus, composé sans doute peu après le temps de Salomon, Moïse aurait béni
ainsi Levi « Que tes tummîm et ûrîm appartiennent à ton Seigneur, que tu as mis à
l'épreuve à Massah et avec qui tu as lutté aux eaux de Mérîbah^ ». A l'origine, ces
tion (d). Les conséquences P de la querelle sont la vertu Jusiiciôre et le caraclôre sacré de la
source de la querelle (e) ; 2^ de Vépreuve^ suivie de sanctification {f) rinslitution des lois et delà
justice divine; suivie de doute {g) les erreurs au désert à^ Israël et la mort de Moïse et d'Aaron
avant d*avoir touché & la Terre Promise.
^ Arnos, Vin, 14. Beersheba signifierait les 7 sources ; de mémo les eaux Asbaméennes (Syr.
shah^ämayä), d'aprôs R. Smith. CVst, Je crois, à tort que H. Grimme, Das israelitische
Pfifigstfest 1907, p. 101 (voir mon analyse Revue de PHist, des Religions, 1907, p. 391) a essayé
d'interpréter Beersheba comme la « Source des Sept » ces Sept étant pour lui les Pléiades. Sur
la vertu magique de l'eau chez les Sémite?, voir Blau, Das Altjüdische Zauber voesen, 1898,
p. 158.
« Nombres V, 11-31 et Josephe, Ant, Jud, III, 11, 6. Wellhausen. Prolegomena, 6™« éd., 1905,
341, a montré que la plus ancienne tradition rapporte précisément cette partie de la Torah aux
sentences enseignées par Moïse à Méribah. D*aprés V Anthropologie, 1900, p. 350 Tordalie de
Teau se serait conservée chez les Coptes pour la femme adultère. Elle existe déjà dans le code
d'Hammourabi (cf. L. G. Levy, La famille israélite, 1905, p. 226).
^ Tous ces faits sont allégués et discutés par R. Smith, Religion of the Semites, éd. de 1907,
p. 179. Pour le lac des Paliques — en Sicile, Torigine sémitique est rien moins qu'assurée — voir,
en faveur de cette origine, Isidore Levy, Revue Archéologique, 1899, I, p. 258 et contra
G. Glotz, L'ordalie dans la Grèce pHmitive, (Paris 1904), p. 80-85.
^ Renan (Histoire d'Israël, I, p. 180) a cru ofi'rir une explication plus rationnelle en expliquant
Méribah par «les batailles incessantes que se livraient les bédouins en venant y désaltérer leurs
troupeaux ». Il s'est, d*ailleurs, repris en écrivant plus loin : « la source du Jugement, peut-être
parce qu'on la consultait pour en tirer certains oracles ou Jugements de Dieu » (p. 203).
^ Deuter. XXXIQ, 8. Les ûrim et tummîm, quelle que fut leur nature, — sans doute des
tablettes à sorts que Jahvé était censé diriger, — - après avoir figuré à l'époque patriarcale au
nombre des pénates, étaient devenus le privilège exclusif des Lévites. Dans les questions insolubles
p. 346.] • R • Ë • E • S • [1908.
paroles Quêtaient pas placées dans la bouche de Moïse ; c'était, sans doute, rËiohim
lui-même qui sauctionnait aiusi aux lévites la possession exclusive des secrets de
la diviaatioQ. Ces secrets, Moïse les avait apparemment conquis, pour les léguer
aux lévites dont il aurait été la soucLc, en sortaot victorieux de Tépreuve de Massah
et de la lutte de Mérîbah.
A l'époque, sans doute, où Osée faisait un grief à Jacob d'avoir osé se mesurer
avec le Seigneur, on dut s'attacher à effacer toute trace de cette lutte victorieuse
de Moïse contre Jahvé. Mais, comme les prétentions de la caste sacerdotale repo-
saient en grande partie sur le texte relatif aux tummîm et ûrîm, il fallut se conten-
ter de fournir une explication moins sacrilège des événements de Massah et de
Mérîbah. La primitive victoire de Moïse sur Jahvé allait se transformer en une
nouvelle victoire du dieu et de son prophète sur Tinconstance et l'incrédulité de
son peuple, victoire qui serait tout à Thonneur de Moïse et des lévites issus de lui.
Rien ne devait être plus édifiant que l'épisode de la lutte de Moïse et de Jahvé
ainsi remanié ; mais l'exécution ne fut pas à la hauteur de ce pieux dessein et l'in-
certitude ou l'incohérence des passages ainsi modifiés suffiraient à dénoncer la
main du réviseur sacerdotal.
Dans VExode (XVII, 2) et les Nombres (XX, 3), les Hébreux menacés de périr
de soif dans le désert de Shin, s'ameutent contre Moïse. Celui-ci, dans VExode^
invoque Jahvé qui lui ordonne de prendre avec lui les anciens d'Israël « saisissant
dans ta main le bâton avec lequel tu as frappé le fleuve^, va-t'en. Je me tiendrai en
face de toi, sur le rocher du Horeb. Tu frapperas le rocher, de façon qu'il en
jaillisse des eaux dont le peuple pourra boire ». Dans les Nombres^ le Seigneur ne
donnait d'abord, semble-t-il, un ordre pareil qu'au seul Moïse et lui remettait
la verge qui allait accomplir le miracle ; puis, à cette première version s'en est
on ajournait les parties au temps où viendrait un prôtre qui saurait Juger par lerim et tummim
(Esdras, II, 63; Néhôraie, VII, 65). Renan a très bien vu ce caractère de Jahvé « essentiellement
un dieu de sorts, répondant par oui et par non aux questions qu'on lui posait... c'est à son arche
qu'on venait lui demander des décisions. Les institutions Judiciaires, durant un temps, se bor-
nèrent à ces espèces d'ordalies. Juger, c'était répondre à des gens qui venaient interroger Dieu »
(Histoire d'Israël, I, p. 272). L'habitude de placer sur l'autel deux tablettes portant chacune une
des alternatives et de considérer comme inspirée de Dieu celle qu'on prenait, le lendemain, soi-
disant au hasard s'est conservé jusque dans la Byzance du xu* s. (cf. Migne, Pairologie grecque,
t. 127, col. 1Ö20 ; Anne Comnône, Alexiade, X, 2, 8 ; XY, 471).
^ Auparavant Moïse parait avoir touché de son bâton — celui qui s'est transformé en serpent
au Buisson Ardent (pour le bâton-sceptre comme instrument de justice inspirée par la divinité,
voir Hirzel, Themis Diké und Verwandtes, 1907, p. 50) — la mer qui s'ouvrira devant Israel
(Ex. XIV, 15) et avoir jeté [ou trempé) un bois indiqué (XVII, 23) par le Seigneur dans les eaux
améres du désert de Shour pour les adoucir; mais aucun de ces deux épisodes ne peut guère
être celui auquel il est fait allusion en ce passage. Peut-être s'agirait-il plutôt de la version
primitive de l'épisode de la source de Beer (Beer signifie source, cf. Beersheba, la source du
serment) que, sur l'avis du Seigneur, Moïse aurait fait sourdre, en faisant fouiller la terre avec
les bâtons des chefs des familles, tandis que le peuple chantait le refrain : Source monte !
Source monte ! ( Num, XXI, 15). C'est cette chanson et cette légende quo Renan considérait
comme l'origine des récits miraculeux mis sous le nom de Moïse (Histoire d^ Israël I, p. 168, 205).
Il y a lieu de se demander si ce Qadesh est celui où fut enterrée Mariam la sœur d'Âaron et de
Moïse ~ elle parait plus étroitement attachée à Aaron qui n'était pas originellement le frère de
Moïse — ; si le Qadesh où on nnontrait la tombe (Num, XX, 1 ; Jud,y YI, 24) de cette prophétesse
est bien Qadesh-Méribah on entreverrait une autre explication du nom de ce lieu saint : 1« s'il
est vrai que Miriam signifie « la révoltée » C'^^IZ) ; 2o si c'est là qu on doit placer ]sl querelle où
Miriam et Aaron se seraient élevés contre Moïse : ^ Est-ce seulement par Moïse que Jahvé parle |
et n'est ce pas aussi par notre voix ? » [Num, Xn,l) . Le développement du rôle d'Aaron est appa-
remment l'œuvre du rédacteur sacerdotal.
1908.] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P, 347.
amalgamée une secoude où Aaron va so prosterner avec Moïse devant le taber-
nacle, où, le Seigneur s'adresse à Aaron en même temps qu'à Moïse et où tous
deux convoquent le peuple — et non plus les seuls anciens — pour assister au
miracle qu'accomplit Moïse. Le miracle accompli, VExode (XVII, 9) ajoute : Moïse
nomma ce lieu Massah et Mérîbah, à cause de la querelle des Benê Israël, et parce
qu'ils avaient tenté Jahvé en disant : » Jahvé est-il au milieu de nous ou non ? n
Ce dernier membre de phrase provient évidemment d'une autre explication de
Mérîbah, qui n'était plus le lieu de querelle, mais le lieu du doute ; peut-être était-
ce dans la même version que Massah était expliqué, non par épreuve, mais par
tentation. Il en subsiste une trace dans VExode (XVII, 2) quand Moïse, après avoir
demandé à ceux qui réclament de l'eau « Pourquoi entrez-vous en querelle avec
moi » — ce qui prétend expliquer Mérîbah — ajoute « Pourquoi tentez-vous Jahvé 0.
Les Nombres (XX, 13) cherchent apparemment à combiner les deux interprétations
quand le Seigneur, après le miracle, dit à Moïse et à Aaron « Voici les eaux de
Mérîbah, parce que les Benê-Israël se sont querellés avec le Seigneur et qu'il a été
sanctifié parmi eux^ » — à moins qu'il n'y ait là une corruption du texte qui
^ Tout cet épisode de Massah et Mérîbah parait n'être qu'un doublet — ou un dédoublement —
d'un épisode semblable antérieur qui ne nous est parvenu que tronqué. C'est lorsque «Moïse,
emmenant Israël loin de la mer de Soupb, le conduisit au déseit de Schourn (XV, 22a). Il y marche
trois jours — les trois jours assignés par Jahvé pour la Fête au désert — et arrive à Marah. N'y trou-
vant que des eaux saumâtres — Marah signifie Vamertume (cf. Ruth^ l, 20) — le peuple murmure.
Moïse invoque Jahvé, qui lui indique un bâton; jeté (ou trempé) dans la source, il la rend aussitôt
douce. De là, Israël gagne Elim — les grands arbres — où se trouvent douze sources et soixante-
dix palmeF. Or, Agatarcbide de Cnide (v. 130 av. J. C., Geopr. Gr. Min., 1, 175), décrivant la pénin-
sule.sinaïtique, signale, comme un lieu de culte célèbre, le Phoinikôn, avec sa palmeraie et ses
eaux vives, habité jadis par les Maranites. Le texte de la Genèse semble ainsi dériver d'une
légende locale destinée À expliquer la rencontre, après le désert et ses eaux saumâtres, des belles
sources voisines de Marah. Dans cette version, il est probable qu'on donnait à Marah, non le sens
de amertume — mais celui de querelle, litige — Méilbab n'est que la source de Marah ou Mérah
— peut- être aussi de tentation^ épreuve (Massah peut être un autre nom de Marah comme de
Mérîbah). C'est un souvenir de ce double sens qui reparait dans notre texte XV, 25 ô : « c'est là
(à Marah) qu'il (Jahvé ou Moïse, en tout cas c'est ici la place originelle de l'épisode des tables de
la loi) lui établit loi et justice et c'est là qu'il (Jahvé) réprouva ». L'épreuve divine qu'accompagne
l'établissement de la loi sainte suffit à suggérer que les eaux de Marah avaient les mêmes vertus
magiques que celles de Môribah. Guérisseuses des litiges — ces maladies du corps social — elles
guérissaient aussi les maladies humaines : aussi Jahvé y déclare-t-il à son peuple, que, s'il observe
ses ordres et prescriptions, il tiendra tous les maux loin de lui « parce que moi, Jahvé, je suis
t^n médecin » et Agatarchide nous apprend qu'on procédait tous les cinq ans à de grandes pane-
gyrics auprès de la source des Maranites, sacrifiant des chameaux bien gras et obtenant en retour
d'emporter de l'eau sacrée « parce que la tradition attribue à cette eau des vertus guérisseuses n,
— Il semble résulter clairement de ces faits que la Genèse contient les vestiges de deux
légendes étiologiques locales destinées à expliquer les vertus magiques des sources sacrées des
Maranites d'EUm et des Qaïnites de Qadesh-Barnéa. C'est ce qui a été entrevu par Wellhausen,
Prolegomena, 6* éd. p. 352, Ed. Meyer, Die Israeliten, p. 61 et B. Luther, apud Meyer, p. 101
et S. A. Cook, Jewish Quarterly Review^ 1906, p. 750. La plupart des commentateurs, y compris
Hoizinger (Exodus, p. 56), se trompent manifestement en cherchant une source salée pour y
localiser Mafah. Toute la légende a pour but d'expliquer pourquoi cet oasis d*eaux douces se
trouve au milieu des eaux saumâtres du désert. Peut-être K. Marti {Gesck, d. Israel, Rel. 1907,
p. 28) a-t-il raison de supposer que Taction attribuée au bois donné par Jahvè indique que les
70 palmes — nombre rituel du système septénaire caractéristique des Sémites — voisines des
X2 sources (peut être 14 à Torigine ou 7 comme à Beersheba) étaient également l'objet d'un
culte (cf. le térébinthe magique de la source d'Abraham). Toute rhabdomantie suppose un culte
du bois employé. Pour cette question des bois et des sources sacrées, voir Robertson Smith,
Religion of the Semites^ éd. de 1907, p. 164-199 et Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques,
p. 348.] • R • E • E • S • [1908.
serait : et parce que le Seigaéur n^a pas été sanctifié parmi les Benè-Israël aux eaux
de Mérîbah-Qadesh (la querelle de Qadesh) (Nombres, XX VIII, 14 ; Deuter. XXXII,
51). Plus loiü, sur le Mont Hor, — doublet du Horeb de Qadesh — le Seigneur se
plaint encore à Moïse et à Aaron « do la rébellion des Bené- Israël contre ma parole
aux eaux de Méribah » (24). En conséquence de cette rébellion dont le Soigneur
reparlera à Moïse avant sa mort (XXVII, 14 et Deuter., XXXII, 51), Aaron n'en-
trera pas dans la Terre promise ; plus haut (12), la même annonce est faite à Moïse
en même temps qu^à Aaron, mais en invoquant le dotUe : « parce que vous n^avez
pas cru en moi... ». Dans la version de la tentation et du doute — sans doute élo-
histe — il semblerait donc que Moïse et Aaron, figurant sur pied d'égalité, aient
partagé le manque de foi de leur peuple. C^est seulement en supposant l'existence
d'une semblable version qu'on comprend en châtiment de quelle faute ni Moïse ni
Aaron ne verront la Terre promise. Et l'on comprend aussi pourquoi le Réviseur
sacerdotal se sera efforcé de faire disparaître un pareil épisode.
Lorsqu'on voit ce Béviseur dépenser tant d'ingéniosité pour transformer la
primitive querelle où le prophète d'Israël se serait mesuré avec son dieu auprès des
sources sacrées des Maranites ou des Qaïnites, Marah ou Méribah, qui restèrent
depuis probatoires et divinatoires ; lorsqu'on voit avec quel zèle, à force de retou-
ches et de remaniements, il a mué cette lutte judiciaire, conforme à la violence
primitive, en récit d'édification adapté au moralisme juif, on s'étonne que V Exode
ait conservé, toute tronquée et falsifiée qu'elle soit, la mention explicite d'une
lutte de Moïse et de Jahvé.
Après son entrevue avec Jahvé au buisson ardent de Qadesh, Moïse, sur son
ordre, retourne en Egypte. « Sur le chemin, à la station, il arriva que Jahvé s'ap-
procha de lui pour le faire périr. Alors, prenant une pierre, Ziphorah trancha
l'excroissance de son fils, et le lui jeta aux jambes en s'écriant : « Tu m'es un
époux de sang ». Alors Jahvé le lâcha. Elle avait dit : « Époux de sang », à cause
de la circoncision ». (Ex, IV, 24-6).
On conçoit que ce passage ait fait le désespoir des commentateurs. Déjà le
Réviseur sacerdotal, qui n'ose le supprimer, tente timidement de l'expliquer par le
dernier membre de phrase. Pour lui « époux de sang » — hatan damim — signifie
évidemment que Moïse doit ce nom à ce qu'il s'est fait circoncire pour son mariage^
2« éd. p. 158-180. Pour le tôrébinthe d'Abraham, ajoutez Isid. Levy, Revue des Études Juives,
1901, p. 199 et J. G. Frazer, Folk-lore in the Old Testament {Mélanges Ti/lor, 1907) p. 111.
1 Od a môme proposé d'expliquer ^hathan^ qui désigne l'allié du côté de la femme^ fiancé ou
gendre {Jkathounah est le mariage), par l'arabe hätänä qui signifierait trancher, d*où circoncire
(cf. Holzinger, Exodus, p. 16). Cette explication impliquerait que c'est au moment du mariage
^ ou plutôt au moment où le mariage devient possible, moment qui, dans les pays sémitiques,
n'est jamais très éloigné du mariage effectif — que la circoncision aurait eu lieu dans l'Arabie
primitive, fait d'autant plus important qu'il semble en avoir été d'abord de même dans Israël.
Toutefois, môme en admettant cette étymologie, il est possible que ^hathan ne signifie pas
« le circoncis », mais soit équivalent de cet autre nom de l'époux, jsakar, (perforans) opposé à
neqébah (perforata). Sur toute la question voir les articles Circumcision dans le Dictionary of
the Bible de Hastings et VEncyclopedia BibUca de Cheyne. Une abondante documentation
anthropologique a été réunie par R. Andrée, Ethnographische Parallelen, neue Folge^ (Leipzig,
1869 p. 170 et suiv.). Pour la circoncision en Egypte, voir Reitzenstein, Zwei religionsgeschickt'
liehe Fragen (Strasbourg, 1902 p. 30), et la discussion à laquelle ses idées ont été soumises par
Gunkel et par Wendlaud, Archiv für Papyrologie, U, 1903 p. 15 et auiv. On y verra notamment
1908.] REINACH : LUTTE DE IAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P. 349.
avec la fille du prêtre de MidiaQ — ainsi Schekem leHivvite devait se circoncire avant
d'épouser Dina, fille de Jacobe Le prophète et le fondateur d'Israël ne pouvait
s'être dérobé au rite qu'on imposait même à ses pires ennemis, lorsqu'ils préten-
daient convoler en justes noces avec les filles d'Israël. Malheureusement, dans
l'Exode tel qu'il nous est parvenu, il n'est nulle part fait allusion à la circoncision
de Moïse ; tout au plus est-elle impliquée par Tordre donné à Abraham de circon-
cire les nouveau-nés au huitième jour^, ordre répété à Moïse pour tous ceux qui
voudront participer aux Pâques, c'est-à-dire communier avec le dieu-agneau et
avec le dieu-grain^, mais ordre qui n'aurait pas été exécuté pour les enfants nés
pendant les quarante ans d'erreurs au désert, puisque, après le passage du Jourdain,
le Seigneur doit inviter Josué à leur faire subir à tous ensemble l'opération, signe
de Talliance^. D'ailleurs, il résultait du texte même que, malgré l'ordre donné à
Abraham et mis à exécution par lui et par Jacob, sinon Moïse lui-même, du moins
son fils n'était pas encore circoncis. On fut amené à chercher précisément dans
cet inexplicable oubli de l'homme de Dieu la cause de la colère soudaine de Jahvé.
« Moïse lui-même fut pris en défaut au sujet de l'un de ses fils. Sur un terrible
avertissement de Dieu, sa femme Sépbora se hâta de circoncire l'enfant et, à la
suite de cette opération douloureuse, elle appela Moïse un « époux de sang"^ ». Je
ne sais si les théologiens de Jérusalem s'étaient montrés aussi ingénieux que leurs
successeurs catholiques. Au moins une pareille exégèse devait-elle trouver des
adversaires à l'époque des Septante ; moins hardis que ne le sera Josephe qui,
dans ses Antiquités Judaïques^ supprimera l'épisode entier, ils se contentent d'effa-
cer « Époux de Sang ». Les Septante pensaient, sans doute, que cette expression
n'aurait été à sa place que si Ziphorah avait apaisé le Seigneur en pratiquant
l'opération sur Moïse. La théorie du surrogate tirée en majeure partie de faits
constants des religions sémitiques, a offert aux plus avertis des exégètes modernes
une solution de cette difficulté. Moïse se serait attiré la colère du Seigneur pour
n'être point circoncis. Afin de la calmer, son fils est aussitôt circoncis en son lieu et
place et, pour reporter plus directement encore sur le père le bénéfice de l'opéra-
tion subie par le fils, il est lui-même arrosé par le sang rituellement versé. Ainsi,
le sang de l'enfant rachèterait la vie du père comme la circoncision elle-même
aurait été imposée d'abord à Abraham en rachat du sacrifice de son premier-né.
Si c'est la mère et non le père qui opère, c'est, a*t-on imaginé, que les femmes ne
pouvaient opérer que sur des enfants en bas âge. Enfin, le but du récit serait de
montrer comment, à la douloureuse circoncision des adultes, aurait succédé celle,
plus bénigne, des nouveau^nés^.
que la circoncision était encore pratiquée à 14 ans chez les Egyptiens (Philon, m Qen., m, 4-7;
Ambroise, De Abrah, II, 630 Schenkt), les Ismaélites (Origône, C. Cels., V, 4-8; Lydus, De Mens,,
p. 110, 13, W.)* ies Arabes (Josôphe, Ant. Jud.^ I 12). Il n*ya aucun indice permettant de croire
que les femmes aient, à l'instar de Ziphorah, oporé elles-mêmes leurs enfants ; on peut seulement
ftUégi»ep un bas-relief du temple de KhoMa Karoak où une feam« n'<^re pas mais tient les
poignets de Topôré. (Revue archéologique, 1861, 1, p. 298).
1 Ge7i. XXXIV, 24.
« Gen. XVn, 10, 23-25.
3 Ex. Xn, 48.
* Jos. V, 2. On n'a pas assez remarqué que, dans ce cas comme dans Ex. XII, 48, la circonci-
sion est placée & Tépoque de Pâques. Encore aujourd'hui l'opération est accompagnée de fêtes
dont l'acte essentiel est le sacrifice d'un mouton en Arabie (cf. Doughty, Arabia déserta, I,
p. 340, 391 ; Snouck Hurgronje, Mekka, n, p. 141).
^ Abbé H. Lesétre, dans le Dictionnaire de la Bible de l'abbé Vigouroax» II. p. 773.
^ Cette explication, déjà indiquée par Reuss (La BihU^ t. Y, p. 13), a été généralement reprise
p. 350.] • R • E • E • S • [1908-
Cependant, à nous tenir à la lettre des textes bibliques, le Seigneur a déjà
ordonné à Abraham de circoncire à l'âge de huit jours ; le patriarche a opéré loi-
même ses fils Isaac et Ismaël et telle paraît être restée la coutume jusqu'au joor
où des spécialistes, moitié prêtres, moitié médecin?, furent chargés de Topération ;
rien ne permet de croire qu^on ait permis à la mère — plus que jamais impore
pendant les relevailles — de participer en aucune manière à cet acte rituel. Enfin,
s'il est possible que le fils en bas âge de Moïse n^ait pas encore été circoncis, il n'est
pas admissible qu^on crût que l'homme de dieu ne portât pas, dès le début de sa
vocation, le signe de Talliance. Outre l'invraisemblance d'une pareille hypothèse,
elle se trouve en contradiction formelle avec les textes qui nous montrent les
Égyptiens — parmi lesquels a grandi Moïse — pratiquant la circoncision ; et l'on a
vu que tous les Hébreux qui participent aux Pâques instituées par Moïse et qui
sortent avec lui d'Egypte n^ont dû qu'à cette opération la protection de Jahvé^.
par tous les commentateun. Eq dehors des commentaires (en dernier lieu Holzioger, Exodus,
p. 16) je me borne à renvoyer Reitzenstein et Gunkel, loc. cit, : à W. Nowack, Lehrbuch der
hebräischen Archäologie^ I, p. 168, à Wellhausen, Arab. Heidentum^ 2« éd. p. 175 et à Barton,
Semüic Origins (New York 1902), p. 280. C'est seulement pendant la correction des épreuves que
Je prends connaissance de deux explications nouvelles de la circoncision que J. G. Frazer et
H. P. Smith ont tirées des rites australiens rapportés par Spencer etGilien. Ces articles ne me sont
malheureusement connus que par des analyses, celui de Fraier (The Indépendant Rej:ieuv)^ 1904
p. 20M8) par un c. r. de M. Mauss (Année Sociologique, 1906, p. 255), celui de Smith {Journal
of biblical Literature, 1906, p. 14) par ce qu'en dit Cheyne (Traditions und Belitfs of ancient
Israel, 1907, p. 535). D'après Frazer, le prépuce, formant siège de l'âme, est excisé à la puberté
pour assurer la transmission de l'âme ; il est conservé sur l'arbre nanja^ chez les Aruntas « centre
totémique d'où s'échappent les Ames qui vont, dans les femmes, se soumettre â une nouvelle con-
ception n. M. Mauss croirait plutôt qu'il s'agit de débarasser Tenfant de l'âme infantile pour
laisser la place libre à l'âme d'homme dont les rites de puberté ont pour but de favoriser l'intro-
duction; la circoncision pour lui, serait, d ailleurs, avant tout, un signe tribule. D'après Smith,
la peau comme le sang de la circoncision seraient des charmes puissants ; en raison de leur vertu
magique, on s'en serait servi pour la comnuniquer par frottement anx membres du clan dont
Pâme se trouverait ainsi renforcée; on aurait notamment agi ainsi en cas de maladie. Or, l'assaut
de Moïse par Jahvô n'est qu'une façon d'exprimer un mal subit que le terrasse, crise épileptique
ou autre ; pour restaurer Ta me expirante de son époux, Ziphorah lui applique aussitôt le pré-
puce de son fils. Cette sorte de transfusion serait commémorée dans le verset final dont la
forme primitive serait : « Cest pourquoi Jusqu'à ce jour, quand un enfant est circoncis, le
prépuce est frotté sur les pieds de chaque membre de sa famille, n
^ Il est vrai qu'on pourrait soutenir — mais il faudrait retirer d'Egypte l'institution de la Pâque
qui implique l'existence de la circoncision — que les Hébreux n'étaient pas encore circoncis en
Egypte puisque Jahvé, lorsqu'il ordonne A Josué de faire procéder à la circoncision, prétend
soustraire ainsi son peuple à Vopprobre des Égyptiens, ce qu'on s'accorde & entendre le mépris
où les Égyptiens tiennent les Hébreux comme incirconcis. Le réviseur sacerdotal a cru tout con-
cilier en n'appliquant la circoncision de Josué qu'aux Hébreux nés depuis la sortie d'Egypte. H
n'a guère songé aux trois objections élémentaires qu'on aurait dû faire de tout temps À ce sys-
tème : Est- il bien vraisemblable que ce soit pendant ces quarante ans passés au Désert que les
Hébreux aient eu à souffrir de lopprobre des Ég yptiens 1 Lqb Hébreux du désert, d'après son
texte même, n'étaient-ils pas les circoncis sortis d'Egypte ? Tous ces Hébreux avaient-ils pu dis-
paraître en quarante ans, supposition nécessaire puisque le texte parle de la circoncision par
Josué de tous les Hébreux ? La vérité me semble être qu'il a existé au moins trois versions de
l'institution de la circoncision, la 1'^ Tattribuant à Abraham — comme ancêtre commun des
tribus palestiniennes — , la 2'°* à Josué qui l'aurait fait opérer à l'entrée de la Terre Promise, à
Gilgal — parce qu'on interprétait un monceau de silex qui se trouvait près de cette place comme
formé par les couteaux de pierre employés pour l'opération et par un jeu de mots entre Gilgal et
GcUlolhi, « J'ai rejeté de vous n — , la 3<°<' à Moïse. Comme fondateur de la Loi et du Culte, il
était nécessaire de mettre de quelque façon en rapport avec lui l'institution de la circoncision.
La version officielle la lui faisait instituer apparemment en même temps que la Pâques, expli-
quant ainsi que les Hébreux aient pu être jusque là Vopprobre des Égyptiens.
1908.J REINACH : LÜTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P. 351,
Ainsi Texplication des érudits, pas plus que Tezégèse orthodoxe, ne laisse
entrevoir la solution véritable du problème. Toute fondée que soit la théorie du
surrogate elle ne permet guère de comprendre ce nom d'épottx de sang donné par
Ziphorah au père de celui qu^elle vient de circoncire et aux pieds duquel elle jet-
terait le prépuce sanglant.
Mais, en ce faisant et en ce disant, est-ce bien à Moïse qu'elle s'adresse ? On
a vu le récit de la lutte de Jacob s'éclaircir singulièrement en rapportant il frappa^
non plus à Jahvé mais à Jacob. C'est au grand historien de l'antiquité^ Edouard
Meyer^ que revient, je crois, l'honneur de la double observation qui placera enfin
dans son vrai jour l'étrange verset de l'Exode. Le lui et le tu que nous avons mis
en italiques ne se rapportent pas à Moïse mais à Jahvé ; et les pieds du Seigneur
auxquels Ziphorah jette le prépuce sanglant de son fils ne sont qu'un euphémisme
pour désigner sa virilité.
L'interprétation nouvelle qui s'impose ainsi pour la lutte de Moïse avec Jahvé
rapprochée de l'interprétation semblable qui s'o£fre pour le duel de Jacob avec
Jahvé nous semble une des données les plus importantes que la seule critique du
texte ait apportées de longue date à la question biblique. Cette importance paraît
avoir échappé au savant auteur qui n'en tire aucune conséquence. Saus prétendre
épuiser les problèmes soulevés par cette découverte, on cherchera à indiquer la
position nouvelle de la question.
*
Dans la brève remarque dont Ed. Meyer fait suivre sa lumineuse correction,
il considère la circoncision comme un moyen magique de détourner la colère du
Dieu d'Israël. Loin d'être ainsi un apoiropaion^ je crois que cette opération est
bien un signe d*alliance. La correction d'Ed. Meyer permet de comprendre en quel
sens tout matériel il convient de prendre cette expression considérée jusqu'ici
comme purement symbolique.
Laissons provisoirement de côté l'attaque subite de Jahvé contre Moïse ;
prenons la seconde partie de l'épisode : Ziphorah, pour contraindre Jahvé qui a
* Dans son livre déjà plusieurs fois cité, Die Lraeliten und ihre Nachbarstämme CHalle, 1906),
p. 59. Il se borne à remarquer : « Ce récit prôtend expliquer rt)ri«rine de la circoncision chez les
Israélites, qui serait pour eux un moyen magique {Zaubermittel) servant à détourner la colâre de
Jahvé. Aussi a-t-on fait remonter sa découverte à Moïse et à une lutte quMl aurait soutenue contre
Jahvé ; seulement, ce n'est pas lui-même mais sa femme qui fait la découverte ». La question de
l'interprétation du lui a déjà été posée dans le commentaire de Nowack (Ooettingue, 1903), p. 35
qui cherche à expliquer la circoncision comme une défense contre les influences malignes des
esprits; c'est aussi la théorie de Kautzsch dans Vextra-yol, du Dictionary of the Bible de
Hastings, p 622.
* Il faut rappeler que le réviseur qui a substitué, en guise d'euphémisme, d'abord jambes puis
(le texte des Septante) pieds trouvait un exemple dans le changement semblable fait au texte
fameux de la Oenése, où Dieu condamne le serpent à s'acharner après le talon de la femme. Or
c'est cette morsure qui était censée produire le flux menstruel (cf. S. Reinach, Cultes^ Mythes et
Religions^ II, p. 399). Ce phénomène parait avoir été considéré d'abord comme dû à des influences
magiques ; au moins le nom habituel du serpent, nachaash, était-il employé pour désigner les
opérations magiques. Dans un article plein d'hypothèses aventureuses, W. Schultze, Memnon^
1908, p. 52, a essayé de montrer qu'Eurydice mordue au talon par un serpent n'est que la version
déformée d'une légende sémitique de la Vierge rendue mère par le Serpent. Que le serpent ait
ôté primitivement adoré dans des tribus Israélites, cela résulte de la présence de ce totem sur la
bannière de Dan et du serpent d'airain fabriqué sur les ordres de Moïse ; à Tépoque où Ëzéchias
renversa cette idole (Il Rois^ XVni, 4) l'adoration commençait & se muer en cette abomination
qui fit exclure Dan des tribus marquées pour le salut et qui fit de son serpent le prototype du
p. 352.] • R • E • E • S • [1908.
saisi Moïse à lâcher prise, V) tranche le prépuce de soq fils avec uq silex ; 2^) jette
le prépuce sanglant aux genitalia^ de Jahvé ; 3®) lui crie : tu m'es un époux de sang.
Ce triple rite accompli, Jahvé l&che aussitôt Moïse.
L'exclamation de Ziphorah prouve qu'il y a là autre chose qu'un simple pro-
cédé apotropaïque. Par l'acte qu'elle vient de commettre Jahvé est devenu son
hatan daminij exactement : le fiancé sanglant, c'est-à-dire celui qui a versé le sang
virginal. L^acte de Ziphorah a donc, avant tout, pour objet de donner à Jahvé
l'apparence d'être l'homme qui lui a pris sa virginité; le dieu devient, par là, de la
façon à la fois la plus intime et la plus forte, son allié par le sang ; comme tel,
il ne peut plus rien contre elle et les siens ; bien au contraire, il leur doit aide
et protection.
On se trouve donc en présence, essentiellement, d'un rite d'alliance par le
sang. Si la forme en est, je crois, toute nouvelle, (au moins pour les Sémites), elle
n'a rien en soi de surprenant. Il suffit de rappeler le fameux blood-covenant des
Arabes que connaît déjà Hérodote : l'incision &ite avec un silex au pouce de ceux
qui veulent conclure un pacte d'hospitalité ; le sang recueilli et appliqué, au moyen
d'un fil retiré du manteau des jureurs, sur sept pierres sacrées, placées entre eux ;
les invocations aux dieux qui accompagnent cette libation sanglante^ Autrement dit,
les contractants, après s'être unis en mêlant leur sang, font participer à leur union
les dieux dont ces bétyles sont, sans doute, la représentation phallique. La divinité
avec laquelle ils ont ainsi communié, intéressée à l'union conclue sous ses auspices,
devra mettre tous ses soins à la protéger. Lorsque les prêtres tyriens versent leur
sang sur l'autel de Baal^, ils contraignent de même le dieu à prendre en main leur
cause devenue la sienne. Absorber le sang du dieu ou faire absorber son sang par
le dieu, c'est toujours s'incorporer en quelque sorte et s'unir à la divinité.
Un pareil mélange de sang — peut-être y avait-il à l'origine échange et trans-
fusion — ne crée pas seulement une union très forte, une véritable consubstantia-
lité. De la consubstantialité dérive la confraternité ; par là, le blood-convenant crée
Diable et de l'Antéchrist (cf. Friedlœnder, Der Antichrist in den vorchristlichen Quellen^ 1901,
p. 144). Mais, que le serpent ait été coDsidéré comme le premier fécondateur, je n*en trouve pas
d'autre indice que ce rite des mystères de Sabazios ou, pour figurer l'union de Tinitié avec le
dieu, un serpent était introduit par le haut du vêtement et retiré par le bas (cf. Dietericfa,
Mithrasliturgie^ 1903, p. 123 et Tart. Serpent dans YEncycL Biblica ; pour le serpent dans la
Genèse comme « incarnation zoomorphique de la virilité » Crawley, Mystic Rose, p, 9SZ ; Tree
of Life, p. 64). Je rapprocherais de ce rite l'adoption telle qu'on la voit encore pratiquée à Èdesse
aux XII<^-XIIP s. : l'adopté passant entre la chair et la chemise de l'adoptant (Guibert de Nogenf ,
Gesta l)ei per Francos, 1. Ill, c. 13 ; Albert d'Aix, 1. III, c. 21 ; C?ianson d*Aniioche, T. 1, p. 186,
éd. Paris). Par contre, on peut se demander s'il n'y a pas quelque symbole semblable dans
l'enlèvement de la chaussure accompagné d'un crachement (au visage, par terre ou dans la
chaussure) que la veuve doit faire subir au parent qui se refuse aux devoirs du létircU, Toutes les
coutumes qu'on a groupées sous le nom de pieds pudiques reportent, d'ailleurs, à une relation
que les primitifs devaient établir entre le pied et les fonctions de reproduction.
1 Hérodote, m, 8. Cf. Robertson Smith, The Religion of the Semites, éd. de 1907, p. 314;
Kinship und Marriage in early Arabia, éd. de 1907, p. 59. Sur le tabou du sang chez les Sémites,
voir L. 6. Levy, La famille dans V antiquité Israélite, 1905, p. 74 et Ad. Lods, La croyance à
la vie future et le culte des morts dans V antiquité israélite (cf. mon analj'se REES 1908, p. 302).
2 I. Kois XVIII, 28, cf. Lucien, De dea Syria, 50. R. Smith {Journal of Philology, XIV,
p. 125) remarque que le terme qui signifie en syriaque « supplier 9 en s'adressant à un dieu ou
à un hôte, ethhashshaf, désigne littéralement l'action de se couper, de se faire saigner. Il en est
de même de l'hébreu hithpallel qui, signifiant au propre « s'inciser », s'emploie au sens de
« prier ».
1908«] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P, 353.
une parenté fictive. Cette parenté sera plus efficace encore si l'étranger, qui veut
entrer dans une famille, suce le lait de la mère de famille, devenant ainsi le frère
de ses fils. L'existence de cette coutume dans l'Arabie primitive est attestée non
seulement parce que la fraternité de lait est soumise dans la loi de Mahomet aux
mêmes prohibitions en fait de mariage que la fraternité de sang, mais par toute une
série de contes arabes qu'on retrouve jusqu'aux confins du monde musulman.
C'est, à Java, Raden Pakou — qui devait devenir le plus célèbre des waiisj
apôtres de la foi mahométane dans la grande île — qui est recueilli par une riche
dame d'Ampèl, fiai Gêdè Penatith ; pour en faire véritablement son fils « elle décou-
Trit ses mamelles et Raden Pakou en suça le lait ; par la vertu sainte de celui qui
suça, ûai Gêdè devint la propre mère de Raden P^Jlou^ ». A Tautre extrémité de
l'Islam, en Kabylie, la reine des Berbères, El-Kâhîna veut adopter Khaleb, un
prisonnier arabe ; elle fit revenir le lait à l'aide d'une sorte de cataplasme de farine
d'orge cuite dans de l'huile, puis « elle ordonna à Khaleb et à ses fils à elle de
venir téter, ce qu'ils firent. Après quoi elle leur dit : « Maintenant vous voilà
frères'^ ». Les ogresses que rencontrent les voyageurs arabes ne sont pas plus
farouches dès qu'on a sucé leur sein : « Si tu n'avais pas tété mon lait, dit l'une
d'elles, je t'aurais dévoré^ » et une autre ajoute : « Te voilà maintenant de la
famille des ogres ».
Le sang virginal n'a pas dû être moins efficace que le lait maternel. Dans
l'Arabie, comme dans la Grèce primitive, l'étranger jouit d'un caractère sacré ;
l'hospitalité à son égard est donc un devoir religieux^. Or, non seulement 1' « hospi-
talité sexuelle » fait partie ordinairement des devoirs de l'hospitalité, mais l'inter-
diction au membre d'un clan de verser le sang d'une fille du même clan, l'interdiction
plus générale que Jahvé fait à son peuple de verser le sang, sacré parce qu'il est le
principe de la vie, autrement qu'en sacrifice de communion ou d'expiation, tout cela
devait disposer, dans les sociétés endogames surtout, à faire accomplir cette effu-
sion par un étranger de passage; enfio, le caractère sacré de l'étranger qui faisait
participer en quelque sorte la divinité à cette défloration devait faire préférer
une pareille coutume aux perforations artificielles auxquelles tant de primttifs
ont recours. Pour toutes ces raisons, la coutume de livrer les vierges du clan
aux étrangers de passage a dû être générale avant d'aller se spécialiser et
se localiser dans des sanctuaires déterminés. Il ne semble pas qu'on doive cher-
cher d'autre origine à la prostitution sacrée dont les vestiges étaient si nombreux
encore à l'époque historique en pays sémitique^. Comme le temple de Mylitta de
Babylone et le temple de l'Astarté de Paphos, comme Héliopolis, Byblos et Carthage,
^ A. Gabaton, Revue de V Histoire des Religions^ 1906, p. 391. Le coDte n'est pas antôrieur au
XVI« s. Sur la Milk-Kinship en gônôral, cf. R. Smith, Kinship and Marriage^ p. 176.
* René Basset, Nouveaux contes berbères (Paris, 1893) d. 4.
^ Je ne connais ces contes que par Tanalyse qu'en donne E. Cosquin, Le lait de la mère et le
coffire flottant^ dans Revue des questions historiques, 1908, p. 399.
^ Sur l'hospitalité en Arabie, comparée â l'hospitalité de la Grèce primitive, cf. Fr. J. Engel»
Ethnographisches zum Homerischen Schützlin gerecht (plusieurs programmes du gymnase de
Passau, 1899-1906). La plupart des faits arabes sont empruntés à un mémoire de Quatremôre de
Quinoy, Mém, Acad. Inscr., XV, 2 (1845) et à Proksch, Ueber d, Blutrache bei d, vorislam-
ischen Arabern, (Leipzig, 1899). Sur l'hospitalité sexuelle, voir R. Smith, Kinship and Marriage^
p. 140.
^ Je me borne A renvoyer à S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, 1, 1905, p. 79, 119, 170 ;
Frazer, Adonis, 1906, p. 22 ; E. Sidney Hartland, Anthropological essays presented to E. Tylor,
1907, p. 190 ; Fr. Cumont, Religions orientales dans le paganiéme romain, 1907, p. ^00«
p. 864.] • R • E • E • S • [1908.
les hauts lieux d'Israël et Jérusalem même ont eu leurs Qadesha^^ « les consa-
crées », noQ pas courtisanes de métier, mais filles de bonne famille qui, la tête
entourée du voile de Toblation*, allaient o£frir leur virginité au premier passant
que susciterait le dieu. Aux époques primitives, il devait arriver souvent que le
passant, entré ainsi dans Talliance du clan et de son dieu, s'établissait sous leur
protection. Au moins est-il bien remarquable que presque tous les patriarches
d'Israël se sont fixés ainsi, là où ils ont rencontré une vierge étrangère : Jacob
auprès de Laban de Haran, Juda auprès de Hira d'AdouUam, Moïse lui-même
auprès de Jéthro de Midian. L'idée que le gendre est allié de la famille de sa
femme, qu'il est cognait^ ^ fils par association, est . devenue si familière que l'es-
sence même de cette alliance nous échappe : oindre du sang d'une vierge la virilité
de l'étranger qui doit entrer dans son clan, telle est la condition nécessaire et
suffisante de l'alliance. C'est ainsi seulement qu'il devient membre du clan,
mishpahah^ à l'égard des autres tnishpahaimy les « disséminés ». Dans les clan»
matriarcaux, qu'on nomme bain ou rechem^ c'est-à-dire ^ le ventre », — comment
pourrait-on acquérir la descendance utérine qui seule est valable, sinon par le
commerce de la gardienne encore vierge des germes ancestraux ? Quand la coutume
s'affaiblit pour se concentrer dans les sanctuaires, tout sang clanique dut suffir à
cette onction ; aussi, bien que la virilité d'Jahvé n'ait été ensanglantée que par le
sang de son fils, — et cette libre disposition du sang filial qui apparidt comme un
droit de la mère ne reporte-t-elle pas également au matriarcat primitif — Ziphorah
se trouve-t-elle en droit de l'appeler son « époux de sang » et Jahvé est contraint
de se conduire à son égard en ami et allié. C'est, dans une intention semblable,
qu'on enduit le seuil du sang de l'animal sacré, — agneau ou veau — et qu'on
répand quelques gouttes de ce sang protecteur sur la tête des enfants : tous ceux
qui passeront le seuil deviendront, par la vertu de ce sang, membres de la famille
qui l'a répandu et, à cette marque, la divinité reconnaîtra et épargnera les siens^.
Entre toutes les parties du corps humain qui pouvaient fournir ce sang d'al-
liance, il est naturel qu'on choisit celles où semblait se concentrer une vitalité plus
intense. Telle devait sembler aux Sémites primitifs le pouce, si mobile et si délié,
organe indispensable de toutes les actions humaines, où, par l'artère radiale, la vie
^ Sur les Qadeshay oatre les commentaires de Marti, Nowack et Holzinger à l'épisode de Tamar
(Ex. XXXVIII), voir B. Luther, apud B. Meyer, op. cit., p. 180, 200. Il est remarquable que
qiddouschin soit devenu un des termes usuels pour désigner le mariage. On croît que les
nethounim^ les « voués », hiôrodules du temple de Jérusalem, sont les enfants issus de la prostitu-
tion sacrée (cf. J. Jacobs, Studies in biblical Archaeology^ 1894, p. 104).
^ Peut-être ce voile est-il moins celui de Toblation (au sens où le définit S. Reinach, CuUes^
Mythes et Religions^ I, p. 299) que le voile qui empêchera de voir la fiikce du dieu, dont le seu)
aspect foudroie ou pétrifie. Cette hypothèse confirmerait que c'est bien un dieu que la qadeska
attend sous les espèces de l'étranger de passage. Il faut rapprocher aussi de ce rite l^jusprima«
noctis accordé au prêtre, au seigneur ou à l'étranger comme substituts de la divinité. Cf. Wes-
termarck. Origine du Mariage, 1895, p. 189 et Crawley, The Mystic Rose^ 19i)2, p. 479.
> Cf. Clay Trumbull, The Threshold Covenant (New- York, 1896). Dans un appendice « woman
as a door » cet auteur indique comment, dans l'antiquité sémitique, on a poussé très loin la
comparaison entre la porte et les pudenda muliebria et cherche à en induire une analogie
fondamentale entre la libation de sang sur le seuil et l'effusion du sang virginal ; le sang dont
on enduit la porte à Pâques serait le symbole d'un véritable mariage de Jahvé avec Israel. Sous
le titre « significance of blood in the marriage rite jt il a analysé en latin un certain nombre de
textes relatifs au sang nuptial. On y verra notamment que l'usage Israélite (Deuter., XXY, 13-21>
de garder en témoignage le drap nuptial s'est perpétué dans l'orient égypto-syrien.
1908«] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P. 355#
semble affluer. Oo a vu que c'est au pouce, probablement à l'artère, qu'ils s'inci-
saient pour recuoUir le sang du blood-covenani décrit par Hérodote et il est
important de remarquer que tout un groupe des contes d'adoption par allaitement
dont il a été question, fait sucer aux enfants adoptifs, non plus un sein maternel,
mais le pouce d'un père nourricier^. Avec bien plus d'intensité encore que dans le
pouce, la force vitale semblait se condenser dans le membre viril. Sans aborder ici,
la question complexe des pierres sacrées des Sémites, il est certain que, si tous les
betélSj ashera^ masséboth^ ne sont pas, comme on l'a cru trop longtemps d'après
Dulaure et Movers^, des symboles sexuels, le culte phallique n'en a pas moins été
fort développé en pays sémitique. Mais ce n'est qu'en se dégradant que ce culte
s'est réduit exclusivement à celui des fonctions de reproduction. Non seulement
l'on ne saurait trop répéter que les primitifs n'ont guère d'idée précise au sujet de
leur localisation et de leur fonctionnement ; mais, on ne s'expliquerait guère que
ces stèles votives ou funéraires qui sont censées représenter la personne du mort
ou du consécrant — elles sont dites naphchâ^ « Tâme » en araméen — portent,
aussi bien qu'un phallus, un doigt, une main, un œil. C'est à tort, je crois, qu'on
prend généralement l'œil pour un symbole solaire, le doigt ou la main pour des
emblèmes phalliques ; ce ne sont, à l'origine, qu'autant de traductions matérielles
des différentes localisations du principe vital qu'ont imaginées les primitifs, l'âme
pupiline, l'âme dactylique, l'âme phallique ou spermatique.
De ces différents sièges de l'âme, la force vitale rayonne et se communique.
La projection d'une âme pupiline, maligne ou irritée, est encore partout redoutée ;
c'est le mauvais œiP. Plus redoutables encore ont semblé aux primitifs ces sièges
de l'âme qui sont en même temps les orifices mystérieux du corps. Toutes les
précautions et toutes les prohibitions dont on entoure la vie sexuelle de la femme
ne viennent pas tant d'une idée d'impureté (qui ne s'est développée que secondai-
rement) que de la crainte et du respect qu'inspirent des phénomènes incompréhen-
sibles au primitif. Aussi, s'efforce-t-il d'isoler et de cloîtrer la femme pendant la
grossesse ou la menstruation pour que rien n'émane d'elle et que rien ne puisse
entrer en elle. De même, ce n'est pas une idée de pudeur mais une idée de crainte
^ Cosquin, Revue des Questions Historiques^ 1907, 417. Parfois le prodige 8e complique. G^est
le pouce de Tenfant lui-même qui fournit le lait. Ce prodige rentre dans la catégorie des seins
qui produisent du lait quand, normalement, ils n'en sont pas susceptibles. N'est-ce pas un
miracle semblable dont Moïse est l'objet quand ayant posé sa main sur son sein il la retire blanche
comme de la chaux (Ex, IV, 5 ; Joseph, il. 7. Il, 12, 3). Je rappelle encore que le mot iad^ main,
désigne parfois les cippes funéraires et que les mains magiques sont le symbole constant du Baal
d'Héliopolis. Tous les rapprochements entre le cuUe du pouce et des autres doigts et le culte
phallique, rapprochements tout à fait spécieux, À mon sens, pour la période primitive, ont été
repris par Kaibel dans son étude sur les Daktyles Idéens [Qoettinger Gelehrte Anzeiger ^ 1901),
par von Prott dans son article posthume intitulé Métér de VArchitj f, Religionstoissenschaft,
1906, p. 87, enfin dans les mémoires démesurés de Milani sur VArte et la religione preeUenica
où l'auteur prétend démontrer l'existence primitive dans tout le bassin méditerranéen d'une
•religion unique dactylo-phallique [Studi e Materially I-III).
* Déjà R. Smith a essayé de réagir contre l'application exagérée du symbolisme phallique.
Religion of the Semites, éd. 1907, p. 212, 456. Il a été suivi en Fiance par le P. Lagrange, Études
sur les religions sémitiques, p. 190, 212 ; le P. Vincent, Canaan, 1907, p. 127 et R. Dussaud dans
ses Questions Mycéniennes (extr. de la Rev, d^Bist, des Religions 1905) et ses Notes de myiholo'
gie syrienne (1905).
* Sur Tâme pupiline, voir Tarticle de E. Monseur, Revue de l'Histoire des Religions, 1905,
p. 1-23, 361-875. Sur le mauvais œil en général, Fred. Th. Elworthy, The Evil Eye (Londres»
1895).
F. 856.] • R • E • E • S • [1908.
qui s'affirme eacore dans la prescriptioa édictée par la Torah i « Vous ae moaterez
pas sur les gradios de mon autel, dans la crainte de découvrir votre nudité^. «
C'est dans le trouble de la Faute que le premier couple a songé à se voiler^. A Tori-
gine, le pagne était sans doute destiné à empêcher les esprits répandus dans la
nature de s'emparer de l'âme phallique ; au temps de David, il constitue encore
le seul vêtement sacerdotal^. Pour la même raison, un voile venait couvrir la barbe
et la bouche du prêtre.
Veut-on, par contre, conclure une alliance d'homme à homme ? On met aussi
directement que possible les âmes respectives en contact. La poignée de main nous
est devenue un geste si familier qu'on ne se rend plus compte de son origine rituelle,
la dextrarum jundio^ les mains jointes pour que la force vitale se transfuse, le
sang de l'artère, dans les battements de laquelle on croit reconnaître Tâme dactj-
lique, mêlé et confondu. Plus efficace encore est le serment qui se fait par Tattou-
chement de la virilité de celui qui jure, car sa durée s'étend sur toute la race qui
en sera issue. Aussi, « Jacob, sur le point de mourir, manda son fils Joseph et lui
dit : « Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, pose ta main sous ma cuisse et promets-moi
en toute miséricorde et toute loyauté que tu ne m'enlèveras d'Egypte pour me
coucher dans le tombeau de mes pères^ » et Abraham, au moment d'envoyer Êliézer
chercher femme pour Isaac : « Pose ta main sous ma cuisse pour que je te fasse
jurer par Jahvé"^ ». Ainsi, dans ce serment par le membre viril, la divinité est prise
en témoin et en gage comme on l'a vu faire dans le serment par le sang du pouce.
Pour se garder des dieux mal&isants, ennemis de la tribu, on avait grand soin de
protéger contre leurs entreprises l'âme phallique ; pour s'unir au dieu de la tribu,,
la même conception devait amener à verser en son honneur le sang de la virilité^
car « le sang c'est la vie » {Lév. XVII, 10 ; Deut^ XII, 33). Gomme on offre le
premier-né « prémice de la force paternelle n (Deut. XXI, 17), les autres enfants,
rachetés par ce sacrifice, en confirmeront la vertu, chacun à son usage, par ces
prémices du plus pur de leur sang, épreuve et sacrement de leur virilité. Cette
alliance du sang est nécessaire pour être admis dans l'amm, le clan considéré dans
son unité et dans son individualité Du jour où la nubilité fait participer véritable-
ment filles et garçons à la vie du clan, les uns et les autres doivent à leur tour
' Ex, XXI, 26. La môme crainte n'avait sans doute pas agi pour Baal-Peor, qu'il fût ou non
une divinité de la génération ; aussi son culte qu'on célébrait en se découvrant les parties hon-
teuses est -il considéré en Israël comme l'abominai ion de la désolation (cf. Malmonide, Guide, éd.
Munk. III, p. 355).
* Voir W. R. Paton, Retue archéologiqtie, 1907, 1, p. 56.
« Sam. VI, 20.
^ Gen. XLVn, 29.
^ Gen. XXIV, 2. On remarquera que, avant d'avoir eu un enfant, Abraham avait désigné
Éliézer pour héritier. Il est donc possible que ce serment ait été réservé aux membres de la
famille; d'ailleurs il semble avoir subsisté au temps de Josephe d'aprôs lequel ««les con-
tractants se mettent réciproquement la main sous la cuisse n {Ant. Jud, I, 16); d'après
Westropp, Phallic Worship (Londres, 1885) p. 48, il se serait conservé chez les Arabes»
Dans son commentaire de la Genèse (6* éd.l892) p. 301, Dillmann cite quelques faits semblables em-
pruntés aux primitifs. Les quelques indices d'homosexualité relevés en Arabie ne sont sans doute
que des déformations du rite primitif du transfert de la force mfile du puissant guerrier adulte
à l'épbèbe qui s'est attaché à lui pour recevoir l'éducation militaire et civique. Je compte revenir
sur cette question de l'origine de la pédérastie, à propos des Doriens chez qui elle a survécu en
pleine époque historique avec des traits encore assez primitifs. E. Bethe (Reini9che9 Museum^
1907), a entrevu cette explication, mais sans chercher à réunir la documentation anthropologique
nécessaire pour l'établir.
1908.] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISR. [P, 357»
s'allier avec Ic dieu tutélaire et générateur du clan. Ils lui apportent ensemble
leurs tresses ou leurs boucles^, ces longs cheyeux où résidait la force de Samsoo,
émanation de la force divine ; puis, chacun procède au sacrifice particulier à son
sexe : les filles offrent le sang virginal, les garçons le sang viril^. On comprend
maiotenaot, comment Texcision répond à la circoncission, comment, dans ses
origines, cette défloration religieuse, qui dégénéra plus tard en prostitution sacrée,
fut d'abord, au même titre que la circonision, le signe de T alliance.
Ainsi, un double rite parait s'être amalgamé dans ce passage capital de la
Genèse, remontant probablement à deux récits originairement distincts qui furent
contaminés : Ziphorab s'alliait avec Jahvé par Pacte qui le constituait son époux de
sang ; Gersbom, son prenier né, s'alliait au dieu par le sang de la circoncision.
Chacun de ces récits dérivait sans doute d'une légende distincte par laquelle on
cherchait à expliquer l'existence des deux rites sous une forme déjà évoluée :
l'onction symbolique par un sang clanique, mais non plus par le sang virginal,
remplaçant et rachetant la défloration prématrimoniale ; la simple circoncision du
prépuce substituée, peut-être, à une plus large effusion de sang viril, emasculation
totale ou immolation du premier-né. Comme, de ces deux rites, tandis que la
défloration religieuse, pernicieuse en elle-même et combattue par le Deutéronome^,
disparaissait d'Israël, la circoncision, elle, qui se trouvait présenter des avantages
hygiéniques où l'on a cherché longtemps son origine, s'affirmait, au contraire,
comme le rite caractéristique et distinctif de ces tribus, c'est à la circoncision
qu'on fut conduit à ramener tout entier le nouveau récit résultant de la contamination
des deux légendes primitives. « Epoux de sang » fut maintenu, mais Ziphorab
l'aurait dit « à cause de la circoncision » selon un arrangeur ; peut-être son
explication pouvait-elle, d'ailleurs, se légitimer par quelque formule prononcée lors
de la circoncision^.
Quoiqu'il en soit, on comprend aisément qu'Israël n'ait pu saisir le sens véritable
de ces légendes. Elles n'avaient été faites ni par lui ni pour lui. Elles sont l'œuvre
^ On sait que, dans les fôtes d'Adonis à Byblos, les jeunes filles pouvaient offrir leur cheTelure
au lieu de leur virginité (Lucien, De D?a Syria, VI, cf. Hdrod., I, 199). Outre le Haaropfer de
Wilken et la Legend of Perseus de Sidney Hartiand, voir, aux index, les ouvrages cités de
Robertson Smith, L. G. Lôvy et Ad. Lods.
* L'excision et la circoncision (Philon, ad Gen., Ill, 47 dit des Égyptiens : quando mas incipit
seminis iisiim gerere et femt'na sanguinis eruptionem sentire, tam sponsum quam sponsam cir^
cumcidunt et Strabon XVI, 761 place parmi les coutumes juives ài icepixo{XGtl xal al éxTO|jiai) sont
encore pratiquées dans PIslam (cf. Curtiss. Ursemitische Religion im Volhleben des heutigen
Orients, 1903, p. 277). L'assimilation des deux coutumes a déjà été faite par Crawley, The Mystic
Rose, 1902, qui cherche à les expliquer 1^ par le désir d'ouvrir une voie aux esprits; 2^ comme
une façon de dôbarasser de toutes los effluves dangereuses de la puberté en les détournant sur
une partie d'un organe tabou; cette partie supprimée, le danger s*ôvanouit.
3 Beut, XXm, 18-9. De même ont disparu de bonne heure les Qadesh hierodules mâles.
^ Cette formule, dans cette hypothèse, conviendrait surtout à des tribus ne reconnaissant pas
un dieu suprême, Baal, El, mais une grande déesse mère et épouse, Baalat, Allât. Ce serait un
argument â ajouter à tous ceux que Barton a réunis {Semüic\Origins^ 1902, p. 280) pour prouver
que Jahvé était A l'origine une divinité féminine qu'il faudrait se représenter d'après Ishtar.
Jahvé ne différerait pas de cette Allât dont Hérodote mentionne le culte dans la partie de TArabie
où vivent les Midianites. Ne pourrait-on essayer de démontrer, dans cette hypothèse, que Ziphorah
— l'oiseau — la fille du prêtre de Midian n'est qu'une forme ou une hypoetase de la déesse aux
brebis et aux colombes ? L'explication généralement admise de la circoncision comme un rite
destiné k favoriser le connubium rentrerait aisément dans le système de Barton que Cheyne tend
à adopter {Traditions and beliefs of ancient Israel, 1907, p. 17).
p. 868.] • R • E • E • S • [1908.
d'une des plus importantes tribus nomades qui dominaient entre la Mer Rouge el
la Mer Morte avant la sortie d'Egypte (y. 1800), les Qaînites, issus de Qaîn.
On sait que la lutte de Qain avec Abel — Jabal, signifie « le pasteur » — est
comme le symbole de la lutte entre les populations sédentaires et agricoles de la
vallée du Jourdain et du pays de Juda et les Bédouins du Sud-Est qui dévastent
leurs cultures et razzient leurs troupeaux. La supériorité que les Qaïoites doivent
aux armes de fer — Qaïn signifie « le forgeron », — d'où « le piquier^ » — assura
longtemps leur triomphe ; elles leur ont valu aussi la haine qui fit du premier forge-
ron un fratricide et un réprouvé. Cependant, avant que la colère impuissante des
gens de Juda et d'Israël s'attachât à tenir le renom des Qaïoites et à en faire dis-
paraître toute trace, les Édomites, les Amalécites, les Ismaélites et les Madianites
étaient entrés dans leur alliance ; des tribus plus petites qui leur survécurent,
Kalébites, Rekhabites, Otniélites, se rattachaient à eux. Ils se fixèrent bientôt au
sol et construisirent des villes, notamment dans la région du Hebron, où s'élevait la
cité de Qaïn. C'est là qu'ils se heurtèrent aux paysans de Juda, où Jacob était
le héros éponyme des clans Jacobélites ; et la lutte entre les deux frères ennemis,
Jacob et Esaii, ancêtre d'Ëdom, n'a pas d'autre sens que celle d'Abel et de Qaîn.
Mais, tandis que Qaïn le Nomade avait le dessus naguère, Jacob l'emportera désor*
mais quand il sera devenu Israël, après le duel du Jabboq. Il faut sans doute
entendre par là que Juda l'emporta du jour où il se fut allié et fondu avec Israël*
Le nouvel état formé par cette alliance, mena une guerre inexpiable contre Qaïn,
Amalek et Ëdom. Bien qu'il n'ait pas poursuivi moins énergiquement dans ses
légendes la suppression de toute mention du peuple abhorré, quelques vestige£P
épars laissent entrevoir quelle dut être l'influence des Qaînites sur les Israélites,
nomades encore pendant leur séjour dans la presqu'île sioaitique. Parmi ces
vestiges, il faut citer ici les différents beaux- pères qu'on prêtait à Moïse : Jéthro,
sans doute Ismaélite du Horeb (Ex. III, 1 ; XVIII, 12) ; le prêtre de Midian^
(Ex, II, 17) confondu par la suite avec Jéthro, mais qui s'appelait peut-être origi-
nairement, Hohab fils de Réouël le Midianite^ (Num, X, 29); un autre Réouël dit
l'Édomite (Gen. 36 ; Ex. II, 18), un autre Hohab dit le Qaïoite ; (Jud. IV, 11)
enfin l'éponyme même des Qaînites, Qaïn (Jud. I, 16). Comme, de ces différents
peuples, les Midianites, cantonnés sur le golfe Ailanitique, furent le seul avec qui
Israël ne fut pas en guerre par la suite, on profita de ce que les textes sacrés ne
donnaient pas l'ethnique de Jéthro ni le nom du cohêne de Midian, pour en faire
un seul personnage, Jéthro le Midianite (Ex. III, 1 ; XVIII, 1). Que ce soit le prêtre
^ Je ne comprends pas pourquoi Noeldeke (Encycl. BiU,,\. p. 130) et £d. Meyer, op. cit.^ p. 397
repoussent cette étymologie sous prétexte que, seules, des tribus secondaires s'occuperaient aujour-
d'hui des travaux môtallurgiques en Arabie. L'histoire de Tubal Qaïn suflSrait k prouverez
quel honneur furent jadis tenus ces forgerons formant encore, en Arabie (cf. Stade, Zeitschr.
ATW, 1894, 255), de véritables castes. Je rappelle qu'en Afrique, où il en est de môme, on
▼oit les forgerons d'Horus, masniou Heruy armés du poignard et du javelot métalliques,
conquérir l'Egypte sur sa population néolithique. (Voir mon Egypte Préhistorique^ 1908, p. 46).
D'ailleurs, en dehors de la protection que Jahvé marque à Qaîn par le signe qu'il lui donne
comme sauvegarde (voir plus loin p. 360, n. 1), l'existence d'une version primitive où Qaîn était
l'offensé et ne tuait qu'en état de légitime défense me parait certifiée par les paroles de son des-^
Cendant Lamec: «J'ai tué un homme parce qu'il m'avait frappé et un jeune homme à cause de ma
blessure. Si Qaîn doit être vengé sept fois, Lamec le sera soixante-diz-sept fois », (Gen. IV, 24).
C'est là évidemment un écho de la version qaïnite du fratricide.
< Josephe (Ant, Jud, U, 12) fait de Jéthro un surnom de Réouël. Il est possible que Réouël
dérive au contraire d'un titre porté par les rois-prétres chaldéens : rêUy le pasteur.
1908*] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P. 359.
de Midian où l'éponyme des Qaioites qui ait donaé Ziphorah en mariage à Moïse,
— comme un sheikh des Kadmonites du Séir donne sa fille à Sinouhit, ministre
•disgracié qui fuit la colère de Pharaon -- toujours cst-il qu'ils ont pu Tun et l'autre
lui faire connaître en même temps leur dieu Jahvé.
Jahvé est la divinité fulgurante du sommet du Sinaï au pied duquel vivent les
Midianites^ ; c'est là qu'il apparaît dans le buisson ardent, c'est de là qu'il se rend
à Méribah Qidesh en illuminant la cîme du Pharan; Non seulement Pharan et
Qadesh ainsi que le Horeb appartiennent aux Qaïnites, mais c'est chez les Rekha-
bites, un rameau des Qaïnites, qu'on voit se grouper autour d'Jahvé une véritable
congrégation de fanatiques qui jurent de vivre en nomades sans jamais semer le
blé ou planter la vigne^. A côté du fondateur de la confrérie, Johanabad de Rek-
hâb, on peut rappeler que Jaêl, qui tua Sishera, l'oppresseur d'Jahvé, était femme
de Heber le Qaïnite^. Non seulement c'est dans ces lieux saints des Qaïnites que
Moïse et son peuple apprenaient à connaître Jahvé ; mais il semble que le prêtre
de Midian — évidemment prêtre de Jahvé — ait joué dans l'établissement du
culte un rôle capital. Bien qu'il y ait eu tendance à faire disparaître tout ce qui
se rattachait à cette première version, on en peut retrouver encore des traces
certaines. C'est le prêtre de Midian qui, après la vision du buisson ardent,
envoie Moïse chercher ses frères en Egypte^ ; c'est lui qui guide Moïse dans le
désert'', lui conseille d'établir des chefs du peuple, dizainiers, cinquaoteniers,
centeniers, offre un holocauste à Jahvé®. A la première nouvelle de la sortie
d'Egypte, nous apprend, en effet, TÉlohiste, — le beau-père de Moïse s'était rendu
auprès de lui ; c'est sur les frontières de Midian, au pied du Sinaï qu'il le retrouve
et c'est auprès de la montagne sainte des Midianites qu'il agit en législateur sacré.
Il s'est fait accompagner de son petit fils Gershom et de sa fille Ziphorah ; > que
Moïse avait renvoyée n"^. Cette présence de Gershom auprès de Moïse est nécessaire,
car c'est de lui évidemment que sont censés descendre les Gershonites que Jahvé
ordonne d'instituer pour porter son arche et en prendre soin^. Emmener ainsi en
guerre la pierre fétiche est bien le fait de nomades adorant, sous la forme d'une
pierre portative, le dieu qui darde les éclairs du haut des cimes; et les Gershonites
ne sauraient-ils être rapprochés des gsnm qui forment une classe particulière des
prêtres de Larnaka de Chypre ? Ces gêr^m^ sont proprement les clients du dieu ;
^ Wellhausen, Prolegomena^ 6* éd., p. 352 semble avoir établi que co Sinaï primiiif s*ôlevait
en Arabie À l'est du golfe Ailanitique. Sur ces lieux de culte primitifs voir Aug. von Qall, Altis^
raeliiische KtdtstâUen (Giessen, 1898).
« Jer. XXXV, 2-11 ; Il Reg. X, 15-6. Cf. Ed. Meyer, Die Israeliten, p. 84. 132.
3 Jud. V, 24 ; IV, 17.
* Ex. IV, 19.
5 Num. X, 29.
« Eœ. XVin.
7 Ce membre de phrase a étô visiblement ajouté pour faire concorder tant bien que mal ce
passage avec l'épisode de Ziphorah et de Jahvé ; c'est après cet épisode que Moïse aurait renvoyé
À son beau-pére, sa femme et son fils, supposition nécessaire puisqu on ne leur voyait jouer
aucun rôle ni en Egypte ni dans la Sortie. Il me parait évident que l'épisode de Ziphorah a été
déplacé. Il devait venir avant la vision du Buisson ardent, quand il n'existait encore nul pacte
entre .Tahvé et Moïse ou, plutôt, il est le reste d'une version différente et plus ancienne de la
première rencontre. L'on a placé tant bien que mal où nous le trouvons ce fragment, seul
vestige de la version primitive, tout en laissant dire dans Eœ. IV, 20 que les fil* de Moïse l'ac*
compagnôrent en Egypte.
» Nombresy XIV, 23.
0 Sur le8.^^m voir Wellhausen, Prolegomena, 6« éd. p. 138 ; R. Smith, The Religion of the
p. 860.] • R • E • E • S • [1908.
le g?t est rhomme qui, yeaaat d'uu autre pays ou d'ua autre clan, se met sous la
protection du dieu de la région où il veut séjourner en se vouant temporairement à
son service. Il suffit de se rappeler comment ces étrangers entraient dans Tallianco
du dieu, par Teffusion du sang d^une vierge consacrée ou Toffrande de leur sang
viril, pour entrevoir le rôle que le fils de Ziphorah, la Qaïnite ou la Midianite, a pu
jouer dans les légendes primitives comme instituteur des gërXm et de leurs coutu-
mes. Quoiqu'il en soit, los descendants de Gershom figurent au premier rang des
Lévites, ces membres d'un clan sacerdotal voué au culte de Jahvé et à l'observance
de ses prescriptions qui, dans le service collectif du dieu d'Israël, ont remplacé le
premier-né du sein maternel consacré, à l'origine, au culte familial. Parmi ces
prescriptions, la circoncision, qui devait devenir après Gershom le signe de l'al-
liance entre Jahvé et Israël, avait sans doute déjà même valeur pour ces Qaïnites
dont il était issu : peut-être était-ce << ce signe que Jahvé mit à Qaïn pour que qui-
conque le rencontrerait ne le tuât pas^ n.
Puisque la circoncision rend inviolable et sacré aux yeux de Jahvé et de ses
fidèles, il y a lieu de croire que Moïse ne l'avait pas subie quand Jahvé l'assaillit
et que c'est alors qu'il apprit le rite, soit du dieu lui-même, soit de sa femme on
de son beau-père. Jahvé, en cherchant à le tuer, agit comme chaque dieu local
était censé agir aux époques primitives. Tout étranger qui s'aventure sur son
territoire est pour lui un ennemi que le dieu cherche à détruire tant que le nouveau-
venu n'a pas accompli envers lui les rites d'alliance qui l'intronisent dans le monde
nouveau auquel préside le dieu ; sitôt l'un de ces rites accomplis, le dieu est tenu
de protéger l'étranger au même titre que ses autres fidèles.
L'aventure semblable de Jacob s'explique maintenant sans difficulté. £n pas-
sant le Jabboq il est entré en terre étrangère ; le dieu de cette terre, qu'il n'a rien
Semites^ éd. 1907. p. 75 ; Kinship and Marriage^ éd. 1907, p. 50 ; L. G. Levy, La famille dans
Vaniiquité israélite, 1905, p. 87.
^ 6en. IV, 15. Dans le remarquable article de Stade, dos Kaïnzeichen^ Zeitschriß f. AUesta-
menti, Wiss,, 1894, p. 250-318, (cf. Akademische Reden und Ab?iandlungen, p. 229) dont j'ai
tiré grand parti pour l'histoire des Qaïnites, Tauteur se refuse a admettre que ce signe fut la
circoncision (opinion déjà plusieurs fois soutenue et reprise sans grand profit par Zeydner, ibid^
1898, p. 120) ; il penserait plutôt à un X tatoué sur le front. Le seul argument qu'il donne contre
la circoncision, c'est que les vêtements devaient empêcher ce signe d'être immédiatement recon-
naissable. Mais rien n'empêche de croire que l'institution de la circoncision, qu'on rencontre en
Egypte dés les premières dynasties, ne remonte à l'âge néolithique (comme l'indique Tusa^e de
couteaux en silex) où le pagne même n'était pas de rigueur; même en pleine période histo-
rique, le vêlement, toujours flottant en Orient, permettait facilement la constatation et l'on sait
les haines qu'elle fit naître entre les circoncis et les incirconcis gréco-romains ; enfin je ne Tois
pas en quoi l'X que suppose Stade est un signe qui manifeste la protection divine (môme s'il
s'agissait d'une croix, son culte n'est pas prouvé encore pour la Crôte minoenne ; s'il Tétait, il
faudrait admettre qu'il ait été importé par les Philistins vers 1800 en Palestine où, seuls, ils
semblent être incirconcis) tandis que je crois avoir établi pourquoi aucun Jahvéiste — et Jahvô
ne pense évidemment qu'à ses adorateurs — n'aurait osé faire violence à qui portait le signe de
Falliance. Il est vrai que la grande diffusion de la circoncision (Juda, Israël, Èdom, Âmmon,
les Phéniciens, les Arabes, les Egyptiens, les Éthiopiens) permet difficilement d'y voir une
marque tribule, tel que le ijoasm ou le shart tatoués qui permettaient aux Arabes de reconnaître
à quelle tribu chacun appartenait. D'après R. Smith {Marriage and Kinship, p. 251) une marque
pareille aurait protégé Qaïn, car quiconque s'attaquait à lui pouvait voir qu'en le tuant il attirait
sur soi la vengeance de tous les Qaïnites. J. G. Fraxer [Mélanges Taylor, 1907, p. 103) y verrait,
non une marque tribule, mais une marque spéciale destinée à protéger celui qui la porte de la
vendetta des parents de sa victime, un simulacre de blessure indiquant que la famille du mort a
accepté la composition offerte par le meurtrier et s'est contenté de ce simulacre.
1908.] REINACH : LUTTE DE JAHVÉ AVEC JACOB ET MOISE. [P, 361.
fait pour propitier, se jette sur lui. Quand Jacob voit qu'il ne peut le vaincre, il
avise au moyen de le contraindre à lâcher prise en devenant, malgré lui, son ami
et allié. Ce moyen est celui même qu'on a vu employer par cet Arabe subtil qui,
voyant approcher une ogresse dont les seins pendants sont rejetés sur ses épaules, se
précipite et les happe par derrière. « Tu as bu à mon sein droit, dit aussitôt l'ogresse
à Mohammed l'Avisé, tu es donc comme mon üls Abderrabym^ n. Chez l'homme,
c'est la virilité qui devait paraître le siège de la force vitale. Aussi est-ce au haut
des cuisses'^, dans la région inguinale où se manifeste l'énergie procréatrice, que
Jacob touche ou presse, plutôt qu'il ne frappe, sou adversaire. Aussitôt, l'Élohim se
voit obligé non seulement de lâcher Jacob, mais de le bénir et de le déclarer son
fils : « Tu ne t'appelleras plus Jacob, mais Israël^ ».
^ E. Cosquin, Revue des questions historiques^ 1908, p. 398.
^ Le mot employé !P3*^^ est exactement le même qui désigne Teudroit ou Ziphorah jette le
prépuce sanglant et celui « ou Jahvô afflige le Pharaon de grandes plaies à cause de Sarah,
femme d'Abraham *> (Gen. XII, 17). Il était suffisamment explicite pour des lecteurs Israélites.
Quant au coup que Jacob aurait porté en cet endroit, frappera probablement remplacé saisir^
quand on transforma l'épisode de manière à y faire blesser Jacob au nerf sciatique. Il y aurait
d'ailleurs lieu à examiner si c'est bien ce nerf que désignait le texte biblique. Dans le récit de la
lutte la Septante parle de toO TrXdiTouç tou fjiTipoû ; c'est seulement dans la partie explicative
qu'ils guérisent tô veup»o\ "o àvdcpxT^de "o eortv irci xou izX, x. t. X. ; Josephe dit qu'il avait
été touché Tcepl zà veOpou xè icXaTÙ {Ant, Jud.^ I, 21, 334) alors que le nerf sciatique aurait pu être
désigné explicitement sous son nom de v. toxiaTixdv. De plus l'expression de plat ou de paume
de la cuisse qu'emploie le texte biblique ne me semble guère pouvoir s'appliquer â la région
fessiôre mais à celle dite du pli de Vaine, Ce serait un des vaisseaux qui innervent cette région
avant d'aboutir au pubis (tels le nerf crural, la veine crurale, l'artère fémorale avec les deux
honteuses externes etc.) qu'il aurait été originairement interdit de consommer pour la même
raison qui devait prohiber la consommation de l'artère radiale : l'une et l'autre seraient, pour
le primitif, les canaux sacrés qui alimentent les sièges de la force vitale.
^ V Apologie présentée vers 175 par Méliton, ôvéque de Sardes, à Marc-Aurèle nous fournit un
texte qu'il est indispensable de rapprocher de l'interprétation que l'on vient de proposer pour les
deux assauts subis par Jacob et par Moïse : «A Mabog, Nebo est l'image d'Orphée, mage
Thrace et Hadran est l'image de Zaradusht, mage Perse, parce que ces deux mages
pratiquaient la Magie auprès d'une fontaine qui est dans une forêt de Mabog. Dans cette
fontaine vivait un esprit impur qui mettait à mal et attaquait aux parties honteuses (sens
incertain) tout voyageur qui passait dans cette région où se trouve aujourd'hui la forteresse
do Mabog; et ces mages enjoignirent à Simi, fille de Hadad, de tirer de l'eau dans la
mer et de le jeter dans la fontaine pour empêcher l'esprit d'en sortir » (Cureton, Spicilegium
Syriacum, 1855, p. 45). Mabog est Hiérapolis et l'on sait qu'un grand gouffre s'ouvrait
près du temple d'Atargatis, la déesse-poisson, gouffre où étaient censées englouties les eaux
du déluge et où, dans les deux panégyries annuelles, les pèlerins venaient verser l'eau puisée
dans la mer. On conduisait à leur tête une image que les Syriens nommaient : sêma\ une colombe
d'or étant posée sur sa tète, on appelait Sémiramis cette idole qui est manifestement la Simi de
Méliton (Lucien, Be Dea Syria, 13). Or la déesse-poisson semble avoir eu pour parèdre un dieu-
épervier, Hadran, le mage de Méliton. Le culte ce de Hadran parait avoir été transporté en
Sicile avec celui des Paliques dont il passait pour le père (voir Isidore Levy, Revue archéolo-
gique, 1899, 1, p. 275). Des monnaies y ont été frappées avec le nom de AAPANOT et une médaille
de provenance inconnue, identique à l'avers aux monnaies de ce type, montre au revers un dieu
assis sur un char ailé et tenant ä la main un épervier ; cette médaille porte les lettres IM*^ qui
ne peuvent guère être que celles du nom de Jahvé (Babelon, Perses Arehéménides, p. lxvi). Par
là, sans pouvoir se l'expliquer encore, on entrevoit quelque rapport entre le dieu qui attaque
Jacob sur les bords du Jabboq et le dieu qui met semblablement à mal ceux qui passent près de la
fontaine d'Héliopolis. Le Hadran d'Hiérapolis est, en effet, identifié par Méliton à Zoroastre,
fondateur du culte du feu où les chiens sont sacrés et le Hadranos sicilien, dont le temple est
p. 362.] • R • E • E • 8 • [1908.
Telle serait du moins, Texplicatioa rituelle et sociale des deux épisodes. Bien
d'autres éléments sont venus s'y surajouter : éléments mythologiques, — lutte, sur
leur frontière même, des dieux de deux clans ennemis, TÉlobim des Jakobélites
contre TÉtohim des Êdomites, ou duel d'un héros contre le dieu qu'il ignore et
qui lui accorde sa protection lorsqu'il se révèle, Jacob contre l'El du Jabboq, Moïse
contre le Jahvé du Sinaï — ; éléments géographiques, — le désir d'expliquer le
nom du âcuve de la lutte, Jabaky passant aux pieds d'un rocher qui semble une
face de dieu, Pénéël^ de montrer pourquoi le lieu de Y épreuve^ Massàh^ est voisin
de la source de la querelle, Mérihah ; -— éléments historiques, — l'alliance et la
fusion do Jacob et d'Israël, l'établissement des Jacobélites sur les bords du Jab-
boq ; — éléments liturgiques ; la recherche d'une origine divine pour l'interdiction
de manger le nerf sciatique et pour l'institution de la défloration ou de la circonci-
sion, peut-être aussi ponr un changement de nom qui aurait eu lieu au moment de
la circoncision ; — éléments juridiques enfin, l'existence de jugements tranchés
par ordalie aux sources sacrées de Qadesh et d'Élim. Ces éléments si complexes,
qui mériteraient chacun une étude spéciale, n'ont pu ici qu'être indiqués. Ne serait-
ce pas déjà un résultat appréciable, ce semble, si l'on pouvait espérer avoir fondé,
sur une interprétation nouvelle de deux textes essentiels, une théorie de l'origine
de la circoncision et du rite correspondant de la défloration sacrée qui parût mieux
concorder avec ce que Ton peut entrevoir de l'organisation des sociétés sémitiques
primitives ? Cette théorie repose essentiellement sur cette notion primitive que les
membres d'un clan sont parents et alliés dans la mesure où ils participent à un
même sang qui est celui du dieu générateur du clan ; pour resserrer leur union
avec le dieu, au moment où la puberté leur donne accès dans la vie du clan, filles
et garçons doivent acquérir cet état nouveau en offrant au dieu le plus pur de leur
sang. Pour les filles, l'effusion du sang est surtout efficace quand c'est le dieu même
qui l'opère ; l'animal- totem, qui intervenait aux époques les plus reculées, s'est vu
bientôt remplacé par le prêtre qui le représente ou l'étranger qu'il suscite ; ou
encore, le sang virginal, artificiellement versé, est frotté sur l'image du dieu de
telle façon qu'il devienne l'époux commun de toutes les femmes du clan qui pour-
ront transmettre ainsi le germe divin. Pour les garçons, l'effusion du sang est
pareillement plus efficace quand elle porte sur le siège même de la génération et il
y a lieu de croire que le prépuce était conservé dans le lieu sacré du clan, garant
de la commission du fidèle avec le dieu. Ainsi entrés dans sa parenté, les nouveaux
membres du clan avaient droit à toute la protection de celui dont ils portaient
^ le signe de l'alliance s. A.-J. Reinach.
gardé par un millier de chiens, était identifié À Héphaistos. La source sacrée des Paliques fils de
Hadran peut correspondre & la fontaine divine de Mabog et il y a lieu de se demander, pour ces
dieux comme pour celui qui apparaît nuitamment sur les rives du Jabboq, si leurs caractères
communs ne sont pas dus à 1 existence d'émanations phosphorescentes, feux-fbllets ou autres,
auprès d'eaux dormantes ou de sources volcaniques.
1908.I ANALYSES. [P. 363«
ANALYSES.
ÂTjFBBD Loisy. Les Évangiles synoptiques. — 2 vol. in-8** de 1014 et 826 pages.
Chez l'auteur, à Ceffbnds (Haute-Marne), 1907, en dépôt chez E. Nourry, à
Paris, 1908.
L'apparition d'un ouvrage de M. Loisy marque toujours un événement dans
l'histoire de la littérature religieuse. Et lorsque cet ouvrage est comme le fruit
de toute une vie de méditations et de recherches, et qu'il discute le phis grave des
problèmes néo-testamentaires, on peut dire qu'il présente une importance capi-
tale. L'éminent critique livre au monde savant les résultats de son enquête sur la
question synoptique qui est à la base de la vie de Jésus et de l'histoire du Chris-
tianisme primitif. Tout laisse supposer que ce travail de haute et sereine érudi-
tion gouvernera, chez nous, pendant longtemps, la critique des trois premiers
Évangiles, et qu'il servira, pour ainsi dire, de point de départ aux travaux futurs.
L'ouvrage de M. Loisy se compose de deux parties bien distinctes : l'Litroduction
et le Commentaire. L'Introduction qui est comme la pièce de résistance, ou la
charpente de l'édifice, embrasse 268 pages. C'est elle qui retiendra surtout notre
attention, d'autant plus que l'auteur y expose, en termes clairs et précis, la sub-
stance de son système.
M. Loisy ne sépare pas le problème littéraire du problème historique. Cette
méthode, appliquée par Wellhausen à l'Ancien Testament, a donné les résultats les
plus précieux. Si nous commençons à saisir les grandes lignes de l'ordre rédaction-
nel des livres de l'Ancien Testament, c'est grâce à ce procédé. On a cependant
voulu y voir une sorte de pétition de principe, ou un ö<rrepov TcpÖTepov. Les deux
problèmes sont en réalité solidaires l'un de l'autre ; ils se supposent et se condi-
tionnent, et sont comme les deux faces d'un même phénomène. La littérature d'un
peuple est toujours en rapport avec son histoire et son développement historique
influence toujours sa littérature. On va ainsi de l'eflFet à la cause ou inversement.
Produit de l'esprit, la littérature est l'indice des conditions historiques d'une
nation, parce qu'elle reflète forcément le milieu où elle a été élaborée. Vie et
mouvement, l'histoire explique la littérature, parce qu'elle modifie Tétat d'esprit
des hommes, leurs conditions d'existence et introduit de nouveaux facteurs dans
l'évolution psychologique. On ne peut donc que féliciter M. Loisy d'avoir fait
marcher de pair ces deux problèmes et d'avoir demandé à chacun des deux des
éléments de solution pour l'autre. Ceux qui semblent concevoir la critique comme
une sorte de mathématique auraient sans doute préféré une marche plus simple
et plus dégagée. Mais la critique réelle ne peut se développer qu'en utilisant
toutes les données qui constituent sa complexité, parce que les détails, dont elle
vit, et qu'elle ramasse péniblement, ne se prêtent guère à im traitement uni-
forme.
Le problème de la valeur historique des Synoptiques est depuis bien long-
temps à l'ordre du jour. Il s'agit, bien entendu, non de certains fragments ou
récits qui portent les traces manifestes d'additions postérieures, mais de la trame
générale de la composition. On avait été frappé de certains caractères de rédac-
tion, où l'on croyait surprendre des influences étrangères à l'élaboration primitive,
p. 364.] • R • E • E • S • [1903.
des modifications du plan original. Pour rendre compte de certains de ces phéno-
mènes, on avait émis diverses hypothèses. Strauss y voyait des mythes. Renan les
considérait comme des réalités historiques, mais explicables par le cours naturel
des choses. A Tlieure présente, ces d(*ux hypothèses sont définitivement abandon-
nées, parce qu'elles relèvent plus d'une attitude philosophique que de l'examen
des documents. Un célèbre exégète de nos jours, H. J. Holtzmaun, s'est arrêté à
la théorie de l'idéalisation^ La superposition des couches rédactionnelles, que le
critique constate dans les Synoptiques, serait due à l'idéalisation faite par les
premières générations chrétiennes du noyau primitif. Les travaux de B. Weiss,
de J. Weiss, de Wellhausen et de Wrede ont renouvelé la question ou du moins
ils l'ont présentée sous un jour nouveau. M. Loisy connaît et utilise avec indépen-
dance ces travaux remarquables. Tout à la fois liistorien et psychologue, il se
garde bien de proposer une solution simple et unilinéaire. Les retouches et h^s
remaniements, d'où résultent les couches rédactionnelles, proviennent de causes
diverses. Les principales sont le travail de la pensée chrétienne, l'élaboration
anonyme de la foi dans les premières communautés chrétiennes, Tinäuenee indi-
viduelle de maîtres tels que Paul, les réflexions personnelles des rédacteurs
évangéliques. Quand on se replace par la pensée dans le milieu historique, il est
difficile de contester que toutes ces causes n'aient concouru, à un degré plus ou
moins profond, à la composition actuelle des Évangiles synoptiques. Il est même
fort probable que l'analyse de M. Loisy est incomplète, et qu'il restera peut-être
à déterminer d'autres circonstances des modalités rédactionnelles de la Synopse.
Quoi qu'il faille penser de la compréhension de l'analyse historico-psychologique,
l'existence des couches rédactionnelles paraît être un fait définitivement acquis à
la critique. Les indices en sont à la fois trop nombreux et trop frappante pour
qu'il soit possible de conserver un doute sérieusement motivé. Les doublets, la
divergence des récits parallèles, les incohérences de la composition, le manque
de soudure et d'enchaînement entre des morceaux juxtaposés, l'accumulation de
données, qui n'ont entre elles aucune cohésion, aucune coordination, insinuent
clairement que la Synopse, dans son état actuel, est une compilation, qui résulte
de plusieurs courants d'idées. Arrivé au bout de cette dissection littéraire, on ne
peut s'empêcher de penser que, si nous avons bien des Vies de Jésus, la véritable
reste à faire. Le sera-t-elle jamais ? Il est permis d'en douter.
Lorsqu'on a constaté l'existence de couches rédactionnelles, on n'a soulevé
qu'un coin du voile et l'on est loin d'avoir résolu le problème littéraire dans toute
son ampleur. Les Évangiles synoptiques présentent à la fois des différences et
des ressemblances. Il resterait à expliquer les unes et les autres. On sait tous les
systèmes qu'on a proposés sur ce point depuis la publication des fragments de
Wolfenbüttel jusqu'à nos jours. Il serait trop long d'énumérer toutes ses solutions :
qu'il nous suffise de mentionner les principales : le protévangile, l'utilisation, la
dépendance nuituelle, la tradition orale. On a sans doute voulu trop simplifier une
question très complexe. M. Loisy montre tout ce que ces hypothèses ont d'insuffi-
sant, et, quoique sa pensée soit un peu ondoyante, il est visible que personnelle-
ment il adopte l'hypothèse des sources. On peut regarder comme moralement
certain que les trois premiers Évangiles ont eu des sources. Pour ce qui concerne
le troisième Évangile, la chose ne fait pas l'ombre d'un doute, puisque l'auteur de
cette relation se propose (Luc. I, 2), de corriger les imperfections des essais qu'on
* Die Synoptiker^ dans le Hand-Commentar zum N. T. de Tôditeur Mohr.
1908.] ANALYSES. [P. 365«
avait tentés avant lui. Il avait donc sous les yeux les récits qu'il entreprend de
corriger par une narration mieux ordonnée. Marc, qui est, de l'aveu presque una-
nime des critiques, le plus ancien des narrateurs synoptiques, connaît, lui aussi,
des sources. A travers la trame de sa rédaction, on saisit les traitements divers
qu'il impose à ses sources. Il est plus difficile de déterminer le nombre de ces
sources. On a tout lieu de croire qu'elles étaient assez nombreuses, car cette
hypothèse est celle qui explique le mieux toutes les nuances de la composition
évangélique. On a même un jalon assez sûr dans les Logia de Jésus, attestés par
des écrivains ecclésiastiques. Mais ces Logia durent être multiples. Or, dans l'état
d'enthousiasme suscité chez les premiers chrétiens par la vie si admirable et la
mort si tragique de Jésus, alors qu'on était encore sous la fraîche impression de
ces événements, on dut songer, de divers côtés, dans divers milieux chrétiens, à
rédiger des recueils où l'on consignerait soit les souvenirs personnels, soit les
souvenirs circulant parmi les fidèles. Ce travail dut commencer immédiatement
après la mort de Jésus et se continuer pendant quelques années. Ces recueils,
que l'évangélisation emportait et répandait avec elle, servirent de sources aux
Synoptiques. M. Loisy nous laisse dans l'incertitude pour ce qui touche à l'état
présent de ces sources. La critique aura tôt ou tard à résoudre un autre problème :
ce sera d'essayer, par un examen attentif et une minitieuse analyse de la Synopse,
d'isoler les fragments ou les passages qui appartiennent aux sources et de les
comparer aux apports personnels des rédacteurs. Alors seulement elle reposera
sur une base solide.
Sur le terrain de l'authenticité, M. Loisy prend une position nettement radi-
cale. Les trois premiers Évangiles ne sont pas des auteurs, auxquels la tradition
les attribue. « Matthieu n'est pas l'Évangile de Matthieu ; Marc n'est pas l'Évan-
gile de Pierre. Luc n'est pas l'Évangile de Paul. Kien ou presque rien des
rapports conçus par la tradition ne subsiste devant la critique n (p. 58). M. Loisy
arrive à cette franche conclusion après une longue et pénétrante discussion de la
tradition ecclésiastique. Il examine successivement tous les témoignages des
Pères et écrivains ecclésiastiques, jusqu'à la fixation du canon, qui attribue
les trois premiers Évangiles à Matthieu, à Marc et à Luc et s'efforce d'établir
que ces témoignages n'ont aucune valeur, parce qu'ils ne reposent sur aucune
donnée précise et enregistrent une vague tradition orale. On ne peut, certes,
qu'admirer la finesse d'esprit avec laquelle l'auteur dissèque et critique tous ces
témoignages écrits. Mais on i)eut aussi douter de la valeur de 1 interprétation
qu'on leur donne. Ce n'est pas qu'il faille introduire dans le débat un argument
théologique ou un motif confessionnel, comme l'école conservatrice le fait mal-
heureusement trop souvent. Mais en se plaçant sur le terrain purement critique,
il est possible d'instituer une contre enquête, dont la portée ne sera évidemment
pas certaine, mais ne manquera pas, non plus, d'une grande probabilité. Lors-
qu'on parcourt, sans aucun parti pris, la trame de l'analyse, à laquelle M. Loisy
soumet les attestations traditionnelles, on éprouve l'impression qu'il obéit à des
principes, qui ne sont pas suffisamment justifiés, et que sa marche est peut-être
im peu trop systématique. L'interprétation des textes est, j'en conviens, chose
difficile. Voilà pourquoi il ne faut l'entreprendre et la conduire qu'avec la plus
grande réserve, et une prudence extrême.
Puisque les Synoptiques n'ont pour auteurs ni des apôtres ni des hommes
apostoliques, sur quel principe se régla l'Église pour les adopter comme siens et
les retenir de préférence à tant d'autres productions similaires ? C'est tout sim-
p. 366.] -^ * ^ 1 E • S • [1908>
piemeut un intérêt d'apologétique. Si TÉglise canonisa définitivement nos trois
premiers Évangiles, ce n'est pas qu'elle y eût reconnu, en s'appuyant sur une
critique strictement scientifique: théologique ou littéraire, une valeur plus grande
que celle des apocryphes ; c'est parce qu'elle y retrouva son esprit, ses institutions
et, ce qu'on pourrait appeler d'un mot, son ecclésiasticisme ; c'est parce qu'elle
s'y retrouva elle-même : « Telle est bien la signification du témoignage tradition-
nel : on y apprend que l'Église a d'abord accepté puis retenu les quatre Évangiles
du canon, parce qu'elle y reconnaissait sa propre tradition, parce qu'elle s'y retrou-
vait elle-même. De savoir au juste quand, comment et par qui ces livres avaient été
composés, c'est ce dont elle paraît d'abord s'être peu souciée ; elle ne s'en souve-
nait guère quand elle s'en préoccupa... Au fond, l'Église avait été guidée dans son
choix comme par un instinct supérieur à toute critique théologique ou littéraire ;
mais, entre 150 et 170, lorsque le canon évangélique fut définitivement arrêté,
elle ignorait les circonstances de la composition des livres qu'elle attribuait à
Matthieu, à Marc, à Luc et à Jean. Le défaut d'opposition pour ce qui regarde
l'attribution des Synoptiques ne prouve pas la certitude de cette attribution »
(pp. 57-58). L'hypothèse n'est absolument pas impossible. Mais pour qu'elle puisse
avoir le caractère d'une donnée ferme et s'imposer à l'acceptation des critiques,
il faudrait l'appuyer sur des faits et des textes. M. Loisy se défie, — et il a raison
— de l'esprit de système. Mais peut-il vraiment se flatter que le mouvement
habile, qu'il a opéré autour du témoignage traditionnel, soit à l'abri de toute vue
systématique et résulte uniquement de la signification des faits et des textes ?
Entraîné par cette brillante excursion, on voudrait, dans cette course vertigineuse,
rencontrer quelques points d'appui qui permissent de reprendre haleine, et de se
tenir en contact avec la réalité. Mais en vain. On est constamment ébloui par le
mirage séduisant, mais la terre ferme se dérobe sous nos pas. Si des textes précis
eussent existé, M. Loisy qui est parfaitement au courant de la littérature primi-
tive, n'eût pas manqué de les jeter dans le débat. S'il n'en cite pas, c'est que ces
textes n'existent pas. A défaut de documents positifs et de faits inéluctables, nous
sommes donc dans le domaine des conjectures ; et ce domaine n'autorise pas des
conclusions historiques, c'est-à-dire des conclusions que l'on puisse et doive
accepter en toute sécurité. Ce n'est pas que la tentative de M. Loisy soit moins
solide que les autres du même genre ; elle est même, croyons-nous, plus solide
que les autres, parce qu'elle accuse un sens psychologique plus aiguisé. Mais enfin
ce n'est qu'une simple conjecture, basée sur un ensemble d'inductions plus ou
moins probables, qu'il appartiendra à l'avenir de ratifier ou de ruiner.
M. Loisy s'applique maintenant à caractériser chacun des Synoptiques. La cri-
tique interne est le moyen dont il se sert pour assigner à chacun des trois pre-
miers Évangiles sa note propre et distinctive. Quels sont les éléments qui entrent
dans le tissu du second Évangile ? Cette relation a un caractère composite. Il est
possible que Marc ait eu une part dans la composition du second Évangile, et
ainsi se trouverait justifiée, en une certaine mesure, la croyance de la tradition.
Mais le rôle du disciple de Pierre, s'il est réel, n'a pu avoir qu'une sphère très
limitée. Marc serait tout au plus l'auteur d'un document, utilisé par le rédacteur
de la Synopse qui porte son nom, document qui devait avoir pour thème la prédi-
cation et la mort de Jésus. D'autres apports se retrouvent dans le second Évan-
gile. Les Logia ont fourni quelques matériaux. Un rédacteur, intermédiaire entre
la première main et le rédacteur définitif, a pu ajouter quelques récits d'une
signification particulière, tels que le baptême de Jésus, la tentation, la multipli-
1908.] ANALYSES. [P. 367
Cation (les pains, la transfiguration, c'est-à-dire, d'une manière générale, tous les
faits surnaturels de la vie du Christ, où M. Loisy, si j'ai bien compris sa pensée,
verrait des additions tardives, suggérées par des vues étrangères à l'histoire. Et
le caractère de l'Évangile de Marc? M. Loisy pense qu'il est d'inspiration pauli-
néenne. Un fait est digne de remarque : c'est que l'auteur du second Évangile ne
manque jamais l'occasion de faire ressortir l'inintelligence des apôtres galiléens.
Ce pourrait être un éclair, et la critique serait tentée d'y voir un eifort pour
relever ou plutôt pour réhabiliter Paul, dont la mission avait, comme on le sait,
rencontré quelques résistances dans les cercles des premiers apôtres. Ija remarque
que Jésus parlait en paraboles, pour que les Juifs ne comprissent pas son ensei-
gnement, la recommandation qu'il fait à difiFérentes reprises de ne pas divulguer
ses miracles, indices que Wrede a étudiés dans une œuvre magistrale, semblent
trahir des préoccupations bien postérieures à l'âge apostolique et étrangères à
l'esprit du Christ. Mais lorsqu'on essaie de préciser, on voit surgir des difficultés
insurmontables. Et M. Loisy a parfaitement raison de se tenir aux possibilités et
aux probabilités.
Des trois Synoptiques, l'Évangile de Marc est certainement le plus histo-
rique ; c'est celui qui nous retrace le plus fidèlement et même le plus ingénument
la physionomie de Jésus. Chez Matthieu, le fonds historique s'afi'aiblit tandis que
le symbolisme augmente et que la rédaction tout entière obéit à une idée conçue
d'avance, à un plan arrêté et déterminé. Matthieu se propose surtout d'édifier, de
prouver une thèse par l'utilisation des prophéties de l'Ancien Testament. Il pré-
conise en même temps l'organisation, une sorte de hiérarchie ecclésiastique. Les
parties, qui lui sont communes avec Marc, doivent provenir d'une source iden-
tique. Mais Matthieu se permet quelquefois de modifier les récits de Marc, toujours
au détriment de la vérité historique, car ces modifications ont toujours lieu en
vue d'adapter les récits à la thèse visée et poursuivie par l'auteur. Les récits
propres à Matthieu sont des produits légendaires, qui ont dû voir le jour en
dehors de la Palestine. Ces vues contiennent sûrement une part de vérité. Pour
tout lecteur attentif, il est certain que le rédacteur du premier Évangile est
dominé par le souci de prouver que les prophéties messianiques de l'Ancien Tes-
tament se sont accomplies en Jésus, ou plutôt que certains événements de la vie
de Jésus ont eu lieu précisément pour accomplir les prophéties de l'Ancien Tes-
tament. Cette préoccupation n'est pas sans bouleverser la trame de l'histoire. 11
semble aussi critiquement certain que les récits de l'enfance sont des morceaux
de date postérieure ajoutés à la composition primitive. Pour cette raison, en fai-
sant abstraction de la réalité des faits qu'ils racontent, on ne peut les utiliser
comme des documents historiques dans une vie de Jésus. Autre chose est en effet
nier ou révoquer en doute la réalité des événements relatés dans les récits de
l'enfance, autre chose est renoncer à se servir de ces récits comme de documents
historiques. Mais la critique autorise-t-elle à conclure, comme le pense M. Loisy,
que ces récits sont légendaires dans leur contenu même ? Je ne le pense pas. Car
cette solution ne pourrait se justifier que par des conceptions philosophiques sur
la possibilité du surnaturel. Si la critique reste dans ses fonctions, elle ne peut
prendre parti dans la question relative au caractère des récits de l'enfance. Elle
ne peut ni en affirmer ni en nier la valeur historique parce que ce point échappe
à ses prises.
