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Full text of "Revue des études juives"

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http://www.archive.org/details/revuedestudesj35soci 


REVUE 


DES 


ÉTUDES     JUIVES 


REVUE 

n  à 


DES 


ÉTUDES  JUIVES 


PUBLICATION  TRIMESTRIELLE 
DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  JUIVES 


TOME  TRENTE-CINQUIÈME 


PARIS 


A    LA  LIBRAIRIE   A.    DURLAGHER  /.\^ 

83  •>■',  RUE  LAFATETTE  >^^ /      ^^ 


1897  «>  • 


i 


lOI 

t. 55 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE 

D'APRÈS  L'ANTIQUE  LÉGISLATION  JUIYE 

CONFÉRENCE  FAITE  A  LA  SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  JUIVES 
LE  2^  MAI  1807 

Par  m.    Joseph  LEHMANN  , 

DIRECTEUR     DU      SÉilINAIRE     ISRAÉLITE. 


Mesdames  et  Messieurs, 

Pascal  a  dit  ;  «  Les  hommes,  n'ayant  pu  guérir  la  mort,  la 
»  misère,  l'ignorance,  se  sont  avisés,  pour  se  rendre  heureux,  de 
»  ne  point  y  [enser  ;  c'est  tout  ce  qu'ils  ont  pu  inventer  pour  se 
»  consoler  de  tant  de  maux  ». 

Cette  pensée  de  Pascal^  si  piquante  dans  son  amertume,  a  le  tort 
de  ne  pas  être  vraie.  Au  temps  même  de  Pascal,  vivait  un  homme 
qui  pensa  tellement  à  la  misère  et  à  l'ignorance,  qu'il  résolut  de  les 
guérir  et,  —  telle  fut  la  contagion  de  son  zèle,  sa  pensée  et  sa  ré- 
solution devenant  la  pensée,  l'idée  fixe,  en  quel([ue  sorte,  de 
nombre  de  ses  contemporains  —  humble  prêtre  de  campagne,  il  fut, 
en  France,  le  véritable  fondateur  de  l'Assistance  publique  et  de  l'en- 
seignement populaire.  Ce  contemporain  de  Pascal,  vous  l'avez 
reconnu,  c'est  le  fondateur  de  l'ordre  des  sœurs  de  charité,  celui 
qu  on  appelait  alors  Monsieur  Vincent.  On  l'a  appelé  depuis  :  Saint 
"Vincent  de  Paul  ' . 

'  Pascal  meurt  en  IGoS  et  saint  Vincent  de  Paul  en  1660. 

ACT.    ET    CONF.  A 


ACTES  ET  CONFERENCES 


Depuis  que,  parmi  les  hommes,  la  société  est  organisée,  tous  les 
progrès  de  la  civilisation  ont  été  des  victoires  remportées  sur 
la  mort,  la  misère  et  l'ignorance.  Moins  que  jamais,  la  pensée  de 
Pascal  est  vraie  pour  ce  qui  concerne  notre  temps,  car  jamais, 
autant  qu'en  notre  siècle,  la  pensée  de  la  mort,  de  l'ignorance  et 
de  la  misère  n'a  tant  hanté  l'imagination  des  hommes,  et  s'il  est 
impossible  de  songer  à  vaincre  ces  invincibles  fléaux,  on  est  par- 
venu toutefois  à  resserrer  les  bornes  de  leur  domaine  :  en  moins 
de  cent  ans,  la  moyenne  de  la  vie  humaine  a  été  prolongée  de 
plus  d'un  quart  ;  partout  l'ignorance  est  combattue  et,  si  la  misère 
ne  peut  disparaître,  on  s'efforce,  du  moins,  d'en  tarir  les  sources, 
de  la  rendre  moins  poignante,  moins  irrémédiable,  si  on  peut 
parler  ainsi.  Celte  noble  inquiétude,  ce  ne  sont  pas  seulement  les 
âmes  les  plus  généreuses  qui  en  sont  possédées,  elle  est  devenue, 
en  quelque  sorte,  le  tourment  de  notre  société  tout  entière;  souve- 
rains, hommes  d'Etat,  législateurs,  administrateurs,  sectes  reli- 
gieuses, sectes  philosophiques,  partis  politiques,  tous,  partout,  à 
Tenvi,  la  font  entrer  dans  le  programme  de  leur  activité.  En 
France,  dans  notre  France  républicaine,  elle  doit  être,  elle  de- 
viendra de  plus  en  plus  la  préoccupation  dominante  de  ceux  qui, 
à  un  degré  quelconque,  s'intéressent  à  l'action  publique,  car  ce 
n'est  pas  en  vain  qa'un  peuple  a  placé  dans  sa  devise  et  inscrit  sur 
les  murs  de  tous  ses  monuments  ces  deux  mots  sacrés  :  Egalité, 
Fratea^nité  ! 

Mesdames  et  Messieurs  !  Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'une 
société  tout  entière  a  été  constituée  dans  le  but  de  faire  régner 
parmi  les  hommes  l'égalité  et  la  fraternité.  Résumant  dans  une 
formule  précise,  brève,  saisissante,  l'enseignement  des  derniers  pro- 
phètes et  des  premiers  docteurs  du  juda'isme  ',  la  pensée  suprême  du 
législateur*,  Simon  ben  Gamaliel  a  dit  :  «  Le  monde  repose  sur  trois 
choses  :  la  vérité,  la  justice  et  la  paix  ^  ».  Tandis  que  toutes  les  so- 
ciétés antiques  étaient  créées  et  maintenues  par  la  force,  la  violence 
et  la  conquête,  avec  l'ignorance  et  l'esclavage  pour  satellites.  Moïse, 


'  Zacharie,  vu,  9;  viii,  16;  Aboi,  i. 
«  Deutér.,  iv,  6.  S  ;  vu,  18. 
'  Abot,  I,  fin. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  III 


à  la  société  qu'il  a  fondée,  a  donné  pour  principe  unique  l'amour  du 
prochain,  et  ce  prochain  qu'il  faut  aimer,  ce  n'est  pas  seulement, 
dans  la  pensée  de  Moïse,  l'homme  de  la  même  race,  de  la  même 
croyance,  car  pour  éviter  toute  interprétation  trop  étroite  de  son 
précepte  capital,  il  le  répète  dans  les  mêmes  termes,  il  le  renouvelle 
expressément  quelques  lignes  plus  loin,  à  propos  de  l'étranger  : 
«  Tu  Taimeras  (l'étranger)  comme  toi-même,  dit  Moïse,  car  vous 
aussi,  vous  avez  été  étrangers  en  Egypte  '.  » 

Cet  amour  qui  embrasse  toute  l'humanité,  Moïse  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  l'enseigner  à  la  façon  d'un  moraliste  ou  d'un  philosophe,  de 
le  prêcher  comme  un  fondateur  de  religion,  il  en  a  fait  un  principe 
de  vie  infinie,  d'une  inépuisable  fécondité,  il  l'a  doué  d'une  efficacité 
certaine,  il  lui  a  donné  la  forme  la  plus  pratique,  lui  a  prescrit  son 
mode  d'action  et  de  fonctionnement,  législateur,  en  le  faisant  entrer 
dans  son  code,  lui  procurant  ainsi  l'autorité  souveraine,  la  suprême 
sanction  de  la  loi  ^.  Cette  originalité  n'appartient  qu'à  Moïse  :  nul 
ne  l'a  eue  ni  avant  lui,  ni  après  ! 

Originalité  plus  admirable  encore  !  Moïse  ne  se  contente  pas  d'or- 
donner les  mesures  nécessaires  au  soulagement  de  la  misère,  il 
décrète  aussi  tout  ce  qui  lui  parait  utile  pour  la  prévenir;  sans 
compter  que,  plus  avisé  et  plus  sage  que  tous  les  autres  législateurs 
ou  plutôt  plus  équitable,  plus  miséricordieux,  bien  loin  d'aggraver, 
par  ses  lois ,  les  inégalités  inévitables  dans  toute  organisation 
sociale,  il  s'efforce  sans  cesse  de  les  atténuer,  de  les  rendre  moins 
douloureuses.  Chaque  fois  que  le  droit  est  douteux,  sa  loi  est  toujours 
pour  le  faible  contre  le  fort,  sans,  pour  cela,  llatter  aucune  passion 
mauvaise  :  la  jalousie,  la  convoitise,  l'envie  ;  sans  jamais  cesser 
d'être  vraie,  juste,  égale  pour  tous  ;  sans  jamais  cesser  de  semer, 
dans  les  cœurs,  la  concorde,  l'amour  et  la  paix  ! 

*  Lévilique,  xix,  18,  34.  Voir  encore  Deuléronome,  x,  19  ;  la  raison  donnée 
pour  prescrire  d'aimer  l'étranger  prouve  surabondamment  que  ce  précepte  s'ap- 
plique à  tout  étranger,  prosélyte  ou  non. 

*  oTixai  £'7S'70a'.  çavîpôv  on  xai  ttoô;  ïv^'^îiav  xal  -p6;  y.o'.vor/iav  irri  uït, 
à),),-/;),wv  y.al  upô;  Tr,v  y.a'iÔAO'j  çiÀa'/JpwTtiav  sti  Trpô;  O'.y.aioç-jvr.v  y.î-.ar/o-j;  i/.o[jiî> 
Toù;  v6[JLoy;,  Josèphe,  Contre  Apion,  II,  16. 


IV  ACTES  ET  CONFÉKENCES 


I 


Phénomène  vraiment  curieux  pour  qui  connaît  les  annales  des 
républiiiues  de  l'antiquité  et  des  grands  Etats  modernes,  durant 
toute  la  longue  histoire  du  peuple  d'Israël,  parmi  des  luttes  sans 
nombre,  on  ne  compte  pas  une  guerre  sociale,  pas  une  guerre 
servile.  C'est  que,  nulle  part,  il  est  vrai,  la  distance  est  moindre 
entre  maîtres  et  serviteurs,  nulle  part  riches  et  pauvres  se  sentent 
plus  proches  les  uns  des  autres.  Sans  doute,  ce  remarquable  état  de 
paix  sociale,  c'esi  à  la  loi  religieuse  du  judaïsme  qu'il  est  du  ;  mais 
d'où  vient  que  cette  loi  eut  une  telle  action  sur  les  âmes,  les 
consciences  et  les  moeurs  ?  Aux  jeux  de  tout  Israélite,  c'était  une 
idée,  en  quelque  sorte  innée,  que  sa  loi  était  divine  par  son  origine, 
ainsi  que  le  disait,  il  y  a  dix-huit  siècles,  l'historien  Josèphe', 
immémoriale  dans. le  temps  -,  l'héritage  des  pères  ^  le  patrimoine  et 
le  trésor  communs  de  la  nation,  une  œuvre  d'éternelle  sagesse,  de 
souveraine  justice,  de  paternelle  bonté*,  s'imposant  ainsi  tout  en- 
tière, avec  une  incomparable  puissance,  à  l'obéissance,  au  respect, 
à  l'admiration,  à  la  vénération  et  à  l'amour  ',  nul  n'osant  se  déro- 

1  Contre  Apiun,  I,  8,  16;  II,  Ifi,  21  el  passini.  Voir  aussi  Philon,  Vita  sMosis, 
II,  2  :  ouvîYsal/îv  yyir)yr,'7ajx£vou  OcoO;  I.  oi  v6;xoi  xà).).nîTOi  xat  w;  à),r,0(i);  Oîioi, 
ei  pdssiui. 

*  Deulér.,  xxxii,  7;   IsaiV,  lxui,  U. 

î  Deut.,  X,  1o;  xxxiii,  4  ;  I  Uois,  viii,  21,  fiS  ;  II  Rois,  xvii,  13;  Ps.,  xliv, 
2;  Lxxv,  5;  Lxxviii,  2  ;  Jérémie,  xi,  4  ;  xvii,  22  ;  Prov.,  i,  S. 

*  Deui.,  IV,  6,8,  40;  v,  30;  vi,  2.  18.  24,  25;  vu,  8,  "J.  12-15;  viii,  18 
X,  12-14  ;  XI,  18-22.  26-2S;  xiv,  1  ;  xxvi,  16-19  ;  xxviii,  1-14  ;  xxix,  28;  xxx 
Psaumes,  xix,  8-12;  xxv,  0-1  o;  cm,  G-9  ;  cxi,  7-8;  cxix  ;  Ecclésiaslque 
XLIV,  11). 

5  .  l^e.s  seules  lois  de  Moïse,  depuis  le  jour  où  elles  ont  élé  écrites  jusqu'à  ce 
jour,  sont  demeurées  fermes  et  inébranlables,  et  il  y  a  espérance  qu'elles  demeu 
reroni  tant  que  le  soleil,  la  lune,  tout  le  ciel,  tout  le  monde,  durera ...  Il  est  très 
merveilleux  et  le  plus  étrange  du  monde  que,  non  seulement  les  Juifs,  mais 
presque  tous  les  autres,  principalement  ceux  qui  ont  enseigné  dans  leurs  dis- 
cours la  Vertu,  ont  reçu  et  honoré  ces  lois  comme  étant  saintes  et  sacrées...  — 
Nos  lois  attirent  à  elies  tous  les  hommes.  Barbares,  Grecs,  ceux  de  la  Terre 
lerme,  ceux  des  îles,  les  races  de  l'Orient,  celles  de  l'Occident,  l'Europe,  l'Asie, 
toute  la  terre  habitée,  dune  extrémité  à  l'autre...  •  (Philon,  De  Vita  Mosis,  11,  4). 


ASSISTANCl':  PrULIQUE  ET  PHIVÉE 


ber  aux  prescriptions  de  cette  loi,  quelles  qu'elles  fussent,  sans  se 
frapper,  à  ses  propres  yeux,  d'une  déchéance,  sans  se  retrancher 
lui-mènae  de  la  communauté  d'Israël.  Or,  cette  loi,  qui  est  à  la  fois  une 
morale  et  une  légirslation,  gouverne  en  même  temps  la  conscience 
et  la  conduite  extérieure  ',  prescrit  de  la  même  façon  des  devoirs 
et  des  obligations  positives  se  complétant  mutuellement  et  si  étroi- 
tement unies  que  souvent  on  ne  sait  où  commencent  les  unes  et  où 
finissent  les  autres.  Cette  confusion,  cette  heureuse  confusion,  qui 
fait  du  devoir  une  obligation  civile,  en  quelque  sorte,  et  de  ses 
prescriptions  les  plus  délicates  une  chose  impérativement  catégo- 
rique, se  traduisant  en  actes  journaliers,  et,  d'autre  part,  fait  ac- 
cepter allègrement  les  chai'ges  les  plus  lourdes  imposées  par  la 
Loi  ^,  est  sensible  tout  d'abnr.i  dans  ce  qui  constitue  ce  que  nous 
appellerons ,  dans  la  législation  juive  ,  les  mesures  préventives 
contre  la  misère. 

Mesdames  et  Messieurs!  Il  est  quelque  chose  de  plus  triste  que  la 
pauvreté,  c'est  le  sort  de  celui  qui  lutte  sans  espoir,  s'épuise  en 
vain  contre  une  mauvaise  fortune  acharnée  après  lui.  Rien  ne  lui 
a  réussi.  Ses  charges  sont  devenues  accablantes.  Il  se  sent  glisser 
vers  l'abîme.  L'idée  d'une  déchéance,  qui  lui  paraît  inévitable,  le 
poursuit  et  l'afFole.  Heureux,  trop  heureux,  si  l'exil  lui  offre,  bien 
loin,  un  refuge  contre  la  honte  et  contre  la  pitié  de  ceux  qui,  actuel- 
lement, sont  encore  ses  égaux  !  Cette  misère  qui  a  peur  d'elle- 
même,  qui  se  dérobe  anxieusement  aux  regards,  cette  misère,  la 
plus  navrante  de  toutes,  c'est  à  elle  tout  d'abord  que  Moïse  a 
songé  :  «  Au  sommet  de  la  charité,  disait  Maïmonide^,  notre  Loi  a 
placé  un  devoir  sacré  entre  tous  :  avant  de  nous  ordonner  de 
secourir  le  pauvre,  elle  nous  a  ordonné  de  venir  en  aide  à  celui  qui 

'  (Moïse)  (TuvîïoE  xaè  xaTÉTTriirô  ...xriv  Sixaio^OvriV,  ttjv  xapxspt'av,  x/jv  crwçpo- 
(jTjvr,v,  TY-,v  Twv  TioXtTÙJv  upô;  à>.),r,).0"j;  èv  àitaai  (j'j[i^ti)vîav  aTtairai  yàp  al  izçid^EiZ 
xat  Siarpiêai  xaî  )6yoi  ttkvtcC  èttc  tt.v  Tipo;  Ôeov  r,jj.tv  eOcÉêïiav  lyo-jai  Tr,v  àva- 
(popdcv  •  Moïse  enseigna  el  instilua  ..  .la  juslice,  la  l'ermelé,  la  prudence  el  l'har- 
•  nionie  chez  les  citoyens.  Toult-s  les  actions,  les  occupations,  les  paroles  doi- 
»  vent  nous  porter  à  la  piété  envers  Dieu.  »  Josèphe,  Contre  Apion,  H,  16. 

*  fifiiv...  EX  Toù  îtEpi  xaùxa  tw  vô[xw  TrctOap)r£îv  fiSc'w;  xàxEÏ  TtEpÎECTiv  ÈTti- 
SîîxvuoOat  TÔ  yîvvaî'.ov.  Contre  Apftion,  11,  33. 

*  Jad  Hazaka,  Matnoth  Aniyim,  x,  7. 


VI  .ACTES  ET  CONFERENCES 

est  menacé  de  devenir  pauvre,  car  il  est  dit  :  «  Si  ton  frère  s'ap- 
»  pauvrit,  que  sa  main  faiblit  auprès  de  toi,  qu'il  soit  étranger  ou  de 
»  ta  race,  soutiens-le  et  que  ton  frère  vive  auprès  de  toi  '  ».  Ce 
soutien  qu'il  faut  accorder  à  celui  qui  chancelle  doit  être  sous  la 
forme  d'un  prêt.  Prêter,  dit  le  Talmud,  vaut  mieux  que  donner-. 
C'est  secourir  sans  blesser  celui  qu'on  oblige,  c'est  stimuler  son 
activité,  non  pas  l'affaiblir.  Mais  à  quelle  condition,  suivant  la  Loi, 
un  prêt  est-il  valable?  A  la  condition  d'être  gratuit.  Le  prêt  à  in- 
térêt, soit  en  argent,  soit  en  nature,  est  rigoureusement  interdit ', 
la  créance  déclarée  nulle*,  le  créancier  ainsi  que  le  débiteur  frappés 
tous  deu.\.  de  la  dégradation  civique  '.  Ni  l'un  ni  l'autre,  s'ils  ne  sont 
réhaliilités,  ne  peuvent  plus  e.xercer  de  fonction  publique  ni  même 
témoigner  en  justice''. 

Le  créancier  veut-il  un  gage,  il  lui  est  interdit  de  pénétrer,  pour 
le  prendre,  dans  la  maison  de  son  débiteur'.  Le  fojer  du  débi- 
teur est  inviolable  autant  que  sa  personne.  La  Tora  ne  dit  pas 
seulement ,  comme  la  loi  anglaise ,  haVeas  corpus ,  mais  haheas 
domtim  ^.  Le  gage,  une  fois  donné,   il  faut  le  rendre  chaque  fois 

'  Lévitiqup,  xxv,  3o. 

*  Schabbat,  63.  «  Si  quelqu'un  dit  :  je  ne  veux  pas  accepter  le  secours  d'autrui, 
>  on  doit,  sans  attendre  qu'il  souffre,  pourvoir  à  ses  besoins  en  lui  donnant  ce  qui 
»  lui  est  nécessaire  à  litre  de  prêt.  Ce  qu'il  a  accepté  sous  cette  forme,  on  le  prie 
•  ensuite  de  le  conserver  comme  don  :  telle  est  l'opinion  de  R.  Méîr.  Les  saj^es 
»  disent  :  on  donne  gratuitement  à  celui  qui  est  dans  le  besoin  tout  ce  qui  lui  est 
»  nécessaire  et  (s'il  refuse  ce  don  gratuit)  on  le  lui  donne  ensuite  comme  prêt. 
»  R.  Simon  dit  :  (s'il  n'est  possible  de  le  lui  faire  accepter  autrement),  on  lui 
>  demande  un  gage  afin  de  méuager  sa  fierté  >  [Tosefta  Péa,  iv,  12  ;  Jéru- 
salmi,  mCme  traité,  21  a;  Kftoulot,  CS].  Philon  dit  qu'il  vaut  mieux  donner  [De 
hiimauttati,  8). 

*  Exode,  XXII,  24  ;  Deutér.,  xxiii,  20,  21  ;  Psaumes,  xv,  5;  Prov.,  xxviii,  5  ; 
Ezécliiel,  xviii,  17;  xxii,  12;  Philon,  De  kitmanitate,  36;  Josèphe,  Ant.^  IV, 
8,  25;  Contre   Jj'ion,  Jl,  27;  comparez  Mathieu,  xxv,  27;  Luc,  xix,  23. 

*  Bala  Kamtna,  30;  Bala  Mecia,  72  ;  Baba  Batra,  94;  Philon,  De  humani- 
tate,  6. 

'  Sont  considérés  comme  complices  :  le  scribe  qui  a  rédigé  l'acte  de  créance, 
ks  témoins  qui  l'ont  signé,  celui  qui  s'est  porté  caution  du  débiteur  [Baba 
Mecia,  75;  Muchna,  v,  11  . 

*  Mischna  Sanhédrin^  m,  3. 

7  Deutéron.,  xxiv,  10;  Philon,  De  humanitate,%\  ios.,  Ant.^ïV,  8,26. 

*  La  loi  du  •  babeas  corpus  •  n'était  pas  faite  pour  le  débiteur,  la  contrainte  par 


assistance:  publique  et  privée  VII 

que  I3  débiteur  en  a  besoin  :  «  S'il  a  donné  sa  couverture,  qu'il 
»  a  froid,  qu'il  crie  vers  moi,  dit  le  Dieu  de  la  Bible,  j'écouterai 
»  sa  plainte,  car  je  suis  miséricordieux*  d.  Quand  vient  la  sep- 
tième année,  l'année  sabbatique,  toute  poursuite  est  interdite  *. 
L'année  sabbatique  terminée,  le  créancier  reprend-il  ses  droits?  Il 
semble,  d'après  le  texte  *,  mais  plus  miséricordieuse  que  l'exégèse, 
la  tradition  constante  proclame  qu'à  l'année  sabbatique  toutes  les 
dettes  sont  remises*.  Cette  législation  surprenante,  qui  bouleverse 
toutes  nos  idées  économiques,  elle  a  existé  réellement,  elle  a  réel- 
lement fonctionné.  En  dehors  des  documents  de  la  tradition,  que 
judicieusement  on  ne  saurait  écarter  a  priori,  nous  avons  les  témoi- 
gnages de  Contemporains,  de  Philon  ^,  de  Flavius  Josèphe  ^.  Ou 
pourrait  peut-être  trouver  une  preuve  à  l'appui  de  la  tradition 
dans  l'oraison  dominicale  de  l'Evangile,  dans  cette  phrase  qu'on 
traduit  communément  par  «   pardonne-nous  nos  offenses  comme 

corps  étant  inscrite  dans  les  codes  ou  les  coutumes  de  tous  les  peuples  de  l'Eu- 
rope. Eu  France,  elle  fut  abolie  seulement  il  y  a  trente  ans,  en  1867,  en  matière 
civile  et  commerciale.  Elle  a  été  maintenue  pour  les  amendes,  restitutions,  dom- 
mages-intérêts, et  maintenue  encore  en  matière  administrative  (la  loi  du  17  avril 
1832  n"a  pas  été  abrogée).  Quoi  qu'il  en  soit,  la  législation  moderne  constitue 
un  progrès  énorme  par  rapport  à  la  législation  du  moyen  âge  et  à  celle  de  l'anti- 
quité. A  Tyr,  à  Cartbage,  à  Syracuse,  le  créancier  avait,  sur  le  débiteur,  droit 
de  vie  et  de  mort.  Ce  droit  était  maintenu  avec  certains  adoucissements  dans 
la  loi  romaine.  L'ancien  droit  germanique  et  le  droit  féodal  réduisaient  en  escla- 
vage le  débiteur  insolvable  (Louis  André,  Grande  Encyclopédie).  En  Palestine 
même,  dans  le  royaume  de  Samarie,  sous  la  dynastie  quasi-phénicienne  d'Omri, 
c'était  la  loi  de  Tyr  qu'on  suivait  :  les  deux  fils  de  la  veuve  du  jeune  prophète 
sont  saisis  par  un  créancier,  II  Rois,  iv,  1. 

*  Exode,  XXII,  24. 

*  Deut.,  XV,  12. 

3  E\\a.\â,  Alterthili/ier  des  Volkes  Israël,  378;  Jahn,  Biblische  Archœologie\ 
Raumer,  Vorlestmgen,  ûher  die  Geschickten  des  Alterlhumes,  7°  leçon  ;  Bauer, 
Religion  des  Alt.  Testam.,  I,  202  ;  Bâhr,  Symholik  des  mosais.  Cuil.,  II,  608. 

*  A  l'exception  des  prêts  sur  gage  et  des  prêts  sur  hypothèque,  Misckna 
Schebiit,  x. 

'  De  Septenario,  8. 

•^  Josèphe,  il  est  vrai,  affirme  que  la  remise  des  dettes  avait  lieu  au  jubilé 
{Ant.,  III,  12,  3).  Peut-être  veut-il  parler  seulement  des  créances  hypothécaires, 
des  créances  sur  gages  ou  de  celles  dont  la  prescription  aurait  été  interrompue 
par  la  TrpoogoXTJ  instituée  par  Ilillel. 

'  à^£ç  rjjiîv  Ti  ôy£i),-ô|xaTa  v;[jlwv  w;  x«i  f,[JL£t;  à^ÎEjxsv  tôt;  o:ftOéToni  y;iiMV. 


VllI  ACTES  ET  COiNFÉREXCES 


nous  pardonnons  à  ceux  qui  nous  ont  offensés  »,  et  qui,  d'après  le 
texte  grec,  devrait  être  :  «  Remets-nous  nos  dettes  comme  nous 
remettons  les  dettes  à  ceux  qui  nous  doivent  *  ». 

Cette  loi  si  paradoxale  s'explique  pourtant  de  la  façon  la  plus 
naturelle.  Jusqu'au  terme  de  leur  existence  nationale,  nos  ancêtres 
étaient  exclusivement  voués  à  l'agriculture  *  !  Chose  bien  curieuse, 
ils  ne  comprenaient  rien  au  commerce  !  Le  commerce,  en  Judée,  était 
laissé  aux  étrangers,  Egyptiens  ou  Phéniciens,  établis  temporaire- 
ment 3  ou  à  demeure  *  dans  le  paj's  uniquement  pour  trafiquer,  étant 
«  gens  avides  de  richesse  »,  o-.à  rô  ç/iÀo/or^aaTcIv,  ainsi  que  le  dit, 
non  sans  un  certain  mépris,  Flavius  Josèphe  ^.  N'empruntait  donc, 
chez  les  Juifs,  que  celui  dont  les  ressources  étaient  inférieures  aux 
besoins  mêmes  de  la  vie,  et,  faire  payer  à  ce  malheureux  un  intérêt 
en  sus  du  principal  de  sa  dette,  c'eût  été  abuser  de  sa  détresse, 
l'appauvrir  davantage  ^,  c'est-à-dire  pécher  deux  fois,  et  contre 
Dieu  et  contre  les  hommes.  Quel  meilleur  usage  d'ailleurs  de  son 
superflu,  quel  plus  grand  profit  que  d'aider  son  frère  dans  le  besoin' 
et  d'obtenir  ainsi  pour  soi  la  bénédiction  de  Dieu  '^l  Ainsi  secouru, 
le  débiteur,  à  moins  de  se  rendre  coupable  de  la  plus  noire  ingrati- 
tude (ce  qu'il  n'est  pas  permis  même  de  supposer,  dit  le  Talmud  "), 
s'acquittait  toujours  ce   sa  dette,  avec  la  plus  grande  ponctualité, 


«  Celte  explication  d'une  phrase  de  l'oraison  dominicale  nous  a  paru  fort  iulé- 
ressaule.  Elle  nous  a  été  suji-gerée  par  noire  ami,  M.  .\slruc,  •:rand-raL)bin  hono- 
raire de  Belfîique,  mais  nous  ne  la  présenlons  que  sous  les  plus  j;rancles  réserves. 
A  *olre  avis,  le  lexle  fjrcc  a  rendu  imparfailemenl  le  texle  priinilil,  qui  élait 
sans  doute  N:3  "12mb  "î-'^nn  pn'^l  'T'II  N:a--  p  -pZ'C.  La  racii.e  mn, 
dans  la  langue  aiameennc  ei  lians  le  dialecte  rabbinique,  a,  a  la  lois,  le  secs  de 
fdule  ou  oflense  et  celui  de  délie. 

*  xi  ouuisoîitÔTESov. , .  Èv  eipTivri  xé/vai;  r,  •\îu:ç,-^;:%'.z  7:ç,Qcrx^/éyiv/  «  qu'y  a-l-il  de 
plus  saf;e...  que  de  se  vouer  pendant  la  paix...  bus  protessions  manuelles  el 
aux  travaux  des  champs  >.  Contre  Apion,  II,  41. 

*  Nochri. 

'*  Guer  toschab. 

5  Con're  Apion,  12. 

*  Phdon,  De  humanttate.  G;  Ant.,  1\'.  2r'i. 
'  Ibid. 

*  Dealer.,  sv,  10  ;  Ant.,  l.  c. 

'  Ketoubot,  18  ;  Guitiin,  51  ;  Baba  Mecia,  3  ;  Baba  Kamnta,  108;  voir  Rascbi 
sur  ce  dernier  passage. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVEE  IX 


avant  l'échéance  de  l'année  sabbatique,  si  toutefois  il  en  avait  les 
moyens.  S'il  ne  le  faisait  pas,  c'est  qu'il  était  trop  pauvre  vraiment 
pour  s'acquitter  envers  son  bienfaiteur.  Celui-ci  ne  devait  il  pas 
remplir,  jusqu'au  bout,  son  devoir  de  fraternité  et  remettre  â  son 
frèrf  une  dette  trop  lourde  pour  celui-ci? 

Quelle  générosité  extrême,  d'une  part,  quelle  loyauté  scrupuleuse, 
de  l'autre,  une  telle  législation  ne  suppose-t-elle  pas  chez  le  peuple 
pour  qui  elle  a  été  faite,  qui  en  a  été  jugé  digne  et  qui  l'a  observée 
religiei.sement,  et  sans  changement,  jusqu'au  siècle  qui  précéda 
l'ère  chrétienne  !  Générosité  extrême  et  loyauté  scrupuleuse  entre 
lesquelles,  à  en  croire  la  Mischna  de  Scltehiil  ',  se  livi-ait  parfois  un 
bien  touchant  coin1)at  lorsque,  l'année  sabbatique  venue,  le  débiteur, 
en  dépit  de  la  résistance  du  créancier,  voulait  s'acquitter  quand 
même  d'une  dette  annulée  par  la  Loi,  mais  non  par  sa  conscience. 
Dans  ce  débat  étrange  où  chacun  défendait  un  intérêt  contraire  au 
sien,  dans  ce  débat  entre  la  Loi  et  la  conscience,  le  dernier  mot 
devait  rester. . .  à  la  conscience  -  ! 

Cette  loi  dut  se  modifier  en  même  temps  que  les  conditions  d'exis- 
tence du  peuple,  une  loi  n'étant  vivante  qu'à  la  condition  d'être 
douée  de  ce  pouvoir  d'adaptation.  Un  jour,  bannis  du  sol  de  leurs 
aïeux,  nos  pères  cessèrent  d'être  agriculteurs  et  furent  condamnés  à 
se  vouer  au  commerce.  Bientôt  le  commerce  aussi  leur  fut  interdit, 
hormis,  —  ô  ironie  du  sort!  —  le  commerce  de  l'argent  !  L'argent 
devint  leur  outil,  leur  arme,  leur  moyen  de  défense  et  de  salut.  Il 
fallait  de  l'argent  pour  assouvir  l'insatiable  avidité,  non  pas  seule- 
ment de  leurs  ennemis,  mais  de  leurs  défenseurs  :  barons,  évêques, 
princes,  cardinaux,  rois  et  papes,  quand,  de  toutes  parts,  il  leur 
fallait  chercher  des  protecteurs  contre  les  violences  sanguinaires 
de  foules  fanatiques  et  féroces.  Même  dans  cette  cruelle  et  déplorable 

*  Mischna  Schehiit,  x,  8  :  t  Si  quelqu'un  vient  payer  une  dette  !a  septième 
•  année,  le  créancier  doit  lui  dire  :  je  te  délie  de  ta  dette  a  cause  de  la  Sche- 
»  mita.  Si  le  débiteur  dit  :  je  le  sais,  mais  je  veux  quand  même  te  payer,  le 
»  créancier  peut  accepter.  Le  dialof];ue  entre  le  créancier  et  le  débiteur,  la 
»  Tora  l'a  prévu  en  disant  :  voici  les  paroles  de  la  Schemila  (le  mol  j)aro!e  sup- 
»  pose  un  dialogue).  • 

*  lèid.,  9  :  •  Celui  qui  nonobstant  la  Schemita  paie  ses  dettes  acquiert  l'appro- 
bation des  sages.   > 


ACTES  ET  CONFERENCES 


nécessité,  leur  religion,  les  préceptes  du  Pentateuque,  les  enseigne- 
ments de  leurs  sages*,  plus  encore  que  la  prudence  et  le  souci  de 
leur  sûreté,  les  obligeaient  à  user  de  douceur,  de  modération  et  de 
pitié  envers  ceux  qui  étaient  contraints  de  recourir  à  eux  !  Je  ne 
sais  si  jamais  Shylock  a  existé.  En  dépit  des  prestiges  de  l'art,  qui 
sait  donner  à  toutes  ses  productions  l'apparence  de  la  réalité  et  de 
la  vie,  en  dépit  des  explications  des  psychologues  qui  ont  fait  la 
genèse  des  sentiments  du  personnage  et  ont  essayé  de  démontrer 
l'enchaînement,  la  logique  des  sentiments  de  Shylock,  nous  autres 
juifs,  nous  n'y  avons  jamais  rien  compris.  Si  Shj'lock  a  existé,  il 
appartient  à  une  autre  race,  il  appartient  à  la  race  de  ces  créan- 
ciers de  la  Rome  antique,  qui  avaient,  de  par  leur  loi,  le  droit  de 
couper  leurs  débiteurs  en  morceaux  si,  assaillis  de  divers  côtés  à  la 
fois,  ceux-ci  se  trouvaient  dans  une  égale  impuissance  à  satisfaire 
l'inexorable  rapacité  de  leurs  prêteurs  *  ;  ce  Shylock,  cet  homme 
odieux  qui  n'aime  même  pas  sa  tille  et  qui  en  est  haï  —  (rien  que  ce 
trait  indique  qu'il  n'est  pas  juif)  —  cet  liomme  qui  est  sans  pitié, 
nous  l'avons  toujours  renié!  Non,  Shylock  n'est  pas  juif,  car 
celui  qui  est  sans  pitié,  —  le  Talmud  l'a  dit  depuis  longtemps  ^,  — 
n'est  pas  un  descendant  de  notre  père  Abraham  *  ! 

'   Baha  Mecia,  71  i  :  A  qui  s'applique  ce    verset  :  <    Celui  qui  augmente   sa 

•  fortune  au  moyen  de  l'inlérêt  de  l'argent  ou  du  fruit,  amasse  pour  qui  est  bien- 

•  veillant  envers  les  pauvres?  •  (Prov.,  xxviii,  8]  Cela  s'applique  à  celui  qui 
s'enrichit  en  prêtant  à  intérêt  à  un  non  juif.  Il  a  donc  été  interdit  de  prêter  à 
intérêt  à  un  non  juif.  Tosefot  :  Comment  donc  se  permet-on,  de  nos  jours  (au 
xil"  siècle),  de  prêter  à  intérêt  aux  non  juifs?  R.  Il  le  faut  puisque  nous  avons  à 
payer  le  roi,  les  seigneurs,  qu'il  faut  vivre  et  que,  d'ailleurs,  toute  autre  occupa- 
tion nous  est  interdite.  Il  ne  nous  est  donc  permis  de  prendre  de  l'inlérêt  que 
pour  ne  pas  être  exposé  à  mourir  de  faim.  [Conclusions  de  Tosafot,  deuxième 
glose  de  la  page.) 

'  D'après  le  droit  romain,  le  créancier  avait  le  droit  de  mettre  le  débiteur  à 
mort.  Mais  quand  il  y  avait  plusieurs  créanciers,  ils  étaient  autorisés  à  se  par- 
tager le  cadavre.  Gaius,  iv,  21  ;  .\.ulu-Gelle,  Nuits  attiques,  xx,  1,  39  et  s. 
{Grande  Encyclopédie,  art.  Contrainte  par  corps,  par  M.  Louis  André.) 

>  Tehamot,  79. 

*  La  légende  de  Shylock  est  très  ancienne.  Voir  à  ce  sujet  Gra-lz,  Trad.  franc., 
IV,  285.  Primitivement  le  créancier  était  un  suzerain  ou  un  noble;  le  débiteur, 
un  vassal  ou  un  roturier.  Ce  fut  après  la  peste  noire  de  1348  qu'un  auteur 
italien  fit  de  Shylock  un  juif. 


ASSISTAiNCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XI 


II 


Une  indestructible  pitié,  supérieure  aux  injustices  des  hommes, 
mais  aussi  une  indestructible  énergie  supérieure  aux  injustices  de 
la  vie,  voilà,  Mesdames  et  Messieurs,  le  fond  du  caractère  de  notre 
race.  Cette  dernière  disposition  de  notre  caractère  générique  date 
de  bien  loin,  c'est  encore  un  des  bienfaits  de  notre  législation  reli- 
gieuse. Celui  qui  faiblit  dans  la  lutte,  notre  législateur  l'a  soutenu, 
comme  par  la  main  *,  lui  mettant  dans  le  coeur,  s'il  succombe,  l'es- 
pérance, l'attente  d'un  relèvement  certain  ou  pour  lui  ou  pour  sa 
race.  Il  en  a  fixé  la  date  d'une  façon  précise,  lui  a  permis  l'es- 
poir d'une  réhabilitation,  d'une  délivrance  plus  proche  encore, 
récompense  d'un  redoublement  d'efforts,  de  courage,  de  persévé- 
rance, ou  gage  d'union  et  de  solidarité  entre  les  membres  d'une 
même  famille,  union  et  solidarité  que  l'adversité  même,  loin  d'affai- 
blir, que  l'adversité  surtout,  suscite,  réveille,  fortifie. 

Telle  fut  l'institution  de  la  loi  du  Jubilé  D'après  cette  loi,  il  n'é- 
tait pas  permis  de  vendre  une  terre,  une  ferme  pour  plus  de  cin- 
quante ans.  Nul  n'avait  le  droit  d'appauvrir  à  perpétuité  sa  famille 
et  de  se  condamner  lui-même  à  une  perpétuelle  indigence.  Tous 
les  cinquante  ans,  le  10  Tischri,  le  son  du  schoff'ar  de  la  délivrance 
retentissait  dans  tout  le  pajs,  les  esclaves,  en  fête  depuis  dix  jours', 
recouvraient  leur  liberté  pour  toujours,  les  terres  revenaient  à 
leurs  anciens  propriétaires,  chacun  reprenait  possession  de  sa  per- 
sonne, de  son  foyer,  de  son  patrimoine-'.  Le  terme  de  cette  déli- 
vrance pouvait  être  avancé  à  des  conditions  fixées  d'avance  par  le 
législateur,  soit  que  celui  qui  avait  aliéné  sa  personne  ou  son  bien 
trouvât  des  ressources  nouvelles,  soit  qu'intervînt  un  membre  de  la 
famille,  ainsi  que  l'ordonnait  la  Loi,  pour  faire  recouvrer  au  parent 
malheureux  la  liberté  ou  le  patrimoine  perdus.  L'assistance  de  la 
famille    était    strictement,  rigoureusement   obligatoire.    Ce  matin 

'  Isaïe,  xLi,  10. 

*  Rosch  Ilanchana,  8  h. 

*  Lévilique,  xxv. 


XI[  ACTES  ET  CONFKRENCES 

même  \  nous  avons  lu  le  chapitre  qui  régie,  dans  tous  les  détails, 
les  conditions,  le  mode  d'exécution  de  cette  loi  -  et,  la  semaine 
prochaine^,  nous  verrons,  dans  le  livre  qui  nous  raconte  un  des 
épisodes  les  plus  charmants  de  la  Bible,  dans  l'histoire  de  Ruth  *  la 
Moabite.  comment  les  parents  se  réunissaient,  s'attendaient  les  uns 
les  autres,  devant  les  magistrats,  les  anciens  et  le  peuple,  au  tri- 
bunal qui  siégeait  aux  portes  de  la  ville,  pour  choisir  entre  eux, 
d'après  le  degré  de  filiation,  la  fortune,  d'après  le  cœur,  celui  à  qui 
reviendrait  ce  titre  de  Goel  ^  que,  faute  d'autre  équivalent,  nous 
traduisons  par  sauveur,  rédempteur,  et  qui  désigne  celui  qui  accepte 
de  tout  son  cœur  et  de  toute  son  àme,  dans  toute  leur  intégralité, 
toutes  les  obligations  de  protection  et  de  sympathie,  pieuses,  frater- 
nelles, dévouées,  envers  le  frère  qui  est  faible,  envers  le  frère  qui  est 
pauvre,  envers  le  frère  qui  est  mort.  Et  ce  frère,  ce  n'est  pas  seu- 
lement l'enfant  du  même  père,  de  la  même  mère,  c'est  —  ne  vous 
y  trompez  pas  —  dans  cette  langue  hébraïque  dont  les  termes, 
parfois  dans  leur  large  compréhension,  sont  l'expression  du  sublime 
sentiment  de  solidarité  de  notre  race,  —  c'est  le  parent  à  un  degré 
quelconque '',  caria  famille  biblique,  la  famille  dans  le  Judaïsme 
antique  n'a  pas  de  limite  précise,  elle  s'étend  de  proche  en  proche 
remontant  de  degré  en  degré,  et,  s'il  le  faut,  jusqu'à  l'auteur  com- 
mun de  la  race  hébra'ique,  de  sorte  qu'il  n'est  personne,  dit  le  Tal- 
mud'^,  qui  n'ait  de  Goel.  de  libérateur  en  Israël  **. 

*  Le  samedi  29  mai. 

*  X'  Eeclion  du  Lévitique 

'  Le  deuxième  jour  de  la  Pentecôte  qui,  celle  année,  tombait  le  7  juin. 

*  Ruth,  in  el  iv. 

'  Lévit.,  /.  c.  ;  Nombres,  xxxv  ;  Deutér.,  xs.v,  5-16. 

*  Lé  vil.,  XXV,  25,  49. 
■'  Sifra  Befiar,  iv.  2. 

"  Dans  cet  exposé  purement  théorique  de  la  législation  mosaïque,  il  ne  nous 
«ppartenait  pas  de  rechercher  à  quelle  époque  el  dans  quelles  conditions  la  loi 
du  Jubilé  a  été  observée  en  t'ait  ou  était  en  droit  exécutoire.  Les  données  bibliques 
soni,  à  cet  égard,  assez  rares.  Isaïe,  maudissant  ceux  qui,  en  Judée,  s'efforçaient 
d'augmenter  sans  cesse  leurs  possessions  el  d'accaparer  le  sol  à  leur  proCt,  s'écrie  : 

•  Malheur  à  vous  qui  joignez  maison  à  maison,  qui  faites  rejoindre  un  champ  par 
»  un  autre  champ  jusqu'à  ce  qu'il  n'y  ait  plus  de  place  (pour  personne)  afin  que 

•  seuls  vous  habitiez  le  pays  »,  chose  qui  n'eût  pas  été  possible  si  le  régime  du 
Jubilé  avait  élé  en  vigueur  ou  si  la  loi  du  Jubilé  avait  été  observée.  Mais,  d'autre 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVEE  XllL 


III 


Soutenir  ceux  qui  chancellent  autour  de  nous,  relever  ceux  qui 
sont  tonabés  à  nos  cotés  sur  le  chemin  de  la  vie,  voilà  certes  le 
moyen  de  prévenir  bien  souvent  la  souffrance  de  la  misère;  mais  que 
de  qualités  pour  remplir  de  telles  obligations  et  aussi  que  de  vertus 
dont  le  principal  mérite  et  le  caractère  essentiel  sont  la  sponta- 
néité, la  liberté  !  Comment  donc  la  loi  interviendrait-elle  dans 
tous  les  cas,  pour  assurer  l'exécution  de  ce  contrat  de  solidarité 
familiale  et  sociale  ?  Les  sources  de  la  misère  seraient-elles,  d'ail- 
leurs, pour  cela  taries?  La  misère  ne  défie-t-elle  pas  les  prévisions 
les  plus  sages,  les  mesures  législatives  les  plus  miséricordieuses  ? 
Comment  assurer,  par  avance,  un  appui  à  l'étranger  qui,  inconnu, 
vient  d'une  terre  lointaine  chercher  parmi  nous  un  refuge  et  du 
pain  ;  à  l'homme  loin  de  sa  famille,  dont  làge  ou  la  maladie  ont 
épuisé   la   vigueur  ?    La   femme  qui  devient    veuve,    l'enfant   qui 

part,  Ezécliiel  parle  comme  d'une  institution  régulière  et  publique  de  l'année  de 
la  délivrance  '^^")^^  Pj*>i3  (xi.vr,  17),  nom  par  lequel  le  Penlateuque  désif^ne 
l'année  du  Jubilé  (xxv,  10.  Voir  encore  Jérémie,  xxxiv,  S,  15,  47).  Dans  l'as- 
semblée Solennelle  réunie  dans  le  Temple  et  dont  il  est  question  dans  le  livre  de 
Néhémie,  chapitres  ix  et  x,  L^s  signataires  du  pacte  religieux  s'engagent  à  ob- 
server les  lois  de  la  septième  année  (x,  32)  de  la  Schemita,  mais  ne  parlent  pas  de 
celles  du  Jubilé,  peut-être  parce  que  celles-ci  n'avaient,  en  général,  qu'un  caractère 
éventuel.  Philon  est  plein  d'enthousiasme  pour  la  loi  du  Jubilé,  qu'il  commente 
à  deux  reprises  {De  Septenario,  13,  et  De  hionauilate,  11).  Toutefois  les  obser- 
vations du  philosophe  Alexandrin  ne  sauraient  avoir  pour  nous  l'auioriié  d'un 
témoignage.  La  loi  du  Jubilé,  d'après  une  opinion  exprimée  dans  le  Talmud, 
cessa  d'être  en  vigueur  après  l'exil  des  dix  tribus  [Ai-akk/n,  32).  Se  fondant  sur 
ce  passage,  Raschi  (Guiltin,  36(i)  et  Maïmonide  [Hilkhot  Schemittin  Vetjobclot, 
X,  8)  concluent  que  celle  loi  était  abrogée  en  droit  aussi  bien  qu'en  fait  à 
l'époque  du  secoud  temple.  Ces  conclusions  sont  combattues  par  R.  Yacob  Tarn, 
d'après  Arakhlu,  29;  Horaïot,  G,  et  Guiltin,  74. 

Hécalée  d'-\bdèrea  connu  la  loi  du  Jubilé  et  en  donne  un  curieux  témoignage. 
Chose  remarquable  encore,  l'explication  qu'H  en  donne  concorde  singulièrement 
dans  les  termes  avec  la  virulente  apostrophe  d'Isa'ie  aux  accapareurs  du  sol  que 
nous  avons  citée  plus  tiaut  :  où/,  è^^v  Se  toî;  toi;  toùç  loiou;  y.),ripo'j;  7tu>).£iv,  ôttio; 
[/.Y)  tive;  ôià  7;),£ovïiiav...  £x6)i6coGt  toj;  àrco  o;;wTÉpo'j;  :   •  il  n'est  pas  permis  aux 


XIV  ACTES  ET  CONFERENCES 

devient  orphelin,  qui  pourvoira  à  leurs  besoins,  en  attendant  qu'eux 
aussi,  ils  trouvent  leur  libérateur? 

Notre  législateur  y  a  pourvu,  ramenant  toujours,  entre  ceux  que 
le  sort  a  inégalement  partagés,  l'égalité  par  la  fraternité. 

Fête  publique,  fête  privée,  solennité  religieuse,  réjouissance  na- 
tionale, toujours  et  partout,  au  sein  de  chaque  famille,  l'étranger  et 
le  pauvre,  la  veuve  et  l'orphelin  —  la  loi  l'ordonne  —  doivent  avoir 
leur  place  auprès,  au  milieu  des  enfants  :  «  Tu  te  réjouiras  de  tout 
ton  bonheur,  tu  te  réjouiras  devant  l'Eternel  ton  Dieu,  toi,  ton  fils 
et  ta  fille,  ton  esclave  et  ta  servante,  le  lévite,  la  veuve,  l'orphelin 
et  l'étranger  »,  voilà  ce  qu'à  chaque  page,  ordonne  le  5°  livre  de 
Moïse  *, 

Mais  voici  quelque  chose  de  plus  important,  de  beaucoup  plus 
grave  :  le  pauvre  a  droit  à  une  part  de  la  terre,  à  une  part  des 
fruits,  à  une  part  de  la  jouissance  directe  de  la  propriété.  Le  droit 
ù  l'assistance,  ce  droit  au  sujet  duquel  économistes  et  sociologues 
des  diverses  écoles  discutent  encore  — ,  mais  il  y  a  longtemps  que, 
par  la  Bible,  la  question  est  résolue  et  absolument  tranchée  ! 
N'hésitons  pas  ù   le  dire,  parce   que  c'est  la  vérité  :    oui  la   Bible 

>  particuliers  de  vendre  leurs  propres  paris,  de  peur  que  quelques-uns,  poussés 
»  par  l'avidité,  achetant  les  patrimoines,  n'en  expulsent  ceux  qui  sont  plus 
»  pauvres  qu'eux  ».  Ilécatée  ap.  Diodore  de  Sicile,  XL,  3  (Th.  Reinach,  Textes, 
p.  19). 

Dans  le  \\\'  livre  des  Antiquités  (ch.  12),  Jos«phe  consacre  à  la  loi  du  Jubilé 
un  lonp;  parap-raphe.  Il  entre  dans  tous  les  détails  de  mode  d'application  de  cette 
loi.  Les  indications  très  précises  qu'il  nous  donne  forment  une  sorie  de  règlement 
d'administration  qui  ne  se  trouve  consigné  nulle  part  ailleurs  et  qui  ne  peut  être 
que  le  l'ait  d'une  coutume,  sans  doute  en  vigueur  de  son  temps  : 

«  La  50'  année  est  appelée  chez  les  Hébreux  Yobel.  Les  débiteurs  sont  libérés 
»  alors  et  on  alFranchii  les  esclaves  juifs  qui,  pour  expier  une  violation  de  la  loi, 

>  au  lieu  d'èire  mis  à  mort,  avaient  été  privés  de  leur  liberté.  Il  ordonne  que  les 
»   champs  serout  rendus  à  leurs   anciens  maîtres  de  la   manière  suivante  :  quand 

•  vient  le  Yobel,  qui  veut  dire  liberté  (?],  le  vendeur  et  l'acheteur  se  réunissent. 
»  on  fait  l'estimation  et  des  fruits  et  des  dépenses   laites  dans  les  champs.  Si  la 

>  valeur  des  fruits  est  supérieure  aux  dépenses,  le  vendeur  reprend  le  champ 
»    (sans  indemniser   l'acheteur"!.   Si   les  dépenses   ont   été  supérieures,   l'acheteur 

•  doit   recevoir  la  ditrérence.  Au  cas  où  les   profits    égalent   les  dépenses,  les 

•  champs  reviennent  à  leurs  anciens  possesseurs.  Pour  ce  qui  concerne  les  mai- 

•  sons,  etc. . .  » 

XII,  18;  XIV.  26  ;  xvi,  11,  14;  x.wi.  11. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XV 


a  proclamé  h  droit  à  l'assistance  pour  celui  qui  n'a  pas,  le  devoir 
de  l'assistance  pour  celui  qui  possède. 

Et  savez- vous  pourquoi  on  discute  encore?  C'est  parce  que  les 
idées  romaines  pèsent  encore  de  tout  leur  poids  sur  la  concience 
moderne,  car  c'est  de  Rome  que  vient  cet  adage  suinn  cuiriue,  ce 
qui  veut  dire,  en  bon  français,  chacun  pour  soi  ',  Elle  est  encore 
du  droit  romain,  cette  ancienne  définition  de  la  propriété,  jus 
uteiidi  et  abutendi,  le  droit  d'user  et  d'abuser.  Cette  définition,  les 
Romains  l'appliquaient  en  conscience  :  maîtres  de  leurs  personnes, 
ils  trouvaient  le  suicide  chose  absolument  légitime,  ils  le  glori- 
fiaient par  la  bouche  de  leurs  plus  éminents  penseurs.  Maîtres  de 
leurs  enfants,  ^Is  avaient  sur  eux  droit  de  vie  et  de  mort  :  Tacite, 
le  sage  Tacite,  s'étonne  que  les  Juifs  condamnent  le  meurtre  des 
enfants  -  :  Vous  savez  combien,  pour  Tacite,  les  Juifs  étaient  gens 
grossiers  et  barbares  !  Maîtres  de  leurs  esclaves,  cela  va  sans 
dire,  il  y  en  avait  chez  eux  qui,  pour  engraisser  leurs  poissons, 
faisaient  jeter  leurs  serviteurs  dans  les  viviers.  Chose  plus  horrible 
encore  1  le  peuple  romain  tout  entier,  avec  ses  consuls,  son  sénat, 
ses  historiens,  ses  prêtres  et  ses  philosophes,  le  peuple  romain,  maître 
de  ses  gladiateurs,  les  faisait  égorger  devant  lui,  pour  son  amuse- 
ment, ils  mouraient,  saluant  César  !  C'était;  vous  le  savez,  les  vierges 
saintes,  les  blanches,  les  pures,  les  chastes  vestales  qui,  leur  joli 
pouce,  l'ongle  rose  tourné  vers  la  terre,  décidaient  si  on  achèverait 
de  tuer  le  gladiateur  gisant  dans  l'arène  sanglante,  blessé,  mutilé'. 

*  Celui  qui  dit  :  t  Ce  qui  est  à  moi,  est  à  moi  et  ce  qui  est  à  toi,  est  à  loi  > , 
est  un  homme  du  vul>;aire.  Tel  était,  d'après  d'autres,  le  droit  qui  llorissait  dans 
la  cité  de  Sodome  {Abot,  v,  10]. 

*  Si  les  Juifs  s'abstiennent  de  tuer  leurs  enfants,  c'est,  selon  Tacite,  parce 
qu'ils  on(  souci  d'augmenter  leur  population  :  «  Augendce  tamen  muititudini 
»  consulilur;  nam  et  necare  quemquam  ex  agnalis  nel'as.  »  Hisi.,  V,  3.  L'étou- 
nement  du  grave  historien  est  tout  naturel  pour  qui  connaît  les  idées  de  l'anti- 
quité en  général  et  les  usages  établis  en  lois  chez  certains  peuples  tels  que  les 
Lacédémoniens.  Pour  avoir  une  idée  de  la  cruauté  avec  laquelle,  à  Alexandrie,  on 
pratiquait  communément  l'abandon  des  enfants,  il  n'y  a  qu"à  voir  avec  quelle 
indignation  Philon  s'exprime  à  ce  sujet  à  propos  des  lois  mosaïques  qui  ordonnent, 
lors  de  la  naissance  des  animaux  domestiques,  de  laisser  le  petit  avec  la  mère 
au  moins  pendant  sept  jours  et  qui  interdisent  de  cuire  l'agneau  dans  le  lait 
maternel  {De  humanitale,  17\ 

*  Ilérode,    désireux  d'introduire  en  Judée  la  civilisation   romaine  ■,!  ,    lit  cons- 


XVI  ACTES  ET  CONFÉRENCES 


Voilà,  à  Rome,  comment  et  jusqu'où  l'on  comprenait  la  propriété  ! 
Si  aujourd'hui  on  la  comprend  autrement,  nous  y  sommes,  Mes- 
dames et  Messieurs,  croyez-le,  un  peu  pour  quelque  chose.  Nous 
n'avons  pas  le  droit  de  disposer  de  nos  personnes,  nous  ne  nous 
appartenons  pas  à  nous-mêmes;  créatures  de  Dieu,  comment  ose- 
rions-nous prétendre  à  la  propriété  exclusive,  absolue  des  choses 
extérieures  ?  Celui  qui,  avec  des  larmes,  a  semé  le  grain  de  blé 
dans  le  sillon  qu'il  a  creusé  et  qui,  plus  tard,  au  plus  chaud  de  l'été, 
a  moissonné,  a  droit  au  fruit  de  son  travail  *,  sans  aucun  doute, 
mais  ce  fruit  lui  appartient-il  entièrement  '?  Cette  terre  où  il  a  tracé 
son  sillon  est- elle  son  œuvre?  ou  la  pluie  quia  fécondé  le  germe? 
ou  le  germe  lui-même  ?  ou  la  succession  des  saisons?  ou  le  soleil 
qui,  de  ses  rayons  bienfaisants,  a  réchauffé  le  sol  et  doré  les  épis  ? 
—  Ce  n'est  pas  un  réformateur,  un  socialiste  moderne  qui  parle,  je 
vous  traduis  les  pensées,  presque  les  paroles  de  Philon  d'Alexandrie, 
le  vieux  Philon,  Philon  le  Juif,  le  grand  philosophe  qui  a  si  pieuse- 
ment commenté  la  législation  de  Moïse  -.  Pour  continuer  sa  pensée, 
et  ainsi  que  le  dit  notre  vieux  rituel,  c'est  Dieu  «  qui  fait  sortir 
le  pain  de  la  terre  ».  Ce  pain,  laboureur,  il  est  à  toi,  tu  peux  t'en 
rassasier,  mais  donne  une  part  de  ton  pain  au  pauvre  qui  a  faim  et 
qui  est  chair  comme  toi  ^  ! 

C'est  pour  cela  que  Moïse,  le  répétant  quatre  ou  cinq  fois,  a 
dit*  :  «  Quand  tu  moissonneras  le  produit  de  ton  champ,  tu  lais- 
»  seras  sur  pied  le  blé  qui  croît  à  la  bordure  du  champ.  Tu 
»  ne  cueilleras  pas  les  grappes  ni  les  fruits  qui  ont  poussé  à  l'ex- 

truire,  à  Jérusalem,  un  théâtre  dans  lequel  il  faisait  lutter  des  hommes  contre  des 
bêles  léroces.  des  lions  siirlout.  >  Les  étrangers  grecs  ou  romains  admirent  sa 
générosité  et  sont  ravis  du  spectacle,  des  dangers  courus  pour  leur  plaire  rot; 
?évot;  . .  .'Vjx'ïywYia  "wv  tteoi  Tr,v  Ôéav  xivoOvwv.  mais  les  gens  du  pays  voyaient 
là  une  llagraule  violation  des  usages  honorés  chez  eux,  il  leur  paraissait  abso- 
lument impie  d'opposer  des  hommes  à  des  bêles  féroces  pour  repaître  des  hommes 
d'un  tel  spectacle  .  . .  savîpà  xaTàX-jci;  tcjv  -tawaiviov . .  .  ÈOtôv  .  ..  iatèïi  £x  -po- 
ôr|/,oy  ...Or.oîo'.;  àv6pw;;ou;  u;ioppi;r-Eiv,  èTri  -icflti  Tr,;  àvOptoirwv  6ia;  (Josèphe, 
Ant.,  XV,  8,  1;. 
'  Ps,,  cxxvi,  6-7. 

*  De  hiimanitate,  9. 

*  Isaïf,  Lviii,  7. 

*  Lévit..  XIX.  'J-11;  XXIII.  22;  Deulér..  xxiv.  19-22;  xxvn,  19. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XVII 


»  tréraité  de  ta  vigne  ou  de  ton  verger.  Tu  ne  glaneras  pas  en 
»  ton  champ,  tu  ne  grappilleras  pas  ta  vigne.  Si  tu  oublies  une 
»  gerbe  (ou  deux  gerbes  ')  dans  ton  champ,  tu  ne  retourneras 
»  pas  les  chercher.  Tout  cela,  c'est  le  bien  de  l'étranger  ',  de  la 
»  veuve,  de  l'orphelin.  Ne  refuse  pas  l'entrée  de  ton  champ  ou  de 
»  ta  vigne  au  passant  qui  a  faim  ou  qui  a  soif;  qu'il  cueille  des 
»  épis  et  des  grappes,  qu'il  assouvisse  sa  faim  et  étanche  sa  soif, 
»  pourvu  qu'il  n'emporte  rien  avec  lui  ^.  » 

Préceptes  de  charité,  croira-t-on,  laissés  à  la  bonne  volonté  de 
chacun,  sans  obligation  réelle,  sans  sanction  positive  !  —  Moi  aussi 
je  l'ai  cru  jusqu'à  ce  que  j'aie  eu  entre  les  mains,  que  j'aie  vu  de- 
vant mes  yeux  un  témoignage,  le  témoignage  d'un  contemporain 
qui  a  vécu  sous  l'empire  de  cette  loi.  'Voici  ce  que  dit  Flavius 
Josèphe  dans  le  IV"  livre  des  Antiquités  *.  Après  avoir  rappelé 
le  commandement  de  Péa,  qui  prescrit  de  laisser  aux  pauvres 
ce  qui  croît  en  bordure  des  champs,  il  ajoute  :  «  On  ne  doit  pas 
non  plus  empêcher  les  passants  de  goûter  aux  fruits  qui  sont 
»  mûrs.  Il  faut  leur  permettre  de  s'un  rassasier,  qu'ils  soient 
»  Juifs  ou  éiranijers;  qu'ils  se  réjouissent  d'en  prendre  leur  part, 
»  mais  il  ne  leur  est  pas  permis  d'en  emporter...  S'il  en  est 
»  qui  n'osent  pas  y  toucher,   il  faut  les  inviter  à  en  prendi-e,  s'ils 

*  ÂJischna  Pi'a.  vi,  3. 

*  La  Tora  a  vingt-neuf  préceptes  pour  ordonner  l'amour  de  l'élranprer.  Ea 
voici  un  (Deulér.,  x,  î7-i9)  :  «  L'Elernel  votre  Dieu  est  le  dieu  des  puissances 
»  célestes,  le  seigneur  des  seigneurs,  le  Dieu  grand,  puissant,  redoutable,  qui 
»  ne  fait  pas  acception  de  personnes  et  qui  n'accepte  pas   de  prescrit,  qui   rend 

•  justice  à  l'orphelin  et  à  la  veuve  et  qui  aime  l'étranger  pour  lui  donner  du  pain 

•  et  un  vêtement.  Et  vous  aimerez  l'étranger,  car  vous  avez  été  étrangers  en 
.  Egypte.   . 

*  Deuléron.,  xxni,  2o-26. 

*  VIII,  21.  Voir  aussi  le  commentaire  de  celte  loi  dans  Philon.  De  humnnitate, 
9,  et  l'enthousiasme  que  celte  loi  luiiiispire  :  t{;  o'jX  âyacTaiTo. . .  qui  n'admirerait, 
etc. . .  «  Il  (Moïse)  ressemble  à  un  père  de  famille  plein  de  bonté  çtXoff-opYw'afO;, 

•  qui,   voyant  que  ses  enfants  no   sont  pas  tous  aussi  heureux  les  uns   que  les 

•  autres,  les  uns  ayant  des  biens  en  abondance,  les  autres  réduits  à  une  extrême 

•  indigence,  plein  de  pitié  et  de  compassion  pour  ceux-ci,   les  invite  à  prendre 

•  leur  part  des    biens  de   leurs   frères,  à  user  de   ces  biens  d'aulrui   comme  s'ils 

•  étaient  les  leurs,  non  avec  impudence,  mais  pour  soulager  leur  besoin,  et  ayant 
»  ainsi,  non  pas  seulement  une  part  des  fruits,  mais  une  part  de  la  propriélif  elle- 

•  même.  » 

ACT.    ET    CONP.  B 


XVIII  ACTES  ET  CONFERENCES 


»  sont  Israélites,  parce  que  c'est  leur  droit,  étant  coproprié- 
»  taires  en  raiS'On  de  la  communauté  d'origine  ;  s'ils  sont  venus 
»  d'ailleurs,  il  faut  les  supplier  d'accepter  ces  faibles  présents,  car 
»  il  convient  d'offrir  à  nos  hôtes  ce  que  Dieu  nous  a  donné  pour 
»  en  jouir  et  en  donner  libéralement.  Quiconque  n'observe  pas  ces 
»  lois^  qu'il  soif  flagellé  piihliqv.emenl ,  imr  ordre  de  la  justice,  de 
))  trente-neuf  coups  de  fouet  *  :  homme  libre,  il  mérite  ce  châti- 
»  ment  ignominieux-,  car  ne  s'est-il  pas  couvert  de  honte  en 
»  s'abandonnant  à  l'avarice  '.'  Vous  avez  souffert  en  Egypte  et  dans 
»  le  désert,  disait  Moïse,  soyez  donc  compatissants  envers  ceux 
»  qui  souflrent  et  partagez  avec  le  pauvre  les  biens  que  Dieu^ 
»  dans  sa  miséricorde,  vous  a  accordés  en  abondance.  » 

Nous  n'avons  pas  commenté  ni  même  cité  toutes  les  lois  agraires 
faites,  dans  le  Pentateuque,  en  faveur  du  pauvre  ^.  Pour  faire  res- 
sortir à  vos  yeux,  d'une  façon  complète,  la  pensée  qui  les  a  inspirées 
toutes,  nous  voudrions  appeler  votre  attention  sur  les  réflexions  de 
Philon  au  sujet  de  la  loi  qui  ordonne  le  chômage  et  l'abandon  des 
fruits  spontanés  de  la   terre,  la  septième  année  :  «  Que,  pendant 

'  ô  oà  Trapà  taCi-ra  TTOir.Ta;  7:>,r,yâ;  y.ii  y.'.TZovnv.^  TSTaapâxovTa  ("iSH  t3'^3>31N 
rRN)  "w  cr,|j.oc(qj  cxÛTî'.  )a6wv,  Tiawfi'av  xaûtriV  alcytarriV  È/e-JÔepo;  Oiroasvéxti). 

*  11  est  inconleslable.  pour  Philou  aussi,  que  l'aulorité  publique,  judiciaire,  in- 
tervenait p'jur  assurer  Texécution  des  lois  qui  donnaient  aux  pauvres  une  part 
dans  la  possession  des  fruits  :  t  Ceux  qui  ne  peuvent  pratiquer  la  vertu  fleur  de- 
voir) de  bon  cœur  ».  Moïse  les  corrige  malgré  eux  et  les  châtie  par  les  lois 
saintes.  L"homme  de  bien  leur  obéit  de  plein  gré,  l'impie  par  force  et  malgré  lui. 
(Philon,  tin  du  paragraphe  précité.) 

*  Outre  les  fruits  de  la  "«  année  entièrement  abandonnés  aux  pauvres,  on  pré- 
levait, chaque  année,  une  part  des  fruits  (environ  2/100)  pour  les  prêtres,  une 
dîme  pour  les  lévites  :  ni  les  uns  ni  les  autres  n'avaient  ni  terres  ni  revenus  ; 
puis,  une  seconde  dime,  dont  le  produit,  devant  être  consommé  à  Jérusalem  et 
ne  pouvant,  dans  cette  ville,  servir  à  aucune  vente  ni  échange,  devait  être, 
en  fait,  employé  à  l'entretien  des  pauvres  de  la  métropole  (Deut.,  xii,  12,  18  ; 
Psaumes,  cxxxii,  15).  La  3'  et  la  6"^  années,  la  seconde  dime  appartenait  entière- 
ment aux  pauvres  de  la  province  *T^"iyCD  nrijî^l  (Deut.,  xiv,  28).  Les  articles 
5  et  G  du  8"=  chap.  du  traité  Pé'a  règlent  le  mode  de  distribution  et  de  répar- 
tition de  celle  dime,  dite  dîme  des  pauvres.  L'ensemble  des  redevances  toutes 
volontaires  pesant  sur  l'agriculture,  dont  le  produit  était  consacré  au  culte,  à  U 
bienlaisance  et  aux  réjouissances  nationales,  s'élevait  environ  à  1/4  du  produit 
brut  des  champs.  Il  fallait,  en  outre  —  cela  va  sans  dire  —  acquitter  les  impôts 
et  tributs  dont  le  chiiïre  était  très  élevé,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  I  Macchabées, 
X,  29-30. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XIX 


»  six.  ans,  les  propriétaires  jouissent  de  leurs  possessions  et  de 
»  ce  qu'ils  ont  labouré,  mais  que  ceux  qui  n'ont  point  d'héritage 
»  ni  de  fortune  en  jouissent  la  septième  année.  En  cette  année, 
»  tout  le  labour  de  la  terre  doit  cesser  :  on  n'y  cultive  pas,  on 
»  n'y  sème  rien,  car  aussi  il  ne  serait  pas  raisonnable  que  les  uns 
»  travaillassent  et  les  autres  recueillissent  le  fruit.  C'est  pour- 
»  quoi  Moïse  a  voulu  que  les  terres  fussent,  pour  ainsi  dire,  sans 
»  maîtres  (àos^Tcô-rojv),  tout  travail  étant  suspendu  dans  les  champs, 
»  que  les  grâces  viennent  de  Dieu  seul,  pleines  et  parfaites,  distri- 
»   buées  à  tous  ceux  qui  en  ont  besoin  {De  Jmmanifate,  11)  •. 

Moïse  n'a  pas  condamné  la  propriété,  mais  il  a  voulu  déraciner, 
d  ans  le  cœur  de  ceux  qui  possèdent,  l'orgueil  qu'elle  inspire  et  leur 
persuader  qu'ils  ne  sont  que  les  administrateurs  responsables  des 
biens  que  Dieu   leur  a  donnés  pour  leur  jouissance  et  celle  de  leurs 
semblables-.  Dans  le  procès  engagé  entre  le  pauvre  et  le  riche,  il 
n'a   soutenu  le  riche  ni  flatté  le  pauvre  ^.   Il  n'a  pas  glorifié  le 
pauvre  :  celui-ci  souffre  sans  lavoir  voulu.  Il  n'a  pas  glorifié  la 
pauvreté  :  la  pauvreté  est  un  mal  que  l'on  ne  guérit  qu'à  force  de 
courage,  de  patience  et  de  résignation  *.  Il  n'a  pas  maudit  la  ri- 
chesse :  le  travail  béni  par  Dieu   n'est-il  pas  souvent  la  source 
même  de  la  richesse  ^  ?  Il  n'a  pas  maudit  le  riche  :  le  riche  peut  se 
sanctifier  à  force  de  justice,  de  charité  et  de  modestie  «.  Dieu  a  créé 

*  La  terre  doit  appartenir  au  pauvre  une  année  sur  sept  :  voilà  pourquoi,  cette 
année-là,  les  propriétaires  ne  cultivent  pas  la  terre,  la  culture  étant  en  quelque 
sorte  l'aftirmalion,  la  manifestation  de  leur  droit  de  possession,  la  inpTri-  Cette 
pensée  de  Philou  peut  paraître  hardie,  mais  le  Pentateuque  dit  exactement  la 
même  chose,  la  première  fois  qu'il  est  question  de  la  loi  de  Schemita  :  «  Six 
.  années  tu  ensemenceras  ta  terre  et  tu  recueilleras  son  produit.  Et  la  septième, 
.  tu  la  chômeras  et  la  laisseras  à  l'abandon,  et  les  pauvres  de  ton  peuple  mange- 
.  ront  et  ce  qu'ils  auront  laissé  sera  la  nourriture  de  l'animal  des  champs.  Ainsi 
»  tu  feras  dans  ta  vigne  et  ton  oliveraie.  •  Exode,  xxni,  10-11. 

»  Abot,  m  :  •  Donne  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu  ;  toi  et  tout  ce  que  tu  as,  tout 
est  à  Dieu.  • 

»  Exode,  XXII,  3,  6  ;  Lévit.,  xix,  15. 

*  Ps.,  xxxiv,  7;  Lxxiv,  21. 

s  Psaumes,  cxii,  2-5,  9;  I  Chron.,  xxix,  12;  II  Chron..  xxxi,  10. 

«  Genèse,  xxiv,  xxvi,  xxxix,  XLix  ;  Exode,  xxm  ;  Deutér.,  ii,  vu,  viii,  xii, 
XIV,  XT,  XVI,  XVII,  xxvin,  xxx,  xxxiii  ;  Michée,  vi,  8  ;  Isaïe,  Lxv  ;  Ps.,  lxt  ; 
Prov.,  X,  22  ;  Job,  i,  10;  Ecclésiastique,  xxxi  ou  xxxiv,  8-11. 


XX  ACTES  ET  CONFERENCES 

le  pauvre  et  le  riche  l'un  en  face  de  l'autre,  dit  le  sage  '.  Le  pauvre 
et  le  riche  se  sont  rencontrés,  a  dit  Salomon,  tous  deux,  l'Eternel 
les  a  faits  -,  reconnaissants  l'un  et  l'autre  le  lien  qui  les  unit,  l'é- 
galité sereine  et  la  douce  fraternité  des  enfants  de  Dieu=*. 


IV 


Mesdames  et  Messieurs  !  laissons  là  les  sublimes  pensées  de  notre 
législateur  et  des  prophètes,  ses  éloquents  disciples,  et,  au  risque 
d'abuser  de  votre  attention  si  bienveillante,  demandons-nous,  — 
comme  nous  devons  quelque  peu  remplir  notre  programme,  —  de- 
mandons-nous, aussi  rapidement  que  possible,  comment,  d'après  le 
Talmud,  se  faisait  la  distribution  de  la  part  des  pauvres?  pourquoi 
l'agriculture  en  faisait  seule  les  frais?  enfin,  si,  à  côté  de  cette 
assistance  strictement  privée,  il  y  avait  place,  dans  la  bienfaisance 
légale,  pour  une  action  collective  et  commune. 

Les  fruits  attachés  encore  au  sol,  ou,  selon  les  prescriptions  de 
la  loi,  abandonnés  à  la  superficie  des  champs,  les  pauvres  devaient 
aller  les  cueillir  ou  les  recueillir  de  leurs  mains*,  acquérant  ainsi, 
par  ce  léger  travail,  un  droit,  un  droit  quelconque,  à  la  possession 
des  fruits.  Le  maître  du  champ  était  présent  pour  les  aider  et 
pour  éviter  toute  confusion,  tout  désordre  ^.  La  récolte  des  pauvres 
se  faisait  à  trois  heures  différentes^.  A  la  pointe  du  jour,  venaient 
les  jeunes  mères,  profitant  du  sommeil  de  leurs  nourrissons.  A  midi, 
venaient  les  enfants  des  écoles,  les  classes  étant  terminées  à  midi. 
Le  soir,  les  champs  étant  souvent  loin  de  la  ville,  la  chaleur  du 
jour  étant  tombée,  venaient,  à  pas  lents,  les  vieillards  appuyés 
sur  leur  bâton  ^,  et,  à  cette  heure  tardive,  il  en  restait  encore  assez 

*  Ecclésiaste,  vu,  14. 

*  Prov.,  ixii,  2. 
^  Deut.,  XIV.  1. 

*  Mtschna  Péa,  iv,  4. 
»  Ibtd.,  1. 

6  Ibid.,  5. 

'  Ibid.,  jérusalmi,  183  et  20d. 


ASSISTANGli:  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXI 

pour  eux.  R.  Yohanan  b.  Nouri',  aussi  pauvre  que  savant  (et 
c'était,  sans  doute,  pour  l'époque,  un  très  grand  savant),  allait 
glaner,  le  soir,  avec  les  houinies  de  son  âge,  et,  tout  l'hiver,  il  se 
nourrissait  des  fruits  qu'il  avait  recueillis  l'été  ". 

Nos  pères,  n'ayant  guère  d'autres  biens  que  leurs  champs  et  le 
produit  de  leurs  champs,  réservaient  aux  pauvres  une  part  de  leur 
récolte,  grand  sacrifice,  du  reste,  que,  sans  médire  de  nos  conci- 
toyens, Moïse  eût  eu  de  la  peine  à  obtenir  de  nos  bons  paysans  de 
la  Beauce,  de  la  Brie,  voire  même  de  la  Normandie  ;  mais  ce 
sacrifice  n'est  pas  le  seul  que  la  Loi  exige  :  «  Tu  ouvriras  lar- 
gement ta  main,  dit  la  Bible  à  deux  reprises^,  à  ton  frère  le 
pauvre,  l'indigent  de  ton  paj's,  et  tu  lui  donneras  tout  ce  dont  il  a 
besoin  ».  Tout  ce  dont  il  a  besoin,  c'est  beaucoup,  ce  serait  même 
trop,  si  toutefois  on  devait  comprendre  ce  précepte  à  la  façon 
de  Hillel.  Un  jeune  homme  de  bonne  famille,  prince  déchu  sans 
doute,  vint  trouver  un  jour  Hillel  :  «  Rabbi,  aie  pitié  de  moi,  lui 
»  dit-il  !  Habitué  à  aller  à  cheval,  précédé  d'un  coureur,  je  n'ai 
»  maintenant  ni  cheval,  ni  serviteur,  ni  argent  pour  en  acheter  ! 
»  Me  vois-tu,  moi,  forcé  d'aller  à  pied  et  tout  seul!  »  Hillel  lui 
procure,  de  ses  deniers,  un  cheval  et  un  esclave.  Le  lendemain, 
autre  histoire  :  l'esclave  s'était  enfui  !  L'autre  aussitôt  de  courir 
chez  Hillel.  «  Excuse-moi,  mon  ami,  lui  dit  le  bon  rabbi,  je  n'ai 
»  pas  d'argent  aujourd'hui,  demain  je  t'achèterai  un  autre  ser- 
»  viteur.  »  Et  pour  que  le  jeune  prince  ne  sentît  pas  sa  misère, 
misère  toute  relative,  il  est  vrai,  tout  le  jour  Hillel  lui  servit 
de  courrier*. 

Le  précepte  biblique  vat-il  vraiment  jusque-là  ?  il  nous  est 
permis  d'en  douter;    mais,    quelque  réserve  que  nous  fassions   à 


>  Ibid.,  20  rf. 

*  Ces  heures  étaient  réservées  exclusivement  aux  indifijenls  de  ces  trois  catégo- 
ries particulièrement  intéressantes.  Les  autres  venaient  à  d'autres  heures  de  la 
journée,  demandant  aux  moissonneurs  la  permission  de  glaner.  Ainsi  fit  Rulh, 
venant  glaner  dans  les  champs  de  Boaz,  dans  la  matinée,  le  maître  étant  absent 
(Uuth,  II,  7). 

'  nriDn  nPï,  Deut.,   xv,  8,  il,    sans  compter  la  double  recommandation  du 

verset  10  :  nb  "^nna  ..ob  \r\T\  "jini. 

*  Sifrè  Reih  ;  Tosifta  Péa,  iv,  10  ;  jérusalmi,  21  a  ;  Ketoulot,  68. 


XXli  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

cet  égai-tl,  il  nous  ftiut  reconnaître  qu'il  n'est  pas  facile  à  chacun 
d'entre  nous ,  ni  possible  d'accomplir  dans  toute  sa  teneur , 
l'obligation  de  fraternité  dont  Mo'ise  nous  a  fait  une  loi,  à  tous  : 
donner  à  tous  les  malheureux  qu'on  rencontre,  tout  ce  qui  est  néces- 
saire/;o«</- sz^^^/fc/i//- à  Zeî^rs  hesoins.  Mais  ce  qu'un  seul  ne  saurait 
faire,  si  riche  qu'il  soit,  ce  qui  ne  lui  serait  même  pas  permis  de 
faire,  car  il  priverait  ainsi  tous  les  autres  de  la  joie  de  la  charité , 
tous  peuvent,  tous  doivent  le  faire  en  unissant  leurs  volontés,  leur 
intelligence,  leurs  cœurs.  L'œuvre  de  la  charité  doit  être,  selon  la 
parole  du  prophète,  une  œuvre  d'harmonie  et  d'union  *.  Du  précepte 
de  Moïse  ainsi  compris  résulte  donc  l'obligaiion  d'une  assistance 
exercée  collectivement.  De  là,  en  effet,  l'institution,  en  Israël,  de  la 
caisse  publique  de  charité,  dont  il  est  si  souvent  question  dans  les 
ouvrages  talmudiques,  institution  qui  doit  remonter  bien  loin  dans 
l'histoire,  qui  doit  être  postérieure  de  très  peu  à  l'époque  où  Néhé- 
mie,  au  v*'  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  créa,  à  côté  du  Temple, 
des  magasins  publics  pour  recevoir  la  dîme  et  la  répartir  entre  tous 
ceux  qui  y  avaient  droit  -. 

D'après  la  Mischna  de  Schehah'm,  v,  6,  il  y  avait,  dans  le  Tem- 
ple, ou  dans  ses  dépendances,  une  chambre  appelée  la  chambre  du 
mystère ,  lisdtkat  Haschaïni ,  ainsi  nommée  parce  que  les  û"'::^"'' , 
meluentts,  les  gens  vénérant  plus  particulièrement  le  nom  divin,  y 
faisaient  déposer  leurs  dons  dans  le  plus  grand  mystère,  et  que  le 
produit  de  ces  dons  servait  à  entretenir,  d'une  façon  également 
mystérieuse,  les  gens  de  naissance  tombés  dans  le  besoin.  D'après 
la  Tosifta,  même  traité,  ii,  l(j,  chaque  ville  avait,  à  l'instar  de 
Jérusalem,  dans  la  principale  synagogue  sans  doute,  une  chambre 
des  aumônes  mystérieuses. 

Dans  l'antique  communauté  juive,  la  bienfaisance  pulilique  était 
exercée  par  deux  institutions  différentes.  Chacune  d'elles  avait 
ou  devait  avoir  ses  ressources  propres  ;  elles  étaient  distinctes 
dans  leurs  attributions,  leur  organisation,  leur  mode  de  fonction- 

»  Ûl"?U;  npij:"  71^^73  rr^m.  Isaie,  xxxn,  17. 

»  Néhémie,  x,  49-40;  xni,  13.  Voir  encore  I  Cbron.,  ix,  23;  xxiit,  28,  et  Ma- 
lachie,  m,  10.  Dans  II  Cbron.,  xxxi,  II,  l'auleur  fait  remonter  celle  institution 
au  règne  d'Ezéchias,  c'est-à-dire  environ  deux  siècles  et  demi  auparavant. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXIII 

nement.  Déjà  la  Mischna  de  Pm  et  la  Tosifla  les  mentionnent 
toutes  deux  avec  les  différences  essentielles  qui  les  caractérisent 
Tune  et  l'autre.  L'établissement  de  ces  deux  institutions  ou  tout  au 
moins  de  l'une  d'elles  (à  qui  alors  est  dévolu  tout  le  département 
de  la  charité  publique)  est  une  obligation  stricte  pour  toute  com- 
munauté. Il  résulte  de  la  Tosifta  que  tout  Israélite  a  le  droit  d'en 
requérir  la  création  dans  la  ville  qu'il  habite  et  d'obliger  ceux  qui 
y  demeurent  depuis  trente  jours  à  concourir  à  l'entretien  de  la 
caisse  publique  de  charité  '.  On  n'a  jamais  vu  de  communauté  en 
Israël,  dit  Maïmonide^,  si  petite  et  si  pauvre  qu'elle  soit,  qui  n'ait 
pas  de  caisse  publique  de  charité  ^. 

Ces  deux  institutions  sont  le  Tam'hoid  *  et  la  Kouppa^  celle-ci 
caisse  de  charité  publique  qui  fournissait  les  moyens  de  pourvoir 
aux  besoins  des  pauvres  en  général  ;  celle-là  destinée  à  soulager  la 
misère  la  plus  urgente. 

Chaque  jour,  dans  chaque  maison,  on  allait  recueillir  des  ali- 
ments ou  de  l'argent.  Nul,  les  indigents  exceptés,  n'avait  le  droit 
de  refuser  son  offrande  :  l'obole  du  pauvre  toutefois  n'était  pas 
refusée  ^, 

Trois  administrateurs  étaient  chargés  de  recueillir  les  offrandes 
et  les  dons  et  d'en  faire  journellement  la  répartition.  Ils  donnaient 
à  tous  venants,  sans  information  préalable,  aux  étrangers  comme 
aux  pauvres  de  la  localité,  sans  distinguer  le  culte  ou  l'origine,  en 
s'enquérant^uniquement  du  nombre  de  personnes  à  secourir.  Chacun 
recevait  de  quoi  faire  deux  repas  ;  la  veille  du  sabbat,  trois  repas, 
composés  de  pain,  de  légumes  et  d'assaisonnements*'.  Si  le  pauvre 
voulait  passer  la  nuit  dans  l'endroit,  on  lui  donnait  un  gîte  et, 
pour  la  nuit,  un  lit  et  une  couverture  \  Seuls  ceux  qui  allaient 

1  R.  Méir  de  Rolhenbourg,  d'après  Mordechaï,  Baba  Batra,  I. 

'  Matnot  Anyïm,  ix,  3. 

»  Combien,  en  France  ou  ailleurs,  de  communes  dépourvues  encore  de  toute 
or"-anisalion  de  l'assistance  et  où,  ea  dehors  de  la  charité  privée,  la  misère  ne 
trouve  aucun  soulafi;ement  ! 

'<'  Mol  d'origine  persane  qui  signilie  i  huche,  panier  à  pain  ». 

5  Tosifta  Pca,  iv,  10. 

6  Ibid.,8. 

^  Baba  Batra,  9  a. 


XXIV  ACTES  ET  CONFERENCES 

mendier  de  porte  en  porte  étaient  exclus  de  ces  distributions  •  ; 
quiconque  possédait  des  aliments  pour  la  journée  devait  s'abstenir 
de  recourir  au  Tum'hoin. 

La  Koiippa  était  l'institution  de  charité  par  excellence,  chargée 
de  pourvoir  à  tout  :  le  pauvre  y  recourait  chaque  fois  qu'il  était 
dans  la  détresse  et  pour  toutes  les  nécessités  de  la  vie.  Mais  on  ne 
donnait  qu'à  ceux  qui  habitaient  la  ville,  qui  étaient  vraiment  dans 
le  besoin.  En  attendant  que  le  pauvre  put  se  suffire  par  son  tra- 
vail, on  commençait  par  lui  donner  de  quoi  vivre  une  semaine. 
Tous  les  vendredis,  on  allait  de  maison  en  maison,  recueillir 
les  offrandes  et  les  cotisations  de  chaque  habitant.  La  charge 
imposée  à  chacun  volontairement  ou  non  était  ainsi  de  beaucoup 
plus  légère,  répartie  entre  les  cinquante-deux  semaines  de  l'année  : 
ce  n'était  pas  un  impôt  que  l'on  semblait  payer,  mais  une  dépense, 
la  part  du  pauvre,  qui  s'ajoutait  aux  dépenses  ordinaires  du  ménage. 
Tous,  hormis  les  plus  pauvres,  tous,  même  les  moins  aisés,  avaient 
ainsi  le  moyen  et  acquéraient  l'habitude  d'accomplir  facilement  leur 
devoir  de  fraternité.  Jamais  l'argent  de  la  charité  ne  restait 
inactif  (car  c'était  le  vendredi  aussi  qu'on  distribuait  les  secours), 
passant  presque  immédiatement  de  la  main  du  bienfaiteur  à  celle  des 
obligés. 

La  Kouppa  avait,  au  moins,  deux  receveurs,  Gabbaïm,  et  trois 
administrateurs,  Parnacim.  Les  Gahlaim,  receveurs,  rencontraient, 
ce  semble,  dans  l'accomplissement  de  leur  tùche  peu  de  difficultés, 
aidés  par  la  générosité  empressée  de  ceux  dont  ils  recueillaient 
l'offrande.  La  preuve,  c'est  que  leur  charge  était  hautement  prisée, 
réputée  fonction  honorifique  HTT':^  ;  c'est  pourquoi,  comme  toute 
fonction  de  ce  genre,  elle  devait  avoir  au  moins  deux  titulaires-. 

Les  Parnacim  exerçaient  une  véritable  magistrature  ;  c'est  pour- 
quoi ils  devaient  être  trois  comme  des  juges  :  ne  disposaient-ils 
pas  souverainement  du  bien,  presque  de  la  vie  du  pauvre  ^  '?  Aussi, 
pour  rempUr  cette  fonction  auguste,  ce  ministère  sacré,  choisissait- 
on  les  plus  sages,  les  plus  pieux,  les  plus   vénérés   entre   tous    : 

»  Tosifta,  ibid.  ;  Baba  Batra,  8. 

*  û-^rw":  mno  -nn^in  '"^y  rn-iw  û^;?:»  "j-^n,  Baba  Batra,  i.  c. 

•  Jérusalmi  Péa,  21  a. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXV 


\ 


R.  Yocé,  R.  Eléazar  étaient  Parnacim  '.  R.  Akiba,qui,  durant  qua- 
rante années,  fut  le  chef  moral  de  toute  la  nation  -,  était  adminis- 
trateur de  la  Caisse  des  pauvres''.  L'institution  de  la  Kouppa  réali- 
sait, pour  nos  sages,  l'idéal  de  la  charité  :  donner  sans  savoir  à  qui 
l'on  donne,  recevoir  sans  savoir  de  qui  l'on  reçoit  :  c'est  mieux 
encore  que  le  précepte  de  l'Evangile  *.  Mais  si,  pour  éviter  à  l'un 
l'orgueil,  à  l'autre  la  honte  du  bienfait  et  peut-être  le  péché  de  l'in- 
gratitude, il  convient  que  le  bienfaiteur  et  l'obligé  s'ignorent  l'un 
l'autre,  le  dispensateur  des  bienfaits  de  tous  doit  connaître  ceux 
à  qui  il  fait  part  des  deniers  précieux  et  sacrés  de  la  charité 
commune.  Ben  Sira  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Si  vous  faites  du  bien, 
sachez  à  qui  vous  le  ferez  et  ce  que  vous  ferez  de  bien  sera  une  vraie 
charité  ^  ».  Mais  l'enquête  pleine  de  discrétion,  de  circonspection  et 
de  clairvoyance  que  s'impose  l'administrateur  du  bien  des  indigents 
pour  s'acquitter  religieusement  de  sa  tâche,  doit  être,  avant  tout, 
prompte,  rapide  autant  que  sérieuse  et  approfondie,  selon  la  parole 
du  même  vieux  sage  hébreu  :  «  N'attristez  pas  le  coeur  du  pauvre  et 
ne  différez  pas  de  donner  à  celui  qui  souffre  ^  ».  Si,  d'après  le 
Talmud',  l'indifférence  devant  la  misère  est  un  crime  aussi  grand 
que  l'apostasie,  toute  lenteur  dans  l'accomplissement  du  devoir  de 
l'assistance^,  toute  lenteur  qui  aggrave  la  souffrance  d'un  infor- 
tuné et  peut  la  rendre  incurable,  est  aussi  un  crime  qu'une  âme 
scrupuleuse  ne  saurait  jamais  se  pardonner.  Témoin  l'histoire  du 
pauvre  Nahoum.  Nahoum  était  un  optimiste  par  excellence.  Il  était 
de  Guimzo,et  on  l'appelait  l'homme  de  Gamzou,  parce  que,  qu'il  lui 


»  Ibid. 

*  Sifré',  II,  fin;  Genèse  Rabba,  Vayehi. 

*  Maacer  Sch^ni,  v,  9  ;  Kiddouschin,  26;  Baba  Mecia,  11. 

*  Que  la  maiQ  gauche  ignore  ce  que  donne  la  main  droite. 
5  Ecclésiastique,  xii,  1. 

8  Ibid.,  IV,  3. 

^  Pensée  de  R.  Josué  b.  Korha,  Tosifta  Péa ,  iv,  20;  jérusalmi,  21  a; 
b.  Ketoubot,  68. 

*  Qu'il  s'agisse  de  charité  publique  ou  de  charité  privée,  le  devoir  est  le 
même,  la  charité  publique  n'étant  que  la  somme,  l'effort  commun  de  toutes  les 
charités  privées  :  Ttspiopwv  îxÉTriV  poriôelv  évov  (iTteOOuvo;  être  lent  à  secourir  un 
suppliant,  c'est  [d'après  la  Loi)  être  responsable  de  son  malheur,  Josèphe,  Contre 
Âpion,  II,  27. 


XXVI  ACTES  ET  CO.NFÉREiNCES 

arrivât  heur  ou  malheur,  il  disait  toujours  :  Gam  zou  (letoha,  cela 
aussi  est  un  bien  '.  Son  optimisme,  un  jour,  fut  soumis  à  une  bien 
cruelle  épreuve.  Monté  sur  un  âne,  conduisant  trois  mules  chargées 
de  présents,  il  se  rendait  chez  son  beau-père.  A  la  porte  de  celui-ci, 
il  rencontre  un  pauvre,  les  traits  hâves,  le  visage  rongé  par  la 
souffrance  :  «  Rabbi,  lui  crie  le  pauvre,  donne-moi  à  manger,  ou  je 
»  meurs!  »  —  «  A  l'instant,  mon  ami,  je  reviens,  dit  Nahoum;  je 
h  ne  fais  ([ne  décharger  mon  âne,  et  je  serai  à  toi  !  »  Un  instant 
après,  ?Jahoum  était  près  du  pauvre,  mais  le  pauvre  était  mort! 
Nahoum  se  jette  sur  le  malheureux,  le  serre  dans  ses  bras,  lui  baise 
les  plaies  du  visage  et,  accablé  de  douleur,  de  remords,  il  s'écrie  : 
«  Mes  yeux,  vous  qui  n'avez  pas  vu  sa  faiblesse,  soyez  désormais 
»  fermés  à  toute  lumière!  Mes  mains,  vous  qui  ne  vous  êtes  pas 
»  tendues  vers  lui,  devenez  immobiles  et  inertes!  Mes  pieds,  vous 
»  qui  n'avez  pas  couru  pour  le  soulager,  cessez,  pour  jamais,  de 
»  marcher!  Ma  chair,  toi  qui  n'as  pas  frémi  devant  sa  souffrance, 
»  sois  pour  toujours  condamnée  à  la  souffrance!  »  Sa  malédiction 
se  réalisa  point  par  point,  et,  dans  cet  excès  d'infortune,  ce  fut 
désormais  pour  lui  une  joie,  la  seule  joie  qu'il  goûtât  dans  sa  vie, 
de  souffrir,  de  toujours  souffrir  !  N'expiait-il  pas  ainsi,  disait-il  à 
son  disciple  Akiba,  le  crime  involontaire  qu'il  avait  commis,  ce 
crime  dont  son  âme  pieuse  conservait  toujours  le  cuisant  sou- 
venir -  ? 

Donner  est  donc  un  devoir  qui  ne  souffre  aucune  remise,  aucun 
délai;  donner  est  un  devoir  absolu.  De  celui  qui  reçoit  et  de  celui 
qui  donne,  c'est  encore  celui-ci,  disait  R.  Josué  b.  Lévi,  qui  est 
l'obligé.  Ne  doit-il  pas,  en  effet,  au  pauvre,  en  échange  des  secours 
qu'il  lui  donne,  la  plus  belle,  la  plus  pure  de  toutes  les  joies?  Le 
pauvre  est  quelquefois  ingrat?  qu'importe  !  Le  mérite  de  donner 
n'en  est  que  plus  grand,  disait  R.  Yocé  '. 

>  Sanhédrin,  109. 

»  Péa,  21  b  ;  Taanit,  21  a. 

*  Un  jour,  il  héberge  une  troupe  de  pauvres.  Ils  s'en  vont,  le  comblant  de 
louanges  :  «  Hélas,  dit-il,  j'ai  reçu  ma  récompense  1  •  D'autres  pauvres,  quel- 
ques jours  plus  tard,  viennent  se  rassasier  à  sa  table  et.  lui  parti,  le  couvrent  de 
malédictions  et  d"injures  :  «  Voilà  des  gens,  dit-il  sans  se  tâcher,  à  l'égard  des- 
quels on  a  du  mérite  à  pratiquer  le  devoir  de  la  charité  I  •  ij.  /Va,  21  a). 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XX Vil 

On  devait  au  pauvi^etout,  mais  tout  d'abord,  quand  la  liberté  lui 
avait  été  ravie,  on  lui  devait  la  liberté.  L'esclavage  est  le  pire  des 
maux,  dit  le  Talniud  '.  Servir  des  étrangers,  s'astreindre  à  obéir  à 
toutes  leurs  volontés,  à  tous  leurs  caprices,  c'est  pour  les  Juifs  une 
infortune  plus  grande  que  les  plus  cruels  supplices,  dit  Josèphe  "^ . 
On  devait  donc  tout  donner,  tout  sacrifier,  vendre,  s'il  le  fallait,  la 
maison  de  Dieu  elle-même,  les  rouleaux  de  la  Loi  enfermés  dans  le 
sanctuaire -^  afin  de  pouvoir  rendre  aux  siens  celui  qu'un  sort  cruel 
avait  privé  de  la  liberté.  Ce  devoir  a  aussi  ses  limites.  La  sagesse, 
la  raison  doivent  régler  même  les  élans  du  cœur,  l'intérêt  personnel 
céder  à  l'intérêt  du  grand  nombre.  Mieux  vaut  souffrir,  dit  le 
Talmud,  mieux  vaut  même  laisser  souffrir  les  siens  que  de  faire 
souffrir  les  autres.  Les  rabbins  ont  donc  décidé  qu'il  ne  serait  pas 
permis  :  l°de  favoriser  l'évasion  des  captifs,  de  peur  d'exaspérer  la 
violence  des  maîtres  contre  ceux  qui  seraient  tombés  ou  (jui  tom- 
beraient dans  la  même  infortune  ;  2"^  de  pajer  de  trop  fortes  ran- 
çons, de  peur  de  provoquer  de  nouveaux  rapts  *. 

Mais,  en  dehors  de  ces  grandes  infortunes  devant  lesquelles  le 
cœur  de  chacun  s'émeut  et  est  prêt  à  tous  les  sacrifices,  la  bienfai- 
sance publique  a,  en  quelque  sorte,  sa  tâche  quotidienne  à  remplir, 
doit  satisfaire  journellement  aux  besoins  si  nombreux,  si  variés  des 
indigents.  De  quelle  façon  et  dans  quelles  limites  s'acquittait-elle  de 
son  devoir? 

Les  pauvres  avaient  un  domicile  de  secours,  où  on  leur  donnait 
non  seulement  la  nourriture  et  un  gite,  — car,  à  cette  époque  loin- 


*  Baha  Batra,  8  b  :  conclusion  liiée  par  R.  Yohanan  de  Jéremie,  xv,  2. 
»  Anf.jud.,  XVI,  1,  1. 

'  Baba  Batra.  8  ;  Tosafol.  La  charité  passe  toujours  avant  le  culte  '^ZU  ^D 
n!2T  N51  "^Pl^Dn  •  je  désire  la  charité,  non  le  sacrifice  »,  a  dit  le  proplièle  (Osée, 
Ti,  6).  R.  Ami  b.  Hama,  faisant  admirer,  un  jour,  une  magnili'jue  s_vnay;ogue 
élevée,  à  grands  frais,  par  sa  famille,  à  Lydda,  disait  avec  orgueil  à  R.  Hos- 
chaya  :  que  de  trésors  mes  pères  ont  consacrés  à  cette  œuvre!  »  (Lilt.  ont  enfouis 
dans  celte  construction;.  Dis  plulôf,  répondit  R.  Hoschaya,  que  d'âmes  ils  y  ont 
enlouies  !  N'y  avait-il  donc  pas  de  pauvres  étudiants  auxquels  ils  auraient  pu 
fournir  le  moyen  de  s'instruire  ?  (j.  Pt'a,  21  b). 

*  Guittin,  IV,  9;  babil,  46.  Celte  dernière  restriction  b'appliquo  non  seulement 
à  la  caisse  publique  de  charité,  mais  —  il  laiil  bien  le  remarquer  —  même  à  la 
famille  du  captif,  aux  plus  proches,  le  mari  seul  excepté. 


XXVllI  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

taine,  ce  n'était  pas  un  crime  de  n'avoir  pas  d'asile  :  ledit  de  Fran- 
çois 1*'"  condamnant  aux  galères  le  malheureux  sans  demeure  n'était 
pas  encore  rendu  ',  ni  notre  loi  contre  le  vagabondage  —  les  pau- 
vres avaient  donc  un  domicile  de  secours  ^,  où  on  leur  donnait, 
outre  les  aliments,  des  vêtements  selon  la  saison,  des  secours  de 
loyer,  etc...,  tout  ce  qu'ils  ne  pouvaient  se  procurer  par  leur 
travail;  mais  ce  domicile,  ils  n'y  étaient  pas  condamnés,  internés 
en  quelque  sorte,  —  on  n'obligeait  pas  les  pauvres  à  entretenir  les 
pauvres,  —  ce  domicile,  ils  le  choisissaient  eux-mêmes,  ils  en 
changeaient  à  leur  gré,  allant  se  fixer  partout  où  ils  pensaient 
trouver  du  travail  ou  de  l'assistance  3.  Au  bout  d'un  mois,  de  six 
mois,  d'un  an  de  séjour,  ils  acquéraient  successivement  le  droit  à 
tous  les  secours  que  la  cité  devait  aux  pauvres  domiciliés  sur  son 
territoire  *. 

Les  veuves  -,  surtout  celles  qui  avaient  de  jeunes  enfants,  avaient 
droit,  les  premières,  aux  secours  de  la  Kouppa,  la  loi,  protectrice 
de  lenfance  en  bas  âge,  ne  permettant  pas  à  la  veuve  de  se  rema- 
rier avant  que  le  plus  jeune  enfant  ait  au  moins  deux  ans  ^. 

*  Par  ses  édits  de  janvier  1534  et  daoût  1o36,  François  I«'  ordonna  que  les  va- 
gabonds seraient  condamnés  à  l'horrible  supplice  de  la  roue.  En  1350,  le  roi  Jean 
s'était  contenté  (!)  de  condamner  le  vatrabond  récidiviste  au  pilori,  à  la  marque  au 
fer  rouge  et  au  bannissement.  Ses  successeur?,  rencbérirent  successivement  eu 
cruauté,  mais  naturellement,  ii  ne  fut  pas  possible  de  dépasser  François  1". 

*  L'inslilulion  du  domicile  de  secours  est  établie  dans  presque  tous  les  pays 
en  dehors  de  la  France. 

^  Le  Talmud  parle  avec  admiration  (Tosi/ta  Soukka,  iv,  6;  b.  51,  53)  delà 
grande  synagojïue  d'Alexandrie,  la  granue  Diplesta  (double  colonnade]  comme 
il   l'appelle,  t  Dans  cette  grande  basilique,  où  se  trouvaient  des  sièges  dorés  pour 

>  les  70  membres  du  sanhédrin  de  la  ville,  il  y  avait  des  places  distinctes  pour 
»  chaque  profession  :  orfèvres,  argentiers,  Ibrgerous,  mineurs,  tisserands,  la  place 
»  de  chaque  profession  était  marquée  à  part.  Un  ouvrier  étranger  venait-il  à 
»  Alexandrie  ?  aussitôt  il  se  rendait  à  la  basilique  auprès  de  ceux  de  sa  profes- 
»  sien  et   ceux-ci  lui  procuraient   du  travail  ou   l'aidaient  en   attendant  qu'il  en 

>  trouvât.  »  Ainsi  la  grande  basilique  d'Alexandrie  était  en  même  temps  une 
bourse   de   travail  ! 

*  Tosifta  Péa,  iv,  9  ;  j.  21  a  ;  j.  Baba  Batra,  12</;  b.  ibid.,  8. 

*  Horaiot,  13  :  •  La  femme  doit  toujours  être  secourue  avant  l'homme,  qu'il 
s'agisse  d'aiimenls,  de  nourriture,  etc...,  parce  qu'elle  a  honte  de  demander; 
surtout  quand  il  sagit  de  constituer  une  dot  ». 

*  Yebamot,  45. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXIX 

Les  magistrats  de  la  ville,  ainsi  que  le  dit  Maïraonide,  d'après 
le  Talmud,  sont  les  pères  des  orphelins'.  Ils  leur  doivent,  non 
seulement  l'entretien  matériel,  mais  l'éducation  physique,  intel- 
lectuelle et  morale  2.  Us  doivent  leur  faire  apprendre  un  métier 
et  leur  fournir,  surtout  aux  filles,  avec  une  dot,  les  moyens  de 
se  marier  ^ . 

Les  enfants  abandonnés...,  il  n'y  en  avait  pas.  Quelquefois,  au 
cours  de  ces  horribles  disettes  comme  il  en  éclatait  jadis,  des  parents, 
affolés  par  la  faim,  laissaient  leurs  enfants  à  la  charge  de  la  charité 
publique  *  pour  que  ceux-ci  ne  manquassent  plus  de  rien  ^  ;  mais,  en 
dehors  de  cette  exception  extrêmement  rare,  il  n'y  avait  pas  d'en- 
fants abandonnés,  il  ne  pouvait  pas  y  en  avoir!  La  recherche  de  la 
paternité,  non  seulement  n'est  pas  interdite  —  interdiction  fort 
commode,  il  est  vrai,  pour  qui.  dans  la  vie,  prend  volontiers  pour 
soi  le  plaisir,  laissant  aux  autres  la  peine,  la  honte,  la  souffrance, 
et,  grâce  à  une  loi  complaisante,  trouve  moyen  de  se  soustraire  aux 
plus  saintes  obligations  sociales  —  la  recherche  de  la  paternité,  non 
seulement  n'est  pas  interdite,  mais  est  obligatoire^,  le  séducteur 
étant  obligé,  de  par  la  loi  de  Moïse,  d'être  le  père  de  son  propre 
enfant  et  le  mari  de  la  jeune  fille  à  qui  il  avait  promis  mariage'',  et 
son  mari  à  perpétuité,  car  il  n'a  pas  le  droit  de  la  répudier;  la 
loi  ^  le  lui  défend  ". 

'  Traité  des  héritages,  x,  5. 

*  Nedarim,  81, 

^  To&ifta  Ketouhot,  vi,  8;  b.  ibid.,  67.  La  Mischna ,  vi,  5,  déiermine  le 
chiffre  de  la  dot  due  à  toute  orpheline,  la  Baraita.  les  choses  nécessaires  à 
un  jeune  ménage  et  que  la  caisse  doit  Iburnir  préalablement  à  la  dot  :  loyer 
payé  d'avan';e,  meubles  indispensables.  Ces  allocations  et  le  cbllfre  minimum 
de  la  dot  (ce  cbiUVe  est  plus  élevé  quand  les  ressources  de  la  caisse  le  per- 
mettent) sont  à  la  charge  de  la  caisse,  même  quand  celle-ci  est  vide.  Dans  ce 
cas,  les  administrateurs  doivent  contracter  un  emprunt  (R.  Nissim  d'après  j. 
Ketouhot,  30  d). 

*  Kiddouschif?,  73. 

*  Le  mot  enfant  abandonné  n'existe  pas  en  hébreu  :  l'expression  qui  répond  à 
cette  idée,  Assoufi  ^DION,  signifie  proprement  enfant  recueilli. 

^  Mischna  Ketoubot,  i,  8,  9,  10. 
'  Exode,  XXII,  15. 

'  Quand  la  jeune  fille  est  mineure,  Deulérou.,  xxii,  29. 

'  La  loi  juive  ne  connaît  pas  la  distinction  entre  enfants  naturels  et  enfants 
légitimes.  Tous   les   enfants   issus  de  parents  mariés  ensemble  ou  libres  et  non 


XXX  ACTES  ET  CO.NFEHEiNCES 

L'hô[)ital,  chez  nos  pères,  était  chose  inconnue,  l'hôpital  qui 
jadis,  dans  le  peuple,  excitait  tant  d'horreur,  horreur  bien  justifiée 
quand  on  songe  qu'au  siècle  dernier,  à  THôtel-Dieu  de  Paris,  dans 
le  même  lit,  on  entassait  à  la  fois  quatre  malades  ou  mourants!  Ces 
foyers  de  pestilence  et  de  mort  (seule  dénomination  convenable 
avant  les  découvertes  de  Pasteur),  il  n'y  en  avait  donc  pas  autrefois 
en  Judée.  La  maladie,  d'ailleurs,  était  beaucoup  plus  rare  que  dans 
nos  grandes  agglomérations  modernes  :  la  vie  était  plus  tranquille, 
mieux  réglée  ;  les  excès  de  toute  nature  étaient  chose  rare,  presque 
inconnue,  grâce  à  la  Loi,  si  sage  dans  sa  sévérité,  si  prévoyante 
dans  son  austérité,  et  qui,  dans  toutes  ses  prescriptions,  jusqu'au 
dernier  iota,  est  une  incomparable  hygiène  physique,  intellectuelle 
et  morale.  Quoi  qu'il  en  soit,  Jérémie  s'écriant  :  «  N'y  a-t-il  donc 
pas  de  médecins  en  Galaad  *  ?  »>  il  y  avait  des  médecins  ;  consé- 
quemment  il  devait  y  avoir  des  malades,  des  pauvres  comme  des 
riches;  mais  les  pauvres,  comme  les  riches,  étaient  soignés  dans 
leur  maison.  Les  soins  médicaux  étaient  gratuits  *.  Dès  le  deuxième 
jour,  toute  la  ville  était  instruite,  chacun  devait  faire  des  vœux 
pour  le  rétablissement  du  malade;  c'était  un  devoir  sacré  ',  entre 
tous,  de  le  visiter,  de  s'inquiéter  de  ses  besoins  et  des  besoins  de 
sa  famille,  de  lui  donner  tous  les  soins  nécessaires;  le  plus  grand 
devait  visiter  le  plus  petit,  remplir  auprès  de  lui   les   devoirs  les 

proches  sont  également  légitimes.  L'enfant  incestueux  ou  adultérin  qui  doit  la 
naissance  à  un  crime,  avait  certes,  dans  la  société,  une  situation  difticile,  bien 
que,  par  la  science  et  le  mérite,  il  pût  s'élever  au  premier  rang  de  la  nation 
[Mischna  Hora'iot,  fin);  mais  vis-à-vis  des  parents  et  dans  la  famille,  il  a  exac- 
tement les  mêmes  droits  (et  les  mêmes  devoirs)  que  les  autres  enfants,  et  s'il  est 
l'aîné,  il  jouit  du  droit  d'aînesse  ;  il  n'est  pas  permis  au  père  ni  à  personne  de  le 
dépouiller  des  avantages  de  ce  droit  [Sifr^  Ki  Tèçè  ;  Mischna  Yebamot,  ii,  5). 

*  •  N'y  a-t-il  donc  pas  de  baume  en  Galaad,  n'y  a-t-il  pas  de  médecin?  • 
Jérémie,  viii,  22. 

*  En  principe  pour  tous  ;  en  fait,  pour  le  pauvre  seulement  (Nachmanide, 
Sefef  Torat  Haadam,  d'après  Be.khorot,  29). 

>  •  Le  devoir  de  visiter  les  malades  est  un  devoir  de  la  loi  naturelle  antérieure 
»  à  la  loi  du  Sinaï  t    {Baba  Kamma,  100).    €    Celui  qui  visite  le   malade  imite 

•  Dieu  lui-même.  »  t  Celui  qui  visite  le  malade  lui  porte  la  guérison.  »   «  Celui 

•  qui  néglige  de  visiter  le  malade  charge  sa  conscience  d'un  crime.   »    •  Celui 

•  qui  visite  le  malade  est  comblé  de  bénédictions  et  préservé  de  la   Géhenne.  » 

•  La  majesté  divine  réside  au  chevet  du  malade.  >  Nedarim,  39  et  40. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXXI 

plus  humbles'.  Les  dons  affluaient  de  toute  part;  tout  le  monde 
se  relayait  au  chevet  du  malade.  Pour  assurer  au  malade  les  soins 
nécessaires,  nul  besoin  n'était  qu'on  renonçât  à  la  famille,  aux  joies 
de  la  vie  :  les  mères,  les  sœurs,  les  filles,  toutes  les  femmes  en 
Israël,  auprès  de  leurs  malades,  sont  des  sœurs  de  charité! 


Chacun,  selon  sa  fortune,  devait  contribuer  à  la  caisse  de  charité. 
Cette  contribution  était  strictement  obligatoire.  Les  mineurs  seuls 
en  étaient  exempts  2.  L'autorité  avait  le  droit  de  saisir  les  meubles 
de  ceux  qui  se  refusaient  à  payer  leur  part^  ;  mais,  le  principe  de 
l'obligation  posé,  il  était  fort  rarement  appliqué.  En  fait,  les  contri- 
butions qui,  en  Judée,  alimentaient  l'assistance  publique,  étaient 
suffisantes,  surabondantes,  bien  qu'  absolument  libres  et  volontaires 
en  apparence,  et  la  charité,  en  dépit  de  son  caractère  d'obligation, 
conservait  tout  le  charme,  toute  la  grâce  sereine,  toute  la  joie  forti- 
fiante de  la  spontanéité.  Permettez-moi,  Mesdames  et  Messieurs, 
une  comparaison  :  la  loi  civile  prescrit  aux  époux  de  se  donner 
mutuellement  assistance;  aux  parents,  de  nourrir  leurs  enfants; 
aux  enfants,  d'entretenir  leurs  parents  dans  le  besoin;  mais  le 
devoir  parle  bien  avant  et  bien  plus  haut  que  la  loi,  ainsi  que  le 
cœur.  La  loi  civile,  en  ces  cas^  n'a  donc  que  fort  rarement,  presque 
jamais,  l'occasion  de  se  faire  obéir.  Telle  est,  dans  la  législation 
juive,  l'obligation  légale  de  l'assistance  fraternelle  que  nous  devons 
à  notre  semblable.  Elle  est  inscrite  dans  notre  Loi,  nul  n'a  le  droit 
de  s'y  dérober.  Mais  l'amour  de  l'humanité  que  notre  foi  nous  inspire 
doit  suffire  pour  nous  faire  accomplir  librement  et  de  tout  notre 
cœur  notre  devoir  social.  Et  dans  l'accomplissement  de  ce  devoir 

'  Un  disciple  de  R.  Akiba  tomba  malade.  A  cette  nouvelle,  Akiba  accourt,  il 
aère  la  chambre,  lave  le  malade,  le  masse  de  ses  mains  :  «  Rabbi,  tu  m'as  rendu 

•  la  vie,  s'écria  le  disciple   ».  Sortant  de  la    maison,  Akiba  se  mit  à  prêcher  : 

•  Quiconque  ne  visite  pas  le  malade  se  rend  moralement  coupable  d'homicide  ». 
{Ibid.) 

*  Baba  BaCra,  8  ;  Tos.  Teroumot,  i,  26. 
'  Même  la  Yeille  du  Sabbat,  ibid. 


XXXII  ACTES  ET  CONFERENCES 

social,  l'amour  est  plus  doux,  l'amour  est  plus  fécond,  l'amour  est 
lumineux  et  bienfaisant  :  il  guérit  et  console  celui  qui  souffre  et,  en 
même  temps,  le  soulage,  et  celui  qui  obéit  à  son  divin  esprit  sent 
éclore  dans  son  cœur  les  pensées  les  plus  sereines,  les  joies  les  plus 
pures,  le  seul  bonheur  durable  '  !  Voilà  pourquoi,  à  côté  de  l'œuvre 
commune,  générale,  dont  l'institution  est  obligatoire  dans  toute 
communauté  juive,  ont  été  semées,  sont  écloses,  se  sont  épanouies 
tant  d'œuvres  variées;  chacun,  selon  l'impulsion  de  son  cœur, 
donnant  son  activité,  son  intelligence,  sa  pensée,  son  âme,  à  telle 
conception  particulière  des  devoirs  qu'ordonne  la  fraternité  hu- 
maine. De  là  toutes  ces  associations,  ces  confréries  où  se  grou- 
pent, dans  nos  communautés,  hommes,  femmes,  jeunes  gens, 
jeunes  filles,  d'après  leurs  sympathies  communes  pour  tel  genre 
d'assistance,  chacune  s'assignant  comme  un  département  de  la  cha- 
rité et  s'y  consacrant,  s'y  dévouant  comme  à  son  œuvre  propre  ; 
ces  sociétés  mutuelles  de  riches  et  de  pauvres  qui  ne  sont  mu- 
tuelles que  pour  que  le  riche  puisse  secourir  le  pauvre  sans  que 
celui-là  s'aperçoive  qu'il  est  secouru,  qui  font  le  bien  avec  tant  d'in- 
géniosité, disons  plutôt  avec  tant  de  génie.  La  communauté  Israé- 
lite de  Paris  en  possède  près  de  quarante,  dont  une  seule,  la  princi- 
pale, il  est  vrai,  la  Bienfaisante  israclite,  compte  près  de  quinze 
cents  membres,  mais  ne  compte  pas  ses  bienfaits  ! 


VI 


Mesdames  et  Messieurs  1  le  judaïsme  n'a  pas  inventé  la  charité. 
Bien  qu'il  l'ait  admirablement  enseignée,  il  lui  semblerait  outre- 
cuidant, profondément  injuste  de  lui  donner  la  qualification  de 
juive,  comme  s'il  voulait  en  revendiquer  le  monopole  exclusif, 
aux  dépens  d'autres  conceptions  de  la  soUdarité  religieuses,  philo- 
sophiques ou  simplement  humaines.  Il  s'est  plu  à  dire,  au  con- 
traire (et  c'est  un  mérite  qu'il  est  de  toute  justice  de  faire  res- 

Isaïe,  xxn,  17. 


ASSISTANCK  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXXIII 

sortir),  qu'elle  est  accessible  à  tous  les  peuples  ',  comme  il  a  rendu 
accessible  l'immortalité  bienheureuse  qu'il  a  rêvée  à  tous  les  justes, 
aux  hommes  vertueux  de  toutes  les  races  *  ;  mais  il  a  eu  la  gloire 
de  faire  de  la  charité,  non  pas  seulement  la  base  de  sa  constitu- 
tion religieuse  et  nationale,  mais  d'en  faire  un  art',  le  plus  grand 
de  tous  les  arts*,  le  seul  digne  de  son  application,  de  son  culte,  de 
ses  hommages  ^,  le  seul  qui  procure  à  l'âme  les  sentiments  de  sa 
noblesse,  de  sa  divine  origine,  qui  l'élève  réellement  au-dessus 
d'elle-même  ^. 

Je  ne  sais.  Mesdames  et  Messieurs,  si  cette  définition  a  déjà  été 
donnée  :  la  vertu,  il  me  semble,  est  une  harmonie  parfaite  de  tous 
les  devoirs  de  Texistence.  Les  renoncements  à  la  vie  qui,  ailleurs, 
sont  prônés  comme  l'idéal  de  la  vertu,  les  renoncements  à  la  vie 
qui  sont,  en  même  temps,  des  renoncements  à  des  devoirs  positifs 
et  sacrés,  ne  sont  pas,  pour  nous,  l'idéal  d'une  vie  sainte  ni  surtout 
la  condition  de  l'accomplissement  du  devoir  social  de  l'assistance. 
C'est,  d'ailleurs,  dispenser  les  autres  de  leur  part  contributive  à  ce 
devoir  social,  ce  qui  n'est  pas  un  bien  non  plus.  Il  en  est  de  notre 
fortune,  qui  n'est  pas  entièrement  à  nous,  qui  appartient  aussi  aux 
nôtres,  qui  est  une  œuvre  de  travail,  de  persévérance  commune,  et 
qui  est  la  provision  de  l'avenir,  comme  il  en  est  de  notre  personne  : 
nous  n'avons  pas  le  droit  de  renoncer  entièrement  à  notre  bien, 
même  envers  le  malheureux.  Certains,  R.  Yeschébab,  R.  Akiba^ 

'  Baba  Balra,  10,  à  propos  du  verset  des  Prov.,  xiv,  34,  113  Û72T^n  !^pi^ 
P^<^^  D'^XJIXb  TOm  «  la  bienveillance  élève  la  nation  el  !a  charité  est  pour 
(tomes)  les  nations  le  sacriiice  d'espiaiioa  »,  R.  Yolianan  b.  Zakkaï  et  ses  dis- 
ciples rendent  hommage,  à  l'envi,  à  la  charité  des  gentils. 

*  Tosifta  Sanhédrin,  xiii,  2,  R.  Josua  dit  :  «  Les  justes  parmi  les  payens  ont 
part  à  la  vie  future  .» 

*  Il  n'est  pas  dit:  «  Heureux  celui  qui  donne  aux  pauvres  •,  mais  •  heureux 
celui  qui  emploie  toute  son  intellif^ence  pour  le  pauvre  ».  Ps.  xxxix.  Baba  Batra, 
ihid. 

*  «  Dieu  vit  que  la  lumière  était  belle  ;  ce  qui  est  beau  comme  la  lumière  di- 
vine, ce  sont  les  œuvres  des  gens  de  bien  »   [Bereschit  Rabla], 

s  Michéc,  VI,  8  ;  Psaumes,  cvi,  3;  cxi,  cxii,  1-4,  9. 

*  Sota^  Ma:  Il  est  dit  dans  la  Loi  :  •  vous  marcherez  après  Dieu  ».  Pratiquer, 
en  toute  circonstance,  la  miséricorde  envers  celui  qui  souffre,  c'est  marcher  après 
Dieu. 

">  Péa,  2ib. 

ACT.    ET    GONF.  G 


XXXIV  ACTES  ET  CONFÉRENCES 


même,  voulurent  se  dépouiller  de  tout  leur  bien,  devenir  volontaire- 
ment pauvres  pour  secourir  les  pauvres  :  les  sages  ne  le  permirent 
pas,  fixèrent  une  limite  même  aux  prodigalités  de  la  charité  '.  Cette 
limite  n'est  pas  étroite  et  permet  aux  âmes  les  plus  détachées 
d'elles-mêmes  de  donner  libre  carrière  à  tous  les  élans  de  leur 
généreuse  nature.  Nos  sages  eurent-ils  tort  ?  Devaient-ils  per- 
mettre à  tout  homme  de  se  dépouiller  du  fardeau  de  la  propriété 
pour  vivre  avec  l'heureuse  insouciance  des  «  oiseaux  du  ciel  qui  ne 
sèment  ni  ne  moissonnent  et  n'amassent  rien  dans  leurs  greniers  », 
et  attendre  que  le  Père  céleste,  qui  a  soin  des  oiseaux,  les  nourrît  *? 
Ou  bien  devaient-ils  prescrire  de  tout  mettre  en  commun,  abolir  la 
propriété  individuelle^,  abolir  en  même  temps  la  famille,  créer  des 
sociétés  où  il  n'y  aurait  plus  ni  époux,  ni  épouses,  ni  parents,  ni 
enfants,  où  l'on  s'abandonnerait,  corps  et  biens,  à  des  chefs  entre 
les  mains  desquels  on  abdiquerait  intelligence  et  volonté,  ainsi  que 
l'avaient  fait  peut-être  les  sociétés  esséniennes,  ainsi  que  le  firent 
ou  essayèrent  de  le  faire  les  sociétés  religieuses  qui  se  formèrent  à 
l'exemple  des  Esséniens*?  Les  Pharisiens  ne  crurent  pas  que  tel  était 
leur  devoir,  et  je  ne  pense  pas  que  le  monde  leur  donne  tort. 

Mais  si  la  sagesse  et  la  prévoyance  doivent  présider  à  tous  les 
actes  de  la  vie  et  gouverner  même  les  élans  de  la  charité,  la  charité 
est  néanmoins  une  de  ces  choses  qui,  d'après  le  Talmud,  n'ont  point 
de  limites*.  Elle  a  des  devoirs  pour  les  riches,  elle  doit  leur  rap- 
peler sans  cesse  l'égalité  humaine,  la  fraternité  qui  les  unit  avec  le 
pauvre;  elle  a  des  devoirs  aussi  pour  les  pauvres,  elle  doit  leur 
apprendre  qu'ils  se  doivent  assistance  les  uns  aux  autres  s,  leur  dire, 
en  outre,  que  si  l'assistance  d'autrui  ne  dégrade  pas  celui  qui  en  a 

»  Ibid.  et  Baha  Batra,  10. 

'  Mathieu,  vi,  27  ;  Luc,  xii,  24. 

3  <  Celui  qui  dit  :  ce  qui  est  à  moi  est  à  toi,  ce  qui  est  à  toi  est  à  moi  est  ud 
ignorant  »  (Mischna,  Abot,  v,  10).  Voir  Actes  des  Apôtres,  iv,  fin  et  v, 
1-10,  l'épisode  d'Anane  et  Saphire.  Ils  sont  maudits  par  l'apôtre  Pierre  et  meu- 
rent subitement  pour  lui  avoir  caché  qu'ils  avaient  gardé  pour  eux  le  produit  de 
la  vente  d'un  de  leurs  champs.  Le  reste  de  leur  fortune,  ils  l'avaient  mis  aux 
pieds  des  apôlres. 

*  Mischna  Péa,  i,  4. 

s  Guittin,  7. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXXV 

besoin,  que  si  souffrir,  si  périr  plutôt  que  d'y  avoir  recours,  c'est 
d'une  fierté  coupable,  d'une  cruauté  criminelle  envers  soi-même, 
c'est  commettre  un  suicide  dont  on  doit  compte  à  Dieu  ',  user,  sans 
droit,  de  la  pitié  d'autrui,  la  tromper,  est  un  crime  que  Dieu  ne 
pardonne  pas  non  plus  -  ;  que  rien  enfin  n'est  plus  beau,  rien  n'est 
plus  noble  que  de  s'imposer  des  peines,  de  redoubler  d'efforts,  de  se 
priver,  afin  de  se  suffire  par  son  travail.  Celui  qui  agit  ainsi,  c^est 
de  lui  que  la  Bible  a  dit  :  béni  soit  l'homme  qui  a  foi  en  Dieu  et  qui 
met  en  Dieu  son  espoir  ^•,  que  le  travail  n'est  jamais  vil*,  que  tout 
travail  ennoblit,  qu'il  est  la  source  des  plus  grandes  félicités  '. 
Travailler,  c'est  prier,  d'après  le  dicton  populaire;  mais,  d'après  le 
Talmud,  travailler  est  plus  que  prier  **  ! 

L'œuvre  de  la  charité  exige  beaucoup  d'ouvriers  ",  Un  seul  ne 
pourrait  l'accomplir,  mais  nul  n'a  le  droit  de  se  soustraire  à  sa 
tâche.  Si  grande  qu'elle  soit,  elle  ne  saurait  donc  nous  effrayer.  Si 
nombreux  que  soient  les  pauvres  chez  nous,  le  problème  du  paupé- 
risme ne  nous  tourmente  pas  ^.  Il  se  résout  tous  les  jours.  In- 
nombrables sont  chez  nous  les  enfants  pauvres  qui,  grâce  à  une 
assistance  intelligente  ,  sont  devenus  les  chefs  de  puissantes  et 
florissantes  familles. 

Oui,  la  charité  est  une  de  ces  choses  qui  n'ont  pas  de  limites. 
L'assistance  juive  a  des  devoirs  envers  tous,  elle  est  obligatoire 
envers  les  vivants  et  envers  les  morts.  Quiconque  a  vécu  ici- 
bas,  a  aimé,  a  souffert,  a  ouvert  les  yeux  à  la  lumière  du  jour,  a 
droit,  après  sa  mort,  d'après  la  Loi  juive,  a  droit,  pour  toujours, 

1  P^a,  21  J,  t  celui  qui  agit  ainsi  est  soa  propre  meurtrier  •. 

*  Mischna  Péa,  \in,  9  :  celui  qui,  pour  apitoyer  son  prochain,  simule  une  infir- 
mité n'arrivera  pas  au  terme  de  ses  jours  sans  être  frappé  de  cette  indrmité. 

'  Celui  qui  est  dans  le  besoin  et  n'accepte  rien  aura  la  joie  de  secourir  les 
autres  (même  Mischna). 

*  Baba  Batra,  110. 

*  Psaumes,  cxxvii,  2. 

*  Berachot,  18  fl. 

'  La  charité  est  un  grand  et  ample  vêtement  pour  lequel  chacun  fournit  un 
fil  {Baba.  Batra,  8). 

*  Chargé  par  le  gouvernement  français  de  faire  un  rapport  sur  l'hygiène  et 
Passistance  eu  Belgique  et  en  Hollande,  M.  le  D'  Delvaille  signale  le  dévelop- 
pement extrêmement  remarquable  des  œuvres  de  la  communauté  juive  d'.\ms- 
terdam.  11  le  trouve  exagéré.  Je  ne  partage  pas  ses  craintes. 


XXXVI  ACTES  ET  CONFÉIŒNCES 

aux  quatre  coudées  nécessaires  pour  dormir,  dans  un  éternel  repos, 
son  éternel  sommeil  et  pour  que  ceux  qui  l'ont  aimé  ou  qui  l'ont 
seulement  connu  puissent  venir,  sur  sa  tombe,  le  faire  vivre  dans 
leur  pensée  et  dans  leur  cœur.  Tous  ont  droit  au  même  respect  pour 
leur  enveloppe  terrestre,  tous,  pauvres  et  riches,  amis  et  incon- 
nus !  C'est  là  encore  que,  dans  nos  idées,  doit  apparaître  l'égalité 
par  la  fraternité.  Le  souverain  pontife  en  Israël,  sacré  de  la  sainte 
onction,  ne  devait  pas  sortir  du  temple  •  et  ne  pas  se  rendre  impur 
pour  ensevelir  son  père  ou  sa  mère,  son  frère  ou  sa  sœur,  son  fils  ou 
sa  fille  -.  Mais  s'il  sortait  de  sa  maison  pour  aller  circoncire  son 
fils, le  faire  entrer  dans  l'alliance  d'Abraham,  ou  si  même,  se  rendant 
au  sanctuaire  pour  offrir  le  sacrifice  pascal,  il  trouvait,  sur  son 
chemin,  un  mort  abandonné,  il  devait  oublier  son  fils,  oublier  le 
sacrifice  pascal,  oublier  le  sanctuaire,  oublier  la  couronne  de  sain- 
teté qu'il  portait  sur  sa  tête  et,  de  ses  mains  consacrées,  de  ses 
mains  qui  portaient  le  pur  encens  dans  le  Saint  des  Saints,  il  devait 
enterrer  le  pauvre  mort  inconnu,  le  pauvre  frère  à  l'abandon  ^  1 .  . . 

L'assistance  dans  la  loi  juive  a  des  devoirs  envers  tous,  elle 
est  obligatoire  même  à  l'égard  de  ceux  qui  ont  violé  toutes  les 
lois  !  Jamais  la  société  n'a  le  droit  de  décliner  sa  solidarité  même 
avec  ceux  qui  ont  transgressé  les  lois  sur  lesquelles  repose  l'ordre 
social.  Vous  connaissez ,  Mesdames  et  Messieurs ,  la  cérémonie 
(VEgla  aroiifa  :  quand  on  trouve  dans  la  campagne,  dit  la  Bible  *, 
un  cadavre  percé  de  coups  et  qu'on  ne  sait  pas  qui  l'a  frappé,  les 
premiers  magistrats  de  la  nation,  le  souverain  pontife,  les  chefs  du 
sanhédrin,  sortant  de  Jérusalem,  se  rendent  au  lieu  où  a  été  trouvé 
le  corps  et  recherchent  quelle  est  la  ville  la  plus  proche.  On  fait 
venir  alors  les  magistrats  de  cette  ville.  On  se  réunit  dans  le  lit  d'un 
torrent  desséché,  et  tous  les  magistrats  de  la  ville  la  plus  rapprochée 
du  cadavre  se  lavent  les  mains  auprès  de  la  victime  et  disent  : 
«  Nos  mains  n'ont  pas  versé  ce  sang  et  nos  yeux  n'ont  pas  vu. . .  » 

Qui  donc,  dit  le  Talmud,  commentant  les  paroles  de  cette  émou- 

•  Mischna  Péa,  i,  \  ;  Lévit.,  ixi,  32. 
•   «  Ibid.,  10, 

»  Sanhédrin^  19. 

*  Deulér.,  xxi,  1-9. 


ASSISTANCE  PUBLIQUE  ET  PRIVÉE  XXX Vil 

vante  scène,  qui  donc  soupçonnerait  de  ce  crime  d'assassinat  les 
anciens  de  la  ville  et  de  quoi  ont-ils  a  se  justifier  *'?... 

Ce  mort  que  personne  n'avait  vu,  que  personne  ne  connaît,  dont 
aucun  parent  ne  réclame  la  vengeance,  c'était,  sans  doute,  un  mal- 
faiteur vivant  dans  un  isolement  sauvage  et  qui,  attaquant  un  pas- 
sant dans  la  nuit,  a  succombé  sous  les  coups  de  celui  qui  se  défen- 
dait «  ! . . . 

«  Nos  mains  n'ont  pas  versé  ce  sang,  nos  yeux  n'ont  pas  vu, 
»  doivent  dire  les  magistrats  de  la  cité,  nos  jeux  n'ont  pas  vu  la 
»  misère  de  cet  homme  qui,  dans  la  détresse  de  son  âme,  a  été 
»  poussé  au  crime.  Sinon,  nous  l'aurions  soutenu,  nous  l'aurions 
»  sustenté,  nous  l'aurions  réconforté,  nous  aurions  essayé  de  faire 
»  descendre  peut-être  un  rayon  de  lumière  jusqu'au  fond  des 
»  ténèbres  de  son  âme  ^ .  . . 

Puis,  les  magistrats  ayant  fait  cette  confession,  le  pontife  et  les 
prêtres,  joignant  les  mains,  doivent  dire  :  *  Pardonne  à  ton  peuple 
i>  Israël  que  tu  as  sauvé,  ô  Éternel,  et  ne  fais  pas  retomber  sur  ton 
»  peuple  Israël  le  sang  innocent! ...  »  Le  sang  innocent,  d'après  le 
Talmud,  c'est  le  sang  de  ce  malheureux  qui  a  vécu  dans  le  désordre, 
dans  le  crime,  qui  a  été  victime  de  sa  tentative  homicide,  mais  qui, 
peut-être  mieux  guidé,  aurait  été  un  honnête  homme,  et  c'est  la 
société  qui,  par  la  bouche  de  ses  magistrats,  de  ses  prêtres,  de  son 
pontife,  se  reconnaît  coupable  et  qui  demande  pardon  à  Dieu! 

Mesdames  et  Messieurs  î  Telle  est,  d'après  l'antique  législation 
juive,  l'assistance  publique  et  privée.  Ce  n'est  pas  une  œuvre  poli- 
tique inspirée  uniquement  par  des  vues  plus  ou  moins  égoïstes  de 
préservation  sociale.  D'autre  part,  elle  ne  dépend  d'aucun  mythe, 
elle  n'est  rattachée  à  aucune  idée  mystique,  elle  n'est  liée  à  aucun 
dogme,  à  moins  que  l'on  considère  comme  un  dogme  cette  foi 
qui  est  le  principe  absolu  de  la  charité,  l'essence  de  toutes  ses 
prescriptions,  son  âme  en  quelque  sorte,  la  foi  au  Père  qui  est  au 
ciel  et   dont   tous  les  hommes  sans  exception  sont  les   enfants . 

*  Mischna  Sota,  viii,  3. 

*  Voir  Kaschi  sur  la  Mischna,  45  *. 
5  Ibid. 


XXXVIII  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

Cette  loi  ne  nie  pas  la  propriété,  elle  ne  la  condamne  pas  sur- 
tout :  pour  elle,  la  propriété  est  la  condition  même  de  la  liberté, 
de  l'individualité,  de  la  constitution  de  la  famille,  mais,  aux  yeux 
de  la  loi,  la  propriété  ne  donne  à  celui  qui  possède  qu'un  droit 
relatif  ' .  La  loi  veut  en  étendre  les  bienfaits  autant  que  possible  à 
tous  les  hommes.  Klle  n'aspire  pas  pourtant  à  une  égalité  absolue, 
chimérique,  contraire  à  la  nature,  contraire,  disons  mieux,  aux 
vues  de  la  Providence.  Essentiellement  humaine,  ne  plaçant  pas 
son  idéal  dans  une  région  inaccessible,  n'exigeant  pas  le  sacrifice 
des  devoirs  ordinaires  et  indispensables  à  la  marche  et  à  la  conser- 
vation de  la  société,  elle  procède  directement  de  l'idée  de  justice  : 
Justice  et  charité^  cédelc  et  cedaka  sont,  en  hébreu,  à  la  fois  syno- 
nymes et  homonymes.  Elle  aspire  à  l'égalité  par  la  fraternité,  et 
ainsi  que  le  disait  Hillel,  ûlV:j  nni?3  ï^p^iï  rian»,  est  essentiellement 
une  œuvre  de  paix,  d'union  et  d'harmonie  entre  les  hommes  ! 

'  Deutér.,  viii,  17-18  :  <  Tu  dira  s  en  ton  cœur  c'est  ma  force  et  la  puissance 
»  de  mon  bras  qui  ont  créé  pour  moi  celle  richesse...  Et  tu  le  souviendras  que 
•   c'est  l"Elernel  ton  Dieu  qui  t'a  donné  la  l'orce  pour  créer  cette  richesse.   • 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DU  CONSEIL 


SEANXE  DU  25  FÉVRIER  1897. 
Présidence  de  M.  Maurice  YERNES,  président. 

M.  le  Président  remercie  le  Comité  de  l'avoir  de'signc'  pour  la  pre'si- 
dence  de  la  Société'.  Il  exprime  aux  deux  secre'taires  la  reconnaissance 
du  Comité  pour  la  part  qu'ils  ont  prise  à  la  se'ance  de  l'Assemblée  gé- 
nérale. 

M.  ScMvab,  trésorier,  expose  le  projet  de  budget  pour  l'année  courante  : 

Recettes.    Cotisations 8,000  fr. 

Abonnements  du  Ministère 375 

Revenus  du  capital  de  fondation 2,200 

Vente  par  le  libraire 1 ,000 

Part  dans  la  vente  de  la  GatUa  judaica 1,500 

Total 13,075  fr. 

Dépenses.  Impression  et  droits  d'auteurs 7,500  fr. 

Secrétaire  de  la  rédaction  et  secrétaire  adjoint . . .       2,400 
Frais  généraux  et  divers 1,000 

Total 10,900  fr. 


L'exercice  se  soldera  probablement  par  un  excédent  de  recettes,  si  la 

Société  ne  met  pas  encore  sous  presse  cette  année  la  traduction  des 

œuvres  de  Flavius  Josèphe.  Mais  il  y  a  lieu,  en  prévision  des  frais  de 

cette  publication,  de  ne  pas  affecter  le  solde  éventuel  à  un  autre  objet. 

11  est  procédé  à  la  nomination  du  Bureau.  Sont  élus  : 

MM.  Lehmann  et  Albert  Cahen,  vice-présidents  ; 

Maurice  Bloch  et  Lucien  Lazard,  secrétaires  ; 
Moïse  Schwab,  trésorier. 

Sont  nommés  membres  du  Comité  de  publication  : 

MM.  Abraham  Cahen,  Hartwi?  Derenbourg,  J.-H.  Dreypuss, 

Zadoc  Kahn  et  Théodore  Reinach. 

Sont  reçus  membres  associés  de  la  Société  :  MM.  Mitrani,  professeur 

à  Cavala  (Turquie),  Mendez-Pereyra,  rabbin  à  New-York,  Marc  Lévy, 

rabbin  à  Wissembourg,   présentés   par   MM.   Vernes,   Zadoc   Kahn   et 

Israël  Lévi. 


XL  ACTES  ET  CONFKRENCKS 

M.  Lambert  fait  une  communication  sur  la  longueur  des  lignes  dans  les 
anciens  manuscrits  de  la  Bible.  Des  observations  sont  pre'sentées  à  ce 
sujet  par  MM.  Vernes  et  Israël  Lévi. 


SEANXE  DU  29  AVRIL  1897. 
Présidence  de  M.  Maurice  VERNES,  président. 

M.  Théodore  Reinach  exprime  le  vœu  que  les  communications  scien- 
tifiques faites  aux  séances  du  Conseil  soient  plus  fréquentes,  que  le 
Bureau  soit  charge'  de  les  provoquer,  et  que  les  membres  de  la  Socie'té 
qui  aimeraient  à  prendre  part  à  ces  entretiens  y  soient  invités  spécia- 
lement. 

M.  Zadoc  Kahn  appuie  cette  proposition,  qui  répond  à  la  destina- 
tion de  la  Socie'to'.  Il  voudrait  que  les  membres  du  Conseil  fussent 
convie's,  à  tour  de  rôle,  à  faire  des  lectures  qui  seraient  insérées  inté- 
gralement ou  résumées  dans  les  procès-verbaux. 

M.  Théodore  Reinach  ajoute  que,  dans  sa  pensée,  il  s'agirait  de  mettre 
à  l'ordre  du  jour  certaines  questions  d"un  intérêt  général  qui  seraient 
portées  à  la  connaissance  de  la  Société'. 

MM.  Albert  Cahen  et  Lebmann  se  rallient  à  ce  projet,  qui  est  adopté 
à  l'unanimité. 

Ce  programme  sera  mis  à  l'élude  pour  les  détails  d'organisation  et  mis 
à  exe'culion  l'hiver  prochain. 

M.  le  Président  serait  d'avis  que  les  se'ances  mensuelles  eussent  lieu 
dorénavant  dans  l'après-midi. 

Cette  question  seia  jointe  à  la  précédente. 

M.  Joseph  Lehmann,  sur  l'invitation  du  Conseil,  fera  une  conférence 
au  mois  de  mai  sur  V Assistance  publique  et  privée  chez  les  Juifs. 

Est  reçu  membre  de  la  Société  M.  Louis  de  Graadmaison,  archiviste 
d'Indre-et-Loire,  présenté  par  MM.  Bloch  et  Lazard. 

M.  Schxoab  rend  compte  de  la  communication  qu'il  a  faite  au  Congrès 
des  Sociétés  savantes  sur  les  Inscriptions  hébraïques  de  la  France. 

M.  Yernes  signale  un  rapprochement  entre  un  passage  des  Chroniques 
et  deux  textes  des  Évangiles. 

Les  Secrétaires  : 

Maurice  Bloch, 
Lucien  Laza.ru. 


VERSAILLES,    IMPniMERIES   CERI',    RUE    DUPLKSSIS,    59. 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SEANCES  DU  CONSEIL 


SEANCE  DU  28  OCTOBRE  1897. 
Présidence   de  M.   Vernes,  ])rèsident. 

31.  le  Président  adresse  à  M.  J.  Lehmann  ses  remerciements, 
au  nom  de  la  Société,  pour  la  conférence  si  intéressante  qu'il  a 
faite  au  mois  de  mai. 

Le  Conseil  décide  qu'à  l'avenir  les  séances  administratives  com- 
menceront à  huit  heures,  et  qu'à  huit  heures  et  demie  auront  lieu 
les  communications  et  discussions  scientifiques,  auxquelles  seront 
•conviés  tous  les  membres  de  la  Société  qui  manifesteront  le  désir 
d'y  participer. 

Les  séances  auront  lieu,  comme  par  le  passé,  le  dernier  jeudi  du 
mois. 

Le  Conseil  décide  de  dresser  une  liste  de  sujets  qui  méritent 
d'être  traités.  Cette  liste  sera  communiquée  aux  Sociétaires. 

Sujets  proposés  : 

Par  M.  Salomon  Reinach,  Une  nouvelle  théorie  sur  l'arche  d'al- 
liance ; 

Par  M.  Vernes,  Jésus  et  la  propagande  chez  les  non  israélUes  ; 

Par  M.  L.  Lazard,  Les  Juifs  convertis  en  France  au  moyen  âge 
et  leur  rôle  dans  la  population  française; 

Par  M.  Théodore  Reinach,  1°  De  V authenlicilé  des  fragments 
d'Hécatée  d'Abdère  relatifs  aux  Juifs  ; 

2°  Le  l'attitude  du  Judaïsme  vis-à-vis  de  la  critique  biblique; 

Par  M.  Joseph  Lehmann,  1°  De  l'origine  du  rituel  de  prières  pri- 
mitif; 

ACT.    ET    CONP.  D 


XLll  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

2°  De  la  chronologie  talmudiqîie  relative  à  la  période  du  second 
Temple  ; 

Par  M.  Mayer  Lambert,  De  l'authen licite  des  documenls  dans  le 
livre  d'Ezra  ; 

Par  M,  Israël  Lévi,  1°  L'intervention  d'Antiochus  Epiphane  en 
Judée  ; 

2"  Le  rôle  de  Jvda  Macchahée  ; 

3°  La  croyance  en  la  fin  du  monde  dans  le  Talrnud. 


SEANCE  DU  24  NOVEMBRE  1897. 
Frésidence  de  M.  Veknes,  ^Jmîrflew/. 

Le  Conseil  revient  sur  sa  précédente  décision  et  fixe  à  huit 
heures  et  quart  l'ouverture  des  séances  administratives. 

J/.  Salomon  Reinach  propose  de  fondre  la  bibliothèque  de  la 
Société  avec  celle  de  l'Alliance  Israélite.  La  question  sera  mise  à 
l'étude. 

J/.  Salomon  Reinach  propose  la  publication  d'une  collection  des 
textes  relatifs  aux  peuples  sémitiques  dans  l'antiquité.  MM.  Isidore 
Lévy  et  Hubert  se  chargeraient  de  ce  travail. 

Tout  en  se  montrant  favorable  à  cette  entreprise,  le  Conseil 
décide  qu'il  sera  statué  à  cet  égard  lorsque  la  situation  financière 
de  la  Société  le  permettra. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  communication  de  M.  Salomon  Rei- 
nach :  Une  nouvelle  théorie  sur  l'arche  d'alliance. 

M.  Salomon  Reinach  appelle  l'attention  sur  un  livre  récent  de 
M.  Reichel,  Uehcr  vorhellenische  Gœtterculte  (Vienne,  1897),  dont 
il  a  rendu  compte  dans  la  Revue  critique  (1897,  II,  p.  389).  M.  Rei- 
chel a  mis  en  évidence  l'existence,  à  l'époque  mycénienne,  d'un 
«  culte  du  trône  »,  le  trône  (naturel  ou  fait  de  main  d'homme)  étant 
considéré  comme  le  siège  de  la  divinité  invisible  mais  présente. 
L'arche  d'alliance  d'Israël  doit  être  envisagée  sous  le  même  aspect: 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DU  CONSEIL  XLIII 


c'est  la  chaise  à  porteur  de  la  divmité  en  voyarje.  Il  y  avait  quelque 
chose  d'analogue  dans  l'armée  de  Xerxès,  le  char  portant  le  trône 
sacré  où  pas  un  mortel  ne  devait  s'asseoir  (Hérodote,  vu,  40). 

M.  Th.  Reinach  présente  les  objections  suivantes  :  Il  est  parfai- 
tement vrai  que  le  trône  divin  a  été  chez  beaucoup  de  peuples 
l'objet  d'un  culte  avant  qu'on  fît  des  images  de  la  divinité.  Mais  la 
comparaison  de  l'arche  d'alliance  avec  un  trône  parait  boiteuse. 
Les  textes  qui  font  descendre  lahvéh  sur  son  arche  trahissent  un 
remaniement,  tout  au  moins  un  changement  d'idées.  A  l'origine  et 
pendant  longtemps  l'arche  a  été  une  caisse,  non  un  siège.  Très  pro- 
bablement elle  renfermait  un  emblème  de  la  divinité. 

Quelques  observations  sont  encore  présentées  par  MM.  Vernes, 
Zadoc  Kahn  et  A  hraliam  Cohen. 


SEANCE  DU  30  DÉCEMBRE  1897. 
Présidence  de  M.  J.  Lehmann,  président. 

Le  Conseil  fixe  au  samedi  29  janvier  1898  la  date  de  la  pro- 
chaine assemblée  générale. 

M.  L.  Lazard  j  lira  le  Rapport  sur  les  publications  de  la  Société 
pendant  l'année  1897. 

Sont  reçus  membres  de  la  Société  ; 

M.  Gabriel  Pereyre,  de  Rayonne,  présenté  par  MM.  Schwab 
et  Zadoc  Kahn,  à  titre  de  membre  actif; 

MM.  le  grand  Rabbin  Gaster,  de  Londres;  Navon,  directeur 
de  l'École  israélite  de  Galata  ;  S.  Poznanski,  rabbin  à  Varsovie  ; 
les  Bibliothèques  des  communautés  Israélites  de  Breslau,  Kœnigs- 
berg  et  Munich;  l'Israelit.  Philanthropie  de  Francfort,  présentés 
par  MM.  Vernes  et  Schwab,  à  titre  d'associés  étrangers. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  communication  de  M.  Théodore  Rei- 
nach sur  L' authenticité  des  fragments  d'Hécatée  d'Abdère  relatifs  aux 
Juifs. 


XLIV  ACTES  ET  CONFERENCES 

Il  faut,  en  résumé,  dit  M.  Th.  Reinach,  faire  trois  parts  dans  les 
fragments  qui  nous  sont  parvenus  sous  le  nom  d'Hécatée  d'Abdère  : 

1"  Le  grand  fragment  conservé  par  Diodore  [Textes,  n<*  9)  et  qui 
paraît  provenir  de  l'Histoire  d'Egypte  d'Hécatée.  Il  est  d'une 
authenticité  incontestable  ;  il  prouve  que,  d'une  manière  générale, 
Hécatée  avait  des  sentiments  équitables  envers  les  Juifs  ; 

2°  Les  fragments  du  livre  sur  Abraham  [Textes,  p.  236,  D  et  E, 
très  probablement  aussi  C).  Ils  sont  non  moins  certainement 
l'œuvre  d'un  faussaire  juif  ; 

3°  Les  fragments  donnés  par  Josèphe  dans  le  Contre  Apîo7i 
[Textes,  p.  227  suiv.,  A  et  B),  qui  dérivent  du  llifi  'Icjoaûov.  L'au- 
thenticité de  cet  ouvrage  a  été  combattue  dès  l'antiquité,  par  Hé- 
rennius  Fhilon  [Textes ,  p.  157).  Beaucoup  de  savants  modernes  sont 
de  son  avis.  Moi-même,  dans  les  Textes,  j'ai  laissé  la  question  indé- 
cise, tout  en  penchant  vers  la  thèse  de  l'interpolation  partielle. 
Aujourd'hui,  après  un  examen  nouveau  des  fragments,  je  ne  vois 
aucune  objection- sérieuse  à  admettre  leur  authenticité,  du  moins 
pour  les  phrases  citées  textuellement  par  Josèphe,  car  pour  celles 
qu'il  ne  fait  qu'analyser,  il  a  pu  parfois  trop  lire  entre  les  lignes 
(comme  il  lui  est  arrivé  pour  Bérose).  La  preuve  la  plus  certaine 
que  nous  ne  sommes  pas  en  présence  d'un  faux  d'origine  juive  est  la 
phrase  [Textes,  p.  231,  §  6)  sur  les  «  myriades  de  Juifs  transportés 
en  Babylonie  par  les  Perses  ».  Il  s'agit  là,  non  comme  je  l'avais 
cru,  de  la  déportation  des  Juifs  rebelles  par  Ochus  (elle  eut  lieu  en 
Hyrcanie),  mais  tout  simplement  de  la  captivité  de  Babylone, 
qu'Hécatée ,  dans  son  information  superficielle ,  attribue  aux 
Perses  *. 

Ce  résumé  sera  développé  dans  un  prochain  article  de  la  Revue. 


Le  gérant, 

Israël  Lévi. 


VERSAILLES,    IMPRIMERIES    CERF,    59,    RIE    DLI'LESSIS. 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS 


Les  seuls  témoignages  de  provenance  non  chrétienne  que  nous 
possédions  sur  la  vie  et  la  personne  de  Jésus  de  Nazareth  sont  une 
phrase  de  Tacite  et  un  paragraphe  de  B'iavius  Josèphe.  Quant  aux 
allusions  du  Talmud,  et,  à  plus  forte  raison,  aux  sottes  inventions 
du  Toledol  Yéschou,  elles  sont  de  dates  trop  tardives  pour  qu'on 
puisse  leur  assigner  aucune  valeur  documentaire.  La  rareté  des 
témoignages  externes  sur  le  fondateur  du  christianisme  ne  fait 
qu'en  rehausser  le  prix,  surtout  aux  yeux  des  personnes  qui  ne 
prennent  pas  tous  les  récits  évangéliques  pour  «  paroles  d'évan- 
gile ».  Le  texte  de  Tacite  ne  mérite  cependant  guère  d'arrêter 
l'historien.  Outre  qu'il  confirme  simplement  le  fait  matériel  du 
supplice  de  Jésus,  ordonné  par  le  procurateur  Ponce  Pilate,  il  y  a 
quelques  raisons  de  croire  que  ce  texte  ne  dérive  pas  d'une  source 
indépendante  :  Tacite  n'a  su  de  Jésus  que  ce  qu'il  en  lisait  dans 
Josèphe'.  C'est  donc  à  l'unique  témoignage  de  ce  dernier  que 
nous  nous  trouvons  réduits  pour  compléter  ou  contrôler  le  récit 
des  Évangiles. 

Ce  témoignage  a  fixé  l'attention  des  théologiens  depuis  la  Renais- 
sance. La  «  littérature  »  qu'ont  enfantée  ces  quelques  lignes  est 
immense,  et  l'on  pourrait  écrire  un  intéressant  chapitre  d'histoire 
rien  qu'en  la  résumant  *.  On  y  verrait  la  critique  érudite  partir 
de  la  foi  aveugle  et  irraisonnée  dans  la  lettre  écrite,  s'éveiller 
progressivement  au  doute,  puis  arriver  à  la  négation  complète 
et  de  là,   après  des  oscillations  prolongées,  se  rapprocher  peu 

»  Tacite,  Annales,  XV,  44  (à  propos  de  la  persécution  des  chrétiens  sous  Néron)  : 
Auctor  nominis  eius  Christus  (Josèphe  :  TôJv  yp'.TTiavwv  à.T.b  toOoî  (I)vo[J.a'7[iÉvwv) 
Tiherio  impentantc  per  proeuratoyem  Pontium  Pilatum  supplicio  adfectus  erat  (Josè- 
phe :  cTaypon  iru-i- i\j.rf/.Qzoi  riiÀiTO-j).  L'opinion  qui  dérive  le  texte  de  Tacite  de 
celui  de  Josèphe  a  été  bien  exposée  par  G. -A.  MûUer.  Quant  aux  doutes  élevés  sur 
l'authenticité  du  texte  des  Annales,  ils  ne  méritent  pas  la  discussion. 

*  On  trouvera  un  aperçu  de  celle  littérature  dans  Schurer,  I,  p.  45.0  suiv.  Les 
anciennes  dissertations  ont  été  réimprimées,  pour  la  plupart,  dans  le  Josèphe  d'IIa- 
vercamp,  II»  volume. 

T.  XXXV,  N»  6y.  1 


2  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

à  peu  d'une  solution  moyenne,  qui,  sous  un  texte  manifestement 
défiguré,  s'efforce  de  retrouver  un  noyau  primitif  et  authentique. 
Celte  opinion  intermédiaire  —  je  ne  dirai  pas  éclectique  —  déjà 
soutenue  avec  talent  dans  le  premier  quart  de  ce  siècle  (par 
Gieseler  en  1824),  est  celle  qui  paraît  prévaloir  aujourd'hui  :  les 
deux  derniers  savants  qui  ont  sérieusement  étudié  la  question, 
G.-A.  Millier  et  A.  Réville,  s'y  rallient  sans  héiiter,  et  l'accord  de 
leurs  conclusions  est  d'autant  plus  remarquable  qu'ils  ne  se  sont 
pas  connus  l'un  l'autre  K  Ce  n'est  pas  à  dire  toutefois  que  les 
opinions  extrêmes  soient  abandonnées;  la  passion  religieuse  ou 
antireligieuse,  le  goût  du  paradoxe,  l'esprit  hypercritique  du  siècle 
y  trouvent  trop  bien  leur  compte.  La  thèse  de  l'interpolation  com- 
plète, notamment,  rallie  encore  de  nombreux  suffrages:  il  suffira 
de  citer  parmi  ses  partisans,  depuis  trente  ans,  les  noms  éminents 
de  Gerlach,  Keim,  Reuss,  Schùrer  etNiese*.  Celle  de  l'authenti- 
cité intégrale  a  encore  trouvé  quelques  avocats  depuis  Gerlach  : 
Langen  (1865;,  Danko  (18G7),  Bretschneider,  et  tout  récemm^^nt  le 
candide  Boie  (189G).  Je  n'entreprendrai  pas  ici  la  tâche  ingrate 
de  refaire  ce  qui  a  été  bien  fait  ailleurs,  ni  d'analyser  une  fois 
de  plus  en  détail  les  nombreux,  trop  nombreux  arguments  pour 
et  contre  qu'on  a  fait  valoir  dans  cette  controverse.  Mais  j'ai 
pensé  qu'il  n'était  pas  inutile  de  résumer  l'état  de  la  question  à 
l'usage  des  lecteurs  peu  familiers  avec  la  littérature  théologique. 
J'essaierai  aussi  d'améliorer,  sur  quelques  points,  la  restitution  du 
texte  de  Josèphe  proposée  par  mes  prédécesseurs  ;  c'est  une  entre- 
prise délicate  que  je  n'aurais  pas  osé  aborder  si  je  n'y  avais  obtenu 
le  concours  d'un  maître  éminent  dont  je  n'ai  jamais  invoqué  sans 
profit  les  conseils  :  je  veux  parler  de  M.  Henri  Weil. 


I. 


Voici  d'abord  le  texte  des  manuscrits  de  Josèphe,  avec  l'indica- 
tion des  variantes,  peu  importantes,  qu'offrent  soit  certains  exem- 
plaires, soit  les  deux  chapitres  d'Eusèbe  où  ce  texte  se  trouve  cité 
{Histoire  ecclésiastique.,  1,  11,7;  DériiOiist/-alion  êvaagêlique, 
III,  5,  105-6). 

'  G.-A..  Mûller,  Christus  bel  Josephus  Flavius,  Inosbruck,  1S89,  2«  éd.,  189"); 
Albert  Réville,  J^sits  de  Nazareth  \\'^T,),  I,  p.  274  suiv.  Celte  opinion  est  aussi, 
avei:  des  nuances  diverses,  celle  d'Ewald,  de  Renan,  de  Ranke,  de  Gutschmid  et 
de  Funk. 

*  B.  Niese,  De  testimonio  christ iano  quod  est  apud  Josephum...  Profç.  Marburg, 
1894. 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS  3 

Antiquités  judaïques,  XVIll,  3,  3  (§§  63-64  Niese)  '. 

63.  ri'vsxat  Z\  xaxà  toù'tov  '  tov  ypôvov  'I-^içoCiç  -,  ac-poç  àv^p,  ti  y'  àvooa 
auTÔv  Xi'[ziv  /pV|^.  'Hv  yàp  Trapaoôçwv  epycov  TcotviTvîç,  oioaTxaXoç  âvOsoj- 
Titov  Tojv  Y|OOVT^t  *  ràX-rjO-ïi  oe/oaévwv  ^,  xat  TioXÀoù;  [jlèv  'louoaîou; '', 
TcoXXoùç  0£  y.al  '  xou^  'EXXrjV.y.oy  è'::T,Y0LYîTO^,   'O  Xo'.n~h(;  o-jtoç  T|V. 

64.  Kat    aUTÔv   £VO£'';£t    TWV   -ÛOJTOV    àvOOWV  Tiai'    '/JIIÏV  'O    (jTaUiCO'.   ÈTl'.TîTt- 

{/.TiXOTo;  niXoiTOu,  oùx  £7rau7avT0*'  o\  xb'^  Trocoxov'*  àyaTi'/jffxvxîi;"  è'.i'/vT, 
yàç.  aùxoTç  xpixTjV  lycov'*  TjjxÉpav  TiiX'.v  S^cov,  xwv  Ô£''cov  TisotiYjXwv  xa-jxi 
x£*^    xoù.   àXXx    aijp;a    Oauixiata*'^   -îpî   X'jxc/u   £ipr,xoxcov.  Elaéxi   x£   vuv  '' 

XCOV  XplffX'.aVWV  7.710   rO-jOî   (OVOIXXTfJL^VtOV  '^   oùx   £7:£X'.7:£   xb   C/ùXov. 

1  Eusèbe  (Dem.)  :  xax'  èxsIvov. 

2  Eusèbe  (H.  Eccl.,  quelques  mss.)  :  'ItjîoOî  xiç. 

3  Excerpta  Pciresciana  :  sïys  xP'i  «vSfa,  etc. 

4  Mediceus  :  uùv  7i5ovïii, 

5  Eusèbe  (Dem.)  :  àvOftiitov  tôXyiOyi  asêopiéviov. 

6  Eusèbe  (H.  Eccl.)  :  xwv  "loySaitov.  Eus.  (Dem.)  :  xoû  'louoatxou. 

7  Ce  mot  manque  daus  les  Excerpta. 

8  Eusèbe  (H.  Eccl.)  :  àr.b  xoO. 

9  Eusèbe  (H.  Eccl.,  quelques  mss.)  :  iTft\-^i-(txo.  Naber  :  ■JTCTiyiyexo. 

10  Eusèbe  (Dem.)  :  xôjv  irap'  Tipiiv  àp^dvtuv. 

11  Eusèbe  (H.  Eccl.,  quelques  mss.j  èîSTraûnavxo. 

12  Vaticanus,  Excerpta  :  ot'  ys. 

13  Le  Mediceus  et  l'Epitome  (suivis  par  Naber)  insèrent  aiitov. 

14  Omis  par  Eusèbe  (Dem.) 

1o  xe  manque  dans  Vat.  et  Exe. 

16  Omis  par  Eusèbe  (Dem.).  Dans  H.  Eccl.  après  aùxoû. 

17  Ambrosianus,  Vat.,  Epit.,  :  e'ç  xs  vûv.  Eusèbe  (Dem.)  :  riôev  zi^i-zi  vGv. 

18  Ambr.  Vat.:  ont  wvojia^njvov.  Eusèbe  (Dem.):  àitô  xoGôe  xôjv /ptaxiaviov 

oùx  èicéXiite,  etc.  (sans  wvoji). 

Traduction  : 

A  cette  époque  parut  Jésus,  homme  sage,  s'il  faut  l'appeler 
homme.  Car  il  accomplit  des  choses  merveilleuses,  fut  le  maître  des 
hommes  qui  reçoivent  avec  plaisir  la  vérité,  et  il  entraîna  beaucoup 
de  Juifs  et  aussi  beaucoup  d'Hellènes.  Celui-là  était  le  Christ.  Sur 
la  dénonciation  des  premiers  de  noire  nation,  Pilate  le  condamna  à 
la  croix;  mais  ceux  qui  l'avaient  aimé  au  début  ne  cessèrent  pas  (de 
le  révérer)  ;  car  il  leur  apparut,  le  troisième  jour,  ressuscité,  comme 
l'avaient  annoncé  les  divins  prophètes  ainsi  que  mille  autres  mer- 
veilles à  son  sujet.  Encore  aujourd'hui  subsiste  la  secte  qui,  d'après 
lui,  a  reçu  le  nom  de  Chrétiens. 

'  Ce  même  texle  est  reproduit  dans  plusieurs  manuscrits  de  la  Guêtre  des  Juifs, 
tout  à  la  fin,  ou  ^ms.  de  Lyon)  à  sa  place  chronologique. 


4  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Il  suffit  de  lire  ce  texte  avec  réflexion  et  sans  prévention  pour 
reconnaître  qu'il  renferme  des  mots,  des  phrases  entières,  échap- 
pés du  Symbole  de  Nicée ,  qui  n'ont  pu  être  écrits  que  par 
un  auteur  convaincu  de  la  mission  messianique  de  Jésus,  de  la 
vérité  de  son  enseignement  et  même  de  son  essence  surnatu- 
relle, sinon  précisément  de  sa  divinité,  —  en  d'autres  termes, 
par  un  chrétien.  Je  fais  allusion  à  ces  passages:  «  homme  sage, 
s'il  fend  l'appeler  honrme^ .. .  maître  des  hommes  qui  reçoivent 
avec  plaisir  la  vérité  .  .celui-là  était  le  Christ...  il  ressuscita 
le  troisième  jour  comme  l'avaient  annoncé  les  divins  prophètes  » 
etc.  Comme  nous  savons  de  source  certaine  que  Josèphe  n'était 
pas  chrétien;  comme,  en  sa  qualité  de  juif  convaincu  et  or- 
thodoxe, il  devait  avoir  peu  de  sympathie  pour  la  religion  nou- 
velle, qui,  à  l'époque  où  il  écrivait,  avait  rompu  définitivement 
avec  la  synagogue  ;  comme,  enfin,  il  ne  témoigne  d'aucun  goût 
ni  même  d'aucune  intelligence  pour  le  mouvement  messianique, 
allant  jusqu'à  interpréter  en  faveur  de  Vespasien  les  prophéties 
qui  s'y  rapportaient  ',  —  la  conclusion  nécessaire,  évidente,  c'est 
que  Flavius  Josèphe  n'a  pas  pu  écrire  notre  texte  tel  qu'il  se 
lit  dans  les  manuscrits.  Leur  accord  unanime  prouve  seulement 
que  l'interpolation  est  très  ancienne,  plus  ancienne  qu'Eusèbe, 
puisque  cet  historien  (qu'on  a  soupçonné  sans  raison  d'en  être 
l'auteur)  lisait  le  passage  sensiblement  comme  le  présentent  nos 
manuscrits;  tous,  d'ailleurs,  dérivent  d'un  archétype  unique,  déjà 
fortement  altéré. 

On  ne  doit  pas  oublier  que  les  œuvres  de  Josèphe,  négligées 
par  la  synagogue,  nous  ont  été  conservées  par  l'église  chrétienne, 
par  des  copistes  chrétiens,  comme  une  sorte  de  préface  des 
Évangiles.  A  une  époque  où  la  foi  était  plus  vive  que  la  bonne 
foi,  la  tentation  était  irrésistible,  dans  des  milieux  de  ce  genre, 
de  combler  les  lacunes  ou  de  corriger  les  expressions  malson- 
nantes qu'on  relevait  chez  ce  précieux  témoin,  afin  de  le  mettre 
complètement  d'accord  avec  la  tradition  chrétienne  qu'il  venait 
ainsi  fortifier  ^.  Ce  travail  de  retouches,  plus  ou  moins  discrètes, 
plus  ou  moins  habiles,  avait  commencé  dès  le  temps  d"Origène, 
c'est-à-dire  dans  la  première  moitié  du  iii«  siècle.  Dans  l'exem- 

*  Très  logiquement,  le  chroniqueur  byzantin  Mala'.a.  qui  cite  notre  texte,  ajoute 
ici  :  -/al  [j.r,  Oeôv  (et  non  pas  un  dieu). 

*  Cf.  Guerre  des  Juifs,  III,  8,  9;  VI,  o,  4;  Tacite.  Hist.,  V.  10;  Suétone,  Ves- 
pasien, 4-5  ;  Dion  Cassius,  LXVl,  1. 

*  Galschmid  s-ippose  [Kleine  Schriften,  IV,  3o3^  que  la  correction  cominença  par 
dee  annotations  marginales,  qui  furent  ultérieurement  introduites  dans  le  texte  et  fon- 
dues avec  lui.  CeU3  opinion  est  très  plausible  au  moins  pour  la  phrase  'O  Xûittô; 
û'jtù;  t,v.  Voir  plus  loin. 


JOSÉPHE  SUU  JiiSUS  b 

plaire  de  Josèplie  consulté  par  cet  auteur,  il  était  dit,  nous  ne 
savons  pas  au  juste  dans  quel  passage  ',  que  la  chute  de  Jérusalem 
et  la  destruction  du  Temple  (70 ap.  J.-C.)  avaient  eu  pour  véritable 
cause  le  supplice  de  Jacques  le  juste,  frère  de  Jésus  dit  le  Christ 
(02  ap.  J.-C.j,  «  parce  que  les  Juifs  avaient  mis  à  mort  un  homme 
aussi  juste-  ».  L'interpolation,  qui  me  parait  avoir  été  suggérée  par 
une  réflexion  analogue  de  Josôphe  à  propos  du  supplice  de  saint 
Jean  Baptiste  ^,  est  évidente  *  ;  elle  n'a  cependant  pas  eu  un  succès 
durable,  et  l'on  n'en  retrouve  aucune  trace  dans  nos  manuscrits 
actuels.  Mais  elle  peut  servir  de  parallèle  à  la  fraude  pieuse, 
bien  autrement  grave,  qui  nous  a  valu  le  tesiimonium  pro  Christo 
du  XVIIIe  livre  des  Antiquités. 


n 


L'interpolation  une  fois  admise  —  et  comment  ne  pas  l'ad- 
mettre?—  demandons-nous  si  elle  est  totale  ou  partielle.  Lais- 
sant de  côté  les  arguments  de  moindre  valeur,  dont  plusieurs  ne 
font  qu'affaiblir  une  bonne  cause,  je  résumerai  ainsi  les  raisons, 
selon  moi  décisives,  qui  militent  en  faveur  d'une  interpolation 
simplement  partielle  : 

1°  Il  est  inadmissible  qu'un  événement  aussi  considérable,  sinon 
en  lui-même,  du  moins  par  ses  conséquences,  que  la  mort  de 
Jésus,  c'est-à-dire  la  fondation  de  la  religion  chrétienne,  ait  été 
passé  complètement  sous  silence  par  un  historien  aussi  minu- 
tieux et,  somme  toute,  aussi  consciencieux  que  Josèplie.  On  com- 
prendrait à  la  rigueur  (et  encore  !)  que  par  haine  du  christianisme, 
un  juif  fanatique  eût  systématiquement  omis  tout  ce  qui,  dans  son 
histoire,  se  rapportait  aux  origines  de  cette  religion  ;  mais,  bien 
loin  de  témoigner  d'un  semblable  parti  pris,  Josèphe  raconte  briè- 

'  C'est  à  tort,  je  crois,  qu'on  a  supposé  que  cette  interpolation  se  rattaciiail  au 
récit  du  martyre  de  Jacques,  Ânt.,  XX,  §  203  Niese.  La  cilation  d'Eusèbe  dislingue 
nettement  les  deux  morceaux  ;  le  premier  a  dft  être  inséré  plutôt  dans  le  Bellum. 

*  Origène,  Sur  Saint  Mathieu,  xiii,  ijy  (0pp. X,  M);  Contre  Celse,  I,  47, et  11,  13. 
De  même,  Eusèbe,  Hist.  eccl..  Il,  23,  20.  Cf.  Schiirer,  I,  487. 

*  Antiq.,  XVIII,  5,  §  114  Niese  :  |i(x/.Yiç  •^f^rt\).i'iriC,  (entre  le  tétrarque  Hérode  et 
le  roi  Arélas)  ôuç9âp-/i  uà;  6  'HpiôSoy  arpaTÔ;...  (§  116)...  Ttai  oï  xwv  'loxjSat'tov 
£Ôôx£t  (jluilÉ\/!xi  TTÔv  Mlpwôou  (TTpaTOV  uTvè  ToO  ©Eoû,  xat  !xà),a  ôty.aîw;  Ttvy[A£vo'j  xarà 
TioivrjV  'Iwâvvou  toû  £7tixaAO'JiJ.£vo'j  BaTtxiaTOù,  et  plus  loin  §  119. 

*  On  pourrait  supposer  que  dans  le  texte  original.  Josèphe  s'était  contenté  de  dire 
que  «  quelques-uns  •  dans  le  peuple  juif  attribuèrent  la  chute  du  Temple  à  l'impiété 
commise  en  tuant  Jacques  (et  ses  amis)  ;  mais  si  le  texte  authentique  avait  renfermé 
une  réflexion  semblable,  on  ne  comprendrait  pas  qu'elle  eût  disparu  de  tous  nos  ma- 
nuscrits. 


6  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

vement,  mais  convenablement,  deux  événements  qui  se  ratta- 
chaient par  les  liens  les  plus  étroits  au  môme  sujet  :  la  prédica- 
tion et  le  supplice  de  saint  Jean  Baptiste,  précurseur  de  Jésus  •, 
et  le  martyre  de  Jacques,  frère  de  Jésus*.  Aucun  doute  sérieux  ne 
saurait  s'élever  sur  l'authenticité  de  ces  deux  morceaux;  dès 
lors  il  n'y  a  aucune  raison  de  suspecter  l'authenticité  générale  du 
troisième.  D'ailleurs,  sans  un  récit  préalable,  si  succinct  qu'on  le 
suppose,  de  la  prédication  et  de  la  mort  de  Jésus,  la  mention  spé- 
ciale, accordée  par  Josèphe  au  martyre  de  Jacques  «  frère  de 
Jésus  dit  le  Christ  >\  aurait  été  dénuée  de  sens  et  d'intérêt  pour 
les  lecteurs  non  chrétiens,  c'est-à-dire  pour  l'immense  majorité 
du  public  auquel  s'adressait  Ihistorien  juif.  Vainement  a-t-on 
rappelé  que,  d'après  le  témoignage  de  Photius  ',  Juste  de  Tibé- 
riade  —  l'autre  historien  juif  de  cette  époque  —  n'avait  pas 
prononcé  le  nom  de  Jésus  :  le  livre  de  Juste  (il  s'agit  de  sa  Chro- 
nique des  rois  juifs,  non  de  son  Histoire  de  la  guerre  de  66) 
était  un  abrégé  extrêmement  sommaire  des  faits  politiques,  qui 
ne  pouvait  se  comparer,  à  aucun  égard,  avec  les  Anliquiiés  de 
Josèphe. 

2°  Notre  morceau,  si  l'on  en  retranche  les  membres  de  phrase 
qui  trahissent  déjà  par  le  fond  la  main  d'un  interpolateur  chré- 
tien, n'offre  dans  le  style  aucune  expression,  aucune  tournure  qui 
ne  soit  parfaitement  conforme  à  la  phraséologie  de  Josèphe.  On  y 
retrouve  même  —  nous  les  signalerons  plus  loin  *  —  certaines  coïn- 
cidences presque  textuelles  avec  d'autres  passages  de  son  œuvre. 
Or,  ce  serait  faire  beaucoup  trop  d'honneur  à  la  finesse  de  notre 
interpolateur  que  de  lui  attribuer  la  recherche  voulue  de  ces  coïn- 
cidences, alors  que  dans  les  parties  certainement  ajoutées,  il  a 
témoigné  d'une  lourdeur  de  main,  d'une  naïveté  dans  la  fraude, 
presque  touchante.  Considérant,  d'ailleurs,  le  morceau  dans  son 
ensemble,  il  n'est  nullement  vrai  (comme  l'ont  prétendu  quelques 
rabbins  du  moyen  âge  et  après  eux  Niese)  qu'il  interrompe  la  suite 
du  développement  :  il  se  place  tout  naturellement,  au  contraire, 
après  le  récit  des  premières  maladresses  de  Pilate  (aflFaire  des  en- 
seignes, affaire  de  l'aqueduc)  et  avant  celui  des  scandales  (é'-siov  ti 

'  Ant.  jud.,  XVllI,  5,  2,  §  116-119  Niese.  (Je  n'examine  pas  ici  la  question,  qui 
doit  probablement  se  résoudre  par  la  né;^ative,  si  Jean  s'est  jamais  considéré  lui- 
même  comme  le  précurseur  de  Jésus  ;  mais  certainement  au  temps  de  Josèphe,  dans 
les  milieux  chrétiens,  il  était  regardé  comme  tel.) 

»  Ant.jud.,  XX,  9,  1,  §  200  Niese. 

»  Bibliothèque,  Cod.  33. 

♦  Nous  l'aurions  lait  plus  facilement  et  plui  complètement  s'il  existait  un  Index 
verborum,  une  Concordance  de  Josèphe.  Ce  travail  éminemment  utile  devrait  tenter  un 
jeune  savant. 


JOSEPHE  SUR  JESUS  7 

oô'.vo'v)  qui  amenèrent  l'expulsion  des  Juifs  de  Rome.  Si  dans  tout 
ce  contexte  il  y  a  un  morceau  inutile  et  suspect,  ce  n'est  pas  le 
court  paragraphe  relatif  à  Jésus,  mais  le  long  hors-d'œuvre  sur 
l'affaire  du  temple  d'Isis  (XVIII,  3,  4  qui  le  suit  immédiatement  et 
n'a  aucun  rapport  direct  avec  l'histoire  juive. 

