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Full text of "Revue des études juives"

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REVUE 


DBS 


ÉTUDES  JUIVES 


-JJ^ 


VERSAILLES.   —   IMPRLMERIE  CERF,   59,   RUE  DUPLESSIS. 


REVUE 


DES 


ÉTUDES  JUIVES 


PUBLICATION  TIUMESTRIELLE 

l)l<;  LA -son I ET K  DKS  ÉTUDES  JUIVES 


TOME  CINQUANTE-CINQUIEME 


PAIUS 

A    LA    LIBHAIHIK   A.    DURLACHER 

83  '''»,  RUK    I.aFaYKTTK 

1908 


lOl 

t.  55 


ETUDE 

SUR 

LA  CONDITION  DES  JUIFS  DE  NARBONNE 

DU  V«  AU  XIV«  SIÈCLE 


PREMIERE     PARTIE 

CONDITION  POLITIQUE 

LIVRE  PREMIER 

PÉRIODE    MONARCHIQUE    (Ve-X«    SIÈCLE) 

CHAPITRE    PREMIER 

sous   LA   DOMINATION    WISIGOTQIOUIÎ 

I.  Sidoine  Apollinaire  et  le  Juif  Gozolas  ,410-473).  —  II.  La  législation  conciliaire 
et  les  Juifs  :  concile  d'Agde  ^306).  —  III.  (Concile  de  Narbonne  ['689).  —  IV.  Lettre 
de  Grégoire  le  Grand  au  sujet  de  quatre  chrétiens,  esclaves  de  Juifs  narbon- 
nais  (.i97).  —  V.  Loi  de  Sisebut  sur  les  conversions  forcées,  et  le  quatrième 
concile  de  Tolède  633).  —  VI.  Sixième  concile  de  Tolède  (638).  —  Vil.  Inscrip- 
tion funéraire  juive  de  Narbonne  688  ou  689).  —  VIII.  Seizième  concile  de 
Tolède  (693).  —  IX.  Dix-septième  concile  de  Tolède  (694).  —  X.  Aucun  docu- 
ment sur  la  condition  des  Juifs  de  Narbonne  sous  les  Sarrasins  (Ti9-7o9). 

I. —  La  première  nienlion  liisloiM([iie  rolalive  aux  Juifs  de  Nar- 
bonne est  à  peu  près  contemporaine  de  lenlrée  des  Wisigotlis  dans 
cette  ville'.  Dans  deux  de  ses  lettres  adressées  à  son  ami  Télix, 
de  Narbonne,  Sidoine  Apollinaire  fait  allusion  à  un  Juif  nommé 

1.  Od  sait  que  la  ville  de  ISarbonne  et  une  grande  partie  de  la  province  de  même  nom 
furent  cédées  aux  Wisigotlis  par  l'empereur  Sévère,  eu  462  (Uist.  de  Long.,  t.  I,  p.  469)^ 
T.  LV,  N»  109.  1 


5  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

Gozolas,  qui  faisait  partie  do  la  clientèle  de  Félix  '.  Or,  il  est  pos- 
sible de  placer  ces  deux  lettres  entre  les  années  470  et  478-. 

1.  Monumenla  Germaniœ  historica,  Auclores  unliquissimi,  t.  VIII,  Berlin.  1887. 
iu-i»,  édition  Liietjoliann,  p.  43  et  p.  57.  On  trouvera  le  texte  latin  et  la  traduction 
française  de  ces  deux  lettres  dans  la  Colleclion  des  auteurs  latins  de  Msard,  Œuvres 
complètes  de  Sidoine  Apollinaire,  Paris,  1887,  in-8»,  p.  13o,  Lettre  n»  Lxxxii,  et 
pp.  138-139,  lettre  lxxxv.  Cf.  Hist.  de  Lanr/.,  t.  I,  p.  531  et  Aronius,  Rerjeslen  zur 
Geschichte  der  Juden,  Berlin,  1887-1892.  in-i",  I,  6. 

2.  Ces  lettres  sont  postérieures  à  l'élévation  de  Sidoine  à  l'épiscopat.  Les  sentiments 
exprimés  dans  ces  deux  lettres,  les  préoccupations  morales  que  l'auteur  y  laisse  percer, 
l'allure  sévère  et  grave  du  style  révèlent  un  dignitaire  ecclésiastique  qui  a  reçu  charge 
d'àmes  et  qui  se  l'ait  uti  scrupuleux  devoir  de  bien  remplir  les  obligations  de  son 
sacerdoce. 

Voici,  d'ailleurs,  en  quels  termes  Sidoine  termine  ces  deux  lettres  :  «  Si  chez  vous, 
du  moins,  les  choses  vont  bien,  tant  mieux.  Ouvertement  punis  pour  des  crimes  qui 
nous  sont  cachés,  nous  n'avons  pas  le  cœur  si  mal  placé  que  nous  soyons  jaloux  du 
bonheur  des  autres.  Assurément,  celui-là  est  l'esclave  du  vice  autant  que  des  ennemis, 
qui,  même  en  des  temps  mauvais  pour  lui,  ne  saurait  former  des  vœux  en  faveur  des 
autres.  »  —  «  Quant  à  l'état  des  affaires,  je  ne  te  demande  plus  comme  autrefois  où 
elles  en  sont,  de  peur  qu'il  ne  te  soit  désagréable  d'avoir  à  m'annoncer  de  mauvaises 
nouvelles,  si  elles  ne  doivent  être  suivies  de  rien  de  bon.  Car,  s'il  ne  te  convient  pas 
d'écrire  des  faussetés  et  que  tu  n'aies  rien  à  m'annoncer  qui  soit  conforme  à  mes  vœux, 
fie  mon  côté,  j'évite,  quel  que  soit  le  mal,  d'en  être  informé  par  les  gens  de  bien.  » 

Dans  sa  première  lettre,  Sidoine  ne  parle  du  Juif  Gozolas  que  pour  exprimer  à  Félix 
le  mépris  que  lui  inspire  sa  secte.  Ce  mépris  sent  son  homme  d'Église.  Dans  sa 
deuxième  lettre,  il  ne  reparle  de  Gozolas  que  pour  envisager  sa  conversion  :  n'est-ce 
pas  là  une  préoccupation  bien  ecclésiastique  ?  Or,  Sidoine  fut  élevé  à  l'épiscopat  par 
le  peuple  de  Clermont  en  470  ou  471,  suivant  Mommseu  [Prsefatio  in  Sidonium,  éd. 
Luetjoliann,  ni  supra,  p.  xlvui)  ;  vers  la  lin  de  471,  suivant  V Histoire  littéraire  de  la 
France,  t.  II,  Paris,  1735,  in-4'>,  p.  554  :  en  472,  suivant  ['Histoire  de  Languedoc, 
t.  I,  p.  488.  >ous  placerons  prudemment  cette  élévation  entre  470  et  472.  >ous  trou- 
vons donc  comme  terminus  a  (juo  aux  deux  lettres  de  Sidoine  la  date  de  470. 

Reste  à  fixer  le  terminus  ad  quem.  Dans  sa  première  lettre,  Sidoine  compare  sa 
ville  de  Clermont  à  une  proie  misérable,  qui  excite  à  la  fois  la  convoitise  des  Bur- 
gondes,  alliés  des  Gallo-Romains  et  celle  des  Wisigoths,  ennemis  de  ces  derniers.  Cette 
lettre  a  donc  été  écrite  avant  le  siège  de  Clermont  par  les  Wisigoths  en  473  [Uisl.  de 
Lang.,  t.  I,  p.  489),  mais  peu  avant  ce  siège,  puisque  la  ville  était  déjà  menacée. 
Cette  dernière  considération  a  i)robablenient  déterminé  Gmss  ((îa///a  Jj<f/aica,  traduc- 
tion française  de  Moise  Bloch,  Paris.  1897.  in-8»,  p.  402    à  placer  ces  deux  lettres  en  473. 

Ce  terminus  ad  quem  soulève,  rependant,  une  difficulté  assez  grave.  Eu  473,  Félix 
ne  se  trouvait  pas  à  >"aibonne  mais  à  .\rles.  Il  avait  cpiitté  la  première  ville  en  472, 
pour  remplir  dans  la  seconde  les  fonctions  de  préfet  des  Gaules  durant  les  années  472 
et  473  [Hist.  de  Lang.,  t.  I,  p.  464).  Gozolas  serait  alors  un  Juif  d'.\rles  et  non  uu 
Juif  de  Narbonne.  Toutefois,  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  Félix  ait  emmené  son  client 
Gozolas  de  Narbonne  à  Arles.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  inlinimeiit  piobable  que  Gozo'as 
était,  siuon  haliitant  de  Narbonne,  du  moins,  originaire  de  e^tte  ville. 

.Vu  suiplus.  la  philologie  nous  permet  d'al'lirmer  qu'il  y  avait  des  Juifs  à  Narbonne  à 
l'époque  gallo-romaine.  Le  20  août  1363,  le  guet  parcourt  plusieurs  rues  de  la  ville  et 
entre  autres  «  carrayriam  vocatam  Dejos  aygas  »  (A.  Blanc,  Les  transformations  du 
lutin  «juduicus  V,  dans  Annales  du  Midi,  année  1896,  t.  VIII,  p.  196).  Le  24  juillet 
1355  ou  1356,  Arnaud  Sapte,  fustier,  vend  à  Jean  Genès,  tailleur  <  quoddain  hospitium 
meum,  situm  in  civilate  ISarboiie  loco  vocato,  juxta  Jos  aigas,  prope  pondus  farine 


ÉTUDE   SUR    LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   iNARBONNE  3 

L'ami  de  Sidoine,  Félix,  était  un  grand  dignitaire  gallo-romain  : 
il  appartenait  à  lilluslre  famille  narbonnaise  des  Magnus  Félix  ; 
il  quitta  Narbonne  pour  Arles,  en  472,  quand  il  fut  élevé  par  le 
gouvernement  impérial  à  la  haute  fonction  de  préfet  des  Gaules. 
Félix  devait  vivre  à  Narbonne  au  milieu  d'une  nombreuse  clientèle. 
Parmi  ses  clients,  se  trouvait  un  Juif,  nommé  Gozolas,  qu'il  hono- 
rait d'une  confiance  particulière,  puisqu'il  ne  craignait  pas  d'en 
faire  son  courrier  habituel.  Il  éprouvait  même  de  l'affection  pour 
lui.  Et  pourtant  il  est  fort  probable  que  Félix  était  déjà  à  ce  moment 
un  adepte  de  la  religion  chrétienne,  mais  un  fidèle  assez  tiède,  tel 
qu'on  en  trouvait  beaucoup  encore  au  v^  siècle  parmi  les  grandes 
familles  de  l'aristocratie  gallo-romaine.  Sa  foi  deviendi'a  plus  ferme 
quand  il  aura  éprouvé  la  vanité  des  honneurs  terrestres  :  il  tro- 
quera alors  sa  toge  de  pourpre  contre  la  bure  monacale  '. 

En  sa  qualité  d'évêque,  Sidoine  éprouve  peu  de  sympathie  à 
l'endroit  des  Juifs.  Il  ne  cache  pas  son  sentiment  à  propos  de 
Gozolas  :  «  Gozolas,  écrit-il  à  Félix  dans  sa  première  lettre,  Juif 
de  nation  et  client  de  Ta  Grandeur,  dont  la  personne  me  serait 
chère  à  moi  aussi  s'il  n'appartenait  à  une  secte  méprisable,  t'ap- 
porte une  lettre,  que  j'ai  écrite  dans  la  plus  grande  anxiété^.  » 

Sidoine  trouve  l'occasion  de  reparler  encore  de  Gozolas  et  d'ex- 
primer à  son  égai'd  les  mêmes  sentiments  :  «  C'est  par  le  môme 
messager  que  je  vous  renouvelle  mes  salutations,  déclare-t-il  à 
Félix.  Votre  ami  Gozolas  (plaise  à  Dieu  qu'il  devienne  aussi  le 
nôtre]  se  fait  une  seconde  fois  porteur  de  ma  lettre.  Epargnez  donc 
à  l'un  et  à  l'autre  un  affront  qui  nous  serait  commun  ;  car  si  vous 
persistez  encore  à  garder  le  silence,  tout  le  monde  pensera  que 
nous  sommes  indignes,  moi,  que  vous  m'écriviez,  lui,  qu'il  soit 
chargé  de  vos  lettres  ^.  » 

11  y  a  deux  bommes  en  Sidoine  Apollinaire  :  h'  patricien  gallo- 
romain  et  le  prélat  catholique.  Il  déteste  les  Wisigoths  i"  parce 

CiNilalis  »  (.\rch.  muii.  do  Naih..  rciristic  do  jiaiiier  iiuii  iineutoriù,  f"  3'J  .  Dejus  uygas 
ou  Jos  aiqas  sont  une  CDrruption  do  Jusaigas  lut.  Judaicas).  Or,  la  forme  jusaigas 
indique  qu'il  y  avait  des  Juifs  à  Narbonne  dès  une  époque  très  ancienne,  vi'  siècle, 
peut-i'tre  v',  le  cliangeincut  de  c  en  g  dnus  Jusaigas  ijudaicas)  s'étant  produit  avant  le 
VII'  siècle  (.\.  Thomas,  Essais  de  philologie  française,  Paris.  1897,  petit  in-S",  p.  ll.j). 

1.  Féliv  embrassa  la  vie  monastique  à  .Vrles,  en  4"4  {Uisl.  de  Lang.,  t.  I,  p.  464). 

2.  Stdonius  Felici  suo  salulem.  Gozolas  nalione  Judœus,  cliens  culininis  tut, 
cujus  mihi  quoque  essel  persona  cordi,  si  non  essel  secla  despectui,  deferl  lit- 
ieras  meus,  quas  grandiler  anxius  exaravi. 

3.  lierai  porlilorem  salutalionis  ileralio  :  Cozolas  tester,  Deiis  tribual  ut  nos- 
ter,  apicum  meorum  secundo  gerulus  efficitur.  Igitur  verecundiam  utrique  exi- 
mite  communem  ;  nom  si  eliamnum  silere  medilemini,  omnes  el  me  oui  et  illum 
per  quem  scribere  debebas,  indignum  arbitrabuntur. 


4  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

qu'ils  sont  d'une  race  différente  de  la  sienne  et  surtout  d'une  race 
barbare,  2^  parce  qu'ils  sont  en  révolte  contre  l'orthodoxie  chré- 
tienne. Il  considère  également  Gozolas  comme  un  élvan^ar  (tiationn 
Judœus),  mais  non  comme  un  barbare  ^  La  nationalité  de  Gozolas 
lui  est  indifférente,  mais  ses  croyances  religieuses  lui  font  horreur. 
A  la  différence  de  son  ami  Félix,  Sidoine  est  un  chrétien  enthou- 
siaste et  agissant^.  Sa  fonction  pastorale  lui  fait  un  devoir  d'aug- 
menter son  troupeau.  Aussi  ne  s'intéresse-t-il  à  Gozolas  que  pour 
envisager  sa  conversion. 

Cependant,  l'antipathie  de  Sidoine  pour  la  «  secte  méprisable  » 
n'est  pas  un  sentiment  violent  et  obstiné.  Elle  se  tempère  chez  lui 
de  tolérance  philosophique  et  de  véritable  charité  chrétienne.  Nous 
avons,  pour  nous  en  convaincre,  une  lettre  de  Sidoine  à  Eleuthère, 
successivement  évoque  de  Blandin  et  de  Tournai^.  Voici  ce  qu'il 
lui  écrit  au  sujet  d'un  .Juif  auquel  il  s'intéresse  :  «  La  présente 
lettre  recommande  un  Juif,  non  que  j'aime  l'erreur  dans  laquelle 
ses  pareils  périssent  enveloppés,  mais  parce  qu'il  ne  convient  pas 
de  déclarer  aucun  d'eux  condamné  sans  appel  tant  qu'il  est  vivant; 
car  celui  qui  a  la  ressource  de  se  convertir  peut  toujours  espérer 
qu'il  obtiendra  l'absolution.  11  t'exposera  lui-même  plus  exactement 
tout  le  détail  de  son  affaire  ;  car  il  y  aurait  peu  de  goût  à  déparer 
l'élégante  brièveté  du  style  épistolaire  par  de  trop  longues  expli- 
cations. Assurément,  soit  dans  les  affaires,  soit  dans  les  débats  de 
ce  monde,  les  hommes  de  son  espèce  ont  très  habituellement  de 
bonnes  causes  ;  tu  peux  donc,  tout  en  déplorant  l'absence  de  foi, 
défendre  la  personne  de  ce  malheureux.  » 

1.  Il  est  curieux  de  noter  (juc  le  nom  de  Gozolas  est  un  nom  germanique  (Giry, 
Manuel  de  diplomatique,  p.  3oo).  Il  semble  mùine  être  le  diminutif  de  Golli.  11  est 
possible  que  ce  Juif  soit  venu  à  Narbnune  avec  les  Wisigotlis,  en  462.  Il  n'y  aurait  rien 
d'étonnant  que  Gozolas  fût  un  Goth  converti  ou  un  descendant  de  converti.  Ou  voit, 
cependant,  que  Sidoine  le  distingue  bien  des  Wisigolhs.  LCvèque  de  Clermont  consi- 
dère les  Juifs,  non  seulement  comme  un  groupe  religieux,  mais  encore  comme  un 
groupe  ethnique.  Cette  conception,  justifiée,  d'ailleurs,  en  partie,  par  l'esprit  de  solida- 
rité qui  ne  cessa  de  régner  entre  les  membres  des  communautés  juives,  resta  la  con- 
ception du  moyen  âge  et  même  de  tout  l'ancien  régime. 

2.  Sidoine  n'est  pas  un  nouveau  converti.  Il  appartient  à  une  famille  chrétienne. 
Son  aïeul  s'était  converti  au  clirislianismo  [lUsloire  litléraire  de  la  France,  t.  II,  p.  550). 

3.  Cette  lettre  est  adressée  à  domino  pa/jse  Eleullierio.  Il  s'agit  évidemment  de 
l'évèque  Eleuthère,  — papa  à  celte  époque  désignant  indilléremment  le  chef  de  l'Église 
et  les  chefs  des  diocèses  — ,  qui  fut  appelé  à  l'évèché  de  Blandin  en  481  et  à  celui  de 
Tournai  eu  496.  Sidoine  mourut  le  21  août  488  ou  489  \Uistoire  littéraire  de  la 
France,  t.  II,  jip.  556-557  .  11  faut  dune  placer  cette  lettre  entre  481  et  489.  On  en 
trouvera  le  texte  latin  dans  les  Monumenla  Gen?ianiœ  historica,  Auctores  antiquis- 
simi,\..  VIII,  i)p.  100-101,  et  une  traduction  française  dans  la  Collection  des  auteurs 
latins  de  Nisard.  (Il'.ucres  de  Sidoine  Apullinairt,  |>p.   1101 11,  lettre  i.x. 


ÉTUDE   SUR    LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARBONNE  b 

L'antipathie  de  Sidoine  pour  le  judaïsme  n'est  donc  pas  à  ce  point 
vivace  qu'elle  lui  interdise  de  tendre  la  main  à  un  Juif  malheureux. 

II.  —  La  conversion  des  Juifs  au  christianisme  apparaît  comme 
la  grande  préoccupation  de  l'évèque  de  Clermont.  Ce  sera  égale- 
ment la  grande  préoccupation  de  l'Église  dans  les  siècles  qui  vont 
suivre.  Il  est  intéressant  de  relever  les  mesures  prises  à  l'égard 
des  Juifs  par  les  conciles  wisigothiques  auxquels  les  archevêques 
de  Narbonne  ont  pris  part  et  où  ils  ont  joué  quelquefois  un  rôle 
très  actif.  Parmi  les  nombreuses  décisions  conciliaires  qui  régle- 
mentent la  situation  des  Juifs  placés  sous  la  domination  des  rois 
wisigoths,  il  en  est  plusieurs  qui  s'appliquent  si  bien  aux  Juifs  de 
Narbonne  qu'elles  semblent  avoir  été  inspirées  directement  par  les 
archevêques  de  celte  ville. 

Le  11  septembre  o06,  sous  le  règne  du  roi  wisigoth,  Alaric  II,  un 
concile  se  réunit  à  Agde  '  :  le  métropolitain  de  Narbonne,  Capra- 
rius,  n'y  assista  pas  en  personne,  mais  il  y  délégua  à  sa  place  le 
prêtre  Anilius-.  Entre  autres  choses,  ce  concile  s'occupa  de  déter- 
miner dans  quelles  conditions  le  baptême  pouvait  être  administré 
aux  Juifs  qui  manifesteraient  le  désir  d'embrasser  le  chi'istianisme. 
Le  clergé  ayant  constaté  que  certains  Juifs  se  convertissaient  au 
christianisme  sans  y  croire  sincèrement,  et  que,  selon  l'énergique 
expression  de  la  Bible,  «  ils  retournaient  à  leur  vomissement  «, 
les  membres  du  concile  imposèrent  certaines  épreuves  prélimi- 
naires aux  Juifs,  qui  se  montreraient  disposés  à  confesser  la  foi 
chrétienne.  Voici  ce  que  le  concile  décida  à  ce  sujet  :  «  Les  Juifs 
qui  veulent  se  rallier  à  la  loi  catholique  doivent,  à  l'exemple  des 
catéchumènes,  se  tenir  pendant  huit  mois  sur  le  seuil  de  l'église  : 
si  au  bout  de  ce  temps,  leur  foi  est  reconnue  sincère,  ils  obtien- 
dront la  grâce  du  baptême.  Mais  si,  dans  l'intervalle,  ils  se  trouvent 
en  danger  de  mort,  ils  pourront  être  baptises  avant  le  terme 
prescrit  ^.  » 

Ce  même  concile  défendit  aux  chrt'tiens  de  participer  aux  festins 
des  Juifs  :  «  Tout  chrétien,  clerc  ou  la'ique,  doit  s'abstenir  de 
prendre  part  aux  banquets  des  Juifs  :  ces  derniers  ne  mangeant  pas 
des  mêmes  aliments  que  les  chrétiens,  il  est  indigne  et  sacrilège 
que  les  chrétiens  touchent  à  leur  nourriture.  Les  mets  que  nous 
prenons  avec  la  permission  de  l'apôtre  sont  jugés  immondes  par 
les   Juifs.    Un  chrétien   se  montre  donc  l'inférieur  d'un  Juif  s'il 

1.  Labbe  et  Cussart,  Sancla  co/(C(7(Vï,  Paris,  1071-1672, 17  toI.  iu-fol.,  t.  IV,  col.  1381. 

2.  Jbid.,  col.  1395. 

3.  Ibid.,  col.  1389,  canon  sxxiv. 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


s'assujettit  à  manger  des  plats  que  ce  dernier  lui  présente,  et  si, 
d'autre  part,  le  Juif  repousse  avec  mépris  la  nourrilure  en  usage 


parmi  nous  '.  » 

11  apparaît  clairement  de  cette  seconde  prescription  que  les  chré- 
tiens des  premiers  siècles  du  moyen  âge  entretenaient  avec  les 
Juifs  des  relations  très  amicales,  puisqu'ils  prenaient  plaisir  à 
banqueter  ensemble.  Saint  Paul  n'avait-il  pas  laissé  entendre  aux 
Corinthiens  qu'ils  pouvaient  accepter  sans  scrupule  une  invitation 
chez  un  étranger  non  chrétien'-?  Les  chrétiens  de  Narbonne  abu- 
saient, paraît -il,  de  cette  tolérance  :  non  contents  de  prendre 
part  aux  spectacles  et  aux  banquets  des  païens,  ils  faisaient  des 
offrandes  aux  idoles.  En  459,  le  pape  Léon  P-^  avait  écrit  à  ce  sujet  à 
l'évoque  de  Narbonne,  Rusticus  ^  La  tradition  signalée  et  réprouvée 
par  Léon  1"  n'était  donc  pas  perdue  au  commencement  da  \v  siècle, 
puisque  le  concile  d'Arles  jugeait  nécessaire  d'intervenir  à  son  tour. 

A  cette  époque,  les  mœurs  restaient  encore  favorables  à  la  popu- 
lation juive.  Mais  l'Église  s'élevait  déjà  avec  force  contre  ce  contact 
perpétuel  entre  Juifs  et  chrétiens.  Elle  voulait  éviter  aux  fidèles 
des  controverses  religieuses  d'où  leur  croyance  eût  pu  sortir 
ébranlée.  A  une  époque  où  il  restait  encore  des  païens  à  convertir, 
l'Église  redoutait  la  concurrence  de  la  Synagogue.  Les  catéchu- 
mènes ne  distinguaient  pas  très  bien  entre  les  cérémonies  chré- 
tiennes et  les  cérémonies  juives.  Il  était  donc  nécessaire  que 
l'Église  en  marquât  fortement  la  distinction.  Ces  considérations 
expliquent  que  les  conciles  aient  considéré  de  bonne  heure  les 
communautés  juives  comme  des  foyers  de  contagion  religieuse. 
De  là  à  isoler  les  Juifs  dans  des  quartiers  à  part,  généralement 
clos  de  murs,  comme  les  pestiférés  dans  des  lazarets,  il  n'y  avait 
qu'un  pas. 

III.  —  Non  contente  de  pousser  à  la  séquestration  matérielle  et 
morale  des  communautés  juives,  l'Église  inaugure  une  législation 
restrictive  à  l'égard  du  culte  judaïque  lui-même.  Un  concile  se 
réunit  à  Narbonne  le  i"'^  novembre  589,  sous  le  règne  de  Récarède  '. 
Le  canon    iv  interdit  à  tout  homme,    libre   ou  esclave,   Goth, 


i.  Lahbe  et  Cossart,  Sancla  concilia,  t.  IV.  col.  1390.  canon  xi..  .Vu   sujet  lic  ce 
concile  cf.  Uist.  de  Long.,  t.  I,  p.  531. 
•2.  Paul.  1  Cor.,  i,  25. 

3.  Histoire  de  France,  imbliéc  sous  la  direction  de  M.  Ernest  Lavisse,  t.  II,  i  .Paris, 
1903,  in-4'>),  p.  20. 

4.  Labbe  et  Cossart,  Sancta  concilia,  t.  V,  col.  102S.  Sur  ce  concile  cf.  Histoire  de 
Lanrj.,  t.  1",  pp.  651-G52  et  Gross,  Gallia  judaica,  p.   403. 


ÉTUDE   SUR   LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARBONNE  7 

Romain,  Syrien,  Grec  ou  Juif,  d'enfreindre  le  repos  dominical  et 
de  mettre  les  bœufs  sous  le  joug  ce  jour-là,  sauf  en  cas  d'absolue 
nécessité,  sous  peine  pour  les  personnes  libres  de  six  sols  d'or 
d'amende  payables  au  comte  de  la  Cité  et  pour  les  esclaves  de  cent 
coups  de  fouet  '.  Le  canon  ix  interdit  aux  Juifs  de  cbanter  des 
psaumes  aux  enterrements  :  il  leur  ordonne  de  revenir  sur  ce 
point  à  leurs  anciens  rites,  sous  peine  de  six  onces  d'or 
d'amende-.  Le  canon  xiv  prescrit  la  répression  de  la  sorcellerie  : 
«  Pour  développer  la  discipline  de  la  foi  catholique,  nous  avons 
décidé  que,  si  quelques  hommes  ou  femmes,  devins  ou  devine- 
resses, sorciers  ou  sorcières,  étaient  surpris  dans  la  maison  d'un 
Goth,  d'un  Romain,  d'un  Syrien,  d'un  Grec  ou  d'un  Juif,  ou 
bien  si  quelque  personne  osait  interroger  les  sorts  décevants  et 
qu'elle  ne  voulût  pas  les  dévoiler,  l'entrée  de  l'église  leur  serait 
interdite  et  il  leur  serait  infligé  une  amende  de  six  onces  d'or 
payables  au  comte.  Quant  à  ceux  qui,  remplis  d'iniquité,  se  livrent 
au  trafic  des  sortilèges  et  séduisent  le  peuple  en  prévariquant, 
qu'ils  soient  libres  ou  esclaves,  maîtresses  ou  servantes,  ils  seront 
tous  fustigés  vigoureusement  en  public,  vendus  comme  esclaves  et 
le  prix  de  leur  vente  distribué  aux  pauvres  ^.  » 

Ce  dernier  canon  ne  s'applique  pas  exclusivement  aux  Juifs,  mais 
à  tous  les  devins,  à  quelque  nation  qu'ils  appartiennent.  Il  nous  a 
paru  bon,  toutefois,  de  l'analyser  pour  montrer  que  l'accusation 
de  sorcellerie  n'était  pas  encore  dirigée  surtout  contre  les  Juifs, 
comme  nous  le  constaterons  dans  la  suite. 

Nous  avons  fait  observer  plus  haut  que  certains  canons  des  con- 
ciles Avisigothiques  qui  s'occupent  des  Juifs  semblent  s'appliquer 
surtout  aux  Juifs  de  Narbonne.  Les  canons  du  concile  de  o89,  que 
nous  venons  d'analyser  ci-dessus,  ont  été  inspirés  probablement 
par  le  métropolitain  de  Narbonne,  31igetius,  qui  dut  jouer  un  très 
grand  rôle  dans  les  délibérations  et  qui,  en  tout  cas,  souscrivit  le 
premier  aux  décisions  de  ce  concile  '.  La  population  de  Narbonne 
présentait,  en  ctTet,  ce  mélange  de  races  auquel  font  allusion  les 
canons  iv  et  xiv,  mélange  de  Goths,  de  Romains,  de  Syriens,  de 
Grecs  et  de  Juifs. 

IV.  — Le  concile  narbonnais  de  389  nous  renseigne,  non  seule- 
ment sur  la  situation  ethnique  des  habitants,  mais  encore  sur  leur 

1.  Labbe  et  Cossart,  ul  supra,  t.  V,  col.  1029. 

2.  IbicL,  col.,  1029-1030. 

3.  Ibid.,  col.  1030-1031. 

4.  Labbe  et  Cossart,  ut  supra,  t.  V,  col.  1031. 


8  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

situation  sociale.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  le  Juif  Gozolas  faisait 
partie  de  la  clientèle  d'un  liche  gallo-romain.  Il  y  avait  donc  à  Nar- 
bonne  des  Juifs  clients,  des  Juifs  libres  {mgenui)el(ieshdîs  esclaves. 
Les  Juifs  de  condition  libre  employaient  quelquefois  pour  leurs 
travaux  des  esclaves  chrétiens.  Mais,  dès  la  fin  du  vi»  siècle, 
l'Église  s'élève  énergiquemen  t  contre  la  coutume  qui  permet  que  des 
cbi-étiens  soient  esclaves  des  Juifs.  C'est  ainsi  que  les  quatre  frères 
d'un  certain  Dominique  avaient  été  rachetés  de  captivité  par  des  Juifs 
de  Narbonne,  qui  les  gardèrent  à  leur  service  en  qualité  d'esclaves  ^ 
Dominique  se  plaignit  au  pape  Grégoire  ^^  Au  mois  de  mai  597,  ce 
dernier  manda  à  son  légat  des  Gaules,  le  prêtre  Candide,  de  procé- 
der à  une  enquête  diligente  :  «  11  est  tout  à  fait  grave  et  exécrable, 
écrit  Grégoire  le  Grand  à  Candide,  que  des  chrétiens  vivent  dans  l'es- 
clavage des  Juifs  :  nous  exhortons  ton  alTection  par  les  présentes  à 
rechercher  soigneusement  et  à  t'informer  avec  toute  la  sagacité  et  la 
sollicitude  désirables  de  la  véracité  de  ce  fait.  Si  ton  enquête  cons- 
tate que  cette  plainte  estlégitime,  je  compte  sur  ton  zèle  pour  rache- 
ter ces  chrétiens  qui  n'ont  pas  les  moyens  de  payer  eux-mêmes  le 
prix  de  leur  liberté,  tout  en  te  donnant  lassurance  que  la  somme 
que  tu  fourniras  pour  leur  rançon  sera  portée  sur  tes  comptes^.  » 

V.  —  La  législation  des  rois  wisigoths  et  des  conciles  wisigo- 
thiques  va  renouveler  sur  ce  point  et  sur  beaucoup  d'autres  les 
mesures  les  plus  rigoureuses  que  l'intolérance  avait  inspirées  aux 
empereurs  chrétiens.  Le  roi  des  Wisigoths,  Sisebut,  qui  succéda  à 
Gondemar,  en  février  612,  força  les  Juifs  répandus  en  Espagne  et 
en  Septimanie  à  embrasser  la  religion  chrétienne,  après  leur  avoir 
défendu  d'avoir  des  esclaves  chrétiens  ^.  Cette  dei-nière  interdiction 
rappelait  une  loi  de  l'empereur  Constance,  qui  défendait  aux  Juifs 
d'acheter  des  esclaves  d'une  autre  religion,  sous  peine  de  les  voir 
confisqués  par  le  trésor  :  si  ces  esclaves  étaient  chrétiens,  la 
fortune  entière  du  Juif  contrevenant  était  confisquée  ^  Le  carac- 

1.  Les  Juifs  de  cette  époque  pratiquaient  le  commerce  des  esclaves  et  particulièrement 
des  esclaves  sarrasins.  11  semble  bien  que  les  Juifs  dont  il  est  question  dans  la  lettre  de 
Grégoire  le  Grand  sont  des  marchands  d'esclaves  et  que  les  quatre  chrétiens  qu'ils  ont 
rachetés  de  captivité  ont  été  capturés  et  réduits  en  esclavage  jiar  des  pirates  sarrasins. 

2.  Monumenla  Germanise  histoi'ica,  Epislolse,  t.  I,  éd.  Hartmann,  Berlin.  1891, 
in-i».  p.  464.  Cf.  Histoire  de  Languedoc,  t,  I,  p.  651  ;  Aronius,  Hegeslen  der 
Geschic/ile  der  Juden,  1,  19,  et  Gross,  Gallia  Judaica,  p.  403. 

3.  Codex  Visigolliorum,  I.  12,  tit.  2.  De  omnium  hwreficorum  atque  Judseorum 
cunclis  enoribus  a7npulandis,  legg.  13  et  14.  Cf.  Ilist.  de  Long.,  I,  665. 

4.  Cad.  T/ieod.,  XVI,  9,  2  (an  339).  Cf.  Daremberg  et  Saglio,  Dicl.  des  antigiiilés, 
art.  Judœi  par  M.  Th.  Reinach,  p.  631,  2*  col. 


ÉTUDE  SUR   L\  CONDITION   DES  JUIFS  DE  NARBONNE  0 

tère  rigoureux  de  cette  loi  empêcha,  d'ailleurs,  qu'elle  fût  main- 
tenue. 

Les  Wisigoths  étaient  passés  de  l'arianisme  au  catholicisme  vers 
la  fin  du  vi«  siècle  '.  Entraînés  par  leur  zèle  de  néophytes,  les  rois 
wisigoths  vont  redoubler  de  rigueur  à  l'égard  des  Juifs.  Nous 
venons  de  voir  que  Sisebut  avait  préconisé  la  conversion  des  Juifs 
par  la  violence.  Les  évêques  estimèrent  qu'il  était  allé  trop  loin 
dans  cette  voie. 

Le  quatrième  concile  de  Tolède,  tenu  dans  cette  ville  le  9  décem- 
bre 633  -,  abolit  la  loi  de  Sisebut  relative  à  la  conversion  forcée  des 
Juifs.  Il  déclare  qu'il  faut  amener  ces  derniers  au  iaptème,  non  parla 
force,  mais  par  la  persuasion  ^.  Le  concile  interdit  aux  prêtres  et  aux 
laïques  de  recevoir  des  présents  offerts  parles  Juifs,  qui  se  rendent 
par  là  les  chrétiens  favorables.  Il  prescrit  des  mesures  sévères 
contre  les  Juifs  convertis  qui  blasphèment  le  Christ,  continuent  à 
observer  les  rites  judaïques  et  à  pratiquer  les  circoncisions ^  Les 
fils  ou  filles  des  convertis  relaps  seront  enlevés  à  leurs  parents  et 
élevés  dans  des  monastères  ou  des  familles  chrétiennes'.  Les  Juifs 
convertis  doivent  être  tenus  à  l'écart  de  leurs  anciens  coreligion- 
naires". Les  Juifs  qui  épousent  des  chrétiennes  doivent  se  conver- 
tir, sinon  s'en  séparer.  Les  enfants  seront  de  la  condition  et  de  la 
religion  de  la  mère^.  Les  Juifs  convertis  qui  auront  prévariqué  de 
la  foi  du  Christ  ne  pourront  plus  être  appelés  en  témoignage  **.  Les 
Juifs  seront  exclus  des  fonctions  publiques  parce  qu'ils  n'offrent 
pas  des  garanties  suffisantes  d'impartialité ^. 

Enfia,  le  concile  confirme  la  loi  de  Sisebut  relative  aux  chrétiens 
esclaves  des  Juifs:  il  est  interdit  à  ces  derniers  d'acheter  des  esclaves 
chrétiens.  Les  chrétiens  esclaves  des  Juifs  doivent  être  mis  en 
liberté'". 

Telles  sont  les  décisions  très  importantes  prises  par  le  quatrième 
concile  de  Tolède  à  l'égard  des  Juifs.  Le  métropolitain  de  Narbonne, 

1.  Hist.  (le  Long  ,  t.  I,  p.  529. 

2.  Labbe  et  Gossart,  ^acra  concilia,  t.  V,  col.  1702.  Cf.  Hist.  de  La7}p.A.  1,  p.  685. 

3.  Ibid.,  col.  ni9,  canon  lvii. 

4.  Ibid.,  col.  1719,  canon  lviii. 

5.  Ibid.,  col.  1720.  canon  lix. 

6.  Ibid.,  col.  1720,  canon  i,xn. 

7.  Ibid.,  col.  1720,  canon  lxui.  Les  codes  Ihéodosien  et  justinien  punissaient  de 
mort  les  Juifs  qui  épousaient  des  chrétiennes  (Dicf.  de.':  antiqxiités,  art.  Judaei, 
p.  631,  2'-  col.). 

8.  Ibid.,  col.  1720-1721,  canon  LXiv. 

9.  Ibid.,  col.  1721,  canon  lxv. 
10.  Ibid.,  co\.  1721,  canon  Lxvi. 


10  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

Selva,  y  joua  un  li'ôs  grand  rôle  à  côté  du  président,  Isidore  de 
Séville.  La  souscription  de  Selva  vient  en  seconde  ligne,  immédia- 
tement après  celle  d'Isidore  '. 

VI.  —  Selva  présida  le  sixième  concile  de  Tolède,  réuni  dans 
cette  ville  en  janvier  G38-.  Les  évêques  y  félicitèrent  le  roi  Chintila 
du  zèle  avec  lequel  il  poursuivait  la  conversion  des  Juifs  établis 
dans  ses  États.  Ils  décidèrent,  ensuite,  conjointement  avec  ce 
monarque  et  du  consentement  des  grands,  que  les  rois  à  leur  avè- 
nement à  la  couronne,  prêteraient  le  serment  de  ne  jamais  per- 
mettre que  les  Juifs  abandonnassent  la  religion  chrétienne  après 
l'avoir  embrassée^. 

Vil.  —  Vers  la  fin  du  vii«  siècle,  les  rois  wisigolhs  deviennent  de 
plus  en  |)lus  intolérants  à  l'égard  des  Juifs.  Le  comte  de  Mmes, 
Hildéric,  se  révolte  contre  le  roi  \visigotb,  Wamba,  et  l'appelle, 
en  672,  les  Juifs  non  convertis  ''.  Mais,  en  673,  Wamba  triomphe  du 
rebelle  et  expulse  tous  les  Juifs  de  la  Septimanie  '■'. 

La  persécution  devient  encore  plus  violente  sous  le  règne 
d'Egica,  qui  succéda  à  son  beau-père,  Euric,  le  24  novembre  687. 

La  deuxième  année  du  règne  d'Egica,  c'est-à-dire  entre  le  24  no- 
vembre 688  et  le  28  novembre  689,  un  enfant  et  deux  jeunes  gens 
de  NarbOnne,  Dulciorella,  Matrona  et  Justus,  fils  et  filles  de  feu 
Paragorus  et  petits-enfants  de  feu  Sapaudus,  meurent  coup  sur 
coup,  sinon  le  même  jour,  du  moins  à  très  peu  de  temps  d'inter- 
valle, la  première  à  l'âge  de  neuf  ans,  la  seconde  à  l'âge  de  vingt 
ans,  le  troisième  à  l'âge  de  trente  ans.  Le  fait  que  ces  trois  jeunes 
orphelins  sont  morts,  à  peu  près  en  même  temps,  nous  autorise  à 
supposer  qu'ils  ont  été  victimes  de  quelque  persécution  dont  les 
documents  ne  nous  ont  pas  conservé  le  souvenir.  De  plus,  l'ins- 
cription latine  qui  fut  gravée  sur  leur  tombe  porte  trois  mots 
hébreux,  qui  se  traduisent  ainsi  :  u  Paix  sur  Israël  !  «  Cette  parti- 
cularité, qui  nous  fixe  sur  la  religion  des  défunts'',  nous  confirme 


1.  Labbo  et  Cossart,  Sancla  concilia,  col.  IIQ!. 

2.  Ibid.,  col.  1742-1743,  canon  m,  et  col.   1749. 

3.  Au  sujet  de  ce  concile  cf.  Histoire  de  Languedoc,  t.  I,  pp.  692-693. 

4.  Ilist.  de  Lun'j.,  t.  1,  p.  "13. 

5.  Ibid.,  p.  728.  Cr.  Gallia  chrisliana,  t.  VI  (Paris,  1729,  in-foi.),  c.  12,  Aroniiis. 
Regesten  der  Geschiçhle  der  Juden,  I,  23,  et  Gross,  Gallia  judaicn,  p.  403. 

6.  Ce  qui  montre  bien  encore  qu'ils  appartenaient  à  la  communauté  juive,  c'est  le 
chandelier  à  cinq  bras  (au  liou  de  sept),  gravé  sur  la  tombe  à  la  place  qu'occupe  la 
croix  dans  les  inscriptions  cliroticnues. 


ÉTUDE   SUR    LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARBONNE  11 

dans  rinterprétation  que  nous  venons  de  formuler  sur  le  genre  de 
mort  des  trois  jeunes  Juifs  '. 

D'après  M.  Théodore  Reinach,  Paragorus  serait  un  nom  grec, 
Sapaudus,  un  nom  gallo-romain,  Justus,  un  nom  purement  latin, 
Dulciorella  et  Matrona  ^,  deux  cognomen  également  latins  :  les 
Juifs  narbonnais  du  vii«  siècle  portaient  donc  les  mêmes  noms 
que  les  autres  habitants  de  la  ville. 

M.  Gross  attire  notre  attention  sur  la  qualification  de  dominus 
accolée  au  nom  de  Paragorus  et  à  celui  de  Sapaudus.  Mais  il  l'inter- 
prète à  tort  par  le  mot  «seigneur».  En  réalité,  nous  sommes  ici 
en  présence  de  personnes  de  condition  libre,  de  propriétaires,  en 
un  mot  de  maîtres,  au  sens  antique  du  mot  dominus. 

VIII.  —  Nous  n'aurions  pas  de  doute  sur  la  cause  de  la  mort  de 
Justus,  Dulciorella  et  3Iatrona,  si  cette  mort  était  survenue  quatre 
ans  plus  tard,  en  693.  Cette  année-là,  la  peste  désola  la  Septimanie  : 
les  évêques  de  cette  région  ne  purent  assister,  en  mai  698,  au 
seizième  concile  de  Tolède,  qui  conllrnia  les  anciennes  lois  promul- 
guées contre  les  Juifs  et  les  nouvelles  mesures  qu'Egica  venait  de 
publier  pour  engager  les  Juifs  à  se  convertir.  Les  convertis  sincères 
«  de  pleine  intention  d'esprit  »  furent  exemptés  de  toutes  les 
exactions  fiscales  qui  frappaient  les  judaïsants.  Ils  furent,  en  outre, 
assimilés  aux  personnes  de  condition  libre  ^. 

IX.  —  Il  ne  restait  plus  qu'à,  organiser  une  caisse  des  convertis. 
Le  dix-septième  concile  de  Tolède,  tenu  en  novembre  694,  eut 
recours  aux  mesures  les  plus  rigoureuses.  Les  évèques  de  la 
Septimanie   y  assistèrent.   Une   accusation   formidable  avait  été 

1.  Le  texte  de  cette  inscription  a  été  publié  par  Le  Blant,  Inscriplions  chrétiennes 
de  la  Gaule  anlérinures  au  VIII'  siècle,  t.  II,  p.  476,  n»  621,  par  Tournai,  Descrip- 
tion du  musée  de  \arbonne,  Narbonne,  1847,  petit  in-S»,  p.  86,  par  Vllist.  de  Lanc/., 
t.  XV,  pp.  ."579-380,  n»  1291,  enlin  par  M.  Tliéod.  lîcinacli,  Inscription  juive  de  Xar~ 
bonne  \l{.  É.  J.,  1889,  t.  XIX,  pp.  7j-83).  Cf.  Gross,  GaUia  judaica,  pp.  403-iOi. 

2.  M.  Tli.  Reinacb  rajiproche  Dulciorella  de  Dolça.  Douce,  Ducia,  Dolzetlo:  Renan, 
de  Noémi.  Nous  verrons  jilus  bas  (pi'il  y  avait  à  Narbonne  des  Juives  qui  s'appelaient 
na  Dossa. 

Pour  M.  Gross,  Matrona  est  l'équivalent  de  l'hébreu  Miriam  et  du  provençal  Meironna 
et  Maronne  (Gross,  GaUia  juduica,  p.  404).  Nous  trouverons  à  Narbonne  dans  la  suite 
de  cette  étude  des  Mairona,  .Mayrona.  Phonétiquement  Mairona  est  bien  l'équivalent  du 
latin  Mairona.  Mais  nous  trouverons  également  des  Juifs  narbonnais  qui  s'appelaient 
Mayron,  Mayrot.  Il  est  possible  que  Mayrona,  .Mayrou  et  Mayrot  fussent  des  dérivés  de 
Maïr.  forme  provençale  de  .Meir. 

3.  Labbe  et  Cossart,  !>anckt  concilia,  t.  VI.  col.  1327,  et  col.  1336-1357,  canon  i. 
Cf.  Hisl.  de  Lang.,  t.  1,  pp.  749-750. 


12  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

lancée  contre  plusieiH's  Juifs  convertis  :  ces  derniers  étaient 
accusés  d'avoir  conspiré  contre  le  roi  Egica  et  de  s'être  concertés 
avec  les  Juifs  «  transmarins  »  pour  s'emparer  de  tous  les  royaumes 
chrétiens.  Egica  demanda  au  concile  la  punition  de  tous  les  Juifs 
de  ses  États,  comme  étant  tous  coupables  d'apostasie  ou  de  baute 
trahison.  Le  concile  confisqua  leurs  biens  au  profit  du  roi  et  les 
condamna  à  une  perpétuelle  servitude.  Il  fut  décidé  que  les  enfants 
des  Juifs  n'auraient  plus  de  relations  avec  leurs  parents  après  l'âge 
de  sept  ans,  qu'ils  seraient  élevés  par  des  chrétiens  et  mariés  à  des 
chrétiennes  ^ 

Il  est  curieux  de  noter  que  les  Juifs  des  Gaules  et  de  la  Septi- 
manie  furent  exceptés  de  ces  mesures  ;  il  est  probable  que  l'arche- 
vêque de  ^'arbonno  ne  fut  pas  étranger  à  l'insertion  dans  l'acte  du 
concile  de  cette  clause  réservative.  A  cette  époque,  la  temporalité 
de  l'église  de  Narbonnedevaitavoirune  certaine  importance,  siTon 
songe  qu'elle  comprenait  déjà  des  immeubles  deux  siècles  aupa- 
ravant'-, sous  le  règne  d'Alaric  II  (484-509).  Il  est  probable  que  dès 
la  fin  du  vil'  siècle,  un  certain  nombre  de  Juifs  étaient  tenanciers 
censitaires  de  biens  ecclésiastiques.  L'archevêque  de  >'arbonne 
avait  donc  tout  intérêt  à  ce  que  les  Juifs  de  la  Septimanie  ne 
fussent  pas  assujettis  à  la  mesure  qui  frappait  les  Juifs  d'Espagne. 

Nous  venons  de  constater  que  la  situation  des  Juifs  sous  la  domi- 
nation wisigothique  n'a  cessé  de  devenir  de  plus  en  plus  précaire. 
Les  rois  ariens  ont  été  tolérants,  mais  les  rois  catholiques  ont 
poussé  l'intolérance  jusqu'à  la  persécution.  La  royauté  wisigothique 
était  devenue  une  véritable  théocratie  :  les  conciles  étaient  à  la  fois 
des  assemblées  religieuses  et  politiques, 

X.  —  Les  Juifs  de  Narbonne,  en  même  temps  que  ceux  de  la 
Septimanie,  ne  souffrirent  pas  beaucoup  des  persécutions  ^visigo- 
thiques.  Mais  ils  ne  durent  pas  regretter  la  domination  wisigothe 
après  que  Narbonne  eut  été  prise  par  les  Sarrasins,  entre  le 
19  octobre  719  et  le  mois  de  février  ""20  ^.  Nous  ne  savons  presque 
rien  de  la  situation  qui  fut  faite  aux  Juifs  de  Narbonne  pendant  les 
quarante  années  que  dura  l'occupation  sarrasine.  D'après  le 
Pseudo-lMiilomena,  les  Juifs  auraient  payé  une  certaine  somme 

1.  Labbe  cl  Cossart,  ni  sttpm,  t.  VI,  col.  1361  et  col.  1369-1370,  canon  viii.  Cf. 
Hist.  de  Long.,  t.  I,  p.  751. 

2.  Privilèges  accordés  par  les  roys  aii.r  arcfievêqKCS  el  à  l'êfflise  de  Sarbonne 
confirmés  par  Louis  le  Grand,  à  Narbonne.  cbez  (iuillaume  Besse,  imprimeur  du 
roy,  (Je  Monseigrneur  Tarchevôque  et  des  Estats,  1715,  iu^",  pp.  -40-46. 

3.  Hist.  de  Lang.,  t.  II,  Noies,  p.  184,  2'  col. 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION    DES  JUIFS  DE  NARBONNE  13 

tous  les  ans  pour  avoir  la  proteclion  du  roi  sarrasin'.  Cela  est 
fort  possible.  Nous  avons  vu  que,  sous  la  domination  wisigotliique, 
les  judaïsants  payaient  un  impôt  spécial,  qui  rappelait  peut-être  le 
fiscusjudaicus,\evé  sur  les  Juifs  de  l'empire  romain  après  la  chute 
du  second  Temple-.  La  situation  des  Juifs  de  Narbonne  sous  la 
domination  sarrasine  paraît  avoir  été  très  bonne,  en  vertu  de  cet 
adage  bien  connu  que  les  peuples  heureux  n'ont  pas  d'histoire. 


CHAPITRE   II 

sous   LA    DOMINATION    CAROLINGIENNE. 

SOUVERAINS   JLDÉOPHILES  :  PÉPIN    LE    BREF,    CARLOMAN, 

CUARLEMAGNE,    LOUIS   LE   PIEUX. 


I.  La  prise  de  Narbonne  par  Pépin  en  7u9  et  les  Gesta  KaroU  Magni  ad  Carcas- 
sona?n  et  Narbonam  :  valeur  documentaire  de  ce  texte.  —  II.  Examen  critique 
du  passage  des  Gesta  relatif  aux  Juifs  narbonnais  :  Gharlemagne  substitué  à 
Pépin  le  Bref  dans  le  récit  du  siège  de  759.  —  III.  Présence  légendaire  d'un 
roi  sarrasin  à  Narbonne.  —  IV.  Traduction  du  passage  des  Gesta  relatif  aux 
Juifs  narbonnais.  —  V.  Invraisemblance  de  l'ambassade  et  de  l'allocution 
d'Isaac.  —  VI.  Présence  à  Narbonne  d'un  <>  roi  juif  ■>  :  ses  prétentions  généalo- 
giques ;  les  Gesta  et  le  Sefer  Hakkabala.  —  VII.  Que  Narbonne  n'a  pas  été  livrée 
à  Pépin  par  les  Juifs,  mais  par  les  Goths.  —  VIII.  Que  les  Juifs  n'ont  pas  parti- 
cipé au  partage  de  la  Cité,  mais  seulement  l'archevêque  et  le  comte.  —  IX.  Que 
Pépin,  Carloman  et  Gharlemagne  ont  reconnu  aux  Juifs  narbonnais  le  droit 
de  propriété  :  lettre  du  pape  Etienne  III  contre  les  Juifs  allodiaires  (768).  — 
X.  Lettre  d'Agobard,  archevêque  de  Lyon,  àNibridius,  archevêque  de  Narbonne 
(826-8281.  —  XI.  Attitude  bienveillante  et  «  débonnaire  »  de  Louis  le  Pieux  à 
l'égard  de  trois  Juifs  méridionaux  (22  février  839). 

I.  —  En  759,  après  un  siège  de  huit  ans,  Narbonne  lomba  entre 
les  mains  de  Pépin  le  Bref^  Quelle  fut  l'attitude  de  la  commu- 
nauté juive  pendant  le  siège  de  cette  ville  ?  A  cette  question,  un  texte 
narratif  connu  sous  la  triple  dénomination  de  Phihmena,  Pseudo- 
Philomena,  Gesta  Karoli  Magni  ad  Carcassonam  et  Narbonam, 
nous  fournit  une  réponse  '.  Les  Gesta  consacrent  un  long  passage  à 

1.  Gesta  Karoli  Maf/tù  ad  Carcassonani  et  Narbonam,  éd.  Schncegaiis,  Halle, 
1898,  petit  10-8",  p.  178:  pro  amparuncia  dabamus  ei  certain  pecuniani  annuathn. 

2.  Daremberg  et  Saglio,  Dict.  des  antir/uités,  art.  Judaei  par  M.  Théod.  Reinach, 
p.  625,  2'  col. 

3.  Hist.  de  Lanr,.,  t.  I.  pp.  816-817. 

4.  11  existe  de  ce  texte  une  version  latine  et  une  version  provençale.  Ciampi  n'a  édité 
que  la  première  :  Gesta  Caroli   Ma;/ni  ad  Carcassonam  et  Sarbonani,  Florence, 


U  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

la  reddition  de  la  ville  et  aux  circonstances  qui  l'accompagnèrent*. 
Avant  d'accepter  le  témoignage  des  Gesta,  il  est  indispensable 
d'en  l'aire  un  examen  critique.  Nous  demanderons,  dabord,  aux 
érudits  qui  ont  (Hudié  ce  texte  quelle  est  sa  valeur  documentaire 
en  gfMK'ral.  Nous  examinerons,  ensuite,  à  notre  tour,  les  assertions 
contenues  dans  le  passage  qui  intt'-ressc  notre  sujet,  en  les  com- 
parant avec  les  renseignements  qui  nous  sont  fournis  par  d'autres 

■   textes. 

En  général,  les  critiques  considèrent  les  Gesta  comme  un  texte 
sans  grande  valeur  historique.  Gaston  Paris  le  déclare  en  ces  termes  : 
«  Le  fonds  du  récit  est  une  de  ces  misérables  supercheries  monas- 
tiques comme  nous  en  avons  déjà  rencontré  plus  dune.  Illustrer  le 
monastère  de  la  Grasse,  lui  faire  reconnaître  d'énormes  privilèges, 
authentiquer  des  fausses  reliques,  et  par-dessus  le  marché  édifier 
les  fidèles  par  quelques  pieuses  anecdotes,  tel  est  le  but  essentiel 
de  l'auteur  de  ce  triste  roman 2.  »  M.  Paul  Meyer  est  sensiblement 
du  même  avis.  11  prouve  que  le  Pseudo-Philomena  a  puisé  à  des 
sources  épiques  françaises  et  notamment  danslœuvre  du  Pseudo- 
Turpin.  Il  déclare,  en  outre,  d'accord  avec  Gaston  Paris,  que  la 
généalogie  d'Aimeri,  telle  quelle  se  trouve  dans  les  Gesta,  a  été 
empruntée  à  Aubri  de'  Trois -Fontaines.  Finalement,  M,  Meyer 
conclut  ainsi  :  «  Le  Pseudo-Philomena  a  créé  de  toutes  pièces,  pour 
la  plus  grande  gloire  de  l'abbaye  de  la  Grasse,  un  roman  où  il 
contredit  à  la  fois  l'histoire,  qui  ignore  les  «  gestes  de  Charlemagne 
auprès  de  Narbonne  et  de  Carcassonne  »,  et  la  légende,  qui  place  au 
retour  dEspagne,  après  la  mort  de  Roland,  en  de  tout  autres  cir- 

'  constances,  l'investiture  de  Xarbonno  donnée  a  Aimeri.  M.  Gaston 
Paris  a  donc  i-aison  dans  son  appréciation  générale  du  Philomena^.  » 

1823.  petit  in-S».  M.  F. -Ed.  Sclineegrans  a  ilonué  une  édition  des  deux  textes,  qu'il  a 
disposés  assez  ingénieusement  en  regard  l'un  de  l'autre  :  Gesta  Karoli  Mafjiii  ad 
Carcassonam  et  Narfjonam,  Halle,  1898,  petit  in-8»  [RomaniscUe  Bihliotliek,  publiée 
sous  la  direction  de  M.  Wendelin  Fœrster,  n»  lo). 

1.  Ed.  Ciampi,  chapitre  xiv,  pp.  Ol-IOS,  et  éd.  Sclineegans,  pp.  176-189.  M.  Israi= 
Lévi  a  réimprimé  le  texte  latin  du  passage  relatif  aux  Juifs  narhonnais,  d'après  cette 
dernière  édition,  dans  son  étude  sur  Le  roi  juif  de  Narbonne  et  le  Pliilomène 
(R.  É.  J.,  année  190i,  t.  XLVUI,  pp.  199-201).  Le  texte  provençal  des  Gesta  n'a  qu'un 
intérêt  philologique;  il  n'a  pas  de  valeur  historiiiue,  puisqu'il  n'est,  de  l'avis  de 
M.  Paul  Meyer  [Biljl.  de  l'École  des  Chartes.  28*  année,  p.  54,  note!)  et  de  l'avis  de 
M.  Schncegans,  lui-même  {Introduction,  pp.  34-33),  que  la  traduction  du  texte  latin. 

2.  Gaston  Parii,  Histoire  poétique  de  Charlemagne,  Paris.  1863,  in-8»,  pp.  90-91. 

3.  Paul  Meyer.  Recherches  sur  l'épopée  française,  dans  Bibl.  de  l'Ëc.des  Charles, 
28"  année,  pji.  Ji6-57.  Philomena  est  le  nom  du  personnage  qui  aurait  élé  chargé  de 
rédiger  les  Gesta.  L'auteur  de  ce  récit  est  un  vérilahle  mystilicateur.  Voici  ce  qu'il 
écrit  :  (.  ..  .Charles  appela  Philduiena.  le  maître  de  l'histoire,  et  lui  recommanda  de  ne 


ÉTUDE   SUR   LA   CONDITION   DES  JUIFS  DE  NARBONNE  15 

Cependant,  Léon  Gauthier'  et  M.  Schneegans  sont  moins  sévères 
pour  les  Gesta.  Le  premier  considère  comme  certain  «  que  le  Phi- 
lomena  contient  le  récit  extrêmement  précieux  de  très  anciennes 
légendes,  toutes  particulières  au  Midi  et  qui  ne  sont  le  sujet  d'au- 
cun poème  français  ».  Le  second  d<''finit  les  Gesta  une  compilation 
d'éléments  historiiiiies  déformés  et  de  traditions  locales  ampliliées. 
L'auteur  aurait  utilisé  les  documents  très  nombreux  conservés  dans 
les  archives  de  l'abbaye  de  Lagrasse  et  il  en  aurait  combiné  les 
données  avec  des  légendes  très  anciennes,  inconnues  à  l'épopée 
française,  méridionales  d'origine  et  conservées  dans  un  recueil 
d'épopées  prélittéraires  en  langue  provençale"-.  Cette  hypothèse 
d'une  épopée  provençale,  indépendante  de  l'épopée  française,  est 
assez  peu  vraisemblable.  Nous  ferons  observer  à  ce  sujet  que 
M.  Schneegans  ne  l'a  pas  imaginée,  mais  qu'il  l'a  empruntée  à  Léon 
Gauthier,  sans  le  dire. 

IL  —  Nous  jugeons  superflu  d'entrer,  à  notre  tour,  dans  l'examen, 
détaillé  de  tout  le  texte  des  Gesta^.  Une  pareille  i-echerche  nous 
entrahierait  trop  loin  '.  Nous  examinerons  seulement  le  passage 
qui  intéresse  notre  étude.  Aussi  bien  cette  critique  partielle  des 

mettre  aucun  mensouire   dans  son   histoire  sous  [icine  de  perdre  son  amitié.  »    Kd. 
Schneegans,  lignes  614-G16.) 

1.  Les  épopées  françaises,  t.  I,  Paris,  1865,  iii-8»,  fiji.  486-487. 

2.  Ed.  Scimeegans.  îniroduclion,  pp.  1  et  suiv. 

3.  Sur  la  date  de  n-dactiou  de  ce  récit,  les  avis  sont  jiartagés.  Fîainouard  place  les 
Gesta  entre  1226  et  12jo  (Compte  rendu  de  léd.  Ciampi  dans  Journal  des  Savants, 
année  1824,  pp.  6C8  et  G74).  .M.  Demaison,  l'éditeur  de  la  chanson  de  gestes  Aymeri 
de  ^arbonne  (Société  des  anciens  textes  français,  Paris,  1887,  in-S»),  place  la  rédac- 
tion vers  le  milieu  du  xiii*  siècle  [Introduction,  p.  ccxxxiv,  n.  1);  M.  Israël  Lévi, 
vers  1170  au  plus  lard  [R.  É.  /.,  t.  XLVIII,  p.  214)  ;  M.  Schneegans,  dans  les  pre- 
mières aimées  du  xm'  siècle  [Introduction,  p.  40).  La  démonstration  de  ce  dernier 
nous  paraît  la  plus  convaincante. 

4.  Nous  avons  cependant  recherché  si  les  renseignements  topographi(]ues  fournis  par 
les  Gesta  à  propos  de  Narhnnne  et  de  sa  banlieue  étaient  conformes  à  la  situation  des 
lieux.  Ces  renseignements  sont  généralement  exacts.  L'auteur  connaît  très  bien  la  topo- 
graphie de  Narbonne,  remplacement  du  (|uartier  juif  ^éd.  Schneegans,  lignes  2360  et 
suiv.),  de  la  Porte  Rey  {ibid.,  817,  1376.  lo27,  1331,  1869,  1969,  2197,  2435,  2803),  de 
la  Porte  .Aiguière  \^ibid.,  I.j27,  1381.  2224,  2439).  de  l'église  S'  Félix  [ibid.,  1383, 
1.372.,  du  tènement  du  Broil  (1463,  1324,  1334,  1970,  2248,  2413),  du  gué  de  Capra 
picta  (13801,  aujourd'hui  écluse  et  moulin  du  Gua.  Le  compilateur  connaît  aussi  la 
topographie  des  environs  immédiats  de  la  ville,  de  Montlaurés  i2773,  2794,  etc.),  de 
Capestang  (1362),  de  la  bastide  d'Ensérune  (2718),  de  Coursan  (1383).  L'étymologie 
de  Coursan  suggère  à  l'auteur  un  mauvais  calembour.  Cliarlema::ne  aurait  appelé  ce 
lieu  ainsi  parce  qu'il  y  avait  tenu  sa  cour  (1370i.  L'explication  aurait  été  plus  heureuse 
si  elle  s'était  appliquée  à  un  tènement  limitrophe  des  remparts  de  la  Cité  de  Narbonne, 
côté  ouest,  connu  sous  le  nom  de  Coiran  [en  lut.  Corianum\ 


16  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Gesta  ne  fera-t-elle  que  confirmer  l'opinion  formulée  sur  l'en- 
semble par  Gaston  Paris  et  M.  Paul  Meyer. 

Les  Gesta  nous  font  assister  au  siège  de  Narbonne  par  Char- 
lemagne  et  non  par  Pépin.  Cette  substitution  n'a  rien  qui  nous 
étonne  :  elle  est  courante  dans  les  cbansons  de  gestes  qui  se 
rattacbent  au  cycle  de  Cbarlemagne.  La  littérature  romanesque  du 
moyen  âge  a  démesurément  grandi  le  rôle  du  grand  empereur  : 
non  contente  d'amplifier  et  d'idéaliser  les  actions  réellement 
accomplies  par  ce  monarque,  l'épopée  lui  a  prêté  des  expéditions, 
purement  imaginaires,  dans  les  contrées  les  plus  excentriques  de 
la  cbrétienté  et  de  lislam  :  elle  est  même  allée  plus  loin,  en  attri- 
buant à  Cbarlemagne  les  bauts  faits  qui  ont  été  accomplis  par  tel 
de  ses  ancêtres  ou  tel  de  ses  descendants.  La  forte  pbysionomie  du 
grand  empereur  a,  pour  ainsi  dire,  recouvert  les  pâles  figures  des 
rois  qui  l'ont  précédé  et  des  rois  qui  l'ont  suivi. 

Il  arrive  souvent  que  les  textes  épiques  substituent  Cbarlemagne 
à  Cbarles  Martel,  cette  confusion,  involontaire  ou  préméditée,  se 
trouvant  favorisée  par  l'bomonymie  de  ces  deux  monarques.  Par- 
tant de  ce  fait,  quelques  bistoriens  ont  pensé  que  le  Pseudo-Pbilo- 
mena  avait  substitué  dans  le  passage  relatif  au  siège  de  Narbonne 
Cbarlemagne  à  Cbarles  Martel'.  Il  est  bistoriquement  certain  que 
ce  dernier  roi  assiégea  Narbonne,  en  737,  et  qu'il  battit  les  Sarra- 
sins entre  Villefalse  et  Sigean,  mais  il  ne  réussit  pas  à  s'emparer  de 
la  ville  ^. 

III.  —  Les  Gesta  nous  apprennent  encore  qu'il  existait  à  Nar- 
bonne, au  moment  du  siège,  un  roi  sarrasin  nommé  Matrand. 
Cette  assertion  est  purement  fantaisiste.  Il  n'y  a  jamais  eu  de  roi 
sarrasin  à  Narbonne^.  Par  contre,  plusieurs  rois  uisigotbs  ont 
tour  à  tour  fait  de  Narbonne  leur  résidence  babiluelle.  Alaric  II 
(484-507)  y  posséda  un  palais  '.  Gésalic  y  fut  élu  roi  en  307  "\ 
Amalaric  (526-531)  fit  de  Narbonne  son  séjour  ordinaire  et  la 
capitale  de  ses  États  •■'.  Liuva  cboisit  cette  ville  pour  résidence  à  la 

1.  Saige,  Les  Juifs  du  Languedoc  antérieureitienl  au  XIV'  siècle,  Paris,  1881, 
in-8»,  p.  8  ;  Gross,  Gallia  judaica,  p.  404. 

2.  //i\s7.  de  Lang.,  t.  I,  pp.  806-807. 

3.  Il  existait,  toutefois,  ii  Nartmniie  une  tradition  sur  la  pn-sence  d'un  roi  sarrasin 
dans  la  ville  à  l'époque  de  Charleuiagne  iVoy  acte  de  13ti4  dans  Mouynos,  Anne.ves 
de  la  série  AA,  p.  339;.  Le  Pseudo-Philoniena  s'est  évideininent  lait  l'echo  de  celle 
tradition  locale.  Cf.  Saige,  Juifs  du  Languedoc,  p.  44. 

4.  Hist.  de  Lang.,  t.  1,  p.  513. 

5.  Ibid.,  p.  538. 
ti.  I{)i<l.,  1».  551. 


ÉTUDE  SUR   LA  CONDITION  DES  JUIFS   DE   NARBONNE  17 

fin  de  367  ^  Tl  est  possible  que  le  Pseudo-Philomena  ait  confondu 
les  rois  wisigoths  et  les  gouverneurs  sarrasins  de  Narbonne  -. 

IV.  —  Les  Gesta  font  jouer  aux  Juifs  dans  la  reddition  de  Nar- 
bonne  un  rôle  capital.  11  est  indispensable  de  mettre  sous  les  yeux 
du  lecteur  le  récit  des  événements  qui,  suivant  les  Gesta,  ame- 
nèrent la  prise  de  la  ville  par  les  Francs  :  «  Les  Juifs  qui  demeu- 
raient dans  la  Cité  apprirent  par  leurs  sortilèges  que  Charles 
prendrait  la  Cité  et  se  rendrait  maître  de  toute  la  terre  transma- 
riiie.  Après  avoir  tenu  conseil,  ils  se  rendirent  auprès  de  Matrand 
et  lui  conseillèrent  défaire  la  paix  avec  Charles  à  n'importe  quelle 
condition,  lui  déclarant  qu'il  perdrait  certainement  la  Cité  et  même 
la  vie,  lui  et  tous  ses  partisans.  Matrand,  indigné,  répondit  qu'il 
n'en  ferait  rien  :  il  comptait  recevoir,  ajoutait-il,  un  tel  renfort  et 
dans  un  si  bref  délai,  qu'il  mettrait  Charles  en  déroute  et  le  tue- 
rait, lui  et  les  siens.  Aumassour  [le  roi  de  Cordoue]  lui  avait  fait 
savoir  par  ses  émissaires  qu'il  accourait  à  son  secours.  Mais  les 
Juifs  répondirent  à  Matrand  que  c'était  là  pour  eux  une  maigre 
consolation  et  qu'avant  d'être  tués,  ils  aimaient  mieux  se  rendre 
à  Charles  et  lui  obéir  en  toutes  ses  volontés.  Matrand  leur  défendit 
de  faire  défection.  Mais  les  Juifs,  méprisant  cette  défense,  choi- 
sirent Isaac  et  dix  autres  délégués,  leur  remirent  soixante-dix 
mille  marcs  d'argent  et  les  envoyèrent  auprès  du  roi  Charles. 
L'ambassade  se  présenta  à  Charles  et  le  salua.  Isaac  prit  le  premier 
la  parole  et  lui  dit  :  «  Sire,  nous  savons  bien  que  ^'arbonne  ne  peut 
vous  résister  plus  longtemps  :  nous  sommes  Juifs  et  demandons 
merci  tant  pour  nous  que  pour  tous  ceux  de  la  ville,  et  nous  ferons 
tout  ce  qu'il  vous  plaira.  »  Et  Charles  lui  répondit  :  «  Qui  demande 
merci  doit  obtenir  merci,  et  moi  je  vous  reçois  sous  ma  juridiction 
et  sous  ma  sauvegarde.  »  Isaac  reprit  :  «  Sire,  ne  croyez  pas  que 
nous  fassions  quelque  trahison.  Matrand  n'a  pas  de  pouvoir  sur 
nous  ;  nous  ne  tenons  rien  de  lui  :  en  retour  de  la  protection 
[amparancia]  qu'il  nous  oH'j'e,  nous  lui  donnons  tous  les  ans  une 
certaine  somme  d'argent.  En  outre,  nous  vous  demandons  qu'il  y 
ait  toujours  à  Narbonne  un  roi  de  notre  nation,  puisqu'il  doit  en 

1.  llht.  de  Lauf/.,  t.  1,  p.  o90. 

2.  Saije  a  commis  une  crosse  erreur  en  faisant  raconter  par-  les  Gesta  que  Cliarle- 
magne  aurait  accordé,  aiirés  la  prise  de  la  ville,  aux  Sarrasins  habitant  >'arbonne  le 
droit  de  vivre  sous  l'obiissanm  d'un  roi  sarrasin  {Juifs  du  Lanf/uedoc,  p.  42).  Saige 
renvoie  à  la  version  provençale  des  Ges/a  publiée  par  Dumège  dans  son  édition  de 
VHist.  de  Lang.,  de  dom  Devic  et  dom  Vaissete,  Addillons  au  t.  II,  p.  30,  où  il  n'est 
nullement  question  de  roi  sarrasin.  M.  Isr.  Lévi  a  relevé  l'erreur  de  Saige  dans  R.  É.  J., 
t.  XLVIII,  p.  203,  note  3. 

T.  LV,  x"  109.  2 


18  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

être  ainsi  à  l'avenir  et  qu'il  en  est  ainsi  aujourd'hui.  C'est  de  sa 
part  que  nous  sommes  venus  vers  vous  :  il  est  de  la  race  de  David 
et  originaire  de  Bagdad'.  Il  vous  envoie  par  notre  intermédiaire 
soixante-dix  mille  marcs  d'argent.  Si  vous  en  voulez  davantage, 
vous  en  aurez  davantage,  et  tout  ce  qui  nous  appartient  vous 
appartiendra.  Vous  assiégerez  Narbonne  du  côté  de  notre  quartier 
et  vous  la  prendrez  :  nous  occuperons  cent  brasses  de  rempart  et 
môme  davantage  ;  personne  n'osera  vous  lancer  de  pierres  ni  vous 
causer  de  dommage.  »  Charles  leur  accorda  tout  ce  qu'ils  deman- 
daient et  prit  l'argent.  Les  ambassadeurs  revinrent  dans  la  Cité 
et  rapportèrent  aux  autres  Juifs  les  paroles  du  roi  Charles,  ce  qui 
leur  valut  toutes  sortes  de  compliments. 

...  La  ville  fut  bloquée.  Les  Juifs  se  préparaient  à  la  livrer  à 
Charles  quand  Matrand  accourut  avec  une  multitude  de  soldats  et 
les  en  empêcha  :  cependant,  une  grande  dispute  s'éleva  entre  eux. 

. . .  Ayant  appris  que  Matrand  venait  d'être  tué,  plus  de  500 
Juifs  armés  montèrent  vers  la  Porte  Rey  ;  400  et  plus  se  portèrent 
sur  le  palais  de  Matrand  et  empêchèrent  les  Sarrasins  d'y  péné- 
trer. Roland  et  toute  l'armée  chargèrent  les  Sarrasins  en  dehors 
de  la  porte  et  en  tuèrent  sept  mille.  Ils  s'avancèrent  ensuite 
vers  la  Porte  Rey,  que  les  Juifs  leur  ouvrirent.  Aimeri  accourut 
au  palais  royal,  et  les  Juifs  le  lui  remirent  après  avoir  arboré 
l'étendard  de  Charles  à  son  sommet. 

...  Et  au  bout  de  huit  jours  d'occupation,  Charles  tint  sa  cour 
générale  et  partagea  la  Cité  :  il  nomma  Thomas  de  Normandie 
archevêque  de  Narbonne  et  lui  subordonna  dix  évêques.  Il  lui 
donna,  en  outre,  le  tiers  de  la  Cité,  construisit  l'église  Notre- 
Dame,  et  le  gratifia  de  toutes  sortes  de  possessions  et  revenus. 
Pareillement,  il  donna  le  tiers  de  la  Cité  aux  Juifs,  qui  la  lui 
avaient  livrée  et  il  leur  accorda  un  roi  selon  leur  volonté.  Puis, 
s'asseyant  sur  le  siège  royal  du  palais,  le  sceptre  dans  sa  main, 
entouré  de  la  multitude  inlinie  des  nobles  guerriers,  il  fit  venir 
Aimeri  devant  lui  et  lui  dit  :  «  Aimeri,  j'ai  donné  un  tiers  de  la  Cité 
à  l'archevêque,  un  tiers  aux  Juifs  ;  je  te  donne  l'autre  tiers  ^.  » 

V.  —  Plusieurs  assertions  de  ce  récit  sont  parfaitement  invrai- 
semblables. La  démarche  des  Juifs  auprès  de  Matrand  est  assuré- 
ment très  chevaleresque.  Ils  ne  veulent  pas  faire  défection  avant 

1,  Eii  laliii  Balilachi.  Aronius  et  M.  Israël  Lévi  tiaduisi'iit  Ihililnc/ti  par  Baircla<l 
(fl.  É.  J.,  t.  XLIX,  II.  148,  noto).  M.  Lévi  estime  que  liciUlaclii  était  la  forme  italienne 
de  Bagdad  au  moyen  âge  {R.  É.  J.,  XLVIII,  204). 

2.  Ed.  Ciampi,  pp.  97-103.  Ed.  Schneegans,  pp.  nO-189, 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION  DÈS  JUIFS  DE  NARBONNE  19 

d'avoir  averti  le  roi  sarrasin  du  malheur  qui  le  menace.  Mais  ils  ne 
lui  cachent  pas  qu'ils  aiment  mieux  se  rendre  à  Charlemagne  que 
se  faire  tuer  pour  une  cause  perdue  d'avance.  Ce  qui  est  tout  à 
fait  extraordinaire  c'est  que  Matrand  ne  les  mette  immédiatement 
dans  l'impossibilité  d'exécuter  leur  projet  :  il  se  contente  de  s'y 
montrer  défavorable.  Les  Juifs  n'ont  pas  plus  tôt  quille  Matrand 
qu'ils  envoient  une  ambassade  à  Charlemagne. 

Le  chef  de  l'ambassade  se  nomme  Isaac.  Ce  n'est  pas  sans  motif 
que  le  Pseudo-Philomena  a  choisi  cette  dénomination  :  il  s'est 
probablement  rappelé  que  Cliarlemagne  avait  adjoint  un  Juif  de 
ce  nom  à  l'ambassade  qu'il  avait  envoyée  auprès  du  khalife 
Haroun,  en  797  '. 

Le  chevalier  Du  Mège  croit  ingénument  que  l'ambassade  men- 
tionnée par  les  Gesta  a  réellement  eu  lieu,  et  il  la  place  téméraire- 
ment en  l'année  791  '^. 

L'allocution  que  les  Gesta  prêtent  au  chef  de  l'ambassade,  Isaac, 
en  présence  de  Charlemagne,  est  singulièrement  typique  :  elle 
révèle  des  sentiments  qui  sont  ceux  de  la  société  féodale  des 
xiie  et  XIII®  siècles.  Charlemagne  ne  place  pas  les  ambassadeurs 
sous  sa  mainbournie  comme  tout  bon  roi  de  l'époque  carolin- 
gienne, mais  sous  sa  juridiction  et  sauvegarde,  à  l'exemple  de 
n'importe  quel  roi  capétien.  Isaac  et  ses  compagnons  se  défendent 
d'être  des  félons.  Ils  n'ont,  disent-ils,  aucune  obligation  à  l'égard 
de  Matrand,  puisqu'ils  ne  tiennent  de  lui  aucun  bien.  Le  roi  sarra- 
sin se  borne  à  les  protéger,  comme  tout  bon  seigneur  justicier 
de  l'époque  féodale,  et  ils  lui  paient  en  retour  une  redevance 
annuelle.  Les  moindres  détails  du  récit  reflètent  fidèlement  les 
mœurs  d'une  époque  bien  postérieure  à  l'époque  carolingienne. 

VI.  —  Nous  avons  à  examiner  maintenant  une  des  asser- 
tions les  plus  curieuses  des  Gesta.  Dans  le  petit  discours  qu'il 
adresse  à  Cbarlemagne,  le  Juif  Isaac  lui  demande  de  permettre 
qu'il  y  ait  toujours  à  Narbonne  un  roi  de  nation  juive.  11  ajoute 
qu'il  a  été  justement  délégué  vers  lui  par  le  roi  juif  qui  se  trouve 
présentement  à  la  tête  de  la  communauté  de  Narbonne.  D'après 
Isaac,  ce  roi  est  de  la  race  do  David  et  originaire  de  Bagdad. 

Il  est  évident,  de  prime  ai)ord,  que  le  Pseudo-Philomena  n'a  pas 
emprunté  ces  renseignements  sur  la  double  origine  davidique  et 

1.  Grande  Ënci/clopéclie,  art.  Juifs  par  M.  Théodore  Reinacli,  p.  257,  2*  col. 

2.  Du  Mège,  Mémoires  sur  quelques  inscriplions  hébraïques  découvertes  à  Nar- 
bonne, dans  Mémoires  publiés  par  la  Sociélé  des  Antiquaires  de  France  t.  VIII 
Paris,  182»,  iii-8%  p.  349,  note. 


20  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

babylonienne  du  roi  juif  de  Narbonne  à  une  source  chrétienne, 
mais  à  une  source  juive.  Nous  trouvons  un  écho  des  prétentions 
généalogiques  du  roi  juif  dans  un  manuscrit  rabbinique  de  la  fin 
du  xii°  siècle,  intitulé  le  Livre  de  la  tradition  (en  hébreu  Se  fer 
Hakkabbala),  dont  Tauteur,  Abraham  ibn  Daud,  mourut  à  Tolède, 
avant  il 80  '.  Neubauer  hésite  à  attribuer  le  passage  du  manuscrit 
qui  se  rapporte  au  roi  juif  de  Narbonne  à  Tauteur  du  Se  fer  Hakkab- 
bala,  lui-même  ^  M.  Israël  Lévi  n  a  pas  les  mômes  hésitations  :  il 
démontre  que  cet  extrait  ne  peut  avoir  été  écrit  que  par  un  Espa- 
gnol et,  par  conséquent,  par  Abraham  ibn  Daud,  en  personne^. 

L'auteur  rapporte  qu'il  existe  à  Narbonne  une  tradition  sur 
l'histoire  des  docteurs  et  nasis  :  «  Le  roi  Ciiarles  avait  mandé  au 
roi  de  Babel  (au  calife  de  Bagdad)  de  lui  envoyer  des  Juifs  descen- 
dants de  David.  Le  calife  lui  en  adressa  un  très  célèbre,  nommé 
R.  Makhir.  Nous  savons  par  ailleurs  que  le  «  prince  de  la  capti- 
vité »  ou  «  exilarque  »  qui  fut  placé  à  la  tôte  des  Juifs  babylo- 
niens, à  partir  du  iii«  siècle,  avec  l'assentiment  de  la  dynastie  des 
Sassanides,  appartenait  à  une  famille  qui  se  croyait  du  sang  royal 
de  David  ''.  Seul,  un  Juif  au  courant  des  prétentions  généalogiques 
des  exilarques  babyloniens  a  pu  imaginer  de  rattacher  à  leur 
famille  le  chef  héréditaire  de  la  communauté  juive  de  Narbonne. 

D'après  l'bistorien  allemand  Aronius,  la  tradition  qui  fait  venir 
Makhir  de  Babylone  à  Narbonne  serait  le  prototype  de  celle  qui 
rapporte  que  Charlemagne  fit  venir  Moïse  ben  Calonymos  ben 
Meschoullam  ben  Calonymos  ben  Juda  de  Lucques  ■'  ou  de  Rome 
à  Mayence.  Le  rabbin  Moïse  aurait  été  le  restaurateur  des  écoles 
talmudiques  d'Allemagne  *"'. 

Il  y  a  eu  compénétration  entre  la  tradition  allemande  et  la  tra- 
dition narbonnaise,  compénétration  qui  s'explique  par  l'homonymie 
du  talmudiste  de  Mayence  avec  plusieurs  rois  juifs  de  Narbonne. 

1.  Neubaupr,  Documents  sur  Xarbonne  dans  B.  É.  J.,  année  1885,  t.  X,  pp.  99- 
lUj. 

2.  Ibid.,  jip.  99-100. 

3.  Isr.  Lévi,  Le  roi  Juif  de  Narbonne  et  le  P/iilomène  dans  /î.  É.  J.,  année  1904, 
t.  XLVIII,  p.  203. 

4.  Théod.  Reinach,  Histoire  des  Israéliles.  Paris,  1903,  p.  44. 

5.  Sur  (jnels  textes  s'appuie  M.  Kleiiiclausz  [llis/oire  de  France,  publiée  sous  la 
direction  de  M.  Lavisse,  II,  i,  340;  pour  écrire  que  Charlemagne  fit  venir  de  Luc(iues  ;i 
Narbonne,  vers  787,  deux  Juifs,  Kalonymos  et  Moïse,  et  <iu"il  leur  accorda  de  vastes 
terrains  pour  y  bâtir  des  maisons  ? 

G.  Aronius,  Karl  der  Grosse  und  Kalonymos  aus  Lucca,  dans  Zeilsclirifl  fOr 
Geschichle  der  Juden  in  Deusc/dand,  t.  II,  p.  82  et  suiv.  Cf.  Isr.  Lévi,  Encore  un 
)not  sur  le  roi  juif  de  Narbonne,  dansiî.  É.  J.^  t.  XLIX,  pp.  147-148. 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITÎON  DES  JUIFS  DE  NARBONNE  21 

Il  est  possible  que  la  tradition  narbonnaise  soit  passée  en  Alle- 
magne. Il  est  plus  probable,  cependant,  que  ces  traditions  se  sont 
formées  presque  simultanément  et  qu'elles  ont  été  inspirées  par  les 
mêmes  préoccupations,  à  savoir  de  rattacher  la  fondation  des 
écoles  talmudiqiies  au  grand  mouvement  de  renaissance  intel- 
lectuelle qui  se  produisit  sous  le  règne  de  CharJemagne. 

VII.  —  Examinons  après  cela  la  déclaration  la  plus  importante 
du  Pseudo-Philomena.  Narbonne  a-t-elle  été  livrée  aux  Francs  par 
la  communauté  juive  de  cette  ville? 

MM.  Louis  Demaison  '  et  Israël  Lévi  -  ont  fait  observer  très  judi- 
cieusement que  la  conduite  prêtée  par  les  Gesta  aux  Juifs  vis-à-vis 
de  Charlemagne  rappelle  d'une  manière  frappante  celle  qui  fut 
tenue  par  les  Gotbs  à  l'égard  de  Pépin,  lors  du  siège  de  759.  Les 
Annales  dAniane  et  la  Chronique  de  Moissac  expliquent  la  reddi- 
tion de  Narbonne  à  Pépin  par  des  raisons  presque  identiques.  La 
Chronique  s'exprime  ainsi  :  «  L'an  7o9,  les  Francs  assiègent  Nar- 
bonne. Les  représentants  de  Pépin,  roi  des  Francs,  promettent 
sous  serment  aux  Goths  qui  habitent  cette  ville,  de  les  laisser  vivre 
sous  leur  loi,  s'ils  consentent  à  livrer  Narbonne.  Forts  de  cette  pro- 
messe, les  Goths  massacrent  la  garnison  sarrasine  et  livrent  la  Cité 
à  l'armée  franque  ^.  »  Les  Annales  rapportent  qu'à  la  fin,  les  Goths 
qui  habitaient  la  ville  se  soulevèrent  contre  les  infidèles,  les  égor- 
gèrent et  livrèrent  la  place  aux  Francs,  à  la  condition  qu'ils  seraient 
maintenus  dans  l'usage  de  leurs  lois  et  coutumes  ''.  Un  troisième 
texte  narratif,  la  Chronique  d'Uzès,  rapporte  le  même  fait,  mais 
dans  des  termes  légèrement  dissemblables.  Les  Goths  n'y  deman- 
dent pas  à  conserver  leurs  lois  ;  ils  sont  plus  exigeants  :  ils  ne 
livrent  la  ville  aux  partisans  de  Pépin  que  sur  la  promesse  qu'ils 
seront  régis  par  un  gouvernement  autonome  "^  Cette  dernière  ver- 
sion nous  paraît  la  plus  vraisemblable.  Les  Goths  de  Narbonne 
n'ignoraient  pas  que  les  Francs  permettaient  aux  peuples  qu'ils 
soumettaient  d'être  jugés  suivant  leur  code  national.  Ils  ne  furent 
donc  pas  à  ce  point  naïfs  d'exiger  des  avantages  qu'ils  savaient 
leur  être  assurés  d'avance.  La  conservation  de  leur  gouvernement 
national  était  pour  les  Goths  un  privilège  bien  autrement  précieux, 

1.  Luuis  Demaison,  Aymeri  de  .Y«r6on?ie,  Introduction,  p.  ccxxiix. 

2.  Israël  Lévi,  R.  É.  J.,  t.  XLVIII,  pp.  201  et  206. 

3.  Monumenla  Germanise  hislorica,  Pertz,  Scriplores,  t.  I,  p.  294,  et  Ilisl.  de 
Lang.,  t.  II,  Preuves,  col.  7. 

4.  Historiens  de  France,  t.  V,  p.  fVJ. 

i).  Ilisl.  de  Lang.,  t.  H,  Prouves.  co\.  liî. 


22  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

et  il  est  tout  à  fait  vraisemblable  qu'ils  en  aient  fait  la  condition  de 
leur  concours  ^ . 

Sur  ce  point  particulier,  l'histoire  se  trouve  confirmée  par  la 
numismatique.  Au  moment  où  Pépin  assiégeait  Narbonne,  le  comte 
Milon,  celui  qui  sera  le  premier  comte  carolingien  de  Narbonne, 
frappait  monnaie  à  Trausse,  près  de  la  célèbre  abbaye  de  Cannes, 
en  son  propre  nom,  tout  comme  un  souverain'-.  M.  Amardel  sup- 
pose avec  beaucoup  de  vraisemblance  qu'à  la  veille  de  la  capitu- 
lation de  Narbonne,  Milon  était  le  cbef  des  Wisigoths  de  Sepli- 
manie.  Milon  n'aurait  consenti  à  livrer  à  Pépin  la  partie  de  la 
Narbonnaise  qui  lui  obéissait  que  sur  la  promesse  que  toutes  les 
villes  conserveraient  leurs  comtes  particuliers^,  et,  qu'étant  lui  le 
premier  seigneur  des  Goths,  le  gouvernement  de  Narbonne  lui 
serait  viagèrement  conféré  '•.  Après  la  réunion  de  cette  ville  au 
royaume  carolingien,  Milon  resta  bien  le  chef  national  des  Goths 
de  la  Septimanie,  puisqu'il  y  frappa  une  nouvelle  monnaie  qui 
portait  son  nom  au  lieu  de  celui  de  Pépin  •'. 

11  est  donc  hors  de  doute  que  la  ville  de  Narbonne  a  été  livrée 
aux  Francs  par  les  Goths  et  non  par  les  Juifs.  A  côté  de  ces 
preuves  historiques,  nous  pourrions  faire  valoir  des  arguments 
psychologiques.  Les  Juifs  de  Narbonne  n'ont  pas  favorisé  la  prise 
de  cette  ville  par  les  Francs,  parce  qu'ils  n'avaient  aucun  intérêt 
à  passer  de  la  domination  sarrasine  sous  la  domination  franque. 
Leur  situation  n'avait  pas  été  tellement  satisfaisante  sous  le  joug 
des  Wisigoths  catholiques  pour  qu'ils  aient  désiré  vivement 
retomber  sous  la  suprématie  d'un  peuple  également  très  ortho- 
doxe. 

L'histoire  comparée  nous  affermit  dans  notre  opinion.  En  l'année 
oOH,  la  ville  d'Arles  avait  été  assiégée  par  les  Francs.  Le  biographe 
anonyme  de  saint  Césaire  accuse  les  Juifs  d'Arles  d'avoir  voulu,  de 
concert  avec  les  Goths,  livrer  la  ville  aux  assiégeants.  Mais  ce  bio- 
graphe ne  porte  cette  accusation  contre  les  Juifs  et  les  Goths  que 
parce  que  ces  derniers  ont  tout  d'abord  accusé  du  même  forfait  un 

1.  Il  est  facile  de  voir  ([uc  les  Gesfa  ont  substitut'  le  roi  juif  au  comte  wisigotli.  Le 
Pseudo-Philumena  a  connu  certainement  les  chroniques  dont  nous  venons  de  rajiporter 
le  témoignage,  mnissurle  lliénie  ({u'clles  lui  ont  fourni,  son  imai;ination  a  hrodé  un 
récit  absolument  fantaisiste. 

'2.  G.  Amardel,  Niimismuliqne  de  Nurùonne  an  VIII'  siècle  (Extrait  de  la  Revue 
munis  ma  ligue,  année  l'JOl),  p.  7,  fig.  8. 

3.  M.  Amardel  emprunte  cette  opinion  à  17//s/.  de  Lang.,  t.  I,  p.  829. 

4.  G.  Amardel,  La  première  monnaie  de  Milon,  comte  de  Narbonne  ^Extrait  du 
Bulletin  de  la  commission  archéologique  de  Narbonne,  année  1900\  pp.  9  et  IP. 

5.  G.  Amardel,  Numismatique  de  Narbonne  au  VIII'  siècle,  p.  8,  Jig.  10. 


ÉTUDE   SUR  LA  CONDITION  DES  JUIFS  DE  NARBONNE  23 

parent  de  Césaire,  l'évêque  d'Arles  ^  Or,  il  est  infiniment  plus 
vraisemblable  que  ce  sont  les  chrétiens  orthodoxes,  eux-mômes, 
qui  ont  voulu  livrer  la  ville  aux  Francs.  En  ol)8,  la  ville  d'Arles 
était  placée  sous  la  domination  des  ^Visigotbs,  qui  n'avaient  pas 
encore  renoncé  à  l'hérésie  arienne-.  D'autre  part,  elle  était  assiégée 
par  les  Francs,  qui  observaient  strictement  l'orthodoxie  catholique 
depuis  la  conversion  solennelle  de  Clovis  et  de  3,000  de  ses  guer- 
riers à  la  fête  de  Noël  de  Tan  490  ^.  A  qui  devait  aller  la  sympathie 
des  catboliques  d'Arles,  sinon  aux  Francs  catholiques,  par  consé- 
quent aux  assiégeants?  A  qui  devait  aller  la  sympathie  des  Juifs 
d'Arles,  sinon  aux  Wisigotbs  ariens,  qui  s'étaient  toujours  montrés 
tolérants  à  leur  égard,  par  conséquent  aux  assiégés?  A  Arles  comme 
à  Narbonne,  les  Juifs  n'avaient  aucun  intérêt  à  passer  de  la 
domination  d'hétérodoxes  ou  d'infidèles  sous  celle  de  catholiques 
orthodoxes. 

Il  y  a  eu  peut-être  compénétration  entre  la  légende  arlésienne  et 
la  légende  narbonnaise  '*.  En  tout  cas,  l'une  et  l'autre  se  rattachent 
à  cette  croyance  très  répandue  au  moyen  âge,  d'après  laquelle  les 
Juifs  auraient  joué  un  grand  rôle  dans  toutes  les  redditions  de  villes 
méridionales ^  Cette  accusation  était  de  la  plus  haute  gravité,  sur- 
tout à  une  époque  où  toute  la  société,  reposant  sur  le  serment  et 
la  foi  jurée,  considérait  la  trahison  comme  le  plus  grand  de  tous 
les  crimes. 

VIII.  —  Il  nous  reste  à  examiner  maintenant  l'assertion  des 
Gesta  relative  au  partage  de  la  Cité  de  Narbonne  entre  l'arche- 
vêque, les  Juifs  et  Aimeri.  Cbaiiemagne  aurait  nommé  archevêque 
de  la  ville  Thomas  de  Normandie,  un  des  sci)t  ermites  qu'il 
avait  rencontrés  dans  la  vallée  Maigre  ^  devenue  la  vallée  Grasse"^ 

1.  Isr.  Lévi,  Saint  Césaire  el  les  Juifs  d'Arles,  dans  R.  É.  J.,  année  189o,  t.  XXX, 
pp.  295-298. 

2.  Ils  ne  rabandonneront  (|n'à  la  fin  du  vi«  siècle  {Hist.  de  Lang.,  I,  529). 

3.  Les  alliés  des  Francs,  les  BuiL'oiides,  étaient  encore  ariens  en  508,  mais  leur  roi 
était  si  tolérant  pour  les  catlioli(|ues  qu'il  laissait  ses  (ils  se  convertir  à  l'orthodoxie. 
Son  fils  aîné,  Sigismond,  rpii  lui  succéda  en  516,  était  un  catholique  fervent. 

4.  Comme  à  Narbonne  plus  tard,  les  Juifs  d'Arles  auraient  conseillé  aux  assiégeants 
de  dresser  des  échelles  contre  la  muraille  dont  ils  avaient  la  garde.  Us  auraient 
demandé  en  retour  la  liberté  pour  leurs  personnes  et  le  respect  de  leurs  biens. 

5.  Ainsi  d'après  la  Vie  de  saint  Théodard,  qui  fut  archevêque  de  Narbonne  de  885 
h  895,  les  Juifs  de  Septimanie  se  seraient  concertes  avec  les  chefs  sarrasins  pour  leur 
favoriser  la  conquête  de  toute  la  Gaule  (abbé  Guyard,  Vita  Sancli  Theodardi,  Mon- 
tauban  et  Paris,  1S56,  in-12,  pp.  159-178).  Ce  témoignage  n'a  aucune  valeur. 

6.  Ed.  Schneegans,  lignes  127  el  suiv. 

7.  Ibid.,  ligne  624. 


24  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

depuis  qu'il  y  avait  fondé  l'abbaye  de  ce  nom.  Il  faut  remarquer 
que  le  premier  abbé  de  La  Grasse,  Nébridius,  Nibridius,  Nimfridus 
ou  Nifridius,  qui  gouverna  le  monastère  à  la  fin  du  viiie  et  au  com- 
mencement du  ix«  siècle,  devint  archevêque  de  Narbonne'.  Le 
Pseudo-Pbilomena  s"est  apparemment  souvenu  de  ce  détail. 

D'après  les  GesLa,  Charlemagne  donna  un  autre  tiers  de  la  Cité 
à  un  de  ses  compagnons  nommé  Aimeri,  qui,  depuis  ce  moment, 
s'appela  Aimeri   de  Narbonne.  Nous  sommes  là  en  présence  de 
l'ancôtre  légendaire  de  la  maison  vicomtale  de  Narbonne,  dont  les 
prouesses  ont  été  si  souvent  célébrées  par  les  chansons  de  gestes  2. 
Quant  à  la  tradition   d'après  laquelle   les  Juifs  de  Narbonne 
auraient  été  admis  au  partage  de  la  ville,  elle  est  sans  aucun  doute 
d'origine  juive.  Nous  la  trouvons,  en  effet,  reproduite  dans  deux 
textes  rabbiniques.  Le  Se  fer  Hakkabbala  raconte  qu'après  la  con- 
quête de  Narbonne,  Charlemagne  divisa  la  ville  en  trois  quartiers  : 
«  Le  premier  fut  donné   au  gouverneur  de  la  ville  nommé  don 
Aymeric,  le  deuxième,  à  l'évêque,  et  le  troisième,  à  R.  Makhir^.  » 
La  relation  du  Se  fer  Hakkabbala  diffère  de  celle  des  Gesta,  en  ce 
qu'elle  attribue  un  tiers  de  la  Cité,  non  à  la  communauté  des  Juifs, 
mais  à  l'un  de  ses  membres,  à  ce  R.  Makhir  que   Charlemagne 
aurait  fait  venir  de  la  Babylonie.  De  plus,  à  la  différence  des  Gesta, 
le  Sefer  Hakkabbala  ne  fait  aucune  allusion  au  rôle  qu'auraient 
joué  les  Juifs  de  Narbonne  dans  la  prise  de  cette  ville.  11  présente 
la  cession  d'un  tiers  de  la  Cité  à  R.  Makhir  comme  une  sorte   de 
dotation   accordée  au  célèbre  rabbin  pour  le  récompenser  d'être 
venu  ouvrir  à  Narbonne  une  école  talmudique.  Enfin,  si  Charle- 
magne octroya  aux  Juifs  de  Narbonne  «  d'excellents  privilèges  et 
lois  »,  c'est,  dit  le  Sefer  Hakkabbala,  «  par  amour  pour  R.  Makhir  ». 
Le  rabbin  Meïr  bcn  Siméon,  Juif  de  Narbonne,  dans  un  factitm 
contenu   dans   le    livre    hébreu   intitulé  Milhémct  Mirvah,  que 
M.  Neubauer  a  découvert  à  Parme^,  adresse  des  remontrances  à 
saint  Louis  au  sujet  de  son  altitude  à  l'égard  des  Juifs  :  il  lui  rap- 

1.  Gallia  christiana,  t.  VI,  ce.  936-937.  Au  xiv«  sièdo,  un  autre  abbé  de  La  Grasse, 
Pierre  de  la  Jugic,  devint  arcliev('<iue  de  Narbonne. 

2.  Voici  les  trois  jjrincipales  chansons  de  gestes  qui  ont  cilébré  les  exploits  du  légen- 
daire Aimeri  :  Aipneri  de  Narbonne,  éd.  Demaison,  Paris,  1887,  in-S»  ;  La  7)iort 
Aymeri  de  Narbonne,  éd.  Couraye  du  Parc,  Paris,  1884,  ii)-8';  Les  Narbonnais, 
éd.  Suchier,  Paris,  1898,  2  vol.  in-8°.  Ces  trois  œuvres  ont  été  publiées  dans  la  collec- 
tion de  la  Société  des  anciens  textes  français. 

3.  Neubauer,  Documents  sur  Narbonne,  dans  R.  É.  J.,  année  1885,  t.  X,  ji.  103. 

4.  Neubauer,  Rapport  sur  une  mission  scientifique  dans  le  midi  de  la  France  et 
en  Italie  din%  Archives  des  missio7is  scientifiques  et  littéraires,  3' série,  t.  1",  Paris, 
Imp.  nat.,  1873,  in-S",  p.  557.  Cf.  Saige,  Les  Juifs  du  LaïKjuedoc,  p.  8. 


ÉTUDE  SUR    LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARBONNE  25 

pelle,  entre  autres  cboses,  lacté  de  dévouement  dun  Juif  narbon- 
nais,  qui  se  lit  tuer  pour  sauver  Cliarleniagne.  Dans  un  combat  le 
roi  Gbarles,  désarçonné,  allait  périr  ou  être  fait  prisonnier  quand 
un  Juif  se  dévoua  en  lui  cédant  son  cheval  et  succomba  bientôt 
après  sous  ses  yeux.  En  récompense  de  cette  belle  action,  le  roi 
Charles  «  accorda  sa  protection  aux  descendants  du  Juif  et  leur 
octroya  une  portion  importante  de  la  ville  de  Xarbonne  et  de  ses 
environs.  C'est  une  tradition  très  ancienne  qu'il  leur  donna  le 
tiers  de  la  ville  et  de  la  banlieue  et  leur  accorda  des  privilèges 
avec  l'assentiment  des  gouverneurs  et  du  clergé  qui  l'accompa- 
gnaient *.  » 

Donc  les  deux  textes  rabbiniques,  le  Sefe?'  Hakkabbala  et  le 
Milhémet  Mirvah,  ne  disent  mot  du  rôle  que  les  Gesta  prêtent 
gratuitement  aux  Juifs  dans  le  siège  de  Narbonne.  Ils  s'accordent 
en  ce  qu'ils  présentent  la  cession  d'un  tiers  de  la  Cité  comme  faite, 
non  à  la  communauté  juive  de  Narbonne,  mais  à  l'un  de  ses  mem- 
bres, vraisemblablement  à  son  chef.  Ils  fournissent,  toutefois,  une 
version  dilTérente  sur  les  circonstances  qui  précédèrent  et  déter- 
minèrent cette  donation.  L'une  et  l'autre  explication  sont,  d'ail- 
leurs, parfaitement  imaginaires.  Quant  à  la  légende  relative  au 
dévouement  d'un  Juif  de  Narbonne  pour  Charlemagne,  elle  est  la 
transposition  pure  et  simple  du  dévouement  du  Juif  Calonymos 
pour  le  roi  Otton  II.  à  la  bataille  de  Crotone,  livrée  le  13  juillet 
982-.  Lhomonyniie  du  sauveur  d'Otlon  II  et  de  plusieurs  nasis 
de  Narbonne  explique  le  transport  de  cette  tradition  d'Italie  à 
Narbonne. 

En  ce  qui  concerne  le  partage  de  la  Cité  entre  l'archevêque,  les 
Juifs  et  le  comte  de  Narbonne,  le  récit  des  Gesta,  du  Sefer  Hak- 
kabbala et  du  Millirmet  Mirvah  n'est  pas  invention  pure.  La 
fiction  recouvre  quelques  parcelles  de  vérité.  Le  point  de  départ 
sur  lequel  l'imagination  des  auteurs  a  brodé  un  récit  fantaisiste  se 
trouve  dans  un  fait  historiciue,  le  partage  de  la  Cité  entre  l'arche- 
vêque et  le  comte  de  Narbonne. 

Nous  avons  vu,  plus  haut,  que  les  Goths  de  Narbonne  obtinrent 
du  roi  Pépin  le  privilège  de  conserver  leur  comte  national  Milon. 
Mais,  à  côté  du  comte,  il  y  avait  à  Narbonne  un  autre  chef  tem- 
porel, l'archevêque.  La  puissance  de  ce  prélat  n'était  pas  seulement 

1.  Neubauer,  Documents  sur  Narbonne  dans  /?.  É.  y.,  t.  X.  p.  99.  Cf.  Isr.  Lévi, 
R.  É.  J.,  t.  XLVin,  pp.  203-204. 

2.  Aronius  a  siiriialé  le  premier  cette  transposition  {Zeilschrift  fiir  Geschichte  der 
Juden  in  Deiilschland,  t.  II.  p.  82  et  suiv.V  Cf.  Israël  Lévi.  Encore  un  mol  sur  le 
roi  juif  de  Narbonne.  dans  R.  È.  J.,  t.  XLIX.  pp.  148-149. 


26  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

spirituelle.  L'église  de  Narbonne  possédait  déjà  des  biens  '  sous  le 
règne  d'Alaric  II  (48^-509).  Quand  le  général  sarrasin  El  Samab  se 
fut  rendu  maître  de  Narbonne,  vers  la  fin  de  719  ou  le  commence- 
ment de  740,  il  partagea  les  terres  du  pays  entre  les  Sarrasins  et 
les  anciens  babitanls,  à  qui  il  en  laissa  une  partie  et  annexa  le 
reste  au  fisc  ou  le  donna  à  ses  soldats  '^. 

Il  est  probable  que,  sous  la  domination  des  Sarrasins,  le  temporel 
de  l'église  de  Narbonne  fut  singulièrement  amoindri.  Il  se  recons- 
titua après  la  prise  de  la  ville  par  les  Fj'ancs.  Le  roi  Pépin  donna  à 
Tarcbevéque  la  moitié  occidentale  de  la  Cité,  avec  les  murailles,  les 
tours  et  les  dépendances  mtra  et  extra  miiros.  Il  partagea,  enfin, 
entre  l'archevêque  et  le  comte,  le  droit  de  tonlieu,  prélevé  sur  les 
navires  qui  côtoyaient  le  littoral  narbonnais,  et  le  droit  perçu  sur 
les  salines.  Jusqu'alors,  ces  droits  avaient  été  perçus  exclusivement 
par  le  comte  ^.  Le  jugement  du  3  juin  78'2,  rendu  par  les   missi 

\.  En  5H,  le  roi  des  Ostrogoths,  Tliéodoric,  écrit  au  duc  Ibbas,  qui  veuait  de 
reprendre,  en  509,  Narbonne  aux  Burgondes  et  de  la  rendre  aux  Wisigoths,  pour  lui 
mander  de  restituer  à  l'éirlise  de  Narbonne  les  biens  qui  lui  avaient  été  concédés  par 
Alaric  II  {Privilèr/es  accordés  aux  urclievèques  de  Nai'bonne,  Narbonne,  1715,  in-4°, 
pp.  45-46.  Cf.  Hisl.  de  Lanf/..  t.  I,  p.  543). 

2.  Hist.  de  Lang.,  t.  I,  pf).  780-781. 

3.  Le  diplôme  de  Pépin  qui  attestait  cette  donation  ne  nous  est  pas  parvenu.  Il  est 
surprenant  qu'elle  ne  soit  pas  mentionnée  dans  l'acte  d'immunité  accordé  par  Louis  le 
Pieux  à  l'édise  de  Narbonne,  le  29  décembre  814  {Hisl.  de  Lang.,  t.  II,  Preuves, 
ce.  94-96).  Elle  est  rappelée  et  conOrmée  pour  la  première  fois  dans  l'immunité  du 
20  juin  844  [Ibid.,  c.  238).  Elle  apparaît,  ensuite,  dans  toutes  les  confirmations  d'im- 
munités que  l'église  de  Narbonne  s'empressait  de  solliciter  à  chaque  changement  de 
souverain.  Nous  la  trouvons,  notamment,  dans  les  actes  d'immunité  du  4  juin  881  {Ibid., 
t.  V,  ce.  68-70).  du  26  juin  890  {Itfid.,  ce.  85-87),  du  1"  novembre  898  (Ibid.,  ce.  95- 
97),  du  6  juin  899  [Ibid.,  ce.  103-106),  etc. 

Nous  ne  connaissons  l'acte  d'immunité  du  20  juin  844  que  par  des  copies.  Les  deux 
plus  anciennes  sont  l'une  du  xi'  siècle  (Bibl.  nat..  Baluze,  Armoires,  vol.  390,  n"  478), 
l'autre,  du  xii'  siècle  (Bihl.  nat.,  ms.  latin  11015,  f-»  6  v").  La  copie  la  plus  ancienne, 
celle  du  xi'  siècle,  ne  contient  pas  justement  le  passage  qui  nous  intéresse  :  a...[illi, 
medielalem  tolius  civilulis,  cum  lurribus  et  adjacenliis  earum  iniresecus  et  e.rfrin- 
seciis,]  ab  oynni  integrilale,  de  qnocumqite  conmerlio,  ex  quo  leloiieiis  e.rigititr  vel 
portalicus,a  de  îiavibiis  circa  litlora  maris  dlscurenlibus  necuon  salinis  quidquid 
et  comis  ipsius  civUalis  exigil,  pro  oporlunilale  ejusdem  œcclesisp  in  ovinibits 
[medielalem].  Ce  passage  paraît  donc  avoir  été  intcrj)olé  dans  la  copie  du  xii«  siècle. 
Nous  sommes  d'avis,  toutefois,  qu'il  s'agit  d'une  omission  attribuable  au  scribe  du 
II*  siècle,  parce  (jue  ce  passage  est  nécessaire  au  sens.  D'ailleurs,  tous  les  actes  du 
moyen  Age  attribuent  la  moitié  de  la  Cité,  du  ciMé  du  cers  (ouest),  à  l'archevêque.  Les 
vicomtes  contestèrent  longtemps  cette  possession  aux  archevé(iucs.  Mais  un  arbitrage 
d'octobre  1066  adjugea  à  l'archevêque  la  moitié  occidentale  de  la  Cité  ef  la  moitié  de 
la  leude  terrestre  et  maritime  [Hisl.  de  Lang.,  t.  III.  pp.  353-354,  et  V.  Preuves, 
ce.  540-541).  C'est  à  partir  de  cette  époque  que  les  vicomtes  se  reconnurent  généra- 
lement, dans  leurs  actes  d'hommages,  les  vassaux  des  archevêques  pour  cette  partie 
de  la  Cité. 


ÉTUDE  SUR  LA   CONDITION  DES  JUIFS  DE  NARBONNE  27 

dominici  en  faveur  de  Daniel,  archevêque  de  Narbonne,  et  contre 
Milon,  comte  de  cette  lille,  nous  montre  que  larchevèque  possé- 
dait la  moitié  d'une  foule  de  villas  situées  dans  les  environs  de 
Narbonne  et  que  l'autre  moitié  appartenait  au  comte'. 

Il  apparaît,  donc,  clairement  de  ce  qui  précède  que  la  Cité  de 
Narbonne  n'a  jamais  été  partagée  en  trois  sections.  Ce  sont  les 
Juifs  narbonnais  du  moyen  âge  qui  ont  imaginé  cette  division 
pour  se  créer  des  titres  à  la  propriété  de  la  partie  de  la  Cité  où  se 
trouvaient  leurs  habitations.  Cette  invention  a  eu  un  certain  crédit, 
puisque  le  Pseudo-Philomena  n'a  pas  hésité  à  l'adopter  et  à  lui 
découvrir  une  explication  historique. 

En  somme,  l'œuvre  du  Pseudo-Philomena  est  un  roman  histo- 
rique. 

Que  faut-il  retenir  du  long  récit  des  Gesta  et  des  assertions 
légendaires  du  Se  fer  Hakkabbala  ou  du  Milhémet  Miçvah?  Sim- 
plement ceci  :  après  la  prise  de  Narbonne,  Pépin  y  aura  trouvé  une 
forte  colonie  juive;  la  communauté  aura  demandé,  par  l'intermé- 
diaire de  son  chef,  non  pas  l'octroi  de  privilèges  nouveaux,  mais 
la  confirmation  de  droits  anciens.  Et  Pépin  aura  reconnu  ces 
droits  aux  Juifs,  notamment  le  droit  de  posséder  héréditairement 
des  biens  immeubles. 

IX.  —  Cette  dernière  hypothèse  se  trouve  confirmée  par  une 
lettre  pontificale  que  nous  allons  analyser-. 
Le  pape  Etienne  III  écrivit,  en  768^,  à  l'archevêque  de  Narbonne, 

1.  Hist.  de  Lang.,  t.  II,  Preuves,  ce.  47-56. 

2.  Cette  lettre  a  été  publiée  par  Catel,  Mémoires  de  l'histoire  de  Languedoc,  Tolose, 
1633,  in-fol..  p.  771  ;  par  Mansi,  Conciliorum  amplissima  collectio,  Floreiitiae,  1759, 
in-fol.  t.  XVUI,  p.  177  ;  par  Migne,  Pafrol.  lut.,  t.  129,  p.  857.  Elle  a  ••té  analysée  ou 
citée  par  Gallia  ckristiana,  t.  VI,  c.  14;  par  Jaffé-Lœwenfeld,  Regesta  pontificum 
7'omanorum,  t.  I  (Leipzig,  1885,  10-4°),  n"  2389;  par  Hist.  de  Lang.,  iiou?.  éd.,  t.  1, 
p.  1014  et  t.  II,  note  xcii  ;  par  Aronius,  Regesten  der  Geschichte  der  Juden,  I,  24; 
et  par  Gross.  Gallia  judaica,  p.  404. 

3.  La  lettre  d'I-'.tienne  III  n'est  pas  datée.  Les  érudits  qui  l'ont  examinée  se  sont 
demandé  à  quel  [)ape  il  fallait  l'attribuer.  Catel,  qui  est  dépourvu  de  tout  sens  cri- 
tique, l'a  attribuée  au  pape  Etienne  VII,  qui  monta  sur  le  siège  pontifical  en  898 
{Mémoires  de  l'/tisl.  de  Lang..  p.  771).  Dom  Devic  et  dom  Vaissete  ont  démontré  qu'il 
s'agissait  du  pape  Etienne  111,  qui  fut  élu  en  768  [Hist.  de  Long  ,  1. 1.  p.  1014  et  t.  II, 
Notes,  ce.  340-341).  En  769,  l'urchevéque  de  Narbonne  n'était  plus  Aribert,  mais  Daniel. 
La  lettre  d'Élienne  III  est  donc  de  l'année  768.  C'est  également  l'opinion  de  Gross, 
Gallia  judaica.  p.  404.  L'autlienticité  de  celte  lettre  n'est  j)as  douteuse,  bien  que 
Catel  qui  l'a  publiée,  le  premier,  indique  ses  sources  d'une  façon  très  Tague  :  •<  ...Un 
homme  docte  et  curieux,  dit-il,  m'a  envoyé  un  extraicl  de  certaine  Epistre  escrite  par  le 
Pape  Estienne  à  Aribert,  arcbevesque  de  Narbonne.  qui  ■•»  esté  treuvée  imparfaicte 
dans  un  ancien  livre  manuscrit.  »   .Au   point  de   vue  diplomatique,  cette  lettre  nous 


28  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Aribert,  pour  s'élever  contre  les  Juifs  qui  possédaient  des  alleux  à 
l'intérieur  des  villes  et  dans  leurs  banlieues.  Le  ton  de  cette  lettre 
est  d'une  singulière  violence.  Nous  sommes  déjà  loin  de  la  manière 
courtoise  avec  laquelle  Sidoine  Apollinaire  traitait  les  Juifs  de  son 
diocèse  ou  d'ailleurs.  Le  pape  adresse  sa  lettre  à  Aribert,  arclie- 
vôque  de  Narbonne,  ainsi  qu'à  tous  les  prélats  de  la  Septimanie  et 
de  la  Marche  d'Espagne  '. 

«  Il  nous  appartient,  dit  le  pape,  à  nous,  qui  avons  reçu  par  les 
voies  apostoliques  la  clé  du  grenier  céleste,  de  présenter  le  remède 
de  la  foi  divine  au  troupeau  pestiféré,  et  de  distribuer,  sinon  des 
muids  de  froment,  du  moins,  un  setier  de  cette  nourriture.  C'est 
pourquoi,  nous  avons  été  frappé  de  douleur  et  tourmenté  jusqu'à 
la  mort  quand  nous  avons  appris  que  la  plèbe  judaïque,  toujours 
rebelle  à  Dieu  et  hostile  à  nos  cérémonies,  possède,  tout  comme  les 
chrétiens  du  pays  et  au  milieu  de  territoires  chrétiens,  des  alleux 
héréditaires  dans  les  villes  et  leurs  banlieues,  ce  droit  leur  ayant 
été  concédé  à  prix  d'argent  par  des  diplômes  de  rois  Francs.  Des 
chrétiens  cultivent  les  vignes  et  les  champs  des  Juifs:  des  chrétiens 
et  des  chrétiennes  vivent  sous  le  même  toit  que  ces  prévaricateurs, 
souillant  jour  et  nuit  leurs  paroles  de  blasphèmes;  ces  malheureux 
et  malheureuses  doivent  s'abaisser  constamment  à  toutes  les 
complaisances  imaginables  à  l'égard  de  ces  chiens.  Et  quoi  les 
promesses  faites  aux  ancêtres  des  Hébreux  par  leur  législateur  élu, 
Moïse,  et  son  successeur,  Josué,  n'ont-elles  pas  été  remplies  sous 
toutes  leurs  formes  et  dans  tous  leurs  détails  par  Notre-Seigneur, 
lui-même  !  Eh  bien,  il  est  juste  que  les  promesses  jurées  et  remises 
à  ces  incrédules  et  à  leurs  pères  scélérats  leur  soient  reprises  pour 
venger  la  mort  du  Sauveur  crucifié.  Et,  en  vérité,  le  chef  de 
l'Eglise  2  le  conseille  aux  communautés  orthodoxes  quand  il  s'écrie  : 
«  Est-il  possible  d'associer  la  lumière  et  les  ténèbres,  de  rapprocher 
le  Christ  etBelial  ou  d'ouvrir  leTemplede  Dieu  aux  idoles^?  »  Et  le 

apparaît  sous  un  jour  favorable.  Etienne  y  paraît  avec  le  titre  de  papa.  En  effet,  au 
VII*  siècle,  la  formule  episcopus,  servîis  servorum  Dei,  est  exceptionnelle.  Elle  est  de 
règle  absolue  à  partir  du  ix"  siècle  (Giry,  Manuel  de  diplomatique,  p.  668). 

\.  «  Stephaniis  papa  Aviberlo  archiepiscopo  Narboiiœ  et  omnibus  potentatibus 
Seplimaniœ  et  llispaniœ  salufem.  » 

2.  U  s'agit  là  de  saint  Paul,  II  Corinthia,  chap.  vi. 

3.  «  Quœ  societas  luci  et  tenebiis.  Quse  convenlio  C/iristi  ad  lielial,  nut  quis 
consensus  templo  Dei  cum  idolis?  »  Le  pape  Etienne  III  cite  les  paroles  île  saint  Paul 
de  mémoire  et,  par  suite,  d'une  manière  légèrement  inexacte.  Voiri  le  teite  des  versets 
auxquels  le  pape  fait  allusion  ;  nous  imprimons  on  italicpie  les  phrases  reproduites 
par  Etienne  :  «  Nolitc  jugum  ducere  cum  infidelibus.  Quiv  eoim  jiarticipatio  justitiae 
cum  iuiquitate?  Aut  qu,T  socie/as  luci  ad    lenebrus'.'»  (verset  14).  «  Qux  autem 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION   DES  JUIFS  DE  N.\RBONNE  29 

conseiller  du  Verbe  très  hauL  les  avertit  en  leur  disant  :  «  Si  quel- 
qu'un lui  a  dit:  Ave,  etc.  » 

Il  n'est  pas  diflicile  d'apercevoir  à  quelle  préoccupation  obéit  le 
pape  en  écrivant  cette  lettre.  Il  envisage  la  question  juive  du  même 
point  de  vue  que  les  prélats  des  conciles  wisigothiques.  Il  croit  la 
solutionner  par  l'isolement  et  la  séquestration  des  Juifs.  Mais  on 
ne  peut  arriver  à  ce  résultat  du  premier  coup.  Il  s'agit  avant  tout 
de  mettre  lin  à  celles  de  ces  relations  dont  les  conséquences  sont 
le  plus  préjudiciables  à  la  dignité  des  catholiques,  c'est-à-dire  aux 
relations  de  domestiques  à  maîtres.  Or,  le  meilleur  moyen  de  sous- 
traire les  chrétiens  à  cette  sujétion  déshonorante,  c'est  de  faire 
subir  aux  Juifs  une  expropriation  immobilière  et  de  les  priver  à 
jamais  du  droit  de  propriété.  Le  pape  déplore  que  certains  rois 
francs  —  il  ne  les  nomme  pas,  mais  il  est  clair  qu'il  s'agit  de  Pépin 
le  Bref,  de  Carloman  et  de  Charlemagne  —aient  consenti  moyennant 
finance  à  confirmer  aux  Juifs  le  droit  de  posséder  des  domaines 
héréditaires.  Il  suggère  au  successeur  de  Charlemagne  de  refuser 
aux  Juifs  la  confirmation  qu'ils  ne  manqueront  pas  de  lui  demander. 
Le  pape  Etienne  fait  un  tableau  mélodramatique  des  indignités  que 
doivent  subir  les  chrétiens  qui  sont  au  service  de  maîtres  juifs  et 
de  toutes  les  bassesses  auxquelles  ils  doivent  condescendre  «  à 
l'égard  de  ces  chiens  ». 