Luc est le plus littéraire des trois Synoptiques. Prologue, I, 1, manifeste
clairement l'intention d'écrire une relation bien ordonnée, équilibrée. Les sources
p. 368.] • R • E • E • S • [1908.
paraissent e^tre bien nombreuses, quoiqu'il soit hasardeux de les énumérer. Il
dépend sûrement de Marc et de la source contenant les discours du Seigneur.
Certes cet Évangile contient, lui aussi, bien des modifications ; mais on ne peut
attribuer à Tauteur toutes ces modifications : quelques-unes sont imputables à ses
rédacteurs intermédiaires. A propos de Luc, M. Loisy reprend son interprétation
de Matthieu. Les récits de Tenfance sont des fictions. Les discours de Jésus
ressiLscité sont construits de toutes pièces par le rédacteur, parce qu'il y exprime
ses propres conceptions et y fornmle son apologétique. A notre tour, nous ne pou-
vons que répéter la même observation. Ces récits ne peuvent être utilisés à titre
de documents historiques, parce qu'ils ne sont pas dans les conditions voulues :
leur facture générale inspire à bon droit des soupçons à la critique touchant leiur
valeur de témoignage. Mais on n'a nullement le droit de dépasser cette position,
et de se prononcer, au nom même de la critique, sur la nature des faits qu'ils
relatent ou qu'ils supposent. De ce que ces récits sont des additions postérieures
et proviennent d'une autre main que celle du plus ancien rédacteur, le critique
n'est nullement autorisé par ses principes et ses méthodes à regarder comme des
mythes ou des légendes la conception virginale et la résurrection de Jésus. On
est ici en face de deux problèmes : l'origine de ces récits et la vérité des faits
qu'ils rapportent. Ces deux problèmes ne sont pas solidaires l'un de l'autre ; et
rien n'exige qu'on leur donne une solution, pom' ainsi dire, homogène. Ajoutons
cependant qu'il n'est pas sûr que M. Loisy tombé dans cette confusion. Mais
comme sa pensée est fuyante, il est difficile de savoir au juste ce qu'il entend par
fictions et légendes.
Les Synoptiques sont donc des œuvres composites. Ils représentent toute une
élaboration de la pc^nsée chrétienne et ne contiennent que très peu de choses de
la tradition primitive. M. Loisy a esquissé ce qu'on pourrait appeler les étapes
de cette élaboration, en s'aidant comme toujours des suggestions de la critique
interne, mais élargies par des intuitions personnelles. Le Christ avait annoncé la
venue du royaume, et le royaume n'était pas venu ; c'était l'Eglise qui avait pris
sa place. Cette conjoncture historique modifia complètement le plan d'apostolat
des prédicateurs de TÉvangile. Une grande déception avait comme envahi les âmes
et menaçait l'avenir même de l'Évangile. Les prédicateurs de la nouvelle doctrine
dm'ent faire face à cette situation. Ils commencèrent par conséquent par relever
en quelque sorte le Christ dans l'opinion de leurs auditeurs en montrant que,
nonobstant sa fin ignominieuse, il était vraiment le Messie annoncé et prédit dans
l'Ancien Testament. Ils s'appliquèrent à justifier, par le même procédé, la résur-
rection de Jésus qui était chez eux un objet de foi. Les nécessités de l'apologé-
tique et l'influence de la théologie naissante achevèrent l'élaboration doctrinale,
qui s'est fixée dans les Synoptiques L'enseignement de Jésus lui-même subit le
même travail de modification, d'amplification et d'idéalisation. Cet essai de
reconstruction est ce qu'il y a de plus original dans l'œuvre de M. Loisy. En
essayant de reproduire la courbe décrite par le germe de la prédication évangé-
lique, le savant critique a déployé toutes ses qualités d'esprit. Sa perspicacité
s'efforce de dépasser les textes, pour ressaisir le mouvement dont ils représentent
les phases successives et les ondulations. Le psychologue ne peut guère contester
qu'une profonde déception n'ait, à la mort de Jésus, envahi l'âme de ses disciples.
Tout à l'enthousiasme, les apôtres attendaient la réalisation du règne messia-
nique : déjà même ils commençaient à se disputer la première place dans la nou-
velle Jérusalem ; et voilà que ce rêve séduisant et grandiose s'effondre avec le
1908.] ANALYSES. [p. 369.
drame du Calvaire. Que de bouleversemeuts dut éprouver Tâme des disciples ! Et
ouaiine tout changemeut iuterne iüüuence notre conduite externe, on doit croire
que le nouvel état d'âme des disciples se refléta dans leur prédication, dans les
efforts qu'ils faisaient pour gagner au Christ les Juifs et les Païens. Cette perspec-
tive n'a rien que de raisonnable, que de plausible. Mais il est diflScile de sortir de
cette vue générale, pour entrer dans les précisions. Et lorsque M. Loisy essaie de
jalonner la marche de révolution et de décrire Tordre, dans lequel ont apparu les
fraj^ments synoptiques, qui représenteraient les divers moments de cvUr évolution,
il <^st évident qu'il ne nous apporte que des conjectures, qui peuvent être plus ou
moins brillantes, plus ou moins probables, mais qui ne s'impos(^nt nulh^ment
oomuK» des résultats acquis. Le travail qui consiste à discerner, à déchiffrer dans
les text(^s synoptiques les étapes de l'évolution des idées est d'une extrême déli-
cat( ss:* ; ajoutons qu'il présente les plus grandes difficultés. M. Loisy noiLs a étalé
sa construction. Prenons-là pour ce qu'elle est, pour ce qu'elle vaut, pour ce qu'elle
signitie, c'est-à-dire une tentative de plus pour résoudre le problème historico-
littéraire des Évangiles synoptiques.
Si l'enseignement de Jésus a fait, sous l'action des prédicateurs, boule de
neige (*t s'est développé comme le grain de sénevé, qu'était-il à l'origine, quelles
sont l(^s dimensions du noyau primitif? M. Loisy a entrepris de répondre à cette
question, et, pour y réussir, il esquisse successivement la vie et l'enseignement
auth(»nti(pie de Jésus. L'enfance de Jésus reste plongée dans les ténèbres. Ou sait
qu'il était fils de Marie et de Joseph, et qu'il exer(;a à Nazareth le métier de son
père, c'est-à-dire qu'il fut ouvrier en bois. La prédication de Jean-Baptiste fut
probablement l'étincelle qui fît surgir dans la conscience de Jésus l'idée de sa
vocation. Jésus reçoit le baptême des mains de Jean, et, après avoir passé quelque
temps au désert, il commence à prêcher à Capharnaum et aux environs. 11 recrute
ses premiers <lisciples parmi les pécheurs du lac de Tibériade. Sa prédication
r(*ncontn» bientôt des obstacles. Pom' se soustraire à l'hostilité et aux intrigues
des Pharisiens, Jésus quitte la Galilée et se dirige vers la côte phénicienne, sans
entn^r en contact avec les populations, parce que sa mission était destinée aux
Juifs. Le moment arrive, où il prend la route de Jémsalem pour y aller préparer
TavéneMuent du royaume. C'était le temps de la Pâques. Acclamé par ses compa-
gnons, Jésus pénètre dans la ville. La défiance à son égard augmente de plus en
plus dans certaines classes de la société hiérosolymitaine. Inquiets pour leur popu-
larité et leur avenir, les chefs religieux ne cherchent que l'occasion de s'emparer
de Jésus. Judas se prête à leurs desseins, non par amour du gain, mais par désil-
lusion. Jésus est arrêté et condamné au supplice de la croix. Après sa mort, ou
le jeta vraisemblablement dans une fosse commune. La résurrection et les appa-
ritions sont un produit de la foi des apôtres.
L'enseignement de Jésus se réduit à l'annonce du royaume. Ce cadre doctri-
nal est emprunté à l'Ancien Testament, mais Jésus l'épure et le perfectionne ; la
notion du royaume est chez lui morale et spirituelle et dès lors universelle ; elle
n'a rien du caractère politique et nationaliste qu'elle avait dans l'Ancien Testa-
ment. Mais cette notion est elle même subordonnée à l'idée eschatologique, à
l'imminence de laparousie.M.Loisy avaitdéjà pris cette attitude contre M. Haruack.
Pour le savant berlinois, le royaume do Dieu, que Jésus annonce dans l'Évangile,
est purement intérieur et éthique. Pour le critique français, il est avant tout
eschatologique.
Fidèle à son système, et à ce qu'il croit être les conclusions de la critique.
P, 370>] * R * E > E > S * [1908»
M. Loisy réduit donc à de minces proportions renseignement de Jésus. Sous ce
rapport, sa position est peut-être plus radicale que celle de Harnack et dépasse
sans doute celle de Renan. On n^aurait rien à dire si cette thèse était déduite de
l'exégèse des textes synoptiques ; on n'aurait eu qu'à s'incliner, en dépit de toutes
les répugnances. Mais on ne voit pas clairement que les textes servent d'échafiFau-
dage à cette construction. Il est indubitable que l'auteur déploie une grande
souplesse d'esprit dans ses aprt-çus et la chaîne de ses déductions ; et si, dans
les matières positives, l'ingéniosité et la perspicacité pouvaient remplacer le
témoignage des textes, M. Loisy aurait sûrement gain de cause. La science
positive gouverne l'esprit et ne lui obéit pas ; elle lui dicte ses conditions et ne
subit pas les siennes propres. Or, avec la meilleure volonté du monde et sans
aucun parti pris, je n'ai pu voir que M. Loisy tire de l'analyse des textes le thème
de l'enseignement de Jésus. Son œuvre accuse un effort trop puissant de >a
pensée interprétative et présente une couleur trop subjective. L'école conserva-
trice a certainement tort de prendre tous les textes en bloc et de les jeter pêle-
mêle dans les plateaux de la balance. Cette exégèse a fait son temps. Mais s'il
faut la condamner, ce n'est pas pour prêter le flanc à d'autres critiques et pour
s'engager dans une voie opposée qui consiste à trop clarifier, à trop émonder les
textes pour des motifs qui sont bien plus d'ordre psychologique que d'ordre histo-
rique. J'eusse préféré, pour ma part, que M. Loisy, dans son essai de reconstruc-
tion de l'enseignement de Jésus, qui contient des pages remarquables, fût resté
en un contact plus intime avec les textes évangéliques.
Reste la personne de Jésus. M. Loisy ne nous dit pas clairement ce qu'il en
pense. Après une lecture très attentive de son ouvrage, j'avoue qu'il m'a été
impossible de décider s'il affirme ou s'il nie la divinité de Jésus. L'impression qui
m'est restée, je le dirai en toute franchise, c'est qu'il est partisan de la divinité
de Jésus, mais d'une divinité qui diifère de celle de la tradition. La divinit*^
métaphysique parait être remplacée par une divinité morale consistant en des
rapports tout particuliers de Jésus avec le Père éternel. En supposant que mou
interprétation soit exacte, M. Loisy pourrait sans doute prétexter qu'il se conduit
en historien, et que toute la question revient à savoir si l'on peut prouver histo-
riquement, c'est-à-dire par la teneur des textes, la divinité de Jésus. Cette mise
en demeure nous obligerait à entamer la discussion d'un autre sujet et par consé-
quent à sortir du cadre de cet article. M. Loisy me permettra cependant de lui
faire observer qu'il est peut-être contradictoire de dire que « Jésus a incamé
dans l'homme la sagesse de Dieu « (I, 253), et qu'il était « un ouvrier de village,
naïf et enthousiaste.... fort d'une première illusion « (I, 252). On ne comprend
pas que celui qui incarne la sagesse de Dieu soit victime d'une illusion qui est la
raison d'être de son rôle et le mobile de tous ses actes.
Il ne nous reste pas grand' chose à dire sur le commentaire. Le rédaction eu
est toujours claire et élégante. L'auteur y utilise toutes les ressources de la philo-
logie, de l'histoire et de l'archéologie, pour éclaircir le sens des Evangiles syno^v
tiques, pour rectifier certaines explications trop prématurées ou trop arbitraires
et pour en proposer quelquefois de nouvelles. Ce commentaire rendra certainement
*de grands sen^ices à ceux qui veulent pénétrer plus avant dans l'intelligence des
textes synoptiques. La traduction du texte est irréprochable et les notes qui
l'accompagnent témoignent de beaucoup de pénétration et de vastes connais-
sances. Dans sa teneur générale, le commentaire est en parfait accord avec
l'introduction, et ne fait en somme que la développer ou la justifier. On y retrouve
1908.] ANALYSES. [P, 371»
donc eu détail toutes les vues critiques de M. Loisy. C'est ainsi que Tauteur
interprète dans un sens légendaire certains passages ou fragments que l'introduc-
tion avait classés parmi les additions postérieures, motivées par les besoins de
Tapologétique ou les lois du développement. On ne pourrait donc s'y arrêter sans
.s'exposer à des redites. J'ajouterai en terminant que les Evangihs synoptiqties
sont indispensables à quiconque s'occupe de critique et d'exégèse néo-testamen-
taire. On appréciera, comme on voudra, les idées et les conclusions de M. Loisy;
mais on ne pourra se dispenser d'étudier et de méditer son ouvrage.
V. Eemoni.
George A. Rbibneb. llie Early dynastic cemeteries of Naga-ed-Bêr, ~ Tome 1
(University of California Publications). Leipzig, Hinrichs, 1908, in-4®, 160 p.,
79 planches et 215 illustrations.
Grace à la subvention de M"® Phœbe A. Hearst, l'Université de Californie,
qui doit déjà tant à ses libéralités, a constitué en 1899 une mission égyptienne sous
la direction de son professeur d'égyptologie G. A. Reisner. Avec le concours de
MM. Lytbgoe, Green et Mace, il a pu se livrer, de 1899 à 1904, à une fructueuse
série de fouilles dans les nécropoles de Shurafa, Dêr-el-Ballas, Gizeh, El-Akaiwah,
Naga-ed-Dér. Cette dernière localité, voisine d'Abydos, a livré à ses explorateurs
plus de 10.000 tombes allant du début de la période prédynastique à la fin du
Moyen-Empire. Sur les onze principaux cimetières entre lesquels ces tombes se
répartissent et qui sont désignés par le numéro que leur première tombe porte dans
l'inventaire général (du nord au sud on rencontre ainsi les cimetières 9000, 3500,
2000, 3000, 3100, 1000, 1500, 100, 500, 700, 7000), ce premier volume nous
apporte une description minutieuse des cimetières 1500 et 3000 qui contiennent
presque exclusivement des tombes des trois premières dynasties. Comme chacune
est minutieusement décrite, inventoriée et illustrée, on pourra enfin se faire une
idée plus précise des sépultures protodynastiques égyptiennes.
Malheureusement, la localité étant exposée à l'inondation et à la denudation,
tous les mastabas qui formaient la superstructure des tombes ont disparu. Les
arasements permettent seulement de reconnaître que ces mastabas étaient con-
stitués par un rectangle de briques séchées au soleil (du module 7 X 14 X 28)
allongé du sud au nord, rempli de terre, gravois et débris de toute sorte ; dans
les faces sud et nord de petites niches étaient pratiquées, sans doute pour les
offrandes ; parallèle aux parois de ce masiabay à une distance de 50 à 100 mètres,
s'élevait un mur de briques limitant l'enclos sacré ; tous ces murs de briques
paraissent avoir été badigeonnés d'une chaux blanc-rose ; les niches seules
auraient été peintes en rouge.
Pour la ^structure de la tombe, l'ouverture ovale aux parois de terre battue
soutenues et couvertes par un treillis de branches des sépultures prédynastiques
a été remplacée uniformément par une fosse rectangulaire (1 à 2 m. de larg.
sur 2 à 3 m. de long.) creusée dans le sable que maintient un mur de briques
séchées. Parfois, ces briques, se rejoignant en encorbellement, forment voûte
au-dessus de la fosse ; parfois, la voûte est remplacée par un plafonnement
droit en bois. L'évolution semble s'être produite ainsi : au début de la 1" dyna-
stie, on conserve le type prédynastique de la fosse simple avec plafonnement
en bois (a) ; puis, par imitation des premières tombes royales d'Abydos, celles
de Zet, Zer et Memeit, on agrandit les fosses au point que deux petits murs
p. 372.] • R • E • E • S • [1908»
transversaux deviennent nécessaires pour soutenir le plafonnement et mainte-
nir l'écartemeut des parois ; on obtient ainsi une petite chambre, parfois divisée
elle-même en deux cellules, de part et d'autre de la chambre funéraire centrale
^(bj ; une fois que la tombe a pris ce développement, on veut protéger son
contenu plus efficacement que par le plafonnement de bois ; aussi entasse-t-ou
au-dessus un rectangle de briques ; pour en diminuer le poids, on fut amené de
bonne heure à disposer les briques eu encorbellement ; devenu par là inutile, le
boisage disparut. En même temps, à la fois pour édifier ces assises en encorbel-
lement au-dessus de la fosse et pour rendre cette fosse même plus profonde, ou
fut auK^né, pendant les travaux, à garder un des côtés de la fosse en plan incliné ;
de là, sans doute, Tidée d'accéder au fond de la tombe par des degrés taillés dans
le sable et recouverts de briques. L'escnlier apparaît dès les tombes à plafonnement
à la fin de la 1* dynastie (c) ; sa combinaison avec la voûte (rf) semble s'être
accomplie sous la IP et la III* dynastie. Enfin, sous la IV" dynastie, la tombe
voûtée est si bien entrée dans les traditions que les fosses les plus exiguës, sans
chambres latérales et sans escalier, se terminent en encorbellement (e).
Dans les plus grandes tombes, le mort, soigneusement enveloppé, semble
avoir été couché à même le sol préparé à cet effet ; mais, l'humidité ayant pu
pénétrer ainsi librement jusqu'au squelette, il n'en reste généralement plus rien.
Dans les tombes plus petites, au contraire, le mort, placé entre deux draps mais
non enveloppé, ayant été déposé le plus souvent dans des caisses grossières en
terre ou en bois, parfois dans des paniers calfatés avec de la boue, ou encore dans
de simples tress(\s selon le système prédynastique, le squelette s'est retrouvé beau-
coup mieux conservé. Sur 3S squelettes en position contractée, 37 sont sur le flanc
gauche, un seul sur le flanc droit ; 23 ont la tête au sud, 6 à l'ouest, 5 au nonl,
4 à l'est. Ainsi, la position contractée reste de règle pendant les quatre premières
dynasties; c'est pendant la V® qu'apparaîtrait l'orientation vers le nord et le pre-
mier squelette en position étendue serait celui que les cartouches d'ITuas et do
Teti placent à la limite des V« et YP d. (v. 2625).
Le mobilier des tombes est principalement constitué par la poterie, tant eu
terre qu'en pierre. Les vases en terre sont d'abord en pur limon qui rougit pui>
brunit à la cuisson ; ensuite, ce limon est de plus en plus mêlé d'argile qui, selon
les proportions, prend des teintes qui vont du rose au brun. Les vases en pierre
sont creusés au villebrequin et polis au sable dans des matières divers(^s, albâtre,
ardoise, brèche, calcaire, marbre et leur nombre augmente de façon comsidé-
rable, de 15 ou 20 dans les grandes tombes à plafonnement et de 1 ou 4 dans les
petites tombes de ce type à 35 et 55 dans les grandes tombes à voûte et 7 et 9
dans les petites.
Outre quelques beaux silex en forme de couteau, les tombes contiennent
bon nombre d'instruments de cuivre : gouges, ciseaux, haches. Le cuivre et For,
battus en minces lamelles, forment des anneaux et des bracelets ; mais ce qui
semble le plus apprécié en fait de bijouterie, ce sont les colliers et chaînes en
verres et en pierres de toute sorte, steatite, hématite, cornaline, améthyste, gre-
nat, etc. Autrement importante est la trouvaille de 14 cachets cylindriques et
d'une impression de sceau ; à côté des cylindres royaux et officiels d'Abydos, ce
sont les premiers cylindres privés portant, semble-t-il, le nom et les titres de
leurs possesseurs. En dehors de ces représentations idéographiques, quelques
vases apportent des graffites curieux où l'on ne peut guère voir que des marques
de propriété. Une simple comparaison suffit à montrer que les idéogrammes pro-
1908.] ANALYSES. [P. 373.
todynastiques des cylindres dérivent des gravures ou peintures prédynastiques.
Aussi M. Reisner repousse-t-il avec raison cette théorie de l'origine babylonienne
<lu'on a voulu imposer à récriture comme à tous les autres arts que les pharaons
horions auraient introduits en Egypte. Toutefois, la raison qu'il invoque — que,
en prenant dans les deux systèmes des signes dérivés du même idéogramme, on
les trouverait à un stade beaucoup plus primitif dans l'Abydos de Mènes que
dans TAgadè de Naram-Sin et que, par conséquent, l'Egypte n'a pu les recevoir
de la Chaldée — n'est pas recevable puisque, selon toute probabilité, Menés est
d(* plus de cinq cents ans antérieur à Naram-Siu (3500 et 2750). Il aurait mieux
valu insister sur le caractère proprement égyptien de nombreux signes dont l'idée
n'a pu venir que sur les bords du Nil et sur les aftinités libyennes des graffiti.
C(^ serait de ce double fond de signes idéographiques et de marques de
propriété que les besoins mêmes de la société égyptienne, qui perfectionne et com-
l>liqu.? ses rouages sous les premiers rois horiens, auraient tiré peu à peu un système
fxraphique dont nos documents permettent déjà de constater les progrès pendant
les deux premières dynasties. «C'est ce besoin de représenter les dieuxet les chefs,
le besoin plus général de marques de propriété, celui de transmettre ordres et
pouvoirs du prince à ses agents, celui encore de distinguer les années en rappelant
pour chacune les exploits du prince — ce sont toutes ces nécessités impérieuses,
écrit M,Rtisner(p. 125J, qui auront causé les progrès si rapides du système graphi-
<pie. Les premiers exemples qui nous en soient parvenus ne font que satisfaire à ces
nécessités. Comme tous les arts nouveaux, l'écriture a été inventée pour et par
ceux qui en ont eu le besoin et le moyen — les chefs et les rois n. Sans discuter
<'(»tte intéressante théorie — qui ferait jouer à Menés le rôle du petit roi du
Banum créant une nouvelle écriture nègre signalée par M. Van Gennep ici même
(BEES, 1908, 136) — arrêtons-nous, pour finir, sur les importantes conclusions
que M. Reisner tire d'un tableau où il a mis en regard, sur tous les points essen-
tiels, les caractéristiques fournies par les tombes des périodes prédynastique et
l)rotodyuastique. Si elles difl'èrent assez sensiblement, on ne constate cependant
entre elles aucune solution de continuité ; seulement, le grand développement ed
la métallurgie du cuivre qui marque le début des dynasties, par la prédominance de
s(.*s proiluits propres (les instruments en métal font prévaloir la vaisselle et l'archi-
tecture en pierre), rejette dans Tombre la taille des silex et la fabrication des
vases de terre cuite qui avaient atteint une si rare perfection à l'époque prédy-
nastique. L'activité industrielle s'est déplacée, mais c'est toujours celle du même
peuple et je crois avec M. R. « impossible de se dérober à la conclusion que les
habitants de l'Egypte, depuis le début de l'époque prédynastique à la fin de la
période protodynastique, forment une seule race dont nous pouvons suivre les
progrès continus et laborieux (pii finirent i)ar lui valoir cette terre et cette civilisa-
tion que nous appelons égyptiennes r. A. J. Reinach.
p. 374.] • R • Ë • E • S • [1908«
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.
Louis de La Vallée Poussin. Traduction du Bodhicaryävaiära, Introduction à la pra^
tique des futurs Bouddhas^ Poème de Çàntideva, Paris, Bloud, 1907, S», xn-144 pp.
(Extrait de la Revue cThistoire et de littérature religieuses, T. X, XI et XII, 1905,
1906 et 1907). — Le Bodhicaryâvatàra publié en 1889 par Minayepp* a déjà été Tobjet
d'intéressantes études de la part de M. de La V. P.*, qui en publie en ce moment même
le texte et le commentaire complets dans la Bibliotheca Indica. L'auteur était donc
mieux préparé que tout autre pour donner du poème de Çântideva une traduction
exacte et un commentaire substantiel. Il est regrettable cependant qu*il ait cru devoir
fondre l'un dans l'autre. S'adressant au grand public et craignant qu'une traduction
littérale de la strophe sanskrite si concise, si ramassée, ne demeure souvent peu intel-
ligible, M. de la V. P. a incorpoi'é à chaque stance, en les plaçant entre crochets, des
phrases ou des membres de phrases entiers tirés du commentaire de Prajflâkaramati et
destinés à relier les stances entre elles, à éclairer les passages obscurs, à expliquer les
mots et les pensées difficiles. Il en résulte à la lecture une impression pâteuse, délayée,
aussi peu littéraire que possible ; nous aurions préféré voir toutes ces explications,,
d'ailleurs fort utiles, souvent même indispensables, à leur véritable place, au bas des
pages : la compréhension n'y aurait rien perdu et la traduction y aurait gagné.
Il est regrettable aussi que, cédant à des scrupules d'orthodoxie, M. de la V. P. ait cru
devoir supprimer la traduction du dernier chapitre, parce que « la tradition recueillie
par Târanâtha établit que des doutes régnaient dans la Communauté sur l'authenticité
de ce chapitre, n
Ces critiques^ ne sauraient diminuer en rien la valeur du travail de M. de la Y. P., ni
le service qu'il a rendu aux études religieuses, en mettant à la portée de tous un ouvrage
aussi important que le Bodhicaryâvatàra, cette «< sorte de pendant buddhique de l'/mi-
tation » (Barth, Bullet, des religions de l'Inde^ 1894, p. 19). Le poème de Çântideva,
adepte du Grand Véhicule et plus spécialement de Técoie Mâdhyamika, roule en effet sur
un sujet fondamental, vital pour le Buddhisme du Nord. Le Bodhisattva, « candidat k
la bodhi», futur Buddha, Saint compatissant qui pratique toutes les vertus dans le seul
intérêt des créatures, est l'idéal, le modèle, le type du surhomme pour les adeptes du
Matâyâna. Le poème de Çântideva est un exposé méthodique des moyens propres à
assurer au fidèle cet état bienheureux, première étape vers le nirvâça. C'est dire assez
qu'il donne en raccourci une vue d'ensemble de la dogmatique et de la morale buddhique»
Tel chapitre, conune le neuvième, qui traite de la Vertu de Science (prajnâ päramitä)
est extrêmement riche en discussions fort intéressantes avec les écoles buddhiques
rivales et avec les non-buddhistes, védantistes ou autres. Enfin, toute l'œuvre respire
un pai'fum d'ardente charité, de compassion et d'ardeur apostolique qui en i-endent la
lecture singulièrement attachante. O. Cœdès.
Vincent A. Smith. The early history of India, from 600 B. C, to the muhammadan con-
quest; 2^ edition, revised and enlarged; Oxford, Clarendon Press^ 1908; 8« xn-462 pp.
9 planches, 6 cartes. — Trois années ont suffi à épuiser la première édition du manuel
de M. Y. S. C'est là un succès que justifient pleinement l'intérêt du sujet et la manière
agréable dont il a été traité. Il est inutile de revenir en détail sur les critiques dont
l'ouvrage fut l'objet lors de son apparition, et qui subsistent encore en face de la nou-
1 Zapishi de la Section orientale de la Société impériale russe d'archéologie, T. IV, p. 156.
^ Traduction des chap. I-Y et X dans le Muséon (1892), texte et commentaire du cbap. IX
dans : Bouddhisme, Etudes et Matériaux, Londres, 1898.
3 Que M. de la V. P. nous permette de lui signaler l'insuffisance de quelques-unes de ses rôfé-
renées ; il compte trop sur la science de ses lecteurs en des renvois tels que : (p. 54) « Voir Garbe,
Die Särjtkhyaphilosophie n, ou (p. 77) « Voir Senart, Légende du Buddha n sans indication de-
pages.
1903.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 376.
velle édition : critiques génôrales sur l'économie même du voiume, sur ia place démesu-
i^ accordée au récit de la campagne d'Alexandre, et au chapitre « Açoka » dans lequel
Fauteur a déversé la majeure partie d'une monographie sur le même sujet, (V/a Smith,
Asoha^ the buddhist Emperor oflndia^ Oxford, 1901.) sur la trop grande brièveté, au
contraire, dos derniers chapitres relatifs aux dynasties médiévales; critiques de détail
sur certaines théoiies chronologiques, historiques, ou autres. Quelques additions, chan-
gements ou remanîments nécessités par les nouvelles découvertes contribuent à amélio-
rer l'ouvrage en le tenant au courant : on en trouvera la liste à la tin de la préface. Tel
qu'il se présente, avec ses imperfections, inévitables dans un sujet si vaste et si peu mûr
encore pour la vulgarisation, mais aussi avec ses très réelles qualités de clarté et
d'élégance dans l'exposition, ce manuel est propre à initier d'une manière suffisam-
ment exacte le public désireux de s'orienter dans l'histoire de l'Inde. Ses meilleures
pages sont précisément celles qui sont le plus capables d'intéresser les lecteurs de la
H. £. B. S., nous voulons parler des paragraphes relatifs à la politique intérieure et à
l'administration des Mauryas, des Guptas et des autres grandes dynasties indiennes,
ainsi que de ceux, font nombreux, qui traitent des rapports réciproques entre Tlnde et
l'Occident. G. Cœdës.
W. A. Graham. Kelantan, inl6, 13S p., LXIII pi., 1 carte. Glasgow, J. Me Lehose & sons,
1908, 5 sh. — Les événements politiques ont à maintes reprises attii*é l'attention ces
années dernières sur l'Etat de Kelantan, dans la presqu'île de Malacca. Il semble des-
tiné, si Ton en croit M. 0., à un grand avenir commercial, et c'est à une étude surtout
économique qu'est consacré ce joli livre, bien illustré. Les chap. V à IX fournissent
cependant des données originales sur les populations de l'Etat, (Malais, Chinois,
Siamois, etc.) sur leur costume, leur religion (Islam, du rite Schaâ*ite) et surtout sur
leur histoire. Des renseignements pratiques terminent le volume, excellent manuel à
l'usage des globetrott3rs et des commerçants. A. v. G.
JoH. Snelleman. Merauke, en watddaraanvoorafging. Extrait (p. 106-117) de De Aarde
en haar Volken, 4«, Harlem. — Bon exposé de l'histoire, de la géographie et de l'ethno-
graphie de la région de Merauke, en nouvelle Guinée hollandaise, avec photographies
de types et de parties du costume et quelques renseignements linguistiques. A. v. G
Mission Arnaud -Gortier. Nos confins Sahariens (Etude d'organisation militaire), par le
cap. E. Arnaud et le lient M. Gortier, de l'infanterie coloniale. — Paris, Emile Larose,
1908. 1 vol. in -8 de 512 pages, avec 96 photogravures, 7 cartes ou croquis hors texte et
6 croquis de profils de montagnes. 12 fr. — Cet ouvrage est surtout, comme l'indique
son sous-titre, une étude d'ordre militaire et très documentée sur l'organisation passée,
présente et à venir des groupes mobiles sahariens de cavaliers et de méharistes chargés
d'assurer la police et la pénétration du Sahara tant au Sud de l'Algérie qu'au nord du
Sénégal et du Soudan Français. (Cependant on y trouvera aussi çà et là des considéra-
tions d'ordre ethnographique, provenant d'obseiTations consciencieuses, sur le carac-
tère et la vie des nomades sahariens, soit Arabes (tribus du Sud-Est marocain, Chaamba
du Sud Algérien, Maures de la Mauritanie, Kounta de la région de Tombouctou, Oulad-
SJiman de la région du Tchad), soit Berbères (tribus du Tafllelt et Touareg); sur leur
utilisation des chevaux et des chameaux de selle et de bât, leur façon de soigner les
mehara, de les dresser, de les abreuver, de les nourrir; aussi sur leura modes de com-
bat, leurs habitudes de guerre, leurs expéditions de pillage, etc. Le rapport du lieute-
nant Gortier (2» partie) renferme des descriptions, accompagnées de quelques flgui'es,
d'ustensiles employés par les nomades Sahariens (selles, bâts, outres, etc.). Plusieurs
des nombreuses photographies qui illustrent le volume contribuent â nous faire con-
naître le vêtement, l'armement, etc. des Touareg. Les auteurs divisent la société, chez
les Touareg, en deux castes auxquelles ils donnent les noms (ïlmocharh (nobles) et
Imrad (serfs ou caste populaire), indépendamment des Bella ou esclaves nègres. Ils
représentent l'ensemble du peuple Touareg comme formant six tribus ou confédérations
principales : Taïtoh au Nord-Ouest du Sahara Central, Hoggar au centre (massif de
l'Ahaggar), Azcfjer â l'est (sud-ouest de la Tripolitaine), Iforhas dans l'Adrar Oriental
(au sud-ouest des Hoggar), Ouliminden dans la région Nigérienne, et enfin une fraction
paraissant n'avoir pas de nom générique et s'ôtendant à Test des deux précédentes
jusqu'aux environs du Tchad (comprenant les Kel-Gress, Kel-Rharous, Kel-Air, Kel- Ckci\
Kel'Fadef, etc.
p. 376.] • R • E • E • S • ^ [1908.
Le lieutenant Cortier a recueilli dans I'Adrar Oriental des documents historiques et
ethnographiques sur l'avancement progressif des Touareg vers le Sud, sur l'occupation
ancienne de i'Adrar par les Nègres Sonrhaî et sur les mœurs et coutumes des Iforhas ;
mais ces documents ont été i^éservés pour une publication spéciale ultérieure, qui ne
manquera pas d'être une très intéressante contribution à l'ethnographie saharienne, si
nous en jugeons par le mérite et l'mtérét do Touvrnge que viennent de nous donner
MM. Arnaud et (Mortier. M. Delafossr.
Commandant Henri Oaden. Note sur Je dialecte Foui parlé par les Foulbé du BaguirmL
(Extrait du n*» de janv -fév. 1908 du Journal Asiatique^ Paris, Imprimerie Nationale et
Ernest Leroux, 70 pages in-S). — Mis à mémo d'étudier les Foulbé et leur langue par
divers séjours dans les régions du Sénégal-Niger, du Zinder et du Chari-Tchad, M. le
Cdant Gaden a traité spécialement dans cette étude, excellente à tous points do vue, du
dialecte parlé par les Foulbé qui, venus des provinces orientales de l'Adamaoua depuis
la rtn du xv ou le commencement du xvi* siècle, se sont établis, à côté de peuples de
race nègre, dans la région qui forme aujourd'hui le Baguirmi. Cette étude, trop modes-
tement dénommée « note • par son auteur, constitue l'une des plus précieuses contribu-
tions â la connaissance de la langue Foui et complète de façon très heureuse, en le
rectitiant parfois, le Manuel de Guiraudon. C'est ainsi que M. Gaden se sépare de Faid-
herbe et de Guiraudon en ce qui concerne la division de la nature en deux grandes
classes attribuée aux Foulbé par ces deux auteurs, savoir : d'une part les êtres humains»
d'autre part tout ce qui n'est pas l'homme. « Dans la réalité, dit-il, il n'y a pas de genre
en foui, et cela est tellement vrai qu'un Foui parlant à son chien, à sa vache, em-
ploiera le môme pronom de la 2' personne que s'il parlait à un homme... Les pronoms
des l""« et 2* personne soni communs à tous les noms. Seuls, les pronoms des 3«^ peis.
diffèrent... Chaque pronom de la 3' pers. sing, désigne une catégorie d'èti^es, d't)bjets
ou d'abstractions présentant entre eux un lien commun qu*il n'est plus toujoui's pos-
sible de reconnaître aujourd'hui et dont la détermination nous fournirait des données
fort intéressantes sur la mentalité des Foulbé et leur conception de la nature. Parmi ces
pronoms, l'un d'eux, mo ou *o, ne désigne que l'homme, de même que dam ne
désigne que les liquides. Etant donné la règle de formation des noms ,... il est
naturel que le suffixe de formation comporte au singulier la voyelle o, caractéris-
tique de l'homme. Au pluriel, le pronom be ne peut servir que pour l'homme, sauf
incorrection. C'est là le seul argument en faveur de la classiücation adoptée pai* de
Guiraudon. Quant au fait que les mots du « genre commun n (homme et femme) piv-
sentent comme radicale initiale la permutante (consonne mise à la place de la consonne
correspondante de la racine), il n'est pas caractéristique, puisque le mémo fait se pro-
duit pour toute une classe de mots du - genre neutre « (désignant des êtres non-humains),
ceux en dum. n
On n'aurait plus alors deux genres, mais bien un certain nombre de classes, l'humanité
formant simplement Tune de ces classes : le suffixe 'o ou do (avec radicale initiale \)er-
mutée) désignerait un être humain au singulier: le suffixe e ou i (avec radicale initiale
permutée) désignerait la pluralité d'un objet; le suffixe be ou en (sans permutation) la
pluralité d'un être humain ; le suffixe dum (avec permutation) les mots abstraits ou les
noms d'instruments ; le suffixe nga ou mba (sans permutation) les grands herbivores,
dam ou nda les liquides, ndo ou ngol les noms verbaux, ht les arbres, ndi les grains,
re ou de les langages, etc.
L'étude de M. Gaden renferme une partie grammaticale et morphologique (35 pages»,
de nombreuses phrases pourvues chacune d'une traduction littérale (11 pages), un
recueil de mots classés par racines (20 pages) et entln deux textes en dialecte foui de Say
(bas Mger) avec traduction littérale (4 pages). Le premier de ces textes est une légende
historique sur l'origine des Djerma ou Sonrhai de l'Est. Au début de la notice, on trou-
vera quelques considérations judicieuses sur le sens ouest-est des migrations Foulbé qui
se sont répandues du Niger au Ouadaï, les plus anciennes dont les indigènes se sou-
viennent étant parties du pays de Mali ou Melle. M. Gaden fait observer que, si autrefois
les Foulbé sont venus de la vallée du Nil et si leurs migrations de l'ouest à l'est des
derniers siècles ne sont que des contre-migrations, « leur premier exode n'a laissé du
moins aucune trace, ni dans les pays au sud du Sahara, ni dans les traditions des
Foulbé actuels ». .le dois noter cependant que quelques traditions indigènes, entre autres
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 377«
celle recueillie par Clapper bon auprès de Mohammed Bello, sultan de Sokoto vers le
milieu du xix« siècle, font venir du Yemen les premiei*s ancêtres des Foulbè.
Entre autres indications utiles que nous fournit Tètude de M. Gaden, je relève que le
mot Hàbbé ou Hàbé (plus correctement Ha^be), dont on a voulu faire le nom de diverses
peuplades du Soudan Occidental ou Central — (nom des Tombo ou Tommo des hauteurs
à Test du Massina d'après le lieut. Desplagnes, nom soi-disant véritable des Haoussa
d'après le cap. anglais C. W. Orr dans Journal of the African Society d'avril 1908) —
est tout simplement le pluriel du mot ka*do ou haddo, par lequel les Foulbé désignent
tout indigène de race nègre, par opposition aux Foulbé eux-mêmes, aux Arabes et aux
Touareg. M. Delafosse.
J. Halkin. Quelques peuplades du district de VUelé, S®, 155 pages, 2 planches, carte en
couleurs, Liège, D* Cormaux, 1907. — M. H., professeur d'ethnographie à l'Université
de Liège, a été l'un des membres les plus actifs du Congrès d'expansion mondiale de
Mons ; il est l'auteur du Questionnaire de la Société Belge de Sociologie et le promoteur
d'un mouvement scientifique qui se manifeste par la publication d'une collection de
monographies ethnographiques, (distincte de celle de M. Van Overberg; cf. R. E. E. S.
n« 5, p. 276). Plusieurs peuplades du district de l'Uelé seront étudiés monographique-
ment ; ce premier fascicule contient : a) l'Introduction générale, où M. H. développe à
nouveau les idées déjà exprimées par lui, à maintes reprises, sur la nécessité et la portée
de l'ethnographie; b) la monographie des Ababua. Le procédé d'exposition est le même
que celui de M. Van Overbergh : documents in extenso juxtaposés après classement
par matières, avec pages en blanc pour permettre l'insertion de compléments ultérieurs.
En définitive on n'a sur les Ababua que des renseignements très superficiels ; comme
tabous alimentaires, on citera ceux qui sont relatifs à la chair de Thippopotarae, du
léopard et du gorille baés semble- t-il sur la croyance à la réincarnation (p. 102); canniba-
lisme limité aux prisonniei*s de guerre et aux esclaves d'un chef décédé (n^ 96) ; pas de
tatouage (disent les observateurs), mais des scarifications, quelques-unes de valeur
magique ; maison cylindrique en écorce à toit conique on rectangulaire à mur de base en
pisé, ; existence d'une maison commune (cf. n« 46) ; villages composites à ouvrages défen-
sifs. Les renseignements sont surtout insuffisants pour tout ce qui a trait à la vie
familiale, aux rites, à la constitution sociale. On exhume successivement trois fois le
cadavre, pratique dont la raison n'est pas donnée. A noter que le likundu est " imper-
sonnel et amorphe ; on a le likundu comme on a le mauvais œil dans certaines contrées
européennes r ; et du reste de la description p. 101 il ressort nettement que par likundu
on entend la sorte de mana dissociée qui est maléflciente ; preuve de plus que la théorie
« impersonaliste » de la puissance magico-religieuse a bien, quoiqu'en pense le
P. Schmidt (Anthropos, 1908, p. 604, note 2) une base réelle. A v. G.
A. DE Calonne. Deux totems de VUellé, Extr. (9 p.) du Bull, de la Soc. Belge de Géogr.,
1907. — C'est par une extension de sens absolument inadmissible que M. de C. nomme
totems deux puissances surnaturelles révérées l'une par les Azandi et les Ababua, qui
est la «bête d'en haut», personnification zoomorphique de l'orage ou du cyclone et
réceptacle de morts redoutés ; l'autre révérée par las Bakango, qui est le « serpent
d'eau »>, les Bakango étant les " gens de l'eau «.Avant qu'on puisse parler à leur sujet de
totémisme, il faudrait déterminer la coexistence de tous les principes fondamentaux et
caractéristiques de ce système à la fois religieux et social. A. v. G.
F. Harroy. Ethnographie congolaise : Les Bakuba. Extr. (44 p. et fig.) du Bull, de la Soc.
Belge de Géogr., 1907. — Mémoire intéressant, où l'on trouvera des renseignements
assez détaillés sur l'organisation politique (hiérarchie de quinze grades,qui rappelle celle
du Loango), la société secrète des Mutchi, le langage des tambours, la situation de la
femme, les danses rituelles et erotiques, etc. des Bakuba. Des ustensiles et des masques
sont reproduits en photographie ; on ne voit pas comment l'auteur découvre, en suivant
le D»" Dryepondt, une influence égyptienne dans l'art ornemental bakuba, très riche et
très varié. A. v. G.
E. M. Andrews, The « Webster n 7^uin in Southern Rhodesia, Africa. Extr. (13 p., flg.,
3 planches) des Smithsonian Miscellaneous collections, 1907. — M. A. a trouvé, au cours
de ses fouilles des fragments de porcelaine de Chine à dessins bleu sombre sur fond
blanc et de verre vert épais (â 1 mètre de profondeur), des anneaux, des têtes de flèche,
p. 378.] • R • E • E • S -^ [1908.
un fragment de hache, etc. en fer : ce qui date la « Webster Ruin », de la an du xvi*
au commencement du xvw siècle; le • temple i» est regardé par M. A. comme l'œuvre
de Nôgres, ce qui contiime sur un nouveau point les théories de Randall Mac Iver, de
Yon Luschan, etc. A. v. G.
F. C. Sblous. African nature notes and reminiscences, 8«, 356 p., XI pi., Londres, Mac-
millian & G», 1908, 10 sh. — L'auteur, bien connu déjà par ses récitsde chasse, a consacré
la majeure partie du présent volume à une description des mœurs animales en Afrique,
qui font justice d*un grand nombre d'erreurs. On lira notamment avec profit sa discus-
sion sur le mimétisme et sur le rôle, dans la coloration du pelage, de la sélection natu-
relle et sexuelle ; sur ce point encore, les théories de Dai'win doivent être soumises à une
limitation cx>nsidérable. Au cours de ses chasses, M. S. a eu Toocasion d'étudier de près
un certain nombre de Bantous, de Bushmen et de Hottentot^. Le dernier chapitre
notamment fournit sur la tribu bushmen des Masartoa^ d'utiles renseignements,
d'autant plus (Jue plusieurs d'entre eux remontent à 1872. alors que les Masarwa
n'étaient encore armés que d*arcs et de flèches. M. S. n'a jamais rencontré dans le
Transvaal septentrional de Pygmées qui appartiendraient à un groupement, dénommé
Kattea par A. H. Keane, et qui seraient couleur de poix par opposition aux Bushmen à
peau jaunâtre et aux Bantous de haute taille. Et c'est sur une expérience de plus de
20 années que M. S. se fonde pour nier l'existence de ces pygmées. Des renseignements
linguistiques et anthropologiques que donne M. S., il ressort que ces Masarwa sont
bien, comme le croyait aussi Stow (Nat. Races South A/r., 1905, p. 265), le résultat d'un
croisement entre Bushmen et Bantous, quoiqu'on pense M. S. p. 337-338 ; il croit aussi à
la pureté des Bakalahari, qu'il regarde comme de vrais Bechuana. En tout cas (cf. p. 344
et suiv.) bien que se trouvant à un stade fort ancien du développement culturel, les
Bushmen sont, pour les facultés intellectuelles, à peu de distance du Blanc. Ceci dit pour
réagir une fois de plus contre cette erreur de raisonnement qui consiste à juger de la
valeur réelle d'un groupement demi-civilisé d'après l'état de sa civilisation matérielle.
On trouvera encore d'autres notes po^m, d'une utilisation aisée gi*àce à un index très
détaillé. A. v. G.
I. L. A. MiLANî. La Bibhia Prebabelica e la Liturgia dei Preelleni, extr. des Studi Reli-
giosi, 1906, 25 p. 32 ill.
n. Th. Ouspenskiy. Les plies anciens signes d^écriture (o drevniêshikh znahakh pisma),
extrait des Mémoires de VJnst. Arch. Russe de Constantinople, 1906-7, 20 p., 2 pi.
III. E. Amar. Essai sur Vorigine de V Ecriture chez les Arabes, extrait de la Rexme
Tunisienne, 1907, 23 p.
I. Dans ce mémoire, lu d'abord au Congrès d'Athènes de 1905, M. M. reprend les faits
et idées dont il a exposé le corps dans son grand travail sur LArte e la Religione
Preellenica qu'il compte faire suivre, dans ses prochains Studi e Materiali, d'un
travail complémentaire sur l'art et la religion des Étrusques. C'est, en effet, le parallé-
lisme do ces grandes civilisations des Mycéniens et des Etrusques, des Egéens des îles
et des côtes d'Asie, notamment de la Troade, et, dans l'intérieur de l'Asie, de l'empire
Hétéen qu'il s'est depuis longtemps attaché â faire ressortir : il n'y voit que les manifes-
tations diverses d'une même culture méditerranéenne commençant ici au xvu« s. av.
J.-C. pour ne finir là qu'au vn«. Une même rehgion qu'il appelle dactylique aurait
caratérisé ces civilisations : essentiellement monothéiste et trinitaire, malgré les dévelop-
pements différents que lui auraient imprimé les divers génies des peuples, une même
évolution l'aurait conduite de l'aniconisme zoo- et phy tomorphique que nous trouvons en
Crète au polythéisme anthi*opomorphe que les Étrusques auraient importé d'Asie en
Italie. — Sans doute ce tableau est séduisant et prête aux plus hautes spéculations, mais
combien, pour les y faire entrer, ne faut-il pas forcer et altérer les faits ! Ainsi, dans son
nouveaumémoire,>f.M. s'efforced'adapteràsa thèse favorite l'interpi'étationdece système
d'écriture idéographique dont, à la fin de l'époque néolithique, on rencontre des spéci-
mens sur tout le pourtour delà Méditerranée, des galets du Mas d'Azil aux poteries d'Aby-
dos. Dans les signes de Knossos, tant ceux qui sont gravés sur les murs — où leur rôle
^ Appelés officiellement (par le Bureau of Native Affairs du Transvaal) Maserta, orthographe
incorrecte, le singulier étant Li-sar-wa.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 379.
de marques de tâcheron est souvent incontestable — que ceux qui sont incisés sur les
tablettes — où l'on a pourtant reconnu avec certitude des comptes et pièces d'archives
— il faudrait voir, selon M. M., autant de symboles divins : dans la croix inscrite dans
un cercle, la masse terrestre orientée vers les 4 points cai'dinaux ; dans le rameau à 12
branches la Tellus Mater et, dans le groupe du rameau, de la bipenne, du trident et du
cercle radié qu'on rencontre sur un bloc de la tombe à coupole dite « tombe dldoménée»,
quelque formule analogue k celle du Telltùs Mater ^ Diipater, Veiovis, Mânes de la
liturgie étrusco-latine ! — Jamais M. Evans, en reconnaissant une valeur religieuse aux
bipennes répétées sur chaque face d'un pilier du palais de Knossos, n'a dû songer que
son hypothèse donnerait naissance à de pareilles extravagances : dans cet alphabet
mystérieux dont M. M. sait seul le secret, on regrette de reconnaître un frère attardé de
la Langue Sacrée de Soldi-Colbert de Beaulieu !
IL C*est un travail autrement utile qu*a donné le savant directeur de l'Institut Russe
de Constantinople, en publiant, en tète du recueil des inscriptions d'Aboba-Preslav en
Bulgarie, les marques gravées par les tailleurs de pierre byzantins du vm« et ix9 siècle.
Dans 2 planches, contenant près de 250 figures, il a comparé à ces marques quelques-uns
des signes semblables qu*on rencontre dans le monde égéen et dans l'Egypte néolithique,
dans la Sibérie méridionale et dans le plateau du Pamir (Ephimenko, Joum, du
Minist, russe de l'Instruction publique y 1874, n. 175-6^ des caractères runiques
(d'après Wimmer-Hoithausen, Die Runenschrift, Berlin, 1887), enfin des marques
de maçon du Moyen-Age (d'après Fr. Rziha, Studien ueber Steinmetzzeichen, Vienne,
1883). Les mai-ques d'Aboba présentent, en effet, bien des analogies avec ces diffé-
rents systèmes : série de traits juxtaposés parallèlement en nombre variable, ces
mômes traits réunis par une ou deux lignes transversales, des lignes brisées, des croix,
des étoiles, des flèches, des flèches sur arc, des tridents et bidents etc. Mais il est difidcile
de rien conclure d'analogies d'époque ou de provenance si diverses; des références
exclusivement byzantines eussent présenté un bien autre intérêt et l'on doit regretter
que M. Ouspenskiy n'ait pas cru devoir, faire usage, notamment du beau travail consacré
par M. Choisy aux marques recueillies à Sainte-Sophie et à Salonique comparées aux
marques françaises du xiii« siècle, qui paraissent au savant spécialiste << se rattacher
aux sigles antiques par la continuité d'une de ces traditions de confrérie, si nombreuses
et si vivaces au sein des classes ouvrières n (Rev. Archéologique^ 1876, 1, P- 359).
m. L'article de M. Amar ne modifie guère ce que M. Ph. Berger écrivait en 1891 sur
l'origine de l'écriture arabe (Histoire de f Ecriture dans l'Antiquité^ p. 291). Il semble
toujours que celle-ci, sous sa forme KoufiquCy dérive du nabatéen. Seulement, le pre-
mier spécimen de ce nabatéo-arabe n'est plus le bilingue de Harrân de 568 ni le trilingue
de Zébed de 512, mais une inscription découverte en 1902 par M. R. Dussaud à Ën-
Nemâra dans le Hauran et qui porte la date du 7 décembre 328. De plus, d'après les
traditions arabes, on peut préciser que cette écriture fut apportée d' Anbàr.dans l'Arabie
du Nord, à La Mecque vers 560; en 624, on voit que les Koraïschites de cette ville con-
naissent l'écriture, tandis que les gens de Médine l'ignorent encore et l'apprennent d'eux
sur l'ordre de Mahomet; enfin, c'est de 642 que date le plus ancien document actuelle-
ment connu qui soit rédigé en nashhi, l'arabe d'Egypte. — M. A. reâette, sans doute avec
raison, la tradition arabe qui dérive l'écriture arabe du himyarite; cependant, il aui*ait
fallu remarquer que c'est au noi*d de Médine qu'habitaient les Thamoudéens dont
l'alphabet est très voision de l'alphabet safaïtique ; celui-ci — le Safà est une partie du
Haurân —, en même temps qu'il confine géographiquement au domaine du Nabatéen,
serait le plus septentrional des alphabets du type sabéen et himyarite (Cf. Dussaud, Les
Arabes avant VlsUnUy 1907, p. 65). En même temps que M. Dussaud essayait de prouver
l'origine grecque — ou plutôt égéenne (par les Créto-Philistins) — de l'alphabet sabéen,
M. E. J. Pilcher (Society of Biblical Arch., 1907, p. 123), a cherché à établir un système
semblable pour l'écriture himyarite : la forme de certains caractères, le système
boustrophédon^ les mots séparés par un trait perpendiculaire, tout cela serait & rap-
procher de l'écriture dorienne telle qu'elle était pratiquée vers 650 par les Grecs
d'Egypte. — On entrevoit, sans qu'il soit besoin d'insister, que, si de pareilles théories
s'établissent, il deviendra difiacile de dériver, avec M. Amar, l'alphabet arabe du phénicien
par le palmyrénien et de supposer que le He^jaz n'a pas connu l'écriture avant le vi» s.
de notre ère. On sait, du reste, que Glaser a d^à revendiqué pour le U^ millénaire av.
J.-C. les inscr. minéennes du Sud de l'Arabie (cf Mordtmann, ZDJf., XLIV, p. 182)
A. J. Reinach.
p. 380.] • K • E • E • S • [1908.
J. Baillet. Les Tapisseries cTAntinoé au Musée d'Orléans, 72 p. et 27 pi. in-8'*, Orléans,
Marron, 1907. — Si contestables â tant de points de vue« les fouilles d'Antinoé ont
foui*ni du moins une des plus abondantes collections d^ôtoSés des iv^-xii* siècle. C'est d'un
lot important, entré en 1906 au Musée d*Orléans, que M. •). Baillet, bien connu par son
excellent mémoire sur Les noms de fesclave en égyptien^ nous apporte dans ce nouveau
travail une minutieuse description accompagnée de 27 planches. C'est surtout au point
de vue de l'évolution de l'ornement que nous devons signaler ici les sujets divers i^pi*é-
sentes généralement en laine teinte sur le fond de lin blanc de ces toiles de nature
diverse dont on enveloppait le mort. Remarquant l'absence de certains symboles reli-
gieux essentiels« tels le chrisme ou la croix ansée. l'agneau biblique ou le bœuf Apis«
M. B. réagit avec raison contre les trop faciles explications symboliques : sauf pour la
croix gammée, le X, le hiéroglyphe de la Renaissance^ les tables et les corbeilles
d'offrandes, pour le poisson et la polombe, peut-être aussi pour le lièvre, hiéroglyphe de
VÊtre, pour un nain difforme où les souvenirs de Bôs doivent se mêler à la caricature
du nègre et pour les cavaliers combattant qui, malgré la substitution d'une soi-te de
pierre à la lance caractéristique, peuvent subir l'influence de l'Horus-Saint-Georges, M.B.
ne reconnaît partout que motifs décoratifs. Les traditions de l'art païen« avec leurs libres
semis de fleui*s et de pampres, leurs animaux passant ou courant, le tout se stylisant et
se roidissant peu à peu c'est là ce qui continue à dominer chez les brodeurs d'AnUnoé.
« Convertis au christianisme, ils ne rompirent point brusquement avec les traditions
antérieures« encore moins avec la technique. Mais ils firent un choix, abandonnèrent cer-
tains thèmes« modifièrent la signification de certains autres, s'écartèrent peu à peu
du réalisme, autant peut-être par suite de circonstances politiques ou économiques que
par esprit mystique : ils suivirent le mouvement byzantin, tout en gardant certaines
originalités, et ils ouvrirent la voie à l'art arabe ». A. J. R.
MiLOJE M. Vassits. Der prähistorische Fundort Vinca in Serbien, 12 p. in-40 et 8 pl,
extrait de Memnon, I, 1907. — On sait l'intérêt qui s'attache aux fouilles, trop rares
encore, des dépôts néolithiques et énéolithiques de la région des Balkans. C'est par elles
seulement qu'il sera possible de relier les découvertes du Nord de l'Adriatique et de la
vallée hongroise du Danube à celles de Troie, des Cydades, de Crète et de Chypre ; c'est
là qu'il apparaîtra, si, des analogies maintes fois constatées entre ces différents groupe,
il est permis de conclure à l'existence, au début de l'âge du bix)nze, d'une culture
unique, à caractères propres, s'étendant, des Alpes et des Balkans, dans les péninsules
italienne et grecque, vei^s les côtes asiatiques et les îles de la Mer Egée. Sur huit
excellentes planches accompagnées d'un commentaire succinct, M. M. V., conservateur
du Musée de Belgi*ade, donne une utile contribution à cette étude en publiant les plus
importantes trouvailles des stations serbes de Vinôa et de Belo Brdo, sises de part et
d'autre du confluent du Bolecka Reka avec le Danube : haches-marteaux de pierre polie
perforées au centre comme ceux des deux premières villes de Troie [Ilios, p. 306), har-
pons en corne de cerf semblables à ceux du ^diga^\ex)iQn(Uov\X\\Qi,Miisee préhistorique,
pl. XXXIII) haches, en bronze à ailerons peu accentués et gouges du type Lamaudien
(Mortillet, ibid,, pl. LXXIX et LXXXl), morceau de corne de cerf avec gravures en
spirale pouvant provenir d'un manche d'épée de cette même péiiode (Mortillet, toc. cit.,
type lia de Naue), statuettes féminines en argile grossière, les unes du type des idoles
plates, la partie intérieure du corps formant gaine, les bras et les seins à peine indiqués ;
les autres fortement stéatopyges, les jambes séparées par une dépression, la taille et les
seins accentués, les bras étendus; quelques-unes semblent assises, prosque toutes ont le
haut du corps et la teinture zébrés de lignes géométriques (plis des chairs ou du vête-
ment î) ; là où la tête n'est pas cassée, elle est du type rectangulaire bien connu à Chypre
où un nez en bec d'oiseau se détache sur une plaque dmite avec deux trous marquant
les yeux ; un autre type chypriote est également représenté à Vinca, celui des deux
têtes sortant côte à cote d'un même tronc qu'Ohnefalsch-Richter a interprété comme le
propotype des hermaphrodites et Hoernes comme celui des déesses-mères {Kourotro-
phol) ; la première explication semble exclue pour les figurines serbes par les seins qui
s'élèvent de part et d'autre des deux cous où un même dessin angulaire représente
apparemment des colliers. Les vases anthropomorphes, avec yeux, seins et bras en guise
d'anses appartiennent au type égéen ordinaire ; une plaque d'argile percée de trous —
crible ou rôt — s'ajoute aux deux exemplaires do Tmie (Catalogue Schliemann,
1903.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 381.
n. 8853Ö) et de Galiko en Macédoine {Z, /. EÜinoL, 19u5, 93) ; enfin, toute une poterie à
décor géométi'ique indique que le dépôt, qui remontei'ait jusqu'aux deux premières
villes de Troie, descend au moins jusqu'à l'époque de Hallstatt. A. J. Reinach.
StanisZaw Wasylewski. W sprawie wampiryzmu, {A propos du vampirisme). Kxtraitde
Lud, t. XIII, 1907, pp. 291 298. Lwôw (Lemberg^ — La question du vampirisme occupe
les ethnologues depuis longtemps, et leurs recherches tendaient à montrer que la
croyance à l'existence des vampires se trouve tout d'aboi d dans la démonologie des
peuples de l'Orient. C'est aussi l'Kurope orientale qui auiait été le berceau du vampire
occidental, et les pays slaves aui'aieut formé le milieu où nous le trouvons le plus sou-
vent. M. Wasylewski prouve cependant que le peuple polonais ignore le vampire. Les
savants occidentaux appuient leurs opinions sur ime connaissance incomplète de cette
matière. On prend généralement les noms vampù*e et upiôr pour des synonymes,
et c'est de là que vient le malentendu. U upiôr polonais n'est pas la même chose que le
vampire, c'03t plutôt le revenant (ail. Gespenst). M. Wasylewski examine la signification
de trois démons créés par la fantaisie du peuple polonais : upiôr, zmora et strzyga,
Upiôr est un démon méchant et dangereux ; doué d'une force surhumaine, il attaque
l'homme dans la nuit, l'étrangle ou lui arrache la tête. Mais il ne suce jamais le sang
humain, ce qui est inséparable de l'idée du vampire et ce qui le distingue de tous les
autres êtres du monde surnaturel. C'est môme cette propriété qui, dans quelques
langues, donne au vampire son nom (ail. BliUsaitger, bulg. hrvopijac). Zmoi^a est un
éti*e humain, le plus souvent une femme, dont Tàme sort du corps pendant la nuit pour
hanter durant leur sommeil les gens qu'elle hait et parfois ceux qu'elle aime : elle s'ac-
croupit sur leur poitrine et suce le sang de leur langue. Zmora est invisible ; saisie ou
frappée elle se transfoime en un insecte, en un petit animal ou en une plante. Elle ne
peut pas donner la mort ; mais sa victime se réveille terrifiée et abattue. Zmora est un
instrument du diable, qui l'envoie contre son propre gré et à son insu pour tourmenter
les hommes. Étant personnification d'un phénomène physiologique, elle n'a point de
cai'actère démonique. En ce qui concerne la strzyga^ elle nous est tiôs peu connue.
D'après certaines sources ethnographiques, elle est le synonyme de V upiôr, — d'après
d'autres elle tue l'homme avec son souflle de feu ; mais elle n'a rien du vampire, d'après
ce qu'on en sait jusqu'à pi'ésent. M. Wasylewski ne voit donc chez le peuple polonais
aucune trace de croyance au vampirisme et il fait ressortir que cette notion ne fut
introduite dans le folk-lore que par les écrivains de l'époque romantique. Le vampire
en Pologne relèverait donc plutôt du domaine de l'histoire littéraire.
Thadée Smolenski.
I. KuNôs. Dos türkische Volksschauspiel, 8°, 142 p., ill., Leipzig, R. Haupt, 8 Mk. — Le
théâtre populaire turc ne nous était bien connu jusqu'ici que sous l'une de ses formes,
le Karagöz. C'est le mérite de M. K. de nous faire connaître en détail, par la traduction
de plusieurs pièces, l'indication des scénarios, la reproduction d'images populaires, avec
notes linguistiques et commentaires, la forme appelée orta ojnu (jeu du milieu) ou
mejdan ojnu (jeu de la place). Ce genre de pièces, connu dès le xir s. {cf. Jacob, Dow
Schattentheatcr) remonte peut-être bien plus haut. L'élément central en est un taklid^
imitation, ce qui les rattache aux mimes antiques ; il y aurait eu simple adaptation d'un
genre ancien lors de la conquête turque. M. K. montre dans son Introduction les rap-
ports de Torta ojnu avec le Karagöz, et indique, d'après le récit de voyage u'Evlija
(xvii-xvin« siècles) le succès, autrefois, de ce genre de pièces. Les personnages sont
représentatifs d'un caractère (l'Ivrogne), dun métier (le Cordonnier), d'un peuple (le
Kurde); le dialogue et le scénario, entrecoupés de musique, tiennent de la farce; l'élément
sexuel est très développé, souvent brutal. On remarquera en outre le lien de l'orta-ojnu
avec certaines cérémonies l'eligieuses ; quelques pièces semblent même d'origine rituelle
(Le Couronnement des arbres). A. v. G.
J. Jegerlehner. Was die Sennen erzählen; Märchen und Sagen aus dem Wallis,
3** éd. in- 16, 221 pages, Berne, A. Francke, 1908, 3 fr. 50. — Le fait que ce recueil, bien
connu, en est déjà à sa troisième édition, prouve bien l'intérêt croissant du public suisse
pour le folk-lore des cantons. Il est vrai que ces cinquante contes ont été choisis par
M. J. dans une collection de 500 contes et légendes qu'il a recueillis dans le Valais
comme « les plus convenables pour la jeunesse n. L'auteur, tout en conservant le carac-
F. 382.] • R • E • E • S • [1908.
tère de chaque récit, ne s'est pas fait ftiute « de les dôyelopper et de les enrichir», ce qui
leur ôte de leur valeur scientifique, s'il leur attire les sympathies d'un public étendu.
Ces contes sont de types connus. Biais quelques légendes locales sont intéressantes :
I, l'entrée d'un pâtre dans le séjour des morts, situé dans une cayeme au fond d*un cirque,
l'Ulgraben ; IV, le voyage au Pai*adis, localisé au sommet du Gliserhom.d'un l'étameur ;
X, légende explicative des armes de Moerel ; XI, la jeune Savoyarde métamorphosée en
chamois blanc; XII, le glacier d'Aletsch, séjour des âmes du Purgatoire et des nouveau-
nés, etc. M. Jegerlehner est aussi l'auteur d'une bonne monographie sur Le Val (TAnni-
viers et le Val d'Hérens (Eooléne)^ dans le Valais. A. v. G.
F. J. Bronner. Von deutscher Sitf und Art, 8<», 360 p., ill., Munich, Max Kellerer, 1908,
4 Mk. — Bon recueil de croyances, de coutumes, d'observances de toute sorte recueil-
lies en Bavière et dans le Tyrol, et classées d'après le calendrier. Des notes explicatives
et comparatives (p. 349-360) terminent ce volume, où Ton s'étonnera pourtant de ne voir
cités ni les travaux de M. R. Andrée, ni ceux de M. HOfler sur la Bavière populaire. La
partie la plus originale du volume estcelle (pp. 305-345) qui est consacrée â la description
détaillée, accompagnée de reproductions, des façades peintes de maisons bavaroises. Cet
art ornemental populaire a produit ça et là de vrais chefs-d'œuvre de coloris et d'lla^
monie ; quelques incriptions ont une valeur exactement magique d'incantations. En
général les façades peintes rurales sont beaucoup moins chargées que celles qu'on voit
dans les villes de Bavière ou de Suisse. Un livre aussi rempli de faits de détail aurait dû
être muni d'un index. A. v. G.
M. Rivet. La race de Lagoa Santa chez les populations précolombiennes de V Equateur,
4<>, Extrait (4 p.) des Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences, 30 mars 1908. — Se
fondant sur l'étude de 101 crânes non défoi*més artificiellement découverts par lui dans
des abris sous roches à Paltacalo (Equateur), le d' Rivet arrive à cette conclusion, con-
forme aux théories de Lacerda et Peixoto, Quatrefages, Rey, Ehrenreich, etc. que la race
brésilienne de Lagoa Santa constitue le substratum ethnique des populations actuelles,
non seulement de l'Amérique du Sud méridionale (Patagons) mais aussi des populations
précolombiennes des régions côtières du Pacifique. A» v. 0.
P. Gründel. Die Wappensymbolik, 8°, 62 pages, nombr. âg., Leipzig, Moritz Ruhl, 1907,
2 Mk. — Recueil commode des figures usitées en blason et de leur signification symbo-
lique spéciale et classées par ordre alphabétique. Un certain nombre d'entre elles sont
expliquées à l'aide de notes d'ordre comparatif, (cf. notamment p. 48, la note sur les
têtes de chevaux comme ornement terminal des poutres de maison). Peut-être eût-il
été bon de poursuivi*e l'enquête d'une manière plus détaillée, certaines armoiries alle-
mandes dénotant, par les légendes explicatives qui s'y l'apportent, des souvenirs,
confus sans doute, d'un ancien totémisme. A. v. G.
1908.]
SOMMAIRES DBS REVUES.
[P. 383«
SOMMAIRES DES REVUES.
Anthropos, t. m (1908).
Fasc. 1.
Loupias, Tradition et Légende deê BatuUi
sur la création du monde et leur établis-
sement au Ruanda.
A. Vol pert, Gräber und Steinshülpturen
der alten Chinesen.
F. Da h men, The Paliyans, a HUI tribe of
the Palm Hills, South India,
J. Bischof*, Die Niol-Niol, ein Eingebore-
nenstantm in Nordu^est-Ausfralien.
P. Giralrlofl, Enfermedades y medicamen-
tos de los indigenas de Tong-King,
A. M. de St. Elie, La femme du désert
autrefois et aujourd'hui.
Sten Konow, Notes on the munda family
of speech in India,
Th. Koch-Orünberjr, Die Hiandkoto-Ümdna,
G. Schmidt, L'origine de l'idée de Dieu,
Miscellanea.
Bibliographie : K. Narbeshaber, Aus dem
Leben der arabischen Bevölkerung in
Sfaœ (H. Bittner) — G. Friederici, Die
Schiffahrt der Indianer {Th, Koch-GrOn-
berg) — Ed. de Jooghe. Les sociétés secrè-
tes au Bas-Congo (W. Schmidt) — A.
Seidel, Grammatik der japanischen Um-
gangssprache (Crasselt) — Fr. N. Finck,
Die Samoanischen Personal- und Posses-
sivpronomina (W, Schmidt).
Revue des Revues.
Fasc. 2.
A. M. de St. Elie, La femme du désert
(suite).
J. Meier, Mythen und Sagen der Admira-
litätsinsulaner,
Fr. da Offeio, Proverbi abissini in Ungua
Tigray (suite)
N. Slams, T?ie religions conceptions of some
tribes of Buganda (Br. Equat. Afr.).
Van Goat, Recueil de chansons mongoles,
J. Reiter, Der Acherbau in Neuguinea und
auf den angrenzenden Inseln.
T. Cains, Au pays des Castes (suite).
J. Häfliger, Fabeln der Matengo {Deutsch-
Ostafrika),
L. Cidière, Philosophie poptäaire anna-
mite (ïiaite).
F. Müller, Die Religionen Togos in Einsel-
darstellungen.
G. Knosp, Le Théâtre en Indo Chine.
H. Mueller, Some remarks on the article
of L, Besse.
Th. Koch-Granberg, Die Hiandkoto-Umd-
ua (suite).
W. Schmidt, L'origine de l'idée de Dieu
(suite).
Miscellanea.
Bibliographie : Tylor memorial volume
(W. Schmidt). — A. Bros, La Religion
des peuples non-civilisés (W. Schmidt).
— W. Planert, Die syntaktischen Ver-
hältnisse des Suaheli (K. Meinhof). —
Revue des Etudes Ethnographiques et
Sociologiques (W. Schmidt). — A. G,
Leonard, The Lower Niger and its 2rt-
bes (W. Schmidt). — F. J. de Augusta,
Como se llaman los Araucanos. — R. R.
SchuUor, Pequeno catecismo castellano-
araucano. — R. R. Schuller, Confesio-
naHo. etc. (Hestermann). — De Baye,
Les Juifs des Montagnes et les Ju^fs
Géorgiens ik, Dirr). — V. Krause, Zur
Ethnographie der Insel Nissan (Fr.
Graebner). — R. de la Grasserie, Parti-
cularités linguistiques des noms subjec-
tifs (W. Schmidt).
Revue des Revues,
Fasc. 3.
A. Schotter, Notes ethnographiques sur les
tribus du Kouy-Tcheou (Chine).
A. Witte, Der »^ König seid n in Kpandu
und bei einigen benachbarten Ewe^Siäm-
men.
G. Zumoflfen, L'âge de la pierre en Phénicie,
G. Peckel, Die Vertoandschaflsnamen des
mittleren Neu-MecMenburg.
C. van Coll. Contes et légendes des Indiens
de Surinam (suite).
M. Pionnier, Notes sur la chronologie et
Vastrologie au Siam et au Laos.
0. G Trapp, Die Isikula-Sprache in Natal,
Südafrika.
Th. Gordaliza, Estudio sobre el dialectotkô
de la region de Lang-Sön.
Fr. Crasselt. Die Stellung der Ehefrau in
Japan é
W. Schmidt, L'origine de Vidée de Dieu
(suite).
Miscellanea.
Bibliographie : Bandbook of American In-
dians (Wallenborn). — C. Strehlow, Die
Aranda- und Loritja^Stämme in Central-
Australien, I ( W. Schmidt). — E. E. Te-
deschi, Sistema di craniologia, I; Studi
sul neandertaloidismo (A. Gemelli). —
V. Tanolli, Rapporti cranio-rachidei
(id.). — D. Macdonald, The oceanic lan-
guages (W. Schmidt). — N. W. Thomas,
Bibliography of Anthropology 1906 (id.).
— Sbornik Materialov.,.. Kavkaza (A.
Dirr). — R. Parkinson, Dreissig Jahre in
der Südsee (W. Schmidt). — G. Thalhei-
mer, Pronomina personalia wui posses-
siva in den Sprachen Mikronesiens (id,).
Revue des Revues.
ZSITSCHRIFT DBS VlERBlNS FÜR VOLKSKUNDE, t.
XVni (1908).
Pasc. 2.
J. Boite, £m Weihnaehtspieil aus dem Salz-
kammergute,
R. Loewe, Rübezahl im heutigen Volks-
glauben (fin).
J. Hertel, Der Kluge Vezier^ ein Kasch"
mirischer Volksroman, traduit par, II.
Th. Zachariae, Die Weissagende indische
Witwe.
Kleine Mitteilungen : Höfler, Zum Sagen-
schatz des Isanoinkels. — H. Heuft,
Volkslieder aus der Eifel. — Eine Ge-
p. 384.]
R
E
E
[1908.
scMchte der Vianyarwinda^ trad, par
B. Sti uck.— H. Rehsener, Bos Jahr i809,
Erinnerwigen alter Gossenssasser, —
W. Zuidema, Zum Märchen vom /He-
genden Pfannkuchen.
0. Lauffer, Bericht : Neue Forschungen
über die äusseren Denkmäler der deut-
schen Volkskunde^ /, der Hausbau (suite).
Bericht : New.re Arbeiten zur Blaufischen
Volkskunde ; I. A. Brückner, Polnisch
und Böhmisch ; II, G. Polivka, Südsla-
wisch.
Analyses : Herrmann, Island (H. Lebmann-
Filhôîi). — Heilig, Ortsnamen von Baden
{B. Kahle). — 0. Dähnhardt Natursagen,
I (J. Bolre). — Meschendüifer, Karpa-
then (E. Lemke). — E. Meyer, Elemente
der Anthropologie (B. M. Meyer). — R.
Schmidt, Lakire und Fakirtum (R M.
Meyer). — J. Berze Naey, Népmesék
(ü. Rona-Sklarek). — Winternitz, Ge-
schichte der indischen Literatur II (R.
Schmidt).
Notices bibliographiques.
Nécroloiîie ; K. H. M*»yer ^M. Roediprer).
Rrvubd» l Ecolk i/Anthropologik. T. XVIII,
(1908;, rase. IV, Avril.
G. Papillaulf, V Anthropologie est-elle une
science unique ?
Henry de Morgan, Notes sur les stations
quaternaires et sur Vàye du cuivre en
Egypte.
Analyses : Bulletin de la Société d'excur-
sions scientifiques T. IV, 1907. (A. de
Moriillof).
Lb Mdskon, Louvain, Nouv. série, vol. IX. u^ 1.
1908.
Ed. de Jonghe, Etudes sur les sources de
l* ethnographie congolaise.
L. Gry, La composition littéraire des para-
boles d' Henoch.
G. de Vaux, Etat de mes travaux en
Etrusque.
Bloch et. Etude sur tèsotévisme musulman
(suite).
Bibliojjraphir».
Bulletin dk la Société Bkloe de Géographie,
T. XXXII, (1908 , fio 1.
E. Gambier, Le réseau ferré de la Turquie
d'Asie.
U" De Muenyck, Au pays de Mahagi,
région du lac Albert et du Haut-Nil (Etat
Indépendant du Congo) : Mœurs et cou-
tumes des Alulu.
Narodopisny Véstmr Ceskoslovansry, (en
tchèque) publie par la Société du Musée de
Folk-Lore Tchèque, sous la direction de
A. Kraus, J. Polivka, V. Tille. 8°, Mensuel
fasc. 2-3.
L. Niederle. Les nationalistes en Bulgarie.
G. Horàk, Etude sur les motifs des chan-
sons populaires tchèques.
Analyses : Karasek, Psychologie du peuple
tchèque. — Hruska, Dictionnaire du
dialecte chode. — Jurkovic, Travaux
populaires slovaques. — Frochazka, Sur
les crèches de Noël. — Smoikova et Bibova,
L'Industrie tchèque. — Belovic-Bernad-
zikovska, V ornementation des textiles
tchèques (en serbe). — Marinov, Bulletin
du Musée de Sofia (en bulgare). — L
Franko, Etude sur les chants populaires
de r Ukraine (en rutfaène) (J. Horak).
Bibliographie foU-lorique.
Nouvelles.
Supplément : J. Kubin, Contes poptdaires
recueillis dans le comté de Glats.
Records of the Past, vol. VII, part I, Janv.
Fôvr. 1908.
A. Koestev, Objects and methods of archae-
ological excavators.
J . Z i i n merman n , Religions character of an-
cient coins.
G. F. Wright, The influence of the glacial
epoch upon the early history of man-
kind.
A. T. Glay, Babylonian boundary stones.
W. B. Nickerson, Stone graves of N. W.
Illinois.
Part 2, Mars-Avr. 1P08.
R. Mahler, The Niobid in the Banca com-
merciale of Rome.
CM. Baylis.o, The significance of the Piaia.
T. Sheppard, A British chariot-burial at
Hunnanly. in East Yorkhtre.
W. B. Nickerson, Mounds of N. W. IIU-
nois.
E. Huntington, Archaeology in the Center
of Asia.
T. F. Nelson, Pioneer home-making in
America.
Revue Archéologique. Dir. G. Perrot et S.
Reinach, 4® série T. XI. janv.-févr. 1908.
H. d'Arbois de Jubain ville. Dieux cornus
dans la mythologie irlandaise.
E. Berîaux, La Diablesse et VEvéque^ wi
miracle de St- André.
W. Deonna, Les reliefs thasiens d^ Herakles
et de Dionysos.
S. Reinach. Tarpeia^ (le tabou des dé-
pouilles de guerre).
Variétés (notamment Lettres de Grère de
G. Perrot. — Les débuts de Vhistoire de
la Gaule^ de Fusîel de Goulanges).
Bulletins de TAcadémie des Inscriptions
et de la Sociéé des Antiquaires. —
Nouvelles Archéologiques (notamment
Fouilles de Jéricho^ Chronologie babylo'
nienne^ Le vandalisme dans les caverfies).
— Soiumaires des Revues. — Bibliogra-
phie : H. Bulle, Orchomenos, 1 (A.-J.
Rîinach). — Chr. HueUen, Topographie
der Stadt Rom, P {id). — E. Fisperandien,
Recueil général des Bas-reliefs de la
Gaule romaine, I (P. Monceaux). — P.
Deiattre, Le Culte de la Vierge en
Afrique (id.) — Führer et Scbultze, Die
altchristlichen Grabstätten SiJgiliens (S.
Reinach). — E. B. Tylor, Anthropolo-
gical Essays presented to (id). —
Proceedings op the American Philosophical
Society, Philadelphie, T. XLVI, n» 187,
Oct.-Dôo. 1907.
RH. Mathews, The Arranda language.
— Language of the Birdhawal tribe, in
Gippsland, Victoria,
— Langiuiges of some tribes of Western
Australia.
Le Gérant : Paul Gsuthnbb.
REVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
MO S I SOMMAIRE
Pages
R. GoTTHEiL : The Cadi : the history of this institution ... 385
H. Bbyer : Die Naturgrundlage des mexikanischen Gottes
Xiuhtecutli 394
N. Pantoüssoff : Le temple chinois « Beï-iun-djuan » dans la
passe d'Alc-Su, province d'Hi 398
Analyses : W. 0. E. Oestehlet, The Evolution of Messianic
Idea (Goblet d'Alyiella); Alois Musil, Arabia
Petraea (René Dussaub) ; J. Bbdibr, Les Légendes
épiques, recherches sur la formation des chansons
de geste (G. Huet) 404
Notices bibliographiques 411
Sommaires des Revues , 414
01u\)nique 416
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RUE mazarine, 68
Août 1908
EXTRAIT DU PROGRAMME
de la Bévue des Etudes Ethnographiques et Sociologiques
Internatloimle, Mensuelle
Par sociologie, nous enteDclons Tétude de la fie en société des hommes de tous
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de leur civilisation matérielle. Le champ de la Revue est donc vaste. L'on y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé, la science
des religions, l'histoire de l'art, etc., et Ton y fera appel aux branches spéciales
comme Tégyptologie, l'assyriologie, 1 orientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, ou étude aoatomique des variétés humaines, ne rentrera dans notre cadre que
dans la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déterminées et leurs civilisations ; il en sera de même pour la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer révolution des institutions et des
idées. Il se dessine d'ailleurs, ces temps derniers, une direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques
compte collaborer effectivement.
La langue de la Revue sera de préférence le français ; mais l'anglais, Talle-
mand et Titalien y seront également admis.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres,
Clamart, près Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur, 68, Rue Masarine, Paris fVP), au
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Soeiologiques.
Abonnement : France : 20 fr. — Etranger : 22 fr. — Années écoulées 80 fr.
H» 1 : lanvltr 1908 : J. G. Frazer : St George and the Parilia. — Mauriob Delafossb : Le
' -' - ' - - - ■ édy-
Jacob, GescMchte des Schattentheaters (id.). — Notices bibliographiques. — Sommaires
des Revues. — Chronique. '
M« 2 : Février 1906 : Andrew Lano : Exogamy. — Maurice Delafossb : Le peuple Siéna ou
Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le FaDdi-uana.
— Analyses : R. von Lichtenberg, Beitrüge zur ältesten Geschichte von Kypros (A. J.
Rbinach) ; H. Oussaud, Vile de Chypre particulièrement aux âges du cuivre et du
bronze (id.); E. Pechuël-Lobsche, Volkskunde von Loango (A. v. G.) ; Fr. S Kradss,
Dos Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; G. Friederici, Die Schiffahrt der Indianer (id.).
— Notices bibliographiques (G. Mondon-Vidailhet, A. J. Reinach, A. v. G.). — Sommai-
res des Revues.
s« s : Mare 1908 : A. van Gennep : Une nouvelle écritura nègi*e ; sa portée théorique. —
Gaudefroy-Dbmombtnes .--Rites, métiers, noms d'agent et noms de métier en araoe. —
A. Werner s Some notes on the Bushman race. — Maurice Delafossb : Le peuple Siéna
ou Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fani'
druana (suite). — Analyses : Huntington, The Puise of Asia (A. v. <».) ; Fynn, Ifee
American Indian as a product of environment (id.) ; FaItlovitch, Proverbes abyssins
(R. Basset) : Galtier, Coptica-araMca, I (id.) ; Burrows, The Discoveries in Crete et
Mosso, Escursioni nel Méditerranée (A. .1. Reinach). — Notices biblio
" ~ " ~ ST. G, Cï " '^ . - -
(M. Delafosse, G. Ferrand, A. v. G, Ch. Monteil). — Sommahres des Revues.
Chronique.
Mo« 4-5 : Avrll-Mal : W.-E. RoTH : Cratch-Cradle in British Guiana, avec 24 figures. — A. Bbl :
La population musulmane de Tlemcen, avec planches.^ G. Ferrand : Le calendrier Mal-
gache et le Fandruana (fin). •— M. Delafossb : Le peuple Siéna ou Sénoufo (suite). —
Communications : A. van Gennep, Vers V Encyclopaedia ethnographica, — Ferrand, Le
destin des quatre éléments dans la magie malgache. — Dbmobibtnes, Linguistique et
Sociologie. — Analyses : Hirzbl, Themis, Dikê und Verwandtes (P. Huvblin;.— Watson,
Philosophical basis of religion (G. d'Alviblla). ~~ Petraztcki, Motive des Sandeins
(P. HuvBiiiN). — Hildebrandt, Recht und Sitte (A. v. G.).— Boas, Anthropology (id.). —
FiNCK, Sprache der armenischen Zigeuner (A. Mbillbt). — Giron, Legendes captes
(R. Hasset). — Lagranob, La Crête ancienne (A. J. Reinach). — Notices bibliogra-
phiques (H. Basset, H. Beuchat, M. Delafossb, A. v. G.. P. Huvelin, A. Mbillet, A J.
Reinach, Th. Smolens&i). — Sommaires des Revues. — Chronique.
Nos $.7 : juin-JullM : F. Gaud : Organisation politique des Man^Ja (Congo). — A. van Gennep :
Linguistique et sociologie. II, Essai d'une théorie des langues spéciales. — A.-J. RsiNAca :
La lutte de Jahvé avec Jacob et avec Moïse et l'origine de la circoncision. — Analyses :
A. LoisY, Les Evangiles synqptiqtùes (V. Ermoni). — G.-A. Reisner, The Early dynastie
cemeteries of Naga-ed-Dér U.-J. Reinach). — Notices bibliographiques : (G. CosDfiSy
A. V. G., M. DELAFOSSB, A.-J. KBiNACH, Th. Smolbnski). — Sommsiros des Revues.
1908«] GOTTHEIL : THE CADI. [P. 385*
THE CADI t THE HISTORY OP THIS INSTITUTION
by Richard Gotthbil (New-York).
To dispense justice was an early preoccupation of Mohammedan rulers. While
{Still in Mecca, the prophet is reported to have said. « Oh David, verily wo have
made thee a vicegerent ; judge then between men with truth and follow not lust,
for it will lead thee astray from the path of 6od^ ». By the side of this tradition,
which belongs to the stock in trade of all writers upon the Cadis^, there are others
such as 9. There will come upon a judge« at the day of resurrection, such fear and
horror that he will wish : Would to God that I had not judged between two persons
in a trial for the value of a single date^ ». Similar sayings are put in the mouth of
all the great men of the budding state. *Âlî is reported to have said to Shuraih.
a Thy tongue is thy servant, as long as thou dost not speak ; as soon as thou
speakest, thou becomeibt its servant. Therefore have a good care what judgement
thou givest, in what manner thou judgest, and how thou judgest^ *. These tradi-
tions do not necessarily go back to the men with whose name they are connected ;
• but they show the value placed by the Mohammedan world upon the matter. No
sooner had Mohammed got to Medina, than we find him promulgating an ordinance
that was destined to bring at least a semblance of order into the relations of the
various parts of the state"'. Among the heathen Arabs we find few traces of any
recognized and standard law or order. Law was still bound up intimately with
religion ; or perhaps one ought to say that whatever order there was in their com*
munities had religion as its background. Security for life and property was attained
by oath and contract^. The power of might in war and the right of asylum were the
final arbiters when differences occurred. The high hand with which Mohammed
ruled the religious affairs of the new community was felt also in the ordinary life
of its members. The state was a theocracy, religion was still the ultima ratio upon
which all the affairs of state were based. That which really distinguishes Mohammed
is bis sense of the necessity of order and regulation in the doings of men. In all
matters that appertained to the holy cities and their immediate surroundings,
Mohammed himself remained the chief arbiter and the dispenser of justice. But as
soon as the limits of the realm commenced to enlarge, some provision bad to be
made that justice should be rendered also in such places the distance of which
prevented a quick reference to the prophet himself. At various times we tiod him
sending such men as Mu*âdh ibn Jabal, Abu Müsä al-Ash'aiî and even 'Alî to
1 Surah 38, 25 (Palmer's translation). Cfr. Bukhäri (Ed. 1315 A. H.) IX, 67.
2 e. g. Shihab al-Dïn Abmad al-Abshihï, K. al-MustaU^af, I, 91.
3 al-Tartûshï, 8iräj al-Mulük, 36, 12.
* al-Hindî, Kanz al-ümmäl (Hyderabad 1312 A. H.) III. 173 (No. 2Ô23). Other traditions
will be found also in al-Abshihï loc. cit. I, 91 et seq.
5 Wcllhausen, Skizzen, IV, 67 et seq.
6 ibid,, m, 124.
p. 386.] • n • E • E • S • [1908.
Yemen', to represent him there in his capacity as judge. No special office seems
to have been created by Mohammed for this purpose. Those to whom the commis-
sion was given merely represented the prophet in one of his functions ; as they
might and as they did represent him in other functions. In similar manner the
first Caliphs were the dispensers of justice in their own days; though they also
from time to time delegated their authority in such matters to some one or other
of their associates or ordered a representative to make the appointment*^. The
extension of Mohammedan power over large territories made this patriarchal form
of government impossible. Omar himself had acted as judge during the Caliphat
of Abu Bakr^ ; and with his usual thoroughness we are told that when two litigants
appeared before him, he got down upon his knees and said. « Oh my God,
help mo to deal with them, for each one wishes me to subvert my opiuion to his
cause^ ». But he is said to have been the first ruler to have appointed a Cadi
in the provinces-'. There can be little doubt that in the elaboration of the manner in
which the Cadi held court, Roman and Persian examples exercised an influence ;
but it is not necessary, for this reason, to refer the origin of the whole system to
these beginnings^.
The authorities are not agreed upon the name of the first Cadis to be appointed
in Islam. Ibn Khaldun in his Prolegomena gives the following as the first Cadis
appointed by Omar^ : *Uwaimir ibn Zaid abü al-Dardâ, a companion of the prophet^,
in Medinah ; Abu *Umayyah Shuraih al-Kindï, a follower, in Basrah^ ; and Abîi
^ Bilâdhurî 69 : icatoalla mu*ädha bna Jabalï al-janada wa-sayyara ilaihi al-ka4äa;
see, also, Ibn Hajar, allsähah^ III, 872 ; al-Nawawî, Tahdhib al-Asmäl, 561 ; al-Sbahras*
tânï, aUMilal wal-Nihal^ 1, 155 ; Mâwardî, al-Ahkäm al-Sultäniyyah, Ed. Enger. 110, 18;
al-Diyârbakrî, TaVîAAaMCAawîls, II, 158, 204; Kanz al-Ummàl, III, 173(No. 2624) ; Mischatul
Masäbih, II, 222. His directions to Mu*âdh can be found in Kanz V, 318 (Nos. 5671, 5672),
and his praise of him YI, 189.
* e. g. Otbman instructs Abu Mûsa to appoint Ka'b ibn Sûr (or Siwâr) as Cadi in Basra ;
Ibn Abd al-Barr, Kitäbal-isWähfl ma^rifat al-ashab (Hyderabad 1318 A.H.), 227 ; Sachau,
Zur ältesten Geschichte des muhammed, Rechts (Wien 1870), 6 et seq.
* Ibn Sa*d, Biographien, III, 1. 130, 24; Tabain, I, 2125, 2135 (he took the place of
Mu'âdh ibn Jabal) ; al-Kalkashandï, Subh al-A'shä I, 251 ; Von Hammer, Übei* die Länder-
Verwaltung unter dem Chalifate, 4.
* Ibn Sa'd lU, 1. 208, 4; Kanz aUUmmäl HI, No. 2614.
5 Wahuwa atowalu man istakçla äl-^ucläti fi-l-ämsär, Ibn Sa'd III, 202, 27. Tabarl
has quite a different tradition : waiïla lam yahun li-umaräH ft ayyàmihi kä4in^ I, 2212,
11 ; though Tabarî himself relates (I. 2481) that Abu Kurrah was appointed Cadi in Kfifah
(cfr. also loc. cit. 2570, 4).
« As does D. Julian Ribera Tarrago, Origines desjusticia de Aragon (Zaragoza 1897)
125 : << el justicia fûe copiado por el islamismo de aquellas civilizaciones antiquas de quienes
ijnitô la organizacion de la hacienda publica ».
7 ed de Slane 1, 397, transi. 1, 448. There is a tradition, handed down in the name of Abu
Sa d, that neither Mubammad nor Abu Hakr appointed any Cadi, and that Omar did so only
about the middle of his Califate ; Kans al-Ummäl, III, 175 (No. 2653).
8 Ibn Hajar, Isäbah, III, 90 ; Muhammad ibn al-AthïP. Usd al-ghäbah, V. 186 and Ibn
•Abd al-Barr, Kiiäb al-lstVäb, II, 466 know only of his appointment as Cadi in Damascus
by Muawiyyah. According to al-Dhahabî, Kitäb ahlfuffa^, 1, 19, he was Cadi for sixty years
until the time of al-Çajjâj.
Ö Ibn Çutaibah, Kitäb al-Ma' ärifieu. Wüstenfeld) 221 ; Tabarî I, 2578 ; Kitäb ailstCâb
II, 607 (also for sixty years) ; al-Dhahabî, Kitäb al-Huffäff II, 19 says that he was at Kûfah
(cfr. II, 1).
1908*] GOTTHEIL : THE CADI. [P, 387.
Müsä al- Ash'arî la Küfah. la the Awä'il literature, however, other names are fouad^ ;
^Abd Allah iba Naufal^ in Medioah ; Abu Karrah al-Kiadî in Küfab, and after him
ShuraiJ^ ibn al-Harith^ or Jubair iba al-Kash'am ; in Basrah, Ka'b ibn Slir-al*
Azdî^ or Abu Maryam al-HanafP ; and in Madâ'io, Salman ibn RabPah^. It was to
Abu Mîîsa that Omar is said to have sent the following instructions, which may
represent the ideal of Mohammedan justice ; but which unfortunately were often
only an ideal' : « To render justice is an obligation which must be observed, a
usage that must be followed. Listen with attention to those that plead ; for it is
useless to demand one^s rights, if one have not advantage from it. Show no partiality
in thy look, in thy tribunal, in thy sentence ; so that the powerful man count upon
thy partiality, nor the feeble dispair of thy justice. He who demands justice
must furnish a proof of his claim ; the defendant must purge himself by the oath.
Among Mohammedans reconciliation is permissable, provided it does not render
lawful what is unlawful, nor render unlawful what is lawful. If yesterday thou hast
rendered a judgement and to-day thou seest fit to modify it, do not hesitate to
accept the truth ; for the truth is eternal. It is better to return to the truth than
to persist in the false. Ponder well that which may be the mere thought of the
moment- if it is not warranted by the Koran or the Sunnah. Make thyself familiar
with the resemblances of things and their similitudes, so as to be able to judge of
things according to their analogies. If the plaintiff do not have the necessary proof
with him, adjourn the case. If (after the expiration of the delay) he brings the
necessary proof, give judgement in^his favor ; if not', pronounce against him. This
is the best way to. dispel doubt and to enlighten ignorance. Mohammedans may
serve as assessors, as notaries for each other, except such as have suffered corporal
punishment or have been convicted of false witnessing or are suspect of garbling
their genealogy or family connections. God be praised : he is the only judge who
has no need of an oath and who can do without proofs ! Beware not to show signs of
impatience or of ennui^. Give no indication of disdain towards those that plead.
Such as establish the truth are recompenccd of God and are naentioned with honor.
Salutations n.
During the early days of the Caliphate, the special functions of the Cadi were
i^ot always clearly marked out ; or, rather, several offices were entrusted to one and
1 Ibn Kutaibah, Kitäb al-Ma'ärif, 276 ; (* Uyün al-Akhbär (ed. Brockelmann) 82, 10 has
Salman ibn RabPah in 'Irak, then in Madä'in, and at Kûfah Abu Kurrah) ; al-Kall{:ashandî,
I, 251.
2 Cfr. Ibn Sa*d V, 13, 15 ; Taban III, 2477.
» Ibn Kutaibah, Küäb al-Ma'ärif, 276.
* Ibn kutaibah, ibid ; Tabarï 1. 2578 ; Ibn Khallikän (transi, de Slane) IV, 35 ; Kitäb aU
Isti'äb, I, 228 ; Kanz al-'Untmäl VII, 125 (Nos. 1081 et seq.).
5 al-Kalkashandï toc. cit.
• Tabarï i, 2464, 15 ; 2451, 5 ; 2637, 1. He was Cadi in Kûfah at one time. Bilâdhurï 204 5
ibn Kutaibah, * Uyün al-Akhbär 82, 10 ; Ibn al-Fakîh, Kitäb aJrBuldän (ed. de Goeje) 293, 13 ;
171, 16 ; Kitäb aUIsti'äb 583.
7 Text in Ibn Kutaibah, • Uyün al-Akhbär 87, 14 ; al-Mubarrad, Kämil (ed. Wnglit) 9, 3 ;
Mâwardî, Ahkäm al-Sultaniyyah 119 ; Ibn Kbaldün, Muhaddamät, ed. de Slane 397 (transU
449) ; ed. Bulak 192 ; German translation in von Hammer, Länderverwaltung ^ 206. See,
also. Baihâkî, Kitäb al-Mahäiin (ed. Schwally), 532.
9 That a judge should not officiate when angry is a fi*equent admonition, e. g. Bukharï
(ed. 1315 A. H.) IX, 65; al-Çasan ibn ^Abdallah, Äthär al-Utowal (Bulak 1295 A. H.), 14;
ShaTânï, Kashf al-Ghummah II, 164.
p. 388.] • R • E • E • S • [1908.
the same mao. Thus, * Abdallah ihn Massud (d. 32 A. H.) was placed in charge of
justice and of the public treasury in Küfah^ In Egypt, Sulaitn ibn 'Itr was tax-
gatherer as well as Cadi'. The study of the papyri has proven that the governor, or
l^hib, as he was then called, had not only charge of the fiscal administration but
also had jurisdiction in civil and penal matters^. In the Mohammedan state the
sovereign power never gave up in full its supreme rights over every part of the body
politic ; and this right devolved upon his representative. One of these rights was
the dispensing of justice. Ibn Khaldûn^ has poitited out how the office of Cadi
developed. At first he had to judge only between individuals; but the burden of
statesmanship became so great as to make it impossible fur the Caliph er even for
his representative to busy himself with the multitude of afiairs that touched the
inner life of the community. Many of these cares were cast upon the shoulders of
the Cadi. It became his duty to take charge of the weak minded, of orphans and of
bankrupts. Testamentary disposals and pious foundations were committed to his
care. At times be was also inspector of streets and buildings, especially of market
places aod of weights and measures.
The highest judicial function, alrnas^ fi-l Muzälim^ the right to sit incases of
appeal from the judges or from any iniquity on the part of an officer of the state,
was not necessarily a prerogative of the Cadi. It was a prerogative reserved by the
early Caliphs- especially Omar ibn al-'Azîz and the 'Abbâsids'\ From time to time
the Caliph delegated this function to some high officer, Vizier or Cadi, and it was
natural that the latter, because of his special legal knowledge, should often be
called upon to fill such an office. Ibn Khaidûn says that up to the time of al-MuktadI
the *Abbâsid, the Caliph did not surrender this dignity^. Perhaps one of the severest
duties, in his strictly judicial functions, was connected with the examination and
the confirmation of witnesses. They must be of good name and family. Minors,
slaves, the sick, those under guardianship, Christians and unbelievers were rigor-
ously excluded. The importance of these duties will be gaged when it is remembered
that written evidence was never considered sufficient in Mohammedan law ; in facr^
in most cases it was never received. Ileal testimony was the viva voce evidence
of the witnesses'^. A relic of the later feudal days was the employment of a Cadi to
lead the Jihad- probably because of the religious character given to such underta-
kings, when it was necessary to mask them from mundane eyes. Ibn Eahldün cites
as examples of such warring Cadis Yahya ibn Aktbam in the reign of al-Ma'mün'^,
al-Mundhir ibn Sa'iJ, the Cadi of the Umayyid Caliph in Spain, *Abd al-Rahmân
1 Ibn Sa*d III, 1. Ill, 12 : Ibn Kutaibah, Küäh al-Ma'ärif, 128.
2 Abü-l-Mabäsin I, 103, 214 (Cfr. Ibn Çajar, Isäbah, II, 252.).
. 3 C. H. Becker, Papyrus Schott-Reiner, Nos. 4, 10, 11.
4 Ed. de Slane 398 (transi. 450).
5 al-Baihâkï, Kitàb al-Mahästn, 525 contains à number of anecdotes to show how the
early Cadis heard such complaints.
ß Mâwardï, Ahkäm al'Sultäniyyah, 39, 128 ; Ibn Khaidûn, A/MÄaddama^iBeimta886),
193. *Abd al-Malik ibn Marwân (65-86 A. H.) was the tirst to appoint a special term for the
hearing of these complaints and to charge the cadi Abu Idrîs al-Audï with the function,
yan der Berg, Pi^ncipes du droit musulman (La Haye 1896), 206, 241; Al-Baihâkï, Kitâb
ßl-Mahäsin, 565.
' Rev, de Vhist, des Relig, xxxvili, 181 ; Juynboll ffandleidin^y 294.
» Tabarî III, 1102, 3 (215 A. H.) ; 1104. 16 ; though al-Ma'mûn expressed an unfavourable
opinion of him upon his death-bed, ibid,, 1139. Ibn Khallikän seems to know nothing of all
this (transi, de Slane IV, 33).
1908»] GOTTIIEIL : THE CADI. [P, 389.
al-Nâçir. At other times the more religious nature of the office was apparent, and
the care of the mosques was given to the Cadi by the Caliph^. When he was also
preacher, his influence OTer his immediate flock must have been great, and we
know of what service certain Cadis of the family al-Nu'man were in propagating
the Alid ideas of the Fatimide Caliphs in Egypt^.
It is no wonder then, that care was taken in the appointment of the Cadi. An
old saying has been handed down : « He who appoints a Cadi has already slaugh-
tered himself without a knife^ ». The Caliph Omar ibn 'Abd al-'Aziz is reported to
have said^ : five characteristics are demanded in a Cadi ; he should be intelligent|
considerate^, modest, severe and wise, knowing how to ask about that of which he
is ignorant. In another form of the tradition, he is made to say : « A man has no
right to be Cadi who does not unite in himself five qualities : modesty, considera-
tion, intelligence in regard to that which has proceeded him, the willingness to ask
the opinion of those who can give good counsel, and fearlessness of blame*^. » To
appoint a Cadi is considered in all the legal books to be a duty resting upon the
community'^. It is laid down that there must be a sufficient number of judges in
•every community, that the distance between one court and another must not be
more than about a half a day's journey (so that a man who goes to court may be
able to return to his home on the same day) ; court must be situated in an acces-
sible place. The character of the Cadi is a matter to which all Mohammedan jurists
attach great weight, following the tradition related above of Omar II. Al-Mâwardî
himself a Cadi, in his Akhkâm al-Sultâniyyah^ has given us the conditions which
were supposed to govern the choice of those who were to hold office. The Cadi may
be appointed either by the Caliph, the Vizier or Amir ; he must be male, of full
legal age ; in possession of all his faculties ; a free man ; a Mohammedao ; unpu-
1 Ibn KhaldQn, MuJ^addamät, transi. 446.
* Gottheil, A Distinguished Family of Fatimide Cadis in /. A. 0. Ä, xxvii, 217. The
power which a Cadi might wield is seen in the influence exercised by Yabyâ ibn Aktham at
the court of al-Ma'mûn, Ibn Khallikan, transi, iv, 34. Some fine stories about his indepen-
<jance are told by al-BaihâJj^ï, Kitäb al-Mahäsin, 532. On various Califs that allowed them-
selves to be judged by Cadis, see al-ïjasan ibn *Abd Allah, AtMr al-Uwwaly 85.