3°  Si  notre  paragraphe,  débarrassé  des  parties  interpolées,  porte 
bien,  dans  la  forme,  la  marque  de  Josèphe,  il  renferme,  en  outre, 
des  expressions  qui,  par  leur  nuance  légèrement  méprisante,  con- 
viennent de  tout  point  au  ton  sur  lequel  cet  historien  a  dû  parler 
de  Jésus.  Tel  est  le  verbe  Ï7z-r^';h(z-o,  «  il  séduisit  »,  qui  ne  s'emploie 
qu'en  mauvaise  part  et  rappelle  l'accusation  de  séduction  portée 
contre  Jésus  *  ;  tel  le  mot  oïXov,  a  tribu,  espèce  »,  api)liqué  à  la 
secte  chrétienne  ;  telle  l'expression  Tiapaoôçor/  'épvcov  tic»'.t,ty,ç  «  fai- 
seur de  miracles  ».  J'y  ajouterais  volontiers  la  tournure  'Iti^oùç  t-.ç, 
«  lin  certain  Jésus  »,  si  le  texte  de  quelques  manuscrits  d'Eusèbe 
méritait  ici  d'être  préféré  à  celui  des  manuscrits  de  Josèphe.  Il  est 
ridicule  de  supposer  qu'un  faussaire,  assez  maladroit  pour  se  trahir 
à  première  vue  par  des  insertions  tout  à  fait  invraisemblables,  ait 
eu,  d'autre  part,  assez  d'astuce  pour  forcer  sa  plume  chrétienne  à 
employer  des  expressions  choquantes,  dans  le  dessein  de  donner  le 
change  au  candide  lecteur.  Une  pareille  hypothèse  constitue  une 
erreur  de  psychologie  aussi  grossière  que  celle  où  sont  tombés 
certains  archéologues  allemands  quand  ils  ont  attribué  un  chef- 
d'œuvre  d'orfèvrerie  antique  récemment  acquis  par  le  Louvre  à  un 
prétendu  faussaire,  chez  lequel  ils  découvrent  à  la  fois  une  éru- 
dition déconcertante  et  des  bévues  d'écolier.  La  vérité  est  que  l'ia- 
terpolateur  du  texte  de  Josèphe  y  a  laissé  subsister  les  expres- 
sions en  question  tout  simplement  parce  que,  en  sa  qualité  de  mé- 
diocre helléniste,  peu  habitué  aux  finesses  de  la  langue,  il  n'en 
saisissait  pas  exactement  la  portée.  Soyons-lui  reconnaissants  de 
son  ignorance;  car  «  ce  petit  bout  d'oreille  échappé  par  raégarde  » 
fournit  à  la  philologie  à  la  fois  la  preuve  décisive  de  la  fraude  et  le 
moyen  de  restituer,  à  l'aide  de  cet  échantillon,  le  ton  et  la  teneur 
du  document  originaire. 

4*^  Origène,  dans  les  passages  déjà  cités  relatifs  au  témoignage 
de  Josèphe  sur  saint  Jacques,  s'étonne  de  l'importance  que  l'histo- 
rien juif  avait  attribuée  au  supplice  de  ce  juste,  frère  du  Seigneur, 
alors  qiCii  ne  croyait  pas  que  Jésus  fût  le  Christ  :  tôv  'It,(touv 

tOÇ  XpKTTWt  ^. 

*  Mathieu,  xxvii,  63  ;  Luc,  xix,  48. 

*  Sur  saint  Mathieu,  xiii,  55. 
^  Contre  C'elsc,  I,  47. 


8  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Sans  vouloir  exagérer,  comme  on  l'a  fait  quelquefois,  la  portée 
de  ce  témoignage,  il  en  résulte  avec  évidence  d'abord,  qu'Origène 
connaissait  un  texte  de  Josèphe  sur  Jésus-Christ,  ensuite  qu'il  ne 
le  lisait  pas  dans  sa  rédaction  actuelle  :  car  s'il  y  avait  trouvé  ces 
mots  décisifs  :  ô  Xi-ttô;  r/j-o^  v-v,  il  n'aurait  jamais  pu  écrire  que 
Josèplie  ne  croyait  pas  en  Clirist.  Il  n'est  pas  sérieux  de  pré- 
tendre, avec  quelques  hypercritiques,  que  les  mots  par  lesquels 
Josèphe  désigne  Jacques  —  tôv  àosÀoôv  Itj'to-j  zoZ  XeyojjLÉvou 
XpiTTOj  —  suffisaient,  aux  j'eux  d'Origène,  à  établir  l'incrédulité 
de  l'historien  juif.  Ces  mots  o  ˣ-'oasvo;  Xv-tto:  signifient  simplement 
«  Jésus  surnommé  Christ»,  pour  le  distinguer  de  ses  nombreux 
homonymes,  sans  rien  préjuger,  d'ailleurs,  du  bien  fondé  de  ce 
surnom  :  la  meilleure  preuve  de  leur  parfaite  innocuité,  c'est  qu'on 
les  trouve  textuellement  sous  la  plume  de  saint  Mathieu,  dont  on 
ne  dira  certes  pas  qu'il  doutait  de  la  mission  de  Jésus  '.  Donc,  bien 
certainement,  les  manuscrits  de  Josèphe  renfermaient,  dès  le 
temps  d'Origène,  le  chapitre  sur  Jésus,  et  ce  chapitre  n'était  pas 
encore  interpolé  :  l'interpolation  a  eu  lieu  entre  l'époque  d'Ori- 
gène et  celle  d'Eusèbe,  c'est-à-dire  dans  la  deuxième  moitié  du 
III*  siècle,  période  où  l'activité  littéraire,  et,  ajoutons-le,  l'acti- 
vité des  fraudeurs  littéraires  fut  si  féconde  dans  les  rangs  de  la  so- 
ciété chrétienne  *. 


III 


Les  observations  précédentes  suffisent,  je  l'espère,  à  montrer  : 
d'abord,  que  le  texte  de  Josèphe  n'a  fait  l'objet  que  d'une  inter- 
polation partielle,  ensuite  que  cette  interpolation  n'a  pas  eu  le 
caractère  d'un  «  remaniement  »  que  lui  attribuent  Ewald,  Paret 
et  d'autres  critiques.  En  réalité ,  l'interpolateur  chrétien  s'est 
contenté  de  quelques  retouches  et  surcharges,  destinées  à  trans- 
former   le   testimonium    de   Clwisto  en    un    testimonium   pro 

»  Mathieu,  i,  16  :  èÇ  •^ç  Èyîwr.^ri  *lr,<70\)!;,  6  ).£yÔ[aevo;  Xpia-ô;.  Cet  exemple  est  plus 
décisif  que  ceux  où  la  même  expression  est  mise  dans  la  bouche  de  Pilate  (xxviii, 
17  et  22,  etc.). 

*  Gutschmid  croit  que  l'interpolation  a  eu  lieu  postérieurement  aux  attaques  de 
Porphyre  (fin  du  m*  siècle).  Niese  fait  encore  remarquer  que  le  paragraphe  suspect 
n'est  pas  mentionné  dans  les  Tables  des  chapitres,  qui  datent,  selon  lui,  de  Tépoque 
des  Antonins  ;  mais  cet  argument  est  sans  valeur,  car  les  Tables  omettent  également 
saint  Jean  Baptiste  et  Theudas,  Il  en  est  de  même  de  l'omission  de  notre  paragraphe 
dans  la  partie  correspondante  du  Bellum  :  elle  s'explique  assez  par  le  peu  d'impor- 
tance politique  de  l'alfaire. 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS  9 

Christo,  et  dans  ce  travail  il  a  poussé  la  discrétion  ou  l'in- 
conscience jusqu'à  laisser  subsister  des  phrases  et  des  mots  qui 
détonnent  complètement  avec  le  caractère  de  ses  propres  addi- 
tions. Ce  n'est  donc  pas  entreprendre  une  tâche  téméraire  que 
d'essayer  de  découvrir  sous  ce  rapiéçage  la  trame  primitive  delà 
rédaction  de  Josèphe.  Pour  atteindre,  dans  cette  opération,  sinon 
la  certitude,  à  laquelle  on  doit  renoncer  en  pareille  matière,  du 
moins  une  grande  vraisemblance,  il  suffit  de  se  conformer  ri- 
goureusement aux  trois  règles  que  voici  : 

1°  Toute  expression  ou  assertion  incompatible  avec  les  opinions 
religieuses  bien  connues  de  Josèphe  doit  être  retranchée  ou 
corrigée  ; 

2°  Tout  ce  qui  n'est  pas  manifestement  altéré  doit  être  conservé  ; 

3°  Les  corrections  ou  additions,  réduites  au  strict  nécessaire, 
doivent  s'inspire»"  à  la  fois  des  caractères  généraux  du  style  de 
Josèphe  et  du  ton  hostile,  légèrement  méprisant,  à  l'égard  du  fon- 
dateur du  christianisme,  que  révèlent  les  expressions  i-K-r^yiyixo, 
7capaoôço)v  'épytov  7ïoiT|Tr,ç  et  cpuÀov  précédemment  signalées. 

A  la  lumière  de  ces  principes,  reprenons,  membre  à  membre, 
l'étude  critique  de  notre  texte. 

FivsTa'.  o£  xaTà  toîjtov  tov  /çôvov  Ir^GoZç  (tiç)].  Cette  phrase  est  ir- 
réprochable, avec  ou  sans  le  --.ç  de  certains  manuscrits  d'Eusèbe. 
Par  lui-même  ce  petit  mot  ne  comporte,  d'ailleurs,  aucune  intention 
dédaigneuse,  et  Josèphe  l'emploie  souvent  ainsi,  même  en  parlant 
de  personnes  qu'il  révère,  des  prophètes,  par  exemple,  mais  qu'il 
nomme  pour  la  première  fois.  Il  na  nous  paraît  choquant  qu'^n 
raison  de  la  célébrité  de  Jésus,  célébrité  si  grande  que  le  lecteur 
moderne  ne  peut  se  figurer  qu'il  entende  parler  de  lui  «  pour  la 
première  fois  ».  On  comprend  que  ce  sentiment  ait  été  encore  plus 
vif  chez  les  scribes  byzantins,  et  ainsi  s'expliquerait  la  disparition 
de  Tic;  dans  les  manuscrits  actuels.  Toutefois,  si  l'on  admet  avec 
Gutschmid  (et  cette  hypothèse  est  très  plausible)  que  le  nom 
*I-ri(7ouç  était  accompagné  originairement  de  la  désignation  plus 
précise  b  Xôyoïxïvoç  Xo-ito;,  le  mot  t-.,-  alourdirait  la  phrase  et  l'on 
s'en  passera  volontiers. 

TOCDÔç  àvYjO,    S.Ï  y'   àvooa   aûrov    Xéystv    /ûYj]-    Les  mots  espacés, 

qui  impliquent  la  croyance  à  la  divinité  de  Jésus,  doivent  être  évi- 
demment retranchés,  mais  il  n'en  résulte  pas,  comme  l'ont  cru 
Millier  et  d'autres  critiques,  que  les  mots  To^iôc  àv/,p  eux-mêmes 
soient  à  condamner.  Au  contraire,  étant  donné  le  procédé  de  notre 
glossateur,  son  interpolation    suppose  une  «  amorce  »  préexis- 


10  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tante,  et  celle  quoffre  le  texte  ne  soulève  aucune  objection.  Le 
mot  Tocpô;,  que  nous  rendons  ordinairement  par  «  sage  »,  signifie, 
en  effet,  plutôt  «  savant,  habile  »  ;  il  est  ici  à  peu  près  synonyme 
de  cosiTT-/,;,  que  Josèphe  emploie  ailleurs  en  parlant  «■  dagita- 
teurs  »  religieux,  par  exemple,  Juda  et  Mathias  sous  Hérode  ».  Un 
peu  plus  loin,  Josèphe  appellera  saint  Jean  Baptiste  àyaOb;  7.v/,ç,  -  ; 
il  ne  devait  pas  hésiter  à  donner  à  Jésus  lépithète  beaucoup 
moins  compromettante  de  cooo;,  qui  vise  simplement  la  science  du 
rabbin  et  l'habileté  du  thaumaturge  ^. 

Y,v  yàç.  7Taçxoo;wv  ÉpYcov  t:o'.t,t-/,:].  Rien  nautorise  à  suspecter  ces 
mots.  On  trouvera  dans  le  Thésaurus  de  nombreux  exemples  de 
7rasiBo;a  siva  OU  de  Tzxixooco-otTa'.  dans  le  sens  de  «  miracles  »  ou 
même  de  «  merveilles  »  (de  la  création),  mais  par  lui-même  -x'-A- 
ooço;  signifie  simplement  quod  est.  'praeler  omnium  opinionem,  ce 
qui  est  extraordinaire,  difficile  à  expliquer,  d'apparence  mira- 
culeuse. En  représentant  Jésus  comme  un  «  faiseur  h  (-o'.T.Ty,;)  de 
-a:-/oo;3:  îpv^*'  Josèphe  énonce  donc  sim.plement  un  fait  incon- 
testé et  incontestable  pour  quiconque  lit  les  Evangiles  sans  parti 
pris  :  c'est  que  Jésus  passait  pour  avoir  opéré  des  guérisons 
miraculeuses  ;  sa  réputation  de  thaumaturge  a  contribué  à  son 
succès  au  moins  autant  que  l'élévation  morale  de  sa  prédication. 
Josèphe  ne  se  porte  pas  garant  du  caractère  vraiment  surna- 
turel des  miracles  attribués  à  Jésus;  mais,  quelle  qu'en  fût  l'ex- 
plication, —  et  l'opinion  publique,  à  cette  époque,  inclinait  volon- 
tiers vers  le  surnaturel,  —  ils  suffisaient  à  justifier  l'épithète 
de  <70(fôç,  «  habile  homme  »,  qu'il  lui  a  précédemment  décernée. 
Aussi  les  mots  y,v  yàf...  ^:o'.r^■ï■rfi  doivent-ils  être  considérés  comme 
une  sorte  de  parenthèse  justificative,  et  ainsi  seulement  s'ex- 
plique l'absence  de  copule  devant  le  membre  de  phrase  suivant. 
La  suppression  des  deux  mots  ■?,</  yip,  proposée  par  Giespler  et 
d'autres,  est  contraire  à  toutes  les  règles  de  la  critique  et  fausse 
le  sens. 

oioâT/caÀo;  àvOpoj-cov  -cov  7)oovy,'.  -xÀy,07,  oE/oa£vo>v].  Tels  qu'ils  SOnt 
écrits,  ces  mots  ne  peuvent  être  maintenus,  puisqu'ils  implique- 

*  Guerre  des  Juifs,  I,  33,  2  {§  648  Niese).  Le  texte  correspondant  des  AntifjuUés 
(XVII,  §  149)  a  ici  ÀoyicÔTaTO'.. 

»  Anl.  jud.,  XVIII,  §  117  :  y.izht:  yàf^  to-jtov  'FJpwor,;  àya'JÔv  âvopl. 

'  J'ai  cru  un  instant  (et  la  même  idée  était  venue  à  M.  H.  Weil)  que  Josèphe  avait 
pu  écrire  iroçô;  àvrip,  t\  ys  (joçôv  ajTÔv  ),£Yciv  y_pr,.  Mais  à  la  rétlexion.  j'ai  compris 
que  le  mot  coçô;  n'était  pas,  en  lui-même,  assez  élogieux  pour  motiver  cette  res- 
triction, et,  de  plus,  la  phrase  suivante  ne  se  trouvait  plus  assez  justifiée. 

*  Noter  la  nuance  de  mépris  dans  T;5tr,Tr,;  :  Jésus  est  un  thaumaturge  •  profes- 
sionnel >  ;  le  lecteur  qui  comprend  à  demi-mot  sous-eutend  qu"il  s'agit  d'un  simple 
poète. 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS  H 

raient  l'adhésion  de  Josèphe  à  la  vérité  de  l'enseignement  de  Jé- 
sus. Mais  leur  suppression  pure  et  simple,  proposée  par  de  nom.- 
breux  critiques,  ne  saurait  nous  satisfaire  :  on  n'aperçoit  pas,  en 
efîet,  quel  motif  le  faussaire  aurait  eu  de  les  insérer.  De  plus,  ils 
sont  parfaitement  conformes  à  la  phraséologie  de  Josèphe,  qui 
écrit  ailleurs,  à  propos  de  la  prédication  de  Juda  le  Gaulonite  et 
de  Zadoc  le  Pharisien  :  x-/-.  qZovrn  yx^^  ty,v  àxsoj-^'.v  wv  XÉyo-.sv  iZi- 
yov~o  o\  7.vOpt.)7ro'.  '.  Enfin,  Josèphe  ayant  parlé  des  miracles 
de  Jésus,  a  dû  nécessairement  mentionner  l'autre  face  de  son  acti- 
vité, son  enseignement  doctrinal.  Seulement,  étant  données  ses 
convictions  religieuses,  il  n'a  pas  pu  donner  son  approbation  à 
cet  enseignement  ;  tout  au  plus  a-t-il  dû  en  signaler  l'originalité. 
Aussi  accepté-je  volontiers  l'excellente  conjecture  -rà  xa-.và  os/o- 
[xÉvcov  qui  m'est  proposée  par  M.  Weil  :  le  goût  naturel  du  peuple 
pour  la  nouveauté  explique  suffisamment,  aux  yeux  de  Josèphe, 
le  succès  de  la  prédication  de  Jésus.  L'interpolateur  a  trouvé,  non 
sans  raison,  que  cet  éloge  sentait  la  satire  ;  pour  le  mettre  en 
harmonie  avec  ses  propres  convictions,  il  s'est  contenté  de  rem- 
placer Ta  y,<3.vrj.  par  xkXrfi^ri^  la  «  nouveauté  »  par  la  «  vérité  ». 
Peut-être,  comme  on  l'a  suggéré,  s'inspirait-il,  dans  cette  leçon, 
d'un  verset  bien  connu  de  l'Evangile  selon  saint  Jean  *. 

/cal  TioXXoùi;  [X£v  'Iouoa''ou;,  TroÀXoù;  os  xal  xou  'EXX-^v.xo^  £7rY|Y7.v£7o]. 
Aucune  phrase  ne  porte  plus  nettement  la  marque  de  fabrique  de 
Josèphe  ;  j'ai  déjà  signalé  l'importance  du  verbe  ïiz-r^^(y.'fzio,  pelli- 
cere,  comme  un  des  vestiges  les  plus  caractéristiques  du  ton  hos- 
tile de  la  rédaction  primitive.  Nous  verrons  plus  loin  la  portée 
historique  de  cette  phrase. 

ô  Xp'.dxbç  o'jTo;  -rjv].  Ici  encore  il  est  aussi  impossible  de  conser- 
ver la  phrase  que  de  la  supprimer  purement  et  simplement.  Dans 
le  premier  cas,  on  se  heurte  au  témoignage  décisif  d'Origène  et 
l'on  impose  à  Josèphe  une  véritable  profession  de  foi  chrétienne  ; 
dans  le  second,  on  lui  attribue  gratuitement  une  omission  impar- 
donnable et  on  laisse  sans  explication  possible  les  mots  to)v  Xv.t- 
T'.avwv  7.7:0  Touo£  covo{xai7pi.£vo)v  qui  se  lisent  plus  loin.  Comme  le  dit 
spirituellement  G.  A.  Mûller,  que  penserait-on  d'un  historien  qui 
nous  apprendrait  que  le  bonapartisme  tire  son  nom  de  Napoléon, 
sans  ajouter  que  le  nom  de  famille  de  celui-ci  était  Bonaparte?  Il 
n'est  donc  pas  douteux  que  la  phrase  apocryphe  n'ait  pris  la  place 
d'un  membre  à  peu  près  ainsi  conçu  :  «  c'est  ce  Jésus  qui  était 
appelé  (ou  surnommé)  Christ  ». 

«  Ant.  jud.,  XVIII,  §6. 

*  Jean,  xvni,  37  :  Tràç  ô  wv  sx  Trj;  àXrj  Oeiâ;  àxo'Jet  [lo-j  Trj;  çwv^;. 


12  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Pour  rétablir  un  texte  acceptable,  il  suffit  de  remplacer  ou  de 
compléter  le  verbe  yjv,  et  l'on  a  le  choix  entre  de  nombreux 
équivalents  :  ô  If^i'j.vi'j:;  —  y,v  (Millier,  comme  dans  le  texte 
sur  saint  Jacques),  ô  i-'./.xÀoJaîvo!;  (comme  dans  le  passage  sur 
Jean  Baptiste),  ÈÀs-'iTo,  wvoai^îTo,  etc.  '.  En  rapportant  que  Jésus 
était  surnommé  Christ,  Josèphe  ne  fait  qu'énoncer  froidement 
un  fait  exact,  en  fidèle  chroniqueur  ;  il  ne  se  prononce  pas  sur 
la  justesse  de  cette  appellation  et  Ion  devine  assez  ce  qu'il  devait 
en  penser.  Mais  linterpolateur  chrétien  a  été  choqué  de  cette 
froideur  qui,  à  ses  yeux  prévenus,  impliquait  la  raillerie  ;  il  s'est 
empressé  de  ramener  Josèphe  dans  le  giron  de  l'Eglise  en  suppri- 
mant le  fâcheux  participe  ou  en  remplaçant  le  verbe  sceptique  par 
laffirmatif  y.v,  «  il  était  le  Christ  !  »  Toutefois,  même  ainsi  corrigée, 
cette  courte  phrase  hachée  n'est  ni  à  sa  place,  ni  conforme  aux 
habitudes  de  st^'le  de  Josèphe.  Il  est  plus  probable,  comme  l'a  vu 
Gulschmid,  que  les  mots  ô  \i-;'jii.vioz  Xi-.cTÔ;  se  trouvaient  à  l'ori- 
gine immédiatement  après  la  première  mention  de  Jésus  ;  l'an- 
notateur chrétien  indigné  aura  écrit  en  marge  ô  Xv.-ttô;  oCto;  y;v  !  et 
ces  mots,  insérés  ensuite  un  peu  au  hasard,  après  la  première  fin 
de  phrase,  ont  amené  par  contre-coup  l'expulsion  du  membre  au- 
thentique qu'ils  critiquaient.  De  pareils  chasses-croisés  sont  très 
communs  en  paléographie. 

U'Iy-'-yj].  Aucune  objection  ne  saurait  être  élevée  contre  cette 
phrase  -  ;  j'en  examinerai  plus  loin  les  conséquences  historiques. 

O'jy.  ÈTîaucxvTO  oi  tô  -pwTOv  y.'^y.-r^'yy.v-zz;].  La  plirase  cloclie  (l'inser- 

tion  de  aÔTov  étant  mal  autorisée)  et  àva-/,<:avT£;  est  spécifiquement 
chrétien.  Gutschraid  propose  o-. 'aj-oj  iza-rY/jÉvTc;  (trompés  par  lui). 
C'est  une  conjecture  extrêmement  ingénieuse,  paléographique- 
ment  très  séduisante;  mais  je  trouve  o-.'  a-jTo-î  inutile. 

s'javY,  Yxç,  ajTOÏç  7Ç''tt,v  sytov  ■/■jii.Épav  ■jrâÀ'.v  ^wv,  t(ov  Oîîcov  -sooYiTwv 
Tauri  Te  xat  àÀÀa  aôçia  Oa-jaiçta  T.id  auTOÙ  £tpY,y.ÔTcov].  Malgré  les  eflforts 
de  G.  A.  Mïiller  pour  découvrir  sous  ces  mots  les  traces  d'un  texte 
primitif  (où  Josèphe  aurait  simplement  dit  que  Jésus  passait  pour 
avoir  été  revu  vivant  trois  jours  après  sa  mort),  je  crois  que  la 
phrase  doit  être  entièrement  retranchée.  Je  ne  puis  admettre  que 
Josèphe  ait  fait  au  christianisme  une  concession  aussi  grave  que 
de  mentionner,  même  à  titre  don-dit,  la  miraculeuse  apparition 
qui  est  devenue  un  des  articles  de  foi  et  comme  la  pierre  angu- 

'  tvo|Jiiï=To  ,Funk)  serait  équivoque,  mais  trouve  un  point  o'appui  dans  la  traduc- 
tion de  saint  Jérôme  (Histoire  ecclésiastique  d  Eiisèbe)  :  tt  eredebaïur  etiam  Chrxstui... 

*  Un  ne  comprend  pas  que  Niese  soit  choqué  par  Tcap'  r,\LVi  et  réclame  Trapi  'lo-j- 
ôaioi;.  Lui-même  cite  des  analogies  décisives  (^Ant.,  1,  4  ;  XX,  259). 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS  13 

laire  de  la  croyance  nouvelle.  D'autre  part,  précisément  à  cause 
de  l'importance  dogmatique  de  cet  épisode,  on  comprend  que  l'in- 
terpolateur  ait  voulu  à  toute  force  lui  faire  place  dans  le  récit  de 
Josèphe,  qui  sans  cela  lui  paraissait  incomplet  et  incolore  ;  aussi 
l'a-t-il  assez  habilement  rattaché  au  contexte  par  l'insertion  du 
mot  yocp  :  l'apparition  du  Christ  ressuscité  explique  la  fidélité  de 
ses  disciples.  Mais  cette  fidélité,  attestée  par  Josèphe  dans  la 
phrase  précédente,  n'avait  pas  besoin,  pour  l'historien  rationaliste, 
d'être  justifiée  par  une  raison  surnaturelle;  elle  était  simplement 
la  conséquence  de  la  vive  et  durable  impression  qu'avaient  faite 
sur  les  esprits  la  personne  de  Jésus,  sa  prédication,  ses  miracles. 
Et  si  on  lit  le  texte  en  sautant  la  phrase  incriminée,  loin  d'éprou- 
ver le  sentiment  d'une  lacune,  on  reconnaîtra  que  les  mots  sIcét'. 
T£  vùv,  etc.,  avec  la  faible  copule  zt,  se  rattachent  bien  plus  natu- 
rellement à  la  phrase  o-jx  £7ra'j7avTo..,que  lorsqu'ils  en  sont  séparés 
par  la  longue  parenthèse  sur  la  résurrection  et  les  prophéties.  Ceci 
est  donc  un  cas  où  la  chirurgie  doit  être  préférée  à  la  médecine. 

slffETi   T£   vjv   Tcov    Xo'.TT'.avwv    a~ô   tc/'jSe    tovoaaTaÉvov  oux   k'iztA'.'zz  to 

tpuXov].  Le  fait  énoncé  offrait  pour  les  lecteurs  de  Josèphe  un  inté- 
rêt historique  '  ;  il  achevait  de  motiver  le  paragraphe  assez  long 
qu'il  a  consacré  au  «  faux  prophète  ')  Jésus  ;  de  plus,  le  mot  cioXov, 
comme  on  peut  s'en  assurer  en  parcourant  le  Thésaurus,  a  pres- 
que toujours  en  prose  un  sens  péjoratif.  La  phrase  est  donc  inat- 
taquable ;  elle  doit  être  maintenue  intégralement. 

Sous  le  bénéfice  de  ces  observations,  voici  comment  je  propose 
de  restituer  et  de  traduire  dans  son  ensemble  le  texte  primitif  de 
Josèphe  sur  Jésus  de  Nazareth  : 

TlviTXK  0£  xy.xx  TO'jTOv  TGV  y sovov  'Iy,i70'j;,  0  Àïvoaîvo;  Xp;7tc<;,  TOyo; 
àvYji  (T|V  'P-^  7rzGaoo;(»v  soycov  tco'.TjT'/jç),  oio-iaxxAo;  avOpojTicov  twv  "Îjoovyi'. 
Ta  xatvà  oâyotxs  vcov  /.yX  -oXÀoù;  [jlèv  'Io'jox(o'j;,  tîoXâoÙç  os  xal  tou 
'EXXrjVtxo'j  £7CY,Y7.YîT0.  Kal  «Ùtôv  àvosîçs'.  twv  •jTpcoTtov  àvoicov  Trap'  '/jU-Tv 
cxauico'.    ÈrtTSTtaYjXOTOç    IlcXirou,    oùx    â-xûcravro   ol    xô    -iwtov    ayaTTY,- 

<7aVT£Ç    (ou    :    à7raTYifj£VT£ç),    £C<7£T'.     T£     VjV    TWV     X  O'.TT'.XVCOV    àzô    TO-JO£     COVO- 

(xaTU-lvcov    ûùx   £7:£Xi7:£   TÔ   cpîXov. 

vers  celle  époque  apparut  Jésus,  dit  le  Christ,  habile  homme  (car 
c'était  uu  faiseur  de  miracles),  qui  prêchait  aux  hommes  avides 
de  nouveaulos  ;  et  il  séduisit  beaucoup  db  .Juifs  et  aussi  beaucoup 
d'Hellènes.  Bien  que  Pilale,  sur  la  déuouciatioa  des  premiers  d'entre 
nous,  l'eût  coudamué  à  la  croix,  ceux  qui  l'avaient  aimé  au  début 

'  On  sait  que  c'est  à  Antiochc  que  les  soclaleurs  de  ia  loi  nouvelle  corara«ncèrent 
à  êire  nommés  chrélieus  [Acte?,  xi,  26}. 


14  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

{ou  :  ceux  qu'il  avait  trompés  au  début)  ne  cessèrent  pas  de  lui  être 
attachés,  et  aujourd'hui  encore  subsiste  la  secte  qui,  de  lui,  a  pris 
le  nom  de  Chrétiens. 


IV 


Di^barrassé  de  ses  scories,  réduit  aux  simples  termes  qu'on  vient 
de  lire,  le  texte  de  Josèphe  sur  Jésus  n'est  certes  plus  le  document 
capital,  le  témoignage  glorieux  qu'en  avait  fait  l'exégèse  ortho- 
doxe; mais  c'est  aller  beaucoup  trop  loin  que  de  n'y  voir  avec 
Schiirer  qu'une  «couple  de  phrases  insignifiantes»  [ein  paar 
nichissagende  Phrasen),  qui  ne  méritent  pas  un  quart  d'heure 
de  peine.  En  réalité,  ce  texte,  outre  la  confirmation  opportune 
qu'il  apporte  à  l'ensemble  de  la  tradition  évangélique,  contient 
deux  renseignements  ou,  si  l'on  veut,  pose  deux  problèmes  de  la 
plus  haute  importance  : 

1°  D'après  Josèphe,  Jésus  n'a  pas  seulement  porté  aux  Juifs  la 
parole  nouvelle,  il  a  aussi  <r  séduit  beaucoup  d'Hellènes  ».  Les 
Évangiles  ne  rapportent  rien  de  pareil.  Le  théâtre  de  l'activité  de 
Jésus,  c'est  la  Galilée  et  la  Judée,  à  l'exclusion  des  villes  grecques. 
C'est  à  grand  peine  qu'on  est  parvenu  à  extraire  de  deux  cha- 
pitres obscurs  de  Mathieu  et  de  Marc  ^  le  souvenir  confus  d'un 
voyage  de  Jésus  enPhénicie,  ou  sur  les  frontières  de  ce  pays;  mais, 
sauf  un  miracle  insignifiant  et  accompli  en  quelque  sorte  à  contre- 
cœur, il  n'y  aurait  rien  fait  de  remarquable:  pas  un  mot  n'indique 
qu'il  y  ait  cherché  ou  obtenu  des  conversions,  et  il  dit  même  en 
propres  termes  à  la  femme  cananéenne  venue  pour  invoquer  son 
secours  d'exorciseur  :  «  Je  ne  suis  envoyé  qu'aux  brebis  perdues 
de  la  maison  d'Israël  *.  »  Ce  fut  assez  longtemps  après  la  mort  de 
Jésus  que  l'apûtre  Pierre  se  décida  le  premier  à  porter  l'évangile 
et  le  baptême  à  quelques  gentils  de  Gésarée;  le  récit  très  circons- 
tancié des  Actes  des  apôtres^  nous  fait  connaître  les  hésitations 
qu'il  éprouva  avant  de  prendre  cette  grave  initiative,  la  vive  oppo- 
sition qu'elle  rencontra  parmi  les  «  frères  circoncis  »  :  c'était 
donc  une  innovation  qui  ne  pouvait  se  prévaloir  de  l'exemple  du 
Maître,   qu'autrement  Pierre  n'aurait  pas  manqué   d'invoquer. 

«  iMalhieu,  iv,  21-31  ;  Marc,  vu,  24-37. 

*  Mathieu,'  iv,  24.  Cf.  Marc,  vu,  27  :  Laisse  premièrement  rassasier  les  enfants 
(c'est-à-dire  occupons-nous  d'abord  des  Israélites).  L'épisode  de  la  Samaritaine  ^que 
Gutschmid  paraît  avoir  en  vue  quand  il  parle  d'une  conversion  de  païen  dans  i'É- 
van^file  de  Jean)  n'a  rien  à  voir  ici. 

*  Actes,  cil.  s  et  xi. 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS  15 

Un  peu  plus  tard,  quelques-uns  des  disciples  qui  avaient  été 
chassés  de  Jérusalem  après  le  martyre  d'Etienne  et  qui  étaient 
originaires  de  Cypre  et  de  Cyrène,  «  étant  entrés  dans  Antioche 
(de  Syrie),  parlèrent  aux  Grecs,  leur  annonçant  le  Seigneur  Jésus  » 
et  en  convertirent  un  grand  nombre  '.  Bientôt  après,  à  Antioche 
de  Pisidie,  à  Iconium,  Paul  et  Barnabe,  dégoûtés  de  l'incrédulité 
des  Juifs,  entrèrent  plus  hardiment  dans  cette  voie-.  A  la  suite  des 
nombreuses  conversions  opérées  dans  leur  campagne,  la  déci- 
sion du  «  synode  »  de  Jérusalem  dispensa  les  prosélytes  d'origine 
païenne,  de  la  circoncision  et  de  l'observation  des  lois  rituelles 
Israélites^  ;  par  là,  les  dernières  barrières  étaient  abattues,  et  le 
christianisme,  détourné  de  son  lit  primitif,  put  se  répandre  libre- 
ment dans  la  société  hellénique.  Saint  Paul  garde  devant  l'his- 
toire le  surnom  «  d'apôtre  des  gentils  o,  quoique  l'honneur  in- 
contestable de  la  première  conversion  païenne  revienne  à  saint 
Pierre. —  Il  résulte  de  ce  bref  exposé  que  Josèphe,  en  attribuant 
à  Jésus  la  «  séduction  »,  c'est-à-dire  la  conversion,  de  beaucoup  de 
Grecs,  ou  bien  a  commis  un  anachronisme  (assez  excusable  à  la 
distance  où  il  se  trouvait  des  événements),  ou  bien  nous  a  révélé 
tout  un  côté  de  l'activité  de  Jésus  volontairement  dissimulé  par  les 
évangélistes.  De  ces  deux  explications  c'est  la  première  qui  me 
paraît  préférable. Et,  en  effet,  Luc,  qui,  en  sa  qualité  de  compagnon 
de  saint  Paul,  était  un  partisan  décidé  de  la  propagande  parmi  les 
gentils,  n'aurait  pas  manqué,  dans  son  Evangile,  de  rappeler  au 
moins  en  quelques  mots  les  efforts  et  les  succès  de  Jésus  dans  ce 
sens  si  la  tradition  lui  en  avait  fourni  le  moindre  indice  ;  son  silence 
prouve  que,  tout  au  contraire,  dans  les  milieux  bien  informés,  il 
était  de  notoriété  publique  que  Jésus  avait  limité  sa  mission  aux 
seules  «  brebis  d'Israël  ». 

2°  Le  récit  des  Evangiles  sur  le  procès  de  Jésus  est  d'une  extrême 
confusion,  qui  tient  au  désir  ijoliiique  àes,  rédacteurs  d'innocenter 
le  plus  possible  le  gouverneur  romain  et  de  charger  le  sanhédrin 
juif*.  Comme  il  était  cependant  notoire  que  la  condamnation  à 
mort,  d'après  l.^s  lois  existantes,  n'avait  pu  être  prononcée  que  par 
le  gouverneur  S  les  évangélistes  se   tirent  d'embarras  en  faisant 


»  Actes,  XI,  20-21. 

*  Actes,  XIII,  46  suiv.  ;  xiv,  1  suiv. 

ï  Actes,  ch.  XV.  Encore  voyons-nous  Paul  obli^^er  Timolhée  de  se  circoncire  «  à 
cause  des  Juifs  qui  étaient  en  ces  lieux-là  .  (à  Lystre)  (xvi,3)et  Pierre,  quoique  vivant 
comme  les  gentils,  obligeant  les  gentils  à  Antioche  de  judaïser,  ce  qui  lui  valut  les 
reproches  de  Paul  (Ep.  aux  Galates,  il,  11  suiv.). 

*  11  fallait  que  les  Évangiles  pussent  circuler  librement  dans  le  monde  gréco- 
romain. 

5  Voir  les  textes  réunis  par  Schiirer,  I,  389  suiv. 


16  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

jouer  à  Pilate  le  rôle  d'un  pacha  débonnaire,  mais  faible,  personnel- 
lement disposé  à  la  clémence,  mais  n'osant  pas  résister  à  la  pression 
de  la  foule,  et,  finalement,  s'en  remettant  de  la  décision  suprême 
>.  à  la  voix  du  peuple  '  ».  Une  pareille  attitude,  tout  à  fait  étrangère 
aux  traditions  de  l'administration  romaine,  est,  par  surcroit,  ab- 
solument contraire  au  caractère  bien  connu  de  Pilate.  Philon  et 
Josèphe  s'accordent  à  nous  le  représenter  comme  une  nature  em- 
portée, despotique,  complètement  dénuée  d'égards  pour  les  senti- 
ments religieux  de  ses  administrés  et  versant  leur  sang  sans  le 
moindre  scrupule;  sa  conduite  dans  les  deux  fameuses  affaires  des 
étendards  et   de  l'aqueduc,   la  vigueur  brutale  avec  laquelle  il 
étouffa  le  mouvement  du  prophète  samaritain,  ne   laissent  aucun 
doute  sur  le  caractère  féroce  et  arbitraire  de  ce  personnage,  qui 
finit  par  être  rappelé  à  Rome  pour  répondre  de  ses  excès  de  pou- 
voir. Il  est  donc  moralement  certain  que  si  Pilate  a  prononcé  contre 
Jésus  la  peine  capitale,  ce  n'a  pas  été  pour  donner  satisfaction  aux 
criailleries  des  Juifs,  mais  pour  châtier  une  offense  commise  envers 
la  majesté  ou  la  sécurité  de  rem[)ire.  P]n  fait,  même  les  récits  ar- 
rangés des  Evangiles  laissent  entrevoir  que  le  véritable  motif,  l'u- 
nique motif  légal  de  ia  condamnation,  fat  l'usurpation,  par  Jésus, 
du  titre  de  «roi  des  Juifs  ».  Quel  fut  maintenant  le  rôle  des  «  chefs 
des  Juifs  w  dans  celte  procédure  ?  A  en  croire  les  Evangiles,  il  y 
aurait  eu  un  premier  procès,  purement  religieux,  engagé  devant  le 
petit  sanhédrin,  où  Jésus  aurait  été    reconnu  coupable  de  blas- 
phème et  de  séduction  d'après  les  lois  juives;  la  peine  était  la  mort, 
mais,  comme  le  sanhédrin  n'avait  pas  le  droit  de  l'exécuter,  il 
livra  le  condamné  au  «  bras  séculier  ».  Pour  réduire  ce  récit  à  sa 
juste  valeur,  il  suftit  de  rappeler  que,    d'après  la   charte  adminis- 
trative de  la  Judée,  la  convocation  même  du   sanhédrin,   pour 
juger  une  affaire  criminelle,  ne  pouvait  avoir  lieu  qu'après  l'auto- 
risation expresse  du  procurateur*  :  or,  aucune  autorisation  de  ce 
genre  n'est  mentionnée  dans  le  cas  de  Jésus  ;  si  elle  avait  été 
demandée,  très  certainement,  étant  donné  le  caractère  jaloux  de 
Pilate,  il  l'eiît  refusée. 

Le  texte  des  Antiquités,  dans  sa  clarté  laconique,  dissipe  l'é- 
quivoque et  nous  donne  le  mot  de  l'énigme.  Jésus  fut  condamné 
par  Pilate,  sur  la  dénonciation  (£vo£'.;'.ç)  des  notables  Juifs;  ceux- 

'  Mathieu,  xxvii;  Marc,  xv  ;  Luc,  xxiii  ;  Jean,  xviii.  L'incohérence  et  les  contra- 
dictions de  ces  récits  prouvent  qu'ils  sont  dénués,  dans  le  détail,  de  tout  fondement 
historique. 

*  Josèphe,  Ant.,  xx,  9,  1,  §  '202  Niese  (après  le  supplice  de  Jacques  et  autres^ 
TivÈ;...  7(7)'.  'AXgîvwt  le  nouveau  procurateur^  iir.oL'KidlvJGiy  .../.ai  ôt&à^Txo-jdiv  w;  oOx 
éÇov  f,v  'Avivwi  "/wii;  xr,;  èxeîvo-j  yvtoar,;  v.'x'llnT.:  (jvvéopiov.  Ce  texte  n'a  pas  été  bien 
apprécié  par  Schurer,  11,  160. 


'\ 


JOSÈPHE  SUR  JÉSUS  17 

ci  jouèrent  le  rôle  d'accusateurs,  peut-être  de  témoins,  mais  non 
pas  de  juges,  même  en  première  instance,  et  la  réunion  «  de  sacri- 
ficateurs, de  conseillers  et  de  scribes  »  qui  décida  de  le  traîner 
devant  Pilate  ne  doit  pas  être  considérée  comme  un  tribunal  régu- 
lier, mais  comme  un  simple  conciliabule.  Sûrement  aussi,  ces  accu- 
sateurs improvisés  se  gardèrent  d'invoquer  devant  le  gouverneur 
romain  les  griefs  religieux  pour  lesquels  il  avait  montré  jusqu'alors 
si  peu  de  sollicitude  :  ces  griefs  étaient  les  raisons  de  derrière  la 
tête  qui  motivèrent  leur  intervention,  mais  c'est  comme  pertur- 
bateur de  l'ordre  public,  comme  aspirant  à  la  couronne  de  Juda 
qu'ils  «  dénoncèrent  »  Jésus  ;  ce  fut  à  ce  titre  que  Pilate,  agissant 
dans  le  libre  exercice  de  sa  juridiction  souveraine,  condamna  le 
prophète  de  Nazareth  et  lui  infligea  le  supplice  exclusivement 
romain  de  la  croix  avec  l'écriteau  dérisoire  qui  rappelait  le  motif 
de  sa  condamnation.  Pilate  a  eu  beau  se  laver  les  mains  :  c'est  sur 
elles,  sur  elles  seules,  que  le  sang  versé,  comme  dans  Macbeth^  a 
laissé  sa  trace  ineffaçable. 

Chose  curieuse  :  non  seulement  la  tradition  chrétienne  a  fait  au 
judaïsme  un  crime  irrémissible  d'un  supplice  qu'il  n'a  jamais  or- 
donné, mais  la  libre  pensée  elle-même,  par  la  plume  de  Renan,  a 
vu  dans  l'exécution  de  Jésus  «  le  crime  de  tout  un  peuple  »,  mais 
les  Juifs  eux-mêmes,  à  trois  ou  quatre  siècles  de  l'événement,  ont  eu 
l'imprudence  d'accepter  la  responsabilité  de  ce  prétendu  forfait  et 
presque  de  s'en  vanter!  Le  Talmud,  dans  une  page  qui  n'a  qu'un 
intérêt  anecdotique,  et  que  Graetz  n'aurait  jamais  dû  prendre  au 
sérieux,  raconte  comment  deux  témoins,  ingénieusement  apostés, 
surprirent  les  blasphèmes  du  «  faux  prophète  »,  et  comment,  sur 
leur  dénonciation  et  conformément  à  la  loi  mosaïque,  il  fut  con- 
damné par  le  sanhédrin  à  la  lapidation  !  Ce  dernier  détail,  à  lui  seul, 
suffit  à  révéler  la  tendance  et  la  valeur  de  ce  récit  ;  la  lapidation 
était,  en  effet,  la' peine  religieuse,  la  peine  juive  par  excellence, 
celle  qui  fut  infligée  sans  jugement  au  premier  martyr  chrétien 
Etienne,  judiciairement,  mais  illégalement,  à  Jacques,  frère  de 
Jésus.  Mais  en  ce  qui  oncerae  Jésus  lui-môme,  les  témoignages 
concordants  des  Evangiles  et  de  Josèphe  nous  apprennent  que  la 
peine  fut  la  croix,  supplice  fréquent  dans  la  législation  romaine, 
absolument  étranger  à  la  lé,nslation  juive.  Du  caractère  de  la 
peine  on  peut  déduire  avec  sûreté  le  motif  de  la  condamnation  et 
la  nature  du  tribunal  qui  la  prononça. 

C'est  un  vieil  adage  du  droit  et  du  bon  sens  que  même  l'aveu  ne 
saurait  prévaloir  contre  l'unanimité  des  témoignages  ;  à  plus  forte 
raison  les  tardives  inventions  du  Talmud  ne  sauraient-elles  égarer 
le  jugement  impartial  de  l'historien.  Jésus  a  été  frappé   par  une 

T.  XXXV,  N°  69.  2 


18  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

loi  inexorable,  barbare  si  l'on  veut,  mais  formelle,  et  pour  un 
fait  qu'il  a  tacitement  avoué.  Le  judaïsme  expie  depuis  près  de 
seize  siècles,  par  des  humiliations  quotidiennes  et  des  persécutions 
incessantes,  un  prétendu  crime  qu'il  n'a  pas  commis,  qu'il  n'aurait 
pas  même  pu  commettre.  Ce  n'est  donc  pas  le  supplice  volontaire 
de  Jésus,  c'est  le  long  martyre  d'Israël  qui  constitue  la  plus  grande 
erreur  judiciaire  de  l'histoire.  Il  serait  peut-être  temps  d'en  finir 
avec  cette  vieille  légende  et  cette  vieille  iniquité. 

Théodore  Reinach. 


N 


i 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH 

ET  SON  OUVRAGE 


L  AUTEUR. 

Les  anciens  écrivains  hébreux  ne  se  nomment  pas  dans  leurs 
ouvrages  :  la  littérature  était  chose  impersonnelle.  Les  titres  des 
livres  prophétiques  et  de  quelques  autres  livres  bibliques  ne  sont 
pas  des  auteurs  de  ces  livres,  mais  de  ceux  qui  les  ont  colligés. 
Quant  aux  titres  des  ouvrages  historiques  de  la  Bible,  sous  leur 
forme  actuelle,  ils  n'ont  rien  à  voir  avec  le  nom  de  ceux  qui  les 
ont  écrits.  Les  données  traditionnelles  sur  leur  composition  ne  se 
sont  établies  que  dans  la  suite  des  temps.  Elles  sont,  du  moins  en 
partie,  le  produit  de  la  réflexion,  et  non  le  résultat  de  traditions 
anciennes  et  ininterrompues  *.  L'Ecclésiastique  est  le  premier  ou- 
vrage hébreu  dont  l'auteur  se  nomme  (à  la  fin  de  son  ouvrage, 
L,  27).  Cette  particularité  ainsi  que  le  style  porteraient  à  faire 
supposer  que  Jésus  ben  Sirach  ne  s'était  pas  borné  à  «  la  lecture 
de  la  Loi,  des  Prophètes  et  des  autres  livres  de  nos  aïeux  »,  mais 
connaissait  aussi  la  littérature  grecque. 

Il  se  nomme,  l,  27  :  'Itito-;;  u-.ô?  Sîtpà/  'I£so(7oXu[ji.''tt,ç.  La  plupart 
des  mss.  (A,  B,  S)  portent  aussi  Eléazar.  Un  autre  ajoute  encore  : 
«  le  prêtre  ».  C'est  sur  ce  témoignage  que  s'appuie  Zunz  pour 
appeler  l'auteur  :  Josué  ben  Sira  benEliézer  [Goltcsd.  Vortraege, 
100).  La  traduction  syriaque  porte  :  Josua  bar  Siméon  Asira  -. 
Fritzsche  dit  que  cette  appellation  est  le  résultat  d'une  combinaison 
postérieure.  Cependant,  comme  Saadia  {Sefer  Haggalouy)  dit  : 
d-^bu:?:!!  nos  nan  niio  p  nT3>-^bï<  p  ^toi  p  l'i:»»^,  «  Simon,  fils^de 

*  Voir  noire  ouvrafre  :  Zur  Eiitleltung  in  die  heilige  Sekrift,  p.  31. 

*  Fritzsche,  Handbuck  xii  den  Apokrypken,  Leipzig,  1859,  p.  10. 


20  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Jésus,  fils  d'Éliézer  Ben  Sira,  a  composé  le  livre  des  Sentences  », 
on  sera  obligé  d'admettre  avec  M.  Harkavy  [Sludien  unâ  Mit- 
iheilungen,  V,  200),  qui  corrige  fort  judicieusement  ces  mots  en 
\^y1z■'à  13  yyu^,  «  Jésus,  fils  de  Simon  »,  que  les  deux  traditions, 
celle  du  grec  et  celle  du  syriaque,  se  complètent  mutuellement: 
elles  nous  apprennent  que  le  père  de  Jésus  s'appelait  Simon  et 
son  grand -père  Eiiézer,  tandis  que  Ben  Sira   était    le  nom  de 
famille.  Ben  Sira  doit  être  une  appellation  du  genre  de  celle  de 
Bene  Hezir  (voir  Cliwolson,   Corpus  inscr.  hebr.,  p.  65),  ou 
de  Bene  Haschmonaï.  L'accord  de  tous  les  mss.  grecs  à  ne  pas 
citer  le  nom   d'Eléazar  ne   peut  être  invoqué  contre  l'authen- 
ticité de  ce  nom,  car  il  est  plus  naturel   d'admettre   romission 
que  l'addition  de  ce  nom  d'Eléazar  dans  trois  mss.,  au  cas  où  il 
n'aurait  pas  existé  dans  l'original  hébreu.  C'était  la  tendance  gé- 
nérale d'abréger  les  noms.  Ainsi,  la  tradition  juive  ne  parle  que  de 
Ben  Sira,  sans  nommer  une  seule  fois  leschoua.  De  même  pour  l3 
livre  d'Ezra,  qui  n'est  appelé  "E!;pa;  ô  Uçs'J;  que  dans  l'Alexandrinus, 
titre  qui  doit  cependant  être  une  vieille  expression  hébraïque,  car 
elle  se  retrouve  aussi  chez  Ben  Ascher  •60),  pirn  i^iT:'  nsD  '.  Quant 
à  la  véracité  de  la  tradition  de  Saadia,  elle  est  confirmée  par  le 
fait  que,  d'accord  avec  saint  Jérôme,  il  appelle  le  livre  de  Sirach 
û'^Vott.   Une  autre  preuve  en  faveur  de  l'authenticité  du    nom 
d'Eléazar  se  trouve  dans  le  renseignement,  donné  par  Saadia, 
qu'Eléazar  ben  Irai  a  composé  un  nwDn  isd.  Nous  reviendrons 
sur  ce  point. 


NOM   DE  l'ouvrage. 

Les  livres  bibliques  tirent  leur  nom  soit  du  contenu  principal, 
soit  du  contenu  initial.  Selon  toute  vraisemblance,  ces  noms  ne 
proviennent  pas  de  l'auteur.  Il  est  donc  probable  que  ce  n'est 
pas  Ben  Sira  lui-même  qui  a  donné  un  titre  à  son  livre.  Comme 
on  sait,  il  existe  de  ce  livre  deux  titres  traditionnels  :  Sagesse, 
cooia,  et  Sentences  [parabolœ].  Le  premier  est  celui  que  portent 
les  manuscrits,  le  second  est  attesté  par  saint  Jérôme  comme 
étant  le  titre  usité  chez  les  Juifs.  Le  nom  d'Ecclésiastique  n'a  été 
donné  au  livre  par  l'Église  latine  qu'à  une  é()oque  relativement 
récente.  En  hébreu,  ces  titres  seraient  n?:2n  iirD  et  D'^b*:;»  "isD.  Le 

*  Cf.  Zur  Einleitling,  p.  38,  où  celte  hypothèse  a  été  émise  au  sujet  de  lEzra  du 
canon  biblique  avant  que  Nestlé,  dans  ses  Manjinalien  und  Jfalerialien,  p.  3ï,  eût 
prouvé  etl'ectivemeol  que  le  livrç  canonique  d  .Ëzra  s'appelle  aussi  '£^pa;  ô  ItpE'j;. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACII  ET  SON  OUVRAGE         21 

premier  est  emprunté  au  commencement  de  l'ouvrage,  qui  con- 
tient un  éloge  de  la  sagesse  ;  le  second  répond  au  contenu  géné- 
ral *.  On  ne  peut  guère  douter  de  Torigine  hébraïque  du  titre 
«  Sagesse»,  quoique  Jésus  ben  Sirach  n'ait  pas  pu  donner  lui- 
même  à  son  ouvrage  ce  titre  trop  prétentieux.  Peut-être  existe- 
t-il  encore  une  trace  de  cette  dénomination  dans  le  Talraud  (j. 
Soia,  vers  la  fin,  24  c),  où  il  est  dit  :  rittsnn  "idd  T353  "^lyba  'n  n^ia», 
«  après  la  mort  de  R.  Eliézer  fut  enfoui  le  livre  de  la  Sagesse  ». 
R.  Eliézer  était  en  relation  avec  des  judéo-chrétiens,  lesquels 
tenaient  en  haute  estime  les  apocryphes,  et  était  accusé  de  chris- 
tianiser (mî-^tib  cons,  Aboda  Zara,  lia).  Sa  maxime*  rappelle 
Sirach,  v,  7.  L'expression  riToDnri  nos  TW3  vise  la  science  en  géné- 
ral, comme  l'explique  Raschi,  Sola,  49  h  (où  il  y  a  la  variante 
n"D  î5:d  nT^^-'bN  '^n'-i  Tùy0l2)  ^  La  Tosefta  a  bien  senti  que  t:53  ne 
convient  pas  ici,  et  elle  dit  (So/a,  xv,  3)  ïnmn  noD  baa.  On  peut 
donner  la  préférence  à  la  version  de  la  Tosefta  combinée  avec 
celle  du  Talmud  babylonien,  par  considération  pour  Sanh.,  101a 
et  68  a,  sans  affaiblir  par  là  la  preuve  que  le  Talmud  fait  allusion 
au  livre  de  la  Sagesse  de  Sirach,  car  il  ne  peut  y  être  question 
d'un  autre  ouvrage.  Les  écrits  de  cette  nature  étaient  appelés 
nn2Z)t\.  Ainsi,  Simon  ben  Menasia  [Tosefta  Yadayim,  ii,  13)  dit  : 
«  Kohélet  ne  souille  pas  les  mains,  parce  que  c'est  simplement 
l'œuvre  de  la  sagesse  de  Salomon  «  irah'û  bo  in!D3ri73  ntiuj  ijDTo  *. 
Immédiatement  avant,  il  est  dit  au  sujet  de  nT'D  p  et  des  ^idd 
t'^S"'»  qu'ils  ne  souillent  pas  les  mains.  La  traduction  syriaque,  elle 
aussi,  nomme  le  livre  d'abord  «  livre  de  Ben  Sira  >>  et  seulement 
en  seconde  ligne  «  livre  de  la  Sagesse  »  ^. 

Le  nom  général  de  l'Ecclésiastique  était  d'^bo'^  noD  fsaint  Jérôme, 
Introduction  aux  Proverbes).  Cette  dénomination  est  attestée  par 
les  citations  faites  d'après  Sirach  avec  la  formule  introductive 

'  Même  dans  le  Talmud  on  trouve  encore  des  dénominations  des  livres  bibliques 
d'après  le  contenu  {Zur  Einleituntj,  30  et  s.).  Les  sections  et  les  traités  de  la 
Mischua  ont  des  noms  désii^^nant  le  contenu  principal,  comme,  par  exemple,  D"»5'"IT, 
*^y^73,  mD"12,  naO.  M.  Derenbourg  a  eu  tort,  croyons-nous,  d'essayer  de  dé- 
montrer que  les  noms  adoptés  pour  les  sections  de  la  Mischna  sont  empruntés  aux 
mots  du  début  [Revue,  III,  205  et  s.). 

"  Abot,  II,  et  non  Schabbat,  133  a,  comme  le  cite  M.  Neubauer,  p.  xx,  2-5. 

»  Peut-être  n 'O  (nmn  "130)  provient-il  de  n"0  (n72Dn  "IDO). 

♦  Ce  passage  montre  pourquoi  Sira':h  est  compté  parmi  les  apocryphes.  On  ne 
considérait  comme  canoniques  que  les  livres  qui  pouvaient  passer  comme  inspirés 
par  Dieu,  "CTpn  m"13-  Gomme  Siracli  a  donné  son  nom,  on  savait  qu'il  avait  vécu 
après  l'époque  des  prophètes  et,  en  conséquence,  son  livre  ne  pouvait  ^Ire  considéré 
que  comme  tTîT^^n 

5  N-i-'ON  nun  nnwDn  js^pd  in  Nipnïan  nt«oî<  ii^t^o  -i3  z^t^'T  N3rD 

Le  titre  arabe  provient  d'une  époque  postérieure  (Horovitz,  Das  Buek  Jésus  Sirach, 
p.  12). 


22  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

hv2J2  {Exode  rabba,  ch.  xxi,  chez  Gowley  et  Neubauer,  n"  LIV) 
et  Nbn»,  Noynhres  ràbba,  ch,  xxiii  (G.  N.,  n°  X)'.  L'exemple  cité 
montre  combien  cette  formule  introductive  était  usuelle,  car,  au 
lieu  de  Nbnw,  il  y  a  dans  Lévit.  rabba,  ch.  xxii,  x^'-kou  nn'>'^n3*T 
«  les  gens  disent  »,  et  Genèse  rabba,  ch.  xxii,  "jn^N  lir»  lan  Xn 
«  c'est  pourquoi  on  dit  ».  De  même,  un  manuscrit  à'Abol  de  R. 
Nathan,  ch.  xxiv  (Schechter,  l"  version,  page  78  en  haut),  au 
lieu  de  -i!)2N5uj,  porte  ntts  NVnTo  pn  «  de  même  le  proverbe  dit  ».  La 
dénomination  û'^bt:»  noo  est  encore  attestée  par  Saadia,  qui  a  eu 
le  livre  original  sous  les  yeux  'Harkavy,  Siudien  und  Miithei- 
lioigen,  V,  200  et  s.).  On  pourrait  se  demander  si  dans  Gidttin, 
35  a,  où  il  est  dit  :  mbo)2»T  nrs  "iddt  nriN  û-'b'^n  ^cd,  le  mot 
mbcJûToi,  que  M.  Berliner  {Beilràge  zur  hebraïscJien  Grammatih 
in  Talniud  u.  Midrasch,  p.  11)  prend  pour  une  faute  de  copiste 
au  lieu  de  mbus»  'on,  ne  désignait  pas  Sirach.  Briill  {Jahrbûcher, 
II,  152  et  s.)  a  vu  dans  mb\r»7jT  un  livre  de  fables*.  On  pourrait 
avec  plus  de  raison  y  trouver  les  proverbes  de  Sirach,  ce  livre 
étant,  d'après  le  témoignage  de  saint  Jérôme,  contenu,  dans  l'ori- 
ginal hébreu,  dans  le  même  volume  que  le  Cantique  et  l'Ecclésiaste, 
c'est-à-dire  avec  les  Hagiographes.  Du  reste,  ce  livre  se  trouve 
encore  dans  la  Bible  grecque  après  les  écrits  dé  Salomon,  qui  sont 
précédés  de  Job  et  des  Psaumes.  Ce  point  reste  en  litige,  mais 
nous  pouvons  considérer  comme  acquis  que  depuis  l'époque  la 
plus  reculée  jusqu'à  Saadia,  l'Ecclésiastique  était  connu  sous  trois 
noms  :  n53Dn  noD,  Nn^o  p  "^nso  et  û^bw»  'o. 


DIVERSES  RECENSIONS   DE   l'OUVRAGE. 


Dans  un  livre  beaucoup  lu  comme  celui  de  Ben  Sira,  les  variantes 
de  texte  sont  naturelles.  On  en  trouve  un  nombre  considérable 
dans  la  version  grecque  et  dans  la  traduction  syriaque,  dans  les 
citations  de  la  tradition  juive  et  dans  les  gloses  marginales  du  ma- 
nuscrit hébreu  récemment  découvert.  Seulement  il  faut  se  garder 
de  considérer  comme  des  citations  et,  par  conséquent,  comme  des 
variantes,  les  sentences  qui  ont  quelque  ressemblance  avec  celles 
de  Ben  Sira.  Je  considère,  en  effet,  comme  telles  les  numéros  2, 3, 
5,  6,  12,  13,  14,  15,  18,  29,  30,  33,  34,  44,  45,  47,  50,  52,  53,  56  et 

'  Cette  indication  manque  chez  G.-N.,  n*  X,  et  aussi  chez  Schechter,   /.  Q.  E., 
III,  703,  note  81.  Il  y  a  l-^-i^N  Nbntt,  <  ou  dit  proverbialement  .. 
»  Cf.  Zur  EinUitvng,  37,  note  2. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JIÎSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE         23 

58*  de  la  liste  de  citations  réunies  par  MM.  Gowley  et  Neubauer. 
Ces  réminiscences  attestent  seulement  la  popularité  du  livre  de  la 
Sagesse.  Il  est  évident  que  Rab  a  émis  beaucoup  de  maximes  sous 
l'influence  des  maximes  de  Sirach,  dont  il  cite  des  phrases  entières 
sans  en  indiquer  la  provenance  (u''^  27  et  39).  Il  est  donc  tout  à  fait 
certain  que  sa  maxime  :  «  qui  compte  sur  la  table  de  son  prochain  » 
[Beça,  32  b)  est  une  réminiscence  de  Sirach,  xl,  29.  Au  lieu  de  la 
Baraïta,  il  vaut  donc  mieux  citer  Rab  dans  le  n"  60.  Pour  le 
même  motif,  la  citation  du  n°  14,  n"n  b">D  "j-ibin  vxv'û,  qui  rappelle 
Sir.,  VIII,  8,  mais  d'assez  loin,  n'est  qu'un  souvenir  de  Sirach. 
Dans  beaucoup  d'autres  cas,  où  il  n'est  même  pas  possible  de 
faire  valoir  le  même  argument  en  faveur  d'une  influence  de 
Sirach,  Tanalogie,  très  faible,  est  fortuite-.  Ces  citations  ne  peu- 
vent donc  être  invoquées  dans  aucune  question  concernant  le 
texte.  En  laissant  de  côté  ces  passages  parallèles  et  en  défal- 
quant les  sept  citations  de  Saadia,  il  reste  environ  vingt  citations 
de  la  tradition  juive  qui  concordent  vraiment  avec  le  texte  reçu 
de  l'Ecclésiastique.  Les  rares  citations  divergentes  permettent  de 
conclure  qu'il  y  avait  en  Babylonie  un  texte  de  Sirach  ayant  une 
forme  particulière.  Un  passage  décisif  sur  ce  point  se  trouve  dans 
Sanhédrin,  100  &,  où,  à  côté  de  citations  authentiques  de  Sirach, 
on  en  rapporte  aussi  qui  sont  nettement  en  opposition  avec  l'es- 
prit du  livre  de  la  Sagesse  et  qui,  par  suite,  n'ont  pu  s'y  trouver 
primitivement.  Les  Amoraïm  babyloniens  Joseph  et  Abaï  (pre- 
mière moitié  du  iv^  siècle)  avaient  donc  un  exemplaire  hébreu  de 
Sirach  enrichi  d'additions  araméennes.  La  Baraïta  Kalla  (éd. 
Koronel,  7ô;  cf.  Schechter,  /.  Q.  R.,  III,  696)  cite  un  livre  de 
Sirach  de  ce  genre,  et  celui-ci  avait  subi  encore  un  remaniement 
postérieur,  puisque  ces  phrases  araméennes  sont  écrites,  en  par- 
tie, en  prose  rimée.  Le  passage  de  Nidda,  16&(n°35),  semble  aussi 
témoigner  de  l'existence  d'un  pareil  livre  de  Sirach,  tandis  que  le 
n"  X  peut  être  une  pensée  de  Sirach  citée  dans  un  sermon  araméen  ^. 
Il  est  donc  avéré  que,  du  moins  à  partir  de  la  seconde  moitié  du 
III'  siècle,  il  y  avait  des  exemplaires  de  Sirach  avec  des  addi- 

'  Qu'on  compare  ensuite  les  n"'  30,  34  et  le  n»  oO.  Le  n°  11  est  douteux.  Cf.  Alo- 
natsschrift,  XLI,  68.  —  Le  n"  42  est  indiqué  inexacloment  ;  il  faut  lire  Talkouf,  Job, 
§501,  Lév.,  §  460. 

*  De  même,  la  maxime  'j"^S^5?3  "{Tl"^"»!)  de  l'Alphabet  de  Bcu  Sira  ne  doit  pas 
venir  de  Sirach,  le  nombre  60,  qui  joue  un  rôle  important  dans  le  sj'stème  de  nu- 
mération des  Babyloniens,  indiquant  ici  une  origine  babylonienne. 

'  Un  exemple  intéressant  de  la  fusion  des  diverses  versions  d'une  phrase,  comme 
il  s'en  trouve  beaucoup  dans  les  traductions  grecques  et  araméennes  de  la  Bible, 
nous  est  offert  par  le  n"  1 .  Des  deux  hémistiches  de  Sir.,  m,  21,  il  en  est  fait  quatre 
dans  Haguiga,  13  a,  et  Genèse  rabba,  ch.  viii,  tandis  que  ie  verset  final  est  resté  sans 
changement  dans  les  quatre  sources. 


24  KEVl'E  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tions  '.  Naturellement,  les  additions  à  un  livre  aussi  populaire,  dont 
l'intégralité  n'était  pas  protégée  par  le  caractère  canonique,  se 
multiplièrent  dans  le  cours  des  siècles,  si  bien  que  finalement,  il  se 
forma  un  livre  tout  différent  de  l'original.  Le  livre  que  Saadia 
cite  sous  le  titre  de  rrwDn  nos  comme  ayant  été  composé  par 
n-':?  p  -iTJ'bs*  (Harkavy,  /.  c,  203-205)  était  un  exemplaire  de  ce 
genre.  Le  titre  de  cet  ouvrage  fnusn  =  ços-a)  ainsi  que  le  nom  de 
l'auteur  sont  des  arguments  en  faveur  de  cette  hypothèse.  En 
effet,  Eléazar  ben  Irai  ne  peut  pas  être  cet  Eléazar  qui,  dans  le 
Talmud,  cite  de  nombreuses  maximes  de  Sirach,  comme  M.  Har- 
kavy l'a  cru,  car  l'amora  Eléazar  est  Eléazar  ben  Pedat.  Il  n'est 
donc  pas  possible  d'identifier  cet  Eléazar  avec  Eléazar  ben  Irai".  Si 
M.  Bâcher  a  identifié  ■•i^T'j'  p  avec  ntd  p  (Agada  der  palcist. 
Amoràer,  II,  11,  note  5),  c'est  parce  qu'il  voyait  dans  •^ixr^y  l'al- 
tération de  NT^o.  D'après  lui ,  le  nom  d'Eléazar  désigne  l'an- 
cien rapporteur  des  maximes  de  Ben  Sira,  Eléazar  ben  Pedat. 
Mais,  pour  nous,  l'Eléâzar  du  Talmud  ne  peut  pas  être  identifié 
avec  Eléazar  ben  Irai".  On  reconnaît  facilement  dans  Eléazar  le 
grand-père  de  Jésus  nommé  par  Saadia.  Si  i<"i'^3>  p  répond  à  p 
«"T^O,  on  peut  s'imaginer  facilement  que  de  "iT/?i<  p  1"i:>»o  p  ^'tû'» 
Nn"^D  p  on  ait  fait  par  abréviation  tîn^D  p  nT/5i«,  Sirach  dans  le 
Talmud  et  ailleurs  étant  appelé  î<-pD  p  tout  court.  On  a  fait  de 
ce  nom  unique  et  très  long  deux  noms  d'auteurs,  comme  on  a  fait 
des  deux  noms  du  livre  de  Sirach  deux  titres  d'ouvrages  différents. 
L'ouvrage  tiré  de  Sirach  avec  des  additions  et  des  variantes  fut 
appelé  naDn  "idd  et  attribué  à  ■^t:'  p  "iT^Pi*  ;  le  véritable  livre  de 
Sirach  fut  nommé  a"'V:î'D  idd  et  attribué  à  î^t^d  p  '\^y1y:i  p  yysy^. 
La  preuve  que  le  ntton  "iss  qui,  d'après  Saadia,  ressemblait  à  Ko- 
hélet,  provient  du  livre  des  sentences  de  Sirach  est  aussi  fournie 
par  le  fait  que  la  sentence  "^^OTO  sbsToa,  qui  en  est  citée,  était  une 
sentence  de  Sirach  connue  depuis  longtemps.  Gomme  le  montrent 
les  citations  talmudiques,  Ben  Sira  était  plus  populaire  en  Baby- 
lonie  qu'en  Palestine.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  que  précisé- 
ment en  Babylonie  il  se  soit  produit  un  second  livre  de  Sirach  et 
que  ce  soit  un  Gaon  babylonien  qui  nous  en  révèle  l'existence.  La 
popularité  de  ces  livres  est  aussi  attestée  par  le  fait  qu'ils  étaient 
pourvus,  comme  Saadia  le  rapporte  (Harkavy,  p.  162),  de  voyelles 
et  d'accents  et  qu'ils  étaient  lus,  par  conséquent,  même  par  les 
personnes  non  instruites,  comme  la  Bible  elle-même.  Il  est  cer- 
tain que  Saadia,  lui  aussi,  a  mis  des  voyelles  et  des  accents  à  son 

'  Horowilz,  Dai  Buch  Jésus  Sirach,  p.  30,  soutient  que  déjà  1  exemplaire  du  Ira- 
duclour  grec  n'était  pas  exempt  d'additions.  Cette  assertion  doit  s'entendre  seule- 
ment de  la  dernière  recension  de  la  version  grecque. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE         25 

ouvrage  de  polémique  afin  de  le  mettre  à  la  portée  de  lecteurs 
plus  nombreux,  et  non  pour  être  considéré  comme  un  prophète, 
comme  ses  adversaires  le  lui  reprochaient.  Peut-être  Sirach 
était-il  aussi  enseigné  aux  enfants  des  écoles,  de  même  qu'il  ser- 
vait dans  l'Eglise  abyssinienne  «  à  l'enseignement  des  enfants  » 
(Fritzsche,  Aj'Ohryphen,  V,  p.  xxxviii).  A  cet  effet,  il  dut  être 
pourvu  de  signes  de  vocalisation  et  de  ponctuation.  Le  nom  de 
*iDltt  "125  (arabe,  aî<1N  n^riD,  Harkavy,  200,  Neubauer,  p.  ix,  note  4; 
cf.  Sirach  41,  15;  47,  14)  convient  fort  bien  à  un  livre  scolaire 
(cf.  ■'ibsrî  'iDD,  176,  16)  D'après  cela,  on  comprendrait  pourquoi  ce 
nom  n'a  été  donné  au  livre  de  Babylonie  que  fort  tard. 

La  popularité  du  livre  de  Sirach  est  encore  attestée  par  l'Al- 
phabet de  Ben  Sira,  qui  contient  aussi  des  sentences  authen- 
tiques de  Sirach  et  qui,  pour  ce  motif,  a  été  admis  par  MM.  Cow- 
ley  et  Neubauer  dans  la  série  des  citations  faites  d'après  Sirach. 
Nous  savons,  par  Sabbat,  104  a,  que  c'était  un  usage  datant  d'une 
époque  immémoriale  dans  les  écoles  élémentaires  juives  de  former, 
avec  les  noms  des  lettres  de  l'alphabet,  des  sentences  morales  afin 
de  les  faire  pénétrer  dans  la  mémoire  des  enfants.  L'alphabet  de 
Ben  Sira  a  dû  sans  doute  son  origine  à  cette  coutume,  qui  continue 
à  régner  encore  plus  tard.  Si  cette  supposition  est  exacte,  nous 
aurions  aussi  dans  cette  collection  de  sentences,  une  preuve  en 
faveur  de  l'emploi  du  livre  authentique  de  Sirach  dans  les  écoles. 


CRITIQUE    ET   INTERPRETATION    DU    TEXTE. 

Les  notes  qui  suivent  n'ont  pour  but  que  de  contribuer  à  l'inter- 
prétation et  à  la  critique  du  livre. 
XL,  19  :  npyjns  nïJN  drr^suîT^n  du)  in-^iD"^  Tû:i^  nvûi.  —  G.  :  y.x\ 

uTzïo  a[Ji.c&ÔT£oa  vovr]  à[ji,co[xoç  Xoy'^sTa'.. 

Il  est  évident  que  H.  (=  l'original  hébreu)  a  conservé  la  leçon 
exacte,  car,  dans  le  verset  suivant,  il  y  a  aussi  nnriN  ûJT^5\a»T 
û-^mn.  G.  (=  la  traduction  grecque)  a  lu  rûïîns  (=  lo^i^tTxi),  au  lieu 
de  np^zJTO,  et  y  a  ajouté  aijLcoaoî  pour  que  la  phrase  ait  un  sens. 
S.   (=   traduction   syriaque)    donne    un    peu    librement    Nnn2i< 

XL,  20  :  nb  "iit'^b3>'' ^3^T  l^.  —  S.  Np-'n:?  i<^»n. 

M.  Israël  Lévi  {Revue,  XXXIV,  p.  9)  croit  qup  le  syrien  a  lu 
1U)"'  l-^"".  Cela  n'est  pas  sûr,  car  -idï)  seul  signifie  aussi  du  vin 
vieux.  Dans  Nombres,  vi,  3,  toutes  les  trois  versions  araméennes 
traduisent  nDttJTj-^"^  par  p-ris'i  mn -iwn  (cf.  aussi  Nombres,  xxviii, 7); 


26  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

les  LXX  mettent  ici  ':i/.izx,  ainsi  qu'en  plusieurs  autres  passages. 
Il  parnît  donc  plus  vraisemblable  que  dans  le  texte  syriaque  les 
mots  Nnin  y^y^n  ont  été  omis  et  que,  pour  ce  motif,  on  a  mis  la 
seconde  partie  du  verset  rxii^  Nnrsn  au  lieu  de  inir^^n  '\iy\,  qui  est 
attesté  par  les  comparaisons  qui  précèdent  et  qui  suivent.  G., 
comme  M.  Israël  Lévi  l'a  remarqué,  a  lu  T^ïJn  Y"^.  Ces  deux  mots 
figurant  dans  Isaïe.xxiv,  9,  cette  leçon  n'est  pas  à  rejeter,  quoique 
dans  le  verset  21,  il  soit  encore  une  fois  question  de  T^a. 

XL,  23&  nbD':5»  îtîcn  ûrr^sa?:!.  —  S.  «na-j  !snn:N.  —  G.  xxl  'j-kïz 
àa.iÔT£pa  Y'jvY,  'i.i-7.  àvosoç.  M.  Israël  Lévi  croit  (p.  29)  que  G.  a  lu 
la'^N  X^y  !Twî<.  Il  est  remarquable  que  les   LXX   traduisent  aussi 

PrOV.,  XIX,    14,  nbS'Xtt  tl\aN 'HTCT    par   -y.-A    li    X'jp-Vyj    v-z^ôlz-y.:    Y'JVY, 

àvopt,  tandis  que  bDO,  par  exemple,  xvi,  20,  est  traduit  par  tjveto; 
et  xxr,  12,  tjv'.e;.  Il  est  donc  clair  que  G.  a  aussi  lu  nb3r73  ncN  et  l'a 
compris  comme  les  Septante  dans  Prov.,  xix,  14,  Le  Targoum  et  la 
Peschito  tradufsent  également  comme  les  LXX.  M.  Baumgarten, 
Etude  critique  sur  Véiat  du  texte  du  livre  des  Proverbes, 
cherche  à  rendre  cette  exégèse  plausible  en  admettant  que  les  LXX 
ont  lu  rVsç»  (p.  177;.  Cette  hypothèse  nous  paraît  superflue.  Si 
on  a  trouvé  un  rapport  entre  rôr^":  et  «  lié  par  le  lien  conjugal  », 
le  participe  actif  peut  aussi  avoir  ce  sens.  Toutefois,  cette  signi- 
fication du  mot  est  inconnue,  quoiqu'il  soit  hors  de  doute  qu'il  y 
a  là  une  tradition  exf^gétique.  Pour  interpréter  exactement  la 
traduction  syriaque  et  la  traduction  grecque  de  Sirach,  il  faudra 
toujours  tenir  compte  des  Septante  et  de  la  Peschito. 

XLi,  10  :  inn  b^irin^  v^in  )3  nrj"^  cd5«  5N  csnt:  br.  G.  a  lu  'î.s  yni<?2 
y-\^  (Lévi,  p.  30j.  Leçon  marginale  :  nT::'^  C'^snx  bx  û"^;ii<^  bs.  Dans 
le  premier  hémistiche  il  est  sûrement  question  des  idoles;  dans  le 
second,  du  fils  du  blasphémateur  contre  Dieu,  car  tel  est  le  sens 
de  C];n  dans  la  Bible  (p  au  lieu  de  p).  C2ï<  et  t:"^:iN  sont  synonymes 
et  sont  souvent  employés  dans  Isaïe  dans  le  même  sens  que  i^x. 
La  pensée  tout  entière  et  la  manière  de  l'exprimer  rappellent 
Isaïe,  XLi,  29  :  tli'^rr;  irim  m'i  ûït^'C:'»  C25<  1\s  ûbi^  )'rt;  xli,  24  ; 
XL,  17  :  inm  CDN  l-^i^;  XL,  23  :  inrD  —  "j^Nv  On  voit  donc  que  le  inn 
du  second  hémistiche  répond  à  ddn  ou  lii^  du  premier  hémistiche. 
Il  est  donc  prouvé  par  là  que  la  leçon  marginale  D:ii«7o  est  fausse 
et  qu'elle  provient  soit  de  cdî^':,  soit  deû-i^ii*».  La  pensée  de  Sirach 
étant  empruntée  à  Isaïe,  il  faut  aussi  considérer  comme  fausse  la 
lecture  y-wSW. 

XLI,  11  :  n-i3">  Nb  non  DO  '^i<  in-^132  Dix  bart.  Le  parallélisme  ré- 
clame T'Dn,  au  lieu  de  ion;  les  traductions  aussi  prennent  le  mot 
pour  un  nom  de  personne.  S.  î<ni::  "^"layn.  G.  -îvOo;  àvOpcjzwv  h 

<7<>jjx.a(7'.v   aÙTiov,  ovoax  oï    JculxotoXwv   où/.  àyaObv  i;aÀ£'.!56Y,T£Tai.    Il  a  lu 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE         27 

Ton  Kb  (=  oùx  àyaGov)  pour  nV  t^dh.  Cf.  Psaumes,  xliit,  1,  dans 
LXX,  ou/  ÔTtou.  Il  est  naturel  de  supposer  que  â[xasT('>Xojv  est 
une  interpolation  et  que  riiémistiche  était  ainsi  conçu  primi- 
tivement :  ovopLx  o£  oùx  àvaOou  tloLAiv^hr^GiTZ'..  s.  (Nestlé,  Vêtus 
Testamentum  Grœce,  Leipzig,  1880)  traduit  tout  à  lait  le  texte 
hébreu  tel  que  nous  lavons  corrigé  rra^  ^  Ton  to.  C'est  donc 
le  texte  original.  Le  pluriel  en  tout  cas  ne  doit  pas  arrêter,  car 
ûli*  aussi  est  traduit  par  le  pluriel  (cf.  Lévi,  p.  31,  qui  remarque 
avec  raison  que  G.  a  confondu  Vnrj  avec  bnx). 

XLii,  17  :  "^"1  msbDS  -nsob  bx  "^OTip  p-^OD^Nb.  \]aQ  leçon  marginale 
donne  rm^iss.  Je  crois  que  ■'i  mi^bas  est  tiré  de  rmi^bDa  (■'"'  r=  vj, 
car  là  où,  dans  le  premier  hémistiche,  est  nommé  le  nom  de  Dieu, 
il  n'est  pas  mentionné  encore  une  fois  dans  le  second  (cf.  verset 
15  c,  Yl  c).  G.  n'a  pas  lu  ■'■'  (Oaup-àTta  7.ùirjZ)  ;  mais  S.  l'a  déjà  (Lévi, 
p.  34). 

XLiv,  18  :  1U53  b3  n-inuJîi  "^nbab  Mz^  n-i53  dbny  mt^n.  Il  est  évident 
qu'il  faut  lire  ûbv  n^na,  car  rro^  ou  m'2  tout  court  (marg.)  ne 
peut  signifier  «  contracter  une  alliance  ».  G.  oiaOT,xat.  —  S.  NnwiK 

XLiv,  21  c  provient  de  Zacharie,  ix,  10. 

xLiv,  22  c  :  n'^'in.  G.  et  S.  :  nsna. 

XLVii,  18  :  bs^Tû-»  b3>  N'ipsii  n:aD5r!  duia  nx^p^.  Il  s'agit  de  Salo- 
mon,  qui  s'appelait  aussi  ït^t^t,  comme  il  est  dit  dans  II  Sam., 
XII,  25  :  mrr'  Tinis^n  iT'T'T  ^12^  ns  i^np'^n.  L'expression  nnDsn  ûa 
(cf.  Deut.,  XXVIII,  58)  désigne  le  tétragramme,  comme  Ps.,  lxxii, 
19,  •\1^■2•D  ûuî  '^i-iai  ;  Néh.,  ix,  5  :  '^tiid  û\2J  iD-in^T  (cf.  Revue,  XXXI, 
188,  note  1,  et  189,  notes  1  et  2).  G.  a  lu  le  deuxième  hémistiche 
bi^nu)-^  bN  N"ip3n  (Lévi,  p.  SI).  Il  est  remarquable  que  les  Agadistes 
expliquent  aussi  Genèse,  xux,  26,  par  bNiUî-'  bx  IJWUÎT  (cf.  ibid., 
183,  note  3). 

XLVii,  n.  Tl  y  a  une  allusion  aux  écrits  de  Salomon  dans  les 
mots  ïi^-'bKi  m-Ti  biatî  T^ttîa,  où  T^u)  (cf.  I  Rois,  v,  12)  désigne  le 
Cantique  et  les  trois  autres  mots  les  Proverbes,  d'après  i,  6  : 
ûrn^m  'n'T  nii:"^btti  bia»  ^■'anb.  D'après  cela,  Kohélet  n'aurait  pas 
encore  existé  à  l'époque  de  l'auteur,  du  moins  sous  le  nom  de 
Salomon.  Il  serait,  du  reste,  intéressant  d'étudier  comparative- 
ment la  langue  et  les  idées  de  Sirach,  de  Kohélet  et  de  Daniel. 

XLViii,  8  :  m»ibu3n  «b»  m25itt!i.  D'après  G.  et  i'.,  il  faut  corriger 
en  "^bw.  Le  verset  se  rapporte  à  T  Rois,  xix,  15-17. 

XLviii,  13  :  "no2  ï<-i33  rnnnwn  (ns»»  NbDS  Nb  -lanbD).  — G.  /.a-, 
âv  xo'.u.r,T£'.  ÈTToociYjTeuiev  xo  ^(oax  a'jTou,  —  o.  n  a  [)as  cet  hé- 
mistiche. 

D'après  Fritzsche,  il  y  aurait  eu  là  W2n,  que  le  traducteur  aurait 


•28  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

lu  î<22n,  de  sorte  qu'en  réalit'^,  il  faudrait  traduire  :  «  Rien  n'était 
au-dessus  de  sa  force  et  dans  la  mort  son  cadavre  a  été  touché  ». 
Ce  serait  là  une  allusion  à  II  Rois,  xiii,  21.  Cette  traduction  est 
absurde.  En  outre,  ce  verset  ne  peut  faire  allusion  à  II  Rois, 
XIII,  21,  car  à  ce  fait  se  rapporte  le  verset  suivant  :  T;'c:>  V"^m1 
'nVjS>)2  "T.Jzri  imriii  m.sbD3,  ce  que  G.  traduit  exactement.  Vu  la 
concision  énigmatique  et  pathétique,  rappelant  les  psaumes  his- 
toriques, avec  laquelle  Sirach  raconte  l'Histoire  Sainte,  il  n'est 
pas  admissible  qu'il  eût  raconté  deux  fois  le  môme  événement. 
Pour  bien  comprendre  notre  passage,  il  faut  se  souvenir  que 
Sirach  célèbre  les  grandes  actions  des  aïeux  successivement  dans 
l'ordre  où  elles  sont  racontées  dans  la  Bible.  L'éloge  d'Elisée, 
XLviii,  12-15,  résume  le  récit  du  livre  des  Rois  de  la  manière 
suivante  : 

Sirach,  xlviii,  I2ab  =  II  Rois,  ii,  9. 

—  12  CCI  =       —      III,  13-14. 

—  1.3  a  =::  —         IV,  1-7. 

—  13&  =       —      IV,  32-34. 

—  lia  =       —      IV,  38-v,  1  et  s. 

—  14.h=       —      XIII,  21. 

Il  résulte  de  là  que  Trcjn  N~n:  vnnn?:T  ne  peut  être  qu'une  allusion 
à  la  résurrection  de  l'enfant  mort.  L'enfant  était  couché  sur  le  lit 
du  prophète  ;  celui-ci  se  pencha  sur  lui,  mettant  bouche  contre 
bouche,  les  yeux  sur  ses  yeux,  la  main  sur  sa  main,  et  la  chair  de 
l'enfant  se  réchauffa  :  n^r;  nois  srpn  '1:11  ib-'n  b^  nD\y^T  by•'^.  On 
retrouve  ici  le  mot  non  si  caractéristique  de  notre  verset.  vnnn):n 
provient  de  Zacharie,  vi,  12  :  rs^m  nw::"^  rnrin»n  1530  riT:^  o-iî?  rtim 
'ft  b'^'^Tt  PN.  C'est  la  même  pensée  qu'exprime  notre  passage. 

Reste  encore  à  expliquer  x-a:  et  le  suffixe  de  Tnca.  Je  rapi)ro- 
cherais  volontiers  N-a;  de  «■'-la  =  gras  (en  hébreu  biblique)  et  en 
hébreu  moderne  =  sain.  Au  lieu  de  ûmi,  Sirach  dirait  Nins 
«  l'enfant  redevint  sain  !  v  "i'-i":;n,  que  G.  avait  déjà  sous  les  yeux 
{-0  Twaa  a'JTo^j,  doit  être  corrigé  soit  en  TCîn,  soit  en  ib["^]  "i*^a. 
Si  M.  Israël  Lévi  a  raison  de  croire  que  le  traducteur  de  Sirach  a 
été  induit  en  erreur  par  le  déchiff"rement  inexact  de  mots  écrits 
en  abrégé,  la  formation  de  nnon  serait  facile  à  comprendre.  Mais 
cette  hypothèse  n'est  pas  encore  au-dessus  de  tout  doute. 

XLix,  5  :  -^niDï  bas  "^lab  îD'rinDi.  •'-i^:  n'est  qu'une  variante  de  bas. 
Fritzsche  rapporte  tout  le  verset  à  Israël,  ce  qui  l'oblige  à  une 
explication  forcée.  Il  serait  plus  exact  de  lire  dans  le  texte  grec, 
avec  un  manuscrit,  «ocoxc,  au  lieu  de  eowxav,  comme  H.  a  irr^i  et 
comme  l'indique  tout  le  contexte. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE  29 

Encore  quelques  brèves  remarques.  Au  sujet  de  Sirach,  xxv,  3, 
M.  Xeubatier  cite,  sous  le  n°  38  (p.  xxiv],  d'après  Aboi  d.  R.  Na- 
than: ']"'m3pn  û2van  ']\*<  tniton  nV  ']'^mn:>2n  d.^«;  M.  Schechter, 
d'après  un  manuscrit  :  "ira^^D  n^^-DD  '■^^in  niiiipNb  '^m::':^  '/.  Q.  R., 
ILI,  703,  note  83).  Cette  version  est  la  version  originale,  seulement 
au  lieu  de  niCJîp  il  faut  lire  nitap.  —  xxxix,  20  :  NbD5  l-ii^i  est 
expliqué  exactement  par  M.  Israël  Lévi  d'après  Gea.,  xviii,  14, 
contrairement  à  G.  Il  faut  y  ajouter  Sirach,  xlviiî,  13,  anh  "im  bo 
nîtttt  i<bDD,  où  G.  traduit  exactement.  —  xli,  4«,  b^-û  non  pbn  riT. 
G.  traduit  tô  xg^ulx  =  pn.  C'est  la  leçon  primitive,  d'après 
Prov.,  XXX,  8;  Job,  xxiii,  14  et  ailleurs.  —  Au  sujet  de  la  sus- 
cription  ubv  mnï<,  ch.  xliv.  Cette  expression  ne  se  trouve  pas 
dans  la  Bible,  mais  elle  se  rencontre  souvent  dans  la  littérature 
post-biblique  :  j.  Haguiga,  7,  7d  (voir  Monalssc/irift,  XLI,  22).  — 
L'original  hébreu  de  xl,  29c;,  est  encore  obscur  dans  la  leçon  du 
texte  ainsi  que  dans  la  leçon  marginale  :  û-'3>''X]  "nD"!.  Si  ce  mot 
signifie  douleur  d'entrailles,  il  devrait  être  corrigé  en  n-':'»  mD-^, 
car  n'iD-^  n'est  pas  employé  du  tout  dans  l'hébreu  biblique,  et  en 
hébreu  moderne  il  n'est  employé  qu'au  pluriel.  En  outre,  n^y^'D 
serait  une  orthographe  étrange  (cf.  Lévi,  p.  30). 

Budapest,  13  mai. 

LUDWIG  Blau. 


II 


Malgré  notre  résolution  de  ne  plus  revenir  ici  sur  l'étude  que 
nous  avons  consacrée  à  l'Ecclésiastique  ',  nous  croyons  nécessaire 
de  répondre  aux  observations  de  notre  savant  confrère,  M.  Blau. 
Disons,  tout  d'abord,  que  de  nouveaux  fragments  de  cet  apocryphe 
fameux  viennent  d'être  retrouvés  par  M.  Schechter,  qui  avait 
déjà  eu  la  bonne  fortune  d'identifier  le  premier  extrait  connu  de  ce 
manuscrit  déjà  célèbre.  Notre  excellent  confrère,  devinant  que  la 
page  acquise  par  M""»  Lewis  et  celles  qu'a  rapportées  M.  Sayce 
avaient  été  dérobées  à  la  giieniza  du  Caire,  s'est  rendu  dans  cette 
ville  afin  de  rechercher,  dans  l'amoncellement  des  mss.  hors  d'u- 
sage qui  composent  ce  déi)ôt,  s'il  ne  trouvait  pas  d'autres  parties  de 
l'Ecclésiastique.  Par  une  chance  inespérée,  due  en  grande  partie 
à  la  sympathie  qu'éveille  son  caractère,  M.  Schechter  a  obtenu  du 

'  Revue,  t.  XXXIV,  p.  1  et  294. 


30  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

rabbin  et  du  président  de  la  Communauté  Israélite  de  cette  ville 
l'autorisation  d'emporter  en  Angleterre  tout  le  contenu  de  cette 
salle  d'enfouissement.  Nous  avons  vu  une  partie  de  ces  dépouilles 
opimes,  qui  remplissaient  quatorze  grandes  caisses.  Toute  une 
vaste  pièce  de  l'Université  de  Cambridge  est  occupée  par  ces 
monceaux  de  fragments  hébreux  et  judéo-arabes,  dont  quelques- 
uns  remontent  au  x*  siècle.  On  est  ébloui  par  les  richesses  sans 
nombre  qu'ont  exhumées  ces  fouilles  heureuses  :  textes  inédits  de 
Saadia,  et  du  plus  haut  prix,  exemplaires  de  la  Mischna  en  petit 
format  avec  ponctuation  et  accents,  textes  divers  du  Talmud, 
extraits  de  Midraschim,  du  Yelamdénoii,  commentaires  bibliques, 
consultations  rabbiniques  signées  des  Gaonim  les  plus  célèbres, 
documents  juridiques  de  toute  espèce  en  hébreu,  araméen  ou 
arabe,  palympsestes  comme  celui  dont  vient  de  rendre  compte 
M.  Burkitt  dans  le  Times  du  3  août  et  qui  contient  un  fragment 
de  la  version  grecque  à'Aqiiila,  ce  trésor  est  appelé  certainement 
à  renouveler  la  science  juive  et  fournira  du  travail  à  plusieurs 
générations  de  savants. 

Dans  cette  moisson  prodigieuse,  M.  Scliechter  avait  déjà,  en  juil- 
let dernier,  récolté  encore  divers  fragments  de  l'Ecclésiastique, 
plusieurs  pages  qui  suivent  et  précèdent  ceux  qui  ont  été  publiés  — 
par  conséquent,  le  morceau  fameux  où  l'auteur  parle  de  Siméon,  le 
grand-prêtre,  et  qui  semble  avoir  été  connu  des  anciens  païtanim. 
Depuis,  M.  Schechter  nous  a  écrit  avoir  encore  mis  la  main  sur 
d'autres  chapitres.  Que  l'on  songe  qu'au  moment  de  notre  visite, 
une  partie  seulement  des  caisses  de  Cambridge  venait  d'être  dé- 
ballée et  que  le  chargement  n'était  pas  encore  arrivé  au  complet  ! 
M.  Schechter  nous  a  dit  avoir  l'intention  de  ne  publier  ces  nou- 
veaux textes  que  lorsqu'il  aura  achevé  l'examen  de  la  cargaison 
entière,  et  nous  ne  pouvons  qu'approuver  cette  sage  résolution. 
Quelle  que  soit  donc  notre  impatience,  il  nous  faut  nous  rési- 
gner, pour  quelque  temps  encore,  à  disséquer  minutieusement  le 
morceau  de  ce  texte  déjà  connu  et  qui  offre  un  intérêt  assez  vif. 
Les  notes  et  les  discussions  qui  suivent,  en  même  temps  qu'elles 
sont  un  plaidoyer  pt^o  domo  nostra,  fourniront  une  nouvelle  con- 
tribution à  l'enquête  que  provoque  la  découverte  de  ce  précieux 
manuscrit. 

Nous  suivons  l'ordre  des  remarques  de  M.  Blau. 

XL,  20.  Nous  acceptons  sans  réserve  cette  correction.  Il  faudra 
ajouter  seulement  que  S.  a  supprimé  V"'»  <î"i  aurait  fait  double 
emploi. 

XLi,  10.  Dans  tout  le  fragment  déjà  publié,  il  n'est  jamais  pro- 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE         31 

testé  contre  l'idolâtrie.  Ici  cette  pensée  détonnerait.  Quant  au  sens 
du  mot  rjsn,  dont  l'auteur  se  sert  à  l'imitation  de  Job,  ch.  viir,  qu'il 
suit  dans  tout  ce  paragraphe,  il  a  le  sens  d'  «  impie  »,  de  «  mé- 
chant »,  et  aucunement  de  blasphémateur.  Ce  que  Ben  Sira  avait  à 
cœur  de  réfuter,  c'était  l'opinion  des  mécréants,  qui  triomphaient 
en  montrant  les  démentis  infligés  par  l'événement  à  la  notion  de  la 
justice  divine.  Comme  la  sagesse  populaire,  qui  a  trouvé  son  écho 
dans  le  livre  de  Job,  il  répond  :  Le  bonheur  de  l'impie,  du  méchant 
n'est  que  momentané;  il  ne  peut  pas  durer;  il  aura  sa  fin  cruelle. 
Dans  tout  ce  développement,  il  n'y  a  pas  place  pour  l'idolâtrie.  Et 
de  fait,  contre  qui  aurait  bataillé  Ben  Sira  ?  Contre  les  Israélites 
idolâtres?  Il  n'y  en  avait  plus.  Contre  les  hellénistes  ?  En  aucun 
endroit,  l'auteur  n'en  paraît  soupçonner  l'existence.  Contre  les 
païens  du  dehors  ?  C'est  un  fait  remarquable  qu'il  ne  se  préoccupe 
jamais  ni  de  les  convaincre,  ni  de  les  combattre.  L'auteur  a  des 
visées  plus  modestes  :  c'est  un  philosophe,  d'une  originalité  mé- 
diocre ;  c'est  plus  encore  un  moraliste,  plus  remarquable  par  la 
qualité  de  ses  pensées  que  par  leur  liaison  ;  c'est  un  homme  pieux, 
mais  d'une  piété  peu  exigeante,  très  soucieux  des  devoirs  à  rem- 
plir envers  les  prêtres,  peut-être  parce  qu'il  appartient  ou  a 
appartenu  lui-même  au  monde  sacerdotal  ;  ce  n'est  pas  un  Isaïe. 

Notre  texte  est  beaucoup  plus  simple  qu  il  ne  paraît.  Il  signifie  : 
Tout  ce  qui  vient  du  néant  retourne  au  néant,  û-isnx  est  ici  le  sy- 
nonyme de  DDi<,  comme  dans  Amos,  v,  5,  iix'?  n^--'  5N  n-im  ;  Isaïe, 
XLi,  29,  Dn"'\ay»  CDiîi  1\x.  Ouant  à  l'emploi  du  pluriel,  on  va  voir 
qu'il  est  justifié  ou,  tout  au  moins,  confirmé  dans  ce  sens.  Le 
même  chapitre  porte,  verset  2,  q-'îvn  "wwb  "^^pn  aiiû  "'=)  ^\^^^o  riNn 

rm:i.y  ncm  «  0  mort,  que  ta  loi  est  douce,  à et  qui  manque 

de  vigueur  ».  Nous  avons  à  dessein  laissé  en  blanc  la  traduction 
de  D-'SnN  O^N.  Il  saute  aux  yeux  de  tout  le  monde  que  0"'i<  est  une 
faute  pour  ';\s,  l'auteur  imitant  ici  Isaïe,  xl,  26.  Il  faut  donc  tra- 
duire :  à  celui  qui  est  sans  force. 

Mais  ce  qui  est  curieux,  c'est  que  le  petit-fils  de  l'auteur  avait 
déjà  dans  son  exemplaire  la  faute  qu'on  vient  de  corriger,  car  il 
traduit  ces  mots  :  àvôpoSTrco  Itt-.o £0[X£V(o  «  à  /'homme  qui  manque  »  '. 
Qu'on  ne  dise  pas  que  è-'.osoaévco  traduit  nsn,  car  à  ce  mot  cor- 
respond îÀacTTO'ja.Évw,  qui  suit.  C'est  donc  dans  le  mot  n"':ix  que  le 
traducteur  a  vu  le  sens  de  manquer,  et  ce  sens  est  justement  celui 

>  D'après  M.  Noeldeke,  telle  était  bien  la  leçon  de  l'orif^inal  et  il  ne  faudrait  rien 
modifier  à  notre  texte  ;  le  mot  Û"»:!!*  signifierait  i  misère  »,  comme  dans  Hosée,  ix, 
14;  Gen.,  xxxv,  18.  Il  iaut  remarquer,  cependant,  que  quatre  versets  plus  loin  le 
copiste  s'est  sûrement  trompé  enlisant  mn^lD  \:;"'N>  au  liuu  de  ■{■»{<. 


32  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

qui  est  synonyme  de  odî«,  dont  notre  û"'j1S<  est  la  variante  *.  Donc, 
au  temps  du  petit-flls  de  l'auteur,  le  mot  d"^jiè<  au  pluriel  était  pris 
pour  l'équivalent  de  cdn. 

Inutile  d'ajouter  que  le  mot  inn,  qui  en  forme  le  pendant,  a 
également  le  sens  de  «  néant,  vide  »,  et,  comme  on  voit,  entre 
autres,  dans  l'exemple  d'Isaïe  cité  plus  haut,  il  est  loin  d'impliquer 
ridée  d'idole. 

XL,  23  5.  Les  LXX  des  Proverbes,  xix,  14,  traduisent,  il  est 
vrai,  nr:":;):  riCN  par  ces  mots  :  «  Et  du  Seigneur,  la  femme  s'ac- 
corde avec  son  mari  ».  Seulement,  ce  qui,  dans  cette  phrase, 
correspond  à  nbn":372,  c'est  le  verbe  «  s'accorde  ».  Les  LXX  ont  tout 
bonnement  donné  à  b-^rs'^îr;  le  sens  de  «  s'entendre  »,  comme  en 
français,  ou  encore  de  «  vivre  en  bonne  intelligence  ».  Quant  au 
mot  mari,  il  est  ajouté  pour  compléter  le  verbe  ;  c'est  une  addi- 
tion comme  on  en  trouve  quantité  dans  la  version  grecque. 

Or,  dans  notre  texte,  le  mot  essentiel  manque,  à  savoir  le  verbe 
«  vivre  d'accord  ».  En  outre,  notre  grec  ne  porte  pas  vjvr,  àvop:, 

mais  yjvr,  [j.£Tà  àvopo;. 

Notre  traducteur  n'a  donc  aucunement  utilisé  les  LXX,  ni  été 
inspiré  par  un  souvenir  de  leur  version  de  ce  passage. 

Il  est  même  vraisemblable  que,  s'il  avait  ainsi  compris  cet  hémis- 
tiche, il  aurait  plutôt  reproduit  la  version  qu'il  avait  déjà  donnée 
d'un  passage  analogue.  Il  est  très  digne  de  remarque,  en  effet,  que 
lorsque  G.  constate  quelque  ressemblance  entre  le  verset  qu'il 
explique  et  un  autre  qu'il  a  déjà  traduit,  il  se  borne  à  reprendre 
sa  précédente  version.  Ce  texte  est  ainsi  conçu  en  G.  :  xa-.  Y'^vr, 

y.7.\  avYjO  ïx'JTol;  (7'jazsc,r^£Ç,d[JL£V0'.  (XXV,  1  d). 

M.  Blau  conseille,  à  ce  propos,  pour  bien  interpréter  G.,  de  se 
référer  aux  Septante.  C'est  un  travail  auquel  nous  nous  sommes 
livré  pour  tous  les  passages,  peu  nombreux,  au  reste,  du  frag- 
ment qui  se  rencontrent  avec  les  Proverbes.  Or,  jamais  G.  ne 
copie  les  LXX  de  ce  livre,  soit  que  la  version  n'existât  i)as  encore, 
soit  qu'il  ne  la  connût  pas,  soit  qu'il  ignorât  que  Ben  Sira  se  fût 
inspiré  des  Proverbes  pour  l'expression  de  sa  pensée. 

XLi,  4.  a.  Que  G.  ait  lu  pn,  c'est  ce  que  nous  avons  soutenu,  et 
nous  sommes  heureux  que  M.  Blau  accepte  notre  hypothèse  ; 
mais  que  telle  ait  été  la  version  primitive,  c'est  ce  que  nous  con- 
testons formellement.  M.  Blau  invoque,  à  l'appui  de  son  dire, 

'  M.  Smend  prétend  lire  sur  le  ras.  D'^iSN,  qu'il  compare  au  néo-hébreu  ÎH^^jN- 
Mais,  d'abor'l,  ce  terme  ne  convient  pas  du  tout  à  noire  passage,  car  il  désif;ne 
la  première  douleur  produite  par  le  deuil.  Ensuite,  la  kcture  Û"^;iS  est  absolument 
certaine  ;  le  vav  a  ici  exaclemeat  la  même  forme  que  dans  la  première  ligne  de  celle 
page,  par  exemple. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRAGH  ET  SON  OUVRAGE         33 

Prov.,  XXX,  8  et  Job,  xxm,  14.  On  pourrait  croire  que  ces  deux 
versets  offrent  le  parallèle  exact  de  notre  passage.  Or,  comment 
sont-ils  conçus  ?  Le  premier  porte  :  "^pn  'orh  '^5D"'"iL2!n,  et  le  second  : 
■'pn  'D'h'Ci''  "«5.  Ces  deux  exemples  montrent  seulement  que  le  mot 
pn  a,  dans  la  Bible,  le  même  sens  que  lui  attribue  G.  ;  ils  prouvent 
donc  uniquement  que  ce  traducteur,  ayant  cru  lire  pn,  est  excu- 
sable de  s'être  trompé.  Mais  qu'il  se  soit  trompé  et  que  l'original 
ait  porté  biXD  ^ran  pbn  riT  «  Tel  est  le  lot  de  la  chair  (de  l'homme) 
de  la  part  de  Dieu  »,  c'est  ce  que  permettent  d'affirmer  ces  deux 
versets  de  Job  :  ûiriVs»  y^"i  ûn5<  pbn  iiT  «  Tel  est  le  lot  de  l'homme 
méchant  de  la  part  de  Dieu  »  (xx,  29),  et  b»  W  :?wn  Ul^  pbn  riT 
«  Tel  est  lot  de  l'homme  méchant  avec  Dieu  ».  L'imitation  tex- 
tuelle est  hors  de  conteste.  Le  texte  hébreu  a  donc  conservé  la 
leçon  originale. 

XLi,  11.  D'api^ès  M.  B.,  G.  aurait  lu  :  nn^i  T'en  Mb  au3  ^n.  Ce 
traducteur  aurait  été  si  ignorant  ou  si  étourdi  qu'il  aurait  pu 
croire  à  la  possibilité  d'une  telle  construction  !  Nous  lui  avons 
imputé  bien  des  inadvertances,  mais  nous  n'oserions  pas  le  char- 
ger d'une  telle  hérésie.  Et,  par-dessus  le  marché,  il  faut  encore 
que  ce  mot  à[jLapTojXcov  soit  une  interpolation  !  M.  Blau  croit,  de 
plus,  qu'il  faut  changer  le  terme  abstrait  iDn  en  le  concret  Ton. 

Nous  ne  protesterions  pas  contre  cette  conjecture,  si  nous 
n'avions  pas  constaté  presque  toujours  que  G.  et  S.  convertissent 
les  expressions  abstraites,  q}!' affectionne  l'auteur,  en  concrètes.  S. 
se  montre  encore  plus  intransigeant  que  G.  dans  cette  chasse  aux 
abstractions.  —  Ce  qui  est  vrai  des  abstractions,  l'est  autant  du 
nombre  ;  G.  traduit  par  le  pluriel  tous  les  noms  qui  ressemblent 
tant  soit  peu  à  des  collectifs.  Par  conséquent,  rien  à  déduire  non 
plus  du  pluriel  àjxa&TwXcov. 

XLiv,  21,  provient  de  Zachàrie,  ix,  10  ou,  tout  aussi  bien,  de 

Ps.,  LXXII,  8. 

XLiv,  22c.  M.  Blau  se  contente  de  dire  :  «  nna.  G.  et  S.  n^nn  ». 
Cela  signifie  que,  tandis  que  notre  texte  porte  rr^ia,  G.  et  S.  ont 
eu  sous  les  yeux  nsna,  ce  qui  était  probablement  la  leçon  de  l'ori- 
ginal. C'est  la  conclusion  que  suggère  un  rapide  examen  du  texte, 
d'ailleurs  extrêmement  difficile.  Mais  le  problème  n'est  pas  si  aisé 
à  résoudre  qu'il  le  paraît. 

Le  texte  est,  en  effet,  ainsi  conçu  : 

Si  l'on  remplace  n-i-in  par  nr)"i3,  en  c,  qui,  en  effet,  vaudrait 
mieux,  gardera-t-on  le  même  mot  en  cJ?  et  si  l'on  ne  saurait  ad- 
mettre que  l'auteur,  si  peu  ennemi  qu'il  soit  des  répétitions,  ait 

T.  XXXV,  N»  69.  t 


34  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

pu,  dans  un  même  verset,  reprendre  le  même  terme,  ne  voit-on 
pas  qu'en  d,  n-^-ii  serait  tout  à  fait  impossible?  Par  conséquent,  il 
faut  laisser  rr^-in  en  c. 

Il  reste  donc  uniquement  ceci,  que  G.  et  S.  ont  lu  nsnn  en  c,  au 
lieu  de  n->-i3.  Mais  n'avaient-ils  pas  ce  mot  dans  le  verset?  C'est 
ce  que  nous  allons  voir. 

G.  traduit  :  VJAO^r.xv  rr-ivTOjv    àvOic'j-ojv    xal   o'.xOy,x.y,v,  /.y),  /.xtzt.tj'jv/ 

£zt  x£ç.aÀY,v  'laxcop,  a  Bénédiction  de  tous  les  hommes  et  alliance,  et 
il  (ou  elle)  reposa  sur  la  tête  d'Israël  ».  Il  suffit  donc  de  dépasser 
les  trois  premiers  mots  de  ce  vers  pour  reconnaître  que  n^ii  «  al- 
liance »  existait  dans  l'exemplaire  hébreu  de  G.  Toutefois,  il  est 
visible  également  que  le  terme  auquel  correspond  o'.aOY-xT,v  ne  pou- 
vait figurer  ainsi  à  la  fin  de  l'hémistiche  et  qu'il  devait  commen- 
cer le  suivant.  Mais,  si  G.  a  lu  r\^-'2  en  d,  il  a,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  commis  une  grossière  erreur,  car  une  phrase  comme 
bis"i\r"'  "yiïï^"!  b:^  r:n;  rr^-im,  «  et  une  alliance  reposa  sur  la  tête 
d'Israël  »  est  encore  plus  saugrenue  en  hébreu  qu'en  français.  G. 
l'a  senti,  et  voilà  pourquoi  il  a  rattaché  ce  mot  à  c  et  séparé  les 
deux  hémistiches  par  la  copule.  C'est  un  expédient  lamentable, 
qui  ne  rend  pas  plus  claire  la  pensée. 

Donc,  G.  avait,  sans  aucun  doute,  b-^^i  ;  seulement,  au  lieu  de 
le  lire  en  c,  il  l'a  vu  en  d.  En  quoi  il  s'est  trompé. 

Voilà  comment  cette  version  peut  nous  renseigner  sur  l'état  de 
l'original. 

Quant  à  S.,  il  est  ainsi  conçu  :  by  Nn">:n73  a-^i^fp  b^T  NnD-nni 
b"^"ic^N"  !Tû->  «  et  la  bénédiction  de  tous  les  premiers  reposa  sur  la 
tête  d'Israël  ».  Ce  traducteur  a  donc  escamoté  l'un  des  deux  mots 
qui  se  ressemblent.  De  quel  droit  supposer  que  «  bénédiction  » 
correspond  plutôt  à  c  qu'à  d,  d'autant  qu'en  d  il  était  absolument 
indispensable? 

Résultat  :  les  versions  ne  prouvent  aucunement  que  l'original 
portait  riDna  au  commencement  du  verset.  Elles  prouvent  plutôt  le 
contraire. 

Ce  distique  a,  d'ailleurs,  été  singulièrement  interprété  par  nos 
deux  traducteurs.  Tout  d'abord,  l'un  et  l'autre  ont  supprimé  le 
mot  n;n:,  à  moins  qu'on  ne  corrige  G.  d'après  la  vieille  version 
latine,  laquelle  ajoute  dédit  illi. 

Ensuite,  ils  ont  lu  le  mot  ^noNi  l'un,  G.,  û-iœs»,  l'autre  D"'3n©N"i. 
A  la  vérité,  S.,  suivant  son  habitude,  a  pu  mettre  au  pluriel  le 
singulier  ITONT.  Mais,  dans  ce  cas,  il  aurait  été  coupable  d'une 
maladresse  plus  grande  encore  en  rattachant  iTûxn  à  Vd  ;  «  la 
bénédiction  de  tout  premier  »  serait  une  proposition  barbare  en 
hébreu. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRAGH  ET  SON  OUVRAGE         35 

Nous  ne  voulons  pas  donner  ici  le  commentaire  de  ce  passage, 
que  les  éditeurs  nous  paraissent  avoir  mal  traduit;  on  le  trouvera 
dans  notre  travail,  qui  est  sous  presse. 

XLVii,  17.  Nous  ne  contesterons  pas  que,  par  ces  mots,  l'auteur 
ait  voulu  faire  allusion  aux  écrits  de  Salomon.  Mais  nous  pensons 
qu'il  est  téméraire  de  rien  conclure  de  ces  quatre  termes  pour 
riiistoire  de  la  Bible,  car,  comme  l'indique  le  renvoi  de  M.  Blau, 
Ben  Sira  suit  ici  I  Rois,  v,  12,  où  il  est  question  précisément  et 
uniquement  de  «  proverbes  »  buj»  et  de  «  cantiques  »  T"^.  Les 
mots  suivants  de  notre  texte  ne  sont  que  des  synonymes  de  bïi73. 
Ben  Sira,  résumant  l'histoire  de  Salomon  d'après  le  récit  des  Rois, 
n'avait  donc  aucunement  l'occasion  de  parler  d'autre  chose  que 
des  «  proverbes  »  et  du  «  cantique  »,  qui  sont  mentionnés  seuls 
dans  ce  livre. 

XLViii,  13.  Ce  passage  présente  de  grandes  difficultés,  nous  le 
reconnaissons.  Si  la  lecture  de  G.  pouvait  être  acceptée,  elle  se- 
rait évidemment  meilleure  que  la  nôtre.  Il  a  lu  «23  rrinn^ai 
Vittja  «  et  de  dessous  lui  (c'est-à-dire  :  de  sa  tombe,  dans  sa  mort) 
sa  chair  prophétisa  ».  L'auteur  dirait  d'Elisée  ce  qu'il  a  relevé 
plus  haut  en  parlant  de  Samuel.  Mais,  si  l'Ecriture  raconte  que 
celui-ci  prophétisa,  en  annonçant  à  Saùl  les  malheurs  qui  allaient 
fondre  sur  lui,  elle  n'attribue  à  celui-là  aucune  action  de  ce  genre  ; 
elle  dit  seulement  qu'un  cadavre,  ayant  touché  ses  ossements,  fut 
ressuscité. 

G.  a  donc  encore  ici  été  victime  d'une  mauvaise  lecture  («33 
pour  tara^),  et  notre  texte  doit  être  conservé  '. 

Mais  à  quoi  fait-il  allusion?  D'après  M.  Blau,  à  Tenfant  ranimé 
par  le  prophète.  —  Mais  dans  l'hémistiche  précédent  («  aucune 
chose  ne  fut  au-dessus  de  lui  »)  le  nom  de  l'enfant  n'a  pas  été  pro- 
noncé ;  comment  donc  l'auteur  aurait-il  dit  ensuite  :  «  Et  sa 
chair...  »  Cet  adjectif  possessif  prouve  sans  conteste  que  le  mot 
chair  doit  se  rapporter  à  Elisée. 

Que  signifie  alors  la  phrase? 

Remarquons  que  l'auteur  emploie  le  mot  vnnna  «  de  dessous 
lui  »  dans  une  acception  très  précise,  celle  de  «  dans  sa  tombe,  en 
terre  ».  Cf.  xlix,  10&,  où  les  éditeurs  ont  lu  à  tort  ûnh73np73]?3, 

'  Il  va  sans  dire  eue  M.  Smend  adopte  la  leçon  de  G.  Rien  de  plus  curieux  que 
cette  sorte  de  respect  religieux  professé  pour  les  lectures  du  traducteur  :  toutes  les 
fois  que  G.  offre  la  moindre  variante,  même  si  elle  est  imputable  à  une  confusion 
plausible,  on  s'empresse  de  sacrifier  la  version  de  Thébreu.  Cette  préférence  se  jus- 
tilierait  —  dans  les  cas  douteux  —  si  G.  faisait  toujours  preuve  de  fidélité  et  d'intel- 
ligence. Personne  cependant  ne  lui  reconnaît  ces  mérites. 


36  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

au  lieu  de  ûnnn»  (il  n'y  aurait  pas  place  pour  ce  grand  mot  ')  et 
XLVi,  12,  d'après  les  versions. 

Ce  terme  ne  pouvant  s'appliquer  qu'à  Elisée  mort^  il  en  résulte 
que  le  passage  ne  peut  faire  allusion  qu'à  l'épisode  de  la  résurrec- 
tion du  cadavre  qui  toucha  les  ossements  du  prophète. 

Il  y  aurait  ainsi,  d'après  M.  Blau,  redite  dans  le  verset  suivant. 
Ce  n'est  pas  une  objection  qui  doive  arrêter,  car  quelque  solution 
qu'on  adopte,  il  y  a  toujours  répétition.  En  effet,  supposons  qu'on 
accepte  linterprétation  de  M.  Blau,  voici  comment  seront  conçus 
les  deux  versets  : 

13  Aucune  chose  ne  fut  au-dessus  de  son  pouvoir, 
13^  El  sous  lui  fut  ranimée  sa  chair  (de  l'eufant). 
44  De  son  vivant,  il  fit  des  miracles, 
14(î'  Et,  mort,  des  prodiges  merveilleux. 

Dans  ce  système,  14  a-li  reprend  13<2-&.  Or,  pourquoi  14  &  ne 
serait-il  pas  le  pendant  de  13 1»  comme  14  l'est  de  13? 
L'auteur  dirait  donc  : 

Aucune  chose  ne  fut  au-dessus  de  son  pouvoir, 
Et,  en  terre,  sa  chair  se  ranima  : 
De  son  vivant,  il  fit  des  miracles, 
Et,  mort,  des  prodiges  merveilleux. 

Ce  n'est  pas  tout  à  fait  une  répétition,  c'est  une  explication, 
complétant  le  sens. 

M.  Blau  nous  paraît  avoir  raison  de  comparer  le  mot  «nas  avec 
«■""n,  et  ce  qui  nous  le  fait  croire,  c'est  que  notre  phrase  est  le  pa- 
rallèle exact  d'une  locution  qu'affpctionne  l'auteur  et  qu'il  em- 
prunte à  Isaïe,  61,  T^rnnTa  rtrn-icn  Dmri::',  «  que  leurs  ossements 
fleurissent  en  terre  !  » 

Enfin,  M.  Blau  a  raison  de  trouver  insolite  la  leçon  marginale 
û"«:>"'tt  «  entrailles  »  pour  tryr^,  quoique,  à  la  vérité,  il  y  ait  d'autres 
exemples  d'un  pareil  abus  des  mater  leclionis  Mais,  en  réalité, 
le  ms.  porte  û'^J'i»,  la  lecture  n'en  est  aucunement  douteuse '.  Nous 
n'avons  pas  à  justifier  ici  l'aniiLtateur  ;  disons  seulement  qu'il 
a  mis  un  tel  soin  à  relever  l'S  variantes,  qu'il  a  souvent  consigné 
des  formes  qui  n'ont  aucun  sens,  ou  des  essais  divers  de  déchif- 
freraent. 


•  M.  Smend  met,  à  tort,  ûntin. 

*  M.  Smend,  qui  a  examiné  si   minutieusement  le  ms.  et  qui  a  corrijçé  si  souvent 
mal  à  propos  le  déchilirement  des  premiers  éditeurs,  n'a  pas  lait  celle  remarque. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE  37 

Notre  étude  rapide,  qui  a  ainsi  l'honneur  d'être  rectifiée  et  com- 
plétée par  M.  Blau,  a  été  l'objet,  dans  la  Jewish  Quarterly  Rcview 
de  juillet  dernier,  d'une  critique  très  flatteuse  de  notre  savant  col- 
laborateur et  ami,  M.  W.  Bâcher. 

Des  observations  présentées  par  notre  excellent  confrère,  les 
unes  sont  très  judicieuses  et  nous  ont  entièrement  convaincu,  les 
autres  n'ont  ébranlé  ni  nos  conclusions  ni  nos  doutes. 

XLi,  19  &.  M.  Bâcher  rejette  avec  raison  notre  manière  de  rem- 
plir la  lacune  de  ce  verset  ;  mais  il  a  eu  tort  de  défigurer  notre 
hypothèse.  Nous  n'avons  pas  proposé  de  lire  n"<-im  uba  y^-nW2,  ce 
qui  serait  absurde,  mais  ni"i::T  !nbi<  bx  y'/2M72  «  aie  honte  devant 
le  Tout-Puissant  de  [violer]  serment  et  pacte  ».  Toutefois,  si  nous 
renonçons  aujourd'hui  à  notre  conjecture,  ce  n'est  pas  que 
nous  adoptions  celle  de  M.  Bâcher,  qui  n'est  pas  meilleure  que  la 
nôtre*,  c'est  que  l'examen  du  ms.  nous  a  révélé  qu'il  n'y  a  pas 
place  pour  deux  mots  et,  en  tous  cas,  pour  un  b,  dont  on  distin- 
guerait encore  le  haut,  s'il  y  en  avait  eu  un  '. 

XLiii,  30.  Nous  reconnaissons  que  G.,  en  rendant  ap^Di  par 
xGtTTaXXoç,  n'a  pas  pensé  à  np-i3,  mais  plutôt  à  n"ip,  traduit  ainsi 
dans  les  LXX. 

XLiii,  21  b.  Evidemment  y.7:rj,yP,iav.  ne  signifie  pas  «  brûle  »,  mais 
«  éteint  ».  Mais  voici  ce  qui  nous  a  conduit  à  traduire  ainsi  ce 
mot.  L'hébreu  dit  :  nan^D  t^ntu^i.  iri^n  'p'^-û''  nins  û-^nn  bia-^  «  il 
brûle  la  végétation  des  montagnes  comme  la  sécheresse,  et  la 
demeure  des  plantes  comme  la  flamme».  G-.  traduit  cette  der- 
nière phrase  :  xal  x-KoifiiTzi  ylôr^v  w;  Trop  «  et  il  éteint  la  ver- 
dure comme  le  feu  ».  Si  étranges  que  soient  les  quiproquo  dans 
lesquels  tombe  notre  traducteur,  il  nous  semblait  impossible 
qu'il  eût  voulu  dire  une  telle  sottise  :  «  éteindre  comme  le  feu  «. 
Nous  avons  donc  cru  qu'il  avait  lu  imsT,  au  lieu  de  W2i,  et  que  le 
grec  àTio(Tpé(7£i  devait  être  interprété  comme  l'hébreu  "^yi,  qui  si- 
gnifie à  la  fois  consumer  et  éteindre  (cf.  lx,  16  b).  Ec,  paraît-il, 
nous  n'avons  pas  été  le  seul  à  vouloir  laver  G.  d'une  telle  énor- 
mité,  car,  non  seulement  Reuss,  mais  encore  Fritzsche,  dont  l'au- 
torité n'est  pas  mince,  traduisent  également  ce  mot  par  «  il 
brûle  ». 

Il  faut  ajouter  que  r:w  peut  plus  facilement  se  confondre  avec 

»  Il  propose  n-^'-iai  Hb»  073073. 

*  D'après  M.  Smend,  il  faudrait  suppléer  m3'*tJ73  •  de  chanprer  •.  Or,  ce  verbe  ne 
s'emploie  jamais  avec  aucun  de  ces  deux  régimes.  On  trouve  à  côté  de  "1DÎ^,  "lîO, 
bbn,  rri'tï)  et  dans  Ezéchiel,  particulièrement  avec  n't»S.  nT3.  C'est  ce  dernier 
terme  PTa73  «  de  mépriser  •  qui  rend   le  mieux  compte  de  l'erreur  de  G.,  qui  a  lu 

n?3Ntt- 


38  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

niDT  qu'avec  rta^i.  Si  vraiment  G.  a  lu  !i23i,  le  texte  original  était 
rriDi.  Cette  leçon  n'est  pas  mauvaise,  mais  celle  du  ms.  se  détend 
aisément.  Sans  aucun  doute,  û"^n)32S  ms  «  la  demeure,  le  parterre 
des  plantes  »  est  une  expression  copiée  sur  NwT  mï<j,  «  les  de- 
meures de  riit'rbe  »,  et  l'auteur  a  voulu  probablement  balancer 
ù'^Ti  ^^'2^>  par  une  image  analogue.  —  Les  éditeurs  se  sont  laissés 
guider  par  la  variante  marginale  m^T,  «  et  un  rocher  »  et  ont  vu 
dans  mil  l'expression  rarissime  ^3^  qui  ne  se  trouve  que  dans 
Ezéchiel,  vu,  11,  dans  un  passage  d'une  obscurité  désespérante,  et 
qui  signifierait  «  éminence,  hauteur  »  1 

xLvi,  le.  Nous  avons  supposé  qu'en  rendant  a"^"!»  ■'ttps  «  les  ven- 
geances de  Tennemi  »  par  a  les  ennemis  se  levant  w,  G.  avait  lu 
D''n"''iN  û'iBpa.  M.  Bâcher  s'accorde  avec  nous  sur  ce  point,  que  G. 
a  vu  la  racine  Dp  dans  ce  mot;  mais  il  croit  qu'il  a  confondu  -^ttpa 
avec  "«apa,  qu'il  aura  imaginé  construit  à  la  manière  de  nbma 
iv::  na  «  la  vierge  de  la  fille  de  Sion  »,  c'est-à-dire  la  fille  vierge 
de  Sion.  G.  a-t-il  rais  tant  de  finesse  dans  sa  traduction?  Et  s'il 
était  si  savant,  comment  ignorait-il  que  cette  construction  syntac- 
tique,  possible  avec  un  7iom  ou  un  adjectif  pris  substantivement ^ 
ne  l'est  jamais  avec  un  participe'!  A  tant  faire  Jonc  que  de  vou- 
loir défendre  G.,'  il  vaudrait  encore  mieux  supposer  qu'il  a  pensé  à 
û"«:>n?3  "hip  û"^»pa,  «  lorsque  se  lèvent  contre  moi  les  méchants  » 
(Ps.,  xcii,  12),  où  le  participe  précède  ainsi  le  nom  auquel  il  se 
rapporte. 

XL,  le.  Nous  avons  dit  les  raisons  pour  lesquelles  11  nous  paraît 
impossible  qu'un  auteur  aussi  versé  dans  la  Bible  que  Ben  Sira  ait 
employé,  pour  la  terre,  une  mé{3i^\\0Te  banale  en  grec  ei  qui,  dans 
l'Ecriture,  s'applique  à  Eve,  rnère  de  tout  vivant.  M.  Bâcher  ne 
répond  pas  à  ces  objections  et  déclare  insoutenable  notre  ma- 
nière de  lire,  qui  est  cependant  celle  de  S.  et  du  manuscrit  qui 
a  servi  au  glossateur.  Ce  n'est  pas  la  citation  de  Job,  i,  21,  «  na  je 
suis  sorti  du  sein  de  ma  mère  et  nu  je  retournerai  là-bas  »,  pas- 
sage qui  vient  tout  de  suite  à  l'esprit,  qui  résoudra  la  question. 

XLV,  25  c.  M.  Bâcher  croit  avoir  trouvé  la  solution  du  crux 
interpretiun  de  ce  passage.  Il  est  d'accord  avec  nous  sur  le  sens  du 
verset  et  sur  la  préférence  qu'il  faut  accorder  aux  versions  sur 
notre  texte.  Mais  il  pense  avoir  deviné  la  leçon  qui  est  devenue 
le  mot  ttJN,  que  nous  tenons  pour  incompréhensible.  Ce  serait  ''ffi'^ 
«  Jessé  ».  Il  faudrait  donc  lire  "nn'?  nia?  "^ci  nbns  «  l'héritage  de 
Jessé  est  à  son  fils  seul  ».  Cette  conjecture  n'est  pas,  ce  semble,  des 
plus  heureuses.  Première  objection  :  ce  n'est  pas  Jessé  qui  devrait 
apparaître  ici,  mais  «  le  fils  de  Jessé  ».  Voilà  déjà  qui  suffit  à 
ruiner  cette  hypothèse.  Deuxième  objection  :  devant  un  mot  si 


QUELQUES  NOTES  SUR  JESUS  UEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE         39 

simple,  déjà  employé  au  verset  précédent,  G.,  S.  et  le  copiste  de 
notre  manuscrit,  sans  se  concerter,  se  seraient  rencontrés  pour 
battre  la  campagne  et  voir  dans  ce  nom  propre,  l'un  ^^htz  «  roi  w, 
l'autre  'Dbtt  «  royauté  »  et  le  troisième  \ai<  «  feu  »  !  Enlîn,  G.  et 
S.,  qui  sont  indépendants  l'un  de  l'autre  et  ne  traduisent  pas 
de  la  même  façon  l'iiémistiche,  auraient,  par  un  vrai  miracle, 
trouvé  dans  ce  mot  "^ïj"^,  le  même  groupe  de  lettres  'd^»,  qui  n'offre 
aucune  analogie  avec  "^"^"^  ! 

On  comprendra  donc  que  nous  continuions  à  garder  une  pru- 
dente réserve. 

Si  l'on  voulait  à  toute  force  un  essai  d'explication  de  ce  mot 
étrange,  voici  celle  que  nous  proposerions.  Le  texte  original  com- 
portait très  probablement  le  mot  '^b'n  «  roi  ».  L'auteur  rabais- 
sait ainsi  la  dynastie  davidique,  en  arguant  de  la  disparition  des 
descendants  du  fils  de  Jessé,  disparition  qui  faisait  ressortir  le 
privilège  de  la  perpétuité  de  la  race  d'Aron.  Un  copiste,  compre- 
nant l'intention  de  l'auteur  et  froissé  par  une  sentence  si  dédai- 
gneuse, qui  n'allait  à  rien  moins  qu'à  détruire  l'espérance  en  l'avè- 
nement du  Messie,  a  peut-être  jugé  bon  de  corriger  '^h'a  en  ;a"^« 
«  homme  ».  L'héritage  d^un  homme  ordinaire  ne  passe  qu'à  ses 
enfants,  tandis  que  celui  d'Aron  s  est  transmis  à  toute  sa  posté- 
rité. 'Wîî  devint  facilement  U3N  sous  la  plume  d'un  autre  co- 
piste*. Mais  nous  ne  présentons  celte  hypothèse  que  sous  toutes 
réserves,  n'y  voyant  qu'un  simple  jeu.  A  dire  vrai,  nous  préférons 
avouer  notre  perplexité  devant  cette  énigme. 


*  * 

Si  notre  confrère  est  en  désaccord  avec  nous  sur  l'interpré- 
tation de  ces  versets,  nous  sommes  heureux  de  constater  que  ses 
vues  confirment  beaucoup  des  nôtres.  Ainsi,  M.  Bâcher  se  ren- 
contre avec  nous  pour  les  versets  xxxix,  23,  26,  28,  30  d;  xl,  9, 
20,  21  &,  29c;  xli,  11,  19 &  (en  partie);  xlii,  21  &;  XLiir,  9&;  xi.iv, 
13;  XLV,  26;  xlvi,  1  c,  3  ;  xlviit,  18rf;  en  partie,  xliii,  19,216; 
XLVi,  1  e.  Cet  accord  est  d'autant  plus  frappant  qu'il  porte  sur  des 
confusions  qui  su[)posent  nécessairement  que  le  traducteur  grec  a 
mal  déchifl'ré  des  mots  écrits  en  abrogé  ou  considéré  comme  tels 
des  mots  complets.  Et  l'on  sait  avec  quelle  timidité  nous  avons 
émis  cette  hypothèse.  Ainsi,  xli,  12,  14,   16 c,  19 a;  xlii,   8d; 

•  M.  Smend  a  peusé  également  au  mot  ^D^N  ;  seulement  il  conserve  le  mot  "^bw  et 
imagine  celte  singulière  phrase  Tinb  T'îatt  TÏ5''Nb  "]bl2  nbn;  •  l'héritage  du  roi 
Ta  à  chacun  de  ses  enfants  seulement  •.  Cette  proposition  n'aurait  aucun  sens. 


40  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

XLiv,  19.  Enfin,  même  sur  des  interprf^tations  auxquelles  nous 
avons  renoncé  depuis  la  publication  de  notre  article,  comme 
XXXIX,  28,  et  XLiv,  19. 


*  * 


Nous  signalerons  maintenant  les  points  sur  lesquels  nous  n'a- 
doptons pas  les  conclusions  de  M,  Bâcher  à  propos  de  passages 
que  nous  n'avions  pas  touchés  dans  notre  article. 

XXXIX,  28  :  ^p^z^y'^  nnn  «  [Les  vents]  déracinent  les  mon- 
tagnes ».  G.  :  l<7T£û£co(ïav  (xâorT'.Ya;  aûxtov  «  ils  fortifient  leurs  puni- 
tions ».  M.  Bâcher  croit,  comme  nous  l'avions  pensé  d'abord,  que 
G.  a  confondu  le  verbe  avec  ip-^mr  Mais  M.  David  Kaufmann  nous 
paraît  avoir  eu  raison  de  faire  remarquer  que  le  traducteur  a 
pris  ce  verbe  dans  le  sens  de  pny  «  ferme,  solide  ».  Pour  le  mot, 
d'après  M.  Bâcher,  G.  l'aurait  confondu  avec  D;nr!  «  leur  colère  ». 
Ce  serait  une  bévue  lamentable,  car  jamais  ce  nom  ne  reçoit 
d'affixe,  pour  la  bonne  raison  qu'il  est  toujours  en  état  d'an- 
nexion avec  C|N.  . 

Pour  nous,  le  traducteur  à  lu  û->nn  ;  mais,  comme  il  lui  arrive 
fréquemment,  il  a  été  victime  de  son  oreille  et  a  pensé  à  D'^n^'^  plu- 
riel du  mot  n-iy  «  vengeance  »,  comme  dans  Osée,  xi,  9  (NinN  nVt 
n-^yn)  ;  Jérémie,  xv,  8  (mbnm  n-^y  ûsnc  n'^by  ^nborj). 

Cette  erreur  va  nous  donner  la  clé  d'une  confusion  de  G.  et  de 
S.  en  un  passage  que  M.  Bâcher  nous  paraît  encore  avoir  mal 
interprété  : 

XLVii,  1  b.  ûny  ûTiabsn  irc^i,  «  David  mit  parmi  les  Philistins 
des  villes  ».  A  notre  avis,  Ben  Sira  a  voulu  dire  que  David  plaça 
en  Philistée  des  villes-garnisons,  il  aura  confondu  la  Philistée 
avec  ridumée,  pour  laquelle  le  2"  livre  de  Samuel  (viii,  14)  porte  : 
û'^a'^223  ûilND  n2fi,  «  il  plaça  en  Idumée  des  postes  militaires  ».  Ce 
sens  du  mot  «  villes  »  n'a  été  compris  ni  de  G.  ni  de  S. 

G.  :  xal  âçouoÉvcoTs  •f'.À'.TTtîlix  TO'j;  Û7:£vav-tou;,  «  et  il  méprisa  les 
Philistins  adversaires  ».  Fritzsche  avait  conjecturé  une  lecture 
û-^nst,  qui  se  rapprocherait  plus  de  notre  texte.  En  réalité,  il  n'y  a 
ici  aucune  confusion,  il  faut  laisser  wiy  ;  G.  l'a  pris  pour  le  par- 
ticipe "n>  «  ennemi  »  au  pluriel,  comme  en  I  Samuel,  xxviii,  16; 
Ps.,  cxxxix,  20  ;  Isaïe,  14,  21. 

Quant  à  S.,  il  traduit  librement  l'hémistiche,  comme  il  fait, 
d'ailleurs,  à  partir  du  ch.  xliv  :  i^-^n^abs  "jw  ynsnNT  «  et  il  se  ven- 
gea des  Philistins  ».  Lui  aussi  a  lu  û'^ny,  mais,  comme  G.,  dans  le 


à 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE  41 

passage   que  nous  venons  d'étudier,  il  a  dérivé  ce  mot  de  'T^y 
«  vengeance  ». 

S.  ne  peut  donc  pas  servir  à  corriger  notre  texte  en  inti 
ûps  û'^nTûbea.  Or,  c'est  en  s'appuyant  sur  cette  correction  que 
M.  B.  suppose  que  G.  a  confondu  dp3  avec  d'^ttpn. 

XL,  13  a.  in-^N  bnss  btna  b'^n.  G.  :  yyf^^LXTx  àSi'xwv  «  les  biens  des 
injustes  »,  S.  N^ipiiDT  ND53  «  les  biens  du  mensonge  ».  M.  Bâcher 
suppose,  comme  M.  Sraend,  une  corruption  du  texte,  qui  devait 
porter  bvtt  b">n,  qu'il  faudrait  lire  bn^w  b-^n  ou  biy»  b-in.  Ce  n'est 
pas  impossible,  mais  nous  aimons  mieux  conserver  la  leçon  du 
ms.  et  admettre  que  l'auteur  a  joué  sur  les  deux  sens  du  mot  b-'n^ 
qui  signifie  à  la  fois  «  richesse  »  et  «  violence  ». 

XL,  18.  npnw^  niDU^T  l'^-'  ■'■'n  «  la  vie  du  vin  et  des  liqueurs  est 
douce  »,  Pour  le  fond,  il  faut  se  rappeler  le  dithyrambe  qu'entonne 
l'auteur  en  l'honneur  du  vin  (ch.  xxxiv),  tout  en  mettant  en  garde 
contre  les  dangers  auxquels  il  expose  :  «  Une  eau  de  vie  est  le  vin 
pour  l'homme*  ;  qu'est-ce  que  la  vie  de  celui  qui  manque  de  vin? 
(G.  et  S.)  ;  le  vin  a  été  créé  pour  la  joie  de  l'homme  »  (vers.  28). 
Pour  le  style,  comparez  plus  loin  :  -^nn  bN  in»  i-^n  «  ne  vis  pas  de 
la  vie  des  dons  ».  D'autre  part,  la  réunion  de  -iDffli  'j"«''  est  attestée 
par  la  Bible  et  môme  par  un  autre  passage  de  l'Ecclésiastique,  ix, 
8,  cité  par  le  Talmud,  Sanhédrin,  100  &.  —  Quant  à  la  répétition 
de  ces  deux  mots  à  deux  versets  d'intervalle,  il  ne  faut  pas  s'en 
montrer  surpris  :  les  redites  sont  fréquentes  chez  notre  auteur  ; 
on  n'a  qu'à  voir,  dans  ce  même  couplet,  deux  versets  de  suite  con- 
sacrés à  la  renommée.  Noire  texte  présente  donc  toutes  les  ga- 
ranties de  l'authenticité. 

M.  Bâcher  propose  cependant  de  le  corriger,  à  cause  de  la  lec- 
ture de  G.,  qui,  au  lieu  de  nDW  «  liqueur  »,  traduit  -i-^Db  (sur  ce 
point  encore  M.  B.  est  d'accord  avec  nous),  et  à  cause  de  l'expres- 
sion npn»'' «  est  douce  »  qui  rappelle  l'Ecclésiaste,  v,  11,  npin73 
la^^rr  n3\a  «  doux  est  le  sommeil  du  travailleur  ».  Le  texte  origi- 
nal aurait  porté  ipriTa"^  t^d^di  'juî''  -^tn  «  la  vie  de  celui  qui  dort  et  du 
travailleur  est  douce  ».  C'est  précisément  cette  leçon  que  G.  aurait 
eue  sous  les  yeux  ;  seulement  il  se  serait  mépris  sur  le  sens  du  mot 
lœ*'  «  dormant  »  où  il  aurait  vu  un  adjectif  signifiant  «  qui  se  con- 
tente ». 

On  confessera  que  sans  ce  passage  de  l'Ecclésiaste,  même  avec 
ce  texte  rectifié,  on  ne  serait  pas  tenté  de  traduire  :  «  La  vie  du 
travailleur  qui  se  repose  est  douce  ».  —  Et  ceci  montre,  disons-le 

'  D'après  S.  —  G.  :  eTtijov  Ew^;  o-voc  àvÔpwiroc;  <  L'éfja!  de  la  vie  est  le  vin  pour 
les  hommes  >. 


42  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

en  passant,  la  fragilité  des  hypothèses  qui,  se  fondant  sur  ces  ap- 
parentes rencontres  d'idées,  prétendent  établir  une  relation  entre 
l'Ecclésiaste  et  l'Ecclésiastique.  Si  vraiment,  il  y  avait  le  moindre 
lien  entre  ces  deux  textes,  il  est  évident  que  c'est  à  celui  de  l'Ec- 
clésiastp  qu'il  faudrait  attribuer  la  priorité. 

Notre  passage  ainsi  corrigé  serait  des  plus  mal  venus,  car  il 
faudrait  plutôt  l^"^  T'S'J  "'■^n  «  la  vie  du  travailleur  qui  dort  ». 

Que  l'on  compare  les  raisons  de  conserver  notre  texte  à  celles 
d'adopter  cette  correction  et  l'on  concluera  avec  nous  qu'il  vaut 
encore  mieux  s'en  tenir  à  la  leçon  du  manuscrit. 

XLi,  21  h.  nsu  npbnTo  rr^n^r:».  (Les  éditeurs  ont  mal  déchiffré  le 
premier  mot,  où  ils  ont  vu  a  tort  nnirn»).  G.  porte  :  à-ô  à-^atsÉTw; 
{Xciicoç  xal  oô<7£coç  a  de  l'enlèvement  de  la  part  et  du  don  ».  M.  Bâ- 
cher croit  que  l'original  portait  ïidtût  pbn  n-'DOn»  «  de  faire 
cesser  la  part  et  le  don  ».  Que  G.  ait  compris  ainsi  notre  texte, 
c'est  évident;  mais  quel  sens  aurait  cette  phrase?  N'est-il  pas  pré- 
férable de  conserver  encore  ici  la  leçon  de  l'hébreu,  qui  se  tra- 
duira :  a  Et  de  cesser  les  distributions  de  présents  «.probablement 
de  l'aumône. 

xLiii,  4&.  û">nrT  yh'V  Ï5î2tt3  mVo  «  La  projection  du  soleil  incen- 
die les  montagnes  »,  ou,  d'après  le  texte,  uîTj'û  nbrj  «  le  soleil  pro- 
jeté ».  A  la  place  du  premier  mot,  G.  a  lu  tîbo,  -y-lxalw;,  «  triple- 
ment ».  D'après  M.  Bâcher  ce  serait  la  leçon  originale.  Un  des 
arguments  qu'il  invoque  est  l'accord  de  G.  et  de  S.  sur  cette  lec- 
ture. Mais  M.  Bâcher  n'a  pas  remarqué  que,  dans  tout  ce  chapitre 
XLiii,  S.,  au  lieu  de  traduire  l'hébreu,  traduit  Le  grec  ^  Cet  accord 
est  donc  sans  valeur.  Que  reste-t-il  donc  qui  nécessite  cette  cor- 
rection ?  La  beauté  de  cette  comparaison  entre  un  fourneau  et  le 
soleil  q\n  incendie  trois  fois  plus  les  montagnes?  Y  a-t-il  donc 
des  degrés  dans  l'incendie?  En  réalité,  la  comparaison  porte 
précisément  sur  le  mot  mbç  ou  m'riî  :  Il  faut  souffler  sous  un 
fourneau,  ou  que  ce  fourneau  soit  ardent  (m^s)  pour  qu'il  fasse 
fondre  le  métal,  tandis  que  le  soleil,  par  la  seule  projection  de  ses 
rayons,  incendie  les  montagnes.  —  Sans  compter  qu'une  phrase 
comme  û-^nin  p'^bT>  'Oyû  ^^-o  serait  d'un  hébreu  détestable. 

XLiii,  5  l)  TT^nN  nitj"'  T'-O'in.  Ce  verset  est  la  hnale  d'un  para- 
graphe qui  fait  l'éloge  du  soleil.  L'auteur  aime  à  terminer  chaque 
couplet  par  une  phrase  générale.  Après  donc  avoir  décrit  la  puis- 
sance et  la  beauté  du  soleil,  il  s'écrie  :  «  Grand  est  le  Dieu  qui 
l'a  créé  et  qui  par  sa  parole...  »  C'est  ici  que  le  texte  présente 
quelque  difficulté.  M.  Bâcher  traduit  le  verbe  par  rend  puissant, 

•  M.  Smend  ne  s'est  pas  non  plus  avisé  de  celte  observation. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE  43 

ce  qui  peut  se  soutenir.  Les  éditeurs  avaient  comparé  ce  terme  au 
syriaque  «  il  rend  brillant  ».  Cette  version  est  admissible  éga- 
lement, quoi  qu'en  pense  notre  confrère.  On  peut  également  y 
voir  un  dénominatif  formé  deniits  «  l'éternité  »,  «  il  rend  éternel  ». 
Cette  interprétation  serait  même  confirmée  par  la  finale  du  para- 
graphe consacré  à  la  lune,  où  l'auteur  dit  de  celle-ci  qu'elle  ac- 
complit immuablem^^nt  sa  tâche.  Mais  ce  n'est  pas  sur  ce  point 
que  porte  notre  désaccord  avec  M.  Bâcher  ;  c'est  sur  la  correction 
apportée  au  mot  v^'^dn  qui,  d'après  notre  savant  collaborateur, 
serait  une  corruption  de  inni^  «  son  aile  ».  L'auteur  aurait  imité 
Malachie,  m,  20,  qui  dit  que  le  soleil  porte  la  guérison  dans  ses 
ailes  îT'Sisa.  Un  tel  détail  dans  une  finale  serait  tout  à  fait  dé- 
placé. L'image,  au  surplus,  ne  brillerait  pas  par  la  clarté. 

Ici  encore  nous  préférons  la  leçon  de  notre  ms.  Le  mot  VT^n» 
«  ses  puissants,  ses  vaillants  »  désigne,  à  notre  avis,  les  chefs  des 
armées  célestes  (expression  qu'emploie  l'auteur  un  peu  plus  loin), 
c'est-à-dire  les  astres.  Qui  sait  même  s'il  n'a  pas  le  sens  àQ  cour- 
siers, comme  dans  Jérémie,  ix,  16,  m'^nx  mbnii:»  «  les  hennisse- 
ments de  ses  coursiers  »  ;  ibid.,  xlvii,  3,  Ti-T'nN  mono  «  les  sabots 
de  ses  coursiers  »?  Le  soleil  peut  aussi  bien  être  assimilé  à  un 
«  vaillant  »  qu'à  un  «  coursier  ».  Le  Psalmiste  le  compare  (xix,  6) 
à  un  «  héros  »  "nias,  qui  coiirt  dans  la  carrière  n"ii<  ynnb  ^  Quant 
au  pluriel,  il  est  justifié  par  le  caractère  même  de  la  finale,  qui 
doit  être  générale.  Il  l'est  encore  plus  par  cette  particularité,  que 
l'auteur  aime  à  relier  les  descriptions  par  une  expression  qui  se 
rapporte  à  l'objet  dont  il  vient  d'être  parlé  et  qui  prépare  celui 
qui  va  venir.  En  disant  «  ses  vaillants  »,  ou  «  ses  coursiers  »,  Ben 
Sira  vise  déjà  la  lune,  dont  précisément  il  aborde,  tout  de  suite 
après,  l'éloge  le  plus  enthousiaste.  Cette  recherche  des  transitions, 
dont  les  auteurs  bibliques  se  souciaient  peu,  est  l'indice  d'une  évo- 
lution dans  le  goût  ou  d'une  éducation  littéraire  qui  trahit  l'in- 
fluence grecque. 

XLiii,  27.  6)015  »b  'rh^'2  nv.  G.,  comme  l'a  bien  remarqué 
M.  Bâcher,  a  vu  dans  le  dernier  mot  le  verbe  C)io  «  nous  n'arri- 
verions pas  à  la  fin  ».  Telle  était  la  leçon  de  l'original,  ajoute 
M.  B.  Nous  ne  le  croyons  pas.  Il  faut  lire  sipii  :  «  Nous  n'ajoute- 
rons pas  d'autres  détails  semblables  ».  Justement,  ces  mots  termi- 
nent le  chapitre  des  descriptions  :  l'auteur  trouve  qu'il  en  a  assez 
dit.  11  ajoute  d'ailleurs  ;  «  Fin  du  discours  :  il  est  tout  »  (pxpres- 
sion  qui  rappelle  singulièrement  la  conclusion  de  l'Ecclésiaste). 

'  G.  a  pensé  aussi  à  ce  verset  des  Psaumes,  quand  il  a  traduit  y.aTécTteyatv  ito- 
pct'av  •  il  hâle  la  iiiaiciie  •,  soit  ([u'il  ait  cru  lire  mN  au  iieu  de  T^T^aN,  soit  qu'il 
ait  interprété  ce  mot  comme  dans  notre  dernière  explication. 


44  rkvuf:  des  études  juives 

XLiv,  Ad.  ûmntta»2  ûib'«m»T.  M.  Bâcher  corrige  le  dernier  mot 
en  ûmb'ttîWian  «  ceux  qui  font  des  paraboles  par  leurs  paraboles  ». 
La  seule  juxtaposition  de  ces  mots  montre  la  faiblesse  de  cette 
traduction.  D'ailleurs,  plus  loin  l'auteur  dit  Va»  "'NCiï,  qui  serait 
une  répétition.  Mais  ce  n'est  pas  cette  interprétation  que  nous 
voulons  critiquer  ici  ;  c'est  l'argument  que  M.  B.  tire  de  S. 
1innn3\Dra  «  par  leurs  louanges  ».  Or,  en  ce  paragraphe,  S.,  qui 
traduit  très  librement,  a  l'habitude  de  réunir  plusieurs  hémis- 
tiches en  un  seul,  et  ce  mot  «  par  leurs  louanges  »  répond  à  l'hé- 
ynistiche  suivant,  p-nnaujnn  ipnn  =  -,17:to  "^"ipin.  M.  Bâcher  s'est 
laissé  induire  en  erreur  par  les  éditeurs,  qui  n'ont  pas  vu  que 
cette  phrase  doit  être  numérotée  5  a,  et  non  4  d. 

XLV,  1  d.  DN"i  ncyina  irriTN'^T.  D'après  M.  B.,  ces  mots  n'ont 
aucun  sens.  Ils  ne  présentent,  pour  nous,  aucune  obscurité  ;  ils 
signifient  :  «  Il  le  ceignit  de  la  force  du  reèm  ».  Cette  métaphore 
est  empruntée  à  Nombres,  xxiii,  22,  On  comparera  à  cette  pensée 
à  l'éloge  que  Josèphe  fait  de  la  force  des  prêtres.  Cette  leçon  est 
attestée  par  S.,  qui,  suivant  l'interprétation  traditionnelle,  rend 
niDJ'in  par  la  hauteur  (au  lieu  de  ûi<"i,  il  a  la  leron  marginale 
•nsin).  A  ce  texte,  dépourvu  de  toute  obscurité,  M.  Bâcher  sub- 
stitue tibnn  r!a:?tt3  fisaïe,  lxxi,  3),  expression,  on  en  conviendra, 
qui  ne  rappelle  guère  graphiquement  cn"i  mo^ina  (tandis  que 
nNn  offre  quelque  ressemblance  avec  ûN"i).  Et  pourquoi  s'aviser 
d'un  tel  expédient  ?  Parce  que  G.  porte  xal  ueptéCworev  aÙTÔv  tcsoit- 
toXtjV  8ô;t,ç  V  et  il  le  ceignit  d'un  vêtement  de  gloire  »  et  que  les 
LXX  traduisent  précisément  nbrîn  nuj^wa  par  y.x-xa-'-^.-r^-^t  oo^r,;.  Or, 
il  n'est  pas  sur  du  tout  que  cet  hémistiche  de  G.  corresponde  au 
nôtre,  ce  sont  les  éditeurs  qui  ont  établi  cette  concordance.  Pour 
cela,  ils  sont  obligés  de  mettre  en  corrélation  "7  c  du  grec,  Ijxxxip;- 
<7£v  aÙTov  £v  s'jxoc7u.;a  «  il  le  déclara  heureux  en  beauté  »,  avec 
■ma^n  nnnniD"'"!,  que  nous  ne  voulons  pas  traduire  ici  parce  qu'il 
faudrait  entrer  dans  de  longs  développements,  mais  qui,  à  coup 
sûr,  n'off're  aucune  analogie  avec  G.  Cet  hémistiche,  Fritzsche, 
qui  ne  manquait  pas  de  flair,  malgré  son  inexpérience  des  langues 
sémitiques,  s'en  étaif,  à  notre  avis,  bien  rendu  compte  ;  il  avait  re- 
connu que  lïnnïîiï'^T,  lecture  que  reflète  ïu.xy.-j.y.m,  était  un  mauvais 
déchiff'rement  de  in"iTiS"'T  «  il  le  ceignit»*.  Notre  texte  lui  donne 
raison,  et  c'est  à  1  c,  et  non  kl  d,  que  correspond  notre  hémis- 
tiche. G.  a  donc  traduit  soit  dni  mcrins,  soit  -iMn  ms:>i»"i3,  par 
èv  eùxo<7[A!a  «  en  beauté  »  ;  dans  un  cas,  la  traduction  est  libre, 


•  M.  Noeldeke  n'hésite  pas  à  donner  raison  à  G.,  et  M.  Smend  se  rallie,  cela  va 
sans  dire,  a  son  opinion. 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE  /.5 

dans  l'autre  elle  est  exacte  ;  mais  dans  l'un  et  dans  l'autre,  elle 
s'accorde  très  bien  avec  l'hébreu. 


Nous  sommes  en  dissentiment  avec  M.  Bâcher  sur  beaucoup 
d'autres  points,  soit  qu'il  corrige  l'hébreu,  soit  qu'il  le  complète 
par  divination,  pour  la  raison  que  nous  allons  dire.  Notre  érainent 
confrère  s'est  uniquement  servi  du  texte  édité  sans  le  confronter 
avec  le  fac-similé,  encore  moins  avec  l'original.  Or,  les  éditeurs, 
qui  se  sont  admirablement  acquittés  de  leur  tâche,  n'ont  pas 
atteint  du  premier  coup  la  perfection  ni  toujours  touché  juste. 
Ils  ont  par  là  égaré  ceux  qui  se  sont  fiés  à  leur  fidélité.  D'autre 
part,  pour  les  restaurations,  ne  sachant  pas  l'étendue  des  la- 
cunes, l'état  de  conservation  des  lignes,  qui  s'oppose  souvent  à  la 
restitution  des  lettres  à  grands  jambages,  dont  les  têtes  ou  queues 
se  verraient  encore,  M.  Bâcher  s'est,  sans  s'en  douter,  lancé  à 
l'aventure.  Il  n'en  faut  que  plus  admirer  la  sûreté  dont  il  a  fait 
preuve  en  nombre  de  passages. 

Si,  au  lieu  d'énumérer  les  cas  sur  lesquels  nous  ne  saurions 
donner  raison  à  M.  B.,  nous  relations  ici  toutes  les  explications, 
interprétations  et  hypothèses  que  nous  jugeons  excellentes,  il  fau- 
drait reproduire  la  plus  grande  partie  de  son  article,  et  aussi  nous 
louer  nous-même,  puisque  le  plus  souvent  elles  confirment  les 
nôtres. 


Pour  qu^on  ne  nous  accuse  pas  d'outrecuidance,  nous  allons 
humblement  faire  notre  mea  culpa  en  citant  maintenant  les  er- 
reurs qu'un  nouvel  examen  du  texte  nous  a  permis  de  constater 
dans  notre  premier  article. 

xxxix,  18.  nri'TClnb  mi:i'W  T^Ni.  G.,  en  traduisant  ces  mots  par 
oùx  'écTtv  sXaTTojdiç  £tç  ffcoTY,p'.ov  a'jTO'j  «  il  n'y  a  pas  de  diminution  à 
son  salut  »,  n'a  pas  lu  -ni:y»,  mais  '^'J-^I'û,  ou  même,  d'après  l'o- 
reille, mon»,  car  il  rend  toujours  ainsi  ce  dernier  mot. 

xxxix,  20.  iwy  t3>ai  l'^P  rî<-  S.  Tnwnp  ■'5oi  b-'VpT  u<d.  Nous 
avons  traduit  à  tortb'^bp  par  «  léger  »;  il  faut  corriger  en  «  peu  », 
et  ce  mot  correspond  à  usa  et  non  à  pp.  S.  s'est  laissé  guider  par 
la  pensée,  sans  se  préoccuper  des  mots,  et  au  lieu  de  «  Pour  lui, 
rien  de  petit  ni  de  peu  »,  il  met  :  «  Pour  lui,  pas  de  peu  ni  de  beau- 
coup ». 


46  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

xLiiî,  19.  û"'2£'^it  T^Dor)  y^ifi  «  Et  elle  pousse  des  fleurs  couleur 
de  saphir  ».  En  rendant  les  deux  derniers  mots  par  ctxoXôtîwv  axsx 
«  des  extrémités  d'épines  »,  G.  a  plutôt  cru  lire  û-^^p  ■'"i'^dd  que 
û'^itip  ■'snoa,  car  il  suit  généralement  l'ordre  des  mots  hébreux. 
(C'est,  en  partie,  la  conjecture  de  M.  Bâcher.) 

XLi,  13.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  supposer,  comme  nous  l'avons 
cru,  à  l'imitation  des  éditeurs,  que  -^n  nai::  soit  une  faute  pour 
û"'"'n  rm:3  «  le  bonheur  de  la  vie  »  :  «  le  bonheur  de  l'être  vivant  » 
va  aussi  bien. 

XLVii,  23  c.  nm  -icm  nbi.^  nnn  «  Large  en  folie  et  dénué  d'in- 
telligence ».  Les  premiers  mots  sont  rendus  ainsi  par  G.  :  Xaou 
àç.so7tivT,v  «  folie  de  peuple  ».  L'explication  que  nous  avons  donnée 
de  cette  altération  est  inutile  si  l'on  adopte  la  correction  de 
M.  Mayer  Lambert,  TiXa-rûv  o  large  »  au  lieu  de  Xaou,  correction 
très  plausible. 

Israël  Lévi. 


POST-SCRIPTUM. 


Pendant  que  nous  corrigions  ces  épreuves,  nous  avons  reçu  une 
nouvelle  édition  de  nos  fragments  faite  par  M.  Rudolf  Smend '.  On 
n'accusera  pas  ce  savant  auteur  d'avoir  examiné  le  ms.  à  la  légère  : 
on  voit  qu'il  l"a  scruté  à  la  loupe,  ne  laissant  de  côté  aucun  trait  ou 
débris  de  lettre  ayant  échappé  aux  ravages  exerces  par  le  temps  ou 
la  morsure  des  vers.  En  nombre  de  passages,  Il  a  très  heureuse- 
ment rectifié  l'édition  de  MM.  Cowley  et  Neubauer,  et  11  faut  lui  être 
reconnaissant  des  améliorations  qu'il  a  apportées  au  premier  déchif- 
frement. Mais,  à  notre  avis,  il  a  été  victime  de  sa  conscience  scrupu- 
leuse :  il  a  vu,  surtout  dans  les  marges,  quantité  de  mots' et  de  lettres 
qu'il  nous  a  été  impossible,  avec  la  meilleure  volonté,  de  discerner. 
Et  le  plus  souvent,  ces  mots  ou  lettres  forment  des  phrases  ou  des 
locutions  dépourvues  de  sens  et  contraires  à  la  grammaire  et  à  la  syn- 
taxe hébraïques.  Quelques  exemples  seulement  :  xxxix,  17  c  :  ïna^ija 
C"^"i5y  "^y  ^-'ly^-  Ces  mots  sont  absolument  inintelligibles  ;  jamais  co- 
piste, si  ignorant  qu'il  fût,  n'aurait  reproduit  pareils  monstres.  En 
outre,  on  ne  distingue  que  "T^ny  et,  au  commencement,  des  fragments 
de  lettres  pouvant  donner  le  mol  !^73^.  De  la  fin,  on  ne  voit  rien  du 
tout.  M"""  Lewis  aj^ant  apporté  à  Paris  son  fragment,  nous  en  avons 
repris  l'examen  avec  MM.  Schechter,  Cowley,  Stenning  et  Ginsburg  : 

'  Das  hebràische  Frafjment  der  Weisheit  des  Jesui  Siracfi  [Abhandlungen  derK. 
Qesellich.  d.  Wisi.  zu  QOttingen,  1897). 


QUELQUES  NOTES  SUR  JÉSUS  BEN  SIRACH  ET  SON  OUVRAGE  47 

il  nous  a  été  impossible  de  découvrir  la  moindre  trace  des  préten- 
dus deux  derniers  mots.  —  Ibid.,  18,  rr'bi:"!  i3"i:i:n  Tnisn-  Du  premier 
mot,  qui  seul  est  endommagé,  le  n  initial  est  possible;  les  deux 
lettres  suivantes  sont  illisibles.  Quant  à  cette  forme  in;3n,  nous 
renonçons  à  en  deviner  le  sens.  —  Ibid.,  20  ô,  D"'"ii3D  Nb  p  bv 
injJTvDnb.  Il  n'y  pas  le  moindre  doute  qu'il  faille  lire,  comme  les 
premiers  éditeurs,  "in^'ianb  '^dd»  UJ[in] ,  qui  rappelle  1\x  nnîianb 
nsoTû  des  Psaumes.  Une  phrase  comme  celle  qu'a  cru  lire  M,  Smend 
serait  barbare  en  hébreu.  Le  mot  û'^tijO  «  cécité  »  ne  se  rapporte 
jamais  qu'à  des  êtres  animés  ;  de  plus,  il  faudrait  1"^ï<  et  non  Mb.  — 
Le  reste  est  à  l'avenant. 

Le  savant  critique  allemand  ne  s'est  pas  posé  celte  question  si 
simple  :  Pourquoi  le  texte,  qui  se  lit  avec  la  plus  grande  facilité  dans 
toute  la  portion  bien  conservée  du  ms.,  offrirait-il  de  telles  mons- 
truosités justement  dans  les  passages  endommagés  *  ? 


*  Nous  avons  tenu  compte,  dans  les  notes  qui  précèdent,  du  travail  de  M.  Smend. 
Quand  nous  le  citons  dans  le  texte,  c'est  d'après  l'article  quïl  a  publié  dans  la  Theo- 
logische  Literaturzeitung . 


NOTES  CRITIQUES 


SUR 


LE  TEXTE  DE  L'ECCLÉSIASTIQUE 


Pendant  que,  dans  ce  dernier  demi-siècle,  il  y  a  eu  presque  sur- 
production de  travaux  sur  l'Ancien  Testament,  les  Apocryphes 
sont  restés  très  négligés.  Les  ouvrages  relatifs  à  Ben  Sira  sont 
particulièrement  rares  :  le  commentaire  de  Fritzsche,  si  estimé  en 
son  temps,  est  très  en  retard.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'il  nie  en- 
core que  la  version  syriaque  ait  été  faite  d'après  l'original  hébreu. 
Mais,  malgré  ses  lacunes  sérieuses,  il  n'a  été  remplacé.) usqu'à  pré- 
sent par  aucun  ouvrage  français  ou  allemand  qui  ait  une  réelle 
valeur  scientifique,  et  il  était  réservé  à  l'Angleterre  de  nous  aider, 
par  l'excellent  commentaire  d'Edersheim,  à  mieux  comprendre  le 
livre  si  intéressant  et,  à  plusieurs  points  de  vue,  si  important  de 
Jésus  fils  de  Sirach.  Mais  voici  qu'on  vient  de  découvrir  des  frag- 
ments hébreux  de  l'original,  et  cette  découverte  imprévue  a  ap- 
pelé l'attention  de  nombreux  savants  sur  cet  Ecclésiastique  si 
longtemps  négligé.  Comme  on  a  maintenant  un  solide  point  d'ap- 
pui pour  juger  les  diverses  traductions,  on  peut  établir  avec  plus 
de  sûreté  l'exégèse  des  morceaux  hébreux  même  qu'on  ne  con- 
naît pas  encore. 

J'ai  essayé  ailleurs  '  de  caractériser  brièvement  la  valeur  cri- 
tique des  versions  grecque  et  syriaque  (G.  et  P.).  En  général, 
G.  a  traduit  fidèlement  et  littéralement,  mais  n'a  pas  toujours 
compris  le  texte  original,  tandis  que  la  version  de  P.  est  très 
libre  et  laisse  parfois  de  côté  des  passages  étendus  de  l'original, 
mais  rend  quand  même  plus  exactement  le  sens;  on  y  trouve 
parfois  des  interpolations  émanant  de  G.  *.  Le  texte  syriaque  pré- 

'   Wiener  Zeitschrift  fur  die  Kunde  des  Morgenlandts,  XI,  95  et  suiv.  Cf.  les  ob- 
servations analogues  de  M.  Israël  Lévi,  dans  celte  Revue,  t.  XXXIV,  p.  i  et  suiv. 
'  Voir,  plus  loin,  les  observations  sur  ii,  8-9  ;  xxiiv,  10;  xxxiv,  13. 


NOTES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VECCLÈSIASTIQJJE  49 

sente  des  altérations  qu'on  peut  rectifier  par  la  version  grecque  ', 
et,  réciproquement,  certaines  altérations  de  G.  peuvent  être  cor- 
rigées à  l'aide  de  P,  2.  En  tout  cas,  pour  l'étude  de  l'original, 
P.  offre  la  même  valeur  que  G.  Quoique  M.  Edersheim  ait  su 
faire  un  usage  excellent  de  P.,  il  a  quand  même  laissé  à  ses 
successeurs  bien  des  choses  à  glaner,  comme  le  prouvera  notre 
étude.  Pour  beaucoup  de  passages,  le  traducteur  syrien  avait 
sous  les  yeux  un  meilleur  texte  que  G.  ;  en  d'autres  endroits  il  a 
mieux  compris  le  sens,  et  là  même  où  il  a  mal  lu  ou  traduit 
inexactement,  ses  erreurs,  comparées  avec  G.,  permettent  de  de- 
viner le  texte  original.  C'est  ainsi  qu'on  peut  affirmer  l'existence, 
dans  le  texte  hébreu,  d'une  série  de  mots  ou  d'expressions  qu'on 
n'avait  pas  encore  rencontrés  dans  l'Ancien  Testament  :  pa 
exemple,  n-^n  nb:?!,  «  épouse  »  (ix,  9)  ;  ûinon  bwa  (m,  31  ;  xxxii,  3) 
n»a,  «  charbon  »  (vin,  10);  ^r^ns,  «  répudier  sa  femme  ■>  (vu,  26) 
'p'^'r\T\  et  n-'H-jn  (xxv.  H)  ;  hy  V3>n  (xix,  30)  ;  iïîds  nx  y-'iii  (iv,  27) 
ïiiiprj  (xxx  10)  ;  nm  (xxvi.  Il  ;  xxxvi,  5)  ;  "l'nï-^  ns  ïJnD  (xxi,  11)  ; 
-1C72  (11,  1  ;  XXVI,  28)  ;  mrn»  (v,  11)  ;  ans  :xxx,  39.:  ;  m5  (xxii,  15); 
-102  (vi,  3)  ;  t:3D3  nx  ira  (vu,  20)  ;  n^sbip  (xxvi,  27)  ;  31  «  maître  » 
(xvi,  11)  ;  n»ô  (xxxvi,  17  ;  li,  3). 

Nous  souhaitons  que  notre  travail  puisse  aider  à  résoudre,  en 
partie,  les  difficultés  si  variées  que  [)résente  l'Ecclésiastique.  Par 
suite  d^  la  nature  même  de  cet  ouvrage,  bien  des  problèmes 
resteront  sans  solution.  Nous  présentons  nos  remarques  sous 
forme  d'une  suite  de  scolies  accompagnant  le  texte;  elles  man- 
quant ainsi  d'un  lien  les  rattachant  entre  elles,  mais  elles  sont  plus 
faciles  à  utiliser. 

i,  27.  (TO'^''a  yip  y-3c'.  7rxto£(a  -fo'jîo;  x'jp-'o'j  (manque  dans  P.).  Est  em- 
prunté à  Prov.,  XV,  33,  ce  qui  a  échappé  jusqu'à  présent  aux  com- 
mentateurs. Les  Seplanle  ont,  ad  l.  :  cpôpoç  y.'Jzio\t  TiatSeia  xal 
locica,  tandis  que  dans  l'hébreu  on  lit  nTjisn  non»'.  Ce  serait  là 
une  nouvelle  preuve  que  le  traducteur  grec  a  utilisé  la  version  des 
Septante.  Il  est  pourtant  possible  que  le  texte  des  Proverbes  ait 
eu  réellement  à  l'origine  na^m  15153,  et  que  Ben  Sira  ait  eu  ce 
texte  sous  les  yeux  *. 

I,  30.    à7roxaXû({;ei    xiifio;    xà   /.sutztx  aou.  P  '^'^ÏIDN.  Dans  H.,  il 

*  CF.  les  observations  sur  11,  15;  ïxi,  27  ;  xxiv,  33  ;  xxxiv,  23  ;  ixxvm,  28. 

*  Cf.  les  observalioas  sur  xvi,  16  ;  xvi,  26  ;  xïxvi,   19. 

*  Cf.  Ben  Sira,  xxxviii,  33,  iraiSetav  xal  xptiia  (leçon  exacte  de  A.  S.  Vet.  Lat. 
au  lieu  de  ôixiaoaûvriv  x.  xfi.i,  à  côlé  de  P.  Mn73Dm  Nisbv  ;  —  xxxix,  8,  iraiôeîav 
c;toa(7xa)ia;  aÙToO,  dans  P.  NriTOrm  NÏObT*. 

'*  La  leçod  que  j'ai  proposée  {.Inalectcn,  60),  nMDH  1D173,  irait  mieux  avec  le 
contexte. 

T.  XXXV,  N»  69.  4 


50  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

y  avait  '^■^'nnDtt,  que  P.  a  lu  Ti-innob;  cf.  Jér.,  xlix,  10,  nN-^rr^Va 

T'^nCtt,  ei  dans  Seplayile,  àvexâX'j'l/a  xà  x.i'jTrxà  aÔTÔiv. 

II,  1.  £Toî|xa(7ov  Tr,v  'l'u/v  (jo-j  ;  F. '^lasî  nûbiaN.  Il  y  avait  proba- 
jjleinenl  ici  ']ï5D3  mo»,  expressiun  qui,  dans  le  néo-hébreu,  signifie 
«  se  livrer  »,  par  exemple,  dans  Sifrè  Ki  Tézè,  279.  De  même,  xv, 
14,    xai   àoY,  x£v  aôrov  Èv    yv.Ç'.    O'.zPouÀîou   aùrov,   dans   P.   ûb"«Diî,  il  y 

avait  sans  doute  i"ii:"'  Tn  nnD»T  ;  on  lisait  aussi  nOM  xxvi,  28, 

éT0i[Ji.à(7£i  Etç  io[xç,a''av  aùtov  ;  P.  ■'!T^72bU5N. 

II,  'i.  £ij6uvov  tyjv  xapoîav  ao'j  (luaiique  dans  p.),  dans  H.  ']nb  1^!^, 
et  non  pas,  comme  suppose  Fritzsclie,  niS'^.  Cf.  les  Septante  sur 
Psaumes,  lxxviii,  8;  II  Chr.,  xii,  14;  xxx,  19. 

II,   6,    EuO'jvov   -rà;   ôooûç   (jo'j    xal    Éatticov   Ir'    ajrôv.    La  Version    de 

P.  ']nnniN  ynins  nm  nn  ^30  est  confirmée  par  des  passages  tels 
que  Ps.,  V,  y  ;  Isaïe,  xlv,  13,  et  surtout  Prov..  m,  5-6,  .../n  bx  rrja 

'^\~nmx  l^a'^"^  Nim.  Cf.  aussi  Siracll,  XXXVII,  15,  ovr^hr-.:  Û'I/Îctou  ïva 
eù6uv7)  £v  àXYjOsia  tYjV  ôoov  (tou. 

II,  8.  xal  où  [X7]  TTraccYi  ô  [X'.aOo!;  û(i.ôjv.  La  traduction  libre  de  P.  irjT 
•jiri-iai*  rr^nîo  Nb  s'explique  par  Lévit.,  xix,  13. 

II,  15.  oùx  à-£  i6r,  (TOuTt  ÎYia-irojv  y/j-oZ.  Au  lieu  de  "{Tj^S  i<b 
rriUN»  de  p.,  il  faut  lire  probabh  ment  1ibc3.  H.  avait  "nT:"^  Nb  '  ;  cf. 
XXXIX,  31,  ro  in'Q'^Nb;  Ps.,  cv,  28;  cvii,  11  ;  Sir.,  xvi,  28. 

III,  11.   Yj  *p-?  ^^^l^    àvOçoj-ou    èx   TijXY,;   xarocx;    aù-où.   P.    "i"':»    !l"lp"^i< 

imnNT  nr;  rsnp"'^  N"o:«n.  Dans  le  Midrasch  Bsthtr  (III,  au  com- 
mencement], on  lu  ']\-nnK  "ip"»!  y^^iy  np"!.  plirase  qui  se  rapporte 
manifestement  à  notre  passage  et  doit  être  ajoutée  à  la  série  des 
passages  de  Sirach  cités  dans  la  littérature  rabbinique  (commu- 
nication de  M.  Kahan  de  Leipzig). 

111,31.  ô  àvT3c-ûO'.ûoôi;/-y.p'.Ta;,tr.i(!u  tioM  servile  de  û'^TOH  bttl^.  Celte 
expression,  qu'on  ne  trou\e  pas  encore  dans  l'Ancien  Testament* 
avec  le  sens  de  «  se  montrer  bienfaisant,  pratiquer  la  charité  », 
mais  qui  a  déjà  cette  signification  dans  les  plus  anciennes  parties 
delà  littérature  rabbinique,  est  traduite  exactement  dans  P.  par 
n"'DOT  nayi.  Comme  G.  n'a  pas  compris  ici  le  verbe  bm  et  qu'il  l'a 
pris  dans  son  sens  habituel  de  «  rémunérer  »,  il  a  donné  une  tra- 
duction absolument  fausse  de  ce  verset  '.  Le  contexte  (cf.  verset 
3  a;  prouve  surabondamment  qu'il  ne  peutêire  question  ici  que  de 
charité.  On  rencontre,  du  reste,  encore  deux  fois  cette  expression  : 

•  Les  Septante  traduisent  souvent  '7\'~Ù2'7^  par  àTtetOEïv. 

*  Abot,  I,  2,  dans  une  maxime  attribuée  à  Siméon  ie  Juste. 

^  FrSnkel,  qui  a  retraduit  le  grec  en  liébreu  et  fait  preuve,  eu  général,  dans  son 
travail,  d'un  sens  peu  critique,  a  cependant  deviné  exactement  l'expression  b73ia 
Ton;  xxxii,  3,  il  a  moins  bien  traduit  par  ïimij  5723.  Edersheim,  xxxii,  3,  sup- 
pose bl?33  5723,  expression  ^ui  u"a  jamais  le  sens  exigé  ici. 


iNOïES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VEC'CLÉSIÂSl'IQUE  fîl 

XXX,  6,  iv-raTTooiodvTa  yioiv  ',  et  XXXII,  3,  àvTaTToooooj;  /âp'.v,  parallè- 
lement à  ô  -o'.oiv  âX£Yiu.oc7ÛvY,v  (nDH  b»ia  —  npnit  nav).  Cf.  Eder- 
sheira,  xii,  3. 

IV,  1.  o'fOzXtxoùç  £7rto££ï;;  P.  N5"'\l5n  NS^DttV.  H.  avait  mbi  û-^s-^:?, 
comme  dans  Deut.,  xxviii,  32  (cf.  Barucli,  ii,  18,  o-.  ô-vOxXaol  ol 
exXetTTovTe;).  Dans  Deat.,  xxviii,  65,  P.  rend  aussi  û"<2"'y  IvVd  par 
NS^:»!  iOUJn.  Dans  noire  passage,  P.  a  lu  û"'"'33>  pour  û-'S'^:?. 

IV,  12.  0'.  opOûi'sovTîç  TTcôç  aÙT/,v  ;  P.  nb  1"':>2i.  H.  avait  ici 
rr^'^.nm»,  de  même  que  vi,  36;  xxxv,  14;  xxxix,  5.  L"s  Septante 
rendent  souvent  nma  par  ooôs'^eiv,  probablement  pour  rappeler  la 
parenté  de  ce  mot  avec  nn-i  -.  Dans  Proverbes,  viii,  17  et  xi,  27, 
P.  a  également  traduit  nnuî  par  ^y2  —  Pour  laTrÀYjçO/jdovTa-.  eùc&po- 
5ûvY,ç,  P.  a  n-^-it:  1»  wni:  libnp^,  ce  qui  paraît  plus  conforme  à  Tori- 
ginal;  cf.  le  passage  parallèle  de  xxv,  14  :  ol  ôpOptCovTî;  £6pY,'70'jr7'.v 
tùooyJ.yy.  H.  avait  aux  deux  endroits  inisn  ip-^D-^  ;  cf.  Prov.,  viii, 
35  ;  XII,  2  ;  xviii,  22.  A  ce  dernier  endroit,  P.  a,  comme  ici,  baptti 

IV,  19.    y.xi   TTxpaoojffc'.   auTÔv   z\<;  /_£!çaç   7:t(Ô'7£oj;  ;  P.  a  T^n  "^W^Tûb^NT 

NDiun.  H.  avait  ...■^n"»  by  '\irv^'',  comme  Ps.,  lxiii,  11,  où  les  Sep- 
tante et  P.  traduisent  comme  ici. 
IV,  25.  £VTpx7tY,0'.,  P.  "^b^nî*.  H.  avait  ûb^rt,  que  P.  a  lu  Kb::n. 

IV,  27.    y.XL    ixYj  Otto^t  ç  cÔT'/^ç  Tîa'JTÔv   àvOscoTiw   [Atopoi  ;   p.  '^'2~\r\   mb 

•^«533  ï^-^a'^ab.  H.  avait  '^^uds  3>"i2£nbï«.  Dans  l'Ancien  Testament,  il 
est  vrai,  y'':£n  a  seulement  la  signification  d'  «  étendre  par-des- 
sous* »,  mais  le  mot  arabe  :?iî<in,  qui  a  la  même  racine  que 
y^i^n,  a  le  même  sens  que  le  mot  du  texte  de  l'Ecclésiastique. 

v,  3.  Tt'ç  [JL£  ouva(7T£U(Tet,  dans  p.  "^b-Ti  Ni£»  15».  H.  avait  bSTi  ■'tt 
^b;  cf.  Gen.,  xxxii.  26,  où  P,  donne  la  même  traduction. 

V,  11.   y'.-jou    ra/'j;    Iv    àxpoxTît    70'j    xy?.   ïv    u.7.xioO  ua  îa    -.iOÉyYOu 

à-6xpiTiv  ;  dans  P.  N7::inD  arr^  rr^in  i^mrnttm  yiz'^itnh  a^î-iD»  n-iin.  H. 
avait  nnn  3Ujn  ms^nT^m  z'WwUb  "i">ntt  îr^ri.  Bien  que,  jusqu'à  pré- 
sent, on  n'ait  pas  rencontré  m3"«ntt  dans  l'Ancien  Testament,  on 
peut  l'admettre  sûrement  ici.  L'adjectif  lin»,  «  circonspect  »,  se 
trouve  d»^jà  dans  l'ancienne  sentence  d'Abot,  i.  1,  et  il  n'y  a  aucun 
autre  mot  hébreu  qui  convienne  aussi  bien  en  cet  endroit*.  P.  a 

•  Ici  le  sens  de  «  rémunérer  »  convient  éf^alement,  comme  parallèle  de  JxSixov  de 
la  première  moitié  du  verset. 