Et  pardessus  tout,  le  pape  ne  pardonne  pas  «  à  cette  plèbe 
judaïque,  toujours  rebelle  à  Dieu  et  à  nos  cérémonies  »,  la  résis- 
tance qu'elle  oppose  à  toute  teutative  de  conversion. 

Il  est  curieux  de  rapprocher  du  passage  de  la  lettre  pontificale, 
où  il  est  question  de  diplômes  octroyés  aux  Juifs  par  les  rois 
francs,  le  témoignage  du  Se  fer  Hakkabbala,  qui  rapporte  que  Char- 
lemagne «  octroya  aux  Juifs  de  la  ville  [de  Narbonne]  d'excellents 
privilèges  et  lois,  ainsi  qu'il  est  écrit  dans  une  charte  cbrétienne 
(latine),  revêtue  du  sceau  de  Charles,  qu'ils  conservent  encore 
aujourd'hui'  ».  Etienne  111  fait  remarquer  que  les  Juifs  obtinrent 
ces  diplômes  moyennant  une  certaine  somme  d'argent  -.  Les 
sources  rabbiniques  ne  mentionnent  pas  ce  détail,  et  il  est  probable 

convenlio  Christi  ad  lielial'.'  Aut  quce  pars  fideli  cum  infuleli?  »  (verset  15).  t  Qui 
autem  consensus  leinplo  Dei  cum  idolis'.'  Vos  enim  estis  tcmiiluin  Dei  vivi,  sicut  dicit 
Deus  :  quoniain  inliabitabo  in  illis  et  inambulabo  iiiter  eos  et  ero  illDrum  Deus  et  ipsi 
erunl  inilii  poimlus.  »  (Verset  16). 

i.  Neubauer,  Documents  sur  Narùonne,  R.  É.  /.,  t.  X,  p.  103. 

2.  L'auteur  des  Gesla  Kuroli  Magni  s'est  peut-être  inspiré  de  ce  iiassage  quand  il 
fait  offrir  à  Cliarlemagne  par  l'ambassadeur  Isaac  la  somme  prodigieuse  de  70.000  marcs 
dargeut.  (Voy.  plus  haut.) 


30  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

que  les  Juifs  de  Narbonne  ont  obtenu  des  garanties  du  pouvoir 
royal  à  titre  purement  gracieux. 

A  l'exemple  des  églises  et  des  abbayes,  qui  ne  manquaient  jamais 
de  faire  renouveler  leurs  privilèges  à  cbaque  changement  de  sou- 
verain \  la  communauté  juive  de  Narbonne  s'empressa,  lors  de 
l'avènement  de  Cliarlcmagne  et  de  Carloman,  en  708,  de  leur 
demander  confirmation  du  diplôme  qui  lui  avait  été  octroyé  par 
Pépin.  Carloman  et  Charlemagne  lui  donnèrent  satisfaction,  et 
c'est  vraisemblablement  ce  diplôme  que  les  Juifs  de  Narbonne 
possédaient  encore  dans  leurs  archives,  au  moment  où  Abraham 
ibn  David  de  Tolède  écrivait  sa  relation,  cest-à  dire  à  la  fin  du 
xn«  siècle. 

Il  faut  noter  que  ces  confirmations  sollicitées  par  les  Juifs  à 
chaque  changement  de  règne  ne  constituaient  pas  un  amoindrisse- 
ment de  leur  droit  de  propriété.  C'était  là  une  simple  précaution  : 
si  le  premier  diplôme  royal  venait  à  disparaître,  le  souvenir  en 
était  conservé  et  perpétué  par  les  diplômes  suivants.  Et  puis  la 
lettre  d'Etienne  III  nous  montre  qu'il  n'était  pas  inutile  pour  les 
Juifs  d'entourer  leur  droit  de  propriété  de  garanties  sérieuses  et 
efficaces.  L'appui  dij  souverain  n'était  pas  à  dédaigner,  surtout 
quand  ce  souverain  savait,  comme  Charlemagne,  faire  respecter 
ses  volontés. 

X.  —  Il  semble,  toutefois,  que  les  archevêques  de  Narbonne 
n'aient  pas  montré  beaucoup  d'enthousiasme  pour  les  mesures 
restrictives  préconisées  par  le  chef  de  l'Église.  Ils  subissaient  dans 
une  certaine  mesure  l'influence  du  milieu  cosmopolite  et  tolérant 
dans  lequel  ils  vivaient.  L'attitude  des  archevêques  de  Narbonne  à 
l'égard  des  Juifs  ne  parut  pas  suffisamment  orthodoxe  au  célèbre 
pamphlétaire  Agobard,  archevêque  de  Lyon,  qui  s'empressa  de 
dénoncer  à  l'un  d'eux  le  péril  dont  l'Église  était  menacée.  Nous 
retrouvons  dans  la  lettre  qu'Agobard  adressa  à  Nibridius,  entre  826 
et  828,  les  mêmes  préoccupations  que  dans  la  lettre  d'Élienne  III  à 
l'archevêque  Aribert.  .\gobard  redoute  les  conséquences  fâcheuses 
qui  peuvent  découler  des  relations  fréquentes  entre  chrétiens  et 
Juifs  et,  surtout,  quand  ces  relations  sont  celles  de  valet  à  maître-. 

1.  En  ce  qui  concerne  rinnnunité,  les  églises  devaient  en  demander  le  renouvelle- 
ment à  la  mort  du  roi  qui  l'avait  accordée.  Il  est  possible  (]ue,  sous  l'influence  de  cette 
idée,  l'Kglise  ait  considéré  les  privilcu:es  octroyés  aux  Juifs  comme  valables  seulement 
pendant  la  vie  du  roi  qui  les  avait  accordés  et,  par  suite,  comme  parfaitement  révocables. 

2.  Le  texte  de  la  lettre  d'.\u:obard  à  Nibridius  a  été  publié  par  Diimniler  dans  les 
Monuinenla  Germanise  hislorica,  Epislolœ,  t.  y,Ka)'olini  a?iii  lU,  Berlin,  1899,  in-4», 


ÉTUDE  SUR   LA  CONDITION    DES  JUIFS  DE  NARBONNE  31 

S'adressant  à  un  vieillard  dont  il  veut  ranimer  le  zèle  engourdi, 
mais  dont  il  doit  vénérer  les  cheveux  blancs  ',  Âgobard  commence 
sa  lettre  par  des  témoignages  de  respect  et  d'admiration  pour  la 
foi  inébranlable  du  métropolitain  de  Narbonne. 

«  Si  la  proximité  des  lieux  et  l'opportunité  des  circonstances  le 
permettaient,  je  prendrais  plaisir,  déclare  Agobard,  à  m'entretenir 
plus  souvent  avec  votre  paternité,  bouche  à  bouche  :  j'aimerais 
dans  les  crises  publiques  ou  privées  être  toujours  guidé  par  les 
conseils  de  votre  sainteté.  Mais  l'immensité  des  terres  qui  nous 
séparent  me  prive  de  cette  douce  joie  ;  ce  que  je  ne  puis  vous 
confier  de  vive  voix,  je  vais  vous  le  transmettre  par  écrit. 

«  Je  viens  vous  découvrir  la  situation  très  critique  où  je  me  trouve 
et,  surtout,  où  se  trouve  l'Église  de  Dieu.  Ne  trouvant  pas  eu  moi- 
même  assez  d'énergie  pour  y  faire  face,  j'ai  senti  le  besoin  de  me 
retrancher  derrière  votre  courage  comme  derrière  un  bouclier  très 
puissant  et  derrière  un  mur  inexpugnable.  » 

Après  cet  exorde  insinuant  et  habilement  llatteur,  Agobard  énu- 
mère  une  série  de  griefs  à  la  charge  des  Juifs  de  son  archidiocèse. 
Il  expose  à  son  collègue  la  campagne  qu'il  a  entreprise  pour  per- 
suader à  ses  diocésains  de  rompre  tout  commerce  avec  les  Juifs. 
«  ...J'ai  prescrit  à  tous  les  lidèles,  conformément  à  la  loi  de  Dieu 
et  aux  préceptes  des  saints  canons,  de  rompre,  s'ils  veulent  vrai- 
ment observer  la  foi  chrétienne,  toutes  relations  avec  les  infidèles, 
et  j'appelle  inhdèles  non  pas  les  gentils,  qui  sont  très  peu  nom- 
breux parmi  nous,  mais  les  Juifs,  qui  sont  répandus  en  très  grand 
nombre  dans  notre  cité  et  quelques  villes  voisines.  » 

Puis,  s'inspirant  des  Saintes  Écritures,  des  Pères  de  l'Église  et, 
notamment,  de  saint  Paul,  Agobard  met  en  relief,  en  l'exagérant  à 
dessein,  l'incompatibilité  qui  règne  entre  l'Église  et  la  Synagogue  : 
«  Il  est  indigne  et  malséant  pour  notre  foi  que  les  lilsde  la  lumière 
soient  couverts  d'ombre  par  la  société  des  ténèbres  et  que  l'Église 
du  Christ,  qui  doit  se  présenter  sans  tache  et  sans  ride  aux  étreintes 
de  l'époux  céleste,  soit  défigurée  par  le  contact  de  la  Synagogue 
souillée,  ridée  et  répudiée.  » 

Agobard  insiste  particulièrement  sur  les  conséquences  funestes 
que  présentent  les  rapports  de  table  et  de  société  entre  Juifs  et 
chrétiens  :  «  Il  est  vraiment  absurde  que  la  vierge  chaste,  fiancée 

leUre  9,  p)p.  199-201.  D'après  Dûmtnier,  cette  lettre  a  été  écrite  entre  826  et  828.  M.  Th. 
Reinach  coiumeuta  très  spirituellement  cette  lettre  dans  une  conférence  qu'il  fit  à  la 
Société  des  Études  juives,  le  15  janvier  1905  [R.  É.  J.,  t.  L,  pp.  i.xxxi-cxi)  sur  Agobard 
et  les  Juifs. 
1.  «  Sciai  ituque  palernilalis  vestrae  reverencla  canidés. .,  » 


32  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

à  un  seul  homme,  le  Christ,  sollicite  les  mets  de  la  courtisane  et 
qu'en  partageant  sa  nourriture  et  son  breuvage,  elle  se  précipite 
dans  des  indignités  sans  nombre  et  coure  le  danger  de  perdre  la 
foi.  Par  suite  d'une  trop  grande  familiarité  et  dune  trop  conti- 
nuelle fréquentation,  quelques  membres  du  troupeau  chrétien 
célèbrent  le  sabbat  avec  les  Juifs,  violent  le  repos  dominical  par 
un  travail  illicite,  transgressent  les  jeûnes  prescrits.  » 

Parlant  des  rapports  de  domesticité  entre  Juifs  et  chrétiens, 
Agobard  sindigne  à  la  pensée  que  les  Juifs  entretiennent  à  leurs 
gages  des  serviteurs  chrétiens  et  surtout  des  servantes  chrétiennes  : 
«  Beaucoup  de  femmes  sont  employées  au  service  des  Juifs  comme 
domestiques  ou  comme  ouvrières.  Quelques-unes  sont  perverties, 
mais  toutes,  sans  distinction,  sont  prostituées  pour  satisfaire  leurs 
caprices,  assouvir  leur  passion  et  les  consoler  de  leurs  déceptions  : 
ces  fils  du  diable  les  séduisent  en  déguisant  leur  haine  et  en  leur 
prodiguant  des  caresses  trompeuses.  » 

Agobard  se  plaint  ensuite  de  l'orgueil  insatiable  des  Juifs,  et  il 
profère  à  leur  adresse  les  mêmes  imprécations  dont  leurs  propres 
prophètes  les  ont  accablés  :  «  Ils  se  déclarent,  d'une  bouche 
superbe,  la  postérité  des  patriarches,  la  race  des  justes,  la  descen- 
dance des  prophètes,  et  les  malheureux  qui  les  écoutent  ignorent 
que  leurs  propres  prophètes  traitent  continuellement  de  nation 
pécheresse,  de  peuple  chargé  d'iniquité,  de  semence  de  vauriens, 
de  fils  de  scélérats  :  leur  père  Amorrhée,  leur  mère  Géthée,  les 
princes  de  Sodome  et  le  peuple  de  Gomorrhe.  Ils  ignorent  aussi 
que  Jean,  le  précurseur  de  Dieu,  les  appelle  progéniture  de  vipères 
et  que  le  Seigneur,  lui-même,  les  traite  couramment  de  serpents 
ou  de  génération  méchante,  dépravée,  perverse  et  adultère.  » 

Agobard  met  les  chrétiens  en  garde  contre  les  paroles  insidieuses 
des  Juifs,  beaux  discoureurs.  Il  se  moque  assez  spirituellement  de 
ces  gens  simples  et  gobeurs  qui  les  écoutent  bouche  bée  et  se 
laissent  prendre  aux  filets  de  leur  argumentation  subtile  :  «  Des 
hommes  du  peuple,  des  paysans  se  laissent  entraîner  en  pleine  mer 
d'erreur,  au  point  qu'ils  se  figurent,  en  leur  esprit  séduit,  que  les 
Juifs  sont  le  seul  peuple  de  Dieu,  qu'ils  déclarent  entre  gens  de 
même  acabit  que,  là  seulement,  se  rencontre  l'observance  d'une 
religion  pie  et  une  foi  bien  plus  certaine  que  la  nôtre.  » 

Après  avoir  diagnostiqué  le  mal,  Agobard  indique  les  remèdes 
et  comme  il  s'agit  d'une  épidémie,  l'évêque  de  Lyon  prescrit  des 
remèdes  énergiques  :  «  Nous  avons  constaté,  dit-il,  que  le  mal  ne 
cessait  de  se  répandre  parmi  le  peuple  commis  à  nos  soins  et  de  se 
propager  de  jour  en  jour  par  contagion.  Nous  avons  donc  fait  tous 


ETUDE   SUR   LA   CONDITION   DES   JUIFS   DE   NARBONNE  33 

nos  efforts  pour  tendre  la  main  aux  défaillants  et  ramener  les 
esprits  égarés  dans  le  chemin  de  la  vérité.  La  loi  de  Dieu  défendit 
autrefois  aux  Juifs  de  contracter  mariage  avec  les  idolâtres,  de 
participer  à  leurs  banquets,  à  leurs  cérémonies  religieuses  et  de 
laisser  leur  liberté  d'esprit  se  placer  sous  le  joug  de  Tidolàtrie.  De 
même,  nous  avons  interdit  à  notre  peuple  de  manger,  de  boire  et 
d'habiter  avec  les  Juifs  infidèles,  de  crainte  qu'à  leur  contact,  ils 
ne  perdent  la  simplicité  chrétienne,  et  qu'en  écoutant  les  fables 
juives,  ils  ne  se  laissent  prendre  aux  lacets  inextricables  de 
l'erreur.  » 

Agobard  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  que  les  Juifs  restent 
obstinément  fidèles  à  leurs  croyances  et  qu'ils  ont  opposé  à  ses 
tentatives  de  conversion  une  résistance  inébranlable  :  «  Avec 
quelque  humanité,  avec  quelque  bienveillance  que  nous  les  trai- 
tions, nous  ne  réussissons  pas  à  en  attirer  aucun  à  la  vertu  spi- 
rituelle de  notre  foi  :  bien  au  contraire,  plusieurs  des  nôtres, 
partageant  volontiers  leurs  mets  charnels,  se  laissent  séduire  par 
leur  nourriture  spirituelle.  » 

L'évêque  de  Lyon  redoute  donc,  par- dessus  tout,  les  consé- 
quences du  prosélytisme  juif.  Il  se  résigne  à  ne  pas  accroître  son 
troupeau  de  fidèles,  mais  il  ne  peut  tolérer  que  son  troupeau  soit 
amoindri  par  les  défections.  Toutefois,  par  l'exécution  des  mesures 
qu'il  préconise,  Agobard  espère  éviter  à  ses  fidèles  le  châtiment 
divin  qui  les  attend.  Mais  il  déplore  l'aveuglement  de  son  roi,  Louis 
le  Pieux,  qui  persiste  à  ne  pas  vouloir  sanctionner  ces  mesures 
coercitives  et  qui  tolère  que  les  Juifs  de  son  royaume  jouissent  des 
mêmes  droits  que  le  reste  de  ses  sujets  :  «  Certains  misai  et  Everard, 
le  maître  actuel  des  Juifs,  ont  essayé  de  miner  notre  œuvre  reli- 
gieuse et  de  l'ébranler  sous  le  couvert  d'édils  impériaux.  Jusqu'à 
celte  heure,  nous  ne  leur  avons  pas  cédé,  résolu  de  maintenir  iné- 
branlable la  vérité  de  la  loi  divine  et  la  constitution  vénérable  des 
Pères  de  l'Église.  Nous  avons  refusé  notre  adhésion  à  des  ordres 
si  funestes,  persuadé  que  des  édiis  contraires  à  la  loi  divine,  hos- 
tiles aux  saints  canons,  dangereux  pour  le  salut  de  l'Église  n'ont 
pu  être  promulgués  par  un  prince  très  dévot  et  digne  de  Dieu, 
par  un  roi  dont  laclivité  religieuse  et  la  piété  admirable  veillent 
à  ce  que  la  loi  de  Dieu  soit  partout  observée,  les  règles  canoniques 
respectées,  la  puissance  de  l'Église  développée  et  glorifiée  chaque 
jour  davantage  sur  toute  la  surface  du  globe  tci-restre.  » 

Fort  de  ces  considérations  et  persuadé  (\n\'n  violant  les  t'dits 
royaux,  il  exécute  les  véritables  intentions  du  roi,  .\gobard  tMigage 
Nibridius  à  mépriser  les  ordres  des  fonctionnaires  royaux  et  à  sou- 

T.  LV,  x"  109.  3 


34  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

mettre  les  Juifs  de  son  diocèse  à  des  prescriptions  sévères  et  éner- 
giques. Il  commence,  d'ailleurs,  par  célébrer  Ténergie  du  métropo- 
litain de  Narbonne  :  «  0  père  bienheureux,  colonne  et  firmament 
de  la  maison  de  Dieu,  dresse-toi  immobile,  intrépide, inébranlable 
sur  la  pierre  de  l'observance  ecclésiastique,  insensible  aux  vents, 
à  la  tempête,  aux  pluies,  aux  torrents,  qui  peuvent  bien  heurter  les 
fondements  de  la  maison  de  Dieu,  mais  non  pas  l'engloutir,  caries 
portes  de  l'enfer  ne  sauraient  prévaloir  contre  elle.  Vous  n'ignorez 
pas,  ô  père  vénérable,  que  les  hommes  soumis  à  la  loi  mosaïque 
sont  maudits  et  recouverts  de  la  malédiction  comme  d'un  vêtement, 
malédiction  qui  s'est  infiltrée  comme  l'eau  dans  leurs  entrailles  et 
comme  Ihuile  dans  leurs  os,  maudits  à  la  ville  et  maudits  à  la  cam- 
pagne, maudits  à  l'entrée  et  maudits  à  la  sortie.  Maudit  le  fruit  de 
leurs  entrailles,  de  leurs  terres  et  de  leurs  troupeaux,  maudits  leurs 
celliers,  leurs  greniers,  leurs  bouti({ues,  leurs  nourritures  et  les 
miettes  de  leurs  repas  ! . . ,  Ceux  qui  refuseront  d'entendre  la  pré- 
dication apostolique  fouleront  de  leurs  pieds  la  poussière  de  leurs 
cités  et  de  leurs  maisons,  et  seront  plus  punis  au  jour  du  jugement 
que  ceux  de  Sodome  et  de  Gomorrhe.  » 

Après  avoir  jeté  sa  malédiction  sur  les  opiniâtres  zélateurs  de  la 
loi  mosaïque,  Agobard  expose  les  moyens  qu'il  se  propose  d'emplo- 
yer pour  écarter  les  chrétiens  des  Juifs.  Il  exhorte  Nibridius  à  per- 
suader à  ses  diocésains  de  rompre  tout  commerce  avec  ces  damnés 
et  ces  maudits  et  à  communiquer  son  zèle  à  ses  évêques  sufïra- 
gants.  Il  célèbre  en  termes  enthousiastes  l'unité  religieuse  :  «  Com- 
blons de  joie  notre  mère  FÉglise,  exprimons  tous  la  même  idée, 
pensons  tous  la  même  pensée,  éprouvons  tous  le  même  sentiment, 
soutenons  tous  le  même  combat;  c'est  là  le  désir  que  notre  rédemp- 
teur très  bienfaisant  exprime  dans  sa  prière  à  Dieu  :  «  Je  ne  t'im- 
plore pas  seulement  pour  ceux-ci,  mais  pour  tous  ceux  qui  en 
paroles  croiront  en  moi  :  qu'ils  soient  tous  un  comme  tu  es  un  en 
moi  et  comme  je  suis  un  en  toi,  et  qu'ils  soient  tous  un  en  nous.  » 

Le  succès  de  l'œuvre  entreprise  par  Agobard  dépend  du  concours 
que  Nibridius  lui  prêtera  :  elle  réussira  si  Nibridius  la  favorise,  elle 
échouera  si  Nibridius  la  néglige.  Agobard  termine  sur  ces  mots  : 
«  Et  que  Dieu  vous  donne  la  résignation  et  aussi  la  joie  de  penser 
en  autrui  selon  Jésus-Christ,  afin  que  dune  seule  bouche  et  dune 
seule  pensée  nous  honorions  à  la  fois  Dieu  le  l*ère  et  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Clirist.  Amen.  » 

Il  nous  a  paru  intéressant  d'insister,  aussi  longuement  que  nous 
l'avons  fait,  sur  la  lettre  d'Agobard  à  Nibridius.  Aussi  bien  l'arche- 
vêque de  Lyon  n'est-il  pas  un  pamphlétaire  médiocre,  à  court  de 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION   DES  JUIFS  DE  NARBONNE  35 

souffle  et  d'arguments  :  c'est  un  polémiste  de  grande  envergure. 

D'autre  part,  les  griefs  qu'Agobard  relève  contre  les  Juifs  de  Lyon 
s'appliquent  également  aux  Juifs  de  Narbonne.  Il  connaît  très  bien 
cette  dernière  ville  ;  avant  son  élévation  à  l'épiscopat,  Agobard  a 
séjourné  quelque  temps  dans  le  diocèse  de  îs'arbonne  ;  il  a  même 
fondé  dans  le  Razès,  de  concert  avec  un  Espagnol  nommé  Altala, 
entre  790  et  80o,  le  monastère  de  Saint-Polycai*pe  ' .  Il  a  probable- 
ment connu  Mbridius  au  moment  où  ce  dernier  était  abbé  de 
Lagrasse.  En  tout  cas,  il  fut  son  ami  et  entretint  également  des 
relations  amicales  avec  Barthélemi,  son  successeur  sur  le  siège  de 
Narbonne  -. 

Agobard  connaissait  très  bien  Xarbonne  et  la  communauté  juive 
de  cette  ville.  Indirectement  sa  lettre  nous  renseigne  sur  la  situa- 
tion de  cette  communauté  au  commencement  du  i\«  siècle.  Elle  ne 
fait,  d'ailleurs,  que  confirmer  ce  que  nous  ont  appris  les  documents 
antérieurs  :  Juifs  et  chrétiens  fraternisent  ensemble,  organisent  des 
banquets  communs,  babitent  sous  le  même  toit,  des  chrétiens  et 
des  chrétiennes  sont  employés  au  service  des  Juifs,  les  mariages 
entre  Juifs  et  chrétiennes,  d'une  part,  entre  chrétiens  et  Juives,  de 
l'autre,  sont  fréquents.  Les  chrétiens  acceptent  la  discussion  avec 
les  Juifs  en  matière  religieuse  ;  quelques-uns  célèbrent  le  sabbat 
avec  les  Juifs,  enfreignent  le  repos  dominical,  rompent  les  jeûnes, 
se  laissent  même  convertir  au  judaïsme. 

XI.  —  Cette  lettre  met  en  lumière  la  tolérance  des  rois  carolin- 
giens à  l'égard  des  Juifs.  Bien  qu'il  soit  d'une  dévotion  monacale 
et  qu'il  mérite  par  ailleurs  l'épithète  que  ses  contemporains  ont 
accolée  à  son  nom,  le  fils  de  Cbarlemagne  reste  fidèle  à  la  tiaditiou 
inaugurée  par  Pépin  le  Bref  et  respectueusement  observée  i)ar 
Carloman  et  Cbarlemagne. 

Le  2^2  février  839  ^,  trois  Juifs  de  la  Septimanie,  Gauzios,  Jacob  et 
Vivas,  se  présentent  au  palais  royal  de  Francfort  pour  prier  Louis 
le  Pieux  de  faire  récrire  le  diplôme  qu'il  leur  a  accordé  autrefois  et 
qu'ils  ont  perdu  «  à  la  suite  de  certains  malheurs  ou  plutôt  à  la 
suite  de  certaines  déprédations  malveillantes  ».  Sur  le  rapport 
favorable  de  son  frère,  l'abbé  Hugues,  archichancelier  royal,  Louis 
le  Pieux  confirme  par  rescrit  impérial  aux  trois  Juifs  leur  droit  de 

\.  Ces  rcnseii.'ncmcnts  nous  sont  fournis  par  un  diiilômc  i|u'Aui:uste  Molinier  jusc 
faux,  tout  en  ticcordant  qu'il  peut  l'onlenir  des  assertions  vcridi(|ues  [Hisl.  de  Luikj.^ 
t.  IV,  Notes,  ji.  o49,  l'^col.,  n.  1). 

2.  Uist.  de  Laiiy.,  t.  I,  pp.  97o-97G. 

3.  Hisl.  de  Laiiij.,  t.  II,  Preuves,  ce.  '2\[-l\2. 


36  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

propriété  sur  cerlains  biens  héréditaires,  sis  à  Banyuis-les-Aspres  '. 

Louis  le  Pieux  se  montre  très  bienveillant  pour  ces  trois  pauvres 
Juifs,  qui  sont  venus  des  rives  de  la  Méditerranée  sur  les  bords  du 
Mein.  Son  frère,  l'abbé  Hugues,  les  introduit  dans  le  palais  royal. 
Le  roi  écoute  attentivement  leurs  doléances.  Le  préambule  de  l'acte 
du  22  février  839  dénote  chez  Louis  le  Pieux  des  sentiments  d'une 
singulière  élévation  :  «  Quoique  la  leçon  apostolique  nous  engage 
à  faire  du  bien  aux  adeptes  de  la  foi,  elle  ne  nous  interdit  pas  de 
faire  bénéficier  les  infidèles  de  notre  dévotion  bienveillante  :  elle 
nous  exhorte,  bien  au  contraire,  à  nous  inspirer  respectueusement 
de  la  miséricorde  divine  et  à  ne  faire  aucune  différence  entre  fidèles 
et  infidèles.  » 

N'est-il  pas  vrai  que  ce  langage  nous  repose  des  malédictions 
proférées  par  Agobard?  Et  après  cela,  comment  ne  pas  s'étonner 
que  la  plupart  des  historiens  aient  durement  reproché  au  succes- 
seur de  Charlemagne  sa  dévotion  et  sa  faiblesse  excessives  ?  Par 
sa  fière  indépendance  à  l'égard  du  haut  clergé,  par  sa  paternelle 
bienveillance  à  l'égard  de  ses  sujets  non  catlioliques,  Louis  dit  le 
Pieux  ou  le  Débonnaire  nous  apparaît,  non  pas  comme  un  «  moine 
couronné  »,  mais  comme  un  souverain  essentiellement  laïque. 

{A  suivre.) 

Jean  Régné. 


1.  11  y  a  dans  le  texte  :  Valerianis  sive  BaçiniUs.  Il  s'ay;it  là  probablement  de 
Banyuls-les-Aspres,  situé  au  sud-ouest  d'Elue  (Cassiai,  Perpignan  :  feuille  59).  En 
tout  cas,  il  ne  peut  être  question  de  Bag^neux-sur-Bièvre  et  du  Mont-Valérien,  suivant 
l'hypothèse  trop  ingénieuse  de  M.  Th.  Reinach  (R.  É.  /.,  t.  50,  p.  cvm).  L'acte  du 
22  février  839  faisait  partie  des  archives  de  Lagrasse.  Cette  abbaye  était  située  aux 
confins  du  Narbonnais  et  du  Carcasses  (acte  du  3  septembre  837,  Hisl.  de  La»^.,  t.  Il, 
Preuves,  c  207). 


PHILON 

D'APRÈS  DEUX  OUVRAGES  RÉCENTS 


Deux  livres  sur  Philou  viennent  de  paraître,  celui  de  Tabbé 
J.  Martin  dans  Les  Grands  Philosophes  ',  celui  de  M.  Emile  Bréhier, 
qui  a  pour  titre  les  Idées  philosophiques  et  religieuses  de 
Philoîi^.  Nous  ne  sommes  ni  hébraïsants  ni  même  bellénisants  et 
nous  avons  été  invités  à  parler  ici  de  ces  deux  ouvrages  !  On  nous 
pardonnera  donc  d'en  parler  en  simple  admirateur  de  Philon. 
Certes  nous  n'avons  fait  que  «  lire  »  sans  l'étudier.  Mais  cette 
lecture  nous  a  singulièrement  attaché.  En  Philon,  la  rencontre  de 
l'esprit  grec  et  de  l'esprit  juif,  déjà  ancienne,  et  favorisée  par  le 
milieu  alexandrin  commence  à  produire  des  résultats  durables. 
Cette  rencontre,  d'ailleurs,  ne  fut  jamais  un  choc,  bien  au  contraire. 
Et  l'on  en  vient  à  se  demander  à  quel  point  il  fallait  que  l'esprit 
grec  se  fût  lui-môme  transformé  pour  rendre  possible  un  si  curieux 
etpresque  si  heureux  mélange.  Je  ne  suis  pas  sûr  que  le  livre  de  l'abbé 
J.Martin  donne  à  la  question  une  réponse  directe  Son  livre  est  fait 
diligemment.  L'auteur  a  traduit  beaucoup  de  textes,  et  sa  manière  de 
traduire  est  agréable.  Certes  les  étudiants  qui  voudront,  en  peu 
de  temps,  savoir  sur  Philon  d'Alexandrie  ce  qu'il  est  défendu  d'en 
ignorer,  remercieront  M.  J.  Martin  de  leur  avoir  facilité  la  tâche.  Et 
ce  sera  toute  justice.  Les  savants,  j'en  ai  peur,  se  montreront  plus 
difficiles.  On  s'est  déjà  étonné  que  M.  l'abbé  Martin  n'ait  lu  Philon 
que  dans  l'édition  in-i8  publiée  chez  Tauchnitz  et  M.  l'abbé  Martin 
s'esl  étonné  de  cet  étonnement.  Hélas!  M.  Martin  devrait  savoir 
que  les  conditions  du  travail  n»^  sont  plus  aujourd'hui  ce  qu'elles 
étaient,  non  pas  seulement  hier,  mais  avant-hier,  et  ([iià  nos  âges, 

1.  Paris.  Alran,  1907. 

2.  Paris,  Aliihonsc  Picard,  1908. 


38  REVUE  DES   ETUDES  JUIVES 

(M.  l'abbé  Martin  et  moi.  nous  sommes  à  peu  près  contemporains) 
il  est  imprudent  de  tenter  sur  PliiJon  un  vrai  livre  :  on  manque  des 
outils  nécessaires  et  si.  d'aventure,  on  les  avait  à  côté  de  soi,  la 
manièi-e  de  s'en  servir,  à  son  tour,  ferait  défaut.  Mieux  vaut  regar- 
der travailler  les  jeunes  et  se  féliciter  de  les  voir  réussir  là  oii, 
malgré  notre  bon  vouloir,  nous  eussions  échoué  à  leur  place. 
Quand  il  faudrait  conclure  d'un  tel  succès  que  nos  encoura- 
gements à  ne  pas  nous  imiter  de  trop  près  n'ont  pas  été  vains,  je 
ne  vois  décidément  point  ce  que  nous  y  perdrions  de  notre  propre 
estime. 

M.  Emile  Bréhier,  lui,  ancien  élève  de  la  Sorbonne,  et  qui  avait 
commencé  ses  études  de  philosophie  ancienne  sous  la  direction  de 
Victor  Brochard,  est  un  chercheur  robuste,  et  qui  sait  s'informer. 
Aussi  son  œuvre  dun  bout  à  l'autre  inspire-t-elle  la  plus  entière 
sécurité.  A-t-il  dit  sur  Philon  tout  ce  qu'il  y  avait  à  dire?  Nous  ne 
sommes  plus  au  temps  où  l'un  de  nos  maîtres  de  l'École  Normale 
pouvait,  sans  nous  faire  sourire,  nous  inviter  à  «  épuiser  »  les 
questions.  Et  j'imagine  que,  sur  Philon,  la  quantité  de  choses  que 
M.  Emile  Bréhier  aurait  à  nous  apprendre,  en  dehors  de  son  livre, 
est  fort  considérable.  Je  souhaite  qu'il  n'ait  pas  dit  son  dernier 
mot  sur  Philon  :  qu'il  songe  à  nous  parler  un  jour,  et  plus  à  loisir, 
de  ses  sources,  qu'il  aborde  le  problème  de  son  influence.  Le  pro- 
blème est  des  plus  attrayants  par  la  richesse  des  aperçus  qui 
s'improvisent  aussitôt  qu'on  le  pose.  Le  travail  est  des  plus 
difficiles,  par  l'inévitable  nécessité  de  convertir  ces  aperçus  en 
inductions  fermes,  d'y  séparer  l'induction  de  la  présomption;  sans 
compter  que  «  rinlluence  »  se  laisse  déduire  de  la  «  ressemblance  » 
avec  une  facilité  des  plus  dangereuses.  Similitude  et  filiation,  cela 
peut  faire  deux  :  et  la  métaphore  des  idées  «  qui  sont  dans  l'air  », 
auxquelles  il  suffit  d'avoir  été  respirées  par  plusieurs  pour 
imprimer  à  leurs  doctrines  un  cachet  de  ressemblance,  mérite  tout 
le  contraire  du  dédain  avec  lequel  on  accueille  Irop  souvent  les 
métaphores.  Le  problème  de  linfluence  de  Philon  est  donc  un 
problème  fertile  en  pièges.  M.  Emile  Brébier  sait  sans  doute  cola 
mieux  que  personne.  Mais  il  est  bien  oulillé,  il  ne  se  paie  g(u>re  de 
mots,  et  sa  circonspection  est  inlassable.  Que  la  doctrine  de  Philon 
reste  donc  son  port  d'allache,  attendu  qu'à  ne  jamais  naviguer  (|ue 
dans  ses  parages,  M.  Bréhier  peut  se  promettre  de  fréquentes  et 
fécondes  navigations  ! 


*** 


PHILON  3â 

La  première  idée  qui  se  dégage  du  livre  de  M.  Emile  Bréhier 
(elle  n'a  pas  non  plus  échappé  à  M.  J.  Martin,  mais  il  ne  Ta 
regardée  que  de  profil)  est  que  Philon  est  un  juif  dans  toute  l'éner- 
gie du  terme,  qu'il  l'est  par  la  ferveur  de  sa  foi,  par  lintrépidité  de 
sa  confiance  en  l'avenir  du  peuple  de  Dieu.  «  Philon  se  donne 
comme  un  Juif  fervent,  observant  avec  piété  toutes  les  coutumes 
religieuses  de  son  peuple.  Son  activité  philosophique  est 
presque  entièrement  consacrée  à  l'explication  de  la  loi  mosaïque. 
Si  l'on  ne  considère  que  la  forme  de  son  œuvre,  elle  prend  place 
dans  l'immense  littérature  exégétique  qui  a  suivi  dans  les  Écoles 
de  rabbins  la  fin  de  la  période  créatrice  du  judaïsme  '.  »  Et  pour- 
tant les  idées  de  Philon  ont  une  valeur  universelle  et  dépassent  la 
nationalité  juive.  C'était  d'ailleurs  le  sentiment  de  Philon  lui- 
même,  qui  croyait,  non  pas  à  la  pérennité  du  temple  ou  de  Jéru- 
salem, mais  à  celle  de  la  loi.  Cette  loi,  qui  a  subsisté  malgré  les 
famines,  les  guerres  et  les  tyrannies,  n'est-elle  pas  appelée  à  durer 
autant  que  le  monde?  L'œuvre  des  Septante  n'est-elle  pas  un  effet 
du  désir  de  connaître  cette  loi  dont  les  Grecs  savaient,  uniquement 
par  ouï-dire,  l'efficacité  souveraine?  Aussi  quand  Philon  écrit  son 
Moïse,  ne  le  destine  pas  au  seul  peuple  juif.  Et  comme  il  écrit 
pour  tous,  il  se  place  à  un  point  de  vue  universel.  Cette  attitude, 
d'ailleurs,  n'est  pas  une  attitude  de  commande  ou  de  circonstance. 
Elle  est  l'expression  exacte  d'un  état  d'esprit  vraisemblablement 
nouveau  dans  l'histoire  du  monde  et  dont  31.  Bréhier  croit  décou- 
vrir des  traces,  d'abord,  chez  des  sectes  juives  contemporaines  de 
Philon,  ensuite  chez  les  Grecs  de  son  temps,  attachés  aux 
doctrines  et  aux  traditions  stoïciennes. 

On  sait  les  résultats  à  peu  près  infaillibles  de  la  méthode 
allégorique,  qui  fut  celle  de  Philon.  Le  piincipe  de  cette  méthode, 
à  savoir  que  rien  ne  veut  être  pris  au  pied  de  la  lettre,  dédivre  le 
chercheur  du  joug  des  textes.  C'est  là,  il  est  vrai,  un  avantage  tout 
négatif.  Les  embarras  causés  i)ar  une  interprétation  littérale  sont 
évités.  Ne  sont-ils  pas  compensés  par  d'autres?  Des  textes  peuvent 
signifier  tout  autre  chose  que  ce  (juils  disent.  Encore  est-il  qu'on 
ne  peut  se  passer  de  leur  donner  un  sens  et  que,  ce  sens,  il  le  faut 
découvrir  en  limagiiuint.  Imaginera-l-oii  au  iiasard?  La  chose,  on 
soi,  n'a  rien  d'impossible.  Tel  n'est  point,  toutefois,  le  cas  de 
Philon.  Il  est  persuadé  que  ces  textes,  s'ils  sont  dépourvus  de 
vérité  littéialf,  ex])riin('n(  la  vérité  quand  même;  et  non  seulement 
ceux  de  la  Bible,   mais  ceux  de  tous  les  maîtres  de  la  sagesse 

1.  Chapitre  i,  p.  3. 


40  REVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

bumaine.  Il  est  donc  permis  de  dégager  le  sens  profond  et  unique 
de  tous  ces  livres,  quels  qu'en  soient  la  provenance  et  les  auteurs, 
puisque  le  même  esprit  les  anime  et  la  même  vérité  les  inspire. 
On  aurait  tort  d'attribuer  linvention  de  la  mélbode  allégorique  à  je 
ne  sais  quelle  crise  de  débordement  de  l'imagination  bumaine. 
Il  faut  évidemment,  pour  que  la  métbode  s'exerce,  que  l'imagi- 
nation soit  prête  à  déborder.  Mais  cette  méthode  procède  d'une 
conviction  aux  racines  profondes,  celle  que  la  Vérité  est  une 
et  qu'elle  a  été  révélée  aux  sages.  Peut-être  conviendrait-il  ici  de 
distinguer  :  l'idée  d'une  vérité  révélée  pouvait  entrer  facile- 
ment dans  l'esprit  d'un  Hébreu.  Je  me  trompe.  Elle  n'avait 
nullement  à  y  entrer,  puisqu'elle  Ibabitait  dès  les  origines  de  la 
race.  L'esprit  d'un  Grec  du  temps  et  de  la  famille  d'un  Platon,  d'un 
Aristote  surtout,  s'y  serait  peut-être  moins  facilement  plié.  Au 
contraire,  l'idée  d'une  vérité  à  laquelle  les  termes  de  semper, 
ubique  et  ab  omnibus  seraient  applicables  ne  coïncide-t-elle  pas 
avec  la  définition  même  du  vrai?  —  En  ce  moment  je  ne  suis  plus 
M.  Bréhier  pas  à  pas.  Mais  ce  que  je  viens  d'écrire  dans  la  marge 
de  son  livre  m'étant  suggéré  par  le  livre  lui-même,  j'espère  bien 
n'être  pas  démenti.- — Ainsi  de  même  que  toute  fonction  crée  son 
organe,  toute  conviction  crée  ses  moyens  de  propagande  :  et  la 
métbode  allégorique  en  est  la  preuve. 

Une  méthode  créée  pour  les  besoins  d'une  cause,  instrument  de 
défense,  par  conséquent,  réagit  ordinairement  sur  la  cause.  Un 
avocat  même  persuadé  du  bon  droit  d'un  client,  n'en  est-il  pas  per- 
suadé davantage  à  mesure  qu'il  prend  conscience  des  arguments  à 
produire?  On  peut  donc  attribuer  à  l'usage  constant  de  la  méthode 
allégorique  une  grande  part  de  l'énergie  avec  laquelle  Philon  défen- 
dit les  croyances  qui  lui  étaient  chères,  et,  ce  qui  importe  davantage, 
l'aisance  avec  laquelle  il  sut  se  maintenir,  dans  l'interprétation  des 
textes,  à  un  point  de  vue  intérieur,  indépendant  de  la  durée. 
La  formule  spinoziste  :  sub  spccie  œternitatis  se  présente  d'elle- 
même  et  vient  presque  à  sa  place.  C'est  que  Philon  est  un  Juif  de 
la  période  de  la  diaspora.  Donc  si  le  judaïsme  est  appelé  à  vivre,  et 
il  a  devant  lui  de  longs  siècles  d'existence,  pour  ne  rien  dire  de  plus, 
il  vivra  loin  de  Jérusalem  et  de  son  temple.  Il  vivra  par  le  culte  de 
ses  traditions,  par  son  inébranlable  atlachement  à  la  loi  de  Moïse  : 
voilà  ce  que  Philon  sut  prévoir  et  prédire.  Il  n'y  aurait  rien  de  plus 
à  dire  sur  Philon  que  son  nom,  pour  cela  seul,  mériterait  d'être 
inscrit  parmi  les  grands  noms  de  l'histoire.  Il  y  a,  certes,  plus  à 
en  dire. 

Son  nom,  et  c'est  depuis  longtemps  chose  jugée,  appartient  à 


PllILON  41 

l'histoire  de  la  philosophie.  Et  c'est  parce  qu'il  s'est  adonné  aux 
études  philosophiques  que  M.  Bréliier  a  entrepris  d'exposer  les 
«  idées  philosophiques  et  religieuses  »  de  Philon.  Philon  est  le  pre- 
mier des  écrivains  en  langue  grecque  dont,  s'il  est  permis  de  dire 
qu'il  doive  heaucoup  à  la  pensée  grecque,  il  est  certain  qu'il  n'en 
est  pas  l'héritier.  Il  puise  à  pleines  mains  aux  sources  platoni- 
ciennes et  stoïciennes,  il  en  mélange  les  eaux,  mais  c'est  pour  don- 
ner plus  de  force,  plus  de  fécondité  aux  doctrines  qu'il  veut  répan- 
dre, car  c'est  un  théologien,  j'entends  un  penseur  plus  soucieux 
de  démontrer  ce  qu'il  sait  être  vrai,  que  de  chercher  le  vrai  par  la 
seule  énergie  de  la  raison.  C'est  un  théologien  qui  n'a  jamais  douté 
ni  de  l'existence  du  Dieu  d'Abraham,  d'Isaac  et  de  Jacob,  ni  de 
l'efficacité  souveraine  de  la  loi  mosaïque.  C'est  un  théologien  con- 
vaincu et  pressé  de  convaincre.  C'est  un  prédicateur  au  sens  pro- 
fond du  terme. 

C'est  bien  ainsi  que  M.  Bréhier  l'envisage  et  que,  par  suite,  il  le 
présente.  Et  l'on  comprend,  à  sa  suite,  ce  qu'avant  lui,  l'on  aurait 
eu  quelque  peine  à  comprendre.  En  lisant  les  textes  de  Philon  — 
trop  peu  parmi  ces  textes  ont  passé  devant  nos  yeux  mais  par- 
tout notre  impression  est  restée  constante  — ,  nous  nous  sommes 
figuré  un  auteur  faisant  usage  de  la  philosophie,  mais,  au  demeu- 
rant, peu  philosophe.  Et  quand  nous  avons  cherché  la  raison  de 
cette  impression,  il  nous  a  paru  que  l'auteur  développait  à  côté, 
qu'il  ne  tirait  point  de  ses  thèmes  le  parti  qu'un  philosophe  de 
grande  race  n'eût  point  manqué  d'en  tirer.  C'est  qu'en  effet,  Philon 
n'avait  pas  à  demander  aux  philosophes  une  vérité  qu'il  tenait 
d'ailleurs.  Il  n'avait  à  leur  emprunter  que  des  «  illustrations  »  de 
cette  vérité.  Dans  ce  rôle  d'emprunteur  et,  nécessairement  de 
syncrétiste,  puisqu'il  est  tout  près  de  croire  à  l'ubiquité,  sinon  à 
l'unité  de  la  révélation  divine,  Philon  devient  très  intéressant.  Car, 
dans  son  désir  de  faire  confluer  les  cours  d'idées  issues  de  diffé- 
rentes sources,  il  agit  avec  discernement.  Le  stoïcisme  est  le  grand 
fleuve  qui  est  destiné  à  recevoir  les  affluents  multiples,  et  la  doc- 
trine du  Logos,  tout  en  suivant  son  cours,  rencontrera  la  théorie 
platonicienne  des  Idées,  qui  versera  ses  eaux  dans  les  siennes; 
et  cela  sans  qu'un  trop  grand  trouble  résulte  du  mélange. 

«  Etudier  la  théorie  du  Logos,  nous  est-il  dit,  c'est  étudier  le 
philonisme  tout  entier  à  un  certain  point  de  vue.  La  parole  divine 
retentit  d'un  bout  à  l'autre  de  la  chaîne  des  êtres  :  c'est  le  principe 
délia  stabilité  du  monde  et  de  la  vertu  de  l'àme  humaine.  Le  vice, 
qui  est  la  mort  véritable,  l'instabilité  des  choses  qui  fait  ressembler 
le  monde  à  un  songe  fuyant,  arrivent  lorsque  les  êtres  se  détour- 


42  REVUE  DES    ÉTUDES  JUIVES 

lient  du  TiOgos  ou  le  retranclient  deux-mêmes'.  »  On  voit,  à 
travers  Phiilon,  transparaîlre  Heraclite,  l'un  des  pères  de  la  doctrine 
stoïcienne.  Et  il  ne  faut  pas  que  l'on  s'en  étonne.  Dieu,  pour  se  com- 
muniquer à  ses  créatures,  a  besoin  d'un  intermédiaire  :  c'est  là, 
d'autres  l'ontfait  remarquer  avant  nous,  une  idée  très  juive.  L'idée 
d'un  Dieu  tout-puissant  par  qui  tout  a  été  fait,  tout  subsiste  et  tout 
existe,  excite  dans  l'esprit  des  images  d'immensité  telles,  qu'entre 
la  créature  et  le  créateur  la  distance  ne  saurait  être  mesurée.  Pour 
remplir  l'intervalle,  un  ou  même  des  «  Intermédiaires  »  sont  indis- 
pensables. Le  logos  de  Philon  n'est  pas  Dieu,  ce  qu'il  est  chez  les 
Stoïciens,  mais  son  rôle  est  d'une  importance  à  faire  croire  parfois 
qu'il  se  suffit  à  lui-môme.  Il  n'est  que  la  parole  divine, Dieu  est  au- 
dessus,  et  ce  Dieu  là  qui  prend  l'apparence  du  Démiurge  n'est  ni 
celui  des  Stoïciens  ni  celui  d'aucun  penseur  grec.  Peut-être  exagé- 
rons-nous l'importance  du  terme  ;  mais  quand,  dès  les  premières 
pages  du  De  Opificio  Mundi,  nous  avons  rencontré  le  opoçtrxrjSK/v  aVT-.c-v 
que  Philon  élève  au-dessus  de  l'Idée  platonicienne  du  Bien,  nous 
avons  eu  peine  à  n'y  point  reconnaître  le  Dieu  de  la  Bible  chez  qui 
domine  l'attribut  de  la  Toute -Puissance  et  de  l'Efficience.  M,  Çnpile 
BréUier,  je  l'avoue,  nous  a  fait  réfléchir  sur  ce  texte  et  nous  crai- 
gnions d'en  avoir  j'adis  singulièrement  accru  la  portée.  Et  puis 
opaiTYiptov  a-t-il  toujours  le  sens  de  productivité  ?  Pourtant,  si  l'on 
ôtait  à  l'expression  une  partie  de  la  force  que  nous  lui  avons  indù- 
nient  (?)  prêtée,  le  Dieu  des  Juifs  n'en  garderait  pas  moins  sa,  place 
dans  les  idées  philosophiques  du  théologien  Philon,  Il  resterait 
toujours  à  constater  qu'au-dessus  du  Logos,  Philon  a  élevé  Dieu. 
Si  donc  il  a  plu  à  Philon,  deux  siècles  et  demi  avant  Plotin,  de 
superposer  à  la  divinité  du  Stpïcisme,  colle  de  la  Genèse  illustrée 
par  des  textes  empruntés  au  Tùnce,  il  ne  cédait  pas  uniquement 
à  un  désir  de  «  syncrétiste  ».  Sans  doute  il  se  figurait  Platon 
orienté  ds^ns  la  même  direction  que  Moïse,  mais  il  n'eût  jamais 
consenti  à  sacrifier  le  Dieu  de  Moïse  à  celui  de  Platon. 

Et  pourtant  on  ne  peut  aller  jusqu'à  dire,  ce  que  dit  presque 
l'abbé  Martin,  que  le  Dieu  de  cette  philosophie  est  le  créateur  du 
monde,  son  créateur  ejp  nihilo.  Sur  ce  point,  où  M.  J.  Martin  affirme 
un  peu  plus  qu'il  ne  discute,  —  encore,  et  sachons  lui  en  gré,  qu'il 
ait  mis  sous  nos  yeux  les  principales  pièces  du  débat  —  la  discus- 
sion de  M.  Emile  Brphiev  nous  paraît  aisément  victorieuse.  Ajou- 
terai-je  que  le  -oïs-v,  voisin  de  ttoiy.ty,;  ne  nous  parait  nullement 
avoir  le  sens  de  «  faire  de  rien  ».  Ici,  d'ailleurs,  la  chose  impor- 

\.  Emile  Bréliier,  p.  83. 


PHILON  43 

tante  n'est  point  tant  de  savoir,  une  fois  pour  toutes,  ce  que  Pliilon 
a  pensé  de  la  création,  —  je  ne  parle  point  de  «  l'idée  biblique  '  » 
de  création,  assez  confuse  d'ailleurs,  mais  de  celle  qui,  en  raison  de 
linterprétation  plus  ou  moins  littérale  des  textesde  la  Genèse, a  fini 
par  s'acclimater  cbez  nous  —  mais  de  constater  que  Philon  a  fait 
un  visible  effort  pour  réduire  la  part  de  la  matière  et  opposer  son 
Dieu  au  Démiurge  du  Timèe'^. 

Très  intéressant  aussi  est  le  chapitre  de  M.  Bréhier  sur  les  Inter- 
médiaires et  les  Puissances  divines"^.  Il  était  particulièrement  diffi- 
cile à  faire.  L'abbé  J.  Martin  s'en  est  tiré  avec  la  plus  entière  bonne 
foi,  en  confessant  que  la  pensée  de  Philon  lui  avait  paru  «  embrouil- 
lée ».  Embrouillée,  c'est  peut-être  trop  dire  :  imprécise,  j'en  con- 
viendrais. Mais  c'est  précisément  là  que  se  montre  le  caractère 
essentiel  de  la  pensée  de  Philon,  pensée,  non  d'un  philosophe  pro- 
prement dit,  mais  d'un  propagandiste  qui  fait  usage  de  la  philoso- 
phie d'une  part,  et  à  qui,  de  l'autre,  les  philosophes  de  métier  et 
presque  de  race  donnent  l'exemple.  Il  est  vrai  que  toutes  les  épi- 
thètes  conviennent  à  l'Esprit  parce  que  chacune  d'elles  exprime  une 
partie  de  sa  nature  et  que  leur  somme  ne  l'épuisé  pas.  Il  est  égale- 
ment vrai  que  la  «  polyonymie  »  convient  aux  Puissances;  ainsi  la 
Sophia  divine  est-elle  identique  au  Logos'^  Oui,  car  elle  est,  comme 
lui  \  moyen  de  la  création  de  l'univers  ;  elle  divise,  comme  lui,  les 
choses  en  contraires  opposés,  elle  est,  comme  lui,  et  terrestre  et 
divine.  Ailleurs  elle  en  est  la  mère  :  contradictions  indéniables, 
certes.  Philon  ne  se  les  dissimulait  pas,  n'avait  aucune  raison  de  se 
les  dissimuler.  D'abord  ces  contradictions  avaient  leur  source  dans 
des  «  conceptions  religieuses  hellénistiques  »  qui  s'imposaient  à 
son  esprit.  La  religion  grecque  et  en  particulier  celle  des  Orphi- 
ques est  encombrée  d'hiérogamies  assez  confuses  ;  il  est  parlé, 
entre  autres,  d'une  éponse  mère  qui  garde  sa]  virginité.  C-hez  les 
Orphiques  Artemis  et  Athena  fusionnent. 

Mais  chose  encore  plus  grave,  les  fusions  de  ce  genre  ne  déplai- 
saient pas  aux  Stoïciens,  qui  laissaient  prendre  à  leur  principe 
suprême  tous  les  noms  de  l'Olympe,  successivement.  En  quoi  d'ail- 

1.  Avons-nous  tort  d'en  jn^rcr  ainsi  ?  Il  nous  a  toujours  paru  (|uc  l'idée  liibliiiuc  de 
création  est  celle,  miu  d'uni!  création  ex  iii/iilo,  mais  d'une  fuhrica/ion  à  la  inaniéro 
de  ce  que  l'ouvrier  fabriiiuc  saii.t  modèle  préejisliinl.  l'iiilun  imairinc  avec  Platon  un 
modèle  préexistant,  le  Lofjos,  mais  si  le  Loç/os  émane  do  Dieu  ou  en  est  le  Fils,  l'idée 
bibliijue  de  création  reste  sauve. 

2.  P.  80-82. 

3.  P.  112-157. 

4.  Cf.  p.  115. 


44  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

leuis  ils  it'pétaient  Heraclite.  Pliilon  n'avait  donc  pas  à  se  préoccu- 
per de  suivre  une  méthode  plus  rigoureusement  philosophique  que 
celle  de  certains  philosophes,  ni  à  vouloir  surmonter  des  contradic- 
tions dont  plus  dune  philosophie  avait  réussi  à  vivre.  Il  y  a  plus 
encore  selon  nous.  I/idée  juive  de  la  divinité  est  éminemment 
favorahle  à  l'éveil  de  Vimagmatio?i  litanù/ite .V essence  de  la  litanie, 
on  ne  l'a  peut-être  point  assez  remarqué,  est  de  ne  jamais  finir. 
C'est  l'imagination  qui,  lasse  de  fournir,  dirait  ici  Pascal,  s'épuise 
faute  de  savoir  chercher  encore.  Mais  le  sujet  sur  lequel  elle 
s'épuise  est  lui-même  inépuisable.  Et  que  rien  ne  saurait  rem- 
plir le  concept  de  Dieu,  n'est-ce  pas  une  expérience  presque  fami- 
lière à  toute  âme  religieuse?  La  litanie  est  l'elTort  de  la  pensée 
humaine  pour  remplir  l'abîme  qui  la  sépare  de  Dieu,  efTort  impuis- 
sant, nul  n'en  doute,  etlort  digne  d'être  tenté  quand  même  pour 
maintenir  Tàme  dans  la  crainte  et  dans  l'adoration. 


#** 


Aussi  bien  n'est-ce  point  là  ce  que  chacun  de  nous  a  principale- 
ment à  faire  dans  la- vie,  et  la  vie  religieuse  n'est-elle  point  la  vraie 
viede  l'homme?  Nous  touchons  ici  à  l'essentiel  de  la  doctrine  de 
Philon,  qui  est,  avant  tout,  une  doctrine  d'édification  et  de  piété. 
M.  Emile  Bréhier,  dont  c'est  aussi  l'opinion,  conforme  d'ailleurs  à 
celle  d'Edouard  Zeller,  a  traité  longuement,  dans  la  dernière  partie 
de  son  ouvrage,  des  idées  de  Philon  sur  le  u  culte  spirituel  et  le 
progrès  moral  '  ».  Je  cite  :  «  La  valeur  des  idées  religieuses  de 
Philon  repose  moins  sur  des  arguments  dialectiques,  auxquels, 
très  consciemment,  il  donne  une  place  secondaire,  que  sur  le 
sentiment  vif  et  l'expérience  intime  des  faits  religieux...  Philon 
inaugure  peut-être  dans  la  morale  grecque  cette  analyse  de  soi- 
même,  méthode  si  ditférente  des  portraits  du  sage  idéal  qui  cons- 
tituaient lessentiel  de  la  plus  ancienne  doctrine  stoïcienne...'^  ». 
Philon,  en  effet,  rejette  la  divination  inductive  des  Stoïciens,  inven- 
tion tout  humaine  et,  à  bien  des  égards,  invention  inquiétante.  Le 
Sénat  romain  en  décidant  d'expulser  de  lltalie  tous  les  devins  n'a 
fait  que  suivre,  au  dire  de  Philon,  l'exemple  de  Moïse.  Mais  si  tout 
genre  de  divination  ne  saurait  être  proscrit,  si  la  divination  induc- 
tive, voisine  de  la  sophistique,  par  exemple,  ne  dépasse  jamais  le 
probable,  même  (juand  elle  s'en  rapproche,  il  s'en  faut  qu'il  faille 

i.  Livre  IV.  p.  180-310. 
2.  1'.  r.'.). 


PHILON  45 

refuser  à  l'homme  le  pouvoir  de  connaître  les  événements  futurs. 
Dieu  seul  les  connaît,  il  est  vrai;  et  le  contraste  est  saisissant  entre 
nos  opinions  incertaines  sur  l'ordre  du  monde,  la  manière  dont  cet 
ordre  se  réalise  en  conformité  avec  la  raison  divine.  Ainsi  nous 
croyons  aux  miracles,  c'est-à-dire  à  des  faits  contraires  à  la  raison. 
De  tels  faits  sont  impossibles.  Ils  peuvent  surprendre  chaque  fois 
que  Dieu  change  la  nature  des  objets  ou  manifeste,  dans  les  choses, 
des  propriétés  jusque-là  inconnues.  Le  miracle  n'en  est  pas  moins 
conforme  à  la  loi  de  la  nature  dont  la  raison  de  Dieu  ne  saurait 
être  distinguée.  Et  c'est  parce  que  le  miracle  est  possible,  en  har- 
monie avec  cette  raison,  qu'il  faut  condamner  les  opinions  des 
prétendus  savants  sur  les  sciences  de  la  nature.  Alors  il  faudra 
renoncer  à  connaître  l'avenir  ^  ?  Point.  Si  la  divination  inductive 
est  mensongère,  il  en  est  une  autre,  la  Divination  intuitive,  dans 
laquelle  la  parole  de  Dieu  se  communique  à  l'homme.  Les  Pro- 
phètes eurent  cette  divination  en  partage.  Qu'est-ce  que  cette  divi- 
nation? Ici,  comme  bien  Ion  pense,  Philon  ne  laissera  pas  échapper 
l'occasion  de  discerner  et  de  disserter  :  il  y  aura,  d'une  part, 
l'intelligence  humaine,  de  l'autre  celle  de  Dieu.  Et  dans  l'intelli- 
gence humaine  on  divisera  encore  :  il  y  aura  lintelligence  terrestre 
et  rintelligence  divine,  qui  malgré  son  divin  caractère,  ne  coïnci- 
dera point  absolument  avec  celle  de  Dieu,  etc. . . 

Nous  ne  pouvons  suivre  M.  Bréhier  dans  ce  très  curieux  cha- 
pitre, l'un  des  plus  soignés  de  son  livre,  et  qui  demande  à  être  lu 
avec  lenteur,  sans  quoi  les  idées  se  brouilleraient  vite.  L'abbé  31artin 
répondrait  que,  dans  l'esprit  de  Philon,  il  arrive  souvent  aux  idées 
de  se  brouiller  comme  à  plaisir  :  de  quoi  nous  ne  sommes  point  tout 
à  fait  aussi  sûrs  que  l'abbé  Martin.  Et  puis,  quand  il  arriverait  au 
théologien  Philon  de  dépasser  dans  ses  distinctions  et  dans  ses 
analyses  les  bornes  de  la  perception  distincte,  loin  d'en  concevoir  la 
moindre  surprise,  on  ferait  mieux  de  se  souvenir  que  le  premier 
vrai  psychologue  de  l'extase,  dans  l'histoire  de  la  philosophie 
grecque,  —  ce  qu'est  Philon  —  était  excusable  d'avoir,  sur  la 
nécessité  de  penser  par  idées  distinctes  et  claires,  d'autres  opinions 
que  celles  d'un  Descartes.  Après  tout,  les  distinctions  subtiles  qu'on 
exprime  généralement  avec  moins  de  diflicullé  qu'on  ne  les  con- 
çoit, sont-elles  toujours  exclusivement  verbales?  Aucune  idée  pré- 
cise ne  leur  correspond  peut-être  ;  mais  il  est  des  impressions  et  des 
émotions  entre  lesquelles  des  nuances  se  laissent  apercevoir,  et  ces 
nuances,  la  parole  n'est  pas  toujours  radicalement  impuissante  à 

1.  p.  188, 


46  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

les  saisir  et  à  les  rendre.  Sans  compter,  ainsi  qu'on  le  disait  à  peu 
près  tout  à  l'heure,  que  l'état  d'esprit,  ou  d'imagination  duquel  la 
litanie  procède,  en  même  temps  qu'il  porte  la  fantaisie  à  multiplier 
les  images,  réagit  sur  la  pensée  et  Tinclineà  envisager  le  plus  grand 
nombre  de  solutions  possibles.  Il  n'y  a  pas  à  dire  :  Philon  annonce 
Plotin.  Il  l'annonce,  entre  autres,  par  sa  conception  de  lextase.  Et 
si  nous  ajoutions  qu'il  prépare  Proclos  par  son  souci  de  distinguer 
et  de  multiplier  les  intermédiaires,  peut-être  ne  serions-nous  pas 
loin  de  la  vérité. 

D'ailleurs,  ce  qui  caractérisera  les  deux  grands  derniers  penseurs 
grecs  Plotin  et  Proclos,  ne  sera-ce  point  la  conception  de  la  vie 
morale  intérieure  dans  son  intimité  avec  la  vie  religieuse?  Les 
Stoïciens,  on  le  sait,  prescrivaient  au  sage  de  ressemblera  Dieu. 
Philon  et  les  grands  Alexandrins  l'inviteront  à  se  rapprocher  de 
lui.  Même,  ils  lui  en  enseigneront  la  manière.  Il  semble  dès  lors 
qu'à  l'entrée  de  la  grande  avenue  qui  mène  à  Plotin  et  qui  va  exiger 
de  la  pensée  philosophique  un  parcours  long  de  plus  de  deux 
siècles,  il  y  ait  un  personnage  dont  l'importance  doive  attirer  et 
presque  absorber  le  regard  :  ce  personnage  n'est  autre  que  Philon, 
grand,  très  grand  par  son  influence,  beaucoup  plus  grand  par 
l'étendue  de  son  influence  que  par  l'originalité  de  sa  pensée. 

De  ce  qui  vient  d'être  affirmé,  à  cette  induction  que  l'inspiration 
juive  aura  joué  un  rôle  considérable,  nous  serions  tenté  de  dire  : 
prépondérant,  dans  la  formation  de  la  «  mentalité  ^>  philosophique 
alexandrine,  la  distance  est  courte.  Telle  était  notre  opinion  avant 
d'avoir  lu  M.  Emile  Bréhier.  Nous  ne  lui  occasionnerons  aucune 
surprise  en  lui  aflirmant  que  son  livre  n'a  point  changé  notre 
manière  d'interpréter,  dans  ses  origines,  la  dernière  philosophie 
des  Grecs.  Entre  notre  interprétation  et  la  sienne  j'entrevois  une 
infinité  de  nuances,  par  là  môme, une  nmltiplicité  de  dissentiments 
possibles.  Sur  l'essentiel,  il  paraît  bien,  quand  môme,  que  nous 
soyons  d'accord.  Il  est  pourtant  une  thèse  qui  se  dégage  du  livre 
et  sur  laquelle  les  affirmations  de  l'auteur  nous  ont  donné  à 
réfléchir.  Elle  a  trait  à  l'influence  du  Sto'icismc  sur  la  ])ensée  de 
Philon.  Nul  n'essaierait  de  la  mettre  en  doute.  Mais  depuis 
M.  Emile  Bréhier,  il  faut  aller  plus  loin  et  reconnaître  que,  sans  les 
Sto'iciens,  Philon  n'eût  pas  été  possible.  La  mentalité  alexandrine 
dont  celle  de  Philon  dérive  doit  beaucoup  au  Stoïcisme.  Ce  n'est  pas 
encore  tout.  En  prenant  M.  Emile  Bréhier  pour  guide,  on  ne  tarde 
pas  à  comprendre  que  nul,  ])lus  (jue  IMiilon,  n'était  pn'-paré  à  cette 
influence.  Car  l'esprit  grec,  à  [)artir  d'.Viistote,  avait  cessé  d'être 
l'esprit  d'Athènes  et  s'était  rapproché  de  l'esprit  oriental.  Ouvrez 


PHILON  47 

Platon,  ouvrez  Aristole  :  cliercliez-y  le  plus  faible  Indice  de  l'ima- 
gination litanique,  vous  en  serez  pour  vos  frais.  Cliez  les  Stoïciens 
vous  en  trouverez  sans  y  prendre  la  moindre  peine.  Chose  plus 
significative  encore,  vous  en  trouverez  chez  Heraclite.  Et  vous  ne 
vous  permettrez  plus,  alors,  d'établir  entre  l'esprit  juif  et  l'esprit 
grec  une  opposition  fondamentale.  Vous  allez  me  dire  que  le  Dieu 
des  Juifs  était  infini,  ce  que  ne  furent  ni  le  Dieu  de  la  Dialectique 
ni  celui  de  la  Métaphysique.  Je  le  sais,  mais  ètes-vous  bien  sûr  que 
le  Dieu  du  Sto'icisme  n'ait  point  participé  de  l'Infini,  au  sens 
moderne  de  l'expression?  Autrement  dit  :  ètes-vous  sûr  qu'avec  le 
Stoïcisme,  la  décomposition  de  l'esprit  athénien  n'ait  pas  été  à  peu 
prés  définitive  et  que  l'ancien  esprit  grec,  celui  des  temps  héracli- 
téens,  ne  se  soit  point,  de  nouveau,  installé  au  cœur  même  de  la 
philosophie? 

Que  le  livre  de  31.  Emile  Bréhier  ait  réussi  à  soulever  et  à 
presque  résoudre  des  questions  de  cette  importance,  là  est  un  de 
ses  mérites.  Et  ce  n'en  est  point  le  seul,  si  ce  livre  se  recom- 
mande par  les  qualités  «  objectives  »  auxquelles  nous  rendions 
hommage  en  commençant. 

Nous  eussions  désiré  parler  en  termes  semblables  du  Philon  de 
M.  l'abbé  J.  Martin.  Mais  au  temps  où  nous  sommes  il  nous  est 
défendu  de  mettre  sur  le  même  plan  un  livre  «  de  lecture  »  et  un 
<(  livre  d'étude.  »  Et  c'est  pourquoi,  si  nous  attribuons  la  seconde 
place  à  lœuvi'e  de  M.  J.  Martin  dans  l'histoire  contemporaine  des 
études  philoniennes  françaises,  au  risque  de  remplacer  un  vers 
par  dé  la  prose,  nous  dirons  à  regret,  de  cet  historien  très  clair, 
travailleur  consciencieux  mais  d'expérience  insuffisante  ryjro.rmms 
sed  longo  intei'vallo. 

Lionel  Dauriac. 


DEUX  LETTRES 

DE  L'ÉPOQUE  DU  DERNIER  EXILARQUE 

(1020) 


Parmi  les  quelques  fragments  hébreux  de  la  collection  de  papy- 
rus (ancien  fonds)  de  la  Bibliothèque  de  FUniversité  de  Heidelberg 
figure,  sous  le  n°,910,  un  feuillet  de  papier  écrit  des  deux  côtés, 
que  je  dois  jà  la  libéralité  de  la  direction  de  la  Bibliothèque  de 
pouvoir  publier  ici. 

Ce  feuillet,  qui  provient  de  TÉgypte,  a  28  centimètres  de  lon- 
gueur et  18  de  largeur.  Il  est  plié  par  le  milieu  et  les  textes  hébreux 
n'occupent  qu'une  moitié  de  la  largeur  sur  chaque  côté,  la  moitié 
fauche  d'un  côté,  la  droite  de  Tautre.  Les  deux  autres  moitiés  sont 
remplies  par  des  articles  de  comptabilité  en  arabe,  qui  ont  été  évi- 
demment ajoutés  plus  tard  et  n'ont  aucun  rapport  avec  les  textes 
hébraïques.  De  même,  les  notes  en  hébreu  et  en  arabe  qu'on  lit  à 
la  ^aucbe  du  recto,  au-dessous  du  texte  hébreu,  sont  des  additions 
postérieures  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  ce  dernier.  Par  contre, 
la  suscription  qui  se  trouve  à  la  gauche  du  verso,  juste  au  milieu, 
est  visiblement,  quoiqu'aucun  nom  n'y  soit  indiqué,  l'adresse  de 
la  lettre.  L'encre  et  l'écriture  sont  les  mêmes  i)our  les  deux  textes; 
seule,  l'adresse  est  d'une  encre  plus  fraîche. 

L'absence  du  nom  du  destinataire  dans  le  texte  '  et  dans  l'adresse 
ne  suffirait  pas  à  prouver  que  nous  n'avons  pas  aiïaire  à  l'auto- 
tnaphe.  Ce  nom  a  pu  être  omis  à  dessein  dans  la  lettre  et  commu- 
niqué verbalement  seulement  au  porteur.  Est-ce  un  biouillon,  une 
minute  ou  une  copie  ?  Comme  le   début  de   la  première  lettre 

i.   Au  verso.  1.  12.  i:  '-)  serait-il  "«ïVîE  '"I  ■' 


DEUX   LETTRES   DE   L  ÉPOQUE   DU   DERNIER   EXILARQUE  49 

manque,  je  ne  saurais  exclure  avec  assurance  aucun  des  trois  cas 
possibles.  Je  ferai  seulement  remarquer  que  le  feuillet  porte 
encore  les  traces  visibles  duii  pliage  en  croix,  par  suite  duquel 
l'adresse  s'est  trouvée  placée  juste  au  milieu.  On  reconnaît  même 
dune  manière  non  équivoque  que  le  feuillet  était  déjà  plié  dans  le 
sens  de  la  largeur  quand  on  a  écrit  dessus;  c'est  ce  qui  ressort  de 
l'absence  des  syllabes  finales  au  verso,  I.  7  et  9,  et  du  déplacement 
de  la  syllabe  finale,  à  la  1.  10,  rejetée  au-dessous  de  la  ligne.  Ces 
détails  donneraient  à  penser  que  les  textes  représentent  l'auto- 
graphe. Mais  alors  se  pose  cette  question  :  comment  les  deux 
lettres,  dont  Tune  (celle  du  verso)  est  datée  dun  mois  plus  lard 
que  l'autre,  se  trouvent-elles  sur  le  même  feuillet?  Le  caractère 
fragmentaire  de  la  première  lettre  me  met  dans  l'impossibilité  de 
résoudre,  jusqu'à  nouvel  ordre,  ce  problème.  Quoi  qu'il  en  soit,  la 
forme  et  le  style  des  lettres  elles-mêmes  portent  le  cachet  de 
l'authenticité. 


.  A  {recto). 

Ce  côté  ne  contient  malheureusement  que  le  fragment  d'une 
lettre.  Qui  sait  ?  peut-être  le  commencement  se  retrouvera -t-il 
dans  la  collection  papyrologique  d'un  musée  ou  d'une  bibliothèque 
de  l'Europe.  A  cause  de  cette  lacune,  le  sens  général  de  la  lettre  et 
certains  détails  sont  provisoirement  pour  moi  tout  à  fait  obscurs  '  : 

*  (?y r^■i^>   'r-c  nz-j''^    ï]Vîx   min-'     i 

'  !,?  -i-iD-i    wN-i   ^pn'^N)   -17:73  ■'rN  -rm 
r;3"'w^n   -lya   'rx    ann    iDTOTa    nd   "«s 


1.  Je  mels  entre  pareiiUiéses  (  )  les  mots  iini  mit  été  rayés  dans  le  texte  même,  entre 
crocliets   [  ]  les  leçons  rétablies  par  moi. 

2.  Sur  roriijinal  on  reconnaît  qne  la  1"^  iii^ne  a  été  ajoutée  après  coup,  probablement 
à  la  placi;  des  mots  ("?-n07t  ON")  priri*  rayés  à  la  2'  ligne.  \  cause  du  caractère 
t'raLrmentaire  de  la  lettre,  il  est  dillicilc  de  reconstituer  la  suite  des  idées.  Au  sujet 
de  n'îia'^C  rî3"''C"'  je  remarque  que  d'après  le  NCÛIT  sbl?  "110  \Med.  Jew.  Chron., 
I,  p.  VI.  |i.  77),  c'était  depuis  "'ZJZUZ  13  r!3~l  la  désitrnation  de  l'.Académie  de  Pouni- 
badita.  Cf.  b.  Rosch  ha-Schuna,  23  6  :  MP-T^-i^lD  IT  qST'  "1"N    n'nan  "»J<7:. 

3.  On  dislingue  encore  les  deux  mots  "C;j<-i  "irnîN.  le  troisiènu^  mot  est  probable- 
ment mm.  ^ur  (3"N  ri"»-l72">y  "'3"i"'3)  nior;  "CN"1  pn'^X  -173  v.  Harkavl.  Sludien 
und  Millheilungen,  IV,  2,  3i2  ;  J.  Q.  «.,  VI,  223  et  XI,  648  ;  cf.  S.  Poznanski  dans 
Z. /".  W.  fi.,  1906,  p.  144.  A  l'époque  des  derniers  Gaonim  les  dénominations  rîD"*"^"' 
~îi:« '50  et  Z'py  YiHJi  na"'»:;"'  étaient  eniployées  indifféremment  par  l'Académie  de 
Poumbadita  et  celle  de  Soura  :  cf.  Poznauski.  Reçue,  t.  LI,  p.  o3.  5»,  lll!',  et  Z.  H  fi., 
X,  14:i. 

T.  LV,  ,\»  loy.  -4 


50  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

'  ['cn-pT    -iiD-'m]    in^T-'::    53V    nV    ■'d 
*  h;i:]Dn    bu  ""-i-^-ini   V""^"*   "'•mp  "^p'n- 

■";r:r  y-iNi    iriscm  pc?:-!^  -2i:i3 
NTn   '«:;p373  Nnn    -"iTC  sbiNi 

nu;»-!    b"   ~n2y   '  "ji-nn   ■'ri   p-D 
■^^ct"  b~   ""2    n^'ircT   r;"!>rî3    15 

rfz^'C-  y-'-z    -i7:im    bp   □■'p-Dn 
IN  ■]~\'iÂr,   ■;:-    1"~"'    nipw  riT  'N?: 
--n-'  "C"i73^u:n   Nrn    *  ap":-:  ^tj 
nn-^'w^-  -c'zn   Z5i   ^m7:bn   "(72    20 

-17:    Ni:;^  t   ry   bzn   a'-i^rîTa 

T'bN    "b-  t;:;^  bx   n'  y.ri'rn 

ib  3T    mon    "Cini    S]Di<    m   -.73 

CTT5  i7:'"bwr;  c^:::*"!?:   d"'7;-'3t    25 

T'3-n   ri:p72  -n  -i7:i;72 

T'C'p•:l^  TbN':;    r;:rî  D-'^mm 

T'rynb   '"n-i  iz'j  -\^in-    ciibNT: 

T«y-i  n:s:p73  nbx-  c-^-n^-  b;* 

"in"::   31:33    nnr"'   ti^n   P3-cm    30 


1.  Le  gaon  ici  mentionné  est  sans  doute  Ha i  (998-1038).  Puiir  l'expression  TJT  TI^ 
qui  revient  souvent  dans  les  écrits  de  cette  époque,  comparer  l'aialic  5«'^JL'  -Ij. 

2.  Cf.  Isaïe,  xi.,  28. 

3.  Ces  deux  mots  sont  presque  eutièremeut  etl'acés,  mais  leur  présence  dans  le 
contexte  n'en  est  pas  moins  certaine. 

4.  Expression  empruntée  à  Ps.,  xvi,  3. 

5.  On  sait  que  Mar  Elhanan  a  l)eaucoup  voyagé,  v.  Poznauski,  /.  c. 

6.  □;  «  parler  »  se  trouve  dans  la  Misclnia  et  chez  les  anciens  pailanim,  ▼.  Zunz, 
Lileralurgesch.  d.  sy?iag.  Poésie,  G37,  639. 

1.  T)ri13  est  un  nom  propre,  v.  ./.  Q.  H.,  XIX,  738  L'expression  TCNI  by  T'Zy 
signifie  peut-être  «  être  en  |)résence  de  quelqu'un  >\  comme  l'araiie  o  j«l^  ^^X^  o»J>j. 
Le  sens  m'échappe. 

8.  Cf.  11  Ilois,  VI,  21. 

9.  Cf.  h.  lierachol.  1  b. 

10.   Abréviation  de  N373n"l  nnai- 


DEUX   LETTRES   DE  L'ÉPOQUE  DU   DERNIER    EXILARQUE  51 

'  nD-i[m  m]bci   n\:;m  imi:   ban 
lyb 


B   [verso). 

^:iN-i    in"'pTn"'  p    i 
5  in  in-'pTn-'   p   ^n-'n   p 
i-i  Tini  p  "--nr^"^    p 
^  m-'ba   ONT  -ï<s7   p 
-mr:73   *.rim35   -itn  .--.wNc»-  pîb    3 

1.  La  formule  finale  —  cf.  J.  Q.  R.,  XIX,  106  —  doit  probablement  être  complétée 
et  traduite  comme  suit  :  «  Veuillez  liàter  daus  votre  bonté  la  réponse  de  ma  lettre  avec 
l'indication  de  tous  vos  désirs  et  vœux.  Paix  et  bénédiction  pour  toute  éternité.  Paix 
profonde  1  »  La  date  est  :  adar  332  (c'est-à-dire  1332  de  l'ère  des  Séleucides),  soit 
mars  1020. 

2.  Cette  ligne  est  rayée.  11  est  visible  que  l'auteur  de  la  lettre  était  sur  le  point 
d'écrire  au  nom  du  fils  de  l'exilarque.  Le  dernier  exilarque,  Hizkiya,  avait  etfectivement 
uu  fils  nommé  David,  v.  Neubauer.  Med.  Jew.  Clir.,  I.  p.  178  ;  cf.  Baclier,  dans  J.  Q.  R., 
XV,  80. 

3.  Nous  savons  par  la  chronique  de  Yerahmeel  (Neubauer,  op.  cit.)  que  l'exilarque 
Hizkiya  florissait  encore  en  1046  et  réunissait  alors  en  sa  personne  les  deux  dignités 
de  l'exilarcat  et  du  gaonat  (cf.  Bâcher,  l.  c.}.  Notre  texte  nous  apprend  qu'en  1020, 
c'est-à-dire  du  vivant  du  gaon  R.  Haï,  il  exerçait  la  i)remiére  ;  il  fut  nommé  gaon  (de 
Pumbadita)  à  la  mort  de  Haï,  en  1038. 

4.  Le  père  du  dernier  exilarque,  David,  inconnu  jusqu'à  présent  [v.  Graetz,  Ge- 
schichle,  3"  éd.,  1893,  V,  394),  n'était  pas  exilarque  :  c'est  ce  qui  ressort  de  cette 
généalogie. 

5.  Jusqu'à  présent,  ce  Hizkiya,  petit- fils  de  David  b.  Zaccaï,  était  souvent  considéré, 
sur  la  foi  d'ibn  Daud  dans  son  Séfei-  lia-Kahhala  (,p  TU  b'vIJ  113  p  a""1  rT'pTn 
^MST),  comme  le  dernier  exilanjue  de  la  maison  de  David  b.  Zaccaï,  c'est-à-dire  qu'on 
l'identifiait  avec  son  petit-fils,  v.  Graetz,  l.  c,  et  F.  Lazarus,  Die  Haiipler  der  Ver- 
triehenen  {Juhrbiicher  fiir  jiidische  Geschichie  nnd  Lileralur,  X,  p.  179,  180-181K 
Graetz  se  demandait  si  le  petit-lils  de  David  .ben  Zaccaï  avait  revêtu  la  dignité  d'exi- 
larque  :  ce  doute  tombe  maintenant. 

6.  Graetz  remarque,  /.  c:  «  On  ne  voit  pas  bien,  par  les  paroles  de  Nathan,  si 
Juda  fut  revêtu  de  la  dignité  ou  non.  »  Il  résulte  de  cette  généalogie  que  le  fils  de 
David  b.  Zaccaï  ne  fut  pas  exilarque.  On  sait  qu'il  survécut  tout  juste  se|)t  mois  à  son 
père. 

7.  Chose  tout  à  fait  remarquable,  Zaccaï  reçoit  ici  le  titre  dexilan|ui'.  D'après  la 
relation  de  Nathan  le  Babylonien,  le  prédécesseur  de  David  ne  fut  pas  son  père,  mais 

son  oncle  Oukba  :  na^o  N"":;;  Nzpn^  bo  "mT  p  Nin-w  •'N2T  p  mn;  cf. 

Graetz,  /.  c,  393. 

8.  Cf.  le  début  du  i>iyyout  de  R.  Elazar  Kalir  r;~iT33  "HTN  "^bTj  ,|>our  le  1"  jour 
de  Roscli  lia-Scliana).  Peut-être  cette  expression  renferme-t-elle  une  allusion  à  l'âge  du 
destinataire,  qui  aurait  eu  alors  80  ans  (cf.  Ps.,  xc,  10  et  Pirkê  Abot,  v,  21). 


52  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

*[m]"i]i3   -nn   Nim    -i—n'C   "j-n3   2n:rn2 
nri  ^1:3^    -croiz    •mp-'    m   "«annb 

'jT'rr    [sic    rn-!^  h  n    n7:n2m    «  □■'rrm 

■i53n  n-iiNT    nj'ic-'   ib  n"'?:::"'   N-nn 

mayi   dn  i;:û7:  -l'^n^'-'i   ^  rn^c--""   inrn:T 

"  -ncp   anbo   n    pN    n-i-'nn-    rr^n    13 
yir2  -nob   mrrm  -iT^m   -rinn 
-iTCN    DCi    -Twn    yci    -;TwE 

n-iNWT  -n\y»73i   D-'-ii:?:^:   -nroy 
'^n3T  nbcm  niasn   "jm   .-noaTjT    20 
"|b    Nj    i^-""    mnbi:r:-"i   m-^-'j:-  -in"<T 
nbo   "{"""ib:"!   1"'3Tip    bsbi  irciCTo 

"^  a"'^"ibî<r!    '[•)z^    ^■']''i   r^^'z    nu   Drnnu    "i?:T 

1.  Lire  probablement  r;^,n  bnp  ;  d'après  rinterprétatiun  agt^adique  de  Caut  ,  vi. 
9,  10,  ma  est  l'épithète  de  bNTJ"*  PDID-  Cette  expression,  de  même  que  la  suivante 
nmOT  nbna  DIN,  est  empruntée  à  la  «  hoschana  »  ri7iin  ""jN  D"iS- 

2.  Cf.  Ps.,  Li,  12  :  pD:  m-i- 

3.  Cf.  Soph.,  m,  9.  La  terminaison  m  a  été  omise  à  cause  ilu  manque  de  place. 

4.  Cf.  1  Sam.,  xxviii,  16  :  "irbi'  rm  n7jin. 

5.  Cf.  Lanient.,  v,  15. 

6.  Le  mot  Tnmj  (cf.  J-  Q-  fi-  VI,  223)  ou  b73n73  "'est  pas  bien  lisible,  mais  assez 
certain,  cf.  Ez.,  xxiv,  21. 

7.  "T^TXn  ipTn  est  sans  doute  une  imitation  de  l'arabe  D'^ri^'N  'T"'"w5N. 

8.  Cf.  Il  Sam.,  i,  23  :  2"'73'3'3-i  a"'nr:.s;n. 

9.  Cf.  Ps,  XVI,  6  :  mo-j  "^rirns. 

10.  Cf.  Ps ,  Lxxxvi,  8  :  na-""  mrnn  qx. 

11.  Le  paragraphe  qui  suit  est  écrit  dans  un  style  un  peu  diUérent  (pii  rappelle  celui 
de  Kalir.  Pour  l'expression  r;7:in3  "Twp  cf.  Néli.,  m,  38  :  rr^inn  72  "iCpm. 

12.  Cf.  Job,  XVI,  n. 

13.  Cf.  Ps.,  LXXii,  3  :  3nbc  D""ir;  INC-  Celte  formule  de  salutation  se  retrouve 
dans  d'autres  lettres  de  ce  temps,  v.  /{.  /:.  ./..  XL,  262-263  ;  XLIV,  238,  etc. 

14.  Il  s'agit  de  K.  Haï  de  Punibadita  ^mort  en  1038)  et  de  U.  Samuel  b.  liofni  de 
Sora  (mort  en  103 i). 

15.  Inconnu.  Le  ~i"nn  est  le  '  président  du  tiilmnal  »  qui  vient  ininu-diatenn-nt 
après  le  gaon  ou  "o"''rn,  v.  Bâcher,  ./.  Q.  K.,  l.  c,  p.  82. 

16.  Les  3"'D1-N,  au  nombre  de  soixante-dix,  venaient,  d'aiircs  leur  rantr.  derrière  les 
sept  mbD  "'CN1.  Clia(|ue  irroupe  de  dix  a^cibN  était  subordomu'  à  un  nrr  w\s~. 
D'ailleurs,  les  O'^DlbN  sont  parfois  mis  sur  le  nu'me  rang  (]ue  les  mr3  "^^N";. 


DEUX   LETTRES   DE   L'EPOQUE   DU   DERNIER    EXILARQUE  53 

D"'7:Dn-:i    2-'t-.\-    a-^rrsnm   z-'rr'xr:    25 
Ti-Dm    c-^:3cm   2"«-inm    '  a"'"i^iNn 

Tn:j3  -■T::n3   'rx'^   ^z"z  mm::    30 

i  iby 

j-b   --nriT'i   *'{:-[^  nb-s   r;r.«">2T 
■jir-iN  P3w3"i    ii;:2Tw-«3  ■'"■'   nhn    by    35 
n-ii:n:3   v-n:   zbw'T   "  h::s:07:   by 

qrws    r:-w    p-: 
mN7a    •cb':;T 

*  2["'"â:b]-^i 

Au  milieu  de  la  moitié  de  gauche  : 

bDCm   ^:r^3   n'^tj::    -iri  :rr;  -asb 

irî3"3P"^i    3ip:?  bz)    ib  ■«""«   "ic"«   "irciu;?: 

np-i:   T'^^^ 

A.  S.  Kamenetzky. 


1.  La  répétition  provient  de  ce  que  le  premier  C'^'i'^nsn  ost  un  lapsus.  On  reconnaît 
encore  que  l'auteur  avait  voulu  écrire  par  erreur  S'^STl^Nn  . 

2.  Cf.  I  Chr.,  XXV.  8. 

3.  Abréviation  de  31PDD. 

4.  Ps..  xni,  6. 

5.  ON  est  un  lapsus  pour  nX- 

6.  Cf.  Is.,  XXXV,  2. 
1.  Cf.  Jér..  XXX,  18. 

8.  Cette  formule  finale  se  retrouve  dans  d'autres  lettres  de  cette  époque,  v.  p.  ex. 
J.  Q.  R.,  XIX,  108. 

9.  Dans  la  date  le  mot  C^CT  seul  n'est  pas  sûr.  Sous  □''"^bOT  il  n'y  a  pas  de 
place  pour  un  autre  mot,  c'est  ce  qui  a  fait  ([ue  le  dernier  mot  a  été  rejeté  à  la  marge 
de  droite.  La  date  est  donc:  Nissan  1332  de  l'ère  des  Séleucides,  c'est-à-dire  avril  1020. 


MÉLANGES   JUDÉO-ARABES 


XXX 

Formules  dans  les  Lettres  de  «  Gueniza  ». 


M.  Ernest  James  Worman  a  comblé  une  lacune  sensible  de  lépis- 
tolographie  arabe  en  nous  initiant,  dans  son  article  si  important  : 
Foj^ms  of  Address  in  Genizah  Letters  -,  basé  sur  une  grande 
richesse  de  matériaux,  à  la  technique  des  lettres  arabes.  La  série 
de  lettres  provenant  d'une  Gueniza  que  possède  la  Bibliothèque 
de  l'Académie  des  Sciences  de  Hongrie  (fonds  Kaufmann  permet 
d'accroître  et  d'illustrer  les  matériaux  fournis  par  M  Worman.  Je 
voudrais,  dans  les  lignes  qui  suivent,  signaler  quelques  détails 
de  cette  question. 

/.  —  A  propos  des  noms  des  auteurs  et  des  destinataires  de 
lettres,  que  M.  Worman  donne  sous  les  n"*  xlvi,  xlix,  lu,  lvi,  lviii, 
je  ferai  remarquer  que  notre  fonds  possède  plusieurs  lettres  où  il 
semble  que  figurent  des  membres  de  la  même  famille. 

N°  \  ^.  Adroite  :  j^\  JIW  ts;-^l)  ,f^*>*^  ^jj  <^>j?  aj  t^V*^  t5"-Ny-*^ 
sltXû!^  <i0.x>*ow  o-î-Sj   »LjL)  jl  A  gauche  :  «L^xi.  ^  ou-^j  ^  «rî^**^ 

N"- 16.  A  droite  :  b[N:ûx]  yi  □■>d3  '•;  "«Nhln:  rrrv'  ■'sn  ■'n'ï-itot  ■^t«05 
m"'wsm  nry  n^nsT  "nm-p-^  n'^bx  \\  A  gauche  :  yi  iidVd  p  d-'DD  yn 
(?)  n-'.xsD  "I. 

1.  V.  Revue,  LU,  187.  —  Los  caractères  arabes  employés  dans  cet  article  viennent 
de  l'Imprimerie  nationale. 

2.  J.  Q.  li.,  1907,  p.  721-743. 

3.  Celte  numérotation  est  provisoire. 


MELANGES  JUDEO-ARABES  55 

N»  18.  A  droite  :  m-'a  I  ^N-inD  -i"-'3  û-'o;  ni'o  lax  '^•^'Ziba  \xbi73 
r.aizy'j  snini  n^pn  nVr^  bwS-jN  |  ii  ri  bn-isn  pn  ||  A  gauche  : 
yi   •'air,-:  p  "jp:    niSN'CT    nnnTO. 

Parmi  les  noms,  j'en  relèverai  un  qui  est  rare  :  c'est  celui  de 
^Ux«,  (Worman,  n°  lxxx),  que  je  retrouve  dans  l'adresse  de  notre 
morceau  n"  io*.  lettre  adressée  à  r;:i:n7:  p  rr-,iy  p  qibD7j  mro  idx, 
où  la  notice  de  fauteur  de  la  lettre  est  ainsi  conçue  :  p^ncN  )12 
--riTrn  -:3^   ct-Vn   -^rwN    "ri:-   n  n  ::  :i  c;    p  y':  -n.N-  p. 

5.  —  Une  formule  bien  remarquable  est  celle  qui  est  employée 
à  la  fin  des  adresses,  à  la  suite  du  nom  de  Fauteur  de  la  lettre  : 
tnm»  n3î«73N  (Worman,  l.w.mx),  ou  !^î^^TO  n3î<ttî<  (ib.,  lxxxiii),  en 
caractères  arabes  sl^^  <xiLoî  (xlvii;.  Elle  se  trouve  souvent  aussi 
dans  nos  documents,  par  exemple  au  u'^  17  :  ^i   t_jU53!  \<y^a>  Jx^j 

»ijj«  aoLol  A^j  ^i^^JI  <_.yut>  (dans  le  ms.  écrit  deux  fois  comme  ^!) 
»*>JI^  o^jLc.  ^  jo^iyi).  Cette  formule  signifie  que  la  lettre  est  confiée 
à  l'honorabilité  du  |)orteur,  qui  est  prié  de  la  transmettre  sûrement 
au  destinataire  :  'iV:>^  ajU!  .  La  fréquente  orthographe  »l:>^  et 
riNii^iw  ne  permet  [)as  de  penser  à  'i^y> ,  «  amour  ».  Il  y  a  une  for- 
mule hébraïque  équivalente  (empruntée  à  Is.,2o,  1)  dont  je  noterai 
un  exemple,  emprunté  au  n"  2  de  notre  collection  :  rTr'îNi  ">5n 
r-îNT^ysT  -TJ*  DwNn.xi  r^in-^^-^  ï-tVîn  tn^n  ni-d:  nT:^:  n'-fi  r-ip-12:  <ny. 
A  gauche  :    r^yiii  zmnN  n^i  n;'c  t^n  -r.y  px.  Au-dessous  :    -rr:» 

Mais,  à  cOl('  de  cette  formule,  j'en  ai  trouvé  une  autre  servant 
au  même  but,  dans  notre  u=  13.  A  droite  :  b.s^N  ■'O^^m  [•'i;]^c  -^'^n 
y'j  n-130  pN  2--i3;n  t3  '\~\^■y1z  nspn  nrbwX.  A  gauche  :  nan?:  p 
y:  pnx-'  -12  Dmax  mbn.  Au-dessous  :  n^T  raba. 

Le  n'  :27  Budapest,  lettre  de  recommandation  dun  nommé  Sâlim 
à  Mançour  b.  <^yC«  ?)  d'.Alexanclrie,  contient  les  deux  formules 
l'une  à  côté  de  lautre  :  à  gauche,  sous  le  nom  du  destinataire, 
jva.^  àVj»  (le  second  mot  est  formé  par  une  ligature  assez  em- 
brouillée et  est  douteux)  ;  à  droite,  sous  le  nom  de  l'expéditeur, 
...*5UI;  je  n'ai  pu  déchiffrer  le  groupe  qui  suit,  tant  il  est  com- 
pliqué. Il  n'est  pas  douteux  que  la  formule  iai  nabn  exprime,  elle 
aussi,  le  souhait  que  la  lettre  parvienne  sûrement  aux  mains  du 
destinataire. 

^.  C'est  peut  tMre  c  mot  qu'il  faut  lire  dans  Worman.  n»  xc,  à  la  fin  de  la  ligne 


56  REVUE   DES   ETUDES  JUIVES 

La  si<i;nifiration  du  mot  isn  dans  cette  formule  ne  m'apparaît  pas 
clairement  Al-Dalial)î  cite  ce  dicton,  sous  la  forme  du  hadith  : 
«  Quand  quelqu'un  a  terminé  'un  écrit),  qu'il  n'écrive  pas  :  bala- 
gha  (la  fin  est  atteinte),  car  c'est  le  nom  d'un  Satan,  qu'il  écrive 
plutôt:  Alldli^  "Mais  j'ai  peine  à  croire  que  ce  conseil  ait  quelque 
chose  à  faire  avec  la  formule  qui  nous  occupe;  il  se  rapporte  à 
l'intérieur  de  1  écrit. 

3.  -  On  trouve  souvent  dans  les  introductions  et  souvent 
même  dans  les  formules  d'adresses  de  ces  lettres,  à  côté  des  sou- 
haits de  bonheur  pour  le  destinataire,  l'expression  de  sentiments 
opposés  poui'  ses  ennemis  et  ses  envieux  :  Nmci<m  ^rmy  ...pddi 
(Worman,  n"  lxxiii).  Celte  formule  épistolaire  constante  n'est 
pas  spécitiquemenl  juive.  Aussi  bien  que  dans  les  introduc- 
tions dune  foule  de  lettres  de  la  Gueniza  dont  les  destinataii'es 
sont  des  personna,i;es  d'une  situation  élevée  (Naguids,  etc.\  elle 
se  retrouve,  par  exemple,  dans  une  lettre  atlressée  au  Kàdi 
suprême  par  le  célèbre  Schàli'ilt;  Aboù  Ishàk  al-Schîrâzî  (mort 
en  1083  -.  J'en  reproduis  le  dél)ut  pour  montrer  que  les  for- 
mules des  letti-es  judéo-arabes  ressemblent  tout  à-fait  à  celles  des 
Arabes  de  religion  musulmane  :  sLàuLÎi  ^l\j>  boJLw  *ljb  ^î  JlLs!  jUS' 

»il*J^3.  Sur  le  côté  de  l'adresse  de  la  lettre  {'ninnrdn  ,  la  formule 
est  lasiiivante  :  ^_^:>l)V^jj^\  ij-^  ^j^  f>^^y^  ^^  c5*'^^'^  \i  j^^\^  »pU.. 
La  même  formule,  empruntée  à  la  correspondance  ai'abe,  est  tra- 
duite aussi  en  hébreu^  et  quelquefois  même  développée  par  rhé- 
torique. Entre  une  foule  d'exem|)les  ',  j'en  choisis  deux,  parce  que 
les  lettres  qui  les  contiennent  ont  peut-être  pour  destinataire  ^ou 
du  moins  la  S(;conde)  la  même  personne  à  laquelle  est  adressée  le 
n"  VI  de  la  liste  de  Worman. 
a)  Voici  le  début  de  la  première  (non  nuuKMotée  encoi'e]  : 

rrrri:  mp"!    n-n-   |   s-'-^n   nsc    ^'^    id-'ct't    ']"'7:"'    la-i"'   ■'3    t 
nnDîrîi    czzn-    -iizzr,  'j-'-'-r:    j    prn    t^-n^N    Nrn-n    f<;-i?3    n-iNcn 

1.  Mlzân  ul'i'lUUil,  II,  i>.  't'rl  :  y'-'^^  f^'  *-'^  iW  -^^  'r^.  -^  ^^^^  £7*  '■>' 
aWI  *~Lc  t-vxXj  jil|). 

2.  Al-Soubki,  Tabakâl  al-Sclidfi-ii/f/a    v>\.  du  C.aiiv  ,  lU,  p.  2H8. 

3.  Z.  D.  M.  G.,  U.  p.  445,  1.  lu. 

4.  Il  y  in  a  aussi  dans  des  leUres  dr  .luda  lia-Li-vi,  Dindn.  éd.  Brody,  I,  p.  213, 
d.  1.  :  T'72?3ipP73  irin,  T'Tip  IT-ri,  T'':t:T  IK'P"' :  '6''/.,  H,  P-  328,  1.  3  : 
T'3''"iS  l^nyï  T'nmx  Tirr^»"».  Cf.  la  litlre  pli'in(  d'iiumiiur  dans  la  8'  Makame  de 
Al-Harî/.î  idans  r.mdy-Alhieciit,  Neu/iebr.  Dichlersc/nile.  ]^.  191.  I.  15  et  s.]. 


MÉLANGES  JUDEO-ARABES  57 

T'3"'ixi    T'TcrT'    apTCT    mro    T^Trn    ntcn   |    '-rx    innTS'r"'    T'onn 

"^-^n'ix  yn?:"»  I  "cx-n  ■'hst  "mnx  npx  ^d  "i"':'  3wVn"«  -73  "3  Ti-in 
'131  "'r?  "jr^N-is  "i-'vNTci  "rTii  rin-i  -«mwS  nr^T  wN-,3  s't-^dc^i. 
La  lettre  est  signée  :  ■^ann  riTobo  incn  rn^■Jz  "çtûiV^t  a"mn  '^na^'  r»r^ 
:2'o  in-'bwN. 

ô)  N°  3  Budapest,  par  l'intermédiaire  d"nn  certain  -la  n"«nyo  'i 
insn  pn^f^  par  "'53'  isana  imn  nm,  adressé  à  rarn-  cmax  ip  aa 
1^31  T-^i  xbiT^r]   p^im.    Le    discours   d'introduction    contient    ces 

mots  entre  autres  :  rtro   bat]  n7:n;i    5Da"i?a   "ia",ri  a-'ro  n'înn 

'iai  T   yir-Ni  inp   p?:--i  wN:i\a  nbD"::m   a-^ix   rtr:am. 

J'ai  voulu  montrer  seulement  que  ces  procédés  employés  pour 
introduire  et  pour  adresser  les  lettres  correspondent  exactement  à 
des  formules  empruntées  par  les  scripteurs  juifs  à  des  modèles 
arabes  qu'ils  n'ont  fait  qu'imiter. 

4.  —  Qu'il  me  soit  permis  de  rattacher  ici  quelques  observations 
aux  textes  publiés  par  M.  Worman.  dans  la  mesure  où  je  puis  le 
faire  sans  avoir  eu  connaissance  des  originaux  Je  sais  par  expé 
rience  que  les  formules  d'adresses  écrites  en  caractères  arabes 
soulèvent  iréquemment,  avec  leurs  ligatures  et  leurs  arabesques, 
les  énigmes  les  plus  difficiles,  qu'il  est  très  difficile  et  souvent 
même  tout  à  fait  impossible  de  résoudre.  Néanmoins, il  est  presque 
certain  qu'au  n°  xii  il  faut  lire  Làyisî  [l^J-sî  n'est  sans  doute  qu'une 
faute  d'impression);  n»  lxx,  1.  :  l^JSAa.  ^i  :>\y,  n°  lxxvi.  1  j«j.^ 
au  lieu  de  ,ji*^^  ;  le  sigle  c:»^',  n'*  lu  et  lix,  doit  être  pour 
jj^m,  «  le  défunt  »,  et  se  rapporte  au  nom  qui  précède  immédia- 
temeut.  —  N"  xci  deux  fois  ^;HJà^^!  (?). 

Dans  les  textes  en  caractères  hébreux:  n"'xLvetLxxxvii,  aulieii  de 
isnalire  -isna  =jjt.^.  Le  nom  d'Alexandrie  est  toujours  accompagné 
de  ce  déterminatif.  —  >'"'  l\ii,  lxiu,  lxiv,  lxxh  :  •^a-'-:;b  et  ■'a-'O  "bx, 
ce  que  Worman  appelle  une  «  somewhat  uncommon  epithet  ».  Elle 
est,  au  contraire,  très  commune  :  c'est  ■«à-'C  —  N"  lxvu  :  rîpcxnm, 
1  nnowsnm  '.  >'°  lxxx  :  aao  ■;»  pabb  est  sans  doute  la  date  a"abb, 
«  le  29  du  mois  »,  et  le  1  est  un  hipsus  calami  de  l'écrivain.  Le  mot 
qui  précède  :  Nna  (on  attend  Nnoin  ou  quelque  chose  d'analogue) 
ainsi  que  celui  qui  suit  :  p-iïjDbN  n'ont  pas  de  sens.  —  N°  lxxxu  : 
■':>i«ij.  TyNi,  «  celui  qui  m'est  cher  entre  toutes  les  créatures  ».  — 
N"  Lxxxvii  :  'riT^N'^ûNi,  lire  nrNy:i<i. 

1.  Cf.  lievue,  L,  p.  183,  texte,  1.  2. 


58  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 


XXXI 


Fragment  d'une  lettre  des  communautés  du  Caire 

A    CELLE    d'AsCALON. 


Le  11°  XXXIX  des  textes  édités  par  M.  Worman  me  fournit  l'occa- 
sion  de  choisir  un  fragment,  analogue  par  le  contenu,  qui  se  trouve 
dans  la  collection  de  Budapest  (numéro  provisoire  21).  Cest  un 
fragment,  comme  on  va  le  voir;  le  texte  coupé  ne  se  poursuit  pas 
au  verso,  qui  est  recouvert  d'autres  notes  d'un  caiactère  commer- 
cial. Ce  texte  semble  —  c'est  ce  qu'on  peut  inférer  des  corrections 
—  être  le  brouillon  d'une  lettre  adressée  par  les  collèges  rabbi- 
niques  de  Fostât  et  du  Caire  à  la  communauté  d'Ascalon,  à  l'occa- 
sion d'un  malheur  {ri-'i-\)  survenu  aux  trois  communautés  juives 
de  la  capitale  égyptienne.  Malheureusement  le  fragment  s'arrête 
exactement  à  l'endroit  où  le  véritable  sujet  commenceàêtre  exposé 
en  arabe. 

"ry   û"'3niTn  l  •ijL-ci2  ""«D-m  non  "'biù-^n,  i^^by  ■'Di-i^  pni:n  ■'b-'N  ^n 
•^nm    by    D-'i-inn   |    r-n2:70D   □i-T^nTr;   wj^   nbr,^^   m   ^^^n   tz,"a   bzi 

n'5"iao  -iNDPn':'  "i">T'  rroyTj  i'ya7j  -12:3  1  -ion  m^r'?  □"'-ir;?:"^  m-nr 
^STi-i  m'înp  wmp  zy  r-iix^i:  -rcT'  ["'î'^^ns  |  ï-rpni:  ^'C^y  ■;v'?r 
amn  uînip-  ^T^pr,  2-  an  tt'dt  ■^yzl^^\  cV^o  ■^-•tûtc  |  r-cp-t:i 
C:d-i3"'  I  c-'-ip-'-i  'r:-'ri::Nri  □"'-l'iî'^n  a-^rrcnr!*  "[V^pcN  î-iriTDD 
■>'^2  ly  ï-iD-3  I  nrrby  p-^i-^i  ip-ti:  i-^To-^n  nDT^n-^T  d-i7:'>2:'t  irnbN 
CDyiDVT  ub'.yb  \  Ninb  m^3-in73n  nr::pn  r-n-ii:n  v^  ab-^i:"^T  ''t 
nyrcn  ■'-13  rdiD  l'-rN-i'C'^]  mno-wî  M-ip7û   !:n*"ry  □■'■'p'?  ^^r:'^^^y   nrion 

•i["'7û]'n733    n-w-iy-    sibTijrt    inx    "':i    3    n[D-im    ajibc    211    inc 

1  ;ab;iJ73T  ^  Yj''-\  t3  ■':o  *  i;n  "i;?27:i  mbc  n73"'?2nn  |  in-nn7:T  o^yo 
Ï-103D1  Q-iibann  no33T  D-'T^baiT^r;  moro  bnp  mbi:»?;-  r-nbnpn 
t=53"'nN    nm'r^D    '^C3-«nbN    ']-'-iwS"'   mn^xp   bwS   *nN"npn  r!Dib7:n    T'y* 

1.  Corrigé    au-dessus    de    la    ligne  ;    le  texte    priinitil'    l'tait  :   \:;j<"13    DCH  ^31p3 

D"^3pTm. 

2.  Il  y  avait  d'abord  ';">i  n"'3. 

3.  Gorrectioii;  texte  primitif  :  nmbwr!  n"«y  nNi-,pn  mnxpbN  bnp. 

4.  Correction  ;  d'abord  :  i;m^. 


MÉLANGES  JUDÉO-ARAUES  59 

r-ibDn   ba   aan^'a   ^^:n'G  rT^'O-'O  s-^T^on   inb»  "^sobT^    pii"!    |    rr^rr'O 

tiDarT»!    r:72Nt>obN    asb    nbbx    d^sin    DD^aby:  n;nn    ibsi] 

T-iT^'^LiybN   H'nbN   N;a  b^^riwS    N72b    r;:iï  noxibNi    fiTon-ibN 

Budapest. 

I.    GOLDZIHER. 

1.  Je  suppose  qu'il  y  avait  là  uue  pluMse  telle  ipie  ■<  ceut  «pii  sont  tcuus  Je  vous 
aimer  »,  comme  par  exemple  dans  Wormau,  u*  lxx  :  nmiTO  Vin^W- 


LE  NOM  DIVIN  DE  VINGT-DEUX  LETTRES 

DANS  U  PRIÈRE  QUI  SUIT  L\  BÉNÉDICTION  SACERDOTALE 


Nulle  part  peut-être  dans  la  liturgie  juive,  le  mysticisme,  avec 
ses  formules  énigmatiques,  n'a  persisté  avec  autant  de  ténacité 
que  dans  la  prière  qui  suit,  aux  jours  de  fête,  la  bénédiction  sacer- 
dotale Birkat  Cohanim.  Nous  essaierons  ici  d'exposer  l'origine  et 
d'expliquer  l'introduction  et  le  maintien,  dans  les  rituels,  de  cette 
étrange  prière,  qui  se  récite  encore  de  nos  jours. 


Les  phières  avant,  pendant  et  après   la  bénédiction   sacerdotale. 

Les  trois  versets  de  Nombres,  vi,  24,  25,  26,  qui  forment  la  béné- 
diction sacerdotale  figurent  dans  la  liturgie  tant  des  jours  ordi- 
naires que  des  jours  de  fête.  Cette  bénédiction,  d'une  concision 
admirable,  a  paru  justement  un  peu  trop  brève.  Ne  comptant  que 
quinze  mots,  elle  finit  à  peine  commencée.  Il  s'agissait  donc  de 
l'élargir,  de  la  développer,  c'est-à-dire  de  l'encadrer  d'autres 
prières.  On  a  commencé  par  mettre  dans  la  boucbe  des  prêtres 
une  eulogie  introductive  et  une  conclusion  sous  forme  de  vœu 
[Sôta.  39a-6;  Nombr.  IL,  ii,  éd.  Vilna,  p.  33ci.  L'eulogie  fut  ainsi 
conçue  :  b^nw  173^  n.s  ^nsb  i;i:iT  inriN  bia  ir^J'npa  lî^anp  -icjn 
nnriNa  «  qui  nous  as  sanctiliés  par  la  sainteté  ({"Aaron  et  nous  as 
ordonné  de  bénir  son  peuple  Israël  avec  amour  «. 

Le  texte  de  celte  eulogie  est  resté  le  même  jusqu'aujourdiuii  '. 

1.  Le  Sitlilour  du  Gaon  Amraiii,  pour  pnS  b'C  TP"w"np3,  nu't  TTI^':::,  éd. 
Varsovie,  p.  11  :  llulac/iol  GeJolot,  éd.  Hildeshcimor,  p.  'J22,  otlre  les  deux  variantes. 


LE   NOM    DIVIN   DE   VINGT-DEUX   LETTRES  61 

Eti  achevant  la  bénédiction,  les  prêtres  devaient,  à  Tépoque  talmu- 
dique,  prononcer  linvocalion  suivante  :  nmbs  'n  '^-îcbw  '|^]£-l  "'rr» 
)^T•\  bT::DW  na  i<rf  «b  btrm''  yjy  pn  "^-ab  iDn-«i2:o  it  riDna  Nnno. 
c  Qu'il  te  plaise  que  cette  bénédiction,  par  laquelle  tu  nous  as  pres- 
crit de  bénir  ton  peuple  Israël,  soit  sans  esclandre  ni  pécbé.  >♦ 
Cette  prière  a  changé  et  de  place  et  de  texte.  Destinée  à  suivre  la 
bénédiction,  elle  précède,  au  contraire  l'eulogie,  sans  doute  par 
suite  de  la  décision  de  Maïmonide '.  Son  texte  a  subi  une  série  de 
modifications  -. 

Enfin,  se  détournant  du  peuple,  la  l'ace  vers  l'arche  de  l'alliance, 
les  prêtres  ont  à  dire  :  ht:  i:?:y  n'::y  nrby  n-iTV^a  n73  iru:r  j'"ï5a-i 
'iai  r!S'^pï:n  ,"\:nri:::nr;u:.  "  Maître  du  monde,  nous  avons  fait  ce  que 
tu  nous  as  enjoint,  toi,  fais  ce  que  tu  nous  as  lait  espérer  »,  puis 
le  verset  du  Dentér.,  xxvi,  13.  Cette  prière  a  gardé  sa  place  et  n'a 
que  légèrement  changé  de  texte  ^. 

Les  additions  à  prononcer  par  les  prêtres  furent  admises  sans 
controverse.  Mais  une  discussion '*  s'éleva  sur  le  point  suivant: 
comment  le  peuple  doit-il  écouter  la  bénédiction  qui  le  concerne? 
R.  Zéra  au  nom  de  R.  Hisda  (ce  sont  eux  qui  ont  aussi  transmis 
l'eulogie)  recommandent  à  la  communauté  les  trois  derniers  ver- 
sets du  Psaume  cm  qui  commencent  chacun  par'n  nD^a.  Au  mous- 
saph  du  Sabbat  le  peuple  doit  —  d'après  R.  Assé  —  répondre  par 
les  deux  premiers  versets  du  Ps.  cxxxiv  et  le  dernier  du  Ps.  cxxxv. 
Au  minba  du  jeûne  on  récite  —  d'après  R.  Aha  b  Yacob  -  trois 
versets  de  Jérémie   xiv,  7,  8,  9i  ^.  Dans  la  prière  de  Nnla  de  Yom 

1.  Mischné  Tara,  Hilch.  Nesial  Kappaim,  xiv,  12.  Maïmonide  expliiiue  -pr  ^3 
rr'yiO  [Sola,  39 «;  comme  nbyb  T'bs")  "Ipiy,  quancl  le  piètre  part  pour 
monter  sur  l'estraile  ;  en  réalité,  cela  veut  dire  que  le  piètre  (luitte  la  place  où  il  a 
prononcé  la  bénédiction. 

2.  Nombres  Rabba,  ch.  ii,  4  !éd.  Vilna,  43f)  :  M"?c  pour  NT'  :  Hdlachof  Gedolof. 

p.  221  :  nn"'i::o  nr  n^-a  n-po  i:m2j<  "^ribNi  "i;"'nrN  'n  "^"izibjz  -i"n' 
DbiT  ^^7^  rtpyT^    i-  "ii""i    "[-ty  '"^rcz^z  ~a  •'n-'  bx  bx—:;"'  y2y  rs  i^ib. 

—  Siddour  Amram   (Vaisovie,  p.    \[b   :    n2~ia   NrîPw    "irTibs   'rt  T'rDbT:    "l"""' 

pyi   bicr?:    na  xn-  bxT  i:b  —-es  ^m^'C  ~7:y  PwX  "^"ab  "i:p^i:c  it 

Ob-ir  lyi  -Pyr.  —  Mahzor  Ytlnj  B.Mlin.  1889,  p.  100-101)  :  i:"<r;bx  '-  r:"-\Tr^ 
bncor  na  «rp  Nbi  nn-'boT  -icr  r;a-Na  bx-i-C'  ...n^pu;  irpiaN  TibNi 
ûbiy  "T^T  np^TO  '\^y^.  —  Maïmonide,  xiv.  12  :  naia  rpnno  'n  'n  ^""in'' 
\\y^  ?r::a7o  na  -^n^  b.sT  riTa-bo  naia  bsTC-»  'yny  nx  ^nab  isp-^iî:*:;  it 

0513*  in  nr^yiZ-  C'est  presque  la  même  version  que  celle  <|ui  a  pénétré  dans  le 
Schoulhun  Aroucli,  Orah  llui/i/im,  §  128,  12,  et  dans  la  lituririe  actuelle. 

3.  Hulacknl  Gedolol  ont  rSTOD  pour  n73.  M-  Viti;/  omet  '^Z'Cy,  .\hoiidarliani  l't 
Sclioullian  Arouch.  Or.  lia;/.,  12.S,   15,  mettent  rtPN  a  sa  place;   lleiilerdieim  dumie  : 

•i:pn:2ar;  -icxs  tzny  --ry  nPN  qx. 

4.  V.  Zunz,  Die  Ri/its,  Berlin,   lSo9.  p.   14. 

o.  Sola,  39  6.  Dans  le  Talmud  palestinien,  les  trois  dires  sont  transmis  par  un  seul 


62  HEVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

Kippour  la  réponse  du  public  devait  comprendre  les  trois  derniers 
versets  du  Psaume  cxxviii.  On  voyait  dans  ces  réponses  de  la  com- 
munauté une  manifestation  de  reconnaissance  envers  Dieu.  Les 
uns  voulaient  en  restreindre  l'emploi  au  seul  temple  de  Jérusalem. 
Les  autres  les  trouvaient  tout  à  fait  inconvenantes,  comme  si  un 
serviteur  négligeait  d'écouter  la  bénédiction  de  son  maître. 

C'est  pourquoi  les  Halachot  Gedolot,  le  Siddou?'  Amrnm  et  le 
code  de  Maïmonide  ne  font  aucune  mention  de  ces  versets  et 
Jacob  b.  Asclier  ixiv  siècle]  les  désapprouve  '.  Son  contemporain, 
David  Âboudarham,  connaît  un  usage  en  vigueur  chez  quelques- 
uns,  qui  accompagnent  d'un  verset  biblique  chaque  mot  de  la 
bénédiction,  mais  il  ne  l'approuve  pas  non  plus-.  Le  Mahzor  Vitry, 
au  contraire,  fait  l'énumération  complète  de  ces  versets  qui  sui- 
vent chaque  mot.  tandis  que,  dans  leïalmud,  les  réponses  ont  lieu 
de  verset  à  verset.  Ces  versets  sont  presque  les  mêmes  que  ceux 
qu'on  récite  aujourd'hui  encore  dans  la  synagogue-*. 

Mais  nous  ne  sommes  pas  encore  au  bout  des  additions  d'origine 
talmudique.  Si  l'on  est  inquiet  d'un  songe  à  présage  douteux,  le 
Talmud  le  babylonien  de  même  que  le  palestinien)  recommande 
de  prononcer  pendant  la  bénédiction  des  prêtres  une  prière  qui 
tend  à  réaliser  les  songes  favorables  et  à  paralyser,  à  «  guérir  » 
les  songes  funestes.  Le  babylonien  ajoute  encore  une  autre  prière 
non  moins  efficace  :  ûnb;r  'yrz^^^  mb^j  rtrN  nma^a  pTO  ai-i7:3  T'nN 
mbo  i:^b3>  Q"'Tz:nï3  73"-)  tt'  -*  - 

Au  temps  de  R.  Asclié  1  v«  siècle)  un  amôra  (Amémar,  Mar  Zoulra 
ou  R.  Asché  lui-même)  rapporte  cette  prière  comme  tout  à  fait 
inconnue  de  ses  collègues  "^   Le  Siddour  Amram  l'adopte  encore 

rabbin  :  R.  Houna  {j.  Ber.,  2c,  25)  ;  Ps.  cxxxv,  21,  est  remplacé  par  cxxxiv,  3  (le  seul 
Terset  qui  se  soit  maintenu  dans  le  Mahzor  d'aujourd'hui^  de  sorte  que  le  Psaume 
cxxxiv  est  entièrement  récité.  —  So)»bres  R.,  ii,  4  ^éd.  Vilna,  p.  43  cdj  suit  la  ver- 
sion babylonienne. 

1.  Tour  Orah  Haijyim,  §  128. 

2.  Séfer  Aboudarham,  éd.  Amsterdam,  1726,  p.  43;  pareillement  Schoulhan 
Arouch,  Or.  lia;/.,  S  128,  2t).  et  même  la  glose  de  Moïse  Isserles. 

3.  Mahzor  VHrij,  \\.  101.  Toutefois  il  l'iiut  noter  les  divergences  suivantes:  Ps. 
cxxiii,  1,  ■'D'^j-rc*  "^ri^w*;  "T"»bN  et  Ps.  x.\v,  o<'CN  """Cd;  'n  ']"';'N  cliani.H>nt  de  place. 
Après  le  second  T^OD,  M.  Vilry  met  ■':«  p"«DNT  "*:?  "D  ''l'CiZ  ~"':t  ""iPOn  bi*  'rt, 
contaminant  Ps.  xxvii,  9,  ou  en,  3,  avec  i.xxxvi,  1,  tandis  que  dans  le  rite  actuel  il  y 
a  Ps.  cil,  3.  Le  plus  frappant  est  que  jiour  Nombres,  vi,  27,  "'TC'C'PN  ^T^'tlîl  japrès 
DiZ3"'l)  M.  Vitrij  met  Ps.  cxxxii,  17  :  mib  pp  r!">7:^i<  a'j.  comme  s'il  avait  lu 
D"Ô  pour  ab. 