3 Kanz al-Ummäl, III, 206 (No. 3091). A variation of this is ; « he who judges between
men has already slaughtered himself without a knife n,
* Ibn Sa*d, V, 272. Bukhârl (ed. 1315 A. H.) IX, 67.
5 On hilm as a characteristic highly praised by the Arabs, see the excellent notes in
Mélanges de la Faculté Orientale (Beyrout) I, 66 and the traditions in Kanz al-Ummäl II,
28 ; al-Baihâkî, Kitäb al-Mahäsin, 553.
ö Ibn Çutaibah, *üyün al-Akhbâr 81, lays down the following conditions : the Cadi must
be wise before he receives the appointment, willing to ask advice of the learned, attentive
to that which is blameworthy, equitable to an opponent and obedient to authority. See also
Précis de jurisprudence Musulmane par Sidi Khalil (Paris 1855) p. 189 ; tr. Perron, IV,
i25 ; tr. Seignette 433. As many as fifteen conditions are laid down by Ahmad ibn al-Çasan
al-Isfahânï in his Talprlb-oti the margin of al-GhazzPs commentary p. 61.
7 Sachau. Muhammedanisches Recht, 695, 1 ; Juynboll, Handleiding 288. Wilayat al-
KadäH far(fim *ala'l-kafâyah, Al-Shîrâzï, al-Tanbîh (ed. A. W. T. Juynboll) 312, 19. In
general, see L. W. C. Van den Berg, Over het Ambt van der Qâdhi. in Tijdschr, van het
Batao. Genootsch, v. Künsten, xviii, 418-434.
» Ed. Enger, 107 et seq. A resume can be found in von Kremer, Culturgeschichte des
Orients, i. 415 ; D. Julian Ribera Tarrago, Ortgenes desjusticia de Aragon, (Zaragoza 1897),
108 ; Juynboll, Handleiding 287. Cfr. also, al-ShïrâzI, loc. cit, 312, 9 ; Minhâj al-TäUbin
(ed. Van den Berg) III, 304 : Shihäb al-Dîn al-*Umarï, ahTa'rlf ft mustalah alSharïf
/Cairo 1312 A. H.) 116 ; al-Dardïr, Shark 'dkrab al-masalih, II, 205.
p. 390.] • R • E • E • S • [1908.
nished ; in good physical coodition, especially as regards his sight and heariog ; he
must have a knowledge of the law, both practical and theoretical. His appoint-
ment can be either oral or written^ and either for a particular place or with a
wide jurisdiction^ ; either as general Cadi or as special, e. g. for marriages,
associations^. His diploma, however, must be read in public, usually in some
mosque ; and likewise his deposition must be publicly proclaimed. Great pomp
accompanied the official appointment and presents of robes and the like
were expected from the Caliph or ruler. That the conditions thus exacted were
always present is a matter of natural doubt ; but .they represent the ideal of
Mohammedan justice. There is quite a literature extant upon this subject called
Adab al-Eadl (The Judge's Rule of Conduct), and a section with the same title is
found in most of the works on jurisprudence, which comprises not only the ethical
requirements but also the actual duties of the Cadi^. The earliest work on the
subject seems to have been that of the Hanafite Abu Yûsuf Ya'küb ihn Ibrahim^,
who died in the year 182 A.H.^ In addition, such authors may be mentioned as
Ahmad abu Bakr al-Shaibânî of Bagdad (d. 261 A.H.) ; Ibrahim ihn Abî al-Dam of
Emesa (ca. 642 A.H.), Zakarîyyâ ihn Muhammad ihn al-Ansârî (d. 926 A.H.)
A similar feeling of responsibility seems to haver rested upon those that accep-
ted the office. Even Omar is said to have excused himself when an appointment
as Cadi was offered to him^. 'Ali too demurred when sent by Mohammed to Temen ;
largely upon account of his youth^. The best men, at times, absolutely refused to
go on the bench ; the most Loteworthy cases being those of the two great jurists
Abu Hanifah (d. 119 A.H.) and al-Sbâfi'î ; the first of these two even suffering
imprisonment for his refusal^.
With the developement of Mohammedan jurisprudence and the rise of varying
schools of law, the predilection of the Caliph or VIsM (governor) or Vizier for one
of the schools exercised a determining influence in the appointment of the Cadi.
The rite of Malik ihn Anas seems to have been dominant in Egypt ; the Cadi Isma'îl
ihn Yas'a who came from Küfah as a follower of Abu Hanifah was unable to per-
suade the Egyptians to make a change. In 198 A.H. al-Sbâfi'î came to Egypt and
1 According to Omar, a Cadi was to be appointed only for two years : Van Berchem,
Titres Caltfiens d* Occident (Paris 1907),. 48. When a ruler died, his Cadis ipso facto lost
their positions or had to be re-appointed.
2 Thus we find a Cadi appointed in Egypt who had jurisdiction over the greater part of
the dominions of the ruler ; /. A. O.S. xxvii, 275.
3 See Khain /. c. tr. Perron, IV, 133.
^ See the traditions gathered in Kanz al-ümmäl III, 173, 206 ; Abu *Abd al-Ratmaan al-
Nasal with the commentary of al-Siyûtî, III, 303 ; Af^imad ihn Muhammad al-Dardïr, Akrab^
al-Masälih (Cairo 1903), I, 30, and the commentary thereto Shark A^.ahMasälih (BÛJak,
1864) II, 204, also the notes of Ahmad ibn Ahmad al-Kalyûbï to al-Mahailî (Cairo 1306 A. H.>
IV, 277.
5 ïïâjjîKhalîfAhl, 219.
^ Or 183. On an Adab al-ffäiß by Muhammad ibn Ahmad al-Kinânî, see Siyûtî, ^u«n,.
1, 141. On an Adah Ul-fjiadä'i by 'All ibn Ahmad ibn Mut^ammad al-Zabîlî, see al-Subkt.
fabakät al-Shäfi'iyyah III, 290.
' Matthews, Mischat ul-Masabih, II, 223.
8 Kanz al'Ummâl, III, 173 (No. 2624); al-Turtushï, Sirqj al-Mulük, 37, 2 et seq ; Mat-
thews, loc. cit. 222 ; Von Hammer, Staatseinrichtung 4 ; al-Diyârbakrî, Ta'rikh Ehamis,
II, 160 ; al-Shahrastanl, 1, 155.
» al Sha*rânï, Kitäb al-Mlzän (ed. 1279 A. H.) II, 206 ; al-Abshïhl, Kitäb al-Mustatraf,
I. 91, below ; Juynboll, Handleiding, 286. [Cf. Le Rite du Refus, Arch. f. Religw. T. XI
p. 1-10. Réd.]
1908.] GOTTHEIL : THE CADF. [P. 391.
from that time on his system seems to have held sway^. During the Fatimide period,
of course, the Gadi had to be an Ismailian ; though from the time of al-Mustansir
on we read of the appointment of Shafi^ite Cadis ; indeed, in the year 425 A.H.
four Cadis administered justice- an Imâmî, an Isma'îlî, a Malikite and a Shâfi'ite^.
In the year 664 A.H., during the rule of tho Mamiukc al-Zahir Baibars al-Bunduk-
dâîî (658 676 Â.H.)^, the custom was introduced to appoint a Cadi for each one of
the four so-called orthodox schools. With the coming of the Turks in the 16th
century A.D. the system of Abu Hanîfah was introduced and the Cadis appointed
from that school. This custom of appointing four Cadis was then extended to Damas»
eus, Aleppo, Tripoli, Emesa, Alexandria, Safed, Malatiyya^ and probably to all the
more important Mohammedan Centers. At an early time one Cadi was singled out as
above all the others and received in the East the title of Chief Cadi (Kâdi al-Kudât) ;
in the West he was « Cadi of the Community ». (Kâdi al-Jamä'ah)^. In Bagdad the
first to have this title « Chief Cadi » was Abu Yusuf al-*An§ârî, a pupil of Abu
Hanlfah (d. 182 A. H.)^. AUMakruH gives us an account of the procedure before the
Chief Cadi in Egypt which is well worth quoting. « The rank of such an one was the
highest of the dignitaries of the turban and of the pen. Sometimes the same was
also preacher : then he was called « Head Cadi and Head Preacher ■. All religious
matters were in his care. He took his seat every Saturday and Tuesday in the
Ziyadah of the Mosque of 'Amru ibn al-'Âs in Old Cairo upon a divan (« mattress »)
and a silken cushion... The witnesses sat to his right and left around him according
to their precedence of rank. Near him were five attendants ; two in front, two at
the door of his private room, and one to introduce those that came to him as liti-
gants. Four guards stand near to him ; two facing two. He has an inkstand orna-
mented with silver, which is brought to him from the state treasuries ; a bearer is
appointed for it, who is paid by the government. From the stables there is bi^ugl^t
for him a grey mule ; one of such a colour beiog reserved for him alone. From the
saddle-magazine a saddle is brought for him, richly adorned, on the outside of which
is a plaque of silver. In place of hide, silk is used. Upon state occasions he wears
chains and robes of honor faced with gold. But he is not accompanied with drum
or trumpet, except when he is appointed preacher as well as judge : in which case
the accompaniment of the dignity of preacher is the drum, the clarion, and the
special flags ; for this one is the keeper of the flags with which the Wazîr « Chief of
^ This is the explicit statement of al-Ma^nzî, Khitat, II, 334. 1 can not, therefore, un-
deratand the i-emark of Abû-1-MaUâsin in his al-Manhal-alr^fl (Quatremère, Sultans Mam-
M)uks, 1. 1. 97 note) that from the time of Abu yanifah to that of the Fatimides the Cadi
was usually of the Hanifite School.
* The SM*ah Cadis were removed by Saladin in 561 ; Khitat, n, 343.
* This took place in the year 664 A. H. ; Khitat, 344 top. ; Quatremère, Sultans Mam^
louhs, 1. 1, 97. In principalities which are today only nominally under the suzerainty of the
Sultan of Turkey, the Chief Cadi is still appointed directly by the Sultan ; e. g. in Egypt,
and not by the Khedive. See Colvin, The Making of Egypt, (London 1907), 17.
* al-?ahiri, Kitäb Zubdat Kaskf al-Mamälik (ed. Ravaisse), 131 et seq.
^ Ihn Khallikân (transi, de Slaue) UI, 433 ; IV, 342. The first to bear this title seems to
have been Amr ibn 'Abd Allah under the Calif ate of Muhammad I, (250 A. H.). Before this
the title had been ^ä(ß al-Jund ; Dozy, Suppléments II, 363 b.
* Ibn Khallikân II, 273.
'^ Khitat, L 403. See /. Q, R. xix, 497. An illustration from an old manuscript of a Cadi
sitting in judgement will be fotjnd in Nicholson, Literary History of the Arabs, Frontis-
piece.
p. 392.] • R • E • E • S • [1908.
the Sword n is honored. When he officiates specially as judge, there are about him
readers, and before him the criers who proclaim the name of the Caliph and the
Wazïrs of the day. He is borne (in state) by the lieutenants of the gate and the
attendants^. No one approaches his presence, wishing to speak to him, even if hebe
Chief of the Sword and the Pen, nor does messenger or mission approach, except
they receive permission. He addresses no one when he is in the seat of judgement ;
nor is a witness heard, except at his order. He sits in the Easr on Monday and
Thursday at early noon in order to salute the Caliph. His representatives (also)
give judgement : the head of the Treasury must report to liim. He has, also, to
watch over the Dîwân of the Mint, in order to render an account of the money that
is minted •.
A similar account is given by al-KalkashandP. The latter tells us that the Chief
Cadi received as pay one hundred dinars a month, which was of course small com-
pared with that of the Vizier (five thousand a month) ; but was as much as some
of the highest officers in the immediate vicinity of the Caliph received. Id reality
the Cadi was to receive no payment for his services». Omar is reported to have said
« The Cadi of the Moslems ought not to receive any pay^ n. If he was poor, how-
ever, he might receive a stipend from the Treasurer (Bait-al-Mal) and also payment
for his assistants. Four times in the year a special seance was instituted by the
Caliph for the Cadi and the notaries. These took place at ni^ht and were accompa-
nied with illuminations and ceremonial. Al-Kall^ashandî gives us a full description
of these entertainments.
The conditions asserted above for the appointment of a Cadi were indeed ideal
ones. Van der Berg has in this connection aptly cited the Latin proverb « leges
sine moribus vanae »^ ; the uprightness of the Cadis depended only too often upon
the state of society in which they lived. The ills which often beset our modem
judges beset Mohammedan ones as well. In addition, the religio-political charac-
ter of Islamic supremacy brought it about that the temporal ruler, be he Caliph,
Sultan or Wâlî, too often interferred with the rights and the duties of the Cadi^.
Appeal to this higher power was always possible ; and so it has come about that
to-day in most Mohammedan countries the Cadi is appealed to only in matters
that relate to private rights,-marriage, trusteeship, testamentary succession and
^ The court of a Cadi must have been quite large. He had assessors, chamberlains^
secretaries, dragomen and the like. See Khalîl /. c. tr. Perron, IV, 139 etc. On the Kätib and
his qualiflcations, see lid alfartd II, 211 ; ^astalânî (ed. 1288 A. H.) X, 288.
« Transi. Wüstenfeld, 1, 184.
3 Seethe anecdote related of Siwär ibn'Abd Allah in Ibn]FCutaibah,'C/2/ûna{-AMMrt
91,7»
* Kanz al'ümmäl, ni, 177 (No. 2672). A similar saying is attributed to 'All, ibid. 17^
XNo 2627). The first Cadi to receive pay was Zaid ibn Thâbit in Medinah ; Karu al-ümmäL
III, 176 (No. 2655), Von Hammer, Ländervertoaltung, 4 (from the Awa'il literature). For
Zaid, cfr. the tradition from al- Wâkidî cited by Ibn flajar, Isäbah, H, 42 : Râna saidun
ra'san bil^madïnah fllÇadâ'i wal-fatwa wai-karâ'ah wal-farâ'i4- In the raids carried on
under Mobammad's direction, Zaid is always mentioned as one of the appraisers of the
booty ; e g. Wellhausen, Muhammad in Medina, 291, 295 etc. It is generally conceded
that a Cadi may engage in business, though al-Shâfi'iî, Malik and Ibn Ir^anbal deem it better
that he do so through a third person ; al-Sha*rânL Mlzän U. 206. Bribery was, of course^
severely frowned upon ; see the traditions in Kanz al-Ummäl, III, 177 (Nos. 3678 et seq.!
'Sha*rânï, Kashf al-Ghummah, II. 164.
* Tijdêchr. van het Batav. Genootsch. v. Künsten^ xviii.
* Retme de Vhist des Relig. xxxvii, 192.
1908.] GOTTHEIL : THE CADI. [P. 393.
pious foundations^. An old writer on legal matters, Abu Muzaffar Yahyâ ibn Hubai-
rah (6 th century A. H.) is reported by al-Sha'ränP to have complained of the
difficulty experienced in finding all the conditions laid down by the jurists united
in any one man, especially those concerning his deep knowledge of the law, « for
in our days the conditions that characterized the great doctors of the law are not
found in most of the Cadis ». And Abu Hanîfah expressly permitted the inves-
titure of a Cadi, even if he were not deeply versed in the subtleties of the law.
The Cadis were thus in many ways important personages in Mohammedan
civilization. Both as individuals and as a class they form a fitting subject for bio-
graphical treatment. Not only are the lives of many of them to be found in the
biographical works of Ibn Khallikan, al-Subkï, al-Eutubî, al-Dhahabî, etc., but
the history of the Cadis formed a specific branch of Mohammedan biographical
science. In his chapter on the *Ilm al-T'arîkh, Hâjjî Khalîfah divides this science
into the following subdivisions : 1. the general history of the Cadis ; 2. the history
of the Cadis of Egypt ; 3. the history of the Cadis of Bagdad ; 4. the history of the
Cadis of Damascus. Originally, such histories followed the sequence of events,
giving an account of the man and of the stewardship of his office in the chronolo-
gical order of events. At a later time the data here gathered formed the basis for
biographical poems and biographical dictionaries.
^ JuynboU, Handleiding^ 311 ; Snouck-Hurgronje, Mekka, i, 182.
« Mtzän (Ed. 1279 A. H.) II, 204 ; A^mad ibn Muhammad al-Dardir (1715-1786) in his
Sharh, akrab aUMasälik, II, 205 complains about the ignorance of the Cadis of Cairo ; all
they did' was to afl^ their name to a document : la yasma'u da^wä wala ya^rifu
hakJßkätahä,,.. fayajfiübu *smahu toa-yoifa'u khatmahu min ghairi ziyädati.
p. 394.] • R • E • E • S • [1908.
DIE NATURGRUNDULOE DES MEXIKANISCHEN
GOTTES XIUHTECUTL.I.
SlQ mythologischer Versuch
von Hermann Beyeb (Giddiugs, Texas).
Aus (lein einige Tausende von Göttern zählenden mexikanischen Pantheou
haben nur etwa zwei Dutzend eine grössere Bedeutung erlangt, deren Gestalten
uns in den Bilderschriften und auf Steinbildwerken immer wieder entgegentreten.
Zu diesen wichtigeren Gottheiten gehört auch Xiuhtecutli, dem diese Arbeit
gewidmet ist.
Der Name des Gottes kann entweder mit « Herr des Türkises »^, oder « blauer
Herr r, oder ** Herr des Grases w, oder auch " Herr des Jahres» übersetzt werden.
Damit scheint in gar k(nner Verbindung zu stehen, dass Xiuhtecutli in den Quel-
len ständig als Feuergott bezeichnet wird und in seinem Kopfputz u. a. auch zwei
IkOhrstäbe, die Feuerbohrer, trägt. Wenn der Xiuhtototl^, der « blaue Vogel r.
als Tier unseres (lOttes erscheint, so ist dies dem « Türkisherrn » durchaus ange-
messen ; wenn ihm aber auch der rote Arara, die Guacamaya, beigesellt wird, so
ist dies wieder aus dem Namen des Gottes nicht verständlich.
Die roten Tiere, der Hirsch, der rotköpfige Geier, der Arara, symbolisierten
bei den Mexikanern den Süden, die Region der Sonne. Und Tonatiuh, der Son-
nengott, der als solcher durch die bei ihm angegebene Sonnenscheibe mit Sicher-
heit zu identifizieren ist, erscheint in den Bilderhandschriften immer rot gefärbt.
Andere Sonnengötter, wie der Regent des elften Tageszeichens, den Professor
Seier als Xochipilli bestimmt hat, ferner Piltzintecutli, der dritte der « neun
Herren der Nacht»?, und Tlatlauhqui Tezcatlipoca, der «rote Tezcatlipoca r,
w^erden ebenfalls entweder vollständig oder doch im Gesicht rot gemalt. Und die
mythologischen Persönlichkeiten, die in den Tonalamatlen der Südrichtung zuge-
wiesen werden, sind meistens von roter Körperfarbe.
Es liegt nun recht nahe, in Xiuhtecutli, dem Patron des roten Arara, gleich-
falls eine Anthropomorphisierung der Sonne zu sehen. Die Richtigkeit dieser
Annahme wird dadurch bestätigt, dass der Sonnengott von den Mexikanern mit
Xitihpilli resp. Xipilli, « Türkisprinz „, oder Xiuhpiltontli, « Türkiskind «, ange-
redet wurde. Wie die Beziehung zu verstehen ist, in der der Türkis bezw. das
Blau zu der Sonne steht, ist aus einer Benennung zu ersehen, die Uitzilopochtli
führt, dem allgemein die Natur eines Sonnengottes zugestanden wird. Uitzilo-
pochtli trägt auch den Namen Xoxouhqui ilhuicatl, « blauer Himmel v. Sonne und
blauer Himmel, d. i. Tageshimmel, sind nun zwei innig verknüpfte Vorstellungen
und wir dürfen Xiuhtecutli und Uitzilopochtli ebenso gut als Personifikationen
der Sonne wie des blauen Himmelgewölbes bezeichnen. Aus dem angeführten
Ideengange heraus löst sich auch der scheinbare Widerspruch, dass die alten
Schriftsteller einmal angeben, das Idol Uitzilopochtli's sei rot, das andere Mal,
es sei blau gewesen.
Nach' Professor Ed. Seier der Coiinga cincta sive caerulea.
1908.] BEYER : DER MEXIKANISCHE GOTT XIUHTECUTLI. P. [396*
Der Sonne war aber nicht nur der Süden, sondern auch der Osten zugeteilt.
Auf dem ersten Blatte des Codex Fejérvâry-Mayer ist den allegorischen Darstel-
lungen des östlichen Feldes eine Sonnenscheibe beigegeben. Von Sahagun (VIII,
Prologo) wird diese Himmelsrichtung <* ciudad del sol » genannt. Deshalb wird
von Acosta und Herrera als Farbe des Ostens Eot, für den Süden dagegen Blau
angegeben. Die Anales de Quanhtitlan bezeichnen dagegen wieder Rot als Symbol
des Südens und weisen dem Osten die blaue Farbe zu. Darum trägt auch im Codex
Borgia die Ciuacoatl des Ostens als Helmmaske den Kopfschmuck des Feuer-
gottes und sind weiterhin auf mexikanischen Steinkisten die Embleme Xiuhte-
cutli's, die königliche Stirnbinde und der blaue Nasenpflock, an der Ostseite
dargestellt^.
Die spitze Kopfbinde xiuhuitzoUi und das eigenartige Nasenornament sind
konventionelle Formen des Kopf- und des Schwanzstückes des Xiuhcoatl, welcher
das naualli, die Verkleidung, Xiuhtecutli's bildete. Dass das yacaxiuitl, « Nasen-
türkis vy genannte Emblem, das sich bei Xiuhtecutli angegeben findet, die gleidhe
Form wie die Schwanzspitze des Xiuhcoatl hat, ist schon von andrer Seite betont
worden^. Und dass das spitzauslaufende Diadem, mit den Xiuhtecutli besonders
in den eigentlich mexikanischen Bilderschriften abgebildet wird, das Anfangs-
glied des Xiuhcoatl, also das erste Tierkreiszeichen, symbolisieren soll, geht
daraus hervor, dass der Gott Pàtecatl denselben Köpfschmuck trägt ; Patecatl ist
aber eine Personifizierung der ersten Konstellation des mexikanischen Zodiaks,
denn er wird von den Interpreten « Cipactonal v, d. i. « das Tageszeichen
Cipactli V genannt.
Dieselben Symbole, xiuhuitzoUi und yacaxiuitl, bilden auch die Hieroglyphe
der beiden mexikanischen Könige Motecuhzoma I und II. Aus Sahagmi wissen
-wir, dass der Fürst, dem der Gott <* das Amt überträgt, das Volk mit Gerechtig-
keit zu regieren » in der Meinung der Mexikaner " zur Seite des Feuergottes, der
der Vater aller Götter ist », sitzend gedacht wurde. Und Acosta sagt direkt, dass
die Könige für Ebenbilder der Götter gehalten wurden^. Demnach bezeichnet die
Hieroglyphe Motecuhzoma als wesenseins mit Xiuhtecutli, dem Feuergott. Wenn
der yacaxiuitl in der hieroglyphischen Namensschreibung Motecuhzoma's des
jüngeren als Repräsentant des yocoyotzin gedeutet wurde, so ist das sicher
imrichtlich, denn dasselbe Element kommt auch gelegentlich in der Hieroglyphe
des älteren Motecuhzoma vor*.
Mit den Emblemen des Feuergottes wird auch das Abbild des in Feindeshand
gefallene und geopferten Kriegers ausgestatt. Die Seelen der toten Kämpfer
aber hatte'h die Sonne auf ihrem Wege täglich bis zum Zenit zu geleiten. Dass die
seligen Krieger^ die Gefährten des Sonnengottes, durch den symbolischen
Schmuck als mit ihm gleichartig charakterisiert werden sollen, ist eine sehr
naheliegende Schlussfolgerung.
In der Reihe der dreizehn Vögel und dreizehn Götter im Tonalamatl Aubin
* Siehe Profeesor Seler's AbhandluDg « Ueber Steinkisten^ TepetlacaUi, mit Opferdarstellun-
gen und andere ähnliche Monumente «, Zeitschrift für Ethnologie, Bd. XXXVI, S. 244-290.
* Dr. K. Th. Preuss, Kosmische Bieroffli/phen der Mexikaner^ Zeitschrift fQr Ethnologie, Bd.
XXXm, S. 12.
3 Eistoria natural y moral de las Indias, SoWlia, 1590. S. 475.
^ Fragments de Généalogie des Princes mexicains^ Motecuhzoma Ilhuicamina in Boban*8
Kafalog der Sammlung Goapil-Aobin.
p. 396.] • R • E • E • S • [1908.
erscheint an elfter Stelle ein roter Gott, der wohl als Tlatlauhqui Tezcatlipoca zu
bestimmen ist ; sein naualli bildet der Guacamayo. Damit wird der rote Tezcat-
lipoca mit Xiuhtecutli identifiziert, was ja durchaus berechtigt ist, da beide, wie
schon erwähnt worden ist, die Sonne bezw. den Tag repräsentieren. Als «VojreK
Xiuhtecutli's ist in der erwähnten Serie der Schmetterling angegeben. Der Schmei-
terling wird nun in den altmexikanischen Bilderschriften ständig als Symbol des
Feuers resp. der Flamme verwendet und seine Beziehung zum Feuergotte bedart
somit keiner weiteren Erörterung. Piltzintecutli und Xochipilli tragen den Schmet-
terling als Gesichtsbemalung. Und die stufenartige Brustplatte, die auf den
bildlichen Darstellungen Xiuhtecutli's vorkomnnt, darf wohl auch als stilisierter
Schmetterling klassifiziert werden.
Wenn Xiuhtecutli mit dem alten Schöpfergott Ometecutli-Tonacatecutli-
Ueuecoyotl gemeinsame Züge aufweist oder mit demselben geradezu identifiziert
wird, so kommt dies daher, weil man in Alt-Mexiko auch die Sonne als Urheberin
aller Dinge, als Schöpferin des Lebens ansah. Dem Süden, « der Gegend der
Gottheit r (der Sonne), wird deshalb in den Bilderschriften der mythische Baum
Tamoanchan beigegeben, der Wohnsitz des alten Götterpaares. Die (iötter Ome-
tecutli und Xiuhtecutli sind aber nur in Bezug auf ihre Funktionen gleichwertig,
ihre natürlichen (Jrundlagen sind vollkommen verschieden. Während Xiuhtecutli,
wie wir sahen, die Sonne bezw. den Tageshimmel personifiziert, stellt Ometecutli
den obersten Himmel, die Milchstrasse, dar.
Nachdem wir so Xiuhtecutli mit einiger Sicherheit als Sonnengott erkannt
haben, können wir auch die Interpretation der Zeremonien bei seinen Festen
versuchen. Von dem Gedanken ausgehend, dass in den religiösen Feierlich-
keiten zu Ehren der Solargottheit Xiuhtecutli auf den Lauf der Sonne angespielt
wird, werden wir diese Feste in der Nähe der vier Jahrespimkte, entweder der
Solstitien oder der Nachtgleichen, suchen. Die beiden Feste des Feuergottes,
Xocohuetzi und Izcalli, liegen in der Tat fast genau ein halbes Jahr auseinander.
Wenn wir aber weiterhin die Feiern in Beziehung zur Sonnenwende odes Tag-
imd Nachtgleiche setzen wollen, scheint unsere Hypothese zu versagen, da die in
den Datenangabeu stark von einander abweichenden Quellen sowohl das eine wie
das andere mit ein und demselben Festtage zulassen. Man könnte vermuten, dass
eine Verschiebung der Feste stattgefunden habe, und eine solche Annahme wäre
bei dem mexikanischen Jahre von 365 Tagen durchaus begiündet. Aber die Dif-
ferenz ist eine zu grosse — Sahagun giebt für Xocohuetzi den 1., der Codex Vat.
A den 23. August an — , als dass sich annehmen Hesse, sie sei von den mexika-
nischen Priestern nicht bemerkt und korrigiert worden. — Es wäre nun möglich,
dass die Mexikaner nicht das eigentliche Sommersolstitium, sondern die Zeit, in
der die Sonne ihre höchste Kraft erreicht hat, den Tag der grössten Hitze — der
mit dem Solstitium keineswegs zusammenfallt — mit einer religiös-symbolischen
Feierlichkeit bedacht hätten. Diese Theorie wird jedoch dem mexikanischen
Klima nicht ganz gerecht, da z. B. in der Stadt Mexiko das absolute Maximum
der W^ärme in April am höchsten und im Dezember am niedrigsten ist, das abso-
lute Minimum im Dezember am niedrigsten und im August und September am
relativ höchsten ist. — Es käme weiterhin in Betracht, die augenscheinlich vor-
handene Tendenz, in jeden cempoualli ein grosses Fest zu legen, für das Ver-
schieben der Daten verantwortlich zu machen.
Das Problem ist aber am besten dadurch zu lösen, dass wir annehmen, dass
sich bei den Mexikanern das rituelle Jahr nach dem Beginn der Regenzeit rieh-
19 08. J BEYER : DER MEXIKANISCHE GOTT XIUHTECUTLI. [P, 397«
tete. Sommer uiitl Regenzeit fieleu im Denken der alten Bewohner Analiuac's
zusammen. Das zeigt sich beisp. darin, dass Acosta von IJitzilopochtli, dem
Sonnen- und Sommergott, und Tlaloc, dem Regengott, sagt, ihre Idole wären
immer zusammen aufgestellt gewesen und sie seien für Gefährten und als von
gleicher Macht angesehen wordene In der Natur decken sich Sommer und nasse
Jahreszeit ebenfalls, wenn auch nich vollkommen. Die Regenzeit beginnt im
mexikanischen Hochland nämlich erst ungeßhr Mitte Mai, an der atlantischen
Küste 2-8 Wochen früher. Jedenfalls war aber der Eintritt der Regenperiode für
die Ackerbau treibenden Mexikaner von ungleich grösserer praktischer Wichtig-
keit wie die Frühjahrstag- und Nachtgleiche. Es ist somit in hohem (îrade wahr-
scheinlich, dass der cenipoualli Toxcatl, in dem die Regen zu fallen begannen,
den Ausgangspunkt für den Zyklus der Jahresfeste bildete. Eine Bestätigung
findet diese Annahme dadurch, dass in dem 20-Tage-Monat Toxcatl der Tod des
Nacht- und Wintergottes Tezcatlipoca und die Ankunft Uitzilopochtli's symbolisch
dargc^stellt wnirden, am Ende der Regenzeit aber, im cempoualli Teotleco, die
Wiederkunft Tezcatlipoca's gefeiert wurde. Genau ein Vierteljahr nach der
Ankunft d(\s Sommergottes fand nun das erste Fest Xiuhtecutli's, Xocohu(»tzi,
statt, das demnach als eine Symbolisierung des Sommersolstitiums l)estimnnt
werden kann. Und damit stimmen in der Tat die an diesem Tage gefeierten
** Mysterien r vortrefflich überein. An dem Feste wurde unter grossem Lärm ein
Baum aufgerichtet, welcher auf der Spitze den aus Teig geformten Vogel des
Feuergottes tnig, der dann herabgeholt wurde. Xocohuetzi wird deshalb als das
« Herniederholen des Baumes Xocatl « interpretiert. Diese Zeremonie findet ihre
Parallele und Erklärung in einem auch noch nach der Christianisierung geübten
Brauch der Gallier, die in der Johannisnacht feurige Räder von den Berghängen
in die Täler herabrollten zum Zeichen, dass die Sonne am höchsten stände und
jetzt wieder heruntergehen müsse.
Das ein* halbes Jahr darauffallende Fest Izcalli muss nun die Wintersonnen-
wende betreifen. Von den Uebersetzungen des Wortes Izcalli durch " Hier ist das
Haus«, ** Wachstum «, « Auferstehung w, "Rückkehr zur Wärme«, passen die
letzteren recht gut zu unserer Solstitium-Hypothese. Wenn die Mütter ihre
Kinder unter dem Rufe " izcalli » hochhoben, so ist dies wohl in Hinsicht auf
die Analogie zum Wachstum, zum Aufsteigen der Sonne, das jetzt folgte, zu
verstehen.
Die Wesensgleichheit Xiuhtecutli's mit dem Sonnengott ist noch aus einem
andern Umstände zu folgern. Tonatiuh, die Gottheit der Sonne, erscheint näm-
lich als Herr des Tageszeichens quiauitl, « Regen «, und Xiuhtecutli als Patron
von atl, « Wasser «. Die scheinbar widerspruchsvolle Zusammenstellung der
Sonnen- bezw. Feuergötter mit Wasser oder Regen findet ihre ungezwungene
Erklärung in der eben erläuterten Identität von Regenzeit und Sommer.
1 Op. cit., S. 324.
p. 398.] • R • E • E • S • [1908.
LE TEMPLE CHINOIS » BEI-IUN-DJUAN »
dans la passe d'Ak-Su, province d'lll
par N. Pantoussofp (Vicrny, Turkestan russe).
Beï iuD-djuan est le nom d'un temple chinois, situé dans la passe ou gorge
d'Ak-Su dans la province dlli. Beï-iun-djuan signifie « temple dans les nuages
blancs ». En effet ce temple d'idoles est très élevé dans la montagne dont le sommet
se perd souvent dans les nuages et ce n'est pas sans peine que je parvins à prendre
des clichés photographiques de ce temple à cause des nuages qui le cachaient aux
regards en même temps que les montagnes environnantes. Le temple n'est pas
éloigné de l'entrée de la passe d'Ak-Su (eau blanche), d'où sort la rivière du même
nom. Les Kirghises nomment l'endroit où se trouve le monastère ou temple,
simplement Ak-Su ou encore Siumbé (du mot kalmyk Sumu, qui veut dire oratoire
ou monastère). Le nom chinois de la passe est Da-si-gou, c'est-à-dire grande passe
occidentale. La caverne dans laquelle est situé le temple se voit de très loin et elle
se présente sous la forme d'une tache noire sur le flanc de la montagne. En bas de
la montagne, à l'entrée de la passe, sur la rive droite de la rivière d'Ak-Su, se
trouve un piquet de soldats solons, et de ce piquet jusqu'à la caverne, en haut, la
distance est évaluée à environ 15 li chinois, ou 7 verstes et demie.
Tous les environs de la passe sont complètement déserts ; ils ne sont même
pas fréquentés par les nomades qui, par crainte de quelque collision avec les
Chinois des frontières, évitent d'y séjourner. Pour cette raison, toute cette contrée
n'est pas affectée au pâturage du bétail des nomades et la végétation y reste
inexploitée. Aussi les herbes et les arbres du défilé sont-ils remarquables autant
par leur diversité que par leurs dimensions.
A l'entrée du défilé on rencontre en grande quantité des arbres fruitiers :
pommiers et abricotiers ; on trouve également des saules, des peupliers, des
ormeaux, des aubépines, etc. ; plus loin la végétation devient plus épaisse et plus
diversifiée : sur les deux rives de la rivière croissent beaucoup d'autres sortes
d'arbres et d'arbrisseaux, des pruniers, des jujubiers (trois espèces), des noyers.
Parmi les baies on remarque en grande quantité les framboises, les mûres et les
fraises. On trouve également du houblon remarquable par sa croissance. Plus haut
dans le défilé, à une dizaine de verstes du temple, sur la rive gauche de la rivière
Ak-Su on peut encore voir un bosquet de noyers. Au temps de la domination russe
de la province d'Ili, il y a environ 25 ans (1871-1882) en un seul endroit on
comptait plus de 65 exemplaires de ces arbres. Ce bosquet était soigneusement
gardé par des kirghises Suvany qui dans le cours de leurs pérégrinations fréquen-
taient la contrée et chaque année un sac de noix était expédié au gouverneur
militaire de Sémiriètchie, le général Kolpakowsky, comme preuve de la conservation
intégrale du bosquet. Sur de grands espacés croissent les aubépines, les aubiers,
la spirée et une grande quantité d'autres plantes, arbres, arbrisseaux, buissons,
dont les dénominations sont inconnues des Kirghises. L'abondance de la végétation
dans ce défilé était telle qu'elle donnait aux Dounganes et aux habitants des
villes de Suïdun, Tchintchakhodzé et autres la possibilité de préparer différents
1908.] PANTOUSSOFF : LE TEMPLE CHINOIS « BEI-IUN-DJUAN » P, 399.]
succédanés du thé, qui étaient consommés en grandes quantités. Maintenant, par
crainte des brigands chinois, il est rare que quelqu'un cherche à pénétrer dans le
défilé, et la préparation des thés artificiels ne s^ pratique plus, principalement à
cause du bon marché du thé véritable dans le territoire chinois.
Parmi les animaux ou rencontre des chats sauvages, des cerfs, des gazelles, des
mouflons, des chèvres sauvages, des ours, des sangliers, des martres, des fouines,
des blaireaux, des marmottes, des renards, etc. etc. Nous avons trouvé des traces
de sangliers partout sur notre route. Les oiseaux sont représentés par la grosse
perdrix des Alpes et par diverses variétés de gallinacés.
Le temple est situé dans la caverne dont il est parlé plus haut sur le flanc
d'une haute montagne. La montagne elle-même se nomme Fu*chu-saa (ou chan),
ce qui signifie la Montagne heureuse perpétuelle. Le temple ou monastère porte
aussi le nom de Da-fu-sy ou Grand temple heureux, et également Khuï-djin-dun,
ce qui veut dire la Caverne où se rassemblent les moines (les esprits).
Cette dénomination (Fu-chu-chan) du temple est inscrite en bas, au pied de la
montagne, au tournant du chemin qui conduit de la rivière au sommet, sur une
enseigne au-dessus d'une porte d'entrée peinte en noir. Cette porte, sorte de
monument commémoratif, fut construite pendant la 7® lune de la 25® année du
règne de Djuan-siuî, pendant un jour favorable (c'était alors l'année du cochon)
par les menuisiers et les charpentiers qui avaient travaillé à la construction du
temple lui-même. Plus loin, dans la montagne, à droite et à gauche de la porte
s'élèvent deux « munara » ou colonnes en pierre qui sont nommées « Chi-tzian-
tziun n comme s'ils gardaient la montagne et le temple construit à son sommet.
La construction du temple fut commencée par les ordres de Djantai Tcbjan,
pendant la 15* année du règne de Djuan-siuï et terminée la 19°**. Les fonctionnaires
et les habitants des villes de la province d'Ili firent des dons en argent pour cette
construction.
Le monastère est habité en ce moment par trois moines : Tinstituteur-moine
Tsin et deux disciples. Tsin est venu en 1901. C'est un Khunan et il vit dans le
monastère seulement temporairement, parce que le supérieur en titre est devenu
malade et s'en est allé se soigner à Suï-Dun. Auparavant les moines avaient
beaucoup plus d'occupations qu'à présent ; ils s'absentaient fréquemment du couvent
et s'en allaient loin dans le défilé, mais dans les derniers temps, après le massacre
de quatre moines par les maraudeurs, ils ne s'éloignent plus de leur lieu d'habitation.
Avant cet événement ils récoltaient et vendaient les simples, préparaient, pour
les vendre également, les succédanés du thé qu'ils recueillaient abondamment
parmi les herbages de l'Ak-Su. Maintenant ils ont cessé ces occupations et ils
passent leur temps en prière et débitent le bois de chauffage qu'ils trouvent dans
les environs.
Le monastère est gardé par un poste de 10 soldats chinois sous les ordres de
Djèntaï. Ils défendent le temple contre les voleurs et les vagabonds. La nuit ils
tirent constamment des coups de fusil. Ordinairement il n'y a guère plus de quatre
ou cinq hommes dans le couvent même ; les autres s'absentent volontiers. N'ayant
absolument rien à faire ils passent leur temps à fumer l'opium.
Le danger de la situation dans un lieu aussi éloigné et aussi désert explique
facilement pourquoi un si petit nombre de moines habitent le monastère, surtout
depuis le massacre des quatre moines dont il a été fait déjà mention. Ils furent
tués dans un forêt au moment où ils recherchaient des simples et il est probable
que les assassins étaient des bandits errant dans ces parages à la recherche d'un
p. 400.] • R • E • E • S • [1908.
butin quelconque. Le massacre eut lieu le 8* jour de la 8* lune bissextile de la 26*
année du règne de Djuan-Sluï. A ce moment il n'y avait que 5 soldats au monastère.
Les moines ne mangent ni viande oi poisson, ils se nourrissent de riz, de pain,
d'herbes potagères et de légumes. Ils cultivent un jardin potager, dans lequel les
radis croissent en grande abondance. Dans la montagne ils trouvent une grande
quantité de baies et de fruits, qu'ils font ensuite sécher pour les conserver. Au
reste ils n'ont pas loin à aller pour cela car toutes les montagnes environnantes sont
couvertes d'arbres fruitiers et de buissons.
Il leur serait facile de cultiver de magnifiques jardins fruitiers et autres par
la greife des sauvageons ; ils pourraient également produire un miel excellent, etc.
mais Tesprit d'entreprise et d'initiative leur manque et ils n'ont personne pour leur
donner l'exemple et le savoir nécessaires.
Le temple est disposé à l'intérieur de la vaste caverne en trois parties ou
sections distinctes. Dans la partie centrale, la principale, sont rangés trois autels :
au milieu le principal et de chaque côté deux plus petits. Sur l'autel central est
placée ridole du vieillard Taï-cban-lau-djun. Près de lui se trouvent Tuan-chi-
tèn-tzun et Limbau-tèn^tzun, ses deux frères.
A droite de cette «< principale trinité n sont placés San-Kbuan (trois Khuans) :
Tèn-Khuan (l'idole du ciel), Dy-Khuan (l'idole de la terre), et Ghuî-Khuan (l'idole
de Teau).
A gauche de ces premières idoles en sont placées trois autres : Tendi-chnï
san Djuan.
Dans la chapelle de droite au centre est l'idole Djuan-chin-di-djun. Auprès et
au-dessous se trouvent Djuan et Djuan-pen. A leur droite on voit Khochèn, l'esprit
du feu et Mavan, l'esprit du bétail. A gauche lo-van, le génie de la médecine (des
remèdes).
Dans la chapelle gauche au centre sont placés L)-lian-su-chi, le génie de la
science et Djin-u-suchi, le génie des sciences militaires. Sur la droite de ces deux
derniers se trouvent Dunio-chin-di, l'esprit des montagnes orientales, Man-io-chin-di,
celui des montagnes méridionales, Ghio-chin-di, esprit des montagnes occidentales
et Béo-chin-di, celui des montagnes septentrionales.
Au-dessus de cette place principale avec ses autels, dans le^ mur même
de la caverne ont été placées 5 autres petites chapelles, trois à droite etdeux à
gauche. Pour parvenir à ces chapelles on a construit des échelles partant de la
place centrale.
Ces chapelles se nomment : du côté droit, la première sur la gauche, le palais
du dieu principal au ciel, lu-khan-dadi, ou encore lukhan-da Tian-tszun. Ici se
trouve également l'idole Lyï-chan-pou-khuatèn-tszun, le génie du tonnerre. Le palais
de la Grande Ourse, Bei-du-guu, avec une idole. On y trouve également les idoles
Ghèn-tèn-dumo et Beï-du-dziuchèo, les saints des neuf constellations septentrionales
et Nandu-liu-chèn, saints des six constellations méridionales. Le palais de la lune
lué-gun-dèn.
Dans ces trois chapelles du côté droit il y a, comme on a vu, des idoles, mais
les deux autres, du côté gauche, sont vides. L'une représente le palais Van-mu-gun,
en l'honneur de la déesse Van et l'autre (la dernière à gauche) le palais 6uan-in-gé,
en l'honneur de la déesse Guan-chi-in-puza, vierge, tille de Miao-djuan-van. Celui-ci
avait trois filles, toutes des saintes et Guan était la troisième. Avec elle il y a
deux servantes : Van-khun et Mynsi.
En bas, à droite de l'entrée daus la grande salle où se trouve le temple désigné
REES, 1908
Planche XVI
1. Vue générale de la gi'otte et des chapelles.
2. Plate-forme inférieure et cbapelle « merveilleuse n (Lin-tuanè).
Le Temple cHmois Bbmun-djuan.
REES, 1908
Planche XVII
3. Plate-formes inférieure et moyenne : les trois et les deux chapelles.
4. La chapelle centrale et les échelles menant à la plate-forme supérieure.
Lb Temple chinois Bei-iun-djuan.
1908.] PANTOUSSOFF : LE TEMPLE CHINOIS « BEI-IUN-DJUAN » [P. 401.
<5i-des8U8, entrée qui représente une sorte de guichet avec un escalier ou perron en
bois, se trouve la chapelle Lin-guan-é, c'est-à-dire « miraculeuse ». Il y a là deux
idoles : Djou-lin-guan et Van-lin-guan.
Les parois de cette chapelle sont recouvertes d'un crépi de plâtre, blanchi à la
chaux. Pour cette raison la chapelle se distingue parfaitement sur les photographies.
A droite, c'est-à-dire à l'est du temple de la caverne se trouve la chapelle de
«ainte San-cho-nian-nian (femme-déesse).
Dans cette chapelle se voient également sept autres saints, Tchi-bo-da-chèn
-(les sept génies des trésors).
Encore plus à l'est est située une autre chapelle nommée Tchèn-fo-dun ou
chapelle des mille idoles. Le nom du dieu supérieur en chinois est Si-tian-fu ou
Obu-laï-fo, et en langue mongole Bourkhan-Bakchi.
De chaque côté de Chu-laï-fo se trouvent Chi-ba-lo-ukhan, 18 (chi-boé) vieillards
(lo-ukban) ; à la porte sont placés 4 saints dorés Sy-da-djin-guan.
Encore plus loin à l'est, à droite du temple principal est située la chapelle
Ba-sian-dun avec huit saints génies dont les noms sont : Khan-djunmi, Djago-lau,
Lidunbin,Téguaïliu,Tukhao-goudzuiu,Khan-sian-sy, Ehesiantchu et Lin-Tchaïkhé.
Les deux derniers génies sont des femmes.
Tout cet endroit à l'est du temple se nomme Da-fu-sy.
Il était impossible d'y parvenir parce que les pluies avaient détruit le chemin
-qui y conduit et maintenant les temples ou chapelles de Da-fu-sy se trouvent
isolées et à part.
A l'ouest du temple principal, c'est-à-dire à gauche, sur la montagne se trouve
ia chapelle Taï-ian-gun, le palais du soleil. Là il n'y a pas d'idoles mais une
lampe y brûle toujours. Il est très difficile de parvenir à cet endroit, car le sentier
est taillé dans un rocher extrêmement dangereux dont la paroi est verticale ; là
vont seulement les moines, exercés à ce passage et qui entretiennent régulièrement
la âamme de la lampe.
Dans la place principale où se trouvent, au milieu, le temple et ses annexes,
à droite et à gauche du temple même ont été construites différentes habitations.
A droite de l'entrée il y a deux logis pour les soldats; ce sont des espèces de cellules
petites et sombres, une cuisine pour les soldats et une chambre de réception pour
les hôtes et les visiteurs du temple ; cette chambre est éclairée par une fenêtre et
i;arnie de lits de camp et d'une table.
Ensuite à gauche sur la même ligne se suivent l'annexe de droite avec toutes
«es chapelles, puis le temple principal ou central, et enfin l'annexe de gauche. Plus
loin se trouve la cuisine des moines à Tintérieur de laquelle est une fontaine dont
l'eau pure provient, à travers la roche, du sommet de la montagne ; après la cuisine
«ont ménagés un logement pour les pèlerins de rang inférieur ,deux cellules pour les
moines, une cellule pour le supérieur du couvent, avec une petite chapelle et enfin
une dernière cellule pour un moine. Toutes ces dépendances ou habitations sont
indiquées d'après l'ordre qu'elles occupent en partant de l'entrée, d'en bas, sur la
place supérieure principale où est le temple. Le chemin ou sentier qui conduit à
ces divers logis à gauche de la cuisine du monastère suit un sentier en corniche sur
laquelle on a établi, pour le passage, des madriers et des planches.
La place en avant du temple est bordée d'un petit mur de clôture ou parapet.
Devant le temple principsd sont suspendues, sur des poteaux, deux cloches eu
iQnie de for que l'on fait sonner nuit et jour, et deux tambours, un grand et ua
petit.
p. 402.] • R • E • E • S • [1908.
Le temple et les autres bâtiments ne sont pas adossés aux parois de la caverne,
il y a entre eux un espace libre assez grand pour la circulation. Sur tout le pourtour
de la caverne, derrière les bâtiments, sont disséminées ça et là des sources d'eau
d'une grande pureté, qui servent à Talimentation non -seulement des babitants
permanents du monastère mais encore de tous ceux qui vivent aux environs. Nous-
mêmes, quoique notre camp fut établi au pied de la montagne, nous envoyions un
homme à cheval puiser de Teau dans les sources du monastère.
Dans beaucoup d^endroits, du sommet de la montagne suinte une eau excellente.
Pour la recueillir, sur plusieurs points, on a creusé des trous dans lesquels Teaa
s'écoule lentement. Nous avons remarqué quatre de ces citernes en différents^
endroits. La proximité de l'eau, nécessaire à chaque instant, est des plus commodes.
Cette commodité se fait particulièrement sentir surtout dans la cuisine du monastère,
où, comme nous Tavons dit précédemment, se trouve une source.
Chaque année, le 7* jour du 7* mois un grand nombre d'adorateurs viennent de
Lautzugun, de Tchintchakhodzé, de Suïdun et de Kuldja faire leurs dévotions
au monastère.
Le public qui se rassemble est considérable. Il y a trois ans le nombre des
pèlerins venus des différentes villes de la province d'Ili, était si grand qu'il y avait
même un théâtre pour leur divertissement. De l'autre côté de la rivière Ak-Su^
sur la rive gauche, on aperçoit également un grand nombre de cavernes qui étaient
autrefois habitées. Maintenant personne ne les occupe. Nous n'avons pas visité ce»
cavernes parce qu'il n'y a pas de gué praticable dans les environs ; du reste ces
cavernes se trouvent sur les flancs de montagnes hautes et abruptes et l'abord en
est extrêmement difficile. Sur la rive gauche de l'Âk-Su, en face du monastère se
voient encore les ruines du poste des soldats solons qui autrefois gardaient le temple.
Depuis la délimitation des frontières, en vertu de laquelle les terrains situés sur
la rive gauche de la rivière Ak-Su ont été attribués aux Chinois et ceux de la rive
droite de la rivière Orta-Aksu aux Solons, le poste de garde fut transféré sur la
rive droite de l'Orta-Aksu, en bas du monastère, à une distance de 7 verstes et
demie (15 11 chinois).
Outre les idoles dont les principales sont réparties par 3 dans chacune des
parties ou sections du temple général, soit 9 en tout, on voit encore sur les murs
des inscriptions plus ou moins intéressantes.
Par exemple dans la partie centrale, à droite sur le mur est représenté le
hiéroglyphe du dragon (Lun) et la table des jours de naissance des génies ; à
gauche le hiéroglyphe du tigre (Khu) et la nomenclature des renaissances de
Guan-in-pusa et d'autres.
Les jours de naissance ou de fête des dieux sont indiqués comme suit :
Taï-chan-lau-tziun, le 15* jour de la 2« lune.
Taï-chan-iuan-chi-tian-tzun, le 12* jour de la l'* lune.
Taï-chan-linbo-tian-tzun, le 19* jour de la première lune.
1) Tiandi-chuï-san-guan, le 15* jour de la 5* lune.
2) Le génie de la terre, le 15* jour de la 7** lune.
3) Le génie de l'eau, le lö* jour de la IP lune.
Guan-chin-di, le 13* jour de la 5* lune.
Khodé-djèn-tziun, ou Khochèn, le 26 de la 6® lune.
Ma-van, le 23 de la 6* lune.
lu-van, la 28 de la 4® lune.
Ulian-su-chi et Djèn-u-tzo-chi, tous les deux le 8 de la 4* lune.
1 908.] PANTOUSSOFF : LE TEMPLE CHINOIS « BEI-IUN-DJUAN » [P. 403#
Dunio-chiQ-di et Nanio-chio-di, tous les deux le 6 de la 2® lune.
Sio-chin-di et Béïo-chin-di, tous les deux le 22 de la 2^ lune.
Inkhonan-dadi, le 9 de la l'* lune.
Léïchin, le 6 de la 3® lune.
« Peï-dao-gun « les 9 saints des constellations septentrionales et les 6 saints
•des constellations méridionales sont nés entre le premier et le 9^ jour de la 9* lune.
Vaa-mu-nian-nian, le 8 de la 3" lune.
Tai-in-gun, le 19 de la 3* lune.
Guan-in-pusa, le 19 de la 2* lune.
DjouTan-lunguan, le 23 de la 6^ lune.
San-sé-nian-nian, le 18 de la 3* lune.
Ju-léïfu, le 8 de la 4* lune.
Badun-chèn-sian (les 8 vieillards), le 19 de la première lune. Le 19^ jour
•de la 9^ lune on leur offre des sacrifices.
Taï-ian, le 19 de la 11* lune.
Dans la partie centrale, sous le toit, au plafond, nous lûmes les inscriptions
suivantes :
1) « Le temple, dans la montagne profonde est digne de respect » — Ghan-
•chèn-sy-gu.
2) « Il a lutté sans terme et est devenu saint » — Py-lèn-tchin-djin.
3) A la fin de la construction fut composée une louange en Thonneur de l'endroit
«t du temple lui-même.
Cette inscription est très longue et d'un style emphatique.
4) L'inscription des collectes d'argent faites par Djèn-tai pour la construction
du monastère, avec l'indication des personnes ayant fait des offrandes et des sommes
sacrifiées. De cette inscription nous apprenons que Djèn-taï-Tct\jan donna 18 lanes
d'argent (36 roubles), le Daotaï lue — 4 lanes (8 roubles), le Daotaï Li — 5 lanes,
Khuan-dji-fu (à présent Daotaï de Euldja) — 16 lanes, le chef du district de
•Suïdun An — 4 lanes. Il fut ainsi recueilli dans la province d'ili 2602 lanes,
5 miscales et 3 fynes (5205 roubles 6 kopeks).
Dans l'annexe gauche nous trouvons également l'inscription suivante : Dau-
^an-ku-djin c'est-à-dire : les règles des anciens temps s'appliquent jusqu'à
présent.
p. 404.] • R • E • E • S • fl908.
ANALYSES.
W. 0. E. Oesterley, The Evolution of Messianic Idea, a study in comparative
Religion, Londres, Pitman & fils 1908, 1 vol. in 8* de 277 pages.
Cet ouvrage est le développement d'une thèse présentée à l'Université de
Cambridge pour obtenir le grade de docteur en théologie et il serait exagéré de
prétendre que la préoccupation de ce but théologique n'a pas quelque peu réagi
sur la façon dont l'auteur comprend la possibilité de concilier la science avec la
religion. Toutefois, si cette dernière s'y prête, la science, de son côté, aurait
mauvaise grâce à se plaindre, quand elle voit ses propres méthodes aussi franche-
ment et aussi courageusement acceptées dans des recherches historiques apparen-
tées aux problèmes les plus délicats de la tradition religieuse. Il serait injuste de
chicaner l'auteur à propos de ses affirmations sur les origines providentielles des
« germes mythiques », quand il nous aide, avec une impartialité et une objectivité
irréprochables, à en suivre et à en comj)rendre la croissance.
Le messianisme — en d'autres termes, l'attente d'un sauveur qui fera régner
la paix et le bonheur sur terre, a sa source, selon M. Oesterley, dans trois mythes
qui existaient, à l'état flottant et rudimentaire, bien avant la constitution de la
nation hébraïque et qui se retrouvent d'ailleurs chez nombre de peuples primitifs :
1® le mythe du Téhom, l'idée d'un monstre informe et ciniel, d'abord associé à
l'élément liquide, puis figuré en dragon, finalement personnifié en Satan ou quel-
que autre mauvais génie, auteur des calamités, des périls et des tentations qui
assaillent l'humanité ; 2° le mythe de Jahwe, ou, à proprement parler, du Héros-
Sauveur qui, combattant et domptant le dragon, assure le salut des hommes, sans
cependant empêcher, au moins pendant un temps déterminé, certains retom^s
offensifs du monstre ; S"" le mythe du Paradis, d'abord sous la forme d'un Age
d'Or, placé à l'origine des temps, alors que la création divine n'avait pas encore
été souillée par l'esprit du mal ; ensuite, à la fin des siècles, lorsque le Sauveur
aura définitivement anéanti son adversaire. — Chez les Juifs, le rôle du Sauveur
fut attribué à Jahwe, quand celui-ci devint leur dieu principal ; puis, avec les
progrès du monothéisme, à son « Souffle « ou à sa «Gloire», enfin à un personnage
possédé de l'esprit divin. Ainsi, comme le fait obsei'^'er l'auteur, Jahwe et le
Messie en vinrent à être entièrement distincts ; le seul lien entre eux est la des-
cente de l'esprit de Jahwe dans la personne du Messie et nous avons ainsi une
première él)auche (adumbration) de la Trinité chrétienne.
On voit que l'auteur accepte sans hésitation d'appliquer à la formation de la
dogmatique orthodoxe le principe de l'évolution historique et la critique la plus
exigeante n'aurait rien à reprendre dans la manière dont il utilise et commente
les textes de l'Écriture où il puise les éléments de sa thèse. Tout au plus pourrait-
on lui chercher noise à propos de la distinction qu'il prétend établir entre le mythe
et la mythologie : «* Les mythes, écrit-il, loin d'être, comme on le croyait généra-
« lement autrefois, l'œuvre du Diable, ont été, à une certaine époque, les organes
1908.] ANALYSES. [P. 405.
« normaux de la Révélation divine ». Quant à la mythologie, ce sont « les déve-
« loppements empoisonnés qui ont embrouillé et recouvert le caractère naïf et
« innocent des mythes primitifs au point d'en obscurcir graduellement et d'en
« oblitérer finalement le but originaire : la communication de vérités éternelles ».
— Laissant de côté la définition des mots, il me semble que les mythes, pris
isolément ou dans leur ensemble, ne méritent ni cet excès d'honneur ni cette
indignité. Tous représentent des tentatives pour expliquer l'inconnu par le connu,
à l'époque où l'homme pensait et parlait à peu près exclusivement par images.
Tous, à ce point de vue, renferment, selon l'expression d'Herbert Spencer, une
« âme de vérité ». Mais tous aussi contiennent un élément que les progrès ulté-
rieurs de la connaissance font considérer comme irrationnel et souvent pernicieux.
Il n'y a là qu'une question de plus et de moins.
Il est à remarquer que l'auteur donne à la définition de l'idée messianique
une portée très large, puisqu'il y comprend tout le drame du dualisme, qui se
retrouve au fond de tous les cultes. Peut-être y aurait-il lieu de distinguer, plus
qu'il ne le fait, entre la tradition de l'Age d'Or ou Paradis perdu et l'attente du
règne de Jahwe ou Paradis à venir sur terre, en réservant à cette dernière con-
ception la qualification de Messianisme. D'autre part, si l'objet des aspirations
messianiques est l'avènement du règne de la paix et de la félicité universelles sur
la terre régénérée, est-il bien exact de dire que l'intervention du Héros-Sauveur
en forme un élément essentiel ? — Il semble que ce rôle du Messie, les messia-
nistes de notre époque l'attribuent à des forces plus ou moins personnifiées : la
Science, la Sociologie, voire le Suffrage universel — etc. (en ayant bien soin
d'employer des S majuscules). — Encore moins puis-je admettre que, à l'origine
du processus mental qui a abouti au messianisme, figure la croyance en la
survivance de l'âme. Il y a, au contraire, opposition radicale entre la conception
optimiste d'une vie future pour l'âme et la notion d'un Paradis à réaliser sur terre.
Sans doute le judaïsme, et, à sa suite, le christianisme ont essayé de les concilier
ou plutôt de les superposer assez gauchement, en empruntant aux Perses le dogme
de la résurrection des morts. Mais, en réalité, leur cumul est un double emploi
évident et je m'imagine que les Prophètes, qui d'ailleurs n'ont cessé de combattre
le culte des morts chez les Juifs, devaient ressentir les mêmes sentiments que nos
messianistes contemporains, socialistes ou anarchistes, à l'égard des idées de
rémunération posthume qui détournent les âmes d'aspirer au bonheur absolu dans
la société terrestre.
La vraie source psychologique du messianisme est dans une notion qui a été
très tôt la caractéristique et l'honneur de l'humanité : l'idée du Parfait, qu'il
faut distinguer de ce que M. Oesterley appelle, en termes un peu trop généraux,
l'aspiration au bonheur. A ce point de vue le messianisme représente une des
formes assumées par le sentiment de l'idéal. Cet idéal, qu'il soit matériel ou
spirituel, noble ou grossier, l'homme se sent impuissant à l'atteindre dans son
milieu actuel, d'autant que ses besoins se multiplient indéfiniment avec les moyens
de les satisfaire. Faut-il s'étonner s'il en a placé la réalisation, soit, dans un autre
monde, pour sa propre personnalité émancipée par la mort ; soit, pour ses des-
cendants, sur la planète même, régénérée par un de ces coups de théâtre dans
lesquels se complaît l'imagination populaire de tous les âges.
GOBLET d'AlVIELLA.
*
p. 406.] • R • E • E • S • [1908.
Alois MuaiL. Arabia Päraea, T. I : Moab, 8^ XXIII-443 pages, 1 pi. et 190 fig. ;
T. II ; Edom, 2 vol. 8", XlI-343 pages, 1 carte, 170 fig. et X-300 pages,
1 carte, 152 fig. Vieane, Alfred Holder, 1907-1908.
Les régions désertiques de Moab et d'Edom ont souvent été parcourues, mais
jamais d'une fa^*on aussi systématique que par l'intrépide voyageur qu'est M. Musil.
Léon de Laborde, la mission de Luynes, les ingénieurs anglais avaient effectué
des relevés topographiques partiels qui constituent une base solide ; récemment
M. Brünnow a opéré dans la TransJordanie et à Pétra non sans utiliser rexpérieuce
de M. Musil, mais c'est à ce dernier qu'on doit la première carte d'ensemble
détaillée de l'Arabie Pétrée (Karte von Arabia Petraea au 1 : 300.000*, Vienne.
A. Holder, 1906). Il est inutile d'insister sur l'importance de ce travail ; mais il
y a un enseignement à tirer de la manière dont l'heureux explorateur a surmonta
les difiicultés de sa tâche. Au cours de six voyages, de 1896 à 1902, il a dû le plus
souvent se plier à la vie du nomade, partageant sa tente, se déplaçant avec lui,
s'imposant à Teunemi ou fuyant devant lui. L'adresse et l'endurance du professeur
et abbé Musil lui ont valu la considération des bédouins au point qu'un vieux
chaikh voulait lui faire épouser sa fille, âgée de quatorze ans, pour le retenir
auprès de lui. Cet exemple illustre fort bien l'état de la société au désert. Cette
société repose sur la fraternité par le sang, mais une large fraternité qu'on peut
créer à volonté par le sacrifice d'un mouton, la cohabitation sous la même tente
ou le mariage, la participation à la vie de r*achîré ou fraction tribale. Le fait de
pratiquer l'Islam est très secondaire. Non pas que le nomade soit dépourvu de
sentiments religieux ; mais il a ses pratiques propres que ni le Christianisme ni
l'Islam n'ont pu entamer.
Les précieuses amitiés qu'il sut se ménager ont permis à l'explorateur de
relever 80.000 kilomètres carrés en pays extrèmeuient difficile. Certains points,
comme Qal'at Ezraq, n'ont pu être atteints, mais ils ont été suffisamment
approchés pour être reliés à l'ensemble. A la suite des nomades, planchett<^,
boussole et théodolite ont participé aux randonnées et, en dépit de ces conditions
instables, se sont parfaitement comportés. Les volumes que nous annonçons
ci-dessus donnent, sous forme d'itinéraires annuels, la description abondamment
illustrée des lieux visités et enregistrent de nombreuses observations. Il est des
découvertes importantes pour l'histoire des civilisations orientales et, en première
ligne, celle de Qousair 'Amra, dans l'est du pays de Moab. Les nmrailles sont
décorées de fresques aux sujets variés, ici des animaux dont un singe qui
applaudit un ours jouant de la guitare, là mie femme qui danse devant un musicien.
Ailleurs serait représentée une course de chevaux, mais elle n'a pu être copiée
par le peintre Mielich que l'Académie de Vienne avait chargé de dessiner ces
fresques. L'influence byzantine est inscrite en toutes lettres dans les figures
conventionnelles accompagnés d'épigraphes grecques : Historia, Poiesis, Skepsis^
Nile. D'autres traces de caractères grecs et arabes subsistent au-dessus de quatre
personnages. MM. Noeldeke etLittmann (Zeitschrift der deuiscHenmorffenländisch^n
Gesellschaft^ 1907, p. 222 et suiv.) ont restitué les noms de César, de Kosroès, du
Négus et de Rodoric, le dernier roi des Visigoths d'Espagne. Cela nous reporte
vraisemblablement peu après la mort de ce dernier qui eut lieu en 711. Cet édifice
des Omayyades, si bien conservé jusqu'à nos jours, s'est vu consacrer une luxueuse
publication par l'Académie de Vienne : Kusejr 'Anira, 1 vol. de texte et 1 voL
de 41 planches, grand-quarto, Vienne, 1907 (210 Marks).
1908.] ANALYSES. [P. 407*
Le site unique qu'est Petra, avec ses façades pompéiennes sculptées à même
le roc, a été l'objet d'une visite attentive. Après la publication de la Provincia
Arabia de MM. Briinnow et Domazewski, il était superflu de multiplier les relevés
.archéologiques, mais M. Musil fournit des vues intéressantes, notamment de
lieux de culte. Dans la région entre Gaza et le golfe d''Aqaba, les points remar-
quables signalés par l'auteur abondent. Notons 'Abdé, l'antique Oboda, déjà visitée
par les PP. Dominicains de Jérusalem, où fut enterré et divinisé le roi nabatéen
Obodas. M. Musil y a copié une invocation grecque à Zetis Obodas, datée de 293
après J.-C.
Les préhistoriens noteront la description des nombreux menhirs à l'ouest de
Mâdaba, sans souscrire, toutefois, à l'opinion qui y voit des ex-voto élevés par des
pèlerins. Les ethnographes trouveront, dispersés au cours de ces trois volumes,
des renseignements de première main sur la vie au désert, le qui-vive continuel
auquel elle oblige, la rapine organisée sous le nom de ghazou et exaltée à l'égal
des hauts faits d'armes, mais rarement meurtrière, la terreur qu'inspire la
vengeance du sang, l'état de guerre entre tribus, l'importance du salâm qui, une
fois rendu, permet de s'aborder en amis, l'inexpérience des guides hors d'un rayon
assez faible. Tel qui traverse un territoire dangereux se garde d'emporter quoi
que ce soit de précieux. Il revêt sa chemise la plus usée, endosse un manteau en
loques, place dans une vieille ceinture un couteau ébréché et un briquet. Pour
toute provision, il emporte une outre pleine d'eau, une autre plus petite remplie
de farine et d'un peu de beurre. Il pourra couvrir ainsi, sur son chameau, huit
jours de route. Son état misérable le prémunit contre tout risque, à moins qu'il ne
soit en butte à la vengeance du sang. Dans ce cas, il se gardera d'emmener une
bête marquée du wasm de sa tribu. Toutes ces difficultés peuvent être surmontées
avec de l'énergie et de l'astuce ; mais la terreur qu'inspirent les esprits, djinns
ou goules, est irréductible. On raconte comment des voyageurs furent frappés de
la foudre pour avoir raillé el-Wâbsi, le puissant génie qui séjourne au râs el-Wâbsi.
Au nord crAqaba, la contrée dite el-Hesma est des plus mal famée, car elle est
hantée par les ghôla. Les bédouins qui accompagnaient M. Musil refusèrent abso-
lument de camper près des ruines de Fênân, parce que l'âme d'un juif enterré
là, les visite chaque nuit et n'aurait pas manqué de s'emparer de l'un d'eux pour
le mettre en pièces. Ce ne sont que des détails, l'auteur a recueilli de plus amples
matériaux ethnographiques qui feront l'objet d'une étude approfondie. Il sera
particulièrement utile d'être renseigné avec précision sur les coutumes des Arabes
de la région édomite comme nous le sommes sur leurs congénères de Moab grâce
au P. Janssen. René Dübsaud.
* *
J. Bbdieb. Les Légendes épiques; recherches sur lu formation des chansons de
geste. T. I. Le cycle de Guillaume d'Orange. — In-8°, 429 pages. Paris,
H. Champion, 1908.
L'épopée française du moyen-âge présente, en dehors de sa valeur littéraire,
lin intérêt capital, qui dépasse le cercle étroit des spécialistes. S'étant formée à
une époque pleinement historique, ne contenant, de l'aveu de tous, que fort peu
d'éléments mythiques, elle permet de saisir sur le vif les rapports entre la réalité
historique et sa représentation dans l'épopée.
La théorie régnante admet que les poèmes épiques les plus anciens du moyen-
âge français remontent, par une tradition ininterrompue, sous forme de chants
p. 408.] • R • E • E • S • [1908.
transmis de mémoire ou de récits oraux (sagen) aux événements mêmes qu'ils
célèbrent. Des recherches personnelles ont conduit M. Bédier à des vues diOë-
rentes ; il examine d'abord le cycle de Guillaume d'Orange, le cycle épique qu'on
peut appeler méridional.
Après avoir jeté un coup d'œil sur l'ensemble des poëmes qui constituent ce
cycle, dit la " geste » de Garin de Monglane, et particulièrement sur ceux dont
Guillaume est le héros, Fauteur établit fortement que le Guillaume épique est
bien le même que le saint Guillaume de Gellone (Saint-Guilhem du Désert), que
les jongleurs ont connu très anciennement la tradition monastique d'Aniane et de
Gellone sur ce personnage\ tandis que les moines de Gellone, dans ime Vie de leur
saint, composée vers 1125, connaissent et exploitent les poèmes. Ces rapports
entre des jongleurs du Nord et « les moines d'une abbaye perdue au fond d'une
vallée sauvage des basses Cévennes n s'expliquent par le fait que ce monastère
était une étape sur la route que suivaient les pèlerins qui allaient à Saint Jacques
de Compostelle, route extrêmement connue et fréquentée au moyen-âge.
Mais ce Guillaume de Gellone, avant de se faire moine et de devenir un saint,
avait joué, sous Charlemagne, un rôle politique et militaire important : il avait
été comte, il avait glorieusement combattu les Sarrasins. Les chansons de geste
qui le concernent peuvent provenir de traditions ou de chants populaires, qui
seraient éclos peu après la mort de ce personnage, ou même de son vivant.
M. B. montre combien sont rares les coïncidences exactes entre les récits épiques
que nous avons et les faits réels, à nous connus, de la vie publique et guerrière
de Guillaume ; les jongleurs ont pu trouver dans la tradition monastique les quel-
ques détails précis qu'ils connaissent.
Mais, disent les savants qui croient à un rapport direct entre l'histoire et les
récits épiques, ce ne sont pas les seuls exploits de Guillaume de Toulouse qui ont
formé l'épopée de Guillaume d'Orange : d'autres personnages qui portent ce nom
ont contribué à la formation de la légende épique. M. B. énumèrc seize Guillaumes,
du Nord et du Midi, qui ont été mis à contribution par divers savants pour expli-
quer la genèse de nos épopées. Il n'a pas de peine à montrer que les titres de la
plupart de ces Guillaumes sont négligeables ; seule, la chanson du Couronnement
de Louis pourrait, par les allusions historiques qu'elle semble contenir, donner
lieu à des rapprochements sérieux avec des personnages et des événements des
IX'-X* siècles. Mais ici encore, les philologues, aidés des historiens, n'ont abouti
qu'aux résultats les plus contradictoires ; et il se pourrait fort bien que le Couron-
nement de Louis ne fût que la libre invention d'un poëte, un roman dont les diffé-
rents épisodes ont pour but de mettre en lumière l'antithèse initiale du vassal
fidèle et courageux (Guillaume) et du roi incapable, couard et félon (le roi Louis),
antithèse qui fait le fond de toute Vhistoire poétique de CruUlaume, telle que nous
la possédons.
Cette histoire a subi des remaniements, c'est certain, mais cette certitude
^ Particuliôrement important est le nom de la femme de Gaillaame, Ghiibonrc, dans les
poômes. Il est certain qu*ane des deux femmes du Guillaume historique portait ce lïom (Wtthlntr^
gis dans une source latine du IX* siècle). Or, il ne semble pas que cette Withburgis ou Goiboure
ait Jamais Joué, à côté de son mari, un rôle romanesque ou héroïque, qui pourrait expliquer que
son nom ait survécu dans la mémoire populaire ou dans des chants épiques. Le nom est évidem-
ment emprunté à la tradition savante ; or, comme Quibourc est un personnage important dans les
poômes les plus anciens, nous sommes obligés d'admettre au moins une influence très ancienne
de la tradition monastique, savante, sur la poésie.
1 908,] ANALYSES. [P. 409..
n'autorise pas les hypothèses aventureuses dont quelques savants ont abusé. La
Chanson de Guillaume, forme ancienne, récemment retrouvée de deux poèmes du
cycle, le Covenant Vivien et Aliscans, montre l'inutilité et le danger de ces recon-
structions hypothétiques. Le cycle, avec ses éléments essentiels, tels que nous les
connaissons, existait déjà au commencement du XIP siècle. Et ce cycle avait dès
lors son unité : c'est cette antithèse fondamentale du Vassal et du Roi que nous
venons de constater. La part d'invention personnelle, voulue^ doit avoir été, dans
la formation de cette série de poèmes, beaucoup plus considérable qu'on ne l'a
cru.
On a vu que les longues recherches auxquelles avait donné lieu l'élément his-
torique du cycle ont donné un résultat absolument nul : on n'y trouve d'autres
traits historiques que les quelques faits que les jongleurs ont pu connaître par les
moines d'Aniane et de Gellone. D'autre part, les noms de certains personnages
sont méridionaux, ont parfois une forme spécialement méridionale (Naymeri,
Naïmer, Vician à côté de Vivien). Ceci nous ramène au Midi, à Saint-Guilhem
du Désert. C'était une étape, a-t-on vu, du pèlerinage à Saint-Jacques de Com-
postelle ; or, M. Bédier montre que toute la topographie des poèmes sur Guillaume
est dominée par ce pèlerinage. Les localités qui jouent un rôle plus ou moins
important dans les poèmes, sont des stations sur les chemins qui conduisaient à
Saint-Jacques de Galice, particulièrement sur la via Tolosana.
Dès lors la formation du cycle, y compris les détails qui semblaient dénoter
une origine méridionale, s'explique naturellement. « Cette route (la via Tolosana),
de grandes troupes de pèlerins la battaient au XP et au XIP siècles : c'est
l'époque des premières croisades et ils sont pleins de l'esprit de ces temps aven-
tureux. Dans toutes les villes du Midi qu'ils traversent, on leur montre des ruines
faites, leur dit-on, par des Sarrasins. La terre d'Espagne vers laquelle ils s'ache-
minent est encore en grande partie occupée par les Musulmans. Sur leur route se
dresse un sanctuaire, Gellone, où repose le corps de Guillaume, jadis ennemi
glorieux de ces Musulmans. N'est-ce pas là, de l'excitation religieuse et guerrière
de ces pèlerins, de l'esprit des croisades, des offices liturgiques où l'on célébrait
la gloire du « saint athlète de Dieu »» n'est-ce pas là que naquit la légende de
Guillaume ? Ces fictions embryonnaires, les moines de diverses églises intéressées
à retenir les pèlerins et à les édifier, les jongleurs nomades, sûrs de trouver aux
abords de ces églises le public forain et souvent renouvelé qui les faisait vivre, les
ont développées » (Bédier, p. 402, 403). En d'autres termes : si Guillaume, comte
de Toulouse, était mort avant de se faire moine et de fonder Gellone, le cycle de
poèmes qui le célèbre, n'existerait pas.
Il est certain que cette solution du problème est aussi élégante qu'ingénieuse.
Avant M. Bédier, M. Ph.-A. Becker, actuellement professeur à l'Université de
Vienne, avait insisté sur l'importance de la Vie latine et des traditions monas-
tiques pour la formation du cycle ; mais M. Bédier, le premier, a mis ces faits eu
rapport avec les pèlerinages et le mouvement poétique auxquels ils ont donné lieu.
Seule, la théorie de M. Bédier explique d'une façon naturelle — à moins d'avoir
recours à l'hypothèse désespérée et généralement abandonnée d'une épopée pro-
vençale perdue — cette préoccupation du Midi et des localités méridionales qui
caractérise le cycle des Narbonnais,
M. Bédier se propose d'appliquer, dans la suite de son ouvrage, à d'autres
chansons de geste sa théorie des pèlerinages, de la poésie jongleuresque s'y
rattachant et de l'origine relativement récente des poèmes épiques du moyen-âge
p. 410.] • R • E • E • S • [1908.
française Réussira-t-il à prouver complètement sa thèse ? N'y aura-t-il pas des
traditioQS épiques qui résisteront aux applications les plus ingénieuses de la nou-
velle méthode ? C'est possible, probable même, à notre avis ; l'auteur n'en a pas
moins ouvert une voie qui conduit à des résultats intéressants et féconds. Dès
maintenant on peut dire que ses recherches constituent le travail d'ensemble le
plus important qui ait paru sur le sujet depuis les livres de G. Paris et de
M. Raina. 6« Htjbt.
^ Déjà ont p&ru, de la main de M. Bédier : La Légende de Girard de Roussiüon àua
Revue des deux Mondes^ 15 mars, 1 avril 1907; La Légende de Raoul de Cambrai dans Retvt
Historique, t. XGVI-XCVII (années 1907-1908 ; comp. Tartide en sens contraire de M. Longnon,
Romania, avril 1908) ; Les Chansons de geste et les routes d'Italie^ dans Romania, t. XXXM et
XXXVII, années 1907-1908. — [Le t. II de l'ouvrage de M. B. vient de paraître. G. H.]
1908«] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 411*
NOTIGES BIBLIOGRAPHIQUES.
J. H. F. KoHLBRUGGE. Biß morpholoçische Abstammung des Menschen, 8°, 102 p. (fasc. II
de BuscharCs Studien und Forschungen) Stuttgart, Strecker et Schröder, 1908, 3 M. 60.
R. Martin. System der physischen Anthropologie und Anthropologische Bibliothek,
Extr. de Korrespondenzblatt der Deutschen Anthrop. Ges., 1907, n^ 9-12, 4°, 15 p.
S. R. Steinmetz. Be Beteehenis der Volkenkunde voor de Studie van Mensch en Maat-
schappij, 8o, 45 p., La Haye, M. Nijhoflf, 1908, 1 fr.
J. G. Frazrr. The scope of social anthropology^ 8°, 23 p., Londres, Macmillan, six pence.
Chacun des travaux cités ci-dessus marque une nuance de la tendance à étendre en
même temps qu'à définir la portée des études auxquelles est consacrée notre Revue.
M. R. Martin, après un historique des sens successivement donnés au mot d'anthropo-
logie, veut le voir, et avec raison; restreint à Tétude de l'homme physique. Il propose
l'adjonction de ce dernier mot, afin de préciser le domaine d'une science dont il est l'un
des représentants les plus importants, et l'introduction d'un terme nouveau, celui
d'anthropographie, pour désigner l'anthropologie descriptive. Intéressant, surtout com-
paré aux tentatives du même ordre de 0. T. Mason, de Manouvrier, etc. est son essai
d'une classification des sections de l'anthropologie telle qu'elle puisse devenir l'objet de
cours universitaires. De même on étudiera avec profit le tableau élaboré par M. Martin
en vue d'une bibliographie systématique de l'anthropologie physique. Pratiquement, le
mieux serait qu'il y eût une entente internationale sur ces deux points afin que soit
adopté un schéma qu'on saura provisoire — comme le sont par la force des choses tous
les schémas. Or l'anthropologie physique ne saurait être une science proprement dite si
elle ne tenait pas compte des facteurs d'action sur les caractères somatiques, tant inter-
nes, qu'externes ; et parmi eux se rangent ie milieu physique, le milieu psychologique
et le milieu social (cf. Martin, n«» 573.01 à 573.08). C'est ici que se marque donc le con-
tact de l'anthropologie physique avec l'ethnographie, la psychologie et la sociologie,
point central où s'accomplit l'œuvre de synthèse générale, qui est l'objet, au moins
théorique, de la présente Revue. Des trois disciplines, c'est la psychologie qui est le plus
en retard : M. Kohlbrugge s'en plaint, mais sans donner les règles de méthode ni les
voies d'investigation pratique qui pourraient accélérer l'essor de la psychologie non-
européenne. Son attitude cependant, puisqu'il est 8uiix)ut somatologue, doit être signa-
lée, suilout étant donnée sa critique incisive des diverses théories sur la place de
l'homme dans l'échelle des êtres, critique d'ailleurs ciitiquée par Schwalbe dans
Globus, 1908, 1, p. 341-346. L'importance de la recherche psychologique est mise aussi
en lumière par M. Frazer qui, avec toute l'école anglaise, a tant fait déjà pour ramener
à leurs éléments psychologiques les manifestations de l'activité sociale. Il se place à la
fin de son discours & un point de vue pratique général, auquel se place davantage encore
M. Steinmetz. Ce savant, ici comme dans plusieurs de ses derniers travaux, tend, avec
l'école sociologique française, à justifier toute institution par un caractère utilitaire
qu'il lui reconnaît sans voir que c'est seulement après coup qu'il dégage cette utilité.
L'histoire universelle et l'ethnographie démontrent au contraire que l'homme, indivi-
duel ou en collectivité, agit bien plus contre, que dans son intérêt propre. En tout cas
les quatre savants sont d'accord pour afi9rmer la portée éducatrice des études ayant
l'homme pour objet et la nécessité actuelle, tant politique qu'économique, de faire
admettre par les pouvoirs publics leur introduction dans l'enseignement officiel.
A. v. G.
L'École d'Anthropologie de Paris, 1 vol. 8", 210 pages, portrait de Broca, F. Alcan. 1907. —
D'une manière nerveuse et vive, M. Thulié, Directeur de l'École, retrace les difficultés
qu'eurent à vaincre Broca et ses amis pour la fondation de la Société, du Laboratoire et
de l'École d'Anthropologie. Fondateur de ces centres de recherche scientifique, Broca en
demeura l'âme par son enthousiasme et sa persévérance, et le directeur par la netteté
de ses conceptions et l'ampleur de ses travaux. Il eut d'ailleurs des collaborateurs, la
plupart médecins, auxquels M. Thulié rend justice, parfois même sur un ton dithyram-
F« 412.] • ß • Ë • E • S • L1908.
bique : » le savant et universel Charles Letourneau, le philosophe de haute portée,
revolutionniste génial n. I/Ëcole d'anthropologie, fondée par souscdptions individuelles
de 1000 francs chacune, a depuis continué de vivre grâce à des subventions fournies par
rÉtat, la Seine et Paris. C'est donc un corps pi*esque autonome, et qui se recrute par
cooptation. Puis M. Th. donne un bref exposé de la situation actuelle de l'enseignement
des sciences anthropologiques à l'étranger et parle de leur application pratique au
développement de l'humanité. Un historique des chaires et une bibliographie étendue
des travaux publiés par chacun des professeurs de l'École, bibliographie d'une réelle
utilité, complètent ce volume bien présenté. A. v. G.
K. Weurhan. Die Sage ; Handbücher zur Volkskunde, T. I, iu-18, 162 pages, W. Heims,
Leipzig, 1908, S Mks. — La maison d'édition W. Heims commence avec ce volume la
publication d'une série de volumes destinés à servir en quelque sorte de manuels à la
fois aux spécialistes et au grand public. D'où la grande importance attribuée à la biblio-
graphie laquelle comprend dans la monographie de M. W. sur la légende, près de
1200 titres. M. W. s'occupe davantage de la légende allemande que de la légende en
général ; d'où par endroits une certaine simplification des théories, et une tendance
spéciale à surestimer la production légendaire allemande par rapport à celle des autres
pays. Notamment il n'est pas fait mention de l'influence des chansons de geste fran-
çaises, ni des résultats acquis ces dernières années par les savants anglais dans Tétude
des sagas et épopées du Moyen-Age. De même encore on notera que les résultats acquis
par Köhler et par Boite, puis par Kix)hn, Polivka et d'autres n'ont pas été utilisés en
vue d'une catégorisation des thèmes courants en Allemagne. Ceci dit, il reste que le
livre de M. W. fournit à quiconque désire savoir ce qu'est la légende et à quoi tient son
importance, de bons points de dépai*t ; on y trouvera des discussions, avec quelques
exemples bien choisis à l'appui sur : la notion de « légende » ; la morale dans les légen-
des ; la formation et les transformations des légendes ; leur transmission, leur i*enais-
sance périodique; leur relation avec le document historique, la mythologie et la
littérature, et leur contenu surnaturel et naturel (plantes et animaux). 11 y a après la
discussion de chaque point déterminé une bibliographie spéciale et à la fin d'un volume
des titres classés par provinces ; la partie étrangère est moins réussie ; elle est suivie
d'une liste des périodiques s'occupant spécialement de folk-loi'o. Les autres volumes
de la collection traiteront : du conte ; de la chanson populaire ; des coutumes ; des
jeux et chants enfantins, etc., afin que tous ceux qui seraient à même de s'intéresser
activement à la collection des documents folk-loriques se trouvent munis d'idées
générales et de méthode. A. v. G.
H. Ploss, Max Bartels et Paul Bartels, Bas Weib in der Natur-und Völkerkunde.
8°, 9« édition, 16 Livraison à 1 Mk, £0 et 2 livr. à 2 Mks. Th. Grieben, Leipzig. — La
première livraison de la 9« édition do cet ouvrage réputé vient de paraître. Il parut
d'abord en 1884, et Ploss, puis Max Bartels et enfin le fils de celui-ci, le D' Paul Bartels
ont sans cesse accumulé des matériaux de manière à maintenir l'ouvrage au courant
des découvertes et de la science. Je rappelle que la femme y est étudiée, d'abord au point
de vue physique et anthropologique, puis quant à sa situation sociale dans toutes les
civilisations. Il s'ensuit que ce livre est un traité de psychologie et de sociologie
sexuelles indispensable autant aux anthropologistes et aux ethnographes, qu'aux
médecins, aux folk-loristes, etc. Il va sans dire que le classement des faits ne va pas
sans prendre parti dans les discussions théoriques, et l'on notera que les auteurs ont eu
soin de fournir les documents non pas seulement en faveur de leurs propres opinions,
mais également ceux qui leur seraient contraires. A la fin du T. II se trouve une biblio-
graphie étendue, à laquelle la nouvelle édition ajoutera plus de 250 titres. Ici une critique
s'impose : dans un trop grand nombre de cas, on est renvoyé à un ouvrage sans indica-
tion de page ; je sais bien que depuis les dei'nières éditions, il a été remédié peu à peu à
cette lacune, et j'espère que dans la 9* le nombre des renvois exacts sera encore aug-
menté. On constate aussi une amélioration notable des illustrations (700 dans le texte
et XI pi. lithogr.), les bois étant peu à peu remplacés par des phototypies. Trop peu connu
en France, Dos M^eib mérite d'y être répandu davantage, ne serait-oe déijà que jiour
éviter des redites et fournir une base ferme à des recherches ultérieures, notanuuent
dans nos colonies. A. v. G.
1908«] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 413»
Bd. Chavannrs Note préliminaire sur les résultais archéologiques de la mission accom-
plie en 1907 dans la Chine du Nord. Extr. (17 p. et XIV pi.) des Comptea^Hendus de
l'Acad. des Inscr. et B. L., 1906.
Voyages archéologiques dans la Mandchourie et dans la Chine septentrionale^
Extrait (30 p. et 12 flg.) du Bull, du Comité de l'Asie française, 1908.
Les résultats du voyage archéologique accompli dans la Chine du Nord par M. Ch. en
1907 promettent, à en juger d'après les communications préliminaires citées ci-dessus,
d'être des plus importants pour l'histoire des rapports culturels entre l'Extrême-Orient et
l'Asie Centrale, l'Inde et l'antiquité classique. Déjà dans son travail sur La sculpture sur
pierre en Chine aux temps des deux dynasties Han, (Paris, 1893). M. Ch. avait mis au
jour des preuves indéniables d'influences extra-chinoises, dont l'une, les chevaux volants
(aux quatre jambes allongées) fut analysée en détail par M. Sal. Reinach (La représen-
tation du galop dans l'Art ancien et moderne, Revue Archéologique 1900 et 1901);
cette représentation du galop, courante dans Part mycénien, se retrouve ensuite en
Chine à partir du IP siècle de notre ère (cf. maintenant Noteprél,^ pi. XIII), s'implante
au Japon, et revient en Europe vers la fin du XVIIP siècle. D'autres éléments ornamen-
taux, notamment les grappes de fruits, ont été étudiés de près par M. Hirth, Chinese
metallic mirrors ; (cf. R. K. E. S. 1908, 1, p. 184-5).
Il est actuellement établi (sous benefice de découvertes nouvelles) que les plus ancien-
nes sculptures sur pierre chinoises datent du II« siècle de notre ère ; après la floraison de
l'art des Han, il y a eu une péiiode de deux cents ans (III et IV« s.) pour laquelle on n'a
aucun spécimen. Puis arrivent les sculptures bouddhiques, dont celles de Ta tong fou,
étudiées en détail par M. Ch., qui sont du V«, et essor prolongé jusqu'au VIII« s. par le
groupe de sculptures pariétales de liOngmen où se décèlent des réminiscences de l'art
hindou du Gandliàra, y compris des affinités gréco-romaines (cf. Voyage, p. 22, flg. 7 et
Note pi. IV un curieux personnage à casque ailé, armé du trident d une main et portant
peut-être un thyrse de l'autre, donc réunissant les attributs de Mercui-e, de Neptune et
de Bacchus). On voit dans ces mêmes grottes de Long-men, par contre, des représenta-
tions de génies Gardiens- des-Postes, qui ont une allure plus chinoise, par la brutalité de
leur modelé. Une influence sassanide se reconnaîtrait, d'après M. Ch. (Voyage, p 24,
flg. 9 et Note prél. pi. XIV) dans le cheval-dragon ailé de la sépulture de Wou San-sseu.
On notera enfin que l'art bouddhique s'est introduit en Chiné avec la dynastie des Wei
du Noi-d, originaire de Mandchourie et qui devait avoir des relations avec l'Asie Centrale.
On peut donc espérer, étant donné l'intérêt que portent de plus en plus les savants et
les institutions scientifiques à cette région, que bientôt la chaîne, dont quelques anneaux
seulement nous sont aujourd'hui connus, se trouvera restituée. A. v. G.
G. Ferrand, Les îles Râmny, Làmery, Wâhwâk, Komor des géographes arabes et
Madagascar. Extrait (138 pa^es) du Journal Asiatique, nov.-déc, 1907. — Avec une
louable persévérance, M. F. élucide peu à peu les nombreux points obscurs du peuple-
ment de Madagascar. Ses études philologiques l'avaient conduit déjà à reconnaître
dans le malgache moderne une influence sanskrite et ses recherches de géographie
ancienne à reporter dans les îles de la Sonde le lieu de déi)art do la grande immigration
qui vint lecouvrir un fonds nègre, probablement bantou. Dans le présent mémoire il
arrive aux conclusions suivantes. Hamini et sa sœur Kaminia, le chef légendaire de
l'immigration, est originaire de Ramny, nom arabe de Sumatra, origine qu'indiquent ces
deux noms (le Sumatrais et la Sumatraise). La dénomination îles Wakwak s'appliquait
d'une pai't au Japon, de l'autre à une région de l'Afrique du sud, où M. Ferrand pense
voir le Sofala ; et il rappelle à ce sujet l'existence à Madagascar d'une population bantoue,
les Makua, et de l'autre celle d'un mot malgache analogue vahwaka, ayant le sens de
peuple, tribu, royaume ; la conjecture Wakwak = Sud-Madagascar est renforcée par
l'identification de l'arbre merveilleux dont les fruits ressemblent à une tête de mort et
dit wakwak avec le pandanus, appelé vakwa en malgache. De même Komr désigne
tantôt le pays Khmer, c'est-à-dire le Cambodge, tantôt les Montagnes de la Lune
tantôt l'Ile de la Lune, c'est-à-dire Madagascar, mais non les (3oraores, qui portent
chacune un nom spécial, notre dénomination globale n'étant pas employée par les
indigènes. Il faut voir probablement là un cas de transposition, le nom de Komr ayant
cessé de s'appliquer à Madagascar pour l'être à la Grande Comore, vers le XVII« siècle.
A. V. G.
p. 414]
R
E
E
1908.]
SOMMAIRES DES REVUES.
Bulletins et MAmoirrs db la Socibté d*An-
THROPOLOom DB Paru. 1907, n^ 5-6.
Ch. Lejeane, Superttitiom.
Bonifacy, Le laquage dss dents en noir
chez Um Annamite*,
Cb. Crevost, Le laquage des dents ches les
Annamites,
Renô Dussaud, Questions de chronologie
minoenne.
F. Delisle, Sur un crâne de la Grande
Comore,
M. Baudouin, La chaire à escalier de la
Roche ar-Lin^ à St. May eux.
J. Jarricot, Sur les variations saisonnières
du nombre des conceptions à Lyon,
Fr. de Zeltner, Troglodytes Sahariens,
Bonifacy, De Vantiquité du fer citez les
Chinois et les Préchinois.
R. H. Mathews, Sociologie de la tribu des
Chingalee.
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lithique de MontignyEsbly,
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(fin)
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Fr. Van Ortroy, Manrèse et les origines de
la Compagnie de Jésus,
Bulletin de publications hagiographiques.
Publications récentes.
Bibliotbeca Vallicellana (suite).
Globus, t. XCIII.
— No 14, 9 avril.
Schell, Land und Leute im Eickengrunde,
Koch-Gmnberfir, Ja^ und Waffen bei dm
Indianern Nordu)est-Brasiliens (fin).
Bücherschau. Kleine Nachrichten.
— N° 15. 16 avril.
Von Reitgenstein, Längs der Ostgrcii e
von Kamerun,
Schell, Land und Leute im Hichengrunde^
(fin).
BQcherschau. Kleine Nachrichten.
— No 16, 23 avril.
Wagner, Das Nuorese,
Krämer, Vuvtdu und Atua (Maty und
Durom Insel).
Andrée, 8. George und die Parilien, —
Boris Gleb,
BQcherschau. Kleine Nachrichten.
— N« 17, 30 avril.
Wagner, Das Nuorese (fin).
Struck, Eine vergleichende Grammatik
der Bantuspraclien.
Btlcherachau. Kleine Nachrichten.
— No 18, 7 mai.
Goldsiher, Alois MusiU ethnologische Stw
dieti in Arabia Petraea.
Karasek, Tabakspfeifen und Rauchen bei
den Waschambaa.
LAf^ch. Das Fortleben geschichtlirh^
Ereignisse in der Tradition der Natinr-
Völker,
BQcherschau, Kleine Nachrichten.
— No 19, 21 mai.
Nordenskiöld, Südamerikanische RomcK-
pfeifen.
Gutmann, Fluch und Segnen im. Munde
dei" Wadschagga,
Koch-Grünberg, Bemerkungen su der
Forschungsreise des D' H, Rice in Bra-
silien,
1908]
SOMMAIRES DES REVUES.
[P. 415.
K. Andrée, Der chinesische Küchengott.
Buch erse h au. Kleine Nachrichten.
— N» 20. 28 mai.
Koblhrugge, Rote Haare und deren Bedeu-
tung.
BQcherschau. Kleine Nachrichten.
— N°21, 4 juin.
Kohlbrugge, Rote Haare und deren Bedeu-
tung (fin).
B neberschau. Kleine Nachrichten.
— N''22, 11 juin.
Schwalbe. Kohlbrugge und die morpholo-
gische Abstammung des Menschen,
Zur Anthropologie Schottlands.
Sinj^or, Afrikafonds und Tätigkeit der
Landeskundlichen Kommission für die
deutschen Schutzgebiete,
Bucherschau. Kleine Nachrichten.
— N«23, 18 juin.
Krauss. Hausgeräte der deutsch-ostafrika-
nischen Küstenneger.
Pasäarge, Beobachtungs- und Literaturgeo-
graphie.
BQcherschau. Kleine Nachrichten.
— No 24. 25 juin.
Goldstein, Viehtesaurierung in Haussaful-
hien und in Adamaua.
von Königswtfld. Die Cayuds,
Bücberscbau. Kleine Nachrichten.
American Anthropologist, X, n« 2.
O. T. Mason, Mind and matter in culture.
C. Wi ssler. Ethnographical problems of
the Missouri-Saskatchewan area,
R. B. Dixon, Notes on the Achomawi and
Atsugewi Indians of Northern California,
O. T. Emmons, Peiroglyphs in S. E, A laska,
H. R. Kroeber, Pima tales.
A. W. Nonh, The na'ive tribes of lower
CaHfomia,
D. I Bushell, An early account ofDighton
Rock.
W. K. Moorehead, Ruins at A s tec and on
the Rio La Plata, New Mexico,
W. H. Holmes, The tomahawk.
W. R. Gerard, The term tomahawk,
R. H. Mathews, Sociology of the Chingalee
tribe^ Northern Australia,
Analyses : Emmons , Chilkat Blanket
(0. T. Mason) ; Nova Guinea (A. F.
Chamberlain).
Periodical Literature (analyses des princi-
paux articles) par A. F. Chamberlain.
Foreign Notes. — Miscellanea.
The Journal of American Folr-Lorb.
N« LXXX, Janvier-Mars 1908.
R. B. Dixon, .Some aspects oftTie american
Shaman,
H. J. Spinden, Mytfis of the Nea-Percé
Indians,
R. H. Lewie. Catch-words for mythologi-
cal motives,
A. M. Tozzer, A note on starlore among
the Natajos,
A. Wright, An athabascan tradition f)rom
Alaska,
Notes in California Folk-Lore,
V. Stéfânson, Notes on the Theory and
treatment of diseases among the Macken-
sie River Eskimo.
C. K. B»yll-«R. Philippine Folk-Tales.
G. L. KittredfiTP, Two popular ballads.
Ph. Barry, King John and the Bishop.
VV. G. Bek, Surcicals of old marriage cus-
toms among the low Germans of West
Missouri.
Ch. B. Wilson, Notes on folk-medicine.
Not<*s and queries. — Reviews.
Record of american folk-lore (A. F. Cham-
berlain).
Record of european folk-lore in America
Journal db la Société des Américanistbs de
Paris. T. IV. n« 2, 1907.
E. Nordenskiöld, Recettes magiques et
médicales du Pérou,
J. Hébert, Survivances décoratives au
Brésil.
G. de la Rosa, Découverte de trois ouvrages
de Blas Valera.
R. Verneau, Les collections anthropolo-
giques du D»" Rivet.
Variétés. — Bulletin critique. — Mélanges.
Boletim da Sociedadb de Gbographia de Lis-
boa. XXVII, 1908, n« 1-4.
Aag. Bastes, Traços geraes da ethnogra-
phia de Benguella,
Bulletin de la Société Belge de Géographie,
XXU (1908) no 2.
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L* Demuenynck, Les pygmées du Haut
Ituri.
The Geographical Journal. T. XXXI, 1908,
n® 5,. mai.
h. Gomme. The story of London maps,
A. Stein, Central' Asian Expedition.
Bibliographie : A. Ireland. J%e province of
Burma, — Cromer, Modern Egypt, —
Mac Call Theal, History and Ethnogra-
phy of Africa south of the Zambesi, —
G. Loth, La Tunisie,
— No 6. Juin.
Th. Lewis, The old Kingdom of Kongo.
L. Gomme, The story of London map9(8uite).
— T. XXXn, n» 1, Juillet.
L^ Ë. A. Sceel, Exploration in Southern
Nigeria,
Analyses : Parkinson, Dreissig Jahre im
der Südsee (A. C. H.)
The Scottish Geographical Magazine.
T. XXIV, 1908, no 5, Mai et n« 6, Juin.
V. Dingelstedt, The republic and canton of
Geneva, a demographical study
— No 7.
R. Brown, Earth and the man.
— No 8.
J. Kelman, The topography, history and
economics of Jerusalem,
(An.) Distribution of plants in Chile,
(An) The Anghera Kabyles (CR. d'un ar-
ticle de R. Ruiz dans le Bulletin de la
Société de Géographie de Madrid).
p. 416.] • R • E • E • S • [1908.
CHRONIQUE.
Die BäsilerstliliiBg. — Der am 31. Mäi'z 1907 verstorbene (reheimo Hofrat, Professor
Dr. Arthur Bäszler zu Kberswalde hat laut einer letzwilligen Bestimmung den Königlichen
Museen in Berlin eine Reihe ebenso hochherziger als für die Museen bedeutungsvoller
Zuwendungen gemacht, die nunmehr die landesherrliche Genehmigung gefunden haben udl
dui*ch den Testamentsvollstrecker, Stadtrat Hermann Bäszler zu Glauchau der Genei-alver-
w^altung überwiesen worden sind. Zunächst ist ein Kapital von 1 250 000 M. für eine beim
Königlichen Museum fur Völkerkunde zu errichtende, mit dem Namen « Bäszlerinstitt'i -
zu bezeichnende Stiftung bestimmt, die durch ein besonderes, vom Minister der geistlicheo.
Unterrichts- und Medizinalangelegenheiten im Einvernehmen mit dem Generaldirektor der
Königlichen Museen zu bestellendes Kuratorium verwaltet werden soll.