•  De  même,  le  mot  opôpî^etv  a  été  employé  pour  Q"^lD"^tl.  Frilzche,  ad  l.,  n'a 
pas  reconnu  que  les  Septante  n'ont  traduit  "inO  par  ôpOf-iîeiv  que  pour  rappeler 
""•n^  ;  Û'^D'iIJn  n'a  jamais  le  sens  de  <  tendre  à  quelque  chose  ». 

'  Les  Septante  ont  aussi  dans  Isaïe  lviii,  5,  et  (dans  quelques  mss.)  Esther,  iv, 
3,  Û7ro<7Tpwvv'j(j.i  pour  J'^^n. 

•  Dans  Bertichit  Mabba,  x,  au  commeûcement,  on   trouve  m3'^ri?33,  comme  ici, 


52  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Nm5\"iM;  la  tra^l action  de  G.,  h  [/.xxpoO'jarjL,  est  fanlaisiste.  Dans 
Jac,  1,  19,  où  notre  verset  revient,  on  trouve  la  traduction  exacte 
Ppaoùç  sic  TO  XaÀYiTa'.. 

V,  13.    •/.y^    '(li^Gçy.    àvOptôîrou   tctw-t-.;    aùrco  ;    dans    P.  "^îaT    lirîïïSbl 

linb  NTon  NOïi*.  H.  avait  inV:JDn  QiwS  '\^^b^•,  cf.  Ps.,  lxiv,  9, 

VI,  3.   Tx   tiJÀÀa  coj  y-ïTa-p'/vETy.'.  xal    toj;   /.xottou;   (JO^j  aTToXÉffS'.;  ;  P. 

traduit  plus  exacte.-nent  par  biDwsn  "^n.xT  inn  ']'^d"i;::.  Selon  toute 
probabilité,  il  y  avait  ici  le  verbe  "v^n,  qu'on  commence  à  trouver 
seulement  dans  la  Mischna,  mais  qui  est  certainement  de  l'ancien 
hébreu  '. 

Les  passages  de  vi,  9-10,  manquent  dans  P.  et  S*.,  par  suite 
d'un  homoioti'leuton  (8ô-10ô). 

VI,  2T-  âyxpaTTiÇ  ysvôjxevoç  [jlT|  àcp'fiÇ  a'jT7,v  ;  H.  a  C]"in  b^  ïia  pTH!!.  Cf. 

Prov.,  IV,  13,  C|nn  bs  nonttn  'pmr^.  P.  a  encore  ce  passage,  xxv, 
12  ;  L,  29. 

VI,  29.  xÔTixo;  yàp  /yjazo^  ïcT'.v  £-'  kÙty,  ;,  xat  ol  oîuaol  aÛTT,?,  xXwcfJLa 

ûaxi'vOivov.  La  première  moitié  du  verset  n'a  pas  du  t(»ut  la  même 
image  que  la  suite  ^.  On  résout  le  mieux  la  ditnculté  en  sup;u)sant 
que  H.  avait  tn's:?,  que  G.  a  lu  ivhy.  Il  faudrait  donc  traduire  : 
«  Un  ornement  d'or  est  son  joug  et  un  tissu  de  pourpre  ses 
liens*  ».  On  trouve  un  passage  parallèle  dans  xxviii,  19-20...  ô  yàp 
^uyôç  ajT-?|;  ^uyb;  (iioTjpouç,  xat  o\  osdfxoi  a-jTYj;  oe^jjLol  ^^âXxeoi.  Cf.  aussi 
Jér.,  Il,  20,  et  v,  5,  où  bny  se  trouve  également  à  côté  de  miDi»  '. 

VII,  6.  ô/.TE'.;  ffxâvoaXov.  H.  avait  iDl  inn,  comme  dans  Ps.,  l,  20, 
où  les  Septante  traduisent  de  même.  Dans  xxvii,  23,  ocidei  crxàv- 
oaÀov,  l'hébreu  avait  "^dt  \r\^,  et  dans  xliv,  19,  on  trouve  en  marge 
la  leçon  exacte  ■'DIT  imnsa  "jnj  nV. 

VII,  14.  ar,  àooÀ£(7/£'.  ;  P.  ']UJD2  "inon  xb.  H.  avait  mbn,  où  P.  a 
peut-être  lu  nr:;ri  ;  cf.  pourtant  Nestlé,  Marg.  ii.  Mal.,  50. 

opposé  à  m~,"'r!"33.  L'eipression  5'^73■,;Jb  T^riW  de  la  première  moitié  du  verset  se 
retrouve  également  dans  la  liitérature  rabbinique  (voir  Abot,  v,  15). 

'  On  voit  que  "I'CjZ  est  une  racine  hébraïque  par  la  comparaison  de  ce  mot  avec  le 
syriaque  "iri3  et  l'arabe  "iri;.  Il  est  vrai  qu'en  générai,  on  n'emploie  "l\U3  qu'eu 
parlant  de  fruits,  mais  une  fois  aussi  (Soucca,  10a)  en  parlant  de  feuilles  ;  il  en  est 
de  même  du  syriaque  "1P2. 

*  29  6  et  30a  manquent  dans  P.  par  suite  d'un  ^omoioteleuton  (29  J  et  31  a  (tto).i^v 

*  Edersheim  dit  :  >  The  figure  is  now  souiewhat  clumsiiy  varied  ». 

*  Et  non  pas  des  ■  serre-lêle  •,  comme  le  traduisent  les  commentateurs  modernes, 
conlrairemeot  «u  sens  de  l'ensemble. 

'  Il  y  a  une  faute  analogue  dans  Lament.,  m,  28,  où,  d'après  le  verset  27,  il 
faut  lire  Sby  avec  P.,  au  lieu  de  l^b^.  Cf.  Sir.,  xlv,  12,  b"^>73,  G.  ÈTràv»,  cVsl-à-dire 
Oy)2-  ^1-  Smend,  de  Goettingue,  à  qui  j'avais  écrit  le  16  mai  1897,  pour  iui  com- 
muniquer mon  explication,  m'a  répondu  que  M,  Wellhausen  avait  fait  celte  re- 
marque depuis  des  années. 


NOTES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  UECCLESIASTIQVE  oZ 

VII,  17.  Ta7r£''vojiTov  Tsdopa  ty,v  '^uyf^v   dou,    or;   ix.Z•.y.^r^'J'.q  -/teCoo;  Ttup 

xaî  crxojÀr,ç.  On  retrouve  ce  verset  dans  Abot,  iv,  4,  non  [las  pour- 
tant comme  chez  G.,  mais  comme  chez  P.  :  'br^'n  '^«533  "i^N  ^'o  aa 
ïî-^in  NnT^-ib  N':i:N  "^sn  "jinbiDn  Nnnm  (mpr-r  mn  br::  nn  "tn»  ii<73 
nw"!  oi^î^K  Je  ne  crois  pas  me  tromper  en  admettant  que  G.  a  ici 
une  interpolation  chrétienne.  Ce  serait  une  allusion  aux  châti- 
ments de  l'Enfer.  Cf.  Marc,  ix,  48,  où  le  passage  analogue  d'Isaïe, 
Lxvi,  24,  est  appliqut^  à  l'Enfer  ;  voir  aussi  Judilh,  xvi,  17. 

VII,  20.  aicrOiov  o-.oovxa  •f'j/V|V  aÙToî  *  ;  P.  a  rtTaD3  b?33>m.  H.  paraît 
avoir  eu  ici  Tûr:  ni<  ims  avec  le  sens  de  «  se  sacrifier  »  ;  cf.  Me- 
chilta,  68  h  :  mi:?:r!  hv  ûcc5  D-^DmîT,  et  ailleurs.  On  ne  trouve  pas 
cette  expression  dans  l'Ancien  Tt-stament.  Edersheim,  ad  L,  sup- 
pose, d'après  Deut.,  xxiv,  15,  qu'il  y  avait  nu:D3  ni<  NU55,  mais  ces 
mots  ne  conviendraient  pas  ici.  Dans  li,  26,  les  mots  n\DD3  an"»T 
(manquent  dans  G.)  correspondent  aussi  à  lïJDi  nî<  )r\'ù. 

VII,  21.  àyaTT-iToj  co'j  vj  <\>u■/r^  ;  dans  P.  plus  exactement  '^"'i<  ■^rr^anx 
^ïJ2D,  c'est-à-dire  '^oDjD.  Cf.  Deut.,  xiii,  7,  '^osjD  Tii.^  "^y-),  et 
Sir.,  xxvii,  16,  P.  riOD3  ^-^n  n^m. 

vu,  24.  xy}   p-r,   '.Àas(6(7r,ç  tzçô;  aÙTz;  tô  -poTtozov  ;  dans  P.  ITi'in  iù^ 

^"'Dî^  pïi'?.  H.  avait  sans  doute  û-'Sd  bri::n  b»  ;  cf.  Ps.,  civ,  15,  où  les 
Septante  traduisent  de  même. 

VII,  26.  [jL-f,  £xJ3aX-/-,s  aÙTr|V  ;  dans  H.  n;23"i5n  h^.  Cette  expression, 
usitée  dans  l'hébreu  plus  moderne  avec  le  sens  de  «  répudier  une 
femme  »,  ne  se  trouve  dans  l'Ancien  Testament  que  sous  la  forme 
de  n\a"na  (mais  jamais  dans  des  écrits  d'avant  l'exil),  tandis  que 
comme  verbe  on  employait  exclusivement  nVç  ;  dans  les  Septante, 
ilx-oGzilXf.v.  On  trouve  aussi  dans  xxviii,  15,  èxJîiXÀoj  pour  «3*ii 
avec  le  même  sens.  Déjà  Fritzsche  a  indiqué  0"i3,  mais  sans  faire 
aucune  observation. 

VII,  29.  OrjuLxî^e;  dans  P.,  "ip"^.  Gomme  Fraenkel  l'a  déjà  dit  avec 
justesse,  H.  avait  Ttn,  d'après  Lévit.,  xix.  15,  où  les  Septante  ont 

aussi  Oa'jjJLy.!^£;v. 

VIII,  6.  xai   yoLO  kï,   r^j^wv  yripàixo'JT'.v  ;    dans  P.,  V^i^^  pm  "iDnniî. 

H.  avait  certainement  n3««  i3pT  ■'D,  «  car  ils  sont  plus  âgés  que 
nous  ».  G.  n'a  pas  reconnu  que  1372»  est  ici  un  comparatif. 

VIII,  10.    [i-r,   l/.y.0LU    àvOpaxa;    âaxpTojÀoù  ;  dailS  P.,   i^Dm'J   i^MlD  nb 

^'vm  N:'">uîib.  H.  avait  sans  doute  3>U5")  nws  nnn  bx,  «  n'attise  pas 
les  charbons  du  méchant  ».  Au  lieu  de  rnn  de  rinn,  voir  Prov.,  vi, 
27  ;  XXV,  22;  Isaïe,  xxx,  14),  P.  a  lu  inn-.  Ce  qui  prouve  qu'il  y 

'  VI,  32.  èàv  ôm;  ttjv  «j/^/.r.v  iroy,  probablement  dans  II.  ^y?  D^lDn  DX  ;  cf.  P. 
'  Cf.  Genèse,  xlix,  6,  et  Job,  m,  6.  Dans  le  premier  passage,  P.  a  commis  l'er- 
reur contraire  en  lisant  nOP  (de  ntli))  au  lieu  de  inn. 


54  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

avait  ici  le  mot  "itta  v  charbon  »  (en  araméen  Nittia  et  en  arabe 
ri-iTsi),  qu'on  ne  trouve  pas  dans  l'Ancien  Testament,  c'est  que  P., 
se  trompant  complètement  sur  îe  sens,  a  pris  9^"^  "^ntta  pour  ^'ïîl 
Titta,  expression  fréquente  dans  le  Talmud. 

VIII,  11.  tw  TToaxT-:  (70'j  ;  dans  P.  yi2i'p.  li  y  a  là  confusion  de 
^^-lob  et^^îDb,  comme  i,  29.  Cf.  Prov.,  xv,  14,  ^53"),  KeyH,  "^sn. 

IX,  4.   ar,    TTOTE   7.X(S;   Iv  xoT;   Èr -.y  £  ■.  p/,  a  xt- v    rJTY,;  ;   dans  P.  Ntt5*J 

rin-^yrcn  "^lain.  H.  avait  n-'nin-'-i?,  que  P.  a  lu  r^^•^i^^ira  ;  cf. 
plus  haut,  VII,  14,  De  même  les  Septante,  dans  Ps.,  cxix,  85,  ont 
lu  nin'^9  pour  nin-^ip, 

IX,  7.  p.Y,  -Ev.pÀsTTou  £v  sujxaiç  -ôXscoç  ;  dans  P.,  ■'pT»2)3"i:>ï35trn 
Nns"»"!».  H.  avait  probablement  T^y  mmma  "jTvSn  bx'.  Déjà  Ben- 
zew  a  a:i2Tûn  ;  P.  a  songé  à  ano  «  dédaigner  »  ;  cf.  Ezéch.,  xxviii, 
24,  ûmîî  û-'LûN'::?:,  où  P.  a  iinV  ';^"i:>s:k. 

IX,  8.  l7tÀav-r,6T,(73cv  ;  dans  P.,  T72î<.  G.  a  pris  "naN  dans  le  sens 
d'  «  errer  »,   ce  qui  ne  convient  pas  ici.  Le  cas  contraire  s'est 

présenté    pour  I  MacC,  m,   9,  xxl  Tuvrjyavsv   àTroXXujJLÉvouç,  où  P. 

dit  Nnisa  •Cj'd'i-  Il  y  avait  là,  en  effet,  le  mot  îD'«i3nï«  avec  le  sens 
d'  «  égarés,  dispersés  »,  que  P.  a  bien  compris,  mais  non  G.  Cf. 
Rawiinson,  ad  L,  qui  a  bien  deviné  le  sens.  Ce  passage  est  une 
preuve  importante  que  le  traducteur  syriaque  du  premier  livre 
des  Macchabées  avait  sous  les  yeux  l'original  hébreu',  car  le 
mot  «mn»  s'explique  s'il  y  avait  d'^imï*,  mais  non  pas  s'il  y  avait 

à7îoXXu[ji.évou<;. 

IX,  9  a£Tà  ij-ivoso'j  yuva-.xoç  ;  dans  P.  NP^H  mi2  '09.  H.  avait  û:? 
h-^n  rhy^  ;  ainsi  également  chez  Benzew.  Dans  le  néo-hébreu, 
rr^n  nbrn  a  le  sens  d'  «  épouse,  maîtresse  de  ruaison  ».  Le  Talmud 
cite  notre  passage  lnb;>n  biti*,  qu'il  ne  faut  pas  lire  avec  Raschi 
îibssN  mais  qu'il  faut  ponctu.îr  'nh9'2.  Reifraann  (C|""DNr!,  III,  244) 
propose  de  lire  rT>3  nb3>n  pour  tib:>3. 

Jbid.  p.-/, -0T£  èx/.ÀivY,  y;  I/'j/y,  c70'j  It.'  auTY;/ ;  dans  P.  î<::D5  Tmbn 
^Tiabimna,  d'après  Prov.,  vii,  25,  où  on  lit,  avec  un  contexte  ana- 
logue, ^nbrr^D-n  bi«  :2"C5"'  bi*.  En  général,  les  versets  8-9  présentent 
plusieurs  points  de  ressemblance  avec  Prov.,  vu,  26-27,  et  tout 
particulièrement  la  citation  du  Talmud  [Sanh.,  100  &  ;  Yebam., 
63  &)  est  empruntée  littéralement,  pour  les  derniers  mots,  aux 
Proverbes. 

Il  s'est  produit  une  confusion  dans  le  texte  des  versets  8-9  ;  les 

'  Î3"1U5  signifie  en  réalité  «  errer  » ,  et  non  pas  •  regarder  autour  de  soi  »  ;  cf. 
pourtant  Zach.,  iv,  10  ;  II  Chron.,  xvi,  9,  où  UlDIO  s'applique  à  des  yeux  qui  re- 
gardent tout  aleotour.  Peut-être  r.iç,i^'/ éno'j  u'esl-il  qu'une  traduction  libre  de  notre 
passage  et  t2T0  avait-il  son  sens  original.  Cf.  le  mot  parallèle  7:)avû. 

•  On  a  nié  énergiquement  ce  l'ait  encore  tout  récemment  [Zeitschrift  fiir  altUsts- 
m*ntUch«  Wxssenschaft ,  1897). 


NOTES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VECCLÉSTASTTQUE  55 

parties  de  ces  versets  ne  se  suivent  pas  dans  le  même  ordre  dans 
G.,  P.  et  le  Talmud.  Du  rpste,  P.  a  le  verset  9  sous  deux  formps 
différentes  ;  on  l'y  t'ouve  en  premier  lieu  avant  le  v.  8,  où  il 
«'st  d'accord  en  grande  pai'tie  avec  G.;  mais  là  c'est  une  inter- 
polation. La  seconde  forme  de  ce  verset  9  semble  reproduire 
exacleinpnt  l'original,  comme  le  prouve  la  citation  libre  à'Abot,  i, 
5.  Geiger  n'a  pas  vu  '  que  la  fin  du  vprset,  dans  P.,  î^n-Ti  nioist 
bvtib  mnn,  se  retrouve  dans  Abot  :  dSïT'a  *  u:ir  ididi.  H.  avait  ici 
b^^)îi  inn  ûim  ;  cf.  I  Rois,  ii,  9.  G.  semble  avoir  traduit  librement 
avec  intention  par  oli^fir^n-rfi  sU  àTroSXstav.  ■ 

IX,  11.  Yj  /.xTaffTpocpr,  a-jTou  ;  dans  P.  nnin.  IL  avait  idid  ;  dans 
Danie!,  \n,  28,  les  Septante  traduisent  aussi  ndis  par  xxTXTxpo-^T, . 

IX,  13.    X7.1    £7tI  £7râXç£wv   TîôXswv   T.zo'.T,x~s.U  \  daus   P.,  N 5 "û 3    bs'l 

^biuz  n3ï<.  Le  sens  de  l'ensemble  et  le  parallélisme  sont  en  faveur 
de  P.  Le  traducteur  grec  s'est  grossièrement  trompé  ici  IL  avait 
mTiir»,  qui  ne  peut  avoir  ici  que  le  sens  de  «  rets,  pièges  »,  tandis 
que  G.  a  pensé  à  l'homonyme  mini^^j,  «  forteresses  ».  TroXeuv 
semble  être  une  addition  postérieure. 

IX,  14.  Toùç  7rXr,<7Lou;  dans  P. '^inn.  Le  mot  nnn  avait  peut-être 
déjà  dans  IL  le  sens  de  «  savant  »,  comme  dans  le  néo  hébreu  ^. 
Celte  hypothèse  paraît  confirmée  par  la  deuxième  moitié  du 
verset. 

IX,  n.  Tocpoç  £v  Xôyto  aÙTou  ;  dans  P.  InbiDDT  û"'Dn.  Ptiut-être  les 
mots  £v  Xôyw  aÙTou  appartiennent-ils  au  verset  18  et  ici  y  avait-il 

à  l'origine  aocsoç  y.a.\  t'jv£t6;. 

X,  5.  zmoix  àvopdç  ;  dans  P.  bisT  Niubnuî.  Par  erreur,  le  mot 
Nîrûbiia  a  glissé,  dans  P.,  du  verset  4  dans  le  verset  5,  qui  com- 
mence par  les  mêmes  mots. 

X,  12.  xal  àTiô  Toù  TTO'.YiTxvToç  a'jTov  ;  dans  P.  1in"''7a3>1.  H.  avait 
nniabt),  que  P.  a  lu  nnm«, 

X,  16.  xai  à7r(.')X£'7£v  aùràç  Z(oç  0£[X£Xuov  yriî  ;  dans  P.  N:?1N  1)2  "imNT 
liffilDil.  Ici  P.  semble  avoir  été  influencé  par  la  tin  du  verset 
suivant. 

X,  20.    xxX  o:    cpo[^oua£vo'.    x'Js'.ov   h    o-.pOaX|JLOi;    a-jToO'  ;  dans    P.   bmiT 

n2«  ^'n  ip-^Jj  iXnbià.  H.  avait  n37o)3  1333  mrr'  î^t^i,  «  celui  qui  craint 
Dieu  est  plus   respecté  que  lui  ».  G.  n'a  pas  compris  127353  et  il  a 

»   Urschrift,  241  ;  Z.  D.  M.  G.,  XII,  537  [=Ges.  Sehr.,  III,  276).  Il  n'est  pas  exact, 

comme  le  prétend  Gei2;er,  que,  dans  l'ancien  hébreu,  'lU'^N  r'DX  n'est  employé  que 
par  l'époux  qui  parle  de  sa  propre  t'crarae,  mais  n"  dési^'ne  pas  la  Ismme  d'un  autre. 
Le  passante  de  Genèse,  xx,  7,  yj^^N  n\UN  3U5n  semble  lui  avoir  échappé,  car  il  sullit 
pour  renverser  toute  son  arfrumfintalion. 

'  Plus  exactement  TiT^  ;  cf.  nOin  nre)2,  «^  ^• 

*  En  tout  cas,  il  serait  alors  étonnant  que  ni  G.  ni  P.  ne  connussent  ce  sens. 


b6  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

rapporté  ce  mot  à  ^n!^^  ce  qui  est  impossible  au  point  de  vue 
grammatical.  Cf.  plus  haut,  viii,  6. 

XI,  12.  la-:  vojOpô;  ;  dans  P.  h'ay')  N^bn  rT-N.  H.  avait  b^iy,  que  G. 
a  lu  bit:?.  Les  commentateurs  ne  tiennent  nul  compte  de  P., 
quoique  vwOsd;  ne  puisse  pas  aller  avec  le  contexte.  —  û(7Tepwv 
ît/'jV  ;  dans  P.  bs  n^ism.  Confusion  de  nis  avec  ba.  —  xa-.  o\  ôçôaX- 
[jLoi  -/.'jy.o'j  IzéSXe'J/av  aùxài  s'.ç  àyaOî  ;  dans  P.  imb:>  îî"»-!»!  N"l7:Ntt 
2n:û5.  On  voit  clairement  ici  que  P.  s'efîorce  de  faire  disparaître 
l'anthroponiorfiliisme  dans  ce  passage.  Cette  tendance,  qui  se  re- 
marque dans  les  Targoiimim,  existe  aussi  dans  beaucoup  de  pas- 
sages de  la  Pescbitto,  comme  l'a  montré  mon  père  *.  Nous  aurions 
donc  ici  une  nouvelle  preuve  de  l'origine  juive  de  la  version  sy- 
riaque de  Sirach. 

XI,  13.  /.x\  à-EfjaJaacav  sr'  ajTw  rS/loi.  Emprunté  à  Isaïe,  LU, 
14,  D"'31  "^''by  "ittTco.  P.  a  la  même  traduction.  Dans  Dan.,  iv,  16, 
les  Septante  traduisent  tD7:inïJN  par  àzo^a'jjxaca;. 

XI,  21.    y.oZoov  £v  ooflaÀaoT;   xupîo-j  :    dans   P.  N^»  Û*lp  in  n'^'ip.  H. 

avait  mrT«  •';"^:?n  mnp. 

XI,  22-26.  Manque  dans  P.  ;  cette  lacune  provient  de  ce  que  l'œil 
du  traducteur  est  allé  de  21  &  à  26,  qui  commen-e  comme  21  b. 

XI,  31.  rà  yàp  àyaOà  sic  xaxi  uLîTacTpÉciov  Iveoçejs'.,  y.où  èv  toTç  alpe- 

ToTç  iTT'.ôYjCst  fjLojixov  ;  dans  P.  N»-i:;n  ■'îNttm  ^jsr;  Nncnb  Nnaan 
Nnbpnn  nrr'.  Comme  IvsSseûs'.  n'a  pas  de  correspondant  dans  P.  et  que 
Ifi  mot  ■'iNttm  ne  convient  pas  avec  le  contexte,  on  peut  admettre 
qu'il  faut  lire  Ittsi.  Cf.  verset  20,  rà  Uzozx  -.oZ  ooXîou,  dans  P. 
N'nbiDST'îTiSNti^.  En  tout  cas,  il  faudrait  aussi  changpp  Nnsn. 

XI,  34.  âvoix'.cov  à/.XoTp'.ov,  dans  P.  ^^yh  pmnn  «b.  P.  n'a  pas  com- 
pris l'impératif  de  l'original,  qui  était  mis  pour  un  conditionnel,  et 
il  a  ajouté  Nb.  De  plus,  -iT,  qui  était  dans  H.,  ne  signilie  pas  ici 
a  pécheur  »,  comme  le  croit  P.,  mais  a  étranger  ». 

XII,  5.  l[x-ôo'. TGV  Toùç    xoTO'jç    auTou    xaî  ixY,   oG)(i    a-JToj  ;    dans   P. 

î-îb  brn  Nb  '^S'^t  -^ïn».  H.  avait  ib  inn  bî<  "^nb  -^bs.  P.  a  bien 
compris  ce  passage,  mais  G.  a  lu  i7:nb  Nbs^  et  a  traduit  :  «  Ne  lui 
livre  pas  tes  armes  ',  pour  qu'il  ne  triomphe  pas  de  toi  par  elles  ». 
Pour  o'jva(7-£Û(7r,,  P.  a  cnrn;,  qui  répond  probablement  à  l'hébreu 
•^b  bDr  ;  cf.  plus  haut,  v,  3  ^ 

'  MeUttmata  Peschitthoniana,  \^-\9. 

*  Cr.  II  Sam.,i,  27,  T'tlzvibK  "^52.  DJlb  dans  le  sent  de  nttnbw,  comme  dans 
Juges,  V,  8. 

*  Benzew  propose  "73*"  "^b—  (avec  le  sens  du  néo-hébreu],  mais  ITjnb  "^bD  me 
paraît  plus  probable.  P.  aurait  alors  conservé  le  mol  tel  quel  el  G.  l'aurait  dérivé 
de  "ITT  •  nourrir  »,  comme  1TT73  dans  Genèse,  xlv,  23,  el  II  Chron.,  xi,  23.  Le  nom 
de  la  lettre  "j"^;,  «  arme  >,  est  certainement  de  l'ancien  hébreu,  et  "JTN,  •  armement  » 
(  Deutér.,  xxiii,  141,  est  de  la  même  racine. 


NOTES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VSCCLÉSIÀSTIQUE  57 

XII,  1.  G.  paraît  avoir  été  influencé  par  le  v.  4,  tandis  que  P. 
s'est  conformé  au  texte  original.  1  b  manque  dans  G. 

XIII,  10.  ivx  (i.71  £7:iXirj(7Ôviç  ;  dans  P.  sanon  n^t.  H.  avait  nTÔsn  que 
P.  a  lu  N3bn. 

XIII,  23.  TÔv  Xôyov  aÙToù  ;  dans  P.  -«nïsDisrjTo.  H.  avait  i-iTaXTa  que 
P.  a  lu  r-niîN».  Cf.  Isaïe,  m,  12;  ix,  15,  'r^Tfii*»,  dans  P.  '^•'Ï3t<a72 
(comme  si  n;ï5«  signifiait  ici  «  rendre  heureux  u). 

XV,  1.  izovr^Gzi  aÙTo;  dans  P.  ^"i^Ti  nn^s.  H.  avait  idïicj'"',  «  ce- 
lui qui  craint  Dieu  agira  avec  droiture  ».  Les  deux  versions  ont 
mal  compris  le  mot  p. 

XV,  16.  irapéfJTixé  -roi;  dans  P.  ']'^»'ip  l'^p'^aio.  G.  a  bien  compris 
']''5Db  msn,  mais  P.  a  pris  msn  dans  le  sens  de  «  laisser  », 

XV,  19.    xcd  0'.  ôcpOocÀaot  aùrou  ettI  toÙç  cpojBouaévo'j;  aùrôv  ;  dans  P.  bsT 

Vm  ■^'n^':^y  ûi)3.  A.u  lieu  de  vn-i-^  b»  rs-'s»  (cf.  Ps.,  xxxni,  18  ;  xxxiv, 
IG),  P.  a  lu  iî<"i-»bD  rs-^y. 

XVI,  5.  TCoÀXà  TO'.auTa,  dans  p.,  plus  exactement,  T'bn  I7a  'jN-'iJOT 
(cf.  la  seconde  moitié  du  verset).  G.  a  lu  Tibn'D  au  lieu  de  ïibN». 

XVI,  7.  o"  à^ÉTTTiffav  ;  dans  P.  nizby  ibm.  P.  a  lu  ûbn:'  i^b»,  au  lieu 
de  byn  ^\>y•a. 

XVI,  11.  5uvx(7Tr,ç  £i'.À3cr7[ji.wv  ;  dans  p.  pnw7:b  «ao».  H.  avait  ai 
mrT'bo(cf.  le  Pizmon  de  Schefatia,  y^i2  b^nva""],  que  P.  a  rendu 
exactement  ;  mais  G.  a  pris  m  dans  le  sens  de  «  maître  w,  comme 
dans  le  néo-hébreu.    On  trouve  un  passage  parallèle  xviii,   12, 

èTrXTiôuvs  TÔv  èç'.Xx'jp.ôv  aùroU,  dans  P.  plTJDpmU)  "^aOK. 

XVI,  15-16.  Manque  dans  la  plupart  des  mss.  grecs,  mais  a  dû 
exister  dans  le  texte  hébreu,  car  pour  xô  cpw;  aùrou  xal  rb  (txoto; 
èpL£pc(7£  T(o  àoâ|i.xvTt,  P.  a  î<ï)3î«  "isnb  5bQ  ns^m  ïinmsi.  II.  avait 
donc  ûTî<b  pbn,  que  G.  avait  naturellement  traduit  par  tw  'Aoia, 
mais  ce  mot,  par  la  faute  d'un  copiste,  est  devenu  àoxu.xvT'.. 

XVI,  18.  TxXeuOvîffovTai  ;  dans  P.  l'^'ay.  H.  avait  yt:?»"',  que  P.  a 
lu  n»3'"«.  On  trouve  encore  ailleurs  cette  confusion  de  n:?M  et  n»:? 
(Ez.,  XXIX,  1). 

XVI,  26.  èv  xsicet  xuptou;  dans  P.  xrjbN  Nia  id.  A.  lire  peut-être  èv 
xTtaet.  —  [jLEGtSaç  aùxàiv;  dans  P.,  l')n"'D'itt3.  H.  avait  Dpn,  que  G.  a 
bien  compris,  «  leur  part  »,  tandis  que  P.  a  pris  à  tort  pn  dans  le 
sens  de  «  loi  ». 

XVI,  27.   £xô(7[x.*riTev  eîç  alwva  xà  e  s  yx  aiJTOjv  ' ,  xal  xàç  àûy  àç  aùxôiv 

et;  ye^^àç  xùxwv.  H.  avait  DrT'O:»»  et  ûnboTDtt,  comme  dans  Ps.,  cm, 
22 2.  Benzew  a  deviné  exactement  ûnbï5tt«. 

'   C'est  ainsi  qu'il  faut  lire  avec  S.,  au  lieu  de  aCiToO. 

^  C'est  M.  Friedmanu  qui  a  appelé  mon  atlcution  sur  ce  passage  parallèle. 


b8  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

XVir,  32.  O'jvaatv  u-j/o-jç  o-jpavoj  aùrb;    ziziaxiT.TZTOLi  ;   dans  P.  Nmb'n 

NnVîï  IKT  N-^Wïjn.  H.  avait  riini  npD">  ûm»  Nass.  Ce  passage  parait 
avoir  été  présent  à  l'esprit  de  l'auteur  du  Piuut  5)pn  ri:n:T  (mpo? 
l-'ia  ûi-ia  N3St  b:?). 

XVIII,  7.  orav  -rj<7Y,Ta'.  ;  dans  p.  1"i3in3  lîî.  p.  a  confondu  nno 
avec  nrj. 

XIX,  15.  -oÀÀixi;  ;  dans  P.  l'^iiT  N»D.  H.  avait  û-'WyD  Tm'D,  comme 
I  Rois,  XXII,  16  (=  II  Cnron.,  xviii,  15). 

XIX.  17  Tôv  TtÀTiii'ov  <7ou  ;  dans  P.  N^^Db.  H.  avait  t-i^  que  P.  a  lu 
j"-!  ;  cf.  mes  observations  sur  xxxiv,  10. 

XIX,  30.  àvay-j'ÉXÀE'.  rà  Trspi  txùzoZ  ;  dans  P.  "«mb::'  l'irtDtt.  H.  avait 
rbs»  û">Ty»,  qu'on  trouve  souvent  avec  ce  sens  dans  la  littérature 
rabbinique. 

XX,  12.  ôliyou;  dans  P.  m:»:  ^''^.  P.  a  donc  lu  UJ'tt^,  au  lieu  de 

XX,   i5.    alpcTÔv    xÀÉ-TY,;   y^    £V0£À£/î2^wv    iJ/£'JO£'.  ;    dauS   P.    5 "1 5 "I P tt 

'h:iiy2b  E)K  n2:i»b.  H.  avait  nnas,  que  P.  n'a  pas  du  tout  compris. 

XX,  26  êvoeXe/wç  ;  dans  P.  nn^sn.  Existait-il  peut-être  également 
en  hébreu,  comme  en  arabe,  une  racine  nni?  signifiant  «  se  main- 
tenir, durer  »1 .' 

XXI,  1,  '/■jaapT£ç;  dans  P.  n-'in  "^ss.  Au  lieu  de  n-^ri    P.  a  lu  rr^ab. 
XXI  ,11.  o'jXiTTcov  voaov  xaTaxpaT£t  too  èvvo/,  aaTo;  aùxou  ;dans 

P.  n-iiS''  ybN  NDTOï  Tosn.  H.  avait  certainement  i-iif^  tn  a3"i3, 
«  Quiconque  observe  la  loi  domine  sa  passion  ».  P.  a  assez  bien 
compris,  taudis  que  la  traduction  servile  de  G.  ne  permet  pas  de 
voir  comment  il  a  compris.  On  retrouve  l'expression  Ti::"^  ris  ï52n2rj 
dans  Abot,  iv,  1.  Cl.  Sir.,  xvii,  31  (manque  dans  G.),  dans  P.  NO^na 
nni:-^  osd  mh'r,  et  Prov.,  xvi,  32,  imnn  Vri»,  dans  P.  nujDî  ïjaam. 

XXI,  13.  o)ç  xaTaxÀu(7(xôç ;  dans  P.  n^ûi  N'yi37:  '^■'N.  h.  avait 
^'na»^,  que  G.  a  lu  bia^D.  Dans  b,  où  G.  a  -:rY,Yr,  ^cr?,!;,  et  P.  N^n  n*-^», 
le  passage  parallèle  était  Qi-ri  û-^t:  "np?:  (of.  Jér.,  ii,  13)*.  Voir 
dans  Abot,  ii,  11,  les  mots  appliqués  à  Eiéazar  ben  Arach,  )'^yf2'D 
*iaan»^i,  et  Abot,  vi,  1,  i3\su5  1"^:>»D  no^i  ftwab  rt-nna  pDi^n  bD 
"laanwtt)  ^nisi  pDiD. 

XXI,  15,  o:r(c7(o  toù  vwtou  ;  dans  P.  ■'ima:^  1»  inb.  P.  a  lu  nn^b,  au 
lieu  de  nn^b. 

XXI,  18.  toç  olxo;  Y,Ç'3'^'^<î!J-^vo;  ;  dans  H.  N'ï"«oî<n"«a  ^'^n-  Eders- 
heim  suppose  qu'il  y  a  eu  confusion  entre  n»">:J7:  rr^a  et  n?aio»  ïr^a.  A 
mon  avis,  II.  avait  i^bsn  n"«a,  et  G.  a  songé  à  rtbo,  «  détruire*  ».  Le 

*  Ea  général,  l'auteur  paraît  avoir  eu  ce  passage  dans  l'esprit  pour  les  versets  13- 
i4.  Edersheim,  comme  je  viens  de  voir,  a  déjà  fait  la  même  remarque. 
»  Cf.  Job,  IV,  9,  TbD"'  1DN  mnttT  ;  Septante,  à(paviff6iÎ7ovTai> 


NOTES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VECCLESIASTIQUE  59 

sens  serait  donc  :  a  La  sagesse  est  pour  le  sot  comme  une  prison  », 
c'est-à-dire  fermée  et  inaccessible. 

XXI,  2'"/.  Tov  axTavxv  ;  dans  P.  nb  N-jn  ^1  \rh.  Comme  P.  n'offre 
ici  aucun  sens,  je  suppose  qu'il  y  avait  Nun-^b.  En  ce  qui  concerne 
le  nom.  de  NarT«  donné  au  Satan,  qui  est  emprunté  au  persan  et 
se  rencontre  aussi  dans  le  Targoum  sur  Zacli.,  m,  1-2,  voir  ce 
que  mon  père  a  dit  dans  la  Monatsschrift ,  XXXVII,  6-7.  Un  co- 
piste ignorant,  ne  comprenant  pas  ^urrh,  a  écrit  nb  Nurt  «bn  173^. 

XXII,  3.  £v  Y^vv/^rrc.  à-a'.o£ÛTou  ;  dans  P.  «bDO  N*in.  Au  lieu  de  -y-^ 
btDD  (comme  Prov.,  xvii,  21),  P.  a  lu  b-^OD  t'?-^. 

XXII,  11.  eçÉX'.Trs  yàp  <pwç  ;  dans  P.  N"im2  ^û  "^bDriNn.  P.  a  con- 
fondu îibD  avec  «b^,  le  contraire  de  ce  qu'il  a  fait  xxi,  18. 

XXII,  15.  suxoTiov  ÛTTEvsYXEïv  ;  daus  P.  yryQrh  n"«3.  H.  avait  ni; 
Niisb^  qu'on  trouve  souvent  dans  le  néo-hébreu. 

XXII,  23.   tva    £7:1  TOtç    àyaOct;  aùroù  sùcpoavOfi;  au  (A..  S.)  ;  dans  P. 

S]mn\25n  nnnaa  q^n.  H,  avait  nnn  (de  nri"^),  que  les  Septante  ont 
fait  dériver  inexactement  de  mn  ;  cf.  Job.,  m,  6,  nn"»  b«,  que  la 
Massora  fait  dériver  de  !Tin,  mais  dont  la  racinp  est,  en  réalité,  nn"". 

XXIII,  2.  -7rato£''av  Toci-'a;  ;  dans  P.  NîcbvT  ^^312).  Comme  on  trouve 
dans  Prov.,  xxii.  15,  idi»  a3\2),  la  traduction  de  P.  paraît  être 
plus  conforme  à  l'original,  ce  que  semble  confirmer  la  première 
moitié  du  verset. 

xxiii,  14.  £7rtXà67|  IvoSTTtov  aÙTo)V,  dans  P.  llïT^Taip  bpnn.  H.  avait 
tjrr^SDb  buj^n,  que  G.  a  lu  n^ujn. 

XXIV,  1.  £v  |i.£<7(o  Àaou  xÔTT.ç  ;  daus  P.  Nnbi^T  ritts»  lan.  IL  avait 
'n  dy  ^ins^  lu  par  G.  n^y  '^inn'.  Pour  l'abréviation  du  tétra- 
gramme  à  l'époque  antémassorétique,  voir  mes  Analekfen,  17  et 
suiv.,  et  plus  loin  xxxiv,  13.  Dans  Vet.  Lat.,  il  semble  que  pour 
notre  passage,  deux  traductions  différentes  se  soient  mêlées: 
«  in  Den  honorabitur  et  in  medio  popnli  siii  gloriabitur  ».  Le 
verset  suivant  semble  aussi  confirmer  la  leçon  'n  tas»;  dans  ce 
verset,  il  y  avait  probablement  bx  mv.  W3^  est  difficile  à  ex- 
pliquer ici. 

XXIV,  6.  £v  xûfjLaa-  6aÂX(7<7T,ç  ;  dans  P.  ^ty^i  sis'nnTaa.  P.  semble 
avoir  donné  ici  à  ba  le  sens  de  «  source  »  comme  dans  Cant.,  iv, 
12^  et  peut-être  Job,  viii,  17'. 

*  Les  objections  faites  par  M.  Nestlé  (Theol.  Literaturzeitunj.  1896,  n°  5)  à  mon 
explication  de  la  traduction  des  Seplaote  de  Prov.,  xsiv,  7,  disparaissent  devant  un 
eiaineu  attentif.  Le  suffixe  de  ITT^D  ne  se  rapporte  nullement  à  Dieu,  donc  le  tra- 
ducteur ne  l'aurait  pas  compris  ainsi,  mais  il  a  lu  'T^  "^s  Déjà  P.  de  Lagarde  a 
supposé  qu'il  y   avait   Ti''  "^D,   comme  je  l'ai  indiqué. 

*  Cf.  mes  Analekten,  75. 


60  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

XXIV,  19.  7roo'7£)^0£T£  Tifoç  U-É  !  dans  p.  Tiib  1:20.  H.  avait  -^bî*  ttid, 
a  entrez  cli^z  moi  »'.  C'est  ainsi  que  nous  lisons  dans  Prov.,  ix, 
4  et  16,  TijTi  "10"'  \-iD  ""12.  En  génf'Tal,  notre  chapitre  présente  bien 
des  points  de  ressemblance  avec  Prov.,  viii-ix. 

XXIV,  23.  Comme  le  reconnaît  au  premier  examen  toute  per- 
sonne lamiliaris.^e  avec  la  Bible  et  comme  l'ont  déjà  indiqué  Ben- 
zew  et  Fraenkel',  ce  p=issao;e  est  la  reproduction  littérale  de 
Deutér.,  xxxiii,  4,  np:?-»  nbnp  nïî-n»  ne»  i;b  'n^:£.  nmn,  et  G.  ' 
emploie  les  mêmes  termes  que  les  Septante.  Fritzsche  ne  s'en  est 
pas  aperçu  et  il  retraduit  ainsi  :  îibni  na»  isb  mito  inmn 
n'py  mbnpnb.  Il  remarque  naïvement  que  12b  est  à  effacer.  Zôck- 
1er  traduit  aussi,  "sans  en  connaître  la  source  :  «  La  loi  que 
Moïse  nous  a  donnée  comme  héritage,  aux  communautés  de 
Jacob  ». 

XXIV,  28.  Yvwva-  a'jTY|V  ;  dans  P.  Nn»5nb.  P.  paraît  avoir  pris  par 
erreur  l'infinitif  à  l'état  construit  pour  un  substantif. 

XXIV,  31,  7)  Stcopu;  ;  dans  P.  Eii<.  H.  avait  dsn,  que  P.  a  lu  na. 

XXIV,  32-33.  Ces  deux  versets  sont  en  désordre  dans  P.  Ainsi, 
au  commencement  des  deux  versets  fl  y  a  ■^jDbr  et  ^toï*  ;  ce  qui 
n'est  pas  le  cas  dans  G.  De  i)lus.  33  &  de  G,  répond  à  32  6  de  P.  et 
32 &  de  G.  à  336  de  P.  Dans  nnnrii^T  se  cache  probablement  un 
verbe,  peut-être  "'nrinNi. 

XXV,  8.  (jLaxàptoç  b  rr-jvo-.xwv  'rrix'.yS'.  tuvcty,  ;  dans  P.  nbs'nb  "'imai::: 
Nnna  NnnsNT.  H.  avait  ncx  byab^  que  G.  a  lu  ':?3>bb.  Cf.  Deutér., 

XXIV,  1. 

XXV,  n.  àÀÀo'.oï;  P.  a  plus  exactement  p"nn.  H.  avait  pmn.  Cf. 
Jér.,  XXX,  6,  1ip"i''b  d-i^d  bD  iDCïis.  Dans  la  littérature  rabbinique, 
on  rencontre  souvent  p''-\^'r^  avec  û"';q,  aussi  bien  dans  le  sens  tran- 
sitif qu'intransitif.  —  y.%\  cr/.oToT  tô  -k^ôciùtzov  aÙT-?,;  ;  dans  P.  û5im 
V5i<.  H.  avait  probablement  po  nxnttD  û*T^no):i.  Le  verbe  Tinan 
comme  ninpn  se  rencontrent  dans  la  littérature  rabbinique,  mais 
seulement  à  l'état  intransitif,  avec  q-^sd. 

XXV,  22.  (jLSYaÀ-f,  ;  dans  P.  Nnïî"»:!.  Au  lieu  de  nan,  P.  a  lu  rry-i. 

XXVI,  5.    xat   i-7z\  Tto  TcTXiTOi  TrcoTcÔTTto  £Cio[3Y/jT,v  *  ;  dans  P.  ynni*  l»! 

nbm  "^yo.  H.  avait  n3>:i-ii<  "liD»,  que  G.  n'a  pas  compris. 

XXVI,  11.  cpijÀa;ai  ;  dans  P.  uin.  H.  paraît  avoir  eu  IPIK  ...nTPi 

•  Dans  Genèse,  iix,  2,  et  Juges,  iv,  18,  P.  traduit  aussi  "nO  par  NUOi  quoi<jue, 
dans  ces  passages,  ~\'\'Q  ne  signitie  pas  •  s'écarter  •,  mais  <  entrer  ■.  Cf.  aussi  Ben 
Sira,  Li,  23,  où  Bickell  a  déjà  indiqué  1*110. 

*  Edersheim  aussi,  eu  marge,  reavoie  à  Deutér.,  xsxiii,  4. 

*  i?l(uv  (A.  S.)  appartient  naturellement  au  texte  primitif,  comme  le  montre  'J^pD^ 
de  P. 

♦  C'est  ainsi  qu'il  faut  lire  avec  A.  S. 


NOTKS  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VECCLÉSIASTIQUE  61 

«  courir  après  »,  qu'on  trouve  fréquemment  dans  le  néo-hébreu  '. 
G.  a  pris  ITH  dans  le  sens  de  «  prendre  garde  »,  comme  l'arabe 
hadhira. 

XXVI,  19-27.  Manque  dans  les  anciens  mss.  grecs,  mais  a  dû  se 
trouver  en  hébreu,  car  on  y  remarque  des  fautes  de  traduction  ^ 
—  XXVI,  22.  (TiâÀo)  XoY'.çO/.TSTï!  ;  dans  P.  n;annn  un»  sbb.  H.  avait 
aiann  P"*^^,  que  G.  a  lu  pinb. 

XXXVI,  27.  [jL£YaXd(pwvo(;  ;  dans  P.  iT«jbnp.  H.  avait  n"«5bi7  «  femme 
qui  crie  »,  comme  dans  le  néo-hébreu,  tandis  que  P.  a  lu  niîbnp. 

XXVII,  14.  XïA'.à  TioÀuopxo'j  ;  dans  P.  N:'"«om  ïinnriT^.  H.  avait 
peut-être  nnip,  que  P.  a  lu  ina. 

XXVIII,  11.  lo'.ç  xaTaffTTs-joofxévr,  ;  dans  P.  N5-i::"'3>T  i^i-iît.  P.  paraît 
être  plus  près  du  texte  original.  La  leçon  de  G.  n'était  peut-être 
d'abord  qu'une  variante  à  côté  de  {Aâ//|  xaTa(T7:£'joo'j7x  en  b,  va- 
riante qui  s'est  ensuite  glissée  dans  le  texte  et  a  finalement  rem- 
placé la  leçon  primitive. 

ixviii,  22.  où  [j(.r,  xpaTY,ayi  £'j<7£,3wv  ;  dans  P.  Np-'nTn  npNn  xb. 
H.  avait  ubœn  ;  cf.  Dan.,  m,  27,  inriWUjan  ntij  ab\a  nb  "^"i. 

XXVIII,  26.  xa-ÉvavTi  Èvsops'JovTo;  ;  dans  P.  ^WD  û"p.  P.  a  lu  a">1N 
au  lieu  de  nmx.  —  b  ki:ia-/yoiv  ;  dans  P.  nrn^i.  H.  avait  p'^m»,  que 
P.  a  bien  traduit,  mais  que  G.  n'a  pas  compris. 

XXIX,  27.  6  àosÀ'^ôç  ;  dans  P.  NnnN.  H.  avait  n-\n^,  que  G.  a 
lu  na. 

XXIX,  28.  £7riT{(XY,<riç  ot>t{a<;;dans  P.  NiT^nm  NHiO.  G.  paraît  n'avoir 
pas  compris  niai»  et  avoir  lu  rn-iart. 

XXX,  7.  ■::£Çt'|'û/cov    ulôv     xarao  £(7(X£U£t    Tpaû[i.x-x   aùrov  ;    dans  P. 

nn"sbiis  ii:^OD  nna  p5D73T.  H.  avait  iv^tD  !^^"!!,  «  ^elui  qui  élève 
mal  son  fils  augmente  ses  blessures  ».  Cf.  Job,  ix,  17,  ■':91£d  naim, 
où  P.  a  également  insbiit  ■'jidnt.  G.  a  lu  probablement  iis'T',  au  lieu 
de  nai"»,  et  a  compris  ns"i"«  (Job,  v,  18,  ns^Din  VT),  Dans  Ben  Sira, 
xxxiv,  30,  xa-.  TTooiîTTO'.wv  Tpa-jixxToc,  p.  rtnëbii:  ">55t,  il  avait  aussi 
û"^3>i!:D  na-im. 

XXX,  10.  Y0u.'^ii(7£iç  (1.  YO[xcp'.i(T£i)  Toùç  ooôvTaç  cou  ;  dans  p.  Nînpa 
•^"«5^5.  H.  avait  sans  nul  doute  ^"irj  ^~p!  [Sotn,  49  a  et  passim, 
surtout  Sanh.,  \Odb,  vTbi»  -^ra  nnpriO  p).  Dans  Ezéchiel,  xviii, 
2,  les  Septante  ont  aussi  traduit  nîTîpn  par  ÈYop-^iaTav,  Déjà  Ben- 
zew  a  îiripi. 

*  On  voit  que  la  racine  "iTn  e^'  de  l'ancien  hébreu  par  le  chaldéen  "nïl,  où  l'on 
retrouve  les  modifications  régulières  des  lettres. 

*  Voir  mes  remarques  sur  xl,  2,  dans  la  Wiener  Zeittehr,  f.  Kunde  des  Morgenl., 
Il,  101. 

*  Dans  XLii,  3,  il  y  a  n"lN  au-dessus  de  'JllN)  et  là  c'est  nécessaire.  G.  a  ôSoinôpwv. 


62  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

XXXIV,  10.  r.o•.r^'7Xf.  y.axâ  ;  dans  P.  manb  lïîMTab.  H.  avait  ^lï^V, 
que  p.  a  traduit  deax  fois,  une  fois  bien  (=  G)  par  nON3ttb  et  une 
fois  mal,  par  rinnnb  '.  Cette  deuxième  traduction  ne  fut  probable- 
ment ajoutée  que  plus  tard  par  quelqu'un  qui  croyait  que  le  mot 
;>nnb  n'était  pas  traduit,  à  moins  d'admettre  qu'il  y  avait  d'abord 
mnnb  et  que  T:JNn5:b  est  une  interpolation  venue  de  G. 

XXXIV,  11.  xal  Ta;  ê  À  £T,  [jlo7J  va;  ajTOj  ky.o'.r^'^r^'ytzu'.  èx)cXY,(7Îa  ; 
dans  P.  Nnu:i5D  ^'^^  nnnaiàm.  Généralement,  on  traduit  xà; 
ÈXerifiOdûvaç  par  «  ses  aumônes  »,  tandis  que  le  T«nipn^  de  H.  si- 
gnifie «  sa  droiture»;  cf.  Ps.,  l.  0,  ipni:  û"»7:'>d  "it3"'T,  P.  traduit 
librement,  mais  donne  le  sens  exact. 

XXXIV,  12.    £71'.    -zxr.-Xr^:;   aeyaÀT,;  ;  dans  P.  HCVriy  Hl^'^l  iimns  b?. 

H.  avait  bni  iroxû,  qu'il  faut  traduire  «  table  d'un  grand  »,  tandis 
que  G.  a  pris  bma  comme  un  adjectif  qualifiant  ^nb"0.   Cf.  Aboi, 

VI,  5,  Dinbïj»  biiÀ  ^:nbo':j  û'^dV»  bo  D;nbu)b  mwsnn  b^i. 

XXXIV,  13.  xaxov  ;  dans  P.  Nnbî*  WD.  H.  avait  peut-être  'n  N;b^ 

que  G.  a  lu  nN;b  ;  cf.    plus   haut,  XXIV,    1.  —  àzô   -rravrô;  ttootiÛ-o-j; 

dans  P.  ûi»br)  mp  1».  H.  avait  b3  "^sd»  (cf.  Prov.,  xxx,  30,  et  plus 
haut,  XXVI,  5),  que  G.  n'a  pas  compris.  —  oaxpûei  :  dans  P.  n^'-^t 
az^y.  H.  avait  ^y-n'-  [et.  Jér.,  xiii,  17);  que  P.  a  lu  nnrb  '.  P. 
avait  encore  une  auire  traduction  qui  a  pénétré  seulement  plus 
tard  dans  le  texte  d'après  G.  :  (i^yj^i  ny^-<,   n^n  Vot. 

xxxiv,  23.  /lilr,.  Manque  dans  P.  Le  mot  Nmso,  par  suite  de  sa 
ressemblance  graphique  avec  Nmnj^D,  a  probablement  été  omis. 

XXXIV,  27.  Ittitov  ^ojt,;  ;  dans  P.  srn  «i»  '^■>!S.  H.  avait  sans 
doute  û"''^n  n»::.  P.  a  pris  n»  pour  ^iz    «  eau  ». 

XXXIV,  30.    -Xy,6ûv£[    {xÉOtt)    O'jaôv    aoçovo;    si;    7:pof7xoiJL[ia;   dans  P. 

Nn'5pin  Nb^Db  N'ia:?  iTinm  ^n^tn-^^o.  H.  avait  na-in  -ipà^  o  de  nom- 
breux spiritueux  amènent  l'homme  à  sa  chute  »  (=  P.).  G.  a  lu 

XXXV,  4.  ozoj  àxpoaiJ.a  ;  dans  P.  N"i«nnn  Nnna»!  NnnM.  Le  texte 
que  G.  avait  sous  les  yeux  portait  probablement  :  yru3  û"ip»3  ;  cf. 
Ps.,  CL,  5,  ya^  ■'bitbit,  et  l'arabe  yi<»o,  «  musique  ». 

xxxvi,  5.  Too/ô;  àaâ;r,;;  dans  P.  î<nb">bp  Nb53  ']''î<.  H.  avait 
^'?J:^  101N  ;  P.  semble  avoir   pensé  à  la  racine  araméenne  hyy, 

'  y'l_  et  3>"i  sont  confondus  souvent  dans  l'Ancien  Testament  et  dans  les  versions, 
par  exemple  dans  Ps..  xv,  4  ;  Sir.,  xii.  10  ;  xiii,  21  ;  xiv.  9  ;  iix,  17  ;  xxxvii,  4  (voir 
Edersheim,  ad  L). 

'  Cf.  plus  haut  XVI,  18,  où  P.  a  confondu  "^yo  avec  fjzy.  A  ixxii,  10,  P.  a 
aussi  lu  ir72n  pour  133*73^  (Edirsh-'iml.  Par  contre,  dans  Ecclésiasie,  xii,  3,  je  suis 
disposée  lire  ■ni'TD  "'D  msman  15^31.  •  les  dents  refusent  leur  service,  parce 
qu'elles  branlent  >. 


NOTES  CRITIQUES  SUR  LE  TEXTE  DE  VECCLUSIASTIQUE  63 

«  être  rapide  ».  —  xal  w;  àçojv  TToecpôixevo;  ;  dans  P.  nt^th  '^■•î^t. 
H.  avait  "ijn  babas^  «  comme  une  roue  tournante  ».  P.  a  lu  T^Tn. 
On  trouve  frf^quemment  l'expression  nin  baba  dans  la  littérature 
rabbinique,  par  ex.  dans  Tancienne  baraïta  de  Sabbat,  151  &  :  ^d 
nbi5>n  ^nnw  Nir:  baba  bîî:?»"i:-^  "^m  ■1a'^  È«3n  rm  'nain  bban.  Voilà 
donc  la  racine  nm  pour  la  deuxième  fois  déjà  dans  Ben  Sira  (cf. 
plus  haut,  XXVI,  11)*. 

XXXVI,   7,    xat    rïv    <i>u)ç    ■'r^u.izxç   èv.a'JTO'j    ào'-/)ÀtO'j;    dans    P.    h'^J2 

■j-^cwo?:  NnîOT  HD72V  Nn"^™    "jinboi.  Au  lieu  de  c»'w7p,  P.  a  lu 

XXX,  25  EcpOaTa  ;  dans  P.  nwp.  II.  avait  ■'n»ip,  lu  par  P.  Tittp. 

XXX,  39.  àys  aÙTùv  ;  P.  ■^rT'mon.  H.  avait  sans  doute  (comme  en 
néo-hébreu)  'is  s^ri':^  «  traite-le  ».  G.  n'a  pas  bien  compris 
ici  ans. 

XXXII,  3.  TrpoTr'Éfojv  ae^ioix.Mv  ;  dans  P.  NSnmp  nnp^ûT  p.  H.  avait 
nrij»  nbj»»  (et.  Isaïe,  Lxvi,  3).  Le  passage  était  doiic  ainsi  conçu  : 
nre»  nb^'B  izn  bttia,  «  pratiquer  la  charité,  c'est  offrir  un  sacri- 
fice ».  Pour  nsn  b»a,  voir  plus  haut,  m,  31. 

XXXII,  23.  Tolç  £6v£(7tv  ;  dans  P.  5<7:7:::'b.  Les  deux  versions  pa- 
raissent avoir  lu  d'^ia  pour  a-^xa.  Peut-être  aussi  P.  a-t-il  été  in- 
fluencé plus  tard  par  G.  On  retrouve  souvent  cette  contusion. 

XXXVI,    n.      £À£Y|COV     XaOV     XupiS    X£XX71!JL£V0V   ÈTT 'ovdp.aT''  ITO'J  ;  danS   P. 

■^mb3>  ^»U)  "«"ipnNT  ^T^yby  ■^nm.  Avant  d'expliquer  ce  passage,  je 
dois  exposer  quelques  observations  préliminaires.  La  racine 
arabe  saniouha  qui,  à  la  l'^,  à  la  3''  et  à  la  4^  formes,  signifie 
«  être  bon,  bienveillant,  généreux  »,  se  trouve  aussi  en  hébreu 
sous  la  forme  de  myp^  mais  n'a  pas  été  reconnue  jusqu'à  présent. 
Dans  Isaïe,  ix,  IG,  les  exégètes  modernes,  à  propos  du  passage 
difficile,  -^sni^  nîjiù:;'  Nb  v-nnn  by  p  ry^  ont  voulu  lire,  au  lieu 
de  n?oiU"',  ou  bien  hdd"'  (Lagarde)  ou  b72îv  (Graetz),  mots  qui  tous 
deux  sont  bien  dilTérents,  au  point  de  vue  graphique  comme  par 
la  prononciation,  de  riK^a"'^.  Le  mot  suivant  ûrrr^  montre  qu'il  faut 
là  aussi  un  mot  qui  ait  un  sens  analogue.  En  lisant  ri^Ç"'^  le  pa- 
rallélisme serait  parfait.  Ce  verbe,  méconnu  jusqu'ici,  se  trouvait 
également  dans  notre  passage  de  l'Ecclésiastique.  Le  texte  ori- 
g.inal  avait  "jTj^  by  n730^  que  G.  a  traduit  exactement  par  llir- 
<Tov,  tandis  que  P.  a  lu  n73b.  Ici  aussi,  comme  dans  Isaïe,  il  y  avait 
comme  expression  parallèle  Dm  (G.  oixT£isir](7ov,  P.  dm).  La  racine 
myô  semble  s'être  encore  trouvée  une  autre  fois  chez  Ben  Sira,  à 

'  J'ai  vu  après  coup  qu'Edersheim,  invoquant  l'opinion  de  Linde  et  Bendtsen,  a 
déjà  songé  à  "nîM- 

"■'  Les  traducteurs  ont  eu  tous  sous  les  yeux  le  mot  riH'tU"'. 


04  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

LI,  3,  xarà  -o  ttÀt.Ôo;  ÈÀeo'j;   xal  ovoulïtô;  îo-j*.  P,  a  "^imm  mî<"'5D3. 

H.  avait  sans  doute  ']n»ôi  'j'^ttn-i  n'is  ;  G.  a  !u ']»"aî,  au  lieu  de 
nnttO,  et  P.  n'a  pas  traduit  du  tout  le  mot,  ce  qui  confirme  en- 
core mon  hypothèse. 

XXXVI,  19.  TÔv  Àaov  (jo'j.  Comme  l'a  déjà  dit  Edersheim,  il  faut 
lire  vaôv  cou*  {=  P.  ^b^i'^Ti).  De  ce  que  Vet.  Lat.  a  «  populura 
tuumi»,  nous  pouvons  de  nouveau  conclure  que  de  nombreuses 
altérations  du  texte  grec  remontent  au  premier  modèle  sur  lequel 
ont  été  copiés  tous  les  mss.  que  nous  avons  et  qui  a  aussi  servi 
pour  la  traduction  de  la  Vet.  Lat.  \ 

XXXVI,  24.  (pâpuy;  Y^'-Je-^ai  PpojtxxTa   ^r^zxc;  ;  emprunté  à  Job,  XII,  11, 

^b  ^T^"^  h'2in  ^m,  ce  que  les  commentateurs  n'ont  pas  encore  remar- 
qué. Toutefois,  Edersheim  renvoie  à  Job,  xxxiv,  3. 

XXXVI,  29.    ô   xTiôasvc/ç   vjvaTxx   hizyt-x'.  xt/^cscj;  ;  dans  P.  TS'^'ia 

î<nn-j  Nnnïiî  "^sp  X'^"^?-  H-  avait  r:'JN  r:_;p  r;p  rT'->rï<-i  ;  G.  a  lu  Ti^p^ 
ce  qui  lui  a  fait  mettre  dans  b,  xaTaJTov.  Cf.  Edersheim,  ad  l. 

XXXVII,  5.  /âs'.v  vaT-rsô;  (manque  dans  P.)  semble  provenir  d'une 
confusion  de  nnp  avec  D~ip. 

XXXVII,  6.  £v  -7,  i/'j/y,  C70'j  ;  dans  P.  i^n^iipa.  H.  avait  "2-1-2^  que  P. 
n'a  pas  compris. 

XXXVII,  8.  T-'ç'  aù-roù  yozlx;  dans  P.  i^y^i  N5tt.  H.  avait  i^ran  ri«. 

XXXVIII,  16.  xarâyavE  ;  dans  P.  N5DN.  Au  lieu  de  "inrij  P.  a  lu 

ixxviii,  25.  h  u:oU  Taûûuv  ;  dans  P.  N-nn  "«ïa  ^y.  G.  qui  a  mal 
compris  croit  que  les  jeunes  taureaux  forment  le  sujet  de  sa  con- 
versation, tandis  qu'en  réalité  il  leur  parle  (=  P.). 

XXXVIII,  28.  £v  OÉpix-/)  x3cp.;vou;  dans  P.,  au  lieu  de  Nn»ra 
N-nsi,  il  faut  lire  smDT  Nnïann. 

XXXVIII,  32.  -toiT.xz-r^Gowj'.v;  dans  P.  IisdDj.  G.  a  lu  Tia^-^,  au 
lieu  de  nn:?-!""  'Edersheim).   En  général,  P.  est  ici  plus  clair. 

XLi,  11-12.  Ce  passage  a  servi  à  la  citation  libre  de  la  baraïta 
dans  Kalla,  dont  MM.  Gowley  et  Neubauer  (n°  LXV)  ne  peuvent 
pas  indiquer  la  .''ource. 

LI,  "7.  Se  rapporte  à  Isaïe,  lix,  16,  et  lxiii,  5. 

Vienne,  mai  1897. 

Félix  Perles. 


'  La  leçon  è)^£ou;  6vô[iar6;  no-j,  qu'on  trouve  dans  quelques  mss.  plus  récents  et 
que  connaît  déjà  Vet.  Lat.,  n'a  éié  adoptée  que  plus  tard,  pour  remplacer  la  leçon  pri- 
mitive qui  était  incompréhensible. 

*  A  iLix,  12,  il  faut  aussi  lire,  avec  A.,  vaôv  pour  ),aôv  ;  de  même,  l,  1.  il  y  a  la 
leçon  erronée  de  ),a'3v. 

>  Voir  mes  observatioos  dans  W.  Z.  K.  M.,  XI,  100-101. 


UN 

RECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS 


SUITE  '1 


IX. 


i"  326*. 

'j-'b^iN  vm  !miJD3  i^3':;t^  vTr^n  ^bizi",  •:ii  •^'■12^12  rr^n^rj  iT::y72 
v-T^an  CDmp  nb  ir-'irt  npbn  b^Ni  — ,mi3  n:j-i  inx  nTïT  Q-'ita  qd 
ibiiN  n^iîT^n  iT^anb  -i7aN  ,tnbD  T«;Db  Vî<">^  "^2272  C"«"^3n73  s-i"^!m 
■^b  innuj  û-'i:?  i;d3  -^b  •— i-nn",:;  n:>  ^b  mbN  S"n  phn  ri^-'n  ■'ribti 
V3T  imN  n:?  nnN  nic-^n»  rr^inrib  cn^s  bnD^^  mi-ir:  S:i  imx 
ibNOi  r<D  ïiainjû  pT  -inxb  .tD-^ir  -^ïdi  ib  n:n;n  in  S"n  Y-  "inr^rNO 
in:;:»!  '^b):-  -ni  ">;Db  isbr;  ,nnN  rii:-^a  Nbx  -^b^'  ^b  i\s  ib  17:î<  ,i5»72 
nnD  a^Ti  Ti^n'c:  n^^bo  b'::  1:1^:73   f-iin  ^dï:  n^o  nns  aOTi  r:73buj 


IX. 


Les  serviteurs  du  roi  David  étaient  à  table  et  maageaient  des  œufs. 
Or,  l'un  d'eux,  qui  avait  très  faim,  mangea  sa  part  avant  ses  compa- 
gnons, mais,  rougissant  de  n'avoir  plus  rien  devant  lui,  il  demanda 
à  son  voisin  de  lui  prêter  un  œuf.  «  Je  te  le  prêterai  à  la  condition 
que  tu  jures  devant  témoins  de  me  le  rendre  avec  tout  le  profit  qu'on 
en  pourrait  tirer  jusqu'au  jour  où  je  réclamerai  ma  créance  ». 
L'homme  y  consentit,  et  l'autre  lui  donna  l'œuf  devant  témoins. 

Longtemps  après,  il  vint  présenter  sa  réclamation.  *  Je  ne  le  dois 
qu'un  œuf  »,  répondit  l'iionmie.  Ils  allèrent  devant  David  et  trou- 
vèrent Salomon  à  la  porte,  car  il  avait  l'habitude  de  se  placer  à  l'en- 

'   Voyez   lonae  XXXIII,  p.  4";  et  233, 

T.   XXXV,  N"  G9  5 


66  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

SitN  ";3-j  !-;7j  VrwNVw  i-,^-  ^V?:?^  •^;=:b  iiT^b  Nn^a  ^7:  brn  '^b?2r;  -.?•>:: 

ï-ît:  ^:i  ^=  S"wN  "^h-n  h:^i<  "in^::  n::  r!;:5'j  S"n  -r.-'znr  r::c^2r; 
,Y-'2n  ^b  TIN''".:;  hTj  •>?  nsD  -."linnuîDi  Y-'^^  "'^^'^  1'  '^"'^  "-"'^ 
ûn^m  -^wsrpr;  rrr,  "^z-::  a"'-;*  "'3-a-ir:  n-'IT?  (s'omn  Y"^"  "'^^^  1^-^- 
,-iv:;-->  >:;<  -jî:;  -,mi<7:  r-wS  r!:i^3?:  mcrb  mx  biD"^a  nvnr!  ib  cb-^b 
•>2Db  iin-cnn  i:n;  .!-î7:d  rm'  ""rN  S'Vs  .ib  tibcT  ']b  itt  Y-"'-^  "^"^ 
n-'binb  bn^i  m-isN  iniN  r-!->i:":;  r::w3  ,-nN  nnss  ï-ihn  ns^a  Y''^" 

ï-iw'r-w  13  i':iD  /w2;  ^n-:3  m  î-<i:"'  T'-û  bini  p::?:b  ';"i3-wnr:  r-!b;'->r 
St75  iT3\:jnb  ï-îbii>n  '^b7:r7  ■^;3"^-'n  ^d  b"N  ^barr  -^b  -,7:n  ni:  S"î<t 
r-î;pn  ^b  b"N  .û-^nb  b"N  ,r-!3rj  riiry  ']i::'%s  -^rNi  ■^b"ip3  yr-w  S"î< 
m-:ym  -^sibs  ti;ipw3  ^b-^b  Y-"-"  ï^^^'i"  ""^ibs  cvst  sb-w3n  'j-'biD  Y^ 
'j-'b-iDrî  3>-iTn  'T'ïsb  (!)  nsiy  ^b^sn  -i^TiS  (s/c)  ï-î:?-w  bsm  "f-nr;  Sy  ib 
r'iTr  riPN  t-77:  '^miî  ^nc-^w  -^7:  Swi  '^-nr;  b3?\r  rr^inn  !nT>r  b:> 
fcnr';:  ï-5wX-,  -^w  ^b  mriS"'  c.nt  ,y-,"iT  -^rx  "j-^bcisT;  v'^'^^  ^^  ">""-^'* 
inb"ci373    r;i:-'3  tibir-o   îtin-i   -^tût   ib   mrN  ,îDvn"   v'-'-i-'^    û-'bis 

trée  du  palais  et  il  demandait  ù  tous  ceux  qui  venaient  pour  un 
procès  devant  le  roi  ce  qui  les  amenait.  Lors  donc  que  se  présenla 
l'emprunteur  de  l'œuf,  Salomon  s'enquit  de  ce  qui  l'amenait,  et 
l'autre  lui  exposa  son  cas,  «  Va  chez  le  roi,  et,  à  ton  retour,  tu  me 
raconteras  ce  qu'aura  dit  le  roi.  » 

Ils  entrèrent  chez  le  roi  David.  Le  poursuivant  produisit  des 
témoins  qui  attestèrent  la  convention  faite  entre  eux,  à  savoir  qu'il 
rembourserait  tout  le  bénéfice  susceptible  d'être  réalisé  par  un  œuf 
dans  ce  délai.  Le  roi  David  lui  dit  :  «  Va  donc  et  paie-le.  »  L'autre 
répondit  qu'il  ignorait  le  montant  de  celte  somme.  On  fit  alors  devant 
le  roi  le  compte.  Première  année,  un  poussin.  Deuxième  année,  ce 
poussin  pourra  donner  naissance  à  dix-huit  poussins.  Troisième 
année,  ces  dix-huit  poussins  pourront  en  avoir  cliacun  dix-huit. 
Pareillement  la  quatrième  année.  La  somme  était  énorme  :  l'homme 
sortit  tout  conslerué.  Salomon,  le  reoconlrant,  lui  demanda  ce  qu'avait 
dit  le  roi.  L'autre  lui  rapporta  l'arrêt  de  David  et  que  la  somme  était 
énorme.  «  Ecoule-moi,  dit  Salomon,  je  vais  te  donner  un  bon  conseil. 
—  Je  veux  bien.  —  Va  acheter  des  pois  et  cuis-les.  Tel  jour  le  roi 
doit  se  rendre  en  tel  eudroit.  Tu  te  tiendras  sur  le  chemin,  et  tout  le 
temps  que  l'escorte  du  roi  passera  devant  toi,  tu  sèmeras  les  pois 
dans  un  champ  labouré  eu  bordure  du  chemin.  A  tous  ceux  qui  te 
demanderont  ce  que  tu  sèmes,  tu  répondras  :  «  Des  pois  cuits  ».  Si 
on  te  dit  :  «  Qui  a  jamais  vu  semer  des  pois  cuils  ?  »,  tu  répliqueras  : 
«  Et  qui  a  jamais  vu  un  œuf  cuit  dont  soit  sorti  un  poussin  ?  » 

L'homme  alla  aussitôt  l'aire  tout  cela,  il  se  tint  sur  la  route  et  sema 
ses  pois  cuils.  Lorsque  vint  l'armée  du  roi,  on  lui  demanda  ce  qu'il 


UN  RECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS  67 

ûnb  -i)2N  :?-nT    !-!»->n   ^w    ib    n-i72iî   Y'^'-"    "'""""'^    iï«3c:t    nib-Jin» 

^y  -,^1•^^  Tn:i  Ssb  -i72\x  ï-tt;  pn  ,m-isN  !-i372«  rnii^j  nb'::iatt 
^::-î  ^t^^b  ^'f2^  ^\x  p  "jbT^rî  :?7:":;o  i^s  .']b7:rf  -^isb  -imn  s^jt:: 
S"N  ,!-iT  -imn  ^or  ï-ipt;  !-773bo  n-»  mn  b".x  ■'«i::?^  -^^x  b"N  ,!-iî 
,T\^o  ly^  ^N-i7:i  !-!t-  nmn  m":;i*b  -^sri:  t^"i!^  ^b^^rr  -^sniN  ^•«•'nn 
!n73buj  b"N  riT  nmn  n7:Nn  i-i?:  ']b7:r!  b"N  !n)3b':j  -^-inN  '^b7ûrt  nba 
ï-ib"o:i373  r:3i'^3  r-îniïî  ,tzbiyb  e<3  ï^bo  ninn  n"'-'n  t««iir!  ^î^-^ri 
f-inN  r-i^-^n  nb  3>-l•:■^^  Y^"'  ''"î*  n-nsï^b  ï-i-iint  (0!^^:^  t^^'bi  ï-in^r: 
.^?73  pb  ^np-Tii-i  p   Y^"^-'  T^^'^'>:i  û^rib^s  n^bob  -173^2   rn^T  by-i 


1"  327 

msm  û-^in  -^s/d  rr^iii  -^sr  nn^i  -!"'":):'  ^nx  i-^nïî  -«i^n  rr^i-!  r;":;:'» 
'[•'y   '— .jt  T'*:;:?n   r^riT  nriK  nn  tx  id  nb  rrr:  t^b  n"''^:?bn  ^na-in 
tDb^ynï)  r;ï^5J^  ï-invj  t=:T>D  ib  ï-n':J3>b  riitin  i^b  >^ir7  ""D  '  nnN  i:3d 

semait  :  «  Des  pois  cuits  ».  —  «  Qui  a  jamais  vu  semer  des  pois 
cuits?  —  Et  quia  jamais  vu  UQoeuf  cuit  dont  soit  sorti  un  poussin?  » 
Ainsi  disait-il  à  chaque  troupe  qui  l'interrogeait. 

La  chose  vint  aux  oreilles  du  roi.  Celui-ci  demanda  à  l'homme  : 
«  Qui  t'a  appris  cela?  —  Moi-même.  —  La  main  de  Salomon  est  dans 
cette  affaire  !  —  C'est  vrai,  Sire,  c'est  lui  qui  m'a  prescrit  de  faire  tout 
cela,  du  commencement  à  la  fin.  »  Le  roi,  ayant  maudé  Salomon, 
lui  demanda  :  «  Que  veux-tu  dire  par  là  ?  —  Comment  cet  homme 
serait-il  redevable  pour  une  chose  impossible?  Cet  œuf  était  cuit,  il 
n'était  donc  pas  susceptible  de  produire  un  poussin.  —  Qu'il  ne  paie 
donc  qu'un  œuf,  dit  David  !  »  C'est  pourquoi  il  est  écrit  :  «A  Salomon. 
Dieu,  donne  ta  justice  au  roi  et  ta  grâce  au  fils  du  roi  »  (Ps.,  lxxii,  1). 


X. 


Il  était  une  fois  deux  frères,  dont  Tun  était  riche  et  l'autre  pauvre. 
Celui-ci  avait  beaucoup  de  fils  et  de  filles;  celui-là  n'avait  qu'une 
fille.  Le  riche  était  avare  et  ne  voulait  faire  aucun  bien  à  son  frère; 
le  pauvre  avait  un  fils,  nommé  Isaac,  jeune  homme  très  beau  et  qui 
apprenait  bien  [sic).  Le  riche  l'aimait  beaucoup  plus  que  son  frère  et 
ses  autres  neveux. 

»  Peut-être  faut-il  lire  ITIN. 


68  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

■iNin  ï-iD"'  ^2rJi^  ^inn  sn-i-r  n\r>-\  pn::"^  itt'w":;  -7nî<  1=  "';?b  r;^r:T 
^r^n  b^T  t'Hîît:  -inv  in::  t^^n  -."^wyr:  ï-r^rn  m::^  -77:1^1  int: 
in"i3pb  (sî'eir;»^:  -.an  ûr:;  •'•yb  rr-rî  nVt  hce  mr  rrr:":;  a-iTt  tt'i 
yt^'^  -i-^":;i'rr  l'^nN  bx  î»»!3  ,T':3bT  r-ni:?:  ib  j-n":;rb  nscb  i3"'::n 
■irr;bN  t=':;r:  nnriNa  rrcn  Sins  nsn  ■'b  S-iî^sn  "^ncnn  -^mN 
T^wr!-;  b"î«  .m::  ti:T^r!  rrra  "riini  (!)''3X  D^'icb  û-'an  bo  "iiD  -^b  mbi 
•^3  Y^  V"'^"^  ">""-'"*  1i=^:?rr  r:::  b"N  ,Y"'  ■'''^"'''^'  ^^"^^  Ti^nr  ■'b  Inn  £:x 
Si/3  nriT^  inmx  !-înN  "^D  ^;3  pni"'  "^b  t^nn  b"N  ,£2nb3  "^T^n  v^ 
N'nm  ''ly'r,  "^bn  ,^b  mbwXO  nw  "«b  :*- .sn*:}  *7:?  n":ttC7jb  -«b  rr^r^'T  ^^rn 
in-iN  fr^i  cv  brm  tz^-jn  b-:)  ^i5  Tib:»  ib  rmbn  i33  pn^f^  nb 
r;b"«b  bom  ,r;b'^bT  Ji:r"P  n-i!^  ■'jDn  n^sibi  \:î"n7:r:  n-^nb  '^bin  pni:*' 
îT^n  pi  ,t^30  ^y  imx  nirttttT  n-insnw  Tm  T"w:?  ins  bo  ins 
'rr^si  pHiT"»  nnwxb  3-1:-;  Knp  inx  ûr  ^mb-'br:  b=3  T^rn  ?-i;r;:» 
î-ib-'bn  '^r:'  f'iibN  ■'rt-'T  ']mi<  rni:?:  ■'în  n^Nb  -^b-ipn  z':2':i  K'i  "^b 
ï-îrpanm  n^np  ^nn-np  ûu:  t^i:7:m  ']"T7  ï— .■'^b  r^nr*:;::  "t^s;  nTr; 
■^b?  mn  ^i:'  ï^-J'crib  rN^-n  iir-.r:  rrr^'N  '^'N  'n  b"f<  .ï-tniN  pic;T 
m'wT-j  ly  ']r;^;N  f^b  !-7;'i3'w2  b"N  liKx:  ribrnb  ^-^b':2■'':;  V-t  ^^ 
n^j:?:   in^^b  p^^":;^  ib   (!)i'3C-'rn    ^inn;-:  n«y  .ïhnt    t-Tw'^rrr::    ■'b 

Un  jour,  veille. de  Pâque,  le  pauvre  n'avait  pas  de  quoi  acheter  du 
froment  pour  Paque,  afin  de  fabriquer  des  pains  azymes  à  son  usage 
et  à  celui  de  ses  enfants.  Il  alla  chez  son  frère,  le  riche,  et  lui  dit  : 
«  Mon  s'îigneur,  dans  ta  boulé,  fais-moi  une  grande  grâce,  pour 
l'amour  de  l'Eternel,  notre  Dieu  :  prête-moi  une  mesure  de  froment 
pour  me  nourrir  moi  et  les  miens  pendant  cette  fête.  —  Si  tu  me 
fournis  une  caution,  je  te  ferai  ce  prêt.  —  Quel  gage  te  donner, 
puisque  je  n'ai  rien?  —  Amène-moi  ton  fils  Isaac,  que  tu  préfères  à 
tous  tes  fils,  et  il  sera  en  nantissement  chez  moi  jusqu'à  ce  que  tu 
m'aies  remboursé  mon  prêt.  » 

Le  pauvre  alla  chercher  son  fils  Isaac,  et  son  frère  lui  prêta  une 
mesure  de  froment.  Or,  chaque  jour,  Isaac  allait  à  l'école,  s'instrui- 
sait auprès  de  son  maître  jour  et  nuit  (sic).  Chaque  nuit,  la  fille  du 
Tiche  s'attardait,  attendait  le  retour  de  son  cousin.  Ainsi  faisait-ello 
toutes  les  nuits.  Un  jour,  le  maître  d'école  dit  à  Isaac  :  «^  Mon  fi'?, 
écoule-moi,  obéis  à  mes  recommandations  (Gen.,  xxvir,  8)  et  que 
Dieu  soit  avec  toi  (Ezra,  i,  3).  Cette  nuit,  dès  ton  arrivée  à  la  maison 
de  ton  oncle,  quand  tu  rencontreras  ta  cousine,  prends-la  dans  tes 
bras  et  embrasse-la.  —  Maître,  comment  commettrai-je  cette  faute 
(Gen.,  XXXIX,  19"  d'exciter  contre  moi  le  mauvais  penchant,  alors  que 
je  puis  y  échapper?—  Je  jure  de  ne  pas  te  laisser  avant  que  tu  ne 
m'aies  promis  par  serment  de  m'obéir.  »  Le  jeune  homme  le  lui  jura. 

Quand  il  revint  chez  lui,  il  trouva  sa  cousine  prête  à  lui  ouvrir  la 
porte  ;  elle  le  fit  et  ils  allèrent  s'asseoir  près  de  l'ùtre.  Elle  lui  avait 
préparé  un  repas  selon  sa  coutume.  Il  lui  dit  :  «  Je  ne  mangerai  ni 
ne   boirai  »,   et   il    se  mit  à  pleurer.    «   Mon  ami,  mon   parent,  lui 


UN  RECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS  69 

n-'no  i3;a"'T  iisb-i  nb  ^-inncn  nnsn  nb  mnsb  nasD  r-i:Di73 
bsiN  ï»<b  !-ib  ^7:i<  >«!irn  ,in:;n3):3  'r^noNb  ib  nr^ri  K'im  cnh 
■^b  *7:i!i  ^b  "Q"^  riTo  ■'m-ip  i^n-N  ib  ï-i-iknt  rj32")  a"»::'^i  !-!n"::î<  i^bn 
!n73  byi  ^n'^p::i  "^nb^o  riT:!  -i3T  t=:T«::b  "^niiûitn  tîîi  ^b  "û-^  1-112 
.rrb  "iT^Tb  n:):»  'c^^na  ■>=)  nb  — iwnb  ri::n  >>ib  ^<-^;^  nsia  nnN 
-1CN3  S^rt  nb  T^^m  .riT  riTo  b^n  riT  ht:  nr^b  ri:rMn7o  N-r;  ■^n-'n 
!-!Dan  bN  innbD  •vU-'N  "lain.s  nb  r-n7:N  ,"inv::  n"wiOT  i3-i  -^^Ea  ^3*^:3 
ib  ï-r-iTûiST  D'iT^yo  r;»o  T'ca  ib  rrp'»;;);!  imi<  npsm  n^bm  m  b-'Twa 
■'nN  ""D  ("0  r>iy  T:^riHi2  in72  "{nis  nnmN  i:n  ^d  "i;7:73  ia-np  T::"'"'nnn  bwS 
"iniN  r!D"'"'Di  lab  b^  -mn  nri'  rnns  "^mx  nmiS  ■^3X1  nnN.  iT>::m 
t^n  nn73bT  ^-inTûb  n:»  ini^rn  32":;t  "ibm  inpcm  irT^bs^m  n-'"i3T3 
^D  ib  "is-ici  p  b"N  '^Ti-'T'i:  — ,"wN  bzD  riiw'r  lan  b".s  ini  ^:zb 
r::?"wn  nnî<bT  ncr  pT  ,J-i"ib-'b  ni-cn  -;>  -cr^Tr:;  -i-Tn  ^"a  ,V"':::'n 
rTj'OT  nwNT  r;u::'N  ']\n  b"i<  nniûTaa  nb^b-  n^z•c  "jb  12-1  Ya  mb^b 
Y:»"  ,u^:r\  hr.Ni  ']mN  m::73  ■':n  -iCwNd  rrcy  nai  b\s  ,-^::;-im  -^m 
li^-'n  in''  n3D'0"ii  Dn-':-'a  D'^ri  mn  bL3:T  nn-L:^7a3  n7::'  ^dgi  mn^n 
t3''3Di':j  DNirTj-^i  TrD-ii:  mc^'b  n::nn  -jm  -jb^i  nn  c^p^^i  /ip^n  n? 
■^rr"  "17:^1  Drr'b:-'   ct^dt  nrr^bui   btû:"!  □■'rw-'  fcm  □r^"':-'^  3-inm  "rr 

dit-elle,  qu'as-tu,  raconle-moi  ce  que  lu  as  {sic)  ;  as-lu  besoin  de 
quelque  chose,  dis  ce  que  tu  demandes;  pourquoi  pleures-tu?  »  Mais 
il  ne  voulut  pas  le  lui  dire,  tant  il  était  honteux.  Comme  elle  insistait 
pour  le  savoir,  il  finit  par  lui  révéler  tout,  le  serment  qu'il  avait  fait 
à  son  maître  et  l'ordre  qu'il  avait  reçu  de  lui.  «  Mon  ami,  mon  chéri, 
lui  dit-elle,  ne  pleure  pas  pour  cela.  »  Et  elle  l'embrassa,  le  baisa  sur 
la  bouche  nombre  de  fois  et  lui  dit  :  «  Mon  parent,  ne  sois  pas  hon- 
teux devant  moi,  car  je  t'aime  passionnément  d'un  violent  amour  ;  tu 
es  mon  frère  et  ma  chair  (Geu.,  xxix,  i  5),  et  mon  père  te  chérit  comme 
la  prunelle  de  ses  yeux.»  Elle  lui  parl;i  au  cœur  (Gen.,  x,  21),  lapaisa 
et  lui  servit  à  manger  et  à  boire.  Il  alla  se  coucher  ensuite,  et  il  dor- 
mit jusqu'au  matin. 

Le  malin,  dès  qu'il  fut  arrivé,  son  maître  lui  dit  :  «  As-tu  fais  tout 
ce  que  je  t'avais  recommandé?  —  Oui.  »  Et  il  lui  raconta  toute  l'his- 
toire. «  Continue  pendant  neuf  nuits  »,  lui  dit  sou  maître.  Pendaut 
neuf  nuits  il  se  comporta  ainsi.  Ensuite,  son  maître  lui  dit  :  «  Celle 
nuit  il  faudra  coucher  dans  son  lit.  —  Commeni  ferais-je  pareille 
chose  ?  Mou  oncle  l'apprendrait  et  me  tuerait.  —  Fais  comme  je  le  l'or- 
donne, de  tout  point,  »  Lejeuue  homme  alla  el  coucha  avec  elle  dans 
son  lit  ;  mais  il  avait  pris  une  épée  et  l'avait  mise  entre  eux  deux.  Ils 
dormirent  ensemble.jusqu'au  matin. 

L'oncle,  s'élant  levé  et  ayant  traversé  la  cour  pour  satisfaire  à  un 
besoin,  les  trouva  couchés  ensemble,  une  épée  entre  eux,  et  endor- 
mis. Il  prit  sou  châle  et  retendit  sur  eux.  Il  s'écria  ;  «  Qu'il  soit 
agréable  devant  le  Dieu  d'Israi-l  que  votre  couche  sou  iutacie  et  que 
rien  de  mal  ne  soit  fait  par  vous!  »  Il  alla  dans  la  cour,  revint  daus 


70  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

SD»  t^^irw-^  t^ib-a  n^bo  c:3r::i52  r^nn-::  Sntj-»  ^nbn  •'izibiz  lisn 
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r;nn  ';n"'b  incîN  m^na  rr^m  ,r!T  mx  ri"  nransn  t^N  "^d  ncs'  r^b 
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D-iN  tTwb  :>'n-«  t«<bT  -i:i;3  ■'■ai:>  ri3L:b  Y'"^b  ^b  31:217:  \-nN  STirr' 
nTT  "^r^-nrib  mn  nro  it::?  N-^^nb  cn  "^r  Y-~  ^b  -^3  im"  n^-^a  i-^n^nb» 
ni:-!  "winb  rr^nci^n  irL:"'r-3  api  (!)T:;-'3br:  n">::y  rî'n  ,imN  riiSn  i<b  2-inn 
■^:2  nb  n-rNi  irN  13  nr^D  nn;r7  bx  y-i  rrriCDi  nriin  irs::?  s'iscûb 
''jn''2r!  ']5:»  rrcpan  rûN  nb  -i7:n  ,m-i-^r;7:n  ^p  bn  Y-""^  ^^^  '^''P'^  i->vi<h 
Ss  ib  -131D1  Ttt:»  ,^bn  pinb  -^b  -i^iNno  n:^'  "^n-^zi^  xb  ib  îti-^m 
■^r)  ^nbb  n:Ni  in^  ^^i  ^nbn  aitynn  Sn  -^j^  ib  iiirN  ,!r-i03>»n 
n»  ^in  nïT  j-nti-o  ly  ^nix  'j-^tt::î«i  1»^  Y'""  Y^""^^  "'"'^~  ï~i"it^3 
i»N  a:?  ^bn  ,ib  jnv:;^  -i-w'n  PwN  rcci  i.nTcn  nio  nj'i  mc:fb  3ïjn 
Sn  17JN  nobii  ^3  nnNi  ,imN  f-rr^iisni  vbr  nni::  -ion  bs  j-toj'i 

sa  chambre  et  raconta  tout  à  sa  femme.  Or,  celle-ci  était  dure  pour 
cet  Isaac,  qu'elle  n'aimait  pas  ;  aussi  s'écria-l-elle  :  «  Agirait-on  avec 
notre  fille  comme  avec  une  mauvaise  femme?»  (Gen.,  xxxiv,  31). 
Son  mari  lui  répondit  :  «  S'il  avait  eu  Tintention  de  mal  faire,  il  n'au- 
rait pas  mis  une  épée  entre  eux.  Il  n'a  fait  cela  que  parce  qu'ils 
s'aiment.  » 

Mais  la  femme  voulait  marier  sa  fille  à  son  frère,  qui  était  un  igno- 
rant, incapable  d'étudier. 

Lorsque  les  jeunes  gens  se  réveillèrent  et  qu'Isaac  vit  le  châle  de 
son  oncle  étendu  sur  lui,  il  se  mit  à  pleurer  en  disant  :  «  Où  irai-je, 
car  mon  oncle  était  ici  et  il  nous  a  vus.  Malheur  à  moi,  malheur 
à  moi,  où  fuirai-je  devant  lui  (Ps.,  cxxxix,  7),  car  il  me  tuera. 
Mieux  vaut  me  jeter  dans  la  rivière,  pour  que  personne  ne  le  sache, 
que  d'attendre  l'arrivée  de  mon  oncle,  car  il  n'est  parti  que  pour  aller 
chercher  une  épée,  afin  de  me  tuer  ;  il  n'a  pas  vu  cette  épée.  > 

Que  fit-il?  Il  s'habilla,  se  leva  de  son  lit  et,  lorsqu'il  fut  vêtu,  il 
voulut  aller  se  jeter  dans  la  rivière.  Comme  il  y  courait,  sa  mère  le 
rencontra  et  lui  dit  :  «  Mon  fils,  où  vas-tu  si  vile?  —  Je  t'en  prie, 
laisse-moi.  —  Je  ne  te  laisserai  pas  que  tu  ne  m'aies  dit  où  tu  vas.  » 
Il  lui  raconta  alors  l'histoire.  «  Mon  fils,  lui  dit-elle,  ne  t'afflige  pas 
et  ne  te  mets  pas  d'inquiétude  au  cœur,  car,  avec  l'aide  de  Dieu, 
je  te  sauverai.  Viens  avec  moi.  je  te  cacherai  jusqu'à  ce  que  je  con- 
naisse les  intentions  de  ton  oncle,  et  jusqu'à  ce  que  sa  colère  soit 
passée  et  qu'il  ait  oublié  ce  que  tu  lui  as  fait.  » 

Il  alla  avec  sa  mère,  fit  tout  ce  qu'elle  lui  prescrivit  et  se  cacha. 
Puis  elle  alla  chez  l'oncle,  qu'elle  trouva  assis.  «  Mon  seigneur,  lui 


UN  RKCUEIL  DE  GOiNTES  JUIb'S  UNÉOITS  71 

•^33  pni:->  p"^!n  -^îtin  nb  r-n:awX  nov  im  Wû  t-iii:i.jzi  mm  n-^n 
t>ii-  1:^7!  \n;n^  t><b  y-i  bD)3  ^r^1'J2':J^^  '^■i-3  t-.-'D73  ■^r;-'  î-ib  n^jN 
tr^rj  i:7:73  p:?t«  nb  biN'^ub  ib^  n^no  'c:v2^^'')2  ûtt;  fiij  nb  -irx 
iri  vby  ^r\yl:l  i-'N'O  ncNn  nran  n^w  .n^b  ib  r-i-iwx  ■'b  ■«T':i-  la-i 
bnp  r720  t^'bi  -111-;  n-^ab  Y^~i  ^'^"'^"^  iiiVicir!  iibo  imwS  3r:ni<  >^ir: 
nin  rn'nb  l-ohr,  V2ii  fin'iu:*  n^a  .m::  tsN  "^d  T^bx  — i3i7an  o^i3 
-imn  !-in-'n  "^^to^û  "^r)  tij^T'  Tin  nb  ■— i7:nt  ^r-n^w-  bD  nb  s-n2^oi 
,in3  ib  •jn-'  ibiN  Tni  Sn  -inn.ST  -^rp^jm  ,\n;"nrr3  t:-'?jO  ma^bi 
iw  nt3  ^:t>J2  ib  -i7:nt  T'bx  ^<m  mm  innN  nb-::  t^im  -ninb  ï-nTn 
b"N  ,r-îp"iD  b:^'  rT:73iri  *in»  rib-ni  t<-<i-:  "^i  ']n3  ri<  t^-^"::»  ï-rnN 
b"K  ,ï-TmN  IDN  ''•ûh  T^T"  t>ib  bsN  t^crb  rr^iNn  r^-^rr  ^^  tj'T^ 
c-^in  "^n  (5/c;  ^n53  pro^'^b  t:^  ^d  !-imi<  "(nib  r!j:i-i  nrx  ■'wb  a-ir; 
]i3;-!  û3m  •jO"'"'^"!  nnn  bsoi  v33>t  ddh  niTDbm  -ïî-i-j  fi^^t  nj<in  ma 
br)  •^=)  TJV'T'  b"N  ,-inî<  "Cî-'isb  rtn^x  innTD  ib  nniN  inn  miun  i--,72d  ';\vi 
n72ra  i<^-  ■'D  nn  17J"'Vî^2  ib-'^î-  nbr7:n  brn  aims-T  Dini^ûN  □"i-i3-ri(!]r!T 
n-'nNb  DwX  •'D  !i33n">b  hitti  ï-iî-^n  -^nMîïî  bait  "^i-iyn  in»  mrrNT  tii-«r3T 
fcirn  T'TQbn  nn  mnbb  tisibo  ^'ini  ir^i  y-ii^n  ^y  -■'nx  n--  S"n 
r!:y'73-i  -^nïïN  nriN  -i:icn  ^3ii:-i  twS  b"N  ,nr!T:D  -ino  nnv:^-  bD2  ';\x 

dit-elle,  où  est  Isaac  mon  fils?  —  Que  celui  qui  le  connaît  soit  béni 
(Rulh,  II,  4  9)  et  qu'il  le  garde  de  tout  malheur,  je  ne  sais  pas  où  il 
est.  Qu'y  a-t  il  donc  de  particulier  aujourd'liui  que  tu  sois  venue  m'a- 
dresser  cette  question"?  Sais-tu  quelque  chose  de  lui^  révèle-le-moi. 
—  Non».  Aussitôt  la  femme  comprit  qa'irn'avait  pas  de  mauvaises 
intentions  contre  son  fils  et  qu'il  l'aimait  comme  son  cœur.  Elle  le  fit 
sortir,  et  le  jeune  homme  revint  chez  son  oncle.  Il  n'entendit  aucune 
parole  malveillante,  mais,  au  contraire,  du  bien. 

Que  fit  la  mère?  Elle  alla  chez  le  rabbin  et  lui  raconta  tout  ce  qui 
s'était  passé.  «  Je  le  savais,  lui  dit-il,  car  c'est  moi  qui  ai  été  l'iustif^a- 
teur  de  tout  cela,  et  je  l'ai  l'ait  pour  la  gloire  de  Dieu.  Attends,  je  par- 
lerai à  sou  oncle  et  peut-être  lui  dounera-t-il  sa  lille.  » 

Elle  revint  chez  elle,  et  lui,  il  fit  appeler  l'oncle.  Celui-ci  se  rendit 
chez  le  rabbin,  qui  lui  dil  :  «  Pourquoi  ne  maiies-tu  pas  ta  fille;  la 
voilà  très  grande  et  d'âge  à  se  marier  ?  —  Je  sais  qu'elle  est  bonne  à 
marier,  mais  je  ne  sais  à  qui  la  donner.  —  A  qui  voudrais-tu  la  don- 
ner, sinon  à  Isaac,  ton  neveu? C'est  un  beau  garçon,  de  belle  figure, 
un  talmudisle,  modeste,  humble,  discret,  et  cependant  il  n'a  pas  de 
rival  en  science  et  en  intelligence.  Mieux  vaut  la  lui  donner  que  la 
donner  à  un  autre  (Gen.,  xxix,  19).  —  Je  sais  que  tout  cela  est  vrai  et 
exact,  qu'il  a  toutes  ces  qualités,  qu'il  est  agréable,  excellent,  et  je 
l'aime  beaucoup;  mais  ma  femme  ne  veut  pas  lui  donner  sa  fille,  elle 
veut  pour  gendre  son  frère.  —  Mais  son  frère  est  un  ignorant,  qui  ne 
sait  pas  étudier,  tandis  que  celui-ci  est  un  talmudisle,  et  il  n'y  a 
pas  a  l'école,  de  dialecticien  comme  lui  !  —  Si  tu  veux,  mande  ma 
femme,  que  nous  sachions  ses  intentions  en  celte  affaire.  » 


72  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

2-ir;  -rï;?  riwssi  n^'^.n»  "^s-^o  ,1"^"'3Tr;  r-iTT:  r.r::yb  î-inbn  "c^  i-i;2 
nn^ir;  r:b  -,?:Nn  ■'"•'?  "rs  r^N  nr-.-^  n-n  nb  — :nt  mVcb  ib  rtbNCT 
^^r.^  2nrî  b"N  t;x  ;i:n  •'r  -iPnb  '{-•'b  r;rr'T2  "j^n  -^r  f-î-i7:Ni  ^ib-'.xr; 
.n-iinn  t^inT:  crn  nin  m7:bb  c-.bs  r-n-^  "i:\n  !>iim  î«<ir;  y^nr,  cr 
tZwN  ib  nn»N  ,^r!N  "w-iNb  r:mN  "^nn»  '^-r:  pnj:-^  bs  r;mN  *]nn  3"i:2i 
s:2^"i;">n  rrN»  tnî:  nnN  b::b  irNi  ï-imncb  tni  -n::^  ^b-^  r<-,!-;  -jd 
!-r:rT  \-i3  -ib  ir^*  if  !^"-  ^l'O-  nr-n  r:Tn  -irv  n-^T'c  tzriT:  rrrNn 
nr-^Db  n:2bm  2-,r;  i:s  rî<72  T7ns3  ,n-)m  -cn  -,n-;r;  ::i::  ribr^T  n-,rî 
"fbr;  pnj:-'  ,-i::-nb  n-wS  bD  "îb^T  si-i;^'n  riN»  ^n^x-;  -nx  brb  i:niT 
t=;"'r;  *j-ir,n  nnTîwDT  ^riTj-'n  mnrb  rnx  nrcDD  c::::-,  c^n  rir'îTyD 
— .2C-^T  î^-'rbo  ^2w::t  tz^nr:  --et:  tii-'n  -bn;  r-nrc  m-i  r-iio 
t»*:i:?:T  c;  ib  r!wr:i  r-rrEcr:  ^irn  — i-wN  D-^-cr^r:  b::  i:?n-j"»T  rr^rNn 
r=--  ■'■'NTo  ririM  Tnx  "^Nb  r^Tw  t^  T«by  n^-n  r;:-'2Dr:  i?:  -îhn  c-.p 
brx  c<:b":;  c^?:'^  î-icbuî  nnnr  ^.nr»  ■'S  bi^Nb  ^n::  3:'-i-'T  szc  ne-»! 
tL^3-rr  :2pbi  Y^^  ^>'^^  ^>^  /biSNb  -im  ûr::  ï-i-^n  f<bT  nn*:;  t><bi 
1215  bsn  rrN-.i  t^^-^t^i  T^j^mT  incii  nsan  nni:  cm^  br^u:  ivd  sbsxi 
!-î^:3  r;^2  icni  m-i^^CT  l'^biim  t'T'  "•:-nE-'i:  ibs:i  in?:  ms;  rr^n 
!-î"nî:!-;   f  :3  Tiiïn  b'ra   inx  2"wr  t^n-'T   Tir:?  t^c-^n    ,r:n7:T    i-îbTT5 

Il  la  fit  appeler,  et  elle  vint  devant  le  rabbin,  qu'elle  salua  :  «  Bénie 
sois-tu  par  l'Eternel,  ma  fille  »,  lui  dit-il,  et  il  lui  rapporta  l'entretien 
qu'il  avait  eu  avec  son  mari.  «  Oui,  mais  j'ai  l'intention  de  donner  ma 
fille  à  mon  frère.  —  Ton  frère  n'est  qii'un  ignorant,  qui  ne  sait  rien 
apprendre,  tandis  que  l'autre  est  très  savant  dans  la  Loi.  Mieux  vaut 
la  faire  épouser  à  Isaac,  ton  neveu,  qu'à  un  autre  homme.  —  S'il  en  est 
ainsi,  que  lui  et  mon  frère  partent  pour  commercer  ;  je  donnerai  à 
chacun  d'eux  cent  deniers,  et  celui  qui  aura  gagné  le  plus  celte 
année,  à  la  fin  de  l'année  aura  ma  fille.  —  Très  bien  »,  lui  répon- 
dirent le  rabbin  et  son  mari. 

Ils  prirent  congé  du  rabbin  et  revinrent  chez  eux  ;  ils  donnèrent 
aux  deux  rivaux  cent  deniers,  et  chacun  prit  son  chemin. 

Isaac,  pour  aller  en  pays  d'oulre-mer,  monta  sur  un  vaisseau.  En 
mer,  une  tempête  violente,  brisant  les  montagnes  et  détruisant  les 
rochers  (I  Rois,  xix,  11),  se  mit  à  souffler,  le  navire  se  fendit  et  tous 
les  passagers  se  noj-èrent.  Par  miracle,  il  trouva  une  poutre  du 
navire,  il  l'enfourcha  et  arriva  ainsi  dans  une  lie.  Il  y  débarqua,  mais 
il  était  afifamé,  car  il  n'avait  ni  mangé  ni  bu  depuis  trois  jours,  et  il 
n'avait  rien  à  manger.  Que  fit-il?  Il  alla  cueillir  des  herbes  et  les 
mangea.  Aussitôt  son  ventre  enfla,  ses  bras,  ses  cuisses,  sa  tète,  tout 
son  corps  se  gonfla,  les  ongles  des  mains  et  des  pieds,  ses  cheveux 
tombèrent,  et  il  se  mit  à  pousser  des  gémissements.  Levant  les  yeux, 
il  aperçut  une  herbe  qui  avait  poussé  près  de  lui.  Dieu  lui  inspira  la 
pensée  d'en  manger.  Il  étendit  la  main,  prit  de  cette  herbe  et  en  man- 
gea. Aussitôt  sa  chair  redevint  comme  celle  d'un  jeune  homme,  et  il 
fut  guéri.  Puis  il  se  nourrit  de  cette  herbe  tout  le  temps  qu'il  resta 


UN  RECUEIL  DE  CONTKS  JUIFS  INÉDITS  73 

r-i3U5  T^K-i  b^n-)  3\a:?  nm^T:  npbn  it  a-^'ûiïn  •):/372  bi^Mb  nabn 
,ûU5  (...Jl^T  bn  11T12  iT'irt  3">2::'  imN7ûi  ND-ir:i  pp  nr:  n>>r33  iT>r2 
Smnn  3-1  ba  t^^-ipi  nxn  tnnu  riroo  riwxn  ï-«iyi3c  "rio  -inxb 
,n5bna  tnp73  ï-Trî<b  '^w:?  ^b^i  ^n3-^DD  '^ina  o:dnt  ^^n-^^^i  S"ni 
ï-tbroon  i*:i3  bis  r»<D-ib  !-in72i73T  ana  ï^iSTi  -^sn  -^n  ^i'd-::  Ipn  •'îi^n 
^D  ib  ns-^o   !-ï:r!  nriMa    ^N^r:i  ^Nsa  ^a^a   ^73  ■'"■^  Tinn  î»<n3  b"N 

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"'iin  ']b  "jniî  -rnwV  t^Dib  b^in  dn  "^b^n  b"N  ^n-i:>2:72  ^mN  !>iD-ib 
n3i:T  i;»7o  bDNi  1^:33  mnirb  nuî:^  nmN  )J2  biisMb  ib  in:  ,-<n-irb73 
biD  t*<D-in;i  r-nr^n  nom  173  ib  ir:  '^^  -inNi  idis  bD  ncsi  i;:j3 
:'n  t2i73  S^)  î«<bT  rrninm  i':iD  ï*<b  izr^  bD3  in  n^n  xbi  i-ion 
*{b72r;  ^72i'  ,1X73  ■Ti3-'5T  bpi  N^H  ri^r^i  pp  -ir;  -l'C^D  ■n":;D  rra-cîT 
■'irnrt  np  "j^^Db  im:Db7:  i-cn  ■'îni-^nrt  !-tnx  b"m  Th-^-\  i^ob  brn 
!-i2:inï:   in73  bD   npm  '^bn  \-iTii:iM   bDm  r-î:n733   Y'  tTri-^T   137373 

en  cet  endroit.  Au  bout  de  deux  semaines,  il  aperçut  un  navire  qui 
arrivait.  Il  appela  le  capitaine  et  lui  dit  :  *  Permets-moi  d'entrer 
dans  ton  navire,  j'irai  partout  où  vous  irez;  je  te  récompenserai,  car 
je  suis  un  excellent  médecin  qui  guérit  toutes  les  maladies.  — Viens, 
béni  de  l'Eternel.  Que  fais-tu  ici  et  comment  y  as-tu  arrivé?  »  Il  lui 
raconta  alors  toute  son  histoire. 

Il  prit  des  deux  espèces  d'herbes  en  quantité  considérable,  la 
charge  de  deux  ânes,  et  il  entra  dans  le  navire. 

Le  vent  les  conduisit  dans  une  ville  dont  tous  les  habitants  étaient 
lépreux,  même  le  roi.  Isaac  se  présenta  au  roi,  se  prosterna  à  terre 
devant  lui.  «  Qui  es-tu,  lui  demanda  le  roi? —  Un  médecin,  etje  sau- 
rai te  guérir  de  ta  lèpre,  —  Si  lu  peux  me  guérir,  je  te  donnerai  la 
moitié  de  mon  royaume.  »  Il  lui  fit  prendre  de  cette  herbe  pour  lui 
faire  enfler  le  ventre.  Son  ventre  enfla,  eu  efl'et,  et  tout  sou  corps  se 
gonfla.  Puis  il  lui  donna  de  l'autre  herbe,  et  toute  sa  chair  fut  guérie; 
il  n'avait  plus  sur  tout  le  corps  ni  plaie,  ni  marque  ;  sa  chair  redevint 
comme  celle  d'un  jeune  homme.  Il  était  bien  portant,  léger  et  extrê- 
mement vigoureux.  Le  roi  se  jeta  à  ses  pieds,  lui  disant  :  «  Tu  m'as 
ressuscité,  mon  royaume  est  devant  loi,  prends-en  la  moitié,  je  t'en 
fais  cadeau  ;  visite  tous  mes  trésors  et  empare-toi  de  tout  ce  que 
tu  veux,  tout  est  à  toi.  Tu  seras  préposé  à  ma  maison,  tout  mon 
peuple  t'obéira,  j'élèverai  seulement  le  trône  au-dessus  de  toi  (Gen., 
xLi,  46).  —  Je  ne  veux  rien  de  ton  royaume,  je  désire  seulement  une 
ville  qui  appartient  à  une  province  de  ton  frère.  Tu  lui  donneras  en 
échange  de  cette  cité  une  autre  ville  de  ton  royaume.  Je  serai  le  chef 
de  cette  ville  et  les  habitants  me  serviront  et  me  paieront  des  impôts. 
—  Qu'il  soit  fait  comme  tu  l'as  dit  !  » 


74  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

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'rîri  c^:--  bi;;:rî  ^ina  («te)  riroi  Y'"""  /^r^Tm  t\zz^  7-,z-p')z-2  bins 
is-'sm  r!r::ri  r!7:bc3  t::rr;  imNi  .ib-'n  bDi  t^c-idt  vinyï  i\-n-,:c"N 
ro  ï»<ba  iNTw  1V3  ,ri7:N  inN  bx  !-;-,r:ri  'jn-'b  nsinr:  imi:  Sd 
.rtriw^  "«rnpbi  ^<2b  b^n  irsm  rinrrr;   nb  "jn^b  ij:-i  r*i2   nn    pHii:-^ 

Le  roi  fit  écrire  à  son  frère  d'exécuter  ce  que  demanderait  cet 
homme,  et  de  choisir  dans  son  royaume  la  ville  qu'il  voudrait 
en  échange  de  cette  ville.  Il  scella  la  lettre  du  cachet  du  roi  (Esther, 
VIII,  10;. 

Isaac  guérit  tous  les  malades  et  lépreux  qu'il  y  avait  dans  la  ville, 
et  le  roi  lui  donna  de  l'argent  et  de  l'or  en  abondance,  des  pierres 
précieuses,  des  perles,  des  serviteurs,  des  servantes,  des  ânesses,  des 
chameaux  chargés  de  beaucoup  d'argent.  Puis  il  l'envoya  à  son  frère 
pour  qu'il  exauçât  son  désir. 

Isaac  arriva  chez  lui  et  lui  dit  :  «  Sire,  voilà  ce  que  le  roi  t'envoie 
dire  et  voici  les  lettres  scellées  de  sou  sceau  ».  Ea  apprenant  que  le  roi 
avait  été  guéri,  son  frère  se  réjouit  extrêmement  et  fit  à  Isaac  un 
grand  festin-,  il  lui  donna  de  l'argent  et  de  l'or  en  abondance  et  le 
pouvoir  sur  la  ville  où  son  père,  sa  mère  et  son  oncle  demeuraient. 
Il  devint  le  chef  et  le  prince  de  cette  ville,  et  il  y  entra  avec  une 
grande  cavalerie,  des  troupeaux,  de  l'argent  et  de  l'or. 

Il  alla  et  disposa  dans  cette  tour,  lui,  ses  trésors,  ses  serviteurs, 
ses  cavaliers  et  toute  son  armée. 

Or,  ce  jour-là  finissait  l'année.  On  fit  tous  les  préparatifs  de  la  noce 
pour  le  mariage  de  la  jeune  fille  avec  son  oncle.  Voyant  quisaac 
n'était  pas  revenu,  tandis  que  l'autre  l'avait  fait,  on  résolut  de  lui 
donner  la  jeune  fille.  On  prépara  donc  tout  pour  qu'il  l'épousât. 

Les  Juifs  voyant  qu'ils  avaient  un  nouveau  seigneur,  le  craignant 
fort,  ne  voulurent  pas  procéder  au  mariage  sans  sa  permission.  La 


UiN  llECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS  75 

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Si:iiT  ^Ni3  '^Tia  i:t7N  T'icb  -i7ûNm  r:i:-iN  rrzià  mncm  i-iicb 
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mïJ-i  iDb  in  D-'jrDi?:  n-n^'or;  ■'3-12:  b^2^  nsinb  OîD-ib  r;;7:T  ;'^■-^ 
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ï^ip-'on  nuj  m-'nb  niSTi  -^în  -i»nt  ';i:3bon  ib  my  pn!:""  t<2i  nww 
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l'^NTWjn  îi-'nb  MD-'irim  rinn  "od-i-^dt  r!"j':;pT  "n-^nb  n^bn  ."^mb^abi 
1iab\::r!  -ihn  inbuJT  nb^bn  innb  Tin^  sinsb  ^-û  ti"'mrT'!i  bD  i^m 
■j-^N  ^7:ni  ii::ban  in  nys  rnrsr:  "«i^npb  ^^Nr;  î-i:i-iC2i  ca  t<m 
"laN  inn  pHi:""  ^în  ■'S  '{■'t.m-'pr!  ûû^u^Tj  ib  ■'s  mniN  'Cipb  "j-^i  Y' 
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T'O:'  ïT'r!  ^-î^^!^  (-sic)  -iX3Nb  imN  i-i-impn  bo  Tmbi  iT^xbT  is^b  -,dd">t 
T^OH'.  p-^iiti  t2^m  tii»-^   u:iNn  ^n-^T  y-ii^n  bsa  ■o'^bOT    -lUJi    Sna 

mère  alla  doue  le  trouver  :  Isaac  la  reconnut,  tandis  qu'elle  ue  le 
reconnaissait  pas  (Gen.,  xlii,  8).  Elle  se  jeta  à  ses  pieds  et  dit  : 
«  Sire,  que  hénie  sois  la  venue,  que  Dieu  augmente  ta  prospérité  et 
prolonge  tes  jours  sur  ton  trône.  Voici,  j'ai  une  fille  déjà  grande, 
qui  est  sur  le  point  de  se  marier,  les  préparatifs  de  la  noce  sont  faits, 
donne-nous  la  permission  de  la  marier.  »  Elle  agissait  ainsi  pour 
hâter  la  noce,  car  elle  craignait  le  retour  d'Isaac.  Le  prince  lui  répon- 
dit :  «  Je  désire  être  présent  quand  cet  homme  épousera  ta  fille  et  voir 
comment  vous  vous  mariez  ».  Elle  dit  :  «  Par  ta  vie  et  ton  repos  !  » 

Elle  revint  chez  elle,  attifa  et  orna  sa  fille,  et  la  fit  entrer  daus  la 
maison  de  la  noce. 

Là  vinrent  tous  les  Juifs  pour  faire  leurs  honneurs  au  fiancé  et  à 
la  fiancée,  puis  il  mandèrent  le  prince,  qui  arriva. 

L'homme  allait  épouser  la  jeune  fille,  quand  le  prince  s'écria,  en 
colère  :  «  Tu  n'as  pas  le  droit  de  l'épouser,  c'est  à  moi  que  revient  ce 
privilège,  car  je  sais  Isaac,  et  voici  mon  père,  ma  mère  et  mon  oncle  ; 
telle  était  la  convention  faite  entre  nous  ».  Et  il  se  mit  à  énumérer  les 
conditions  qu'ils  avaient  conclues  ensemble.  Tout  le  monde  s'écria  : 
«  C'est  vrai,  c'est  toi  qui  as  le  droit  de  l'épouser,  épouse-la  et  jouis 
de  ton  bien  ». 

Il  se  fiança  à  elle,  puis  la  conduisit  sous  le  dais  nuptial,  à  la  grande 
oie  de  tout  le  monde,  de  son  père,  de  sa  mère,  et  de  toute  la  commu- 
nauté. 

Il  raconta  à  sa  famille  toutes  ses  aventures.  Il  était  riche,  puissant, 
prince  et  maître  dans  tout  le  pays.  Il  vécut  longtemps  et  resta  juste 


76  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


XI. 


f°  338  b 


n^m  "1^72  ns"^  rtCN  ib  n-^m  b-n:;  ni"^:::'  rr^n-o  inx  dimd  ït::^?: 
TN7D  mmstm  mmss   r-n7;in  yn-iï*  iT^imn  ^ttît  nnva  nmx  nrtiN 
^s   :in;73    ^"^  J-n?:inr!   "jm^    ']inm   in^^cnb    mriD    nns    m    ï-r-^m 
t:-'n)2iN  o-^i  ûo  Tip'T'  f^T^r*'::!   m^nb  -n-n^  Nbi   !-<::"'  t>^b  c;rDn 
ï-iTïJ-i  incNi  IN»   b:'-'b2i   m  \:j"^i<r:   ï-itii  g;"'"^  b-j  inns  fc^r 

ynvo  "^Db  ^7:t*::t  T'^ûp  ï-im^  "jnt:»  ribrm  iDinn-::  r;?:  r-.iNibi 
i-»-inN  nb;:;bT  i::^n  nm^b  Y"^!^  l'^'^^i:  'rrr,  rnn^  ars  ,t2->rb  nr^^T:; 
^•2-2  tT'iriN  Y'^"'"^"'  ^'^'^  ■'■''2^  r-iT^nb  irr^n  b:?  -iwxb  'C\xr;  r-iT^itT 
■(im  D">:î  v-'::"!  v-inN  nbo  notais  Y^'^^  "-^  ^■'^^~  Y^"  /Y-'"'"'-'  ^"ip'^ 
i3n"':m   ■':ii:i  n^^yi  •»'y7:t:   nr^a  br   T::Nb  'rrrc^^  riCNn  n^sn  ^d 

et  pieux  toute  sa  vie.  Il  eut  des  fils  et  des  filles.  Puissions-nous 
avoir  le  même  sort  !  Amen. 


XI. 


Un  homme,  très  riche,  était  marié  à  une  femme  extrêmement 
belle,  qu'il  aimait  passionnément.  Sa  cour  était  fermée  par  quatre 
murailles  hautes  et  fortifiées.  Une  porte  donnait  accès  à  la  cour. 
Quiconque  entrait  dans  cette  forteresse  n'en  pouvait  plus  sortir  pour 
revenir  chez  lui  :  la  s'ébatiaieut  les  démous,  ou,  d"après  d'autres,  là 
était  la  porte  de  la  Géhenne.  Or,  cet  homme  était  très  méchant  ainsi 
que  sa  femme,  et  ils  n'avaient  pas  d'enfants.  La  femme  brûlait  cons- 
tamment de  l'envie  d'entrer  par  cette  porte  pour  voir  ce  qu'il  y  avait 
derrière,  mais  son  mari  l'en  empêchait  et  la  surveillait,  connaissant  ses 
intentions.  Une  fois  que  le  roi,  ayant  besoin  de  cet  homme,  l'avait 
mandé  près  de  lui,  il  commanda  à  son  intendant  de  ne  pas  quitter 
sa  femme  et  de  la  suivre  partout  où  elle  irait.  Puis  il  se  rendit 
chez  le  roi,  comme  il  lui  avait  été  enjoint,  et  demeura  près  de  lui 
quelque  temps.  Cependant  la  femme  insistait  auprès  de  l'intendant, 
lui  disant  :  «  Ecoute-moi,  fais  ce  que  je  demande  et  laisse-moi  en- 
trer par  cette  porte.  Je  te  donnerai  tout  ce  que  tu  voudras  ;  si  tu 
exauces  ma  prière,  sache  que  je  te  comblerai  de  bienfaits.  —  Je  t'en 
prie,  ma  maîtresse,  répondit-il,  ne  fais  pas  cela  et  ne  cours  pas  vo- 
lontairement à  ta  perte,  inutilement  ;  mon  maître  m'a  ordonné  de  te 


UN  RECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS  77 

rTviSiTi  tDM  i^)Dyi->  -^^  r!i£-in©  rs»  bs  "^b  inx  -^snt  nnor?  -^sDa  '^b-^b 
î^3  bN  nb  -;»N  'T^i:?  2->:ûn  nrjT:  ■'s  "77:73  r-icpn»  ■^ïno  rro  -«b 
-i72Nb  ^-n^<  rins  i;tint  t2:n3  '^wiri^'  iin^m  iTiotn  bxi  ï-int  ■"•j^^tn 
■^'::yn-  b^T  nb  n):?5  1^721  vbi>  '^nnnit  nMrD3  -^a  ir:>  nnas  "^-nrcb 
ib  m7:N  ,ï-ibiNO  n::'-.3  inn-^-iJ  Myi-nn  r^bi  nNTn  !nbin:in  ny^r, 
xb  Nim  ,n\rp  -^iriiîT^D  p-,m-3  nnsn  "i^ïd  t^^bx  Y'^^  ^'^"«^  T'^n 
ï-rsbnuj  n:'  nî<73  n^bb  mi:72Nn72  r^-^n  ■'rr^i  ,r-,Tjn  iib  nnb  r!:i:- 
Sip3  '«rjiN"  "py^  ,rT^23  tjnN  "Cîw  ^î^i  /I^iïû^  ><bT  in-iiD  bj'a  -istnb 
ly  r-iiDbr;  t^-i^m  ^T'-inx  y-i-'i  ni<73  c-'Nn  n-'ui:-'':  vn^  piso-^T  bns 
lr-!3':;72-i  TT^  PN  û"':d37j  nnwX  u-'Oir;  r;7:o  r-iNn-::  "jvidt  ^nnort  ■'ssb 
173  ^^3  "«IN  Tiin  ^zn^  'Ci^ar,  -■7:n  ,ï-innN  ^r^o  r^bnm  ti-^SDb  vbx 
D"J  n^m  ,-nn3  (sic)nr7:::m  "w\sr!  '^brt  -ir-nN  nx  t-<ï73"'  t^n  i-nizTi 
bD3  iiiy  PNT  inOwS*  nx  riwsn  Nbi  N3":;  1-131  ^iri^a  bx  iSTix  N3  ly 
1N73">1  ■i7:njb  i^îDC  bD  1N31  .ribi-niT  imn  Grcn-ii  r;:c-ii<  T^s^b 
^Tii  ■'rïn  ï-rmN  p^i  r;bvNC  bn^x  ^nc^x  bu  i-'.wX  13  -i7:nit  amnrîb 
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i;nni"i   ^3^-1  T^«35  •::2i"|  iV^j^   j^^it  "]■?   3-»iin72r;  ^-n:?  i:j<  b"N   rois 

garder  comme  la  prunelle  de  ses  yeux  (ou  plutôt  :  de  mes  yeux),  car  il 
a  pour  toi  un  amour  indicible  et  tu  lui  es  extrêmement  chère.  Ne 
commets  pas  un  si  grand  mal  et  ne  fais  pas  descendre  sa  vieillesse 
dans  le  malheur,  dans  la  tombe  (Genèse,  xlii,  38).  —  Par  la  vie,  ré- 
pliqua-t-elle,  je  n'irai  que  devant  la  porte,  à  une  distance  d'une 
portée  d'arc.  »  Mais  il  refusa  de  lui  accorder  l'autorisation.  Toutefois, 
comme  elle  s'obsiinait,  elle  réussit  à  aller  dans  la  cour  malgré  lui  et 
sans  son  assentiment.  Il  n'y  avait  alors  personne  avec  eux  dans  la 
maison  [Gen.,  xxxix,  11).  L'homme  poussa  un  grand  cri,  se  frappa 
les  mains,  s'affligea  beaucoup  et  courut  à  sa  poursuite,  mais  elle 
était  déjà  devant  la  porte.  Là,  quelqu'un  du  dedans  lui  tendit  la 
main,  l'attira  à  lui  à  l'intérieur  et  ferma  la  porte  sur  elle  (Gen.,  xix,  6). 
L'homme  s'écria  :  a  El  moi,  où  irai-je  (Gen.,  xxxvii,  30)  devant  le 
malheur  de  mon  maître  ?»  Il  alla  se  cacher  dans  une  chambre  et  y 
resta  jusqu'au  retour  de  son  maître.  Celui-ci,  ne  voyant  pas  sa 
femme,  ni  son  serviteur,  tomba  à  la  renverse  ;  il  en  eut  l'esprit 
troublé  et  s'évanouit.  Tous  ses  voisins  vinrent  pour  le  consoler, 
mais  il  refusa  les  consolations,  disant  :  «  Je  descendrai  dans  le 
scheol  vers  ma  femme  dans  le  deuil  (ibid.,  35)  ».  Et  il  la  pleura  là 
grands  sanglots. 

Il  alla  à  sa  recherche  dans  toute  sa  maison,  sans  succès,  jusqu'à  ce 
qu'il  arrivât  a  sa  chambre  à  coucher.  La  il  entendit  des  plaintes  et 
des  gémissements.  «  Qui  es-tu,  es-tu  mon  serviteur  que  j'entends 
gémir?  »  —  «  C'est  moi,  ton  serviteur,  coupable  envers  toi.  »  Et  il 
s'approcha,  se  jeta  à  ses  pieds  en  pleurant  et  en  suppliant.  «  Où  est 
ma  femme?  »  11  lui  raconta  toute  l'histoire.  «  Je  jure,  s'écria  le  maître, 


78  REVUE  DES  ÉTUDES  JLIVES 

ïsiT!  ti:ip-2  r-ïT^Nm  ï^-^ri  p-^r;  riNu;  -;:?  m;»  t<!'n  mp\:;N  r^bi 
ib  'n'»::^  bs  ir;  rjc:?  nw  ,Txy  nrr;b  hï^iN  &nt  ri-cir  t^îT:  r;7:n 
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t^b  "^D  157272  IN»  nns-^-,  o-«Nr;  T.n-'T  mbu:  ib  -i-'mm  tinbo  ib  in; 
i-!N'  "wp2»  nPwX  r,:2  tj^'ti  h?"n;r;  •w\sr:  b"N  im::^  tsbir-:  !-in-i 
nrcip?:  mwX  ^wS-'N  '■'::;'  t^^nb  n-^in  £2N  ï—.iNnb  -^^pn-o  nrN  "^n'^x 
t-!i:-,-i  ^-^^^:  n^x  Y-"-"  5-.ti::-in  b:  S-'n-wS  b"N  ^i-bx  nain  rinNi 
*îr"'2n  "w-»  h^n^n  wiNn  ^"a  ,']7::?  Y-^'-  ^"'J^'"  ^"'•■'^"  ^b  -«b  Cîn-'b 
ûr:-^  r;;-i7:'w  S'^n  ""bx  ir^r-^b-n  b"N  p  b"ii  ^n  n::n3  r;nN\r  aiN  nro 
^3  n2:3pn:T  in-»2b  ï-«i2i  ib  Y-"""  i"'^'-  ■"■^2-  ,ï~j;r;  ^m^^  t<i:72m 
nrtb  n72N  ^"in-wN-û  -in-  crc  :?7:o  -iN  ni:»  2N  ib  ibxCT  vbx  T'mnî* 
tzT^  ■^n-'-wi'  DM  ,"i:ii:Nw  r;»  nr^rb  r:in-i"w  3-n  dvj  2^3  "yii"^  "^m  ,'ir! 
^ir-^-w  i^rn  ;"^;"i  m:?r;  xn  r;ny  ,ti:373  niN  rncb  abirn'::  nm:: 
!-7nM  -^riiN  "xai  -piî':::  "hn  nd  ■^"'7:^  bs  ib  "'n-''w?"w  r!7:  b^  -^b  bi72:ib 
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■«r)  ""nsTrin  '^n  S"n   ,-^:i^r  -,wM    S-b    nr;;:-!    "ttît    ï-î-^n^n  ,'^mi:72 

de  ne  pas  m'arrêter  ni  d'avoir  de  repos  que  je  ne  sache  où  elle  est, 
ce  qu'elle  fait,  et  si  je  peux  être  avec  elle  !  » 

Que  fit-il  ?  Il  distribua  toute  sa  fortune  à  ses  proches,  s'en  alla 
et  arriva  à  une  grande  forêt.  Il  y  marcha  pendant  six  jours  et  finit 
par  rencontrer  un  homme  de  très  gronde  taille,  noir  et  laid  extrême- 
ment. Il  le  salua,  et  l'autre  lui  rendit  son  salut.  Mais  noire  homme 
tremblait  et  avait  une  grande  peur  de  lui,  car  il  n'avait  jamais  vu 
quelqu'un  de  pareil.  Le  géant  lui  dit  :  a.  Je  sais  ce  que  lu  cherches  ; 
tu  cherches  ta  femme  pour  voir  si  elle  veut  venir  avec  toi.  Je  vais  te 
montrer  où  elle  est  et  tu  lui  parleras.  —  Pour  tous  les  trésors  du 
roi,  s'il  me  les  offrait,  je  ne  voudrais  pas  l'accompagner.  r>  Le  géant 
répliqua  :  «  As-tu  chez  toi  quelqu'un  en  qui  tu  as  confiance  ?  — 
Oui.  —  Amène-le  moi  d'aujourd'hui  en  huit,  tu  me  trouveras  ici.  » 

L'homme  prit  congé  de  lui  et  revint  chez  lui.  Ses  amis  vinrent 
s'assembler  près  de  lui  en  lui  demandant  s'il  avait  trouvé  ou  en- 
tendu quelque  renseignement  sur  sa  femme,  œ  Oui,  répondit-il.  Y  a- 
l-il  parmi  vous  un  homme  qui  veuille  faire  ce  que  je  lui  enjoindrai? 
Si  j'ai  fait  quelque  bien  au  monde,  à  quelqu'un  d'entre  vous,  voici 
l'instant  et  le  moment  de  me  rendre  tout  ce  que  j'ai  fait  pour  lui 
toute  ma  vie  (sic).  »  Vint  un  de  ses  jeunes  gens  qui  lui  dit  :  «  Mon 
maître,  lu  m'as  élevé  depuis  mon  enfance  jusqu'aujourd'hui,  ordonne 
et  j'obéirai  à  tes  commandements,  et  je  m'acquitterai  avec  zèle  et  em- 
pressement de  ma  commission.  —  C'est  toi  que  je  choisis,  car  je  t'ai 

'  Est  ce  b'^2w3  «  en  route  •  ou  "i^Uîn  «  en  captivité  •  ? 
>  Probablement  un  bourdon  :  ijjy  N3  ^733'. 


UN  RECUEIL  UE  CONTES  JUIFS  LNEDITS  79 

'— iWN  bs  l-i-ûy^  -^i^y  n3  n'jnn  "^ïn  ^m  iwS?:  tzi-'rri  i^ûn^  '^\-iNi::: 
rib-Tinn  £3"»^  rr^T!  -r-rx  aipTj  tj?  n^'^n  ind-'t  T^nn-»  ïsr.^rw  nDb-«"i  ,yrz^ 
13-1  b"N  ,-;m^j  nv/j-j  ^hd-^i  irnx  -li'sr^  n-i-'1  bn^n  w\xrT  t=o  n::W'T 
-nxi  "^n'iris  t:ip»b  ^^-'bi'^  Nirri  "c^xr:  !^"  cr  Y'"'"'  ~^^*^  T*"^^  ""-^ 
•Cj^",^  rr^nm  ^720  p?:?:  Y^  1^^  l'^^'  "i<"'3~b  bDin  SwSt  n-'b»  imn 
'^nnb  iD-^bnrii  -iJzy  ^bn  mm  n^î^D  rr^rx  p  b"N  ib  -iwN  [««cibiDW 
»ti2"»n:*3  ûi-in  û^bmo  -'::?:  rr^nu:  t=;iN  -^ra  nain  ûo  riwS-n  tîjT!^ 
inx  -iinb  "iDibin  "'i-iiN  r^rti  snwS  ■';\N!in  nr;-  b"x  in-^nb  -im  istîni 
r-irirnrri  tsiw  nr^T  risi:»  ;:.m  Jm-,"pr!  "iinn  b::  rr^-w  ib  nTon/oDT 

m^r-^  ib  r;7ûTi)j5  nn-  r^^-^^3^nD  ^3t  nnr  ■'n:ia  momb»i  nnr  bo 
□■^•«D^ûO  nb  x^^  û-^wiiwS  nb2i<7:  •^î-'K  bsi  '^i-i:'  3-t  b">r  inbic  ï-t^:d3 
pb  '{^"'tt  ib  "j^iTi?:  tn?:  -o^^  ^nbDNîû  rr^iob  f^smn  tn?:  Ij"'  ."-în-in 
r-îb  -iTjw^T  .i-iiriN  VDxb  bc:  rrmwN  !-înt>::  IT'D  ,3^;-  bo  oi^  ^nna 
TîDbTj  mo  t:bi;'tt  \-i\\-i  ^bo  c::'7i  -l'cn  »mi-i3b  Tnni^'T:  pbn"»:;  ^inn 
^3'r2s:7a  ^3T7i<i  ,']mN  ^nn::»'»::  J-ixn  ■';n  ncws^  ^3  bs  nin-ir» 
^^•^inN  -^^nbo  Nim  î-i:yn72  Nin  tz-^iz^-  b:^  S^in  1j\st  '^-nns' 
i-iNin  ^înt^u:  n»  bD  ■'-y?:"C  "':tîwS  nb  m7:N  ^-iboir;   en  vbN  -^Nianc 

trouvé  fidèle  et  bon,  et  j'ai  confiance  eu  toi.  Viens  avec  moi  et  fais 
tout  ce  que  je  te  prescrirai,  » 

Ils  partirent  ensemble  et  arrivèrent  dans  la  forêt  à  l'endroit  in- 
diqué et  y  ils  trouvèrent  le  géant.  Le  jeune  homme,  à  sa  vue,  fut 
extrêmement  efFraj'é.  Son  maître  lui  dit  :  «  Mon  fils,  il  faut  que  lu 
ailles  avec  cet  homme,  il  le  conduira  au  lieu  de  résidence  de  ma 
femme.  Tu  lui  parleras,  et  si  lu  peux  l'emmener,  je  te  donnerai  une 
grande  fortune  et  lu  hériteras  de  tout  ce  que  je  possède.  — Ainsi 
ferai-je  comme  tu  l'as  dit.  »  Il  alla  avec  lui  (le  géant),  et  celui-ci  le 
conduisit  dans  la  Géhenne.  Il  y  vit  quantité  de  gens  de  sa  connais- 
sance qui  subissaient  leur  châtiment  dans  la  Géhenne.  (Quant  à  son 
maître,  il  était  retourné  chez  lui).  Le  jeune  homme  dit  au  géant  : 
«  Montre-moi  la  femme  de  mon  maître  ».  Il  l'emmena  dans  une  pièce, 
et  le  jeune  homme  vit  que  toute  la  pièce,  murs,  plnfouds,  était  re- 
vêtue d'or  fin,  que  le  plancher  était  de  pierres  précieuses,  rouges  et 
brillantes.  Il  aperçut  la  femme  de  son  maître  assise  sur  une  chaise 
d'or,  habihée  de  vêlements  d'or,  tout  environnée  d'or  ;  devant  elle 
une  table  dressée  en  or;  toutes  les  variétés  de  ses  mets  étaient 
rouges;  elle  avait  des  serviteurs  en  grand  nombre,  les  uns  lui  cou- 
paient sa  nourriture,  les  autres  lui  versaient  du  vin  blanc  dans  un 
verre  d'or.  A  cette  vue,  il  tomba  la  face  contre  terre  et  lui  dit  :  «  Béni 
Celui  qui  a  distribué  sa  gloire  aux  créatures  humaines,  car  je  n'ai  ja- 
mais vu  une  reine  à  laquelle  ou  ait  rendu  tant  d'honneurs.  Mon  maître 
est  en  peine  à  ton  sujet,  il  ne  mange  plus,  jeûne  tous  les  jours,  et  il 
m'a  envoyé  à  la  recherche  pour  que  tu  reviennes,  si  tu  le  peux.  — 
Mon  seigneur,  répondit-elle,  écoute-moi  :  tout  ce  que  tu  vois  autour 


80  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

ITinN  ".y  Nnr;  cn    nbDiN    ■':i<c  rra  5D1    rta   r-i^cv   ■'jXC  N-iinpi 

t-::?".^  TNiib  p^ina  "imN  Ini^  "'ri''"'"  '"'^'•^  V^i^  tbirn  52  n^n  ib-iNT 
hn  "iTzuri  *]2T  (sîc)  ■'DiST  TI/JC2  PDiT-iu  "IN"::  •^mN  n-.pb  yinb  nnx 
ib  -.r^m   trnsa  n-  p  iDiia  bN-r^"^  •^TCJ^ti  bs'O   ib  "iTsNm   ■';tin 

m:?-i  ï-î2-ir;  -^r^jj  ib  --TjN  ,n7r!  -"cp-  ii-n  bs  Y^  ""^"^  T"^  -T-'Nm 
\-i"'"'r;  ï-t;;i  t-i2">r  -inbbim  ^,nN  CNb  %~vN''d  ■'D  ■»:!■''>:::?•>:;  ï-nsn^n 
riNm  rNT2'i  /prnn  Nb  f'rirr'T  ts-'"'::'  by^  "^byn  tz^y  nari-w 
rî-:/:wX  nTn  i-^--  p  "^m-sb  qtn  ar^b  mb-,:3-'  ir-^n  ï-ib  -i?:^  ;%->■'"*;:? 
inwS  p  -^b  -\-!  cî<T  'czb'\yj2  nna  -^b  n^-  a'yc  b-'H'-  i*<b  ib 
^n-.n  \^:,'>y  -na-'jim  "^-iTnrn  '-  nN  -iD-a  ^''nnn  -i7:ib  b:DT^w  ■'b^D-j 
imiza  in:-::  tinon  m^:  "^rr^in  V^io  "c^-^ipi  nri  !=bi:>b  "^-nnT:::  'n 
i-,yn-^nn  n-'H  ';"«->nrw  nnN  {'■)y:i'j  ib  r;:r:T  ri<T  b3  -iscnt  ^b»  (:)-ib 
PKN  "i»iN  nPN-r  niwsb  ib  r.i  ntî-'C  m::N  ib  n-.rNT  nb  p-  n-\r,':: 
ï-i7:ï;  "iN^^r-c  "C'Nr:  czi^»  nb  ^bm  ri;72-j  "ias;-  .'pbx  -i;:Nn  tcn  ba» 
n:T7N  ir^iSTàî  irr)  ,"in-'3b  "^bm  ijtt?^  nasiT  inpb'c  oips-  nr  ^D■^b■l^;^ 

de  moi  est  un  l'eu  dévorant  ;  cette  chambre,  cette  table,  ces  vêtements, 
cette  chaise  sur  laquelle  je  suis  assise,  tout  ce  que  je  mange  est  en 
feu,  et  ce  feu  me  dévore  corps  et  âme.  Le  viu  est  du  plomb  fondu 
qu'il  faut  que  je  boive  toutes  les  heures.  Si  l'uoivers  entier  m'appar- 
tenait, je  le  donnerais  volontiers  pour  sortir  une  heure  seulement 
afin  de  me  rafraîchir,  car  je  brûle  corps  et  âme.  Ainsi  diras-tu  à  mon 
mailre  :  tous  les  pécheurs  israéliles  sont  ainsi  traités  dans  la  Gé- 
henne. Tu  lui  diras  aussi  de  se  repentir  de  ses  mauvaises  actions, 
car  grand  est  le  pouvoir  de  la  pénitence.  —  Et  pour  quel  péché  es-tu 
punie  si  cruellement? —  Pour  beaucoup  de  fautes  et  de  transgres- 
sions, car  j'ai  été  adaltère,  j'ai  violé  le  sabbat,  j'ai  eu  des  relations 
avec  mon  mari  pendant  les  époques,  je  n'ai  pas  eu  de  pitié  pour  les 
pauvres  et  les  orphelins,  j'ai  commis  tels  et  tels  péchés.  —  Est-il  au 
pouvoir  de  quelqu'un  de  te  racheter  de  ce  supplice  ?  —  Non,  répondit- 
elle,  car  je  n'ai  jamais  eu  de  fils.  Si  j'avais  un  enfant  de  mon  mari 
qui  put  dire  en  public  :  «  Bénissez  l'Eternel  digne  d'être  béni  »,  et 
que  la  communauté  répondît  :  «  Béni  soit  l'Eternel  digne  d'être 
béni  éternellement  »,  et  si  mon  enfant  récitait  le  Kaddisch  en  en- 
tier, je  serais  quitte  à  la  fin  de  mon  année.  —  Eh  bien,  j'irai  ra- 
conter tout  cela.  )>  Elle  lui  donna  une  bague  qu'elle  avait  encore  au 
doigt  et  dont  son  mari  lui  avait  fait  présent  :  «  ïu  diras  que  c'est  la 
preuve  de  la  véracité  de  tout  ce  que  tu  rapportes  ». 

Il  la  quitta  et  s'en  alla  avec  l'homme  qui  l'avait  conduit  et  qui  le 
ramena  ù  l'endroit  où  il  l'avait  pris.  Puis  il  revint  chez  lui.  En  le 
revoyant,  son  maître  se  rrjouil  fort,  et  lui,  il  raconta  tout  ce  qu'il 
avait  vu;  il  lui  montra  la  bague,  et  l'autre  ajouta  foi  à  ses  paroles. 


I 


UiN  RECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS  81 

2Db  &i52n-i  opm  no3Drt   n-^nb  ^brr   WNrs   imN   n^v   n-a  ,T>-i3nb 

t=)u:73    TT  NbT   mitta  n3TiZ:ri  !-!W:>i   nb    'iti3'::3t   bTi:»  ■'Dna    !-T"3pn 

■'•^nb  piT^o  u:\sn   imN  ï-i-it^nt  bip  r-in    nnj:-!    in^juss    nn-iso  iy 

.NbWuN  t=)rT^n-^-ii£iMT  uj""  "«nmN  b-'Hinb  'jO  -73  fipb  N3n  tibiyrt 


XII. 


f»  320  a. 


nnN  p  ib  ïT'^T  mribTob  Dinpi  n-^cy  ininuj  nnx  T^ona  Tfoya 
lîab  !-n2£  T'Dn  imN  bïa  inn-ias  n:?m  ûism  :-;i<'n72  nD-^i  ^Nin  ino'^ 
'TS'  ïJi'Tp  b-^nn-^n  bbsnrib  imn  mp-^o  r-iy^T^  nDSSrf  rr^n^j  N^t-^  ^<bo 
.'-ibon  y«o  >*bu3  1D-13  -i»ib  nnïî  t=np-^  triN  ûst  inbcn  bs  -nm-^"»:! 
■^^3>tt2  innbstm  ■'Ta-»  Sd  TT^^y  pi  inbcn  ^iW5'«o  i:?  idin  inT^r: 
^tn  osrDn  imn  3>7:u3m  f-i03Dr;  n">3  in  U"»'©  —^-^yn  "nn:^!  dn  ïidji 
pm  ,i73bi3>  rr^nb  iion  ^^^^{  "^bm  ,inbDn  imn  'mT^^-'O  ^,y  >i:zr\ 
01D3  ';i-«  STiT^T  '^b7j-  i3Db  r-i-i073  rr^m  T'N-n  bDb  tîoto  iNTa  tr^n 
^nm  imx  D-inniN  T^rin  carr'îDb  -rom  cnb  ^nm  nsb-jm  "ibTan 
^b72n   bN   t^niT   13    f^sp-^T    ']b73rr    î-î3UJ7o    imN   ^-t■T'^  û"»»u:b   labn 


Que  fit  cet  homme  ?  Il  alla  à  la  synagogue,  invoqua  Dieu  avec  de 
de  grands  sanglots  et  le  cœur  brisé;  il  fit  une  pénitence  complète  et 
ne  quitta  pas  ce  lieu  avant  d'avoir  rendu  l'âme.  Une  voix  céleste  se 
fit  alors  entendre  :  «  Cet  homme  est  destiné  à  la  vie  future  ».  Ainsi 
se  vérifia  cette  parole  :  «  Pour  faire  hériter  à  ceux  qui  m'aiment  les 
véritables  biens  et  remplir  leurs  trésors  ».  (Prov.,  vu,  21.) 


XII. 


Un  homme  pieux  et  riche,  appartenant  à  la  Cour,  avait  un  fils 
beau  de  figure  et  de  taille  et  instruit.  A  ea  mort,  cet  homme  pieux 
recommanda  à  son  fils  de  ne  jamais  sortir  de  la  synagogue  depuis  le 
moment  oîi  le  ministre  officiant  se  lève  pour  la  prière  et  commence 
le  Kaddisch  jusqu'à  la  fin  de  la  prière.  «  Pareillement,  si  quelqu'un 
se  lève  afin  de  dire  "iDn::  pourn'avoir  pas  entendu  l'office,  attends  qu'il 
ait  terminé  sa  prière.  C'est  ce  que  j'ai  fait  toute  ma  vie  et  j'ai  réussi 
dans  mes  entreprises.  De  même,  si  tu  passes  dans  une  ville  où  il  y  a 
une  synagogue  et  que  tu  enteudes  le  ministre-officiant,  entre  et  ne 
sors  qu'après  la  fin  de  l'office.  » 

Cet  homme  pieux  mourut  ensuite. 

Le  fils  était  très  aimé  de  tout  le  monde;  il  avait  une  charge  ù  la 
Cour  ;  c'est  lui  qui  versait  le  vin  dans  la  coupe  du  roi  et  de  la  reine, 
•   T.  XXXV.  N"  60.  6 


82  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

n^iN  mnin  ï-it  -^d  r^Nin  hpn  v^i  1^  ^^"^''^  1^'=^  ^^iin  ib  -isn^i 
nb  -i»N  -«D  ni'  nb  ^'^'^^  ^'^i  l'-'^"  ""^  "i^^"'"'  •""^'  D"'22î<2m  n^bizn  nx 
ï-nN-ib  "|b»n  '^b-'T  CDrn  tt'T  nnba  r-iNDp  D-'33n'>r  iy  nnwT  Cn-^n 
n-ib  ^ttuS-'i  i^'O  riTwTb  D'^;3ïn  t:-'j:^'  n"n-?3  nb  D"'u;i:'  ttî"::  a-'byi^ 
iD"'bcm  nmx  np  itcn-i  — inTab  r::r:  t<:3-'  tcn  -o-^Nn  imwS  c-'b^'cn 
i;ddj  rnn  t^cd  r-iN7    r!"«:;2'n    Nb  tziNT  -nn\s  t^iba  '::î<r;  l'jaD  "jinb 

"— in73b  ^,p32  tzz'ori  ib  i::"!!  ^inn-  t^-i-ip-^T  ']b-:n  "^job  Tinnrr 
aa-^n  •CNn  p-ibT';D  D^byiDn  3-ib  -iitûnt  T'en  i-^u^ni^'O  t=:ip73b  ']bT 
Sy  DDi^T  -nnan  ep-^i  npan  -^n^T  "^mi:?:^  rrcris  -^-n  -nnnn  l^^i 
023:i  Dion  Si"):  -T'T  iTnn  ^^rjcn  r-ic^rn  nia  -^rcb  — ia?in  D^D^ 
ï-ibsn  s'XD'w  t-ib^  nnN  n?::*  "jTnn  a^-^oo  nnN  ^baniT  nown  rr^nb 
^b^^^i  N-ip-«-i  .bTi:;  DT^n  rt^r,-::  ir  -,n\ST  n;:;'»::  ns'  ';^^72^n  isnn  n»NT 
C3N  tD^bi'isn  nnb  bwX-Ji  T'en  ';-'":;i;'*>:;  mpnb  "]'•:>  Vp  lii-^n  nr»::;:?!  bx 
niïjy  û"^b3'i:n  mb  nWwS-'T  '.ono  by  nis-pi  nrjwrt  -in73-'T  "^miCTa  rrr? 
"nnan  Na-'i  "jc^-^  i"'''^  iD^bw-»!  -imN  i-ion"«t  rircT^n  inp-ii  Y-'^"  mi:» 
ai-irr^  Y-'^^  Q"'b:^ns-  aib  -i7jN"'T  vcjaoa  njï:73n  iD"'b\i:r!  •'r)  n-i^t  Dcb 

qui  coupait  devant  eux  le  pain  et  la  viande.  Ils  le  chérissaient  extrê- 
mement, et  lui  n'avait  que  de  bonnes  intentions. 

Ce  que  voyant,  le  ministre  en  devint  jaloux  et  vint  dire  au  roi  : 
«  Sire,  lu  as  des  yeux  et  ne  vols  pas  que  ce  jeune  homme  est  Tamant 
de  la  reine.  »  Le  roi  se  mit  en  colère  et  ne  voulut  pas  le  croire.  Mais 
à  force  de  lui  répéter  la  chose  tous  les  jo^irs,  le  ministre  finit  par  lui 
inspirer  de  la  jalousie. 

Un  jour,  le  roi  alla  voir  des  ouvriers  qui  construisaient  un  four  en 
bois  et  en  pierres  pour  faire  de  la  chaux.  Il  dit  au  chef  des  ouvriers  : 
«  L'homme  qui  viendra  ici  demain,  le  premier,  lu  le  prendras  et 
le  jetteras  sans  relard  dans  la  fournaise.  Sinon,  c'est  toi  qui  seras 
puni.  —  Sire,  je  vous  obéirai.  »  Puis,  le  roi  s'en  revint  chez  lui. 

La  nuit  suivante,  comme  le  jeune  homme  était  de  service,  le  roi 
l'appela  et  lui  enjoignit  d'aller  le  lendemain  matin  de  bonne  heure 
à  l'endroit  où  l'on  faisait  la  chaux  et  de  dire  au  chef  des  ouvriers  de 
bien  allumer  le  feu. 

Le  matin,  le  jeune  homme  se  leva  et  monta  à  cheval.  En  route, 
passant  devant  une  synagogue,  il  entendit  le  ministre- officiant.  Aus- 
sitôt il  sauta  a  bas  de  son  cheval,  entra  dans  la  s^^nagogue  et  récita 
la  prière.  Après  que  le  hazan  eut  terminé,  quelqu'un  qui  n'avait  pas 
entendu  l'office  se  leva  et  QitnD"i3.  Le  jeune  homme  attendit  qu'il 
eût  aussi  fini  et  s'attarda  ainsi  jusqu'en  plein  jour. 

Le  roi  manda  son  ministre  et  lui  ordonna  d'aller  à  l'endroit  où  l'on 
faisait  la  chaux  et  de  demander  au  chef  des  ouvriers  s'il  avait  suivi 
ses  instructions.  Le  ministre  se  hâta  de  monter  à  cheval  et  il  dit  au 
chef  des  ouvriers  :  «  As-tu  obéi  à  l'ordre  du  roi?  »  Aussitôt,  on  s'em- 
para de  lui,  on  le  lia  et  on  le  jeta  dans  le  four. 


j 


UN  RECUEIL  DE  CONTES  JUIFS  INÉDITS  83 

•:;">Nn  biwnN  "^-rï  ^b-^r:  ib  -i72N"'i  D"»byiDn  an  i3>-'i  rjT  ^t^  un  ûsnN 
î<3  Nirr  r!3m  /onh  1">^3D2  inD"«bon  iT>rN-i  -ip3D  nnjab  -jb  nbcN  -iot< 
qnob  rr^ni:  z-'nnx]  "^b^o-  ■'mê<  ib  n72N-'i  Y^'^^  ^^  mnnn  tj-'t  ,li;aN-i 
nn3>  -nnnn  bN  n)aN^n  ni<72  !-iMniT  ribm^  min  ib^jn  n-in-in  rny:;»r! 

"ji^M-i  ^b-'b  Tiii:!:  "^niNT  T'en  riuîis'  -iï:n  tzi-^byion  nn  bN  iiuSNn 
iD-^binm  nnn-^N  nni^T  \mi:73  t^d:;'  dn  rtN-n  '^b  rtrcrb  \-n72N  ^^  ^^t!A^ 
ybn:  mi:^  p">n:i  'st  •i3'>^r!  -^ps  rinx'^a  Tii'T'  nny  ,^'ï2^^p■a^  imN 
•jTnri  *mtt:i-«"«ri  ns»  no:o-  m-inn  i-^n^^nb  c>  "^^bT  T^nnn  rc-i  >^a'^T 
.-nnitn  dj»  y^'::  >iV:j  nnx  Dp  ib-'SNT  bbsnnb 

Ensuite  arriva  le  jeune  homme.  Voyant  qu'on  avait  jeté  le  ministre 
dans  le  four,  il  dit  au  chef  des  ouvriers  :  «  Le  roi  vous  fera  mourir 
s'il  apprend  la  chose.  —  C'est  le  roi,  dit  le  chef  des  ouvriers,  qui 
m'a  enjoint  hier  de  jeter  dans  le  four  la  première  personne  qu'il 
m'enverrait.  Or,  le  ministre  est  venu  le  premier.  »  Le  page  revint 
chez  le  roi  et  lui  demanda  pourquoi  il  avait  fait  périr  par  le  feu  son 
ministre.  Le  rui  fut  pris  d'un  grand  tremblement  et  d'une  profonde 
stupéfaction  et  dit  au  page  :  «  Maintenant  je  sais  que  tu  crains  Dieu 
et  que  ton  Créateur  t'aime,  car  voici  la  calomnie  inventée  par  le  mi- 
nistre au  sujet  de  la  reine.  J'ai  ordonné  de  jeter  dans  le  feu  la  pre- 
mière personne  que  j'enverrais  au  chef  des  ouvriers  qui  fabriquent  la 
chaux,  et  je  t'ai  commandé  d'y  aller  le  premier;  ensuite,  j'ai  dit  au 
ministre  d'aller  voir  si  on  avait  exécuté  mes  ordres  ;  tu  t'es  attarde 
et  c'est  lui  qu'on  a  jeté  à  ta  place.  Maintenant,  je  reconnais  ton  inno- 
cence. » 

C'est  bien  là  ce  que  dit  l'Écriture  :  «  Le  juste  est  délivré  du  mal- 
heur, et  le  méchant  prend  sa  place  ».  (Prov.,  xi,  8.) 

Voilà  pourquoi  il  faut  attendre  à  la  synagogue  que  le  ministre- 
officiant  ait  terminé  l'office  et  même  celui  qui  n'a  pas  assisté  à  l'of- 
fice public. 

Israël  Lévi. 

(A  suivre.) 


MENAHEM  AZAHYA  DA  FANO 

ET  SA  FAMILLE 


Nous  ne  connaissons  que  fort  i)eu  la  vie  de  Menahem  Azarya 
da  Fano,  malgrf^  la  grande  activité  litt^^raire  de  ce  r-abbin  et  mal- 
gré l'extraordinaire  réputation  dont  il  a  joui  de  son  vivant  et 
après  sa  mort  *.  Je  vais  essayer  de  répandre  quelque  lumière  sur 
cette  existence,  en  publiant  ici  une  élégie^  sur  la  mort  d'Isaac 
Berecliya  da  Fano,  élégie  contenue  dans  mon  petit  recueil  manus- 
crit d'élégies  et  de  poéï^ies  provenant  de  l'Italie  et  qui  s'applique, 
selon  moi,  au  père  de  Menahem. 

Cette  élégie  qualifie  le  père  de  Menahem  de  a  prince  »,  et  cela  à 
cause  de  sa  noble  origine  et  de  sa  générosité  princière.  Notre  poète 
le  compare  à  un  cèdre  que  la  foudre  a  frappé,  et  il  représente  sa 
maison  comme  un  temple  où  l'on  offrait  des  sacrifices  de  réjouis- 
sance. Il  était  savant  et  riche,  estimé  et  vertueux,  cet  Isaac 
Berechya  que  la  mort  vint  ravir,  dans  sa  quarante-cinquième 
année,  à  l'affection  de  sa  femme  et  de  ses  enfants.  Le  poème  cite 
le  nom  de  quatre  fils  :  Abraham,  Menahem,  Juda  et  Elhanan  ^. 
Ainsi  Menahem  avait  trois  frères  qui  héritèrent  avec  lui  des  biens 
et  du  bon  renom  du  père. 

Malheureusement,  l'élégie,  dans  le  passage  capital  qui  nous 
indique  l'année  de  la  mort  d'Isaac  Berechya,  renferme  une  faute 
manifeste.  11  est  question  d'un  lundi,  3  schebat  5336  ;  or,  d'après 

'  En  1581,  Yedidya  (Amadeo)  ben  Moïse  de  Recanate  lui  dédie  sa  traduction 
italienne  du  More  Neboukhim,  intitulée  Erudizione  de  confusi,  ms.  ital.  de  Koâsi  5 
et  ms.  Berlin  487.  Cf.  Sceinscuneider,  Catalog...  AI.  S-  (jhirondi,  p.  7. 

*  Voir  Appendice  1. 

•  Cet  Ëlhanan  est.  à  mon  avis,  le  membre  si  honoré  de  la  communauté  de  Man- 
loue  13X373  '^y»  pn^N  'rîW5  qui  assistait  en  1628  à  la  réception  de  Charles  de 
Gonzajrue  I.  \'oir  Abraham  Massaran,  rmsm  mbsn,  dans  3p^rî,  Sainl-l'éters- 
bourp,  1894,  p.  4  ;  sur  hv^,  voir  Zunz.  Ges.  Schriften,  III,  209. 


I 


MENAHEM  AZARYA  DA  FANO  ET  SA  FAMILLE  8ri 

le  calendrier,  cette  date  est  impossible.  Mais  jour,  mois  et  année 
concordent  si,  au  liea  de  lire  5336,  nous  lisons  5326  ».  Isaac  Bere- 
chya  serait  donc  mort  le  lundi  24  décembre  15G5,  alors  que  son 
fils  Menahem  Azarya  avait  dix-sept  ans  *. 

Est-il  mort  à  Ferrare,  ou  sa  famille  s'y  est-elle  établie  après  sa 
mort  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  trouvons  ses  iils  dans  cette  ville 
lors  du  tremblement  de  terre  du  18  novembre  1570,  s'empressant 
au  secours  de  leurs  concitoyens,  comme  l'atteste  Azarya  de  Rossi. 
Leur  père,  comme  le  dit  expressément  de  Rossi  ^  ,  était  mort  à 
cette  époque.  Mais  ils  avaient  un  parent  dans  la  ville,  Isaac  da 
Fano,  homme  riche,  s'occupant  d^  littérature  juive  et  possédant 
une  superbe  collection  de  livres  et  de  manuscrits*.  Maintenant 
nous  comprenons  pourquoi  Isaac  ben  Mordochaï  de  Pologne,  dis- 
ciple de  Menahem  Azarya  et  éditeur  de  ses  Consultations,  dit  de 
lui,  dans  sa  préface,  qu'il  descendait  d'une  famille  noble  en  Israël, 
issue  des  princes  de  Fano  ^.  C'est  à  Ferrare  que  Menahem  Azarya 
fut  l'élève  du  rabbin  Ismaël  Hanina  ben  Mordochaï,  de  Val-Mon- 
tone,  qui  supporta  héroïquement  à  Bologne  les  tortures  aux- 
quelles le  condamna  l'Inquisition,  se  réfugia  avec  Azarya  de 
Rossi  à  Ferrare  et  écrivit  en  1573  une  Consultation  approuvant 
l'union  de  Joseph  de  Foligno  avec  sa  bulle  sœur''. 

En  considérant  la  famille  de  Menahem  Azarya  da  Fano,  nous 
sommes  fondé  à  croire  qu'il  devait  être  riche,  d'autant  plus  qu'il 
s'était  constitué  une  bibliothèque  où  il  y  avait  des  manuscrits 
du  [dus  haut  prix,  tels  que  la  copie  du  commentaire  en  16  vo- 
lumes gigantesques  de  Moïse  Cordovero,  sur  le  Zohar,  copie 
qu'il  avait  achetée  à  la  veuve  de  Cordovero  et  à  son  fils  Gue- 
dalya,  et  qui  se  trouve  actuellement  à  la  bibliothèque  Estense  de 
Modène^ 

L'orgueil  de    la  famille  était  cet  Elhanan    da  Fano ,  de  Bo- 

1  D'après  l'avis  Je  mon  ami  le  D'  Brann,  de  Breslau. 

*  Cf.  Laûdsiiuib,  rTimy  ■^^^)2y,  p-  iss. 

'  û"'j"'y  *TiN72,  éd.  Muntoue,  9  a:  miT  n'5n:io  'o'^'Dzy':  ^v^'j  t^Vn  a^'n'npm 

*  ibid.  :  i:nd  c-'wN  pni:-^  imm2  h^yni^Ti  yiom.  Cf.  Zunz,  i^n  n-i3,  v,  iSo, 

156,  I.  p.  N-|T3>  '-1. 

^  13NS  -«33  D-^Daom  û"^i":;r!  nri  bN-i-iî-in'CJ  monv):?!  mncjTon  i». 

*  Graetz,  Monatssckr.,  1879,  380  et  suiv.  ;  pn:i"^  iriD,  IH,  22.  Morlara,  dans  son 
n*l5T73,  le  cite  par  erreur  deux  fois,  aux  pages  13  et  67. 

''  Voir  Jona ,  Catalogue  des  manuscrits  hébreux  de  la  bii)liothèque  royale  de 
Modène,  en  allemand,  par  M  Griiuwald,  p.  17.  En  faveur  de  la  vérité  des  dou- 
nées  d'Azoulaï  et  contre  les  doutts  de  M.  Jona,  je  puis  citer  ici  le  témoignage  d'une 
lettre  adressée  en  1625  de  Jérusaletc    en  Italie    et  qui  est  eu  ma    possession  ;  T'^Tîl 

^bbn  D"'-i"ianrT  bD"c>  '^"pitT  a-'-'rt'rNn  a-«ba-ip72n?:  ":'i:Nn"'^  crDnn  nb;'73  -^b 
•V'nî  in^33  nisaT  nb^»  b"pii:T  i3Nd  s»"»  iit<;n  -)"-in73D  Dnnn  ':•»  b'û 


86  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

logne,  dont  un  frère  de  Menahem  devait  porter  le  nom.  Nous 
savons  par  Guedalya  ibn  Yahya  '  qu'Elhanan  devint  l'homme  le 
plus  riche  parmi  ses  coreligionnaires  de  Bologne,  à  côté  de  Sa- 
muel Abravanel,  le  flls  d'Isaac  Abravanel.  qui,  après  l'expulsion 
des  Juifs  de  Naples  en  1540,  s'était  rendu  dans  l'Italie  septen- 
trionale. Rien  n'atteste  mieux  la  haute  considération  dont  jouis- 
sait Elhanan  et  sa  valeur  morale  que  le  jugement  d'un  esprit 
aussi  droit  et  aussi  inflexible  que  R.  Azriel  Dayéna,  rabbin  de 
Sabbionneta-.  En  1635  s'éleva  un  débat  auquel  tous  les  rabbins 
de  ritalie  du  Nord  participèrent  ;  il  s'agissait  de  libérer  Rosa, 
fille  de  Jacob  de  Montalcino,  du  soupçon  d'avoir  contracté  une 
union  conjugale  avec  Isaac  da  Nola.  Dans  cette  circonstance, 
R.  Azriel  jugea  devoir  consulter  avant  tout  Elhanan  da  Fano, 
qu'il  appelle  «  un  prince  de  Dieu,  l'homme  de  la  vérité,  riche  en 
bénédictions^  »  et  qu'il  accable  de  démonstrations  d'amitié  et  de 
respect,  lesquelles,  venant  d'un  rabbin  de  ce  caractère,  ont  un 
poids  énorme.  Les  lettres  d'Azriel  nous  apprennent  en  même 
temps  qu'Elhanan  da  Fano  était  à  la  tête  de  la  communauté  de 
Bologne,  dont  il  s'était  constitué  le  défenseur  attitré.  Il  tenait  en 
ses  mains  les  fils  qui  reliaient  entre  elles  les  communautés  juives 
des  États  pontificaux.  Il  envoya  d'un  seul  coup  à  R.  Azriel  à  Sab- 
bionneta la  copie  de  cinq  bulles  papales,  qui  sont  le  témoignage 
de  ses  efforts  auprès  du  Saint-Siège  pour  assurer  une  existence 
paisible  à  ses  coreligionnaires*. 

Le  nom  d'Isaac  Berechya  survécut  dans  la  famille  de  ses  enfants 
et  fut  illustré  par  deux  de  ses  petits-fils.  Menahem  Azarya  donna 
le  nom  de  son  père  à  son  fils  ^  ;  la  sœur  de  Menahem  en  agit  de 
même.  Ce  neveu  de  Menahem  devint  son  élève  et  son  gendre,  et, 
à  l'exemple  de  son  oncle  et  beau-père,  il  se  complut  dans  l'étude 
de  la  Cabbale.  Il  mourut  à  Lugo,  où  il  exerça  les  fonctions  rabbi- 
niques  et  où  il  forma  des  disciples.  C'est  ce  que  nous  apprend 

'  n'~Dpn  n'î^iî'^ll^,  éd.  Venise,  65  è.  Salomon  Athias,  dans  la  préface  de  son 
commeutaire  des  Psaumes  (Venise,  1549),  nomme  parmi  les  personnalités  de  Bolo- 
gne le  beau-père  d'Abraham  Cohen,  Angelo  di  Fano. 

»  Voir  Revue,  XXXI.  65. 

3  Morlara   dans  Mose,    VI,  Notizie   di  alcune   colletiont   di  consulti   manotcritti, 

p.  27  :  n"^^v  1DND72  pnbwN  '-iri7:D  m3-i3  2-)  miiTCN  c-'N  '"^pbN  N^^rsn  Dr. 

♦  A  la  fin  de  la  leUre  n»  42  du  ms.  mn'^n  "^"131  ou  plutôt  a-^nyija  mn"^"),  que 
ie  possède,  il  y  a  ces  mots  :  T»»  "^nbip  ■'D  ^"■«■'T"^  pilbN  'KS  nî^în  Vn  IttNn 

nb  in  in  mNT:;m  T'bN  û3"^cn  rf^ri  -^biii  'n  -"-\  dvd  "^mbtD.  a  la  6n  du 

n»  39,  K.    Azriel    déclare  :  DN   H'-'^V    'iZHDlZ    pnbs  -l"nttD    N'^DH   bx    -^Kii^^ 

''h  nnb'cb  b^v  i3  ">mbo  ht  ■^"3'  n""T^  nT^ssNn»  nvmNn  nb;:;b  yon 
Nnn  1UN5  "^D. 

<  Kaufmann,  dans  Jevtith  Quarterly  JSêviéw,  VIII,  515  et  520. 


à 


MENAHEM  AZARYA  DA  FANO  ET  SA  FAMILLE  87 

une  élégie  dlsaac  Sabbataï  Rocca  ',  qui  nous  fait  connaître  aussi 
le  jour  de  sa  mort  :  le  deuxième  jour  de  Pâque  de  l'an   5411, 
c'est-à-dire  le  9  avril  1651.  Son  oncle,  beau-père  et  maître,  Mena-- 
hem  Azarya  da  Fano,  était  mort  le  5  août  1620  à  Mantoue. 

C'est  également  l'auteur  de  l'élégie  sur  le  père  de  Menahem 
qui  célèbre,  dans  ses  vers,  le  talent  poétique  de  Menahem  et  loue 
un  autre  membre  de  la  famille,  Amina^iab.  dont  il  exhorte  les 
fils  à  faire  honneur  à  leur  père  par  l'étude  des  sciences*.  Il  est 
question  d'Aminadab  da  Fano  comme  d'un  des  membres  les  plus 
estimés  de  la  communauté  de  Mantoue  jusque  vers  le  milieu  du 
XVII*  siècle  ^ 

David  Kaufmann. 


I 

Mitre  : 


ï-T>r)-i3  pHit"^   "-nuin  S:?  /  ^■'■'3  «■^■'3  nrp  e«^\2:N      'rip 

«rr^isrn  [ilir^-^by  -ç-^bcn  na  .n-nsn  T«r;'  nb:?  ^^-^n 

«n"»by  na  n-ia  b-^on        /M-^b-in  h](njpy  ^^"lb^a  bpia 

(«•'la  -lis  13)  m-iiN  'T">2n         /cj^'OîN  ClT^^^  rjTariN  [p]5i:N  s 

"[«''3-11331.] 

"^<■'-ln3Dp  vby  rr^y  /»  n-^n'»ar:  nnix  b3N»  yy  -^3 

rT^m"i:>"ia  ^^2  ^d'^h'-\  .irozi  -^nm  Nb»  nia 

rîi3T3  lïN  nbN  by  ,r!?23n  ab-n  abo  ^^n  by 

rjibsNM  yin  bu  Tni  ^n^n-ix  ny  n^^'n-iN  p 

*  J'emprunte  l'élégie  au   ms,  ptll^i  nu^pb,   I,  de  feu   B.  Zimmels,  rabbin.  Voir 
Appendice  II  et  Zeiischrift  fur  hehr.  BiUiOfjrnphic^  de  II.  Brody,  II,  07  et  s. 

'  Voir  Appendice,  n"  145-1'i8  de  mon  petit  recueil. 

^  D'après  les  rejiistres  manuscrits  de  la  «  pieuse  con}^réf,'ation  •  de   Mantoue  que 
je  possède.  Cf.  Steinsclineider,  Catalogue  des  mss.  hébreux  de  Munich,  n»  386. 

*  Sanhédrin,  64  a; 
»  Ps.,  cxii,  13. 

*  Nombres,  xxxv,  20. 
''  Baba  Batra,  34  a. 

8  Toma,  84  h. 
'  Isaïe,  iLii,  14. 
"  Ni3nï|D3. 

»«  Dent.,  IX,  20. 
»  Beraehot,  ix,  1, 


REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 


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'  ,bNb  in»t:53  na-ipi^i  20 
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rin:'i  DT-i^jn  ,bbrj?j  ^bo-van  ,"«ni7:T  "-^^D-n  ^^n^-ûb  "  "{E032 

1  Deut.,  XXXII,  42. 

*  Isaïe,  XT,  8. 

*  5a  *a  Batra,  20  «. 

*  Is.,  XLII. 

*  Lameut..  i,  2. 

*  Jer.  Ahoda  Zara,  i. 
">  Gen.,  I,  79. 

"  Nombres,  xxvni,  6. 
'  Ez.,  I,  20. 
>»  ffaguiga,  i,  1. 
"  Ps.,  ivii,  12. 
»»  I«.,  ivi,  10. 


I 


MENAHEM  AZARYA  DA  PANO  ET  SA  FAMILLE  89 

'  iT^i-i  "^01^3  ,b5  ^hy  b-^DUiïib  /Ti^ii  nbina  .n-^-inn  riT  ï<bn 
ïT^'nT:'  tartstt  ,^7aTUb  "-iwtn  ,!tiwtt  t-rr^uîn  ,rmnn  pbi 


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Jfé«r« 


mî  niNi  D-'wy  n"'n3  ciibx  ,3ir«5'  -lo'bN  ^tisn  t^ïî      'nwp 
nbiw  -^rjN  ■'"11113  bipn  T»bN  ,n■lN^^m  mnnoim  m-i-^ia 

^  rfi  nuJNb  T^wn  ibs'-'  -^b  ,">in  i)3b  lamw  ipnjji  ""b 

nns  Nim  na^D  Nim  bnn  ."^yiSN  "ibT-^  nu73S  inpb 
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1i\ûb5  nsNstt  m3i733>  '73D  nb3>5n  -i-i-ina  napnb  133  nnn  t^ïï 
DD'^mrsbi  D'T'rtTnb  'iis-^  iisa  ab  by  p^toid  inb:s'73 

'û':>i2y  a-^uinb  .^TTasn  "^ia  i3p  ,N»i£3  n3  ima  .ntD-^T?:^:  ^^  "'"'P'^      'n»p 
Dsb  mNs[n)i  ,TTinn  iianb  /  Tiin  TO"'3  riiiri  ."nwb  na-^n  n^n 
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'yba  imN  npb  '""W^n  n3  ipT  '"«Tan  T'en 

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rippi")  -innïî  pnif^  -"sn  pb  nnsonn  birynnb 

bnpm  iia">  bipn  na-i^mN  no  rby  "'n35^p 

•  Allusion  à  Ps.,  xxiii,  5. 
'  Ex.,  XXIX.  18, 

*  Allusion    au  commencement  de  VA/ieda  de  Juda  Samuel  Abbds  b.  Aboun  ;  voir 
Zunz,  Literaturyeschichte  der  synagogalen  Poésie,  p.  216. 

♦  Jug.,  XIV,  9. 


90  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


Mètre . 


ïT'npn  !?D  liNa  ^"Jdî  n-nn  -iri73   bip  n2   riri:^ 

n^33  iN\rn  bTia  "^332  n-i:?  bip  i^b  -«rîT  Nsn 

!-T'D-)3  prî^-'   2-1  T'en  S:'  mm  bD  incor  ns 

û"'bi-i  -^bn  yipi  yip  by  a-m  to-«pbï<   nN-i"»  b\aitt  p-'iii: 

'rT  mrrî   bD  ttdop  n; 

iNb  iNb  brn  yn  yj-î  b:?  t^-i^t  bs  -nia  2"'":;» 

f  inytn  "^in  -^in  nn373  &^\S5n  l^a  ï-ibb-^  bip 

C3"'^N':;:r!  b^  n-^sn  ta-^m^wn  tzy  nso»  baN 

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bî^n^  bsb  iTTin  ^^ab  biî<'Ti2î''a  T^h»  nsio 

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n-n»"«rn  b22  rt^iiy  t^i-iwan  ni'^a?:  t>np» 

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rT'2-12  pnit"»  2-1  T^on  n:'  rr^b^  isb  nbc"^  -in;o 
Dn 


Lk  VIE  COMMERCIALE 

DES  JUIFS  COMTADINS  EN  LANGUEDOC 

AU  XVIII'  SIÈCLE 

(suite') 


n 

LES  JUIFS  COMTADINS   ET  LEURS   MÉTIERS   EN    LANGUEDOC. 

A.  Les  Juifs  et  le  maquignonnage. 

Quoique  rigoureusement  réglementé,  le  commerce  des  Juifs  eut 
en  Languedoc  ses  privilégiés  :  les  marchands  de  chevaux,  mules 
ou  mulets,  tous  plus  ou  moins  originaires  de  Garpentras-.  Gom- 
ment de  modestes  maquignons  soumis,  comme  le  reste  de  leurs 
confrères,  aux  arrêts  généraux  qui  régissaient  leur  commerce 
purent-ils  devenir,  dans  la  suite,  les  pourvoyeurs  en  bestiaux  des 
paysans  languedociens,  c'est  ce  qu'expliquent  deux  raisons  d'ordre 
économique  :  1°  la  pénurie  presque  complète,  au  xviii^  siècle, 
des  animaux  de  labour  pour  la  culture  des  terres  ;  2°  le  monopole 
exclusif  du  maquignonnage  aux  mains  d'une  classe  restreinte  de 
marchands  chrétiens. 

Les  arrêts  du  Conseil  (29  février  niô  —  20  février  1731)  et 

>  Voir  Revue,  t.  XXXIV,  p.  276. 

'  Voir  Bauer,  Les  Juifs  de  Bédarrides,  dans  cette  Revue,  t.  XXIX,  p.  254.  Le 
commerce  des  bestiaux  était  pratiqué  par  les  Juifs  du  Gomtat  depuis  le  xv»  siècle. 
Voir  Bardinet.  Les  Juifs  du  Cotnlat-V cnaissin  au  moi/en  âqe,  Revue  Historique,  1880, 
t.  XIV. 


92  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

l'ordonnance  de  l'Intendant  Bernage(14  janvier  nf32)  ne  spéci- 
fiaient nullement  que  les  maquignons  juifs  fussent  compris  dans 
les  défenses  de  séjour  et  de  commerce  portées  contre  les  col- 
porteurs, en  général.  Gomme  les  maquignons  comtadins  auraient 
pu  pénétrer  dans  la  province  à  la  faveur  du  mutisme  des  ar- 
rêts les  concernant,  l'Intendant  Bernage  expliqua,  à  cet  égard, 
les  intentions  du  gouvernement'  (1732;.  Défense  fut  faite  aux 
Juifs  de  vendre  en  Languedoc  toute  sorte  de  marchandises  «  y 
compris  les  mules  et  mulets  »'.  Les  Juifs,  déçus,  adressèrent  au 
Contrôleur  général  Orry  la  demande  d'exercer  le  maquignonnage 
dans  les  trois  provinces  de  Dauphiné,  Provence,  Languedoc.  Accé- 
der à  leur  prière,  c'eût  été,  de  la  part  du  ministre,  fermer  les  yeux 
sur  un  trafic  pernicieux  pour  les  maquignons  chrétiens.  L'Inten- 
dant n'était  pas  soucieux  de  donner  prise  le  moins  du  monde  aux 
âpres  réclamations  de  ces  derniers.  Au  Contrôleur  général,  qui  le 
consultait  sur  la  requête  des  Juifs,  il  répondit,  «  qu'il  était  in- 
juste qu'ils  s'emparassent  du  commerce  au  préjudice  de  ceux  qui 
supportaient  les  charges  de  l'Etat  »  ^.  La  question  de  la  vente  des 
mules  paraissait  donc  réglée  dans  un  sens  favorable  aux  intérêts 
des  marchands  de  la  province,  mais  ici  intf^rvient  l'une  dps  rai- 
sons d'ordre  économique  dont  nous  avons  parlé,  à  savoir  l'ab- 
sence, en  Languedoc,  ûe  chevaux  de  labour. 