4.  Ber.,  Ûb  ;  j.  Ber.,  9  «,  l.'i. 

5.  Ber.,  53  6,rT'-13nb  Tv'-S  y">730  Nri  Nnb-»':.  j.  lier.,  'J^j.'n  2C3  -:!■'  '-I 
H^^n  ■'i:"!  ""n  a"in:n  rapportent  la  prier.',  sans  le  0117:3  "flN- 


LE   NOM   DIVIN    DE   VINGT-DEUX   LETTRES  63 

pour  celui  qui  esl  inquiété  par  un  songe'.  De  là,  elle  a  passé 
au  Mahzor  Vitry  '-.  Méir  Ha-Golien  nous  apprend,  que  son 
maître,  R.  Méïr  de  Rolliembotirg  ixni«  siècle  i,  avait  Ihabitude  de 
réciter  ce  yo"a"-i'.  Mais  au  \vn«  siècle  encore  lesaya  Honrvitz 
n'y  oblige  que  ceux,  qui  sont  eiïrayés  par  un  songe  '.  Dans  les  Mah- 
zors  courants  cette  restriction  est  tombée,  le  y^jV"'.  modifié  de 
place  en  place  devint  obligatoire  pour  la  communauté  entière  et  le 
m"i733  ■^"'^i<,  altéré  quelque  peu,  a  pénétré  jusque  dans  la  liturgie 
quotidienne^'. 

Si,  avec  la  guérison  des  songes,  la  superstition  est  déjà  entrée 
dans  le   rite  de  la   bénédiction,    une  addition    plus  grave  allait  • 
encore  intervenir.  Elle  est  empruntée,  non  plus  au  Talmud,  mais 
à  la  Cabale.  Le  point  de  départ,  c'est  le  Se  fer  Raziel'^,  qui  se  sert 
pour  ses  amulettes  de  ce  groupe  de  mots  mystiques  : 

.Q-^on-^T    D^CDCl;    DPCS    DPP2N 

Une  fois  ce  groupe  de  mots  est  suivi  des  versets  de  la  bénédic- 
tion', une  autre  l'ois  le  mot  q-'Decd  s'intercale  dans  ces  versets^. 
Voilà  donc  un  rapport  établi  entre  la  formule  mystique  et  la  béné- 
diction des  prêtres  et  voilà  un  motif  sufllsant  pour  broder  sur  ce 
thème  une  prière  finale  pour  la  bénédiction.  C'est  de  quoi  s'est 
chargé  Nathan  b.  Moser  Hanover  Aschkenazi  (.vvii«  siècle)  en  rédi- 
geant un  liï-i  Ti"^  qui  s'est  cristallisé,  si  j'ose  ui'exprimer  ainsi, 
autoui'  de  ladite  formule. 


Le  nom  divin  ue  vingt-deux  lettres. 

A  côté  du  tétragrammc,  déjà  l'ancieiine  littérature  post-biblique 
connaissait  les  noms  divins  de  douze,  de  quarante-deux  et  de 
soixante-douze  lettres^.  Le  livre.de  Raziel  ne  se  contenta  pas  de 

1.  P.  116,  12  «. 
•2.  p.  102. 

3.  PT^-^nTo-»?:  PTr::ir!  ad  a'SD  PX"''w:  'b:^.  \iv,  ~. 

4.  D''7:'>:;n  "l^O,  Amsterdam,  1711,  ;"7:p. 

'ù.  La   version  courante  est  :   ri"'3   "^7:^'    b'D   5^1    t;"?"   a''bp"w   n"n"'    ...T'IX 

6.  Zunz  iGolfes(Jienslliche  Vortrnge,  2e  ci.,  p.  177)  le  date  du  \r  siècle. 

7.  liaziei,  Amsterdam,  1701.  p.  ti  h  :  la  formule  eutiéi'e  se  trouTe  encore  p.  4i6, 
p.  45a. 

8.  P.  416. 

9.  V.  L.  Blau,  Dus  alljuclixc/ie  Zauherwesen.  Budaix-st,  1S98,  di.  v.  p.  117-146. 


64  REVUE   DES   ETUDES  JUIVES 

révéler  ces  mystères,  il  en  ajouta  un  nouveau  :  le  nom  de  vingt- 
deux  lettres  ^  Le  mysticisme  ne  pouvait  se  passer  aisément  dun 
nom  qui  compte  autant  de  lettres  que  l'alphabet  héhreu  revêtu 
par  la  Cabale  d'une  sainteté  magique. 

Paulus  (Selig;  Cassel  semble  être  le  premier  qui  ait  essayé  l'ex- 
plication de  cette  formule  mystique.  Il  propose  la  ponctuation 
suivante  : 

«  àvxxTEç,  les  dieux  Hephaestos  et  Dionysios,  qui  persuade,  qui 
gagne  tout  le  monde,  formule  fort  remarquable  dans  laquelle 
Hephaestos  et  Dionysios,  les  xaïosç  de  Zeus.  sont  nommés  Anaktes 
comme  les  Dioscnres-  ». 

Plusieurs  autres  explications  se  trouvent  alléguées  ou  proposées 
par  M.  Grïmwald  : 

"Ava;  7:'.(7TY,acov  Iiowjoç.  Anaxos,  Hephaistos,  oojcrcpoGoi;  (par  exemple 
Hermès),  Dionysos.  'AvàxsiTai  Ai&vûrrco  -'.c-à  Osôjv  â-iTTrctaiç  »  il 
convient  à  Dionysos,  foi  des  dieux,  une  libation-^  ». 

La  deuxième  de  ces  hypothèses  a  donné  lieu  à  une  variante 
spirituelle  :  Anax,'jMephislos  Phosphoros.  Dionysos^;  la  troisième 
fait  trop  d'honneur  a  la  logique  de  ces  combinaisons  mystiques. 

Contrairement  à  ces  interpi'étations  qui  se  flattent  de  découvrir 
des  pro[)Ositions  complètes  pleines  d'un  sens  profond,  d'autres  n'y 
reconnaissent  pas  même  des  mots,  mais  seulement  des  lettres 
amalgamées.  Albert  Katz  y  voit  les  lettres  qui  commencent  la 
prière  :  '^^L'zt2  r^'iujn  3"ip  XD  bNV  Après  d'autres,  cet  acrostiche  est 
également  indiqué  par  M.  Schwab,  qui  trouve  la  conjecture  de 
P.  Cassel  bien  hypothétique  et  met  un  point  d'interrogation  après 

1.  Raziel.  4o  «,  riTTN  2":?  Z'O,  à  lire  PT^nN  3"3  "JD  D^,  nd  normain  -jn  2'C 
mTnX  r3-|N.  v.  Blau,  p.   126. 

2.  Paulus  Cassel,  Messianisc/te  Sfellen,  Berliu,  1885,  p.  92.  Cassel  ne  donne  pas 
de  transcription  grecque;  M.  Schwab  [Vocabulaire  de  l'Anijélolof/ie,  Paris  1891, 
p.  65)  et  apiés  lui,  M.  Griinwald  [MitleiLungen  (1er  Gesellsc/iaf/  fiir  jilii.  Volks- 
kunde,  V,  Hambourg,  1900,  p.  71)  lui  font  lire  à  tort  :  'Avr>.xT£:  "Hiatcr-ro;  r^iii^xci: 
AiôvuTO;  ;  le  mot  Tîàfiçaaii;  qui  d'ailleurs  ne  paraît  pas  exister)  n'a  ici  aucune  raison 
d'être;  Cassel  pense  à  un  dérivé  de  ireîôto,  persuader,  composé  avec  iràv,  composition 
qui  n'existe  pas  non  plus  'c'est  pourquoi  Cassel  hésite  à  la  transcrire^  mais  qui  vou- 
drait dire  :  •■  celui  qui  persuade  tout  le  monde  ». 

3.  Griinwald,  Milleilungen,  etc.,  V.  p.  51,  n.  ad  135 o.  p.  58,  n. 

4.  Denkschrift  zur  Be(/riindung  des  von  dem  Grossherzoglick  Budischen  Ober- 
rate  der  Ixraelilen  lierausgegebenen  Gebelbiicheiituurfs.  Karlsruhe,  s.  a.,  .Appen- 
dice, p.  35.  36,  n.  Voir  le  texte,  |).  92,  n. 

5.  Allgemeine  Zeiliot;/  des  JiKhnIiim.'!,  li'in  mI),  n"  26.  p.  312. 


LE  NOM   DIVIN   DE  VINGT-DEUX  LETTRES  65 

Aiovûff'.o;,  l'élément  le  plus  assuré  dans  celte  hypothèse  '.  L'hypo- 
thèse des  initiales  est  trop  facile.  On  trouve  toujours  des  acros- 
tiches. 

L'auteur  du  ir:^  '''■)yo  est  infatigable  dans  ces  combinaisons 2. 

Il  vaut  mieux  chercher  dans  la  même  voie  que  P.  Cassel,  sauf  à 
ne  pas  essayer  de  découvrir  une  sentence  profonde.  Pour  l'auteur 
du  Raziel  il  ne  s'agissait  que  d'arriver  à  une  combinaison  de  vingt- 
deux  lettres.  Lui-même  n'en  comprenait  pas  les  éléments  cons- 
titutifs. On  s'en  aperçoit  bien  à  la  manière  dont  il  explique  le  mot 
D"'03rT;  il  y  voit  une  composition  de  vi  etû'<03  «  deux  miracles  »  ^. 

L'équation  de  û'^D^m  avec  A-.ôvlkjoç  semble  hors  de  doutée  Les 
rapports  réels  ou  imaginaires  du  judaïsme  avec  le  culte  de  Dio- 
nyse  sont  un  curieux  sujet  d'étude.  P.  Cassel  pense  retrouver  — 
idée  bizarre  —  le  nom  du  dieu  grec  dans  le  livre  de  Daniel  (xi,  38) 
où  il  lit  D'^T5'3  ;]T5n'3i  (pour  d-t:»»  nbî<bn)  «  Dionysos  »  ^.  Il  considère 
la  lutte  contre  l'hellénisme  comme  une  lutte  contre  le  culte  de 
Dionysos*^.  Plutarque  de  Chéronée,  Glaudius  lolaos  supposent  que 
les  Juifs  adorent  Dionysos.  Tacite  aussi  allègue  cette  croyance,  il 
est  vrai,  pour  la  combattre".  On  était  surtout  tenté  de  rapprocher 

1.  Vocabulaire  de  l'Angélologie,  p.  102,  s.  v.  CO-T'T.  H  est  aussi  étrange  qu'après 
avoir  cité  Cassel,  Schwab  (p.  66)  ajoute  :  «  N.  B.  On  peut  lire  'Avaxte;  qui  égale  en 
astronomie  les  Dioscures.  » 


2.  Il  offre  pour  anpDN  : 


pour  QnOD  : 


pour  D''OSDD 


pour  a'>03rT 


^n'^-^n»  rt3"in  lunp  t^-ns  nîn 
m-i»73  "«ssyn  T^ri^np  N3  bx 

";3ic:73  ■'swnnn  nnbo  ""y'vDD 

"^-^mw  baban  nnbo  id'^j'UJd 

w^fTD  ■'îs^nn  nbo  ^y^s 

'j'^mantt  y^"  •^33730  nnc  nn"«bo  "^nno 
^n273  y^D^'  nbo  npD  nn'^bo  ^nno 
n-i^rw  n-'  133730  i3-id  isn^o  mis 


"im3n73  nn-«  '^i7;o  t<;  *]ni:7'^i  ^y-l^•^  wTH 
mman  \"n'^n-'  "«-ino  t2;e33  N-13T  -ix'^  "^m 

Édition  Vienne,  1817,  p.  346,  35a,  38a,  60a,  63a. 

3.  P.  45a;  il  s'appuie  sur  l'analogie  de  l'^DIStlD   T^T,  voir  Krauss-Liiw,   Lehn- 
wôrter,  II,  198. 

4.  Notons  que  Dionysos  figure  aussi  dans  l'oracle  pour  la  «  guérison  des  songes  », 
V.  le  lexique  de  Rosclier,  ci-après  cité,  I,  p.  1033  (ligne  6). 

5.  Messianische  Stellen,  p.  91. 

6.  Ibid.,i).  73,  90-94. 

7.  Voir  Th.  Reinach,  Textes  d'auteurs  grecs  et  romains.  Index,  p.  366,  s.  v., 
Bacchus. 

T.  LV,  N-  109.  5 


66  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

des  initiations  et  fêtes  mystiques  de  Dionysos  les  rites  de  la  fête 
des  Cabanes'.  Le  Talmud  et  l'ancien  Midrasch  semblent  ne  pas 
connaître  le  nom  de  Dionysos.  Mais  dans  la  généalogie  fantastique 
de  Haman,  un  Targoum  présente  des  noms  comme  ûJiorT  na  orn^, 
le  Targoum  schéni  (m,  \)  un  dovT  *i3,  où  Ton  entrevoit  une  alté- 
ration de  Dionysos^.  Dans  le  mysticisme  juif  du  moyen  âge,  Dio- 
nysos eut  sa  vogue,  grâce  justement  au  Se  fer  Raziel.  D'ailleurs, 
on  a  cru  rencontrer  les  traces  du  culte  dionysiaque  dans  la  liturgie 
catholique  aussi  ^. 

Pour  les  autres  éléments  du  nom  de  vingt-deux  lettres  il  n'y  a 
plus  évidence  parfaite,  mais  probabilité.  ûnpîN^  c'est  bien  "AvaxTe;  = 
"Avax£ç,  qui  désignent  les  démons  protecteurs,  notamment  les  Dios- 
cures  ^.  Que  DnoD  soit  Héphaistos,  ou  —  d'après  M.  Schwab  —  u^f'^rToç, 
c'est  possible;  lire  onDE?3  Dp2N  Anax  Méphistos  est  ingénieux,  plus 
ingénieux  que  probable,  puisque  Méphistos  est  inconnu  à  l'anti- 
quité et  qu'il  est  fort  douteux  qu'à  l'époque  du  Raziel  ce  nom  fût 
déjà  connu  ;  le  plus  simple  est  de  penser  à  riiartç,  Fides,  déesse 
de  la  fidélité,  dont  le  culte  grandissait  «  au  fur  et  à  mesure  que  la 
vertu  elle-même  devenait  plus  rare  «  *'. 

Mais  que  veut  dire  û'^ddod,  objet  de  tant  de  combinaisons  invrai- 
semblables? Forger  plus  ou  moins  habilement  des  vocables  grecs 
comme  7:à[x;pa<7tç,  7ra[j.7r£t(7tç,  c'est  se  divertir  à  peu  de  frais.  Y  voir 
Phosphores,  c'est  assez  séduisant,  mais  une  telle  altération  gra- 
phique ne  se  peut  guère  imaginer.  Faire  dire  à  un  cabaliste  Itz'.u- 
TTEtiTiç,  c'est  lui  prêter  de  sérieuses  connaissances  de  grec,  alors 
qu'il  ne  pouvait  avoir  la  moindre  teinture  d'hellénisme.  M.  Bâcher 
a  déjà  très  justement  signalé  l'erreur  qui  consiste  à  attribuer  à  ces 

1.'  V.  Ad.  Biichler,  La  Fête  des  Cabanes  chez  Plularque  et  Tacite,  Revue,  XXXVU 
(1898),  p.  181.  Les  Grecs  ùlaient  disposés  à  reconnaître  leurs  divinités  un  peu  partout: 
a  Der  indische  Feldzug  Alexander  des  Grossen  liess  die  Griechen,  die  bekanntlich  mit 
grossier,  liochst  uukritisclier  Leichlfi^rtii^keit  in  fremden  Gottheiten  die  lieimische 
wieder  fanden,  bei  den  Indern  dionysischen  Kult  vorfinden.  (F.-A.  Voigt,  dans 
Ausfiihrliches  Lexicon  der  griechischen  a.  rô7nischeii  Mi/lhologie  de  Roscher,  I, 
p.  1087.) 

2.  Cité  aussi  dans  Soferim,  xiii,  6. 

3.  V.  Krauss-Low,  Lehnwo)'ter,  II,  200;  Levy,  Chaldàisclies  Wôrterbuch  ûberdie 
Targumim,  n'enregistre  ni  OTl,  i>i  mOT^T.  ni  DOT^I- 

4.  Il  s'agit  de  «  euouae  »  dans  les  autiplionaires  catholiques,  que  Fr.  Michel  et  de 
Martonne  ont  mis  en  rapport  avec  VEvohé  bacchi(iue  :  la  controterse  est  rapportée  par 
Léon  Gautier,  Les  épopées  françaises,  1818*,  1,  p.  368,  369. 

5.  Oertl  dans  le  Lexicon  der  gr.  u.  rôm.  Mythologie  de  Roscher,  I,  p.  334  ; 
J.  Perles,  Etymologiscke  Studien,  j».  135,  voit,  d'après  Laia,  àva^  dans  DISIN,  mais 
V.  Krauss-Low,  Lehnwôrter,  II,  21. 

6.  Wissowa  dans  le  Lexique  de  Roscher,  I,  1483. 


LE  NOM  DIVIN  DE  VINGT-DEUX  LETTRES  67 

groupes  de  lettres  plus  de  sens  que  ne  leur  en  donnaient  leurs 
inventeurs'.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'auteur  du  lîaziel  avait 
absolument  besoin  de  six  lettres.  Résignons-nous  donc  à  recon- 
naître dans  Q-^ccDS  un  mot  de  remplissage  nécessaire  qui,  d'ailleurs, 
s'explique  assez  aisément,  dd&d  n'est  que  le  redoublement  de  la 
première  syllabe  de  ddoej.  Redoubler  «  une  syllabe  du  mot  sacré 
par  une  sorte  de  bégayement  »  était  un  des  procédés  des  caba- 
listes,  dont  M.  Schwab  a  donné  plusieurs  exemples  ^.  cdejod  se 
trouve,  d'ailleurs,  assez  souvent  dans  la  littérature  du  ïalmud,  du 
Targoum  et  du  Midrasch,  comme  pluriel  de  odd'^d  =  'i/Ti<poç. 

Une  fois  créé,  le  nom  de  vingt-deux  lettres  fit  fortune.  Il  entra 
dans  les  amulettes  ^,  il  pénétra  dans  la  liturgie,  par  l'abus  d'une 
ancienne  tradition.  La  baraïta  atteste  que  dans  le  sanctuaire  de 
Jérusalem  les  prêtres  prononçaient  le  tétragramme  ttJ"nE»!i  û«  '. 
Pour  d'autres  noms  mystiques  aussi  la  bénédiction  des  prêtres 
était  un  propos  favorable.  «  Primitivement  —  nous  rapporte  une 
baraïta  —  on  transmettait  le  nom  de  douze  lettres  à  tout  le  monde; 
depuis  que  les  débauchés  devinrent  de  plus  en  plus  nombreux,  on 
le  transmit  aux  vertueux  d'entre  les  prêtres,  ceux-ci  le  glissaient 
furtivement  pendant  que  se  prolongeait  la  voix  de  leurs  frères, 
les  (autres)  prêtres.  R.  Tarfon  rapporte  ceci  :  un  jour  je  suivis  le 
frère  de  ma  mère,  en  montant  sur  l'estrade  des  prêtres,  je  penchai 
mon  oreille  vers  le  grand -prêtre  et  j'entendis  qu'il  glissait  le 
nom  ^  dans  le  chant  de  ses  frères,  les  (autres)  prêtres  •"'.  »  Le  mysti- 
cisme ultérieur  attribuait  aux  prêtres  qui  avaient  béni  le  peuple 
une  force  magique  ^. 

Il  est  donc  bien  naturel  que  la  ('abale   ait  voulu  introduire  un 


1.  Dans  la  recension  du  Vocabulaire  de  l'Angélologie  de  M.  Schwab  [Monats- 
schrifl,  1898,  p.  570). 

2.  Vocabulaire  de  l'Angélologie,  p.  26;  voir  aussi  M.  Griinwald,  Mitteilungen, 
etc.,  V,  p.  23,  n.  ad  n»  16. 

3.  Raziel,  42  6,  amulette  d'une  valeur  générale,  44  6,  contre  les  armes;  dans  les 
superstitions  du  xvi'  jusqu'au  xviii'  siècle  la  formule  est  extrcmeiiient  fréquente,  v. 
M.  Griinwald,  Milleilungen  (1er  Geselhchafl  fiir  judixche  Volkskumle.  V  (Haml)ourg^, 
1900),  p.  17,  23  (u»  9),  31  (n»  37),  50  (n»  128),  51  (n.,  n»  135  a),  58  n.,  66  (n*  '22(;). 

4.  Sôla,  38a;  Nombres  R,,  ii,  4,  8;  éd.  Vilna,  p.  43  6,  45  6,  à  la  mort  de 
Siméon  le  Juste,  les  prêtres,  pour  manifester  leur  deuil,  s'abstinrent  de  prononcer  le 
tétragramme,  Yoma,  39  6. 

5.  R.  Tarfon  n'indique  pas  avec  plus  de  précision  (]uel  nom  mystique  il  entend. 

6.  Cette  baraïta  de  Kiddouschin,  71a,  est  un   peu  altérée  <lans  Nombres  R.,  ii,  8. 

7.  M.  Griinwald,  Milleilungen,  etc.,  V,  p.  26,  27;  c'est  la  même  croyance  qui-  celle 
qui  a  donné  naissance  au  y"'^  ljT3n  el  qui  engageait  à  se  rendre  à  la  synagogue  si 
l'on  avait  vu  en  songe  un  glaive  coupant  la  jambe,  et  d'écouter  la  bénédiction  des 
prêtres;  alors  uul  mal  ne  pouvait  vous  atteindre.  Nombres  R.,  n,  3. 


68  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

nom  mystique  dans  la  liturgie  de  la  bénédiction  des  prêtres.  L'au- 
teur du  irit  ''^'ô  avait  à  choisir  sur  lequel  de  ces  noms  il  devait 
broder  sa  prière.  Les  noms  de  quarante-deux  et  soixante-douze 
lettres  lui  paraissaient  sans  doute  trop  longs,  de  même  le  a""'  la  ûï) 
nmiN  que  le  Séfer  Raziel  (p.  24  «)  composait  de  douze  variantes 
du  tétragramme,  en  somme,  de  quarante-huit  lettres.  C'est  donc 
au  nom  de  vingt-deux  lettres  qu'il  rattacha  sa  prière.  D'ailleurs, 
il  le  met  assez  gauchement  en  rapport  avec  la  bénédiction  des 
prêtres,  invoquant  «  le  nom  grand,  fort  et  terrible  de  vingt-deux 
lettres  qui  sort  des  versets  de  la  bénédiction  des  prêtres  ^  ».  Sa 
prière  elle-même  ne  présente  qu'une  chaîne  d'étymologies  popu- 
laires, obtenues  en  partie  par  des  fautes  de  lecture.  ûnpsN,  avec 
changement  de  d  en  D,  est  résolu  en  TipNi,  -^npiN,  dn  np3K  «  mon 
gémissement  »,  «  le  gémissement  de  l'irréprochable  »,  c'est-à-dire 
de  Jacob.  Dnoc  lui  rappelle  nn  nsD  «  le  morceau  de  pain  de  l'irré- 
prochable Jacob  »  ;  û-«dddd  le  q-'OD  nîns,  la  tunique  de  choix  que 
Jacob  donna  à  Joseph.  Pour  n-^oivi  (au  lieu  de  didîti)  il  suit  l'éty- 
mologie  du  Raziel-,  invoquant  les  lD">D3,  miracles  de  Dieu  ^. 

Le  dernier  chapitre  du  beau  livre  de  M.  L.  Blau  sur  la  magie 
juive  est  consacré  à  la  superstition  dite  étymologique,  c'est-à-dire 
relative  au  double  sens  d'un  mot^  Dans  le  mysticisme  secondaire, 
dans  celui  qui  ne  crée  plus,  mais  qui  interprète  plutôt,  se  fait 
jour  une  étymologie  populaire  qui  se  plaît  à  découvrir  dans  une 
formule  incomprise  des  lettres,  des  syllabes,  des  mots,  enfin  des 
éléments  connus.  Ce  procédé  rappelle  un  des  trois  «  principaux 
artifices»  de  la  Cabale^,  le  notaricon,  mais  c'est  un  notaricon 
involontaire.  C'est  ainsi  qu'on  reconnut  en  cnp5N  le  radical  pSN 
«  gémir  »,  le  substantif  npsN  «  gémissement  »,  et  nous  croyons  que 
c'est  là  le  motif  pour  lequel  on  préposait  onpSN  aux  sons  («  au 

1.  Ce  n'est  même  pas  exact  :  les  lettres  p,  n^  "n,  du  mTnN  3"D  "JD  D'ilî  ne  se 
trouvent  pas  dans  Nombres,  vi,  24-26  ;  '0  ne  se  trouve  que  sous  la  forme  de  Ù3. 

2.  P.  45  a. 

3.  Le  '[T'it  "'"lyUJ  (éd.  Wien,  1817,  p.  63  ab)  recommande  sa  prière  pour  le  temps 
où  les  prêtres  montent  sur  l'estrade.  Il  en  a  aussi  composé  une  variante  pour  la  litur- 
gie du  mardi  (p.  38a6)  ;  ici  le  nom  de  vingt-deux  lettres  est  résolu  en  '^'i'^  nOD,  û'^03 
DP  rpN3,  et  encore  une  fois  "^li  rOD,  D"^Oj.  Dans  la  prière  pour  la  nuit  (nN'"ip 
"1372"  by  yw^a),  il  engage  aussi  à  penser,  en  prononçant  'nD*ia'',  au  nom  de  vingt- 
deux  lettres  (p.  75  6). 

4.  Das  altjûdische  Zauberwesen,  1898,  p.  165-167  ;  aux  deux  sens  du  radical  p"io 
fasciner  et  leinci)-e  (un  arbre)  de  rouge,  on  peut  encore  joindre  un  troisième  par  la 
métallièse  pno  "jb-î*  («  arbre  sans  fruits  »). 

5.  î<">-m7:3,  lip'^nCilD,  rril^On  qui  d'après  le  oby^M  0~1172  sont  signalés  dans 
le  verset  du  Caiiti(ine,  vi,  11,  Tni"'  TliiS  nia  bX-  M.  Griinbaum,  Z.  D.  M.  (i., 
XXXI  (1887),  p.  302. 


LE  NOM   DIVIN   DE  VINGT-DEUX  LETTRES  69 

gémissement  »)  du  schofar  dans  la  liturgie  de  la  fête  du  Nouvel  An. 
Dans  un  appendice  nous  essayerons  de  démontrer  que  le  démon 
n"nD  ne  doit  son  existence  qu'à  un  pareil  besoin  étymologique. 

Ainsi,  la  prière  accompagnant  le  nom  de  vingt-deux  lettres  n'est 
pas  née  d'un  recueillement  pieux,  elle  n'a  pas  jailli  spontanément 
d'un  mysticisme  fervent,  elle  est  un  composé  fâcheux  d'éléments 
factices,  disparates,  laborieusement  rattachés  ensemble.  Tout  de 
même  elle  ne  manqua  pas  de  faire  fortune.  Elle  fut  recommandée 
aux  fidèles  dans  le  recueil  de  prières  rédigé  par  l'auteur  du  rj"b\o, 
Isaïe  Hallévi  Hourvitz  (xvii«  siècle)  '.Et  de  nos  jours  encore  une 
des  tentatives  liturgiques  les  plus  remarquables,  le  livre  de 
prières  que  le  Consistoire  israélite  du  grand-duché  de  Bade  vient 
de  publier,  ne  s'en  est  pas  tout  à  fait  débarrassé  ;  il  l'a  abrégée,  il 
Ta  modifiée,  il  ne  l'a  pas  rayée  2. 


POURAH   DÉMON   DE   l'OUBLI. 

Les  croyances  populaires  tiennent  à  la  conservation  de  la 
mémoire  et  ne  se  lassent  pas  d'inventer  des  remèdes  contre  l'oubli. 
Comme  le  judaïsme  a  toujours  attaché  une  valeur  capitale  à  la 
science  ou  plutôt  à  l'étude,  il  est  bien  naturel  que  la  lutte  de  la 
superstition  juive  contre  l'oubli  ait  été  particuHèrement  acharnée. 
Cette  lutte  est  fort  ancienne  ^,  et  l'on  en  trouve  un  écho  dans  la 
liturgie. 

Oéja  le  Siddour  Arnram  nous  offre  la  prière  suivante  à  pro- 
noncer après  les  adieux  faits  au  Sabbat  :  ^mno  VXnmc  i^hy  n-'j^awK 
D03  Knw-i  'hy^  i^-^-na  hy  îT^n-«  b-«Em  ■':»m  «sdu  ab  -i-'onu}  nnDï)  lis 
b^nno  bN-»  o-^ostt  oto-'TO'^w-in  5«''it«  07o-ii<  ûU53  t<nu5"«np  i*nn?:\a  «  Je  t'ad- 
jure Polliéh  (lire  :  Poi^raA),  démon  de  l'oubli,  de  m'enlever  mon 
cœur  stupide  et  de  le  faire  tomber  sur  les  monts,  sur  les  hauteurs, 
aux  saints  noms,  au  nom  de  Armas,  Arimas,  Armimimas  Ansiss 
Yaël,  Petah'él  '. 

1.  D'^ttïîn  ^yo,  Amsterdam,  1714.  p.  a"73p  :  Isaïe  Hourvitz  iHait  le  contemporain 
plus  jeune  (le  Nathan  h.  Muses  Hannover  Asrlikônazi  ;  la  citatiim  empruntée  au\  "'"lyC 
"jT'lt  est-elle  de  l'auteur  ou  bien  de  1  éditeur  ?  Que  quelqu'un  mieux  rompu  à  ces 
questions  hit)li()2ra|)hiques  en  décide. 

2.  (iebeihuch,  herausgegeben  von  dem  Grossherzoglich  Badischen  Oberral  der 
Israeliten,  Karlsrulie  (s.  a.),  I,  p.  472. 

3.  Voir  l'article  de  M.  Goldzitier  dans  les  Mélanfies-Berliner,  p.  131.  M.  r.ninwald, 
Milleilunf/en,  etc.,  V  (1900).  pp.  66  et  67  (n""  227-233},  donne  sept  formules  magiques. 

4.  Ed.  VarsoTie,  1865,  p.  316. 


70  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

Le  S(?/éT  Raziel  est  plein  de  ces  recettes.  Entre  autres,  il  prescrit 
un  gâteau,  préparé  avec  des  cérémonies  compliquées,  avec  des 
noms  divins  inscrits  sur  les  deux  côtés.  Huit  feuilles  de  myrthe, 
chacune  portant  un  nom,  devront  être  trempées  dans  du  vin. 
Avant  de  le  boire,  il  faudra  dire  cette  prière  :  -i\a  rtmc  ^-^y  x^''yy^\^ 

bî^-'nriDT  bN-'E^D2N  b«"'D3N  bN-'DN  DW-^wiN  ott-'-iDN  DwnN  v^^  Nn^inp 
«nnoT  ..  .A  la  fin  on  mangera  le  gâteau  '. 

En  somme,  il  n'y  a  ici  que  trois  noms  qui  entrent  en  ligne  de 
compte  :  1°  DWMit<  expliqué  comme  Hermès  ou  Ormuzd  par  Jos. 
Perles 2,  comme  Arminius  ou  Rémus  par  M.  Schwab^  le  plus  pro- 
bable c'est  Hermès)  ;  2°  bx-'DîN  le  démon  qui  contraint,  qui  fait 
oublier;  3°bNinnc  ^  l'ange  qui  ouvre  l'esprit.  Ces  trois  noms  sont 
variés,  abrégés  et  allongés. 

D'ailleurs,  il  est  évident  que  le  Raziel  n'a  fait  que  développer, 
«  enrichir  »  les  données  du  Siddour  Amram^.  Ensemble  ils  ne 
forment  donc  qu'une  seule  variante  en  face  de  la  version  courante 
plus  naturelle  et  —  d'après  Jos.  Perles—  originale  : 

En  diminuant  les  lettres  du  nom  du  démon,  on  diminue  le  démon 
lui-même,  on  l'exorcise.  J.  Perles  signale  l'exemple  d'un  pareil 
procédé  donné  déjà  par  le  Talmud  [Pesahim,  -12a;  Aboda  Zara, 
12  6)  :  ■'"1  •^n*'  ■'"i"^1  nnn  nnauî  ^.  On  peut  aussi  rappeler  D'^nn  xb 
■'sn»  «bi  ^"Jn  ^  Q-^rinn  «bi  dans  l'exorcisation  Ber.,  62  a.  Une  seule 
page  du  Se  fer  Raziel  n'offre  pas  moins  de  douze  exemples  '.  Le 
«  ms.  n°  1380  du  fonds  hébreu  de  la  Bibliothèque  Nationale  *  » 
fait  de  même  avec  Dis^anamt*,  iT^pw,  ïJ^n.  On  essayait  même 
d'éteindre  des  incendies  par  de  pareils  exorcismes^ 

1.  Raziel,  42  a. 

2.  J.  Perles,  Etj/mologische  Studien  zur  Kunde  der  rabbinischen  Sprache  und 
AlterUiûmer,  1871,  p.  78  ;  ridentilicatiun  avec  Ormuzd  est  déjà  chez  Schorr,  Halouç, 
Vm  (1889),  p.  12. 

3.  Vocabulaire  de  l'Anyélologie^  p.  74. 

4.  Zunz,  Die  Synagogale  Poésie  des  Millelallers,  1855,  p.  478. 

5.  L'éditeur  du  Siddoiw  Amram,  Varsovie,  1865,  II,  p.  59a,  voit  daus  notre  pas- 
sage une  interpolation  jiostérieure. 

6.  Rasclii  au  passage  de  Abodu  Zaru,  12  6,  expliiiue  déjà  le  decrescendo  comme 
une  exorcisation. 

7.  P.  40  6,  fait  diminuer  tous  les  mots  du  rerset  Canl.,  vu,  6,  et  ensuite  "ilU. 
D1U,  "1173  ;  —  p.  33  6  le  même  pour  (n^~i3î<7;). 

8.  M.  Scliwal),  Supplément  oî/  Vocabulaire  de  l'Angélologie,  Paris,  1899,  p.  22  et  42. 

9.  GTnnviS.\A,  Mitleilungen  der  Gesellschafl  fiir  jitd.  Volkskunde,  V  (1900),  p.  10, 
Q,  5^  _  p.  43^  II»  93.  Ou  peut  aussi  citer  les  Djinns  de  Victor  Hugo,  où  l'apparition 


LE   NOM  DIVIN   DE  VINGT-DEUX   LETTRES  71 

07:"«73"iN  s'impose  d'autant  plus  à  ce  procédé,  qu'une  variante 
0»"'  marque  justement  la  diminution,  la  disparition  du  démon,  et 
une  autre,  o»"'tt"i,  rappelle  quelque  peu  Nnttn  les  hauteurs  sur  les- 
quelles le  cœur  stupide  doit  tomber. 

Mais  que  vient  faire  ici  Pourah  ?  M.  Schwab  '  suppose  que  la 
forme  correcte  rtms  fut  défigurée  en  nmc,  «  par  allusion  à  Isaïe, 
Lxiii,  3  ».  C'est  l'explication  contraire  que  nous  proposons.  A  miD 
qu'on  n'a  plus  compris,  on  a  substitué  rtmo^  qui  donne  un  sens 
suffisant  :  le  irompeur,  le  démon  qui  égare,  confond 2.  Mais  d'où 
vient  Pourah?  On  ne  comprenait  pas  le  mot  dwts-in.  Dans  la  Bible 
entière  il  n'y  a  pas  de  mot  qui  lui  ressemble  mieux  que  DOttiN,  qui 
présente  toutes  les  lettres  de  0tt"«73"iN  sauf  le  '"«^  et  qui,  d'après  le 
témoignage  des  Concordances,  ne  se  trouve  qu'une  seule  fois  : 
Isaïe,  Lxiii,  3.  On  identifia  les  deux,  et  on  interpréta  le  verset 
de  la  manière  suivante  :  «  J'ai  écrasé  Pourah  sans  le  secours  de 
personne,  je  les  ai  écrasés,  lui  et  Armîmas,  dans  ma  colère.»  Ainsi 
d'une  étymologie  populaire  naquit  le  démon  Pourah. 

Bernard  Heller. 


des  démous  est  marquée  par  le  renfuiccmunt,  par  le  prolongement  îles  lignes,  et  la 
disparition  par  le  descrescendo  des  rythmes. 

1.  Vocabulaire  de  l'Angélologie,  p.  219,  où  il  faut  lire  rtnD  pour  HniD- 

2.  L'identification  avec  le  Buit  persan  est  dû  à  la  manie  de  Schorr  (Hàlouç,  VIII 
1869,  p.  12)  et  Kohut  d'expliquer  tout  par  le  persan. 


LES  GLOSES  FRANÇAISES  DE  RASCHI 

DANS  LA  BIBLE 


SUITE 


PETITS   PROPHETES 
OSÉE 

11,9,    riDTTi.    Elle  poursuivra  : 

A    T'-^litp-liD    Porkaçjjér   —    V    -iiitp-ilD     —     W  Y  T     T^iipmE     — 

M  -|i"'2:i"'p-nD  % 
—  16,    rr^ns».    Je  Tattirerai  : 

A  l'i-i'n-iUN  Elrajjmjj  —  F  T^'^nUK  —  f  Nn"'"»-iaNI  —  2  ■>n"'"«npN  - 

m,  2,    m  3  5<  1.    Je  l'achetai  (sens  de  commerce)  : 

Vf  Nr.-'ana  Bargajjne  —    Y  iX^^^y-O  —  AU  Nr^'anû  —  M  N"<'^ra"l2  — 

~  5,    •)  T  n  D  1.    Ils  s'empresseront  : 

Y  :::i-|''D''U52iii<  Ajjnséph-onl  —  T  a2TlU5r"»N  —   8  a'in"'\ar"'N  — 
9  U:-m^D'^'^N  et  deux  lignes  après  :  ::\ai">13p-1  (V3D73  NT^n!  '• 

1.  Voir  Revue,  t.  LUI,  p.  161  ;  t.  LIV,  p.  1  et  205. 

2.  Lire  :  porcaçiér. 

3.  Lire  :  atrayray. 

4.  Lire  :  bargayne  («  mouillée).  Cf.  anglais  i)argain  et  l'article  conreniant  re  mot 
dans  Murray,  iVei/'  English  Dicliotiary. 

0.  Lire  :  eyspondront,  futur  de  cspoindre,  qui  a  clé  confondu  avec  enserrer  par  les 
mss.  autres  que  Y.  Cf.  Gl.  h.  /".,  131,  57,  qui  doit  iHre  traduit  par  exciteront  et  non 
par  s'épouvanteront.  Le  second  loaz  se  lit  :  reconuyst. 


LES  GLOSES  FRANÇAISES  DE  RASCHI  DANS  LA  BIBLE  73 

IV,  13,    1 1  b  N.    Chêne  : 

Y  fc<3ï3"^p  Kéanà  —  Z  fc«3Ujp  —  V  NU)'>p'. 

Ibid.,    Arbre  dont  le  fruit  s'appelle  : 

z  V  o;ba  Gint  —  ry^DDi  —  t  ijanba  \ 

Ibid.,    rtb».    Ormeau: 

YVT  NTabix  oima  —  Z  ^n:>^î<\ 

IV,  14,    t3  n  b  ■•.    Trébuche  :  ce  verbe  indique  la  lassitude  : 

V  T'Tpb"''!   Délasér  —   Z  -i">'J?bn   —   Y  T^lCNb   —    WT  f  T-'ûbT    — 
M  "i'^''tt5b'7  —  A  ""j^b  —  a  l'^wb'^'n  —  y  T>"'ObT  —  8  T^œV^T  \ 

VI,  9,    -^  D  n  D  T .    Et  comme  les  pêcheurs  : 

A  V  ^a-^^l-n^^ii  Ajjmedours  —    F  O-iina"^»   —    VVM  iamnî3''^N    — 
T  ï53nst'73->-'N  5. 

—  11,    nnaa.    Égarement: 

A  Nn^n;a'«'^113J*  Anwejjsdoure  —  f  N-nn;0"^"'3_3j5<  —  IV''  Y  î<-nTC"'"'2"N 
—  m'nii;23"«-»i33"'s  —  u  N-n\a"«"»i3N  —  y  \D-nTI)in3"«N  ^ 

VIII,  9,  T  3  n  n.  Aspiraient  (à  des  amours  adultères),  comme  fré- 
missent les  narines  du  dragon  (la  racine  de  ce  verbe  est 
la  même  que  celle  de  dragon)  : 

A  U3"«-)'^Di4n-!3-«N£'i(/'-a^oncVe/i<—  Y  ra3T^3ia-nN  — Ua3-|"»^^a-n3■'N- 
/'  asTasi-ian»  —  m  ;i3T<3naN-nN  -  x  aT'"'3in3nN  ^ 

X.  7.    S]i£p3.    Comme  l'écume  : 

A  N^^pia-^N   Eskoume   —  MIT    NTûip^a"»»    -    WT   NTOipUJN    —   A 

nN»np'»-'N«. 

1.  Cf.  LIV,  231,  6. 

2.  Lire  :  glaot. 

3.  Lire  :  olme,  flu  latin  ulmum,  détenu  orme. 

4.  Intéressant  certificat  de  vie  d'un  mot  qui  jusqu'ici  n'était  cité  pour  la  première 
fois  que  d'après  un  document  du  xv'  s.  C'est  delassare.  Notre  moderne  délasier  tient 
de  •  dis  4-  lassare. 

o.  De  *  hatnalores,  tiré  de  fiamus. 

6.  Cf.  LIV,  218,  2. 

7.  Lire  :  éndragonért.  Cf.  Gl.  h.  f.,  132,  84. 

8.  Lire  :  éscume. 


74  REVUE-  DES  ÉTUDES  JUIVES 

X,  H,    rTi»V>tt.    Aiguillonnée: 

A  Npr"'iD"liD  Porpojjnte  —    W  Y   Na2"'"'1Q-nD  —  TV  U3"«"'nD-|"ID    — 

Ibid.,    mttb».    Piquée  par  l'aiguillon  : 

A  w   -jlbiiiaN     Agojjlon    —     7  K  M    -j^iibiaN    —    z    'jinb-'iaN     — 

XIII,  13,    Q  "^  3  n   "1  a  ttj  72  n.    Sur  la  chaise  (de  raccouchement)  : 

À  V  «biuj  Séle  —  FT  Kb-»;::  —  M  «b-'-'it  —  A  Nb"»''"^  —  c  «b-iffi. 

XIV,  1,    DT13  N  n.    Sera  reconnue  coupable  : 

A   N^Elbip2^<    an'^N-I"«i<   Èdért  ankolpade    —    F   IST^pipDN   ï3TiN    - 
T  yibDDipN  UT'N  —  cj  NT'sbipDN  UT'''N  *. 

JOËL 

I,  n,    T  U3  a  y.    Ont  moisi  : 

V  l^U5i">l73  Mojjséd  -  /"  T'Ta'i'^itt  —   ^  Ni;iN"'\15i;^i7D  —  AMT^UÎ-^-^in  — 

T  N-nTDi->ia    —    Y  uîbp-i'^ii:  yi«T  \zjm-i  usniujiTa  \ 

IV,  10,    0  5  TIN.    Vos  coutres  : 

^T    M^nubip    KoUret    —     WYZ    UJiabnp     -     V    «"lubip    —     M 

\0"»nubip  ». 
/ôèrf.,    d  D  "^  m  n  »  T  tt .    Vos  serpes  : 

AVI  U5E3-1UJ  Sarpes  —  W  N\î5Dn«  —  Y  ^zrm  —  M  U52:Dn\0*. 

V,  11,    T  «)  1  ^ .    Pressez-vous,  venez  en  masse  : 

AVWYl  N\î5:a  Mase  -  Z  «u:a  —  M  aUJNtt  '. 

—  16,    non».    Abri  : 

A  n-^N-^-iaN  Abriér  —  FUM  niN"'-|2«  —  Y  nN^DN  —   Z  -l«'''»n3N«. 

1.  Participe  passé  de  porpoindie. 

2.  De  *  aculionem;  cf.  Gloss.  de  Reichenau,  849  (aculeus  :  aculionis). 

3.  Lire  :  Éd  ért  (lat.  erU)  ancolpéde  (lat.  '  inculpa  ta). 

4.  Lire  :  moysir.  Y  explique  moysirenl  par  :  roves  desoç  cercles. 

5.  De  cullrum. 

6.  Forme  primitive  du  mot  actuel  serpe,  de  *  sarpa. 

1.  Lire  :  mase  =  musse.  M  donne  :  masaç  (lire  V  au  lieu  de  U). 
8.  Cf.  LIV,  2i,  7. 


LES  GLOSES  FRANÇAISES  DE  RASCHI  DANS   LA  BIBLE  75 


AMOS 

1,3,    nisrnna.    Avec  des  scies  : 

WV}i  mu-'b  Lhna\ 

II,  7,    D  "^  D  N  u)  n,    Aspiren.t  (à  abaisser  dans  la  poussière';  : 

A  ZW  YV  .K  '^1'::•\b^y  Goloser  —  M  F  T'i^lbia  —  G  -1^5155  *. 

—  9,    û  ■*  3  T  b  N  :: .    Comme  des  chênes  : 

Y  <0j^"')5  Késnes   —   Z  G  F    233Ta"'p    —    ^  T  U33Tap     —     V    NDU)''p 

W'C33-^ip  -  M  c:p  —  A  \a3\ap». 
IV,  7.    M  p  b  n.    Une  plaine  : 

A    «r-iDSp  Knpjjna   —  Z  N373np   —    Y  ÏJ^ttip    —     M     fi<rmp 
T  «3T73ip  *. 

—  11,    TiNr).    Comme  un  tison  : 

A  iio"'a  Tison  -  WYMT  piT'^ù  —  >";ira. 

VI,  4,    p  2  n  ».    Parc  (où  l'on  assemble  les  taureaux)  : 

A  T'bçip  Kopléd  —  WVZYyiT  «bEJip  «. 

VIII,  13,    n3Db:>nn.    Se  pâmeront  : 

A  T^TgipD  Pasmér  —  W  FZ  FMT  Ti»\OD. 


OBADIAH 
1,3,    "^  1  a  n  3 .    Dans  la  cîme  : 

A  N3"'"'Ç3'^'''nD  Frajjtéjjne  —  f  ..  •X^^^'^p  —  W  NU-^-'nD  —  K^^taS'^nD  — 
V  T'U^ID    —    A  y"«a"'"'"lD   —    T  u;'^;''"'a"'''"lD  —  m  'Ji"^13"'t3''1D  (?)   — 

F  N;ar"'œ::"'-<-iD  —  u  Nii-'-'unD  —  a  a"'3:''t:"'"'nD  *. 

1.  Lire  :  lime. 

2.  Tiré  de  gulosus. 

3.  Cf.  LIV,  231,  6. 

4.  Lire  :  canpayiie,  avec  A.  Y  et  Z  donnent  combe  et  combes;  M  comine,  sans  doute 
pour  comuue  donné  par  T. 

5.  Cf.  LIV,  226,  3. 

6.  AT  F  (en  supprimant  le  premier  "O  dans  ce  dernier)  lisent  fraytéyne,  de  *  frac- 
tanea.  A  u  et  ff  ^o^l  il  faut  lire  ê<i:  au  lieu  do  ^'^iî  donnent  fraytiç  «/ fraytiça,  de 
*  fraclicia.  1'  donne  fraitid,  de  'fractituui.  W  trayte  de  fraclu.  Y  et  M  soûl  corrompus. 


76  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

I,  14,    p  "1  B  n.    L'angle  (des  routes)  : 

V  ai-iu  Tro}  —  T  5l-i£2  —  AYiiAWYZ  l^-^'^U  ^ 

—  16,    "1  y  b  1 .    Ils  seront  étourdis  : 

VkF     'j'lU5"''TmaU3'^N       Estordison        —       Yl     a51~."^nnm2)'^N      -- 

—  20,    PDiit.    Les  Interprètes  disent  que   c'est   le    royaume 

appelé  : 

A  Nirp-lD  Frençe  —  AFTZ  F  NirSID  —  M  N1S3TID. 

—  21,    UDiab.    Pour  juger: 

A  "T'^'^UTan'^  Joustisér—  V  'T'St^D'iaT^  —  F  "T>U)"^c:\25T^  —  T  T^T^taiÛT' (?) 


JONAS 

1,6,    bann  3"i.    Le  chef  des  marins  : 

A  Ï3nin3-i3ia  Gobemeàors  —  A  F  F  lamTlîmA  —  V  ï3-m3-|''3na 

w  -nN3-ima  —  MT  ^D-nî-i-'Dia *. 
IV,  8,    E)  b  y  n  -^  1 .    Il  se  pâma  : 

ACFT^VVZFF  ^''TJ'^ÎD  —  Psmer  —  /  M  -|"i-'73WE  *. 


MICHAH 

I,  11,    b  îs  N  n  n  -^  3.    La  maison  construite  dans  V alignement  de 
la  voisine  : 

f  C33»pM5^'N    Ajoustemant  —    V  ur73"'t2\aVN   —    Y   Vi:^12'L:^^^»  — 

w  'û'i'mz^'i'^»  —  z  iDDTûUTD-^N  —  A  :3pi72av;pN  —  t  :::i?3uu3nn  - 

M  :3r73:2U5NlTON  \ 


1.  Cf.  LIV,  232,  2  et  Dict.  général  :  troche. 

2.  Cf.  LIV,  n,  3. 

3.  Lire  :  govémerlors  de  gubernatores. 

4.  Lire  :  pasmer. 

5.  De  •  ad  +  juxtare. 


LES  GLOSES    FRANÇAISES  DE  RASCHI  DANS  LA  BIBLE  77 

II,  4,    T  3  T  U5  : .    Forme  complexe  à  la  fois  active  et  passive  signi- 

fiant :  nous  sommes  livrés  aux  mains  d'hommes  qui 
nous  ont  dévastés  : 

f  ïîij  a-i-^uNaT  uîwiuî  Somes  degatéri  nos  —  z  aDiaïîauj-n  U37:1ï: 

urLJïiiT^n  —  M  :::-i^a'ijim  «jm«  -  t  \23i3  ;z5"<:n"'au5nn  ïj»iu;  — 
o  ;si:  L53T?3C3rii  uj-'Wt::  •• 

Ibid.,    ■'b  Tû'^tt"'  T"^K.    Comment  se  dctournera-t-il  (pour  aller) 
vers  moi  : 

A  ■'•'72N  Nn'nbia^U'^ny)   Npip    Rome  se  désloldara  amajj   —   T   Dis 

"'"''^îl  'ÏT!^'i;::w"'nç   —   f  •>•'»«  Nnnbiap"^"!   i<\a   çijî    —   r  mp 
■'irN    'T'biuïî-'T^c    —    <j   ■î"'5ÇN   Nn3-ii:2p"^"iU5   aip   —   r    Dis 

III,  3,    n  n  b  p.    Marmite  : 

A  NTibp  Kaldére  —  WYVl  NT^nbp  —  M  î^T^-^nbp  -  Z  N-^mbp  ». 

IV,  3,     n  D  TD  n.  Et  il  jugera  (sens  de  réprimander)  : 

A  :2pi»5TC'^"^nT  Derajjnemént  —    Y  USSj'^UJ")*!   —    V  ÙîTO^Û"'"!''"!   — 
Z  a573"'3U5'^-|-I  —  X  a37a3"«"«-n  —  T   Ù3»3tt3'<nT  —  M    a3"'7:3'^''-lW^T  *. 

NAHOUM 

I,  10,    N  b  tt .    (Herbe^  remplie,  c.-à-d.  complètement  mûre  et  prête 
à  se  dessécher  : 

V  niaiUJN   Asobiâ  —  T  -|^3itt5N  —  AZ  -y^yWtH  —   M  T^-^aïUλ  — 

11,8,    mansw.    Se  lamentant  : 

A  C33-«^W1Ta  Sedemajjnt  —  V  a3721«  —  T  ara3ittTq  —  Y  a33-'70"^1ÏJ 

-  m' a3-'r'::-"»"'i^  —  /'•j:;»tj  -  z  U373^'>«  -  a  ar:»"»-!*^;?*. 

i.  Lire  :  degastérent. 

2.  Lire":  déstoldra.  Cf.  LIV,  6,  3.  <j  lit  :  se  di-stornera. 

3.  Mod.  :  chaudière,  de  caldaria. 

4.  Cf.  Lm,  184,  6. 

5.  Lire  :  asovid,  participe  passé  de  asovir.   Cf.  Godefroy  :  assovir,  et  Dicl.  gén. 
assouvir. 

6.  Lire  :  se  démentant  (de  demenlare) . 


7»  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

II,  10,    m  »  n  "^  b  D  b  D  tt  T  3  D.    Balai/ant  tous  les  objets  pré- 
cieux : 

V   UDaipm     Askobanl    —    iil  A  Z    a3mp\UN     —      Y    a33npu:''N    — 
T  U3*D3ipU3N  \ 

—  U,    npbnwT.    (Ville). ..  forcée  : 

f  N'I'^pi'iaïpiN    Ésbrajkide   —  A   rTT'U"lD'fflN   —    Z    NT«ai3"^N    — 
M  NT^U-ISID-'N  —  T  Nn-^unDUJ^N  —  Y  t<T'\2J'i-13ÏJ-«N  —  a  «n-'Unsp'^N 

—  14,    n  3  n  n.    Son  «  armée  de  chariots  o  (le  mot  hébreu  a  le 

sens  collectif)  : 

^  V"''ÎP''"!1P  Karajkediç  —  Y  y^'^'^p_  —  V  y'S-'^ip   —   X  y-'T^mp 

y  V"^«^"'i<-ip  ». 
111,3,    3ïibi.    Et  la  lame  (du  glaive)  : 

AWYV f  ,»'i-^T2hi^     Aleméle     —    T     Nb>pbN     -     2X    «b-'^bN     - 
M  «b'^abb-'N  —  À  ajoute  :  "jna  Bran  *, 

Ibid.,    pnan.    Et  l'éclat  (de  la  lance)  : 

>4  w  r  r  -mibs  Pindor  -  m  x  m-i3ibD  —  t  mnanbè  ». 

III,  17,    '^3iJ3n;3t.    Comme  des  armées  de  sauterelles  : 

A    y^jppiaîbtiip     Komelangostedéç     —     V    y-«-iUïîi33bttip         — 

r  y^iùTUirjsbttip  —  x  yiT>au:nanbi<mp  —  t  y«-ipiaDibtti3  — 
M  •yi'^'T'tJUjnasibTsip  -  /"  ■y'Oiasbnip  «. 

{.  Lire  :  éscovant.  Cf.  LIV,  34,  2. 

2.  Lire  :  /" esbraichiédc.  Y  ésbriséde.  A  M  donnent  éspartide.  ZMT  et  a  doivent  se 
lire  ainsi,  le  3  devant  être  remplacé  par  un  Q.  \j  donne  déspartide.  Le  Gl.  h.  f 
traduit  ce  mot  par  dOzérté  (14i,  66). 

3.  Lire  :  caraijediç,  collectif  en-aticium,  fait  sur  carroie,  de  carroier.  M  donne,  en 
outre,  ses  carigles. 

4.  Cf.  Godefroy  ;  aleméle  et  brant. 

5.  Cf.  LIV,  222,  2.  . 

6.  Lire  :  corne  lo  ^'ostediç  avec  X.  Collectif  en-aticium,  fait  sur  locusta.  Les 
différeutcs  leçons  nous  attestent  l'existence  de  :  logoste  (X)  et  longoste  (T  et  M)  postulée 
par  locusta. 


LES  GLOSES  FRANÇAISES  DE  RASCHI  DANS  LA  BIBLE  79 


HABAKOUK 
1,7,    laDffi».    Sa  justice: 

T    NlfU^rn"'     Jousliçe    —     Y  VZ    Nlt'^UTîJT'     —     AX     N^J'^UVCT'     — 

M  t<T>a;aTi  ». 
—  10,    D  ?  p  n  "^ .    Il  sera  parlé  (il  sera  un  sujet  de  conversation]  : 


A. 


II,  1,    "^  n  n  D  1  n.    Le  reproche  qu'on  m'adresse  : 

^    arnniipN  'ji73    Mon   aprobemént  —  f  UIpainON   1173    —    V  p» 

—  10,    ']\î5D3  «unn,    Tu  pèches  (tu  perds,  en  péchant)  ton  âme  : 

A  «73nî<\D  ::"'-'DXOniD  Forspajjt  saarme  —    Y  NmNia   U'^-'EïîmD    — 

X  N7aN723nî<\a  a-'-^E^iîmD  —  t  NaN^ç  tî-^-'cniD  -  m  ntssnu:  a-'^cuîmc 

—  z  n73:n\u«  u-^-^mo  *. 

—  11,    o''D3T,    Etladoloire: 

A  ïjn^nbin  Doidours  —  yvt  u:nn*7bin  —  m  ïjn-.ibn  —  z  uj-nbin 

—  X  UJN-nNblT  ». 

—  13,    ttJ  N  ■•  n  3 .    Par  assez  de  flammes  : 

A  V  y-'CN  Aséç  —  MTZ  y^lHH  -   A'  Y  y^-^CN  °. 

III,  16,    ibbi:.    Ont  tinté  : 

Y  MD-l-'iar^    Tinlnirnt    -    FC    -VUTU  -    f  A  XV  kl  F  1-»urU  — 
M  U3-'73rUD"'U'. 


1.  Cf.  LIV,  208,  3. 

2.  Lire  :  parlediç.  Cf.  LUI,  172,  1. 

3.  Lire  :  mon  aprovemént  ;  même  sens  que  :  reproTement.  Cf.  mod.  :  réprouter. 

4.  Lire  :  forsfait  sa  arme.  Arme  correspond  à  anima. 

5.  Lire  :  doledures.  Cf.  LIV,  212,  2. 

6.  De  *  ad  -\-  salis. 

7.  Lire  :  téutenért.   Cf.  LIV,  27,  8.  M.  donne  téntineméul.  F  G  tenlir  ou  tiniér.  Les 
autres  tintin. 


80  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

HT,  19,   "«n  13  "^5  3  3,    Sur  mes  chants  (7V<?.9'î<mo^  signifie  les  modu- 
lations mélodieuses  de  la  voix  qui  s'élève  et  s'abaisse)  : 

A  V  ia-iin;5-n"N  Orgenedors  —  T  Ta-iiii35^iN  -  A  M  7  u:-n":35-nN  — 
f  c-,i;3-iN  —  X  ;::-in3iTiN  —  wf  -i-'3mN  —  cz  c32-n«  — 
F  Tum-isaiiN  -  9  ;:j-m3"'a"i'N  K 


ZEPHANIAH 


m.  15,    *]  •»  a  c  "(25  tt .    Tes  justices,  e.-à-d.  tes  châtiments  : 

rZM     UÎC'^IÛCT'     Josliss     —     T      u^iciaCI"'     —     A      NT'^aTUT^ 


ZACHÂRIAH 

IV,  42,    •^bnœ.    Tas  (d'olives)  : 

VAT  ujpinp  Troks  —  f  "O^yrci  —  WY  'lù'ç>^'^^'^  —  x  ir^pTi::  — 

V,  9,    rrr^  D  n  n .    Sorte  d'oiseau  : 

A  'i^iabii  YoUofjr  —  WFrx  v-^nabii  —  z  manb-n*. 

XI,  2,    "^  3  ib  N.    Chênes  : 

ZT  ©3ïï5p  Ksns  —  FM  ;a"<3Tûp  —  W  ïî5\"'P  —  V  1î53UJ"'p  —  A  C3C''p 

—  X  )aw"^p  ». 

XII,  2,    by"i.    Vertige,  engourdissement  qui  rend  l'homme  im- 

puissant comme  s'il  était  enveloppé  dans  un  vêtement  : 

A  a3"'7a"«Dibil3-'N  Involopiment  —  /"  a3»Dib"l"13-^N  —  V  a373"'DiblirN 

—  T  a:■'73p'5iâ3"'^<  —   m  a3"^73C'ibii3"^N  —   IV  NTrî<"'pib"n3''N   — 
Y  ■CN'>EnbTi3"«N  —  X  asn'^Dnbiij-'N*. 

1.  Lire  :  orgenedores,  de  *  organalorias,  tiré  de  organtim. 

2.  Lire  :  tés  justices. 

3.  Cf.  LIV,  232,  2. 

4.  Cf.  LIV,  209,  2.     . 

5.  Cf.  LIV,  231,  6. 

6.  Lire  :  eoToIopemént. 


LES  GLOSES  FRANÇAISES  DE  RASCHI  DANS  LA  BIBLE  81 

XII,  iO,    m  n.    Esprit  : 

T  urba  Tient  —  X  u3ib«:3  —  AWVYzyi.  uaba  '. 

XIV,  10,    ■•  3  p  '.    Fossés  : 

A  "^"«XpiD  Foséç  —  WYZVT  yi;2J1D  —  M  X  'J^"'iï:id  '• 

—  20,    m  b  it  » .    Grelots  : 

A  yais-'Uru  Téntlnonç  —   Y  'j-'iNSara  —  WXZ  VAMT  I''a3''a '• 

MALEACHI 

I,  1,    N  TC  73.    Charge  (de  la  parole  de  Dieu^  : 

A  W  tînioniD  Porport  —  A  C  F  M  T  r  F    ^-ns-ilD   —    XZ  a-|E-i1D  — 

11,13,    np3NT,    Gémissement: 

A  ar72ia"':i»n  Dmonesnmxl  —    YT  UDyj'O'^ÏIttT  —   M   ^rTiC:"!;:"»-! 

z  'sTOttn  ». 
m,  2,    n  "^  -1  3  3  T.    Comme  le  saTon  (herbe  qui  lave  les  taches)  : 

A    NT^^piâlO    î<2T^N    Erbe    savonijére  —    W  Nn"':iT>p    N3-PN    — 

—  17,    n  b  3  0.     Réserve  : 

/■•sîia^N  Éstouj  —  }'T  -^rû-OH  —  M  •'•'iL3\::"'N '. 

—  20,    p3n»"'ba:>3.    Comme  des  veaux  de  parc  (à  l'engrais^  : 

M  T  Nbcip  Kopla  -  Y  «baip  ». 

1.  Lire  :  talaiit. 

2.  De  *  fossatos. 

3.  ^  F  téntinoDç.  Pour  les  autres,  voir  ci-dessus,  p.  79,  n.  7. 

4.  Subst.  verbal  de  porpurter.  Y  donne  proféte. 

5.  Lire  :  démoniseméut,  tiré  de  demonir.  Cf.  LIV,  228,  7. 

6.  Lire  :  érbe  savonére. 

7.  Lire  :  éstui  ;  mod.  :  étui. 

8.  Cf.  LIV,  226,  3. 

T.  LV,  N»  109.  6 


8â  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

HAGIOGRAPHES 
PSAUMES ^ 

1,3,    b  n  3  "^  N  b .  Ne  se  flétrira  pas  : 

M  T^iU'Oi'^bD  Plestjjr  —  A  nia^y^bD  —  T  "T'"ia^"'bD  —  d  ^J-^aTe-t-^bD 

u  *  ^zj-ipbD  —  X  -lUTiî'i'^bD  f'rs'bn  .T'pbDN  —  l  -iuï5">"^bD  '. 

V,  43,    1 1  i£  n  .    Bonté,  paix  du  cœur  : 

LTU^W    Î3373'^"'DS   Apjjmni  —  MA    l:3"'72"'"'::N    —    d    u:tt''''iSBN    — 

VI.  3,    b  b  73  N.    Abattu  : 

A  ynnpiËîip    Konfondouç   —   XTU   yinSIESip    -    bd   yTlD3ip    — 

X  y-mD-iD5ip  (?)  —  M  -nn3is3ip  v 
—  8,    n  ï:  w  s».    S'éclaire  : 

TUXe  NST^UDb  Interna  —  A  NSn-^Upb  Xd  N3'T>'i!::5nb  —  M  Ni-^nUSb 

—  b  arr^'ù^h  —  L  Nn-'Db  «. 

VIII,  8,    !i  3 1£.    Enclos  pour  parquer  le  menu  bétail  : 
w  y^nbm'N  Obéidiç  —  KXd  -y-iib-^-mN ^ 

XVII,  14,    T  b  n  M.    De  vieillesse,  m.  à  m.  rouille  : 

A  b-^^-^nin  RocTijji  —  b\  N">"^bTT'-i  —  M(/  Nb-^-^mi  —  u  Nb-i-^iT-i  — 

L  b-'-'Tm  —  T  Nb-t-^Tl  —  X  Nb-^"»!"!»  '• 

XVIII,  3,    nn  noriN.    Je  me  mets  à  l'abri  : 

A  "lN"^nnN   Abriér  —    À'  -i"''^N"<'12N  -   bt  nN'^-inN  —  d  T^N-^-^-inN  — 

u  -l^{^^DN^ 

1.  Pour  un  très  irraml  nombre  des  gloses  des  Psaumes  (surtout  jusqu'au  Ps.  Lviii), 
les  cahiers  de  Darmesteter  ne  contiennent  pas  de  variantes  de  mss. 

2.  Lire  :  flaistir.  Vb  donnent  flakis,  cf.  LIV,  221,  2,  et  Godefroy,  Oachir. 

3.  Lire  :  apayemént,  de  ad  +  pacamenlum.  Cf.  LUI,  171,  6. 

4.  Lire  :  confondue;.  M  b  de  môme. 

5.  Lanterne.  X  (/  lontérne,  L  latérne. 

6.  Lire  :  ovéylediç  (yl  =  1  mouillée),  de  *  oviculaticium. 

1.  AMf/,  rodil  et  rodile  (tous  deux  avec  /  mouillée),  indiquent  une  élymologie  *  rufi- 
liare.  L  roduii,  U  rodoile,  une  étymologle  '  ruieliare.  T  et  X  donnent  la  forme  plus 
récente  :  royle. 

8.  Cf.  LlV,  21,  7. 


LES  GLOSES  FRANÇAISES  DE  RASCÏÏI  DANS  LA  BIBLE  83 

XVIII,  d8,    11  3  y.    Ont  passé  : 

A  a:"43D"^"ip     Trépasant    —    e    a3pDÏ)np   —    U6    î32"«TaDU5"^"ia     — 

—  37,    -^bonp.    Mes  chevilles  : 

A  Nb-'ip  Kevile  —  eML  N5"^3p  —  A'UXô   Ni^b">Dp  —  1  d  Nb'^-'np  — 

w  b-^np  ». 
XXII,  16,    ■'mpbTopnnM.    Attachée  à  mon  palais  : 

A  y-i^bs  Palajjç  —  M  T  WU  X  L  e  6  (i    ^y^-'bs  '. 

XXXI,  14,    D  "^  3  "I  n  a  1 .    La  parole  de  la  foule  : 

A  yi-lb-lD  Parlediç  —  ct/TWU  y>-lb"IS  -  M  y>binb-|D  -  i  y'blD 

—  e  N-^-bn"iD  \ 
XXXIV,  3,    bbnnn.    S'enorgueillira: 

A  nUjTniOïJ   Seporvvanlera    —   T   NCûSiTlÉTI)   —    X    NIû^TniDlT    — 


Arsène  Darmesteter. 


[A  suivre. 


1.  Lire  :  tréspasant. 

2.  Lire  :  chevilie  (Il  =  1  mouillée). 

3.  Lire  :  palayç. 

4.  Cf.  LUI,  172,  1. 

5.  Lire  :  se  porvantera. 


DEUX  PROBLÈMES  D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE 


L'auteur  du  commentaire  des  Chroniques. 


Zunz  '  et  surtout  Joseph  Weisse  ^  ont  démontré  que  le  Commen- 
taire des  Chroniques  imprimé  dans  les  Bibles  rabbiniques  n'est 
pas  l'œuvre  de  Rasclii.  On  n'a  pas  encore  essayé  de  retrouver 
l'auteur  ou  le  compilateur  véritable;  aussi  bien  le  commentaire 
ne  fournit-il  aucun  indice  sur  la  personnalité  de  celui  qui  l'a 
composé. 

Or,  j'ai  trouvé  dans  un  ouvrage  peu  connu,  à  ce  qu'il  semble, 
une  citation  de  ce  commentaire,  introduite  par  une  abréviation  qui 
permet  peut-être  d'identifier  l'auteur.  Je  n'y  ai  pas  réussi  pour  ma 
part,  il  se  peut  que  d'autres  soient  plus  heureux  ;  c'est  pourquoi  je 
vais  reproduire  le  passage  en  question.  Au  troisième  volume  de  la 
Massorah  compiled  de  Ginsburg  (p.  191-206;  est  publié  un  opus- 
cule massorétique  sur  le  nombre  des  noms  de  Dieu,  intitulé  nsD 
mMï5 :5>aa.  On  y  lit  ce  qui  suit  (p.  194,  col.  2)  : 

l'^aTis   "irr^is'^TOT  irr^'D^"^!   nrr'bny  ...  rr^^  Idido    û">ï53  m»o    \a"'    ca 

hy  a-^T^Tt  -^-isn  -iDob  TàJi-iica  p-indnn  nro  pT  D-'Or^n 
rîTn  n-noTom  isiob  mîi  -^yû  n"i3  a"i  '^03  b-'ybi  bwV-^-ivs  na  ^r>'^':i^ri 
^-^Nl:73  pT  -vnwX  J='J3  ■'b  -i7ûn  pT  ."iT^bx  nmn  acn  yi^:i  np-ri 
'723  nn3UJ  rnott  1T  nuJM  non  iit  ti-ioiToo  aipTj  boa  v3N  •win-'oa 
n-'bD-^  pi  (II  R.,  XI,  3:  u  ciir .  XXII,  12)  y-iNH  by  PDbTa  irfbnr  ^rfbny 
D->;o  i'-^  bD  hîN-i"-'^  rN  n-jc'a  n-ti  "'D  nn"»n  n'^rrnïjrr'i  ■'ob  irr'bD"" 
p   n:3  rr^T?  nx   nsibtrn  r-i?ou:3T    n"C"«2b  rr^iTTûN  nbyn  (i.  or»^^  D?U3 

\.  Rasclii.  344-0 

2.  Kérem  Hémed,  V,  232  et  suiv. 


DEUX  PROBLÈMES  D'HISTOIRE   LITTÉRAIRE  85 

Ce  passage  cité  d'après  le  commentaire  des  Chroniques  de  «"aion 
se  Irouvelittéi'alement  dans  celui  qui  nous  occupe.  Il  n'est  donc  pas 
douteux,  étant  données  surtout  les  autres  indications,  que  l'auteur 
du  traité  massorétique  cite  notre  commentaire  des  Chroniques, 
celui  qui  est  attribué  à  Raschi.  Ce  commentaire  a  donc  pour  auteur 
un  certain  n"3'^"i,  sigle  qui  peut  d'ailleurs  être  résolu  de  plusieurs 
manières. 

Il  sera  plus  facile  de  découvrir  lécrivain  qui  se  cache  sous  cette 
abréviation  si  l'on  soumet  à  une  critique  attentive  les  indications 
courantes  sur  son  époque  et  sur  sa  patrie.  On  admet  généralement 
que  l'auteur  était  un  Allemand,  qui  a  vécu  ensuite  en  France,  à 
Narbonne,  dans  la  première  moitié  du  xn«  siècle.  En  ce  qui  touche 
la  patrie,  cette  opinion  se  fonde  sur  les  mots  allemands  du  com- 
mentaire. Mais  la  citation  de  mots  allemands  ne  prouve  pas  l'ori- 
gine allemande  d'un  écrivain;  c'est  ce  qui  ressort  du  fait  que  des 
auteurs  dont  l'origine  française  est  certaine,  et  qui  n'ont  peut-être 
jamais  été  en  Allemagne,  donnent  des  explications  par  l'allemand, 
tels  :  R.  Menahem  bar  Helbo,  Raschi,  R.  Joseph  Cara,  ainsi  que 
d'autres  savants  français  '.  Le  fait  s'explique  en  partie  par  les  rela- 
tions de  ces  auteurs  avec  leurs  collègues  et  leurs  élèves  des 
pays  rhénans,  en  partie  par  le  remaniement  et  la  copie  de  leurs 
ouvrages  en  pays  allemand-.  Notre  commentaire  rapporte  l'expli- 
cation d'un  mot  par  l'allemand  au  nom  d'isaac  b.  Samuel  de  Nar- 
bonne, c'est-à-dire  d'un  savant  du  sud  de  la  France  *. 

Zunz  ''  dit  que  notre  commentaire,  «  à  côté  d'un  petit  nombre  de 
mots  français,  glose  presque  tout  en  allemand  »  ;  Weisse^  affirme 
semblablement  que  la  plupart  des  gloses  sont  allemandes.  Ce  n'est 
pas  exact.  Weisse  remarque  lui-même  en  un  autre  endroit»^  que 
dans  certaines  éditions  la  glose  allemande  est  remplacée  par  une 
glose  française  ou  italienne,  et  même  dans  les  éditions  utilisées 
par  Zunz  et  Weisse,  qui  contiennent  le  plus  de  mots  allemands, 
ces  mots  ne  sont  pas  plus  nombreux  que  les  autres  gloses,  comme 
on  le  voit  par  les  listes  qui  suivent.  Ce  qui  est  plus  important 

1.  Cf.  Poziianski.  Menahem  bar  Helbo,  j).  IG  et  note  4. 

2.  On  trouve  aussi  un  mot  français  et  un  mot  allemaiiil  ^abattre,  iiansa)  dans  le 
commentaire  des  Chroniques  édité  par  Kircliiieim  ;  cf.  Donatli  dans  Maf/azin,  I,  91, 
Or  ce  commentateur,  Donalli  le  prouve,  est  ori-iiiaire  du  nord  de  r.\fri(iue. 

3.  Sur  II,  XXIV.  il  :  i-'cmz"::  xnn  t;dwN  iT:;b3   Stosseï    b'\"-crji'C  nb^m 

M:T3-1373  bNlWO  -13. 

4.  L.  c,  p.  344. 

5.  L.  c,  p.  234. 

6.  i.  c,  p.  238. 


86  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

encore,  c'est  que  l'édition  de  Bomberg,  1518,  ne  contient  que  trois 
mots  allemands. 


/.  Gloses  allemandes. 

I,  VI,  29  :  Tm^aa  (Éditions  de  Bâle,  1619  ;  Amsterdam,   1687  ; 
Vienne,  1816;  Varsovie,  1866). 

IX,  18  :  Nn^y)  ^n  p:>n:s  ^-m. 

XIII,  8  :  ipND. 

xxii,  3  :  ba:?3  (Quelques  éditions  ont  «)"Nnbp,  clous)'. 

XXV,  9  :  £]T25  "T-mna. 
II,  I,  16  :  i^aiûTî)  ^. 

II,  6  :  n-^a-'-i:». 
9  :  C|-iî*  b.sr 

15  :  'j-'iiibi  ^D'autres  éditions  ont  y""'"i)^. 

III,  4  :  '{■'DnmasN'*. 

IX,  21  :  I^Np  -13>ÎD  '\ 

X,  11  :  'î73"<n2«. 

1.  Weisse,  l.  c,  p.  238. 

2.  Zunz  transcrit  «  Stute  ».  Ce  mot,  qui  signifie  jument,  ne  répond  pas  à  l'hébreu 
D'^OTDfl  nc^ON  ;  il  faut  donc  songer  à  «  Stuterei  »  eu  moyen  haut-allemand  «  stuot  », 
maison  d'élevage  de  chevaux,  troupeau  de  chevaux  d'élevage. 

3.  «  Flossen,  Floss  »  se  trouve  aussi  dans  Raschi  sur  1  Rois,  v,  23  ('j"'^3S''bD),  où 
R.  Joseph  Gara  (cité  dans  Ha-Schahar,  IV,  62)  lisait  daus  le  texte  de  Raschi  Dlbl,  mot 
qui  revient  dans  Raschi  sur  Berachol,  28  b.  Dans  le  Glossaire  hébreu- français  édité 
par  MM.  Lambert  et  Brandin,  mODT  (H  Chr.,  ii,  15)  est  traduit  par  «  veléï  »,  qui 
n'est  pas  un  mot  français,  ce  que  les  éditeurs  indiquent  par  un  point  d'interrogation. 
Certainement  ce  terme  n'est  autre  que  DlbT,  Y^'b'0  «  Floss,  FlOsso  »,  que  l'autour  du 
Glossaire  connaissait  par  Raschi. 

4.  Dans  une  explication  de  R.  Élazar  b.  Meschoullam.  Si  Gross,  Gallia,  353,  476,  a 
raison  de  voir  ici  R.  Élazar  b.  Meschoullam  de  Narbonne,  nous  avons  un  nouvel 
exemple  d'un  auteur  du  sud  de  la  France  employant  un  vocable  allemand. 

5.  «  Meerkatzen  »  ;  même  glose  dans  Raschi,  sur  Bechorot,  Sa  (î<"S£p"173).  La 
transcription  de  e  par  3?  prouve  que  l'orthographe  de  notre  commentaire  n'est  pas  pri- 
mitive. Encore  au  xiii"  siècle  on  ne  rendait  pas  le  e,  ou  bien  ou  le  rendait  par  ^, 
v.  Giidemann,  Geschichle  des  Erziehiingsiresens,  111,  280,  281.  Le  y  rendant  e  se 
trouve  pour  la  première  fois  dans  le  «  Sittenbuch  »,  qui  remonte  au  xvic  siècle,  v. 
Giidemann,  ibid.,  et  225.  La  même  observation  s'api)lique  à  b'^a^D. 

6.  Zunz  et  Weisse  entendent  :  D  +  "jW^I,  «  avec  des  courroies  »  (Riemen).  Ce 
serait  une  traduction  tout  K  fait  impropre  <le  D"'2"lp3^  qui.  à  côté  de  D''t3Tw,  doit 
désigner  une  sorte  de  plante  piquante  et  est  d'ailleurs  e\i)ii(|ué  ainsi  par  tous  les  com- 
mentateurs. He  plus,  il  est  inadmissible  (ju'on  ait  joint  une  préposition  hébraïque  à 
un  mot  allemand.  En  réalité,  173^13  n'est  pas  autre  chose  que  «  Pfrieinen  »,  plantes 
piquantes  (v.  Sanders)  ;  l'omission  du  p  ne  doit  pas  nous  embarrasser;  au  xiii''  siècle 
on  écrit  t31"l3Nl211D,  UTn3n3"l"lD  pour  a   Pfriiudebrod  »,  v.  Giidemann,  op.  cil., 


DEUX  PROBLÈMES  D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE  87 

XVI,  10  :  aa^na. 

XXIV,  14  :  b-i-yiiiiio  i^Dautres  éd.  ont  "[1^3,  «  pilon  »). 

XXX,  6  :  1"'D"'nn. 

XXXIV,  H  :  1-«55DU5  '. 

Au  total  seize  gloses.  Si  Ton  considère,  en  outre,  que  T^n-'-ia,  à 
cause  de  la  désinence  "t^,  peut  être,  non  Talleniand  «  graben  », 
mais  plutôt  le  français  »  graver  »  -,  il  ne  reste  que  quinze  gloses 
allemandes.  D'après  le  témoignage  de  M.  Berliner^  Tédition  prin- 
ceps  (Naples,d487)  n'a  pas  les  gloses  allemandes  surl,ix,  18;  xiii,8; 
II,  I,  16  ;  II,  6  et  9,  en  tout  cinq  ;  il  ne  dit  pas  si  elle  donne  les 
autres. 

2.  Gloses  fra.nçaîses. 

Éd.  Bomber  g,  1518.  Éditions  postérieures. 

I,  II,  5:2  :  T^Diniamo,  rD"»"Y7tt^iD 

"la-'b^biD    [Glossaire ,    210, 
55  :  «  éfurt  poralouz  »). 
I,  XVI,  20  :  aD2"»bî<  -n^. 

27  (b-iy»)  :  Ntp,  cape. 
XVIII,  7  (lybffi)  :  \''s.'rû^  ttjriaip.         ïJiS'^'in  [Glossaire,  210,  69  : 

«  Kuybrins  »,  bouclier). 
XXIX,  7  :  Tûjnitp. 

H  :  nt^-'-iaipri^  !iî<->nt3ipN. 
19  :  '^©:2"»'inDK. 
XXX,  19  :  vp"'-isN. 

II,  1,  9  :  ;e-o"'"i3N-iD. 
II,  III,  16  (nD3ffl)  :  «■•onp  [Glos- 
saire, 29,  5;  36,  26;  77,  87, 

etc.  :  «  Kuyfe  »,  trad.  de 
nD3i:tt  et  de  rjaaa). 

,  216.  La  pircuve  directe  de  l'exactitude  de  cette  explication  est  fournie  par  l'éd.  de 
1518,  où  D"'3"ip3'  est  rendu  par  -.■'D-man  «  Hagedorn  ». 

1.  Les  ;,'loses  de  I,  ix,  8  ;  II,  m,  4;  xxxiv,  11,  manquent  chez  Zunz. 

2.  Gtidemann,  op.  cit.,  I,  219,  donne,  à  la  vérité,  un  exemple  unique  d'un  mot 
allemand  atrcrté  d'une  terminaison  française  :  mais  ce  traitement  est  si  singulier  qu'il 
ne  doit  pas  être  supposé  là  où  le  mot  français  correspondant  est  connu.  Du  reste, 
même  l'exemple  unique  de  Gùdemann  n'est  rien  moins  que  sûr.  L'indication  p^ba 
T3D1I3N  appartient  certainement  à  un  copiste  ignorant. 

3.  Magazin,  I,  p.  57. 


88  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

IV,  3  :  Tab-'WiD.  la-^b'^wiD^  lab-^ttiD  [Glossaire,  77, 

84;  211,  49  :  «  puméls  », 
pommier). 

Ibid  ,  i«-nibiu:,  soudure.  Idein. 

IV,  17  (""3^3)  :  îïb-'niîa.  i^b-^T-ia. 

IV,  21  :  l-^D. 


IX,  21  (û''Dip)  :  N"'»'^ia 


XX,  6  :  X'irin. 
XXIV,  11  :  T'n-i!;:. 

12  :  n'iiï2U)''!Di^. 


XXIV,  14  (mb:!>m)  i'ito-'D  (1.  11^!:, 
pilon). 

XXV,  17  (û">n»ia  ...mx-inb)  :  1"«d\2:v. 

XXVI,  10  (û-«-i3iN)  :  •CT^ma. 

XXXI,  6  (mn^-i:>)  :  ujVitsw  [Glossaire,  10,  88;  23,  4;  42,  45;  44, 
45  :  G  monzel,  monzels  »,  monceau). 

XXXIV,  11  (m^ian^b)  :  iraDDW. 

Ibid.  (m-ipbi)  :  T^n-^nTj  {Glossaire,  208,  57  ;'213,  13  :  «  trâvér  », 

charpenter  ;  55,  57,  «  trayvayure  »,  charpente). 
12  (nitab)  :  "i-'^i-jttJ'^iWN. 
Ibid.  :  l-'it^DT  imp®  l^nsti. 

XXXV,  13  (UDiDttS)  :  i:3''N'73ip. 

Ainsi,  les  éditions  postérieures  ont  quatorze  gloses  françaises  et 
même  quinze,  si  l'on  y  ajoute  T^nna,  c'est-à-dire  exactement  le 
nombre  des  gloses  allemandes  dans  les  mêmes  éditions. 

Quant  à  l'édition  Bomberg,  elle  contient,  comparée  aux  éditions 
postérieures,  plus  de  mots  français  que  de  mots  allemands.  Car 
môme  en  défalquant  waîDUJ  (allemand  «  Spangen  »)  et  \aT'3i3  (alle- 
mand :  «  Bauern  »),  il  reste  encore  seize  gloses  françaises.  Le  troi- 
sième mot  allemand,  dans  cette  édition,  est  n-'î'man  («  Hagedorne  ») 
pour  û-ia-ips»,  dans  II,  x,  11.  En  outre,  on  trouve  encore  trace  de 
deux  autres  vocables  allemands.  Dans  I,  vi,  29  :  '»î«m)  nti:\Ti  Drr^ni* 
TDiDUîN  )^db'2,  il  manque  la  glose  "i^^mnaa,  «  Gebriider  ».  Dans  II,  ii,  9  : 
.."ITnnD  nnw  û"'n73iî<  ujit  cibî<  î<b3  mD»  û'^an  ne  donne  aucun  sens; 
la  glose  t|ii<  b^'\,  «  vollauf  »  est  tombée  et  N"b3  (nDiuN  'bn)  est 
devenu  qb^  «bn. 

Le  Commentaire  des  Chroniques  ne  nous  étant  pas  parvenu  dans 
sa  forme  primitive,  mais  dans  dilférenls  remaniements^,  il  estdifti- 

1.  Singe  en  provençal:  de  même  Gerionide. 

2.  Voir  plut  loin,  ]>.  90. 


DEUX  PROBLÈMES  D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE  89 

cile  de  décider  si  les  gloses  allemandes  sont  primitives  ou  si  ce  sont 
des  retoucheurs  et  des  copistes  allemands  qui  les  ont  introduites 
dans  le  texte  '.  Dans  le  dernier  cas,  il  n'y  a  aucun  indice  en  faveur 
de  Torigine  allemande  de  l'auteur;  dans  le  premier  cas,  l'ortho- 
graphe des  mots  allemands  —  n  pour  rendre  Ve  muet  du  français, 
dans  i^anau),  «  Stuot  »,  n"iî<^,  «  Schaar  »  ;  s  comme  sigr.e  du  plu- 
riel, dans  TuasDTB,  «  Spangen  »,  anma,  «  Bauern  »  —  prouve  que  la 
langue  maternelle  de  l'auteur  était  le  français  -.  C'est  donc  en 
France  qu'il  faut  chercher  sa  patrie.  Il  est  vrai  que  les  Juifs  alle- 
mands des  bords  du  Rhin  parlaient  également  le] français,  mais 
puisque  notre  auteur  a  vécu  en  France  et  a  eu  des  savants  français 
pour  maîtres,  toutes  les  vraisemblances  portent  à  admettre  que  la 
France  n'était  pas  seulement  son  pays  [d'adoption,  mai»  sa  véri- 
table patrie  ^. 

Pour  ce  qui  est  de  l'époque  de  notre  commentateur,  on  le  fait 
vivre  dans  la  première  moitié  du  xii*  siècle,  parce  qu'il  cite  comme 
ses  contemporains  des  savants  qui  ont  vécu  dans  ce  temps.  L'ar- 
gument serait  sur  si  l'âge  de  ces  savants  était  connu  avec  exacti- 
tude. Mais  ce  n'est  pas  le  cas  et  les  critiques'se  meuvent  dans  un 
cercle  vicieux.  Tandis  que  les  uns  fixent  l'époque  de  notre  com- 
mentateur par  celle  de  ses  contemporains,  d'autres  font  exacte- 
ment l'inverse  ^  Il  n'est  pas  prouvé  davantage  que  R.  Kalonymos 
ait  été  le  maître  du  R.  A.  6.  N.  Le  seul  indice  sûr  qui  resterait 
serait  constitué  par  les  relations  personnelles  de  l'auteur  avec 
Salomon  ben  Lévi  de  Narbonne,  neveu  de  R.  Moïse  ha-Darschan. 
Mais  il  disparaît,  lui  aussi,  dès  que  Ton  tient  compte  du  texte 
donné  par  le  manuscrit  de  3^unich•^  qui  est  ainsi  conçu  :  ot^d  ']'d 
pn^-"  13  n»b">a  is-in-i  ib  nwN  ^si  Dba«  ira-i  p  -iT^bx  'i  im  ûuja  "^m» 
^DT  iu5-nn  rr^w  'n  thn  (?)  w"n  •=  û©2-ittN\a  -«nb  'i  r»n  Dca  ^-^aai»  i» 
li:»»^:^  p  CjOT"  '"»  ib  nwN.  Ce  n'est  donc  pas  notre  commentateur, 

1.  La  transcription  flottante  de  e  par  "^  ol  y  trahit  l'orthographe  judéo-allemande  du 
xvi«  siècle  ;  aussi  bien  est-ce  de  cette  époque  que  date  la  première  édition  allemande 
de  notre  commentaire  (Prafjue,  1376). 

2.  Cf.  Giidemann,  op.  cit.,  I,  279. 

3.  Ibid.,  273  et  suiv. 

4.  V.  Weisse  et  Zunz  dans  un  sens,  et  dans  l'autre  Gross,  Gallia,  33,  353,  416,  à 
propos  des  mêmes  personnages. 

0.  V.  Berliner,  dans  la  Motialsschri/'t,  1863,  396;  dans  la  liebr.  Bibliographie, 
XIV,  130  ;  inexactement  dans  Gross,  Gallia,  320  ;  «  mss.  de  Leyde,  ms.  Scaliger  n'  1  », 
mais  correctement  p.  476. 

6.  Texte  donné  dans  H.  B.  et  dans  Epstein,  Moïse  ha-Darschan,  34Jd'aprèsî,une 
copie  de  J.  Perles  ;  dans  la  Monatsschrift  et  dans  Gross,  320,  on  ;iit  "'ttn,  ce  qui  est 
certainement  une  faute,  attendu  que  R.  Lévi  était  un  frère  de  R.  Moïse  ha-Darschan. 

7.  D'après  //.  B.,  sur  I,  iv,  11  (lire  :  31),  d'après  Berliner  et  E]isttin,  sur  I,  ix,  20  ; 


90  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

mais  son  maître  qui  fut  en  relations  avec  Élazar  (Éliézer)  ben 
MeschouUam,  avec  Salomon  ben  (Isaac  ben)  Lévi  et  avec  Joseph 
Gara.  C'est  une  différence  de  trente  ans  pour  le  moins,  de  sorte  que 
notre  commentateur  ou  compilateur  aurait  vécu  dans  la  seconde 
moitié  du  xii^  siècle. 

M.  Gross  *  dit  sur  ce  passage  :  »  Il  est  possible  que  le  commentaire 
contenu  dans  ce  ms.  soit  un  remaniement  de  l'ouvrage  primitif.  » 
Mais  d'une  façon  générale  il  est  plus  vraisemblable  d'admettre  que 
des  remanieurs  postérieurs  abrègent  une  série  de  noms  propres 
d'abord  complète  que  de  supposer  qu'ils  complètent  une  indica- 
tion sommaire  par  l'addition  de  nouveaux  noms.  Dans  le  premier 
cas  on  aurait  une  simple  inexactitude,  dans  le  second,  une  falsifi- 
cation ^.  Toutefois,  l'opinion  de  M.  Gross  ne  doit  pas  être  exclue^. 

Il  a  été  question  plus  haut  des  divergences  que  présentent  les 
éditions  du  Commentaire  des  Chroniques.  J'ai  pu  seulement  com- 
parer l'édition  de  Bomberg,  1518,  avec  quelques  éditions  alle- 
mandes^ ;  celles-ci  diffèrent  entre  elles  en  ce  que  la  première  est 
plus  étendue  dans  la  plupart  des  cas,  mais  parfois  aussi  plus  brève 
que  les  suivantes.  Il  n'est  pas  rare  non  plus  de  trouver  des  diver- 
gences dans  le  style,  comme  on  va  le  voir  par  quelques  exemples. 
Ce  que  nous  savons  de  l'éd.  princeps  et  des  manuscrits  nous 
permet  de  reconnaître  que  cette  édition  sécarte  des  éditions  pos- 
térieures et  des  manuscrits,  que  ces  derniers  diffèrent  et  entre  eux 
et  des  éditions. 

Quelques  exemples  illustreront  les  divergences  entre  l'édition 
de  1518  et  les  suivantes  : 

Venise,  1518.  Bâle,  1 619,  etc. 

I,  I,  1 :  3n3  N-iTy  .uJnSN  nu:  ms  i,  i,  i  ■■  3nD  nitt  xi2N  nuj  dtn 
r-i3^  m;ay  nswu:  ^inn  riT  "-idd     rr'nDT  "^an  •^t'  by  nin  on"'n  nso 

peut-ôtre  dans  les  deux  endroits.  Toutefois  Geiger,  Parschandatha,  p.  25,  ne  cite  pas 
I,  IV,  31  parmi  les  passages  où  J.  Gara  est  mentionné  dans  le  manuscrit  de  Munich. — 
Le  texte  en  qnestion  est  ainsi  conçu  dans  ce   manuscrit  de   Munich  :  laiNH  'îDT 

irr^bN.  J.  Gara  rejfttc  donc  l'identitication  de  Pinlias  avec  Élie  ;  il  ne  peut,  par  consé- 
quent, pas  être  l'auteur  de  l'explicatidu  ((ue  lui   attrii)ue   Geiïor,  Siteê   Xaamaiiitn, 

p.  4  :  nn^Db  ^^■\DD  mnDn  iNipi  pDn  oroc  ht  -lyby  ■'acin?:  •'3*o»-^n  nn-^bN 

bNTOJ"'  T'n  ÛIN  bDb  mbUJ  (3'^\2J?3)  Q-^TUTÛ  rT'Hia  iDb. 

1.  Gallia,  p.  416. 

2.  Le  Talmud  (h.  Nazir,  56  6)  autorise  et  considère  comme  usuelli'  l'aliréviation 
dans  les  séries  de  «  rapi)ortturs  »  :  -^NTSip  Nnbn  ^^"2  r^-^lZUrti-l  NPrytJ'C:  bD 

. .  ."imwN  Nb  iN5"«i:w  p-i-iTiN  ^s-inDT- 

3.  V.  une  autre  donnée,  pour  la  fixation  de  l'Age  du  commentaire,  plus  loin,  p.  93. 

4.  V.  plu»  haut,  p.  87. 


DEUX   PROBLÈMES  D'HISTOIRE   LITTÉRAIRE  91 

f^ibm  mn  otr^'^b  -^ist  ."-inoN  y'^airr^n  '-ïnai-iT  D'ibiai-i'^b  t^au: 
nT'izy'n  ^n'^n  ûn'iiuJam  Di-i:>r:JT  N30  '^y  iiuîxin  \z:-nr)  ^wn  pDn 
Nnia  '^y  d*7Ntt  msTob  binnn  mi  m-i  on-»  mo73  bism  ^noN  p  iut^s 
bnN  .'j-iNn  n3w^  omni*  m-ibipb  tzjn^icbT  Q-^-iyTiCb  a-inbm  ^bwn 
^itp  m»iN  -iNO  ?-mbin  bD3  by  nn  nT^73yrt  ^ntt  n"«-niu:b»T 
^boiuj  n-'ba-iwb  b'0^2  .tnD^bor.T  '^is-'cb  .am-i7o;D»b  û-<Dnsm  û-iwy» 
Sina  U5»"vD7373  ïznN  binrj  v^  "'sbi  tamnN  ny  din»  taon"»"» 
.n-'ba-iTar!  Niriïïu:  '^y  nnn^n  -nn^T  n-'DTn  amaN  pn  on'«b  T^i£^r^2J 
^Vi^:^  bmn  '^■^bo^j  ï-iNirr-w^wn  1-^33  ■'Dm  T'33  t"7o-i35T!  'nx^a  aa 
pnss"»  b;a  mi3D  ■'sbi  •r-i-'ba-iHrt  a"iD:y  -in">j  on-^b  "^i-ii:  -1132  aiïJTn 
■^33  ^n:j>7ûU5''  ■'Dm  iu33>  ■«D3  OH^'i  amaN  u:t^  '^ntî  3'ininb  i3>Da  ^Da 
^-yyQ  13a  'n-^Dïn  a:»i  n-nap  -iiaTnb  -j-iirino  -inN«T  aiC-iN  nx 
lujyb  toîS-iN  riDnaia  "^sb  mnn  aaa  by  T'af^  i^dd  mibin  orr^bi 
y3ttn  on^'^'  tiai  .pnif  f-iariNa  uy»  an^aTToi  faïay  -inï)  mibin 
ï-itta  tairjiaN  buî  inbna  y^iinb  ^p-'^'b  y^yn^  nr  aa-^b^a^ai  t:3>tt 
^DWn  .ny-iTa  pannb  a^'a^n  rn  aiNb  bu:»  na-i  n"«uJN^aa  u:-id»id 
mnNi  -ittND'O  nn-^ri  a-^cibN  na  nbsDi  aipTsb  aip»«  -laiy  n\'i«5 
■^3U3Ti  -^sibN»  .pibi  :s>D72n  pib  ^aai  aiN^  n^ûri  r-iTiba-iya  nb 
ï-iaiT  •'D-^N  !-n73N  nn-Ti  ^-^i»!::  ïnT'ba^iîo  Niswu)  ny  nsj'n  n-iaaa 
laabs  n^nn^  ^Nibn  ib  r-^'^D-^nb  au:  Dn^>b  -^b  rt»  ï-i"apn  n«N  '^a 
.Ts''bNb  uîabs  nn-^n  rDTom  -itDNDu:  N"i::7ûb  Nbx  n-im  'iai  -i-^i^aD-iNT 
on'^"«n  np"'y  p-^NUj  ■'ob  .u:idn  nu:  iwnd  taab  r-iN  nNitTai  tonnaNb 
barri  iip  i^a  ana  «bu:  jitdi  ."[-lirpTo  an-'  pn::-^  bu:  imaa  "«DCTai  .^-^Dob 
.r-mbin  iT^a^rj  «bu:  isb     !-j-nap   ■'Dai   S^yyju:"'"!   iu:y   13a 

•^3ai  1^3731  ay»  12^73  p"«bu5tti 
ï-i'^u)3>3u:  j'D>3n  arrib  aan  a'iu:-!'^^'  ■lu:^  "^Da  -^a  by  T'aT73  •'-nnn  t^^uj 
to-'N-'OD  mDa  nn'^nuj  tasnnawX  bu:  nnau:  y^Tinb  tamaN  ■•Dab  u:3bD 
nvu:  ""Da  on^^''  pb  Tiri  . . .  arrnaN  y-iïb  u:ab"«D  n"i-«nb  nns:-n  a^'DibMi 
pnit"^  nar^Nai  rr^n  -i-'yu:  bu:  ^-^yu:  nrn  CD-^ab?:*!  a-^oibN  t'h  canu: 
y-^mrtbi  .tannn  ■iau:''i  C3"iu:n^i  r::y  ■'3ai  a-^nai  ■iu:yb  ï-j"apn  n3n3 
b"'au:ai  .baa  ■ia'^bu:nb"i  i^-it  ma-inb  pni:"'b  nwNu:  !-j"apn  ■•naT  aTip 
taTiN  y-iNa  lab»  nu:N  a"»ab72r!  nbNi  p  ijja  ana  pnit"»  bu:  iTiaa 
■^sbi  u:i3N  nu:  1331  nu:  btn  -^33  iToa  iDinnc  u:"i:n  nu:  anx  :  ^mai 
i*T^73yn  Nbu:  ■'sb  bam  ^-p  T^aTn  Nbu:  riToi  .pirpTo  orr^n  np-^y  p-^Nu: 
.TiT  ny   amaNTûT   C3n-i3Ni    hd    mnbin  ini:-'  nu:73  b3fi<  .t-mbin 

Sur  III,  10,  rédition  de  I0I8  contient  une  assez  longue  explica- 
tion, dont  le  fond  appartient  à  la  Pesikta  {Parschat  ha-Hodesch, 
53  a  Buber)  et  à    Genèse  rabba,   xv  ;    les    derniers  mots  (nan 


92  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

nsab  bia  rm»)  coïncident  avec  le  dernier  Midrasch.  L'aggada  est 
introduite  par  les  mots  ffinnn  mr-is  btj  n-^bT  'icn  «n^i:».  Je  ne  sais 
ce  que  peut  être  le  «  Commentaire  des  Psaumes  sur  la  parascha 
de  Ha-Hodesch  » .  Y  aurait-il  eu  un  rite  dans  lequel  certains 
psaumes  figuraient  dans  la  liturgie  de  ce  sabbat?  ou  bien  les 
Psaumes  en  général  ont-ils  joué  le  même  rôle  que  les  chapitres 
des  Prophètes?  et  faut-il  en  rapprocher  le  fait  que  dans  deux 
manuscrits  de  la  Bible ^  les  Psaumes  sont  divisés  en  459  et  en 
470  chapitres?  Dans  ce  cas,  le  premier  nombre,  qui  est  égal  à 
53  X  3,  répondrait  au  triple  du  nombre  des  sections  sabbatiques. 
La  provenance  de  ces  manuscrits,  qui  viennent  d'Orient,  ne  doit 
pas  nous  gêner,  car  l'auteur  de  notre  commentaire  a  utilisé  des 
exemplaires  palestiniens.  Ainsi  il  cite,  sur  I,  i,  36,  un  «  Sifrè 
correct  de  Jérusalem  »  ^.  —  Mais  il  se  peut  aussi  qu'au  lieu  de 
û-^bn  '-«Dn,  il  faille  lire  Nnp-'ODD,  le  passage  se  trouvant  effectivement 
dans  la  Pesikta. 

L'explication  de  I,  xi,  5,  dont  le  style  diffère  de  celui  des  autres 
éditions,  est  suivie  de  la  remarque  :  p  ^'T'D  nh  nsb^a  nî^nm.  — 
lèid.,  16,  l'édition  de  4618,  de  même  que  l'éd.  princeps,  porte  •'îb'^rja 
nribwrj,  au  lieu  de  nriN  n^b^n,  comme  dans  les  éd.  postérieures.  — 

I,  XII,  48  :  ...'^b:'  ■';2  x-\y  -^îd»  rr^rrû  bNnwcn  is^T'D  "ûdi.  L'explication 
visée  se  trouve  dans  le  commentaire  de  Raschi  sur  I  Sam.,  ii,  30. 
Ce  passage  de  notre  commentaire  pourrait  donc  être  considéré 
comme  un  fragment  de  celui  de  Raschi  sur  les  Chroniques.  Mais 
cette  explication  est  si  naturelle  qu'elle  peut  appartenir  à  plus 
d'un  auteur.  —  Dans  II,  ii,  43,  on  lit  :  Tti^biD  '■'n-i  "«Da  "r^ttiD  '^d 
b'^iasiH):.  Le  même  Salomon  est  nommé  ailleurs  dans  le  commen- 
taire Salomon  ben  Lévi  de  b-iiasn».  —  On  sait  que  l'édition  de  4548 
contient  des  extraits  du  Yalkout  intercalés  et  précédés  des  mots  '"^d 
■'avîoio^.  —  Remarquons,  enfin,  que,  dans  cette  édition,  il  n'est  pas 
dit  que  le  commentaire  appartient  à  Raschi  ;  c'est  seulement  sur 

II,  VIII,  42,  qu'on  lit  le  titre  ■^''œn  '■'D. 

1.  V.  Ginshurfr,  Infroduclion  to  the  hebrew  Bible,  725-726. 

2.  ■'WbUJl"!"'  p">"'"n)3  """IDDa;  p■'"'^^73  manque  dans  les  éd.  postérieures.  —  Il 
semble  que  les  manuscrits  orientaux  n'étaient  pas  rares  eu  France:  dans  Pardès, 
n«  25,  on  mentionne  un  exemplaire  liabylonien  des  Prophètes,  qui  contenait  l'indica- 
tion di-s  Haftarot.  Kimhi,  Lexique,  s.  v.  "5in,  mentionne  un  nis.  correct  de  Jérusalem. 

3.  V.  Rapoport,  dans  Kérem  Uémed,  VII,  7  ;  Kiichheira,  dans  Lille ralurblalt  des 
Orients,  1844,  254;  Epstein,  da.iis  II a- Uoker,  1,134. 


DEUX  PROBLÈMES  D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE  93 


IL  —  Notes  sur  le  «  Choix  des  Perles  ». 

Tout  le  monde  connaît  la  collection  de  sentences  intitulée 
Choix  des  Perles  (Q-'rsDrj  ^natt).  Mais  on  est  incertain  sur  Fauteur 
de  l'original  arabe  et  sur  celui  de  la  traduction  hébraïque.  En  se 
fondant  sur  une  indication  de  la  préface  du  Schékel  ha-Kodesch 
de  Joseph  Kinihi,  on  attribue  l'original  à  Salomon  Ibn  Gabirol,  la 
traduction  à  Juda  Ibn  Tibbon.  Steinschneider  a  fait  valoir  des 
arguments  sérieux,  sinon  péremptoires,  contre  la  paternité  de 
Gabirol;  quant  à  voir  le  traducteur  dans  Juda  Ibn  Tibbon,  le  môme 
savant  objecte  ^  :  «  Il  n'est  pas  moins  singulier  que  le  nom  de 
J.  Ibn  Tibbon  ne  se  trouve  indiqué  nulle  part  en  dehors  du  passage 
de  Kimbi,  qui  en  fait  un  Sévillan,  alors  que  partout,  même  dans 
les  épigraphes  de  son  fils  Samuel  et  de  son  petit-fils  Moïse,  on  le 
dit  originaire  de  Grenade  {y^z'o  "jitt-itt).  Ce  qui  pourrait  expliquer 
une  interpolation  qui  fait  de  lui  le  traducteur  du  Choix  des  Perles, 
c'est  qu'il  cite  cet  ouvrage  et  qu'il  a  été  considéré  comme  le  pre- 
mier traducteur  d'écrits  philosophiques.  » 

Cette  question  est  étroitement  liée  à  celle  de  l'époque  à  laquelle 
a  vécu  l'auteur  ou  le  rédacteur  de  notre  commentaire  des  Chro- 
niques. Ce  commentaire  cite,  en  effet,  dans  l'éd.  de  Venise,  1318, 
cinq  morceaux  assez  étendus  du  Choix  des  Perles.  Si  l'opinion  qui 
fait  vivre  l'auteur  de  ce  commentaire  dans  la  première  moitié  du 
xii«  siècle,  est  exacte,  Juda,  né  vers  1120,  était  encore  bien  jeune  à 
cette  époque.  De  plus,  on  sait  que  Juda  n'a  commencé  ses  traduc- 
tions qu'après  avoir  émigré  à  Lunel,  vers  1150.  En  Espagne,  il  n'y 
avait  aucune  raison  de  traduire  des  ouvrages  arabes.  La  traduc- 
tion du  Choix  des  Perles  ne  peut  donc  pas  être  l'œuvre  de  Juda  Ibn 
Tibbon. 

Mais  si  l'on  écarte  les  scrupules  de  Steinschneider  et  que  l'on 
fasse  de  J.  Ibn  Tibbon  le  traducteur  du  Choix  des  Perles,  le 

1.  Die  hebrdischen  Uebersetzunqen,  388.  En  1852,  dans  riiitroduction  du  Testa- 
ment de  Juda  édité  ])ar  lui,  Steinschneider  ne  faisait  encore  aucune  objection  contre 
Ibn  Gabirol  comme  auteur  ni  contre  Juda  Ibn  Tibbon  commi  traducteur;  rien  non 
plus  en  1837  dans  sa  Judische  Lileralur.  Mais  en  1858  il  émet  déjà  des  doutts  sur  la 
paternité  d'Ibn  Gabirol,  Heb7\  fiibl.,  VI,  366.  Gross,  Gallia,  282,  ne  connaît  que  le 
Steinschneider  de  1852.  Mais  tandis  que  Steinschneider  disait  seulement  :  «  traduit 
peut-être  aussi  pour  Aschcr  »,  sans  invoquer  le  Testament  de  Juda,  qui  n'en  dit 
rien,  Gross  écrit  sans  hésitation  :  a  C'est  également  sur  les  instances  d'Asoher  qu'il 
traduisit  le  Choix  des  Perles...  (Testament,  l.  c,  introduction,  p.  11).  i 


94  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Commentaire  des  Chroniques  ne  peut  avoir  été  écrit  qu'après  1150, 
ou,  pour  mieux  dire,  après  1160,  puisque  la  première  traduction 
de  Juda  Ibn  Tibbon,  celle  des  Devoirs  des  cœurs  de  Bahya  Ibn 
Pakouda,  a  été  faite  au  plus  tôt  vers  1161  '. 

Il  se  peut,  à  la  vérité,  que  les  extraits  du  Choix  des  Perles  inter- 
calés dans  le  Commentaire  des  Chroniques  soient  des  interpola- 
tions postérieures.  Dans  ce  cas,  elles  perdraient  l'importance  que 
leur  donnerait  leur  authenticité,  mais  elles  n'en  resteraient  pas 
moins  pleines  de  valeur  et  d'intérêt. 

En  effet,  elles  nous  révèlent  d'abord  un  autre  titre,  inconnu  par 
ailleurs,  du  Choix  des  Perles,  ensuite  une  introduction  différente 
de  celle  que  nous  connaissons  par  les  manuscrits  et  les  éditions  -. 
La  première  citation  (sur  II,  xxvi,  10)  est  introduite  par  ces  mots  : 
ûbwn  n2''n2  -loon  donn  '»n  n-^sbwn  ibs  Va^n  ;  la  quatrième  réunit 
deux  chapitres  qui  sont  tout  à  fait  séparés  dans  nos  textes.  L'au- 
teur ou  l'interpolateur  du  Commentaire  des  Chroniques  connais- 
sait donc  le  Choix  des  Perles  sous  le  titre  de  Behinat  ha-Olam.  Si 
l'on  tient  les  citations  pour  interpolées,  on  pourrait  conjecturer  que 
le  Choix  des  Perles  était  réuni  dans  un  manuscrit  quelconque  au 
Behinat  Olam  de  Yedaya  ha-Penini  sans  porter  de  titre  distinct. 
Il  s'ensuivrait  qu'avant  1318  on  considérait  déjà  le  Choix  des  Perles 
comme  l'œuvre  de  Yedaya,  ce  qui  était  seulement  une  hypothèse 
de  Gaulmin. 

Mais  inversement  on  ne  peut  pas  identifier  l'ouvrage  cité  dans 
notre  commentaire  sous  le  titre  de  Behinat  Olam  avec  celui  de 
Yedaya,  de  façon  à  obtenir  la  preuve  certaine  que  ces  citations 
sont  des  interpolations.  Car,  même  si  l'on  accorde  l'identité  des 
deux  livres,  il  est  vraisemblable,  étant  donné  que  les  quatre 
autres  passages  sont  introduits  seulement  par  les  mots  i»n  nt  hy^ 
DDTti,  que  les  mots  dbvn  nrna  nsoa  dans  la  première  citation 
proviennent  d'un  copiste  ou  d'un  lecteur  à  demi-savant. 

Les  citations  de  notre  Commentaire  ne  sont  pas  d'un  grand  prix 
pour  le  texte  du  Choix  des  Perles  ;  elles  concordent  en  gros  avec 
l'édition  de  Londres^.  Les  divergences  sont  secondaires,  mais 

1.  Steinschneider,  op.  cil.,  273. 

2.  Kirchheim  dans  Lbl.  d.  Or.,  1844,  p.  254,  mentionne  ces  citations  sans  les  exa- 
miner. Epstein,  dans  Ha-Hoker,\,  135,  y  touche  aussi  brièvement  comme  citations  du 
Behinat  Olam. 

3.  Concordance  des  citations  (dans  II  Clir.)  avec  l'édition  de  Londres,  1859  :  1»  sur 
XXVI,  10  =  §§  498-519  ;  2°  sur  xxix,  17  =  §§  521-540  :  3»  sur  xxx,  28  =  §  323-332; 
o»  sur  xxxiv,  28  =  §§  363-371  ;  4°  sur  xxxiv,  3  =  §§  372-378,  300-310  (aprèt  le 
g  378,  qui  se  termine  par  n"l3T!l  n^*!?!,  vient  le  g  300  précédé  des   mots  "iTûNT 


DEUX  PROBLÈMES  D'HISTOIRE  LITTÉRAIRE  95 

quelques-unes  ne  sont  pas  insignifiantes.  L'édition  de  la  Bible  de 
Bomberg,  1518,  n'étant  pas  très  répandue,  on  me  permettra  de 
réunir  ici  les  variantes  : 

§  302  :  my-\  nON  biao-^ia  ;  303  :  T>33>n  nx  -i-'ocri  ;  307  :  -nana 
nujnn  nns-^uj-»  ;  3io:  ...nn  rrri^uj  bs^n  noDn  np-ri^an;  328:  ^•^2H^ 
ù^nb  b>NUJ  ;  330  :  man^m  mysicn  nrT73T  n^ann  -imn  mr-^iirn  in»  ; 
337  :  mbyn  baoi  ;  333  :  T^ian  T>rT^  Nb  nx  ;  363  :  ,n-ii:  ^b»  rja  t^nï: 
D^m  NEi-n  pni:  asi^  nn  i-^xa  T^ra  mnn  bx  n  w  n  t  ;  366  :  bïîaî 
lyNS  '^bwrj;  369:  nnv  nyb;  373:  nujirn  noDn  nbi&tm;  377:  -i72Kt 
ûsnn;  498:  riNsrinb  ;  499:  muaw  "^sd»  ...pw?^  3ti  ;  503  :  Ninab  u:-'0 
nma;    303:  rtDW-^n  ;    306  :    pp-i;    3io  :    n"':ia''   n»D  im  ;    513:   ^otn 

"inN-l-'n  :     323  :    3^1    nbsb  ;     323  :     DbiJ'n    nnriN  ;    327  :     -)73N    THN     &nN 

■^sns  ûDnb  ;   329  :   aiipn   n'5an   -iDi^n  ;    533  :  mu:i-iDn  -i«î»i  ;     534  : 

D'sD'O    1»    -IWNT  ;     333  :    33b    b^    I^NT  ;     338  :    -«b    IHîn     O^ID  ;     349  :    1373 

litt-'^N  "'îN  onb  nwN  .  ■ .  s'p-ip. 

V.  Aptowitzer. 


LES   MANUSCRITS  HÉBREUX 

DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LOUVRE 


M.  Léopold  Delisle,  le  maître  de  la  bibliographie  française,  dont 
la  carrière  féconde  et  la  verte  vieillesse  évoquent,  pour  nous 
profanes,  le  nom  de  Tinoubliable  Moritz  Steinschneider,  vient  de 
publier,  à  quatre-vingt-un  ans,  un  gros  ouvrage,  qu'il  présente  à 
la  fois  comme  un  hommage  à  FAcadémie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres,  dont] il  est  membre  depuis  cinquante  ans,  et  comme  ses 
adieux  à  la, Bibliothèque  Nationale,  dont  il  fut  l'actif  administra- 
teur général  jusqu'en  1905,  et  qui  lui  a  fourni  la  matière  de  ses 
principaux  travaux,  entre  autres  Le  Cabinet  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  impériale  \  Son  nouveau  livre  reprend  justement  la 
première  partie  de  ce  dernier  ouvrage  ;  il  se  rapporte  aux  volumes 
réunis  par  les  rois  de  France  Charles  V  et  Charles  VI  dans  leur 
bibliothèque  du  Louvre  et  est  intitulé  Recherches  sur  la  librairie 
de  Charles  V^.  Çà  et  là,  M.  Delisle  a  l'occasion  de  citer  des  manu- 
scrits écrits  en  hébreu  ou  ayant  trait  à  des  Juifs.  Nous  voudrions 
grouper  et  compléter  ces  renseignements,  qui  se  rapportent  à 
une  des  plus  anciennes  collections  de  livres  de  l'Europe,  berceau 
de  la  Bibliothèque  Nationale.  Ils  permettent  d'enrichir  la  notice 
consacrée  récemment  par  M.  Schwab,  dans  la  Jewish  Encyclo- 
pedia  ^,  à  l'histoire  du  fonds  hébreu  de  cet  établissement. 

Charles  V,  grand  amateur  de  lettres  et  de  livres,  fonda  une 
«  librairie  »  somptueuse,  qu'il  installa  dans  son  château  du  Louvre 

1.  Paris,  1868;  3  vol.  in-^. 

2.  Paris,  H.  Champion,  1907;  2  vol.  iu-S»  de  xxv  -f  442  et  325  p.  En  tète  du  pre- 
mier Toliime  de  charmants  «  Souvenirs  de  jeunesse  ». 

3.  Jew.  Encycl.,  m,  205-207. 


LES  MANUSCRITS   HÉBREUX  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LOUVRE        97 

en  1367  ou  1368.  Son  père,  Jean  II  le  Bon,  était  également  un 
bibliophile.  C'est  lui  qui  lit  exécuter  par  Jean  de  Sy  (ou  de  Gis) 
une  superbe  Bible  française  avec  commentaires  \  dont  les  frais 
furent  mis  à  la  charge  des  Juifs,  et  qui  ne  fut  d'ailleurs  jamais 
achevée  ;  un  fragment  forme  le  manuscrit  français  15397  -.  Nous 
devons  ce  renseignement  à  l'inventaire  de  Gilles  Maiet,  biblio- 
thécaire du  roi,  inventaire  dont  nous  avons  deux  copies,  éditées 
par  M.  Delisle  ;  on  lit  dans  l'une  et  dans  l'autre  :  «  soixante-deus 
cahiers  de  la  Bible  que  commença  maistre  Jehan  de  Sy,  et  laquelle 
faisoit  translater  le  roi  Jehan,  que  on  a  fait  escripre  aus  despens 
des  Juifs  »  ^.  Il  paraissait  juste  de  faire  copier  aux  frais  de  ces 
mécréants  l'Écriture,  témoignage  de  leur  aveuglement  et  de  leur 
perdition.  C'est  le  mot  d'un  pape  disant  aux  Juifs  qui  lui  apportent 
processionnellement  leurs  livres  saints  :  «  Nous  acceptons  la  Loi 
qui  vous  condamne.  » 

On  sait  que  Jean  le  Bon,  pressé  d'argent,  rappela  en  1360  les 
Juifs  expulsés;  il  leur  assura,  moyennant  finances,  toutes  sortes 
de  garanties  et  de  privilèges  *,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas,  on  le  voit, 
de  recourir  à  certaines  exactions.  Celle-ci  décèle  la  même  arrière- 
pensée  théologique  qu'on  lit  entre  les  lignes  du  projet  d'ordon- 
nance sur  les  Juifs  tout  récemment  publié  par  M.  Jusselin  ^,  quoique 
nul  indice  intrinsèque  ne  permette  de  le  rapporter  précisément  à 
cette  époque,  comme  le  voudrait  l'éditeur.  Contrairement  aussi  à 
l'avis  de  M.  Jusselin,  il  nous  semble  que  ce  document,  d'après 
l'esprit  qui  s'y  manifeste,  émane  d'un  membre  du  clergé  plutôt 
que  d'un  légiste  ;  les  mesures  décrétées  contre  les  Juifs  trahissent 
généralement  leur  origine  ecclésiastique  et,  pour  comprendre  la 
politique  des  rois  de  France  à  leur  égard,  il  faut  voir  la  main  de 
l'Église  poussant  le  pouvoir  séculier. 

Charles  V,  qui  avait  provoqué  le  retour  des  Juifs  pendant  la 
captivité  de  son  père,  leur  continua,  quand  il  fut  monté  sur  le 
trône,  la  bienveillance  qu'il  leur  avait  montrée  comme  dauphin. 
C'est  ce  qu'a  établi,  en  particulier,  il  y  a  une  trentaine  d'années, 
Siméon  Luce,  qui  rapporte  à  ce  propos  l'un  des  témoignages  de 

1.  Sur  ce  personnage  et  la  Bible  qui  porte  son  nom,  v.  S.  Berger,  La  Bible  fran- 
çaise au  moyen  dge  (Paris,  1884),  p.  238-243. 

2.  Delisle,  op.  cit.,  I,  328  et  n.  2  ;  cf.  p.  146  et  406-410. 

3.  Delisle,  Le  Cabinet  des  manuscrits,  III,  117,  col.  2. 

4.  Graetz,  VIII,  3*é(lit.,  4-6  (trad.  française,  IV,  286);  I.  Loel),  Les  Expulsions  des 
Juifs  de  France  au  XIV'  s.,  4-14  (^  Jubelschrift  Graetz,  42-u2).  Cf.  Jew.  Encijcl., 
V,  463  a.  Is.  Loub  a  montré  que  les  Juifs  chassés  en  1306,  rappelés  en  131ij,  avaient  été 
de  nouveau  chassés  en  1322. 