Das Bäszlerinstitut hat folgende Zwecke zu umfassen, zu denen jedoch nur die Zinsen
des Kapitals Verwendung linden dürfen ; a) Es soll eine Bibliothek — die Bäszlerbibliotheh
— zur Föi-derung ethnographiser und ethnologischer Forschungen errichtet weixien, in dei
auch die vom Erblasser dem Museum zugewendete Bücher- und photographische Sammlung
aufzustellen ist. Die Räume dafür sind in den für das Museum für Völkenkunde geplanten
Neubauten bereitzustellen und mit der Bezeichnung « Bäszlerkibliothek « zu rei-selien.
bi Es ist eine Zeitschrift zur Veröffentlichung ethnographischer und ethnologischer For-
schungen unter der Bezeichnung * Bäszlerarchiv » herauszugeben mit der die bisherigen
Vei'öfTentlichungen des Museums für Völkerkunde zu vereinigen sind, c) Es sollen Expe^Ii-
tionen zur Förderung ethnographischer und ethnologischer Zwecke einschlieszlich dei
Anlegung von Sammlungen für das Museum für Völkerkunde ausgesandt werden.
Neben dieser groszartigen Zuwendung erhält die vom Erblasser am 6. Mai 1903 für <î t>
Königliche Museum für Völkerkunde begründete Arthur Bäszler-Stiftung 150 OO) M., sj
dasz sich ihr Kapital auf 250 000 M. erhöht. Diese Stiftung hat den ausschlieschlichen Zweck.
aus ihren Zinsen in selbständigen ICxpeditionen ethnologisch vorgebildete Reisende nach
Gegenden zu senden, in denen für die Völkerkunde wünschenswerte Sammlungen gemacht
werden können und die Ergebnisse dieser Reisen zu verarbeiten und zu veröffentlichen.
Die Verwaltung geschieht durch die Generalverwaltung der Königlichen Museen, die
Bestimmung über die Verwendung durch die vereinigten Sachverständigenkommissionen
der ethnologischen Abteilungen des Museums für Völkerkunde. Endlich wird das Museum
für Völkerkunde noch 10 000 M. erhalten zur würdigen Aufstellung der hervorragenden
peruanischen Sammlung, die der Erblasser früher dem Museum für Völkerkunde geschenkt
hat. Durch diese auszerordent liehen Zuwendungen werden die ethnologischen Abieilunuen
des Museums für Völkerkunde in den Stand gesetzt, ihre Ziele in weit wirkungsvollerer
und umfassenderer Art zu verfolgen und so zugleich die Erwartungen des Erblassers zu
erfüllen, der die schon zu seinen Lebzeiten betätigte Liebe zur Völkerkunde in so weit^[^^•
hendem Masze in die Tat umgesetzt hat.
(Deutscher Reichsanzeiger, 1908.)
Le Gérant : Paul Geüthnbb.
BEVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
Mo- 9-10 s SOMMAIRE
Pages
A. Bel : La population musulmane de Tlemcen ..... 417
M. Dblafosse : Le peuple Siéna ou Sénoufou 448
Analyses : H. Lbssiiiann, Aufgaben und Ziele der verglei-
chenden Mythenforackunç (A. van Gennep) ; R. Par-
kinson, Dreissig Jahre tn der S&dsee; Land und
Leute, Sitten und Gebräuche in Bismarck-Archipel
und auf den deutschen Salomoinseln ; — E. Stephan
et Fr. GRiGBNER, Neu-Mecklenburg (Bismarck-Archi-
pel). Die Küste von ümuddübis Kap St-George; —
P. A. KLEiNTTrsOTKN, Die Küstenbewohner der
Gazelleha Winsele ihre Sitten und Gebrauche ( A. van
Gennbp; — W. H. S. Jones : Malaria, a neglected
factor in the history of Greece and Rome ( A.-J. Rbi-
NACH); F. H. Wbissbach, Beiträge zur Kunde des
Irak-Arabischen (Gl. Huart) ; Ionaz Bernstein,
Jüdische Sjprichwörter und Redensarten (Rene
BA8t,BT) 458'
Notices bibliographiques ' 469
Publications nouvelles reçues au bureau de la Revue . . .475
Sommaires des Revues , 475
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RUE MAZARINE, 68
Septembre-Octobre 1908
EXTRAIT DU PROGRAMME
de la Remte des Etudes Ethnographiques et Soàiologiques
Intematioiiale, M aiuioélle
Par sociologie, nous entendoos l'étude de la Tie en société des bommes de tous
les temps et de tous les pays ; par ethnographie, plus spécialement la description
de leur civilisation matérielle. Le champ de la Revue est donc vaste. L^on y
admettra également des travaux sur Tarchéologie, le droit comparé, la science
des relisions, l'histoire de l'art, etc., et Ton y fera appel aux branches spéciales
comme régyptologie, rassyriologîe, Torientalisme, etc. L'anthropologie proprement
dite, ou étude anatomique des variétés humaines, ne rentrera dans notre cadre que
diuia la mesure où elle permet de définir le rapport qui pourrait exister entre des
races déteimin/èes et leurs civilisations ; il en sera de même pour la linguistique,
dans la mesure où elle permet de déterminer révolution des institutions et des
idées. Il se dessine d'ailleurs, ces temps derniers, uoe direction nouvelle en linguis-
tique à laquelle la Revue des Études Ethnograpbiques et Sooiologiqoes
compte collaboier efiectivement.
La langue de la Revue sera de préférence le français ; mais Fanglais, Talle-
mand et IHtalien y seront également admis.
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres,
Clamart, prèi^ Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements à M. Paul Geuthner, libraire-éditeur, 68, Bue Mazarine, Paris TVI*), au
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Sociologiques.
Abonnement : France : 20 fr. — Etranger : 22 /r. — Années écoulées 30 fr.
H« 2 : Février 1908 : Andrew Lako : Exogamy. — Maurice Delafobsb : Le peuple Siéna (hi
Sénoufo (suite). - Gabriel Ferrand : Note sur le calendiiec malgache et le Fandniana.
— Analyses : R. von Lichtenbero, Beiträge zur ältesten Geschichte von Kypros (A. J.
Reinach) ; K. Dussaud, Vile de Chypre particulièrement aux âges du cuivre et du
bronze (id.); E. Pechuël-Loeschb, Volkskunde von Loango (A. v. G.) ; Fr. S. Kraubs,
Das Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; G. Frœdbrici, Die Schiffahrt der Indianer (id.).
— Notices bibliographiques (G. Mondon-Vidailhet, A. J. Reinach, A. v. G.). • Sommai-
res des Revues.
No 8 : Mar« 1908 : A. van Gennep : Une nouvelle écriture nègre ; sa portée théorique. —
Gaudefroy-Lemombtnes : Rites, métiers, noms d'agent et noms de métier en arabe. —
A. W'erner : Some notes on the Bushman race. — Maurice Delafossb : Le peuple Siéna
ou Sénoufo (suite). ^ Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fan-
dniana (suite). — Analyses : Huntington, The Puise of Asia (A. v. G.) ; Fynn, The
American Indian as a product of environment (id.) ; Faitlovitch, Proverbes abyssins
(R. Basset) ; Galtier, Coptica-arabica, /(id.) ; Burrows, The Discoveries in Crete et
Mosso, Escursioni nel Mediterraneo (A. J. Rbinagh). — Notices bibliographiques
(M. DELAFOfcSE, G. Ferrand. A. v. G, Ch. Monteil). — Sommaires des Revues. —
Chronique.
No« 4-6 : Avril-Mal : W.-E. Roth : Cratch- Cmdle in British Guiana, avec 24 figures. — A. Bel :
La population musulmane de Tlemcen, avec planches.— G. Ferrand : Le calendrier Mal*
g acné et le Fandruana (fin). — M. Delafosse : Le peuple Siéna ou Sénoufo (suite). —
ommunicatioDS : A. van Gennep, Vers VEncyclopœdta ethnographica, — Ferrand, Le
destin des quatre éléments dans la magie malgache. — Demombynes, Linguistique et
Sociologie. — Analyses : Hirzkl. Themis, Dikê und Verwandtes {P, Huvbun;.— Watson,
Philosophical basis of reiigion (O. d'Alviella). — Petrazycki, Motive des Bandeins
(P. HuvELiN). — Hildebrandt, Recht und Sitte (A. v. G.). — Boas, Anthropology (id.). —
FiNCK, i>prache der armenischen Zigeuner (A. Meillet). — Giron, Legendes coûtes
(R. Basset). — Lagrange, La Crète ancienne (A. J. Rbinach). — Notices bibliograr
phiques (H. Basset, H. Beuchat, M. Delafosse, A. v. G., P. Huvelin, A. Mbillbt, A J.
KEiNACH» Th. Smolensri). — Sommaires des Revues. — Chronique.
N«" 6-7 : Juin-Julilet : F. Gaud : Organisation politique des Mandlja (Congo). — A. yÂm Gbnnep :
Linguistique et sociologie. Il, Essai d'une théorie des langues spéciales. — A.>J. Rkinach :
La lutte de .lahvé avec Jacob et avec Moïse et l'origine de la circoncision. * Analyses:
A. LoisT, Les Evangiles synoptiques (V. £ruoni). — G.-A. Reisner, The Early dynastie
cemeteries of Naga-ed-Dér (A.-J. Reinach). — Notices bibliographiques : (G. Cœdés,
A. V. G., M. Delafosse, a.-J. Reinach, Th. Smolbnski). — Sommaires des Revues.
No 8 : Aoftt : Hichard Gottheil : The Cadi : The history of this institution. — Hbrmakn
Beter : Die Naturgrundlage des Mexikanischen Gottes Xiuhteculi. — N. Pantoussoff :
Le temple chiDois « Bei-iun-djuan » dans la passe d'Ak-Su, province d'il!. ^ Analyses :
W. 0. K. Oestekley, The Evolution of Messianic (Goblet d^viblla). — Alois Mustt.
Arabia Petraca (Hené Dussaud). — J. Bédier, Les Légendes épiques; recherches sur
la formation des chansons de geste (G. Hubt). — Notices bibliographiques (A. y. Q). —
Sonmiaires des Revues.
1908«] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 417«
LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN
par A. Bel (Tlemccn>.
III.
La vie matérielle.
La population musulmane de Tlemcen qui est plus active que celle des cam-
pagnes est aussi en général plus aisée et peut jouir par conséquent de plus de
confort. D'ailleurs Tlemcen, comme toute ville de quelque importance, offre des
ressources nombreuses que n'a pas Tindigène des campagnes : la viande de
boucherie, les légumes, le poisson de mer, les fruits sont des denrées que Ton trouve
abondamment et à des prix qui les rendent accessibles à tous ; les tissus, les étoffes,
les vêtements indigènes de toute qualité sont fabriqués ou vendus à Tlemcen ; les
maisons arabes bien que souvent encore peu en rapport avec les exigences d'une
hygiène bien comprise, offrent un abri meilleur que la tente ou le gourbi des
ruraux ; Torganisation d'hôpitaux, d'une infirmerie indigène, de services d'assistance
et d'hygiène publiques sont des avantages dont bénéficie l'indigène de la ville et
dont est d'ordinaire privé l'habitant des campagnes.
Ces causes générales ont leur répercussion sur les détails de la vie matérielle
du TIemcenien ; elles ont pour principal résultat de lui procurer une existeoce plus
facile, sinon plus libre, que celle du sédentaire des campagnes ou du nomade et
demi-nomade du reste de l'Algérie.
a). Alimentation. Les TIemceniens mangent beaucoup de légumes préparés
avec ou sans viande. Le mouton est la viande préférée ici comme à la campagne ;
on mange aussi de la chèvre et du bouc, rarement du bœuf, jamais de porc, dont
la chair est prohibée par l'Islam comme par la loi mosaïque. Si les ruraux mangent
assez souvent du gibier, parce qu'ils chassent, les indigènes des villes n'en con-
somment que rarement, car il faut qu'il soit tué par un musulman. La volaille
(poules et pigeons surtout), les œufs, le poisson entrent aussi pour une grande part
dans l'alimentation du TIemcenien.
Ici comme à la campagne, le plat de prédilection est le kouskous que les
Arabes appellent t^âm « nourriture (par excellence) » ; c'est de la farine de blé
dur roulée à la main en très fines boulettes, cuite à la vapeur et arrosée, au
moment de servir, avec un bouillon de mouton ou de volaille et de légumes. Le
kouskous est d'ordinaire fortement épicé (piment, poivre et sel, canelle pilée,
safran). La viande qui a servi à faire le bouillon se mange avec le kouskous.
On appelle seffa le kouskous préparé sans bouillon, mais avec du beurre, du
sucre ou du miel et auquel on a mélangé des raisins secs, des amandes, des dattes
et des œufs durs. La seffa se mange le plus souvent avec une pièce de viande rôtie
-à la casserole.
La dchîcha est une sorte de kouskous à la farine d'orge. La farine d'orge
roulée et cuite à la vapeur est versée dans un plat en bois, puis mélangée avec du
beurre et arrosée soit avec du bouillon de bekboûka^^ soit avec du bouillon de gellîp.
^ La bdkboûka est un estomac de mouton farci d'un hachis de poumoDs de mouton fortement
4is8aisonné.
' Le zelllf (berbôre azéllif^ chez les ruraux bou lelloûf) est la tête de mouton dans sa peau.
p. 418.1 • R • E • E • S • [1908>
Le dchich èMjâri est un potage à la farine d'orge et aux légumes ; le tont
cuit à Thuile et assaisonoé comme le ^^km et a?ec du thym (prononcé çAihtser à
Tlemcen).
En roulant comme pour le kouskous, des boulettes de farine d'orge, de k
grosseur d'un pois, en faisant cuire ces boulettes à la vapeur, puis en tes mélan-
geant avec du beurre, sans bouillon, on obtient le belbaûl.
Le berhoûkes se prépare avec de la farine de blé dur roulée comme pour le
belboûl et jetée dans la marmite où cuisent de la viande et des légumes de saison.
La méhamça est une pâte de semoule préparée à Thuile ou ali beurre, puis
roulée en petits morceaux semblables à de très petits vers. On la prépare comme
le berkoûkè^ ou comme le t^äm.
Les fdêouch^ sont de longs rubans de pâte comme du vermicelle, on les prépare
comme la mehamça, ou bien on les fait cuire simplement avec du lait et du beurre.
Le premier jour de la fête d'Aïdç çr'ir les Tlemceniens ne mangent que des fdèouch
au lait et des gâteaux.
Il y a aussi diverses variétés de tâdjîn (grec TTjyavov et Tayijvov) qui sont des
mets auxquels on a donné le nom de la marmite en terre, dans laquelle on les pré-
pare. Ce sont des ragouts, des plats de viande aux légumes ou aux fruits^. Le
tâdjîn él'tnhamfner est un rôti à la casserole ; une grosse pièce de viande cuite au
four du boulanger se nomme tâdjîn maqla; les hbéb sont des brochettes de boulettes
de viande hachée et très assaisonnée, cuites sur la braise. On ne fait pas à Tlem-
cen le mouton rôti à la perche (mchouî^ mçauxmer^ gâchoûch) qui est le mets clas-
sique du festin chez les ruraux.
On prépare aussi à Tlemcen un plat marocain, la iandjtya^ qui est une sorte
de daube de mouton aux châtaignes, cuite au four.
Pour l'En-Naïr les Tlemceniens ont deux plats spéciaux, le cherchem et le
timdechchech ; le premier se prépare avec du blé en grains, des fèves et haricots
secs et des pois chiches, cuits ensemble à Teau et sans sel ; on retire Teau au
moment de servir et l'on sert les légumes que Ton sale au moment de manger. Le
timdechchech est de la farine de maïs cuite à l'eau et mélangée avec de l'huile au
moment de servir.
Le poisson se mange à Tlemcen, surtout l'hiver, frit ou cuit en sauce à l'huile
avec des légumes frais et quelquefois des œufs.
La boisson ordinaire des Tlemceniens est l'eau pendant les repas^ ; il en est
qui boivent aussi du lait frais et surtout du lait aigre. C'est surtout au printemps
et en été que l'on fait une grande consommation de petit-lait que les indigènes de
la montagne apportent dans des outres en peau de bouc et vendent à très bas prix
daos les fondouks. Après les repas et en dehors des heures de repas, le Tlemcenien
boit beaucoup de café et de thé parfumé à la menthe ou à la verveine. Le café, le
thé et le lait sont d'ailleurs les seules boissons, avec l'eau, que l'on sert dans les
cafés maures ; en été seulement on y sert de la citronnade. A Tlemcen,comme dans
les autres villes d'Algérie, il y a des musulmans qui se sont mis à boire des liqueurs
fermentées et surtout de l'absinthe ; mais ils sont ici en très petit nombre et sont
mal vus de la population.
^ Sur les principales varietes de tâdjîn^ voir ma note dans la LjàJtya (Joum. asiat.^ sept.-oct.
1902, p. 192-193).
* A table l'usage est de mettre Teau dans un vase [petit seau en boii (qohtba) ou grand bol
(r'orfya)] dans lequel boit chaque convive à tour de rôle ; car on ne donne pas de verres.
190B.] 3EL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 419.
A part quelques boulaogers iûdigèaes qui veodcat du paiu arabe sur lea places
-du quartier de» Hadar, il est d'usage, dans chaque famille, de faire tous les jours le
paiu nécessairf à la consommatioa du ménage. Les pains arabes sont des galettes
plates de dimension variable que Ton fait cuire dans le four du quartier. Pour
reconnaître sop pain parmi les galettes cuites dans une même fournée, chacun y
fait une marque spéciale, d'ordinaire en y imprimant avec le doigt plusieurs trous
formant une certaine figure. On mange à Tlemcen généralement du pain de blé,
mais aussi du pain d'orge.
Les Tlemceniennes savent faire de bonnes pâtisseries. Dans toutes les familles
les pâtisseries se font à l'occasion des grandes fêtes.
Pour r^tchoûra et TAïd el-Kebir on ne fait guère que des mchehedf sorte de.
gâteaux feuilletés préparés avec de la farine de blé dur, du beurre et du sel, frits
dans l'huile 0t trempés dans le miel.
Pour le Moàled on fait du fanîd avec de la farine de blé tendre, du caramel,
<le l'huile et de la cire d'abeilles que l'on pétrit après une légère cuisson et que l'on
façonne en forme de candélabres, de vases, de selles arabes, etc...^ ; on fait aussi
des isrîd sortes de crêpes extrêmement fines que Ton fait cuire sur le dos d'une
marmite (ts^rreda) chauffée. Les tsrîd se mangent avec le jus d'une poule rôtie à la
<^sserole.
Pour l'En-Naïr, les gâteaux que l'on prépare sont les sfendj^ espèces de
-beignets qui se mangent avec du miel, et les gorîça ou petits pains de blé surmontés
d'œufs durs et quelquefois de fruits secs (amandes, noix, arachides).
C'est surtout pour 1" Aïdç-çrîr que les Tlemceniennes préparent des pâtisseries
variées ; on citera parmi les principales : les ka^h, petites couronnes de pâte cuites
au four et parfumées avec des graines d'anis et de l'eau de fleur d'oranger ; les
rWihiya en forme de petits cônes frits à l'huile et parfumés à l'eau de rose ou de
fleur d'oranger ; les àlàlïbiya ou cornets de pâte remplis de miel et frits à l'huile ;
les Ic^ab r^zèl « genou de gazelle » sont de très petits pâtés dans lesquels la farce
est composée d'un mélange de poivre, de dattes, d'amandes, le tout pilé ensemble
et pétri avec du beurre et de l'eau de fleur d'oranger ; les meqroûts pâtés farcis
comme les précédents, mais plus grossiers et en forme losanges de 10 centimètres
de côté environ ; les çamçâ sont des gâteaux de même genre mais plus petits ; les
qnidlêts sont des godets en pâte remplis de la farce des k'ab r'zèl ; les grïauech
sont des beignets plats que l'on trempe dans le miel pour les manger.
Il y a à Tlemcen plusieurs restaurants indigènes (musulmans ou juifs). Mais
les poissons frits, les beignets huileux, les grillades noirâtres et le kouskous qui
sont à l'étalage n'ont rien de bien appétissant ; l'odeur d'huile et de graisse brûlée
qui s'échappe de l'intérieur, noirci par la fumée, ne plait pas à tous les odorats.
Les pensionnaires habituels de ces gargotes sont des étudiants, des ouvriers, des
journaliers, des paysans venus à la ville. Les musulmans accoutumés à un certain,
confort, quand ils sont de passage à Tlemcen descendent en général chez des amis
ou des parents, ou bien dans les hôtels français. Les Tlcmceniens savent offrir à.
leurs hôtes une très large hospitalité.
A Tlemcen, comme au Maroc, beaucoup de musulmans de la classe aisée, les
lettrés surtout, s'interdisent l'usage du tabac à fumer (il en est beaucoup qui prisentr
•du tabac parfumé à la rose, à la lavande...) Cette habitude locale, due en partie à
1 Sur cette pâtisserie, voyez W. Marçais, Le dialecte arabe.,.^ p. 277. Il n'y a qu'un petit
nombre de familles Uemceniennes qui sachent faire le fanîd*
p. 420.] • R • E • E • S • [1908.
riofluence de certaines confréries religieuses, celle des Derqâoua notamment, est
presque élevée ici au rang d^une prescription religieuse. Au reste, les fils de bonnes
familles fument en cachette des autres musulmans ; mais il est presque interdit à
un jeune homme de fumer en présence d^un vieillard, à un fils devant son père ou
ses parents plus âgés que lui. GW là une marque de respect que bien peu de
musulmans négligent. On fume encore, dans les cafés maures, le narguilé (chicha)
et la population musulmane compte également quelques fumeurs de kîf (cannabis
indien), qui se procurent ainsi une manière d'ivresse erotique. Il va sans dire que
pendant toute la durée du mois de jeûne {ramadan) y il est interdit par la loi
musulmane de fumer pendant le jour ; le musulman qui enfreindrait publiquement
cette règle serait certainement maltraité par ses coreligionnaires tlemceniens.
b) Yètements et parures^. — Au point de vue du costume et des bijoux, le
tlemcenien se distingue encore des ruraux. Ici le musulman redoute le froid ; il se
couvre beaucoup en hiver et même en été ; il ne change guère son linge de corps
qu'au bain maure, tant il craint d'être « frappé par le froid » selon l'expression
courante.
Les hommes de la classe aisée portent d'ordinaire, en hiver, un premier 6«^-
nous en drap bleu-sombre, plus rarement, le lourd burnous de laine noire ou brune
(khîdoûs et sfor'dâni), et au dessous un ou deux burnous en laine blanche. En été
ils suppriment le premier burnous et ne gardent qu'un léger burnous blanc. Le
burnous de dessus est souvent remplacé par une jellâba de drap ou de laine et
l'un des burnous de dessous est remplacé parfois par le Jkaik ou hsà qui est une
longue pièce d'étoffe sans couture dans laquelle on s'enveloppe le corps et la tète-.
Souvent même le musulman porte deux haîks, l'un de dessous est en soie, Tautre
de dessus, en laine, remplace le burnous (fig. 1 7).
Au dessous, le tlemcenien porte la qechchâba qui est une longue chemise de
coton, sans manche et serrée sur la poitrine avec un cordon (on l'appelle ^abatya
lorsqu'elle est en soie) ; une veste de drap ou de toile {r'lîla\ un ou deux gilets
{maqfoula pi. inqâfel)^ une chemise de coton (qmedjay^ un tricot, uoe large culotte
(çrâouî) descendant au dessous du genou et serré à la ceinture par un cordon
(isékka), un caleçon en coton de même forme que la culotte, des chaussettes et des
souliers découverts (çobhâtj pi. çbâbot) ou des pantoufles sans talon {J)elr*a^ bJAri)
en été. La culotte est nouée sur les gilets et la tsekka est généralement dissimulée
sous une ceinture en soie ou en laine de couleur (hogâm) ou une ceinture de cuir
(hazzâma). Sur la tête, les uns — les jeunes surtout et beaucoup de kouloiigiis —
portent la châchîya ordinaire avec gland noir ou sans gland ; d'autres enroulent
un turban autour de la châchîya. Souvent sous la châchiya on pone une petite
calotte blanche (arraqïya) et quelquefois par dessus Tarraqîya une grosse coiffure
blanche, dure et volumineuse (qolah) sur laquelle on met une châchîya spéciale.
^ M. Mohammed ben Mostefa d'Alger, vient de faire paraître chex Fontana, une brochure de
102 pages intitulée v»W^^^ y u^W^^ y ^)^^ f»^^^ ^^ v>^^^ Q^i traite de la parure, du vêtement,
de la manière de se voiler, au regard de rislâm orthodoxe. L*auteur do Lobàb fixe la rè^e»
d'à pros le Coran et la tradition ; quand il n'y a pas de rôgle, il essaie de dégager une opinion sur
la conduite & suivre par les musulmans, d'après les dires de savants réputés ; il fait aussi — mais
rarement — de courtes observations sur les usages actuels, chez les musulmans modernes.
^ On lira une très intéressante étude sur le port du haîk, son histoire, la manière de s'en véCir
au Maroc et À Tlemcen, avec des photographies, ap. £. Doutté, Merrahech faac I, p. 248 à 262.
® Il y a déjà quelques musulipans ici, surtout des jeunes, qui portent la chemise, la veste et le
gilet européens.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P, 421.
Oette dernière coiffure est généralement recouverte d'un turban Çamâma) ou du
haïk, ou encore d'une pièce de coton appelée chêch (le kambcmch des Bédouins)
qui retombe sur les épaules sous les gilets ; le chôch et le haïk sont parfois fixés
^ur la châchiya par un turban ou par une longue corde en poil de chameau (kheît)
qui fait plusieurs fois le tour de la tète.
Dans la classe ouvrière, les hommes portent en général la jellâba marocaine
en laine, ou la jellâba fabriquée à Tlemcen, qui coûte moins cher ; au dessous.
Us n'ont guère qu'un ou deux gilets, une chemise et un pantalon brun ou noir en
laine grossière tissée à Tlemcen. Quelques uns au lieu de la jellâba portent un
jiardessus court, avec manches longues et capuchon nommé kabbaût. Les ouvriers
mettent presque tous le chêch ou le haïk avec la corde de poil de chameau
entourant la tête.
La femme musulmane pour sortir est entièrement cachée du haut de la tête
aux talons sous une large bande d'étoffe de laine fine, sans couture, le ksâ ou haïk
r^erbi analogue à celui des hommes, mais qui recouvre entièrement le visage, dont
on ne doit entrevoir qu'un œil^ (fig. 14).
Sous le haïk, la femme porte une châchiya conique, qu'elle doit poser bien
droite sur la tête si elle ne veut pas passer pour une dépravée. Cette châchiya est
^Ile-même recouverte d'un mandîl (foulard de soie brochée d'or) pour les jeunes
^nariées. Le foulard qui recouvre la châchiya, pour les autres femmes, est simple-
ment en soie de couleur, non brochée d'or, et se nomme baïtsa ; pour les pauvres,
il est en laine ou en coton et s'appelle hendiya^ (fig. 15).
Le reste d'un costume de femme se compose de la frimla ou gilet très court,
sans manche, se boutonnant sur le devant par un seul bouton, d'une ou plusieurs
'" àbaîya de soie ou de coton, d'un cafetan {qarftân) à manches courtes, en drap de
couleur, en velours avec des broderies d'or quelquefois, d'une chemise de dessous
et d'une culotte analogue à celle des hommes (fig. 18 et 20).
Sur Tabaîya, la femme met d'ordinaire une ceinture en cuir (hazzâma) plus
ou moins enrichie de broderies d'or ou d'argent. Les jours de fête et de visite, elle
met une riche ceinture (hozâm) de soie brochée d'or (il y en a qui valent jusqu'à
fiOO francs), par dessus le cafetan ; le hozâm fait au moins deux fois le tour du
corps ; il se termine à ses extrémités par de longues franges d'or.
Les tlemceniennes ne portent guère que des souliers noirs très simples sans
talon, sans lacets et sans boutons, espèces de pantoufles de cuir.
Depuis quelques années, quand elles sont à la maison, elles commencent à
mettre des souliers à talons {sohhât eirmejboûd) en cuir noir verni, ou en cuir rouge
ou jaune avec broderies d'argent et d'or. Elles prennent aussi peu à peu, depuis
deux ou trois ans, l'habitude de mettre des pantoufles (rihaîya) en velours broché
d'or et de porter des bas de soie blancs ou de couleur (jamais noirs).
Les hommes, en fait de bijoux, ont quelquefois une ou plusieurs bagues, une
montre avec sa chaîne.
^ Les femmes que Ton rencontre la figure découverte, à Tlemcen, sont des femmes de ta cam-
pagne ou des femmes de mauvaises mœurs. Celles des villages de la banlieue de Tlemcen, ne'se
Toilent pas dans les villages, mais elles ne manquent pas de le faire, d'ordinaire, quand elles
viennent à Tlemcen. La tlemcenienne doit avoir soin en ville de bien cacher le bas de ses jambes
nues avec le t^aïk ; elle ne le fait pas toujours, et Sidi Ahmed ben Youcef lui en a fait le reproche
dans un dicton satirique bien connu.
* Les Jours de fôte, la femme et les fillettes accrochent au sommet de la châchiya, une longue
4>ande de soie fine (el' abrouq) qui retombe derrière le dos en un double ruban jusqu'aux talons»
p. 422.] • R • E • E • S • [1908.
Les bijoux des femmes sont très nombreux et quelques-uns sont de très grande
valeur. Nous citerons seulement, pour Tlemcen, les principaux : la ra'âcha {auerdè
des juives) est une fleur en or ou argent avec incrustations de perles et de diamants,
dont la tige est une longue épingle que Ton plante dans la cbâchiya ; la ^oççâba est
un diadème de soie piquetée d'or ou d^argent qui ceint le front et se noue derrière
la tète ; on y accroche quelquefois sur le devant du front des çoltânis^ et des pièces
d'or ; une main {khamsa)^ en or, est fixée dans la 'oççâba au milieu du front ;
Vounîsa est un pendant d'oreille formé d'une tige d'or en arc de cercle, passée
dans le lobe de Toreille et dont chaque extrémité suppoi*te des demi çoltânis et de»
quarts de çoltânis ; le nâb et la khorça sont de même forme et de même nature que
Founisa mais sont passés dans le sommet du pavillon de l'oreille et supportent des
perles, des pierres fines et des petites boules d'or ; ces lourds pendants d'oreilles
sont soutenus par un fil de soie ou une cbainette d'or qui réunit les deux oreilles
par dessus la tète ; la cherka est un collier de dix fils de çoltânis retombant devant
la poitrine ; le zmerred plus petit que la cherka n'a guère que trois fils, et le»
pièces (qui peuvent être des i/î ou des 1/4 de çoltânis) sont séparées par des grains
de cornaline ; la cherka et le zmerred renferment souvent une khamsa ; le kheit eU
djoûher est un collier de soie décoré de perles ; il serre le cou et s'attache par
derrière ; la meskîya est une sorte de sautoir en or ou en argent avec breloque d'or
couverte de diamants. Aux mains, les femmes portent divers bracelets, en or, ez>
argent ou en verroterie, de formes diverses {dah, mnâfekh^ ndjimâts^ tnsâïs^ etc...)
ainsi que des bagues et des anneaux plus ou moins riches. Aux pieds les femmes,
portent les lourds anneaux en argent et en or que l'on nomme kholkâl et rdif. Pour
accrocher le ksâ en soie que les femmes portent les jours de fêtes sous le haîk,
elles se servent d'épingles (bzâïm) très ouvragées, de forme et de prix très divers.
On fixe ou l'on brode assez souvent une khanisa en or sur le devant de la
cbâchiya des jeunes garçons ; mais lorsque l'enfant atteint l'âge de trois ans envi-
ron, on lui accroche la khamsa au moyen d'un petit anneau, au lobe de l'oreille
droite.
En général les tlemceniens et leurs femmes ne se font pas de tatouages ; beau-
coup croient que le tatouage porte malheur. Il est cependant des hommes et des
femmes (surtout chez les hadar) qui se font marquer un petit tatouage en forme de
croix sur le dos de la main droite, ou un petit trait vertical au sommet du nez ou
sous la lèvre ioférieure, ou encore un point de tatouage sur la joue droite (au
dessous de la pommette).
Si les tlemceniennes ne se tatouent pas, en revanche elles se fardent sérieuse-
ment le visage. Les jours de fête ou de visite, elles se noircissent les sourcils et les
réunissent par un large trait noir, le harqaûs (grec yaikxéçy^ se noircissent égale-
ment le bord des paupières et les cils avec du koheul^ ; elles se nettoient les dents»
* Le çolfâni est une pièce d'or (de 3 à 5 grammes) frappée par les gouverDements musulmans
(la plupart sont turcs) ; il en est de très anciene ; J'en ai retrouvé quelques uns qui sont des dinar»
frappés en Espagne ou dans le Maghrib au moyen-âge. Le doblon est plus gros que le çoltâni.
Les autres pièces d'or que portent les femmes dans leur parure, sont des pièces européennes.
< La matière noire qui sert a faire le ^arqoûs s'obtient en chauffant dana un petit creuset en
terre bien couvert, un mélange de ^afça (sorte de noix de Galle) et de Jjiadida (alquifouz ou soi*
füre de plomb) ; une poussière noire et fine se dépose contre le couvercle du creuaet ; on mouille
cette poussière avec un peu de salive et on en enduit l'extrémité d'un petit bâton de noyer
(meroued) avec lequel on trace ensuite le b^^rqous. Généralement le meroued est acheté le jour
de TAchoura.
. ' Sur Tusage du kohenl, voir : Mohammed bbn Mostkjta, El-Lobâb, p. 16^ Pour le sooftk, voir
ibid. p. 12.
1908*] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 423»
]es gencives et les lèvres avec du sotiâk (écorce de racines de noyer) ; elles se
mettent du henné non seulement à la chevelure, mais aussi aux mains (générale-
ment tout Tintérieur des deux mains et les doigts extérieurement jusqu'à la seconde
phalange) et aux pieds (la plante des pieds et le dessus jusqu'à la naissance des
doigts et de la cheville). Quelques-unes se rougissent les pommettes arec du carmin
i'aqer).
Les hommes font aussi usage du souàk pour les gencives et du henné pour les
mains et les pieds ; il en est qui se noircissent les paupières au koheul et pensent
4dnsi se préserver des maux d'yeux.
Les habitudes des tlemceniens relatives au port de la barbe et des cheveux,
comme celles des peuples primitifs, sont encore encombrées de rites magiques et
de croyances superstitieuses.
L'usage est très répandu à Tiemcen de laisser aux garçons (parfois jusqu'à leur
dixième année) une large touffe de cheveux sur le sommet de la tôte^, tout le reste
étant rasé (fig. 18). Les jeunes gens et même les hommes gardent d'ordinaire une
calotte de cheveux et se font raser le pourtour. Beaucoup de tlemceniens, les vieil-
lards surtout, se font raser le crâne entièrement. Les koulouglis se rasent la barbe
et ne gardent d'ordinaire que la moustache, mais les vieillards portent toute la
barbe ; il est aussi des Hadar qui ne gardent que la moustache ; mais presque tous
portent la barbe.
Du reste assez souvent la barbe se porte plus ou moins court taillée en un
collier qui encadre la figure ; les moustaches sont raccourcies au milieu, avec
los ciseaux.
La femme ne se coupe jamais les cheveux, sauf quand elle a la teigne ; elle se
borne à les tailler légèrement avec des ciseaux sur le front. Les jeunes femmes
portent deux mèches (nihêdef) retombant devant les oreilles et se parfument avec
du patchouli ou de l'eau musquée*. La tlemcenienne ne se frise pas la chevelure,
elle la porte très lisse sur la tête ; lorsqu'elle est mariée, elle tresse ses cheveux
en une natte à trois brins avec un ruban de soie {terhiba), et laisse retomber cette
natte entre les deux épaules ; les cheveux sur la tête sont recouverts d'un mouchoir
-de soie noire ou de couleur {el-^àksa)^ noué derrière la tête. La jeune fille non
encore mariée, fait la raie au milieu du front et réunit les deux moitiés de la cheve-
lure derrière la tête, à l'aide d'un ruban de soie qui s'enroule autour de la mèche
unique (sêlef)^ formée par tous les cheveux réunis, jusqu'à l'extrémité de celle-ci
<fig. 21). A l'extrémité de cette mèche, non tressée, s'attache une petite pièce carrée
de drap fin ou de velours de couleur (le qardoun)^ sur laquelle est d'ordinaire brodé
en fil d'or le nom de la jeune fille^. Pour la femme mariée le qardoun n'existe pas.
^ Lorsque Ton coupe cette touffe de cheveux, appelée gottaïya^ Ton invite les parentes À un
repas à la maison. Le pore de Tenfant donne une pièce de monnaie au coiffeur qui a coupé la
go^faïya de son fils, et la mare ganle précieusement cette touffe de cheveux ; elle la cache d'or-
dinaire au milieu d*un oreiller fourré de laine. Quand la more a une maladie du cuir chevelu
•(généralement la teigne) ou qu elle n'a pas de longs cheveux, elle £ait deux moches de la goft^îya
de son fils et se les attache sur la fôte de manière à ce qu'elles retombent devant les oreilles. —
£n ce qui concerne le port de la barbe et des cheveux dans l'Islam orthodoxe« on trouvera de
longs détails ap. Mohammed bbn Mostbfa, Et-Lobùb^ p. 17 à 29.
^ Environ une fois par mois, femmes et Jeunes filles se passent les cheveux au henné, ce qui
leur donne une belle couleur à reflets roux. On parlera plus loin de cet usage du henné.
' Une jeune fille qui désire que ses cheveux grandissent, attache à l'extrémité de cette mèche,
A côté du qardoun, une coquille d'huître ou une mAchoire de hérisson, quelquefois ces deux objeta,
4^unis.
p. 424.] • R • E • E • S • [190S.
il est remplacé par deux larges rubans en soie qui descendent jusqu'aux talons ;
rextrémité de chacun de ces rubans se termine par une partie plus large (carrée
ou triangulaire), enrichie de broderies d^or et portant quelquefois le nom de la
femme sur Tune et le nom du mari snr Tautre.
Les fillettes pendant le Mouled sont peignées comme les femmes mariées ;
mais une fois la fête passée, elles reprennent la coiffure des jeunes filles.
C). Habitation et mobilier. — Le massif montagneux jurassique de Tlemcen
est formé pour une large part de calcaires dolomitiques et de travertins tout percés
de cavernes et de grottes^. Beaucoup de pauvres indigènes ont pris ces grottes pour
demeure et y vivent misérablement. Dans une humidité malsaine, dans une atmos-
phère viciée, ces modernes troglodytes sont terrés comme des renards ; ils ferment
d'ordinaire Touverture de la tannière par une muraille grossière percée d'une porte
et logent avec eux, dans la grotte, les quelques animaux (ânes, moutons, chèvres,,
volailles etc..) qu'ils peuvent avoir. Quelquefois, la croûte travertineuse qui sert de
toiture à ces cavernes, minée par les pluies ou disloquée par les gelées, s'effondre
brusquement et ensevelit les malheureux habitants^. Les principales agglomérations
de grottes habitées aux environs immédiats de Tlemcen sont celles du faubourg
d'EI-Kalaa à 7 ou 800 mètres au Sud de Tlemcen, les grottes de Bou Dr'en, à 1
kilomètre à l'Ouest, le village entier des Béni Bou Bien au-dessous de la route de
Tlemcen à Sebdou et à 3 kilomètres de Tlemcen, le village de Kifân à environ 1
kilomètre à l'Ouest-Nord-Ouest, le village de Fdèn Seba*, à 7 ou 800 mètres au
Nord de la ville.
La population de ces grottes, ainsi que de quelques autres — comme les deux
ou trois grottes du village de Sidi-1-Haloui — peut bien dépasser un millier d'indi-
vidus.
A part les « troglodytes n tlemceniens, la population de la ville ainsi que celle
des villages voisins, a pour demeure des maisons en pierre ou en pisé, plus ou moins
confortables, et toutes bâties sur le même type.
La maison tlemcenienne est ce que Ton a appelé la maison arabe. De forme
carrée ou rectangulaire, la maison est extérieurement très simple : quatre murs,,
plus ou moins plans ou de forme bombée, forment les quatre faces et sont blanchis
à la chaux. On ne voit pas de fenêtres donnant sur l'extérieur ; s'il y en a de très
rares, ce sont de simples lucarnes percées le plus haut possible, pour éviter que les
regards indiscrets des passants vinssent fouiller l'intérieur. Une large porte en bois,
parfois surmontée d'un auvent et de consolettes d'un gracieux effet, ferme l'entrée
de la maison. Un couloir, coudé à angle droit, donne accès de la porte d'entrée dans^
une cour intérieure^ de sorte que si la porte est ouverte, le passant ne peut voir
dans la cour. A droite et à gauche, dans le couloir, sont des bancs de pierre, taillés
dans la muraille, sur lesquels le visiteur s'assied, en attendant que le maître de la
maison ait « fait le chemin », c'est-à-dire qu'il ait fait disparidtre de la cour les
femmes qui pouvaient s'y trouver ; car aucun étranger, même ami de la famille^
n'a le droit de voir les femmes ; cette règle est strictement observée à Tlemcen.
^ Dans la région des Béni Snoûs, à une trentaine de kilomètres à TO-S-O. de Tlemcen, les
grottes sont nombreuses également ; il est môme certains villages, le Kbemts par exemple, dan»
lesquels la plupart des maisons sont construites au dessus d'une grolte — Koidt dur br*àr^ disent
les habitants, « chaque habitation a sa grotte » — qui sert d'écurie« Le village des Béni Ba))idri
dans la môme région est formé d'une haute falaise de travertins dans laquelle sont peroôe»
plusieurs dizaines de grottes; vôri tables nids d'aigle, qui servent de demeure aux habitants.
* Depuis huit ans que j'habite Tlemcen, le fait s'est déjà produit deux fois.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 425.
Les chambres donnent sur les quatre faces de la cour intérieure carrée ou rec-
tangulaire, généralement ombragée par un arbre fruitier ou des ceps de vigne for-
mant tonnelle. Dans la cour se trouve d'ordinaire un puits ou une pompe sur les
côtés, ou bien c'est au milieu, un jet d'eau qui retombe dans une vasque de marbre.
La façade des chambres du côté de la cour intérieure est percée de portes et
de fenêtres pour permettre à l'air et à la lumière de pénétrer (tig. 22). On voit l'in-
convénient, au point de vue de l'hygiône, d'une semblable disposition des ouvertu-
res sur une seule face de la chambre, qui ne permet pas de renouveler facilement
l'air dans les appartements.
Malgré la rigueur des hivers à Tlemcen (qui se trouve à 850°^ d'altitude),
aucune cheminée n'est ménagée dans les chambres. Les musulmans ne se chauffent
qu'avec le brasero (mepner) placé au milieu de la pièce.
Les intérieurs des maisons des tlemceniens aisés sont assez richement meublés.
Dans les chambres, des tapis de laine (marocains ou du sud Oranais), des matelas
étendus par terre, des couvertures, des étoffes aux brillantes couleurs, recouvrent
le soi et les murs décorés de mosaïques. Malheureusement, par un manque de goût
qui se généralise de plus en plus, des meubles européens mélangés aux meubles
indigènes, fabriqués dans le pays, foot le plus désagréable effet : des armoires à glace,
des lits de fer, de grands buffets^ des chaises jurent à côté des nattes (d'alfa et de
laine fabriquées chez les Beni-Snous et les Beni-Snassen) et des petits matelas indigè-
nes, des grands coffres en bois ouvrage et peint, des tables basses (maida et iîfoûr)^
des samovars (bâboûr) et des théières (herrêd) sur de grands plateaux en cuivre
repoussé (fig. 23), des étagères indigènes en bois peint, des cadres ouvragés renfer-
mant des versets du Coran ou des peintures de Bourâq, la jument ailée du Prophète.
Un double rideau plus ou moins riche sert de portière aux chambres des
femmes et masque au regard l'intérieur de la pièce.
La cuisine se fait généralement dans la cour ou sous le péristyle ; mais, dans
beaucoup de maisons tlemceniennes, une petite pièce sert de cuisine ; elle est uni-
quement meublée de casseroles en terre ou en fer et de quelques fourneaux porta-
tifs en terre (bou-djouél).
Les latrines, ménagées dans presque toutes les maisons dans un coin de la cour
sont souvent dans le voisinage du puits, ce qui n'est pas très hygiénique.
Chez les pauvres le mobilier est des plus sommaires, il est réduit au strict
nécessaire.
L'usage du balai français est peu répandu dans les maisons tlemceniennes ; on
se sert généralement d'un petit balai en feuilles de palmier nain et sans manche.
Le balai joue du reste un certain rôle dans les croyances populaires à Tlemcen^.
Quelques lettrés tlemceniens ont des livres qu'ils entassent d'ordinaire dans un
coin de la chambre, parce que bien peu d'entre eux ont des armoires-bibliothèques
ou des étagères à livres.
Une main grossièrement peinte en couleur dans le voisinage de la porte, ou un
fer à cheval cloué au-dessus de l'entrée de la maison ou de la chambre servent à
protéger Pintérienr contre le mauvais œil.
^ On dit par exemple qu'une Jepne fille on un Jeune homme, frappés de sept coups du balai par
la maltresse de la maison, ne trouTeront pas à se marier. L'homme ne doit jamais balayer, sans
quoi, cela lui amènerait des invités, qu'il lui faudrait héberger. On ne doit pas non plus balayer
pendant la nuit ; cela pourrait chasser le bonheur de la maison. Voyez encore le réle du balai
aans certaines cérémonies de sorcellerie à Tlemcen (cf. Abou Bbkr, Sr-Rebat in Bull, êoc. géog.
d'Orany avril-juin 1906, p. 173-174),
p. 426.] • R • E • E • S • [1908.
Le tlemceoien qui a des chaises ne s'en sert guère que pour y faire asseoir les
européens qu'il reçoit ches lui ; il préfère, quant à lui, s'asseoir par terre sur des
tapis, même pour prendre ses repas.
L'usage de la fourchette pour manger commence à se répandre dans quelques
très rares familles tlemceniennes ; mais d'ordinaire on ne se sert pour manger que
de la cuiller en bois {mdilqa).
L'usage du couteau de table est également peu répandu et la viande est décou-
pée avec les doigts pour être mangée ; elle est d'ailleurs toiJ^ours très cuite^ et se
détache facilement par morceaux^.
Les musulmans tlemceniens qui ont des lits à l'européenne (\e lit en bois se
nomme hâtri^ le lit en fer, nêmaûsiya) y couchent quelquefois, mais la plupart
préfèrent coucher par terre sur les matelas arabes.
D) Sports, Jeux, danses. — Le tiemcenien en dehors de l'exercice qu'il prend
à son travail ou pour se rendre à son atelier ne déploie pas beaucoup d'activité
physique. £n général assez mauvais cavalier, parce qu'il ne monte pas à cheval,
lorsqu'il a besoin de se rendre à la campagne, il préfère une monture très docile,
un mulet ou un âne, à un cheval trop vif dont il ne serait pas msdtre ; il ne monte
pas à bicyclette — à de très rares exceptions près — et peu nombreux sont les
tlemceniens qui possèdent des voitures. A part les pèlerinages aux tombeaux des
saints, à la mosquée de S. Bon Medièn, où beaucoup vont faire la grande prière du
vendredi, les musulmans de Tlemcen font de fréquentes promenades dans la cam-
pagne si agréable qui entoure la ville et qu'ont tant de fois et si justement chantée
les poètes arabes. Le tiemcenien aime sa belle campagne couverte d'oliviers, de
végétation et de fleurs, où, pendant l'été et au printemps, il respire une fraîche
brise, où il entend le joyeux murmure des ruisseaux et où son œil jouit toujours
d'un panorama immense et varié ; il passe volontiers de longues heures assis à
l'ombre des bosquets à causer ou à rêver ; il s'y rend le plus facilement qu'il
peut, en voiture de préférence, de façon à éviter la fatigue.
Quelques jeunes musulmans — encore bien rares malheureusement — com-
mencent à fréquenter nos sociétés de gymnastique ; il faudrait les encourager dans
cette voie.
Le tiemcenien en somme, n'aime pas les sports, il ne fait pas d'équitation, pas^
de bicyclette, il ne chasse pas, ne pèche pas, et recherche plutôt l'immobilité ; il
ne se préoccupe pas de développer une activité physique calculée et voulue, si, par
son métier ou sa fonction, il n'est forcé de le faire.
Aussi n'est-il pas rare de voir les petits commerçants de Tlemcen — qui ne
quittent guère leur magasin que pour rentrer à leur domicile ou aller au café —
prendre, encore jeunes, un embonpoint excessif.
Les tlemceniens, à part les enfaots, ne pratiquent guère que les jeux qui ne
demandent pas un exercice fatigant. Les « fantasias » ou courses de chevaux dont
les ruraux sont très amateurs et qui ont lieu surtout à l'occasion des grandes fêtes
patronales (iva^das) et des mariages, sont entièrement délaissées à Tlemcen. La
Ràhba est aussi un jeu des Bédouins que les musulmans ici ne connaissent pas.
^ La yiande ne peut être mangée que trte cuite, lonqu*elle ne contient plus la moindre trace
de sang. Le sang cru est en effet prohibé par la loi musulmane, comme par la religion d'un grand
nombre de peuples. Gela n'empêche pas les Aïssaoûa les Jours de fête, de manger en public de la
▼lande crue.
* On ne se sert pas d'ordinaire d'assiettes à table ; tous tes convives mangent dans le plat.
1908.] BEL : LA PAPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 427#
Cependant le jeu de la Icoûra, dont M. Doutté a longuement parlé^ est quelquefois,
mais rarement, pratiqué à Tlemcen sous le nom de mqâra* * ; on y joue avec une
boule eu bois et des bâtons recourbés. Les jeux les plus en vogue ici sont les jeux
de cartes, de dames (dâmma)^ de trictrac (chîchhich)^ de dominos (damino).
Les jeunes garçons jouent aussi à mqâra^ et à un grand nombre d'autres jeux,
dont voici les plus usités :
a) ^obâr edrdokhên. C'est un jeu de grands garçons. Les joueurs se divisent en
deux camps ayant chacun un chef. Les deux chefs tirent au sort^ pour savoir qui
aura l'avantage. Les perdants courbent l'échiné et se placent les uns derrière les
autres en se tenant par les reins ; le premier de la file repose sa tête sur les mains
entrelacées du chef de camp, qui est debout adossé contre un mur et fait face à la
file. Les gagnants sautent tous sur le chevalet formé par la file des perdants ; ils
doivent prendre garde de ne pas tomber et de ne pas appuyer les pieds à terre,
tant que le chef n'a pas donné Tordre de descendre, ce qui n'a lieu que lorsque
tous les gagnants ont pris place sur les perdants. La descente doit se faire à droite
ou à gauche selon l'ordre du chef des gagnants. On recommence ainsi jusqu'à ce que
l'un des gagnants ayant commis une infraction aux règles du jeu, indiquées ci-
devant, la partie est perdue par le camp gagnant, qui prend alors la place du camp
perdant.
C'est le jeu que l'on pratique dans certaines régions de la France sous le nom
de « cheval-fort ».
b) Dchtchorl-koliba r^oddâra. Deux camps, deux chefs, les perdants vont se
cacher et les gagnants partent à leur recherche. Lorsque l'un de ceux qui sont
cachés est découvert, il doit poursuivre celui qui l'a découvert, lui monter sur le
dos et se faire ainsi ramener au point de départ.
c) 'Oqhên d-lîl. Les joueurs, en nombre pair, sont divisés en deux groupes
égaux, ayant chacun un chef. Pour savoir quel camp aura l'avantage, l'un des chefs
jette en l'air une pierre plate sur l'une des faces de laquelle il a craché ; la face
humide de salive est nommée echchisa (l'hiver ou la pluie), l'autre face qui est sèche
s'appelle eç-ceîf (l'été ou la sécheresse). La pierre étant en l'air, l'un des camps
demande chisètsna (notre hiver) tandis que l'autre dit çeîfna (notre été). Si la partie
de la pierre mouillée de salive est contre terre lorsque la pierre est tombée, c'est
le camp qui a dit çeifna qui est le vainqueur, et inversement.
Chaque gagnant choisit dans le camp des perdants un camarade qui va lui
servir de monture et toutes les montures reçoivent un nom^ que seuls les gagnants
ou cavaliers connaissent. Ceci fait, chaque gagnant monte sur le dos du perdant qui
lui sert de monture, et tous forment un cercle. Le chef des cavaliers dit alors un
certain nombre de phrases ou de mots toujours les mêmes auxquels les autres
cavaliers doivent répondre'^; puis il finit le dialogue en ordonnant à ses camarades
d'aveugliT leurs chevaux ; « 'amtau-l-kheil ». Aussitôt chaque cavalier ferme avec
ses mains les yeux du camarade qui lui sert de monture ; puis le chef des cavaliers
> Cf. Merrahêch, p. 318 et s.
' mgâra^ est le pluriel de maqra^ « baton recourbé i*. Ce ]eu de plus en plus délaissé & Tlem-
cen, tend à y disparaître entièrement.
^« L'un des deux cache une petite pierre dans Tune de ses deux mains fermées, Tautre doit
découvrir la main contenant la pierre ; s'il la trouve, son camp a Tavantage.
^ Les noms donnés par les cavaliers à leurs montures sont généralement des noms d'animaux.
^ Le chef dit d'abord : « 'ogbén eMl (aigles de la nuit) n et les autres répondent par les
mots : u forsén elhhHl (cavaliers des chevaux) 9, etc.
p. 428.] • R • E • E • S • [1908.
prononce le nom de Tune des montures. Le cavalier, dont la monture a été nommée,
descend, vient à pas de loup frapper légèrement du doigt le front du chef des per-
dants, qui sert de monture au chef des gagnants, et retourne sur le dos de sa mon-
ture dont il ferme les yeux avec ses mains. Le chef des cavaliers, met alors pied à
terre et demande à sa monture : « qui t'a frappé ? ■ ; si ce dernier réussit à le dire
exactement, le camp des perdants devient gagnant et les cavaliers deviennent les
montures ; sinon les gagnants restent cavaliers et la partie recommence.
d) Et-téch. Les joueurs sont divisés en deux camps ayant chacun un chef.
Entre les deux camps on dresse une pierre, facile à renverser, appelée etiéeh. Avec
une paume en cuir (koûra)^ les deux chefs tirent les premiers et cherchent à ren-
verser le téch. Celui qui manque le téch se retire et cède la place à un camarade
de son camp, jusqu'à ce que tous les joueurs d'un camp soient ainsi épuisés, c'est
ce camp qui a perdu. Les gagnants montent alors sur le dos des perdants et se
lancent de l'un à l'autre la paume qu'ils doivent recevoir tantôt d'une façon tantôt
d'une autre, jusqu'à ce que l'un d'eux l'ait échappée. La partie est alors finie et on
la recommence.
e) Ferda. Le jeu de ferda n'a lieu que le 7"^ jour qui suit un mariage, et dans
la chambre nuptiale, entre le marié et ses amis. Tous les joueurs prenant l'un après
l'autre les deux pantoufles jaunes (blâr'i) du marié, les appliquent l'une contre
l'autre, semelle contre semelle, et les jettent en l'air. On observe pour chaque
joueur la façon dont retombent les pantoufles. Si toutes deux, tombées à terre, ont
la semelle contre terre, celui qui les a jetées est nommé Sultan (çoUên) ; si les deux
pantoufles ont toutes deux, au contraire, la semelle en l'air, celui qui les a lancées
est un vizir (ouzlr) ; si l'une des pantoufles a la &emclle appliquée à terre et l'autre,
la semelle en l'air, celui qui a obtenu ce résultat est un « voleur » (sêreq). Lorsque
les pantoufles lancées par les autres joueurs désignent un nouveau « sultan » ou un
nouveau « vizir • ceux-ci prennent la place du « sultan • et du « vizir • précédents,
jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un « sultan n, un <^ vizir » et des « voleurs ». Alors
le « vizir » demande au « sultan n, en désignant chaque « voleur » : « chhâl istahd
yârl-mêUk, combien mérite-t-il (de coups), ô roi? » Le roi répond : ■ tant ! » Le
vizir, avec l'une des pantoufles, frappe le nombre de coups fixé, sur la paume de la
main ouverte du « voleur n. Et l'on recommence la partie.
Les jeunes musulmans ont pris l'habitude de la plupart des jeux des petits
européens ; ils jouent tous fréquemment à « saute-mouton n (ompa^), à la toupie
(eerhoût)^ aux billes (nîbu)^ à la « poule » (gânifM^).
Les petites filles musulmanes ont aussi un certain nombre de jeux qu'elles ont
empruntés aux fillettes européennes, comme le saut à la corde (elrhebtlajj la
marelle, le jeu de la pelote.
Parmi les jeux des petites filles à Tlemcen, nous signalerons seulement les
suivants :
a) Hadobddb se joue en chambre. Une fillette, celle qui ^ paye » s'agenouille
par terre et repose son front sur le sol entre ses deux bras, de façon à ne rien voir
de ce qui se passe autour d'elle ; ses camarades de jeu sont assises autour d'elle et
^ Ce mot ompa est le français << un pas » parce que la règle du Jeu de saute-mouton, est quel-
i^aefois d'éloigner, d'un pas aprôs chaque saut, celui qui « paye ».
^ Il s'agit du jeu qui consiste à Jeter à terre une pierre, ou un bouchon, avec des pierres plates,
ou de pièces rondes et plates de métal. Ce jeu qui dans certaines régions se nomme le «bouchoo «
dans d'autre la « poule », est appelé <* gàline » en Franche^Comté, ^galHna n par les Bspagnok.
C'est de ce dernier mot que vient le vocable des Tlemceniens.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 429«
chacune pose sa main droite sur le dos de la patiente, de sorte que toutes les mains
soient placées les unes sur les autres. Les fillettes soulèvent ensemble leurs mains
droites et frappent le dos de celle qui « paye » en disant :
Ya hadobdob ya mdobdob yedd men fôq ^ala çondôq, A ces mots, qui n'ont pas
beaucoup de sens, celle qui « paye n doit répondre en disant le nom de celle de ses
camarades dont la main droite est au dessus de celles des autres ; si elle la découvre,
c'est celle-ci qui prend sa place ; sinon elle reste, et le jeu recommence. Les jeunes
garçons jouent aussi à ce jeu.
b) Zhîda. Cinq ou six fillettes sont assises en cercle les unes contre les autres
et posent leurs mains sur les genoux de Tune d'elle, qui est considérée comme le
chef. Ce chef touche successivement du doigt chacune des mains en disant les mots
suivants, qui ne donnent pas un sens complet : « yâ zhîda — yâ nbîda — ach Jclits
— mnei'teffâh — tvenneffêh — qeta'yiddik — yâ meftâh — baûs — ou khebU ».
La fillette sur la main de laquelle sont prononcés ces deux derniers mots, l'embrasse
et la retire. On continue ainsi jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une seule main sur
les genous du chef. C'est la fillette dont la main reste la dernière au jeu qui « paye ».
Les fillettes s'assoient toutes en un cercle assez lai^e au milieu duquel la perdante
se couche, les yeux fermés et fait la morte, personne ne doit ni rire, ni causer, et
celle qui enfreint cette règle prend aussitôt la place de la perdante. La jeune fille
qui fait fonction de chef se tourne alors vers celle qui est assise à sa droite, lui
désigne par un signe celle qui fait la morte et un dialogue à voix basse, mais que
peuvent entendre cependant toutes les fillettes, s'engage entre ces deux jeunes filles
(le chef et celle qui est à sa droite).
— (La jeune fille) : « ach bik^ qu'avez-vous ? »
— (Le chef) : « chîkh ech chyâûn met, le chef des démons est mort ! »
— (La jeune fille) : « men bihj qui l'a tué ? »
— (Le chef, désignant du doigt la jeune fille assise à sa gauche) : « hâd-el-kêfer
hoûa bih, c'est cet infidèle qui l'a tué ! »
Le chef se tait et c'est la jeune fille avec laquelle il s'entretenait qui devient
chef et reprend le même dialogue avec sa voisine de droite. On continue ainsi jus-
qu'à ce que l'une des joueuses ait ri ou parlé sans en avoir le droit^.
c) Msib^a est le jeu des osselets, qui se pratique comme chez nous. On y joue
avec de petites pierres ou avec des osselets^.
d) Blîsa est la poupée ; elle est faite d'une croix en bois dont les deux bras
font les bras de la poupée ; elle est habillée de chiffons de couleurs variées et on
lui met une petite châchiya.
e) La djorHîla^ « la balançoire • est le plaisir préféré des tlemceniennes,
femmes et fillettes (et même des hommes). La djorHîla se compose d'une longue
corde attachée par ses extrémités à une branche d'arbre. En se balançant les tlem-
ceniennes chantent des haoufis^.
Les Musulmans, hommes et femmes, dansent à Tlemeen ; le rythme de la danse
est toujours marqué par de la musique.
Les hommes ne pratiquent que la danse religieuse en commun, dans les zaouîas
des confréries religieuses et quelquefois en public à l'occasion des fêtes. Cette
^ On pourra comparer ce jea avec celui qui figure ap. Delphin, Recueil de Textes pour Vétude
de Varabe parlé, Alger 1891, p. 277 et suiv., et trad. Faurb-Bigukt, Alger 1904, p. 79 et s.
* Voyez des détails sur ce jeu, ap. Dklphin , loc, cit., p. 296 et suiv., traduction, p. 84 et suiv.
3 Voir infra, p. 442.
p. 430.] • R • E • E • S • [1808.
danse se nomme zehed ; elle a lieu à la zaouïa tous les vendredis soir, et les joure
de réuuiou ou de convocatioa des frères. Un particulier peut aussi réunir ses frères,
les foqra do sa confrérie« à son domicile ; on mange du kouskous, on joue de
l'instrument appelé narWâis^ sorte de petit tambourin double, on tape en cadence
avec deux baguettes de bois ou de métal sur le fond d'un grand plateau de cuivre,
on accompagne tout cela du chant religieux de la confrérie et Ton danse ensemble.
Les danseurs se viennent côte à cote et forment une longue chaîne qui opère soit en
cercle, soit en ligne droite. Quand ils sont nombreux, ils forment plusieurs chaînes.
Cette danse rituelle mériterait d'être étudiée dans tous ses détails et pour
chaque confrérie religieuse.
Les femmes des confréries ont aussi les danses rituelles qui sont comme celles
des hommes, mais pour elles cette danse se nomme khehoi.
A part ces danses d'un caractère religieux, que pratiquent les hommes et 1^
femmes, il y a à Tlemcen la danse non religieuse {ech-ehith) qui est le monopole de
la femme, à l'exclusion absolue de l'homme.
A moins qu'il ne s'agisse de femmes dépravées, jamais la tlemcenienne ne
danse en présence d'un homme^.
Les tlemceniennes aiment beaucoup la danse et lorsque plusieurs femmes sont
réunies dans une maison, il est rare que l'on ne se mette pas à danser ; et tandis
que l'une d'entre elles danse, quelques unes des autres marquent la cadence en
frappant sur des tambourins ou des plateaux de cuivre.
Quand les femmes donnent une fête, dans une maison tlemcenienne, elles font
venir un orchestre de femmes, dont nous parlerons plus loin, et tour à tour une
danseuse se détache des femmes et vient accomplir une danse lascive devant
.l'orchestre. Les autres femmes accompagnent la danseuse en frappant dans leurs
mains et lui donnent, quand elle a fini, quelques sous cimcune ; elle remet cet
argent à la fqira qui est le chef de l'orchestre de femmes.
£) L^hygiène. — Par sa situation géographique, par son altitude élevée,
Tlemcen jouit d'un climat très sain. Souvent, de grands vents d'Ouest viennent
balayer les miasmes des ruelles étroites et des quartiers indigènes. Ces raisons,
ainsi que l'hygiène relativement bonne du tlemcenien, si on la compare à celle des
indigènes des campagnes, contribuent à modérer à Tlemcen dans la population
musulmane les ravages que font ailleurs les épidémies et maladies de toute sorte^.
On a vu que le tlemcenien, généralement vêtu avec propreté et souvent même
avec recherche, avait aussi une alimentation suffisante et substantielle. On a
remarqué que la disposition de la maison qu'il habite ne permettait pas une venti-
lation suffisante des chambres, que l'éclairage et le mode de chauffage, avec le
brasero, étaient défectueux au regard de l'hygiène, que les infiltrations des latrines
pouvaient nuire à la qualité de l'eau du puits domestique. U faut cependant
^ Sauf de ses proches parents plus jeunes qu'elle (frôres, neveux, etc.). A l'occasion des
mariages, dans le petit village berbère de Zelboun dans la commune de Tlemcen (à 15 km. à l'O.
sur la ligne de Turenne), des femmes dansent, pendant la nuit, au milieu de la foule des hommes,
sur une place du village. J'ai vu ainsi danser en même temps quatre ou cinq femmes, dont la (été,
d'ailleurs était entièrement recouverte d'un voile. Un orchestre de trois musiciens — qui souvent
dansent aussi à côté des femmes — fournit la musique nécessaire. Les coutumes du mariage a
Zelbouu sont très originales et trôs différentes de celles de Tlemcen.
< Au point de vue général des' maladies et de l'hygiène des musulmans d'Algérie, on consultera
1» travail de M. le D' J. Brault, Pathologie et hygiène des musulmans d'Algérie^ 1 vol. in-8,
Alger 1905.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 431.
reconnaître que la maison est d'ordinaire tenue avec assez de propreté et que les
parquets de brique sont souvent lavés et régulièrement balayés. Nous allons voir
maintenant que la propreté du corps ne le cède en rien à celle du costume et de
Thabitation.
Pour obéir aux prescriptions de sa religion, le musulman met sa santé quelque-
fois fortement à l'épreuve, comme par exemple, quand il jeûne tous les jours pen-
dant le mois de ramadan, quand il sacrifie son sommeil nocturne pour faire des
prières surérogatoires pendant des nuits entières, ou encore quand il va contracter
au pèlerinage de La Mekke une maladie épidémique, comme cela se produit bien
souvent. Par contre, certaines obligations rituelles de Tlslâm viennent aussi parfois
concorder, par un hasard heureux, avec les règles de l'hygiène. C'est ainsi que le
tiemcenien, qui sait faire sa prière, s'astreint plusieurs fois par jour à faire les
ablutions rituelles précédant les prières ; il fait aussi au bain maure, au moins une
fois par semaine, la grande ablution (r'osl) de tout le corp3, exigée par la loi
musulmane.
Ce n'est pas seulement par propreté ou par respect pour sa religion que le tiem-
cenien fréquente le bain maure, c'est encore pour se remettre d'une courbature,
d'un rhume, d'une indisposition quelconque. Pour lui, le bain maure guérit les
maux les plus variés ; il le nomme eUiobîh elrcibkem « le médecin muet » et s'y rend
même souvent pour changer de linge ; il sait en effet, trouver toujours, pendant
l'hiver surtout, dans la salle de repos {Vapodyierium du bain romain) une tempéra*
ture uniformément tiède et agréable.
Les bains maures à Tlemcen sont très nombreux ; leur disposition essentielle
consiste en un couloir vestibule, analogue à celui qui donne accès dans la maison
arabe, avec des bancs de pierre couverts de mosaïques, taillés dans la muraille,
puis une vaste salle, couverte en son milieu par une voûte en forme de coupole
supportée par des piliers et sur le pourtour par des plafonds cintrés ; souvent une
vasque d'eau courante qui retombe dans un bassin est ménagée au milieu de cette
salle qui est la salle de repos, dans laquelle les clients s'habillent et se déshabillent
et se reposent sur des matelas étendus à terre. Un mur épais et une double porte
sépare cette salle de l'étuve (le càldariam des Romains) ; cette étuve renferme un
bassin d'eau chaude et un bassin d'eau froide ; elle reçoit abondamment la vapeur
d'eau des chaudières voisines. C'est sur le parquet brûlant de l'étuve que le baigneur
vient s'étendre et se faire masser, frotter et nettoyer par l'un des kiyâs (masseur)
attachés à l'établissement, ou par un autre baigneur. C'est dans l'étuve aussi que
le musulman fait sa toilette secrète et qu'il se rase lui-même, conformément à la
prescription musulmane, toutes les parties poilues du corps.
D'autres pièces, dépendances du bain, des salles de débarras pour déposer le
lioge et les matelats, dea hangars à bois, des latrines, etc., sont disposées autour
de Vapodyierium et des chaudières.
Les bains maures de Tlemcen sont d'ordinaire ouverts pour les femmes de midi
à. 7 heures du soir et pour les hommes .de 7 heures du soir au lendemain à midi.
Un particulier peut réserver pour lui seul un bain maure (pour les mariages par
exemple) pour une demie journée ou une journée entière (en payant une redevance
de 20 ou de 40 francs).
Beaucoup de voyageurs, d'étrangers musulmans vont passer la nuit au bain
maure au lieu de descendre dans un foudouk on de coucher dans un café maure^.
^ Les masulmaos ötrangars de passage à TlemceD, trouvent A se loger dans les nombreux
fbndoukg, disposés comme ailleurs, de façon que les écuries pour les botes de somme sontaurei-
p. 432.] • R • E • E • S • [1908.
A Tlemceo, le prix du bain pour un homme est de 0,15 centimes et de 0,65 avec
massage ; on paie 0,25, pour passer la nuit au bain, et le prix du bain en supplé-
ment.
Les femmes aussi fréquentent beaucoup le bain maure ; mais la femme doit
emporter avec elle tout le nécessaire pour faire sa toilette et pour s'esFujer. Rares
sont celles qui louent un matelas de repos à la gardienne du baio.
Le bain maure est une grande distraction pour la tlemcenienne si tenue à la
maison de son mari ; elle se trouve là avec de nombreuses amies et connaissances
et Ton rit, on cause, on chante, on s'amuse dans la salle de repos et dans l'étuve.
Le costume de bain de la femme est ici des plus simples : les femmes mariées depuis
peu s'enroulent le corps, à partir des aisselles jusqu'au milieu du mollet, dans une
serviette de coton blanc, qui cache les seins, mais laisse les bras libres; elles portent
dans rétuve uno serviette rayée qu'on nomme (foula del fkhêd) et ont la tête nue
et les cheveux épars. Les femmes d'âge mûr et les vieilles ne portent qu'un pagne
bleu serré à la taille ; mais le plus souvent elles restent entièrement nues. £n sor*
tant de l'étuve la tlemcenienne aisée se couvre les cheveux d'une bniqa^ sorte de
bonnet pointu de toile ou de soie, parfois brodé d'or sur le devant, et portant par
derrière deux longs rubans de toile ou de soie.
Pour se laver le corps, la femme se sert d'une argile savonneuse appelée ifol
(et quelquefois r^asoûl) ; elle se frictionne, ou se fait frictionner par sa négresse ou
par une amie, avec une plaque de liège recouverte de laine (mhaqqa). La femme ne
se rase pas le corps, mais elle emploie une poudre épilatoire (déhhîya) qu'elle
mélange dans certaines proportions avec de la chaux éteinte pour former une pâte.
Quand elle va au bain, la tlemcenienne emporte dans une petite cuvette en cuivre
ouvragé (tâça) son peigne et tous les objets nécessaires à sa toilette.
Le prix du bain est de 0,15 centimes pour une femme nouvellement mariée et
de 0,10 pour les autres femmes. Chacune d'ailleurs peut être accompagnée de ses
enfants en bas- âge, garçons ou fillettes. Les jeunes filles non mariées ne payent rien
dans le bain où elles ont coutume d'aller et auquel elles réserveront leur clientèle
pour le bain qui précède leur mariage ; si elles vont par hasard dans un établis-
sement de bains dont elles ne sont pas clientes attitrées, elles payent 0,05 centimes.
Dans l'hygiène du corps et surtout de la tête, le henné joue un très grand rôle
à TIemcen. Les feuilles séchées du henné sont pilées etjetées dans l'eau bouillante.
On laisse réduire la bouillie jusqu'à ce qu'elle soit assez épaisse et forme une pâte
un peu fluide, on l'applique très chaude sur la tête, en ayant soin dé frotter pour
faire pénétrer jusqu'au cuir chevelu. Le henné doit être conservé ainsi, environ
vingt quatre heures, sur la tète ; il est enlevé par un lavage au bain maure. Pour
que leurs cheveux s'allongent, les femmes mélangent au henné quelques feuilles de
chanvre. Le procédé de magie sympathique est ici évident. C'est le henné qui, tout
en jouant le rôle d'antiseptique, donne aussi aux cheveux une belle couleur ocrée
d'un roux sombre.
Pour se teindre les cheveux en noir, les femmes préparent elles-mêmes une
pâte tinctoriale (ed-dehr^a) dans laquelle entrent de la noix de galle, des clous de
girofle, des graines de çamhel (nard indien) et du sulfure de plomb.
de-chaussée, autour de la cour intérieure, et les logements des voyageurs au premier étage, dans
de petites cellules, disposées autour d'un couloir non couvert. On paie pour la nuit 20 centimes
par personne, café compris. Les voyageurs qui ne couchent ni au bain maure, ni dans les fon-
douks, passent la nuit sur des nattes, dans les cafés maures, ou ils paient seulement 0,20, prix
d*ane tasse de café qui leur est servie le soir et d'une autre le matin«
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Planche XXII
Fig. 22. Intérieur de la maison d'un Tlemcénien aisé.
Fig. 23. PEINCIPAUX OBJETS DU SERVICE DE TABLE ET DE CUISINE.
I. maïda avec cuillers en bois ima'aleg) et plat à kouskous (metsred).
II. Service à thé : plateau {sfnïya)^ tasses (fnêdjel)^ théière {herrêd).
IIÏ. Fourneau (boudjouwêl ou nefekh) avec marmite (qadra) et cuiller-à-pot {mor'ref).
IV. Deux tifàfer ([dur. de tifoûr) ; sur le plus petit est une qobiba, sur le plus grand, un tacytn
et des serviettes de table {fouet plur. de foûta).
TLEMCEN.
REES, 1908
Planche XXIII
Fig. 24. Une école coranique dans la cour de la Médersa de Sidi Bou Mediên.
Fig. 25. Specimens de peintures.
I. Portraits de Bouràq. II. Bechmaq.
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Planche XXV
Fig. 28. Selle et pièces de harnachement et ouvriers qui les ont brodées.
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Planche XXVI
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1908.] • BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 433.
Les femmes et les fillettes se mettent du henné aax cheveux toutes les quatre
^ 9ix semaines ; elles en mettent également à leurs fils tant quails portent la
£Ottatya^ c'est-à-dire tant qu'ils vont au bain maure avec la mère.
La médecine empirique des khfbs^ la guérison par les marabouts, les remèdes
magiques des talebs et des sorciers sont très en vogue à Tlemcen. C'est là l'un des
résultats des vieilles croyances dont il a été question dans le second chapitre de ce
travail ; on ne s'en étonnera guère quand on pense que dans notre vieille ËuropOi
il est encore bien des gens qui usent de ces procédés et les préfèrent à la science
des médecins. Certes le tlemcenien, la femme surtout, ne se rend pas volontiers à
la visite du médecin français et n'aime pas à se servir de la sage-femme ; celle-ci
ne peut pas, comme le qabla dont on a parlé, satisfaire à tous les rites nécessaires
pour calmer et écarter les djinns. L'administration a institué à Tlemcen une infir-
merie indigène et un asile d'incurables ; l'un et l'autre regoiigent de malades
musulmans, ce qui est déjà un résultat appréciable. Beaucoup déjeunes musulmans,
formés dans nos écoles françaises, commencent à conduire à leurs parents malades
le médecin et la sage femme, et ceux-ci détrôneront à la longue les tobibs, les talebs
-et les qâblas.
IV.
La vie inteUectueUe.
A) La langue, les écoles. — Les TIemceniens parlent tous un dialecte arabe,
•qui se distingue cependant des autres dialectes parlés dans l'Afrique du Nord, par
SSL phonétique, sa morphologie et même par son vocabulaire. Comme les autres
dialectes de ce pays, il a subi l'influence berbère dont on retrouve des traces dans
■son vocabulaire, où l'on peut relever des mots conservés assez purs et dans la défor-
mation de certains mots arabes. Les Turcs qui ont occupé Tlemcen pendant trois
siècles et qui y ont laissé un élément ethnique important, les Koulouglis, ont aussi
laissé des traces de leur langage dans le parler tlemcenien ; on les retrouve dans des
vocables turcs encore usités et dans la formation de noms de métier par exemple.
Les relations anciennes entre Tlemcen et le Maroc, l'établissement dans la ville de
nombreux marocains, surtout de commerçants et d'ouvriers de Fez, ont donné au dia-
lecte de Tlemcen l'empreinte des dialectes marocains. Enfin, sous bien des rapports,
on a pu rapprocher le tlemcenien du langage tunisien, pour la forme de certains
noms, de quelques diminutifii, de pluriels et pour l'emploi des adverbes notamment.
M. W. Marçais qui a publié une remarquable étude du dialecte de Tlemcen^
le classe parmi les dialectes citadins, avec celui de Nédroma, tandis qu'il met dans
la catégorie des dialectes bédouins tous ceux du reste de l'Oranie.
A côté de ce parler local, qui est la langue vivante des TIemceniens, il y a ici,
-comme dans tous les pays musulmans, la langue morte, l'arabe littéraire, qui est
ia langue religieuse, celle dans laquelle l'imâm fait son prône du vendredi, celle
-des livres et des écrits.
Le premier, ou arabe parlé, est la langue commune à tous les TIemceniens,
-de tous les sexes et de toutes les classes de la société, c'est la langue des contes,
des récits et des chansons de la littérature populaire, purement orale et que l'on
^ Le dialecte arabe parlé à Tlemcen , publ. de ilCcoLe des Lettres d'Alger, Pc(ri8,.1902, 1 voU
•n-8.
p. 434.] • R • E • E • S ^ L1Ö08.
n'écrit guère ; le second est la langue des lettrés seulement, comme le latin aa
moyen-âge était notre langue savante.
Tout renseignement donné par les musulmans dans les écoles arabes^ est
professé en arabe littéraire, aussi bien à Tlemcen que dans les autres pays d'isiâm.
Le nombre des Tlemceniens qui. savent lire et écrire l'arabe littéraire, quoique
restreint, est relativement considérable par rapport à ce qu'il est à la campagne on
dans d'autres villes algériennes'. C'est que les Tlemceniens aiment et recherchent
l'étude pour leurs enfants. S'ils reconnaissent de plus en plus les avantages immé-
diats à retirer de l'instruction donnée dans nos écoles primaires où ils envoient
volontiers leurs fils, nombreux sont encore ceux qui envoient leurs enfants dans le^
écoles coraniques.
Les filles ne reçoivent pas d'instruction ; elles ne fréquentent pas nos écoles
primaires de filles et bien rares sont celles auxquelles les parents font apprendre
le Goran^.
Les garçons apprennent à lire et à écrire l'arabe à l'école coranique (msid ou
djâma^Y (fig. 24). Il y a à Tlemcen à l'heure actuelle une quinsaine d'écoles
coraniques fréquentées par environ 300 enfants.
L'écolier y apprend à écrire l'alphabet arabe et les sourates du Coran ; il écrit
ensuite, sur sa planchette, une sourate ou un fragment de sourate et l'apprend par
cœur sans en comprendre le sens ; il continue ainsi jusqu'à ce qu'il sache par cœur
le Coran tout entier, à moins qu'il ne quitte l'école avant la fin de ses études, ce
qui arrive souvent.
Les leçons, à l'école coranique, durent de 8 à 10 heures par jour, à Tlemcen,
et il faut une dizaine d*années environ, selon la fiicilité de mémoire de l'élève, pour
apprendre aiosi par cœur, sans omettre une voyelle, le Coran tout entier. Cet
enseignement est déprimant.
Celui qui sait le Coran est appelé iâleb ; il ignore la grammaire et se trouve
dans l'impossibilité de comprendre et de vocaliser un texte, même facile, d'arabe
littéraire.
L'école coranique est dirigée par un tàleb qui en général ne sait rien d'autre
que le Coran ; il est payé en argent par les parents des élèves, et reçoit d'eux des^
cadeaux. Le prix de la scolarité est variable, suivant le degré d'aisance des parents.
^ Il n'est pas question ici de nos écoles franco-arabee dans lesquelles l'enseignement est donné
par des instituteurs franç&is et par des musulmans.
. * Nombreux sont les Tlemceniens, les jeunes surtout, qui occupent leurs loisirs à lire les
revues et les Journaux arabes, publiés au Caire, à Tunis, à Alger, ou des livres arabes, particu-
lièrement des contes, comme les Mille et Une NitUs. Quelques-uns môme, élevés dans nos écoles,,
lisent nos journaux français. Les vieillards, généralement confits en dévotion, préfèrent la lecture
de recueils de chansons pieuses, de traités de mysticisme et de Vies de Saints.
8 Une école de tapis indigènes pour les fillettes musulmanes a été fondée à Tlemcen en 1900,
sur l'initiative du comité tlemcenien de l'Alliance française. Cette école confiée à deux Françaises«
sachant l'arabe et connaissant la fabrication des tapis indigènes, a bien réussi ; elle est aujour-
d'hui fréquentée par plus de cinquante fillettes qui apprennent à fidre des tapis, en même temps
qu'elles s'initient à la langue française. Il faudra créer encore d'autres écoles analogues, poor la
couture, la broderie, la dentelle, etc. ; on occupera ainsi utilement les loisirs d'une foule de
fillettes musulmanes actuellement désœuvrées et qui n'ont presque pas de rapports avec la sociétéL
française de Tlemcen,
* Lee renseignements donnés sur l'école coranique tlemcenienne par MM. W. Marçais {Le
dialecte de Tlemcen^ p. 242 etsuiv.), Zbnaoui {Récit en dialecte tlemcenien^ p. t4«tsuiT. eiJcur,-
asiaJt. p. 64 et s.), Abou Bikr (Uêages de droit coutumiert p. 87 et suiv.) me dispensent d'entrer
ici dans les détails.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 435.
Bien qu'en principe les enfants pauvres du quartier dans lequel est Técole coranique
S soient admis gratuitement, ils ne la fréquentent guère.
L'enfant, qui apprend le Coran, ainsi que les parents, doivent satisfaire à de
nombreux rites ayant pour objet de rendre la divinité propice au jeune écolier et
^e lui ouvrir la mémoire. La façon de réciter, l'imposition de certaines formules, la
nature des cadeaux faits au maître, la manière d'enduire et d'orner la planchette à
certains jours, la façon dont le msutre administre au mauvais élève la correction
<;orporelle, la nature même de la baguette (cognassier) qui sert à frapper, etc..
forment autant d'obligations ponctuellement réglées et qui ont une influence cer-
taine sur la conciliation des faveurs divines.
Le msîd musulman est comparable au midrach des juifs tlemceniens.
Le musulman qui arrive à posséder dans sa mémoire tout le Coran, passe aux
yeux de ses coreligionnaires pour un favorisé d'Allah, c'est un personnage quasi-
surnaturel, capable d'éloigner toute espèce de calamités. D'ailleurs le (aieb ainsi
formé se considère lui-même comme bien supérieur à l'humble ignorant qui
l'admire ; le Coran n'est-il pas » la mère de toutes les sciences » ? puisqu'il le sait,
<'est qu'il est un savant. Si le taleb ignore cette parole attribuée au Prophète
• Dieu assure la nourriture à celui qui s'adonne à l'étude, la subsistance lui viendra
sans peine, ni souci, tandis que les autres ne l'obtiendront qu'avec beaucoup de
peine et de sollicitude I », du moins il la met en pratique ; en général, il ne se livre
à aucun travail manuel, avilissant pour lui, et se contente de vivre en parasite ou
d'écrire des amulettes pour ses coreligionnaires. Il n'en va pas de même à Tlemcen
où les tälebs se livrent aux métiers les plus divers ; quelques uns poursuivent leurs
études d'arabe ; ils apprennent la grammaire, le droit, la théologie et assistent aux
leçons, sur ces matières, données à la Grande Mosquée par un Mouderrès (profes-
seur) nommé par l'administration française. Un très petit nombre des élèves des
écoles coraniques vient faire des études supérieures d'arabe à la Médersa^ dont
les étudiants sont surtout formés par nos écoles franco-arabes et par les Mouderrès
des Mosquées.
B) Les arts plastiques et Industriels^. — Les arts plastiques sont tombés
bien bas à Tlemcen à l'heure actuelle. Lorsqu'on admire les belles mosquées si
finement décorées, enrichies d'arabesques en plâtre et de mosaïques du goût le plus
délicat, construites dans cette ancienne capitale au temps de ses rois (surtout au
XIV*-Xy* siècles), on se demande ce que sont devenues les traditions d'art léguées
aux Tlemceniens par leurs devanciers musulmans I
Aucun architecte musulman tlemcenien, aucun ouvrier, ne serait capable
^ La Médersa était au moyen-âge la plas haote école d'enseignement de la littérature et des
sciences arabes ; elle servait à former les hauts fonctionnaires de la Justice, du culte, de Tadmi«
•nistration musulmane. Aujourd'hui encore, elle a le même objet; renseignement que Ton y donne
est mixte, il comprend du français et des matières françaises d'enseignement, ainsi que l'étude
de la langue et de la littérature arabes, de la théologie et du droit musulman. Les candidats à la-
Médersa sont tous musulmans, ils doivent posséder le certificat d'études des écoles franco-arabes et
subir un examen d'admission sur l'arabe littéraire ; la connaissance du Coran leur est absolument
inutile pour l'admission. La durée des études A Is Médersa est de quatre ou de six années. Il n'y ..
41 qu'une Médersa ÏNur département algérien.
^ Un chapitre consacré aux industries et aux divers corps de métiers exercés par les musulmans
ilemceniens nous aurait entraîné dans des développements dépassant les limites que nous avons
voulu fixer à cette esquisse. On se bornera ici À signaler le côté artistique un peu relevé de
-certaines industries tlemceniennes-, réservant pour plus tard l'exposé complet et détaillé d«
4Hndustrie masolmane à Tlemcen.
p. 436.] • R • E • E • 8 • [1908>
aujourd^hai de dresser le plan ou d'ordonner la décoration de semblables édifices ;
bien plus, on trouverait difficilement à Tlemcen un artiste indigène capable seule-
ment de copier les motift les plus simples de cette ornementation de plâtres et de
mosaïques, de boiseries et de cuiTres ouvragés, qui sollicite notre admiration^. La
restauration de ces monuments, qui incombe au service des Monuments historiques^
est faite par les Français.
On trouve à Tlemcen, dans les sanctuaires des principaux marabouts, dans
quelques cafés maures, chez des particuliers, des images représentant la jument, à
tête de femme, du Prophète, la fameuse Bourâq, sur laquelle la légende musulmane
veut que Mohammed ait fait Tascension au ciel. Souvent l'artiste a représenté, sur
le même tableau, deux Bouräq, se faisant vis-à-vis, ou encore une Bourâq et une
femme, et, pour que le tableau soit moins nu, il a rempli les vides avec des guir-
landes de verdure et de fleurs, dont il serait souvent difficile de trouver le nom,
tant elles sont mal imitées. Quelquefois aussi, l'image de Bourâq est placée au
dessus du dessin d'une mosquée, ayant sans doute la prétention de représenter la
mosquée de La Mekke. Les hechmaq^ sorte de sandales, qui représentent, dit-on,,
celles que portait le Prophète ou celles de sa fille Lalla Fâtima, la mère de tous
les chérifs, sont peintes également sur la tombe des femmes, au dos de la stèle des
pieds, ou sur des feuilles de papier que l'on encadre ensuite comme les Bourâq.
Ces images grossières, tracées par la matn inhabile d'un artiste, ignorant les
règles les plus élémentaires du dessin et de la perspective, mal peintes sur une
feuille de papier collée ensuite sur une feuille de verre encadrée, sont fabriquées
à Tlemcen. Elles représentent la mesure lamentable de ce que le musulman tlem-
cenien peut aujourd'hui produire en peinture. On ne saurait insister ici sur Tafireuse
peinture, cherchant parfois à donner des motifs floraux et géométriques, dont les
médiocres menuisiers tlemceniens ornent les objets de leur fabrication, tels que :
cofFres à linge, étagères (merfa*)^ berceaux d'enfants, porte-manteaux, portes,
tables basses (ufoûr et tnaïda)^ cénotaphes (tsàboûts) des marabouts, ornés
d'inscriptions arabes.
L'art de la miniature ou ornementation du livre manuscrit (fig. 25), dans lequel
les musulmans ont autrefois manifesté un si grand talent^, est aujourd'hui inconnu à
Tlemcen. Les rares copistes de manuscrits arabes que l'on y trouve encore se
bornent à encadrer de lignes droites et de couleurs variées les pages des manuscrits
de luxe qu'ils ont à préparer, à écrire en couleur les titres et les rubriques, à
rendre leur écriture aussi agréable que possible à l'œil, mais ils ne décorent la
copie d'aucune peinture, d'aucun dessin.
La sculpture sur pierre et sur marbre est encore représentée à Tlemcen par
plusieurs ateliers de sculpteurs d'épitaphes. Presque tous ont étudié le Coran avant
d'apprendre leur métier ; ils gravent au ciseau sur les stèles funéraires les inscrip-
tioQs arabes^ et décorent en outre la stèle de motifs d'ornementation , assez simple»
^ On peut citer cependant ici un habile ciseleur, M. Benkalfate Mohammed qui a construit le
grand lustre en cuivre de la Grande Mosquôe et a fait avec goût pluaieurs travaux de ce genre.
C'est encore un musulman d'El-Eubbftd qui a reconstitué pour le service des Monuments histo»
riques, les assemblages en bois de cèdre ouvragé des vieux plafonds de la Mosquée qui abrite
actuellement le Musée archéologique de Tlemcen.
' Voir par exemple les beaux specimens donnés par Migeon dans son Manuel d'nart mustdman^
t. n, Paris, 1907, p. 6 et suiv,
^ Les stôles (roûsiyàt) sont placées sur le tombeau, Tune à la tête et l'antre aux pieds, les
inscriptions se font vis-À-vis ; celle de la stèle de tête donne des versets du Coran, laissée en géoé-
1908.J BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P* 437»
et presque toujours floraux. Le sculpteur (neqqâch) se charge lui-même de peindre
les épitaphes et souvent il peint (en vert ou en rouge, et quelquefois en jaune) deux
semelles de sandales (bechmaqj au dos de la stèle des pieds, sur le tombeau des
femmes.
La moulure sur bois est pratiquée par les menuisiers ; elle est très rudimen-
taire, comme du reste Toutillage dont se sert le menuisier.
La sculpture du bois n^existe plus à Tlemcen^. Les cannes ouvragées et les
cueillers gravées au couteau que l'on vend à Tlemcen sont fabriquées par les
Cerbères des montagnes des Traras^ voisines des Nédroma.
L'industrie des cuivres ouvragés n'est pas non plus brillante à Tlemcen et c'est
JL peine si Ton peut citer trois ateliers de graveurs à la pointe de plateaux en cuivre.
L'industrie du cuivre incrusté est spéciale à l'Orient, et les objets de cette nature
ainsi que les plateaux en cuivre repoussé qu'on vend à Tlemcen sont des articles
d'importation.
On ne fabrique pas d'objets d'art en bronze ou en fer. On ne connaît même pas
la fabrication des couteaux, poignards, sabres, ou armes d'aucune sorte. L'industrie
du fer et de l'acier est entre les mains de nombreux forgerons et maréchaux-ferrands,
mais ses produits sont très frustes et sont limités aux outils et objets d'utilité
«curante^.
L'industrie de la céramique est également morte à Tlemcen où elle a cependant
laissé de si belles traces de sa splendeur passée que M. Migeon a pu dire : « Nulle
part dans tout l'Islam occidental, ne se trouve de plus beaux et complets spécimens
de revêtements céramiques que dans certains monuments mérinides de Tlemcen^ ».
C'est dans la broderie* sur cuir et sur velours, l'une des principales industries
tlemceniennes, que se sont conservées quelques unes des anciennes traditioDs de
l'ornementation hispano-moresque du moyen-âge, dont les monuments de Tlemcen
et ceux d'Espagne nous offrent de si précieux exemples. Les objets de maroquinerie
fabriqués et brodés ici sont des porte-monnaie, des sous-main ou serviettes d'écoliers^
des porte-feuilles, des selles arabes, des pantoufles et des souliers bas. On brode
^ussi sur velours, des châcbîya et des ceintures de femme^. La broderie sur drap
ou sur velours pour les vêtements (cafetan, frimla, etc.) est à Tlemcen surtout entre
les mains des brodeurs juifs et de quelques rares femmes musulmanes (fig. 26-27).
La broderie est faite au fil d'argent, blanc ou doré, employé tantôt seul, tantôt
enroulé autour d'un fil de soie. Le cuir employé est généralement le cuir rouge dit
filâli^ mais on brode aussi sur cuir de Russie (nommé ici hour^âri).
Les porte-monnaie ont la forme d'un rectangle plus ou moins allongé, à fermoir
^n filigrane d'argent ouvragé. La face du côté du fermoir est plus ou moins enrichie
rai au choix du sculpteur, celle de la stole des pieds indique le nom du défunt et la date de la
mort. Les sculpteurs de pierres funéraires gravent aussi des inscriptions sur pierre (versets du
Ooran) que des particuliers leur commandent pour les encastrer dans le mur des chambres de
leufs maisons.
^ Un cours d'apprentissage institué à l'Ecole Dôcieux, a pour but d'initier les jeunes musul-
mans au travail du bois, à l'ébôniaterie, à la sculpture, en s'inspirant des modèles d'art musulman
•du moyen âge. On y enseigne aussi la broderie sur cuir et le travail des métaux.
' L'orfèvrerie et la bijouterie sont ici entièrement entre les mains des Juifs.
3 Cf. Manuel d'art musulman^ t. Il, p. 338.
^ Le brodeur k Tlemcen est appelé serrâdj (avec un double rà emphatique) tandis que le fabri-
<cant de bois de selles arabes (serdf) est nommé serrédj,
^ Ces ceintures (au sing. ha;rzâma) sont en cuir recouvert d'une bande de velours sur laquelle
•est faite la broderie. Le cuir de la reliure des livres arabes est gravé au fer chaudL
p. 438.] • R • E • E • S • [1908»
de broderies au fit d'argent, formant des entrelacs curvilignes et floraux, des palmes
souvent réunies en fleurons, des croissants, des polygones étoiles. Quelquefois le
décor floral ou géométrique est simplement remplacé par le nom en arabe de
Tlçmcen (;)\^^ en écriture cursive ordinaire et nullement inspirée des modèles de
récriture monumentale qu^offrent les inscriptions des vieux édifices tlemceniens.
Les sous-main et serviettes d^écoliers sont d'une décoration plus sobre, généra-
lement un simple (^^L.*«!; avec un croissant ou quelques signes voyelles, dans un coin.
Les selles brodées sont de véritables objets d'art qui atteignent parfois des prix
élevés. Le cuir de la selle doit s'adapter sur le siège et recouvrir le pommeau élevé
et le large troussequin ; les mêmes moti& fondamentaux de décoration sont ici
adoptés aux formes spéciales des parties à orner (fig. 28).
Il en est de même pour les chacbîya, qui sont d'ordinaire complètement
recouvertes de broderies ne laissant aucun vide, les pantoufles {belr'a et rihatyay
ou souliers de femmes dans lesquels la broderie donne surtout des fleurons de palmes
plus ou moins agrémentés de nervures et de volutes. La ceinture de cuir a la forme
d'un très long rectangle dans lequel on a inscrit un rinceau supportant d'ordinaire
des palmes pins ou moins épanouies.
L'industrie des tissus à Tlemcen est de beaucoup la plus importante de toutes -^
elle était déjà réputée au moyen fige pour la finesse de ses produits. Le tisserand
tiemcenien {derrêg) ne fabrique que des vêtements (burnous, pantalons, jellâbas,.
ceintures, etc.) et des couvertures de laine. Ce travail ne présente absolument rien
à noter au point de vue artistique, et les dessins géométriques dont sont ornées les
couvertures de laine (boUânîya) ne méritent pas qu'on s'y arrête ici.
L'industrie des tapis se borne à Tlemcen à la fabricatien de tapis de laine
(eerhïya) du type marocain (Rbât) ou oriental (Smyme). Cette industrie n'existe
ici, que depuis peu d'années, à Técole des tapis indigènes fondée par T Alliance
française et dont on a parlé plus haut. Il n'y a pas à Tlemcen d'autre atelier de ce
genre, et seules, les fillettes formées par cette école, ont des métiers et travaillent
chez elles. L'école fabrique elle-même la teinture végétale pour ses laines. Le dessia
reproduit est très varié ; il provient de modèles à motifs géométriques et floraux,,
fournis par le Gouvernement général de l'Algérie. Il y aurait encore de beaux
modèles de dessin à puiser ici dans les décors de faïences vernissées et de briques^
ainsi que dans les revêtements en plâtre des vieux monuments tlemceniens.
C) Les arts de rexpresslon. — 1^ La musique. Le musulman tiemcenien est
très amateur de chant et de musique. En dehors des fêtes publiques ou privées, des
mariages et des réunions d'amis, auxquelles sont conviés des musiciens et des
chanteurs, les cafés maures, en été surtout, sont transformés le soir en véritables
cafés-concerts, dont l'élément féminin est d'ailleurs exclu. Les confréries religieuses
elles-mêmes ont leurs orchestres spéciaux qui, dans certains cas, accompagnent les-
foqra ou frères, pendant qu'ils psalmodient leur dxikr.
Les musulmans ont ici plusieurs sortes d'orchestres qui se distinguent les uns
des autres par les musiciens et les instruments qui entrent dans leur compositioD
ainsi que par les chants ou les danses qu'ils accompagnent.
a) L'orchestre des hêlïytn comprend cinq musiciens (fig. 29): un chef de musique
(ma^allem) qui joue du rhêh^ sorte de guitare à deux cordes^ ou du violon (kmendja)^
un baeh'kyâtsri et un kyâtsri qui jouent de la hoûïisra^ sorte de mandoline arabe
^ J'ai donné une description du rbéb et la manière de raccorder dans ane note du Journal asia^
tiqt40, 8f pt.-oct. 1902, p. 200-201.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 439« '
■à dix cordes, un terrâr^ qui joue du ierr (iâr à la campagne) ou petit tambour de
basque, un drd&A;/ jouant de la derboûka}. L'orchestre des bêlïyin chante des poésies
en s^accompagnant des instruments. Ces chansons sont composées en arabe littéraire
ou en arabe vulgaire ; celles d'arabe littéraire sont connues sous le nom général de
r^amâta (nom de la ville de Grenade) ; ce sont des poésies d'amour. Ces chants
^enadins ont été importés à Tlemcen vers la fin de notre moyen-âge par les Maures
andalous. Les r^amaiaSi selon la mesure sur laquelle ils sont chantés, se divisent
on plusieurs catégories ou nouba. On comptait parait-U en Andalousie, au temps
des Maures, jusqu'à 24 espèces de nouba ; mais à Tlemcen aujourd'hui, on n'en
-connaît plus que huit ou neuf. L'exécution d'une noûba peut durer deux ou trois
heures et comporte plusieurs poèmes distincts chantés les uns à la suite des autres,
dhaque noûba comprend cinq parties : d'abord une toûchïya ou morceau de musique
de tous les instruments ensemble^ sans chant ; puis un mçedder qui est le chant
par les musiciens avec accompagnement de tous les instruments ; puis viennent le
derdj^ Vençrâfet le kholâç qui ne diffèrent les uns des autres et du mçedder que
par le rythme qui est de plus on plus rapide.
Pendant une noûba, lorsque les musiciens ont achevé une poésie, avant de
oommenoer la suivante, on marque un temps d'arrêt dans le chant, mais l'orchestre
-continue de jouer ; cette suspension de chant se nomme Jcorsi. L'instrument dont
^e sert le ma'allem, dans le r'arnata est le rbéb.
Quand l'orchestre chante de l'arabe vulgaire, le ma^allem joue du violon,
-quelquefois du sentir^ sorte de luth (sur les cordes métalliques duquel il frappe
avec deux baguettes de cuivre) ou du qânoun^ espèce de harpe ; il n'est pas astreint
non plus à suivre les règles indiquées pour le r'arnata. Les chansons d'arabe vulgaire
peuvent être chantées sur des rythmes divers, au gré du ma'allem. Ici le chant ne
comprend que deux parties, un ^aroûbi ou partie pendant laquelle un seul musicien
chante en s'accompagnant lui-même de son instrument, puis un dour ou refrain
que tout l'orchestre reprend ensemble avec accompagnement de tous les instruments.
Les principales variétés de poésies chantées aujourd'hui à Tlemcen, en dehors de la
r'arnata, sont le jsendâli, poésies amoureuses magnifiant les beautés de la maîtresse
ot le charme d'être auprès d'elle, le hezBân^ élégies dans lesquelles le poète déplore
la séparation ou la perte de sa maîtresse, le khoçam ou discussion amoureuse.
Tlemcen ne compte aujourd'hui que trois orchestres de hêlïyîn musulmans et un
de hêlïyîn juifs ; ce dernier est de même composition, joue les mêmes morceaux et
ohante les mêmes poésies que les hêlïyîn musulmans^.
b) L'orchestre de iobbâîîn est composé d'un bach-r'ïyât^ de trois ou quatre
r'ïyâtîffif de deux tpbbâlîn (singulier = tqbbâl, joueur de ibel^ sorte de gros tam-
bour) et d'un joueur de narVêts^ sorte de petit tambourin double^, sur lequel on
^ C'est un tabe en cuivre ou en poterie d'en^iroD O^^SO de long et renflé & Tune de ses extrémi-
tés. L'extrémité la plus large (environ 0^15 de diamètre) est fermée par une peau tendue; l'autre
extrémité est ouverte. Le drâbki tient l'instrument sur la hanche et frappe avec ses doigts, des
-deux mains alternativement.
^ Je dois ces renseignements sur les orchestres tlemcen i ens d'hélïyln à M. Bouali, mouderrés
^e la Grande Mosquée de Tlemcen, qui est lui-même musicien à ses moments de loisir, et a écrit
5in traité sur la musique arabe, intitulé eU^^ %a»'i\ ^ cUaS^ s**^ v»^ (Alger, 1904).
3 L'instrument du r'ïyàp (pi. r'îyaftn) est la t^àîia, sorte de musette à anche que J'ai décrite»
ainsi que le tbd, dans le Journal asiatique^ loc. eit, p. 201-20E.