Les  paysans,  surtout  dans  le  bas  Languedoc,  se  servaient,  pour 
cultiver  leurs  terres  à  vignobles,  de  chevaux,  mules,  mulets,  non 
de  bœufs.  Or,  à  la  suite  des  nombreuses  réquisitions  qui  en  avaient 
été  faites,  au  début  du  xviii*  siècle,  pour  le  service  des  armées 
du  Roi,  en  temps  de  guerre,  le  contingent  en  bêtes  de  trait  avait 
diminué  dans  les  plaines  confinant  à  la  mer.  Tout  d'abord,  l'Inten- 
dant Bernage  ne  prit  pas  garde  à  l'étendue  du  mal  causé  aux  la- 
boureurs par  la  pénurie  de  chevaux.  Il  avisa  donc  le  Contrôleur 
général  qu'il  y  avait  lieu  de  repousser  la  requête  des  Juifs  du 
Comtat  qui  s'offraient  à  en  pourvoir  la  province.  Cependant  l'en- 
quête à  laquelle  se  livra  le  syniiic  général  Joubprt  sur  l'état  des 
cultures  en  Languedoc  démontra  la  véracité  des  allégations  appor- 
tées par  les  Juifs  à  l'appui  de  leur  thèse.  Aussi  bien  les  Etats  du 
Languedoc  avaient-ils  dénoncé  le  mal  depuis  longtemps.  Sans 
bêtes  de  labour,  pas  de  culture  possible  de  la  terre  ;  d'où,  diminu- 


•  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744,  Bernage  au  Contrôleur  général  Orry.  Mémoire, 
11  août  1735  :  «  Les  Juils,  sous  prétexte  que  le  couimerce  des  mulets  n'était  pas 
compris  nominalement  dans  les  défenses  des  arrêts  du  Conseil  et  par  notre  ordon- 
nance   ont  prétendu  être  en  droit  de  continuer  d'en  vendre.    » 

'  Ordonnance  de  Bernage,  13  juin  1732. 

>  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744,  Bernage  à  Orry,  i\  août  1735. 


LA  VIE  COMMERCIALE  DES  JUIFS  COMTADINS  EN  LANGUEDOC         93 

tion  de  récoltes  sur  lesquelles  le  paysan  faisait  fond  pour  se  nour- 
rir et  paj'er  l'impôt.  La  situation  critique  où  se  trouvaient  les  cul- 
tivateurs du  Languedoc  éveilla  la  sollicitude  de  l'Intendant.  Sans 
s'attarder  aux  protestations  des  marchands  du  pays,  il  autorisa 
les  Juifs  comtadins  à  amener  dans  les  plaines  du  bas  Languedoc 
autant  de  bêtes  qu'ils  voudraient  pour  les  y  vendre,  pendant 
six  mois*. 

La  pénurie  des  chevaux  de  labour  était  une  des  raisons  qui, 
par  son  caractère  urgent,  avaient  décidé  l'Intendant  à  accorder  aux 
Juifs  le  privilège  commercial  qu'ils  désiraient  obtenir.  Ce  n'était 
pas  la  seule.  Parmi  les  arguments  invoqués  par  les  Juifs  en 
faveur  de  leur  demande  —  et  ils  étaient  multiples  :  promesse  de 
payer  les  droits  d'entrée  et  de  sortie,  avantages  procurés  aux 
paysans  par  la  vente  du  bétail  à  crédit,  liberté  du  choix  garantie 
aux  agriculteurs  par  les  lois  mêmes  de  la  concurrence,  abaisse- 
ment du  prix  des  bêtes,  conséquence  naturelle  de  l'afflux  des  che- 
vaux sur  les  marchés  du  Languedoc,  facilités  de  tout  genre  accor- 
dées aux  acheteurs  pour  le  payement  de  leurs  dpttes,  troc  du 
bétail,  etc.  —  parmi  toutes  ces  raisons  -,  l'une  d'elles  séduisit  l'In- 
tendant, car  sous  l'apparence  d'une  marque  d'intérêt  portée  aux 
paysans  par  les  Juifs,  elle  était,  en  réalité,  une  attaque  droite 
et  à  fond  contre  les  marchands  du  pays,  détenteurs  du  mono- 
pole des  maquignons.  Là,  d'après  les  Juifs,  résidait  tout  le  mal; 
là  était  la  source  des  maux  pitoyables  dont  souffraient,  à  cause  du 
manque  de  bêtes,  les  agriculteurs  languedociens. 

Il  ne  tenait  qu'aux  maquignons  du  pays,  avançaient  les  Juifs, 
de  fournir  aux  paysans  les  mules  dont  ils  avaient  besoin.  Mais 
leur  rapacité  les  en  empêchait.  Jouissant,  en  nombre  infime,  du 
privilège  exclusif  de  vendre  les  bêtes  de  labour,  ils  en  profitaient 
pour  porter  si  haut  leurs  prix  que  les  cultivateurs  étaient  hors 
d'état  d'en  acheter.  Loin  de  toute  concurrence  étrangère,  ils  for- 
çaient le  laboureur  à  passer  par  où  ils  voulaient,  réglant,  à  eux 
seuls,  le  prix  des  bêtes.  Qu'ils  vendissent  au  comptant  ou  à  cré- 
dit, la  ruine  n'en  était  pas  moins  certaine  pour  l'acheteur.  Les 
Juifs,  au  contraire,  se  faisaient  forts  de  prouver,  au  besoin  «  par 
le  suffrage  de  cent  communautés  »,  qu'ils  ne  recevaient  des 
paysans  qu'un  écu  après  ['autre  et  souvent  même  rien  ^. 

Au  plaidoyer  des  Juifs  du  Comtat  répondait  le  réquisitoire  des 
maquignons  du   Languedoc,  rédigé  par  les  plus  opulents  mar- 

>  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744,  Ordonnance  de  l'Intendant  Bernape,  20  août  1736. 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Requête  des  Juifs  de  Cavaillon,  Carpentras a 

l'Intendant,  1736.  Les  Juifs  de  Metz  fournissaient  les  écuries  du  Roi. 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Requête  des  Juifs  de  Cavaillon...,  1736. 


94  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

chands  de  la  province'.  Eux  seuls,  en  temps  ordinaire,  se  dis- 
putaient la  clientèle  des  paysans  sur  les  marchés  du  pays.  Mais 
les  intérêts  de  leur  monopole  menacé  par  les  Juifs  les  firent 
se  coaliser,  eux,  rivaux  d'tiier,  contre  l'ennemi  commun  :  le 
Goratadin, 

Point  par  point,  ils  opposent  à  l'argumentation  serrée  des 
Juifs  leur  dialectique  mercantile.  Le  nombre  des  maquignons  est- 
il  aussi  restreint,  disent-ils,  que  l'avancent  les  Juifs  ?  Les  chiffres 
ne  sont-ils  pas  là  qui  prouvent  qu'ils  sont  plus  de  quarante  mar- 
chands encombrés  de  bêtes  de  somme  ?  Leur  amour  pour  le  paysan 
ne  souffrirait  pas  que  la  province  en  manquât.  Leurs  écuries  sont 
pleines  de  chevaux,  mules,  mulets,  preuve  qu'il  est  absurde  de 
supposer  que  le  bas  Languedoc  puisse  en  pâtir.  Les  bêtes  même 
seraient-elles  si  rares  qu'on  fût  obligé  de  recourir  aux  Juifs  du 
Comtat,  s'ensuit-il  qu'elles  soient  indispensables  à  la  culture  des 
terres  ?  L'Intendant  sait  bien  que  dans  le  haut  Languedoc  les  terres 
sont  travaillées  avec  des  bœufs,  que  seuls  les  viticulteurs  du  bas 
pays  se  servent  de  chevaux  pour  le  labour,  et  encore  faudrait-il 
ajouter  que  les  grands  propriétaires  cultivent  leurs  domaines  avec 
des  bœufs,  d'un  usage  moins  coûteux  que  ne  le  sont  les  chevaux 
ou  mules.  Les  Juifs  n'ont  donc  pas  raison  d'incriminer  leur  mono- 
pole. C'est  d'eux-mêmes,  disent  les  marchands,  que  le  monopole 
serait  à  redouter,  d'eux  «  qui  sont  si  éloignés  de  toutes  sortes  de 
scrupules  en  matière  de  pratiques  mauvaises  et  frauduleuses  pour 
gagner  ». 

Habile  était  la  défense  des  maquignons  et  propre,  suivant  leur 
avis,  à  justifier  leur  demande  d'expulsion  des  Juifs.  Par  malheur 
pour  eux,  les  faits  plaidaient  contre  eux.  Il  était  démontré  qu'ils 
avaient  mésusé  de  leur  monopole,  en  rendant,  par  leurs  prix 
exorbitants,  l'achat  des  bêtes  impossible  au  paysan.  A.ussi  quand, 
pour  la  seconde  fois,  il  posa  la  question  du  renouvellement  du  pri- 
vilège des  Juifs  pendant  six  autres  mois,  le  syndic  général  du 
Languedoc  déclara  que  «  non  seulement  l'intendant  devait  accor- 
der aux  Juifs  comtadins  le  délai  demandé»,  mais  encore  qu'il 
conviendrait  d'obtenir  du  Conseil  d'État  un  arrêt  les  autorisant  à 
faire  les  maquignons  pendant  quelques  années  encore  dans  la 
province  '  {1131). 

S'opposer  alors  à  toute  demande  en  renouvellement  de  privi- 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Mémoire  des  marchands  de  mules  de  Nîmes,  Som- 
mières,  Montpellier,  Marsillargues,  Marguerite,  Anduze,  Florac,  Montagnac,  Pèze- 
nas,  Saint-André-de-Sangonis  (^1736).  Imprimé. 

»  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Avis  de  Montferrier,  Syndic  général,  24  janvier 
173". 


LA  VIE  COMMERGlALt:  DES  JUIFS  CÛ.MTADINS  EN  LANGUEDOC         95 

lège  devint  pour  les  maquignons  du  Languedoc  une  obsédante 
préoccupation.  A  les  en  croire,  laisser  indéfiniment  les  Juifs 
vendre  des  mulets  dans  le  pays  était  pour  leur  commerce,  à  eux 
une  question  de  vie  ou  de  mort.  A  vrai  dire,  le  maquignonnage 
indigène,  miné  qu'il  était  par  la  concurrence  des  Juifs,  était 
ébranlé.  Au  ton  alarmant  des  requêtes  des  marchands  languedo- 
ciens, on  devine  sans  peine  leur  déconfiture.  On  les  y  voit  s'ériger 
en  avocats  du  commerce  de  la  province,  s'apitoyer,  avec  de  grands 
mots,  sur  le  sort  du  paysan  livré  à  la  «  fourberie  »  des  Juifs. 
Or,  en  même  temps  que  les  maquignons  clirétieus  s'entêtaient  à 
vendre  leurs  bêtes  à  des  prix  excessifs,  refusant  même  au  paysan 
le  crédit,  de  toutes  les  métairies  du  Languedoc  les  fermiers  ac- 
couraient aclieter  aux  Juifs.  Munis  d'un  privilège,  ceux-ci,  es- 
cortés de  palefreniers  et  valets  d'écurie,  s'acheminaient  sur  les 
routes  qui,  du  Languedoc,  menaient  en  Poitou,  en  Auvergne,  en 
Saintonge,  en  Limousin,  en  Rouergue,  en  Albigeois*,  tous  pays 
dont  les  marchés  étaient  par  eux  fréquentés.  Ils  y  achetaient  les 
bêtes  qu'ils  revendaient  aux  Languedociens,  alléchés  par  le  bas 
prix  et  le  crédit  à  long  terme. 

Le  crédit',  c'était  l'arme  par  laquelle  les  Juifs  captivaient  le 
paysan  :  le  crédit  faisait  le  succès  de  leurs  opérations,  qu'ils 
s'efforçaient  de  faire  tramer  en  longueur,  en  Languedoc,  donnant 
à  l'Intendant  force  raisons  pour  justifier  leur  séjour  dans  la 
province;  tantôt,  il  leur  restait  des  bêtes  qu'ils  n'avaient  pu 
vendre,  tantôt,  c'étaient  des  débiteurs  auxquels  il  fallait  réclamer 
quelque  arriéré^.  Ainsi  s'éternisait  la  concurrence  des  Juifs  en 
Languedoc,  au  grand  désespoir  des  commerçants  en  bestiaux  du 
pays.  Le  temps  n'était  plus  où  ces  derniers  approvisionnaient  la 
province  de  mules  et  chevaux.  Ils  avaient  pour  successeurs, 
dans  ce  métier,  les  souples  Gomtadins,  grâce,  disaient-ils,  à  la 
faiblesse  coupable  de  l'Intendant  Bernage.  N'allaien't-ils  pas 
jusqu'à  l'accuser  de  pactiser  avec  leurs  plus  cruels  concurrents? 


'  Voir,  pour  l'Albigeois,  le  Rapport  du  subdéléj^ué  du  diocèse  d'Albi  à  l'Intendant 
pour  servir  de  complément  aux  Mémoires  de  Basville,  Chroniques  de  Languedoc, 
t.  V. 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  L'Intendant  Bernage  à  Orry,  Contrôleur  Général, 
11  février  1737  :  «  Les  Juifs  ont  vendu  leurs  bestiaux  à  des  prix  convenables  et  pro- 
portionnés aux  facultés  des  gens  de  la  campagne  »  (sic). 

^  Arch,  de  l'Hérault,  C.  2744  :  «  Nous  avons  vendu,  disent  les  Juifs,  la  plus 
grande  partie  de  nos  bêles  à  crédit.  Nos  acheteurs  sont  presque  tous  des  métayers. 
La  récolle  dernière  ayant  été  fort  mauvaise,  nous  n"avous  pu  parvenir  à  nous  iaire 
payer.  Et  encore  le  public  était  si  dépourvu  de  bestiaux  par  la  rareté  qu'il  y  avait 
eu  pour  le  prix  excessif  dont  les  marchands  du  pays  tenaient  leurs  bestiaux  que  ces 
acheteurs,  loin  de  payer  ce  qu'ils  nous  devaient,  nous  demandent  de  leur  en  vendre 
encore,  espérant  de  nous  satisfaire  à  la  réculie  prochaine.  • 


96  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

A.U  fond,  la  pensée  qu'il  avait  été  corrompu  par  l'argent  des  Juifs 
n'était  pas  éloignée  de  leur  esprit.  Que  dire,  en  effet,  d'un  Inten- 
dant qui  légitimait  aux  yeux  du  Contrôleur  général  le  privilège 
que  les  Juifs  avaient  soi-disant  usurpé*  ?  N'était-ce  pas  les  encou- 
rager que  d'exposer  à  un  ministre  combien  les  Juifs  seraient  utiles 
au  Languedoc  s'ils  y  pouvaient  exercer  le  maquignonnage  de 
temps  en  temps?  Et  d'abord,  pourquoi  invoquer  cette  raison  que 
les  Juifs  achèteraient  aux  officiers  de  l'armée  leurs  chevaux  de 
réforme  «  toujours  plus  cher  qu'ils  ne  pourraient  être  vendus  aux 
habitants  du  pays?  »  Pourquoi  faire  miroiter  aux  yeux  d'Orry  la 
promesse  que  les  Juifs  procureraient  à  la  foire  de  Beaucaire  une 
abondance  inouïe  de  bêtes?  En  cela,  les  maquignons  du  pays 
disaient  vrai  :  la  foire  de  Beaucaire  ne  brillait  précisément  pas  par 
le  commerce  des  mules.  Rares  y  étaient  les  bestiaux,  insignifiants 
les  achats  et  ventes.  Or,  malgré  l'activité  des  maquignons  juifs 
pour  faire  de  Beaucaire  le  centre  de  leurs  opérations  en  maqui- 
gnonnage, il  ne  parait  pas  qu'ils  aient  donné  au  commerce  des 
bestiaux  sur  cette  p'ace  une  vive  impulsion.  Faut-il  s'en  étonner? 
La  facilité  qu'avaient  les  paysans  d'acheter  leurs  bestiaux,  durant 
l'année,  aux  traditionnels  marchés  où  les  conduisaient  les  Juifs, 
les  multiples  associés  que  les  Juifs  entretenaient  dans  toute  la 
province,  autant  de  causes  qui  contribuaient  à  la  déchéance  du 
maquignonnage  en  foire  de  Beaucaire. 

Ainsi,  petit  à  petit,  le  commerce  des  bêtes  échappait  aux  maqui- 
gnons chrétiens*.  Contre  des  concurrents  aussi  gênants  que 
l'étaient  pour  eux  les  Juifs,  ils  recoururent  au  mode  de  vexation 
usité  en  pareil  cas,  à  cette  époque  :  la  saisie.  Mais  précisément 
toute  une  série  de  mesures  interdisait  à  cette  époque,  et  depuis 
bien  longtemps,  la  confiscation  du  bétail.  La  sollicitude  de  l'Etat 
envers  les  petits  travailleurs  agricoles  avait  prescrit  cette  mesure 
préventive  ;  car,  du  moment  où  l'Intendant  prenait  sur  lui  d'en- 
courager la  multiplication  des  bestiaux  dans  la  province,  il  s'en- 
suivait qu'il  devait  veiller  aussi  à  ce  que,  par  suite  de  saisies 
arbitraires,  le  paysan  ne  fût  pas  privé  des  mules  introduites  en 
Languedoc  par  les  Juifs.  Saisir  le  bétail  des  marchands  comtadins, 
c'était  comme  ravir  les  espérances  que  le  paysan  fondait  sur  ces 
bêtes,  indispensables  au  labourage  de  son  champ.  Aussi,  en  gens 
industrieux,  les  Juifs  ne  manquèrent-ils  pas  de  faire  valoir  ces 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744,  Bernage,  Inlendant,  au  Contrôleur  général  Orry, 
11   lévrier  1737. 

'  On  peut  jufrer  de  l'exlensiou  croissante  du  commerce  des  maquignons  juifs  par 
ce  fait  qu'uu  des  leurs,  un  Juil  de  Carpentras,  avait,  aux  environs  de  Bagnols  en 
Languedoc,  deux  ou  trois  cents  paysans  pour  débiteurs.  Arch.  de  l'Hérault,  C  156. 


LA  VIE  COMMERCIALE  DES  JUIFS  COMTADLNS  EN  LANGUEDOC  97 
raisons  à  Bernage',  et  l'Intendant,  docile  en  apparence  à  leurs 
avis,  mais,  en  réalité,  réglant  toujours  ses  actes  d'après  l'intérêt 
général  de  la  province,  cassa  les  saisies  opérées  sur  le  bétail  des 
Juifs  par  les  maquignons  languedociens,  voire  môme  condamna 
aux  dépens  les  auteurs  de  ces  brutales  confiscations.  D'où,  rage 
des  maquignons  du  pays.  Jamais  ne  se  démentit  l'âpreté  avec 
laquelle  ils  défendirent  leur  monopole.  Un  jour,  ils  enlevaient  des 
mains  du  laboureur  les  bétes  que  les  Juifs  venaient  lui  vendre,  et, 
pour  cet  exploit,  point  n'avaient  recours  aux  exempts  ou  recors, 
mais  à  de  bons  mousquetons  et  pistolets  ^  Une  autre  fois,  ils  se 
livraient  à  une  véritable  chasse  à  l'homme,  traquant  les  Juifs  au 
fond  même  des  granges,  où  les  cachaient  les  métayers  des  «  mas  » 
languedociens.  C'était  l'éviction  des  Juifs,  systématiquement  orga- 
nisée en  Languedoc  par  une  poignée  de  privilégiés  maquignons  ^. 

Bernage,  que  lassaient  les  requêtes  de  ces  derniers,  leur  laissa 
entendre  qu'à  l'avenir  ils  n'avaient  plus  à  compter  sur  lui,  le 
pouvoir  central  lui-même  se  dérobant  à  leurs  doléances*.  A  l'ar- 
chevêque de  Narbonne  ^,  qui  avait  apostille  la  supplique  de  l'un 
d'entre  eux,  il  répondit  que  «  ce  placet  ne  méritait  aucune  atten- 
tion ».  A  cette  date  (1741),  il  prorogeait  de  six  en  six  mois  les 
permis  de  séjour  des  Juifs  comtadins  ^.  Par  là,  son  intention  était, 
non  de  faire  revivre  en  leur  faveur  le  monopole  exercé  autrefois 
par  les  maquignons  du  pays  %  mais  de  créer  entre  ceux-ci  et  les 
Juifs  une  active  concurrence,  gage  certain  du  bien-être  pour  les 
paysans  et  élément  de  prospérité  pour  l'agriculture  languedo- 
cienne. 

*  Requête  des  Juifs  de  Cavaillon  à  l'Intendant  pour  obtenir  mainlevée  d'une  sai- 
sie (28  ou  29  août  1738)  et  au  Contrôleur  général  pour  obtenir  le  droit  de  vendre 
mules,  etc.  (1738).  Pièces  trouvées  par  M.  C.  Bloch  (Archives  de  l'Aude)  et  publiées 
dans  cette  Revue,  t.  XXIV,  Un  épisode  de  l'histoire  commerciale  des  Juifs  en  Lan- 
guedoc. 

*  Voir  le  récit  d'une  semblable  équipée,  Arch.  de  PHérault,  C.  1261.  Mémoire  sur 
les  contestations  entre  Méjan,  maquignon  à  Sommières,  Blaquisse,  fermier  à  Aimar- 
gues,  1735-36. 

*  Us  prétendaient  même  saisir  toutes  les  dettes  contractées  par  les  particuliers 
envers  les  Juifs  pour  venle  de  mules, 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Bernage,  Intendant,  à  Gilly  de  Nogeret,  député  du 
commerce  de  Languedoc,  11  août  1735  :  «  Le  bien  de  la  province  demande  que  les 
réclamations  de  ces  marchands  soient  rejetées  et  les  Juifs  maintenus  dans  leur  per- 
mission.  » 

'  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Pièces  diverses.  Demande  de  Duprat,  maquignon 
languedocien. 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Ordonnances  de  l'Intendant  Bernage  (S  janvier  1741) 
et  de  Le  Nain,  son  successeur  (29  mai  1744  et  30  mai  1746). 

'  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2744.  Bernage  à  Orry,  7  septembre  1738  :  •  Je  suis 
d'avis  de  n'accorder  que  de  simples  permissions,  les  Juifs  pouvant,  s'ils  étaient  auto- 
risés par  le  Conseil,  abuser  d'une  plus  grande  liberté,  i 

T.  XXXV,  N°  68.  7 


98  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Les  maquignons  juifs  étaient  donc  devenus  bel  et  bien  privilé- 
giés '.  La  liberté  qu'ils  avaient  obtenue  de  séjourner  en  Languedoc 
avait  vivifié  le  maquignonnage,  qui  languissait  aux  mains  des 
marchands  indigènes.  Le  crédit  et  le  bon  marché  étaient  les  deux 
armes  qui  avaient  porté  les  plus  rudes  coups  au  monopole  des 
maquignons  du  Languedoc  et  sous  lesquels  il  agonisait.  La  téna- 
cité des  Juifs  dans  l'effort,  leur  entêtement  dans  la  lutte,  une  fois 
engagée,  avaient  su  vaincre,  malgré  tout,  les  répugnances  invin- 
cibles du  paysan  à  entrer  en  relation  avec  eux  et  les  préventions 
que  nourrissaient  à  leur  égard  les  pouvoirs  publics.  Résultat 
appréciable  à  une  époque  où  ni  le  roi,  ni  les  ministres,  ni  les 
Intendants,  ni  même  l'opinion  publique  ne  passaient  pour  leur  être 
favorables. 


B.  Les  Juifs  et  le  colportage. 

Si  le  maquignonnage  était  pour  les  Jaifs  comtadins  commerce 
privilégié  et  de  choix,  le  colportage  était  un  de  ceux  où  les  avaient 
réduits  la  jalousie  de  leurs  concurrents  et,  en  «  Avignon  »,  la  sévé- 
rité des  bulles  pontificales.  Ce  métier  de  porte-balle,  avec  les 
risques,  mais  aussi  les  profits  qu'il  apporte  à  qui  le  pratique, 
seyait  à  leur  tempérament  de  coureurs  de  grandes  routes.  «  Parti- 
cules de  vif  argent,  dit  d'eux  un  contemporain,  qui  courent, 
s'égarent  et  à  la  moindre  pente  se  réunissent  en  un  bloc  prin- 
cipal. »  En  efîet,  autant  de  routes  menant  du  Comtat  en  Languedoc, 
autant  de  pentes  vers  cette  terre  de  prédilection,  où  tous  se 
réunissaient  «  en  un  bloc  »  comme  s'ils  avaient  voulu  se  fondre 
dans  l'intense  vie  commerciale  de  la  province. 

Dès  leur  arrivée  dans  une  ville  du  Languedoc,  ils  sont  astreints 
au  rigoureux  contrôle  des  autorités  locales-.  Ouvrir  boutique, 
étaler    en    public  leurs  marchandises   sont  l'objet    d'autant  de 

'  Un  maquignon  juif  établi  à  Pèzenas,  fort  riche  d'aille.urs,  adressa  en  1786  à  Mi- 
romesnil,  garde  des  sceaux,  une  requête  pour  acquérir  des  immeubles  jusqu'à  con- 
currence de  150,000  1.  Ballainvilliers,  Intendant  apostilla  celte  demande  «  vu  qu'elle 
tendait  à  réaliser  et  à  retenir  en  Languedoc  la  t'oriune  de  ce  Juif  ».  BallainTillers  à 
Miromesnil,  17  novembre  1786.  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2748. 

*  La  déclaration  ae  leur  arrivée  dans  une  ville  de  la  province  est  inscrite  sur  les 
registres  des  bôiels  de  'ville.  Ainsi,  nous  pouvons  retrouver,  pas  a  pas,  des  traces  de 
leur  passage.  Exemple  :  les  archives  municipales  de  Narboune  possèaent  divers  re- 
gistres intitulés  «  I)es  Qualités  •  où  sont  mentionDés  les  noms  des  Juifs  qui  y 
commercèrent  de  1704  à  1716.  Après  1716,  nulle  mention  deux  :  c'est  qu'en  I7l6 
fut  promulgué  contre  eux  l'arrêt  du  Conseil  du  29  lévrier.  Ces  indications,  très  brèves 
d'ailleurs,  portent  que  t  N.  . .  Juif  s'est  présenté  devant  les  Consuls  et  leur  a  montré 
un  arrêt  du  Parlement  de  Toulouse  l'autorisant  à  résider  un  mois  dans  les  villes  où 
il  voudra  trafiquer  ». 


LA  VIE  COMMERCIALE  DES  JUIFS  COMTADINS  EN  LANGUEDOC         99 

défenses  pour  eux  et  le  signe  apparent  du  régime  d'exception  sous 
lequel  ils  vivent.  Aussi  ne  vendent-ils  que  dans  les  chambres 
d'auberge,  en  cachette,  ou  bien  l'échiné  pliée  sous  le  faix  de  leurs 
chiffons,  quêtant  de  porte  en  porte  la  clientèle  de  l'acheteur. 

La  friperie  était  leur  profession  favorite,  pour  mieux  dire  héré- 
ditaire. Chaque  cité  languedocienne  possédait  une  petite  colonie 
de  ces  commerçants  infimes.  A  Montpellier,  le  quartier  des  Etuves 
ou  du  Petit-Saint-Jean  *  abritait,  de  mémoire  d'homme,  des 
dynasties  entières  de  fripiers  juifs,  se  succédant  de  père  en  fils. 
A  Nîmes,  à  Carcassonne,  il  en  était  de  même.  Ils  gîtaient  dans  les 
ruelles  étroites  des  juiveries,  aux  haillons  pendant  aux  fenêtres, 
criant,  gesticulant.  Véritables  fourmilières  que  ces  «  juiveries  » 
grouillantes  de  vie,  peuplées  de  fripiers,  marchands  de  chiffons  ou 
d'ordes  guenilles.  C'est  là,  dans  ces  taudis^  aux  murs  tapissés  de 
chifl'ons,  qu'ils  s'approvisionnaient  de  hardes  effilochées,  de  vieux 
habits  dépenaillés,  de  galons  d'or  ou  d'argent  défraîchis,  antiques 
parfîlures  qu'ils  «  retapaient  »,  suivant  leur  expression^  pour  en 
faire  ce  qu'ils  appelaient  des  «  marchandises  rhabillées  ».  Et  dans 
cet  art,  ils  ne  rencontraient  pas  de  rivaux,  tant  était  habile  leur 
entregent  mercantile.  Si  habile,  qu'exerçant  le  métier  de  reven- 
deurs, ils  avaient,  prenant  de  toutes  mains,  troquant  le  neuf 
contre  le  vieux,  attiré  dans  leurs  échoppes  les  chalands  mis  à 
rançon  par  les  fripiers  patentés  de  l'endroit-. 

Ces  fripiers  se  confondaient  aisément  dans  la  foule  des  colpor- 
teurs de  soieries  ou  lainages  :  détailleurs  pour  la  plupart,  ils 
colportaient  sous  le  nom  de  vieilles  loques  des  pièces  de  soie 
défraîchies.  A  Montpellier,  nombreuses  furent  les  visites  des 
colporteurs  en  soieries  '.  Le  Juge-Mage,  un  des  gros  personnages 
de  la  cité,  leur  prêtait  son  logis  pour  y  abriter  leurs  marchandises. 
A  Toulouse,  ils  logeaient  sous  une  autre  enseigne,  un  tapis  étendu 
devant  la  boutique  d'un  parfumeur.  Le  débit  des  soieries  des  Juifs,  à 
raison  de  leur  bon  marché,  de  leur  inépuisable  variété,  battait  son 
plein  aux  foires  d'AIais,  de  Nîmes,  du  pont  Juvénal  (Montpellier), 
de  Toulouse.  Les  femmes  surtout  étaient  les  plus  avides  d'acheter, 
et  plus  d'une  était  surprise,  tâtant  de  la  main  la  fine  souplesse 

*  «  Ils  eurent  ensuite  le  crédit  de  se  faire  changer  à  la  place  des  Cévenols  dans  ce 
cul -de-sac  qui  aboutit  à  la  maison  Ranchin  et  qui  retient  encore  le  nom  dejuiverie  », 
dit  un  historien  local  du  xviii»  siècle,  d'Aigrefeuille,  dans  son  Histoire  de  Montpel- 
lier, t.  Il,  I73R.  Voir  d'intéressantes  études  sur  la  topographie  du  quartier  juif  à 
Montpellier  dans  les  Mémoires  de  la  Société  archéolog.  de  Montpellier,  série  II,  par 
L.  Guiraud. 

»  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2743.  Le  subdélégué  de  Nîmes  à  Bernage,  Intendant, 
19  septembre  1729  :  «  Ils  (les  Juifs)  augmentent  considéra blecient  une  consommation 
qui  ne  se  ferait  point  sans  eux.  » 

^  Expulsés  de  Montpellier  en  1732,  ils  y  retournèrent  en  173S. 


100  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

d'un  tissu  étalé  sous  ses  yeux  par  le  Juif  d'Avignon.  La  vogue 
allait  aux  Comtadins;  on  se  disputait  leurs  différentes  qualités  de 
soieries  :  taffetas,  foulards,  gazes,  fines  tuiles  de  soie,  satins  écla- 
tants, gros  de  Tours,  étoffes  tramées,  laine  et  fil  avec  or  ou  argent, 
velours,  brocards  et  moires  aux  couleurs  fugitives.  Les  Juifs,  sans 
souci  des  criailleries  de  leurs  concurrents,  continuaieiit  leur 
négoce.  Bon  an,  mal  an,  ils  apportaient  en  foire  de  Beaacaire 
500.000  1.  de  soieries  ;  ils  en  vendaient  pour  50.000  écus,  indice 
pour  eux  d'une  excellente  foire*.  L'activité  industrielle  de  la 
province  dans  la  fabrication  des  soieries  les  stimulait.  Leurs 
étoffes,  ils  les  tiraient  d'Avignon,  de  Lyon,  de  Nîmes,  le  centre  des 
soieries  languedociennes  rivales  des  soieries  lyonnaises*.  A  Nîmes 
se  fabriquaient  alors  —  bien  que  le  commerce  des  soieries  dé- 
clinât —  les  couvertures  de  soie,  les  bas  de  soie  dont  raffolaient 
les  jeunes  provinciales  ;  de  Nîmes  partaient  chaque  année  les 
convois  de  mulets  chargés  d'étoffes,  et  qui  tout  le  long  des  routes 
se  délestaient  d'une  partie  de  leur  faix.  Les  étoffes  de  soie  de 
Languedoc  avaient  à  soutenir  la  concurrence  des  soies  de  Lyon. 
Ajoutez  celle,  toute  récente,  des  Juifs  d'Avignon,  et  l'on  com- 
prend l'irritation  croissante  des  marchands  de  soie  languedo- 
ciens. Mais,  si  chatouilleux  qu'ils  fussent  sur  le  point  d'honneur, 
ils  n'allaient  pas,  sitôt  leurs  intérêts  mis  en  jeu,  jusqu'à  refuser  de 
a  composer  »  avec  les  Comtadins  ;  on  les  vit  toutes  les  fois  que 
leurs  soieries  ne  se  vendaient  pas,  les  leur  donner  à  vil  prix  en 
échange  d'autres  marchandises  qui  n'avaient  aucun  rapport  avec 
leur  industrie^.  Les  Juifs  ne  perdaient  rien  à  ce  jeu  :  leur  com- 
merce revêtait  mille  formes,  trocs,  achats  au  rabais,  ventes  au 
détail,  en  gros,  contrebande,  s'il  y  avait  lieu.  Ils  achetaient  souvent 
des  étoffes  à  dessins  anciens,  passées  de  mode,  et  les  revendaient 
totalement  transformées.  S'il  leur  restait,  après  les  foires,  des 
soieries  invendues,  ils  savaient  où  les  écouler  ;  ils  les  vendaient  aux 
paysans,  moins  exigeants  que  les  citadins  sur  la  finesse  de  tel  ou 
tel  tissu,  sur  le  dessin  plus  ou  moins  archaïque  de  telle  ou  telle 
pièce.  Ainsi  le  chiffre  de  leurs  affaires  se  trouvait  multiplié  d'année 
en  année  par  la  hardiesse  de  leurs  spéculations. 

'  Sur  la  vente  des  soieries  par  les  Juifs  à  Beaucaire,  voir  Arch.  de  l'Hérault, 
C.  2304,  2305,  2324,  2299,  2329,  2300  (auuées  1731,  1732,  1766,  1774,  1775,  1779, 
1780).  Observations  sur  la  foire  de  Beaucaire,  classées  par  années. 

'  Les  Juifs,  au  même  litre  que  les  Languedociens,  payaient  aux  bureaux  du  Tiers 
sur  taux  et  quarautièoie  de  la  douane  de  Lyon  les  droits  perçus  par  le  fermier  de 
cette  douane.  Voir  Rcjuête  dit,  Syndic  général  de  Lantjuedoc  pour  servir  de  réponse  à 
celle  des  jn-évôts  et  marehands  (checins  de  Lyon  an  sujet  des  droits  du  tiers  sur  taux. 
1718.  Paris,  Arch.  de  l'Hérault.  Foud  de  l'Intendance.  On  y  trouve  le  nom  de  Juifs 
comtadins  ayant  acquitté  ces  droits. 

^  Arch.  de  lliérault,  C.  2324  :   •  Observations  »  sur  la  foire  de  Beaucaire,  1766. 


LA  VIE  COMMERCIALE  DES  JUIFS  COMTADINS  EN  LANGUEDOC        101 

Avec  les  étoffes  de  soie,  objet  de  luxe,  les  Juifs  comtadins  col- 
portaient aussi  les  rudes  étoffes  de  laine,  matière  de  première 
nécessité,  aussi  aisées  à  acquérir  qu'à  écouler.  Chaque  paysan, 
ayant  besoin  de  quelques  pans  de  cadis  pour  se  vêtir,  s'adressait 
au  Juif,  amplement  pourvu  de  tous  ces  lainages.  Au  reste,  les 
Juifs  d'Avignon  étaient  à  la  tête  d'une  manafacture  de  laines  (cou- 
vertures), aussi  florissante  que  celles  de  Montpellier,  de  Nîmes, 
de  Toulouse,  où  abondaient  les  laines  assorties,  originaires  du 
Maroc,  des  pays  barbaresques  et  du  Levant.  Les  bas  prix  des  laines 
des  Juifs  —  ce  qui  s'explique  par  une  main-d'œuvre  moins  élevée 
à  Avignon  qu'à  Nîmes  •  et  un  poids  moindre  —  empêchaient  les 
manufacturiers  de  Montpellier,  de  Nîmes,  de  Toulouse,  de  vendre 
les  leurs  sur  un  très  haut  pied.  L'Intendant  Saint-Pripst,  à  qui  la 
question  avait  été  soumise,  demanda  môme  à  Machault,  garde  des 
sceaux  (1753),  de  prohiber  ou  de  charger  de  droits  très  onéreux  les 
couvertures  de  laine  importées  par  les  Comtadins  avec  les  laines 
pelades  qui  servaient  à  Ips  fabriquer,  et  que  les  Juifs  tiraient  de 
Marseille,  où  elles  avaient  été  apportées  par  les  Levantins.  Saint- 
Priest  réclama  de  Machault  la  protection  des  laines  du  Languedoc 
contre  les  produits  similaires  de  la  manufacture  d'Avignon.  Et 
Machault  approuva  l'Intendant,  exigeant  que  les  lainages  du  pays 
eussent  sur  ceux  du  Comtat  la  préférence  du  débit'. 

Sous  couleur  de  colporter  des  laines  ou  des  soieries,  le  colpor- 
teur juif  entreprenait  mille  métiers.  Tel  qui  passait  au  regard  de 
l'autorité  pour  débiter  au  paysan  des  aunes  de  drap  ou  des  pans 
de  bure  vendait  à  tout  venant  des  bijoux  et  autres  matières  d'or  ou 
d'argent.  Ainsi,  sans  être  soumis  au  moindre  contrôle,  sans  être 
officiellement  autorisés  par  des  lettres  de  maîtrise  ou  des  titres  de 
privilège,  ils  vendaient,  achetaient,  troquaient  les  bijoux  précieux, 
la  vaisselle  d'or  ou  d'argent.  On  les  surprit.  Maîtres  orfèvres  et 
officiers  de  la  Cour  des  Monnaies  de  Montpellier  s'émurent.  Ils 
sommèrent  les  Juifs  de  produire  au  grand  jour  de  l'audience  les 
titres  en  vertu  desquels  ils  prétendaient  commercer.  Comme  ils 
n'en  possédaient  pas,  les  esprits  des  boutiquiers  languedociens 
s'échauffèrent  :  on  vit  les  Juifs  accusés  de  faire  sortir  du  royaume 
les  matières  d'or  et  d'argent  ^  de  drainer  tout  l'argent  de  la 

1  Ce  fait  nous  est  attesté  par  un  voyageur  hollandais  qui  visilait  le  Languedoc 
au  XVIII*  siècle.  Voir  sa  relation,  Voyage  en  Lanf/uedoc,  Provence  et  Comtat  d'Avi- 
gnon, relation  adressée  à  son  ami  M.  de  Kater,  écuyer  à  Bordeaux,  par  M.  Van  de 
Brande.  Montaubau,  1774.  Imprimé. 

»  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2318.  Saiul-Priest,  Intendant,  à  Machault,  garde  des 
sceaux,  27  septembre  1753.  —  Machault  à  Saint-Priest,  10  octobre  1753. 

»  D'Aigreleuille,  Histoire  de  Montpellier,  t.  IV,  édit.  La  Pijardière.  Cahier  des 
doléances  des  habitants  de  Montpellier  pour  1789.  Tiers  Etat.  (Orlèvres). 


102  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

province,  crime  éminemment  répréhensible  pour  les  juridictions 
royales.  «  Ce  sont  gens,  dit  en  1736,  le  Général  des  monnaies  de 
Languedoc,  Pellèas  Maillane,  porteur  d'ordres  du  Roi  pour  sur- 
veiller les  menées  des  Juifs,  ce  sont  gens  qui  nous  enlèvent  mon- 
naies de  billon,  anciennes  espèces  et  matières  pour  transporter 
dans  le  Comtat  par  mille  sortes  d'abus.  En  Provence,  l'Hôtel  de 
la  Monnaie,  les  changeurs,  les  orfèvres  se  trouvaient  bien  de  leur 
expulsion.  Ce  sont  gens  capables  de  toutes  sortes  de  malversations 
et  je  les  ai  trouvés  dans  toutes  sortes  de  cas  de  monnaie*.  »  On 
voit  par  cette  lettre  quelle  surveillance  rigoureuse  les  suivait 
partout  où  ils  passaient. 

C.  Les  Juifs  et  le  commerce  d'argent. 

La  classe  des  Juifs  comtadins  sur  qui  pesait  la  plus  lourde  sus- 
picion était  celle  des  manieurs  d'argent. 

Plusieurs  de  ces  négociants,  banquiers,  prêteurs  d'argent, 
avaient  élu  domicile  dans  la  province  par  une  faveur  spéciale, 
les  Juifs  ne  pouvant  résider  en  France  qu'en  vertu  des  lettres 
patentes  du  Roi.  Les  subdélégués  de  l'Intendant  fournissent,  en 
général,  sur  eux  de  bons  renseignements  '  :  ce  qui  prouve  le  mal 
fondé  de  quelques-unes  des  plaintes  portées  contre  eux  par  les 
marchands  du  pays.  A  Narbonne,  notamment,  ils  étaient  en  rela- 
tions d'affaires  très  suivies  avec  les  négociants  des  places  com- 
merciales du  Languedoc  et  du  Roussillon.  Ils  s'y  livraient  à  la 
banque  et  au  commerce  de  l'argent,  en  gens  francs  et  loyaux,  dit 
le  subdélégué  de  l'Intendant  ^  à  Narbonne  (1778).  Un  Juif,  nommé 
Carcassonne*  et  natif  de  l'Isle-sur-Sorgue  (Comtat),  domicilié  à 
Narbonne  de  1766  à  1777,  y  était  taxé  du  compoix  cabaliste,  de  la 
capitation  et  du  vingtième  d'industrie,  preuve  qu'il  n'était  plus 
pour  la  municipalité  de  l'endroit  un  étranger,  sujet  du  Pape. 
D'autres  «  honnêtes  Juifs  »  étaient  établis  à  Uzès  et  de  là  rayon- 
naient sur  toute  la  contrée.  Les  négociants  de  Pézenas,  Béziers, 
Perpignan  étaient  leurs  créanciers.  Enfin,  des  Juifs  de  Carpentras 
allaient  commercer  à  Bagnols,  au  Pont-Saint-Esprit,  à  Remoulins, 
et,  détail  piquant,  au  nombre  de  leurs  créanciers  les  plus  achar- 
nés étaient  des  Juifs  d'Avignon.  «  Quoique  Juifs,  disent  les  sub- 

'  Arch.  de  l'Hérault,  C.  2745.  Pellèas  Maillane  à  l'Intendant  Bernage,  21  août 
1-36. 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  134,  155,  156,  157,  «  sauf  conduits  ». 

*  Angles,  subdélégué  de  Sainl-Priest  fils,  à  Narbonne. 

*  Arch.  de  l'Hérault,  C.  154.  Enquête  sur  le  Juif  Moïse  Carcassonne  (1778). 


LA  VIE  COMMERCIALE  DES  JUIFS  COMTADINS  EN  LANGUEDOC        103 

délégués  de  la  Province,  tous  ces  négociants  sont  honnêtes  dans 
leurs  procédés  et  se  sont  fait  estimer,  tant  qu'ils  n'ont  pas  eu  de 
malheur  commercial,  » 

Les  opérations  financières  de  ces  Juifs  n'étaient  pas  souvent  des 
plus  brillantes.  Il  leur  arrivait  quelquefois  de  ne  pouvoir  payer 
leurs  dettes;  ils  imploraient  alors  la  grâce  du  Roi,  c'est-à-dire 
demandaient  un  sauf-conduit  pour  mettre  un  peu  d'ordre  dans 
leurs  affaires  et  calmer  leurs  créanciers.  Un  état  de  leur  actif  et 
de  leur  passif  était  alors  remis  au  subdélégué  de  l'endroit,  qui  en 
vérifiait  l'exactitude,  s'enquérait  de  leur  probité  commerciale, 
morale  même,  soumettait,  enfin,  à  l'assemblée  générale  de  leurs 
créanciers  les  propositions  dont  les  Juifs  l'avaient  chargé.  L'In- 
tendant, après  concordat  conclu  entre  créanciers  et  débiteurs, 
délivrait  ou  non  le  sauf-conduit,  valable  seulement  en  matière 
civile  pour  six  mois  ou  un  an.  Mais,  en  aucun  cas,  il  ne  pou- 
vait être  prolongé.  La  plupart  du  temps,  les  négociants  juifs  sa- 
vaient en  user  au  mieux  de  leurs  intérêts.  A  la  faveur  de  ces  per- 
missions, ils  s'ingéniaient  à  faire  rentrer  au  plus  vite  les  fonds 
qui  leur  étaient  dûs  par  les  commerçants  étrangers  d'Espagne  ou 
d'Italie  avec  qui  ils  trafiquaient.  D'où  leurs  voyages  hors  des  fron- 
tières royales,  à  la  fin  desquels,  leur  argent  rentré,  ils  revenaient 
dans  le  Languedoc  pour  y  payer  leurs  créanciers'.  Sinon,  en  cas 
d'insuccès,  la  prison  pour  dettes  les  attendait  au  retour,  peine 
qu'ils  jugeaient  infamante,  car  elle  dégradait  son  homme,  l'ex- 
cluant pour  toujours  des  charges  de  son  culte  et  le  bannissant  de 
la  synagogue  -. 

Les  subdélégués  ne  se  contentent  pas  d'un  «  état  »  commercial 
approximatif.  Ils  exigent  des  Juifs  un  état  précis,  complet,  des 
ressources  dont  ils  comptent  user  pour  faire  face  à  leurs  dettes. 
Ils  désireraient  que  les  Juifs  en  fissent  le  dépôt  entre  les  mains 
de  procureurs,  agréés  par  les  créanciers,  afin  qu'ils  ne  pussent 
négocier  lesdites  sommes  que  du  consentement  de  ces  derniers. 
Précaution  non  inutile,  puisque  quelques  Juifs  profitaient  du  sauf- 
conduit  pour  passer  en  pays  étranger  et  y  restaient. 

Ces  Juifs  prêtent  de  l'argent  aux  marchands  en  déconfiture,  aux 
paysans  à  court  de  ressources.  Les  documents  ne  laissent  voir 
aucune  trace  de  l'avidité  insatiable,  de  l'inflexible  dureté  que  la 

♦  Des  Juifs  de  Bagnols  (H^Q)  avaient  déposé  leur  bilan.  Ils  étaient  débiteurs  pour 
des  endossements  d'une  somme  de  'i03,907  1.  13  s.  Expatriés  dans  le  Comté  de  Nice, 
ils  revinrent  en  Languedoc  au  bout  de  six  mois,  ayant  payé  à  leurs  créanciers 
218,750  1.  Arch.  de  PHérault,  C.  154. 

«  Arch.  de  l'Hérault,  C.  154.  Roussel,  subdélégué  à  Bagnols,  à  Saint-Priest,  3  no- 
vembre 1779. 


104  REVLE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tradition  leur  attribue.  Quelques  exemples  le  prouvent.  Dans  une 
transaction  passt^e  entre  df^biteurs  chrétiens  et  prêteur  juif  devant 
le  tabellion,  les  d^^^biteurs  déclarent  par  écrit  que  le  Juif  n'a  exigé 
d'eux  que  l'intérêt  autorisé  par  les  ordonnances*.  Contre  leurs 
débiteurs,  ils  n'abusent  pas  de  la  force  de  leur  droit  pour  les  pour- 
suivre, armés  de  lois  rigoureuses.  Il  semble  donc  qu'ils  aient  mis 
dans  la  revendication  des  sommes  qui  leur  étaient  dues  moins 
d'âpreté  que  n'en  mettaient  leurs  créanciers  à  les  leur  réclamer*. 
Cependant  leurs  débiteurs  suspectent  leur  loyauté  en  affaires.  L'ao- 
cusation  la  plus  répandue  contre  eux  était  qu'ils  falsifiaient  des 
lettres  de  change.  Ainsi,  à  Beaucaire,  le  directeur  d'une  raffinerie 
prétendait  qu'un  Juif  avait  fabriqué  de  fausses  lettres  de  change  : 
à  quoi  le  subdélégué  de  Bagnols  répondit  :  «  C'est  une  imputa- 
tion calomnieuse  et  non  relevée  contre  ce  Juif.  »  Au  contraire, 
l'accusation  se  retourna  contre  son  auteur.  C'était  le  calomnia- 
teur qui  avait  falsifié  les  lettres  et  contrefait  le  seing  du  Juif  ^. 
Ailleurs,  deux  débiteurs  de  sommes  envers  un  Juif  se  voient 
traités  de  fripons  par  le  subdélégué,  de  fourbes  par  le  Vice-Légat 
d'Avignon  pour  avoir  altéré  des  lettres  de  change  endossées  et  si- 
gnées en  blanc  par  le  Juif*. 

D'autres  Juifs,  établis  dans  les  places  commerciales  du  Lan- 
guedoc, y  exerçaient  l'office  de  courtiers  ou  faisaient  valoir  leurs 
fonds,  comme  simples  particuliers  et  aux  taux  ordinaires  *.   Ce 

*  Arch.  de  l'Hérault,  G.  154.  Le  subdélégué  de  Bagnols  à  Saint-Priest,  fils,  In- 
tendant, 3  novembre  1779. 

'  Exemple  :  «  Vous  ferez  un  acte  de  justice,  écrit  à  Saint-Priest  le  subdélégué 
de  Bagnols,  en  accordant  un  sauf-conduit  au  juif  Jassé  Lisbonne,  car  il  n'a  pas  vexé 
les  débiteurs  qui  sont  introuvables.  »  15  février  1783.  Autre  lettre  :  «  Il  est  dû  à  ce 
Juif  beaucoup  plus  qu'il  ne  doit.  •  t  Ses  débiteurs  sont  des  paysans  qu'il  a  le  regret 
d'actionner  pour  ne  pas  les  ruiner.  »  29  janvier  1782.  —  Le  Juif  Carcassonne,  écrit 
le  subdélégué  de  Toulouse  Ginisty  à  Saint-Priest,  fils  (14  novembre  1781),  a  des 
embarras  qui  ne  proviennent  que  du  trop  de  facilité  à  se  défaire  de  ses  fonds  en  fa- 
veur de  certaines  gens  qui  ne  sont  pas  aussi  prompts  à  les  lui  rembourser.  La  preuve 
c'est  qu'il  ne  doit  que  9S,00U  1.  et  qu'il  lui  est  du  24,583  1.  La  dame  Dupont,  sa  dé- 
bitrice, a  abusé  indignement  de  sa  confiance.  Elle  l'a  spolié.  »  Arch.  de  l'Hérault, 
G. 155,  156. 

*  Arcb.  de  l'Hérault,  G.  154.  Roussel,  subiélégué  à  Bagnols,  à  Saint-Priest, 
6  septembre  1778  :  «  Le  Juif  en  question  ne  cberche  pas  à  tromper  ses  créanciers, 
ni  à  abuser  de  son  sursis  pour  transporter  ses  fonds  daus  les  pays  étrangers.  Il  a 
toujours  joui  d'une  bonne  réputation.  S'il  a  fait  faillite,  c'est  moins  sa  faute  que  celle 
de  ses  débiteurs  qui  lui  ont  fait  banqueroute.  Rentré  dans  le  royaume,  il  cherche  à. 
faire  honneur  à  ses  affaires,  » 

*  Arch.  de  l'Hérault,  G.  154.  Roussel,  subdélégué  à  Bagnols,  à  Saint-Priest,  3  no- 
vembre 1779  :  «  Le  Juif  Grêmieu  n'est  pas  banqueroutier;  il  ne  demande  pas  du 
temps  pour  ne  pas  payer  ce  qu'il  doit  ;  ses  créanciers,  s'il  en  a  de  sincères,  sont  sûrs 
de  sou  exactitude.  La  très  humble  supplication  pour  obtenir  un  sursis  a  pour  objet 
de  s'empêcher  de  pa^'er  ce  qu'il  ne  doit  pas  en  manifestant  la  plus  grande  fripon- 
n«rie  pratiquée  par  ses  deux  débiteurs.  « 

»  Arch.  de  l'Hérault,  G.  205.  D'Ormesson  à  Saint-Priest,  29  août  1775. 


LA  VIE  COMMERCIALE  DES  JUIFS  COMTADINS  EN  LANGUEDOC        103 

genre  de  négoce  constituait  une  des  sources  les  plus  productives 
de  la  richesse  des  Juifs  et  il  fut  le  prétexte  de  nombreuses  vexa- 
tions. Des  plaintes  s'élevaient  contre  eux,  dues,  la  plupart^  à  des 
débiteurs  ou  à  des  emprunteurs  de  mauvaise  foi.  Les  lettres  des 
subdélégués  provinciaux  nous  en  font  part.  Ces  débiteurs,  pour  se 
soustraire  à  l'obligation  de  payer  les  intérêts  de  leurs  dettes,  ac- 
cusaient devant  les  tribunaux  bs  Juifs  d'usure  et  de  manœuvres 
perfides,  toutes  marques  auxquelles  les  marchands  du  pays  pré- 
tendaient reconnaître  les  Juifs  comtadins.  L'antipathie  religieuse 
augmentait  encore  leur  ardeur  à  les  poursuivre.  De  là,  des  arres- 
tations, des  confiscations  sans  nombre  qui  mettaient  à  une  rude 
épreuve  l'endurance  commerciale  des  Comtadins. 

Malgré  la  connivence  tacit^^  que  les  Juifs  rencontraient  dans 
l'attitude  des  [)Opu!ations  toujours  empressées  à  entrer  en  rela- 
tions avec  eux,  pressurées  qu'elles  étaient  par  les  marchands  du 
pays,  les  Juifs,  qu'ils  fussent  maquignons,  colporteurs  ou  ma- 
nieurs d'argent,  se  heurtaient  à  l'irréductible  hostilité  de  leurs 
concurrents,  moins  heureux  qu'eux  dans  ces  divers  négoces.  Et 
certainement  la  lutte  d'intérêts  qui  se  livra  au  xvm«  siècle,  dans 
la  province,  entre  corporations  industrielles  et  Juifs  comtadins 
n'est  pas  le  chapitre  le  moins  curieux  de  leur  histoire  commer- 
ciale. 

N.    ROUBIN. 

[A  suivre.) 


NOTES  ET  MÉLANGES 


SUR  LA  SYNTAXE  DE  L'IMPERATIF  EN  HÉBREU 


En  général,  quand  le  verbe  d'une  proposition  est  à  un  mode 
impératif  (jussif,  cohortatif),  les  propositions  coordonnées  qui 
expriment  soit  la  suite,  soit  la  conséquence  de  la  première  pro- 
position ont  également  leur  verbe  à  l'impératif.  Cette  règle  est 
observée,  qu'il  y  ait  changement  de  sujet  ou  non,  comme  le 
montrent  les  exemples  suivants,  tirés  des  premiers  chapitres  de 
la  Genèse  :  îtîïjmt  yn^n  ns*  i^bsi  min  i-is  (i,  28).  —  i^h  ^b 
hsna  ïT^jn  ^!^o  nbnsi^T  '^d-oni  bins  -^r-b  y:i:fîi<^  ...']i£nN7û  (xii,  1-2).  — 
ïan-^  t]iyrTi  ...in-n  ni-:  (i,  22).  —  b-^^na  ■^rr^i  ...3>-«p-i  ■^r;"«  (i,  6).  —  ...n3  np"» 
litn'Ti  (xviii,  4).  —  mniNi  "^sn^b  "im  «5  b^  (xviii,  30).  —  îi533  nnn 
15b  !t::3>3t  ...isb  (xi,  4).  —  inn^i  ...ûni<  ït:j3>3  (i,  26).  —  ...nî  !^î<^::"in 
imi  (xix,  8). 

Toutefois,  comme  l'indicatif  futur  joue  aussi  le  rôle  de  l'impé- 
ratif, il  peut  arriver  qu'une  proposition  impérative  soit  suivie 
d'une  proposition  indicative.  En  étudiant  les  passages  où  ce 
fait  se  présente,  nous  avons  été  amené  à  faire  les  remarques 
suivantes. 

C'est  dans  les  parties  prosaïques  de  la  Bible,  notamment  dans  le 
Pentateuque  et  dans  les  premiers  Prophètes,  qu'on  voit  le  plus 
d'exemples  de  l'indicatif  coordonné  avec  l'impératif.  Les  passages 
de  ce  genre  qu'on  rencontre  dans  Isaïe,  Jérémie,  Ezéchiel,  ne 
sont  que  des  formules  prosaïques.  Dans  les  morceaux  de  poésie 
ou  d'éloquence,  le  parallélisme  oblige  à  employer  le  même  mode 
pour  les  verbes  coordonnés.  Dans  les  petits  Prophètes,  les 
Psaumes,  Job  (à  part  le  ch.  xlii),  le  Cantique,  les  Lamentations, 
il  n'y  a  pas  d'exceptions  à  la  règle  de  l'accord.  De  tous  les  Ha- 


NOTES  ET  MÉLANGES  107 

giographes  il  n'y  a  que  les  Proverbes,  le  ch.  xlii  de  Job,  Ruth  et 
les  Chroniques  (dans  des  passages  tirés  des  Rois)  où  l'on  trouve 
quelques  rares  exemples  de  l'indicatif  après  l'impératif. 

L'indicatif  suit  l'impératif  surtout  quand  les  verbes  coordon- 
nés sont  à  la  deuxième  personne.  Le  verbe  à  l'impératif  sert 
alors,  en  quelque  sorte,  de  préambule  au  verbe  qui  est  à  l'indi- 
catif ;  c'est  pourquoi,  dans  les  exemples  que  nous  allons  énumérer, 
le  verbe  rrpb  se  rencontre  très  fréquemment  dans  la  première 
proposition  : 

nBDNi  ,..^V  np  (Gen.,  vi,  21).  —  ûnnsTyrti  ...lisn^n  (/&.,  xix,  4).  — 
nniu'^n  ..."^b  n^a  (/&.,  xxvii,  43-44).  —  dmmm  ...ti^jn  ûip(/&.,  xliv, 
4).  —  tinNï53i  ...ûsb  inp  (/&.,  xlv,  9).  —  ...iDbn  ...inp  ...W3NiC  û:> 
ûns^ai  (Ex.,  XII,  32).—  nibm  ...^Tn  np  ^jTon  {Ib.,  xvii,  5). — 
inïJipT  -inn  ns  baan  (/&.,  xix,  13).  —  n^b3>i  npnb  ii35  n^m  (Ib., 
XXXIV,  2).  —  uns  nitt:s>m  "^nb  rtra^  ns  nnpn  (Nomb.,  m,  6).  —  ntû 
nnpbi  iDn52U5  nDD)3  riN  (Ib.,  m,  41),  —  ûnt*  mri'ji  ...t]-'"'ibn  ni?  np  {Ib., 
VIII,  6).  —  nnpbi  ..."^b  nsoN  (/&.,  xi,  16).  —  ûnn2i  innnxi  «"^n  nnpi 
{Ib.,  XVI,  17,  mais  v.  6,  nsm  ...mnntt  ûDb  inp).  —  ûm253br!i  ...E:"asn 
(/&.,  XX,  26).  —  nartNT  ...bN-iO''  ::>):ï3  (Deut.,  vi,  4-5).  —  ...iDin 
ûnnïn  (Jos.,  x,  19).  —  riDim  ...miurî  -id  n^  np  (Jug.,  vi,  25).  —  ...in 
n3>ttï5T  (76.,  VII,  10-11).  —  ûniDî^T  ...inp  (I  Sam.,  vi,  7).  —  ...vit  inti 
t3na\DT  (76.,  xxiii,  23).  —  ûn)2SU5m  ...DSUJn  (7&.,  xxix,  10).  —  -^baNnïi 
n'^'^m  'i^'ia  •'^iDn  b^T  ...N3  "^Tanbi  N5  (II  Sara.,  xiv,  2).  —  ...inp 
ûnainrn  (1  Rois,  i,  33).  —  nN2£im  ...my  -^b  '>'::y  {Ib..  xvii,  13).  — 
nami  ...'^bi  (II  Rois,  viii,  8).  —  n^m  ...'^bi  {Ib.,  xix,  1-2).  —  7^»'^\^ 
nxai  (7&.,  2).  —  ûn-^^ayi  ...n:>»u)T  (Jér.,  xi,  4,  6).  —  n-^piam  ...np 
{Ib.,  XXV,  15).  —  nariDi  ..."^b  np  {Ib.,  xxxvi,  2,  mais  v.  28,  np  nrû 
ansi  ...'^b).  —  nn5"i  ...^b  np  (Ez.,  ix,  2,  3,  9).  —  n53U5T  ...dd©  (7^.,  iv, 
4).  —  n-^irïiT  .„iiy  {Ib.,  ix,  4).  —  ûn-"b3>r!T  "^b  ittp  (Job,  xlii,  8).  — 
nb^Ki  „.■>«):»  (Ruth,  ii,  14). 

On  remarquera  spécialement  '^b  suivi  immédiatement  de  l'in- 
dicatif :  nsDNl  '^b  (Ex.,  m,  16).  —  n-'^m  ïiib  (Juges,  xi.  G).  —  "^b 
Jin-^am  (I  Sam.,  xv,  3).  —  nnnsT  '^b  (Is.,  xx,  2).  —  n-iam  '^b  (I  Chr., 
xxi,  10). 

Les  verbes  n»»  et  nan  sont  tout  particulièrement  mis  à  l'indica- 
tif après  un  impératif  :  ûnn»i<T  ,„•^bs>^  inn»  (Gen.,  xlv,  9).  —  ...xa 
nnttsn  (Ex.,  vu,  26).  —  nnttNi  ...as-^nm  -ipaa  daïîn  [Ib.,  ix,  13).  — 
nnttNi  b^n^"^  "^îa  bs  nai  (Lév.,  i,  9  ;  xxvn,  9;  etc.  ;  Nombr.,  v,  11, 
etc.).  —  Dnn»NT  ...inan  (Lév.,  xv,  1).  —  n-i73i«n  .,.n»K  {Ib.,  xxi,  1). 
—  ûn-iaTi  ...bnpm  (Nombr.,  xx,  8).  —  mttxi  ...;yip  Dip(Jos.,  vu, 
13).  ~  nna^n  ...n-i  dip  (I  Rois,  xxi,  18-19).  —  n-ittNi  ...ina^TSm  ,..np 
(7ô.,  XXII,  26-27).  —  dniam  ...laTO  lib  (Jér.,  xi,  2).  —  nnam  ...n-i 
(76.,  XXII,  1).  —  n-iaii  ...«a  -jb  (Ez.,  m,  4.  11).  —  nnwNT  Nain  {Ib.y 


108  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

VI,  1  ;  XIII,  1,  etc.).  —  n^5:î<i  ^yi  [Ih.,  xiv,  4;  xx,  B,  etc.).  —  ymh 
mnixy  [Ih.,  xvi,  1).  —  rrozixy  ...i«;-^p  nïî  (/ô.,  xix,  1,  etc.). 

On  met  parfois  la  seconde  proposition  à  l'indicatif  lorsqu'elle 
donne  le  détail  de  la  première  :  !-!ï5:?n  tr^i-p  "iDS  nnn  *]b  r^y  (Gen., 
XII,  4).  --  tmnpbi  ncsn  rjn-ûiEx.,  xii,  21-22).  —  i:r.V::NT  ...mbDN 
nriN  (Lév.,  X,  J3y.  — 2rN  ncsTi  îrrptt  ...'^V  ric:»  (Nomb.,x,  2).  — 
'ti^rhy^  3353  !-;t  w  (/&.,  xiii,  \1).  —  nsnpn  û-^sbsï^  ^yn  ...3in  "^b  np 
(Ez.,  XII,  3^.  —  ri:i<n  ...it-,3U33  ni^rr  (/&.,  xxi,  11).  —  ï3"^;uj  ^b  û-^ïj 
û^\2;n  "^n-i  «iû-'^n'i  '/ô.,  24-25). 

Plusieurs  de  ces  exemples  pourraient  s'expliquer  aussi  par  la 
raison  que  le  second  verbe  est  précédé  de  son  complément,  comme 
dans  les  passages  suivants  :  ^b  npn  ï^^rtnr;  bsK  ...N3  [Gen.,  vu,  1- 
23).  —  i^"»':;:!  mm  ^i^h  yyyy  [Ih.,  xxxii,  17).  —  „x\t'z'r^  rsi  inp  ...tiDSi 
l3"^TCn  (//;.,  xLiii,  121.  —  tr-Xir.  ^.-^y^i'j.  rxi  .:.û-'wT  (/&.,  xliv,  2).  — 
ibn^n  ûœi  ...ibu^s  (Lév.,  vm,  31).  —  ns'in  b.sT:;-^  -^53  b^i  ...3-ip!-n  (/&., 
IX,  3).  —  Ti-rn  nV  T,'zfï:i  "^nV^T  ...ircn  bi^i  (/&.,  xix,  4).  —  ûi  p;Nï^ 
y^V^ra.  û^^n  '^•^b:?;T  ']'^b:>  ■*:;3n  '^^.îîd  îiiiî^ti  ^b  û-^ntt  (Ez.,  xxiv,  11).  — 
■jcirn  \ms52T  ^n^jN  ^>:a  (Prov.,  vu,  1).  —  Nnpn  ...3n»i  ,..'n?3î<  (/&., 
V.  4).  —  n"»cn  ^3bi  ...y7:\:;T  (7^.,  xxii,  1).  —  tni  e^n  bs's  ns  y^nn  bN 
Ni3n  Nb  m5:n  uj:'^  (75.,  v.  24). 

Notons  enfin  les  propositions  commençant  par  Nbi  et  indi- 
quant la  conséquence  des  propositions  précédentes  :  bs  ûls^'ONn 
•mî2n  Nbi  'iî:'iLn  (!)  î<b  ûs-^^ism  v^sn  ^Lév.,  x,  6).  —  ...nan  bN  n3"ûT  V"* 
•vn»n  Nbi  (7ô.,  V,  9).  —  ii<x:-jn  Nbi  ...iirp'^n  bN  (7&.,  xi,  43). 

L'emploi  de  l'indicatif  à  la  première  ou  à  la  troisième  personne 
après  l'impératif  est  beaucoup  plus  rare.  Voici  les  passages  de  ce 
genre  que  nous  avons  notés  : 

à)  Première  personne  :  -^nsn^i  Y-  ^^^  (Ex.,  xxxiv,  1)  '.  —  -irb 
Tisia:-:!  ...rto  (Nombr.,  xxii,  8).  —  \-Tinnncm  -^wr  mci  (I  Sam.,  xv, 
30,  mais  v.  25,  înnnuJNT  "^tty  3iï5). 

6)  Troisième  personne  :  litn'^îl  ...Nitir;  (Gen.,  vu,  17).  —  ...ïtj5 
!T?i"i  ...']M'i  (7&,,  VIII,  12).  —  ïT^m  ...ip'in  ...inp  (/&.,  ix,  8  ;  mais,  v. 
22,  -«iT^i  ...ïi:35  ;  x,  12,  b:»^T  ...îias).  —  rrji  ...û''''ibr!  np  (Nombr.,  m,  45). 
~  vm  anb  r:5^  pnt  (7&.,  iv,  19).  —  n;n;T  bî<n">::-'  ^3  nî<  li:  [Ib., 
XXXV,  2).  —  irîT  ...rîbi'  ^  Rois,  xxii,  12,  15  =  II  Chr.,  xviii,  11, 
14  ;  mais  I  Rois,  xxii,  6  =  II  Chr.,  xviii,  3  :  imi  nby).  —  a-^pi 
1-m  ...unis  (Ez.,  XXXVII,  17). 

'  On  pourrait  se  demander  si  le  texte  primitif  ne  portait  pas  n3r31,  et  si  ce  n'esl 
pas  Moïse  qui  aurait  écrit  les  secondes  tables.  Au  verset  28,  3r3"^T  se  rapporte 
bien  plus  naturellement  à  Moïse  qu'à  Dieu.  Dans  le  passa^re  parallèle  du  Deuté- 
ronome,  x,  1,  on  trouve  une  forme  anormale  3nDNl,  au  lieu  de  !n3n3&<1,  ce  qui 
fait  penser  à  une  leçon  3n3T,  et,  au  ▼.  4,  3n5^T,  qui  n'a  pas  de  sujet,  a  été  peut- 
être  substitué  à  3râi<1. 


NOTES  ET  MELANGES  109 

Après  le  jussif  ou  le  cohortatif,  on  emploie  encore  plus  rare- 
ment l'indicatif,  surtout  s'il  y  a  changement  de  personne.  Voici 
les  exemples  de  ce  phénomène  que  nous  avons  rencontrés  : 

I.  Après  le  jussif  :  a)  troisième  personne  :  ...V-^nanî?  nnï*a  ■^rr» 
rm  (Gen.,  i,  14).  —  uî»m  ...nps"' »  [Ib.,  xli,  34).  —  n^m  un  vït'T 
ùi  (Ex.,  Yii,  19).  —  m72i  bn^  ...N2">  bn^  (Lév.,  xvi,  2;  cf.  ci-dessus). 
—  rr^n"'  ^bi  ...'TTi  xbi  ...iToipa  bi<  n'>D"'T  fl  Sam.,  xxix,  4).  —  "^nDm 
nma:?!  onb  (II  Sam.,  xiii,  5).  —  naDOn  ..."^nm  ,..n-i»:'i  ...nopa-» 
(I  Rois,  I,  2). 

b)  Deuxième  personne  :  n^im  ...^nT^T  ^^id'^i  ^nx  '^nm  (Gen., 
XXVIII,  3).  —  nribttT  ni-in  ^^mx  in-iD-ii  (II  Sam.,  m,  21).  —  "^n"' 
mam  ..."{nan  (I  Rois,  xxii,  13  =  I  Chr.,  xviii,  12). 

IL  Après  le  cohortatif,  n)  première  personne  :  l|"«Dnatt  ïn^nn^i 
nNK  ^bbp?3T  (Gen.,  xii,  3).  —  isbi  ...nnnps  (Juges,  xix,  13;  mais 
V.  11,  l'^bsT  ...rt'iiDi'i).  —  ^nsoNi  ...Ni  N-jpbx  (Ruth,  ii,  ^). 

&)  Deuxième  personne  :  ni<3m  ...na^NT  (Gen.,  xxvi,  9-10). 

c)  Troisième  personne  :  rrim  ...nn-iD3  nob  (Gen.,  xxxi,  44). 

Naturellement  il  est  difficile  de  décider,  dans  plusieurs  de  ces 
derniers  passages,  si  le  verbe  à  l'indicatif  dépend  du  verbe  impé- 
ratif qui  le  précède  immédiatement  ou  d'un  autre  impératif  plus 
éloigné;  ainsi,  dans  Gen.,  xxvii,  10,  nî^nm  peut  se  rattacher  à  '^b 
tipT  ...N5,  au  lieu  de  se  rapporter  à  r!\a3'j<i.  Enfln,  il  est  possible 
que  le  texte  n'ait  pas  été  conservé  partout  sans  faute,  et  que  l'in- 
dicatif ait  été  parfois  substitué  à  l'impératif. 

On  pourrait  aussi  se  demander  si  l'origine  des  différents  pas- 
sages influe  sur  l'emploi  de  l'indicatif.  Nous  laissons  cette  ques- 
tion aux  critiques  de  la  Bible. 

L'impératif  coordonné  avec  l'indicatif  ne  se  rencontre  presque 
jamais.  Nous  avons  cependant  noté  :  bs  ^î)"^»  û:»n  y^^J  i^by>  Nb  ujint 
K-ci  (Ex.,  ixxiv,  3).  —  \-!^T  ...î<inn  (I  Sam.,  x,  5).  —  'n'::y  ...i^-^rn 
(76.,  V.  7).  Mais  si  la  seconde  proposition  indique  la  conséquence 
directe  de  la  première,  le  verbe  est  fréquemment  mis  à  l'impéra- 
tif (v.  Gesenius-Kautzsch,  §  16G). 

Mayer  Lambert. 


>  En  réalité,   "^Wm    paraît   être  la   suite  île   nnrT'O'^T  'j-  33)  et  IlSnp"^,  la  suite 

de  -ipor' 


no  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


ENCORE  LE  SIÈGE  DE  MOÏSE 


À  propos  de  la  note  publiée  par  M.  Bâcher  dans  le  dernier  nu- 
méro de  la  Revue  (XXXIV,  299-301)  sur  le  Siège  de  Moïse,  il  me 
paraît  intéressant  de  citer  ici  un  passage  d'une  lettre,  en  portu- 
gais, adressée  par  le  père  Jean-Paul  Gozani,  missionnaire  de  la 
compagnie  de  Jésus,  au  père  jésuite  Joseph  Suarez,  et  dont  la 
traduction  française  a  été  imprimée  dans  le  Versuch  einer  Ge- 
schichte  der  Juden  in  Sina,  de  G. -G.  von  Murr  (Halle,  1806). 
Cette  lettre,  écrite  le  5  novembre  1704,  à  Kai-Fung-Fou,  parle 
d'une  visite  que  le  missionnaire  a  faite  aux  Juifs  chinois.  Voici  le 
passage  en  question  (p.  23)  :  «  Il  y  a  au  milieu  de  leur  synagogue 
une  chaire  magnifique  et  fort  élevée,  avec  un  beau  coussin  brodé. 
C'est  la  Chaire  de  Moïse,  dans  laquelle  les  samedis  (ce  sont  leurs 
dimanches)  et  les  jours  les  plus  solennels,  ils  mettent  le  Livre  du 
Pentateuque,  et  en  font  la  lecture.  »  Et  un  peu  plus  loin  (p.  28)  : 
«  Je  n'y  ay  point  vu  d'autel,  mais  seulement  la  chaire  de  Moïse 
avec  une  cassolette,  une  longue  table  et  de  grands  chandeliers, 
avec  des  chandelles  de  suif.  Leur  synagogue  a  quelque  rapport 
à  nos  Eglises  d'Europe.  Elle  est  partagée  en  trois  Nefs  ;  celle  du 
milieu  est  occupée  par  la  Table  des  Parfums,  la  Chaire  de  Moïse, 
et  le  Van-Sui-pai  ou  le  tableau  de  l'Empereur  avec  les  Taber- 
nacles, dont  j'ay  parlé...  » 

Il  semble  résulter  de  ces  passages  qu'au  lieu  d'une  Bvna  ou 
aimêmer,  les  Juifs  chinois  avaient,  dans  leur  synagogue,  une 
chaire,  qu'ils  appelaient  «  siège  de  Moïse  »  ou  que  les  Jésuites 
désignaient  de  ce  nom  et  qui  était  probablement  assez  élevée  pour 
qu'on  y  pût  facilement  faire  la  lecture.  Du  reste,  la  remarque  de 
R.  Derossaï,  citée  par  M.  Bâcher,  prouve  que  ce  rabbin  avait  éga- 
lement en  vue  un  siège  très  élevé. 

Si  l'on  tient  compte  de  ce  fait  qu'un  des  rouleaux  sacrés  de 
de  Kai-Fung-Fou  est  écrit  sur  des  peaux  de  mouton,  qu'il  a  plus 
de  140  pieds  de  longueur  et  est  haut  de  24  pouces  et  demi  (sans  les 
bâtons  autour  desquels  il  est  enroulé),  il  faut  admettre  que  le 
«  siège  de  Moïse  »  devait  être  très  grand  pour  que  le  lecteur  pût 
s'en  servir  de  pupitre  pour  un  tel  rouleau. 

D'après  M.  Henri  Cordier,  «  les  Juifs  arrivèrent  en  Chine  par 
la  Perse,  après  la  prise  de  Jérusalem  par  Titus,  au  premier  siècle 
de  noire  ère,  sous  la  dynastie  des  Han  et  sous  l'empereur  Ming- 


NOTES  ET  MÉLANGES 

■'3 

tï  *.  »  Si  cette  date  est  exacte,  la  coutume  des  Juifs  cliinois  —  à 
supposer  que  l'expression  «  chaire  de  Moïse  »  n'ait  pas  été  ima- 
ginée par  le  P.  Gozani  —  représente  une  tradition  qui  remonte 
plus  haut  que  l'expression  de  l'Evangile  de  Mathieu  (dans  l'article 
de  M.  Bâcher,  p.  300). 

Mayer  Sulzberger. 


ENCORE  LE  NOM  APIPHIOR 

L'étude  publiée  par  M.  Krauss,  dans  le  dernier  numéro  de  la 
Revue  (XXXIV,  218-239),  sur  Apiphior,  nom  hébreu  du  Pape, 
me  suggère  l'observation  suivante.  Au  xii«  siècle,  les  Juifs  des 
provinces  rhénanes  désignaient  le  pape  sous  le  nom  de  dvdd*.  Ce 
nom,  grâce  à  sa  similitude  avec  le  mot  talmudique,  est  devenu 
ensuite  'irs''Si<.  En  général,  on  répugnait  à  employer  sans  chan- 
gement des  termes  étrangers  servant  à  désigner  des  personnes, 
des  objets  ou  des  fêtes  de  cultes  non  juifs;  on  leur  donnait  une 
forme  hébraïque  et,  conformément  à  la  prescription  d'Adoda 
Zara,  46  a,  on  les  altérait.  Ainsi,  d^tr^  pour  "jinr,  riitp  pour 
nos  (les  Pâques  chrétiennes),  û"^"Jipn  bD,  pour  désigner  la  Tous- 
saint. Au  point  de  vue  philologique  aussi,  il  est  inadmissible  que 
niD-^DN  dérive  de  orsD. 

L'explication  de  M.  Reinach  pour  les  noms  de  Phiphior  et 
Niphior  est  extrêmement  ingénieuse  et  très  plausible. 

PORGÈS. 


MESGHOULLAM  GUSSER  DE  RIVA 

ET  SA  TOMBE 

Au  commencement  de  l'été  de  1896,  nous  reçûmes  la  photogra- 
phie d'une  inscription  tumulaire  de  Riva,  que  nous  avions  déjà 

*  Les  Juifs  en  Chine,  Paris,  1891,  p.  11. 

*  Voir  Neubauer  et  Stem,  Eebr.  Berichte  ûber  die  Jndenverfolgungen  wâkrend  dtr 
Kreuzzûge,  p.  4. 


^^Pi  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

publiée,  le  28  octobre,  dans  le  n*"  10  de  VIsraeiit.  Monatsschrift. 
C'est  la  même  photographie  qu'a  eue  à  sa  disposition  M.  D.  Kauf- 
mann  et  qu'il  a  reproduite  dans  la  Revue,  t.  XXXII,  p.  311  et 
suiv.  Notre  confrère  l'a  déchiffrée  de  la  même  façon  que  nous. 
M.  Kaufmann  a  cherché  à  identifier  le  MeschouUam  auquel  est 
dédiée  cette  inscription  et  en  a  fait  un  membre  de  la  famille  niip. 
Nous  avons  depuis  retrouvé  le  nom  de  ce  MeschouUam  Cusser 
dans  l'ouvrage  d'Ossimo,  Narrazione  délie  slrage  compila  nel 
1S97  conlro  gli  ebrei  dCAscolo.  On  y  lit,  p.  106  :  «  Nel  1570  ai 
12  Adar,  Mordechai  (Marco)  Koen  di  Galiman  prendeva  a  raoglie 
Pessele  di  Marco  di  MescUUlam  Cusser  da  Riva  di  Trento.  » 

A.  Freimann. 


L'OPINION  PUBLIQUE  ET  LES  JUIFS 

AU  XVIII»  SIÈCLE  EN  FRANCE 


Notre  collaborateur  et  ami,  M.  Camille  Bloch,  archiviste  du 
Loiret,  nous  communique  le  curieux  document  suivant,  qui  mé- 
rite d'être  tiré  de  l'oubli  comme  un  nouveau  témoignage  de  l'in- 
térêt soulevé  par  la  «  question  juive  »  dans  la  seconde  moitié  du 
sièole  dernier. 

NÉCESSITÉ  DE  RAPPELER  LES  JUIFS  EN  FRANGE 

POUR   AUGMENTKR   LA  POPULATION. 

II  n'est  pas  bleu  aisé  de  dire  pourquoi  notre  gouvernement  s'est 
fermé  lui-même  la  porte  à  une  branche  de  population  à  laquelle  une 
infinité  d'autres  Elats  de  l'Europe  l'ont  ouverte. 

Les  raisons  qui  firent  qu'on  chassa  autrefois  les  Juifs  de  la  France 
n'existent  plus.  L'Etat  se  conduit  aujourd'hui  par  d'autres  maximes. 
Ses  ressources  d'industrie  sont  plus  considérables.  Il  a  des  moyens 
pour  employer  une  infinité  d'étrangers,  qu'il  n'avait  pas  alors. 

Les  raisons  alléguées  autrefois  contre  les  protestants  ne  sauroient 
avoir  lieu  à  l'égard  des  Juifs.  Cette  secte,  établie  chez  nous,  ne  sau- 
roit  donner  du  mouvement  à  l'ambition  d'an  parti.  L'intrigue  et  la 
cabale  lui  sont  entièrement  inconnues.  Sa  sûreté  le  demande  ainsi.  Si 
les  Juifs  cessaient  un  moment  d'être  fidèles,  ils  se  perdraient  pour 


NOTES  ET  MÉLANGES  113 

toujours.  Errants,  sans  chefs,  sans  patrie,  et  par  conséquent  sans 
moyens  pour  résister  à  la  plus  petite  puissance  qui  voudroit  les  dé- 
truire, la  première  maxime  pour  eux  est  celle  de  n'en  avoir  aucune. 
Bien  différents  de  tous  les  autres  peuples  de  la  terre,  leur  sûreté 
dépend  du  degré  de  leur  servitude. 

Il  se  répandit  un  bruit  eu  Europe,  il  y  a  vingt  ans,  que  les  Juifs 
s'intriguoient  pour  devenir  souverains  de  l'île  de  Corse.  Ce  n'étoit 
guère  counoitre  leur  esprit  que  de  leur  donner  ce  projet.  La  domi- 
nation demande  nécessairement  un  système  de  gouvernement  poli- 
tique et  civil,  des  lois,  des  tribunaux,  l'art  de  la  guerre,  une 
milice,  etc.  Or,  tout  cela  n'est  point  dans  le  génie  de  ce  peuple,  qui, 
abimé  aujourd'hui  dans  des  détails  de  commerce,  ne  sauroit  élever 
ses  regards  au-dessus  de  la  marchandise. 

La  crainte  d'ailleurs  où  la  France  pourroit  être  que  les  Juifs,  par 
leur  activité,  ne  diminuassent  celle  des  sujets  naturels,  est  mal  fon- 
dée. Il  en  est  de  l'industrie  comme  de  l'esprit,  dont  les  productions 
peuvent  s'étendre  à  l'infini.  Plus  on  emploie  de  bras  dans  un  état, 
plus  il  se  découvre  de  moyens  d'en  employer  davantage.  Quand  il  n'y 
auroit  que  les  besoins  d'un  plus  grand  nombre  d'hommes,  cela  seul 
sulfiroit  pour  augmenter  les  anciennes  branches  de  l'industrie;  ce 
qui  est  la  même  que  d'en  former  de  nouvelles. 

Si  quelque  royaume  a  besoin  des  Juifs  dans  le  monde,  c'est 
la  France.  Comme  elle  a  des  intérêts  plus  grands  que  toutes  les 
autres  puissances  de  l'Europe,  elle  est  obligée  de  mettre  en  usage  de 
plus  grands  moyens  pour  les  soutenir.  Or,  en  temps  de  guerre,  notre 
commerce  et  nos  finances  sont  toujours  dans  un  état  affreux,  faute 
d'un  fonds  d'hommes  suffisant,  qui  remplace  le  vide  qu'elle  cause 
dans  toutes  les  classes  relatives  à  l'industrie.  Nous  sommes  surpris 
que  l'Angleterre,  la  Hollande  et  l'Allemagne  supportent  des  guerres 
longues,  sans  que  leur  commerce  général  en  souffre  presque  aucun 
échec;  tandis  que  le  nôtre,  a  la  troisième  campagne,  est  toujours  aux 
abois.  La  raison  de  cela  est  cependant  bien  simple  ;  c'est  que 
les  Juifs  de  ces  états,  pendant  les  guerres,  en  redoublant  leur  activité, 
suppléent  aux  bras  des  sujets  qu'elles  leur  enlèvent,  et,  par  là, 
tiennent  le  commerce  dans  un  certain  équilibre;  au  lieu  que,  faute 
de  cette  ressource,  le  nôtre  dépérit. 

Mais  la  première  cause  de  la  protection  que  notre  gouvernement 
devroit  accorder  aux  Juifs,  c'est  leur  grande  population.  Il  n'y  a  point 
de  peuple  sur  la  terre  qui  multiplie  plus  qu'eux.  Cette  grande  propa- 
gation a  des  causes  naturelles.  1"  Il  n'y  a  point  de  célibat  chez  les 
Juifs.  Tous  se  marient.  2"  Les  enfants  y  sortent  plus  tôt  d'une  cer- 
taine tutelle  que  ceux  des  chrétiens;  ce  qui  fait  qu'en  général  ils  se 
marient  à  meilleure  heure.  3°  Ils  ne  peuvent  point  faire  des  acquisi- 
tions. Or,  toutes  les  richesses  se  trouvant  chez  eux,  en  argent, 
il  faut  qu'ils  s'adonnent  à  l'industrie  :  et,  comme  les  progrès 
de  celle-ci  dépendent  du  grand  nombre  de  bras,  il  est  de  l'intérêt  des 
Juifs  d'avoir  beaucoup  d'enfants. 

T.  XXXV,  N"  69.  8 


114  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Mais  'ce  ne  sont  pas  là  précisément  les  seules  causes  de  la  grande 
populatiou  des  Juifs.  Les  véritables,  ce  sont  la  modération  de  leurs 
désirs,  une  certaine  continence  morale,  et  un  éloigaemeut  naturel  de 
la  débauche.  Il  n'y  a  point  d'hommes  sur  la  terre  qui,  avec  tant  de 
défauts,  aieut  si  peu  de  vices. 

Je  ne  veux  pas  dire  par  là  qu'il  convint  à  tous  les  états  d'employer, 
pour  m'exprimer  ainsi,  ce  remède  de  population-,  je  dirai  même  à  ce 
sujet  qu'il  y  a  un  défaut  dans  la  politique  de  l'Europe  sur  la  protec- 
tion accordée  aux  Juifs.  On  en  trouve  dans  une  infinité  d'Etats,  où 
ils  sont  nuisibles,  et  on  n'en  rencontre  point  dans  ceux  où  ils 
pourroient  être  nécessaires.  Ce  ne  sont  point  les  petits  Etats  pauvres 
à  qui  il  convient  d'avoir  des  Juifs.  Ces  établissements  ne  sont  utiles 
qu'à  un  gouvernement  déjà  riche  et  opulent.  Dans  les  premiers,  ils 
détruisent  lindustrie,  au  lieu  que,  dans  le  second,  ils  contribuent  à 
l'augmenter. 

Lorsque  le  duc  de  Modène  est  pressé  d'argent,  il  envoie  sommer  les 
Juifs  de  lui  fournir  une  certaine  somme,  qui  lui  est  toujours  accor- 
dée ;  preuve  certaine,  dit-on  toujours  dans  cette  cour,  de  l'utilité 
d'avoir  des  Juifs.  Mais  c'est  une  stupidité  dans  ce  ministère  de  ne  pas 
voir  que  cet  argent  est  celui  de  l'Etat,  dont  l'industrie  des  Juifs  a  dé- 
pouillé les  sujets,  qui,  à  cause  de  cela,  ne  peuvent  plus  le  donner 
eux-mêmes.  La  promptitude  avec  laquelle  les  Juifs  paient  ce  qu'on 
leur  demande,  ainsi  que  la  grandeur  de  la  somme,  indiquent  un  vice 
dans  le  gouvernement  économique  :  car  les  Juifs  ne  donnent  beau- 
coup au  prince,  quen  retenant  encore  davantage  pour  eux  ;  aiusi  le 
paiement  de  l'impôt  même  est  une  preuve  de  la  grandeur  de  celui 
que  les  Juifs  mettent  sur  le  peuple. 

Ce  sont  les  Juifs  qui  ont  ruiné  un  petit  Etat  tout  près  de  la  P'rance, 
Etat  qui,  par  sa  situation  et  par  ses  richesses  naturelles,  devait  être 
un  des  plus  paissants,  et  qui  est  cependant  aujourd'hui  un  des 
plus  pauvres  de  l'Europe.  Il  est  vrai  qu'une  infinité  d'autres  causes 
ont  dû  contribuer  à  sa  décadence,  à  laquelle  le  vomissement  des 
Juifs  aujourd'hui  ne  remédierait  point,  ni  peut-être  les  meilleures 
lois  politiques.  Il  faudroit  refondre  entièrement  cet  Etat  pour  le  ré- 
former. 

{Les  Intérêts  de  la  France  mal  entendus,  dans  les  branches  de 
l'agriculture,  de  la  population,  des  finances,  du  commère, 
de  la  marine  et  de  l'industrie,  par  un  citoyen.  (Tome  I«'', 
pp.  365  et  suiv.)  — A  .Amsterdam,  chez  Jacques  Cœur,  à 
la  Corne  d'abondance.  M.D.CC.LVI.) 


BIBLIOGRAPHIE 


Seniitic  stiidies  în  memory  of  Rev.  D'  Alexanilvr  Koliut.  Ediled  by 
George  Alexander  KoiiuT.  Wilh  portrait  and  menioir.  Berlin,  S.  Calvary  et  G'*, 
1897  ;  in-8*  de  xxxv  +  015  p. 


Cet  ouvrage  est  uq  monument  élevé  à  l'éditeur  de  VArtich  Complet 
tum  par  la  piété  de  sou  (ils  et  la  sympathie  de  ses  amis.  Ou  peut 
dire  que  rarement  savant  a  été  honoré  comme  Kohut,  car  des  écri- 
vains juifs  et  chrétiens,  au  nombre  de  43,  Européens  et  Américains 
—  Kohut  a  exercé  ses  fonctions  rabbiniques  dans  les  deux  parties 
du  monde  —  ont  collaboré  à  cet  ouvrage,  par  des  études  plus  ou 
moins  étendues,  en  allemand,  en  anglais,  en  français  et  en  hébreu. 
Ces  études  se  rapportent,  pour  la  plupart,  à  des  questions  que 
Kohut  lui-même  a  traitées.  Car,  en  dehors  même  de  son  Aruch,  cet 
infatigable  savant,  mort  à  52  ans  (le  25  mai  1894),  a  apporté  sur 
bien  des  points  d'utiles  contributions  à  la  science.  Aussi  le  titre 
d'  «  études  sémitiques  »,  sous  lequel  a  paru  cet  ouvrage,  est-il  fort 
bien  approprié  à  la  plupart  des  travaux  qu'il  renferme.  Ce  recueil, 
dédié  à  la  mémoire  d'un  savant,  est  digne  de  figurer  parmi  les  ou- 
vrages collectifs  composés  ordinairement  à  l'occasion  des  fèies  jubi- 
laires de  savants  vivants,  et  le  fils,  qui  s'en  est  occupé,  a  la  double 
salisfaclion  d'avoir  érigé  à  la  mémoire  de  son  père  un  monument 
durable  et  d'avoir  contribué,  en  même  temps,  à  enrichir  le  domaine 
scientifique  qu'il  cultivait.  Le  grand  nombre  et  la  variété  des  travaux 
réunis  ici,  et  dont  quelques-uns  ont  pour  auteurs  des  savants  de 
premier  ordre,  ne  permettent  pas  de  les  analyser  avec  une  égale 
ampleur.  Qu'il  nous  suffise  d'en  donner  un  aperçu  général  et  d'a- 
jouter nos  remarques  à  quelques-uns  d'entre  eux. 

La  branche  de  la  science  à  laquelle  appartient  l'œuvre  maîtresse  de 
Kohut,  son  Aruch,  je  veux  dire  la  lexicographie  du  Talmud  et  de  la 
littérature  rabbinique,  n'est  représentée  dans  notre  ouvrage  que  par 
un  petit  nombre  d'études.  M.  S.  H.  Halberstam,  de  Bielilx,  a  donné, 


116  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

en  hébreu,  sur  i'Aruch  de  Kohut  (p.  233-234),  quelques  remarques 
que  lui  a  suggérées  sa  vasle  érudilion. 

M.  Imm.  Lôw,  de  Szegedin,  a  écrit  sur  le  même  sujet  des  notes 
«  marginales  »,  en  langue  allemande  (p.  373-373).  A  propos  de  la  der- 
nière remarque  de  M.  Lôw.  disant  que  Kohut  a  eu  tort,  dans  VAruch, 
III,  518  ff,  d'indiquer  àfficu  comme  l'explication  de  ïinn,  rappelons  que 
ce  verbe  nnn,  «  éprouver  du  dégoût  »,  en  dehors  du  passage,  cité  par 
Kohut,  de  j.  Teroiimoi,  43c  en  haut,  ne  se  rencontre  plus  qu'une 
seule  fois,  dans  EsUier  rabba  suri,  1.  Dans  mon  Agada  der  palàsti- 
nensischen  Amoràer,  II,  p.  237,  n.  8,  j'ai  émis  l'hypothèse  que  ce 
verbe  se  rattache  a  nnn  (mn),  «  reculer  d'etlroi  ».  Ajoutons  encore 
que  le  verbe  yi'p  signifie  à  la  fois  «  éprouver  de  la  terreur  ou  de  la 
crainte  »  et  «  ressentir  du  dégoût  ». 

M.  Samuel  Krauss,  de  Budapest,  sous  le  titre  de  «  Noms  de  dieux 
égyptiens  et  syriens  dans  le  Talmud  »  (p.  330-333),  explique  cer- 
taines expressions  talmudi.ques  restées  inexpliquées  ou  ayant  été 
interprétées  d'une  manière  peu  satisfaisante,  en  les  identifiant  avec 
des  noms  de  divinités.  Malgré  les  arguments  que  son  érudition  lui 
a  permis  de  tirer  de  la  littérature  spéciale  à  ces  sujets,  plu- 
sieurs de  ses  combinaisons  me  paraissent  peu  heureuses.  Quand 
il  dit,  par  exemple,  que  bN-i"«"<  "ididn  (j.  Nedarim,  42c,  1.  12Uignifie 
«  par  Apophis,  qui  lutte  contre  Uieu  !  »,  son  assertion  ne  peut  pas 
être  admise.  S'il  est  vrai  que,  d'après  Plutarque  [Isis,  ch.  xxxvi), 
Apophis  était  le  père  de  Hélios,  qui  était  en  guerre  avec  Zeus-Amon, 
et  à  supposer  qu'un  Juif  de  la  fin  du  iv«  siècle  (l'anecdote  en  ques- 
tion se  passe,  en  effet,  à  l'époque  de  R.  Yosé,  un  des  plus  jeunes 
amoraïm  palestiniens)  fût  au  courant  de  cette  particularité  mytho- 
logique peu  connue,  il  est  cependant  impossible  d'admettre  qu'on 
eût  osé  profaner  le  nom  de  bNi'ilî"'  au  point  de  l'appliquer  au  combat 
de  cette  obscure  divinité  païenne  avec  Zeus-Amon.  La  seule  expli- 
cation exacte  est  celle  de  M.  Jastrow,  que  M.  Krauss  cite  également 
et  d'après  laquelle  !:în"«a"^  "^înîN  est  une  déformation  de  bNnc  TibN 
«  Dieu  d'Israël  ».  C'est  précisément  parce  que,  dans  la  formule  du 
serment,  on  avait  employé  cette  expression  altérée  que  le  serment 
n'a  pas  été  déclaré  valable.  M.  Krauss  dit  qu'il  ne  connaît  pas  d'ana- 
logie pour  ce  genre  de  déformation,  mais  il  n'a'qu'à  se  rappeller  les 
altérations  des  expressions  ^"p  et  D"in  {Mischiia  Xedarim,  I,  t).  Dans 
les  langues  modernes,  le  nom  de  Dieu  est  aussi  modifié  dans  les  ex- 
clamations et  dans  les  jurons  populaires  pour  la  même  raison  qui 
faisait  dire  à  ce  Juif  palestinien  "^DISN  au  lieu  de  ■'~-?<^  en  conservant 
exactement  les  mêmes  voyelles  (en  ahemand  :  Polz,  au  lieu  de 
Gûtts  :  Po'ztausend,  Potzblitz,  Potzwelier  ;  en  français  :  bleu,  au  lieu 
de  dieu  :  corbleu,  rnorbleu,  sacrebleu).  Au  sujet  des  expressions  trai- 
tées dans  les  n°'  7,  8  et  9,  il  aurait  fallu  faire  remarquer  que  les  mots 
en  question  né  doivent  pas  être  considérés  comme  des  noms  de  di- 
vinités, mais  comme  des  exclamations  superstitieuses  et  incompré- 
hensibles. Seul  R.  Juda  b.  Haï,  dans  les  passages  ciiés  {Tosefta  Sab- 


BIBLIOGRAPHIE  117 

lat,  VII,  2  et  3  ;  b.  Sahhat,  &1  b),  conclut  de  la  consonnance  des  mots 
en  question  avec  des  noms  de  divinités  bibliques,  que  l'usage  de  ces 
exclamations  ne  doit  pas  être  considéré  uniquement  comme  une 
coutume  superstitieuse  C-nw^r:  ■'Dm),  mais  comme  une  invoca- 
tion adressée  à  des  Idoles  (rnT  rn^:ly  li^b).  Toutefois,  je  ne  pré- 
tends pas  contester  qu'en  dernière  analyse  ces  mots  ne  se  ramènent 
à  des  noms  de  divinités,  que  M.  Krauss  rétablit  par  des  combinai- 
sons eu  partie  plausibles.  A  la  page  332,  M.  Krauss  traduit  ce  pas- 
sage de  Genèse  rabba,  cb.  lxv,  §  18  :  rmaz^T  Nia  ^ax  ûip"^  miz^  nnx 
Qi'^p  riNT  '  ti"iT  d'une  manière  inexacte  et  incompréhensible.  Voici 
comme  il  le  rend  :  «  Tu  as  dit  :  lève-toi,  père!  C'est  le  Génie  de 
l'idole  que  tu  érigeras  un  jour  ».  En  réalité,  les  mots  û'^"<p  '"Nia  sont 
la  paraphrase  de  ""nx  ûlp"' et  signifient:  Par  le  Génie  f?)  de  l'idole, 
je  te  conjure  de  te  lever.  Ainsi,  "^SN  est  considéré  comme  un  nom 
d'idole,  et  ûip'^  est  opposé  à  l'expression  respectueuse  de  Jacob 
Nj"Qip  (V.  19)  et  qualifié  de  façon  de  parler  brutale  et  inconvenante  '. 
Esail  est  le  type  du  Romain  et  parle  comme  un  Homain.  Cf.  le  ser- 
ment de  la  courtisane  romaiue  dans  Menahot,  'ika  :  "^^ûti  b'J  nos 
*^nrT'D73  "'^■'Na  (éd.  D'iD}.  Peut-être,  au  lieu  de  nsa,  si  diversement 
interprété,  faut-il  aussi  lire  ma,  et  "^TSTn  b'iU  ma  aurait  le  même 
sens  que  '»Tm  ■'D"'a  (tû^ti),  dans  Krauss,  p.  350. 

Sous  le  titre  :  Mots  grecs  et  latins  dans  les  livres  rabbiniques, 
M.  Moïse  Schwab,  de  Paris,  a  publié  un  important  travail  sur  les 
mots  étrangers  de  la  littérature  talmudique  et  midraschique 
ip.  514-542).  Toutefois,  en  raison  des  matériaux  considérables  qui 
existent  sur  ce  sujet,  ce  travail  ne  peut  être  considéré  que  comme 
une  légère  esquisse.  Dans  la  première  partie  de  cette  esquisse, 
l'auteur  expose  les  règles  de  vocalisation  suivies  dans  la  trans- 
cription des  mots  étrangers  et  qu'il  euumère  d'après  l'ordre  de 
l'alphabet  grec  et  des  voyelles  grecques  ;  dans  la  seconde  partie,  il 
montre  les  modifications  que  subit  le  mot  étranger  par  aphérèse, 
apocope,  prosthèse,  épithèse,  paragogie  et  élision,  ainsi  que  les  mots 
composés  ;  la  troisième  partie  renferme  les  diverses  autres  modifica- 
tions que  subit  le  mot  grec  par  des  substitutions  de  consonnes  et 
surtout  par  des  altérations  des  terminaisons.  Un  dernier  chapitre 
traite  brièvement  des  mots  latins.  11  est  dommage  que  M.  Schwab 
n'ait  pas  soumis  à  une  révision  minutieuse  son  travail  quia,  d'ail- 
leurs, son  utilité  comme  bref  aperçu.  La  remarque  sur  ïnmo  S)bn 
(=  x>L£<{/65pa)  se  retrouve  deux  fois  (p.  321  et  532):  N^oitînbimDN  est 
identifié,  p.  523,  avec  àv5poXo(]/(a,  p.  330  et  331  avec  dvfipoXoiiJiCa,  |).  534 
avec  <iv5poX7)<|'(a,  et  chaque  l'ois  l'identification  est  donnée  comme  ar- 
gument pour  une  thèse  dilTéiente.   P.  325,  M.  Schw.  cite  T'^baN  ou 

'  M.  Krauss,  suivaut  la  leçon  de  la  censure  de  l'édition  de  Wilna,  écrit  miayi 
D12313,    f{ui,  par  une  horrible   faute  lypo^'raphique,   est  devenu  D"^3~13  n^^ST. 

*  Levy  aussi  [Wôrterhufh^  l,  299)  a  iort  maltraité  ce  passaj^e  dans  sa  traduction,  ua 
rattachant  à  Û^^p  le  mot  'T^^T\,  qui  appartient  à  la  suite. 


118  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

rbuy  (=  xaxdXuffw:)  comme  exemple  de  l'aphérèse  du  x  ;  p.  534,  il  cite 
le  même  mot  comme  exemple  de  l'emploi  de  y  pour  p .  P.  524,  il  dit 
que  rappaed  est  devenu  1iP3"i5.  Or,  ce  nom  de  lieu  est  un  ancien  nom 
biblique  (I  Rois,  xv,  27  et  ailleurs).  P.  529,  ';u:"<3  est  dérivé  de  Bai6- 
(tAv  (par  élision  du  6)  ;  en  réalité,  le  mol  grec  est  l'hébreu  ^Nu;  n"«3, 
et ';0''3  est  la  forme  araméenne  de  ce  même  nom  de  lieu.  P.  523, 
il  lait  dériver  1"^'::72ir">  de  olvdjxeXi,  et  p.  331  le  même  mot  est  expliqué 
comme  uu  composé  de  l'hébreu  T'"'  et  du  grec  jiéXi.  P.  588,  comme 
exemple  de  Tadditiou  de  l'arlicle  féminin  -h  au  mot,  il  dit  que  'j'^ST'jn 
=  1^  vfoxo«;  or,  c'est  le  mol  t^ivIo^oî,  «  conducteur  de  char  ».  Il  y  aurait 
encore  de  nombreuses  observations  à  faire  sur  les  explications  de 
détail,  mais  je  m'en  abstiendrai,  attendu  que  M.  Schwab,  comme  il 
fallait  s'y  attendre  dans  une  esquisse  aussi  rapide,  a  suivi  le  plus 
souvent  des  prédécesseurs,  à  qui  incombe  la  responsabilité  des  iden- 
tifications inexactes.  Je  ferai  encore  remarquer  que  Saadia  n'a  pas 
vécu  antérieurement  à  Ibn  Koreisch  (p.  532),  qui  a  été  le  contem- 
porain et  l'ainé  de  Saadia. 

M.  Carl  Siegfried,  d'iéna,  traite  (p.  543-556)  de  l'hébreu  de  la  Mis- 
chna  au  point  de  vue  de  la  syntaxe  (^ei/m^e  zur  Lehre  vo?i  dem  2usam- 
mengesetzten  Satze  im  Neuhebrclischen) .  Malgré  le  caractère  fragmen- 
taire de  ce  travail,  dont  l'auteur  lui-même  s'excuse  dans  un  avant- 
pro[iOs,  nous  trouvons  dans  cette  étude,  basée  uniquement  sur  des 
exemples  de  la  Mischna,  un  tableau  assez  complet  des  procédés  em- 
ployés dans  ce  recueil  pour  la  composition  des  phrases  et  une  nomen- 
clature complète  des  particules,  en  grande  partie  composées,  dont  il  y 
est  fait  usage.  Il  n'y  a  pas  beaucoup  d'erreurs  de  détail  à  y  relever; 
je  ferai  pourtant  quelques  remarques.  Ainsi,  je  ne  comprends  pas 
pourquoi  dans  Nmoa  nnK  ïilO  ib  "C^O  (Demaï,\\,  11),  l'auteur  ad- 
met qu'il  y  a  eu  ellipse  du  verbe  (p.  543).  Une  expression  comme  ["'^D] 
Nin"J  m72D,  dausBaha  Mecia,  ii,  4,  ne  peut  pas  être  considérée  comme 
une  formule  de  comparaison  (p.  5i4),  mais  est  plutôt  une  proposi- 
tion circoustantielle  :  «  le  vase  tel  qu'il  est  »,  c'est-à-dire  sans  rien 
dedans.  (Cf.  Du  stiegst  herunter,  wie  du  bist,  dans  la  ballade  du  pê- 
cheur de  Goethe).  De  la  belle  maxime  de  l'éthique  juive  mN'O  "'cb 
ûnp?:^  ■'T^  nNi^b  ']-^n^a  "^-ii^  mnnr!  "it«  rNi:b  ^-'-li  {Schekalim, 
m,  2),  M.  Siegfried  (p.  345)  donne  une  traduction  qui  est  presque  le  con- 
traire du  vrai  sens  :  «  Il  faut  que  l'homme  sache  échapper  à  la  respon- 
sabilité vis  à-vis  des  créatures  comme  il  sait  échapper  à  la  responsa- 
bilité devant  Dieu  ».  Levy  (II,  255  a)  en  donne  une  traduction  exacte. 
■jia::  ne  peut  figurer  à  coté  de  DN  et  nbx  comme  conjonction  d'une  pro- 
positon conditionnelle  (p.  547),  ce  mot  n'étant  placé  en  tète  des  pro- 
positions conditionnelles,  avec  ou  sans  conjonction,  que  dans  le  sens 
de  «  par  exemple  ».  I7:ib"::3  bNT«a  ^bTarr  ib-'ON  {Berakhot,  v,  1)  est 
traduit  à  tc»rt  par  ces  mots  :  «  même  si  le  roi  souhaite  son  salut» 
(p.  548),  au  lieu  de  :  «  même  si  le  roi  lui  adresse  un  salut  >^.  NT2n  Nbo 
[Taanit,  m,  6)  ne  signifie  pas  «  afin  qu'elle  n'arrive  pas  »  (p.  552), 
mais  l'expression  est  euphémique  (pour  Ni2nu5  ou  nN3ïî). 


BIBLIOGRAPHIE  119 

La  langue  talmudique  el  l'hébreu  du  moyen  âge  forment  le  sujet 
d'un  travail  de  M.Max  Grunbaum,  de  Munich  :  Renan  'âber  diespâteren 
Formen  der  hebr.  Sprache  (p.  :;26-234).  M.  Grunbaum,  selon  sa  manière 
bien  connue,  et  aidé  par  son  savoir  littéraire  et  linguistique  si  étendu, 
y  prend  pour  thème  d'une  causerie  très  spirituelle,  effleurant  les  su- 
jets les  plus  variés,  un  passage  de  Y  Histoire  générale  et  système  com- 
jmré  des  langues  sémitiques  de  Renan.  .\  propos  de  l'expression  D'^to"' 
û"'D"ii:")  (p.  228),  il  aurait  fallu  rappeler  le  sens  primitif  :  «  assem- 
blage de  pierres  »  (cf.  ï^s^-j^  pavage  de  mosaïques).  A  l'expression 
Nin:!  N7aU53,  il  fallait  comparer  l'arabe  *i"ià73  (moudjarrad)  dans  le 
sens  de  «  seulement  ». 

Il  est  aussi  question  de  mots  lalmudiques  et  post-talmudiques  dans 
le  travail  que  M.  L.  LEVYbOHN,  de  Stockholm,  a  écrit  en  hébreu  sous 
forme  d'appendice  à  son  ouvrage  sur  la  zoologie  du  Talmud  (,p.  369- 
372).  Dans  sa  remarque  disant  que  mp"^"i'à)  (Isaïe,  xix,  9j  signifie 
«  sûrement  de  la  soie  chinoise  »  (p.  372,  1.  9),  M.  L.  veut,  au  con- 
traire, dire,  comme  cela  résulte  du  contexte,  que  sans  aucun  doute 
le  mot  mp"'"','0  n'a  pas  ce  sens. 

M.  M.  Lazarus,  de  Berlin,  a  pris  comme  sujet  d'une  analyse  fort 
ingénieuse  (ch.  361-368)  un  passage  isolé  du  Talmud  (j.  Sahhal,  I,  iv, 
3c;  Tosefta  Sabbat,  I,  17)  :  ^^Dy^  dt'D  bN-iuî-'b  ri'C'p  T^^n  nm  nmî< 
barn  ^'2.  «  Ce  jour  fut  dur  pour  Israël  comme  le  jour  où  ils  ont  fa- 
briqué le  veau  d'or.  »  Il  croit  que  le  Tannaïte  hillélite,  en  faisant 
cette  comparaison,  voulait  dire  aux  Schammaïies  triomphants  :  «  Vous 
ressemblez  à  ceux  qui  ont  confectionné  le  veau  d'or.  Le  bien  que 
vous  poursuivez  n'est  également  qu'une  création  de  l'erreur.  Ce  n'est 
pas  la  piété,  mais  sa  parodie  que  vous  provoquez.  »  Celte  para- 
phrase moderne  de  l'antique  expression  ne  semble  probablement 
pas  exacte  au  point  de  vue  exégétique,  même  à  son  auteur,  car  cette 
expression  ne  contient  rien  qui  caractérise  ce  qui  fut  décidé  le  jour 
où  les  Schammaïles  firent  violence  aux  Hillélites;  elle  signale  seu- 
ment  les  conséquences  désastreuses  de  cette  journée  et  des  résolu- 
tions qui  y  furent  prises.  Et  c'est  là  aussi  qu'il  iaut  chercher  le  ter- 
tium  comparationis  de  la  comparaison  avec  le  veau  d'or.  D'après  une 
théorie  agadique,  attestée  par  maint  passage  (R.  A.mmi,  dans  Exode 
Tabla,  ch.  xlii,  vers  la  fin;  R.  Assi,  dans  j.  Taanit,  68c;  Koh.  r. 
sur  IX,  11  ;  R.  Isaac,  dans  Sanhédrin,  102  a),  le  péché  commis  par 
Israël  eu  fabriquant  le  veau  d'or  exerce  sou  influence  sur  toutes 
les  générations  suivantes.  «  Il  n'y  a  pas  une  génération,  dit  Assi, 
qui  n'ait  pas  subi  les  conséquences  d'une  partie  du  péché  du  veau 
d'or.  ^>  Isaac  s'exprime  presque  dans  les  mêmes  termes  :  «  Aucun 
châtiment  n'atteint  le  monde  sans  qu'il  y  entre  pour  une  part  la  pu- 
niiion  du  péché  du  veau  d'or.  »  Les  mêmes  conséquence  désastreuses 
furent,  selon  notre  formule,  la  suite  des  décisions  de  cette  journée, 
prises,  non  après  mûre  délibération,  mais  grâce  à  une  majorité  réu- 
nie par  des  moyens  violents.  Dans  Massékhét  Soferim,  I,  7,  la  même 
formule,  avec  le  même  sens,  sert  à  caraciénser  le  côté  désastreux 


120  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

de  la  journée  où  la  Tora  fut  traduite  en  grec  pour  le  roi  Ptolémée. 
On  avait  pris  l'habitude  de  comparer  au  crime  du  veau  d'or,  toute 
faute  pesant  sur  la  nation  entière,  qui  n'a  jamais  été  eotièrement 
expiée  et  dont  les  générations  suivantes  ont  encore  à  supporter 
les  conséquences.  Le  côté  proverbial  de  cette  expression  a  déjà  été 
signalé  par  Joël  {Blicke  in  die  Religionsyeschichte,  I,  4). 

L'article  de  M.  Lambert,  de  Paris,  intitulé  :  De  la  formation  des 
racines  trilitères  fortes  (p.  354-362),  nous  ramène  à  l'époque  primi- 
tive de  la  langue  hébraïque  ou  plutôt  de  la  langue  mère  sémi- 
tique. Cet  auteur  poursuit  l'entreprise  téméraire  de  ramener  les 
racines  trilitères  à  des  racines  bilitères,  en  considérant  toujours 
comme  une  consonne  secondaire  une  des  trois  lettres  radicales.  Vu 
le  peu  d'étendue  de  l'article,  on  comprend  que  l'hypothèse  seule  y 
soit  émise,  sans  être  appu3^ée  par  des  arguments  el  des  explications 
détaillées.  En  outre,  la  valeur  scientifique  de  cet  exposé  est  diminuée 
par  le  fait  que  M.  Lambert  se  borne  à  traiter  de  l'hébreu,  tandis  que 
son  hypothèse  de  ramener  toutes  les  racines  trilitères  à  des  racines 
bilitères  se  rapporte  à  cette  période  de  développement  de  la  langue 
où  l'ancienne  langue  sémitique  arriva  à  formuler  sa  loi  de  trilité- 
ralion  pour  toutes  les  langues  sémitiques.  Des  recherches  de  ce 
genre  devraient  donc  porter  sur  l'ensemble  des  racines  sémitiques, 
et  non  pas  uniquement  sur  les  racines  d'une  seule  langue.  Cepen- 
dant, le  travail  de  M.  Lambert  plaira  à  ceux  qui  aiment  ce  genre  de 
spéculations  sur  l'époque  primitive  de  la  formation  des  langues. 
Cette  tentative  se  rattache  à  celle  d'Ernst  Me3'er  {Helr.  Wurzelwôr- 
terbuch,  Mannheim,  1845),  qui  est  allé  jusqu'au  bout  de  sa  théorie 
en  publiant,  d'après  ses  idées,  un  dictionnaire  entier.  Sur  le  fond 
de  la  question,  voir  KÔnig,  Lehrgebàude  der  hebr.  Sprache,  II,  \, 
p.  370  et  s. 

C'est  aussi  à  l'époque  primitive  de  la  langue,  mais  limitée  à  la 
question  des  formes  verbales  hébraïques,  que  se  rapporte  l'étude  de 
M.  J.  Barth,  de  Berlin.  Ce  savant  s'occupe  de  cette  particularité  que 
lePiel  se  forme  de  la  même  manière  dans  les  verbes  'S"y  et  ^"S .  Dans 
son  travail  intitulé:  Die  Pôlel-Conjugation  und  die  Polal-Participien 
(p.  83-9.3),  M.  Barth  soutient  cette  thèse  que  cette  formation  (p.  ex. 
1213)  ne  s'est  produite  par  voie  organique  que  pour  les  verbes  i'y, 
mais  a  été  appliquée  ensuite  par  analogie  à  la  classe  des  verbes  y"y. 
Il  emploie  ici  également  la  méthode  de  comparaison  suivie  par 
lui  dans  ses  grands  travaux  sur  la  formation  des  mots  dans  les 
langues  sémitiques  et  trouve  moyeu  de  rattacher  le  fait  formant 
l'objet  de  son  élude  a  l'ensemble  des  lois  linguistiques.  Une  remarque 
très  précieuse  est  celle  qu'il  fait  à  propos  des  formes  nominales 
telles  que  nano,  bbi3>,  qui  ont  pris  la  place  des  formes  composées 
sur  le  type  quattâl,  absolument  comme  Dttip  a  pris  la  place  de  D^p. 

L'exégèse  biblique  est  représentée  dans  notre  ouvrage  par  des 
travaux  de  caractère  très  différent,  M.  Benjamin  Szold,  de  Baltimore, 
y  donne  en  anglais  une  expUcation  du  chapitre  xi  du  livre  de  Da- 


BIBLIOGRAPHIE  121 

niel,  avec  texte  et  traduction  (p.  57:^-600),  sans  apporter  rien  de 
nouveau,  à  ce  que  je  crois,  pour  l'intelligence  de  ce  chapitre,  où  les 
rapports  des  Ptolémées  et  des  Séleucides  sont  exposés  avec  la  pré- 
cision de  l'historien.  Une  observation  neuve,  mais  n'ayant  de  valeur 
qu'au  point  de  vue  homilétique,  se  trouve  à  la  fin  :  «  Tout  le  cha- 
pitre est  une  amplification  [paraphrase?)  de  l'apostrophe  de  Jérémie, 
IX,  23-24.  »  Il  en  est  de  même  de  la  remarque  que  l'auteur  fait  au 
début  (p.  577)  et  où  il  dit,  que  les  versets  de  l'iutroduction  du  cha- 
pitre xLVi  du  livre  d'Isaïe  ont  donné  à  l'auteur  du  livre  de  Daniel 
le  cadre  (framework)  de  ses  grands  récits  :  Nebo  est  remplacé  par 
Nebukadnéçar  et  Bel  par  Belschaççar. 

Un  autre  savant  américain,  M.  W.  H.  Grekx,  de  New  Jersey,  traite 
(aussi  en  anglais)  du  style  du  récit  du  déluge  dans  Genèse,  vi-ix 
(p.  198-225).  Ses  remarques  statistiques  ft  lexicologiques  sur  les 
mots  isolés  et  les  diverses  façons  de  parler  tendent  à  prouver  que 
«  dans  le  style  de  ce  chapitre,  il  n'y  a  rien  qui  puisse  servir  de 
preuve  contre  son  unité  de  composition  ou  favoriser  l'hypothèse  de 
la  critique  supposant  qu'il  y  ait  eu  là  la  combinaison  de  divers  do- 
cuments originaux  ».  Ce  n'est  naturellement  pas  ici  le  lieu  d'exa- 
miner cette  argumentation  courageuse  contre  les  idées  dominantes 
de  la  critique. 

La  même  tendance  se  manifeste  dans  l'élude  de  M.  J.  IIalévy, 
de  Paris,  qui,  à  ses  nombreuses  recherches  bibliques  publiées 
depuis  des  années  dans  la  Revue  des  Études  juives  et  la  Revue  Sé- 
mitique, ajoute  ici  une  étude  sur  V Enterrement  de  Jacob  d'après  la 
Genèse  (p.  237-243).  Il  croit  prouver  avec  certitude  que  dans  le 
chapitre  de  la  Bible  dont  il  est  question  (Gen.,  xnx,  29-l,  14), 
«  la  distinction  des  sources  ne  repose  sur  aucune  base  solide  ». 
Comme  dans  tous  ses  travaux  bibliques,  M.  Halévy  donne  ici  des 
preuves  de  sa  sagacité  et  de  son  habileté  exégétique.  Ce  qu'il  dit 
de  la  direction  du  cortège  conduisant  le  cercueil  de  Jacob  vers 
la  sépulture  de  Hébron  est  surtout  digne  d'attention.  D'après  lui, 
"jTT^"  na"  (l,  10)  désigne  la  partie  cis-jordanique  de  la  Palestine 
(la  partie  ouest),  et  pour  le  nom  de  lieu  n::Nn  1"ia,  qui  ne  se  re- 
trouve nulle  part  ailleurs,  M.  Halévy  trouve  un  équivalent  dans  T'720 
(Josué,  XV,  48),  l'un  et  l'autre  noms  ayant  le  sens  de  «  épine,  buisson 
d'épines  ». 

Une  tendance  opposée  à  celle  des  deux  études  précédentes  se 
révèle  dans  le  travail  de  M.  Ch.  H.  Briogs,  de  New- York  :  A  study  of 
the  use  ofdh  and  33b  in,  the  Old  Testament  (p.  94-1051.  M.  Briggs 
montre  les  divergences  des  sources  originales  du  Pentateuque  et  des 
livres  historiques  ainsi  que  des  autres  livres  bibliques  dans  l'emploi 
de  ces  deux  termes  synonymes.  La  statistique  semble,  en  effet, 
j)rouver  que  cet  emploi  n'est  pas  uniquemmeut  arbitraire,  mais  que 
c'est  tantôt  la  forme  concise  et  tantôt  la  forme  allongée  du  mot  qui 
a  la  faveur  des  divers  auteurs  bibliques. 

M.  Margus  Jastrow,  de  Philadelphie,  expose  dune  manière  très 


122  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

attrayante  la  suite  des  pensées  et  le  contenu  de  trois  psaumes,  les 
psaumes  lxxxiv  et  xi,  qui  ont  des  rapports  entre  eux,  et  le  psaume 
CI,  qu'il  considère  tous  comme  des  psaumes  davidiques  (p.  254-26?.). 
Le  rapprochement  qu'il  établit  entre  Fs.,  xr,  o  et  6,  et  G-enèse,  vi,  M 
et  13,  et  XIX,  28,  mérite  d'être  relevé. 

Du  domaine  de  l'isagogiqne  biblique  il  y  a  doux  articles  à  citer. 
M.  K.  Bu  DDK,  de  Strasbourg,  dans  sou  étude  Uie  Ueberschrift  den  Bû- 
ches Amos  und  des  Propheten  Eeimat  (p.  iOo-IIOi,  prétend  qu'a  l'ori- 
gine, la  suscriptiou  était  3'npn/û  01737  i-ian  (A.mos,  i,  1),  et  que  les 
mots  D"^npi:3  rr^rr  T«rN  sont  une  interpolation.  Tekoa  serait  la  ville 
judéenne  de  ce  nom. 

L'étude  de  M.  T.  K.  Chetne,  d'Oxford,  intitulée  :  TheBook  ofPsalms, 
its  oriijin  and  relation  to  Zoroastriauism  (p.  1M-1I9\,  se  rattache  aux 
travaux  du  regretté  Kohut  sur  l'influence  duparsismesur  le  judaïsme. 
Le  travail  lui-même  a  un  caractère  de  polémique,  il  répond  aux  at- 
taques qu'un  savant  américain,  M.  Peters,  avait  dirigées  contre  un 
ouvrage  publié  par  M.  Cheyne,  en  1892,  sur  l'origine  et  la  valeur  re- 
ligieuse du  psautier.  Le  sujet  même  n'est  pas  traité  à  fond,  et  l'au- 
teur se  borne  a  montrer,  d'une  manière  générale,  la  possibilité  de  re- 
trouver des  traces  du  zoroastrisme  dans  les  Psaumes,  surtout  en  ce 
qui  concerne  la  doctrine  de  l'immortalité  de  l'âme. 

M.  H.  WiMCKLKK,  de  Berlin,  dans  le  dernier  article  du  volume 
(p.  605-609),  réunit  les  arguments  établissant  que  dans  les  lettres  de 
Tel-Amarna,  que  M.  J.  Halévy  a  commencé  a  étudier  dans  sa  Metue 
Sémitique  au  point  de  vue  de  leurs  données  historiques,  les  Habirl 
désignent  les  Hébreux. 

L'étude  de  M.  II.  Derenbourg,  de  Paris,  Le  dieu  Rimmôn  sur  une 
inscription  Mmyarite  (p.  120-125),  traite  d'une  divinité  sémitique  éga- 
lement mentionnée  dans  rE'*riture  sainte.  Cette  inscription  fort  in- 
téressante, reproduite  ici  dans  l'original  avec  transcription  hé- 
braïque et  traduction  française,  porte  le  n°  140  dans  le  Corpus 
Inscriptionum  sem  iticarum. 

Une  intéressante  contribution  à  l'étude  de  l'archéologie  biblique 
est  fournie  par  le  travail  de  M.  Cyrus  Adi.ek,  de  Washington,  sur 
«  la  grotte  du  Coton,  une  ancienne  carrière  de  pierres  de  Jérusalem, 
avec  des  remarques  sur  les  anciennes  méthodes  d'extraction  de  la 
pierre  »  (p.  73-82). 

Parmi  les  anciennes  traductions  de  la  Bible,  les  Septante  seuls  sont 
l'objet  d'un  article  de  M.  Julius  Fïjrst,  de  Mannhoim  :  Spuren  der 
palàstinisch-jndisrhen  Schriftdeuiung  und  Sagen  in  der  Ueberaetzung  der 
LXX  (p.  152-166).  Ce  sont  des  notes  courantes  sur  les  vingt  premiers 
chapitres  de  la  Genèse,  de  caractère  très  varié,  où  l'auteur  ne  s'en 
tient  pas  toujours  au  point  de  vue  indiqué  par  le  titre.  Cependant,  il 
s'y  trouve  mainte  remarque  propre  a  faciliter  l'explication  tles  pas- 
sages difficiles  des  Septante.  La  remarque  de  M.  Fûrst  sur  Gen.,  iv, 
7,  est  spirituelle,  mais  tout  a  fait  inadmissible,  car  on  ne  peut 
guère  imputer  au  traducteur  grec  d'avoir  introduit  dans  les  paroles 


BIBLIOGRAPHIE  123 

adressées  par  Dieu  à  Caïn  un  détail  halachique  qui,  du  reste,  n'est 
pas  du  tout  applicable  au  sacrifice  de  Gain.  Si,  dans  iv,  26.  bmn 
Nlpb  est  traduit  par  ^Xiri«  eitixa^Eîaîai,  bmn  n'est  pas  «  pris  dans  le 
sens  de  bbn  comme  dans  le  Midrasch  »,  mais  est  lu  naturellement 
comme  b•^^^^r^.  Dans  Onkelos  sur  v,  24,  ce  n'est  pas  rr'TDN  t<b  "»-in 
rr^rr^  qui  est  la  leçon  primitive  et  exacte,  mais  ïT^rr*  n^na  -^nM  (cf. 
Schefftel,  Biure  Onkelos,  p.  14,  et  mon  ouvrage  Zeàeu  uni  Werke  des 
Abitlwalid,  p.  66,  note  SV).  La  traduction  de  TiTZ  bD  (xiv,  7)  par  itiv- 
ta«  tolKi  «pxovxaî  repose  sur  la  leçon  "'"liiî  bD.  —  Dans  xvi,  13,  le  tra- 
ducteur grec  a  lu  "^Nn  comme  "'NT  et  a  traduit  :  ô  èici6tôv  jie  ;  au  lieu  de 
■^Nn  -^inN,  il  a  lu  dans  sou  texte  ■>'^iî<-|  riN  el  a  traduit  6fU\x<t  |io(. 

M,  Hkrmann  L.  Stragk,  de  Berlin,  donne  des  notices  intéressantes 
sur  «  des  manuscrits  perdus  de  l'Ancien  Testament  ♦  (p.  560-572); 
c'est  un  appendice  excellent  à  son  travail  paru  en  1873  :  Prolegomena 
critica  in  Vêtus  Tes:amentum  Hebraicum.  La  plus  grande  partie  est 
consacrée  aux  différences  massorétiques  entre  les  Palestiniens  et  les 
Babjioniens.  P.  571,  ligne  10,  au  lieu  de  «  Israël  »,  il  faut  lire  «  au 
pays  d'Israël  ». 

Une  étude  consacrée  au  Midrasch  tannaïiique  a  pour  auteur 
M.  LudwigA.  RosENTHAL,de  Preuss.-Siargard  (p.  463-484);  elle  est 
intitulée  :  Einiges  uberdte  Agada  in  der  3/ec/iilta.  L'auteur  émet  cette 
assertion  que  certains  chapitres  de  la  Meckiita  font  allusion  aux 
événements  du  premier  siècle  après  la  destruction  du  Temple,  a  la 
manière  agadique,  et  que  dans  ces  chapitres  on  peut  reconnaître 
diverses  couches  répondant  aux  générations  successives  des  Tan- 
naïm.  Cette  opinion,  digne  d'attention,  est  appuyée  par  l'auteur  sur 
une  série  d'exemples,  mais  l'effet  de  son  argumentation  souffre 
quelque  peu  de  son  manque  de  méthode  et  de  son  style  négligé.  Au 
surplus,  le  contenu  de  cette  étude  se  rapproche  beaucoup  du  cha- 
pitre que  j'ai  consacré  aux  controverses  entre  Josua  b.  Hanania  et 
Elcazar  de  Modiim  dans  mon  Agada  der  Tannaïten  (I,  203-219),  que 
l'auteur  ne  parait  pas  connaître.  Au  lieu  d'Eléazar  de  Modiim,  il 
écrit  toujours  «  Eliézer  »  et,  par  suite^  croit  possible  d'identifier 
ce  docteur  avec  "iT3'"'bN  '">,  c'est-à-dire  Eliézer  b.  Ilyrkanos  (p.  465). 
Le  nom  de  iT'ON"»,  c'est-à-dire  Josia  est  transcrit  par  lui  «  Yaschia  ». 
Il  serait  trop  long  ici  d'entrer  dans  le  détail  de  ses  diverses  expli- 
cations historiques  de  l' Agada.  11  en  est  beaucoup  qui  ne  sont  que 
des  interprétations  forcées. 

M.  Gastek,  de  Londres,  traite  d'un  midrasch  très  ancien,  à  en 
croire  le  titre  de  son  article,  écrit  en  anglais  (p.  167-178)  :  «  La  plus 
ancienne  version  du  Midrasch  xUeguilla,  publiée  pour  la  première 
fois  d'après  un  manuscrit  unique  du  x°  siècle.  »  Cependant,  la 
thèse  que  M.  Gaster  a  essayé  de  démontrer  dans  son  intro- 
duction, touchant  la  haute  antiquité  de  cet  uniciim,  n'est  nullt- 
ment  confirmée  par  le  contenu  de  ce  Midrasch  qui  s'étend  seule- 
ment sur  quelques  versets  du  livre  d'Esiher  (i,  1,  10,  12;  ii,  5,  7, 
9;  III,   1,   6,   7,   8,    9;   iv,   i.  5,    11;  v,  t,  7,  Il  ;   vi,    1,  2;   vili,   16; 


124  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

IX,  19).  Cette  compilation  est,  au  contraire,  très  récente,  et  il  en 
existe  plusieurs  de  ce  genre  sur  Esther.  M.  Gasler  croit  que  ce  ms. 
est  du  x«  ou  même  du  ix^  siècle,  à  cause  du  papier  et  des  caractères. 
Mais  ces  raisons  paléographiques  ne  sont  pas  suffisamment  convain- 
cantes pour  que  nous  reconnaissions  à  cet  opuscule  une  origine 
aussi  reculée,  et  M.  Steinschneider  parait  avoir  raison  en  soutenant 
dans  l'appendice,  p.  610,  que  Tépoque  de  sa  composition  est  le  xv^ 
ou  le  xvj«  siècle.  Comme  caractéristique  de  notre  compilation  et  en 
même  temps  comme  argument  décisif  contre  l'hypothèse  de  l'auteur 
relative  à  sa  haute  antiquité,  rappelons  qu'on  n'y  trouve  mentionné 
aucun  agadiste,  qu'il  soit  tanna  ou  amora,  et  qu'on  n'y  rencontre 
qu'une  fois  (p.  177,  l.  16,  le  nom  d'un  mystérieux  l'vIîKw  'i  (qu'il  faut 
sans  doute  corriger  en  "jiytt'u  '";'.  Ce  qui  démontre  que  le  compilateur 
n'était  pas  un  savant,  c'est  sa  façon  de  citer  l'Agada  d'Esther  relatée 
dans  le  Talmud  babylonien,  qui  est,  du  reste,  sa  source  principale  : 
K-i72a  nb-^:i»3  :3Tir>  (p.  174,  1.  12),  et  N-ir^  nb:72D  Niin  (p.  177,  1.  4). 
Par  N~i)2a  rib:>iù,  il  entend  le  traité  de  àJeguiUa  du  Talmud.  On  peut 
encore  se  rendre  compte  du  peu  de  précision  avec  lequel  notre 
compilateur  indique  ses  sources  par  sa  façon  de  mentionner  une  pré- 
tendue Baraïta  :  ■•DTi»  ^Ti3  l-^D  sfT'  Nbï5  n:?  mnob  mx  ni-^n  N"':n 
XKiT'i  mn^b.  Ce  passage  est  tout  simplement  la  traduction  hébraïque 
de  ce  que  Rab  a  dit  en  araméeu  dans  Megnilla,  11.  Salomon  ibn 
Parhon  cite  aussi  des  passages  du  Talmud  babylonien  qui  n'éma- 
nent pas  de  Tannaïm  par  la  formule  \IT\  (voir  Zeitschrift  fin'  die 
alttestam.  Wisssnschaft,  IX«  année,  p.  40,  note  1,  et  Renie,  t.  XXII, 
p.  40,  note  3).  Le  manuscrit  renferme  encore  quelques  gloses  per- 
sanes qui  indiquent  son  lieu  d'origine.  La  glose  de  la  page  177,  n.  9, 
n'est  pas  traduite  exactement  :  "13  npD  2^  i3  "jN  ^N~3  TN  signifie  : 
«  parce  que  c'était  la  nuit  de  Pâque  ». 

Un  Midrasch  incontestablement  ancien,  sur  un  autre  livre  hagio- 
graphique, est  étudié  dans  la  dissertation  anglaise  de  M.  K.  Kohler, 
de  New -York  :  «  Le  Testament  de  Job,  un  midrasch  essénien  sur 
le  livre  de  Job,  publié  pour  la  première  fois  et  traduit  avec  une 
introduction  et  des  notes  explicatives  »  (p.  264-338).  Cet  apocryphe, 
paru  pour  la  première  fois  dans  la  Scriplortim  reterum  nova  col- 
lectio,  d'Angelo  Mai  (1833),  est  ici  plus  facile  à  étudier,  parce  que 
l'éditeur  en  a  numéroté  les  versets  et  l'a  accompagné  d'une  tra- 
duction anglaise  et  d'une  longue  introduction.  Le  caractère  juif  et 
même  essénien  de  ce  remarquable  apocryphe,  qui  se  rattache,  au 
point  de  vue  littéraire,  aux  Testaments  des  patriarches  et  d'autres 
personnages  bibliques,  est  mis  en  évidence  par  Kohler  au  moyen 
d'arguments  difficilement  contestables,  quoique  ie  rôle  qu'y  joue 
Satan  rappelle  quelque  peu  le  diable  des  chrétiens  ;  il  est  vrai  qu'il 
présente  aussi  de  l'analogie  avec  le  Saraaël  (bNTjo)  de  l'antique  lé- 
gende juive.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner  minutieusement  ce 
travail  si  important  dans  son  ensemble  et  ses  détails.  Je  me  bornerai 
à  quelques  remarques.  Que  la  légende  racontant  que  Jonathan  ben 


BlIiLIOGRAPHIE  125 

Ouzziel  a  été  empêché  de  traduire  les  Hagiographes  {Meguilla,  3  a) 
et  la  relation  rapportant  que  Gamaliel  I  a  caché  un  targoum  de  Job 
[Tose.fta  Sahbat,  ch.  xiv,  et  Sabbat,  ^\oa)  se  rattachent  l'une  à  l'autre 
(p.  266),  c'est  une  supposition  que  j'ai  émise  également  dans  mon 
Agada  der  Tannciiten,  I,  p.  24.  A  la  page  269,  ligne  4  du  bas,  lire 
R.  Abba  au  lieu  de  Rabba.  R.  Kliézer  b.  Hyrkanos  (p.  2H)  et  R.  Jo- 
sua  b.  Lévi  (p.  273)  ne  devraient  pas  être  désignés  comme  de  saints 
esséniens.  Le  rapport  que  l'auteur  établit  entre  y^:y^  Nabo,  le  nom 
du  beau-père  d'Akiba,  et  xdXitto  xév«j),  et  la  transcription  de  ce  nom 
en  Kolho  (p.  280)  ne  me  semblent  pas  légitimes.  La  »  ville  d'or  »  que 
portait  la  femme  d'Akiba  ne  peut  pas  être  comparée  à  la  couronne 
murale  de  Pallas  Athéné  \ihid.)  ;  c'était  un  bijou  sur  lequel  était 
représentée  la  ville  de  Jérusalem  et  qui,  pour  cette  raison,  s'ap- 
pelait aussi  NnmT  û"^b">:;"iT'  [Xedanm,  50  ^i.  P.  291,  1.  2i,  au  lieu  de 
«  father  of  Abraham  »,  lisez  «  brother  of  Abraham  ». 

Une  série  d'études  contenues  dans  notre  recueil  traitent  de  la  lit- 
térature juive  du  moyen  âge  et  nous  font  connaître  un  certain 
nombre  de  textes  très  précieux,  publiés  ici  pour  la  première  fois. 
M.  A.  Neubauer,  d'Oxford,  a  fourni  «  quelques  compositions  liturgi- 
ques inédites  attribuées  au  Gaon  Saadia  »  (p.  388  31'3),  et  notamment  : 
1»  une  poésie  liturgique  pour  Hoschana  rabba,  d'après  un  Siddour 
du  Yémen,  avec  la  suscriplion  :  b'::T  pwsa  rrinro  iraib  Iitstd  (les 
mots  précédents  Qmnî*  njT>:;N"in  'nzi'pn  appartiennent  au  commence- 
ment de  la  première  strophe  après  la  suscriplion)  ;  2"  une  poésie 
liturgique  pour  la  fête  de  Schebouot,  d'après  un  manuscrit  de  la 
Bodléienne  provenant  d'Egypte,  avec  la  suscription  "ibr  n-i::>b  "no 
DT  Tpy^  p  rc^ona  "vy  ba  i-^w-^b-o  iii^^n  n^ijpo  ira-ib  m-imn  -loy 
sb  hb  (au  lieu  de  l'incompréhensible  V2''b\a,  il  y  avait  sans  doute 
primitivement  Nn»  b^a,  terme  qui  était  probablement  expliqué  en 
marge  par  les  mots  ^'y  bD  ;  la  note  njarginale  passa  ensuite  dans  le 
texte;  rr'Dnw  NPTa  =  N"nO,  Sorai.  Le  no  4  a  sûrement  été  attribué  à 
tort  au  Gaon  ;  11  ne  se  trouve  pas  non  plus  parmi  les  poésies  de 
Hoschana  de  Saadia  que  Kohut  a  publiées  et  sur  lesquelles  M.  Neu- 
bauer nous  donne  encore  ici  quelques  notes.  Le  u"  2,  au  contraire, 
porte  dans  sa  langue  l'empreinte  de  Saadia  et  contient  même  la  daie 
de  la  composition  dans  ce  vers  (p.  394,  1.  \):  nnwSn  D'^OTon  ypb  mT\V 
m^«7a  n;i72"CT,  cesl-;'i-dire,  comme  M.  Neubauer  l'explique,  851  après 
la  destruction  du  Temple.  Le  poème  fut  donc  composé  par  Saadia  en 
l'an  919,  presque  dix  ans  avant  qu'il  ne  fût  appelé  d'Egypte  a  Sora. 
Cependant,  tout  le  morceau  liiurgique,  tel  qu'il  est  reproduit  ici,  ne 
doit  pas  être  considéré  comme  l'œuvre  de  Saadia.  Il  contient  —  ce  qui 
paraît  avoir  échappé  à  l'attention  de  l'éditeur  —  deux  passages  inter- 
polés qui  se  distinguent,  par  le  contenu  et  la  langue,  des  parties  au- 
thentiques du  poème  et  qui  interrompent  la  suite  des  strophes,  assez 
artistement  composées,  du  poème  de  Saadia.  Ce  poème  se  compose, 
en  effet,  de  sept  paragraphes  formés  de  vers  avec  acrostiche  et  sui- 
vant l'ordre  alphabétique  direct  et  inverse.  Par  exemple,  I,  p.  392, 


126  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

1.  1-16,  n5"3N;  II,  392,  1.  16  —  393,  1.  7,  pTCîn  ;  III,  393,  1.  7-!1,  1.  38- 
39,  394,  1.  1-6,  Y'anN  ;  IV,  394,  1.  7-21,  p-i\3n  ;  V,  394,  1.  Î7  -  393,  l.  3, 
na"3N;  VI,  39o,  1.  4-17,  pT^l^n  ;  VII,  395,  1.  18-30,  iVsK.  C'est  donc 
exactement  la  forme  d'acrostiche  avec  Tordre  alphabétique  direct  et 
inverse  que  Saadia  a  employée  dans  son  poème  sur  les  613  comman- 
dements ainsi  que  dans  ses  Azharot  (voir  û-^sin:*  "^t*  •^0^72  yaip,  éd. 
Roseuberg,  Berlin  1836,  p.  26-54;  Zunz,  Literalurgeschichte  der  syna- 
gogalen  Poésie,  p.  93,  93).  Au  milieu  du  troisième  paragraphe,  p.  393, 
1.  15-37,  il  y  a  dans  notre  édition  une  grande  paraphrase,  également 
alphabétique,  des  premiers  mots  du  troisième  commandement  :  Nb 
ne  riN  NOn,  contenant  une  glorification  du  nom  de  Dieu  et  de  l'ac- 
tion que  ce  nom  peut  exercer.  Ce  morceau  paraît  aussi  être  ancien, 
et  se  rattache  par  son  cojitenu  aux  idées  mystiques  de  l'époque  gao- 
nique  sur  le  pouvoir  miraculeux  du  nom  de  Dieu.  La  seconde  inter- 
polation est  de  moindre  importance  (p.  394,  1.  22-26)  ;  c'est  une  para- 
phrase des  mots  de  Jérémie,  xlviii,  10,  lHIz  "imn  y':^'n  ".TiN,  qui  sont 
interprétés  comme  une  allusion  allégorique  aux  devoirs  conjugaux. 
Ce  morceau  se  trouve  à  la  fin  du  quatrième  paragraphe,  après  les 
vers  traitant  du  sixième  commandement.  Maint  passage  des  textes 
édités  aurait  besoin  de  correction.  P.  389,  1.  21,  au  lieu  de  rîToiD») 
lire  n72i:j:72  (=  rimé);  dans  la  transcription  hébraïque  de  l'arabe, 
i:est  souvent  pour  b.  F.  390,  1.  15,  au  lieu  de  i»jC?,  1.  T^i<2ii73.  Ib., 
1.  24,  au  lieu  de  n3,  lire  "d.  Ib.,  1.  31,  au  lieu  de  Dnnpna,  lire 
ûn-i-np-a.  Ib.,  1.  32,  au  lieu  de  IjIIDt,  lire  "ir-iDT  (et  non  IjTidt, 
comme  on  le  corrige  dans  l'appendice,  p.  613).  P.  391,  1.  11,  au  lieu 
de"i2'?aN3,  lire  "372X3.  Ih.,  1.  14,  au  lieu  de  ^i^;,  lire  mn  (à  cause  de  la 
rime  avec  nnaD).  Ib.,  au  lieu  de  172">^  "iNsb,  lire  nNsb  ITjO  (également 
à  cause  de  la  rime  avec  "iNp).  Ib.,  1.  18,  au  lieu  de  y:^y,  lire  "'31?. 
Ib.,  1.  19,  au  lieu  de  V'^nn,  lire  'T'TaTir!.  Ibicl.,  1.  37,  au  lieu  de 
1:^35733,  lire  "^msbT^a.  P.  393,  1.  24,  entre  les  mots  bs»  "iDTSrr  et  N'Jn, 
quelques  mois  sont  tombés  et  il  est  probable  qu'il  faut  rétablir  le 
texte  ainsi  NiDn  [wsb].  [rpn:  inm  û-'jb:'  ir-3rî.  Ib.,  I.  31,  au  lieu  de 
Db-^m,  lire  nb-^Ni  (^obNi).  P.  394,  1.  3,  au  lieu,  de  ma,  lire  nia. 
P.  393,  l.  18,  au  lieu  de  rnns  ■'sb'^N,  il  faut  sans  doute  mettre  ib-'îî 

m-im. 

M.  Hermann  Gollancz,  de  Londres,  s'occape  (p.  186-197)  d'une  cu- 
riosité liturgique  des  Juifs  du  Yémen.  Il  donne  une  traduction  an- 
glaise de  la  paraphrase  araméenue  (\QVAmida  (les  18  bénédictions) 
éditée  par  M.  Gaster  dans  la  Monaisschrlft,  XXXIX,  p.  84-90.  Au  sujet 
de  p.  193,  noie  2,  je  remarquerai  que  HTîa  est  une  corruption  de 

Les  nouveaux  extraits  que  M.  Samuel  Poznanski,  de  Berlin,  a  tirés 
du  Kitâb-alanwâr  walmarâqib  de  Qirqisâni  (p.  433-456)  sont  pré- 
cieux. M.  Poznanski  nous  donne  ici  une  édition  correcte  (eu  carac- 
tères arabes)  de  deux  importants  chapitres  '17  et  18)  de  la  troisième 
partie  (une  polémique  contre  les  partisans  de  la  doctrine  de  la  mé- 
tempsycose) et  un  chapitre  de  la  cinquième  partie  (sur  le  sabbat) 


BIBLIOGRAPHIE  127 

du  grand  ouvrage  de  cet  auteur  caraïle,  coutemporain  de  Saadia, 
que  M.  Harkavy  a  eu  le  mérite  de  mettre,  dans  ces  dernières  années, 
au  premier  plan  des  études  d'histoire  littéraire.  Le  manuscrit  d'où  est 
tiré  ce  dernier  chapitre  est  écrit  en  caractères  arabes,  sans  excepter 
les  mots  hébreux  et  les  citations  bibliques,  comme  cela  se  rencontre 
fréquemment  chez  lesGaraïles.  Dans  le  texte  arabe,  je  n'ai  trouvé  que 
peu  de  fautes.  P.  441, 1.  5  et  6,  le  teschdid  surmontant  le  a  dans  JMnn» 
est  à  supprimer.  P.  443,  1.  2  du  bas,  au  lieu  de  TiNp,  1.  «"ilNp  (cf. 
p.  444,  1.  10).  P.  444,  I.  46,  le  biin  du  ms.  a  été  changé  inutilement 
en  biN3n,  car  ïï^e^t:  "^b^  bnin  donne  un  sens  excellent  :  «  La  douleur 
conduit  (ou  arrive)  finalement  à  un  grand  profit.  »  11.^  1.  20,  au  lieu 
de  "npn  1.  r\'vr^':x  (et  non  ^^'rçr^  im  comme  M.  P.  le  propose).  P.  449, 
dernière  ligne,  au  lieu  de  yÀN"),  lire  NrJNn.  P.  454,  1.  7,  au  lieu  de 
TN,  lire  "jN.  P.  453,  ligne  10,1"^w:?a  bNi  aurait  dû  être  écrit  en  hébreu, 
X^tiV'ù  étant  la  désignation  araméenne  des  accents.  Ib.,  au  lieu  de 
nD-^b,  1.  ncb. 

M.A.  Hakkavy,  de  Saint-Pétersbourg,  dans  une  courte  étude  écrite 
en  hébreu  (p.  244-247),  donne  quelques  passages  intéressants  tirés 
de  Saadia  et  d'un  commentaire  caraïte  du  Pentaleuque,  où  il  est  fait 
mention  des  Khazars  et  de  leurs  croyances  juives  ;  il  a  édité  l'original 
arabe  avec  tradactiou  hébraïque.  P.  243,  1.  23,  au  lieu  de  n:ï"^,  lire 
ni:  (comme  1.  13)  Ih.,  1.  23,  au  lieu  de  Nni:pT,  lire  Nr!i<i:p"i,  Ih.,  j.  4  du 
bas,  au  lieu  de  "jnCN-i  ■'.naib  nariJnn  riwX  pi  nuXi"»,  il  est  plus  exact 
de  traduire  n"ib  nmon  DN  "^3  nrixo  n^nr 

M.  Friedlànder,  de  Londres,  a  donné  une  traduction  anglaise, 
avec  notes,  des  paragraphes  du  Khozari  (II,  67-80)  de  Juda  Ilalévi 
traitant  de  la  laugue  hébraïque  et  qui  sont  en  partie  assez  difficiles 
(p.  139-151).  Il  est  regrettable  que,  pour  la  traduction,  l'auteur  n'ait 
pas  tenu  compte  de  mon  travail  sur  ce  sujet,  publié  dans  le  huitième 
volume  du  journal  Hebraïca  paraissant  à  Chicago  (p.  136-149)  et  des 
explications  de  J.  et  II.  Derenbour^  dans  les  Opuscules,  p.  lxxxiii. 

M.H\RTwiG  HiRSGHFKLD,  de  Ramsgalc,  a  fourni  une  notice  remar- 
quable sur  un  <v  commentaire  arabe  sur  Esiher  faussement  attribué 
à  Maïmonide  »  (p.  248-233),  d'après  l'édition  de  Livourne,  1759.  Dire 
que  ce  livre  n'est  pas  cité  dans  le  Thésaurus  de  Benjacob  est  une  er- 
reur, car  il  s'y  trouve  mentionné  p.  461,  n"  196.  Comme  spécimen  de 
la  langue,  Hirschfeld  donne  «  l'édit  de  Ilaman  »  dans  l'original 
arabe,  avec  traduction  allemande.  Je  ne  sais  pourquoi  les  mots 
iS3nny  "^by  ûnà"'Vnb  (p.  232,  l.  3)  sont  traduits  :  «  parce  qu'ils  ont 
fourni  des  avances  a  nos  ennemis  ».  Le  sens  parait  être  plutôt  : 
«  parce  qu'ils  pèchent  (agissent  tortueusement)  contre  notre  loi  ». 
Il  est  faux  de  traduire  ^rmn-l  DxbD  par  Kalàm  des  sages  (p.  249), 
car  DNbD  n'a  pas  ici  le  sens  de  «  dogmatique  théologique  »,  mais 
correspond  à  l'hébreu  ûnan  (par  suite  =  irm^n  ''"I3T  ),  comme 
on  trouve  fréquemment  chez  Aboulwalid  b\sixbM  DNba  =  nm 
Û''5i)3*îpn.  P.  231,  1.  16,  au  lieu  de  nnnnNT,  lire  D^nnaNn. 

M.  B.  Felsenthal,  de  Chicago,  traite  d'un  point  de  l'histoire  de 


128  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

l'exégèse  biblique;  soa  élude  est  intitulée:  Zur  Erhlârung  von  Amos, 
6,  10  (p.  433-137).  Le  seul  fait  que  nous  puissions  considérer  comme 
solidement  établi,  c'est  que  les  anciens  auteurs  exégétiques  ont  en- 
tendu Ci"iwW  dans  le  sens  d'oncle,  frère  de  la  mère.  Si  Yéfét  b.  Ali 
emploie  le  mot  dans  ce  sens  et  y  ajoute  même  un  féminin  (t^iDttin  na 
!^^^^m  min  n3  nonDt^m),  cela  ne  prouve  pas  que  le  sens  de  C)"i073 
se  soit  conservé  par  une  tradition  lexicologique  encore  vivante, 
mais  simplement  que  Yéfét,  lui  aussi,  expliquait  ainsi  le  mot  dans 
Amos  et  l'employait  en  conséquence,  comme  cela  se  pratique  pour 
d'autres  Hapax  le§omena  de  la  Bible.  Un  autre  article  de  M.  Felsen- 
thal  (p.  127-133,  4  37-138)  plaide  en  faveur  de  la  prononciation  de 
('.  Kimchi  »  contre  la  prononciation  de  «  Kamclii  »  avec  un  a, 
laquelle  est  attestée  par  des  manuscrits.  Qu'Immanuel  Romi,  au 
xin«  siècle,  prononçait  déjà  "^tip^î^  M.  F,  le  prouve  par  le  fait  que  ce 
poète  fait  rimer  Ti^p  avec  "^riTpip.  Elia  Lévita  ponctue  expressément 
■»n7pT?.  Si  la  prononciation  avec  i  est  doue  diflereute  de  la  prononcia- 
tion primitive,  elle  est  en  tout  cas  sanctionnée  par  une  haute  anti- 
quité, et  il  serait  dommage  d'y  renoncer. 

M.  S.  ScHE^.HTER,  de  Cambridge,  nous  fait  connaître  une  intéres- 
sante compilation  exégétique  de  l'école  des  Tossatistes  (p.  485-494)  ;  il 
nous  apprend  les  noms  des  auteurs  qui  y  sont  mentionnés  et  en 
donne  différents  extraits  d'après  le  ms.  641  de  la  Bibliothèque  De 
Rossi  à  Parme.  R.  Nathanel,  un  disciple  de  R.  Yehiel  de  Paris,  se 
nomme  comme  l'auteur  de  celte  compilation.  L'ouvrage  contient 
aussi  beaucoup  de  passages  d'ouvrages  midraschiques  qui  ne  se  re- 
trouvent pas  ailleurs. 

La  description  d'un  autre  manuscrit  (n"  184)  de  la  même  Biblio- 
thèque (p.  601-604)  est  due  à  M.  C.Taylor,  de  Cambridge.  Ce  manus- 
crit ne  contient  pas,  comme  on  le  croyait  jusqu'à  présent,  un  com- 
mentaire sur  le  traité  d!Ahot  par  MescliouUam  b.  Kalonyrnos  de  Rome, 
mais  une  version  plus  étendue  du  commentaire  attribué  à  Raschi 
sur  Abot,  i-v,  avec  quelques  autres  fragments;  un  de  ces  fragments 
contient  l'explication  dudit  MescliouUam  sur  Abot,  m,  19  et  20. 

M.  ScHBEiNER,  de  Berlin,  dans  ses  Beitrnge  zur  Geschichte  der  Bibel 
in  der  arabischen  Literatur  (p.  493-513),  publie  des  textes  arabes  très 
intéressants  :  1°  une  traduction  de  Deutéronome,  xxxii,  1-43,  d'après 
le  Kitâb-al-milal  ical-nihal  d'Ibn  Hazm  (xi«  siècle),  qui  est  sûrement 
d'origine  juive  et  qui  serre  le  texte  de  beaucoup  plus  près  que  la 
traduction  de  Saadia  ;  2"*  un  fragment  assez  étendu  du  Kilâb  a'iam 
al-nubuww  d'Al-Mâwerdi,  où  se  trouvent  beaucoup  de  passages  bi- 
bliques traduits  en  arabe  qui  furent  appliqués  par  les  auteurs  maho- 
métans  à  Mahomet  et  à  l'Islam.  Ce  sont  les  passages  suivants  de  la 
Bible  :  Genèse,  xvi,  8-12;  xvii,  20;  Deut.,  xviii,  47-49;  xxxiii,  2-3  ; 
Isaïe,  i.x,  1-7;  xxi,  6-9;  xxxv,  4-2;  ix,  5;  xl,  3-5;  xlii,  41-13;  xli, 
47-20;  Joël,  11,2-5  et  40-11  ;  Obadia,  i,  3  et  i,5;  Michée,  v,  2-3  ;  Habac, 
III,  3-7  et  43-14;  Ezéch  ,  xix,  40-14;  Soph.,  m,  8-40;  Zach.,  iv,  4-6; 
Daniel,  vu,  4  3-15;  viii,  4  4,  23;  m,  4-47;  Psaumes,  gxlix,  4-8;  l,  2; 


BIBLIOGRAPHIE  129 

Lxxii,  8-15  ;  IX,  21.  M.  Schreiaer  a  négligé  de  désigner  ce  dernier  pas- 
sage des  Psaumes.  On  trouve  ici  la  même  inlerprélatiou  des  mots 
un?  !i"n7û  'n  rirria  que  chez  Ibu  Kouteiba  (n"i'i73,  mailre,  niobNb^'Nà). 
Voir  Zeitschrift  fur  die  alttestam.  Wissemchaft,  XV^  année,  p.  310  et 
Z\i.  Dans  l'introduction  des  passages  édités,  M.  Schreiner  a  aussi 
omis  de  relever  la  division  originale  des  chapitres  des  livres  bibli- 
ques qu'on  peut  observer  dans  les  citations  bibliques  de  Mawerdi. 
C'est  ainsi,  par  exemple,  que  le  cliapitre  xvi  de  la  Genèse  est  dési- 
gné comme  le  chapitre  vu  (bixbN  iDobN  \12  s^niobN  biTDbïî),  les  cha- 
pitres xvm  et  XXXIII  du  Deutéronome  comme  xi  et  xx.  Dans  Isaïp, 
le  chap.  XXXV  est  appelé  le  chap.  xvi,  le  chap.  xl  est  désigné 
comme  le  xvu«,  et  les  chap.  xli  et  xlii  le  xx",  le  chap.  lx  le  xxii**. 
Celle  division  se  trouve  déjà  chez  Fahr  al-diu  Ràzi  (xii"  siècle),  mais 
celui-ci  cite  le  chap.  xvi  de  la  Genèie  comme  le  ix*^  {^ONn  est  donc 
une  corruption  de  i'^îO  ou  inversement)  et  le  chap.  xxxiii  du  Deuté- 
ronome comme  le  xx«  (voir  Schreiner,  dans  Z.  D.  M.  G.,  XLII,  643). 
Ceci  offre  d'autant  plus  d'intérêt  que  chez  les  .luifs,  avant  qu'ils 
n'eussent  adopté  la  division  des  chapitres  telle  qu'elle  existe  dans  la 
Vulgate,  les  chapitres  de  la  Bible  n'étaient  pas  numérotés  ;  donc  le 
numérotage  employé  par  les  auteurs  mahométans,  s'il  est  d'origiue 
juive  ainsi  que  la  traduction  biblique,  serait  le  premier  en  date  en 
ce  genre.  Il  est  à  regretter  que  M.  Schreiner  n'ait  pas  traduit  les 
textes  qu'il  a  édités,  pour  les  rendre  accessibles  aux  non  ara- 
bisants. Dans  le  n°  1,  contenant  la  traduction  de  Deut.,  xxxii,  il 
y  a  des  lacunes  qui  n'ont  pas  été  relevées.  C'est  ainsi  que  dans  le 
verset  24,  il  manque  la  traduction  de  nn»  n-jpT  ;  dans  le  verset 
31,  celle  deij"^2"^nN;  dans  le  verset  32,  celle  de  u:ti  ■'333'  na"'33:';  dans 
le  verset  42,  celle  de  la  seconde  partie  du  verset.  Dans  le  verset  39, 
■n::3n  (=  in"i)  est  imprimé  deux  fois.  Dans  le  verset  42,  "["isoxbn 
(=  -T^DCN)  est  corrigé  inutilement  en  pDDN^T.  P.  505,  1.  13,  VNT'  HT^r: 
(Isaïe,  XXXV,  2)  est  traduit  par  liT^DT.  M.  Schreiner  fait  à  ce  sujet  la 
singulière  remarque  que  "{iT^Ol  répond  au  mot  du  texte  inom  et 
renvoie  aux  Septante  où  "iTTium  est  traduit  par  xal  ô  T^ad?  jioi»  d^xfu.; 
par  suite,  au  lieu  de  lTi\::m,  la  traduction  fait  supposer  Iit:;'»  (de 
nr:j,  voir).  Mais,  en  réalité,  dans  les  Septante,  lT~i"jm  n'est  pas  du 
tout  traduit,  et  ôij/ttai  est  la  traduction  de  INT".  Cette  erreur  de 
M.  Schreiner  est  d'autant  plus  étrange  que  dans  notre  traduction 
arabe,  ';"i"i"::m  est  traduit  par  y-N"«-)bî<T  «  les  champs,  les  prés  ».  Saa- 
dia  traduit  aussi  'l"i"">y,  non  comme  un  nom  propre,  mais  comme  un 
substantif  ayant  le  sens  de  briD,  «  plaine  ».  (Cf.  Aboulwalid,  Diciion- 
naire  des  racines,  art.  niC).  P.  511,  1.  12,  au  lieu  de  N»,  lire  t^i'. 
P.  512, 1.  12,  au  lieu  de  o-)bi<  bnx,  lire  oipbN  brîM  «  les  gens  de  Jéru- 
salem ».  Ib.,  1.  M,  «■'mn  p  N"«»-iM  doit  être  corrigé  en  "jn  n"«-|ST 
rr^ann.  Le  même  prophète  est  appelé,  p.  509, 1.  2  du  bas, N;m"«prT'nr)T. 
!ï<;m"'  est  une  corruption,  facile  à  comprendre,  de  rT'Dnn,  car  dans 
l'écriture  arabe,  si  les  points  diacritiques  sont  omis,  les  deux  mots 
se  ressemblent  beaucoup.  P.  512,  1.  12,  il  ne  s'agit  pas  de  Jérémie 
T.  XXXV,  N"  69.  « 


130  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

mais  de  Zacharie,  comme  cela  ressort  de  l'iadicalion  du  contenu 
du  fragment,  que  l'auteur  na  malheureusement  pas  donné  (fT<"n"7N> 
1.  13  =  etc.)  :  M  après  que  les  gens  de  Jérusalem  eurent  tué  leur 
prophète  »  semble,  en  effet,  se  rapporter  a  Zach.,  xii,  \0.  Comme 
curiosité,  je  citerai  encore  le  passage  de  la  p.  506,  ligne  6,  où  il  est 
dit  quisaïe,  xlii,  11-13,  est  raen«.ionné  dans  «  le  psaume  gliii  de 
David  >>.  Il  semble  qu'on  a  voulu  parler  de  ce  faux  psautier  mabo- 
raétan  ("naîb^;  qui  se  compose  de  150  Sura  et  est  une  imitation  du 
Coran  (voir  Goldziher,  Z.  D.  M.  G-,  XXXII,  p.  351). 

Le  même  genre  de  sujet  que  traite  M.  Schreiner  est  étudié  dans  le 
travail,  écrit  en  anglais,  de  M.  J.  de  Goeje,  de  Leyde,  qui  s'oc- 
cupe des  citations  bibliques  dans  le  Coran  et  dans  la  tradition 
(p.  179-185).  M.  de  Goeje  publie  aussi  dans  l'original  et  avec  la 
traduction,  d'après  un  écrit  de  Zamakbscbari,  une  tradition,  iné- 
dite jusqu'ici,  de  Mahomet  rapportant  à  lui-même  une  prophétie 
disaïe.  Celte  prophétie  a  pris  pour  base,  en  les  interprétant  très 
librement,  des  éléments  du  chap.  xlii  d'Isaïe  (p.  184,  1.  24,  il  y  a 
par  erreur  le  chap.  62,  au  lieu  de  42},  tirés  non  seulement  des  ver- 
sets 2  et  3^  mais  aussi  des  versets  1  et  19,  M.  de  Goeje  déduit  de  la 
manière  dont  le  Coran  et  la  tradition  citent  le  contenu  des  pas- 
sages bibliques  qu'à  l'époque  du  fondateur  et  des  pères  de  l'Islam,  il 
n'existait  pas  de  traduction  arabe  de  la  Bible. 

M.  D.  S.  Margoliouth,  d'Oxford,  traite  de  la  traduction  arabe  de 
la  Rhétorique  d'Aristote  d'après  un  vieux  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  datant  de  l'an  1027  (p,  367-387).  Cette 
traduction,  faite  d'après  une  traduction  syriaque  de  l'original  grec, 
peut  servir,  comme  le  prouve  l'auteur,  à  établir  la  leçon  exacte  de 
beaucoup  de  passages  douteux  de  l'original. 

M.  Steinschneider,  de  Berlin,  a  apporté  une  contribution  à  l'his- 
toire générale  de  la  littérature.  Son  étude  intitulée  Lapidarien  est 
présentée  comme  un  essai  d'histoire  de  la  civilisation  (p.  42-71).  Dans 
un  chapitre  d'iulroduction,  M.  St.  indique  le  développement,»  la  ten- 
dance et  les  sources  de  la  littérature  du  moyen  âge  relative  aux 
pierres  précieuses  et  il  énumère  ensuite  ces  travaux  littéraires  eux- 
mêmes,  savoir  :  1"  les  écrits  arabes  ;  2°  les  écrits  européens;  3°  les 
écrits  hébreux.  Deux  appendices  énumèrent  les  écrits  sur  les  douze 
pierres  précieuses  du  pectoral  et  des  «  traités  généraux  »,  particu- 
lièrement ceux  de  F.  de  Mély.  Un  troisième  appendice  donne  des 
extraits  de  Lapidaria  hébreux  et  arabes.  A  propos  de  ces  extraits, 
j'indique  les  corrections  suivantes  :  P.  68, 1.17,  lire  NbN.  au  lieu  de 
Nb  ;  p.  69,  1.  4,  lire  D^iN^  au  lieu  de  mix;  p.  70,  1.  3,  au  lieu  de 
NruîrsmD,  il  faut  sans  doute  lire  Nr:3:D"iO,  la  pierre  serpentine  ;  ih., 
1.  10,  lire  rT^;>;;p^  au  lieu  de  rvz-^;  ib.,  \.  16,  lire  m^30"'T  (Exode, 
xxviii,  20),  au  lieu  de  m^'ac-'T  ;  ib  ,  lire  Sinon,  au  lieu  de  ïI^wD  ;  ih.^ 
1.  15,  il  faut  sans  doute  corriger  l^ïTJ  en  DT«D  (DrO  mD'^bp  "["•yD. 
comme  des  gousses  d'ail). 
L'étude  de  M.  F.  Ma.xMullek,  d'Oxford  (p.  1-41  j,  forme  un  impor- 


BIBLIOGRAPHIE  131 

tant  chapitre  de  l'histoire  des  religions.  Elle  traite  «d'anciennes 
prières  »,en  caractérisant  la  signification  religieuse  des  prières  dans 
les  diverses  religions  anciennes  et  en  illustrant  les  idées  émises  par 
des  exemples.  La  prière,  telle  qu'elle  se  trouve  dans  les  Psaumes, 
n'est  mentionnée  que  brièvement,  mais  elle  est  déclarée  supérieure  à 
toutes  les  autres.  Les  paroles  du  célèbre  savant  méritent  d'être  repro- 
duites ici  :  «  Après  avoir  lu  les  hymnes  et  les  prières  d'autres  reli- 
gions, dit-il  (p,  40),  aucun  juge  impartial  ne  voudra  nier  que  les 
psaumes  hébreux  sont  uniques  entre  toutes  les  prières,  à  cause  de 
leur  simplicité,  de  leur  puissance  et  de  la  majesté  de  leur  langage, 
quoique  la  collection  des  psaumes,  comme  toute  collection  de  prières,, 
coutienne  bien  des  choses  que  nous  voudrions  volontiers  en  retran- 
cher. »  A  propos  de  l'idée  effleurée  p.  38, 1.  9,  je  rappellerai  les  paroles 
de  l'amora  Yohanan  :  «  Plût  à  Dieu  que  l'homme  pût  prier  toute  la 
journée,  car  la  prière  ne  nuit  jamais  »  (Voir  Agada  der  palastin.  Amo- 
râer  I,  tik).  Au  sujet  de  la  page  3,  il  faut  remarquer  que  les  Psaumes 
ne  s'appellent  pas  seulement  «  Tehiliim  »,  mais  aussi  «  Tefillot  ». 
Voir  Ps.  Lxxir,  fin. 

La  noiice  de  M.  H.  Stëinthal,  de  Berlin,  sur  «  le  caractère  des  Sé- 
mites »  (p.  557-559)  forme,  en  quelque  sorte,  un  commentaire  du  titre 
de  notre  recueil.  Elle  rappelle  les  coutradiciions  entre  les  diverses 
tentatives  pour  déterminer  ce  caractère  et  arrive  a  cette  conclusion 
qu'il  est  Impossible  d'établir  une  caractéristique  de  la  race  sémi- 
tique qui  ne  soulève  pas  d'objections  et  soit  applicable  aux  diverses 
nations  désignées  comme  sémites. 

L'histoire  des  Juifs  n'a  fourni  de  sujet  qu'à  trois  études.  M.  Th.  Rei- 
i\ACH,  de  Paris,  explique  avec  beaucoup  de  sagacité  un  passage  de 
Solin  sur  la  destruction  de  Jéricho  à  l'époque  d'Artaxerxès  (p,  457- 
462).  Il  rend  plausible  l'opinion  que  cet  Artaxerxès  ne  désigne 
pas  un  Achéménide,  mais  le  fondateur  de  la  dynastie  des  Sassa- 
nides,  et  que  par  la  «  guerre  d'Artaxerxès  »  (Artaxerxis  bello).  il 
faut  entendre  la  lutte  entre  ce  souverain  et  l'empereur  Alexandre 
Sévère. 

M.  Gustave  Oppekï,  de  Berlin,  s'occupe  des  colonies  juives  de 
l'Inde  (p.  .396-419),  exposant  l'histoire  de  ces  colonies  d'après  la  litté- 
rature et  relatant  d'une  manière  très  intéressante  leur  état  actuel 
d'après  ses  propres  constatations 

M.  Georgk-Alexandre  Kohut,  de  New- York,  éditeur  de  ce  recueil, 
a  ajouté  un  supplément  important  à  l'étude  de  M.  Oppert.  Il  publie 
et  examine  la  correspondance  entre  les  Juifs  de  Malabar  et  ceux 
de  New- York,  à  la  fin  du  xviiie  siècle  (p.  420-434),  en  rapportant 
aussi  d'autres  informatious  sur  les  Juifs  indiens.  M.  Kohut,  qui 
est  au  début  de  sa  carrière  scientifique,  a  encore  tourni  d'autres  élé- 
ments très  utiles  à  cet  ouvrage,  qui  a  été  mené  à  bonne  fin,  grâce  au 
sentiment  de  piété  filiale  qui  l'animait  envers  la  mémoire  de  son 
père;  il  a  donné  une  preuve  de  sa  grande  érudition,  en  ajoutant  une 
foule  de  renseignements  bibliographiques  et  autres  à  certains  tra- 


132  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

vaux  ou  en  les  réunissant  dans  l'appendice  qu'il  a  placé  à  la  fin  du 
volume.  Outre  la  dédicace  enthousiaste  à  la  mémoire  de  son  père, 
il  a  mis  en  tète  de  l'ouvrage  une  préface  assez  longue  (p.  v-xii)  où 
nous  apprenons  le  fait  malencontreux  de  la  perte  d'un  article  envoyé 
par  M.  Jules  Oppert,  de  Paris,  et  intitulé  :  Une  co'ricention  comtner- 
ciale  de  l'époque  d'Ahraham.  La  vie  du  savant  au  mérite  scientifique 
duquel  ce  beau  monument  a  été  érigé,  est  décrite  jusqu'en  ses  dé- 
tails intimes  dans  le  Charakterbili  de  M.  A-dolchk  Kohut,  de  Berlin, 
biographie  qui  suit  la  préface  (p.  xvii-xxxv).  Les  exagérations  qu'on 
y  trouve  doivent  être  attribuées  à  l'affection  fraternelle.  Mais,  dans 
ce  récit,  nous  retrouvons  les  traits  caractéristiques  de  l'activité 
scientifique  d'Alexandre  Kohut  :  un  effort  iulaligable,  que  nulle  dif- 
ficulté ne  peut  arrêter,  pour  atteindre  le  but  poursuivi,  une  ambition 
ardente  unie  à  une  rare  force  de  travail,  qu'il  n'a  cessé  d'exercer 
depuis  la  plus  tendre  jeunesse.  Il  n'a  pas  atteint  un  âge  avancé, 
mais  la  somme  de  ses  travaux  est  aussi  grande  que  s'il  avait  vécu 
de  longues  années.  Son  portrait,  admirablement  exécuté,  qui  se 
trouve  à  la  tète  du  livre,  met  aussi  les  traits  de  son  visage  sous  les 
yeux  des  lecteurs  de  ce  volume,  dont  l'aspect  extérieur  est  égale- 
ment fort  bien  soigné  et  qui  n'a  d'autre  défaut  qu'un  peu  de  négli- 
gence dans  les  corrections.  Répétons  qu'eu  publiant  ce  volume, 
le  fils  n'a  pas  seulement  rendu  hommage  à  la  mémoire  de  son  père, 
mais  a  aussi  rendu  service  à  la  science. 

Budapest,  mars  1897. 

W.  Bagh-er 


D.  G.  Hesseling.  Los  cinq  livres  tle  la  loi  (le-  Pentatcuqiie).  Tra- 
duction en  néo-^rec,  publiée  en  caractères  hébraïques,  à  Constanliaople,  eo  154", 
Iranscrile  et  accompagnée  d'une  introduction,  d'un  glossaire  et  d'un  l'ac-similé. 


Il  y  a  sept  ans,  j'ai  essayé,  par  deux  études  publiées  presque  en 
même  temps  dans  la  Revue  des  Eiuies  Juives  (tome  XXII,  p.  250  et 
suiv.)  et  dans  la  Revue  des  Etudes  Grecques  (tome  III,  p.  288-308),  de 
faire  connaître,  avec  quelques  délails,  l'existence  d'une  version  grec- 
que du  Pentateuque,  éditée  en  caractères  hébraïques,  à  Gonstanti- 
nople,  l'an  loi?,  dont  Wolf,  dans  sa  Bihliotheca  Hebraea,  II,  p.  355,  et 
M.  Emile  Legraud,  dans  sa  Bibliographie  Hellénique,  II,  p.  xx,  avaient 
ait  une  courte  mention  et  donné  un  petit  spécimen. 

J'aurais  désiré  préparer  une  édition  complète  de  ce  texte  intéres- 
sant ;  mais  les  circonstances  défavorables  où  je  me  trouve  placé  à 


i 


BIBLIOGRAPHIE  133 

Corfou,  loin  des  bibliothèques  et  des  grands  centres  d'études,  n'ont 
pas  permis  l'accomplissement  de  ce  projet. 

Un  de  mes  confrères,  leD'  D.  G.  Hesseling,  de  Hollande,  a  été  plus 
heureux  que  moi.  Sa  transcription,  commencée  sur  l'exemplaire  de  la 
bibliothèque  du  séminaire  Israélite  de  Breslau,  achevée  sur  celui  de 
Paris,  a  paru  au  commencement  de  cette  année  en  un  gros  volume 
de  Lxiv-443  pages,  imprimé  à  Leyde  chez  M.  L.  Van  Nifterik. 

J'ai  ouvert  cette  publication  avec  une  impatiente  curiosité  ;  je  l'ai 
fermée  avec  un  certain  sentiment  de  déception  que  je  vais  essayer  de 
justifier. 

Pour  étudier  avec  succès  le  Pentateuque  néo-grec  de  Constanti- 
nople,  il  faut  à  la  fois  posséder  à  fond  la  langue  de  l'original  et  le 
grec,  non  seulement  en  théorie,  mais  tel  aussi  qu'il  est  parlé  aujour- 
d'hui en  Grèce.  Maints  phénomènes  particuliers  à  ce  monument  ne 
trouvent  leur  explication  que  dans  la  comparaison  soigneuse  et  intel- 
ligente du  texte  hébraïque.  Ou  se  trouve  parfois  en  présence  de  cer- 
tains faits  gui  ressemblent  a  des  énigmes  et  a  des  jeux  de  mots,  que 
seul  peut  déchiffrer  ou  saisir  celui  qui  connaît  la  langue  où  ils  sont 
proposés.  Pour  ce  qui  est  du  grec,  il  faut  noter  qu'en  dehors  de  cer- 
tains faits  de  morphologie  et  de  syntaxe  non  encore  envisagés  par 
la  science,  il  y  a  dans  notre  texte  des  particularités  graphico-phoné- 
tiques  qui  sont  dues  à  l'impossibilité,  pour  l'alphabet  et  le  système 
vocal  de  l'hébreu,  de  reproduire  d'une  façon  sûre  et  exacte  les  diHé- 
rents  sous  du  grec.  Très  souvent  il  faut  suppléer  a  ce  défaut  par  la 
connaissance  de  la  prononciation  vivante,  ne  perdant  jamais  de  vue 
qu'entre  le  traducteur  de  Constantiuople  et  ses  lecteurs  contempo- 
rains il  existait  une  espèce  de  convention  tacite,  grâce  a  laquelle  ces 
derniers  se  contentaient  d'une  représentation  approximative,  toutes 
les  fois  qu'elle  était  imposée  par  la  nécessité. 