5.  Revue,  LIV  (1907),  142-146. 

T.  LV,  N»  109.  1 


98  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

sympathie  qu'il  leur  donna  et  qui,  «  pour  être  tout  littéraire,  n'en 
est  pas  moins  touchant  »  ^  D'après  lui,  M.  Delisle  rapporte  le  fait 
en  ces  termes  :  «  En  137^,  il  (Charles  V)  se  fit  remettre  par  Gérard 
de  Montaigu  -  des  livres  hébraïques  qui  étaient  déposés  au  Trésor 
des  chartes,  et  dont  les  uns  furent  incorporés  dans  la  librairie  du 
Louvre  et  d'autres  prêtés  à  des  Juifs,  notamment  à  un  nommé 
Menecier.  Huit  volumes  hébreux  furent  mis  à  la  disposition  de 
l'astrologue  du  roi,  maître  Thomas  de  Boulogne  ^.  »  Siméon  Luce  a 
publié  et  M.  Delisle  réédite  l'inventaire  de  cette  répartition  de  livres 
hébreux  provenant  sans  doute  de  confiscations  opérées  sur  les 
Juifs  à  diverses  époques  ^  La  première  catégorie  comprend  «  les 
livres  des  Juyfs. , .  lesquels  nous  avons  prestes  à  Menecier  le  Juyf 
et  autres  Juyfs  demourans  à  présent  à  Paris,  le  xxi«  d'avril,  Tan 
de  grâce  mil  ccc  soissante  et  douze  ».  Dans  la  triple  liste  qui  suit 
figurent  des  livres  bibliques,  des  commentaires,  des  pièces  de 
calde,  c'est-à-dire  de  largoum,  des  dictionnaires  de  la  Bible,  c'est- 
à-dire  des  glossaires  hébreux-  fr ançais,  deux  petits  livres  de  méde- 
cine, un  petit  livre  d'expérimens,  etc. 

Pour  la  seconde  catégorie,  S.  Luce  dit  que  «  quoique  Charles  V 
ait  cru  devoir  retenir  par  devers  lui  les  manuscrits  de  cette  caté- 
gorie pour  les  mettre  en  sa  librairie,  M.  Léopold  Delisle  ne  les  a 
retrouvés  dans  aucun  des  catalogues  de  cette  précieuse  collection 
du  château  du  Louvre,  premier  noyau  de  notre  Bibliothèque 
Nationale».  M.  Delisle"^  dit,  en  effet,  que  quoiqu'il  y  ait  eu  des 
livres  hébraïques  dans  la  librairie  de  Charles  V,  aucun  des  anciens 
inventaires  n'en  mentionne.  «  Je  ne  crois  pas,  ajoute-t-il,  qu'il  faille 
prendre  pour  un  livre  hébraïque  l'ouvrage  indiqué  dans  l'article 
715  comme  «  escript  de  lettre  de  Juifs  »,  puisque  cet  ouvrage  était 
«  partie  en  latin  et  partie  en  espagnol  ».  C'était  plutôt,  en  effet, 
quelqu'une  de  ces  lettres  apocryphes  qu'on  faisait  circuler,  en 
Espagne  particulièrement,  contre  les  Juifs  pour  prouver  leurs  pré- 
tendus crimes. 

Cependant  Siméon  Luce  cite,  après  M.  Delisle,  une  note  latine 
de  Gérard  de  3Iontaigu,  qui  l'ésume  sommairement  les  faits 
énoncés  dans  l'inventaire,  et  dont  le  texte  a  été  publié  par  Bordier 

1.  s.  Luce,  Les  Juifs  sous  Charles  V  el  le  fonds  hébraïque  du  Trésor  des  Charles 
en  1372,  dans  la  Revue  historique,  VII  (1878),  362-70. 

2.  Garde  du  Trésor  des  Chartes  et  secrétaire  du  roi. 

3.  Delisle,  op.  cit.,  p.  53. 

4.  Ibid.,  Aiipendice  ix,  p.  370-378.  L'original  est  aux  Archives  Naliouales,  section 
histori(iue,  .1  47G,  n°  9, 

5.  Le  Cabinet  des  77ianuscrits,  1,  48  et  n.  1. 


LES  MANUSCRITS  HÉBREUX  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LOUVRE  99 

dans  sa  description  des  Archives  ^  Il  suffisait  de  suivre  cette 
piste  pour  être  en  mesure  de  s'assurer  que  ces  manuscrits  existent 
encore  aujourd'hui,  et  nulle  part  ailleurs  qu'à  la  Bibliothèque 
Nationale. 

En  efTet,  Bordier  rapporte  cette  notice,  tirée  d'une  des  éditions 
de  la  grande  Préface  écrite  par  Gérard  de  Montaigu,  en  signalant 
l'existence  aux  Archives  de  «  deux  liasses  (boîtes  1  ct!2)  de  volumes 
ou  cahiers  en  hébreu  (contenant  diverses  parties  de  la  Bible)  con- 
fisqués à  des  Juifs  expulsés  de  France  au  xiii^  {sic!)  siècle  ».  Ces 
deux  liasses,  qu'il  ne  décrit  pas  autrement,  ne  figurent  pas  dans  le 
dernier  inventaire  des  Archives  Nationales  parce  qu'elles  ont  été 
transportées  à  la  Bibliothèque  Nationale  (alors  Impériale)  en  1862, 
lors  de  l'échange  qui  fut  ordonné  entre  ces  deux  établissements 
scientifiques.  M.  Delisle,  relatant  cette  opération,  dit  :  «  Les 
Archives  remettent  à  la  Bibliothèque  les  volumes  hébraïques 
déposés  au  Trésor  des  Chartes  depuis  qu'ils  avaient  été  confisqués 
sur  les  Juifs  ^  »  Ces  volumes  ont  été  compris  dans  le  Catalogue 
des  manuscrits  hébreux,  ainsi  que  le  rapporte  Taschereau  dans 
son  Rapport  au  ministre  :  «  Les  manuscrits,  écrit-il,  entrés  à  la 
Bibliothèque  par  suite  de  cet  échange  sont  fort  anciens  et  parais- 
sent devoir  être  ceux  dont  Gérard  de  Montaigu  parle,  au  temps  de 
Charles  V,  dans  son  Inventaire  du  Trésor  des  Chartes,  et  qu'on 
suppose  avoir  été  confisqués  sur  les  Juifs  par  ordre  de  Philippe 
le  Bel  3.  » 

Malheureusement  on  a  négligé  de  dresser,  en  4862,  l'inventaire 
de  cet  échange,  de  sorte  qu'il  faut  feuilleter  tout  le  Catalogue  pour 
retrouver  les  manuscrits  en  question.  Ce  sont  les  numéros  actuels 
78  (Onkelos),  302  (glossaire  hébreu-français),  638  à  639  (siddours  et 
mahzors)  ;  du  moins  ce  sont  ceux  dont  la  provenance  est  indiquée  ''. 
Le  n°  302  est  le  Glossaire  hébreu- français  édité  par  MM.  Lambert 
et  Brandin  en  I90o.  En  décrivant  ce  manuscrit,  A.  Darmestetcr, 
négligeant  la  mention  du  Catalogue,'  ne  s'expliquait  pas  sa  pré- 
sence à  la  Bibliothèque  Nationale  •'.   Mais   les  éditeurs,  tout  en 

1.  H.-L.  Bordier,  Les  Archives  de  la  France,  ou  Histoire  des  Archives  de  l'Em- 
"pire...  Paris,  1855,  p.  168.  L'original  est  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  latin  9835. 

2.  Le  Cabinet  des  manuscrits,  II,  307. 

3.  Catalogues  des  manuscrits  hébreux  et  samaritains  de  la  liibliotlièque  impé- 
riale, p.  V,  n.  1. 

4.  Sleinschneidcr,  dans  la  conconlance  qu'il  a  dressée  des  numéros  actuels  du  Cata- 
logue et  des  numéros  des  (liflërents  fonds  [Z.f.H.B.,  VI  [1902],  150-156),  n'indique  pas 
la  provenance  de  chaque  manuscrit  du  Supplément. 

5.  Gloses  et  glossaires  hébreux- français,  dans  la  Romania,  I  (1872),  163  (=  Reliques 
scientifiques,  I,  182). 


100  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

avouant  n'avoir  rien  trouvé  sur  l'histoire  même  du  manuscrit, 
considéraient  déjà  comme  «  plus  que  probable  qu'il  a  fait  partie 
des  livres  hébreux  confisqués  sur  les  Juifs  et  déposés  au  Trésor 
des  Chartes  »  ^  On  voit  que  cette  hypothèse  est  assez  fondée. 

M.  Delisle,  qui  a  dépensé  tant  de  science  et  de  sagacité  pour 
reconstituer  la  bibliothèque  de  Charles  V,  ne  se  doutait  pas  qu'il 
avait  tout  près  de  lui  des  manuscrits  qui  en  avaient  fait  partie.  Il 
est  vrai  que  ce  sont  des  manuscrits  hébreux. 

Quant  au  «  nommé  Menecier  »  qu'il  cite,  c'est  évidemment  le 
fameux  Menecier  de  Vesoul  qui  négocia  le  retour  de  ses  corehgion- 
naires  sous  Jean  II  et  reçut  ou  plutôt  acheta  la  charge  de  recueillir 
les  taxes  qu'ils  devaient  acquitter  2.  Originaire  de  Franche-Comté, 
c'était  un  des  principaux  changeurs  de  VesouP.  En  1348,  à  la 
suite  de  la  Peste  noire,  il  fut  arrêté  avec  d'autres  Juifs  de  cette 
ville  et  impliqué  dans  l'accusation  d'empoisonnement  des  puits 
et  fontaines  ;  on  en  voulait  surtout  à  leur  argent.  Il  s'évada  avec 
quatre  de  ses  co-détenus,  mais  fut  repris  et  finalement  condamné 
au  bannissement.  Il  n'en  fit  pas  moins  de  brillantes  afl"aires  et 
étendit  si  bien  ses  relations  qu'un  an  après  l'avènement  de 
Charles  V,  il  prenait,  dans  les  actes  et  sur  son  enseigne,  le  titre 
pompeux  d'argentier  du  roi  de  France  (1365)'*.  Il  jouissait  d'un 
certain  crédit  auprès  de  Charles  V  ^,  qui  le  dispensa  en  môme 
temps  que  le  rabbin  Matatia  du  port  de  la  rouelle.  Cette  exemption 
est  ainsi  libellée  :  «  Exceptez  tant  seulement  Manessier  de  Vezou, 
sa  femme  et  ses  enfants,  et  Johannen,  son  gendre,  maistre  Mathatias 
et  sa  mère  et  Abraham  son  fils  '^  ».  Maistre  Mathatias  est  Matatia  b. 
Joseph,  qui  fat  grand-rabbin  de  France  sous  Charles  V  et  eut  pour 
successeur  son  fils  Yohanan  ^  Graetz  a  supposé  que  ce  dernier  est 

1.  M.  Lambert  et  L.  Brandin,  Glossaire  hébreu-français  du  XIII"  siècle,  i,  n.  4. 

2.  Voir,  sur  ce  itersonnai,'e,  Graetz,  VIII,  3°  édition,  4-8,  33-34  (trad.  française,  IV, 
286-287);  Is.  Loeb,  loco  citalo,  3-4,  16-18  (41-42,  54-56);  L.  Lazard,  Un  Juif  fran- 
çais du  XIV^  siècle.  Menessier  de  Vezou,  dans  l'Annuaire  des  Archives  israélites, 
VU  (1890),  52-56  (-=  Archives  israélites,  LI  [1890].  19G-197).  Cf.  Jacobs,  dans  Jew. 
EncycL,  VIII.  290-291. 

3.  Je  ne  sais  d'après  (luels  textes  Is.  Loeb  suppose  et  M.  Lazard  affirme  la  parenté 
de  Menecier  avec  son  cunfière  et  compatriote  Héliot  de  VesouL 

4.  J.  Morey,  dans  Revue,  VU  (1883),  26,  27,  33.  Cf.  Gauthier,  ibid.,  XLIX  (1904),  9. 

5.  Toutefois,  vers  1360,  à  la  suite  d'un  procès  avec  son  associé  Jacob  de  Pont-Sainte- 
Maxence,  il  fut  condansné  à  faire  amende  honorable  au  roi  et  au  Parlement  et  à  deux 
autres...  amendes  (I.  Loeb,  toc.  cit.,  16-18  [54-56]^.  Mais,  ajoute  Loeb,  il  recouvra 
bientôt  son  crédit  à  la  cour,  ce  que  prouve  aussi  le  fait  qui  nous  occupe. 

6.  Ordonnances  des  rois  de  France  de  la  troisième  race,  V,  498. 

7.  Voir,  sur  ces  deux  rabbins,  Briill,  Jahrbiicher,  I,  91-99,  et  Gross,  Gallia  judaica, 
532-534;  sur  le  second,  eu  outre,  Giidemann,  Geschichle  des  Erziehungsweseiis  und 


LES  MANUSCRITS  HÉBREUX  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LOUVRE         101 

le  même  que  «  Johannes  »,  ou,  en  d'autres  termes,  que  Menecier 
de  Vesoul  et  Matatia  ben  Joseph  avaient  marié  leurs  enfants  ; 
cette  hypothèse,  assez  vraisemblable,  a  été  adoptée  par  Brtill  et 
par  M.  Gross'. 

Ce  n'est  pas  tant  pour  lui-même  que  pour  ses  coreligionnaires, 
dont  il  était  l'agent,  et  surtout  pour  Matatia,  dont  il  était  le  parent  2, 
que  Manecier  reçut  de  Charles  V  une  partie  des  manuscrits  du 
Trésor  des  Chartes,  livres  bibliques  et  rituels,  destinés  à  la  prière 
et  à  l'étude.  Matatia  paraît  avoir  été  amateur  de  manuscrits.  S'il 
n'est  pas  prouvé  que,  comme  l'avance  Graetz-^,  il  ait  fait  copier  le 
Talmud,  il  est  certain  qu'il  en  acheta  un  exemplaire,  où  il  inscrivit 
son  nom  à  la  place  de  celui  du  précédent  possesseur.  C'est  actuel- 
lement le  fameux  manuscrit  de  Munich,  qui  a  servi  de  base  à 
Rabbinowicz  pour  ses  Dikdoukê  SoferimK  Un  autre  manuscrit  qui 
a  appartenu  à  Matatia  et  qui  pourrait  être  de  ceux  que  le  roi  prêta 
(on  dirait  mieux  :  rendit)  aux  Juifs  de  Paris,  est  un  Séfer  Tora  cité 
par  Joseph  Colon,  le  rabbin  italien  du  xv^  siècle,  comme  appar- 
tenant à  Abraham  Trêves,  petit-fils  de  Joseph  Trêves,  et  remon- 
tant à  Matatia  Trêves^.  Yohanan  b.  Matatia,  qui  appartenait  à  la 

der  Cultur  der  Juden  in  Frankreick  und  Deutschland,  247-249,  et  I.  Lévi,  dans 
Revue,  XXXIX  (1899),  83-88  et  90-94;  cf.  le  même,  dans  Revue,  XLIII  (1901),  281-282, 
et  dans  Jew.  Enci/cl.,  V,  465. 

1.  Graelz,  loc.  cil.,  9,  n.  1  ;  Briill,  p.  92  (sauf  qu'il  fait  par  erreur  de  Manecier  le 
beau-frère  de  Matatia)  ;  Gross,  532.  —  Quant  à  Abraham,  on  ne  sait  rien  de  lui  ;  voir 
cependant  une  hypothèse  assez  fragile  de  Briill,  p.  99,  n.  46.  Si  je  ne  craignais 
d'ajouter  une  nouvelle  hypothèse,  je  serais  tenté  de  le  rapprocher  d'Abraham  b. 
Matatia  U3X"'~m73,  nommé  dans  un  manuscrit  du  Séfer  ha-Nayyar  (Gross,  dans  Revue, 
vu,  [1883],  77),  et  qui  paraît  bien  appartenir  à  la  môme  famille  (idem,  Gallia,  242- 
243  ;  cf.  Revue,  LIV  [1907],  87  et  plus  bas,  n.  5). 

2.  C'est  sans  doute  grâce  à  leur  parenté  avec  Manecier  que  Matatia  et  son  fils  furent 
recnnnus  par  le  rui  grands-rabbins  des  Juifs  de  France,  comme  en  témoigne  leur  con- 
temporain Isaac  b.  Schésrhet  [Consullalionx  du  Ribasch,  n»  271;. 

3.  Graetz,  l.  c,  10  et  note  (trad.  franc.,  IV,  288).  Il  songe  au  manuscrit  de  Munich. 

4.  V.  Steinschneider,  Die  hehrnischen  Handschriflen. . .  in  Munchen,  2'  éd..  p.  60 
(ajouter  à  la  bibliographie  :  M.  Schwab,  Un  manuscrit  hébreu-parisien  à  Munich, 
dans  les  Mémoires  du  Congrès  provincial  des  orienlalisles,  1874,  51-68  ;  Renan,  Les 
Écrivains  juifs  français,  65). 

5.  Consultations  du  Mahariq,  n"  122  (28  c  Crémone)  :    '^m    hy    "'b    naiîl    rtDm 

-T'-in73  b-::  m3  p  Vi:*'  ^"'-iTia  nn-i3N  ■'Dn  T'a  rt-nn  nco  "C  "^d  t^jzuti 

b"T  ;::"''nT)a  ^5^^^l5^  -|"-ir!W73  N3^  b"T  ^^"■'ma  C)0T'.  —   Un  fils  de  Malalia, 

Joseph,  fit  copier  à  son  usage,  en  1391,  «  le  Livre  du  papier  »  ("l'^^j"  'D),  manuscrit 
qui  a  appartenu  à  Halberstamm  et  qui  est  maintenant  à  la  Bodléieime,  2696  (Catalogue 
Neubauer-Cowley,  II,  891,  v.  Halberstamm,  cité  par  Rabbinowicz.  Dikdouké  Soferim, 
II.  i.  f.;  Briill,  loc.  cit.,  99;  Neubauer,  Rapport  sur  une  mission  dans  l'Est  de  la 
France. . . ,  22-23  ;  Les  Écrivains,  63-65  ;  Gross,  dans  Revue.  VII  (1883),  74  (vers  1391  )  ; 
Gallia,  208  (en  1392  ;  manque  dans  l'Index,  s.  v.  Joseph  ben  Malatia  de  Paris  idem, 
[pourquoi  de  Paris?]),  242  (vers  1392;  «  voir  plus  haut  >>  se  rapporte  à  la  p.  208),  532. 


102  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

célèbre  famille  Trêves,  émigra  en  Italie  après  l'expulsion  des  Juifs 
de  France. 

Avant  de  quitter  Charles  V,  signalons  que,  dans  une  lettre  qui 
aurait  été  écrite  par  ce  roi  à  Gilles  Malet,  mais  que  M.  Delisle  consi- 
dère comme  l'œuvre  d'un  faussaire  (elle  fait  actuellement  partie  du 
Musée  Thomas  Dobrée  à  Nantes),  il  est  question  de  «  deus  Juiz  », 
qui  étaient  venus  présenter  au  roi  des  livres,  que  celui-ci  charge 
son  bibliothécaire  d'expertiser'. 

Nous  retrouvons  Malet  sous  Charles  VI,  auprès  duquel  il  exer- 
çait les  mêmes  fonctions,  un  peu  après  l'expulsion  définitive  des 
Juifs  en  1394.  Toute  une  «  collection  de  livres  hébraïques  fut 
livrée  à  Gilles  Malet  vers  1397  :  elle  se  composait  de  cent  quatorze 
volumes,  de  quatre  rôles  [rouleaux]  et  d'une  quantité  de  cahiers  de 
la  Bible  ou  du  Talmud,  qu'on  avait  trouvés,  après  l'expulsion  des 
Juifs,  dans  une  maison  du  faubourg  Saint-Denis  ayant  pour  enseigne 
un  porcelet  »  ^.  M.  Delisle  emprunte  ce  renseignement  à  Sauvai  ^, 
sans  dire  que  l'exactitude  en  a  été  révoquée  en  doute  depuis 
longtemps  par  Jourdain  dans  son  Mémoire  historique  sur  la  Biblio- 
thèque du  Roy  *  :  «  Pour  montrer,  dit-il,  combien  ce  fait  est  dou- 
teux, il  suffit  d'observer  que  Malet  lui-même  n'en  parle  en  aucune 
manière  dans  son  inventaire  ;  quoyque  ces  livres  fussent  en  langue 
qu'il  ignoroit  sans  doute,  il  n'auroit  pas  manqué  du  moins  d'en 
faire  mention  en  général.  »  L'argument  serait  péremptoire  si  Sauvai 
ne  donnait  pas  des  chiffres  précis.  Taschereau  est  aussi  sceptique, 
mais  plus  embarrassé  que  son  prédécesseur^  :  «  En  s'appuyant 
sans  doute  sur  un  texte  mal  interprété,  Sauvai  a  voulu  faire 
remonter  l'origine  du  fonds  hébreu  de  la  Bibliothèque  impériale 

Sur  Joseph,  v.,  en  outre,  E.-N.  Adler,  dans  Revue,  XXXIX  (1899),  89,  et  I.  Lévi,  ibid., 
XLUI,  282.  M.  Gross  et  M.  I.  Lévi  Tindentilient  avec  le  «  maistre  de  la  loy  »  Joseph  de 
Trêves  qui  commerce  à  Dijon  de  1378  à  l.'JOl  (Simounet,  Juifs  et  Lombards,  212, 
[Mémoires  de  l'Académie  de  Dijon,  1865];  Gauthier,  dans  Revue,  XLIX  [1904],  14, 
n.  4,  254). 

1.  Delisle,  op.  cil.,  p.  337  et  s. 

2.  Ibid.,  p.  130. 

3.  Ilisloire  et  anliqiiilez  de  la  ville  de  Paris,  livre  X,  II,  520.  Cf.  la  citation  que 
Boivin  (ms.  français  22571,  p.  89)  fait  du  texte  de  Sauvai  d'après  le  manuscrit  original 
de  la  hibliothùque  du  chancelier  (Note  de  M.  Delisle).  Boivin,  dans  sun  Mémoire  pour 
l'histoire  de  la  Bibliothèque  du  Roy  (nouv.  acq.  fr.  1328  ;  copie  dans  le  ms.  fr.  22571), 
cite  le  passage  de  Sauvai,  dont  l'ouvrage  était  encore  inédit,  mais  se  montre  fort  scep- 
tique. 

4.  Kii  tète  du  Catalogue  des  Livres  imprimez  de  la  Bibliothèque  du  Roij,  Théo- 
logie, 1'*  partie,  p.  v.  —  Cf.  A.  Franklin,  Les  anciennes  bibliothèques  de  Paris,  11, 
120,  n.  2. 

5.  Loc.  cit.,  p.  iii. 


LES  MANUSCRITS  HÉBREUX  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LOUVRE         103 

au  temps  de  Charles  VI,  et  l'a  donné  comme  étant,  dans  son  prin- 
cipe, un  produit  de  confiscations  opérées  sur  les  Juifs  en  1397.  Il 
serait  difficile  d'établir  quel  fut  le  sort  de  ces  livres  confisqués,  s'ils 
ne  furent  pas  rendus  plus  tard  '  aux  Israélites  sur  lesquels  ils 
avaient  été  saisis,  s'ils  ne  devinrent  pas  l'objet  de  dons  royaux, 
ou  quelle  autre  voie  ils  prirent;  ce  qui  est  constant,  c'est  que 
dans  un  inventaire  de  la  Bibliothèque  de  Blois,  réunie  à  celle  de 
Fontainebleau,  en  1344,  sous  le  règne  de  François  I*^  on  trouve 
mentionnés  trois  volumes  seulement  en  langue  bébraïque.  » 

Rapportant  le  renseignement  de  Sauvai,  M.  Delisle  ajoute,  pour 
être  complet  :  «  L'expulsion  des  Juifs  est  rapportée  à  l'année  1393 
dans  la  Chronique  du  religieux  de  Saint-Denis.  »  C'est  ce  que  le 
vieil  historien  de  Paris  avait  remarqué  au  même  endroit  avec  plus 
d'humour  :  «  Car  ce  ne  fut  ni  en  1386,  comme  le  prétendent  Cohen 
et  Gantz  2,  ni  en  1393,  ainsi  que  l'assure  la  Chronique  manuscrite, 
ni  en  1393  non  plus,  quoi  qu'en  puissent  dire  Gencbrard  et  Holtin- 
gerus,  mais  bien  en  1394,  le  trois  Novembre,  comme  il  parott  par 
deux  Déclarations  du  dix-sept  Septembre  de  la  même  année  ^.  Et  il 
ne  faut  pas  s'étonner  que  les  Auteurs  ici  que  je  viens  de  nommer 
l'ayent  ignorée,  puisqu'ils  ne  sont  venus  que  deux  cens  ans  depuis, 
mais  il  est  estrange  que  l'Auteur  anonyme  de  la  Chronique  manu- 
scrite, qui  vit  chasser  les  Juifs,  raconte  ce  bannissement  treize  ou 
quatorze  mois  plus  tôt  ;  si  bien  qu'après  cela,  je  ne  sais  plus  où  j'en 
suis,  ni  quelle  foi  on  doit  ajouter  aux  Historiens  contemporains.  » 
M.  Delisle  a  identifié  la  «  Chronique  manuscrite  »  avec  le  Religieux 
de  Saint-Denis,  qui  a  été  édité  depuis  '*.  Seulement  il  faut  dire  que 
ce  chroniqueur  ne  date  pas  chaque  événement  en  particulier,  mais 
groupe  en  un  livre  tous  les  événements  d'une  année,  et  qu'il  fait 
commencer  l'année  à  Pâques,  de  sorte  que  pour  s'expliquer,  au 
moins  en  partie,  la  date  de  1393,  il  suffit  qu'on  ait  songé  à  inquié- 
ter les  Juifs  dans  les  premiers  mois  de  1394  nouveau  style.  Mais  à 
quoi  bon  insister?  Signalons  à  nos  érudits  le  mémoire  d'Isidore 
Loeb  sur  Les  expulsions  des  Juifs  de  France  au  XIV^  siècle  ^,  où  il 
a  élucidé  ce  chapitre  si  compliqué  par  l'arbitraire  des  rois  autant 
que  par  celui  des  chroniqueurs. 

\.  Quand  donc?  —  De  même  d;ins  Le  Cabinet  des  manuscrils,  I,  48.  11.  7. 

2.  Joseiih  lia-Coh.'ii  et  David  C.aiis,  les  deiiv  <liroiii(|ueurs  juifs. 

3.  Sauvai  vise  ici  les  «  Lettres  »  et  «  rExiruluire  »  i>ul)liés  dans  les  Ordotmances 
des  rois  de  France,  VII,  615-676. 

4.  Clironique  du  religieux  de  Saint-Denis,  livre  XIV,  cliap.  xvii,  éd.  L.  Bollai.'uet, 
Paris,  1840  (Collection  de  documents  inédits  sur  l'histoire  de  Fraoce),  t.  II,  p.  119-123, 

5.  Paris,  1881  (tirage  à  part  de  la  Jubelschrift  Graetz). 


104  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Parmi  les  manuscrits  de  la  bibliothèque  du  Louvre  qui  sont 
venus  jusqu'à  nous,  il  en  est  deux,  des  plus  précieux,  à  l'histoire 
desquels  sont  mêlés  des  Juifs.  Voici  ce  que  dit  M.  Delisle  du 
premier,  qui  est  «  Le  Contenant  de  Rhasès  »,  c'est-à-dire  l'Encyclo- 
pédie médicale  [El-Haivi]  de  Abou  Bekr  Mohammed  ibn  Zakariyya 
el-Razi  :  «  Charles  d'Anjou,  en  ayant  reçu  du  kalife  de  Tunis  un 
exemplaire  du  texte  arabe,  le  fit  traduire  par  le  Juif  Farag,  origi- 
naire de  Girgenti,  qui  exécuta  son  travail  en  1278  et  4279.  »  Le 
comte  Durrieu  a  retrouvé  ce  volume  dans  le  manuscrit  latin  6912 
de  la  Bibliothèque  Nationale,  où  on  lit  dans  le  titre  final,  f°  189  v°  : 
«  facta...  per  manus  magistri  Faragii,  filii  magistri  Saleni  de 
Agrigento,  devoti  interpreti  ejus  [régis  Karoli]  ^  ». 

D'abord,  l'identification  du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale 
a  déjà  été  faite  par  Michèle  Amari  2,  qui  a  travaillé  dans  cet  éta- 
blissement pendant  son  long  séjour  à  Paris  '  ;  ses  droits  de  priorité 
sont  d'ailleurs  reconnus  par  le  comte  Paul  Durrieu,  dans  son 
article  intéressant  et  assez  peu  connu''.  Il  y  raconte,  d'après  les 
documents  conservés  aux  Archives  deNaples,  que  Charles  d'Anjou, 
protecteur  de  l'école  de  Salerne  et  promoteur  de  traductions  des 
médecins  arabes,, demanda  officiellement  au  souverain  de  Tunis  un 
exemplaire  de  YEl-Hawi  et,  ayant  reçu  le  précieux  manuscrit,  «  en 
confia  aussitôt  la  traduction  à  un  de  ses  interprètes  ordinaires 
pour  la  langue  arabe,  le  Juif  Farag  ou  Farach  Moyse,  fils  de  Salem, 
originaire  de  Girgenti  en  Sicile,  directeur  de  l'école  de  Salerne,  le 
même  dont  une  fausse  interprétation  du  texte  contenant  les  mots 
de  Carolus  primus  a  fait  à  tort,  sous  le  nom  de  Farragut  ou  Ferra- 
guth,  un  médecin  de  Charlemagne  ^  La  traduction,  commencée 
le  6  février  1278,  était  achevée  à  Naples  le  13  février  1279;  elle  fut 
approuvée  par  les  médecins  du  roi,  les  docteurs  de  Naples  et  de 
Salerne.  » 

1.  Delisle,  p.  271-272. 

2.  La  belle  Mngraiihie  du  célèbre  arabisant  et  patriote  italien  par  M.  Hartwig  Deren- 
bourg  a  été  récemment  rééditée,  augmentée  d'un  chapitre  nouveau,  dans  les  Opuscules 
d'un  arabisant  (Paris,  1905),  p.  89-242. 

3.  Amari  y  est  revenu  à  plusieurs  reprises,  en  dernier  lieu  dans  sa  Guerra  ael 
Vespro  siciliano,  9«  éd.  (Milan,  1886),  lU,  483. 

4.  P.  Durrieu,  Un  portrait  de  Charles  I  d'Anjou,  dan?  la  Gazette  archéologique, 
XI  (1886),  192  et  s. 

5.  Cette  vieille  histoire,  dont  on  trouvera  les  principales  sources  dans  I.  Bédarride, 
Les  Juifs  en  France,  en  Italie  et  en  Espagne,  p.  459,  n.  12,  est  encore  reproduite 
dans  la  Jew.  Encycl.,  s.  v.  Charlemagne,  III,  6"7  a.  Elle  est  implicitement  corrigée 
dansfiraetz,  VU,  18S  (trad.  française,  IV,  215),  où  il  faut  nctitier  «  Ibn  »  en  «  ben  », 
comme  Ta  l'ait  remarquer  Harkavy  dans  les  notes  sur  le  tome  V  de  la  trad.  hébraïque 
de  Rabbinovitz,  p.  20. 


LES  MANUSCRITS  HÉBREUX  DE  LA  BIBLIOTHEQUE  DU  LOUVRE         105 

Le  manuscrit  de  la  traduction  fut  recopié  avec  un  grand  luxe  et 
orné  d'enluminures;  cest  cette  copie  que  possède  la  Bibliothèque 
Nationale.  Ce  qui  en  fait  l'intérêt  pour  nous,  ce  sont  les  trois 
miniatures  du  début'.  Elles  représentent  respectivement  Charles 
d'Anjou  remettant  à  Faradj  le  traité  à  traduire,  le  médecin  juif  à 
l'œuvre  dans  sa  cellule,  enfin  le  même  personnage  recevant  des 
mains  du  roi  les  honoraires  de  son  travail.  Ce  qui  a  surtout  frappé 
M.  Durrieu  dans  ces  miniatures  de  l'enlumineur  Giovanni,  moine 
du  Mont-Cassin,  «  c'est  une  tendance  incontestable  à  la  recherche 
de  l'individualité  dans  les  physionomies,  une  intention  évidente  du 
portrait.  Voyez,  par  exemple,  comme  on  retrouve  bien  les  traits 
caractéristiques  du  tj'pe  sémitique  sur  le  visage,  au  nez  fortement 
recourbé,  du  médecin  juif  Fardj . . .  Nous  sommes  en  présence  d'un 
véritable  artiste,  sans  doute  fort  incomplet  encore,  mais  qui  se 
préoccupe  certainement  de  la  nature  et  du  modèle,  au  lieu  de  se 
borner  à  suivre  des  formules  de  convention  -.  » 

La  notice  du  comte  Durrieu  n'échappa  pas  à  la  perspicacité  de 
David  Raufmann.  Kaufmann,  qui  joignait  à  la  science  consommée 
d'un  érudit  le  goût  délicat  d'un  artiste,  salua  avec  un  véritable 
enthousiasme  ce  portrait  qui  immortaliserait  les  traits  d'un  savant 
juif  de  la  fin  du  xiii«  siècle,  et  dont  il  alla  jusqu'à  considérer 
la  découverte  comme  «  une  des  surprises  les  plus  inattendues  de  la 
littérature  juive  ».  «  Nous  n'hésitons  pas  un  seul  instant  à  recon- 
naître dans  le  portrait  de  Faradj  une  reproduction  fidèle  et  authen- 
tique. Du  reste,  l'art  de  Giovanni  s'est  élevé  dans  ce  portrait  à 
la  perfection.  Il  a  représente  trois  fois  notre  héros...  Nous  ne 
doutons  pas  qu'un  artiste  ne  distingue  dans  ces  trois  scènes  les 
traits  d'ensemble  qui  doivent  composer  le  portrait  parlant  de 
Faradj.  L'image  qui  le  représente  au  travail  est  parfaite  d'expres- 
sion. Cette  petite  miniature  est  inoubliable  quand  on  l'a  une  fois 
bien  regardée'.  »  Que  dirai-je  après  ces  deux  juges  experts?  Que 
j'ai  attentivement  examiné  ces  miniatures  dans  le  manuscrit  même 
et  que  je  n'ai  pas  été  autrement  frappé  par  leur  caractère  vivant 
et  individuel.  Même  dans  la  troisième,  où  les  traits  sont  le  plus 
accusés,  c'est  le  portrait  conventionnel  du  Juif  au  nez  crochu. 

Rassurons-nous  d'ailleurs.  Faradj  ben  Salem,  appelé  aussi  Moïse 
Faradj  de  Girgenti,  est  connu  autrement  que  par  ce  portrait,  et 

1.  Reprofluites  ibid.,  pi.  23. 

2.  Ibid.,  p.  199. 

3.  D.  Kaufmana,  Ln  portrait  de  Faradj,  le  traducteur,  dans  la  Revue,  XIX  (1889  , 
152-154. 


106  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

M.  Delisle  aurait  pu  renvoyer  tout  au  moins  à  l'ouvrage  monu- 
mental de  Steinschneider  sur  les  traductions  hébraïques,  qui  fut 
jadis  couronné  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  ' . 
En  ouvrant  la  Jewish  Encydopedia,  à  l'art.  Faradj,  on  avait  toutes 
les  indications  désirables^. 

La  même  Encyclopédie  pouvait  renseigner  M.  Delisle  sur  le 
second  manuscrit  ;  il  est  vrai  qu'elle  aurait  pu  aussi  l'égarer.  Mais 
citons  d'abord  notre  auteur.  «  Au  mois  de  novembre  1381,  D.  Juan, 
duc  de  Gérone,  fils  aîné  de  Pierre  V,  roi  d'Aragon,  fit  remettre  à 
Guillaume  de  Courci,  pour  l'offrir  au  roi  de  France,  une  mappe- 
monde qui  était  déposée  dans  les  Archives  de  la  couronne  à  Bar- 
celone, et  qui  était  l'œuvre  d'un  Juif  nommé  Cresques  ^.  »  M.  Delisle 
s'en  réfère  à  une  étude  de  M.  Hamy,  dont  on  nous  permettra  d'in- 
diquer la  substance,  plusieurs  auteurs  l'ayant  mal  comprise  ou 
n'en  ayant  pas  tenu  compte  '•.  M.  Hamy  y  publie  deux  lettres  con- 
servées dans  les  archives  de  la  couronne  d'Aragon  et  qui  émanent 
de  D.  Juan,  plus  tard  roi  d'Aragon  sous  le  nom  de  Juan  L  Le 
5  novembre  1381,  D.  Juan,  voulant  faire  un  présent  au  nouveau  roi 
de  France,  le  jeune  Charles  VI,  résolut  de  lui  envoyer  une  mappe- 
monde précieuse.'  Il  ordonna  à  l'auteur,  «  Cresques  lo  juheu,  qui 
lodit  mapamundi  a  fet  »,  et  qui  devait  se  trouver  dans  la  juiverie 
de  Barcelone,  de  fournir  à  Guillaume  de  Courcy  toutes  les  infor- 
mations utiles  à  répéter  au  roi  de  France.  Ce  n'est  donc  pas, 
conclut  M.  Hamy,  le  fameux  atlas  catalan  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, qui  se  trouvait  au  Louvre  en  novembre  précédent  et  est  noté 
dans  le  récolement  de  1380  et  nous  ne  connaissons  pas  l'ori- 
gine de  l'atlas  de  Charles  V,  antérieur  de  cinq  ans  à  l'envoi  de 
D.  Juan.  Toutefois,  nous  sommes  autorisés,  «  dans  une  certaine 
mesure,  à  attribuer  provisoirement  à  ce  même  cartographe  la 
paternité  d'un  mapamundi  envoyé  probablement  quelques  années 
plus  tôt  à  la  cour  de  France  dans  des  conditions  toutes  sem- 
blables ». 

Si  spécieuse  que  soit  cette  hypothèse,  une  chose  est  certaine, 

1.  Die  hebràischen  Ubersetzungen,  975.  —  Moïse  ou  Faradj  ben  Salem  ne  pourrait-il 
pas  être  identique  avec  Moïse  ben  Salomon  de  Salerne,  comnieutattnir  du  Guide  des 
Éc:arés  [ihid.,  433-434)  et  controversistc  [Les  Rabbins  français,  570-5"ll? 

2.  Jew.  EnajcL,  V,  342-3i3.  L'auteur  ne  cite  du  reste  ni  l'article  do  M.  Durricu,  ai 
celui  de  D.  Kaufmann,  tout  eu  reproduisant  deux  des  miniatures. 

3.  Delisle,  p.  129, 

4.  E.  T.  Hamy,  Cresques  lo  Juheu,  note  sur  un  géoqraf^lir  juif  culalan  de  la  fin 
du  XIV'  siècle,  Paris,  1891,  7  p.  (Extrait  du  Bulletin  de  ijcoi/rapftie  hislori(fue  et 
descriptive,  1891,  218-222).  Cf.  la  recension  de  M.  Israël  Lévi,  Hevue,  XXV  (1892),  129- 
130. 


LES  MANUSCRITS  HÉBREUX  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  LOUVRE         107 

c'est  qu'il  faut  distinguer  l'atlas  catalan  de  1373  de  celui  qui  fut 
envoyé  à  Paris  en  1381  et  qui  est  l'œuvre  du  Juif  Cresques.  Mais 
les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  ce  cartographe,  même  après 
M.  Hamy,  ne  les  en  ont  pas  moins  confondus. 

L'atlas  catalan  de  1373  est  justement  célèbre;  c'est  un  des  trésors 
de  la  Bibliothèque  Nationale'.  Minutieusement  décrit  par  Buchon, 
qui  l'a  fait  lithographier^,  il  a  été  superbement  reproduit  par  le 
procédé  de  l'héliogravure  dans  le  Choix  de  documents  géogra- 
phiques conservés  à  la  Bibliothèque  Nationale^,  puis  dans  le 
Périple  du  célèbre  explorateur  Nordenskiôld  \  où  l'a  pris  M.  Jacobs 
pour  illustrer  son  article  «  Chartography  »  àe.\diJewish  Encyclo- 
pedia  ^  comme  étant  de  la  main  de  Cresques. 

Cette  paternité  est  généralement  admise  sur  la  foi  d'un  archéo- 
logue espagnol,  D.  Gabriel  Llabrés  ".  Sans  indiquer  ses  références, 
il  retrace  la  vie  de  Jafuda  Cresques,  fils  de  Cresques  Abrae,  qui 
travaillait  à  Majorque,  de  1381  à  1394,  à  la  confection  de  cartes  et 
de  boussoles,  et  qui  peignit,  entre  autres,  à  la  fin  de  1381,  une  map- 
pemonde envoyée  au  roi  de  France  :  c'est,  d'après  cet  auteur,  la 
célèbre  mappemonde  de  Bouchon  {sic).  En  1391,  à  la  suite  du  sac 
de  lajuiverie  de  Palma,  il  aurait  pris  le  nom  de  Jaime  Ribes"  et  se 
serait  établi  à  Barcelone;  et  c'est  encore  lui  qu'en  1438,  c'est-à- 
dire  quarante  ans  plus  tard,  Henri  le  IXavigateur,  fils  de  Joâo  I, 
aurait  appelé,  sous  le  nom  de  Mestre  Jaime  de  Majorque,  à  la  direc- 
tion de  l'académie  maritime  qu'il  fonda  à  Sagres,  et  qui  fut  l'école 
des  grands  navigateurs  portugais.  Quelle  carrière  accidentée  !  «  Il 
nous  paraît  certain,  conclut  le  savant  espagnol,  quoique  nous  ne 
puissions  fonder  notre  opinion  sur  des  documents  sûrs,  que  Jafuda 
Cresques,  devenu  Jaime  Ribes,  le  cosmographe  du  roi  d'Aragon,  le 
grand  maître  de  la  brillante  pléiade  des  cartographes  majorquins, 

1.  Mss.  espagnols,  n"  30  (ancien  119).  V.  le  Catalogue  de  M.  Morel-Fatio,  p.  40. 

2.  J.  A.  C.  Buchon,  Notice  sur  un  allas  en  langue  calalane  de  l'an  137-'i,  2  vol. 
(le  second  formant  la  lithographie).  Le  faux-titre  la  donne  comme  tirée  des  Notices  et 
Extraits,  tome  XIII;  elle  a  paru  seulement,  et  sans  la  gravure,  dans  le  tome  XIV, 
2«  partie,  Paris,  1841.  V.  aussi  l'Atlas  de  Santarem  tParis,1842  et  suiv.),  pi.  xxx-xxxii. 

3.  Paris,  1883  ;  gr.  in-folio. 

4.  A.  E.  Nordenskiôld,  Periplus.  An  Essay  on  the  early  history  of  charis  and 
saiting-direciions,  trad.  angl.  de  F.  A.  Bather.  (Stockholm,  1897  ;  gr.  in-S»),  pi.  xi-xiv 
(cf.  p.  38-59). 

5.  Jew.  Encycl.,  III,  grav.  hors  texte  entre  les  pages  678  et  679. 

6.  El  Maestro  de  los  cartôgrafos  Mallorquines.  Jafuda  Cresques,  dans  Doletin 
de  la  Sociedad  arqueologica  Luliuna,  Palma,  tome  III  (1890),  310-311. 

7.  Cette  identification  avait  déjà  été  proposée  par  J.  M.  Quadrado,  La  Juderia  de  la 
ciudad  de  Mullorca  en  1391,  dans  Boletin  ue  la  Real  Acudemia  de  la  Hisloria,  IX 
(1886),  309,  n.  1.  Mais  M.  Hamy  a  fait  observer  avec  raison  qu'elle  était  fort  fragile, 
Jaime  Ribes  ûgurant  comme  hôtelier  et  logeur.  Cf.  Israël  Lévi,  loc.  cil. 


108  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

est  le  même  que  Maese  Jacome  de  Majorica,  premier  directeurde 
récole  nautique  de  Sagres  en  Portugal,  institution  qui  contribua 
tant  à  la  création  du  grand  empire  colonial  dn  Portugal  ».  A  pre- 
mière vue,  cette  double  identification  paraît  fort  douteuse. 

Néanmoins  D.  Cesareo  Fernândez  Duro,  un  des  meilleurs  con- 
naisseurs de  la  littérature  relative  à  Christophe  Colomb,  a  adopté 
cette  «  découverte  »  de  son  confrère  ^  ;  et,  depuis,  deux  hébraïsants 
ont  emboîté  le  pas  aux  deux  érudits  espagnols,  sans  donner  plus 
de  preuves  :  d'abord  Kayserling,  dans  son  Christophe  Colomb  ^, 
puis  M.  Jacobs  dans  son  Histoire  des  découvertes  géographiques  ^. 
L'un  et  l'autre  citent  la  notice  de  M.  Hamy,  mais  n'en  continuent 
pas  moins  à  attribuer  —  le  second  avec  un  peu  moins  d'assu- 
rance —  l'atlas  de  1375  au  Juif  Jafuda  Cresques  '.  Ainsi  se  font  les 
vérités  scientifiques. 

N'est-il  pas  vrai  que  de  menus  faits,  replacés  dans  leur  cadre  et 
convenablement  interprétés,  peuvent  être  aussi  suggestifs,  comme 
on  dit  aujourd'hui,  que  des  événements  considérables?  Derrière  les 
quelques  notes  que  nous  avons  réunies,  il  semble  que  c'est  l'his- 
toire des  Juifs  au  moyen  âge  qui  se  profile,  en  quelque  sorte,  sous 
sa  double  face  :  d'une  part,  les  Juifs  de  France,  maltraités,  pillés, 
expulsés,  mais  conservant  jusque  dans  leur  abaissement  l'attache- 
ment à  leur  foi  et  le  culte  de  leurs  livres  saints  ;  d'autre  part,  les 
Juifs  d'Espagne  et  d'Italie,  traités  plus  humainement,  concourant 
activement  au  mouvement  intellectuel,  devenant  médecins,  tra- 
ducteurs, géographes,  héritiers  des  médecins  grecs  et  arabes, 
précurseurs  des  navigateurs  et  des  explorateurs  du  xv«  siècle, 
propagateurs  de  la  science  et  rouliers  de  la  pensée. 

En  faveur  de  cet  intérêt,  on  nous  pardonnera  d'avoir  ravaudé 
quelques  lambeaux  de  bibliographie.  Nous  n'avons  l'ail  que  suivre 
l'exemple  de  M.  Léopold  Delisle,  nous  imaginant  que  des  manu- 
scrits dus  à  des  Juifs  méritaient  d'être  décrits  avec  autant  de  soin 
que  les  autres. 

M.  LiBEH. 

1.  Los  Cartôgrafos  Mallorquines,  Anr/elino  Dtdcel,  Jafuda  Cresques,  dans  Boletiyi 
de  la  Real  Academia  de  la  Ilistona,  XIX  (1891),  3t)6-3n. 

2.  M.  Kayserling,  Chrisloph  Cohnnbtis  und  der  Antheil  der  Juden  an  den  spa- 
nischen  und  porlugiesischen  Entdeckungen  (Berlin,  1894),  o-8. 

3.  Slory  of  Geof/raphical  Discovenj,  60-62.  Je  n'ai  i)u  trouver  cet  ouvrage,  mais  il 
est  résumé  jiour  cette  question  dans  la  notice  de  M.  Jacobs  sur  Cros(iucs,  dans  la  Jew. 
Encyclop.,  IV,  3S4  a.  —  Le  lecteur  attentif  corrigera  d'après  les  indications  données 
ici  les  références  inexactes  de  Kayserling  et  de  M.  Jacobs. 

4.  De  même  Nordenskiold,  op.  cit.,  Addenda,  p.  x,  avec  cette  référence  inexacte  : 
C.  F.  Duro,  dans  Bol.  Soc.  Geogr.  Madr.,  XXXI,  1891,  293. 


MONTAIGNE  A  ROME 


Montaigne,  qui  a  toujours  été  aimé  en  France,  bénéficie  aujour- 
d'hui d'un  regain  de  faveur.  La  ville  de  Bordeaux,  dont  il  fut  le 
maire  si  peu  intrépide,  publie  une  édition  municipalede  ses  Essais, 
œuvre  d'un  professeur  qui  vient  d'écrire  par  la  même  occa- 
sion l'histoire  de  sa  pensée',  et  tant  est  grand  l'intérêt  qui  s'at-, 
tache  à  ses  œuvres  que  môme  son  Journal  de  Voyage  a  eu  tout 
récemment  les  honneurs  presque  superflus  d'une  réédition,  où  nous 
avons  glané  quelques  notices  qui  peuvent  intéresser  l'historien 
des  Juifs  de  Rome  et  compléter  les  monographies  de  MM.  Berliuer 
et  Rieger  2. 

Montaigne  venait  de  publier  deux  livres  d'Essais  quand  il  se  mit 
en  voyage,  le  ^2  juin  1580,  à  la  fois  pour  soigner  sa  maladie  et  pour 
voirie  monde.  Il  était  accompagné  d'un  secrétaire  à  qui  il  dictait 
ses  impressions;  à  la  fin,  cependant,  il  tint  lui-même  la  plume. 
Cette  relation  fut  retrouvée  au  xviif  siècle  au  château  de  Montaigne 
et  publiée  en  1774^.  Elle  est  reproduite  dans  le  Montaigne  de 

1.  F.  Strowsky,  Montaigne  (Paris,  Alcaii,  1906).  Ce  volume  fait  partie  de  la  collection 
(les  «  Grands  pliilosii[)lies  •>,  i  laquelle  nous  devons,  entre  autres,  l'Aviceûne  et  le  Gazali 
du  baron  Carra  de  Vaux  {Revue,  XL  Vil  [1903],  154-157),  le  Spinoza  de  P.-L.  Couclioud 
(ibid,  XLIX  [1905],  166,  n.  1),  le  Pliilon  de  l'abbé  J.  Martin  (1907)  et  qui  comprendra 
bientôt,  dit-on,  un  Maimouide  par  M.  Karppe. 

2.  A.  Berliner,  Geschichte  der  Juden  in  Rom.,  2  vol.  (Francfort,  1893).  —  Vogel- 
stein  et  Riegcr,  Geschichte  der  Juden  in  Rom.,  2  vol.  (Berlin,  1895);  le  vol.  II,  qui 
se  rapporte  à  l'époque  qui  nous  intéresse,  est  de  M.  Rieger.  Ces  deux  auteurs  ne  con- 
naissent (II,  19;  II,  172)  que  le  passage  de  Montaiirnc  relatif  au  «  Rabbi  renié  »  (voir  plus 
loin),  passade  déjà  signalé  par  tiraetz,  Geschichte,  3°  éd.,  IX,  467  (manque  dans  la 
1"  éd.).  Toutes  ces  citations  remontent,  d'ailleurs,  à  l'article  de  M.  Dejob  dont  il  sera 
question  plus  bas. 

3.  Journal  de  voyage  de  Michel  de  Montaigne  en  Italie  par  la  Suisse  et  l'Alle- 
magne en  15S0  et  I5SI,  avec  des  notes  par  M.  de  Querlon  (Rome  et  Paris,  1774  ; 
in-4'>  de  Liv  +  416  ]ip.).  Sur  l'Iiistoire  de  cet  ouvrage,  (jui  eut  en  même  temps  deux 
autres  éditions  et  fut  presque  aussitôt  traduit  en  allemand,  voir  les  bibliographes  de 
Montaigne,  particulièrement  le  û'  Payeu. 


410  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Buchon  *.  Une  édition  critique  en  a  été  donnée  parle  célèbre  savant 
et  littérateur  italien,  le  professeur  Alessandro  d'Ancona  ',  et,  sauf 
sur  quelques  points,  elle  est  loin  d'être  dépassée  par  celle,  toute 
récente,  de  Lautrey  ^. 

L'auteur  des  Essais,  qui  avait  «  l'iioneste  curiosité  de  s'enquérir 
de  toutes  choses...  pour  frotter  et  limer  sa  cervelle  contre  celle 
d'autruy»\  portait  un  intérêt  particulier  aux  cérémonies  religieuses 
et  aimait  à  converser  avec  les  théologiens  et  avec  les  savants.  En 
passant  par  Vérone,  nous  dit  son  secrétaire,  «  nous  vismes  aussi 
les  Juifs,  et  il  fut  en  leur  sinagogue  et  les  entretint  fort  de  leurs 
serimonies  »'.  M.  d'Ancona  rappelle,  à  ce  propos,  que  les  Juifs,  qui 
avaient  été  chassés  de  Vérone  sous  l'évêque  Michaeli,  en  1499, 
habitaient  dans  la  via  «  S.  Sebastiano  »  et  avaient  leur  synagogue 
dans  la  ruelle  «  dello  dei  Crocioni  »  ou  «  Crosoni  ».  Sous  Tévêque 
Valerio  (1565-1591),  ils  furent  obligés  de  s'enfermer  dans  le  ghetto*. 

A  Rome,  Montaigne  fit  deux  séjours  consécutifs.  Il  y  trouva  les 
Juifs  «aune  des  époques  les  plus  critiques  de  leur  histoire  ».  Ils 
étaient  parqués  dans  le  ghetto,  ce  «  monument  architectural  de 
l'odieux  Paul  IV  «'^.L'étroitesseet  l'entassement  y  étaient  tels  ^,  que 
les  cérémonies  avaient  souvent  pour  théâtre  la  rue.  Ce  fut  le  cas 
pour  la  circoncision  à  laquelle  Montaigne  assista  le  30  janvier  1581  ; 
«  la  plus  antienne  cerimonie de  religion  qui  soitparmy  les  hommes», 
qu'il  «  considéra  fort  attentivement  et  avec  grande  commodité  »  '. 
De  sa  description,  qui  ressemble  beaucoup  à  celle  de  Léon  de 

1.  Œuvres  de  Montaigne,  par  J.  A.  G.  Buchon,  dans  la  collection  du  Panthéon 
littéraire,  t.  45  iParis,  1842,  in-4").  Le  Voyage  occupe  les  pp.  634-758. 

2.  Alessandro  d'Ancona,  L'Ilalia  alla  fine  ciel  secolo  XVI.  Giornale  del  viaggio  de 
Michèle  de  Montaigne  nel  Ilalia  nel  1580  e  1581  (Citta  di  Castello,  1889  ;  in-8»  de 
719  pp.). 

3.  Montaigne,  Journal  de  Voyage,  publié...  par  Louis  Lautrey  (Paris,  Hachette, 
1906;  in-S»  de  532  pp.).  Sur  les  passages  qui  se  rapportent  aux  Juifs  l'annotation 
est  insuffisante  ou  plutôt  nulle.  Evidemment  ils  n'intéressaient  pas  Lautrey  (ce  nom 
serait  un  pseudonyme).  Quand  donc  nos  érudits  apprendront-ils  à  se  départir  de  cette 
indifférence  ou  plutôt  de  cette  négligence  et  de  ce  dédain  pour  l'histoire  et  la  litté- 
rature juives  ? 

4.  Essais,  livre  I,  ch.  x.xv. 

5.  D'Ancona,  p.  122  ;  Lautrey,  p.  161. 

6.  Sur  les  Juifs  de  Vérone  voir  D.  Fortis  dans  VEducatore  israelilico,  XI  et  XII,  et 
U.  Cassuto  dans  la  Jew.  EncycL,  XII,  420-421. 

7.  D.  Kaufmann,  dans  la  Revue,  IV  (1882),  88  et  s. 

8.  Outre  les  ouvrages  cités  sur  l'histoire  des  Juifs  de  Rome,  voir  Rodocanachi,  Le 
Saint  Siège  et  tes  Juifs.  Le  ghetto  à  Rome  (Paris,  Firmin-Didot,  1891),  pp.  60  etsuiv.  ; 
cf.  le  môme  dans  la  Revue,  XXII  (1891),  Actes,  lïix-lxxi. 

9.  D'Ancona,  p.  246-249;  Lautrey,  p.  223-226.  Ces  pages  ont  été  également  repro- 
duites par  M.  Rodocanachi  &  la  fin  de  sou  ouvrage  cité,  p.  311-314. 


MONTAIGNE  A   ROME  Hl 

Modène  ^  et  qu'on  peut  rapprocher  de  tableaux  analogues  dus  à  la 
plume  ou  au  pinceau  2,  nous  ne  retiendrons  que  ce  trait  :  «  Le  mi- 
nistre peut  estre  autre  que  rabbi,  et  quiconque  ce  soit  d'entre  eus  : 
chacun  désire  estre  appelle  à  cet  office,  parce  qu'ils  tiennent  que 
c'est  une  grande  bénédiction  d'y  estre  souvent  employé  :  voire  ils 
achettent  d'y  estre  conviés,  ofifrans  qui  un  vestement,  qui  quelque 
autre  commodité  à  Fenfant.et  tiennent  que  celuy  qui  en  a  circoncy 
jusques  à  certain  nombre  qu'ils  sçavent,  estant  mort,  a  ce  privilège, 
que  les  parties  de  la  bouche  ne  sont  jamais  mangées  des  vers.  » 
M.  d'Ancona  dit  avoir  interrogé  des  personnes  compétentes^  sur 
cette  curieuse  croyance,  mais  sans  succès.  C'est  évidemment  une 
interprétation  superstitieuse  de  l'opération  de  la  succion  [meciça], 
mais  nous  n'en  savons  pas  davantage. 

Avant  de  décrire  ce  «  mystère  »,  le  secrétaire  de  Montaigne  rap- 
porte par  prétention  une  visite  faite  par  le  philosophe  à  la  syna- 
gogue :  «  Il  avait  des-ia  veu  une  autrefois  leur  synagogue,  un 
jour  de  samedy  le  matin,  (et)  leurs  prières,  où  ils  chantent  désor- 
donnéemant,  comme  en  l'église  calvinienne,  certenes  leçons  de  la 
bible  en  hébreu,  accomodées  au  tems.  Ils  ont  les  cadences  du  son 
pareilles,  mais  un  desaccord  extrême,  pour  la  confusion  de  tant  de 
vois  de  toute  sorte  d'eages  :  car  les  enfans,  jusques  au  plus  petit 
eage,  sont  de  la  partie,  et  tous  indifTeramment  entendent  1  hébreu. 
Ils  n'apportent  non  plus  d'attention  en  leurs  prières  que  nous 
faisons  aus  nostres,  devisant  parmy  cela  d'autres  affaires,  et  n'ap- 
portant pas  beaucoup  de  révérence  à  leurs  mystères.  Ils  lavent  les 
mains  à  l'entrée,  et  en  ce  lieu  là  ce  leur  est  exécration  de  tirer  le 
bonnet;  mais  baissent  la  teste  et  le  genouil  où  leur  dévotion  l'or- 
donne. Ils  portent  sur  les  espaules  ou  sur  la  teste  certains  linges, 
où  il  y  a  des  franges  attachées  :  le  tOut  seroit  trop  long  à  déduire. 
L'après-disnée  tour  à  tour  leurs  docteurs  font  leçon  sur  le  passage  de 
la  bible  de  ce  jour  là,  le  faisant  en  italien.  Après  la  leçon,  quelque 
autre  docteur  assistant  choisit  quelcun  des  auditeurs,  et  parfois 
deus  ou  trois  de  suite,  pour  argumenter  contre  celui  qui  vient  de 
lire,  sur  ce  qu'il  a  dict '.  Celui  que  nous  ouïmes  lui  sembla  avoir 

1.  Cérémonies  el  coutumes  qui  s'observent  aujourd'huy  parmi/  les  Juifs,  traduit 
de  l'italien  de  Léon  de  Modène  par  le  sieur  de  Sinionville  [Richard  Simon]  (Paris,  1681), 
i*  partie,  cliap.  viir,  p.  142-147. 

2.  On  trouve  une  description,  dans  la  Synagoga  judaica  de  Buxtorf,  des  gravures  le 
Philologus  hebraeo-mixtus  de  Leusden,  le  Judisc/tes  Ceremoniel  de  Kirchnor,  la  Kirck- 
liche  Verfassung  de  Bodenscliatz,  les   Cérémonies  des  Juifs  de  B.  Picart,  etc. 

3.  Sans  doute  le  rabbin  D.  Castelli,  qu'il  nomme  dans  la  préface. 

4.  Léon  de  Modène,  op.  cit.,  2'  partie,  chap.  i,  par.  6-7   (p.  50-51)  :  «  Comme  on 


H2  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

beaucoup  d'éloquence  et  beaucoup  d'esprit  en  son  argumenta- 
tion ^ .  » 

On  sait  que  la  prédication  était  très  populaire  chez  les  Juifs 
d'Italie  ^  et  qu'elle  se  faisait  dans  la  langue  du  pays.  Léon  de  Modène 
le  dit  formellement  dans  ses  Riti  ^  ;  et,  comme  Montaigne  savait 
passablement  l'italien,  il  a  pu  suivre  le  sermon.  Le  fameux  rabbin 
de  Venise  avait  acquis  une  grande  réputation  de  prédicateur. 
«  Il  plaisait  tellement  que  les  nobles  et  les  ecclésiastiques  se  pres- 
saient au  pied  de  sa  chaire,  pour  la  plus  grande  gloire  des  Juifs  ». 
Un  samedi  de  1629,  il  eut  pour  auditeur  «  le  frère  du  roi  de  France 
lui-même  (Louis  XIII),  accompagné  de  gentilshommes  français  et 
de  cinq  prêtres  cathoUques.  Ils  furent  émerveillés  et  les  Juifs  en 
répandirent  la  nouvelle  chez  leurs  coreligionnaires  du  pays  '.  » 

Il  y  avait  des  sermons  que  les  Juifs  entendaient  avec  moins  de 
plaisir  :  c'étaient  ceux  que  faisaient  à  leur  intention  des  prédica- 
teurs chrétiens,  souvent  des  apostats,  et  auxquels  on  les  obligeait 
à  assister  avec  l'espoir  de  les  convertir.  M.  Rodocanachi  a  parlé 
tout  au  long  de  cette  prédication  obligatoire  [predica  coattiva)  qui, 
inaugurée  en  1576,  se  prolongea  jusqu'au  xix^  siècle  ^.  Jules  Simon, 
qui  visita  le  ghetto  de  Rome  quelques  années  avant  sa  disparition, 
à  la  fin  de  1866,  écrit  à  ce  sujet:  «Jusqu'aux  dernières  années  du 

permet  aisément  de  prescher,  celuy  qui  en  a  envie  prend  son  temps,  que  toute  l'as- 
semblée est  assise  tranquillement  dans  la  synagogue...  La  prédication  se  fait  le  jour 
de  sabbat  et  dans  les  grandes  festes  tout  au  plus.  »  Cf.  Reggio  dans  l'Introduction  de 
Behinat  ha-Kabbala  (Gôrz,  1852),  p.  vm  :  «  11  est  d'usage  que  le  samedi  tout  étudiant 
prêche  en  public  selon  ses  facultés  »  (d'après  rautobiograpliic  de  L.  de  Modène). 

1.  D'Ancona,  p.  245-246  ;  Lautrey,  p.  223. 

2.  V.  en  dernier  lieu  L.  Blau,  Léo  Modenas  Briefe  und  Schriftsucke  (28*  et  29' 
Jahresberichte  der  Landesrabbinerschule  in  Budapest,  1905-1906),  partie  allemande,  I, 
60  et  n,  168. 

3.  Cérémoîiies,  loc.  cil.  :  «  Leur  prédication  se  fait  en  langage  du  pais  ».  Cf.  Cor- 
riete  israelilico,  I,  94  et  s. 

4.  Autobiographie  de  Léon  de  Modène,  dans  les  fragments  publiés  par  Geiger,  Léon 
da  Modena  (Breslau,  1856),  part,  hébr.,  16  a  et  6,  et  dans  la  correspondance  de  Luz- 
zatto  [Igguerot  Schedal,  p.  292).  Cf.  Libowitz,  Biographie  de  L.  de  Modène  (2*  éd., 
New-York,  1901  ;  en  hébreu),  p.  22  ;  S.  Bernfeld,  Kàmpfende  Geister  im  Judentum 
(Berlin,  1907),  p.  11. 

5.  Op.  cit.,  ch.  XIX,  pp.  272-292.  Cf.  aussi  D'Ancona,  p.  299,  n.  1,  et  Perugini,  dans 
la  Revue,  III  (1881),  98-99.  Une  consultation  rabbinii]ue  italienne  examine  la  question 
suivante  :  «  Beaucoup  d'Israélites  avaient  été  obligés  d'assister  à  un  sermon  que  le  pré- 
dicateur du  roi  faisait  dans  l'oratoire  royal.  Pendant  le  prêche,  ils  s'étaient  cachés 
derrière  d'autres  assistants  et  n'avaient  pas  ôté  leur  chapeau,  mais,  menacés  par  le  roi 
de  sévères  châtiments,  ils  furent  contraints  de  se  découvrir.  On  demande  si  ces  Israé- 
lites, en  se  découvrant,  ont  manqué  à  leur  devoir  religieux  ».  M.  G.  Montefiore,  Revue 
X   1885),  184. 


MONTAIGNE  A  ROME  H3 

pontificat  de  Grégoire  XVI,  ils  étaient  obligés  d'assister  tous  les 
samedis  à  une  instruction  calholique  ;  cet  usage  est  aboli  en  droit; 
seulement,  les  deux  places  de  prédicateur  des  Israélites  et  de 
président  du  sermon  sont  conservées,  et  les  noms  des  titulaires 
ligurent  dans  l'almanacb  de  1866  »  *. 

Montaigne  entendit  pendant  le  carême  de  io81  un  de  ces  conver- 
tisseurs, qui  l'émerveilla  par  son  éloquence.  C'est  lui-même  qui 
parle  ici,  ayant  donné  congé  à  son  secrétaire:  «Entr'austres  plesirs 
que  Rome  me  fournissoit  en  caresme,  c'étoient  les  sermons.  Il  y 
avait  d'excellans  prêcheurs,  comme  ce  Rabbi  renié  2,  qui  prêche 
les  Juifs  le  Sammedi  après  dîner,  en  la  Trinité.  Il  y  a  tousiours 
soixante  Juifs,  qui  sont  tenus  de  s'y  trouver.  Celui  étoit  un  fort 
fameus  docteur  parmi  eus  ;  et  par  leurs  argumans,  mesmes  leurs 
rabbis^  et  le  texte  de  la  bible,  combat  leur  créance.  En  cette  sciance 
et  des  langues  qui  servent  à  cela,  il  est  admirable.  Il  y  avoit  un 
autre  prêcheur  qui  prechoit  au  Pape  et  aus  Cardinaus,  nommé 
Padre  Toledo  '*.  »  Cette  église  de  la  Trinité  ne  doit  pas  être,  d'après 
M.  Dejob,  la  Trinité  du  Mont,  trop  éloignée  du  ghetto,  mais  «peut- 
être  la  Trinité  des  Pèlerins,  si  sur  l'emplacement  de  l'église  qui 
porte  actuellement  ce  nom  et  qui  date  du  xyii^  siècle,  il  s'élevait 
auparavant  une  église  sous  le  même  vocable  »  "'.  M.  Rodocanachi 
dit  également  qu'il  s'agit  d'un  oratoire  voisin  du  ghetto,  et  qui 
appartenait  à  la  confrérie  de  la  S.  Trinità  de  Pellegrini  ^. 

On  croit  connaître  le  nom  du  prédicateur  si  éloquent  qui  battait 
ses  anciens  confrères  par  leurs  propres  armes.  M.  Gh.  Dejob  a 
supposé  et  Ton  admet  généralement  que  c'était  l'apostat  Andréa 
del  Monte,  qui  reçut  un  jour  une  lettre  d'avertissement  où  on  lui 
faisait  entendre  que  les  Juifs  supporteraient  tout  autre  prédicateur 
chrétien  plutôt  que  lui^  M.  d'Ancona  a  d'ailleurs  fait  observer  que 
l'animosité  des  Juifs  à  son  égard  pouvait  avoir  une  autre  raison  que 
son  apostasie. 

1.  J.  Simon,  La  liberté  de  conscience,  5*  éd.,  p.  313. 

2.  Lautrey  remarque  sur  ce  mot  (p.  506)  :  «  Ce  Rabi  (en  note  :  suppléez,  converti, 
devenu  chrétien).  Cette  note  [dans  l'éditiou  de  1774]  montre  que  le  mot  renié  a  été 
ajouté  par  le  premier  éditeur.  »  Ce  n'est  pas  absolument  nécessaire. 

3.  Lautrey  lit  :  «  par  leurs  ar^'umans  niesmcs,  leurs  rabbis  »  (la  ponctuation  est  du 
premier  éditeur).  Dans  tous  les  cas  la  phrase  est  enchevêtrée. 

4.  D'Ancona,  j.p.  298-299  ;  Lautrey,  254.  —  Francisco  de  Toledo  (1532-1596),  pré- 
dicateur ordinaire  de  Pie  V  et  de  plusieurs  de  ses  successeurs. 

5.  Ch.  Dejob  dans  ]à  Revue,  IX  (1884),  87,  u.  1. 

6.  Op.  cit.,  p.  277. 

7.  Dejob,  loc.  cit.,  87-88. 

T.  LV,  N»  109.  8 


H 4  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Andréa  del  Monte  n'est  pas  un  inconnu  pour  nous'.  «Censeur 
aussi  vigilant  que  prédicateur  fanatique ^  »,  ce  «  mauvais  génie  des 
Juifs  ^  »,  qui  s'appelait  de  son  vrai  nom  Joseph  Çarfati,  se  fit  bap- 
tiser sous  le  pontificat  de  Jules  III,  dont  il  devint  l'ami  et  le  confi- 
dent. Il  obtint  de  Grégoire  XIÏI  de  faire  des  sermons  aux  Juifs.  On 
a  supposé  ''  qu'il  était  identique  avec  le  Filippo  del  Monte  qui 
inquiéta  les  Juifs  en  4oo8,  au  témoignage  de  Joseph  Haccohen"'. 
Enfin,  M.  Rodocanachi  dit  qu'après  sa  conversion,  il  prit  le  nom  de 
Giovanni  del  Monte  ^. 

Andréa  del  Monte  —  ou  quel  que  soit  encore  son  nom  —  avait 
un  émule  dans  la  personne  de  Domenico  Gerosolomitano,  qui  a 
également  prêché  aux  Juifs  de  Rome  de  io73  à  1386,  et  dont  les 
sermons  se  sont  conservés  en  manuscrit'.  Mais  il  n'avait  pas  la 
même  vogue  et  ce  n'est  sans  doute  pas  lui  qui  eut  Montaigne  pour 
auditeur.  Son  confrère,  au  contraire,  était  assez  célèbre  pour  être 
appelé,  comme  nous  allons  le  voir,  «  l'Hébreu  »  tout  court. 

Si  je  ne  me  trompe,  nous  possédons,  en  effet,  sur  notre  prédica- 
teur un  autre  témoignage,  contemporain  de  celui  de  Montaigne,  et 
non  moins  précieux,  car  il  émane  de  Giordano  Rruno.  Dans  sa  vie 
vagabonde,  le  philosophe  de  Noie  vint  deux  fois  à  Paris,  où  il  ensei- 
gna avec  éclat  à  la  Sorbonne^.  Il  s'y  rencontra  la  deuxième  fois 
avec  Guillaume  Go  tin,  bibliothécaire  de  l'abbaye  de  Saint-Victor, 
qui  consignait  ses  entreliens  dans  un  journal  dont  M.  Lucien 
Auvray,  l'aimable  conservateur  au  département  des  manuscrits  de 
laRibliothèque  Nationale,  a  publié  quelques  fragments^.  «  Cotin, 

1.  Voir  les  faits  et  les  références  dans  Vogelstein  et  Rie^er,  II,  172-173,  et  dans  la 
Jew.  EjicycL,  s.  v.  Joseph  Zarfati,  VII,  273-274.  A  la  bibliographie  de  ce  dernier 
article  ajouter  la  source  principale,  qui  est  le  contemporain  Bartolocci,  Blbliolheca 
Rabbinica,  III,  818,  reproduit  par  Basnag-e,  Histoire  des  Juifs  (La  Haye,  1716),  tome  IX, 
ch.  XXXI,  §  12  (XIV,  863),  et  en  outre  :  M.  Stem,  Urkundlicke  Beitràge  ilber  die  Stelliing 
der  Pdpste  zu  den  Juden  (Kiel,  1893),  161  ;  Rodocanachi,  op.  cil.,  276-278;  cf.  le  même 
dans  la  fleyz^e,  XXII  (1891),  .4c/es,LXXvii-LXXviii.  —  On  écrit  aussi  de  Monte  et  di  Monte. 

2.  G.  Sacerdote,  Deux  Index  expurgatoires  de  livres  hébreux,  dans  la  Revue,  XXX 
(1895),  257  et  s. 

3.  Le  même,  /  Codici  ebraici  délia  Pia  Casa  de  \eofiti  di  Roma,  dans  Alti  dell' 
Academia  dei  Lincei,  Classe  di  scienze  morali.  Série  quarta,  vol.  X  (1S92|,  p.  181,  n.  1. 

4.  S.-H.  Margulies,  dans  Festschrifl  Berliner,  267  et  s. 

5.  Emek  ha-Dacha,  p.  111,  119  Wiener. 

6.  Loc.  cit. 

1.  Vogelstein  et  Rieger,  t.  II,  173,  286,  principalement  d'après  Sacerdote,  Atli.  178-181. 

8.  Sur  ce  second  séjour  voir  les  biographes  de  Bruno,  p.  ex.  son  ardent  apologiste 
D.  Levi,  Giordano  Rruno  (2'  éd.;  Turin,  1888),  245  et  s. 

9.  L.  Auvray,  Giordano  Bruno  à  Paris  d'après  le  témoignage  d'un  contemporain 
{15S.')-1ôSC)),  in-S»  de  16  j).  (extrait  des  Mémoires  de  la  Société  de  ihistoire  de  Paris 
et  de  l'Ile-de-France,  t.  XXVIII  [1901],  288-301). 


MONTAIGNE  A  ROME  115 

dit  M.  Auvray,  s'intéressait  fort  à  la  prédication,  et  ne  manquait 
guère  une  occasion  de  s'informer  des  orateurs  en  renom,  tant  à 
l'étranger  qu'en  France,  de  Panigrola  notamment,  de  Fiamma,  de 
Toledo,  d'un  autre  encore,  plus  oublié  aujourd'hui,  qu'il  appelle 
l'Hébreu.  »  Le  20  mai  1586,  il  écrit  dans  son  journal  :  «  Pierre-Vive 
dit  Panigarole  estre  vivant';  l'Hébreu  estre  encor»;  plus  sçavant 
que  lui  et  tout  ce  qu'il  dit  estre  cousu  de  sentences  ;  Toletus  près- 
cher  toutes  les  festes  devant  le  Pape.  »  Le  12  décembre  1585,  il  note 
cet  entretien  avec  G.  Bruno  :  «  11  prise  entre  les  prédicateurs  le  seul 
Hébreu  pour  son  éloquence  et  plus  pour  son  sçavoir...  Il  mesprise 
fort  Toletus.  » 

L'article  de  M.  Auvray  fut  commenté  dans  un  magazine  italien 
par  le  professeur  Felice  Tocco,  un  des  éditeurs  de  G.  Bruno  -.  Ce 
savant,  après  avoir  repoussé  l'hypothèse  de  voir  dans  ce  prédica- 
teur Léon  l'Hébreu,  qui  était  mort  depuis  longtemps  et  qui  n'avait 
été  qu'un  philosophe,  concluait  que  c'était  sans  doute  un  converti 
ou  le  descendant  d'une  famille  juive,  et  exprimait  le  regret  que 
l'histoire  littéraire  eût  perdu  le  souvenir  d'un  orateur  placé  par 
G.  Bruno  au-dessus  de  toutes  les  célébrités  de  la  chaire  contem- 
poraine. 

Ces  réflexions  tombèrent  sous  les  yeux  de  M.  G.  Jarè.  Le  savant 
rabbin  de  Ferrare  pensa  que  si  le  nom  de  notre  sermonaire  était 
omis,  c'est  parce  qu'il  était  juif;  autrement  on  ne  l'aurait  pas  appelé 
l'Hébreu  et  on  n'aurait  pas  caché  son  nom  de  baptême.  Qui  était-ce 
donc?  M.  Jarè  était  tenté  d'y  voir  Juda  Moscato,dont  les  sermons, 
s'ils  sont  imprimés  en  hébreu,  ont  pu  être  prononcés  néanmoins 
en  italien  ^. 

Nous  croyons  que  M.  Jarè  a  fait  fausse  route  et  que  Giordauo 
Bruno  n'avaitenvue  ni  Juda  Moscato  ni  un  autre  prédicateur  juif '. 
On  admettra  sans  difficulté  que  l'Hébreu  que  Bruno  préfère  à  F.  de 
Toledo  est  le  même  que  le  Babbi  que  Montaigne  a  entendu  à  Rome 
en  même  temps  que  ce  Toledo   Ce  ne  peut  donc  pas  être  Moscato, 

1.  Panigarola,  célèbre  prédicateur,  né  à  Milan  en  1548,  mort  en  1594  (Note  de 
M.  Auvray).  On  avait  dit  précédemment  à  Cotin  qu'il  était  mort.  —  Ou  ne  sait  pas  qui 
est  ce  Pierre-Vive. 

2.  F.  Tocco,  Di  un  nuovo  documento  su  Giordano  Bruno,  dans  Nuova  Anlologia 
di  letfere,  scienze  edatli,  4«  série,  t.  Cl  (Rome,  1902),  p.  86  et  s. 

3.  G.  Jarè,  Wer  war  der  judische  Prediger  der  von  Giordano  Bruno  gertihtnt 
wird?  dans  Zeilschrifl  fiir  hebr.  Bibliogr.,  VII  (1903),  28-29. 

4.  C'est  aussi  le  sentiment  de  M.  Auvray,  à  ce  qu'il  m'a  dit.  —  A  la  rigueur,  Bruno 
aurait  pu  comprendre  un  sermon  en  hébreu,  témoin  l'anecdote  qu'il  a  racontée  a  Cotin  : 
«  Jordanus  me  dit  qu'appelé  à  Rome  par  le  pape...  il  récita  en  hébreu  à  tout 
endroit  le  psolme  Fundamenta  [Ps.  lxxxvii]  »  (/.  c,  p.  291J. 


116  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

qui,  du  reste,  n'a  pas  exercé  son  activité  à  Rome  ^  De  même  que  le 
philosophe  des  Essais,  le  penseur  hardi  du  Candelaio  ne  connaît 
que  des  prédicateurs  catholiques.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  cite  nommé- 
ment le  docteur  néophyte,  probablement  parce  qu'il  était  connu  sous 
le  nom  d'  «Hébreu».  On  sait  d'ailleurs  que  les  convertis  restent 
rabbins  après  leur  conversion.  Enfin,  comme  il  est  fort  improbable 
que  deux  prédicateurs  d'origine  juive  aient  fait  courir  tout  Rome  à 
la  même  époque,  nous  sommes  autorisés  à  retrouver  celui  qui  exci- 
tait l'admiration  des  deux  philosophes  dans  la  personne  d'Andréa 
del  Monte,  qui  se  donne  justement  dans  un  de  ses  ouvrages  de 
controverse  comme  «rabbin  et  prédicateur  hébreu  à  Rome  ». 

Une  contrainte  plus  humiliante  pour  les  Juifs  était  leur  partici- 
pation aux  jeux  du  carnaval.  Paul  II  ayant  introduit  le  carnaval 
à  Rome,  on  les  obligea  à  prendre  part  aux  courses,  dans  un  cos- 
tume baroque  ou  à  demi  nus,  sous  les  lazzis  et  les  insultes  des 
spectateurs-.  Ces  scènes  infâmes  se  prolongèrent  pendant  deux 
siècles  dans  la  capitale  des  papes.  Aujourd'hui  la  Ville  éternelle 
vient  d'élire  un  juif  pour  maire.  Que  les  temps  sont  changés  ! 

Montaigne,  qui  assista  à  ces  jeux,  les  décrit  sobrement  :  «  Le 
long  du  Cours,  qui  est  une  longue  rue  de  Rome,  qui  a  son  nom 
pour  cela,  on  faict  courir  à  l'envi,  tantôt  quattre  ou  cinq  enfans, 
tantost  des  Juifs,  tantost  des  veillards  tout  nus,  d'un  bout  de  rue 
à  autre ^.  » 

M.  Rodocanachi,  citant  ce  passage,  ne  peut  s'empêcher  de 
remarquer  que  Montaigne,  qui  a  vu  ce  «  lamentable  spectacle,  n'en 
est  pas  le  moins  du  monde  révolté;  le  divertissement  lui  paraît  un 
peu  maigre,  mais  point  du  tout  messéant,  et  ce  n'est  pas  un  des 
traits  les  moins  curieux  de  cette  curieuse  relation  de  voyage,  trop 
oubliée  aujourd'hui,  que  la  sereine  indifférence  du  grand  mora- 
liste en  face  de  ces  mesquines  tracasseries  qu'inventait  l'esprit 
étroit  de  quelques  zélotes  et  qu'exploitait  trop  ardemment  une 
populace  trop  brutale  et  désordonnée  »  '*. 

Qu'aurait  dit  M.  Rodocanachi  s'il  s'était  rappelé  que  Montaigne 
avait  du  sang  juif  dans  les  veines?  Lui,  qui  décrit  avec  une  curio- 

1.  V.  la  monographie  en  hébreu  de  Abbe  Apfelbaum  (Drohobycz,  1900)  ;  Elbogen, 
dans  Jew.  Encycl.,  IX,  38  i  —  39  a  (ajouter  à  la  bibliographie  :  Kaufmann,  dans 
J.  Q.  H.,  Vm[1896],  516,  n.  3). 

2.  V.  les  nombreux  textes  cités  par  D'Aucona,  250,  n.  1  ;  Rodocanachi,  op.  cil.,  151 
et  s.,  190  et  s.;  Vogolstein  et  Ilicger,  op.  cit.,  H,  137-141. 

3.  D'Ancona,  249  ;  Lautrey,  227. 

4.  Op.  cit.,  192-193. 


MONTAIGNE  A  ROME  117 

site  amusée,  et  sans  qu'une  fibre  soit  remuée  en  lui,  une  circonci- 
sion et  une  prédication  à  la  synagogue,  les  sermons  de  conversion 
et  les  courses  du  carnaval,  était  par  sa  mère  dorigine  juive.  C'est 
un  point  mis  en  lumière  par  le  biographe  de  la  famille  de  Montaigne, 
qui  est  en  même  temps  l'historien  des  Juifs  de  Bordeaux  '.  La  mère 
du  philosophe,  Antoinette  de  Louppes,  appartenait  à  une  famille 
d'origine  espagnole,  appelée  d'abord  Lopez,  qui  était  venue  en 
France  à  la  fin  du  xv<:  ou  au  commencement  du  xvi°  siècle  et  faisait 
partie,  selon  toutes  les  probabilités,  des  nouveaux  Chrétiens,  c'est- 
à-dire  des  Juifs  déguisés^.  Après  cela,  il  importe  peu  qu'Antoi- 
nette de  Louppes  ait  été,  comme  quelques  auteurs  l'ont  prétendu, 
protestante,  ou  que  le  préambule  de  son  testament  respire  une 
piété  édifiante;  on  sait  que  les  Marranes  de  Bordeaux  pratiquaient 
extérieurement  le  christianisme  et  que  beaucoup  d'entre  eux  furent 
soupçonnés  d'être  favorables  à  la  Réforme. 

Malvezin  s'est  demandé  quelle  influence  a  pu  être  exercée  sur 
Montaigne  par  l'origine  juive  de  sa  mère,  par  les  idées  religieuses 
de  celle-ci,  et  il  a  cru  pouvoir  avancer  que  cette  influence  a  été 
très  grande  en  citant  cette  phrase  des  Essais  :  «  Je  treuve  que  nos 
plus  grands  vices  prennent  leur  ply  des  notre  plus  tendre  enfance, 
et  que  notre  principal  gouvernement  est  entre  les  mains  des 
nourrices.  »  Ce  texte  prouve  tout  le  contraire.  3Iontaigne,  qui  ne 
cite  jamais  sa  mère,  —  quand  l'occasion  de  la  nommer  se  présentait 
sous  sa  plume,  allègue  les  nourrices!  M.  P.  Stapfer  dit  plus  juste- 
ment que,  si  Montaigne  a  gardé  le  silence  sur  sa  mère,  celte  sin- 
gularité doit  être  attribuée  «  moins  à  quelque  vanité  nouvelle  ou  à 
l'absence  d'une  dose  ordinaire  de  piété  filiale  qu'à  l'ensemble  de  sa 
philosophie  qui,  dans  la  formation  morale  et  intellectuelle  de 
l'homme,  lui  faisait  attacher  fort  peu  d'importance  au  rôle  et  à 
l'influence  de  la  femme.  Cependant  la  religion,  ou,  pour  mieux 
dire,  la  situation  religieuse  de  M""^  de  Montaigne  la  mère  ne  doit 
pas  avoir  été  sans  influence  sur  la  direction  qu'ont  prise  les  idées 
du  philosophe  dans  le  sens  d'une  largeur  tolérante  et  de  ce  qu'on 
a  appelé  son  scepticisme  ^.  » 

Je  ne  sais  si  une  théorie  philosophique  —  dans  la  mesure  où  il  y 

1.  Tli.  Malvezin,  Michel  de  Mon(aif/ne,  son  origine,  sa  famille  (Bordeaux,  1875), 
chap.  IX,  pp.  99-128.  —  Histoire  des  Juifs  de  Bordeaux  [ihid.,  187.i),  passim  (voir 
à  la  Table  des  noms).  Au  collège  de  Guyenne,  Montui($nu  eut  pour  maître  Antoine  de 
Govéa  ;  il  cite  avec  éloije  André  de  Govéa.  Les  Govéa  étaient  des  nouveaux  Chrétiens. 

2.  On  lit  dans  les  Essais,  livre  I,  chap.  xi,  une  page  assez  circonstanciée  sur  l'ex- 
pulsion des  Juifs  du  Portugal. 

3.  P.  Stapfer,  La  famille  et  les  amis  de  Montaigne  (Paris,  1896),  49-31. 


us  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

a  des  théories  philosophiques  dans  les  Essazs  — justifie  Montaigne, 
qui  parle  si  complaisamment  de  lui  et  de  son  entourage,  de  n'avoir 
pas  dit  un  seul  mol  de  sa  mère,  avec  laquelle  il  passa  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie  et  qui  lui  survécut.  Cette  omission  volontaire  ne 
révèle-t-elle  pas  plutôt  un  trait  de  la  physionomie  morale  de  notre 
philosophe,  sa  vanité,  «  la  vanité  sous  sa  forme  la  plus  puérile,  la 
vanité  nobiliaire  du  bourgeois  enrichi  »  ?  Lui  qui  appartenait  à 
une  famille  de  robins  et  qui,  suivant  la  spirituelle  expression  de 
Brunetière,  quitta  la  robe  pour  Tépée  sans  jamais  tirer  celle-ci  du 
fourreau,  ne  parle  que  de  ses  titres  et  de  ses  armes.  Que  s'il  n'a 
pas  soufflé  mot  de  sa  mère,  n'est-ce  donc  pas  parce  que  «  sa  vanité 
le  détournait  d'en  parler,  si  cette  mère  était  d'origine  juive,  d'une 
famille  portugaise  de  nouveaux  Chrétiens  »  ^  ? 

Montaigne  n'a  d'ailleurs  pas  donné  le  change  à  tous  ses  contem- 
porains. Pierre  de  Lancre  ^,  qui  le  malmène  assez  rudement,  cite 
un  théologien  espagnol,  le  P.  del  Rio,  qui  «  semble  mettre  le  sieur 
de  Montaigne  au  rang  de  ceux  qui  suivent  les  hérétiques...  Il  ne  le 
traite  pas  avec  les  éloges  qu'il  donne  à  un  sien  parent  dans  ce  cha- 
pitre, bien  qu'on  die  que  le  neveu  de  Montaigne  estoit  son  parent 
du  costé  de  sa  mère,  qui  estoit  Espagnole  de  la  maison  de  Lopes  ^  » 
Et  Pierre  de  Lancre  était,  lui  aussi,  un  peu  parent  de  Montaigne  '. 
Mais  avec  Montaigne  la  sévérité  n'est  pas  de  mise.  On   s'est 
d'ailleurs  chargé  de  lui  faire  expier  sa  vanité  de  bourgeois  gentil- 
homme qui  rougit  de  ses  origines  :  M.  Jacobs  l'a  fait  figurer  dans 
une  liste  de  censeurs  des  livres  hébreux-'.  Montaigne  inquisiteur! 
Quelle  injure  !  et  quel  ami  de  Montaigne  ne  se  révolterait  à  cette 
pensée  !  Mais  la  vérité  est  que,  si  l'auteur  des  Essais  a  été  censuré 
à  Rome  —  oh  !  légèrement,  pas  comme  les  Juifs  —  il  n'a  jamais  cen- 
suré autrui.  M.  Jacobs  avait  la  dans  l'ouvrage  de  M.  Rieger,  auquel 
il  renvoie,  que  Montaigne  avait  entendu  le  rabbin  converti  à  Rome  ; 
il  se  sera  rappelé  qu'il  avait  eu  maille  à  partir  avec  l'Inquisition, 
et  c'est  ce  rapprochement  ou  plutôt  cette  confusion  qui  aura  donné 
naissance  à  une  —  hérésie  littéraire. 

M.  Liber. 


1.  G.  Lanson,  Ilisloire  de  la  litléralure  frcuiçaife,  p.  323. 

2.  Sur  ce  personna!,'e  et  son  ouvrage  si  édifiant,  v.  Malvczin,  Ilisloire  des  Juifs  de 
Bordeaux,  pp.  116-121,  et  surtout  l'article  tic  M.  Israël  Lévi  dans  la  Revue,  \\\  (1889), 

235  et  s. 

3.  L'Incrédulité  et  mescréance  du  sorlilcpe,  traité  8,   p.  445  et  s.  (cité  par  Mal- 
vczin,  Michel  de  Montaigne,  l.  c). 

4.  Malvezin,  Histoire  des  Juifs  de  Bordeaux,  116-117. 

5.  Jewish  Encyclopedia,  lit,  625. 


UN  ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE 

AU  XVIP  SIÈCLE 


I 


Depuis  leur  expulsion  de  Provence  par  les  rois  Charles  VIII  et 
Louis  XII',  les  Juifs  n'avaient  pas  pu  faire  de  tentative  sérieuse 
pour  venir  se  fixer  à  Marseille  et  séjourner  dans  une  ville  où 
leurs  ancêtres  avaient  longtemps  joui  d'une  sorte  de  droit  de  cité. 
Ils  n'avaient  pas  méconnu  cependant  les  admirables  ressources 
offertes  aux  marchands  par  le  port  de  Marseille.  Ils  avaient  donc 
essayé  de  venir  créer  dans  cette  ville  des  établissements  commer- 
ciaux. Mais,  très  vite,  ceux  d'entre  eux  qui  s'étaient  ainsi  risqués  à 
enfreindre  les  édits  royaux,  avaient  été  contraints  de  plier  bagage. 
Marseille  était  donc  restée  rigoureusement  interdite  aux  nombreux 
négociants  juifs  qui  résidaient  en  Italie  ou  dans  le  Comtal-Venaissin. 

C'est  que,  aux  prescriptions  royales,  dont  on  pouvait  parfois  faire 
fléchir  la  soi-disant  inflexible  sévérité,  s'ajoutaient  des  coutumes 
locales  dont  les  Marseillais  exigeaient  la  stricte  application.  Non 
seulement  les  statuts  de  Marseille  refusaient  le  droit  de  cité  à 
quiconque  ne  professait  pas  «  la  religion  catholique,  apostolique  et 
romaine  »  ^,  mais  encore  ils  interdisaient  aux  Juifs  de  séjourner 
plus  de  trois  jours  sur  le  territoire  de  la  ville'.  Il  était  donc  difficile 

1.  Y.  Revue  des  Éludes  Juives,  1903,  t.  XIA'I,  Les  Juifs  de  Marseille  au  Moyen 
Age,  par  Ad.  Crétni(;ux. 

2.  V.  iioUmnruiit  aux  Airliives  Communales  ilt>  Marseille,  Hegislre  des  Délibéralions 
du  Conseil  Général  de  la  Ville,  n"  55,  f°  15  ulélib.  du  5  janvier  1656). 

3.  Arch.  Conmi.  de  Marseille  :  Registre  de  la  Correspondance,  n»  1.  LeUre  des 
Consuls  de  Marseille  à  Guitton,  agent  de  la  ville  à  Aix  (14  janvier  1648);  — Arch.  de  la 
Chambre  de  Commerce  de  Marseille,  G  G  1.  :  Résidence  des  Juifs  à  Marseille,  passim. 


120  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

à  un  Juif,  quels  que  pussent  être  son  désir  de  s'enrichir  ou  son 
audace,  de  se  soustraire  longtemps  à  la  vigilance  des  officiers 
municipaux,  et  surtout  à  l'animosité  des  marchands  marseillais, 
jaloux  de  conserver  pour  eux  seuls  les  avantages  que  leur  offrait  la 
position  exceptionnelle  de  leur  ville. 

Vers  1670,  cependant,  les  circonstances  semblèrent  être  devenues 
plus  favorables.  L'on  crut  alors  que  le  port  de  Marseille  allait  être 
également  ouvert  à  l'activité  des  négociants  étrangers  comme  à 
celle  des  négociants  indigènes.  Colbert,  poursuivant  le  dessein 
qu'il  avait  formé  de  régénérer  suivant  des  principes  nouveaux  le 
commerce  de  la  France,  avait  poussé  Louis  XIV  à  signer  un  édit 
qui  établissait  la  franchise  du  port  de  Marseille.  Cet  édit,  donné 
en  mars  1669,  contenait,  entre  autres  décisions,  les  prescriptions 
suivantes  : 

«  Voulons  et  Nous  plaît  que  les  étrangers  et  autres  personnes  de 
toutes  nations  et  qualités  puissent  y  aborder  et  entrer  avec  leurs 
vaisseaux,  bâtiments  et  marchandises,  les  charger  et  décharger,  y 
séjourner,  magasiner,  entreposer. . .  Et,  pour co?ivier  les  étrangers 
de  fréquenter  ledit  port  de  Marseille,  même  de  s'y  venir  établir 
en  les  distinguant  par  des  grâces  particulières.  Voulons  et  Nous 
plaît  que  lesdits  marchands  et  étrangers  y  puissent  entrer  par 
mer,  charger,  décharger  et  sortir  leurs  marchandises  sans  payer 
aucuns  droits,  quelque  séjour  qu'ils  y  aient  fait  et  sans  qu'ils  soient 
sujets  au  droit  d'aubaine,  ni  qu'ils  puissent  être  traités  comme 
étrangers  en  cas  de  décès,  lequel  arrivant,  leurs  enfants,  héritiers 
ou  ayants  cause  pourront  recueillir  leurs  biens  et  successions, 
comme  s'ils  étaient  vrais  et  naturels  Français. . .  Même  ceux  qui 
auront  étabh  leur  domicile  et  fait  un  commerce  assidu  pendant  le 
temps  de  douze  années  consécutives  dans  ladite  ville  de  Marseille, 
quoiqu'ils  n'y  aient  acquis  aucun  bien  ni  maisons,  soient  censés 
naturels  Français,  réputés  bourgeois  d'icelle  ' . . .  » 

Les  Juifs  d'Italie  et  du  Comtat  crurent  voir  dans  ces  dispositions  ^ 
le  moyen  de  tourner  les  autres  décisions  royales  et  les  prescrip- 
tions des  statuts  municipaux  qui  leur  interdisaient  le  séjour  de 
Marseille.  Quelques-uns  vinrent  de  Livourne  établir  une  maison 

1.  Édit  pour  ranVaiicIiissement  du  port  de  Marseille  (imprimé),  passim,  dans  divers 
dépôts  publics,  et  notamment  aux  Archives  des  AfTaircs  Étrangères,  Mémoires  et  Docu- 
ments :  France  (Provcnci'),  1729,  f»"  307-310. 

2.  Les  Marseillais  acceptèrent  d'assez  mauvaise  !.M;\ce  l'édit  de  la  francliisc  du  port. 
Le  Conseil  C.énéral  de  la  ville  ilélibéra,  le  1°' avril  1669,  que  dos  remontrances  seraient 
présentées  au  roi,  au  sujet  de  son  intention  d'établir  la  franchise  du  port  de  Marseille, 
à  cause  du  préjudice  que  cet  établissement  pourrait  porter  à  la  ville  et  à  son  commerce. 
(Arcli.  Comm.  de  Marseille,  Reg,  des  Délibérations,  n»  69,  f"  168  v".) 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU    XVII=  SIÈCLE  121 

de  commerce.  Quand  ils  eurent  réussi,  d'autres  coreligionnaires  les 
imitèrent.  Bientôt,  une  petite  communauté  se  trouva  organisée  à 
Marseille,  éveillant  la  méfiance  des  habitants,  jus';  .  >jit  en  quelque 
sorte  les  appréhensions  que  leur  avait  lait  concev'-  .  ''^'atjlissement 
du  port  franc'.  Ceux-ci  dénoncèrent  au  Parlemeni.  à  l'Intendant 
de  la  province,  au  Roi,  ces  violations  de  la  législaîion  du  royaume, 
ces  infractions  à  leurs  statuts  :  ils  en  demandèi-eot  la  répression. 
De  là  naquit  une  assez  longue  affaire,  dont  nous  nous  proposons 
de  raconter  ici  les  péripéties,  nous  aidant  à  la  fois  de  documents 
conservés  aux  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille  - 
et  de  pièces  conservées  à  Paris,  aux  Archives  du  Ministère  des 
Affaires  Étrangères^  et  à  la  Bibliothèque  Nationale'.  Ces  divers 
documents,  tous  concordants  et  inédits,  présentent  un  épisode 
assez  curieux  de  l'histoire  des  Juifs  en  France  pendant  la  période 
de  la  monarchie  absolue.  Ils  peuvent  aussi  servir  à  l'étude  du 
commerce  de  Marseille  pendant  le  ministère  de  Colbert,  grâce  à 
l'abondance  des  renseignements  qu'ils  renferment  sur  les  mouve- 
ments du  port  et  sur  la  nature  et  l'origine  des  marchandises  qui  y 
étaient  débarquées.  Ce  sont  là  autant  de  raisons  qui  justifient  notre 
publication. 


II 


L'Édit  de  la  franchise  du  port  de  Marseille  avait  été  mis  en 
vigueur  depuis  quelques  mois  à  peine  que  Louis  XIV  était  appelé 
à  en  appliquer  celle  de  ses  dispositions  qui  paraît  avoir,  plus  que 
toutes  les  autres,  excité  la  mauvaise  humeur  des  négociants 
marseillais.  Deux  Juifs  de  Livourne,  beaux-frères  l'un  de  l'autre, 
au  caractère  entreprenant  et  décidé,  sans  doute  déjà  nantis  de 

1.  Les  Marseillais  paraissent,  en  effet,  avoir,  surtout  redouté  que  l'étahlissoment  du 
port  franc  n'amenât  dans  leur  ville  un  trop  grand  nombre  de  marcliauds  étrangers, 
dont  ils  auraient  eu  à  souffrir  la  concurrence.  Aussi  s'efforcérent-ils  d'obtenir  qu'on 
écartât  tous  ceux  contre  lesquels  on  pouvait  invoquer  un  motif  plausible  :  de  ce  nombre 
furent  les  Juifs  et  les  Protestants.  Tandis  donc  que  les  Marseillais  énonçaient  contre 

es  Juifs  les  plaintes  dont  nous  allons  parler  ci-dessus,  ils  émettaient  des  griefs  ana- 
ogues  contre  les  Protestants,  bien  que  la  France  véciU  alors  ofliciellement,  et  encore 

pour  quelques  années,  sous  le  régime  de  l'Édit  de  Nantes  (V.  Aug.  Fabre,  Les  liiies  de 

Marseille,  IV,  268  etsuiv.). 

2.  Arrliives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille,  B.  B.  2.  Rei/islres  des  Déli- 
bérations \  —  G  G.  i  :  La  résidence  des  Juifs  à  Marseille. 

3.  Archives  des  Affaires  Étrangères,  Mémoires  et  Documents  :  France  (Provence), 
1729,  ff«  292-339. 

4.  Bibliothèque  Nationale,  Ms.  Fr.  18979,  f"  146  et  sq. 


i22  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

quelque  fortune,  et  nommés,  l'un  Joseph  Vais  VillaréaP  et  l'autre 
Abraham  Alias,  sollicitaient,  en  effet,  l'autorisation  de  venir  à 
Marseille  et  d'y  demeurer  avec  leurs  familles  pour  y  faire  du 
commerce.  Le  roi  y  consentit  par  une  lettre  de  cachet,  donnée  à 
Saint-Germain  le  16  juin  1670  et  contresignée  par  de  Lionne  ;  il 
«  manda  très  expressément  »  à  ses  divers  officiers  eu  Provence 
«  qu'ils  aient  à  les  laisser  sûrement  et  librement  passer  par  tous  les 
lieux  et  endroits  de  leurs  pouvoirs  et  juridictions,  sans  souffrir  qu'il 
leur  soit  donné  aucun  empêchement  tant  en  venant  et  retournant 
que  dans  leur  séjour,  ni  qu'ils  soient  inquiétés  sous  prétexte  des 
ordonnances  faites  contre  les  Juifs  de  la  rigueur  desquelles  nous 
les  avons  relevés  et  relevons"^  ». 

A  peine  en  possession  de  ce  précieux  passeport,  Villaréal  et 
Atlas,  associés  tous  deux  dans  une  même  entreprise  commerciale, 
se  rendaient  à  Marseille,  s'y  établissaient  et  commençaient  bientôt 
leurs  opérations.  D'abord  peu  nombreuses,  celles-ci  s'accroissaient 
insensiblement  et  prenaient  assez  vite  une  extension  qu'explique  la 
situation  de  ceux  qui  les  dirigeaient.  Villaréal  avait,  en  effet,  des 
correspondants  à  Livourne,  dans  les  Échelles  du  Levant,  à  Smyrne, 
à  Chypre,  à  Alexandrie,  à  Tripoli  et  à  Tunis.  C'est  à  eux  qu'il 
adressait  des  marchandises  de  France  ;  il  en  recevait  en  retour 
divers  produits  étrangers.  Peut-être  entretenait-il  dans  ces  différents 
ports  de  véritables  succursales  de  la  maison  qu'il  avait  fondée  à 
Marseille.  A  coup  sûr,  il  en  était  ainsi  pour  le  port  de  Livourne, 
avec  lequel  Villaréal  paraît  avoir  fait  ses  plus  fréquentes  et  peut- 
être  ses  plus  fructueuses  opérations. 

Quelles  que  soient,  d'ailleurs,  les  conditions  dans  lesquelles  ces 
diverses  opérations  étaient  effectuées,  on  ne  peut  nier  qu'elles 
n'aient  été  actives  et  prospères.  Un  acte  notarié  constate,  en  effet, 
que,  au  cours  des  neuf  années  qu'il  a  séjournées  à  Marseille, 
Villaréal  a  contracté  des  assurances  maritimes  s'élevant  à  la  somme 
de  856.400  livres  et  a  payé  à  cet  effet  pour  58. 81^2  livres  de  primes  ^ 

1.  Ce  personnage,  nommé  Josepli  Vais  Villaréal  dans  les  documents  des  Archives 
des  Alfairos  Étrangères,  est  aussi  appelé  Joseph  Vias  Villaréal  dans  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  Nationale. 

2.  Arch.  (les  Aff.  Étr.,  loc.  cit.,  f»  306. 

3.  Arch.  des  Aff.  Étr.,  loc.  cit.,  foSit.  —  Certificat,  délivré  le  21  ilécembre  1679,  par 
Jean-Baptistf  Auiiimar,  notaire  royal  à  Marseille,  et  validé  jtar  Jean-François  de  lUlIon, 
lieutenant  général  civil  et  criminel  de  la  Marine  et  Amirauté  des  nuis  du  Levant  au 
siège  de  Marseille,  attestant  que,  du  2  juin  1670  au  mois  de  décembre  KilO,  Joseph 
Vais  Villaréal  et  Comiiagnie,  marchands  juifs  résidant  a  Marseille,  ont  contracté  sur 
divers  navires  des  assurances  s'élevant  à  une  somme  de  8o0.400  livres,  et  ont  payé  une 
prime  de  53.812  livres. 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU  XVII«  SIÈCLE  123 

Un  autre  document  du  même  genre  atteste  encore  que,  pendant  ce 
même  laps  de  temps,  ce  marchand  a  signé  861  polices  de  char- 
gements pour  diverses  marchandises  embarquées  sur  différents 
navires  marseillaise 

Non  seulement  Villarcal  et  ses  associés  exportaient  des  marchan- 
dises nombreuses  et  variées,  mais  ils  importaient  aussi  d'abondants 
produits  étrangers.  Pour  montrer  l'importance  de  leur  participation 
à  la  prospérité  du  port  de  Marseille  et  justifier  ainsi  la  faveur  qu'ils 
sollicitaient  d'être  autorisés  à  y  prolonger  leur  séjour,  ces  marchands 
juifs  firent  dresser  pour  les  soumettre  au  roi  divers  états  des  opéra- 
tions auxquelles  ils  se  livraient.  L'un  de  ces  états  fournit  notamment 
la  longue  liste  des  marchandises  qu'ils  ont  fait  transporter  à  Mar- 
seille depuis  les  premiers  temps  de  leur  séjour  dans  cette  ville.  Ces 
états  offrent  ainsi  un  véritable  tableau  en  réduction  du  commerce 
de  Marseille  dans  le  dernier  tiers  du  xvii"  siècle.  Des  navires  de 
toute  forme,  «  vaisseaux,  polacres,  barques,  tartanes  »  et  de  natio- 
nalités différentes,  français  (Levantais  ou  Ponantais),  anglais  ou 
hollandais,  venus  des  pays  les  plus  divers,  Italie,  Pays  barbaresques. 
Échelles  du  Levant,  y  apportent  les  marchandises  les  plus  variées. 

De  Livourne,  Villaréal  fait  venir  des  drogueries,  des  épiées,  des 
cuirs,  des  étoffes  de  laine  et  de  coton.  La  plupart  de  ces  objets  ne 
paraissent  pas  être  des  produits  de  l'agriculture  ou  de  l'industrie 
italiennes.  Beaucoup  semblent,  au  contraire,  avoir  été  déjà  impor- 
tés à  Livourne  par  les  correspondants  ou  par  les  associés  de  Villa- 
réal, qui  les  fait  venir  à  Marseille  à  son  tour  pour  en  tirer  un 
meilleur  parti.  D'autres  chargements  arrivent  des  ports  du  Levant, 
Smyrne,  Chypre,  surtout  Alexandrie  :  ce  sont  des  balles  de  laine 
de  chèvre,  de  soie,  des  cuirs  tannés,  des  épices  et  des  drogueries. 
Villaréal  se  flatte,  d'ailleurs,  de  pouvoir  mieux  et  plus  avantageu- 
sement que  les  négociants  marseillais  trafiquer  dans  ces  pays  : 
d'après  lui,  les  Juifs  y  détiennent  tout  le  commerce,  et  il  est  en 
correspondance  suivie  avec  eux  '^.  Enfin,  il  fait  venir  encore  d'autres 

1.  Arch.  des  Aff.  Étr.,  loc.  cil.,  f»  31(5.  —  CertiCicat,  délivré  le  22  décembre  1G79, 
par  Pierre  Maillet,  notaire  royal  à  Marseille,  et  validé  par  Antoine  de  Pellegrin,  lieu- 
tenant particulier  et  assesseur  civil  et  criminel  au  siège  de  Marseille,  constatant  que, 
du  9  septembre  1670  à  ce  jour,  Joseph  Vais  Villaréal,  Abraham  Atlas  et  Franco  Dalmcdo 
ont  fait  «  soit  ensemblement  que  séparément,  des  polices  de  chari:ements  faits  de 
diverses  marchandises  en  ce  port  sur  plusieurs  bâtiments  de  mer,  pour  être  trans- 
portées en  divers  endroits,  au  nombre  de  huit  cent  soixante-une,  cnntenant  icelles  sept 
mille  cent  vingt-six  balles  de  diverses  marchandises,  sept  mille  six  cent  sejit  cuirs  et 
quatre  cent  vingt-sept  charsres  et  demi  de  blé...  » 

2.  Arch.  des  Atf.  Ktr.,  loc.  cit.,  î°  339.  —  .\'ofe  (à  la  fin  d'un  document)  :  «...  Ce 
qui  prouve,  k  ce  qu'ils  disent,  qu'ils  font  plus  de  négoce  à  Marseille  que  tous  les  autres 


124  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

produits  des  Pays  Barbaresques,  de  Tripoli  et  de  Tunis  :  ce  sont  des 
cuirs,  de  la  cire,  des  éponges,  du  corail  ^ 

Ces  arrivages  ne  se  font  pas  avec  régularité.  Les  tableaux  annuels 
que  nous  avons  pu  dresser  des  diverses  opérations  faites  par  Villa- 
réal  accusent,  au  contraire,  des  différences  assez  sensibles  d'une 
année  à  l'autre. 

Sans  parler  de  Tannée  4670,  où  Villaréal  et  Atias  vinrent  s'établir 
à  Marseille,  et,  par  conséquent,  année  de  début  où  le  nombre  des 
opérations  fut  forcément  insignifiant,  les  années  qui  suivent  jus- 
qu'en 1679  ne  présentent  ni  une  progression  constante  dans  les 
importations  faites  pour  leur  compte,  ni  une  suite  d'opérations 
régulières  avec  les  diverses  places  de  commerce  d'où  provenaient 
les  marchandises  importées. 

Livourne  est  toujours  le  centre  principal  de  ces  opérations,  mais 
le  nombre  des  chargements  partis  de  ce  port  à  destination  de 
Marseille,  pour  le  compte  de  nos  négociants  juifs  varie  d'une  année 
à  l'autre,  sans  qu'on  puisse  saisir  les  raisons  de  ces  variations. 
Notre  tableau  accuse  donc  14  chargements  pour  1671  et  27  pour  1672; 
puis  il  tombe  à  17  pour  1673  et  même  à  7  pour  1674.  Il  remonte,  il 
est  vrai,  à  11, 15',  16  et  27  chargements  pour  les  années  suivantes 
1675,  1676,  1677,  1678,  pour  retomber  à  22  en  1679. 

Nous  pouvons  faire  des  constatations  du  même  genre  pour  les 
autres  ports  d'embarquement.  Nous  relevons,  en  effet,  les  chiffres 
suivants  pour  les  chargements  provenant  d'Alexandrie  :  2  en  1671, 
1  en  1672,  7  en  1673,  4  en  1674,  9  en  1675,  5  en  1676,  10  en  1677,  5 
en  1678,  8  en  1679.  Tunis  envoie  1  navire  en  1672,  3  en  1673,  3  en 
1675,  1  en  1676,  1  en  1677,  2  en  1678,  4  en  1679;  —  Tripoli,  1  en 
1672,  2  en  1674,  2  en  1675,  3  en  1676,  3  en  1677,  3  en  1678,  1  en 
1679.  Quant  à  Smyrne,  Chypre  et  Alexandre Ite,  les  opérations 
que  ces  ports  font  avec  les  marchands  juifs  de  Marseille  restent 
suspendues  parfois  pendant  plusieurs  années  successives,  sans 
que  nous  paissions  expliquer  la  cause  de  ces  interruptions.  Par 
exemple,  nous  relevons  en  1671  deux  chargements  provenant  de 
Smyrne,  en  1672,  3  de  Smyrne  et  1  d'Alexandrette,  en  1673,  1  de 
Smyrne;  mais  nous  n'en  relevons  aucun  au  cours  des  années 
suivantes  1674,  1675,  1676,  1677,  1678;  en  1079,  enfin,  un  charge- 
étrangers,  ot,  enfin,  qu'ils  sont  plus  propres  au  commerce  que  tous  autres,  tout  leur 
bien  consistant  en  argent,  en/an/  des  correspondances  dans  lotit  le  Levanf,  avec  les 
Arméniens,  en  Barbarie,  en  Italie,  et  surtout  dans  l'Empire  du  Turc  où  les  rece- 
veurs des  douanes  et  négociants  sont  Juifs  pour  la  plupart.  » 
1.  V.  Pièces  Justificatives,  1  et  IL 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU  XVII«  SIÈCLE  12b 

ment  est  marqué  comme  ayant  Alexandrette  et  Chypre  pour  ports 
d'origine. 

C'est  bien  là  ce  qui  constituait  jadis  le  commerce  de  mer,  à  une 
époque  où  la  division  du  travail  et  le  système  de  séparation  rigou- 
reuse entre  les  diverses  industries  et  les  divers  commerces,  que 
nous  appliquons  aujourd'hui,  étaient  à  peu  près  complètement 
ignorés. 

Il  serait  intéressant  de  connaître  l'usage  que  Villaréal  et  ses 
associés  taisaient  des  marchandises  qui  leur  étaient  ainsi  apportées 
de  divers  côtés.  Aucun  des  documents  dont  nous  disposons  ne  nous 
fournit  de  renseignements  à  ce  sujet.  Tout  au  plus  pouvons-nous 
supposer,  d'après  des  indications  tirées  de  pièces  que  nous  ana- 
lysons plus  loin,  que  ces  Juifs  ne  se  contentaient  pas  d'importer 
à  Marseille  des  produits  d'outre-mer.  Ceux-ci,  au  contraire,  étaient 
dirigés  par  leurs  soins  dans  l'intérieur  du  pays.  Ils  se  vantent,  en 
effet,  dans  divers  mémoires,  dont  nous  parlerons  bientôt,  d'avoir 
acquitté  eux-mêmes,  pour  des  marchandises  déterminées,  des 
droits  importants  entre  les  mains  des  receveurs  des  fermes  royales, 
ce  qu'ils  n'auraient  pu  faire  s'ils  avaient  vendu  ces  marchandises 
sur  place,  Marseille  étant  port  franc  ^  Ainsi  leur  commerce  s'éten- 
dait directement  sur  tout  le  reste  du  royaume  ;  mais  rien  ne  nous 
permet  d'établir  dans  quelles  conditions  il  s'y  faisait. 

Quant  aux  profits  que  Villaréal  en  retirait,  il  ne  nous  est  pas 
davantage  permis  de  le  savoir.  Aucune  indication  à  ce  sujet  ne  se 
dégage  des  documents  que  nous  avons  eus  entre  les  mains.  Tout 
au  plus  pouvons-nous  supposer  que  les  bénéfices  réalisés  par  un 
commerce  aussi  varié  et  aussi  actif  furent  importants,  puisque,  de 
très  bonne  heure,  la  présence  de  ces  négociants  juifs  à  Marseille 
excita  les  inquiétudes  et  provoqua  lès  plaintes  du  commerce  local. 
Si  le  commerce  des  Juifs  avait  été  précaire  et  les  bénéfices  insi- 
gnifiants ou  nuls,  il  est  probable,  en  effet,  que  les  représentants 
officiels  du  commerce  marseillais  et  ses  défenseurs  naturels  ne  s'en 
seraient  pas  alarmés.  C'est,  au  contraire,  ce  qu'ils  ont  fait,  dès  le 
premier  jour,  et  leurs  plaintes  sont  allées  croissant,  à  mesure  ([ue 
se  dessinait  de  plus  en  plus  le  succès  de  l'entreprise  de  Villaréal, 
comme  va  le  montrer  la  suite  de  ce  récit. 

1.  Les  Députés  du  Commerce  ont  bien  essayé,  il  est  vrai,  de  contester  cette  afflr- 
mation,  prétendant,  au  contraire,  que  le  commerce  de  Villaréal  et  des  autres  Juifs 
établis  autour  de  lui  ne  dépassait  pas  le  territoire  de  la  ville.  Mais  nous  essayons  de 
démontrer  plus  loin  (jue  leur  argumentation  à  cet  égard  ne  repose  sur  rien  de  solide  et 
que,  par  conséquent,  il  peut  être  tenu  compte  de  lafOrmatioa  de  Villaréal. 


426  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


III 


La  prospérité  de  la  maison  de  commerce  fondée  à  Marseille  par 
Joseph  Vais  Villaréal  et  son  beau-frère,  Abraham  Atias,  avait  été  de 
bonne  heure  rendue  évidente  par  la  multiplicité  des  affaires  aux- 
quelles se  livraient  les  deux  associés.  Dans  un  port  de  commerce, 
comme  était  celui  de  Marseille  au  xvii«  siècle,  où  les  diverses  opé- 
rations se  faisaient  au  grand  jour,  il  devait  être  assez  difficile  de 
dissimuler  leur  nombre  et  leur  importance.  C'est  pourquoi  les  pro- 
fits que  Ton  attribua  aux  chefs  de  cette  entreprise  provoquèrent 
à  la  fois  un  sentiment  d'envie  chez  certains  marchands  juifs  de 
Livourne,  témoins  de  l'extension  prise  par  les  affaires  de  leurs 
coreligionnaires,  et  un  sentiment  de  crainte  et  de  jalousie  chez  les 
marchands  marseillais  qui  se  crurent  dépouillés  par  ces  intrus  d'un 
bénéfice  légitime.  De  là,  divers  incidents  qui  devaient  à  assez  bref 
délai  causer  la  ruine  de  l'établissement  de  Villaréal. 

Celui-ci  était  à  peine  installé  à  Marseille  avec  son  beau-frère  et 
sa  famille,  comme  Louis  XIV  lui  en  avait  accordé  la  permission, 
que  d'autres  Juifs  arrivaient  comme  lui,  de  Livourne,  s'établissaient 
dans  notre  ville  et  s'y  livraient  aussitôt  au  même  genre  de  com- 
merce. Les  états  des  opérations  faites  par  Villaréal,  dont  nous  avons 
déjà  parlé,  mentionnent,  en  effet,  avec  celui-ci,  d'autres  Juifs  aux- 
quels étaient  destinés  les  chargements  dont  il  est  question  dans 
ces  états.  Ce  sont  Franco  Dalmeda  ou  Dalmedo,  Jacob  Samuel, 
Avidor,  Habran  Jacob  et  Manuel  Nunès  ^ 

A  vrai  dire,  il  nous  est  assez  difficile  de  dire  si  ces  personnages 
étaient  autant  de  chefs  de  maisons  de  commerce  distinctes.  Le 
document,  qui  nous  signale  leur  existence,  le  fait  dans  les  formes 
les  plus  diverses  et  les  moins  précises.  Tantôt  c'est  un  nom  isolé, 
tantôt  c'est  une  série  de  noms,  véritable  raison  sociale,  qu'il  four- 
nit. Dans  ce  dernier  cas,  les  formules  sont  les  plus  variées.  Dal- 
meda, par  exemple,  devient  successivement  Jacob  Samuel,  Dalmeda 
et  Avidor,  —  Franco  Dalmeda  et  compagnie,  —  Franco  Dalmeda, 
Avidor  et  Vais.  Il  en  est  d'ailleurs  de  même  des  deux  noms  de  Vais 
Villaréal  et  d'Atias,  qui  paraissent  tantôt  réunis,  tantôt,  au  contraire, 
séparés  et  comme  chefs  de  maisons  différentes  :  ainsi  Villaréal 
se  transforme  en  Villaréal  et  Atias,  puis  Villaréal  et  compagnie, 

1.  V.  Pièces  Justificatives,  II. 


UN  ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU  XVII«  SIÈCLE  127 

Villaréal  père  et  fils,  sans  parler  de  la  raison  sociale,  précédemment 
citée,  Franco  Dalmeda,  Avidor  et  Vais,  qui  paraît  aussi  s'appliquer 
à  lui.  De  son  côté,  Atias  donne  Nunès,  Atiaset  compagnie, — Habran 
Jacob  et  Atias,  —  Manuel  Nunès  et  Abraham  Atias. 

Il  nous  paraît  donc  difficile  de  déterminer  exactement  combien 
de  maisons  juives  furent  établies  à  Marseille  de  1670  à  l<)79.  ^^ous 
ne  serions  même  pas  éloigné  d'affirmer  que  ces  différentes  maisons 
de  commerce  étaient  liées  entre  elles  par  des  intérêts  communs  plus 
étroits  que  ceux  que  pouvait  créer  la  communauté  de  religion  et 
d'origine  dans  un  pays  où  les  Juifs  étaient,  pour  ainsi  dire,  traités 
en  parias.  Villaréal  apparaît,  en  efl'et,  comme  le  chef  de  cette  colonie 
juive  :  c'est  lui  qui  est  désigné  nominalement  à  l'exclusion  de  tout 
autre  dans  les  documents  où  les  négociants  marseillais  se  plaignent 
des  marchands  juifs  qui  sont  venus  s'établir  dans  leur  ville.  C'est 
encore  lui  qui  agit  au  nom  de  tous  les  Juifs  résidant  à  Marseille  et 
qui  rédige  les  mémoires  destinés  à  combattre  les  imputations  diri- 
gées contre  eux.  C'est  à  lui  que  sont  délivrés  les  actes  authentiques 
dont  il  se  sert  pour  appuyer  les  arguments  qu'il  présente  en  faveur 
des  établissements  qu'il  a  créés.  C'est  enfin  dans  sa  maison  que 
sont  ordinairement  célébrées  les  cérémonies  religieuses  qui  réu- 
nissent les  membres  de  cette  petite  communauté  le  samedi  et  les 
jours  des  grandes  fêtes. 