* Chacun des tambourins réunis, qui forment le narVets^ se nomme fbila; la (bila, qu'on
retrouve dans d'auires orchestres, est un vase en cuivre, fermé par une peau ; elle a la forme, et.
i peu près la dimension, de la moitié d'un gros œuf d'autruche, obtenue en coupant l'œuf par un
l>lan perpendiculaire à une ligne réunissant les deux pointes.
p. 440.] • R • E • E • S • [1908»
frappe avec deux baguettes légères en bois. On a vu que ce sont les tobbâiin qui
ferment le cortège accompagnant on marié, le soir du mariage, du bain maure à
la maison nuptiale.
c) L'orchestre des gelâtlïya est composé de deux à six musiciens, dont un ou
deux jouent du géllâlj gros tube de poterie ou de bois fermé à Tune de ses extré-
mités par une peau tendue^ un ou deux autres jouent de la geçba ou flute de
roseau, un autre enfin joue du bendaïr^ ; mais la présence de ce dernier n'est pas
indispensable. Le chef de cet orchestre ne joue en général d'aucun instrument, il
se contente de faire la quête parmi le public, de ramasser l'argent et de proclamer
le nom des généreux donateurs. Parfois aussi le chef joue lui-même du zâmer^ qui
est une sorte de cornemuse. Ces orchestres tlemceniens de gélâïliya joue très
rarement à Tlemcen ; ils vont donner des auditions dans les Tillages des environs,
à l'occasion des mariages et des fêtes.
Les Tlemceniens n'ont pas, comme les ruraux, de nieddâh^ qui chante des
poésies à la louange des marabouts locaux et du prophète, en se faisant accompa-
gner par un ou deux joueura de geçba^. Les meddâhs qui donnent parfois des audi-
tions publiques à Tlemcen, surtout les jours de marché, sont des étrangers.
(d). Certaines confréries religieuses ont des orchestres à elles, pour accompa-
gner les frères dans la récitation du dzikr. Les Qadrïyin et les Tayyebiyîn ont des
orchestres composés du nar'rets et de plateaux en cuivre {sîniya) qu'on frappe avec
des baguettes ; les Aïssâoûa se font accompagner par une r'aïta, plusieurs bendâirs
et une tbîla ; les Nègres ont les qarqâbou^ ou castagnettes métalliques, le gofnbri^
ou guitare grossière et la tbîla ; mais quand l'orchestre des Nègres joue en marche,
ou remplace la tbila par deux tbels.
(e). Les femmes ont aussi leurs musiciennes et leurs orchestres. A Toccasioa
des cérémonies du mariage, on a déjà parlé de Bents kolîla qui vient maquiller la
mariée à plusieurs reprises. Or Bents kolila — dont le rôle magique dans ces cir-
constances est bien marqué — est en même temps musicienne ; elle apporte
toujours avec elle sa ibila et en joue, tandis qu'une autre femme l'accompagne
avec le tambour de basque^.
(f). Pour les fêtes de famille, lorsque les Tlemceniennes se réunissent, elles
font généralement venir un orchestre féminin qui a pour but d'accompagner les
danseuses. Ce genre d'orchestre se compose d'une directrice, fqira^ qui joue de la
thila^ puis, en face d'elle une joueuse de terr^ à sa droite une joueuse de gauêlf
à sa gauche une joueuse de bendaïr. Au milieu de l'orchestre on dispose une table
basse sur laquelle on sert du café et du thé aux musiciennes. Généralement ces
orchestres de femmes chantent des poèmes sur les saints du pays et sur le Prophète ;
la fqîra chante un ou deux vers en s'accompagnant et l'orchestre reprend ensuite
avec accompagnement des instruments. Les assistantes ont pour habitude de mar>
quer la cadence en frappant dans leurs mains.
2^ La littérature populaire. — Si l'on met de côté les poésies d'arabe litté-
raire, chantées sous le nom de r'arnâ^, qui datent de l'époque dqà ancienne où
^ Dans la traDscription donnée ici le p doit se prononcer ^uedar. hegêfîàl se nomme aussi
gouél à Tlemcen. Pour jouer de cet instrument on le place sous !e bras gauche, et l'on frappe sor
la peau avec les doigts comme pour la derboûka à laquelle le gellàl ressemble beaucoup.
* Le hetidaïr, beaucoup plus grand que le terr^ est un tambour de basque sans sonnette.
' Le meddâb tiemcenien va chez des amis qui l'invitent & dtner et chante des poésies, sans
aucun accompagnement. Ce genre de rhapsode est devenu fort rare à Tlemcen.
^ Bents Kolila n'est appelée chez les particuliers qu'à l'occaaion des mariagee.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 441.
fleurissait la littérature arabe en Maghrib et en Espagne, et sont d'origine étrangère
pour la plupart, il reste encore, en arabe vulgaire, une foule de chansons. Presque
toutes celles-ci ont été composées par des poètes tlemceniens, par des chikhà^,
comme on les appelle. Il y a encore aujourd'hui quelques chikhs tlemceniens qui
composent des chansons et commencent par les chauter eux-mêmes pour les faire
connaître. Les plus goûtées de ces chansons tlemceniennes sont réunies en de
volumineux recueils manuscrits que conservent précieusement, de père en fils, ceux
qui les possèdent. Dans ces recueils, les poésies sont presque toujours accompagnées
du nom de leur auteur. Les chîkhs les plus renommés actuellement vivaient à
Tlemcen dans le dernier siècle de la domination turque ; leurs poésies sont chantées
par tous les orchestres d'hêlïyîn et leur nom est sur toutes les lèvres ; on citera
seulement ici : Benamsâïb et son fils Djeddi^ Ahmed ben Ettsrîki, Benzegli, Ben
Sabla, Saïd ben Abdallah, Embarek bou-letbâq, Ben R'embâza, qui pour la plupart
vécurent à Tlemcen et j furent enterrés ; les tombeaux de quelques-uns d'entre eux
sont vénérés par les femmes, à Tégal de ceux des marabouts^.
Ces poésies populaires chantent l'amour et la femme, Tlemcen et ses beautés,
les saints locaux et le Prophète, ou bien elles glorifient ou maudissent les Turcs et
leur administration, selon que les chikhs étaient les amis ou les ennemis du gou-
vernement d'alors, ou encore, ce sont des poésies mystiques.
Les poèmes d'origine non tlemcenienne, comme par exemple ces chants,
encore si répandus dans l'Afrique du Nord, de la geste des Arabes Hilaliens, sont
peu connus et peu recherchés des Tlemceniens.
En dehors de ces chansons qui demandent un accompagnement rythmique
d'instruments de musique, Tlemcen a aussi un grand nombre de poésies qui se
chantent sans aucun accompagnement.
Il y a d'abord, comme partout, les chansons des métiers ; elles sont particu-
lières à telle ou telle corporation et les ouvriers les chantent en travaillant. Ces
chansons généralement très courtes, ont trait au travail auquel se livre l'ouvrier,
au patron de l'atelier, à sa famille et à son personnel ; on y parle aussi de Dieu et
du Diable, des Démons et des Saints. Toutes ces chansons ne sont pas purement
locales, on les retrouve ailleurs qu'à Tlemcen ; certains ouvriers étrangers ont aussi
importé ici les chansons de leur pays. Ainsi ce chant des apprentis tisserands vient
directement de Fez, par le canal des ouvriers tisserands marocains qui sont nom-
breux à Tlemcen.
« Bourse sur bourse. — Que Dieu fasse miséricorde à Moulai Idrîs' — (et lui
accorde) un tellîs (double-sac) d'or — et une r*orâra (synon. de tellîs) d'argent —
que Dieu accroisse ta population, ô Fez ! — qu'il rende désert le pays des chré-
tiens I 9
Alors que les longues poésies chantées en musique ont toutes quelque préten-
tion littéraire, qui se traduit par l'emploi de nombreux mots et expressions de la
langue des livres, celles-ci, ainsi que les suivantes, sont composées uniquement
^ CMhh avec ce seD8, fait au pluriel chioûhh et chioùk?ta, et désigne non seulement le poète, mais
aussi celui qui chante la poésie. La femme qui fait profession de chanter ces poèmes e^t une
fgira ; on n*en connaît guère qu'une actuellement à Tlemcen, c'est la fqlra 'Aicha.
' Tel par exemple le tombeau de chikh Benamsâïb (dont le nom véritable est Amsàïb^ figurant
sur l'épitaphe), qui mourut en 1180 de l'hégire (1766 de J.-C).
^ Ces mêmes mots se retrouvent dans un chant de forgeron donné par W. Marçais dans son
Dialecte de Tlemcen {p. 287); on trouver aussi dans ce livre trois chansons tlemceniennes de
métiers et neuf chansons dVnfants, ainsi que cinq berceuses.
p. 442.] • R • E • E • S • [1908.
dans le langage parlé par le commun. C'est peat-ètre pour cette raison qu'il est
impossible de mettre un nom d'auteur sur Tune d'elle. Personne ne songerait à les
écrire.
Les enfants ont leurs chansonnettes de la rue, dont les principaux acteurs sont
des personnages mythiques, ou encore les grands marabouts du pays, le Prophète,
les animaux et, en particulier, la cigogne qui revient chaque année de son mysté-
rieux voyage, pour faire son nid sur les hauts minarets ; on y parle aussi de la
religion, du paradis, des fêtes de l'Islam, etc...^
Les mamans ont leurs berceuses pour endormir les tout petits. On retrouve
souvent dans ces berceuses des traces de la croyance si générale à l'apparition de
l'âme sous la forme d'un oiseau.
Enfin, un chant, bien tlemcenien celui-ci, le haoûfi est la chanson favorite des
jeunes femmes. Le hao&fi est la propriété exclusive des femmes et des jeunes filles
elles le chantent surtout dans les jardins, à la campagne, par les belles journées
de printemps ou d'été. Dans ces petites pièces de vers, les auteurs anonymes
tlemceniens sans doute, ont surtout chanté Tlemcen et ses environs si charmants
ses saints vénérés et Lalla Setti, la patronne des Tlemceniennes ; ils y ont réservé
aussi une large place aux amours et aux mariages entre cousins et cousines, si
communs dans cette ville^.
La prose elle aussi tient une place considérable dans la littérature populaire
de Tlemcen. Le soir entre amis, chez soi ou au café maure, on veille et l'on raconte
des histoires, a) La légende (qçïya) pour le Tlemcenien ignorant constitue l'histoire
véridique de sa cité bien-aimée et des rois, des saints, des héros qui l'ont jadis
illustrée. Il n'est guère de monuments, même ruinés, d'anciens palais ou châteaux,
de marabouts, qui n'aient leur légende dorée; les djinns eux-même ont leur part
dans ces histoires, qui relatent aussi des &its historiques plus ou moins travestis,
renferment des souvenirs des guerres d'autrefois, des sièges que Tlemcen eut à
soutenir, s'étendent même à l'histoire des Prophètes, des rois, des héros de
tout risiâm, etc..
b) A Tlemcen, comme partout ailleurs, on a aussi le conte ou la fable (Ä;Aorri/a),
récit merveilleux, sans nom d'auteur, sans date approximative, sans détermination
de lieu. Gomme tous les contes, ceux de Tlemcen, mettent en scène, les hommes,
les animaux, les phénomènes de la nature, dont ils expliquent les causes à leur
façon, les êtres fantastiques, etc.. ; ils commencent aussi par : « il était une fois... «
On ne croit pas absolument au conte, comme on croit à la légende, mais on s'en
amuse et l'on est toi^jours plus ou moins impressionné par la morale qu'il renferme
parfois.
c) Le Tlemcenien aime aussi la devinette (hodjjaïya) et lorsque quelques amis
sont réunis et désœuvrés, il est rare que l'un d'entre eux ne pose des devinettes à
ses camarades ; il commence par ces mots adressés à l'un des présents : hâdjjitsèk
«t Je te pose des devinettes », et ajoute presque aussitôt : loûJcên ma hoûma ma
djîtsek « sans eux je ne serais pas venu ! » à quoi l'on répond : er-rylin^ les pieds !
et l'on continue ainsi par d'autres devinettes.
^ Pour Tlemcen, à part les chansons d'enfants publiées par M. W. Marçau, et que j*ai signa-
lées ci-dessus, J'ai donné les chansons que les petits Tlemceniens débitent dans les roes pour
demander la pluie, dans mes RUes pour obtenir la pluie en temps de sécheresse, Alger 1905,
p. 25 (Ext. des Memoir, pub. par TEcole des Lettres d'Alger en Thonneur du XIV* Congtds des
Orientalistes).
* On trouvera vingt-cinq pièces de ^aoùfi et des détails sur ce chant tlemcenien ap. W. Mar-
çAis, Le dialecte de Tlemcen, pp. 205-240.
1908«] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P, 443.
d) Gomme tous nos musulmans nord-africaios, le TIemcenien a aussi ses nom-
breux proverbes et maximes sentencieuses, dictons et apophtegmes ; quelques-uns
sont locaux, ils ont trait au pays tlemcenien, aux industries locales, etc.. Rarement
ils sont attribués à tel ou tel personnage connu. Mais beaucoup de proverbes tlem-
ceniens se retrouvent ailleurs et il serait, en tous cas, bien ditficile d^en fixer
l'origine. Les proverbes si connus de Sidi Ahmed ben Youçef et d'Abd-er- Rahman
el-Mejdoûb se retrouvent naturellement ici.
La famille M la sociaé.
Les Tlemceniens ont conservé un certain nombre d^anciennes règles de droit
coutumier, dont quelques-unes d'ailleurs semblent tomber dans Tabandon. Ces
coutumes locales, relatives au commerce, à l'industrie, à l'agriculture, à certaines
fêtes familiales^ ont le même caractère que les usages analogues que l'on retrouve
chez les indigènes de tout le Nord africain ; elles ont pour but de suppléer au
manque de numéraire disponible et au prêt à intérêt, interdit par l'Islam, par le
paiement en nature, le crédit dans des conditions spéciales, l'association du patron
et des ouvriers dans les bénéfices et dans les pertes, le prêt sous forme de don rem-
boursable à l'occasion de telle ou telle cérémonie probable, etc..
A part ces coutumes, la société musulmane est régie à Tlemcen, par les mêmes
lois civiles et religieuses, musulmanes et françaises, que tous les musulmans de
l'Algérie. La famille et le rôle qu'y jouent les divers individus qui la composent,
mérite cependant quelques explications.
La monogamie qui semble passer de plus en plus dans les mœurs des popula-
tions citadines musulmanes de ce pays, est une règle ne souffrant que fort peu
d'exceptions à Tiemcen. Les fils mariés demeurent dans la maison paternelle, au
moins pendant plusieurs années. Le grand-père — ou, à défaut du grand-père, le
père — est le chef de la famille ; les enfants et petits-enfants l'appellent d'ordi-
naire sîdi « monseigneur » et tous ont pour lui un très grand respect. Ce seigneur
du foyer domestique prend ses repas seul, surtout dans la classe élevée, à moins
qu'il n'autorise un ou plusieurs de ses enfants ou petits-enfants à les partager avec
lui. Les hommes mangent séparés des femmes, dès que la famille comprend d'autres
personnes que le mari et la femme. Les jeunes enfants, fillettes et garçons prennent
d'ordinaire leurs repas avec les femmes ; mais dès que les garçons sont en âge de
se marier, ils n'entrent plus guère dans le gynécée ; ils mangent à part ou avec le
père. Souvent le père ne fait la faveur de les admettre à sa table qu'à ceux de ses fils
qui font leurs prières quotidiennes. Le premier-né des garçons d'une famille, jusqu'à
l'âge de quatre ou cinq ans ne doit pas se trouver, en même temps que son père, en
la présence du grand-père. C'est encore un curieux cas d'interdiction à ajouter à
ceux qui ont été signalés plus haut pour les jeunes mariés.
La femme des ruraux va et vient, autour des tentes ou des maisons, le visage
entièrement découvert ; la Tlemoenienne au contraire, comme d'ailleurs les femmes
des autres villes, a la figure entièrement couverte, ainsi que le corps, de son blanc
haïk de laine, et ne sort pas de chez elle quand elle veut. Dès qu'elle atteint douze
^ Les principales de ces coutumes sont exposées dans la brochure de Abod Bbrr, Usages de
droit cotUumier dans la région de Tiemcen^ 1 vol. in-8, 116 p. Tlemcen 1906.
p. 444.) • R • E • E • S • [1908.
à quatorze ans, c'est-à-dire qaand elle devient nubile, la Tlemconienne prend le
Toile et le garde toute sa vie. A partir de ce moment, elle ne peut sortir de chez
elle qu'avec Tautorisation de son père, de sa mère, ou du chef de famille, quand
elle n'est pas mariée, avec la permission de son mari, du père ou de la mère de
celui-ci, lorsqu'elle est mariée ; elle ne sort guère que pour aller au bain maure, en
pèlerinage aux marabouts, au cimetière, ou pour faire des visites aux amies, surtout
à Toccasion d'une fête de famille ; dans ses sorties, la femme est presque toujours
accompagnée par une parente ou quelque enfant de la maison, et même pendant
les premières années de son mariage elle ne sort qu'avec sa belle-mère ou ses
belles-sœurs. C'est rarement la femme qui fait les provisions journalières pour le
ménage, c'est généralement l'homme ou l'un des enfants. Dans sa maison, quand
elle n'a pas de domestique, la femme se charge entièrement des soins de propreté
des appartements, fait la cuisine et le pain ; en outre, quelques-unes tissent des
burnous, filent et tricotent de la laine, font de la dentelle, brodent des vêtements,
il en est qui savent coudre et raccommoder ; cependant beaucoup sont encore
désœuvrées.
En vertu du droit musulman le mari a la faculté d'infliger à sa femme la cor-
rection corporelle. Il semble que le Tlemcenien use modérément de ce droit qui est
d'ailleurs tempéré par notre Code pénal. La femme qui aurait subi des violences
laissant des traces, peut toujours requérir la justice française et amener son mari
devant le Tribunal répressif : le cas se produit très rarement.
Le droit de djehr ou de contrainte matrimoniale, permet au musulman de
marier ses enfants à son gré et sans les consultera A Tlemcen, le père — ou à
défaut son représentant — choisit à son fils la femme qu'il veut lui donner, après
avoir consulté sa femme et ses parents âgés s'il en a. 11 s'entend ensuite avec le
père de la jeune fille, sur les conditions de la dot ou don nuptial, que le mari doit
apporter à sa femme. Ni le jeune homme, ni la jeune fille ne sont consultés. Les
futurs époux sont généralement parents au degré de cousins germains ou à un
degré plus éloigné ; ils ont pu jouer ensemble étant jeunes, ou se regarder à la
dérobée depuis, mais, à partir du jour où la jeune fille a pris le voile, le fiancé n'a
pas dû revoir sa future femme, jusqu'au soir de la consommation du mariage. On
comprend que de semblables alliances, qui ne sont basées que sur les convenances
personnelles des parents, et ne sont pas cimentées d'ordinaire par l'affection et la
confiance réciproque des conjoints, fassent souvent des ménages mal unis et des
alliances peu durables. Le divorce ou la répudiation s'obtiennent d'ailleurs facile-
ment devant le cadi ; cependant cette rupture de l'union conjugale est extrême-
ment rare à Tlemcen.
Le mariage tlemcenien, entre consanguins, à un degré assez rapproché, est
préjudiciable à la santé des enfants. En outre, les dépenses très lourdes que doit
s'imposer le mari pour payer la dot (de 1500 à 3000 francs, en moyenne), et couvrir
les frais du mariage (moyenne de 500 à 1000 francs) sont souvent une cause de
ruine dans les familles médiocrement aisées. Les dépenses nécessitées par le
mariage ont du moins pour résultat de le retarder quelquefois, et dans la classe
moyenne les garçons sont rarement mariés avant l'âge de 18 ans, tandis que les
riches marient d'ordinaire leurs fils à partir de 13 ou 14 ans.
1 C'est en vertu de ce droit que bien souvent des musulmans marient leurs fiUaa impabères.
bien que la loi musulmane ne l'admette paa et que l'administration française ait fait en Algérie
de grands efforts pour enrayer cet usage. A Tlemcen du moins, ces alliances précoces sont à pea
prés inconnues.
1908.] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 445.
La femme musulmane, malgré la sujétion dans laquelle elle est placée vis à
vis du mari, doit non seulement être entretenue par son époux et pouvoir jouir
personnellement de tous les biens qu'elle possède en propre, mais encore, à Tlem-
cen elle a, en général, une certaine autorité dans la maison ; le mari se passe
rarement de la consulter, et suit souvent ses conseils paraît-il, dans toutes les
affaires intéressant le ménage et la famille. Le mari tlemcenien ne considère pas
toujours sa femme — comme le rural par exemple — comme un simple objet de
plaisir et une sorte de servante qui doit lui obéir et travailler ; il la traite souvent
en compagne à laquelle il se plait à acheter de beaux vêtements, des bijoux et des
oripeaux et voit en elle la mère de ses enfants ; il lui abandonne l'éducation des
garçons, jusqu'à l'âge de sept ans environ, et celle des filles jusqu'à leur mariage.
La mère est généralement aimée et respectée de ses enfants.
A Tlemcen, comme dans tout l'Islam, le célibat est très rare, dans les deux
sexes. La veuve, à moins qu'elle ne soit très jeune, ne cherche guère à se remarier ;
elle ne trouve d'ailleurs pas facilement un mari quand elle a des enfants et qu'elle
n'est pas riche. La femme âgée est généralement bien traitée ici par ses parents ;
ses enfants et petits enfants l'écoutent avec respect et lui témoignent beaucoup de
prévenance et même d'affection.
On a vu que l'éducation religieuse des fils incombait au père, lorsque l'enfant
atteignait l'âge de sept ans environ. C'est le père qui doit enseigner à son fils les bons
usages et les règles de la civilité ; il lui apprend comment il doit se vêtir et se laver,
se tenir à table, saluer les parents et les étrangers selon leur âge et leur qualité ;
il lui dicte en un mot, dans ses moindres détails, la conduite qu'il doit avoir dans
la famille et dans la société. De bonne heure,' le père envoie son fils à l'école ou à
Tatet ier et le réprimande sévèrement s'il n'est pas satisfait de son travail.
Certes, le tlemcenien a une préférence marquée pour les garçons, mais il aime
aassi ses filles, met tout son orgueil à les voir bien vêtues et à les parer de bijoux,
quand il le peut.
Les divisions que l'on rencontre dans la famille, entre individus des deux
sexes, se retrouvent naturellement dans la société. Les femmes sont toujours sépa-
rées des hommes. Les vieilles seules sont parfois admises en la présence des
hommes ; mais cela est encore assez rare.
La vie publique de la femme se réduit en somme à quelques visites aux amies
et parentes, à l'occasion des fêtes familiales, et aux réunions avec les autres
femmes, soit au bain maure, soit au cimetière, ou auprès des sanctuaires des mara-
bouts.
L'homme au contraire n'est presque jamais chez lui, en dehors des heures
consacrées aux repas et au sommeil ; il passe sa journée à son travail ou au café
maure, ou encore chez des amis, avec lesquels il cause Joue aux cartes et s'amuse ;
il fréquente assez régulièrement la mosquée et ne manque pas les fêtes et les repas
auxquels il est convié.
*
♦ «
En résumé, Tlemcen, cette ancienne capitale des rois du Maghrib central,
renferme encore une population musulmane considérable qui ne manque pas d'ori-
ginalité. Cette population se distingue, à son avantage le plus souvent, des autres
agglomérations musulmanes urbaines ou rurales, par son activité matérielle et
intellectuelle, par son langage, par ses habitudes et même par son costume. Les
groupes ethniques qui la forment, après avoir vécu longtemps en ennemis, tendent
p. 446.] • R • E • E • S • [1908.
peu à peu vers le rapprochement et la fusion, auxquels seuls des préjugés de race
ou d'origine ont jusqu'ici fait obstacle, car il y a entre ces groupes similitude
absolue de croyances, de coutumes et de mœurs.
La religiosité de cette population est profonde ; elle se manifeste dans la pra-
tique fidèlement suivie des principaux dogmes de Tlslâm et du cuite des saints,
dans des croyances animistes et des cérémonies magiques, analogues, au moins
pour le fond, à celles que Ton retrouve dans toutes les sociétés primitives et même
encore dans l'Europe moderne, où elles représentent les survivances d'une culture
barbare.
C'est plus spécialement la femme qui détient ici le domaine si vaste des
anciennes traditions du paganisme, du culte des esprits et de la magie, dont l'homme
est d'ailleurs loin d'être complètement dégagé. La cause en est dans Tignorance
profonde dans laquelle la femme est tenue, dans l'absence de toute espèce de
culture intellectuelle un peu relevée, dans sa semi- réclusion, qui lui interdit le
contact avec la société qui l'environne.
Plus laborieux et plus intelligent que le Bédouin, le Tlemcenien mène aussi
une vie plus aisée, plus facile ; il jouit d'assez de confort, parfois même d'un cer-
tain luxe dans son habitation et son costume ; il se tient proprement.
La situation sociale de la femme tlemcenienne qui ne sort de la maison
que voilée et très rarement sans la permission de son mari ou de ses parents,
parait moins enviable que celle de la femme des campagnes qui circule au milieu
des hommes sans se couvrir la face. Cependant la Tlemcenienne jouit dans sa
famille, de plus d'initiative, de plus d'autorité, de plus d'affection que celle-là qui
est astreinte aux travaux les plus rudes, partage avec plusieurs co- épouses les
faveurs du mari, et ne cesse d'être étroitement surveillée dans ses moindres mou-
vements.
Certaines familles, par leur origine chérifienne ou maraboutique, jouissent de
quelque crédit et de respect de la part du commun peuple ; mais il n'existe pas de
classes sociales nettement distinctes ; chacun ne doit son rang qu'à ses mérites
personnels, à sa fonction, à sa fortune. Les femmes vivent à part, dans la famille,
et surtout dans la société ; cette règle ne souffre guère d'exception.
Les diverses manifestations de la vie intellectuelle et de la vie publique, sont
l'apanage presque exclusif des hommes.
Le Tlemcenien est très fier de sa ville natale, il l'aime et ne la quitte pas
volontiers ; s'il s'en éloigne ce n'est jamais sans esprit de retour. Loin de Tlemcen,
il conserve ses habitudes et son parler local^. Quelle que soit sa résidence, il se
marie d'ordinaire à Tlemcen ; mais il est rare qu'il emmène, avec lui, sa femme ;
celle-ci demeure dans la maison de son beau-père et préfère vivre loin de son époux
— qui vient la voir de temps en temps — que loin de son cher Tlemcen.
Tenue à l'écart de la société européenne, à Tlemcen comme presque partout
ailleurs dans ce pays, la femme musulmane est très éloignée de nous, sous tous les
rapports. Les jeunes tlemceniens qui, toujours plus nombreux, fréquentent nos
écoles, entrent de plus en plus en contact avec nous par la communauté du lan-
gage et modifient ainsi peu à peu, et presque à leur insu, leurs idées et leurs habi-
tudes pour se rapprocher de nous.
Mais, dans son ensemble, la société musulmane tlemcenienne est encore, et
sera bien longtemps, profondément différente de la société européenne par les
Voyez par exemple : E. Aubin, Le Maroc d? aujourd'hui, p* 153f Paris, Colin, 8« éd. 19a5.
1908«] BEL : LA POPULATION MUSULMANE DE TLEMCEN. [P. 447«
_ .^_. ._ .._^ ...__. ..^.........^. ......... .^.^^.....»........^.>.... — .~.................. ...... - .... ; 7
croyances Feligieuses, la langue, les mœurs, Torganisation familiale, les aspirations,
en un mot, par sa civilisathn. Ce n'est pas en quelques années qu'une population
abattue par un long engourdissement intellectuel et déprimée par des siècles de
tyrannie et d'oppression, peut se relever, qu*elie peut abandonner un passé de
traditions séculaires, patrimoine de centaines de générations, auquel Tesprit
profondément conservateur du musulman maghribin la retient fermement attachée :
s'il faut vingt ans, a dit un sage, pour faire un homme, il faut des siècles pour
faire l'éducation d'un peuple.
« Si en Angleterre, a dit Tylor, il arrive encore que de rustres paysans soient
« cités en justice pour avoir maltraité une vieille femme qu'ils accusaient d'avoir
« frappé une vache de stérilité ou d'avoir gâté un champ de navets, cela nous donne
« à réfléchir sur la ténacité avec laquelle les gens de campagne se cramponnent aux
» extravagances condamnées, et montre quel pressant besoin ils ont de maîtres
« d'école^ 9.
Longtemps encore, Tlemeen, qui réserve déjà à l'archéologie tant de trésors
d'architecture moresque de la belle époque, offrira à l'arabisant et au sociologue un
vaste champ d'études : d'abord dans sa population musulmane accueillante et sym-
pathique, aux manières affables et distinguées, dont on vient de signaler les carac-
tères principaux, ensuite dans sa population juive qui est également importante et
curieuse, qui parle un dialecte arabe — différent de celui des musulmans — qui
par ses mœurs, ses habitudes religieuses, ses conditions d'existence, présente de
grandes analogies avec la société musulmane et sur laquelle l'un de ses rabbins,
dans une étude tracée à grands traits, a déjà attiré l'attention^.
^ Cf. Edward B. Tylor, La civiUsation primitive^ trad, franc. Paria 1876, S vol. in-8, 1. 1,
p. 163.
* Cf. A. Mbtkb, Etude sur la communauté UraélUe de Tlemeen, Alger, 1908, 1 vol. in-6,
151 pages.
p. 448.] • R • £ • E • S • [1908.
LE PEUPL.B SIÉNA OU SÉNOUFO
par Maübiob Dslafosbb (Côte dlvoire).
(Suite.)
31. Les classes soeiaies.
La société Siéna se divise en deux classes que je propose d^appeler celle des
nobles et celle des serfs^ quoique cette appellation ne soit pas absolument exacte.
Elle l'est plus en tout cas que celles Tulgairement usitées de « maîtres et captifs »
ou de « libres et esclaves », les mots « captif » et « esclave » ayant dans nos langues
européennes une acception qui ne répond nullement à celle du mot indigène que,
faute de mieux, je traduis par ■ serfs ».
Je dirai même que ces deux catégories sociales ne sont pas à proprement parler
des classes, mais plutôt des conditions de vie sociale purement accidentelles : un
noble en effet peut devenir serf et un serf peut devenir noble, aucun individu n^ap-
partient nécessairement de par sa naissance et pour toute sa vie à Tune ou à Tautre
catégorie. La répartition est due, originairement, aux résultats de la guerre, ou plus
exactement aux effets du droit du plus fort et aux nécessités de Texistence.
A Torigine, chaque tribu ou sous-tribu Siéna a été constituée par la famille et
les descendants de Tancôtre de la tribu ou sous-tribu et par conséquent ne se corn-
posait que de nobles. Mais au cours de ses migrations, des guerres livrées aux autres
tribus Siéna ou à des peuples étrangers, la famille noble constitutive de chaque
tribu ou sous-tribu s'est augmentée des prisonniers faits à la guerre, qui sont deve-
nus les serfs de la famille noble. Les nobles engendrèrent des nobles, les serfs
ODgendrèrent entre eux ou avec les nobles des serfs ou des demi-serfs. Cependant,
au bout de plusieurs générations, les descendants des premiers serfs, demeurés tou-
jours attachés à la même famille noble, furent considérés à leur tour comme nobles,
en sorte que les serfs proprement dits ne sont au fond que les prisonniers de guerre,
les réfugiés étrangers et les esclaves récemment acquis et leurs descendants directs.
Les chefs sont en général des nobles, mais ils peuvent être aussi des serfs ou
des gens d'origine servile, comme on le verra au chapitre traitant des successions ;
un serf devenu chef est anobli par ce seul fait, ainsi que tous ses ascendants et
descendants.
D'autre part, tel individu, noble dans une tribu donnée, peut devenir serf dans
une autre tribu à la suite des hasards de la guerre.
Au fond les serfs sont tous, par leur origine, étrangers à la tribu ou sous-tribu
ou à la fraction politique à laquelle ils appartiennent en tant que serfs. Mais, au
contraire des Agni-Assanti, chez lesquels aucun serf n'est Agni-Assanti d'origine,
les Siéna ont parmi eux des serfs dont un grand nombre, — le plus grand nombre
même dans la fraction centrale, — sont des Siéna tout comme leurs seigneurs
nobles : seulement ce sont des Siéna originaires d'une tribu, sous-tribu ou fraction
politique autre que celle à laquelle appartiennent ieurs seigneurs nobles. On n'a
donc pas, dans le peuple qui nous occupe, ou du moins on a très petf de serfs portant
toute leur vie le cachet de leur origine servile.
Actuellement les ser& Siéna sont d'anciens captife de guerre acheté« ou pris
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 449.
au moment des guerres de Babemba et de Samori. Ils ne sont pas autrement traités
que les membres de la famille noble à laquelle ils sont attachés. S'ils désirent
retourner dans leur pays d'origine, leur famille verse habituellement à leur seigneur
une indemnité dont la valeur varie de 150 à 250 francs. Les enfants nés d'un noble
et d'une serve ont les mêmes droits que les autres enfants du noble. Les enfants
nés de deux serfs restent serfs, mais font partie de la famille du seigneur. Beaucoup
de gens se sont constitués serfs, au moment des guerres, pour avoir la vie sauve ou
la nourriture assurée ; d'autres le sont devenus pour avoir commis l'adultère avec
une femme noble. Les guerres de tribu à tribu et les razzias des conquérants ayant
pris fin avec l'occupation française, la source de Tétat de servage se trouve par cela
môme tarie et, au bout de quelques générations, il n'y aura plus de serfs propre-
ment dits, mais seulement une sorte de classe inférieure demeurant par tradition et
par besoin subordonnée en quelque sorte à la classe noble : peu à peu, les anciens
serfs deviendront de véritables fermiers.
Dans la pratique, la raison d'être de ces deux classes réside dans les conditions
d'existence du peuple Siéna, qui, comme je l'ai expliqué plus haut, est essentielle-
ment et presque uniquement un peuple agricole : chaque famille a besoin de bras
nombreux pour cultiver le sol nécessaire à sa subsistance et en même temps vaquer
aux soins du ménage ; les guerres produisent des prisonniers : les vainqueurs, s'ils
sont agriculteurs, gardent leurs prisonniers ; s'ils sont commerçants ou guerriers,
ils les vendent à un peuple agricole, et c'est ainsi que les Siéna ont acquis leurs
serfs. Ces derniers d'ailleurs, en un pays où, jusqu'à notre occupation, la sécurité
était sans cesse menacée, ne sont pas mécontents de leur sort, d'autant plus que
souvent ils étaient déjà serfs dans la région où la guerre les a pris. Petit à petit,
ils font partie intégrante de la famille de leur seigneur ; ils lui donnent une partie
de leur travail, mais ils travaillent aussi pour eux-mêmes et jouissent d'une liberté
individuelle beaucoup plus complète que celle du domestique et de l'ouvrier de nos
pays d'Europe : ce ne sont pas des esclaves ; ce sont des serfs à peu près analogues
à nos serfs agricoles du Moyen- Age et aux serfs de Bussie à une époque plus récente.
Souvent plus nombreux que les nobles, ils forment à eux seuls de véritables villages
où ils vivent aussi indépendants que les nobles peu fortunés, ne fournissant à leur
seigneur qu'une faible partie de leurs récoltes, et, en échange, recevant de lui
assistance et protection en cas de maladie, de disette, de danger, de procès, etc.
Cet état social, quelque barbare qu'il puisse paraître à l'observateur superficiel
et procédant par système subjectif, est en réalité parfaitement adéquat aux besoins
des Siéna. Le supprimer serait bouleverser profondément ce peuple, amener dans
son sein la famine, la pauvreté, le vol, le crime, toutes choses inconnues ou très
rares actuellement. L'idée du travail salarié ne peut en effet s'infiltrer que peu à
peu dans les mœurs et ne peut en tout cas recevoir son application qu'au fur et à
mesure que se crée un mouvement commercial et monétaire permettant aux
employeurs d'accorder un salaire et aux employés de l'utiliser à l'achat des néces-
sités de la vie. Chez un peuple essentiellement agriculteur, l'état social qui est
maintenant encore celui des Siéna me semble être, sinon un idéal, au moins une
nécessité dont personne ne pâtit réellement et qui a pour la collectivité d'immenses
avantagea.
32. Les Castes.
ChoE les Siéna, comme chez les Mandiogues et dans d'autres populations sou-
danaises, il existe des castes spéciales dont chacune exerce un ou des métiers
p. 450.] • R • E • E • S • [1908.
spéciaux, a des coutumes spéciales et parfois une religion spéciale. Mais il conTient
de bien remarquer que toute la population n'est pas divisée en castes, comme cela
existe dans Tlnde par exemple.
II y a, si Ton veut, deux catégories : la première comprend la généralité du
peuple, composée surtout d'agriculteurs, mais qui peut s'adonner à n'importe quel
autre métier, y compris même — au moins accidentellement — les métiers exercés
par les castes spéciales ; la seconde catégorie comprend les différentes castes.
Ces castes sont, à ma connaissance, au nombre de six chez les Siéna : ce sont
celles des artisans ^ des forgerons ^ des lorho (bijoutiers en cuivre), des musicienSy
des koulé (sculpteurs de statuettes et de masques) et des sono ou sonon (prêtres,
sorciers et mimes religieux).
J'ai dit plus haut quels étaient les métiers réservés en général à la caste des
artisans (industries du fer, du bois, du cuir, et, pour les femmes, industrie de l'ar-
gile). Ce que j'appelle ici les forgerons comprend surtout les fabricants de fer,
plutôt que les artisans qui travaillent ce métal. J'ai parlé aussi des lorho. Les
musiciens sont les joueurs professionnels d'instruments de musique divers. Les
ioulé fabriquent surtout des statuettes et masques d'ordre religieux, abandonnant
aux artisans ordinaires la fabrication des ustensiles de bois d'usage courant ; ils
passent pour jeter des sorts et sont fort redoutés : on ne doit pas prononcer le nom
de cette caste, sous peine de s'attirer de graves malheurs. Les sono compren-
nent à la fois les prêtres du culte indigène, les maîtres qui initient les catéchu-
mènes aux mystères religieux, les sorciers qui fabriquent des charmes et prétendent
découvrir les possédés, et enfin des sortes de baladins qui prennent part aux danses
et cérémonies religieuses et funéraires et qui parfois sont de véritables mimes ou
pitres assez originaux.
Parmi ces six castes, certaines semblent avoir plus de rapports avec les unes
qu'avec les autres : ainsi les artisans, les forgerons et les lorho marchent souvent
de pair et quelquefois même paraissent se confondre et ne former qu'une caste ; les
musiciens sont à part, et les Jcoulé et sono forment un troisième groupe. Il est fort
possible qu'à l'origine il n'y ait eu que trois castes spéciales, et que, par la suite,
chaque caste se soit subdivisée en plusieurs fractions.
Les hommes d'une caste donnée ou d'un groupe donné de castes ne peuvent
épouser que des femmes de leur caste ou de leur groupe : ainsi un artisan ne peut
épouser qu'une femme de la caste des artisans, ou, à la rigueur, une femme de la
caste des forgerons ou de celle des lorho. Il arrive cependant parfois qu'on artisan
épouse une femme de la caste des musiciens ou qu'un sono épouse une femme de la
caste des artisans. Mais jamais une femme n'appartenant pas à une caste ne con-
sentirait à épouser un artisan, un forgeron, un musicien, etc., même si ce dernier
n'exerçait pas la profession de sa caste. Ainsi j'ai vu des Siéna de caste sono^ rem-
plissant l'emploi de gardes de police, ne pouvoir obtenir la main d'une femme « non-
castée » — si j'ose m'exprimer ainsi, — pour ce seul motif qu'eux-mêmes étaient
« castes n d'origine.
D'autre part un artisan Siéna épousera sans difficulté une femme Mandingue
fille d'artisans : en d'autres termes le mariage est autorisé entre individus de people
différent mais de même caste.
Il arrive par contre assez souvent qu'un homme « non-casté « épouse une femme
« castée «, mais alors cette dernière prendra rang le plus souvent après les autres
femmes de son mari.
1908.] DELAFOSSB : LE PEUPLE SIENA OU SÉNOUFO. [P. 451.
33. Les familles ou clans.
Les Siéaa se partagent — iadépendamment de la division en tribus ou sous-
tribus dont j^ai parlé au début de cette étude — en plusieurs familles caractérisées
chacune par un nom spécial qui est celui d'un animal sacré pour la famille qui en
porte le nom. Il en est au moins ainsi dans les fractions du centre et du nord-est
et la plus grande partie des fractions nord et sud. Dans certaines régions des frac-
tions nord et sud, surtout dans celles où Tinfluence mandingue a le plus pénétré,
les Siéna ont souvent remplacé leurs anciens noms de famille par des noms de
famille mandingue, lesquels ne sont pas toujours des noms d'animaux. Quant aux
Siéna de la fraction sud-est, qui ont adopté en grande partie les mœurs abron ou
assanti, ils ne m'ont pas semblé avoir conservé Tusage des noms de famille.
Ces noms de famille (fêlé en siéna, diamon ou plus exactement gyamû) sont,
à ma connaissance, au nombre de cinq seulement chez les Siéna non mandicisés :
au moins n'en ai-je entendu que cinq dans les fractions centrale et nord-est et dans
le nord et Touest de la fraction sud. Ces noms se retrouvent indistinctement parmi
toutes les tribus ou sous- tribus, quoique certain nom soit plus fréquent dans telle
tribu, certain autre dans telle autre. A l'origine le nom était unique dans une tribu
donnée, étant le nom de la famille d'où est dérivée la tribu ; mais dans la suite,
d'autres familles étant venues se grouper autour de la première, on a eu plusieurs
fêlé dans la même tribu ou sous-tribu.
Les cinq félé Siéna sont :
P Soroo ou Sorouo ou Sorô^ nom de la « panthère » ou « léopard » (Felis
pardus) : la famille des Soroo semble être considérée comme la plus noble ;
2° Téo ou Tio ou Tô^ nom de « l'antilope rouge à raies et taches blanches «
(Tragelaphtis scriptuSj le mina des Mandingues, le woneani des Agni du Baoulé) ;
S^ Siluo ou Siluê^ nom du « singe noir s {Coklbus poly cornus^ le fwe dos Agni) :
la famille des Siluo a, comme animal sacré, en plus du singe noir, le « mange-mil
noir », tout petit oiseau dont j'ignore le nom scientifique ;
4® Sékongo ou SéhotihOj nom de 1' « écureuil de terre n (Xerus erythropus^ le
ktcasre des Agni du Baoulé) : la famille des Sékongo a un grand nombre de repré-
sentants parmi les castes des artisans et des forgerons, mais en a aussi parmi des
gens « non-castés », la division par castes étant indépendante de la division par
familles ;
5® Tuô ou Tto, nom du « phacochère » (Phacochœrus Africanus) ou peut-être
du « sanglier roux » ou « potamochère » (Potamochœrtcs penicillatus) ^ sans que je
puisse affirmer lequel des deux.
Les Mandingues habitant parmi les Siéna ont traduit chacun de ces félé par le
Tiamon mandingue correspondant au même animal sacré ou à des prohibitions
identiques à l'égard de tel ou tel aliment ; (car il est interdit à chaque famille de
manger, non seulement de son animal sacré, mais encore une série plus ou moins
considérable d'aliments animaux et végétaux). C'est ainsi qu'ils ont traduit Soroo
par KouloubalijYéo par Ouatara^ Siluo par Konndé ou Koneßekongo par Kamara^
Tuô tantôt par Dagniorho^ tantôt par Diarassouhay tantôt par Touré. Mais il est à
remarquer que les termes mandingues n'ont pas la signification du terme siéna
•correspondant ; ainsi soroo veut dire « panthère » en siéna, mais Tcouloubali en
mandingue désigne un rongeur que je crois être le Cricetomys Ganibianus ou « rat
-de Gambie b ; il en est de même pour tous les autres noms. Seulement les Soroo
ont les mêmes prohibitions que les Eouloubali (d'une façon générale au moins), les
Yéo que les Ouatara, etc.
p. 452.] • R • E • E • S • [1908.
Il est arrivé que des Siéna, vivant en contact avec des Mandingues et ayant
plus ou moins adopté les mœurs de ces derniers, ont troqué leur /eJß national contre
le dmmon mandingue correspondant, et se donnent comme étant des Kouloubali,
des Ouatara, etc. D^autres encore ont adopté des dianum portés par les familles
mandingues établies auprès d'eux, bien que ces diamon n*aient pas chez les Siéna
de fêlé correspondants : c'est ainsi qu'on rencontre dans la fraction nord des Siéna
se donnant comme Taraoré, Bamba, Fofana, Kourouma, Dia barbate, Sarhanorho,
Konaté, Dembélé, Sissé, Sidibé, Sangaré, etc., tous noms de famille mandingues.
J'attire l'attention sur ce fait, qui prouve que, quoi qu'on en ait dit, il ne faut pas
se baser sur le nom de famille d'un noir pour déterminer son origine ethnique.
Voici Texplication que donnent les Siéna de leurs noms de famille ou /i?fé:
lorsque se constituèrent les familles primitives qui donnèrent ensuite naissance à
tout le peuple Siéna, il arriva que l'ancêtre de chaque famille eut à se louer d'un
animal qui, dans des circonstances diversement relatées par les légendes nationales,
lui fut secourable en quelque manière ; en reconnaissance de cela et pour en per-
pétuer le souvenir, Tancêtre prit le nom de cet animal, et défendit à tous ses des-
cendants de le tuer et de manger sa chair. Plus tard, d'autres ancêtres ajoutèrent,
pour des motifs identiques, des prohibitions analogues à la prohibition première,
mais celle-ci demeura comme le véritable trait caractéristique de la famille et
subsista même lors du fractionnement de cette famille primitive en tribus et sous-
tribus.
Les Siéna croient que si un membre d'une famille tue l'animal sacré de cette
même famille, l'un des représentants de la famille meurt au même instant : or
comme chaque famille est dispersée sur une aire de plusieurs milliers de kilomètres
carrés et compte plusieurs milliers de représentants, il est aussi difficile de démon-
trer parades faits la véracité de cette croyance que d'en prouver l'inanité. Si un
membre de la famille mange la chair de l'animal sacré, un cancer un jour lui ron-
gera la bouche. Si, même par mégarde, il pose le pied sur le cadavre de cet animal,
il tombera malade, à moins qu'il n'offre, selon les rites voulus, et à l'endroit mêoQC
où s'est accompli le sacrilège, un sacrifice expiatoire. On dit aussi qu'à la mort d'un
homme, son âme passe dans le corps d'un animal de l'espèce sacrée naissant au
même moment, et qu'à la mort de cet animal, l'âme retourne dans le corps de Tun
des nouveaux-nés de la famille qui porte son nom : cette croyance explique suffi-
samment l'horreur que manifestent les Siéna pour tuer ou manger l'animal dont
leur famille porte le nom : ils croiraient manger ou tuer un de leurs parents.
Il ne faudrait pas, comme on l'a fait quelquefois pour le mot mandingue
diamon^ traduire fêlé ou diamon par « tabou r. Car si chacun des fêlé siéna que
j'ai énumérés plus haut est en même temps le nom d'un animal qui est « tabou >
pour la famille portant comme nom ce fêlê^ il peut en être autrement : ainsi la
famille mandingue des Dioinandé a pour « tabou » le crocodile {Jbama)^ alors que
son diamon signifie « les fils ou descendants du chef Dioman « et n'a par suite
aucun rapport avec le nom de l'animal sacré ; de même les Mansaré ou Mazaréy
autre famille mandingue, dont le diamon signifie « fils de roi, famille de souche
royale », ont pour « tabou » l'hippopotame {mali). De plus, même chez les Siéna,
il y a pour chaque famille d'autres animaux « tabou » que celui dont cette famille
porte le nom : ainsi les Soroo ou « Panthères » ont pour « tabou » non seulement
la panthère, mais encore le serpent python et plusieurs oiseaux dont j'ignore le
nom. Les mots féU en siéna, diamon en mandingue doivent se traduire par « nom
de famille » ou, fi on le préfère, par « nom de clan ». Un Siéna, par exemple, se
:1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 453*
nomme Zié Soroo ; on lui demandera son nom de la façon suivante : « Mou m^
_ffui ? Mou fêlé gui ? »^ A la première question, il répondra : Zié^ à la seconde :
Soroo. De même un mandingue nommé Amadou Ouatara dira : « Ni torho bè Ama-
doti^ ni diamon bè Ouatara n^.
C'est à tort aussi qu'on a traduit par « tabou » le mot mandingue tanan ou
-tanay écrit quelquefois tenné. En réalité tanan en mandingue, comme ki en agni,
est un verbe qui signifie <> ne pas manger » ou « ne pas boire d, sans qu'il soit
spécialement question d'une interdiction d'ordre religieux ou totémique. Plusieurs
auteurs écrivent par exemple : « Le tana des Mansaré est l'hippopotame ». Mais
la phrase indigène est : Mansaré-rou ou malitanan^, c'est-à-dire « les Mansaré ne
mangent pas l'hippopotame ». Et, dans un autre ordre d'idées, les indigènes diront :
ni gbè tanan ^ « je ne bois pas d'alcool », et n» sorhoma touô tanan^^ « je ne mange
pas d'aliments cuits le matin ».
En réalité, ni en mandingue, ni en Siéna, il n'y a de mot correspondaat à
-^ tabou, sacré, interdit », etc. Il y a seulement des animaux sacrés et des aliments
ioterdits, mais on se contente de dire « telle famille ne tue pas tel animal, tel
iadividu ne mange pas tel aliment ».
Il y a d'ailleurs des animaux dont la chair est interdite aux membres de cer-
taines familles, sans pour cela qu'il soit défendu à ces membres de tuer les animaux
en question.
Je parlerai des interdictions alimentaires au chapitre de la « religion » : ces
interdictions sont variées, s'appliquant non seulement aux viandes, mais aussi aux
végétaux et aux boissons ; elles sont d'ordres très divers, procèdent de causes très
différentes et n'ont souvent rien à voir avec la division en familles ou clans. Les
coutumes des Noirs, comme leurs pensées, sont beaucoup plus compliquées qu'on
ne le pense généralement, et il faut bien se garder, quand on en traite, de l'esprit
de généralisation et de synthèse systématique.
Un fait qui m'a paru remarquable et que je tiens à signaler ici, c'est queues
Noirs appartenant à des tribus différentes, et même à des peuples différents, se
considèrent comme parents s'ils portent le même nom de famille ou des noms de
famille considérés comme correspondant l'un à l'autre. C'est ainsi que j'ai vu des
Mandingues Kouloubali du Moyen-Niger traiter comme leurs parents des Soroo de
Korhogo dont ils ignoraient même la langue et avec lesquels ni eux ni leurs ascen-
•dants les plus lointains n'avaient certainement jamais eu aucune relation.
34. — L'état politique.
L'état politique actuel des Siéna se rattache par beaucoup de côtés à l'état que
nous appelons féodal et qui a été le nôtre au Moyen-Age.
Les familles ou clans dont il a été question tout à l'heure correspondent sans
doute — au moins par leur origine — à une division ethnique ; les tribus ou sous-
tribus sont des institutions surtout historiques, mais elles ne répondent pas toujours
•à des divisions politiques.
Originairement chaque famille ou clan devait constituer une unité politique
^ Mu me gi f ton nom comment ? mi/ fêle gi f ton nora-de-famille comment ?
* Ni torho bé Amadj mon nom est Amadou ; ni gyamu bè Watara, mon nom-de-famill»
«si Oueitara.
' Masare-ru u mali tana,
* Ni gbè tana ; ni sorhoma ttoô tana.
p. 454.] • R • E • E • S • [1908*
dont le régime était le patriarcat et dont le chef était l'aîné de la famille. Lorsque
Taccroissement de la population et la nécessité de chercher des terres vierges ame-
nèrent les migrations et les guerres, des groupements appartenant à plusieurs
familles se trouvèrent sans doute participer à la même migration, ou plutôt, par
suite de migrations successives, arrivèrent à se rencontrer sur un même territoire ;
la nécessité de pourvoir aux besoins de la collectivité et de la défendre contre les.
entreprises du dehors dut amener ces divers groupes de familles et d^origines diffé-
rentes, à choisir parmi leurs patriarches un chef commun et à former sous son
commandement une sorte d'unité politique nouvelle qui fut la tribu et dont la
caractéristique fut un ensemble de coutumes communes et un dialecte commun
dus à la cohabitation dans le même lieu, durant plusieurs générations, de ces
groupes d'origines différentes.
Pour des raisons analogues à celles qui avaient déterminé les premières migra-
tions, la plupart des tribus se morcelèrent à leur tour en sous-tribus, qui, elles*
mêmes, arrivèreot à se subdiviser, au point de vue politique, en fractions moins
étendues que nous appelons, en style administratif, des « cantons a.
Le « canton » est Funité politique actuelle en pays Siéna et correspond à peu
près à ce qu'étaient les provinces de la France féodale. Parfois il correspond à une
sous-tribu tout entière ; tels sont les cantons ou sous-tribus : du Pongala^ du Kadlec
du Ténéouréj du Zona, du Noholo dans la fraction nord ; du Tafiré^ du Niarhafoïo,
dans la fraction centrale ; du F<üa^ du Sikolo, dans la fraction nord-est. Mais le
plus souvent, la sous-tribu se trouve divisée en plusieurs cantons. Nous avons con-
servé l'organisation politique que nous avons trouvée au moment de notre occupa-
tion, en la modifiant parfois à la demande môme des indigènes, pour diviser en
deux unités un canton dont les éléments reconnaissaient difficilement Tautorité
d'un seul chef.
Chaque canton a à sa tète un chef, roi ou seigneur, qui est considéré comme
propriétaire du sol et exerce le pouvoir. En principe son autorité est absolue ; dans
la pratique, elle est mitigée par Tinfluence des chefs de villages importants, des
notables, des riches, des prêtres, etc. D'ailleurs, le chef de canton ne prend jamais
une décision importante sans en avoir conféré auparavant avec ses principaux
vassaux et surtout avec ses familiers, sorte de cour composée le plus souvent
d'étrangers, de serfs affranchis par le caprice du seigneur, de sorciers, de baladins^
d'artisans, tous gens en faveur auprès du prince parce qu'ils ont su le flatter ou
l'amuser, ou bien parce qu'ils lui ont prêté de l'argent ou encore parce qu'il les
redoute : cour en somme bien semblable à celle de nos anciens rois, ducs et comtes,
qui eux aussi s'entouraient d'étrangers, de parvenus, de poètes, de fous, de mignons
et de moines.
Certains chefs de canton ont une autorité réelle et l'exercent avec discerne*
ment et pour le bien de leur sujet : je citerai notamment les chefs actuels de Kor-
hogo et de Sinématiali, dans la fraction centrale. D'autres n'obtiennent do leur»
administrés qu'une obéissance fort précaire : c'est le cas de beaucoup de chefs
peu fortunés de la fraction sud.
Actuellement les excès de pouvoir des chefs trop enclins à l'arbitraire sont
tempérés par les autorités françaises, qui cherchent d'autre part à consolider l'au*
torité trop ébranlée des chefs peu obéis. Mais, à plusieurs époques, il y eut parmi
les chefs Siéna de véritables rois féodaux qui, par des alliances avec leurs voisins^
par quelques expéditions heureuses, par ruse diplomatique aussi, arrivèrent à
exercer une hégémonie réelle sur un certain nombre dé cantons : tels furent certaioa^
1^08.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 455.
<hets de Mbégué chez les Folo et de Sikâsso chez les Siéaérhè ; mais la plupart
-du temps, cette hégémonie ne survivait pas au chef qui Tavait établie, et, à la
mort de ce dernier, les cantons qu'il avait asservis reprenaient leur indépendance.
Dans certains pays Siéna, les chefs de canton avaient accepté la suzeraineté
d'un chef mandingue voisin, mais ils sont redevenus indépendants à la faveur de
notre occupation du pays : tel est le cas des Noholo et d'une partie des Guimini.
Actuellement encore, les sous-tribus des Sikolo et des Komono sont placées sous la
suzeraineté du roi mandingue de Kong ; quant aux Nafâna, ils sont plus ou moins
sous la tutelle des Abron. Partout ailleurs, les Siéna forment des cantons indépen-
<lants mais dont le chef est parfois un Mandingue, comme par exemple le canton
de Kadioha dans la sous-tribu des Eofolo (fraction centrale) et les trois cantons
que comporte la sous-tribu des Niéné (fraction nord).
Le système politique des Siéna a les avantages et les inconvénients de tout
système féodal : l'influence des chefis de village riches et puissants, seigneurs avec
lesquels il faut compter, contrebalance Tautorité du chef de canton ; si ce dernier
est cruel, ambitieux ou peu sage, c'est une excellente chose ; mais si c'est un
homme avisé, désireux de faire progresser sa province, la résistance de ses seigneurs
peut avoir de très mauvais résultats. Nos administrateurs, qui passent leur temps
à mettre d'accord les rois et leurs seigneurs, en savent quelque chose.
Tout imparfait cependant que soit ce système, bien qu'avant notre occupation
il ait amené de la part des chefs puissants des pillages et des mises à rançon aux
dépens du pauvre serf taillable et corvéable à merci, bien que depuis notre instal-
lation dans le pays il retarde parfois la marche en avant de la civilisation, il me
semble supérieur au régime du patriarcat qui subsiste encore chez d'autres peuples
de la Côte d'Ivoire, notamment chez les Agni du Baoulé où le morcellement à
i'lnfiui de l'autorité rend encore plus difficile le progrès.
£n fait les Siéna sont arrivés à un état politique qui est à celui des Agni du
Baoulé à peu près ce qu'était la France de Hugues Capet par rapport à la France
-des Gaulois.
85. — La naissance et la vie des enflants.
J'ai parlé au chapitre de « l'hygiène a de la grossesse et de l'accouchement«
Dès que l'enfant est venu au monde — ce qui a lieu autant que possible dans une
«case à part et en dehors de la présence des hommes, y compris le père — le cordon
est tranché par l'une des matrones à l'aide d'un couteau et le délivre est enterrée.
L'enfant est lavé avec soin et remis à sa mère qui, alors seulement, fait prévenir
son époux qu'il lui est né un fils ou une fille. Le père vient voir son enfant, et, s'il
^est quelque peu fortuné, manifeste sa joie en tirant des coups de fusil.
La mère allaite toujours son enfant. Si pourtant il arrive que le lait lui manque
— cas qui m'a paru être très exceptionnel — elle a recours aux bons offices d'une
Jeune mère de ses amies ou même de plusieurs, car les indigènes n'attachent aucune
importance à ce qu'un enfant soit allaité en même temps par plusieurs nourrices.
La mère et l'enfant nouveau-né demeurent pendant une semaine, sans en
-sortir, dans une case où l'on entretient du feu jour et nuit. Cette précaution a un
triple but : permettre à la mère de se rétablir, à l'enfant de ne pas souffrir des
•<2hângement8 de température et à la plaie ombilicale d'avoir le temps de se cica-
triser.
Le huitième Jour après celui de la naissance, la mère sort pour la première
ibis avec son enfant, lequel, pour la première fois aussi, est porté sur le dos. La
p. 456.] • R • E • E • S • [1908.
mère va faire des visites à ses amies, qui se passent le bébé de mains en mains et
offrent de menus cadeaux à la jeune mère. Le père, do son côté, réunit ses amis,
leur offre de la viande, du sel, des colas, de la bière de grains, et annonce quel est
le nom donné à l'enfant. C'est pourquoi cette fête du huitième jour après la nais-
sance est appelée « le jour du nom n.
Les prénoms donnés par les Siéna à leurs enfants appartiennent à diverses
catégories : les uns rappellent le jour de la semaine auquel a eu lieu la naissance,
d'autres mentionnent Tordre dans lequel Tenfant est venu au monde par rapport à
ses frères et sœurs, d'autres sont les noms de génies sous la protection desquels on
place les nouveau-nés, d'autres enfin sont les noms d'ancêtres ou de parents défunts.
Beaucoup sont d'origine étrangère.
Durant toute sa première enfance, le bébé est porté sur le dos de sa mère, les
jambes et les bras écartés, le corps maintenu par un pagne qui entoure le dos et
le deiTière de l'enfant et vient se nouer sur les seins de la mère. Dans les fractions
centrale et nord-est, où les femmes souvent n'ont pas de pagnes, on se sert pour
porter les enfants d'une sorte de carré d'étoffe terminé en haut par deux bretelles
et en bas par deux courroies qui se nouent toutes les quatre ensemble sur la poitrine
de la femme ; parfois même l'enfant n'est maintenu que par des courroies, ainsi
que M. Binger l'a signalé chez les Mbouin.
Les enfants sont ainsi portés par la mère dans tous ses déplacements, lors-
qu'elle va à l'eau, aux plantations, en voyage, à la danse même, et durant les
travaux du ménage. Si cependant la mère reste à la maison pour se reposer ou
faire un travail qui lui permet de s'asseoir, elle couche son enfant à terre sur une
natte ou un pagne d'écorce.
Vers l'âge de six mois, l'enfant commence en général à se traîner à quatre
pattes et à jaser ; vers un an, il commence à marcher et à parler. Mais on continue
cependant à le porter sur le dos jusque vers l'âge de 3 ou 4 ans pour tout déplace-
ment un peu long.
Les enfants commencent vers 6 mois à manger de la bouillie de mil ou de maïs
et vers un an ils absorbent les mêmes aliments que leurs parents, mais ils conti-
nuent à téter leur mère en même temps jusqu'à l'âge de deux ans et plus.
Jusqu'à l'âge de 4 ou 5 ans, les enfants des deux sexes restent en général sur-
tout avec leur mère, quoique ce soit le père qui, le plus souvent, joue avec eux,
les caresse, les promène et les amuse, la mère demeurant assez indifférente dès que
son bébé est sevré.
Après 5 ans, les filles commencent à prendre part à la vie et aux travaux de
leur mère et des autres femmes de la maison, tandis que les garçons commencent à
accompagner leur père ou leurs frères aînés aux champs ou à l'atelier, selon le cas.
C'est vers cet âge aussi que les fils des musulmans commencent à aller à l'école et
à apprendre les rudiments de la lecture et de l'écriture arabe, avec les formules de
prière. Quant aux non*musulmans, lesquels sont de beaucoup les plus nombreux
parmi les Siéna, ils se contentent d'apprendre à leurs fils à cultiver la terre, à tirer
parti des produits naturels, ou à tisser, à travailler le bois et le fer, etc.
Vers l'âge de 12 ans, les enfants commencent à mener la même vie que les
adultes : leur enfance proprement dite est terminée. C'est aussi vers cet age que
filles et garçons passent par les écoles d'initiation qui lachèvent leur éducation.
1908.J DELAFOSSE : LE PEUPLE SIENA OU SÉNOUFO. [P. 457,
36. — Le mariage.
Je ne parlerai pas ici des coutumes du mariage en usage parmi les musulmans,
qui sont à peu près les mêmes chez tous les peuples islamisés d'Afrique.
La façon de prendre femme chez les Siéna restés fidèles à leurs coutumes
nationales est plus curieuse. ^
Le jeune homme qui désire épouser une jeune fille se garde bien de faire part
de ses projets soit à cette dernière soit à sa famille. Mais, guettant>les allées et
venues des parents de la jeune fille, s'il aperçoit la mère de celle-ci partant dans la
brousse pour en rapporter du bois mort, il l'attend sur le sentier à sou retour et se
précipite obligeamment pour la décharger de son fardeau, qu'il prend lui-même sur
sa tète. Une autre fois, il aide de même le père de la jeune fille à rapporter chez
lui des fragments de termitière destinés aux poules. Â quelques jours de là, le sou-
pirant va lui-même ramasser une charge de bois qu'il apporte à la maison de sa
bien-aimée. Puis, s'étant procuré quelques noix de cola, il vient les offrir au père de
celle-ci ; ensuite c'est un poulet dont il lui fait cadeau, puis quelques cauries.
Le père de la jeune fille réunit alors sa famille et convoque à la réunion un
notable du village ; il expose qu'un tel se montre bien prévenant pour lui et qu'il
serait heureux de le récompenser de ses prévenances en lui accordant sa fille en
mariage. L'assemblée approuve, et le notable va annoncer au soupirant qu'il peut
se considérer comme agréé.
Mais les peines du futur ne sont pas finies : lorsqu'approche la saison des cul-
tures, il doit réunir ses frères et ses amis et aller avec eux labourer le champ de
son futur beau-père ; une fois les semis faits, il vient sarcler les mauvaises herbes ;
puis il achète de la bière de mil et paie à boire à toute la famille de sa fiancée.
C'est alors seulement qu'on procède aux accordailles officielles.
Très souvent, à ce moment, la jeune fille est loin d'être nubile. Elle reste chez
son père jusqu'à sa nubilité et, pendant cette période d'attente, le fiancé doit conti-
nuer à aider la famille de sa fiancée de son travail et de ses ressources. Lorsque la
jeune fille est nubile, le père la remet au fiancé, qui fait un cadeau de cinq à dix
francs de cauries au père et un autre de même valeur à la mère. Lorsque les jeunes
époux ont cohabité durant un mois, le père reprend sa fille chez lui pendant deux
à trois mois, puis la redonne au mari contre dix francs de cauries. Cette seconde
période de cohabitation dure également un mois, au bout duquel le père reprend
de nouveau sa fille durant deux ou trois mois, pour la remettre définitivement à son
mari contre une nouvelle somme de dix francs. Si la femme devient enceinte pen-
dant cette période preparative, son père est tenu d'offrir un pagne au mari lors de
la naissance de l'enfant.
Cette coutume disent les anciens, a pour but de donner aux futurs époux tout
le temps de se connaître et de s'apprécier, et d'empêcher ainsi les unions mal
assorties.
La polygamie est admise, mais limitée naturellement par les ressources de
l'époux ; les chefs riches ont souvent un grand nombre de femmes, parfois une
centaine : quelques-unes seulement, dans ce cas là, cohabitent avec l'époux ; les
autres habitent un quartier spécial ou même des villages assez éloignés, et le mari
ne les visite que de loin en loin^ à moins qu'il n'établisse entre ses femmes une
sorte de tour de service. En général les notables n'ont guère plus de trois à quatre
femmes et la majorité des Siéna n'a qu'une femme pour un mari.
(A suivre.)
p. 458.] • R • E • E • S • [1908.
ANAX.YSES«
H. Lessmakn. Aufgaben und Ziele der vergleichenden Mythenforschung (Mjtholog.
Bibl. 1. 1, heft. 4), 8«, 52 p., J.-C, ffinrichs, Leiprig, 1908, 2 Mks.
Que Tétude scientifique des mythes soit eDcore daas Tenfance, malgré les ten-
tatives d'explication et de classification du XIX* siècle (école symboliste, école
naturiste et philologique) ou plutôt à cause d'elles, c'est ce qu'on accordera aisément
à M. L. On reconnaîtra aussi volontiers que jusqu'ici la forme du mythe a davantage
attiré l'attention que le thème ; et que les historiens des littératures et critiques
littéraires sont trop aisément portés à dater un thème de sa première apparition
écrite, comme à voir un lien de contamination directe entre versions écrites plutôt
que de faire dériver ces versions d'autres orales, et inconnues. Mais on objectera
que jusqu'ici toutes les tentatives de restitution de versions supposées originales
ont abouti à des échecs, et, théoriquement, qu'on n'a le droit de recourir à ■ l'ai^-
ment de l'Atlantide » (si je puis proposer cette expression pour catégoriser toute la
classe de raisonnements inférant d'un élément inconnaissable du problème : thème
originel, continent disparu, race détruite, civilisation évanouie sans traces, etc.),
qu'en désespoir de cause, provisoirement, et pour marquer un repos dans la
recherche. Contrairement donc aux historiens, la Société de mythologie de Berlin
considère que : pour l'historique du thème et du contenu, le moment de la
rédaction est essentiellement sans signification (p. 17). De même encore on
accordera à M. L. que la mythologie doit être distinguée de la démonologie (avec
laquelle on l'a confondue presque dès le début« et de nos jours, sous l'influence de
Mannhardt) en ce que celle-ci traite de puissances actuelles, toijuours agissantes, au
lieu que la mythologie parle de puissances d'autrefois. De môme encore on en dis*
tinguera la légende locale, l'énigme populaire, la ballade, mais on la reliera à la
science du calendrier. Et nous arrivons enfin à une définition du mythe comme
l'entend la Société de Berlin : par mythe elle entend une série déterminée de thèmes
se succédant suivant un ordre déterminé et traitant du sort des corps célestes. M. L.
accusant dès le début les critiques d'avoir mal compris le point de vue de la Société,
je suis heureux de voir que, à deux reprises^, j'ai eu raison de traiter la « nouvelle »
école d'école astrale. Devant cette limitation de sens du mot mythe, il n'y a qu'à
s'incliner. Il est certain qu'on n'a plus alors à s'occuper du rapport de la croyance
et de l'acte, ni de celui de la divinité et de l'adorateur, mais à cataloguer seulement
tous les « mythes • qui se rapportent au Soleil, à la Lune, aux Pléiades, etc. £t
comme tous ces « mythes » présentent en effet des analogies en dehors de toute
circonstance de temps et de lieu, et que les thèmes se classent par la force des
choses sous un petit nombre de rubriques, il est relativement aisé de créer une doc-
trine suivant laquelle tous les « mythes astraux s ont eu un centre unique d'origine,
d'où ils ont divergé en se déformant suivant des tendances à définir« Tour à tour on
montrera, comme l'indique rapidement M« L., les liens du soleil ou de la lune avec
» Revue des TradUions Populaires, 1907, p. 91-93 et Mercure de France, 1907, t. LXVI»
p. 517-519,
1908.] ANALYSES. [P. 459.
des nombres sacrés (3, 7, 9) la roue, la fontaine, le jaune ou le rouge, le blanc ou
le noir, les jumeaux divins, les triades divines. On pourra même s'amuser et c'est
là l'un des buts importants de la Société (p. 33) à rechercher si les « mythes »
lunaires ne seraient pas antérieurs aux « mythes » solaires mais je doute que
le gain pour la science des croyances, des idées et des rites puisse être considé-
rable ou sûr. Ni Stucken, ni Siecke, ni Frobenius, ni Winckler, ni Jeremias, pour
ne citer que des chefs de file n'ont prouvé quoi que ce soit, sinon qu'en présence
d'un même phénomène naturel, les interprétations humaines vont suivant des ten-
dances peu nombreuses, mais assez cependant pour qu'on ne puisse ni parler d'un
système ancien qui se serait désagrégé, ni d'emprunts, ni d'invention personnelle
unique. Cette manie de forger des systèmes pour tout, de centraliser hiérarchique-
ment des manifestations humaines est caractéristique de la science allemande du
XIX' siècle. On espérait que la formation d'un empire colonial démontrerait aux
Allemands l'équivalence intellectuelle des divers groupes, et détruirait la foi en la
supériorité native de ceux que M. L. persiste à nommer Aryens. Tel a bien été le
cas dans plusieurs milieux scientifiques, mais non parmi ceux qui ont fondé la
Société de Mythologie : et c'est pourquoi, malgré les observations de M. L. dans sa
Préface, je maintiens que cette école astrale est une attardée, qui tâche de revivi-
fier des points de vue vétustés, et cela par une limitation arbitraire des mots et
une interprétation unilatérale des faits. A. van Genkep.
*
R. Pabkinsoh. Dreissig Jahre in der Südsee, Land und Leute, Sitten und Gebräu-
che im BismarckArchipel und auf den deutschen Scdomoinseln^ herausgegeben
von D' B. Ankermann. 8% 876 pages, 66 planches, 141 figures, 4 cartes.
Stuttgart, Strecker et Schröder. 14 Marks.
E. Stephan et Fb. Gbjbbkeb. NethMecklenburg (Bisniarclir Archipel). Die Küste
von Umuddu his Kap St-George, gr. 8^, 242 pages, 10 planches, 133 figures^
musique, etc. Berlin, D. Reimer. 20 Marks.
P. A. KiiEiNTiTBCHEN. Die KüstenhewohncT der Gaeellehalbinsél, ihre Sitten und
Gebräuche, 8^, fig. et cartes. Hiltrup près Müoster (Westphalie). Maison da
Sacré-Cœur de Jésus.
La publication presque simultanée de ces trois volumes prouve, mieux que
quoi que ce soit, avec quelle ardeur et quel souci d'exactitude les Allemands se
sont mis à l'étude des populations de leurs possessions océaniennes. On remarquera
que toutes trois doivent beaucoup à une collaboration intelligente des observateurs
et des ethnographes de métier. M. Kleintitschen a reçu des missionnaires de la
péninsule de la Gazelle des rapports de toute sorte et les a classés suivant un ordre
logique. Les notes de M. Parkinson ont été publiées par M. Ankermann, du Musée
Ethnographique de Berlin, qui précise dans la Préface, mais avec trop de modestie^
sa part de collaboration. Enfin les renseignements recueillis par M. Stephan (dont on
déplore la mort récente) ont été élucidés comparativement par M. Grsebner d'une
manière qui ne laisse rien à désirer pour tout ce qui concerne les éléments de la
civilisation matérielle. M. Grœbner est l'auteur d'une étude sur les cycles culturels en
Océanie (Zeitschrift für Ethnologie, 1905, p. 28-53) et par suite était mieux désigné
que quiconque à la classification des faits notés par Stephan dans des catégories
stables. Les planches, dont plusieurs en couleurs, sont accompagnées de dessins au
p. 460.] • R • E • E • S • [1908.
trait et de notices explicatives. La musique a été traitée par M. yoq Hornbostel, la
meilleure autorité actuelle pour la musique des demi-civilisés. Il s^ensuit que Toa
trouve dans ce volume, grâce à M. Grœbner, un véritable tableau d'ensemble des
civilisations mélanésiennes, les parallèles a^^ant été donnés et élucidés en note. Les
seuls points sur lesquels on ne soit renseigné que superficiellement, c'est sur la forme
locale du totémisme, puis sur la religion et la magie, et la seule critique que je ferai
à M. Grœbner, comme je la lui ai faite ailleurs, c'est de mettre sur le même plan,
comme éléments de classification, des institutions (comme les sociétés dites secrètes,
les formes du totémisme, les systèmes de filiation, etc.), et des techniques (maison,
omomentation, etc.). Je crois que ni les lois du développement interne, ni celles de
l'emprunt par acculturation, ni celles de la transmission d'une génération à Tautre,
ni le degré de variabilité, ni celui de constance ne sont les mêmes dans un cas
comme dans Tautre. En outre, il ne semble pas qu'on puisse découvrir un lien géné-
tique entre Tune de ces catégories d'activités et l'autre. Enfin il s'agirait, autant
que de déterminer leur aire de répartition, de déterminer le lien entre chacune
des institutions.
Le volume de Parkinson est l'un de ceux que tout observateur, en quelque
lieu du monde qu'il se trouve, doit avoir eu entre les mains, pour se rendre
compte de quelle manière il convient de poursuivre des investigations sur place.
L'agrément de la lecture réside précisément dans la non-systématisation des obser-
vations suivant un plan théorique. Les quelques grandes divisions de l'ouvrage,
imposées par la nature même des choses suffisent, et le mode de présentation des
faits donne bien mieux l'impression de vie que s'ils étaient répartis suivant les
rubriques dont a besoin le théoricien. Ces rubriques d'ailleurs se remplissent aisément
grâce à l'index. Des illustrations, comme de celles du volume de Stephan et Grseb-
ner, on ne peut dire que du bien. La plupart des populations semblent immigrées
assez récemment : les Baining, qui n'ont pas monnaie-coquillage et ne sont pas
marins, semblent appartenir à la population la plus ancienne (je n'ose dire comme
M. P., autochtone) du Nouveau-Mecklembourg. Aux Iles Salomon, on rencontre
en majorité des Mélanésiens purs, avec quelques métis de Mélanésiens et de Poly-
nésiens.
M. Parkinson n'a pas seulement décrit en détail la civilisation matérielle des
indigènes qu'il a pu observer pendant ses voyages, une trentaine d'années durant,
d'une île à l'autre, observations enrichies de celles que lui ont communiquées divers
missionnaires. Il s'est intéressé de près à l'organisation politique, à la situation éco-
nomique, etc., et deux institutions surtout l'ont, on peut dire intrigué : les sociétés
secrètes et le totémisme, au point qu'il a pris même position, à leur propos, au point
de vue théorique général. Des sociétés secrètes, après avoir décrit avec le plus de
détail possible leur organisation, leur recrutement, les danses et les ornements qui
les caractérisent, il dit (pp. 669 sqq.) qu'en gros, elles n'ont, chez les Papous et les
Mélanésiens, qu'un caractère utilitaire et plus spécialement financier; elles servent
à tirer de l'argent, sous forme de monnaie-coquiUage, non seulement des non-initiés,
mais aussi des initiés eux-mêmes et de leur famille. Si cependant on lit les pas-
sages, disséminés dans le livre, et surtout les pp. 667-667, consacrés à la descrip-
tion des détails, on se voit obligé de reconnaître à ces sociétés, même au duk-duk,
un sens fondamental utilitaire sans doute aussi, mais plutôt magico-religieux : il
semblerait que c'est à ces sociétés qu'appartient la connaissance des recettes et des
incantations, et en général le contrôle magico-religieux de la nature et des hommes.
En outre on ne doit pas oublier que ces sociétés secrètes se trouvent déjà en Mêla*
1908.] ANALYSES. [P. 461.
nésie à un stade de déviation, et qu'on ne saurait fonder sur elles une théorie
générale. Le lien intime de plusieurs d'entre elles, au moins dans quelques-unes
de leurs cérémonies, avec la culture de plantes comestibles et la végétation en
général les fait rentrer nettement dans la catégorie des confréries magico-reli-
gieuses à but économique. Je crains que sur ce point M. P. n'ait été conduit dans
une fausse direction par Tinfluence, à laquelle est en géaéral soumise l'ethnogra-
phie allemande, qu'exerce l'étude préférée de la civilisation matérielle, dans le cas
donné : de l'ornementation.
Etrange aussi apparaîtra l'attitude de M. Parkinson à l'égard du totémisme.
D'abord il préjuge la question fondamentale : il dit sans cesse que les « gens
de naêrno sigue (Zeichen) ne s'épousent pas entre eux » ou que telles gens
« ont tel oiseau pour signe n. C'est-à-dire que pour lui le mot toieni a le sens
d'emblème, de marque^ ; or la question est précisément de savoir, (et c'est à ce
propos que se sont élevées les discussions entre théoriciens que M. P. traite de
ingénieuses, geistreich) si Télément fondamental du totémisme est la croyance à
une parenté spécifique^ ou si elle est l'appartenance à un même nom ou si elle est
le droit à une même marque. Tant qu'on n'aura pas résolu ce problème primaire,
les discussions, ingénieuses ou non, ne cesseront point. Que ces discussions « s'agi-
tent dans un cycle d'idées qui est entièrement étranger aux indigènes » (p. 675), de
ceci nous n'avons cure ; car si les théoriciens s'en étaient tenus aux « cycles d'idées
des indigènes », il n'y aurait encore ni ethnographie, ni droit comparé, ni science
comparée des religions, etc. Comme les « spéculations ingéoieuses » des théoriciens
se sont fondées surtout sur les faits australiens, M. Parkinson trouve commode de
rejeter ces faits, pour cette raison que « un mélange de deux races a eu lieu pendant
des milliers d'années en Australie, mélange qui a dû influer sur des mœurs et des
coutumes qui devaient à l'origine être distinctes ». Et il peuse que la question de
l'origine du totémisme peut se résoudre mieux en l'étudiant chez les Mélanésiens.
Une telle argumentation vaut tout autant pour les Mélanésiens. £n quoi ce
mélange se marque dans le totémisme des Australiens centraux, de Spencer et
Gillen ou de Strehlow-von Leonhardi, c'est ce que les théoriciens seraient fort
heureux d'apprendre.
Or, en consultant les pages 676 et suiv. ils apprennent qu'en Mélanésie « le
totémisme a pour but de séparer nettement des groupes dont les membres héritent
le signe totémique en ligne maternelle et ne peuvent s'épouser entre eux. » En
sorte qu'implicitement se trouve ici résolu l'autre élément fondamental du pro-
blème : l'exogamie est-elle ou non un élément primaire, essentiel, du totémisme ?
Je n'entre pas dans le détail, et me contente de noter Topinion suivante de M. P. :
« Dans la presqu'île de la Gazelle et le Nouveau-Mecklembourg méridional se ren-
contre une forme encore plus primitive, en ce que toute la population se répartit
en deux groupes qui se nomment simplement « nous » ou « les nôtres » et « eux^
ceux-là 3 ou « les vôtres », et je crois voir dans cette forme, une forme primitive
de tout le système ». Par ^ là se trouve résolue sans discussion une troisième
^ M. P. ne voit même pas que, quand il se fonde sur Powell, Man, 1902, n^ 75, c'est par une
justification après coup, qu'il eût sans doute abandonnée s'il avait lu dans le môme périodique
(d<^> 84 et 85), les critiques auxquelles les définitions de Powell, étroites et factices, ont été soumi-
ses par N. W. Thomas et Sidney Hartland, définitions que M. Hill-Tout n'a pu réussir à sauver
(cf. Man 1904, n" 48 et 53).
p. 462.] • R • E • E • S • [1908.
question : les phratries étaient-elles originairement des groupes totémiques, et
portaient-elles le nom du totem ? — Mais de plus M. P. prend pour point de départ
du totémisme la forme que, de Tavis de tous ceux qui ont étudié le totémisme éga-
lement chez les Amérindiens, les Bantous, etc., on se voit obligé de regarder comme
une forme d'arrivée, on peut même dire, dégénérescente. Excellent observateur,
M. P. se livre, dans la partie théorique de son livre à des hypothèses et à des affir-
mations dont on conçoit que son éditeur, M. B. Ankermann, Tun des meilleurs
ethnographes allemands, n'ait point osé se porter garant. Si j'ai d'ailleurs insisté
sur le caractère outrancier de quelques hypothèses (il en est de plus osées encore,
notamment sur le peuplement, à l'époque tertiaire de l'Australie et de l'Océanie,
etc.) c'est précisément que pour la richesse et le soin de la documentation je recom-
mande ce livre à tous ceux qui, ayant occasion de vivre en Nouvelle Calédonie,
aux Nouvelles Hébrides, à Tahiti, etc , voudraient avoir un modèle à suivre
et des points de repère pour leurs observations personnelles ; il importait donc de
les mettre en garde contre les théories de l'auteur.
On ne trouvera poiot de théories, dans l'ouvrage de M. Eleintitschen ; et
même on y constatera une ignorance absolue de l'ethnographie générale, de son
but et de sa méthode. Au point que les faits de totémisme ne sont même pas
reconnus comme tels, et par suite représentés d'une manière fragmentaire. Cepen-
dant, pour les Baining notamment, on y trouvera une masse considérable de ren-
seignements intéressants, plusieurs entièrement nouveaux, et qui complètent dans
le détail les pages de M. Parkinson consacrées à la presqu'île de la Gazelle.
A. VAN Gennep.
*
W.-H.-S. Jones : Malabia. A neglected factor in the history of Greece and Honie.
In-12, VIII-108 pp. Cambridge, Macmillan, 1907.
Malgré le développement si heureux des recherches qui sUnspirent des prin-
cipes de l'anthropogéographie, on n'a guère songé jusqu'ici à chercher l'une des
causes de la décadence des sociétés antiques dans certaines maladies épidémiques
que pouvaient favoriser les conditions du sol en Italie comme en Grèce. Entre
toutes les épidémies, la malaria est une de celles qui dévastent aujourd'hui encore
avec le plus de violence les terres classiques. Tout le monde connaît ses ravages
dans l'Italie du Sud ; en Grèce, la moitié de la population est atteinte et les miasmes
de l'ancien lac Copaïs ne le cèdent pas à ceux des marais Pontins. Môme en des
régions parfaitement saines, il suffit qu'un seul individu frappé de la malaria se
soit fait mordre par une anophèle d'un marais pour que le marais devienne aussitôt
un centre de contagion ; c'est ainsi qu'on a vu se ruiner rapidement l'île Maurice
depuis que, en 1866, la malaria fit son apparition dans le paradis terrestre de Paul
et Virginie. Quand et comment la malaria a-t-elle pu s'introduire en Grèce et à
Rome ? C'est la question à laquelle M. Jones, a très ingénieusement tenté de
répondre dans cet opuscule. Parmi les fièvres que décrivent les auteurs anciens la
malaria serait celle que Théognis nommerait le premier sous le nom d'il^T^laXoç ; le
nom serait identique à celui qu'Aristote emploie pour désigner un moustique qui
s'attaque aux abeilles, i^j7cio>.oç, identité entre le nom de la maladie et celui de son
propagateur qui se retrouverait en albanais, en lithuanien et chez les tribus afri-
caines qui désignent du même terme de mbu la fièvre et le moustique. Si le nom
se trouve déjà chez Théognis, les premières allusions certaines à la maladie sont
dues à Aristophane, en 425-2 (Acham. 1165 ; Vesp. 1038 ; fr. 315 Dindorf) ; aussi
1908.] ANALYSES. TP. 463.
M. J. est-il amené à supposer que Tintrod action de la maladie dans le climat si
sain de TAttique doit s'expliquer par les expéditions athéniennes de 456/5 dans les
marais du Delta, dont Hérodote (II, 95) montre les habitants s'enveloppant chaque
nuit dans un filet pour se protéger contre les moustiques, et par celles de Thasos et
de Sphactérie (425), îles qui sont restées en Grèce parmi les pires centres de mala*
ria; enfin, les misères de la guerre du Péloponnèse, les campagnes attiques ravagées
et laissées en friche permettraient d^attribuer à des causes toutes physiologiques
cette rapide décadence de Ténergie athénienne au IV*^ siècle, — la prédominance du
pessimisme dans la philosophie, du sentimentalisme dans la littérature, du scepti«-
cisme dans la politique — que M. Jones a si bien mise en lumière dans son précé-
dent ouvrage sur Greek morality in relation to Institutions. A Rome, de même, —
où le culte de Febris, l'importance de la toge de laine, Tassiette des villes sur les
hauteurs peuvent s'expliquer en partie par la crainte do la malaria qui serait le
lues du Chant des Arvales, le morbus sonticus de la Loi des Douze Tables — ce
sont les mercenaires africains d'Haunibal et leurs ravages qui auraient acclimaté
surtout le redoutable fléau : ce serait la pestilentia gravis dont Tite Live parle en
208 (XXVII, 23) et que, au début du siècle suivant, Plante et Caton décrivent comme
une fièvre quotidienne qui noircit la bile et fait gonfler la vésicule. C'est au déve-
loppement de la malaria que M. J. voudrait attribuer la transformation qu'il croit
reconnaître chez le Romain du IP siècle comme chez T Athénien du IV^ siècle :
« la malaria fit la faiblesse et Tindifférence du Grec ; elle transforma le Romain en
une brute sanguinaire. Si la [tsXayxoXia, une sorte de spUen^ causait des alternatives
d'abattement et de colère, Vatra Ulis faisait des fous furieux de ceux quVIle possé-
dait 9. On ne saurait guère suivre M. J. dans ces développements trop faciles ; on
regrette aussi qu'il n'ait pas cherché à s'appuyer sur une étude approfondie des
centres antiques de diffusion de la malaria (notamment qu'il ait ignoré l'excellente
étude des marais Pontins que contient le Terracine de La Blanchère). Le principe
de son étude n'en parait pas moins heureux — pourquoi les indigènes de Rome ou
d'Athènes ne se seraient-ils pas affaiblis par les mêmes causes physiologiques qui ont
fait presque disparaître les indigènes des Antilles ? — et l'envahissement de la Grèce
puis de Rome par les esclaves et les soldats propagateurs des maladies de l'Orient
devra figurer désormais à côté de ces causes économiques et sociales de décadence
qu'ont mises en si bonne lumière G. Ferrero dans sa Grandeur et Décadence de
Rome et C. Barbagallo dans La Fine délia Grecia antica (Bari, 1905).
A. J.-Reinaoh.
F. il. Weibsbach, Beiträge zur Kunde des Irak- Arabischen (Leipziger Semitische
Studien, IV, 1. Hälfte), l^^ Hälfte, Prosa-Texte. 1 vol. in-8% 208 pp. Leipzig,
J. C. Uinrich, 1908.
Au cours des années 1901-1903, M. Weissbach, qui avait accompagné l'expé-
dition envoyée en Babylonie par la Société allemande de l'Orient, a profité de son
séjour dans les régions du bas Euphrate pour étudier le dialecte parlé par les Arabes
de ces contrées ; il s'est constitué ainsi une riche collection de textes de l'arabe
parlé dont la publication commence. La prose a les honneurs du volume» elle figure
en tête ; ensuite viendront, dans un délai qu'on nous promet assez court : les textes
en vers (parmi lesquels soixante chants de cavaliers et deux cents hymnes guerriers,
ainsi que plusieurs mélodies notées), un glossaire complet, une introduction des-
tinée à être placée en tête du volume et un certain nombre de remarques dues à la
ip7464.] • R • E • E • S • [1908,
plume de M. A. Fischer. Ainsi l'on possédera une série complète de documents qui
permettront d'étudier Tarabe parlé actuellement dans Tlraq.
Ce n'est pas qu'on ait toujours ignoré l'existence de ce dialecte, mais il n'avait
pas encore été relevé et étudié soigneusement, en s'entourant de toutes les lumières
que peut fournir la phonétique avec ses méthodes rigoureuses de transcription. Quel-
ques remarques éparses dans les travaux de Wetzstein et d'Alfred von Eremer sur
la Syrie ont rapport au dialecte des Bédouins du désert qui forme l'hinterland de
ces côtes ; or ce dialecte, par l'articulation de certaines consonnes, est très voisin de
celui de l'Iraq (ce- dernier est parlé depuis le Chatt-el-* Arab jusqu'à Palmyre), et
je ne serais pas étonné d'apprendre qu'en réalité c'est le parler bédouin du Bàdiyet
ech- Ghâm qui a débordé sur celui des citadins : on sait l'état de misère de ces
contrées, les luttes perpétuelles, les combats meurtriers dont elles ont été le théâtre
jusqu'au début du XIX^ siècle^ ; un afflux de population venant du désert a pu
s'installer dans les villages et les bourgades ruinés et y constituer de nouveaux
centres d'habitation tout en conservant, naturellement, le parler familier à leurs
organes.
Il y a maintenant cinq ans que M. Meissner publiait à Leipzig ses Neuarabische
Geschichten aus dem Iraq^ accompagnées d'une traduction allemande, d'une esquisse
de grammaire et d'un glossaire : c'était le premier ouvrage de ce genre, permettant
d'étudier et d'apprendre un dialecte dont la connaissance pratique est nécessaire
aux assyriologues chargés de faire des fouilles dans l'ancienne Ghaldée, et le
deviendra encore plus quand les ingénieurs des ponts et chaussées, avec leur cortège
habituel de conducteurs, de piqueurs et d'entrepreneurs, viendront étudier sur
place l'embranchement du chemin de fer de Bagdad menant aux villes saintes des
Chiites. Cette publication complétait la série d'études entreprises par ce savant et
qui avaient précédemment été publiées dans les Miiteilungefi du Séminaire des
langues orientales de Berlin^. Le volume qui nous est offert aujourd'hui renferme
trente-huit historiettes, plus un numéro formant plusieurs énigmes et une lettre
en dialecte, deux cent soixante-dix-sept proverbes, et des formules usuelles de
conversation rangées sous quinze rubriques.
Comment ont été obtenus ces documents ? Le présent volume ne nous fournit
aucune indication, à première vue. A la suite d'un examen plus attentif, on trouve
un certain interlocuteur R. qui donne des explications en arabe au sujet de certains
proverbes ; enfin un hasard heureux permet de trouver, à la p. 166, le mot de
l'énigme : R. est l'initiale du nom de Rasîd ; c'est évidemment le même Rasîd
ec-ûâlî qui avait été le professeur de Meissner et qui a été présenté aux lecteurs
par M. Weissbach dans un article critique de la Zeitschrift der deutsch, morgenlând,
Gesellschaft^ t. LVIII, 1904, p. 931. Ainsi les documents de Weissbach et de
Meissner ont la même origine : c'est la transcription pure et simple du parler de
M. Rachîd. On aurait pu contrôler les affirmations de ce personnage au moyen de
l'usage habituel à d'autres personnes, pour éviter le danger de transcrire des
habitudes de langage purement personnelles, non dialectales ; rien n'indique que
cela ait été fait.
Avant de passer à l'étude du nouveau travail de M. Weissbach, je signalerai
deux passages fort amusants de son article critique sur Meissner, que je viens de
^ Voir, entre autres, mon Histoire de Bagdad dans les temps modernes^ passim,
' 2 Abt. II, t. IV, p. 137 : Sprichwörter und Rätseln ; t. V, p. 77, t. VI, p. 57, t. VII, p. 1 :
Neuarabische Gedichte.
:1908.] ANALYSES. [P. 465.
relire. P. 938 : « Eiae sehr grosse Zahl ist Igk (uach Belot 100 Milliarden) ». Lgk
•est simplement emprunté au persan Idk^ venu de l'Inde {lakk) et passé également
en français et en anglais (un lac de roupies, a lack of rupees). C'est bien cent mille.
P. 942. — Dans jfikûnhin (!) « leur total », le pronom personnel affixe a paru étrange
à l'auteur de Tarticle, qui Ta bafoué d'un point d'exclamation ; c'est évidemment
qu'il a pris ^kün pour Taor. 3. p. s. du verbe Tcân, tandis que c'est bien le même
mot, devenu substantif par suite de Thabitude où Ton est de le mettre au bas des
additions, à la place où nous mettons le mot totale et avec la même signification.
Devenu substantif, il a été traité comme tel ; le pronom affixe s'explique tout natu-
rellement.
Revenons au nouveau volume. Les consonnes g et % se prononcent tantôt y et
è^ tantôt g et A;, sans qu'on puisse déterminer de règle. Ainsi nous avons girîh pour
qarîb, sanädiy pour çanâdiq^ mais à côté logànda « hôtel n^gâmqt « elle s'est
levée n. De plus, g n'est pas seulement g, mais aussi g classique : tf>rîg « chemin ■,
et à côté tdlig « neige », ^âii « venant », d'gagâi » poules ». Ûefir est bien ketir
o nombreux, beaucoup », mais à côté l'on trouve kitïr dans èë-kitïr « combien? »
Il y a des choses bizarres ; ainsi, p. 6, nous avons nite^ârak et iié'ârië (de te^ârak
« combattre ») sur la même ligne. Est-ce que les souvenirs littéraires de Rachîd
n'auraient pas influé sur sa prononciation ? Néanmoins, sur ce phénomène de pala-
talisation qui en certains cas peut servir à différencier les significatious, il faut voir
les justes remarques de M. Weissbach dans son article précité, p. 932.
Le traitement de la diphtongue ai prononcée îe (c'est-à-dire la voyelle longue t
suivie d'une voyelle adventice e) est caractéristique du parler de Tlraq ; ainsi le
duel devient îm: mltîen « deux cents », tnien « deux », granien « deux kraus
(monnaie persane) ». De même ëîeh^ lîel.
Les formes jetqUir (p. 199, n"" 34) etglqiiil (diminutif de gelil^ n^ 42), justifient
l'analyse de la prononciation des semi- voyelles redoublées que j'ai publiée dans les
Mémoires de la Société de Linguistique, t. XIII ; j'ai établi qu'elles doivent être
transcrites respectivement ww et yy^ non ûw ni iy, (Cependant on trouve aussi
dâif^ar. Si M. Weissbach s'était servi de mon procédé, qui consiste à prononcer
lentement les semi -voyelles redoublées, il n'aurait pas hésité entre les deux formes.
Je doute fort de l'exactitude de la transcription il-isüs « les principes », et
encore plus de fi imânillâh (p. 198) ; en Syrie,on dit : fi amâniUâh, forme correcte.
Lies Allemands ont, dans leur transcription de l'arabe parlé, une prédilection pour
r», ce qui doit tenir à quelque modalité de leur appareil auditif; c'est ainsi qu'ils
transcrivent iili^ (3® p. s. prétérit) quand la prononciation locale est plutôt tële'
•(avec un é sourd analogue à Ve muet français dans je).
La réduction au < ô n'est pas complète : sôub « côté » (çaub)^ nqum « som-
meil » (naum)j [dur « taureau » faute d'impression pour t^r (thaur). ü'est la pro-
nonciation persane de au. — L'assimilation de l devant n est courante : tuqssinni
« tu me feras parvenir » (de tcassal). — La dissimilation dans zdnealq « tremble-
ment de terre » (jsélzélé) est aisément explicable.
Megidi (p. 149) est inexactement rendu par « Taler » ; ces deux monnaies ne
3e ressemblent ni par la grandeur, ni par le poids, ni par la valeur : le medjidié
vaut environ 4 fr. 20, le thaler 3 fr. 75 à peine. — Dans iè-ierâèif « les draps de
lit », le second ^, si la transcription est fidèle, a été introduit par analogie ; la vraie
forme serait èerâêif{k Damas, èarâèif) pi. arabe du mot emprunté au turc iarèaf
< pers, èadir('i) äab. — Lummqn « lorsque », âku « il y a » (dans 6än âkïi « il
j avait », cf. mâkû « il n'y a pas » p. 43) sont caractéristiques' du dialecte de l'Iraq.
p. 466.] • R • E • E • S • [^^08.
— Pourquoi mäStn « qui marchent » est-il expliqué en note par mâSiiîn ? C'est la
foi me classique {maèûn^^ maèin"). Màèiia au féminin est tout à fait classique.
Les formes nitèif pour niièif (class, nahëifu)^ nidsim pour nigsim (class.
naqsumu) « nous partagerons », iitsihum pour iiësihum (class, iàksihim) « il les
re\êt n prouvent que ^ et ^ ne sont point une seule articulation, mais se décompo-
sent réellement en dj et U : la sifflante fait disparaître le j et le .^, il reste d et t.
— Balkan p. 31 « peut-être » est emprunté au turc hélhim = pers. feeZfciÄ (de ar.
bel -J- P* ^'<^0- " ^ propos du suffixe verbal appliqué à des substantifs dans lis-
sa'àrii, isimnl, cf. le syrien ntâ-nî « je ne suis point ». — P. 43, em'oddq « bei
dieser Gewohnheit » est douteux comme l'indique la note ; je propose de prendre
ce mot pour le part, passif IV avec le sens de la 1" forme ma'düda ■ qu'on peut
compter », c'est-à-dire « en petit nombre ». — P. 161, dans '"dgb^in-nûn il-raUHn
« après le pain, le narghilé », ce n'est pas seulement nun qui est le persan rmn,
mais encore raliûn qui représente le persan qalyûn^ qàlyân, emprunté à Tarabe
ghalayân « bouillonnement ».
P. 203, n*^. 105, iorSl est donné comme synonyme de hall « vinaigre ». Cela
m'étonne. On appelle iôrf^ (du turc iüreüj pers. turèi « aigreur ») des légumes,
cornichons, concombres, piments, etc. confits dans le vinaigre. — Ibid.^ n"" 109,
ïl-amiût « poire » est emprunté au pers.-turc armüd et a remplacé le classique
iyaçç^ syrien enyâç, — Mîeuq est le pers.-lurc wterè, méivè. — lâzdhhanq « à tube
(cigarettes) », traduit ZigareUenhülsen, est curieux ; il est formé du turc zirânèy
pers. eèbân. — Marpiè « tuyau flexible du narghilé » est plus près du persan
fnâr-pïd « qui se déroule comme un serpent » que le syrien narbiè.
P. 205, n® 139. ûu « fer à repasser » est le turc üiü, — n® 151 : iâTé signifie
« dernier », par exemple tâlï âîbna « dernier mot ». — Dans banatrûn pour banUilun
« pantalon », il y a à la fois dissimilation de VI et métathèse de la voyelle en pré-
sence de l'emphatique.
Le texte arabe est accompagné d'une traduction allemande sur la même page;
cela facilitera beaucoup les recherches relatives au folk-lore. Un bon nombre de ces
historiettes doit être d'origine littéraire, comme les n""" 3 et 4, qui font partie du
cycle épique des Benou-Hilâl, et peut-être aussi le n^ 5, qui se rattache à celui des
'Anézé. D'autres, comme les aventures de divers chéïkhs aux environs de Bagdad,
rappellent mieux le genre du conteur populaire. Les historiettes 30 et 31 ne sont
accompagnées d'aucune traduction ; c'est qu'elles figurent déjà dans Meissner,
Jieiiräge zur Assyriologie, et surtout parce qu'elles sont obscènes.
Cl. Huabt.
Ignâz Bebn stein. Jüdische Sprichwörter und li^densarten. 2* éd. Varsovie^ 1908»
1 vol. in-8. 84.329-xv p.
Cette riche collection, publiée avec la collaboration de M. B. W. Segel, n'était
pas absolument ignorée, puisque ua peu moins de la moitié environ des proverbes
et dits qu'elle contient (2056 sur 3993), avait paru en 1888 et en 1889 en deux
fascicules extraits du Spectator de Varsovie. Mais ces fascicules étaient depuis
longtemps épuisés et Ton ne peut que féliciter l'auteur d'en avoir donné une seconde
édition considérablement accrue et suivie d'un glossaire. Elle comprend les prover-
bes et les dits en cours chez les Juifs de Bussie, de Pologne et de Galicie, à l'ex-
ception de deux sections spéciales (Erotica et Rustica) et complète les collections
relatives à la Bohème, à la Hongrie et au sud de l'Allemagne, publiées par Tend-
1908.] ANALYSES. [P. 467.
lauy Blau, Hour, etc.^. La langue est rallemand mêlé d'hébreu dans une forte
proportion et, çà et là, de russe et de polonais ; le texte est donné en caractères
hébreux avec la transcription en regard et quelquefois suivi d'un court commen-
taire. L'ordre alphabétique adopté est celui des lettres hébraïques. Gomme il s'agis-
sait, au moins pour la prononciation des voyelles différentes suivant les trois
dialectes, d'adopter une règle générale, M. Bernstein a choisi le dialecte podolien-
wolbynien qui est le plus généralement compris dans l'Europe orientale. Il aurait
été utile d'indiquer la provenance de chaque proverbe par une lettre placée à côté
<îe lui : c'est le système employé par M. Ben Cheneb dans ses Proverbes arabes de
V Algérie et du Maghreb^.