Une  condition  indispensable  pour  ramener  à  l'aspect  scriptural  de 
sa  propre  langue  un  texte  transmis  eu  caractères  d'une  langue  difTé- 
rente,  c'est  de  savoir  lire  dans  cette  dernière  sans  aucuue  défaillauce. 
Si  l'on  découvrait  une  inscription  grecque  de  l'époque  ptolémaïque, 
gravée  avec  les  signes  de  l'alphabet  hiératique,  la  personne  la  mieux 
qualifiée  pour  la  déchiffrer  serait  sans  conteste  un  égyptologue,  mais 
un  égyptologue  qui  pût  aller  vers  son  but  sans  trébucher  et  avec 
une  confiance  bien  fondée  en  lui-même,  qui  sût  en  même  temps  se 
rendre  le  compte  voulu  de  la  quasi-impossibilité  (i'exprimer  dans  une 
langue  étrangère  les  nuances  phonétiques  particulières  à  la  langue  de 
l'original,  qui  à  la  science  grammaticale  joignit  la  pratique  nécessaire. 
L'éditeur  hollandais  a-t-il  su  satisfaire  à  cette  condition  pour  le  texte 
gréco-hébraïque  de  Constantiuople?  On  peut  répondre  à  la  question 


13'.  RKVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

au  moj'en  d'une  inspection  des  noms  propres  contenus  dans  le  volume. 
Dans  son  introduction,  il  nous  dit,  d'une  façon  catégorique, 
avoir  voulu  rigoureusement  conserver  à  ces  noms  leur  forme 
hébraïque,  el  pourtant  il  y  en  a  qui  sont  absolument  impossibles 
à  reconnaître,  tant  ils  sont  altérés  et  ne  correspondent  pas  à  la 
prononciation,  quel  que  soit  le  système  qu'on  veuille  adopter. 
M.  H.  fait  sonores  bon  nombre  de  N"iç  muets,  et  vice-versa,  en 
nous  donnant,  par  exemple,  d'abord  MaxKtiKtOi  et  MEtTapes)^  (''"*??"^ 
bXD^Ïipj^  et  puis  NijjLEpoS,  rtvEttS,  etSîa^,  Majiepe  iVi'^ri  ,3N;Ç  :~i~l73j 
Nn7p^).  D'une  manière  générale,  il  avale  le  deuxième  e  des  mots  vo- 
calises par  deux  bi^D,  et  dit,  par  conséquent,  IsfO,  Ut\y  et  iispÇ  pour 
yn-î,  jbs,  PD"».  Le  nom  "3'>::"i2"'  devient,  dans  les  trois  premiers  livres, 

ï        T  V  T    T  V  V  T  T    "  *^  ' 

Ijaffxap.  Le  D  est  toujours  rendu  par  K,  surtout  lorsqu'il  est  sans 
voyelle  sonore  :  Xavox,  Epx,  Bsxp  {il  y  a  une  triple  faute  dans  ce  nom) 
pour  "123,  "^"iN.  "^irn.  Par  une  absorption  que  rien  ne  justifie,  û"^";ib 
devient  ^efiiji,  et  puis,  par  un  écart  de  la  règle  qu'il  s'est  lui-même 
imposée,  l'éditeur  écrit  NeyïaXc  et  quelques  autres  noms  d'après  la 
version  des  Septante.  Il  est  évident  qu'une  telle  infidélité  de  repro- 
duction appliquée  à  la  partie  grecque  du  texte,  et  particulièrement 
à  des  formes  qui  sont  ou  inconnues  par  dautres  monuments  ou  sus- 
ceptibles de  contestation,  peut  égarer  les  philologues  et  amener  à  des 
conclusions  erronées.  Nous  allons  voir  que  M.  Hesseling  en  a  été  la 
première  victime. 

Tout  le  monde  sait  que  les  Juifs  espagnols  ne  font  aucune  distinc- 
tion dans  la  manière  de  prononcer  le  n  avec  ou  sans  daguesch.  La 
première  couche  des  Israélites  de  Corfou,  tout  comme  leurs  core- 
ligionnaires de  Janina  et  d'Arta,  discernait  entre  la  spirante  et  la 
sourde  —  les  anciens  monuments  gréco-hébraïques  sont  la  pour 
nous  le  prouver  ;  —  mais  quand  l'Inquisition  jeta  sur  cette  île,  d'a- 
bord directement,  en  1492,  et  ensuite  par  la  voie  des  Fouilles,  en 
1540,  de  nouvelles  couches  considérables  d'Israélites  espagnols, 
ceux-ci  parvinrent  à  faire  disparaître  parmi  les  anciens  habitants, 
la  distinction  de  sou,  pratiquée  jusqu'alors.  Aujourd'hui  on  pro- 
nonce toujours  T;  une  exception  doit  être  faite  pour  ceux  qui,  déjà 
adultes,  sont  récemment  veuus  de  TEpire  s'établir  dans  l'île,  mais 
leurs  enfants,  instruits  dans  les  écoles  entretenues  par  les  Sephardim, 
se  sont  conformés  à  la  manière  commune  de  prononcer  cette  dentale. 
De  sorte  qu'il  y  a  aujourd'hui  dans  une  même  famille  de  pareille  pro- 
venance des  individus  appartenant  à  deux  générations  différentes  qui 
prononcent  de  deux  façons  diverses  la  même  lettre.  Un  changement 
semblable  doit  s'être  lentement  produit  à  Gonstantinople  lors  de  l'af- 
fluence,  dans  les  provinces  ottomanes,  des  proscrits  de  Ferdinand- 
le-t^alholique  ;  mais  les  Israélites  d'origine  grecque  tinrent  ferme 
quelque  temps  et  nous  voyons  que  dans  la  généralité  des  cas  le  texte 
de  Gonstantinople  offre  un  n  sans  daguesch  fquelquefois  avec,  par 
simple  mégarde)  pour  le  6.  et  un  'û  pour  le  T.  Mais  déjà  le  séphar- 
disme  —  qu'on  me  passe  le  mot  —  se  fait  jour,  et  soit  que  l'ouvrier 


BIBLIOGRAPHIE  135 

hébréo-grec  se  soit  laissé  entraîner  par  l'exemple  des  personnes  qui 
l'environnaient,  soit  que  la  composition  même  de  la  partie  grecque 
ail  été  confiée  a  un  imprimeur  d'origine  espagnole,  probablement 
un  membre  de  la  famille  d'Eliézer  Sonciuo  ',  le  fait  est  que  par- 
fols  on  trouve  le  n  employé  ù  la  place  du  a.  C'est  ce  qui  induit  en 
erreur  M.  Hesseliug  ;  car  aux  pages  vi  et  xlvi  de  son  Introduction, 
il  preud  des  mots  comme  jtousôixi  et  èSaitavEûBTjv  pour  des  preuves  sé- 
rieuses que  le  traducteur  de  Constaatiuople  possédait  la  connaissance 
du  grec  littéraire.  Si  cela  est  vrai  ou  non,  on  le  verra  dans  la  suite  de 
cette  étude,  mais,  en  attendant,  je  pense  que  M.  Hesseling  lui-même 
voudra  accepter  l'explication  que  je  viens  de  donner  de  cette  confu- 
sion du  n  avec  le  a,  d'autant  plus  ((ue  la  première  des  deux  formes 
citées  ne  saurait  rien  prouver,  puisque  les  anciens  n'ont  jamais  dit 
ou  écrit  jiûjOaxEî,  mais  bien  {iûaxaxeî.  Il  en  est  de  même  de  la  forme 
*i>>ic9(ji..  Où  notre  traducteur  l'aurait-il  pu  emprunter,  si  les  Grecs 
de  tous  les  temps  ont  dit  «tiTnataloi  avec  un  T  ?  Il  est  également  impos- 
sible que  les  Israélites  de  Constantinople,  si  insoucieux  de  gréciser  les 
noms  propres,  aient  préféré  à  NaptaXl  la  forme  Ne^Ba^t,  qui  n'est  même 
pas  toujours  justifiée  par  le  texte  gréco-hébraïque,  et  qui,  en  tout 
cas,  ne  peut  être  expliquée  que  par  ce  système  de  convention  men- 
tionné au  début  de  notre  article.  En  acceptant  mon  avis,  on  peut  se 
débarrasser  de  tous  les  doutes  et  de  tout  l'étonuement  occasionnés 
par  les  formes,  autrement  inexplicables,  BAeioî,  BeXeitôvu,  ÇeJeXinivw, 
6«xo8^afftpeii:,  efxoiji  6é(jffep£«,  signalées  p.  xxxvii  de  l'Iutroduclion,  et  ra- 
mener a  la  règle  générale  le  mot  zd'ftut  de  la  Geu.,  xxiii,  4,  auquel  il 
faut  aussi  conserver  le  p'n^O  donné  par  le  texte  imprimé  (SiaxpiTriÇT) 
•dçeiou)  *. 

Passons  maintenant  au  deuxième  point  sur  lequel  s'appuie  la 
thèse  de  M.  Hesseling.  C'est  l'emploi  fait  par  notre  traducteur  de  la 
préposition  luxd.  Envisageons  le  sort  de  cette  particule.  Elle  est,  avec 
xatd,  dont  le  sens  et  la  syntaxe  ont  été  également  détournés,  la 
seule  préposition  en  rk  de  la  langue  classique.  Nous  la  trouvons 
figée  dans  la  locution  jiewxapâ«,  et  en  état  de  composition  changée  en 
(isTd  et  indiquant  la  répétition  ((tataxdvoj  =  refaire,  iiaTsX^cd  =  redire). 
Devant  les   pronoms   qui  commencent  par  une  voyelle,   on   la  voit 

'  M.  Leonello  Modona,  dans  \a  Revue  des  'Etudes  juives,  lome  XXIII,  p.  135,  me 
reproche  d'avoir  pris  la  formule  bien  connue  "1D"3  pour  un  nom  propre.  Je  n'y  avais 
pas  pensé  du  tout;  celte  form\ile  est  toujours  vivante  dans  plusieurs  communautés 
israélites,  et  si  je  ne  l'ai  pas  expliquée,  c'est  que  je  la  croyais  générale  parmi  les 
Juifs.  Quant  à  son  reproche  de  n'avoir  pas  fait  mention  de  lui  au  sujet  du  Jonas, 
qu'il  se  rappelle  que  je  n'ai  parlé  de  ce  texte  que  très  brièvement  dans  «  Deux  ver- 
sions peu  connues  du  Pentateuque,  etc.   • . 

*  L'orthographe  \23ir5,  qui  d'ailleurs  n'est  pas  constante,  s'explique  tout  à  fait  de 
la  même  façon.  La  forme  yaOw;,  adoptée  par  M.  Hesseling,  n'est  pas  destinée  à 
trouver  du  crédit  auprès  des  philologues.  Il  cite  à  l'appui  de  son  innovation  la  re- 
marque de  M.  Psichari  dans  la  Bévue  des  Etudes  r/recfjues,  I,  p.  206.  Mais  M.  Psichari 
n'y  fait  que  la  simple  observation  que  xa6ù;  est  entré  dans  le  parler  populaire  par 
l'intluence  des  savants,  sans  aucune  allusion  à  des  changements  phonétiques. 


136  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

encore  se  conserver  presque  intacte,  tantôt  produisant  l'absorption  du 
son  qui  vient  après  [iisrk  [iâç  =i  ^ttb.  éfiâç),  tantôt  laissant  sa  voyelle 
finale  s'élider  devant  rinlliale  du  mot  suivant  ([iêt*  é|iâç\  Gomme 
toutes  les  autres  prépositions  ou  locutions-prépositions,  elle  régit 
désormais  l'accusatif,  et,  déchue  de  ses  autres  significations  de 
ent/'Pj  après,  elle  n'indique  plus  que  la  compagnie.  Avec  les  noms, 
elle  a  été  le  plus  endoaimagée  :  privée  de  la  vo3'elle  finale,  elle  a  dû 
subir  le  puissant  choc  des  consonnes,  notamment  du  t  de  l'ar- 
ticle, contre  lequel  elle  venait  se  heurter,  et  a  fini  par  perdre  le  t. 
C'est  ainsi  que,  après  jifet  tôt  Hptaito,  \ikx  rfi  yiivalxa,  on  se  trouva  en 
présence  de  \ù.  t6v  49pci)::o,  \iï  t^  yuviïxa,  et,  plus  tard,  de  {ife  xdiro.  |xl 
itioTT),  jiè  à9p<i>ico,  etc.  Toutefois  cet  élément  caduc  se  trouve  bien  pro- 
tégé devant  les  pronoms,  et  il  se  perpétue  jusqu'à  nos  jours,  de 
sorte  qu'on  dit  encore  dans  plusieurs  régions  de  Grèce  fisx'  èxeîvove, 
jiét'  aùTouvoiiî.  Mais  tandis  que  cette  préposition  se  débattait  ainsi,  le 
peuple  perdait  la  conscience  de  l'origine  de  cette  syllabe  Ta  ou  de  ce 
débris  de  syllabe,  et  l'appliquait  par  analogie  à  d'autres  préposi- 
tions, qui  primitivement  en  étaient  tout  à  fait  dépourvues;  c'est 
alors  que  surgirent  les  nouvelles  formes  dvTiTic  (dont  les  exemples 
foisonnent  dans  le  texte  de  Constantinople),  et  yiaT(=  Yià=  5iJt),  qui 
vit  toujours  dans  les  combinaisons  TtaT  è|x^va,  ytar'  atitbv,  etc.  Per- 
sonne ne  se  rendait  compte  de  cet  élément  intrus  ou  présumé  tel  ; 
notre  anonyme  se  trouvait  dans  la  même  ignorance  que  le  commun 
du  peuple,  et  cette  ignorance  devenait  pour  lui  un  véritable  embar- 
ras par  la  nécessité  où  il  se  trouvait  d'écrire  ces  combinaisons  bi- 
zarres. Nous  le  voj'ons,  en  effet,  tâtonner  au  milieu  de  la  plus  grande 
incertitude.  S'il  avait  connu,  même  par  une  étude  rudimentaire  de 
la  littérature  grecque,  la  prépostion  iietètet  les  légères  transformations 
auxquelles  elle  était  sujette  dans  la  langue  classique,  il  aurait  vite 
pris  son  parti,  en  adoptant  l'orthographe  n:3"^W  (iwA^  pour  la  repré- 
sentation intégrale  du  mot  et  a*'?:  '{«t')  dans  les  cas  d'élision.  Car, 
par-dessus  tout,  c'aurait  été.  pour  lui  une  grande  facilité  toutes  les 
fois  qu'il  se  serait  trouvé  au  bout  de  la  ligue,  où,  par  imitation  de 
la  coutume  hébraïque,  il  n'a  jamais  recours  à  la  séparation  syl- 
labique  des  mots.  Mais  c'est  le  contraire  qui  se  passe;  nous  le  sur- 
prenons justement  entre  deux  lignes  a  adopter  tantôt  l'orthographe 
[Ltxh  oèv,  tantôt  yÀ  TŒffkv,  Il  serait  superflu  de  s'étendre  encore  davan- 
tage et  de  multiplier  les  exemples  dans  un  recueil  comme  celui-ci, 
pour  résoudre  la  question  contre  la  thèse  soutenue  par  l'helléniste 
hollandais.  Les  deux  exemples  cités  sont  plus  que  suffisants;  dans 
la  marge  de  l'exemplaire  qui  m'a  servi  à  faire  la  collation,  j'ai  soi- 
gneusement noté  les  leçons  offertes  dans  tous  les  cas  de  combi- 
naisons pareilles,  et  pas  une  seule  n'a  pu  faire  naître  en  moi  l'opi- 
nion que  le  traducteur  auonyme  connût  l'existence  de  \u-zi  comme 
préposition  indépendante.  Du  reste,  il  ne  l'emploie  jamais  devant 
un  nom. 
D'autres  preuves  pourraient  être  citées  à  l'appui  de  cette  thèse  : 


BIBLIOGRAPHIE  137 

par  exemple,  la  séparation  entre  deux  lignes  de  x«Xrf  e«pTi,  "icpoç 
fopd  et  autres  cas  semblables,  mais  ils  n'ont  qu'une  importance  illu- 
soire. Cette  séparation  est  déterminée  par  l'influence  de  l'hébreu, 
comme  dans  le  premier  de  ces  exemples  (=  nN'n  r;p"'),ou  par  la  trans- 
parence frappante  des  éléments  constitutifs  (i:p6«  çopà),  dont  même 
les  personnes  non  cultivées  peuvent  facilement  se  rendre  compte 
par  intuition.  On  ne  dirait  certainement  pas  d'un  paysan  de  France, 
ignorant  mais  intelligent,  qui  analyse  le  mot  entrevue,  ou  d'un  Alle- 
mand des  mêmes  conditions  qui  explique  que  Nachmittag  est  formé 
de  Nach  et  Mittag,  qu'ils  ont  fait  des  études  grammaticales.  Ces 
braves  gens  feraient  de  l'étymologie  sans  raèmc  se  douter  que  cette 
science  existe. 

Mais  a-t-on  besoin  d'autres  preuves  que  notre  Gonstantinopolitain 
n'avait  jamais  lu  un  livre  grec?  Que  l'on  considère  comment  il  rend 
certains  mots,  dont  les  connaisseurs  les  plus  superficiels  du  grec 
devaient  savoir  les  équivalents  en  cet  idiome.  Croyez-vous  que  s'il 
avait  lu,  par  exemple,  —  et  il  ne  l'aurait  sans  doute  pas  négligé,  s'il 
avait  su  le  grec  —  un  livre  d'Histoire  Sainte,  il  n'y  eût  trouvé  les 
mots  Al  «pu^al  Toû  'IffpatiX,  «t  8éxa  itXYiya^  toû  4>apa(d,  àyina  t6v  icXyicCov  oou,  qui 
sont  d'un  usage  si  courant,  et  que,  les  sachant,  il  ne  s'en  fût  servi 
pour  traduire  b^nip:  '^y^'^'à  ,nibinsr!  nis^jri  ,'n"i»2>  tjynb  Finriwsv? 
Que  fait-il  au  contraire?  —  Il  dit  constamment,  au  risque  d'agacer 
le  lecteur,  accoutumé  aux  livres  composés  par  des  Grecs,  6ap(to\  (frap- 
pements) pour  lï^Tiyaf  (plaies),  crxîiçTpa  (sceptres)  pour  ?uXa(  (tribus), 
t6  (jti(v>poipo  (le  compagnon)  pour  tôv  -rcXïiffto  (le  prochain,  le  semblable). 

Je  ne  m'attarderai  pas  longtemps  à  traiter  la  question  de  savoir  si 
notre  traduction  était  destinée  à  un  usage  liturgique  ou  si  elle  ne 
répondait  qu'à  un  besoin  scolaire.  Le  manque  de  témoignages  di- 
rects nous  empêche  de  la  résoudre  d'une  façon  définitive.  J'insiste 
pourtant  sur  mon  avis,  que,  sinon  pendant  la  lecture  solennelle  de 
la  Bible,  au  moins  à  l'heure  du  service  du  midi  ou  plus  tard,  on  aura 
pu  lire  dans  les  synagogues  grecques  de  Constantinople  la  section 
sabbatique  dans  la  version  vulgaire.  Cet  usage  s'est  conservé  jusqu'à 
nos  jours  dans  l'orient  grec  et  ottoman  ;  on  y  lit  encore  la  version 
de  Ruth,  des  PirM  Abot,  des  Lamentations,  du  commentaire  allégorique 
du  Cantique  des  Cantiques  ',  et  de  certaines  Haftarot  ;  celle  de  Jonas, 

•  Ces  commentaires  sont  connus  sous  la  dénomination  italienne  dichiarata 
(N!!3M"1N"^^^1),  dans  un  manuscrit  de  la  Bodléïenne  que  nous  allons  citer.  Derniè- 
rement, les  Israélites  d'Aria  qu'on  trouve  rélufriés  à  Corfou  à  cause  de  la  pruerre, 
l'ont  récitée  dans  une  synagogue.  Mais  la  dichiarata  n'était  pas  toujours  en  langue 
vulgaire.  Dans  une  très  courte  excursion  que  nous  venons  de  faire  à  Oilord,  M.  Neu- 
bauer  nous  a  montré,  entre  autres,  un  manuscrit  hébraïque  de  Salonique,  qui  conte- 
nait une  «i^ûAtara^a  en  hébreu  des  Pirki  Abot,  peut-être  inédite  jusqu'ici.  Le  même 
volume  renlerme  une  espèce  de  poème  élhico-religieux,  qui  est  très  intéressant  à  un 
double  point  de  vue.  d'abord  parce  qu'il  est  une  espèce  d'atiaptation  du  poème  de 
Spanéas,  et,  en  deuxième  lieu,  parce  qu'il  nous  montre  à  quel  degré  les  Juifs  étaient 
maîtres  de  la  langue  grecque.  C'est  une  chose  que  nous  pouvons  voir  ici,  dans 
une  composition  libre  et  dérivée  de  rinspiralion ,    mieux    que    dans    la   traduction 


138  RKVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

notamment,  se  trouve  incorporée  dans  le  formulaire  des  prières  dans 
deux  manuscrits  de  Bologne  et  d'Oxford.  El  ces  versions  vulgaires, 
on  ne  se  bornait  pas  à  les  lire,  on  les  chantait  aussi  d'après  les 
notes  musicales  du  texte  hébraïque,  l'usage  en  étant  transmis  de  la 
plus  haute  antiquité,  si  l'on  doit  en  juger  par  une  fort  belle  édition 
sur  vélin,  faite  à  Lisbonne,  en  U92,  du  Pentateuque  avec  la 'ver- 
sion d'Onkelos,  imprimée  elle-même  avec  les  accents,  édition  dont 
j"ai  vu  un  exemplaire  dans  la  bibliothèque  privée  de  M.  Gaster, 
Hacham  de  la  communauté  portugaise  de  Londres. 

Notre  version  grecque,  au  contraire,  est  extrêmement  pauvre  en 
signes  de  ponctuation  ;  elle  ne  marque  que  la  fin  des  versets,  et  le 
lecteur  en  est  réduit  à  recourir  au  texte  original  pour  s'aiier  à  faire 
les  poses  d'une  façon  convenable,  et  pour  saisir  le  sens  des 
phrases.  M.  Hesseling  ne  devait  pas  négliger  cette  partie  importante 
delà  besogne;  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  s'en  soit  bien  acquitté. 
Il  y  a  très  peu  de  chapitres,  dans  son  livre,  où  des  passages  nom- 
breux n'aient  été  défigurés  par  la  collocation  erronée  des  virgules 
et  des  points  ;  dans  quelques-uns,  le  sens  est  impossible  à  saisir, 
dans  d'autres,  la  ponctuation  a  une  influence  préjudiciable  sur  la 
transcription,  occdsiounant,  pour  n'en  citer  qu'un  seul  exemple,  la 
substitution  du  masculin  pluriel  (aÙTo\)  au  féminin  singulier  [ilt^)  et 
vice-versa. 

A  côté  de  ces  erreurs  tout  à  fait  matérielles,  le  texte  original  pour- 
rait servir  à  éviter  une  foule  innombrable  de  doutes  et  de  fautes, 
dus  à  la  mauvaise  exécution  typographique  de  l'ouvrage  constanti- 
nopolitain.  Toutes  le  fois  qu'on  ne  sait  décider  si  le  compositeur, 
dans  tel  ou  tel  endroit,  a  mis  un  3  ou  un  3,  un  *7  ou  un  1,  c'est  l'équi- 
valent hébraïque  qui  peut  nous  tirer  d'embarras.  Ai  nsi  dans  Nombres, 
XXX,  il  y  a  très  souvent  le  mot  N'^ïïjl  qui  veut  dire  annuler,  et  que 
l'anonyme  a  rendu  par  è({;,)  tc^îwev ',  il  empêcha;   l'imprimé  est  peu 

d'un  texte  hébraïque,  où  le  devoir  de  stricte  fidélité  empêche  l'auteur  de  manier 
la  lanfTue  à  sa  façon.  Les  quelques  minutes  que  nous  avons  consacrées  à  par- 
courir ce  poème  nous  ont  confirmé  dans  notre  avis,  autrefois  déjà  énoncé,  que  les 
Israélites  de  ces  régions  connaissaient  le  grec  parlé  aussi  bien  que  leurs  concitoj-ens 
d'autre  culte. 

'  J'explique  ici  la  raison  des  parenthèses  où  j'ai  enfermé  le  [x  de  è((ji'7tô5i(Tev.  Le 
texte  gréco-hébraïque  nous  donne  2  — le  3  sans  C5T  étant  le  produit  d'une  erreur 
typographique  ne  doit  pas  être  pris  en  considération  —  ce  qui  signifie  que  l'auteur 
prononçait  ehodissen.  Si  Ton  transcrit  ii-::,  on  donne  à  croire  qu'il  y  avait  un  m  dans 
l'énoncialion  du  mot,  ce  qui  est  contraire  à  la  représentation  graphique.  Le  p.  n  est 
qu"uQ  signe  auxiliaire,  propre  à  modifier  le  son  du  tt,  de  sourd  en  sonore.  C'est 
celte  fonction  secondaire  du  p.  et  des  autres  consonnes  analogues  que  j'ai  voulu 
indiquer,  en  les  isolant  des  sons  réels,  dans  le  spécimen  de  la  Renie  des  Etudes 
grecques.  Je  veux  espérer  que  M.  Hesseling  dans  le  reproche  qu'il  m'adresse  (p.  xi 
de  son  Introduction)  n'entend  pas  que  je  lis  phi'ijites  po\ir  phétjhttes  le  mot  dont  la 
forme  graphique  est  CtiVD.  Ni  la  pratique  que  je  dois  avoir  de  Tliébreu,  ni  Tusage 
quotidien  que  je  fais  du  grec  ne  m'auraient  laissé  commettre  une  bévue  pareille  ; 
mais  je  crois  que  ma  manière  de  transcrire  est  plus  méthodique,  parce  qu'elle  nous 
permet  aussi  de  représenter  les  cas  où  le  texte  de  Constantinople    donne   les  formes 


BIBLIOGRAPHIE  139 

clair  en  ce  point,  mais  le  sens  de  la  phrase  el  la  comparaison  des 
deux  textes  nous  font  comprendre  quelle  était  l'iulention  de  l'au- 
teur. M.  Hesseling  transcrit  toujours  èj^tâptjsv,  il  S'^'para. 

Ailleurs  il  confond  les  pronoms  enclitiques  tou,  ttiç,  touî  avec  les  ar- 
ticles du  même  son.  Ici  encore,  les  méprises  peuvent  être  évitées,  si 
l'on  a  soin  de  décomposer  les  mots  hébraïques  dans  leurs  parties 
constitutives. 

Page  xxxir  de  l'Introduction,  M.  H.  expose  toute  une  théorie  sur 
une  prétendue  forme  otndTs  (=  eritaxe).  Or  le  texte  ne  donne  que  ttï 
yiaTè  è(ikv  (I^N  ■^L?"'^  ■'E^  Gen.,  XX,  13).  C'est  Abraham  qui  raconte  avoir 
fait  à  Sara  une  recommamlatiou  conçue  dans  les  termes  :  dis  de 
moi...  ("ib  "^nîjN).  Ni  le  sens,  ni  la  forme  grammaticale  du  verbe 
hébraïque,  ni  sa  construction  ne  pouvaient  offrir  le  moindre  appui  à 
la  leçon  de  M.  Hesseling,  Des  exemples  de  méprises  de  ce  genre 
sont  très  nombreux;  ce  n'est  pas  le  lieu  d'eu  dresser  la  liste.  Mais 
nous  ne  pouvons  nous  défendre  de  relever  le  manque  absolu  d'atten- 
tion chez  l'éditeur,  lorsque,  dans  Gen.,  xlix,  16  el  17,  il  confond  le 
nom  d'un  chef  de  tribu  (Dan)  avec  les  conjonctions  8(v)t£  et  6(v)Tav.  La 
faute  est  d'autant  plus  grave  qu'il  obtient  cetre  leçon  par  une  correc- 
tion arbitraire  apportée  au  texie.  Et  le  sens?  —  Ce  n'est  malheureu- 
sement pas  le  seul  passage  où  M.  Hesseling  en  montre  peu  de  souci. 
Il  semble  décidé  à  exclure  le  traducteur  de  Constanlinople  de  la 
classe  des  êtres  pensants,  a  en  juger  par  les  bizarreries  qu'il  lui 
attribue. 

Il  écrit  dans  Gen.,  vi,  16,  axtitpXia,  vocable  qui  n'existe  pas,  pour 
lequel  il  nous  donne  dans  le  glossaire  la  traduction  «  dans  l'un  des 
côtés  »,  là  où  il  s'agit  de  «6  leXdyt  rnî,  quatre  éléments  renfermés 
dans  îTnsta  (l'article  a  éié  éliminé  par  le  suffixe). 

Dans  l'introduction  (p.  xxiii),  il  s'étonne  du  verbe  imaginaire  «rxa- 
TTjXaiXw.  Le  texte  ne  donne  à  cet  endroit  que  (rè  xdTaXdxT»  (Nombres,  xi, 
23),  traduction  du  deuxième  et  du  troisième  éléments  du  mot  tjlp'l'n. 

Page  L,  il  parle  d'un  verbe  itixépvei,  forgé,  selon  lui,  par  le  traduc- 
teur, dans  Gen.,  xl,  21.  Notre  auteur  n'avait  pas  besoin  d'un  verbe 
nouveau  ;  le  mot  qu'il  devait  ti-aduire  est  ~ï?^^,  substantif  rendu 
tant  de  fois  dans  le  même  chapitre  par  icixépvriî  {échanson). 

On  doit  ramener  à  cette  même  catégorie  de  fautes  une  foule  de  èi»^- 
T»v  confondue  avec  I?uy«v  (';N:i"^Dt<),  de  itiin  avec  'çà-^  pïts)  et  vice-versa, 
où  le  3  sans  "cyi  pouvait  aisément  être  confondu  avec  le  s  muni  de 
ce  point. 

Mais  la  reconstitution  exacte  d'un  texte  comme  le  nôtre  n'est  pas 
le  seul  travail  qu'on  ait  le  droit  de  demander  à  un  éditeur  ;  on  peut 
aussi  exiger  l'adoption  de  certaines  mesures  propres  à  aplanir  les 

pleines  el  plus  conl'oimes  aux  classiques  par  les  groupes  jitt,  yy,  yx,  v6,  vô,  où  les 
deux  éléments  sont  liistincts  et  éfïalemeut  sonores.  On  assiste  par  ce  système  à  la 
lutte  dans  laquelle  se  trouve  engagée  la  première  des  deux  consonnes,  pour  échapper 
à  l'élimination. 


140  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

difficultés  qui  s'opposent  à  une  compréhension  rapide,  et  à  en 
rendre  la  lecture  agréable.  Il  y  a  une  quantité  infinie  d"hébraïsmes 
dans  cette  version,  et,  si  l'on  na  pas  sous  les  yeux  ou  dans  la  mé- 
moire l'original,  il  est  maintes  fois  impossible  de  deviner  ce  que  le 
traducteur  a  voulu  dire.  La  comparaison  peut  seule  éclaircir  les 
points  obscurs,  mais  cette  opération  n'est  pas  l'affaire  de  chacun. 
Si  tous  les  hellénistes  la  pouvaient  faire,  il  aurait  suffi  de  rééditer 
tel  quel  le  texte  greco-hébraïque  de  Coustaalinople  ;  au  contraire, 
la  tâche  à  accomplir  était  de  rendre  ce  document  accessible  aux  non 
hébraïsants,  et  c'est  justement  pour  ceux-ci,  qui  composent  la 
grande  majorité,  qu'il  fallait  placer  en  tête  de  chaque  chapitre,  ou 
de  chaque  groupe  de  chapitres,  une  liste  des  hébraïsmes  qui  ont  le 
plus  besoin  d'être  indiqués.  Quand  on  voit  des  vocables  ou  des  ex- 
pressions entières  dont  on  ne  parvient  pas  à  saisir  le  sens,  on  se 
décourage  et  on  interrompt  sa  lecture,  avec  la  chance  de  ne  plus 
la  reprendre.  Mettez  à  la  disposition  de  votre  lecteur  un  moyen 
simple  de  l'aider  dans  son  embarras  et  vous  êtes  sûr  d'avoir  gagné 
à  votre  publication  sa  patience  et  sa  sympathie.  Quant  à  l'infraction 
aux  lois  des  accords  grammaticaux,  j'aurais  surmonté  l'écueil  par 
l'adoption  de  la  composition  espacée  dans  tous  les  cas  où  la  cons- 
truction, obéissant  à  l'influence  de  l'original,  s'écarte  de  la  syntaxe 
grecque.  Sans  quelque  artifice  de  cette  nature,  souvent  le  texte 
ofi're  un  amas  de  mots  inintelligibles,  comme  le  minerai  dans  les  fi- 
lons d'une  mine  qui  ignore  encore  l'intervention  du  métallurgiste. 

Ce  n'est  pas  que  M,  Hesseling  ait  oublié  l'existence  des  hé- 
braïsmes ;  au  contraire,  il  eu  parle,  il  en  note  quelques-uns  dans  l'in- 
troduction et  dans  le  glossaire.  Mais  son  tort  est  de  ne  pas  avoir 
discerné  entre  les  bons  et  les  mauvais,  et  d'avoir  placé  dans  cette  ca- 
tégorie des  faits  syntactiques  et  morphologiques  qui  peuvent  aisé- 
ment trouver  leur  explication  dans  la  grammaire  grecque.  Consi- 
dérez, par  exemple,  ce  qu'il  dit  au  sujet  du  génitif.  On  trouve  dans 
Gen.,  L,   17,  eu ji^itiilTiW   «rb  çtatsifio  ffxXdëouç  9eoû  toO  itaTpd;  aov»  (yilîsb   ...NiZ) 

^'^■'3N  "^ribN  '^'^3^),  là  où  suivant  nos  habitudes  classiques  nous  nous 
attendrions  à  la  construction  :  ou^|JL}icilriae  th  œTaC^iixo  axXdpwv  ôeoû  toû  xaTped; 
oou.  Le  traducteur  a  employé  l'accusatif,  s'écrie  notre  éditeur,  parce 
que  ■^'135'  n'accuse  d'aucune  façon  que  ce  soit  un  génitif.  —  Mais, 
répondons-nous,  est-ce  qu'il  y  a  quelque  indice  que  ce  soit  un  accu- 
satif?—Ni  l'un  ni  l'autre.  Or,  si  l'emploi  de  l'accusatif  n'avait  été 
suggéré- par  l'usage  général  du  grec,  ce  n'est  que  le  nominatif  qui 
pouvait  rendre  avec  fidélité  le  mot  hébraïque.  Du  reste,  s'il  est  vrai 
que  dans  la  combinaison  '^'rzy  "w-r^  grâce  à  la  vocalisation  du  pre- 
mier nom,  il  n'y  a  aucun  signe  matériel  que  '^'in?  soit  un  génitif,  il 
n'en  est  pas  de  même  du  troisième  exemple  que  cite  M.  H.  {Intro- 
duction, VII)  à  l'appui  de  sa  thèse.  Dans  bas  ■'73";,  le  très  sensible 
changement  de  C"'7p'^  en  "^a"'.  prévient  même  le  lecteur  le  moins  fort 
en  grammaire  que  53N  est  du  génitif;  pourtant  notre  anonyme  tra- 


BIBLIOGRAPHIE  141 

duit  |i<peç  IXfijnj.  A  quelle  espèce  d'hébraïsme  obéit-il  ?  Evidemment  la 
syntaxe  de  l'original  n'y  entre  pour  rien.  Mieux  aurait  valu  cher- 
cher ailleurs  l'explication  du  fait.  Les  exemples  abondent  des 
groupes  comme  celui-ci,  et,  en  général,  lorsque  dans  la  combinaison 
il  y  a,  suivant  la  façon  classique,  une  série  de  génitifs,  c'est  le  der- 
nier seul  qui  prend  cette  forme,  surtout  lorsque  ceux  qui  précèdent 
sont  au  pluriel.  Il  n'est  même  pas  rare  de  trouver  un  seul  génitif 
remplacé  par  l'accusatif,  et  cela  dans  des  groupes  de  noms  où  le 
status  constructus  en  hébreu  est  d'une  évidence  absolue.  Le  génitif, 
surtout  au  pluriel,  tendait  à  disparaître  de  la  langue  moderne  ; 
aujourd'hui  plusieurs  noms  se  trouvent  dans  l'impossibilité  de  se 
plier  à  ce  cas  (6p(i«Ti,  Sûva[t7i\  et  si  l'on  excepte  les  formes  très  rares 
è|«vrfi:  et  èaevèç  —  une  seule  fois  chacune  —  données  par  notre  texte, 
dans  les  pronoms  personnels  on  en  a  perdu  complètement  la  trace, 
tant  au  singulier  qu'au  pluriel. 

L'apposition  n'est  pas  non  plus  dans  notre  texte  un  effet  d'hé- 
braïsme. Dans  la  langue  parlée,  elle  est  presque  toujours  énoncée 
par  le  nominatif.  Tôv  elSsçtb  TÇcipTÇTi?  disai-je  hier  à  un  de  mes  com- 
patriotes. —  Doibî  TÇcàpT^Tiî  ?  me  répondit-il.  Eu  littérature  néo-grecque 
le  fait  ne  se  produit  pas  moins  souvent  ;  mais  notre  traducteur  se 
laisse  quelquefois  prendre,  à  sou  insu,  par  la  perpétuation  de  l'ha- 
bitude classique,  et  emploie  lui-même  le  génitif  ou  l'accusatif.  Voir 
Exode,  VI,  13,  t6v  *i»pad)  6a(itXi»  t^ç  AïyufToç,  que  M.  Hesseling  dans  son 
empressement  de  généraliser  a  corrigé  en  p«»tXtâî  (ma  leçon  est 
d'après  l'exemplaire  de  Londres).  Dans  la  phase  de  simplification 
que  traverse  la  syntaxe  moderne,  on  se  sent  ennuyé  de  cette  longue 
suite  de  cas,  dépendant  Tun  de  l'autre,  et  l'on  tend  à  briser  les  liens 
qui  les  joignent  entre  eux;  on  cherche  à  se  former  une  manière  de 
parler  plus  libre  et  plus  courante,  on  oublie  les  rapports  entre  les 
différents  membres  de  la  phrase  ou  on  les  réduit  à  la  plus  simple 
expression  possible.  Pour  l'hébreu,  autant  vaut  le  nominatif  que  l'ac- 
cusatif, rien  ne  distingue  l'un  de  l'autre',  et  notre  traducteur  n'en 
pourrait  subir  aucune  influence,  si  le  besoin  de  la  construction 
grecque  réclamait  l'emploi  de  l'accusatif. 

La  littéralité  que  notre  anonyme  s'est  imposée  l'oblige  à  n'em- 
ployer qu'un  seul  moi  pour  chaque  vocable  ou  partie  de  vocable 
qu'il  y  a  dans  l'original.  De  là  le  défaut  de  disiinclion  entre  les 
formes  Kal  et  Hiphil,  toutes  les  fois  qu'il  ne  trouve  pas  dans  la 
langue  grecque  ou  qu'il  ne  peut  se  forger  un  mot  unique  pour  rendre 
le  Hiphil*.   C'est  aussi   par  respect  pour  cette  règle  que  le    futur 

'  La  particule  riï<  de  l'accusatif,  qui,  du  reste,  n'alFecte  point  la  forme  du  nom, 
n'est  pas  de  rigueur.  Maintes  fois  elle  fait  défaut,  sans  occasionner  ni  obscurité  ni 
méprise. 

*  'ATtrixoûw  et  non  pas  àçtxouw  de  Deut.,  xxx,  12,  est  une  formation  nouvelle  du 
traducteur  pour  rendre  r!33'''73"ià"i1.  Mrj  ^xaî^^;  xriv  :?iy^  dans  l^eut.,  xxiv,  4,  rend 
par  un  mot  unique,  mais  d'une  façon  très  obscure,  la  forme  Ïli3nn.  S'il  écrivait  une 
œuvre  originale,  il  dirait  dans  ce  cas  xaî  (xrj  xâ[i^(  va  fxaî^^  i^Y^t- 


142  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

est  constamment  rendu  par  vi  et  le  subjonctif  ;  l'addition  de  la  parti- 
cule est  déjà  une  concession,  mais  c'est  une  condition  nécessaire 
pour  être  à  même  de  donner  le  futur.  On  avait  plusieurs  manières 
d'exprimer  ce  temps  en  grec  moderne  ;  M.  Psichari  les  a  passées 
en  revue  dans  un  article  spécial;  elles  sont  toutes  composées  de  8A<* 
et  de  vd,  tantôt  explicites,  tantôt  renfermés  dans  un  infinitif  U\tù  vi 
itû,  WKiù  irst).  Même  aujourd'hui,  la  formation  par  Si,  que  M.  Psichari 
propose  comme  la  seule  à  adopter,  n'a  pas  encore  Qui  par  l'emporter 
sur  ses  rivales,  et  l'on  voit  souvent,  en  liliéraiure  comme  dans  les 
parlers  ordinaires,  6è  vèt  rdw,  iï'k  à.  x^  (=  Jé^ci  vbi  irfi)  et  êiXw  ■Kiti. 
Kolre  traducteur  a  estimé  convenable  de  conserver  le  deuxième  de 
ces  éléments,  la  conjonction  vi,  peut-être  parce  qu'il  prévoyait  déjà 
que  celui-ci  était  destiné  à  avoir  la  prépondérance  phonétique  (Oèt  = 
61  vi),  mais  plus  probablement  encore  parce  que  de  cette  manière,  il 
évitait  recueil  d'un  débris  verbal  [H  té\;,  pour  lequel  il  ne  voyait 
rien  d'analogue  dans  l'original.  Du  reste,  sa  formation  favorite  du 
futur  n'est  pas  tout  à  fait  contraire  à  l'usage  réel  de  la  langue.  En  de- 
hors des  exemples  mentionnés  par  M.  Hesseling  dans  l'Introduc- 
tion, p.  Lvi,  nous  pouvons  citer  celui  de  ce  proverbe,  qui  est  très 
probant  :  t)  x*P^  ^fkti.  àvrf/apTi,  xa\  icdXii  x*P^  vavai  {=  v^  eivat).  —  Traduc- 
tion libre  :  "  Un  service  rendu  réclame  un  contre-service,  sans  pour 
cela  cesser  d'être  toujours  un  service  »  —  et  cet  autre  :  pdêe,  Çri^uvc,  ôou- 
"ktik  wh  |i-?i  ffoû  \£te:(i=  B  En  cousant  et  en  décousant,  on  ne  restera  jamais 
sans  ouvrage  ».  Telle  est  l'explication  que  jeMonne  de  la  formation 
du  futur  dans  notre  texte,  maintenant  que  je  Vai  étudiée  dans  toute 
son  étendue,  bien  différeate  de  ce  que  j'avais  très  timidement 
avancé  dans  la  lievue  des  Etudes  grecques,  en  1890,  sur  la  base  des 
six  chapitres  jusqu'alors  examinés.  M.  Hesseling  fait,  d'après  la 
grammaire  hébraïque  de  Strack,  un  long  exposé  de  la  théorie  du 
tempus  imperfectum  ;  mais  peu  au  courant  de  l'histoire  des  études 
grammaticales  chez  les  Juifs,  il  attribue  jusie  à  notre  auteur  la  no- 
tion, de  date  très  moderne,  des  deux  dernières  significations  de  ce 
temps,  et  le  suppose  ignorant  la  première,  celle  du  futur  tout 
simple,  qui  était  la  seule  connue  des  siècles  passés,  et  qui  donnait 
son  nom  à  la  forme  :  vn:>  [temps  futur,  à  venir). 

Son  recours  à  un  hébraïsant  de  profession,  pour  expliquer  les 
formes  telles  que  wû  clireî,  ^«0  èpTti,  etc.  n'a  pas  été  moins  infructueux. 
Si  l'on  invitait  le  traducteur  de  Constantinople  è  réfléchir  sur  son 
parler,  Il  saurait  sans  doute  distinguer  entre  ôef^vw  tyiç  Yev«cxè<  et  t6 
Xou\oû5i  Tîiç  yevaixtf;,  et  VOUS  dirait,  comme  un  Allemand  en  présence 
de  Ick  ztïge  der  Frau  et  die  Blume  der  Frau.  que  le  premier  ttîç  yîvaixôç 
est  un  datif,  et  le  deuxième  un  génitif,  vrais  et  propres.  Il  s'en  rend 
parfaitement  compte,  lorsqu'il  traduit  les  noms  précédés  de  l'état  de 
connexion  ou  de  la  particule  b;  il  pourrait  dire  que  l'un  est  le  on;^ 
V""-./ï~  6t  l'autre  le  "j'rnîrî  cn^.  Mais  il  voit  en  même  temps  que  le 
grec  n'a  qu'une  seule  forme  pour  les  deux  cas,  et  il  rend  néces- 
sairement n73N  ?Tibbi  par  xai  tti?  Sapi  dite,  comme  "'nb  ^XH^"^  P^i"  *otiX« 


BIBLIOGRAPHIE  143 

tTiç  sapdï.  Il  n'agit  donc  pas  d'une  façon  différente  pour  l'infinitif  pré- 
cédé de  b  et  traduit,  par  conséquent,  "^iToxb  toij  tlirei,  xinb  toûipteï.  Il 
suit  le  même  système  lorsqu'à  la  place  du  b,  il  y  a  une  autre  parti- 
cule, d'où  résulte  ànb  toO  efiteî,  etc  ,  sans  déroger  foncièrement  à  la 
règle  générale  de  construire  les  prépositions  avec  l'accusatif,  règle 
que  M.  Hesseling  mentionne  très  bien,  page  lvii  de  son  Introduc- 
tion, pour  l'oublier  ensuite  dans  maints  endroits  de  la  transcription 
du  texte.  L'état  de  connexion  n'a  rien  à  voir  avec  le  géuitif  de  l'infi- 
nitif; si  celui-ci  se  trouve  en  pareil  état,  c'est  le  mot  suivant,  et  non 
lui-même,  qui  est  au  génitif.  Le  traducteur  n'a  pas  le  moins  du 
monde  pensé  que  le  b  de  "lioNb  marque  la  possession,  comme  dans 
n^'i'ib  ni72T73,  où  encore  cela  peut  être  révoqué  en  doute.  —  Les  gra- 
phies meeorooth,  reooth,  mizmoor  (/.  c.)  ne  répondent  pas  à  la  réalité 
de  la  prononciation  ;  il  faudrait  les  modifier  par  la  réduction  de  cha- 
cune des  voyelles  doubles  à  une  voyelle  unique. 

Les  exemples  cités,  Introd.,  p.  lviii,  par  M.  Hesseling  pour  prouver 
que  notre  traduateur  emploie  l'accusatif  au  lieu  du  datif  ne  sont 
nullement  probants.  Ce  sont  des  pronoms  qui  n'ont  point  de  forme 
particulière  pour  le  génitif,  ou  qui  en  ont  une  extrêmement  rare. 
Nous  l'avons  noté  plus  haut.  Voici  ces  exemples  :  èirr.pa  aii-d.v  l^lw  (à 
moi,  pour  moi)  Yidyevarx»,  et  dvi'jysiXsî  è|ilv  (à  moi).  Si  la  forme  è(»ev6« 
eût  été  d'un  usage  courant,  il  l'aurait  sans  doute  employée  dans  ce 
cas,  pour  se  conformer  à  la  règle  générale. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de  l'orthographie  adoptée  par 
l'éditeur  hollandais.  Quoique  l'alphabet  grec  ne  diffère  pas  beaucoup 
de  l'alphabet  hébraïque,  il  y  a  toutefois  certaines  nuances  de  soas 
qui  ne  peuvent  pas  être  rendues  exactement  avec  des  caractères  hé- 
braïques. Tels  sont,  pour  ne  citer  que  les  plus  fréquents,  les  pala- 
taux xiot,  xe,  XI  —  x»,  x*>  X'»  pour  lesquels  il  faut  forcément  emploj'er 
D,  5,  5  —  p,  Xb  V—  Si  l'on  intercale  un  "<,  ainsi  qu'on  fait  pour  le  grec, 
on  aura  quelque  chose  en  plus;  il  en  résultera  ^«/fl,  quié,  quyi  et 
chia,  chié,  chyi  (à  prononcer  à  rallemande).  Le  traducteur  écrivit 
quelquefois  x£fa>.aT(xia  N^p^npbDj:,  mais  il  ne  larda  pas  à  s'apercevoir 
de  l'inexactitude  de  celte  transcription.  Ce  souci  le  tourmenta  long- 
temps, et  dans  un  chapitre,  nous  le  voyous  essayer  six  ou  sept  fois 
la  graphie  àicXCdeiJ/s  et  iitXi<jeôw  à  la  place  de  àitX(xet{/£  etàiîXtxsûco  ;  ailleurs 
icapaÇEiXii  pour  irapa-j'Y"^'"'.  justement  parce  que  N"'ban3  ne  donne  que 
2jara(juUia,  mais  il  a  dû  bientôt  se  convaincre  que  le  remède  était 
pire  que  le  mal.  Il  revint  donc  au  sj'stème  primitif,  comptant  sur 
l'intelligeuce  du  lecteur;  c'est  ce  que  nous  avons  appelé  la  concention 
tacite  au  début  de  cette  étude.  M.  Hesseling  ne  s'est  pas  rendu 
compte  de  ce  fait  et  a  expliqué  les  variantes  par  le  triomphe  momen- 
tané des  formes  dialectales.  Cette  méprise  a  malheureusement  eu 
pour  conséquence  l'altération  d'un  nombre  infini  de  mots  et  l'éclo- 
sion  de  certaines  formes  impossibles  a  expliquer  :Aixà  pour  St'xio,  fTw^à 
pour  çTcix'a,  xoutpô  (sourd)  pour  xoôipto  (creux),  Ppaxdvc  pour  Ppa^i^vt  et 
ffe^v;Toùxa  comme  pluriel  de  ne^vjToûxi^  TtXdxa  de  itXaxt,  elc.  Dans  K.xode, 


144  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

XV,  27,  OQ  trouve  erronémeal  la  forme  classique  foivixtç^  qui  doit  èlre 
corrigée  en  «poivixièî  (palmiers  dattiers).  Cf.  [i-n'Xiiî,  (juxié;. 

Il  fallait,  de  même,  transcrire  toujours  icitpaLyy'^yECkih,  ptepiii  —  non 
'jtapa(Y)YeiXd,  (xepii  —  dont  l'i  est  tantôt  exprimé,  tantôt  sous-entendu 
par  la  même  considération  que  ce  n'est  pas  un  son  bien  marqué  et 
distinct  dans  la  prononciation. 

En  fait  d'accent,  il  y  a  à  noter  bien  des  tâtonnements  ou  des  pro- 
cédés arbitraires  :  ^x'^w  et  ïx<m  se  rencontrent  très  souvent,  presque 
toujours.  Le  blanc  est  àtitpb;  au  lieu  de  iffirpo«,  nous  avons  déjà  relevé 
«pTw^'^  et  8ixid.  L'éditeur  ne  prend  pas  parti  entre  ipz^î  et  àpypii,  tandis 
qu'en  faveur  de  cette  seconde  manière  nous  avons  l'exemple  de 
yépoî,  répondant  au  classique  yépwv.  noX£[io'j,  uu  vtpo'fow  et  aOpuitou  ont 
l'accent  sur  l'antépénultième,  tandis  que,  comme  substantifs,  ils  doi- 
vent l'avoir  sur  Tavant-dernière  syllabe. 

Les  graphies  êact'Xedç,  àetèc,  roveûv,  iXai^ç  ne  répondent  pas  au  texte; 
l'auteur  ne  sait  absolument  rien  sur  la  provenance  de  ces  sons,  et 
écrit  tout  bonnement  êavihihi;,  ditbç,  yoviûv,  è^tèç  avec  l'e  définitivement 
converti  en  i  et  tout  à  fait  consonnantisé.  Il  en  est  de  même  pour  les 
cas  où  le  i  existe  déjà  dans  les  formes  classiques. 

Pour  êxaTffï  et  liai,  je  ne  saurais  me  prononcer  d'une  manière  sûre. 
Qu'il  ait  existé  une  forme  ëxaas,  cela  n'est  point  douteux  ;  èxiflias  a  dû, 
après  l'évanouissement  du  i,  se  débattre  longtemps  entre  lxa«  et 
ÉxttTffE  avant  la  fusion  du  I  avec  le  a.  L'étymologie  ne  nous  éclaire 
point  sur  l'adverbe  Stst.  Un  fait  matériel  est  à  noter,  que,  tandis  que 
dans  les  trois  premiers  livres  il  n'arrive  presque  jamais  de  voir  ëxatae 
et  Stui,  dans  les  deux  derniers,  ces  formes  constituent  la  règle.  A 
quoi  attribuer  ce  changement?  —  C'est,  à  notre  avis,  un  phénomène 
de  séphardisme,  mais  de  séphardisme  corrigé.  Le  son  izi  n'existe 
pas  dans  l'espagnol,  et  le  compositeur  qui,  comme  nous  avons  dit 
plus  haut,  devait  parler  cette  langue,  avait  beaucoup  de  mal  à  ap- 
prendre un  son  nouveau.  Le  traducteur  fut  indulgent  et  laissa  faire 
au  commencement,  mais  dans  la  suite,  sa  rigueur  ne  voulut  plus 
connaître  de  transactions;  il  gronda  rudement  le  typographe,  qui 
s'assagit  et,  de  peur  de  manquer  à  son  devoir,  non  seulement  mit  le 
it  partout  où  il  le  voyait  dans  son  manuscrit,  mais  étendit  même 
l'efl'ort  de  la  correction  jusqu'aux  "û  du  voisinage.  Voilà  pourquoi  ou 
trouve  trois  fois  V'^p  'xd-zurt-zi)  pour  xdT(r[i«.  Un  phénomène  semblable 
ne  doit  pas  avoir  échappé  aux  linguistes.  Dites  à  un  Vénitien  qu'il 
faut  dire  meglio  et  iml/roglio  à  la  place  de  mejo  et  imhrojo  :  pour  se 
conformer  à  votre  c  )nseil,  il  prendra  aussi  noja  pour  une  forme  dia- 
lectale et  la  corrigera  en  noglia.  —  Il  est  incontestable  que  le  fait  de 
la  lettre  i:  jette  du  jour  sur  la  question  du  n  sans  dagmscJi,  que  nous 
avons  traitée  plus  haut. 


i 


BIBLIOGRAPHIE  145 


II 


Nous  avons  dit  autrefois  que  le  traducteur  grec  de  GonstantiDople 
n'avait  d'autres  ressources  exégétiques  que  la  version  d'Oukelos  et 
le  commentaire  de  Raschi.  Même  l'usage  qu'il  fait  de  ce  dernier  est 
assez  rare,  et  il  s'écarte  d'Onkelos  dans  les  expressions  anthropo- 
morphiques,  qu'il  rend  avec  une  lilléralité  excessive.  Cette  liltéra- 
lité  constitue  un  véritable  défaut  dans  sou  œuvre;  il  la  pousse  jus- 
qu'aux dernières  extrémités,  au  poiut  de  négliger  presque  toujours 
les  accords  les  plus  élémentaires  des  adjectifs  et  des  pronoms  avec 
les  noms  auxquels  ils  se  rapportent,  si  la  syntaxe  de  l'original  ne 
correspond  pas  à  celle  de  la  phrase  grecque.  S'il  y  a  (quelques  excep- 
tions, ce  n'est  que  pour  les  mois  les  plus  proches  les  uns  des  autres. 
C'est  pourquoi  dans  uue  bonne  édition,  conçue  d'après  le  plan  que 
nous  avons  mentionné  plus  haut,  il  serait  nécessaire  de  marquer, 
après  certains  substantifs,  leur  genre  en  hébreu;  cette  espèce  de 
rappel  est  le  seul  moyen  de  rendre  moins  fatigante  au  philologue  la 
lecture  du  texte. 

Le  défaut  d'érudition  ne  fut  pourtant  pas  sans  avoir  ses  avantages 
pour  notre  auteur  anonyme.  Il  est  cause  que  son  esprit  s'aiguise 
et  obtient  la  liberté  et  le  temps  de  travailler  tout  seul.  Nous  en 
voyons  l'efTet  dans  certaines  versions  ingénieuses  qui  sont  le  fruit 
de  longues  réflexions.  Nous  avons  déjà  noté  que  notre  auteur  prend 
tjbbin?^  comme  un  dérivé  de  b'^'n  [douleurs  de  U accouchement)  et  le 
rend  par  èxotXiordvccs ;  2'^3"'3"!  est,  d'après  lui,  de  la  même  famille  que 
nn,  synonyme  de  bi~a  •  de  là,  la  traduction  xo^'^P^^^pcxo  {grosse  pluie), 
tandis  que  Q"^1"':?ip  se  rapproche  par  le  son  de  Li'^-pTZ^  pluriel  de 
'vy'.ii  'petit;  il  signifie  donc  la  plaie  fine,  Àtavo6po/o.  Dans  ce  même  cha- 
pitre (Ueut.,  xsxii),  il  y  a  à  relever  la  traduction  de  "ûDN  (v.  23)  par 
vàt  TsT^Euôffw,  je  finirai  (rac.  S]io  ),  pour  le  mettre  eu  harmonie  avec  le 
second  membre  de  la  phrase  û3  ^;?2N  "^i^n^  pendant  que  le  même 
verbe  nirs  au  chap.  xxix,  1<S,  est  rendu  par  vàc  irpo7[jL(5(i  (//  ajoutera). 
II  prend  "?b"»  pour  un  verbe  sans  s'apercevoir  que,  dans  ce  cas,  on 
devrait  avoir  deux  "init  au  lieu  de  nt:J  et  '.-)::,  et  le  traduit  par 
6oYt:;£i  (—  pû'!;si,  de  ?ovî),  il  s'écri'j,  la  leçon  Cof^f^zt  de  M.  Ilesseling  étant 
fautive  '. 

Nous  notions  que,  dans  la  partie  du  texte  alors  examinée,  nous  n'a- 
vions constaté  aucune  identification  entre  les  noms  propres  donnés 
par  la  Bible  et  ceux  qui  sont  connus  par  l'histoire.  Nous  répétons 
aujourd'hui  la  même  affirmation,  mais  avec  uue  exception  très  im- 

>  Raschi  frappe  juste  en  prenant  bb"*  comme  équivalent  de  ^irb"*.  L'espagnol 
confond  ce  nom  avec  la  racine  du  verbe  "j^'j  et  le  rend  par  alojamiento. 

T.  XXXV,  n"  69.  iO 


146  REVUE  DHS  ÉTUDES  JUIVES 

porlante.  C'est  que  noire  auouyiiie  rend  "^^  d'abord  dans  Nombres, 
XIII,  22,  33,  et  puis  dans  Deuléruiiome,  ii,  10,  11,  par  "eXXt.vou  (à  cor- 
riger dans  l'édition  de  M.  Hesseling)  et  'Eî.)kTîvQv.  Qu'est-ce  qui  lui  a 
fait  adopter  cette  version  ?  Je  ne  sais  pas  si  elle  lui  a  été  suggérée 
par  une  interprétation  midruschique  ;  en  tout  cas,  je  suppose  que  la 
notion  fournie  par  le  premier  de  ces  passages,  d'après  laquelle  p:^ 
était  le  père  ou  l'ancêtre  de  """p^ri,  a  servi  à  lui  inspirer  cette  idée  ou 
à  l'y  confirmer.  ""^Vri  est  le  nom  sous  lequel  sont  connus  dans  la  litté- 
rature rabbinique  les  rois  Plolémées,  notamment  celui  du  récit  con- 
cernant les  Septante,  et  ces  rois,  grâce  à  leur  éducation  et  à  leurs 
mœurs,  étaient  des  Grecs  aux  yeux  des  Juifs  comme  aux  j^eux  de 
tout  le  monde. 

Les  autres  rendent  ou  interprètent  p:;*  et  u"*p;?.  par  géants;  mais 
noir-  anonyme  ne  connaît  pas  ce  nom,  même  sous  l'autre  désigna- 
tion de  ::''b"'pj.  Son  ingéniosité  découvre  dans  ce  mot  un  dérivé  de 
nVîî  et  il  le  rend  comme  si  c'était  D'^Nbpp  par  ^i^ty-o'.,  merveilleux 
(Gen.,  VI,  4,  et  Nombr.,  xiii,  33}. 

Dans  Exode,  xxvi,  21,  ::"'/îî^  est  pris  pour  un  sj-nonyme  de  û'^pNtn 
et  traduit  Siôuixaftivo-jv,  Us  (les  chérubins)  seront  jumeaux.  Je  saisis 
l'occasion  pour  rappeler  que  l'anonyme  ne  connaissait  pas  l'existence 
du  grec  littéraire  Xe^ouSe^ix,  l'équivalent  de  2"'3i-,3^  et  qu'il  se  sert  de 
-o'jA'.ôt,  oiseaux,  pour  rendre  ce  nom.  C'est  un  nouvel  argument  contre 
sa  prétendue  instruction  profane. 

aVw  adjectif  est  de  la  même  famille  que  le  verbe  sb'i  s'accomplir,  et 
Jacob  i;Geu.,xxxiii,  18)  rejoint  la  ville  de  Sichem,  complet,  entier,  dans 
la  pleine  possession  de  sa  fortune,  qui  aurait  pu  être  amoindrie  par 
l'hostilité  d'Esaii.  C'est,  du  moins,  l'idée  que  fait  naître  l'emploi  du 
même  adjectif  {tù.z^i'zo',)  dans  le  précepte  concernant  la  construction 
des  autels  (Deut.,  xxvii,  6),  où  n'étaient  admis  que  des  blocs  entiers 
{rd-zçiz  xX^pâTEc  1=  niTcba  tD'^pnN:).  Il  est  vrai  que  cette  interprétation 
est  embarrassante  pour  Gen.,  xxxiv,  21  (ot  àOpùitot  oOtoi  -K^ssâToi  = 
frr"^  ~^>>*~  -'''>r';-5.v)-  Pour  M.  Hesseling  [Glossaire),  it?.£pâroi  dans  ce 
dernier  passage  signifie  a  ceux  qui  sont  en  rapports  d'amitié  ».  Je 
crains  fort  que  l'anonyme  n'y  ait  pas  pensé  le  moins  du  monde,  et 
mon  avis  est  que,  sans  trop  réfléchir,  il  a  adopté  ici  cette  manière  de 
traduire  pour  le  seul  motif  qu'il  l'avait  déjà  fait  une  fois  d'une  façon 
plus  ou  moins  exacte.  C'est  pour  lui  une  règle  générale  :  un  mot 
ne  peut  avoir  qu'une  signification,  par  conséquent,  un  seul  mot, 
toujours  le  même,  servira  à  le  traduire.  A-t-il  rendu  une  fois  Trrj 
par  auvavwyô  -=:  la  synagogue,  la  communauté',  il  le  rendra  par  auvayoïyTi 
même  quand  il  désigne  le  tribunal  ou  le  parti  politique  de  Goré. 

S'il  emploie  vît  ■/pçtk'sut  =  fassouvirai  (Deut.,  xxxii,  42;,  au  lieu  de 
vi  ii.t^T',^(ù,  finirrerai,  c'est  qu'il  lui  semblait  choquant  de  dire  que 
Dieu  enivrera  de  sang  ses  /lèches,  ou  que  dans  une  traduction  si  stric- 
tement littérale,  il  lui  était  impossible  de  rendre  convenablement 
l'image.  Il  a  voulu  faire  de  son  mieux. 


BIBLIOGRAPHIE  147 

Dans  Geo.,  xxv,  27  (n-^bnls  3'^^  •••-p_"::^),  Jacob  est  représenté 
comme  aimant  l'élude  et  les  écoles  (y-aOsTsn  si;  toi  g^oKeit.)  plutôt  que  la 
vie  pastorale  et  les  tentes  (c'est  là  le  sens  propre),  parce  que  notre 
auteur  avait  devant  lui  Onkelos,  qui  paraphrase  Niob^x  n"'^  ou  qu'il 
avait  présente  à  l'esprit  l'interprétation  midraschique.  La  note  de 
M.  liesseling  (Glossaire  s.  v.  axo)>£ià)  est  à  la  fois  incomplète  et  obs- 
cure '. 

"liTi  To^  Exode,  xxx,  23,  est  le  nom  d'une  drogue  qui  entrait  dans 
la  préparation  de  l'encens.  Notre  anonyme  croit  découvrir  dans 
"ii~i~^  liberté,  l'indication  que  la  substance  exprimée  par  le  premier 
de  ces  mots  devait  être  pure  de  tout  mélange.  Il  traduit  [xosxo  (sic) 
ixpato.  Du  reste,  même  Oukelos  avait  traduit  d'une  manière  analogue 

Il  ignore  l'acceplion  de  chanter  pour  le  verbe  rr^v  surtout  en 
l)oésie.  C'est  dans  ce  sens  qu'il  est  sans  doute  employé  dans  Exode, 
xxxir,  18.  î'^i'O  "^riN  m's^  bip.  Notre  traducteur  le  rapproche  de  ^'Js 
(cf.  inx  ^:"T  de  Gen.,  xv,  ^'^),  et  le  rend  par  xaxouj^fi  â?  :  le  nom  à  la 
place  du  verbe,  contre  son  habitude. 

::-'3N^  le  printemps  on  les  premiers  mois  de  Vannée,  est  pour  lui  un 
adjectif,  quelque  chose  comme  un  dérivé  de  nï<  prre\  il  le  rend 
par  xîwïixo.  M.  Hesseliug  a  écrit  à  tort  tô  jjil^va  twv  -Kowi^ui  (Ex.,  xxxiv, 
18  et  ailleurs),  en  entendant  sans  doute  le  mois  des  primeurs.  Pri- 
meurs en  grec  se  dit  irfw'iixiStx  (û"'~i/i33]    même  chap.,  v.  22. 

û■^:p'w^«7p^  Exode,  xxxix,  34,  est  très  bien  traduit  -/.aTaxfixxiva,  bien, 
rouges.  Il  trouve  dans  la  forme  du  b;*--  l'idée  d'intensité. 

Dans  Lévitique,  vi,  2  (~'7"i"~  N"'"  ~*?^"'~  ^1^^-  »^^'),  1^  second 
TÔ'iyrt  est  traduit  comme  participe,  àr.ob  i-rXx'.wzi. 

La  femme  accouchée  est  appelée  (Lévit.,  xir,  7)  Y^'^voûia.  Ce  n'est 
pas  qu'il  ignorait  le  nom  si  commun  de  "kt/ma.  Il  a  simplement  voulu 
rendre  avec  fidélité  le  participe  rijbi'^ri. 

Les  noms  des  pierreries  du  pectoral  demeurent  intraduits  ;  il  en 
est  de  même  de  la  plupart  des  animaux  purs  et  impurs  mentionnés 
dans  le  Lévitique  et  dans  le  Deutérouome.  Le  texte  espagnol  est  plus 
riche  en  versions  à  ces  endroits  ;  c'est  encore  un  signe  de  sa  supé- 
riorité. 

"i"^"ii-b  est  traduit  vi  ;£xXïfovo(iYiTo.  C'est  le  résultat  d'une  observa- 
tion grammaticale  très  fine.  Il  y  a  des  verbes  qui,  à  la  forme  Piel, 
ont  un  sens  tout  à  fait  contraire  à  celui  du  bj?.  otû^  par  exemple, 

*  Je  ne  dis  riea  sur  le  prétendu  à'[x^u£).s;  do  Gea.,  xiv,  16,  qui  n"est  qu'ua  pro- 
duit du  travail  bâtit'  de  M.  Hesselinj^.  Je  n'y  trouve  que  et;  -î;  aO)i;  to-j;,  mots  qui 
correspondent  on  ne  peut  mieux  à  DTT'I^ri^  de  l'orij^inal. 

Uu  xoufo;T),axa)vîi,  dans  Exode,  xxvii,  S,  n'est  pas  mieux  fondé.  Il  s'agit  de  la 
version  de  nin?  31111',  et  le  texte  gréco-hébraïque  ne  donne,  pour  tout  lecteur  at- 
tentif, que  xo'J3^t)o  7T>.a/.,'t){3,  un  adjectif  et  un  substantif  au  génitif  pluriel,  précisé- 
ment comme  l'orisinal. 


148  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

signifie  déraciner.  Par  analogie,  11  a  cru  que  'w"»-,-!::  est  l'opposé  de  "cn^  ; 
dans  une  acception  transitive,  il  l'a  traduit  :  enlever  l'héritage.  De 
même,  "îp'"ilii.,  Nombres,  xxiv,  17,  supposé  comme  dérivant  de  T'î?, 
w?<r,  est  rendu  par  Çeteixtôxr,  ;  il  fait  classe  avec  w^ô.  Le  passage  n'a 
pas  été  aussi  mal  compris  que  le  croit  M.  Hesseling.  S'il  y  a  dans  la 
suite  Ta  TtaiSii  Toii  SÉfl,  ce  n'est  qu'une  erreur  commune  a  tous  les  in- 
terprètes de  l'époque  ;  le  voisinage  de  SNir  a  fait  prendre  pç  pour 
un  nom  propre. 

Et  puisque  nous  en  sommes  aux  parties  poétiques  des  Nombres, 
disons  tout  de  suite  que  c'est  dans  celles-ci  qu'il  se  trompe  le  plus 
souvent.  r;c^C3  sr^T  nN  (xxi,  14)  est  rendu  par  xàJSuxEv  el;  t6  Soù?, 
comme  si  am  était  une  forme  du  verbe  nr!">,  donner,  et  non  un  nom 
propre  de  région. 

Pour  ~b  T.s  (v.  M)  il  tombe  dans  la  même  erreur  que  pour  bip 
ni"^  notée  plus  haut  :  il  traduit  àrriXoYT.Jf.Ts  aùTT.vf.î  a  répondez-lui  », 
au  lieu  de  chantez  pour  lui  (le  puits).  Seulement,  dans  le  passage  de 
l'Exode,  le  verbe  est  pris  dans  l'acception  de  souffrir. 

ri:2ri  du  v.  27  est  bien  traduit.  Cette  fois,  c'est  M.  Hesseling  qui 
se  trompe,  en  transcrivant  y^'-'-zt  là  où  dans  le  texte  gréco-hébraïque 
il  y  a  va  jfTtTr?.. 

Il  ne  semble  faire  aucune  distinction  entre  le  Kal  et  le  Piel  ou  le 
Elfil  du  verbe  *nN.  On  sait  que  dans  la  première  de  ces  formes,  le 
verbe  signifie  férir  et  dans  les  autres  perdre.  Il  prend  pour  transi- 
tive même  la  première,  et  rend  '01723  D:?  ïT^P^î  (v.  29)  par  l^a^î  tôv 
>.a6v  ToO  K£[idî.  Ce  ï/ajîî  est  sans  doute  employé  dans  le  sens  de  tu  as 
été  privé,  et  le  traducteur  entend  que,  parmi  les  malheurs  de  la 
nation  moabite,  compte  la  perte  de  sa  suzeraineté  sur  le  peuple  de 
Kémos  '. 

"^l'a,  XXIII,  20,  est  traduit  comme  un  nom,  sùXoyii  (^  ^r'î?  ,  peut- 
être  a  cause  de  rembarras  où  se  trouvait  l'anonyme  d'employer  un 
infinitif  isolé,  sans  le  soutien  de  l'article  au  moins.  Ti^^i  de  la  suite 
du  verset  ne  le  déconcerte  pas  moins  ;  il  se  lire  d'affaire  en  emplo^-ant 
la  première  personne  du  futur  (xa\  va  ?>.oYr;aco),  en  s'écartant  de  son 
principe  interprétatif. 

Il  ignore  l'espèce  de  parfum  désigné  au  chap.  xxiv,  6,  par  le  mot 
ï^"*.- V^.,  qu'il  rend  par  le  terme  général  de  [rjpwôtxi.  Ce  n'est  pas  que 


*  Pourtant  dans  Deut.,  xxvi,  o,  il  est  le  plus  heureux  des  interprèles  el  traduc- 
teurs du  volume,  en  reniant  par  'Açau.1  çtw/_ô;  ^pauvre]  6  îraripa;  lioy  T2ii<  ''7inN 
"^SX,  tandis  que  tous  les  autres  attribuent  à  Laban  le  mot  ''/3~iN  et  interprètent 
~nis  d'après  l'explication  midraschique  blDH  PN  "iTpS'b  wp3  "jabl.  Le  grec  se 
rappelle,  au  contraire,  le  passage  des  Proverbes  "TDTNb  "l^'i  lin.  Faut-il  en  dé- 
duire qu"il  se  rendait  exactement  compte  de  la  communauté  d'origine  entre  Israélites 
et  Araméens,  et  que  dans  la  Bible  un  jacobite  pouvait  être  désigne  sous  le  nom  de 
■^■-"IN  ?  Ce  serait  trop  présumer  de  l'esprit  de  notre  brave  homme  et  de  Tétat  des 
études  ethnographiques  à  son  époque. 


BIBLIOGRAPHIE  149 

l'aloès  lui  soil  inconnu  ;  il  se  sert  de  ce  mot  [àlo-^f,,  à  corriger  dans 
Hesseling)  pour  traduire  "j?.b  [ahsinthe)  de  Deut.,  xxix,  17. 

3Ni72  "^nN-î  au  V.  17  =  âxpï;  ToO  Muà6  {extrémités  de  MoaV)  nous  fait 
penser  à  rî"]"^"  rxs  et  à  ti.^PT  ^^r^  Q^i  doivent  l'avoir  égaré.  Pour- 
tant il  avait  l'excellent  exemple  d'Onkelos,  qui  traduit  N^3-ia-|^  chefs. 

Dans  Deut.,  xxxii,  il  ne  saisit  pas  le  sens  des  versets  37  et  sui- 
vants. Il  traduit  i>j"~*rN  "iN  iccuvai  ô  Oîd?  tôv.  S'il  avait  compris  que  le 
mot  se  rapporte  aux  faux  dieux,  il  aurait  dit,  selon  son  habitude,  ta 
t\liù\±  TOJî.  Mais  il  n'est  pas  le  seul  à  se  tromper  ;  il  n'y  a  que  Raschi 
qui  donne  au  mot  sa  juste  valeur  de  di(!ux  étrangers. 

Les  personnes  qui  sont  peu  versées  dans  le  grec  moderne  suppose- 
ront, à  l'inspection  de  ek  tt|  xop-fïj  toO  'iwsèy  (Deut,,  xxxui,  16)  et  de  oi 
ôfavo>.  %(,  \r\  T71  xopcf-ri  cou  (Deut.,  XXVIII,  23)  traduisant  respectivement 
CIDT  CNib  et  Tj-iNT  b^?  ncN  '^"''^c^  que  le  nom  xocwr,  {sommet)  a  aussi 
dans  cette  langue  l'acception  de  tête,  tant  il  est  évident  que  'wN"i 
dans  ces  endroits  ne  peut  avoir  d'autre  signification.  Il  n'en  est  pas 
absolument  ainsi  ;  le  traducleur  avait  employé  xopf-r)  pour  rendre  ce 
nom  en  combinaison  avec  montagne  pu),  ce  qui  est  bien,  mais  il  en 
oublie  la  cause  et  l'applique  même  à  des  cas  très  différents. 

'OiivotoTYi  Toû  'laxwê  (ressemblance  de  Jacob)  dans  Deut.,  xxxiii,  28, 
n'indique  rien  de  précis.  Les  autres  interprètent  de  la  même  façon, 
prenant  ^y  dans  le  sens  de  couleur  ou  d'es2)èce.  ^'"p^Z  Vr'  ^*^  P^^''  ^^" 
signer  ici  qu'une  localité,  une  plaine  fertile,  arrosée  par  des  sources 
abondantes.  Tel  est  le  sens  réclamé  par  le  sens  de  la  strophe. 

Qu'on  ne  se  laisse  pas  égarer  par  va  dîp/ojv-ac  du  v.  29  (leçon  de 
M.  Hesseling)  ;  le  texte  gréco-hébraïque  donne  xa\  va  àpvoGvTat  pour  la 
traduction  de  n'ins^:.  L'espagnol  dit  de  même  ?/  niegarsean.  Ni  l'un 
ni  l'autre  n'y  ont  vu  le  sens  de  la  simulation  d'an  peuple  soumis 
envers  ses  dominateurs. 

Si  nous  revenons  aux  parties  prosaïques,  nous  ne  manquerons  pas 
d'y  trouver  des  nouveautés  exégétiques,  parfois  intéressantes.  Réta- 
blissez la  vraie  leçon  du  mot  qui  correspond  à  "ij:^  (Lévit.,  xxv,  47) 
et  vous  aurez  âppi^ov  pour  dénoter  un  étranger  récemment  fixé  dans 
un  pays  où  il  n'a  pas  de  racines  profondes  ('Epptî^ov  de  M.  Hesseling 
ne  repose  sur  rien  ;  l'exemplaire  du  British  Muséum  est  très  clair 
là-dessus). 

"rjSjrr  nrcip^  dans  Nombres,  iv,  7,  est  traduit  d'une  manière  on  ne 
peut  plus  fautive  :  xaXâiJita  iw  SiaaxoûTejia,  les  roseaux  de  la  couverture, 
de  la  p'otection.  Evidemment  il  a  pris  TiD2  pour  un  synonyme  de 
■^ÎD?:,  un  dérivé  de  Tj^D  et  pourtant  il  avait  maintes  fois  traduit  le 
premier  de  ces  mots  par  au(Y)x^paa[ia,  libation.  Ici  encore  il  s'agit  des 
gobelets  destinés  à  ce  détail  du  sacrifice  '. 

•  A  vrai  dire,  notre  anonyme  n'est  pas  le  seul  qui  se  trompe  là-dessus.  Raschi, 
quoique  en  se  contredisant  dans  Kxode,  xxv,  29,  partaj^e  son  erreur.  Pourtant  On- 
kelos  est  très  correct  et  très  clair  avec  son  N3^3DT  NniÇ";^.  Pareillement,  les  Sep- 


1:;0  RKVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Le  traducteur  ignore  que  la  particule  rx  (décliDée  "r-'N^  etc.;  en 
dehors  de  raccusatit  sert  à  désigner  la  compagnie  ;  il  rend  zz'Z  ï<r  ûx 
':jri'N  'C:"^N  (v,  19)  par  dv  îkv  kizldyiyjEv  à\à,p  èaiv,  comme  si  2wC  était  ua 
verbe  transitif.  S'il  avait  confronté  ce  passage  avec  Gen.,  xxvi,  10,  il 
aurait  irou%é  que  c'est  la  même  construction  de  la  phrase  "inx  35c 
tji^ÇN  PN  zyri    qu'il  a  correctement  traduit  i-H-;i.0L'li\> . . .  jjii  tt.  -jEvaixi 

ao'j. 

Ko'jxo'jTT^a  ;t  ^yi,  4]  n'est  point  un  néologisme  de  notre  anonyme  ; 
c'est  le  produit  d'une  fausse  séparation  de  s^ilabes  due  à  M.  Hesse- 
ling,  qui  a  pris  vi  comme  faisant  partie  du  nom,  tandis  que  c'est  le 
premier  élément   du  futur  va  ar,  çir^  :    rrx"'  N'r,   A  rétablir  la   vraie 

leçon  :   xojxo'jth  va  uy,  oàr,. 

n^iriri  est  toujours  traduit  ;î).s/w,  forme  moderne  provenant  du 
classique  lzûA-;yu},  contrôler,  réi^rimander.  Parfois  ou  trouve  \ù.t\t  dans 
le  sens  apparent  de  //  choinl  (Gen.,  xxiv,  14);  cela  ne  doit  pas  nous 
induire  en  erreur.  Le  moderne  ne  connaît  pas  le  verbe  àzAivo)  ou 
Çs/vÉ^to  ;  pour  exprimer  cJiohir,  il  a  SiaÀÉw. 

Je  dois  noter  ici  que  la  préposition  classique  cià  a  été  l'objet  de 
deux  traitements  fort  divers.  En  construciion,  elle  est  devenue  yià  : 
vti  T6vxdj;jio  lYia-' avec  les  pronoms  commençant  par  une  voyelle:  ytaT'è- 
jiïva,  viax'  avToV  ;  en  composition,  elle  est  demeurée  intacte  :  ciaT^Éw, 
ôiaç;oçi.  C'est  là  une  règle  constante  dans  le  grec  moderne,  conformé- 
ment à  laquelle  il  faut  écrire  en  un  seul  mot  6iijT0|ia  et  oia/^pô;  ou 
5ta/£îû.  Déjà  on  les  trouve,  à  peu  dexceptions  près,  toujours  uinsi 
dans  l'édition  de  Soucino.  Les  exceptions  portent  presque  toujours 
sur  les  cas  où  les  deux  mots  se  trouvent  à  la  fin  de  la  ligne,  et  où, 
pour  la  commodité  de  la  composition,  le  typographe  se  permet  de 
séparer  les  deux  éléments.  Nous  l'avons  vu  agir  de  la  même  manière 
avec  ■npoTïopà,  xdAoOwsT,,  [j.'.ao;aYo  et  dans  tous  les  cas  où  l'état  composé 
du  mot  peut  être  reconnu  de  chacun.  —  Mais  qu'est-ce  que  Sta/Efèî 
ou  ota/spûV  Confrontez  iisTa/aiâî  ^'qui  peut  aussi  nous  fixer  sur  la  po- 
sition de  l'accent),  et  vous  aurez  la  solution  du  problème  :  c'est  une 
forme  figée  consistant  en  une  préposition  et  en  un  nom  au  génitif, 
ordinairement  au  singulier,  mais  quelquefois  aussi  au  pluriel,  avec 
suppression  du  v  final.  Je  l'appelle  forme  figée,  parce  qu'il  n'y  a  pas 
d'exemple  où  les  prépositions  ou  les  locution?  prépositives  régissent 
un  autre  cas  que  l'accusatif '.  Pour  ôtdjtoiia  nous  donnons  la  même 
explication,  que  l'on  veuille  considérer  cTojia  comme  génitif  ou 
comme  accusatif'.  Il  n'est  pas  certain  que  oiâTTOfia  et  ô-.ayîpôî  ou  éta- 


lante a-ov5c'a  Èv  ol;  cttévoîi  et  Munster,  cyathos  lihationis,  tandis  qu'un  siècle  plus 
tard,  Buxtorf  traduit,  d'après  les  rabbins,  scutellas  teguMcnti. 

'  Dans  v'.à  îsp'.à;,  etc.  la  préposition  joue  le  rôle  de  cocjonction. 

*  On  sait  que  les  neutres  ea  (xa  lormeut  leur  génitif  soit  en  i-ryj,  soit  en  conser- 
■vanl  invariable  la  terminaison  du  norainalii'.  Outre  la  quantité  iulinie  de  pareils 
exemples  d'invariabilité  fournis  par  noire  lexle,  on  trouve  celte  règle  confirmée  par 
l'usage  de  la  langue  vivante  et  par  maint  document  littéraire  d'autre  origine. 


BIBLIOGRAPHIE  151 

xepw  se  rencontrent  dans  d'autres  monuments-,  le  fait  est  qu'ils  cor- 
respondent exactement  à  "'E  Vr  et  à  1^3. 

ISlotre  anonyme  ne  connaît  pas,  comme  Onkelos  («"^j^/û)  et  l'espa- 
gnol {apaTtan),  la  véritable  signification  de  513X72  yaC^iv^ij  dans  îs'om- 
bres,  X,  25.  Ce  n'est  que  Raschi  qui  l'interpièle  correciement  dans  le 
sens  û.'arrière-gardc. 

Au  V.  ;n,  "inrj  est  rendu  par  àvâzri;,  faii  reposer,  comme  si  c'était 
une  forme  de  nnc.  Raschi  cite  l'interprétation  analogue  donnée  par 
Menaliem  ben  Sarouk. 

Au  c'ûap.  XI,  1,  br.xni  est  rendu  par  àxcrarl/î,  il  termina.  L'identifi- 
cation, erronée  ou  arbitraire,  de  b^N  avec  nVs  est  évidente. 

Même  chap.,  v.  2G,  ni-ir;  arr'V^»  n!:3  est  rendu  par  aàiv  àvaT^er.v  irA- 
von  Tou;  Ti  Tvoà,  quand  Vcsprit  (prophétique)  se  reposa  sur  eux.  Il  n'y 
aurait  pas  lieu  de  relever  celte  version,  s'il  ne  s'agissait  d'apporter 
une  légère  correction  au  texte  de  Constantinople,  qui  offre  ici  un 
mot  un  peu  difficile,  ce  qui  a  amené  M.  Hesseling  à  adopter  une 
leçon  nullement  fondée  {àTCkizvhi'i: .  Transposez  les  deux  dentales 
de  Vynxs"'^  (Paris  et  Londres)  ei  vous  aurez  la  forme  àva-é8r,v  qu'il 
faut'. 

Je  me  rends  à  peine  compte  du  àvaOuaâTat  ^■>a73'^n3Ni^  Nombr.,  xv,  30), 
en  considérant  qu'Oake'.os  rend  par  "''^"i'^  la  phrase  T\Y-Î'^  ^'~  '~  »"^^. 
N'était  l'obstacle  de  la  forme  passive  ou  moyenne  du  verbe  grec,  je 
n'aurais  point  d'hésitation.  La  leçon  àvïôiaaTiîi,  il  blisphème,  adoptée 
par  M.  Hesseling,  demeure  sans  justification. 

nrr'j  accompagnant  n-'n  est  un  nom  abstrait;  notre  anonyme  le 
sait,  et  traduit  en  conséquence,  sans  séparer  les  deux  mots.  'AviTtaOïr; 
placé  après  {luptoSià  lui  sert  de  complément,  l'accusatif  tenant  lieu  du 
génitif  (voir  plus  haut)  ;  ^ùl  [lupuSià  dviziOn  (sans  virgule)  veut  dire  : 
comme  parfum  de  repos,  de  délassement,  de  délices. 

n:i"'  dans  Gen.,  viii,  2!  et  ailleurs,  est  joliment  rendu  par  ojtti, 
naturel  (l'italien  indole].  Seulement  M.  Hesseling  l'a  défiguré  en  xoîro, 
par  uu  changement  de  rran  '2  en  riw"i;i  '•:.  Uu  nom  r.o'.jr,  n'existe  pas 
en  grec  moderne;  on  n'a  que  tout  récemment  adopté,  dans  le  monde 
littéraire,  TrotoTo  pour  désigner  la  poésii. 

np"i  (=  pressoir,  Deut.,  xviii,  27,  et  ailleurs)  est  bien  traduit  Xr.vd, 
L'édition  hollandaise  nous  donne  ).iv6,  la  matière  textile. 

Le  nom  nib  est,  comme  uu  dérivé  direct  de  C|~ib  brûler,  traduit 
ffit(6a,  étincelle,  par  l'anouyme  de  Gonstanlinop'.e  ;  j1  ne  se  soucie 
point  de  l'idée  grotesque  que  suscite  dans  l'esprit  la  phrase  :  fais 
pour  toi  une  étincelle,  et  mets-la  sur  une  perclie  (Deut.,  xxi,  8)  xiixe 
èalv  jTCfôa,  etc.  Heureusement  que  pour  raconter  l'accomplissement  de 
l'ordre   divin,  l'original  nous   dit  que   Moïse   forgea   un  ri'^nî  "cn;^ 

•  Le  1  après  Tj»  n'est  pas  bien  clair,  et  ceUe  dernière  lellre  est  dépourvue  do 
voj'elle.  S"il  faut  conserver  le  premier  et  suppléer  au  défaut  de  la  seconde,  on  obtien- 
dra la  iormc  ÈvocT£Or,v,  ijui  cadre  avec  le  sens  de  la  j)hraîc. 


Î32  HE  VUE  DES  ETUDES  JUIVES 

sans  quoi  nous  aurions  assisté  a  la  construction  d'une  étincelle  avec 
de  l'airain. 

Sur  quoi  s'appuie-t-il  en  rendant  "i~a  (Deut.,  xxir,  24)  par  Tpdso;, 
fossé?  Au  chap.  xxxii,  le  même  nom  est  traduit  ypa^ià,  wpaYùî,  en- 
ceinte, et  cela  va  bien. 

L'animal  qu'enfourcha  Balaam  pour  se  rendre  chez  le  roi  de  ÎJoab 
était  une  ânesse  (lir^Xj.  Pourquoi  l'anonyme  le  trausforme-t-il  en 
millet  [louT^âpi)  ?  (Tout  le  long  du  chap.  xxn). 

"zvri  n^çp  (même  chapitre,  v.  41)  est  traduit  tt.v  déxpf)  toO  î^aoû,  Vextré- 
mité  du  'peuple.  Pourtant  il  avait  dans  Genèse,  xlvii,  2,  très  bien 
rendu  ttîn  r;:cp7:n  par  xai  (XEpxtxô  toi*;  àôîcwoû;  -rou.  (Ou  le  voit,  l'accusa- 
tif est  en  train  de  remplacer  le  génitif  dans  l'expression  de  toutes 
espèces  de  rapports.) 

Nous  ne  lui  reprocherons  pas  d'avoir  traduit  "ç'^  par  iiwa/o;.  Il  ne 
le  compare  pas  avec  S]'p">iî  des  livres  prophétiques,  mais  il  partage 
en  cela  l'erreur  d'Ookelos  C"!""!')  cité  par  Raschi,  et  de  l'espagnol 
{solo). 

Pour  le  verbe  bVn^  profamr,  violer,  on  trouve  en  grec  classique  les 
équivalents  PeSt^w  ou  T:apaêa(vu.  Notre  anonyme  ne  connaît  ni  l'un  ni 
l'autre;  il  s'en  forge  un,  dont  on  ne  peut  pénétrer  le  sens  sans  une 
courte  réflexion. Très  souvent,  Vrn  est  le  synoGyme  de  ~2~,  et,  en  effet, 
à  ■■i~^'v  -"2  ^'  oû  peut,  sans  altérer  le  sens  de  l'expression,  substituer 
'iin'^  iD"^_  Nr.  Considérons  en  même  temps  que  i"i3'7  npîj  est  l'opposé 
de  il?^  2"'pr;  mots  que  notre  auteur  rend  toujours  par  âxiiptuTE  16 
\6-^Q  TO'j,  il  maintint  sa  parole,  de  xiip^o;,  valable,  persistant,  durable. 
Pourquoi  ne  pas  accepter  "k-j-M.  comme  le  contraire  de  xûpio;?  Ce 
serait  un  adjectif  verbal  de  Xjo,  délier,  avec  le  sens  de  sujet  à  dé- 
nouement, à  infraction  ;  î^dyo;  Xiitôî  voudrait  dire  une  parole  non  ferme, 
peu  solide.  De  là  à  la  formation  d'un  nouveau  verbe  Xu-rtâvu  (cf. 
T^uTwvco),  ayant  le  sens  de  transgresser,  enfreindre,  annuler,  mépriser, 
il  n'y  a  pas  loin.  Voilà  donc  expliquées,  à  mon  avis,  l'origine  et  la 
signification  de  ce  mot  l^"^^"^??*  ^^i  se  rencontre  si  souvent  dans 
les  acceptions  ci-dessus  mentionnées  :  seulement  il  faudra  transcrire 
par  un  u  à  la  place  d'un  i  '. 

Le  grec  moderne  n'a  pas  de  participe  actif.  Notre  texte  néanmoins 
nous  eu  a  conservé  quelques  résidus,  qui  sont  comme  l'écho  d'une 
lutte  longtemps,  mais  inutilement,  soutenue  par  celte  forme  gram- 
maticale pour  se  conserver  dans  le  parler  du  peuple.  Un  examen  de 
ceux-ci  ne  trouverait  pas  de  place  convenable  dans  ce  recueil,  qui  est 
destiné  à  une  autre  branche  de  recherches.  Ou  sait  que,  d'habitude, 
notre  anonyme  rend  le  participe  actif  par  le  présent  de  l'indicatif,  ce 

*  Oa  voit  que  je  reviens  ici  sur  ma  conjecture  énoncée  clans  la  Revue  en  1S90.  et 
suivie  par  M.  Hesscling,  d'après  laquelle  le  mol  Xitûvw  serait  dérivé  de  ),i9o;.  Il  n'y 
a  rien  qui  puisse  expliquer  la  transtormation  en  7  d'un  6,  non  précédé  d'une  con- 
sonne. 


I 


BIBLIOGRAPHIE  153 

qui  donne  lieu  à  certaines  combinaisons  de  mots  souvent  très  obs- 
cures et  très  choquantes.  Mais  quand  le  présent  peut  occasionner 
des  équivoques,  il  n'a  garde  de  rester  fidèle  à  son  principe  ;  il  em- 
ploie alors  l'imparfait  ou  l'aoriste,  selon  l'exigence  du  passage.  Tels 
les  deux  exemples  suivants,  où  se  raconte  une  guerre  déjà  advenue: 

àvi|xeaa  ÔT.oh  xpatoOsav  t6  TroXsfio  (r;?:nb7î~  "''Cpin  '',"'3  Deut.,  XXXI,  27)  et 
jj.£p"clxô  twv  èpyîfixav  ti;  tt,  aToaiEiâ  (N32i3  û'^NîC'rî  pVn    V.  36j. 

Cet  altachement  opiniâtre  à  ses  principes  interprétatifs,  nous  en 
avons  une  preuve  assez  choquante  dans  la  manière  dont  il  traduit 
le  mol  ■'bs.  Il  ne  veut  reconnaître  pour  son  équivalent  que  à^ysid, 
nom  sous  lequel  se  désigne  la  xaisseUe.  Il  l'emploie  également  pour 
\d.  gibecière  (Gen.,  xxvir,  3),  pour  la  hesace  du  glaneur  (Deut.,  xxiii, 
25)  et  pour  les  armes  de  guerre  (Deut.,  i,  k\). 

bs'ny  (Deut.,  iv,  11)  est  traduit  àvTipa.  Ce  mot,  que  Du  Gange  et 
Coray  (àtaxTa,  II,  p.  12o)  ne  connaissaient  que  dans  racce[)tion  de 
iruit,  est  évidemment  employé  ici  dans  le  sens  de  hrouillard  (Ilesse- 
ling  dit  erronément  obscurité  .  V.  Paspatis,  Glossaire  de  Càios  ;  Jean- 
naraki,  KpTiTtxàt  âstii-ra,  et  Lavvndes,  Moderii-Greek  aiid  English  Lcxicoii. 

i:è  àxoussv  TT.v ipwvYj  Tou  =  ibnp  nx  t)>'."'^">V'n  (iv,  36),  le  verbe  par  un 
seul  mot  :  il  ne  se  permet  pas  la  circonlocution.  Cf.  tT'li"  =  è-itÀeil/ïv, 
Deut.,  XI,  4  et  b-(n;73  =  x>>£povotjii£i  (Deut.,  xri,  10)  '. 

Il  n'y  a  pas,  à  deux  exceptions  près,  de  comparatif  dans  toute 
l'étendue  du  volume.  En  hébreu,  les  deux  termes  de  la  comparaison 
sont  joints  l'un  à  l'autre  au  moyeu  de  la  particule  il  (qui  remplit  à  la 
fois  les  fonctions  d'adverbe  et  de  conjonction),  l'équivalent  de  àito. 
Quoique  dans  une  mesure  plus  restreinte,  le  grec  moderne  a  aussi 
cette  manière  de  former  le  comparaliC.  Notre  auteur  le  trouve  com- 
mode et  en  profite  sans  aucune  limitation.  Ce  n'est  que  dans  Deut., 
VII,  7,  qu'il  emploie  la  forme  ôXi^wrEfo.  Il  y  a  un  motif  à  cette  excep- 
tion ;  c'est  que  sans  cela  on  pourrait  supposer  que  l'auteur  de  la 
Bible  a  voulu  affirmer  que  le  peuple  d'Israël  est  le  produit  de  la 
réunion  de  petits  contingents  ethniques,  fournis  par  les  différentes 
nations  de  la  terre  '.  —  Dans  xàX'Xto  tExode,  xiv,  12),  le  comparatif  est 
latent  ;  sans  éducation  littéraire  on  ne  saurait  s'en  apercevoir. 

Dans  Deut.,  ix,  21,';"n::  se  confond,  pour  notre  anonyme,  avec 
"JWU  ;  il  traduit  à>.£a[iëvo,  moulu. 

Un  autre  rare  exemple  de  changement  de  temps  par  un  désir  de 
clarté   nous  est  donné    par  ^3"ip?,  qui  est   traduit   par  le  présent 

1  S'il  était  initié  au  grec  littéraire,  il  aurait  adopté  x).£poSo-ît  pour  ce  dernier  par- 
ticipe. 

-  Considérez,  en  effet,  la  différence  entre  Èasï;  xo  ô),tYWT£po  à-ô  ô/a  Ta  ïOvrj  du 
texte,  et  èa^ïç  tô  ôXîyo  àirô  ô),a  xà  eOvif]  qu'on  obtiendrait  par  une  version  contorme  à 
l'habitude  générale.  —  Les  exemples,  cités  par  M.  Hesseling,  de  comparatifs  par  TrXià 
(Introducliou,  p.  XLViil  ne  sont  qu'apparents.  Dans  7c/.'.à  va  Vjù  .Exode,  x,  29)  et  va 
|xr)  Çayopaoxyj  TrXtà  (Lévit,,  xxvii,  2(j),  l'adverbe  dénote  le  temps.  Il  n'est  pas  même 
nécessaire  d'en  appeler  à  l'original  ^"îij')  ;  le  grec  à  lui  seul  suliit  à  nous  en  con- 
vaincre. 


154  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

y.ci'XTouv,  ils  Irii.lent  :  il  s'agit  de  la  conlume  qu'avaient  les  gentils  de 
brûler  leurs  eufants  eu  l'honneur  de  la  divinité. 

'P'^ivri  ~""~  x\'i  ^i»  /."?-"^!J-°  '•'*  Zw?''T.î  est  d'après  Onkelos  :  ^^■'"SN: 
•ù;"»n-:r  ;  re?pagnol  :  cargar,  raryaras.  Rasclii  tâtonne  eu  cet  endroit. 

"ipa  ^'V'.^!.  xx£,  3  et  suivants,  est  rendu  par  h-^^jxo  ?oj-/.6'Xio,  xeau, 
etc.,  au  lieu  de  IcLaoLliZa.,  f/é/iisse,  nom  connu  de  lui. 

Dans  la  traduciion  de  "'^?r  (xxiii,  \6]  par  à7rox>.z£rr.i:,  de  "r^^'^r^  et 
^pj  (v.  20j  par  va  5a/;  xwjT,;  ei  Si  Y:xo)[i'i,  de  r^r^nî  ~^3  {xxiv,  3)  par 
3^aox\  y.o'I/:ijLou,  il  se  montre  l'esclave  de  l'étymologie.  ^Notons,  eu  pas- 
sant, que  le  mot  ?'.?a(o  pour  lirre  n'existe  pas  dans  le  parler  familier, 
xafct  en  tenait  la  place  eu  1547.  Un  argument  à  ajouter  contre  l'ins- 
truction littéraire  profane  de  l'auteur. 

!~i":ir:  N"'jiir^  dans  Deut.,  xxviii,  38,  est  rendu  par  va  ?-'âVr,:  tU  t^> 
j^wpâ-ft,  tu  produiras  dans  le  cJiamp;  l'espagnol  dit  de  même  sacaras  à 
elcampo.  C'est  fautif:  ~"i'^~  nom  féminin  eîit  le  sujet  de  ^■'rwip. 

Le  grec  ignore  l'équivalent  de  V^r:i(v.  42)  et  le  reproduit  tel 
quel;  l'espagnol,  au  contraire,  a  el  knigostino. 

Cri'^'N  -i^'^  'n  ûwiyr^  xxix,  27,  est  traduit  par  xai  à--ifr,x£  to'j;,  il 
les  délaissa;  c'est  l'efl'et  de  la  confusion  de  "«in;  avec  ui^j.  Le  da- 
guesch  du  n  se  prêtait  à  merveille  a  la  bévue.  L'espaguol  :  y  esoiotij 
los.  Oukelcs,  cité  par  Raschi,  ';^;"^?::'7l:i. 

Dans  Deut.,  XXXI,  S,  "2"!^  Nb  ne  forme  pas,  pour  notre  traducteur, 
une  tautologie  avec  t\'^\^1  Nb.  Il  rapproche  le  premier  de  ces  verbes 
de  l'adjectif  ï^pn  faible,  el  le  rend  en  conséquence  :  vi  jir,  al  à/anvfrr,, 
il  ne  te  rendra  pas  faible. 

ivLnT  du  v.  20  est  rapproché  de  N"i~,  l'herbe  tejiire  de  la  prairie,  et 
traduit  va  TfjfEçtdvx,,  //  deviendra  délicat. 

Kous  croyons  avoir  ajouié  un  petit  chapitre  à  Thisloire  de  l'exé- 
gèse biblique  au  moyeu  de  cas  notes,  dans  lesquelles  nous  avons  re- 
levé les  points  les  plus  sailianls  de  la  version  constanlinojjolitaine. 
Quant  à  Texégèse  même,  elle  n'a  certainement  pas  retiré  un  profit 
appréciable  d'un  document,  qui  ne  peut  servir  que  comme  terme  de 
comparaison  pour  mieux  nous  faire  comprendre  les  services  rendus 
aux  études  bibliques  par  les  grandes  écolos  d'Occident,  où  un  soufïle 
puissant  de  science  et  de  critique  dominait  les  esprits.  En  revanche, 
la  valeur  linguistique  de  notre  monument  est  incontestable,  parce 
qu'il  a  l'avantage  de  nous  offrir  une  langue  qui  n'a,  en  aucune  façon, 
éprouvé  l'influence  des  efforts  savants.  Personne  ne  voudra  plus 
croire,  je  suppose,  que  notre  traducteur  ait  reçu  une  éducation  tant 
soit  peu  littéraire  eu  ce  qui  coacerne  le  grec.  C  )mme  ses  coreligion- 
naires, il  menait  une  vie  casanière  dans  les  recoins  du  Ghetto,  sans 
venir  jamais  en  contact  durable  avec  les  Grecs  de  religion  clu-étieune 
qui  vivaient  à  Clonstauiiiiople.  Pouriant.  l'usage  de  la  langue 
grecque  chez  les  premiers  liabitants  isroéliies  (ie  Constanlinople  était 


BIBLIOGRAPHIE  155 

très  ancien  ;  il  datait  d'une  époque  où  la  persécution  et  l'antipathie 
mutuelle  ne  s'étaient  pas  encore  fait  jour.  Sauf  quelques  termes  rela- 
tifs au  culte  qu'ils  devaient  avoir  en  propre  —  comme  les  chrétiens 
avaient  les  leurs  —  les  Israélites  de  cette  région  parlaient  la  langue 
commune  h  tout  le  peuple  avant  que  celle-ci  entrât  dans  la  phase 
bj'zaniine.  Ils  ressentirent  avec  les  autres  les  effets  des  changements 
phonétiques,  de  l'évolution  de  la  morphologie,  et  de  la  syntaxe  ;  et 
lorsque  même  les  nouvelles  lois  de  restriction  séparèrent  les  deux 
races,  l'isolement  n'était  ni  assez  strict  ni  assez  continu  pour  déter- 
miner deux  modes  difîérents  d'évolution. 

Nous  avons  tâché  de  démontrer  dans  la  première  partie  de  cette 
étude  que,  pour  la  phonétique  et  la  morphologie,  il  n'existe  pas  de 
phénomènes  particuliers  à  ce  monument;  nous  le  ferons  encore  mieux 
quand  iious  reviendrons  sur  ce  texte,  dans  des  recueils  où  l'on 
pourra  traiter  avec  plus  de  détails  les  questions  qui  intéressent  plus 
directement  la  linguistique  ;  notre  tâche,  ici,  était  d'examiner  ce  qui 
lient  plus  spécialement  à  l'hébreu.  Pour  la  syntaxe,  nous  avons  été 
le  premier  à  prévenir  les  hellénistes  qu'elle  se  ressent  beaucoup  de 
l'original,  mais  nous  ne  pouvons  aucunement  partager  l'avis  de 
M.  Hesseliug,  qui  relègue  dans  la  catégorie  des  hébraïsmes  tout  fait 
qui,  pour  êlre  expliqué,  réclame  une  étude  un  peu  soigneuse.  La  ques- 
tion du  génitif  pluriel  surtout,  qui  tend  à  être  représenté  par  l'accu- 
satif, est  une  de  celles  qui  méritent  le  plus  notre  attention.  Certaines 
irrégularités,  et  elles  ne  sont  malheureusement  pas  en  petit  nombre, 
ne  sont  qu'apparentes  et  ne  dérivent  que  de  la  hâte  avec  laquelle 
l'éditeur  hollandais  a  accompli  sa  besogne.  Avec  plus  de  temps,  plus 
de  circonspection,  maintes  difficultés  auraient  été  aplanies  sans  trop 
de  peine.  M.  Ilesseling  a  fait  son  édition  sans  s'être  préalablement 
assuré  d'une  familiarité  intime  avec  la  langue  de  l'original  ;  il  a 
vu  des  abîmes  là  où  il  n'y  eu  avait  pas;  en  revanche,  il  y  a  des  acci- 
dents du  sol  dont  il  ne  s'est  pas  aperçu  et  il  s'y  est  heurté  non  sans 
dommage.  En  ce  qui  concerne  le  grec  même,  il  n'a  pas  toujours  été 
heureux;  la  théorie  n'est  pas  doublée  en  lui  de  cette  connaissance 
pratique  de  la  langue  qui  éclaircit  bien  des  points  obscurs  et  dissipe 
tant  de  doutes. 

Bref,  son  travail,  quoique  conçu  dans  une  intention  louable,  n'a  pas 
atteint  son  but,  et  ne  réalise  que  d'une  façon  très  incomplète  le  vœu 
exprimé  par  tant  de  savants  d'avoir  enfin  une  édition  /isitj/e  du  Pen- 
tateuque  grec  de  Constantinople  '. 

Manchester,  juillet  1897. 

Lazare  Belléli. 

»  Pour  la  coUalion  du  texte,  nous  nous  sommes  servi  de  l'exemplaire  de  Pans 
jusqu'à  la  fia  de  l'Exode  ;  de  celui  de  Lon  1res  pour  tout  le  reste,  sauf  les  thap.  xxvi- 
XXXIV  du  Deuléronome,  pour  lesquels  nous  avons  mis  à  contribution  les  deux  exem- 
plaires d'Oxford.  .\1.  Gasler  uous  a  lait  voir  le  sien,  ma;s  le  temps  nous  a  manqué 
pour  le  parcourir;  il  ne  présinlaii,  d'ailleur^  rien  de  particulier,  comme  c'est  le  cas 
pour  tous  les  autres.  Assurément,  les  variai.les  ollertes  par  l'exemplaire  de  Bresiau 


156  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 


Publications    de   la  Société  littéraire  Israélite  de  Hongrie  : 

1»  A  Zsidok  tuiténete  Sopronhan  (Histoire  des  Juifs  à  Sopron-Oedenburpr,  depuis 
les  temps  les  plus  anciens  jusqu'à  nos  jours),  par  M.  Pollak,  Budapest, 
Lampe!,  1896  ;  in-S"  de  379  p. 

2°  Alexandriai  Philo  jelentése  a  Cajus  Caligulanal  jart  Kûltottsétirôl  traduction 
lion^^roise  de  la  Legatio  ad  Caium,  de  Philon  d'Alexanarie  ,  par  Salomon 
ScHiLL.  Ibid.,  in-S"  de  xiii-lOÛ  p. 

3»  Talmudi  életszabalyok  es  erkôlcsi  tanitasok  (Préceptes  moraux  tirés  du  Talmud^, 
traduits  de  l'hébreu  par  Samuel  Krausz.  Ibid.,  55  p. 

4"  Etkônyv,  Kiadja  az  izr.  magyar  irodalmi  tarsulat  (Annuaires  de  la  Société  litté- 
raire Israélite  de  Hongrie),  1895-1897  ;  les  deux  premiers  rédigés  par  MM.  Bâ- 
cher et  Mezey,  le  troisième  par  MM.  Bâcher  et  Banoczy.  Ibid.,  483,  372 
et  365  p. 


Avant  de  rendre  compte  des  premières  publications  de  la  Société 
littéraire  israélile  de  Hongrie,  il  nous  semble  nécessaire  de  dire  un 
mot  de  la  vie  intellectuelle  des  Israélites  dans  le  royaume  de  Saint- 
Etienne  et  de  l'état  des  études  juives  dans  ce  pays.  L'émancipation 
des  Juifs  hongrois  date  de  l'année  du  dualisme —  1867 — ,  mais  c'est 
un  peu  avant  les  l'êtes  du  Millénaire  —  1896  —  que  furent  volées  les 
lois  politico-ecclésiastiques  qui  ont  assimilé  le  culte  juif  aux  autres 
cultes  reconnus  par  la  loi  :  le  judaïsme  n'est  plus  toléré,  il  est,  comme 
on  dit  là-bas,  reni.  Pendant  les  trente  ans  qui  séparent  le  dualisme 
du  Millénaire,  la  situation  des  Juifs  est  devenue  tolérable,  on  pour- 
rait même  aire  bonne,  en  faisant  abstraction  des  quelques  années 
pendant  lesquelles  le  déplorable  procès  de  Tisza-Eszlar  (1882-83)  a 
jeté  de  nouveau  le  trouble  dans  les  âmes. 

Déjà  avant  l'émaDcipation,  les  Juifs  hongrois  s'étaient  distingués 
par  leur  patriotisme  éclairé.  Ou  sait  la  part  active  qu'ils  ont  prise 
dans  le  mouvement  révolutionnaire  de  1848-49,  lorsque  le  pays  se 
souleva  contre  le  joug  autrichien.  La  rançon  que  les  Israélites  durent 
payer,  après  la  défaite,  pour  leur  participation  à  cet  acte  héroïque, 
fut  assez  considérable.  Ce  n'est  qu'en  1876  que  le  gouvernement  la 

comparé  à  celui  de  Paris  sont  intéressantes  et  indiquent  un  esprit  novateur,  elles 
rendent  les  passages  plus  clairs  et  plus  conformes  au  génie  du  grec.  Je  ne  saurais 
pourtant  admettre  qu'il  sagisse  d'une  édition  ditlerente,  mais  je  serais  tenté  de  sup- 
poser quelque  chose  comme  la  réimpression  partielle  des  premiers  feuillets  de  la 
Genèse,  les  plus  sujets  à  être  abîmés  par  les  lecteurs.  L'imprimeur  n'aura  pas  hésité 
à  accepter  certaines  modifications  proposées  par  un  maître.  Déjà  l'exemplaire  de 
Paris  porte  en  marge  une  ou  deux  corrections  laites  à  la  main,  qui  figurent  dans  la 
partie  imprimée  de  l'exemplaire  de  Breslau.  Parmi  les  variantes  du  livre  des  Nom- 
bres, la  seule  qui  mériterait  qiielque  considération  est  celle  du  chap.  v,  v.  21,  si 
elle  existait  réellement.  D'après  M.  Hesseling,  p.  272.  note,  l'exemplaire  de  Paris 
aurait  ô  ôsô;  ô  y.Opio;  au  iieu  de  ô  xOp'.o;  ;  je  n'y  ai  rieu  trouvé  de  pareil.  Les  autres 
variantes  ou  n'existent  point,  ou  peuvent  provenir  des  causes  mentionnées  par  M.  Hes- 
seling, p.  0  de  l'Introduction. 


BIBLIOGRAPHIE  157 

leur  restitua  pour  la  fondation  du  Séminaire  de  Budapest.  La  création 
de  cette  haute  Ecole  marque  une  daie.  Tandis  qu'auparavant,  les  rares 
jeunes  Hongrois,  qui  se  destinaient  au  rabbinat,  étaient  forcés  d'aller 
faire  leurs  études  à  Breslau,  en  revenaient,  en  grande  partie,  germa- 
nisés; que  des  rabbins  étrangers,  ne  sachant  même  pas  la  langue  du 
pays,  remplissaient  leurs  fonctions  dans  les  plus  grandes  commu- 
nautés; qu'un  rabbin,  hongrois  de  cœur  et  d'esprit,  comme  Loew, 
était  une  exception,  —  on  forme  depuis  vingt  ans  des  pasteurs  d'un 
esprit  magyar,  libéral,  ouvert  à  toutes  les  réformes  compatibles  avec 
le  dogme.  Si  la  partie  nord-est  du  pays  reste  encore  rebelle,  boude  le 
Séminaire  et  se  contente  de  chefs  formés  dans  les  yeschibot,  le  centre 
et  la  partie  ouest  sont  conquis  aux  idées  de  réforme.  Là,  le  sermon 
allemand  est  presque  partout  remplacé  par  le  sermon  hongrois.  Les 
barrières  que  la  haine  et  l'ignorance  ont  élevées  entre  les  Juifs  et  les 
autres  cultes  commencent  peu  à  peu  à  tomber,  et  tout  présage  un 
avenir  encore  meilleur. 

Les  Juifs  instruits  — médecins,  avocats,  journalistes  et  professeurs 
—  de  la  capitale  furent  les  premiers  à  comprendre  que,  pour  établir 
une  bonne  entente,  le  meilleur  moyen  est  le  travail  intelligent,  et 
non  des  querelles  oiseuses.  Deux  professeurs  du  Séminaire,  M.  Bâ- 
cher, bien  connu  des  lecteurs  de  cette  Revue,  et  M.  Banoczy,  membre 
de  l'Académie  hongroise,  avaient  fondé,  à  cet  effet,  en  1884,  la  Magyar 
Zsido-Szemle,  revue  trimestrielle,  qui  a  réuni  en  un  faisceau  toutes 
les  bonnes  volontés.  Mais,  pour  agir  plus  efficacement,  on  organisa, 
sur  le  modèle  de  la  Société  des  Etudes  juives  de  France,  la  Société  sus- 
mentionnée qui,  par  des  conférences,  par  l'impression  de  travaux  de 
longue  haleine  et  par  son  Annuaire,  représente,  d'un  côté,  les  intérêts 
du  judaïsme  hongrois,  et,  de  l'autre,  donne  une  nouvelle  impulsion 
aux  études  hébraïques.  Cette  Société,  fondée  en  1894,  a  déjà  entrepris 
la  traduction  hongroise  de  la  Bible,  dont  certaines  parties  seulement 
ont  été  traduites  jusqu'ici,  par  des  savants  Israélites.  Le  travail  est 
distribué  entre  plusieurs  rabbins,  anciens  élèves  du  Séminaire  de 
Budapest,  et  tout  fait  espérer  que  cette  version  sera  à  la  hauteur  de 
l'exégèse  moderne. 

Les  volumes  que  nous  annonçons  aujourd'hui  montrent,  dans  leur 
variété,  qu'il  suffit  d'une  initiative  intelligente  pour  mettre  au  jour 
de  beaux  travaux.  Nous  tenons  surtout  à  rendre  compte  du  premier 
ouvrage,  couronné  par  la  Société,  et  qui  retrace  d'une  façon  très  inté- 
ressante la  vie  des  Juifs  dans  une  ville  hongroise  depuis  les  temps 
les  plus  anciens  jusqu'à  nos  jours. 

Il  est  très  probable  que  lorsque  les  Hongrois,  il  y  a  mille  ans, 
prirent  possession  de  l'ancienne  Pannonie,  il  y  avait  déjà  des 
Israélites  dans  ce  pays.  Le  savant  historien  des  Juifs  en  Hongrie, 
M.  Samuel  Kohn.  grand-rubbin  de  Budapest,  a  même  établi  que  parmi 
les  conquérants  il  devait  se  trouver  des  tribus  juives.  Les  Magj^ars, 
avant  d'arriver  en  Pannonie,  étaient  intimement  liés  avec  les  Kha- 
zares,  qui  avaient  embrassé,  au  vin"  siècle,  le  judaïsme.  Les  sources 


lo8  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

historiques  hongroises  parlent  souvent  de  familles  Khazares  qui  ont 
quitté  leur  pays  pour  se  joindre  aux  Magyars.  Mais  les  documents, 
au  moins  pour  Sopron,  font  défaut.  Ce  n'est  que  dans  une  ordonnance 
royale  rie  132i  que  nous  trouvons  mentionnés  les  Juifs  de  cette 
contrée.  Le  roi  Charles-Robert  (1308-42),  de  la  maison  d'Anjou, 
permet  aux  Israélites  qui  étaient  alors  «  liberae  couditiouis  »  de  s'é- 
tablir à  Sopron.  Mais  cette  ville,  à  la  frontière  autrichienne,  peuplée 
d'Allemands  et  non  de  Magyars,  leur  a  toujours  rendu  la  vie  dure. 
Une  première  expulsion  eut  lieu  ?ous  Louis-le-Grand,  fils  de  Charles- 
Robert,  qui,  ne  pouvant  convertir  les  Juifs,  décréta  de  les  chasser 
(1360).  Mais  l'exil  ne  dura  que  quatre  ans;  la  communauté  de  So- 
pron, qui  s'était  réfugiée  à  Wiener-Neusladt,  situé  sur  le  territoire 
autrir.hien,  revint  alors  dans  le  pays.  Jusqu'à  la  bataille  de  Mohàcs 
(1526),  les  Juifs  purent  y  vivre  en  tranquillité,  soumis  seulement  à 
une  taxe,  vaquant  aux  métiers  les  plus  différents.  Leur  vie  intellec- 
tuelle devait  atteindre  un  certain  degré.  On  accuse  souvent  les  Juifs 
hongrois  du  moyen  âge  d'être  restés  ignorants.  On  ne  peut  pas 
adresser  ce  reproche  aux  Soproniens.  D'après  les  traces  que  M.  Pol- 
lak  a  trouvées  dans  les  archives,  les  Juifs  de  cette  ville  ont  étudié  la 
Mechilla,  le  Talmud  babylonien  —  sans  commentaire — .quelques 
travaux  de  Moïse  Maïmonide.  Les  maigres  restes  de  ces  livres  em- 
ployés par  le  magistrat  de  Sopron  à  relier  les  livres  de  comptes  de  la 
ville,  en  font  foi.  Plusieurs  rabbins  de  la  communauté  ont  été  de 
granris  savants,  tels  Meïr,  Kalman,  Gedl  et  Juda.  Le  nombre  des 
Juifs,  au  commencement  du  xvi"  siècle,  était  de  quatre  cents  environ; 
ils  ne  vivaient  pas  dans  un  ghetto. 

La  grande  calamité  pour  les  Juifs  hongrois,  au  moins  pour  ceux  de 
Sopron,  Presbourg  et  Bude,  commence  avec  l'avènement  des  Habs- 
bourg (1526).  Le  dernier  roi  de  la  maison  des  Jagellons,  Louis  II, 
avait  épousé  Marie,  fille  de  Philippe,  roi  de  Caslille,  et  sœur  de 
Charles-Quint.  Tant  que  son  mari  vécut,  elle  ne  put  rien  contre  les 
Juifs,  mais  après  la  mort  du  roi,  tombé  à  la  bataille  de  Mohàcs,  elle 
donna  libre  carrière  à  sa  haine.  Les  troubles  intérieurs  qui  éclatèrent 
après  la  victoire  des  Turcs  favorisèrent  ses  desseins,  partagés,  d'ail- 
leurs, par  son  frère  Ferdinand  Ie^  Tandis  que  les  Turcs  faisaient  pri- 
sonniers les  Juifs  de  Bude,  la  reine,  sollicitée  par  les  habitants  ra- 
paces  et  endettés  de  Sopron,  qui  accusaient  les  Juifs  de  servir  les 
intérêts  des  Turcs,  décréta  leur  exil  (1326).  Rien  de  plus  navrant  que 
les  péripéties  du  procès  intenté  par  la  communauté  au  magistrat  de 
Sopron,  et  qui  dura  huit  ans.  C'est  la  partie  la  plus  intéressante  du 
volume,  car  tous  les  actes  du  procès  étant  encore  conservés,  M.  Pol- 
làk  a  pu  entrer  dans  les  détails  de  la  procédure.  Elle  ne  fait  pas 
grand  honneur  au  roi  catholique  qui,  quatre  fois,  changea  d'avis.  Le 
jugement  du  12  octobre  1527  imposait  bien  aux  Soproniens  de  payer 
leurs  dettes  aux  Juifs,  mais  le  roi,  pour  obtenir  les  bonnes  grâces  de 
la  ville,  ratifia  finalement  (1534)  l'acte  inique  commis  huit  ans  au- 
paravant. La  couronne,  qui  voulait  partager  le  butin,  se  vit  frustrée 


niBLIOGRAPlIlE  lo9 

de  sa  pari;  le  magistral  accapara  toul.  Les  Juifs  chassés  se  mirent 
alors  sûus  la  proleclion  de  deux  seigneurs  des  environs  :  Malhias 
TeufTel  et  Jean  Weisspriach,  qui  prirent  en  mains  leurs  intérêts; 
toutes  les  fois  qu'ils  pouvaient  s'emparer  d'un  bourgeois  de  Sopron, 
ils  l'incarcéraient  et  le  forçaient  à  payer  ses  dettes.  C'est  grâce  aux 
seigneurs  et  aux  nobles  que  les  Juifs  ont  pu  rester  eu  Hongrie  sous 
la  domination  des  Habsbourg.  Souvent  on  décréta  leur  exil,  mais 
personne  ne  respectait  les  édits  royaux.  La  noblesse  gardait  les  Juifs 
parce  qu'ils  lui  payaient  régulièrement  les  impôts  et  s'occupaient  à 
faire  rentrer  dîmes  et  corvées.  Puis,  on  avait  besoin  d'eux  pour  le 
commerce  et  les  transactions;  les  habitants  de  Sopron  eux-mêmes, 
qui  ne  leur  permettaient  même  pas  de  passer  une  nuit  dans  la  ville, 
venaient  les  trouver  dans  les  cinq  villages  où  ils  s'étaienl  établis, 
pour  leur  emprunter  de  l'argent.  Au  xvii'  siècle,  ces  villages  —  ap- 
pelés plus  tard  dans  les  actes  nbnp  "Ozn  —  firent  partie  du  domaine 
des  comtes  Eszlerhazy,  qui,  par  leur  autorité  et  leur  grande  in- 
fluence, obtinrent  du  magistrat  de  Sopron  la  permission,  pour  leurs 
sujets  juifs,  devenir  dans  la  ville  vaquer  à  leurs  afTaires,  les  jours  de 
marché. 

L'exil  dura  ainsi  jusqu'à  la  fin  du  xviti«  siècle.  Eu  1791,  deux  Juifs 
purent  s'établir  dans  la  ville.  Les  idées  propagées  par  la  Révolution 
française  trouvèrent  un  faible  écho  dans  la  Diète  de  Pre.-:bourg  de 
1790-91.  On  demandait  l'admission  des  Juifs  dans  toutes  les  villes 
d'où  ils  étaient  bannis.  Les  députés  de  trois  villes  seulement  s'oppo- 
saient à  ce  projet;  c'étaient  ceux  de  Sopron,  Pozsony-Presbourg  et 
de  Locse  —  Leutschau  —  :  eu  somme  toutes  villes  allemandes.  Peu  à 
peu  les  Juifs  revinrent  à  Sopron;  en  1830,  il  y  en  avait  37,  et  en 
1840,1a  communauté  actuelle  put  se  constituer.  Elle  prospéra  ;  on 
comptait  en  1891,  1632  Israélites,  qui  ont  une  belle  synagogue,  une 
école  communale  et  plusieurs  institutions  philanthropiques.  — 75  do- 
cuments inédits  sont  ajoutés  à  ce  volume  intéressant;  ils  sont  en 
allemand  et  en  latin,  donc  accessibles  à  l'étranger. 

Nous  n'avons  que  peu  de  mots  à  dire  des  autres  volumes.  La  tra- 
duction de  la  DpsT^Eia  Tîpô;  rdïov  par  M.  Schill,  professeur  au  séminaire, 
accompagnée  d'une  bonne  introduction  est  exacte,  coulante  et  enri- 
chit la  littérature  philologique  hongroise,  car  c'est  la  première  œuvre 
de  Philon  qui  soit  traduite  en  hongrois.  —  Les  «  Préceptes  moraux 
tirés  du  Talmud  »  sont  la  traduction  du  Traité  Dérech  Erèç,  qui  se 
trouve  dans  les  éditions  du  Talmud.  C'est  un  véritable  trésor  de  phi- 
losophie pratique  dont  l'étude,  selon  Zunz,  est  profitable  même  de 
nos  jours.  M.  Krausz  a  traduit  le  Traité  d'après  les  textes  de  Tawrogi 
(Kônigsberg,  1885)  pour  le  «  Dérech  Erèç  zuta  »,  et  du  Machsor  Vitry 
(Berlin,  1893)  pour  le  «  Dérech  Erèç  rabba  ».  —  Les  beaux  volumes 
de  Y  Annuaire  contiennent,  outre  les  actes  de  la  Société,  une  foule 
d'articles  intéressants,  où  l'utile  se  mêle  ù  l'agréable.  Les  poètes  juifs 
donnent  des  morceaux  d'un  bel  élan  et  des  traductions  fort  réussies 
de  Salomon  ibn  Gabirol,  de  Juda  llalévi,  de  Juda  Alcharizi;  une  dame, 


160  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

M"®  Irène  Cserhalmi,  contribue  au  volume  par  deux  nouvelles  de  la  vie 
juive.  Parmi  les  articles  scientifiques  nous  relevons  :  (tome  I)  Banoczy  : 
Toldi  et  la  Bible,  où  le  savant  professeur  réunit  les  expressions  bi- 
bliques dont  le  poète  national  Jean  Arany  M8t7-82)  s'est  inspiré  dans 
sa  belle  épopée  Toldi;  Kaufmann  :  Un  témoin  oculaire  de  la  reprise  de 
Bude  en  4GS6,  élégie  d'Isaac  Schulhof,  qui  a  décrit  le  sac  de  Bude  par 
les  soldats  autrichiens,  qui  tuèrent  et  pillèrent  les  Juifs  et  brûlèrent 
les  Synagogues  ;  Bernstein  :  Le  rôle  des  Juifs  dans  la  Révolution  de 
■f 848 -49  ;  Radô  :  Tradudio/i  en  vers  de  Vépisode  <■.  Joseph  et  Putiphar  » 
du  Schahnaméh;  Neumann  :  Vinfluence  de  la  religion  Zende  sur  le 
judaïsme  •^^QissbViVg  :  La  jMlantliropie  chez  les  Juifs  d'après  le  Talmud; 
Bâcher:  La  Société  des  Etudes  juives  en  France  'p.  40  4- 42  r,  fondation  et 
travaux  de  cette  Société,  qui  a  servi  de  modèle  aux  Juifs  hongrois.  — 
(Tome  II).  Bâcher:  Il  ?/  a  mille  ans;  aperçu  plein  d'érudition  sur  la 
situation  des  Juifs  à  la  fin  du  ix^  siècle;  S.  Kohn  :  Sources  historiques 
hongroises  concernarit  les  Juifs;  l'édition  de  ces  Sources  est  au  pro- 
gramme de  la  Société  et  commencera  bientôt;  Klein  :  Pharisiens  et 
Sadducéem  dans  leurs  rapports  avec  les  Macchabées  ;  Bernstein  :  La 
«  Tragédie  de  VHomme  »  de  Madach  et  la  littérature  juive,  montre  ce  que 
Madach  (1823-64)  doit  à  la  Bible  et  particulièrement  au  livre  de  Job  ; 
Waldapfel  :  La  Bible  dans  la  'pédagogie  moderne;  Neumann  :  Jugements 
des  écrivains  grecs  et  o-omains  sur  les  Juifs,  compte  rendu  élogieux  du 
livre  de  M.  Th.  Reinach  édité  par  la  Société  des  Etudes  juives;  Beck: 
le  péché  originel  dans  la  littérature  juive;  Pollak  :  Documenls  poihr 
servir  à  Vhistoire  de  la  rouelle.  En  Hongrie,  les  Juifs  furent  forcés  de 
porter  la  rouelle  sous  le  premier  roi  de  la  maison  des  Habsbourg. 
Ferdinand  I  fi  326-64).  Au  moyen  âge,  on  n'en  trouve  pas  de  trace 
dans  les  sources  historiques.  Bûchler  :  Le  Consistoire  israélite  en 
Hongrie  aux  xvii«  et  xviii°  siècles  ;  Kecskeméti  :  La  légende  du  Juif 
Errant  dans  la  littérature  hongroise;  Goldschmid:  L'iconographie  des 
patriarches  au  moyen  âge.  —  (Tome  III)  Séance  solennelle  du  Millénaire, 
avec  un  discours  remarquable  de  Karman,  professeur  à  l'Université, 
sur  la  Vie  nationale  et  confessionnelle;  Alexander:  Objets  du  culte 
israélite  à  t" Exposition  du  Millénaire;  Kecskeméti  :  Cérémonies  fuM~ 
raires  dans  L'ancien  Israël;  Fischer  :  Règles  anciennes  sur  le  maintien 
dans  les  synagogues  ;  Acsad3^  :  Les  Juifs  hongrois  de  17ôo  à  ^758; 
Bloch  :  Le  Congrès  du  Sanhédrin  en  France  sous  Napoléon  /«»■;  Krausz  : 
Le  grand  Concile  —  Ansché  Kenèszeth  hagedola  —  ;  Frisch:  Influence 
szefarde  S7ir  les  Juifs  hongrois. 

La  lecture  de  tous  ces  mémoires  nous  montre  que  cet  Annuaire 
est  dirigé  dans  un  esprit  éminemment  scientifique.  Souhaitons  à  la 
jeune  Société  de  poursuivre  son  œuvre  sans  obstacle  et  d'atteindre 
le  noble  but  qu'elle  s'est  proposé  ! 

J.    KONT. 


Le  gérant, 
ISR.\ÈL   LÉVI. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL 


Bien  que  Tétude  des  scolasliques  ait  plus  préoccupé  les  érudits 
et  les  tht^ologiens  que  les  philosophes,  les  docteurs  du  moyen  âge 
ne  méritent  peut-être  pas  tous  l'abandon  et  l'oubli.  On  a  trop  accou- 
tumé de  ne  voir,  au  sein  des  écoles  si  fréquentées  de  ce  temps, 
que  des  tournois  logiques,  dont  le  vainqueur  fait  triompher  avec 
lui  une  nouvelle  subtilité  nominaliste  ou  un  réalisme  un  peu  plus 
mystique  :  la  lutte  de  Roscelin  et  d'Abélard  demeure  pour  beau- 
coup le  meilleur  tableau  de  la  vie  philosophique  en  France  avant 
la  grande  rénovation  cartésienne.  Certes,  le  syllogisme  est  resté 
longtemps  l'unique  instrument  de  recherche  ;  mais,  si  la  logique 
passe  pour  être  la  science  par  excellence  aux  débuts  de  la  scolas- 
tique,  plus  tard  elle  n'est  plus  qu'une  méthode  générale.  Le  début 
du  xiii'^  siècle  marque  cette  véritable  révolution,  qu'il  n'est  pas 
illégitime  de  comparer  à  la  Renaissance  du  xv^  siècle,  qu'elle  seule 
a  rendue  possible.  Ici  et  là,  les  causes  sont  analogues.  S'il  est  juste 
d'observer  que  de  grands  faits  contribuèrent  largement  à  déve- 
lopper et  à  répandre  les  idées  nouvelles  entre  1450  et  1600,  il  n'est 
pas  moins  vrai  que  le  retour  aux  pensers  antiques  fut  la  raison 
profonde  et  décisive  de  cet  épanouissement.  Vers  l'an  1200,  la 
carte  de  l'univers  n'a  pas  été  élargie  par  d'importantes  décou- 
vertes; pour  longtemps  encore  les  livres  sont  des  manuscrits, 
c'est-à-dire  des  objets  précieux  et  rares  :  la  diffusion  des  idées 
nouvelles,  très  lente,  peut  être  dirigée  et  restreinte,  au  contraire 
de  ce  qiii  arrivera  deux  ou  trois  siècles  plus  tard  :  c'est  une  ré- 
volution qui  se  fait  uniquement  dans  les  idées  et  par  les  idées. 
Jusqu'à  ce  moment,  on  avait  connu  la  philosophie  hellénique 
surtout  par  le  Timée,  par  deux  ouvrages  d'Aristote,  Vlnlerprê- 
talion  et  les  Catégories,  par  V Introduction  de  Porphyre  et  les 
commentaires  de  Boèce.  Les  discussions  sur  les  universaux  avaient 
épuisé  l'intérêt  des  ouvrages  logiques,  et  lorsque  le  mysticisme 
de  l'école  de  Saint- Victor  eut  terminé  sans  peine  ces  luttes  dia- 
T.  XXXV,  N»  70.  11 


in2  REVUR  DES  ETUDES  JUIVES 

lectiques  dont  l'éclat  nous  étonne,  le  dogmatisme  de  la  foi  parut 
établi  définitivement.  C'est  alors  que  tout  fut  remis  en  question 
par  l'infiltration  progressive  des  écrits  grecs,  quelques-uns  venus 
directement  de  Constantinople,  mais  le  plus  grand  nombre  trans- 
mis d'Orient  par  les  Arabes  aux  Juifs,   qui  aidèrent  à  les  tra- 
duire en   latin.   Traductions,  commentaires   ou   systèmes  origi- 
naux, l'influence  de  ces  écrits  fut  grande  ;  encore  que  la  plupart 
d'entre  eux  eussent  fortement  subi  l'empreinte  alexandrine,  faute 
de  critique,  on  crut  y  voir  la  main  ou  la  pensée  de  Platon  et 
d'Aristote,  et  l'autorité  de  ces  noms  leur  fut  acquise.  Ils  appor- 
taient à  l'Occident,  avec  les  compléments  si  désirés  de  la  logique 
péripatéticienne,  de  merveilleuses  vérités   concernant  la  nature, 
l'âme,  l'être,  de  sorte  qu'aux  discussions  plus   raffinées  que  va- 
riées de  l'époque  antérieure  ils  firent  succéder  les  vastes  cons- 
tructions métaphysiques  dont  l'esprit  devait  vivre  désormais  jus- 
qu'à nous.  Ne  serait-il  pas  intéressant  de  pénétrer  le  sens,  de 
suivre  la  fortune  de  chacun  de  ces  livres  judéo-arabes,  ou  plutôt 
de  sa  version  latine,  de  mesurer  son  influence  propre,  de  le  voir 
discuté  dans  les  écoles?  Du  moins  essayerons-nous  ici  d'exposer 
en  partie  un  de  ces  systèmes,  celui  de  cet  Avicembron  cité   avec 
éloge  par  Albert  le  Grand  et  retrouvé  par  Munk  dans  Ibn-Gabirol  ' . 
Un  ouvrage,  traduit  en   latin  sous  le  nom  de  Fons    Vitœ,   nous 
donne  une  bonne  part  de  la  philosophie  et  peut  suffire  à  l'esquisse 
d'une  physique  d'Avicembron.  L'intérêt  qu'on  peut  prendre  à  con- 
naître cette  physique  nait  de  la  nouveauté  presque  complète  d'une 
physique  au  xiii*  siècle,  alors  que  le  Timée  était  l'unique  théorie 
du  monde.  D'ailleurs,  dans  le  Timée  on  trouvait  plutôt  une  cosmo- 
gonie qu'une  physique  proprement  dite.  Or,  le  Fons  Vitœ  consi- 
dère les  êtres  créés,  dans  leurs  substances,  dans  leurs  mouvements 
et  dans  leurs  relations.  C'étaient  là,  pour  les  docteurs  de  l'Occi- 
dent, des  choses  entièrement  neuves  et  capables  d'exciter  la  cu- 
riosité et  les  passions;  pour  nous,  l'intérêt  historique  seul  subsiste. 
On  respectera  la  pensée  d'Avicembron,  en  la   suivant  dans   son 
double  mouvement,  du  tout  aux  parties,  et  inversement  des  élé- 
ments à  l'ensemble. 

Avicembron  distingue  trois  parties  dans  la  science  ^  :  la  pre- 
mière traite  de  la  matière  et  de  la  forme  universelles,  la  seconde 
de  la  Volonté  créatrice,  la  dernière  de  TP^ssence  divine  ;  chacune 

*  Ibu-Gabirolest  Dommé  par  les  écrivains  latins  Avicebron  et  Avicembron;  la 
transition  s'est  faite  par  une  torme  intermédiaire,  Avencehrol,  due  aux  traducteurs 
du  i^ons  Vita. 

*  Fons   Vitœ,  éd.  Cl.  Baeumker,  Munster,  ISl'S  ;  pape  2o7-ligne  il. 


LA  PIlYSrOUR  D'IBX  CABIROL  163 

est  un  degr*^  qu'il  faut  franchir  pour  atteindre  la  suivante.  La 
Volonté  et  l'Essence  divine  (échappent  au  Fons  Viiœ,  qui  porte 
seulement  sur  la  matière  et  la  forme  universelles,  et  de  cette  pre- 
mière partie,  la  physique,  au  sens  ordinaire  du  terme,  ne  sera 
encore  qu'une  subdivision.  En  etfet,  la  matière  et  la  forme  univer- 
selles n'embrassent  pas  les  seuls  corps:  tout  ce  qu'a  crt^èla  Volonté 
est  composé  de  matière  et  de  forme  ;  or,  toute  forme  existe  dans 
la  forme  universelle,  comme  toute  matière  dans  la  mati-^re  uni- 
verselle ;  celle-ci,  en  particulier,  est  douée  d'une  indétermination 
radicale  :  tout  se  retrouve  en  elle,  toute  détermination  ou  forme 
lui  est  indifféremment  applicable.  Ainsi,  la  matière  et  la  forme, 
«  ce  qui  soutient  et  ce  qui  est  soutenu  >>,  sont  le  tissu  de  toutes  les 
substances,  soit  intelligibles,  soit  sensibles.  De  ce  point  de  vue  les 
substances  simples  ne  diffèrent  pas  des  composées  ;  en  effet,  sauf 
la  Volonté  et  l'Essence  divine,  il  n'existe  que  des  matières  et  des 
formes,  et  une  (orme  non  soutenue  est  aussi  impossible  qu'une 
matière  non  déterminée  par  une  forme.  Les  cinq  substances  sim- 
ples', nature,  âme  végétative,  âme  animale,  âme  rationnelle  et 
intelligence,  ont  chacune  leur  matière  et  leur  forme,  comme  les 
substances  du  monde  corporel,  dont  elles  se  distinguent  profon- 
dément en  ce  qu'elles  ne  sont  pas  objet  de  sensibilité,  mais  d'en- 
tendement, du  moins  à  les  prendre  en  soi  :  la  faculté  de  sentir  ne 
les  atteint  que  descendues  dans  les  substances  composées  qui  for- 
ment l'univers  des  corps.  Par  rapport  à  cet  univers,  elles  se  pré- 
sentent à  la  fois  comme  des  substances  intérieures  et  comme  des 
causes-,  comme  les  supports  secrets  des  choses  physiques  et 
comme  les  agents  invisibles  de  toutes  les  actions  qui  s'accomplis- 
sent ici-bas.  Tout  en  nous  renfermant  dans  la  physique  ou  con- 
naissance des  substances  composées  il  nous  sera  souvent  néces- 
saire de  faire  appel  aux  substances  intelligibles  qui  s'expriment 
dans  l'univers  physique,  comme  les  Idées  platoniciennes,  qu'elles 
rappellent,  se  déterminent  dans  les  objets  sensibles. 

Dans  ses  grandes  lignes,  la  philosophie  d'Avicembron,  mélange 
alexandrin  des  systèmes  classiques,  imite  la  hiérarchie  de  Proclus 
en  superposant  à  Platon  Aristote,  en  prenant  au  platonisme  le 
monde  des  intelligibles,  au  péripatétisme  le  monde  sublunaire. 
Les  substances  composées  dont  est  formé  ce  monde  se  ramènent 
à  une  substance  unique,  dite  des  neuf  catégories.  Image  affaiblie 
du  «  Factor  primus  »,  la  substance  des  neuf  catégories  est  l'extré- 
mité inférieure  des  choses,  l'aboutissement  final  de  l'acte  créateur 


»  Op.  cit.,  p.  G'.i-l.  17. 
»  7*.,  129-22. 


164  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

par  lequel,  à  travers  les  cinq  substances  simples,  des  profondeurs 
mystérieuses  de  la  Volonté  jusqu'aux  corps  visibles  émane  l'Unité, 
parfaite  d'abord,  mais  indéterminée,  puis  se  déterminant  de  plus 
en  plus  en  renonçant  peu  à  peu  à  sa  perfection.  En  sens  inverse, 
a  substance  des  neuf  catégories  est  la  première  des  substances 
intelligibles  '  ;  elle  rattache  le  monde  corporel  au  monde  spirituel 
et  permet  de  connaître  les  choses  occultes,  celles  qui  échappent 
aux  sens.  Substance  intelligible,  elle  porte  directement  les  formes 
sensibles  ;  sa  forme  est  la  quantité  ;  par  suite,  elle  est  passive,  à 
la  différence  des  substances  supérieures,  car  une  substance  n'agit 
que  par  sa  forme-,  et  la  quantité,  loin  de  provoquer  le  mouve- 
ment, lui  fait  obstacle  :  c'est  malgré  la  quantité  et  grâce  à  l'éner- 
gie spirituelle  qui  pénètre  partout  que  les  corps  se  meuvent. 
D'ailleurs,  toute  activité  dérive  de  la  Volonté  ;  la  substance  des 
neuf  catégories,  la  plus  éloignée  de  la  source  vive  des  forces,  ne 
garde  rien  de  la  spontanéité  primitive  qui  préside  à  l'émanation  : 
elle  est  inerte.  Elle  l'est  nécessairement,  car  l'ordonnance  des 
choses  exige  au-dessus  du  moteur  mobile  un  moteur  immobile, 
au-dessous  un  mobile  non  moteur  :  ce  système  mécanique,  em- 
prunté à  Aristote  et  fondé  sur  la  flnité  absolue  de  l'univers  et  du 
mouvement,  élimine  du  monde  sensible  toute  spontanéité  ;  la  subs- 
tance des  neuf  catégories  ne  serait  motrice  qu'à  la  condition  de 
mouvoir  une  substance  inférieure,  laquelle,  en  fait,  n'existe  pas. 
Le  dernier  moteur  est  la  Nature,  qui  est  pour  la  substance  non 
motrice  à  la  fois  une  cause  et  un  «  lieu  ».  Mais  qu'est-ce  que  le 
lieu  d'une  substance,  qui  n'étant  pas  corporelle,  ne  peut  s'étendre 
en  autre  chose  ?  11  faut  distinguer  du  lieu  sensible,  ou  lieu  des 
corps,  le  lieu  intelligible  ou  lieu  des  simples;  le  premier  sup- 
pose la  quantité,  qui  existe  par  la  substance  des  neuf  caté- 
gories sans  pourtant  lui  être  applicable ,  puisque  cette  subs- 
tance est  inconnue  à  la  faculté  de  sentir  ;  le  second  lieu  est  le 
rapport  qui  se  découvre  entre  la  cause  et  l'efifet,  entre  l'Idée 
qui  explique  et  celle  qui  est  expliquée  ;  c'est  le  sens  tout  spirituel 
dans  lequel  nous  disons  qu'une  propriété  réside  dans  une  série  de 
nombres,  un  état  d'âme  dans  l'âme  ;  c'est  aussi  la  manière  dont 
toutes  choses  subsistent  dans  la  science  du  créateur,  dont  les 
substances  intelligibles  sont  situées  les  unes  dans  les  autres,  dont 
la  substance  des  neuf  catégories  a  pour  lieu  la  Nature  et,  par 
delà  la  Nature,  les  autres  substances  simples.  Le  lieu  intelligible 
expliquant  l'essence  de  la  chose  situés,  il  y  a  une  relation  perpé- 


»  Op.  cit.,  p.  40-1.  2. 
»  Jb.,  237-25. 


\A  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL  165 

tuelle  entre  ce  que  les  sens  perçoivent  et  ce  que  comprend  l'esprit  : 
les  sensibles  sont  constamment  les  signes  directs  des  noumènes. 
Les  neuf  catégories  de  l'univers  corporel  signifient  neuf  existences 
dérobées  aux  sens  et  retrouvées  par  l'intellect  au  sein  des  subs- 
tances spirituelles.  Renouvelées  d'Aristote,  les  catégories  ne  ren- 
ferment pas  toute  la  réalité  ;  en  effet,  si  elles  épuisent  le  monde 
sensible,  ce  dernier  n'épuise  pas  la  totalité  du  réel  ;  chacune  des 
catégories  imite  une  entité  supérieure  et  plus  riche  d'être  '  :  le 
tempiis  est  l'expression  terrestre  de  l'éternité  ;  Vagens,  celle  de 
l'activité  créatrice  :  le  patiens,  de  la  réceptivité  générale  des 
matières  qui  permet  la  création;  la  relatio  symbolise  les  rapports 
de  cause  à  effet  organisés  parmi  les  noumènes  ;  la  qiialitas  est 
l'image  des  différences  qui  distinguent  les  sphères  supérieures. . . 
Loin  d'être  indifférent,  le  lieu  métaphysique  de  la  substance  des 
neuf  catégories  révèle  l'enchaînement  de  la  création,  où  tout  se 
tient,  tout  se  ressemble,  depuis  l'Eternel  créateur  jusqu'à  la  créa- 
ture inerte  qu'enveloppent  concentriquement  les  cercles  des 
substances  spirituelles. 

Telle  est  la  situation  intelligible  ou  métaphysique  des  choses 
corporelles  :  elles  s'étendent  depuis  la  Nature  jusqu'au  centre  du 
Tout.  D'autre  part,  le  monde  des  corps  ne  peut  avoir  de  lieu  sen- 
sible puisqu'il  est  lui-même  le  lieu  sensible  de  tous  les  lieux  sen- 
sibles :  physiquement,  il  est  en  lui-même,  ce  qui  ne  nous  apprend 
rien.  Tout  ce  que  nous  pouvons  faire  est  de  nous  servir  de  nos 
sens  pour  observer  ce  qui,  physiquement,  répond  à  ces  roots  : 
l'univers  sensible.  Jusqu'oii  s'étend  le  plus  perçant  de  nos  sens,  la 
vue,  jusque-là  ira  cet  univers,  en  quelque  sorte  par  définition. 
Or,  la  vue  embrasse  la  voûte  céleste  et  ne  la  dépasse  pas  ;  le  ciel 
est  donc  la  limite  sensible  que  nous  cherchons*.  Il  sépare  les 
formes  corporelles  des  spirituelles  ',  ce  qui  se  voit  de  ce  qui  est 
conçu  ;  mais  il  fait  partie  du  monde  physique  qu'il  enveloppe,  il 
appartient  à  la  corporéité,  dont  il  constitue  l'une  des  deux  espèces, 
la  plus  concentrée,  celle  qui,  par  sa  cohésion  et  son  homogénéité, 
ressemble  le  plus  aux  substances  simples.  S'il  n'est  pas  éternel 
comme  ces  substances*,  du  moins  est-il  soustrait  aux  alternatives 
de  la  génération  et  de  la  corruption  ■".  Il  est  donc  un  moyen  terme 
entre  la  corporéité  terrestre  et  la  spiritualité.  Il  se  meut  «  en  effec- 
tuant des  révolutions  circulaires  sur  lui-même  "  »,  et  sa  mobilité 

»  Op.  cit.,  pp.  143  et  144. 

»  Ib.,  51-3  et  68-14. 

»  7A,,  310-17. 

♦  Ib.,  193-13  :  cœlum  cœpit  esse  et  non  est  srlernum. 

s  Ib.,  21 ,  pass. 

«  /*.,  20R-12. 


166  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

est  incomparablement  plus  grande  que  celle  des  autres  corps, 
parce  qu'il  est  plus  proche  de  la  source  de  tout  mouvement.  Rien, 
en  effet,  ne  se  meut  de  soi-même  ;  toute  action  émane  de  l'Etre 
qui  crée,  à  travers  la  hiérarchie  des  substances  ;  intermédiaire 
entre  les  réalités  spirituelles  et  les  corps  inférieurs,  la  voûte  cé- 
leste transmet  des  premières  aux  seconds  la  force  créatrice  sous 
forme  de  mouvement  et  de  vi«.  Mais  l'émanation  s'accompagne 
d'une  imperfection  croissante.  Éloignés  du  «  factor  primus  »  infi- 
niment actif,  l'énergie  divine  s'amoindrit  jusqu'à  disparaître.  Les 
mouvements  circulaires  du  ciel  sont  encore  réguliers  et  simples  ; 
ceux  des  corps  sublunaires  sont  désordonnés  autant  que  com- 
plexes; enfin,  la  terre  est  immobile  au  centre  de  la  sphère  des 
cieux  ;  et  c'est  ainsi  qu'on  retrouve  dans  la  constitution  de  l'uni- 
vers sensible  la  théorie  générale  de  l'activité  et  de  l'inertie.  Il  en 
résulte  une  autre  conséquence  pour  l'aspect  physique  de  notre 
univers.  Si  les  immenses  mouvements  du  ciel  enveloppent  l'im- 
mobilité de  la  sphère  terrestre,  aux  dimensions  infinies  de  la 
voûte  céleste  doit  s'opposer  la  petitesse  de  la  terre  :  malgré  son 
étendue  apparente,  elle  est  un  point,  qui  échappe  à  toute  compa- 
raison numérique'.  Le  monde  physique  est  une  sphère  considé- 
rable dont  le  ciel  est  la  surface  et  dont  la  terre  marque  le  centre  ; 
de  la  surface  au  centre  s'étend  la  masse  de  l'air,  livrant  passage  à 
l'éclat  et  à  la  chaleur  du. soleil.  L'atmosphère  joint  l'enveloppe  de 
l'univers  à  son  noyau,  la  corporéité  supérieure  et  presque  spiri- 
tuelle à  l'épaisse  corporéité  du  centre. 

Cette  seconde  espèce  du  corps  diff'ère  notablement  de  celle  que 
le  ciel  constitue.  Elle  est  beaucoup  plus  complexe.  L'analyse  .y  dis- 
tingue quatre  déterminations,  qu'elle  ne  trouvait  pas  dans  la  sim- 
plicité du  corps  céleste  :  ce  sont  les  quatre  éléments  ;  leur  matière 
commune  est  l'extension  ;  leurs  formes  respectives  sont  quatre 
qualités  qui  les  distinguent  assez  profondément  pour  les  opposer 
comme  des  contraires;  ils  rendent  possibles  la  génération  et  la  cor- 
ruption, qui  nécessitent  la  fusion  ou  la  séparation  de  contraires  ; 
si  le  ciel  ne  se  transforme  pas,  c'est  parce  que  son  corps  spécial 
est  éminemment  simple.  Les  quatre  éléments  sont  superposés  dans 
l'ordre  classique,  du  plus  épais  au  plus  subtil  ^  :  terre  ou  solide, 
eau,  air,  feu  ou  lumière  du  soleil.  Avicembron  les  nomme  les  seyi- 
sibles  universels'^,  parce  qu'ils  se  retrouvent  dans  tous  les  sen- 
sibles particuliers  ou  objets,  qu'ils  forment  en  se  mêlant  ;  mais 
cette  union  ne  dérive  pas  des  éléments  mêmes  :  une  force,  venue 

«  Op.  cit.,  p.  312-1.  (J. 
*  Ih.,  333-24. 
»  Ib.,  17-7. 


I 


LA  PHYSIQUE  D'IB.N  GABIHUL  167 

d'en  haut,  les  pénètre  et  les  agite,  les  façonne  en  figures  et  en 
couburs,  leur  donne  des  mouvements,  les  groupe  et  les  tient 
unis  *.  Tous  les  êtres  sublunaires  ont  donc  pour  commune  forme  la 
corporéité,  ou,  plus  exactement,  la  deuxième  espèce  de  la  corpo- 
réité,  celle  des  quatre  éléments.  De  plus,  une  matière  s'unit  à 
cette  forme  pour  constituer  la  substance  de  notre  monde,  tel 
qu'Avicembron  l'étudié  dans  le  deuxième  livre  du  Fons  Vilœ  : 
«  de  substantia  quse  fert  corporeitatem  ».  La  matière,  la  forme  et 
les  qualités  de  cette  substance  sont  les  instants  successifs  de  la  dé- 
composition de  l'univers  physique. 

Le  vocabulaire  un  peu  flottant  d'Avicembron  confondant  parfois 
le  terme  matière  et  le  terme  substance,  il  s'ensuit  pour  le  lecteur 
une  hésitation  sur  le  fond  même  de  la  pensée.  Un  monde  fait  tout 
entier  d'une  seule  matière  n'appartient-il  pas  à  une  conception 
matérialiste?  Il  importe  donc  d'établir  le  sens  tout  aristotélicien 
de  la  matière  chez  Avicembron.  Pour  lui,  il  n'existe  pas  une  ma- 
tière au  sens  absolu  des  matérialistes,  c'est-à-dire  une  substance 
véritable  qui  se  suffise  à  elle-même  et  qui  crée  ses  phénomènes. 
La  matière  n'est  jamais  qu'un  des  deux  éléments  qui  concourent  à 
produire  une  substance.  Par  suite,  bien  que  toute  matière  parti- 
cipe à  l'existence  absolue  de  sa  substance,  aucune  n'existe  à  part 
de  sa  forme.  Il  n'y  a  donc  point  de  matière  en  soi  ;  toute  matière 
est  la  m.atière  de  quelque  chose  :  autant  de  matières,  autant  de 
substances,  et  réciproquement.  La  matière  du  monde  physique  ou 
matière  corporelle,  loin  de  se  confondre  avec  l'être  en  soi  de 
l'univers,  n'est  même  pas  la  matière  en  soi  ;  elle  prend  place  dans 
la  hiérarchie  des  matières  et  des  formes,  où  chaque  matière  est 
forme  pour  la  matière  inférieure.  Même  pour  la  plus  basse  des 
matières,  pour  celle  qui  ne  peut  être  forme  faute  d'une  matière 
sous-jacente,  le  terme  matière  n'exprime  qu'une  relation,  ou, 
pour  mieux  dire,  qu'une  position.  Par  suite,  dire  avec  Avicembron 
que  le  monde  repose  sur  la  matière  corporelle  exprime  simple- 
ment qu'il  n'échappe  pas  à  la  loi  de  composition  des  substances,  et 
ne  préjuge  pas  de  l'explication  générale  des  choses  physiques. 
D'ailleurs,  dans  l'univers  n'est  pas  perçue  la  matière,  mais  la 
forme,  car  seules  les  formes  et  leurs  qualités  sont  objets  de  per- 
ception. Le  caractère  fondamental  des  choses  physiques  est  donc 
constitué  par  leur  forme  ;  cette  forme  est  la  quantité. 

La  quantité  est  spécifique  de  la  substance  corporelle,  car  elle 
ne  se  retrouve  pas  ailleurs-.  Au  delà  du  ciel,  l'esprit  découvre  les 

*   Op.  cit..  nS-i.  Le  terme  <  relenlio  >  traduit  l'ë;-.;  des  Stoïciens. 

»  i/>.,  p.  iys-1. 1-i. 


168  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

substances  intelligibles,  incompatibles  avec  la  complexitf'',  avec  la 
quantité.  ^lais  la  quantité,  parmi  les  existences  physiques,  de- 
meure le  symbole  sensible  de  l'intelligence.  Tout  prouve,  en  effet, 
l'harmonie  profonde  de  ces  deux  formes,  intelligence  et  quantité  '. 
Ce  qu'est  la  première  pour  la  matière  supérieure,  la  seconde  l'est 
pour  la  matière  inférieure  ;  si,  par  la  connaissance  qu'elle  im- 
plique, l'une  détermine  les  substances  intelligibles,  l'autre,  par  la 
figure  qu'elle  engendre,  définit  les  corps  ;  seule  la  connaissance 
unit  l'Idée  à  l'Idée,  et  seule  la  figure  joint  ensemble  les  êtres  phy- 
siques ;  enfin,  les  formes  de  la  matière  universelle  s'offrent  à  la 
compréhension  de  l'intelligence,  comme  les  formes  de  la  substance 
portant  les  neuf  catégories  s'offrent  à  l'appréhension  de  la  sensi- 
bilité. La  quantité  apparaît,  dès  lors,  comme  la  traduction  de  l'in- 
telligence extra-physique  dans  le  monde  sublunaire  ;  elle  émane 
de  l'unité  purement  intelligible.  Ce  symbolisme  métaphysique,  qui 
propose  l'identité  lointaine  de  l'intelligibilité  et  de  l'aspect  quanti- 
tatif du  monde  des  sens,  peut  faire  penser  à  la  conception  pro- 
fonde d'où  sortiront  la  physique  mathématique  et  l'analyse  de 
Descartes.  Mais  il  faut  avouer  qu'entre  la  construction  d'Avicem- 
bron  et  l'application  méthodique  des  sciences  exactes  à  la  con- 
naissance des  objets  empiriques,  il  y  a  la  même  distance  qui  sé- 
pare les  hypothèses  arithmétiques,  chères  à  Pythagore,  des  calculs 
entrepris  par  l'astronomie  moderne.  Il  a  manqué  au  philosophe 
du  moyen  âge  la  puissance  d'esprit  nécessaire  pour  associer,  au- 
trement qu'à  titre  de  symbole,  l'intelligence  et  la  quantité,  pour 
cesser  de  faire  de  l'une  le  signe  de  l'autre  dans  un  monde  totale- 
ment distinct  ;  suivant  à  la  lettre  les  enseignements  d'Alexandrie, 
il  refuse  à  l'intelligibilité  une  immanence  véritable  ;  il  la  chasse 
de  l'univers  des  sens,  oii  il  ne  laisse  d'elle  qu'une  image  pervertie, 
tandis  qu'elle-même  s'isole  dans  une  lointaine  transcendance.  Ce 
n'est  pas  le  défaut  de  pensée  métaphysique  qui  rend  stérile  le 
rapprochement  des  formes  intelligibles  et  des  formes  géomé- 
triques ;  pour  féconder  cette  conception,  il  faudra  le  progrès  des 
mathématiques  et  l'emploi  de  la  méthode  expérimentale.  De  même, 
Avicembron  est  incapable  de  tirer  parti  de  la  théorie  où  il  pres- 
sent un  parallélisme  entre  le  nombre  et  la  quantité-.  Tout 
nombre,  dit-il,  est  constitué  par  la  répétition  de  lunité  ;  de  même 
la  quantité  est  formée  de  points.  Les  principaux  nombres  se  for- 
ment par  duplication,  1,  2,  4,  8  :  deux  points,  pareillement, 
créent  une  ligne  ;  quatre  points  limitent  une  surface  ;  huit,  un 
solide.  Il  y  a  donc  une  correspondance  entre  le  développement 

•  Op.  cit.,  38  et  39. 

*  Ib.,  pp.  64  et  65. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GAIilROI.  169 

des  nombres  discrets  et  celui  de  la  quantité  continue  :  non  seule- 
ment celle-ci  est  un  ensemble  de  points,  mais  elle  est  surtout  l'ag- 
glomération d'unités  réelles.  Le  nombre  et  la  quantité  ont  pour 
racine  commune  l'unité  et  résultent  d'une  génération  analogue  :  le 
monde  sensible  révèle  une  origine  arithmétique. 

Mais,  si  la  combinaison  des  unités  diversement  répétées  en- 
gendre le  monde  physique,  une  objection  nous  arrête  '.  Épuisant 
l'essence  de  l'univers  physique,  l'unité  élémentaire  n'en  peut 
laisser  en  dehors  d'elle-même  aucune  parcelle;  il  faut  qu'elle  soit 
assez  plastique  pour  se  modeler  complètement  sur  les  multiples 
qualités  des  corps,  pour  en  épuiser  les  plus  petites  divisions. 
D'autre  part,  il  n'est  si  petite  quantité  qui  ne  vête  un  corps 
réel,  la  quantité  n'existant  qu'autant  qu'elle  «  informe  »  une  ma- 
tière. Cela  posé,  considérons  la  «  minima  pars  corporis  »  ;  par 
définition,  elle  est  indivisible  ;  mais,  également  par  définition,  la 
quantité  qui  l'informe  est  divisible,  et  à  chacune  de  ses  parties 
doit  correspondre  une  partie  de  cette  prétendue  «  minima  pars  ». 
Voilà  une  contradiction  qu'il  importe  de  résoudre  et  qui  provient 
de  ce  que  nous  avons  considéré  la  quantité  comme  divisible  à 
l'infini  :  c'est  sur  cette  considération  que  la  recherche  portera. 
Une  première  solution  s'offre  à  nous  :  la  divisibilité  à  l'infini  serait 
illusoire,  le  point  pourrait  être  l'aboutissant  de  la  division  poussée 
à  l'extrême.  Mais  il  ne  répond  pas  à  la  double  exigence  du  pro- 
blème :  il  n'est  ni  quantité  ni  corps.  S'il  était  quantité,  comme 
toute  quantité  il  serait  divisible,  ce  qu'il  n'est  pas  ;  s'il  était  corps, 
il  existerait  une  parcelle  de  corps  indivisible;  mais  tout  corps  est 
multiple,  par  suite  séparable  en  parties.  Il  faut  abandonner  le 
point  :  ce  n'est  qu'un  accident  résidant  dans  la  substance  corpo- 
relle, et  nous  cherchons  un  fragment  d'essence  ou  d'être.  Si  la 
«  minima  pars  »  n'est  pas  un  accident,  est-elle  davantage  une 
substance?  Cette  seconde  solution  ne  convient  pas,  caria  «  mi- 
nima pars  »  est  une  partie  de  l'univers,  lequel  n'est  pas  pure 
substance.  Reste  donc  que  la  «  minima  pars  »  soit  à  la  fois  subs- 
tance et  accident,  et,  en  effet,  cette  solution  conciliatrice  efface 
toutes  les  difficultés.  En  tant  qu'objet  de  perception,  quantum  ad 
sensum,  la  «minima  pars  »  reste  indivisible;  mais  intelligible- 
ment, elle  se  sépare  en  une  substance  et  un  accident.  La  division 
extensive  ne  se  prolonge  pas  à  l'infini  ;  elle  s'achève  par  une  divi- 
sion intensive  ou  essentielle  qui  rend  compte  à  la  fois  de  ce  que 
représentent  la  sensibilité  et  l'imagination  et  de  ce  qu'exige  l'in- 
telligence. 

'   OjJ,  cit.,  pp.  Ml  sqq. 


170  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

La  manière  même  dont  Avicembron  a  résolu  cette  antinomie 
démontre  qu'il  était  loin  de  soupçonner  la  fusion  de  la  quantité 
continue  et  de  la  quantité  discrète.  Les  rapports  qu'il  détermine 
entre  l'ordre  géoraétriqae  et  l'ordre  aritlimétique  restent  super- 
ficiels et  grossiers.  D'ailleurs,  leur  origine  n'a  rien  de  rationnel  ni 
d'hellénique;  on  la  retrouve  dans  le  Sépher  Vectra,  et  c'est,  dans 
cette  physique  éclectique,  ce  qui  rappelle  le  mieux  qu'elle  est 
l'œuvre  d'un  ])hilosophe  juif.  D'après  le  Sépher  Yecira,  le  monde 
a  été  formé  par  la  combinaison  des  dix  premiers  nombres  et  des 
vingt-deux  lettres  ;  Avicembron  le  rap[)elle  dans  le  deuxième 
Livre  :  «  Compositio  mundi  non  evenit  nisi  ex  lineamento  numeri 
et  litterarum  in  aère.  »  11  n'entre  pas  dans  le  détail  de  cette  opé- 
ration mystérieuse  :  il  ne  nous  dit  pas  que  les  dix  nombres 
ont  formé  les  dix  infinis;  que  les  trois  lettres  «  principales  »  sont 
devenues  l'air,  le  feu,  l'eau;  que  les  sept  <s  doubles  »  ont  créé  les 
planètes;  que  les  douze  «  simples  »  ont  tracé  les  douze  arêtes  du 
cube  parfait  qu'est  l'univers.  Cette  cosmogonie  na'ive  a  fait  place 
aux  savantes  constructions  des  Grecs,  mais  sans  que  le  philo- 
sophe ait  oublié  tout  à  fait  un  enseignement  traditionnel  dans  les 
écoles  juives.  Il  en  retient  l'idée  que  les  choses  physiques  et  les 
nombres  sont  unis  par  de  complexes  rapports,  qu'il  faut  admettre 
un  parallélisme  entre  la  numération  et  les  figures  de  géométrie. 
Mais  la  conception  reste  confuse,  stiérile.  Ce  n'est  que  l'embryon 
d'une  physique  mathématique  et  mécaniste. 

D'autre  part,  il  était  indispensable  d'approfondir  l'idée  du  temps, 
afin  d'en  saisir  les  relations  numériques  avec  l'étendue  et  le 
mouvement.  Un  passage  du  Fons  Vitœ  laisse  entrevoir  que  le 
philosophe  s'est  douté  de  ces  rapports  :  il  affirme  qu'un  lieu  inlini 
ne  peut  être  parcouru  dans  un  temps  fini  \  Ses  recherches  ne  vont 
pas  [)lus  loin.  Il  n'aperroit  m'orne  [)as  de  connexion  nécessaire 
entre  le  mouvement  et  le  temps:  bien  mieux,  à  tout  mouvement 
sensible,  in  tempore,  correspond  un  mouvement  intelligible,  in 
«  non -tempore  »;  car  le  temps  n'existe  pas  pour  l'âme,  pour  l'in- 
telligence, pour  la  volonté,  pour  Dieu.  L  éternité  leur  est  ce  que 
le  temps  est  à  la  substance  qui  porte  les  neuf  catégories;  le  temps 
est  donc  le  symbole  sensible  de  l'éternel.  En  lui  se  déploient  les 
changements  du  monde  physique,  comme  en  l'éternité  les  événe- 
ments du  monde  intelligible.  Le  temps  est  lié  indissolublement  à 
tout  ce  qui  est  nature  physique.  Seule  dans  le  monde  de  la  quan- 
tité, la  lumière  fait  exception  :  «  Sa  diffusion  se  fait  subitement, 
sans  mouvement  et  sans  besoin  de  temps,  encore  qu'elle  soit  cor- 

1  Op.  cit.,  p.  95-1.  22. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL  171 

porelle  et  sensible  '.  »  L'évidence  nous  oblige  à  reconnaître  cette 
instantanéité  de  l'action  lumineuse  ;  pourtant  l'harmonie  du  sys- 
tème n'en  est  pas  brisée  ;  la  lumière,  chose  physique,  jouit  des 
propriétés  réservées  aux  intelligibles;  mais  elle  est  la  représenta- 
tion immédiate  de  l'énergie  créatrice,  le  lien  visible  entre  l'univers 
des  corps  et  celui  des  substances  simples.  Supérieure  en  cela  à 
rame  et  à  l'intelligence,  qui  se  meuvent,  du  moins,  «  in  non-tem- 
pore  »,  elle  ignore  le  mouvement,  bien  qu'elle  produise  les  mouve- 
ments physiques,  car  eller  essemble  au  «  Factor  primus  »  qui  ne  se 
meut  pas.  mais  qui  meut  l'infinie  réalité.  Immobile,  non  par  inertie 
mais  par  perfection,  la  lumière  n'est  pas  exception  dans  l'univers 
des  corps  seulement,  mais  dans  le  Tout  lui-même.  Elle  manque 
aux  lois  des  intelligibles  comme  à  celles  de  la  quantité;  elle 
échappe  au  mouvement  aussi  bien  qu'au  temps.  Les  mouvements 
de  la  quantité  restent,  par  suite,  tous  temporels. 

Poursuivant  avec  Avicembron  l'analyse  de  la  substance  des 
corps,  on  a  détaché  successivement  la  matière  et  la  forme  de  cette 
substance.  Mais  le  travail  de  décomposition  n'est  pas  terminé,  car 
on  n'atteint  pas  encore  à  l'objet  immédiat  des  perceptions;  en  efïet, 
si  la  quantité  est  sensible  de  sa  nature,  elle  n'est  pas  sentie  dans 
son  unité  :  elle  ne  l'est  que  dans  ses  déterminations  accidentelles, 
la  figure  et  la  couleur^.  La  première  est  plus  rapprochée  de  la 
quantité,  la  seconde  est  plus  près  des  sens  :  l'une  et  l'autre  sont 
ce  qu'il  y  a  proprement  de  sensible  dans  le  monde  physique;  en 
effet,  ce  ne  sont  pas  des  substances,  mais  des  qualités,  des  formes, 
soutenues  dans  le  corps,  qui  leur  sert  à  la  fois  de  lien  et  de  ma- 
tière. Véritables  types  de  toute  forme ,  la  couleur  et  la  figure 
n'existent  jamais  séparément  de  leur  support  ;  réciproquement, 
toute  quantité  s'accompagne  toujours  d'une  figure  et  d'une  couleur 
sans  lesquelles  elle  ne  serait  pas  perçue.  L'union  de  la  quantité 
avec  la  figure  et  la  couleur  est  totale,  en  ce  sens  que  la  quantité 
est  uniformément  pénétrée  de  ces  deux  qualités  et  qu'elle  coïncide 
avec  elles  en  chacun  de  ses  points;  mais  l'union  n'est  pas  absolu- 
ment nécessaire:  elle  l'est  seulement  dans  la  mesure  oii  toute 
quantité  appelle,  pour  se  réaliser,  quelque  figure  ou  quelque  cou- 
leur; pour  une  part  l'union  est  accidentelle  et  ne  dérive  pas  de  la 
nature  de  la  quantité,  en  tant  qu'une  certaine  partie  de  la  quantité 
n'exige  pas  telle  figure  et  telle  couleur  déterminées.  Quelle  t^st  la 
portée  de  cette  restriction?  Si  la  quantité  était  cause  de  ses  propres 
qualités,  il  faudrait  en  conclure  que  les  couleurs  et  les  figures  ré- 


1  Op.  cit.,  328-10. 
*  U.,  p.  .^6,  I.  2. 


172  HEVLE  DES  ÉTL'DES  JUIVES 

sultent  du  mélange  mécanique  de  parties  corporelles.  Or,  il  n'en 
est  rien.  Si  les  couleurs  et  les  figures  résident  dans  le  corps  ou 
substance  composée,  leur  cause  est  une  substance  simple,  intelli- 
gence ou  âme,  qui  les  imprime  à  la  quantité  '.  Corporelles  par  le 
lieu  et  le  substrat,  les  qualités  des  corps  sont  spirituelles  par  l'ori- 
gine, en  sorte  qu'elles  ne  sont  ni  tout  à  fait  corporelles,  puisqu'elles 
ne  s'expliquent  point  par  le  corps,  ni  absolument  spirituelles, 
étant  perceptibles  aux  sens*.  Leur  nature  est  intermédiaire.  Pour 
la  comprendre,  considérons  la  lumière  du  soleil  qui,  traversant 
l'atmosphère,  y  reste  invisible;  mais  vient-elle  à  rencontrer  un 
corps  solide  et  impénétrable,  elle  s'arrête  à  la  surface  de  ce  corps 
et,  brisée,  irradie  splendidement.  De  même,  les  figures  et  les  cou- 
leurs existent  dans  les  substances  simples,  mais  y  demeurent  invi- 
sibles; ensuite,  émanant  vers  le  corps,  elles  se  heurtent  à  cette 
substance  dépourvue  de  subtilité,  et  c'est  alors  qu'elles  deviennent 
apparentes.  Leur  nature  ne  dépend  donc  nullement  de  la  nature 
du  corps  qui  les  porte;  ce  corps  n'était  perceptible  que  vêtu  d'une 
figure  et  d'une  couleur,  et  c'est  pourquoi  nous  ne  connaissons  pas 
de  quantité  incolore  et  sans  figure;  mais  le  corps  reçoit  la  couleur 
et  la  figure  qu'il  porte  sans  les  déterminer:  elles  viennent  d'en 
haut  comme  la  lumière;  aussi  peut-on  dire  que  dans  toute  couleur 
ou  figure  sensible  on  retrouve  une  couleur  ou  figure  spirituelle, 
ou,  à  proprement  parler,  que  figures  et  couleurs  tiennent  à  la  fois 
de  l'esprit  et  de  la  corporéité.  L'existence  d'une  couleur  n'est  donc 
pas  définie,  comme  l'est  une  partie  de  quantité;  dans  le  corps  elle 
n'est  que  potentielle;  pour  qu'elle  s'achève,  il  faut  l'adjonction  de 
la  lumière  solaire.  Une  couleur  «  actuelle  »  est  la  synthèse  de  la 
«  colorabilité  >>  propre  du  corps  et  de  l'action  colorante  du  soleil. 
La  perception  d'une  couleur  est  le  triple  acte  auquel  concourent 
la  lumière  projetée  par  le  soleil,  celle  que  I'omI  engendre  et  la 
faculté,  que  possède  la  superficie  des  corps,  de  recevoir  une  colo- 
ration \ 

La  substance  corporelle  a  donc  une  origine  mixte  ;  sa  matière  et 
sa  forme  ne  sont  pas  dérivées  de  la  même  manière  que  ses  acci- 
dents ;  surtout,  ses  accidents  ne  dépendent  pas  de  sa  matière  et  de 
sa  forme  :  ce  ne  sont  pas  des  fragments  combinés  de  la  quantité 
qui  produisent  les  figures  et  les  couleurs.  Sur  ce  point  encore, 
l'explication  mécaniste  n'est  pas  tentée  ;  le  corps  ne  produit  pas 
automatiquement  ses  déterminations  :  il  les  reçoit  d'une  activité 
étrangère,  grâce  à  une  harmonie  encore  mal  expliquée.  Les  quatre 


I 


1 


1  Op.  cit.,  240,  pass. 
*  Jb.,  p.  112,  pass. 
3  76.,  161,  pass. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL  173 

éléments  ou  déterminations  du  corps  ne  se  mêlent  pas  d'eux- 
mêmes  *  ;  ils  obéissent  à  une  force  supérieure.  Par  suite,  dans  la 
production  des  sensibles  particuliers,  ces  quatre  sensibles  uni- 
versels sont  des  occasions,  non  des  causes  suffisantes.  Ils  ne 
rendent  compte  des  individus  sensibles  ni  comme  une  substance 
explique  ses  déterminations,  car  les  figures  et  les  couleurs  tirent 
leur  origine  de  l'intelligence  et  de  l'àme,  ni  comme  les  genres 
expliquent  leurs  espèces,  puisqu'en  tout  individu  ou  sensible  par- 
ticulier se  mêlent  les  quatre  sensibles  universels.  Sous  le  rapport 
d'espèce  à  genre,  les  individus  physiques  relèvent  des  neuf  caté- 
gories, ou  plutôt  des  «  decem  generalia  corpora  -  »,  réunion  des 
neuf  catégories  et  de  la  matière  qui  les  porte.  L'énumération  des 
dix  catégories  d'Aristote  est  ainsi  reproduite  et  complétée  par  la 
matière  qui  prend  la  place  de  l'être  pur.  Mais  il  faut  noter  une 
double  différence.  Pour  Aristote,  les  dix  genres  suprêmes  épuisent 
toute  la  réalité,  tandis  que  pour  Avicembron,  au  delà  et  au-dessus 
d'eux,  il  y  a  tout  l'intelligible,  toutes  les  substances  simples,  la 
Volonté,  l'Essence  première.  La  théorie  d'Aristote  a  pour  effet 
d'éviter  le  monisme  de  Platon  et  d'assurer  aux  individus  une  exis- 
tence rigoureusement  déterminée  en  soi  :  le  résultat  obtenu  par 
Avicembron  est  l'absorption  des  genres,  des  espèces  et  des  êtres 
dans  la  substance  des  neuf  catégories,  et,  par  conséquent,  dans  les 
substances  intelligibles  qui  la  portent,  et  enfin  dans  l'activité  de 
l'Etre  divin.  L'être  ne  réside  pas  dans  une  multiplicité  discrète 
d'individus,  comme  le  soutenait  Aristote,  mais  dans  la  continuité 
d'une  Essence  unique  ;  de  cette  Essence,  il  descend,  progressive- 
ment amoindri  à  mesure,  à  travers  les  genres  et  les  espèces  moins 
réelles  que  les  genres,  jusqu'aux  choses  particulières  moins  réelles 
encore.  Dans  les  individus,  la  forme  unitive  qui  les  constitue,  es- 
pèce et  genre,  voilà  l'être  ;  les  différences  particulières,  le  propre, 
l'accident,  voilà  le  pur  non-être.  «  Genus  est  esse. . .  dillerentia  est 
prseter  esse  ^.  »  Les  universaux,  réalité  unique,  ont  une  double 
existence  ;  ils  sont  dans  l'intellect,  simples  et  uns  ;  ils  existent 
dans  les  choses,  dispersés  et  fragmentaires,  et  les  choses  n'ont 
d'être  qu'autant  qu'elles  peuvent  participer  à  cette  existence  seconde 
des  universaux.  Cependant,  la  théorie  n'est  pas  purement  platoni- 
cienne ;  nuancée  d'aristotélisme,  elle  se  rapproche  des  systèmes 
Alexandrins.  Avicembron  suit  Aristote  en  niant  que  le  «  genre 
généralissime  »  soit  l'Etre  \  En  effet,  rien  n'est  qui  ne  soit  com- 

'  Op.  cit.,  248-15. 
»  IL,  p.  143-1.  11. 
3  16.,  172-15. 
♦  Ib.,  269-24. 


17/1  REVIIR  ORS  KTUDF.S  JUIVES 

posé  d'une  matière  et  d'une  fornne  ;  les  sensibles  particuliers 
n'échappent  pas  à  cette  loi,  puisqu'ils  ont  pour  forme  l'unité  du 
genre  ou  de  l'espèce,  pour  matière  l'accident,  la  différence,  le 
propre.  Mais  les  sensibles  ne  rentrent  dans  les  genres,  dans  les  ca- 
tégories et  dans  le  genre  suprême  que  par  l'unité  qui  est  leur 
forme  ;  le  caractère  commun  de  tous  les  genres,  c'est  d'être  formes 
unificatrices,  unités  vivantes  et  actives  ;  le  genre  suprême  n'est 
donc  pas  l'être,  à  proprement  parler,  mais  l'unité  *,  avec  laquelle 
l'Etre  ne  peut  se  confondre  puisqu'il  est  double,  matière  et  form.e. 
Le  fait  d'exister  physiquement  ne  complique-t-il  pas  l'Etre  d'un 
non-être,  accident  irréductible  ?  La  science  ignore  les  accidents, 
puisqu'ils  ne  sont  pas  congénères  aux  substances  -  :  les  accidents 
ne  rentrent  pas  dans  la  classification  des  êtres  ;  ils  ne  sont  pas  des 
parties  intégrantes  de  l'Essence  supérieure  ;  par  suite,  les  sensibles 
particuliers  qu'ils  affectent  gardent  chacun  quelque  chose  de  stric- 
tement individuel.  A  l'espèce,  au  genre  et  au  genre  généralissime 
ils  empruntent  un  caractère  d'unité  formelle  ;  par  leurs  accidents 
propres,  ils  sont  des  unités  qualitatives. 

Le  monde  physique  se  compose  donc  d'individus  affectés  de  ca- 
ractères communs  ;  ces  sensibles  particuliers  forment  des  classes, 
espèces,  genres,,  catégories,  genre  suprême  ;  mais  une  part  de  con- 
tingence subsiste,  sous  le  nom  d'accident;  l'intelligence  n'épuise 
pas  une  existence  dont  le  propre  est  d'être  corporelle  et  sensible. 
La  sensation  prouve  l'individu  et  réfute  le  panthéisme  absolu. 