De  tout  cela  nous  conclurions  sans  hésitation  que  Villaréal 
fut  véritablement  le  chef  avéré  ou  secret  des  quatre  ou  cinq 
maisons  de  commerce  juives,  dont  l'existence  nous  est  révélée  à 
ce  moment  à  Marseille,  si  nous  ne  trouvions  dans  un  de  nos  docu- 
ments un  passage  qui  ne  nous  semble  pas  permettre  semblable 
affirmation.  Nous  lisons,  en  effet,  dans  un  mémoire  présenté  contre 
les  Juifs  parla  Chambre  de  commerce  de  Marseille,  que  «  un  d'eux, 
nommé  Franco,  a  fait  faillite  depuis  peu  '  ».  Assurément,  c'est  de 
Franco  Dalmeda  qu'il  s'agit,  dont  la  déconfiture  paraît  devoir  être 
fixée  à  l'année  1679,  date  à  laquelle  ce  mémoire  a  été  rédigé.  Cette 
aventure  malheureuse,  dont  les  marchands  marseillais  tirent  argu- 
ment contre  les  marchands  juifs,  nous  paraît  prouver  que  ceux-ci 
faisaient  isolément  leurs  affaires,  à  leurs  risques  et  périls,  et  que  la 
solidarité  qui  les  unissait  s'arrêtait  le  plus  souvent  à  leurs  affaires 
d'intérêts.  Comment  supposer,  en  effet,  s'il  en  avait  été  autrement, 
que  Villaréal  eût  ainsi  laissé  sombrer  un  de  ses  associés  dans  une 
faillite  dont  leurs  ennemis  communs  devaient  s'autoriser  pour  incri- 

1.  Arch.  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille,  G.  G.  1.  :  Résidence  des  Juifs 
à  Marseille  :  Premier  mémoire. 


128  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

miner  indistinctement  la  probité  de  tous  les  marchands  juifs  et, 
les  présentant  comme  un  danger  public,  réclamer  contre  eux  des 
mesures  de  proscription  ? 

Il  paraît  certain  toutefois  qu'il  existait  des  liens  réels  d'amitié, 
de  parenté  ou  d'intérêt  entre  Villaréal  et  les  Juifs  dont  nous  venons 
de  parler.  Rien,  en  efifet,  dans  les  documents  dont  nous  disposons, 
ne  nous  autorise  à  voir  en  eux  des  personnes  étrangères  entre  elles 
et  vivant  tout  à  fait  à  l'écart  les  unes  des  autres.  C'est  sur  l'initiative 
de  Villaréal  qu'ils  sont  tous  venus  après  lui  s'établir  à  Marseille,  et 
c'est  sur  ses  conseils,  sinon  avec  une  partie  de  son  argent,  qu'ils 
ont  entrepris  leurs  diverses  opérations.  Aucun  d'eux  n'a  sollicité 
de  permission  spéciale  pour  se  fixer  en  France,  sans  doute  parce 
qu'il  a  jugé  suffisante  celle  qui  avait  été  précédemment  accordée  â 
Villaréal  et  à  Atias.  Or,  l'établissement  de  ces  deux  personnages  à 
Marseille  n'avait  pas  créé  un  précédent  dont  pouvaient  s'autoriser 
indistinctement  tous  les  autres  Juifs  disposés  à  les  imiter.  Par 
conséquent,  il  n'est  pas  téméraire  de  conclure  que  Villaréal  a 
entraîné  à  sa  suite  le  groupe  de  Juifs  de  Livourne  qui  sont  fixés  à 
Marseille  autour  de  lui  en  4679. 

Mais  d'autres  Juifs  avaient  eu  la  tentation  de  l'imiter.  N'ayant 
avec  lui  aucune  relation,  ils  eurent  recours  à  la  procédure  qui  lui 
avait  réussi.  Ce  sont  encore  deux  marchands  de  Livourne,  Raphaël 
Emossé  Ergas  et  David  Moron,  qui  demandent  à  Golbert  de  Croissy 
pour  eux  et  pour  leurs  familles  «  de  leur  faire  la  grâce  de  faire 
expédier  un  passeport  pour  venir  négocier  à  Marseille,  y  séjourner 
et  s'en  retourner  de  la  môme  manière  que  l'on  a  accordé  ci-devant 
plusieurs  passeports  à  des  Juifs  qui  sont  présentement  audit  Mar- 
seille, où  ils  font  un  négoce  très  considérable  '  ».  Il  est  probable 
que  cette  démarche  n'eut  aucun  succès.  Elle  montre  cependant 
combien  était  vif  le  désir  de  certains  négociants  juifs  d'Italie  de 
profiter  de  la  franchise  du  port  de  Marseille  pour  venir  y  faire  du 
commerce  et,  peut-être,  y  faire  fortune  à  l'exemple  de  Villaréal. 

Cette  démarche  explique  et  justifie  dans  une  certaine  mesure, 
en  tenant  naturellement  compte  de  l'esprit  d'intolérance  et  de  par- 
ticularisme politique  et  économique  qui  dominait  à  cette  époque, 
les  méfiances  et  la  colère  que  manifestèrent  les  Marseillais  pour 
ainsi  dire  dès  le  lendemain  de  l'établissement  de  Villaréal. 

Les  premières  opérations  faites  à  Marseille  par  Villaréal  remon- 
tent au  mois  de  mai  1670  :  c'est  donc  six  mois  à  peine  après  son 
établissement  dans  la  ville  que  la  Chambre  de  commerce  prend  sa 

1.  Arch.  d«s  A£F.  Étr.,  Icc.  cit.,  i"  338. 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU  XVII"   SIÈCLE  i29 

première  délibération  par  laquelle  elle  demande  qu'on  n'y  supporte 
pas  la  présence  des  Juifs.  A  la  séance  du  Bureau  des  Députés  du 
commerce,  tenue  le  ^^2  décembre,  le  premier  Député,  Guillaume  de 
Saint-Jacques,  saisit  l'assemblée  de  cette  réclamation. Les  Députés 
du  commerce,  dit-il,  «  ont  reçu  plainte  de  divers  négociants  qu'il 
babite  en  cette  ville  quantité  de  Juifs,  ce  qui  est  contre  les  édits 
et  ordonnances,  même  les  arrêts  du  Conseil  qui  leur  défend  de 
résider  en  cette  ville  que  pendant  trois  jours  et  qu'ils  n'y  pourront 
négocier  que  par  commissionnaire  et  porter  la  marque  des  Juifs.  Et, 
sous  prétexte  de  certaine  commission  qu'ils  ont  captée  au  Conseil 
du  roi,  ils  s'y  sont  introduits  sans  que  les  Écbevins  et  Députés  du 
commerce  soient  été  ouïs  en  leurs  raisons  et  défenses,  requérant  y 
être  pourvu.  Sur  quoi,  conclut  le  procès-verbal,  a  été  résolu  que 
Messieurs  les  Échevins  recevraient  leur  permission  de  se  pourvoir 
à  la  Cour  pour  en  porter  plainte  * .  » 

Nous  ignorons  si  les  Écbevins  ont  rempli  la  mission  dont  ils 
étaient  chargés:  rien  dans  nos  documents  ne  nous  en  informe 2.  Il 
est  à  croire  cependant  qu'ils  n'y  mirent  que  peu  d'empressement, 
caries  opérations  de  Villaréal  et  de  ses  coreligionnaires  allèrent 
en  augmentant,  ce  qui  ne  serait  sans  doute  pas  arrivé  s'ils  avaient 
été  inquiétés  par  les  magistrats  municipaux  ou  par  les  officiers  de 
justice  dès  les  premiers  temps  de  leur  séjour  à  Marseille.  Si  même 
les  Échevins  remplirent  scrupuleusement  le  mandat  donné  par  les 
Députés  du  commerce,  le  gouvernement  fit  la  sourde  oreille.  Il  ne 
plaisait  probablement  pas  à  Colbert  d'interrompre,  par  des  mesures 
de  rigueur  ordonnées  contre  d'intelligents  et  actifs  négociants,  et 
dès  les  premiers  mois  de  son  application,  l'exécution  de  l'édit  sur 
la  franchise  du  port  de  Marseille.  Le  ministre  de  Louis  XIV  suivait 
à  ce  moment,  à  l'égard  des  Juifs  dénoncés  par  la  Chambre  de  com- 
merce, la  même  politique  qu'il  avait  suivie  à  l'égard  des  Protestants 
également  dénoncés  à  l'instigation  des  Marseillais  par  le  premier 
président  du  Parlement  d'Aix'. 

Les  négociants  marseillais  ne  se  laissèrent  pourtant  pas  décou- 
rager par  l'attitude  indifférente  du  ministre.  Deux  mois  après,  le 
6  février  1671,  le  député  du  commerce  Croiset  renouvelle  leur 
plainte.  «  Ils  reçoivent  journellement  plainte  des  négociants  de 

1.  Arch.  de  la  Ctiambrc  de  Commerce  de  Marseille,  B  B.  2.  Registre  îles  délihé- 
raliona  f»  81u  :  Bureau  du  22  décembre  1670. 

2.  Il  manque,  en  ellet,  aux  Archives  Communales  de  Marseille  le  Rejjrislre  des  copies 
des  lettres  écrites  par  les  Échevins,  pendant  les  années  1670  et  1671.  Le  Retristre,  «pii 
conUentles  lettres  écrites  eu  1672,  n'en  renferme  aucune  se  rapportant  à  celte  affaire. 

3.  V.  Aug.  Fabre,  Les  Rues  de  Marseille,  IV,  268. 

T.  LY,  N»  109.  3 


130  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

cette  place  que  les  Juifs  viennent  en  grand  nombre  habiter  en  cette 
ville  sans  qu'on  y  puisse  mettre  ordre,  à  cause  qu'ils  font  voir  des 
ordres  précis  de  M.  de  Golbert.  »  Et,  derechef,  le  procès-verbal 
enregistre  qu'il  «  a  été  résolu  que  Messieurs  les  Échevins  en 
écriraient  à  mondit  seigneur  de  Golbert'  ». 

La  démarche  fut  encore  vaine,  si  tant  est  qu'elle  ait  été  faite. 
Cependant,  les  Députés  du  commerce  gardèrent  le  silence  pendant 
quatorze  mois.  C'est  seulement,  en  effet,  à  la  réunion  du  Bureau, 
tenue  le  22  avril  1672,  que  le  premier  député  Boisselly  représenta 
«  qu'il  arrive  journellement  des  Juifs  en  cette  ville  qui  y  viennent 
habiter,  ce  qui  est  contraire  aux  édits  et  ordonnances  et  aux  statuts 
de  la  ville,  étant  nécessaire  de  prendre  garde  à  cet  abus,  puisque 
ce  sont  des  pestes  des  villes  ».  Sur  quoi,  les  assistants  décident: 
«  Messieurs  les  Échevins  et  Députés  du  commerce  en  écriront  au 
Roi  pour  obtenir  les  ordres  de  Sa  Majesté  à  les  faire  chasser  de 
cette  ville,  après  qu'ils  y  auront  résidé  les  trois  jours  portés  par 
les  statuts^.  » 

Il  n'est  pas  surprenant  que  ceux  devant  qui  furent  portées  ces 
plaintes  du  commerce  marseillais  n'y  aient  ajouté  d'abord  que  peu 
d'importance.  Elles  manquent  toutes  trois  de  précision,  et  la 
deuxième  et  la  troisième  ne  sont,  en  somme,  sous  une  forme  d'ail- 
leurs peu  différente,  que  la  répétition  de  la  première.  Leur  exagé- 
ration même  leur  enlève  toute  portée  :  les  plaignants  auraient 
notamment  été,  à  coup  sûr,  fort  embarrassés  s'il  leur  eût  fallu 
dénombrer  cette  «  quantité  de  Juifs  »  qui,  d'après  eux,  seraient 
venus  habiter  à  Marseille.  Nous  savons  qu'elle  se  réduisait  à  pas 
grand  chose,  une  cinquantaine  de  personnes  au  maximum.  Aussi 
a-t-on  de  la  peine  à  comprendre  l'émotion  accusée  par  les  délibé- 
rations dont  nous  venons  de  citer  les  passages  essentiels. 

Non  seulement  ces  plaintes  étaient  exagérées,  —  et  il  n'était  pas 
difficile  de  le  prouver,  —  mais  elles  étaient  encore  maladroites. 
Invoquant  les  prescriptions  des  édits  et  ordonnances  du  Roi,  des 
arrêts  du  Conseil  et  des  statuts  de  la  ville  qui  réglaient  les  condi- 
tions du  séjour  des  Juifs  sur  le  territoire  de  Marseille,  elles  étaient 
muettes  sur  les  prescriptions  particulières  de  l'édit  de  l'atTran- 
chissement  du  port,  en  contradiction  avec  celles-ci  et  paraissaient 
affecter  d'ignorer  que  les  Juifs  pouvaient  s'en  réclamer  ])Our  justifier 
leur  présence  dans  la  ville.  Or,  ce  n'était  pas  seulement  à  propos 
du  cas  particulier  des  Juifs  que  les  Marseillais  manifestaient  leur 

1.  Anli.  de  la  Chambre  de  Conuneice,  BB.  2.  Registre  des  Délibérations,  f"  879. 

2.  Arcli.  de  la  Cliambre  de  Commerce,  BB.  3.  Registre  des  Délibérations  f"  49. 


UN  ÉTABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU  XVII»  SIÈCLE  131 

mécontentement  au  sujet  de  l'édit  de  1669  ;  peut-être  même 
voyaient-ils  dans  cette  dernière  démarche  un  moyen  détourné  de  le 
battre  en  brèche.  Colbert  était  trop  avisé  pour  ne  pas  s'en  méfier. 
Il  dédaigna  de  répondre  à  la  réclamation  des  Marseillais,  et  les 
Juifs  demeurèrent  à  Marseille. 

Ne  pouvant  pas  olilenir  satisfaction  du  gouvernement,  les  mar- 
chands marseillais  se  tournèrent  d'un  autre  côté.  Ils  demandèrent 
au  Parlement  d'Aix  de  prononcer  l'incapacité  des  Juifs  à  demeurer 
et  à  commercer  dans  leur  ville.  Une  première  fois,  au  mois 
d'avril  J674,  le  Parlement  dut  prononcer  entre  eux  et  Franco 
Dalmeda;  une  seconde  fois,  au  mois  de  septembre  1676,  entre  eux 
et  Villaréal  et  Atlas.  A  deux  reprises,  ils  perdirent  leur  procès. 

L'arrêt  relatif  à  l'atTaire  de  Franco  Dalmeda  ne  nous  est  pas  par- 
venu. Par  contre,  nous  possédons  une  copie  de  l'arrêt  prononcé  en 
faveur  de  Villaréal  et  son  beau-frère  :  il  est  catégorique  ' .  Sans  même 
faire  allusion  à  toute  la  législation  antérieure,  qui,  seule,  aurait 
dû  être  prise  en  considération  s'il  avait  admis  la  manière  de  voir 
des  plaignants,  le  Parlement  ne  tient  compte  que  de  l'édit  de 
mars  1669,  qui,  en  déclarant  port  franc  le  port  de  Marseille,  a 
modifié  de  fond  en  comble  la  condition  légale  des  étrangers  venus 
pour  y  commercer.  Reconnaissant  aux  Juifs  la  qualité  d'étrangers, 
la  Cour  souveraine  les  admet  donc  au  bénéfice  de  cet  édit  et,  en 
conséquence,  «  leur  permet  de  trafiquer,  négocier  et  séjourner  en 
la  ville  de  Marseille,  et  disposer  eu  cas  de  décès  de  leurs  biens 
comme  les  autres  étrangers,  le  tout  conformément  à  ladite  décla- 
ration de  Sa  Majesté  ». 

Il  semblait  après  cela  que  les  Juifs  eussent  dû  avoir  désormais 
cause  gagnée.  Proscrits  de  France  à  cause  de  leur  origine  et  de  leur 
religion  ils  paraissaient  avoir  du  moins  la  ressource  d'y  vivre,  en 
qualité  d'étrangers,  et  sous  la  protection  du  Roi  à  la  condition  de 
s'y  livrer  au  commerce  maritime  dans  quelques  villes  déterminées. 
C'est  le  contraire  qui  arriva  et  un  incident  assez  obscur,  survenu 
au  cours  de  cette  même  année  1676,  permit  à  leurs  ennemis  de 
reprendre  contre  eux  l'avantage  qu'ils  avaient  momentanément 
perdu. 

1.  Arch.  des  Aff.  Étr.,  loc.  cit.,  ff<"  304-305  ;  —  v.  aux  Pièces  Justificatives,  ni. 


Iâ2  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


IV 


Le  2  février  1676,  entra  dans  le  port  un  navire  qui  avait  été  retenu 
en  quarantaine  depuis  le  14  décembre  par  les  Intendants  de  la 
Santé.  Ce  navire,  chargé  de  diverses  marchandises,  était  parti  de 
Tripoli  de  Barbarie  à  destination  de  Livourne,  où  résidaient  les 
marchands  pour  le  compte  desquels  il  accomplissait  ce  voyage. 
Mais  son  capitaine,  le  patron  Nicolas  Hermitte  de  Marseille,  étant 
mort  de  la  peste  deux  jours  après  son  arrivée,  les  magistrats  de 
Livourne  Tobligèrent  à  quitter  ce  port  sans  lui  laisser  le  temps  de 
débarquer  son  chargement.  Etienne  Sibelly,  qui  en  avait  pris  le 
commandement,  le  ramena  donc  à  Marseille  où,  aussitôt  arrivé, 
il  s'empressa  d'aller  faire  sa  déclaration  devant  le  lieutenant  de 
l'Amirauté  \ 

Les  marchandises  transportées  depuis  Tripoli  étaient  toutes  des- 
tinées à  des  marchands  juifs  de  Livourne.  A  leur  arrivée  à  Mar- 
seille, elles  furent  entreposées  aux  Infirmeries,  ainsi  qu'il  arrivait, 
sans  doute,  pour  toutes  les  marchandises  suspectes  pour  raison  de 
contagion.  Joseph  Villaréal  et  Abraham  Atias  vinrent  les  y  réclamer 
en  même  temps  que  les  marchands  livournais  Moïse  Agib,  Moïse  et 
Gabriel  de  Faro.  Mais  des  marchands  marseillais  intervinrent  et 
s'opposèrent  à  cette  réclamation.  Ils  prétendaient  être  les  légitimes 
propriétaires  de  ces  marchandises  :  elles  portaient  encore  leurs 
marques  et  ils  les  reconnaissaient  comme  ayant  fait  partie  d'un 
chargement  pris  pour  leur  compte  à  Alexandrie  d'Egypte  par  la 
polacre  Sai7it- François,  capitaine  Joseph  Thomassin,  que  des 
corsaires  de  Tripoli  auraient  pillée  en  cours  de  route  ^. 

Un  procès  s'en  suivit  entre  les  marchands  marseillais  et  Villa- 
réal, Atias,  Moïse  Agib,  Moïse  et  Gabriel  de  Faro.  Une  sentence  du 
lieutenant  de  l'Amirauté,  rendue  le  26  mars  1677,  donna  raison 
aux  chrétiens,  qui  rentrèrent  définitivement  en  possession  des 
marchandises  après  un  ari'ôt  du  Parlement  de  Provence  rendu  le 
22  octobre  1678-'. 

La  bonne  foi  des  marchands  juifs  en  cette  affaire  pouvait  être 
complète;  il  n'y  a  rien  d'impossible  à  ce  qu'ils  aient  ignoré  l'origine 

1.  .\rcli.  des  .4(1".  Étr.,  loc.  cit.,  f»  336.  —  Pièces  Justificatives,  IV. 

2.  Arch.  (le  la  Cliainhre  do  Commerce,  GG.  1.  1682-1193  :  Résidence  îles  Juifs  à 
Marseille.  —  Premier  mémoire. 

3.  Ibidem. 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A.  MARSEILLE  AU  XVII«  SIÈCLE  133 

frauduleuse  des  marchandises  que  des  correspondants  leur  expé- 
diaient de  Tripoli.  En  outre,  Villaréal  et  Atias  n'étaient  qu'indirec- 
tement intéressés  dans  cette  afifaire,  où  ils  nous  paraissent  n'être 
intervenus  qu'en  qualité  de  mandataires  de  leurs  coreligionnaires 
livournais.  Leurs  noms  ne  figurent  pas,  en  effet,  sur  la  liste  très 
détaillée  des  marchands,  tous  livournais,  pour  le  compte  desquels 
Nicolas  Hermitte  avait  pris  son  chargement  à  Tripoli.  Il  était  donc 
injuste  de  leur  faire  subir  les  conséquences  d'un  événement  dont 
l'origine  leur  échappait  et  dont,  en  tout  état  de  cause,  ils  n'étaient, 
en  aucune  façon,  responsables. 

Les  négociants  de  Marseille  profitèrent  cependant  de  cet  événe- 
ment pour  renouveler  leurs  plaintes  contre  les  Juifs  et  demander 
qu'on  ne  les  supportât  pas  plus  longtemps  dans  leur  ville.  En  I679\ 
un  mémoire  fut  rédigé  par  les  soins  des  Députés  du  Commerce,  où 
furent  réunies  toutes  les  raisons  qui  militaient  en  faveur  d'une 
expulsion  pure  et  simple  de  ces  redoutables  concurrents. 

Rappelant  que,  depuis  le  jour  où  les  Édits  de  Charles  VIII  et  de 
Louis  XII  ont  chassé  les  Juifs  de  Provence,  «  aucun  Juif  n'a  osé 
s'étabUr  à  Marseille  »,  les  auteurs  du  Mémoire  déclarent  que  «  la 
résidence  des  Juifs  dans  Marseille  est  d'un  grand  préjudice  à  la 
gloire  de  Dieu,  au  bien  de  l'État  et  du  commerce  «.C'est  là  ce  qu'ils 
vont  s'efforcer  de  démontrer,  afin  de  bien  pénétrer  les  agents  du 
roi  de  la  justesse  de  leur  cause. 

Au  xvii«  siècle,  Marseille  était  une  des  villes  de  France  les  plus 
étroitement  attachées  à  la  foi  catholique.  Elle  l'avait  montré  à  difi'é- 
rentes  reprises,  notamment  lorsqu'il  s'était  agi  d'apphquer  l'Édit 
de  Nantes.  Se  rappelant  qu'elle  était  restée  longtemps  fidèle  à  la 
cause  de  la  Ligue,  elle  n'avait  consenti  a  reconnaître  Heuri  IV  qu'à 
la  condition  que  le  roi  confirmerait  ses  privilèges  et  reconnaîtrait 
que  ses  habitants  ne  pourraient  professer  que  la  religion  catho- 

1.  Arch.  de  la  Chambre  de  Commerce,  GG.  1.  —  Résidence,  etc.,  1"  mémoire.  — 
Ce  mémoire  n'est  pas  daté.  Il  résulte  cependant  d'un  passade  qu'on  peut  en  fixer  la 
rédaction  au  mois  de  septembre  1679.  Le  mémoire  rappelant  que  les  Juifs  présents  a. 
Marseille  ont  célébré,  le  7  septembre,  la  fête  des  Trompettes,  et,  le  16,  leur  Grand- 
Jeùne,  ajuute  «  le  22«  doivent  s'y  assembler  pour  faire  la  fête  des  Cabanes  ».  Le 
mémoire  a  donc  été  écrit  entre  le  16  et  le  21  septembre.  Quant  à  l'année,  nous  pouvons 
assigner  l'année  1679,  puisque  un  mémoire  de  Villaréal  adressé  à  l'Intendant  Rouillé, 
—  V.  plus  loin  —,  riposte  certainement  à  cette  dénonciation  par  ces  mots  :  «  On  pré- 
suppose que  les  suppliants  font  des  Assemblées  scandaleuses  dans  leurs  maisons,  et  la 
vérité,  qui  n'a  qu'un  chemin,  a  fait  voir  le  contraire  à  tous  ceux  i\u\,  de  votre  ordre, 
le  '22'  septembre  dernier,  se  sont  portés  à  la  maison  dudit  Villaréal  ..  »  Or,  si  c« 
mémoire  n'est  pas  daté,  il  est  accompagné  de  pièces  notariées  qui  sont  du  mois  de 
décembre  1679.  Par  conséquent,  c'est  bien  à  la  date  indiquée,  17-21  sept.  1679,  qu'il 
faut  placer  le  mémoire  des  Députés  du  Commerce. 


134  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

lique,  apostolique  et  romaine,  à  l'exclusion  de  tonte  autre  ^  Il 
n'est  donc  pas  surprenant  que  les  Marseillais  aient  cru  «  la  gloire 
de  Dieu  »  menacée,  parce  que,  sur  le  territoire  de  leur  ville,  non 
seulement  des  hérétiques,  comme  les  protestants,  mais  des  impies, 
des  Juifs  se  livraient,  même  en  secret,  à  la  pratique  de  leur  religion. 

«  On  les  a  vus  à  Marseille,  rapporte  le  rédacteur  du  Mémoire, 
s'assembler  tous  les  samedis  dans  la  maison  dudit  Villaréal  et  dans 
une  autre  maison  à  Saint- Jean  -  ;  et  comme  c'est  un  jour  de  repos 
pour  eux  et  que  leur  loi  les  oblige  de  s'abstenir  de  toute  sorte  de 
commerce  et  de  travailler,  il  faut  conclure  qu'ils  ne  s'assemblent 
que  pour  faire  l'exercice  de  leur  religion  :  et,  en  effet,  on  les  a  vus 
dans  une  chambre  avec  des  lampes  allumées,  leur  rabbin  habillé 
en  surplis,  avec  un  fimbre  sur  la  tête.  Ils  ont  fait  venir  le  rabbin 
de  la  synagogue  d'Avignon,  qui  a  circoncis  deux  enfants  mâles, 
l'un  du  susnommé  Villaréal,  et  l'autre  neveu  de  Abraham  Atlas, 
de  Livourne,  demeurant  à  Saint-Jean.  Et  la  cérémonie  a  été  ache- 
vée, suivant  la  loi  de  Moïse,  en  pleine  assemblée,  prenant  l'enfant 
et  le  redonnant  à  la  mère  moyennant  une  oblation.  Ils  ont  fait  la 
fête  des  Trompettes,  chez  Villaréal,  le  7'=  septembre,  mois  courant, 
le  16  leur  Grand-Jeûne,  le  22«  doivent  s'y  assembler  pour  faire  la 
fête  des  Cabanes,  en  laquelle  ils  dressent  des  cabanes  où  les 
hommes  vont  avec  une  palme  et  un  citron,  qu'ils  ont  mandé  quérir 
à  Nice  par  un  Juif,  nommé  Avora  Koyen,  sacerdot  de  la  race  de 
Lévy.  Et  cela  continuera,  sans  qu'on  puisse  l'empêcher  contre  le 
privilège  des  Marseillais,  suivant  lequel  il  ne  doit  point  être  fait 
d" autres  exercices  de  religion  que  de  la  Catholique,  Apostolique  et 
Romaine,  ce  qui  donne  sujet  de  plainte  aux  habitants  ». 

Mais  cette  violation  sacrilège  des  privilèges  de  Marseille  ne  suffit 
pas  pour  justifier  la  réclamation  des  négociants.  Les  Juils,  qui 
résident  à  Marseille  par  suite  d'un  attentat  manifeste  aux  lois  du 
royaume^,  portent  aussi  par  leur  présence  un  préjudice  mortel  au 
commerce  de  cette  ville.  Les  rédacteurs  du  mémoire  n'ont  garde 
d'oublier  les  usures  dont  les   Juifs   ont  coutume  de   se  rendre 

1.  V.  Aug.  Fabru,  Les  Rues  de  Marseille,  IV,  2GG. 

2.  C'est  le  nom  d'un  quartier  de  Marseille. 

3.  V.  Mémoire,  etc.  «  . .  .Ces  établissements  sont  contraires  aux  Édits  et  Ordonnances 
du  Roi,  particulièrement  aux  Lettres-Patentes  du  2ti  juillet  IGU),  enregistréi'S  au  grelTe 
du  Séuéclial  de  Marseille,  f"  1382,  qui  leur  ont  défemlu  toute  résidence,  amiu.l  le  Par- 
lement de  Provence  ayant  voulu  donner  atteinte  par  un  arrêt  du  14  janvier  1(J4S,  il  fut 
cassé  par  Arrêt  du  Conseil  du  16  avril  même  année,  avec  injonction  au  sieur  Gouverneur 
de  la  Province  et  aux  Officiers  de  l'Amirauté  de  tenir  la  main  à  l'exécution  des  Édits 
et  Ordonnances  du  Roi,  faire  vider  la  Ville  et  embarquer  les  Juifs  qui  aborderaient  à 
l'avenir  à  .Marseille,  trois  jours  après  leur  arrivée.  » 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A   MARSEILLE  AU   XVII«  SIÈCLE  135 

coupables  à  l'égard  des  chrétiens,  ce  qui  les  rend  particulièrement 
dangereux  à  Marseille,  dont  la  population  est  en  grande  partie  misé- 
rable '.  Cependant  ce  grief  a  été  si  souvent  formulé  qu'ils  jugent 
inutile  d'y  insister,  comptant  sans  doute  produire  plus  d'effet  et 
arriver  plus  sûrement  à  leur  but  en  invoquant  un  nouveau  grief, 
auquel  l'affaire  de  la  barque  du  patron  Nicolas  Hermitte  semblait 
donner  une  apparence  de  raison. 

Les  Députés  du  commerce  se  servent  donc  des  arrêts  rendus  au 
cours  du  procès  auquel  avait  donné  lieu  la  contestation  de  mar- 
chandises dont  nous  avons  déjà  parlé,  pour  accuser  formellement 
les  Juifs  établis  à  3Iarseille  d'entretenir  des  intelligences  avec  les 
corsaires  barbaresques,  de  les  aviser  des  départs  des  navires 
chargés  de  marchandises  et  d'en  acquérir  à  vil  prix  celles  qui  pro- 
viennent du  butin,  afin  de  les  vendre  ensuite  eux-mêmes  à  meilleur 
compte  que  ne  peuvent  le  faire  les  marchands  chrétiens,  dont  les 
marchandises  n'ont  pas  une  origine  frauduleuse  -. 

Ce  sont  là,  à  leurs  yeux,  des  raisons  suffisantes  pour  qu'on 
applique  aux  Juifs  les  ordonnances  royales  qui  leur  sont  applicables 
et  qui  n'ont  pas,  d'ailleurs,  été  abrogées.  Cette  mesure  s'impose 
d'autant  plus  que  l'impunilé  dont  ils  ont  joui  jusqu'alors  ne  peut 
qu'en  engager  un  plus  grand  nombre  à  venir  à  Marseille.  Cette  ville 

1.  Ibidem.  «  . .  Les  Juifs  sont  fies  gens  fie  mauvaises  mœurs.  La  tromperie  et  l'usure 
est  toujours  en  usage  parmi  eux  et  ils  ne  doivent  pas  être  mêlés  ni  confondus  parmi 
les  Chrétiens,  iiarticulièrement  dans  une  grande  ville  comme  Marseille,  où  la  pauvreté 
du  plus  grand  nombre  des  liabitaiits  leur  donne  lieu  de  corrompre  les  nni'urs  et 
d'exercer  leur  usure  sans  aucune  règle.  » 

2.  A  deux  reprises,  le  mémoire  revient  sur  cet  objet,  f[ui  jtiirait  ainsi  être  celui  qui 
tient  le  plus  à  cœur  aux  Députés  du  Commerce.  Un  premier  passage  dit  :  «  Le  com- 
merce ne  peut  pas  durer  avec  ces  sortes  de  gens,  qui  sont  capables  de  le  ruiner  dans 
peu  de  temps  :  1'  par  la  raison  qu'on  vient  de  dire  de  leurs  usures  ;  —  2»  parce  qu'ils 
aclièteÊit  les  marchandises  déprédées,  ayant  correspondance  dans  tous  les  lieux  de  la 
Barbarie  et  autres  endroits  où  il  y  a  des  corsaires,  et,  les  ayant  à  vil  prix,  les  vendent 
moins  que  ne  peuvent  faire  les  marchands  qui  les  ont  fait  venir  du  Levant  et  par  des 
voies  légitimes,  et,  par  ce  moyen,  en  font  diiniliuer  le  prix  par  des  voies  injustes  et 
défendues.  . .  3"  Ils  donnent  incessamment  des  avis  aux  corsaires  de  toutes  les  voiles 
qui  partent  de  Marseille  et  leur  facilitent  les  moyens  de  les  aller  surprendre. ..»  —  Le 
second  i)assage  développe  le  précédent  :  «  Ils  continuent  toujours  ce  commerce  \des 
marchandises  déprédées]  qu'ils  ne  quitteront  jamais  à  cause  du  grand  i)rolit  qu'ils  y 
font.  -Mais,  parce  que  M.  le  Procureur  du  Roi  est  en  droit  de  faire  saisir  ces  sortes  de 
marchandises,  et  qu'il  le  fait  cfl'ectivemeut  et  sans  support  dès  qu'il  a  avis  qu'il  en  est 
venu  en  cette  ville,  ils  Us  font  juirtcr  à  Livourne,  et  nolisent  ici  des  barrpu's  pour  aller 
charger  à  Tripoli  et  autres  lieux  de  la  Barbarie  ou  ici  à  leur  choix  jiour  pallier...  Il 
ne  faut  pas  douter  que,  pour  augmenter  et  favoriser  ce  mauvais  commerce,  ils  ne 
donnent  des  avis  aux  Corsaires  du  dé|  art  des  navires  marchands  pour  faciliter  les 
moyens  de  les  aller  surprendre,  et  des  armements  qui  se  font  à  Marseille  ou  à 
Toulon. . .  » 


136  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

servira  de  refuge  à  tous  ceux  qui,  dit-on,  vont  être  chassés  de 
Gènes;  «  et,  comme  c'est  ici  une  ville  très  chrétienne,  qui  a  tou- 
jours conservé  la  pureté  de  la  véritable  religion,  on  a  sujet  de 
demander  un  remède  à  un  si  grand  mal  ». 

Une  semblable  requête,  qui  paraissait  être  d'ailleurs  fortement 
motivée,  ne  pouvait  pas  être  accueillie  dédaigneusement,  comme 
l'avaient  été  les  plaintes  présentées  précédemment  par  les  Députés 
du  Commerce.  Cependant  le  Conseil  du  roi  ne  voulut  pas  frapper 
les  Juifs  sans  examiner  auparavant  la  légitimité  des  plaintes  por- 
tées contre  eux.  Agir  autrement  eût  été  violer  trop  ouvertement 
l'édit  de  la  franchise  du  port,  et  le  contrôleur  général  tenait  sans 
doute  trop  à  son  œuvre  pour  qu'il  en  fût  ainsi.  L'intendant  de 
Provence,  de  Rouillé,  fut  donc  chargé  d'informer  au  sujet  de  cette 
affaire.  Saisi  de  la  plainte  des  Députés  du  Commerce,  celui-ci 
ordonna  aux  Juifs  de  lui  fournir  des  explications  sur  les  griefs 
qu'on  formulait  contre  eux. 

C'est  Villaréal  et  Atias  qui  se  chargèrent  de  rédiger  le  Mémoire 
que  l'Intendant  leur  demandait  '.  Ils  le  firent  avec  netteté  et  répon- 
dirent, semble-t-il,  avec  franchise  aux  accusations  dirigées  contre 
eux. 

S'ils  sont  venus  à  Marseille,  y  déclaraient-ils,  c'est  sur  la  foi  de 
l'édit  de  la  franchise  du  port  et  d'une  déclaration  du  Roi  donnée 
en  leur  faveur  à  Saint-Germain  en  1670,  ratifiée  par  M.  d'Oppède, 
Premier  Président  du  Parlement  de  Provence,  et  confirmée  en  1676 
par  un  arrêt  de  ce  Parlement.  Copies  de  ces  actes  divers  ont  été 
communiquées  aux  Échevins  de  Marseille,  ils  n'ont  pas  voulu  en 
tenir  compte  puisqu'ils  ont  adressé  au  Roi  la  plainte  qui  fait  l'objet 
de  l'enquête  confiée  à  M.  de  Rouillé. 

<'  A  ces  causes,  poursuivent-ils,  Votre  Grandeur  agréera  de  savoir 
la  vérité  sans  aucun  déguisement»;  et,  après  avoir  invité  l'Inten- 
dant à  «jeter  les  yeux  sur  la  misère  de  cette  nation  «,  qu'il  «  trou- 
vera digne  de  pitié,  tous  les  jours  persécutée  et  accusée  des  choses 
bien  éloignées  de  leur  pensée»,  ils  entreprennent  de  discuter  les 
plaintes  de  leurs  ennemis. 

Aux  reproches  qu'on  leur  adresse  «  de  faire  des  assemblées  scan- 
daleuses dans  leurs  maisons  »,  ils  opposent  le  résultat  de  la  visite 

1.  Copie  de  ce  document  est  aux  Archives  des  Atlaiies  Étrangères,  loc.  ci/.,  f°  298- 
301.  Le  titre  on  est  :  «  Requête  présentée  ù  M.  noiiillié.  Intendant  »  Il  "'oinineiice 
ainsi  :  «  A  Monseigneur  de  Rouillié,  Intendant  de  Justice  et  Police,  et  Commandant 
jiour  Sa  Majesté  en  Provence.  —  Supplient  très  humblement  Joseph  Vais  Villarèal  e*' 
Abraham  .\tias,  Juifs  de  créance  de  la  ville  de  Livourne,  résidant  à  Marseille  depuis 
dix  années.    .  » 


UN  ÉTABLISSEMENT  JUIF  \  MARSEILLE  AU  XVII«  SIÈCLE  437 

faite,  sur  l'ordre  de  l'Intendant,  le  S'a  septembre,  dans  la  maison 
de  Villaréal  :  «  On  n'a  rien  trouvé  qui  soit  contraire  aux  ordres  de 
Sa  Majesté,  ni  préjudiciable  au  public  :  c'est  la  preuve  la  plus 
authentique  que  les  suppliants  peuvent  donner  de  leur  inno- 
cence !  ') 

Quant  à  l'accusation  portée  contre  eux  d'aviser  les  corsaires  des 
navires  qui  partent,  ils  la  déclarent  invraisemblable  et  se  refusent 
à  la  discutei-,  d'abord  parce  que  la  plupart  de  ces  navires  sont 
chargés  de  marchandises  qui  leur  appartiennent;  ensuite,  parce 
qu'il  est  impossible  de  donner  des  avis  de  cette  nature  à  des  cor- 
saires qui  sont  «  outre-mer»  '.  «  C'est  sur  cette  calomniation  que 
Sa  Grandeur  doit  remarquer,  s'il  lui  plaît,  à  quels  termes  les  sup- 
pliants se  trouvent  réduits  et,  par  sa  claire  prudence,  faire  la  consé- 
quence pour  tout  le  reste  qu'ils  voudront  exposer  de  contraire  à  la 
raison.  » 

Poursuivant  leur  argumentation,  Villaréal  et  Atias  protestent 
contre  les  traitements  qui  leur  sont  infligés  :  les  Intendants  de  la 
Santé  imposent  une  quarantaine  aux  Juifs  qui  viennent  de  Livourne, 
mais  ils  donnent  la  libre  pratique  aux  navires  qui  les  ont  transpor- 
tés et  à  leurs  compagnons  de  route  et  ils  admettent  sans  réserve 
les  marchandises  dont  ces  navires  sont  chargés.  On  intercepte 
leurs  «lettres  missives,  qui  sont  nécessaires  pour  le  commerce  et 
société  civile  »,  commettant  ainsi  un  acte  «  qu'aucun  magistrat,  à 
moins  que  d'être  criminel  d'État,  n'entreprend».  Non  seulement, 
cette  vexation  leur  cause  un  grand  préjudice,  puisqu'elle  les  em- 
pêche de  faire  leur  négoce,  mais  elle  est  encore  «  contraire  à  la 
volonté  de  Sa  Majesté  qui,  jusques  à  présent,  entend  que  les  sup- 
pliants soient  traités  comme  les  autres  marchands  étrangers,  sans 
être  troublés  ni  inquiétés  en  leurs  ïiégoces  ». 

Ils  subissent  enfin  une  autre  persécution.  On  leur  refuse  de  la 
viande  à  la  boucherie,  contrairement  à  ce  qui  s'est  passé  jusqu'à 
présent.  C'est  qu'on  espère  que,  exaspérés  par  cette  dernière  vexa- 
tion, ils  se  hâteront  de  quitter  la  ville  et  éprouveroni,  de  ce  fait, 
«  une  ruine  totale,  puisque,  ayant  des  effets  très  considérables  dans 


1.  Cf.  Requête,  etc.  «  Pour  les  noircir  encore,  on  les  accuse  d'un  crime  plus  l'énorme, 
supposant  que  les  suppliants  donnent  des  avis  aux  corsaires  de  la  partance  des  bâti- 
ments. Cette  accusation  d'elle-niùme  reste  t'vanouie  et  fait  voir  que  les  intentions  de 
leurs  calomniateurs  sont  hors  du  droit  et  justice.  Les  suppliants  ayant  intérêt  généra- 
lement en  tous  les  bâtiments  qui  vont  et  qui  viennent  en  cette  ville,  comme  se  peut-il 
croire  qu'ils  voulussent  user  d'un  semblable  crime  pour  se  détruire  eux-mêmes  et  ses 
amis?  Et,  de  plus,  qu'étant  les  Corsaires  outre-mer,  les  avis  seraient  inutiles  et  sans 
Iruit,  ne  pouvant  à  l'incertain  savoir  la  partance  des  bâtiments.  » 


138  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

leurs  magasins  et  beaucoup  qui  leur  est  dû  sur  la  place,  si  tant 
est  qu'il  fallût  se  retirer,  il  faut  qu'ils  aient  du  temps  pour  recou- 
vrer ce  qui  leur  est  dû.  «  Ils  se  retirei'ont  cependant,  à  la  condi- 
tion toutefois  d'obtenir  un  délai  et  l'aide  nécessaire  pour  recouvrer 
leurs  créances.  »  En  attendant,  ils  demandent  à  l'Intendant  d'or- 
donner qu'ils  «  soient  mis  sous  la  sauvegarde  du  roi  et  traités 
comme  il  se  doit  et  comme  ils  ont  accoutumé  ». 

Passant  ensuite  à  l'examen  des  griefs  élevés  contre  eux  à  propos 
des  procédés  auxquels  ils  ont  recours  pour  faire  leur  commerce, 
ils  invoquent  tout  d'abord  le  témoignage  «du  corps  des  marchands 
droguistes,  marchands  tanneurs,  capitaines  des  vaisseaux  et  bar- 
ques, et  corsaires  publics  «.  Ils  pourront  tous  «  distinctement 
déclarer  l'intégrité  et  manière  de  négoce  des  suppliants»,  contre 
lesquels  l'envie  seule,  causée  par  le  grand  commerce  qu'ils  font  au 
Levant,  en  Barbarie  et  en  Italie,  a  pu  donner  naissance  à  tous  ces 
reproches  et  à  toutes  ces  accusations. 

Pour  eux,  ils  n'ont  fait  que  répondre  aux  intentions  du  Roi,  for- 
mulées dans  l'édit  de  1669,  qui  offre  aux  étrangers  d'importantes 
prérogatives  «  pour  les  attirer  à  l'agrandissement  du  négoce  de 
la  ville  w,  car,  «  Messieurs  de  Marseille  n'y  peuvent  pas  réussir 
étant  en  l'impuissance  de  le  faire,  n'ayant  pas  les  correspon- 
dances si  générales  partout,  ni  des  marchands  qui  aient  un 
fonds  si  considérable  pour  cet  effet.  Et  jamais  l'expérience  a  fait 
voir  que  les  habitants  d'une  ville  aient  fait  son  agrandissement.  » 
Au  contraire,  poursuivent-ils  sans  s'apercevoir  qu'ils  fournissent 
eux-mêmes  à  leurs  ennemis  un  redoutable  argument  dont  on  s'est 
souvent  servi  contre  les  Juifs,  ceux-ci  sont  plus  à  même  que  tous 
les  autres  marchands,  indigènes  ou  étrangers,  de  faire  la  prospé- 
rité d'une  ville  de  commerce.  Leur  fortune  ne  consiste  pas  en  biens 
fonciers,  mais  en  argent,  et  ils  l'emploient  au  commerce  maritime, 
a  ce  qui  ne  peut  pas  être  exécuté  par  les  autres  étrangers  qui 
s'attachent  en  leurs  pays  ».  Ainsi  les  Juifs  ont  fait  la  prospérité 
des  ports  d'Amsterdam,  Hambourg, Venise,  Livourne;  en  outre,  ils 
ont  entre  leurs  mains  toutes  les  afl'aires  financières  elles  douanes 
de  l'Empire  ottoman  '. 

1.  Requête,  etc. —  «  Et  sur  tous  les  autres  ctrang^ers,  il  n'y  a  pas  nation  (|ui  puisse 
mieux  bénéficier  des  néf.'OCes  que  les  Juifs,  parce  (ju'ils  n'ont  pas  de  biens  fonciers, 
négociant  tous  jiar  la  force  de  leur  argent  et  industrie.  Et  comme  son  commerce  est 
tout  généralement  par  mer,  en  toutes  les  places  du  monde,  cela  attire  d'autant  [dus  de 
commerce,  ce  qui  ne  peut  pas  être  exécuté  par  les  autres  étrangers  qui  seulement 
s'attachent  en  leurs  pays.  Et  cela  a  été  cause  de  la  grandeur  et  richesse  d'Amsterdam, 
Hambourg,  Venise  et  Livourne,  dont,  comme  il  est  notoire,  ce  sont  les  Juifs  qui  sou- 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A   MARSEILLE  AU   XVir  SIÈCLE  139 

C'est  aussi  aux  Juifs  qu'il  faut  attribuer  la  prospérité  du  port 
franc  de  Marseille.  On  pourra  s'en  rendre  compte  en  consultant  le 
relevé  des  affaires  qu'ils  ont  faites  en  cette  ville  depuis  leur  établis- 
sement. En  sept  ans,  et  de  Tripoli  seulement,  ils  ont  fait  venir  «  mil 
cent  vingt  balles  de  séné  ».  En  tout,  ils  ont  fait  entrer  à  Marseille 
pour  plus  de  deux  millions  de  livres  de  diverses  marchandises  ; 
ils  en  ont  sorti  pour  plus  de  un  million  de  livres  d'objets  manufac- 
turés et  de  fruits  divers.  Le  mouvement  d'alTaires  qu'ils  ont  ainsi 
provoqué  a  été  profitable  au  trésor  du  roi  :  les  seules  taxes  levées 
pour  le  poids  et  le  débit  de  leur  séné  ont  produit  seize  mille  livres. 
Enfin,  c'est  encore  grâce  ta  eux  qu'on  importe  à  Marseille  une  grande 
quantité  de  soie.  Ils  procurent  donc  au  public  un  grand  profit  «  au 
lieu  que,  si  Messieurs  de  Marseille  faisaient  seuls  le  commerce,  le 
public  n'en  pourrait  pas  recevoir  tant  de  satisfaction,  étant  seuls 
quelques  particuliers  que  leur  profit  les  empêcherait  de  rendre  un 
bénéfice  si  général  ». 

La  présence  des  Juifs  rapporte  encore  d'autres  avantages  «  aux 
habitants,  bourgeois  et  artisans,  et  gens  de  marine  »,  dont  ils 
louent  les  maisons,  achètent  les  denrées  ou  marchandises,  ou  qu'ils 
font  travailler,  «  lequel  profit,  les  particuliers  marchands  de  la 
ville  ne  peuvent  pas  donner,  puisque,  comme  habitants,  ils  ont  eu 
tout  ce  qu'il  leur  faut  pour  vivre  des  fruits  de  leurs  bastides  et 
maisons  ». 

En  concluant,  Villaréal  et  Atlas  s'efforcent  de  prouver  qu'on 
ne  peut  pas  soutenir  que  les  marchands  de  la  ville  pourraient  faire 
ce  même  genre  de  commerce.  «  Que,  comme  lesdits  marchands 
étrangers,  qui  sont  en  Levant  et  Barbarie,  sont  propriétaires  des 
marchandises  qu'ils  envoient  à  3Iarseille,  ils  demandent  pour  retour 
d'icelles  des  manufactures  et  fruits  du  royaume  dont  la  levée  est 
considérable  ;  au  lieu  que  les  habitants,  la  plus  grande  part  de  ceux 
qui  mandent,  enlèvent  des  piastres,  les  étrangers  ne  sortiront 
du  royaume  que  desdits  fruits  et  marchandises.  »  Ainsi,  pourraient- 
ils  conclure,  c'est  l'argent  étranger  qu'ils  laisseront  en  Fiance, 
tandis  que  les  Français  emporteront  l'argent  français  dans  le 
Levant. 

Les  Juifs  viendraient,  en  outre,  en  plus  grand  nombre,  si  la 
liberté  du  commerce  leur  était  confirmée  ;  ils  assureraient  ainsi 


tiennent  ces  plares,  et  qui  les  ont  parleur  négoce  rendues  fameuses  par  tout  le  monde. 
Et,  en  toute  l'i-temlue  de  l'Empire  du  (Jrand  Seii:neur,  ce  sont  les  seuls  Juifs  <|ui  main- 
tiennent le  négoce  et,  comme  gens  intellitribles,  manient  et  font  toutes  les  affaires  des 
finances  et  douanes  de  l'Empire  ottoman.  •> 


140  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

la  prospérité  du  port  franc,  «  ce  que  Messieurs  de  Marseille  ne 
peuvent  exécuter,  puisqu'il  faut  plusieurs  marchands  pour  l'expé- 
dition d'un  vaisseau,  au  lieu  que  les  suppliants  font  tous  seuls 
l'expédition  de  plusieurs  ». 

Les  registres  de  l'Amirauté,  enfin,  peuvent  montrer  si  d'autres 
étrangers  ont  procuré  aux  domaines  du  roi  des  profits  aussi  grands 
et  fait  entrer  des  marchandises  en  aussi  grande  quantité,  «  qui  est 
un  bien  général  et  auquel  on  se  doit  attacher,  et  non  pas  aux  parti- 
culiers que  les  intérêts  les  fait  parler  ». 

Ayant  ainsi  exposé  tous  les  arguments  qui  leur  paraissaient  sus- 
ceptibles de  faire  sur  l'esprit  de  l'Intendant  une  bonne  impression 
en  leur  faveur,  Villaréal  et  Atlas  terminent  leur  mémoire  par  cette 
prière  :  «  A  cette  fin  que  le  commerce  soit  fait  avec  satisfaction 
générale,  faudrait  qu'auparavant  Sa  Majesté  leur  accordât  de 
pouvoir  faire  son  exercice  privément,  dans  leurs  maisons,  de  sa 
religion  sans  être  troublés,  et  qu'en  cas  de  mort,  puissent  disposer 
de  ses  biens  comme  les  autres  étrangers.  » 

Sans  doute,  l'Intendant  se  sentit  embarrassé  à  la  lecture  de  ce 
mémoire.  Il  devait  lui  paraître  pour  le  moins  aussi  concluant  que 
celui  que  celui  qui  avait  été  présenté  au  roi  par  les  Députés  du 
commerce.  Villaréal  et  Atias  avaient  répondu  avec  précision,  sans 
faux-fuyants  et  sans  embarras,  aux  diverses  accusations  qui  avaient 
été  portées  contre  eux.  Cependant,  Rouillé  n'osa  pas  se  prononcer 
en  leur  faveur  et,  l'affaire  traînant  en  longueur,  en  4680,  Villaréal 
et  Atias  adressèrent  un  mémoire  justificatif  au  roi'.  Ils  y  repre- 
naient, sous  une  forme  plus  succincte,  les  arguments  qu'ils  avaient 
développés  dans  leur  requête  à  l'Intendant,  leur  attribuant,  sans 
doute,  une  si  grande  force  de  persuasion  que,  par  eux,  ils  espé- 
raient gagner  Louis  XIV  à  leur  cause. 

Il  eût  été  intéressant  de  connaître  quelles  réflexions  ces  mé- 
moires firent  naître  dans  l'esprit  des  gens  du  roi.  Il  manque 
malheureusement  à  notrQ  enquête  le  rapport  de  l'Intendant  Rouillé  : 
nous  ne  l'avons  trouvé  ni  à  Paris,  ni  à  Marseille.  Il  nous  manque 
aussi  les  considérants  sur  lesquels  fut  appuyée  la  décision  royale 
dont  il  nous  reste  maintenant  à  parler. 

Nous  savons,  en  effet,  que  les  faits  dénoncés  par  les  Députés  du 
commerce  et  que  Villaréal  s'était  efforcé  de  réfuter  dans  sa  requête 
furent  tous  retenus  contre  eux.  Convaincus  d'avoir  installé  une 
synagogue  dans  la  maison  de  Villaréal  et  d'y  avoir  célébré  leur 
culte,  d'avoir  donné  aux  Barbaresques  d'Alger  des  avis  au  sujet  des 

1.  Arch.  des  Atl".  Étr.,  loc.  cil.,  ît"  293-291.  —  V.  Pièces  Juslificalives,  V. 


UN  ETABLISSEMENT  JUIF  A  MARSEILLE  AU  XVIP  SIÈCLE  141 

préparatifs  que  le  roi  faisait  contre  eux  et  de  s'être  concertés  avec 
ces  mêmes  Barbaresques  pour  acquérir  d'eux  à  vil  prix  des  mar- 
chandises enlevées  à  des  marchands  chrétiens  \  il  furent  expulsés 
de  Marseille  par  un  ordre  du  roi,  donné  à  Saint-Cloud,  le  ^  mai 
4682,  et  exécuté,  le  22,  par  les  soins  du  gouverneur  de  Marseille, 
M.  de  Pilles  '^ 

Mais  Villaréal  et  ses  associés  ne  crurent  pas  cette  décision  irré- 
vocable. Aussi,  à  peine  eurent-ils  été  expulsés  de  Marseille,  qu'ils 
essayèrent  d'y  revenir.  Les  prétextes  ne  leur  manquèrent  pas 
pour  justifier  leur  requête.  Ils  avaient  laissé,  affirmaient-ils,  des 
intérêts  en  souffrance,  des  créances  qu'ils  avaient  de  la  peine  à 
recouvrer,  s'ils  ne  se  trouvaient  pas  sur  les  lieux  mêmes  où  rési- 
daient leurs  débiteurs. 

Une  première  fois,  ces  raisons  furent  jugées  bonnes  par  le 
Parlement  d'Aix,  puisque  la  Chambre  des  Vacations  autorisa 
Atias  à  séjourner  trois  mois  à  Marseille.  Mais  les  négociants  de 
la  ville  firent  entendre  des  plaintes  et  l'Intendant  Morant,  qui 
avait  succédé  à  Rouillé  en  Provence,  renouvelant  alors  l'interdic- 
tion prononcée  auparavant  par  le  roi,  ordonna  à  Atias  de  quitter 
la  ville. 

Cette  décision  ne  persuada  pas  Villaréal  —  dont  Atias  paraît 
n'avoir  été  que  le  prête-nom  —  de  la  nécessité  où  elle  le  mettait 
de  renoncer  à  jamais  à  ses  projets  d'établissement  à  Marseille. 
Il  persista  donc  à  rechercher  l'autorisation  qu'il  désirait  et  il 
adressa  à  cet  effet  une  nouvelle  requête  au  roi-'. 

Villaréal  lui  demande  d'abord  la  permission  de  se  rendre  à  Mar- 
seille et  d'y  séjourner  afin  d'y  poursuivre  le  règlement  de  diverses 
créances  qu'il  a  sur  des  particuliers  de  la  ville  et  qui  s'élèvent  à  la 
somme  de  51.599  livres,  17  sous.  Il  fournit  à  l'appui  de  cet  argu- 
ment un  acte  dressé  par  M^  Maillet,  notaire  à  Marseille,  qui  contient 
un  état  de  ses  débiteurs. 

1.  Bibliothèque  Nationale,  Ms.  fr.  18979,  f  146  :  «  Réponse  des  S"  Échevins  et 
Députés  du  Commerce  de  Marseille  au  mémoire  de  Jusepli  Vias  Villaréal,  juif  de 
Livourne.  »  V.  Pièces  Justificatives,  VII. 

2.  Arch.  de  la  Ch.  de  Comm.  G  G  1,  à  la  suite  du  Premier  mémoire  des  Députés  du 
Commerce.  —  V.  Pièces  Justificatives,  VI. 

3.  Nous  ne  possédons  pas  le  texte  de  cette  seconde  requête  de  Villaréal.  Nous  ne  la 
connaissons  que  par  la  Réponse  des  sieurs  Échevins,  citée  plus  haut  et  reproduite  aux 
Pièces  Justificatives.  Celle-ci  appartient,  eu  etret,  à  une  série  de  documents  différente 
de  celle  dont  nous  avons  précéilemment  analysé  les  principales  pièces.  Nous  ne  pouvons 
fixer  que  d'une  façon  approximative  la  date  de  la  Réponse  des  sieurs  Échevins  et, 
par  conséquent,  de  la  requête  de  Villaréal.  Celle-là  est  cependant  postérieure  au 
23  novembre  1683  où  fut  passé  un  acte  notarié  dont  il  est  question  dans  la  Réponse. 


142  REVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

Nous  ne  sommes  cependant  pas  loin  de  penser,  malgré  l'exac- 
titude de  la  créance,  qu'il  n'y  a  là  qu'un  prétexte  et  que  Villaréal 
ne  veut  pas  revenir  à  Marseille  seulement  pour  y  recouvrer  les 
sommes  d'argent  qui  lui  sont  dues.  Il  désire  surtout  y  réorganiser 
sa  maison  de  commerce  pour  reprendre  le  cours  fructueux  de  ses 
opérations.  Il  dissimule,  d'ailleurs,  à  grand  peine  ce  désir  puisque, 
si  nous  en  croyons  ses  contradicteurs,  il  rappelle  dans  sa  requête 
les  profits  que  rapportait  aux  fermes  royales  son  seul  commerce 
de  séné. 

Les  Marseillais  comprennent  donc  qu'il  s'agit  surtout  d'écarter 
un  concurrent  redoutable.  Aussi,  insistent-ils  auprès  du  roi  pour 
qu'il  repousse  cette  requête.  Cependant,  comme  ils  ne  doivent 
pas  se  dissimuler  que  les  raisons  de  Villaréal  sont  susceptibles 
d'impressionner  favorablement  en  sa  faveur  quiconque  n'est  pas 
prévenu  contre  lui,  ils  vont  s'efforcer  de  le  ruiner  dans  l'esprit 
du  roi. 

A  vrai  dire,  leurs  arguments  sont  loin  d'être  particulièrement 
probants,  soit  qu'ils  contestent  sans  preuve  décisive  ceux  de  Villa- 
réal, soit  qu'ils  les  confirment,  au  contraire,  indirectement,  en 
ayant  toutefois  l'air  de  les  contester  ou  de  les  combattre. 

Ils  attaquent  d'abord  la  légitimité  de  l'arrêt  de  la  Chambre  des 
Vacations  autorisant  Atias  à  séjourner  trois  mois  à  Marseille,  peu 
après  l'exécution  de  l'ordre  d'expulsion  de  1682.  Ce  n'est  pas  pour 
récupérer  sur  un  négociant  marseillais  une  créance  de  30.000 
livres  que  Villaréal  a  envoyé  son  beau-frère  à  Marseille.  Aucun 
marchand  de  cette  ville  n'était  débiteur  de  semblable  somme 
envers  lui.  Il  n'est  pas  vrai  non  plus  qu'il  ait  consenti  une  perte 
d'un  quart  pour  rentrer  dans  ses  fonds  Mais  ils  s'empressent 
d'ajouter  que,  pour  régler  un  contrat  passé  avec  Villaréal  à 
Livourne,  un  marchand  de  Saint-Malo  lui  a  remis  pour  21.397  livres 
11  sous  de  lettres  de  change  tirées  sur  divers  négociants  de 
Marseille.  Ceux-ci  auraient  d'abord  contesté  la  légitimité  de  la 
créance;  ils  auraient  cependant  fini  par  en  accorder  le  règlement 
dont  les  conditions  auraient  été  arrêtées  dans  un  acte  passé  par- 
devant  notaire  le  23  novembre  1683. 

Ce  dernier  détail  semble  donc  indiquer  que,  effectivement, 
Villaréal  et  Atias  avaient  en  1683  une  créance  importante  sur  la 
place  de  Marseille,  où  leur  présence  était  indispensable  pour  la 
régler  à  leur  satisfaction.  Qu'importe,  après  cela,  que  cette  créance 
n'ait  pas  eu  pour  origine  un  contrat  véritable  passé  entre  Villaréal 
et  dos  marchands  marseillais?  Celui-là  n'en  avait  pas  moins  légiti- 
mement en  sa  possession  les  lettres  de  change  que  son  débiteur 


UN  ETABLISSEMENT  JUIF  A   MARSEILLE  AU  XVII«  SIÈCLE  143 

lui  avait  remises  et  dont  il  avait,  par  conséquent,  le  droit  de 
poursuivre  le  remboursement.  Quant  au  montant  de  cette  créance, 
les  auteurs  de  la  Réponse  tirent  prétexte  de  ce  qu'elle  ne  s'est 
élevée  qu'à  21.597  livres  11  sous  pour  essayer  de  convaincre  Villa- 
réal  de  mensonge.  Mais  ils  omettent  de  calculer  que,  si  Ton 
retranche  des  30.0(J0  livres  annoncées  par  celui-ci  le  quart  qu'il  dit 
avoir  perdu,  il  reste  22.500  livres,  chiflre  sensiblemcnl  rapproché 
de  21.597  livres  11  sous,  qui  aurait  représenté,  d'après  eux,  le 
montant  total  des  lettres  de  change  tirées  par  le  marchand  de 
Saint-Malo. 

Quant  à  la  seconde  créance  de  51.597  livres  17  sous  qu'a  invoquée 
Villaréal  pour  justifier  sa  demande  de  retour  à  Marseille,  elle 
n'existerait  pas  davantage,  à  en  croire  les  Échevins  et  les  Députés 
du  Commerce.  Ceux-ci  justifient  leurs  dires  en  renvoyant  le  roi  à 
l'état  qui  a  été  dressé  parle  notaire  Maillet  et  que  Villaréal  a  joint  à 
sa  requête.  Cet  état  nous  manque  et  rien  dans  l'argumentation  des 
auteurs  de  la  Réponse  ne  nous  permet  d'en  apprécier  l'exactitude. 
Tout  au  plus  pourrions-nous  remarquer  l'aveu  qu'ils  font  de  la 
perte  subie  sur  cette  créance,  soit  par  le  risque  de  mer,  soit  par 
l'insolvabilité  notoire  de  quelques  débiteurs.  Cela  permet,  en  elTet, 
de  supposer  qu'il  peut  y  avoir  contestation  entre  Villaréal  et  ses 
créanciers  sur  ces  deux  objets  qui  paraissent  ici  secondaires  et 
même  naturels.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que,  pour  mieux  faire 
valoir  ses  droits  en  cette  occurrence,  Villaréal  juge  sa  présence 
nécessaire  sur  les  lieux,  car,  au  xvii^  siècle  sans  doute  comme 
aujourd'hui,  il  n'y  avait  en  ces  matières  de  meilleur  juge  que 
l'intéressé  lui-même. 

Mais  Villaréal  a  indiqué  dans  son  mémoire  la  raison  d'intérêt 
général  qui  doit  entraîner  le  roi  à  autoriser  la  présence  des  Juifs  à 
Marseille.  Il  a  rappelé  l'importance  de  sou  commerce  de  séné  et  le 
profit  qu'en  retiraient  les  fermes  royales.  Les  marchands  marseillais 
s'inscrivent  en  faux  contre  cette  affirmatiori.  Mais  Icui-  démenti  ne 
nous  paraît  avoir  ni  grande  force  ni,  piobablement  aussi,  grande 
véracité,  puisque,  si  l'on  se  reporte  au  mémoire  de  1079,  Villaréal 
a  invoqué  le  témoignage  des  receveurs  des  douanes',  dont  les 
registres  peuvent  être  aisément  consultés  et  sont  plutôt  dignes 

1.  V.  Requête  présentée  a  M.  Houille,  Intendant  (Arcli.  Ail'.  Ktr.,  loc.  cit.,  f»  298- 
301)  :  «  . .  .Ayant  donné  par  ce  moyen  au  conimercc  géniTal  un  grand  bénéfice,  et  aux 
douanes  de  Sa  Majesté  un  profit  assez  considérable  puiscpie  l'article  des  sénés,  que  les 
suppliants  pesaient  et  débitaient  toutes  les  années,  montait  à  16.00U  livres  pour  les 
Coffres  du  Roi,  comme  les  contrôleurs,  porteurs  et  receveurs  du  poids  et  casse  pourront 
le  témoigner. . .  » 


U4  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

de  foi  que  l'affirmation  imprécise  des  auteurs  de  la  Réponse  ^ 
Au  reste,  ceux-ci  n'insistent  pas  longtemps  sur  ce  détail.  Ils  en 
reviennent  au  seul  argument  déjà  précédemment  invoqué  contre 
les  Juifs  et  qu'on  ne  cessera  pas  d'invoquer  contre  eux  jusqu'à  la 
Révolution.  Ils  sont  des  étrangers  en  France  et  ils  enlèvent  aux 
sujets  du  roi,  en  venant  leur  faire  concurrence  dans  leur  propre 
pays,  des  profits  dont  ceux-ci  prétendent  avoir  le  droit  de  reven- 
diquer le  monopole.  Ainsi  l'habileté  commerciale  des  Juifs  se 
change  en  fraude.  A  vrai  dire,  c'est  seulement  parce  qu'ils  achètent 
mieux  et  vendent  mieux  que  les  Chrétiens  qu'ils  ne  doivent  pas 
être  autorisés  à  demeurer  en  France,  et  en  particulière  Marseille, 
malgré  l'édit  de  la  franchise  du  port  qui  ordonne  d'y  admettre 
librement  les  étrangers. 

Il  est  vraisemblable  que  Louis  XIV  se  laissa  persuader  une 
seconde  fois,  comme  il  avait  déjà  fait  une  première  et  que  Villaréal 
se  vit  interdire  à  nouveau  le  séjour  de  Marseille.  Nous  n'avons  pas 
le  texte  de  la  décision  royale.  Cependant  des  documents  postérieurs 
parlent  d'arrêts  du  Conseil  en  date  des  28  septembre  1688  et 
12  mai  1703,  défendant  aux  Juifs  non  seulement  de  séjourner, 
mais  encore  de  pénétrer  en  Provence.  Il  est  permis  de  supposer 
que  ces  arrêts  ont  été  provoqués  par  les  diverses  requêtes  de 
Villaréal  et  par  les  plaintes  qu'elles  ont  entraînées. 

Ainsi,  les  Juifs  proscrits  au  commencement  du  xvf  siècle  de  Mar- 
seDle,  dont  ils  avaient  été  considérés  presque  comme  des  citoyens 
pendant  tout  le  moyen  âge,  n'ont  pas  pu  y  retourner  et  s'y  établir 
à  demeure  au  cours  de  la  période  moderne.  Vainement  ils  ont 
revendiqué  leur  qualité  d'étrangers,  quand  l'Édit  établissant  un 
port  franc  à  Marseille,  a  autorisé,  bien  plus,  a  convié  les  étrangers 
à  venir  y  faire  librement  du  commerce.  Ni  Français  ni  étrangers, 
les  Juifs  ont  été  impitoyablement  proscrits,  malgré  l'activité  et  la 
prospérité  de  leurs  entreprises,  malgré  les  services  réels  qu'ils 
rendaient  au  pays  où  ils  essayaient  de  pénétrer,  malgré  les  profits 
que  leurs  transactions  rapportaient  au  trésor  royal.  Peut-être,  il 
est  vrai,  leur  habileté,  leur  réussite,  leur  fortune  n'étaient-elles  pas 
étrangères  à  la  haine  que  leur  portaient  les  marchands  indigènes, 

1.  On  lira,  en  effet,  dans  cette  Réponse  des  Échevins,  etc.,  cette  phrase  qui  nous 
parait,  par  sa  forme  même,  incapable  de  détruire  la  valeur  de  l'alfirmation  de 
Villaréal  :  «  Car,  quant  à  la  première  [l'assertion  relative  au.r  taxes  perçues  sur  le 
séné],  Ton  soutient  qu'il  n'a  peut-être  pas  l'ait  passer  par  Lyon  cent  mille  onces 
de  marchandises,  pendant  plus  de  douze  années  de  résidence...  »  L'emploi  du  mol 
peut-être  ôterait  donc,  suivant  nous,  toute  valeur  à  cet  argument,  d'autant  i)lus  que 
Villaréal  a  invoqué  sans  réserve  le  témoignage  des  agents  des  douanes  royales . 


UN   ÉTABLISSEMENT  JUIF  A   MARSEILLE  AU  XVIP  SIÈCLE  i45 

heureux  de  pouvoir  invoquer  contre  eux  leur  religion  détestée,  afin 
d'écarter  des  concurrents  dangereux.  C'est  bien  là,  en  eiîet,  la 
conclusion  véridique  qui  nous  paraît  se  dégager  de  l'intéressante 
histoire  des  efforts  persévérants  mais  inutiles  de  Joseph  Vais 
Villaréal,  Juif  de  Livourne,  pour  fonder  à  iMarseilie  un  important 
établissement  commercial. 

Ad.  Crémieux. 
(A  suivre. ) 


T.  LV,  N»  109.  10 


NOTES  ET  MÉLANGES 


LES  PSAUMES  LXVIII  ET  LXXXVII  A  LA  LUMIÈRE 
DES  DÉCOUVERTES  D'ASSOUAN 

On  peut  prévoir  que  les  découvertes  d'Élépliantine  nous  ména- 
gent des  surprises,  qu'elles  jetteront  plus  d'un  trait  de  lumière 
sur  le  domaine  de  Fexégèse  biblique  et  fourniront  de  nouvelles 
solutions  à  des  passages  énigmatiques  des  Psaumes  et  des  Pro- 
phètes. 

Le  Psaume  lxvhi,  pour  Texplication  duquel,  d'après  Immanuel 
Romi  dans  ses  Mahberot,  le  roi  David,  dans  le  Paradis,  propose 
un  prix  aux  savants,  et  qu'Ed.  Reuss  qualifie  de  «  monument  de 
détresse  exégétique^  »,  ne  peut  être  lu  maintenant  sans  que  l'idée 
vienne  qu'il  remonte  à  l'époque  de  la  construction  du  second 
Temple  et  qu'il  parle  d'hommages  offerts  par  les  Juifs  du  sud  de 
l'Egypte.  L'hypothèse  s'impose  que  le  v.  30  :  ûbwiT«  by  '^bD-'Mw 
'lUJ  D-^ribtt  nb"^2T^  ^  doit  être  traduit  :  «  De  ton  temple  (d'Éléphan- 
tine)  vers  [hv  comme  bî<)  Jérusalem  des  rois  t'apportent  des  pré- 
sents. »  Comparer  Sophonie,  m,  10  :  nn  -^-inT  ans  nnsb  '•ayn 
Tinsw  "inb-^nr  "^itnD,  «  D'au-delà  des  fleuves  dKtliiopie  la  fille  de  la 
Dispersion  m'apportera  de  l'cnccîis  comme  présent  »,  et  Isaïe, 
XVIII,  7  :  mN2it  'nb  "^ffl  bar,  où  il  s'agit  aussi,  comme  on  voit  par  le 
V.  1  (u)i3  nnsb  -13^72),  de  la  môme  contrée  éloignée. 

A  propos  de  la  fête  de  l'achèvement  du  Temple,  qui  l'ut  célébrée 

d.  Der  GS.  Psnlm.  Ein  Denkmnl  e.regetischer  Sol  iiud  Kunst  zu  Ehren  unserer 
ganzen  Zunfl.  It'iia,  18ul.  M.  J.  Halévy  a  consacré  à  ce  |tsauinc  une  clnde  dans  la 
lievîie,  XIX,  1-ltJ. 


NOTES  ET  MÉLANGES  147 

l'an  6  de  Darius  (vers  517  av.  l'ère  chrét.),  il  est  dit  dans  Ezra,  vi, 
16  :  «  Et  les  Israélites,  les  prêtres  et  les  lévites,  ainsi  que  les  fils  de 
la  Dispersion  («mba  -ra  "iî<U5n),  fêtèrent  l'inauguration  de  la  maison 
de  Dieu  avec  joie.  »  Sans  doute,  l'Egypte  ayant  été  soumise  par 
Cambyse,  et  des  princes  et  satrapes  perses  (D''3b»)  ayant  secondé 
la  construction  du  sanctuaire  de  Jérusalem,  la  Diaspora  de  tout 
l'empire  perse  envoya  des  députations  à  cette  solennité. 

C'est  évidemment  une  énumération  des  communautés  de  la 
Diaspora  qui  rendirent  hommage  à  Jérusalem  que  nous  a  con- 
servée le  Psaume  lxxxvii  : 

. .  .Pour  sa  fondation  [scil.  du  sanctuaire)  sur  les  saintes  montagnes  '. 
Le  Seigneur  aime  les  portes  de  Sion  plus  que  toutes  les  demeures   de 

Jacob  *. 
Des  paroles  glorieuses  sont  dites  de  toi,  ville  de  Dieu  1  Séla. 
Je  mentionne  Raliab  ^  et  Babel  parmi  les  adorateurs  de  Dieu, 
La  Philistée  et  Tyr,  ainsi  que  l'Ethiopie  :  celui-ci  ''  est  né  Ik-has  ! 

Le  dernier  verset  :  •\'2  '^^^sn  bs  d-'bbinD  ûn\an  doit  sans  doute  être 
expli(iué  par  Ps.,  lxviii,  âO-^"  :  «  Ils  le  saluent,  les  chanteurs 
accompagnés  de  joueurs  de  harpe,  au  milieu  de  jeunes  femmes 
battant  du  tambourin.  En  chœur  louez  le  Seigneur,  louez)  Dieu, 
tous  ceux  qui  sont  de  la  source  d'Israël.  »  En  efl'et,  bK-i'Cj"»  mp»tt  cor- 
respond à '^a  "'ry73  bs  «  tous  ceux  qui  ont  leur  source"'  en  Toi  ». 
Il  faudrait  ainsi  interpréter  ces  versets  : 

[a'^nbx  13-13]  D-^'^bins  an^i      mbnp733  ...û"';:ii:  nnx  û-'io  lanp 

[D-'nbN  13-13]  ^3   ■«D-«3'73   bD  DTlbwN    ID^S 

bN-ic->  -\^'[>•>:i'n  [i«5NbD]  -«înNLis-ia] 

Ainsi  le  Temple  dont  parle  le  Psalmiste  dans  lxvui,  30,  ne  serait 
autre  que  celui  qui  est  mentionné  dans  le  papyrus  de  Yeb^,  à  la 
ligne  13  :  Nn-113  a-«a  "^t  i^-nSwS  m  T^nas  V"ût'2  ^bw  ■'«t»  pi.  La  qua- 
lification de  «  chien  »  donnée  à  rtMinenii  [\.  10)  serait-elle  une 
réminiscence  de  Ps.,  lwhi,  "lï  :  '^laba  l^b? 

PtHit-être  d'autres  découvertes  projetteront-elles  encore  plus  de 

1.  lanp  "'-i-ina  imio"';  cf.  Ezra.  vu,  'j,  nby73n  lo"».  i^nonp  "i-nna  le  poMe 

fait  allusinn  à  Is.,  u,  2  (=  Mirh.,  iv,  1)  Qinrjn  CNna. 

2.  C'est-à-dire  :  plus  <|ue  les  communautés  de  la  Diaspora. 

3.  L'Euyptc  C'est  ;i  l.i  I)i.is|M>r;i  di'  ce  pays  que  se  rapporte  Ps.,  i.xviii,  .12  :  VPN^ 

A.  Ou  «  («lus  d'un  •>;  se  rapporte  aux  l'-tranuers  (jui  partiripeiil  à  la  ff'te. 
.5.  Lire  is^j'TÛ.  ou  prendre  ^i^^'Ta  pour  un  pluriel,  lomme  "^nn  ;    "'lU). 
6.  liecue/lW,  15-4. 


148  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

lumière  sur  l'époque  du  v®  siècle  et  sur  les  rapports  des  Juifs  d'Élé- 
phantine  avec  le  temple  reconstruit  de  Jérusalem.  Quoi  qu'il  en 
soit,  étant  donnés  l'incertitude  des  exégètes  sur  l'âge  des  psaumes 
en  question  et  l'insuccès  des  tentatives  faites  pour  les  expliquer, 
nous  espérons  que  la  nouvelle  interprétation  que  nous  proposons 
trouvera  considération. 

Vienne, 

A.  Kaminka. 


LE  NOM   DE  JÉSUS  CHEZ   LES  JUIFS 

Tout  ce  que  M.  S.  Poznanski  a  écrit  touchant  le  nom  de  Jésus, 
dans  le  dernier  numéro  de  la  Revue  \  avait  déjà  été  exposé  en 
gros  par  moi  il  y  a  plusieurs  années  -.  J'avais  accordé  l'attention 

qu'elles  méritent  à  la  forme  arabe  c$^^*^  el  aux  tentatives  d'ex- 
plication dont  elle  avait  été  l'objet;  enfin,  j'avais  mentionné  le 
porleur  de  ce  nom  à  l'époque  musulmane  :  Aboû  'Isa  al-Isfahâni. 
Aujourd'hui,  si  M.  Pozuanslci  a  raison  de  restreindre  la  portée  de 
l'assertion  de  Sleinschneider,  d'après  qui  aucun  Juif  n'aurait  reçu 
le  nom  de  Jésus  à  l'époque  islamique  et  s'il  faut  lui  savoir  gré 
d'en  avoir  cité  trois  exemples,  je  dois,  à  mon  tour,  restreindre 
l'aflirmalion  de  M.  Poznanski,  qui  croit  que  le  nom  de  3'va''  ou 
'W'  ne  se  rencontre  plus  chez  les  Juifs  depuis  l'ère  chélieune,  en 
montrant  que  ce  nom,  tout  en  étant  fort  rare,  n'a  pourtant  pas 
entièrement  disparu. 

Mais  d'abord  quelques  mots  sur  la  forme  \y\aoZc  •*.  Il  est  évident 
qu'elle  ne  provient  pas  de  3'cin\  mais  de  yiio'».  A  l'époque  post-exi- 
lique  on  ne  trouve  plus  «  Yolioschoua  »  (Josué),  mais  «  Yeschoua  » 
(Jésus  .  Le  premier  grand-pièlre  de  la  communauté  de  la  Restau- 
raliou  est  appelé  yvinn'^  dans  Aggée,  i,  1,  et  Zacharie,  m,  1,  mais 

1.  Reinie,  LIV,  276  et  s. 

2.  Dos  Lehen  Jesu  nuch  jihUschen  Quellen  (Berlin,  1902),  p.  250. 

3.  Sur  «  Jésus  »  ot  les  noms  lu'l)reux  aïKiio^ues  \.  Fr.  Praetorius  dans  Z.  D.M.G., 
LIX,  341.  Mais  cet  aiticle  liïciaire  pas  la  (|ueslinn  qui  nous  occupe,  et  il  faut  ren- 
voyer à  la  littérature  antérieure,  réunie  dans  Wincr,  Bibl.  \Vôrlerbuch,  3'  éd.,  I, 
556.  Praetorius  aussi  bit  n  (pie  Wincr  examine  la  comparaison  avec  le  nom  Nl^"'. 
11  est  iiiexuct  que  ce  nom  s'écrive  lïî'^  a  dans  la  cabbale  »,  ainsi  que  le  rapporte 
Winer  au  nom  de  Fritzsche. 


NOTES  ET   MÉLANGES  U9 

yw  dans  Ezra.  ii,  "2,  et  Néhémie,  vu,  7.  D'une  manière  générale, 
les  livres  d'Ezra  et  de  Néhémie  ne  contiennent  que  la  forme 
«  Jésus  »  ;  il  en  est  de  même  des  Chroniques,  quand  il  s'agit  de 
personnages  postérieurs  (I,  xxiv,  11  ;  II,  xxxi,  lo).  D'où  vient  ce 
changement?  Ou  bien  le  nom  si  commun  de  Josué  s'usa,  comme 
il  arrive  souvent  aux  noms  propres,  et  s'alTaiblit  en  Jésus,  ou  bien 
la  crainte  de  prononcer  le  nom  divin,  qui  constitue  le  premier  élé- 
ment de  «  Josué  »,  a  contribué  à  faire  prononcer  et  écrire  ce  nom 
sous  une  forme  inoffensive. 

On  peut  admettre  sans  hésitation  le  second  motif  pour  l'époque 
qui  a  vu  naître  la  Septante.  C'est  ainsi  que  les  traducteurs  grecs, 
depuis  «  Jésus  »  fils  de  Noun,  écrivent  toujours  «  Jésus  ».  Tous  les 
personnages  qui  nous  sont  présentés  dans  cette  période  portent  le 
nom  qui  nous  occupe  sous  la  forme  «  Jésus  »,  c'est-à-dire  y^^\D''. 
La  transcription  grecque  ir^iouc,  forme  plus  lourde  qu'on  trouve 
ça  et  là  ',  n'a  pu,  dans  un  milieu  aflairé,  prendre  le  dessus;  aussi 
disait-on  beaucoup  plus  naturellement  'W>,  en  y  ajoutant  seule- 
ment la  terminaison  grecque  qu'on  aflfeclionnait.  C'est  ainsi  —  n©"' 
—  qu'auront  été  appelés  dans  la  vie  ordinaire  les  nombreux  per- 
sonnages, de  race  sacerdotale  surtout,  qui  ont  porté  ce  nom  à  la 
fin  de  la  période  hasmonéenne  et  hérodienne.  Dans  ITndex  de 
l'édition  de  Josèpbe  par  Niese,  on  ne  trouve  pas  moins  de  quatorze 
porteurs  de  ce  nom,  sans  compter  Jésus-Christ,  depuis  l'époque 
maccabéenne  jusqu'à  la  destruction  du  Temple.  Quelques-uns 
d'entre  eux  appartiennent  déjà  par  la  date  de  leur  naissance  à 
l'ère  chrétienne,  d'où  il  faut  conclure  qu'au  début  de  cette  ère  au 
moins,  ce  nom  était  usité  chez  les  Juifs  D'ailleurs,  il  y  a  là  rien  de 
surprenant,  car  le  christianisme  qui  venait  seulement  de  naître  ne 
pouvait  pas  le  faire  disparaître  tout  d'un  coup  ;  il  fallait  un  assez 
long  temps. 

Même  dans  l'onomastique  rabbiqique  nous  trouvons  encore  à 
cette  époque  reculée  des  personnages  du  nom  de  Jésus  '-  :  1"  Yoha- 
nan  à.   Yeschoiia  (yi^a*»-'),  fils  du  beau-père  de  R.  Akiba  (M.  Ya- 

1.  Par  evcmple,  dans  un  Onomaslicoii,  apiid  Lagaido,  Onom.  Sacra,  p.  200.  L'in- 
terprétation (jui  est  donnée  de  ce  nom  tient  encore  compte  de  ses  deux  éléments  : 
l7\ijo\ji  Qwnripta  àopâTOv),  «  salut  de  l'Invisible  »,  c'est-à-dire  de  Dieu;  cf.  ibidem  : 
'U'/ovia;  (rî^;D"'l  âT&tfxaiîa  àopaToy,  c'est-à-dire  11373,  plus  le  nom  de  Dieu.  Je  ne 
sais  pourquoi  c'était  justement  n"^  qu'on  expli(|uait  par  «  invisible  •  :  cette  explication 
ne  peut  provenir   de  cercles    rabbiniques,  car   l'hébreu  n'a  pas  de  mot  unique   pour 

2.  Les  deux  exemples  qui  suivent  sont  également  donnés  par  Levy,  U  213;  Koiiut, 
IV.  168;  Jastrow,  600. 

3.  C'est  ainsi  que  le  nom  est  écrit  dans  léd.  Lowe,  non  i'UjTïT'. 


150  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

dayim,  m,  5)  ;  cette  parenté  permet  de  le  dater  avec  assez  de  pré- 
cision '  ;  on  voit  que  nous  sommes  passablement  avancés  dans 
Fère  chrétienne.  —  2°  Yeschoua  frère  de  Doraï  (j.  iMoed  Katon, 
ni,  S,  82c,  1.  30)  -.  On  ne  peut  préciser  l'époque,  mais  ce  Jésus  doit 
avoir  vécu  également  à  l'époque  chrétienne.  —  3°  Jésus,  sur- 
nommé Justus,  explicitement  désigné  comme  né  «  dans  la  circon- 
cision »  (Coloss.,  IV,  U).  Ce  nom  fournit  en  même  temps  un 
exemple  de  la  manière  dont  on  échangeait,  pour  le  grand  monde, 
un  nom  hébreu  contre  un  nom  consonnant.  —  Dans  des  inscrip- 
tions grecques  on  trouve  lT,aoùç  dans  quatre  cas"',  dont  une  fois 
sous  la  forme  'leaé  ;  les  porteurs  de  ce  nom  peuvent  être  reven- 
diqués par  le  judaïsme,  car  des  chrétiens  ne  se  seraient  pas  donné 
le  nom  de  leur  Christ.  La  forme  'Ugz  peut,  du  reste,  correspondre 
à  •'«5'',  'Is'ffffxt,  nom  du  père  de  David,  quoique  nous  ne  puissions 
pas  prouver  par  d'autres  exemples  l'existence  de  ce  nom,  et  on 
peut  se  demander  s'il  ne  s'est  pas  produit  une  confusion  entre 
'Iiri<Toîj;  et  'l£<7(7at'*.  Jésus,  «  le  fils  de  David  »,  peut,  en  un  certain 
sens,  être  désigné  comme  «  Isaï  »  (Jessé),  et  de  toutes  les  explica- 
tions qu'on  a  proposées  de  la  forme  arabe  'Isa,  l'hypothèse  d'une 
confusion  avec  «  Isaï  »  me  paraît  encore  la  meilleure.  Il  n'est  pas 
besoin  de  songer  à  une  confusion  entre  les  noms  de  «  Jésus  » 
et  de  Isaï  :  c'est  Jésus  même  qu'on  prit  pour  «  Isaï  )3,  de  même  que 
Miriam,  la  mère  de  Jésus,  fut  identifiée  avec  la  sœur  de  3Ioïse. 

Encore  une  observation.  Le  surnom  arabe  Abou-1-Faradj  Four- 
kân  que  porte  le  caraïte  Yeschoua  b.  Yehouda  trahit  déjà  une 
influence  chrétienne,  car  «  Faradj  »  et  «  Fourkân  »  ne  suppor- 
tent qu'une  interprétation  messianique.  Ces  noms  peuvent  avoir 
pénétré  des  Chrétiens  de  Syrie  chez  les  Arabes;  le  syriaque  NSpTiD 
est  un  mot  des  plus  courants  et  n:>nï5'>  rappelait  au  Chrétien  de 
Syrie  son  Sauveur.  Les  noms  formés  à  l'aide  de  nus,  jJàj,  décèlent 


1.  On  sait  que  le  beau-père  de  R.  Akiba  était  Kalba  Sabou'a;  «  Jésus  »  était-il  son 
nom  personnel  ?  Dans  ce  cas,  il  faut  le  considérer  comme  un  prêtre,  car  le  nom  de 
Jésus  est  porté  surtout  par  des  prêtres,  ainsi  qu'on  le  voit  par  la  liste  de  Josèphe.  On 
trouve  encore  plus  tard  un  R.  Josué  ha-Cohen,  ou  R.  Josué  ha-Cohen  b.  Nabmani, 
V.  Buberdans  l'Introduction  à  son  Tauhouma,  p.  51.  D'autres,  comme  R.  Josué  b. 
Hanania,  R.  Josué  ba-Lévi,  étaient  au  moins  lévites;  cf.  encore  R.  Josué  b.  Lévi.  Le 
caractère  sacerdotal  de  Kalba  Sabou'a  convient  aussi  au  rAle  qu'il  joue  dans  les  der- 
niers jours  de  Jérusalem  [Guitlin,  56a). 

2.  Le  nom  est  écrit  avec  deux  yod  (yv^"*"^)  dans  les  éditions  de  Venise  et  de  Kro- 
toscbin,  pour  assurer  la  prononciation  ;  mais  peut-être  est-ce  pour  yi'UV  (avec  omis- 
sion du  Tt  à  cause  du  nom  de  Dieu),  c'est-à-dire  J'UJIM^. 

3.  Réunis  par  Pape,  Wôrterbiick  (1er  griec/iischen  Eigennamen,  s.  v.  'Iviaoùj. 

4.  V.  Z.  D.  M.  G.,  XII,  470,  504. 


NOTES  ET   MÉLANGES       '  ISl 

la  même  influence,  et  les  Juifs  ont  seulement  témoigné  d'idées  parti- 
culièrement libres  en  prenant  les  noms  de  «  Natira  »,  «  Natronai  ». 
11  est  vrai  que  dans  leur  pensée  ces  mots  n'avaient  pas  tout  à 
fait  la  même  signification  que  chez  les  Syriens;  le  Juif  attendait 
la  délivrance  irjyra-'b  ne::»  ,  le  Chrétien  la  parousie.  M.  Bâcher  s'est 
déjà  étendu  sur  le  caractère  messianique  de  ces  noms. 

Vicnni-, 

S.  Krauss. 


BIBLIOGRAPHIE 


Bâcher  (W.).  ZAvei  jûdisch-persische  Dichter.  Schâhin  und  Imrâni. 

i.  Hâlfte.  Strasbourg,  K.-J.  Teûbner,  1907;  in -8-'  de  iv  +  124  p.  M.  2,50. 
(Tirage  à  part  de  :  30.  Jahresbericht  der  Landes-Rabbinerschule  in  Budapest 
fur  das  Schuljahr  1906-1907.) 

La  littérature  judéo  persane,  qui  longtemps  fut  représentée  uniquement 
par  la  traduction  du  Pentateuquo,  de  Jacob  Tavous,  s'est  extraordinaire- 
ment  enrichie  dans  ces  derniers  temps.  M.  Elkan-N.  Adler,  Tinfatigable 
chercheur,  a  amassé,  au  cours  de  ses  voyages  répétés  en  Orient,  quelques 
cent  manuscrits  judéo-persans,  qu'il  a  décrits  dans  la  Jew.  Quart.  Rev.,  X. 
D'un  autre  côté  un  savant,  Siméon  Hacham,  membre  de  la  colonie  de 
Bokhara  a  Jérusalem,  a  édité  toute  une  série  d'ouvrages  de  cette  litté- 
rature. 

M.  Bâcher  revient  avec  prédilection,  dans  ces  dix  dernières  années,  à 
ses  études  de  jeunesse,  qu'il  avait  commencées  par  un  travail  se  rappor- 
tant à  la  littérature  nationale  de  la  Perse,  son  ouvrage  universellement 
estimé  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Nizàmi.  Depuis  1896,  il  a  écrit  une  foule 
d'études,  grandes  et  petites,  sur  des  écrivains  judéo-persans.  Entre  toutes, 
il  faut  relever  son  livre  sur  le  Dictionnaire  hébreu-persan  de  Salomon  h. 
Samuel  de  Gourgang  et  celui  qui  nous  occupe  ici,  consacré  à  Schàliin  et 
Imrâni. 

Schâhin  et  Imrâni,  qui  a  vécu  deux  siècles  après  Schâhin,  sont  consi- 
dérés par  les  Juifs  persans  comme  étant,  l'un  le  créateur,  l'autre  le 
maître  de  leur  poésie  particulière,  qui  se  détache  de  la  littérature  natio- 
nale, tout  en  en  faisant  partie.  C'est  ce  que  liabaï  ibu  Loutf,  auteur  d'une 
chronique   rimée  traduite  ici-mème  par  M.  Hacher'  fait  ressortir  avec 

1.  Revue,  LI,  123-136,  265-279;  LU,  77-97,  237-271  ;  LUI,  85-110. 


BIBLIOGRAPHIE  151 

émotion,  quand  il  célèbre  Hafiz  et  Sadi  et  rappelle  avec  amour  Schâhin 
et  Imrâni. 

A  l'aide  de  l'édition  de  Siméon  Hacham  et  des  manuscrits  de 
M.  E.-N.  Adler,  M.  Bâcher  retrace  la  vie  de  Schâhin  (chap.  i),  étudie  en 
détail  ses  ouvrages  :  le  Livre  de  la  Genèse,  le  Livre  de  Moïse,  le  livre 
d'Ardeschir  et  le  Livre  d'Ezra,  sa  langue  poétique,  sa  métrique,  son 
orthographe  (chap.  n;,  examine  d'après  les  sources  la  manière  dont  il 
traite  la-matière  fournie  par  la  Bible,  établit,  dans  des  notes  instructives, 
ce  qu'il  a  puisé  à  l'agada  et  à  la  littérature  musulmane,  et  tire  enfin 
au  clair  ses  rapports  avec  le  «  Youssouf  et  Souleikha  »  de  Firdouzi 
(chap.  Hi). 

Schâhin  florissait  dans  la  première  moitié  du  siv^  siècle.  Il  vivait  à 
Chiraz,  et  termina  son  Commentaire  du  Pentateuque  en  1358.  Nous 
n'avons  pas  d'autre  renseignement  sur  sa  vie  et  sur  son  activité.  Il  chante 
bien,  à  la  manière  des  épiques  persans,  le  prince  Abou  Sa'id  Bahadâr, 
et  se  prononce  sur  l'état  des  mœurs  de  son  temps  ;  mais  il  ne  souffle 
mot  sur  les  circonstances  extérieures  de  sa  vie,  ni  sur  les  grands  person- 
nages de  son  milieu.  Son  commentaire  poétique  s'attache  fidèlement  aux 
péricopes  du  Pentateuque  et  s'exerce  sur  les  données  bibliques,  non  sur 
les  histoires  d'amour  de  l'épopée  persane.  En  cela  il  a  frayé  la  voie  et  il 
a  trouve  un  successeur  en  Imràni,  qui  a  traité  de  la  même  manière  les 
Premiers  Prophètes. 

Le  travail  d'histoire  littéraire  de  M.  Bâcher  a  toutes  les  qualités  de  ses 
ouvrages  précédents.  Il  domine,  comme  toujours,  parfaitement  son  sujet 
et  sait  le  rendre  intéressant  par  une  exposition  claire  et  bien  ordonnée. 
Il  nous  révèle  le  poète,  nous  présente  son  fidèle  portrait,  encore  qu'il 
soit  obligé  d"en  réunir  lui-même  les  traits.  La  matière  n'était  pas  toute 
faite  et  rebattue;  les  travaux  antérieurs  sont  à  peine  dignes  de  mention. 
L'oeuvre  n'en  est  que  plus  considérable  et  la  science  doit  une  sincère 
reconnaissance  au  savant  infatigable  qui  a  fait  revivre  à  nos  yeux  «  Mau- 
lànâ  Schâhin  Schiràzi  ». 

Les  notes  si  riches  sur  les  sources  de  Schâhin  méritent  une  attention 
particulière.  Peu  d'hommes  connaissent  aussi  bien  que  M.  Bâcher  le  cycle 
de  l'Agada.  En  indiquant  dans  les  lignes  qui  suivent  quelques  nouvelles 
références,  nous  n'avons  nullement  la  prétention  d'avoir  réussi  à  décou- 
vrir de  nouvelles  sources  auxquelles  Schâhin  aurait  puisé.  Le  domaine 
de  l'Agada  est  immense,  les  frontières  n'en  sauraient  être  circonscrites, 
et  si  nous  ne  retrouvons  pas  certains  traits  dans  la  littérature  qui  nous 
est  accessible,  il  n'est  pas  prouvé  que  ces  traits  soient  l'onivre  de  l'ima- 
gination, une  amplification  de  la  matière  fournie  par  la  tradition.  On 
ne  peut  niei-  avec  une  pleine  assurance  que  Schâhin  n'ait  connu  d'autres 
ouvrages  agadiques  que  les  nôtres.  On  a  l'impression  que  Schâhin  se 
réfère  à  des  traditions  et  que  c'est  à  peine  s'il  a  enjolivé  lui-même  les 
légendes,  mais  il  va  de  soi  qu'on  ne  peut  appuyer  cette  impression 
d'exemples  précis. 


iU  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Livre  d'Ardeschir,  ch.  46  (p.  bO)  :  Aman  prend  la  potence  à  la  solive 
de  sa  maison,  v.  Yalkout  Esther  :  in^3  '^ira  np-^riC  rr,'i'p;  Panim  Ahé- 
rbn,  II,  p.  37  :  "iwny  î^in  ^r.:£.yh  r!\-T'373  -mo  N'.no  mT^rr.  Peut-être 
Schàliin  songe-t-ii  à  la  parole  de  R.  Simon  b.  Lakisch,  Hag.,  16 a  :  m-npi 
13  VT'i''3  an  mN  bia  in"«3.  —  Ibid.,  note  3  :  «  Il  ajoute  :  Taufre  nuit 
trois  personnes  tombèrent  du  toit  et  moururent.  »  V.  Pan.  Ahér.,  Il,  35 
(sur  n3i22  l^no  -T^ym)  :  )-QW  ^nn3  N-'n-in-^ri  --ra  ^''^D-pr,  b-'cm 
'nsi  nrr^T  aan  "ju  nbcsT  m-pc  ni::u:b  r^bir!  rT«rN.  —  /6.,  ch.  47  : 
«  Les  fils  d'Aman  étaient  les  secrétaires  du  roi.  »  V.  Yalkout  Esther, 
I0b7,  ©n-ntJnN  bt:  vi^'P^C)  m  iwr:  b^n  T-sn  nncy;  P.  A.,  II,  p.  74: 
"^b?:  buj  n:ji:  rfn  ';7jr!  bu:  isn  iib  -i"î<  ;  P/rA-»?  de  R.  E.,  l  :  "«-ab  -iwnt 

ibU)  T^ItlDI  T^T1372^  V^ï^,  et  :  V-^^'-  "^"^  "l""^  2"^'2  '73  -17:ii<  nT:?"'bî<  '-1 
*]bttn  "«nDlD  T^nu:  '■>.  —  P.  48,  n.  5,  v.  aussi  Pirkè,  t.  c.  —  Ibid.,  ch.  48, 
V.  encore  P.  A.,  II,  76;  Pirkê,  l.  c.  —  P.  51.  ch.  51.  note  5.  v.  P.  A.,  II, 
76  :  msb-'Nrt  tn  ';-'i:s:p»  iwn  b:i5  T'îa  ibvND  vb:?  nwi3  rr^m  ;  Pirkê, 
L  c.  —  P.  78,  n.  2,  Gen.  -mfeba,  xviî,  4  (non  XXXVIII),  parole  de  R.  Aha. 
—  Ibid.,  n.  3.  v.  Yalkout  Hadasch,  ÛIN,  5  :  rpT72  mi  nrcm  (tiré  de 
t25nn  nniT).  —  ibid.,  n.  4,  v.  aussi  Yalk.  Reoubéni  (éd.  Varsovie,  p.  69)  : 

nbbpa  p^br;.  Une  phrase  analogue  dans  .  Yalk.  Hadasch,  ûiN,  102  : 
UIH'D  "iba"^3  d'^im  nu:®,  «  Adam  perdit  s(a?  choses  ».  —  Ibid.,  n.  6,  v. 
Pir/fê,  XXII.  —  P.  79,,  n.  6.  v.  N.  r.,  xiii  ;  Yalkout,  a-'L^cno,  47;  Yaift. 
/saïe,  2  ;  Schoh.  Tob,  36,  87  ;  Yalk.  Had.,  51,  54.  —  P.  80,  n.  4  :  «  La 
tente  d'Abraham  avait  quatre  entrées  ■»,  v.  Gen.  rabba,  xlviii,  9  :  n"» 
rr^n  u:biE73  ûn-i3N  iS-^nN  bu:  ibs  briN  iriDwS  ;  Aboi  de  R.  Natan,  vu  : 
D'^'^iy  in"'  Nbu:  nn"'3b  ûTins  't  nu:yu:  m'N:3  nm-ib  mne  '^n-^n  "^n*» 
'13*  îT*pnb  û"^i"i:2îw?3.  Cependant  Job  ne  surpassa  pas  l'hospitalité  d'Abra- 
ham. —  Ibid.,  n.  9,  cf.  Kohélet  rabba,  sur  ix,  7  :  Abr.  prit  Éliézer  et 
Ismaël  avec  lui.  —  Ib.,  n.  10,  cf.  Pesikta  rabbat,  chap.  41,  et  U)"n73 
ylDV^.  —  P.  81,  n.  4,  V.  Â'oh.  rabba  sur  ix,  7,  3'u:t«i  \a"n»  ;  Lév.  rab., 
XX.  —  P.  82,  n.  1,  V.  Yalk.  Reoubéni,  sur  mu:  "'"'n,  i.  f.  —  Ibid.,  n  6, 
V.  encore  Pirkê.  —  P.  83,  n.  1  (non  2\  Pirkê,  39,  Tanh.,  ^rT«-i,  9  ;  ^f/arf. 
Bereschit..  p.  82.  —  76îrf.,  n.  3  (non  4\  Yalk.,  162,  Pirkê,  40;  Tois. 
Guittin,  55  6,  Serfer  ha-Doroi.,  p.  70.  —  P.  85.  n.  4,  cf.  Yalk.,  164;  Ya/A-. 
Reoub.,  II,  p.  8;  Josèphe,  Antiqu.,  II,  5  ;  Zohar,  II.  —  //>.,  n.  6,  cf.  Yalk. 
Hadasch,  T,Z-12.  60;  D-'SNb^û,  67.  —  Ibid.,  n.  7,  cf.  ib.,  nC72,  14.  D'après 
le  Séfer  Haaschar  Jochabed  appelle  Moïse  Yekouticl.  —  P.  89,  n.  2, 
cf.  Yalk.  Reoub.,  II,  p.  16  :  n:b:s:r:  i-ii:73  u:'^N.  —  Ibid.,  n  1  :  la  verge  de 
Moïse,  cf.  Schalschêlct  ha-Kabbala,  éd.  de  Varsovie,  5  c.  —  P.  90,  n.  4, 
V.  Bachia  Gen.  50,  26  :  mrST  oib-'Dn  ib-^am  inN  OU  bas  nu3tt  noj»  Mtt 
'iDi  -nu:  nby  vb3>.  -  p.  93,  n.  3,  cf  Sifrê,  *]b-^T,  304;  Yalkout,  Tb-'i. 
—  P.  95,  n.  1,  cf.  Yalk.,  ibid.  —  P.  100,  n.  6,  v.  Fabricius,  Codex  Pseu- 
depigr.  (Leipzig,  1713),  chap.  xviii,  p.  30  cl  56.  —  P.  101,  n.  1,  cf. 
Fabricius,  ib.,  114.  —  Ibid..  n.  3,  cf.  Schalschêlct  ha-Kabbala,  p.  3  : 
-i33>  du:  pd-^  na  dnx  omn^  nt<"^n  ûiip  abira  it<n3n;u:  D"'N"^a3  ï5-n«2 


BIBLIOGRAPHIE  155 

—  Ibid.,  n.  6,  v,  Gen.  Rabba,  xxxi,  13  :  des  démons  entrèrent  avec  >'oé 
dans  l'arche. —  P.  102,  n.  7,  sur  Haran,  cf.  Schalsch.  ha-Kabbala,  p.  6  — 
P.  100,  n.  2,  cf.  Yalk.  Reonb.,  I,  p.  .302  :  '15T  nOT^  D?  Dbiri  rî^n  bN-<-i33. 

—  P.  Ii:j.  n.  D,  V.  Yfli/i.  Meoiib.,  I,  320  :  Putiphar  amène  Joseph  devant 
Pharaon,  a^ors  (iabriel  afiparaît  et  conseille  d'examiner  les  vêtements  de 
Joseph. 

Les  passages  cités  n'appartiennent  pas  à  des  sources  primitives,  mais 
à  des  compilations  qui  accueillent  pour  la  plupart  des  explications  tirées 
du  Zohar  ou  d'auteurs  cabbalistiques.  La  légende  est  un  tissu  organique, 
elle  croît  et  s'enrichit  avec  le  temps.  Mais  souvent  aussi  un  seul  détail 
se  développe,  de  sorte  que  la  forme  primitive  se  perd.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  est  difficile  sinon  impossible  de  déterminer  la  source  à  laquelle 
est  emprunté  tel  trait  aggadique,  car  ce  trait  décrit  souvent  différents 
circuits.  Même  après  les  travaux  fondamentaux  do  Béer,  de  Gri'in- 
baum  et  d'autres,  nous  n'avons  pas  encore  de  Tlicsaurus  des  légendes 
bibliques. 

L'ouvrage  de  M.  Bâcher,  précis  comme  tous  ses  travaux,  est  des  plus 
suggestifs  et  nous  en  attendons  avec  curiosité  la  suite,  qui  sera  consacrée 
à  Imràni. 

J.  Wellesz, 


Jevrs'  Collège  Jubilee  "Volume  :  comprising  a  History  of  the  Collège  by  the 
Rev.  Isidore  llarris,  and  Essays  by  Teachers  and  former  Students  of  the  Ins- 
titution. Londres,  Luzac  et  C°.  1906  ;  gr.  in-S"  de  vi  +  cr.ii  +  274  p. 

Ce  somptueux  volume,  bien  imprimé,  élégamment  relié  et  illustré 
avec  goût,  est  à  la  fois  une  histoire  de  l'œuvre  du  «  Jews'  Collège  »  pen- 
dant les  cinquante  années  de  son  existence  et  un  témoignage  des  résul- 
tats de  cette  œuvre.  Un  peu  moins  de  la  moitié  du  livre  est  occupé  par 
une  histoire  très  complète  et  détaillée  du  Collège.  Le  reste  se  compose 
de  quinze  études  dues  à  des  savants  qui  y  ont  étudié  ou  enseigné.  La  partie 
historique  présente  do  l'intérêt  pour  ceux  qui  ont  des  rapports  avec 
l'école  et  de  la  valeur  pour  l'historien  futur  du  judaïsme  anglais,  mais 
l'importance  du  volume  pour  le  monde  savant  réside  dans  l'aulie  moitié, 
celle  qui  permet  de  porter  un  jugement  critique. 

D'abord,  il  faut  dire  —  et  ce  n'est  pas  nécessairement  une  criticiue  — 
qu'il  n'y  a  aucune  espèce  d'unité  entre  les  quinze  essais.  Ils  ne  prétendent 
évidemment  pas  représenter  un  point  de  vue  quelconque,  ime  altitude 
particulière  vis-à-vis  du  judaïsme  ou  de  la  science  juive.  En  aucun  sens 
ils  ne  donnent  l'impression  d'une  seule  personnalité  ou  d'une  seule  insti- 
tution ;  chaciiie  travail  réfléchit,  dans  son  sujet  et  sa  méthode,  le  goût  et 
les  vues  de  l'auleur.  Le  résultat  en  est  que  presque  chaque  branche  des 


156  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

études  juives  est  abordée  et  que  les  essais  diffèrent  beaucoup  par  leur 
nature  et  leur  destination,  quelques-uns  étant  «populaires»,  d'autres  plus 
purement  «  scientifiques».  Pour  cette  raison,  il  est  difficile  de  trouver  un 
point  de  vue  d'après  lequel  on  puisse  juger  le  livre  tout  entier  ;  on  est 
obligé  de  s'en  tenir  à  l'un  de  ses  aspects,  en  excluant  plus  ou  moins 
complètement  les  autres.  C'est  en  tant  qu'œuvre  d'érudition,  en  tant  que 
contribution  à  la  «science  juive",  que  le  volume  sollicite  l'intérêt  des 
lecteurs  de  cette  Revue;  et  c'est  pourquoi  nous  insisterons,  en  général, 
sur  les  essais  qui  ont  été  écrits  plutôt  pour  les  érudits  que  pour  les 
profanes. 

Quatre  d'entre  eux  fournissent,  soit  à  l'état  original,  soit  sous  forme  de 
traductions,  des  matériaux  littéraires  ou  historiques  inédits.  Le  Rev. 
Barris  M.  Lazarus  publie,  en  les  accompagnant  de  savantes  remarques, 
quelques  passages  d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  «  Jews'  Collège  » 
(Cod.  362,  ancien  n"  318  de  la  collection  Halberstamm,  écrit  proba- 
blement vers  le  xv^  siècle),  qui  contient  un  certain  nombre  de  courts 
poèmes  attribués  à  Ibn  Gabirol,  et  dont  quelques-uns  étaient  encore 
inédits. 

Ces  poèmes  ne  présentent  aucune  valeur  ou  importance  spéciale,  et 
M.  Lazarus  est  tenté  de  croire  que  plusieurs  d'entre  eux  sont  faussement 
attribués  à  Gabirol.  Il  prouve,  en  eflet,  avec  beaucoup  de  force  que  le 
poème  commençant  par  "DjD  dt^  by  nb""'?  Ti)"iDri,  imprimé  par  Geiger, 
Salomo  Gabirol  und  seine  Bichtungen,  comme  étant  de  ce  poète,  a  été 
écrit,  en  réalité,  par  Ibn  Nagdilah. 

M.  Israël  Abrahams  donne  le  texte  de  deux  documents  hébreux  appar- 
tenant k  la  «  collection  de  la  Gueniza  »  de  la  Bibliothèque  de  Cambridge. 
Le  premier  est  un  modèle  de  Ketouba,  daté  de  1220;  M.  A.  promet  de 
l'étudier  plus  complètement  dans  un  volume,  prêt  à  paraître,  sur  les 
Ketoubot  possédées  par  les  bibliothèques  d'Oxford  et  de  Cambridge.  Le 
second  texte  est  une  Consultation  sur  la  convenance  à  nommer  les  auto- 
rités rabbiniques  dans  les  documents.  M.  A.  assigne  à  ce  manuscrit  la 
première  moitié  du  xii®  siècle,  principalement  pour  cette  raison  négative 
que  Maimonide  n'est  pas  cité  comme  une  autorité  pour  la  mention  du 
Naguid.  Ce  procédé,  en  tant  qu'il  concerne  les  Ketoubot,  apparaît  comme 
étant  devenu  plus  ou  moins  régulier  à  partir  de  HOO,  mais  il  est  très 
vraisemblable  qu'il  a  encore  fait  l'objet  de  discussions  un  certain  nombre 
d'années  après,  et  le  ton  du  document  «prouve  que  la  question  était 
brillante»  au  moment  oi'i  il  fut  écrit.  Incidemment,  la  Consultation 
contient  une  vigoureuse  affirmation  du  jirincipe  i"nT2  bxi^cr  imn  rpc, 
qui,  sur  certains  points,  est  plus  importante  que  la  décision  sui-  la  (juostion 
principale. 

Un  autre  manuscrit  de  Cambridge  forme  le  sujet  d'une  courte  note  du 
Rev.  M.  Abrahams.  Deux  feuillets  de  vélin  recouverts  de  caractères 
hébreux  ont  été  employés  à  raidir  la  reliure  d'un  manuscrit  latin  qui  est 
actuellement  au  Pembroke  Collège  ;  et  l'un  d'eux,  dont  la  plus  grande 


BIBLIOGRAPHIE  157 

partie  est  déchiffrable,  contient  des  fragments  de  Selihot.  A  part  quelques 
fautes  évidentes,  ce  fragment  présente  une  ou  deux  variantes  intéres- 
santes du  texte  tel  qu'il  est  entré  dans  le  rite  allemand.  Ainsi,  nous  avons 
nssiûnNTi  iDn;c<  a'>"'p3,au  lieu  û"'p"'n2C.  De  cette  indication  et  de  quelques 
autres,  M.  A  conclut  que  le  feuillet  faisait  partie  d'un  Siddour  du  nord 
de  la  France.  L'écriture  est  du  xu"  siècle  au  plus  tard,  et  comme  le 
volume  latin  dans  lequel  se  trouve  le  feuillet  vint  à  Cambridge  de 
Bury  St.  Edmunds,  M.  A.  conjecture  avec  beaucoup  de  vraisemblance 
que  ce  Siddour  fut  à  un  certain  moment  en  usage  à  la  synagogue  de 
Bury. 

«  Histoire  d'une  conversion  caraïte  »,  est  la  traduction,  par  M.  Hartwig 
Hirschfeld,  d'un  manuscrit  arabe  (en  caractères  hébreux)  du  xv^  siècle, 
qui  rapporte  la  conversion  au  caraïsme  de  quelques  Juifs  européens  qui 
vinrent  de  Tolède  au  Caire.  Il  en  résulta  une  dispute  entre  les  Rabbanites 
et  les  Caraïtes  de  la  communauté  du  Caire,  et  les  seconds  en  appelèrent 
aux  magistrats  musulmans  qui  déclarèrent  leur  incompétence  à  inter- 
venir, à  moins  que  les  deux  sectes  ne  différassent  actuellement  sur  les 
maximes  de  foi  ;  dans  lequel  cas,  suivant  la  loi  musulmane,  aucune  con- 
version ne  serait  permise,  excepté  une  conversion  à  l'islamisme.  Cette 
histoire  jette  quelques  lumières  intéressantes  sur  la  situation  des  Juifs 
sous  le  sultan  de  cette  époque. 

M.  S.  A.  Hirsch  a  écrit  sur  «  le  Temple  d'Onias»  une  étude  qui,  par  la 
faute  même  du  sujet,  est  plus  heureuse  dans  sa  partie  critique  que  dans 
sa  partie  positive.  11  n'a  aucune  difficulté  à  démontrer  que  le  récit  de 
Josèphe  dans  les  Antiquités  n'est  pas  digne  de  foi,  mais  on  se  demande 
s'il  est  suffisamment  fondé  à  accorder  plus  de  crédit  à  la  relation  du  même 
auteur  dans  la  Guerre.  M.  H.  défend  l'assertion  de  Josèphe,  disant  que  le 
Temple  a  existé  343  ans,  c'est-à-dire  qu'il  fut  bâti  vers  270  av.  J.-C,  et  il 
soutient  qu'il  ne  fut  jamais  regardé  comme  un  temple  rival  de  celui  de 
Jérusalem,  mais  qu'il  n'était  autre  chose  qu'une  «  bama».  Il  est  certain 
que  les  Juifs  d'Alexandrie  demeurèrent  fidèles  au  Temple  de  Jérusalem  ; 
mais,  d'un  autre  côté,  les  fouilles  du  Prof.  Pétrie  semblent  prouver  que 
l'édifice  d'Onias  voulait  être  une  reproduction  du  Temple  à  une  plus 
petite  échelle  et,  s'il  en  est  ainsi,  il  a  dû  être  regardé  comme  quelque 
chose  de  plus  qu'un  haut-lieu.  Dans  tous  les  cas,  M.  H.  admettrait  proba- 
blement qu'une  «  bama  »  comme  le  Temple  d'Onias  aurait  été  impos- 
sible en  Palestine  même,  de  sorte  que,  quoiqu'on  puisse  admettre  qu'on 
n'avait  pas  songé  à  un  temple  rival,  la  thèse  de  M.  H.  est  difficilement 
acceptable. 

Nous  ne  pouvons  plus  accorder  qu'une  brève  mention  aux  autres  essais. 
La  conférence  sur  «les  Fils  de  Prophètes»  du  Grand-Rabbin  Adler  est  en 
réalitéune  défense  du  «  Jews'  Collège  »  et  «  Où  le  clergé  faillit  »  est  la 
réédition  d'un  discours  adressé  par  le  Rev.  S.  Singer  aux  étudiants  de  cet 
institut.  Des  parallèles  suggestifs  entre  les  idées  juives  et  non-juives  sont 
tracés  par  le  Rev.  M.  Hyamson  dans  «  Quelques  points  de  comparaison  et 


158  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

d'opposition  entre  les  lois  romaine  et  juive  »  et  par  le  Rev.  S.  Levy  dans 
«  Conceptions  juives  sur  le  péché  originel  ».  M.  Friedliinder,  l'ancien 
principal  du  Collège,  écrit  «  Quelques  notes  sur  la  prophétie  de  Malachie», 
le  Rev.  A.  Feldman  aborde  un  grand  sujet  dans  «  Métaphores  et  compa- 
raisons dans  la  poésie  midraschique  »  et  le  Rev.  Morris  Joseph  étudie  les 
conceptions  religieuses  et  morales  de  R.  Eléazar  de  Worms  dans  l'intro- 
duction au  Rokéah.  «  Un  empereur  païen  étudiant  la  Bible  »,  par  le 
Rev.  Michaël  Adler,  expose  les  vues  de  l'empereur  Julien  sur  le  judaïsme 
et  le  christianisme,  recueillis  dans  les  fragments  de  sa  polémique,  te's 
qu'ils  ont  été  conservés  dans  la  réplique  de  Cyrille  d'Alexandrie.  Le  Rev. 
B.  Berliner  traduit  une  assez  longue  Consultation  de  R.  Salomon  Louria 
sur  le  livre  de  prières  et  le  Rev.  D.  Wasserzug  écrit  avec  clarté  sur  le 
«  Calendrier  juif  ». 

Londres. 

Léon  Simon. 


ADDITIONS  ET  RECTIFICATIONS 


T.  XLIX,  300.  —  La  leçon  "1*33  est  déjà  proposée  par  Mnnk,  cité  par 
L.  Wogue,  Esquisse  d'une  théologie  juive,  p.  88,  n.  1,  et  Harkavy,  dans 
Revue,  VII,  199.  —  M.  Liber. 

T.  LUI,  235  et  s.  —  Le  massacre  des  Juifs  de  Montcliis  par  les  Pastou- 
reaux n'est  pas  «  un  épisode  tout  à  fait  inconnu  »  ;  le  Schébet  Yehouda 
en  parle,  v.  Gross,  Gallia  jadaica,  189.  —  M.  Liber. 

T.  LIV,  66.  n.  6.  —  Sur  les  1"'0"n'ip  cités  par  J.  Caro  (ajouter  Yoré  Déa, 
334!,  V.  Halberstainm  dans  le  Jeschurun  de  Kobak,  III,  167,  et  Freimann, 
dans  Z. /'.  H.  B.,  XI,  30.  La  forme  DTijip  avec  T  est  décidément  assez 
fréquente.  —  P.  07,  n.  5.  Sur  ce  sigle  (non  :  signe  M.  Wellesz  me  renvoie 
à  Orhol  Hayyim,  éd.  Schesinger,  p.  xxii,  n.  4  :  rr^ia:»?  na"'2n  3n"<n  "^-^nn 
rrriTOS  "in.  —  P.  68,  n.  4.  Sur  le  nom  de  Navarro,  v.  Loeb,  dans  Revue, 
IV,  75  ;  n.  5,  sur  les  Navarro  portugais,  v.  Kayserling,  ibid.,  XXXII,  282-3. 

—  La  note  11  de  la  p.  70  et  la  note  1  de  la  p.  71  sont  à  intervertir.  —  P.  73. 
Sur  une  allusion  au  christianisme  dansDeut.,  xxxii,  39,  v.  H.B.,  XIV,  131. 

—  P.  75.  A  propos  de  Joseph  B.  Sch.  et  de  J.  d'Orléans,  M.  Wellesz  me  fait 
remarquer  que  le  Or  Zaroua,  I,  7,  col  2,  cite  it>i  commentaire  du  Prnla- 
teuque  de  J.  dOrléans.  —  P.  80,  n.  9.  Strack,  dans  Z.  A.  W-,  1907,  70, 
parle  encore  de  Saadia!  —  P.  82.  Sur  Menahem  Vardimas,  v.  encore 
M.  Schwab,  Les  Inscriptions  hébraïques  de  la  France,  292-293,  mais  cf. 
I.  Lévi,  dans  Revue,  L,  285  (le  .Men;ihein  le  Saint  au^iuel  pensait  M.  Schwab 
est  cité  dans  Toss.  Houllin,  Il  b).  —  Sur  le  nom  de  Vardimas,  v.  Loob, 
dans  Revue,  XVI,  298,  et  XXXVIII,  149.  —  P.  85.  M.  Cross,  dans  Z.  f.  U.  B., 
1907,  179,  retire  son  opinion  touchant  l'identification  de  Baruch  le  Français 
avec  l'auteur  du  S.  ha-Tcrouma;  mais  il  continue  à  distinguer  B.  de 
Worms  et  B.  de  Hatisbonne.  —  P.  88,  n.  2.  Sur  Ascher  ha-Lévi,  v.  Epslein. 
dans  Revue,  XXXV,  241,  n.  2,  et  Freimann,  dans  Z.  f.  H.  B.,  1907,  87.  — 
P.  93.  Un  R.  Dan  est  cité  dans  les  Consultations  de  Méir  de  Rothenbourg, 
éd.  Berlin,  p.  48  :  H  n"r!  '^ym''73T  '^DibN  (Communication  de  M.  Wellesz). 

—  P.  9b.  Sur  le  Beçamim  Rusch  et  ses  tendances,  v.  aussi  D.  Philippson, 
dans  A'it'.  Encycl.,  X,  352  &-353  a.  —  M.  Liber. 


160  REVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

T.  LIV,  p.  103.  —  Sur  5tdd  désignant  (in  écrit  ecclésiastique  (ma  citation 
est  exacte),  M.  Wellcsz  me  signale  encore  Lèket  Yosrher,  éd.  Frcimann, 
II,  13,  14.  J'ajoute  que  le  mot  devait  être  courant,  car  on  voit  des  prêteurs 
juifs  l'inscrire  —  ô  ironie  !  —  dans  des  manuscrits  d'ouvrages  canoniques 
qu'on  leur  donne  en  gage  (M.  Schwab,  dans  Revue,  XXX,  289  et  s.).  — 
M.  Liber. 