Ce livre, qui est une riche contribution à la littérature parsemiologique ne sera
pas moins bien accueilli par les philologues que par les folk-loristes. Quelques uns
des proverbes s'appliquent à des idées générales :
N** 351 A Vhejmu bleibt a Vhejmu, Une bête reste une bête.
N® 1456 As men singt im sümer^ wejnt men im winter. Quiconque chante en
été, pleure en hiver. (Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera).
N® 1908 A kojhejn is a Jcaasson, Le prêtre est rancunier. (Tantœne animis
cœlestibus irse I)
N° 3135 Wi fil Jtep, asoj fil dejojes. Autant de têtes, autant d'avis. (Tot capita,
tot census).
N® 3321 Klejne kinder, kUjne sorgen^ grojsse kinder^ grojsse sorgen. Petits
enfants, petits soucis ; grands enfants, grands soucis.
D'autres font allusion à des contes universellement répandus :
N^ 825 Auf dem ganvav brent dus hitàl. La casquette brûle sur le voleur.
Il existe diverses versions de ce conte : dans une recension berbère et une
recension arabe, c'est Salomon qui découvre le voleur par une ruse semblable. Cf.
mes Contes populaires berbères^ n*» XV, Salofnon et le voleur d'oies^ p. 31 et les
rapprochements, p. 153, et mes Nouveaux contes berbères^ p. 208.
D'autres ont un sens plus particulier :
N** 1466 Drei menschen singen fur zuw jess : a chason, a better un a mar-
schalek. Trois hommes chantent par nécessité : le chantre, le mendiant et le marsza-
lek. (Le marsmlek est le bouffon chargé d'amuser les convives d'une noce).
N^ 1969 Men mUs d% Vwunu mchadeijsch sein^ asoj lang et schteht. Il faut
saluer la nouvelle lune tant qu'elle est là. (Il faut battre le fer quand il est chaud).
N** 1970 A lag-b'ojmer general is nor aufejn tug. Un général de tag-Vojmer ^
ne dure qu'un jour. (Le lag-b'ojmer désigne le 33* jour de Ss'firu où les enfants
ont congé et s'amusent à divers jeux, entre autres celui du soldat).
N** 3112 As msn koch nit in der wochen^ hot men schaboss nit tvus zu essen.
Quand on ne cuit pas dans la semame, on n'a rien à manger le jour du sabbat. (On
sait que la loi juive interdit d'allumer du feu le samedi).
I II existe d'autres collections du môme genre, intéressant le folk-lore et surtout la parasmio-
graphie, mais elles sont empruntées à des écrits littéraires, p. ex. G. Levi, Parabole^ leggende e
pen^ieri (Florence, 1861, in-12); les articles contenus dans Deutsch, Literary Remains (Londreji,
1874, in-8) ; Clouston, Flowers from a Persian Garden (Londres, 1890, in-8) ; Ehrmann, Aus
Palestina und Babylon (Vienne, 1880, in-8) ; J. Chotzoer, Hebrew humor and other Essays
<<Londre8, 1905, in-8) ; Schnhl, Sentences et Proverbes du Talmud (Paris, 1898, in-8), etc.
« Paris, 3 vol. in-8, 1905-1907.
3 Paris, 1887, in-18.
* Paris, 1897, in-18.
p. 468.] • R • E > E ^ S ^ [1908.
N* 3175 Füm dem gressten harp ken men nor hüben ejn harpenkop. Avec la
plus grande carpe, on ne pent avoir qu'one (seule) tête de carpe. (La plus belle
fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a. — La tête de carpe est un mor-
ceau estimé des Juifs ; malheureusement il n'y en a qu'une par poisson).
N^ 3661 Ä ganse schtudi schikt men kain SsAir nii atceg. On n'envoie pas
toute une ville en Sibérie. (Un groupe peut oser plus qu'un homme isolé).
N*» 3766 Rehi kurcjw ! schissi ihr friher, tcurüm ihr sent elter. Monsieur mon
parent, tirez d'abord, car vous êtes plus âgé. (Ce proverbe s'applique aux recrues
juives qui, par peur du fusil, se font mutuellement des politesses à l'exercice, pour
ne pas tirer le premier).
Enfin il est des proverbes et des dits particulièrement locaux :
N«" 1235 Zü-n-a tcünd ü eü-n-^i bliäer as helft nitkqjn doktor, helftattäer.
Pour une blessure ou une perte de saug, si un médecin ne sert de rien, un Tatar
vient en aide. (On appelle Tatars les charlatans ambulants que les gens préfèrent
souvent aux médecins).
N® 3102 As der kosak sugt « sstupaj ! « mus men m'chalejl-schàboss sein.
Quaod le cosaque dit : marche, il faut bien profaner le sabbat.
N"" 3235 Külikotoer mischpot Jugement de Külikov. (Un jugement injuste :
Dans la petite ville do Külikov, près de Lemberg, vivaient deux tailleurs et un
savetier. Un jour celui-ci commit une faute grave et fut condamné à mort. Mais
pour que la ville ue restât pas sans savetier, on décida d'exécuter à sa place un des
deux tailleurs. La même anecdote s'applique aussi à la ville polonaise d'Osick).
N® 3834 Wi kiimt der kaschtan in schülchan-urüch arein ? Comment le (che-
val) bai brun peut-il être dans le code ? (Deux maquignons se disputaient un cheval
devant un rabbin. Celui-ci allait leur déférer le serment sur le schulchon-urûch^
(m.-à-m. la table couverte^ code religieux et civil composé au XVP siècle) lorsque
tous deux prononcèrent cette phrase qui devint proverbe).
J'aurais pu multiplier les exemples : je pense en avoir cité suffisamment poar
montrer l'intérêt qui s'attache à ce livre. Rbné Basset.
1908«] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P, 469»
NOTIGES BIBLIOGRAPHIQUES.
f R. Krauss. Slavische Forschungen, Abhandlungen über Glauben^ Gewohnheitsrecht^
Sitten^ Bräuche und die Gicslarenlieder der Südsldven ; gv. 8". 431 pages, Leipzig,
W. Heims, 1908, II Mks. — On ne sait si dans cet excellent livre, on doit admirer
davantage la métliode rigoureuse qu*a suivie M. Kr. dans la collection des faits, des
chansons et des poèmes des Slaves musulmans de Bosnie-Heraegovine, la manière dont
il les a classés, ou celle dont il les a éclairés et commentés. Les chants des guslars sont
donnés en texte et traduction, avec notes philologiques et éclaircissements ; ils consti-
tuent près de la moitié du livre et sont classés suivant des rubrîques épiques connues :
historiques à un degré plus ou moins prononcé, le départ entre l'invention libre et '
Tutilisation de faits proprement historiques étant fort délicat (cf. p 190-192, une excel-
lente discussion générale) ; folk-loriste (Novaic ; Les Frères de Lait, Le Loup-Dragon-de-
Feu) ; mythologiques (chants sur les vilas, les changelins, etc.). Les éléments littérarisés
sont rapprochés de leurs parallèles. Toute cette partie du livre présente un grand intérêt
théorique, parce que M. Kr. a saisi au moment même de sa mise en action le processus
4e littéral isation et d'individualisation de matériaux poétiques d'abord populaires, et
qu'il a montré toutes les fois qu'il l'a pu à quel fonds populaire spécial tel ou tel aède a
emprunté la trame ou l'ornementation de sa poésie.
Ce mot d'aède est employé à dessin. En effet les pages 177- 189 jettent une lumière
précise sur la façon de procéder des aèdes grecs, sur la force probable de leur mémoire,
sur les transpositions de thèmes, les emprunts d'un des aèdes à d'autres, etc., au point
quo la question d'Homère, comme je l'ai indiqué ailleurs, reçoit des solutions partielles
•de M. Kr. En outre, ces mêmes pages déterminent la situation sociale des guslars dans
la société générale, et la constitution de familles d'aèdes spécialisées.
La première partie est d'ordre folk-lorique général. Tour à tour M. Kr. y expose les
idées courantes en Bosnie-Herzégovine, sur les sorcières, les dames des bois (parmi les-
quelles la Peste, sorte de divinité personnifiée comme dans tous les pays slaves), les
âmes des morts ; les vampires : il s'agit bien nettement de vampires, qui boivent le
^ang des morts ; il est remarquable que le peuple les confond volontiers avec les
loups-garous, auxquels est consacré le chapitre suivant, et M. Kr. consacre à la nécessité
de la dissociation quelques pages qui sont à lire. Puis il étudie les mares, sortes de
fantômes, le cannibalisme (magique, parfois rituel, le plus souvent légendaire), les phil-
tres d'amour, etc.
Un index détaillé rend maniable ce gros livre qui constitue la meilleure monographie
raisonnée qu'il y ait sur les croyances et la production épique des Slaves de Bosnie-
Herzégovine, et dont la portée théorique n'a été que i^apidement indiquée ici.
A. v. G.
^olxeVs europäische Völkertypen.^ 4 pi. in folio, avec 32 types en couleurs et notice expli-
cative, 40, 8 pages, par Fr. Heger. Vienne 1908, 20 francs. — La publication, par la mai-
son Hölzel, de ces quatre tableaux est un signe que l'on s'efforce de plus en plus,
au moins dans les pays de langue allemande, de donner dès l'école primaire, des
idées exactes sur les diverses races humaines. Ces tableaux sont en couleurs, d'une
exactitude de traits, de teint et de costume aussi grande que peuvent le permettre les
procédés actuels de chromolithographie. Les types reproduits l'ont été d'après des pho<*
tographies communiquées par des ethnographes des diverses nationalités représentées,
-de manière à reproduire le << type moyen » de chaque groupe. Leur valeur documen-
taire et la situation ethnique des divers pays est exposée par M. Heger dans la brochure
explicative. Les types représentés sont : PI. I : Basque, Portugais, Espagnol, 3 Français
2 Italiens ; Planche II : Irlandais, Ecossais, Anglais, Suédois, Hollandais, 3 Allemands ;
PI. Ill: Tchèque, Slovaque, Polonais, 3 Russes, Monténégrin, Bulgare; PI. IV: Lapon,
Pinlandais, Hongrois, Roumain, Albanais, Grec, Juif, Tsigane.
P,470,; • R • E • E • s • [1908.
7. A. i'.T^fc ^ % W, Tbom.m. Wr/men ofoU matten», ten eom^iet m U fasneules de 4?
l^^^i't^.n : \T, fitr, parM : 4». r-:rr •L.e^iâ« L:-i«tra-i.'.cj et piandKis inédilcs, Londres,
C^**<^j. <ït Ci^.. T pff^^ pir fa.^ — f'Mivre, qu^nd eue sera ternûBée. coostitaera une
«r> ..^,Vr />aicr:p'>iO deau-K>P'-^^- ö«»i-«*«it;n;ue de U vie iénàtûDe cbez toute»
,1:4 l/lAjjxi^'A.^ ^^ U terre. I e» L.^^rr-^t-i-:« soot dun cl-jîx et d'une netteté de ptremier
or'i.e, •SîU^ iu'ffTseuiiou d'une i^fi^se p^^ce^ir qui eOî ôi6 à ce recueil sa râleur docu*
w,' r/;».:e L^ '«t« van^ ^•'^ ^ oor.îenu et de portée. Les dlfTéreDtes popolatioiis ont
étj-, prj aitîfr» entre d^r« r/^iU>fjOî atours 'iUi iirx*r ia p!iipait soot déjà ooimus eo etimo-
^rapr.if;. ftOi* f^^rnme o^rjerra'eurs, so.t comme iLtroriciens. Le T. I 1* fasc.- comprend
lir/rryl'i^ion, par Joyce et Th- r;.aA ; les Polynésiefines par A. Hingston : les Néo-
7j:utTA^ii^m par T. A, Joyf-e : les M'^rlanesiennes par Hingston. les Mlcronésiennes par
U-, ui^'UiH : .f^ AiJ.Htralienneâ par Tï.oma5. les femnies du tl^-iroit deTorrès et de Ja Nou-
MuUi hiiiî.^-i: \fnr C. O. Seli;nii<inn. c**i;es des tribus non malaises des lies de la Sonde
fiar K. hh^îiford ; celles de la presqu'île de Malacca par W. W. Skeat : celles des l'iiilip-
piij'«* par I homau, U;.< Malgache» par A. van Geunep : celles de l'Afrique du Noid par
Clivf« Holland, de TAfiiquc Orientale par R. W. Felkin, de TAfrique du Sud et du Sud-
Oii*;.-t p^r Mii»n Wemer, du Congo i>ar E. Toi-day, de TAfrique Orientale par Thomas.
i\i: r Amérique du Sud iiar Th. K^^h-(iiiinberg. Du T. II ont paru les fascicules compre-
nant le» chapitres sur les Amérindiennes du Nord par O. T. Mason et W. Hough. Le
iy\^i »^iinatiqiie a été traité brièvement ; par contre la situation sociale de la femme,
wm activité /œnomique propre, sa production esthétique, sa vie comme jeune tille, et
hurtout comme mère ont été traitées par la plupart des auteurs avec détails et précision
A. v. G.
RoiJkRT FoRRER. Ueallexihon der prùhistorischen, klassischen und ft^ühchrisl lichen
AUcrlumer. Berlin et Stuttgart, Spemann, liXi8. In-40, VlI-943 p., 295 pi., 3000 gravures
en tout»
Ji;UK S<;in,KMM. Wörterbuch zur Vorgeschichte. Berlin, Reimer, 1908. In 4% XVI-ôSOp,
préH (le 2000 flg. dans le texte.
Le D"" R. Forrer n'est peut-être pas aussi connu des préhistoriens qu'il devrait Tôtre.
Pendant près de trente ans son activité s'est dispersée surtout dans les revues locales
de la région rhénane. Dans le deniier Jahrbuch der Gesellschaft fur lothringische
Geschichte und Altertumskunde (IX, 1907), on trouvera encore de lui un remarquable
travail sur les poids et monnaies d'Egypte, de Crète et de Phénicie comparés à ceux de
l'Kurope occidentale aux siges du bronze et du fer et un très ingénieux essai de i*econsti-
tution (le la marche des Cimbrcs de 113 à 105 d'après les pièces d'or trouvées dans le dépôt
do Tayao-Libourne. Kn même temps, M. F. a su réunir à Strassbourg une importante
collection d'objets préhistoriques et protohistoriques dont plus d'une pièce remarquable
a pris place dans le Realleanhon qu'il présente aujourd'hui. Bien que, par son caractère
exelnsivoment archéologique et pratique, il ne fasse pas double emploi pour la partie
claH.slcpio avec los Diclionnaires d'antiquités de Saglio, Smith, Baumeister où le côté
historicpio o«t beaucoup plus développé, on n'en regrettera pas moins que l'auteur ne se
Holl pas borné à ces antiquités préhistoriques qu'il connaît si bien. Quoi qu'il en soit, par
riiboiidance do l'illustration ot par la modicité du prix (30 marks), ce Reallexikon n'en
a pas moins sa place marquée dans la bibliothèque de tous les ethnographes.
Il y sera utilement complété par le Dictionnaire de la Préhistoire de Mme Schlemm.
On y trouvera, pour chaque terme du vocabulaii-e préhistorique {àbsatzaœte, achsel-
schivm*7i, amazonen-axt etc ) une définition et, une description accompagnée de quel-
ques tlgures typiques et une bibliographie qui, presque exclusivement allemande, rendra
par h\-uiénio de grands services aux préhistoriens français. Si l'illustration est très
iniérieuiHs à celle du U«" Forrer, la bibliographie par contre est très supérieure ; très
olaiivmont disposée avec d'amples marges, il sera facile à chacun de la tenir au courant»
So complétant ainsi l'un l'auti^, ces deux volumes si heureusement parus en même
tcnii)s méritent de i*ester associés comme indispensables instruments de travail. Les
auteurs do ces ouvrages qui représentent un si énorme labeur peuvent être assui'ésde
la ix>conuaiSvsanco de tous ceux à qui ils épargneront d'interminables recherches.
A. J.-K.
KoNRAn Si UMU^T» Die Semiten als Träger der ältesten Kultur Europas, 190 p., in-1^
iileiwit-x. Neumaiu), I9t»8. -- Déilié au souvenir de Movers, cet opuscule d'un amateur
1908.J NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 471.
développe comme à plaisir tous les errements de ce savant dont l'influence a été si
pernicieuse. Les faits nouveaux apportés au débat par les découvertes de Mycènes et de
Crète devaient les dissiper à jamais, on pouvait Tcspérer du moins ! Il n'en est rien.
La grande civilisation égéenne est attribuée aux Pélasges, ce qui est possible ; les
inscriptions préhelléniques de Lemnos sont mises au compte des Pélasges, ce que Ton
peut admettre, mais en remarquant que rien ne porte à croire que ces inscriptions
remontent aux Pélasges-égéens du début du II« millénaire ; ces inscriptions sont rappro-
chées des documents étrusques, rapprochement fait lors de leur découverte (1886) par
M. Bréal et que les archéologues et les philologues 8'accx)ixlent aujourd'hui pour préci-
ser (voir Karo et Nachmanson, Athen, MiiteiL 1908, p. 47, 65). Sans prendre garde que
-ce rapprochement n'a de valeur qu'entre les Sintiens de Lemnos et les Etrusques des
1X«-VII« s., on en conclut à une identité absolue et de tous les temps. Il sufllt alors de
déclarer que l'étrusque est une langue sémitique — hypothèse toute gratuite — pour
qu'on croie avoir prouvé que tout ce qui est préhellénique est sémitique. C'est de ce
fond primitif que le grec aurait gardé les mots sémitiques dont on se plait depuis
Bochart à allonger la liste. M. Schmidt se flatte d'avoir découvert des etymologies dans
ce genre : hache, aœiné en grec (qu'on rapproche d'ordinaire de Vaxia latin, de Vaxt
allemand) viendrait de Thébreu gaza^ abattre ! Peu de linguistes lui disputeront sans
doute l'honneur de pareilles découvertes. A. J.-R.
iD' Alfred Lehmann. Aberglaube und Zauberei, trad, du danois par le D«" Petersen, XII-
665 p. in-80, 2 pi. et 67 flg. Stuttgart, F. Enke, 1908, 14 marcs. — L'ouvrage dont vient
de paraître cette nouvelle édition entièrement refondue, traduit pour la première fois
en 1898, doit ce rapide succès à son caractère rigoureusement scientifique qui lui a valu
les attaques des spirites et théosophes d'Allemagne. L'auteur, directeur du laboratoire
psychophysique à Copenhague, commence par étudier les rapports de la Magie avec la
Science d'une part, la Religion de l'autre. Sa théorie peut se résumer dans ces deux
propositions : 1° Est magique toute opération dont le but est d'influer sur le monde
sensible ou suprasensibie, mais qui ne ressort ni aux cérémonies cultuelles régulières
ni à la pratique ordinaire de la science ; 2^ Est magique toute opération par laquelle
on pense contraindre et enchaîner les puissances supérieures à l'homme à l'exclusion
de tous les actes par lesquels on espère seulement obtenir l'agrément de ces puis-
sances. Après cette introduction (p. 1-32), une 1" partie contient une histoire de la
magie chez les Chaldéens et Iraniens, Grecs et Romains, Hébreux et premiers Chré-
tiens, Finnois et Scandinaves, son développement au Moyen-Age par le concours de ces
éléments divere et sa décadence à dater du XVI« s. (p. 33-127) ; une 2« partie étudie une
par une les différentes doctrines qui rentrent dans la magie, astrologie, alchimie,
mantique et mystique des nombres et des lettres, superstitions populaires tirées du
-domaine de la nature ou de l'homme, etc. (p. 128-246) ; une 3« partie est consacrée au
spiritisme et à l'occultisme modernes, de Swedenborg à nos jours (p. 247-379) ; une
4* partie recherehe les éléments psychologiques et physiologiques qui servent de fon-
dement aux croyances magiques, le sommeil et les rêves, les spectres et les fantômes,
toutes les illusions et toutes les hallucinations des sens, l'hypnose et l'hysténe (p. 380-
649). Une bibliographie et un index — l'un et l'autre trop sommaires ~ tenninent cet
ouvrage, l'un des seuls qui réunissent à une claire histoire du développement de la
magie en Europe une analyse scientifique des phénomènes physiques et psychiques
auxquelles les croyances magiques donnent lieu ou soi*vent de base. A. J. R.
E. F. Gautier. Le Sahara algérien, gr. 8% 371 pages, 61 flg., 52 planches, 4 cai*tes.
Paris, A. Colin, 15 francs. — M. G. est surtout géologue, et c'est en cette qualité qu'il a
été chargé de missions au Sahara ; mais, comme dans ses travaux antérieurs, notam-
ment sur Madagascar, il a observé aussi les populations et noté leur type, leurs mœurs
et leur situation économique. Le chap. Ill (p. 60-138), est consacré spécialement à l'eth-
nographie saharienne, et l'on trouvera dans le reste du volume maints détails du même
ordre notés en passant. M. G. s'est surtout intéressé aux monuments rupestres, aux
redjems^ dont il distingue plusieurs variantes, se ramenant toutes à un type unique,
• évidemment berbère. Berbèi*es sont aussi les cercles de sacrifices et monuments simi-
Jaires ». Certains de ces redjems sont récents et ne peuvent être attribués qu'aux Toua-
regs ; Jes mobiliers funéraires contiennent tous du fer et « il n'en est pas un seul qui
[P. 472. • R • E • E • S • 1908.]
soit purement et autheDtiqueinent néolithique. Cette lacune énorme est de nature à
inspirer la plus frrande prudence... à en juger d'après les redjems seuls, les Berbère
seraient dans l'Afrique du Nord et à fortiori dans le Sahara un épiphénomène ». J'avoue
ne pas très bien comprendre. A ce compte, toutes les populations, et toutes les civilisa-
tions considérées en un lieu donné à un moment donné sont des épiphénomènes, car il
n'en est pas une seule dont on puisse dire à coup sûr qu'elle est autochtone. Puis M. 6.
fait connaître un certain nombre de gravui'es rupestres nouvelles : ces gravures avaient
« la même extension que la race berbère elle-même n. Qu'est-ce que la « race berbère 1 1»
A signaler que M. G. n'a pu réussir à déterminer quel temps il faut pour patiner une
gravure (p. 120). Puis vient une bonne étude sur les armes et instruments néolithiques
rencontrés en cours de route. M. G. a trop d'admiration pour les fantaisies de Despla-
gnes. Très utiles sont les renseignements sur les puits du Sahara, sur la répartitiou
géographique et politique des tribus, etc. P. 244-275, bonne étude sur l'ethnographie et
la sociologie (moins bonne sur l'histoire) du Qourara, du Touat et de l'Afrique Mineure.
Les appendices II-V donnent des inscriptions arabes, titinag, hébraïques, etc En somme,
tout en se tenant sur la réserve pour ce qui est des théories de M. G., on reconnaîtra que
son livre est la conribution récente la plus importante à l'ethnographie et à Tarclieolo-
gie du Sahara algérien. A. v. G.
A. G. P. Martin, Les oasis sahariennes, T. 1, 8°, 406 pag., ill., carte. Alger, Impr. algérien-
ne et Paris, Challamel, 6 fr. 50. — M. Martin, officier-interprète, donne en ce volume une
histoire des oasis sahariennes depuis l'aurore des temps historiques jusqu'à ce jour, ne
réservant pour le 2* vol. que l'époque chérifienne, pour des raisons de politique actuelle.
La lecture de ce livre montre qu'il en faut faire deux parts ; l'une est une reconstitution
d'après des documents déjà connus et publiés, ou d'après des « papiers d'ancêtres ^
découverts par M. M. dans les oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt. Cette partie
combine les faits proprement historiques avec les légendes (Gétules, Juifs. Zénètes,
Arabes, Hilaliens, Mérinides, chap. VU à XIll réservés, la conquête française). La t"
partie est le résultat des observations de Fauteur sur la vie surtout économique des
habitants des oasis. Elle est de beaucoup la meilleure et fournit nombre de renseigne-
ments nouveaux et importants.
K. Narbeshubbr, Aus dem Leben der arabischen Bevölkerung in Sfax (Veröff. des st.
Mus. f. VKKde zu Leipzig, Heft 2) 4«, 44 pages. 2 M. 70. — Le fasc. I de cette série a été
analysé ici {REES, 1908, p. 185) ; M. Narbeshuber, consul d'Autriche-Hongrie à Sfax
donne une bonne description des mœurs locales, avec un détail et une minutie des
plus utiles, les formules, incantation, chansons, etc., étant données aussi en arabe. Les
chapitres du livre traitent des cérémonies du mariage, les charmes d'amour, le mauvais
œil, des charmes pour faire tomber la pluie et des 'Aisawa. Dans un appendice, M. Stum-
me publie le texte et la traduction d'une chanson élogieuse sur l'écharpe d'une jeune
fille. A. V. G.
F. Karutz. Tatauiermiatter aus Tunis^ Extr. (p. 51 61) de VArchiv für Anthropologie,
T. VIT, H. 1 (1908) Vieweg, Brunswick.
— Nach den Höhlenstädten Südtunisiens, Extr. (p. 117-140, 201-205, 215-218, 229-236) de
Globus, t. XCII (1908), Vieweg. Brunswick.
11 est peu d'Allemands qui ayant occasion de faire un voyage dans l'Afrique française
n'en reviennent avec quelques articles sans prétentions théoriques, mais décrivant
jusque dans les moindres détails la vie des populations visitées. Notamment les Tro-
glodytes intéressent beaucx)up les Allemands, témoin les articles de M. Trseger, Zeit-
schrift für Ethnologie, 1906, de M. Lissauer, ibidem, 1908, et l'importante monogra-
phie de M. Karutz, directeur du Musée ethnographique de Lübeck, qui, à en juger
par les dessins d'objets qu'il donne, a dû bien enrichir son Musée. Son mémoire sur les
modèles des tatouages tunisiens, où les documents antérieurs sont utilisés, mais qui se
fonde surtout sur le livret communiqué à M. K. par un tatoueur de métier (cf. la cin^^
quantaine de dessins de la planche) fournit en définitive des appuis nouveaux à la
théorie, qui semble être restée inconnue à M. K., de Bertholon, sur les analogies entre
ces tatouages et les motifs ornementaux mycéniens. (Cf. Archives d'Anthrop. crimi-
nelle, 15 oct. 1904). A, V. G*
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 473«
JBarl of Cromer. Modem Egypt 2 vol. in-8», 594 et 600 pages. Londres, Macmillan et Cie,
1908, 24 ah. — Le but de lord Cromer en écrivant ce livre a été : I*» de donner un récit
aussi exact que possible des événements qui se sont succédé en Egypte et dans le Soudan
égyptien depuis 1876 ; 2° d'exposer les résultats pour les Egyptiens de Toccupation
anglaise. Arrivé à la fin de sa carrière, Pauteur constate après bien d'autres la difficulté
d'une intelligence mutuelle de l'Européen et de l'Asiatique, dont découlent d'autres
difficultés pratiques, qui se répètent journalièrement. Il n'y a pas lieu d'analyser ici la
partie proprement historique du livre de lord Cromer : mais plusieurs passages, et
notamment les chapitres XXXIV à XLIII doivent être signalés. On y trouvera un
tableau exact, mais un peu sommaire, de l'ethnographie actuelle de l'Egypte, une bonne
liste des tribus arabes et surtout une exposition fort utile des rapports entre Egyptiens
vrais et immigrés de tout ordre, Syriens, Arméniens, Grecs, Anglais, Français, etc.
C. V. Hartman. Archœological Researches on the Pacific Coast of Costa Rica, (Extr. des
Memoirs of the Carnegie Museum, Pittsburg, T. Ill, u^ 1). In-4o, 95 p., 46 planches dont
plusieurs en couleurs. — On devait déjà à M. Hartman, Suédois d'origine, des explora-
tions et des fouilles à Costa-Rica, au Salvador et au Guatemala. Ayant été chargé par
le Musée Carnegie de continuer ses recherches, il rapporta un grand nombre d'objets
qui sont décrits avec soin et reproduits avec luxe dans la présente publication. Pour la
comparaison, l'auteur a également décrit et reproduit les objets remarquables conser-
vés au Musée de San José. Il s'agit ici surtout des instruments, armes et objets d'usage
cérémoniel et ornemental. Un second mémoire traitera de la céramique. La civilisation
de Las Guacas, le principal endroit exploré, avait atteint un haut degré de développe-
ment ; elle présente des rapports avec celle des Chiriquiens de la Colombie, mais diflfère
des civilisations voisines ; elle semble même localisée nettement dans la presqu'île de
Nicoya, les îles de la baie et la région voisine de la côte du Pacifique du Nicaragua.
A. v. G.
J. DÉCHELBTTE. Manuel d* Archéologie Préhistorique, Celtique et Gallo-Romaine, T. I.
Archéologie Préhistorique, In-8« 147 pages, 249 fig. Paris, A. Picard et fils, 1908, 15
francs. — Voici enfin le manuel tant attendu que mérite la France préhistorique et
protohistorique, et l'on ne peut qu'admirer à la fois la documentation de M. D. et le
don qu'il possède à un rare degfé de savoir présenter des milliers de détails d'une
manière vive et intéressante, souvent personnelle, et sans se perdre dans des discussions
théoriques inutiles. La première partie est consacrée au paléolithique ; les chapitres
sur l'ai't à l'époque du Renne (parure, sculpture et gravure, peintures pariétales) sont â
signaler ; l'interprétation par le totémisme de ces peintures n'est avec raison admise
par M. D. qu'avec de nombreuses restrictions. La deuxième partie traite du néolithique :
bons chapitres, entre autres, sur le commerce néolithique. En appendice : une liste des
cavernes à parois ornées ou ayant livré des os ouvrés, et une liste des stations terres-
tres et ateliers de la France néolithique. D'ailleurs les faits français sont comparés aux
faits européens de même ordre, et ce livre est le meilleur manuel qui soit actuellement
en Europe, sur l'archéologie préhistorique ; le prix en est presque dérisoire, étant don-
née l'excellence de l'exécution typographique et figurée. A. v. G.
Jahrbuch des Städtischen Museums für Völkerhuiide zu Leipzig, T. I, année 1906. In*4°,
Leipzig, R. Voigtländer, 1907. — Le Musée ethnographique de Leipzig, était, quand je
le visitai il y a 3 ans, en réorganisation, et le directeur, K. Weule avait des projets
dont la publication du P. Stenz, le Jahrbuch, et la monographie de M. Narbeshuber sur
la population musulmane de Sfax, démontrent l'heureux accomplissement, au moins
partiel, car les collections ethnographiques de Leipzig mériteraient un bâtiment mieux
construit, et plus simple que le ürassimuseum. Le rapport pour 1906 contient un rappoi*t
général par M. Weule et une bonne monographie descriptive par Fr. Krause, sur les
habitants de l'île de Nissan (Archipel de Salomon) p. 44-159, avec 126 illustrations d'après
les collections du Musée et les publications antérieures de Foy, von Luschan, Parkin-
son, Comte de Pfeil, C. Ribbe, Stephan et Graebner, Thilenius, etc. C'est là, sans contre-
dit, le seul moyen d'arriver â voir clair, peu à peu, dans le mélange des types de civilisa-
tion en Océanie dont quelques travaux préliminaires, notamment l'étude de Graebner,
Zeitschrift für Ethnologie, 1905 ont montré la complication.
A. v. G.
p. 474.] • R • E • E • S • [1908.
Fb. Rikun, Wunscher fû Hung und Symbblik in Märchen, In-8®, 96 p. Leipsig et Vienne,
Fr. Deuticke. 3 M. — C'est avec un plaisir réel que je signale Y « étude n du D' R., où
pour la première fois se trouve élaborée une nouvelle méthode d'analyse psychologique
des contes, légendes et mythes, bref de la production littéraire collective. Que la néces-
sité d'entreprendra Tétude psychologique des collectivités soit évidente, cela est reconnu,
et a été affirmé ici même. Mais la méthode ? En fait elle était connue : c'est celle de
Freud, le psychiatre et psychologue de Vienne, auquel on doit de si intéressants travaui
sur l'hystérie et sur la formation, le mécanisme et l'interprétation des rêves. Mais si œ
mécanisme peut être suivi de près pour le rêve, on ne trouve dans le conte que le résul-
tat final du travail interne qui fait passer les images et les idées de l'inconscient au
conscient. M. R. montre tour à tour comment certains éléments des contes sont des
« mécanismes de défense n psychologiques, notamment les contes où est affabulé le
thème du désir exaucé (bergères épousant des princes, pauvres devenant riches, objets
magiques donnant de la force, des vivres en abondance, métamorphoses en oiseau, tapis
volant, etc.) ou de la victoire des faibles (marâtre, cendrillon, tom-pouoe, etc.), où, par
suite se marque la revanche des faibles, des moindres- valeurs sur les forts et les bien
doués. Théoriquement, la partie importante du mémoire est celle qui traite du symbo-
lisme dans les contes, premier essai que je connaisse d'une interprétation effective.
Enfin les deux derniers chapitres rappi'ochent des faits de psychologie et de psychopa-
thie sexuelle actuels un certain nombre de thèmes utilisés pai* les légendes et les contes,
et dont on n'avait pu comprendre jusqu'ici le sens vrai. A. v. G.
Geographisches Handbuch ^}jiniQv}A\ià.v\mi hervorragender Fachmänner herausgegeben von
Albert Scobei. 5« éd., gr. in-S"". Velhagcn et Klasing, Bielefeld et Leipzig. 20 livraisons à
1 Mk. — Cette cinquième édition d'un manuel de géographie réputé se recommande â la
fois par la mise à jour du texte et par l'excellence des illustrations en couleurs et photo-
graphiques. Le chap. VII de la première partie est consacré à l'ethnographie générale et
dû au savant viennois Michel Haberlandt, connu aussi conmie folkloriste. Ce chapitre
va de la p. 349 à la p. 409 ; il est accompagné de quelques photographies de types, bien
choisis et bien rendus. L'éloge du reste de ce manuel, bien connu déjà, n'est plus à faire.
Chaque chapitre se termine par une petite bibliographie. A. S.
Fr. Heinemann. Bibliographie nationale Suisse, V, 3. Berne, K.-J. Wyss, in- 16. — M. H.
met entre les mains des folk-lorlstes un excellent instrument de travail par sa publica-
tion d'une bibliographie raisonnée de tous les travaux suisses intéressant le folk-lore.
En 1907 parurent deux cahiers, de 591 pages en tout, consacrés aux supei'stitions, à
l'occultisme, à la croyance au surnaturel et aux miracles ; plus récemment a été publiée
la première partie du cahier consacré à l'inquisition, à la censure, à l'index, aux sectes,
à la sorcellerie, aux us et coutumes judiciaires. Le but de l'auteur est do rendre acces-
sibles les matériaux innombrables qui seront nécessaires au futur historien de la
civilisation suisse : il s'est donc donné la peine d'indiquer non pas seulement des titres,
mais le contenu des travaux classés et souvent les comptes-rendus qui leur ont été
consacrés. £n ce sens les Préfaces sont instructives aussi, car on y ti*ouve exposés les
principes, à tendance synthétique, qui ont guidé M. H. dans son énorme labeur.
A. V. G.
1908.]
PUBLICATIONS NOUVELLES.
[P. 475.
PUBLICATIONS NOUVELLES
reçues aux bureaux de la Revue.
J« Erdblianoyitch, Ethnologie^ ethnographie
et sciences apparentées^ (en serbe), 8», 13 p.
Belgrade.
R. Petri CCI, Essai sur une théorie de la vie,
avec préface d'Ë. Solvay, io- 16, 163 p., Paris,
Stein heil, 3 fr.
W. H. Cox, Aprioris tische en vriije voorstel-
lingen, extr. de Psychialr. en neurol. bladen,
1907, no 2, 8», 32 p.
— De generatie, eene copulatievogene corré-
lations théorie, extr. de Psych, en neurol.
bladen, 19()7. n^ 1, 77 p.
L. F. Ward, Reine Soziologie, Abhandlung
über den Ursprung und die spontane Enttoic-
kehmg der Gesellschaft, frad. J. V. Unger,
1. 1, 8o, 362 p., Innsbruck, Wagner, 7 Mks, 20.
E. DB RoBERTY, Socioloçie de l'action ; la genèse
sociale de la raison et les origines ration-
nelles de Vaction, &>, 355 p. Paris, F. Alcan,
7 fr. 50.
J. Mazarei.la, Les types sodauat et le droit,
in- 16, 447 p. Paris, Dein (Encyclopédie scien-
tifique, Bibliothèque de Sociologie).
J. G. Frazkk, Le Rameau d'Or, étude sur la ma-
gie et la religion, tiad. Stiébel et Toutain ;
t. II, Le meurtre rituel ; périls et transmigra-
tions de Vâme, 8«, 588 p. Paris, Schleicher
frères, 1908. 10 fr.
H. VisscHBR, Religie en gemeenschap bij de na-
tuurzolken, t. 1, 7 et 8*, 238 p., 1 planche,
Utrecht, J. A. Ruys, 4 florins 50.
K. Völlers, Die Weltreligionen in ihrem ge-
schichtlichen Zusammenhange, in- 16, 198 p.,
Leipzip. 1907, E. Diederichs.
G. Herzog, La Sainte- Vierge dans l'histoire,
80, \6t p.. Paris, E. Nourry. 4 frs.
P. Sébulot, Le Paganisme contemporain chez
les peuples celto-'latins, in- 16, 378 p. Paris,
Doin, (Encyclopédie Scientifique, bibliothèque
d'anthropologie), 5 fr.
W. Caland, Altindische Zauberei, Darstellung
der altindischen « Wunschopfer », 4^, 141 p.,
Publ. de l'Ac. des Sc, Amsterdam, J. Müller.
G. Ferrand, Textes magiques malgaches, 8*,
22 p., Paii#, Leroux.
A. Stanischitsch, Ueber den Ursprung der
Zadruga, L. Stein's Berner Studien zur Phi-
losophie, n» 59, 8*, 72 p. Berne, Scheitlin,
Sprin«; et C'«.
R. Lasch, Die Arbeitsweise der Naturtölher,
tir. à p. de Zeitschrift fQr Social Wissenschaft,
XI. 1908, 80, 12 p.
K. Penka, 0. Schraders Hypothese von der
südrussischen Urheimat der Indogermanen,
Beiträge zur Rassenkunde, n« VI, 8°, 41 p.
Leipzig, Thüringische Verlagsanstalt. 0 M. 76.
E, Fagnan, Le Djjihàd, ou la guerre sainte
selon Vécole malëhite, 8«, 20 p. Alger, .lordan.
Führer durch das Raulenstrauch- Joëst Museum
für Völkerkunde der Stadt Cöln, von D' W.
FoY, 2* éd., in- 18. 258 p., nombreuses illus-
trations et cartes, 50 Pf.
J. D. E. Schmelz, Rijks Ethnogr, Museum te
Leiden, Versla^, oct., 1906, — sept. 1907, 8®,
58 p. 10 pi. La Haye, M. Nijhoff.
J. F. Snblleman, Museum voor Land en Vol-
kenkunde en Maritiem Museum « Prins Hen-
drik n te Rotterdam, Ver slag over het jaar
i901, in- 16, 38 pages, 2 planches.
Linschoten-Vereeniging. Prospektus en Statu-
ten, 8o, 7 p., La Haye^ Nobelstraat, 18 ; société
nouvelle pour la publication des relations des
anciens voyageurs hollandais, 25 florins paran.
Fr. de Zeltnbr, Notes sur la soHologie souda-
naise, extr. de TAnthropologie, 1908, p. 217-
233.
TVaitement d'une ophtalmie au Sahel sou-
danais, extr. Bull. Mém. Soc. Anthr. Paris,
20juinl907, 2 p.
Troglodytes sahariens, extr. Bull. Mena.
Soc. Anthr. Paris, 5 déc. 1907, 2 p.
Les disques en pierre de Nioro, Soudan
français, extr. Comptes-rendus 3^ Congrès
Préh. de Fr., session d'Autun, 1907, Le Mans,
impr. Monnoyer 1908, 4 p.
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Einführung in das Gebiet der Kolsmission,
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designs based on material in (he U. Ä Nat,
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t. XXXIV, p. 321-344, 8 pi. 8». U^ash. Gov.
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Indian, Gal. Un. Publ. Dep. Arch. Ethn.
t. VIII, no 4, p. 187-234, 1 pi.
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Quellen und Forschungen sur deutschen Volks-
künde, herausgegeben von E. K. Blümtnl,
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Sitten, Bräuche, Sprüche, Lieder und Tänze
mit Singu^eisen, 8<*, 281 p.. Vienne, R. Ludwig,
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T. II, R. von Kralik, Zur Nordgermani-
sehen Sageageschichte, 8«j 120 p., ibid., 4 M . 50,
Futilitates, Beiträge zur Yolkskundlichen Ero-
tik, t. I: Ë. K. BlUmml, Schamperlieder,
deutsche Volkslieder des XVI-XIX Jahrhun-
dert*, in-16, 179 p., Vienne R. Ludwig, 12 Mks.
T. II : J. Polsterer, Schwanke und Bauer-
n^rzählungen aus Nieder-Oesterreich, in-16,
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südrussischen Juden, 4®, ill., 7 pages, extr. de
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sitchen Juden, 4°, 4 pages, extr. de Globus,
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popolo di Roma in 16, 499 p., Turin, Società
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G. F. L. Sarauw, Le Feu et son emploi dans le
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Revue Archéologique, Paris, Leroux, 190S.
Une ordalie par le poison à Borne et V affaire
des Bacchanales^ 8^, 19 pagos, extr. de la
Revue Archéologique, Paris, E. Leroux, 1908.
Un indice chronologique applicable aux
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ill., extrait de la Revue des Etudes grecques,
T. XXI, Paris, Leroux, 1908.
1908.]
SOMMAIRES DES REVUES.
[P. 477."
SOMMAIRES DES REVUES.
Zeitschrift for Ethnologie, t. XL. fa«c. 3.
E. Brandpnberg, Ueber neue Grottenfunde
aus Phrygien.
E. Fischer, Ueber den Ursprung der rumä-
nischen Bojarenfamilien,
D . Kürclihoff. Maass und Gewichte in Afrika,
H. KlAar^ch, Steinartefakte der Australier
und Tasmanier, verglichen mit denen der
Ur:^eit Europas.
A. PeDck, Das Alter des Menschengeschlech-
tes.
A. Fischer, Ueber Neuerwerbungen aus
China,
J. Hpiprli, Brief aus Zurich.
R. Koch, Anthropologische Beobachtungen
gelegentlich einer Expedition an den Vik-
toria-Nyan^a.
W. Lfthmnnn, Reisebericht aus San Jose de
Costa-Rica,
Fa?c 4.
A. Göize. Brettchenweberei im Altertum.
A. Lissauer-, Archäologische nnd anthropo-
logische Studien über die Kabylen.
Anna Lissauer, Vier kaby tische Fabeln und
Märchen.
A. M'^y, Eine vorgeschichtliche Begräbnis*
Stätte auf Malta.
G. Oe>teii. Bezieht über den Forlgang der
Ret hraforsc hung.
M. VerwiTD, Ein objektives Kriterium für die
Beurteilung der Manufaknatur geschlage-
ner Feuersteine.
F. Wieger», Neue Funde paläolitischer Ar-
tefakte,
Tb. Preuss, Ethnographische Ergebnisse
einer Reise in die mexikanische Sierra
Madre,
O. S'^hlnginhaufen. Reisebericht aus Süd-
Neu-Mecklenburg,
L. Schneider, Stein^eitliche Gefässmälerei
in Böhmen,
H. Virchow, Neolithische Wohnpiät^e bei
Monsheim in der Pfal:^'
W. Mc Clin took, Leben, Bräuche , Legenden
der Schwar^fussindianer in Montana,
A. Maass, Gipsmasken aus Mittel-Sumatra.
R. Mielke, Etn merkwürdiger Totenbrauch.
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J. Meier, Mythen und Sagen der Admirali-
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0. Mayer. Ein Sonnenfest bei den Eingebo-
renen von Vuatom^ Neu-Pommern.
G, M. Henry, Le culte des esprits chej^ les
Bambara.
G. de Marzan, Sur quelques sociétés secrètes
aux îles Fidji,
Baschir Dalgar, Die alte Religion der Tsche-
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G. DoixQ^ y L* enfant che{ les Chinois de la pro-
vince de Kan-sou,
L. C. Casartelli, Hindu mythology and lite-
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Kassner, Klapperbretter und anderes volks-
kundliches aus Bulgarien.
— N« 2.
Oiuffriiia-Kuggieii. Die Entdeckungen Flo-
rentino Ameghinos und der Ursprung des
Menschen,
von Kœnig&wald, Die Coroados im Südlicheu
Brasilien,
— N« 3.
Wagner, Reisebilder aus Sardinien (IV).
von Kcpnig>wal<l, Die Coroados (fin).
Für die Zigeuner,
— N» 4.
Wagner, Reisebilder aus Sardinien (V).
Goldstein, Die Frauen in Haussa-Fulbien und
in Adamaua,
— N« 5.
Wagner, Reisebilder aus Sardinien (VI».
Vierkandf , Zur Reform der völkerkundlichen
A ussenarbeit .
— N'oG
Sch( 11, Die Ostgrönländer,
Saad, Sach den Ruinen von Arsuf und dem
muslimischen Wall far hstorte Sidna * A/i bei
Jaffa.
Fol s: er, Aus dem Königreich Kongo.
— No 7.
Bauer, Feste der Indianer in Peru.
Struck, Ein Märchen der W'apase, Deutsch-
Ostafrika.
— Nog.
Teizner, Philipponische Legenden,
Wiedemann, Totenbarken im alten ^Sgyp-
ten.
Hell wig, Der Eid im Volksglauben.
Geissler, Die Kampfschilde der Jabim auf
Deuts jh - Neuguinea .
— N09.
MoszkowRki, Beiden letzten Weddas,
Struck, Zur kentniss des Gastammes.
Fr. Mauser, Eine babylonische Dämonen-
beschwörung,
'— No 10.
Jliithjeus. Ein Kirchgang mit dem Abuna
Petras von Abessini en.
Seligmann' t Forschungen über die Weddas.
— Noll.
Schlaginhaufen, Ein Besuch auf den Tanga-
Inseln,
— No 12.
von Buchwald, Altes und Neues vom Guayas, '
Die Tuareg des Südens,
Meyer, Die Papuasprache in Niederländisch-
Neuguinea,
— N0 13.
Spetbmann, Inner- Island.
Ter-Akobiao, Das armenische Märchen rm
Stirnauge,
Struck, König Ndschoya von Bamum als
Topograph.
— NO 14.
Gra«»bner, Der Neubau des Berllier Ms-
seums für Völkerkunde und andere prak-
tische Zeit fragen der Ethnologie.
von Kœuigswald, Die Caraja-Indianer.
Jochelson, Die Riabuchinsky-Expeditio^.
nach Kamtschatka.
Mo^er, Die RÖmerstadt Agunt,
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POLOoiB DK Paris, 1908, fosc. 1.
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Teyjat,
R. Avelot, Le ouri, un Jeu africain àcm-
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gisement quaternaire de Casuvres,
Brussaux, Les nègres Bayas,
— Fasc. 2.
Vauvillé, Sépulture néolithique de Braune.
H. ten Kate, Notes détachées sur les Japo-
nais,
R. Levi, L'esclavage au moyen âge et son
influence sur les caractères anthropologi-
ques des Italiens,
Rivef, La race de Lagoa Santa che: le:
populations pré-colombiennes de l'Equa-
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fasc. 2. I
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— Fasc. 3.
P. Alphandôry, Jean Réville,
Eug. de Paye, L'œuvre historique et scientl-
ßque de M, Jean Réville,
T. Spgerstedt, Les Asuras dans la religion
tédique,
J. Tourain, L'histoire des religions et le
totémisme, à propos d'un livre récent.
Rbvub db l'Ecolb d'Anthropologie, T. XVIII.
— N*> 5, mai et N'o 6, Juin.
L. Capitan, H. Breuil, Bourrinetet PcyroDV,
La grotte de la mairie à Teyjat,
J. Ë. de St urler, Les danseuses de cow à
Java.
— No Q^ juin,
R. DusKaud, La protohistoire orientale et
quelques éléments décoratifs chypriotes.
— No 7 8.
G. Hervé, L'anthropologie de Voltaire.
E. Pittard, Ornements utilisés de la période
moustérienne,
A. de Mortillet. Les pierres à fusil, leur fa-
brication en Loir et Cher,
Anciennes civilisations orientales^ fouilles
et découvertes.
La couleur des cheveux et des yeux en Ecosse.
RlVISTA ITALIANA Dl SOOIOLOOIA, t. XU, fa-C, t
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SOMMAIRES DES REVUES.
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G. Mazzarella, Le fonti delV antico diritto
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t. V, fasc. 2.
M. Ziermer, Genealogische Studien über
die Vererbung Geistlicher Eigenschaften
NacTigewiesen an einem Material von i334
Waldauer Haushaltungen.
Ed. \N estermarck, Moralbegriff über die
Ehelosigkeit.
A. Nordenholz, Soziologische Probleme, I,
Das Problem vom Ganzen und vom Teil,
A. Forr I, Gelbe und weisse Rasse ^ ein prak-
tisi her Vorschlag.
Mlle puiler.-Buiy, Einige Bemerkungen über
die Nt'gcr in der westlichen Hemisphäre.
H. Fehiiit'er, Der Einfluss der europäischen
Civilisation auf die Geburtenhäufigkeit,
— Fasc. 3.
M. Ziprmer, Genealogische Studien, t-ic, (fin).
W. Schalli ayer, Der Krieg als Zû( hter.
Revue d'Histoire des Doctrines Economiques
BT Sociales, t. I, fasc. 3.
A. Duhnis, L'évolution de la yiotion de droit
naturel antérieurement aux Physiocrates.
3. L'^scure, La conception de la propriété
che^ Arisiote,
Mémoikks dk la Société de Linguistique de
Pakis, r. XV, fasc. 3.
M. Bréal, Etymologies latines.
Ch. S>icIpux, Le verbe être dans les langues
bantou.
A. Meille^ De quelques emprunts probables
en grec et en latin,
A. Mf-ilIeT, Du caractère artificiel de la
langue homérique,
N. C<yï\eii, La langue de l'Ecole Polytech-
nique,
A. M.'illet, Varia,
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p. 480.J
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J. Vinson, Liçarrague ou Lcisarroija !
H.Schttchardt, Liçarrague ou Lei:arro7;i*
Bibliographie : Diccionario zasco-espa'}'
francés (R. M. de Azkue).
REVUE DES ÉTUDES
ETHNOGRAPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
ARNOLD VAN GENNEP
Mo« 11-19 t SOMMAIRE
Pages
A. W. HowiTT : A Message to Anthropologists ..... 481
M. Dblafossb : Le peuple Siéna ou Sénoufo 483
D. R. GoRso : Gli Sponsali popolari 487
J. Dbsparmbt : La Maui^sque et les maladies de Tenfance. . 500
Commuiiications : IV, J. A. Decourdemanchb, Note métrolo-
gique sur le livre et la pile de Charlemagne et sur
l*osselet de Suse ; V, A. van Gbnnep, L'expédition
ethnographique du Prof. D' K. Weule dans l'Afrique
Orientale Allemande en 1906 515
Analyses : D' Arnold Wadler, Die Yerbrechensbewegung
im (Glichen Europa (E. Burlb) 521
Notices bibliographique» par Ch. Boreux, G. Ferrand, A. v. G.,
A. J. Reinach ; P. Saintyves ; Th. Sholbnski ... 527
Publications nouvelles reçues au bureau de là Revue. ... 537
Sommaires des Revues 539
Table des matières 542
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
68, RUE MAZARINE, 68
Novembre-Décembre 1908
REVUE DES ÉTUDES ETHNOGIUPHIQUES ET SOCIOLOGIQUES
Adresser les lettres et manuscrits à M. A. van Gennep, 56, rue de Sèvres,
Clamart, près Paris, Seine, et les livres, revues, imprimés de toute sorte et abon-
nements a M. Paul Geutbner, libraire-éditeur, 68, Rue Mazarine, Paris fVP), aa
nom de la Revue des Études Ethnographiques et Soetologlq[Qe8.
Abannefnent : France : 20 fr. — Etranger : 22 fr. — Années écoulées 30 fr.
H« 1 : lanvtsr ISOe : J. G. Prazsr : St George and the Parilia. — Mauricb Dblafossb : Le
peuple Sléna ou Sônoufo. — > Charlbb Borbux : Les poteries décorées de L'Egypte prédy-
nastique. — Analyses : J. B. Pratt, The psychology of religùms belief (Qovlbt d'Al-
viELLA); Koch-Qrünbero, Südamerikanische Felszeichnungen (A. tan Gennbp);
O. Jacob, Geschichte des Schaüentheaters (id.). -^ Notices bibliographiques. — Som-
maires des Revues. — Chronique.
■« 2 : Févrisr 1908 : Andrew Lano : Exogamy. * Maurice Delafossb : Le peuple Siéoa ou
Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fandruana.
— Analyses : R. von Lichtenberg, Beiträge sur ältesten Geschichte von Kypros (A. J.
Rbinach) ; R. Dussaud, Vile de Chypre particulièrement aux âges ducuivreetdu
bronze (id.); E. Pechuël-Loesche, Volkskunde von Loango (A. y. G.) ; Fr. S. Krauss^
Das Geschlechtsleben der Japaner (id.) ; G. FRiSDERia, Die Schiffahrt der Indianer {iù.).
— Notices bibliographiques (C Mondon-Yidailhbt, A. J. Reinach, A. v. G.). — Sommai-
res des Revues.
H« 8 : Mare 1908 : A. van Cenkep : Une nouvelle écriture nègre ; sa portée théorique. -
Gaudefrot-Demombtnes : Rites, métiers, noms d'agent et noms de métier en araoe. —
A. Werner : Some notes on the Bushman race. ^ Maurice Delafossb : Le peuple Siéoa
ou Sénoufo (suite). — Gabriel Ferrand : Note sur le calendrier malgache et le Fan-
druana (suite). — Analyses : Huntington, The Puise of Asia (A. v. G.) ; Ftnn, The
American Indian as a product of environment (id.) ; Faîtlovitch, Proverbes abyssins
(R. Basset) ; Galtier, Coptica-arabica, I (id.) ; Burrows, The Discoveries in Crete et
Mosso, Escursioni nel Mediterraneo (A. .1. Reinach). — Notices bibliographiques
M, Delafossb, G. Ferrand, A. v. G, Ch. Monteil). — Sommaires des Revues. —
Chronique.
W^ 4«5 : Avrll-Htl : W.-E. Roth : Cratch-Cradle in British Guiana, avec 24 figures. — A. Bel :
La population musulmane de Tlemcen, avec planches.— G. Ferrand : Le calendrier Mal-
gache et le Fandruana (fin). — M. Delafossb : Le peuple Siéna ou Sénoufo (suite). —
Communications : A. van Gennep, Vers VEncyclopœdta ethnographica. — Ferrand, Le
destin des quatre éléments dans la magie maigache. — Demombtnes, Linguistique et
Sociologie. — Analyses : Hirzel, Themis^ Diké und Verwandtes (P. Huvblin).— Watson,
Philosophical basis of religion (G. d'Alviella). — Pbtraztcki, Motive des Handelns
(P, HuvEiiiN) — HiLDEBRANUT, Rccht und Sitte (A. v. G.). — Boas, Anthropology (id.). —
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M<» 6-7 : Juln-JBllM : F. Gaud : Or|ranisation politique des Manc^a (Congo). — A. van Gennep :
Linguistique et sociologie, n* Essai d'une Ihéone des langues spéciales. — A.-J. Reinach :
La lutte de Jahvé avec Jacob et avec Moïse et l'origine de la circoncision. -*- Analyses :
A. LcisT, Xe« Evangiles synoptiques (V. ërmoni). •— G.-A. Reisner, The Early dynastie
cemeteries of Naga-ed-Dêr (A.-J. Reinach). — Notices bibliographiques.: (G. Cœdés,
A. V. G., M. Delafossb, a.-J. Reinach, Th. Sholbnski). — Sommaires des Revues.
Ro 8 : Aottt : Richard Gottheil : The Cadi : The history of this institution. — Hermann
Beter : Die Naturgruncllage des Mexikanischen Gottes Xiuhtccuii. — N. Pantoüssoff :
Le temple chinois > Bei-iun-djuan » dans la passe d'Ak-Su. province d'Ilî. — Analyses :
W. 0. h. Oesterlet, The Evolution of Messianic (Goblet d Alviblla). — Alois Musit,
Arabia Petraea (Krné Dussaud). — J. Bâdier, Les Légendes épiques ; recherches sur
la formation des chansons de geste (G. Huet). — Notices bibliographiques (A. v. G). —
Sommaires des Revues.
W^ 9-tO : 8sptombrt*0€tobre 1908 : A. Bel : La population musulmane de Tlemcen. — M. Dela-
fossb : Le peuple Siéna ou*Sénoufo. — Analyses : H. Lrsmann, Aufgaben und Ziele der
vergleichenden Mythenforschung ( A. van Gbnnep) ; R. Parkinson« Dreissig Jahre in
der Südsee ; Land und Leute^ Sitten und Gebrauche in Btsmark-Archipel und auf
den deutschen Salomoinseln ; — B. Stephen et Fr. Giubbnbr, NeurMecklenburg [Bis-
marck-Archipel). Die Küste von Umuddu bis Kap St-George; — P. A. KLEiNTrrscHBH;
Die Küstenbewohner der üazellehalbinsely ihre Stilen und and Gebrauche (A. van
Gennbp). — W. H. S. Jones, Malaria^ a neglected factor in the history of Greece and
Rome (A. J. Rbinach) ; — F.-H. V^'eissbach, Beitrage sur Kunde des h^ak-Arabischen
(Cl. Huart) : — Ionaz Bernstein, Jüdische Sprichu^orter und Redensarten (Renb Bas-
set). — Notices bibliographiques. — Publications nouvelles reçues au bureau de la Kevue.
— Sommaires des Revues.
1908.] HOWITT : A MESSAGE TO ANTHROPOLOGISTS. [P. 481.
A MESSAGE TO ANTHROPOLOGISTS.
by A. W. HowiTT.
The time has now come when I would impress on all investigators the impor-
taoce of using the utmost caution in accepting as primitive rules the present
marriage customs of the majority of Australian tribes. During the last twenty
years the aborigines, in the settled districts have diminished at such a rapid rate
that it is only here and there that an individual can be found whose memory goes
■back to the time when the tribes were in their full vigor, and some investigators
by not observing this caution have formed altogether falacious views of their
marriage laws and customs.
Almost everywhere in the settled parts of the South Eastern quarter of Austra-
lia their primitive organisation has completely broken down on contact with our
-civilisation and the consequent introduction of intoxicants, desease, and vice, and
also through conflicts with the white settlers and their servants.
In the well watered and fertile country, now the state of Victoria, the abori-
gines, when the early settlers came in 1837, were estimated to number many
thousands. Decay however soon set in, and the inrush of population, owing to the
discovery of gold in 1851, accelerated it greatly. Ten years later, mission stations
were establfshed in various parts of the colony, in which gradually the remnants of
the tribes were herded, under the management of missionaries, but controlled by
the Aborigioes Protection Board. From the reports of the Board, I find that the
numbers had diminished in 1907 to 270 individuals including 81 half castes
In New South Wales the same state of affairs exists. In 1839 there were said
to be 7000 of the Eamiiaroi, and now it is hard to find traces of this people. The
manager of the Brewarrina Mission Station, Mr Hocking, has 200 aborigines on his
•role, comprising members of the Ngamba, Wonghi, Wiradjuri, Barkinji, Murawari,
Burumbinya, and Kamilaroi tribes. He says they are « a very mixed lot » but are
still particular to marry according to their primary classes, « light and dark
blood « as they term it. There is said to be only one true Barkinji living, the sur-
vivor of a people that in 1846, when their country was first settled by the whites,
numbered fully 3000, but who in 1884 had dwindled to 80 all told^
The Murawari, according to an old Ipatha woman of the tribe, are so dimi-
nished, that the class divisions can no longer be observed and are known only to
the old men and women. Among the younger generation, she says, Margoolah
marries Margoolah and Boomberrah marries Boomberrah with impunity, and also
that the tribe became lax in these matters about twenty years ago, being afraid of
the police and of the white people; and since they were collected in the reserves
and given plenty to eat, the young blacks marry whom they like^.
The first effect of the dwindling of a tribe would be that a man would have a
•difficulty in obtaioing a wife of the proper sub-class and totem. In tribes having
the four sub-class system where the original cht>ice was restricted to i/s of 1/4 of
* G. H. Toulon, Curr's Australian Race, vol. II, p. 189.
* Miss May Benson.
p. 482.] • R • E • E • S * [1908.
the tribe, the difficulty would very soon arise. Id some cases this was met by a
deliberate alteration of the marriage rules, so as to strengthen a totem that was
numerically weak, or verging on extinction. In his natural state, the Australian
aborigine is essentially a law abiding person, his actions being guided by custom
and tradition as interpreted by the elders of the tribe, who have power to permit
or punish illegal unions, as they deam for the good of the community. The ' ano-
malous * marriages of the Wonghibon are a case in point, where the laws were
intentionally altered to strengthen the opossum totem^.
In two communications to the American Antiquarian March- April and May-
June 1906, 1 note that owing to these alterations in the customs of the tribes,
Mr. R. H. Mathews has drawn quite erroneous conclusions on some most impor-
tant points. At page Ö85 toI. xxvni, in speaking of the Kumu marriages,
Mr. Mathews gives an instance of what he calls the « normal or direct rule of mar-
riage 0 when a « brother's daughter's son mates with a sister's daughter's daugh-
ter It. This is precisely the marriage rule recorded by me in « Native Tribes of
South East Australia » page 189, descriptive of the Dieri noa relationship.
Mr. Mathews then gives a second form of Kumu marriage which he states as
follows « a brother's daughter's son mates with a sister's son's daughter » and goes
on to say : « In the former case a Mururi man marries a woman of the opposite
phratry, but in the latter case he takes a wife from his own phratry, which exhi-
bits the falacy of the old school of theories respecting exogamy among the Austra-
lian tribes ».
Speaking of the tribes of Western Victoria, Mr. Mathews again discovers two
rules of marriage, one of which he says is the > normal or tabular custom » and
the other the « irregular custom of a Oamutch marrying a Gamutch-gurk ».
This statement quite gives away Mr. Mathews's argument, because his « nor-
mal » marriage is in fact exogamous, under the old exogamic rule, which investi-
gators from Ridley down to Spencer and Gillen and myself have found in one
form or another among all the tribes we have studied. The second rule on which
Mr. Mathews relies to prove the absence of exogamy among Australian tribes is
an innovation introduced since the breaking down of the tribal organisation. The
changes which decay has wrought in the four sub-class tribes will be more striking
in their effects when civilisation attacks those organised on the six and eight sub-
class systems.
Hence I would urge, as a last word, that all possible efforts be made to
record the laws and customs of the remote tribes of Australian aborigines, before
decay sets in, and that evidence from the remnants of decaying tribes be accepted
by anthropologists with the greatest caution.^
1 Natine Tribes of South East Austria, p. 216.
' Cet Appel, le dernier article qu*ait écrit l'auteur, nous a é(o envoyé par Mi« Howitt sur
recommandation expresse de son père mourant; une erreur d'adresse a fait retourner le manos*
crit en Australie, d*on Miss Howitt l'a renvoyé A M. Frazer, qui a nous l'a &it parvenir. Eft
remerciant Miss Howitt, nous tenons à lui exprimer nos regrets profonds pour la perte qu'elle a
faite, ainsi que la science, par la mort de l'admirable ethnographe qu'était A. W. Howitt. A. v.^«^
1908.] DELAFOSSE : LB PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 483«
LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO
par Maurice Dblafosse (Côte d'Ivoire).
(Suite.)
36. — Le mariage (suite).
La première épouse eu date a toujours le pas sur les autres et est consultée
par le mari pour le choix de ses autres femmes. Elle est intéressée à ce que son
mari ait plusieurs épouses, car elle se trouve par là déchargée d'une bonne partie
des travaux du ménage et acquiert une importance et une autorité dont elle est très
4ère.
Les chefs se marient souvent avec des filles d'autres chefs, ce qui leur crée des
alliances qui peuvent leur être utiles au point de vue politique.
Comme je le disais tout à l'heure, les gens pauvres n'ont généralement qu'une
femme. Qaant au célibat, il n'existe pas ou du moins est excessivement rare.
Le divorce peut être prononcé à la requête des deux époux ou même à celle
àe l'un d'eux seulement, mais si l'un des époux se prononce contre le divorce,
celui-ci ne peut être prononcé que si des charges graves sont relevées contre celui
des époux hostile au divorce. Si le divorce a été prononcé à la requête de l'époux,
la femme retourne simplement dans sa famille ; s'il a été prononcé à la requête de
l'épouse, la famille de celle-ci doit payer à l'époux une indemnité correspondant
^ux sommes qu'il a versées, avant le mariage, à ses futurs beaux-parents.
37. — La fàmlUe.
Les maris sont en général très tendres et très faibles pour leurs femmes au
début de leur union, se ruinant en prodigalités, s'endettant souvent et commettant
même des abus de confiance et des vois pour satisfaire aux caprices de leurs exi-
gentes moitiés. Lorsque la femme devient grosse et que l'époque de l'accouchement
se rapproche, cette affection se transforme peu à peu en indifférence, et, après
l'accouchement, l'amour du mari pour sa femme est diminué, semble-t-il, de celui
-que le père porte à son enfant.
Cependant l'affection des maris Siéna pour leurs femmes parait être en gêné*
rai plus profonde et moins égoïste que celle des femmes pour leurs maris. L'épouse
craint son mari, qui est assez souvent brutal — moins souvent pourtant que le
mari mandingue — > ; elle l'aime aussi, mais surtout pour sa situation et sa richesse ;
tout en paraissant soumise et craintive, elle fait d'ailleurs de son époux à peu près
^e qu'elle veut quand elle est jeune et conserve ensuite sur lui une grande influence.
La famille n'est jugée réellement existante que lorsqu'elle comprend des
•enfants. Les femmes stériles sont considérées comme frappées d'une malédiction
ilivîne et M. Binger rapporte que, chez les Siénérhè, une femme mourant sans
enfants voit toujours sa mort attribuée à une cause surnaturelle. Pour une raisoa
de même ordre, les hommes attachent peu de prix à la virginité des femmes qu'ils
"épousent et aiment au contraire épouser une fille-mère, l'enfant de celle-ci, quel
-que soit son père naturel, étant toujours adoptée et accueilli avec joie par le mari.
p. 484«] • R • E • E * S • [1908.
Le père et la mère semblent tous les deux tenir beaucoup à leurs enfants,
mais c'est surtout le père qui aime les caresser et qui joue ayec eux. Il semble que
le père affectionne davantage les filles et la mère les garçons, au moins dans leor
tout jeune âge.
Lorsque deux époux ont eu des enfants et que le mari vient à mourir le
premicri les enfants restent dans la famille de leur père, pourvu que cette fiimiUe
soit établie dans le pays. Si elle est fixée en un autre pays, les enfants demeurent
avec leur mère.
Au cas où c'est la mère qui vient à mourir la première, les en&nts en bas-age
sont confiés à une autre femme de leur père ou à la famille de leur mère. Une fois
grands, ils sont rendus à leur père.
Si le mariage n'a pas été accompli selon la coutume locale ou si les enfants
sont nés d'une union irrégulière, ils sont, à la mort de leur mère, partagés entre le
père et la famille de la mère.
En cas de divorce, les enfants en bas âge sont en général confiés à leur mère,
au moins pendant quelques années ; lorsqu'ils atteignent Tage de cinq à sept ans,
ils sont, soit attribués au père, soit partagés entre le père et la mère, suivant les
régions.
Dans plusieurs tribus, le mari devient, par le fait même de son mariage, le
serf du frère aîné de sa femme, qui est le véritable chef de la famille. Ses enfants,
une fois grands, travaillent pour leur oncle utérin et non pas pour leur père, et, à
la mort de ce dernier, ils passent à leur oncle avec tous les serfs et le bétail de
leur père. Telle serait au moins la coutume chez les Kâfibélé^ d'après M. l'adjoint
principal Cimblard .
38. — La vie des hommes.
Les hommoi se lèvent en général avec le jour, soit entre 5 heures et 6 heures
du matin ; ils se passent de l'eau sur les yeux et le visage et partent tout de suite
pour les plantations lorsque les travaux agricoles les réclament, comme c'est le cas
presque toute l'année. Ils travaillent aux champs à peu près jusqu'au coucher da
soleil, s'y faisant apporter leur nourriture par les femmes, et rentrent au village
à la nuit tombante. Ils prennent alors le repas du soir, échangent les nouvelles de
la journée, et, s'il fait beau temps et qu'il y ait de la lune, assistent ou prennent
part à des danses ou à quelque cérémonie religieuse, ne se couchant guère avant
10 heures du soir.
. Si la saison n'est pas propice aux travaux agricoles, ils vont à la chasse ou à
la pèche ou bien vont chercher dans la brousse des matériaux de construction«.
Lorsque la saison des pluies est terminée, ils travaillent dans leur village à la
réfection de leurs cases ou à la construction de nouvelles habitations ou de greniers»
Oeux qui exercent un métier s'y livrent du matin au soir. D'autres vont en voyage,
portant des marchandises qu'ils vont vendre au loin pour leur propre compte ou
plus souvent pour le compte d'un commerçant mandingue. D'autres enfin font des
transports pour le compte de l'administration française ou des commerçants euro»
péens.
Les travaux des champs que se réservent les hommes sont l'enlèvement des
hautes herbes, le labourage, les semis d'ignames et de mil, le bouturage du manioc,
les sarclages et binages, la préparation des rizières, la récolte du mil et du ni, le
battage du grain au fléau. Ce sont eux aussi qui coupent, préparent et apportent les
bois de construction, la paille, les lianes, les fragments de termitières destinés à Ja
1908.] DELAFOSSE : LE PEUPLE SIÉNA OU SÉNOUFO. [P. 485.
volaille ; ce sont eux encore qui transportent les poulets aux champs. Les autres
travaux, demandant moins de force musculaire, sont faits à la fois par des hommes
«t des femmes, celles-ci se réservant en général quelques ouvrages spéciaux dont il
sera question au chapitre suivant.
Telle est la vie habituelle des hommes depuis Tadolescence jusqu'au déclin de
rage mûr, c'est-à-dire depuis 12 ans environ jusqu'à 45 ans. Après cet âge, il est
rare que les hommes continuent à se livrer à des travaux pénibles, à moins qu'ils
appartiennent à la classe la plus pauvre, et n'aient ni enfants ni serfs qui puissent
<;ultiver leur champ. Généralement, ils accompagnent de temps en temps leurs
cadets aux champs, mais se contentent de donner des ordres et de surveiller le
travail. Ils demeurent davantage au village, devisant des affaires de la communauté,
entourant le chef auquel ils constituent une sorte de conseil des anciens, gardant
souvent les jeunes enfants pendant que les mères vont laver à la rivière ou vont aux
champs porter le repas des travailleurs. Parfois aussi ils occupent leurs loisirs en
jouant à un jeu répandu dans toute l'Afrique Noire et consistant en deux rangées
parallèles de six petites cavités dans lesquelles on place des graines sphériques oa
des petites pierres, suivant des règles et des combinaisons qui rappellent sous cer«*^
tains rapports celles de notre jeu de dames.
Les véritables vieillards, qui ont dépassé 60 ans et se distinguent par une
vénérable barbe fleurie, mènent une vie encore plus végétative, restant des heures
entières comme absorbés en eux-mêmes, et ne sortant de leur réserve que pour boire
de la bière de mil en racontant les faits saillants de leur longue existence.
Lorsque la maladie qui les doit emporter a mis sur eux son empreinte, ils se
laissent aller à la mort sans grande résistance comme sans grande douleur, avec une
sorte de résignation fataliste troublée seulement de temps à autre par une crise de
^souffrance ou par la peur d'être victime d'un ennemi jaloux ou d'un malin esprit.
39. — La vie des femmes.
On a dit et répété que la femme noire était une bête de somme et qu'elle tra-
vaillait toujours tandis que l'homme ne faisait rien : cet adage est complètement
faux y surtout en ce qui concerne les Siéna.
On a vu tout à l'heure que la journée d'un homme était assez remplie. Celle
il'une femme l'est autant d'ailleurs, mais ne l'est pas davantage. Ce qui a pu faire
croire aux observateurs superficiels que la femme travaillait plus que l'homme^
c'est que le travail de la femme au village est de tous les jours et de tous les
instants, consistant surtout, chez les Noirs comme chez tous les peuples, dans le^
soins du ménage et de la marmaille, tandis que le travail des hommes se fait prin-
-eipalement au dehors et que, pour ce travail — surtout pour le travail agricole —
il y a, en Afrique comme en Europe, des périodes de chômage. De plus, lors du
passage d'un Européen dans un village peu habitué à voir des Blancs, le travail est
souvent interrompu par la curiosité qui pousse les habitants à venir contempler cet
-étranger de race mystérieuse : ce jour là, les hommes ne vont pas aux champs, ils
délaissent même les occupations qu'ils peuvent avoir au village, et restent assis sur
la place publique, regardant chaque geste du Blanc et le commentant, ou bien ils
prennent part aux danses et réjouissances organisées en l'honneur de ce visiteur de
marque ; les femmes, elles, sont bien obligées, ce jour-là comme les autres, de
préparer la nourriture, et de plus elles ont à aller chercher des vivres et de l'eau
«t à iaire à manger pour les porteurs du Blanc, son escorte et son personnel : le
p. 486.] • R • E • E • S • [1908.
passage d^un Européen est aiosi ToccaBion d'un jour de congé pour les hommes et
d'un surcroit de travail pour les femmes. Mais, dès le lendemain, la vie reprend son
cours normal, et tout le monde — hommes et femmes — vaque à ses occupations
habituelles.
La femme se lève comme son mari aux premières lueurs de l'aube et va tout
d'abord puiser de Teau à la rivière proche. Ensuite elle balaie la case et ses alen-
tours, attiso le feu et prépare le premier repas, qu'elle devra souvent ensuite porter
aux champs. La préparation des repas est, chez les Noirs, une opération plus
longue, plus pénible et plus compliquée que chez nous, en raison de ce fait que
c'est la cuisinière qui, en quelque sorte, fait office de meunier et de boulanger,
puisque c'est elle qui moud le grain et confectionne Taliment farineux auquel cor^
respond chez nous le pain.
Outre ces occupations ménagères, la mère de famille doit encore laver ses
jeunes enfants, savonner le linge, porter les légumes au marché voisin. Si elle a du
temps dans la journée, elle va aux champs et y procède à certains travaux tels que
les semailles du maïs, des arachides, des haricots, du coton, des légumes, et le
repiquage du riz de rizière, occupation pénible parce qu'elle contraint celles et
ceux qui s'y livrent à travailler le corps enfoui dans la vase jusqu'aux hanches. Ce
sont les femmes aussi qui, en général, aidées par les adolescents, récoltent les
ignames, les arachides, le maïs, les légumes ; ce sont elles qui transportent au vil-
lage les produits agricoles et qui ramassent, coupent et fendent le bois à brûler.
Dans la soirée, elles préparent le repas de la tombée de la nuit, vaquent de
nouveau à la toilette des enfants, souvent filent le coton, et, comme les hommes,
terminent volontiers cette pénible journée par des chants et des danses qui durent
une bonne paitie de la nuit.
On comprendra facilement qu'une seule femme, fréquemment enceinte oa
nourrice, souvent obligée de porter un enfant sur son dos, ne peut pas vaquer
facilement à ces muhiples occupations, et on saisira pourquoi la polygamie, comme
le servage, est une nécessité chez les Noirs agriculteurs tels que les Siéna.
Ainsi qu'il arrive pour les hommes, les femmes parvenues au déclin de l'âge
mûr ne s'astreignent plus à un travail aussi continuel que lorsqu'elles étaient plus
jeunes. On voit bien encore de vieilles femmes revenir de la brousse courbées sous
un lourd fardeau de bois à brûler ou aller puiser de l'eau dans de grandes jarres
trop lourdes pour leurs muscles devenus débiles : ce sont généralement des serves
ou même des femmes nobles de la classe la plus pauvre^ dont le mari n'a pu se payer
le luxe de plusieurs épouses. Mais le plus souvent les vieilles femmes demeurent au
Tillage et se consacren spécialement au soin des enfants, à la pratique de la méde-
cine, aux accouchements, ou bien passent leurs journées à filer le coton. Il arrive
d'ailleurs que, lorsqu'on danse sur la place publique, les danseuses les plus enragées^
sont des matrones à cheveux blancs.
(A suivre).
1908.] CORSO : gli sponsali popolari. [P. 487«
OL.I SPONSALI POPOLARI.
(Studio cCEttwlogia Giuridica).
per il DoTT. Raffaele Coeso (Nicotera, Calabre).
Pbeliminabi. — Gli sponsali nelle legislazioni nuove e nel costume popolare.
Il fidanzamento compléta e Vincompleto. Rottura dei rapporti di fidaneamento e
restitusfione dei pegni. Restiiuzione semplice, in tantudein, in duplum. Inte-
resse del folk-lore giuridieo.
Chi per poco volga lo sguardo alla geografia giuridica delP Europa, vedra
cbe gli sponsali vanno scomparendo dalle legislazioni nuove. In qualche paese
sono aboliti, in qualche altro proibiti, e dove poi, non siano caduti in desuetudine,
essi non hanno forza di obbligazione matrimoniale che possa dar luogo ad una
actio ex sponsu, ma generano soltanto un vincolo etico, il fondamento e Targo-
niento del quale è la fede nuziale. Vero è che la parte la quale manca al contralto,
è tenuta a risarcire le spese fatte per gli sponsali, ma cio non è che una reminis-
cenza dell'antico istituto, Tultimo riflesso economico dell'antico contratto matri-
moniale'^. La realta è che gli sponsali ove non siano ancora scomparsi, sono
destinati a scomparire, mentre tutti i rapporti di fede, le relazioni di sangue, gli
eflfetti economici ricevono forma definitiva col solo atto matrimoniale.
A taie progresso délia legislazione fa contrasto il. diritto consuetudinario di
moite popolazioni a civilta latino-germanica, per quanto ci è concesso rilevare
dalle tradizioni e dagli usi finora conosciuti'^. Difatti nel costume popolare gli
sponsali presentano una sicura forma di obbligazione, quando (e non è raro il caso)
eBsi non siano una introduzione o una viva immagine del matrimonio da rendere
légittima la convivenza dei fidanzati. Percio nei trattati preliminari del matrimonio
è" utile distinguere due fasi : la prima di esse racchiude il periodo délie trattative
(proposta, richiesta ; accettazione ed accordo) ; la seconda fissa l'assicurazione dei
rapporti morali ed economici (sponsali)». Queste due fasi, che coraprendono tutta
^ Dello stato délia legislazione earopea si pu6 tracciare il seguente schema : a) Stati dove gli
sponsali sono caduti in desuetudine (Francia, Belgio), o sono stati aboliti (Norvegia), o proibiti
(Bolivia) ; b) Stati dove gli sponsali dànno luogo ad azione per il rifaciraento dei danni realmente
sofiferti (Valese) ; c) Stati dove é ammessa azione peril rifacimento dei danni e degli interefsi
.(Ingbilterra, Baviera, Wurtemberg, Francoforte, Brunswick, Hannover, Sassonia, Prussia,
Olanda, nonchô: Cantoni di Basilea, Argovia, Berna, S. Gallo, Saletta. Zurigo, Vaud, Ticino);
d) Stati dove gli sponsali banno una certa forza obbligatoha (Cantone di Vaud, Argovia ; Sasso»
nia» Svezia) ; e) Stati dove ô in vigore la legislazione canon ica (Sj[>agna e Portogallo). Per le
4egislazioni degli ex-Stati Italiani e per Tattuale regolamenio degli sponsali in Italia [Codice
Civile art 54) cfr. Cicoâolionb, Promessa di matrim. ecc. nell* « Enciclopedia Oiuridica n
Xm, IV. pag, 52-58.
>2 Queste nostre consideranoni contemplano usi e coetumi di moite popolazioni d'Ëuropa ses-
"tanto. Taie limite è di esigessza scientifica perchô si possano rilevare e aggruppare le forma
simili negli osi e nei costumi di popoli che hanno avuto uno sviluppo storico comune o parallèle«
^ La teoria sorge dal fatto. Sono caratteristici i tre atti che, pel popolo siciliano, compiono la
»procedura nuziale : a) Jurari -^ b) *nguaggiari — c) epusari, Uinguaggia corrispondente air
p. 488.] • R • E • E • S • [1908»
la procedura nuziale, possono indlcarsi col nome di fidaneamenio eomplek e
incampleto.
II fidanzameuto iucompleto, che sorge dall'avvicinainento delle parti e nel
momento in cui il preteudente conosce e riconosce la donna come sua, non genera
alcun rapporto obbligatorio' ; meutre il fidanzameuto completo, che è Tassicura-
zione del matrimonio (sponsale), stringe mediaute il pegno, il segno, la fede una
obbligazione giuridica con eifetti morali ed economici*.
inguadiare (da toadia, gttadia = pignits, fidejussio). Pitre, Bibliot. Trad. Pop, Sicil., üsie
Costumi p. 70. Oarvfi, Usi Nuziali nel M. B, in Sicilia, p. 60. Nella Sardagna (Aggius, Terra-
nova, Pausania) si conoacono tre atti solenni : a)ßdßn^ctmento^ lo sposo offre la fnilitarïa, cioé
I'anello promiaaorio — b) s'abbrazzu^ Tabbraccio osado interveniente — c)su sposu. A. Pirodda
Delia « Riv. Tia J. Pop. n del Dk Oubernatib, I, 559, 60; Db Rosa nella RU>, cit., II, 13, 14, 15.
Neir Andalusia si nothno : il noviztato, it regotamenio delle carte e il consensu davantial
Parroco, il casamento. Durante il noviziato la aposa non puô ricevere doni dallo sposo, perché
ancora non si é atabilito aloun vincolo legale tra loro. Dopo il regolamento delle carte e 11 cob-
aenso dato in Ghieaa, i âdaniati sono legati per aempre. A. Machado t Alvarez, BibL Tradic,
Pop, Espaholas, I, 73-79 (Madrid, 1884). A Brod, e con fréquenta presse gli altri SUti meridio-
li, si notano quattro Tisite che i genitori e i parenti del pretendente fanno alia famiglia della
gioTane ricbie&ta. Per ogni visita si portano del doni, e soltanto nella qaarta visita si offre alla
giovane scelta una somma. Gli sponsali per6, ricevono solennitA il giorno in cui — dopo la quarts
▼isita — il padre della giovane rinnova il consenso, in présenta dei parenti e dei corgiunti, con
qoeste parole : « lo dono la mano ili mia figlia al valente N. N. Che Dio aia con loro ! » Bogisic^
Zbomik, etc. preaso Dsmblio» Droit Coutt4m, d. Slaves Méridion. nella « Rev. d. Léffisl., ecc. 9,
1876, p. 585. — Presse i Turingi si £a I'accordo, indi si fissa il giorno degli sponsali. Kvnzb,
Volksk, Ü. Thüringer Walde, nella « Zeitschr. f. Vereins d. Volksk. » del Wbinholt, 1890,
p. 179, 180. Per le varie fasi della Verlobung cfr. la « Zeitschr. » cit., 1898, 428 aeg. ^ Dopo la
promessa si combina, per esempio, la fuga come cerimonia simbolica (BergaJ. Cfr. la « Zeitschr. »
cit. 1900, 171. Solle fasi del fidanzamento v. anche << The Folk-lore Congress (Chicago, 1894),.
▼ol. I, 408, 416.
^ Per il consenso dei fidanzati e dei padri v. in seguito : Libellum dotis.
Nelle Marche la « promessa » Ô un semplice accorde, montre il fat to di « dare la parola a é
equiparato agli sponsali. Cfr. Usi e Costumi Marckigiani, p. 28 (Colles, di Curiosité Star, e
Tradiz, diretta da G. Pitre). — Partecipano del fidanzamento completo e dell' incomplete :
« I'entrata n (A Nuoro, in Sirdegna), G. Dbledua nella « Riv. Trad. Pop. • II, 419 ; « la promi»-
sione « (Veneto), Pasouni-Tanblli, Loria, p, 54 -, « i'appuntamento » (Sicilia), Pitrâ, Usi e Cost.
cit., p. 39.
' Cosl, (er esempio, I'asaicurazione del matrim. (s*assieuronzu de su ccjuviu) in alcuni luoghi
della Sardegna, ô an atto indispensabile nella procedura nuziale. Poggi, Usi Natalisi^ Nusiali
e Funebri ecc. p. 56.
Grande intéresse ha per il popolo il giuramento dato davanti al Parroco. La chiesa, nel M. K,
richiese che la manifestazione del consenso fosse fat ta con modo aolenne. Tale precetto fa
introdotto nella legisluzione statutaria (Stat. Placentiae, XIV sec, V, 25 ; Stat. Mutinae, 1549,
IV, 27 ; e nelle Const. Siculae, III, 20), e vive ancora presse il LAgo Maggiore, nolle Marche,
nella Romagna, nel contado Bolognese, nella Sardegna. Cfr. Filippini, Usanze Cimasefie, neir
« 'Archiv, Trad. Pop. n XXI, 183 ; C. Pigorini-Bbri, Usi e Cost. delV Appennino Marchig.
p. 5 ; Placucci, Usi d. Contadini délia Romagna^ pubbl. dal D'Ancona, Pisa, 1878, p. 17, 18 ;
Göronkdi-Bbrti, Usi Nuz. d. C, di Bologna^ Estr. Riv. Europea, 1874, p. 3, 10 ; Dblbdda, nella
<< Riv. Trad. Pop. j», n, 419. — Le espressioni popolari che si riferiscono al giuramento sono
quelle canoniche medievali, onde si pu6 stabilire questo confronte : juramentum de futuro «
azzuramentare (Nuoro) ; consensus se in futuro habiturum v=a torre il consenso (Marche,
Bologneae). Nel di parti men to della Saona e della Loire il fidanzamento fatto in preeenza dei
Parroco Ô AeWo fuiuration (Cfr. « Rev. Trad. Pop. », XI, p. 55) ; nella Pro renn si ha il fida^*
lamento par parole de futur (Ribbb, Les fiançailles et le mariage en Provence, 1890). Non é,
forae, questo costume popolare ricordo dello sponsale per verba de futwro 9 Tracce dello
aponsale per verba de praesenti si trovano vive qua e là. Il Pitré, per la Sicilia, oaserva
che il contrarre matrim. p. v. de praes. è significato dal popolo oon l'eapreasione « inguaç-
1908.] CORSO : gli sponsali popolari. [P. 489*
Agli sposi è lecita, quindi, la convivenza, e la sposa abbandonata è conside-
rata corne vedova^ Si stabilisée fra gli sposi uno stretto rapporte, che in qualche
luogo ha date origine ad «si singolari, essendo permesso alla sposa perfino di
ricevere lo sposo nel proprio letto, niettendo fra se e lui un ranio (anticamente
una spada)2. Queste relazioni non figurano un concubinato, ma present^no il
carattere di un matrimonio a prova, in oui gli sposi coabitano pubblicamente.
La rottura délie relazioni obbliga la parte colpevole alla restituzione délie
arre ricevute, oppure al rifacimento, in doppio, délie spese^.
11 contratto, che contempla tali rapporti, non é sempre e dovunque redatto
in scritto ; a rolte basta la consegna délia tavola del corredo e délia dote, fatta
dalla famiglia délia sposa a quella dello sposo, e a volte é sufficiente la sola
parola^ che é corne la promessa solenne dell'accordo fra le parti. Cerimonie e
festivitâ simboliche concorrono a confermare il patto stabilité, corne si vedrâ nei
seguenti quadri délie principal! formalitâ.
ffiari » = wadia^ guadia^ onde poi la « vesii di lu'ngtMxggiu ». Op. cit. p. 70. E negli
Stat, Genesi del sec. XUI e XIV gli sponsali sono chiamati guaida o guaidia, Archiv.
Sior. Bal. 1880, I, 133, 143. — Come Vinguaggio anche Vaasicurazione dei matrim, come
si fa in Sardegna (Poooi, Op, cit, p. 56) e tutti gli altri atti che configarano la promessa
solenne, quali il toccamano, Pabbraccio, il bacio, lo scambio délia scarpa, Vofferta d'un
boccone dipane^d^un dono, d'un pegno, Questi atti verranno descritti inseguito; qui importa
notare che, presse alcune popolazioni» ô tuttora lecita la convivenza dopo uno degli atti che
valgonofede di matrimonio, Queste fatto fa vedere il matrim, (o sponsale)per v. de praesentiy
contratto per munera, ampleœus^ osctUum. C£r. Tamassia, Oêculum Interveniens^ nella « Riv.
Stor. Ital. » 1885 ; Ciccaglions, Promessa di matrim. cit. p. 50, 51. Anche negli Statuti appare
taie sanzione canonica : coei nollo StaX. di Bologna si distingue il matrim, compléta e rincom'
pleto, e si concede comunione di vita agli sposi {i464, 112, § 18).
^ Y. in seguito il § Cotisa, talami.
* Cosi a Charleroy, nel Lussemburgo Alemanno. « Folkl. BouU. » p. 272. Per il costume antico,
Orimm, R. A., p. 432 e Michelet, Orig. d. droit franc, p. 27.
3 Si hanno quindi due figure : a) Restituzione sempliee dei dont da parte délia fidanzata c?ie
rompe la fede. — Perdita dei soli dont offerti alla fidanzata se la rottura avviene per colpa
delV uomo. Cosi nel Veneto, Cfr. De Gubernatis, Stor. comp, degli Usi Nuziali^ 255 ; ed anche
nel Friuli, V. il periodico << Pagine Friulane », VII, n. 4. Qualora la caparra, il pegno sono dati
in danaro, si ha la restituzione in tantudem : Un caso ô notato nelle Marche, Spadoni, Usi
Marchigiatii, nella « Collez, Cur, Stor, e Tradis. » del Pitré^ p. 26. Nella bassa Val Lugana
il giovine sposo che recede, perde i pegni, Bolognini, Usi e Costumi del Trentino (1891) p. 18. —
Un caso di restituzione in tantudem è riievato dal Sébillot nell' Alta Bretagne. Quivi il fidan-
sato deve, corne obbligazione d*entrata^ offrire il vino ai parenti délia fidanzata. Rotte le rela-
zioni, se per colpa délia sposa, questa deve restituire il vino ; se per colpa dello sposo, questi
perde il dono fatto. Coutum. de la Eaute-Bretagne, p. 107.
b) Restituzione in duplum se la rottura délie relazioni avviene per colpa délia fidanzata. Nel
Canavese, nel Biellese, nell' Osimano, la caparra che non eccede le lire 50 viene restituita dop-
pia. De Gubbrnatis, Op. cit., 111. Nel Bellunese la caparra consiste in uno scudo e neWe guselle,
6 se la rottura si ha per volere délia fidanzata, questa restituisce ildoppio valore, Andrioh, Nazie
Rusticane, p. 16. — Altre Yolte si rimette il dono e si indennizza il fidanzato délie spese fatte,
BuSTico, Il Matrim, nel Bellunese, nel period. « Niccolô Tommaseo n, II, 33. Giô ô ricordo délia
dubia meta langobardica. Anche nel Canavese la strenna si restituisce in duplum. Di Giovanni,
Usi, Credenze ecc. del Can., p. 54. ^ A Roveredo, il doppio ; ad Aszano (Veneto), restituiione
dei doni e rifacimento délie spese. Db Gubernatis, Op. cit. 255. Nel Gallura (Sardegna), la parte
colpevole deve risarcire Taltra in danaro, in derrate, in bestiame, De Rosa, Trad. Pop. di Gall.
(1900), p. 292. Presso gli Slavi meridionali si pratica cosi : a Lika la donna restituisce al giovine
il doppio di ciô che egli ha speso ; ma se ô l'uomo che rompe la fede, alla donna spetta il triple.
Nei reggimento di Gradiska, di Brod la donna non puô sposare se prima non risarcisce le spese
fatte dal suo ez-futuro. Nella Croazia le spese si reclamano per giudizio. Booisic, presso Dbublic,
Le Droit Coutum, ecc, cit. p. 593.
p. 490.] • R • E • E • S • [1908,
Vero è che i folkloristi han descritto, nella sua storia e nella sua rappresen-
tazione, il meraviglioso cerimoniale delle uozze popolari, queiriasieuie di riti e di
siraboli che compiono il jçnippo più largo e più studiato nell'esegesi del costume ;
ma non é meno vero che la parte più iuiportaute di tali convenienze tradizionaU,
cioè quella che compreode il simbolismo giuiûdico, è stata trascurata. Il simbolismo
nella storia del costume ha un alto valore e un intimo significato» alto come il
mistero che Tawolge ed intimo corne il segreto che rivela, e percio' é utile che
esso sia studiato nella vita popolare contemporanea e nelle sue origini.
Il nostro lavoro sarà, quindi, un tenue contributo di documenti orali e tradi'
jsionaîi alla storia del diritto ; sarà il riscontro délia storia viva (easéumi^ sopraih
vivenze) colla storia morta (documenti) ; sarà la riabilitazione, con giusto riguardo,
dei documenti orali di fronte e come supplemento ai documenti scritti. Questo
compito è semplice, ma non è altrettanto facile per chi intenda le trasformazioni,
le variazioni, le molteplici forme di uno stesso costume, di uno stesso use presso
un popolo 0 presso popoli diversi, nello stesso tempo o in epoche differenti. Forse,
guardando davvicino, il cerimoniale apparrâ come museo délia storia ; ma chi
peuetri in questo con occhio d'indovino, vedrâ che certe tradizioni, certi usi, certe
sopravvivenze, tauti istituti anche frammentari e simbolici, rispondono ancora a
bisogni giuridico-sociali, e percio vivono, trascurati dalle leggi, anche di fronte
e contro le regole delle leggi positive.
Il nostro studio ha un limite, pero', etno-geografico segnato da un cumulo di
costumi in vigore presso popoli a civiltà latino-germanica, con particolare riguardo
airitalia ; e questo limite è d'esigeuza scientifica allô scopo di meglio rintracciare
il camuino d'un uso nel corso délia storia ; allô scopo di meglio distribuire le
similitudini di tante pratiche e di meglio rilevarele diversita dovute a condizioni
di civiltà uguali o differenti. Con tale metodo di distribuzione geografica molto si
avvantaggia la scienza del diritto etnologico, perché più chiuso è il campo delle
indagini e più rilevante sarà il riscontro ; più rigida è la comparazione e più
sicuro sarà il risultato. E' questa la grande lacuna delF opera del Post^ il quale
se aveva pensato ad una Enciclopedia Etnologico-giuridica, ordinata per razze e
taie da descrivere i diritti di tutti i popoli délia terra, aveva più volte fatto voti
perclié la giurisprudeuza etnologica si risolvesse in un' abbondante messe di studi
monografici e particolareggiati per déterminât! popoli e determinate razze. Ma,
d'altra parte, comparare tutti i diritti di tutti i popoli, senza tener conto del clima
storico, del raovimento civile che accumuuô varie genti, confondendo sangue ed
idee, in varie epoche, è di gran nocumento alla ricerca scientifica. Percio, questo
studio, che è un piano di più larghe indagini, potrebbe portare il nome di
Oiurisprudensa FolkJorica, perché dal folklore ricava i materiali elementar! e li
offre, radunati con sistema scientifico, alla Etnologia Giuridica che volge, ormai,
verso il grandioso lavoro enciclopedico, sognato dal Post, •
Cbrimonie pbincipali — Lo studio del cerimoniale, per noi, présenta una
quistione d'intéressé^ e cioè : quai valore àbbiano le formalitd e le finzioni giuridiche
nella vita popolare.
• Molti, nel ricostruire la storia delle istituzioni, hanno trascurato la storia
del costume, considerando le cerimonie popolari come mere forme, semplici ed
aride sopravvivenze, seèvre di'qualunque valore reale. Tutt'altro învece, perché
nella vita popolare se. un atto o un fatto giuridico non è accompagnato o seguito
1908«] CORSO : gli sponsali popolari. [P. 49 1#
da opportune e tradizionali ceriinonie, non è considerato ne perfetto uè solenne.
Gli studi (lemo-giuridici daranno il bando a certi pregiudizi seien tifici.
Intanto è utile prospettare, nell'ordine délie cerimonie, questa distribuzione :
a) Formai itd che accompagnano la costituzione delV atto sponsalieio ;h) Formaliid
ehe sussegnono alV atto fondameniale, — Le une e le altre non sono che simboli di
prova (cf. Ferbero, I simboli, ecc. [Bocca^ 1693] p. 17 seq.), perché Tatto senza
il contorno solenne, potrebbe essere annuUato.
La palmata (dexfrarum junctio = ioccämano) è l'espressione del consenso :
le parti avvicinate e trovato il punto d'accordo, si dànno la mano. Questo fatto è
fondamentale, perché lo sposo cosi riconosce la sposa corne sua, e questa è detta
*ncignata = segnata. E cio perché egli le reca dei doni che hanno carattere di
caparra, oppure sono semplici offerte d'indumenti.
Anche il hacio succède, sia pure immediatamente, al traitaio ora^e o scritto
délie parti (Cfr. Schupfer, Il dir. priv. dei Germani, Bocca, 1907, p. 271 ; si
ricorda l'esempio di Teodolinda ed Agilulfo). Il carattere di cerimonia di prova è
vivo nel potus et biberagium e nella conscensio thalami, conie è dette in seguito,
Riguardo al valore, le formalitâ si distinguono in quelle che hanno : a) valore reale ;
b) valore sitnbolico.
Il solo gesto di mordere un pezzo di pane, un frutto ecc. o di bere un sorso
di vino offerti da un pretendente, compie lo sponsale, senza che accordi o trattati
vi siano stati fra le parti. Vari sono stati gli inconvenienti derivati da questi
sponsali improvvisati, e la chiesa minaccio' pêne severe per lungo ordine d'anni.
Purtuttavia il costume è ancora vivo a Redan (Francia), Sébillot, Le Folkl. de
France, III ^ 400 (Cfr. in seguito : Potus et Biberagium,) L'ultimo vestigio délia
vendita primitiva si scorge ancora, nei contratti matrimoniali, dei quali ho riferito
tre tipi caratteristici (cfr. Per Solidum, & nota 1*). La donna in essi è raffigurata
come cosa (agnella, giovenca), e suU' oggetto cosi presentato si procède allô
aggiusto.
Questa finzione è simbolica e non ha altro valore oltre quello storico. II
donaritium (mefio) invece, ora ha valore reale perché è un prelievo economico iu
vista dei futuri bisogni délia sposa, ora è una offerta simbolica semplicemente.
Prospettata cosi, in poche linee, la quistione del valore délie cerimonie,
guardiamo davvicino le formalitâ nei loro particolari.
1) Libellum dotis. È la tavola del corredo che, spesso, forma e comprende tutta
la dote*. La tavola, che incomincia con Tinvocazione divina^, è trasmessa dalla
^ In Calabria la tavola è detta « pittàce ». Il Du Gange ha la voce pUtacium o pictacium col
fligniflcato di epistola brevis et modica ed anche nel senso di testamento. — In Sicilia si usa la
« mirnUa » ; Pitre, Bibl. Trad. Sicil. XJsi e Costumi^ p. 27-28 ; Salomonb-Marino, Cost, e Usante
à. Contad. di SiciUa, 1897. p. 255-256. Cfr. anche Starabba, Di alcuni contratti matrim.,
« Archiv. Storico Siciliano, VIII, 175. — In Terra d'Otranto la tavola ô detta « schizsu de tota »,
Prtraouone, neir » Arch. Trad. Pop. del Pttre. XIX« 179.— Cfr. per il Veneto, De Gubernatis,
Op. cit. 253; per la Ciociaria, Curioêità Stor. e Tradiz. — sotto dir. del PitrA, Ciociaria, 87 ;
per la prov. di Ferrara, Ferraro, Trad, ed Usi Ferr., 1887. — Qaalche corredo antico riferisce
Zdbukaübr, Atti del Podesia di S. Gimignano, p. 8-4. — Per qualche confronte germanico con-
temporaneo v. la « Zeitschrift d. Vereins f. yolkskundè » dir. dal Wsinhold, 1898, p. 429.
— Per la Spagna — arreglo de los papelos —, Bibl. d. l. Tradiciones Pop. Epanöl. diretta da
A. Macbado t Alvarez, I. p. 77. (1884).
* Per la Sicilia il PrrRÉ dice : la formula ô una per tutte leminate e cominciacon Tinvocazione
della S. Famiglia, Gesù, Maria, Giuseppe. I tipi poi che riferiace il Pitre sono del 1299, del 1784,
del 1847, del 1855. Bibl. Trad. Sicil, vol. cit. p. 27, 28, 29. — Cfr. aoche Starabba, op. cit. 7. cit.
Non altrimenti è redatta la minuta nel Braunschweig, v. la « Zeitschr. dir. dal Weinhold,
dr. 429.
p. 492.] • R • E • E^ • S • [1908.
famiglia della fidanzata a quella del tidanzato, che la sottoscrive o la respinge^
2) Per solidum et dcnarium, Nel costume popolare si sorprendoiio le formalita
del trattato di matrimonio che, spesso, présenta la solenne fisonomia di un con-
tralto. Le parti, personalmeute o per intermediario, si avvicinano e combinano-.
^ Verao il 1506 ed il 1513 nella prov. Romana, la richiesta veniva fatta per mexzano, al quale
si consegnava il foglio deir acconcio che la fitmiglia del richiedente accettava sottoscrivendo.
M. A. Altibri. Li NuptiaJi, pubbl. da E. Nevacd^ 1877 — Brandilbonb, Celebr. mairim. in
Italia^ pag. 237. Cosi» anche nella stessa provincitiy ▼engoDo descritti gli sponsali nel sec.
XYIII* : Accordati che sono i maggiori, fanno la scrittara dotale di quelle che vogliono darli....
Id eesa scrittara prendono il tempo che voglioDo o per mancanza d'anni d'una parte o I'altra, o
pure per accomodani meglio nelli suoi interessi, ma per assicurarsie, dAnno YaneUo sposalUio
alia giovine ancora che avesse otto o novo anni... » Mss, del Sêc. XVIII^ pubbl. de Q. Unga&elu,
p. 7. 8.