L'an&lyse  de  l'univers  sensible  a  conduit  Avicembron  à  poser, 
d'une  part,  l'existence  d'une  substance  corporelle,  ayant  pour 
forme,  la  quantité  et  pour  accident,  les  figures  et  les  couleurs  ; 
d'autre  part,  celle  d'une  multiplicité  distincte  d'individus  rangés 
logiquement  dans  une  classification,  mais  gardant  quelque  chose 
d'irréductible.  Le  monde  est-il  connu  maintenant?  On  en  possède 
les  éléments  derniers,  on  sait  ce  qu'est  la  quantité,  on  a  défini 
l'être  individuel  sensible.  Cependant,  toutes  ces  distinctions  ne  pou- 
vaient donner  et  ne  donnent  que  le  spectacle  d'un  monde  immo- 
bile, une  statique.  Cette  quantité,  ces  êtres  n'existent,  d'ailleurs, 
que  parce  qu'ils  se  meuvent.  Les  considérer  dans  leur  immobilité, 
c'est  oublier  les  forces  qui,  tout  ensemble,  les  ont  constitués  e\  les 
font  vivre.  Pour  achever  de  connaître  le  monde,  il  reste  à  pénétrer 
ses  mouvements,  sa  vie  et  sa  création. 

Le  mouvement  apparaît  comme  une  transformation  des  êtres; 

'  op.  cit.,  p.   2"0-l.  17  :  Constat  quod  propriétés  unitatis,  quœ  de  génère  dicitur 
generalissimo,  non  est  aliud  quam  sua  essentia. 
*  Ib.,  232-28. 


LA  PIIYSIQUR  D'inX  GAHIROL  175 

aucun  (^tre,  dans  le  monde  sensible,  n'étant  doué  d'immutabilité, 
tout  ce  qui  est  contenu  dans  ce  monde  est  mobile,  mais  tout  mo- 
bile, en  tant  que  mobile,  est  passif;  il  ne  tire  pas  de  soi-même  son 
propre  mouvement.  En  effet,  le  mouvement  n'est  pas  autre  chose, 
comme  l'a  découvert  Aristote,  que  le  passage  de  la  puissance  à 
l'acte  ;  en  se  mouvant,  le  mobile,  matière  encore  Indéterminée, 
s'efforce  vers  la  forme  qui  le  déterminera  parfaitement  :  materia 
inobilis  ad  recipiendiim  formam  '.  Le  mouvement,  passage  de  la 
puissance  à  l'acte,  nécessite  quatre  causes,  conformément  à  la 
théorie  d'Aristote  :  une  forme  et  une  matière,  une  cause  efficiente 
et  une  fin. 

La  matière  et  la  forme  sont  indispensables  à  l'existence  d'un 
être  défini.  Aucun  n'échappe  à  celte  nécessité  d'être  constitué  par 
ces  deux  éléments  qui  se  retrouvent  unis  jusque  dans  les  subs- 
tances intelligibles.  Ce  n'est  pas  la  moindre  erreur  reprochée  au 
philosophe  par  ses  adversaires  que  cette  affirmation  introduisant 
une  matière  dans  l'Ame  et  dans  Tlntelligence.  Cependant,  Avicem- 
bron  n'a  rien  d'un  matérialiste  ;  dans  sa  pensée,  la  matière  n'a  pas 
le  sens  d  une  substance  existant  par  soi  et  produisant  spontané- 
ment des  phénomènes  ;  elle  est  simplement  l'aspect  indéterminé  de 
l'être,  état  rudimentaire  d'une  existence  précaire  qui  aspire  à 
Texistence  complète  el  qui  ny  atteindra  que  par  le  mouvement. 
La  matière  est  donc  indispensable  à  tout  être,  sauf  à  l'être  parfait, 
puisque  tout  être  éprouve  le  besoin  de  s'élever  jusqu'à  un  degré 
supérieur  de  développement  ;  môme  au  delà  du  monde  physique 
ce  besoin  se  fait  sentir  :  il  existe  pour  les  substances  intelligibles  un 
mouvement  intelligible,  qui  est  l'exemplaire  du  mouvement  empi- 
rique. Celui-ci  a  lieu  dans  le  temps  et  dans  le  lieu  sensible  ;  celui- 
là  s'accomplit  hors  du  temps  et  hors  du  lieu.  Mais,  dans  les  deux 
univers,  le  mouvement  unit  une  matière  à  une  forme.  La  matière 
du  monde  physique  n'est  donc  pas  une  substance  ;  elle  est  le  mode 
imparfait  de  l'être  et  veut  se  parfaire,  sans  que  d'ailleurs  elle 
puisse  être  l'auteur  de  sa  perfection. 

La  matière  ne  se  suffit  donc  pas  à  elle-même.  La  forme  n'existe 
donc  pas  davantage  isolément.  Elle  n'est  que  l'état  de  détermina- 
tion que  désire  chaque  être  et  dans  lequel  il  est  pleinement  réalisé. 
Donc,  il  n'existe  pas  d'être  purement  formel,  fût-ce  une  substance 
simple.  Pour  constituer  un  être,  il  faut  une  indétermination  pri- 
mitive, ou  matière,  aspirant  à  se  déterminer.  Dès  lors,  la  réalité 
n'est  pas  donnée  statiquement,  et,  en  quelque  manière,  une  fois 
pour  toutes.  Elle  est  le  développement  d'une  puissance,  elle  est 

»  Op.  cit.,  p.  310-1.  is. 


17<,  BKVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

une  vie  qui  naît  et  qui  veut  s'achever.  Ni  la  matière  seule,  ni  la 
forme  prise  à  part,  ne  suffisent  à  l'expliquer.  L'une  porte  le  désir 
d'être,  l'autre  est  l'objet  de  ce  désir. 

Cependant,  ces  deux  causes  internes,  matière  et  forme,  ne  pro- 
duisent pas  encore  le  mouvement,  puisque  le  mobile  ne  se  meut 
pas  de  soi  et  que  les  causes  internes  sont  les  états  du  mobile  à 
l'origine  et  à  la  terminaison  du  mouvement,  c'est-à-dire  le  mobile 
même.  L'intervention  des  causes  externes  ^  est  indispensable.  Le 
langage  d'Avicembron  confond  la  cause  efficiente,  celle  qu'Aristote 
nomme  la  cause  du  mouvement,  avec  le  mouvement  :  motus  est 
vis  insita  a  verbo  -  ;  il  n'en  apparaît  pas  moins  que  le  terme  motus 
désigne  ici  la  cause  productrice.  Cette  cause  dérive  du  Verbe  sans 
être  le  Verbe  même  ;  le  Verbe  est,  en  effet,  la  Volonté  divine  réa- 
lisée dans  les  substances  spirituelles  ;  la  cause  du  mouvement, 
nouvelle  hypostase,  est  l'activité  déterminée  par  le  Verbe  dans  les 
sensibles  ^.  La  cause  efficiente  du  mouvement  est  une  copie  atté- 
nuée de  l'énergie  infinie  qui  produit  les  êtres  ;  le  mouvement  est  la 
transformation  de  cette  Volonté,  en  qui  réside,  dès  lors,  toute  force 
particulière  ;  seule,  cette  Volonté  a  l'efficience  nécessaire  pour 
provoquer  un  changement  dans  le  monde  ;  elle  est  la  véritable 
source  de  toute  vie  :  conception  qui  se  retrouvera,  mieux  élucidée, 
dans  la  «  création  continuée  »  de  Descartes,  dans  l'occasionalisme 
de  Malebranche  et  dans  le  panthéisme  de  Spinoza.  Ce  qui  distingue, 
sur  ce  point  encore,  la  doctrine  d'Avicembron  d'un  panthéisme 
déclaré,  c'est  l'affirmation  expresse  que  la  Volonté  n'est  pas  la 
cause  prochaine  du  mouvement.  Le  Verbe,  première  hypostase, 
est  déjà  un  intermédiaire  ;  il  n'est  pas  le  seul.  Ce  n'est  que  par  une 
substance  simple  ou  intelligible  que  le  mouvement  du  monde  sen- 
sible peut  être  provoqué  *  ;  cette  substance  est  l'âme  sensible,  lors- 
qu'il s'agit  d'un  mouvement  de  translation  totale  du  mobile,  l'âme 
végétative,  si  le  mouvement  n'intéresse  qu'une  partie  ou  plusieurs 
d'entre  les  parties  d'un  corps  ^.  De  même  qu'il  y  a  une  différence 
entre  une  source  de  lumière  et  les  rayons  qu'elle  émet,  différence 
qui  grandit  avec  l'éloignement,  de  même  il  n'y  a  pas  une  identité 
absolue  entre  l'Essence  divine  et  la  cause  efficiente  du  mouvement 
sensible,  mais  seulement  ce  qu'on  pourrait  appeler,  semble-t-il, 
une  identité  diminuée,  plus  qu'une  analogie. 

Entre  le  mouvement  et  l'Etre  parfait  la  cause  finale  constitue  un 


*  Op.  cit.,  p.  3ul-l.  11  :  Causa  efficiens  est  extra  csscnliam  causati. 
>  Jb.,  323-2S. 

3  ii.,  323-12. 

♦  1/j.,  112-17. 
»  3.,  250-10. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL  177 

second  rapport.  Avicembron  reprend  la  théorie  d'Aristote,  mais  il 
s'en  sert  comme  d'un  cadre  dans  lequel  il  fait  entrer  des  concepts 
étrangers  au  péripatélisme.  Aristote  eût  sans  doute  désavoué  l'in- 
terprétation mystique  que  son  prétendu  disciple  donne  de  la  fina- 
lité. Aussi  bien,  des  quatre  causes  énumérées  dans  le  Fons  Vitœ,  la 
cause  finale  est-elle  la  plus  profonde  et  la  plus  décisive  :  sans  elle, 
les  trois  autres  sont  inintelligibles.  Pourquoi,  en  effet,  la  matière 
se  dirige-t-elle  vers  la  forme?  Parce  que  la  forme  est  désirée  par 
elle  :  materia  inqiiîrit  applicari  formœ;  oportet  ut  ejus  motus 
sit  propler  amnretn  et  desiderium  quo  habet  ad  formani^.  C'est 
dans  la  possession  de  la  forme  que  la  matière  cherche  son  épa- 
nouissement; c'est  dans  un  acte  d'amour  que  les  êtres  atteignent 
leur  achèvement  propre.  Jusqu'ici  Avicembron  ne  s'est  pas  écarté 
d'Aristote  ,  qui  faisait  mouvoir  le  monde  par  le  simple  attrait 
qu'exerce  sur  lui  l'Acte  pur.  Mais  pour  Avicembron  la  Fin  su- 
prême de  la  vie  universelle  n'est  pas  la  Pensée  de  la  pensée  :  cette 
Fin  est  l'infinie  Bonté*,  qui,  exerçant  sur  l'univers  sensible  la 
puissance  de  son  charme,  l'aime  comme  elle  en  est  aimée.  L'union 
de  la  matière  et  de  la  forme  s'accompagne  d'un  frémissement  de 
joie  ',  et  l'état  de  la  matière  privée  de  forme  est  pénétré  de  dou- 
leur*. Ainsi  gravite  l'univers  sensible,  non  vers  l'essence  de  la 
Volonté ,  mais  vers  la  forme  universelle  qu'a  engendrée  cette 
essence  ^  Nous  pouvons  comprendre  à  présent  les  trois  définitions 
du  mouvempnt  en  les  ramenant  aux  quatre  causes  :  Quod  movetur 
est  egrediens  a  potentia  ad  effectum.  —  Motus  est  vis  insita  a 
Verbo.  —  Motus  est  appetitus  et  amor^. 

Telle  est  la  nature  du  mouvement  en  général  dans  le  monde 
physique.  Il  nous  reste  à  en  connaître  les  espèces  variées.  Les 
divets  mobiles  ont  des  mouvements  différents,  et  chacun  d'eux 
possède  un  mouvement  propre  et  un  seul  \  Il  est  vrai  que  ce 
mouvement  singulier  peut  être  encore  soit  uniforme  ou  primaire, 
soit  secondaire,  et  que  ces  deux  modes  ne  peuvent  être  que  suc- 
cessifs ^.  Mais  la  contradiction  est  seulement  apparente ,  car  le 

>  Op.  cit.,  p.  317-1.  17. 

*  Ib.,  317-8:   Motus  omnis  rei  non  est  nisi  propler  bonitatem,  quaî  unus  est. 

'  Ib..  316-19  :  Appetitus  materitc  ad  recipiendum  bonitatem  et  delectationem,  dura 
recipit  formam. 

♦  Ib.,  310-16. 
5  Ib.,  335-5. 

«  76.,  317-14. 

'  Ib.  176-13  :  Disripulus  :  Car  non  corpus  unum  movetur  divcrsis  motibus?  Ma- 
gister  :  Quia  diversi  inotns  non  cunl  nisi  ex  essentiis  diversis. 

'  II).,  176-17  :  Non  débet  accedere  mjtus  secuudus,  nisi  remotione  prioris  molus. 
T.   XXXV,  N"  70  12 


178  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

mouvement  primaire  concerne  le  mobile  «  in  non-loco  «;  il  est  le 
paradigme  intelligible  des  mouvements  «  in  loco  »;  le  mouvement 
primaire  ou  uniforme  est  «  unius  modi  »  et  demeure  étranger  à  la 
multiplicité  de  positions  dont  le  mouvement  secondaire  ou  varié 
est  inséparable  :  «  Dans  un  mouvement  varié,  il  y  a  translation 
d'un  premier  lieu  dans  un  deuxième,  et  d'un  deuxième  dans  un 
troisième  ^  »  Tout  mouvement  physique  est  une  translation  dans 
l'espace,  et  chaque  corps  n'est  vraiment  capable  que  d'un  seul 
mouvement,  d'un  seul  passage  de  la  puissance  à  l'acte.  Cette 
«  singularité  »  du  mouvement  tient  à  ce  qu'il  dérive  de  l'essence 
individuelle  :  «  Diversi  motus  non  sunt  nisi  ex  essentiis  diversis.  » 
Les  mouvements  ne  diffèrent  donc  pas  comme  des  quantités  plus 
ou  moins  grandes,  mais  comme  des  qualités  hétérogènes  :  on  ne 
peut  pas  les  soumettre  à  une  commune  mesure.  Il  faut  les  ranger 
dans  une  hiérarchie  imitant  celle  des  essences.  Le  plus  élevé  est 
celui  de  la  substance  qui  porte  les  neuf  catégories;  étant  le  pre- 
mier des  mouvements  «  in  loco  »  et  «  in  tempore  *  »,  il  appartient 
au  monde  physique;  mais  il  touche  encore  au  monde  intelligible, 
puisque,  dans  cette  substance  des  neuf  catégories,  le  mouvement 
uniforme  et  le.  mouvement  varié  se  confondent^.  Le  premier 
mouvement  purement  physique  est  celui  du  cor{)S  universel;  au- 
dessous  de  lui  se  rangent  par  ordre  le  mouvement  de  la  voûte  cé- 
leste et  ceux  des  autres  sphères  sensibles,  puis  ceux  des  quatre 
éléments,  chacun  d'eux  ayant  son  mouvement  propre  en  tant  qu'il 
est  qualitativement  distinct  des  trois  autres.  Entîn,  les  mouvements 
inférieurs  sont  ceux  qui  animent  les  corps  particuliers;  ils  attei- 
gnent la  plus  grande  complexité,  et  sont  aussi  les  plus  lents,  étant 
les  plus  éloignés  de  la  source  générale  de  l'activité;  car,  à  mesure 
que  la  distance  s'accroît,  la  force  qui  s'épand  au  loin  diminue,  jus- 
qu'à disparaître  une  fois  parvenue  au  centre  du  système  qu'elle  a 
pénétré  de  plus  en  plus  péniblement.  Le  centre  est  fixe,  parce 
que  les  mouvements  ralentis  des  corps  particuliers  sont  impuis- 
sants à  l'ébranler.  Ainsi  se  compose  la  chaîne  de  moteurs  et  de 
mobiles,  qui  commence,  au-dessus  même  du  monde  intelligible,  à 
la  Volonté,  qui  ne  se  meut  pas,  dont  le  premier  chaînon  physique 
est  la  substance  des  neuf  catégories,  et  qui  tînit,  vers  le  centre  du 
monde,  aux  corps  qui  ne  se  meuvent  pas.  Le  centre  lui-même  est 
immobile,  et  Avicembron  considère  comme  très  importante  cette 
inertie  due  à  l'amortissement  progressif  de  la  force  première, 
puisqu  il  en  fait  le  point  de  départ  de  l'argument  aristotélicien  du 

«  Op.  cit.,  84-15. 
*  Ib.,  p.  79  et  80. 
»  Ib.,  85-4. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIUUL  I79 

premier  moteur.  Le  monde  physique  présente  donc  une  double 
Hiérarchie  :  les  essences  s'y  ordonnent  du  corps  le  plus  subtil  jus- 
qu'au plus  épais,  les  mouvements  du  plus  simple  et  du  plus  rapide 
jusqu'au  plus  complexe  et  au  plus  lent.  Essences  et  mouvements 
imitent  l'essence  suprême  et  la  suprême  activité  avec  une  imper- 
fection qui  croît  avec  la  proximité  du  centre  inerte  et  grossier. 
Pour  qui  va  du  centre  à  la  périphérie  il  y  a  un  progrès  continu  dans 
la  perfection;  le  passage  n'est  pas  brusque  de  l'inertie  au  mouve- 
ment uniforme,  ni  de  l'épaisseur  terrestre  à  la  subtilité  céleste  ; 
partout  des  intermédiaires  participent  des  deux  termes  qu'ils  re- 
lient; de  même  que  l'œil  ne  voit  pas  où  finit  une  couleur  dans  les 
bandes  concentriques  de  l'arc-en-ciel,  de  môme  l'esprit  ne  peut 
démêler  de  limites  précises  au  sem  du  progrès  perpétuel  des  êtres, 
des  qualités,  des  mouvements.  Point  de  vides,  point  de  sauts  dans 
l'univers  :  tout  y  est  degré  et  continuité. 

Entre  les  minéraux,  les  plantes,  les  animaux  et  l'homme,  il  n'y 
a  pas  de  séparations  absolues.  Par  un  côté,  les  êtres  vivants  par- 
ticipent de  l'état  brut  :  aussi  bien  que  les  pierres,  ils  sont  formés 
de  parties  corporelles  rapprochées  et  maintenues  par  une  force 
de  cohésion  ^  Cette  force  est  extérieure  aux  éléments  quantitatifs 
qu'elle  assemble  ;  ce  n'est  pas,  en  effet,  une  simple  proportion  de 
parties  qui  produit  les  couleurs  et  les  figures  :  c'est  le  travail  de 
la  Nature  et  de  l'Ame  sensible  associées  -.  Le  règne  inorganique 
ne  diffère  donc  pas  absolument  des  règnes  organiques  ;  le  passage 
de  l'un  aux  autres  est  insensible.  Pareillement,  la  vie  se  mani- 
feste dans  les  plantes,  dans  les  animaux  et  dans  l'homme  par 
l'effet  d'une  même  force  :  c'est  l'Ame  végétative,  commune  à  tous 
les  vivants.  Plus  puissante  que  les  obscures  forces  qui  produisent 
la  cohésion  et  les  changements  internes,  l'Ame  végétative  est  l'au- 
teur des  mouvements  externes,  tels  que  l'extension  par  crois- 
sance, les  fonctions  nutritives,  la  génération  ^  Ici  se  marque  net- 
tement le  désir  de  construire  un  monde  physique  parfaitement 
continu.  Il  ne  suffit  pas,  au  gré  d'Avicembron,  que  les  trois  règnes 
de  la  vie  soient  reliés  aux  espèces  inertes  par  la  communauté 
d'une  force  identique,  capable  de  produire  la  cohésion  et  les  mou- 
vements internes  ;  il  veut  aussi  qu'entre  ci  s  mouvements  inté- 
rieurs et  les  mouvements,  il  y  ait  une  analogie  perpétuelle.  Les 
premiers  résultent  de  quatre  actions  :  «  attrahere  et  retinere, 
mutareet  pulsare  ».  Or,  le  philosophe  montre  que  les  deux  grands 
mouvements  végétatifs  s'expliquent  par  ces  actions.  La  croissance 

»  Op.  cit.,  p.  78-1.  14. 
«  Ib.,  248-11. 
»  Ib.,  184  et  185. 


180  REVUE  DES  ::.TUDES  JUIVES 

ff  meut  les  parties  alimentaires  du  centre  à  la  circonférence  », 
elle  est  un  double  courant  qui  attire  les  aliments  et  les  ramène 
aux  extrémités  ;  vegetare,  croître,  revient  donc  à  «  atlraliere  » 
et  à  «  pulsare  ».  En  second  lieu,  la  génération  consiste  «  à  tirer 
de  soi  et  à  produire  une  chose  semblable  à  soi  »  ;  elle  commence 
par  une  transformation  des  éléments  absorbés,  lesquels  perdent 
leur  forme  pour  revêtir  celle  de  l'être  absorbant  ;  generare  com- 
prend donc  «  mutare  >>.  Reste  «  retinere  »,  quatrième  action  de  la 
Nature;  mais  il  ne  faut  voir  dans  l'inertie  que  la  cessation  d'un 
mouvement  qui  s'affaiblit  jusqu'à  mourir  :  «  retentio  est  quies 
motus  et  ejus  débilitas  »  ;  si  la  Nature  retient  les  parties  par  une 
force  de  cohésion,  c'est  parce  quelle  transmet,  en  la  diffusant, 
l'action  de  l'Ame  végétative.  Ainsi,  des  quatre  actions  propres  à 
la  Nature  inorganique,  Avicembron  ne  veut  laisser  aucune  isolée; 
aucune  ne  demeure  un  fait  nouveau,  ne  fonde  un  nouvel  ordre  ; 
toutes,  ellf^s  se  rattachent  aux  faits  supérieurs,  qu'elles  traduisent 
à  leur  manière,  de  telle  sorte  qu'elles  conservent  quelque  chose  de 
spécifique  sans  cesser  d'être  congénères  aux  actions  qui  les  domi- 
nent :  «  operationes  natures  sunt  unius  generis  cum  operationibus 
animae  vegetabilis  '  ».  Seul  un  Leibnitz,  fort  des  ressources  de  la 
science  moderne,  renouvellera  un  pareil  effort  de  construction 
philosophique,  entrepris  pour  introduire  dans  le  monde  la  parfaite 
continuité  tout  en  respectant  la  qualité  et  l'individu. 

«  Tout  ce  qui  existe  dans  les  substances  inférieures  existe  éga- 
lement dans  les  supérieures...  La  végétation  et  la  génération 
appartiennent  aussi  au  règne  animal,  qui,  de  plus,  possède  la  sen- 
sibilité et  le  mouvement  de  translation  *.  »  Les  animaux  sont 
plantes  par  leurs  fonctions  nutritives  et  reproductives,  minéraux 
par  la  constitution  de  leur  corps  ;  mais  en  eux  à  la  Nature  et  à 
l'Ame  végétative  se  superpose  l'Ame  sensible.  Tandis  que  l'action 
de  la  Nature  se  borne  à  retenir  groupées  les  particules  corpo- 
relles, et  que  l'Ame  des  plantes  provoque  seulement  des  mouve- 
ments périphériques,  l'Ame  animale  transporte  le  corps  entier  d'un 
lieu  à  un  autre  lieu  *.  De  plus,  elle  est  capable  de  se  représenter 
les  corjis  étrangers  au  moyen  de  sensations,  c'est-à-Jire  d'appré- 
hender les  formes  sensibles  séparément  des  matières*.  Tel  est  le 
propre  du  règne  animal,  qui,  tout  en  continuant  le  règne  végétal, 
se  prolonge  lui-même  dans  le  règne  humain.  L'homme  résuaie  les 
trois  règnes  en  apportant  une  qualité  nouvelle  :  il  a  été  créé  pour 

'   Op.  rit.,  p.  183  1.  14. 
'  Ih.,  188  et  189. 
»  /*.,  186-13. 
"  Ih.,  1:54-1. 


1 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL  181 

savoir'.  Il  a  une  àme  intellectuelle  et  une  âme  rationnelle;  la 
première  saisit  les  essences  par  un  acte  unique;  la  seconde  unit 
les  vérités  conçues  par  l'intellect  et  du  rapprochement  effectué 
tire  une  nouvelle  vérité.  Les  sens  ne  sont  plus  pour  ces  âmes  que 
des  instruments  ;  l'âme  sensible,  qui  était  tout  dans  la  vie  men- 
tale des  animaux,  n'est  plus  qu'une  humble  auxiliaire  des  facultés 
supérieures  ;  du  moins  manifeste-t-elle  le  rapport  étroit  qui  lie 
les  hommes  aux  espèces  inférieures  et  la  continuité  harmonieuse 
des  êtres.  Enfin,  si  l'homme  est  proche  de  l'animal,  il  n'est  pas 
définitivement  séparé  des  essences  intelligibles  vers  lesquelles 
s'élancent  son  esprit  et  son  cœur.  Sa  fin  est  de  retrouver,  par  la 
science  et  le  vouloir,  sa  nature  perdue,  de  sortir  de  la  captivité 
terrestre,  des  ténèbres,  pour  retourner  dans  sa  patrie  intelligible  : 
a  Sic  anima  redit  ad  suum  saeculum  altius  *.  » 

L'univers  physique  nous  est  connu  dans  sa  complexité.  Il  n'est 
pas  isolé  dans  le  Tout,  car  la  substance  qui  porte  les  sensibles  est 
elle-même  intelligible  et  liée  aux  essences  supérieures.  Notre 
univers  a  pour  forme  la  corporéité  ;  tout  ce  qui  existe  sous  la 
voûte  céleste  est  corps  ;  le  ciel  même  est  un  corps,  mais  diffère 
des  corps  terrestres  où  s'unissent  les  quatre  éléments.  Le  corps 
des  objets  sensibles  a  pour  forme  la  quantité  et  pour  qualités 
les  couleurs  et  les  figures  que  perçoivent  les  sens.  La  quantité 
présente  des  analogies  frappantes  avec  le  nombre,  sans  qu'on 
puisse  en  tirer  des  conclusions  utiles  à  la  science  ;  elle  est  sujette 
à  une  antinomie  qu'on  peut  résoudre  en  admettant  au  terme  de 
la  partition  sensible  une  division  idéale  en  substance  et  accident. 
La  quantité  n'explique  pas  quantitativement  ses  propriétés,  puis- 
qu'elle a  recours  à  une  théorie  métaphysique.  Elle  n'explique  pas 
mécaniquement  ses  qualités,  puisque  les  couleurs  et  les  figures  ne 
sont  pas  dues  au  mélange  automatique  des  particules  corporelles, 
mais  à  l'action  des  substances  intelligibles.  Le  mécanisme  ne  rend 
compte  davantage  du  monde  organique  ni  de  la  pensée  :  des  âmes 
superposées  président  à  la  cohésion,  à  la  vie  végétative,  à  la  vie 
animale,  aux  opéraiions  de  la  raison,  aux  actes  de  l'intelligence. 
Mais  ces  âmes  ne  sont  pas  l'une  pour  l'autre  des  étrangères  ;  elles 
se  pénètrent  réciproquement,  chacune  reproduit  et  perfectionne 
celle  qui  la  précède;  si  bien  que,  de  l'inertie  du  minéral  jusqu'aux 
intuitions  intellectuelles  de  l'homme,  il  règne  une  continuité  liar- 
monir'use  qui  révèle  l'art  profond  d'un  créateur.  Dans  cet  univers 

'   Op.  cit.,  5-2-'i  :  Causa  geiieralionis  liominis  scienlia  est. 

*  Jb.,  p.  .•)-!.  4.  .     . 


182  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

physique  «  continu  et  plein  comme  un  fruit  »  ',  tout  se  tient  et  tout 
se  ressemble.  Chaque  mouvement  résume  les  mouvements  infé- 
rieurs, chaque  règne  plonge  ses  racines  dans  le  règne  voisin.  Il 
existe  un  intime  rapport  entre  les  corps  les  plus  humbles  et  la 
volonté  divine  qui  s'est  faite  sensible  en  eux.  Chaque  être,  cepen- 
dant, est  un  individu  réel  ;  il  prend  place,  il  est  vrai,  dans  la  hié- 
rarchie des  espèces,  des  genres,  des  catégories  et  du  genre  su- 
prême ;  mais  ce  dernier  transmet  à  l'individu  son  essence  propre, 
qui  est  l'unité.  Chaque  individu,  image  du  genre  suprême,  est 
donc  une  unité  formelle;  il  est,  de  plus,  une  unité  réelle  par  le 
fait  de  ses  accidents,  qui,  n'étant  ni  être  ni  unité,  échappent  à 
la  dassification  et  constituent  l'irréductible  de  l'individu.  Ces  ac- 
cidents, qui  existent  en  dehors  de  l'être  et  de  l'unité,  sont  aussi 
la  déficience  des  êtres  imparfaits.  Chacun  d'eux  aspire  à  un  dé- 
veloppement qui  le  rapprochera  de  l'être  immédiatement  supé- 
rieur, épris  lui-même  d'une  perfection  plus  haute.  Chacun  veut 
la  forme  qui  convient  absolument  à  ses  puissances,  l'homme  se 
dirige  vers  la  sagesse  ;  il  désire  posséder  l'intelligence  divine  dont 
les  plans  ont  disposé  notre  univers.  Dieu  est  à  la  fois  le  créateur 
et  l'architecte  du  monde  physique  :  il  est  aussi  l'objet  de  son 
amour. 

Quelle  fut,  au  juste,  l'influence  exercée  par  cette  physique  ? 
Pour  le  dire,  il  faudrait  pouvoir  nommer  les  écoles  où  elle  fut 
commentée,  par  exemple  en  énumérant  les  bibliothèques  qui  con- 
tinrent le  Fons  Vitœ  ;  surtout  il  faudrait  pénétrer  suffisamment 
les  grandes  doctrines  de  la  Renaissance  s  ^olastique  pour  y  distin- 
guer ce  qui  est  du  fait  d'Avicembron.  Cette  recherche  délicate 
est  toute  différente  d'un  simple  travail  d'exposition  ;  personne  ne 
saurait  l'entreprendre  sans  se  promettre  de  vivre  longtemps  avec 
les  docteurs  du  xiii«  siècle.  Mais  il  est  déjà  permis  d'affirmer  que 
l'influence  d'Avicembron  fut  réelle.  On  connaît  quatre  manuscrits 
de  la  version  latine  faite  par  Jean  d'Espagne  et  Dominique  Gondi- 
salvi.  Avicembron  n'est  ignoré  ni  de  Guillaume  d'Auvergne,  ni 
d'Albert  le  Grand,  ni  de  Saint  Thomas;  Duns  Scot  en  fait  son  guide 
et,  au  xvie  siècle,  Giordano  Bruno  le  cite  et  le  suit  en  l'exagérant. 
Avicembron  fut  donc  célèbre  dans  les  écoles  d'Occident  jusqu'à  la 
Renaissance,  et,  approuvé  ou  combattu,  le  Fons  Vitœ,  fut  cer- 
tainement un  des  ouvrages  les  plus  commentés,  sans  qu'il  soit 
encore  possible  d'en  dire  davantage  sur  son  influence.  On  a  pu 
se  demander  si  la  doctrine  du  Fons  Vitœ  se  survit  dans  les  systè- 

»  Ib.,  51-2. 


LA  PHYSIQUE  D'IBN  GABIROL  183 

mes  de  l'époque  classique.  Le  fait  est  au  moins  douteux.  L'esprit 
du  cartésianisme  est  nettement  opposé  à  celui  des  métaphj-siques 
alexandrines.  Cependant  des  historiens  ont  admis  que,  «  par  une 
pente  naturelle  »,  la  pensée  d'Avicembron  aboutissait  au  pan- 
théisme spinoziste;  M.  Hauréau  n'a  pas  craint  d'affirmer  que  la 
philosophie  de  Duns  Scot,  sectateur  fougueux  d'Avicembron,  était 
le  spinozisme  avant  Spinoza.  Cette  assertion  paraît  excessive. 
Il  est  probable  que  Spinoza  n'a  connu  ni  Duns  Scot  ni  Avi- 
cembron  ;  le  Fons  Vitœ  ne  se  trouve  pas  dans  le  catalogue 
de  sa  bibliothèque  ^  D'autre  part,  il  est  évident  que  Descartes 
n'a  pu  lui  transmettre  implicitement  des  réminiscences  du  Fons 
Vilœ  ;  certes,  malgré  le  vigoureux  effort  du  doute  métho- 
dique, il  serait  possible  que  Descartes  eût  gardé  quelques  traces 
de  la  scolastique  enseignée  par  les  jésuites  de  la  Flèche  ;  mais 
cet  enseignement  n'avait  rien  de  mystique.  En  fait,  le  «  carté- 
sianisme immodéré  »  de  Spinoza  ne  ressemble  nullement  aux 
théories  d'Avicembron.  Si  les  deux  doctrines  peuvent  être  classées 
dans  le  genre  «  panthéisme  »,  elles  en  sont  deux  variétés  distinctes. 
L'Ethique  fait  toutes  choses  immédiatement  consubstantielles  à 
l'Etre  infiniment  infini  :  toute  la  réalité  est  la  réalité  même  de  Dieu; 
l'individualité  n'est  qu'une  apparence.  Au  contraire,  Avicembron 
a  soin  de  réserver  la  réalité  individuelle  et  de  la  placer  en  face 
de  l'Essence  divine,  en  lui  attribuant,  conformément  à  la  tradition 
d'Aristote,  un  caractère  irréductible.  Rien  de  tel  chez  Spinoza, 
qui,  profondément  cartésien,  a  rejeté  toute  idée  de  substance  finie. 
Déjà  Descartes  n'admettait  plus  que  deux  substances  également 
impersonnelles  :  Spinoza  en  fait  les  attributs  de  l'unique  substance, 
Le  problème  est  complètement  déplacé.  La  métaphysique  d'Aristote 
posait  l'individu  comme  un  absolu  et  devait  construire  l'universel, 
objet  de  la  science  ;  le  cartésianisme  part  de  la  réalité  impersonnelle 
et  tente  de  construire  l'individu.  Rien  de  commun  entre  Spinoza 
et  Avicembron,  qui  reste  surtout  péripatéticien  dans  sa  physique. 
Mais  un  autre  cartésien,  par  un  retour  singulier,  substitue  aux 
deux  substances  de  Descartes,  à  l'unique  substance  de  Spinoza, 
une  multitude  de  réalités  absolument  distinctes,  si  distinctes 
même  qu'elles  n'ont  point  entre  elles  de  relations,  sinon  idéales. 
Ces  monades,  strictement  fermées  les  unes  aux  autres,  s'unissent 
en  vertu  de  la  continuité  selon  laquelle  la  Volonté  et  la  Bonté  ont 
organisé  l'univers  ;  elles  sont  rangées  dans  une  hiérarchie  d'après 
le  degré  de  leur  perfection,  et  toutes  s'élancent  avec  amour  vers 

'  A.-J.  Servaas  Van  Rooljen,  Inventaire  des  livres  formant  la  bibliothèque  de  Bé- 
nédict  Spinoza,  La  Haye,  1889. 


184  REVUE  DES  ETL'DES  JUIVES 

leur  créateur.  Ce  qui  se  passe  en  chacune  d'elles  est  déterminé 
par  cette  fin  suprême  :  réaliser  ses  puissances,  s'identifier  à  la  Mo- 
nade parfaite.  Telle  est,  à  peine  indiquée,  la  pensée  féconile  qui 
voulut  unir  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  excellent  chez  les  Anciens  et 
chez  les  Modernes  ;  et  c'est  aussi  celle  à  qui  l'on  peut  comparer 
prudemment  la  pensée  plus  modeste  d'A.vicembron.  Dans  la  Théo- 
dicée  et  dans  le  Fons  Vitœ,  c'est  un  pareil  effort  tenté  pour 
maintenir  en  même  temps  la  personnalité  de  la  créature  et  la 
gloire  du  créateur,  et  les  moyens  sont  analogues  :  continuité, 
causes  finales,  amour,  création  du  monde  par  une  volonté  bonne. 
Avec  les  restrictions  qu'une  telle  comparaison  comporte,  et  sans 
oublier  quelle  originalité  géniale  se  manifeste  dans  la  conception 
des  monades,  infinis  enveloppés  et  obscurs,  on  peut  se  hasarder 
de  dire  que,  loin  d'avoir  été  un  Spinoza,  Avicembron  fut  plutôt 
un  Leibnitz  du  moyen  âge. 

Maurice  Lœwé. 


\ 


CONTRIBUTIONS 

A 


LA  GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE 


ET  DES  PAYS   VOISINS 


LA   FRONTIERE   MERIDIONALE   DE   LA   PALESTINE. 


I 


On  possède  quatre  descriptions  du  tracé  de  la  frontière  méridio- 
nale de  la  Palestine  :  la  première  tirée  du  Livre  des  Nombres, 
XXXIV,  4-5;  la  deuxième  du  Livre  de  Josué,  xv,  2-4;  la  troisième 
d'Ezéchiel,  xlvii,  19,  et,  enfin,  la  dernière  du  Targoum  de  Jéru- 
salem. Pour  les  comparer,  il  convient  de  les  juxtaposer. 


I 

Votre  lisière  méri- 
dionale ...partira  de 
l'extrémité  de  l'Iam- 
hamniélah  (mer  de 
sel): 


puis  clic  tournera 
au  midi  de  la  mon- 
tée des  Akrabbim 
(scorpions), 
et  passera  jusqu'à 
Sin  (Senna,  'Ewàxl; 
elle  poussera  jus- 
qu'à Qadesch-Bar- 
nca, 


II 

La  limite  du  sud 
(des  enfants  de  Ju- 
da)  partait  du  haut 
de  l'Iam-hammélah. 
du  Laschon,  dont  la 
pointe  est  tournée 
au  midi, 


passait  par  la  Mim 
tée  des  Scorpions. 


traversait  Sin  (Sena. 

leva] , 

montait  au    sud  de 

Qadcsch-Barnéa, 

franchissait  Hcsron 

(Esron,  'Aawptov), 


III 

au  midi,  vers  le  sud 
de  Thamar, 


aux   eaux   de 
bot-Qadesch, 


.Meri- 


IV 

Vous  aurez  pour 
frontière  du  sud  le 
désert  de  Rékem 
sur  la  lisière  d'É- 
doin  :  cette  limite 
aura  son  commen- 
cement à  la  pointe 
orientale  de  la  mer 
salée  ; 

cette  limite  méri- 
dionale s'infléchira 
vers  la  montée  d'A- 
krabbim, 

touchera  la  Monta- 
gne de  Fer, 
et  aboutira  au   sud 
de  Rékem  de  Gaya. 


I 


186 

ira  jusqu'à  Haçar- 
Addar  (eIç  eTvauXiv 
'Apàû) 


et  jusqu'à  Asmon 
(Asemona,  'Ai7£[au- 
vâ). 

De  Asmon,   elle  se 
dirigera  vers  le  tor- 
rent de  Miçra'im, 
pour  se  terminer  à 
la  mer. 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

s'élevait  jusqu'à  A,d- 

dar  (SàpaSa), 

tournait   vers   Qar- 
qaà  (Tr,v  xarà  5u(7[Jià; 

passait     à     Asmon 

(  Asemona ,    2È),ix.a)- 

vàv], 

allait  au  torrent  de    et  le  torrent, 

Miçra'im, 

et  s'étendait  jusqu'à  '  jusqu'à    la    grande 
la  mer.  1  mer 


sortira    vers    Dirat 
Adraya, 


et    ira  jusqu'à   Ke- 

sam  ; 

de  Kesam,  la  ligne 
frontière  déviera 
vers  le  Nil  d'Égj'pte, 
pour  s'étendre  jus- 
qu'à la  frontière 
ouest. 


Toutes  ces  descriptions  mènent  de  l'est  à  l'ouest. 

Le  point  de  départ  des  tracés  I,  II  et  IV  est  un  point  de  la  rive 
occidentale  de  la  mer  Morte,  en  face  du  cap  Molyneux,  qui  marque 
l'extrémité  méridionale  de  la  presqu'île  de  la  Liçan  (Laschon); 
c'est  donc  le  Ras-Senin.  C'est  là  que  finit  la  mer  Morte  aux  eaux 
profondes  et  que  commence  la  lagune  qui  la  prolonge  au  sud. 

Le  point  de  départ  du  tracé  111  ne  saurait  être  différent  :  rien  ne 
permet  de  supposer  que,  sur  la  rive  déserte  de  la  mer  Morte,  on 
ait  pu  être  amené  à  rectifier  une  frontière  dessinée  par  la  nature 
et  consacrée  par  les  siècles.  Tliamar,  la  0a[jiapw  de  Ptolémée*,  ne 
saurait  donc  être  retrouvée,  comme  l'a  suggéré  M.  de  Saulcy  ^,  à 
Qalaat-embarrheg,  ruines  situées  sur  la  côte  occidentale,  auprès 
d'une  source,  à  l'ouest-sud-ouest  du  cap  Molyneux;  elle  doit 
plutôt  être  cherchée  dans  l'Oued  el  Hafaf  {vallée  des  Ruines),  que 
le  savant  explorateur»  traversa  dans  sa  marche  vers  le  sud, 
avant  d'atteindre  le  promontoire  du  Ras-Senin. 

Les  descriptions  du  premier  tronçon  de  la  ligne  frontière  s'ac- 
cordent d'ailleurs  bien  avec  les  renseignements  fournis  par  les 
voyageurs  sur  la  route  qui  conduit  du  Ras-Senin  dans  l'intérieur 
du  pays. 

«  De  la  plage,  pour  gagner  Zoarat  el-Foka  directement  à  l'ouest 
du  Ras-Senin,  il  faut  grimper  par  de  mauvais  sentiers;  chemin 
faisant,  on  peut  faire  une  ample  moisson  de  cailloux  ferrugi- 
neux*. »  —  «  Après  avoir  dépassé  Zoarat  el-Foka,  on  débouche 
sur  le  plateau,  près  d'une  masse  d'un  brun  foncé,  tumulus  à  base 


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*  Ptolémée,  Geographia,  V,  16,  8. 

*  De  Saulcy,  Voyage  en  Syrie  et  autour  de  la  mer  Morte,  I,  p.  241-245. 
'  Ib.,  I,  p.  231, 

*  De  Luynes,  Voyage  d'exploration  à  la  mer  Morte,  I,  p.  239-240. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTLNE  ET  DES  PAYS  VOISINS  187 

très  évasée,  qui  porte  le  nom  de  Rei1jom-el-Ha'iad,  ou  plutôt 
Hadid,  le  monticule  de  fer^.  «  Voilà  bien  la  Montagne  de  Fer  du 
Targoum  de  Jérusalem. 

Le  point  terminus  de  la  frontière  sur  la  côte  de  la  Méditerranée 
doit  être  pareillement  précisé.  Où  placer  le  Torrent  de  Miçraîm, 
Nil  d'Egypte?  D'après  l'opinion  la  plus  accréditée,  ce  serait 
rOued-el-Arich;  mais  un  simple  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte  conduit 
à  accorder  la  préférence  à  l'Oued-Gazza,  dont  une  branche  passe 
àBeërschéba,  bien  réputée  comme  localité  frontière. 

L'existence  d'un  pays  de  Musri,  distinct  de  TEgypte,  a  été  dé- 
montrée par  divers  savants  '.  Sans  vouloir  reproduire  leur  argu- 
mentation^ on  doit  observer  qu'ils  ont  négligé  deux  passages  des 
Septante,  qui,  tout  en  corroborant  leur  thèse,  conduisent  à  rap- 
procher son  territoire  de  la  Judée. 

Kal  àv£Sr,(7av  ot  Z'.cpxiOi  kx.  tyiç  xù/jxcoooui;  Trpbç  SaoùX  eTil  tov  ^ouvôv, 
XéyovTsç"  Oùx  loo'j  \tj\o  •/.I'/.z'jiztx'.  -kxo'  '/jaiv  Iv  Msffaepà  èv  xoTç  ctevoTç 
êv  xy;  KaiVY,  (I  Sam.,  XXIII,  19). 

Kat  £/cà6'.(7£v  £V  à\Ia(7£ps[JL  £v  Tr,  kor^iLCù  £v  ToTç  (7T£voïç,  xal  IxaOTjTO  èv  TV^ 

£prj(XCO    £V  TCO   Op£l   SlCp   (I  Sam.,    XXIII,    14). 

Le  pays  de  Messera  ou  de  Maserem  s'étendait  donc  jusqu'à 
Ziph  et  comprenait  le  bassin  de  lOued-Gazza. 

Au  surplus,  l'identification  du  ruisseau  de  Musr  avec  l'Oued- 
Gazza  ressort  de  l'étude  des  villes  de  la  marche  méridionale  de^ 
Juda.  Ces  villes,  primitivement  attribuées  aux  entants  de  Juda, 
puis,  en  partie,  dévolues  aux  enfants  de  Siméon,  se  trouvent 
énumérées  au  chap.  xv,  21-32,  et  au  chap.  xix,  1-9,  du  Livre  de 
Josué,  et,  enfin,  au  chap.  iv,  28-33,  du  P""  Livre  des  Clironiques. 
Ces  listes  semblent  contenir  un  nombre  de  localités  supérieur  à 
celui  qu'accuse  le  texte  hébreu  lui-même  :  ainsi,  le  chapitre  xv 
donne  37  noms  pour  29  bourgades,  le  chapitre  xix  14  noms  pour 
13  bourgades.  Sans  arrêter  un  état  définitif,  on  juxtaposera  les 
trois  listes,  on  complétera  le  tableau  par  une  quatrième  liste,  liste 
des  Villes  habitées  par  les  enfants  de  Juda  au  retour  de  la  capti- 
vité (Néhéraie,  xi,  25-30),  et  par  les  noms  tirés  des  Onomasiica 
de  S.  Jérôme  (J)  et  d'Eusèbe  (E);  enfin,  on  fera  suivre  chaque 
nom  de  la  leçon  des  Septante. 

»  Ibid.,  I,  p.  239. 

*  Consulter  à  cet  égard  Winckler,  Altorientalische  Forschungen,  I,  p.  24-41. 


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190  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Ces  listes  sont  orientées,  comme  les  tracés,  de  l'est  à  l'ouest; 
elles  respectent  l'échelonnement  des  localités  de  la  frontière 
d'Edom  à  la  mer.  On  place  immédiatement  sur  la  carte  Molada  au 
Kh.-el-Milli  et  Beërscliéba  au  Bir  es  Séba. 

Ciqlag,  qu'Achis,  roi  de  Gath,  donna  en  apanage  à  David,  devait 
se  trouver  au  sud  de  la  Philistée.  Le  site  de  Zuheilikah  satisfait 
aux  données  du  premier  livre  de  Samuel  :  les  ruines  recouvrent 
trois  petites  collines  formant  un  triangle  d'un  demi-mille  de  côté. 
On  y  trouve  des  restes  de  citernes  (P.  E.  F.). 

Avant  de  poursuivre  ces  essais  d'identification,  il  convient,  d'ail- 
leurs, de  remarquer  que  Haçar,  qui  signifie  bourgade,  entre  dans  la 
composition  de  plusieurs  noms  de  localités,  Haçar-Gadda,  la  ville 
des  boucs,  Haçar-Schouâl,  la  ville  des  chacals,lldÇ8r-Sous'\m,  la 
ville  des  chevaux  ;  on  est  amené  par  analogie  à  réunir  les  3  et  4,  8 
et  9  delà  listel,  pour  faire  les  noms  composés,  Haçar-Qina,  Haçar- 
Itnan.  D'autres  raisons  lient  ensemble  Aïn  et  Rimmon.  Le  nombre 
des  localités  de  la  liste  I  est  donc  immédiatement  ramené  à  34. 

Pour  parfaire  ce  travail  de  révision  des  listes,  on  va  étudier 
successivement  chaque  nom  de  localité. 

1.  Cabseël,  nom  dérivé  de  xa[jL'J/aY,À  a  temple  d'El  »,  donna  nais- 
sance à  Beneyahou  bèn  Yehoyada',  l'un  des  héros  de  David;  fut 
occupé  au  retour  de  la  captivité,  sous  le  nom  de  Yeqabseël,  par  les 
enfants  de  Juda.  Le  Ba'.<7£X£Y,X  des  Septante,  corruption  de  Bet 
Eleôl,  «  maison  d'Elell  »,  est  évidemment  identique  à  Gabseël.  Site 
inconnu. 

2.  Eder  ou  Adar.  Site  inconnu, 

3.  Asor-Qina,  le  bourg  de  Qina,  sans  doute  ville  des  Qénites. 
Ce  peuple,  qui  à  l'époque  de  l'Exode  habitait  au  milieu  des  Ama- 
lécites  *,  est  différencié  par  la  Genèse  du  peuple  des  Qénizzites  : 
«  A  ta  postérité  je  donnerai  le  pays  depuis  le  torrent  de  Miçraïm, 
jusqu'au  grand  fleuve  de  Perath,  le  Qènite  et  le  Qénizzitte,  le 
Qadmonite  et  le  Hittite,  le  Perizzite  et  les  Réphaïtes,  l'Emorite  et 
le  Kenaânite,  le  Guirgaschite  et  l'Ieboussite  ^.  » 

4.  Dimona,  Dibon  de  Néhémie,  identifié  par  M.  de  Saulcy*, 
avec  les  ruines  d'Ed-Dheib,  sur  la  route  de  Zoarat  el-Foka  à 
Hébron,  à  deux  heures  de  marche  et  au  sud  de  Jenbeh,  sur  le 
flanc  méridional  de  l'Oued-ed-Dheib. 

'  II  Sam.,  XXIII,  20. 

*  I  Sam.,  XV,  6, 

»  Gen.,  XV,  18-21. 

♦  De  Saulcy,  Dictionnaire  topographique  de  la  Terre  Sainte,  p.  117;  Voyage  en 
Syrie  et  autour  de  la  mer  Morte,  11,  85. 


GEOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DES  PAYS  VOISINS  191 

5.  Adeâda.  M.  de  Saulcy  *  a  proposé  de  placer  cette  localité  aux 
ruines  de  Qasr-el  Âdadâh,  à  trois  heures  et  demie  de  Zoarat  el 
Foka,  sur  la  route  d'Hébron. 

6.  Qadesch,  l'un  des  jalons  les  plus  importants  de  la  ligne  fron- 
tière, l'un  des  principaux  gîtes  du  peuple  hébreu  dans  le  désert  au 
cours  de  l'Exode. 

Le  Livre  des  Nombres  fournit  sur  sa  situation  une  première  indi- 
cation. «  Jahvé  s'adressa  eu  ces  termes  à  Moïse  :  Envoie  des  gens 
pour  explorer  la  terre  deKenaân...  Du  désert  de  Pâran,  Moïse 
les  fit  donc  partir. . .  En  les  envoyant  pour  sonder  la  terre  de  Ke- 
naân,  Moïse  leur  dit  :  Moulez  par  le  Nédjeb  jusqu'à  la  montagne... 
Montant,  ils  explorèrent  le  pays  depuis  le  désert  de  Çin  jusqu'à 
Rehob,  à  l'entrée  de  Hamat.  Ils  firent  route  par  le  Nédjeb  et  par- 
vinrent jusqu'à  Hébron. . .  Au  bout  de  quarante  jours,  ils  revin- 
rent de  leur  exploration  et  se  rendirent  près  de  Moïse...  au  désert 
de  Pâran  à  Qadesch. ..  Ils  racontèrent  tout  à  Moïse  :  .  ..dans  le 
Nédjeb  séjourne  Amalec;  dans  la  montagne  le  Hittite,  l'Iéboussite, 
l'Émorite. . .'  » 

Dans  le  récit  parallèle  du  Deutéronome^,  le  nom  de  Qadesch 
est  remplacé  par  celui  de  Qadesch-Barnéa. 

On  conclura  de  ces  textes  à  l'identité  de  Qadesch  et  de  Qadesch- 
Barnéa,  à  la  situation  de  cette  localité  dans  le  désert  de  Pàran,  et 
au  sud  d'Hébron,  et,  enfin,  à  l'existence  d'une  région  du  nom  de 
Nédjeb,  habitée  par  les  Amalécites,  laquelle  s'étendait  entre  ledit 
désert  et  la  montagne. 

Le  Livre  des  Nombres  nous  apprend  encore  que  Qadesch  était  à 
cheval  sur  une  grand'route  :  «  De  Qadesch,  Moïse  envoj'a  des  mes- 
sagers vers  le  roi  d'Edom  :  . . .  nous  voici  à  Qadesch,  bourg  à 
l'extrémité  de  tes  frontières.  Que  nous  traversions  ton  pays!  Nous 
ne  passerons  ni  par  les  champs  cultivés,  ni  par  les  villes  ;  nous  ne 
boirons  pas  l'eau  du  puits;  nous  marcherons  par  la  route  royale, 
sans  dévier  ni  à  droite  ni  à  gauche,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons 
franchi  ton  territoire^.  » 

D'où  partait  cette  route  qui  se  dirigeait  de  l'ouest  vers  l'est,  si- 
non d'un  port  de  la  mer  Méditerranée  et,  par  conséquent,  de  Gaza? 
Le  chemin  de  la  conquête  n'est-il  pas  tracé  parle  livre  de  Josué? 
«  Tout  fut  frappé  par  Josué  de  Qadesch-Barnéa  jusqu'à  Gaza^  ». 

1  De  Saulcy,  Voyage  an  Syrie  et  autour  de  la  mer  Morte,  II,  p.  90. 

*  Nombres,  xm,  2-30. 
3  Deut.,  I,  19. 

*  Nombres,  xx,  14-17. 

*  Josué,  X,  40-41. 


192  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Cette  route  avait  conservé  toute  son  importance  à  l'époque  ro- 
maine :  Nabataei  oppidum  includunt  Petram  nomine...  Abest  a 
Gaza  oppido  littoris  nostri  DG.  M.,  a  sinu  Persico  CXXXV  M.  Hue 
convenit  utrumque  biviura,  eorum  qui  ex  Syria  Palmyram.  pefiere, 
et  eorum  qui  ab  Gaza  venerunt  '. 

Il  convient  également  de  se  rappeler  que  le  séjour  des  Israéliles  à 
Qadesch  fut  marqué  par  un  soulèvement  provoqué  par  le  manque 
d'eau.  D'après  le  Livre  des  Nombres,  Moïse,  ayant  frappé  à  deux 
reprises  le  rocher  de  son  bâton,  en  aurait  fait  jaillir  une  eau  abon- 
dante. La  source  fut  appelée  Fontaine  de  la  contestation.  «  Ce 
sont  ià  les  eaux  de  Meriba,  où  les  Israélites  eurent  avec  lahvé  cette 
contestation  qui  tourna  à  sa  gloire*.  »  Le  campement  d'Israël  de- 
vait donc  se  trouver  dans  une  région  acci'ientée  présentant  des 
hauteurs  rocheuses. 

Au  surplus,  le  récit  de  la  campagne  de  Kedarlagomer,  roi 
d'Elam,  contre  les  rois  de  la  Pentapole,  confirme  ces  déductions. 
«  Kedorlagomer  et  les  rois  qui  étaient  avec  lui  vinrent  frapper. . . 
jusqu'à  El-Pâran,  qui  est  près  du  désert.  Revenant  sur  leurs  pas, 
ils  atteignirent  En-Mischpat  —  qui  est  Qadesch  —  et  frappèrent 
tout  le  territoire  des  Amalécites  et  aussi  l'Émorite  qui  habite  Ha- 
çaçon-Thamar^  »  Qadesch  occupait  donc  un  site  élevé  à  l'est  du 
désert  de  Pâran. 

En  résumé,  quoiqu'on  ne  puisse  indiquer  l'emplacement  exact 
de  Qadesch,  l'on  voit  que  cet  emplacement  doit  être  cherché  au 
sud  d  Hébron,  à  l'est  ou  au  sud-est  d'El  Milh,  sur  une  route  natu- 
relle conduisant  de  Gaza  à  la  mer  Morte,  et  dans  une  région  mon- 
tagneuse; par  conséquent,  sur  le  versant  occidental  du  Djebel 
Umm  Rudschiim,  à  proximité  du  chemin  d'El  Milh  au  Ras  ez 
Zuwera. 

1.  Haçor-Itnan,  transcrit  par  les  Septante  Aco^'.wvxlv,  au  lieu 
de  'Affoptôvaiv,  peut  être  Kh.  et  Tuany  et  Tell  et  Tuany,  à  l'est  de 
Kh.  Main. 

8.  Ziph,  pour  les  Septante  Maivàix  «  les  camps  ».  Peut-être  Safi 
porté  sur  la  carte  du  P.  E.  F.  au  sud-est  de  Kh.  et  Tuany  ;  peut- 
être  aussi  Jenbeh,  où  se  trouvent  des  ruines  importantes*. 

9.  Teleni  Bealoth,  pour  les  Septante  un  seul  nom  BaÀixx-.vàv,  c'est- 
à-dire  le  nom  porté  par  une  ville  de  Ruben,  Baal-Meon. 

'  Pline,  Natufalis  Historia,  1.  VI,  c.  XXXII. 

*  Nombr.,  xx,  13. 
'  Gea  ,  XIV,  5-7. 

♦  De  Saulcy,  Voyage  en  S>/i-ie  et  autour  de  la  mer  Morte,  p.  98. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DES  PAYS  VOISINS  193 

M.  de  Saulcy'  a  reconnu  dans  cette  localité  Télem,  le  lieu  de 
rendez- vous  assigné  par  Saiil  aux  Israélites  pour  marcher  contre 
les  Araalécites-. 

On  propose  de  chercher  cette  double  localité  au  Kh.  el  Kurié- 
tein,  où  se  trouvent  les  vestiges  d'une  grande  ville. 

10.  Haçor  ffadattha,  «  le  quariierneuf  >■> ,  Qeriyoth  «  la  ville  », 
Hesron  «  les  hameaux  y> ,  dont  l'ensemble  constitue  Haçor  et  pour 
les  Septante  «  les  villes  d'Hesron  ».  Cette  agglomération  fort 
importante  se  trouvait,  d'après  le  Livre  de  Josué,  sur  les  confins 
du  pays.  Le  rapprochement  entre  les  tracés  du  Livre  de  Josué  et 
du  Livre  des  Nombres,  indiquant  l'un  deux  localités  :  Hesron  et 
Addar,  l'autre  une  seule  localité,  Haçar-Addar,  pour  les  Septante 
'Apàô,  l'impossibilité  de  retrouver  dans  les  bourgades  ci-après  en- 
visagées une  ville  d'Addar,  l'importance  d'Arad  au  temps  de 
l'Exode,  accusée  par  le  Livre  des  Nombres  ',  l'incorporation 
presque  forcée  de  cette  ville  dans  le  territoire  de  Juda,  tout  con- 
court à  écarter,  d'une  part,  Tidentification  proposée  par  Robinson 
d'Hesron  avec  le  Kh.  el  Kuriétein,  à  mettre  en  avant,  au  con- 
traire, l'idée  de  chercher  Hesron  à  Tell  Arad. 

11.  Amam,  Ilviv,  site  inconnu. 

12.  Schéma  ou  Scheba ,  SaX[jLax,  peut-être  Kh.  Kuseifeh,  au 
nord-est  du  Kh.  el  Milh. 

13.  Molada,  Kh.eimih. 

14.  Haçar-Gadda,  le  village  des  boucs. 

Heschmon,  que  donne  ensuite  le  Livre  de  Josué,  en  hébreu, 
lesimôn  «  désert  »,  ne  semble  pas  être  un  nom  de  localité.  C'est 
peut-être  un  qualificatif  du  nom  d'Haçar-Qadda.  Il  y  aurait  donc 
eu  une  «  Gadda  du  désert  ».  Cette  ville  doit  correspondre  aux 
ruines  du  Kh.  Meshash,  situé  sur  la  lisière  du  désert,  au  pied 
d'une  colline  escarpée  que  couronnent  les  ruines  d'El  Ghurra. 

15.  Bêt  Pélet,  la  maison  du  salut  \  ethnique  Phaltite  (II  Sam., 
xxiii,  26)  ou  Phalonite  (I  Chr.,  xi,  27). 

L'armée  de  David  comprenait,  on  le  sait,  indépendamment  des 
Guibborim,  les  Krétites  ou  Kréti  et  les  Plétites  ou  Pléti.  On  a 
d'abord  voulu  voir  dans  ces  deux  derniers  noms  ceux  des  troupes 
spéciales,  les  coupeurs  et  les  légers,  de  même  que  notre  organi- 
sation militaire  française  a  comporté,  à  une  certaine  époque,  des 

'  De  Saulcy,  Dictionnaire  topographique  de  la  Terre  Sainte,  p.  299. 

*  1  Sam.,  XV,  4. 

*  XXI,  1. 

T.  XXXV,  N»  70.  « 


194  BEVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

grenadiers  et  des  voltigeurs.  Mais  on  a  dû  renoncer  à  cette  inter- 
prétation, devant  l'emploi  fait  de  Kréti  comme  terme  géographique, 
désignant  tout  ou  partie  de  la  Philistée  (I  Sam.,  xxx,  14  et  16; 
Ezéchiel,  xxv,  16  ;  Sophonie,  ii,  5);  dès  lors,  les  Pléti  pourraient 
très  bien  être  rattachés  à  Bet-Pélet. 
On  assignera  pour  site  à  cette  ville  Kh.  Saoua. 

16.  Haçar-Schoiiàl,  la  ville  des  chacals.  Les  Septante  la  dé- 
nomment Esersal,  Arsouala,  Chola,  Seola.  On  sait  que  ir  désigne 
une  ville  close  à  donjon,  et  que  le  fossé  qui  était  parfois  creusé  au 
pied  de  la  muraille  était  appelé  chèl.  Schouâl  n'occupait  donc  pas 
un  site  naturellement  fort.  Tel  est  le  cas  du  Kh.  Hora,  dont  les 
avenues  étaient  protégées  par  des  tours  de  garde. 

17.  Beërschéla  subsiste  encore  sous  son  nom.  C'était  une  loca- 
lité frontière,  célèbre  entre  toutes;  de  là  la  locution  de  Dan  à 
Beërschéba  {II  Sam.,  m  et  xvii,  11),  qui,  après  la  formation  du 
royaume  d'Israël,  devint  «  de  Beërschéba  à  la  montagne  d'Ephraïm  o 
(II  Chr. ,  XIX;  14) .  C'était  la  porte  du  désert  la  plus  fréquentée  :  Elle, 
fuyant  la  colère  d'Achab,  se  dirige  sur  Beërschéba,  y  laisse  son 
serviteur  et  s'enfonce  à  une  journée  de  marche  dans  le  désert 
(I  Rois,  XIX,  2). 

De  Beërschéba  partait  donc  une  route  .qui  traversait  le  désert; 
la  carte  de  Peutinger  trace  effectivement  une  voie  de  Helya  Capito- 
lina  (Jérusalem)  à  Aila  par  Elusa  et  Eboda.  Cette  voie  passait  for- 
cément par  Hébron  ;  or,  Hébron,  Beërschéba  et  El  Chalasa,  où  se 
voient  les  ruines  d'Elusa,  se  trouvent  sur  un  alignement. 

Beërschéba  était  donc  un  lieu  d'échanges  pour  les  populations 
situées  de  part  et  d'autre  de  la  frontière,  et  l'importance  de  ce 
centre  d'attraction  se  trouvait  encore  accrue  par  le  culte  rendu  à 
des  divinités  étrangères  :  «  Eux  qui  jurent  par  le  forfait  de  Scho- 
meron  (Samarie)  et  disent  :  Vive  ton  Elohim,  ô  Dan  !  vive  le  che- 
min de  Beërschéba!  Ils  tomberont  pour  ne  se  redresser  plus  »  *. 

Bizyotheya,  qui  ne  se  trouve  pas  sur  la  liste  des  Septante, 
devait  être  une  dépendance  de  Beërschéba,  peut-être  Kh.  Buteyir. 

Pour  faciliter  les  recherches,  on  passera  tout  de  suite  à  l'analyse 
des  renseignements  que  l'on  possède  sur  Çiqlag,  quitte  à  revenir 
ensuite  sur  les  noms  que  Ton  commence  par  sauter. 

24.  Çiqlag.  David,  persécuté  par  Saiil,  se  réfugia  chez  le  roi  de 
Gath,  qui  lui  assigna  pour  résidence  la  villn  de  Çiqlag,  située  sur 

'  Amos,  viti.  14. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DES  PAYS  VOISINS  19o 

les  confins  méridionaux  de  la  Philistée.  Pour  entraîner  ses  par- 
tisans, par  goût  ou  par  nécessité,  David  fit  de  nombreux  ghraz- 
zous  contre  le  Gueschourito,  le  Guirzite  *  et  l'Amalécite  habitant 
le  pays  entre  Olam  et  Scliour  -  et  la  terre  de  Miçraïm.  Mais  il  avait 
soin  de  cacher  les  objectifs  de  ses  expéditions.  «  Contre  qui  as-tu 
fait  aujourd'hui  une  incursion,  lui  demandait  AkischiContre  le 
Nédjeb  de  Juda  et  contre  le  Nédjeb  du  lerahmeélite  ÇUa^zyx)  et 
contre  le  Nédjeb  du  Qénite  (Keve^t).  » 

Lors  de  la  campagne  contre  les  Israélites,  dans  laquelle  Saiil 
périt,  David  accompagna  d  abord  le  roi  de  Gath,  puis,  devenu 
suspect  aux  Philistins,  il  fut  renvoyé  à  Çiqlag.  Il  trouva  son  bourg 
incendié  et  ses  femmes  enlevées  par  les  Amalécites.  Avec  six 
cents  de  ses  partisans,  il  se  lança  à  la  poursuite  des  ravisseurs  : 
deux  cents  s'arrêtèrent  épuisés  sur  le  bord  du  Nahal  Bessor  (Bo^bp). 
Continuant  la  chasse  avec  les  autres,  il  saisit  un  esclave  aban- 
donné par  les  Amalécites.  «  Je  suis,  leur  déclara  celui-ci,  un 
Miçraïte,  serviteur  d'un  Amalécite  ;  mon  maître  m'a  abandonné, 
il  y  a  trois  jours ,  parce  que  j'étais  malade.  Nous  avons  fait 
une  incursion  dans  le  Nédjed  du  Krèti  (XeXsêt)  et  dans  celui  de 
Juda  et  dans  celui  de  Kaleb  (KsXoùç),  et  nous  avons  incendié 
Çiqlag.  »  Guidé  par  ce  captif,  David  put  atteindre  le  parti  ama- 
lécite et  le  razzier  à  son  tour.  Il  distribua  le  butin  à  ses  compa- 
gnons et  envoya  des  parts  de  dépouilles  aux  Zeqènim  de  différentes 
villes  de  Juda  :  Bethel,  Ramot  du  Nédjeb,  lattir,  Aroër,  Siphmot, 
Eschtemoa,  Rakal,  les  villes  du  lahremeélite,  les  villes  du  Qénite, 
Horma,  Koraschan,  Atak,  Hébron  et  tous  lieux  visités  par  lui  et  sa 
bande  ;  d'après  les  Septante,  toïç  êv  Batôdoùp,  'FafjLïv&Tou,  reôop^ 
'ApoT|p,  'A[jL[xa8i,  Sacpi,  'EffGts,  TeG,  Kt[JLàô,  Sa'^kx,  0T,iJLàÔ,  Kap[JLr|Xoj,  êv 
Taïç  TzoXzGi  Tov  'l£p£[X£r,X,  £v  TaTç  Tzàlzai  Tou  Kevs^t,  êv  'Iept(X.oùO,  Bïipda- 
êee,  NofjLêè,  Xeêpwv. 

Ces  renseignements  vont  permettre  de  reconstituer  la  géogra- 
phie de  la  région  de  Çiqlag. 

Çiqlag  a  été  plus  haut  identifié  avec  Kh.  Zuheilikah  et  le  Nédjeb 
du  Krèti  avec  le  sud  de  la  Philistée.  La  direction  du  ghrazzou  ama- 
lécite précité  était  donc  l'ouest-est;  le  Nédjeb  de  Kaleb  doit  être 
cherché  à  l'est  de  Çiqlag,  ainsi  que  le  Nédjeb  du  lerahmélite, 
et  celui  du  Qénite  ou  plutôt  du  Qénizzite,  car  les  Septante  se  ser- 

'  Nom  incoonu  des  Septante,  d'Eusèbe  et  de  S.  Jérôme. 

*  Aux  mots  .  Olam  et  Schour  •  les  Septante,  Eusèbe  et  S.  Jérôme  substituent  le 
nom  Guélamsour.  Olam  peut,  d'autre  part,  être  rapproché  de  Beërschéba,  d'après  un 
passage  de  la  Genèse  (xxi,  32)  :  ■  à  Beërschéba  Abraham  planta  un  tamaris  et  y 
invoqua  le  nom  d'iahvé  El-Olam.  •  Les  incursions  de  David  auraient  donc  eu  pour 
théâtre  le  territoire  compris  entre  la  ligne  Beër&chéba-Schour  et  l'Egypte. 


196  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

vent  ici  du  terme  KevsCt,  et  au  Livre  de  la  Genèse  ',  ils  distin- 
guent Toùç  X£va''ouç,  les  Qénites,  et  toùç  Kevs^atou;,  les  Qénizzites. 

Dans  notre  Etude  sur  la  Schefèla  et  la  montagne  de  Juda^^ 
nous  avons  appelé  l'attention  sur  un  ensemble  de  ruines  groupées 
autour  du  Kh.  Kannas.  Ce  massif  montagneux  doit  correspondre 
au  NédjeJ)  du  Qénizzite,  les  ruines  qui  s'y  trouvent  aux  bourgs 
des  Qénizzites. 

S'il  en  est  ainsi,  Horma,  'IcO'.fxoùO,  doit  être  retrouvé  dans  le 
voisinage.  Que  l'on  rapproche  les  trois  textes  suivants  :  A.  «  Dans 
ce  temps,  Josué  alla  trancher  les  Anaqites  de  la  région  monta- 
gneuse de  Hébron,  de  Debir,  de  Anab,  de  la  montagne  de  Juda'  »  ; 
—  B.  «  Le  roi  de  Debir,  un  ;  le  roi  de  Guéder  (raolç),  un  ;  le  roi  de 
Horma  ('Epaà6),  un  ;  le  roi  de  Arad  (Aokç.),  un  »  *  ;  —  C.  Les  fils  de 
Qéni,  beau-frère  de  Moïse,  étaient  montés  de  la  ville  des  Palmiers 
avec  les  enfants  de  Juda  jusqu'au  désert  de  Juda,  situé  au  midi 
de  Arad,  suivant  le  peuple  d'Israël  dans  sa  migration,  et  mêlés 
partout  à  lui.  Continuant  sa  marche  avec  Siméon,  son  frère,  Juda 
frappa  le  Kenaânite  qui  séjournait  à  Ç^phat.  Les  vainqueurs 
vouèrent  la  ville  et  la  nommèrent  Horma  (la  vouée)  *.  » 

On  devra  tout  de  suite  assigner  pour  ligne  de  marche  au  con- 
quérant Hébron,  Debir,  Anab,  Horma,  et,  tenant  compte  que  le 
nom  de  Çephat  indique  un  site  élevé,  on  sera  naturellement 
amené,  d'après  les  sites  précédemment  assignés  ^  aux  trois  pre- 
mières de  ces  localités,  a  identifier  Horma  avec  les  ruines  dé- 
nommées Oumm  er  Roumanin,  qui  se  dressent  au  sommet  d'une 
montagne. 

Koraschan  ou  plutôt,  suivant  la  rectification  de  Saint-Jérôme, 
Borasan,  la  citerne  d'Asan,  doit  être  cherché  à  l'est  d'Horma  ; 
le  Kh.  Oumm  er  Suwaneh,  qui  offre  des  citernes  antiques,  est 
dans  la  direction  convenable. 

Enfin,  le  Nop-Sl  des  Septante,  à  l'est  de  Borasan,  s'identifie  sans 
hésitation  avec  Anab. 

Dans  notre  étude  précitée',  nous  avons  montré  quelque  répu- 
gnance à  placer  la  seconde  ville  du  premier  groupe  de  la  mon- 
tagne Yattir,  'l£6£i,au  Kh.  Attir,  situé  dans  la  direction  de  Malata. 
Le  roi  de  Guéder,  Taokp,  qui,  sur  la  liste  des  rois  vaincus,  figure 

'  Gen.,  XV,  19. 

*  Bévue  des  Etudes  juives,  XXXIV,  p.  64. 
»  Jos.,  XI,  2t. 

*  Jos.,  XII,  13-14. 
5  Juges,  I,  16-17. 

*  Jievue  des  Études  juives,  XXXIV.  p.  63-Cl. 
'  Id.,  p.  65. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DES  PAYS  VOISINS  197 

entre  le  roi  de  Debir  et  celui  de  Horma,  devait  commander  à  une 
ville  dont  le  site  doit  être  cherché  entre  Edh  Dhaheryeh  et  Oumm 
er  Roumanin  :  TaSèp  et  'Isôlp  semblent  d'ailleurs  identiques.  On  est 
ainsi  conduit  à  jeter  les  yeux  sur  les  ruines  d'Oumm  Jureideh. 

Les  identifications  qu'on  vient  de  faire,  en  se  servant  tantôt  du 
texte  hébreu,  tantôt  de  la  version  des  Septante,  ont  bien  établi 
l'ordre  suivi  dans  l'énumération  des  villes  auxquelles  des  parts 
de  butin  furent  attribuées  par  David,  et  montré  dans  quelle  direc- 
tion ii  convient  de  poursuivre  les  recherches. 

On  est  ainsi  fondé  à  placer  le  Nédjeb  du  lerahmélite  dans  la 
haute  vallée  d'El  Muîeihah  ;  il  est  toutefois  possible  que  ce  pays 
s'étendît  à  l'est,  de  façon  à  englober  la  chaîne  au  nord  du  mas- 
sif d'Ouram  Kannas,  et  avec  elle  les  ruines  de  Kh.  Oumm  Hâre- 
tein,  Kh.  el  Weibedeh,  Resm  esch  Schakkâk,  Deir  el  Mus,  Kh. 
Jeimar,  Kh.  Oumm  Khuschram,  Kh.  Beit  Murrân,  Kh.  Bidghusch, 
et,  enfin,  Deir  Muheisin,  Kh.  Hôrân  et  Beit  Mirsim^  Certains  de 
ces  noms  rappellent  la  descendance  de  lehrameël  :  ainsi  Khusch- 
ram, Kisseram  «  le  siège  de  Ram»;  Ram  était  l'aîné  de  lehra- 
meël ;  ainsi  encore  Deir  Mus,  Maaç  était  l'aîné  de  Ram. 

Kaleb  étant  frère  d'Ierahmeël,  le  Nédjeb  de  Kaleb  était  sinon  iden- 
tique au  Nédjeb  dn  lehrameélite,  du  moins  très  voisin  de  celui-ci. 

Rakal,  qui  peut  être  lu  Dakal,  semble  pouvoir  être  rapproché 
de  Oumm  Dabqal.  —  Les  Septante  substituent  à  Rakal  une  liste  de 
noms  :  Geth,  Kimath,  Saphec,  Theraath  et  Garmel.  Un  seul  d'entre 
eux  s'identifie  immédiatement,  Geth  avec  le  Kh.  Abu  Gheith. 

De  même,  aux  deux  noms  Siphmot  Eschtemoa,  les  Septante 
opposent  Ammadi,  Saphie,  Esthie.  Ammadi  se  retrouve  au  Kh. 
Oumm  Ameidât. 

Aroër  semble  pouvoir  être  rapproché  de  Tell  Abou  Harireh  ou 
des  ruines  voisines  de  Oumm  Jerrah,  qui  couronnent  une  colUne 
au  sud  de  Zuheilikah. 

Gethor  devrait  être  cherché  à  l'ouest  du  Kh.  Oumm  Jerrah  au 
Kh.  Oumm  Adrah. 

Les  deux  bourgades  qui  occupent  la  tête  de  la  liste  des  bourgs 
dotés  par  David  d'une  part  de  butin,  Bethel  et  Rama  du  Nédjeb, 
et  qui,  d'après  les  considérations  précédentes,  devaient  se  trouver 
dans  les  environs  immédiats  de  Zuheilikah,  Bethel  et  Rama  du 
Nédjeb  sont  évidemment  identiques  à  Bethel  et  Erma  qui,  sur  les 
listes  de  Juda  et  de  Siméon,  précèdent  Siceleget  que  l'on  va  main- 
tenant envisager. 

'  Ces  ruines  ne  correspondent  à  aucune  ville  de  la  moataj^ne  de  Juda.  11  en  résulte 
que  tout  le  pays  n'avait  pas  été  occupé  par  Juda  lors  de  la  conquête. 


198  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

23.  Rama  du  Nédjeb.  Il  est  question  de  cette  localité  dans  un 
passage  du  Livre  de  Josué,  qui  paraît  avoir  été  jusqu'ici  mal  in- 
terprété. 

«  Ain,  Rimmon,  Ether,  Aschan  :  quatre  bourgs  et  leur  terri- 
toire. Il  faut  y  joindre  toutes  les  dépendances  qui  entouraient  ces 
bourgades  jusqu'à  Baalat-Beër,  dans  la  hauteur  du  Nédjeb  *.  » 

Les  Septante  traduisent  : 

'Ep£[JL[Awv,  xal  0aX/à^  xa-  'k^èp,  /.al  'ÀTàv  ttôÀî-.ç  TeTcapeç,  xal  al 
xwaa'.  aÙToJv  xùxXoi  tojv  tiôaeojv  auTwv  scoç  BxÀkx  7ros£'JO[i.£vojv  BajxlO 
xaxà  X''êa. 

Ce  passage  présente  une  erreur  de  lecture  :  BxXex,  pour  BxÀsO  ;  un 
laxjsns  calami:  BaasO  pour  'PmlO.  Baleth  n'est,  d'ailleurs,  pas  un 
nom  propre,  il  désigne  un  chêne,  en  arabe  fallût.  Ce  chêne  se 
dressait-il  sur  les  bords  du  puits  de  Ramot  du  Nédjeb,  ou  fai- 
sait-il simplement  l'ornement  d'une  localité  appelée  Beramot  du 
Nédjeb?  Dans  un  cas,  il  aurait  existé,  dans  la  même  région,  Âïn 
Rimmon  ('Es£aawv,  'Ep(0[jLw6)  et  Rama  du  Nédjeb,  et  dans  l'autre 
trois  Rama.  On  écartera  donc  cette  dernière  solution,  et  l'on 
traduira  :  «  Il  faut  y  joindre  toutes  les  dépendances  de  ces  bour- 
gades jusqu'au  chêne  du  puits  de  Ramot  du  Nédjeb.  >> 

On  est  alors  conduit  à  placer  cette  localité  au  Kli.  Oued  el  Ftis 
(ruines  sur  une  étendue  de  1800  mètres  environ  de  pourtour;  dans 
le  lit  de  i'oued,  puits  antique,  donnant  une  eau  de  bonne  qualité). 

22.  Bethel.  La  comparaison  des  listes  de  Juda  et  de  Siméon 
conduit  à  l'égalité  Bethel  =  Chsil  ;  la  comparaison  des  textes 
hébreu  et  grec  des  listes  de  villes  dotées  par  David  mène  à  cette 
autre  égalité  Bethel  =  Bethsur,  et  ces  identifications  sont  con- 
firmées par  les  étymologies  de  V Onomasticon  :  «  Chisil  robustus. 
Bethsur  domus  robusti.  » 

Bethsur,  devant  être  cherché  dans  les  environs  de  Zuheilikah, 
se  retrouve  au  Tell  esch  Scherîah. 

18-21.  L'exploration  de  la  région  comprise  entre  Beërschéba  et 
Tell  esch  Scheriah  a  révélé  l'existence  de  cinq  grandes  ruines,  Kh. 
el  Lekîyeh  et  Kh.  er  Ras  voisines  l'une  de  l'autre,  Kh.  el  Muweiiêh, 
Kh.  Abu  Samârah  et  Kh.  Zubâlah.  Il  parait  naturel  de  les  assigner 
pour  sites  respectifs  aux  quatre  villes  de  Siméon,  Bala,  Anim, 
Asom  et  Eltolad. 

25.  Madmèna.  Eusèbe  rapporte  que  c'était  une  petite  place  ap- 

'  Joi.,  xii,  7-8. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DES  PAYS  VOISINS  199 

pelée  de  son  temps  Mênôis  et  voisine  de  Gaza.  Ce  renseignement 
est  pour  nous  moins  précieux  que  celui  qu'ont  recueilli  les  Sep- 
tante, qui  substituent  au  nom  de  Madmena  celui  de  Bet-Mar- 
chaboth,  dans  lequel  on  reconnaît  sans  peine  Bel  ha  Marhabot, 
la  maison  des  chars.  Cette  localité  se  trouvait  donc  dans  une 
plaine,  le  long  d'une  route  fréquentée.  Bien  que  la  carte  de  Peu- 
tinger  et  les  itinéraires  d'Antonin  ne  fassent  passer  par  Gaza  que 
la  voie  suivant  le  littoral,  on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître 
que  le  terrain  se  prête  à  la  circulation  des  chars  entre  Gaza 
et  l'ancienne  Gath.  En  s'avançant  dans  cette  direction,  on  laisse, 
en  effet,  au  sud  les  derniers  contreforts  de  la  montagne  et  l'on 
n'a  guère  à  franchir  que  de  simples  ondulations  de  terrain  ;  l'on 
arrive  ainsi  au  Kh.  Beit  Mâmîn,  que  l'on  identifiera  sans  hési- 
tation avec  Madmena. 

26.  Sansanna,  aussi  appelé  Haçar-Sousim,  la  ville  des  che- 
vaux-, nous  reporte  à  l'époque  des  tablettes  de  Tell-el-Amarna, 
dans  lesquelles  huit  chefs,  dont  Japachi  deGezer,  Jitia,  prince  d'As- 
calon,  Jabnilu,  prince  de  Lakis,  prennent  le  titre  de  «  maître  des 
cavales  royales  ».  La  ville  des  chevaux  était  donc  un  relai  établi 
sur  une  route  pratiquée  par  les  courriers  que  le  roi  d'Egypte  en- 
voyait aux  chefs  tributaires  ou  aux  souverains  des  contrées  loin- 
taines, Babylone,  Mitani,  Alasya  etc.  Il  est  naturel  de  placer  San- 
sanna entre  le  Kh.  Beit  Màmîn  et  Gaza:  on  est  ainsi  conduit  au 
village  de  Simsim. 

27.  Lebaôl,  Bet-Lebaoth,  la  maison  des  lionnes,  ou  encore  Bet- 
Bireï,  semble  pouvoir  être  retrouvé  au  village  de  Bureir,  situé  à 
une  faible  distance  à  l'est  de  Simsim  '. 

28.  Scharaïm,  les  deux  portes.  Ce  nom  est  singulièrement  ins- 
tructif, car  il  prouve  par  lui-même  que  les  villes  closes  n'avaient 
d'ordinaire  qu'une  porte,  la  porte  étant  toujours  le  point  faible  de 
la  place.  Les  villes  à  deux  portes  étaient  donc  une  exception,  qui 
se  présentait  si  rarement  qu'on  pouvait  sans  crainte  d'erreur  dési- 
gner une  ville  par  cette  particularité.  Cette  dérogation  à  la  règle 
générale  devait  se  justifier  non  seulement  par  la  traversée  d'une 
route,  mais  encore  par  la  nécessité  de  maîtriser  cette  communi- 
cation. Scharaïm  était  sur  une  route  comme  Madmena,  comme 
Sansanna.  On  se  trouve  donc  en  présence  des  localités  corres- 
pondant au  premier  tronçon  de  la  voie  suivie  par  les  armées  égyp- 
tiennes pénétrant  en  Palestine. 

*  Ou  encore  au  Kh.  El  Bir  à  l'est  de  Gaïa. 


200  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Cette  constatation  nous  reporte  aussitôt  au  tableau  de  la  salle 
hypostyle  de  Karnak,  représentant  le  retour  triomphal  de  Seti  I"  ' . 
Le  roi  franchit  le  canal  frontière  en  un  point  défendu  par  une 
tête  de  pont  fortifiée;  les  prêtres  et  les  grands  viennent  au-devant 
de  lui  et  le  saluent  de  leurs  acclamations.  Devant  le  char  marchent 
trois  rangées  de  captifs,  et,  enchaînés  au  char,  trois  chefs  Schasous 
s'avancent  parallèlement  au  prince  ;  au-dessous  du   char  et  des 
chevaux  trois   forteresses  sont  figurées,  qui  indiquent  la  route 
suivie  par  le  roi.  La  première  derrière  le  char  et  au  bord  d'un 
réservoir  planté  d'arbres,   Uati  de  Seti   Minphtafi,  le   puits  de 
Seti  Min  Phtath;  la  seconde  derrière  le  char,  à  hauteur  de  la 
croupe  des  chevaux,  Pa  magadil  en  Seti,  la  tour  de  Seti  ;   la 
troisième  derrière  les  membres  antérieurs  des  chevaux ,   Ta-â- 
pamàou,  la  demeure  du  lion  avec  deux  bouquets  d'arbres  en- 
tourant une  pièce  d'eau;  à  hauteur  des  files  moyennes  des  prison- 
niers, Pa-Khtoum-en-Tsar  ou  Tsal,  la  forteresse  de  Tsar  ou 
Tsal.  Une  bande  horizontale  d'une  eau  poissonneuse  s'étend  sous 
les  pieds  de  la  file  inférieure  des  captifs;  une  bande  verticale  d'eau 
peuplée  de  crocodiles  limite  la  peinture  à  droite.  Cette  eau  nommée 
ta  tena,  le  canal,  est  franchie  par  un  pont  fortifié  défendu,  du 
côté  de  la  Syrie,  par  une  première  tour,  puis  par  une  enceinte 
extérieure  flanquée  de  deux  tours;  sous  la  construction  la  légende 
le  réservoir  de  Hazina. 
Reportons  maintenant  le  tableau  dans  son  cadre  réel. 
Presque  au  point  où  l'Oued  Gazza,  peuplée  de  crocodiles,  se  jette 
dans  la  mer  poissonneuse  de  la  Méditerranée,  se  dresse  sur  la  rive 
droite  le  Tell  Ajjul  aux  flancs  retaillés  de  main  d'homme,  et  sur  la 
rive  opposée  le  Tell  Nujeid.  Voilà  le  Zarou  ou  Zalou  des  Egyptiens. 
Le  Léontopolis  inconnu,  qui  marque  la  première  étape,  c'est 
Lebaôt  «  la  ville  des  lionnes  »,  c'est  Bureir  avec  son  bouquet  de 
bois. 

La  Migdol  de  Seti,  qui  marque  la  seconde  étape,  ce  peut  être, 
dans  le  prolongement  de  la  ligne  Tell  Ajjul-Bureir,  Migdal-Gad. 

Le  Puits  de  Seti,  c'est  El  Bireh  au  nord  de  Tt^ll  Djezer,  où  les 
explorateurs  du  P.  E.  F.  signalent  des  fondations  et  des  monceaux 
de  pierre,  en  indiquant  la  possibilité  d'y  voir  l'emplacement  d'une 
ville  antique. 

Et  la  grande  voie  militaire  se  poursuit  par  Mejdel  Yaba,  Kh.  el- 
Khareyeh,  Kh.  Suffin,  Kh.  Nesha,  Kefr  Sa,  El  Mejdel  et  Taiyibeh, 
Furdisia,  sur  Irlah  et  le  village  de  Feraoun. 

•  Guyesse,  Inscription  historique  de  Sati  1"  dans  le  tome  XI  du  Recueil  des  tra- 
vaux ;  Leaormaul,  Histoire  ancienne  des  peuples  de  l'Orient,  II,  p.  239  ;  Maspero, 
Histoire  ancienne  des  peuples  de  l'Orient  classique,  II,  p.  370. 


GÉOGRAPHIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DES  PAYS  VOISINS  201 

Cette  interprétation  du  tableau  est  sans  nul  doute  plus  satisfai- 
sante que  celle,  jusqu'ici  admise,  qui  place  Zalou  au  Sile  des  Iti- 
néraires, à  XXII  milles  romains  de  Peluse  et,  par  conséquent,  de 
la  mer. 

On  ne  saurait  cependant  taire  une  objection  que  suggère  le  récit 
de  la  campagne  de  Toutraès  III  contre  Mageddo.  «  L'an  XXII,  le 
4*  mois  de  Pirit,  le  25  [voici  que  S.  M.  se  trouva  à]  T'or,  en  sa 
première  campagne  [victorieuse  pour  élargir]  les  frontières  de 
l'Egypte.  Or,  pendant  la  durée  de  ces  an[nées  le  pays  des  Lotanou 
avait  été  en]  discorde,  chacun  [se  battait]  contre  [son]  voisin 
[grand  ou  petit  jusqu'à  ce  que]  se  fussent  produits  d'autres  temps 
[pour]  les  gens  qui  étaient  là  dans  la  ville  de  Scharouhana,  à  par- 
tir de  la  ville  de  Jerza*,  jusqu'aux  régions  lointaines  de  la  terre, 
qui  en  vinrent  à  se  révolter  contre  S.  M.  ^.  » 

Ce  texte  fait  de  Zalou  et  de  Scharouhana  deux  localités  dis- 
tinctes, tandis  que  les  Septante,  en  traduisant  par  SaX/],  le  Scliil- 
him  du  texte  hébreu,  lequel  correspond  incontestablement  au  Scha- 
rouhana égyptien  3,  en  font  une  seule  et  même  ville.  Si  l'on  pouvait 
faire  de  Scharouhana,  dont  il  est  également  question  à  l'époque 
de  l'expulsion  des  Pasteurs  d'Egypte,  un  canton  au  lieu  d'une 
ville,  tout  s'expliquerait,  même  le  texte  cité,  qui  ne  laisse  pas  que 
de  présenter  une  certaine  obscurité  ou,  pour  le  moins,  une  cer- 
taine incorrection  ;  si  l'on  rejette  cette  manière  de  voir,  il  faut 
assigner  à  Scharouhana  un  site  à  l'est  d'Ajjul,  à  cheval  sur  une 
route  venant  d'Egypte,  et  l'on  est  alors  conduit  à  jeter  les  yeux 
sur  le  Kh.  El  Mendur.  où  se  trouvent  des  traces  d'une  vieille  ville. 

On  remarquera  l'emploi  simultané  des  formes  Silchin,  Scharou- 
hana, qui  trahit  le  voisinage  de  l'Egypte  dont  l'alphabet  ne  dis- 
tingue pas  les  lettres  l  et  r. 

29.  Ramot.  Les  Septante  ne  font  qu'une  ville  'Eowijlwô  d'Aïn  et 
de  Rimmon  du  texte  hébreu.  Cette  ville,  son  nom  l'indique,  occu- 
pait un  site  élevé.  On  sait,  d'autre  part,  par  Sozomène,  qu'à  cinq 
milles  de  Gaza  se  dressait  près  d'un  torrent  la  ville  de  Rabatha,  qui 
est  évidemment  la  même  que  celle  qui  est  en  ce  moment  consi- 
dérée. L'identification  de  Ramot  avec  le  Kh.  el  Meshrefeh  s'im- 
pose. 

1  Aujourd'hui  Beit  Jerjah. 

*  Maspero,  Le  récit  de  la  campagne  contre  Mageddo,  dans  le  Recueil  des  travaux, 
t.  II,  p.  4o-50. 

'  Bru^sch,  Geographiscke  Inschriften,  t.  II,  p.  32  ;  F.  Lenormant,  Histoire  ancienne 
de  l'Orient,  t.  11^  158;  Maspero,  Histoire  ancienne  des  peuples  de  l'Orient  classique, 
t.  II,  p.  88. 


202  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Ramot  fut  cédée  à  Siméon  ;  elle  fit  partie  d'un  groupe  de  quatre 
localités,  comprenant  : 

0aX/à,  0oxxà  OU  Thokèn, 
'leôèp,  Akàv,  Ether  ou  Etam, 
'Affàv,  Alcàp  ou  Aschan. 

Dans  le  canton  à  l'est  du  Kli.  el  Meshrefeh  les  ruines  de  Kh. 
Silian,  Kh.  Ouram  Adrah,  et  Kh.  Kutschan  peuvent  marquer  les 
emplacements  de  ces  trois  bourgades  antiques.  On  doit  toutefois 
observer  que,  d'après  les  indications  de  distance  d'Eusèbe  et  de 
Jérôme,  Thalcha  devrait  être  cherché  à  Tell  Abou  Dilakh  au 
nord-est  de  Zuheilikah. 

Si  les  recherches  qui  viennent  d'être  exposées  laissent  dans 
l'indécision  les  sites  d'un  trop  grand  nombre  de  bourgades,  elles 
prouvent,  du  moins,  que  toutes  les  localités  à  l'ouest  de  Beërschéba 
se  trouvaient  au  nord  du  torrent  qui  passe  par  Beërschéba,  et  elles 
établissent,  par  conséquent,  que  le  torrent  de  Miçraïm,  impropre- 
ment appelé  le  Nil  d  Egypte,  se  confond  avec  l'Oued  Gazza. 

La  Genèse  nous  apprend  *  qu'Abraham  étant  parti  pour  le  pays 
du  Nédjeb  s'établit  entre  Qadesch  et  Sur  et  séjourna  à  Gerar.  On  a 
proposé  de  retrouver  Gerar  au  Kh.  Umm  Djerar  sur  la  rive  gauche 
de  l'Oued  Gazza  ou  à  Tell  Jemmeh  situé  sur  la  rive  opposée,  ce 
qui  semble  préférable.  On  a  circonscrit,  d'autre  part,  la  région 
dans  laquelle  il  convient  de  chercher  l'emplacement  de  Qadesch- 
Barnèa.  On  pourrait  en  déduire  l'emplacement  approximatif  de 
Sûr  ;  l'on  retomberait  sur  le  Tell  Ajjul,  que  d'autres  considérations 
ont  amené  plus  haut  à  identifier  avec  le  Tsal  des  Egyptiens. 

Colonel  G.  Marmier. 

'  Gen.    XX,  1 


LA  TRILITERâLITE  DES  RACINES 

yy  ET  Y';^  ' 


Hayyoudj,  le  véritable  créateur  de  la  grammaire  hébraïque,  a 
posé  le  principe  absolu  de  la  trilitéralité  des  racines.  Même  les 
racines  qui  apparaissent  dans  certaines  formes  réduites  à  une  ou 
deux  lettres  ont,  en  réalité,  trois  consonnes  et  c'est  par  suite  de 
contraction  qu'elles  ont  perdu  l'une  ou  l'autre  radicale.  Hayyoudj 
paraît  avoir  suivi  ici  l'exemple  des  grammairiens  arabes,  qui  ad- 
mettent toujours  pour  les  racines  faibles  trois  consonnes  pri- 
mitives. 

Le  principe  établi  par  Hayyoudj  semble,  chez  ses  successeurs, 
n'avoir  guère  rencontré  d'opposition,  quoiqu'il  restât  longtemps 
ignoré  dans  divers  pays,  par  exemple  dans  la  France  du  Nord. 
Seul,  Ibn  Chiquitilla  paraît  avoir  admis  que  les  racines  i'y  n'ont 
que  deux  consonnes  *. 

Ibn  Ezra  et  les  Kimhi  vulgarisèrent  la  théorie  de  Hayyoudj, 
qui  fut  adoptée  par  tous  les  grammairiens  juifs  postérieurs,  ainsi 
que  par  les  chrétiens  qui,  lors  de  la  Renaissance,  s'adonnèrent  à 
l'étude  de  la  grammaire  hébraïque. 

Bôttcher,  à  notre  connaissance,  est  le  premier  qui  ait  remis  en 
question  la  trilitéralité  des  racines  y"^  et  i'y.  D'après  lui,  les 
formes  nominales  et  verbales  tirées  de  ces  racines  qui  ne  montrent 
pas  trois  consonnes  n'ont  jamais  été  véritablement  trilitères. 
Elles  ont  eu  leur  flexion  spéciale,  imitant  la  flexion  des  racines 
fortes,  mais  non  pas  identique  avec  celle-ci.  Les  formes  qui  n'ont 
pas  trois  consonnes  sont  primitives,  celles  qui  en  ont  trois  sont  se- 
condaires. Ainsi,  n»  est  primitif,  m)û  ne  Test  pas;  5p_  est  primi- 
tif, aao  ne  l'est  pas.  Il  y  a,  d'ailleurs,  quelques  verbes  i'y  et  ''"y  qui 

*  Une  partie  de  ce  travail  a  été  lue  au  dernier  congrès  des  Orientalistes. 
'  Voir  Poananski,  Ibn  ChiquitiUa,  p.  43,  note  9. 


204  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

sont  absolument  trilitères,  mais  ceux-là  ne  perdent  jamais  le 
vav  ou  le  yod. 

Les  idées  de  Bôttcher  ont  été  adoptées  par  un  grand  nombre  de 
savants  modernes,  et  la  dernière  édition  de  la  grammaire  de  Ge- 
senius,  publiée  par  M.  Kautzsch,  leur  a  donné  une  sorte  de  consé- 
cration. Nous  devons  toutefois  rappeler  que  Wright,  dans  ses 
leçons  de  grammaire  comparée,  et  M.  Kônig,  dans  sa  grammaire 
critique  (1881  et  1896),  se  sont  refusés  à  les  admettre. 

Nous  allons  examiner  en  détail  les  arguments  de  Bôttcher,  aux- 
quels les  autres  grammairiens  ont  ajouté  peu  de  chose. 

A  la  page  476  de  sa  grande  grammaire,  Bôttcher,  après  avoir 
exposé  la  flexion  des  verbes  géminés,  rappelle  que  d'ordinaire  on 
explique  le  redoublement  de  la  seconde  radicale  par  la  réunion  de 
deux  consonnes  semblables  primitivement  distinctes.  «  Ceci,  dit- 
il,  est  très  bien  sur  le  papier,  dans  l'écriture  morte,  mais  ne  ré- 
pond pas  à  la  vie  réelle  des  sons,  dans  l'usine  du  langage.  Que 
nn-û  devienne  nns  et  bij^rî";,  b^r  ^  cela  se  conçoit  parce  que  les  deux 
consonnes  pareilles  ne  sont  pas  séparées  par  une  voyelle.  De  même, 
des  noms  peu  importants,  comme  les  terminaisons  d'une  particule, 
l'augment,  Vu  du  diminutif,  n'ont  pas  empêché  dans  les  langues 
occidentales,  notamment  en  grec,  la  réunion  de  deux  consonnes 

semblables  (cf.  iraspiridia,    y.i:r.i^'l/î'.,  yAzbzvt,  de  t.x^:co.,  xt.o~.,  xareO., 

l'allemand  Pille,  de  pilula,  etc.).  Mais,  en  hébreu,  on  sait  que  la 
moindre  voyelle  intermédiaire  empêche  la  réunion  de  deux  con- 
sonnes semblables,  par  exemple  "^isr;,  ï]Dj2,  Ninnn.  D"'n7:n'5.  Or,  que 
des  voyelles  fortes  intermédiaires,  bien  plus,  des  voyelles  signifi- 
catives, puissent  disparaître  et  que  ""S^nno  devienne  "^ïiao^  que  Dbp 
et  :i3bo  deviennent  lab,  ^3b,  que  de  nbo;^  sorte  20^  et  de  naçrij 
aoïi  ceci  ne  peut  s'expliquer  par  aucun  phénomène  semblable 
dans  la  langue  hébraïque  et  on  trouverait  difficilement  ailleurs 
des  cas  analogues.  Il  faut  donc  admettre  que  la  flexion  brève  qui 
redouble  la  consonne  est  primitive  et  que  c'est  de  là  que  dérive 
la  flexion  pleine  par  dédoublement  des  consonnes  sur  le  modèle 
des  racines  fortes,  parce  que  la  séparation  et  la  répétition  des 
consonnes  ont  paru  équivaloir  au  redoublement,  quand  on  a  eu 
besoin  de  deux  syllabes.  Ainsi,  au  lieu  de  bbp,  que  fournissent 
les  dictionnaires,  la  forme  qui  est  sortie  immédiatement  du 
germe  de  la  racine  bp  était  bp_  (avec  daguesch  ;  cf.  pour  l'aoriste 
PaX,  le  présent  paXX),  d'où  est  sortie  (avec  la  voyelle  du  mode)  la 
forme  verbale  qalla^  yeqallu,  opposée  à  la  forme  nominale 
(avec  la  voyelle  de  cas)  qallu,  qalli.  Ces  formes  se  sont  abré- 
gées ensuite  en  bi?  (parfait),  bp^.  et  b]?  (adjectif).  Mais,  pour  pro- 


LA  TRILITÉRALITE  DES  RACINES  ry  ET  Y'^  205 

duire  un  nom  comme  ïi3">:ï,  un  verbe  comme  ns?'^,  il  fallait,  à  la 
place  de  h'p_^  plutôt  des  formes  ïibbp  et  bb]?-»  de  bbp.  Que  tel  a  été 
le  processus,  c'est  ce  que  montre  1°  l'analogie  phonétique.  Si  la 
contraction  avait  été  la  cause  du  redoublement,  celle-ci  devrait  ap- 
paraître uniformément  dans  toutes  sortes  de  sons.  Mais  de  même 
que,  dans  les  autres  modes  de  redoublement,  ce  sont  principale- 
ment ou  exclusivement  les  consonnes  les  plus  sonores  qui  y  sont 
disposées  (liquides  et  sifflantes),  de  même  parmi  les  212  racines 
9"y,  113  se  terminent  par  des  consonnes  de  ce  genre  (bttsn, 
TOiSïïî),  les  quatre  premières,  qui  sont  les  plus  aptes  au  redouble- 
ment, en  comptent  à  elles  seules  77,  tandis  que  les  racines  à  con- 
sonnes explosives  (ar^T,  ssn,  Dp)  n'en  ont  que  83  et  les  consonnes 
aspirées  n,  n,  y,  n'en  ont  que  16  (et  y  et  n  sont  très  usitées  à  n'im- 
porte quelle  place  de  la  racine).  2°  L'analogie  de  la  formation 
des  racines  :  on  reconnaît  dans  toutes  les  langues  que  la  période 
de  décadence  amène  des  abréviations,  mais  que  dans  la  période 
de  développement  et  d'épanouissement,  les  racines  vont  de  la 
brièveté  à  l'extension.  3"  L'analogie  de  la  formation  des  mots 
dans  la  langue  hébraïque,  qui,  pour  renforcer  le  sens,  au  lieu  du 
procédé  primitif  et  général  de  redoublement  interne,  emploie  dans 
une  période  postérieure  la  répétition  des  consonnes,  sans  que  ces 
consonnes  reviennent  ensuite  au  redoublement.  4°  L'analogie 
de  la  formation  des  racines  et  des  mots  dans  les  langues  occi- 
dentales, qui,  à  côté  du  redoublement  ou  du  renforcement,  em- 
ploient aussi  la  répétition  (cf.  edo,  ISopi-at,  èaôico,  £orjÔ£(j[/.at,  àSwBi^, 
Y£V£(76at,  Y£vvav  gignere,  àpw,  àppw  (d'où  àpcS,  comme  paXw  de  pàXXw), 
à  côté  de  àpaoov  (aor.),  àpapi^xw.  5°  La  disproportion  de  difficulté 
entre  la  flexion  brève  et  la  flexion  pleine  (§  1117)  qui  existe,  de 
même  que  la  circonstance  que  ce  sont  justement  les  formes  les 
plus  récentes  (infinitif  et  participe)  qui  ont  le  plus  souvent  la 
forme  pleine.  » 

Dans  le  §  1117  se  trouve  ce  qui  suit  :  «  Du  reste,  cette  triple 
manière  de  résoudre  la  tâche  (c'est-à-dire  de  conjuguer  des 
verbes  géminés)  est  une  dernière  preuve  que  la  flexion  brève  est 
primitive  et  ne  provient  pas  de  la  contraction.  Car,  si  la  racine  dé- 
veloppée niDet,  par  suite,  la  flexion,  aussi  simple  que  juste,  nnao^ 
nnao  avait  existé  en  premier,  on  s'en  serait  sûrement  tenu  là, 
sans  recourir  à  des  expédients  comme  nia?  et  des  formes  muti- 
lées comme  nb?.  » 

Voilà,  rendus  aussi  fidèlement  que  possible,  les  arguments  de 
Bôttcher  quant  aux  racines  géminées.  Reprenons-les  pour  en  voir 
la  portée. 


206  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

D'abord,  dit  ce  grammairien,  nous  voyons  qu'en  hébreu  une 
petite  voyelle  suffit  pour  empêcher  la  contraction  de  deux  con- 
sonnes semblables,  par  exemple,  -^ppri,  ?)""?'  ^'^^ni  ^  donc  une 
voyelle  aussi  importante  que  celle  de  ans  n'aurait  pu  disparaître. 
Mais  Bottcher  n'a  pas  réfléchi  que,  dans  les  mots  qu'il  a  cités, 
les  deux  consonnes  appartiennent  à  des  éléments  distincts,  et,  si 
elles  avaient  été  combinées,  l'ensemble  du  mot  aurait  été  défiguré. 
La  moindre  petite  voyelle  suffit  à  empêcher  alors  la  réunion  des 
consonnes  semblables.  Mais,  dans  les  racines  géminées^  les  deux 
lettres  appartiennent  au  même  élément,  il  n'y  a  donc  pas  d'incon- 
vénient à  les  réunir. 

Bottcher  appuie  ensuite  son  idée  que  aao  vient  de  2D  sur  les 
cinq  preuves  suivantes  :  1°  Si  les  racines  géminées  étaient  primi- 
tivement trilitères,  elles  se  termineraient  par  n'importe  quelle 
consonne  ;  or,  elles  se  terminent  surtout  par  des  liquides  et 
des  sifflantes,  qui  sont  les  plus  aptes  au  redoublement.  Mais  la 
question  n'est  pas  de  savoir  si  les  racines  géminées  sont  trili- 
tères depuis  l'origine  des  temps.  Il  est  évident  qu'elles  sont  sor- 
ties de  racines  bilitères  antérieures  et  que  la  répétition  des  con- 
sonnes est  venue  du  redoublement.  Ce  que  les  partisans  de  la  tri- 
litéralité  prétendent,  c'est  qu'il  y  a  eu  une  période  où  les  racines 
géminées  étaient  tout  à  fait  trilitères  et  que  nos  formes  irrégu- 
lières actuelles  dérivent  des  formes  qui  pendant  cette  période 
étaient  régulières.  La  prépondérance  des  liquides  dans  les  ra- 
cines géminées  ne  prouve  donc  rien  contre  la  trilitéralité  pré- 
sente de  ces  racines.  Le  deuxième  argument,  à  savoir  que,  dans 
la  période  d'épanouissement,  les  mots  s'allongent  et  ne  s'a- 
brègent pas,  n'a  pas  plus  de  valeur,  car  il  s'agit  justement  de 
savoir  si  les  formes  sémitiques  actuelles  n'appartiennent  pas  à  la 
période  de  décadence.  Cette  supposition  est  en  elle-même  très 
vraisemblable. 

En  troisième  lieu,  Bottcher  remarque  que,  dans  certaines 
formes,  on  voit  que  la  répétition  a  succédé  au  redoublement  (par 
exemple,  le  piel  naio  pour  :i^\D}  il  doit  donc  en  être  de  même 
pour  les  racines  géminées.  Ce  raisonnement,  comme  les  précé- 
dents, est  juste,  mais  ne  s'applique  pas  à  la  question  qui  nous  oc- 
cupe. Les  racines  géminées  sont  postérieures  aux  racines  bili- 
tères préhistoriques,  mais  les  formes  bilitères  actuelles  peuvent 
néanmoins  provenir  de  racines  trilitères. 

4°  On  trouve  dans  des  langues  occidentales  le  redoublement 
et  la  répétition  des  consonnes.  Nous  ne  voyons  pas  nettement 
comment  Bottcher  tire  de  là  une  conclusion  pour  la  bilitéralité 


LA  TRILITÉRALITE  DES  RACINES  y'*y  ET  V'y  207 

des  racines  géminées,  surtout  que  la  répétition  dans  des  mots 
comme  loojov^  porte  sur  la  racine  entière,  tandis  qu'en  hébreu,  il 
s'agit  d'une  seule  consonne,  et,  en  tout  cas,  cet  argument  n'a  pas 
plus  de  force  que  les  précédents. 

Les  deux  dernières  preuves  de  Bôttcher  sont  :  1°  Si  l'on  avait  eu 
la  forme  trilitère  naao  on  n'aurait  pas  été  chercher  des  formes 
insolites  comme  niao  ou  mutilées  comme  l'araméen  nao.  De  tels 
raisonnements  négatifs  n'ont,  en  général,  qu'une  valeur  médiocre. 
La  forme  nano  peut  plaire  aux  modernes  et  n'avoir  pas  paru  eupho- 
nique aux  Hébreux  et  aux  Araméens  d'une  certaine  époque.  Il  est 
tout  naturel  que  dans  naao  le  second  3  se  soit  affaibli  et  ait  fini 
par  disparaître.  Quand  on  pense  qu'un  mot  latin  aussi  euphonique 
que  habitum  a  pu  se  réduire  en  française  la  voyelle  u  (écrite  eu), 
il  n'y  a  pas  à  s'étonner  que  nnno  soit  devenu  niao  ou  nno. 

Enfin,  Bôttcher  fait  valoir  que  les  formes  trilitères  des  verbes 
y"y  se  retrouvent  dans  les  infinitifs  et  les  participes,  tandis  que 
les  autres  temps,  qui,  d'après  Bôttcher,  sont  plus  primitifs, 
présentent  des  formes  bilitères.  Mais,  d'abord,  il  est  bien  difficile 
de  démontrer  le  caractère  secondaire  de  tel  ou  tel  temps.  Com- 
ment sait-on  si  le  parfait  a  précédé  le  participe  ?  Ensuite,  Tinfinitif 
nb  et  le  participe  bp  présentent  aussi  bien  des  formes  bilitères 
que  le  futur  nb"^  et  le  parfait  bp^  et  inversement,  le  parfait  nao 
est  trilitère  tout  comme  mno  et  nmb.  La  distinction  entre  les  temps 
primaires  et  secondaires,  si  même  elle  était  justifiée,  ne  donnerait 
ici  aucun  résultat. 

En  résumé,  l'erreur  de  Bôttcher  consiste  à  avoir  identifié  les 
formes  bilitères  actuelles  avec  les  formes  bilitères  primiiives. 
C'est  comme  si  Ton  voulait  prétendre  que  le  verbe  français  «  finir  » 
vient  directement  du  latin  «  finire  ».  Cette  dérivation  paraît  natu- 
relle à  ceux  qui  n'ont  pas  étudié  les  langues  romanes,  et  cepen- 
dant elle  est  inexacte.  Le  verbe  français  «  finir  »  vient  du  bas  latin 
finiscere,  qui  lui-même  dérive  de  finire.  La  racine  latine  s'est 
d'abord  allongée,  puis  cette  nouvelle  racine  s'est  abrégée  en  fran- 
çais, de  sorte  que  le  verbe  français  ressemble  beaucoup  au  verbe 
latin  primitif,  mais  n'en  vient  pas  directement.  Nous  croyons  qu'il 
en  a  été  de  même  pour  les  verbes  géminés.  Ces  verbes  sont  sortis 
de  racines  qui  étaient  d'abord  bilitères,  mais  qui  sont  devenues 
trilitères  i)ar  la  répétition  de  la  seconde  radicale.  Puis,  la  troi- 
sième radicale  est  tombée  dans  un  certain  nombre  de  formes,  qui 
se  sont  trouvées  ainsi  rapprochées  de  leur  type  primitif. 

Au  sujet  des  verbes  Y':>,  Bôttcher  s'exprime  ainsi  (p.  496  et 
suiv.)  :  «  Si  pour  cette  raison  (parce  qu'il  existe  des  verbes  où  le 


208  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

vav  se  maintient),  on  admet  que,  dans  des  verbes  comme  ûp^  ,n73, 
le  vav  a  été  introduit,  puis  rejeté,  de  sorte  que  d;^  viendrait  de 
Dip,   qaicam,   qa-am,  qaam,  qâm ,  ti^  de  ri«  ou  n«,   mavjit, 
ma-it,  mail,  met,  tout  parle  contre  cette  théorie  :  !•  les  langues 
sémitiques  répugnent  à  l'hiatus,  de  sorte  que  certainement,  s'il  y 
avait  eu  jamais  des  formes  comme  Cnp.  ni»,  celles-ci  auraient  été 
conservées  (avec  l'allongement  de  i  en  ê)  et  n'auraient  pu  être 
abrégées  et  ensuite  contractées.  Nous  voyons  bien  dans  les  formes 
nominales  des  mots  comme  "jv,  ir,  *tit^  et  dans  les  verbes  *b'^3?, 
v\y,  etc.  ;  2°  le  yttp  que  l'on  suppose  comme  syllabe  protonique 
dans  tnp,  etc.  est  inadmissible,  car  il  se  produit  seulement  quand 
la  vocalisation  est  entièrement  développée,  tandis  que,  par  exemple 
lis-^^,   à   côté   de  b-^rs"^,  ne   montre  pas  trace  du  ftyp  de  s,  parce 
que  1131  vient  directement  de  yinkivan,  non  pas  de  yinhavjan, 
yinkaan  ;  3°  il  est  également  possible  ou  plus  probable,  d'après 
l'analogie  des  verbes  y"y  (qui  répondent  aux  Y'y  et  "^"y  comme 
TciâXÀto,  <7zi'/loi  à  ^aîvco,  oOcboj),  que  des  formes  telles  que  ûp.  Tri 
doivent    s'expliquer    par   le    simple    allongement   de   la  voyelle 
propre,  sans  admettre  l'introduction  d'un  vav,  dont  il  ne  reste 
aucune  trace  orthographique,  car  Yélif  de  l'arabe  a  dans  qâma, 
élif  dont   l'hébreu  présente  quelques  exemples,  mais   en  partie 
douteux,  n'est  que  la  marque  habituelle  de  la  prolongation  qui  se 
retrouve,  par  exemple,  dans  la  terminaison  nominale  an,  dans 
des  abstraits  (1)  comme  hUâb,  etc.,  sans  la  moindre  trace  du  vav. 
Mais,  de  même  que  dans  les  verbes  9"y  une  partie  des  formes,  et 
précisément  la  plus  ancienne,  a  renforcé  la  racine  par  le  simple 
redoublement,  tandis  que  la  partie  la  plus  récente  des  formes  a 
remplacé  le  redoublement  par  la  répétition  des  consonnes,  là  où 
la  flexion  l'exigeait,  de  même  pour  les  Y'y  on  a  pu  se  contenter 
d'abord  d'allonger  la  voyelle  propre  de  dî?.  ptû,  et  c'est,  dans  la 
suite,  là  où  la  voyelle  significative  le  permettait  ou  le  demandait, 
qu'on  a  été  plus  loin  et  qu'on  a  allongé  les  formes  au  moyen  du 
vav.  En  arabe,  à  la  vérité,  la  flexion  de  qâma,  qoumia,  etc.  paraît, 
à  cause  de  Vou  de  qoumta,  indiquer  que  le  vav  s'était  introduit  au 
parfait  du  qal,  sans  pouvoir  se  maintenir  à  cause  de  la  double 
consonne  à  l'état  de  au  ou  ow.  Mais  cela  prouve  seulement  que,  en 
arabe,  de  même  qu'on  a  poussé  plus  loin  la  répétition  de  la  con- 
sonne dans  les  9"y,  de  même  dans  les  i'y  on  a  étendu  l'emploi  du 
vav,  pour  rendre  les  formes  plus  pleines,  comme  cette  langue  l'a 
fait  pour  le  participe  qal  et  pour  toutes  les  formes  qui  appartien- 
nent à  nos  quatrième  et  cinquième  conjugaisons.  Au  parfait  actif 
qal,  l'hébreu  a  encore  conservé  la  forme  ancienne  et  authentique 


LA  TRILITi:UALITK  DlîS  HACI.NES  V"y  KT  Y';'  209 

gamta,  conforme  à  la  voyelle  significative,  et  l'arabe  qoumia  en 
est  visiblement  l'altération,  ayant  été  modelé  sur  l'imparfait  ija- 
qouloima,  yaqoulna,  impératif  go<?7o/«,  qoulna  ;  4"  maintes  formes 
des  rares  racines  i'v  où  l'allongement  interne  de  la  voyelle  est 
dû  à  l'affaiblissement  de  la  consonne  médiale  ne  s'expliqueraient 
pas  du  tout,  si,  pour  chaque  y'^p,  il  fallait  supposer  un  vav  qui 
aurait  été  rejeté,  cf.  le  chaldéen  '^rr'.  "^r:?:^  en  hébreu  ']?■■».  "bj^?: 
part.  ywX  à  côté  de  ybx,  -rù,  sans  doute  de  nro,  cf.  -:2.  » 

RcUtcher  combat  ensuite  la  théorie  d'Olshausen  d'après  laquelle 
le  i  de  oinr  lis*;,  proviendrait  d'un  ancien  a  long.  Comme  Br)tt- 
clipr  rpconnsît  lui-même  que  win"'.  "j-^i  ont  un  var  radical,  ce 
(ju'il  en  dit  n'intéresse  pas  la  question  de  la  bilitéralité  des  ra- 
cines i'v.  Nous  allons  donc  seulement  reprendre  ses  quatre  pre- 
miers arguments  : 

I/horreur  des  langues  sémitiques  pour  l'hiatus  aurait,  d'après 
lui,  empoché  qaicam  et  mau'U  de  devenir  qaani,  mait.  Mais, 
d'abord,  qawam  a  jiu  donner  directement  qâm,  et  mawit,  mêf, 
sans  passer  par  qaam,  mait,  l'affaiblissement  du  vav  coexistant 
avec  la  fusion  des  deux  voyelles.  Et,  ensuite,  il  n'y  a  pas  plus 
d'hiatus  pour  un  Sémite  dans  qa-am  que  dans  qawam^  car  devant 
le  second  a  de  qnam,  il  vient  tout  naturellement  un  alef.  Buttcher 
lui-même  admet  que  l'arabe  qr/im  vient  de  qnwim,  donc  qa-am 
pourrait  venir  de  qaam,  et  ma-it  de  ma-ioit. 

Le  second  argument  de  Buttcher  est  peu  clair.  Veut-il  dire  que, 
nulle  part,  dans  les  verbes  Y':',  on  n'aperçoit  de  trace  de  la  voyelle 
a  qu'aurait  eue  la  première  radicale?  cela  n'aurait  rien  d'éton- 
nant dans  l'hypothèse  de  la  contraction. 

En  troisième  lieu,  BiJttcher  invoque  l'analogie  des  verbes  gé- 
minés. Nous  avons  vu  ce  qu'il  faut  en  penser.  Il  s'appuie  aussi 
sur  la  distinction  entre  les  temps  primaires  et  les  temps  secon- 
daires, mais  cette  distinction  n'est  pas  plus  fondée  pour  les 
verbes  Y'j'  que  pour  les  verbes  3"y,  car  le  participe  aï?  est  bilitère 
comme  le  parfait  ûp. 

Le  quatrième  argument  est  tiré  de  l'araméen  7;^:^  "^n-p  =: 
^Vrr^,  "^br;?:,  pour  ne  pas  parler  de  y^x,  -19,  dont  la  dérivation  indi- 
quée par  Bôttcher  est  plus  que  douteuse.  D'après  Bottcher,  ce  verbe 
prouverait  que  tout  yrp  ne  suppose  pas  un  vav,  puisque,  dans  ce 
verbe,  c'est  un  Inmed  qui  a  été  rejeté.  Mais  il  nous  semble  que  ce 
verbe  prouve  contre  la  thèse  de  Buttcher.  Car,  si  l'on  reconnaît 
que  "^l-C'  vient  de  ']br^^  on  nous  autorise  par  là  même  à  soutenir 
que  dans  les  verbes  qui  montrent  des  traces  de  vav,  le  y^p  pro- 

T.  XXXV,  n"  7(1.  14 


■210  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

vient  d'une  contraction  de  deux  voyelles  entre  lesquelles  le  vav  a 
disparu. 

En  résumé,  si  pour  les  verbes  y"y  Bottcher  a  fourni  quelques  ar- 
guments spécieux  en  faveur  de  la  bilitéralité  des  racines,  pour  les 
verbes  i'y  les  raisonnements  du  savant  grammairien  sont  obscurs 
ou  inadmissibles. 

Afin  d'appuyer  la  théorie  de  Bottcher,  on  a  fait  valoir  un  autre 
argument.  On  a  soutenu  que  certaines  formes  des  verbes  auraient 
été  diniciles  à  prononcer  sans  contraction ,  par  exemple  aip 
qwown^.  Mais  on  peut  répondre  que  des  formes  semblables  se 
trouvent  en  latin.  Or,  les  Sémites  avaient  le  gosier  au  moins  aussi 
souple  que  les  Aryens.  Il  n'y  a  pas  une  forme  verbale  ou  nominale 
dans  les  racines  i'y  qu'il  ait  été  impossible  d'articuler,  quand  ces 
racines  étaient  traitées  comme  les  racines  fortes. 

Enfin,  il  y  a  des  raisons  qui  me  paraissent  militer  très  forte- 
ment en  faveur  de  la  trilitéralité  absolue  des  racines  liébraïques. 
Je  ne  parlerai  pas  ici  des  formes  trilitères  qu'on  trouve  en  arabe 
ou  en  éthiopien.  On  pourrait  répondre  avec  Bottcher  que  l'arabe 
ou  l'éthiopien  ont  poussé  la  trilitéralité  plus  loin  que  l'hébreu,  ré- 
ponse très  commode,  car  là  où  nous  n'apercevons  pas  la  troisième 
radicale  on  nous  dit  qu'elle  n'a  jamais  existé,  et  là  où  elle  se 
montre,  on  nous  dit  que  c'est  une  forme  secondaire.  De  cette 
façon  on  se  tire  toujours  d'embarras.  Mais,  je  demanderai  pour- 
quoi on  admet  seulement  la  bilitéralité  des  racines  y"y  et  i'y,  quand 
on  reconnaît  la  trilitéralité  des  racines  Y'd  et  ■«"'b.  En  quoi  celles-ci 
sont-elles  moins  vocaliques  que  les  i'y"!  Si  l'on  admet  que  le  vav 
est  tombé  dans  n-ç-;,  pourquoi  n'aurait-il  pas  disparu  dans  niuj;»? 
Et  si  '?p  est  plus  primitif  que  na^,  pourquoi  i^î"»  où  le  yod  radical 
est  invisible,  ne  serait-il  pas  plus  original  que  la  forme  poétique 
îi''"i-]1  ?  Les  partisans  de  la  bilitéralité  auraient  dû  déduire  de  leur 
théorie  toutes  les  conséquences  qu'elle  comporte. 

Ensuite,  en  ce  qui  concerne  les  verbes  géminés,  on  dit  que  la 
forme  b]?  est  plus  ancienne  que  la  forme  33D.  Mais  on  sait  que  la 
forme  brève  ajjpartient  aux  verbes  qualificatifs  ou  d'état,  tandis 
que  la  forme  longue  est  réservée  aux  verbes  d'action.  Ceux-ci  ne 
sont  certes  pas  plus  modernes  que  ceux-là.  Il  n'y  a  donc  pas, 
dans  bp  et  230,  deux  stades  successifs  d'une  même  forme.  23D  ré- 
pond à  b:;p  et  bp  à  -nr.  Or,  -;33  étant  trilitère  au  même  titre  que 
b-ii-p,  comment  se  fait-il  que  nn:  soit  trilitère  et  bp  bililère  ?  Dans 

'  Cesl  ainsi  que  nous  comprenons  l'asseriion  de  M.  Kaulzsch  [Grammaire  h/- 
hra'iqiie,  p.  190,  note),  qui  dit  quon  arrive  à  des  combinaisons  de  sons  invraisem- 
blables, quand  on  ramène  les  lormcs  verbales  des  i'y  au  Ivpe  2ip. 


LA  TRILITEHALITK  DES  RACINES  y":,'  ET  1 ';•  211 

la  théorie  de  la  contraction  l'explication  en  est  toute  simple.  La 
voyelle  a,  qui  est  très  forte,  a  empêché  la  réunion  des  deux  con- 
sonnes, tandis  que  la  voyelle  î,  propre  aux  verbes  qualiflcatifs, 
étant  très  faible,  n'a  pu  le  faire.  Sababa  est  donc  de\en\i  sabab  ; 
mais  qaUla  est  devenu  qalla,  puis  qal.  De  même,  au  participe,  la 
voyelle  longue  de  sàbib  a  empêché  la  contraction,  mais  qalil  est 
devenu  qal. 

Pour  les  verbes  i'y,  on  prétend  établir  une  distinction  entre  les 
véritables  verbes  Y':'  et  "'":',  qui  conservent  toujours  leur  vav  ou 
leur  «/orf,  comme  nin  .r|';;'  et  les  verbes  vocaliques  ûnp  .û^b.  Mais 
on  n'a  pas  remarqué  que  tel  verbe  est  vocalique  dans  une  langue 
et  consonantique  dans  une  autre.  Ainsi,  on  ne  peut  raisonnable- 
ment séparer  le  verbe  "^Mi  «  se  réfugier  »  du  verbe  arabe  'aïoiza 
«  manquer  (d'une  chose;  >>.  Faudrait-il  dire  que  la  racine  ^\^v  est 
restée  bilitère  en  hébreu  et  est  devenue  trilitère  en  arabe?  In- 
versement yrj>  «  périr  »,  répond  à  l'arabe  dja  a  «  être  affamé  ». 
Ici  c'est  le  mot  arabe  qui  est  bilitère  et  le  mot  hébreu  qui  est 
trilitère. 

Sans  aucun  doute,  ce  sont  des  raisons  d'euphonie  qui  ont  em- 
pêché la  contraction  de  quelques  racines  "i'y  et  ■^":?.  On  comprend 
très  bien  que,  lorsque  la  troisième  radicale  était  un  yod,  il  était 
impossible  que  le  vav  médial  disparût.  C'est  pourquoi  les  verbes 
■^"ix,  ■'Ti,  "^nb,  etc.  ne  peuvent  pas  perdre  leur  vav.  Les  autres 
verbes  hébreux  qui  maintiennent  le  vav  ont  tous  une  gutturale 
dans  la  racine.  Ce  sont  ri;,  -.in.  b^^^  -n^'.  n-r.  miï,  m^.  yy:i  et 
vçy.  Sur  ces  neuf  verbes,  plusieurs  peuvent  être,  en  outre,  des 
dénominatifs  et  quatre  d'entre  eux  ne  sont  usités  qu'au  piel  :  b^y, 
'^^y,  ^\^y  et  rri. 

L'influence  de  la  gutturale  se  montre  aussi  dans  les  noms  "inT, 
nmi:,  nmi,  r^yy^  (dont  on  trouve  l'état  construit  n^ro).  Tous  les 
noms  de  la  même  forme  tirés  de  racines  ^"y  qui  n'ont  pas  de  gut- 
turale sont  contractés.  Il  n'y  a  donc  aucune  différence  à  établir 
entre  les  verbes  vocaliques  et  les  verbes  'i'y.  En  règle  générale,  il 
y  a  contraction,  exceptionnellement  le  vav  et  le  yod  se  main- 
tiennent. 

Enfin,  comment  expliquerait-on,  si  les  racines  S'y  n'étaient  pas 
devenues  absolument  trilitères,  qu'un  certain  nombre  d'entre  elles 
soient  devenues  li'y,  notamment  en  araméen,  par  exemple  y^^~\  =: 
arri.  -«iia  =  n-a  ;  cf.  n'iiî  et  î^mna  =  nûr  et  noûr  '!  Dira-t-on  là 
aussi  que  l'araméen  a  été  plus  loin  que  l'hébreu  dans  la  voie  de  la 
trilitéralité  !  Il  est  infiniment  plus  simple  de  reconnaître  que  les 
i'y  sont  trilitères. 


212  lŒVUK    Ui:S  KTUUiiS  JUlVliS 

En  résumé,  il  n'}-  a  pas,  à  notre  avis,  de  raisons  sérieuses  pour 
abandonner  en  grammaire  sémitique  le  grand  principe  de  la  trili- 
téralité  des  rarines  :  il  y  en  a,  au  contraire,  pour  rester  fidèle  à 
la  théorie  proclamée  par  Ilayyoudj,  il  y  a  maintenant  près  de  dix 
siècles. 

Encore  un  mot.  Si  la  contraction  des  racines  géminées  ^"y  et  y"y 
s'est  produite  dans  toutes  les  langues  sémitiques,  elle  n'a  pas  suivi 
partout  des  règles  identiques.  On  n'a  qu'à  comparer  l'hébreu 
nnD  et  l'arabe  sabba,  l'hébreu  et  l'araméen  qamta  avec  l'arabe 
qoumta.  On  peut  en  conclure  que,  lorsque  les  langues  sémitiques 
se  sont  séparées,  les  racines  faibles  n'avaient  pas  encore  subi  de 
contraction;  elles  avaient  donc  été  jusque-là  traitées  comme  des 
racines  fortes. 

Mayer  Lambert. 


LES  SOURCES  TALMUDKJUES 

DE  I/HISTOIRl';  JUIVE 


ALEXANDRE   JANNEK    ET    SIMON    BEN    SCIIÉTAH. 

OuG  de  mal  se  sont  (loiiiu:  les  savants,  depuis  Krochina!  jus- 
qu'à notre  regretté  maître  Joseph  Derenbourg,  pour  découvrir 
dans  les  sources  talmudiques  des  renseignements  sur  riustoire 
juive  avant  l'ère  chrétienne,  et  que  restera-t-il  un  jour  de  ce 
labeur  prodigieux!  Quand  on  reprend  froidement  tous  ces  textes 
sur  lesquels  on  a  cru  pouvoir  édifier  des  constructions  historiques, 
on  est  tout  surpris  d'en  reconnaître  la  fragilité  :  ce  sont  très  sou- 
vent de  simples  agadot,  des  anecdotes  imaginées  dd  toutes  pièces 
en  vue  de  l'édification  ou  même  de  l'aniusement  des  lecteurs.  Li 
démonstration  de  cette  thèse  exigerait  un  volume  :  je  voudrais, 
pour  illustrer  cette  observation,  étudier  seulement  un  récit  relatif 
à  Alexandre  Jannée  que  tous  les  savants  juifs  considèrent  comme 
authentique.  Il  est  ainsi  conçu  : 

Baraïia  :  Trois  cents  naziréens  montèrent  là  Jérusalenij  au  temps 
de  Simon  b.  Schélali;  cent  cinquante  irouvèreut  une  porte  (pour  se 
dispenser  de  roflraude  réglementaire  du  sacrifice),  cent  cinquante  ne 
le  purent  pas. 

[Récit,  en  araméen]  :  ■<  Il  alla  chez  le  roi  Jannée  et  lui  dit  :  Il  y  a  ici 
trois  cents  naziréeus  qui  ont  besoin  de  ueuf  cents  sacrifices  *.  Donne, 
loi,  la  moitié,  sur  tes  biens,  et  moi  je  fournirai  l'autre,  sur  le  mien. 
Le  roi  lui  envoya  quatre  cent  cinquante  bêles.  —  Un  vint  accuser 
Simon  de  n'avoir  i-ien  donné '.  A  celle  nouvelle,  le  roi  s'emporta. 
Simon,  l'apprenant,  s'enfuit. 

'  Berèschit  Rabha,  xni,  et  Kohvlel  Rahha,  vu,  11,  ajoutent:  •  et  ils  ne  les  ont  pas  •. 
'  Bcr.  et  Koh.  liai.  :   <  Sache  que  tout  ce  qu'ils  oiit  olFsrt  venait  de  loi,  mais  que 
Siniou  b.  Scbélah  u'a  rieu  donné  du  sien  », 


21i  RKVUE  DKS  KTUDES  JUIVKS 

Quelque  temps  après,  des  princes  de  l'empire  parlhe  vinrent  [en 
Judée]  et,  pendant  le  repas,  dirent  au  roi  :  Nous  nous  souvenons 
d'un  vieillard  qui  disait  devant  nous  des  paroles  de  sagesse  1"'b"')3 
tT>2-m)'.  —  Le  roi  leur  conta  alors  l'histoire  de  Simon,  —  Fais-le 
venir'. 

Le  roi  dit  à  la  reine  de  le  mander ^  —  Donne  ta  parole,  et  il 
viendra  *. 

Simon  arriva  et  se  plaça  entre  le  roi  et  la  reine.  Jannée  lui  demanda 
pourquoi  il  s'était  ainsi  moqué  de  lui,  —  Je  ne  me  suis  pas  moqué 
de  toi  :  toi,  tu  as  donné  ton  argent,  et  moi,  ma  science.  —  Pourquoi 
t'es-tu  enfui?  —  Parce  que  j'avais  appris  ton  irritation  et  je  me  suis 
appliqué  ces  versets  :  «  Cache-toi  un  peu  de  temps,  que  soit  passée 
la  colère  »,  et  «  L'avantage  de  la  connaissance  de  la  sagesse,  c'est  de 
nourrir  celui  qui  la  possède^  ».  —  Pourquoi  t'es-tu  placé  entre  le  roi 
et  la  reine?  —  Parce  qu'il  est  dit  dans  le  Livre  de  Ben  Sira  :  «  Élève-la, 
et  elle  t'élèvera  et  te  placera  entre  les  princes  »  ^  —  Prends  une  coupe 
et  dis  la  bénédiction.  ~  On  lui  donna  une  coupe  et  il  dit  :  Bénissons 
[Dieu!  pour  la  nourriture  prise  par  Jannée  et  ses  convives".  —  Tu  es 
donc  toujours  aussi  entêté®!  —  Que  fallait-il  dire?  «  Bénissons  Dieu 
pour  la  nourriture  que  nous  n'avons  pas  prise  '  ?  »  —  Qu'on  lui  serve 
à  manger,  commanda  le  roi.  —  Après  avoir  mangé,  Simon  récita  : 
«  Bénissons  Dieu  pour  la  nourriture  que  nous  avons  prise  '".  » 

M.  Derenbourg,  s'appuyant  sur  ce  récit,  dit  :  «  Les  senti- 
ments de  la  reine,  ouvertement  favorables  aux  Pharisiens,  con- 
trebalancèrent pendant  les  premières  années  de  ce  règne  l'a- 
version que  ce  parti  inspirait  au  roi.  Simon  b.  Schétah  s'attira 
le  premier  le  ressentiment  de  Jannée  ».  Fut-il  le  premier  ou 
le  dernier,  nous  l'ignorons,  et  ce  texte  ne  le  dit  pas.  Il  nous 
apprend  seulement  que  Simon  était  au  mieux  avec  le  roi,  qu'il 

■  Ber.  et  Koh.  Kab.  :  Nn'^"'"niî"î  "^b'^/J  •  des  paroles  de  la  Loi  »,  altéralion  ma- 
nifeste. 

'  Manque  toute  ceUe  phrase  dans  B.  et  K.  li. 

*  «  11  dit  à  Salraalé.  sa  sœur  isœur  de  Simou',  femme  de  Jannée.  •  À'.  H, 

*  '   Et  envoie-lui  Ion  anneau.  Ainsi  iit-il,  •  B-  et  K.  R. 
^  Le  deuxième  verset  manque  dans  B.  et  K.  B. 

*  K.  R.  ajoute  :  <  Tu  vois  combien  je  t'honore.  —  Ce  n'est  pas  toi  qui  m'honores, 
mais  ma  science,  car  il  est  dit  :  Elève-la  et  elle  telèvera  •.  Cette  addiiion  n'est 
qu'une  sorte  de  reprise  de  la  phrase  précédente,  et  provient  sans  doute  de  Berachot, 
48  a.  Elle  n'est  pas  dans  B.  R. 

'  <  Je  n'ai  jamais  entendu  le  nom  de  Jannée  dans  la  prière.  >  B.  et  K.  R.  Autre 
addition,  probablement. 

'  Autre  version  dans  A'.  R,  :  >  Quelle  bénédiction  dirai-je  ?  Béni  soit  celui  qui  a 
permis  a  Jannée  de  manger  ?   • 

*  «  Béni  soit  (Dieu)  pour  ce  que  nous  avons  manpé  ?  Je  n'ai  rien  man;ré.  •  B.  et 
K.R. 

'"  J.  Berachot,  11*;  j.  Nazir,  54*;  Bcrèschit  Babba,  sci  ;  Kohélet  Rabha,  sur 
TU,   11. 


LKS  SOIKŒS  TALMI  hlul  i;s  DK  I.'IIISTOIUK  Jl  IVK  2i:-5 

était  un  des  familiers  de  sa  maison,  son  convive  des  grandes 
cérémonies,  et  que,  pour  lui  avoir  joué  un  mauvais  tour,  il  fut 
obligé  de  s'enfuir.  Ce  récit  ne  nous  présente  donc  pas  l'exil 
de  Simon  comme  une  conséquence  de  l'hostilité  montrée  par 
Alexandre  Jannée  aux  Pharisiens.  Il  faut  recourir  à  une  autre 
«  relation  »  pour  apprendre  que  Simon  ben  Schétah  fut  obligé 
de  se  cacher  afin  d'échapper  aux  persécutions  dont  les  Phari- 
siens eurent  à  pâtir  sous  le  règne  d'Alexandre  Jannée.  C'est  le 
fameux  passage  du  Talmud,  biffé  par  la  censure,  où  il  est  ra- 
conté que,  lors  de  l'exécution,  par  ce  roi,  des  Pharisiens,  Simon 
fut  rais  en  sûreté  par  la  reine,  sa  sœur,  tandis  que  Josué  b.  Pe- 
rahia  et  Jésus  s'enfuyaient  à  Alexandrie  '.  Seulement,  ce  texte 
lui-même  condredit  nettement  les  raisons  invoquées  par  le  Tal- 
mud de  Jérusalem  :  ici,  c'est  la  malice  de  Simon,  là,  c'est  la  lutte 
de  Jannée  contre  les  Pharisiens  qui  amène  la  retraite  de  Simon. 
Si  tant  est  qu'une  de  ces  deux  sources  soit  historique,  celle  de 
Sota  paraît  plus  digne  de  foi. 

Nous  admettrons,  si  l'on  veut,  que  la  reine  avait  caché  son 
frère  tout  près  du  palais  royal  :  on  a  besoin  de  lui,  il  arrive 
incontinent,  sans  qu'on  ait  eu  le  temps  même  de  se  lever  de  table  1 
Mais  pourquoi  a-t-on  besoin  de  lui  ?  Pour  satisfaire  au  désir  de 
princes  ou  d'ambassadeurs  parthes,  qui,  semble-t-il,  viennent  fré- 
quemment honorer  Jannée  de  leur  visite.  Ces  relations  entre  la 
cour  de  Parthe  et  le  roi  hasmonéen  sont-elles  vraisemblables  et 
n'a-t-on  pas  commis  ici  un  anachronisme,  car  les  Parthes  ne 
viennent  que  bien  plus  tard  en  Judée?  Nous  ne  nous  arrêterons 
pas  à  ce  détail,  et  nous  concéderons,  si  on  le  veut  encore,  mal- 
gré le  silence  de  Josèphe,  que  l'éclat  de  la  grandeur  des  Hasmo- 
néens  avait  attiré  en  Judée  les  envoyés  des  Parthes.  Mais  que 
désirent  ces  hauts  personnages?  Entendre  de  nouveau  les  paroles 
de  sagesse  n»im  "h^rn  du  savant  juif.  Or,  nous  savons  exacte- 
ment ce  qu'on  entendait  par  «  paroles  de  sagesse  ».  Dans  le 
langage  du  Talmud  et  du  Midrasch,  ces  mots  signifient  toujours 
«  bons  tours,  traits  d'esprit,  malices  ».  C'est  précisément  le  terme 
dont  se  sert  le  Midrasch  sur  les  Lamentations  dans  ce  chapitre 
bien  connu  où  sont  relatés  les  bons  mots,  facéties,  reparties  spiri- 
tuelles des  Jérusalemites. 

'  Sota,  47  rt  et  Sanhédrin,  107  i.  Et  ce  passage  lui-même  est  en  contradiction 
avec  Haguiga.  II,  2,  où,  au  lieu  de  Josué  b.  Perahia,  c'est  Juda  ben  Tabaï  qui  se  re- 
tire à  Alexandrie  et  que  Jérusalem  redemande  à  la  communauté  juive  li'Alexandrie. 
Les  circonstances  dillèrent,  cela  va  sans  dire  :  c'est  par  modestie  que  Juda,  pour  ne 
pas  être  nommé  Nasi,  s'exile  à  Alexandrie;  mais  on  le  rappelle  avec  la  même  for- 
mule que  Simon  emploie  pour  Josué  :  la  communauté  de  Jérusalem  écrit  à  sa  sœur 
cadette  de  lui  renvoyer  son  iiancé,  qui  se  cache  près  d'elle. 


2lfi  HKVUE  l)h;S  ETUDES  JUIVES 

Un  exemple  seulement  :  Un  Jérusalemite,  se  trouvant  à  l'étran- 
ger et  sentant  sa  tin  approcher,  confie  ses  biens  à  son  liôte  en  lui 
disant  :  Si  mon  fils  vient  de  Jérusalem  et  fait  trois  «  choses  de 
sagesse  "  \xr\izzxr\  1"'5"«w  nbn,  tu  lui  donneras  ma  fortune,  sinon  tu 
la  garderas.  Or,  chacun  s'engagea,  dans  la  ville,  à  ne  pas  indiquer 
l'adresse  du  dépositaire.  Après  la  mort  de  son  père,  le  fils  arrive 
aux  portes  de  la  ville.  Il  y  voit  un  homme  portant  une  charge  de 
bois,  il  lui  demande  s'il  veut  la  lui  vendre  ;  l'homme  y  consent,  et 
l'étranger  lui  dit  de  la  porter  chez  l'hôte  de  son  père.  Et  il  le 
suit.  Grand  étonnement  de  l'hùte,  qui  reconnaît  là  le  premier  bon 
tour  convenu  :  «"n  nVtd  nh. 

Aussi  bien,  le  rôle  de  Simon  b.  Schétah  est  celui  d'un  plaisant 
qui  s'amuse  de  la  naïveté  de  ses  interlocuteurs  et  paie  son  écot 
avec  ses  malices.  Le  roi  fournit  son  argent  pour  les  sacrifices  des 
naziréens,  lui  sa  science.  On  l'appelle,  il  se  met  à  la  place  d'hon- 
neur. Mais  on  ne  lui  offre  rien  ;  patience!  il  se  fera  servir  grâce 
aux  bons  tours  qu'il  a  encore  dans  son  sac. 

C'est  l'esprit  des  fabliaux,  et  il  ne  serait  pas  difficile  de  décou- 
vrir dans  la  littérature  du  moyen  âge  des  parallèles  nombreux. 
Mais  ce  serait  peine  inutile  :  la  littérature  juive  de  Palestine  nous 
a  conservé  des  traits  d'une  ressemblance  étonnante  avec  ceux 
dont  nous  nous  occupons.  Et  c'est  encore  le  Midrasch  sur  les 
Lamentations  qui  nous  les  offrira. 

«  Un  Athénien  vint  à  Jérusalem  et  y  rencontra  un  enfant.  Il 
lui  donna  quelques  pièces  de  monnaie  en  lui  disant  :  «  Apporte- 
nous  des  figues  et  du  raisin.  »  —  «  Tuas  bien  dit  {à  nous],  riposta 
l'enfant,  à  toi  pour  ton  argent,  à  moi  pour  mes  jambes.  » 

Dans  l'historiette  que  nous  avons  rapportée  plus  haut,  le  Jéru- 
salemite, par  sa  malice,  réussit  également  à  bien  se  régaler  à 
table  au  grand  désappointement  de  ses  convives.  On  sert  cinq 
pigeons,  et  le  maître  de  la  maison  lui  dit  de  les  partager  :  il  en 
met  un  entre  l'homme  et  sa  femme,  un  autre  entre  ses  deux 
fils,  un  troisième  entre  ses  deux  filles,  et  les  deux  autres  devant 
lui  —  c'est  le  deuxième  tour. 

Le  soir,  on  sert  une  oie  grasse.  On  lui  demande  encore  de  pro- 
céder au  découpage  :  il  donne  la  tête  au  chef  de  la  maison,  les  en- 
trailles à  sa  femme,  les  deux  cuisses  aux  deux  fils,  les  deux  ailes 
aux  deux  filles,  et  le  restant,  il  le  garde,  —  c'est  le  troisième  tour. 

Le  maître  de  la  maison  se  décide  alors  à  l'interroger  sur  les 
motifs  de  sa  conduite:  inutile  de  les  dire,  tout  le  monde  les  con- 
naît, car  ces  facéties  se  sont  répandues  dans  tous  les  pays  '. 

•  \'oir  Benley,  OrtciU  uiid  Occident,  I.   \ii. 


LKS  SOI  liCKS  TALMIDIOI'ES  l)K  l/IIIST()llîl-;  .11  IVK  217 

Noire  anecdote  n'etst  donc  qu'un  récit  populaire,  sans  préten- 
tion, et  dont  il  ne  saurait  être  fait  état  pour  l'histoire.  Elle  est 
probablement  un  produit  de  l'imagination  palestinienne.  Aussi,  en 
passant  en  Babylonie,  a-t-elle  perdu  sa  pointe.  Voici,  en  eflfet, 
comment  elle  est  contée  dans  le  Talmud  de  Babylone  [Berachot, 
48  a): 

Le  roi  Jannée  et  la  reine  prenaient  leur  repas  ensemble.  Mais 
comme  11  avait  tué  les  rabbins,  il  n'y  avait  plus  personne  pour  dire 
la  bénédiction.  Il  dit  à  sa  femme  :  Qui  nous  donnera  quelqu'un 
qui  fasse  la  bénédiction  pour  nous?  —  Jure-moi,  lui  dit-elle,  que  si 
je  t'amène  quelqu'un,  tu  ne  le  molesteras  pas.  —  Il  lui  en  fit  le 
serment.  Alors  elle  fit  venir  son  frère,  Simon  b.  Schétah,  et  le  plaça 
entre  le  roi  et  elle.  —  Le  roi  dit  à  Simon  :  Vois  l'honneur  que  je  te 
fais.  —  Ce  n'est  pas  loi  qui  m'honoreè,  mais  la  Loi,  car  il  est  dit: 
Elève-la  et  elle  félèvera  (Prov.,  iv).  —  Le  roi  dit  à  la  reine  :  Tu  vois 
qu'il  n'a  aucun  respect.  —  On  lui  donnu  une  coupe  pour  qu'il  lit  la 
bénédiction.  Il  dit  :  Comment  réciter  ?  Béni  lSoU  Dieu,  pour  ce  qu'a 
mangé  Jannée  et  ses  convlces?  Il  but  alors  sa  coupe;  on  lui  en 
donna  une  autre,  el  il  prononça  la  formule  ordinaire. 

Il  est  visible  que  ce  récit  n'est  qu'une  altération  de  celui  du 
Talmud  de  Jérusalem.  S'il  en  fallait  une  preuve,  les  mots  t'^  ses 
C07Wives  la  fourniraient,  car  ces  mois  ne  se  comprennent  que 
dans  la  version  qui  ne  fait  pas  diner  le  roi  en  tète  à  têle  avec  sa 
femme. 

L'altération  —  intentionnelle  ou  non  —  a  surtout  pour  objet 
d'expurger  le  récit  des  traits  qui  semblent  trop  plaisants  pour  un 
docteur  aussi  vénéré  que  Simon  b.  Schétah,  dont  la  gloire  est 
restée  si  populaire  qu'elle  a,  pour  ainsi  dire,  éclipsé  celle  de  tous 
les  docteurs  de  la  période  hasmonéenne.  Simon  b.  Schélah  est,  en 
effet,  demeuré  le  type  du  rabbin  en  lutte  avec  les  princes  Mac- 
chabéens  ;  voilà  pourquoi  il  apparaît  tout  le  long  de  l'histoire  de 
ces  rois  de  Judée  '. 

Le  récit  babylonien  n'est  donc  pas  une  tradition  parallèle  à 
celle  du  Talmud  de  Jérusalem  et  pouvant  la  corroborer  -.  Il  nous 
reste  donc,  pour  écrire  l'histoire  de  la  rupture  d'Alexandre  Jannée 
avec  Simon  b.  Schétah,  une  anecdote  populaire,  destinée  à  l'amu- 
sement du  lecteur  :  ce  n'est  pas  un  document  de  haut  prix. 

•  C'est  lui  qui,  par  exemple,  est  substitué  à  Saméas  daus  le  lameux  récit  du  ju- 
gement d'Hérode,  San/iedrin,  i9  a.  h  est  vrai  qu'Hérode  —  si  loutelois  c'est  bien 
lui—  est  l'esclave  de  Jannée.  C'est  également  lui  qui  lail  des  reproches  à  Honii 
contemporain  des  luttes  d'Aristobule  II  et  d'Hyrcan  11. 

^  Le  trait  de  l'exécutiou  des  rabbins  était  connu  de  l'auteur  de  ce  récit  par  la 
relation  que  nous  allons  éludigr  dans  le  chapitre  suivant. 


218  HKVl  K  DKS  KTUDES  JUIVES 

II 

La  rupture  de  Jannée  avec  les  Pharisiens. 

Le  nom  de  Simon  b.  Schëtah  est  rais  encore  en  relation  avec 
celui  de  Jannée  dans  un  récit  qui  offre  avec  ceux  que  nous  ve- 
nons de  citer  un  contraste  remarquable.  Nous  le  reproduisons 
à  cause  des  observations  qu'il  suggère  *. 

fw  •::i-'3T  -i3T?3r:;   »— yDmr'T  Y-""'^   Y-"-^  ■'Nr^   r-rcr?:  t^i-^rn 
■'7:rn  ^rb  £-<-i-t  -Vt:5    mr^'fz'C  n*;":;  rrr;  np-Tnsi   n:"'3-2    b^'C'C 
fpior  iTi-w   "{"rTa  n-^mVi:  2'^'rr-iwX  rn  "iiTinN  an?   n?:N   ^nTiïï^ 

:?-!  2?  yb  'w'N   "HN   2w    -•'m  ibrwNi    sn-  rc  ntnbT::   br  ts-nirt) 

«,.,^  l^^-r  V-^^  un?  27-  r;w;\N  r;?:!  "^irr  2-«-w-n-:  rc  r^b  Y-"-"  "î*-^ 
-:"w  rr-r-r^  12  m-in-^i  -HwS  i^t  ï:\r  rr-r:  v:":?  l-'=c  V"-^-  =""-  =T~ 
r,:r;  n-ir'r::   -.rz  -(7   2-   -;b7:n  \\:-'  '•^b'Ki'n  ^N:-'r  n^-";:;  p  rrnr;-'  nrx^T 

n-.^r-i:  p  -iTrrx  -;'':n''t  ûrTn  irNTvT-»  -^TjDn  nb-53iT  «5:733  ^<b^  "^nin 
•jnri  Y-"^  !~tPNi  ir";  Nnn  ";r  VwXnc^c  '^vir,  Y-^^"  ■'^i"'  Y-'-"  "^'"'"' 
r-n-,m  ■^z^z'r>  ■^nrcrb  r?:r:;   -rx  CwX  ncrN  r,j2'\  X-'''^  '^'"  1^  "-"'■'^ 

H:r  r-.-n-'T  rrryo  p  "irrbwS'  -^t»  ?:i'  rimn  '^j:-,m  T":  '  ii-ob-'T  wVi^"' 

.r!r:;i^"c  minr;  ns 

Baraïia.  Le  roi  Jannée  était  allé  à  Coblit  du  désert  et  y  avait  con- 
quis soixante  villes.  A  son  retour,  il  manifesta  une  grande  joie  et, 
appelant  les  sages  d'Israël,  leur  dit  :  Nos  ancêtres  mangèrent  des 
herbes  salées  lorsqu'ils  travaillèrent  à  la  construction  du  temple, 
mangeons-en  aussi  en  souvenir  de  nos  ancêtres.  On  servit  donc  des 
herbes  salées  sur  des  tables  d'or,  et  le  repas  eut  lieu.  Là  se  trouvait 
un  homme  railleur,  au  cœur  méchant,  vaurien,  nommé  Eléazar.  fils 
de  Poèra.  Celui-ci  dit  au  roi  Jaunée  :  Roi  Jannée,  le  cœur  des  Phari- 
siens t'est  hostile.  —  Que  taire?  —  Lève-toi  devant  eux  avec  la 
plaque  frontale  (insigne  du  grand-prètre). — II  le  fit.  —  Parmi  les 
assistants  était  un  vieillard  du  nom  de  Juda,  fils  de  Guedidiah.  Ce- 
lui-ci dit  au  roi  Jautiée  ;  Roi  Januée,  qu'il  te  suffise  de  la  couronne 
ro3'ale  ;  laisse  la    couronne  pontificale  à  la  postérité  d'Aron,  car  on 

'  KiddouscMn,  fi6  a. 

*  loi  insertion  d'une  remarque  faite  à  ce  propos  par  R.  Nahœan  b.  Isaac. 


LES  SOURCES  TAEMI  J»1QI  KS  1»E  LillSTOlKE  JLIVK  219 

disait  que  sa  mère  avait  été  faite  prisonnière  à  Modine.  On  fit  une 
enquête  sur  la  chose»  sans  résultat.  Alors  les  sages  d'Israël  se  sépa- 
rèrent avec  colère.  Eléazar,  fils  de  Poèra,  dit  au  roi  Jannée  :  Roi  Jan- 
née,  un  simple  Israélite  aurait  tel  droit,  et  toi  qui  es  roi  et  grand 
prêtre,  tu  ne  l'aurais  pas  ?  —  Que  faire  ?  —  Si  tu  veux  suivre  mon 
conseil,  foule-les  aux  pieds.  —  Mais  quel  sera  le  sort  de  l'étude  ?  — 
Elle  est  ouverte  à  tout  venant;  que  ceux  qui  le  veulent,  s'y  vouent  ! 
Aussitôt  la  persécution  fleurit  à  l'instigation  d'Eléazar,  fils  de  Poèra, 
et  les  sages  d'Israël  furent  exterminés.  Le  monde  resta  dans  la 
désolation  jusqu'à  la  venue  de  Simon  b.  Schétah,  qui  rétablit  la  Loi 
dans  son  ancien  état. 

On  sait  que  ce  récit  ressemble  beaucoup  à  celui  que  Josèphe 
[Antiquités,  XIII,  10,  5-6  nous  fait  de  la  rupture  de  Jean  Hyrcan 
avec  les  Pliarisiens. 

Dans  Josèphe  aussi,  c'est  à  la  suite  de  ses  expéditions  heu- 
reuses que  le  roi  invite  les  Pharisiens  à  un  repas.  Un  docteur  lui 
demande  également  de  renoncer  au  pontificat  pour  ne  conserver 
que  le  pouvoir  politique.  Ce  conseil  est  motivé  par  le  bruit  qui 
court  et  d'après  lequel  la  mère  de  Jean  Hyrcan  a  été  faite  pri- 
sonnière sous  le  règne  d'Antiochus.  Ce  bruit  n'était  pas  fondé. 
Un  Sadducéen  prend  prétexte  de  cette  insulte  pour  exciter  le  roi 
à  sévir  contre  les  Pharisiens.  Le  roi,  cédant  à  son  conseil,  se  sé- 
pare des  Pharisiens. 

Les  variantes  sont,  il  est  vrai,  nombreuses.  D'abord,  la  rela- 
tion talmudique  remplace  Jean  Hyrcan  par  Jannée,  c'est-à-dire 
Alexandre  Jannée.  Mais  cette  divergence  s'explique  sans  peine. 
Pour  les  docteurs  de  la  Mischna,  il  n'y  a  eu  qu'un  roi  hasmo- 
néen  hostile  aux  Sadducéens,  c'est  Alexandre  Jannée.  Les  sou- 
venirs laissés  par  ce  tyran  étaient  dans  la  mémoire  de  tous.  Ils 
étaient,  d'ailleurs,  si  accablants  pour  ce  roi,  que  l'auteur  du  récit 
copié  sottement  par  Josèphe,  et  qui  était  un  ennemi  des  Phari- 
siens —  c'est  vraisemblablement  Nicolas  de  Damas  '  —  n'a  pu 

*  M.  Renan,  Histoire  du  peuple  d'Israël,  V,  p.  117,  dit  :  ■  L'histoire  de  ces  temps 
nous  a  été  transmise  par  les  pharisiens,  cancaniers,  esagéraleurs,  se  plaifçnant  tou- 
jours. »  Il  est  impossible  de  se  tromper  plus  lourdement.  Ce  n'est  assurément  pas  un 
Pharisien  qui  déclare  que  les  Pharisiens  t  avaient  oll'eusé  le  roi  lorsque,  non  con- 
tents de  lui  l'aire  la  guerre  eux-mêmes,  ils  avaient  appelé  l'étrauprer  à  leur  secours, 
sans  compter  d'inhnis  outrages  qu'ils  lui  avaient  faits  »  ;  que,  au  moment  de  mourir, 
Alexandre  conseilla  a  sa  l'emme  de  gagner  par  la  dissimulation  l'aileclion  des  Phari- 
siens, qui  n'agissent  que  par  intérêt  et  qui  disent  du  mal  d'autrui  uniquement  par 
envie  ou  par  haine  >.  Ce  n''est  pas  non  plus  un  Pharisien  qui  raconte  que  ceux  de 
son  parti,  trompés  par  les  démonstrations  de  Salomé,  et  sur  la  seule  promesse  qu'ils 
auraient  toute  autorité,  changèrent  en  all'ection  la  haine  qu'ils  avaient  conçue  contre 
le  roi  •  ;  qui  ajoute  :  •  Salomé  n'avait  que  le  nom  de  reine,  les  Pharisiens  jouis- 
saient de  tout  le  pouvoir  que  donne  la  royauté  ;  seuls  les  Pharisiens  troublaient 
l'Etat,  etc.   •.    —   M.  Renan  dit   encore,  p.  108,  à   propos  du  meurtre  d'Autigone  par 


22(1  ItKVl'l--  DES  KllJbliS  JUIVES 

passer  sous  silence  les  persécutions  cruelles  qu'il  fit  subir  au 
parti  qu'il  détestait.  Par  une  loi  presque  constante  de  la  poétique 
talmudique,  Jannée  a  concentré  en  lui  tous  les  traits  de  ses  pré- 
décesseurs et  de  ses  successeur;;.  con:ime  certains  héros  du  bien 
ont  absorbé,  en  quelque  sorte,  toutes  les  qualités  de  leurs  émules. 

D'ailleurs,  la  ligne  de  Kiddouschin  où  il  est  parlé  de  Simon 
b.  Scliétali  montre  suffisamment  que  ce  docteur  n'a  exercé  son 
activité  bienfaisante  qu'à  une  époque  postérieure,  sous  un  autre 
règne  assurément. 

Autres  divergences  :  parmi  les  villes  ou  provinces  conquises 
par  Jean  Hyrcan  n'en  figure  aucune  qui  porte  le  nom  de  Cohlit. 
Le  Pharisien  ne  s'appelle  pas  Guedidiah,  mais  l'^léazar,  ni  le  Sad- 
ducéen  Eleazar,  mais  Joiiathas  ;  enfin,  d'après  Josèphe.  Jean 
Hyrcan  n'alla  pas  si  loin  que  Jannée  :  il  se  contenta  de  rompre 
avec  les  Pharisiens,  à  abroger  les  lois  que  ceux-ci  avaient  impo- 
sées au  peuple  et  à  décréter  des  peines  contre  ceux  qui  continue- 
raient de  les  observer. 

Ces  divergences  sont,  à  la  vérité,  notables,  mais  elles  ne  dé- 
passent pas  celles  qui  s'observent  souvent  dans  les  récits  paral- 
lèles qui  se  ressemblent  le  plus.  Elles  sont  néanmoins  assez 
importantes  pour  qu'on  éaarte  l'idée  d'un  emprunt  fait  par  la  &a- 
raiia,  nous  ne  dirons  pas  à  Josèphe  —  les  Juifs  des  premiers 
siècles  n'ont  pas  connu  l'ouvrage  de  leur  compatriote,  —  mais 
même  à  la  source  oii  a  puisé  le  célèbre  historien.  L'auteur  du  récit 
que  nous  éludions  avait,  pour  cela,  entre  autres,  une  raison  ma- 
jeure :  il  ne  devait  pas  être  friand  de  la  lecture  d'é;rits  hostiles 
aux  Pharisiens.  Or,  tel  est  incontestablement  le  caractère  de 
l'ouvrage  que  Josèphe  a  copié,  en  racontant  cet  épisode  de  l'his- 
toire de  Jean  llyroan.  Car  voici  dans  quels  termes  il  entre  en 
matière  :  <s  Le  bonheur  d'Hyrcaii  lui  attira  Venvie  des  Juifs,  mais 
particulièrement  de  ceux  de  la  secte  des  Pharisiens  ;  ils  ont  un 
tel  crédit  parmi  le   [)fuple  qu'il   embrasse   leur  sentiment,  lors 

Arislobule  :  •  Les  pharisiens,  furieux  du  mauvais  succès  de  leur  intrigue,  présentè- 
rent la  chose  sous  un  pur  odieux  et  répandireot  sur  Aristobule  les  plus  noires  ca- 
lomnies. Les  crimes  dont  on  chargea  la  mémoire  de  ce  prince  paraissent  avoir  été 
des  inventions  de  ce  parti  rogne  et  malveillant,  dont  toutes  les  malignités  étaient 
accueillies  par  l'opinion  avec  beaucoup  de  légèreté.  »  Or,  le  même  récit  qui  noircit 
ainsi  Aristobule  raconte  que  la  reine,  c'esl-a-dire  Salomé,  se  montra  plus  cruelle 
encore  que  son  mari,  en  auirant  Antigone  dans  lo  guei-apens  où  il  devait  trouver  la 
mort.  Un  membre  du  parti  qui  célébrait  si  hautement  les  vertus  de  Salomé,  la  vraie 
reine  selon  le  cœur  des  Pharisiens,  aurait  ainsi  lait  de  leur  iaole  une  criminelle 
odieuse  I  Que  Josèphe  ait  utilisé,  pour  écrire  l'histoire  d'Aristobule.  deux  ouvrages  a 
tendances  opposées,  l'un  sévère  pour  ce  roi,  l'autre  louant  sa  douceur,  sa  modestie 
et  l'éclat  des  services  qu'il  rendit  a  ses  sujets,  l'hypotnèse  peut  se  soutenir;  mais, 
sans  aucun  doute,  celui  qui  met  en  scène  Salomé  rivalisant  (Je  cruauté  avec  son  mari 
ne  peut  avoir  été  écrit  par  un  Pharisien. 


LES  SOUBCKS  TAL.Ml  DKJUES  DE  L'HISTOIRE  JUIVE  221 

même  qu'ils  sont  contraires  à  ceux  des  rois  et  des  pontifes.  » 
Cette  façon  de  parler  n'est  certainement  pas  d'un  Pharisien. 

L'analogie  de  notre  relation  avec  celle  de  Josèphe  n'en  est  que 
plus  digne  d'attention.  Examinons-en  les  détails. 

C'est  au  retour  d'une  expédition  heureuse,  signalée  par  la 
conquête  de  villes,  que  le  roi  liasmonéen  invite  les  Pharisiens  à 
sa  table.  —  On  sait  avec  quelle  parcimonie  les  traditions  rab- 
biniques  nous  ont  conservé  le  souvenir  des  fdits  et  gestes  des 
princes  Macchabéens.  En  particulier,  la  mémoire  de  leurs  cam- 
pagnes n'a  pas  dû  être  entretenue  avec  amour  par  les  docteurs 
pharisiens  :  une  des  raisons  de  l'hostilité  de  ce  parti  à  l'égard  des 
princes  régnants  a  just^-ment  été  sa  répugnance  pour  ces  nou- 
velles mœurs  militaires  introduites  par  les  descendants  des  Mac- 
chabées. Tous  les  historiens  sont  d'accord  sur  ce  point. 

D'autre  part,  les  traditions  conservées  dans  les  baraïtot,  sur- 
tout quand  elles  se  rapportent  à  cette  époque  lointaine,  sont  géné- 
ralement très  vagues  et  ne  manifestent  aucun  goût  pour  ces  dé- 
tails circonstanciés.  En  particulier,  les  renseignements  géogra- 
phiques y  font  ordinairement  défaut.  Le  nom  de  n-^bmr,  Gohlit,  qui 
ne  se  retrouve  nulle  part  ailleurs  dans  le  Talmud,  n'a  donc  pas  été 
emprunté  au  vocabulaire  géographique  où  l'on  pouvait  puiser  au 
hasard.  Sa  présence  dans  notre  récit  est  déjà  la  preuve  certaine 
de  la  singularité  de  ce  document.  Les  noms  des  personnages  qui 
jouent  les  premiers  rôles  en  cette  circonstance  ne  sont  pas  moins 
curieux,  ce  ne  sont  pas  ceux  qu'on  invente  d'ordinaire  pour  don- 
ner plus  de  couleur  au  récit,  ce  ne  sont  pas  des  Eléazar  ou  des 
Simon  quelconques  :  Eléazar,  fils  de  Poèra,  et  Juda,  fils  de  Gue- 
didiah  n'apparaissent  que  dans  ce  passage  *. 

Autre  particularité  à  noter,  c'est  le  seul  passage  où  le  titre  de 
Pharisien  ne  comporte  pas  d'idée  malveillante.  On  sait  que  cette 
qualification  n'est  jamais  prise  par  les  Pharisiens  -  ;  ce  sont  tou- 
jours les  Sadducéens  qui  l'emploient.  On  la  rencontre,  d'ordinaire, 
dans  les  controverses  entre  Pharisiens  et  Sadducéens  ;  ces  der- 

•  Daus  j.  Maaser  Schèni,  S6  <ï,  (in,  et  j.  Soia,  24  a,  des  rabbins  rapportent,  au 
nom  de  R.  Josué  ben  Lévi  'in*^  siècle  ,  une  tradition  qui  fait  vivre  à  l'époque  des 
rois  hasmonéens  un  certain  Eléazar,  tils  de  Pahora,  et  Juda,  lils  de  Petora  (ou  Pa- 
chora).  Mais,  outre  que  la  ressemblance  entre  ces  noms  et  ceux  de  notre  récit  n"est 
pas  sensible,  il  est  visible  que  ces  deux  personnajïes  ne  sont  pas  l'un  un  Phari- 
sien, l'autre  un  Sadducéen  ;  ce  sont  probablement  des  prêtres  coupables  d'excès. 
Voici    le   passage  :  r.'Cyi   "Iwi'TJ    HT:    r;2T,::N"l3   "'•,5     13    i'Oir;"»  "l    DCa... 

ûiijy'p  c-^b^T  nxiNb  'C^yci  n-'ibi  r,:iMi'D  •'-ist::'  ■cj-'bo  n"^pbn  r:u:bçb 

...^'l-lTn  iniN    'J"'bm3   ivar.   rriiDD) 

*  Sauf  pour  désigner  des  catégories  spéciales  de  Pharisiens,  qui  se  distinguent  de 
la  masse. 


222  RRVUK  DF.S  LTL'DKS  JLMVES 

niers  interpellent  leurs  adversaires,  en  leur  disant  :  «  Vous  autres 
Pharisiens  ».  A  quoi  ceux-ci  répondent  :  «  Vous  autres  Saddu- 
céens  ».  Et  ces  controverses  ont  toujours  eu  lieu.  Ici,  il  est  vrai, 
c'est  un  Sadducéen  qui  se  sert  de  lexpression  «  Pharisiens  », 
mais  il  n'apostrophe  pas  ses  adversaires.  Le  ferait-il,  que  le  récit 
devrait  être  tenu  pour  aussi  authentique,  au  moins,  que  ceux  où 
les  deux  partis  sont  mis  en  présence. 

Plus  dignes  d'attention  sont  le  style  et  la  langue  de  notre 
hara'ila.  Où  trouve-t-on,  dans  tout  le  Talmud.  des  expressions  ou 
tournures  semhlables  à  celles-ci  :  ""ib'^n'^T  .br-^bn  y-\  nb  yb  0"'î< 
r^s'nr;  yiiim  ;yby  "'û2b,  'y^iin  cnb  cpr;,  wn  ?  Bien  plus,  le  langage, 
comme  celui  de  Ben  Sira,  ne  répugne  pas  au  pastiche,  témoin  la 
phrase  :  t^i^r;  î^bn  -,n--  ■>::ipn->T  (imitée  d'Esther,  ii,£3).  Enfin,  et  ce 
détail  est  le  plus  caractéristique,  l'emploi  du  passé  historique, 
avec  le  vav  cunversif,  qui  a  complètement  disparu  dans  la  langue 
néo-hébraïque  de  la  période  talmudique,  est  presque  constant 
dans  ce  morceau  :  'n«i<"'T,  «pia"'i,  nbnn-^n.  y^nm,  is^n-'i. 

Le  texte,  bien  qu'il  ait  passé  sous  le  niveau  de  la  syntaxe  tal- 
mudique —  comme  les  vers  de  Ben  Sira  cités  par  les  rabbins  —  a 
conservé  tant  de  vestiges  de  sa  forme  primitive  que  force  nous  est 
d'y  voir,  non  pas  une  tradition  orale  semblable  à  celles  qui  ont  été 
fixées  dans  des  baraïlot,  mais  bel  et  bien  Vextrait  d'une  chro- 
nique rédigée  en  hébreu  sur  le  modèle  des  livres  historiques  de 
la  Bible.  Toutes  les  particularités  linguistiques  que  nous  avons 
relevées  en  sont  la  preuve  indéniable. 

La  page  du  Talmud  est  donc  le  restant  d'une  chronique  qui  ra- 
contait l'histoire  des  rois  hasmonéens.  Et  cette  chronique  était 
l'œuvre  d'un  Pharisien,  témoin  l'expression bNnïî"»  "'îo^n  «les  sages 
d'Israël  »,  qui  désigne  les  docteurs,  et  témoin  aussi  Tesprit  qui  y 
règne. 

Quelle  était  cette  chronique?  Etait-ce  le  «  Rouleau  de  la  dy- 
nastie des  Hasmonéens  »,  qui,  au  dire  des  Halachot  Guedolot, 
aurait  été  écrit  par  «  les  anciens  des  deux  écoles  de  Ilillel  et  de 
Schammaï*  »?  Ce  n'est  pas  impossible,  mais  il  serait  téméraire  de 
l'affirmer. 

En  tout  cas,  la  haraïta  de  Kiddoiischin  est  un  document  his- 
torique, une  page  détachée  d'un  ouvrage  aujourd'hui  perdu  %  un 

•  Celte  expression  est  tellement  insolite  qu'on  ne  sait  en  rendre  compte. 

»  Voir  Revue,  t.  XXX,  p.  214  et  suiv. 

'  Elle  est  eitée  par  Abbai,  rabbin  babylonien  du  iv«  siècle,  qui  déclare  que  Jean 
[IIjTcan]  et  Jannée  soiil  uue  seule  et  même  personne.  Dans  sa  pensée,  donc,  il  s'a^rit 
bien  pour  lui,  dans  ce  passage,  de  Jean  Hjrcan,  peut-être  parce  que  le  contexte  de 
cet  extrait  l'exigeait.  Le  contemporain  et  compatriote  d'Abbai,  Rabba,  lait  une  dis- 
tinction entre  Jean  et  Jannée  et  ajoute  que  celui-ci  fut  toujours  mauvais  ^=  hostile  aux 


LES  SOURCES  TA1..MI  DIOI'KS  UE  1/lllSTumE  JUIVE  22a 

des  rares  spécimens  —  le  seul  [)eut-être  —  de  la  littérature  histo- 
rique en  hébreu  postérieure  à  la  Bible.  A  ce  titre,  il  permet  de 
contrôler  tant  soit  peu  la  valeur  des  matériaux  dont  s'est  servi 
Josèphe  dans  la  construction  de  ses  Antiquités.  Il  montre  égale- 
ment que  toutes  les  relations  historiques  du  Talmud  n'ont  ni  la 
même  valeur,  ni  le  même  caractère. 

Israël  Lévi. 


Note  additionnelle  au  ch.  I.  —  Parmi  les  récits,  en  petit  nombre,  dont 
Simon  b.  Schétah  est  le  he'ros,  en  figure  un  qui  oËfre  avec  celui  que  nous 
avons  étudié  un  air  de  parenté  frappant.  Ce  docteur  veut  mettre  fin  aux 
méfaits  de  quatre-vingts  sorcières  qui  ont  élu  domicile  à  Lydda.  Pour  cela, 
voici  le  stratagème  dont  il  s'avise.  11  choisit  quatre-vingts  jeunes  gens  et 
les  munit  de  vêtements  frais,  qu'ils  enferment  dans  un  pot,  dont  chacun  se 
couvre  la  tête.  Cela  pour  se  proléger  contre  la  pluie,  dont  c'est  la  saison. 
En  cet  équipage,  ils  arrivent  près  de  l'antre  des  sorcières.  Simon  convient 
avec  ses  acolytes  qu'au  premier  coup  de  sifflet,  ils  passeront  leurs  habits 
frais  et,  au  second,  qu'ils  s'empareront  chacun  d'une  sorcière,  qu'ils  soulè- 
veront en  l'air,  car  ces  magiciennes  perdent  leur  pouvoir  quand  elles  ne 
touchent  plus  terre.  Lui  se  dirige  vers  la  caverne  des  sorcières  et  dit  : 
«  Ouvrez-moi  la  porte  ;  je  suis  un  des  vôtres.  —  Comment  as-tu  pu  venir 
jusqu'ici  par  un  temps  pareil  ?  —  J'ai  marché  entre  les  gouttes.  —  Que 
veux-tu?  —  M'inslruiie  et  instruire  :  que  chacun  de  nous  montre  son  sa- 
voir ».  —  Les  sorcières  se  livrent  à  leurs  meilleurs  tours  :  elles  fout  appa- 
raître magiquement  des  mets  de  toute  espèce.  —  «  A  toi,  maintenant,  lui 
disent-elles.  —  Moi,  je  n'ai  qu'à  siffler  deux  coups  pour  vous  amener 
quatre-vingts  jeunes  gens  qui  vous  divertiront.  —  Fais-le».  —  Deux  coups 
de  sifflet,  et  ses  compagnons  sont  là,  s'emparent  des  femmes  et  les  pen- 
dent (j.  Haguiga,  11  d]. 

Tel  est  le  rôle  que  l'imagination  populaire  ne  craint  pas  d'attribuer,  en 
cette  occurrence,  à  Simon  b.  Schélah  :  ce  sont,  de  nouveau,  de  bons  tours. 
Or,  cette  légende  a  la  môme  origine  que  le  récit  précédent,  elle  est  pales- 
tinienne, comme  le  montre  le  dialecte  dans  lequel  elle  est  rédigée.  Comme 
l'autre  invention,  elle  est  destinée  à  commenter  une  baraïta  laconique  — 
qui  se  borne  à  imputer  à  Simon  b.  Schétah  l'exécution  de  quatre-vingts 
sorcières  à  Lydda.  Comme  l'autre  aussi,  elle  est  analogue  à  tous  ces  traits 
d'hahilelé  que  le  Midrasch  sur  les  Lamentations  cite  avec  satisfaction  pour 
vanter  la  supériorité  des  Jérusalemites  ;  elle  est  même  conçue  sur  le  môme 
patron  qu'une  histoire  presque  semblable,  où  un  rabbin,  Josué  b.  Hanania, 
trompe  de  la  même  façon  les  sages  d'Athènes  [Bechorot,  8b). 

Ces  coïncidences  corroborent  singulièrement  l'interprétation  que  nous 
avons  donnée  de  notre  récit  :  ce  n'est  pas  de  l'histoire,  c'est  une  fiction 
populaire. 

Pharisiens  ,  tandis  que  Jean  ne  l'étuil  pas  au  commencement  [Kiddousckin,  66 rf).  Ce 
docteur,  mieux  renseigné  encore  que  sou  collègue,  avait  peut-être  une  chronique 
moins  altérée  que  celle  d'Abbaï  et  où  le  nom  de  Jean  n'était  pas  remplacé  par  celui 
de  Jannée. 


NOTES   CRITIQUES 


.SUR 


LA  PESIKTA  RABHATI 


IIP 


R.    SABBATAl. 


On  se  rappelle  peut-être  que,  pour  corrober  l'hypothèse  que  la 
ville  de  Bari,  mentionnée  dans  la  Pesik'a  Rahhati,  est  la  cité  ita- 
lienne connue,  j'avais  fait  remarquer  la  mention,  dans  le  même 
ouvrage,  d'un  agadiste  nora^mé  Sabbataï,  qui  pourrait  bien  être,  lui 
aussi,  d'Italie. 

Ce  nom,  évidemment,  n'était  pas  porté  uniquement  par  les  Juifs 
de  cette  contrée  ;  mais,  comme  l'a  montré  Zunz,  il  y  a  des  noms 
qui  à  certaines  époques  étaient  choisis  de  préférence  dans  chaque 
paj's.  Or,  Sabbataï  est  un  de  ceux  qui,  au  x«  siècle,  étaient  com- 
muns dans  la  péninsule.  Si  donc  un  R.  Sabbataï  s'exprime  en 
termes  inconnus  aux  anciens  rabbins  et  parait  avoir  vécu  long- 
temps après  eux,  il  ne  sera  pas  trop  aventureux  de  chercher  sa 
patrie  dans  la  région  où  ce  nom  était  répandu. 