T.  LIV,  p.  276  et  suiv.  —  Sur  la  Kounya  «  'Aboû-'Isà  »,  cf.  encore 
Goldzihcr,  dans  Z.  D.  M.  G.,  LI,  259,  qui  montre  que  les  théologiens 
musulmans  la  désapprouvaient,  parce  que  Jésus  n'a  pas  eu  de  père.  Mais 
ce  blâme  resta  confiné  à  la  théorie,  tandis  que  dans  la  pratique  on  trouve 
cette  Kounya  aux  époques  les  plus  différentes  de  l'Islam,  même  dans  des 
cercles  d'où  émanait  la  direction  religieuse  du  peuple.  —  D'un  autre 
côté,  AL  Goldziher,  dans  une  lettre,  attire  mon  attention  sur  un  passage 
de  Djàhiz,  éd.  van  Vloten,  p.  109  ;  on  y  lit  que  quelqu'un  ne  voulait  pas 
se  laisser  soigner  par  un  médecin  qui  portait  la  Kounya  «  'Aboù  Hârith  », 
mais  par  un  médecin  qui  portait  celle  de  w  'Aboù  'Isa  »,  c'est-à-dire  qu'i 
avait  plus  de  confiance  dans  l'art  des  médecins  chrétiens  que  dans  celuil 
des  médecins  arabes.  On  voit  donc  qu'en  général  le  nom  de  «  'Aboù  'Isa  » 
désignait  plutôt  un  chrétien.  —  Samuel  Poznanski. 


Le  gérant  : 

Israël  Lévi. 


VERSAILLES.    —   IMPRIMERIES  CERF,   59,   RUE   DDPLESSIS. 


ESSAÎ 

SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE 


BIBLIOGRAPHIE 

Pour  iH'itfT  li^s  répétitions  dans  les  renvois  et,  d'une  façon  générafe,  même  quand 
les  renvois  ne  sont  pas  indiqués  au  bas  des  pages,  pour  que  le  lecteur  averti  com- 
prenne d'un  coup  d'œil  dans  quel  esprit  est  conçu  le  présent  mémoire  et  à  quel  état 
des  études  sur  le  grec  liihlique  il  répond,  nous  donnons  tout  de  suite  ici,  par  ordre 
alphabétique,  la  biblioirrapbie  principale  des  ouvrages  que  nous  avons  en  vue  : 
Adrians  Eî-jaYwyyi  ei;  xà;  Osia;  i'pa;pâ;,  éd.  Fr.  Gnessling,  Berl.,  1887  (v.  p.  27  s., 
8iS  s.  ;  W.C.  Allen,  The  oriffin.  Lang.  of  Ihe  Gosp.  ace.  lo  SI.  Mark,  Tli(>  Kxpositor, 
June,  1900,  430-443;  The  aram.  Elem.  in  SI  Mark,  The  Expository  Times.  XIIl  (1902), 
32X-:j:$0;  B.  'AvTwvtâoïi;,  «ï>i),o).OYixà  Èx  x.  K.  A..  'AOr,và.  VI,  1894,  lO.'i-lST  ;  H.  Anz, 
Siibsidia  ad  cor/n.  yr.  serm.  vulr/.  e  Peut.  vers.  Alex,  repelila,  Diss.  |)hil.  Hal.,  XII, 
1894,  2o9-387  ;  F.  Blass,  Te.vikr.  Bemer/c.  z.  Mallh.,  Giitersioh,  1900  (Beitr.  z.  Ford, 
clir.  Tlieol..  IV,  4);  Gra)ttm.  d.  Seul.  G/'.»,  1902;  Die  rhijihm.  Komp.  d.  Hebr.br  , 
Theol.  St.  u.  Kr.,  1902,  420-461;  Dr.  an  d.  Ilebr.,  Halle.  1903;  S.  Bochart.  Op. 
omnin*,  3  vol.,  Tr.  ad  Rh.,  1712;  E.  Biihl,  Forsch.  n.  ein.  Vollcsbib.  z.  Z.  Jesu  u.  der. 
Zus.h.  m.  d.  Sept.-Ueb.,  Wicn.  1873:  J.  Boehmer,  Daa  bibl.  «  Im  Namen  »,  Giessen, 
1898:  Zwei  irichl.  Kap.  ans  d.  bibl.  Ilerm..  Isl  zum  sprachl.  Vers!,  d.  N.  T.  d. 
MU.  Spr.fjebr.  anziizielien  ?  (Beitr.  z.  Ford.  d.  clir.  Theol.,  V,  1901,  49-127);  J.  Bre- 
iiiuis,  Et.  sur  les  hellén.  dans  la  si/nl.  lai.,  Paris,  1893;  W.  Briiiiing,  Die  Spr.forin 
d.  zii'.  Thess.br..  I,  Naundjurg,  1903;  E.  Combe,  Gramni.  f/r.  du  N.  T.,  Lausanne- 
Paris,  [1894];  Santi  Consoli,  Neolofj.  bolan.  n.  carmi  bue.  e  f/eorg.  di  Virg., 
l'alermo.  1901  ;  G.B.  Cottino.  La  /less.  d.  nomi  gr.  in  Virg.,  Torino,  1906;  U.  Cys:- 
mcr,  liibl.-lheol.Worl. h.  d.  Neul.  Graecilaet\  Gotha,  1893;  Gustaf  Dalman,  Die 
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l.urg,  1892:  Uibelsludien,  189:3;  Neiie  Dib.sl.,  1897;  Die  sprachl.  Krforsrh.  d.  gr. 
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43:;:  K.  Dietericli,  Uniers.  z.  Gesch.  d.  gr.  .s>/.,  Lj.zg,  1898;  F.  Ficld,  Orig.  He.r. 
(/.  supers.,  2  vol.,  Oxford,  I87:j;  P.  Foucarl,  BapporI  sur  un  S.C.  inédil  de  l'année 
110,  Anh.  des  miss.  se.  et  litl..  sér.  II,  t.  VII,  Paris.  1872,  p.  321-379  (extrait,  63  p.)  ; 
S.C.  de  Thisbé  ,170,,  Paris,  1905;  Z.  Frankel,  Vorsl.  z.  d.  Sepl.,  Lpzg,  1841;  leb. 
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d.  Sepl.  u.  I'e.«ch.  z.  Jerem.,  Breslau,  1873;  E.W.  Grinfieici,  An  A/.ol.  f.  Ihe  Sepl., 
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T.;.LV,  nMIO.  11 


162  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

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361,  389-412,  473-499;  K.  Hartung,  Sept.  Si.  Ein  Beitr.  z.  Graec.  elles,  liib.iibers., 
Damberg,  1886;  E.  Hatch,  Ess.  in  bibl.  Gr.,  Oxford,  1889;  Hatcli  a.  Re(l|.ath,  A 
concord.  lo  the  SepL,  Oxf.,  1892-1906;  J.M.  Heilmaier,  Ueb.  cl.  Enlsl.  d.  romaisch. 
Spr.,  Ascbaffenburg,  1834  ;  G.  Heine,  Synonym.  d.  Neul.  Gr.,  Lpzg-,  1898;  W.  Hcit- 
miiller,  Im  Namen  Jesu,  Gôtt.,  1903,  (Forscb.  z.  Rel.  u.  Litl.  d.  A.  ii.  N.  T.,  B.  I, 
b.  2);  R.  Helbing,  Gramm.  d.  SepL,  Laul-u.  Worll.,  Gott.,  1907;  D.C.  Hcssel'uig, 
Les  cinq  livres  de  la  Loi.  Trad.  en  uéo-gr.,  publiée  en  caraet.  bùbr.  a  C.  P.  en  la47, 
Leide-Lpzg,  1897;  H.  Hody,  De  bibliorum  texl.  oriyinal.,  vers,  gr.,  etc.,  libri  IV, 
Oxf.,  1705;  B.  Jacob,  Ini  Namen  Galles,  Eine  sprachl.  u.  relig.gesch.  Unters.  z.  A. 
u.  N.  T.,  Berl.,  1903;  G.  Jahn,  Das  B.  Daniel  n.  d.  Sept,  hergestelll,  Lpzg,  1904; 
Das  B.  Ezech.  a.  Gr.  d.  Sepl.  herg.,  Lpzg,  1905;  A.N.  Jannaris,  St.  John's  Gosp.  a. 
the  Logos,  Zeitschr.  f.  d.  Neut.  Wiss.,  190),  17-25;  H. A. A.  Kennedy,  Sources  of 
N.  T.  Greek,  Edinb.,  1895;  J.  Korsunsiii,  IlepeECA-b  LXX.  Eio  sna-ienie  btj  ncxopin 
rpc'iecKaro  flSbiKa  n  cjOBecHOCxH,  Moscou,  1898;  M.  Krenkel,  Jos.  u.  Luc,  Der 
schr.slell.  Einfl.  d.  jUd.  Gesch.sckr.  auf  d.  christl.,  Lpzg,  1894;  P.  Kretschmer, 
Beitr.  z.  gr.  Gramm.,  Giiterslob,  1889  ;  Die  Enlsl.  d.  Koine,  Wien,  1900  (Sitz. 
b.  d.  k.  Ak.  d.  W.  i.  W.,  Piiilos.-liist.  Cl.,  CXLllI^;  P.  de  Lagarde,  Sepluagintasf., 
Gott.,  1892;  X.C.  Laugblin,  The  solecisms  of  l/ie  Apok.,  Princeton,  1902;  S.  Mein- 
hold,  Sabbal  u.  Woche  i.  A.  T.,  Forscb.  z.  Rel.  u.  Lit.  d.  A.  u.  N.  T.,  b.  5,  Gutt.,  190.j; 
Israël  Lévi,  L'ecclésiastique  ..  édité,  trad.  et  commenté,  2  parties,  Paris,  1898-1901  : 
J.H.  Moulton,  Characlerist.  of  N.  T.  ^r/-.,  Expositor,  190  4,  IX,  67-75,  215-225,  310- 
320,359-368,  X,  124-134,  168-174,  276-283,  335-364,  440-450;  A  Gramm.  of  N.  T. 
Gr.,  I,  Edinb.,  1906;  A.  Millier,  Tiirk.  Gramm.,  Berlin,  1889  (P.  L.  0.)  ;  Th.  Nâgeli, 
Der  Wortsck.  d.  Ap.  "Paul.,  Gôtt  ,  1903  ;  E.  ?sestle,  Septuag.st.,  I  (sur  la  Sixtine\ 
Prog.  d.  kgl.  Gymn.  in  Ulm,  1886  (Progr.  N.  547)  ;  II  (Sixtinc,  Aristée),  Ulm,  1896 
(Progr.  N.  606);  III  (Apocrypbes),  Stuttgart,  1899  (Progr.  N.  618)  ;  IV  (Apocr.,  etc.), 
Stuttg.,  1903  (Progr.  N.  668);  V  (observ.  paléogr.  et  gramm.  sur  la  grande  éd.  de 
Carabr.,  v.  ci-dessous  The  0.  T.),  Stuttg.,  1907  (Progr.  N.  733)  ;  Sepluagint,  dans 
Hastings,  A  dicl.  of  the  Bible,  t.  IV,  Edinb.,  1902;  B.G.  Niebuhr,  Ueb.  d.  Aeg.- 
Gr.,  Kl.  bist.  u.  philol.  Schr.,  Bonn,  1843;  E.  Norden,  Die  anf.  Kiinslpr.,  2  vol., 
Lpzg,  1898  ;  K.  Oixov6iJ.ou,  Jlspi  xwv  o'  £p|Ar,v.,  4  vol.,  Athènes,  1844-1849  Je  t.  Il 
seul  est  intéressant  pour  nous);  The  OUI  Test,  in  Gr.,  cd.  by  A.  E.  Brooke-N. 
Me  Lean,  v.  I,  p.  I,  G.n.,  Cambr.,1900:  H.  Ostboff,  Schrifl.spr.u.  Volksm.,  Berlin, 
1883;  'A.  ITotXXYiç,  *H  yéa  5ia6-ô)c-/i  (A£Ta:ppa(T[A£vri,  Liverpool,  1902;  A.  Pallis.  A  few 
notes  on  Ihe  Gosp.,  Liverpool,  1903:  H.  Paul,  Prinz.  d.  Spr.gesch.^,  Halle  1898; 
D.  Schilling,  Comm.  e.reg. -philol.  in  hehraism.  N.  T.  seu  de  dict.  hebr.  \.  T.  gr., 
Meclilini.ie,  1886;  A.  Schlatler,  Verkannt.  Gr.,  Beitr.  z.  Ford.  chr.  Theol.,  IV,  4, 
Giitersl.,  1900;  Die  Spr.  u.  Ileim.  d.  viert  Evang.,  ib.,  VI,  1902,  297-470;  E.  Schiircr, 
Gesch.  d.  jiid.  V.  i.  Zeit.  J.  Chr.,  Lpzg,  P-\  1901,  II*,  1908,  HP,  1898  ;  Die  sieben/. 
Woche,  Zeitschr.  f.  d.  Neut.  Wiss.,  VI,  1903,  1-G6;  E.  Schwyzer,  Die  gr.  Spr.  i.  Zeil . 
d.  ilellen  ,  N.  Jahrb.  f.  d  kl.  Alt.,  1901,  VH  et  VHI,  233-248;  Richard  Simon,  Hisl. 
critique  du  vieux  Testament,  Amsterdam,  1683;  H.  Strack,  Einl.  i.  d.  A.  T.,  Miiii- 
cben,  1906;  F. G.  Sturz,  De  dial.  maced.  et  ale.r.  liber,  Lpzg,  180S  ;  H.B.  Swcte, 
An  Inir.  to  the  0.  T.  in  Gr.,  Cambr.,  1902;  St.  Székely,  llerm.  bibl.  generalis, 
l-rihourg  en  Br.,  1902;  A.  Tbeinier,  Beilr.  :.  Kennln.  d.  Spr.gebr.  i.  X.  T.,  II, 
1901  (XXIX  Jahrb.  d.  nied.  osterr.  Land.-Real-u.  Ob.-Gymn.  H.irnj  ;  H.G.J.  Thierseh, 
De  Peut,  vers  Ale.v.,  diss.,  Erlangen,  1840,  reprise  (p.  21-64)  et  développée  dans 
De  Pent.  vers.  Ale.i-.  l.  1res,  Erl.,  1841  (ces  deux  ouvrages  ne  sont  pas  toujours 
distioLMiés)  ;  A.  Thumb,  Die  \am.  d.  Wochenl.  i.  Gr.,  Zeitschr.  f.  deulschc 
Wortl.,  1900,163-173;  lUe  gr.  Spr.  i.  Zeit.d.  Hellenism.,  Beilr.  z.  Gesch.  u.  Beurth. 
d.  Kotv•l^,  Strasbourg,  1901:  Die  Forsch.  il.  d.  helien.  Spr.  i.  d.  J.  I90'j-l90-i, 
\\T\i.  ï.  Pap.  f.,IH,  4  (1906),  453  (bibl.  Graez.)-i61,  si>écial.  158-465;  Prinzipienfr. 


ESSAI  SUR  LE  GREC  DE   LA  SEPTANTE  163 

(/.  Koine-Forsch.,  N.  Jalirh.  f.  d.  kL  AU.,  WII  1906),  248-263;  M.  *i),VivTa,-, 
rpaajx.  T.  pw{tatixr,;  yXiôffcra;,  1,  Alhènes,  1907  ;  P.  Viereck,  Sermo  tjrsecus  quo 
S.  P.  Q.  H.  .  ..uni  sunt,  Gott.,  18S8  ;  J.  Viteau,  Et.  sur  le  gr.  du  N.  T.  Le  verbe  : 
Si/nf.  d.  prop.,  Paris,  1893  (=  Et.  I;  ;  EL  sur  le  [jr.  du  N.  T.,  comp.  avec  celui  des 
Sept.,  Paris,  1896  (Bibl.  de  l'Éc.  d.  H.É.,  f.  114  =  Et.  II)  ;  Grec  bibl.,  dans  le  Dict.  de 
la  Bible,  de  F.  Vigoureux,  f.  XVII,  1900,  312-331;  Tli.  Voarel,  Z.  Charakter.  d.  Luk. 
n.Spr.  u.Slil\  1899;  J.  Waciieruagel,  Hellenislica,  GoU.,1907;  J.  WeUliausen,  iVn/. 
j.  d.  drei  ersl.  Ev.,  Berlin,  1903;  U.  Wilcken,  Gr.  Papyri,  Berlin,  1897;  Wilke- 
Grinim,  Lex.  gr.  lai.  i.  l.  N.  J.*,  Lpzg,  1903  ;  G.B.  Winer,  Gramm.  d.  Xeul.  Spr.i.^, 
Lpzï,  1867;  Winer-Moulton,  A  Treatise  ou  the  gramm.  ofN.  T.  gr.,  Edinb.,  1882; 
Winer-Sclimiedel,  Gramm.  d.  Xeul.  Spr.i.^,  Giitt.  1894,  I  Th.,  Einl.  îi.  Form.l.: 
St.  Witkowski,  Ber.  u.  d.  Lilter.  z.  Koine  a.  d.  J.  1S9S-I90'2,  Jalirb.  ù.  d.  Fortschr. 
d.  cl.  .\lt.w.,  CXX,  1904,  153-236  ;  Th.  Zahn,  Einl.  vi  d.  N.  T.^,  I-II.  Lpzg,  1906-7 
(principal.  I,  24  s.);  G.  v.  Zezschwilz,  Prof.  gr.  ti.  bibl.  Spr.g.,  Lpzg,  1839;  J.  de 
Zwaan,  S'jtif.  d.  Wijzen  e.  tijden  in  h.  Gr  N.  T.,  Haarlem,  1906  adaiitation  en  liol- 
laudais  de:  Burton,  Synt.  of  S.  T.  moods  a.  Tenses,  Ed.,  1898;  v.  cependant  Zwaan, 
p.  3,  n.  1).  —  Nous  ne  mentionnons  ni  tous  les  dict.  ou  lex.  bihliciues  (sauf  excep- 
tions voulues),  ni  les  ouvrages  d'utilité  générale,  collections  de  papyrus,  grammaires 
ni  m^me  granimaiies  spéciales,  telles  que  celles  de  Croiiert,  Nachmanson,  Mavser, 
Meislerhans,  Schweizer,  etc..  etc.  —  Les  caractères  russes,  arméniens  et  arabes,  em- 
ployés dans  cet  article,  viennent  de  l'huprimerie  nationale. 


Le  grec  de  ce  que  Ion  appelle  /a  Septante  ou  les  Septante  \ 
constitue  un  document  de  tout  premier  ordre  au  point  de  vue  de 
riiistoire  de  la  langue  grecque,  nous  entendons  ici  cette  histoire 
dans  son  plein  et  entier  développement,  depuis  les  origines  jus- 
qu'à nos  jours.  La  traduction  grecque  de  la  Bible  tombe  juste  au 
moment  où  la  Ko-.vr,  domine  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée  ; 
elle  est  contemporaine  de  Polybe  (^05-140 -)  ;  elle  apparaît  vers  la 
iin  du  troisième  ou  plutôt  vers  le  commencement  du  deu.xième 
siècle,  elle  est  achevée  en  l'an  13:2  environ  avant  notre  ère^.  La 

1.  Cf.  Nestlé,  art.  Sept.,  438  n,  II  et  n.  *,  sur  la  date  où  l'on  a  dit  en  anglais  the 
Septuagint ;  c'est  aussi  l'usage  en  allemand,  ib.,  438  6.-  il  observe,  468a,  que  le  Dict. 
deVAc.  fr.,  éd.  VII  [1878],  dit  les  Se/?/.,- mais  je  vois  que  dans  Littré,  t.  IV,  1876,  on 
lit  déjà  la  Septante,  d'après  une  ellipse  toute  française  et  des  plus  courantes  :  le  Brie, 
le  Champagne  [du  réglisse-  à  cause  de  jus  ou  bilton  de  r.  -  du  quinine  -  à  cause 
de  sulfate  de  q.  -  sont  encnre  combattus  par  les  grammairiens,  rendus  cette  fois 
plus  attentifs  par  la  terminologie  scientifique^  v.  leUre  d'.V.  Meillct.  Le  .Matin,  26  déc. 
1907,  p.  2,  col.  5,  à  propos  du  débat  récemment  soulevé  ib.,  H  déc.  1907i  au  sujet 
du  dirigeable  Za  ou  le  Patrie, —  La  Septante  est  une  désignation  aujourd'hui  fami- 
lière aux  hébraisants,  et  nous  la  préférons  comme  plus  imiiersonnelle  en  un  sens. 

2.  Cf.  Christ.  Gesc/i.  d.  gr.  Lit.*,  1903,  383,  n.  3. 

3.  A  cette  date,  le  traducteur  du  livre  de  Siracli  connaît  la  version  grecque  dans  son 
ensemble  (à  ce  que  Ion  peul  su])poser  d'après  Sir.  Pr.  '."ijtoO  vôtxovxaî  twv  îrpoçr.TMv  y.al 
Twv  â)>.  (i)v  iiaTf,{fi)v  P'.fi'Atujv),  Stra'-k.  Einl.,  211.  2.  Tel  parait  être  le  point  de  vue  le 
plus  sage  et  !•  plus  prjcis.  Les  exidications  de  H.  Willrich,  ./>id.  u.  Gr.,  Giitt.,  1893, 
33,  l.jV,  surtout  li'i,  sont  peu  convaincantes  et  (luelque  pou  confuses.  Quant  à  Swetc, 


1^  REVUE  DES  ÉTUDES  m\^S 

Septante  se  place  donc,  en  quelque  sorte,  au  milieu  de  ce  long 
espace  de  temps  où  les  documents  s'échelonnent,  à  parlir  d'Homère, 
sans  presque  jamais  nous  faire  défaut,  depuis  trois  mille  ans,  pour 
aboutir  à  la  période  actuelle.  Elle  est  ainsi  à  mi-chemin  du  grec 
ancien  et  du  grec  moderne,  entre  les  deux  ;  elle  arrive  à  l'époque 
oïl  les  dialectes  disparaissent  ou,  si  l'on  veut,  à  l'époque  où, 
d'après  certaines  théories,  ils  s'absorbent  dans  la  langue  commune 
et  même  contribuent  à  la  former  '.  La  Septante  est  le  grand  monu- 
ment de  la  Ivoiv/,.  11  est,  par  conséquent,  essentiel,  il  est  indispen- 
sable de  se  rendre  compte  de  sa  valeur  grammaticale  exacte,  de  la 
mesure  où  elle  peut  être  utilisée,  comme  texte,  dans  une  histoire 
de  la  langue  grecque,  telle  que  nous  venons  de  la  définir. 

La  question,  dans  ces  termes  précis,  n'a  pas  encore  été  posée,  à 
notre  connaissance.  Elle  l'a  été  d'une  autre  façon,  toute  voisine,  il 
est  vrai,  celle  des  Jiébraiimes,  que  nous  examinerons  tout  à  l'heure. 
Voyons  bien  d'abord  ce  dont  il  s'agit  pour  nous.  Lorsque,  par 
exemple,  nous  rencontrons  dans  la  Septante  les  accusatifs  sin- 
guliers masculins  ou  féminins  en  -av  de  la  troisième  déclinaison, 
nous  devons  les  admettre  dans  le  texte.  La  plus  grande  confusion 
règne  à  ce  sujet  dan^  la  critique.  Tâchons  de  clarifier  les  idées. 

Les  exemples  sont  des  plus  nombreux  ;  les  voici  :  alyav  Num. 
lo,  27,  A,  T.  -,  Sw.  App.  ;  àxsîoav  Ex.  10,  4,  A,  it.;  àvOpxxav  Ezech. 

Inlr.,  17-18  et  passim,  il  manifeste  en  général,  quoique  moins  que  Scliiirer,  une  trop 
grande  tendance  à  majorer.  Le  témoignage  du  Déniétrius  des  Slromala,  en  paiticu- 
lior,  ne  paraît  pas  [louvoir  tenir,  puisqu'il  nest  ]ias  authentique,  cf.  Clirist'%  614.  Il 
est,  d'autre  part,  de  toute  évidence  que  la  traduction  n'a  pu  se  faire  d'un  coup,  cf.  Swole, 
Inlr.,  290  (même  pour  le  Pcntateuque,  ib.),  Deissmann,  E.rpos.,  1907  oct.  290  lof.  ib., 
nov.  430).  Il  faut  donc  admettre  avant  132  un  espace  de  temps  au  moins  de  60  à  70  ans. 
Lan  20o  (W  Swete,  17-18)  serait  la  limite  extrême  des  concessions.  Au  commencement, 
il  nu  s'est  jamais  agi  ipie  du  PentatêU(|ue  ;  il  est  clairement  désigné  par  rà  tûv  'loy- 
6ato)v  v6(JLt|xa,  §  10,  ou  par  Triç  yip  vopLoOccrîa;  y-îiiAÉvr,;  Ttàat  xoic  'louSaîotç,  §  I.j  de  la 
lettre  d'Aristée  (v.  Ar.  ad  Ph.  ep.,  P.  Wendland,  Lpzg,  1900,  éd.  avec  Ind.1  :  c'est  l)ien 
la  un  synonyme  de  m:n  Itip  [d.  R.  Simon,  190  6,-  Hody,  167-176  s.);  il  y  en  a  un 
écho  jusque  dans  la  lér/ende  (P.  Wendland,  dans  Kautzsch,  Apokr.  ti.  Vseuilep.  il. 
A.  T.,  Tiil)  ,  II,  1900,  2)  recueillie  par  cet  auteur.  Mais  ceci  m'amènerait  à  certaines 
remarques  sur  le  caractère  liltéraire  de  cet  écrit,  que  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'exposer. 
Sur  la  fable  d'Aristée,  v.  déjà  R.  Simon.  186  s.  et  p.  191  b. 

\.  Cf.  P.  Kretscimer,  E«/s/.  .Malgré  l'admiration  que  je  professe  pour  ce  savant,  je  ne 
saurais  m'associci"  à  sa  théorie.  A  propos  des  ace.  s.  masc.  nu  fém.  de  la  3'  décl.  en 
-av  (ci-dessous),  il  constate,  p.  e.,  ce  phénomène  o  in  mohreren  Dialekien  »,  28  ;  c'est 
donc  un  mouvement  général  de  la  langue.  Quant  au  traitement  i  +  p  =  e  -f-  p,  sou- 
tenir qu'il  est  éolicn  (lO-M),  c'est  ne  tenir  aucun  ronqite  des  aciions  i>hysiologiques  où 
ce  phénomène  se  produit  de  la  même  façon  encore  de  nos  jours  {w  i.  P..  'Pûôa  x. 
Mfî),a.  IV  ( 'A7ro),oyta),  18i  s.  Nous  reprendrons  ailleurs  ce  sujet  plus  en  détail. 

2.  T.=Tiscliendorf,  V.  T.  (jr.,  2  vol.,  1887  éd.  Vil  (Nestlé)  ;  Sw.=  The  0.  T.  in 
gr.y  éd.    II.   It.  Swete.  3  vol.    19(11-190:;  ;  N.  C.  =  notes   critiiiiics   au   lias  des   pages, 


ESSAI  SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  165 

28,  13,  A,  T.,  Sw.  NG.  ;  [iacriÀsav  3  Reg.  1,  45,  A,  T.,  Sw.  NC,  Jer. 
21,  7,  F*,  T.,  î«  S^v.  NC.  ;  ypau-aaTÉav  4  Reg.  22,  3  et  2o,  li),  2  Parai. 
34,  io,  A,  T.,  Sw.  NC.  ;  Yjv'arxav  Rulh  4,  11,  A,  T.,  Sw.  NC.  ;  o.-Àov- 
oav  1  Rog.  2,  19,  A,  T.,  Sw.  App.  ;  IXzioav  Sir.  13,  6,  A,  T.,  Sw.  NC.  ; 
ôcopaxav  I  Reg.  17,  39,  A,  T.,  Sw.  NC.  ;  Uséav  1  Reg.  22,  11,2  Parai. 
34^  9,  1  Esr.  8,  8,  A,  T.,  Sw.  NC,  Jer.  21,  1,  FA*,  T.,  s*  Sw.  NC.  ; 
xo'.Xâoav  2  Reg.  o,  18,  A,  T.,  Sw.  NC.  ;  xo-.Twvav  2  Reg.  13,  10,  A,  T., 
Sw.  NC.  ;  acsioav  1  Reg.  30,  24,  A,  T.,  Sw.  NC;  vûxrav  Ex.  13,  21, 
A,  T.,  Sw.  App.,  1  Reg.  14,  34,  A.  T.,  Sw.  NC.  (dans  A  seulement), 
1  Reg.  19,  il,  24,  2  Reg.  2,  29,  A,  T.,  Sw.  NC  ;  nToÀsaatoav  1  Macc. 
10,  1,  A,  T.,  Sw.  NC.  ;  çayicav  Es.  7,  19.  A,  Sw.  NC.  ;  ^isxav  Jer. 
(2o,  31)  32,  17,  A,  ï.,  î<'  Sw.  NC.  ;  axvroav  Ek.  8,  18,  A,  T.,  Sw. 
App.  ;  o7.ûaYYav  Judith  13,  10,  A,  T.,  Sw.  NC.  :  2>ç.£vav  3  Macc.  3,  47, 
A,  T.  ;  ysTpav  1  Reg.  21,  8,  A,  T.,  Sw.  NC.  ;  Jer!  lo,  6,  Q,  Sw.  NC. 
(Pour  le  N.  T.,  v.  Sturz,  De  dial.  mac,  127-8;  Sopliocles^,  Gr. 
Lex.,  p.  3t)rt,  2  (ôs'./OÉvxav),  K.  Dietericli,  Cnters.,  lo9  ;  Rlass^,  Gr. 
d.  N.  T.  Gr.,  27,  i^  8,  1  ;  etc.,  etc.i 

Ce  phénomène,  de  heaucoup  antérieur  à  la  Septante,  est  très 
ancien  en  grec.  Le  plus  ancien  exemple,  pour  moi,  serait  ixvv  (cf.  'P. 
X.  ^r.,  III,  309  s.,  où  éclaircissements;  de  toutes  façons,  d'ailleurs, 
le  V  y  est  analogique).  Mais  tenons-nous  aux  faits  incontestables 
de  la  tradition  écrite.  Nous  avons  Ar,aY,Tçav  chez  Plat.,  Cral.,  404 R, 
si  les  mss  ne  nous  trompent  pas  —  et  pourquoi  nous  trompe- 
raient-ils? "Ilpav  suit  Ar,u.r,Tçxv  dans  ce  passage  :  donc,  comme  ZY,va 
(v.  V.  Henry,  Et.  .sur  l'analof/ie,  1883,  p.  261)  sur  Mx,  comme  0ôav 
(Hes.  fr.  118,  Rzach,  1902)  d'après  le  nom.  Boa?,  égal  à  vîavîac, 
conmie  ScoxçocttiV  sur7roX';TY,v,  etc.,  etc.  (cf.  Brugmann  Gr.  Gra/ain.^, 
1900,  177  et  221,  §  254).  Il  va  sans  dire  que  Cobet  et  M.  Schanz  (P/. 
op.,  II,  1,  1887,  ad  l.  ,  suivis  par  Burnet  (PL  op.,  i,  Oxf.,  [1895], 
ad  /.),  corrigent  (v.  I.  AY,a/,Tçav,  dans  Sclianz,  /.  /.;  v.  sur  A.v,  Lob. 
Parai.  142  ;  Wagner,  Qwcî'67.  de  cp.  tjr.,  1883,  105,  1,  qui  rai)polle 
le  titre  de  l'hymne  liom.  =■;  A/,aY,T:xv:  Kiihner-Rlass,  i,  I,  42!\  .\. 
13;  G.  Meyer,  Gr.  Granirn.\  I89(),  p.  42(5;  rap[)r.   Perrot,  Erpl. 

coinnic  toujours  chez  T.  ;  mais  Sw.  siimali?  souvent  les  v.  1.  dasis  r.V|(|p.  ;  AppeuJi-V^  . 
celui-ci  |>oite  eu  exeiirue  :  ïva  (ati  ti  à-ô/r,ro(t;  donc,  ce  (/ui  n'a  pus  <riin/jorl(ince  : 
l'éditeur  y  rejette  ce  quil  ne  croit  i  as  essmliel.  On  sait,  au  surplus,  (juaucune  de  ces 
deux  éflitions,  i)as  jdus  celle  de  T.  i|iic'  celle  de  Sw..  n'est  une  édition  critique  et  qu'il 
n'existe  pas  d'édition  crilifjue  pour  le  moment.  Eu  somme,  on  en  est  resté  à  la  Si.'line 
;l.ï8f>)  :  la  ditIVrenee  que  présentent  nos  éditions  modernes  consiste  uniquement  -  ce 
(|ui  assurément  est  quelque  chose  —  dans  le  relevé  des  vaiiantes  d'un  plus  Lrand 
nombre  de  mss  en  onciales  ou  en  minuscules,  et  dans  la  ])référence  donnée  à  l'un  de-; 
mss  principaux  v.  Sweto,  Iitlr.,  12i  s.,  i90  s.),  l'Alexandrinus  (AI,  le  Vaticanus  \iy,  le 
Sinailious  ^S  ou  N),  etc. 


1G6  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

arch  de  la  Gai.  et  de  la  Bith.,  '187'2,  i,  54,  N.  34,  7  et  n.  à  1.  7  p-y^rpav 
pour  [j,7]T£Gav;  postérieurement,  A/([j.r,Tpav,  dans  Sclimid,  Der  Atlic, 
1890,  IV,  58();  Cruuert,  Me7n.  Heic,  11303,  101»,  o,  où  maints  détailsi. 
Épigi'apliiquemeut,  on  relève  :  tjxT-?,sav  Coll.  G.  D.  l.,  I,  GO,  3, 
Edalie,  en  écriture  chypr.  épichorienne,  v«  s.  (Kretschmer,  Entst., 
28)  ;  7.(v)oçgoc(v)Tav  Coll.  G.  D.  /.,  I,  50,  2,  Ed.,  I^-^  quart  du  iv^  s. 
(Kretschmer,  Entst.,  29);  un  autre  à{viop'.â(v)Tav,  plus  récent,  dans 
Hoffmann,  Gr.  Dial.,  i,  1801,  75,  N.  440  (Deecke,  Berl.ph.  \V., 
1880,  1324;  Rev.  arch.,  1887,  ix,  82  =  S.  Reinacli,  Chr.  d'Or.,  i, 
J81)l,  301  [il  est  exact  que  le  <>  v  fmal  est  conlorme  au  dial.  gr.  act. 
de  Ch.  »,  mais  ce  v,  essentiel,  v.  plus  loin,  se  retrouve  aujourd'hui 
dans  bien  d'autres  dialectes,  cf.  J.  P.,  Essais  de  fjramm  hist.  ng., 
II,  1889,  XXXll,  Tô  Taçto'.  [xou,  (1888-)I905^  159  s..  Et.  de  pliilol.  ng., 
1892,  XXIX  s.;  —  v  se  cache  dans  un  plexus  tel  que  7caT£pa[/.u.o'j 
ace;  TraTÉpado'j,  Syra];  Clermont-Ganneau,  Rec.d'arch.  or.,i,  1885, 
198-200;  J.  P.,  'Pa)[jLauV.o  eéaTpo,  1901,  75),  Chypre,  350-300  av.  J.-C.  ; 
àYaX[j.aTocpcooav  Jahr.h.  d.  ôst.  arch.  Inst.  i.  W.,  i,  1898,  p.  199,  1.  13, 
bronze  éléen  d'Olympie,  milieu  du  iv  s.  av..  J.-G.  (cf.  ib.,  197, 
207  s.)  ;  Tàv  xiôvav  (mot  grec  et  non  pas  h.  "irs  ;  développé  dans  un 
travail  en  coui's  ;  cf.  Hody,  115  ;  Gesenius,  Th.,  s.  v.;  Muss-Arnolt, 
Sem.  W.  in  Gr.  a.  Lat.,  Trans.  of  the  arii.  ph.  Ass.,  xxiii,  1892, 
7;  K.  Marti,  Dodekaproph.,  1904,  p.  197,  Am.  5,  20;  nous  Pavons 
dans  l'arm.  »/"-'/',  siun,  cf.  Hûbschmann,  K.  Z.,  XXIII  1875,  34  et 
Ar7n.  Gr.,  i,  2,  490,  N.  308  (cf.  491,  N.  372,  489,  N.  301,  490,  N.  304, 
305i  ;  Meillet,  Esq.  d'une  gr.  conip.  de  l'arm.  cl.,  1903,  10,  12, 
jMf'm.  Soc.  Ling.,  x  (1898),  278;  rappr.  Pedersen,  K.  Z.,  xxxviii 
(1905),  199;  Bopp.,  Gl.  Comp.,  398/^;  Hubschmann,K.  Z.,  xxiii,  17; 
Vv^Wwïii,  Etym.  Worl.b.  d.  gr.  Spr.^,  1905,  s.  v.  xilov;  Pedersen, 
/.  /.,  197,  etc.,  etc.),  Hoffmann,  op.  cit.,  ii,  1893,  p.  10,  N.  7,  l.  40, 
Thessalie,  un  peu  plus  jeune  que  les  précédentes  (Kretschmer,  /.  /.); 
rlpcoav  Ross,  Inscr.  gr.  ined.,  fasc.  2,  Ath.,  1842,  N.  122,  B  4,  l.  30, 
pas  antérieure  au  ii<=  s.,  A.  D.  {ib.,  p.  30;  écrit  T,poav  =  1.  G.,  Xll, 
f.  7  (Delamarre),  1908,  394,  B  [1.  4]);  x»-p'Tav  Kaibel,  Ep.  gr.,  1878, 
N.  107,  0,  Atlique;  àvopav  C.  1.  G.,  I,  1781,  1,  Tliessalio.  ép.  rom.; 
•yjvatxav  Rev.  circh.,  1879,  t.  37,  282,  Thasos,  postérieure  à  l'an  27 
av.  J.-C.,  Latyschev,  Inscr.  ant.  or.  s.  P.  E.,  i,  1885,  p.  141,  N.  MO, 
3,  Olbia;  ib.,  1.  4  OuyaTÉpav,  «  ïraiano  non  vetustior  »,  d'après 
Boeckh,  ib.;axr^liZ<x[w,  ib.,  p.  149,  N.  118,  3  «  aMatis  admodum  recen- 
tis  »  ;  7X](opÔTY,Tav  Perrot,  Gai.,  i,  N.  91,  m,  1.  10;  cf.  p.  132,  n.  à 
1.  10:  Xi|j.£vav  C.  I.  A.,  m,  1379,  7,  ïrarpcSav  ib.,  1.  Il  (Meisterhans, 
Gramm.  d.  att.  Inschr.^,  1900,  130,  7;  J.  P.,  'Pw.  ôé.,  75',  ii«  ou 
111°  s.,  A.  D. 


ESSAI  SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  i<)T 

A  travers  los  papyrus  :  (XT,TÉfav  A.  Peyroii,  Pap.  (jr.  reg.  Taur. 
M.  .Efj.y  I,  18-20,  ±2,  l'i).  roin.;  Pap.  Liip.  {=  Not.  et  exti\,  xviii) 
XVIII,  o,  p.  ^33,  o,  J.  1*.,  Essais  de  gramm.  hist.  ng.,  ii,  1889,  140; 
Volker,  Pap.  gr.  st/nl.  sp.,  1900,  'à^\  Mayscr,  Gramm.  d.  gr.  Pap. 
ans  d.  Pt.z.,  1900,  199.  ép.  rom.  ;  /Tsav  Pap.  Liip.,  l,  20,  p.  322,  20, 
100  av.  J.-C,  Essais,  L  /.;  Volker,  Mayser,  //.  //.  ;  rappr.  ttïv  tôv 
TÔTTov  Pap.  Liip..  xxxvii,  11,  p.  298,  11,  103  av.  J.-C,  Essais,  ii,  147 
lOù  expliqué; cl".  ib.,\L\  ÈÀÉc&av,  etc.)  ;  Volker,/.  /.,où  a7rav-av[/p>>/o[vl 
(/;.  G.  i'.,  II,  1898.  000.  23.  175/170  A.  D.),  Mayser,  /.  /.  ;  -z'-oot, 
Kenyon.  CL  T.  fr.  Pap.,  1891.  p.  102,  40,  i^^  s.  av.  J.-C.  Mayseï-, 
/.  /.;  d'autre  paît,  on  ti-ouvera  les  exemples  suivants  chez  Dietc- 

l'ich,  Unters.^  lo9  :   v-jvaïxav  (187-8  A.D.),  ooy.xov-av^  /.ô[X'.Tav,  [x-fiTÉpxv 

(ii«-iii°  s.  A.  D.),  v'jxTEiîoav;  cliez  Volker,  /.  /.  ;  x'.vàv  a-jpxv  (m"  s. 
A.  D.),  V.  ci-dessus;  chez  Mayser,  /.  /.  ;  OuyaTÉçr/  (n'^-in^  s.  A.  D.), 

îcppayïoav  (197  A.  D.  ,   Kxsavroav  (1  lo  A.  D.),  -a?oav  (189  A.  D.),  xpîzo- 

oav.  /Tjav  (lo2-3  A.  D.  .  xa-y.  [j-rp/av  (ép.  l'om.).  Pour  la  bibliographie 
générale  du  sujet,  il  faut  ajouter  aux  indications  incomplètes  de 
Mayser,  287,  1  :  Lob.  Parai.  142;  Mullach,  Gr.  d.  gr.  Valg.spr., 
1830,  22,  162  (où  bibliographie  ;  Sophocles,  Gloss.  of  lat.  a.  hgz. 
gr.,  London,  1800.  p.  84,  2=  Gr.  Le.r.  of  the  rom.  a.  bgz.  pcr., 
1887,  30,  «,  2  (et  non  4,  Dieterich,  Unters  ,  100)'  ;  Le  Bas-Wadding- 
ton,  m,  1,  texte,  1870,  p.  VI,  s.  vi,  2418,  1.  2  où  il  faut  maintenir 
Ousioav);  Maupo<ppuoT,ç,  Aox^a..  1871,  490;  PeiTOt,  Gai.,  I,  1872,  129; 
C  Wessely,  Proieg.  ad  Pap.  gr.  mjv.  coll.  éd.,  Vind.,  1883,  Oo 
(où  dans  a7ro7rp-f,po'jTav,  W.  a  reconnu  àTro-ÀY.çoovxavi  ;  J.  P.,  Essais,  i, 
1880.  190,  II.  1889,  xxxi,  140  (où  neuf  collections  de  pap.  dépouil- 
lées, p.  140-149,  souvent  citées  depuis,  toujours  sans  renvois); 
W.  Meyer,  S.  Portius,  1889,  127-8  (Bibl.  de  TÉ.  d.  H.-É.,  f.  78^, 
Kuhner-Blass,  i.  1.  1890.  413-4,  A.  o;  Viteau,  Et.,  I,  1893,  p.  \^  ; 
Gregory.  Proieg.,  1894,  118  et  n.  3  i=  ïisch.,  N.  J.^,Hi  IIIi;  Jan- 
naris,  Hist.  gr.  Gramm.,  1897.  p.  342,  0;  J.  P.  't^ou  dé.,  1901.  73; 
Cronert,  Mem.  gr.  herc.,  1903,  )09,  4.  Corriger,  chez  Mayser,  287, 
1  :  Schweyzer.  130.  pas  110;  dans  Wagner.  Qiiœst.  (v.  3Iayser,  ib.], 
bibliographie,  p.  101  s.  et  nombreux  exemples,  dont  èaév,  etc.) 

Voyons  maintenant  l'importance  de  ce  -v  pour  les  temps  moder- 
nes. Elle  est  énorme.  Fîjvaïxav,  une  fois  entraîné  par  vÀojT^av,  à 
cause  delà  également  bref  des  deux  accusatifs,  a  donné  un  nomi- 
natif Y'jvzTxa,  d'après  yXwitx:  avo:av  a  suivi  Y'jvxïxav  et,  de  même. 

1.  Au  sujet  df  CCS  deux  édilioiis  de  Soiiliodes,  il  est  hou  de  renianiuer,  ce  (]n.'  T. m 
ue  sait  lias  toujuui»,  (juc  la  troi.siènie  a  oublie  de  reproduire  VAppendix.  Modem 
Greck  l'eriod,  (\ai  se  trouve  dans  la  première  (p.  •••70  s.). 


168  HEVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

est  vemonlé  à  àvoiaç,  nomJ  ;  en  d'autres  termes,  sans  ce  -v  ana- 
logique, les  imparisyllabiques  masculins  et  féminins  (ie  la  troisième 
déclinaison  ancienne,  ne  seraient  pas  tous  aujourd'hui  devenus 
des  parisyllabiques,  ce  qui  amène  dans  le  système  de  la  déclinaison 
une  transformation  radicale  v.  plus  loin  .  11  n'y  a  donc  pas  moyen 
de  négliger  un  fait  giammatical  aussi  considérable. 

Voici  cependant  l'attitude  de  la  critique  à  cet  égard.  On  a  vu  plus 
haut  que  Swete  rejetait  ces  leçons  tantôt  au  bas  des  pages,  tanlùt 
à  l'Appendix  ;  il  ne  sait  encore  à  quoi  se  décider.  Les  autres  ne 
cachent  pas  leur  dédain  :  /âçiTav  «  forma  non  magis  barbara  quam 
v-ÀTT'.^a  ib.^  »,  dit  Kaibel,  Ep.  gr.,  X.  1(17.  6,  p.  o9  ;  «  Aufnahme 
verdienen  sie  nicht  »,  observe  Blass  placidement,  Gr.-,  '27,  §8,  1. 
Cela  nous  paraît  contraire  à  tout  esprit  historique.  H.  a.  R.,  dans 
leur  Concordance,  ne  daignent  pas  relever  les  var.  avec  -v  (cf.  Deiss- 
mann,  Blb.st.,  13o,  qui  signale  chez  eux  le  mot  xa6'  suivi  d'un 
point  d'interrogation  !).  Helbing,  mieux  averti,  donne  des  raisons 
plus  sérieuses,  p.  x  et  p.  oO  :  ces  -av.  dit-il,  se  trouvent  surtout 
dans  A  ;  B  et  N  en  paraissent  affranchis,  alors  que  A  d'ordinaire 
partage  ses  vulgarismes  avec  î«  ;  en  outre,  les  papyrus  de  l'époque 
ptolémaïquene  présentent  pas  beaucoup  de  ces  formes  (v.  la  même 
remarque  chez  Mayser,  198-199  ;  elles  sont  donc  «  sicher  spilteren 
Ursprungs  und  auszusclieiden  ». 

Aucune  de  ces  raisons  ne  tient  contre  la  grammaire  historique. 
C'est  ici  la  critique  verbale  qui  doit  s'inspirer  d'elle  et  non  point 
la  dominer.  11  est  inexact,  on  l'a  déjà  vu,  que  ces  accusatifs  soient 
d'origine  postérieure.  Leur  peu  de  fréquence  à  l'époque  ptolé- 
ma'ique  ne  prouve  rien  ;  ils  sont  tout  aussi  rares  aux  autres 
époques,  avant  le  x"  s.  L'essentiel  est  que  ces  formes  ne  sont  point 
ua  accident;  leurs  apparitions,  sporadiques  à  l'origine,  accrues 
plus  tard,  nous  représentent  un  développement  continu.  Nous 
avons  montré  et  même  démontré  ailleurs  [Essais,  1, 9l)-l  elpassim \ 
avec  quelle  lenteur  se  répandent  en  grec  les  phénomènes  analo- 
giques, jusqu'à  leur  complot  triomphe  v.  aussi  A.  Thumb,  lif/z. 
Z.,  IX    19UU,,  390;  cf.  Yiteau,  Et.  J.,  p.  iii-iv  .  Il  s'agit  donc  de  bien 

i.  J'adopte  l'explication  de  Kretscliner,  EnlsL,  28.  Elle  rend  conijite  des  exciniilc 
les  plus  anciens  (iv  et  v  s.),  tanrlis  que  celle  de  Dietoricli,  l'nleis..  lu!),  et  la  mienne, 
'Pw.  Os',,  l'6  (ci'.  Essais.  1,  ISSC),  00-1  i  supposent  poui'  cuniniencer,  ropav  et  v£avtov  avec 
un  a  bref;  les  masc.  du  paradigne  vîivîoç  constituent,  au  surplus,  des  types  assez 
rares.  Le  processus,  à  ma  connaissance,  a  été  indiqué  pour  la  première  fois  par  Soplio- 
cles,  Gloss.,  1!S60,  p.  84,  2  (—  Gr.  Lex.,  1887,  36,  o,  2>,  puis  expliqué  complètement 
par  Wajrner,  Quaesl.  ep.,  18SU,  101  s.,  surtout  106-7  ;  nieutioiiué  aujourd'hui  dans 
Kùluier-Blass,  1,  1,  41-i  (.\nm.  5);  v.  ci-dessous,  p.  16'J. 


ESSAI   SUK   LK  GKEC   DE   LA  SEPTANTE  169 

voira  quelle  époque  pullulent  les  v  analogiques,  à  quelle  aulre  ils 
commencent  à  se  montrer;ce  travailaété  tenti-dans  les  Essais,  t.  H. 
si  l'on  veut  bien  se  donner  la  peine  de  comparer,  dans  le  tahleau 
que  nous  y  dressons,  des  textes  où  ces  -v  sont  rares  ou  absents,  tels 
que  Pap.  Lup.,  etc.,  Gloss.  Laod  ,  Interpvet.  Montep.,  Uali)(ji\r<a, 
etc.,  d'une  part,  d'autre  part  des  textes  tels  que  Prodr.,  Sponras, 
etc.,  où  ils  abondent.  11  est  donc  tout  à  fait  de  règle  que  dans  la 
Septante  il  y  en  ait  peu;  mais  il  est  tout  aussi  de  rùgle  qu'il  y  en 
ait;  il  faut  bien  que  ces  accusatifs  paraissent  quelque  part;  on  ne 
comprend  pas  i)ourquoi  ce  ne  serait  pas  là  et  à  cette  époque,  puis- 
qu'il y  en  a  d'antérieurs  et  de  contemporains  dans  les  papyrus 
mêmes. 

L'argument  de  l'Alexandrinus  est  faible.  En  réalité,  une  confusion 
extrême  règne  en  ces  matières  chez  les  éditeurs  et  chez  les  gram- 
maii'iens.  parce  qu'ils  ne  savent  pas  chercher  dans  le  grec  moderne 
le  point  d'appui  nécessaire.  Ezecb.,  -28,  18.  Swele  signale  aux  N.  C. 
avOpzxx  d'après  A  ;  cela  signiûe  qu'il  le  rejette  ;  mais  il  admet  dans  le 
texte  Tiiv  ci-dessus  ;  Mullach.  :216  ;  Soph.^  ;5().  a;  Essais,  II,  xliv-v, 
U7  Pap.  Lup.  ,  loi),  etc..  v.  Y  liai,  vcrb.,  818  «;  Belléli,  Rev.  d. 
Et  gi'.,  \\\  1890,  304.  v.  ^\  ;  Thumb,  Prinz.,  250;  Mayser,  278,  a; 
Helbing.  ol  ÀîOov,  malgré -ivrx  donné  par  A;  Tischendorf  agit  de 
même,  tout  en  étant  seul  à  noter  -avra  ;  on  ne  voit  pas  du  tout  la 
raison.  7:av  ace.  m.  étant  moins  intéressant  que  avOsaxav  pour  le 
développement  ultérieur  du  grec.  Voici  ([ui  est  plus  frappant  : 
2  Parai.  25,  15,  Swele  imprime  sl-av,  alors  que  A  poite  sl-ov  ;  Ruth, 
4.  Il,  Tischendorf  va  jusqu'à  se  décider  pour  crzoTav  '  \hi$\,  quand 
il  y  a  dans  K  i'.ht.^)  la  seconde  fois  ;  mais  il  recule  devant  v-jvxTxav. 
î6.;S\vete  également;  enfin,  Helbing,  p.  02,  déclare  ct-a  fort  accep- 
table. H.  et  R.  donnent  cï-x  et  slTrav,  Personne  ne  songe  à  corriger. 
Pounjuoi  cela?  Ici  la  raison  apparaît  nettement  :  on  n'a  pas  encoi'e 
pris  son  parti  de  l'ace,  -av,  parce  qu'on  ne  s'est  pas  encore  fami- 
liarisé avec  lui  et  qu'on  le  suspecte,  tandis  que  sl^ra,  d'explication 
plus  abordable  îItix  sur  lluix  ,  déjà  dans  Selon  cf.  Blass,  Tlicol. 
Literz.,  \IX,  1894,  N.  18,  p.  389  est  enregistré  depuis  longtemps 
dans  toutes  les  grammaires  de  grec  ancien  et  n'étonne  |)lus.  La 
preuve  en  est  facile  :  R  Kiihner,  Aiisf.  Gr.,  I.  l S.i')':).  p.  817,  men- 
tionne et  commente  tl-Kx;  il  est  muet  sur  -av  et  sur  -a;  au  même 
paragraphe  118  cf.  Anm.  4  ,  où  Blass  se  voit  déjà  obligé  d'ajouter 
une  Anm.  5  sur  ces  formes  v.  Kiibner-Blass,  I,  1.  i^':)0,  p.  418-4!. 

1.  Cf.  àTtr./Ooaav.   Foucart,   S.  C.  (lOUii  ,   4U-1;    U).,  iiii'xr.çi.'i,  ol.  Ces   formes   n'ont 
((Oint  prospéré  dans  lu  Kciivr;  moderne. 


170  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

C'est  (Jonc  toujours  le  préjugé  classique;  il  se  montre  naïvement 
dans  Blass-,  27,  i^  8,  1,  où,  après  avoir  dédaigneusement  passé  à 
côté  de  àffTÉçav  (v.  ci  dessus),  il  honore  d'une  remarque  plus  indul- 
gente les  accusatifs  absolument  similaires  en  -  y.v  «  aucli  dem 
Allischen  nicht  fremd  »,  parce  que  tg'.Yjpy,v,  AY|(jloc;Oïvy,v.  Scoxç'y.TY,v, 
etc.,  traînent  partout.  Mais  il  perd  patience  à  propos  de  -  y,v,  con- 
traire au  canon  atlique  :  f.  unglaubhaft  N  ï.  à7cpaÀY,v  jAccent  ?)  »  - 
naturellement,  i.Goc^l■}^v  [Essais,  II,  ItSRi.  Helbing.  oOo,  repousse  ces 
ace.  en  -y,v  avec  ceux  en  av,  voulant  sans  doute  une  Septante  plus 
atlique  que  le  v^  s.  (sur  ces  adj.,  v.  Sturz,  127  ;  Essais,  II.  aux  (WDr- 
rents  textes  ;  G.  Meyer',  p.  428  ;  Jannaris.  5i2,  G  —  en  App.  seule- 
ment, dans  une  grammaire  historique  laite  par  un  Grec  —  Schweyzer, 
158,  l^ùô,  Moulton,  Gr.,  49,  Mayser,  199,  etc.,  etc.). 

Or,  il  faut  bien  se  rendre  compte  de  ceci,  c'est  que  les  motifs 
qui  constituent  la  valeur  de  sma  sont  exactement  ceux  qui  consti- 
tuent la  valeur  des  accusatifs  en  -av,  hxtIo^v.  etc.  Les  apparitions 
sporadiques  dans  les  textes  anciens  de  phénomènes  de  ce  genre, 
n'ont  d'importance  que  si  on  les  voit  plus  tard  se  généraliser.  Il 
est  par  trop  évident  que  si  slua  et  que  si  TTaxÉsav  n'avaient  ni  atta- 
ches dans  le  passé,  ni  rayonnement  posléi-ieur,  ce  seraient  des 
manifestations  isolées,  individuelles,  éphémères  du  langage,  aux- 
quelles il  ne  conviendrait  pas  d'attacher  une  trop  grande  impor- 
tance. Tel  n'est  pas  ici  le  cas  et  c'est  le  développement  de  ces  formes 
à  travers  les  siècles,  leur  triomphe  détinitif  dans  le  grec  moderne 
qui  les  met  en  plein  relief.  Mais  e^Tra  n'a  pas  triomphé  plus  que 
îtaTÉpav.  Nous  avous  expliqué  comment  c'est  grâce  à  cet  accusatif 
que  les  parisyllabiques  ont  pu  se  former  et  arriver  à  une  domina- 
tion absolue.  Cette  considération  est  essentielle.  De  même  que 
nulle  part  en  Grèce  aujourd'hui  ekov  ou  tout  autre  -ov  n'ont  sur- 
vécu, de  même  tous  les  imparisyllabiques  masculins  et  féminins  de 
la  troisième  déclinaison  ancienne  ont  cédé  la  place  à  des  parisyl- 
labiques. Dès  lors,  ils  sont  aussi  légitimes  que  s^ira.  Sans  doute, 
si  on  lit  les  journaux  grecs  ou  les  comptes  l'cndus  de  la  Chambre 
des  Députés  de  Grèce,  on  vejra  lleurir  des  imparisyllabi([nes  sur 
toule  la  ligne.  l>ien  plus  :  on  pouira,  dans  la  conversation,  à 
Athènes  ou  ailleurs,  en  rccueillii"  de  nombicux  échanlillons.  Nous 
nous  adi'cssons  ici  à  un  public  averti  e(  ce  public  là  n'ignore  point 
que  les  imparisyllabiques  auxquels  nous  faisons  allusion,  n'ont 
aucune  autorité  srientifique.  Il  n'y  a  guère  qu'en  Grèce  que  Ion 
pense  ditléremment.  La  chose  est  pourtant  claire.  Ces  imparisylla- 
biques viennent  des  livres  et  de  l'école,  où  ils  ont  pénétré  par  les 
livres.   Ils  ne  reposent  donc  sur  aucune  tradition.  La   tradition 


ESSAI  SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  171 

écrite  est  indifférente,  étant  ou  n'étant  pas,  suivant  qu'on  y  a  ou 
qu'on  n'y  a  pas  recours.  Supposons,  par  un  miracle  —  il  ne  fau- 
diait  pas  moins  —  que  la  Grèce  entière  anjourd'hui  se  mette  à 
imparisyllabiser.  Ces  imparisyllabiques  ne  prouveraient  rien.  Le 
mot  ministère  ne  prouve  point  que  le  français  vient  du  latin.  L'al- 
lemand empruntera  tout  aussi  bien  ministerium  au  latin  livresque. 
Le  vulgaire  métier  témoigne  seul  d'une  trituration  ininterrompue, 
par  conséquent  d'une  tradition.  Que  les  puristes  grecs,  férus  d'une 
résurrection  uniquement  typographique  des  formes  anciennes  - 
-aTY|P  est  pi'ononcé  -Kxziz,  'r^^xizoL'.  est  prononcé  taîss  -  méprisent  les 
imparisyllabiques  -arépaç  ou  les  pluriels  [xsssç,  c'est  leur  affaire.  Il 
ne  faut  pas  que  des  savants  sérieux  se  laissent  prendre  à  de  pareils 
jeux.  Nous  verrons  plus  loin  p.  180  qu'il  y  a  eu  quelques  méprises 
dans  ce  sens,  quelques  confusions  malencontreuses  entre  la  langue 
liviesque  et  le  grec  vivant.  Plus  une  forme  est  vulgaire  dans  la 
Septante,  plus  elle  mérite  notre  respect,  c'est-à-dire  notre  étude. 
Les  précurseurs  de  ces  parisyllabiques,  devenus  plus  tard  monnaie 
courante,  ont  donc  tous  les  droits  de  figurer  dans  un  texte  bien 
établi  et  il  faut  beaucoup  de  critique,  il  faut  une  sévère  informa- 
tion historique  et  grammaticale,  il  faut  une  réllexion  très  délicate, 
avant  de  les  en  exclure  '. 

Je  ne  puis  entrer  dans  le  même  détail  pour  tout.  Je  note  en  cou- 
rant, pour  la  morphologie  de  la  Septante  :  /s-ixappoç,   àosÀ'^-.oôç, 

"s'iv/yav.  y;a-r,v,  etc.    Swete,  Intr.,  8Uo  ,  'ji'(tax:,  v.xr/y.nx'.,    xoiai-rx'.     cf. 

4»'.À7,vTa;,  ±^H,  t.  11,  SOUS  presse),  l'absence  de  l'augment  ib.,  i!)7, 
cf.  XwxpiTY,;,  I,  320,  Ath.,  1874.,  la  confusion  de  l'opt.,  du  subj  et 
de  lindic.  (<I".à/,vt3:;,  290,  §  008,  cf.  ^  803),  la  disparition  de  l'oplalif 
\ib.,  280  ,  le  passif  pour  le  moyen  yz-^t^hi^zM  tô  hilr^u.i  n<j<j-,  Mattli., 

1.  Dans  la  Koivr,  inoilenio,  y.avets,  xaOeî;,  gén.  xavevô;,  xa6ivô;,  âvôç,  pronoms,  sont 
les  seuls  impariNyllai)i(iues  subsistants  de  la  catégorie  que  nous  étudions.  Les  inijiar. 
neutres  lîpàtxa,  TrpotaâTO'j,  les  niasc.  et  fém.  [j.avvâoc;,  TtxTcpâSe;,  au  phir.,  apitarlieu- 
nent  à  un  autie  ordre  d'idées. 

2.  Cf.  B.  Weiss,  Das  Af.-Ev.,  Gott.,  1898,  p.  1:!4  :  i  Genieinf  ist  der  geljieteude 
Wille  Gottes  »,  6[v.;fial  voluntas,  ete.  Mais  Oé)r,aa  n'est  pas  OéXyiciî,  voloulê;  0£)r,jj.a 
désigne  le  vouloir  conceulré  sur  un  moment,  sur  un  acte,  l'ordre,  le  commandement: 
c'est  ainsi  que  [tar  une  dérivation  de  sens  tnute  naturelle,  on  dit  aujourd'liui  ëva  «aifi't 
TToù  xâvci  0£).iî[iaTa  =  qui  oitéit  à  son  patron,  exécute  ses  ordres,  fait  ses  courses,  ses 
commissions,  etc.  Dans  l'ÉijIise  primitive,  il  faut  se  représenter  le  langaire  lommc  beau- 
couji  plus  familier  ;  ou  était  en  communication  quotidienne  avec  Dieu  et  l'im  sait  que 
pour  saitit  Paul,  p.  e\.,  la  vie  terrestre  de  Jésus  et  sa  vie  d'onfre-t..mbe  constituaient  une 
seule  et  même  existence,  sans  aucune  solution  de  continuité  liistoricpie,  v.  Deissmann, 
Im  N.  J.,  p.  80,  où  très  (ine  analyse  ;  v.  E.  Renan,  les  premiers  chapitres  des  Apnfres, 
etc.,  etc.  Les  exemples  et  les  remarques  de  Cromer,  Bibl.  tli.  Wiirl.b.,  p.  414,  cadrent 
assez  bien  avec  ce  que  nous  proposons. 


172  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

0,  10,  cf.  «I>tX.,  274,  3,  mais  Rutli.,  2,  42,  yÉvotTo  ô  a-.^Oôî  to-j  tià/.st.çI, 
O'jyâTYip  pour  O'jyaTep  Ruth,  2,  22,  A,  V  Swete,  Inlr.,  80()  ;  ce  voca- 
tif est  un  lénioin  précieux  de  la  prédominance  analof^ique  de  la 
voyelle  du  nom.  aux  autres  cas,  tendance  des  plus  anciennes,  cf. 
J.  P.,  "P.  X.  M.,  III,  309  s.  ;  cf.  Traxv,  voc.,Nageli,  Wortsch.,  13,  1, 
etc.,  etc.  ;  pour  l'accent  du  nom.,  v.  àosXcpÉ,  Gen..  33,  0  ;  pour  la 
syntaxe  :  aosç  IxêàXw  (cf.  Tlnimb,  A.  f  Pap.f.,  III.  462.  ôV^v 
sicry-ç/ETo  (Geu  ,  38,  9;  Swete.  Inlr.,  30(1,  Vva  avec  Findic,  âàv  oToau-cv 
(N.  T.  ;  *'.X..  284;  cf.  Blass,  qui  résiste,  Theol.  LUer.z.,W\  1894  . 
N.  43,  339i,  certaines  anacoluthes  telles  que  lowv  Zï  <I>apxco...  y,  xaçoia 

«^apaoj    lEx.,   9.  7  '  ;   Swete,  Intr.,   300,  irapà  dans  txéyaç  Ttaii   Tr-ivTx; 

l'cf.  prœler;  Swete,  iô.i,  l'infinitif  substantifié  \ib.  ;  cf.  Hesseling, 
dans  J.  P.,  Et  ng..  4  s.)  ;  pour  le  vocabulaire  :  oô-.vôttwooç^  ^Thumb, 
HfilL,  19,  A.  f.  Pap.f.,  III,  4()o  ;  ajoutez  :  'iO'.voTrcopiffjxôç,  Terre- 
muzza,  Iscr.  Palcnn.,  4762,  XXIX,  v  ib.),  etc.,  etc.,  v.  plus  loin  ; 
pour  la  pbonéti(|ue  :  Tsc-TsoâxovTa  (cf.  xEcnapeç  poaç  Num.,  7,  7,  indi- 
qué dans  T.,  Prol.,  56,  comme  notabile,  non  signalé  au  passage 
même),  tieïv,  rafjLstov^,  èyOÉç  iSwetè,  M//'.,  301-2,  Moulton,  Gr.,  45\ 
(7(p  =  'b  (Frankel,  Vont.,  192,  n.  G-,  ôàîoç  [Essais,  II,  lxx,  1  et  142, 
dans  Pap.  LeicL.  II,  125,  col.  4.  17  ;  Krumbacber, /yva/.  -Sp.,  1886, 
366  ;  J.  P.,  R.  C  ,  1888, 364-370  ;  Tlmmb.,  Hell ,  187,  etc.,  etc.),  xçau-/,, 
ç-£U£iv  'surtout  dansN  .  ÈTricavTtÇc-.v  Swete,  /«^z'..  301 1  ;  voilà  une  série 
de  phénomènes  qu'il  faut  examiner  rigoureusement,  avant  de  les 
proscrire.  On  ne  saurait  surtout  être  assez  attentif  en  fait  de  i)ho- 
nétique  :  T.  ProL,  56  (cf.  'AvTwvcâoT|Ç,  443  relève  opOo'j  oçO-.^;; 
!^  c-iOp.j  dans  A  (cf.  T.  ib.,  Ex.,  34,  4,  où  ces  mois  figurent  entre 
parenthèses)  ;  or,  Philintas  a  prouvé  (I,  209,  §  589,  cf.  76,  î^  255) 

i.  11  est  vrai  iinu  toutes  les  laugues  iiréseiiteiit  do  eus  aiiacoliitlies,  même  les  idus 
classiiiues.  Cf.  Racine,  Bér.,  I,  iv,  v.  239  (HaclieUe)  : 

Mais  eiilin,  suceoiubaiit  à  ma  mélaiiculie, 
.Mou  désespoir  porta  mes  pas  veis  l'Italie. 

2.  Le  gr.  class.  dit  ôîtiôpcx  cf.  J.B.  Mayor,  <I>0tvo7ta>piv6.:,  ExposUor,  Febr.,  1904, 
s.  VI,  N.  L.,  99;  ^Otv.,  ib..  101),  mot  aujourd'hui  disparu.  XuvÔTiwpo;  (paiétyniologie 
de  çOtv-yT:.,  f/iii  verse  dex  fruils,  XaT^r.o.,  je  ne  sais  |dus  où)  doit  ùtrc  ancien  eu  sv. 
niod.,  jiuisqu'il  ne  peut  (pie  remonter  à  une  époque  où  ou  avait  encore  le  sentiment 
de  ônwpa  (itwpf/à  me  parait  d'oiiuiuc  savante.  —  On  lit  oOivÔTCCDpo;  «  aulnmne  »  d.ins 
Hipjiocr.  Épid.,  I,  8  (éd.  et  Irad.  Littré,  t.  11.  1S4(I.  ti42-3  ;  ce  livre  est  autlieuti(|uc, 
V.  Littré,  I,  29;i);  cf.  ÔEpivri;  xcti  (lETomopivï):  Mi^r^-^  Hipp.  tv.  SiaÎT.  ÔÇ.  {de  rai.  l'icl.. 
etc.)  dans  les  '«ôôa,  Littré,  11.  4"i(). 

3.  Cf.  'P.  -A.  M.,  I,  120.  Pour  une  nrcillf  attentive,  les  mois  savants  SiT,YY,aa. 
SirjYoO[j.o(i,  r.oiTii'.ç,  hoiyittjC,  etc.,  dans  des  bouches  savantes,  n'ont  jamais  deux  / 
consécutifs  disUncts  ;  l'un  des  <leu\  se  réduit  {li.'isai.^.  11.  LIV  s.)  et  très  souveid  dis- 
jjar.iit.  l'our  ôriY^iiia,  (Jri-{o\ni.a\.,  5riYr)0r,y.a,  c'est  chose  faite. 


ESSAI   SUR   LE   GREC  DE   LA   SEPTANTE  173 

que  la  chute  du  second  s  a  lieu  encore  aujourdliui  dans  àpOo  = 
àiOpov.  terme  d'origine  savante 

Je  me  résume.  Swete,  Iiitr  ,  ;Wl-:2,  s'exprime  ainsi  :  «  Anoi-mal 
spelling  sucli  as  thèse  occur  on  every  page  of  an  uncial  ms  of 
Ihe  LXX  and  sometimes  cause  great  perplexily  lo  an  editor  of  the 
text,  »  Celle  pe)-p/e.rit/'  disparaîtra  le  jour  où  Ion  prendra  sérieu- 
sement en  considération  révolution  postérieure  du  grec.  Nous 
devons  poser  comme  principe  inéluctable  que,  sans  le  grec 
moderne,  il  n  y  a  pas  de  conslitiilion  possible  du  texte  de  la  Sep- 
tante. Elle  n'est  un  document  linguistique  qu  a  ce  prix  '. 

*** 

Jusqu'ici  nous  avons  examiné  le  texte  de  la  Septante  en  lui- 
même.  Il  est  toutefois  évident  que  si,  pour  une  raison  quelconque, 
il  s'y  trouve  des  hébraïsmes,  elle  cesse,  là  ou  il  y  en  a,  de  mériter 
la  confiance  de  Thelléniste.  Le  grand  mérite  de  M  A.  Deissmann, 
dès  ses  débuts,  peut-on  dire  dès  son  ouvrage  Im  Namrn  Joxu,  est 
d'avoir  apporté  à  la  solution  de  ce  problème  la  méthode  philolo- 
gique véritable  et  d'avoir  largement  éclairci  la  question  dans  ses 
autres  travaux.  Présentement,  sa  doctrine  se  trouve  exposée  pour 
le  mieux  dans  son  article  Hclleni^itUches  Gricc/iisc//  de  la  //.  Enc. 
de  Herzog-'.  Il  y  fait  justice  —  là  et  ailleurs  —  de  toutes  les  quali- 
fications subies  par  le  texte  de  la  Septante,  où  l'on  voulait  voir,  où 
l'on  veut  voir  encore,  tantôt  un  hcl/c/iisiischcs  Idioni  cf.  Deissm., 
Herzog',  6:29,  !2I)  —  ce  qui  revient  à  àxve  grec  judaïque  ou  Jihlen- 
(/ricchisch    cf.  ib.,  (^H,   18-17    —  tantôt  un  bib/isc/tes  GrierJihch 

cf.  ib,  terme  différencié  par  quelques-uns  en  Scptiiar/inta  (iric- 
clihch  ou  Neutestamentlichea  Griechisch,  élargi  par  d'autres  en 
christ/iches  Or.  ou  même  en  /circhllchcs    cf.  ib  ,  634  "loSA  .  Blass 

TheoL  Liler  z  ,  XIX,  18U4,  N.  13,  p.  338,  c.  r.  de  Viteau.  Et.  I  \ 
parle  d'un  grec  du  N.  T.  qui  serait  a  ein  besonderes,  seinen  eige- 

1.  Le  texte  héhreu  Iiii-inènie  est  pivcieuK  pipur  lliistniie  tlu  grec,  dans  les  trans- 
criptions, relies  des  noms  |iro|irfs,  par  exemple.  On  sait  que  l'iinuf/e  cnidilive,  iniiiri- 
mée  par  avance  dans  le  cerveau,  produit  ce  que  nous  appelons  rassiniilalion  réijn'S- 
sive  :  â;a5va  £?.),  ôtiTrpô;  i.),  etc.,  etc.  (cf.  J.  P.,  Byz.  Z.  XVI  fl90G  ,  16.j,  à  P.  41.3, 
V.  9  .  Ce  phénomène  apparaît  chez  les  Septante  où  le  schewa  est  assimilé  à  la  vo\. 
suivante  :  Ba).adt[i  =  QyVa,  ï.ooo\La.  =  dHd.  même  1"/  :  «Pâ-rya  =  r;a02.  Maptàu. 
=  0^173  •  V.  Kiankel,  ]'ors(.,  121  ;  l'étude  serait  à  reprendre  au  i)oiiit  de  vue  moderne. 
—  Pour  lies  phénomi-nes  analof-^ues  en  arménien  i  ^luiniuniuAj  lidlapan  capitano, 
Brockelm  ,  D.  gr.  Fremdw.  i.  Ann.,  Z.D..M  G.,  XLVIl  1S'J3  ,  36,  cest-à-dire  o  xaT£- 
itâvto  Const.  Adm.,  228,  24,  etc.,  etc.,  et  pas  xaTSTtâvw  Tiiuinh,  Byz.  Z.,  IX  (1900], 
39'»  ,  v.  notre  mémoire  E/'endi  (à  paraître]. 


174  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

lien  Gesetzen  folgendes  ».  Pour  Swele  [Intr.,  9;,  la  Seplanle  serait 
le  monument  d'un  patois  «  of  tlie  Âlexandrian  streets  and  niar- 
kels  »,  d'un  «  Jewish-Egyptian  Greek  »,  et  l'on  ne  comprend  pas 
1res  bien  le  compromis  qui  lui  lait  écrire  ip.  294  :  «  tlie  Jewisli 
Greek  spoken  in  Palestine  was  «  Hellenistic  »  in  ihe  strielest 
sensé  w  ;  cf.  aussi  Grinfield,  ApoL,  X,  3rd.  ;  Székely,  Herm.,  BO  : 
dialectus  vulgaria  melior  hebraizans  «  et  passim,  etc.,  etc.'. 
M.  l'abbé  Viteau,  à  qui  nous  devons  des  travaux  excellents  sur  le 
Nouveau  Testament,  croit  à  un  <■<  grec  hébraïsant  tel  qu"on  le  par- 
lait à  Alexandrie,  au  sein  de  la  communauté  juive  »  Dict.  Vif/., 
p  316),  ce  qui  supposerait  chez  nos  hellénistes  une  connaissance 
du  grec  presque  effrayante,  puisque  nous  arriverions  ainsi  à  déter- 
miner, même  le  grec  d'un  quartier  d'Alexandrie.  M.  Viteau  constate 
dans  ce  grec  «  un  énoi'mc  mélange  d'hébraïsmes  o  iib.,  etpassim, 
cf.  Et  /,  p.  viet  p  xii.  On  ne  sépare  pas,  dans  ces  jugements  le 
grec  de  l'A.  T.  de  celui  du  Nouveau.  Deissmann,  qui  ne  les  sépare 
pas  davantage,  blâme  cette  terminologie  et  soutient  qu'aucune  de 
ces  qualifications  ne  se  justifie  scientifiquement  (V.  surtout  Her- 
zog^  634,  25-34). 

La  méthode  de  Deissmann  est  simple  :  il  compare  la  langue  du 
V.  T.  avec  celle  des  papyrus  contemporains  et  reste  frappé  de 
leur  parfaite  concordance.  L'argument  est  décisif.  Celte  théorie  a 
quelques  attaches  dans  le  passé  et  Deissmann  a  eu  des  précurseurs, 
qui,  naturellement,  ne  pouvaient  encore  avoir  recours  aux  papyrus, 
sans  parler  des  progrès  philologiques  accomplis  depuis.  Vulgari 
Alcxandrinorum  dialecio  iisi  sunt,  disait  déjà  Thiersch  Diss.,  6  ; 
Frankel  ( Fo;'5/. ,  entre  autres,  p.  164  s.,  266,  cf.  8-11)  ne  s'arrête  pas 
un  seul  moment  à  l'hypothèse  des  hébra'ismes  ;  il  examine  le  grec 
de  la  traduction  en  lui-môme-;  Hody,  avant  eux,  avait  reconnu  là 

1.  Cf.  R.  Simon  :  «  la  Version  dos  Si'i>laiite  est  écrite  en  un  Grec  de  Synairogue, 
([ni  ne  pouvoit  être  connu  que  des  Juifs  Hellénistes  »  200  6.  Quelques  philologues  pen- 
sent de  môme  aujourd'hui.  Cela  tient  purement  à  une  erreur  d'optique  :  ils  jugent  la 
Septante  du  point  de  vue  du  v'  s.  grec,  et  Deissmann  \Herzog',  631,  35  s.)  a  précisé- 
ment fait  ressortil'  que  l'idée  d'un  J iideng riechlsck  a  dû  naître  eu  grande  partie  de 
cette  comparaison  antihistorique  avec  le  classicisme.  Que  les  Grecs  conijirenaient  la 
Septante,  cela  nous  est  prouvé  par  le  dédain  même  que  leur  in.spirait  ce  grec  barbare 
et  dont  Norden  a  recueilli  les  témoignages  chez  les  Pérès  de  l'Église,  cf.  Die  Ant. 
Kunstpr.,  p.  479,  521,  v.  plus  loin,  p.  200,  n.  1.  —  Au  surplus.  Origcne  le  comprenait 
liien  et  nous  ne  voyons  guère  que  le  N.  T.  n'ait  pas  été  compris.  On  sait,  par  notre 
étude  même,  qu'il  passe  ]iour  héhra'iser  autant  que  l'Ancien. 

2.  Ce  livre  qui,  au  début  de  mes  études,  m'avait  été  signalé  par  M.  ChMinont  Gan- 
noau,  est  souvent  Cité  dans  les  liihliographios,  mais  il  est  vraiment  ir.q>  peu  utilisé. 
Pourtant,  voilà  bien  l'ouvrage  modèle  que,  dans  sa  partie  gramn>.alicale,  il  faudrait 
reprendre  et  compléter  aujourd'hui,  pour  le  remettre  au  point. 


ESSAI   SUR   LE   GREC  DE   LA   SEPTANTE  17b 

une  dialectu^  alexamlrina  (cf.  p.  1J:2  s.,  où  preuves  et  discussion, 
comparaison  avec  la  grécité  postérieure,  Elien,  etc.  ;  v.  p  1 13,  \  U, 
Ho,  etc.).  Plus  récemment,  Geldart  The  mod.  gr.  Lanf/.,  Oxford, 
1870,  p.  102i  avait  pris  une  position  encore  plus  intelligente  v. 
plus  loin)  ;  Zezschwitz  aussi  [Prof,  fjr.,  9-10,  lo  s.;  })oint  de  vue 
surtout  lexicologiquei  raisonne  bien.  Mais  Deissmann,  à  l'aide  des 
papyrus,  apporte  les  preuves.  La  langue  de  l'A.  et  du  N.  T.  est  bel 
et  bien  une  langue  grecque  et  une  langue  vivante.  C'est  la  Ko-vy,  du 
temps.  La  phonétique  et  la  morphologie  le  démontrent  irréfutable- 
ment :  elles  se  retrouvent  dans  la  grécité  profane  contemporaine. 
Insistons  sur  ce  point,  qui  est  capital,  car  la  phonétique  et  la  mor- 
phologie sont,  dans  toute  langue,  les  œuvres  vives.  C'est  même  à 
cause  de  cela  que  la  langue  savante  en  Grèce  aujourd'hui  est  des- 
tinée à  périr,  périt  dans  l'usage  quotidien,  parce  ([u'eile  ne  tient 
aucun  compte  du  développement  historique  de  la  morphologie  et 
de  la  phonétique,  qui  sont  essentielles  en  fait  de  langage  cf.  J.  P., 
'P.  X.  M.,  Il,  11K)3,  11)  s.,  etc.,  etc.;.  Or,  dans  ce  prétendu  judéo- 
grec  on  ne  relève  pas  un  seul  phénomène  phonétique  ou  morpho- 
logique, qui  ne  se  retrouve  dans  le  grec  proprement  dit  ou  qui  ne 
se  justilie  par  le  grec  moderne  Pour  ce  qui  est  du  vocabulaire, 
les  Bibehttidien  ne  laissent  plus  de  doute.  Des  mots  qui  passaient 
pour  uniquement  bibliques,  apparaissent  dans  les  papyrus  ou  les 
ostraka  :  tel  àvT'.Àr;;j.7:T(o;  liib.st.,  8(5-7  ;  pap.  de  158  157  a.  C.  , 
employé  Tis-à-vis  du  roi  et  de  la  reine,  alors  qu'on  le  croyait 
réservé  à  Dieu;  (7toTT|p,  et  le  fait  est  important,  était  connu,  dans  ce 
même  sens,  chez  les  païens  P.  Wendland,  Zeitschr.  f.  d.  N.  T. 
Wks.,  V  rl904i,  336;  sur  Ptol.  S.,  p.  338,  considéré  comme  une 
divinité,  v.  p.  339-40  ;  cf.  35!  s.  ;  Thumb.,  Prinz.,  ^M  .  Korsunski, 
au  contraire,  veut  à  toute  force  qu'il  y  ait  un  grec  hébraïque  et 
relève  avec  complaisance  et  prolixité  toutes  les  acceptions  nobles 
et  élevées,  inconnues  des  classiques  HepeBoji.  l\\,  4(56  s.  ;  môme 
point  de  vue,  plus  outré  chez  Székely,  Herni.,  84-5;  cf.  Schilling, 
Comm.,  87  s.i.  Korsunski  ne  s'incline  pas  même  devant  le  ivf.X- 
T-fATTTwp  de  Deissmann  et  cherche  à  infirmer  ce  témoignage,  sous 
prétexte  qu'il  est  unique;  il  souligne  enfin  sa  signiûcation  extra- 
religieuse  p.  473  ,  ce  qui  le  lui  fait  ranger  dans  le  chapitre  des 
hébraïsmes  ^p.  460,  !  Il  établit  ainsi  la  supériorité  du  vocabulaire 
biblique.  Ailleurs  p.  467-4()9  ,  il  passe  longuement  en  revue  les 
(lillérents  sens  classiques  de  àvxOci,-,  montre  ({ue  les  Grecs  n'avaimt 
pas  soupçonné  la  valeur  spiritualiste  de  cet  adjectif,  n'avaient  donc 
pas  senti  comme  les  Septante  p.  469  le  besoin  de  créer  des  dérivés 
tels  que  -xYxhoTzo'.iia  ^cf.  Halch,  Essays,  7i,  elc  ,  et  que  chez  eux 


1*76  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

àyaObç  esl  bien  un  liébraïsme,  puisqu'il  emprunte  à  nitj  tous  ses 
sens  nouveaux.  Cela  signifie  simplement  que  le  sens  des  mots  se 
transforme,  sous  l'influence  d'événements  sociaux,  non  pas  qu'il  y 
a  là  un  grec  spécial,  mais  un  grec  qui  se  développe  cf.  Nageli, 
Wortsch.,  p.  8,  p.  28-^.,  et  ses  études  sur  le  vocabulaire  de  Saint- 
Paul,  14s.;  v.  les  comparaisons  de  Kennedy,  Sources,  29,  T'as., 
06  s.  eipassim,  entre  le  vocabulaire  classique  et  celui  de  la  Sep- 
tante). De  ce  que  TtsxT'.à  se  rencontre  chez  les  classiques  Pindare, 
Eschyle,  Hérodote),  mais  n'y  figure  jamais  avec  oùpavoS  p.  488-9  ,  il 
n'y  a  pas  à  conclure  qu'il  y  a  là  un  rcôpansMt  [ib  ;  cf.  D'^^ri'r;  n3:ç 
2  Clir.,  33,3,  etc.,  etc.,  v.  Mandelkern,  982,  col.  2;  E.  Renan,  Vie 
de  Jésus,  p.  I  «  l'innombrable  armée  des  étoiles  »,  expression 
biblique  qui  n'est  nullement  un  bébraïsmeL  Cela  relève  du  voca- 
bulaire cf.  Deissmann,  Goft.  Gel.  A71Z.,  CLX  (1898>,  922,  à  propos 
de  àvaOwffûvY,,  /iicTTÉaTropc-;,  etc.i.  11  est  aussi  quelque  peu  puéril  de 
prendre  texte  p.  470  de  la  graphie  incomplète  de  ài^(y.[~]r^v  Deiss- 
mann, Bib.st.,  8O1,  pour  donner  à  entendre  que  le  document  n'est 
tout  de  môme  pas  complet,  et,  par  suite,  pas  tout  à  fait  probant. 
C'est  qu'on  tient  beaucoup  à  ce  mol  :  «  der  Prof. -Crac,  vôllig 
fremd  «,  dit  Cremer.  s.  v.  v.  aussi  Deissm.,  /.  /.  ;  Zezschwitz,  20, 
C2;  Viteau,  Et.  II,  XV;  Tbumb,  He/L,  185;  bonne  remarque  de 
Swete,  I/U)'.,  45<);  etc.,  etc.  .  Il  faut  donc  qu'il  demeure  propriété 
exclusive  de  la  Septante. 

Korsunski  voit  également  à  tort  un  liébraïsme  dans  les  divers 
sens  de  i-7,ajc,  calqué,  d'après  lui,  sur  -in"!  p.  483  :  il  y  a  là  un  fait 
de  linguistique  générale,  et  déjà  Gesenius  Thés.,  316 rt,  2  avait 
l'émis  les  choses  au  point.  Que  £It,t£?v  l/u/v  t-.vo;  'ic5  "ijîa,  cf.  Ex., 
4,  19,  etc.),  que  à/.0Y,  àxoû(7Y|Ç  (v.  H.  a.  H.,  Conc.  :  Ex.,  15,  26,  yiTO'i 
y73'.2:n,  cf.  Moulton,  Gr.,  14 '1,  soient  des  locutions  transcrites,  c'est 
encore  là  une  question  de  vocabulaire,  du  moins  pour  Cv-'''  '}•  = 
tuer  queh/uun  cf  Schilling,  Comm.,  144-5  ,  de  syntaxe,  si  Ton 
veut,  pour  àxo>,  à.,  mais  ni  l'un  ni  l'autre  n'enlament  le  fond  de  la 
langue  grecque.  Là  où  l'on  cherche  une  grécité  judaïque,  il  convient 
souvent  de  reconnaître  une  émanation  de  la  foi  juive  Deissm  , 
Herzog^,  637,3-4.  J'espère  démontrer  ailleurs  que  àr^p"-  a  passé  du 

1.  Le  inùrite  du  livre  de  Korsunski,  dans  la  partie  i|ui  nous  occuiie.  consiste  surtout 
dans  f|uel(mps  analyses  iexicoioiriques  assez  fines  sur  l'etrorl  tenté  par  les  traducteurs 
pour  rendre  et  tr'ansfornier  certaines  expressions  Men  iiéliraiijui's,  eonune  ils  ont  l'ail, 
entre  auties,  pour  aÙTCiiaTo:.  traduisant  IT'EC,  ]>■  -itHl. 

2.  Je  clurchais,  je  soupçonnais  à  ce  mot  une  étymoloirie  hchianiue,  lorsfiuo  M.  Mayer 
Landiert  me  sugg-éra  Tort  heureusement  le  mot  "liN.  L'histoire  du  !.Mee  et  quelques 
jiarticularités  de  sémasiolojrie  héhraïque  coidiiinenl  ideinement  pour  moi  ce  point  de 
vue,  qui!  se  trouve  déveloiijié  avec  déttiiis  dans  un  ménioirc  en  cours. 


ESSAI  SUR   LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  177 

sens  de  ténèbres,  brouillard,  ù.  celui  d'air  pur  ou  Ao,  plein  air,  sous 
rinfliiencc  probal)le  de  la  philosophie  présocratique.  Autant  vau- 
drait parler  alors  d'un  grec  des  philosophes  ou,  suivant  Deissmann 
iHerzog^,  637,  9-10  ,  d'un  grec  des  stoïciens  à  cause  de  la  Stoa.  Les 
locutions  bibliques  que  ïrénel  [Lanc.  T.  et  la  long.  fr.  du  moyen 
df/e,  YlII-XV  s.,  Paris,  1004  a  signalées  en  masse  dans  le  français 
courant  —  effacer  le  nom  de  p.  3t)o  ,  dormir  son  sommeil  p.  371), 
sonder  les  reins  et  les  cœurs  p.  406  ,  parler  au  cœur  p.  4o6,  etc., 
etc.;,  —  locutions  aussi  neuves  à  leur  époque  que  ^r^zilv  -W/r^t,  ne 
portent  pas  la  moindre  atteinte  au  français.  Le  point  de  vue  lexi- 
cologiquc  ne  doit  pas  être  confondu  avec  le  point  de  vue  religieux 
(Deissm.,  Herzog^,  636,  5o-7). 

Pour  ce  qui  est  de  la  syntaxe,  Deissmann  ib.,  637,  19  s.  observe 
que.  au  premier  abord,  elle  semblerait  le  plus  favorable  à  Thypo- 
tlièse  dun  grec  hébraïque.  Cette  syntaxe  n'a  pas  son  équivalent 
dans  les  papyrus.  Cela  lient  simpltMnent  à  ce  que  nous  sommes  ici 
en  présence  d'une  traduction  ;  le  IV'^  livre  desMaccabées,  les  Épitres 
de  saint  Paul,  l'Épître  aux  Hébreux  sont  affranchis  de  ces  judaïsmes, 
parce  que  ce  sont  des  textes  originaux.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de 
parler  de  grec  judaïque,  mais  d'un  grec  de  traduction  Ceberselzer- 
f/riechisch,  ib.,  637,  37,  638,  9  .  Ce  ne  sont  point  des  sémitismes 
usuels;  ce  sont  des  sémitismes  d'exception,  des  anomalies  momen- 
tanées. La  Septante  non  demeure  pas  moins  un  excellent  monu- 
ment de  la  Ko'.vYj  ib.,  638,  46-7!.  S'il  existait  un  idiome  judéo-grec 
caractérisé,  pourquoi  le  Juif  Philon,  pourquoi  le  Juif  Aristée,  pour- 
quoi le  Juif  Paul  n'y  écrivent-ils  pas  ib.,  637,  54  s.  ?  car,  enfin,  la 
question  est  la  même  pour  le  N.  T.  (cf.  Viteau,  Rev.  de  phil.,  XVIII 
il894  ,  1  s.i.  Le  livre  de  la  Sagesse  de  Siracli,  l'évangile  de  saint  Luc 
tranchent  le  débat.  Tous  deux  ont  un  prologue  qui  n'est  certaine- 
ment pas  en  judéo-grec.  C'est  que,  dans  leurs  prologues,  ces  deux 
auteurs  écrivaient  comme  ils  parlaient,  tandis  que,  pour  le  reste, 
ils  s'inspiraient,  directement  ou  indirectement,  d'un  oiiginal  sémi- 
tique 'ib.,  637,  60  s.;. 

J'expose  ici,  en  y  ajoutant  quelques  réflexions  personnelles,  la 
théorie  féconde  de  Deissmann,  avant  de  m'en  séparei-  ou  de  la 
préciser  sur  quel(|ues  points,  parce  que  celte  théorie  n'est  pas 
encore,  que  je  sache,  connue  en  France  '.  Elle  rt'présonle  une  réac- 

1.  De  ISOa,  ilatr  «les  IU/ksI.,  à  1907,  je  ne  vois  atiruri  article  consacré  à  Deissmann 
dans  la  Heu.  cv.  (sauf  1!)03,  10  s.,  sur  un  ouvra^'C  cl'un  tout  aulre  caractère,  Ein  oriq.' 
Do/:,  a.  il.  Diocl.  C/irislenver/'.^Ti'iU.  n.  Liizt:,  lilOi.  par  Lejay),  'lans  la  H.  de  Pli.  et 
li.ins  la  /!.  il.  (•!.  f/r.  Ie>  comptes  reinhis  hililiographiques  de  cotte  dernii're  maii(|iient 
d'index).  M.  Tabbé  LeijMain,  qui  av.iit  suivi  mon  cours  à  TÉcolc  des  Hautes-Études,  a 

T.  LV,  N»  110.  12 


178  REVUE  DES   ETUDES  JUIVES 

tion  nécessaire.  On  est  vraiment  étourdi  de  tous  les  héhraïsmes 
que  des  savants  sérieux  sont  allés  découvi-ir  dans  la  Septante.  Sans 
parler  de  Schlatter,  pour  lequel  -îç  àvOicoro;  est  inspiré  de  cn^-Vs 
{Spr.  u.  Heim.,  35  =  3'2o  ;  v.  les  conclusions  qu'il  tire  de  ces 
hébraïsmes,  178  =  468  et  9  =  299;  cf.  Thumb,  Prinz.,  25-2,  Arch.  f. 
Pap.f.,  III,  460-61)  \  on  n'est  pas  peu  étonné  de  voir,  à  propos  de 
la  formule  sic  ovoaa,  Iv  ôvop.aT;,  J.  Bolimei'  p.  bihl.  1.  N.,  11,  2  dis- 
courir pendant  des  pages  sur  l'emploi  des  prépositions  hébraïques 
2  et  5  avec  ût^,  sans  chercher  à  se  rendre  compte  de  la  valeur 
historique  en  grec  —  il  passe  à  côté,  p.  17  s.  —  de  la  préposition 
e!;,  une  des  prépositions  les  plus  riches  en  surprises,  à  notre  sens, 
une  de  celles  dont  la  monographie  minutieuse  jetterait  le  jour  le 
plus  inattendu  sur  la  grammaire,  sur  l'esprit  et  sur  la  psychologie 
des  Grecs,  sur  ce  que  G.  Hermann  appelait  la  mu'a  Grœcorum 
celeritas  cogitandi  [W.  provisoirement  J.  P.,  Et.  ng.,  p.  iv  s.].  L'évo- 
lution du  grec  reste  pourBôhmer  un  horizon  clos.  Il  déclare  même 
(p.  20;  que  dans  l'examen  de  cette  question,  il  faut  partir  de  la 
grammaire  hébraïque  et  non  point  de  la  grammaire  grecque  ;  il  qua- 
lifie sic  pour  £v,  dans  ei?  ovoixa,  de  «  ungriechisch  »  ip.  18  ,  alors  que 
déjà  Frankel  notait  l'emploi  de  si;  avec  des  verbes  de  repos  Vorst., 
157,  n.  il,  et  que  Winer  Gr.  d.  N.  T.  Spr.i.',  385-390  s'était  placé 
au  juste  i)oint  de  vue,  précisément  en  matière  de  grec  biblique. 

bien  voulu  nie  faire  la  mèiup.  vérification  jiour  le  Bullelin  Critique  de  1895  à  1906  ; 
les  résultats  de  ses  recherches  ont  été  négatifs.  Il  me  signale  toutefois  dans  ht 
H.  d'hist.el  de  lilt.  relig.,  x  (1905),  p.  502,  une  courte  notice  sur  «  Die  Hellenixier.  d. 
sein.  Monolh.  »,  de  Deissmann,  Leipzig,  1903,  notice  où  il  est  fait  allusion  à  la  Seidante 
et  à  quelques  j)0ints  de  vue  voisins  de  ceux  que  nous  examinons.  Dans  cette  même 
Revue,  xi,  I90t),  p.  261,  le  Orig.-Dok.  (ci-dessus)  est  aussi  menticuné.  Enfin,  M.  le 
rahbin  Liber,  qui  suit  aussi  mon  cours,  a  eu  la  complaisance  de  dépouiller  la  Rev.  des 
Et.  juives  et  n'y  a  trouvé  que  de  simples  mentions  bibliograplii(|ues. 

1.  Le  raisonnement  []).  10  =  300)  sur  le  coq  qui  çwvsî  en  grec,  comme  il  t'ait  en 
hébreu  (Nlp),  est  proprement  fantastique.  Aujourd'hui,  malgré  des  variétés  lexicolo- 
giques  sjtéciales,  le  verbe  çwvâ^ît  i>eut  s'ap(di(iuer  à  bien  des  animaux.  Cela 
n'atteste  en  rien  une  influence  (juclconque  de  N'ip-  —  Sur  le  livre  de  Boelimer,  D.  bibl. 
«  i.  N.  »,  et  sur  la  polémique  engagée,  v.  Deissm.,  Tlieol.  Lit.  Zeit.,  1900,  >'.  3, 
71-74  et  Bolimer,  Zwei  wichl.  Kap.,  51  s.  et  ib  ,  Sind  z.  Versiiindn.  etc.,  p.  81  s. 
(v.  Giesebreclif,  ci-dessous,  p.  179,  n.  I).  liemarquons,  au  sujet  de  ce  dé))at,  que  deux 
choses  sont  possibles  :  et;  ôvofi-a,  nnnime  li-  veut  Di-issmanu  (/.  /.,  p.  73),  peut  être 
«  eingebiirgert  »  en  grec,  longtemps  avant  St  Paul  (v.  ib.,  un  docun)ent  de  260-259, 
a.  G.  Il),  et,  dun  autre  côté,  la  formule  peut  très  bien  recevoir  une  coloration  nou- 
velle à  l'éiiofpie  dti  christianisme,  sous  riidluencc  de  l'hébreu  biblique,  mal  interprété, 
comme  U)  veut  Jacob,  Ini.  X.  0.,  3  s.,  v.  ci-dessous,  p.  179,  n.  1.  11  est  aussi  vrai  de 
dire  que  les  conclusions  de  Jacob  confirmeraient  l'opinion  île  Deissmann,  ]iuisque 
Jacob,  dans  tout  son  livre,  montre  la  ditl'érence  de  sens  et  de  conception  entre  si; 
ôvoiia  et  le  2^3,  hébreu.  Mais  il  est  aussi  bien  dlUicile  di"  croire  à  une  rencontre  for- 
tuite des  deux  langues  dans  une  formule  pareille. 


ÏSSAI   SUR   LE  GREC   DE   LA   SEPTANTE  1*79 

Sil  y  a  bien  dans  Jo.  1,18  b  côv  zU  -rôv  xoàttov  toC;  -arsôç,  cela  lient  à 
ce  que,  par  la  suite  tU  a  complètement  évincé  Iv  en  gr.  mod.  sous 
l'orme  de  :  <y  dans  t-ov,  a'  dans  T'âva,  as  dans  çk  asva  .  Celte  subs- 
titution nous  apparaît  cbez  révangéliste  ;  Winer  p.  389  pense  avec 
raison  au  gr.  mod.  et,  avant  lui,  M.  Hase  Léo  Dicte,  1819,  p.  xiii 
avait  remarqué  cette  promiscuité.  Viteau  Et.  Il,  ITli  signale  un 
passage  Malth.,  o,  34-5  ,  où  zU  et  Iv  alternent:  il  n'y  a  point  là 
d'bébraïsmes,  il  n'y  a  point  là  d'influence  du  grec  bibli([ue,  comme 
le  croit  M.  Viteau  [iô.,  472,  §  214,  où  exemples  pris  à  TA.  T.;  cf. 
aussi  209  :  c'est  la  lutte  qui  se  poursuit  normalement  entre  deux 
formes  rivales.  De  même,  elç  ovo[jLa,  où  il  n'y  a  pas  trace  d'bébreu, 
n'est  autre  chose  que  du  grec  moderne  cf.  sur  Bohmer  et  e!;, 
Tliuml),  Prinz.,  2o3,  sur  sic  Deissm.,  Bib.st.,  113-3,  etc.)  '. 

HeitmùUer,  dans  son  Im  N.  /.,  remet  les  choses  au  point,  en  se 
plaçant  sur  le  terrain  philologique  p.  l-i27i  ;  il  abonde  en  compa- 
raisons grammaticales  avec  la  langue  contemporaine  icf.,  entre 
autres,  p.  47-o2,  surtout  101-9  -,  il  aboutit  au  résultat  positif  que 
cette  construction  est  grecque  p.  o3  ,  que  eîç  ov.  est  un  «  Eigenlum 
der  hellenistischen  'Weltspracbe  »,  particulièrement  dans  la  langue 
des  affaires,  au  sens  de  au  compte  de  ip.  104-o  ;  10(5, 2  ;  109;  comp. 
au  nom  de  ;  v.  Jacob,  Im  N.  G  -,  lo4,  et  ib.  :  «  in  jemandes  Inté- 
resse »  ;  cf.  loo,  lo6  s.  ;  nombreux  exemples  et  jolie  explication 
historique  .  Toutefois  il  ne  fait  jamais  direclement  appel  au  grec 
moderne,  par  exemple,  p.  87  ce  qu'il  entend  par  Vuhjarspraclie, 
p.  4  s.,  c'est  le  grec  hellénistique  ;  p.  47-52,  devant  la  rareté,  dans 
les  papyrus,  de  Iv  ovou..,  il  ne  songe  pas  une  minute  à  se  demander 
si  celte  rareté  ne  provient  pas  de  ce  que  Iv  -\-  dat.  est  en  train  de 
disparaître,  alors  que  sî?  o.  est  beaucoup  plus  J'réiiuent  dans  les 
papyrus  v.  p  101  s.  .  justement  parce  (|ue  l'accusatif  gagne  du  ter- 
rain. Cette  considération  est  essentielle  pour  la  bonne  apprécia- 
tion du  grec  de  la  Septante  et  des  hébra'ismes  eux-mêmes  v.  plus 
loin,  p.  202  s.  . 

Si  le  grec  moderne  est  indispensable  à  la  constitution  criti(iu« 

1.  V.  Jacol),  Im.  N.  G.,  sur  ôvojxa  =  oûvaiAi;,  |>.  .jI,  18,  IID,  ou  =  tiîcti;, 
."il,  ou  =  n  StellvcitielunL.'»,  iiS,  daus  le  N.  T.  Que  ce  dernier  seus,  c.-à-d.  «in  Stell- 
Mirlreluiii:  (ioUcs  ».  n'est  jamais  relui  de  D*w2,  J.icol»  Texpliiiue  el  le  discute  par 
laiialysc  de  tous  les  passages  bil)li<|ues,  p.  1-48  ;  cf.  43  s.,  el  lti:j.  —  Je  n'ai  pas  eu 
le  temps  et  je  n'ai  pas  vu  la  nécessité  de  me  rendre  compte  du  contenu  des  ijrux 
éludes  suivantes  :  ISrandt,  ôvo{i.a  en  de  doopsfonntila  in  het  .Y.  T.,  dans  la  Tlieol. 
Tijdsrhrifl.  1802,  o6o-GiO  (ap.  Jarid),  30,  4;  v.  aussi  Tliumh,  A.  f.  l'op-f.,  \\\  (10itt'.\ 
40.}  :  >oi:  eens  v.z  ô..  Th.  T.  XXXVl  (1003),  l'J3--2n)  et  (iiesebrcdiit,  IHc  .lUl. 
Schàlznng  d.  (jollesn.,  etc.,  Konigsl).,  1901  (cf.  Jacoli,  fi  >orr.  le  renvoi  de  la  p.  42], 
u.  1  in  f.). 


J80  REVUE  DES   ETUDES  JUIVES 

du  texte  de  la  Septante,  il  l'est  plus  encore  dans  la  question  des 
liébraïsmes.  Ici  nous  sommes  complètement  d'accord  avec  la  doc- 
trine professée  en  Allemagne  et  en  Angleterre.  Nous  craignons 
toutefois  que,  sauf  exceptions,   cet  amour  du  grec  moderne  ne 
demeure  à  l'état  de  principe  platonique.  On  nous  le  recommande 
depuis   si  longtemps  que  nous   finissons  par  ne  plus   y   croire, 
ïliiersch  (Diss.,  p.  43)  compare  une  fois  déjà  le  gr.  mod.  au  grec 
biblique,  en  choisissant,  malheureusement,  son  exemple  dans  le 
grec  puriste,  qui  ne  prouve  rien,  étant  livresque  :  r.Sx;  'é/exs;  où  le 
pluriel  est  un  xénisme  accommodé  à  des  mots  classiques  '.  Geldart 
{Tke  mod.  gr.  lang.,  Oxf.,   1870,  102  s.)    tombe  dans  la  même 
méprise,  sans  éveiller  l'attention  de  Swete,  qui  rapporte  [Intr., 
309), avec  une  certaine  indulgence  indifférente,  des  phrases  pourtant 
aussi  profondément  intuitives  que  celle-ci  :  «  the  Greek  of  the  pré- 
sent day  affords  a  better  conuiientary  on  the  language  of  Poly- 
bius,  of  the  Septuagint,  and  of  the  New  Testament,  than  either  the 
"vvritjngs  of  contemporary  hislorians,  rhetoricians,  grammarians, 
and  philosophers,  who  for  the  most  part  wrote  a  purely  artificial 
Greek  —  or  than  from  the  many  thousand  pondérons  tomes  uhicli 
encumber  the  threshbld  of  verbal  criticisin  »  Geldart,  p.  101-2  '^. 

M.  Deissmann  sait  ce  quest  le  grec  moderne  et  il  parle  très  jus- 
tement d'un  «  unterirdischer  Zusammenhang  »  Herzog^,  632,  20), 
de  ces  courants  sous-marins,  dirai-je,  qui  semblent  parfois  ratta- 
cher le  grec  moderne  au  grec  ancien  ^  ;  mais  il  se  trompe  quand  il 
appelle  ib.,  1.  21  le  grec  moderne  xxOoaiXojasvri,  lequel  n'est  pas 
moderne  ;  celte  expression  est  réservée  à  la  xaOxpÉSojTa,  qui  elle- 
même  n'est  pas  d'accord  sur  son  propre  nom  cf.  J.  P.,  Txlio'.-,  237^. 
Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  que  Thuml),  précisément  à  propos  du 
grec  biblique,  ne  manque  pas  une  occasion  de  recommander  létude 
du  grec  moderne  Hell.,  123,  17o,  surtout  Prinz.,  2ol).  Helbing  est 
catégorique  :  «  Endhcli  bat  aucb  das  Neugriechische,  die  Tochter 

1.  Eu  grec  modoriK!  ntb;  7rr,YaiveT£  ;  ttw;  xà  Trâxe.  Le  pluriel  y  est  éiraleuieiit 
impurté,  avec  cette  difTércnce  que  le  gr.  mod.  l(î  sait  et  ne  vise  point  à  rattiscisuie.  La 
réponse  oùyl  ^Tiiierscli,  ih.),  pour  ô/_i,  est  entiéronuMit  inusitée,  même  en  gr.  savant. 
Sur  ceUe  tendance  interrogative  (|ue  note  TliiiM-scii,  p.  12.  rt  qui  est  très  dévelo|>pée 
en  grec  mod.,  v.  J.  1',,  Tt».,  bi.,  38-'J. 

"1.  -M.  l'abbé  Vilcau  songe  trop  peu  vraiment  au  gr.  mod.  :  /{.  de  P/til.,  xviii.'Jl.  on 
lit,  au  milieu  de  tout  :  «  En  grec  moderne,  la  voix  moyenne  n'existe  pas  >  ;  El.  I, 
x\xn  :  «  la  conjugaison  en  ixi  (complètement  inconnue  en  grec  moderne)  ».  Et  c'est 
tout,  si  je  ne  m'abuse. 

3.  Je  songe  surtout  aux  mots  dits  poétiques,  ceux  qui  apparaissent  cliez  Hom.  ou 
plus  tard,  disparaissent  chez  les  attiques  et  remontent  à  la  surface,  soit  dans  la 
Koivr,,  Sdil  anjounl'liui  seulement.  J'en  parle  ailleurs.  On  en  verra  plus  loin  dans 
âçavToç  un  exemple. 


ESSAI   SUR   LE   GREC   DE   LA   SEPTANTE  181 

der  Ko;vr,,  die  îçebuhrende  Beachtung  gefunden,  ohne  die    qui  se 
rapporte,  je  siiitposo,  à  Beaclit.)  man  lieiite  bei  solchen  Forscliun- 
geii  niclit  inehr  auskoiiiiiit.  »   p.  xii  .  Mais  je  ne  vois  guère  l'appli- 
cation de  ce  beau  principe.  Il  ne  faudi-ait  pourtant  pas  se  croire 
quitte  envers  la  Grèce  moderne  en  faisant  figurer  dans  une  biblio- 
graphie le  manuel  de  M.  G.  Hatzidakis '.  Cela  vaut  assurément 
mieux  que  rien-.  Ce  qu'il  faut  avant  tout,  c'est  de  pratiquer  cette 
langue  de  façon  à  s'y  sentir  à  son  aise,  de  n'en  point  posséder 
quelques  mots  seulement,  toujours  faciles  à  rapprocher  d'autres 
mots,  mais  encore  là  syntaxe,  le  tour  et  l'esprit  ^.  Nous  n'entendons 
pas  ici  le  grec  moderne  à  la  façon  dont  on  l'entendait  un  peu  jadis 
en  France,  quand  on  y  comprenait  en  quelque  sorte  tout  le  grec 
post-classique  (v.  J.  P.,  Les  et.  de  gr.  mocl.  en  France  an  XIX^  s., 
Paris,   1904,  p.  lo)  :  nous  entendons  le  grec  moderne  tel   qu'il 
se  parle,  à  l'heure  où  nous  écrivons,   dans  la  plaine  ou  sur  la 
montagne.  Cette  connaissance  nous  serait  utile  au  dernier  degré 
pour  juger  à  leur  juste  valeur  maints  et  maints  hébraïsmes.  Ainsi., 
l'hébiaïsme  qui  jusqu'ici  a  paru  le  plus  convaincant,  la  construction 

1.  Cf.  Athenœum,  Jiiiie  IC,  1906,  p.  727,  coL  2. 

2.  Je  ne  veux,  certes  pas,  précisément  en  raison  de  ses  aUaques  virulentes,  mex- 
prinier  a,vec  trop  de  sévérité  sur  ce  linguiste,  si  bien  doué  par  ailleurs.  Mais  la  pas- 
sion et  le  fameux  Çrjxri^a  jouent  malheureusement  un  trop  grand  rôle  dans  les 
ouvrages  de  H;itzidakis.  Ils  y  altèrent,  pour  des  raisons  d'ordre  purement  personnel, 
la  vérité  scientiliiiuo.  La  même  forme,  p.  e.  âvxpoi  et  jusqu'à  âvTooç,  est  niée  contre 
moi,  aflirmée  en  dehors  (cf.  'P.  x.  M.,  III,  21,  où  la  [treuve  est  donnée)  ;  les 
orthograjdies  adoptées  par  H.  (âvSpa?,  yatiopô:,  vsoov,  TipaYiiatta,  ça(îou).£a,  v5i),ît- 
tâvry;;.  cf.  'P.  x.  M.,  ii,  343-4)  faussent  la  phonétique  [lopulaire  par  suite  de  ten- 
dances puristes  ou  comhattives.  Hatzidakis  lui-même  a  écrit  :  ;râvTOT£  xw).uu.a  îrpôi; 
£<;ixpd(Tr,a'.v  twv  àvTsôvtxûv  xal  àv£-'.(îTr,[j.6vwv  [c'est  un  linguiste  qui  parle]  aù-rùv 
o'.oayiAàTwv  •j-/î;-yîa(Tô  KpatTo:,  Atli.,  jeudi,. 31  Janvier  19081.  Il  se  vante  ainsi  de  coni- 
h.ittre  les  vul-^aristes.  Par  une  pente  fatale,  il  en  est  arrivé,  sans  doute  jiour  ne  pas 
leur  donner  troj)  d'importance,  à  dénaturer  (v.  vSO.errâvTr,;  !  etc.,  etc  )  les  formes 
normales  auxquelles  il  supprime  de  leur  vulgarixme,  c'est-à-dire  de  leur  règle.  Les 
savants  étrangers  plus  d'une  fois  s'y  laissent  prendre.  Nous  croyons  devoii'  les  ])révcnir. 
On  ne  saurait  se  servir  de  ces  livres  qu'avec  rircnnspection  (avertissements  et  jiréci- 
sions  dans  El.  nr,.,  211-213  et  n.  1,  2,  3  de  la  p.  211,  'P.  x.  M.,  ii.  312,  343,  344,  345. 
cf.  346,  3.j6-7,  339,  371,  n.  1  ;  v.  Ensuis,  11,  xviii-xxi.  Et.  ng.,  GXV).  J'ai  |)référé  à 
la  Einleitung.  dans  ma  bibliographie  (p.  ICI  s.)  la  grammaire  de  Philintas  pour  ces 
diverses  raisons  et  pour  deux  autres  :  elle  est  plus  récente;  elle  offre  de  plus  aux 
linguistes  l'occasion  de  sa  familiariser  avec  le  grec  moderne,  puisqu'elle  est  en  grec. 

3.  Pour  des  besoins  pratiques,  la  Gramm.  gr.  mod.  d'H.  Pernot,  Paris,  [1897],  me 
parait  excellente,  meilleure,  eu  un  sens,  que  celle  de  Thunib,  trop  scientifique  par 
endroits  et  ne  ilonnant  pas  toujours  les  formes  communes  (p.  ex.  ÈçTrîôa,  papfAÉvo:. 
p.  17,  cf.  J.  P.,  .Mém.  0)\,  1905,  changement  de  >  en  p,  318-319).  Ou  aura  grand  ]irofit 
à  joindre  à  \a  Gramm.  gr.  de  Pernot.  la  ChresL  gr.  mod.  de  Logrand  et  Pernot,  Paris, 
1899  (chrestom.  choisie  aussi  dans  Thunib.  llandb.  d.  ng.  Volksspr.,  Strasbourg:, 
1895,  p.  125-194)  ;  l'essentiel  est  de  beaucoup  lire. 


182  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

du  pronom  répété  comme  en  hébreu  -i^x,  suivi  d'un  autre  pronom, 
est  une  construction  toute  moderne.  En  lisant  pour  la  première 
fois,  Gen.,  1,  11,  les  mots  (i3}-i:?-}T  -i^is  =  qiiœ  cjus  semen  in  ea  , 
oj  tô  ffzÉpaa  x'Ltou  (èv  aÙTw),  j'ai  tout  de  suite  été  frappé  par  la  simi- 
litude syntaxique,  car  il  n'y  aurait  pas  moyen  de  dire  aujourd'hui 
autrement  que  izob  (indéclinable  comme  TiNli  -zh  T-Ésax  to-j  ' 
'T'à-j-ôi.  Moulton,  qui  connaît  pourtant  Gr.,  p.  1)4  la  tournure  o 
Y'.aTiô;  Tio'j  Tov  'i<7zz<.A7.  —  on  dirait  plut(H  ici  b  y-  71.  "ÉTT.  —  au  lieu  de 
songer  à  notre  rapprochement,  va  chercher  des  équivalences  loin- 
taines entre  or-,  et  ~i"àN,  jjour  nier  un  hébraïsme  dans  oxi  y^vécoîév  to-j 
TO'j;  o'i^xÀtjLO'Jç,  qui  se  passe  de  cette  comparaison  -.  A.  ïhumb  lui- 
même,  qui,  de  tous  les  savants  mentionnés,  est  certainement,  avec 
K.  Dieterich,  celui  qui  possède  le  mieux,  pratiquement  et  théori- 
quement, le  grec  moderne,  ne  s'explique  pas  avec  la  clarté  attendue 
sur  le  phénomène  en  question  {Hellen.,  128  ,  peut-être  parce  que 
les  exemples  syntaxiques  ne  lui  viennent  pas  tout  de  suite  à  l'es- 
prit. 11  n'y  a  point  là  pour  nous  un  «  spontanés  ZusammentrefTen  » 
(ib.).  Le  grec  de  la  Septante  préludait  déjà  sûrement  à  l'usage  qui 
a  prévalu  ;  nous  en  avons  quelques  précurseurs  dans  le  grec  clas- 
sique (cf.  Jannaris,  op.  cit.,  §  1433,  A,  v.  §  1441  ;  mais,  §  1439, 
il  y  voit  des  hébraïsmesi.  Helbing  p.  iv  ,  sans  s'occuper  de  grec 
moderne,  n'en  signale  pas  moins  un  papyrus,  postérieur,  il  est 
vrai  iiMii^  s.  A.  D.l,  mais  décisif  :  è;  wv  o(Ô»t£;;  to?;  t.-x<.1<.o<.c,  gou  'èv 
È;  aÙTtov  ^v.  ib.,  la  juste  remarque  sur  l'usage  populaire  de  cette 
syntaxe)^.  Pour  Swete,  au  contraire,  l'hébraïsme  ne  fait  aucun 

1.  AÙTÔ;  donne  en  grec  mod.  àirô;,  ce  qui  aUeste  un  u  dans  au  (Blass,  Ansspr.^, 
72  ;  opinion  confirmée  par  le  rabl)jni(iue  'j'^UjrmN.  c'est-à-dire  awulenfhin  (aO0£vTr,v), 
inexaclement  transi'rit  a^lkunlin  par  S.  Kranss,  Gi\  u.  lut.  Lehnir.  t.  Talm.,  II,  1899, 
16  6).  Mais  Blass,  /.  L,  cite  alxâv,  èniay.c.iiv .  Cela  prouve  un  U  régional  dans  au,  d'où 
/.  Pès  lors,  a  -f-  t  aboutit  réu-uiièrement  à  a  ^àît7râf,â£vO(;  =  àTiâpOîvr,,  etc.,  4>i),y;vTaî, 
p.  99-100);  ainsi  s'explique  l'inexplicable  àTÔç,  qui,  certainement  par  aphérèse  {Kssais, 
II,  LXiii  s.)  devient  To;,  gén.  tou,  etc.  Nous  y  reviendrons  ailleurs.  Chez  Hatz..  Einl. 
la  (et  '"AOrjv.  X,  208),  tout  est  mal  présenté  (ôcyouitto;  ib.,  et  déjà  'AOtjv.  X,  /.  /.,  mis 
sur  le  même  pied  que  àTÔ:,  appartient  à  une  tout  autre  catégorie  de  phénomènes;  c'est 
un  pur  emprunt  lexicolofjique  au  lat.,  v.  El.  ng.,  lxxvii  et  ib.,  242-3,  d'où  en  turc 
^yi.MiyS']  âyhnuslous,  B.  de  M,  I,  81  a^. 

2.  11  est  regrettable  que  M.  Moulton,  dans  un  livre  d'ailleurs  utile,  se  serve  comme 
texte  moderne  du  recueil  de  M.  Abbott  (cf.  xvii,  12,  2,  etc.).  .Mon  article  du  Times, 
Fridav,  January,  10,  1902  (aujourd'hui  'P.  x.  M.,  iv,  210-12,v  a  dil  lui  échapper.  Il  pré- 
vient dans  un  autre  passage  (p.  2G-7,  surtout  29-30)  avec  raison  contre  l'usage  du 
grec  puriste.  .Mais  il  a  dû  mal  lire  l'article  de  Hatzidakis.  cité  ji.  2(î.  2,  car  Kriimbacher 
ne  m'y  paraît  pas  mis  à  son  rang. 

3.  Voir  plus  loin,  p.  194.  n.  1.  un  &ç  indéclinal)le.  U  est  postérieur,  mais  le  ndalif 
ancien  qui  tendait  à  disparaître  de  rusaire,  ne  paraissait  plus  ni  assez  consistant  ni 
assez  clair  :  on  le  renforçait  par  le  proncni. 


ESSAI  SUU  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  183 

doute     Inlr.,   307  .  Les    choses   pourtant   sont   d'une    simplicité 
extrême.  Prenons  dans  Steinthal  fipsch.d.  Spr.  W.,  Il-,  1891,  01 
les  versets  suspectés  («  uahrscheinlicii  »,  ib.  d'hébi'aïsmes  :  [Ixpaçsv 

ToT;  TÉTTapç'.v  àvvîÀo'.frl  ois  ÈoôOyj  aÙToT<7  ào'.XYjTa'.  ty,v  yt,v  xal  ty,v  OiXacTav 
[ApOC.    7,    2]   et    [looù    oyÀod   TTOÀuc],  ov   àç'.0u.Y,(7a'.    aùxbv    oùosÎT  loûvaTO 

[ïô.^  7,  9'.  Traduisons  en  grec  moderne  :  owvaçs  a-ro-jç  (=dat.  :  le  gr. 
mod.  prouve  donc  ici  qu'il  n'y  a  point  d'hébraïsme  inspiré  par  N-ip 
suivi  de  h  '  ;  cf.  au  surplus  Ar.  Ran.,  98:2  xsxixvç  ttsô;  toj;  oIxétx;, 

etc.,  etC.i  TEffTîOî'.;  àvvçÀo'jç  TTOÙ  Toù;  ociOr,xî  vxo'.xr,cc-'JVî  tTj  yt;  xal  ty, 
OàÀao-Ta  et  :  v-y.   oyXoç  TloXy^ç,  -ol»  va   tov   àç'.OfXiGY,     OU  :  va   tovs    aîTÇYiiY,; 

xavEva;  osv  a-opo-^Tî.  Il  n'y  a  pas  d'autre  façon  de  dire,  en  deliors 
même  de  toute  idée  de  traduction.  Steinthal  a  dailleurs  pensé  à 
TToû,  qui  lui  est  suggéré  par  Mullach  v  ib.,  et  sur  npwS,  Viteau, 
Et.  I,  p.  xxxv,  Dict.  Vif/.,  319;  Swete,  Intr.,  331  . 