In quel di Potenza il cumbinatu é I'accordo su panni e dote fatto mediante Vambcuciara,
RiVELLO, Cosiumanze del popolo Potent, p. 14, 15 (1894). Per la cittA di Ferraudina« nella
Lucania, v. Caputi, Cenno Stor. su Ferrandina, 1870, p. 81.
A Tegiano, trA cafoni^ il contratto si fa dai padri. Dichiara il padre del fidanzato : V a fij^liumn
lu cauzu e lu vestu, le ràu Taccbittu pi' na stagione, roje vacche e menza massaria *. E il padre
della fidanzata : « I* a figliama 'nci lôngo quattra cento rocàti, i panni a sei a sei.... j». Q. Amalfi,
Come si sposa in Tegiano, nel period. « G. B. Basils «• (1889) p. 9, seg.
A Milazzo, ed alt rone in Sicilia, la mad re della fidanzata présenta ai padre del fidanzato la
minuta. G. Piaggia, illustr. di MUazzo 1857, p. 245. Cfr. Pitre, op, cit. Z. c.
A Saint-Etienne de Curcomné (Loire-Inférieure) la discussione preliminare o fondamentale è
sul M trousseau à donner m e ^ du choix des anneaux ». P. Sébiixot, CoiU. et Trad. Popul. d.
la H. Bretagne ^ p. 111.
Il contratto con le forme scritte od orali, ed anche con Taiuto dell' intermediario, si riscontra
nel Luneburgo, v. - Zeitschr. d. Vereins f. Volkshund ». Wbinhold, 1897, p. 31 ; nel Braun-
schweig, id. 1898 p. 429 ; nel Brohothal, del quai paese il Mbrk.rns riferisce un contratto nelP
« Am-Ur-Quell » 1894 — 127 ; tra i Turchi della Bulgaria, confr. i» Zeitschr., cit. 1894, 207, 208.
' Nel Gallura (Sardegna) il raxunanti (mezzano) e il padre della fanciullA combinano il con-
tratto, Dr RoeA, Trad. pop. di Qallura, 81 ; cosi pure nell* Alta Bretagne, P. Sébillot, Coût, et
Trad. Pop. de la H. Bret., p. 106. Gfr. per il Gentro della Francia, Laisnkl db la Salie,
Croy. et Legendes, 23. Tra il messo dello sposo e il padre della sposa nel Niederoesterreich. V. la
Zeitschr. d. Vereins f. Volksh., 1893, p. 451-452. Per le tribu del Brettin ▼. Y « Am-ür-QueU »
del Krauss, 1890, 34.
Ecco tre tipi di contratti popolari, 11 primo ô sardo (Gallura) cfr. Db Rosa, cit. : « Che cosa
intende offrire per aver la mia bandiera ? » dice il padre della fanciulla. £ il raxunante :
« Sul prezzo chi ci ha inviato, non lésina punto. Voi potete dettare le condizioni che y\ piaceiano,
fissare il prezzo che meglîo vi aggrada. » E il padre della fanciulla di nuo?o : « Dia quel che vuole
e corne vuole. Giô che darà sarà a beneficio della sposa, anzi degli sposi ».
In questo tipo di contratto la vendiia è immaginaria ed il dialogo ô sopravvivenza d'antichi
usi. Ë'opportuno avvertire che nel Gallura non si usa, oltre il corredo, dare aile figlie dotealcuna
(Db Rosa, cit. 105) ; ed il fidanzato deve sborsare una somma che ?a a beneficio della sposa. Nel
Brettin invece il ricavato della vendita o della compera della sposa va ai poveri. Gfr. 1' « Am-Ur-
Quell n del Krauss, 1890, 34 — Auche il Martene riferisce che il danaro consegnato alla spoea
durante la benedizione sacerdotale, andava a beneficio dei povcri :.... et ponatur denarii aiiqui
in medium pauperibus dividendis. (De Antiq, Ritibus Ecdesiae II, 125). La seconda figura con-
trattuale si nota nell* alta Bretagna (Sébillot, op. cit. 108). Ecco il dialogo tra i contraenti che
sono i padri degli sposi personalmente o suppliti dal mezzano : « Combien d'écus ?» — « Trois
cents \ mais mis sur la couette ». — « Il faudrait plus ». — « Pas un sou ». — « Ramenez la
hôte ji. — La donna ô raffigurata corne oggetto del contratto : /a bête. — Gfr. al proposito le
osservazioni del Bock, Hochzeit in Hessen und Nassau, nella Zeitschr. d. Vereins f. Volkskunde
del Wbinhold, 1903, p. 290.
La terza forma présenta la sposa come figura deW alleanza coniugaU, la quale ô il fondamento
del contratto tra i contraenti. II mezzano propone : — « Lo sposo piglierà la casa e il cortile della
sposa ; un corpo sano e fresco ; avrà un' alleanza couiugale ». — E il padre della sposa risponde :
1908.] CORSO : gli sponsali popolari. [P. 493»
La fanciulla è indicata con nome simbolico di una cosa e su questa si stima, si
giudica, si stringe il patto^ Basta la sola parola, ma occorre anche Varra che,
era, ha figura di prezzo*, ora di largizione festival. La caparra si consegna a chi
ha Tautorità sulla fanciulla, oppure alla donna che è richiesta del consenso. La
prima figura, decaduta, lascia lievissime tracce ; mentre la seconda è viva ed
oiïre curiosi esempi*.
3) Scapéuaia^. Il pretendeute, che trova opposizione al matrimonio, se ha
<< 4000 monete in oro ; un corpo sano e fresco ; un' amicizia coniugale ». — Cfr. la •• Zeitschr, d,
Vereins /. Volkskunde • 1893, 451. — Nel Brettin alla vendita assiste la comitiva degli amici e
dei parenti. V. P « Am-Ur-Quell n 1890, 74.
^ Ora corne un' agnella (V. Brbsciani, Cost, dell' Isola di Sardegna, 1850, Vol. II, 138. 139.
Auche U Maltzan« Reise aus d. Insel Sardiniem^ 1869); ora corne giovenca (De Gubbrnatis,
cit. 77) ; ora corne bandiera (Db Rosa, cit.) ; in qualche luogo (centro délia Francis) ô rappresen-
tata corne ^igna (Laisnbl de la Salle, Croy. et Legendes, etc. p. 23). Col nome generico di
béU neir Alla Bretagna (Sâbillot, cit.).
* In Ciociaria Vappuntamento ô confermato con lo sborso di 20 e 30 scudi ; (Pitrâ, Curios,
stor, e trad. : Ciociaria, 84) ; nel Veneto (Loria) la caparra di promissione ô di lire 20 o meno ;
Pasolini-Zanblu, Loria, ecc. 1886. p. 54. La caparra si trova un pô dappertutto menzionata
con vari nomi. Cfr. per le Marche, Pitre, Curios, Slor. Trad. — Marche, 26 ; per la Sardegna,
PoGGi, Usi Nat, y Nuz, e Funebri, 1897, 62; per il Canavese, Pitre, Curios. Stor, Trad. —
Canavese, 45 ; per il Trentino (Pinzolo), Bologinni, Usi e Costumi ecc. (1893) 266. — Per alcuni
risconfri stranieri V. la • Zeitschr. d, Vereins f. Volksk. del Weinhold 1894, 203, 208; 1898,
428 ; 1901, 158 seg. £ cosi anche la rivista inglese : « Folk-Lore » 1890, 463, seg. Il solido e il
danario trova ancora il Bock, verso il 1850, nell' Hessen enel Nassau, « Zeitschr, d. Vereitisf.
Volksk. cit.
^ La caparra ô — seconde il Braga — la trasformazione dell' antica dote che costituiva il
marito alia moglie. Sotto taie aspetto sono identiche le espresaione : « Arra o compra de corpo n
e • heran ça do marito » oppare « honra de soa pessoa n; 0 Ftwo Portugues, II, 242. E cosi anche
il Grimm, R. a. Nel centro délia Francia si nota ancora il dono del fidanzamento detto
- cochelin v. In antico era in danaro, oggi ô un utensile, un oggetto ferominile. Il Laisnbl>
DB la Salle del dono che era detto « oscleum n per la cerimonia in cui si offeriva, vuol ricavare
la derivazione dal « cochelin i» popolare ; Croy. et Legendes, 31... Tra le espressione popolari
dell' « oscleum <• il Grimm nota la voce screix délia Catalogua e la voce çpreios délia Yalenza.
Grimm, R. A., 443 in nota. Cfv. anche Du Cange, Glossarium^ v. Oscleum. La caparra poi nella
lenta trasformazione, perde la sostanza ed il nome onde ô conosciuta col titola di strenna, di
coralli^ di regalo, ecc. Si scambia e si sostituisce con vari oggetti di ornamento. Pure, come
prezzo simbolico, si conserva in qualche costume. Nella Turingia il giorno délia palmata lo sposo
consegna alla sposa un tallero e un ducato insieme ad una coUana. Cfv. la << Zeitschr. d. Vereins
f, Volkskunde », 1891, 179. Il tallero, ultimo vestigio del prezzo primitive, é auch* esso ricordo
simbolico, corne attesta l'uso bellunese pel quale lo sposo consegna alla sposa uno sendo d^argento
e le guseUe : Andrich, Nozze Rusticane ; Bustico, Le Nozze nel B. nel period. « Nicollô Tom-
maseo n II, 33. Neil* Abrutzo la moneta déllo sposo si appende al collo délia sposa, a guisa di
medaglia. — Anche nel Nassau si offre il tallero o la medaglia corne effigie. Cfr. Bock, Hochz.
in Hessen und Nassau^ cit. — Db Gubernatis, Usi Nuzicdi, 112. — Nel Friuli ancora si notano
due grandissime oocelle d* oro nella famiglia Alvile-PiFani, mu ducato d* oro del Friuli, una
oxeüa maranese col gallo e colle insegne del Doge, cose che si offrivano alla sposa il di degli
sponsali. Confronta il Periodico « Pagine Friulane j». Vn, n« 4.
* E sembra anche che i danari si offrissero dai convitati e dai parenti. Cosi nella Val Camonica.
G. RosA, Dialettif Costumi, Tradiz, di Bergamo e Brescia, 206. Il costume ehe ricorda queilo
gennanico di cui Tacito (Cfr. Grimm. R. A., 427) ô generalmente usato nella cerimonia nuziale,
piü che in quella degli sponsali.
^ Scapellare é il termine usato in un Mss. del Sec. XVIII : Descritione del modo che usano a
fare i sposalitii nella terra di S. Lorenzo etc. pubbl. da G. Ungarblli {per nozze Boriani*
Chigi^ 1901)« — A Milano, a Bologna gli sposi si chiamavano (e si chiamano ancora) tosi^ tose,
toêane, tosani, toseti con derivazione corotta délie voci intonsae e inionsi che equivalgono al
p. 494.] • R • E • E • S • [1908.
Taudacia di strappare, in luogo pubblico, il tovaogliolo alia fanciuUa amata, oppure
reciderle una ciocca di capelli, egli, mediante qiiesto atto, è compromesso.
4) Fastis, a« Ancora in qualche luogo, resta intatto il nome di « festuca » per
indicare il gambo di un fiore di prato. La fanciuUa che accettta la « festuca n
offertale dal pretendente, accoglie il partito e si ubbliga al futuro matrimonio^
Festuca simbolica è il ramoscello fiorito od il flore solamente, come il ramo
giocondo di frutti o un frutto solamente, quando vengano dati dall' amante e
raccolti dalla donna*.
Forma decaduta anche, della festuca, è la stecca da busto che, nell' Abruzzo,
il montanaro oma di fregi simbolici ed offre a colei che chiede in sposa. Questa,
accettando la stecca, è legata per sempre al fidanzato. Questo rilievo che il
Beüucci ha fatto per la stecca non è men vero per la conocchia, per il fuso che,
incisi di figure allegoriche, sono il dono rituale e l'espressione del fidanzamento'.
remanere aut esse in capiUo, Mobatoki, Antiq. Ital, M. Aeti, Tom. 2, col., 109. — Charta an.
769. ibid. T. 3. col. 1011.
Nel Bellunese la fanciuUa alla quale il pretendente ba giA reciao i capelli, pronuncia la seguente
espressione : « Non ti basta la schiavina che 1i ho dato, vuoi anche i miei capelli ! » ^ La schia-
▼ina Ô una coltre di lana che, in antico, la fidanzata dava alio sposo, il quale la restituiva in caso
di abbandono ; 0. Bostico, // matrim, nel Bellun, nel period. « Niceolô Tomonaseo ». II p. 31.
Nella Calabria (Mileto) ae la fanciolla entra in Chieaa a capo scoperto, dope la scapellaia^ ô
legata per sempre all' audace. L. Bruzzano, « La Calabria » X. p. 29. — Ancora nella Sicilia si
auol dire alia sposa abbandonata : — Arristasti cu lu gigghiu rasul^^aei rimasta col aopraciglio
raso ! Allude air uso di rädere le chiome o le sopracîglia alle giovani spose. G. Pitre, £ibl.
Trad. Pop, Sicil.^ Usi e Costumi,
II costume di acapellare o di recidere le chiome ô vivo ancora in varï luoghi, come si desume
del le seguenti font! folk-loriche : Bolognini, Usi e Cost, del Trentino (Bassa Val Sugana) p. 268 ;
Db Oubernatis, Si. Comp, Usi Nujfiali, p. 65 ; Dorsa, La Trad. Greco-Jatina nella Calabria^
p. 82.
II taglio dei capelli, usato anche nell' adozione, trova riscontro nel dirilto germanico, rioordato
da Tacito. Grimm, Deut. Rechtsalter thümer, p. 433. Cfr. Schvpfbr, // dir, privaio dei Gertnam
ecc. p. 263 ; Du Cangb, Glossarium ^ Vox : CapWare,
^ Nella valli del Trentino, e proprio a Pinzolo, il pretendente dice ed offre all* amata : « Zaghe
o festuc ? m Se ella accetta le zaghe^ rifiuta la mano ; se invece la festuca, il patto è conchiuao.
Bo LOON INI, Usi e Costumi d, Trentino, Letter e^ (1883) p. 277.
A tale riguardo ô opportune ricordare la prova de la court festu^ in vigore nella procedura del
sec^ XVII<* ancora, in Francia : Ghbrubl, Dictionn, d. Inslit, d, 7. France^ II, 317. — In un libre
del sec. XIV<* tre dame le quali si disputano un cavalière, ricorrono alla prova festucaria : Ifous
en jouirons au court festu à laquel il demourra, — Qaesto uso, applicato a coae di minore impor-
tanza, esiste ancora nella Francia, Sébillot, Le Folk-Lore de France^ m, 519. Venue notato che
il bastone che, come emblema, porta il meaaaggero ô una trasformazione della festuca primitiva.
Cosi presso i Magiari e presse i Berga il segno dell' accorde é Tomamento del baatone del mes-
aaggio ora con fieri ora con vettucce. Gfr. la Riviata del Krauss, « Am-Ur^Quell », 1894, p. ^14, e
queila del Wbinhold « Zeitschr, d. Vereins/. Volksh. », 1900, p. 164, 293-
^ E' questo uso comune. Cfr. Sébillot, Op. cit. Ill : Symboles Rustiques, Per la Bardegna,
Brbsciani, Usi e Costumi ecc. II, 141. II simbolo caratteristico di rifiuto sono le nocciuole«
Db Gubernatib, Op. cit. 65. In Val Nosio (Trentino), dar i pomi o anche dar le noci équivale a
ilfiuto. Aucho i Tedeschx, con ugual significato, dicono : dar le cesta {einen Korb geben).
Boix)QNIni. Op. cit., 277.
' G. Brllccci, Le stecche da busto (opusc. per nozze). La stecca da busto, aceettata dalla
amata, é forma sacra ed inviolabile di contratto i^posalizio. Anche nella Lu si tania il Lritb db
Yasconcrllos ha nofato conocchie e fusi tatuati, con incisioni di'cuori, conepigrafi e segni. Gli
oggetti.si trovano nel Museo Ethnologico Portuguez, V. « Retisia Lusiiana », 1900, p. 96.
: Nella valle di Pinzolo (Trentino) la conocchia è simbolo di richieata e di patto di amore.
Bolognini, Op. cit. 260. Nella Sardegna (Dorgali) ö costume regalare alla apoaa una rocca inciaa
1908«] CORSO : gli sponsali popolari. ' [P. 496»
5) Segnata^. II segno è il destino délia donna già fidanzata. Esso puô consistere
in una cintura color rosso-fuoco', in una veste'*, in un oggetto indumentario o di
ornamento, in un dono qualunque dello sposo*.
6) Dextrarum junctio'\ L'espressione délia fede, nel patto conchiuso dalle
parti, è la palmata. Le parti sono : a) il padre délia sposa e dello sposo — il padre
délia sposa ed il iiiessaggero dello sposo — il padre délia sposa e lo sposo* —
di molti cuori trafitti da spade. Pogoi, Usi NatalUi ecc. p. 17. Anche nel Centro délia Francia
Taccettatione o il rifiuto délia conocchia del pretendente è segno di fa vore, disfavore, o di accordo.
Cfr. Laisnrl db la Salus. « Croy, et Legendes d» C. de la France n, p. 24. — Fer le Marche, v.
C. Pigorini-Bbri, Usi e Costumi deU Appenn. M. p. 5 ; per l'Âbruzzo, De Nino, U, Cost. Abruz,,
10 ; per la Sicilia, PiTRâ« Usi e Cost. cit. ; per il Pesarese, Monferrato Albese, corne neir Ossola,
nella Valle d'Aodomo, neila Corsica, Db Gubbrnatis, Op. cit. 115. — Per il Braunschweig, la
« ZeUsckrift d. Vereins f, Yotksk. », 1898, 428-429.
^ Neir uso popolare sono tIto le espressioni * 'nsignaiï n, « 'ncignari ji^ « *ntrizzari ». Si crede
che il termine signari sia la trasformazione délia voce exenia. Insenium ed ensenium sono i
doni, e negli statuti d*Osimo, riportati dallo Zaccaria, essi sono indiiridaati : « Item quod socrus,
▼el cognata, vel aliqua alla persona ex parte sponsa non debeatez die veneris sequenti... cum
ensenis seu tabulas, pannislini, canistris, gallettis et aliis rebus consuetis portari in dictis ense-
niis ji. V. Zaech., Anedd. M. Aevi, p. 66. — Sul limite dei doni, cfr. Stat. Suntuarj di Pistoia,
a cura di R. Prosperi (1815), c. XVI. Il segno ô anche menzionato da Clbm. Alkss. {Poedagog^
L, m, c. XI) : « Hat feminis anulum aureum, nec eum quidem adornatum, sed ut ea obsignet^
quae dooa signa sont, quae custodiantur d.
* Sicilia : Pitre, op. cit. 33-34. — Cosi anche in alcuni villaggi délia Calabria. — A Clauzette
(Udine) la cintura viene offerta insieme ad altri oggetti d'ornamento ; Db Qubernatis, Op. cit.
254. — Due cinture sono menzionate nella « Revue d. Trad, Populaires », V, 428
Il cinto, i] cingolo, il centurino, il cintone, il nastro, la zona sono Tespressione di un sol fatto,
di una sola tradizione. Talora inveco di un nastro, si oifre alla sposa un grembiule e le frasi
<< solvere zonam » e « sciogliere o far cadere il grenbiule n si equivalgono, Dk Gubbrnatis, 116.
Cosi nel Centro della Francia ô lo sposo che lega la cintura alla sposa (Laisnbl-db la Sallb,
Croyances et Legendes etc. II, 32) ; corne presso i Franchi passava la cintura attorno al corpo
della fidanzata (Mémoires de V Académie Celtique^ T. II). — Nel Tirolo méridionale lo sposo
regala alla sposa, insieme ad altri oggetti indumentari anche il grembiule. « Zeitsch. d, Vereins
f. Volkskunde n dir. de K. Wbinhold, 1902, p..450-51.
Nella Stat. di Ragusa si fa ricordo dell' anulus quem vir ponit ad cingulum uœoris. Questo
nso non vive più nel territorio di Ragusa. BoGisrc, Le Stat. de Raguse^ nella • Nouv. Rev. EiS"
tor. n, 1893, p. 542.
^ Nella Sicilia si nota la veste di lu*nguaggin, che corrisponde sWinguadiare, da wadia o
guadiaj pignus, fidejussio. Il contratto matrim. per verba de praesenti si dice 'nguagguari.
PiTRft, Op. cit. p. 70 ; Garufi, Usi Nuziali nel M. E. in Sicilia, (1897) p. 60. n. 1«.
A Claniette (Udine) : cfr. Db Gubbrnatis ; nella Marca di Brandeburgo : cfr. Zeitschr. del
Weiuhold, cit. 1891, p. 182. 3.
^ Napoletano : collana, grandiglia. Corrbra» Usi Nus. Napol. (1882) p. 7. Umbria : cfr.
Broonouoo, Costum. Fermane. Estr. « Bibl. Scuola Italiane n an. 1900. p. 11. — Marche :
C. PigorinI'Bbri, Usi e Cost. deW App. March, p. 4. — Polcenigo^ Arxano, Clauzette (Udine) :
Db Gubbrnatis, 254 ; Bellunese (Alpago, Agordino, Zoldano) : Cfr. Andricb, Noxze Rustieane e
0. Bustioo, n matrim. ecc. nel Period. « Niccolo Tommaseo » II» 31. -> Nei Beliuneae le guseUe
(spilloni) sono il distintiTO della novijssa (fidanzata). Le guselle sono per TAndrich la trasforma-
zione dell'antica spada.
B Cfr. per riscontri del costume la memoria del Wintbrnftz, On a Comparative Study of
Indo-European Customs, ecc. nelF « International Folk-lore Congress n 1891. p. 266-^8.
• ^ Dalla « Rev. d. Tradit. Popul. » (V, 428) si rileva qoesta carimonia nel patto : U marieur si
avneina al padre della sposa e, congiungendo le mani, dice : ^ Signore Gesù Criato, figlio di Dio»
abbi pietA di noi ! n lodi rivolto al promettante : « Goarda, ^u non hai altra parola. Se ti ritrat»
terai, mi darai il disonore. Se io rinnunzier6 alia mia parola, che io la paghi ! » —
Seeondo il Gblli (la Sporta, Scena 6*', Atto 5^) baste la atretta di mano ira suocero e genero,
Ofr. Db Gubbrnatis, Op. cit., 101.
p. 496.] • R • E • E • S • „ __ „ [1908.
b) lo sposo e la sposa personaliuente^. — La palmata ha I'effieacia solenne di un
giuramento*.
7) AnulfM fidei : L'anello della fede^ cousiderato come pegno e segno, porta
quelche epigrafe o quelche simbolo*. Esso che ha il carattere morale di arrha, è
spesso accompagnato da altri doni, oggetti d'ornamento o indumentari, che for-
niano il contorno uecessario''.
8) Cakiamenta. Nelle usanze nuziali la scarpa è un dono rituale, e non di rado,
ha Tintesso carattere del dono dell' anello^». II passaggio del piede della fidanzata
* Db 60BKRNATI8, Op. cit. 1. cit. — Per il Trentino (Pinzolo) v. Bologmni, IJsi e Cosiumi del
Trentino (1883) p. 59 ; per la Romagna : D. Ancona ; Plaoucci, Usi Niu. della Romagna, p. 16;
un documento del 1530 é riferiro Delia Oronaca di Modena, di Tommasino dk* Biancbi, noi
Monumenti di Storia Patria delle Provincie Modenesi, Vol. Ill, p. 1101 (Parma 1865).
Per riscontri stranieri, oltre il lavoro del Winternitz citato, cfr. per la TuriDgia, la • Zdi-
Schrift d. Vereins f, Volkshunde » del Weinhold, 1896. p. 179 ; per la Moravia, id. p. 457, 458.
' Tanto d vero che il toceamano si fa in Chieta (Trentino : Bolognini, Op. dt, I. ciL). 0»i
anche a Yerviers (Francia), dove il toceamano è detto plevis che vale : « droit de la main ».
GoDEFROY, Dictionnaire de VAnc. Langue franc, — La frase « estre piety en fiance » si trova in
Du Gange, Glossarium^ vox : Fiancialia, Gfr. anche « Folk-lore Bulletin n p. 267.
3 Vanulus arrhae romano diventa VanultLS fidei romano-cristiano, finchô avvenuta Tincorpo*
rasione deir arrha colla fides ^ TaneHo è detto senz* altro : la fede. Brandilbonb, Stor. Celebr,
Matrim. in Italia, p. 412. Fede é chiamato Tanello negli SfatiUi di Gaeta, HI, 10 ; III, 28 — di
Benevento (1588) p. 62 ; — di Gubbio, II, 44 ; —
La parola affidare s*incontra nella Decretali : IV», 11, 8. IV«", 14, 2. Cfr. Grimm, JR. A., 432.
Nel Veneto oggi si distingue Vanéllo dalla vera: questa che è il simbolo del fidanzamento,
consiste in una semplice verghetta. A Polcenigo ô d'argento. De Gubkrnatis Op. cit. Cfr. anche
Pasolim-Zanelli, Loria, p. 54. La vera é parola slava che suona fede. De Gubernatis, 102-103.
— Nel Galiura, e precisamente ad Aggius, l'anello sponsalicio è detfo milUaria.
Il nome di vera é anche usato nel Ferrarese. A. De Vito Tommas[ nella « Riv, Trad. Pop, ■
del De Gubbrnatis, II, 305.
Nella Piana di Milazzo l'anello ô d'oro ed ô detto la fede. G. Piaggia, lllustr. d. M, (Palermo,
1853), p. 245. Cfr. per altri particolari Pitre, Usi e Costumi{BibL Trad. Sicil.), p. 33. 34 : l'anello
promissorio, in qualche luogo della Sicilia, è conosciuto col nome di sijddu e si consegna il giorno
deir appuntamento. Per il Contado Bolognese« Y. Coronedi-Berti, Usi Nuziali d^ L Bolognese
(1874) p. 10. — L'anello del fidaniamento presse gli slavi meridionali : Dbmeuc, Le droit coutw
Inier des Slaves méridione. << Rev. de LégisL ancien et moder. n 1876, p. 590.
^ La vera porta, corne segno, incastonata una corniola : De Gubbrnatis, 254. Per alcuni paesi
della Francia cfr. « Bullettin de Folklore n, 1891, p. 22. Tempo £a, si dice nel BouUet. cit.,
l'anello era formate da due cerchietti ravvolti che portavano una iscrixione col nome dei fidanzati
e con la data del fidanzamento. Cosi anche asserisce il Miohelet, Origines du droit français,
p. 281 (ediz. del 1890).
Il Flbury nei Mœurs des Israélites et des Chrétiens, parte II. p. 218, scrive che gli anelli dei
Cristiani avevano impressa una croce 0 qualche figura di virtù cristiana, come la colomba, il
pesce, ecc.
^ V. le fonti citate nella nota 1^ (a pag. précédente) : è cerimonia ed è rito offrire il giorno,
deir appuntamento, dell' abbraccio ecc. i doni, cioô gli exenia ed i jocalia. Cfr. al proposito
l'articolo del Salomone-Marino, Gli ** Exenia Nuptialia n in Sicilia, neir « ArcMv. Trad. Pop. »;
e vedi anche le osservazioni del Bock sulla cerimonia dell' ofierta del Handgeld (arra), che pud
essere anche un anello. Hochzeit in Hessen und Nassau, nella « Zeitsch. d. Vereins f. Yolksk. b
1903. p. 290-291.
^ La scarpa veniva offerta nel giorno stesso in cui si offriva l'anelloi, ed il dono era accompagnato
del bacio. « La femme entrait dans le soulier, lorsqu'elle entrait en puissance do mari ».
MiCHBLET, Orig, d. droit français, p. 44 e 137. — Dalle notizie che dà il Gartori {La scarpa
nelV uso popolare, nella « Zeitschr, d. Vereins /*. Yolhskunde », 1894, p. 148 e seg.) la scarpa è
offerta insieme alla cintura nuziale (p. 168). Nel Montenegro le scarpe si ofi'rono solo alla terzia
Tîsita : alla quarta futto d solera nemente definito, Dembuc : Droit. Coutum. etc. nella « Rev, de
législ, ancien et modem, m, 1876, p. 591.
1908«] CORSO : gli sponsali pofolari. [P* 497«
nella scarpa offerta dal fidauzato^ ricorda la cerimonia analoga d'adozione, dalla
quale dériva certamente^, perché quando la donna entre dans le soulier (Michelet)
cade nella potestà maritale.
9) Donaritium^. Nella redazioue del contratto matrimoniale si nota un dono,
reale o simbolico, che lo sposo costituisce alla sposa*. üuando il dono è reale,
resta corne appaunaggio délia donna in caso di premorienza del marito.
10) Osculum, Il bacio è la conferma délia promessa e puo essere scamhiato
fra :
a) il pretendente ed il padre délia sposa*.
1 A Coimbra (Portogallo) «e due amanti si scambiano la propria scarpa, divengono fidanzati.
A. GoBLHO, M Revista Scientifica n I. p. 566. Nel BrettiD ô ancor vivo Tuso notato : cfr. Krauss,
^ Am-Ur Quell n, 1890, p. 34. — Nel Centro délia Francia é il fidanzato che, in presenzadei
parenti, deve infilare la scarpa alla fidanzata. Laisnbl-db la Salle, Croyances et Légendes^ II,
<p. 34. — Nel Beilunese ô la suocera che allaccia le scarpe alla »posa : •* Niccolô Tommaseo »,
1905, n. 3 ira Cimbri dei sette Communi Vicentini il pretendente fa la richiesta di amore con
Tofferta simbolica délia scarpa. PitrA, « Archiv. Trad, Popol. », XVII, p. 39. La scarpa poî,
«ome regalo alla fidanzata, è d'uso generale : nel Beilunese ; V. Andrich. Nozze Rusticane ;
nel Tirolo méridionale ; v. « Zeitsch. rf. Vereins f. Yolksk,^ 1902, 450-451 : a Clauzette (Udine), a
Grallarate, Turbigo di Lombardia, a Gassano Biellese ; Dk Gubernatis, p. 114 ; neU'alto Polesine,
PiTRÉ, « Archiv. Trad. Pop. », IX, 78 ; a Tegiano, ü. Amalfi, Come si sposa in Teçiano, nel
periodico « O. B. Basils », 1889, p. 9 e. seg.
• Grimm, R. a., 155 ; Schupfbr, // dir. priv. dei Germanic p. 263 ; Wbinhold, « Zeitsch. »
cit., 1894, p. 166. — La scarpa non ô simbolo di uguaglianza, ma di soggezione civile. L*adottaiite
che fa passare la pro pria scarpa nel piede dell* adottato ô pro va chiara délia soggezione. A taie
concetto si riferisce l'espressione calabrese : << Nun ô furma pu' me' pedi ». — E Taltra portoghese :
4« Nào ô da forma do meu pô •■. T. Braga, O Povo Portugues, lï, 343. — Anche nei giuochi
fanciulleschi rivive la cerimonia médiévale del passaggio délia scarpa. Cfr. Singbh, Deutsche
Kinderspiele, nella « Zeitschr. » del Wkinhold, 1903, p. 173, 74.
^ Non si devono confondere i doni che han figure di arrha col donaritium. Il donariiium è il
mefio : mieta, mietscaz^ med, médsceat (anglo-sass.) — munus, merces, praemium (latino).
<^RiMM, R. A., 422-23.
^ Nel 1870 il Can. Nicola Caputi, nella Lucania (Storia di Ferrandina p. 81), notava che ne*
contratti matrimoniali lo sposo eraohbligato di costituire alla sposa un donativo corrispondenle
€Ula sua prossidenzay in modo che premorendo Vuomo senza legittimi eredi, la donna ne restava
<issoluta padrona. — Ancora nella Ciociaria {Coll. Cur. Stor. Trad.^ dir. da G. Pitre, p. 85) lo
sposo neir atto di cacciarele fedi dichiara al parroco quanto assegna di baciutico o spillatico alla
sposa nel caso che resti vedova. E ciô perché ô costume che, in caso di premorienza del marito, i
parenti di lui devono ftire alla vedova una donazione di venti scudi almeno.
A queste due figure di meta reale che ho potuto sorprendere nelle tradizioni popolari, fan ris-
•contro costituzioni simboliche di doni o donazioni. In Sicilia al momento délia stiroa del corredo
{Vagghiata di la robba) fatta dell* apprezzatrice e redatta in iscritto dello scrivanu^ il fidanzato
«sclama : • Cci mettu tanti unzi di bonu amuri pri la zita ! » (Salomonb-Marino, Cost, e Usanze
€lei Contad. di Sicilia, 1897, p. 256). Il Pitrô (ü>i e Cost., in Bibl. Trad. Sicil., 54j riferisce una
variante più caratteristica : « Cei mettu vint* unzi di virginùà pri la me* zita! » In RafTaddù lo
sposo fa una donazione od un assegno in danaro e questo, anzi l'uso in se stesso, ô chiamato d€
^attu, Forse Tespressione d derivata dair antefato, ante-fatto ? — Cfr. per raffrontî storici, in
Sicilia, Starabba, Di ahuni contratti di matrim., 1293-99, in « Archiv. Stor, Sicil, », VUI,
1883, p. 176.
Si suole poi nel contratto matrim. imporre allô sposo che, almeno una volta, conduca la sposa
alla festa di S. Rosalia, alla festa di S. Venera di Avola e via. E come in Sicilia anche nel Napo-
letano ove ô obbligo menzionato nel contratto che lo sposo conduca la sposa a Posillipo» a
Predigrotta, alla Torre dei Quattro altarî pel Corpus Domini ed a Poziudî per S. Gennaro
<PiTRÉ, Usi e Cost., in Bibl. Trad. Sic., p. 102 seg.).
^ Dali* opera Li NuptiaJi del nob. romano M. A. Altibri Fisulta che, verso la prima meta del
J.500, le fidanze, consist enti nell instrument» dotale, si conferma vano in Chiesa col bacio tra 11
P«498.] • R • E • E • S • [1908.
b) gli sposi^
11) Potus et btberagium, Tra' inezzi per garaDtire la promessa van notati : lo
scambio di im boccone di pane^, d'un frutto^, d'un bicchiere di vino* e cosi via. II
simbolo deir accordo nasce dall' accettazione dell' oflferta.
padre della sposa e lo aposo. Brandileonb, Celebr. del matrimonio in Lalia, p. 297 seg. — Invece-
delloaposo comparisce un procuratore che spesso, è uno della famiglia. Cosi nella « Revue d.
Trad, PopuL » (XVIII, 542) è deacritta la cerimonia dell' accordo, confermata col bacio (ra il
padre della sposa ed il fratello dello sposo. — Si nota poi il bacio della madre dello sposo neU'atta
di consegnare i doni alia sposa in Terra d*Otranto (nella cerimonia di lu ttaccare di la catina).
etc. « Archiv, Trad, Popolari », XIX, p. 180. E non mancano il dono ed il bacio dai parenti
della sposo, come riconoscimento del parentado. Ancora nel Ganavese si usa, nel di degli sponsali^
dai parenti del fidanzato andare a baciare la sposa. De Gubernatis, Op, cit,^ Hi. — Nod altri-
menti si costuma ad Aggius, nel Gallura (Rivisla Trad, popol. dir. del De Gübernatis, p. 599)^
e nel Braunschweig (Zeitschrift d, Vereins f. Volksk, dir. del Weinhold, 1898, 430-31-32).
* Dul bacio, che accompagnava la consegna del doni, si disse osctdum^ oscleum la donaiiooe
nella latinità media, e nell' uso popolare sono rimaste le vpci screix {CAtaloguBÎ) e ffreiv (Valeoza),.
chocTielin (Centro della Francia). Gfr. Grimm, R. A., 443; Du Gange, Glossarium v. Osculum\,
Laisnel-de la Salle, Croyances et Légendes du Centre de la France^ p. 31. — Negli statut!
italiani si determino la somma del hadaiico^ del bascUico, della basatura, G. Tamassia, Osculum
Intervenions, nelle « Riv. Storica ItaHana n, 1885. Il baciatico si nota ancora nella Giodaria»
Gfr. Curios. Stor, Tradizionali, Coll. dir, del Pitre, « Giociaria », p. 85. Il bacio, come conferma
del fidanzamento é d'uso vivo nel popolo. Ncl Ganavese, De Gubbrnatis, Op. cit. 111 ; in Terra
d'Otranto, v. « Archiv. Trad, Pop. d* Italia » dir. del Piträ,XIX, 180 ; nel Gallura, A. Pirodda,
sella « Riv. Trad. Pop. n p. 599 ; tra i Magiari, « Am-Ur-Quell » dir. dal Kradss, 1894. p. 45.
Tri Lapponi (verso il 1670), v. Topera : De Osctdis, improbo labore et indefesso studio conc. a
Martinus Kempius Francofurti« 1680, p. 604.
< Per alcuni documenti del 1300 cfr. « Revue historique n, 1867, pag. 554 : Gerto Gîrardo dédit
Slephanete de pane suo dicendo eidem : Tene de pane meo, ita quod tu sis uxor mea.
Nel 1370 nella Ghiesa di Galeppio era uso dai due coniugandi confermare la promessa di
matrim. col mangiare e here insieme : « bibendo ipea domina de vino qui erat in uno ciato, quem
in suis tenebat manibus, postea dando ad bibendum ipsi Zanno, Zanno bibit de ipso vino ac etiam
comedit de certis frttctibus ibi existentibus in testimonium et conflrmationem promissorum »..
[Carte di Caleppio). — G. Rosa, Diahdi, Costumie Trad, nelle prov, di Bergamo e di Brescia^
1870, p. 283. — L'uso ô vivo nella Sardegna e presse il Lago Maggiore ; De Gubbrnatis, 168 ;
in Romagna, D'Ancona-Plagucci, Usi Nus, dei dont, di Rom,, 1888, p. 26 ; nella Valle di Susa,.
Rboaldi, La Dora, — Tra le genti del Moudving si usano sacri pasticcï, Gfr. la rivista *^Foîk*
Lare », 1890, p. 429. Si (rova usato anche il pane, id., p. 455.
3 II pomo è stato ed è il simbolo più vivo del messaggîo d'amore. Una vedova, che non aveva
ancora compiuto l'anno del lutto, si trovô nuovamente promessa per aver accettaio da un préten-
dante un pomo. V. << Revue historique », 1867, p. 552. Recentemente suU' argomento ha discorao
£. Gaidoz : La réquisition d^amoar et le symbole de la pomme, nelV « Annuaire de V Ecole d»
Haut. Etudes », 1902. Il Leite db Vasconcbllos nella •< Revista Lusitana n, 1902, p. 126132^
ripiglia largomento del Gaidoz col titolo : « Arremenos symbolicos na poesia pop. portugueza »..
Trà messaggi, oltre il pomo, vi ô Tarancia, il limone, la noce ecc. — Gfr. anche per va ri cosfumL
francesi con particolari simboli rusticani, Sébillot, Le Folk-lore de France, III, 400. — Per i
Croati, Demelio, Droit coutum, nella « Rev, de législ, anc, et mod. yt, 1876. p. 588 ; presse i Serbi
il pomo sostituisce Panel lo, « Rev. » cit., p. 592.
* Gfr. « Revue hist. ", 18C7 loc. cit. ; « Revue d. Trad, Popul. », XIX, p. 30 ; Braga, 0 pov<y
Portuguez, II, 235. — A. Coelho, As Superst. Portuguesas, nella « Rev, Scieniifica n I. 568.
Il fidan/.ato deve a sue spese offrire il vino o Tacquavîte [Eist, d, l. Vallée et d. Prieuré de
Chamonix di A. Perrin, pubbl. nelle << Mémoires de VAcad, d, Scienc, et Belles-Lettres de
Savoye n Ser. 3» —, Tom. XII, p. 253, 1897) ; altrimenti i genitoH della fidanzata poasono revo-
care la promessa. L. Pineau, Coût, du Poitou, p. 489. — Gfr. anche per la cerimonia detia
« touillée y,. P. SâBiLLOT, Coût, et Trad, de la Haute-Bretagne, p. 111. — Il Simroch {Handbuch,
d. deut. Myth., p. 599) vede nell* offerta del vino la memoria dell' antico « weinkauf ». -^ lofiitti
il contratto matrim. si perfeziona coli' offerta del vino : presse i Ruteni, « Zeitschr. d, Vereins /l
190S.] CORSO : GLI SPONSALI POPOLARI. [P. 499.
12) Conscensio thàlami. Dopo gli spoQsali è considerata lecita la coiivivenza
degli sposi^, ed ogni tradiinento alla fede data è indicato adiilterio^. Ma quando noa
ha luogo la coabitazione reale e prolungata fiuo al matrimonio, si puô avère una
ceriinonia sembolica che attesta la conoscenza degli sposi^.
Volhih, n, 1901, 158 seg. ; uel Brettin, Kraub, « Am-Ur-Quell n, 1890, p. 34 ; nel Brohtbal si offre
la birra, « Am-Ur-Quell », 1894, 127; a Gui pel, « Revue Tradit. Populaires », XIX, 30; a Givet,
< Ardennes)« Sébillot, Le Folk-Lore de France^ lu, 400.
^ Id Orune dopo l'asdcurazioue del matrimonio (s'assicuronzu de su cqjumu) gli sposi fan vifa
<»mune. Poggi, TJsi NataliH, NuiUdi e Funébri délia Sardegna, p. 56 e 58. Nella Corsica
(dipartimento di Sartena) è lecito Vabracio^ colla quale espressione si désigna la copula. *< Revue
d, trad, Popul, », IX, 466. In qualche villaggio del Portogallo, corne a Magdalene e suUe mon-
tagne di Bouro, ô riconoscinla lecita la coabitazione ante nuptieu. Consiolieri-Pedroso, De
quelques formes de mariage etc. in « Congr. Anthrop, et Archéol, Préhistoriques », IX ; Brag a,
O Povo Portugues, II, 231, 233, 243.
Il Goncilio Tridentino proibi la coabitazione ante nuptias e tutté le consuetudines non lauda-
i>iles^ ma per quanto severo il monito, ripetuto dai vescovi nella Costituzioni Sinodali, sono rimaste
Iraccie di antichi usi e persistent!. E certo dalle disposizioni del Tridentino hanno avuto origine
alcune praticbe penitenziarie cbe si costumano in qualche luogo. Nel Trentino, dice il Bologn[ni,
che 8e una fanciuUa fosse diventata madré prima di essere moglie, sarebbe stata, molti anni fa,
marcata in fronte, Usi e Costumi del Trentino p. 304. Ma una pratica che risale a parecchi secoli
prima del Tridentino ô Vammenda pubhlica di loppolo, villaggio délia Calabria, descritta dal
ï)ott. Diego Corso nella « Calabria » II, p. 96, del Bruzzano. E diffiiti Yammenda pubbHca trova
raffronto nella pena detta dei Lapides catenatos^ inflitta aile donne che yiolavano la decenza ed
il buon costume. Cfr. Stiernroorcs. De jure Sueonum vetusto, lib. I, p. 19 ; Du Gange, Glossa-
rium, ▼. Lapides.
^ Basti dire che la fidanzata ô considerata come vedova qualora venga a morire il futuro marito.
Xîosi nella Corsica : Ortoli, Le mariage en Corse, • Revite Trad. Popul. » I, 178. E se lo sposo
▼iene ucciso, la parentela délia sposa si arma alla vendetta. Se poi lo sposo rifiuta di sposare la
fanciuUa cni ha dato promessa, vien dicbiarata vendetta a tutta la di lui famiglia, Ortoli, Op,
cit., 178. Fer il popolo andaluso la novia pedida o amonestada ô equiparata alla donna accasata,
Donostante che la ley autorisa à cualquiera do los novios para que despues de amonestados, y
montra la voluntad del otro, se case con distinta persona, A. Machado Alvarez, Bibl. Tradic.
Popul. Espanolas, Vol. I, p. 79 (Madrid, 1884).
3 Ecco qualche esempio tipico. Nella Soizzera i fidanzati, una volta la settimana, dormono
nella steasa camera, perô in letto di verso e vestiti. « Revue Trad. Pop. », XII, 626. Nella forma
taie cerimonia ricorda la consumazione del matrimonio contratto per procura. — A Charleroy
-(LuBsemburgo alemanno) gli sposi, adagiati nel letto, vengono separati da una planche posée de
champ. Chi degli sposi salta la sbarra paga un'ammenda, « Folk-Lore Bulletin », p. 272.
^uesto, costume dériva dalla coabitazione simbolica : gli sposi venivan separati da una spada nel
letto, Grimm, 22. a., p. 432. Il proverbio francese a werte : Boire^ manger, coucher ensemble, est
jnariage ce me semble, Loisbl, Inst. Coutumières^ I, 2, art. 6.
p. 500.] • R • E • E • S • [1908.
L.A MAURESQUE ET LES MALADIES DE L'ENFANCE,
par J. Despabmet (Alger).
Dans une conférence précédente, j'ai exposé les superstitions populaire»
de nos indigènes relatives aux maladies. J'ai montré qu'en dehors des vices
constitutionnels de Tenfant, — œuvre des anges qui Tont façonné dans le sein de sa
mère, — en dehors aussi des accidents ayant une cause matérielle évidente, les
indigènes de TAlgérie ont Thabitude d'attribuer les affections dont ils peuvent
souffrir, soit aux atteintes du mauvais œil, soit aux maléfices de la sorcellerie, soit
enfin au « souffle » et aux « coups n des esprits appelés djinns. Ce sont là des
croyances universellement établies qui s'appuient également sur la tradition berbère
et la foi musulmane et affectent môme de se réclamer autant de la loi que de la
coutume.
Laissant la théorie générale, je voudrais, aujourd'hui, chercher Tinfluence
exercée par ces idées sur l'hygiène et l'éducation de l'enfance dans la société magh-
rébine. Voyons donc les moyens qu'emploie la mère indigène contre les puissances
hostiles qui lui disputent son enfant. Par quels procédés essaie-t-elle préventivement
de le mettre à l'abri des dangers dont elle le croit entouré ? Comment soigne-t-elle
les indispositions normales de l'évolution enfantine, et, au besoin, les anomalies qui
peuvent se déclarer au cours de cette évolution ? Enfin, comment traite-t-on, dans
la famille indigène, les plus fréquentes des maladies accidentelles qui intéressent
Fenfance ? Ces questions veulent être résolues dans un cours sur l'Éducation de
l'enfant indigène. Je vais essayer d'y répondre, en ne m'appuyant — pour donner
à ma documentation un caractère plus récent — que sur des faits qui se sont passés
sous mes yeux, à Blida, dans ces cinq dernières années, et que j'ai relevés sur
place, soit par l'observation directe, soit par la voie de l'information.
* *
Gomme nous l'avons vu, le moment de l'accouchement est considéré comme
particulièrement dangereux, la mère et l'enfant se trouvant alors à la merci des
génies malfaisants. Aussi ne doit-on pas cesser, un seul instant, de brûler des
parfums dans la chambre où accouche une femme. De même, le premier aliment
qui a été présenté à l'enfant, dès sa naissance, a été un composé de simples et
d'aromates. C'est qu'aux yeux des mauresques, l'enfant ne se trouve en sûreté
contre les coups des esprits que s'il est noyé dans une atmosphère de fumées odo-
rantes, et muni, intérieurement, de drogues consacrées. On a soin aussi, avant de
coucher Tenfant près de la mère, de retirer, de dessous le grand plat en bois (çahfa)
sur lequel la mère a accouché, le cumin, l'ail, le sel, la cendre et le crottin de bête
de somme que l'on y avait déposés contre les mauvais génies. On noue le tout dans
un morceau de linge et cette sorte de bourse (kemmomà) est placée sous l'oreiller,
entre la tète de la mère et celle de l'en&nt. Le cinquième jour, qui est le jour où
l'accouchée se lève la première fois — sauf complications — , la jeune mère n'oublie
pas de procéder à une vraie cérémonie propitiatoire dont les rites sont tradition-
nels. Elle prend, dans sa bouche, le cumin qu'elle a enfermé dans la kemmausay
1908.] DESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l' ENFANCE. [P. 501»
et, consacrant ses premiers pas aux génies de la maison, elle les visite dans les
sept endroits où ils se tiennent d'ordinaire, d'après la croyance générale. Elle se
rend successivement dans les quatre coins de sa chambre ; puis dans la cour, près
du ruisseau (mdjiria) ; ensuite dans le vestibule (sqîfa) ; enfin dans les lieux
d'aisance. Et, à chacune de ses stations, elle crache de la salive, dont le cumin
active la sécrétion dans sa bouche, et, chaque fois, elle prononce la formule sui-
vante : « 0 toi qui as accouché et qui nourris, nous sommes sœurs par la volonté
de Dieu. Ne me fais pas de mal, je ne t'en ferai pas ! » Après quoi, elle attache le
nouet, dans lequel il ne reste plus que l'ail, le sel, la cendre et le crottin, au-
dessous de son genou droit, à l'endroit où nous mettons nos jarretières. Elle s'est
acquittée de ses devoirs envers les djinns. Elle peut reprendre ses travaux domes-
tiques : elle roule la literie de l'accouchée, matelas ou tapis, et la serre sur la
soupente {serîr).
Le septième jour après la naissance, une cérémonie du même genre a lieu, en
l'honneur de l'enfant. Après lui avoir fait sa toilette, la sage-femme, ou du moins
la femme qui l'a accouché, le prend, étendu dans ses bras. On dépose, à plat, sur
la poitrine du nourrisson emmailloté, un miroir rond. Ce miroir supporte le fuseau
à filer de la maison, un nouet rempli d'indigo, enfin une pincée de sel, tous objets
d'un usage fréquent dans les opérations magiques. La sage-femme, soutenant dans
ses bras l'enfant avec cet attirail, s'approche de la porte de la chambre et le balance
sept fois à la hauteur de la serrure. Elle passe ensuite dans la cour, où elle le
balance aussi sept fois au-dessus de la « mdjiria » ou conduit de décharge. Elle en
fait autant à chaque porte, particulièrement à la porte des cabinets qui sont souvent
dans le vestibule, enfin à la porte de la rue, mais dans l'intérieur. On appelle aussi
ce septième jour le jour de la sortie de l'enfant {ioum khroudj el mezioud). Ne
semble-t-il pas évident que cette cérémonie, au moment où l'enfant va sortir de la
chambre maternelle, a pour but de le présenter aux djinns de la maison et les lui
rendre propices, particulièrement ceux qui président aux issues et sorties ?
Ces pratiques, d'un caractère ancien et quelque peu païen, sont particulières
aux femmes. Elles les tiennent même cachées aux hommes. Ceux-ci ont, de leur
côté, leurs moyens prophylactiques qu'ils croient plus orthodoxes parce qu'ils sont
tirés du Livre saint. C'est ainsi qu'ils ont l'habitude de glisser un Coran dans le
berceau, persuadés qu'il est la meilleure des sauvegardes. Mais comme l'enfant,
tiré du berceau, échappe à l'influence du Livre, on a soin de lui en suspendre au
cou quelques fragments qui ne le quittent jamais. Son père lui rapporte de chez le
sorcier {iqqach) une amulette qu'il renferme dans un petit tube de métal, cuivre ou
argent, ou dans un sachet de cuir rouge dit filali. Ces talismans, assurent les sor-
ciers, ont de nombreuses vertus, et ils gardent l'enfant contre tous les malheurs,
entre autres la substitution, dont les djinns, semble-t-il, se rendent fréquemment
coupables. Ils se composent souvent du verset du Trône {Coran^ sourate II, 256)
ou des versets de la Sauvegarde {les deux derniers de la neuvième sourate). Ces
passages du Coran semblent devoir leur réputation fort grande dans le monde des
sorciers au double trône divin qui s'y trouve cité : le korsi ou trône inférieur d'où
Allah jugera le monde et le 'arch ou trône supérieur où il siège dans l'absolu. Les
sorciers ont souvent recours aussi pour l'enfant à la sourate « initiale » {la fatiha)^
la première du Coran, appelée aussi la Mère du Livre, ou bien à la sourate Ikhlas
ou de l'unité de Dieu (Coran CXII). Les mérites de ces deux sourates, pieusement
énumérés, ont rempli des livres. Mais il en est deux autres qui sont plus spéciale-
ment usitées contre les atteintes des génies et des sorciers. Les Musulmans les con*
p. 502.] • R • E • E • S • [1908.
naissent sous le nom de « les deux Auxiliatrices » {El Ma^audeetein). La première
est l'Aube du Jour (Coran^ sourate CXIII). ** Au nom d'Allah^ Clément et Misé-
ricordieux^ — dis : « Je cherche mon refuge auprès du seigneur de V Aube du Jour,
contre la méchanceté des êtres quHl a créés (hommes et génies)^ — contre la nuit
sombre quand elle nous surprend^ — contre la méchanceté de celles qui soufflent sur
les nœuds {les sorcières)^ — contre le mal de Venvieux qui nous porte envie (mauvais
œil). » La seconde Auxiliatrice est la sourate des Hommes {Coran jSour ate CXIV
la dernière du Coran) « Au nom d'Allah, Clément et Miséricordieux, — dis :
« Je cherche un refuge auprès du Seigneur des Hommes, — Hoi des Hommes, —
Dieu des Hommes, — contre la méchanceté de celui qui suggère les mauvaises pen-
sees et se dérobe, — qui souffle le mal dans les cceurs des Hommes, — contre les
Génies et les Hommes. » Les deux Auxiliatrices jouissent, comme préservatifs
talismaniqueSi d'une vogue d'autant plus grande que dans chacune d'elles sont
expressément désignées les trois sources des malheurs de l'homme : le mauvais œil,
la sorcellerie, la malice des djinns, et que, de plus, placées à la fin du Coran, elles
sont, d'après la méthode musulmane, les premières apprises par l'enfant et par
suite les plus connues.
On ajoute souvent, à ces passages du Livre sacré, des prières (doutât) de Saints
renommés ou particulièrement vénérés par la famille et aussi de ces tableaux
magiques appelés « djedouel s. Ils out la forme d'un rectangle, d'un damier, d'uae
étoile, etc... Ils contiennent d'ordinaire « les plus beaux noms d'Allah » {elasma el
heusna) ; quelquefois des noms d^aoges ou de djinns, quelquefois des chiffres énig-
matiques exprimés en lettres de l'alphabet. Ils ne présentent d'ordinaire aucun
sens, même pour le sorcier qui les rédige ; mais, sollicitant les yeux et défiant
rintelligence, ces signes cabalistiques gardent, même pour l'imagination du lettré,
le caractère mystérieux, le prestige de puissance occulte que l'écriture a toujours
eus aux yeux des primitifs.
En sus de ces talismans écrits {ktibat), les indigènes emploient encore, dans
un but de préservation magique, un certain nombre d'objets consacrés, sans que
nous puissions toujours bien rendre compte des raisons de leur consécration. Ils les
nomment parfois du nom caractéristique de « ^aiiâchât n c'est-à-dire les amulettes
qui assurent la vie de l'enfant, qui le font vivre. La plus répandue est la « main de
Fathma » qu'ils appellent khamsa, khouimsa, les cinq doigts. C'est la figure stylisée
d'une main dont les doigts sont allongés. On la coud sur la chachia ou calotte de
l'enfant pour le protéger contre le mauvais œil, comme on la dessine ou on la sus-
pend à la porte des maisons pour en éloigner le même danger. On a voulu y voir la
main de supplication que l'on trouve gravée sur les stèles des tombeaux puniques.
Mais la main de Fathma n'esquisse pas un geste de prière : elle fait au contraire un
geste d'hostilité. Il est plus simple d'y chercher le symbole naturel qui écarte le
mauvais œil : les doigts tendus pour crever 1rs yeux malfaisants. C'est ainsi que
lorsqu'un indigène soupçonne quelqu'un de le regarder avec le mauvais œil, il
murmure en allongeant vers lui les doigts : • mes cinq doigts dans tes yeux
khamsa fi 'ainik) ». L'image de la main dessinée remplace d'une façon perma-
nente cette pratique et sa formule. Et ce n'est pas seulement l'image de la main
qui garde la vertu imprécatoire de la pratique entière, mais nous voyons le mot
cinq lui-même conserver, dans la conversation, la même puissance préservatrice.
Si l'on demande à une mère indigène quel âge a son enfant, elle aura soin, si elle
se méfie de son interlocuteur, d'introduire d'une, façon ou d'une autre, le nombre
cinq dans sa réponse, de manière à prévenir, par ce mot magique, les surprises de
l'envie et du mauvais œil.
1908.] DESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l'eNFANCE. [P. 503.
Une autre « ^aiiacha 9 bien connue est formée par le dessin d^un croissant sur-
monté d'une étoile. Elle est ordinairement brodée ou plaquée sur la chachia de
l'enfant. Le caractère magique du croissant est antérieur à son emploi comme
étendard dans les armées musulmanes. Il se rattache aux plus yieilles superstitions.
De nos jours, le croissant est, aux yeux des indigènes, un astre essentiellement
bienfaisant. Heureux celui qui peut le surprendre à la seconde précise où il se des-
sine et s'accuse à la vue : celui-là n'a qu'à lever les mains en signe d'adoration et à
formuler son vœu. Il est sûr d'être exaucé, « quand il demanderait aux rochers de
grès de se fendre ! n Le croissant de la fin du mois de Ramadan est particulièrement
invoqué par les malheureux qui souffrent d'une maladie périodique. De nombreuses
pratiques se rattachent à la vénération du croissant : entre autres, ce traitement
des verrues que l'on peut observer dans la banlieue de Blida et d'Alger. L'on prend
une feuille de palmier nain, et, le visage tourné vers la nouvelle lune, on frotte la
verrue avec la feuille en disant :
« la hlalf ia mlal
Nhi liia hadetslal
« Croissant nouveau, si blanc, si beau
« Ote-moi ces verrues de la peau ! m
Et l'on jette la feuille de palmier dans une eau courante. Nous verrons aussi la
mère indigène présenter son enfant à la nouvelle lune pour certaines affections :
incontinence d'urine, dentition, etc. De ces observations, il ressort que le croissant
jouit, dans l'opinion des indigènes, de vertus curatives et, par suite, tutélaires. Mais
comment est-il plus spécialement le protecteur des enfants ? C'est ce que me permet
d'expliquer, ce me semble, la coutume jusqu'ici ignorée, mais bien suggestive, que
j'ai signalée à propos du neuvième mois de la grossesse. J'ai montré la mauresque
enceinte, guettant le croissant de son neuvième mois. Elle a dénoué devant lui sa
ceinture. Elle l'a prié de favoriser la naissance de son enfant, comme il a veillé sur
sa gestation. N'est-il pas juste qu'après cette naissance heureuse, elle lui continue
sa confiance ? L'astre qui a présidé à la formation de l'enfant et à sa naissance est
le protecteur naturel de sa croissance et de ses premiers ans.
La clef que portent aussi les enfants indigènes contre le mauvais œil, a reçu
son explication. Cette clef, aujourd'hui en métal précieux ou réduite à une brode-
rie, était à l'origine en fer. Or, le forgeron, à cette époque, passait pour sorcier. En
portant donc, sur soi, une clef, on opposait aux maléfices des sorciers un talisman
sorti de la main d'un autre sorcier. C'est la survivance de cette antique superstition
qui fait attacher une clef à la coiffure de l'enfant indigène, contre le mauvais œil,
— comme elle fait toucher un objet en fer à certains européens quand ils rencontrent
un prêtre, lequel est alors considéré comme un descendant des antiques sorciers.
Logiquement, un objet quelconque en fer devrait pouvoir remplacer la clef : c'est
pour cela que l'on trouve assez souvent, à sa place, dans la calotte des enfants
pauvres, une aiguille ou bien une épingle.
Il m'a semblé remarquer que les gens de Biskra donnent spécialement le nom
d"aïïacha au tatouage en forme de croix qu'ils font à leurs enfants au milieu du
front. Si cette synonymie est réelle, c'est une preuve que tous les indigènes n'ont
pas perdu le souvenir de l'époque où le tatouage s'est substitué à l'amulette et qu'ils
ont encore conscience que le premier n'est que l'image gravée de la seconde. Le
tatouage semble bien avoir été à l'origine un signe protecteur, une ^aiiacha. Quoi-
qu'il en soit, fort en vogue dans les campagnes, chez les Kabyles, Arabes du Sud,
p. 604.] • R • E • E • S • [^^^^*
Marocains, il est fort mal yu dans les yilles. L'Islam semble mener contre lui une
rude campagne. Les dévots sMndignent de ce qu'ils définissent « la seule chose qui
se trouve dans le corps humain qu'Allah n'ait pas créée. » Us assurent que la loi
coranique condamne cette coutume comme sacrilège ; que celui qui est tatoué devra
en rendre compte au jour du jugement dernier ; enfin, que ces stigmates du paga-
nisme lui seront enlevés par le feu de Tenter dans l'autre monde. L'opinion du
citadin ne lui est pas moins sévère. Tandis que sur les Hauts-Plateaux le tatouage
semble un ornement indispensable à la beauté, à Blida, c'est presque un vice
rédhibitoire. A Alger, l'antipathie des gens du bon ton va si loin, contre leurs
coreligionnaires tatoués, qu'on en a vu se refuser à habiter dans la même maisoo.
Le tatouage leur semble le signe extérieur de la rusticité. Ne croyons pas cependant
que, sous cette coalition de la mode et de la foi, le tatouage ait été aboli complète-
ment, même dans les villes. Il se transforme, se dissimule, mais ne disparaît pas.
C'est ainsi qu'à Blida, si Ton ne consent plus à graver, dans la chair de l'enfaat, le
dessin protecteur, on le peint sur sa peau. Un nourrisson bien soigné par sa mère
ne sort pas dans la rue sans qu'on lui ait, au préalable, dessiné au front, ou au
moins derrière les oreilles, un tatouage temporaire. Celui-ci est bleu, comme
l'autre, il a la même forme que l'autre, mais la pointe d'indigo dont il est fait offre
cet avantage qu'elle pourra facilement s'enlever quand l'enfant rentrera de sa
promenade, et qu'il aura été protégé par elle, tout comme par un tatouage véri-
table, contre le mauvais œil des passants.
La « 'aiiacha » la plus répandue est peut-être l'anneau. Il est assez fréquent à
Blida, et beaucoup à Alger et chez les Kabyles. On le retrouve, semble-t-il, dans
tout le bassin de la Méditerranée, surtout chez les Maltais, les Napolitains et les
Espagnols des Baléares. Voici comment la mauresque le suspend à l'oreille de son
fils, à Blida. Pendant les fêtes du septième jour, qui se donnent en l'honneur de la
naissance d'un enfant, la mère lui perce avec une aiguille le lobe de l'oreille droite.
Elle introduit ainsi dans les chairs, à la suite de l'aiguille, un fil assez fort : Elle
retire l'aiguille et noue le fil. La blessure ne peut se refermer. A quelque temps de
là, lorsque celle-ci est cicatrisée, elle enlève le fil et le remplace par un anneau
d'or ou d'argent. Cet anneau est proprement ce que l'on appelle « ^aiiacha » à
Blida. Il sera porté jusqu'au mariage, parfois au-delà ; mais il serait ridicule dans
une extrême vieillesse, et compromettant, pour un musulman, dans le tombeau et
au jour du jugement dernier. En efifet, cette pratique est en relation avec une
croyance qui, pour être générale, n'en est pas moins non orthodoxe. Je veux parler
de la croyance en la « Tai^a ». C'est un génie femelle qui s'attache à un homme, à
une famille et s'acharne sur eux. Elle poursuit sa victime de cauchemars effrayants
ou d'appels mystérieux ; ou bien elle décime méthodiquement ses troupeaux, ou
déjoue ses plans et ruine son commerce ; ou bien encore, et ce n'est pas le cas le
moins redouté, elle s'attaque à ses enfants qu'elle fait périr, régulièrement, au
même âge, de la même maladie. C'est contre la « Tab'a n et les Blidéens en ont
nettement conscience, que l'on met l'anneau à l'oreille de l'enfant, et cet usage se
trouve exclusivement dans les familles éprouvées par la mort, dont la descendance est
emportée par des maladies héréditaires. Mais cet anneau, à l'origine, avait-il pour
but de témoigner que l'enfant était voué à une divinité et portait pour ainsi dire sa
chaîne, ou bien devait-il rappeler à la puissance persécutrice qu'en quelque sorte
le sang de cet enfant lui avait été versé en offrande expiatoire, et comme rançon
de sa vie ? C'est ce que les indigènes ne savent dire et qu'éclaircira seulement
l'étude approfondie de la « Tab'a ».
1908.] DESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l'eNFANCE. [P. 505.
A Médéa et à Miliana, on appelle particulièrement « 'aiiacha » un dessin tissé
-dans le burnous, sur la poitrine ou dans cette partie du capuchon qui se porte sur
le front. Cette figure se compose d'un certain nombre de lignes parallèles, deux à
«ix d'ordinaire, qui sont toutes réunies ensemble par un côté. Je ne doute pas que
ce ne soit le schéma de la main de Fathma défiguré par l'inexpérience de la tis-
seuse, car à la campagne les femmes fabriquent elles-mêmes, à la maison, tous les
habits do la fiimille. Dans la Mettidja j'ai entendu appeler aussi « 'aïïacha » les
cauris ou petits coquillages que les enfants portent attachés à leur calotte, ou
-cousus sur le cuir d'un talisman écrit (heure). Mais si Ton voulait énumérer tous
les moyens dont s'avisent les mères maghrébines pour protéger la vie de leurs
enfants, il faudrait étudier tous les porte-bonheur, pattes de porc-épic, griffes de
fauves, etc..., et surtout les amulettes écrites qui viennent s'ajouter, à chaque crise
qu'ils passent, à celles qu'on leur a suspendues au cou dès la naissance, et qu'on
leur yoit souvent porter en bandoulière, par brochettes de quatre à dix. Les obser-
vations que nous avons faites sur les principales « 'aïïachat » nous permettent de
rondure que les indigènes entendent dans un tout autre sens que nous l'hygiène
préventive. Leurs procédés prophylactiques sont du domaine de la magie, et nulle-
ment scientifiques. Ils ne comprennent pas, évidemment, sous le nom de maladies,
des phénomènes naturels et physiques, comme nous les comprenons, mais des
manifestations de puissances spirituelles hostiles. Point de microbes aveugles, mais
des génies fantasques. Et nous devons nous tenir pour avertis que leur médecine
infantile nous réserve des étonnements.
*
* *
Il suffit, en effet, d'avoir observé quelques instants la femme indigène donnant
«es soins à un enfant, pour être persuadé qu'elle professe, sur la constitution du
corps humain, des idées bien différentes des nôtres. Soit qu'elle lui frotte longue-
ment le nez, en vue de le façonner en arc ; soit qu'elle lui tire les bras et les jambes
en tous sens et à contre-sens ; ou qu'elle le suspende par les pieds, pour lui allonger
le cou ; QU qu'elle lui inonde la tête d'huile, pour permettre à « la cervelle de
s'amasser » (ietlüem), elle semble se soucier fort peu des règles de notre « puéri-
culture 8 rationnelle. Il ne faut pas s'attendre non plus à ce qu'elle envisage les
indispositions de son enfant de la même façon que nous. Il est rare qu'elle se con-
tente de leur attribuer une cause naturelle. Elle se persuade communément que
ces maladies ont leur origine dans la jalousie des hommes, dans l'art des sorciers,
dans l'irascibilité des génies. De là, dans la manière dont elle les traite, des bizar-
reries dont peut sourire notre thérapeuthique, mais qui peuvent nous intéresser à
d'autres points de vue : l'ethnographe, par exemple, pouvant y recueillir de pré-
cieuses indications sur la mentalité des indigènes, et l'historien y étudier de fort
vieilles coutumes qui n'ont pas été toujours sans laisser quelques traces dans nos
institutions modernes.
Le sommeil. — Si l'enfant ne s'endort que tardivement, malgré l'effet sopo-
rifique, — recommandé par les traditions anciennes — du bercement, la mère a
recours au remède des montagnards de l'Atlas : elle donne à l'enfant une noix pilée.
La noix a, paraît-il, des vertus dormitives, à la condition que la mère l'écrase dans
le mortier, loin de tout bruit, et qu'en la faisant avaler à l'enfant elle fasse sem-
blant de s'endormir elle-même, de bâiller et fermer les yeux. Cependant ce remède
doit être d'un succès incertain, car nous voyons les femmes de Blida lui préférer
p. 506.] • R • E • E • S • [1908,.
remploi du pavot et de Topiam à petites doses. Plusieurs mères se servent de ces
stupéfiants dès le jour de la naissance pour assurer au nourrisson, comme à la
nourrice, le repos nécessaire, et souvent en cachette du mari qui répète le dicton :
Venfani élevé à Vopium grandit nerveux et colère. Que si Penfant, par malice, se
tient lui-même éveillé par ses cris, la mère qui s'impatiente, sûre qu'elle est de lui
avoir donné « tout ce qu'il lui faut m va chercher dans les oreilles d'un âne le
cérumen noir que Ton y trouve, et elle en fait absorber au bruyant nourrisson le
poids d*un dirhem (environ deux grammes et demi) : les bonnes femmes assurent
qu'il cesse de « brailler n. Le plus souvent, si l'insomnie persiste, et si d'autre part
la mère est en mauvais termes avec les voisins, celle-ci a vite fait d'en soupçonner
la vraie cause. Alors dans le fourneau allumé, elle jette quelques grains de seL
S'ils pétillent, c^est la preuve que Tenfant est réellement malade du mauvais œil.
Et la mère murmure l'imprécation consacrée : > Que les yeux (du jettatore) éclatent^
comme éclatent ces grains de sel ! n Ou bien, elle choisit sept fragments de gros
sel. Elle en jette un dans l'évier de la maison, un autre dans les lieux d'aisance et
les cinq autres dans le feu, et elle marmonne : « œil du voisin, œil du rat, œil de
rintrus ! Que tous ils aillent au sein du feu 1 » {^aïn eldjar^ ^âïn el far^ *ai'n eddok-
hel leddar, elkoull meghtotisin fennar). Elle a soin de prononcer cette incantation à
voix basse, car si les voisins Tentendaient, ils se trouveraient offensés, et ce serait
la cause d'interminables disputes.
Les vieilles femmes préconisent plusieurs moyens pour enlever à l'enfant le
sort qui Tempèche de dormir. Parfois, on met, le soir, à son chevet une poignée
d'orge. Le lendemain on porte l'enfant au fondouk ou caravansérail, avec ces
grains d'orge dans ses langes, ou sur sa poitrine, et on les fait manger à un âne
jusqu'au dernier, sans que personne les ait touchés. L'âne avale le maléfice. Un
traitement du même genre se fait avec du millet long (berraqa) que l'on met dans
le lit de l'enfant pendant la durée d'une nuit, du vendredi au samedi, et que, le
lendemain, on va jeter dans la maison d'un juif. On peut purifier, aussi, par le feu,
l'enfant frappé du mauvais œil. On prend au foyer sept charbons enflammés et l'on
fait faire à chacune de ces braises sept fois le tour de la tète du malade. Après
quoi, on les éteint dans un vase plein d'eau. Une vieille femme ou bien une jeune
fille vierge va jeter cette eau dans un carrefour. Elle doit avoir soin de ne pas
regarder l'eau épandue et de ne pas rentrer par le même chemin qu'elle a pris à
Taller.
Si ces pratiques de la magie familiale ne réussissaient pas, il faudrait avoir
recours à la visite des marabouts. Dans chaque pays, il y en a de particulièrement
secourables aux mères. A Blida, la femme, dont l'enfant est lent à dormir, se rend,
dans Tintérieur de la ville, auprès de Sidi Abdallah (rue du Bey) et elle attache, à
un barreau de sa lucarne grillée de fer, un lambeau de son vêtement pour que le
saint ne l'oublie pas. Elle peut aussi se rendre, en dehors de la ville, au tombeau
de Sidi el 'Abed, et formuler la promesse suivante devant la desservante (ouküa) :
« Si le sire {le siied) guérit mon enfant, je t'apporterai en offrande des galettes de
beurre, de celles appelées « m'ftrek ». — Tout autre don serait déplacé dans lo
cas d'insomnie d'un enfant.
Enfin on a recours au sorcier (iqqachj talèb), en dernier lieu parce qu'il est le
plus coûteux. Celui-ci traite son malade par le grimoire. Il écrit soit des phrases
cabalistiques, soit des passages du Coran. Ces phrases cabalistiques n'ont souvent
aucun sens. Elles sont d'ailleurs rédigées de manière à cacher celui qu'elles pour-
raient avoir. Voici un talisman que l'on doit mettre sous l'oreiller de l'enfiint qui
J1908.] DESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l'eNFANCE. [P. 507,
Jie dort pas içhhssîfllsJcm non naum tsqîl. L'écrivain a multiplié les con-
sonnes inutilement pour cacher sous leur surabondance la phrase « çahh séUef
lekoum naum tsqîl ». << Oui, Dieu tous prêtera un sommeil profond. » — D'autres
-fois, il transcrira un verset du Coran en y changeant au besoin quelques mots pour
mieux l'approprier aux circonstances. Par exemple, pour faire taire un enfant qui
pleure constamment, l'iqqach écrira les versets 59, 60, 61 de la sourate 53. « Ces
paroles vous étonnent. Vous riez et vous ne pleurez paSy restant silencieux^ silen-
>cietéXj silencieux. » Dans le texte il y a le mot « samidouna » : se divertissant. L'on
y a substitué le mot « sakitouna » : silencieux. Puis le sorcier a ajouté : qu'ainsi se
4;aise un tel, fils d'une telle, et qu'il cesse de pleurer 1 Cette phrase a été écrite
dans le creux d'une assiette. La mère devait la délayer dans de l'eau et faire boire
•cette eau à son enfant. Il ne pouvait que guérir, si les paroles du Livre Evident
sont véridiques. Car Allah a dit dans le Coran (Ch. XVII verset 84) : « Nous
'envoyons dans le Coran « la guérison » et la grâce aux fidèles ».
La marche. — L'homme, assurent les vieilles mauresques, devrait marcher
-dès- sa naissance, comme la plupart des animaux. S'il s'attarde dans les langes,
<s'est la faute de notre mère Eve. Celle-ci, ayant enfanté, se reposa et s'endormit,
4äon enfant couché sur le sein. La vache, au contraire, et la jument, et nombre
d'autres, quand elles eurent mis bas, se hâtèrent de lécher leurs petits. Or, la
salive condense le sang en chair (i^aqed ellham)^ et le massage consolide les mem-
bres. Aussi les petits de ces animaux courent-ils presque sur le champ, tandis que
l'enfant de la femme est souvent bien lent à essayer ses premiers pas.
Heureusement que la tradition nous a conservé des remèdes éprouvés. Si la
mère soupçonne son enfant d'avoir les genoux faibles, elle cherche dans la cam-
pagne un nid de fourmis. Elle en prend les œu£s et les écrase sur les jambes de
^on nourrisson.
Les fourmis étant fort alertes et ingambes, l'énergie, qui est dans leurs larves,
en pénétrant dans le jarret de l'enfant, lui communiquera leur activité.
Il semble parfois que les articulations soient nouées. La magie blanche des
vieilles femmes offre des pratiques pour les délier. Elles ligottent les pieds et les
inains du sujet avec un brin de jonc ou de diss. On l'asseoit sur le seuil de la porte,
l'on dépose sur ses genoux des figues et du sucre et on le laisse seul. Cette cou-
tume étant bien connue, le premier passant qui voit cet enfant en cet état comprend
<^ qu'on veut de lui. Il dénoue les liens qui immobilisent l'enfant et se retire en
emportant les figues et le sucre pour sa peine. Il a rompu le charme. Il n'a pas
seulement détaché ses liens, il a aussi dénoué ses membres. D'autres fois on met
l'enfant malade dans une de ces grandes couffes en sparte que l'on appelle *adeL
Deux femmes le portent par les anses du panier. Elles vont ainsi, de maison en
maison, mendiant un peu de farine. Quand elles ont frappé à sept portes, elles
rentrent pour pétrir avec cette farine la « galette de Sidi el Habchi ». C'est le nom
-d'un marabout enterré sur les premières hauteurs de l'Atlas, au-dessus de Souma.
Le pain cuit, on fait ployer les jambes de l'enfant et on rompt sur ses genoux la
galette en disant : « Voici la galette de Sidi el Habchi ; avec la permission d'Allah
cet enfant marchera. » La galette est distribuée aux pauvres. Comme toujours les
inarabouts offrent leur intervention miraculeuse aux mères inquiètes de ne pas
"Voir marcher leurs enfants. A Blida, elles les apportent à Sidi el 'Abed. Elles
prennent dans sa lampe de terre un peu d'huile dont elles oignent les pieds et les
genoux trop paresseux. Enfin, pour guérir pareille infirmité, les parents vont
Jusqu'à faire appel aux saints mérites du vendredi musulman et aux miracles
p. 508.] • R • E • E • S • [1908.
qu'accomplit souTent la Prière en commua de ce jour. Eu effet, on a vu des pères ^
(dont quelques-uns avaient des enfants irrémédiablement estropiés), piler le vendredi
de Toxyde de cuivre (hdida) et le délayer dans Tean. Après la prière de midi, ils
traçaient avec cette solution un anneau tout autour des deux pieds malades, au-
dessous de la cheville. Puis, quand le muezzin appelait les fidèles à la prière de
« Paceur », ils adjuraient au nom d'Allah leur enfant de se lever : « Lève-toi et
cours comme les vrais croyants courent à la prière 1 »
Le sevrage« — Au bout d'un an, c'est la coutume de sevrer renfitnt. La
nourrice tâche alors de le dégoûter du sein en lui persuadant que c'est • hekkkhi %
sale, en crachant dessus et appelant les goules Berdzou, Beldem, qui font peur à
l'enfant désobéissant. Pour le convaincre, elles mettent sur leur poitrine du marc
de café, de la résine (redjina), de la suie prise sur les « seins » du brasero (nafékh).
Elles emploient aussi Taloës du commerce {maurr ou eebar). Si l'on se sert du suc
de l'agave {çebbara)^ l'enfant deviendra patient et résistant (çébbar). Si on le sèvre
avec du henné, l'enfant deviendra affectueux (henîn).
Souvent le nourrisson est pris de jalousie pour un petit frère. Les mauresques
assurent même qu'il sent ce concurrent avant que sa mère en ait conscience. Il
s'étiole, il ne veut plus quitter sa mère. S'il est sevré, il veut reprendre le sein.
Elles guérissent cette affection qui compromet la santé de l'enfant en lui faisant
boire de l'eau qui a servi à laver la leçon du jour sur la planchette des écoliers»
pour lui faire comprendre sans doute que chaque jour apporte sa tâche et abolit
les devoirs achevés. On lui fait manger un bout de tripe qui se trouve dans les
intestins du mouton et qu'on appelle « lahmet bau nadem « le morceau du repen-
tant. On lui fait absorber de l'eau et du pain qui ont passé la nuit dans les lieux
d'aisances. Eofin, on fait cuire un œuf dans de la chaux vive, tout comme son
cœur est brûlé par l'envie. Quand il est cuit, on l'épluche et on en jette la coquille,
— tout comme l'enfant doit dépouiller les mauvais sentiments, et on lui donne l'œuf
à manger — ce qui lui rendra l'appétit et la santé, s'il plaît à Dieu I
La parole« — Si l'enfant est en retard pour le langage, la mère, à l'heure ou
la marmite chante, a soin de recueillir sur son couvercle la vapeur d'eau qui s'y
dépose. Elle la fait boire au baby qui, bientôt, se mettra à jaser. Si elle connaît
quelque voisine qui possède un canari en cage, elle ira, un soir, chercher l'eau du
petit abreuvoir où s'est désaltéré l'oiseau chanteur. L'enfant, après l'avoir bue, se
plaira à gazouiller comme lui. Si l'on avait à craindre une véritable infirmité, il
faudrait laisser la magie blanche, et recourir à la religion. C'est ainsi que, dans le
cas où l'enfant menacerait d'être sourd-muet, les parents se rendraient, le jour de
la fête des Sacrifices, chez leurs amis, pour retenir la langue du mouton qu'ils
égorgent ce jour-là. Us auraient soin d'en réunir sept de cette £ftçon, toutes prove-
nant de victimes immolées, à cette occasion, selon le rite musulman, par de vrais
croyants. Us forceraient ensuite leur enfant à les manger dans le plus bref délai
possible. Ce serait blasphémer, au jugement des dévots, que de mettre en doute^
l'efficacité de ce remède.
La dentition« — La crise des dents préoccupe les mères mauresques comme
nos nourrices. Elles passent tout le temps où elles sont libres de travaux à frotter
du doigt les gencives endolories de leur enfant, lui répétant inlassablement « gum
guen .^ », et puisant, pour ce faire, de l'huile dans toutes les lampes des marabouts
qu'elles visitent. Combien de visites à ces marabouts, avant qu'elles puissent, un
jour, crier à la voisine, suivant la formule consacrée : « Venez voir le « bouton de
fleur d'oraoger « qui nous a poussé I n Pour aider cette incubation pénible des^
1908.] DESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l'eNFANCE. [P. 509.
dents, la médecine traditionnelle des femmes a certains secrets. Quand Tenfant est
tracassé par les dents, il est bon que la mère fasse bouillir du blé dans la marmite
en cuivre (qcufân). Cette opération amollit, par sympathie, les genciyes d'où sorti-
ront bientôt les dents, turgescentes comme le grain gonflé sort de l'eau bouillie.
Elle peut aussi faire cuire des œufs durs : la dent se durcira au fur et à mesure de
la cuisson. Et quand les voisines se partageront les œufs, et en briseront les
coquilles, la dent fera éclater la deruière pellicule qui l'emprisonne. Il est d'autres
pratiques recommandées aux mères qui ont quelque raison de se méfier de la len-
teur de la dentition chez leurs enfants. Quand la première dent va sortir, une
mère, soucieuse de ses devoirs, fait cuire dans le poêlon qu'on appelle « tadjin m
une mince galette de pâte sans levain. Quand cette crôpe est refroidie, la tenant des
deux mains, elle l'appuie sur la tête de l'enfant de telle façon que la crêpe s'entr'-
ouvre et que la tète passe au travers. Elle est ensuite partagée aux gens de la
maison qui doivent la manger. Nul doute que la tète de la dent ne perce bientôt la
peau des gencives, comme la tête de l'enfant a traversé la crêpe 1
Plus tard, à la chute des premières dents, la mère n'oubliera pas une vieille
cérémonie qui assurera une jolie dentition à son enfant. Choisissant la première
nuit du mois lunaire, celle où le croissant nouveau semble laiteux et comme nacré,
les femmes amèneront l'enfant sur la terrasse de la maison, s'ils habitent en ville,
ou dans tout autre endroit découvert s'ils habitent à la campagne. Elles le tourne*
ront, le visage vers la nouvelle lune, et il devra dire cette invocation :
« 0 croissant^ ô croissant!
Change-moi les dents ;
Et donne m'en qui soient belles
Comme celles de la gazelle ! »
vieille et enfantine conjuration conservée à travers les âges et qui lui procurera,
comme à ses pères, des dents conformes à l'esthétique indigène, c'est-à-dire large-
ment espacées, symétriques, arrondies et petites comme de minuscules grêlons.
* *
On pourrait croire, vu la naïveté des pratiques énumérées et l'étrangeté des
recettes détaillées, que je n'ai parlé, jusqu'à présent, que de cette médecine fami-
liale appelée chez nous « les remèdes de bonnes femmes ». Nous n'avons vu encore
que des indispositions légères ou communes à tous les enfants. Il est assez naturel
de ne pas avoir rencontré dans des occasions de ce genre les procédés et la méthode
de la médecine musulmane. Nous passons au traitement des maladies acciden-
telles, les plus graves qui atteignent l'enfance, celles où cette médecine peut don-
ner sa mesure.
Nous devons l'avouer de suite : nous ne trouverons aucune différence d'esprit
ni de méthode dans le traitement des grandes maladies, où pourtant, chez les
Arabes, comme chez tous les peuples, l'amour paternel fait appel à toutes les
ressources de la science médicale du temps. Et la raison en est simple : c'est que
la médecine ni le médecin n'existent dans la société indigène.
Le taleb, l'iqqach, proprement l'écrivain public et sorcier qui se donne pour
médecin, est un pauvre hère qui, ayant appris quelques pages du Coran, sachant
lire et écrire, vit en écrivant la correspondance des illettrés, en disant la bonne
aventure et en rédigeant des talismans. Un proverbe dit : « Quand l'étudiant qui
apprend le Coran est fruit sec, il se fait chauteur {meddah) ou sorcier {iqqjoch), »
p. 610.] • R • E • E • S • [1908.
Il loue une boutique minuscule, pour cinq francs par mois au plus, dans quelque
rue peu passante, détournée. Il y étale une natte, y apporte une caisse à savoD.
Sur cette caisse, il dispose quelques livres, souvent français, quoiqu^il ne les lise
pas, mais la magie étrangère est toujours plus estimée que celle du pays. Un seal
livre de médecine arabe s'y trouve d'ordinaire : c'est la Rahma éPEssayouti^ sorte
de codex de la sorcellerie où, sauf quelques simples, on ne trouve que des recettes
magiques. Les autres livres imprimés sont des ■ qora' n tableaux où figurent un
certain nombre de personnages antiques, hommes ou femmes. Le consultant met
le doigt sur l'un de ces noms, et Tiqqach lui lit son sort, tel qu'il est écrit dans le
commentaire de ce tableau. A ces deux ouvrages fondamentaux, l'iqqach ajoute une
multitude de notes manuscrites, traditions recueillies oralement ou inventions per-
sonnelles, qui sont le fondement de sa réputation de savoir. Un proverbe dit : « Les
écrits de l'iqqach ne se relient point, et lui-même ne triomphe point. » El iqqaeh
htabou ma iseffer ou houa ma ideffer.
Les femmes n'ont aucune confiance particulière dans la science médicale da
taleb. Leur mémoire, autant et plus que la sienne, est remplie des recettes appli-
cables à chaque cas. Mais elles se trouvent souvent embarrassées pour déterminer
le genre de la maladie, comme nous dirions, c'est-à-dire, dans leurs croyances,
quel djinn a frappé le malade, et pour quelle raison ? Elles demandent aussi au
taleb de leur indiquer le genre de victime qu'il convient d'égorger dans la circon-
stance. Tout le talent de l'iqqach consiste à savoir « calculer » la cause du mal, et
tirer au clair le sacrifice approprié, s'il y a lieu « ihseb lelmrid ^alach Jchedaha ou
ikherredj ennechra «. Pour cela, il n'a pas besoin d'ausculter, ni de voir le
malade. Il se contente la plupart du temps de demander son nom et celui de sa
mère : puis avec son « qlem • (plume) il fait des lignes de points (ineqqet) sur un
papier, en marmottant des formules inintelligibles. Il s'arrête soudain, éclairé, et
il dicte son ordonnance. Parfois, si la consultante parait en état de bien rétribuer
sa peine, en outre du nom de l'enfant et de celui de la mère, il demande la date
de sa naissance et celle du jour où il est tombé malade. On sait que les lettres
arabes ont une valeur numérique. Il réduit ces quatre données en leur équivalent
arithmétique. De cette somme, il retranche autant de fois sept qu'il se peut. Il
prolonge, par ces calculs, l'opération qui n'en a que plui^ de prix. Le chiffre qui reste
fixe le signe du Zodiaque qui détermine la maladie cherchée. Il ouvre alors le
<< Livre des connaissances vérifiées et exactes de l'Imam et philosophe célèbre sous
le nom d'Abou Ma*acher, le Grand astronome », et il se reporte au commentaire
du signe fixé par le calcul. Et, avec un peu de tact ou d'induction appliquée aux
confidences de la femme, il peut très honorablement caractériser le mal, dicter le
traitement, nommer les parfums nécessaires et décrire jusqu'à la couleur de la
victime exigée.
D'après sa manière de pronostiquer le mal, on peut deviner que la science
médicale du Taleb, venant s'ajouter à celle des femmes pour le traitement des
grandes maladies de l'enfance, ne modifiera pas sensiblement la méthode que nous
avons déjà reconnue. Voici d'ailleurs, pour chaque maladie, les différents remèdes
les plus en vogue dans ces cinq dernières années.
Maladies intestinales de l^enfant. — Quand un enfant dépérit, les mau-
resques ont l'habitude de dire : « Ce sont ses frères qui le visitent », c'est-à-dire
les petits génies de son âge. Parmi les remèdes préconisés pour la « maladie des
frères ■ (merd hhaotäou) il n'en est guère qu'un qui puisse se dire décemment en
français : une femme prend un fuseau dans ses deux mains, et, faisant &ce à Ten^
faut, elle brise en deux le fuseau devant son visage.
I
J 908.] PESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l'eNFANCE. [P. 511»
Parfois, cependant, on reconnaît que ces langueurs proviennent de la faiblesse
de Testomac. C'est que la nourrice, avant de lui donner le sein pour la première
fois, a négligé de faire sucer à Tenfant du tan pilé dans de l'huile ! Il faut se hâter
de lui donner du tartre délayé dans de Thuile. On peut aussi faire absorber du
minium au malade trois jours de suite; le premier jour avec de Teau, le second
avec du citron, le troisième avec de Thuile. On recommande aussi la corne du pied
du mouton ou le sabot du bœuf brûlés et mêlés à du miel. Quelquefois, il faut avoir
recours à la cautérisation. Elle se fait à « la mèche bleue » ftila zerqa, La sage-
femme prend la mèche qui pend au bec de la lampe indigène et la promène sur le
ventre de l'enfant en pratiquant ce que nous appelons des pointes de feu.
Mais, le plus ordinairement, ces sortes de maladies se traitent par les simples :
potion de cumin et de girofle, ou bien du musc et de l'ail dans du petit lait, ou bien
des grains de carvi sur du citron. On écrase aussi du thym, des feuilles de ronces,
du pouliot, de Tail, de la menthe à feuilles rondes {tanersat)^ de jeunes pousses du
lentisque et du girofle. On exprime le jus de ces différentes plantes dans la bouche
de Tenfant. Il guérit, et si on continue en le mettant à un régime de patates
douces, il engraisse.
La hernie. — La hernie congénitale ne se traite pas. Elle est Tœuvre du créa-
teur, et qui oserait modifier son œuvre ? Accidentelle, elle est attribuée aux pleurs.
Pour la soigner, on fait boire de la gomme ammoniaque diluée dans de l'huile, ou
manger des œufs de tortue cuits.
Les écrouellcs. — Pour les écrouelles, il faut faire manger du porc à Tenfant,
malgré Tinterdiction coranique. Ce traitement est indiqué par la langue elle-même,
l'écrouelle s'appelant en arabe « Tchenzir » comme le porc. On lui fait manger du
rat. On forme aussi une pâte avec tant de grammes d^arsenic mêlés à leur double
de feuilles de laurier-rose pilé, le tout pétri avec du goudron, et l'on en enduit la
plaie.
Le goitre. — On traite le goitre par le contact du vêtement d'un mort, ou
celui du mort lui-même. Dans le premier cas, on détache un lambeau d'étoffe de
l'habit dans lequel un individu, homme ou femme, a expiré, et le malade doit le
porter comme notre foulard ou notre cravate. Dans le second cas, on approche le
goitreux du cadavre et l'on porte la main du mort sept fois sur la glande malade.
Le goitre se fondra au fur et à mesure que le mort se dissoudra dans la terre.
La fièvre. — Pour combattre la fièvre, le taleb, d'accord avec la coutume,
recommande trois sortes de moyens. Le plus habituel est la visite aux « stations »
des génies. Ce sont, pour la région de Blida, la source (^anceur) de Sidi Ahmed ei
Eebir, le vieux cimetière de Sidi Ali Gaïour, la cascade de Sidi Moussa, le ruisseau
de Mimoun « aux brouillards » {Mimoun Ghiam) à Boufarik. Le sorcier fixe le
lieu de pèlerinage convenant à chaque cas. Il a soin aussi de désigner, avec les
parfums, le sexe de la volaille qu'il faudra offrir aux génies, et si elle doit être
blanche ou noire, couleur de feu ou couleur « fleur de fève n etc...
Le second moyen est la visite à un marabout, (à Blida, Sidi £1 *Abed), avec
petites bougies coloriées et don d'argent {ou ^ada) ou dons en nature.
Le troisième moyen est le secret du sorcier. C'est un traitement dont il est
seul détenteur, et qu'il déclare tenir des anciens sages par une chaîoe de traditions
certaine. Parfois, le procédé est original, même humoristique ; par exemple : un
taleb se fait apporter, pour soigner un enfant fiévreux, trois feuilles de laurier*
rose. Il écrit sur chacune d'elles « Qaroun, Phar'aoun, Hâman, les chrétiens et les
Juifs coucheront dans l'enfer », et il recommande de faire des fumigations pendant
trois nuits consécutives avec une de ces feuilles dans la chambre du malade.
p. 512.] • R > E * E * S • 1^^^^*
La coqueluche. — La grande maladie de Tenfance, la coqueluche, est
comme chez nous, l'effroi des mères musulmanes (esso^ let el ^aauâïa). On répète
un hadits du Prophète qui défend de toucher la tête de Tenfant qui a la coqueluche.
Son caractère contagieux est donc connu. Elles le traitent par des potions ou des
inhalations, ou par Timmolation simulée. Le plus ordinairement, elles se contentent
de recueillir de la rosée et de la faire boire au malade. Elles font bouillir aussi
des escargots et en font absorber Peau. Enfin elles se procurent ce qu'elles appellent
de l'écume de la mer, c'est-à-dire de Tos de seiche qu'elles mélangent après com-
bustion avec du miel. Elles sont persuadées de l'efficacité de certaines exhalaisons
méphitiques. Lorsque les Français eurent établi le gaz à Blida, on vit les femmes
indigènes porter leurs enfants à l'usine et leur faire respirer l'odeur forte de la
chaux que l'on retire des épurateurs. En même temps qu'ils emploient cette inno-
vation, ils ont recours à des pratiques d'un caractère fort ancien. On porte le jeune
enfant malade à un vieux marabout que les femmes appellent Bou Neçla « le mara*
bout au sabre sans poignée ». Il y en a toujours un aux environs des agglomérations
indigènes. On a soin d'amener un enfant né après la mort de son père {Uim d hcha).
Cet enfant jouera le rôle de sacrificateur. A son défaut, la gardienne du tombeau
(oukila) remplira les mêmes fonctions. Elle brandira une lame d'acier sans monture
(neçla) que le temps ou la prudence ont soigneusement ébréchée. Et elle la passera
sept fois sous la gorge de l'enfant malade. Moyennant ce simulacre d'égorgement,
celui-ci sera rédimé.
Ces exemples démontrent suffisamment que le traitement des maladies infan-
tiles, inspiré par le taleb, offre les mêmes caractères de naïveté superstitieuse que
la médecine des vieilles mauresques. C'est que ce taleb n'a rien étudié, pas plus que
les vieilles femmes, en dehors de la médecine populaire. Il en reproduit donc les
procédés en y ajoutant seulement l'emploi de l'écriture, je veux dire l'abus des
talismans écrits qui constituent le plus clair de ses bénéfices.
* *
Si l'on cherche plus d'esprit scientifique et des méthodes plus rationnelles
dans les spécialistes indigènes qui traitent les maladies infantiles, on ne sera pas
moins déçu.
Voici quelques faits.
Le choléra infantile« — Il est de tradition que la femme qui nourrit, lorsque
vient la saison des fruits, partage en deux le premier fruit de chaque espèce qu'elle
mange, puis y épanche quelques gouttes de son lait. Elle en jette ensuite la moitié
sur la terrasse et mange l'autre. Sans cette précaution, on assure que le nourrisson
est pris de coliques. Il est malade de la « nanna » ou choléra infantile. Deux
familles, à Blida, se sont fait une spécialité de cette maladie : les Ben Dikhaî et
les Ben Teftifa. On leur porte l'enfant trois samedis de suite. Ils leur pratiquent
chaque fois deux incisions au rasoir entre les yeux. Cette opération doit se faire
avant le lever du soleil.
La Jaunisse. — La jaunisse est traitée exactement de la même façon, le même
jour, aux mêmes heures par la femme de Sid Ahmed ben Tefüfa, ex imam de la
mosquée hanéfite. Celle-ci soigne les femmes. Les hommes sont soignés de la même
manière par El Hadj Mohammed Qâraman. La jaunisse et le choléra infantile sont
donc considérés comme la même maladie, ou deux cas similaires.
La coxalgie. — Pour la coxalgie (^arq lâsa)^ on a recours à un bâtier
(bradai) du nom de Ben Yousef oulid el Bhira. On lui apporte avec l'enfant un
1908]. DESPARMET : MAURESQUE ET MALADIES DE l'eNFANCE. [P, 5 13.
roseau. Il prend la mesure de la jambe malade avec ce roseau, de la tête de Tos
coxal au talon. Il coupe ensuite le roseau et le dépouille soigneusement de ses
feuilles et nœuds. Le samedi suivant, avant le lever du soleil, le médecin et son
malade se rendent en dehors de la ville et s'arrêtent sous un arbre. L'enfant tient
le roseau le long de sa jambe. Entourant de ses dix doigts la jambe et le roseau à
ia hauteur de la cuisse, l'opérateur abaisse les mains jusqu'à terre. Il recommence
sept fois ce geste, en prononçant le verset de la guérison (sourate XVII ^ verset 84) :
« Nous envoyons dans le Coran la ^ guérison et la grâce aux fidèles n ou bien
{sourate XLI^ verset 44) : « Dis : • Le Coran est une direction et un remède, n
Ce traitement doit être recommencé trois samedis de suite. L'on enterre ensuite le
roseau dans une vieille tombe. »
La hernie. — La hernie abdominale est soignée par un maître d'école. Si
l'arbi cl Mbarek. Le malade lui apporte un grand foulard de couleur à empaqueter
le linge (terzima). Le maître, collant ce foulard sur ses lèvres^ murmure le verset de
^ la guérison ». Puis il serre le ventre du malade avec ce foulard. — Un concurrent,
Mohammed ben Bakir, cafetier de son métier, s'est acquis une réputation aussi
grande sans user du Coran. Il masse la veine qui se trouve dans le creux du coude,
puis il la comprime pendant une demi-heure avec un caillou serré à l'aide d'un
mouchoir.
Ecronelles. — Une maraboute, de la famille des Chghaghnia, de la tribu des
(luerouaoua, (commune de Souma),et du nom de Baïa, femme d'£l Qçir, est réputée
parmi les habitants de Blida, où elle réside, pour ses cures d'écrouelles. Elle les
cautérise avec une corne de chèvre, pendant trois samedis de suite.
« Tizgnert r. — Sous le nom de « Tizguert », les indigènes confondent
plusieurs maladies du cou, entre autres le torticolis et le furoncle dans la région
de la nuque, etc.. Ils attribuent à la tizguert des enfants une origine singulière.
Quand une ménagère, disent-ils, a résolu de tisser un burnous ou un haïk à sa
famille, elle doit avoir bien soin de prélever, sur la première pelote de laine qu'elle
emploiera à faire la chaîne, une longueur égale à la hauteur de la porte de la rue.
Elle mesurera donc cette porte avec ce fil. Elle mesurera également la hauteur de
la porte de sa chambre avec le même fil qu'elle jettera ensuite au feu. Sans ce
sacrifice, un de ses enfants tombera malade de la tizguert pendant l'année.
L'enfant, atteint de cette maladie, est conduit à un savetier du nom de
Mohammed ben Abd el Qader bou Châma. Celui-ci opère, ou, selon l'expression
arabe « coupe » la tizguert le samedi, le dimanche et le lundi jusqu'au lever du
soleil. Il crache dans sa main et passe celle-ci sur le cou du malade. Puis il l'enduit
avec du noir de fumée qu'il prend aux flancs du petit fourneau indigène (nafekh).
Une femme, connue sous le nom de Fathmat Ezzohra, lui fait concurrence auprès
de la clientèle féminine avec les mêmes procédés.
On peut multiplier ces exempleS| on arrivera à cette conclusion : c'est que les
spécialistes indigènes ne sont pas, comme les nôtres, des praticiens qui ont con-
-centré leurs études sur une maladie particulière. Ce sont, d'ordinaire, des gens de
petits métiers pour qui la médecine est un moyen d'existence accessoire. Ils n'ont
pas, non plus, comme l'entendent nos rebouteurs, un secret transmis, de père en
iils, dans la famille. Leurs procédés sont très simples et connus de tous. Ce sont, à
en croire leurs coreligionnaires, des individus, d'ailleurs ordinaires à tous les autres
points de vue, qui ont hérité d'un pouvoir spécial. Ils appellent ce pouvoir « le
don 9 (' atiia). Ils se disent eux-mêmes « gratifiés de ce pouvoir s, « m ^aHin bih ».
Oelui qui le leur a transmis est nommé le « donneur ■ {'ûti). Et il le leur a trans-
P> 614.] - R > E > E » S ^ [1908.
mis avec une certaine solennité. Le maitre a montré en détail comment il opère.
S'il procède par le crachat, comme il arrive en beaucoup de cas, il a dû cracher
dans la bouche du disciple pour lui communiquer son pouvoir. En essayant de
remonter la chaîne de la transmission, on arrive à un fondateur doué du prestige
maraboutique. C'est ce que l'on peut voir dans la formule dont se servent quelques-
uns de ces thaumaturges. Par exemple, la famille de El Açlouni, jadis serviteur
du marabont El Mahadjoub, (enterré près deBoufarick), a la spécialité d'éloigner le
mauvais œil. On amène à un membre quelconque de cette famille un enfant qui en
a été atteint. L'opérateur prend le bras gauche de cet enfant et le mesure avec son
empan depuis les doigts jusqu'aux épaules, puis depuis les épaules jusqu'au bout
des doigts et ainsi sept fois, et de même au bras droit, puis il dit : « Au nom
d'Allah, ô pouvoir (baraJca) de nos ancêtres, ô pouvoir de nos parents, ô saints de
notre ville, ôtez-lui le mauvais œil, voilez-le et éloignez de lui l'œil méchant. »
A Blida, le type de ces familles maraboutiques à spécialité médicale est la
descendance de Sidi Ahmed ben Fares. On peut croire que l'origine de leur « don
spécial n est un calembour. En effet, ils soignent l'eczéma et les affections de ce
genre. Celles-ci s'appellent le feu persan « nar él farsïïa ». Le peuple, pour qui la
Perse est inconnue, a compris le feu de Fares, le feu que guérit Sidi Ahmed ben
Fares.