Un  Sabbataï,  il  est  vrai,  figure  encore  dans  la  Pesihta  Rabbati; 
il  est  facile  de  s'en  assurer,  l'éditeur  de  cet  ouvrage  ayant  pris  soin 
de  dresser  l'index  des  noms  propres.  Mais  précisément  le  passage 
où  ligure  ce  rabbin  fortifie  l'impression  que  laisse  la  citation  de 
l'opinion  de  son  homonyme.  Là,  l'auteur  de  la  Pesikla  Rabbati  se 
bornant  à  reproduire  le  Talmud  palestinien,  le  dire  de  ce  R.  Sab- 
bataï se  comprend  sans  peine  :  il  est  exprimé  dans  la  langue  ordi- 

»  Voir  Rerue,  t.  \XX1I.  iTS.  et  t.  XXXIll.  .n. 


NOTES  ClilTlnL'KS  SUU  LA  l'ESIKTA  llAliUATl  22y 

naire  des  anciens  docteurs.  A  la  page  149  &,  où  le  rédacteur  ne 
transcrit  plus  un  texte  connu,  les  paroles  dont  se  sert  l'autre 
R.  Sabbataï  ont  une  allure  singulière,  comme  on  va  bientôt  le  voir, 
qui  accentue  le  contraste. 

Enfin,  il  est  vrai  encore  que  le  Talmud  cite  plusieurs  rabbins  de 
ce  nom  :  il  suffit  d'ouvrir  le  Séder  Hadorol  pour  s'en  convaincre  ; 
mais  tous  ces  docteurs  sont  des  halakhistes,  qui  ne  s'occupent  ja- 
mais à'agada.  Et  cette  coïncidence  est  encore  frappante. 

Etudions  maintenant  le  passage  où  apparaît  le  nom  de  ce  R.  Sab- 
bataï, que  nous  avons  soupçonna  d'ap[)artenir  à  une  époque  récente 
et  probablement  à  l'Italie  ;  voyons  s'il  doit  être,  au  contraire, 
rangé  parmi  les  docteurs  du  Talmud  ou  les  anciens  rabbins. 

Dans  le  Sifrê,  sur  Deutéronome,  xvi,  18,  R.  Eléazar  ben  Sclia- 
moua  donne  aux  mots  :  «  Tu  établiras  des  juges  et  des  commis- 
saires chargés  de  l'exécution  des  arr(''ts  *  »  le  commentaire  suivant  : 
«  S'il  y  a  des  commissaires,  il  y  a  des  juges;  mais  point  de  com- 
missaires, point  de  juges.  » 

Ce  texte  est  ainsi  reproduit  dans  Tanliouma  (sur  le  même  ver- 
set, §  2  de  l'édition  ordinaire,  %  3  de  celle  de  Buber)  : 

«  R.  Eléazar  dit  :  s'il  n'y  a  pas  de  commissaire,  point  déjuge  ». 

Puis  vient  ce  commentaire  :  «  Par  exemple,  l'une  des  parties  a- 
t-elle  été  condamnée  par  le  tribunal  à  payer  à  l'autre,  s'il  n'y  a 
pas  là  de  commissaire  pour  faire  exécuter  la  sentence,  le  juge  n'a 
pas  le  droit  de  le  faire  lui-même.  Il  faut  que  le  juge  livre  le  con- 
damné au  commissaire,  et  c'est  celui-ci  qui  exerce  la  contrainte  i>. 

Tanhouma  cite  ensuite  un  dire  de  R.  Eléazar  ben  Pedat  qui 
montre  que  Joab  tenait  l'emploi  de  commissaire  pour  les  cas  jugés 
par  David.  «  De  même  Job  :  Il  disait  :  «  J'étais  un  père  pour 
les  pauvres,  j'étudiais  la  cause  de  l'inconnu,  je  brisais  les  mâ- 
choires de  l'injuste  et  arrachais  la  proie  d'entre  ses  dents  (Job, 
XXIX,  16-17)  -  «, 

Voici  ce  que  devient  ce  texte  dans  la  Pesikta  Rabhali  (p.  149  b)  : 

*  Nous  traduisons  d'après  l'iule rprélatioa  du  Talmud. 

*  Ce  texle  est  visiblement  tronqué,  car  l'exemple  de  Job  est  invoqué  à  l'appui 
de  celui  de  David  et  pour  conlirmer  l'opiuioa  de  K.  Eléazar,  et,  eu  réalité,  il  les  con- 
tredit, car  Job  est  à  la  fois  juge  el  exécuteur  de  ses  sentences. 

T.  XXXV,  N«  70.  ir. 


MC,  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

rrr,  Nino  lnV.s  "ny  xb-i  c^nn  '^y  rct:  "jp:  nVn  ^*:5  )z  z-ra  rr'-ïj 

n7:i«  Y'  'i^'"'  c-'-.rjTwT  a"'::sTC  r;~r,p  r:--;N  pc  "ii:-ic  rr^n  r<nm  :;dtj 

■^sb    7-7:r;  ■'rr   Nr;-'^  'j-'-'-r:  ']"'-,j:   ^-^::•J  •^3-'  — "in  .",■'■;-   Pi<  n'Cîvo 

';"'^~  PN   T-i'ciy  ar-r-::  l'^-'"-  b^*  rrc-^^a  rr-r-  z-ra  n7:N  ,L:='~wr-ij 

\n^^-  t<b  ':cb  "7::"'  -.::•,•:;-  rrrrc  ""t  by  r]M  ^zrcr,  ^-""-  ^:n-  •j-^-'in 
■':n  l-^'r,  m  p  \-^-'T!w  ]-rz  x-:ii  '"^--^r,  pn  t^i'^x-i"'  ?<ir;c  ib   ';\-i::72 

St:^-  pn  £=r"ip?-    r<^:i-,r;b  r:--  pn   -i2-7:i    pi;-    b:?   •^pi^n  nrn? 

Rabbi  Tanhouma  ■'n"^  ouvrit  par  ce  verset  sa  prédication  :  C'est 
là  ce  que  dit  l'esprit  saint  par  la  bouche  de  Job  :  «  Je  brisais 
les  mâchoires  de  l'injuste  et  arrachais  la  proie  de  ses  dénis.  »  Tu 
trouves  que  Job  était  un  homme  considérable  et  riche,  et  quiconque 
est  grand  et  riche  ne  se  préoccupe  pas  du  droit  des  pauvres.  Tu 
croiras  que  Job  était  ainsi?  Non.  Au  contraire,  il  se  dévouait  pour 
la  justice.  Bien  plus,  il  était  à  la  fois  juge  et  commissaire.  Ainsi  dit 
le  Pentateuque  :  Tu  établiras  des  juges  et  des  commissaires.  R.  Eléa- 
zar  dit  :  S'il  n'y  a  pas  de  commissaire,  point  de  juge.  Le  juge  rend 
l'arrèl  et  le  commissaire  l'exécute.  R.  Sabbataï  dit  :  Le  juge  doit  être 
selon  le  bâton,  selon  lalaunière  (qui  sert  à  fustiger,  et  selon  ce  qu'il 
est  {iic],  pour  qu'il  ne  soit  pas  soupçonné  et  le  bàlon  et  la  lannière 
grands  et  bons  [sic.  Job  disait  :  Le  Pentateuque  ordonne  sévèrement 
au  juge  de  juger  et  au  commissaire  de  faire  rendre  le  vol;  moi  je 
n'agissais  pas  ainsi  :  j'étais  à  la  fois  juge  et  commissaire.  Malgré 
la  présence  du  commissaire,  je  n'attendais  pas  son  intervention,  je  nie 
.jetais  sur  le  voleur,  lui  brisais  les  dents  pour  lui  arracher  le  vol. 

Dans  Tanhouma,  première  altération  du  texte  primitif  : 
K.  Eiéazar,  ben  Schamoua,  un  Tanna,  devient  K.  Eléazar,  un 
Amora.  L'erreur  a  passé  à  la  Pesili'a  Rabbali.  Mais  le  rédac- 
teur de  ce  recueil,  selon  l'ordinaire,  a  commenté  son  auteur, 
il  ajoute  donc  :  l-^in  PwS  ncr?:  T^Vwm  "j-^-ir;  pn  p  -jetit;  «  le  juge  rend 
la  sentence  et  le  commissaire  l'exécute  ». 

Il  fait  intervenir,  en  outre,  un  Rabbi  Tanhouma,  qui  se  sert 
d'une  formule  que  Zunz  a  eu  raison  de  considérer  comme  de  basse 
époque  et  que  lui,  auteur  de  la  Pesikta,  répète  à  tout  bout  de 
champ  :  «  C'est  ce  qu'a  dit  l'esprit  saint  ».  Ce  Rabbi  Tanhouma, 
on  le  devine  aisément,  c'est,  pour  lui,  l'auteur  du  Tanhounia. 

On  voit,  par  cet  échantillon  seulement,  les  procédés  du  rédac- 
teur de  la  Pesikta  Rahhati. 


>;UTKS  ClilTlgl  KS  SLK  LA  PKSIKTA  l'.AliliATI  227 

Non  content  de  développer  à  sa  façon  le  texte  du  Tanliouma,  en 
se  servant  d'une  Langue  qui  lui  est  propre,  il  ajoute  la  mention 
d'une  opinion  d'un  R.  Sabljataï  qui  s'exprime  en  des  termes  presque 
incompréhensibles. 

Que  dit  maintenant  ce  K.  Sabbataï  ?  Que  le  juge  doit  répondre 
au  bâton  et  à  la  lannière,  et  à  ce  qu'il  est,  c'est-à-dire  à  ses  attri- 
buts. En  d'autres  termes,  sa  conduite  doit  être  digne  de  ses  fonc- 
tions, afin  qu'il  ne  soit  pas  suspecté  et  qu'on  ne  dise  pas  que  seuls, 
ses  instruments  de  justice  sont  d'un  juge. 

R.  Sabbataï  reprend  donc  à  son  compte  une  opinion  relatée  dans 
Deharim  Rabba  (cli.  5),  Midrasch  postérieur  au  Tanhouma  '. 

D'^o:-')jr:  irr^ui^s]  iûdtvUd  -irûv^r-  î»-*--''^  i-i7:n  "[im  a'^-i'Jiwi  D'cdic 

Des  juges  et  des  commissaires.  —  Les  rabbins  disent  :  le  commis- 
saire doit  être  comme  le  juge,  afin  que  les  exécuteurs  (.vie;  répondent 
au  bâton  et  à  la  lannière  et  que  celui  qui  frappe  ne  mérite  pas  lui- 
même  d'être  fustigé. 

L'auteur  de  Deharim  Rabba  s'est  rappelé  une  parole  de  R.  Yo- 
hanan,  qui,  commentant  ces  mots  :  «  Je  donnai  ordre  à  vos  juges 
en  ce  temps  »,  s'exprime  ainsi  :  rnî  N^in  nz'iirm  bpTo  nsso  «  Il  faut 
être  zélé  (ou  circonspect)  du  bâton  et  de  la  lannière  »  [Sanhé- 
drin, 1  b).  Ayant  oublié  le  nom  de  l'auteur  de  cette  interprétation, 
il  le  remplace  par  un  terme  vague  «  les  rabbins  ».  C'est  un  usage 
fréquent  dans  les  Midraschim  récents.  En  outre,  il  paraphrase  à  sa 
façon  cette  parole  et  la  commente. 

La  paraphrase  est  paraphrasée  à  son  tour  par  notre  R.  Sabbataï, 
qui  s'attribue  ou  à  qui  on  attribue  la  paternité  de  la  sentence  des 
«  rabbins  ». 

Que  l'auteur  de  la  Pesikta  Rabbati  ait  de  son  autorité  propre  in- 
venté le  nom  de  ce  rabbin,  ou  que  ce  soit  un  Sabbataï  en  chair  et 
en  os  qui  ait  mis  sa  griffe  sur  cette  opinion  tombée  en  déshérence, 
peu  nous  importe  :  ce  nom  nous  ramène  à  une  époque  relative- 
ment récente  et  tout  probablement  en  Italie,  dans  la  patrie  de 
l'auteur. 

Et  c'est  ce  que  fait  également  celui  d'un  autre  rabbin  Sabbataï, 
ainsi  que  l'a  remarqué  le  savant  éditeur  et  commentateur  du  Mi- 
drasch sur  les  Psaumes,  M.  Salomon  Buber.  Cet  autre  Sabbataï, 
s'exprime  comme  le  nôtre  en  des  termes  qui  trahissent  une  époque 
déjà  moderne.  Qu'on  en  juge  par  ces  mots  : 

*  Ou,  d'après  M.  Epsteiii,  qui  usl  le  véritable  Tanhouma. 


228  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

nri:"^  ';-^-l-p  ';"'2'"'j:-:t  -itijt  ::'^^"li•c  ne:  2^i::*r?:  S-'-^ij:^  *^i<'r; 
rî"3pm  -,72  nVwN  rxTn  !-ii:^3  V-^"-  "-='"<  "''"*  ''^  2-'-i-:-:.n-  'z^y.Tr^z  zr- 
"-,•::  Y'.r^',  '—  "-;•  ;:;■---,  ':-  =:"!:-'.  ^c?  ^rr  -rr-^rr,  -::  -::vn 
n'^t  rm:3"J7:  br  imr  mrc  ni:^  ':c  v2  v-^"'  ~-=n  "'N  2*-i7:nN 
•[ly  p3  n-b  iv-'^iï"-  1"-=  r-T2--  mnrc-:  cn:=-w-:  Vr  wVrx  -,::x: 
"(■'■rn-w   -r:   r"   n?:?  V--"i'-  1~  ■'^'"'*  r^"*"'"   1"-   *"'-'  ^^-"'  i^'33C73 

Ceux  qui  ont  quelque  habitude  de  la  langues  des  anciens  Midra- 
schim  souscriront  sans  réserve  à  l'observation  de  M.  Buber,  à 
savoir  que  ce  morceau  est  d'un  auteur  très  récent  *.  M.  Buber  se 
demande  quel  est  ce  R.  Sabbatai  dont  le  nom  ne  parait  pas  dans 
les  Midraschim  ^.  Nous  ne  réi>ondrons  pas  :  c'est  le  même  que  cite 
l'auteur  de  la  Pesihla  Rubbjti.  Mais  la  co'incidence  n'en  est  pas 
moins  frappante.  Et  nous  remercions  M.  Bâcher,  qui  nous  a  si- 
gnalé ce  passage,  d'avoir  ainsi  fortitié  notre  thèse. 

Israël  Lévi. 


P.  S.  Dans  le  numéro  de  septembre  de  la  MonatHSchrift,  notre  savant 
collaborateur,  M.  Samuel  Krauss,  discute  longuement  notre  hypo- 
thèse, acceptée  par  M.  Bâcher,  sur  l'identification  de  la  ville  de  Bari, 
dont  parle  la  Pesikta  Rabbali.  Pour  lui,  ce  nom  désigne  l'autique  Béry  te 
I  Beyrout  d'aujourd'hui),  située  en  Phénieie,  et  la  Pesikta  Rabbati  a 
conservé  le  souvenir  d'un  épisode  qui  marqua  le  retour  sanglant  de 
Titus.  Le  fils  de  Vespasien  arrive  à  Béry  te,  où  il  célèbre  la  fêle  de 
son  père.  Ce  qu'il  fit,  en  cette  occurrence,  nous  l'ignorons;  mais 
deux  siècles  plus  tard  [sic',  les  Juifs,  au  souvenir  de  ces  tristes 
jours,  racontaient  ceci,  en  gémissant  :  Titus  ==  Nabuchodonosor  était 
assis  sur  un  navire  —  Beyrout,  n'est-il  pas  un  porf?  —  près  de  lui  se 
tenaient  les  grands  de  son  entourage,  avec  toute  sorte  de  musiques, 
—  n'était-ce  pas  le  jour  de  fête  de  l'empereur?  — devant  lui,  dans  la 
poussière,  les  rois  de  Juda  —  Simon  ben  Giora  e^  les  chefs  de  l'in- 
surrection —  portant  des  chaînes  de  fer  et  iiiaichant  nus  le  long  du 
lleuve — le  Béry  te.  Sur  l'ordre  du  tyran,  de  plus  cruels  sévices  furent 
iuiligésaux  malheureux,  et  tout  Israël  se  mil  à  gémir.  Alors,  la  pitié 
des  habitants  fut  émue,  —  ceux  de  Béryte  et  des  autres  villes  qui 
étaient  venus  dans  la  cité  pour  assister  à  la  fête  —  et  ils  s'écrièrent  : 

•  Psaumes  Rahba,  149,  5;  p.   540  de  l'éd.  Buber. 

*  D"'w-n?:3  nrT:  xb  "^2  n^i'-a  «""sn  -,'cx  ■'Nna;:;  '-  N-,r:  "^"^  rnr  "»::i. 


NOTES  CIUTIQUES  SUR  LA  PESIKTA  RABBATI  229 

'(  Voilà  le  peuple  de  Dieu,  ceux  qui  sont  sortis  de  son  pays  !  »  —  De 
telles  paroles  ne  pouvaient  être  prononcées  que  par  des  étrangers.  — 
Les  Juifs  de  la  cité  vinrent  au  secours  de  leurs  frères,  —  car,  Béryle 
étant  ville  libre,  les  Juifs,  eux  aussi,  jouissaient  de  la  liberté.  —  Ils 
obtinrent  de  Tiius  que  les  malheureux  prisonniers  recevraient  des 
vêtements.  Pour  prix  de  leur  charité.  Dieu  leur  accorda  une  grâce 
plus  grande  qu'à  tout  le  resle  {sic)  delà  Palestine  :  ils  furent  favo- 
risés  d'un  beauté   extraordinaire. 

Ce  roman  ne  manque  pas  de  saveur.  M.  Bâcher  a  soufflé  dessus, 
dans  le  numéro  suivant  de  la  Monalsschrift,  en  montrant  que  les 
tours  de  force  auxquels  s'est  livré  notre  contradicteur  ne  sont  que 
des  tours  de  force,  qu'aucune  de  ses  déductions  n'est  fondée  et  que 
parfois  même  ses  arguments  en  prennent  trop  à  leur  aise  avec  le 
dictionnaire  ainsi  le  mot  rr^na  «  créature?,  personnes  »  pris  pour  un 
nom  propre  de  ville). 


UN  MIDRASGH 
SUR  LE  CANTIQUE  DES  CANTIQUES 


rT"   I 


De  la  Palestine,  patrie  de  la  littérature  midraschique,  nous 
arrive  la  première  édition  d'un  petit  écrit  midrasctiique,  inconnu 
jusqu'ici,  mais  qui  s'était  conservé,  avec  beaucoup  d'autres  pro- 
ductions de  la  vieille  littérature  juive,  dans  les  guenizot  des  syna- 
gogues du  Caire.  Le  manuscrit  arriva  du  Caire,  en  1889,  à  Jaffa 
et  tomba  ensuite  entre  les  mains  de  M.  L.  Grûnhut,  directeur  de 
l'orphelinat  Israélite  de  Jérusalem,  qui,  par  son  traité  sur  les 
sources  et  la  date  de  la  rédaction  du  Midrasch  Kohélet  (Franc- 
fort, 1892),  a  montré  sa  compétence  dans  le  domaine  de  la  litté- 
rature agadique. 

Le  manuscrit  que  M.  Grimhut,  par  la  présente  édition,  a  rendu 
accessible  aux  savants  est  intéressant  déjà  par  son  ancienneté, 
car,  dans  un  appendice,  le  copiste,  Juda  ben  Sabbataï  ben  Juda, 
nous  apprend  qu'il  termina  son  travail  en  lyyar  4901  (=:  1147 ). 
Ce  manuscrit  offre  le  Midrasch  complet  sur  le  Cantique,  sans 
autres  lacunes  que  celles  qui  proviennent  de  l'écriture,  assez  sou- 
vent effacée  et  obscurcie.  Ces  lacunes,  l'éditeur  les  a  marquées  par 
des  points  ou  comblées  d'après  le  Yalhoui,  qui  a  beaucoup  em- 
prunté à  notre  Midrasch.  En  outre,  M.  G.  a  divisé  le  texte  en 
chapitres  et  versets,  d'après  la  Bible,  y  a  mis  une  ponctuation, 
a  indiqué  les  citations  de  l'Ecriture  et  signalé  dans  des  notes  les 
sources  ou  les  passages  parallèles  de  la  littérature  talmudique  et 
midraschique.  Ces  indications  sont  utilement  complétées  par  des 
notes  de  M.  Buber,  insérées  dans  l'Introduction  (p.  25-35).  Dans 
cette  Introduction,  M.  Grûnhut  parle  de  l'usage  que  fait  le   Yal- 

»  Û"'"T^Cn  T^O  '<I3"n73,  Midrasch  Schir  Haschirim,  édile  pour  la  première  fois 
d'après  ua  ins.  du  xii'^  siècle,  découverl  en  Egypte,  examiné  au  point  de  vue  cri- 
tique avec  lindicatioa  des  sources  et  précédé  d'uue  introduclion  par  L,  Grûnhut. 
Jérusalem  ;1897;,  iu-8°  de  3S  -|-  102  pages. 


r\  MlKHASCIf  sril  IJ;  CANTIQUE  DES  CANTIQUES  231 

hoid  de  notre  Midrasch,  des  vestiges  qu'on  en  retrouve  chez  des 
autorités  plus  anciennes,  de  ses  sources  et  de  la  date  probable  de 
sa  rédaction. 

On  voit  que  l'éditeur  a  pris  sa  tâche  au  sérieux  et  qu'il  s'est 
appliqué  à  présenter  sa  découverte  avec  l'appareil  scientifique 
requis.  Abstraction  faite  des  noml)reuses  fautes  typo^rraphiques  et 
d'une  certaine  lourdeur  et  obscurité  dans  les  notes,  il  faut  recon- 
naître que  M.  Griinhut  a  fourni  un  bon  travail  et  mérité  la  grati- 
tude de  tous  les  amis  de  la  littérature  agadique. 

Le  Midrasch  sur  le  Cantique  des  Cantiques  appartient  à  ces 
productions  de  la  littérature  midraschique  qui  ont  laissé  des 
traces  dans  divers  écrits  avant  qu'ils  eussent  éprouvé  la  fortune 
de  tant  d'ouvrages  anciens,  en  disparaissant  pour  plusieurs  siècles 
ou  pour  toujours.  On  rencontre  des  traces  de  ce  Midrasch  chez 
des  auteurs  des  xi",  xii"  et  xiii'^  siècles.  Comme  le  montre  M.  G., 
Raschi  le  connaît  et  le  cite,  ainsi  que  Tobia  b.  Eliézer,  l'auteur  du 
lexique  talmudique  û-'w^-nr.^n  û-'Nin  -^Din"^  (qui  est,  d'après  Epstein, 
Monatssclir.,  XXXIX'^  année,  p.  400,  Juda  b.  Kalonymos  de 
Spire  ')  et  son  disciple  Eléazar  b.  Juda,  auteur  du  RoUéah,  Moïse  b. 
Nahman  (dans  son  commentaire  sur  les  Nombres,  xiv,  9  ,  R.  Ilil- 
lel,  auteur  d'un  commentaire  sur  le  Sifré,  et,  le  dernier  au  point 
de  vue  chronologique  ,  Menahem  Recanati  (commencement  du 
xiv^  siècle).  M.  G.  établit  avec  assez  de  vraisemblance  que  des  paï- 
tanim,  comme  Simon  ben  Isaac  et  Meschoullam  ben  Kalonymos, 
ont  utilisé  également  notre  Midrasch.  Mais  c'est  principalement  le 
Yalliout  ScJiimoui  qui  a  emprunté  de  nombreux  morceaux,  longs 
ou  courts,  à  notre  Midrasch.  La  plupart  de  ces  auteurs  appellent 
ce  Midrasch  simplement  û-^-i^-w'r;  -ro  ■:;-ii7o,  et  comme  le  ms.  n'a 
point  de  titre,  M.  G.  a  conservé  cette  dénomination.  Cela  n'est 
pas,  à  vrai  dire,  le  nom  de  l'ouvrage,  mais  seulement  l'indication 
de  son  contenu  ;  aussi  l'auteur  des  û\s-i"i72NT  û\S2n  -«oini  le  dési- 
gne-t-il  ainsi  :  riî^bo  t:j^t  'rnnîûo  û'^-i^-::-  t'O  •j:'-n?:2i  «  Dans  le 
Midrasch  du  Cantiqi;e  qui  débute  par  les  mots  :  Et  Salomon  de- 
meura »  (voir  /.  0.  A'.,  VIII,  315)  '.  Et,  de  fait,  le  Midrasch  édité 
par  M.  G.  commence  de  cette  façon. 

Tant  par  le  contenu  que  par  la  forme,  ce  Midrasch  diffère 
essentiellement  des  deux  Midraschim  connus  jusqu'ici  sur  le  Can- 
tique,  le  Midrasch  Ilazita,  qui  a  pris  place  parmi  les  Rabbùt, 

*  M.  Griinhut,  ne  ronuaisFant  pas  larticle  de  M.  Epslein,  prétend  que  Tanteur  de 
l'ouvrage  est:  inconnu. 

»  Le  même  auteur  désigne  le  Midrasch  publié  par  M.  Scliechter  sous  le  titre  de 
Û"^"T'"0!^   T*'»;;    PTSN  et   par   M.  Buber   sous  celui  de  NC^IT  CT773,  sous  le  nom  de 

^K^^  in:  'i  hT^T^n'C  z^-'^cn  n^c  w-n;3  (•/.  Q.  H-,  vil,  735). 


232  HKVUI':  DKS  ÉTUDIiS  JUIVES 

et  celui  qu'ont  publié  dans  ces  derniers  temps  simultanément 
M.  Schecliter  et  M.  Buber.  Notre  Midrasch  offre  beaucoup  de 
points  de  contact  avec  le  Midrasch  IlazUa,  auquel  il  emprunte  un 
certain  nombre  de  passages,  bien  qu'il  les  présente  sous  une  autre 
forme;  mais  la  plus  grande  partie  de  l'ouvrage  est  tirée  d'autres 
sources  ou  ne  se  retrouve  pas  ailleurs.  Quant  à  la  compilation 
agadique  sur  le  Cantique  publiée  par  M.  Buber  sous  le  nom  de 
Midrasch  Zonla,  notre  Midrasch  n'a  que  de  minces  analogies 
avec  lui;  en  tout  cas,  le  Midrasch  Zouta  paraît  plus  récent. 

Ce  qui  caractérise  la  forme  du  Midrasch  Schir  ha-Schvrim, 
c'est  l'emploi  continuel  de  la  forme  introductive.  Le  verset  du 
Cantique  est  mis  en  rapport,  au  moyen  de  la  formule  ^.?:ko  irtT 
mn::!-!  «  C'est  là  ce  que  dit  le  verset  »,  avec  n'importe  quel  autre 
texte  biblique,  qui  est  ensuite  expliqué  et  rapproché  du  premier 
verset.  Cependant,  l'emploi  de  cette  forme,  qui  est  la  forme  con- 
nue du  «  proème  »  midraschique  (NnnTc),  est  ici,  en  quelque  sorte, 
inorganique  et  diffère  de  l'usage  qu'on  en  fait  ailleurs.  Car,  d'or- 
dinaire, cette  forme  d'introduction  ouvre  un  chapitre,  une  péri- 
cope.  De  même,  dans  le  Midrasch  sur  les  Psaumes,  en  tête  de 
chaque  psaume,  se  trouve  une  formule  introductive  ou  la  locution 
mni^n  "i»î<û  iriT  «  C'est  là  ce  que  dit  le  verset  ».  Par  contre,  notre 
Midrasch  offre  de  ces  formules  pour  certains  versets  du  Can- 
tique. Par  exemple,  chap.  i,  versets  1,  9,  14,  15;  chap.  ii,  2,  5, 
(),  8,  9,  10,  11,  16  (2  fois)  n  ;  chaj).  m,  1,  9,  11  ;  chap.  iv,  3,  G,  7, 
9;  chap.  v,  2,  3,  8;  chap.  vi,  T)  '  ;  chap.  viii,  1,  1.5.  Cet  emploi 
de  l'introduction  comme  [irocéde  d  interprétation  est  une  marque 
spécitique  de  notre  Midrasch  et  constitue  une  de  ses  originalités. 
Si  une  partie  seulement  des  versets  du  Cantique  est  interprétée 
par  cette  voie,  c'est  que  l'auteur  de  notre  Midrasch  n'y  a  recours 
que  lorsque  s'offre  à  lui  un  texte  des  autres  écrits  bibliques. 

Le  compilateur  de  notre  Midrasch  a  puisé  aux  sources  les  plus 
variées.  En  premier  lieu,  dans  le  Talmud  de  Jérusalem;  mais  il 
utilise  beaucoup  aussi  le  Talmud  de  Babylone.  Parmi  les  Midra- 
schim  auxquels  il  a  eu  recours  et  que  l'éditeur  signale,  il  y  a 
encore,  en  dehors  du  Midrasch  Hazita  :  Genèse  rahba,  Léri- 
tique  7^abba,  Echa  rabhali,  la  J'esikta,  le  Tanhouma.  11  utilise 
également  les  Midraschim  tanna'ïtiques,  tels  que  la  Mechilta 
et  le  Stfra,  et,  enfin,  les  Abot  de  R.  Nathan  -.  Notre  compila- 

»  Au  lieu  de  :  'rr!  ""."î^w  "T,  il  y  a  là  TINPN";   Nil:. 

»  Pap'e2rt  :  a"'Di3-2  Drio  D^'-isT  a"'-i7:")N  T::^rr'  'm  "iTy-^rx   'm  5"aoi 

"IIN  N"'j:T'.  Dans   la  deuxième   version  des  Ahot  de  Ji.  iV.  (ch.  xii),  R.  Eliézer  (ben 
IJyrkauos     applique   seul  la  parole  de  Job,  xxviii,  11,   à  Akiba  ;  dans    la  première, 


r.N  .MIDISASCII  SIK  LE  CAXTKjLE  DES  CA.NTlol  ES  233 

teur  ne  respecte  pas  scrupuleusement  les  textes  qu'il  reprend, 
mais  en  use  souvent  avec  beaucoup  de  liberté.  Ainsi,  il  traduit  en 
hébreu  le  récit  araméen  du  Talmud  de  Bab\'lone  {Ketonbot,  1116) 
sur  Ramrai  b.  Yehe/.kel,  de  même  celui  qui  est  relatif  à  Josué  ben 
Lévi  (i&.,  112a);  voir  i,  12  (14  a-b).  D'autre  part,  il  n'est  pas 
toujours  facile  d  établir  si  le  passage  midraschique  en  question 
était  sa  source  ou  si  elle  n'est  qu'un  passage  parallèle,  attendu  que 
l'auteur  a  beaucoup  emprunté  à  des  ouvrages  qui  se  sont  perdus. 
Beaucoup  des  passages  qui  ne  se  trouvent  que  dans  le  Midrasch  de 
M.  Griinhut  contiennent  des  assertions  qui  ne  se  trouvent  point 
ailleurs  et  ils  peuvent  être  considérés,  en  partie,  connme  un  vieux 
fonds  agadique.  Cela  est  vrai  surtout  de  ceux  qui  sont  précédés  du 
nom  de  Fauteur.  Car  ces  indications  d'auteurs  ne  font  nulle  part 
l'impression  d'une  pseudépigraphie  ;  pour  quelques-uns  même,  on 
peut  en  prouver  l'authenticité.  C'est  ainsi  que  nous  rencontrons, 
sur  Gant.,  iv,  12,  la  discussion  suivante  :  ^■'"n  'n  nbD  \-nnx  bn^a  13 
mnn  v^'^b  r;7:Tî  n-'hu:  in-nnr;  i-  r;'::D  \n-rwN  bir:  p  t^x  nn  n;^:  '-n 
^nTO  nin^'n  niiiT^n  -i?:n  nm  ...r:mi<  nns-'T  ûrn  Nn-'a  i^^.  llanania  et 
Mana  appartiennent  aux  plus  jeunes  d'entre  les  Amora'im  pales- 
tiniens, beaucoup  de  leurs  controverses  halachiques  sont  consi- 
gnées dans  le  Tahnud  de  Jérusalem  (voir  Frankel,  Mcbo 
Hayeroiischalmi,  88  6);  l'on  trouve  aussi  une  controverse  non- 
halachique  dans  j.  Rosch  Haschana,  56  a,  sur  II  Clir.,  in,  2, 
...i?:i<  r;;mm  ...'irN  in  i;:'^  '-n  n-'^n  'n.  Il  est  donc  hors  «te  douie 
que  la  discussion  rapportée  dans  notre  Midrasch  entre  Hanania 
et  Mana  est  authentique  et  puisée  à  quelque  source  ancienne, 
peut-être  aux  parties  perdues  du  Talmud  de  Jéru^^al^^m.  De  la 
Agada  des  Tannaïtes  notre  Midrasch  a  conservé  trois  discussions 
entre  Juda  et  Nehémia,  lesquelles  ne  se  rencontrent  pas  ailleurs  : 
sur  I,  0  (9(2-6  r;^):n3  'm  Iit»  '-i,  utilisé  par  le  Yalkout)  ;  sur  i,  il 
(13a  n^^TO  'm  mir;^  'i),  et  sur  m,  3  (27  6,  rî^rm  'm  min^  '-)}-. 
Ces  trois  exemples  s'ajoutent  à  ceux  que  j'ai  réunis  sur  Juda  et 

c'est  Tarphon  (voir  éd.  Schechter,  p.  29).  Comme  Tobserve  M.  G.,  le  ms.  est  à  cet 
endroit  presque  illisible,  et  il  Ta  complété.  Peut-être  à  l'orifiiine,  Eliézer  et  Josua 
étaient-ils  nommés  dans  un  rapport  diirérenl,  et  ce  comme  dans  la  première  version 
des  Ab.  d.  R.  N.,  où  immédiatement  après  la  parole  de  Tarphon,  Simon  b.  Eléazar 
(donc  N3">r-1,  dont  on  a  lait  :i3a-^  dit,  en  forme  d'observation  sur  une  compa- 
raison :  jv-wirr^    'm   -iTr-'bx  'nb  n^-'py  'i  anb   n-rr  ^p.  Le  mot  ajouté 

T^-Pnm  da  notre  Midrasch  transporte  l'elope,  qui,  primitivement,  était  décerné  à 
Akiba   seul,    à    lui  et    à    ses  compagnons  de  la   science  secrète.    Voir  Pesikta,3'i  b. 

'  Le  Yalkout  ne  reproduit  que  la  première  opinion  sans  citer  l'auteur  et,  au  lieu 
des  derniers  mots,  a  :  î^nnDT  rTC'û  N120  "iV- 

"La  même  discussion  (sur  le  sens  de  ni-i-OT^ni  se  retrouve  v,  17  (39  fl). 
L'éditeur  n'a  pas  remarqué  ridentilé  et  ne  corri-e  point  la  lame  27  b,  n,  4,  où 
PT'DbTa  est  devenu  ni^i;'-- 


23^1  HEVUE  DES  KTUDES  JUIVES 

Nehémia  dans  Agada  d.  Tannaïten,  II,  225-2';4,  et  où  j'ai  donné 
quelques  controverses  de  ces  docteurs  sur  des  versets  du 
Cantique. 

Notre  Midrasch  contient,  en  outre,  de  nouvelles  assertions  des 
Araoraïm  suivants  :  de  Yohanan  sur  Osée,  ii,  1  (22  a  sur  ii,  G),  sur 
III,  4  (27  h),  sur  iv,  10  (35&);  d'Isaac,  sur  Deut.,  xxxiii,  27  (II  a-h 
sur  I,  8);  de  Hiyya  ben  Abba  sur  Isaïe,  i,  18  i33&,)  sur  iv,  3,  la 
même  explication  est  attribuée  dans  3.  Yoma,  43,  aux  «  doc- 
teurs »,  V-^""^'  ;  de  Ilama  {^izr^  '-,,  nom  indéterminé)  *  sur  Moïse 
et  Aaron  et  les  services  qu'ils  ont  rendus  à  Israël  (13  &  ;  de  llouna, 
Amora  palestinien  du  iv^  siècle,  trois  phrases  séparées  l'une  de 
l'autre  (29  a,  30  a,  30  b)  sur  Faction  déprimante  du  péché.  Cha- 
cune de  ces  phrases  commence  par  ces  mots  :  rrr^i^Ti  û'^ujp  rtr^, 
qui  sont  introduits,  dans  la  première  phrase,  par  les  mots  de  Nin 
xx-n.  Toutes  ces  explications  agadiques  avec  noms  d'auteur  por- 
tent la  marque  de  l'authenticité,  et  l'on  peut  hardiment  les  ajouter 
à  l'œuvre  agadique  des  docteurs  mentionnés. 

Relevons  une  parole  attribuée  à  Yohanan  et  renfermant  un 
terme  intéressant  que  l'éditeur  n'a  pas  compris  et  qu'il  a  altéré 
par  une  conjecture.  Au  sujet  de  Gant.,  m,  4,  Yohanan  dit  [11  h): 
...'rwS-:^"''?  v::m  r;"3pr;b  r:in  .S"i-  fiziz  "rs  n"':.  Voici  comment  ces 
mots  sont  alors  développés.  Dans  ce  verset,  dit  l'interprétateur,  il 
y  a  Dieu,  d'un  côté,  qui  parle  :  bien  qu'Israël  ait  souvent  enflammé 
mon  courroux,  je  ne  l'abandonnerai  point,  jusqu'à  ce  que  je 
l'aie  conduit  en  Terre  Sainte,  suivant  Ezéchiel,  xx,  22  ;  d'un  autre 
côté,  Israël  dit  :  puisque  Dieu  a  été  longanime  envers  nous,  nous 
ne  l'abandonnerons  points  jusqu'à  ce  qu'il  nous  ait  conduits  en 
Palestine,  daprës  Ex.,  xxxiii,  15.  Mais  que  signifie  alors  r;*  ^"ypii 
DIS»?  M.  G.  intercale  une  lettre  et  obtient  Z'rcr:.  Mais  ce  terme, 
dont  use  volontiers  le  Tanna  Yoschia  [Agada  d.  Tann.,  II,  357), 
désigne  un  verset  qui,  pour  être  interprété,  nécessite  la  disloca- 
tion et  la  transposition  de  ses  éléments.  Or,  ici  il  n'est  pas  que.s- 
tion  d'une  pareille  opération.  Yohanan  estime  que  ce  verset  peut 
se  comprendre  de  deux  façons,  comme  discours  de  Dieu  ou  comme 
discours  d'Israël.  Le  terme  sic?:  signifie  donc  double  et  vient  du 
grec  via'.T'A-.  Les  paroles  de  Yohanan  citées  plus  haut  répondent  à 
celles  au  moyen  desquelles  les  docteurs  fj.  Berach.,  12  &;  Gen.  r., 
eh.  Lxxxn)  expliquent  le  mot  nr:;*"  (Gen.,  xxxvi,  24)  :  ri:n  ns'^rîn 
DiD  r^m  'Ti7:n.  Le  mot  grec  dont  il  s'agit  est  employé  encore  pour 
indiquer  l'étymologie  d'un  mot  biblique  et  d'un  mot  mischnaïque 

'  Peut-être  faut-il  changer  N':"  "  en  Jynr;  '";.  Co  serait  alors  Houna  qui 
■vieat  après. 


UN  MIDRASCH  SUR  LE  CANTIQUE  DES  CANTIQUES  23o 

(io»n,  Deut.,  i,  28,  et  i5ttn':53,  j.  Maaserot,  48d).  Notre  Dis»  est  donc 
ou  une  formation  hébraïque  dérivant  du  mot  grec  et  doit  se  lire 
onoWj  ou  une  abréviation  de  DiD'inM  (=  via-.T'j;).  Il  est  possible 
aussi  que  ciD»  ne  soit  pas  autre  chose  que  le  grec  ascro;  (donc 
oio;o),  dans  le  sens  de  :  indéterminé,  vague  ou  neutre.  Ce  sens 
s'applique  très  bien  à  l'expression  0'\0'>2  N"ip»,  pour  désigner  un 
verset  qui  peut  s'expliquer  à  la  fois  comme  discours  de  Dieu  et 
d'Israël.  Le  neutre  de  [xîto;,  iis-^îd  (=  aï(7ov),  se  trouve  quelquefois 
dans  le  midrasch  palestinien  (voir  Levy,  III,  107  a-&). 

Les  passages  nouveaux  qui  se  trouvent  sans  nom  d'auteur  dans 
notre  Midrasch  (et  ils  forment  la  grande  majorité)  méritent  aussi 
très  souvent  l'attention  pour  leur  contenu.  Certes,  il  est  impos- 
sible de  distinguer  avec  exactitude  ou  seulement  avec  vraisem- 
blance la  partie  appartenant  à  un  vieux  fonds  agadique  des 
parties  qui  sont  l'œuvre  du  compilateur  ou  de  son  temps.  Je  con- 
sidérerais volontiers  comme  expression  des  sentiments  de  l'auteur 
les  passages  où  l'on  reconnaît  plus  ou  moins  clairement  une  ten- 
dance polémique  contre  le  christianisme.  Tel,  avant  tout,  ce  qui 
est  dit  au  sujet  de  Cant.,  v,  .3  (.38  a),  et  que  le  Yalkout  a  reproduit 
sous  une  forme  très  abrégée.  Le  verset  du  Cantique  est  présenté 
comme  une  réponse  d'Israël  aux  nations  qui  la  poussent  journel- 
lement à  abandonner  sa  religion,  avec  emploi  de  Ps.,  cxix,  51  : 

t3"^n7onN  1:n"to-'T   'rN-^'w-i  PN  û-'y^?:   dt^  bs^u:  Li'-Diyn  nrzMi  iri* 

n-i70N  n-nn  mil  rr'ps  irobi  xba  D":;arbi  -nrnb  b-i^-^  Tj^at  T'naa 
13N  \^b^^•>  tz-^TO"»  'nb  x^bvi':  nîNO  -^hn-û  "st  nb-irn  m^ûisb  bx-iO"» 
'\^'£l^y  na  un  nsonbN  hdd-'N  i»-!3n:D  rnx  ^-tj-w-:  nb-irn  tn  "PTnnb 
m-i-inb  r:DT::33  Ti-'na  nn-rn  ^-^''^-p-  -izv^'o  mtz  by  inmr  i;n  p 
.-"y  1723  ib:i-!  yn-i>?  nii^s  nvr-  i-jn  ^bs-i  nx  \i]£n-i  abiy 

«  Ce  sont  là  les  non-Juifs  qui  journellement  veulent  pousser 
Israël  vers  l'erreur.  IsraiU  leur  dit  :  j'ai  ôté  ma  tunique,  comment 
puis-je  la  remettre?  Mais  arrive-t-il  qu'un  homme  qui  s'est  dé- 
vêtu ne  puisse  plus  remettre  ses  vêtements?  C'est  que  la  Tora  s'ex- 
prime dans  un  langage  chaste.  Eu  réalité,  Israël  parle  ainsi  aux  na- 
tions :  Est-il  possible  qu'après  avoir  été  circoncis  à  l'âge  de  huit 
jours,  nous  remettions  le  prépuce  :  la  tunique  une  fois  ôtée,  pouvons- 
nous  la  remettre  ?. . .  » 

L'expression  de  •<  ûter  la  tunique  »  est  donc  un  euphémisme  ' 
pour  la  circoncision  ;  l'impossibilité  de    revêtir    de  nouveau   la 

»  Notre  Midrasch  emploie  encore  la  règle  de  mnn  m2T  rt^p:  iTwba  pour  m, 
\  '27  a].  Sur  ■'p:  "jT^b  ou  r^Ji:  ircb,  voir  Levy,  II,  528*;  III,  438a. 


•2.T6  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

tunique  c'est  l'impossibilité  d'annuler  les  effets  de  cette  opéra- 
tion. Le  sceau  de  l'alliance,  une  fois  imprimé  sur  le  corps,  y  est 
pour  toujours  iGen.,  xvii,  13].  Il  est  probable  qu'au  sceau  de 
l'alliance  est  opposée  l'eau  du  baptême,  désignée  sous  le  nom  de 
mr  rma:?  ■«»  (Yalkout,  û^'rbx  -^î:.) — De  même  le  passage  relatif 
à  Ps.,  xcvi,  15,  semble  être  dirigé  contre  les  peuples  clirétiens  :  N2 
riTb  nT  ';"'3  l'wSi  ^n  n-.T  ï-i-isr  •'in'^y  n-'i^r;  '"^z'C  •^r"'T-b  air^n 
(sur  II,  3,  19&).  La  paraphrase  de  vu,  12  et  suiv.  (46  a),  est  évidem- 
ment tournée  également  contre  les  chrétiens,  qui  prétendent  pos- 
sf^der  la  religion  véritable  :  '  ^n-iP2  û"'~2"irr;  ibx  a"'";::^  nr'?; 
"'•:ti  '-r'?:^  i'Tw^?  a-^w-rb  TiJz^'z'C':  .n:-:?:  cm::  ana  c  aî<  r:wS-:i 
iV-'SwS  ...— w-»!  ~rzr,  •p-'-r^  zrrz^z  x-z"^:  as  "j^jr:  r,rr,t  za  nsi:  "p-T 
a'w  ...a"':";a  z'''cyz'  rrz"^  ''rrs  arrra  •«■'  ax  ..rr.z-c  a':-p:w  "jci-a 
r,"Mi  l'nV  'r:  r;-:  riwS-r.  Rome  et  la  Grèce  désignent  la  chrétienté 
de  l'Orient  et  de  l'Occident. 

Des  autres  jiassages  de  notre  Midrasch  relatifs  à  Israël,  j'en  re- 
lèverai deux,  qui  sont  particulièrement  curieux.  L'un  est  ainsi 
conçu  :  De  tous  bs  ])euples  parmi  lesquels  Israël  vit  en  exil,  il  n'en 
est  aucun  qui  n'ait  point  reçu  quelque  chose  du  parfum  d'Israël  ; 
c'est  pourquoi  les  peuples  de  la  terre  s'appellent  «jardins  »  (Gant., 
VI,  '2)  :  nb3  bi<-;,a'o  ircbn  i-,i:-\ii  ^^b  ■j-'iîo  abiyr:  n7:•l^^  Vî.s  a^'^a  rTi:?-,b 
bx-iïj-^  bo  aiwr:  in-^Tjairn  a:b-:  nVo  arr^ra.  (42  a).  L'autre  passage 
(sur  VII,  14)  est  une  observation  inspirée  par  la  psychologie  des 
peuples  et  mentionne  les  qualités  qui  se  sont  ajoutées  aux  qua- 
lités héréditaires  d'Israël  par  suite  des  avanies  et  des  persécutions. 
Si,  de  tout  temps,  les  Israélites  furent  compatissants,  pudiques, 
charitables  ■*,  ils  sont  encore  devenus,  par  les  souffrances,  patients, 
doux  ,  obéissants  :  i-^^b'c  mm::r!  rmar;  nbi<  a"'"75»  bz  irnna  by^ 
TTio  a"':-w"«  ta^rw-'  as  r:'w-:r;  r-.nr-cîm  ^-.-iirr:  it'  by  Sîn»i 
a^wiP/a  a"':b2a  '."w:?:":;  a^cir  a"~;ar.  ■'br'.s  Ja:'':w'"'::  az-i'^n"  abir^: 
a-^n-^-'S  *  (46  a] . 

Dans  de  nombreux  passages  de  notre  Midrasch ,  l'auteur  se 
préoccupe  de  l'étude  de  la  Loi.  Nous  n'en  citerons  que  quelques- 
uns  :  a  Sans  la  Tora,  Israël  aurait  disparu  parmi  les  nations  », 
rnrnxr;  l^a  l^ba  bN-;:;-^  vn  rrmrr;  î<b^:bN\a  (46  c,  sur  viii,  3;.  —  La 
rnaison  de  ma  mère  viii,  2)  désigne  les  écoles  établies  hors  de  la 
Palestine  ;  le  inn  aromatisé  fait  allusion  aux  «  nouveautés  de  la 

'  Voir  Eroitbin,  '21  b. 

'  Peut-être  faut-il  lire  m^ab?:. 

*  Sur  ces  trois  qualités  ou  ces  trois  dons  qu'Israël  a  reçus  de  Dieu,  voir  j.  Saiih., 
22 d  ,  b.  Yehamot,  29 a. 

*  Ir"^"*!:  désifine  d'ordinaire  le  défaut  des  femmes  d'être  curieuses.  Voir  Gen.  r. 
18  et  45. 


U.N  MIDUASUII  Sia  LE  CWIU^IE  DES  CA.NTUJUKS  237 

Tora  '  ))  découvertes  journellement  dans  ces  écoles  et  qui,  comme 
ce  vin,  répandent  au  loin  leur  parfum  (46&).  —  Le  bon  vin  (vu, 
10)  signifie  les  paroles  de  l'Agada  ;  û'^*^^)"'»  [ib.)  indique  les  sa- 
vants qui,  au  moyen  de  l'Agada,  conduisent  le  peuple  dans  le 
droit  chemin  {t:^i^i72^  45 &)  ».  L'expression  suivante,  appliquée  à 
l'école  de  l'ancienne  Jérusalem,  paraît  avoir  été  un  proverbe  : 
«  Cette  école  était  pour  l'étude  ce  que  le  marché  est  pour  les  mar- 
chandises »,  n-nnob  p"I':j3  rmnb  ûc-iito  n-ia  rrrio  t3"'3-i  na  iro  by 
(44  &,  sur  VII,  5). 

Enfin,  il  se  rencontre  dans  notre  Midrasch  bien  d'autres  pas- 
sages encore  qui  méritent  d'être  signalés.  J'en  relèverai  seule- 
ment un  certain  nombre,  auxquels  j'ajouterai  à  l'occasion  mes 
observations. 

Sur  I,  1  (1  b,  et  dans  le  Yalkout,  §  980  à  la  fin)  :  û"«'-i"<"jn  b'z  riTabi 

û-^nTûion.  Le  mot  û-'mi-iTû  a  le  même  sens  qu'ici  dans  j.  Schebiit, 
34  &,  et  ailleurs  (voir  Levy,  IV,  432  a),  où  on  lui  oppose  le  mot 
D"»-:"i:£-i.  Ici  son  opposé  est  pnm.  Voici  donc  ce  que  signifie  ce  pas- 
sage :  «  L)ans  les  autres  morceaux  poétiques  de  la  Bible  (et  aussi 
dans  les  Psaumes,  Proverbes,  Job)  ^,  il  y  a  des  blancs,  des  inter- 
valles ;  mais  on  n'en  trouve  pas  dans  le  Cantique.  C'est  que,  par  le 
fait  que  les  mots  sont  ainsi  p?^essés  les  uns  contre  les  autres,  on 
veut  symboliser  la  pression  exercée  sur  Israël  par  les  persécu- 
tions. »  ni"i  signifie,  en  effet,  «  intervalle,  espace  »  (Genèse,  xxxii, 
n),  et  aussi  «  liberté,  délivrance  '>  (Esther,  iv,  14). 

Sur  I,  10  (13  a).  «  û-^mn  veut  dire  poètes  »  û-i'iû-^-^d-  "jn  Vx^.  Peut- 
être  nnn  a-t-il  déjà  ici  le  sens  de  «  rime  ».  Pourtant  on  peut  ad- 
mettre que  nn  indique  l'action  de  ranger  des  lignes  par  ordre 
alphabétique,  même  s'il  n'y  a  pas  de  rimes.  Ainsi,  on  lit  dans 
Scfiir  rabba  (introd.,  37)  :  i^nia  NDbx  vny  no  î<2:3"«-^d  "j-^nn.  Notre 
Midrasch  lit  donc  û"'T"nn  comme  s'il  y  avait  2''n-',n. 

Sur  II,  5  (20  h)  :  thod  mnDinn  b.STj"«b  û"'7:Dnn  i-i-û-m  vn  rrnoïî-ia 
tD573  r;ap3n  bwXT»::-'  "j-b  in7:î<  ';-^-n3">n  nmo  ivo  .iPibo3  î-n-mn 
m«nD  "^-1313  n'2ï<  Ta~nn  bx.  Ce  passage  a  pour  source  les  assertions 
connues  des  agadistes  Isaac  [Pesihla,  101  b)  et  Lévi  {Schir.  r.,  sur 
VII,  5),  d'après  lesquelles  la  foule,  appauvrie  et  opprimée,  montrait 

*  ÏTlIP  ^'tI5lT>n-  C'est  probablement  le  plus  ancien  exemple  de  celte  expression, 
qui  eut  ensuite  un  sens  littéraire.  Le  singulier,  min  OlT^n,  dans  Lévit.  r., 
eh.  XIII,  §  3,  a  une  autre  sij^nilication. 

'  L'éditeur,  pour  cooabler  la  lacune  du  ms.  qui  se  trouve  après  T7J10,  ajoute  : 
"Oî'IZ'b    D'^T'pyCJ  ;  mais  le  Yalkout  a  seul  la  leçon  exacte  :  113:'0  T2  T7210. 

»  Voir  Masséchet  Soferim^  xiii,  1  :  ■'b'CTDT  nT^NT  ibr  a">br;n  pi-.-  Les  frag- 
ments récemment  découverts  du  texte  hébreu  de  Ben  Sira  sont  aussi  écrits  dans 
cette  manière  stichiqite,  manileslement  d'après  les  Proverbes. 


■238  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

un  goût  de  plus  en  plus  prononcé  pour  les  homélies  appuyées  sur 
l'Agada,  et  s'intéressait  de  moins  en  moins  aux  conférences  ha- 
lachiques  (Voir  Agada  der  palœslin.  Amoroer,  II,  211  et  suiv.). 

Sur  II,  11  ("24  a).  «  Les  habitants  de  Jérusalem  faisaient  usage, 
dans  le  courant  de  l'année,  de  quatre  sortes  de  maisons  »  (loge- 
mentSy  :  pendant  les  mois  de  Nissan,  lyyar,  Siwan,  ils  habitent  des 
maisons  de  marbre;  en  Tammouz,  Ab  et  Elloul,  des  maisons  de 
verre;  en  Tischri,  Marheschwan  et  Kislév,  des  maisons  en  bois 
de  cèdre  ;  en  Tébet,  Schebat  et  Adar,  des  maisons  d'ivoire.  »  Ce 
passage,  qui  est  rattaché  à  Amos,  m,  lô,  répond  à  l'assertion  de 
Juda  ben  Simon,  lequel  affirme  que  chacun  des  princes  royaux 
avait  à  Samarie  deux  maisons  pour  1  été  et  deux  pour  l'hiver 
[Midrasch  Sam.,  ch.  ii  ;  Koh.  r.  sur  vi,  3  ;  Esiher  r.  sur  i,  2). 

Sur  II,  14(25&).  Notre  Midrasch  raconte  l'histoire  d'un  homme 
qui  avait  une  femme  vertueuse,  mais  laide,  et  portant  le  nom 
gracieux  de  Hanna.  En  songe*  il  formule  le  souhait  qu'elle  soit 
belle.  Son  vœu  est  réalisé.  Mais,  étant  devenue  belle,  Ilanna  est 
devenue  en  même  temps  hautaine  et  orgueilleuse.  Le  mari,  dans 
un  autre  songe,  désire  alors  qu'elle  redevienne  laide. 

Sur  m,  7  et  suiv.  (29&).  Il  y  a  là  une  légende  relative  à  Salo- 
mon  qui  contient  des  traits  qu'on  ne  trouve  pas  habituellement 
dans  les  sources  plus  anciennes.  Cette  légende  est  précédée  de 
l'agada  qui,  dans  j.  Sanhédrin,  20c,  a  pour  auteur  Josué  ben 
Lévi  et  où  la  lettre  yod  profère  des  plaintes  contre  le  roi  Salo- 
mon.  La  formule  introductive  de  cette  agada  est  :  '-"yn'::  '-i  ■^;n  ;  le 
nom  de  '^yrjc,  n'est  pas,  comme  le  croit  l'éditeur,  une  altération  de 
rûirr^  (—  Josué  ben  Lévi),  mais  de  "ivro,  c'est-à-dire  Simon  ben 
Yohaï,  selon  lequel  le  Deutéronome  adressa  à  Dieu  des  plaintes 
contre  Salomon.  Ici,  les  paroles  de  Simon  ben  Yohaï  sont  ratta- 
chées à  celles  de  Josué  ben  Lévi  comme  dans  Exode  r.,  ch.  vi, 
au  commencement  (voir  Die  Agada  der  Tannailen,  II,  123,  note  4). 

Sur  IV,  13  (31  &,  aussi  dans  le  Yalkout\  Autour  de  Jérusalem 
étaient  364  champs  arrosés  artificiellement  a^rôc  ^'^n  pour  expli- 
quer le  mot  du  texte  '^-^n'^w, ,  dont  chacun  produisait  toute  sorte 
de  plantes  aromatiques,  où  les  prêtres  s'approvisionnaient  pour 
les  besoins  du  sanctuaire.  Ce  passage  est  précédé  des  mots  nx 

nîw   523-  Au  lieu  de  O'^O^Ii,  il  iaut  lire  Û^O^wrii    tci:i:,. 

'  Le  songe  est  personnitié  sous  le  nom  de  m^r.T  ?"3,  et  est  censé  posséder  le 
pouvoir  de  réaliser  les  vœux  du  songeur  ;  voir  la  même  chose  dans  la  Laraita  de 
Sanfit'driti,  30  a  (dans  la  Tosefta  Maaser  sch(^ni,  v,  9,  il  y  a  Clbnrt  "C^N,  et  dans 
j.  Maaser  schini,  Soi,  simplement  2Tbr;3  Vî  riNnî  •  Dans  Berachot,  10 A,  on  lit 
n7;V?nrî  "?y2,  sous  l'inlluence  de  Genèse,  xxxvii,  13;  mais  on  trouve  aussi  la  le- 
çon aibnn  Vra.  Cf.  Dikduké  So/er/m,  I,  il. 


IN  .MIDUASCII  SUR  LK  (LVNTKJL'K  DKS  CANTIQUES  239 

iîiiTD,  comme  celui  que  nous  avons  cité  plus  haut  au  sujet  des 
maisons  des  habitants  de  Jérusalem. 

Sur  VII,  6  (45 a).  Les  mots  «  ta  tête  sur  toi  comme  le  Garmel  » 
font  allusion  aux  rois  hasmonéens,  qui  étaient  remplis  de  science 
et  de  sagesse,  comme  le  Carmel  est  rempli  de  hons  produits.  nbT 
y^Dî/n  désigne  Ilérode  (il  traduit  peut-être  «  l'abaissement  de  ta 
tête  >))  ;  il  est  ';73:i"iKD,  c'est-à-dire  rouge  (ûtin),  car  il  descendait 
d'Edom  «  le  rouge  ".  Par  les  mots  «  un  roi  captif»,  le  Cantique 
prédit  que  les  rois  hasmonéens  seront  prisonniers  des  rois  (em- 
pereurs) romains.  ::^-^rn  désigne  les  rois  de  Rome  qui  ressemblent 
à  «  de  grands  et  puissants  cours  d'eau  »  (Isaïe,  viii,  4).  Notre  Mid- 
rasch,  en  interprétant  ainsi  le  mot  zm,  pense  probablement  au 
sens  de  la  racine  araméenne  «  courir,  couler  ».  —  Cette  remar- 
quable interprétation,  d'après  laquelle  le  Cantique  des  Cantiques 
parlerait  des  Hasmonéens  et  d'Hérode,  semble  être  de  date 
ancienne. 

Sur  VIII,  4  (46  &).  La  triple  adjuration  ii,  7  ;  m,  5  ;  viii,  4)  fait 
allusion  à  la  triple  construction  du  temple,  du  temps  de  Salomon, 
du  temps  d'Ezra  et  dans  les  temps  futurs.  Pour  ces  trois  cons- 
tructions, Dieu  adjure  les  peuples  de  prêter  leur  concours,  afin 
qu'Israël  dise  :  «  Du  moment  que  les  peuples  agissent  ainsi  par 
crainte,  nous  devons  agir  à  plus  forte  raison  par  amour;  puisque 
les  peuples  travaillent  pour  les  autres  à  l'édification  du  temple,  à 
plus  forte  raison  devons-nous  y  travailler  pour  notre  propre 
compte.  »  ~  Cette  Agada,  qui  se  base  sur  le  fait  que  le  roi  de  Tyr 
aida  à  la  construction  du  premier  temple  et  le  roi  des  Perses  à 
celle  du  second,  naquit  peut-être  à  l'époque  de  l'empereur  Julien, 
quand  celui-ci  voulut  relever  le  temple  de  Jérusalem.  Voir  à  ce 
sujet  mon  étude  dans  /.  Q.  K.,  X,  1G8. 

Appelons  encore  l'attention  sur  la  longue  interpolation  du  récit 
des  dix  martyrs,  à  propos  de  i,  3,  qui  diffère  du  récit  du  Midrasch 
rrn^Tiî  [Beth  Hamidr-asch  de  Jellinek,  •>  vol.). 

Les  passages  que  nous  venons  de  citer  du  Midrasch  Sc/tir  lia- 
schirim,  édité  par  M.  Giuiihut,  prouvent  surabondamment  qu'il 
s'agit  là  d'un  produit  important  de  la  littérature  midraschique. 
Outre  les  anciennes  traditions  agadiques  qu'on  y  rencontre,  cet 
ouvrage  contient  encore  bien  des  passages  intéressants.  L'éditeur, 
en  nous  le  rendant,  nous  a  fait  connaître  en  même  temps,  pour  la 
première  fois,  une  source  fréquemment  utilisée  par  d'anciens 
ouvrages  et  surtout  le  Yalkout;  il  s'est  donc  acquis,  par  cette  pu- 
blication, la  reconnaissance  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  cette 
littérature. 

\V.  Bâcher. 


JACOB  B.  SIM  SON 


Lrs  aii('i»-ns  historiens  de  la  littéi'ature  rabbinique  ne  connais- 
sent pas  le  nom  de  Jacob  b.  Simson.  Conforte  [Kcré  ha-Dorot, 
\i\b  et  Ma)  ne  sait  rien  de  lui,  sinon  qu'il  est  mentionné  dans  nos 
Tossalot.  Ce  ne  fut  que  par  la  publication  du  2"':^n  nro.  de  Moïse 
Tacliau,  que  l'attention  des  savants  modernes  fut  appelée  sur  ce 
rabbin.  En  effet,  Tachau  écrit  {Ozar  Kechmad,  HT,  5*)i  :  npr-'  '-,m 
^"2:7  r,f:T::  ir^n  r-w  --•^■;rr  rr-  t^im  nss  'otj  "w-i^cc  "[iCTro  12 
h"-j:-  np:?-'  irn-i  yo  in-,T  «  Et  R.  Jacob,  fils  de  Simson,  qui  a  com- 
menté le  traité  Abot  ;  c'était  un  disciple  de  Rasclii  et  le  maître  de 
R.  Jacob  (Tara).  »  D'après  cela,  Jacob  a  vécu  à  la  fin  du  xi«  siècle 
et  dans  la  première  moitié  du  xii^  Zunz,  qui  autrefois  avait  placé 
J.  b.  S.  vers  1160  iZur  GescUichie ,  51],  abandonna  cette  opi- 
nion lors  de  la  i)ublication  du  û"«7:n  nro  ;  mais,  quant  à  l'asser- 
tion de  Tacliau,  à  savoir  que  J.  b.  S.  aurait  été  le  maître  de  Ja- 
cob Tam ,  il  ne  voulut  pas  la  considérer  comme  fondée  [Litg., 
p.  459).  En  effet,  J.  b.  S.  n'est  mentionné  nulle  part  par  Jacob 
Tam.  Toutefois,  un  pareil  argument  a  siientio  ne  nous  autorise 
pas  à  douter  de  l'assertion  d'un  savant  de  la  première  moitié  du 
XIII''  siècle. 

M.  Berliner  dans  ses  additions  à  l'Introduction  de  M.  Hurwitz 
au  Machsor  VUry,  p.  186  dit,  sans  en  donner  toutefois  aucune 
preuve,  que  J.  b.  S.  était  un  contemporain  de  Jacob  Tam.  M.  Ber- 
liner s'est  laissé  guider  probablement  par  la  première  assertion 
de  Zunz,  peut-être  aussi  parMicliael.  En  effet,  Michael,  citant  ces 
mots  du  Semag,  yrn  mrbrr,  n**  78  :  rriT"  nn  ^ycn-:^  iram  3pr-«  i;"'2-i 
iib-c  'l'^rTiT:  mcN  «  R.  Jacob  et  R.  Simson  fils  de  Jonas  ont  interdit 
nos  pilons  »,  remarque  à  ce  sujet  :  ns-'m  •>»->3  i-rr-rs  ûom  riip  rtwSijT 
nn  «  Peut-être  résulte-t-il  de  là  qu'il  vécut  du  temps  de  R.  Tam  » 
(û'^'^nr;  -i\s,  p.  608).  Comme  J.  b.  S.  connaissait  Simson  b.  Jonas 
(voir  plus  loin,  n-^  1),  il  ne  peut  avoir  vécu  avant  Jacob  Tam.  Mais 
la  déduction  de  Michael  n'est  nullement  justiliée,  car  il  arrive  sou- 


JACOB  \i.  SIMSON  241 

vent  qu'on  cite  côte  à  côte  des  personnalités  de  diverses  époques, 
et  parfois  même  les  plus  modernes  avant  les  plus  anciennes*. 
Au  contraire,  mainte  circonstance  indique  que  Simson  appar- 
tient à  une  époque  beaucoup  plus  ancienne  (Zunz,  Lifg.,  1G2,  et 
Gross,  Gallia  Judaica,  p.  317).  Pour  répondre  à  cette  question 
d'une  manière  positive,  il  faut  consulter  avec  soin  notre  littéra- 
ture. En  effet,  on  y  découvrira  assez  de  preuves  du  fait  que  J.  b. 
Simson  était  un  disciple  de  Rasclii  et  qu'il  a  vécu  dans  le  premier 
quart  du  xii«  siècle.  Par  contre,  il  ne  se  trouve  nulle  part  trace 
d'un  J.  b.  S,  ayant  vécu  postérieurement. 

Je  vais  citer  ci-après  tous  les  passages  et  faits  connus  se  rap- 
portant à  J.  b.  S.  qu'il  m'a  été  donné  de  recueillir. 

1°  J.  b.  S.  écrit,  dans  son  Commentaire  sur  Abot  vr,  iittîton 
^b  rt^ap'i:  "^îd»  'i  "it:!.^  r»*^  Vd  irai  rr^n  ^r)b  ...Q-^s-^sp  «  Cinq  acquisi- 
tions. . .  C'est  i)Ourquoi  notre  maître  disait  quatre...  » 

Par  irnn  «  notre  maître  »  Jacob  veut  sûrement  désip^ner 
Raschi ,  car  Raschi  corrige  et  lit  précisément  (dans  Pesachim, 
81a)  û^rsp  ;n:>n-iN  (voir  ^pinn,  i,  92,  191).  Celui  qui  appelle 
Raschi  is-^n"!  «  notre  maître  »  tout  court  a  dû  sans  doute  être  son 
disciple. 

2"  Le  recueil  contenu  dans  le  ms.  n°  326  de  la  Bibliothèque 
nationale,  f°  80,  porte  ^  : 

'  Dans  le  Semag,  cette  circonstance  est  due  sans  doute  à  ce  que  Isaac  b.  Sa- 
muel dans  sa  Consultation  [Or  Zaroua  sur  Aboda  Zara,  ix"  298)  discute  d'abord 
l'opinion  de  Jacob  Tarn  et  passe  ensuite  au  Séder  de  Sirnson.  Cette  ■  Réponse  » 
était  sans  doute  sous  les  yeux  de  l'auteur  du  Semag. 

*  Je  me  sers  de  la  copie  que  M.  Chwolson  a  mise  obligeamment  à  ma  disposi- 
tion. Voir  sur  cet  intéressant  ms.,  Neubauer,  dans  Monatsschrift,  1887,  p.  502,  et 
Chwolson,  dans  T^  bs  y^^'p,  1896-1897.  L'auteur  n'est  pas  Jacob  b.  Abraham, 
comme  l'acrostiche  du  poème  sur  PIDIU  PID^n  dans  le  ms.  de  Paris  paraît  l'in- 
diquer. I,e  poème  en  question  est  défectueux  dans  ce  ms.  et  ne  donne  que  les 
treize  premières  lignes  avec  les  initiales  ÏTIDN  "ID  2p3''^  ''jN.  On  a  cru  que  la 
ligne  suivante  qui  manquait  commençait  par  un  72.  Mais  il  n'eu  est  rien.  J'ai  trouvé 
ce  poème  bien  conservé  dans  un  Siidour  allemand  sur  parchemin  (écrit  vers  1340J 
que  je  possède.  L'acrostiche  y  porte  :  yi2H1  pTn  "'ibn  "ICN  "13  npr''  "'jN 
Mbo  'J'ÛN-  La  11'  ligne  n'y  commence  pas  par  ■'blMID,  comme  uaus  le  ms.  de  i'aris, 
mais  par  "^bl'jD  et  le  U3  est  la  seconde  lettre  du  nom  de  "l^UN.  L'auieur  est  pro- 
bablement Jacob  b.  Ascher  ha-Lévi,  qui  a  été  un  des  signataires  des  □"lO  PlSpn 
de  lan  1220  (Méir  de  Rothenbourg,  Consult.,  éd.  Prague,  vers  la  fin),  l'eut-être  est- 
ce  le  père  d'Ascher  b.  Jacob  ha-Lévi  qui  a  écrit  en  1290  le  petit  Arouch  et  un  com- 
mentaire sur  les  prières.  Nous  connaissons  encore  deux  autres  compilateurs  dans  celte 
famille  :  Eléazar  b.  yVscher  ha-Lévi,  l'auteur  du  mST^STH  'O.  et  Isaac  b.  Juda  ha- 
Lévi,  l'auteur  du  NT"!  nDS'D  (voir  Jubelschrift  zu  Grât*  10.  Geburtstage,  p.  18).  11  est 
digne  de  remarque  que  le  ms.  de  Paris  contient  un  Dbiy  "ITD  de  lorme  spéciale,  qui  se 
trouve  aussi  dansnijTIDTn'O  (imprimé  dans  les  Anecdota  Oxonicnsia,  de  Neubauer, 
I,  163),  sur  lequel  M.  Neubauer  appelle  l'alleution  dans  Monatsschr.,  1887,  p.  504. 
T.   XXXV,   N°  70.  16 


242  REVUE  DES  KTUDES  JUIVES 

I'^n!ia73"::5  :  mnD  ■'rn:iJ2'\  \npn3  ('  -^ba  î-npnDsn  ?)  'h-::  miposn  -mn 

\-innD  ■'rNT  d"::  nr^i  "^Vn  -.::"ii  -2  .p?  mip  "im::?:  -,iï<r;  byc  'r-r: 
irm  \-'-'i<n  ma-,  n"'::i*cT  ^'tz-  'jtj:?:'»^  -13  np:?"^  *;n  T^na  -icsn  b^^ 
-i3n  b'C  rz'j'^  ^b  nns  -^^sm  m-an  û-^jû^d  T^rcb  p  \nv:;~  iif^i  p  r;':;i3' 
nmntjni  nn-nn  <^z  brc  i:b  Nin  yn-''  -lai  .ira-,  ■'et:  \-ir;2'::'C  r:D 
'-p'^sini  rtïc  bD  ia  :2nbDb  "ïii::  e^tn  rbia  irx  imn"»-!  rns'ca  la 
inn^n-i)2  ûrar:!  rjp\r-^  Nbu;  inn--^  pb  -s-ip  b-i^  i:b   r:;:i   Nin  pi 

bNvoïJ  '-I  r|Ni  m.sa  -abT:  NbT-12  ^20  ...'Q-^b^rr  bo  ia  -ir!::b  ib-ci 

.^msia»  r:\sn  N'^an  ^^:2v:;a  17:1:?  -i-»n«  -la 

a  Au  nom  de  R.  Salomon  b.  Isaac  sur  la  purificalion  des  vases  : 
Suivant  ses  ordres,  j'ai  fait  des  recherches  dans  ses  Piskot  (mes  Pe- 
soukot  ?)  et  j'ai  trouvé  ceci  :  pour  la  purificalion  des  vases  comme  les 
écuelles,  les  cuillers  et  autres  ustensiles,  le  vase  qui  est  sur  le  feu^ 
n'a  pas  besoin  d'être  purifié  préalablement.  Ainsi  me  dit  notre  maître 
(ira-:),  de  sainte  mémoire  et  j'ai  écrit  (ses  paroles)  sur  le  papier  avec 
de  l'encre,  moi  Jacob  b.  Simson.  Plusieurs  fois  j'ai  vu  notre  maître 
procéder  ainsi  et  moi-même  je  l'ai  souvent  fait  en  sa  présence 
(T'SDb).  Et  je  te  communique  la  raison  de  la  chose  telle  que  je  Tai 
apprise  de  la  bouche  de  notre  maître. . .  ». 

On  le  voit,  Jacob  b.  Simson  a  composé  cette  Consultation  telle 
qu'elle  lui  a  été  dictée  par  Raschi  ^  et  il  rapporte  ce  qu'il  a  en- 
tendu de  la  bouche  de  Raschi.  En  outre,  Ahron  de  Lunel  dit  clai- 
rement que  la  Consultation  était  adressée  par  Raschi  à  son  dis- 

*  Je  voudrais  lire  "^bo  IllpIDEa  et  je  suppose  que  Raschi  a  été  prié  par  son  cor- 
respondant de  lui  communiquer  le  passage  en  question  d'après  les  Ealachot  Pesou- 
kot  que  Raschi  possédait. 

*  Sans  doute  une  corruption  de  a"'^îl  =  l-'i'a  "^71"^  Dip72tl;  voir  Zunz,  ^«r 
Geschichle,  p.  311. 

3  De  même   dans  "inTII   "110"'N  '  ms.    Merzbacher),  t'o  41  a  :  'J'^N  Û'^bD    b"'"^?:^ 

i-înn'^nn»  rtbnjn  r-nipn  n-'rn  t»-:b"J  nriTii  r-îbnn  bnsr;  "^^y^^'C  'T'-is: 

T^STfia  C^ybar  C-Tin'O  ^Sb.  Pareillement  dans  Parais,  n»  126.  L'opinion  con- 
traire fut  aussi  rapportée  au  nom  de  Raschi  (voir  Mahzor  Vitry,  p.  255,  et  Parais, 
no  124  ;  cf.  Tour  O'i'ah  Hayyim,  no  452).  On  connaît  encore  d'autres  cas  où  des  opi- 
nions contradictoires  sont  rapportées  au  nom  de  Raschi,  voir  Monatsschrift,  XLI, 
201.  Dans  le  Parais,  n"  257,  les  deux  opinions  sont  juxtaposées,  Tune  est  rapportée 
au  nom  de  Haï  Gaon  et  l'autre  sans  nom  d'auteur.  Cette  dernière,  qui  est  mention- 
née encore  dans  le  n»  126,  est  sans  doute  empruntée  à  l'écrit  de  Schemaya  ;  voir 
Monatsschrift,  l.  c. 

*  Samuel  b.  Méïr  fut  un  disciple  de  Raschi,  son  grand-père,  par  conséquent,  le 
coll6i';iie  de  J.  b.  S.  Tous  deux  sont  nommés  ensemble  dans  Tossafot,  Alenahot,  64c 

^  Pour  faire  bouillir  l'eau.  C'est  dans  cette  eau  bouillante  qu'on  plonge  les  petits 
vases  pour  les  puriûer. 

*  Nous  connaissons  encore  deux  autres  Consultations  de  Raschi  qu'il  a  dictées  et 
que  sus  disciples  mirent  par  écrit;  voir  mou  article  intitulé  Schemaya  der  Schiiler  und 
Secretair  Jtiasrhïs,  Monatsschrift,  XLI,  259  ;  tirage  à  part,  p.  3. 


JACOB  B.  SIMSOX  243 

ciple  Schemaya  '.  On  ne  peut  donc  douter  du  fait  que  J.  b.  S.  a 
été  un  disciple  de  Raschi  -. 

3°  J.  b.  S.  doit  avoir  vécu  avant  Jacob  Tam,  car  il  est  déjà  cité 
par  Sclieraaya,  le  disciple  de  Raschi  qui  vient  d'iHre  mentionnée 
Schemaya,  à  son  tour,  est  cité  plusieurs  fois  par  Jacob  Tam  *. 

40  J.  b.  S.  commence  ses  calculs  pour  le  calendrier,  dans  le  "oo 
■^TDipVNn,  par  l'année  1123  (ms.  d'Oxford,  692]  ;  il  doit  donc  avoir 
vécu  vers  cette  époque.  Il  est  donc  certain  qu'il  a  fait  ses  calculs 
pour  les  années  suivantes  et  non  pour  les  années  écoulées  ^ 

5"  Le  lieu  qu'habitait  J.  b.  S.  ne  peut  être  déterminé  avec  la 
même  certitude  que  l'époque  où  il  a  vécu.  Méïr  de  Rothenbourg  ^ 
l'appelle  w-^-idï:  'jiïjxduj  nn  np:>i  is-^nn  «  Jacob  b.  S.  de  Paris  ».  A  sa 
suite,  Zunz  [Zur  Geschichte,  p.  51)  et  Gross  [Gallia  Judaica, 
p.  514)  le  placent  à  Paris.  Mais  cela  n'est  pas  sûr,  car  ce  passage 
est  cité  dans  Mordechai,  Bèça,  \V^  672,  et  il  y  est  dit  :  'rpy^  'n 
NT-^bD»  (1.  ';iaKi25)  ';i;?tto  na  «...  de  Falaise  ».  Nous  avons  donc 
le  choix  entre  Paris  et  Falaise  (cf.  plus  loin,  n"  7).  Il  résulte  de 
cette  citation,  qui  se  rapporte  à  Bèça,  16  a,  que  J.  b.  S.  a  com- 
posé un  commentaire  sur  Bèça.  Le  ms.  d'Oxford  1101  a  cette  sus- 
cription  :  iiii!»!!)  "-a  npr-^  'n  nnïn  1»  (1.  !ii:''n)  û-'it-^a  ba  -^pcs  «  Règles 
de  Bèça  de  R.  Jacob  b.  Simson  ».  La  citation  de  Méïr  de  Rothen- 
bourg s'y  trouve-t-elle  ? 

Ci"  Dans  le  Mahzor  Vilry,  p.  "73,  on  cite  un  aps»-»  'n  anr:  -nTna 
1*i^72u:  'nn.  De  là  provient  aussi  ce  qui  est  cité,  ibidem^  p.  152, 
153,  278,  au  nom  de  notre  Jacob.  Je  ne  puis  établir  si  ces  cita- 
tions proviennent  de  l'auteur  du  Mahzor  Vitry  ou  si  ce  sont  des 
additions  postérieures ,  lesquelles  sont  nombreuses  dans  cet 
ouvrage. 

♦  Orhot   Hayyim,    fo    74  c    :    '— ib    3"'\an"«a     !-T3T>:;n3    b"T    "w"nl:i    pOD    pT 

b"T  ir^'Ji^-û. 

^  M.  Berliner  [Einleitung  zu  M.  V.,  p.  187)  a  mal  compris  les  paroles  de  Jacob  b. 
Simson  dans  le  ms.  de  Paris  et  dit  :  «  Il  est  évident  que  le  mot  t  notre  maître  »  ne 
se  rapporte  pas  à  Raschi,  mais  à  un  autre  qui  était  le  maître  de  J.  b.  S.  ».  Je  ne 
m'explique  pas  comment  M.  Berliner  a  pu  arriver  ainsi  à  méconnaître  le  sens  des 
paroles  si  claires  du  ms.  de  Paris. 

î  Schemaya   sur    Tamid,    26  a  :    'jn^WO    "13    np^i    'l    Vc    lïinron    \-i\Sn 

Xh^v^  1^52  h'::  '\M2'J  r<i"  ria-'c;:*::  rr^'DMz  mi7û  '533  b"i:T  J.  ';tc7:"J) 

jTîibi  ''"y  13  "l^TTI'^'l  •  J'ai  v*^  dans  le  commentaire  de  R.  Jacob,  dis  de  Simon 
(lire  Simson)...  >.  Il  résulte  de  là  que  J.  b.  S.  a  composé  un  commentaire  sur 
Tamid  ou  sur  Ezéchiel  (voir  Raschi,  sur  Ez.,  xli,  7). 

*  Monatsschrift,  XLI,  260. 

K  D'après  M.  Berliner  {EinUitunij,  p.  15),  J.  b.  S.  aurait  écrit  son  livre  plus 
tard  qu'en  1123  ;  voir  mon  compte  rendu  sur  son  introduction  dans  la  présente 
Revue. 

^  Consult,,  éd.  Prague,  n"  655. 


244  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Les  quatre  citations  suivantes  paraissent  également  provenir  du 
Mahzor  de  J.  b.  S. 
7°  Samuel  de  Falaise  écrit  *  : 

Le  fait  que  Samuel  s'en  réfère  aux  NO-^bas  Dbi:'  "^ïpT  «  anciens  de 
Falaise  »  semble  indiquer  que  J.  b.  S.  a  vécu  à  Falaise;  voir  plus 
haut,  n°  5. 

8°  Lihhoutè  Pardès,  12  &  (éd.  Amsterdam)  : 

to"'"nD"'3rT  nv  a-,3»3  t>i3t733  (i.  iraw^a)  i^yjz'^s  nn  npyi  '-in  c*::»-, 

izv  ny  ï-TT   tsmcD  ti!T>»  -^-n:  Sa  'iwSt  noîsn  r-i-^ab  ca-^Nn 

p  11m3   (1.  r<;::-în\^{'  ^-in-'N  innbns  r-i3i::b  ^^<oy  N^n   iimsDn 

D">"nDi3  DT»»  "i7:nN  ht;  t^ibi  nn-Tin  ■'^ob  -naiyn  ^tûin  wnp  no  inr720 
.nbo;T  mn^n  Nbi  p':3  iini  t^bi  lyi  nny© 

"  Au  nom  de  R.  Jacob  b.  Simon  (lire  Simson)  :  ...  la  veille  de  Kip- 
pour. . .,  on  dit  Ko!  Nidrè  «  depuis  ce  Kippour  jusqu'au  procbain  », 
ainsi  ai-je  entendu  dire  par  une  sainte  bouche,  et  non  c  depuis  le 
dernier  Kippour. . .  )•. 

Par  tt)"np  îid  on  a  sans  doute  voulu  désigner  Méïr  b.  Isaac,  le 
célèbre  officiant  de  Worms.  Car  Asr^her  b.  Jacob  ha-Lévi  rapporte 
aussi  que  Méïr  a  effacé  le  mot  mn^D  ^  et  Raschi  s'en  référant  à 
Méïr,  dit  également  p-^nit  ims  -^d»  \-i:y?2">a'i  «  J'ai  appris  de  ce 
juste  1)  (Zunz,  Litg.,  610j.  On  pourrait  conclure  de  cette  citation 
que  J.  b.  S.  alla  à  Worms.  Toutefois,  il  est  possible  que  J.  b.  S. 
ait  écrit  ce  passage  suus  la  dictée  de  Raschi  (voir  plus  haut,  n"  2) 
et  que  la  remarque  à  ce  sujet  ait  été  omise  dans  Lihkoiitè  Pardés. 
Si  ma  conjecture  est  exacte,  la  déplorable  correction  dans  Kol 
Nidrè  Nnn  û'^'iid''^  ûr  n:»  ht  û-^^iiî-'D  ût»  «  depuis  ce  jour  de  Kip- 
pour jusqu'au  Kippour  prochain  »,  au  lieu  de  la  formule  usitée 
précédemment  rsT  ûms-^^  bv  iy  -layo  û-^-nD-^s  ûVTa  «  depuis  le  jour 
de  Kippour  dernier  jusqu'au  Kippour  présent  »,  devrait  être  at- 
tribuée à   Méïr.  Jacob  Tam  attribue  cette  correction  à  son  père 

'  Or  Zaroua,  II,  116  J.  De  même  Méïr  Je  Rothenbourp,  ilid.,  n»  439  et  Tossafot 
Sens  sur  Pesahim  [ms.  Oxford,  2358)  ;  cl".  Gross  {Eetue,  VII,  52)  et  Neubauer,  sur 
le  ms.  mcutioDné.  M.  Gross  dit  que  dans  ce  ms,  on  cite,  entre  autres,  Jacob  b.  Simson 
de  Paris.  Je  ne  sais  si  la  mention  «  de  Paris  »  se  trouve  dans  le  ms.  ou  si  elle  est 
de  M.  Gross.  M.  Neubauer  ne  l'a  pas. 

*  Méïr  de  Uothenbourg  a  1~,223  !T^5". 

*  Dans  son    commentaire  mentionné   ^ms.  Kaufmann),   f»  2363   :    ^DTO  ^riTT^'ilîT 

tzyz-2^  -■:iwN  r-i^r,  i<bx  rroz  m-nna  niriDD   '-ixiiN  Ti^T^  xb  b"T  t-n» 

'^:D^  nbOîT  n-cnac    Nb  NnyinwT  rr^C-'b'O.  La  même    chose    chez    Zunz,  Litg., 
p.  126. 


JACOB  B.  SIMSON  245 

Méïr.  b.  Samuel  [Sèfer  ha-Yaschar,  n°  144).  Comme  celui-ci  a 
sûrement  vécu  à  Worras  à  une  certaine  époque  ',  il  peut  avoir  eu 
connaissance  de  l'innovation  de  Méïr  le  Chantre.  Le  père  de  Jacob 
Tam  rapporta  aussi  beaucoup  de  choses  de  Lorraine  en  France*. 
9°  Taschbaç,  n°  143'  : 

bnx  mD-iD  512)  i^^ai  b-ibD  «pin  nyaib  nstn  ^n\att",2J  -12  ap:?-^  i2-^3-i 

.nrN  'nw  n?^^  -^iTyri  "^aN 

Cette  citation  se  trouvait  dans  le  livre  d'Eliézer  ben  Joël  ha- 
Lévi,  voir  n"  14. 

lO»  Ascher  b.  Jacob  ha-Lévi,  Commentaire,  f°  3  : 

"n  n-im  [Berahhot,  11  ô)  -^'u:-!  ï-T':ir:   pT    '^•^pnn   ns-^^^aS  ■«■«   r-inx 

.1io?2U3  '-in  3py"« 

11"  J.  b.  S.  a  écrit  des  Explications  sur  les  Pioutim  en  langue 
araraéenne,  et  lui-même  a  composé  un  poème  dans  cette  langue 
(Zunz,  Litg.j  458).  Il  est  vraisemblable  que  ces  deux  travaux 
étaient  contenus  dans  son  Mahzor. 

120  Tossafot  Menahot,  64  &  : 

onu  ii'ip''2>i2'i  (1.  11ÏJWU5)  i-i:>Mï)  13  np:»-^  'in  y1^m  ...miN 
13°  Tossafot,  Arachin,  286  : 

n73iN  T"DbT  '^'^'T^t  '^D  ...^-^^n  irNO  ^n-119  -^N'an  nrï<^  z'y'in  ...i-^nwiN 
nvi^aiN  'by'2  Yin.  (33 J)  i-ion-rpn  p"D3  Nn-^Ni  Nrs  iT>n7:in  -in  npy^  'n  anrt. 
l'^D'^'^n  V'n  l'^NUsm  mTo^b  I-^î^ï)"!  ;  cf.  Tossafot,  Honllin,  54  &. 

14°  Dans  û'^STON'ib  n-^nn  IT^dt,  p.  125  *  : 

i-ni:?^  b\:î  oi3  n^^rr^D  t=;5v::b  nn  mmïJnn  r!"-'3M-i  t^iï'JD  3i^t 

■nmn  pbnn  i^î^t:  na  3p3>^  'n  bnM  it:;720  nn  npi*^  'n  ^13T  ibx 

15o  Tossafot  de  Juda  de  Paris  dans  nabrJtt  riD-a,  42  d  : 
bNsrwï)-^  'n  "^5  nb^  Dbiy  mon  \an^D  (i.  1^2:721:5^  iiyttu)  13  apy^  '-n 

Ou  bien  J.  b.  S.  a  composé  un  ouvrage  indépendant  sous  le  nom 

'  11  était,  en  effet,  comme  Raschi,  un  disciple  d'Isaac  ha-Lévi  de  Worms  [Par- 
dès,  no  44). 

»  S.  ha-7ascha>;  n»  32o  -i"^mb72  n^^NT:  'T  N^3r!  p  (ainsi  porte  mon  ms.  de 
ce  livre). 

*  De  même  dans  Hagahot  Maïmoniot,  riDID,  vi,  200  ;  Hagahot  Semak,  28  b  (éd. 
Cracovie)  ;  ALudraham,  Souccot. 

■<  De  même  dans   Mordechai  Toma,  n»  7"27,  avec  ces  mots  de  préambule  :  'y^'iiT\ 


246  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

de  t:b^y  "ns,  ou  on  veut  parler  ici  de  l'introduction  historique  à 
son  commentaire  sur  AI)oi. 
16"  L'auteur  du  ms.  d'Oxford  n°  1104  écrit  :  iboa  nins  Tisit» 

nî^j-^riTi  l5NT?2"û'7.  J.  b.  S.  a  donc  composé  un  commentaire  sur  le 
Yeçira  et  la  Baraïta  de  Samuel. 

1*7°  J.  b.  S.  composa  l'ouvrage  mentionné  sur  le  calendrier  "idd 
■^oip^Kï^  qui  ne  se  trouve  pas  au  complet  dans  le  ms.  d'Oxford 
692.  Voir,  pour  plus  de  détails  à  son  sujet,  Berliner  dans  Hurwitz, 
Einleilung  zu  M.  F.,  p.  15  (nouvelle  pagination). 

18°  Il  écrivit  un  commentaire  détaillé  &mv  Aboi.  Voira  ce  sujet 
Schechter,  Introd.  à  son  édit.  des  Aboi  de  R.  Nathan,  cli.  ii  ; 
^pinn,  I,  92,  191,  et  catalogue  Halberstam  (nttbû  nVnp),  n"  69. 

Tels  sont  les  textes  que  j'ai  pu  recueillir  touchant  l'activité  lit- 
téraire de  J.  b.  S.  Parmi  les  autorités  que  cite  J.  b.  S.  (voir 
Berliner,  l.  cit.),  Raschbam  (plus  haut,  n°  2)  est  la  plus  récente. 

Le  résultat  de  ces  recherches  permet  donc  d'affirmer  avec  cer- 
titude ceci  :  J.  b.  S.  était  un  disciple  de  Raschi  (n°s  1,  2)  ;  il  a 
vécu  à  Paris  ou  à  Falaise  (n"  5)  ;  peut-être  a-t-il  séjourné  à  une 
certaine  époque  à  Worms  (n°  8);  il  a  déjà  exercé  son  activité 
littéraire  en  1123  (n°  4)  ;  il  a  composé  un  ouvrage  sur  le  calen- 
drier, "^ttJipbNr;  'o  (no  17);  un  Mahzor  (n°  6)  ;  un  ouvrage  historique 
appelé  dbiy  tid  (n°  15);  des  commentaires  sur  Tamid  ou  Ezéchiel 
(n"  3),  sur  Abot  (n®  18),  sur  quelques  traités  du  Talmud  (n»*  5, 
12,  13),  sur  le  S.  Yeçira  (n°  16)  et,  enfin,  sur  la  Baraïta  de  Samuel 
(no  16). 

Gomme  on  le  voit,  la  science  de  J.  b.  S.  était  variée.  Il  a,  sans 
doute,  été  le  premier  écrivain  juif  du  Nord  de  la  France  qui  se 
soit  occupé  de  sciences  mathématiques.  Et  pourtant  il  est  tombé 
pendant  les  derniers  siècles  dans  un  oubli  complet.  C'est  à  notre 
époque  que  revient  le  mérite  d'avoir  fait  revivre  le  souvenir  de  ce 
savant  et  de  ses  mérites.  Puisse  ma  notice  stimuler  des  recherches 
approfondies  sur  ce  rabbin  français  1 

A.  Epstein. 


INNOCENT  m  ET  LES  JUIFS 


OPINIONS   D  INNOCENT    III    SUR    LA.   VIE   ET   SUR   LE   JUDAÏSME. 


Innocent  était  issu  de  la  noble  famille  des  Conti.  Il  monta  sur 
le  Saint-Siège  dans  sa  trente-huitième  année.  Il  était  très  versé 
dans  l'étude  des  auteurs  grecs  et  latins,  et  surtout  dans  la  connais- 
sance de  l'Ecriture,  qu'il  interprétait  d'une  façon  aussi  large  que 
possible.  Dans  ses  dissertations  homilétiques  sur  l'Écriture,  il  ne 
reculait  devant  aucune  extravagance,  pourvu  qu'elle  servît  à  ses 
desseins.  Il  avait  apporté  cette  méthode  de  Paris,  où  Pierre  de 
Gorbeil  la  professait.  Son  maître  exerça  sur  lui  une  influence 
durable.  Il  semble  avoir  étudié  Flavius  Josèphe,  car  il  rapporte 
une  fois,  dans  son  De  contempiu  mundi,  la  fameuse  histoire 
de  la  mère  qui,  pour  calmer  sa  faim,  tua  son  enfant,  et,  à  ce 
propos,  il  ci^e  «  Josephus  de  judaica  obsidione  »,  autrement  dire 
le  «J)e  bello  judaico  '  ». 

Sa  conception  de  la  vie  nous  est  révélée  par  un  écrit  qu'il  com- 
posa peu  de  temps  avant  son  avènement  au  pontificat  et  dont  le 
titre  suffit  à  indiquer  le  contenu.  Ce  livre  est  intitulé  «  Mépris  du 
Monde  ».  Innocent,  qui  alors  s'appelait  encore  Lothaire,  suit  la 
vie  humaine  depuis  le  moment  de  la  conception  jusqu'à  celui  de  la 
mort.  La  conclusion  à  laquelle  il  aboutit,  c'est  que  seuls  doivent 
être  proclamés  heureux  ceux  qui  meurent  avant  de  naître,  car  vie 
est  synonyme  de  douleur.  —  Où  nous  conduisent  tous  nos  efforts 
et  tous  nos  actes?  Il  y  a  des  pauvres,  il  y  a  des  riches,  mais  ni  les 
uns  ni  les  autres  ne  sont  heureux.  Le  pauvre  est  soumis  à  toutes 


1  Migue,  Fatrologie,  IV,  716. 


248  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

sortes  de  privations,  et  il  lui  faut  mendier  le  secours  d'autrui.  Mais, 
tandis  qu'il  est  à  mendier,  la  honte  le  prend  ;  s'il  cesse  ses  suppli- 
cations, la  misère  l'attend.  A  l'indigent  tout  fait  défaut,  même 
l'ami,  car  seul  l'homme  heureux  est  entouré  d'amis.  D'ailleurs, 
c'est  sur  notre  degré  de  bonheur  que  les  autres  mesurent  leur  estime 
pour  nous,  en  sorte  que  la  préférence  est  donnée  au  riche  sur 
l'homme  de  bien,  au  méchant  sur  le  pauvre.  Si,  d'autre  part,  nous 
considérons  l'existence  du  riche,  elle  est  également  remplie  de 
peines  et  de  soucis;  s'il  est  marié,  il  craint  pour  sa  femme  et  ses 
enfants;  est-il  célibataire?  Satan  ne  lui  laisse  aucun  repos,  excite 
ses  désirs,  allume  le  feu  dans  ses  veines  et  le  livre  au  péché. 

A  la  perversité  terrestre  répond  la  punition  céleste,  qui  varie 
avec  la  qualité  de  la  faute.  Sous  le  n»  6  il  nomme  ceux  qui,  mar- 
chant dans  les  ténèbres,  ne  peuvent  arriver  à  la  vraie  lumière, 
jusqu'au  Christ.  Une  (épaisse  obscurité  extérieure  et  intérieure  en- 
veloppera ces  hommes,  par  lesquels  Innocent  entend  les  Juifs.  Pour 
preuves  de  cette  affirmation  il  cite  Psaumes,  xlviii  ;  I  Rois,  ii  et 
Job,  X. 

Les  Juifs  pouvaient  se  tranquilliserjusqu'à  un  certain  point,  car, 
d'après  cette  échelle,  il  y  avait  toute  une  série  de  personnes  dont 
le  sort  devait  être  beaucoup  plus  terrible  '. 

Toutes  les  opinions  d'Innocent  montrent  que  ses  sentiments  res- 
semblaient à  ceux  qu'à  cette  époque  entretenait  tout  bon  chrétien. 
Plein  de  mépris  pour  ce  raondp,  on  voulait  par  la  foi  gagner  le 
monde  meilleur  *,  le  connaître  exactement  par  l'Ecriture  et  con- 
templer Dieu  face  à  face*.  Dieu  est  mis  dans  le  plus  étroit  rapport 
avec  ce  monde  détesté.  L'Eglise  et  l'évêque  romain  jouent  le  rôle 
d'intermédiaires.  Ceux  qu'ils  unissent  sur  terre  demeurent  unis 
dans  le  ciel,  ceux  qu'ils  dissolvent  demeurent  dissous  pour  l'éter- 
nité. 

Très  haut  au-dessus  de  la  terre  plane  le  swmims  pontifex,  qui 
est  en  relation  avec  Dieu  par  l'intangible  communauté  qui  existe 
entre  lui  et  l'Eglise.  Innocent  a  pu  se  demander  sur  quelles  raisons 
se  fonde  cette  idée  ;  il  répond  :  c'est  ma  croyance  la  plus  ferme 
que  je  crois  en  catholique  *. 

A  présent,  nous  allons  donner  un  ensemble  d'assertions  de  ce 
pape  sur  le  judaïsme,  car  il  nous  faut  connaître  le  point  de  vue 

'  Mipne,  I,  De  contemptu  mundi  sive  de  miseria  rondicionis  kumana.  p.  702  et 
suiv.  Innocent  ne  tenait  pas  l'incrédulilé  pour  le  plus  jrrand  péché,  puisqu'il  dit  : 
minus  malum  existai  viam  Domini  non  a^noscere  quam  post  agnitam  retroire.  Mansi, 
XXII,  lUoS. 

*  Migne,  650. 

»  Migne,  IV,  1096, 

♦  Migne,  6o6-658,  664. 


INNOCENT  III  ET  LES  JUIFS  249 

théorique  d'Innocent  à  IVgard  du  judaïsme,  afin  de  comprendre 
son  attitude  envers  les  Juifs. 

La  loi  divine,  dit-il,  fut  donnée  d'abord  aux  Juifs;  c'est  pourquoi 
ils  ont  été  très  puissants.  Ils  avaient  le  Temple  et  les  prêtres,  la 
doctrine  et  la  prophétie.  C'est  de  la  Synagogue  que  sont  sortis  les 
premiers  croyants  qui  annoncèrent  le  plein  salut  dans  le  Dieu  fait 
homme*.  Le  Christ  a  renouvelé  l'ancienne  Loi*  :  celle-ci  était 
gravée  sur  des  tables  de  pierre,  la  nouvelle  l'est  dans  le  cœur». 
La  loi  ancienne  enseignait  œil  pour  œil,  dent  pour  dent;  la  nou- 
velle veut  l'amour  même  pour  celui  qui  nous  a  fait  du  mal.  0  Juifs, 
s'écrie  Innocent,  quittez  les  ténèbres  de  votre  fausse  croyance  et 
de  votre  ignorance,  regardez  non  pas  seulement  avec  l'œil  du  corps, 
mais  aussi  avec  l'œil  du  cœur*.  Peu  importe  la  circoncision  du 
corps,  c'est  celle  du  cœur  qu'il  faut,  afin  d'être  Juif  en  esprit  et  non 
par  le  corps  ^.  Qu'attendent  donc  les  Juifs?  Il  leur  faut  rougir,  s'ils 
pensent  que  le  Messie  ne  soit  pas  venu  et  qu'il  ne  puisse  être  un 
Dieu,  alors  que  l'Ecriture  et  de  nombreux  miracles  en  portent  té- 
moignage, miracles  que  le  Messie  accomplit,  pour  ainsi  dire,  corpo- 
rellement  et  qu'il  accomplit  encore  spirituellement,  quand  il  rend 
la  vue  aux  aveugles  d'esprit,  instruit  les  ignorants  et  pousse  ses 
détracteurs  mêmes  aux  bonnes  actions^. 

Pourquoi  la  Synagogue  ne  se  fond-elle  pas  avec  l'Eglise  ?  C'est, 
d'une  part,  l'erreur  où  elle  est  plongée  et,  d'autre  part,  l'envie  qui 
l'en  empêchent.  L'envie  vient  à  la  Synagogue  de  voir  l'Eglise  déte- 
nir la  puissance  et  la  prêtrise,  le  temple  et  l'autel,  la  loi  et  la  force, 
tous  biens  pris  aux  Juifs.  Quant  à  l'erreur,  elle  tient  à  ce  que  les 
Juifs  refusent  de  croire  qu'un  Dieu  se  soit  laissé  martyriser,  cruci- 
fier et  tuer.  Ils  ne  peuvent  admettre  que  Dieu  ait  supporté  des 
traitements  indignes  1  Eh  bien  !  cela  ne  doit  pas  être  une  pierre  de 
scandale,  mais  nous  inciter  à  honorer  Dieu  davantage  ;  cela  ne 
doit  pas  être  une  pierre  de  scandale  ni  un  champ  de  zizanies,  car 
sur  cette  pierre  repose  le  bonheur  de  l'humanité,  sur  elle  est 
fondé  le  sanctuaire  du  Seigneur  \ 

Gomme  les  Juifs,  les  philosophes  païens  avaient  marqué  de  la  ré- 
pugnance pour  notre  doctrine;  ils  soutenaient  qu'un  même  être  ne 
peut  pas  être  en  même  temps  Dieu  et  homme,  mortel  et  immortel, 
simple  et  composé,  éternel  et  temporel.  Mais  Dieu  a  changé  leur 

»  Migne,  IV,  964,  386. 
»  Ihid.,  330. 
'  Ihid.,  332. 

♦  Ibid.,  923,  530. 
»  Ibid.,  964,  392. 

•  Ihid.,  335. 

">  Ibid.,  386,  505. 


250  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

sagesse  en  folie  et  réfuté  leurs  idées,  car  le  Sacrement  divin  est  là 
qui  s'érige  en  argument  contraire  *.  Du  reste,  le  Christ  est  ressus- 
cité comme  Moïse  et  Elie  *. 

Quittez  vos  erreurs,  telle  est  l'exhortation  sans  cesse  répétée 
par  Innocent,  quittez  l'incrédulité  juive  et  emljrassez  la  foi  chré- 
tienne !  Alors  le  monde  sera  racheté,  car  le  Christ  n'a  abandonné 
que  momentanément  la  Synagogue  et  la  race  juive,  dont  il  est  issu  ; 
il  rassemblera  Israël  et  le  conduira  au  salut  ^.  Par  le  baptême  les 
Juifs  recevront  le  salut,  qu'ils  ont  perdu  en  Judée.  Les  cérémonies 
juives  déplurent  à  Dieu  comme  l'idolâtrie  '*.  Sion  devint  l'Église  en- 
tière, qui  pénètre  Dieu  par  la  foi  jusqu'à  ce  qu'elle  le  contemple 
face  à  face  ■'.  L'Eglise  a  été  bâtie  par  des  Juifs  et  des  païens  con- 
vertis :  par  la  conversion  de  tous  les  Juifs  le  salut  sera  achevé. 
Après  la  conversion  d'Israël  naîtra  la  génération  des  hommes  mo- 
ralement bons,  et  Jésus  apparaîtra  pour  la  seconde  fois  dans  la 
splendeur  de  sa  majesté  ^.  Que  doivent  faire  cependant  les  croyants 
pour  amener  cet  âge  d'or?  Ils  doivent  tous  réciter  cette  prière: 
0  Dieu,  dégage  la  Synagogue  du  voile  de  l'erreur  et  que  les  Juifs 
atteignent  à  la  vraie  connaissance  "  ! 

Le  pontife  se  prononce  avec  beaucoup  plus  de  rudesse  contre  les 
hérétiques.  Les  péchés  des  hérétiques,  dit-il,  dépassent  ceux  de 
tous  les  hommes.  Ils  sont  plus  perfides  que  les  Juifs  et  plus  cruels 
que  les  Sarrazins,  car  les  Juifs  n'ont  crucifié  Jésus  qu'une  seule 
fois,  tandis  qu'eux  se  déchaînent  sans  cesse  contre  lui.  Et  alors  que 
les  Juifs,  malgré  leur  aveuglement,  pensent  que  Dieu  le  père  a 
tout  créé,  le  visible  et  l'invisible,  les  hérétiques  prétendent  que 
c'est  le  diable  qui  est  l'auteur  du  monde  visible. 

Quand  les  Sarrazins  sont  emportés,  ils  tuent  les  chrétiens;  mais 
les  hérétiques  ruinent  le  corps  et  Tâme,  arrachent  subrepticement 
l'homme  à  Dieu  et  ainsi  le  mènent  à  l'anéantissement.  En  outre, 
les  Juifs  et  les  païens  ne  reconnaissent  pas  Jésus  ;  par  là  ils  ont  une 
certaine  excuse,  quand  ils  pèchent. 

Cette  excuse  manque  aux  hérétiques,  car  ils  ont  été  chrétiens  et 
ils  se  sont  laissé  prendre  aux  pièges  des  faux  dogmes  '*.  Innocent 
les  traite  de  loups  dans  la  peau  de  moutons,  qui  mêlent  le  vrai 
au  faux.  Il  voit  en  eux  l'écume  de  l'humanité,  des  démons  qui  se 

«  Mit^ae,  IV.  336. 

*  Ibid.,  377-378. 

»  Ihid.,  935. 

»  1/nd.,  ti()9. 

»  Ibid.,  1096. 

«  Ibid.,  1096-1097. 

7  Ibid.,  386. 

'  Brétjuiguy,  Epistolœ,  lib.  Vlll,  p.  726,  anucc  120!«. 


INNOCENT  III  ET  LES  JUIFS  251 

présentent  comme  des  anges  de  lumière,  pour  corrompre  les  inno- 
cents, en  leur  offrant  dans  une  coupe  d'or  un  mortel  poison  •. 

On  devine  aisément  la  raison  de  cette  diversité  d'attitude  d'In- 
nocent à  l'égard  des  Juifs  et  des  hérétiques  :  les  motifs  allégués 
plus  haut  par  lui  ne  sont  que  subsidiaires  ;  le  vrai  motif,  c'est  que 
les  hérétiques  étaient  les  ennemis  déclarés  de  la  papauté,  ce  qui 
n'était  pas  le  cas  des  Juifs.  De  plus,  Innocent  se  flattait  d'enter  le 
rameau  juif  sur  le  tronc  chrétien,  alors  qu'il  considérait  les  héré- 
tiques comme  des  plantes  parasitaires  se  nourrissant  au  détriment 
de  l'arbre  chrétien. 

Tout  le  développement  qui  suit  corrobore  cette  manière  de  voir; 
tandis  qu'Innocent  préparait  la  croisade  contre  les  hérétiques,  il 
travaillait  à  la  conversion  des  Juifs.  Nous  allons  étudier  les 
moyens  et  les  efforts  qu'il  employa  pour  y  atteindre. 


II 


PROSELYTISME  DU  PAPE  INNOCENT  III. 

Toute  la  politique  du  pape  à  l'égard  des  Juifs  s'inspire  du  désir 
de  convertir  ces  derniers.  On  s'étonne  de  que  ce  pape  si  fier  a  bien 
voulu  supporter  de  la  part  des  apostats.  Quand  l'un  d'eux  le  me- 
nace de  retomber  au  judaïsme,  sous  prétexte  de  n'être  pas  suffi- 
samment soutenu  par  ses  nouveaux  coreligionnaires,  le  pape  n'a 
aucun  mot  de  blâme  pour  le  baptisé,  il  écrit  une  lettre  pressante 
au  directeur  de  la  paroisse  et  ne  laisse  pas  de  suspendre  des  peines 
sévères  sur  ceux  qui  négligent  les  apostats  -.  Même  la  curie  con- 
descendit à  discuter  avec  les  candidats  au  baptême  '  et  alla  jus- 
qu'à excepter  les  apostats  de  certaines  prescriptions  canoniques. 
Tandis  que,  en  effet,  les  mariages  entre  beau-frère  et  belle-sœur, 
admis  chez  les  Juifs,  étaient  défendus  chez  les  chrétiens.  Innocent 
déclara  ne  pas  réclamer  le  divorce  dans  des  cas  de  ce  genre, 
«  vu  que  les  nouveaux  convertis  étaient  encore  chancelants  dans 
leur  foi  *,  »  Il  est  encore  intéressant  de  noter  que  les  Mahomé- 

»  Migne,  IV,  335,  605. 

*  Baluze,  Epistolte,  I,  p.  469.  Le  retour  au  judaïsme  par  suite  de  manque  de  se- 
cours arrivait  souvent.  Cf.  Baluze,  II,  493. 

*  Baluze,  II,  789  :  ...ad  noslram  duxit  praesentiam  accedendum  j  quem  posl  mul- 
tas  collationes  super  lege  ac  l'rophetis  habitis  cum  eodem  venerabilis  frater. . .  bap- 
tizavit. 

*  Mansi,  Concilia,  XXII,  p.  730,  lv  ;  Baluze,  I,  604  :  Deus  qui  ecciesiam,  etc.. 
Quia  vero  in  matrimoniis  contrahendis  dispar  est  ritus  eorum  a  nostro,  cum  ia  con- 


252  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

tans  qui  s'étaient  convertis  pouvaient  garder  plusieurs  femmes  *. 

Qn  voit  combien  le  changement  de  croyance  était  commode  et 
lucratif,  et  nous  devons  avouer  qu'il  se  trouva  nombre  de  Juifs 
pour  faire  ce  «  commerce  ».  Le  Sefer  Ilasidim  renferme  des  allu- 
sions à  cet  état  de  choses.  Cependant,  nous  ne  nous  en  servirons 
guère,  parce  qu'on  ne  sait  si  ces  passages  ont  appartenu  originel- 
lement à  ce  livre  et  parce  que  nous  disposons  de  documents  dus  à 
la  main  du  pape,  qui  sont  beaucoup  plus  probants*.  Je  vais  tra- 
duire ces  écrits  de  la  curie,  vu  que  jusqu'ici  on  n'en  a  donné  que 
des  extraits  ^  et  qu'on  les  a  négligés  le  plus  souvent. 

A  révêque  d'Autun  Innocent  écrit  :  «  Nous  cro3'ons  t'avoir 
exhorté  à  soutenir  le  porteur  de  cette  épître,  P.,  qui,  autrefois  Juif, 
a  adopté  la  foi  chrétienne  par  l'influence  du  Christ.  Et  comme  tu 
as  pris  connaissance  de  cela,  les  plaintes  réitérées  de  P.  démon- 
trent que  tu  n'as  pas  observé  convenablement  nos  prescriptions. 
De  pareilles  gens,  afin  que  la  pauvreté  qu'ils  ne  peuvent  supporter 
ne  les  contraigne  pas  à  coqueter  de  nouveau  avec  l'incrédulité 
juive,  doivent  être  puissamment  secourus  par  tous  les  fidèles,  sur- 
tout par  les  évêques  qui  doivent  avoir  pour  principe  de  secourir 
les  indigents.  Dans  le  cas  présent,  ce  devoir  t'incombe  particulière- 
ment, attendu  que  c'est  toi-même  qui  nous  avais  recommandé  P. 
Si  nous  n'éprouvions  pas  une  sympathie  personnelle  pour  toi,  la- 
quelle a  tempéré  quelque  peu   notre  mécontentement,   nous  ne 

saDfruinitate  vel  affinitate  distinctionem  canonicam  non  attendant,  et  relictas  fratrum 
indistincte  sibi  consueverint  copulare,  ne  propler  hoc  a  bono  proposito  sicut  hactenus 
retrahaLtur,  cum  uec  quidem  eorum  voluerint  credere  nisi  relictas  fratrum  eorum 
pateremur  relinere;  ncc  vos  eos,  nisi  taies  dimitterent,  recipere  volueritis  ad  bap- 
tisma,  propter  novitatem  et  infirmitatem  prentis  ejusdem  concedimus  ut  matrimoniis 
contractis  cum  reliclis  fratrum  utantur,  si  tamen  fratribus  decedentibus  sine  proie, 
ne  taies  sibi  de  cetero,  postquam  ad  fiium  venerint,  copulent  prohibantes.. .  C'est  là 
un  exemple  de  l'importance  attachée  par  Innocent  à  Topportunité,  car  nous  savons 
combien  le  pape  se  montrait  rigoureux  sur  ces  points,  même  à  Tégard  des  plus  puis- 
sants rois. 

'  Lettre  à  l'évêque  de  Tibériade,  Baluze,  p.  604.  Sur  les  mariages  mixtes,  voir 
plus  loiu. 

*  On  adressa  de  nombreuses  questions  au  pape  sur  le  baptême.  Ainsi,  l'évêque  de 
Metz  demanda  si  un  Juif  qui,  se  croyant  à  l'article  de  la  mort,  alors  qu'il  n'y  a  que 
des  Juifs  autour  de  lui  se  jette  à  l'eau  en  criant  :  •  Je  me  baptise  moi-même  au  nom 
du  Père,  du  Fils  du  Saint-Esprit  >  doit  recevoir  encore  une  Ibis  le  baptême  en  cas 
de  guérison.  A  cela  Innocent  répond,  le  28  août  12<J6  (Bréquigny,  II,  972)  :  i  II  faut 
établir  une  distinctio  personarum  entre  le  baptisé  et  celui  qui  va  l'être.  Si  ce  Juif  était 
mort  après  le  baptême  qu'il  s'était  administré  lui-même,  il  serait  allé  au  ciel  pour  sa 
foi,  non  pour  son  baptême.  Pour  que  le  baptême  soit  vraiment  efficace,  il  faut,  a  l'ins- 
tar de  la  naissance  charnelle  où  il  y  a  un  engendreur  et  un  engendré,  lors  de  la 
naissance  spirituelle  un  engendreur  spirituel  et  un  engendré.  ;Cette  lettre  se  trouve 
partagée  en  deux  morceaux  parmi  les  Décrétales,  lib.  111,  tit.  XLIi,  de  baptismo,  etc.) 
Cf.  aussi,  p.  29,  3,  Livoniensi  episcopo. 

'  Erler,  Die  Juden  im  M.  A.,  dans  les  Archives  du  droit  canon  catholique,  t. 
XLVIII,  p.  395. 


LNNOCENT  UI  ET  LES  JUIFS  253 

t'aurions  pas  envoyé  pour  ta  désobéissance  une  nouvelle  admones- 
tation, mais  une  punition  proportionnelle.  S'il  est  connu  qu'à 
l'ordinaire  tu  te  signales  par  ta  vertu  et  ta  piété,  pour  laquelle 
l'apôtre  a  promis  le  monde  présent  et  futur,  comment  peux-tu  né- 
gliger, voire  dédaigner  un  commandement  apostolique  ?  Donc,  afin 
que  ledit  P.  ne  se  voie  pas  trompé  dans  notre  vigilance  aposto- 
lique et  que  tu  ne  demeures  pas  davantage  dans  une  blâmable 
somnolence,  nous  te  donnons,  à  toi  notre  frère,  l'ordre  sévère  de 
secourir  P.,  pour  que  lui  et  sa  fille  M.,  qui  a  reçu  le  baptême  avec 
son  père,  reçoivent  sans  retard  par  ta  libéralité  nourriture  et  vête- 
ments. Tu  auras  soin  qu'on  ne  les  moleste  point  à  cette  occasion, 
car  Dieu  aime  celui  qui  donne  avec  joie.  Sinon,  tu  sauras  que 
nous  chargerons  notre  vénérable  frère,  bien-aimé  fils,  l'abbé  de 
Saint-Martin,  à  Nevers,  d'accomplir  l'ordre  non  exécuté  par  toi, 
en  t'y  contraignant  par  la  force  de  l'Eglise,  sans  que  tu  puisses 
répliquer  ni  en  appeler  '.  » 

Une  deuxième  lettre,  du  5  décembre  1198,  est  adressée  à  l'abbé 
et  au  couvent  de  Saint-Marie-de-Prato,  de  Leicester  :  «  Plus  le 
peuple  juif  attend  l'accomplissement  superficiel  de  la  Sainte-Ecri- 
ture et,  dédaignant  la  vraie  sagesse,  demeure  dans  les  ténèbres 
de  l'erreur,  plus  il  faut  se  réjouir  de  ceux  qui  reconnaissent  la 
vérité  chrétienne  et  en  réclament  la  propagation,  de  ceux  qui,  par 
la  grâce  du  Saint-Esprit,  se  détachent  de  l'aberration  juive,  pour  se 
tourner  vers  la  lumière  du  christianisme.  Dans  de  pareils  cas,  il  faut 
veiller  à  ce  que  ces  nouveaux  fidèles  ne  manquent  de  rien  parmi 
les  fidèles  du  Christ;  car  il  arrive  fréquemment  que  les  néo-chré- 
tiens, par  manque  du  nécessaire,  tombent  dans  la  perplexité  et  se 
voient  forcés  de  retourner  au  judaïsme.  La  faute  en  revient  à  ceux 
qui,  nageant  dans  l'opulence,  ne  veulent  point  par  avarice  secourir 
un  pauvre  chrétien.  —  Le  R.  en  question  s'est  soumis  au  baptême 
sur  les  exhortations  d'un  homme  noble  et  sans  se  préoccuper  de 
ses  biens  matériels-.  Depuis  que  cet  homme  noble,  qui  procurait 
l'existence  à  celui  qui  est  redevenu  pauvre,  s'en  est  allé  le  chemin 
de  tout  mortel,  R.  manque  des  ressources  les  plus  indispensables. 
C'est  pourquoi  nous  vous  prescrivons  par  cet  écrit  apostolique,  au 

^  Baluze,  I,  469  ;  date  :  nonis  Novembris  =  5  nov.  1198. 

*  Cette  assertion  visiblement  paradoxale  du  pape,  qui  précisément  comblait  les 
apostats  de  biens  matériels,  trouve  son  explication  par  le  passape  suivant  des  décisions 
du  3"  concile  de  Latrau  sous  Alexandre  :  «  Si  qui  prseterea  Deo  inspirante  ad  ûdem 
se  converterunt  Christianam,  a  possessionibus  suis  nullnlenus  excluJantur,  cum  me- 
lioris  conditionis  conversus  ad  tidem  esse  opporteat,  quam  antequam  (idem  accepe- 
runt,  habebantur.  Si  autem  secus  lactum  i'uerit,  principibus  vel  polestatibus  eoruu- 
dem  locorum  sub  poena  excommunicationis  injunpiimus  ut  porlionem  haaredilatis  et 
bonorum  suorum  ex  intef^ro  eis  l'aciant  exhiberi.  »  Mansi,  XXII,  231.  C'était  l'usage 
aussi  en  Aragon  de  confisquer  les  biens  des  apostats  jusqu'à  Jacques  I, 


254  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

nom  du  respect  de  celui  par  qui  le  Juif  a  reçu  la  lumière  de  vérité, 
de  lui  procurer  subsistance  et  vêtement.  Sachez  que  nous  serions 
mécontent  et  que  nous  vous  ferions  sentir  notre  mécontentement, 
au  cas  où  vous  ne  suivriez  point  notre  pieuse  prescription*.  » 

Une  troisième  lettre  est  encore  plus  intéres.-.ante.  Innocent 
s'emploie  en  faveur  d'un  apostat  qui  l'avait  manifestement  trompé 
auprès  de  l'archevêque  de  Sens.  Le  pape  nous  fait  connaître  les 
rapports  mensongers  de  l'ex-juif  dans  l'épître  en  question,  «  parce 
qu'il  lui  plait  d'annoncer  les  grandes  actions  de  Dieu  ». 

Voici  ce  que  nous  apprenons  par  cette  lettre  :  dans  la  maison 
d'un  Juif  habitait  une  femme  chrétienne,  qui,  séduite  par  les 
Juifs,  avait  peu  à  peu  abandonné  le  catholicisme.  Tout  imbue 
du  judaïsme,  elle  avait  déclaré  que  le  Christ  ne  pouvait  ni  lui 
profiter,  ni  lui  nuire,  et  qu'une  miche  ou  un  morceau  de  pain 
avait  la  même  importance  que  l'hostie  sur  l'autel.  Comme  la 
femme  craignait  une  punition,  au  cas  où  elle  se  séparerait  publi- 
quement du  christianisme,  elle  se  rendit  lors  de  la  fête  de  la  Ré- 
surrection avec  les. autres  chrétiens  à  l'église  et  communia.  Cepen- 
dant, elle  n'avala  pas  l'hostie,  la  garda  dans  sa  bouche  et  la  donna 
au  père  de  notre  apostat,  chez  qui  elle  habitait.  Elle  dit  à  cette 
occasion  :  Voilà  le  Sauveur,  comme  le  croient  les  chrétiens  !  Le 
Juif  prit  l'hostie,  et,  comme  on  l'appelait,  il  la  mit  dans  sa  caisse. 
Quand  il  revint,  il  trouva,  à  la  place  de  son  argent,  la  caisse  rem- 
plie d'hosties.  Saisi  de  terreur,  il  convoqua  ses  amis;  on  résolut 
d'écarter  la  première  hostie  et  d'annuler  ainsi  la  transformation. 
Les  Juifs  croyaient  pouvoir  la  reconnaître,  parce  qu'elle  s'était 
humectée  dans  la  bouche  de  la  femme.  Mais  ils  n'y  réussirent  point. 
Alors  ils  délibérèrent  si,  après  ce  miracle,  ils  ne  devaient  point  se 
convertir  à  l'Eglise;  le  fils  du  Juif  prit  une  rapide  résolution,  em- 
mena sa  femme  et  ses  enfants  chez  le  maréchal  du  roi,  et  courut 
lui-même  à  Rome. 

Il  avait  conté  toute  cette  histoire  merveilleuse  au  pape  ou  bien 
il  avait  déjà  préparé  sa  duperie  et  il  voulait  la  mettre  en  valeur  *. 

«  Baluze,  II,  493. 

*  Les  apostats  eurent  souvent  recours  à  ces  duperies  au  moyen  âge.  Ainsi  un  Juif 
de  Tolède  prétendit  avoir  trouvé,  lors  de  la  culture  de  sa  vigne,  un  écrit  où  il  y  avait 
en  hébreu,  prec  et  latin  ces  mots  :  Depuis  Adam  jusqu'à  l'Antéchrist  il  y  a  trois 
mondes;  dans  le  troisième  est  né  de  la  vierge  Marie  le  fils  do  Dieu,  qui  soutire  la 
mort  pour  le  salut  de  l'humanité.  Henr.  de  Knyghton,  Canon.  Lycestr.,  chez  Twys- 
den,  1,  2433. 

Le  même  auteur  raconte  l'histoire  d'un  Juif  qui,  le  sabbat,  était  tombé  dans  un 
cloaque.  Il  n'avait  pas  permis  que  ses  corelij^ionnaires  vinssent  à  son  aide  le  jour  du 
repos  ;  là-dessus  le  comte  de  Kichmond  de  Sainte-Claire  avait  défendu  aux  chrétiens 
de  lui  porter  secours  le  dimanche,  et  ainsi  ce  Juif  était  mort.  Ce  récit  qu'il  rapporte 
à  la  page  243'7  paraît  déjà  invraisemblable,  en  ce  que  les  Juifs  n'avaient  pas  besoin 


INNOCENT  III  ET  LES  JUIFS  255 

Que  les  autres  Juifs  n'avaient  pas  été  bouleversés  par  le  soi-disant 
miracle,  c'est  ce  qui  ressort  déjà  du  récit,  car,  selon  ce  récit,  ils 
n'avaient  rien  vu  qu'une  caisse  pleine  d'hosties.  Le  pape,  quel  que 
fût  son  penchant  pour  les  miracles,  aurait  dû  s'arrêter  devant 
cette  contradiction  interne,  n'était  qu'au  moyen  âge  on  tenait  pour 
vrai  tout  ce  qu'il  était  commode  de  tenir  pour  tel.  Y  avait-il  des 
contradictions,  on  les  conciliait  tant  bien  que  mal.  Bref,  Innocent 
crut  à  tout  ce  récit.  Il  s'entretint  beaucoup  avec  l'apostat  sur  le 
Pentateuque  et  les  Prophètes;  puis  l'apostat  fut  initié  au  culte 
catholique  et,  enfin,  baptisé  par  l'évêque  de  Tusculum.  Avec  le 
baptême,  la  chose  était  terminée  pour  le  pape,  mais  aucunement 
pour  l'apostat.  Chaque  fois  qu'il  lui  manquait  de  l'argent,  il 
s'adressait  directement  au  pape,  jusqu'à  ce  qu'enfin  celui-ci  écrivit 
à  l'archevêque  de  Sens,  lui  raconta  toute  l'histoire  et  lui  déclara 
qu'«  à  la  jeune  plante  la  rosée  de  la  sagesse  ne  suffisait  pas  pour 
être  féconde,  mais  qu'il  lui  fallait  encore  des  bienfaits  temporels.  » 
Innocent  ordonne  donc  qu'on  soutienne  l'apostat  de  telle  sorte 
qu'il  ne  se  voie  plus  forcé  de  s'adresser  au  siège  apostolique. 
Chose  curieuse,  le  pape  engage  l'archevêque  à  éprouver  encore 
une  fois  la  vérité  de  cette  histoire  miraculeuse  et  à  adresser  son 
rapport  à  ce  sujet  au  siège  de  Saint-Pierre.  Innocent  ne  deman- 
dait probablement  qu'une  simple  confirmation,  car  il  ne  doutait 
pas  du  miracle,  vu  qu'il  en  parle  comme  d'«  une  grande  action 
de  Dieu  '  ». 

Connaissant  les  moyens  du  pape  pour  convertir  les  Juifs,  nous 
ne  nous  étonnerons  plus  outre  mesure  si  beaucoup  de  Juifs  se 
convertissaient  officiellement  au  christianisme,  pour  recevoir  les 
secours  réservés  aux  apostats,  mais  pratiquaient  en  secret  les 
rites  juifs.  De  ce  point  de  vue  nous  comprendrons  ces  mots  du 
pape  :  «  C'est  un  moindre  mal  de  méconnaître  Dieu,  qu'après 
l'avoir  connu,  de  retomber  dans  l'incrédulité.  » 

LÉopoLD  Lucas. 
{A  suivre.) 

du  secours  des  chrétiens  le  dimanche  ;  mais  elle  le  devient  encore  plus,  quand  on  y 
compare  une  histoire  semblable  du  Emej  habacha,  p.  Ai.  pour  Tannée  1272,  laquelle 
liistoire  est  tirée  t  d'un  livre  latin  composé  par  un  Allemand  ».  Là  on  raconte  que  les 
Juifs  n'avaient  pas  voulu  secourir  leur  coreligionnaire  le  samedi,  malj,'ré  ses  plus 
poip,Dantes  supplications.  Le  pape  avait  alors  ordonné  que  quiconque  observerait  le 
samedi  devrait  observer  également  le  dimanche  sous  peine  de  mort.  —  Tout  cela  a  le 
caractère  d'une  invention  tendancieuse  des  chrétiens,  parce  que  ce  récit  se  trouve 
rapporté  à  dillérentes  époques  et  à  des  lieux  dillérents. 

•  Baluze,  II,  789  :  quia  deltctat  Dci  magnalia  enarrare  ;  voir  aussi  Raynaldus,  XIII, 
n»  68  et  69,  «d  an.  1213.  Spoudanus,  1213  num.  marg.  25. 


'  r 


QUATRE  ELEGIES 


SUR 


LA  MORT  DE  R.  NATHMAEL  TRAROTTO  DE  MÛDÈNE 


Ce  fut  un  triste  Rosch  Haschana  que  celui  qui  ouvrit  l'an  5414 
dans  le  ghetto  de  Modène.  Le  deuxième  jour  de  cette  fête,  le 
mardi  23  septembre  1G53,  le  pasteur  Agé  et  universellement 
estimé  de  cette  communauté,  R.  Nathanaël  b.  Benjamin  Trabotto, 
quitta  ce  monde.  Par  sa  pieuse  activité  et  sa  grande  science,  il 
avait  jeté  un  nouvel  éclat  sur  le  nom  de  sa  famille,  l'une  des  plus 
distinguées  du  judaïsme  italien.  Telle  était  son  autorité,  qu'il  ne 
s'agitait  point  de  question  tant  soit  peu  importante  parmi  les 
Juifs  dltalie,  sans  qu'on  eût  recours  à  ses  lumières.  Une  foule 
d'élèves  s'était  rangée  autour  de  sa  chaire,  et  tous  conservèrent 
l'habitude  de  demander  conseil  à  leur  maître  vénéré  sur  les  diffi- 
cultés qu'ils  rencontraient  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions. 

Bien  que,  sur  le  déclin  de  sa  vie,  son  foyer  fût  devenu  désert  et 
malgré  la  perte  de  sa  vue,  il  continua  ses  travaux.  Lorsqu'il  lui 
fut  impossible  de  faire  ses  cours  à  la  synagogue,  ses  disciples  se 
réunirent  chez  lui  ♦.  Il  ne  voulait  point  que  ses  souffrances  fissent 
tort  à  l'étude  de  la  Tora  pour  laquelle  il  avait  fondé,  le  23  no- 
vembre 1638,  une  association  qui  porte  encore  aujourd'hui  son 
nom  à  Modène  '. 

Il  avait  perdu  de  bonne  heure  sa  femme,  Judith,  qui  possédait 
un  grand  talent  musical  et  qui  faisait  passer  un  souffle  d'art  dans 
la  maison  du  pieux  rabbin,  quand  elle  rendait  les  chants  de  la 
synagogue  sur  les  cordes  de  sa  cithare  ^.  Il  n'avait  pas  eu  de  fils*. 

'  Magazin  de  Berliner,  XIV  (18S7),  ^^VJi  "ItlN,  p.  14,  1.  13-14. 

*  Mortara,  nnDTtt,  16,  note  1. 

*  Monatsichrift,  xxxix,  3oG  :  rizû""'!"!"^  m:j  r!"aj:;r  ■'p wix  mia^n  D3i 

*  /*.,  17  :  5Nnï;-'  c-np  irT:?  nsna  ■'-inN  n-^rn?  ^p-'DT  «b  iri'yyc  '\y'^^ 
Tjaujs  nyn  bVcrnb  Dsb  ''iz",  bN  nD3  "^-n^rrr- 


OUAÏRE  ÉLÉGIES  SUR  LA  MUUT  DE  R.  NATIIANAEL  TRABOTTO       2o7 

Quant  â  sa  fille,  qui  avait  épousé  Joseph  Barucli  d'Urbin,  fils 
de  Yedidia  Zacharie  de  Gento  »,  d'après  Graziano,  excellent  philo- 
sophe, poète  et  astronome,  elle  avait  quitté  Modène  depuis  long- 
temps. Dans  la  décrépitude  de  la  vieillesse  il  se  trahiait  sur  un 
bâton,  il  eut  parfois  besoin  du  secours  d'autrui  et  il  finit  par  être 
privé  de  la  vue  -.  Dès  lors,  il  dut  renoncer  à  paraître  à  la  grande 
synagogue;  il  choisit  la  petite  maison  de  prières  de  Gerson  San- 
guini  pour  ses  dévotions,  et  là  on  continua  à  le  considérer  comme 
rabbin  de  la  communauté  et  à  l'appeler  le  troisième  à  la  lecture 
de  la  Tora  ^  Il  avait  presque  quatre-vingt-six.  ans  quand,  dans 
l'été  de  1653,  une  grave  maladie  lui  fit  comprendre  qu'il  touchait 
à  sa  dernière  heure.  Pendant  dix  jours  il  resta  sans  connais- 
sance ;  mais,  avant  de  mourir,  il  devait  encore  prononcer  des 
paroles  d'élévation  et  d'adieu,  exprimer  ses  suprêmes  volontés 
devant  la  communauté  réunie.  Le  matin  du  sabbat  Ehèb  il  s'était 
comme  ressaisi  par  miracle  ;  aussi  fit-il  assembler  autour  de 
son  lit  la  communauté,  ses  collègues  et  les  administrateurs.  Cette 
scène  fut  si  impressionnante,  que  Samuel-Isaac  Belgrado  consi- 
gna de  mémoire  chaque  parole  de  cet  émouvant  adieu*. 

Comme  s'il  avait  voulu  bénir  jusque  dans  la  mort  l'homme  qui 
avait  été  la  joie  de  ses  dernières  années,  il  recommanda  pour 
son  successeur  Abraham-Joseph-Salomon  Graziano,  fils  de  son 
cousin  Mardochaï  ■'.  Selon  le  mot  de  l'Écriture,  il  posa  son  esprit 
sur  lui  et  lui  jeta  son  manteau  de  projthète.  Jamais  élève  ne  se 
montra  plus  reconnaissant  que  Graziano  envers  son  maître.  11  ne 
continua  pas  seulement  son  activité,  mais  il  recueillit  et  conserva 
ses  traditions  et  son  héritage  spirituel.  11  sauva  de  l'oubli  tout 
fragment  du  maître  qu'il  découvrait,  tout  usage,  toute  décision 
qup»  celui-ci  avait  établi.  Tous  les  manuscrits  et  toutes  les  gloses 
de  Graziano  sont  pleins  de  communications  destinées  à  perpétuer 
le  souvenir  de  R.  Nathanaël  Trabotto. 


ns  ses   gloses  manuscrites  sur  le   Schoulkan-Arouch  fcf    Jewish    Quarterly 
,  IX,  255),  Graziano,  II,  20  i,  l'appelle  :  -nT::73T  ^IDlb-'D  ^OT"  Ym-TODI 

Yn-  b-:;  133  rrrio  b":r;  i''o  liN^n  "jnn  iD-iD-nf^ro  niisn  Vrai 


'  Dans  ses 

Reviet 

M-^-lDT     --    ,.-.,.._    ,  -.  .     .  ._    , ,--..     .-  -  

i:3;"'^72  b"T-  Cf.  Mortara,  N-'bi<:3"'J<  ^ll'Zn  p-lDT":.  P-  67,  noie  1.  De  même,  Sab- 
balaï  Béer  dans  ses  Consultations  appelées    pCi'   "1N3,   n"  07.   dit  :  7'\':71T'>  "'^np 

vwn  rjT3Tj  ^''-inT^  "jin;-  aan  5"^t  ^r3-nwN  "ii-in  qoT^  -i"-ir;r:3. 
"•si^tiD  rt-nn  y^n-inb  \nb-o'^  m^i  tin  'j-'wS  :::,  •'z-^y  -i-ni  t::?w':  by. 

*  Sur  la   toi   de  Graziano  dans  ses  fjloses  sur  le  Schoulhaii-AroKch,  1,  "  ô  :  "^rii**! 

i"7J  L31D-1-J  '|-i"-irî-,72D  inx:!-  '"^-^-^  S1103  rr^ncDC  ns-it;:  nmon  noNT  -,2? 
'p2  n^7\^  no 5  ']bir!  n^n  T2"m  mn  mns  ^50  V't  i^^r:!  n"723n  b"pii:T 
inTon  n2"o  ^-i"i2  b"T  ■^^■'i:i30  lio-is  nr;"7:D  bo  rinn  ■«\:;"«bo. 

*  Publié  par  Mortara,  d'après  le  ms.,  Alagazin,  l.  c,  11-20. 
»  Kaufmann,  Uonatss.,  XXXIX,  351,  note  1, 

T.  XXXV,  N»  70.  17 


258  REVUE  ORS  ETUDES  JUIVES 

Mais  Graziano  ne  fut  pas  le  seul  à  traduire  la  douleur  que  causa 
la  mort  du  rabbin  de  Modène.  A  côté  de  l'élégie  de  Samuel-Isaac 
Belgrade,  qui  rédigea  les  suprêmes  volontés  de  Trabotto',  nous 
possédons  quatre  autres  élégies  que  nous  a  conservées  Isaïe-Sabba- 
taï  Rafaël  b.  Mardochaï  délia  Rocca*.  Lui-même  en  a  composé  une; 
deux  autres  sont  d'Abraliara  Lévi,  dont  le  recueil  de  Rocca  nous 
donne  encore  d'autres  poésies;  la  quatrième  vient  d'un  membre 
de  sa  famille  même,  car  Samuel  Mondollo  était  neveu  de  Trabotto. 

Peu  de  temps  auparavant,  une  autre  illustration  du  judaïsme 
italien,  oncle  également  de  Samuel,  à  savoir  Sabbataï  Rafaël  Jo- 
seph Haï  Mondoifo,  était  mort  le  jeudi  (?)  29  elloul  1653  à  Pesaro  ^. 
Son  père,  comme  lui  une  autorité  en  la  science  rabbinique,  l'avait 
précédé  dans  la  tombe,  le  jeudi  26  janvier  1634.  Graziano  célèbre 
également  ses  oncles  dans  les  deux  grands  maîtres  de  Pesaro, 
frères  de  sa  mère  Patience,  et  il  les  cite  tréquemment  à  côté  de 
Trabotto  comme  des  sources  de  la  tradition  rabbinique  *.  Tous 
deux  étaient  les  fils  de  Samuel  et  Mazaltob  Mondolfo  de  Pesaro  ; 
dans  cette  maison  il  y  avait  à  côté  de  ces  deux  fils  devenus  illus- 
tres deux  autres  fils,  Elischa  et  Abraham,  ainsi  que  cinq  filles, 
Sulamith,  Eve,  Fiora,  Hanna  et  lochebed  ^  Quand  Mazaltob  Mon- 
dolfo mourut  en  mars  1639,  Yehiel,  Abraham,  Hanna  et  lochebed 
avaient  déjà  quitté  ce  monde.  L'auteur  de  notre  élégie  sur  Tra- 
botto était  le  fils  d'Abraham  Mondolfo". 

David  Kaufmann. 


I' 


,t-i\-iwisn  ^*D^a•^73  n:jrT  t^n-i  /-^pbx  nw^-p  bciTo  '"«3d    ^<no3^  pT 

»  Magatin,  l.  c,  20-22. 

*  Kaut'raann,  dans  Hebr.  Bihl..  de  Brody,  II,  97  et  siiiv. 

'  J'empruQte  ces  données  aux  éléijies  et  poésies  du  pn^*^  r!îlJ"'p5,  I  (ms,  Zim- 
mels',  où  dix  éléfries  sont  consacrées  au  seul  Yehiel  Mondollo. 

*  Kaulmanu,  Jcicish  Qiiarterly  Revien\  IX,  2;j7,  note  4.  Dans  ses  «îloses  sur  le 
Hchoulhan-Arouch,  Graziano  nomme  les  deux  Mondoifo,  par  exemple,  1,  21  a,  44     ; 

II,  3y<». 

'  D'après  l'élégie  sur  la  mort  de  Mazaltob,  pnS^  ri^'^p?,  I.  qui  a  pour  auteuf 
SCO  (Ils  Sabbataï. 

*  \  loccasion  du  maringe  de  Samuel  avec  Belladonna,  fille  d'Abraham  de  Porto, 
Sahhataï  Béer  composa  un  poème,  ib.  Ces  données  complètent  celtes  de  Zunz  sur  les 
Mondollo  liaus  Literaturt/esch.,  440. 

'  prii;^  r:;"^pb,  1  '^nis.  Zimmelsi. 


QUATRE  ELEGIES  SUR  LA  MORT  DE  R.  NATHANAEL  TRAROTTO       259 

,nbn&^  î^b  n^2iN  ûn53  ,î>^bDr:n  iiN^rr  n'T;  ,\s;p  p  \»<;p  ^s•33  o^j< 
?->::  î^na^n73  ;::n  bpiitT  ^^■J^an:3  S^ins  "i"-ir:itt3  fcbcr:  nsnrt 
ï-tT  bu5  '3  ÛV3  ,inb72n  -^d;:;  n^b:y  oi^sb  ,nmN  '^pbx  npb  ^d  ,rirnn7û 
moni  is-^si-ion  nx  ^^b?:^  'r:  ,Tir3  'i-i  mao^i  imn  ?-,2o  ^pnn 
S^^ï5••  SDbi  n^b   pno  '^m:j    û^^m  ^nn  i^^iij^rr  i^^i  p  c-^'isn?: 

lï^nN  ^<5•^^^?^  b-p  nna  -3.:;.  i-^^j, 

bN3n3    2-1   bws;  ûr  nby  b^s-io^-j  -jpT  n::Dj 
ns-nT  "jiNs  nN  nnpb  12x2  -z-^y-^  riD-^N 

i3n-nn  bab  y^soToT  r:T7  l'cm  ipos  'j-'-^t 

bN3n3  n-i  bN  bx  lib'j  bNT«r^7:  ûsn  -ir:D3 

13Ï3N-.  n-i'j:?  r;b-:5  ^d  bNT>rb  j'i-nn  -i35n  'i:n 

1211;^  r^;D  r^TT  r;:D  bN^n:  tqot  p-^n::  ipT 

'151  bw\   bN  nb::>  bN-i'C-ija  Vj:»  -il:dd 

i3">r72":2  -nwN72  '^om  aï^T  syv  n3\s 

ns^^nb  bjy  isnr^-n  riTn  nb-^bn  i^nn  pb 

'rm3n3>3  p'^n^n  rjON:  ^:d  n^:D3  ix-on  bins  bipai 

'131  bNiw^jû  pins:  i-^t': 

ismNiD»  n.N  riN-n  n-j^an  i:b  ii^ri  r!73  'n  -)15t 

I5n'^n73  Di'  rr'bN  ï*<33  bsnoiTs  D-^nTa  T^n*' 

un 


II 


rtbysïi  n-;3n  t*«:;ini»  3':;in  b"::- 
.n'^rr:   ,in3  iDbn:!»  bxiXJïJ  ^.r-iz^ 

iTil  yû-^pbwX  ûniLX  npb  ■^3)  .ûirr'  n-'b-'bnD  -^ab  D''r!i3irj  D-'-inn  bj' 

,^3-^73-^  ■C-^N    ^-^-jy    î-fN-i   -|35rn  ■'3N   ,^23T3'    "«03   nninS    •^3b  » -^^yj    t-rb53  3>D3 

,n''?ambT  dibab  ^-T^^p  ,ûr':"'  b37a  'r^Sn:  ri^-^r,  ''r,'^^  "^r^r!  it^  b^  t^în 

•  Is.,  XXXVIII,  12. 

''  Gen.,  xxxviii,  30. 

*  Allusion  à  la  dénomination  :  û^N")"    Û"'72'^. 


260  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tnN»  rD3  m-n  ,3rj-i  15  [s^!(3!i:2pb  p-i  ,2rj  i\'<t  ,û^an;73  "h  t><ij:»b 
p-'Tj:  '■'pbwxn  l'i-iwN  n-r:  -^2  ^r:^?:  ^-l;•w  Tim  r'-i^y,  nbn^s  ■':>7:-:;3  'n 
2PD3  ,r<52nrr!  pwN:;-  nh  /-^i^rp  p  •'!s:p  -^Nra  •:;-'X  '■'pbN  nxT'  rr-i': 
t^nmTo  '■'7::?T  r<3-i  ,^^^7û  m^D  -^cb  mir;  1573  ,r-ibno-^  ><b  t^dIwS 
'—nr,')zz  rr^n-.n  31-in  rr'rp  :?-id  /riTi-'b:?^  rT«b  inTs  '\•^^^D  ,rT'n7:iNn 
nsio  ybpbp  5^:d  r<b  t<im  ,bp:  "jin^b  n:?T  b-prz'  1:13-1:2  bN:r: 
ynwsn  bD  xb»  mr;  û-'»C3  a-iob  ,bp  3^  bs  33-1  ,bp-«-:"i  m703  bpicn 
nb  rnnb  nmo  an':;"'  pnt  T7:'3  'n  m2o''T  itis  Tiby  imabn  ,mn3r 
r-îrri  ,"n3b  21N-  r-iT»"  3ia  t^sb  ,^^o^b  a-ibn-"»  nsbi  ^it'  n:n»D 
S!s-":jrD    T'b;-i3  bp  ,SîS"»:;'^73T   'jDii-'bN  b^ian   isb  t^-'3-'T  ,tt'  nb*::'^ 

:  bxTCJ'^b  t<!3i  bsbbnw  b^cinn 

niNis:  -^-is-i  -^irN  n:?::"»:;  m^wr:  -^tj  m   -^^^nT»  bD 

mN-ii:::  ibN  r;3-i3T  -31:2  r-nN3i7a  i;b    ci?:!"!?:»  ir: 

iTHNi  mnib  bx:r:  3-ir!  itï^t  ■^:3n  bi'  nriN  pr^:» 

■^bipb  "i:^-  t«<;  ti^np  ri«         ■'bpoiîb  bpï573  Nir?  n73N-  dn 
•'bizy  br?:  -^pbnb  r:^-  ■'biwM   3CT'  î^-^sît  ûsn 

'■- P 


'iwT  n-N  pr::N 


L]-«b:'D  3-1  n;  iwyb  "w-m  ûibn^s  3">:;t'  Tjiyb  *]bn 

!:-«bn;r!  ba  i-^tzi  Tc-\y  c-^bN  bN  ■^:Db  imp»  ipn 

'13T    n-N  p^'STN 

û'^inr)  nTUip  T'"i3T  T^iT:  £D'^t::73  miN  nm3D  nbr 

nriN  p^'iTuS 

l:^2"i72N  n72T«:3  ^1331  -l'wi:?  D'':50T  mno  D:2"^bN  s-^iuê* 

^201  tD"^72'^  ûb",yb  n^b  û-'jSi  3N  b:?  imai  I3in 

nriN  ps'iTN 

miTcc  3b3  T13T  t<3  n3>  niNcn  bpTD  r!::'w2  l::72N 

nnp''  wD2  t2-ibo3  ^<3n  t«<-n;  ivby  bu  -itûint  nna 

n-N  pi'::iN 

nniTi  m-iv:;  -i7:îb  Y-"  rm^n  -i72VO  yi^isn  p-^is: 

mmnb  nrû  ba  r!n::":;3  a"';ny  nTi333  nrî  ri7rw3  od3 

bN-^-iN  r!:3-i  bxi^b  n-'3"«  bwS  lin:  31L2  "«•'wX  bxn-b  nbj' 


Dn 


'  Lév.  r.,  c.  33. 
*  Dan.,  VI,  11. 


QUATRE  ÉLÉGIES  SUR  LA  MORT  DE  R.  NATHANAEL  TRABOTTO       261 


III 


'-'.an  'T3!-:  busana  Tïnwis  inwM  'iconb  nïip 

D\-i">2J  t*>4bi   nHwX  r*ib  ,n-|-»:^'N  ûTpT  ^rrr^rTM  ">:)   p-i 

'a%-^"w',n:b  p<b  vb:i-,T  ,m-ncN  r<:b  t^t^  ,n-i\S73  T'Id 
û-^^DTO  bD3  nbnbn  ,rTi):nr;  nrr-'^'vi^bT  ^i-iTirnbi  mirnb 

t3"^»u53  pTûb  ,ûbiND  j^-i-ia  inb  ,ûbiy  mo"»  p-in::  •:;-'n 

ûMb-jTn^7o  irnwNirn  ,n;:?b3  irb:/  ,rî;30  bN  rrm 

û-'TOD  iiaDD  ']iDTrN  ,r:njNb  -^dt^îo  ^d"2  ,nmpb  bx  rbisD 

'D'^^ûb  d^M  l-^n  binan  Nb  ^irnti:  ni;e  nbs^-in  on^i  /irNsnj  ^-îb  ^o  '>-m 

tL-^rrb  nsb  T^n  ,i:n3i  ^  ^n  b^om  ,i;:'T^  bwriî 

«û-^T"  -"b  --^rr  t>jbT  ,b3ji  -ni-^^)  bD  na-:;:  ,b3Nb  •^-i-'O  '^■rn; 

d-^»  ^u:n-i  "jn"'  ■'Ta  ,r;:?-''?:nN  i''^'  bsn  ,ri:?-'72":5N  nbb-'  bip 

d-'STM  nsbitr  2:ii  ,r;3NT  'c^d:  bDT  ,ri2T-ip  m::  -3  -^"in 

^  !3-'-o-j  ■'p'n:?  ^irrxi  n^brr  .i;?:»  ipm  ■'S  rr'iN 

G^Ti  nam  anp7:b  /a"'T>:î;=)  -inx  ,ûm5n  arfin» 

û-':n73  rbinTcn  ,mn7jo  ynr::^  ^mmswb  art  labn 

û''72  'n'-i'^'\'>  Tin  ^rrin-jn  nn?:C7:  —iwno  ,r;-irTN  r-îbx 

D-'TD  1\^i  ûn'^  V^"*  ""^  '■^^■'^  ib-^rcn  ,ii'/2"wT  i:i-2-pr, 

a^Ta  bD  b:?  vmT  ,v^y:i-p:  '^^3Db  Z"  mi'35-:-  ^-nd 

a-^^iTo  iTnaCT  /nbn  p-.rnn  -CwX  /■'nNS  bn;  'd  n-wS* 

tî'^Toi  anb  p'c^-n^  ,"  a-^rnTa  ni::?  m^wS  ,a"':i7:a  y-ixa  arn 

*  D'après  Hosée,  vi,  2. 

*  Chr.  V,  13. 

»  II  Sam.,  m,  34. 

*  Michée,  11,  4. 
'  Haguiga,  II. 

*  Gen.,  I,  7. 
^  MondolCo. 

*  Jos.,  vm,  20. 
'  Is.,  XXVIII,  9, 

»o  Ex.,  XXXIX,  2*?. 
*•  Jér.,  XLix,  7, 


262 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

c-^r-in  72  nb  wri  /  nri""  m;33  bnNT  ^nrp  !*««•:;«  pb 

ûMb'JT,-'  m7:in  '^nna  ,i;3b  b:?  nnri  ^nrpbsb  nbnx 

.^c^rm-:.'  n-^nb  ,r;::nn  tin  -ism  ,!i»inb  n;b  rrr: 


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IV 


T3Ï1  bN5n3  -inn?:^  "jiNsn  "r-rcnb  rrr-p 


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■^mw^i'3  n::'!^  "Cîo  ,-i;iy  5^  /ry  -npK 

■^myb::  i-ia  ^p-'i  /-iCNn  -lUiNn  ,"^ujd3  mT^T» 

lyiaD  ■'T^nn  ^Trinn  /in-.rn  a:i  ci-pi  /[la  nmlCnnnyai)  13N  p->-îj: 

'■•mHiry  bD  i[-:](M)n-i  "«a-ipa  -inb  -i3->:;3 

^■^•:c  br-  i?:-:;  ^<wN  ,-.:pnn  cnb  ,irr:?  nîona 
^-n5N\:;  a-^r^n  ,t^-n3  1t»5:?  ,t^"ip3  bN2r2 

■^m"?:n  m^cN  ,r.-;;'i3  ont  ,m3i'  av  -«d  ■>^^< 

'131  -inb  -ia"03 

Tii2:-^b52  iir  r;\si  ,^nr:  ~:::ir\  .-«n  rro  nri 

^-l1^;1^*  bo  -.7:rvr-  ,r:ip7j7:  prr:  ,i7:in3  p">nj: 

^inn:i3  bs  n^'-^^ipi  ,';"':i-2  i^si  ^i-^sn  ■^b^-i 

»\-ii"npb  i-rr-'i  ,r-;-,iwS   î>:b7:i  ,r;ina    niîJTrp 

'131  "^ab  -,2"w: 

\-iinTO  nbx  i7:wNi  ,r;-i3  r;7:3n  min  ••nn: 
1n1a^•^D  br  vr^'i  ^nn:;?  nbna  ,rj;p  ns-^m 


«  Michée,  i,  8. 

*  Is.,  XXX,  32. 
'  Is.,  XXX,  26. 
*Lév.,vi,  3.    . 

*  Is.,  LVIII,   13. 

*  Jér.,  XXIII,  9. 

'  Exode,  XIV,  25. 

"   Ps.,  XLV,  9. 

'  Comp.  Job,  XXVI,  11 . 

'*  Les  mots  soulif^nés  sont  les  dix  sphères  de  la  Cabale. 


QUATRE  ÉLÉGIES  SLR  LA  MORT  DE  R.  NATMANAEL  TRAROTTfJ       263 

TTiTcr!  bD  r,^ri  i-»"!  ,t::bis  mDbjû  ,'Db^y  '^^^D'> 
\-naN  m-inp  -,-'3'm  /dm-c-'  bii<:«b  p^r;  e^j  •::'^m 


□n 


»  Gant.,  VIII,  9,  10. 

*  Ps.,  XXXIII,  2. 

•  Amos,  V,  Ib. 


UNE  SECTE  JUDEO-MUSULMANE 

EN  TURQUIE 


L'une  des  plus  étonnantes  figures  de  l'histoire  juive  des  temps 
modernes  est  incontestablement  le  faux  Messie  de  Srayrne,  Sab- 
bataï  Cevi  (1626-1676).  Cependant,  bien  que  cet  imposteur  ait 
paru  en  pleine  lumière  sur  la  scène  de  l'histoire  et  que  les  sources 
authentiques  abondent  à  son  sujet,  plusieurs  points  sont  encore 
dans  l'obscurité.  On  manque  surtout  de  renseignements  précis 
sur  les  sectes  qui  sont  nées  du  mouvement  provoqué  par  Sabbataï. 
Aussi  m'a-t-il  semblé  intéressant  de  réunir  ici  les  informations 
verbales  et  écrites  que  j'ai  pu  recueillir  et  qui,  peut-être,  contri- 
bueront à  jeter  une  nouvelle  lumière  sur  cette  agitation  messia- 
nique. 

Nous  allons  d'abord  nous  occuper  de  la  secte  des  Deunméh.  On 
sait  que  cette  secte  se  composa,  à  l'origine,  de  partisans  de  Sab- 
bataï qui  s'étaient  convertis  à  l'islamisme  et  auxquels  les  Turcs 
donnèrent  le  nom  de  Dev.nméh.  Nous  ne  connaissions  jusqu'à  pré- 
sent cette  secte  que  par  les  rares  informations  de  Niebuhr  et  de 
Graetz.  Moi-même  j'ai  publié  autrefois  sur  eux  quelques  rensei- 
gnements, dont  la  source  m'est  pourtant  suspecte  ».  Cette  pénurie 
d'informations  provient  de  la  rareté  des  documents  relatifs  aux 
Deunméh  et  du  soin  jaloux  avec  lequel  cette  secte  cache  ses  faits 
et  gestes.  Le  hasard  a  mis,  il  3'  a  quelques  années,  un  de  mes 
amis.  M.  Samuel  Lévy,  en  possession  d'un  document  concernant 
ces  sectaires.  Ce  document  est  très  important  parce  que,  non  seu- 
lement il  corrobore  quelques-unes  des  informations  déjà  connues, 
mais  qu'il  élucide  un  certain  nombre  de  points  encore  obscurs; 
nous  allons  donc  le  publier  ici.  Mais,  auparavant,  il  nous  paraît 
utile  de  donner  quelques  détails  sur  les  Deunméh. 

Ces  crypto-sabbatiens,  appelés  par  les  Turcs  Deunméh  ou 
«  convertis  »,  se  désignaient  entre  eux  sous  le  nom  de  û'^r^N». 

»  Toldot  Abraham,  p.  119-120. 


UNE  SECTE  JUDÉO-MUSULMANE  EN  TURoUlK  265 

«vrais  croyants*  »,  ou  û"^"i3n,  «  compagnons  »,  ou  encore,  par 
métaphore,  «  les  maîtres  du  combat  ».  A  Andrinople,  on  leur 
donnait  le  sobriquet  de  Sazanicos,  «  carpillons  »,  dont  il  est  diffi- 
cile d'expliquer  l'origine.  Peut-être  les  appelait-on  ainsi,  dans 
cette  ville,  parce  que  leur  première  mosquée  était  située  près  du 
Marché  aux  poissons,  ou  en  souvenir  de  ce  fait  singulier  que  Sab- 
bataï  avait  placé  un  poisson  dans  un  berceau  en  déclarant  que  les 
Juifs  seront  délivrés  sous  le  signe  zodiacal  des  Poissons.  Aujour- 
d'hui, les  Deunméh  ne  forment  plus  un  parti  compact;  ils  se  sub- 
divisent en  trois  groupes,  qui  se  haïssent  mutuellement.  Ce 
sont  :  les  Tarpouchlis,  qui  se  reconnaissent  à  leur  turban,  d'une 
forme  spéciale  ;  les  Cavalieros,  qui  portent  une  chaussure  poin- 
tue, et  les  Honiosos  ou  «  Camus  »,  qu'on  distingue  à  leur  nez 
court  et  plat.  Il  existe  une  étroite  solidarité  entre  les  divers 
membres  de  chaque  groupe,  qui  s'entr'aident  avec  le  plus  grand 
dévouement.  Vivant  parmi  les  Musulmans,  auxquels  ils  sont 
obligés  de  faire  croire  qu'ils  pratiquent  l'islamisme  avec  une 
scrupuleuse  conscience,  ils  ont  pris  peu  à  peu  l'habitude  de  la  dis- 
simulation. Pourtant  les  Turcs  ne  se  laissent  pas  prendre  tout  à 
fait  à  leurs  artifices,  ils  sont  loin  d'être  convaincus  de  leur  ortho- 
doxie et  éprouvent  pour  eux  une  certaine  répulsion.  Mais,  en 
apparence,  leurs  rapports  sont  amicaux.  Par  contre,  il  existe  une 
grande  tension  dans  les  relations  entre  Israélites  et  Deunméh,  les 
premiers  qualifiant  les  seconds  d'apostats,  et  les  Sabbatiens  re- 
prochant aux  Israélites,  qu'ils  nomment  û^did  ou  «  mécréants  », 
de  se  moquer  de  leurs  croyances. 

Les  Deunméh  parlèrent  sans  doute  pendant  longtemps  le  judéo- 
espagnol.  Ce  qui  nous  le  fait  supposer,  c'est  d'abord  leur  origine 
sephardi;  ensuite,  le  document  dont  nous  nous  occupons  ici 
contient  bien  des  passages  écrits  en  ce  langage.  Les  premiers 
Sabbatiens  paraissent  même  avoir  considéré  le  judéo-espagnol 
comme  un  idiome  sacré,  car  ils  rédigeaient  des  pioutim  en  ce  lan- 
gage. Une  partie  des  Deunméh  connaissaient  aussi  l'hébreu,  ils 
savaient  du  moins  lire  cette  langue,  car  il  leur  était  prescrit  de 
réciter  tous  les  jours  les  Psaumes.  Les  comprenaient-ils?  C'est 
une  autre  question.  En  tout  cas,  l'auteur  de  notre  document,  où 
puUuUent  les  fautes  d'orthographe,  n'était  pas  fort  en  hébreu. 
Leur  idiome  usuel  est  maintenant  le  turc,  et  vraisemblablement, 
leurs  prières  sont  traduites  aujourd'hui  dans  cette  langue. 

Les  Deunméh  ne  comptent  plus  aujourd'hui  qu'un  millier  de 
familles.  Les  divisions  qui  régnent  entre  eux  et  l'usage  suivi  par 

*  Cf.  i:5TiN  -inD  ■^rTCwXTa,  E.  213. 


266  UEVL'E  DKS  ÉTUf)KS  JUIVES 

enK.  de  ne  se  marier  qu'entre  membres  de  la  secte  font  prf^voir 
que  leur  nombre  diminuera  de  plus  en  plus.  Il  est  |)robable  que, 
quand  leur  effectif  sera  plus  réduit,  ils  se  convertiront  purement 
et  sim[)Ieraent  à  l'islamisme. 

Après  ces  quelques  préliminaires,  nous  allons  examiner  le  do- 
cument en  question.  Il  comprend  :  1°  Les  prières  que  l'on  doit 
réciter  en  commençant  le  jeûne  et  en  le  terminant  ;  2"  les  dix- 
huit  ordonnances  ou  articles  de  foi  in'^"no,  CN02N~rttip3''!!<)  ;  3"  la 
liste  de  leurs  fêtes. 

I.  Prières. 

Saprc  ti'iD  l^iss  r;b::'::b  r:b:?7:b  ir-rb::  r<\:;:n  mn  Cii-,^  t-'HN 
r^by?:b  ■^n-'^yn  r-iTi"'"j  '^"•::  -i::-"n  bc  T-'r-.yrr,  ht  liiiim  ts-iT^n-in 
'Nm:»^N73  ■'T  nap  nbnn  Q-^r^Nm  bs  ib^p-^*:;  nsTai  n-nap  nn  i»d 
'^b-'T-a  ^n"73  nrcT  !-::"::  b^a  r^Tn  nvn  ^m:-!sb  ^d^nVîn  nn  inr^n 
!-îb;'7:b  inab-j  s*«:crrn  mn  tzi-p  i:""^  "^bT^r;  -i::t7N  ^o  "ii/abn 
J=5">bm5rî  •]■'^o^3  n-^wn-i  "  -ns^no  i;3nnî<  m23  bia",a3  q-io  1"'*'='  nby^ob 
■'-ira  nsb  nn^nc  n-':yr-  r,Ti  ûttî  'nyrroc  -^x^m  -"abn  a^7■«/3  nia 
iTi''  --iiNb  nb-isN::  irmN  **  i<"'j:"isb  n^bôjia  n:pn::  n-iOTo  i:b  nbcm  n:"«3 

nbn  b^-i"»:;"'  r-iNsna  pTcn  b^-C"'  ■'p-ibN  titûn  -ipbN  2\an  ûiaa 
m^rrrirr  riT  liji-.ai  ïz;^7:nn3  bnpr-j  nn  "[irNi  -  Nn:?:-»»:^  •>!  ^nuip 
i:";y  "^b^r;  "iDinx  b"^  ■î"'7:bn  •b-'n3  «"n  bo  n'':3'rr;  bapn'o:  dûd  ■'bo 
n'îT'T  r-i->;ynri  rîT3  ht-  dit:  '  r:"7:n:'^  ■'73nT  ""abn  "  my'73T  mn  DIT' 
£27  CT«r;  i-i-3  bT75  os  r-i"<"cyv:;  17:21  •'is'bi  •'Zti'o  n-.iap  "n'^na  ■'a 
Ti-'-wD  nin  ûi"T>  "'nt73i<  n-i^Tj  i;bxi5  isn-'C»  i;Db7:j  i:"a  "^barj  i3:nN 

*  ~t<b^r. 

^  Nni:7:"'r!7:. 

*  a-'pibN. 

*  nirrrrib. 

«  mirro. 
^  ar7jrrcj. 
**  N"'i:ir;b. 

••  ai?->721. 


UNE  SKCTE  JUDÉO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  267 

n'^'Oiz  lib^ns  n5n-«">::73  n:3b»  2:"o  ^bion  IjSTin  i-.  riTi:>D  nb  T'ûo^» 
nb  nao-^N  '  ■:^o  "j^n  ■'D   nb^Tjb  nb^-ab  imDb?j  N'crm  n"-i"'  ti''73N 

Pour  commencer  le  jeûne  : 

«  Au  nom  de  l'Eternel,  Dieu  d'IsraëP,  par  la  gloire  d'Israël,  (par) 
les  trois  liens  de  la  foi  ',  qui  forment  l'unité  sublime  de  Noire  Sei- 
gneur-Roi Sabbataï  Gevi,  notre  Messie,  notre  Rédempteur,  le  vrai 
Messie,  que  sa  magnificence  soit  élevée  et  que  sa  royauté  soit  exal- 
tée à  l'égal  de  VEn-Sof^.  Puisses-tu  agréer  avec  miséricorde  et  fa- 
veur ce  jeûne  de  Noire  Seigneur  S.  G.  Que  mou  jeûne  soit  (reçu)  au 
ciel  comme  le  parfum  de  l'encens.  En  (récompense  du)  mérite  de 
ceux  qui  croient  à  l'unité  divine  des  trois  attaches  de  la  foi  et  qui, 
en  l'honneur  de  Notre  Seigneur,  ont  reçu  l'ordre  du  savant  Barzilaï, 
élève  de  Notre  Seigueur-Roi  S.  G.  5,  que  sa  gloire  s'élève  et  que  sou 
règne  soit  très  hautement  loué  à  l'égal  de  VEn-Sof,  d'observer  an- 
nuellement le  jeûne  de  ce  jour,  puisses-tu  tenir  compte,  dans  ton  im- 
mense miséricorde,  de  la  diminution  de  ma  graisse  et  de  mon  sang, 
qui  se  sont  aujourd'hui  amoindris  à  la  suite  de  cette  abstinence,  et 
qu'il  te  plaise  de  nous  ouvrir  les  portes  de  l'intelligence  et  de  nous 
envoyer  notre  Messie  juste,  notre  Rédempteur,  pour  nous  tirer  des 
ténèbres  à  la  lumière.  Que  les  paroles   de  ma  bouche  et  la  médita- 

s  D'après  Jacob  Emdea,  les  Sabbaliens  appliquaient  ces  mots  «  Dieu  d'Israël  », 
noa  pas  à  Dieu,  muis  à  Sahbalaï  ("evi  (NC'^'ip  N3373  532  imN  r;ïl2"2">IJ  "'j 
■^3^  T^'vl^b  1P;1D  bN"^"^   "^plbNl  .  Cardoso  émet    la   même  assertion    sous    une 

autre  tonne  (r!'^-"'-^   "]"'-ij:  Nbx  ...mb-^^-  b^    pb'^:'   n:"<s    bN-iw-^  "'pbs 

"■'jwî  "30'.  Au  dire  de  certains  témoins,  ce  blasplièrae  remoiilcrait  jusqu''a  Sabba- 
taï' lui-même  (DipibN  N"in"J  1"2i:i*  by  T^CN  ^^'''CO]-  Ou  a  accusé  EibeschiUz  d'avoir 
considéré  égaiemeiil  Sabbaiai  comme  l'incariiatiou  de  la  divinité.  Cf.  Graelz,  Hi^i- 
toire  des  Jicifs,  Irud.  l'r.,  V,  2:^7  [à  propos  de  Ilayyira  Maiakh),  et  24G. 

'  On  sait  que,  dans  les  élucubrations  sabbatiennes,  ces  «  trois  liens  de  la  foi  • 
représentent  tout  simplemeut  la  Trinité  enseignée  par  Hayon  et  dont  les  trois  per- 
sonnes sont  :  le  saint  ancien  Nw"'ip  NpT):?),  'e  roi  saint  N'Cip  N-bri)  et  son 
émanation  rî'^Pj'^-Ol),  qui  ne  lorment  ensemble  qu'une  seule  et  même  personne 
et  à  laquelle  on  doit  penser  en  récitant  le  Schéma  , ,  .5N1C  y,!'^"^  'J'^135  "^^"llî 
î<m373'^rî72T  "^TwJp  nbnb).  Du  reste,  le  dogme  de  la  Trinité,  adopté  par  Hayon, 
est  ensuite  devenu  une  des  croyances  fondamentales  des^Frankistes. 

♦  UEn-Sof,  ou  être  intini  des  cabbalistes,  est  suppiimé  par  les  Sabbaliens,  qui 
font  occuper  sa  place  par  le  Roi  saint  (Sabbataï  Cevii. 

5  Les  lettres  S.  C,  en  hébreu,  i:"0  désignent  Sabbataï'  Cevi  et  ont  été  inscrites 
déjà  du  vivant  de  l'imposteur  dans  un  grand  nombre  de  temples.  Les  néo-Hassidim, 
par  un  système  de  permutation  de  lettres,  désignent  Sabbataï  par  nn,  au  lieu 
de  -^''Z:. 


268  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

tion  de  mon  cœur  te  soient  agréables,  ô  Eternel,  mon  rocher  et  mon 
Sauveur!  » 

A  la  rupture  du  jeûne  : 

«  Au  nom  du  Tétragramme,  le  vrai  Dieu,  le  Dieu  d'Israël,  qui 
siège  dans  la  gloire  d'Israël  (et  par)  les  trois  liens  de  la  foi  qui 
forment  une  unité,  puisses-tu  recevoir  avec  pitié  et  agrément  le 
jeûne  que  je  viens  d'observer,  comme  tu  reçois  le  jeûne  du  savant 
Barzilaï,  élève  de^■otre  Seigneur-Roi  S.  C,  que  sa  magnificence  soit 
élevée,  et  tenir  compte  de  la  diminution  de  ma  graisse  et  de  mon 
sang  causée  par  ce  jeûne.  Qu'elle  soit  pour  Dieu  comme  l'odeur 
agréable  de  l'encens.  De  même  que  lu  as  opéré  en  ce  jour  un 
grand  miracle  en  faveur  de  Notre  Seigneur-Roi  S.  G  ,  notre  roi,  notre 
Messie,  notre  Rédempteur,  le  vrai  Messie,  que  sa  gloire  soit  exaltée  I 
lorsqu'il  était  descendu  dans  le  profond  abîme,  ainsi  opère  des 
signes  et  des  miracles  pour  nous  et  tous  nos  frères,  les  fils  de  ceux 
qui  croient  dans  l'unité  des  trois  attaches  de  la  foi.  ainsi  qu'à  Notre 
Seigneur,  en  nous  envoj-ant  promptement  de  nos  jours  notre  Sau- 
veur, Amen.  Ainsi  soit-il^  Amen  ». 

Et  l'on  récitera  le  Psaume  xl. 

Prière  à  table  ponr  le  repas  : 

«  Voici  le  repas  de  Notre  Seigneur  le  Roi  S.  C,  notre  roi,  Messie  et 
Rédempteur,  le  \rai  Messie,  que  sa  magnificence  s'élève  et  que  sa 
royauté  soit  exaltée  très  hautement  à  l'égal  de  VEn-Sof. 

Voici  la  table  de  Notre  Seigneur,  notre 

Comme  on  voit,  les  deux  premières  prières  ont  pour  objet  le 
jeûne.  On  sait  que  l'abstinence  et  les  mortifications  jouèrent  un 
rôle  important  dans  l'œuvre  de  propagande  de  Sabbataï.  Son  rival, 
Mordekhaï  d'Eisenstadt,  encouragea  encore  plus  les  pratiques 
ascétiques  en  jeûnant  parfois  des  semaines  entières.  Il  est  vrai 
qu'à  un  certain  moment,  Sabbataï  abolit  même  quelques-uns  des 
jeûnes  institués  par  le  Talmud,  tels  que  le  jeûne  du  10  Tébet  et 
ceux  du  n  Tammouz  et  du  i)  Ab,  pour  les  remi)lacer  par  de  vraies 
orgies.  Plus  tard,  les  Sabbatiens  revinrent  aux  macérations.  Mais 
à  quelle  date  avait  lieu  le  jour  de  jeûne  dont  il  est  question  dans 
ces  prières?  C'est  ce  qu'il  ne  nous  est  pas  possible  de  déterminer. 

La  troisième  prière  était  récitée  au  moment  du  repas,  qui,  chez 
les  Sabbatiens,  avait  un  caractère  de  sainteté  mystérieuse.  Ils 
prenaient  à  la  lettre  ces  mots  à'Abot,  m,  4:  V::  itnbr::?:  ibsN  irïo 
tnp?:  a  .  ..c'est  comme  si  on  mangeait  à  la  table  de  Dieu  ». 

D'ailleur.s,  à  côté  des  jeûnes,  les  prières  aussi  servaient  chez  les 
Sabbatiens  de  moyen  de  propagande.  Dès  le  début  de  l'agita- 
tion, les  partisans  de  Sabbataï  avaient  lait  imprimer  des  Rituels 


UNE  SECTE  JUDÉO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  269 

(û"«;ip^-)j  en  hébreu,  espagnol  et  portugais,  contenant  le  portrait 
de  Sabbataï  avec  des  versets  rappelant  la  mission  du  Messie  et  des 
emblèmes  indiquant  que  Sabbataï  était  ce  Messie.  Dans  plusieurs 
communautés,  notamment  à  Hambourg,  Amsterdam,  Smyrne,  on 
récitait  une  eulogie  spéciale  (']-i-'n'>y  •'iz)  commençant  ainsi  :  «  Bénis 
Notre  Seigneur  et  Roi,  le  saint,  le  juste,  S.  G.,  le  Messie  du  Dieu 
de  Jacob.  » 

II.  Les  Ordonnances. 

mÏNnp  b"iT   rn:i72N  -b  v^^   0T^N^■'5NpN  iw^""^   ""P  ^"'^'^   'r-iiz^^.z  nb 
113  "^N   T«in  iiD  ^-^N  "«T   DNn\si-:N  -^N   TÏi<;iNw\  IN   n:-iN   c\s  b-^N  ■'p 
.b\x  -i"!  SN-i\siEwN  -nnN:;Tii  ^s  bN-iT^\N7:  p:;^;  ^  r:N  »  r^nyCj-D 
TT^ÏNnn-'â  bNis  d\\   -^p  n^;^):   io  i\^  V"^"""!?  ^P  ^"'^'^  ^-^:r^^o  r:5 
■'•'"1  ineûD-^Ni^o  /-^o  TiûD-^Nrû  S^n  it  d.stniewS  -,T7r::i-'n  -^w  -p;  \s 

1"'N  ■'3  ï-i''-^^  S^T  ^-û7:i3  iD  v^'^  r"'"'^  "i^^   ""P  ^^'"^    ^"'"'"^    """^  ^'^ 

•l'^bi-'nPN  113  •'N  b\s 
y  ■'DSN  "^N  5r-i"-it:  b-^T  ■^137:13  Sn  ';-^-i:nN  "^p   o\x  i-i::Nip  -^n  nb 
^x  b\N  riN  'jn-j:-'7:j\n  ib  n3î<ip  ';\x  n^'Ciiz  no  -^t  ■'-137313  riN  V"ii:in 
1\s  "inn  10  y  on»  -^niN-ia  o\n  -^p  S\s  Tïia  nx  'ji-i3ii<  -^p  •'03wN 

.rT^-'03"«0 

rj3-i'^7:Na3i:i'3\x  i\s  rj3-^-^73ï<-L:3n:l3-^N  ■'T  ';wNi\s£  ^p  o\x  np3-io  ^1  nb 

.n"'W73  b-'T  TJ-'-ip'^o  b\N  V'"*  -iwN-^im'Jo-^wS  ma  \n  -iwS-jsnp-^-i  mo 
Oi<b   "^-î   ib-^DwS  ,o-^-niN-JN73   ov'^b-'N  V'*  in"'"  V^    T  '^^^  "'"^  ^'^ 

.OT'"^b-'N  riis  T^o'-nnx  oib  y  nb-'ÊN  ,m73iN 
';'^:33iiN  "«0  y  vboo  'O-^o  ■'i^  o-^it  "^t  rîwS-'i  b-'N  ^n   ,"'L3"'"'0  ■>!  "b 
iT«^3ND72ip  10  r;N  lanx  m^p  v^'^P^"^  ^P  ^^^'"^  "'^'^  "'^"^P  "^^^"^  V'"*  ^^^^"^ 
Ï-I3173N  r-ib   n  TJ-^np^o   S\s  i\s  i^->n3^i:3^s   -^pib  ^s  11^:33^0   y  ib 

Tirj3ip   IIlN^s  ';-'"'n73LN-j  ,m3î  OT'"'b\N  i-,a3\N  r;:<-'\s  n3  y  ,naiN  •'T  n? 
û'»3T-inisb  oib  "^T  -^m"!?:  -ii-:  rjo-'N  t7il:3ip  nx-^nn  ■'T  mi:73  r;:30\s  •'p 

.1'''ï-»3Npi<   ■'O  ■'P    'T':30-'3"';3-''7« 

*  TTir:  !3n-i\ 

*  nmon  ou  n-'iUM, 

*  -n">''3''o. 


270  REVUE  DES  KTUDES  JUIVES 

,-'::o\N  — N  ■^L:r-'N  ';^:;i-,-L::'i<  "C  n:  "^p  w  i-p-«:si:7:ip  noN  i;iN   rtÎNp 

■jisrj   r:N  -in-i:::\s  -ic  DnnNi-«orD-^VN   )'iO   lis   "^p   .o-'-^t  -^t   mb 
— î-îs  ';"'^7:n-l:  c\s  i-'pN   ib-^Ex    i-ipi::  nb   -^n   !-i;i7aN  nb  i-^n  -^-laTaiN 
11  S^J*  nwSib^c  rib   ^t  o-'jI-cûnd  cV?  -^n  o^n  "«p  iîicû  -^p  «non-^Nis 
'j-'O  r:7zbi<  -iD  ■»"  ■iN:::Vb"'5  )i-p  -^x  nibsTôip  lioNTip  lip  ^-iiûrN  T^-'in 

■;   1S    oi--iîi<">ioiÎ3-,p   DvibiN    ">-,'j:"n    un   i;   ^p  ,iT;ns   ii    nb 

.-■'^"o  c\x  "ù  -^p  riTnp  'ji-'Oinâip 
•rbc3  11  Cl?:  ^'1  16  l'N  ir'vo  ^in  in^nd   "'p  oiwN  i;-,!  ii   i-îb 

ii:n-:;  r:Ni-i>ibî<  pp 
11  ^iNiujibNS  ■'p  ^x  i-u:ciN  lip  ■'■J3\v   ion  ixiiwX   ip  ,i';i-::  ii  nb 

.iNc:ib-Ï!  ',z  Tiip  "i3n  ^D  "in  '7N"L::ibi3  nb  t^tn 
nïwsp  «  c-'bii'r  rwNÏiiripoiN  nb  Vî?  ii"!b^"2  y   /"^mciNp  in  !ib 

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1»  c:?:  "^Tzo  Sniï:''  "^i  oirN  "«i  riosN^rS  -iNrij-iS  !ri:;cNB  .ns-'O 
"13  ,-irn  i:  •'N  — ,-,oin  i;  .-ùin  iii::  nnio  o-'orin^oiwS  'n::io  id 
172  rrN  •jNT'Oi^ip  ovibiN  z'r.rj}  "^a  ,n-iir?:ib  n:  ij*  n:::iirNr.p3"^N 
pD  ip  oib  Qi-ian  D-ibN  oibNiiSNpwS  \x  r~-i<~'^  m::oN  ipi'a  ii 
nb  D1N  ip  r;^r^  nb  11  -iZ^i-ipio  "jin  p-iN-L:rN  "ii;  in  a-sr^N» 
■ji;  "ip  ^mbi^N  \s  nNi-i3  Nb  -.N7:-|inN  i-i  "ji""^'"*"^"*  ''^  ""P  ^"^nbTs 
■^-i::;Nbii:iN  -^nn  11  in  Tj:"iH-«-i5npoii  bii  nï:7;ii::  n:::0N3  nnp  "jinissito 
nNio  .oibi^rN  onn::  iNiio  in  cnii5  11  b-5-N  biN  "[in  iN-.iiîoiSrix  10 

."ITTN  -iiioi-iE  "jN-iSipcii  10  ip  iN:::ibi2 

'  fiibinr. 
*  nn-'O. 