On  a  bien  reconnu  quelque  chose  de  moderne    v.  Tliumb,  He/- 
lon.,  128  et  n.  7   dans  la  répétition  partitive  de  certains  noms  ou 

pronoms,  tels  que  -i'N    Ui-N  avOpwTro;    àvOiwrroç    ou    ■'ia    lia   'ÉOvY,   'ÉOvY, 

Swete,  Intr.,  307,  cf.  374  et  du  même  :  The  Gosp.  ace.  to  St  Mark, 
Lond.,  1903  -  avec  Ind.  -  6,  7  o-Jo  Sûo,  cf.  Schilling,  Comm.,  lOo, 
qui,  comme  Swete,  voit  un  hébraïsme  dans  ce  oûo  ô-jo,  ainsi  que 
Allen,  Expos  ,  June,  1900,  440  Pallis,  p.  97  :  o-.ô  oib  -  ;  cf.  Gen.  7,  9 
—  pas  12,  Dieterich,  Untcrs.,  188  ;  Jannaris,  p.  178,  i<  666,  et  6,  39 

ç'jaîrÔT'.a  (Tja-ÔT'.x    Pallis,  p.  99  :  TcapÉîç  Tcaoésçi;  ajoutez  6,  40   TrpaT'.a'. 

7:px<j'.al,  Pallis,    /6.  .•  xaTîSaTà  xaTsêaxà^  ;  V.  Nôsgen,  />/<?  Evatig., 


1.  Ex.  19,  20,  la  Septauto  traduit  très  bien  'Exâ),£(3ev...  ISIwOgtjv  ^  çtôvaHî  xô  MwOrîri 
=  appela  Moise,  là  où  l'hébieu  donne  piùcisénient  b  i^nÇTw?).  On  ne  voit  pas  coniiuciit 
Swete,  Inlr.,  331.  ranire  ce  verset  parmi  les  liébr.  :  il  le  détruit  par  ses  jHopres  remar(|ues 
Ih.  .  — V.  pour  un  cas  analo^m;  à  ^\6n,  le  fait  très  intéressant  coininiMité  par  Cler- 
niont  Gaoneau,  liée,  d'arc/i.  or.,  1  (188.j),  200. 

■2.  Sur  cette  orthograpiie  et  ?es  inconvénients,  v.  J.  P.,  lievjte  cril.,  1901,  409.  — 
La  Iradnctinn  en  grec  moderne  des  suintes  écritures  est  interdite  en  Grèce  par  lanto- 
rité  ecclésiastiiiue  ^v.  J.  P.,  La  r/iter.  des  Ev.  en  Gr.,  La  lievue,  1  Janv.  1902,  19  s., 
'P  X.  M.,  IV,  12  s.,  I."j2  s.l.  Voici  cependant  ipie  ces  traductions  prenncid,  en  Europe, 
un  intérêt  scientilii|ue  immédiat  dans  la  ((uestion  des  hébiaïsmcs.  Pour  ap|irécier  la 
Septante  à  sa  juste  valeur  de  document  pliiloliii.'i(|ue,  il  faudrait  même  la  traduire 
tout  entière  dans  le  irrec  le  jdus  vuUjaire.  S.  S.  le  Patriarche  œcunniiicpie  de  CP  , 
Juachim  lll,  qui  est  un  lionmie  intelli^'ent,  n'avait  sûrement  jKiint  pensé  aux 
béliraïsmes!  —  La  tr.iduction  de  Pallis,  qui  peut-être  ne  les  i)réviijait  jias  davantaL-^e, 
présente  un  i.'ros  défaut;  les  vérifications  n'en  sont  jioint  faciles  pour  les  clierclieurs, 
parce  que  Pallis,  (|ui  tient  évidtniment  à  se  distinifuer  en  tout,  a  ailnpté  une  numéra- 
tion hors  il'usai-'e. 

3.  Cette  traductio'n  ne  nous  parait  jms  alisulnnient  exactf.  J'aurais  j;ardé  îrafe';; 
lio\u'  Tpa<ïtâ  ;  les  deux  sens  se  couvrent  tout  à  fait  :  Trfaatâ  planche  de  poi- 
reaux, d'où  plaie-bande  de  polof/er,  d'où  plaie-bande  de  lér/utnes,  d'où  division, 


184  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

Miinch.,  1897  =  /ù<rs^,.iromm.  de  StracketZ9ckler,«6//.,p.  240, ii.)- 
Mais  le  grec  cité  parThumbf/.  /.),  d'après  Diclcrich,  Unters.,  188, 
où  Marc,  /.  /.,  figure),  sauf  oub  ouô,  qui  est  courant,  ue  prouve  rien, 
parce  que  ce  n'est  pas  du  grec  :  itêiTrarw  tô  y'-^càô  yiaXô  (=  aiy.aXbs)  ne 
veut  rien  dire  ;  yiaXô  ycaXô,  coninie  crTsaxt  «rTfaTî',  sont  pris  adverbia- 
lement, donc  sans  xô,  et  l'on  dira -TTEpTraTw  ou  7rY,Yaîvoj  Y-.aÀô  y-^''^^^'  "'lY^- 
(TToarl  urpaTt  (pour  le  sens,  cf.  carpere  prata  fuga  Verg.  Georg.,  III, 
\4"2,7norcemi  par  morceau,  v.  T'er/y.  i¥rtr.  0;;.,  éd.  A.  Forbiger,  I', 
1872,  adl.y^.  Les  seules  comparaisons  à  faire  eussent  été  :  ^Xs-to 

ou  [JL£Tpw  ou  Ttaîpvw  TÔ  xoTtiot  àpvl  àpvî,  ip/ouvrai  OU  sva;  sva;  OU  TrpoêaTa 
Trooêata  (cf.  lOv^  lOvr,  ;  rappr.  va  p.£   0'.;^oto|Ji.7j(7ou(7'.v  [jlÉÀy,  jasay,  daus  'l'A. 

X.  nx.,  V.  246,  W.  Wagner,  ii/^^.  gr.  Texts,  Lond.,  1870,  etc.,  etc.). 
Jannaris,  qui  est  Grec,  rappelle  plus  directement  [Gramm.,  §  666) 
le  classique  (xîav  [xiav  àvr-.  xaxà  aiav  de  Sophocle  dans  VAntiatt., 
Bekk.  Anecd.,  I,  108,  9  (rappr.  tU  xarà  eïç  chez  Allen,  Expos., 
June,  1900,  440).  'ETcspij^sva  (écr.  ticg.,  sans  augment  !]  woeç  wcc? 
(Dieterich,  /.  /.)  ne  signifie  rien,  si  ce  n'est  des  heures  et  des  heures 
(mieux  :  wpeç  xi  djps;).  Pour  obtenir  le  sens  partitif,  il  faut  supposer 
des  pbrases  comme  :  wpeç  cope;  ysXio  (xi)  wpeç  wpEç  xXaûo,  Alors  seu- 
lement on  comprend  que  le  grec  de  la  Septante  et  le  grec  moderne 
sont  une  seule  et  même  langue. 

Dans  ÈTOisiv   aTCO   (TpcoYw   aTTo),   icpspcv    £Lç  Tpiâxovxa   l'Éosps,  xà'^îpî   rrxà 

xp'.âvxa;  autrement  t^allis,  91),  où  Swete  (éd.  de  saint  Marc,  citée 
ci-dessus,  7,  28  èaO.  à.  xwv  'W/jm^,  cf.  Schilling,  Comm.,  201,  4  s  , 

section,  groupe  (v.  Bailly,  s.  v.).  C'est  ici  ce  dernier  sens  qui  convient.  Or,  Trapéa 
signifie  précisément  cela,  groupe,  compagnie  (Ttaf/c'yia  seulement  daus  G.  Meycr, 
Neugr.  St.,  lV,D/e  rom.  Lehnw.  i.  ngr.,  Wien,  1895,  s.  v.,  cf.  J.  P.,  Reu.  criL,  XXIX 
(1895),  27o)  ;  du  vén.  paregio  (G.  Meyer,  /.  l.  [c'est-à-dire  pareyio,  avec^of/l,  il.  pareg- 
giare  [G.  M.;  cf.  Tommaseo-Belliui,  Diz.  d.  l.  it.,  lU,  s.  v.et  "2  Pareggiare  i  conii, 
régler,  égaliser  ses  comptes  (v,  ib.,  4),  d'où  Divenire  eguale,  ib.,  8  ;  même  sens  de 
pnrègio  en  vén.,  v.  Boerio*,  Di:.  </.  dial.  ven.,  1856,  qui  ue  cpnnait  (jne  W  semàe  pareg- 
giamento,  v.  Tomni.-Bell.,  s.  v.),  cf.  parificazione  («  L'atto  del  iiariUcare  »  Tomni.- 
Bell.,  s.  v.,  donc  :  former  groupe). — Pareggio,  terme  de  marine  (cf.  Jal,  Glosa,  naul., 
1848;  Corazzini,  Voc.  naxit.  it.,Y,  1906,  s.  v.  paraggiO',  parage,  «  eigenll.  gleicliliuit, 
ehenburligkeil  von  par  »  (Diez,  Et.  Wort.b.  d.  rom.  SprK,  1881),  u"a  pas  l)es(iin 
d'entrer  en  lit;iie  de  compte.  KaTcfiaxà  cliez  Pallis  a  dû  être  entraîné  par  àviueuav 
Marc,  6,40;  cru[j.u.  oujxu.  aurait  pu  être  garde  à  la  rigueur. 

1.  Le  /  lat.  de  slrata,  hospitium  (ottîti),  -dlus  (-cxto;),  etc.,  etc.,  s'est  conservé  en 
grec  moderne.  iTpati  est  une  formation  analogique  inUépend.anle  —  comme  xa).oxai[;i 
—  caries  formes  pleines  en  -lov  n'ont  probablement  ici  jamais  existé  (sur  -iv  Et.  iig., 
238,  'P.  X.  M.,  II,  322  s.,  où  je  maintiens  ma  position). 

2.  On  dira  bien  naîfvw  xô  axpoxi  ffxpaxt,  mais  il  faut  faire  attention  à  cette  syntaxe 
délicate  :  Traîpvw,  actif,  euti'aîne  l'article  et  dans  le  second  oxpaxi,  en  réalité,  il  y  a 
deux  'îxpaxî  pour  le  sujet  parlant.  La  locution  adverbiale  s'est,  par  le  contact  du  pre- 
niier  oxpaxi,  avec  l'article,  condensée  dans  le  second, 


ESSAI   SUR   LE   GREC   DE  LA   SEPTANTE  18S 

4,  8'  découvre  des  liéhraïsmes,  A.  Tlmmb  Ilellen.,  h28,  ^  peut 
être  sur  qu'il  uy  en  a  point,  pas  plus  (|ue  dans  àp~ov  oxv£iv  bsx 
Dnb,  Swete,  //</;•,  307;  Dalman,  W.  J.,  «JO  ,  ou  ni  la  construction 
(cf.  gr.  mod.  Tptôyw  fojaî,  V.  Kuhner-Gerth,  I,  l,  p.  3o6,  A.  !2,  et 
ÈTT-eufAo) -}- ace  Deissm.,  lUb.st.,  48  ni  le  sens  cf.  Rutli.,  1,  6,  vivres] 
ne  se  prêtent  à  un  liébraïsme  ;  ce  serait,  tout  au  plus,  un  hébraïsme 
de  vocabulaire  Scbilling,  /.  /.).  Swete  lui-même  reconnaît  ^p.  297, 
àyvsÀo;,  etc.)  que  les  influences  lexicologiques  doivent  être  mises  à 
part.  Dès  qu'on  fait  intervenir  le  grec  moderne,  bien  des  prétendus 
iiébraïsmes  nous  apparaissent  comme  de  précieux  incunables  du 
grec  tel  qu'il  se  parle  aujourdbui.  Voici  quelques  rapides  rappro- 
chements :  c-iN,  vir  et  aliqtiis  cf.  Gesen.,  Th.,  8o  ô  ,  rendu,  Lev., 
17,  9,  par  'i/u/T,  cf.  Hatcb,  Ess.,  101),  paice  que  le  grec  moderne  .î/j/y, 
veut  dire  âme  et  quelqu'un  ou  même  personne  :  o'ev  ripOe  •}'->//,,  ou  : 
■z-r^-r-AvM-  'Vj/7-  !  Inversement,  Gen.,  14,  "21  toù;  xvSpa;  =  "opsrr  ^sur  •!/. 
V,  encore  Hatcb  Ess.,  M;2-o  si.  —  'Eêadi'Àsu^ev  tov  Sxo'jX  I  Reg. 
15,  3o,  a  fait  rétjner,  nest  pas  un  bipbil  pas  plus  que  les  autres- 
verbes  cités  par  Viteau,  R.  de  Ph.,  XVIII  ,1894  ,  37  ;  cf.  gr.  mod. 
TovÈ  (j-rjuoilM,  je  le  fais  étudier,  xovs  î^w,  je  le  fais  vivre,  je  lui 
fournis  les  moijens  de  subsistance,  ijik  -sOavs,  //  m'a  fait  mourir,  il 
m'a  ennuyé,  enragé  ;\.  dailleurs,  cbez  Viteau  lui-même  /.  l.  ,  les 
attacbes  avec  le  passé  xaOiCw,  faire  asseoir  ;  cf.  xaç-w^x-.  Deissm  , 
Bib.st.,  133  .  —  Elç,  art.  indéf.  Viteau,  Et.  I,  xxxv;  Allen,  E.rpos., 
June,  1900,  440'.  comme  le  mod.  sva?  àOpojzo;  cf.  Deissm.,  i?/6.. s/  , 
135,  xaO'  sic,  ci;  xaO'  l'xacToç,  qui  traduisent  pourtant  •O'^n).  — 
Presque  tous  les  -o-.oj  qui  passent  pour  des  piël  ou  des  bipbil 
(Viteau,  R.  de  Ph.,  XVIII,  37,  6:2,  «    se  rendraient  par  des  xâvw 

(=   xâavw  .    —    A'.oôva'.=  7ro'.£iv    dans    'Éowxav    ç-ayelv      ib.\    ils    firent 

manger,  se  dira  xou  oo'jcravs  va  -.^i-r^  cf.  bibere  dare,  Brenous,  Hellén., 
269). —  'O  uLEvx;  à-ô  TO)v  àScXcptov  aÙToU  (T'HwNitt  ^iian)  Lév.,  21,  10 
Swete,  Intr.,  308  est  moderne  quant  à  %izo  (cf.  Act.,  8,  10,  dans 
Viteau,  Dict.  Vig.,  323;  le  à-ô  de  iTrixaTipaxoç  (tù  k-zh  ttocv-wv,  etc. 
Gen.,  3,  14,  qui,  pour  R.  Simon,  214/!>,  ne  «  fait  aucun  sens  's  en 
fait  un  excellent  en  grec  moderne.  Sur  à-ô  en  composition, 
V.  G.  Heine,  Syn.,  40,  avec  le  sens  moderne  de  renforcement, 
d'acbèvement  ^à7ro-£À£'.(6voj  = /yrt/'acAé-fi?;'),  que  na  pas  vu  lauteur 
dans  certains  des  verbes  cités,  'ib.,  tels  que  àTr&ToXaôi;.  —  Mr,  ooSeï-jOc 
àuô  Twv  àzoxTEvvôvTojv  Tô  Twixx  (Mattb.,  10,  28;  ScbilHng,  Co7nm., 

1.  Mais  ici  le  passaj-'e  est  obscur,  v.  Swete,  Saint  Marc,  ad.  l.  Pour  ma  i)art,  c'est  ëv 
que  je  lirais  sùiciiient,  iiiaL'ié  Wetlli.,D.  Ev.  Me,  Berlin,  1904,  p.  31,  et  Klustermann, 
Markus,  Tiib.,  1907,  |i.  33-i,  ii.  à  4,  8.  V.  aussi  Allen,  E.i/jos.,  June,  1900,  4i0. 


486  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

184,  40)  fait  de  très  bon  grec  moderne  :  [xr,  '^oSaTis  à-ô  [j-Éva,  c'est-à- 
dire  quoique  ce  soit,  ou  pm'ei/fe  chose,  t-'-zotiç  ou  tîto'.o  Triàax'.  — 

Dans:  Aûxot  xolioI  pac.ÀETç  aÙTwv  xat  o;  OLoyo^rtç  a'jxwv  xat  ol  leocii;  aÙTojv 

xal  ol  TToopiTai  aÙTwv  Jer.,  2,  2C,  OÙ  le  traducteur  pourrait  bien  avoir 
été,  en  partie,  entraîné  par  Toriginal  —  ce  n'est  pas  toujours  le 
cas  (v.  plus  loin)  -  il  n'en  faudrait  pas  moins  aujourd'hui  autant  de 

Touç  répétés  :  oî  paT-.À'.àoâç  to'jç  y.ai  oî   àç.yôvTO'.   rou;   y.a;  ol  Σsy,o£ç-  to'j; 

xat  0'.  Trpo'piTc;  to'jç.  —  Il  V  a  beaucoup  de  rapport  entre  Luc,  24, 
21,  TO!TY,v  TaÛTY,v  -/ifAEsav . . .  ào '  0-j  (Viteau,  /i"^.  /,  .xxxvni  et  Pallis, 
p.  211  (où  TsiTY,  aspa  TOJTY,,  àooU  Y£v/,/'.y.v£  ô).x  serait  i)rérérable  .  — 
Los  /.xt  répétés  entre  propositions  principales,  Jud.,  13,  10,  au  lieu 
de  xa/scoç  o£  Yj  Y'jvY,  oçaaovca,  voulu  par  Viteau  (Dict.  Vif/-,  317; 
rappr.  Allen,  E.rpos.,  June,  1900,  437  s.  ,  constituent,  au  con- 
traire, un  exemi)le  excellent  de  syntaxe  analytique,  homérique 
et  moderne.  Quant  au  /.'A  de  fîo'jÀe'jscrOE  xal  à~o/.ç.'.Ow  3  Reg.,  12,  G 

(Viteau,    Dict.     Vif/.,     317    ,    TrpOTÉOETO     Xa-.     IxàÀECrSV,      <7'JVT7.;£'.Ç     TOTç      UîOtÇ 

'I-rpaY,/,,  xal  oco(7&u<:'.v  (Swete,  7///r.,  308  ,  au  lieu  de  la  proposition 
subordonnée,  cela  est  essentiellement  moderne  :  xbv  eloa  x'  ex/.a-.vE, 

<7'JVY,0''^£'.   xal    ÀÉe;,   XI    0£À£X£    xa-    xou    àTioxçivouaai  ;    etc.,    etC.    (SUr   CC 

xal  et  sur  le  vaw  consécutif,  v.  tour  à  tour  et  à  des  points  de  vue 
divers,  Moulton,  Gr.,  12;  Niigeli,  IVortsch.,  13,  2  ;  Thumb,  Hellen., 
129  et  ib  ,  n  3;  rappr.  Kaibel,  Std  u.  Text.  d.  IloÀ.  'A6.,  Berl., 
1893,  p.  70  s  ,  surtout  78-9  pour  Aristote  (l'usage  du  xaï  dans  le 
N.  T.  n'est  peut-être  pas  aussi  loin  du  grec  classique  que  le  croit 
Kaibel,  ib.,  78-9  ;  il  n'y  a  pas  de  langue  au  monde  qui  ait  fait  et  qui 
fasse  encore  de  xal  un  plus  grand  usage  que  le  grec,  cf.  ib.,  182, 
ad  XXV,  4,  et  193,  «rfXXXVlI,  2  ;  cf.  Zwaan,  12;  ïh.  Vogel,  Z.  Ch. 
d.  L.,  32;  Brenous,  Hellén.,  59  ;  au  sujet  du  xal  =  aii,  pour  aussi 
(Swete,  Iiitf.,  331  ,  je  note  que  ce  sens  est  fréquent  en  grec  de  tous 
les  âges  et  môme  en  latin  :  et  dona  fcrrntes,  Verg.  Aen  ,  II,  49; 

1.  ScliiUiug.  l.  /.,  oppiise  le  classiiiue  ooorî^Oaî  ~vix  et  ilaiis  àirô  voit  un  lié- 
))raisnie.  Ce  volume  a  un  irrund  avaiita.ire:  c'est  iiu'au  point  de  vue  où  nous  nous 
l)la(;ons  en  ce  niutnent,  il  mériterait  J"ùtre  repris  tout  entier,  l'auteur  y  ayant  accu- 
mulé avec  lieaucoup  de  soin  des  liébraismes  aussi  illusoires  souvent  (lue  celui  dont 
nous  veiinns  de  i)atlrr  [ih.,  U,  ç-j/.âT'jE'TOî  àirô  (cf.  Briinin;:,  Lie  Spr.f.  </.  zii-.  T/i. 
hr.,  iO)  est  éifalcment  muilerno  ;  cf.  ei:.  [ii'a,  î-i,  dans  le  sens  de  xî?,  tivôî,  cunime 
aujiiurdliui,  p.  125,  6,  etc.,  etc.)  Une  excellente  tal)!e  (p.  x-xv)  et  un  Index  (p.  219- 
233)  facilitent  les  reclierclies  —  de  sorte  ipi'il  n'y  a  iju'à  s'y  reporter,  jionr  jirendre  le 
contre-pied,  et  tomber  juste. 

2.  Le  grec  savant  Ispeî;,  prononcez  ii;iî;,  n'est  [ilns  aujourd'hui  d'aucune  décli- 
naison et  ne  présente  jdus  aucune  forme  grammaticale  connue.  La  désinance  -oe;,  au 
contraire,  est  actuellement  en  pleine  prospéiité,  ijnisipi'elle  s'applique,  dans  le  parler 
naturel,  même  aux  substantifs  d'iniportalion  savante  :  po-j),£ÇTio£:.  ;—  pow/£"j:ai, 
pr.  [io\;)£ÇT£\  y.a()YiY/;TàS£;,  ^oiTTiidoeç,  etc. 


ESSAI  sua   LE  GllKC   DE   LA   SEPTANTE  187 

cf.  Kocli,  Volht.  Wnrt.b.  z.  d.  Ged.  d.  P.  V.,  1875,  p.  168 «;  assu- 
rément, il  y  a  on  moins  une  nuance  de  sens  dans  le  grec.  — Enfin, 
on  a  tiré  grand  avantage  de  labsence  relative  des  os  dans  la  Sep- 
tante V.  à  ce  sujet,  Nageli,  Worlsch.,  12;  cf.  Schleusner,  Le.r.  in 
LXX,  Lond.,  18:29,  s.  v.  ;  H.  a.  R.,  Conc,  donnent  s.  v.  «  pas- 
siniB!\  et  l'on  a  reconnu  là  une  influence  hébraïque.  M.  3Iau- 
l'ice  Croiset  me  fait  remarquer  l'absence  de  ces  mêmes  oï  dans 
Ménandre.  là  où  on  s'y  attendrait  en  grec  classique  :  cf.,  en  ellVt, 
G.  Lefebvre,  Fr.  d'un  ms  de  Mén.,  Le  Caire,  1907,  p.  37,  v.  48, 
et,  en  général,  dans  le  récit,  v.  p  41.  Nous  y  reviendrons  ailleurs 
■pour  les  rapprochements  lexicologiques  entre  la  Septante  et  \a 
comédie  moyenne,  v.  Kennedy,  Sources,  72  s.  ;  etc.,  etc.  '. 

Que  dire  maintenant  d'un  hébraïsme  aussi  complaisant  que  celui 
que  Swete  [Inlr.,  307;  cf.  Viteau,  Dict.  Vig.,  319  constate  dans 
(Toôopa  ffooopa  OU  dcpôopa  dcpoopwç?  La  répétition  pour  renforcer  le  sens 
est  tellement  naturelle  à  toutes  les  langues,  que  M.  Bréal  Mém. 
Soc.  Ling  ,  XI  1900:,  277-8)  explique  par  le  redoublement  de  la 
racine  les  parfaits  grecs  XÉXuxa,  etc.  cf  Brugmann-\  §  384  s.;.  En 
arabe  vulgaire,  on  signale  iJ  i)  là  là,  c'est-à-dire  là  redoublé,  non- 
non  iGasselin,  Dict.  fr.-ar.,  II,  1880;  Marcel,  Voc.  fr.-av.  d.  dial . 
viilg.  afr.,  J837  et  éd.  V,  188o,  où  la  transcription  Id-ld  indiquerait 
que  les  deux  mots  n'en  forment  qu'un),  et  l'on  dit,  en  effet,  sous 
toutes  les  latitudes,  non  no7i  et  oui  oui'-. 

Il  y  a,  pour  nous  servir  d'une  expression  de  R.  Simon  203a  , 
quelque  «  emportement  dans  toutes  ces  opinions  ».  Nous  ne  voyons 
pas  pourquoi  on  n'a  pas  prétendu  tout  aussi  bien  que  l'hébreu  de 
la  Bible  est  un  idiome  néo-grécisant,  un  Vulgàrgriechischjudisch. 
Il  y  en  aurait  presque  autant  de  preuves.  En  effet.  Gen  ,  6.  14, 
nnn-  rx  nmn  D"'5p  cf.  Ges.,  Th.,  s.  v.  nc^,  conclavia  faciès 
arcam  i.  e.  arcam  in  conclavia  dividas,  conclavia  facias  in  arcai 
semble  nous  présenter  au  premier  abord  une  construction   toute 


1.  Nous  vouliins  |tr(f voir  toutes  les  objectiiuis.  Ou  pourrait  jieuser  que  les  moder- 
nisme.'i  relevés  par  nous  dans  ces  pages  sont  tout  de  même  des  hébraïsme.f,  parce 
qu'ils  provieiidraieut  de  la  traduction  même  de  la  Seiitanlc,  d"où  ils  seraient  passés 
dans  la  langue.  Cett"  thèse  serait  bien  difficile  à  soutenir.  Jamais  on  n'a  vu  de  //■«- 
(ludion  jouir  d'une  influence  pareille  ni  même  d'une  influence  quelconque.  .\u  sur- 
plus, nous  avons  montré  partout  qu'il  s'affissait  dun  dévelnppement  coidinu.  antérieur 
et  postérieur  à  la  Septante.  L'hypothèse  d'un  judéo-grec,  qui  serait  ainsi  confirmé 
par  l'état  moderne,  ne  tiendrait  jias  davantage.  On  a  <h"i  comprendre,  par  toutes  nos 
déductions,  fpie  cette  hypothèse  ne  se  soutenait  par  aucun  endroit. 

■2.  Mon  fils  Ernest  m'apprend  qu'en  baya  , Congo  français),  déclé  signifie  simplement 
bon.  D'autre  part,  méchanl  se  dit  déna,  où  na  est  une  négation.  D'où  il  ajipert  que 
dédé,  superlatif  ancien  par  rcilnublement,  s'est  émoussé  en  simple  jjositif.  Cf.  bonbon. 


188  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

hébraïque  avec  le  double  accusalif  v.  Ges..  /.  /.  ;  Strack,  Die  Gen., 
Mûnchen,  1903,  p.  !27,  n.  oi  ;  on  pourrait  soutenir  pourtant  qu'elle 
est  iniilée  du  grec  uiuderuc  où  elle  est  de  règle.  On  dirait  donc  ici  : 
TYjV  x'.êwTo  fou  tout  autre  mot)  Oà  ty,v  xxa-/-,ç  xEÀÀ'.à  (xcÀX'' S  sens  de 
p  ;  cf.  Sept.  voiT'.àç  7ror/j<7£'.(;  ty,v  xifjtoxov).  "ExoLit.t  '6vrj\j.x  est  aujourd'hui 
courant;  nous  le  retrouvons  dans  ci  ib  i->by,  cf.  Gen.,  11,  4  fecit 

sibi  nomen    Gesen.,  /.  /.),  tio'./iTcoijlsv  éauToT;  ovoixa.  Kâvco  Y£V£'.a,.Tç,'!y£ç, 

etc.,  répondent  exactement  aux  locutions  bibliques  énumérées  par 
Gesenius  (?6.),  et  xivoj  Ta  vû/ta  [jlou  serait  la  seule  expression  juste 
pour  rr^î-.Eîç-rN  -nb^i  Deut.,  21,  12,  où  la  Sept,  ne  sait  mettre 
que  7:3oiovu/!£tç.  La  Septante  ne  comprend. pas  2  Reg.,  13,  4  ^p'33 
npba  (tô  Tipoji  7IS0JC,  cf.  Adrian.,  El^ay.,  102,  §  87),  alors  que  cela 
signifie  m  ^/e^',  cf.  Ges.,  Th.,  234  «,  K.  Budde,  Z)/e  /?.  5rtm.,  1902, 
p.  200  ;  trad.  allem.  dans  A.  Kloslermann,  Die  B.  Sam.  ii.  d.  Kôn., 
NôrdUngen,  1887,  p.  185.:  Morgeti  fïir  Morgen;  grec  moderne 
(A£pa  TYi  [xÉoa  ;  OU  pourrait  même,  sur  ce  modèle,  tenter  ttioùvy,  ty,v 
Tipwïvvî,  qui  rendrait  exactement  n]5'3. 

Il  y  a  donc  des  coïncidences  fortuites  entre  des  langues  qui 
n'ont  entre  elles  aucun  contact  historique.  Par  exemple  laoriste 
gnomique  est  très  employé  en  turc  osmanli  Millier,  T.  Gr.,  p.  79; 
et  n'a  rien  de  commun  avec  l'aoriste  gnomique  ancien.  Même 
des  langues  contemporaines,  en  contact  perpétuel  l'une  avec 
l'autre,  ne  se  contaminent  pas  nécessairement  pour  cela.  Le  turc 
dit  volontiers  jA^  a!^^  iô^i,  f/ïdé  r/iilé  gelir  (Mùller,  p.  84,  §  73),  // 
vient  en  riant  sans  cesse,  tout  en  riant,  comme  le  grec  moderne 
y£Ào')VTaç  ^(s.\ôiVTixi;  "lo/Exa-.,  OÙ  uous  retrouvons  uu  gérondif  iden- 
tique, sans  que  ces  gérondifs  et  sans  que  ces  répétitions  se  doivent 
rien  réciproquement.  Dans  une  étude  très  intéressante  et  qui  est 
demeurée  d'ailleui's  complètement  inaperçue  I\ô(7[i.oç,  G.  P.,  1883, 
«I>!XoX.  ]xi\.  iz.  T.  oOtoix.  yÀ.,  569  s.),  l'auteur,  A.  Karathéodori,  croit 
à  tort  à  une  influence  turque  sur  certaines  locutions  grecques 
(v.  fasc.  38,  p.  035  s.  et  surtout  637  d .  l^'influence  contraire  pour- 
rait se  soutenir  tout  aussi  bien  et  ce  qui  est  encore  plus  probable, 
c'est  qu'il  y  a  des  rencontres  fatales,  en  quelque  sorte,  quand  il 
s'agit  principalement  de  verbes  aussi  élastiques  que  ni?  ci-des- 
sus),/'«c^r,  xâvco,  etc.  Les  emprunts  lexicologiques  du  turc  au  grec 
moderne  (J.  P.,  Et.  ng.,  LXXÎIl-LXXXII;  G.  Meyer,  Titrk.  St.,  t, 


1.  v.  ci-dessus  184,  1;  le  c  latin  est  resté  de  iiiènie  en  grec  iiindenie.  Mais  ici  lums 
avons  x£),),îov  et  même  x£).).a,  v.  Soi»liocIes,  Gr.Lex.^  s.  v.  Sur  ce  mot,  cf.  S.  Krauss, 
Gr.  V.  lai.  Le/inw.  i.  Talni.,  etc.,  II,  Bcrl.,  1899,  p.  503  h:  Scldattcr,  Verk.  Gr.,  66; 
cf.  67,  ib.,  xîvuTepva,  etc. 


ESSAI  SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  iS9 

Wien,  1893;,  les  emprunts  du  grec  moderne  au  turc,  sur  lesquels 
nous  navons  jusqu'ici  aucun  travail  méfhodiiiue,  apparljennent  à 
un  tout  autre  ordre  de  faits.  Dans  la  question  des  hi'braïsmes,  il 
faudrait  suivre  ou  plutôt  reprendre  le  système  excellent  de  Swete 
Intr.,  330  s.  ,  qui  passe  en  revue  les  différentes  parties  de  laBihle, 
afin  d'y  faire  la  chasse  aux  liébraïsmes '.  Deissmann  iHer/og-', 
639,  25  s.)  demande  également  des  études  spéciales  pour  chaque 
livre,  et  Schiïrer  [Gesch.,  \W,  311  ohserve  avec  raison  que  les 
héhraïsmes  varient  suivant  les  livres,  bien  que  lui  même  il  se  place 
à  un  point  de  vue  retardataire.  Il  conviendrait,  dans  ce  travail  nou- 
veau, de  tout  contrôler  à  la  lumière  du  grec  moderne. 

Une  dernière  remarque  sur  les  héhraïsmes  de  la  Septante  est 
que  celle-ci  n'est  pas  toujours  une  traduction  servile.  Elle  est  sou- 
vent une  traduction  libre  Deissm.,  Herzog^,  637,  J4-15  :  «  nicht 
iibersetzen,  sondern  ersetzen  »  ;  Swete,  Intr.,  329;  cf.  313-4,  à 
propos  des  Macc.  ;  Hatch,  Ess.,  16  s.  ;  Schtirer,  /.  /.  ;  Thumb, 
Hellen.,  130,  1,  l7o,  3;  cf.  Thiersch,  Diss.,  34,  sur  pp  =  ïy.  ou 
T.x'A,  et  les  bonnes  études  de  Frankel,  Vont.,  146s.,  sui-  les  pi'épo- 
sitions;  pour  Esther,  v.  Jacob,  Im  N.  G..  140  s.  .  Cette  traduction 
est  même  fréquemment  inexacte  Frankel,  Vorst.,  209,  n.  j,  etc.  ; 
Suete,  Intr.,  325-6  et  présente  hien  des  contre-sens  v.  ci-dessus, 
TTiwi  TToco!;  Frankel,  Vorst.,  75,  194  et  à  parlir  de  191  ;  cf.  ib.,  I(i3  4  ; 
Thiersch,  Dm.,  29,  sur  -jtpoTEso;  toj  =  -zh  c7ov  ï^'rop  ;  R.  Simon, 
219  6,  par  confusion  du  n  et  du  t  ;  cela  lient  parfois  à  ce  que  les 
traducteurs  travaillaient  sur  un  manuscrit  non  vocalisé  11.  Simon, 
217  s.;  Frankel,  Vor>it.,  214,  v.  ex.  ibid  ;  Smith,  Dict.  of  ihe 
Bible,  III,  1893,  art.  Sept.,  p.  1206  ;  rappr.  Israël  Lévi,  Eccles.,  I, 
xLi  s.  ;  Frankel  tient  aussi  compte  des  altérations  dues  aux 
copistes,  ib.,  89;  v.  surtout  Fétude  approfondie  du  môme  dans 
Ueb.  d.  Einfl.,  etc.  p.  4  s.,  avec  détails  sur  le  mode  et  V esprit  de  la 
traduction,  p.  89  s.'.  En  réalité,  tantôt  ils  suivent  de  près  le  texte, 
tantôt  ils  s'en  écartent  Frankel,  Veb.  d.  EinfL,  13  s.,  etc.,  etc.). 
Thiersch  Diss.,  6  remarque  qu'ils  ont  souvent  abandonné  l'héhreu 
pour  être  plus  près  du  grec  :  ad  communem  Grœcorum  loquendi 
modiini  [ib.,  39l.  Ils  en  usent  avec  le  texte  assez  familièrement  : 
'AaaÀO£':a;  xspa;  Job,  42,  14,  doit  rendre  "rj^ûr;  "jnp,  qui  est  un 
hébraïsme  caractérisé  (cf.  Volck-Oettli,  Z)/f /)op/.  liagiogr.,  Nôrdl., 

1.  On  a  relevé  aussi  uu  éf/ijptisme,  jiisqu'iii  uiii(|uc,  dans  le  Koiv^,  ôvo;  Oîtô  oïvou, 
Deissm.,  Hcrz.»,  638,  4.3-,"),  Thumb,  llelleu.,  124.  V.  dans  Tiiumb  6,  Prinz..  248-9, 
la  divination  avec  la((uclle  Wellliausen,  D.  Ev.  Mallh.,  Berl.  1904  (14),  rend  Traf.f,).8Év 
par  vorgeriickt  [non  :  vorhei],  conformément  au  sens  du  ir.  mod.  Ttapâ. 


190  REVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

1889,  p.  100;  B.  Duhm,  Bas  B.  Hiob,  Freib.,  1897,  p.  20G/,  le 
fameux  biN'i  est  couramment  rendu  par  aor.ç  Frankel,  Vorst., 
'iO'd^  .  Pour  éviter  la  monotonie,  ils  varient  bien  des  fois  leurs 
expressions  Tbiersch,  Dhs.,  32-3,  où  jolis  exemples  ;  v.  ib.,  40  iw? 
Toù  oùoavou,  pour  a;*wçr:  nb-n:y-i  ;  cela  devient  ainsi  une  £ÀÀY,v'.xcoT£ç,a 
TTaç.aŒ.paT'.;  ib.,  33  .  Tbierscb  a  noté  une  certaine  recherche  poé- 
tique dans  les  Cantica  du  Pentateuque  ib.,  41.  Parfois  aussi  leur 
vocabulaire  est  pauvre  :  Vvh  sert  à  quatre  mots  hébreux  différents 
(E.J.  Goodspeed,  Did  Alex.  inf).  the  naiitical  Lang.  ofSt  Liike? 
Expositor,  Aug.,1903,  N.  XLIV,  13oi.  On  sait,  d'autre  part  ^cf.  Fran- 
kel, Vont.,  8-9  ,  que  ^a,  advena  /cf.  Muss-Arnolt,  op.  cit.,  61  ; 
Bochart,  Hierozoic,  I,  577(7,  1.  49  si  est  représenté  tantôt  par 
Yeuôoa;  Ex.,  12,  19;  14,  1,  Is.,  14,  1,  tantôt  par  ttsot/iXuto;  (cf.  Schleus- 
ner,  op.  cit.,  s.  v.)  Ex.,  12,  48,  49,  I.ev.,  19,  34,  etc.,  aussi  bien, 
comme  on  peut  s'en  convaincre,  dans  les  passages  où  le  sens  est 
favorable  Lev.,  19,  34;  Ex.,  14,  1  ,  que  dans  ceux  où  il  ne  l'est 
pas  Ex.,  12,  19i.  Le  mot  i-^n  reste  ïv  Lev.,  23,  13^mais  il  est  décrit 
par /oyç  Lev.,  19,  36.  Enfin,  n'oublions  pas  le  mot  le  plus  im])or- 
tant  :  ra«,  àvàitaua'.ç  Ex.,  23,  12   où  il  faut  certainement  adopter 

la  leçon  de  A  avaTr'auaY,  =  àvaTiaûir,  =^  àva-aÛTS'.  =  n'3Cn,  2"  pers.    dc 

l'bébreu  ,  Is.,  37,  28  cf.  Lev  ,  2o,  8  ,  alors  que  nous  avons  c-i^jSaTa 
Ex.,  31,  13  ib.,  lo,  A  aàSéaTov,  qui  se  lit  à  partir  des  Rois,  v.  Har- 
tung,  Sept.  St.,  p.  lo  ;  H.  a.  R.  Conc,  s.  v.  ;  cf.  Th.  Vogel,  Z.  Ch 
d.  L.,  14,  2;  Krenkel,  Jos.  u.  Luc,  lOo  ;  nous  trouvons  même  les 
deux  à  la  fois  SàSêaTa  àvâ-Traucîç  Ex.,  16,  23  'Cijî-naç  lina-ç  ;  cf.  Ex., 
31,  lo;  3o,  2;  Lev.,  16,  31  ;  23,  3  ;  24,  39;  25,  4,  o  ;  sur  le  sens 
primitif  probable  de  l'hébreu,  cf.  H.  Hirschfeld,  Journ.  Boy.  As. 
Soc,  N.  S.,  XXVIII  1896;,  3o7  ;  J.  3Ieinbold,  S.  u.  W.  cf.  Biblio- 
ç/raphio,  p.  161  s.,  1-2,  12-13,  et,  en  dernier  lieu,  ainsi  que  sur  -linaç, 
J.  Hehn,  Sicbenz.  u.  Sabb.  bci  d.  Bcibyl.  u.  i.  A.  T.,  Lpzg,  1907 
(=  Lcipz.  Sem.  St.,  Il,  o  ,  93-4,  cf.  98  s.  .  Ces  divergences  signifi- 
catives i)rouvent  pour  le  mieux  que  la  traduction  ne  s'adressait 
point  aux  Ptolémées  pour  lescpiels  cràêÔaTov  et  qxooxtx  demeuraient 

d.  Ib.  je  signale  à  Kriinil)a(lier  (ir,  xauxâcrOu  6  v.uf.TÔ;  w;  ô  opOè;  (3  Reg.  21,  11), 
où  Frankel  suppose  un  iiioveibu  irrec.  Je  n'ai  riiMi  pu  trouver  de  pareil  ni  daus 
Crusius,  ni  dans  Politis,  ni  dans  llesseliiitr-Waincr.  ni  dans  IkteTta:,  ni  dans  IJîvi^éXo:, 
ni  dans  les  Millelrjr.  Hjjvichir.,  1903. 

■1.  V.w  réalité,  ils  n'ont  ]-.as  osé  rendre  3?,  cœur,  jiisrju'au  cœur  du  ciel.  .Mais  la 
même  eliose  n'arrive  t-elle  lias  un  peu  dans  nos  diclioimaires  modernes?  Par  exemple, 
dans  le  Ilebr.  Worlerb.  de  Siegfried-Staile,  Lpzg,  1803,  s.  v.,  in  f.,  N.  3.  retle  même 
locution  (Dcut.,  4,  11)  est  ainsi  rendue  —  ou  eommcnlée  :  f/a.f  Intier.'^fe  einer  Sache, 
et  non  pas  :  bis  zum  llcrzen  der  Uimmel,  iiui  serait  compréhensible. 


ESSAI   SUR    LE   GREC   DE   LA   SEPTANTE  f91 

lettre  close,  mais  bleu  à  des  Israélites  de  langue  grecque,  restés 
au  courant  des  expressions  rituelles  et  consacrées  Frankel,  ]'orsl., 
8  1>  ,  (|u'ellc  adonc  été  laite  «  sponte  à  JudaMs  in  usum  suoriim  po[)u- 
loi'um  »  Hody,  97,  cf.  175;  v.  Deissmann,  Bibl.st.,  ~r2  :  cf.  S.  Krauss, 
(;;-.  u.  lat.  Lciniw.  in  Ta/m.,  i  vol.,  1808-9,  I,  p.  :2-21  '  ;  sur  Gi^'^. 
V.  Thiei'sch,  Diss.,9,  et  iù.,  15  oîopa/aov  =;  bp  p  Ô'joào;,  n-a.  tix/.o:, 
tandis  que  à[Ji.r,v  et  àXXY,Ào'JVa  ne  changent  pas,  Swete,  I/i/r.,  'S'a  . 
En  revanche,  ils  diront  Zdyi  pour  EJa  ;^  n-in  Gen.,  3,  :2()  et  ils 
auront  une  variété  de  trente  expressions  pour  l'unique  "jr*^  Thierscli, 
D/ii'.,  37,  ;  ils  hellénisent  volontiers  les  noms  propres  ib.,  7  et  0  ; 
ils  leur  gardent  aussi  leur  forme  sémitique,  'Aoia,  KâVv,  AaS;o,  etc.  -  ; 
ils  procèdent  de  même  avec  les  noms  d'animaux  Frankel,  For.s/., 
193;  Hody,  "205-17  ;  Bochart,  Uieroz.,  t.  III,  p.  l-!2  s.  et  passint  . 
Le  tétragramme  flotte  entre  xup-.o;  et  b  wv  cf.  Apoc,  1,  4  ô  y,v  ! 
V.  Frankel,  Vorst.,  178,  179  s.  ;'w.  R.  Smith,  0.  T.  in  Jcir.  C/t., 

1.  Swi'té,  Iiilr.,  445  s.,  dit:  «  It  is  évident  tliat  Greek-speakiiig  .lews,  ^vll()so 
knowledge  of  Hebrew  was  prohâbly  acquiied  at  Alexandria  from  teadiers  of  very 
moderato  altainnients,  possess  no  presciiiitive  riglit  to  ait  as  guides  le  tlie  nieaning  of 
ol)scure  Hobrew  words  or  sentences.  »  >ous  nu  savons  pas  sur  quels  faits  précis  l'auteur 
appuie  cette  assertion  ;  mais  l'iiypotlièse  est  des  plus  heureuses  et  concili<'rait  tout  : 
des  Israélites  de  langue  grecque  auraient  appris  lliébieu  de  professeurs  i)lntôt 
médiocres  et  auraient  ainsi  procédé  à  la  traduction. 

2.  Ces  indéclinables  bébraïfiues  ont  toujours  été  une  gène  pour  le  grec  qui  aime  à 
décliner.  Mr/ar,),,  savant,  se  dit  constamment  Mr/_â).r,;,  de  même  Mavo/r,?,  etc.;  Maj.îa 
déjà  dans  le  N".  T.  à  côté  de  MoL^ii^i.,  cf.  Bruder,  Conc;  pour  le  m.  à.,  cf.  Villeliar- 
douin,  éd.  N.  de  Wailly,  Lex.  iiSl  b  (s.  v.  Sursac)  :  Kyr-sac;  Budion,  L.  de  la  Conq., 
I,  1845,  10,  Quir  Saqy  =  Kùp  lây.r,,  ace,  gén.  ou  voc,  forme  esscntielleuient  popu- 
laire, que  ne  nous  ont  point  conservée  les  clironographes  byzantins,  avec  la  cluite  régu- 
lière de  1'/ intcrconsonantiiiue  atone  (cf.  J.  P.,  liev.  cr.,  1887,  408)  et  la  réduction  des 
deu.x  voy.  contigués  semblables  de  'iTaàx  en  une  seule  ^ci-dessus,  ji.  172,  n.  3).  C'est 
bien  ce  Kyrsuc  qui  me  paraît  devoir  ligurer  dans  le  texte  de  Villeli.,  au  lieu  de  Sursac 
(admis  par  N.  de  W.)  ;  dans  Sursac  il  y  a  une  contamination,  peut-être  uniquement 
paléogra|)lii(}uc,  à  laquelle  on  ne  voit  pas  clair,  à  cause  de  sires,  sire  —  et  pas  sir  à 
l'époque  —  entre  Ki/r  —  sire  (?)  et  y  =  u  (cf.  jS.  de  W.,  5816  Syrsac  .  Dans  les  deux 
cas,  la  chute  de  \'i  linal  est  due  à  la  protonique  romane.  Dans  per/ires  [Villeh.,  63!)i,  il 
n'y  a  pas  chute  du  i  (u)  grec  de  ûrtépnypa,  mais  encore  une  phonétii|ue  toute  romane 
amenée  par  la  pn.touique.  On  lit  bien  TiépT^upa  Prodr.  UI,  80  (Du  Gange,  i.  IGiO,  y  lisait 
irépit£fa),  Chron.  .Uor.,  éd.  John  Schmitt,  Lond.,  1904,  4482  ^TrépTrripa),  avec  l'aphérèse 
(mais  Prodr.  VI,  66  ynÉpTiypa).  La  forme  populaire  était  itér.-Kiçct,  avec  i  -f.  p  =  e  4-  p 
('P.  y..  M.,  111,184  s.;  cf.  Ikpatx,  Schlatter,  Ver/,-.  Gr.,  74:  vi.ir  N.  Papadopoli,  Di  aie. 
mon.  Ven.  p.  Candia,  Ven.,  1871  (cf.  Arcli.  ven.  t.  II,  P.  Il,  p.  U'J:,  p.  5  l'erperus. 
Rer/ni.  Crele.  V.  aussi  D.  C.  latin  (s.  v.  ]l;/perperum)  pcrpera.  perperum  etc.,  tou- 
jours avec  e,  (pii  ne  saurait  être  là  pour  un  \j{=i).  Le  calembourg  pourpres,  jiorpres 
(Villeh.,  63'J,  v.  l.i  rend  pins  probable  dans  Sursac  un  calembourg  semblable.  — 
Pour  la  contamination  entre  Sursac  et  Ki/r-sac.  M.  Paul  Meyer  me  suggère  fort  à 
propos  le  génois  ser,  où  nous  n'avons  plus  les  diflicullés  de  sire.  Ce  serait  là  l'inter- 
médiaire. V.  d'antres  détails  dans  notre  mémoire  Efemli  (à  paraître). 


192  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

1907,  77  ;  Swete,  Intr.,  327;  Dalmaii,  W.  J.,  I4()  s.,  149  s.  ;  Jacob, 
Im  N.  G.,  164,  etc.,  etc.;  '. 

Il  suffit  d'ailleurs  de  comparer  la  Septante  à  la  vej'sion  d'Aquila, 
pour  voir  de  quel  côté  il  convient  de  chercher  rattachement  scru  - 
puleux  à  la  lettre  et  les  véritables  hébraïsmes.  La  Septante  dit 
simplement  :  'Ev  às/y,  k-oir^mv  [Pliischke,  ap.  ïhicrsch,  Diss.,  38,  a 
voulu,  d'après  Itt.,  rétablir  dans  l'hébreu  r;by,  Tro-.w  au  lieu  de 
N-:3  ;  cf.  sur  £71.  Richard  Simon,  213  ù  ;  Siegfried,  P/iilo  v.  Alex., 
léna,  1875,  233;  Holzinger,  Gen.,  Freib.,  1898,  p.  2:  cf  d'ailleurs 
M;a  ys.A'.oiov  ly.z  où  xz'.ts'.  {=  ttcsT,  xâv£'.),  daus  Krumbaclier,  Mit(. 

r/r.  Spr.lV.,  p.  103]  ô  bioç  tov  o'joavôv  x-A  Tr,v  yT,v.  Aquila  :  'Ev  x£ça- 
Xaûo  ly.-'.Gtv  0  Ocôç  trùv  (pn)  tov  oùccc^bv  (/.ai)  (rùv  ty,v  y'^iV    Field,  HeJ.,  I, 

p.  7  ;  V.  ib.,  xxi-xxiv  ;  Thierscb,  Diss.,  40,  etc.,  etc.i.  Encore  pour- 
rait-on soutenir  qu'Aquila  lui-même  n'est  pas  très  strict,  puisqu'il 
rend  par  le  sing.  oùpavôv  le  pluriel  nyz-ér:  du  texte,  tout  comme  la 
Septante,  qui  connaît  aussi  oùiavoj;  ^v.  H  a.  R.,  Conc,  s.  v.;  cf. 
Schilling,  Comm.,  97;  Adrian.,  Eia.,  p.  94,  §  72;  A.  Merx,  Deutsche 
Lilter.z-.,  XIX  (1898!,  990;,  ce  en  quoi  elle  innove  d'après  Thébreu, 
car  le  grec  classique  ignore  ce  pluriel  v.  le  Thés.,  d'H.  E.  s.  v  ). 
Nous  sommes  surpris  que  Korsunski  n'en  ait  pas  tiré  avantage 
(p.  469  s.).  Cremer  lui-même  's.  v.,  698-9  n'insiste  pas  trop,  con- 
trairement à  ses  habitudes. 

On  voit  donc  que  les  choses  se  passent  assez  naturellement  et 
il  n'est  aucun  besoin,  pour  expliquer  bien  des  particularités  de 
la  Septante,  de  recourir,  comme  le  font,  sans  hésiter,  Rothe  et 
Cromer,  à  une  langue  qui  serait  propre  à  l'esprit  saint  ef.  Cremer, 
1).  vu;  Deissm.,  Herzog^,  633,  1-13  ;  Thumb,  Hellen.,  181  ;  Prlnz., 
2o3  .  Un  peu  de  philologie  et  beaucoup  de  grec  moderne  nous 
mettent  dans  la  juste  voie  -. 

#** 

\.  Sur  les  iHTOccupatiiiiis  qu'avaient  les  tradiirtiurs  <iï'viliM'  r.iiitlir.iiioniori.liisme, 
ce  iiiii  faussait  souvent  leur  traduction,  v.  Frankel.  Vorsl..  \~i  s.,  177  s.,  etc.:  Swete. 
Jiifr..  327,  cf.  53,  etc.,  etc. 

2.  Thuml)  {A.  f.  V.f..  111  (lOOG),  4G0,  Prlnz.,  2iM  dit  avec  raison  (lue  Pallis,  j.ar  le 
seul  fait  (m'il  sait  le  fricc  moderne  de  naissance,  iieut  souvent,  à  côté  de  conjectures 
un  peu  risquées,  résoudre,  natui-ellenienf,  i)ien  des  problènii^s  de  critique  verbale  du 
]N.  T.  (voir  les  échantillons  ib.  et  parcourir  la  suuuestive  brochure  A  feu-  noies  de 
l'auteur  —  bibliographie  ci-dessus,  p.  Kil  s.:  cf.  .1.  P..  II.  il.  Et.  gr.,  XVIl  \l!)Oi\ 
o88-9).  l'allis,  à  son  tour,  uie  sii.'nale  l'article  de  .Kinnaris  sur  le  Àôvo:  du  (luatru'inc 
Evangile  (1,1),  cité  dans  notre  bibli<igra|iliie.  Pour  P.iliis  oralement^,  ce  fameux  /oyo; 
serait  un  simple  titre  honorifuiue  ,cf.  .laiin.,  p.  \:\).  (pii  s'e\pliiiuerail  par  le  moderne 
Toû  Î.ÔYoy  <joy,  T.  ),.  Toy,  etc.,  éciuivalent  de  voire  Grâce,   «  your. . .  Honour  »  (poiuls 


ESSAI  SUR   LE   GREC   DE   LA  SEPTANTE  103 

iS'oiis  examinons  les  faits  avec  impartialité.  Bien  des  liébraïsmes 
sont  des  fables.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai,  cependant  que  des 
liébraïsmes   caractérisés,  indiscutables,   se  manifestent    dans  la 
Septante  ;  d'autres  se  dérobent  sans  doute  et  ne  se  laissent  point 
saisir  avec  facilité.  3Iais,  de   toutes  façons,  il  nous  seml)Ie  que 
M.  Deissmann  est  allé  trop  loin  dans  le  sens  négatif  et  ses  adeptes 
ou  élèves  ont,  en  général,  exagéré.  Moulton   Gr.,  13    ne  consent 
plus  à  voir  que  ça  et  là,  dans  la  Septante,  un  «  translation  Greek  »  ; 
Helbing   p.  iv    considère  la  question  comme  écartée,  et  quant  à 
Witkowski  Ber.,  164  ,  il  range  tranquillement  la  Septante  parmi  les 
«  reinsten  Quellen  der  Umgangsspracbe  »,  sans  en  donner,  d'ail- 
leurs, la  moindre  preuve.  Zwaan  est  aussi  trop  affirmatif  ip.  l;2i.  Au 
surplus,  il  ne  suffit  pas  d'accorder  que  le  prétendu  Judengricchhch 
doitètre  simplement  attribué  à  une  méthode  défectueuse  de  traduc- 
tion Deissm.,  Herzog\  638,  14-15;  rappr.  Thiersch,  Diss.,C),  qui  loue, 
au  contraire,  les  qualités  des  traducteurs  .  Il  ne  suffit  pas,  comme 
Thuml)  le  faità maintes  reprises  Hellen.,  \^\  elpassun],  de  rejeter 
sur  un  «  Uebersetzergriecliiscb  »  le  peu  d'hébraïsmes,  selon  ct3« 
Messieurs,  qui  resteraient  encore  à  élucider.  Il  y  a,  dans  cette 
question,  plus  et  autre  chose  que  cela.  Et  d'abord,  n'eussions-nous 
affaire  qu'à  des  liébraïsmes  de  traduction,  encore  faudrait-il  les 
relever  soigneusement  elles  préciser.  Mais,  qu'on  me  permette  de 
le  dire  franchement,  la  question,  telle  qu'elle  est  posée,  me  paraît 
éminemment  oiseuse.  De  quoi  s'agit-il,  en  somme?  Il  s'agit  de 
savoir  s'il  a  oui  ou  non  existé  un  idiome  judéo-grec.  Or,  le  seul  et 
unique  monument  de  ce  judéo-grec  est  la  Septante,  car,  d'après 
les  conceptions  en  cours,  le  judéo-grec  des  écrits  du  N.  T.  ne  serait 
qu'une  émanation  de  celui-là  et  se.  confondrait  avec  lui  ;v.,  entre 
autres,  Viteau,  R.  de  Pli.,  XVIIl,  1  s.  ;  ci-dessus,  p.  174;  cf.  Swete, 
Intr.,  300-1.   à  propos  d'orthographe,   etc.,  etc.).  Ce  document 
unique  est  pourtant  une  traduction.  Dès  lors,  il  nous  sembl*  que 
le  débat  disparaît  et  que  l'intérêt  capital  est  de  savoir  jusqu'à  quel 

dHpimi  et  usages  dans  le  N.  T.  chez  Janii..  do  et  ib.,  ii.  1).  Le  passaïe  reviendrait 
donc  à  dire  :  Au  commencement,  il  y  avait  Lui,  etc.  Ce  serait  peut-être  aller  un  peu 
loin.  Aôyo;  dans  le  N.  T.  est  la  traduction  de  l'aramécn  memra  [l7ûN73]  (Jann.,  io). 
Il  y  a  doiic  peut-être  là  quelque  influence  séniasiologique  de  D'i  :  nommer  les  choses, 
équivaut  à  leur  donner  une  existence  individuelle,  à  les  créer  [cï.  Jacoh,  Im.  N.  G., 
6-7  ;  rappr.  Jann.  21  ;  v.  Geu.  i,  o  s.  etc.);  le  )6Yo;seiait  donc  ici  non  pas  seulement 
«  tlie  utterance  »  Jann.,  24),  mais  le  TtXàoTï);  ou  iroiy;Ty;;  icf.  N"l3l.  Je  note  (|ue  cette 
idée  de  ÛC  nomen,  synonyme  d'existence,  fréquente,  d'ailleurs,  se  retrouve,  légè- 
rement poétisie,  dans  Gœtlie.  v.  Gœl/i.  IVez-Xe,  Stuttgart,  I,  1866,  Euphros'fne,  p.  224 
[v.  27  s.];  Schat/en  vom  Xamen  r/etiennl. 

T.  LV,  N»  110.  13 


194  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

point  ce  grec  traduit  est  un  document  de  valeur  dans  une  histoire 
de  la  langue  grecque.  Il  y  aurait  alors  à  se  demander  si,  d'une  façon 
générale,  une  traduction  peut  valoir  un  texte  qui  n'en  serait  pas 
une  (cf.  Et.  ne/.,  xxxivj.  Dans  l'espèce,  nous  avons  un  terme  de 
comparaison  de  tout  premier  ordre,  auquel  on  n'a  point  pensé  :  la 
traduction  du  Pentateuque  de  lo47  en  grec  moderne,  publiée  par 
Hesseling  [v. Bibliographie,  p.  1(34  s.  ;  cf.  L.  Belléli,  R.  d.  Et.  ^r.,  III, 
(1890j,  289-308;  H.  d.  Ét.j.,  XXII  il891i,  250-263  .  Cette  traduction 
est  faite,  non  point  d'après  la  Septante,  dont  elle  n'offre  aucune 
trace,  mais  directement  sur  Thébreu.  Les  hébraïsmes  y  abondent  : 
^wvYi  atjxaTQt  (Hesseling,  VII'  ;  Belléli,  /?.  E.  G.,  304,  v.  20  ,  -a-éoaç 
6'Xa  rà  TiatBià  (Belléli,  R.  E.  J .,  261  ;  l'auteur  hésite  à  tort,  ib.,  262  , 
[/.Épeç  ôXr'Jyy,  (Hess.,  ib.\,  sont  des  états  construits,  avec,  toutefois,  un 
appui  dans  les  constructions  7roT/,p'.  vepo,  un  verre  d'eau,  [j.aO/jtxaTa 
[j.ou(7ixvj  (Ta^t'ô'.^  195),  etc.  (v.. aussi  Bell,  R.  E.  G.,  307,  v.  lOi  ;  mais 
^.  at.  ne  se  comprendrait  guère  et  Ton  ne  dira  ij-spcç  OXt-JyT,,  qu'en 
tournant  par  el/a  ttoXàs?  tJLspsç  ôXi'J/v],  où  OÀtK,  est  soutenu  par  sl/a, 
ou  bien,  dans  une  phrase  telle  que  :  IvaÀÉ,  Tt  Àé;  ;  MÉpeç  xal  asçe; 
OXi'j/Yi,  la  même  syntaxe  est  sous-entendue,  j'aimerais  à  dii'e,  sous- 
sentie  ;  àxou<7{xo  va  àxc/û(7£T£  (Hess.,  VIII)  est  de  même  ordre  que 
àxor,  à>cou(7yjç  Ex.,  15,  26  (i'^'çri  yiîûMJ;  cf.  Korsunski,  484]  ;  npoixtuLÔ 

va  TrpoixojcrY,    iHesS.,  ib.),   (f^aycop-ô  va  cpaç    (Bell  ,   R.    E.    G.,  291,   306, 

V.  4;  écr.  'f-iç,  de  cpâyr,?  =  '^ivç  =  cpâ;),  empiètent  encore  plus  vive- 
ment sur  la  syntaxe;  'éxoJ^ev...  oiaOr,xY],  Gen.,  15,  18  Hess.,  ib.\ 
est  calqué  sur  n^na  ••mjs  (cf.  Strack,  Gen.,  Miinch.,  1905,  p.  60  et 
p.  28  ad  Gen.,  6, 18)  ne  relève,  il  est  vrai,  que  du  vocabulaire,  mais 
Tou  £lz£?,  qui  suit,  n'est  autre  chose  que  ^73Nb  si?  ou  crk  £l-£ï  eût  été 
encore  plus  rigoureux)  et  touche  à  la  morphologie  elle-même,  car, 
certainement,  il  n'y  avait  i)lus  d'infinitifs,  même  ainsi  déclinés,  au 
xvie  s.  D'autres  infinitifs  de  ce  genre  ont  été  signalés  par  Belléli 
(/?.  E.  G.,  303,  V.  14;  307,  v.  7).  La  construclion  r,Tov  6  "E6£X  ^rju^v. 
Gen.,  4, 2  (Bell.,  îY».,  291  -,  est  un  hébraïsme  évident  (cf.  Èy£V£-o  "AêeX 
TTota/jv,  Sept.,  ib.\  cl  identique  à  èyévîto.  ..  YÎv£yx£  KâVv  Gen.,  4,  3; 
V.  Dalman,  W.  J.,  25;  cf.  Y(v£Tat  xaTa/.£?<jôai  Marc  2,  15,  Svvete,  éd. 

citée,  ib.;  4,  4  âyÉvETO.  .  .  Itzigiv:  Pallis,  p.  91  :  i-jvifj-r,    pour  (7uv£5r,x£" 

1.  IIoss.,  vu,  o;  iiiv;irial)l(',  r.ipiii'oclu',  il>.,  d(>  TpN,  nt'st  pas  précisi'inoiit  jiour  moi 
un  iK'hraïsnu'  ;  o;  est  déjà  une  lonm>  savaulo  au  xv!"^  s.  cl  Ton  ne  sail  jiKis  coiunient 
s'en  servir  [Kssais,  II,  xi.iii  s.  .  lîolUli,  /{.  E.  (i.,  lU.  290-1,  n'est  pas  exact;  mieux 
/{.  l'J.  ./.,  2l):i,  iiù  il  cûiislato  ec  inème  o;  iiuléelinal)le  dans  la  version  greetiue  de  Jouas 
(xii'  ou  xur'  s.,  V.  Kssciis,  I,  216).  Le  cas  de  6?  est  distinct  de  celui  de  aÙToO,  ci-dessus, 
J).  1S2  ;  mais  voir  i/t.,  n.  3.  Il  est  aussi  possible  que  le  6;  de  1547  s'apj)uie  d'une  façon 
quelcounue,  par  tradition  écrite  ou  autrement,  sur  les  o;  du  Jouas. 


ESSAI  SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  195 

...£7r£(7c).  Belléli  nous  indique  encore  a;  f^va-.  ;écr.  zhxi  '  y^dU'-  H.  E. 
G  ,  303,  V.  6i,  ytà  Itoûtti  '290,  v.  /ô.  ,  Sèv  xaXô,  qui  est  très  bien  vu 
(30o,  V.  18  ;  cf.  ib.,  v.  10,  v.  19  ,  toù  xàOExa-.  308,  v.  20  ,  lequel  est  une 
atteinte  à  la  langue  elle-même;  ajoutons  l'étrange  et  probléma- 
tique oXo  TÔ  /TTivo  ;Gen.,  3, 14,  ib.].  Quant  à  -h  -iitêéXt  tt,?  Trxoàos'.uoç 
va  TT|V  So'jXcûyr,  (ib.,  303,  V.  lo;,  il  peut  être  écarté,  et  àvY,ç,  àv-r,p 
(Hess.,  VIII)  s'explique  tout  autrement  (v.  ci-dessus,  183  s.),  avec 
cette  différence  que  àvT,s  ne  représente  plus  ici  qu'une  déclinaison 
périmée  ^. 

Ces  hébraïsmes  incontestables  et  importants  résultent  du  fait 
même  de  la  traduction,  car,  par  ailleurs,  les  traducteurs  savent 
bien  la  langue  de  leur  temps  Hess.,  VU;  Belléli,  R.  E.  G.,  289; 
/{.  E.  J.,  262  .  Il  faudra  bien  cependant  exclure  ces  hébraïsmes 
d'une  grammaire  du  grec  médiéval,  comme  il  faut,  pour  les  mêmes 
raisons,  supprimer  d'une  histoire  du  grec  hellénistique  ou  de  la 
KoivT, 3,  les  latinismes  aujourd'hui  démontrés  des  sénalus-con- 
sultes  V.  Foucart,  Rapport,  1872,  p.  8,  3o  de  V Extrait;  S.  C.  de 
Thisbé,  1875,  p.  10  ;  J.  P.,  Et.  ng.,  lo9  s.)  ;  l'omission  de  l'aiticle 
dans  certains  cas  Viereck.  S.  gr.,  p.  00,  §  I  ;  cf.  Cl,  §  3  ttso  tojto-j 
yiôvoit,  etc.  ,  les  datifs  absolus  ib.,  02:  E.  Egger,  Mnn.  Soc.  Ling.,  I 
(1808),  9;  Cousin  et  Deschamps,   S.  C.  de  Panamara  i39  a.  C.) 

1.  liev.  des  Et  fjr.,  X  (1897),  :i98a,  M.  Tli.  Keiiiai'h,  iiui  roroiiimaïuie  pour  le  '^v, 
mod.  «  roithograplie  phonétique  (cu»î  .7/'a7)0  sa//s^  »  l't  même  «  Talphabet  latin... 
beaucoup  mieux  approprié  à  son  système  phouéti(|ue  »,  dit  que  la  triapliie  ôîvai, 
3'  pers.  s.  pr.  ind.,  donnera  «  iufailliblemeut  >  aux  élèves  l'idée  que  le  gr.  mod.  est  du 
«  petit  nègre  ».  Je  ne  saisis  pas  bien  le  sel  de  cette  remarque. 

2.  Belléli,  R.  E.  ./.,  /.  /.,  p.  233,  mentionne  une  traduction  Cretoise  (ms  de  LaCanéc) 
où  n'oinan  T'J'Ï^,.  Jon.  [l,  2,  avec  l'article]  est  rendu  par  )iâ<7T,,o  (neutre)  ^Liyilri 
(rr'ni.\  à  cause  du  fém.  hébreu.  C'est  l'Aqùila  moderne.  Belléli  fait  observer  que  le 
traducteur  du  Pentateutjue  al.'jure  cette  littéralité  excessive.  Celui-ci  a  même  de 
jolies  expressions  bien  grecques  :  lioL'ioêyjyo .  pluie  fine,  yo^-Çioêpoyo,  ffros.te  pluie 
[th.,  2.56).  Néanmoins,  Belléli  a  raison  d'ai)puyer  sur  les  hébraïsmes  syntaxiques 
(p.  258).  Les  réserves  (|ui  suivent  sont  njo'ius  bonnes;  ^Jelléli,  dans  ses  deux  arliilcs 
(/{.  Ë.G.  et  Il.E.J.),  était  encore  un  peu  neuf  eu  matière  de  grammaire  moderne  (sa 
bibliographie  est  nulle  sur  ce  point);  p.  e.  dans  xfaffî  toy  ffijyx£pa(7|j.â  to'j  (i7^,'2t)l,  31, 
il  n'y  a  aucun  besoin  de  croire  que  la  syllabe  zo\)  est  tombée  à  cause  du  to-j  suivant 
l't  il  n'y  a  pas  là  non  plus  d'état  construit,  car  le  gén.  en  -u.a  des  noms  en  -[xa  (toû 
7tâ7t)u)|j.a,  etc.)  existe  aujourd'hui  à  Cl*.  —  Sur  cette  version,  v.  11.  Simon,  308  : 
f  elhs  (la  version  grecfjuc  et  la  version  espagnole)  sont  fort  à  la  lelln-. ..  elles  suivent 
presque  mol  pour  mot  le  Texte-Hébreu;  ce  qui  les  rend  quebiuel'ois  barbares  et  peu 
intelligibles  »;  sur  l'éd.  môme  de  IbiT,  ib.  ;  Legrand,  Uibliorjr.  llellén.,  II,  iSSii,  l.j'J; 
Hesseling,  op.  cit.,  I,  et  corriger  d'après  Hess.,  p.  1,  la  transcription  de  Legrand  (p.  i(iU), 

3.  A  moins  qu'on  ne  préfère  —  ce  qui  revient  au  même  —  faire  de  ce  grec  spécial 
une  nouvelle  subdivis^ion  de  la  KoivV).  On  n'est  comj)lètemenl  d'accord  aujourd'hui 
ni  sur  les  dati-s  ni  sur  les  caractères  de  la  Koivi^,  ancienne.  Nous  pensons  fju'il  convient 
surtout  de  distinguer;  nous  éludions,  dans  un  travail  en  cours,  ce  sujet  plus  eu  détail. 


196  RE^'UE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

B.  C.  H.,  XI    1887  ,  ^233  ;  G.  Unger,  Zii  Jo^.,  Silz.l).  d.  philos. -philol. 
u.  hist.  Cl.  d.  k.  I).  Ak.  d.  W.,  1895,388,  1  ,  tant  d'autres  idiotismes 
troublants  v.  Viereck,  ()0-70  ne  sauraient  passer  pour  du  grec.  On 
pouri-ait  suivre,  en  quelque  sorte,  pas  à  pas,  mot  pour  mot,  ce  latin 
hellénisé  dans  le  monument  d'Ancyre  (cf.  Gagnât- Peltier,/?^*-  gestœ 
d.Aiig.,  Paris,  1886  .  Peut-être  Polybe  lui-même  n"est-il  pas  exempt 
de  quelques  latinismes  iViereck,  68;  rappr.  Et.  ng.,  lxxvi,  où  Pol. 
n'aurait  pas  reculé  devant  GTou-K-Kio^j]  -.  Blass  croit  même  reconnaître 
un  latinisme  de  syntaxe  dans  Luc,  7,  4,  cf.  Theol.  Lile)\z-.,  XIX, 
1894,  N.  13,  338  (pour  les  mots  latins  chez  cet  apôtre,  v.  Th.  Vogel, 
Z.  Ch.  d.  L.,  14).  Pour  des  motifs  analogues,  nous  devrons  sus- 
pecter l'inscription  de  Silko  !v.  Letronne,  OEiivr.  Ch.,  I,  1,  1881, 
17,  21,  etc.  ;  R.  Lepsius,  Hermès,  X  il87oi,  133  s.,  139  s.,  mais  tous 
les  coptismes  n'y  sont  point  sûrs).  Si,  d'autre  part,  nous  faisions 
une  histoire  du  latin,  sans  parler  même  de  toute  traduction  immé- 
diate ou  démontrée  telle,  les  héllénismes,  quelque  épineuse  que 
soit  ici  la  question,  ne  sauraient  entrer  en  ligne  de  compte.  Par- 
courons VÉtnde  de  Brenous;  nous  y  trouverons,  avec  toute  la  dis- 
cussion critique  que  provoquent  les  différents  passages,  des  héllé- 
nismes qui  ne  laissent  point  de  doute  :   Ihjhlœh  apibus  florem 
depasta  salicti  (p.  169),  scribiintur  aquœ  potoribus   ib.i,  vinctiis... 
mamis  iProp.,  p.  2ol  ;  etc.,  etc.!,  occurrunt  praeripere  Lucr.,  273, 
etc.,  etc.  ,  dare  avec  l'infinitif  p.  281),  sensil  dclapsus  333-6,  etc., 
etc.  ;  V.  p.  439  s.).  Nous  y  rencontrons  jusqu'à  des  héllénismes 
morpliologiques     Hesperos,  CncJopa,  p.  80;  cf.  :Michel  Psichari, 
Ind.   rais.  d.  l.  mi/th.  d'Hor.,  Paris,   1904,  12,  28,   etc.i,  héllé- 
nismes purement  littéraires  d'ailleurs,  sur  lesquels  nous  renseigne 
consciencieusement  Cotlino   ïm  fless.,  etc.,  v.  notre  llibliot/r.   pour 
Virgile,  avec  les  controverses  qui  s'y  rattachent    p.  40  s.i  :  cra- 
tères, herol'S,  Arcades  (p.  32i,  Arcades  (p.  33 1,  avec  Ve  ou  Va  des 
désinences,  bref  comme  en  grec.  Gotlino  rappelle  fort  à  propos 
(p.  52,  Il  le  Graece  loqid  in  sermone  latino  des  Tusculanes.  Cela 
passait  dans  la  conversation  (v.  p.  68  sur  ce  qu'on  peut  appeler  la 
langue  des  salons  à  Romei.  Observons  du  même  coup  que  Virgile. 
dans  les  noms  de  plantes,  même  là  où  il  innove,  suit  la  déclinaison 
natale   cf.  Gonsoli,  Neol.  bot.  (v.  notre  liibliogr.,  p.  9,  15,  93,  97, 
103,  104,  121,  123,  130,  surtout  100  et  129,  1  :  cf.  Flora  Virgiliana, 
dans  le  P.  Virg.  M.,  de  Lemaire,  Paris,  1822,  t.  VIII,  in  /'.,  p.  ix  s.  . 
Pareillement,  la  Septante   laisse  quelquefois   les  noms  propres 
intacts,  tandis  qu'elle  décline  les  noms  communs,  sauf  exceptions 
très  rares  ^v.  ci-dessus,  191  . 
Nous  recommandons,  dans  le  débat  qui  nous  occupe,  la  lecture 


ESSAI  SUR    LE  GKliC   DE  L\   SEPTANTE  197 

de  l'excellente  Introduction  de  Brenous.  Sans  vouloir  en  lier  ici 
dans  la  vaste  et  presque  universelle  bibliograpiiie  du  sujet,  nous 
rappelons  simplement  quelciues  faits  que  Brenous  met  très  bien  en 
lumière  :  l'influence  syntaxique  de  l'anglais  sur  le  français  ip.  9', 
des  anglicismes  même  chez  V.  Hugo  p.  "29  ,  des  germanismes  en 
français  p.  9  ,  des  gallicismes  en  allemand  p.  10  ,  dont  Gœtlie  et 
Schiller  ne  sont  point  exempts.  Moiilton  Gr.,  p.  13  note  quelques 
curieux  gallicismes  en  anglais.  Je  citerais  ici  volontiers  la  langue 
savante  en  Grèce,  farcie  de  xénismes    cf.  J.  P.,  Tô  -.x\io:  aoj-,  06-09  : 

7)  Xufft;  Iyï'^-'  —  ^^-  T*-  ^■-  ^ï-  III-  ^^-  —  -''  ^îooaÉvY,  T'.vl  T-'.yjJLr,,  etc, 

etcJ,  si  ce  n'étaient  là  des  xénismes  livresques:  mais,  dans  le  grec 
parlé,  Traisvco  Ào'jToô,  au  lieu  de  xâvco  À.,  7:a'ivo>  zh  -czoLlvr,,  au  lieu  de 

\LÏ  Tixizvv.  TÔ  rzxr/rj,  COmme  tt,v  7:y,û£  tô  xaçiêt    cf.   'P.  x.  M.,  I,  180  1) 

sont  entrés  dans  la  langue,  ainsi  que  j'ai  pu  m'en  convaincre.  Bi-e- 
nous  p.  '2'2,  n.  "2  note,  d'après  M.  Bonnet,  l'exemple  d'un  Alsacien, 
sachant  peu  d'allemand  et  qui,  néanmoins,  accuse  des  gei'manismes 
(cf.  p.  28,  n.  3  .  L'influence  peut  ainsi  s'exercer  même  indirecte- 
ment p.  24  .  Je  n'ai  i)as  besoin  de  signaler  aux  spécialistes  le 
Slawo-deulsches  de  H.  Schuchardt  Graz,  1884  .Les  observations  de 
Brenous  pourraient  s'appliquer  aussi  bien  aux  latinismes  dans  le 
droit  byzantin  Et.  m/.,  159  s.,  ou  à  saint  Jérôme  Brenous,  80.  2  ; 
V.  M.  Bonnet,  Le  lat.  de  Crréç/.  de  Tours,  Paris,  1890,  p.  490,  n.  4 
in  f.  :  Goelzer,  Lat.  de  St  Jrr.,  Paris,  188i,  p.  323,  hébraïsmes'. 
ïhumb  lui-même  Prinz.,  247  cite  «  contra  y?,;,  contra/tente  aoZ  », 
d'après  le  livre  très  utile  d'AudoUent  Dc/i.r.  tab.,  Paris,  1904; 
ajoutez  J.  P.,  Et.  ng.,  Mots  lat.  dans  Thropli.,  \l\^d  s.,  v.  p.  108, 
et,  aujourd'hui  le  joli  travail  de  L.  Halin,  Romanhmus  u.  Itellen., 
Lpzg,  1907  —  Philol.,  Siippl.b.  X,  4,  p  090  .  Dans  le  cas  qui  nous 
occupe,  il  s'agit  dr  quelque  chose  de  plus  précis  encore,  il  s'agit 
de  traduction  sur  les  xi-nismes  des  traducteurs,  v.  Brenous.  p.  30; 
cf.  sur  le  grec  et  le  latin,  j).  43,  p.  04  .  N'oublions  pas  davantage 
(pie  nous  parlons  d'influences  syntaxiques,  ce  (jui  esl  [oui  à  lait 
dans  la  règle,  la  pensée  étant  mobile  et  moditiable,  tandis  (|iie  les 
organes  de  la  parole  ne  le  sont  guère.  Il  rt'sulle  donc  clairenuMit 
de  cet  ensemble  de  réflexions  (lu'il  i)()iiirait  y  avoir,  dans  la  Sep- 
tante, même  des  hébraïsmes  vi\anls,  des  In'braïsmes  passé's  dans 
le  grec  du  traducteur  et  faisant  i)arlie  de  sa  langue  —  connue  nous 
espérons  le  démontrer  au  moins  poiii'  un  cas  —  sans  que  les  lin- 
guistes de  profession  aient  besoin  de  sinsin-gei-  jjour  cela. 

La  vérité  est  (jue  la  Septante  a  sa  part,  sa  ti'ès  grande  part  d  lie- 
braïsmes.  Deissmann  va  juscpi'a  concéder  Herzog\  038,  23-31 1  que 
des  sémitismes   livrestiues  peuvent  èlre  quelquefois  entrés  dans 


198  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

Tiisage,  et  J.  Weiss  [Theol.  St.  u.  Kr.,  189(),  p.  33,  cité  ib.)  parle 
d'une  décoloration  iAbfarben  sur  la  langue  religieuse  de  cer- 
taines tournures  de  la  Septante.  Que  la  langue  de  lÉglise  inllue 
sur  le  langage  courant,  le  fait  n'est  pas  contestable  (v.  J.  P.,  'P.  x. 
M.,  II,  1003,  p.  24  s.  de  curieux  exemples  pour  le  gr.  mod..  Mais 
Deissmann  et  J.  Weiss  v.  ibicL]  pensent  surtout  au  vocabulaire.  Il 
n'y  a  pas  que  cela,  et  ce  n'est  pas  assez  non  plus,  à  notre  sens, 
qwfi  de  ne  pas  exclure  de  notre  texte  la  possibilité  de  quelques 
sémitismes  iTbumb,  Prinz.,  "254i.  Il  convient  de  les  ariirinrr  plus 
positivement.  Et  tout  d'abord,  d'une  façon  générale,  on  peut  dire 
que  la  Seplante  est  une  traduction,  si  ce  n'est  toujours  servile, 
du  moins  toujours,  surtout  pour  le  Pentateuque,  étrangement 
fidèle  K  La  preuve  empirique  de  cette  fidélité  outrée  est  que,  pour 
le  débutant,  la  Septante  constitue,  dans  la  grande  majorité  des 
cas,  une  jiixta  de  tout  repos  ^.  Et  ce  n'est  pas  seulement  la  syn- 
taxe, ce  n'est  pas  l'ordre  des  mots  seulement  qui  suit  l'hébreu; 
le  style  lui-môme  est  perpétuellement  contaminé.  Le  style  n'est 
pas  grec.  Que  l'on  prenne  un  verset  de  la  Genèse,  par  exemple, 
I,  il  et  12  ou  même  tout  le  chapitre  i;  que  l'on  compare  la  phy- 
sionomie de  ce  morceau  avec  un  document  papyrologique  ([uel- 
conque,  une  lettre  familière,  celle  qui  est  donnée  dans  les  Essais,  II, 
143  =  Pap.  Lond.  I,  N.  XIX  ;  v.  Essais,  I,  168,  et  Pap.  Lup.  =  AoL 
et  extr.,  XVIII,  N"'  18,  18  bis,  cf.  ib.,  N.  21,  p.  241  ,  ou  le  fragment 
ci  lé  par  Zwaan  Stjnt.,  20i,  ou,  mieux  encore,  une  des  lettres  de 
l'époque  des  Lagides  dans  le  choix  de  Witkovvski  Epist.  priv. 
gr.,  Lpzg,  1906,  p.  3,  etc.,  etc.j  ;  on  verra  que  les  deux  grecs 

\.  Un  (IcB  oxcmiilos  donnés  imr  Swete  [Intr.,  323),  Gen.  1,  4  \'j''2!t  •.•'J''3^  o.-tk  pédov, 
n'est  jias  dos  })lus  jn-obants  ;  ils  ne  mettent,  en  réalitô,  qu'un  seul  àvà  |iÉ(70v  pour 
D''):'5   •  •  .'J"'-  '^-i  ^'  '^^  "^  rendent  donc  pas  V,  comme  l'ait  Aquila  :  !J.£TaS'J  OSaTiov  cl; 

2.  Cela  ne  signilic  point  que  nous  n'aurions  pas  hesoin,  en  France,  d'une  traduction 
juxta-  linéaire,  ne  lùt-ce  que  de  la  Genèse,  sur  le  modèle  d'excellentes  petites  éditions 
anixlaises  de  ce  genre  {Tregellcs,  llebr.  read.  less.,  Lond.,  1900,  et.  du  nu^uie,  Hemls 
of  Ilebr.  gvamm.,  Lond.,  190S  —  choix  de  morceaux  avec  trad.  iiiterlinéuire  dans  les 
deux  et  lexique  dans  le  second  ouvrage).  Le  Guide  du  Irad.  du  Vent.,  de  S.  Klein, 
éd.  n,  Colmar  [1852],  La  Genèse,  ne  peut  plus  servir;  outre  (|ue  le  plan  est  un  peu 
conl'us,  les  renvois  sont  faits  à  une  grammaire  dont  i)ersonne  ne  se  sert  jdus  aujour- 
dliui.  .M.  Salonion  lieinach  a  eu  l'obligeance  de  me  communiquer  une  juxla  faite  par 
lui  même  pour  les  sept  premiers  chapitres  de  la  Genèse,  avec  un  commentaire  gram- 
matical au  bas  des  pages;  il  m'a  même  autorisé  à  la  publier.  J'ai  quelque  lieu  d'es- 
]iérer  (pu\j'arriverai  à  reprendre  cette  juxta  avec  la  collaboration  de  deux  de  mes  élèves 
de  l'Ecol»;  des  Hautes  Ktudes  elles  conseils  de  mon  collègue  et  ami  Mayt>r  Lambert.  Les 
débutants  sont  souvent  arrêtés  par  le  manque  de  livres  de  ce  genre,  et  il  y  aurait,  du 
fait  de  ces  nianuels,  quelcpio  encouragement  donné  aux  études  hébraïques  en  Franco. 


ESSAI   SUR   LE   GREC  DE   LA   SEPTANTE  199 

sont  dossence  tonle  diftercnte.  Je  sais  bien  que  nous  parlons  du 
stylo.  Mais  le  stylo,  c'est  le  niouvemont  de  la  pensée  et  cela  est 
essentiel;  ça  Test,  non  pas  uniquement  pour  la  syntaxe;  ça  l'est 
aussi  pour  le  fond.  Du  moment  que  l'on  pense  étranger,  la  porte 
est  ouverte  à  tous  les  xénisnies.  La  langue  puriste  moderne  nous 
donne  ici,  encore  une  fois,  un  excellent  point  de  comparaison.  Le 
vocabulaire  y  est  souvent  obscur,  précisément  parce  qn'il  est  imité, 
parfois  gauchement  cf.  un  exemple  topique,  T.  x.  M.,  III,  38-9i. 
Il  va  plus.  La  langue  savante  alTocto  aujourdliui,  et,  à  bien  yréné- 
cliir,  c'est  toujours  par  purisme,  de  ne  point  altérer  la  désinen^'e 
dos  noms  propres  étrangers  :  elle  dira  donc  :  h  Ti-i  ou  Ty.izi  — 
Gœthe  —  ô  Kv.vt,  alors  que  le  souvenir  du  ç  des  uominatifs  mascu- 
lins est  demeuré  vivace  en  grec  vulgaire  et  qu'un  Grec  du  peuple, 
entendant  Vy.ixi,  en  fora  instinctivement  ?/.£-£;':  Pallis  et  Mar- 
cbeli,  dans  leur  traduriion  du  premier  livre  do  la  Raison  pare 

(KivT.   Kç'.T'.XY,;   Toïî  àooXoj   Àov-dao'j   aspoç  ttçojto,   Livoi'pool,  1904),  Se 

sont  laissé  sans  doute  entraîner  par  le  canon  puriste,  carie  sen- 
timent moderne  eût  décliné  Iviv-y,;,  etc.  ^.  De  l'éxs,  on  en  vient 
aisément  à  lindéclinable  ô  çETroçtsp,  o\  oETrosTsp,  qui  se  lisent  cou- 
ramment dans  les  journaux  bien  écrits.  Ainsi,  la  morphologie  est 
entraînée.  C'est  de  ce  biais,  croyons-nous,  qu'il  faut  juger,  inata- 
tis  miitandis,  les  noms  propres  ou  noms  communs,  comme  ïv, 
restés  sans  déclinaison  dans  la  Septante-''. 

Cet  ensemble  de  considérations  élémentairos  nous  incline  déjà 
à  estimer  que,  comme  document  linguistique,  la  Septante  ne  vaut 
pas  les  papyrus.  Mais  nous  avons  des  exemples  d'hébra'ismes  qui 

1.  Javai-i  iliMiiH'  f(ucl(jues  loltres  de  reconiiuandatioii  pnur  Athènes  à  un  de  mes 
éli'ves  di'  rKoolc  des  Langues  orientales,  qui  se  nommait  Barnabe.  Dans  les  milieux 
cultivés  d'Atliéoes,  on  causant,  on  ne  l'appelait  jamais  autrement  que  6  MuapvaiJiTte:. 

2.  KâvTto;,  qui  se  rencontre,  est  fait  pour  éviter  KâvTr,:,  qui  ne  paraît  pas  assez  noble. 
—  P.  191,  2.  ci-dessus,  aj.  Kdr,;,  Palamas,  rpâ|X(xaTa,  II,  1907,  3,1;  'P.  x.  M.,  III,  101,  1. 

3.  Il  convient  de  reniar(|uer,  à  cet  endmit,  que  les  noms  propi'es  égyptiens  sont  gré- 
cisés  d'ordinaire  et  que  telle  est  la  pluralité  des  cas  (cf.  W.  Spiegell)erg,  .Kg.  u.  gr. 
Eif/enn.  otts  Muiniend.  <l.  n'iin.  h'aiserz.,  Ljizg,  1901,  p.  VI;  cf.  TOyi;  'Auevvîû;, 
«1>-Siy.'.:,  Grenfell  a.  Hunt.  Tfte  liihek  l'ap.,  I.  I.imd.  1900,  ]..  297,  I.  Il,  13,  21, 
etc.,  etc.;  on  na  qu'à  parcourir  les  dilléreuts  leoueils).  Mais  ici  il  faut  s"evi)liquer.  Il 
est  évident  qu'un  nom  piopre  étranger  ne  s'assimile  pas  immédiatement  à  une  gram- 
maire indigène,  puisque  l'indigène  le  recueille  d'abord,  ne  fut-ce  «lue  jiar  l'oieille, 
siius  sa  forme  étrangère.  Donc,  il  peut  se  jnoduire  des  liésifations  et  la  forme  étran- 
gère peut,  dans  la  vie  (|uolidienue,  se  diie  et  même  s'écrire.  Seulemeid,  la  situation 
des  traducteurs  île  la  Bible  hébraïque  est  différente  ;  ce  n'est  point  pour  les  besoins 
journaliers  de  la  vie  ((u'ils  trailui.>;ent  les  noms  propres  ;  ils  travaillent,  ils  réfléchissant; 
quelquefois  aussi,  nous  le  savons,  ils  sont  embarrassés.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
c'est  là  une  œuvre  plus  conscii'iite  que  la  transcription,  telle  quelle,  ilans  les  papyrus, 
d'un  nom  égyptien,  qui  vient  souvent  sous  la  plume  pour  la  première  fois. 


200  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

sont  des  plus  précis.  Dès  lors,  pour  nous  en  tenir  au  point  de  vue 
auquel  nous  nous  sommes  placés  dès  le  début,  nous  devrons 
exiler  ces  hébraïsmes  d'une  bistoire  de  la  langue  grecque.  En  voici 
quelques-uns,  car,  dans  ces  quelques  pages,  nous  voulons  moins 
épuiser  la  matière  qu'indiquer  une  métbode,  si  celte  ambition  nous 
est  permise.  Nous  insistons  d'autant  moins  que  nous  avons  liàte 
d'arriver  aux  exemples  restés  inaperçus  jus([u'ici.  Personne  ne 
contestera  que  les  nombreux  âyÉvsTo  sans  xai  les  reliant  au  verbe 
qui  suit  (cf.  Gen.,  4,  3  lyé^eio...  r^^syx.z;  v.  ci-dessus,  194,  etc.,  etc.i 
sont  des  bébraïsmes  tout  crus  (v.  Viteau,  EL  II,  81  s.,  88-4;  cf. 
85,  §  lOG,  40-20:  Allen,  Expos  ,  .lune,  1900,438;  Pallis,  Le,  24,  4, 

p.  210,  traduit  scrupuleusement  Kai   cuvÉSy,...  va   otô  àvrosç  TrpdSaXav 

oix-rtrvôç  Touç;  mais  cela  n'est  nullement  grec)  ;  des  locutions  toiles 

que    lowv    t'oov,    aTTOiTTpocpri   aTiO'TTpé'l^w    (Svvete,  Itltv.,   308!    o'.ooùç    ol.jijoj 

[ib.,  338'),  qui,  strictement  parlant,  n'ont  rien  de  grec,  introdui- 
sent dans  la  langue  des  tournures  étrangères  (v.  Tbumb,  HelL, 
132  ;  Blass,  Gr.-,  24o  ;  Viteau,  Et.  II,  217,  dans  le  même  sensi,  bien 
que,  à  la  rigueur,  ces  tours  nouveaux  puissent  se  réduire  encore  à 
une  question  de  vocabulaire;  l/.  '/j-iobc,  [=z  1^73  Gen.,  9,  5)  est  avec 
raison  suspecté  par  Viteau  (/)/c/.  Vig.,  319;  le  cas  signalé  par  Tbumb, 
Prinz.,  252,  est  dilTérenti  ;  dans  6  [Jt-éyaç  aTrb  twv  àoEÀîpwv  aÙToï  Lev., 
21,  10  (Swete,  Intr.,  308),  si  àirb  est  grec  (v.  ci-dessus,  p.  185  ,  ô 
[xÉyaç,  positif  au  lieu  du  comparatif,  est  la  copie  de  binart:  ào-xEorOa-. 
sojç  Ttpoç  Tiva  (Sw.,  Intr.,  323i  n'est  pas  catbolique  ;  xa-.  lyévsTo  aÙTwv 
TTopeuojxévcov  ÈTropeuovTO  xat  âXàXouv  4  Reg.,  2,  11  (Swete,  Inti'.,  33oi  ne 
saurait  être  grec  à  aucun  titre  (cf.  y,v  oio-icrxwv  etc.,  Allen,  Expos., 
June,  1900,  438i;  âyoS  eljxt  xaOi(70[j.at  Suete,  /;*//'.,  308;  cf.  iô.,  317, 
Blass,  Gr.^,  198i  ne  peut  se  défendre  iY,aa...  XÉywv,  owvr,... 
XéyovTsç,  cités  ib.,  308,  et  mille  autres,  appartiennent  à  une  tout 
autre  catégorie  de  phénomènes  que  nous  étudions  dans  un  très 
long  travail;  cf.  'P.  x.  M.,  III,  340,  à  propos  du  x'kiwiç...  xxTaÀa- 

6dvT£ç  de  Hatzidakis)  ;    £0Î'];T|(T£  goi  r^  'l"jyr^  aou,  7TO<7a7:Ào)ç  no'.  r,  cas;  aou 

Ps.02,  2  I  Viteau,  Et.  Il,  161 1  ne  signilient  rien  en  grec  :  il  n'y  a  là  que 
des  imitations  de  l'éternel  '5.  C'est  aussi  une  très  juste  remarque 
de  M.  l'abbé  Viteau,  que  la  fréquence  des  adjectifs  verbaux  en 
—  Tôç  dans  la  Sei)tanteet  le  N.  T.,  en  legard  du  petit  nombre  de  — 
TÉoç,  tient  à  un  usage  purement  bébraïque  H.  c/a  Pli.,  XVIIl,  40  . 
Observons  toutefois  que  —  xô?  est  resté  en  grec  moderne,  tandis 
(jue  —  TÉos  a  disparu  complètement  '. 

\.  On  ne  jH'iit  s'oiiipùdu?!,  iii  rclcv, inl  ces  diH'éreiits  liébraisines,  do  songer  encore  une 
fois  à  (lut'l  [loiut  un  di's  ininciiianx  nlistacles  à  la  ditriisinn  du  christianisme  dans  les 


liSSAl  SUK    LE  GKEC  DE   LA   SEPTANTE  201 

Jarrive  maintenant,  dans  ce  môme  ordre  d'idées,  à  un  hébraïsme 
qui,  à  la  lecture,  m'avait  frappé  tout  de  suite,  que,  depuis,  j'ai,  il 
est  vrai,  retrouvé  signalé  ailleurs  Thumb,  Hellcii.,  181  ;  Blass, 
G)'.-,  80:  Viteau,  Et.  II,  ;209  ,  mais  dont,  il  me  semble,  ou  n'a  pas 
fait  suffisamment  ressortir  la  valeur  :  xat  ol  oûo  "ÉTovra-.  sic  ^içxa  aiav 
Gen.,  !2,  ;24.  L'bébreu  construit  ici  comme  le  latin  :  hoc  erit  ?ni/ii 
bono,  et  si;  n'a  aucune  autre  fonction  que  de  rendre  la  préposition 
bébraïque  b  ^-jn^x  nonb  i^rn  ;  de  même,  Gen.,  2,  7  (Viteau,  /.  /.) 
xal  ÈyÉvsTo...  dç  'I/u/YjV  î^couav  (n»n  cç^jb--  ■'~;'^  Rutb,  1,11  (Viteau,  Dlcl. 
Vif/.,  319],  é^ovxa'.  Ja-v  eiç  àvoça;  cf.  «  cucli  zu  Manuem  Avûrdeu  », 
Volck-QEttli,  Die  poet.  llaf/ior/r.,  Nordl.,  1889,  -218;  sî;  rarÉça, 
biblique  dans  Br.  an  d.  Hebr.,  Blass,  p.  11,  etc.,  etc.).  Voici  main- 
tenant l'exemple  le  plus  remarquable  :  '2  Reg.,  7,  8  xoo  slvat  tî  si; 
YjYoûfjLEvov  âxi  Tôv  Àaôv  [xou  =  II  Sam.,  7,  8  ■'7rî-5ï  "!"'5;  ni'Tîb',  c'est- 
à-dire  que  le  subst.  en  bébreu  n'est  point  ici  précédé  de  b  et  que 
le  '5  du  verbe  est  déjà  rendu  par  le  tou  de  dva-.  ;  en  d'autres  termes, 
le  traducteur  tire  ce  v.z,  et  sa  construction  de  lui  même  v.  d'autres, 
exemples  identiques,  Viteau,  Et.  Il,  210  rf,  cf.  c  et,  ib.,  ^  207  .  Pour 
nous,  cet  bébraïsme  fait  partie  de  la  langue  de  l'auteur.  M.  Viteau 
[Et.  II,  §  267 1  y  veiTait,  lui,  une  sorte  dbébraisme  d'entraînement, 


li.iutps  classps  si  raffiuées,  si  ailtivées  du  i"  et  du  ii*  s.  et  ftlus  tard  aussi,  ce  fut  la 
lanque  du  .\.  T.  Les  ln-braïsmes  u'étaient  point  nécessaires  pour  eflaniucher  ces  fins 
lettrés;  (|uand  ils  lisaient  (cf.  Norden,  U.  .'i20  s.)  ou  entendaient  dire  :  6  J)v  t\a  tôv  y.6>,Ttov 
Toù  itaTpÔT  J".  1,  18  (cf.  ci-dessus  ô  f,v,  part,  passé),  oùx  £/.£Tc  otà  ib  (j.yi  aÏTEÏcôai 
yjiàn"  atTeixE  xai  où  ),a|jLg(iv£Te,  Siôrt  xaxûiff  atxEïîjOe  Lac.  ep.,  4,  2-3,  l'actit  et  le 
moyen  mêlés,  [laxifio;  à/OfwTio;  ô;  sups  aoçîav  Prov.  .3,  13,  TîaaspâxovTa,  vixoûvti, 
TtapaSoî  du  >'.  T.  (Viteau,  El.  I,  XIX),  bien  plus,  ([uand  ils  ai)prcnaient  le  nom 
des  ade(ites  de  la  foi  nouvelle,  -/ptdTiavoî,  où  le  suffixe  -avô;  est  latin,  ils  devaient 
croire  à  coup  si'ir  ipie  la  Grèce  ancienne  s'écroulait,  (jne  la  patrie  était  perdue  et  cette 
Luigue  leur  semblait  à  bon  droit  papêapiÇouua  xaxaxpâTo;  xai  5o),oixi!;oyaa,  papêapô- 
swvo;  xal  ôvo|jiaxoTtou'at;  levai;  oyvxixayjxévTi  cf.  Tliund),  ïlellen.,  180;  v.  les  belles 
pages  de  Norden,  419  s.  ;  cf.  L.  Habn,  op.  cit.,  Pldlol..  Suppl.b.  X  (11)01),  4,  p.  098, 
n.  60).  Les  Pères  de  l'Kglise  répondaient  qu'ils  se  souciaient  peu  de  l'attiipie,  que  les 
écrits  chrétiens  parlaient  la  langue  des  bateliers,  parce  qu'ils  voidaient  être  compris  de 
tous  et  coïKpiérir  le  monde  (cf.  Norden,  II,  321  s.).  Tlunnb  {Ilellen.,  180)  a  justement 
conijiaré  les  païens  de  ce  temps  aux  jiuristes  modernes.  J'ajoute  que  les  Pères  de 
l'Eglise  ou,  du  moins,  les  apôtres  ont  aussi  trouvé  des  imitateurs.  Je  lis  dans  le'ETxta, 
Athènes,  7  janvier  1908,  p.  3,  col.  4,qu';i  Smyrne  un  papas,  originaire  de  Crète  a  récité, 
pendant  la  messe,  la  prière  dominicale  en  grec  parlé.  Il  est  vrai  que  ce  prêtre  fut  tra- 
duit devant  le  saint  Métropolite  Ba<;i>.£io;,  qui  le  fit  enfermer  comme  fou  dans  un  asile 
d'aliénés  et  lui  fit,  après  huit  jours,  réintégrer  son  ile  natale,  ))our  lempéclier  de 
porter  atteinte  désormais  à  «  la  tranquillité  publique  ".  —  Je  ne  suis  pas  de  lavis  de 
M.  Viteau  [R.  de  Pli..  XVIIL  10),  quand  il  dit,  a  propos  de  lac.  ep.,  4,  2-3  qu'  «  ils 
ne  pouvaient  employer  le  moyen  d'instinct,  comme  le  faisait  le  Grec  de  naissance  ». 
Cette  alternance  entre  le  moy.  et  Tact,  est  luécisément  curieuse  comme  phénomène 
d'évolution  lente,  et  le  grec  a  toujours  évidué  lentement.  V.  ci-dessus,  p.  1*9, 


202  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

un  hébraïsme  de  métier.  Mais  si  le  traducteur,  de  la  construction 
hébraïque,  a  i-eleim  b  et  en  a  lait  ré(]iiivalent  de  cU,  cela  signifie 
donc  que  l'hébraïsme  était  désormais  entré  dans  sa  propre  menta- 
lité et,  par  conséquent,  dans  sa  propre  langue.  Aussi,  quand  il 
rencontrait  ce   même  b^  il  le  rendait  tout  naturellement  par  tU  -. 

:2  Reg.  7,  14  Icojxa-.  aùxw  si;  TraTÉpa  fSNtbV  1  Parai.,  S'a,  10  l'jzxi  [xoi 
£îç  'jIôv  (pb  ■'b-rr'rT')  xàyw  aù-co  si;  zaTspa  (Dxb  ib-'SNi)  ;  ib.,  28,  6,  le 
second  membre  de  phrase  sv  aùrto  c^/a•  ao-.  ulôv  =  lab  ■'b  ia,  n'est 
pas  moins  étrange.  On  relèverait  dan  1res  cas  plus  intéressants 
dans  H.  a.  R.  Dans  tous  ces  exemples,  il  faudrait  toujours  le  nomi- 
natif dans  le  grec  de  tous  les  temps:  cf.  Ep.  Hebr.,  1,  3  v^.og  iao-j 
eI  <7û,  tandis  que,  au  même  endroit,  quand  il  cite,  il  emploie  Serra! 
[xot  z'.(j  ulov  'sur  cette  ép.,  Deissm.,  Herzog'*,  638,  oO  s.  ;  Rlass,  G?'.^, 
290  s.,  etc.,  etc.). 

Voilà  donc  une  préposition  essentielle,  la  préposition  sic,  où  le 
texte  de  la  Septante  ne  saurait  nous  servir  de  guide.  Il  faudrait, 
avant  de  pouvoir  les  utiliser  dans  une  grammaire  historique,  passer 
au  crible  tous  les  exemples. 

Nous  allons  aborder  un  genre  d'hébraïsmes  plus  délicats,  parce 
quils  ne  sont  pa§  apparents  et  qu'ils  sont,  en  quelque  sorte, 
négatifs.  Je  choisis  exprès,  pour  commencer,  mon  exemple  dans 
la  formule  év  ôvoixaT-.,  elç  civoaa,  qui  a  fait  l'objet  de  tant  d'études 
(v.  bibliographie,  p.  16ii.  Nous  avons  vu,  dans  Heitmiiller  ici-des- 
sus 179i,  que.  hors  de  la  grécité  profane,  le  type  àv  ôvôaaTt,  avec 
le  datif,  était  fréquent  dans  la  Septante  Heitmiiller,  p.  47-o2,  gr. 
prof.,  comparé  avec  p.  14-5  N.T.,  21-3  A. T.).  D'une  façon  plus 
nette,  dans  la  grécité  profane,  papyrus,  inscriptions,  ostraka.  etc. 
(v.  bibl.,  ib.,  p.  47,  2),  âv  ovoulxt'.  est  très  rare;  cette  rareté  étonne 
Heitmiiller  (p.  47-9»,  et  Deissmann  {Hib.St.,  145)  attribue  le  fait  au 
hasard.  Rien  de  plus  régulier  et,  ajouterai-je,  de  plus  attendu.  Si 
la  formule  lU  ovoaa  abonde  dans  la  grécité  profane,  c'est  que  les 
documents  de  la  Koîvy,  sont  des  témoins  de  tous  points  conformes 
au  développement  du  grec  ;  on  sait,  en  eiïet,  que  âv,  dans  le  cours 
des  siècles,  a  été  remplacé  par  lU  v.  provisoirement  Et.  /?y..  V-Vlir. 
On  saitque  cette  substitution  est  visible  dans  la  prédominance  gra- 
duelle des  prépositions  qui  se  construisent  avec  l'accusatif  songer 
aux  différents  travaux  de  Tyciio  Mommsen,  Krobs  ;  v.  bibliogr.,  Et. 
nr/.,  à  notre  Indexi.  Or,  ce  développement  régulitu-  de  l'accusatif, 
que  Ion  peut  suivre  à  travers  les  auteurs,  s'arrête  brusquement  à 
la  Septante,  où  nous  n'en  surprenons  plus  aucune  trace,  puis- 
qu'elle n'offre,  en  quelque  sorte,  pas  d'exemple  de  tU  o^o\lx  (v.  Heit- 
mùllei-,  MOi.  Pourquoi  cela?  C'est  que  la  Scptanle  traduit  constam- 


ESSAI   SUR  LE  GREC  DE  LA  SEPTANTE  203 

monl  ûôa  par  h  ôvoaar'.  v.  Hoitmilller,  p.  21,  22,  23,  24,  sans  une 
seule  exceplioii  et  (|iie  h  est  la  Iradticlion  (lominanle,  classique, 
convenue  tle  3.  Heitnniller  et  Deissmann  ne  s'en  sont  point  aper- 
çns,  parce  qne,  absorbés  par  les  discussions  sur  le  judéo-grec,  ils 
n'ont  point  songé  au  développement  général  dn  grec  depuis  l'an- 
tiquité jusqu'à  nos  jours.  Les  trois  tU  ovoaa  de  la  Se[)tante,  relevés 
par  Heitnnilior  p.  110),  sont  eux-mêmes  des  hébraïsmes  et  confir- 
ment de  tous  points  notre  assertion,  puisque  chacun  deux  rend, 
non  point  CC3,  mais  acr,  et  (pie  "•?  se  rend  i)ar  i\;  :  Heltmiillei-  en 
iait  lui-même  la  remarque  ib.  !  Donc,  nous  pouvons  voir  mainte- 
nant les  choses  sous  un  autre  jour  :  âv  ôvoayT-.,  dans  la  Septante, 
est  assurément  grec,  quant  à  la  construction:  mais  ce  qui  cesse 
d'être  grec,  au  point  de  vue  de  la  morphologie  et  de  l'histoire,  c'est 
précisément  l'emploi  de  Iv  avec  le  datif,  au  lieu  de  lU  avec  laccu- 
satii",  conformément  à  la  marche  normale  des  événements. 

Que  ceci  n'est  point  un  hasard,  un  autre  exemple  nous  le  mon- 
trera. Nous  y  apprendrons  du  même  coup  combien  il  faut  être 
circonspect  dans  cet  ordre  de  faits,  ainsi  que  dans  lusage  de  la 
Septante.  Dans  un  mémoire  en  cours,  je  retrace  brièvement  les 
origines  de  la  particule  négative  moderne  Sèv  iSe  devant  spirantes: 
V.  Essais,  II,  xxix  s.  ,  c'est-à-dire  oùoév,  avec  déjà  ce  sens  dans 
Homère,  ojokv  ÉT-.Ta;  A  244  (=  A  412  =  n  274  et  X  332,  donc  deux 
fois  en  tout.  Plus  tard,  chez  les  Attiques,  cet  usage  se  multiplie  :  la 
synonymie  parfaite  de  oôolv  yjtov  et  de  où/  y,ttov  nous  en  est,  pour 
le  moment, -une  [)reuve  suflisante.  Cetoùoèv  s'établit  délinitivement 
dans  le  sens  de  oj,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  Hesychius  (III,  lo64i  : 
o'josv  àvT>.  Toj  o'j.  De  nos  jours,  oJ  est  totalement  disparu,  ne  subsiste 
plus  que  dialectalement  dans  un  palais  de  Tri'bizonde,  et  okv  règne 
en  maître,  même  dans  la  langue  puriste  qu'il  envahit.  Mais  cela  ne 
s'est  pas  fait  du  jour  au  lendemain.  Cela  s'est  fait  par  à  coups  suc- 
cessifs. 11  y  a  cependant  solution  de  continuité  dans  TA.  et  le  N.  T. 
De  l'Ancien  nous  retenons  deux  emplois  :  Job,  I,  52  oOokv  y^aasTev, 
et  3  Macc,  3,  S  c/jokv  ÀjO-xYiaÉvoç.  Ce  livre,  comme  on  sait,  a  été 
écrit  en  grec  directement  Strack,  Eiid.,  U\{\-~  ,  et,  pour  ce  qui 
est  de  Job,  lidce  de  en  rien  '  semble  comme  sous-entendue  dans  le 

I.  L.i  transition  de  sens  entre  en  rien,  rien  i-t  pd.i.  est,  comme  on  sait,  des  itlus 
faciles.  En  haya  (ci-dessus,  187.  n.  2\  bouna,  qui  répond  à  no»,  est  léciuivalent  exact 
de  oCiôàv  (6oM  =  rien,  no,  négatiou  copulativc»,  d'après  mon  lils  Ernest,  »|ui  a  passé 
div-liuit  mois  en  mission  dans  le  Congo  français  et  y  a  appris  la  lani'ue  du  pays.  Je  note 
aussi,  au  sujet  de  ce  dialecte,  cette  ohseivation  <iue  je  tiens  du  même  témoin,  c'est 
que,  en  baya,  la  déclinaison  n'existe  pas  et  se  pn'sente,  comme  en  liélueu,  avec  le 
pronom  accolé,  postposé  au  nom  :  chez  lui  se  dit  Ijou.  Je  ne  tire  de  l'ensemble  de  ces 
faits  aucune  conclusion.  Je  les  sifj'nalc. 


204  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

verset  cf  B.  Diibm,  Bas  li.  Hiob,  1897,  p.  12  13  ;  dans  le  N.  T. 
nous  avons  des  o-joév,  mais  qui  ne  sont  pas  plus  sûrs  que  ceux  de 
l'Ancien  :  31t..  '27,  24  oôclv  (ogeàeT  gr.  niod.  oè  -ùù.i  ,  Act.  2o,  10  o-jokv 
YjOixT.xaç  et  trois  fois  dansl'Ép.aux  Gai., 4. 1  ojo=vo'.a.p£Ç£'.,4,  2  ojokvak 
•/;o'.x/,craT£,  o,  2  ojo=v  wo£À7)C£'..  C'est  eucore  là  un  hébraïsme  négatif: 
la  Septante  ne  connaît  que  où',  représenté  toujours  pour  elle  par  son 
équivalent  classique  Nb  cf.  Slrack,  He.br.  Gr.^,  Mtinchen,  1907,  P. 
L.  0.,  p.  ol  :  ïouzard,  Gr.  hébr.,  Paris,  1905,  342,  î;  879  :  Gesenius- 
Kautzsch-',  1902,  p.  486  s.,  §  152:  rien  de  semblable  à  oJokv  en 
hébreu!.  Des  particularités  de  cette  espèce  pourraient  être  utiles  au 
point  de  vue  de  l'étude  des  sources,  comme,  par  exemple,  pour  les 
Actes  H.  Wendt,  Z)/>,4j!;oi^G.,Gott.,  1899,  p.  19  s.  :  Zabn,II\342  : 
on  pourra  mieux  reconnaître  sous  un  écrit  grec  un  original  sémi- 
tique, suivant  le  plus  ou  moins  grand  nombre  de  ces  hébraïsmes 
néqatif^.  Lorsque  les  plus  minutieuses  monographies  de  ce  genre 
sur  une  forme  ou  sur  une  catégorie  grammaticale,  auront  été  faites 
et  menées  depuis  l'antiquité,  la  plus  reculée  jusqu'à  nos  jours,  on 
aura  là  des  points  de  repère  inattaquables  pour  la  critique  et  la 
jusie  appréciation  des  monuments  bibliques  et  de  bien  d'autres 
documents. 

,Ie  clos  ce  travail  par  un  exemple  où  j'espère  montrer  à  quel 
point  le  grec  moderne  peut  être  de  secours,  non  seulement  dans 
la  question  des  hébraïsmes  de  la  Septante,  mais  encore  dans  la 
mise  en  valeur  de  la  langue  ancienne  elle-même. 

Arrêtons-nous  au  mol  a-.iavTo;:  nous  le  rencontrons  dans  Homère 

Z  60  ÈçaTroÀGiar'  .  .à-yavTO'..  Y  303  aoavTo;  oÀYTa;,  puis  chez  Pindare 
0.  1,  46  àï-avTOç  sTieXe;  :  N.    Mil,  346  twv   oà-yàvTojv  xvoo;  :  Pv.,  XI,  30 

aç-avTov  ^-A^^'.  adv  ).  Ensuite,  a^av-ro,-  disparaît  à  l'époque  atlique, 
laquelle  ne  connaît  plus  que  àoavv-;.  La  poésie  seule  a  retenu  cet 
adjectif  :  Escb.,  Ag.  624  àvY,p  a-^avroç  è;  'A/atVxoy  <jTiaTo-j  au  V  623 
oj/.  £jxvj-Ta  v'ivvïTa-  ~T?jt.  précède  immédiatement ,  657  ôj/ov-'  àoav- 

TO'.,  695r/vo;...  aç-avTOv,  1006  aç.avTOv  £iaa,  Suppl.  779  aÉÀaç  Y£vo{u.av 
xaTTvc»;  vÉoscc.  vîitovwv  A'.oç"  tô  ttxv  o  xoxvto;  aaTTSTr,;  iVcro;  «o;  xôv.; 
xii'M  -TTspÛYwv  opoiaav    DJnd.,  ôÀo'aav   M.  ap.   ^Vt'i^^  XWVMI  :  auCUlU^ 

raison  de  changer,  cf.  Hom.  Y  303,  ci-dessus  :  So|)h..  0.1».  5()0 

aoavTo;  'âsp^'-,  832  pa;T,v  àoavTOç,  Pbil.  297  âoavToy  a^oi;  :  Kui'.,  Hel.  KA\^> 
%-Jïtl<s  às-av-o;,  Herc.  873  s;  Sôjxo'j;  o'tjixsTç  àoavTO'.  oitaôasaO'  'HsaxÀÉo-jç, 
Hipp.  828  àoavTOç  eI,  Or.  1495  Èvsveto  Sta-JTfô  ocojjiaTov  àçiav-o;,  1557 
i-javTo;  oV/îTa-.,  fr.  781,  63-4  yx;  Otiô  xevOo;  àç-av-rov  £;au.a'jpwO(T)  Nauck, 
l'r  </r.  fr.,  IS89  :  Adespolon.  ib.,  127,  8,  p.  i^i\{\  aoav-o?  xioçéCa. 
"A-.ixvTo;    persiste    encore   phis  lard    chez   les  poètes,  Théocrite, 


ESSAI   SUR   LE   GREC   DE    LA   SEPTANTE  205 

Àralus,  Apollonius,  où  il  est  très  fréquent,  et  chez  d'antres  épiques 
;H.  S.,  s.  V  .  Ensuite,  nous  le  voyons  tout  à  coup  reparaître,  en 
prose  cette  fois  ci,  à  lépoquc  hellénislique  chez  Diod.  Sic,  IV,  (kj,!» 
àoavTo;  èvîvîto,  III,  (30, :i  ioxvTov  -^vtinfix'.  V.  aussi  Plut.,  Mor.,  éd. 
D.  Wyttenhach,  t.  VIII,  i,  183(1.  p.  :2U3,  ou  [)lusieurs  exemples; 
pour  Josèphe,  v.  Rrenkel,  Jos:.  u.  Luc  ,  144  . 

Je  n'entre  pas  ici  dans  l'examen  de  la  question  de  savoir  pour- 
quoi ce  mot  portique  se  retrouve  chez  les  poètes  attiques  depuis 
Homère,  ni  comment  il  reparaît  à  l'époque  de  la  Ivo-.v-/, .  J'en  parle 
ailleurs  — après  beaucoup  d'autres.  Un  point  tout  particulier  nous 
intéresse  en  ce  moment.  Ce  même  mot  revient  dans  Luc  24,  31, 
dans  des  conditions  toutes  spéciales  :  àç^xvToç  èvévè-o  à-'  aÙTwv,  Ce 
complément  circonstanciel  indirect  n'est  pas  grec'.  Aucun  des 
passages  ci-dessus  ne  nous  le  donne.  Dans  Eschyle,  Ag.,  t)!24.  il 
n'y  a  point  de  vej"be  et  k\  en  est  indépendant.  L'état  ancien  s'est 
lidèlement  maintenu  dans  le  grec  moderne  ;  dans  le  grec  le  plus 
usuel,  on  dit,  soit  àç.av-o;,  tout  seul,  dans  une  proposition  exclama- 
tive  constituée  par  l'unique  a-^avToç  :  àç-av-o;!  =  il  est  devenu  invi- 
sible! Il  a  disparu  de  la  circulation,  soit  avec  yivo-juLai  :  ev.vî  a^pav- 
-o;,  ULY,  v/vr,;  àoavTo;,  etc,  etc.  Cela  uous  permet  de  comprendre 
pourquoi,  dans  les  exemples  classiques,  le  verhe  qui  accompagne 
xoavTo?  V.  ci-dessus  ,  revient  toujours  à  dire  :  devenir  invisible, 
disparaître,  s'en  aller,  elc,  sans  que  jamais,  toutefois,  le  verhe  ait 
besoin  de  préciser,  à  l'aide  d'un  complément,  le  lieu  ou  l'entourage 
d'où  Ion  dispai'aît.  exactement  comme  aujourd'hui,  où  l'on  n'em- 
ploiera pas  a-pavTo;  à-::'  àç.TOj;  OU  xoavTO;  x~o  ow,  FUais  x^xvto;  tOUl 
coui't.  Ce  mot  se  suffit  à  lui-même.  Il  se  plaîl  toutefois  parliculiè- 
renient,  en  grec  ancien  ainsi  qu'en  grec  moderne,  au  voisinage  de 
Y''vvoaa'.  (Yîvo'jaxi).  C'est  pourquoi,  dans  Esch.,  Suppl.  771)  ci-dessus  , 
Y£vo;axv  entraîne  dans  l'esprit  du  poêle  le  x-^xvto;  qui  suit.  v.  781; 
je  ne  mettrais  donc  pas  de  point  en  haut  après  A'.b;  et  garderais 
ôÀoiixxv  pour  les  mêmes  raisons  (ci-dessus  .  Je  veux  tirer  main- 
tenant de  celle  explication  la  conclusion  qui  s'impose  :  àyxvroî 
ÈvÉvîTo  àz'  xJTwv  de  Luc  nous  olVre  un  curieux  mélange  de  locution 
grecque    xoxvtoî    Y-Yvoaa;    dans   une  construction  sémitique    à-' 

1.  B.  Weiss,  Die  Evany.  d.  Mark.  u.  LS',  l'JUl  ^ilans  le  kr.  e.i ef/.  Komrn.  ii.  d.S.T. 
de  Mcyer),  ad.  L.  24,  31,  p.  68.j,  parle  de  «  piâL'imntfr  Koiislruktioii  »,  ce  qui  sijL'uine 
qu'il  a  été  frappé  par  ceUe  construction  insolite  :  c'est  justi-nient  parce  quelle  fait 
défaut  dans  les  textes  purement  trrecs.  —  Dans  la  Chr.  of  Moi-.,  éd.  J.  Schinitt,  1904, 
V.  4720  -ô(7a  ço-Jd-TiTa  âsavTa  va  -rà  £/a)|i£v  xepoî'jei,  i?.  ne  veut  pas  dire  «  iuuume- 
rable  »  «6.  p.  001.  Le  passaire  signifie  (piclque  chose  comme  ceci  :  nous  avotis  vaincu 
tant  d'années  idevenui-s)  invisi/des. 