Quoi qu'il en soit, depuis la mort de leur ancêtre peut-être, c'est-à-dire depuis
le 16® siècle, cette famille jouit de la spécialité de guérir les éruptions eczémateuses.
Us crachent sur le mal, étendent leur salive sur toute la surface malade, et la sau-
poudrent ensuite de cendre. Le malade doit être traité ainsi trois lundis successifs.
Le lundi, en effet, est le jour consacré du pèlerinage et la date périodique de ces
guérisons miraculeuses. Le prix était naguère encore d'une « ouqïïa » par visite.
L'ouqïïa, dont la valeur est de 30 centimes, est le prix traditionnel dans ce genre
de cures maraboutiques. Depuis quelque temps, la vogue rend cette famille plus
exigeante, et elle laisse à la reconnaissance du miraculé le soin de fixer ses hono-
raires.
C'est par hérédité que cette « baraka » se transmet dans la famille des Oulad Sidi
Ahmed ben Fares, ce qui se comprend si l'on veut admettre que le pouvoir qu'ils
ont sur le « nar él farsïïa » leur vient de leur nom d'el Fares. Leur descendance
étant nombreuse, ils ne communiquent leur « don » à aucun autre. En revanche,
tous ceux qui peuvent se réclamer de leur nom le possèdent et le plus lointain
parent, comme le plus petit enfant, garçon ou fille, même encore à la mamelle«
peut, dans l'opinion générale, avec sa salive et un peu de cendre, guérir les
malades, non pas, comme nous le croirions, grâce aux vertus chimiques contenues
dans ces deux éléments à base caustique, mais bien en vertu du pouvoir qui lui a
été conféré avec le sang par ses pères et du privilège qu'Allah a concédé, à l'ori-
gine, à son pieux et saint ancêtre, Sidi Ahmed ben Fares.
I». 515.] • R • E • E • S • [^^^J!:
COMMUNICATIONS
IV.
Note métrologique sur la livre et la pile de Charlemagne,
et sur l'osselet de Suse.
par J. A. Dbcoxjbdem ANCHE (Paris).
D'après les métrologues grecs de Técole d'Alexandrie, trois taieats ou « kikkar »
constituent les dénéraux ou types des divers poids et mesures anciens, dont ils
donnent les rapports.
Le premier de ces talents est des 96/125 du troisième ;
Le second est des 9/10 du premier ;
Le troisième est des 125/96 du premier.
Le troisième de ces talents contient 2.500 tétradrachmes attiques ou 10.000
drachmes attiques.
Si nous admettons le poids, presque universellement admis, de 17 gr. pour le
tétradrachme, soit de 4 gr. 25 pour la drachme, on trouve que le troisième talent
pèse 42 k. 500 gr.
Sur cette base, le premier talent, qui vaut 91/125 du troisième, se trouve peser
32 k. 640 gr. et le second, qui est des 9/10 du premier, ressort à 29 k. 376 gr.
Les auteurs indiqués, entre nombre d'autres désignations, appellent le premier
talent : talent babylonien ; le second : talent assyrien et le troisième : talent égyptien .
Sans attacher plus d'importance que de raison à ces désignations, on a donc :
Talent babylonien : 32 k. 640 gr. ;
Talent assyrien : 29 k. 376 gr. ;
Talent égyptien : 42 k. 500 gr.
Le talent assyrien apparaît comme en relation directe avec le talent babylonien,
par retranchement de I/IO, à moins que le talent babylonien n'ait été formé en
•ajoutant 1/9 au talent assyrien.
Le talent égyptien apparaît également comme apparenté au talent babylonien.
En effet, si l'on ajoute au poids de ce dernier . . • . 32 k. 610
le quart de son poids, soit : S k. 160
On obtient le Ganthar babylonien, qui pèse 40 k. 800
Or le talent égyptien pèse les 100/96 ou les 25/24 du Ganthar babylonien. Gette
proportion de 24 à 25 est constante dans la métrologie ancienne. Sans sortir du
domaine perso-babylonien, notons que 96 dariques fortes (époque Sassanide)
valaient 100 dariques faibles.
Ces éléments une fois indiqués, passons immédiatement à l'examen des éléments
-d'un poids célèbre : la Pile de Charlemagne.
LiYBE ET Pile de Chablemagne.
La division Carthaginoise du talent dit assyrien est la suivante :
Drachme I 3 gr. 672
Mine I 100 367 gr. 20
Kikkar I 60 6000 29 k. 376 gr.
Si l'on ajoute, au kikkar, le quart de son poids, 7 k. 344 gr.
on obtient le poids du Canthar assyrien du blé, soit 36 k. 720 gr.
lequel contient 100 mines de 367 gr. 20 l'une.
P« 51 6«] COMMUNICATIONS [1908*
A noter qne si Ton retranche 1/9 des 36 k. 720 gr. da Canthar assyrien da blé^
Ton retronTe les 32 k. 640 da poids da talent babylonien.
La Pile de Charlemagne, étalon de poids qui se troave an Conservatoire des
Arts et métiers, pèse 12 k. 342 gr. Si Ton maltiplie ce poids par trois, Ton obtient
36 k. 726 gr., soit 6 gr. sealement de pins qae le poids du Canthar assyrien. La Pile
de Charlemagne est donc du tiers de Canthar. Le même Canthar contient 100 mines
Carthaginoises de 367 gr. 20 Tune ; la Pile de Charlemagne représente donc le tiers
de 100 mines soit 33 mines 1/3, à cela près de 6 grammes sur Tensemble.
Cet écart de tolérance (1/6000°^ environ) est absolument insignifiant, surtout si
Ton tient compte du fait que les anciens instruments de pesage n'avaient pas, à
beaucoup près, la précision de ceux actuels.
Nous concluons, de ces rapprochements, que nos calculs sur le poids théorique
du talent assyrien se trouvent absolument justifiés par la comparaison effectuée
avec la Pile de Charlemagne, ce qui entraîne Texactitude de tous les autres calculs,
puisque les trois talents-types sont en rapports proportionnels entre eux.
D'après ce qui précède, la Pile de Charlemagne contient 33 1/3 mines Cartha-
ginoises, autrement dit, un même nombre de livres de Charlemagne, qu'elle fait
ressortir à 367 gr. 260 Tune. Or, d'après les pesées, la livre de Charlemagne est de
367 gr. 262. Cela veut dire que la moyenne d'usage excède seulement de 2 milli-
grammes par livre le poids-étalon donné par la Pile.
Au temps de Charlemagne, la mine Carthaginoise était en usage en Sicile et
sur la plupart des bords de la Méditerranée. Cet empereur n'a donc pas eu à faire,
pour la connaître, de recherches dans l'antiquité.
Toujours il a été allégué que la livre de Paris, contenant 16 onces, avait été
constituée en ajoutant un tiers, soit quatre onces, à la livre de Charlemagne. Le
fait apparaît absolument exact.
£n effet, si l'on divise par cent le poids triplé de la pile de Charlemagne, soit
36 kil..726 gr., on a, pour la livre, 367 gr. 260. £n ajoutant, à ce chiffre, son tiers,^
l'on obtient, pour la livre de Paris, 469 gr. 680.
Or, lors des travaux qui ont précédé l'établissement du système métrique, la
livre de Paris a été évaluée, d'après la moyenne des étalons existant alors, à
469 gr. 683. Elle n'avait donc augmenté, dans l'intervalle de dix siècles environ qui
sépare le règne de Charlemagne de la révolution française, que de 3 milligrammes.
L'OSSELBT DV SüSE.
Nous avons indiqué plus haut que le talent égyptien ressort, en poids français,
à 42 k. 500 gr.
En l'augmentant de son dixième, soit de . . 4 k. 250 gr.
on obtient le poids du Canthar de l'huile dit de Memphis, soit 46 k. 750 gr.
Si l'on double ce poids, l'on a 93 k. 500 gr.
Selon M. de Villefosse, l'osselet de Suse pèse précisément 93 k. 500 gr. D'après
M. Haussoulier, il s'agirait de 93 k. 700 gr. Quoi qu'il en soit de ces légères diffé-
rences, l'on peut dire que l'osselet de Suse représente le poids de deux Canthars-
de Memphis.
1908.] COMMUNICATIONS [P, 517«
COMMUNICATIONS.
V.
L'expédition ethnographique
du Prof. D' K. ^Weule dans l'Afrique Orientale Allemande en 1906
par A. VAN Gennep.
J'ai eu le plaisir, il y a quelques années, de faire & Leipzig la connaissance de M. Weule,
alors conservateur-adjoint du Grassi-Museum. Il avait deux projets : réorganiser le musée
ethnographique et lui acquérir son autonomie ; faire une expédition dans l'Afrique orientale
allemande. Il a réussi des deux côtés ; le Musée se développe grâce à Tintelligente contribu-
tion qu'apportent à M. Weule, qui en a été nommé directeur, les citoyens riches de Leipzig ;
d'où les Publications du Musée, dont plusieurs ont été analysées ici-même. Quant à l'explo-
ration projetée, elle fut subventionnée par la « Commission pour Texploration géographique
et ethnographique des colonies et protectorats allemands ».
Un soulèvement d'indigènes empêcha M. Weule de suivre l'itinéraire qu'il s'était tracé :
les autorités l'obligèrent à modifier son plan et à étudier les populations du Lindi. du
Mikindani et du Rowuma, dans la région méridiorale de la colonie. En définitive, le hasard
a bien fait les choses, car de même que la publication presque simultanée du livre de Merker
sur les Masaï allemands et de Hollis sur les Masaï anglais a permis, il y a quelques années,
de se faire une idée précise de l'organisation entière de cette population, coupée en deux par
des arrangements politiques, de même les deux publications^ de M. Weule viennent fournir
des points de comparaison fort importants à celles de Miss Werner sur les Wayao-, les
Angoni, les Makonde et les Makua, de R. Sutherland Rattray sur les Angoni, etc.' de
l'Afrique Centrale Britannique.
En se reportant aux cartes, détaillées au point de vue ethnographique, de Miss Werner
et de M. Weule, on verra que les populations énumérées sont éparpillées sur un territoire
immense, et réparties chacune en petits groupes séparés par des groupes d'autres tribus.
Cet enchevêtrement a eu pour effet d'uniformiser tendantiellement la civilisation matérielle,
et de conduire par contre à un renforcement des institutions spéciales sur lesquelles se fonde
le maintien de chacune des sociétés différentes : classes d'âge et sociétés secrètes. Sur ces
deux points, M. Weule nous fournit des renseignements d'un haut intérêt, d'autant plus
précieux que les phases de plusieurs cérémonies ont pu être photographiées par lui. On
remarquera combien les deux livres de M. >A'eule sont pleins de faits utiles, et dénués du
fatras auquel nous ont accoutumé les amateurs. L'explorateur savait ce qu'il avait à
observer ; il pouvait, grâce à ses connaissances de spécialiste, discerner ce qu'il voyait de
nouveau de ce que d'autres avaient vu, et dit, avant lui.
A ce point de vue, le récit détaillé de son voyage est fort intéressant. Ecrit avec bonne
humeur, jovialité même, il donne, par une superposition de petites remarques précises,
une impression très nette de la complexité réelle de la psyché nègi*e. M. Weule a gagné la
confiance des gens, non seulement par ses appareils jugés magiques, et qui pourtant ne
faisaient aucun mal, mais en leur prêtant des albums pour y dessiner à leur aise. En ce
* Wissenschaftliche Ergebnisse meiner Ethnographischen Forschungsreise in den Südosten
I>eutsch'OstafHhas, Mitteil, aus den D. Schutzgebieten, Ergänzurgsbeft n« 1, Berlin, E. S.
Mittler und Sohn, 1908, 4?, 150 pages, 63 pl., 1 carte ; 3 marks.
— NegerUben in Ostafrika, Ergebnisse einer ethnologischen Forschungsreise, Leipzig. F. A.
Brockbaus, 1908, 8<^, 524 pages, 196 fig. dont 4 pi. en couleurs, 1 carte ; 10 marks. Les clichés qui
accompagnent le présent article ont été mis gracieusement à notre disposition par la maison
Brockhaus.
* MIps A. Werner, The Natives of British Central Africa, Londres, Constable, 1906, 6 sh.
' R. S. Rattiay, Some folk-lore, stories and songs in chinyanja (aTec notes importantes,
d'ordre descriptif et compMratif), in 18, Londres, Soc. Prom. Chr. Knowl., 1907.
p. 518.]
R
E
E
[1908.
moment, en Allemagne, le dessin des enfants et des « primitifs » est étonnamment à la mode.
M. Verworn, M. Vierkandt et bien d'autres en ont fait leur étude préférée; et Ton me dit
que l'historien Karl Lamprecht, converti depuis peu d'années à l'ethnographie et à la
méthode comparative dans toute son étendue, a réuni une collection proprement énorme de
dessins de cet ordre. M. Weule en a rapporté de pleins albums, où Ton trouve de tout, entre
autres la carte ci-joint (fig. 31), qui constitue une importante contribution à l'étude, commen-
I
Fig. 31.
Carte de la grande voie des caravanes, avec ses embranchements de Dar-es-Salam (1)
à Ujiji sur le Tanganika (14) et Muanza sur le Victoria-Nyanza (15).
cée depuis peu, des débuts de la cartographie (Océaniens, Youkaghires, Esquimaux, etc.). Le
récit du voyage est abondamment illustré de tels desseins, et l'on remarquera que 1«
portraits sont assez rares, au lieu que les scènes de la vie quotidienne, et surtout celles qui
rappellent à l'artiste un moment de son existence, sont le genre préféré de beaucoup. Quel-
ques-unes de ces scènes sont très compliquées et le procédé pour l'indication des plans est
exactement celui de nos enfants. On rattache les diverses scènes les unes aux autres par des
lignes plus ou moins ondulées, de manière à indiquer, comme par un fil d'Ariane, la voie
qu'il faut suivre pour passer de l'un des éléments du dessin aux suivants.
La civilisation matérielle des populations traversées a été étudiée dans le plus grand
Fig. 32.
Serrure des Makonde.
détail, décrite et dessinée avec soin. Il est vraiment curieux de rencontrer chez les Yao,
Makonde et Makua toute une série d'instruments qui se retrouvent sans doute aussi ailleurs,
mais non pas ensemble, sinon en Europe : le diabolo, le téléphone des enfants, le <« cri de la
1908.]
COMMUNICATIONS
[P* 519.
belle-mère » ; celui-eii joue dans les cérémonies d'initiation le rôle du rhombe d'autres
populations. Je citerai aussi le mode intéressant de fermeture, reproduit ci-contre, des
Fig. 33.
La serrure est placée en dedans de la porte.
Makonde (tig. 32 et 33), et le réalisme des masques makonde (flg. 34) utilisés pendant les
cérémonies de l'iniiiation; on les comparera utilement aux scarillcations sur le vivant
(cf. Wiss. Erg., pl.'l et Negerleben, passim) (flg. 35) et sur les statuettes en bois (Wiss.
Erg,, pi. XXII). Peut-être ces scarifications ont-elles été autrefois un signe tribal : mais
elles ne le sont pas de nos jours, pas plus par exemple que dans l'Afrique occidentale
française (p. ex. en Côte d^Ivoire).
Fig. 34.
Masques Makonde.
L'étude comparée des cérémonies d'initiation exigerait de longs développements :
comme j'espère l'avoir démontré dans mes Rites de Passage (sous presse) elles n'ont aucun
rapport essentiel avec la puberté physiologique, mais marquent seulement ce que j'ai appelé
la « puberté sociale ». Ceci par exemple est très net pour les Yao, où les cérémonies d'initia*
tien des tilles commencent vers les 7^-9* années pour ne se terminer qu'après la naissance du
^ Sur la répartition mondiale de cet instrument, cf. H. Balfour, The friction-^rum, Joum.
Anthrop. lost., t. XXXVII (1907) p. 67 — 92 et pi., qui l'a retrouvé en Afrique : chez les Barotse,
dan» l'Angola, au Congo, chez les Wanika, ches les Ashanti et en Egypte ; l'obserTation de
M. Weule a donc son importance.
p. 520.]
R • E
E
[1908.
premier enfant, les étapes étant au nombre de quatre : l^ instruction sexuelle ; 2» fête de la
première menstruation ; 3<» la premiéra grossesse ; 4° accouchement du premier enfant et
soins à lui donner.
Fig. 35.
Femme Makonde, avec scarifications ornementales.
Enfin dans son récit de voyage, M. Weuie a relevé toutes les traces qu'il a pu d'influences
étrangères, comme en témoigne entre autres une porte, ornée d'un swastika. C'est donc
bien, comme l'indique le titre, un tableau à tous les points de vue de La Vie Nègre
dans l'Afrique Orientale que nous donne M. Weule, tableau précis et coloré, et très bien
présenté.
1908.] ANALYSES. [P. 621.
ANALYSES.
D' Abnold WadiiBB, Die Verbrechensbewegung im östlichen Europa. I. Band. Die
Kriminalität der BàtkanVmder. Ein Beitrag zur internationalen Verbrechens-
Jcunde und zur Methode der Kriminalstaiistik. Mit 107 Tabellen und 12 Dia-
grammen. München, 1908. Hans Sachs-Verlag (Otto Schmidt-Bertsch), in-8^,
265 pages.
Gomme on le voit par le simple énoncé complet du titre, ce livre dédié au
statisticien Georg Yon Mayr de l'université de Munich est avant tout une contribu-
tion à Tétude de la statistique criminelle. Son intérêt se manifeste donc plutôt dans
Tappareil des matériaux rassemblés et mis en œuvre que dans les résultats d'en-
semble susceptibles d'être dégagés de ces données mêmes de la statistique sur le
problème de la criminalité en général. Le choix des Balkans où M. Wadler a fait
un séjour important — ai-je besoin de Taj outer — lui a paru utile à la méthodolo-
gie de cette branche de la science du droit pénal en raison de la variété du pays, au
point de vue national, social et confessionnel. L'auteur a voulu cependant que son
<Bavre fut moins didactique que descriptive. Au reste voici la table des matières de
ce livre. Sources. I) Les éléments objectifs de la criminalité. A) L'administration
de la justice. 1) Le droit pénal. Ses particularités. La peine de mort. 2) Délinquants
arrêtés et non arrêtés. 3) Condamnation et acquittement. B) Caractère de la crimi-
nalité. 4) Les genres de crimes. 5) Récidive et complicité. C) Rapports généraux.
6) Prix des vivres et criminalité. 7) Crises économiques et crises de la criminalité.
8) Influence de la saison. Epoque de la criminalité. II) Les éléments subjectifs de
la criminalité. A) Les facteurs biologiques. 9) Le sexe. 10) L'âge. 11) La race.
B) Les facteurs sociaux. 12) L'état civil. 13) La profession. 14) Le lieu d'origine.
(La ville et la campagne). 15) La situation de fortune. 16) L'instruction. 17) La
confession religieuse.
Au point de vue des sources W. explique que son information est de première
main puisqu'il a puisé le plus souvent à toutes les statistiques officielles : là où il
n'a pu en trouver il s'est efforcé d'y suppléer par voie d'analogie. C'est la Grèce qui
possède les statistiques les plus anciennes (elles datent de 1857). W. a utilisé toutes
celles qui vont de 1890 à 1902, mais leur valeur en serait à son avis bien énigma-
tique attendu qu'il n'y est rien dit sur la nature des crimes commis.
La Roumanie a également une statistique très ancienne (1864) : il en a étudié
la période s'étendant des années 1864 à 1899. Le défaut principal de cette statistique
serait de ne se fonder que sur le nombre des accusés et non sur celui des condam-
nés ; les conditions du status personnel n'y sont pas suffisamment notées ; elle
»^attache surtout à la race et comporte de ce chef des rubriques très détaillées sauf
en ce qui concerne la profession mais le degré d'instruction est pris en considéra-
tion. C'est la Serbie qui a la meilleure statistique : on y tient compte de la profes-
sion des condamnés. Par contre on regrette qu'il n'y ait pas une grande concordance
entre la statistique démographique et la statistique criminelle.
La Bulgarie n'a point encore publié de statistiques ainsi que la Turquie et le
Monténégro. — Comme législation, pas de droit pénal autochtone dans ces pays sauf
p. 522.] • R • E • E • S • [1908.
au Monténégro où le droit antique repose en grande partie sur le droit coutumier ;
partout ailleurs c^est le code pénal français qui a servi de modèle. En outre la loi
prussienne de 1861 et le droit bavarois de 1813 sont en vigueur en Grèce. Ces codée
ont été complétés par des novelles les adaptant aux pays, notamment en ce qui
concerne la peine de mort supprimée par la Grèce et la Roumanie dont les gouver-
nements avaient suivi les premiers le mouvement abolitionniste. Cependant la peine
capitale réintroduite en Grèce depuis est fréquemment appliquée au Monténégro et
en Serbie.
Il y a peu de temps d^ailleurs, elle pouvait être prononcée en cas de crime
contre la propriété alors que Ton constatait en même temps un excès de douceur k
regard des bandits (heiducs). W. fait ressortir à ce propos sur cette question du
brigandage dans les Balkans Timpuissance des autorités et Timpéritie de la police.
En outre en Serbie règne encore le principe de l'inquisition. Il faut tenir compte
aussi que la compétence de la Cour d'assises est très limitée. — Ces constatations
conduisent Tauteur à quelques développements intéressants consacrés aux délin-
quants arrêtés et non arrêtés. Il donne sur ce point sa plus complète adhésion à
cette proposition formulée par Quetelet : « Tout ce que nous possédons sur la
statistique des crimes et des délits ne pourrait être d'aucune utilité, si Ton n'ad*
mettait pas tacitement qu'il existe un rapport à peu près invariable entre les délits
commis et jugés, et la somme totale inconnue des délits commis ».^ Or Ton ne peut
négliger absolument ces derniers ; il est utile de s'en occuper, ne serait-ce que pour
critiquer la police criminelle. Ceux de la Serbie permettent quelque documentation
à ce sujet. La statistique des délinquants saisis révèle que le pourcentage des indi-
vidus arrêtés s'est sensiblement accru et a même doublé bien que n'atteignant pas
encore le 25 ®/o. W. émet — ce qu'il déclare lui-même un paradoxe — cette opinion
que plus il y a de crimes commis moins l'on arrête de délinquants. La raison en est
dans la criminalité des bandits. Autrefois ces bandits passaient pour des héros ; on
n'aurait su les offenser plus gravement en les traitant de voleurs ou de Don Juan
(l'original porte ce mot plus expressif « Frauenschänder »). Un véritable beiduc ne
frappera jamais un homme qui ne lui fait point de mal. Respectueux envers les
femmes, il Test également envers les enfants et les vieillards, etc. (p. 20). De plus en
plus cependant il perd cette auréole auprès du peuple et on finit par le traiter en
conséquence. Le brigand des Balkans donne à la statistique une physionomie
spéciale : c'est avant tout un incendiaire et un meurtrier. La Serbie tient la tète
dans cette statistique des incendiaires. L'auteur remarque en passant que l'Alle-
magne dont la population est plus de vingt cinq fois supérieure à celle de ce pays
aurait à peu près le même nombre de criminels de ce genre. En revanche la Bosnie
et l'Herzégovine ont été presque complètement débarrassées des incendiaires grâce
à l'énergie du gouvernement austro-hongrois. En Croatie cette classe de délinquants^
est encore très importante bien qu'inférieure toutefois à celle de la Serbie. Au
point de vue des meurtres, si sur la carte de la statistique la Sicile figure au premier
rang avec le chiffre de 30 sur 100000 habitants, la Serbie vient immédiatement en
second lieu avec 19 et c'est encore le cas d'observer que l'Allemagne passe bien
après la Serbie et peut-être aussi la Roumanie. Plus exactement l'assassinat a
diminué, mais le meurtre proprement dit a augmenté. On signale il est vrai dans
certains pays des Balkans une diminution marquée dans le nombre de personnes
^ Physique sociale ou essai sur le développement des facultés de Vhomme^ Bruxelles et PsTÎh
1869, tope S, p. 251.
1908.] ANALYSES. [P« 523.
•condamnées pour meurtre mais cette diminutien se justifierait aisément diaprés W.
par la supériorité de Torganisation des brigands, constitués en redoutables associa-
tions criminelles, sur celle de la police. En somme et comme conclusion de tout ceci :
Le brigandage, que la population excuse d^ailleurs trop facilement en ce sens qu'elle
y est peut-être un peu portée, n'est pas actuellement sur le point de disparaître des
pays balkanais. Il faut croire que la valeur de la vie humaine n^ est pas encore suffi-
samment appréciée. — L'auteur arrive alors au chapitre condamnation et acquitte-
ment. La statistique que fournit la Serbie lui permet de constater que plus de la
moitié des accusés ont été acquittés de 1881 à 1905 : il explique ces acquittements
en partie par Tinsuffisance des preuves apportées devant la justice. W. indique par
parenthèses que toute population ne réagit pas de la même manière sur les mêmes
crimes, ce qui rend difficile et presque impossible les comparaisons internationales
{p. 30). Etudiant ensuite le caractère de la criminalité et les différentes catégories
de crimes, W. critique aussitôt la division classique en crimes contre la chose
publique, crimes contre la vie des personnes, crimes contre la propriété et crimes
de fonctionnaires. Ce qui intéresse les statisticiens, ce sont surtout les mobiles du
crime ainsi que Timportance du dommage causé. Cependant la statistique est tou-
jours guidée par la vieille classification. En Serbie, si Ton prend la moyenne des
années 1888-1905, on a tout d'abord une majorité de crimes contre la propriété,
puis des crime contre la vie des personnes, en troisième lieu de crimes contre la
chose publique ; les crimes commis par les fonctionnaires occupent le tout dernier
rang. Mais en réalité la prédominance des crimes contre la propriété ne date que
depuis fort peu de temps. La sévérité du juge serbe se manifeste non seulement par
sa disposition plus grande à condamner mais aussi et surtout par Timportance de
la peine prononcée. W. tient encore à observer que Tapplicatioo de la peine est
elle aussi un facteur de la criminalité qui avec les autres est sujet à la loi de
révolution (p. 42), Il faut d'ailleurs noter précisément dans ce sens que cette sévé-
rité s'est déjà singulièrement mitigée.
La peine de mort qui pouvait autrefois être prononcée en cas de crimes contre
ia propriété, comme on Ta indiqué au début, ne l'est plus depuis 1892. Là encore
^ vérifierait Texactitude du mot de Iheriog « L'histoire de la peine est une aboli-
tion constante ». Le délit le plus commun est le délit forestier. Un décret de 1884
prescrivant Tinscription au cadastre des propriétés foncières n'a fait qu'accroître
rincertitude déjà régnante : pour ne pas inscrire moins, les gens ont fait inscrire
davantage. D'un autre côté beaucoup de forêts étaient biens communs et la popula-
tion ne pouvait pas s'accommoder de la loi. Ce qu'il faut encore une fois retenir, c'est
l'importance du banditisme et du brigandage qui a atteint en moyenne 3,64 ^/o et
même certaines années 5 % ; l'escroquerie et l'abus de confiance sont choses rares
dans ces pays où le commerce et l'industrie ne sont pas encore très développés. Très
peu de crimes ou de délits touchant à l'honneur, non que la population balkanaise
réagisse moins que toute autre population contre les injures ou diffamations, mais
elle le fait autrement (on sait comme).
L'élément de la justice privée joue ici un grand rôle qui doit évidemment contri-
buer au chiffre important des actes de violence délictueux. Les attentats aux mœurs
sont peu nombreux. Peu de crimes politiques également, mais par contre les abus de
pouvoir de la part des fonctionnaires vont en augmentant chaque jour davantage. En
Roumanie de même qu'en Serbie l'auteur relève la supériorité numérique des meur-
tres sur les délits de coups et blessures graves. En Grèce la catégorie, crimes contre
là propriété n'est pas la moins importante. Avant 1904 la statistique donnait pour les
p. 524.] • R * E ^ E * ^ • [1908.
Tols le chiffre de 47,26 %, soit presque la moitié des crimes ; l'escroquerie et Tabus
de coufiance y tenaient avec les toIs une place sérieuse. Dans la période de 1900 à
1904 on constate un ralentissement notable dans la marche de la criminalité : d^une
part, aucune condamnation n'a été prononcée pour révolte et sédition, d'autre part
le chiffre des délinquants en matière de crimes contre la propriété est tombé de
2357 à 573. Les cas de brigandage ne sont guère quHsolés et les incendiaires
deviennent plus rares, mais malheureusement le nombre de crimes avec effusion de
sang s'accroit toujours d'une manière continue. Plus spécialement, si Tassassinat
proprement dit a diminué, les meurtres simples ont augmenté. Le nombre considé*
rable de meurtriers, c'est-à-dire de délinquants qui agissent sous Tcmpire delà
passion plutôt qu'avec préméditation explique le chiffre insignifiant des récidivistes
de cette catégorie (meurtres : 13,8, tentatives de meurtre : 6,3, coups mortels : 10,1,
coups et blessures : 3,1, alors que pour les crimes contre la sûreté de TËtat on a
27 "/o, 50 7o pour les crimes ou délits de lèse majesté et 46 ^jo pour les délits de
presse).
W. consacre ensuite un long chapitre à la question du prix des vivres et de la cri-
minalité. Les prix du blé n'entrent en ligne de compte dans la question concernant
les causes de la criminalité qu'en tant qu'ils sont un symptôme de la situation écono-
mique, p. 69. G. von Mayr avait déjà prouvé, par l'exemple de la Bavière, que le
nombre des vols dépendait en raison directe du prix du blé. W. adopte cette manière
de voir et fait en outre remarquer que cette dépendance se manifeste encore mieux
dans un pays agricole que dans un pays industriel. Cependant avant de se servir de
la statistique, il faut se pénétrer de cette idée que la répercussion des conditions
économiques sur la criminalité n'est ni mécanique ni immédiate. Et il rappelle à
cet égard la formule de Joseph van Kan (Les causes économiques de la criminaliiéj.
Paris — Lyon, 1903, p. 10) : « Le fameux parallélisme que nous allons tant de fois
rencontrer dans le courant de notre exposé, réduit à sa réelle signification, exprime
donc plutôt une concordance entre le mouvement de la criminalité contre les pro-
priétés et le mouvement de la situation économique que la dépendance causale de
ces phénomènes considérés en eux-mêmes ». Dans une étude rapide sur les crises
économiques et les crises de la criminalité, W. montre que l'accroissement de la cri-
minalité serbe en 1895 peut facilement se ramener à la crise économique qui avait
lieu cette année là dans le pays. Mais c'est surtout à propos du brigandage et du
vol que ce parallélisme est le plus appréciable. La criminalité des femmes et des
enfants en ces temps de troubles devient plus importante, notamment en ce qui
concerne les délits contre la propriété. — Sur Tinfluence de la saison et sur l'époque
où se commettent les différents crimes, W. ne dit rien de bien particulièrement
intéressant. Il estime que le matériel de la statistique est trop pauvre pour per-
mettre d'établir avec précision et netteté ce çae l'oua très pittoresqnement appelé
un calendrier criminel. L'influence de la saison n'est pas aussi certaine qu'on
pourrait se l'imaginer. On peut dire, il est vrai, que les crimes contre la personne
sont plus nombreux en été qu'en hiver, alors que ce serait l'inverse pour les crimes
contre la propriété. W., assez sceptique sur ce sujet, se borne à montrer par la statis-
tique de la Serbie, que le maximum de crimes se produit en janvier, puis viennent les
mois d'octobre, décembre, février ; les délits forestiers sont plus fréquents en hiver.
Les incendiaires préfèrent généralement l'hiver. Cela n'a rien qui puisse nous
étonner. Il faut également tenir compte des conditions météorologiques. C'est sur-*
tout pendant la nuit que les incendiaires font leur coup. Nous nous en doutions bien
un peu. On peut dire que les observations qui suivent dans les différents para-
1908.] ' ANALYSES. [P. 525,
-graphes sont presque à l^avenant. Sofia cela tient à la nature du sujet et puis en
•ces matières plus spécialement ne découvrons-nous pas tous les jours T Amérique?
— Des éléments objectifs, Tauteur passe aux éléments subjectifs et il en vient d'abord
au sexe. En thèse générale les délinquants féminins sont moins nombreux que les
délinquants masculins. Les pays balkanais présentent Tun des exemples les plus
"topiques à Tappui. Ainsi. en Serbie la proportion des femmes varie entre 3,71 et
-6,25 %. — La paysanne est moins criminelle que la citadine : les crimes commis
par les femmes sont plutôt des crimes contre la personne (infanticides, assassinats)
•que contre la propriété. Le minimum des condamnations prononcées en Europe
contre les femmes est atteint dans les Balkans : vient immédiatement après la
Russie. Il faut en chercher assurément les causes dans la condition sociale faite à
la femme ainsi que dans l'état de civilisation de cette contrée. Le sexe féminin y
-est encore en tutelle perpétuelle ; sa personnalité et sa capacité juridique y sont à
peu près nulles. L'activité criminelle très restreinte que la femme peut déployer cor-
respond à une activité économique et productrice non moins restreinte. En passant
4klors à l'âge, on relève que la période de 22 à 30 ans fournit le plus de recrues à l'armée
du crime. C'est qu'à cet âge on est appelé à devenir indépendant et responsable :
il s'agit de fonder une famille, ou de créer une entreprise commerciale, les pre-
mières difficultés inévitables, la misère même quelquefois peuvent en résulter.
Puis vient la période de 16 à 21 ans ; au delà de 30 ans la criminalité décroit.
A noter plus particulièrement quant aux femmes que ce sont les délits contre les
personnes qui sont ordinairement commis par le groupe le plus jeune ; en Bulgarie
par exemple c'est la période de 18 à 21 ans qui parait la plus importante à cet
•égard. — Après une incursion dans l'étude de la race qui permet à l'auteur de
montrer combien les statistiques sont difficiles à établir en raison de l'hétérogénéité
i3i complète de la population, W. consacre les dernières pages de son livre à ce qu'il
désigne sous le terme de facteurs sociaux (état-civil — profession — lieu et domi-
cile — la ville et la campagne — la fortune, l'instruction, les différentes confessions
religieuses). Voici quelques unes de ses propositions les plus iotéressantes. Les
personnes mariées prennent aux crimes une part plus considérable qu'on pourrait
le croire, mais plutôt aux crimes contre la sûreté de l'Etat que contre la propriété.
— Les femmes veuves ou divorcées fournissent un contingent de 3 à 4 fois supérieur
à celui des hommes de la même coodition civile. — Les mariages précoces assez
courants expliquent le chiffre peu élevé des attentats aux mœurs. — Les habitants
des agglomérations rurales prennent une part prépondérante aux crimes contre la
propriété, en particulier aux délits forestiers ainsi qu'aux crimes d'incendie volon-
^ire. Les paysans propriétaires ne sont pas moins criminels que les paysans
ouvriers — ils l'étaient sans doute autrefois davantage mais actuellement un
-certain état d'équilibre s'est établi entre les uns et les autres. — L'institution de la
propriété collective (Zadruga) n'a pas une influence très notable sur la criminalité.
— Dans la classe commerçante ce sont les crimes contre les personnes qui sont les
plus nombreux alors que la classe industrielle se rapproche par contre de la classe'
agricole. — La part de la femme est encore relativement importante dans la classe
agricole, elle l'est beaucoup moins dans les deux autres classes. — Les infractions
•commises à la ville ne sont pas aussi graves que celles qui sont commises à la cam-
pagne. Cependant le meurtre prémédité est plus fréquent à la ville qu'à la cam-
pagne. Le nombre des délinquants riches a baissé de moitié — celui de la classe
moyenne est plus grand tandis que le nombre des pauvres est également bien tombé
{après avoir atteint son maximum durant l'année de crise agricole et politique de
p. 526.] • R • E • E * S > [1908.
1895). Au point de vue de rinstruction il y avait encore en Serbie 83 ^U d'illettré»
on 1890, en 1900 leur nombre était de 78 «"/o.
En Roumanie c'est encore bien pire. On a pu constater naturellement que la
part des couches illettrées monte d'une manière générale en raison directe de la
gravité des crimes. Les chiffres les plus élevés de Thomicide, remarquait notre auteur
(p. 50) en s'appropriant une proposition de Téconomiste Bouger {CriminàlUé ä
conditions écono^niqueSf Amsterdam, 1905, p. 686), se trouvent là où se trouve
aussi le plus grand chiffre des analphabètes.
Le rapport entre les diverses confessions religieuses et la criminalité n'est pas-
très net : W, se défend encore ici de toute conclusion d'ensemble tant soit peu
formelle. 11 est aussi erroné, dit-il, de faire ressortir d'une participation quelconque
à la criminalité, l'action plus ou moins moralisatrice de la foi que de vouloir établir
en s'appuyant sur des résultats fournis par la statistique la criminalité spécifique
plus ou moins grande des non croyants et des croyants.
Ces conclusions partielles dans tel chapitre, ces ébauches de conclusion dans
tel autre, cette absence de conclusion par ailleurs ne découragent cependant pas
notre auteur qui restera vraisemblablement fidèle à la même méthode dans le
volume qui doit suivre et qui sera relatif à la Russie, En attendant et avant de
prendre congé du lecteur, à la fin de cette première étude, M. Wadler émet encore
quelques vœux pour l'établissement d'une statistique criminelle plus complète, plus^
méthodique, plus riche en rubriques de toutes sortes sur l'âge, le sexe, la profes-
sion, la situation de fortune, etc. 11 voudrait aussi qu'on réservât à la statistique
une place plus importante dans les programmes de renseignement supérieur.
E. BüBLE.
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 527.
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.
A. Thalhbimbr. Beitrag zur KenntnUs der Pronomina personalia und possessiva der
Sprachen Mikronesiens, Stuttgart, 1908, in-S», 96 p., J. B. Metzlersche Buchhandlung,
2,20 Marks. — Dans ses Sprachliche Verhältnisse Ozeaniens (Mitteil. Anthrop.
Gesellsch. in Wien, t. XXIX, p. 255), le père W. Schmidt avait posé la question suivante :
les langues mélanésiennes possèdent, entre autres particularités, un suffixe pronominal
spécial à certains substantifs, un duel et un trial pronominaux ; ces pronoms existent-ils
Clement dans les langues de la Micronésie ? M. T. vient d'y répondre dans le travail
précité. Los langues de la Micronésie étudiées sont au nombre de quatorze : langues des
îles Oilbei-t, Marshall ; de Kusaie, Ponape, Ruk, Mortlock, Satawal, Uleai, Uluthi (île
Mackenzie) et Yap de Tarchipel des Carolines ; des îles Pelaü, Merir (Tobi), Bunay
(St David, Mapia) et Chamorro des Mariannes. La conclusion très netteet jusUdéeen
tous points de M. T. se résume en ceci : les langues de la Micronésie étudiées se divisent
en deux groupes :
I. Langues des îles Gilbert, Marshall, de Kusaie, Ponape, Ruk, Mortlock, SatavaU
Uleai, Uluthi, Yap, Merir et Bunay qui sont caractérisées par 1» division des substantifs
en deux classes dont Pune emploie le suffixe possessif, l'autre n'en fait pas usage ;
2^ absence d'une forme nominale passive ; 3<> absence de trial en fonction de pronom
pluriel.
II. Langues des îles Pelau et de Chamorro des Mariannes qui sont caractérisées, au
contraire, par 1« suffixation du suffixe possessif à tous les substantifs sans exception ;
2» suffixation au verbe de pronoms personnels ; S» forme nominale passive avec suffixe
pronominal. Ces constations permettent de rattacher les langues du premier groupe
aux langues mélanésiennes et celles du second groupe aux langues de l'Indonésie. On
doit savoir gré à M. T. d'avoir apporté un nouvel élément de certitude dans la délicate
question du classement des langues de la Micronésie et la Mélanésie.
Gabriel Ferrand.
R. Paribeni. Il sarcofago dipinto di Raghia Triada, Extrait des Monumenti Antichi^
publiés par VAccademia dei Lincei. in-4°, 86 p., 23 fig., 3 planches en couleur, Rome,
1908. — En rendant compte de l'ouvrage du P. Lagrangé, La Crête Ancienne (cf. REES,
1908, 279), j'ai déjà eu l'occasion de signaler ce curieux sarcophage peint, trouvé par la
mission italienne près du Palais de H.Triada, et dont le P.L. publiait pour la première fois
des croquis malheureusement défectueux. L'intérêt extraordinaire que présente ce monu-
ment contemporain, semble-til, d'Aménophis III (Bas Minoen II) a amené M. Halbherr,
le directeur des fouilles italiennes, à n'en pas différer davantage la publication attendue
depuis quatre ans. M. Paiibeni, à qui il en a confié le soin, s'en est acquitté à merveille.
En renvoyant pour l'analyse détaillée de son remarquable mémoire à la notice que j'ai
publiée dans le dernier n<> de la Revue archéologique pour accompagner les dessins faits
« d'après ses planches, je rappellerai seulement ici le sujet des quatre panneaux du sarco-
phage, en signalant les questions les plus curieuses qu'ils soulèvent. Les deux petits côtés
présentent chacun un char, l'un traîné par un cheval bleu-noir et par un cheval jaune-
alezan, l'autre par une paire de griffons blanc, jaune et bleu. En plus de leurs vastes
ailes, les griffons portent sur la nuque une arête formé de plumes raides, ce qui les
rapproche plus du griffon de la Chaldée que de celui de l'Egypte. Quant aux chevaux,
ils présentent tous les caractéristiques des chevaux barbes ce qui tend à confirmer la
théorie de Ridgeway sur l'origine libyenne du cheval dans le bassin oriental de la
Méditerranée (cf. REES, 1908, p. 178) ; les chars ont la forme du char hittite dont
Studniczka {Arch, Jahrbuch, 1907) a récemment montré l'entrée dans le ùionde égéen
par Chypre ; le sarcophage nous en fournit une nouvelle étape. La paire de personnages
féminins debout sur chaque char — prêtresse avec les chevaux, déesses avec les griffons ?
— est vêtue de la grande robe qui, laissant nus les seins et les épaules et serrée à la taille,
tombe d'une seule pièce jusqu'aux chevilles ; pour coiffure, cette sorte de turban déjà
connu en Crète. L'une d'elle y porte une plume d'oiseau fixée comme dans une toque
jnodeme ; elle a devant elle un oiseau, qui ressemble fort à l'épervier, attribut d'Horus,
p. 628>] ;_R • E • E • S • [1908.
en tout cas huppé comme le khu — r&me-oiseau — des Egyptiens. On propose, en effet,
d'y reconnaître, dans l'oiseau Tàme du défunt, et, dans le personnage dont la peau blan-
che n'a pas l'éclat que le peintre prête ordinairement aux carnations féminines, le double
de ce mort dont Tenveloppe corporelle se dresse, à la droite d'un des grands côtés, devant
un édicule qui représente sans doute un tombeau et derrière un palmier. Comme cet
arbro même [phoenix daciylifera)^ le motif du mort recevant les offrandes entre le
tombeau et l'arbre funéraire paraît avoir été emprunté à TEgypte. C'est encore à l'Egypte
que ramène la barque que lui présente un premier personnage ; c'est, par contre, le
taui'eau bondissant de Tirynthe que rappellent les deux veaux, figés dans la même
attitude, qu'apportent les deux personnages suivants. A ce premier groupe, fait pendant.
sur la même face, un second groupe en marche vers un grand cratère placé entre deux
troncs de palmier, sortant de bases pyramidales, surmontés d'une hache à quatre
tranchants sur laquelle pose un oiseau sombre, corbeau ou colombe noire comme celles
de Dodone, le tout constituant une bien curieuse association du culte de l'arbre avec
celui du pilier dont il affecte la forme, de celui de la bipenne, instrument de la foudre,
et de celui de l'oiseau, messager sans doute du dieu céleste, étape dans ce groupement
des attributs qui étonne si fort une fois l'anthropomorphisation achevée. Une première
femme verse dans ce cratère un liquide rouge, du sang sans doute, ce qui, d'après une
scholie (ad Odyss,, 1476), permet de donner à ce vase le nom crétois d'amnio>t ; une
autre la suit portant deux urnes coniques connues, comme la précédente, par les dons
des Keftiu sur les tombes de Rekhmara et de Senmut aux extrémités d'une pei*cbe,
les cheveux enveloppés dans une coiffe que surmonte une sorte de couronne ; habillé de
la même façon, mais reconnaissable comme homme par le brun rouge de sa peau et ses
cheveux crépus, un citharède la suit ; la lyre sur laquelle il joue est, peut-être, le premier
exemple de cet instrument qui n'apparaît aussi en Egypte qu'après les conquêtes asiati-
ques de la XVIII« dyn., et, si le nombre de sept que ses cordes y présentent n'est pas
fortuit, il faudra retirer à Terpandre l'honneur d'avoir inventé l'heptacorde.
Sur la face opposée du sarcophage, plus mutilée, les symboles cultuels sont composés
par : un autel portant deux paires de cornes de consécration derrière lequel s'épanouit
cet olivier (olea europea) qui a probablement été importé de Crète en Egypte au temps
d'Aménophis II ; une hampe conique surmontée de la même quadripenne dorée et du
même oiseau noir que sur l'autre face ; un autel bas qui porte une sorte de bassin et au
dessus duquel paraissent suspendus une aiguière qui ressemble aux poteries libyco
berbères et une corbeille à fruits. Plus loin, sur une table de sacrifice, gît le taureau
inmiolé, les pieds ligottés et la gorge ouverte, dont le sang ruisselle dans une urne,
comme dans le rite égyptien. Derrière, un flûtiste joue sur ses tuyaux doubles et de
longueur inégale, suivi par une femme qui semble conduire un chœur dont les deux
premiers couples apparaissent à l'extrémité gauche de la fresque. Ces femmes sont
vêtues de la longue ix>be qu'on a décrite, une grosse écharpe entourant le décolleté pour
tomber sur la jupe dont le bas est occupé par des bandes multicolores qui, selon qu'elles
sont munies ou non de hachures, paraissent des biais ou des volants. Plus curieux est
le costume que porte, sur ce panneau, une femme debout devant l'autel et, dans
l'autre panneau, la femme qui verse le liquide dans le cratère. Le buste ne paraît
protégé que par une chemisette blanche collante dont le bord est marqué par un
ruban bleu ou rose formant ceinture; sous la ceinture descend une pièce d'étoffe
ari-ondie dont le fond blanc est semé de petites virgules rouges ou noires et deiTière
laquelle se détache comme la pointe d'une queue. C'est cette même jupe que portent les
trois hommes qui présentent les ofihindes au mort et le mort lui-même paraît enveloppé
dans une étoffe pareillement vermiculée. Quand on se rappelle que, dans l'Egypte
primitive, Anubis était censé revêtir les morts d'une peau de bête et que c'est en souvenir
de ce vêtement primitif que, dans les cérémonies religieuses, pharaons et prêtres
continuèrent à porter une fourrure de guépard avec appendice caudiforme, il pai'aitra
vraisemblable qu'il en fut de même en Crête et que les morts et les personnages
sacerdotaux — peut-être aussi les amis du mort qui portent chez les Hébreux le sacq,
également peau de bête — aient été revêtus d'une étoffe imitant la toison d'un fauve
moucheté. — Cette question, comme tous les problèmes que soulève le sarcophage de
H. Triada, ne manquera pas de donner lieu à de nombreuses discussions. Aussi
convenait-il de donner ici une idée d'ensemble d'un monument si important pour This^
toire des origines et des relations de la civilisation égéenne. A. J. Rbinach.
1808.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 529«
D' Richard Leonhard. Die paphlagonischen Felsengräber und ihre beziehung zum
griechischen Tempel, Extrait du 84 Jahresber, d. Schles, Ges. f, vaterländische
Kultur, 38 p. in-8», Breslau, 1907. — Après Hirschfeld {Abhandl. d, Berl, Akad., 1885)
et Kaonenberg (Globus, 1895), R. Leonhard a visité les tombes rupestres de la Paphla-
gonie : une antéchambre soutenue par de 1 à 5 colonnes — souvent 2 forment une façade
que surmonte une sorte de fronton — mène à une salle funéraire de niveau généralement
un peu plus élevé que celui de Pantéchambre et que peuvent compléter des salles
latérales ; une sorte de banc détaché au fond de la salle principale sert de lit au mort.
Comme ses prédécesseurs il admet que ces tombes imitent la maison primitive de bois,
telle qu'on la rencontre aujourd'hui non seulement en Paphlagonie mais en Cappadoce
(cf. Verhandl. Berl Anthr, Ges., 1901, 511), en Géorgie (Z. f. Ethn., 1895, 615), en
Arménie [Mitth. Anthr. Ges. Wien, 1892. 140), au Caucase (Globus, 1896, 252). Dans
Tune d'elles, à Karakojunlik, le fronton est orné d'acrotères à 4 ou 5 palmettes et soutenu
par deux colonnes in antis ; sur les 2 m. 80 que mesure la colonne, les 30 à 40 cm. de la
base forment un tore épais, les 50 à 60 cm. du chapiteau sont creusés de part et d'autre
par 5 spirales enroulées en volute, dont l'origine végétale est encore attestée par une
sorte de feuille qui les sépare. L'étude comparative des rudiments des acrotères a amené
M. L. à vérifier Thypothèse émise par Benndorf (Œst. Jahreshefte, 1899), selon laquelle
l'origine de cet ornement serait la nécessité de protéger par un assemblage de tuiles la
jonction des solives du plafond avec celles du fronton ; ces rudiments se retrouvent dans
la maison de bois telle qu'elle existe de la Paphlagonie au Caucase accompagnant le
toit en pente qu'on a supposé originaire de ces régions pluvieuses. Le chapiteau de la
colonne, à son tour, paraît l'embryon du chapiteau ionien dont on sait que les plus
anciens exemplaires apparaissent dans Tlonie asiatique, à Néandreia (v. 650), à Ephèse
(V. 580). On en retrouve les éléments, en Assyrie d'une part (cf. p. e. Layard, Nineveh,
pi. t>6), dans les tombes rupestres de la Phrygie de l'autre (F. v. Keber, Abhandl. d. Bayr.
Akad., 1897). C'est aussi dans ces deux régions que dominent les ornements caractéris-
tiques de la tombe paphlagonienne ; lion luttant avec un héros, divinité entre deux lions
ailés, sphinx à tête humaine, griffons à tète de chien et plumes hérissées sur le cou,
bœuf portant la corne droite à la naissance du nez comme le bison. Or, les monuments
assyriens sont du VII« s., postérieurs à la conquête de la Cappadoce par Sargon (778) qui
mit l'Assyrie en contact direct avec la Phrygie ; les tombes phi7giennes ne sont pas
attribuées par M. L. â l'empire lydien du VI" s., comme le veut Koerte, mais avec Perrot,
Ramsay et Reber, au grand empire Phrygien des VIE« et VII« s. auquel mit fin l'invasion
cimmérienne de 695. Repoussés d'Assyrie et de Lydie, les Thraco-Cimmériens se main-
tiurent dans les hauteurs de Paphlagonie, la population indigène prenant le nom de
Luki ou Leucosyrieiis. Luki, avec le légendaire roi paphlagonien Lykos, doit être rappro-
ché du nom des habitants de la Lycie, la seule r^ion où l'on connaisse également des
tombes monumentales, imitant les maisons à toit formant angle. Luki du N. et du S. de
l'Asie-Mineure, Chaldes d'Arménie, Mosques et Tabals du Pont formeraient ainsi, selon
une hypothèse que M. L. a développée dans son mémoire Die antiken Völkerschaften
des nördlichen Klein-asiens (82 Jahresb. d. Schles. Ges. f. vaterländ. Kultur, 1904 ;
pour les Chaldes, Lehmann-Kaupt vient de tirer de ses explorations en Arménie des
conclusions analogues, dans ses Materialien x. alten Gesch. Armeniens, 1907) un
groupe de peuples de civilisation sinon de race commune, et cette civilisation dont ils
auraient été les propagateurs en Asie-Mineure serait celle de ce monde égéen des
XVm^-XV« s. où la Crète paraît dominer. Ce serait d'elle qu'ils auraient hérité le
mégaron avec prodomos comprenant deux colonnes in antis, la colonne ou la déesse
entre les lions, les lions ailés, griffons et autres êtres fantastiques. C'est dans l'Asie-
■■ Mineure centrale, des montages de la Lycie â travers la Phrygie et la Cappadoce, à celles
de Paphlagonie et de Pont que les Assyriens auraient trouvé, au IX* s., tous ceux de ces
motifs que ne connaissait pas la Babylonie ; en même temps, les premières colonies
éolo-ioniennes des bords de la Mer Noire et de la Mer de Chypre y retrouvaient, dans la
I tombe phrygienne ou paphlagonienne, l'ancienne demeure mycénienne qui devait devenir
I leur temple, la colonne d'où dériverait l'ordre ionique, les êtres fantastiques aux ailes
recoquillées, tout cet héritage égéen enfin dont, en Grèce propre, la brutale invasion
I dorienne les aurait privés en partie. A. J. Reinach.
p. 530.] • R • E • E • S • [1908.
G. ScHWKiNFURTH. Sur la découverte du blé sauvage en Palestine. Tir. à part des Annales
du serv, d. ant égyptiennes, 1907, p. 193-204 et des Berichte der Deutschen Botanischen
Gesellschaft, 1908, p. 309-324. — Peu de questions soDt plus importantes pour Tethno-
gi*aphie que celle de l'origine du blé. Depuis longtemps trois hypothèses sont en
présence : le bassin du Gobi et du Tarym avant l'assèchement qui aurait poussé ses
habitants, les uns vers TËurope, les autres vers la Chine ; le delta mésopotaroien où sa
culture permettrait de distinguer les Suméro-sômites des Indo-européens qui n'auraient
connu d'abord que Torge ; les montagnes du N. de TAsie-Mineure où auraient appris à le
cultiver les Indo-Européens venant des plaines russes ou danubiennes. A ces trois
théories sur i'indigénat du blé manquait pareillement la base d'observations précises et
Hoops en 1905 {Kulturpflanzen, p. 314) ne mentionne que sous toutes réserves l'obser-
vation de Kotschy qui prétendait avoir vu en 1855 du blé sauvage A 4000 p. dans le
Liban. C'est aux dires de ce savant, cependant, que M. A. Aaronsohn, élève de Grignon
et propriétaii*e en Palestine, vient d'apporter une confirmation éclatante. Guidé par les
conseils de G. Schweinfurth et de Pr. KOmicke, il est parvenu à établir scientifiquement
l'existence du blé sauvage en Palestine. Tant dans la plaine de Gilead que dans la vallée
du Jabbok et dans le vallon de Rosch-Pinah (Djaouneh près de Tibériade) que sur les
flancs du Djebel Kanaan, de l'Hermon et du Tabor, àdes hauteurs variant de 100-150 m.
au-dessous du niveau de la mer à 1800-1900 au-dessus, le triticum dicoccum s'est trouvé,
généralement en compagnie de Forge sauvage, hordeum spontaneum qui, plus résistant,
pousse jusqu'à 200 et 300 m. des premiers névés. Comme le ù^ticum parait affectionner
les teiTains rocheux, calcaires jurassiques et dolomitiques et basaltes, sur lesquelles la
couche de terre meuble est mince et sèche, l'hypothèse de l'origine mésopotamienne du
froment semble perdre toute vraisemblance. A. J. R.
Bbrthold Laufer. Historical jottings on Amber in Asia. Extrait des Memoirs of the
American Anthropol. Assoc., in 8*, 28 p., Lancaster, N. S. 1907. — ■ On s'acoorde généra-
lement (cf. Tart. Ambre par Zaborowski dans la Grande Encyclopédie et, du même.
Rev. de VEc. d^Anthrop., 1905, 205) à faire venir des forêts de conifères tertiaires
englouties dans la Baltique — et non de médiocres gisements siciliens — toute l'ambre
que les découvertes archéologiques font connaître en Europe, même dans la Méditerranée
orientale jusqu'en Egypte et en Syrie où on en faisait si grand usage que les documents
chinois du III' s. de notre ère considèrent l'ambre comme un des principaux produits du
Ta Ts'in (Syrie). L'Asie centrale a-t-elle dû tirer l'ambre dont elle se servait des bords
de la Baltique ? M. L. a eu l'idée de consulter les Annales de la Chine dont les auteurs
connaissent l'ambre à l'époque de Pline et en parlent de môme que lui comme de la
résine de certains conifères douée de propriétés merveilleuses surtout quand elle a
englobé un insecte : les abeilles y paraissant souvent, certains la prenaient pour une
sécrétion de cet insecte. Ce hu p^o n'est pas un produit indigène en Chine ; il y arrive
par l'intermédiaire du Yunnan, du Thibet ou du Turkestan. Samarkhand « reçoit l'ambre
jaune du pays des Slaves ; car c'est une résine que leur mer rejette n suivant un auteur
persan du XIII« s. ; c'est de Birmanie que vient l'ambre du Yunnan désignée pour cela
sous le nom de burmite ; enfin le Thibet se fournit dans l'Inde du Nord, surtout au
Kashmir et au Népal. Or, c'est de l'Inde que les Cappadocéens faisaient encore venir leur
ambre au temps de Pline (XXX VU, 11). En était-il déjà de même au temps où le roi d' Assur
donnait à Thoutmès III du lapis-lazuli de Bactriane ? Ou allait-il chercher « le safran qui
attire r> dans « la mer que domine l'étoile polaire » comme un de ses successeurs du IX« s. I
M, L., qui a déjà étudié les relations possibles entre les chariots votifs en forme d'oiseau
de l'âge du bronze européen et ceux de la Chine ( The bird-chariot in China and Europe,
dans Boas Anniversary volume, New-York, 1906) devrait bien approfondir cette
question des routes asiatiques de l'ambre dans l'antiquité qu'il n'a fait qu'effleuiisr dans
le présent mémoire. A. J. R.
Fr. Krause, Die Pueblo-lndianer, eine historisch-ethnographische Studie, 4», 218 pages,
9 pi., 1 carte, 15 fig.. Halle, E. Kanas et Leipzig, W. Engelmann, (Nova Acta Leopoidina,
LXXXVII, 1), 1907, 16 Marks.
H. EiCKHOFF, Die Kultur de^^ Pueblos in Arizona U7id New-Mexico, 8«, 78 pages, 1 carte,
Buschan's Studien und Forschungen, n» 4, -Stuttgart, Strecker et Schi^er, 1908,
3,60 Mks. — L'un et l'autre de ces auteurs témoignent d'un grand zèle ; ils ont avec
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 531.
conscience dépouillé la littératui'e, déjà énorme et qui s'enrichit presque chaque jour,
sur la civilisation si intéressante des Indiens Pueblos. Us ont classé leurs matériaux
suivant le plan que conditionne la sature même des choses : I, le pays et son influence
(hydrographique, orographique, économique, etc.) ; II. le type somatique des Pueblos et
leur place parmi les auti*es groupements amérindiens ; III, la civilisation pueblo préhis-
torique et historique, les traces d'influence espagnole. M. Krause a cherché en outre
à déterminer les ressemblances de la civilisation pueblo avec les types de civilisa-
tion environnants. Voici donc trois monographies, en 1908, avec celle de M. Fynn,
(cf. REES 1908, p. 170) sur ces Amérindien«. Il est remarquable qu'aucun de ces trois
auteurs ne soit arrivé à des résultats tant soit peu certains d'un point de vue théorique.
Le refrain terminal : il faut de nouvelles enquêtes, et plus approfondies, sur tels ou tels
points de détail.
Les auteurs ont fait preuve d'une belle ténacité dans leur poursuite du document ; et
quiconque s'est occupé des Pueblos sait par expérience que les matériaux tant icono-
graphiques qu'imprimés sont en grand nombre, et d'un accès difficile à cause de leur
éparpillement. Cependant des monographies n'ont point une valeur en soi, mais seule-
ment par rapport à la synthèse qu'elles ont pour mission de préparer. Et en ce sens,
les trois volumes dont il s'agit sont hybrides ; ils sont trop développés et trop techni-
ques pour intéresser le grand public ; ils sont trop courts et traitent des faits trop
superficiellement pour renseigner à fond les théoriciens sur la poterie ou les habitations,
les rites ou les croyances, l'anthropogéographie ou l'économie politique, etc. des
Pueblos.
On considérera en conséquence le livre de M. Eickhoff et celui de M. Krause, en y
adjoignant celui de M. Fynn, comme de bonnes introductions à l'étude des Indiens
Pueblos, sortes de guides pour ne pas se perdre au milieu des matériaux détaillés
publiés par Fewkes, Dorsey, Mindeieff, M">" Stevenson, etc. Et si je puis exprimer un
desideratum, ce serait que ces trois auteurs, également documentés, s'entendent pour
entreprendre des monographies explicatives I« sur le système de classification cosmo-
gonique dans ses rapports avec la localisation des clans et la répartition des activités
économiques, naturelles et surnatui*elles ; 2<> sur le mécanisme des rites, leur séquence
dans les cérémonies, et sur le fonctionnement et la fonction des diverses fraternités ;
3<> sur Fomementation tant rituelle que courante (poteries, étoffes, etc.) chez les Pueblos.
Ce sont là trois problèmes d'une importance théorique considérable, et dont la solution
raisonnée fournirait une base pour l'mtelligence de bien des mécanismes sociaux.
A. V. G.
J. G. Frazer, Le Rameau d'Or^ t. II, trad. R. Stiébel et J. Toutain, 8«, 588 pages, Paris
Schleicher fi'ères, 10 fr. — Nous signalons la publication du 2« vol. de cette traduction
d'un livre devenu classique en peu de temps, et dont les éditions anglaises se succèdent
rapidement. On trouvera ici une étude sur les meurtres rituels et sur les périls et
transmigrations de l'âme. Le plan adopté dans la traduction française diffère de celui
des éditions anglaises, en ce qu'il répond mieux à l'idée qu'on se fait en France d'un
livre, comme d'un tout aux parties systématiquement agencées. A. v. G.
Akira Matsumura, a Gazetteer of Ethnology^ in-16, 495 pages, 6 cartes, Tokyo, The
Marugen-Kabushiki-Kaisha. — C'est une excellente idée qu'a eue M. A. M., secrétaire de
la société anthropologique de Tokyo, de donner une liste des noms de peuples, avec
l'indication de leur habitat. Gomme l'auteur, chaque ethnographe s'est trouvé souvent
dans llmpossibilité de se rappeler aussitôt où vit tel ou tel petit gi*oupement. Un Sys-
teme de renvois permet de se retrouver parmi les différentes orthographes d'un même
ethnique. Toutes les sections ne sont pas également développées. Le nombre des grou-
pes bantous est très insuffisant ; par contre les Océaniens et les populations de l'Asie-
Centrale et Extrême Orientale ont été énumérés très en détail. Le livre en effet, qui
est en texte anglais et japonais, semble davantage destiné à promouvoir au Japon les
études ethnographiques, qui ont trouvé là-bas un terrain d'élection. Le progrès du
Japon sur ce domaine est tout aussi remarquable que dans l'industrie, l'art militaire,
etc. Pour les Etats-Unis, on consultera de préférence le Handbook of American Indians^
publié par le Bureau of American Ethnology de Washington, dont le 1. 1 a paru. En
tout cas, le Gazetteer de M. A. M. est un instrument de travail indispensable aux
ethnographes, qui y trouveront classés 8.000 noms ethniques. A. v. G.
p. 532.] •R*E«E*S* [1908.
Th. Valentine Parker, The Cherokee Indians, in-16, 116 pages, New- York, The Grafton
Pi*ess. — Etude d*après les documents officiels publiés ou inédits, sur la conquête, par les
Etats-Unis, du pays des Gherokies ; on y peut voir, aussi bien que dans le rapport de
Mooney (Cherokee Myths) la politique suivie par les Blancs, d*abord pour repousser,
puis pour détruire, et enfin pour assimiler une nation Amérindienne que Tinvention de
Sequoyah munit de la seule arme défensive sérieuse, l'écritui'e, puis de la presse quoti-
dienne, de Técoie, etc. D'ici quelques années, les Gherokies n'auront plus de tei-ritoire
réservé et seront, par le Gitizenship, incorporés à la population généi*ale des Etats-Unis.
Ils y gagneront, je crois, plus qu'ils n'y perdront : ils seront dans la même situation que
les nombreux Slaves, qui y gardent leur langue et leurs journeaux, et ils sont moins
que les Slaves d'une race à se laisser annihiler définitivement. A. v. O.
Havelock Elus, The Soul of Spain, 2* tir., S«", 420 pages, Londres, Gonstable, 7 sh. 6. —
L'âme de TEspagne ! Quelle difficulté à dégager des multiples formes extérieures, l'âme
d'un peuple comme celui-là. Nul doute, si H. E. y a réussi, c'est que, par ses études de
psychologie sexuelle, il est mieux entraîné à pénétrer les mécanismes intimes et à
discerner par voie inductive rigoureuse, les mobiles secrets dont les danses et les arts,
la littérature et les cathédrales d'Espagne sont les manifestations visibles. L'Espagne
est si origuale, que connaître l'Italie ou la France gène ; le génie n'est plus le môme. On
aime l'Espagne, ou on la hait ; pour qui l'aime, point de meilleur guide que ce livre. R.
Hjalmar Thuren, Folkesangen paa Fœroeeme, P. F. Public. North. Ser. n» 2, 8«, 337 p.,
Copenhague, A. F. Hoest et fils. — Que les îles Féroé soient, au point de vue ethnogra-
phique, une région spécialement intéressante, c'est ce qu'avait déjà vu entre autres
Annandale, qui s'y rendit au retour d'une exploration en Indonésie. Ges îles sont restées
isolées de longs siècles, par suite du monopole commercial que s'étaient attribué les
Danois. Aussi M. H. Th. y a-t-il trouvé des danses et des chants qu'on ne peut rappro-
cher que de ceux du Moyen- Age continental ; il est môme d'avis que les danses féroennes
sont des déformations de la carole, du branle double, etc. des XV«-XVI« siècles français.
L'auteur a étudié très en détail le rythme des ballades féroennes, et a publié un grand
nombre de mélodies (p. 85-140) qu'il a ensuite analysées. Un i*ésumé allemand termine
ce volume, qui fait honneur à la F. F. (Association internationale des Folk-Loristes
avec un comité central Scandinave et finlandais). A. v. G.
SzTMON Matusiak. OUmp polski podiug Dlugosza (L'Olympe polonais, d'après Diugosz).
« Lud n 1908, pp. 19-89. Lwôw. — Un chroniqueur polonais du XV« siècle, Jean Diugosz,
nous a laissé dans le premier livre de son Histoire des renseignements sur la mythologie
des anciens Polonais. Malgré l'importance de ces détails, on ne les a étudiés à fond que
de nos jours, et M. Matusiak en vient d'entreprendre une étude soignée. Voici la liste
des divinités nommées par Diugosz et le sommaire des conclusions de M. Matusiak.
1) Jesza : ce nom devrait être une abréviation de Jarovrit, dieu du printemps, de la
lumière et de la chaleur. G'est du reste le même dieu que Trzyglôw, Radegost, Swaro^yc,
'Swi^towit, Piorun (Prowa) et Dadzbôg. D'après M. Matusiak toutes les nations slaves
vénéraient un seul dieu suprême, qui, selon ses différentes qualités, portait des noms
différents, mais qui était toujours le môme. Ce dieu recevait aussi des épithètes, comme :
Wit, Dziad, Lei, Rod. 2) Lada, dieu de la guerre, non déesse comme on l'afiirraait
souvent. M. Matusiak l'identifie au Polel et au Ksie^yc. 3) Dziedzyîela^ déesse du
mariage et de la fécondité ; elle a dans les sources russes le nom de Ro^anica. 4) Niega,
dieu de l'au-delà. 5) Dziewana, qui repond à 1' Artemis de la Grèce, et à Diane dans
Rome. 6) Marzana, déesse des moissons, ainsi que de l'empire des morts. 7) Pogoda et
8) Zywa : ce sont des dieux, et non des déesses. Pogoda (personnification du beau
temps) est mentionné aussi par le chroniqueur Helmold ; Zywa est le dieu de la vie.
M. Matusiak afilrme, que les notions de Diugosz viennent d'une source beaucoup plus
ancienne et qu'elles possèdent une haute valeur pour notre connaissance de la mythologie
slave. Thadéb Smolenski.
G. L. Gomme. Folk-Lore as an historical science, 8», 371 pages, 28 pi., Londres, Methuen
et Cie (série des Antiquary's Books), 7 sh. 6 d. net. — Le titre de ce livre ne répond pas
exactement au contenu : il ne s'agit pas de savoir si le folk-lore est une science histori-
que, mais bien s'il a une valeur historique, c'est-à-dire s'il permet d'expliquer'^des faits
historiques. Gette question est d'une grande importance ; déjà M. Gomme en avait
1908.] NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [P. 633*
examiné quelques ôléments dans son Ethnology in Folk-Lore ; dans son travail actuel,
il a étendu son enquête d'une part aux mythes et aux contes populaires, de l'autre aux
institutions, et ceci en cherchant aux thèmes des parallèles de fait dans des civilisations
de même développement que celles de la Grande Bretagne ancienne. C'est ainsi que
certains thèmes de Cendrillon, de Jean sans Peur, de Fidèle Jean, etc. ne sont intelligibles
qu'en les comparant à des coutumes encore en vigueur chez les demi-civilisés actuels.
Fort intéressant est le chapitre (p. 123 et suiv.) où M. Gomme montre la méthode suivant
laquelle le folk-lore combine, juxtapose, défoime les matériaux et comment un fait réel,
attesté par des documents historiques, prend une allure légendaire et factice. Malgré
cette déformation, la relation des faits garde sa valeur historique et c'est précisément
le T6\e du foik-loriste armé de la vraie méthode scientitlque de démêler les éléments
ainsi combinés (cf. de bonnes règles de méthode, p. 169-179). Puis M. G. passe à l'étude
des « conditions psychologiques » du folk-lore, où l'on trouvera une mise au point
moderne des théoiies, points de vue et méthodes d'interprétation de Bastian, Tylor,
etc. sur la psychologie des primitifs ; cette section ne donne rien de bien nouveau. Le
chapitre consacré aux « conditions anthropologiques n est intéressant par la tentative
de Fauteur à placer des faits britanniques anciens ou survivant par le folk-lore local dans
les catégories générales délimitées par l'anthropologie au sens anglais, le plus vaste
possible, du mot. Notamment ont été utilisées les monographies récentes (Spencer et
Gillen, Howitt, etc.) sur les Australiens et (Blagdcn et Skeat) sur les tribus de Malacca;
p. 276-296, on trouvera une discussion du « totémisme celtique ». Le chapitie sur les
« conditions sociologiques » et surtout celui sur les - conditions ethnologiques » sont
l'expression en termes généraux de règles d'enquôte et de faits interprétées et mises en
œuvre dans divers travaux de l'auteur. En somme, le livre de M. G. est une importante
contribution à la méthodologie du folk-lore et la lecture en est indispensable à quiconque
désire voir cette discipline sortir de la période de tâtonnements et de simple catalogue
où elle s'est enlisée trop longtemps. — Comme compléments à ce livi*e je citerai mon
article sur la Valeur historique du Folk-Lore, Revue des Idées du 15 août 1908 et un
mémoire de M. R. Lasch, Das Fortleben geschichtlicher Ereignisse in der Tradition
der Naturvölker^ Globus, 1908, 1. 1, p. 287-289, d'où ressortirait que la durée moyenne
de la mémoire collective n'est guère que de 150 ans. A. v. G.
, J. Rrinach. V Egypte Préhistorique, 8o, 54 pages, Paris, Editions de la Revue des Idées
et libr. P Geuthner. — L'ouvrage de M. R. est une étude très solide et très documentée
de cette civilisation préégyptienne qui a fleuri dans la vallée du Nil à la fin de période
néolithique jusqu'au moment de l'apparition des premières dynasties. L'auteur passe
successivement en revue toutes les données que. les nécropoles de cette époque nous
fournissent sur les pratiques funéraires des Egyptiens préhistoriques, sur leurs idées
religieuses, sur leur « vie sociale et artistique » ; et il arrive à cette conclusion que la
civilisation de l'Egypte préhistorique est au fond très semblable â celle de l'Egypte
classique, et la contient en germe ; que dès lors elle est un produit spontané du sol, et
qu'il est inutile d'invoquer, pour expliquer son développement, une influence qui serait
venue du dehors. ^ Sans aucune intervention sémitique l'Egypte préhistohque se serait
formée d'éléments tout africains »». Elle représenterait la réunion des Libyens de l'ouest
et des tribus moins dolicocéphales venues du Sud.
Il est impossible, dans le cadre restreint d'un compte rendu, de discuter comme il
conviendrait cette théorie qui, si elle n'est pas nouvelle, n'avait du moins jamais été
exposée d'une façon aussi systématique. On peut dire cependant qu'elle est beaucoup
trop absolue. La tombe monumentale des époques dynastiques est tout de même un peu
plus que r « élargissement n de la fosse à murs d'argile : et d'autre part M. R. lui-même
est bien obligé de rappeler les analogies signalées depuis longtemps, à pi'opos des tètes
de massues ou de la faune décorative des palettes, entre l'Egypte et la Chaldée. Il est
vrai qu'il les explique différemment ; mais enfin son explication n'est qu'une hypothèse.
L'auteur a repris pour son compte la théorie de Naville sur les palettes, et celles de
MM. Cecil Torr et Loret sur les représentations préhistoriques de Kôms. La première
a le grand défaut de s'appuyer sur un texte de Quinte Curce : et quant à la seconde, il
nous est impossible de l'admettre, pour des raisons que nous avons développées dans
cette Revue môme. — Mais ces quelques rései'ves n'enlèvent rien ä l'intérêt de l'ouvrage
do M. R. : à beaucoup d'autres mérites, il joint celui de fort bien résumer l'état de la
question, et de poser celle-ci une fois de plus, très nettement. Oh. Boreux.
P* 534.] • R • E • E • S • [1908.
Ci Strehlow, Die Aranda- und LorHja-Stämme in Central-Atutralieny édité par
M. VON Leoniiardi ; 4« t. I, VIII -f 104 pages, 8 pL, 5 tig. ; 15 Mks ; II, X + 84 pages,
1 pi. 7 âg., 10 Mks. Publication du Musée Ethnographique Municipal de Francfort s. M ,
J. Baer et Cie, 1907 et 1908.
M. St. vit comme missionnaire, depuis plusieurs années, dans la iiégion habitée par les
Ai*anda et les Loritja ; la publication des deux volumes de Spencer et Giiien sur les Aus-
traliens Centraux Pa amené à entreprendre des recherches approfondies sur l'organisa-
tion sociale, la mythologie et les cérémonies de ces populations. H a ainsi i^ectiliô ses
prédécesseurs sur un certain nombi*e de points, rectifications que met en lumière M. v.
L., qui dans un 3" volume donnera une exposition systématique des résultats ainsi
acquis. Provisoirement, il a indiqué dans la préface du t. I diverses conclusions, dont
j'ai signalé, dans Man, 1908, Mars, celles qui se rapportent à la lucina sine concubitu
chez los Australiens. Le T. I contient les mythes, légendes et contes des Aranda (Arunta
des Anglais); le t. II, ceux des Loritja (Luritja des Anglais) suivis d'un exposé des
croyances aranda et loritja relatives aux totems et aux tjurunga (churinga des Anglais).
On voit que déjà au point de vue phonétique il y a d'assez graves divergences entre les
notations de Spencer et Gillen et celles de Strehlow et von Leonhardi. Malgré tout, et
bien que linguiste moi-môme, je ne saurais attribuer à ces divergences une importance
très considérable pour nos études : de ce que Spencer et Gillen ont mal entendu des
mots, ou les ont mal rendus, un Anglais n'entendant ni ne rendant pas de la même
manière qu'un Allemand un même son, il ne s'ensuivrait pas que les descriptions ethno-
graphiques et hiérologiques de Spencer et Oillen soient fausses. £n outre, je sais par les
récits d'amis ayant longtemps vécu chez des demi-civilisés, notamment en Afrique, que
la variation est beaucoup plus grande chez eux que chez nos paysans d'Europe» en sorte
qu'étant donné un groupement de 200 individus, par exemple, si on peut les interroger
chacun à loisir, on obtiendra presque 200 systèmes religieux différents. L'amplitude des
variations diffère de peuple à peuple et aussi avec la complexité des évolutions généra-
les antérieui*es. Bref, quand on se heurte à des divergences sur un même point chez
plusieurs observateurs, ii est bon de ne pas oublier le « fait de l'informateur ». J'ajou-
terai que ceci est bien connu des folk-loristes européens, qui dans un même village de
France ou d'Allemagne ont parfois recueilli autant de variantes essentiellement diffé-
rentes d'un même conte qu'ils ont eu de conteui's.
Parmi les divergeances importantes portant sur les croyances je signalerai : I*> les
Arunta ont bien un AU-Father, appelé Aitjira, qui est éternel, non créé, auquel corres-
pond chez les Loritja Tukura ; tous deux ont des jambes d'émou et ainsi s'apparentent
à Baiamie et à Daramulun ; par là ces deux tribus se rattachent bien à celles du Sud
étudiées par Howitt ; 2» ils croient, comme d'autres tribus méridionales, à une Ile des
Morts d'où ils reviennent, parfois pour se réincarner ; 3» il y a lieu de corriger Spencer
et Gillen, et les passages de mes Mythes et Légendes d^ Australie où il est question des
deux doctrines, exotérique et ésotérique ; on ne dit pas aux novices que Tuanjirika (Ar.)
et Maintu (Lor.) sont des croquemitainos pour femmes et enfants ; il faudrait eux aussi
les rapprocher de Daramulun ; A^ comme totems, on ne rencontre pas seulement des
êtres ou objets complets, mais aussi des fragments (split-totems de Fi*azer) comme une
plume d'aigle, la graisse de kangourou ; 5«" chaque individu Aranda ou Loritja appar-
tient à deux groupes totémiques, l'un qui est celui de son « totem personnel j> (ratapa)
et qui dépend de l'endroit où sa mère s'est trouvée enceinte de lui ; l'autre qui est com-
mun à tous les enfants d'une même mère et qu'ils héritent d'elle (alijira) ; 6<» les totems
animaux et végétaux sont au nombre de- 411, dont 312 utilisés comme aliments ; le
nombre total des totems est de 442. Les autres animaux et végétaux non-totems ne
sont pas mangés sauf le pélican et une certaine variété de lézard. Ce fait» i*appi<oché
des légendes, tend bien à prouver la portée économique du totémisme de ces deux
tribus ; pour les cérémonies de multiplication du totem, il faut attendre la publication
• du 3« volume.
Je signalerai enfin les renseignements nouveaux sur les tjurunga. Les mythes et
légendes ont été traduits avec beaucoup de soin, le texte et la traduction mot à mot
étant donnés pour les passages difficiles. £n outre M. v. L. a ajouté beaucoup de notes
explicatives. A tous points de vue il n'y a qu'à féliciter la direction du Musée de Franc-
fort de commencer ses publications par un livre d'une si grande importance descriptive
et théorique. A. van Gennbp.
1908. J NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES. [p, 535.
0. MONSTERBERG. Japanische Kimittgeschichte, t. Ill, gr 8°, 4 + 392 pages, XIII pi., 356 flg.,
0. Westermann. Brunswick, 1908, 28 Mks.
— Japans Kunst, S\ 104 pages, 161 flg , môme éditeur, 4,50 Mks.
Les tras volumes de M. M. sur l'histoire do Tart japonais sont un véritable monument
par la richesse de Tillustration, le soin de l'édition (nombreuses planches en couleurs),
et Tarrangement des matières. L'auteur part de Tépoque préhistorique et arrive à l'art
actuel, dont nous avons une si fausse idée par les articles d'exportation qui encombrent
nos grands magasins. Dans les trois volumes, les matériaux sont rangés suivant les
techniques ; le petit volume, d'un bon marché étonnant étant données les illustrations,
donne une vue systématique par époques. La description verbale a été serrée le plus
possible, et remplacée par la reproduction des pièces typiques. A ce propos je remar-
querai que sauf le directeur du Musée d'art industnel de Hambourg, conservateurs et
collectionneurs sont en général venus au devant des désirs de l'auteur et lui ont com-
muniqué volontiers soit les pièces même, soit des photographies.
Mais exposer l'histoire d'un art ne saurait être une oeuvre purement descriptive : il faut
encore déterminer les tendances auxquelles cet art a obéi, les influences auxquelles il a
été soumis. Et le grand mérite de M. M., c'est précisément de n'avoir pas reculé devant
cette tâche, c'est d'avoir englobé dans les limites de son enquête l'Asie entière et la
Méditerranée orientale protohistorique. Le premier, je crois, il a mis en lumière sous
tous leurs aspects les influences égéo-mycéniennes, et central-asiatiques sur l'art
japonais, par l'intermédiaire de l'art chinois. Ainsi l'on trouvera en ces volumes plus
qu'une histoire de l'art japonais seul, mais un tableau systématique des grands courants
artistiques qui s'étendirent sur l'Asie pendant près de 5000 ans.
Je n'insisterai pas davantage sur ces problèmes, car les lecteurs de la Revue trouveront
dans l'un des prochains N°* un article où M. Münsterberg exposera en détail, avec illus-
trations nombreuses à l'appui, et en utilisant les dernières découvertes (en Chine par
M. Chavannes, dans l'Asie Centrale par MM. Stein, Le Coq, etc.), ses idées sur les
influences européennes dans l'ai^t extrême-oriental.
En déflnitive, l'évolution de l'art au Japon se marque par six époques : 1» préhistorique
et protohistorique,, art Aïno ; influences mycéniennes, etc. ; 2» influence bouddhique
(VI« — IX" siècles ap. J.-C), c'est-à-diro gréco-indo-chinoise ; temples ; fresques ; luxe
de cour ; travail sur métaux et sur étoffes; 3« art féodal (X« — XIII« s.) portraits réalistes ;
début de l'art industriel ; 4° la renaissance (XIV« — XVI* s.) ; influence de la peinture
chinoise ; blanc et noir ; masques ; progrès de l'art industriel ; 5» ail décoratif rococo
(XVII* — XIX* s.); architecture surchargée: décadence de la peinture; symbolisme;
apogée de l'art industriel, surtout des porcelaines, travaux sur métaux, laques et
gravures sur bois, avec tendance à l'impressionisme ; 6^ transformation, sous l'influence
européenne, des traditions ; réalisme qui s'accentue de plus en plus ; formation d'un
style non encore original, et suitout compromis des deux tendances.
De la lectura de l'un et de l'autre volumes de M. M. il se dégage une impression très
nette : il apparaît que les Japonais, qui sont un peuple de métis (Aïno et Mongoloïdes)
possèdent un don étonnant d'assimilation suivie de transformation d'après des voies
propres. En ce sens ils ont de grandes affinités avec les Français. Aux uns et aux autres
il suffit d'un mot, d'un aperçu, d'une impression fugitive pour se frayer des voies propres
et trouver à des sentiments brusquement émergés dans la conscience, le moyen d'ex-
pression le plus précis, le plus souple, le plus compréhensif. £t tout ceci, semble-t-il,
sans effort : un choc leur i*évèle en eux quelque chose d'insoupçonné jusque-là et, avec
une naïveté du premier coup adroite, ils l'expriment sous forme d'art. Ce parallèle se
développerait aisément : je noterai seulement la même tendance à l'élégant, qui devient
ensuite le mièvre, le contourné, le minutieux ; puis la même attitude vitale, qui donne
à la forme, à la mise en scène, une importance considérable, et enfln la recherche du
sentiment rare, de l'impression demi-consciente et tôt évanouie.
Un dernier mérite encore de M. M., c'est de n'être pas aride, d'avoir un style à lui, et
de mettre, dans la critique d'art, son tempérament personnel : car enfin toute critique,
tout livre même, doit être l'expression d'un tempérament. A. van Gbnnbp.
Festschrift den Teilnehmern der XXXIX Allgemeinen Versammlung der Detitschen
Anthropologischen Gesellschaft in Frankfurt alM. getoidmet von der Frankfurter
Anthropologischen Gesellschaft, 4*, 103 pages, XI pl., Francfort, H. Minjon, 6 Mks. —
p. 536.] • R • E • E • S • ^ [1908,
La 3« partie de ce volume très bien édité compi'end des articles de Max Flescli sur les
relations entre l'homme et la femme dans l'évolution de l'espèce humaine ; de G. Popp
sur les marques digitales, dentaires, etc. laissées par des criminels à l'endroit de leur
crime ; de F. Schaeffer Stuckert, sur la valeur anthropologique de l'hygiène dentaux;
de E. Sioli, sur les maladies mentales chez les diverses races ; de H. Vogt sur la signifi-
cation du développement du cerveau pour la marche debout. La section I est consacrée
à la préhistoire ; E. Franck, sur un tombeau hallstatien et un autre de l'époque de La
Tène ; P. Steiner, sur des tombeaux néolithiques de Wetterau ; Ch. L. Thomas, sur la
carte des retranchements protohistoriques dans le Taunus ; R. Welcker, sur un tombeau
de La Tène, près de Praunhein. Enfin la section n comprend deux articles ethnogra-
phiques intéressants, Tun de B. Hagen sur les Sakai et les Orang Laut de nie Banka
(Malaisie) ; l'autre de J. Lelimann sur les divers systèmes de nœuds en Indonésie.
D'ordinaire ces publications faites en l'honneur d'un congrès passent assez inaperçues,
même des spécialistes ; je fais donc appel à nos collaborateurs et à nos lecteurs pour
qu'ils nous tiennent au courant sur ce point, en faisant envoyer ces recueils à la Reoue
ou en nous en communiquant les sommaires. A ce propos je rappelle que lors du congrès
des Orientalistes à Alger, l'Ecole des Lettres a publié un volume qui comprend des
travaux de tout premier ordre sur la linguistique et l'ethnographie de l'Afrique du Nord
(en vente chez E. Leroux, Paris). A. v. G.
W. RiDGEWAY, The Beginning of Iron, communication analysée dans le Report of Meeting
of the British Association for the Advancement of Science, held at Leicester Juillet-
août 1907. (1907-8, p. 644).
On croit d'ordinaire que le fer a été donné à l'humanité par l'Afrique ; sinon par
l'Afrique, au moins par l'Asie. Mais les recherches récentes attestent que l'Egypte ne
travailla pas le fer avant le IX« s., que les Libyens ne l'employaient pas encore vers 450,
que les Sémites ne l'auraient emprunté que tardivement, que l'Ouganda ne le connaît
que depuis cinq ou six siècles ; que la Chine ne le mentionne qu'en 400 av. J.-C. et qu'elle
employait encore des armes de bronze en 100 ap. J.-C. et le Japon en 700. Dès 1896 et
1902, M. R. indiquait l'Europe centrale, particulièrement le Norique, comme centre de
diffusion de la métallurgie du fer. C'est seulement à Hallstatt qu'on voit le fer s'intro-
duire peu à peu, d'abord pour orner le bronze, puis pour former des lames, enfin pour
remplacer partout le bronze ; il en est de même dans les nécropoles transylvaines et
bosniaques d'où M. R. fait descendre Achéens et Dorions en Grèce. Ailleurs, le métal a
toujours apparu per saltum. Ceci n'implique pas qu'il fut inconnu ailleurs : en Egypte,
il est connu de toute antiquité sous sa forme météorique, mais taillé comme du silex,
non pas fondu en vrai métal. — Pour apprécier la théorie de M. R., il faudra en atten-
dre un exposé plus détaillé. Dès maintenant, pourtant, il convient de faii*e toutes réser-
ves eu faveur des Horiens conquérants de l'Egypte et des Philistins, conquérants de la
côte cananéenne (pour ces derniers, comme inventeurs de la métallurgie du fer, voir
W. Belck, Z, fiXr Ethnol., 1906, 946-8 avec les critiques de Bertholet. ihid,\ et de rappe-
ler que d'après M. Maspéro et d'autres savants, l'introduction du fer en Egypte est
due aux « forgerons d'Horus ». A. J.-R.
E. A. Stückelberg. Geschichte der Reliquien in der Schweiz. Zurich 1902, Basel 1908.
2 vol. in-S«» de CXVI-324 p. et VIIM93 p. 43 flg. dans le texte et 3 pl. hors texte, 8 fr. et
10 fr. (Tomes I et V des Publications de la Société suisse des Traditions populaires). —
Cet ouvrage est essentiellement composé d'un i*egeste de 1953 et 1011 notices sur les
reliques de la Suisse classées dans chaque volume par ordre chronologique. Beaucoup
de ces notices sont des copies d'authentiques, les autres sont extraites de mémoires
surtout ecclésiastiques, d'inventaires, de livres de piété ou de théologie avec indication
des sources. L'ensemble constitue un précieux répertoire qui rendra de grands services
à tous ceux qui s'occupent d'hagiographie. Le premier volume contient en outre deux
études d'oi*dre plus général sur Les Sources et Les Reliques et qui se lisent avec beau-
coup d'intérêt. P. Saintyves.
1908.]
PUBLICATIONS NOUVELLES.
[P. 537.
PUBLICATIONS NOUVELLES
reçues aux bureaux de la Revue.
N. W. Thomas, Bibliography of Anthropology
and Folk-lore, 1907, containing works pu-
blished toithin the British Empire^ Roy. An-
throp. Inst, et Folk-Lore Soc, Nu(t, 8° 74 p.,
Z sh. [3* année de cette excellente bibliogra-
phie, indispensable à tout ethnographe et d'un
maniement très commode grâce aux divers in-
dex ; le contenu des œuvres est indiqué som-
mairement, avec la page de la citation].
R. Zellbr, Jahresbericht über die ethnogra-
phische Sammlung in Bern^ pour 1905, 1906,
1907, 3 fàsc, 8° [à signaler, dans le fasc. pour
1907, une ôtude, avec planche, sur les batiks
indonésiens du musée de Berne].
W. PoY, Jahresbericht des Vereins 2ur Förde-
rung des städtischen Haut ens trauch-Joest
Museums/ür Völkerkunde in Coin, MV (1904-
1707), 8«, 63 p., ill.
Salomon Rbinach, Album des moulages et mo-
dèles en vente au Musée des Antiquités natio-
nales à Saint-Germain-enLaye^ r. I. Ages de
la Pierre ; Epoques celtiques, avec 28 pi. en
phototypie et 11 figures dans le texte, gr. 8°. 48
p. de texte explicatif. Paris, Eggimann, 106 B**
S* Germain, 3 frs. [Excellent manuel, grâce
aux références en note, où sont déterminés la
typologie, l'usage, la répartition etc. de chaque
groupe d'objets].
A. ViERKANDT, Führende Individuen bei den
Naturvölkern, Extr., 28 p. 8» de la Zeitschrift
für Sozialwissenschafr, 1908, fnsc. 9. [Etudie
cbes les Cherokies, surtout d'après Mooney,
le phénomène que J'ai rais en lumière pour les
Australiens centraux : les modifications socia-
les ne s'opèrent pas brusquement ni mécani-
quement, mais sont l'œuvre d'individus plus
intelligents et ne sont adoptées qu'après des
essais et des discussions].
OoBLKT d'Alviblla, Les sciences auxiliaires de
l'histoire comparée des religions, tir. à part
des Mémoires du Congrès des Religions d'Ox-
ford. [Propose les termes de hiérographie et
hiérologie^soxt description et synthèse, dans la
science des religions. L'utilité de ces termes,
dont le second a été employé par J. M. Robert-
ton avec ténacité, est incontestable].
O. Danville, Magnétisme et Spiritisme, in 16,
80 p., coll. Les Sommes et les Idées ^ n« 7, Soc.
du Mercure de France, 0 fr. 75. [Etude origi-
nale, mais sans utilisation des travaux de Ty-
lor, Lang et Lehmann sur la question].
O. Dabhnhardt, Beiträge zur vergleichenden
Sisgen-und Märchen f or schung^ Thomasschule
Programm, Leipzig, 4<*, 54 pages. [Se fondant
sur des matériaux d'une richesse étonnante,
l'auteur continue son travail de classement des
thèmes populaires. Ici sont étudiés les thèmes :
du changement de propriété par échange on
emprunt, de la course du lièvre et de la tortue ;
des légendes relatives au hibou].
Le Père W. Schmidt, Panbabylonismus und
ethnologischer Element argedanke^ Exrr. des
Mitteil, de la Soc. Anthrop. de Vienne, tome
XXXVm, p. 73-88, n°. [Bonne réfutation spé-
ciale et aussi générale des théories de l'école
astrale de Winckler, Jeremias, etc. Cette dis-
cussion n'est pas près d'être close, et je signale
en France les articles de René Dussaud sur ce
sujet. Revue de l'Histoire des Religions].
A. ViEKKANDT, Dai Problem der Felszeichnun-
gen und der Ursprung des Zeichnens, Extr.
de l'Archiv für Anthropologie. VU, 2-3, p. 110-
118. [pense que Koch-Grün berg, dans le volu-
me analysé ici, p. 56, fournit la solution du
problème des dôouts du dessin. Je doute cepen-
dant qu'on puisse fonder une théorie générale
sur un fait uniquf", qui semble exceptionnel et
modernisé.]
A. Dubois, dévolution de la notion de droit na-
turel antérieurement aux Physiocrates. Extr.
37 p. 8» de la Revue d'Histoire des Doctrines
Economique» et Sociales, 1908, fasc. 3.
J. Lescurb, La conception de la propriété chez
Aristote. Extr., 20 j). 8<', de la Revue d'Histoire
des Doct ri nes4 Economiques et Sociales, 1908,
fiasc. 3.
J. A. Drcourdbm ANCHB, Note sur les poids assy-
ro-babyloniens^ Extr., Journ. Asiat., 16 p.
Elude métrologique et numismatique sur
les misquals et les dirhems arabes, Extr., Re-
vue Numismatique, 46 pages [démontre que
Sauvaire est parti d'un calcul faux, et que par
suite ses Matériaux sont inutilisables pour
tout ce qui concerne la métrologie numismati-
que musulmane].
J. Dbnirer, Les Races de V Europe ; Ii;La taiUe
en Europe, Assoc. Fr. Av. Sc. Congrès de Lyon»
143 p., 1 carte en couleurs [suite de l'énorme
travail entrepris par J. Deniker, pour détermi-
ner, à l'aide de séries de moyennes rendues
comparables, le type somatique des popula-
tions européennes sauf les Lapons, Finno-Ou-
griens, Turco-Tatars et Caucasiens].
R. Anorbb, Jüdische Spra^hbestrebunpen, Bei*
läge der Münchener Neuesten Nachrichten,
3 octobre 1908.
Ctrus Adler and I. M. Casanowigz, The collec-
tion of Jevoish ceremonial objects in the Uni-
ted States national Museum. Extr., p. 701-746
et PI. LX-CV du T. XXXIV des Proceedings
of the U. S, N. Mus., 28 sept. 190S. 8o.
0. MOnsterbero, Chinesische Landschaflsma*
lerei, extr. des Westermanns Monatshefte,
Novembe 1908, 12 pages, 3 pi. en couleurs.
p. 538.]
R
E
E
[1908.
[ôtude originale, très sympathique à la pein-
ture paysagiste chinoise et qui donne le pre-
mier aperçu précis d'une forme d art bien plus
importante en Extrême Orient qae chei nous,
sauf au XIX* siècle, et an peu plut tôt en Hol-
lande.]
W, Radloff, Die vorislamitischen Schriftarten
der Türken und ihr Verhältniss zu der Spra-
che derselben, Extr. Bull. Ac. Imp. de S* Pe-
teräbourg4<*, [s'en tient à la vieille théorie de
l'origine sémitique de l'alphabet de l'Orkhon et
de l'origine estrangelo de l'alphabet ouigour.]
W. E. Roth, Marriage ceremonies and infant
li/e^ North Queensland Eihnocraphy, Bull,
n® 10. Extr. des Records of the Australian
Museum, t. VII, n^ 1, 17 paces, 3 pi. [suite
de la série bien connue de BiUlethis sur le
Queensland septentrional ; je ne crois pas que
les faits cités p. 3, § 4 puissent être regardés
comme des « traces de mariage communiste
primitif ».]
H. ScRUCHARDT, Berherische Studien, 1, Ein al'
ter plural auf u t Extr. (p. 245-264) de la Wie-
ner Z. f. die Kunde des Morgenlandes 1908.
F. GoLDSTBiN. Die Sklaverei in Nord-Afrika und
im Sudan. Extr., 17 p. de la Zeitschrift für
Sotialwissenschaft, t. XI [bonne étude mono-
graphique ; il a été tenu compte de tous les
Stcteurs de l'esclavage dans 1 Afrique septen-
trionale et au Soudan.]
N. W. Thomas, The market in african law end
custom. Extr., 17 p. 8<> du Journal of the Socie-
ty of comiparative Legislation, t. XIX (1908) p.
90-106. [Etude, sous tous ses aspects, do mar-
ché chez les populations africaines ; en quel-
ques pages, l'auteur donne la substance d'un
gros livre ; documentation très riche].
Gabriel Fsrrand, Vorigine africaine des Mal-
gaches^ extr. du Journal Asiatique, 152 pages,
8«. [prouve, contre Grandidier, en publiant in
extenso tous les documents connus sur la ques-
tion, que Madagascar était, avant l'arrivée
d'Indonésiens, peuplée de populations appa-
rentées aux Nègres tant Océaniens qu'afiicaios,
et parlant sans doute un dialecte bantou;je
ne puis admettre la migration comme venant
d'Afrique, mais nense que le peuplement de
l'Afrique par les Nègres s'est fait via Madagas-
car ou la Lémurie.]
G. Friedbrici, lieber die Mitwirkung der Neger
bei der Erforschung Amerikas. Extr. (p. 530-
585) de l'Archiv fOr Rassen und Ges. Biologie,.
1908.
1908.]
SOMMAIRES DBS REVUES.
[P. 539.
SOMMAIRES DES REVUES.
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H. R. Palmer, T?ie Kano Chronicle.
Ch. S. Myere, Contribution to Egyptian
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R. A. Kern, A malay cipher alphabet .
J. Bed doe, A last contribution to Scottish
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R. H. M»ithewg, Matrilineal descent in Nor-
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C. O. Qeligmann, Note on totemism in New
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C. M. Woodford, Note on stone-headed clubs
from Maleita, Salomon Isl.
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Linke, Samoanischc Bezeichnungen für
Wind und Wetter.
Von Kœnigswald, Die Carajà-lndianer {&n).
Gutmann, Zeitrechnung bei den Wadsçhag-
^nillp
Philipponische Legenden.
— N» IC.
Behaghel, Eine Reise in der chinesischen
Provinz Fu-kien,
Fischer, Mir und Zadruga bei den Rumä-
nen,
— N« 17.
Behaghel, Eine Reise^ etc. (suite).
Halbfass, Industrie, Verkehr und Natur.
Rosen berg. Die Geschichte der Mumifizier
sung bei den alten Ägyptern.
— N« 18.
Behaghel, Eine Reise, etc. (fin).
— N» 19.
Moszkowski, Die Inlandstämme Ostsuma»
iras.
Crahmer, lieber den Ursprung der Benin
Kultur.
Seuffc, DieNgulu-, oder Matelotainseln,
— N« 20.
MosKkowski, Inlandstämme, etc. (fin).
Lazar, Die Hochzeit bei deti Süd-Rumänen
(Kutzo-Wlachen, Zinzaren) in der Tür-
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Hindenburg, lieber einen Fund V07i Mäand-
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F. von Lußchan, lieber Buschmannmale-
reien in den Drakensbergen (3 pl. en cou-
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Musée Tchèque, Dir. J. Polivka, mensuel^
ab. 6 cour, (en tchèque) T. III (1908), n» 1.
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Analyses (détaillées et critiques).
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Byng-Hall, Notes on the Bassakomo tribe.
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Budragen tot de Taal» Land en Volkenkunde
VAN Ned. Indie. LXI^ 3-4.
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G. Ferrand, Un vocabulaire malgache hol'
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TjJDSCHItlFT YOOa INDISCHE TaAL-, LaMD- BN VoL-
KEMKUNDB (Batavia) t. L, 1907-1908 (en hollan-
dais).
H. J. Orysen, Rapport concernant les IX
Kota et Padang larah {Sumatra central).
J. Knebel, La légende de Bèdji Tawoun»
W. P. Groeneveldt, Sur quelques statues
hindoues montrant une physionomie) at a»
naise.
D' Jl. Römer, Contribution à la médecine
des Batak-karo,
J. Knebel, Les lieux sacrés dans la régence
de Ngawi {Madioun).
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Nouvelles archéologiques (Vorigine de la
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Livres et revues — Musées départemen-
taux.
ERRATA.
108
ligne 18 du bas,
lire cypriote
au lieu de Cretoise.
»
»
6
n
n Vorgriechische
nordgriechische.
117
»
7
71
n Syrus
Syris.
150
»
7
n
n pursued
puroued.
171
n
7
»
n isao
i830.
172
»
3 du haut,
*» Rjoumi
Ramsis.
173
m
15
n
n appréciateur
appréciature.
174
»
30
n
V cum
unus.
»
9)
50
n
n efatti
et fabli.
»
f»
51
n
n simia
sienia.
291
n
23
n
• oriental
occidental
n
»
37
n
n thuœt
thunt.
n
»
38
n
fi nomor
amor.
n
»
»
n
n nuxt
nunt.
n
9
39
»
n mozlaœ
moxtan.
292
294
295
341
7) AA n J» est tout entier non arménien.
n 48 » 9 comme celui des autres parlera tsiganes.
» 50 D n sa grammaire.
9 31 n ■ m Finch au lieu de Finsch.
n 39 n » avec maintien arménien a...
n 4S n n buhu au Ueu de btthn,
n 7 du bas, d côté de » imité de.
n n n n de U à i.
»59 n en arménien dans la flexion et la dérivation.
13-14 du haut, • composée au lieu de transposée,
rt l n n Zocga n Zocgaa.
n Josephe n Joseph.
f 4 n
351 la note 2 se rapporte à genitalia p. 352.
358 ligne 10 du haut, lire ternir n tenir.
361 note 2 ligne 8 du haut, lire précisent au lieu de gu^risent.
362 ligne 8 du bas, lire communion » commission,
p. 542.1
R
£
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[1908.
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481
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(Th. Smolenski) 381
Wrhrhan (K.). Die Sage 412
WiNCKLRR (H.). Die babylonische G^istes-
kultur 180
Publications nouvelles reçues aux bureaux de la Revue 475, 637
Sommaires des Revues ^ . .61,126,189,314,383,414,477,539
Chronique 63, 192, 320, 416
Table des matières 542
Ze Gérant : P. Gsuthneb.
^i
t