UNE  SECTIi  JUDKO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  271 

Traduction. 

Au  nom  de  Sabbataï  Cevi. 

Voici  les  dix-huit  Ordonnances  de  Noire  Seigneur,  Roi  et  Messie 
S.  G.,  que  sa  gloire  s'élève! 

N"  1.  La  première  est  que  l'on  conserve  avec  soin  la  foi  du  Créa- 
teur, qui  est  un  et  uui(iue,  et  en  dehors  duquel  il  n'y  a  point  de 
Dieu  ni  de  Providence  ;  point  de  supérieur  ni  de  juge  hormis  lui. 

N°  2-  La  deuxième  est  que  Ton  croie  à  son  Messie,  qui  est  le  vrai 
Rédempteur  ;  il  n'y  a  point  de  sauveur  en  dehors  de  lui,  Notre  Sei- 
gneur, notre  Roi  S.  C,  qui  descend  de  la  maison  de  David,  que  sa 
gloire  soit  exaltée  ! 

N°  3.  La  troisième  est  que  l'on  ne  prête  point  de  faux  serment  au 
nom  de  Dieu  ni  de  son  Messie,  car  le  nom  de  son  Seigneur  est  en 
lui,  et  qu'on  ne  le  profane  point. 

N°  4.  La  quatrième  est  que  l'on  honore  le  nom  de  Dieu  et  qu'on 
le  vénère  ainsi  que  le  nom  de  son  Messie  quand  on  le  mentionne. 
Que  l'on  respecte  également  quiconque  est  supérieur  à  son  prochain 
par  sa  science. 

N<»  5.  La  cinquième  est  que  l'on  aille  de  réunion  en  réunion  pour 
raconter  et  pour  proclamer  le  secret  du  Messie. 

iS°  6.  La  sixième  est  que  l'on  ne  tue  personne  de  n'importe  quelle 
nation,  quand  même  on  en  serait  détesté. 

N"  7.  La  septième  est  que  le  jour  du  16  kislev,  tout  le  monde  se 
réunisse  dans  une  maison  et  y  raconte  chacun  à  son  voisin  ce  qu'il  a 
entendu  et  compris  du  mystère  de  la  foi  dans  le  Messie. 

N"  8.  La  huitième  est  que  la  fornication  ne  règne  parmi  eux;  bien 
que  ce  soit  un  précepte  de  la  Berta  (—création;,  il  faut  quand  même 
être  bien  réservé  sur  ce  chapitre  à  cause  des  larrons. 

N°  9.  La  neuvième  est  que  l'on  ne  dépose  pas  de  faux  témoignage, 
que  l'on  ne  dise  pas  de  mensonge  contre  son  prochain,  et  que  l'on  ne 
médise  de  personne,  même  auprès  des  Croyants  (zi^'j^fz^T:). 

N»  10.  La  dixième  est  qu'il  n'est  pas  permis  d'introduire  quel- 
qu'un dans  la  loi  du  turban,  même  celui  qui  y  est  entré  par  force, 
car  celui  qui  appartient  au  groupe  des  maîtres  du  combat  y  entre 
spontanément,  d'un  cœur  complet  et  par  la  volonté  de  lùme,  sans 
contrainte  d'aucune  façon. 

N"  il.  La  onzième  est  qu'il  n'y  ait  pas  d'envieux  parmi  eux  et 
qu'ils  ne  convoitent  pas  ce  qui  ne  leur  appartient  pas. 

N°  12.  La  douzième  est  que  l'on  célèbre  par  de  grandes  réjouis- 
sances la  fête  du  16  du  mois  de  kislev, 

N»  13.  La  treizième  est  que  l'on  soit  charitable  l'un  envers  l'autre 
et  que  l'on  s'efforce  de  faire  la  volonté  du  prochain  comme  sa  propre 
volonté. 

N"  14.  La  quatorzième  est  qu'on  lise  chaque  jour  les  Psaumes  en 

cachette. 


272  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

N"  4  5.  La  quinzième  est  que  l'on  observe  chaque  mois  la  nais- 
sance de  la  lune,  et  que  l'on  prie  pour  que  la  lune  tourne  son  visage 
vis-à-vis  du  soleil  et  qu'ils  (ces  deux  astres)  se  regardent  face 
à  face. 

No  16.  La  seizième  est  que  l'on  fasse  attention  aux  usages  des 
Turcs,  car  par  là  on  leur  crève  les  yeux  (=  on  leur  jette  de  la 
poudre  aux  yeux).  Et  pour  le  jeûne  du  Ramazan,  qu'on  l'observe 
sans  aucun  scrupule.  Pour  le  sacrifice  qu'ils  (les  Turcs)  font  aux 
diables,  il  n'importe  pas  qu'on  le  fasse.  Toute  chose  qui  se  re- 
marque, il  faut  l'accomplir. 

N°  M.  La  dix-septième  est  que  l'on  ne  doit  contracter  alliance 
(avoir  des  rapports)  avec  eux  (les  Musulmans)  ni  dans  leur  vie  ni 
dans  leur  mort,  car  ils  sont  une  abomination  et  leurs  femmes  sont 
des  reptiles,  et  c'est  à  ce  sujet  qu'il  est  dit  :  maudit  soit  celui  qui 
couche  avec  un  animal. 

Nû  IS-  La  dix-huitième  est  que  l'on  ait  soin  de  circoncire  les  fils  et 
de  lever  l'opprobre  du  peuple  saint. 

Conclusion.  Ces  dix-huit  Ordonnances,  je  les  ai  prescrites,  bien 
qu'une  d'entre  elles  appartienne  à  la  Loi  de  Beria  (=  création), 
parce  que  le  trône  ne  s'est  pas  encore  affermi  au  point  qu'Israël 
puisse  tirer  vengeance  de  Samaël  et  de  sa  légion.  A  cette  époque-là, 
tout  deviendra  égal  :  point  de  défense  et  point  de  chose  permise, 
point  d'impureté  et  point  de  pureté,  et  tous  me  reconnaîtront,  de- 
puis le  petit  jusqu'au  grand.  Et  préviens  les  collègues  qui  sont 
croyants  et  qui  ne  sont  pas  entrés  dans  le  mystère  du  turban  qui 
est  la  bataille,  qu'ils  aient  soin  d'observer  la  Beria  et  le  Açilout 
[=1  émanation),  dont  ils  ne  doivent  rien  diminuer  jusqu'au  temps  de 
la  révélation.  Et  alors  ils  pénétreront  sous  l'arbre  de  vie  et  tous  de- 
viendront des  anges.  Que  la  volonté  (divine  permette)  qu'ils  se  ré- 
vèlent bientôt,  Amen. 

Pour  bien  comprendre  ces  dix-huit  ordonnances,  il  ne  sera  pas 
inutile  que  nous  les  fassions  suivre  ici  de  quelques  explications. 

Le  nombre  dix-huit  parait  avoir  été  choisi  intentionnellement, 
parce  que  les  lettres  ■'n  qui  représentent  ce  nombre  forment  un 
mot  hébreu  qui  signitie  «  vivant  ».  On  rappellerait  donc  ainsi 
le  dogme  de  l'immortalité  corporelle  de  S.  C,  dont  nous  aurons 
encore  roccasion  de  parler  plus  loin.  Ce  qui  semble  prouver  qu'on 
a  tenu  à  arriver  à  ce  nombre  dix-huit,  c'est  que  plusieurs  ordon- 
nances ne  l'ont  que  se  répéter  et  auraient  pu  être  fondues  en  une 
seule.  Quant  aux  mots  du  début,  i:"on  «  au  nom  de  S.  C.  »,  ils  sont 
certainement  une  imitation  de  l'arabe  hismi  'Uahi  «  au  nom  de 
Dieu  »,  que  tout  bon  Musulman  place  en  tète  de  tout  ce  qu'il 
écrit. 

N°  1.  D'après  ce  que  nous  savons  des  croyances  sabbatiennes,  il 
ne  serait  pas  impossible  que  l'alfirmation  de  l'existence  de  Dieu 


UNE  SECTE  JUDEO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  273 

et  de  la  Providence  fût  tout  simplement  la  proclamation  de  la 
divinité  de  Sabbataï.  Car,  en  bien  des  passages,  lui  ou  ses  par- 
tisans ont  affirmé  qu'il  est  Dieu  et  qu'il  dirige  l'univers  dans 
tous  ses  détails.  Mais  il  serait  téméraire  d'interpréter  ainsi  cet 
article. 

N°  2.  Ce  paragraphe  reproduit  presque  littéralement  la  recom- 
mandation de  David  Yiçhaki,  nn-nm  'n  Tirr'D  ntr^uj):!  ^'^'^^^  n-iin?:©, 
«  il  faut  croire  au  Messie  comme  à  l'unité  de  Dieu  et  à  sa  Loi  »; 
il  paraît  imiter  un  article  de  la  profession  de  foi  des  Musulmans  : 
Dieu  seul  est  Dieu  et  Mahomet  est  le  prophète  de  Dieu.  Du  reste, 
le  titre  même  du  credo  sabbatien  (^niDî^in^nj  t^m^ino  rappelle  le 
titre  arabe  nnr;^  du  credo  musulman,  et,  comme  ce  dernier,  le 
credo  des  Sabbatiens  contient  cinq  articles.  Ces  analogies  suffi- 
sent pour  démontrer  l'influence  exercée  par  Vany  Effendi  sur 
l'esprit  de  Sabbataï. 

N°  3.  La  fin  de  ce  passage  rappelle  les  deux  versets  bibliques 
nanpn -i^^u)  "^s  (Exode,  xxxiii,  21),  et  imbbn^  sbi  (Lévit.,  xxii,  2). 
Le  respect  dont  on  doit  entourer  le  nom  de  S.  C.  est  motivé  par 
la  même  raison  que  le  Talmud,  commentant  le  premier  verset, 
allègue  en  faveur  de  Métatron  {Sanhédrin,  38  &).  Du  reste,  bien 
des  Sabbatiens  attribuent  à  leur  chef  le  même  rôle  que  celui  qui 
est  joué  par  Métatron,  à  savoir  d'être  le  médiateur  entre  Dieu  et 
l'homme. 

N°  4.  C'est  la  reproduction  de  la  sentence  de  R.  Akiba  :  'n  nx 
ûsn  T^abn  mnnb  x^-^n  '^'^pbi«  «  Tu  révéreras  ton  Dieu,  et  pareille- 
ment le  docteur  de  la  loi  »  {Baba  Ka^nma,  41  &)  ;  les  Sabbatiens 
y  ont  seulement  ajouté  le  Messie. 

N°  5.  Ici  encore  on  trouve  des  réminiscences  bibliques  et  talmu- 
diques.  C'est  d'abord  le  bTt  bN  b-^nXî  (Ps.,  lxxxiv,  8),  commenté 
par  Lévi  [Moed  Katan,  fin)  :  œman  n-^nb  nDSDîi  nin»  Ni:vn  b=)  ; 
c'est  ensuite  ce  passage  de  la  Haggada  de  Pâque  :  !^a"i72ïi  bDl 
nnujtt  ïiT  ■'ni!  d'^ns:»  nt^iif^a  *^DDb,  «  celui  qui  raconte  beaucoup  de 
la  sortie  d'Egypte  mérite  des  éloges  ».  Quant  au  «  secret  du  Mes- 
sie »  dont  parle  ce  paragraphe,  c'est  là  le  caractère  fondamental 
de  la  cabbale  et  surtout  du  sabbatianisme,  qui  est  représenté 
comme  le  fruit  de  la  noix  enfermé  dans  une  triple  écorce.  Les 
Sabbatiens,  comme  les  Deunméh,  du  reste,  s'efforcent  de  dérober 
leurs  croyances  aux  yeux  du  vulgaire.  Mais  il  se  peut  aussi  que 
ce  soit  simplement  le  messianisme  de  Sabbataï  Cevi  qu'on  recom- 
mande de  prêcher. 

N°  6.  Cette  ordonnance  peut  paraître  surprenante,  quand  l'on 
songe  que  Sabbataï  avait  permis  de  tuer  les  renégats  ou  Q-insiD, 
c'est-à-dire  ceux  qui  ne  croyaient  pas  en  lui,  même  un  samedi. 
T.  XXXV,  N^  TU.  18 


274  REVUE  DES  ÉlUDES  JUIVES 

Mais  les  Sabbatiens  ne  se  piquaient  pas  de  mettre  toujours  leurs 
actes  en  conformité  avec  leurs  paroles. 

N°  7.  Nous  parlerons  plus  loin  de  cette  fête,  appelée  Pourim. 

K°  8.  Le  vague  de  cette  ordonnance  confirme  ce  que  nous  sa- 
vons déjà  des  mœurs  un  peu  relâchées  des  Sabbatiens.  On  con- 
naît le  mariage  de  Sabbataï  avec  une  aventurière  polonaise,  la 
belle  Sara,  dont  la  conduite  avait  été  très  déréglée  et  dont  la 
beauté  n'était  pas  un  des  moindres  attraits  pour  les  partisans  de 
son  mari.  On  connaît  aussi  l'action  désastreuse  du  mouvement 
sabbatien  sur  la  chasteté  et  la  décence  de  la  jeunesse  juive  à 
Smyrne.  Parmi  les  excentricités  de  Sabbataï,  il  faut  compter 
l'usage  qu'il  a  établi  de  faire  appeler  le  samedi  sept  jeunes  filles  à 
la  Tora,  au  lieu  de  sept  hommes.  Aussi  ses  premiers  partisans 
de  Salonique  pratiquèrent-ils  le  communisme  dans  le  mariage 
(a'^N  n'ON  ïirD  Ti\nrT  ;  !nn  nr  ûiT^mc'  is-^briri,  etc.).  Pour  donner 
une  explication  mystique  de  leurs  dérèglements,  ils  prétendaient 
symboliser  par  leurs  multiples  liaisons  l'union  de  l'élément  mas- 
culin et  de  l'élément  féminin  dont  se  compose  la  divinité.  Cette 
ordonnance  semble  surtout  recommander  la  discrétion  dans  la 
fornication  «  à  cause  des  larrons  ».  Mais  qui  sont  ces  larrons?  Ce 
sont  sans  doute  les  û"'"id"i:d,  c'est-à-dire  les  Juifs,  adversaires  du 
sabbatianisme,  car  il  est  difficile  d'appliquer  cette  épithète  aux 
Turcs,  que  nos  ordonnances  nomment  en  toutes  lettres  (n«  16). 

N"  9.  Cette  ordonnance  ne  fut  guère  suivie  des  Sabbatiens,  et 
surtout  des  Fraukistes,  qui  ne  craignaient  pas  d'émettre  les  plus 
odieuses  accusations  et  les  plus  abominables  calomnies  contre  les 
Juifs. 

No  10.  Les  «  maîtres  du  combat  »  sont  les  Deunméh  ;  la  a  foi 
du  turban  »  est  l'islamisme.  Les  Sabbatiens  ont  mis  en  usage  cette 
expression  a  coiffer  le  turban  »  (riDSiUKr:  œnb)  pour  désigner  la 
conversion  à  l'islamisme.  Pour  ce  qui  concerne  le  fond  de  cette 
ordonnance,  la  discrétion  qui  y  est  prescrite  constitue  l'essence 
même  du  nouveau  sabbatianisme.  Les  Deunméh  n'admettent  au- 
cun profane  dans  leurs  mystères  ;  un  étranger  non  initié  ne  peut 
donc  entrer  dans  leur  groupe.  C'est  là  une  des  causes  qui  amène- 
ront leur  prochaine  disparition. 

N°  12.  Les  réjouissances  forment  un  des  fondements  de  la  doc- 
trine sabbatienne.  On  sait  que  Sabbataï  aimait  la  bonne  chère,  la 
musique,  etc.,  et  préconisait  partout  les  danses.  "Voir  plus  loin 
aux  Fêtes. 

N"  13.  Cette  ordonnance  indique  un  des  traits  distinctifs  des 
Sabbatiens  qui  était  de  se  soutenir  entre  eux  ;  chez  eux,  la  charité 
était  élevée  à  la  hauteur  d'un  dogme.  Ici  encore,  le  sabbatianisme 


UiNE  SECTE  JUDKO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  275 

a  imité  l'islamisme,  qui  a  inscrit  l'aumône  parmi  les  cinq  articles 
de  son  Credo.  Mais  les  deux  doctrines  ne  semblent  avoir  prescrit 
la  charité  qu'à  l'égard  des  coreligionnaires.  La  fin  de  notre  para- 
graphe rappelle  cet  aphorisme  talmudique  {Abot,  ii,  4)  :  rvs^y 
yn'sro  isiitl,  «  fais  sa  volonté  comme  la  tienne  ». 

N»  15.  Déjà  le  Talmud  et,  d'après  lui,  le  Zoliar  attachent  une 
grande  importance  à  la  néoménie  et  aux  actions  de  grâces  qu'on 
doit  réciter  en  voyant  la  nouvelle  lune.  Les  Deunméh  ont,  sans 
doute,  voulu  également  flatter  les  Turcs  en  paraissant  donner  à  la 
lune  une  si  grande  importance,  car  on  sait  que  le  calendrier 
arabe  est  calculé  aussi  d'après  les  phases  de  la  lune.  Peut-être 
peut-on  encore  voir  dans  cette  prédilection  pour  la  lune  une  façon 
de  proclamer  le  caractère  messianique  de  Sabbataï.  Car,  à  l'épo- 
que des  persécutions  byzantines,  on  annonçait,  d'après  le  Talmud 
{Roscli  Haschana,  25  a),  l'apparition  de  la  nouvelle  lune  par  ces 
mots  :  û'^pT  "^n  bNnu)*'  ^V»  mn,  «  David,  roi  d'Israël,  est  toujours 
vivant  ».  Or,  ces  mots  répondaient  excellemment  à  la  croyance 
des  Sabbatiens  que  leur  chef  vivait  encore  et  régnerait  de  toute 
éternité. 

N"  16.  Cette  ordonnance  est  l'expression  même  de  la  règle  de 
conduite  suivie  par  Sabbata'ï,  qui,  tantôt,  pratiquait  scrupuleuse- 
ment le  juda'ïsme,  tantôt  observait  les  pratiques  musulmanes.  Ce 
double  jeu  lui  réussissait  admirablement  auprès  de  ses  partisans, 
qui  trouvaient  d'excellentes  raisons  pour  le  justifier.  Moïse  aussi, 
disaient-ils,  est  resté  longtemps  déguisé  en  Égyptien.  Cette  dupli- 
cité est  imitée  par  ses  adeptes  de  Salonique. 

Il  est  surprenant  qu'à  côté  du  Ramazan  et  du  sacrifice,  ce  para- 
graphe ne  mentionne  pas  également  le  pèlerinage  de  la  Mecque, 
que  Jacob  Quérido,  successeur  de  Sabbataï,  aurait  fait,  au  dire 
de  Tobia  Cohen,  vers  1690. 

N°  n.  Ce  paragraphe  est  une  traduction  presque  littérale  d'un 
passage  du  Talmud  relatif  au  yiNM  tD^.  Voici  ce  passage  {Pcsahim, 
49  b)  :  in-^mia  by^  yn;D  "jrr^mujii  yp\D  po  "^is):  y-i^xn  -'12^  nn  n-:;-'  sbi 
njsnn  bn  ùy  asiia  ^nn»  "nWiN.  Les  Deunméh  continuent-ils  à  se 
montrer  aussi  exclusifs  pour  les  mariages?  D'aucuns  prétendent 
que  non. 

N°  Ï8.  Ce  paragraphe  confirme  ce  qu'on  savait  déjà,  que  les 
Deunméh  pratiquent  la  circoncision  sur  leurs  enfants,  comme  les 
Juifs,  à  l'âge  de  huit  jours. 

Conclusion.  —  Pour  comprendre  le  galimatias  de  cette  conclu- 
sion, il  faut  se  rappeler  certaines  conceptions  de  la  Cabbale. 
D'après  cette  doctrine,  l'Infini  ou  En-Sof  s'est  d'abord  manifesté 
dans  un  prototype  de  la   création,  le  Macrocosme  ou  Homme 


276  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

céleste  (Adam  Kadmon),  qui  n'est  autre  chose  que  l'ensemble  des 
dix  Seftrot.  De  cette  première  émanation  a  rayonné  la  création 
en  quatre  degrés  ou  mondes  :  1°  mb-^^rï*  ;  2''  rîi<"«-in  :  3"  rTT^:i:-<  ; 
4°  Trby.  Le  mot  m^iti*,  pris  dans  son  acception  générale,  désigne 
le  monde  de  l'émanation,  composé  des  seules  sefirot.  La  nît'^ia  est 
le  monde  des  esprits  purs  dont  l'eusemble  s'appelle  le  Trône  glo- 
rieux (masn  nD3  ou  «"^o-nD).  Le  monde  de  la  formation  ou  ûbv 
îTi'^if'n,  qui  le  suit,  est  occupé  par  les  sphères  célestes  et  présidé 
par  l'ange  Métatron,  ainsi  nommé  parce  qu'il  se  trouve  immé- 
diatement après  le  trône.  Or,  daprès  les  Sabbatiens,  le  culte 
pratiqué  par  Israël  en  captivité  n'est  que  transitoire,  puisqu'il 
s'adresse  à  Métatron,  au  lieu  de  s'adresser  à  Sabbataï  Cevi,  qui 
doit  être  l'unique  objet  des  hommages  religieux.  Car  Israël  ne 
peut  pas  pratiquer  un  culte  pur  tant  qu'il  est  en  exil  parmi  les 
nations,  appelées  aussi  mo-^bp,  qui  constituent  les  seflrot  de  gau- 
che, émanées  de  Satan,  et  forment  proprement  le  règne  de  c»  ^ko 
(bNttO)  ou  Samaël  et  son  cortège.  Cet  état  de  choses  sera  changé 
après  la  chute  de  ce  royaume  maudit,  qui  sera  combattu  par  les 
sefirot  du  côté  droit,  et  sur  les  ruines  duquel  on  établira  le  Trône 
divin.  C'est  alors,  après  la  délivrance,  que  Sabbataï  apparaîtra  de 
nouveau,  car  il  est  toujours  vivant.  En  ce  temps-là,  les  pratiques 
du  judaïsme,  les  règles  relatives  à  ce  qui  est  permis  ou  défendu, 
pur  ou  impur,  disparaîtront  fn-^j»  i":>  înmnrr  ■^;i"  ibi^nn"»).  On  sait, 
du  reste,  que  les  Sabbatiens  considéraient  l'abolition  des  pra- 
tiques religieuses  comme  une  des  conséquences  les  plus  impor- 
tantes de  l'avènement  de  leur  Messie.  Jonathan  Eibeschiitz  fut 
même  accusé  d"avoir  partagé  cette  croyance;  on  lui  attribue  ces 
mots  :  rimnrn  'û'^y'b^  ïrnirKiir!  rrrsyb  ^^~\'£.  v^^  «  il  ne  sera  plus  né- 
cessaire d'accomplir  les  lois  et  de  mettre  en  pratique  la  Tora.  » 


III.  Tableau  des  fêtes. 

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.n5:i:  ^3'r:  ivD  14 

.in-'bN  •'"y  ncT::  —  21 

nn  DT^n  Si::?^  ûsb  i:r:  —  24 

.  wSîr:  cinVr;  n'^nrin  n7:n  9 

.iminb  iTwN-,  —  17 

.rn-ni«7:n  :n  —  23 

."omp  DTC  —  24 

.nnxcn  nTj:>  rbnnn  nN  3 


UNE  SECTE  JUDÉO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  277 

.mntt«5n  an  a»  9 

.nbtti  —  15 

•ûmo  T^bos  16 

.ib-isu)  dr  ^ni*  21 

.■biTo-^Stt)  ûT  —  28 

^4  Sivan  :  fête  de  la  croissance. 

Que  signifie  au  juste  le  mot  nttis  ?  On  a  peut-être  choisi  ce  mot 
parce  qu'jl  rappelle,  par  une  association  d'idées,  le  surnom  laiS  de 
Sabbataï  avec  lequel  il  se  trouve  dans  un  môme  verset  (Isaïe, 
IV,  2)  :  -iiasbl  "^airb  'rr  r\i2)S.  n^m.  Mais  il  n'est  pas  possible  de  dé- 
terminer l'événement  que  cette  fête  doit  rappeler.  On  peut  aussi 
y  voir  une  désignation  de  la  Pâque,  fête  qui,  d'après  une  tradition 
talmudique,  verra  l'avènement  du  Messie,  appelé  nttis. 

21  Sivan  :  date  de  sa  consécration  par  Élie. 

Élie  désigne  ici  le  pseudo-prophète  Nathan  de  Gaza,  qui  se 
présentait  comme  l'incarnation  du  Tisbite  et  faisait  une  active 
propagande  en  faveur  de  Sabbataï. 

24-  Sivan  :  il  vous  Va  donné  en  ce  jour. 

Comme  la  lecture  de  n3n5  ne  donne  aucun  sens,  j'ai  lu  isna  «  il 
l'a  donné  »,  prenant  comme  sujet  Dieu  ou  Nathan  ;  le  complément 
désignerait  Sabbataï.  Le  sens  en  serait  que  Nathan  l'aurait  pro- 
clamé officiellement  Messie  trois  jours  après  l'avoir  oint.  L'ex- 
pression TiiT:  ûrîi  ûiïs'n  est  un  reflet  de  ce  style  pompeux  et  vide 
dans  lequel  Nathan  excellait.  A.  un  certain  moment,  j'avais  songé 
à  corriger  'ndb  en  dnb  «  pain  ».  Mais  en  quoi  aurait  consisté  cette 
distribution  de  pain  ?  Y  a-t-il  là  une  allusion  à  la  subvention 
donnée  par  Raphaël-Joseph  Ghélébi,  du  Caire,  et  que  Sabbataï  a 
répartie  entre  les  habitants  de  Jérusalem  ? 

9  Tammouz  :  connnencement  de  Vhahillemeni  de  l'dme. 

La  racine  ujab  est  assez  fréquemment  employée  dans  la  termi- 
nologie sabbatienne  ;  elle  signifie  «  inspirer  »  ("û'rprj  mnn  oaVrr»), 
«  s'incarner  »  ('jns  Ninrta  i^os:?  anbnnb)  et  «  se  convertir  »  sur- 
tout avec  nD3:i:».  Nous  ne  savons  pas  à  quel  incident  ces  mots 
font  allusion. 

i7  Tammouz  :  le  premier  jour  de  sa  conception. 

Comme  on  voit,  cette  fête  a  lieu  un  jour  de  jeûne  juif.  Il  y  en 
a  qui  prétendent  que  Sabbataï  n'a  institué  cette  fête  que  pour 


278  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

proclamer  l'inutilité  des  jeûnes.  Ici,  on  lui  attribue  une  autre 
cause. 

23  Tammouz  :  la  fête  des  illuminations. 

Dans  la  littérature  sabbatienne,  le  mot  m-ns»  «  luminaires  » 
signifie  «  émanations  »  de  la  cause  première.  Faisait-on  peut-être 
des  illuminations  la  veille  de  la  solennité  dont  il  sera  question 
dans  le  paragraphe  suivant  ? 

S4  Tammouz  :  samedi  saint. 

On  sait  que,  pour  habituer  ses  partisans  à  l'abolition  du  ju- 
daïsme traditionnel,  Sabbataï  avait  institué,  le  23  tammouz,  une 
nouvelle  fête  désignée  sous  le  nom  du  grand  samedi,  qui  n'est 
autre  que  le  samedi  saint,  bien  qu'elle  eût  lieu  un  jour  plus  tôt. 

3  Al)  :  co?nmencement  de  la  couronne  de  gloire. 

C'est  encore  une  fête  dont  l'origine  est  inconnue.  Elle  rappelle 
peut-être  le  début  de  la  mission  de  Sabbataï,  quand  il  s'est  rendu 
au  Caire  auprès  du  Saraf-Bachi  pour  solliciter  son  intervention 
en  faveur  de  Jérusalem,  voyage  au  sujet  duquel  Moïse  Haguès  a 
dit  :  «  Ce  fou  est  parti  comme  missionnaire  et  revenu  comme 
Messie  »,  mo»  n3t  rr^V::  '^'pn  !i:ûr:)n  ïit. 

9  Al)  :  fête  des  réjouissances. 

Ce  jour,  qui  rappelle  une  des  plus  terribles  catastrophes  de 
l'histoire  juive,  est  devenu  chez  les  Sabbatiens  un  jour  de  fêle 
parce  que,  disent-ils,  leur  Messie  est  né  ce  jour-là  ;  ils  s'y  livraient 
aux  manifestations  de  joie  les  plus  bruyantes.  Il  se  présente  pour- 
tant une  difficulté.  C'est  que  ce  tableau  indique  le  21  adar  comme 
jour  de  sa  naissance. 

i5  Ah  :  il  a  été  salé. 

C'est  là  un  des  premiers  soins  donnés  au  nouveau-né  (Ézéchiel, 
XVI,  4).  Cela  semblerait  prouver  que  c'est  bien  le  9  ab  que  Sabba- 
taï est  né. 

16  Kislev  :  Pourim. 

Cette  fête  paraît  avoir  été  très  importante,  car  il  en  est  fait  men- 
tion dans  deux  ordonnances  (n"'  1  et  12).  Mais  quelle  en  est  l'ori- 
gine ?  Voici  ce  que  dit  Ricaut  :  «  Nathan  eut  la  hardiesse  de  pro- 
phétiser que  dans  un  an,  à  compter  du  dix-septième  du  mois  de 
kislev,  on  verrait  le  Messie  paraître  devant  le  Grand  Seigneur,  le 


UNE  SECTE  JUDÉO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  279 

priver  de  sa  couronne  et  le  mener  en  triomphe  et  chargé  de 
chaînes  ».  Cette  date  conviendrait  bien  à  notre  fête,  à  un  jour 
près.  Un  an  après  cette  prédiction  (en  1666),  il  y  eut  des  réjouis- 
sances extraordinaires  à  Smyrne,  le  27  du  mois  de  kislev.  Ce 
sont  les  seules  indications  que  nous  ayons  sur  l'origine  de 
cette  fête. 

21  Adar  :  jour  de  sa  naissance. 

Nous  avons  signalé  plus  haut  la  contradiction  existant  entre 
cette  donnée  et  la  date  indiquée  par  d'autres  auteurs  (9  ab). 

28  A  dar^  :  jour  de  sa  circoncision. 

Nous  avons  fait  observer  plus  haut  (Ordonnances,  n°  18)  que 
les  Deunméh,  en  abjurant  la  foi  mosaïque,  ont  conservé  l'usage 
de  circoncire  leurs  enfants  le  huitième  jour,  bien  que  leur  Messie 
y  eût  dérogé  en  ne  faisant  circoncire  son  fils  adoptif  IsmaT'l,  à 
l'exemple  des  Musulmans,  qu'à  l'âge  de  treize  ans?  Remarquons 
que  cette  opération  n'est  mentionnée  ici  et  dans  les  Ordonnances 
qu'à  la  fin.  Est-ce  un  simple  hasard? 


IV.  Une  Poésie  sabbatienne. 

Nous  connaissions  des  poésies  anti-sabbatiennes  en  hébreu, 
telles  que  les  satires  d'Emmanuel  Francès  réunies  dans  un  opus- 
cule intitulé  nm»  "^niC  et  éditées  récemment  dans  le  T»  by  Y:i'i'p, 
I,  101  et  suivants,  ainsi  que  les  vers  mordants  insérés  dans  notre 
nTibin,  p.  122,  et  qui  s'adressent,  très  vraisemblablement,  à  Abra- 
ham-Miguel Cardoso.  Mais  les  Sabbatiens  ne  se  sont  pas  fait  faute 
de  riposter  à  leurs  adversaires  et  ont  composé  également  des  épi- 
grammes  contre  eux.  De  ces  poésies,  aucune  n'a  encore  été  éditée 
jusqu'à  présent.  J'en  ai  trouvé  une  dans  un  des  manuscrits  d'Is- 
raël Nagara  dont  j'ai  parlé  déjà  {Recueil  de  Romances  judéo- 
espagnoles,  p.  5);  elle  est  écrite  en  cursif  judéo-espagnol,  non 
datée,  mais  porte  au  f"  390 ô  cette  notice  bibliographique  :  n-«-iKU3 

1"'i<  U)"n3  V'*  !n:2^\s  ■'"i"'"'t  i^  "^"iJ  12  -^n  ■•"liîDi::  ib  "'O  ■'p  b\s  nma  V'^'-j-i 
Y'Ti  b-^^T  ^33  3p3>i  "i\si:5<  ■'SN  û'inn  «  Scheêril  Israël,  des  chants 
d'Israël  (mélodie  d)  Adjem  Achiran.  Ce  (recueil  de)  Nagara  appar- 
tient à  Jacob  ben  Daniel,  Que  celui  qui  le  trouve  et  ne  le  lui 
restitue  pas  soit  (mordu  par  un)  serpent  et  frappé  d'anathème. 
Moi  l'humble  Jacob  ben  Daniel  ».  Bien  que  cette  note  soit  d'une 


280  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

autre  écriture  que  la  poésie,  ce  Jacob  ben  Daniel  qui,  soit  dit  en 
passant,  était  un  ignorant  (on  le  voit  par  ses  fautes  d'orthographe  : 
^•^•^51,  au  lieu  de  bï<"^5T  ;  Q-'-in,  pour  ûin  ;  "T'^itt^  pour  ^''y:i.'n),  était 
sans  doute  sabbatien,  comme  Jacob  Israël  Duchan  et  Daniel 
Israël  Bonafoux. 

Voici  le  texte  de  cette  poésie,  dont  les  cinq  premiers  quatrains 
donnent  en  acrostiche  les  mots  :  ■^aisrj  [■'rajû  ûïja  (Le  ïi  de  "^asin 
désignprait-il  Dieu  comme  dans  la  signature  connue  de  S.  C.  : 
i:"ii)  ûr)"^pbN  'n  "^ïn  ?). 

.bM-i'wi  D"  ^'ay>  ■'^a  bx  .b^isn  Nnn  i7:o  Tin^j 

.•û^n  :  -^nirb  imi  rtnN  nma  -^d  .S^n  nr^  ^720  ûpn  «a 

.n^a^U''  HToo  bND  N-ipbT  .nwi:"'  n?^::  b^n  n"!ï:73 

,©Ti  :  "'2:!:d  bp  N3  nnN  bTis  ^d  .'^tcc  o^np-'  bN-i*::"'  rrnsb 

.1-nis  N3  nrû  --non»  bip  .^-i^y  1^:1:  i-inn  br  na 

.o^"n  :  ■^3^:  'T':?3.  nnN  n^îTi  "^d   (?m5:)  miTa  pi::  rr-n^a  ■^r-'N  t»  by 

•Din^n»  DT'  b3  vrs  nx-ib  .niipr  bN-i'c-'  -^nirn 

Traduction. 

Voilà  le  fils  de  David,  élève  sa  corne.  0  Dieu,  conserve  ceux  qui 

espèrent  en  lui. 
Donue  vite  à  tous  la  foi  en  Cevi,  et  la  croyance  au  bel  homme. 
Sabbataï  est  son  nom,  il  est  le  Rédempteur  des  enfants  de  son  peuple, 

la  nation  dlsratU, 
De  grâce,  exalte  son  nom,  ô  Dieu,  car  tu  as  élu  mon  ami  pour  la 

gloire . 
Le  Messie  divin  germera  et  il  exultera  de  proclamer  Dieu. 
Pour  racheter  Israël,  il  sanctifiera  ton  nom,  car  tu  es  grand  et  viens  à 

pas  légers,  comme  le  cerf. 
Là-bas,  sur  les  montagnes  de  Sion,  ma  ville,  la  voix  de  mon  bon 

apôtre  (dit]  :  ma  lumière  est  venue. 
Par  l'entremise  d'un  homme,  guidé  par  la  justice,  mon  maître,  car 

tu  chéris  la  ville  belle. 
Israël  attend  le  Cevi,  il  désire  toujours  voir  son  visage. 
Qu'il  sorte  avec  la  couronne  et  que  les  affligés  voient  que  Cevi  est 

fidèle  à  rassembler  (les  exilés). 
Encore  une  fois,  nous  apporterons  un  chant  de  grâce,  lorsque  Nathan, 

le  prophète,  viendra  à  lui. 
Nous  crierons  à  Elle  :  mon  père,  mon  père,  car  tu  vas  relever  le 

sultan  Cevi. 


UNE  SECTE  JUDÉO-MUSULMANE  EN  TURQUIE  281 

Malgré  l'enthousiasme  dont  cette  poésie  déborde  pour  le  faux 
Messie,  elle  manque  d'élan.  Il  y  a  bien  plus  de  verve  et  d'entrain 
dans  la  poésie  de  Francès,  laquelle  rime  aussi  avec  •'as  : 

A  quelle  époque  cette  poésie  a-t-elle  été  composée?  Probable- 
ment entre  la  Pentecôte  de  1665  et  janvier  1666.  [1  y  a  un  fait  qui 
détermine  le  terminus  a  qiio,  c'est  qu'elle  parle  déjà  des  visions 
de  Nathan  de  Gaza,  qui  y  a  le  titre  d'Elie  le  Tisbite  (6°  quatrain). 
D'un  autre  côté,  elle  ne  peut  pas  être  postérieure  au  départ  de 
Sabbataï  pour  Constantinople  (janvier  1660),  puisqu'elle  ne  parle 
de  son  futur  couronnement  (nia3>3  Nit"»,  5°  quatrain)  et  de  son  titre 
de  sultan  ("^nis  pb'i^u,  fin),  prédits  par  Nathan,  que  comme  de 
choses  futures.  Si  cette  poésie  était  postérieure  à  cette  date,  elle 
aurait  parlé  des  souffrances  de  S.  C.  et  de  sa  détention  dans  la 
tour  d'Abydos  ;  ce  furent  là  des  événements  trop  importants  pour 
qu'on  les  passât  sous  silence. 

L'auteur  paraît  être  de  Jérusalem,  car,  malgré  la  déclaration 
de  Nathan  que  Gaza  remplacerait  Jérusalem  comme  ville  sainte, 
notre  poésie  parle  avec  enthousiasme  de  Sion.  Serait-ce  peut- 
être  Samuel  Primo,  secrétaire  de  Sabbataï,  qui  prêtait  aux  agi- 
tateurs messianiques  son  style  emphatique  ?  Cette  supposition 
trouve  un  appui  dans  ce  fait  qae  les  deux  premiers  vers  du 
deuxième  quatrain  commencent  par  les  mots  to^î  et  bu,  c'est-à- 
dire  lîNlTûffl. 

Abraham  Danon. 


NOTES  ET  MÉLANGES 


LA  DISCUSSION  DE  K.  JOSUÉ  ET  DE  lî.  ÉLIEZER 

SUR  LES   CONDITIONS  DE    L'AVÈNEMENT  DU  MESSIE 


Le  Talmud  de  Babylone  {Sanhédrin,  97  b)  cite  dans  ces  termes 
une  discussion  entre  R.  Eliézer  et  R.  Josué  touchant  l'avènement 
du  Messie  : 

tNT   )'^bii-^'j  i^sion    i-i^iy   bin^':i^   îdn    n72iN   '-nT:'^bN  '-i    ■'Nins 

rrnvwn  "j"«ï5iy  5N-iu5"'t  it^hd  nr::p  vm-iuc  "frin  pb  nr::»»   n"Dpn 

■inaiwb  in"'Tnai) 

[La  discussion  qui  vient  d'être  rapportée  ressemble]  à  celle  de  ces 
TauDaïm  ;  R.  Eliézer  dit  :  Si  Israël  fait  pénitence,  il  sera  sauvé  ; 
sinon,  il  ne  le  sera  pas.  R.  Josué  lui  dit  ;  Et  s'il  ne  se  repent  pas,  ne 
sera-t-il  pas  sauvé  [tout  de  même]  ?  Mais  Dieu  lui  suscitera  un  roi 
dont  les  décrets  seront  aussi  cruels  que  ceux  d'Aman,  et  alors  Israël 
fera  pénitence  (et  Dieu  lui  rendra  le  bonheur). 

Cette  discussion  roule  évidemment  sur  cette  question  :  l'ère  mes- 
sianique sera-t-elle  la  récompense  de  la  conversion  d'Israël,  ou  un 
événement  se  produisant  mécaniquement,  en  quelque  sorte,  en 
vertu  d'un  décret  divin  ? 

Au  surplus,  c'est  bien  l'interprétation  de  cette  controverse  telle 
qu'elle  ressort  d'une  autre  relation  de  la  discussion  des  deux  cé- 
lèbres Tannaïm. 

«  R.  Eliézer  dit  :  Si  Israël  t'ait  pénitence,  il  sera  sauvé,  car  il 
est  écrit  :  «  Revenez  (faites  pénitence),  ô  fils  égarés,  et  je  guérirai 
vos  infidélités  (Jérémie,  m,  22).   » 


NOTES  ET  MÉLANGES  283 

»  R.  Josué  lui  dit  :  «  Mais  cependant  il  est  écrit  d'autre  part  : 
«  Vous  avez  été  vendus  pour  rien,  et  vous  serez  rachetés  sans  ar- 
gent (Isaïe,  LU,  3)  ».  C'est-à-dire  :  vous  avez  été  vendus  pour  votre 
idolâtrie  (les  idoles  n'étant  rieyi),  et  vous  serez  rachetés  sans  ar- 
gent, sans  pénitence  ni  bonnes  œuvres. 

»  R.  Eliézer  répliqua  :  Il  est  écrit  d'autre  part  :  «  Revenez  à  moi 
(par  la  pénitence),  et  je  reviendrai  à  vous  (Malachie,  m,  7)  ». 

»  R.  Josué  riposta  :  Il  est  dit  :  a  Car  je  vous  violenterai  et  vous 
prendrai  un  d'une  ville  et  deux  d'une  famille,  et  vous  amènerai  à 
Sion  (suite  de  Jérémie,  m,  22)  ». 

)3  R.  Eliézer  repartit  :  II  est  écrit  aussi  :  «  Vous  serez  sauvés  par 
le  repentir  et  par  la  paix  (Isaïe,  xxx,  15)  ». 

»  R.  Josué  répondit  :  Il  est  dit  aussi  :  «Ainsi  a  parlé  l'Eternel,  le 
libérateur  d'Israël  et  son  saint,  à  celui  qui  est  méprisé  d'âme,  dé- 
testé du  peuple,  à  l'esclave  des  dominateurs  :  Les  rois  verront  et 
se  lèveront,  les  princes  se  prosterneront  à  cause  de  l'Eternel  qui 
est  fidèle  et  du  Saint  d'Israël  qui  t'a  élu  (Isaïe,  xlix,  1)  ».  (C'est- 
à-dire,  malgré  ton  abaissement  moral.  Dieu  te  sauvera.) 

»  R.  Eliézer  dit  :  Il  est  écrit  :  «  Si  tu  reviens  (fais  pénitence), 
Israël,  parole  de  l'Eternel,  [si]  tu  reviens  vers  moi,  si  tu  ôtes  tes 
abominations  de  devant  moi,  tu  ne  seras  plus  errant,  etc.  (Jéré- 
mie, IV,  1  et  2)  ». 

»  R.  Josué  repartit  :  «  Il  est  dit  encore  :  Et  j'entendis  l'homme  vêtu 
de  lin,  qui  était  au-dessus  des  eaux  du  fleuve  et  il  leva  la  droite  et 
la  gauche  vers  le  ciel  et  il  jura  par  le  Vivant  éternel  qu'au  temps 
des  temps  et  un  demi-temps,  quand  il  aura  achevé  de  briser  la 
force  du  peuple  saint,  toutes  ces  choses  seront  accomplies  ».  (Da- 
niel, XII,  7). 

»  Là-dessus,  R.  Eliézer  ne  répliqua  pas.  » 

Nous  ne  voulons  pas  dire  maintenant  ce  que  signifie,  pour  nous, 
le  silence  de  R.  Eliézer,  mais  on  voit,  par  cette  longue  discussion 
où  les  deux  adversaires  se  combattent  à  coup  de  citations,  que 
pour  l'un  —  R.  Eliézer —  la  délivrance  d'Israël  est  liée  uniquement 
à  sa  conversion,  et  pour  l'autre  —  R.  Josué  —  elle  est  l'eff'et  de  la 
grâce  divine. 

Que  veulent  donc  faire  entendre  ces  mots  du  premier  texte  où 
R.  Josué,  concédant  à  R.  Eliézer  que  la  pénitence  est  une  condi- 
tion indispensable  du  salut,  amende  son  opinion  en  supposant  que 
la  grâce  divine  se  manifestera  dans  l'envoi  de  persécuteurs  qui 
amèneront  Israël  à  se  repentir?  Ce  moyen  de  concilier  les  deux 
conceptions  est  tout  au  moins  contraire  à  la  deuxième  baraïta,  qui 
constate  le  triomphe  complet  de  R.  Josué. 


284  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Toute  difficulté  disparaît  si  nous  nous  reportons  au  passage  pa- 
rallèle du  Talmud  de  Jérusalem  (Taanit,  63  &)  : 

^bn   p-'b:'  TiTa^'ja  ï-J"3pr!  e»*"-!  nb  — i»n  v'^^^î  I^-'N  ï-i3rrn  no:'-' 
n-ix  n^'T  i>ti2Tii  T^'n)  vbî<53  pi  n^T^jn  x^^-^y  p  t^tot  v^ns  rjïjp 

Là,  R.  Josué  objecte  à  R.  Eliézer,  comme  dans  Sanhédrin  : 
«  Eh  quoi,  si  les  Israélites  ne  font  pas  pénitence,  ils  ne  seront  pas 
sauvés?  »  Mais  là,  c'est  R.  Eliézer  qui  réplique  :  «  Dieu  leur  sus- 
citera un  roi  aussi  cruel  qu'Aman  qui  les  amènera  à  se  repentir, 
et  alors  ils  seront  sauvés.  » 

Ce  texte  représente  probablement  la  bonne  leçon*.  Reste  à  se 
demander  d'où  provient  la  variante  du  Talraud  de  Babylone.  Elle 
s'explique  bien  simplement  :  un  copiste  lisant  n'i'Vn  ou  îî'b's 
a  Eliézer  lui  répondit  »,  n'a  pas  vu  les  signes  d'abréviation  ;  il  a 
donc  pris  NV»i<  pour  l'adverbe  «  mais  ».  D  a  ainsi  complètement  dé- 
naturé la  controverse  des  deux  rabbins*. 

Quant  au  triomphe  de  R.  Josué,  il  fut  bien  précaire,  car  il  n'a 
pas  empêché  les  docteurs  qui  l'ont  suivi  de  reprendre  l'opinion  de 
R.  Eliézer*.  D'autres  ont  réconcilié  les  deux  conceptions  opposées 
en  les  unissant  simplement,  tel  R.  Elazar,  qui,  à  la  suite  de  notre 
passage  du  Talmud  de  Jérusalem,  dit  :  «  Les  Israélites  ont  dû  d'être 
délivrés  de  l'Egypte  à  ces  causes  :  à  leur  détresse,  à  leurs  suppli- 
cations (ou  plutôt  à  la  miséricorde  divine),  au  mérite  des  pa- 
triarches, à  la  pénitence  et  à  la  fin  (c'est-à-dire  à  la  promesse  faite 
par  Dieu  de  les  délivrer  à  une  date  fixée  d'avance)  ;  ce  seront  les 
mêmescausesquileur  vaudront  le  salut  final*  ».  D'autres,  enfin,  ont 
accordé  les  deux  opinions  en  supposant  que  la  pénitence  pourra 

*  C'est  la  versiou  qu'a  suivie  lauteur  de  Tanhouma  (éd.  Buber,  III,  111)  ;  seule- 
ment, il  a  remplacé  certains  versets  par  d'autres  et  modiiié  quelque  peu  le  texte. 

'  La  discussion,  dans  le  Talmud  de  Jérusalem,  se  distinj^ue  nettement  de  celle 
que  relate  le  Talmud  de  Babylone,  en  ce  que,  dans  celui-ci,  chacun  des  interlocu- 
teurs produit  pour  arguments  les  versets  qui  coniàrment  son  opinion,  tandis  que  dans 
celui-là,  c'est  R.  Eliézer  qui  subit  l'assaut  et  qui  est  obligé  d'expliquer  d'après  son 
hypothèse  les  citations  faites  par  H.  Josué.  Autre  dillérence  :  les  textes  invoqués  ne 
sont  pas  les  mêmes.  Par  contre,  les  deux  passages  s'accordent  à  l'aire  cesser  l'entre- 
tien sur  la  citation  de  Daniel.  Ce  sont  donc  deux  documents  qui  ne  se  copient  pas 
l'un  l'autre  et  qui  témoignent  de  la  réalité  de  cette  controverse. 

*  Tel  l'auteur  du  commentaire  bomilélique  d'Isaïe,  xxi,  12,  reproduit  dans  j.  Taa- 
nit, 64  a. 

*  Ce  texte  du  Talmud  de  Jérusalem  nous  est  parvenu  dans  un  état  déplorable  ;  il 
faut  le  corriger  d'après  Debarim  Eahhn,  ii,  qui  avait  un  exemplaire  bien  meilleur 
que  celui  dont  s'est  servi  l'éditeur.  C'est  ce  qu'a  bien  vu  déjà  M.  Buber,  dans  son 
commentaire  sur  Psaumes  Eabèa,  106. 


NOTES  ET  MÉLANGES  285 

faire  anticiper  l'avènement  du  Messie.  Tel  R.  Josué  b.  Lévi,  au 
rapport  de  R.  Alexandre  [Sanhédrin,  98  a).  Le  Midrasch  Schemot 
(ch.  25)  fait  dire  explicitement  à  R.  Yohanan  :  «  Dieu  a  déclaré  à 
Israël  :  bien  que  j'aie  assigné  à  la  fin  une  date  fixe  que  vous  fas- 
siez pénitence  ou  non,  si  vous  vous  convertissez,  ne  fût-ce  qu'un 
jour,  la  fin  arrivera  avant  son  temps  ». 

Ainsi  s'est  continuée  la  doctrine  des  Prophètes,  malgré  les  cal- 
culs de  Daniel  prédisant,  d'après  la  tradition,  la  date  fatale  de 
l'arrivée  du  Messie  ;  ainsi  également  l'espérance  messianique  n'a 
rien  perdu  de  sa  vertu  éthique,  de  sa  puissance  réformatrice. 

Israël  Lévi. 


LA  LÉGENDE  DE  L'EXORCISME  D'UN  DÉMON 

PAR  SIMON  B.  YOHAÏ 


Dans  oeiiQ  Revue  \  MM.  Israël  Lévi  et  J.  Halévy  ont  fait  de  la 
légende  de  l'exorcisme  du  démon  Ben  Talmion  (ou  Ben  Teraa- 
lion),  par  Simon  b.  Yohaï  (Meïla,  11b),  l'objet  d'une  étude  péné- 
trante. M.  Israël  Lévi  ramène  le  nom  du  démon  que  Simon  b. 
Yohaï  chasse  du  corps  de  la  fille  de  l'empereur  à  celui  de  l'apôtre 
Bartholomée,  qui,  suivant  les  histoires  apocryphes  des  apôtres, 
guérit  dans  l'Inde  la  fille  du  roi  Polymnius  de  la  possession. 
D'après  M.  Lévi,  la  priorité  appartient  à  la  légende  chrétienne  ;  ou 
plutôt,  comme  il  le  prétend  dans  son  deuxième  article,  le  récit 
talmudique  aussi  bien  que  le  récit  chrétien  se  rattachent,  en  der- 
nière analyse,  à  un  ancien  récit  indien,  où  un  brahmane  délivre 
du  démon  la  fille  du  roi. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  nom  du  démon,  toujours  est-il  qu'il  existe 
une  grande  analogie  entre  la  légende  de  Simon  b.  Yohaï  et  celle 
de  Bartholomée.  Mais  il  y  a  une  autre  légende  chrétienne  qui 
offre  une  affinité  plus  étroite  encore  avec  celle  de  Simon  b.  Yohaï, 
parce  qu'elle  implique,  bien  qu'imaginé,  le  même  fonds  historique, 
c'est  la  légende  de  saint  Abercius,  évêque  d'IIiérapolis  en  Phry- 
gie,  telle  que  la  raconte  Siméon  Métaphraste  (x"  siècle)  et  telle 
qu'elle  se  trouve  dans  les  Acta  Sanciorum  *. 

>  £evue,  VIII,  200-202  ;  X,  60-65,  66-73. 

»  Aeta  Sanctorum,  Octobre,  t.  IX,  (1896),  au  22  oclobrc. 


286  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Cette  légende,  qui  a  gagné  en  intérêt  par  la  découverte  *  de 
l'inscription  tumulaire  d'Abercius,  renferme  l'épisode  suivant  de 
la  vie  miraculeuse  de  l'évêque.  Le  chef  des  mauvais  démons  appa- 
rut, en  songe,  à  Abercius  et  le  menaça  de  lui  montrer  Rome 
contre  son  gré  *  Le  démon  s'y  prit  de  la  manière  que  voici.  11  s'in- 
troduisit dans  la  tille  de  l'empereur  Antonin  (Marc-Aurèle)  ^,  la- 
quelle était  âgée  de  16  ans.  L'empereur  et  l'impératrice  Faus- 
tine  usèrent  de  tous  les  moyens  pour  chasser  le  démon  du  corps 
de  leur  fille.  Mais  en  vain.  Le  démon  cria  lui-même,  par  la 
bouche  de  la  jeune  fille,  qu'il  ne  s'en  irait  qu'après  qu' Abercius, 
l'évêque  d'Iliérapolis,  serait  venu  à  Rome  *.  L'empereur  mande 
Abercius  à  Rome.  En  chemin,  un  vigneron  du  nom  de  Trophi- 
nion  se  joint  à  lui.  Arrivé  dans  la  capitale,  l'évêque,  par  ses 
prières,  déloge  le  démon.  Pour  prix  de  cette  guérison,  Abercius 
n'accepte  rien,  sinon  qu'à  Hiérapolis  on  construira  des  thermes 
à  l'endroit  où  jadis  il  avait  fait  jaillir  des  sources  d'eau  chaude 
par  ses  prières  et  qu'on  distribuera  du  blé  aux  pauvres. 

Ce  qui,  dans  cette  légende,  nous  intéresse  pour  le  récit  de  Simon 
b.  Yohaï,  c'est  que  nous  y  apprenons  le  nom  de  l'empereur  et  de 
sa  fille,  lesquels  noms  ne  sont  pas  donnés  dans  le  récit  talmu- 
dique.  Car,  dans  ce  dernier  récit,  il  ne  saurait  être  question  que 
de  Marc-Aurèle  Antonin  et  de  sa  fille  Lucilla,  qui  était  la  fiancée 
de  Lucius  Verus.  Comme  l'ont  établi  les  savants  éditeurs  de  la  lé- 
gende d'Abercius  %  l'âge  que  cette  légende  attribue  à  la  princesse 
concorde  avec  celui  que  présente  l'histoire.  En  effet,  Lucilla  était 
née  en  147  après  Jésus-Christ  et  elle  avait  16  ans  en  163,  lors- 
qu'elle se  maria  avec  Lucius  Verus.  Il  faudrait  donc  poser  l'an- 
née 163  comme  celle  oii  se  passa  l'événement  dont  parlent  les 
deux  légendes.  Naturellement,  l'on  n'est  pas  forcé  d'admettre, 
malgré  cette  date  précise,  qu'il  y  ait  eu  guérison  réelle  par  un 
thaumaturge  venu  d'Orient.  Mais  un  point  est  incontestable,  à  sa- 
voir que  la  légende  chrétienne  attribue  à  Abercius,  Tévèque  phry- 

*  Voir  Dietrich,  Die  Grabschrift  des  Abei-kios,  Leipzig,  Teubner  (1896),  et  l'article 
sur  cette  étude  dans  le  supplément  de  la  MUnchener  Allgemeine  Zeitung,  du 
11  août  lfe97. 

'  Cf.  la  légende  de  Simon  b.  Yohaï,  d'une  version  probablement  ancienne,  dans 
£eth-Hamidrasch,  iV,  117  :  Dini^în  TC   \X'7«ï;N    mbn[2]    V5    nsnna. 

*  Acta  Sanclorum,  l.  c.  p.  504  :  ...  eU  'Pa)[xr,v  çot™  xat  ttjv  toO  pacOio);  'Avtu- 
vi'vo'j  7:aî5a  ...  s'.TÔvsTat  xal  auTtxa  âxpLaîvei.  Cf.  Uaschi  sur  Meïla,  17  6:  bN^ 
ïiyirw;"!    "Ij"^""!  r!"^ri"133.  Dans  la  •  Agada  •  du  En  Tacôb,  tr.  Meïla,  le  démon 

dit  :  r;n*:;m  -.c-'pT  riTi-iaa  b^y». 

*  De  même  dans  Rascbi,  ib.  (d'après  une  Agada)  :  ni^^INT  npyilS  Hn^m 
i^yO  b:D3   •^nV    p    liy?:^  '-    TN    ■'b   nN-'ars.   Cf.  Betn-Hamidrasch,   IV,  117: 

*  Acia  HanctorutHy  i,  c,  p.  4S7  \§  S;. 


NOTES  ET  MELANGES  287 

gien,  la  même  cure  que  la  légende  juive  attribue  au  docteur  pales- 
tinien Simon  b.  Yohaï.  De  même,  le  rôle  du  démon  est  pareil  dans 
les  deux  récits,  en  ce  sens  que,  selon  les  deux  relations,  le  démon 
part  exprès  pour  Rome  et  s'introduit  dans  la  fille  de  l'empereur  : 
d'après  la  légende  chrétienne,  pour  contraindre  Abercius  à  s'y 
rendre,  d'après  la  légende  juive,  pour  présenter  Simon  b.  Yohaï 
comme  thaumaturge  et  pour  le  soutenir  dans  sa  mission.  D'autre 
part,  le  salaire  qu'Abercius  reçoit  pour  sa  guérison  ressemble 
à  celui  de  Simon  b.  Yohaï  :  celui-ci  obtient  l'annulation  du  dé- 
cret qui  menace  les  Juifs  de  Palestine,  celui-là  reçoit  des  pro- 
messes de  bienfaits  pour  sa  ville  d'Hiérapolis.  Abercius  et  Simon 
b  Yohaï  deviennent  à  cette  occasion  les  protecteurs  de  leur 
pays.  Une  autre  analogie  curieuse,  quoique  fortuite,  c'est  que  le 
docteur  juif  passe  pour  le  restaurateur  des  thermes  de  Tibériade  • 
et  qu'Abercius  s'emploie  en  faveur  des  thermes  d'Hiérapolis. 

On  ne  saurait  formuler  d'hypothèse  sur  le  rapport  de  ces  deux 
légendes  qui  offrent  le  même  fonds,  d'autant  que  la  légende 
d'Abercius  telle  que  nous  la  possédons  ne  remonte  qu'au  x°  siècle. 
Toutefois,  ce  n'est  pas  au  hasard  qu'est  dû  le  récit,  pareil  dans  les 
deux  légendes,  de  l'exorcisme  du  démon  dans  le  corps  de  la  fille 
de  Marc-Aurèle.  Un  même  noyau  historique  a  dû  exister  à  la 
base  de  ces  deux  légendes,  à  moins  que  l'une  n'ait  em[)runté  des 
éléments  à  l'autre.  Je  ferai  remarquer,  sans  y  insister,  comme 
chose  singulière,  que  le  nom  de  "^nv  nn  présente  à  l'oreille  une 
certaine  affinité  avec  Abercius  et  que  le  nom  de  li^bwn  na  (ou 
lTi»bn  nn)  n'est  pas  sans  analogie  avec  le  nom  du  compagnon 
d'Abercius,  Trophinion. 

W.  Bâcher. 


"  "'ûii  n*»!  piDt 


On  sait  que  dans  certaines  éditions  du  Séder  Olam,  à  la  suite 
de  plusieurs  résumés  d'histoire  juive,  se  trouve  un  abrégé  d'his- 
toire romaine  en  quatre  pages,  écrit  en  hébreu,  au  milieu  du 
xii«  siècle,  par  Abraham  b.  David  de  Tolède  (il  a  été  traduit  en 

•  Graetz,  Gesck.  d.  Juden,  IV,  2"  éd.  198,  474. 

'  Note  lue  à  l'Académie  des  inscriptions,  le  22  octobre  1897. 


288  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

latin  par  André  Zeller,  Stuttgart,  l'724).  On  ne  s'arrête  presque 
jamais  à  ces  pages,  qui  n'apprennent  rien  d'historique,  et  qui  sont 
loin  d'être  un  modèle  d'exactitude  et  de  précision'. 

Cependant,  ce  résumé  est  intéressant  au  point  de  vue  de  la  phi- 
lologie, par  ses  transcriptions  naïves  des  noms  propres,  écho  de 
la  prononciation  vulgaire  à  cette  époque,  ensuite  par  quelques 
étymologies  inattendues  ou,  au  moins,  curieuses. 

Les  transcriptions  hébraïques  des  noms  latins  sont  capri- 
cieuses. Tantôt  la  désinence  latine  a  été  maintenue,  par  exemple 
Romulus,  Tarquinius,  Brutus,  Octavianus,  Augustus  ;  tantôt  elle 
a  été  modifiée,  par  exemple  Cassio,  Domitien,  Antonien,  Macrin, 
Aurelio,  Néron,  Commodo,  Thodos.  Est-ce  qu'avec  la  même  incon- 
séquence, en  français,  nous  ne  disons  pas,  d'une  part,  Cassius, 
Titus,  etc.,  et  d'autre  part,  Tibère,  Hadrien,  Antonin  ?  Trop 
souvent  le  copiste  ignorant  a  estropié  la  lecture  des  noms  propres. 
Pour  Tarquin,  il  écrit  DVDm::,  lisez  orsm:^,  et  encore  le  premier  t 
est  peut-être  à  placer  avant  le  ">  ;  sinon,  ce  serait  la  preuve  que 
déjà  on  ne  prononçait  plus  le  v  {■=  u)  raédial  avant  l'i.  —  Pour 
Brutus,  il  y  a  «"^sina,  soit  •'î  =  a.  —  Honorius  =  w-nj«,  lisez 
ffin:iN.  —  Claudius  :  uîm^Vn  ;  corrigez  i  et  n  en  3  et  i.  — Albinus  : 
U3i3abN  ;  lisez  a  pour  i.  Pour  expliquer  ces  derniers  noms,  André 
Zelier  s'est  donné  beaucoup  de  mal,  sans  succès  :  il  s'est  demandé 
quel  est  ce  Belores,  et  que  signifie  Algenosi  II  a  vu  dans  le  mot 
"T^noin  le  latin  D^szd^r  =  Didier,  l'avant-dernier  roi  lombard,  au 
lieu  de  corriger  en  TlD'^'n,  Recared  (P"").  Ce  dernier  nom  est  aisé  à 
deviner  ;  l'auteur  ne  dépasse  guère  la  fin  du  vi«  siècle,  s'arrêtant  à 
la  naissance  de  l'Islamisme,  après  avoir  nommé  saint  Grégoire-le- 
Grand,  tîs<"na-n5i.  —  Quintillus  :  b-^aip,  à  rapprocher  de  la  trans- 
cription du  nom  de  Tarquin  ;  Gonstans  :  ;:5!:û5Dp.  —  Valens  :  ar^ba. 
—  Le  nom  le  plus  bizarre  est  celui  de  ';i<■'U5b^Di:^,  pour  Dioclétien. 
Il  faut  lire  'bpîî"''^,  comme  l'a  le  Cémali  David. 

De  plus,  il  faut  noter  le  sou  sifflant  de  la  syllabe  ti  devant  une 
voyelle,  puisque  Gratian  est  exprimé  par  iN-^o^s  ;  le  nom  Domi- 
tien est  transcrit  deux  fois  Domistian,  Itr'ûVif^l  ;  c'est  aussi  l'ortho- 
graphe adoptée  pour  ce  nom  dans  le  Séft'r-ha-Kahhala  du  môme 
auteur.  Dans  Théodose,  Vé  a  été  élidé  ;  il  reste  Thodos,  0'n^^\-. 

'  Il  ne  faut  pas  demander  à  l'auteur  une  méthode  bien  rigoureuse.  On  notera, 
sans  étonnement,  des  omissions  dans  la  liste  des  rois  et  empereurs,  une  lacune  de 
plusieurs  siècles  entre  Bruius,  consul,  et  Jules  César,  l'omission  d'Olhon  et  de  Vi- 
tellius  entre  Galba  et  Vespasien;  autie  omission  après  Domitien,  etc.  11  y  a  aussi 
des  inversions  et  bien  des  confusions.  Toutes  ces  inexactitudes  se  retrouvent  dans 
l'abrégé  analogue,  un  peu  dilférent  par  la  forme,  publié  dans  Mediœval  jewish  Chro- 
nieles,  t.  II,  d'après  un  ms.  de  la  Bodléienne. 

'  On  a  repris  le  nom  qui  se  trouve  dans  le  Talmud. 


NOTES  ET  MÉLANGES  289 

—  C  =^  g,  :\  ;  C'aius  \  ors;  Marcianus,  «onsN-^ri-iw.  —  Le  nom 
Pupien  est  écrit  oiî^mn  avec  &,  à  la  manière  des  Arabes,  qui  ne 
prononcent  pas  le  p.  Pourtant  le  mot  Pompée  est  écrit  dvsTjId, 
et,  par  une  exagération  à  l'inverse,  Sévère  =  dtindd. 

Notre  historien  appelle  Constantinople  «  une  ville  nohila  » 
(sans  barbarisme  à  cette  époque)  :  il  ne  soupçonne  pas  le  sens 
de  la  finale  de  ce  nom,  ttoX-.;.  Il  est  vrai  que,  si  cette  étymologie 
était  exacte,  il  manquerait  une  syllabe  no,  sur  deux  ;  mais  l'auteur 
n'y  regarde  pas  de  si  près.  —  A  Rémus  et  Romulus  il  attribue  les 
deux  noms  des  mois  de  mai  et  de  Juin  :  Mai,  v^ittt,  dit-il,  signifie 
"  grand  »,  magno,  comme  innio,  v-^rp,  signifie  «  petit  »,  —  Selon 
lui.  le  Capitole  r^V^-^ziz^,  campi  (Voglio  n  champs  d'huile  »,  s'ap- 
pelait jadis  'j-'bianTon,  domu. . .  (■!),  et  signifiait  :  «  maison  du 
Conseil  »  ! 

Enfin,  à  l'imitation  du  losiphon,  dont  notre  historien  procède  et 
qu'il  invoque  à  ce  propos,  il  dit  que  Titus  mérite  les  plus  grands 
éloges.  Il  va  plus  loin,  il  lui  attribue  de  nombreux  écrits  en  grec 
et  en  latin,  puis  il  dit  que  cet  empereur  était  non  moins  savant 
en  chimie,  «  dans  la  science  de  l'Alambic,  p'^n^obN  »,  sans  s'in- 
quiéter de  la  date  à  laquelle  l'Alambic  a  été  inventé. 

11  semble  que  le  lecteur  se  trouve  devant  un  imagier  du 
xv^  siècle,  qui  habillait  à  la  mode  de  son  temps  les  héros  de 
l'antiquité. 

Moïse  Schwab. 


UNE  FAUTE  ANCIENNE  DANS  LA  PRIÈRE  XtDH  h^ 


Dans  la  prière,  bien  connue,  appelée  N:::n  b:>  se  trouve  l'expres- 
sion incompréhensible  inu5  nDD3  «...  pour  le  péché  que  nous 
avons  commis  par  la  paume  du  présent  corrupteur  »,  Le  féminin 
tiDO,  au  lieu  de  qo,  est  déjà  singulier  (on  ne  le  rencontre  qu'au 
pluriel  et  pour  les  palmes).  Ensuite  que  viendrait  faire  ici  la 
paume  ou  la  main  ? 

.le  suppose  que  cette  leçon  est  une  corruption  ancienne  de  "icsa 
nnaai  «  par  rançon  et  présent  corrupteur  »,   Cf.  Prov.,   iv,  3."), 

1  C'est  aussi  rortliojjjraphe  adoptée  par  les  plus  récents  historiens  de  Pome,  su 
basant  sur  la  découverte  d'inscriptions  latines. 

T.   XXXV,  N°  70.  19 


290  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

nna  rin-in  -«r  nai*-»  Nbn  n^D  b'z  ■'Sd  n-û"»  î<b  «  il  n'aura  égard  à  aucune 
rançon  et  n'acceptera  rien  quand  même  tu  multiplierais  les  pré- 
sents ».  Que  le  mot  -/SD  comporte  le  sens  de  présent  corrup- 
teur, c'est  ce  que  montre,  entre  autres,  I  Samuel,  xii,  3  '. 

«  Rançon  et  présent  »  sont  synonymes,  comme  les  mots  yûli 
rr^mrsT  «  par  intérêt  et  usure  »  qui  suivent.  Le  Mahzor  roman 
(Constantinoplp,  1574,  qui  ne  doit  pas  être  confondu  avec  celui  de 
Rome  ;  cf.  Steinsclineider,  Cal.  Bodl.,  n"  2588)  a  déjà  la  mauvaise 
leçon  de  nos  textes.  Ceux  de  Rome,  d'A^vigtion  et  d'Espagne,  qui, 
comme  on  le  sait,  écourtent  la  prière  i<-jn  hy,  n'ont  pas  notre 
passage. 

FÉLIX  Perles. 


UNE  DATE  CHRONOLOGIQUE 

DANS  UNE  PIÈCE  DE  POÉSIE  DE  SAADIA. 


Dans  les  Semitic  Siudies  iîi  memory  of  Al.  Kohut,  M.  Neu- 
Lauer  a  publié  une  poésie  de  Saadia  qui  renferme  là  date  sui- 
vante :  n*KS7j  -rrcn  nni^T  û-'wHn  ypb  «  A  la  fin  de  851  années  » 
(p.  394,  1.  1).  M.  Neubauer  dit  qu'il  s  agit  du  nombre  d'années 
écoulées  depuis  la  destruction  du  Temple,  et  ayant  adopté  cette 
explication  dans  mon  article,  Revue,  XXXV,  p.  125,  j'ai  cru  pou- 
voir en  déduire  que  Saadia  composa  sa  poésie  en  919.  Mais  mon 
ami  M.  lîalberstam,  de  Bielitz,  m'a  fait  remarquer  qu'il  faut  rap- 
porter cette  date  au  prophète  Ezéchiel  mentionné  auparavant  dans 
cette  pièce.  Cette  explication  s'impose  dès  qu'on  lit  les  vers  dans 
leur  ensemble. 

La  strophe  sur  le  quatrième  commandement  du  Décalogue  ex- 
prime cette  opinion  que,  dans  les  trois  parties  de  l'Ecriture,  le 
sabbat  est  considéré  comme  équivalent  à  tous  les  autres  com- 
mandements dans  l'Exode,  xvi ,  20  et  suiv.,  où  l'on  réprouve 
la  non-observation  du  sabbat  par  ces  mots  :  «  Jusqu'à  quand 
résisterez-Yous  à  suivre  mes  prescriptions  et  mes  doctrines  ?  » 
dans   Ezéchiel,   xx,   19  et    suiv.,  où   la    sainteté  du  sabbat   est 

•  Comp.  aussi  Nombr..  xxxv,  31-3"2;  Amos,  v,  l'2  ;  Ecclésiastique,  xLVi^  ly.  La 
Peschilo  traduit  ce  mot.  dans  tous  ces  passages,  par  NnrîTw. 


NOTES  F/r  MÉLANGKS  291 

placée  en  face  de  la  pratique  de  tous  les  commandements  ;  dans 
Ni  hémie,  ix,  14,  ou,  de  même,  le  sabbat  est  mis  en  relief  à  côtt5  de 
toutes  les  autres  lois. 

Le  i-'assage  sur  Ezécliiel  est  ainsi  conçu  :  nbcn-r  -:i-3  1:0 
D-'pn-  b^D  nob-^s  .n\s?3  r!;i7:'::i  nn.s"!  û''0?:n  ypb  --m^'.mi^in^n.  Cela 
signifie  :  «  Le  chef  du  sacerdoce  (c'est-à-dire  le  prêtre  Kzéchiel), 
quand  il  fut  envoyé  pour  prophétiser,  le  réveilla  (le  sabbat,  rT-i-,ii*'^ 
à  la  fin  de  851  années,  l'égala  narrr  =r:rp"r,  mot  employé  à  cause 
iIb  la  série  alphabétique  adoptée  dans  la  versification)  à  toutes  les 
prescriptions  ».  Les  831  années  sont  celles  qui,  d'après  la  chr()no- 
logie  traditionnelle,  se  sont  écoulées  depuis  l'entrée  en  Terre-Saintf^ 
jusqu'à  la  destruction  du  premier  Temple  (voir  Raschi  sur  »S^(2>z- 
hédrin,  38a,  s.  v.,  n?:i<  iib't:?  ;  M.  Halberstam  indique  aussi  Séder 
Olarû  Zoiita  au  commencement  :  y-i.sb  n^nc::  S"'"w'?:m  mi<73  hiitoot 
r^T^'^in  nbvj  ly).  Ce  qui  est  remarquable,  c'est  que  Saadia  parle  de 
8ÔI  années,  et  non  de  850.  M.  Halberstam  explique  que  Saadia  se 
référait  à  Ezéch.,  xxxiir,  22,  d'après  lequel  verset  l'activité  pro- 
phétique d'Ezéchiel  ne  se  poursuit  d'une  façon  continue  qu'à  par- 
tir de  la  douzième  année  de  l'exil  de  Joyachin,  c'est-à-dire  un  an 
après  la  ruine  du  premier  Temple;  c'est  pourquoi  il  donne  l'an  851 
comme  Tannée  de  sa  vocation. 

Qu'on  me  permette  encore  de  produire  ici  une  autre  observa- 
tion que  m'a  communiquée  M.  Halberstam.  Le  mot  'jr:"''rj  [Se- 
milic  Studies\  p.  392,  1.  l])ne  comporte  pas  la  correction  que 
j'en  ai  proposée,  car  l'expression  de  ■jr:"''?-::  "iwrin  (le  (raon  à  la 
droite  de  l'Exilarque)  désigne  le  Gaon  de  Soura  ^voir  Ilarkavy, 
Vie  de  Samuel  h.  Clio/ni,  P-  29;. 

Enfin,  je  ne  voudrais  pas  priver  nos  lecteurs  d'une  conjecture 
ingénieuse  de  M.  Halberstam.  Suivant  Rai)oport  [Hamaggid, 
1802,  p.  325),  que  Zunz  Ye\iVoà\ï\\.  {Literatwgesch.  d.  synagog. 
Poésie,  p.  94),  un  passage  d'une  poésie  liturgique  de  Saadia 
donne  la  valeur  numérique  de  son  nom  vç\:)^  tpT  p  n-'i'D.  Or, 
M.  Halberstam  a  trouvé  que  la  poésie  du  Gaon  publiée  par 
M.  Neubauer  donne  elle  aussi,  dans  les  mots  du  début  (p.  392, 
1.  20),  TS'n  û^n  -a,",  cette  valeur  numérique  1^352;,  comme  les  mots 
Vpv  13  ^^3'D.  Si  c'est  Teliét  d'un  pur  hasard,  toujours  est-il  qu'il 
est  bien  curieux  ;  et  si  cela  n'est  point  dû  au  hasard  ,  nous 
aurions  une  confirmation,  dont,  d'ailleurs,  nous  n'avions  pas  be- 
soin, des  droits  de  Saadia  à  la  paternité  de  ce  poème. 

W.  Haciiku, 


292  RKVUR  DF.S  KTriiKS  JUIVKS 


L'INSCRIPTION  N°  20G  DE  NARBONNE 


I 


Cette  inscription  semble  présenter  une  énigme  indéchiffrable,  et 
la  lecture  proposée  tout  récemment  par  M.  Israël  Lévi  (Revue, 
XXXIV,  302)  ne  paraît,  pas  plus  que  les  précédentes,  répondre  au 
texte  primitif.  A  supposer  qu'il  s'agisse,  en  effet,  d'un  prosélyte, 
supposition  qui  concorderait  parfaitement  avec  les  mots  de  la 
2''  ligne,  peut-on  admettre  que  l'auteur  de  l'inscription,  qui  est 
manifestement  trôs  familarisé  avec  la  langue  hébraïque,  n'ait  pas 
trouvé  de  termes  plus  heureux,  pour  désigner  l'acte  accompli  sur 
son  prosélyte  défunt,  que  l'expression  tout  au  moins  bizarre  de 
la  3'  ligne.  La  tournure  ne  serait  pas  beaucoup  moins  singu- 
lière si,  par  une  correction  forcée,  on  changeait  en  r!D"ii!3  le  mot 
i-!"i::25,  auquel  il  est  impossible  d'attribuer  le  sens  adopté  par 
M.  Lévi.  Comme  il  faut  forcément  corriger  des  mots  de  cette  ins- 
cription, je  crois  que  la  correction  doit  porter  sur  le  mot  suspect 
de  inb'-j'.  On  sait  qu'un  grand  -i,  de  forme  semi-circulaire,  peut 
être  pris,  avec  le  "i  qui  suit,  pour  un  y.  En  admettant  donc  que  le 
sculpteur  se  soit  trompé,  ce  qui  n'est  pas  invraisemblable,  et  ait 
écrit  inb'ir,  pour  "irribr,  on  peut  admettre  qu'au  lieu  de  inb":y,  il 
faut  lire  "irr^'^r.  L'inscription  signifierait  donc  que  la  mère  de 
David  est  décédée  deux  jours  avant  lui.  Ces  deux  morts,  qui  se 
sont  suivies  de  si  près,  ont  peut-être  frappé  l'esprit  assez  vive- 
ment pour  qu'on  ai-t  cru  nécessaire  de  le  signaler  sur  la  pierre  tu- 
mulaire.  Peut-être  aussi  était-ce  une  année  d'épidémie,  pour  que 
le  fils  ait  suivi  de  si  près  sa  mère  dans  la  tombe.  On  peut  égale- 
ment supposer  que  la  pierre  tumulaire  de  la  mère,  qui  était  cer- 
tainement enterrée  dans  le  voisinage  du  fils,  contenait  des  détails 
plus  précis  sur  la  famille,  dont  le  nom  n'est  môme  pas  mentionné 
dans  l'épitaphe  de  David. 

En  outre,  en  examinant  de  près  cette  inscription  de  quatre 
lignes,  on  reconnaît  qu'elle  a  une  forme  métrique.  Le  mètre  se 
compose  de  seize  voyelles  longues,  les  brèves  étant  négligées 
selon  l'usage  des  poètes  hispano-arabes,  et  la  rime  est  rrn  et  N3. 
Il  en  ressort  que  le  mot  "{"-'iz^,  complété  dans  la  2»  ligne,  et  que 
le  sens  général  du  texte  ne  permet  pas  d'admettre,  est  aussi  exclu 
par  le  mètre.  Celui-ci  suppose  un  mot  de  deux  syllabes,  qui  est 


NOTES  ET  MELANGES  2'J3 

''i^y.  a  Ici,  chez  moi,  dit  le  monument,  est  abrité  David,  en  moi  il 
est  caché  ».  Au  lieu  de  Nnro  "^3,  il  faut  donc  lire  Nnn:  "^n^  lecture 
nécessitée  également  par  la  construction,  autrement  la  3"  ligne  se- 
rait comme  en  l'air.  L'auteur  n'a  employé  le  mot  xan:  que  parce  que 
ce  mot  se  trouve  dans  la  suite  du  passage  emprunté  à  I  Samuel, 
XXIII,  19,  au  Yerset  23.  «  Deux  jours  après  la  mort  de  sa  mère, 
continue  l'inscription,  lui  aussi  a  pris  ce  chemin  ».  Le  mètre,  dans 
la  4"*  ligne,  exige  également  d'autres  mots  que  Nnr;  ûbi3>b,  ajoutés 
par  M.  S.,  qui  ne  paraissent  pas  vraisemblables,  et  qu'on  n'aurait 
pas  placés  dans  le  voisinage  immédiat  de  nn-riin  Y'"-  Le  mot 
nn-^Dj,  d'après  Proverbes,  xii,  27,  fait  allusion  à  la  mort  ou  à 
l'immortalité.  En  tenant  compte  du  contexte  et  des  exigences 
métriques,  il  faudrait  peut-être  compléter  ainsi  :  nsoTi-b  ^t::  b:i3. 
Ce  sont  aussi  les  nécessités  du  mètre  qui  expliquent  la  redondance 
de  certaines  parties  de  l'inscription,  comme  «■'r;  "lO.s  dans  la 
l""**  ligne,  ^VM^^  riji'n  dans  la  2'  ligne,  ainsi  que  l'emploi  du  nom 
de  mois  bi3,  qui,  il  est  vrai,  est  Inblique,  au  lieu  du  nom  de  trois 
syllabes  ircnn». 

David  Kaufmann. 


II 


M.  Schwab  reconnaît  que  le  verbe  indiquant  la  circoncision 
(3«  ligne)  est  Uzarr^e;  j'ose  dire  qu'une  telle  exi)ression,  rr-csD 
inbn3>,  est  absolument  impossible.  Il  est  sur,  d'ailleurs,  que  s'il 
s'agissait  d'un  prosélyte,  il  y  aurait  dans  l'inscription  quelque 
allusion  comme  n"n  bo  irmna  o:=3  ou  nrrc-  ^tz'D  nnn  N^n-. 
Dans  la  4"  ligne  la  conjecture  [wsnri  '±>^yh]  ne  donne  aucun  sens.  Je 
ne  connais  pas  les  solutions  proposées  dans  les  Archives  des  mis- 
sions scientifiques,  et  il  est  difficile  de  faire  de  nouvelles  supposi- 
tions sans  le  fac-simile  de  M.  F.-P.  Thiers,  mais  j'ose  tout  de 
même  proposer  de  lire  comme  suit  : 

nn-'nîn  "^bn  lî^bi^bi  tje;  -inx  c^"':-'  "'rwn 

Donc  :  pas  de  prosélyte  et  i)as  d'expression  bizarre,  mais  : 
«  Deux  jours  après  être  mort  et  parti  pour  son  éternité,  le 
16  Heschwan,  à  la  fin  du  jour,  il  fut  conduit  à  la  tombe  ».  On  con- 
naît l'expression  ^12brJh  ^^n  «  entrer  dans  son  éternité.  »  La  fin 
de  la  4^^  ligne  .smn  rime  avec  toutes  l.s  autres  lignes,  car  il  n'y  a 


20-'i  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

pas  de  diâférences,  même  dans  les  poésies  classiques,  entre  les 
rinnes  nn  et  N2. 

Et  pourquoi  l'enterrement  eut-il  lieu  deux  jours  après  la  mort? 
Tout  simplement  parce  que  (si  les  signes  'q  'n  sont  justes)  en  5082 
(1321)  le  U  lleschwan,  jour  du  décès,  était  un  vendredi  et  que  le 
samedi  l'inhumation  ne  pouvait  avoir  lieu. 

Prague,  juillet  1897. 

A.  Kaminkâ. 


III 

Uii  mot  seulement  pour  répondre  aux  savants  contradicteurs... 
de  M.  Schwab.  Notre  cher  trésorier  a  bien  voulu  me  soumettre  la 
copie  de  cette  inscription  de  Narbonne  que  les  Archives  des  Mis- 
sions scicndflqHes,  18'Î3.  p.  553  avaient  déclarée  illisible.  Je 
lui  ai  sujrgéré  la  lecture  qui  a  été  imprimée  dans  cette  Bévue,  et 
ijui  licvait,  dans  ma  pensîée,  servir  seulement  de  point  de  départ 
à  des  recherches  ultérieures.  Mon  savant  ami  a  cru  bon  de  me 
dénoncer  comme  l'auteur  de  ce  déchiffrement;  c'était  un  excès 
de  scrupule,  dont  il  faut  le  louer,  mais  dont  je  me  souciais  peu. 
Si  j'avais  attaché  quelque  importance  au  contenu  de  cette  inscrip- 
tion, j'aurais  poussé  i)lus  loin  mes  investigations.  J'aurais,  cela 
va  sans  dire,  commencé  par  m'enquérir  de  la  traduction  donnée 
par  mes  devancif^rs.  Ce  souci  m'aurait  montré  l'inutilité  de  mon 
intervention,  car,  à  mon  insu,  j'ai  exactement  reproduit  la  version 
de  mes  prédécesseurs,  publiée  dans  les  Archives  des  missions 
scienlipques.  Je  m'écarte  seulement  de  leur  interprétation  en 
lisant  -irb-,:^,  au  lieu  de  inb:.:?  «  sa  génisse  »,  Pour  couper  court  à 
toute  nouvelle  discussion,  je  publie  ici  les  deux  essais  de  fac- 
similé  qui  ont  été  envoyés  à  M.  Schwab  par  M.  Thiers  et  qui 
doivent  d'autant  plus  inspirer  conliance  qu'ils  ont  été  faits  sans 
parti-pris,  le  savant  archiviste  de  Narbonne  déclarant  ne  pas 
savoir  l'hébreu.  Je  préviens  seulement  les  lecteurs  que  la  repro- 
duction n'en  est  pas  très  fidèle,  M.  Schwab  ayant  corrigé  légère- 
ment la  forme  des  lettres  au  fur  et  à  mesure  que  j'avançais  dans 
le  déchiffrement  de  ces  lignes.  En  particulier,  les  points  sur  les 
dernières  lettres  du  bas  ne  sont  rien  moins  que  sûrs. 

Qu'il  me  soit  permis  d'ajouter  que  les  lignes  les  plus  difficiles  à 
lire  étaient  la  première  et  la  seconde,  la  seconde  surtout  oii  le 
mot  ^-rz-c  est  à  cheval  sur  les  deux  parties  de  la  pierre,  divisée 
en  deux  tables.  Ce  sont  justement  celles  dont  mes  confrères  ne 
contestent  pas  l'exactitude  de  la  lecture.  Où  le  texte  ne  présente 


NOTES  ET  MÉLANGES 


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2W  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

presque  aucune  difficulté,  c'est  précisément  dans  la  troisième 
ligne.  Le  mot  m::^:  est  d'une  netteté  parfaite.  Quant  au  mot 
suivant,  il  peut  se  lire  inbir^ou  ^rib^y.  Il  n'est  pas  inadmissible  que 
le  lapicide  ait  employé  ce  terme  dans  le  sens  de  «  sa  jeune  fille  en 
bas  âge  »,  quoique  ce  nom  ne  soit  jamais  employé  dans  la  Bible 
au  leminin  ni  autrement  qu'en  relation  avec  la  «  mère  ».  C'est 
donc  au  graveur  que  vont  les  objections  de  mes  confrères.  Je  n'ai 
pas  à  le  défendre  et  trouve  aussi  que  les  termes  dont  il  s'est  servi 
sont  détestables.  Mais  il  serait  au  moins  naïf  de  vouloir  lui  faire 
dire  autre  chose  que  ce  qu'il  a  dit.  11  ne  faut  pas  non  plus  lui 
prêter  des  scrupules  de  lettré  qu'il  ne  soupçonnait  pas.  Un  écrivain 
qui  met  r.^r.z:  ht,  -rca  et  n-Tjc:  --wS  c^?:"  ^yz  n'est  pas  un  pu- 
riste. C'est  un  styliste  à  la  Buxtorf,  heureux  seulement  quand 
il  copie  la  Bible. 

Israël  Lévi. 


ÉLIE  B.  JOSEPH  DE  NOLA  A  BOLOGNE 


Dans  un  petit  recueil  de  poésies  manuscrites  que  je  possède,  et 
qui  provient  de  l'Italie  septentrionale,  se  trouve  une  élégie  sur 
le  médecin  Elle  de  Nola.  La  provenance  de  ce  ms.  sufnt  déjà  à 
faire  croire  que  ce  personnage  est  bien  l'homme  de  ce  nom  qui 
fleurit  vers  le  milieu  du  xv!**  siècle  et  qui  était  de  Bologne.  A 
côté  d'Abraham  b.  Isaac,  le  petit-fils  de  Yehiel  de  Pise',  qui, 
d'après  la  notice  d'un  registre  de  circoncision,  eut  un  fils,  le  2  juil- 
let 1534,  à  Bologt)e  -,  Guedalia  ibn  Yahia  ne  nomme  comme  sa- 
vants connus  de  Bologne  qu'Isaac  Monselice  et  Elle  de  Nola  ^ 
C'est  le  fameux  médecin  Elle  de  Nola  ou  Nolano,  qui,  d'après 
David  de  Pomis,  était  un  des  plus  grands  médecins  de  l'époque. 

Si  c'est  lui  qui  traduisit  du  latin  en  grec  la  somme  des  huit  livres 
de  la  physique  d'Aristote,  par  Robert  Grossetête,  évéque  de  Lin- 
coln, son  père  s'appelait  Joseph  et   lui,  Elie,  faisait,  à  la  fin  de 

•  Voir  notie  article,  Hevite,  XXXII,  130  et  suiv. 

*  La  fin  de  mon  manuscrit,  intitulé  Ci;tc  C^pT'T  Ciwlip,  e^t  ainsi  coDi,ue  :  ''\y 

^  n^^pr;  r7cb"C  éd.  Venise,  {' 6b  b  :  DC    "'îT:?:    N"^"'7N   ■'3~1. 


NOTES  ET  MÉLANGES  297 

1537,  métier  d'écrivain  et  de  traducteur  hébraïque  '.  D'autre  part, 
si  notre  Elie  est  aussi  identique  à  lielia  Nulanus  -,  le  collaborateur 
de  Moïse  Alatino  \  traducteur  de  la  paraphrase  de  Themistius  des 
quatre  livres  d'Aristote  sur  le  ciel  et  le  monde,  lequel  Alatino  est 
mort  probablement  dans  la  nuit  du  11  avril  1605,  à  Venise,  la 
traduction  de  Moïse  ayant  paru,  en  15*74,  à  Venise,  on  peut  pour- 
suivre durant  quarante  ans  la  trace  d'Elie  b.  Joseph. 

Sans  doute,  l'élégie  ne  fait  pas  allusion  à  son  métier  de  traduc- 
teur, mais  comme  elle  en  fait  un  savant  versé  dans  beaucoup  de 
sciences,  l'on  ne  saurait  douter  qu'elle  ne  parle  de  lui.  L'élégie 
nous  apprend,  de  plus,  qu'il  était  exégète,  et,  si  je  comprends 
bien  la  troisième  strophe,  qu'il  écrivit  un  commentaire  sur  les 
Psaumes  à  coté  d'autres  ouvrages  qui  contiibuèrent  à  sa  gloire. 
Parmi  ces  ouvrages  on  pourra  compter  le  com.mentaire  sur  Job, 
qui  est  conservé  dans  le  ms.  348  dOxfonl  \  L'auteur  porte  là  le 
même  nom  d'Elia  Noiano  tDW'DTi-  -pnx,  qui  était  devenu  sa  déno- 
mination habituelle.  Selon  toute  vraisemblance,  il  faut  attribuer 
au  même  auteur  le  ms.  Ghirondi,  n"  104,  dont  les  considérations 
et  commentaires  agadiques-philosophiques  sur  l'Ecriture  peuvent 
fort  bien  appartenir  au  médecin  philosophe  de  Bologne. 

Samuel  Archevolti,  qui,  du  22  ab  au  16  elloul  1563,  copia  à 
Bologne  le  ms.,  désigne  notre  Elie  par  le  titre  -."'nN  x'^i:?:  crnn 
û\HD"nr!  ;  il  l'appelle  encore  xbi;?:  i"ni<-i-,  c'est-à-dire,  r:^7wX '- '-,n 

Honoré  également  par  les  Juifs  et  les  Chrétiens,  comme  le  re- 
marque expressément  notre  poésie,  Elie  passa  ses  jours  à  Bo- 
logne, dans  la  pratique  de  son  art  et  l'étude  de  la  littérature 
juive.  Est-il  mott  dans  cette  ville?  S'il  est  permis  de  i-isquer  une 
conjecture  et  si,  dans  le  vers  :  nb:;;  û'ci  rc:  "•«-"'  ■':::,  le  mot 
l3"0  est  un  chronostique,  Elie  de  Nola  serait  mort  le  premier  jour 
de  la  Pentecôte,  «  le  jour  où  le  prophète  reçut  la  Loi  sur  le  81- 
naï  »,  c'est-à-du'c  le  20  mai  1580.  11  n'est  pas  im[)ossil)h',  malgré 
cette  date,  qu'il  soit  mort  à  Bologne.  Nous  savons,  en  ellet,  que, 
malgré  la  fuite  des  Juifs  de  Bologne,  en  1569,  lors  de  laquelle 

'  M.  Steinschneider,  Die  hebr.  Uebersetz.  d.  Mittelalteis,  476,  note  'J3. 

«  Ihid.,  126,  noie  l.iO. 

'  Kaufraann  dans  Magazin  de  Berliner,  XVII,  172  et  suiv.  L'épitaphu  de  Moïse 
Aniraoa  Alatino  est  dans  D'^j3M  mm'5,  éd.  A  Berliner,  u"  4.'j;  celle  Je  sou  lils 
Einanuel,  tiîrf.,  u"  l'MJ;  cf.  Israelitische  Letterbode,  III,  102. 

*  Par  là  disparaît  le  point  d'iulerrogatioa  de  M.  Neubauer  au  Catalo^'ue,  p.  932, 
s.  V.  Elya  de  Nola. 

"  M.  Steinschneider,  dans  le  Catalogne  des  ms.  hébreux...  (ihirondi,  p.  32,  sup- 
pose :  ('?  n3"''w"'  wN"l  rr^-N.  l'ar  la  tombe  aussi  le  doute  de  l'urles,  Beitraege  z. 
Gcsch.  d.  hebr.  u.  cu-um.  IStudicn,  p.  220. 


^•J8  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Azaria  de  Rossi  dut  se  sauver  à  Ferrare,  les  Juifs  revinrent 
bientôt  dans  la  ville  ^ 

Notre  élégie  ne  saurait  viser  Elle  de  Nola  de  Rome,  attendu 
que  celui-ci  se  fit  baptiser  et  changea  son  nom  d'Elie  b.  Menahera 
ha-Rofédi  Nola,  en  loan  Paolo  Eustacliio.  Etait-ce  le  même  que  ce- 
lui qui,  en  1513,  rendit  de  Rome  un  avis  favorable  avec  les  plus 
grands  rabbins  de  l'Italie,  lorsque  Joseph  de  Foligno,  petit-fils  du 
célèbre  rabbin  Moïse  Nissira  de  Foligno,  voulut  épouser  la  femme 
de  son  frère  qui  était  mort  sans  enfants  -  ?  En  tous  cas,  c'est  le 
même  que  celui  qui  était  en  correspondance  avec  André  Masius 
et  qui,  dès  1555,  fit  métier  d'écrits  cabbalistiques '.  Nous  savons, 
qu'après  sa  conversion  il  s'occupa  de  recopier  des  écrits  de  ce 
genre  pour  le  Vatican*.  Si  nous  considérons  l'activité  de  ce  co- 
piste renégat,  qui  dura  jusqu'en  1599,  nous  douterons  que  ce  soit 
le  même  que  l'auteur  de  lavis  rendu  à  Rome,  en  1573. 

Notre  élégie  met  en  relief  la  personnalité  d'Elie  b.  Joseph  de 
Nola  ou  Nolanus,  médecin,  traducteur,  exégète,  talraudiste, 
pleuré  (les  Juifs  et  des  Chrétiens,  et  empêche  qu'on  le  confonde 
avec  le  transfuge  Elle  b.  Menahem  de  Nola,  copiste  du  Vatican. 

David  Kaufmann. 


3Ièt,e  : 


Nnpn  17:-,  ûTin  c-'p  •<-::t: 
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c::'  ■':n23  "pî^t:  s^dn;  "^r 

nr::  3i::3  "^ov  'r::  cnV 


•  Joseph  ha-Cohen,  lEmeq  habitrha,  Ira^J.  allem.  de  \N'iener,  p.  113  ;  L.  Znnz,  C^.^ 
nwr;.  V,  134. 

»  prit"*  Tns.  IV,  20  c.  Comp.  Kaufmann.  Sevuc.  XVII.  207,  note  2. 
»  ISeries,  /.  c,  216-220  :  en  1548  il  écrivit  le  Zohar;  v.  uis.  Munich  68. 

♦  Berliner,  Gesch.  d.   Juden  in  Rom,   II,  193  ;   v.  Sacerdote,    Hcviie,    XXX,   26o 
et  suiv. 

"  Jos.,  ixxviii,  12. 

*  Moise,  d'après  Nombres,  xii,  7. 
"  Jér.,  XXV,  30. 


NOTKS  ET  MliLANGES  299 

N"ip7:  mon  ^i2:fji  innD:  ^b 

m;2-i3i  bN  mbrin   -,îd 
t--j-n;  ^^-b  Tp^J  "n::*"!  n:n 

ri20t]m  iTDV  l'TiT  *orj 
■^pn  n::?:;  na  '^iif2  ni::* 

nn3T:;n  mp7:   Vrn  n-^iin 

TmbTci  innu;  T^rn  ::-,d2 

'C'vUnriwn  "'-13:'  brb  y-n: 

nb   r,'jJ2b  ir:bN  -nux  ^\^  b? 

-17:  ^b  -,?:n  "«ttoo  i'p'"^-  ''^^ 
"iban  r:72  ii^br  -iiNb  n-»  b:>< 

nmp  CN-,3  y-N  •'br  n-'iN 

Di-nnm  c]-j  a-^":::!  ipT 

û-^-o  û^i  D-^s-i:  33b  iz'np 

rin72C  Nbi  NI-  "^^irb  rirp 

•wnb  1133  :'-;7:  b33  D^n 

^r!T3    pT    13    nnTDwN    ^21"! 

nrrj':  3b 3  npiD  b-n  -i"'":::' 
*"w^n  in7:p"i  r;\nc-!j3  bcbo 

m:;N3  "  it  D5  "j-'Nr  rr^- 
D^:2  liiT  iTûb  bD3  c-ni 

C^riS-'DS  T7j-1    *71DT  aCD 

rrin  T'i  bNv::  b::b  3^"wp7: 


'  Kiddouschin,  30  a. 

'  Allusion  à  R.  Eiiézer  b.  Jacob,  d'après  Gitittin,  67  a. 

»  Gant.,  I,  12. 

*  Is.,  LVI,  5. 

'  Croisé  =:  chrélieu.  DCTI  ==  sifruum  =  la  croix. 

*  Yonta,  46  a. 

'  Sanhédrin .  \{)Sb. 


300  iiEVUt:  DES.  ETUDES  JUIVES 

ïiDT  NbT  pin  *r;35':j  «b 
nb-,^  CT^b  C'c  iT'n  br- 

*  m-i^bD  byziz  bis  "■'cn 
br-p  r::i-i  br  bs  "iwXT:  T'ri' 

en 


MAITRE  ANDRÉAS  ET  JACOB  B.  ÉLIE 


La  conversion  du  médecin  juil'  Maître  Andréas^  semble  avoir 
provoqué,  en  1421,  une  grande  sensation  parmi  les  Juifs  de  Ve- 
nise. Les  archives  de  Venise  ont  conservé  le  jugement  prononcé 
par  le  Conseil  des  Quarante  contre  un  Juif  d'origine  allemande, 
nommé  Ruben  b.  Isaac,  et  contre  un  Juif  de  Sicile,  nommé  Vita, 
qui,  tous  deux,  le  24  mai  1421,  insultèrent  l'apostat  en  pleine  rue. 
Dans  la  rue  S.  Salvator,  près  de  la  maison  de  l'orfèvre  Natali,  ces 
deux  zélateurs  avaient  couvert  Andréas  d'invectives  et  d'injures. 

Comme  les  deux  inculpés  ne  répondirent  pas  à  l'injonction  du 
tribunal,  de  se  trouver  dans  les  huit  jours  sur  le  pont  du  Kialto 
])0ur  subir  l'interrogatoire,  ils  furent  condamnés  à  une  amende  de 
lôOO  livres.  Au  cas  où  ils  ne  se  présenteraient  pas  dans  le  délai 
d'un  mois,  ils  devaient  être  expulsés  de  tout  le  territoire  véni- 
tien, et  s'ils  y  remettaient  le  pied,  ils  encourraient  une  peine  d'un 
an  de  prison  avec  nouvelle  expulsion. 

11  n'y  a  pas  d'autres  détails  dans  le  document  sur  la  suite  de 
cette  affaire.  Nous  y  apprenons  seulement  que  Uuben  b.  Isaac 
implora  la  grâce  du  Conseil  et  que,  comme  il  ne  pouvait  parfaire 
la  somme  de  150U  livres,  il  demanda  qu'on  la  réduisît  à  800. 

»  Berachot,  .^8  h. 
»  Baha  M.,  96  è. 
»  Deut.,  n,  36. 

*  Jup.,  IV,   .'t. 

*  Voir  la  uolice  de  Simonsleld.  Bévue,  XXI.  "201. 


NOTKS  I;T  MI^LANf.KS  .m 

Cet  incident,  indifférent  en  lui-m^me,  nous  servira  à  trancher 
une  question  d'histoire  littéraire.  Si  ce  maître  Andréas,  dans  la 
bouche  duquel  Jacob  b.  Elie  a  placé  sa  satire  sur  la  conversion  ', 
était  notre  médecin  vénitien  de  1421  !  Ce  serait  là  une  autre  trace 
de  la  profonde  et  douloureuse  impression  que  produisit  l'apos- 
tasie de  cet  homme.  Du  même  coup,  ré[)ître  de  Jacob  b.  Elie 
prendrait,  elle  aussi,  le  caractère  d'une  attaque  pieuse  et  litté- 
raire, il  est  vrai,  mais  non  moins  forte  pour  cela. 

Les  paroles  de  Maître  Andréas  que  Jacob  b.  Elie  traduit  on 
hébreu  -  ne  sont  alors  que  l'expression  du  repentir  que  l'apostat 
éprouve  de  s'ôtre  laissé  pervertir  par  le  mauvais  penchant.  Il  a 
perdu  sa  croyance  première,  car,  après  une  concession  sincère,  il 
ne  peut  adhérer  à  la  foi  nouvelle.  Aussi,  le  malheureux,  apostat 
est  là  désespéré  et  déchiré,  sa  réputation  et  sa  fortune  sont  rui- 
nées. Les  misères  où  il  se  débat  lui  montrent  avec  quelle  horreur 
il  faut  repousser  les  séductions  du  mauvais  penchant. 

Jusqu'ici  on  n'avait  aucun  point  de  repère  pour  lixer  l'époque 
de  Jacob  b.  Elie  et  d'Andréas.  Il  semblait  établi  que  Jacob  b. 
Elie  de  Venise,  l'auteur  de  l'épître  au  converti  Saiil,  son  cousin', 
était  identique  avec  le  soi-disant  traducteur  de  notre  épître  d'An- 
dréas. De  là  vient  que  M.  Neubauer  ajoute  à  son  édition  de  la 
lettre  cette  assertion,  qui  n'est  pas  fondée  (à  s'en  tenir  au  seul 
manuscrit)  :  «  traduit  par  Jacob  b.  Eliah  de  Venise'^  ».  Or, 
M.  Steinschneider-'  a  remarqué  avec  raison  qu'une  citation  de  Ci- 
céron  dans  la  bouche  d'un  Juif  du  xiii«  siècle,  comme  paraît  l'ôtre 
le  polémiste  «^  de  Venise,  a  quelque  chose  d'étrange.  Un  examen 
approfondi  de  cette  épître  polémique  contre  Saiil,  qui,  vu  la  ri- 
chesse de  ses  détails  historiques  et  littéraires,  mériterait  un  com- 
mentaire étendu  et  une  nouvelle  édition,  et  de  l'épître  satirique 
d'Andréas  ou,  pour  mieux  dire,  contre  Andréas  révèle  une  grande 
différence  de  style,  donc  deux  auteurs. 

Si  nous  posons  l'année  de  la  conversion  du  médecin  Andréas, 
1421,  comme  la  date  la  plus  vraisemblable  de  la  rédaction  de 
notre  lettre,  si,  d'autre  part,  la  citation  de  Gicéron  qu'elle  con- 
tient ne  se  laisse  bien  placer  qu'à  cette  époque,  on  conclura  que 

1  hraelitische  Letterbode,  de  Roest,  X,  73-77. 

»  ib.,  77  :  nmx  p-^nyn  vdtût  ?-iN^m:N  '\st;   nnan    n-:;î<  ^  ^ï-ns^y 

3  Jeschouroun  de  Kobak,  VI,  1-32.  Cf.  ib..  208,   VIII   (partie  allemande^,  40,  et 
Lewin  dans  la  Monatsscknft,  1870,  117  et  suiv. 
-*  Leiterhode,  X,  73. 

5  Die  heh:  JJeherzetz.  d.  Mittelalters,  p.  94S. 

6  D^après  Lewin,  /.  c,  117,  Jacoh  b.  Ilayim  écrivait  peu  après  12G9. 


302  REVUE  DES.  ETUDES  JUIVES 

Jacob  b.  Elle  vivait  à  Venise  vers  1421  et  qu'il  faut  le  distinguer 
de  son  homonyme  plus  ancien,  l'auteur  de  la  polémique  contre 
l'apostat  Paul. 

David  Kaufmann. 


LA  FAMILLE   TJ)^  OU  COUSSERI  A  RIYA 


D'après  rinscription  de  la  tombe  de  Meschoullam  Cousser', 
mort  le  "20  juillet  1541,  le  berceau  de  la  famille  des  Cousseri 
semble  avoir  été  Riva  di  Trento  dans  l'Italie  septentrionale.  Si  ce 
Meschoullam  est  le  même  que  le  possesseur  du  Mahzor  d'Oxford, 
n"  1097  *,  son  nom  complet  était  Meschoullam  b.  Mardochaï.  Mais 
alors  Mardochaï  b.  Meschoullam  de  Riva,  sur  qui  nous  avons 
quelques  renseignements,  fut  son  fils.  C'est  à  lui  qu'appartenait 
le  manuscrit  du  Giouni  (ms.  Halberstam  405,  aujourd'hui  au 
Judith  Collège)  ;  c'est  lui  l'auteur  des  lettres  contenues  dans  cet 
autre  manuscrit  Halberstam  390,  d'après  lesquelles  il  aurait  en- 
core vécu  à  Riva  en  1564.  Nous  savons,  en  outre,  que,  le  12  adar 
1570,  il  maria  sa  lille  Pessel  à  Mardochaï,  dit  Marco.  Ce  dernier 
était  fils  de  Caliman  Coën  et  petit-fils  de  Mardochaï  Coën,  qui, 
le  22  novembre  1547,  perdit  la  vie  avec  toute  la  communauté 
d'Asolo,  quand  la  population  se  livra  à  des  excès  sur  les  Juifs  ^. 
Peut-être  était-ce  le  même  Mardochaï  Cousser  dont  la  fille  fut 
enterrée  en  1578  à  Mantoue,  suivant  un  registre  manuscrit,  que 
je  possède,  de  la  société  religieuse  de  cette  ville  '. 

Comment  expliquer  et  transcrire  exactement  le  nom  de  cette 
famille  ?  Nous  n'avons  point  affaire  à  un  mot  hébreu;  car  nous 
n'en  rencontrons  pas  la  traduction  italienne  ou  plutôt  l'original 
italien,  comme  c'était  l'habitude  en  Italie  pour  les  noms  de  famille 
d'origine  Israélite.  Il  suffit  de  penser  à  a'»m-Nn  "j^  dei  Rossi, 
û"""i;~r;  \t2  dei  Piatelli  ou  Mansi,  û-^msnr!  1»  de  Pomis  et  aux  noms 

*  Eevue,   XXXllI,   311,   où  il   faut  lire:  de  Uiva  au  lieu  de  d'Arco,  et,  p.  314 

nbn. 

*  /*.,  XXXI,  292. 

»  Marco  Osimo,  Narrazione  délia  straga  compila  nal  loi!  conho  i/li  Ebrti  d'Asolo, 
p.  15,  106. 

*  Dans  la  liste  des  mN-i3-  ms:i'ir;  de  n"?-  :  S  -  -  njiip  "^sn-.-:'-!  n3  '12;^. 


NOTES  ET  MELANr.ES  303 

pareils,  pour  trouver  remarquable  qu'il  n'y  a  point  pour  T^cip  de 
mot  italien. 

D'autre  part,  la  transcription  de  ce  nom  en  italien  est  curieuse. 
Encore  aujourd'hui  le  nom  de  cette  lamille  se  retrouve  dans 
l'Italie  du  nord  sous  la  forme  de  Cuzzeri.  Marco  b.  MeschouUam 
qui,  en  1570,  marie  sa  fille  Pessel,  s'appelle  Cusser.  Or,  si  ce  nom 
était  réellement  le  nom  hébreu  qu'il  parait  contenir,  il  ne  serait 
jamais  devenu  Cusser  d'après  la  prononciation  italienne,  mais 
Gosser.  La  voyelle  oit  prouve  déjà  que  la  prononciation  de  ce 
nom  n'est  pas  d'origine  italienne,  mais  que  ce  nom  a  dû  être  ap- 
porté ainsi  constitué  d'Allemagne. 

M.  Steinschneider  a  rapproché  justement  le  nom  de  Cousser  de 
celui  de  Yekouthiel  *.  En  Allemagne,  où  Ton  prononçait  Yekous- 
siel,  est  né,  par  abréviation  etsimpliiication,  le  nom  de  Kussel,  qui 
ensuite  est  devenu  Koss.  Ce  dernier  nom  a  été  le  point  de  départ 
de  nouveaux  noms.  C'est  ainsi  que,  par  l'addition  si  fréquente  du 
mot  «  Mann  »,  comme  dans  Feiwelmann,  Liebmann,  Liebermann, 
Seligmann  (on  en  compte  jusqu'à  cinquante  ^j  s'est  lormé  le  nom 
de  Kossmann.  Par  là  nous  comprenons  pourquoi  Kossmann  ac- 
compagne si  souvent  en  Allemagne  le  nom  de  Moïse.  (Juelle  rela- 
tion y  a-t-il  entre  Moïse  et  Kossmann  ?  Par  quelle  association  de 
sons  ou  de  pensées  est-on  arrivé  de  l'un  à  l'autre?  il  suftit  qu'on 
se  rappelle  que  Yekouthiel  est  un  des  se[)t  noms  de  Moïse  \  et  l'on 
saisira  immédiatement  le  rapport  entre  Kossmann  et  Moïse. 

Sans  doute,  l'origine  de  ce  nom  a  été  tellement  obscurcie  par  la 
transcription  hébraïque  (1?:-i::ïîp^\  que  d'après  cette  façon  d'écrire 
on  a  prononcé  Koschman  et  uièaie  Koschmé  et  qu'on  s'est  éloigné 
de  plus  en  plus  de  la  forme  primitive.  Comme  s  et  f  permutent 
dans  le  langage  des  enfants  et  des  dialectes,  Kossmann  a  pu  de- 
venir Koffmann.  Cela  expliquerait  qu'à  côté  de  Yekouthiel  et 
MeschouUam,  on  voie  apparaître  d'ordinaire  le  nom  de  Kuiffmann. 

Mais  parallèlement  à  la  formation  Koss  ou  Kuss.  il  s'en  est 
établie  une  autre  qui  est  devenue  Kousi,  Kousel,  et  Kousser.  Le 
plus  souvent  on  rencontre  Kousi  qui  accompagne  le  nom  de  Mes- 
chouUam *.  Au  lieu  de  -^-ip,  on  lit  souvent  ^■^^^p  ■•,  vu  qu'en  italien 
ïs  dur  est  rendu  par  :ï:. 

La  forme  qui  conduit  à  celle  de  Cousser  est  celle  de  Koser,  d'oii 

'  Catalogue  des  mss.  h'fbrcitx  de  la  hihliQthi\iue  munie  pale  de  Uambourij.  p.  173, 
noie  2. 

-  Zuuz,  Gesammelte  Schriflen,  II,  39. 

»  Cf.  ma  noie,  Monatss.,  XXXVIIl,  237. 

*  Cf.  Steinschneider,  /.  c,  172. 

*  Cf.  la  signature  du  rabbin  Kouzi  b.  Ascher  de  Moulaf^DOue,  Revue,  X,  167. 


3(1',  HKVUr,  lii:S  KTUDKS  JUIVKS 

j'explique  lo  nom  de  Kossermann ',  et  Kotzer,  que  j'identifie  à 
Yekoutliiel  ou  Moïse.  Cette  forme  se  trouve  flans  un  document  de 
Mayence  de  1410,  où  l'on  accorde  une  prolonfîalion  de  sf'^jour  d'un 
an  -  à  quelques  Juifs  chassés  de  la  vallée  du  Rhin,  parmi  lesquels 
il  y  a  un  Kotzer  do  Waldaffe.  D'après  les  autres  noms  du  docu- 
ment, c'est  là  un  prénom  et  non  pas  un  nom  de  famille  ;  et  c'est 
dans  ce  prénom,  comme  me  l'a  écrit  ^r.  le  rabbin  Salfeld,  que 
nous  aurions  l'origine  du  nom  de  la  famille  italienne  des  TJ.'i'p  qui 
ainsi  serait  venue  du  Rheingau. 

Dès  lors,  il  faut  renoncera  voir''  sur  la  tombe  de  Meschoullam 
Cousser  de  Riva  des  armes  avec  l'emblème  de  la  récolte  et  assi- 
gner pour  origine  au  nom  de  Cousser  le  nom  de  Yekouthiel. 

David  Kaufmann. 

P.  S.  —  Ahron  Luzzatto,  dans  sa  collection  des  épitaphes 
hébraïques  de  Trieste,  û-^ini^  ba,  n"  2"),  mentionne  l'épitaphe  d'un 
certain  Abraham  n-'rinp  mort  le  15  Tébet  559(j  (  -=  G  janvier  1836). 
Cette  manière  d'écrire  ce  nom  de  famille  confirme  mon  hypothèse 
sur  l'origine  de  ce  nom. 


*  Zunz,  l.  c.  40. 

'  Je  (lois  à  M.  Salfeld  le  libellé  du  cociiment  Lire  de  Bedmann,  Hheinrjautsche 
Jllertirmer,  II,  71  o.  Il  est  ainsi  conçu  : 

€  Wir  Adolpli...  als  wir  nâchst  um  reddelich  willen  allen  nnd  ijrlichen  unsern 
Juddenburgern,  Ircn  Kiiulen,  und  Gesinden  unser  Trostunjïe  uiid  Geleyde  ull'-und 
abef^esaf^t  babun,  a'iso,  dess  sie  nacb  dieseu  neslkomenden  S.  Micbelstap  biniur  fur- 
ter  In  vnsern  Sledten,  Slossen,  Dorffern,  W^'lern,  Lauden  <ind  frebieten  nit  mer 
■wonen,  wandeln,  oder  sich  enlbalten  sollen  :  dass  wir  vss  sunderlicher  Vrsach  be- 
wejît,  ge;ronnet  und  erlaubt  haben,  verponiieu  und  erieûben  freinwerti{^lich  mit 
Craft  diess  Br.  vnserme  Iiidenburj^ern  Masse  von  Nttsse,  und  Mosse  vou  Norpmherg, 
Onielman,  Salman  iJiijmiilc.  Josep  Dietzsche,  und  Josepk  von  Zersck,  Sara  und  Siis- 
skint  Ir  Eyden  zu  Osterich,  Vifis,  und  sin  sone  Getchalk,  und  Sanwel  zu  Eltuil, 
Kotier  zu  Walda/fe^  und  Lini  und  sein  Son  zu  Algensheim,  dass  sie  mit  Iren 
HusstVauen,  Kinden  und  Brotessen  furier  ein  Jar  lan^k,  uemblich  bis  ull  den 
obbeslimplen  sant  Micbelstagr,  der  Komen  wirdet  in  dem  .lare,  als  man  scbrybet 
nach  viisers  Ilerrn  ^ebiirl,  dusent.  vierhundert,  Siebenzi^f  und  ein  Jar,  in  unsenn 
Lande  dem  Rynjrauwe  hussn  und  ■«'onen;  und  wir  peben  lue  diesse  obbeslimpte 
Jare  eyn  sicber  l'ry  slrak  freleyde,  Inrnassen  sie  dan  bisshor  pehabt  haben,  doch 
mit  dem  Underscbeide,  dess  sie,  devyle  und  derentbinnen  uf  Gesuch  nit  ussliehen, 
wucbern,  oder  sust  eyniclierley  ander  HanJlunj^e  tr\-ben  solien  ;  auch  se  moj^en  die 
benannten  Juden,  und  Ir  i^'-lich  sicb,  Ir  Kynde,  Gesinde,  und  wem  sie  das  furter 
punnen  woUen,  ob  und  was  darbinnen  der  obbeslimplen  Zyt  Iodes  abegeen  wurde, 
uir  den  Judensand  by  uoser  Stat  Mentze  pjelefren  begrabeu  lassen  ;  und  sollen  die 
obgu.  luden  nit  schuldijr  oder  ptlicbtig  sin  von  demselben  erst  komenden  Jar  un- 
sern Lantschryber  Im  Kmpgawe  eincberby  Ziunss  zu  bezalen,  etc.  Urk  diss  br.  der 
peben  isl  In  unser  Slat  Mentze,  am  Sontag  nach  Laurency  auno  Dci  .Millesimo, 
(Juadrif^enles  septuagesimo.   • 

*  Comme  je  l'ai  fail  moi-mt^me  dans  celte  Revue,  XXXIII,  !VH . 


NOTES  ET  MÉLANGES  :m 


UNE  NOUVELLE  INSCRIPTION  HÉBRAÏQUE 


Le  musée  Calvet  d'Avignon  possède,  dans  sa  salle  du  moyen 
âge,  une  inscription  hébraïque  qui,  croyons-nous,  n'a  jamais  été 
relevée.  C'est  une  pierre  rectangulaire  d'environ  80  cm.  de  large 
sur  65  cm.  de  haut,  coupée  horizontalement  par  le  milieu,  mais 
réunie  par  deux  crochets  en  fer.  L'inscription,  à  part  une  ou 
deux  lettres,  est  très  bien  conservée  et  se  lit  facilement.  En  voici 
le  texte  et  la  traduction . 

D-";:}:»?!  ynnN  ■'T'  by  bn-pi 
ûmnsr:  n7:r!  nbn  -ibxr; 

d:Dm  ^T-  rT«3rt  v;ab  a^n 
1  3-ir;  ir-n»  Nir;  Nbn  b-pn 

psb  npnn  bibx  n-n 

Cette  maison  a  été  fondée  aux  frais  de  la  communauté  par  l'inter- 
médiaire  de  ces  quatre  hommes,  à  savoir  les  vaillants  Ephraïm  de 
Garcassonne,  Cémah  Rouget,  Johanan  Haïm  de  Milhaud  et  Abraham, 
fils  d'Aron,  de  Montélis  (Monteil)  qui  ont  fait  des  sacrifices  person- 
nels pour  le  peuple  à  propos  de  la  construction  de  cette  maison.  Et 
le  rabbin  de  la  communauté  est  notre  maître  Rabbi  Jacob  de  Prague. 
Aujourd'hui,  1"  jour  du  mois  d'Eloul  5502  (1742). 

Il  est  difficile  de  dire  exactement  à  quelle  maison  notre  inscrip- 
tion fait  allusion.  Mais  tout  nous  fait  croire  qu'il  s'agit  d'une 
annexe  de  la  synagogue.  Au  milieu  du  xviii«  siècle,  la  commu- 
nauté juive  d'Avignon  avait  pris  un  développement  relativement 
considérable.  La  population  était  si  nombreuse  qu'il  était  question 
de  construire  une  seconde  synagogue.  Cependant,  s'il  s'agissait 
du  temple  même,  il  est  probable  qu'on  n'aurait  pas  employé  le 
terme  de  n-^n  (maison).  Il  faut  donc  supposer  qu'il  s'agit  d'une 
salle  de  réunion,  ou  même  d'une  sorte  d'asile  de  nuit  pour  les 
pauvres  passants,  deux  institutions  qui  se  trouvaient  dans  les  dé- 
pendances de  l'ancienne  synagogue. 

Jules  Bauer. 

T.  XXXV,  N»  70.  20 


306  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

UNE  LISTE  HÉBRAÏQUE    DE   NOMS    GÉOGRAPHIQUES 
DE  L'AFRIQUE  DU  NORD 


M.  Ad.  Neubauer  a  publié  dans  cette  Revue  (t.  V,  p.  249)  une 
liste  de  noms  géographiques  qui  se  trouve  dans  un  ras.  hébreu  de 
la  Bibliothèque  nationale  intitulé  Et  Sofer,  et  qui  a  été  écrit  à  Mé- 
quinez,  en  ITZS.  C'est  une  liste  de  villes  africaines  avec  les  noms 
des  rivières  avoisinantes,  dont  la  connaissance  était  nécessaire 
pour  la  rédaction  des  actes  de  divorce. 

Cette  liste  n'aj'ant  que  quelques  lignes,  on  nous  permettra  de  la 
reproduire  à  nouveau  '. 

M.  Neubauer  n'ayant  pas  identifié  ces  noms,  nous  allons  es- 
sayer de  combler  cette  lacune. 

.TwST  ■;  i->5NT\v  .'l^■2y'•:  -;n-i1  ';  3Nn3'n"'iN  .■'iNn?^  'd  nN37ûT  .N^bp'^N  's  D-^ia 
i^y  n-'iN  n^D  .^i^Tnin  ';  innn  .-ibNsJN  ':  r;T2Nn  .Dip-'b  ':  T'nD  -iNirpb 
■^brx  ';  r:~Jn-i  .rws:;!;^  '3  "t^'^^z'^'-H  .bsbD   '3  Dwx;r73   .ayn  '3  n-iNO 

.i-iiST  i-'-y-z  -n-n  .«riN  '2  mo::  .d-'s-'n  '3  piNan 

[1]  Fez,  rivière  Ougadir;  'X  Merâkesch  (Maroci,  r.  Tehnsifl;  [3  Tlem- 
cen,  r.  I  sser-Tena-Assif  ;  [4]  Tuggurt  (?),  r.  Djidida;  ^5]  Taroudant, 
r.  Sous;  [6]  Sella,  r.  Bou-Regrag  ;  [1]  Tafilelt,  r.  Ziz  ;  [8]  Gracillon, 
r.  Ziz;  [9]  Guers,  r.  El-Cala'a  ;  [10]  Demnât,  r.  Mehedia;  [111  Ait 
'Atlab,  r.  Oued-el-'Abied  ;  [12]  Ezaguin  [1],  r.  Zâz;  [13]  Al-Kçar  el- 
Kabir,  r.  El-Khous;  [i4]  Tefesra(?),  Djabarou;  [15'  Debdou,  r.  Bou- 
'Alta;  [16]  Kelr  Aït-'Abd  Kefra,  r.  Draa';  il7]  Mequinez,  r.  Felfel  ; 
[18]  A-Maçmiqi  (?),  r.  Engcla  ;  [19]  Oudjda,  r.  Igli  ;  [20]  Taza,  r- 
Lakhder;  [21]  Bou  'Alal  et  village  Bou-Yahya,  r.  Tiguisas  ;  [22]  Béni 
'Aïat,  r.  Cencel;  [23]  Tétuan,  r.  Aiguas;  [24]  Sefrou,  r.  Aga  ;  [25] 
Hezrou,  source  de  Zereh. 

'  Nous  ne  sommes  pas  tout  à  fait  d'accord  avec  notre  confrère  pour  la  lecture  de 
ces  noms.  Ainsi,  le  premier  nom  de  rivière  doit  être  lu  "l■'^N^abN  ou  "I^NlibN, 
el  non  •sn?:;^  ;  le  18"  nom  est  ■'P"'72^7;î<,  et  non  ■^T'^/JiïTTN.  Ensuite,  si  le  ms.  est 
bien  daté  du  19  adar  c488  (=:  1"28",  il  n'en  résulte  pas,  pour  nous,  que  la  liste  ap- 
partienne à  ce'.te  dale  ;  elle  peut  être  de  beaucoup  antérieure  au  copiste.  Enfin, 
celle  liste  ne  parle  pas  seulement  du  Maroc,  mais  des  provinces  plus  ou  moins  voi- 
sines, comme  le  dit  formellement  le  texte  :  mpimïlT  mDTipri  m3"^'773. 


NOTES  ET  MÉLANGES  301 

Vu  l'incertitude  de  plusieurs  de  ces  identifications,  voici  —  la 
carte  sous  les  yeux  —  des  explications  justificatives  : 

lo  L'écrivain  nomme  voisine  de  Fez,  la  petite  rivière  Ougâdir, 
au  lieu  du  fleuve  Oued  Sbou,  sans  donner  la  raison  de  cette  pré- 
férence. —  3.  De  même,  pour  Tiemcen,  au  lieu  d'indiquer  le  voi- 
sinage du  cours  d'eau  Sekâk,  il  parle  des  deux  fleuves  qui  coulent 
non  loin  de  là,  Tisser  et  la  Tafna,  qu'il  suppose  joints  et  auxquels 
il  ajoute  le  nom  berbère  Assif  (rivière).  —  4.  Pour  lire  le  nom 
Tuggurt,  il  faut  supposer  les  deux  avant-dernières  lettres  inter- 
verties ;  c'est  possible,  mais  non  absolument  certain.  Il  est  vrai 
que  l'ortliographe  du  nom  de  la  rivière  est  traitée  de  la  même 
façon,  et  qu'il  y  a  d'autres  interversions  de  lettres,  peu  graves.  — 
12.  Ezaguin  est  proposé  dubitativement  ;  Léon  l'Africain,  —  comme 
M.  de  La  Martinière  veut  bien  nous  le  signaler,  —  cite  une  loca- 
lité de  ce  nom,  sise  à  11  milles  de  Fez,  construite  sur  le  flanc 
d'une  montagne  à  environ  22  milles  du  fleuve  Onargna  :  il  n'est 
pas  question  du  Zàz.  —  14.  Au  lieu  de  lire  Tedessa,  comme  le 
texte  y  convie,  il  faut  préférer  la  lecture  Tefesra,  située  dans  la 
province  d'Oran,  puis  admettre  une  transcription,  dénaturée  par 
la  prononciation  vulgaire,  du  nom  de  Djabrou,  une  des  sources 
qui  vont  à  la  rive  gauche  de  la  Tafna.  —  17.  Le  nom  Felfel,  que 
nous  avouons  n'avoir  rencontré  dans  aucune  géographie  mo- 
derne, est  ainsi  orthographié  par  Yakout,  dans  son  Dictionn. 
géogr.  (éd.  Wustenfeld,  III,  453).  —  18.  Là  le  nom  de  la  ville  et 
celui  de  la  rivière  sont,  tous  deux,  incertains.  Pour  celle-ci,  faut- 
il  songer  à  Anaccâl,  sis  à  deux  journées  d'Om-Rabi,  où  «  coule 
une  source  d'eau  limpide  '  »?  —  21.  L'Oued  Tiguisas  est  bien  au 
Maroc,  mais  coule  loin  des  parages  des  Bou  'Atat  :  est-ce  une 
erreur  de  transcription  ?  —  22.  Edrisi  -  donne  ce  nom  de  Cencel, 
que  M.  de  Goeje  transcrit  Çonçal  ;  le  copiste  juif  a  écrit  m  {lourn. 
—  25.  Le  nom  Hezron  est  orthographié  comme  l'écrit  notre  texte, 
dans  Yakout,  III,  25T.  Au  lieu  de  Zareh,  c'est  peut-être  Zarhoum. 

Ces  variations  d'orthographe  s'expliquent  peut-être  par  les 
nombreuses  migrations  des  Juifs  d'une  province  de  l'Afrique  dans 
l'autre  ;  d'après  le  Rond  el  Cay^tas  ^  les  Juifs  d'Espagne  et 
8000  familles  de  Cordoue  passèrent  à  Fez  dès  l'an  823  de  l'ère 
vulgaire. 

Moïse  Schwab. 


*  Edrisi,  Géographie,  édit.  de  Goeje  (Leyde,  1866),  p.  71  ;  Irad.  p.  82. 

*  Ibid.,  texte,  p.  201  ;  Irad.,  p.  246. 

*  Hiatoii-e  du  Maghreb^  Irad.  Beaumier,  p.  55. 


BIBLIOGRAPHIE 


Muehsor  Vitry  nach  der  Handschrift  im  British  Muséum,  zum  ersten  Maie  heraus- 
gegeben  und  mit  Anmerkungen  versehea  von  S.  Hurwitz,  Kabbiner.  Berlin, 
1893-96. 

Einleitung  und  Register  zum  Machsor  Vitry  von  Rabbiner  S.  IIurwitz  mit 
Beitrâgen  von  D'  A.  Berlinef^.  Berlin,  1896-1897,  herausgegeben  im  Selbstver- 
lage  des  Vereins  M'kize  Nirdamim. 


Le  Mahzor  Vitri/,  commencé  à  la  fia  du  xi^  siècle,  sous  la  direc- 
tion de  Rasclii,  est  d'une  grande  importance  pour  l'histoire  de  la 
culture  et  de  la  littérature  des  Juifs.  La  Société  littéraire  «  Mekize 
Nirdamim  »,  qui.  en  publiant  cet  ouvrage.  Ta  mis  à  la  portée  des 
amis  de  la  science  juive,  mérite  notre  reconnaissance.  Seulement 
il  est  très  regrettable  qu'elle  n'ait  tenu  aucun  compte  des  règles  de 
la  critique  moderne  dans  l'exécution  de  cette  édition.  Cette  édi- 
tion est  faite  uniquement  d'après  une  copie  du  manuscrit  de 
Londres,  tandis  que  les  manuscrits  d'Oxford  de  cet  ouvrage,  le  Sid- 
dour  de  Raschi,  l'ouvrage  de  Raschi  appelé  nrT^m  "nDN  et  d'autres 
manuscrits  s'y  rapportant,  n'ont  pas  été  utilisés.  On  a  négligé  de 
coUationner  la  copie  avec  l'original,  qui  est  au  British  Muséum, 
quoique  l'impression  ait  duré  quelques  années,  et  ce  n'est  que  l'in- 
troduction qui  donne  des  corrections  et  des  restitutions  d'après  le 
ms.  Si  on  considère,  en  outre,  que  le  manuscrit  de  Londres  est  plein 
d'additions  postérieures,  il  est  inévitable  que  l'étude  de  cet  ouvrage 
et  un  coup  d'oeil  jeté  sur  la  forme  primitive  n'auraient  pas  été  inu- 
tiles. On  n'a  guère  fait  davantage  [)our  aider  les  lecteurs  à  s'orien- 
ter. L'ouvrage,  qui  compte  800  pages,  n'a  pas  de  table  des  matières  ! 
Il  est  impardonnable  de  la  part  des  «  Mekize  Nirdamim  »  d'avoir 
confié  cette  édition  à  M.  Hurwitz  et  de  n'avoir  pas  surveillé  l'exé- 
cution de  son  travail.  M.  IIurwitz  possède  un  grand  savoir  talmu- 
dique,  mais  il  n'a  pas  le  sentiment  de  la  méthode  et  des  exigences 
^  la  critique.  Chaque  page  du  M.  F.  en  fournit  la  preuve, 
^ans  ses  notes  l'éditeur  se  livre  souvent  à  d'inutiles  discussions 
nalachiques  et  néglige  d'établir  la  correction  du  texte,  de  renvoyer 


BIBLIOGRAPHIE  309 

aux  sources  et  d'indiquer  les  ouvrages  les  plus  anciens  où  M.  V. 
est  cité. 

Les  nombreuses  corrections,  que  l'introduction  nous  apporte  trop 
tardivement,  n'épuisent  même  pas  les  corruptions  du  texte.  Les  pas- 
sages suivants  en  sont  d'intéressants  exemples  : 

P.  23,  ^^2^'J  '-i'vD'^'>a3  nb-^b  mirn,  1.  -^n-iOD. 

P.  144,  N"T.  pa-nn  b::bcb  it  n-\-in  by  '^iTaob  nmwT  'n  nsNi 
1''3TT'5'3.  Il  faut  ici  'j-'^TT^i'a  irn^ûNna  babab. 

P.  242,  :?7a'*r)7273  Nbïî  r:5i^  irit  ;  lire  rwoo):  ;  voir  Pardès,  n»  290. 

P.  3i7,  iioah  mn^  '^nmnm  'int,  il  manque  les  mots  bNTO"'  v-2':^. 

P.  360,  n7ûib  ni:i"TO  ■^3272  Nr'i7û-i5n  ib::^^  inbr:  ■>-)  "jiNsm,  lire  ■^3î« 
"i«V5  ^2:1-1  nî-iNVD. 

Les  indications  de  sources  et  de  passages  parallèles  sont  très  dé- 
fectueuses. 

P.  25,  -113-^1:  n-i'n  by  -^.arvr!  l-^inai^'i.  Là-dessus  M.  H.  observe  :  l""! 
a-^rîSttr!  n^n  n":  )i2'*o  n"nw\3  """an  a^^n  ht.  Il  aurait  dû  dire  plutôt  que 
cela  est  rapporté  dans  Mordechaï  Schebouot,  ch.  11,  comme  Consul- 
tation de  Raschi. 

P.  93.  "'ibr:  -\^~i  na  bNi»;a  'n  i-iNsrt;  Pardès  {éà.  Varsovie),  H6a. 

P.  99,  nno  rïsn,  0;*  Zaroua,  II,  22,  au  nom  du  Siddour  de  Raschi. 

P.  405,  naon  m-^nb  bn*::  n"-i,  Likkouté  Pardès  (éd.  Amst.),  23c. 

P.  201,  ûnbwVîU^Oi,  Pardès,  n°  198;  Schibbole  ha-LéJiet,  n"  186;  Méïr 
de  Rothenbourg,  Gonsult.,  éd.  Prague,  n°  634. 

P.  213,  d'ails  miDb'^rj.  L'éditeur  ne  sait  pas  que  les  maiirp  mobn 
sont  publiées  d'après  un  ms.  de  Parme  dans  Ch.  M.  Ilorwitz,  rr^D 
msbrrr!  m^;,  I.  Les  û-ms  n::brî  s'y  trouvent  à  la  page  19. 

P.  255,  U'^T^'p  a"^bDin  1-<î<i,  Mordechaï  à  la  fin  &Aboda  Zara  comme 
réponse  de  Raschi. 

P.  287,  û'^ma  n-'»^  "'30,  Pardès,  n°  147. 

P.  288,  nb^oo  -imnwn  by^,  voir  ns-iit  •>7ûDn  nmon,  n«  1 1,  et  D"'wn 
D''5>1,  no  126. 

P.  320,  iT-N-i  -na-^T  .msN-  NitTOS  pT,  voir  Introduction,  p.  66.  La 
source  est  le  mnmrt  mWi»  o-nTo,  Jelliuek,  Bdh  ha-Midrasch,  I,  69. 

P.  325,  "iiobiîD  iriiT:  m5N3,  Pesikta  Rab.,  91  a. 

P.  345,  UDOTon  "]b?3m.  Rép.  de  Raschi  dans  D-^îlWO»  U5sin,  p.  2; 
Pardès,  p.  116  b. 

p.  358,  Or  Zaroua,  I,  l^b,  cite  cette  réponse  de  Raschi  et  observe 
qu'elle  débutait  par  !-!;"i;  -nN  et  qu'elle  était  signée  de  Raschi  et  de 
son  gendre. 

P.  382,  b-'nnrsb  -)"icni,  Pardès,  n»  180. 

P.  387,  irTNn  n^-iDT,  Pardès,  f"  12  h. 

Ces  quelques  exemples,  qu'on  pourrait  multiplier,  montrent  la  va- 
leur des  notes  de  M.  Hurwitz. 

En  ce  qui  concerne  l'Introduction,  il  n'y  a  pas  d'exemple  d'une 
pareille  absence  de  critique.  M.  H.  trouve  qu'il  est  possible  que 
Simha,  le  disciple  de  Raschi  (mort  en  1105),  ait  vécu  encore,  en 
1208  (p.  7).  Il  ne  sait  pas  qu'il  y  a  une  différence  entre  Simha  de 


310  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

Vitry,  Simha  de  Spire  et  un  troisième  Simha  cité  dans  Séfer  ha- 
Yaschar  (p.  8).  II  confond  Eliakim  ha-Lévi  de  Spire  avec  Eliakim  de 
Mayence  (p-  14),  Joseph  b.  Moïse  (disciple  de  R.  S.  B.  M.)  avec 
Joseph  b.  Isaac  Bechor  Schor  (p.  45).  M.  Hurwitz  ne  connaît  pas 
de  différence  entre  mbina  miDbn,  mpiOD  mDbri  et  maiirp  niDbn 
(p.  25).  Jacob  b.  Simson  est  pour  lui  le  même  personnage  que 
Jacob  Nazir  (p.  31).  De  même,  il  confond  Méïr  b.  Joseph  du  nord 
de  la  France,  ou  de  Lorraine,  avec  son  homonyme  de  Narbonne 
(p.  37)  ;  Menahem  b.  Ilelbo  avec  Menahem  b.  Machir  (38);  Meschoul- 
lam  b.  Kalonymos  avec  Meschoullam  b.  Natan  (p.  40);  Matatia,  le 
gaon  babylonien,  avec  Matatia  de  Paris  (p.  41). 

P,  60,  M.  II.  considère  comme  possible  que  Raschi  cite  son  petit- 
fils,  Salomon  b.  Méïr  et  cela  eu  ces  termes  :  i;"»3n  ■^pi73'^53  ■^rx^?:  p 
"T^MTS  "^nna  "7ab"0  «  C'est  ce  que  j'ai  trouvé  dans  les  Nimoukim  de 
notre  maître  Salomon,  fils  de  R.  Méïr  !  » 

Ces  erreurs,  que  j'oserai  qualifier  de  scandaleuses  et  d'autres  en- 
core sur  lesquelles  M.  Berliner  a  appelé  l'attention,  ue  peuvent  s'ex- 
cuser par  le  manque  de  livres  et  de  manuscrits',  car  tout  débutant 
dans  l'histoire  de  notre  littérature  sait  ces  choses-là.  Je  ne  m'ex- 
plique pas  comment  une  société  littéraire  a  pu  livrer  au  public  un 
travail  semblable. 

Il  eût  été  beaucoup  plus  avantageux  pour  l'ouvrage  si  M.  H  ,  au 
lieu  de  ses  malheureux  essais  d'histoire  littéraire,  y  avait  mis  les 
index  des  matières  et  des  noms.  Ainsi  nous  n'avons,  pour  cet 
ouvrage  si  étendu,  non  seulement  pas  de  table  de  matières,  mais 
même  pas  de  sommaire.  Les  index  qui  s'y  trouvent  sont  mal  dis- 
posés et  défectueux.  J'y  remarque  l'omission  des  noms  de  personnes 
et  de  choses  suivants: 

bn5">:îNr;,  733,  7oo.  —  ^-l3n  mbD-'n,  323  (corruption  de  snDb-^nn 
•^nm).  —  yn'2  -in  rtm--^  'n,  381,  v.  iiwS-'jO  '-i.  —  ri"-i  p  ^dt'  '-i,  243. 
—  inrp-j  •'DV  '-1,  443.  —  "cnï!?:  binsrt  in-^rnT:  '-i  nnrr  p  bx-'n"'  'n,  247. 
Voir  Introduction,  p.  40.  —  "PT:-  npy  'i,  368,  dans  H.,  au-dessous 
de  Jacob  b.  Simson,  —  MC,  132,  à  la  fin  d'une  glose.  —  "i"r:3  pn::"'  'i 
D-'-'n,  36.  —  [■'-irj  -j-iD»  2-,r!)  pnii-'  'n,  444.  —  □"3'^-i,  649.  —  jo"-"-), 
413.  —  np"^,  445.  —  b^lib»  bx")--'  'i,  734.  Autrement  inconnu.  —  npb 
m::,  249,  dans  une  note  marginale.  —  m~,'niT  m"i"^on  C"!"?^,  636.  — 
•û"^-iD73  bnsri  r!Tin72  '-i  nin  p  bx^n-^  na  r^-ziz  'i,  247.  —  xr-ia?:  n'::»  '-i, 
798,  voir  MomlSiChrift,  XLI,  308.  —  y"-ûZ,  347  —  "^2'û  d^2D3  "^-isO  , 
247.  —  2'^"'7:"':d  a"'~iDD,  112.  —  Qt^  '0.  32.  Un  Midrasch  ressem- 
blant au  nr^nn  ^yiz.  —  -^rNi-i  ■'rirp,  209.  —  bnp  r2r:;n  ,î«7an,  226.  — 
■'wnn  -^ia,  312.  —  N"'"'D-n,  243,  248.  —  inN-ib?:  nrb-w  'n,  1I2.  -  ^nb  -n»'»^ 
rî3y»,  393.  —  ■'TJ^iTa  r:n?2">:5  'n,  244.  —  yn'z  -i3  m-in'»  -i3  •mi<-';o  '-., 

»  M.  Berliner  dit  eu  enjolivant  les  choses  :  "iCN  p'"^  pi  "«3    r:5m?J  "im:3  ""Sm 

"-i^iiN  ïmwS''2:72n  "'-ip"'  cd-'Ddis  S'^-idoi  ■'"33  O7on\::-b  -«irsn  n-ibirn 
^»îbt:b^  t^-ihn  t^3b  ■'i-'  bstb  r-rrî  nnix  riNi  «b  [y-iii-nn]  a"-i  mn 

T1-13T  .  C'est  parce  qu'il  m'a  été  donné  de  me  servir  de  mss.  ou  d'éditions  rares  que 
M   II.  ne  connaissait  pas  que  j'ai  pu  compléter  ses  paroles.  »  —  Introduction,  p.  171. 


BIBLIOGRAPHIE  311 

291.  —  ■'aNH  'D,  649,  reproduit  p.  674.  —  ann  2a"''n,  133.  —  "'an  NDn 
nn^bN.  317,  637. 

La  table  des  passages  où  Raschi  est  cité  (p.  111-60)  est  également 
fort  mal  faite  et  ne  mérite  nullement  l'éloge  que  M.  Berliuer  lui  dé- 
cerne'. Ou  n'y  observe  pas  même  la  suite  des  chiffres  de  pagination. 
Après  91  vient  35,  après  268,  148,  etc.  nn^  irai,  P-  42i,  n'est  pas 
Raschi,  comme  M.  H.  lui-même  le  dit,  et  cependant  ce  passage  est  cité 
dans  l'Introduction,  p.  57.—  P.  59,  M.  H.  cite  du  3f.  F.,  769,  irai  -«-nTaT 
123*10»  ;  or,  ceci  est  emprunté  au  Séfer  ha-Terouma,  et  irai  ■<ti73 
ne  désigne  pas  Raschi  mais  Isaac  h.  Samuel.  Par  contre  ,  H.  ne 
cite  pas  les  nombreux  passages  suivauts  oîi  Raschi  est  cité  :  p.  8, 
23,  35,  36,  39,  40,  53,  82,  83,  91,  93,  103,  120,  142,  148, 149,  150,  192,  193, 
204,  208,  209,  210,  212,  218,  228  (?),  242,  249,  252,  251,  23o,  260,  268, 
269,  357,  359,  366,  413,  43b,  442,  446,  586,  587,  589,  591  (?),  608,  635, 
636,  638.  On  voit  par  là  quelle  est  la  valeur  de  findei. 

L'index  des  citations  du  Talmud  est  inutili:;able,  parce  qu'il  est 
disposé,  non  selon  la  suite  des  traités,  mais  suivant  la  pagination 
dans  M.  V. 

Nous  bornerons  là  nos  observations  sur  l'appareil  critique  de  l'In- 
troduction. Sans  nous  étendre  sur  les  opinions  de  M.  Ilurwilz  en  ce 
qui  concerne  le  plan  et  l'histoire  de  l'ouvrage,  nous  remarquerons 
seulement  que  V'nN  qui  se  trouve  à  la  fin  de  certaines  notes  ne  si- 
gnifie pas  in:  "in  -iT3"^bN,  comme  M.  H.  le  dit  par  erreur,  mais  annnK 
•jnî  -13.  Au  surplus,  je  renvoie  à  mon  travail  sur  Schemaya,  Monats- 
schrift,  XLI,  257  et  s.  où  je  crois  avoir  établi  exactement  les  rapports 
respectifs  du  Mnhzor  Vilnj,  du  Pardès  entre  eux  et  entre  les  écrits 
de  Schemaya.  Depuis,  j'ai  découvert  que  dans  le  -inrti  mrx  de  Raschi 
(ms.  Merzbachei)  il  y  a  des  notes  de  Schemaya  et  j'y  ai  trouvé  la 
conarmation  la  plus  nette  de  mes  vues  sur  les  rapports  des  ou- 
vrages mentionnés.  Je  reviendrai  sur  ce  point  et  je  vais  passer  main- 
tenant aux  corrections  et  noies  de  M.  Berliuer. 

P.  172.  Abraham  mentionné  dans  M.  V.,  p.  222  (^'"j  CmnN  'n  ■'37a) 
n'est  pas  Abraham  b.  Joseph  d'Orléans,  mais  un  contemporain  de 
Simha  de  Vitry.  Les  mots  cités  se  trouvent  aussi  dans  le  Siddour  de 
Raschi  et  dans  le  nnrîi  -nON,  et  ne  peuvent  être  considérés  comme 
une  addition  postérieure. 

P.  174.  La  correspondance  de  Raschi  avec  son  maître  Isaac  ha-Lévi 
a  déjà  été  publiée  par  M.  llalberstam,  en  1882,  d'après  le  -i^^:n  'o,dans 
Bet- Talmud,  II,  296.  La  réponse  de  Raschi  est  aussi  rapportée  dans 
le  Par  dès,  n°  228. 

P.  185.  Le  commentaire  sur  Abot,  imprimé  dans  le  Siddour  de 
Turin.  1525,  n'a  pas  Raschi  pour  auteur.  Il  y  est  dit  :  iroi^  V'"'"''"  '"• 
Raschi  a  lu  D-';";p  't  ;  voimpinn,  I,  93. 

P.  187.  M.  Berliuer  nie  que  Jacob  b.  Simson  ait  été  un  disciple  de 

'  P.  ne.  [r\b-2  px  nn^n  tiicxb  N"i3":r!  V:*3  3-,:^  i:?::'  n"-:'  "m;  -2T 
nno  iD^n-i  IN  ^3-1  l:C3  c::  N3-173  ^"c-i  -,CwS  nrjip7:n. 


312  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Raschi  et  voudrait  eu  faire  uq  conlemporain  de  Jacob  Tam.  J'ai 
parlé  plus  haut  de  Jacob  b.  Simson. 

En  ce  qui  concerne  le  commentaire  sut  Abot,  M.  Berliner  aurait  dû 
renvoyer  à  l'Introduction  de  M.  Schechter  sur  Aboû  de  R.  'Nathan, 
p.  IX,  où  le  nécessaire  a  été  dit  surcetle  question. 

A  la  fin  de  l'Introduction,  M.  Berliner  publie  les  dernières  pages 
du  manuscrit  de  Londres  qui  n'avaient  pas  été  copiées.  Les  der- 
nières pages  de  l'Introduction  portent  en  haut  une  pagination  indé- 
pendante de  1  à  16  et  en  bas  le  chiffre  de  pagination  de  M.  Y.  La  fin 
du  M.  V.  traite  du  calendrier  juif  et  on  y  voit  que  l'auteur  a  vécu 
dans  la  première  moitié  de  xiif  siècle.  Au  sujet  de  cette  question, 
M.  Berliner  dit,  à  la  page  1  de  la  nouvelle  pagination  :  a  L'année  4902 
(1142)  qui  se  trouve  à  la  p.  12,  au  commencement  du  calendrier,  n'est 
pas  l'année  où  vivait  l'auteur  ou  le  copiste.  Cette  année  n'a  été  choi- 
sie comme  la  première  du  comput  que  parce  que  Abraham  b.  Hiyya 
commence  son  calendrier  par  la  1^"  année  du  258^  cycle  (238  X  19 
=  4902=  1142).  L'auteur  a  dû  plutôt  vivre  vers  l'an  4970  =  1210, 
comme  cela  résulte  de  la  page  8.  »  Ce  cas,  s'il  était  vrai,  devrait  comp- 
ter parmi  les  plus  grandes  curiosités  de  notre  littérature.  Ordinaire- 
ment on  fait  un  calendrier  pour  l'avenir.  Mais  ici  un  homme  du 
xiii«  siècle  aurait  commencé  son  calendrier  avec  la  dernière  année 
du  238®  cycle,  c'est-à-dire  en  1142,  uniquement  parce  que  le  calen- 
drier d'Abraham  b.  Hiyya  commence  par  la  première  année  de  ce 
cycle  (1124)!  Cependant  cette  surprise  légitime  disparaît  dès  qu'on 
jette  un  coup  d'oeil  sur  le  calendrier.  Il  commence,  à  la  page  12,  par 
l'année  1242*,  et  nullement  par  l'an  1142.  L'hypothèse  de  M.  Berli- 
ner concernant  la  dépendance  de  notre  calendrier  d'Abraham  b. 
Hiyya.  repose  sur  une  erreur  d'un  siècle  entier. 

P.  15.  M.  B.  rend  compte  du  livre  "^UîipbNn  'o  de  Jacob  b.  Simson  et 
dit  :  «  Le  cycle  258  est  désigné  comme  le  cycle  prochain  par  le  ver- 
set niin  ^'>^  yyin  "indto  npy»  ni:">t-  Ce  cycle  commence  en  l'an  84 
(4883=:  11 23)  et  est  choisi  d'après  l'exemple  d'Ab.  Hiyya,  comme  je 
l'ai  prouvé  plus  haut.  »  Nous  savons  ce  qui  en  est  de  la  preuve  en 
question.  Ici  je  ne  puis  m'expliquer  comment  l'an  4884  (le  l'"^  du 
cycle  258)  peut  être  aussi  en  même  temps  4883.  D'après  ce  qu'on  sait 
du  manuscrit,  il  n'y  pas  de  doute  que  Jacob  b.  Simson  a  écrit  son 
■^^lîipbNn  '0  à  la  fin  du  2o7«  cycle  ;  il  y  fait  allusion  par  les  mots  NiC'^i 
i'DO  "1N37:  npy"".  Il  commence  son  calendrier  par  le  258»  cycle  et  l'in- 
dique par  les  mots  r;;"in  ^b"^T.  Il  n'y  rien  de  surprenant  dans  le  fait 
que  Jacob  et  Abraham  b.  Hiyya  composèrent  en  même  temps  des 
calendriers.  M.  Steinschneider  écrit  aussi  {Die  Mathematik  bei  deii 
Juden)  :  «  Jacob  ben  Simson  composa  en  1123  un  calendrier  dont  une 
partie  seulement  nous  a  été  conservée  dans  un  ms.  de  laBodléienne  » 
(Neubauer,  n°  629)  *. 

'  û-iï^DT  D-'sbN  'n  nra  v^3«b  nb^ci  mbi^m  mDipn^  -no  ^b  «!ti 
^"on  "iirnî^b  'n  n;\ui  obi:?  nNnnb. 

*  Bibliothica  Mathematica,  Stockholm,  1896,  p.  78. 


BIBLIOGRAPHIE  313 

Avant  de  clore  cette  notice,  je  me  permets  d'exprimer  le  vœu  que 
les  savants  directeurs  de  la  société  littéraire  Mekize  Nirdamim  appor- 
teront à  l'avenir  plus  d'attention  à  leurs  publications.  Chacun  de 
ceux  qui  sont  à  la  tète  d'une  société  de  ce  genre  a  une  grande  res- 
ponsabilité, non  seulement  envers  les  membres  de  la  société,  mais 
aussi  vis-à-vis  de  la  littérature.  Les  éditions  d'une  pareille  société 
doivent  offrir  toute  la  perfection  réalisable.  La  société  doit  montrer 
par  des  exemples  quelles  sont  les  exigences  de  la  critique  moderne 
à  l'égard  d'un  éditeur.  On  ne  devrait  accepter  que  des  travaux  attes- 
tant un  goût  approfondi  et  sérieux  de  la  science  et  de  la  compétence 
dans  cette  oranche  des  connaissances  chez  les  auteurs.  Des  travaux 
de  faible  valeur  ou  de  mauvais  aloi  doivent  être  refusés  sans 
ménagement. 

Vienne,  octobre  1897. 

A.  Epstbin. 


CORRESPONDANGK 


Dans  le  dernier  numéro  de  cette  Retue  (p.  132-1 35)  M.  Belléli  a 
consacré  un  long  et  intéressant  article  à  la  critique  détaillée  de 
ma  transcription  du  Pentateuque  néo-grec  ;  cet  article  dépasse  le 
cadre  d'un  simple  compte  rendu  et  ajoute,  comme  Tauteur  a  tout 
droit  de  le  dire,  un  «  petit  chapitre  à  l'histoire  de  l'exégèse  bi- 
blique ».  Espérons  qu'il  faut  attribuer  au  désir  de  M.  Belléli  de  ne 
relever  dans  son  étude  que  ce  qui  peut  contribuer  à  ce  résultat,  le 
fait  que  mon  critique  ne  mentionne  que  ce  qui,  dans  mon  livre,  lui 
paraît  insuffisant  ou  manqué,  et  qu'il  passe  sous  silence,  non  seule- 
ment mes  recherches  bibliographiques  sur  le  sujet  et  mes  études  sur 
le  vocabulaire,  mais  aussi  la  conclusion  à  laquelle  je  suis  arrivé 
quant  au  vrai  caractère  de  la  langue  de  cette  traduction.  Il  ne  m'ap- 
partient pas  de  combler  cette  lacune,  —  si  lacune  il  y  a  —  dans  la 
critique  de  M.  Belléli  ;  je  n'ai  pas  non  plus  invoqué  l'hospitalité  de 
cette  Reçue  pour  me  défendre  contre  tous  les  reproches  qui  me  sont 
adressés.  Au  contraire,  je  concède  volontiers  que  ceux  qui  se  rap- 
portent aux  fautes  provenant  de  ma  connaissance  très  imparfaite 
de  l'hébreu,  sont  en  grande  partie  mérités;  seulement  je  tiens  à 
rappeler  ici  que,  dans  ma  préface,  j'ai  à  plusieurs  reprises  (p.  ii,  vi, 
XIX,  Lviii),  moi-même  signalé  ce  manque  de  connaissances  spéciales, 
ce  qui  ne  ressort  pas  de  la  critique  de  M.  Belléli.  Mais  on  me  dira 
que  l'aveu  d'une  faute  n'équivaut  pas  à  l'excuse  et  qu'il  aurait 
mieux  valu  ne  pas  aborder  un  travail  qui,  pour  être  parfait,  exigeait 
des  connaissances  que  je  n'avais  pas.  Je  réplique  que  je  sens  ce  que 
cette  remarque  a  de  juste  :  seulement  la  conviction  que  la  publica- 
tion d'uQ  livre  aussi  important  que  cette  traduction  du  Pentateuque 
ne  devait  pas  attendre  l'apparition  invraisemblable  d'un  helléniste 
qui  aurait  fait  une  étude  approfondie  de  l'hébreu,  a  eu  raison  de  mes 
hésitatious  et  de  mes  scrupules.  Il  y  avait  encore  ceci  :  je  savais  que 
M.  Belléli,  qui  a  voué  de  longues  années  à  l'étude  de  ce  texte,  cher- 
chait en  vain  un  éditeur;  peu  de  temps  après  avoir  appris  que 
M.  Belléli  s'était  rendu  à  Paris  pour  étudier  de  nouveau  l'exem- 
plaire de  la  Bibliothèque  Nationale,  on  me  disait  qu'il  était  fort 
possible  que  les  circonstances  ne  lui  permissent  pas  d'achever  son 


CORRESPONDANCE  315 

travail*.  En  outre,  ma  transcription  était  déjà  en  partie  terminée  et 
j'avais  pris  des  engagements  envers  mon  éditeur.  Je  résolus  donc  de 
continuer  mon  travail  «  conçu  dans  une  intention  louable  »  (c'est  le 
seul  éloge  que  M.  Belléli  veut  bien  m'accorder),  dans  l'espoir  que  le 
service  qu'il  pourrait  rendre  aux  études  néo-grecques  ferait  par- 
donner mon  peu  de  compétence  en  hébreu  et  certaines  négligences 
qui  s'expliquent  par  les  circonstances  défavorables  où  je  me  trouvais 
placé*.  J'ajoute  que  la  lecture  des  chapitres  publiés  par  M.  Belléli 
dans  la  Revue  des  Études  grecques  m'avait  donné  la  conviction  que, 
quoique  très  compétent  en  hébreu,  il  n'avait  point  de  connaissances 
suffisantes  du  grec  historique  pour  faire,  de  son  côté,  une  édition  qui 
ne  prêtât  pas  le  flanc  à  une  critique  très  justifiée  de  la  part  des  néo- 
grécisants.  Le  dernier  article  de  M.  Belléli  m'a  confirmé  dans  celte 
conviction.  Comme  il  s'agit  ici  d'une  question  de  méthode,  dont  la 
discussion  peut  avoir  quelque  valeur  pour  d'autres  éditeurs  de 
textes  semblables,  et  non  pas  d'un  froissement  d'amour-propre,  je 
demande  la  permission  d'insister  sur  deux  ou  trois  points  qui  pour- 
ront illustrer  les  principes  de  M.  Belléli.  Je  ne  puis  songer  à  relever 
ici  les  cas  où  mon  critique  n'a  compris  qu'à  demi  ce  que  j'ai  allégué 
en  faveur  de  mes  explications. 

M.  Belléli  fait  remarquer  qu'  «  entre  le  traducteur  de  Constanti- 
nople  et  ses  lecteurs  contemporains  il  existait  une  espèce  de  conten- 
tion tacite,  grâce  à  laquelle  ces  derniers  se  contentaient  d'une  repré- 
sentation approximative,  toutes  les  fois  qu'elle  était  imposée  par 
la  nécessité  (p.  133)  ».  J'ai  peut-être  trop  négligé  cette  convention 
tacite,  mais  je  me  félicite  de  ne  pas  y  avoir  attaché  l'importance 
que  lui  attribue  la  transcription  de  M.  Belléli,  car  une  confiance  trop 
absolue  dans  ce  système  d'  «  à  peu  près  »  tend  à  éliminer  du  texte 
nombre  de  graphies  intéressantes,  qui  répondent  à  des  particularités 
linguistiques  du  grec  actuel  ou  médiéval.  J'ai  donc  mentionné  toutes 
les  graphies  d'un  intérêt  quelconque  et  je  n'ai  discuté  que  celles 
qui  ont  un  reflet  dans  les  dialectes  grecs  de  nos  jours.  Il  se  peut 
très  bien  qu'il  s'agisse  parfois  d'un  effet  de  transcription  là  où  j'ai 
cru  devoir  admettre  une  particularité  grammaticale  (ainsi  pour  le 
changement  de  t  en  6),  mais,  dans  ces  cas  même,  ma  transcription  ne 
pêche  que  par  un  «  trop  »,  tandis  que  le  système  de  M.  Belléli  lui 
a  fait  écrire  x^^^-  x'^»'*^»  au  lieu  de  x^^T'^»  x^°T'<ni  C?"i'9'  "'V^-'^'i'^?, 
Gen.,  I,  11),  oùpavo'j  pour  ipavoO  (Gen.,  i,  17),  itsTà  pour  iteTotsi  Qn^d , 
(Gen.,    I,  20),  vi    oy^  pour  voii6^  ^V^l,  Gen.,    2,  19^,   ouxo^yiO^  pour 

'  Ces  renseignements,  d'ailleurs,  sont  à  présent  confirmés  par  M.  Belléli  lui-même 
(p.  132). 

*  J'ai  signalé  dans  mon  introduction  une  bonne  partie  des  erreurs  de  ce  genre. 
L'impression  par  demi-teuillets  dans  un  établissement  qui  n'avait  qu'un  fonds  très 
restreint  de  caractères  grecs  a  rendu  la  correction  des  épreuves  extrêmement  dif- 
ficile. M.  Belléli  me  reproche  à  bon  droit  quelques  irrégularités  dans  l'accentuation, 
qui  proviennent  de  la  cause  que  je  viens  de  nommer,  mais  il  a  tort  de  blâmer  l'ac- 
centuation T:6).£!iou,  (îûvTpo^ov,  àfJpwTtov,  çTwjria  (cf.  Hatzidakis,  Einl.,  p.  432,  et 
Introduction,  p.  xni). 


316  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

(juyxoXXtiît,  ;avec  a,  Gen.,  ii,  24),  eItts  pour  elitev  (Gen.,  m,  <),  èjië  pour  èiiiv 
(Gen.,  m,  12),  lfwt<lie  pour  lyv^/sv  ;Gen..  iv,  5),  etc.  Or,  l'intérêt  du  texte 
consiste  surtout  dans  ce  qu'il  nous  apprend  sur  la  phonétique  et  l'éty- 
mologiedu  parler  populaire  de  Constantinople  d'il  y  a  trois  siècles.  A 
cet  égard,  il  n'est  pas  indifférent  que  l'auteur  écrive  tantôt  ^lîN^'jp^  tan- 
tôt '«21^1? .  Quelques-unes  des  formes  que  31.  Belléli  déclare  impos- 
sibles à  expliquer  ont  leurs  équivalents  dans  la  langue  actuelle  (voir 
à  ce  sujet  Hatzidakis,  Ei/il.  p.  337).  Du  reste,  M.  Belléli  n'a  pas  été 
toujours  fidèle  à  son  système  :  il  écrit  x«p£!;si  (Gen.,  i,  6),  aspiciTseyei 
(Gen.,  I,  21),  Çu-pi;  Gen.,  ii,  7)  et  même  T^-yi-àSep^Tf  (Gen.,  iv,  22). 

M.  Belléli  me  reproche  de  voir  des  hébraïsmes  dans  des  locu- 
tions comme  u'JiiitdÔT.ffe  t6  v^iliai\LO  ffxTki^o'Jî  6eoii  toû  iraTptf;  sou  (Gen., 
L,  17),  çuv^.  a?[iaTa  Gen.,  IV,  10),  Hiéps?  ^li-irri  (Gen.,  XXVII,  41),  etc. 
D'après  lui,  elles  témoignent  que  «  le  génitif,  surtout  au  pluriel,  ten- 
dait à  disparaître  de  la  langue  moderne  »  (p.  141),  et  il  me  demande 
pourquoi,  s'il  faut  croire  à  un  hébraïsme,  l'auteur  n'aurait  pas  mis 
un  nominatif  (axXdpot)  dans  le  premier  exemple  cité.  Je  réponds  que 
l'accusatif  s'explique  probablement  par  le  verbe  ffUHLTcie-r.as,  après  le- 
quel un  nominatif  semblait  trop  barbare,  tandis  que  l'accusatif 
forme  comme  un  second  régime  à  ce  verbe  ;  en  tout  cas,  notre  texte 
ne  montre  point  encore  cette  disposition  imminente  du  génitif; 
j'ouvre  mon  livre  au  hasard  et  je  lis  partout  des  formes  comme  :  tûv 
ffiriTitôv  (Gen.,  XLII,  33\  Tœv  yo^iti^v  (Gen.,  XLViiI,  21)  twv  Taièiwv  iGen., 
xxxvi^  10;  XLV,  10),  (jiTivûv  (Gen.,  xxxviii,  24;,  ôXwvtbv  (Gen.,  xli,  37), 
Yï|AO)aiJ.fliTo)v  (Lévit,  VIII,  22,  29,  31),  àic«patidTwv  'Deutér.,  xxxii,  49),  (ii- 
<rr\iâi(ùv  (Deut.,  XXXIII,  11),  etc.,  etc.  On  sait  qu'au  singulier  le  génitif 
est  encore  de  nos  jours  bien  vivant  ;  la  langue  de  l'auteur  ne  recule 
point,  comme  le  fait  croire  M.  Belléli,  devant  une  suite  de  plusieurs 
génitifs,  par  exemple  :  tàt  Xo'Yia  toO  Eto-j  toû  uîoû  ttiç  toû  (isydXou  ;Gen., 
XXVII,  42j.  Je  persiste  donc  à  croire  que  ces  formes  çwvt.  aîiiaxa,  ji.épe< 
•X(4"i  sont  des  hébraïsmes;  j'en  fais  de  même  pour  les  appositions 
telles  que  \iï  tôv  Bspa,  psTiVà;  ssSojx  Gen.,  xiv,  2,  etc.,  les  exemples 
se  comptent  par  douzaines).  M.  Belléli  nous  apprend,  à  ce  sujet, 
que  «  dans  la  langue  parlée  l'apposition]  est  presque  toujours 
énoncée  par  le  nominatif  (p.  141)  ^).  Cette  assertion  étonnera  sans 
doute  aussi  bien  les  Grecs  que  les  grécisants,  mais  elle  trouve  son 
explication  dans  le  fait  que  M.  Belléli  ne  sait  point  ce  qu'on  en- 
tend par  le  mot  «  apposition  »,  car  il  donne  comme  exemple  de  cette 
catégorie  grammaticale  la  petite  conversation  que  voici  :  «  Tôv  elSî?  tb 
T^cipT^n?  disais-je  hier  à  un  de  mes  compatriotes.  noiè<  TCcàp-rr,;?  me 
répondit-il  ».  Il  est  facile  de  voir  que  M.  Belléli  a  été  égaré  par  cer- 
taines locutions,  très  fréquentes  du  reste,  qui  sont  en  réalité  des 
phrases  indépendantes  sans  verbe,  et  qu'il  a  prises  pour  des  apposi- 
tions; en  grec  comme  dans  les  autres  langues,  les  vraies  appositions, 
comme  celles  de  notre  texte,  sont  ipsa.  iiatura  soumises  à  la  règle 
d'accord.  On  peut  juger,  d'après  cet  exemple,  de  l'insuffisance  des 
études  linguistiques  de  M.  Belléli.  Ailleurs  (p.  142),  voulant  expli- 


CORRESPONDANCE  317 

quer  la  formation  du  futur  par  vit  et  le  subjonctif,  il  nous  donne 
le  choix  entre  deux  hypothèses  dont  l'une  fait  prévoir  (sic)  à  l'au- 
teur que  dans  f>k  v4,  le  deuxième  élément  (vi)  «  était  destiné  à  avoir 
la  prépondérance  phonétique  (8d  =  fiï  wà)  »  et  l'autre,  qu'il  juge  plus 
probable  encore,  que  l'auteur  a  voulu  éviter  «  l'écueil  d'un  débris 
verbal  (6é,  OéX)  »,  comme  si  une  personne  qui  n'avait  pas  reçu  «  une 
éducation  tant  soit  peu  littéraire  en  ce  qui  concerne  le  grec  »  (p.  154), 
«  qui  n'avait  jamais  lu  un  livre  grec  »  (p.  137),  pouvait  avoir  le  moindre 
sentiment  de  ce  qui,  seulement  pour  les  étudiants  de  cette  langue, 
peut  s'appeler  «  un  débris  verbal  ».  Du  reste,  je  peux  me  dispenser 
ici  d'une  critique  des  connaissances  linguistiques  de  M.  Belléli,  d'après 
ce  qu'en  a  noté  M.  Hatzidakis,  dans  l'ABTivâ  (iir,  p.  62S  suiv.).  Malgré 
les  remarques  de  M.  Belléli,  je  crois  avec  ce  dernier  savant,  que  l'au- 
teur constantinopolitain,  quelque  ignorant  qu'il  fût  de  la  littérature 
et  de  la  grammaire  anciennes,  avait  appris  l'alphabet  grec,  qu'il  sa- 
vait lire  cette  langue.  La  transcription  en  caractères  étrangers  d'un 
homme  qui  ignore  jusqu'à  l'alphabet  de  la  langue  originale  sera 
nécessairement  une  transcription  strictement  phonétique,  et  notre 
texte  ne  l'est  point  ;  comment  un  homme  qui  n'a  jamais  lu  un  livre 
grec  peut- il  savoir  que  ce  qu'il  entend  comme  timboli  se  compose 
de  deux  éléments  qui,  pris  isolément,  se  prononcent  tin  et^;o/i?  ja- 
mais il  n'écrira  Tfivictf^Ti.  Je  sais  des  Israélites  hollandais  très  igno- 
rants qui  écrivent  le  hollandais  en  caractères  hébraïques,  mais  tous 
ces  gens  savent  lire,  quoique  souvent  très  imparfaitement,  un  livre 
hollandais. 

La  transcription  d'un  texte  tel  que  le  nôtre  offre  plusieurs  points 
de  ressemblance  avec  l'édition  princeps  d'un  manuscrit  peu  li- 
sible. Celui  qui  déchiffre  le  manuscrit  le  premier  commet  des 
fautes  que  ses  successeurs  découvrent  aisément.  C'est  ainsi  qu'il 
faut  expliquer  les  mauvaises  leçons  publiées  par  des  savants  dis- 
tingués comme  Perles  (voir  mon  Introduction,  p.  lv),  Fiirst  et 
M.  Belléli  lui-même.  Ce  dernier  a  écrit  Revues  des  Éludes  grecques, 
III  (1890,  p.  301),  xal  YÎ^«uPpâôa  (Gen.,  III,  24),  mot  qui  n'existe  pas; 
c'est  une  faute  du  même  genre  que  ma  leçon  à^Ttkit,  pour  aA^^ 
(Gen.,  XXV,  16).  Seulement  je  n'ai  pas  vu  dans  ces  erreurs  «  un  pro- 
duit du  travail  hâtif  »  de  mon  devancier,  mais  une  bévue  bien  par- 
donnable que  j'ai  corrigée  sans  qualification  aucune  en  xèy^aintpiSa  (de 
ÉxXatJLicpo?),  mot  qui  répond  exactement  au  terme  hébreu.  La  même 
où  M.  Belléli  corrige  une  leçon  mal  comprise  par  moi,  où  l'on  dirait 
donc  qu'il  devait  bien  se  garder  de  toute  précipitation,  il  commet 
une  faute  inconcevable  pour  quiconque  ne  sait  comment  il  est  facile 
de  se  tromper  dans  des  questions  pareilles.  Dans  mon  Introduction 
(p.  xxiii),  j'avoue  ne  pas  comprendre  le  mot  f^katilachi,  la  seule  le- 
çon à  laquelle  me  permettaient  d'arriver  les  caractères  peu  distincts 
de  mon  exemplaire  (celui  de  Breslau).  M.  Belléli,  soit  par  conjecture, 
soit  à  l'aide  d'un  exemplaire  plus  lisible  à  ce  passage,  lit  ok  xaTaXà^Ti, 
ce  qui  nous  met  sur  la  bonne  voie,  quoique  la  locution  telle  quelle 


318  REVUE  DKS  ÉTUDES  JUIVES 

n'ait  aucun  sens,  ne  fût-ce  que  parce  que  xaTa>aYx»vo)  n'a  jamais 
existé  en  grec  ;  on  corrige  sans  hésitation  <jï  xa-zakie-^  (s  pour  3).  De 
tels  exemples  montrent  que,  pour  arriver  à  une  intelligence  parfaite 
d'un  texte  comme  celui  qui  nous  occupe,  les  forces  d'une  seule  per- 
sonne sont  rarement  suffisantes.  Pour  ma  part,  j'avoue  que  la  lec- 
ture de  l'article,  peu  bienveillant,  de  M.  Belléli  m'a  donné  des  éclair- 
cissements sur  plusieurs  points,  et  que,  si  mon  critique  ne  semble 
avoir  appris  aucune  chose  de  bon  de  mon  travail,  je  n'ai,  de  mon 
côté,  aucune  peine  à  reconnaître  que  je  dois  à  l'étude  de  M.  Belléli 
des  renseignements  précieux. 

Leyde,  novembre  1897. 

D.  C.  Hksseling. 


Le  gérant, 

Israël  Lévi. 


TABLE  DES  MATIERES 


REVUE. 


ARTICLES  DE  FOND. 

Bâcher  (W.).  Un  Midrasch  sur  le  Cantique  des  Cantiques 230 

Blau  (L.)  Quelques  notes  sur  Jésus  ben  Sirach  et  son  ouvrage.  19 

Danon  (Abraham).  Une  secte  judéo-musulmane  en  Turquie 264 

Epstein  (A.).  Jacob  ben  Simson 240 

Kaufmann  (David).  I.  Menahem  Azarya  da  Fano  et  sa  famille...  84 
II.  Quatre  élégies  sur  la  mort  de  R.  Nathauael  Trabotto 

de  Modène 256 

Lambert  (Mayer).  La  trililéralité  des  racines  y"'J  et  ^"y 203 

LÉvi  (Israël).  I.  Quelques  notes  sur  Jésus  ben  Sirach  et  sou  ou- 
vrage    29 

II.  Un  recueil  de  contes  juifs  inédits  {suite) 65 

III.  Les  sources  talmudiques  de  l'histoire  juive 213 

IV.  Notes  critiques  sur  la  Pesikta  Rabbati 224 

Lœwé  (Maurice\  La  physique  d'Ibn  Gabirol i61 

Lucas  (Léopold).  Innocent  III  et  les  Juifs 247 

Marmier  (Colonel  G.).  Contributions  à  la  géograpbie  delà  Pales- 
tine et  des  pays  voisins 1 83 

Perles  (Félix).  Notes  critiques  sur  le  texte  de  V Ecclésiastique.  48 

Reinach  (Théodore).  Josèphe  sur  Jésus 1 

RouBiN  (N.j.  La  vie  commerciale  des  Juifs  comtadins  en  Lan- 
guedoc au  xviiP  siècle  [suite] 91 

NOTES  ET  MÉLANGES. 

Bâcher  (W.).  I.  La  légende  de  l'exorcisme  d'un  démon  par 

Simon  b.  Yohaï 285 

II.  Une  date  chronologique  dans  une  pièce  de  poésie  de 

Saadia 290 

Bauer  (Jules).  Une  nouvelle  inscription  hébraïque 305 

Bloch  (Camille).  L'opinion  publique  et  les  Juifs  au  xvin»  siècle 

en  France ^  '  2 

Freimann  (A.).  MeschouUam  Gusser  de  Riva  et  sa  tombe 111 


320  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Kaminka.  L'inscription  n°  206  de  Narbonne 293 

Kaufmann  (David).  I.  Même  sujet 292 

II.  Elie  b.  Joseph  de  Nola  à  Bologne 296 

III.  Maître  Andréas  et  Jacob  b.  Elie 300 

IV.  La  famille  "i2£ip  ou  Cousseri  à  Riva 302 

Lambert  (Mayer).  Sur  la  syntaxe  de  l'impératif  en  hébreu 1 06 

LÉvi  (Israël).  I.  La  discussion  entre  R.  Josué  et  R.  Eliezer  sur 

les  conditions  de  l'avènement  du  Messie 282 

II.  L'inscription  n°  206  de  Narbonne 294 

Perlés  (Félix).  Une  ancienne  faute  dans  la  prière  I5<an  by 289 

PoRGÈs.  Encore  le  nom  Apiphior <  1 1 

Schwab  (M.).  I.  ^12^^.  n^n  linST 287 

II.  Une  liste  hébraïque  de  noms  géographiques  de  l'Afrique 

du  Nord 306 

SuLZBERGER  (M.)-  Encorc  le  siège  de  Moïse 110 

BIBLIOGRAPHIE. 

Bâcher  (W.).  Semitic  studies  in  memory  of  Rev.  D""  Alexander 

KOHUT - 115 

Belléli  (L.).  Les  cinq  livres  de  la  Loi  (le  Pentateuque),  traduc- 
tion en  néo-grec,  éd.  par  D.-C  Hesseling 1 32 

Epstein  (A,).  Machsor  Vitry,  éd.  par  S,  Hurwitz.  —  Einleitung 
u.  Register  zum  Machsor  Vitry,  von  S.  Hurwitz,  mit 

Beitràgen  von  A.  Berliner 308 

KoNT  (J.).  Publications  de  la  Société  littéraire  Israélite  de  Hongrie  156 

Correspondance  :  Lettre  de  M,  D.-G.  Hessbling 314 

Table  des  matières 319 


ACTES   ET   CONFÉRENCES. 

Lehmann  (Joseph).  Assistance  publique  et  privée  d'après  Tan- 
tique  législation  juive i 

Procès-verbaux  des  séances  du  Conseil xxxix  et  xli 


FIN. 


VERSAILLES,    lUPRIMBRlBS    CERF,    59,    RUE   DtJPLESSIS. 


DS 


lO;     '"^,?  f-^ études  Juives; 
F45  historia  Judaica 

t. 35 


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