206  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

aÙTojv),  car  cet  à-ô  n'est  pas  autre  chose  que  )j:,  et  Tauteur  met 
ici  aTio,  simplement  parce  que  le  verbe  correspondant  de  sens 
en  hébreu,  n^y,  latidt,  se  construit,  lui,  avec  )-i2  cf.  Ges.,  J'h., 
s.  V.  nby  '). 

Il  est  important  que  cet  hébraïsme  se  trouve  dans  Luc  Deissm  , 
Herz.3,  637,  60-038,  1  s.  ;  Moulton,  Gr.,  13-4;  Norden,  II,  48o  92; 
Thumb,  Helloi.,  184,  surtout  121;  Th.  Vogel,  Z.  Char.  d.  L.,  7, 
3  s.;  12;  13  «  Gra^ci  sermonis  ercditissimus  »;  sur  sa  connais- 
sance de  Varaméen,  ib.,  14  s.,  mais  v.  22,  [i  cf.  Krenkel,  Jos.  ii. 
Luc,  11  s.i;  p.  21  s.;  31  ;  34  s.  ;  E.  Renan,  Les  Evangiles,  1877, 
p.  2o5  s.  ;  les  rapports  entre  Luc  et  Jos.  sont  étudiés  dans  Krenkel, 
Jos.  II.  Luc,  liste,  p.  xi  s.,  v.  ib.,'È'd,  etc.,  etc.)  :  on  voit  mieux  ainsi 
et,  dans  l'espèce,  côte  à  côte,  les  deux  grécités  dont  parle  Deiss- 
mann  /.  L],  dans  cet  Évangile.  Cet  hébraïsme  a  échappé  à  Guil- 
lemard  [op.  cit.,  Le,  p.  23i,  et  cependant  il  les  relève  à  la  loupe 
(cf.  également  Theimer,  Beitr.,  14-loj,  ainsi  qu'à  Krenkel,  qui  étudie 
spécialement  ce  passage  dans  son  excellent  livre  [Jos.  u.  Luc, 
p.  144).  Pallis  (p.  212)  traduit  aùxoç  toùç  'éyive  aç^avroç.  Il  a  bien  senti 
que  k-K  àcj/Toùç  ne  pouvait  guère  convenir  en  grec  moderne;  il 
n'a  pas  osé,  d'autre  part,  supprimer  le  complément  circonstan- 
ciel et  il  l'a  rendu  par  tojç;  mais  ce  toj;  est  un  hébraïsme  et 
n'a  rien  de  moderne  (sur  acpavxoç,  etc.,  v.  Ec  pr.  d.  H.  E.,  Ann. 
10U8,  p.  46,  et  y  corriger  la  faute  étrange  yba  (!i  p.  47,  ib.  pour 
ûby). 

1.  Dalinan  [W.  J.,  U  s.)  dit  avec  raison  que,  dans  la  (fnestion  des  hébraïsmes  dais 
le  N.  T.,  il  faut  savoir  distinguer  entre  un  hébraïsme  proprement  dit  et  un  aranu'ïsme. 
Mais,  dans  le  cas  que  nous  envisageons,  peu  importe  que  ce  soit  de  l'hébreu  ou  de  l'uru- 
méen,  puisque  "JTO  est  commun  à  tous  les  deux  (v.  K.  Marti,  Kurzg.  Gi:  d.  bihl.-ar. 
Spr.,  Berlin,  1896,  dans  la  P.  L.  G.,  p.  97).  Il  n'y  a  point  de  aby,  lafuil,  dans  Daniel 
(v.  Strack,  Gr.  d.  bibl.-ar.,  Leipzig,  190;J,  Woiiv.,  p.  54*)  ni  dans  Fr.  Delitzsch.. 
l'rol.  ein.  n.  hebr.-ar.  Wôrt.b.  z.  A.  T.,  Lpzg,  1886,  cf.  p.  '215 c  ou  dans  J.  Levy, 
Cludd.  Wor/.b.,  Lpzg,  1867  (l'ar.  obj*  s'emploie,  comme  on  sait,  dans  un  tout  autre 
sens;  v.  à  nus  divers  renvois  .  Mais  nous  ne  pensons  pas  (jue  celte  lacune  accidentelle 
entame  notre  raisonnement.  Sur  les  araméismes  dans  le  N.  T.,  v.  Allen,  Expos.  T..  XllI, 
(1902),  328  s.  ;  Swete,  The  Gosp.  ace.  to  St  Mark,  op.  cil.,  xi.i.  U  s'agit  de  Marc,  et 
non  de  Luc  ;  mais  la  question  est  la  même,  puisijue  les  araméismes  de  l'un  ont  passé 
dans  l'autre  (Allen,  l.  L,  328  a).  J'ai  tenu  à  savoir  si  "y  avait  un  équivalent  de  cons- 
truction et  de  racine  en  arabe;  vuiii  ce  que  m'éçrivail  à  ce  sujet  et  au  sujet  de  la 
négation  la.  eu  date  du  18  Février  190S,  iimn  très  regretté  ami  et  eolléguo,  Hariwig 
Derenhourg  : 

«  La  racine  ûbj',  nifal  ûb?;  "  se  cacher  de  »,  n'a  d'équivalent  dans  aucun  arabe. 
On  n'y  connaît  que  la  transcription  x'-^  de  l'hébreu  D^T?  et  une  racine  |«Jc  signi- 
liant  «  apprendre,  savoir  »,  d'où  les  fameux  nul 'inà,  qui  j>  ni-iit  un  si  grand  rôle  d:ins 
le  monde  musulman. 

Je  ne  connais  lien  do  semldable   à  ii  D  rrdoulilement  de  la  m'iiation  V.  » 


ESSAI  SUR   LE   GHKC  DE  LA  SEPTANTE  207 

Je  termine  ici  ce  long  mémoire,  trop  court  peiit-èlre  pour  le 
sujet  auquel  j'ai  osé  m'attaquer.  Jajoulerai  deux  mots,  en  linis- 
sant.  Si  sur  les  trois  points  examinés  ci-dessus  —  constitution  du 
texte  de  la  Septante,  liébraïsmes  à  écarter,  liébraïsmes  à  recon- 
naître —  je  ne  me  trouve  pas  complètement  d'accoi"d  ni  avec  la 
critique  allemande  ni  avec  la  critique  anglaise,  puisque,  même 
dans  la  question  des  prétendus  liébraïsmes,  je  cherche  à  les  con- 
trôler d'une  façon  quelque  peu  difîérente,  je  n'en  dois  pas  moins 
rendre  un  hommage  éclatant  à  l'une  et  à  l'autre  de  ces  deux  cri- 
tiques, qui,  seules,  ont  rendu  la  discussion  possible.  En  France, 
nous  n'avons  rien  ou  presque  rien  dans  cet  ordre  d'études.  En 
dehors  de  quelques  autres  travaux,  les  beaux  livres  de  M.  l'abbé 
Viteau  sont  notre  unique  apanage,  et  encore  ne  s'est-il  principale- 
ment occupé  que  du  N.ï,  On  a  vu,  d'autre  part,  que  nous  ne  parla- 
gions  pas  ses  points  do  vue.  En  Grèce  v.  bibliographie,  p.  101  ,  on 
s'est  occupé  davantage  du  texte  de  la  Septante  et  de  la  version  elle- 
«lème.  J'ai  voulu,  dans  ces  quelques  pages,  pousser  un  peu  plus- 
loin  ces  études.  Elles  prennent,  ce  me  semble  —  et  ce  sera  là  ma 
seconde  réflexion  —  plus  d'importance  chaque  jour.  Le  livre  excel- 
lent de  Frankel  représente  en  somme  une  opinion  trop  retarda- 
taire, où  se  laissent  surprendre  quelques  préoccupations  confes- 
sionnelles ou,  tout  au  moins,  conservatrices.  Il  y  a  mémo,  p.  "KVi  s. 
(cf.  164  s.i,  une  dépréciation  presque  systématique  de  la  Septante, 
dans  l'intention  de  conserver  au  texte  hébreu  une  supériorité  abso- 
lue. La  pierre  de  scandale,  la  fameuse  addition  du  texte  grec  AiéX- 
Owaev  eU  tô  -jtso'Iov  Gen.,  4,  8,  proposition  essentielle  qui  maïuiiic  au 
texte  hébreu,  donnerait  à  croire  —  entre  diverses  preuves  —  que 
les  Septante  ont  connu  un  autre  texte  que  le  notre  v.  Snele,  Intr., 
44^  s.,  où  liste  des  divergences;  Swete  garde  une  attitude  très  réser- 
vée; cf.  Smith,  Dict  ,111,  1"20X,  l!209:  songer  aux  travaux  projetés  par 
Lagarde,  cf.  Sept.  St.,  p  3  ;  Swete,  Intr.,  494,  490  .  Frankel  -  qui 
accentue  bien  mal  le  grec  !  —  se  tire  de  ce  passage  comme  il  peut 
(p.  107  .  Il  est  possible  ([ue  son  explication  puisse  se  défendre.  Mais 
une  comparaison  méthodique,  que  nous  voudrions  bien  voir  entre- 
prendre, entre  la  Septante  et  la  version  samaritaine  \Pentateiichiis 
samari tamis,  cdd.  H  Petermann  et  C.  Vollers,  Berlin,  187^-1S!)l, 
en  caractères  carrés  hébraïques  ,  versions  qui  coïncident  entre 
elles  sur  tant  de  points  (v.  Frankel  lui-même,  34,  35,  209,  n.,  mais 
cf.  404  ;  rappr.  Ucb.  d.  Ein/L,  105,  §  40  s.  —  le  AiéXOioulev,  etc.,  n'y 
manque  pas!  —  nous  réservera  bien  des  surprises  cf.  R.  Simon, 
240  6,  où  le  rapprochement  entre  ces  deux  textes  a  lieu).  Dès  à 
présent,  les  ouvrages  importants  de  Jahn,  mentionnés  à  ce  dessein 


208  "REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

dans  notre  ])il)liograpbie,  démontrent  que,  pour  les  livres  examinés 
(Daniel,  Ézécliiel;  v.  aussi  Berl.  ph'U.  W.,  1907,  1688,  surtout 
11)8 o,  la  Septante  repose  sur  un  original  héhieu  différent  de  celui 
que  nous  possédons  aujourd'hui.  Cette  opinion  perce  déjà  chez 
R.  Simon  p.  191  b  suiv..  Il  ne  reste  plus  qu  a  l'éprouver  définiti- 
vement. 

[Rédaction  et  documentation  closes  le  24  février  1908.) 

Jean  Psicuari. 


LA  liliCITATIO.N  DU  SCIIKMA  ET  M  LA  UAFTAUA 


M.  Elbogeii  vient  de  publier  un  ouvrage  où  il  éUulie  les  prières 
principales  de  roiïïce  du  matin  ainsi  que  la  «  Aboda  »  du  Jour  du 
Pardon  '.  C'est  une  contribution  importante  à  Tbistoire  de  la  litur- 
gie juive  et  Tautenr  mérite  notre  sincère  gratitiule  pour  avoir  consi- 
dérablement enrichi  nos  connaissances  sur  ces  (jueslions. 

Tandis  que  la  deuxième  partie  du  livre  est  une  histoire  complète 
du  travail  liturgique  qui  s'est  exercé  sur  le  «  culte  »  du  Jour  du 
Pardon,  la  première,  qui  avait  paru  antérieurement  en  anglais  dans 
la  Jewish  Quarterly  Review-,  est  limitée  à  quelques  points  essen- 
tiels des  «éléments  principaux  de  la  prière  du  malin»,  le  Schéma 
(p.  3  8:2'  et  la  Telilla  (p.  83-48).  L'auteur  parait  avoir  ignoré  mon 
article  Origine  et  histoire  de  la  lecture  du  Schéma  et  des  formules 
de  bénédiction  qui  V accompagnent'^ ,  où  les  questions  qu'il  traite 
ont  été  examinées  à  côté  de  quelques  autres.  Il  semble  que  mon 
article  Liturgg  de  la  Jeicish  Enci/clopedia  \  où  les  principaux 
résultats  de  son  travail  se  trouvent  déjà  indiqués,  ait  également 
échappé  à  son  attention.  Renvoyant  le  lecteur  à  ces  deux  études, 
je  me  contenterai,  pour  éviter  les  répétitions,  de  l'cvenir  sur  les 
points  où  je  ne  puis  m'accorder  avec  M.  Elbogen  et  sur  ceux  où  ses 
assertions  me  paraissent  devoir  être  rectiliées  ou  complétées. 

M.  Elbogen  avance  «  que  yn^  hy  ons  Meguilla,  iv,  51  est  Van- 
cienne  désignation  tecliniciue  pour  la  recitation  du  Schéma  et  des 
bénédictions  c/ui  l'accompagnent  dans  l'office  public  du  matin. 

1.  I.  KlbOL-^rii,  Sludien  zur  Gescliiclite  der  judisc/ien  Gotifsdieiisles.  Berlin, 
Miiycr  et  Millier,  11)07  ;  in-S»  de  viii  +  192  p.  (Scliiit'ten  der  Leliraiistalt  fur  die 
Wissensch.ift  des  Judeiitiiiii'i,  Dand  i,  llel't  1-2). 

2.  J.  Q.R.,  t.  XVllI  et  XIX. 

:).  Hevue  des  Éludes  Juh-es,  XXXI  ,lS"J.j),  170-201. 
4.  Jeir.  Encycl.,  VlII.  132-liO. 

T.  LV,  x»  110.  U 


210  HEVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

Nous  y  ajoutons  les  bétiédiclioiis,  car  elles  en  font  également  par- 
tie, comme  le  prouve  la  phrase  nT-nî^»  rti^-i  nVj  bD  "^w^  min-"  'i 
3>7ûO  b'J  dtiî:"'  kSb  vw^Tû  qui  se  rapporte  évidemment  à  l'culogie 
^is  -liTT  en  tête  de  la  prière  «  (p.  5).  J'avais,  moi  aussi,  cité  ce 
texte ',  mais  j'en  avais  joint  un  autre  encore  plus  probant.  On  lit, 
en  etï'et,  dans  la  Tosefta  de  Meijuilla,\\,  27  :  ']-)372r!"i  vtj::)  ?y  Diisn 
1-11  riT  -^-iri  n^y  ûiîi  Xù^  ^ri1^s  "injî  '-rj^  Nb  rm^Ton  b:»!  m-i-'s-  by 
m-nn.  Le  passage  parallèle  du  Yerouschalmi-  est  ainsi  couru:  "^in 

r;;:'i  Nb  rmna  »-nm:oi*r;  mij^Ton  br^TD  phn  by  inaTom  N^nia  -i"UD7:m 
'iDT  mn  riT  "^"in  n":»  ûïît  Xû^  i«i:y  nnx.  On  voit  donc  que  jpwo  b:'  o-non 
ne  s'applique  point  même  aux  bénédictions,  mais  à  elles  en  pre- 
mier lieu.  C'est  ce  que  prouve  aussi  le  texte  des  Halachot  Guedolot 
cité  par  M.  Elbogen  et  dont  voici  le  commencement  et  la  fin  :  ■^î*» 
niTva  ■'T^n-'  1it2t  "^ci-îp  miD-iTo  nu:?;:  N7:->b  nît  y720  by  roms  Vn 
"i:-'^m  ^i-im  nciip  n»ib  iin-'b t^^dx  -^no  innm  nonp  :!bT'  htd'îi  -iiwS 
moj'To  mn::  y7:a  by  v^^ii-  T^"*  pm.--  ^ 

L'histoire  d'Eléazar  Hisma  montre  semblablement  que  par  o-no 
y»TB  bj»  on  entendait  avant  tout  les  bénédictions,  car  elle  est  intro- 
duite par  cette  remarque  :  quand  dix  bommes  entrent  dans  une 
maison  en  deuil,  qu^aucun  d'eux  ne  peut  dire  les  bénédictions  de 
circonstance,  et  qu'ensuite  vient  quelqu'un  qui  ouvre  la  bouche 
pour  les  réciter,  il  est  semblable  au  «lis  entre  les  épines».  On  peut 
encore  comparer  au  lis  entre  les  épines  celui  qui,  dans  une  maison 
de  noces,  prononce  les  bénédictions  des  noces  et  celui  qui,  dans  la 
synagogue,  est  ^toï;  \>y  oms  et  r!n\-in  i;sb  imy.  Ensuite  vient  l'anec- 
dote de  l'humiliation  d'Eléazar  Hisma,  qui,  à  l'invitation  de  la  com- 
munauté qui  lui  disait  onns  et  mn:?,  répondait  :  ton  ^y^h  (je  ne  sais 
pas)  et  se  laissa  ensuite  instruire  par  Akiba.  Et  voici  les  derniers 
mots:  ...R.  Yona  enseignait  à  ses  disciples  les  bénédictions  de 
mariage  et  de  deuil,  afin  qu'ils  fussent  instruits  de  tout  '.  I.o 
contexte  montre  clairement  qu'il  s'agit  des  niDia,  car  le  Midrasch 
veut  justement  insister  sur  l'importance  qu'il  va  pour  les  rabbins 
a"^»Dn  ">T)3bp  à  pouvoir  remplir  à  l'occasion  les  fonctions  qui  incom- 
bent régulièrement  au  scribe  "idis  ou  à  l'officiant  im.  On  dit,  en 

1.  Revue,  l.  c,  p.  l'J7. 

2.  j.  Bemchol,  9  c  eu  l)as. 

3.  Cité  par  Ëlbogen,  p.  20.  Cf.  aussi  le  passaifi^  dos  Hal.  Gued.,  éd.  HildcslieinuT, 
p.  249,  cité  par  lui,  p.  5,  n.  1,  et  celui  des  Hulachol  d'isaac  ibu  Gavvat,  I,  ;J9,  au 
uom  d'Amram  Gaon,  cité  par  Biicliler,  Revue,  U"V.  202.  u.  8  :   rT^bo    n7jT"S5    '\^'^'D 

nnxT  "i;'^^nr:o  ']-)'2i2  LDmcDn  DT^n  n-ia-iyn'  y  »  c  by   cinsb  ni2j: 

4.  Sc/tir  r.,  ii,  2  ;  Lvv.  r.,  x.viii,  4. 


LA   RÉCITATION   DU   SCHEMA   ET  DE   LA   liAFTAHA  211 

effet,  dans  le  Talmud  '  :  yi:^  by  0"n;n  -id":cs.  Le  Traité  Soferlm 
est  un  Manuel  du  «sol'er»;  aussi  ivunit-il  les  règles  du  scribe  et 
celles  de  rofficiant.  Le  peuple  témoignait  son  respect  en  conliant 
au  «docteur»  riionneur  de  réciter  le  Schéma  et  la  Tcj'dla.  Il 
attendait  aussi  de  lui  qu'il  put  dire  dans  une  maison  de  noces  ou  de 
deuil  les  bénédictions  d"usage.  Parmi  les  choses  qu'un  D^n  T»bn 
doit  apprendre  Rab  compte  tD-'ïrn  nDin-.  Comme  le  particulier  réci- 
tait un  -nwS  "iitr  et  luie  nnrîN  sommaires,  on  s'explique  qu'Eléazar 
Hisma  n'ait  pas  su  dire  la  version  plus  longue.  Ce  n'eût  pas  été  le 
cas  pour  le  Schéma  seulement. 

Il  est  donc  certain  que  yrj^  by  omo  comprend  les  bénédictions 
du  Schéma  ;  la  question  est  de  savoir  comment  ce  terme  fut  intro- 
duit. Dans  sa  belle  conférence  sur  la  prière,  M.  Israël  Lewy  dit  :  (■  ce 
paragraphe  (le  Schéma)  fut  sans  doute  jadis  —  c'est  ce  qui  semble 
résulter  d'une  ancienne  source  —  récité  alternativement,  verset 
par  verset,  par  l'ofûciant  et  par  la  communauté,  et  c'est  sur  ce  mode 
de  récitation  qu'est  fondée  l'expression  j'K'J  by  oi-is  «  partager  le 
Schéma»^.  M.  Elbogen  se  rallie  à  cette  interprétation:  «Le  sens 
fondamental  de  D"io  est  «séparer,  briser».  .  tous  les  dérivés  de 
cette  racine  et  toutes  les  liaisons  qu'elle  reçoit  nous  ramènent 
toujours  à  la  signitication  de  «partager,  réduire  en  morceaux».  Il 
est  naturel  de  supposer  que  la  manière  dont  on  récitait  ces  pièces 
liturgiques  a  déterminé  le  choix  de  notre  terme  »  (p.  o).  Après 
avoir  reconstruit  pour  ses  besoins,  à  l'aide  de  Tos,  Sota,  w,  "2,  '6  ; 
j.  Sota,  :^  c  et  b.  Sota,  30  b,  la  forme  primitive  de  la.baraïta  sur  la 
récitation  du  Schéma,  il  en  déduit  que  «  par  yiyo  by  o-:d,  on  enten- 
dait une  récitation  verset  par  verset,  dans  laquelle  l'officiant  et  la 
communauté  alternaient»  (p.  7). 

En  présence  des  passages  cités  précédemment,  on  accordera  bien 
la  «  récitation  verset  par  verset  »  du  Schéma,  mais  on  contestera 
qu'elle  soit  contenue  dans  l'expression  siyQ  hy  diû.  Le  verbe  ono 
ne  signifie  nullement  «  réduirp  en  morceaux»,  c'est-à-dire  en 
plusieurs  parties,  mais  seulement  «  rompre,  diviser  en  deux 
parties  »  ',  de  là  le  substantif  onc  «  moitié  w,  etc.  Il  est  encore  à 
remarquer  qu'on  n'emploie  jamais  le  mot  ons  à  propos  du  «  hallel  », 
qu'on  récitait  également  «  réduit  en  morceaux  ».  Il  me  paraît  donc 
absolument  certain  que  rexpression  ^720  \>y  ono  a  été  formée  pour 


i.  Sola,  30 /j.  cité  liai-  EUiogeu,  \>.  6. 

2.  ]l  oui  lin,  'Ja. 

3.  Monalfischrift,  XXW  •  1886  ,  120. 

4.  V.  les  iiassab'fs  dans  Lewy,  Sh.  W.,  IV,  122-123. 


212  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

la  récitalion  des  bénédictions  du  Schéma.  Je  continue  à  tenir  pour 
l'explication  la  plus  simple  celle  que  j'ai  i)roposée  dans  mon 
ai'ticle  '  :  C'est  ([ue  D"iq  est  emprunté  à  l'araméen,  oii']"i3est  lendu 
l)ar  ons-  ;  yjz-û  by  d'hd  équivaut  donc  à  yj^-o:  hy  '^-a».  Dans  le  néo- 
hébreu  on  emploie  aussi  did  pour  '^^a  dans  la  bénédiction  du 
repas,  comme  on  le  voit  i)ar  le  texte  suivant^  :  ^ai-iD  D'in  dtid"i  ab 
pinb  ■'i::  inin  "^^abn  Vj3"5  ni-  omc  bnN  nriToy  bDiN  "js  dn  nVn  linmNb 
N'i:i72  Ni:"^^  ■'"Di'N  M?3»3i  bbTtii  mn^T^n.  M.  Elbogen  lui-même 
remarque  avec  raison  au  sujet  de  ^toû  ni«  'j-'Id'tid  :  «  C'est  une  sin- 
gulière expression  que  «  rouler  »  le  schéma  ;  elle  pourrait,  comme 
onc,  être  empruntée  au  langage  de  la  table  et  là  les  deux  mots 
paraissent  avoir  été  transportés  du  langage  de  l'habilleiuent  '■  ».  Mais 
il  ne  lait  qu'effleurer  cette  conjecture,  car  il  se  décide  pour  le  sens 
de  «  réduire  en  morceaux  »,  que  o'is  n'a  jamais.  Si  la  bénédiction 
du  repas  est  donnée  comme  biblique  d'origine,  et  rapportée  à 
Deut.,  VIII,  10,  tandis  que  toutes  les  autres  sont  considérées  comme 
jabbiniques  •*,  c'est  la  preuve  que  cette  bénédiction  est  la  plus 
ancienne  ou  du  moins  une  des  plus  anciennes.  On  s'explique  ainsi 
facilement  que  le  terme  d^id  ait  pris  le  sens  de  «  dire  une  béné- 
diction »,  car  on  en  disait  toujours  une  en  rompant  le  pain. 

Je  crois  qu'il  faut  supposer  cette  filiation  des  sens  dans  le  Tar- 
goum  Jonatan  sur  I  Sam.,  ix,  13,  où  nnîn  ']n2i  Nnrr  "^^  est  rendu  par 
5<nos3  D"^-i2->  Arouch)  ^  On  trouve  la  même  expression  dans  le 
Talmud  palestinien.  Un  passage  de  Moed  Katon,  qui  ne  se  trouve 
plus  dans  nos  édilions  ',  dit  :  ^'iTONya  l"irîm  bin^  uns»  D'^'^d  bat^n  rr^an 

rs^y  ai:y Ej-^or  NbT    T^w:?n    îî"^!!   'nns-ia.  Le  rapprochement  de 

1.  Lnc.  cil.,  p.  107,  11.  .'j. 

2.  V.  Lewy,  Targ.   Wôi'lerbxich,  s.  /'. 
.'!.  Rosch  ha-Schana,2d/j. 

4.  Op.  cit.,  p.  y.  —  On  lie  peut  p;is  admettre  (jue  OTD  ;iit  été  emprunté  au  lau- 
tragc  de  riiabilleiueut,  car  ce  verlic  signifie  «  étendre  »  à  proiios  de  vêtements  et 
«  roniiirc  »  à  propos  de  pain  (cf.  Isaïe,  vi.iii,  7  :  ']7ûn'5  Dyi'î  0"12"'  ;  pour  '^'ID 
reinprunt  est  à  tout  le  moins  inutile,  car  le  pain  plat  des  anciens  pouvait  èlie 
mangé  roulé. 

5.  ISerachol,  33  «. 

(j.  V.  la  Septante,  le  Targoum,  Raschi  et  David  Kimlii  sur  Jérém.,  xvi.  7.  La  Se|i- 
tante  lit  :    ûtlb  TOID"'  n'5T.  C'est  ainsi  (ju'a  lu  également  Ec/ta  r.,  iv.  7.  car  il  y  est 

dit_:  in-"::;  '>i2  l'^a  d.s  î<"i-i  p3-n  r-i^iom  '-n  r-n'iT^^  '-i  ûnb  i'5î<u)  a*»';:""?!? 
Dnb  in"ip  •>73  ^l'N  N":-!  ,b3N  by  anb  id-id">  «bi  n"173D  ûTim""  ■>»  ûnb 
'^D^  ']«nb  nynb  oino  «bn  ^<"^7ûD  onb   bu:  noino 

7.  V.  Cnttniaiin,  *n7jbnn  nntW,  1,    1.S2,  11»  0. 
s.  Lainriit..  I,  17. 
'•.   l'iov..   \.  :>J. 


LA    RÉCITATION    DU   SCHEMA    ET   DE    LA    IL\FTAliA  "213 

D">nD  el  de  'ri  ms-a  t'nlèvf  toulc  incerUtndo  sui-  la  signilioation  du 
preiiiicr  mot  Mais  il  faiU  remarquer  en  même  temps  le  rappro- 
chement de  0"»-i2  et  de  rr^va  n'O'^iD,  qui  suppose  une  autre  élymo- 
logie.  En  eiïet,  dans  nos  éditions  du  'largoum,  n3Tn  '^-Q"»  ni-  'D 
(I  Sam.,  IX,  13,  est  traduit  î<3it»  by  sns  Nin,  ce  qui  est  l'abrégé  de 
•'mr  0''-iE  K^n.  Dans  Gen  .  xii,  3,  le  Targoum  Y.  traduit ']"'D-i37o  par 
ibi:3  'jirT'T  V^isT  N"'2r:D  ce  qui,  d'après  Hoid/in,  Ad  a,  signifie  mo-ia 
D-'ini^b.  Dans  Nombres,  vi,  "23,  li^inn  est  rendu  dans  le  même  Tar- 
goum par  n:31i  hy  'jim-'  innsi-'^a  II  résulte  clairement  de  ces 
lexles  que  t«  ois,  qui,  en  liéhreu,  désigne  la  prière  en  général  ',  a 
pris  en  araméen  le  sens  de  '^nn,  «  dire  une  bénédiction  ». 

Il  est  vrai  que  les  prêtres  étendaient  la  main  en  prononçant  la 
bénédiction  sacerdotale,  mais  des  laïques  pouvaient  avoir  procédé 
de  la  même  façon  aussi  bien  pour  la  prière  que  pour  une  bénédic- 
tion. Or  il  est  lacile  de  concevoir,  il  est  môme  vraisemblable  que 
c'étaient  les  prêtres  qui,  lorsqu'on  institua  la  récitation  quotidienne 
duJSchema,  disaient  les  deux  bénédictions  qui  le  précédaient  ainsi 
que  celles  qui  le  suivaient.  A  vrai  dire,  c'est  la  Mischna  qui  l'atteste, 
quand  elle  dit:  «Les  prêtres  allaient  réciter  le  Schéma  dans  la 
salle  des  pierres  de  taille.  Le  préposé  leur  disait:  Récitez  une  béné- 
diction. Ils  la  récitaient,  lisaient  le  décalogue,  le  schéma,  etc.-.» 
Ensuite  ils  disaient  aussi  la  bénédiction  des  prêtres.  11  est  hors  de 
doute  qu'il  s'agit  ici  d'une  liturgie  sacerdotale,  et  cette  liturgie  est 
en  son  fond  identique  avec  celle  de  la  synagogue.  Je  ne  puis  donc 
pas  accepter  cette  thèse  de  M.  Elbogen  :  «  Le  culte  que  la  synagogue 
a  développé  prenait  son  point  de  départ  dans  la  communauté-'.  » 
La  loi,  aussi  bien  la  loi  écrite  (jue  la  loi  orale,  était  propagée  et 
développée  par  des  prêtres.  Ezra<  Simon  le  Juste,  le  premier  des 
cinq  couples  étaient  des  prêtres.  11  est  donc  conforme  à  la  marche 
de  l'histoire  que  ce  soient  des  piètres  (jui  aient  créé  les  anciennes 
institutions  religieuses,  telles  que  la  li'clui-e  du  schéma,  des  sections 
sabbatiipies,  etc. 

C'est  ainsi  qu'on  {)eut  rapporter  aussi  aux  |)rêtres  le  terme  de 
a'Tso  by  01^.  En  tout  cas,  ce  qui  est  certain,  c'est  (pie  déjà  des 
Tannaïtes  rapprochaient  ons  de  i"»  oid.  Il  est  non  moins  sûr  que 
0*1D  dans  le  sens  de  r^-yz  a  été  tiré  de  ::nb  s-s.  Quant  à  une  éty- 
mologie  de  dis  dans  le  sens  de  «  n'-duire  en  morceaux  »,  le  Talnuid 
ne  la  connaît  pas.  De  fait,  Raschi  cl  Rabad  disent  seulement,  l'un 

i.  Is.,  I.  i:i  :  J"li.  XI.  i;J:  l's.,  c.xi.iii,  (i. 

2.  Tdtnid,  IV,  /.  /'.  it  V  //(  iiii/.  V.  flevKC,  l.  <•.,  181. 

3,  (f/>.  cil.,  ]..  li. 


21 't  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

-ûT  -«in  )ydb  D-iD,  l'autre  Nsbo  srin  o  n  nsn  17:3  ono  ',  car  D"id  signifie 
])ien  «rompre,  briser  en  deux  morceaux»,  mais  jamais  «réduire  en 
bec^ucoup  de  morceaux  ».  Mais  comme  cette  étymologie  ne  s'adapte 
pas  à  la  récitation  du  Schéma  verset  par  verset,  il  faudra  lécarter, 
malgré  l'autorité  de  Raschi  et  de  Rabad,  et  donner  la  prélerence  à 
celle  qui  convient  davantage  et  qui  sappuie  sur  le  Talmud  ;  elle 
consiste  à  dériver  D"i2  de  ûnb  S"id,  par  abréviation  o~d,  «réciter  une 
bénédiction  »,  ou  de  T»  dis,  «  étendre  la  main  »  pour  la  prière  ou 
pour  la  bénédiction  sacerdotale,  puis  «  réciter  une  bénédiction  » 
quelconque.  L'expression  yjz-::  n3^",D  ne  se  trouve  ni  dans  le  ïalmud 
ni  dans  le  Midrasch  ;  elle  apparaît  pour  la  première  fois  chez  Amram 
Gaon,  qui  la  sûrement  tirée  de  la  fausse  leçon  yn'û  pn  did.  3Iais 
cette  leçon  elle-même  provient  de  non-i-:  D"id  «rompre  un  morceau 
de  pain»,  d'où  «réciter  la  bénédiction  sur  le  pain».  La  double 
étymologie  du  mot  sis  explique  aussi  les  deux  constructions, 
avec  by  et  avec  rtî.  En  elTet,  quand  le  verbe  Dia  signifie  «étendre 
la  main  pour  la  prière  »,  il  se  construit  avec  hy,  et  avec  rii<  quand 
il  signifie  «  rompre  ».  - 

Sur  Fenlogie  i:s>i  ûbiyb  "im^b»  -1123  aa  ^7^12  M.  Elbogen  a  une 
théorie  particulière,  pour  ne  pas  dire  singulière.  Il  croit  que  la 
communauté  entonnait  le  bi^^'v^"»  :j'WO  et  que  l'officiant  récitait  alors 
leulogie  à  voix  basse.  Il  s'appuie  sur  le  Psendo-.Ionatan  (Deut.,  vi, 
4)  faisant  dire  aux  fils  de  Jacob  :  «  Écoute  Israël,  FÉternel  est  notre 
Dieu,  l'Éternel  est  un  ».  Jacob  représente  ici  l'officiant,  ses  fils  la 
communauté.  Cette  interprétation  soulève  plusieurs  objections. 
I"  On  ne  trouve  aucun  autre  exemple  d'une  eulogie  d'adhésion 
prononcée  par  l'officiant.  C'est  toujours  la  communauté  qui  inter- 
rompt par  '^■nn  et  I^dî*.  —  ^^  On  ne  trouve  aucun  autre  exemple 
d'un  morceau  liturgique  entamé  par  la  communauté.  —  3"  On  ne 
voit  pas  pourquoi  cette  disposition  aurait  été  renversée  plus  tard. 
—  4°  Les  mots  «écoute,  Israël»  n'ont  de  sens  comme  vocatif  que 
si  c'est  la  communauté  qui  est  apostrophée,  mais  non  si  c'est  l'offi- 
ciant. Comme  le  Schéma  était  récité  en  alternant  les  versets  — 
M.  Elbogen  ladmet  également  —  ce  devrait  être  la  communauté 
qui  reprendrait  api-ès  ^"oan,  alors  qu'un  passage  dé'cisif  dit  -  :  n^nsn 
v-)ni<  Y^^y  im  nbnn  nmo  .\ir;o  noirn  n-'na  y7:o  by  0-112.  D'ajirès 
l'opinion  de  .M.  Elbogen,  les  mots,  r^bno  nm::,  (pii  figurent  dans  les 


N:i'?r)  o-iD  I3':rn  l"  dd  Tn^j^  -i"..s  ■:<r,r,  oi^n  m^yr;  c~c3   \.  '/"'/.,  'i~i  i>, 

(>:i  hn.n\).  C'est  co  ii.issaL-^i-  (|iii  est  la  souivo  tli>  l\'\|ilicali(iii. 

2.  Sola.  ;{()/.:  cf.  Tos.  So/ti,  vi,  3,  tcxli'  i.-itr-  par  Klbou'cn,  |i.  0. 


LA   RÉCITATION   DU   SCHEMA   ET   DE   LV   IIAFFAHA  215 

sources  et  qu'il  conserve  dans  sa  reconslilution  du  texte  primitif, 
ne  seraient  pas  à  leur  place,  car  ce  n'est  pas  l'officiant  qui  com- 
mence. On  devra  donc  s'en  tenir  à  l'ancienne  inlerprt''tation  :  par 
Sc/ieiua  hraël,  c'est  l'officiant  qui  interpelle  la  communauté  et  non 
la  communauté  l'officiant  ;  l'officiant  s'adresse  à  Israël,  et  non 
Israël  à  l'officiant.  Il  en  fut  tout  autrement  pour  Jacob  et  ses  fils  : 
là  Jacob  seul  s'appelait  Israël.  Le  Targoum  intervertit  donc  avec 
esprit  l'ordre  en  usage  et  croit  que  ce  sont  les  fils  de  Jacob  qui 
s'adressèrent  à  leur  père  en  disant  :  écoute,  Israël  '. 

Une  Miscbna  dit  :  «  Celui  qui  lit  dans  les  prophètes,  récite  le 
Schéma,  s'avance  devant  l'arche  et  dit  la  bénédiction  sacerdotale. 
Si  c'est  un  mineur,  son  père  ou  son  maitre  s'avance  à  sa  place.  Un 
mineur  peut  lire  et  traduire  dans  la  Tora,  mais  ne  récite  pas  le 
Schéma,  ne  s'avance  pas  devant  l'arche  et  ne  dit  pas  la  bénédiction 
sacerdotale  -.  »  Là-dessus  M.  Elbogen  ^  pose  plusieurs  questions  : 
«  Qu'est-ce  que  la  Haftaract  le  Schéma  ont  à  faire  ensemble?  Puis, 
pourquoi  l'exercice  d'une  fonction  cultuelle  antérieure  est-elle 
rendue  dépendante  d'une  fonction  postérieure?  A-t-on  seulement 
déterminé  en  principe  qui  avait  à  dire  la  Haftara?  Le  récit  de  Luc, 
IV,  16  etsuiv.,  ne  donne  pas  l'impression  que  la  lecture  des  Pro- 
phètes dépendît  d'une  autre  fonction  et  nous  n'avons  absolument 
aucune  raison  de  nous  défier  sur  ce  point  de  la  peinture  de  l'évan- 
géliste.  »  M.  Elbogen  réfute  alors  l'explication  de  Raschi  et  conclut 
(jue  notre  Mischna  ne  formule  pas  de  loi,  mais  indique  un  usage  : 
«  Si  quelqu'un  ^a'U  lire  les  Prophètes,  on  peut  sans  crainte  le  laisser 
fonctionner  aussi  comme  officiant.  S'il  est  mineur,  le  respect  de  la 
communauté  ne  permet  pas  qu'il  fonctionne  en  personne,  mais  les 
personnes  auxquelles  il  est  redevable  de  son  savoir,  son  père  —  et 
celui-ci  était  à  l'époque  la  plus  ancienne  le  maître  de  ses  enfants 
—  ou  son  maître  s'avancent  à  sa  place  ;  on  peut  être  certain  qu'ils 
possèdent  les  connaissances  nécessaires  à  l'officiant  '.  » 

On  voit  que  M.  Elbogen,  daiis  son  explicalion  de  la  Mischna, 
se  tire  mal  déjà  de  la  dernière  phrase.  Est-ce  que  tout  fils  savant 
a  un  père  savant?  Les  mots  it'  by  V^i^  signi(ient-ils  simplement: 

1.  Cf.  Revue,  l.  c,  183,  u.  3.  —  Sur  Ellioirrii.  p.  18,  je  n-nvoii'  éLraliMnciit  à  ce  que 
j'ai  écrit  au  même  jiassaijc  de  cet  arlii-le. 

■2.  Meyidllu,  iv,   o  i,l).  Meq.,  24a)  :    Nim  ?7:a  b^  OIIS  NTH  N'3:3  "',"'::D7jr: 

by  l'^-i3i3'  13"!  IX  T>2X  pp  rr^n  nxn  ."fss  Pi<  nc^^  Nim  -ith  "':d"?  -\•:i^y 
■^ss':'  naiy  -.ri<T  i*^:a  "?y  c-,ie  i^wX  'r::wS  c:;-.p7:t  r.-nra  .s-iip  \-^-^  .it^ 
vss  PN  {<":;•:  i:\si  n^'pr;. 

3.  I>.  11  et  s. 

'i.   0/-.  ril..  |,.   !.!. 


216  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

«  ils  s'avancent  à  sa  place  »  et  ne  sigiii(ient-ils  pas  pliilùt  :  »  ils 
s'avancent  à  sa  place  grâce  à  son  nK'i'ile»  ?  Pourquoi  rénuméralion 
comprend-elle  la  bénédiction  sacerdotale  ts:d  n;^  N'::i:\  qui  ne 
demandait  pas  une  science  profonde?  Mais  le  point  de  départ  lui- 
môme  est  faux.  On  explique  que  celui  qui  sait  lii'e  les  l'ropliètes 
peut  aussi  réciter  le  Schéma  et  la  Tefilla.  Mais  l'histoire  d'Eliézer 
Hisma  montre  le  contraire.  Les  docteurs  palestiniens  étaient  tous 
familiarisés  avec  la  Bible,  et  pourtant  ils  étaient  obligés  d'appren- 
dre à  part  la  récitation  du  Schéma  et  de  la  Tefilla,  car,  ainsi  que 
le  remarque  avec  raison  M.  Elbogen  ',  «  tous  ne  possédaient  pas 
les  connaissances  requises  et  Texpérience  suffisante,  tous  n'avaient 
pas  la  présence  d'esprit  nécessaire  pour  pouvoir  officier  en  public  ». 
Que  la  lecture  des  Prophètes  ne  présentât  i-jende  singulier,  c'est 
ce  que  prouve  la  Mischna  elle-même  (juand  elle  cite  comme  nor- 
mal le  cas  d'un  maflir  mineur.  Des  enfants  qui,  non  seulement 
lisent  la  loi,  mais  encore  la  traduisent,  sont  capables  aussi  de 
lire  un  morceau  dans  les  Prophètes,  surtoul  s'ils  s'y  sont  préparés. 
Qu'il  me  soit  permis  d'examiner  ce  point  plus  en  détail,  afin 
d'éclaircir  le  véritable  sens  de  plusieurs  textes  de  la  littérature 
traditionnelle. 

J'avance  qu'en  Palestine,  c'étaient,  en  règle  générale,  les  écoliers 
qui  se  chargeaient  de  lire  la  Loi  à  l'office.  C'est  ce  qui  ressort  des 
passages  suivants  :  «  On  ne  doit  pas  lire  (le  vendredi  soir)  à  la 
lumière  d'une  lampe.  Toutefois,  le  surveillant  de  la  synagogue 
peut  regarder  où  les  enfants  lisent,  mais  lui-même  ne  doit  pas 
lire-.  »  Il  est  évident  que  les  enfants  préparent  une  dernière  fois  le 
vendredi  soir  la  lecture  du  lendemain  aidés  par  leim,  qui  pourvoit 
à  l'office  et  est  en  même  temps  instituteur.  A  défaut  de  lecteurs, 
c'est  le  lm  qui  s'en  acquitte  (nous  l'appelons  «  surveillant  de  la 
synagogue  »  en  l'absence  d'un  terme  consacré)  ;  c'est  pourquoi  on 
lui  défend  de  lire  le  vendredi  soir.  La  Tosefta  dit  :  «  Enfants  et 
maîtres  i)ré|)arent  leurs  sections  le  soir  du  samedi,  à  la  lumière 
d'une  lampe  ^  ».  Une  baraïta  dit  la  même  chose  en  d'autres 
termes  :  «  Les  écoliers  règlent  leurs  ^sections  et  lisent  à  la  lumière 
d'iuie  lampe  '  ».  Une  troisième   version  de  cette  prescription  est 

1.  Op.  cil..  |i.  11, 

2.  Sabba/.  i,  0  :  p-^n  HNTi   ]inn  (''il.  Ti7:ï<'   n?:.N3  -i:r!  -nwx"?  N-.p"'   ws't 

:{.  Tos.  Siihimi,  1,12  iiio,  2i  Ziickci-inaiHli'r,  :  -,::"ix  'Tv^-^'t"::.  p  py^r'w'  p-: 
-13-  -iin":»  n^'vU.  ■•'^v  in"'m"'C-iD  'j"'3"'P'~"2  n"n  mpirr. 

\.  Saii/jcii,  i:î(/ 011  iiiiiit  :  "j-i-noT^  TTî  p")  rr^a  bu:  mpirTn  "i:jtn  5"2'i;~ 
nsn  mî<'?  ^mpi  mv,:;'^r. 


L\    RÉCITATION    DU    SCHEMA    ET  DE   LA    IlAFTARA  217 

(lonui'V  par  Simon  bon  Gaiiiliol  :  »  On  peut  n'-lec  aux  onlanls  les 
débuts  (le  leurs  scetions  à  la  lumière  d'une  lampe  '  ». 

Il  est  tout  à  fait  ('vident  que,  non  seulement  les  trois  baraïtas 
citées  au  nom  de  Simon  b.  Gamliel,  mais  même  la  Mischna  disent 
une  seule  et  même  chose,  c'est-à-dire  que  même  la  3Iischna 
reproduit  l'enseignement  de  Simon  ben  Gamliel.  Cet  enseignement 
est  formulé  sous  les  quatre  formes  suivantes  : 

Vmp    mpirn-  ]z^r,    r.n'i-',   ^-nr,   A 

î-i'ro-\-ù   "(-«mD?:   v-    -p-i  p-'3  "■jo   r-.ipTrp-  ..'5 
p"'p(Y:cD  •'w\S"^    "-'■:   ';-'rpn7j    i^.i-p^z-'Dr,  .'t 

Dans  toutes  ces  variantes  il  est  question  de  linstitutcur  et  d(*  ses 
élèves,  auxquels  on  montre  où  commencent  leurs  sections;  il  est 
donc  clair  qu'il  s'agit  de  la  préparation  à  la  lecture  du  Sabbat. 
Il  faut  montrer  à  chaque  enfant  où  commence  sa  section;  il 
s'exerce  sur  cette  section  encore  une  fois  la  veille  de  la  lecture 
sabbatique.  Quand  l'écolier  connaît  bien  le  commencement,  la 
lecture  du  morceau,  qu'on  lui  a  d'ailleurs  déjà  appris  précédemment, 
va  toute  seule,  comme  on  dit.  Ce  qui  était  donc  important  pour 
chacun  d'eux,  c'était  de  connaître  le  commencement  de  sa  section. 
L'expérience  nous  apprend  que  la  mémoire  de  l'enfant  ne  retient 
pas  le  premier  mot.  Les  variantes  '{-■'pnos  ■'OwSi  et  irs-'prD  ""c:»"! 
proviennent  de  ce  qu'à  l'école  c'était  le  commencement  du  verset 
qu'il  fallait  «  régler  >>,  tandis  que  pour  la  lecture  de  la  Tora,  le 
samedi,  c'était  le  commencement  de  la  section.  Pour  tirer  les 
élèves  d'embarras  dans  l'un  et  l'autre  cas,  les  maîtres  de  Bible 
eurent  l'idée  de  marcpier  dans  le  texte  même  le  commencement 
des  versets  et  des  sections,  de  façon  que  les  enfants  pussent  se 
passer  de  leurs  instituteurs  sur  ces  deux  points. 

Tel  est  le  sens  d'un  passage  mal  compris  du  Traitr  Sofcrim  : 
V  Un  rouleau  de  la  loi,  (jui  est  (iivisé  en  sections  ou  dont  les  com- 
mencements de  versets  sont  marqiK's  par  des  points  ne  peut  pas 
servir  à  la  lecture    i)t'n(lanl  iolïice  -  ».  Cette  défense  se  rapporte 

I.  j.  >v<//Art/,  3  A  .'Il  ii.is  :  ■^u;ï<"i  yrh  ";"';"'pn72  mpi^à-Ti  T:ii<  ^''^cn  "in 

"i;n  "lisb  ■jTT'piOD.  Au  lii'u  de  1r;"'pi02,  il  '""t  l'i"  'jr;"'pOî:,  i-omiiie  ou  dit  ;iu 
nii'me  (Midroit  à  inopos  de  cotte  barait.i  :  'j'^pOï:  3''p~D  """wX"!  ";pP"Û  ^TiT..  —  I-a 
lecture  fli's  livres  saiuls  était  aussi  usitée  eoiuuie  moyeu  de  protection  contie  les 
démous:    c'est  aiusi  que  je  crois  comprendre  le  passage  suivant  de  la  Tosefta  :  T'iCJtT^ 

r-iaw  ■''r"<"D:!  n"?  'd3X  -^''•wn  zv  -c-i^■p7',  "«apr^  rmpi  nr-'cn  2"  ';'"'^sri3. 

■1.  Mas.  Sa/.,  III.  1  :  13  ^<"^p■'  '7Î<  T3C  û^piCO  "^wS-  t^p^yC  IS  ipCCC  "IDC 
MiUli  r.  Massec/ic/   Soferint.    p.    H.  n'a  pas  l'oinjnis  cr  texlr.    Les  ler(uis  di'S  amiens 


218  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

premièreincul  à  des  seclions  et  secondement  à  des  versets.  Les 
sections  étaient  indiquées  au  moyen  d'un  trait  vertical  —  c'est  le 
signe  que  dans  notre  système  d'accents  on  appelle  encore  pgs  ou 
p-ips  —  et  les  versets  au  moyen  d'un  point.  C'est  que  depuis  le 
deuxième  siècle  l'école  a  fait  des  progrès  et  a  veillé  à  ce  que  les 
élèves  pussent  savoir  même  sans  l'aide  d'un  maître  à  quel  endroit 
commence  une  section.  En  revanche,  les  maîtres  ont  rétrogradé, 
car  ils  voulaient  que  les  seclions  de  la  lecture  de  la  Loi,  qui  ne  se 
confondent  pas  avec  les  para^cha  ouvertes  et  fermées  et  les  com- 
mencements de  versets  qui  leur  importaient,  fussent  marqués  dans 
le  texte  même  de  la  Biljle.  Déjà  Simon  b.  Yohaï  dit  que  celui  qui 
néglige  d'étudier  «  ne  trouvera  pas  h  début  de  la  section  ^  ». 

Je  crois  avoir  établi  qu'il  était  courant  en  Palestine,  au  ir-  siècle, 
d"  faire  lire  des  mineurs  à  l'office.  Que  si  la  Mischna  de  Meguilla 
dit  D^nnTjT  riiinn  ^lyp  pp^  elle  ne  fait  en  cela  que  codifier  la  pra- 
tique Cette  codification  était  nécessaire  parce  qu'auparavant  les 
enfants  n'étaient  sûrement  pas  admis  à  faire  la  lecture,  de  même 
que  dans  les  siècles  suivants  cet  usage  tomba  en  désuétude.  Etant 
donnée  la  connaissance  si  remarquable  que  les  écoliers  avaient  de 
la  Bible,  les  docteurs  de  la  Mischna  ne  peuvent  pas  avoir  tellement 
prisé  la  capacité  de  lire  les  Prophètes  qu'ils  en  aient  conclu  à  une 
science  considérable.  D'ailleurs,  notre  mischna  elle-même  suppose 
que  môme  des  mineurs  lisaient  la  haftara.  Les  Évangiles,  qui 
relèvent  souvent  avec  admiration  les  réponses  faites  par  Jésus  aux 
questions  qu'on  lui  posait,  ne  voient  pas  dans  la  lecture  de  la  section 
propliétique  la  marque  d'un  savoir  extraordinaii-e,  quoique  les 
apôtres  fussent  de  leur  propre  aveu  des  illettrés.  Dans  le  passage 
de  Luc,  IV,  16-21,  que  M.  Elbogen  mentionne,  on  appuie,  non  sur 
la  ler.turc  delà  section  prophétique,  mais  sur  la  prédication  qui  suit. 

L'office  se  terminait,  en  effet,  par  la  prédication.  Paul  et  ses 
compagnons  vinrent  à  «  Antiocbe  en  Pisidie,  se  rendirent  à  la 
synagogue  le  jour  du  Sabbat  et  s'assirent.  Après  la  lecture  de  la 
Loi  et  des  Prophètes  les  chefs  de  la  synagogue  leur  firent  dire  : 
Vous,  hommes  et  frèi'es,  si  vous  savez  une  parole  d'exhortalion 
pour  le  peuple,  parlez.  Paul  se  leva,  fit  un  signe  de  la  main  et  prit 

iiult'urs  im'il  cite  luotitrent  qu'à  nue  (''poquo  ri'culrc  un  w  s;t\;nt  plus  ce  «[u'clle  pouvait 
siiriiiricr.  —  Los  mots  Î<np7:a  ^l''^2^'^  (Néli.,  viii,  S;  l'taicnt  rapporli-s  itar  (laucuns 
aux  couiuu'uccnii'uls  (le  versets  :  Û^plCC  "'ON")  ri'îN  D'n'^TN  O'^T  (j-  -l^<','/-<  "<  i''. 
1.  42).  Le  piOD  CITO  u'ost  pas  moutiotiiié  par  les  aueieiuies  soui'ces. 

\.  Sifrc  DeuL,  W  ^83  A  riieiluiaunl  :  riCID  b'J  r.npD  cp3":  î^ino  Y''^^2^ 
Nlt"l7Û  "!3''NT.  L'article  HP-î  uiaïKiue  dans  Uaeher,  Terminologie,  1,  1G2  ;  le  mot  n'est 
pas  cité  non  pins  à  l'arliclc  rîTnn  W-  lin-lOS). 


LA    RÉCITATION   DU  SCHEMA   ET  DE   LA   IIAFTARA  219 

la  parole. .  J  ».  Comme  R.  Eliézer  prêchait  trop  longtemps  le  jour 
de  fête,  les  assistants  s'en  allèrent  en  groupes.  Finalement  il  ren- 
voya aussi  ses  élèves-.  Il  résulte  de  cette  histoire  qu'on  finissait 
par  le  sermon.  Quand  il  y  avait  la  un  homme  qui  savait  prêcher, 
on  rinvitait  à  prendre  la  parole,  ou  bien  il  parlait  sans  y  avoir  été 
invité,  comme  Jésus.  Ce  dernier  rattache  son  discours  à  la  lecture 
du  prophète  '^ 

Il  est  tout  à  fait  certain  maintenant  qu'Éléazar  Hisma,  connu  de 
la  communauté  comme  docteur,  était  également  désigné  pour  lui 
annoncer  la  parole  de  Dieu,  partant  pour  lire  la  hat'tara,  à  laquelle 
il  aurait,  comme  le  montre  encore  la  Pesikta,  rattaché  son  ser- 
mon. C'est  justement  à  cause  de  sa  qualité  de  docteur  qu'on  lui 
offrit  de  réciter  le  Schéma,  puis,  comme  il  avait  décliné  l'offre,  la 
Tefilla.  Cette  histoire  reflète  déjà  l'usage  de  confier  au  maflir  toutes 
les  fonctions  de  l'office.  Le  Talmud  de  Babylone  a  donc  raison 
d'expliquer  honorh  causa  '.  Il  arrivait  parfois  que  la  haftara  n'était 
pas  offerte  à  un  savant,  mais  la  règle  se  maintint,  sans  quoi  la 
répartition  des  honneurs  eût  conduit  en  pareil  cas  à  des  contes- 
tations, comme  un  Amora  en  fait  la  remarque  à  ce  propos.  Les 
questions  posées  par  M.  Elbogen  ont  ainsi  reçu  leur  réponse.  La 
fonction  la  plus  importante  était  justement  «  la  lecture  du  Pro- 
phète »,  car  elle  était  confiée  au  docteur. 

Ce  qui  prouve  encore  qu'il  fallait  résoudre  d'avance  la  question 
du  maftir,  c'est  la  règle  d'après  laquelle,  en  cas  de  présence  d'un 
traducteur  ou  d'un  prédicateur,  on  ne  lisait  que  trois  ou  cinq  ou 
sept  versets  du  Prophète"'.  L'impression  que  produit  cette  pres- 
cription est  qu'à  l'origine  on  avait  introduit  la  lecture  du  Prophète 
dans  le  but  de  faire  entendre  un  discours  à  la  communauté.  De 
même  que  l'orateur  partait  du  le.xte  de  la  Tora  qu'on  venait  de 
lire,  de  même  le  texte  du  Prophète  devait  contenir  quelque  chose 
de  celui  de  la  Tora.  On  s'expliquerait  ainsi  pourquoi  on  choisissait 
souvent  des  haftaras  qui  ne  contiennent  qu'un  seul  mot  de  la  sec- 
tion du  Pentateuque.  Le  Prophète  devait  remplacer  l'homélie,  qui, 
elle  aussi,  ne  prenait  assez  souvent  pour  point  de  départ   (lu'un 

i.  Ai-tes,  XIII,  15-10. 

2.  Béça,  \:,f). 

3.  Luc,  ibiit. 

4.  Meg.,  29  6. 

5.  j.  Me{)  ,  Tni  1.  16  ilVn  l);is  :    la'^n  "^.".S    .'5  a''Nmp  17:5-1111  ÛUJ  C  UN  '^DN 

nn'rn  ■'■'N-ip  "jz-t»  'i  ^"n^p  triin  '-i  ■';:ip.  So/erim,  xu,  i  :  m^ra  r,^r,  zaï 
't  ix  'n  iM  'j  iwS  N-'ara  V"!''^^'^  ^i-n  im  iTja-nn  ;  iOUi.,  xiv,  2  -.  n'?c:  n"i3 

lïïîm  N''?!  i7:5-,n. 


220  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

seul  mot  (lu  texte.  Mais  quil  suffise  d'avoir  effleuré  cette  question. 
Rapoport  conclut  des  passages  de  M.  Soferim  précités  —  il  ne  cite 
pas  celui  du  Yerousclialmi—  que  le  )uaftiré[a\l  un  homme  savant, 
qui  savait  aussi  prêcher  '. 

L,  Blau. 


1.  Erech  Millm,  1G8.  —  Encore  fiiielques  observations  de  détail  sur  le  livre  de 
M.  Elboireu.  P.  19-32,  sur  les  variations  dans  les  bénédictions  qui  encadrent  le  schéma. 
Comme  rÉi-^yiite  était  depuis  l'époque  la  plus  reculée  en  relations  étroites  avec  la  Pales- 
tine, je  crois  qu'on  peut  admettre  que  la  tradition  palestinienne  s'est  conservée  dans  ce 
pays  (de  même  Elbogen,  p.  44).  11  est  possible  ipie,  <lans  son  rituel.  Saadia  ait  fait 
place  à  la  litur^'ie  de  sa  patrie,  qui  appartenait  au  domaine  de  l'Éifvpte  ;  il  faudrait 
faire  sur  ce  point  des  recherches  de  détail.  —  P.  39  :  o  Aujourd'hui  encore  c'est 
l'usaiie  dans  les  communautés  italiennes  et  sefardites  que,  le  Yom  Kippour.  deu\ 
membres  de  la  communauté  soient  placés  pendant  toute  la  journée  aux  côtés  de 
l'olliciant  ».  J'ai  observé  cet  usage  dans  la  communauté  sefardite  de  Venise  même  à 
Pàipie  et  un  sabbat  ordinaire. 


ETUDE 

SUR 

LA  CONDITION  DES  JUIFS  DE  NARBONNE 

DU  V"  AU  XIV"  SIÈCLE 

(suite') 

CHAPITRE    III 

SOLS     LA     DOMINATION     CAROLINGIENNE     (Sllifc). 
SOUVERAIN    JLDÉOPHOBE    :    CUARLES   LE   SIMPLE. 


I.  Larchevèque  Théodanl  (88.j-89o)  et  les  Juifs  narbonnais.  —  11.  Examen  critique 
lie  quatre  diplômes  de  Charles  le  Simple  relatifs  aux  biens  immeubles  des 
Juifs  de  Xarbonne  :  le  diplùme  du  1"  novembre  S98.  —  III.  Le  diplôme  du 
6  juin  899.  —  IV.  Le  diplôme  du  7  juin  922.  —  Y.  Critique  historiciuc  de  ces 
diplômes.  —  VI.  Interprétation  de  la  clause  de  ces  diplômes  relative  aux  pos- 
sessions juives  :  que  celte  clause  n'implique  pas  la  confiscation  totale  des 
immeubles  juifs,  mais  la  conliscalion  partielle  dos  immeubles  assujettis  aux 
dîmes  ecclésiastiques.  —  VII.  Explications  possibles  de  cette  mesure  illégale. 
—  VIII.  Conséquences  de  cette  spoliation.  —  IX.  Examen  du  (juatrième  diplôme 
de  (Charles  le  Simple  ;  critique  diplomatique  ou  externe  ;  irrégularités  de  la 
date  et  des  formules.  —  X.  Criti<pie  historique  ou  interne  :  identification  des 
jiersonnages  cités,  et  date  de  la  rédaction  du  diplôme  (918  ou  919).  —  XI.  Iden- 
tification des  noms  de  lieux,  et  conclusion  en  faveur  de  l'autlicnticité  du  (jua- 
lrièmedii)lôme.  —  Xll.  Que  ce  diplôme  ne  fut  pas  exécuté  :  actes  du  19  décembre 
9do-9o6  et  du  2G  janvier  976-917.  —  Xill.  Conclusion  :  la  situation  politique  des 
Juifs  narbonnais  sous  la  domination  carolingienne  est  demeurée  invarial>le- 
ment  très  prospère. 

I.  —  La  situalioii  des  Juifs,  en  général,  devient  plus  précaire  à 
mesure  que  le  pouvoir  royal  perd  de  son  autorité.  Sous  les  faibles 
successeurs  de  Cliarlemagne  et  de  Louis  le  Pieu.v,  les  Juifs  se 
trouvent  en  butte  a  la  malveillance  des  églises,  qui  travaillent 
âpreraentau  développement  de  leurs  biens  temporels. 

1.  Vuir  Heviiv.  t.  LV,  p.  1. 


222  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

En  Ire  8So  et  80o,  le  siège  archiépiscopal  de  Narbonne  est  occupé 
par  Tliéodard,  lequel  semble  bien  n'avoir  pas  été  favorable  aux 
Juifs,  s'il  est  vrai  que  quelque  temps  avant  son  avènement,  dans 
un  concile  tenu  à  Toulouse,  sous  la  présidence  de  Sigebode,  arche- 
vêque de  Narbonne,  il  ait  donné  la  réplique  aux  Juifs  de  Toulouse, 
qui  se  plaignaient  de  recevoir  un  soufflet  trois  fois  par  an  '. 

11.  —  La  situation  des  Juifs  de  Narbonne  s'aggrave  sous  le  règne 
de  Charles  le  Simple,  ce  roi  sans  couronne  et  sans  autorité,  qui  ne 
réussit  à  se  conserver  des  partisans  qu'en  les  comblant  de  faveurs 
et  de  terres. 

Quatre  diplômes  de  ce  roi  sont  relatifs  aux  Juifs  de  Narbonne. 
Le  second  et  le  troisième  ne  sont  que  la  confirmation  du  premier. 
L'authenticité  de  ces  quatre  diplômes  ne  nous  paraissant  pas  abso- 
lument évidente,  nous  avons  jugé  indispensable  de  les  soumettre 
à  un  examen  critique. 

Le  premier  des  calendes  de  novembre  ^,  première  indiction, 
sixième  année  de  son  règne,  à  Vienne,  le  roi  Charles  le  Simple 
confirme,  sur  le  conseil  de  la  reine  Adélaïde,  sa  mère,  les  diplômes 
d'immunité  accordés  à  l'église  de  Narbonne  par  ses  prédécesseurs 
et,  notamment,  par  son  père  Louis  le  Bègue  ^.  En  outre,  le  roi  fait 
de  nouvelles  donations  à  la  cathédrale  de  Narbonne  :  il  lui  concède 
des  terres  domaniales,  telles  que  le  fiscus  Colonegas.  11  y  ajoute 
encore  les  terres,  vignes,  salines  et  autres  biens  que  les  Juifs 
tiennent  dans  le  comté  de  Narbonne  et  pour  lesquels  ils  doivent 

\.  L'HiKl.  de  Laitf/.,  t.  U,  Notes,  p.  19.  rejette  celte  histoire  «  quoiqu'il  puisse  y 
avoir  quelque  chose  de  vrai  ».  Le  récit  de  la  participatiuii  ilc  Théodard  au  concile  de 
Toulouse  et  de  sa  eontrovei-se  avec  les  Juifs  de  cette  ville  se  trouve  dans  la  bioirraphie 
qu'un  anonyme  a  consacrée  à  ce  salut.  {Vila  sancii  Tlœodai-di,  é<l.  Guiard,  Montauban 
et  Paris,  ISiiG,  in-12,  pp.  157-178.) 

2.  L'oriiriual  de  ce  diplôme  ne  nous  est  pas  parvenu.  >ous  n'en  avons  que  la  tra- 
duction française  qu'eu  a  donnée  Antoine  Rocque,  l'auteur  de  linventaire  manuscrit 
des  archives  de  l'archevèclié  de  Nar))onne,  I.  1,  f"  40.  Cet  inventaire  en  4  volumes,  con- 
fectionné par  A.  Rocque  en  1639-1640,  se  trouve  actuellement  à  la  hihliotlièquc  com- 
munale de  Narbonne.  Rocque  a  traduit  les  actes  les  plus  importants,  ni>tanim<-ut  les 
privilèges  royaux  :  «  Pour  aultant  que  les  actes  quy  contienent  ces  privilèges,  quy  sont 
au  nombre  de  vingt  sejit  sont  les  plus  anciens  actes  des  archifz  du  sieur  archevesque 
de  Narbonne  et  qu'ils  sont  eu  effet  tout  substance,  il  a  esté  trouvé  bon  de  les  mettre  et 
transcrijire  au  long  et  non  par  abrégé  eu  cest  inventaire  en  langue  françuise.  »  (T.  I, 
fo  12  r».) 

3.  ÎSous  ne  connaissons  pas  ce  diplôme  de  Louis  le  Régue.  Voici  la  liste  des  dijil6n>es 
d'immunité  ([ui,  à  notre  connaissance,  ont  été  accordés  à  l'église  de  Narbonne  avant 
celui  que  nous  examinons  présentement  :  29  décembre  814  [Hisl.  de  Luny.,  t.  Il,  /'/•., 
ce.  94-96),  20  juin  844  [Jbid.,  ce.  237-238;,  4  juin  881  {Ibid..  t.  V,  /V.,  ce.  68-70), 
4  février  884  {Ibid.,  ce.  76-78),  26  juin  890  {IbUl.,  ce.  8o-87). 


ETUDE  SUK   LA   COMDlTIOiN    DES  JUIFS   DE   NARUO.NNE  223 

les  mômes  dîmes  que  les  chrétiens  avaient  coiUume  de  fournir'. 
La  sixième  année  du  règne  s'étend  du  -2S  janvier  898  au  :27  jan- 
vier 809,  Charles  le  Simple  ayant  été  couronné  le  '28  janvier  893  -. 
Notre  diplôme  est  du  l*'  novembre  898.  L'indiction  de  898  est  bien 
la  première  indiction,  '^ous  les  éléments  de  la  date  concordent 
donc  parfaitement. 

III.  —Le  diplôme  du  1°'"  novembre  898  ^  fut  confirmé  par  Charles 
le  Simple,  le  8  des  ides  de  juin,  la  seconde  indiction,  la  septième 
année  de  son  règne,  la  deuxième  année  de  sa  restauration,  à  ïours- 
sur-Marne  '.  Ce  second  diplôme  reproduit,  sauf  quelques  légères 
additions,  le  diplôme  précédent.  Charles  le  Shiiple  confirme  à 
nouveau  le  privilège  d'immunité  conférai  par  ses  prédécesseurs  et, 
notamment,  par  son  père  Louis  le  Bègue  et  son  frère  Carloman  ••. 
Voici  dans  quels  termes,  légèrement  ditïérents  de  ceux  employés 
dans  l'acte  du  1"  novembre  898,  le  roi  concède  à  l'église  de  Nar- 
bonne  des  biens  appartenant  à  des  Juifs  :  «  Toutes  les  terres, 
maisons,  vignes,  que  les  Juifs  possèdent,  dit-on,  dans  le  comté  de 
Narbonne,  sur  lesquelles  les  églises  de  Dieu  avaient  coutume  de 
prélever  les  dîmes,  de  quelque  manière  que  les  Juifs  aient  acquis 
les  dites  possessions,  nous  les  concédons  à  titre  dauniône  royale 
à  l'église  de  Narbonne  *"•.  » 

1.  Antoine  Rocrjuc  traduit  ainsi  :  «  . .  .Davantai;:e  dans  le  mesinc  cunitr  (Narbonnois) 
le  fisqu»*  Colonies  et  teires,  viirncs,  saHlnes  et  toutes  autres  clioses  (juc  les  Juifz  tienent 
et  dou  ilz  doibveut  donner  les  niesines  dixnies  que  par  les  clirestieus  ont  esté  donnez 
suyvantla  coustuine.  »  Blljl.  niun.  de  N'arij.,  Invent,  des  archives  de  raixliovt"^elié,  t.  I, 
f»40r°. 

2.  Giry,  Manuel  de  diplomatique,  p.  129. 

3.  Rocquo  u'a  connu  ce  diplôme  que  par  une  copie  transcrite  au  111'  feuillet  d'un  livre 
coté  n"  2  dans  l'inventaire  des  reiristres.  Cf.  Inveut,  des  arcli.  de  l'areli.,  t.   I,  ï"  tiôli. 

4.  Marne,  arr.  de  Reims,  canton  d'Ay. 

5.  Le  diplôme  de  Carloman  est  du  4  juin  881  {Uisl.  de  Lanrj.,  t.  V,  Preuves,  ce. 
C8-"0). 

0.  «  Terras  fjuoque  oinnes  el  dornos  ac vineux  quas  Judei  in  Xurbonensi  coviifalu 
possidere  videnlur  unde  décime  in  ecclesiis  Dei  exire  consueveranl,  quocumque 
modo  ipsas  adquisierinf  possessiones,  pro  elemosina  nosira  eidem  concediinus 
ecclesie.  ■>  [lUsL  de  Lan;/.,  t.  V,  Preuves,  col.  lOo,  et  Privilèf/es  accordés  par  les 
roijs  ù  l'église  de  Xarùonne,  Narbonne,  ni.i,  in-l",  p.  12.  Ce  dernier  ouvrage  ramène 
à  tort  les  formes  barbares  du  latin  médiéval  à  la  correction  classique.)  La  publication 
de  Vllist.  de  Lang.  a  été  faite  d'ai>rès  Dibl,  nat.,  Armoires  de  Baluze,  t.  390,  pièce  3So, 
copie  du  xi°  siècle. 

Le  passap,'e  relatif  aux  Juifs  est  ainsi  traduit  par  V.  Rocque  :  «  Comme  aussy  les 
terres  et  toutes  les  maisons  et  vii.'ne5  que  les  Juifs  i)0ssedent  au  dit  comté  (Narbonnois) 
desquelles  ils  avoient  accoustumé  de  payer  la  disme  aux  églises  nous  la  concédons  a 
la  dite  église  pour  nostre  aumosne,  en  quelle  sorte  que  ce  soit  qu'ilz  les  ayent 
acquises.  »  (luv.  des  arcli.  de  l'archev.  de  Narb.,  t.  I,  f»  42  r-). 


224  REVUE   DES    ÉTUDES  JUIVES 

La  septième  année  du  règne  de  Charles  le  Simple  sélend  du 
i28  janvier  Hdi)  au  ^7  janvier  9U(J  et  la  deuxième  année  de  sa  restau- 
ration, du  l"'^  janvier  S99  au  81  décembre  899,  puisque  Tannée  de 
la  restauration  est  comptée  à  dater  de  la  moi-t  dEudes,  advenue 
le  1"  janvier  (S9<S  '.  Ce  diplôme  est  du  6  juin  899,  et  lindiction  de 
cette  année  est  bien  IMndiction  ^. 

A  notre  avis,  le  diplôme  du  G  juin  899  est  aullientique  et,  par 
suite,  le  diplôme  du  i^''  novembre  898,  qui  en  est  le  prototype,  l'est 
également.  La  formule  d'invocation  verbale  :  In  nomine  sancte  et 
indlvidue  Trinitatis  et  la  formule  qui  suit  la  suscription  royale  : 
dlvina  propitiante  clemcnlia  sont  conformes  à  l'usage  courant-. 
Charles  le  Simple  sintitule  simplement  rex  jusqu'à  911,  année  de 
l'acquisition  de  la  Lorraine^.  L'adresse  ne  vient  pas  immédiate- 
mont  après  la  suscription,  mais  seulement  après  la  formule  de  noti- 
fication :  Quaproptcr  noverit  omnium  sancte  Del  Ecclcsie  ftddhim 
nostrorumque  tam  preseniium  quam  fitturorum  solertia  quia, 
etc.  L'exposé  mentionne  la  requête  de  l'archevôque  de  >'arbonne 
Arnuste,  qui  invoque  l'extrême  pauvreté  de  son  archidiocèse  et 
rintervention.de  la  reine-mère  Adélaïde.  Puis,  vient  le  dispositif. 
La  formule  de  corroboration  est  régulièrement  suivie  de  l'annonce 
des  signes  de  validation  :  Et  ut  hoc  preceptum  nostre  auctoritatis 
inviolabile  ac  eternum  obtineat  vif/orem,  manu  propria  subter/ir- 
mavimus  et  anulo  nostro  i/isigniri  jussimus  On  voit  que  la  sus- 
cription royale  y  est  exprimée  conformément  à  l'usage  par  les 
mots  manu  propria,  et  le  sceau,  par  le  mot  anulwi  '.  La  formule  ~' 
(jui  encadre  le  monogramme  i"oyal  et  la  façon  dont  elle  l'encadre, 
le  nom*  du  souverain  étant  placé  avant  le  monogramme  au  lieu 
qu"il  ('lait  [)laré  api'ès  dans  les  diplômes  des  souverains  pr(''cé- 
dents,  tout  cela  est  bien  conforme  au  style  de  la  cbancelierie  de 
Charles  le  Simple  ;  il  en  est  de  même  de  la  souscription  de  chan- 
cellerie :  llrrireus  notmius  ad  vicem  Fo/c/ninis  archiepiscopi 
recorjnovit  et  subscripsit''. 

Ayant  affaire  ici,  non  à  un  diplôme  original,  mais  à  une  copie 
du  xi«  siècle,  nous  ne  pouvons  utiliser  pour  l'examen  de  cet  acte 


1.  Le  diplôiiu'  tlu  (i  juin  899  est  analysé  dans  llisl.de  Latir/.,  t.  V,  Preuves,  c.  I."i49, 
h"  XXX,  dans  Htsloriens  de  France,  i.  IX,  p.  ISO,  dans  BiJhmcr, /fez/es/a  harolorum, 
Fianct'urt,  1833,  in-i»,  n"  1903,  dans  Bréquiirny,  Table  des  ilijihhttes,  l.  I.  ji.  359. 

2.  (liry,  Manuel  de  dliAoïnaUque,  p.  liu. 

3.  Ihid. 

4.  Vnd.,  p.  72(.. 

;j.  tSif/nuni  Karoli  (niono^rr.    fjlo)'iosissi)ni  ref/is. 
(>.  Giry,  ul  supni,  i>.  727. 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION  DES  JUIFS  DE  NARBONNE  225 

quelques  éléments  de  critique  que  fournissent,  par  exemple,  les 
ruches,  les  notes  tironiennes,  le  sceau,  etc. 

La  disposilion  de  la  date  en  deux  parties  ',  l'une  commençant 
par  dation  et  comprenant  l'élément  chronologique,  l'autre  com- 
mençant par  actum  et  constituant  l'élément  topographique,  est 
absolument  régulière  -.  La  partie  chronologique  comprend  suivant 
l'usage  le  quantième  et  le  mois  d'après  le  calendrier  romain,  Tin- 
diction,  l'année  du  règne  et  l'année  de  la  restauration.  Enfin,  la 
formule  d'appréciation  :  m  Dei  nomiiie  féliciter.  Amen  est  d'un 
usage  courant  ^. 

Si  après  avoir  soumis  ce  diplôme  à  la  critique  externe,  nous  en 
faisions  la  critique  interne,  nous  n'y  relèverions  rien  d'insolite  et 
d'anormal.  Les  clauses  d'exemption,  énumérées  dans  ce  diplôme 
d'immunité,  sont  caractéristiques  de  ce  genre  de  document.  Il 
renouvelle  toutes  les  concessions  royales  qui  ont  été  faites,  anté- 
rieurement, à  l'église  de  Narbonne,  et  il  en  donne  une  énumération 
chronologique  très  exacte. 

IV.  —  La  disposition  des  diplômes  du  1"  novembre  898  et  du 
6  juin  81)9  relative  aux  biens  confisqués  sur  les  Juifs  narbonnais  se 
trouve  reproduite  encore  dans  un  troisième  diplôme  d'immunité 
délivré  par  Charles  le  Simple  en  faveur  de  l'église  de  Narbonne,  à 
Tours-sur-Marne,  le  7  des  ides  de  juin,  dixième  indiction,  l'année 
30  du  règne,  l'année  23  de  la  restauration,  l'année  M  de  l'annexion 
de  la  Lorraine  '.  La  trentième  année  du  règne  s'étend  entre  le 
28  janvier  92-2  et  le  27  janvier  923,  la  vingt-cinquième  année  de  la 
restauration,  entre  le  h^  janvier  922  et  le  31  décembre  923,  la 
onzième  année  de  l'annexion  de  la  Lorraine   entre   septembre- 

1.  Daiiim  viij  idus  jîinii,  indiclione  aecunda,  anno  septimo,  rerjnante  Karolo 
serenissimo  rege,  et  in  successione  Odonis  II  pleniler  régnante.  Aclum  apud 
Hlurniun  in  Del  nomine  feliciler.  Amen. 

2.  Giry,  Manuel  de  diplomaliqite,  p.  7Î28. 

3.  Ibid. 

4.  Voici  la  bibliographie  de  ce  diplôme  :  I.  Publ.  :  Calel,  Mémoires  de  l'histoire 
de  Languedoc,  pp.  7~6-l"7  ;  passage  relatif  aux  Juifs,  p.  m.  Privilèges  accordés 
par  les  roys  à  l'église  de  Surbonne,  pj).  13-16  ;  passage,  p.  15.  Baluze,  Concilia 
Gulliae  Xarbonensis,  Paris,  16C8,  in-S",  Appendices,  pp.  74-17;  passage  p.  76. 
Gullia  chrisliana,  t.  VI,  Paris,  1739,  iu-f".  Instrumenta,  ce.  15-16;  passage,  c.  16. 
Historiens  de  France,  t.  IX,  pp.  535-556  ;  passage,  p.  555.  Ilisl.  de  Lang.,  éd. 
Privât,  t.  V,  Preuves,  ce.  103-106  ;  passage,  col.  105. 

II.  Traductiou  française  :  Inventaire  manuscrit  des  archives  de  larchevùché  de  Nar- 
bonne, 1. 1,  f°  45  r»  et  \o. 

m.  .\nalyses  :  BOhmer,  Regeslu  Kurolurum,  w  1976,  et  Uréquii:uy,  Table  des 
diplômes,  t.  I,  p.  384.  4*  diplôme. 

T.  LV,  N»  110.  13 


226  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

novembre  922  et  août-octobre  923,  Tannée  de  l'acquisition  de  cette 
province  étant  comptée  à  partir  d'une  époque  indéterminée  com- 
prise entre  le  jour  de  la  mort  de  Louis  IV,  soit  le  24  septembre  911 
et  le  27  novembre  de  la  même  année  ^  La  onzième  année  de  l'an- 
nexion de  la  Lorraine  n'était  pas  encore  commencée  le  7  juin  de 
l'an  922,  date  à  laquelle  fut  octroyé  le  présent  diplôme.  A  part 
cette  légère  inexactitude,  tous  les  éléments  de  la  date  concordent 
parfaitement. 

Le  présent  diplôme  étant  postérieur  à  l'acquisition  de  la  Lorraine, 
la  suscription  royale  y  est  suivie  de  la  mention  rex  Francorum.  Il 
est,  d'ailleurs,  parfaitement  superflu  de  faire  l'examen  détaillé 
des  formules  qu'il  renferme.  Le  diplôme  du  7  juin  est  authentique 
comme  ceux  du  l"'  novembre  898  et  du  6  juin  899.  Il  se  contente, 
au  surplus,  de  reproduire  le  passage  concernant  les  biens  des  Juifs, 
sans  lui  faire  subir  aucune  modification-. 

V.  —  Si  la  critique  diplomatique  proclame  l'authenticité  absolue 
de  ces  trois  diplômes,  la  critique  iiistorique  paraît  moins  affirma- 
tive. L'historien  de  Charles  le  Simple,  M.  Eckel,  s'étonne  un  peu 
que  ce  roi  disposât  de  toute  une  série  de  biens  dans  les  comtés  de 
Bésalu,  de  Narbon'ne  et  de  Roussillon,  qui  n'entretenaient  avec  le 
reste  du  royaume  que  des  relations  fort  peu  suivies  ^.  Mais  il  ajoute 
plus  loin  que  le  midi  de  la  France  resta  fidèle  à  Charles  le  Simple 
au  point  de  ne  reconnaître  que  fort  tard  l'élection  de  son  succes- 
seur, le  roi  Raoul  '.  Même  après  l'année  923,  c'est-à-dire  après  l'em- 
prisonnement de  Charles  le  Simple,  les  seigneurs  du  Midi  dataient 
une  partie  de  leurs  chartes  du  règne  du  prince  carolingien^. 

En  général,  Raoul  ne  fut  reconnu  au  sud  de  la  Loire  qu'à  partir 
de  la  mort  de  Charles  le  Simple,  survenue  en  929*^. 

M.  Israël  Lévi,  se  fondant  sur  les  explications  embarrassées  de 
M.  Eckel,  déclare  qu'elles  jettent  quelque  doute  sur  lauthenlicilé 
de  ces  diplômes  ^ 

1.  Giry,  Manuel  de  diplomatique,  p.  T2'J. 

2.  Catel  et  les  auteurs  du  Gallia  christiana  fournissent  une  ié^'èrc  variante  f)our  ce 
passage.  Us  impriment  consueverunl  au  lieu  de  consiieverant.  Cette  dernière  leçon 
est  préférable  :  c'est,  d'ailleurs,  la  lei-on  du  ms.  lat.  11015  do  la  Dibl.  nat. 

3.  Eekel,  Charles  le  Simple  {Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Éludes,  l'2i'  fas- 
cicule, Paris,  1899,  in-S»),  pp.  42-43, 

4.  Ibid.,  p.  12G. 
0.  Ihid.,  p.  129. 

6.  Eckel,  Charles  le  Simple,  p.  45. 

7.  Isr.  Lévi,  Les  Juifs  de  France  du  IX'  siècle  au.i  Croisades  (/{.  É.  J.,  t.  LU, 
p.  164). 


ÉTUDE   SUR   LA   CONDITION   DES   JUIFS  DE   NAUBONNE  227 

Toi  n'est  pas  noire  avis  :  nous  constatons  un  l'ail,  à  savoir  que 
Cliaiies  le  Simple  reste  loujoui's  très  populaire  dans  le  Midi  ;  cette 
poi)uiarité  s"e\|)lique  par  les  privilèges  intéressés  dont  ce  roi  ne 
cessa  de  combler  les  églises  et  les  abbayes  de  celte  région. 

La  critique  historique  n'infirme  donc  pas  Taulhen licite  des 
diplômes  de  898,  899  et  9-2^2. 

'VI.  —  Il  nous  reste  maintenant  à  interpréter  d'une  manière 
exacte  le  sens  du  passage  qui  nous  intéresse.  Nous  constatons  sur 
ce  point  quelques  divergences  entre  le  diplôme  de  898,  d'une  part, 
les  diplômes  de  899  et  92'2,  d'autre  part.  Le  premier  rapporte  que 
Charles  le  Simple  cède  à  l'église  de  Narbonne  «  lés  terres,  vignes, 
salines*  et  autres  biens  que  les  Juifs  tiennent  dans  le  comté  de 
Narbonne  et  pour  lesquels  ils  doivent  les  mêmes  dîmes  que  les 
chrétiens  avaient  coutume  de  fournil*  ».  D'après  les  deux  autres 
diplômes,  Charles  «  concède  à  titre  d'aumône  à  l'église  de  Nar- 
bonne toutes  les  terres,  maisons,  vignes  que  les  Imh  possèdent^  dit- . 
on,  dans  le  comté  de  Narbonne,  sur  lesquelles  les  églises  de  Dieu 
avaient  coutume  de  prélever  les  dîmes,  de  quelque  manière  que  les 
Juifs  aient  acquis  les  dites  possessions  ».  Dans  l'énumération  des 
biens  confisqués  sur  les  Juifs,  le  second  et  le  troisième  diplôme 
mentionnent  des  maisons  là  où  le  premier  mentionne  des  salines. 
Cette  dernière  version  est  plus  naturelle,  puisque  la  dîme  était 
une  redevance  en  nalure  —  du  moins  dans  les  premiers  siècles  de 
son  application  — qui  portait  sur  les  produits  de  la  terre,  végétaux 
ou  minéraux,  tels  que  le  blé,  les  grains,  le  loin,  les  légumes,  le  vin, 
le  sel.  Il  est  probable  que  cette  substitution  du  mot  domos  au  mot 
satinas  est  la  conséquence  d'une  faute  de  lecture. 

Les  diplômes  de  899  et  9'22  indiquent  que  la  donation  royale  a 
été  faite  à  litre  d'aumône,  c'est-à-dire  à  titre  tie  libéralité  purement 
gracieuse  :  c'est  là  un  moyen  pour  Cliailes  le  Simple  de  travailler 
pour  le  salut  de  son  âme  et  le  salut  des  âmes  de  ses  parents 
décédés  f/9;'o  remédia  animaruni  (jcnitoris  et  fratris  nostri).  Il  faut 
noter  que  cette  donation  faite  à  titre  d'aumône  est  insérée  dans  un 
acte  d'immunité  et  que,  par  suite,  .elle  bénéficie  des  avantages  que 
comporte  ce  genre  de  privilège. 

L'auteur  de  l'invenlaire  des  archives  de  l'archevêché  de  Nar- 
bonne a  Iraduil  par  Urnncnt  l'expi'ession  ridentur possidcre-  :  en 

1.  Niiiis  imprimons  en  italiques  les  termes  et  les  expressions  qui  ne  se  rencontrent 
|ias  il  la  fois  dans  les  trois  diiilûmes. 

2.  Nous  supposons  que  le  diplùmu  original  du  1'^  novembre  898  contenait  videntur 
possidere  et  non  videntur  lenere,  ce  dernier  verbe  n'étant  pas  encore  très  employé  à 


228  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

droit  féodal  les  \Q,vhG9,  possidere  et  tenere  ont  le  môme  sens,  mais 
aux  ix«  et  X*  siècles,  on  emploie  presque  exclusivement  possidere ; 
le  premier  terme  est  plus  conforme  au  droit  romain,  le  second,  au 
droit  féodal. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  termes  de  possidere,  possessiones  marquent 
bien  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  biens  possédés  par  les  Juifs  en  toute 
propriété.  De  plus,  le  verbe  acqidrere  montre  clairement  que  ces 
biens  ne  sont  pas  des  biens  patrimoniaux,  mais  des  biens  acquis, 
on  dira  plus  tard  acquêts  par  opposition  à  propres.  L'acte  du 
1"  novembre  898  nous  apprend  même  que  ces  biens  ont  été  aliénés 
en  faveur  des  Juifs  par  des  chrétiens. 

Cette  clause  relative  aux  Juifs  de  Narbonne  a  généralement  été 
mal  interprétée.  Les  auteurs  de  \  Histoire  de  Languedoc  en  ont 
donné  une  traduction  exacte  :  «  Toutes  les  terres^  maisons,  vignes 
et  autres  biens  fonds  que  les  Juifs  possédaient  dans  le  comté  de 
Narbonne  et  dont  on  avait  accoutumé  de  payer  la  dîme,  de  quelque 
manière  qu'ils  en  eussent  fait  l'acquisition. . .  etc.  »  Mais  ils  l'ont 
mal  interprétée,  puisqu'ils  ajoutent  :  «  ...ce  qui  nous  donne  lieu 
de  remarquer  que  les  Juifs  de  la  Septimanie  ne  jouissaient  plus 
alors,  comme  sou^  le  règne  de  Louis  le  Débonnaire,  du  privilège 
de  pouvoir  posséder  des  immeubles  '  ».  Les  Bénéd'ct'ns  croyaient 
donc  que  la  conûscation  royale  portait  sur  tous  les  immeubles  qui 
appartenaient  aux  Juifs  dans  le  comté  de  Narbonne. 

Le  chevalier  Dumège,  qui  a  donné  une  édition  fort  médiocre  de 
l'œuvre  de  dom  Devic  et  dom  Va'ssete,  a  suivi  leur  opinion  ^ . 
Bédarride  dit  également  que  Charles  le  S-mpie  donna  à  Saint-Just 
«  toutes  les  terres  que  les  Juifs  possédaient  dans  le  comté  de  Nar- 
bonne, à  quelque  titre  qu'i's  en  eussent  acquis  la  propriété  »  ^. 
Il  n'hésite  même  pas  à  traduire  par  propriété  le  mot  possessiones. 
M.  Théodore  Reinach  partage  la  même  erreur  quand  il  écrit  '  : 

répoque  carolingienne.  Le  verbe  videri  n'implique  pas  à  Tépoque  barbare  comme  à 
l'époque  romaine  un  sens  dubitatif.  On  peut  le  rendre  par  l'expression  :  dit-on,  ou 
môme  n'eu  tenir  aucun  compte.  Videntur  possidere  est  l'équivalent  de  possident. 

1.  Hist.  de  Lang.,  t.  HI,  p.  63. 

2.  Dumège,  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  t. VIII,  p.  338,  en  note. 

3.  Bédarride,  Les  Juifs  en  France,  en  Italie  et  e;j  i'^-î/wp/ie,  Paris,  1867,  in-8»,  p.  92. 

4.  Histoire  des  Israélites,  pp.  93-94.  Nous  ne  voudrions  pas  laisser  le  lecteur  de 
ces  lignes  sous  cette  mauvaise  imi)ression  et  l'induire  à  croire  que  le  jietit  livre  de 
M,  Roinach  n'a  jias  de  caractère  scientili(iue.  Cette  œuvre  de  vulgarisation  historique 
nous  a  été  du  plus  grand  secours  pour  nous  initier  à  l'histoire  juive.  Nous  y  avons 
retrouvé  les  qualités  ([ui  font  le  charme  de  toutes  les  œuvres  de  M.  Reinarh  :  méthode, 
ckirU-,  précision,  sobriété.  Au  surjjlus,  pdur  ne  jias  se  méprendre  sur  le  caractère  scien- 
tifique de  cette  petite  histoire  des  Juifs,  il  suffit  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  la  subs- 
tantielle bibliographie  critique  qui  termine  le  volume. 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION  DES  JUIFS  DE  iNARBONNE  229 

«  Charles  le  Simple  donna  aux  églises  de  Saint-Juste  {sk)  et  de 
Saint-Quentin  «  à  titre  daumùnc  »  tontes  les  terres,  métairies  (sic) 
et  vignobles  que  les  Juifs  possédaient  dans  le  comté  de  Narbonne 
(014).  »  M.  Reinach  confond  dans  cette  phrase  les  diplômes  que 
nous  examinons  présentement  avec  le  quatrième  diplôme  que  nous 
étudierons  plus  bas. 

Gustave  Saige  a  été  le  premier  qui  ait  interprété  ce  passage  d'une 
manière  judicieuse.  Il  dit  qu'il  faut  y  voir  l'interdiction  pour  les 
Juifs  de  posséder  des  terres  assujetties  à  des  dîmes  ecclésiastiques 
et  non  l'abrogation  du  droit  de  posséder  des  terres  franches,  des 
alleux  '. 

M.  Israël  Lévi  interprète  le  passage  de  la  même  façon  (juand  il 
écrit  que  Charles  le  Simple  accorda,  en  899,  à  l'église  de  Narbonne 
«  les  terres,  maisons  et  vignes  que  les  Juifs  possédaient  dans  le 
comté  de  Narbonne  et  qui  étaient  assujetties  auparavant  à  des 
dîmes  ecclésiastiques  ^  ».  H  ajoute  même  ces  mots  très  justes  : 
«  La  confiscation  se  masquait  de  zèle  pour  le  droit  :  les  Juifs  avaient 
eu  tort  d'acquérir  ces  sortes  de  biens.  » 

L'interprétation  de  Saige  et  de  M.  Lévi  soulève  une  objection. 
D'après  MM.  Kohler  et  Imbart  de  La  Tour,  la  dîme  était  due  par 
toutes  sortes  de  personnes  et  toutes  sortes  de  biens,  par  les  rois, 
princes,  nobles,  roturiers,  moines,  clercs,  hérétiques,  Juifs,  infi- 
dèles, pour  des  alleux,  des  fiefs,  des  tenures  libres  ou  servîtes,  des 
biens  de  mainmorte,  etc.,  «  la  dîme  étant  considérée,  dit  M.  Kohler^, 
comme  une  portion  des  produits  de  la  terre  et  du  travail  des 
hommes  que  Dieu  avait  réservée  pour  son  service,  en  conséquence 
de  son  universelle  seigneurie.  .  .   »  —  «  Cette  redevance,  écrit 
M.  Imbart  de  La  Tour  \  affectait  la  terre,  non  la  personne.  La  dîme 
était  due  par  toute  propriété  rurale  enclavée  dans  la  paroisse... 
Nous  voyons  des  femmes,  des  Jiii/'s  (Hist.  de  Lan  g.,  t.  V,  p.  105) 
astreints  à   payer  la  dîme,  en  raison  m<hne  des  c/iamps,  prés, 
vif/nes  qu'Us  possèdent.  La  loi  ne  tenait  compte,  ni  de  la  condition 
des  personnes,  ni  même  du  mode  de  possession  du  sol.  » 

Nous  ferons  remarquer  que  M.  Imbart  de  La  Tour  s'appuie,  pour 
démontrer  que  les  Juifs  étaient  assujettis  à  la  dîme,  sur  nu  des  trois 
diplômes  que  nous  avons  examiuf's  plus  haut.  Il  faut  aussi  noter 
que  M.  Iml)art  ne  tient  aucun  compte,  dans  sa  traduction,  du  mot 

1.  Les  Juifs  du  Lcuifjuedoc,  p.  9. 

2.  R.  É.  J.,  t.  UI.  1).  164. 

3.  Grande  Encyclopédie,  article  dime,  p.  374,  2'  col. 

4.  IniLart  de  La  Tour,   Les  paroisses  rurales  du  IV'  au  XI'  siècle,  Paris,  1900, 
in-8». 


230  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

do?nos.  Evidemment,  ce  terme  gênait  son  argumenlation  el  il  a 
mieux  aimé  ne  pas  en  faire  état. 

Si  nous  en  croyions  donc  MM.  Koliler  et  Imbart  de  La  Tour,  tous 
les  biens  des  Juifs  de  Narbonne,  qu'ils  fussent  patrimoniaux  ou 
non,  auraient  été  soumis  aux  dîmes  ecclésiastiques,  et,  par  suite, 
la  confiscation  ordonnée  par  Charles  le  Simple  aurait  porté  sur 
tous  leurs  biens  indistinctement. 

Il  est  facile  de  répondre  à  l'objection.  Si  la  confiscation  avait  eu 
un  caractère  général,  la  chancellerie  royale  n'aurait  pas  senti  le 
besoin  de  parler  de  biens  assujettis  aux  dîmes  et,  par  suite,  de 
viser  uniquement  une  catégoj-ie  de  biens,  dont  le  caraclère 
commun  était  d'avoir  été  aliénés  par  des  chrétiens  qui  payaient  la 
dîme.  On  n'a  pas  assez  remarqué  le  temps  du  verbe  consiieverant, 
qui  montre  clairement  quil  s'agit  de  biens  dont  les  précédents 
possesseurs  avaient  accoutumé  de  payer  la  dîme.  Catel  et  les 
auteurs  du  GaUia  christiana,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer 
plus  haut,  ont  l'emplacé  à  tort  ce  plus-que-parfait  par  un  parfait, 
ce  qui  change  absolument  le  sens. 

Nous  ferons  remarquer,  ensuite,  que  tous  les  détenteurs  du  sol 
n'étaient  pas  au  ix"  siècle  assujettis  aux  dîmes  ecclésiastiques  : 
c'est  ainsi  que  les  Espagnols  aprisionnaires  ne  payaient  aucune 
redevance  au  clergé'.  Or,  la  condition  de  ces  étrangers,  qui 
s'étaient  établis  à  titre  d'hôtes  [hostolenses)  dans  toute  la  Sopti- 
manie,  était  très  voisine  de  celle  des  Juifs  narhonnais.  Les 
aprisionnaires  ne  payaient  pas  de  droit  de  pâture,  de  lonlieu,  pas 
d'impôt  public.  Ils  n'étaient  pas  soumis  au  droit  de  gîte.  Ils  étaient 
placés  sous  la  mainbournie  du  roi  et  jouissaient  du  droit  de 
propriété  absolue.  Leurs  principales  obligations  consistaient  à 
faire  le  guet,  à  marcher  en  guerre  sous  les  ordres  du  comte,  à  se 
rendre  au  plaid  comtal  pour  les  cas  d'homicide,  de  rapt,  d'in- 
cendie et  de  pillage.  La  condition  des  Juifs  ressemblait  à  celle 
des  aprisionnaires  au  moins  sur  trois  points  :  ils  ne  payaient  pas 
de  redevance  au  clergé,  ils  jouissaient  du  droit  de  posséder  des 
biens  héréditaires,  et  étaient  placés  sous  la  mainbournie  ou  tutelle 
royale  -. 

1.  lital.  de  Lan/j..  t.  I,  ji.  942,  note  2. 

"2.  C'est  du  moins  ce  <iuo  nous  pouvons  iiilcrer  ilu  récit  îles  (>ex/a  hatoli  ^éd. 
SchiiPogaus,  p.  \~Ci),  (|ui  rapporte  que  Cliarlemaijue  reçut  les  Juifs  de  Narlxuuie  dans 
sa  Juridiction  et  sous  sa  sauvegarde  :  les  expressions  des  Grsia  sont  purement  féo- 
dales, mais  il  est  facile  de  leur  substituer  les  e\pressious  synnuymes  di-  réjxiiiue  caro- 
lingienne :  sauvegarde  =  mainbournie.  D'après  le  Se/'er  llukkalxila  (Neubauer,  R.  E.  J., 
t.  X,  p.  103',  le  ciii'f  (II'  la  eonmiuiiauté  juive  de  Narbonne  était  justiciable  du  roi. 


ÉTUDE   SUR   LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARRONNE  231 

Il  est  arrivé,  sans  doiilo.  un  moment,  où  la  dîme  a  été  exigée 
légalement  de  tous  les  détenteurs  du  sol,  catholiques  ou  non.  Mais 
il  est  infiniment  probable  que  cette  théorie  de  la  seigneurie 
universelle  de  Dieu  s'est  formée,  non  à  Tépoque  carolingienne, 
mais  plus  tard,  en  pleine  période  féodale.  Elle  paraît  avoir  été 
imaginée  par  quelque  canoniste  retors,  soucieux  avant  tout  de 
favoriser  les  intérêts  temporels  de  l'Église. 

L'extension  de  la  dîme  à  toutes  les  catégories  d'individus  et  de 
terres  a  été  amenée,  en  partie,  par  la  confusion,  qui  s'est  établie 
de  bonne  heure,  du  moins  dans  le  Narbonnais,  entre  les  dîmes 
ecclésiastiques  et  les  dîmes  laïques'.  Les  premières  ont  perdu 
leur  caractère  de  redevances  religieuses  et  personnelles  pour 
revêtir  l'aspect  de  redevances  laïques  et  réelles. 

Nous  croyons  avoir  suffisamment  démontré  que  les  diplômes  de 
898,  899  et  9:2:2  ne  constituent  pas  pour  les  biens  des  Juifs  narbon- 
nais  une  confiscation  générale,  mais  une  confiscation  partielle. 

VIL  —  Reste  à  expliquer  comment  Charles  le  Simple  a  été 
amené  à  confisquer  parmi  les  biens  des  Juifs  ceux  qui  auparavant 
étaient  assujettis  à  des  dîmes  ecclésiastiques.  Le  roi  semble  avoir 
obéi  aux  objurgations  de  l'église  de  Narbonne  ;  celle-ci  ne 
voulait  pas  renoncer  à  prélever  les  dîmes  sur  les  produits  de  cer- 
tains biens  qui  n'avaient  jamais  cessé,  pendant  tout  le  temps 
qu'ils  avaient  appartenu  à  des  chrétiens,  de  fournir  cette 
redevance.  En  vertu  de  ce  principe  de  droit  canon,  que  le  temporel 
de  lÉglise  ne  saurait  être  abrégé  en  aucun  cas,  l'église  de 
Nai'bonne  n'a  pas  voulu  consentir  à  perdre  les  revenus  qu'elle 
tirait  de  ces  terres,  vignes  et  salines.  Elle  a,  par  suite,  considéré 
les  Juifs  comme  inhabiles  à  posséder  en  toute  propriété  des  biens 
assujettis  à  des  dîmes,  puisqu'ils  ne  lui  paraissaient  pas  aptes  à 
remplir  les  obligations  qui  incombaient  aux  détenteurs  de  ce  genre 
de  biens  :  plus  tard  le  suzerain  refusera  l'investissement  du  lief  à 
des  mineurs,  des  roturiers,  ou  des  femmes,  pour  incapacité  féodale. 
Les  termes  mêmes  des  diplômes  marquent  biiMi  que  l'Église 
considère  les  Juifs  acquéreurs  de  ces  biens,  non  comme  des 
proprii'taires,  mais  comme  de  simples  occupants,  {possessoirs), 
voire  même  des  usurpateurs. 


1.  Le  2?,  avril  104S,  rarclievôijuc  cl  le  vicntnio  il(>  Narhoniic  ilmHii'nt  aii\  Joik  ciia- 
pitivs  de  Saint-Jiist  et  île  Saint-P.'inl  la  ilinn'  «lu  poisson  it  <lti  sel  de  eerlaiiies  salines 
à  la  réserve  du  sel  qu'on  lirait  de  l'alleu  des  .Inifs  [llisl.  île  Lang.,  l.  111,  p.  310,  et  V. 
Pr.,  ce.  4o4-iot3). 


232  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

En  somme,  l'église  de  Narbonne  ne  justifie  ses  prétentions  que 
par  des  sopliismes.  Elle  avait  soumis  au  paiement  de  la  dîme  les 
premiers  détenteurs  des  biens  aliénés,  non  en  tant  que  proprié- 
taires, mais  en  tant  que  chrétiens  :  elle  n'avait  pas  le  droit  d'assu- 
jettir à  la  dîme  les  Juifs,  seconds  détenteurs  de  ces  biens,  en  tant 
que  propriétaires. 

Il  est  probable  qu'avant  de  faire  appel  ù  la  volonté  royale,  l'église 
de  Narbonne  a  essayé  de  prélever  les  dîmes  sur  ces  biens  nouvel- 
lement acquis  par  les  Juifs.  Ces  derniers  ont  protesté  contre  les 
prétentions  du  clergé  narbonnais.  Le  clergé  a  porté  plainte  au  roi, 
qui  est  intervenu  parce  que,  depuis  le  capitulaire  de  Charlemagne 
de  779,  l'obligation  de  payer  la  dîme  était  devenue  une  loi  posi- 
tive et  civile'.  Cbarles  le  Simple  est  donc  intervenu  comme  sou- 
verain. 

Mais  il  est  possible  qu'il  soit  intervenu  à  un  autre  titre.  Les 
biens  acquis  par  les  Juifs  sont  mentionnés  dans  les  diplômes  de 
898,  899  et  9:22  à  côté  de  propriétés  domaniales  [fiaci)  que  le  roi 
concédait  à  l'église  de  Narbonne  :  ils  avaient  peut-être  fait  partie 
également  du  domaine  royal  à  l'origine.  La  confiscation  royale 
l'evctirait  alors  la  forme  d'un  acte  de  reprise  ou  de  retrait. 

Gomment  se  fait-il  maintenant  que  des  biens  confisqués  par  le 
souverain  fussent  attribués  à  l'église  de  Narbonne?  En  vertu  d'une 
des  clauses  de  l'immunité,  tout  ce  que  le  fisc  royal  pouvait  exiger 
dans  l'étendue  des  terres  de  l'immuniste  devait  être  remis  à  l'im- 
inuniste  et,  dans  l'espèce,  à  l'église  de  Narbonne-.  Nous  en  avons 
un  exemple  typique.  Un  vassal  de  Cbarles  le  Cbauve,  qui  avait 
reçu  des  propriétés  dans  le  comté  de  Razès,  fut  condamné  par  le 
tribunal  du  comte  Acfred  à  la  confiscation.  Le  4  février  884,  les 
biens  confisqués  furent  dévolus  à  l'église  de  Narbonne  en  verlu  du 
privilège  d'immunité  ^. 

Dans  tous  les  cas,  Charles  le  Simple  n'avait  aucune  raison 
sérieuse  de  confisquer  les  nouvelles  acquisitions  des  Juifs  nar- 
bonnais :  le  désir  de  conserver  l'appui  du  clergé  de  cette  région 
ramena  à  commettre  cet  acte  d'arbitraire. 

Sa  mesure  n'aurait  pas  été  illégale  si  elle  s'était  bornée  à  placer 
ces  nouvelles  acquisitions  sous  la  souveraineté  de  l'église  imnui- 

1.  Grande  Encyclopédie,  art.  d'une  par  Kohler,  p.  573,  1"  col. 

2.  «  Et  quidfjuiil  jus  fisci  exinde  exhjere  polenit,  lolitm  nos  pro  elerna  remxi- 
neratione  eidem  concedimus  ecclesie...  »  Un  arlo  de  1165,  qui  est  une  confirmation 
(les  ininuiniti;s  ancordées  à  l'église  do  Narbonne,  définit  ce  Jus  fisci  :  hoc  est  omniu 
rcgalia  jura.  (Privilèges  accordés  par  les  roijs  à  l'église  de  Sarbonne,  p.  19.) 

3.  Hisl.  de  Lang.,  t.  V,  Preuves,  ce.  76-78. 


ÉTUDE  SCR   LA  CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARBONNE  233 

niste,  comme  cola  se  prodiiisii  souvent  pour  les  pi'opriétés  des  apri- 
sionnaires  '.  Qu'arrivait-il  si,  dans  le  domaine  de  la  villa  que  le  fisc 
cédait  à  l'église  de  Naibonne  se  trouvaient  des  enclaves  possédées 
en  toute  liberté  par  des  propriétaires  et  non  par  de  simples  tenan- 
ciers? Le  roi  déclarait  alors  que  les  redevances  publiques  exigées 
de  ces  propriétaires  seraient  prélevées  désormais  au  profit  de 
l'église  immuniste.  Les  propriétaires  d'alleux  ne  perdaient  de  ce 
fait  aucune  parcelle  de  leurs  droits  :  ils  changeaient  tout  simple- 
ment de  souverain  :  au  lieu  de  payer  l'impôt  au  comte,  ils  le 
payaient  à  l'archevêque. 

VIII.  —  Quelles  furent  pour  les  Juifs  narbonnais  les  consé- 
quences de  la  confiscation  partielle  de  89<S-0!2!2  ?  Si  la  mesure 
royale  avait  été  appliquée  dans  toute  sa  rigueur,  le  patrimoine  des 
Juifs  de  Xarbonne  aurait  été  condamné  à  ne  plus  s'accroître  et  par 
suite  à  dépérir.  Les  Juifs,  se  trouvant  dans  l'impossibilité  d'acquérir 
des  biens  assujettis  aux  dîmes  ecclésiastiques,  c'est-à-dire  n'im- 
porte quel  bien  ayant  appartenu  à  un  chrétien,  en  auraient  été 
réduits  à  n'acquérir  que  des  immeubles  ayant  appartenu  à  des 
coreligionnaires.  L'application  stricte  des  diplômes  de  Charles  le 
Simple  aurait  donc  arrêté  net  le  développement  de  la  propriété 
allodiale  des  Juifs  narbonnais. 

Heureusement,  Charles  le  Simple  n'ayant  pas  la  force  de  faire 
appliquer  ces  mesui-es  coercitives,  les  Juifs  de  Narbonne  continuè- 
rent à  faire  des  acquisitions  de  biens  sur  des  chrétiens  :  nous  en 
verrons  des  exemples  très  nombreux  dans  la  suite. 

Toutefois,  celte  mesure  de  spoliation  partielle  présentée  sous  le 
couvert  de  la  légalité,  sinon  du  droit,  dut  accroître  singulièrement 
l'audace  de  tous  ceux,  clercs  ou  laïques,  qui  refusaient  aux  Juifs 
le  di'oit  de  posséder  des  immeubles. 

IX. —  Nous  allons  examiner  niaintenant  un  ((uatrième  diplôme 
de  Charles  le  Simple,  par  lequel  ce  roi  semble  conlisquiM-  des 
immeubles  sur  des  Juifs  narbonnais  sans  en  fournir  aucune  justi- 
fication. 

Les  nones  de  juillet,  huitième  indiction,  trente-deuxième  année 
de  son  règne  (?)  ou  de  sa  restauration  ;?  ,  àTours-sur-3Iarne,  Charles 

1.  n  Si  vero  infrn  islas  vel  alias  villas  eiilem  ecclesie  Hostolenses  vel  Ispani 
fuerint,  rjuicqiiid  jus  fisci  inde  exiqere  débet,  tolum  ad  opus  sancle  inatris  ecclesie 
Sarbonensis  jure  perpeluo  concedimus  ohflnenduin  nique  per  iioc  noslrc  auclori- 
lalis  preceptuni  confirmai  nus.  »  (Immunité  Ju  6  juin  899.) 


234  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

le  Simple,  sur  la  (Irmando  de  l'cvèque  Érifons  et  à  la  prière  de 
Roger,  arclievèque  de  Trêves,  et  de  Guillaume,  grand  marquis, 
reçoit  sons  sa  inainbouriiie  l'évêque  Erifoiis  et  le  prêtre  Goiifard; 
il  donne,  en  outre,  à  Érifons  et  à  Goufard,  serviteurs  de  Dieu  et 
de  l'église  Saint-Quintin  de  Narbonne,  la  terre  et  les  moulins  qui 
appartenaient  à  des  Juifs,  les  moulins  dits  de  Matapezouls,  les- 
quels appartenaient  également  à  des  Juifs  ;  le  territoire  con- 
cédé s'étendait  de  la  porte  Goiran  jusqu'au  lieu  dit  Celada,  et, 
de  là,  jusqu'au  milieu  de  la  rivière  d'Aude,  qui,  avec  la  butte  de 
Montjuzaic,  entourait  ledit  territoire  de  toule  pai't  jusqu'au  lavoir 
de  Goiran  '. 

La  trente-deuxième  année  du  règne  de  Gharles  le  Simple  s'étend 
du  28  janvier  9'24  au  "27  janvier  iHo,  la  trente-deuxième  année  de 
sa  restauration,  du  1'^^  janvier  929  au  31  décembre  930,  ce  qui 
donne  comme  dates  de  ce  diplôme  le  7  juillet  924  ou  le  7  juillet 
929  ;  aucune  de  ces  dates  n'est  admissible,  puisque  Gbarles  resta 
prisonnier  d'Herbert  de  Vermandois  depuis  923  jusqu'à  929,  date 
de  sa  mort.  De  plus,  l'indiction  de  924  est  l'indiction  12,  et  celle 
de  929,  l'indiction  2.  Or,  le  diplôme  a  été  délivré  en  l'indiction  8, 
qui  est  l'indiction  de  l'année  92  ).  Nous  avons  constaté  pour  les 
trois  diplômes  examinés  plus  baut  que  les  divers  éléments  de  la 
date  y  concordaient  d'une  façon  à  peu  près  parfaite.  Il  est  surpre- 
nant que  cette  concordance  ne  s'observe  pas  dans  le  quatrième 
diplôme  de  Gbarles  le  Simple.  Besse  a  été  frappé  de  cette  ano- 
malie :  il  a  supposé  que  le  scribe  du  xu'^  siècle  qui  avait  transcrit 
ce  diplôme  -  s'était  trompé.  Il  a  donc  corrigé  XXXII  en  XXII  et 
placé  le  diplôme  en  914  ou  91o^.  Gatel  se  range  à  l'opinion  de 
Besse  ''.  Les  auteurs  de  Y  Histoire  de  Laïu/uedoc  corrigent  égale- 
ment XXXII  en  XXII  et  placent  le  diplôme  tantôt  vers  9i4'',  tantôt 
.vers  916  ".  Les  auteurs  du  recueil  des  Hislorieas  de  France'  et 
Bréquigny^  ont  adopté  la  date  de  914. 

Besse  et  les  Bénédictins  appliquent  le  nombre  XXXII  (corr.  XXII) 
à  l'année  du  règne,  mais  l'énoncé  de  la  date  ne  laisse  pas  d'être 
ambigu   sur    ce    point.   Gette  ambiguïté  auloi'ise  à  appliquei-  ce 

i.  Dii'PC  justHicativo  w  I. 

2.  Bil)l.  liât.,  nis.  latin  11015,  f  l.j  v°. 

3.  Ilisloire  des  ducs,  marquis  el  comtes  de  yarhonne,  Va.r\s,  lOriO,  iii-i»,  p.  ISO. 
i.  Catcl,  Mémoires  de  l'histoire  de  Latif/uedoc,  pp.  777-778. 

o.  Ilisl.  de  LanQ.,  t.  IV,  Notes,  p.  26,  2"  col. 

6.  liiil.,  t.  III,  |i.  84,  d'après  Mcirca  liispanirn  [AppemUces,  p.  8iO).  M.  Israi'l 
Li'vi  a  choisi  cette  date  (vers  910),  dans  /{.  É.  J.,  I.  I.ll,  \>.   104. 

7.  Historiens  de  France,  t.  IX,  pp.  o21-522. 

8.  Table  chronolor/ique  <les  diplômes,  t.  I.  ]>.  375. 


ÉTUDE  SUR   LA  CONDITION    DES   JUIFS   DE   NARBONNE  235 

nonibi'o  aussi  \non  à  raniiro  do  la  restauratidii  qu'à  l'année  du 
rè.t^nc,  co  qui  nous  donnerait  pour  le  diplôme  la  date  de  9l*J, 
la(iuelle  n'est  pas  tellement  éloignée  de  la  date  de  9:20,  indicdon  <S, 
quelle  ne  paraisse  assez  vraisemblable.  Il  est  même  possible  d'ad- 
mettre que  le  scribe  du  xii«  siècle  ait  lu  XXXII  au  lieu  de  XXIII  :  ce 
dernier  nombre,  considéré  comme  l'année  de  la  restauration  de 
Cliarles  le  Simple',  nous  donnerait  exactement  la  date  de  9:20, 
in  diction  8. 

D'ailleurs,  la  formule  de  la  date  est  à  ce  point  extraordinaire  et 
anormale  qu'elle  semble  jeter  quelque  doute  sur  rauthenlicité  de 
ce  diplôme.  La  partie  cbronologique  de  cette  date  est  ainsi  libellée  : 
Datnm  no/tas  julli,  indictione  VIII,  anno  XXXIl  redint/'tjrnntn 
atquc  régnante  Karolo  rege  gloriosissimo. . .  Si  elle  était  conforme 
au  style  de  la  cbancellerie  de  Cbarles  le  Simple,  elle  devrait  se 
lire  :  Dalum  nonas  Julii,  indictione  VIII,  anno  XXVIII  régnante 
donino  Karolo,  redintegrante  XXIII,  largiore  vero  heredilate 
indempta  X. 

L'examen  des  autres  formules  de  ce  diplôme  est  également  défa- 
vorable à  son  authenticité.  La  formule  qui  suit  la  suscriplion 
royale-  renferme  le  mot  rnisericordia,  qu'on  ne  trouve  jamais 
accolé'  au  verbe  propiliari  dans  les  diplômes  de  celte  période  du 
règne  ^.  La  loi-mule  re.r  Francoruni  est  conforme  au  style  de  la 
chancellerie,  puisque  notre  diplôme  est  postérieur  à  racquisilion 
de  la  Lorraine  (911 1.  La  formule  de  corroboralion  '  est  également 
libelb'e  d'une  façon  bizarre.  D'ordinaire,  l'annonce  de  rap[)osition 
du  sceau  et  l'annonce  de  l'apposition  du  monogramme  l'oyal  sont 
st''parées  en  deux  membi'os  de  phrases  ■'. 

Les  autres  formules,  notamment  celles  de  la  souscriplion  du  roi 
et  de  la  souscription  du  chancelier,  sont  parfaitement  régulières. 

X.  —  Critiqué  du  point  de  vue  diplomatique,  cet  acli>  nous 
paraît  donc  suspect.  Si  nous  l'examinons  maintenant  du  point  de 

1.  Étant  lioiiui'  «lue  li-  uoiiibre  XXXII  se  trouve  inimOdiatriiiont  avant  redin/erjran/e, 
ou  jioul  supposer  viaisemblaljliMnetit  (ju'il  s'applique  plut(it  à  l'aiiiiéc  de  la  restaura- 
tion iju'à  l'année  du  rèL'ne.  Dans  ce  cas,  le  scribe  aurait  omis  cette  dernière  année. 

2.  Karolus  divina  propiliante  rnisericordia  rex  Fruncorum. 

3.  Karolus  rnisericordia  Dei  rex  est  très  fréquent,  mais  avant  l'acquisition  de  la 
Lorraine.  On  trouve  également  :  divina  larfjienle  rnisericordia  (2.j  juin  \)[\}  :  Voy.  ; 
Historiens  de  France,  t.  IX,  p.  j4C,  n»  LXXVIII). 

4.  ...El  anuli  nostri  manu  propria  confirmantes  impressione  sutilcrfirmare 
precepimus. 

.'j.  ..  .Manu  propria  sub/erfirmai'in77is  et  aniilo  nosiro  insif/niri  jiissimus  {tii[tUm\c 
du  7  juin  899  . 


236  REVUE  DES    ÉTUDES  JUIVES 

vue  historique,  c'est-à-dire  si  nous  ifleiitillons  les  noms  de  per- 
sonnes et  les  noms  de  lieux  mentionnés  dans  cet  acte,  et  si  nous 
contrôlons  les  événements  aux(|uels  il  fait  allusion,  nous  conslate- 
rons  également  des  anomalies,  mais,  dautre  part,  nous  relèverons 
assez  d'assertions  exactes,  pour  que  nous  ne  nous  croyions  pas 
obligé  d'assimiler  ce  diplôme  à  un  faux  bien  caractérisé. 

Les  circonstances  dans  lesquelles  cet  acte  a  été  octroyé  nous  le 
présentent  sous  un  jour  extrêmement  favorable.  Il  a  été  délivré  à 
la  suite  dune  requête  présentée  au  roi  par  l'évèque  Érifons.  Com- 
ment expliquer  la  présence  de  cet  évèque  à  la  cour  de  Charles  le 
Simple?  Il  existe  une  lettre  de  l'archevêque  de  Narbonne,  Agio, 
aux  évêques  Agambert  et  Élefons.  Agio  a  appris  que  ces  deux  pré- 
lats étaient  sur  le  point  de  joindre  la  cour  royale  :  il  a  donc  chargé 
les  comtes  Ermengaud  et  Raimond  de  prier  les  deux  évêques  de 
soUiciter  du  roi  un  diplôme  pour  l'église  de  Narbonne  '.  Élefons  et 
Érifons  sont  évidemment  le  même  personnage^.  La  présence  d'Éri- 
fons  ou  Élefons  auprès  du  roi  s'explique  donc  aisément. 

Il  est  surprenant  d'apprendre  que  l'évèque  Érifons  était  un  habi- 
tant de  Narbonne  et  qu'il  y  desservait  avec  le  prêtre  Goiifard 
l'église  de  Saint-Quintin.  Goufard  était  le  nourri  d'Érifons,  c'est-à- 
dire  qu'il  tenait  probablement  de  lui  sa  fonction  et  ses  moyens  de 
subsistance^.  Érifons  était  le  véritable  titulaire  :  il  devait  perce- 
voir les  revenus  de  l'église,  quitte  à  assigner  au  prêtre  Goufard 
une  portion  congrue. 

Comment  se  fait-il  que  cet  évêque  sans  évêché  habitât  Nar- 
bonne, à  côté  de  l'archevêque  de  cette  ville?  Il  est  à  peu  près  cer- 
tain qu'Érifons  avait  été  précédemment  titulaire  d'un  siège  épis- 
copal  et  qu'il  avait,  pour  des  raisons  difficiles  à  découvrir,  renoncé 
à  ses  fonctions  d'évéque  sans,  toutefois,  en  abandonner  le  titre. 
Nous  croyons  même  savoir  qu'Érifons  avait  été  évèque  de  Vénas- 
que-Carpentras.  Un  évêque  de  ce  nom  et  de  ce  siège  assista,  le 

1.  Voy.  le  texte  de  cette  lettre  dans  llisl.  de  Lang.,  t.  V,  Preuves,  c.  115,  et  daus 
Catol,  Histoire  des  comtes  de  Tolose,  Tolosc,  1623,  iu-f»,  p.  83.  Dom  Dcvie  et  dom 
Vaissete  placent  cette  lettre  vers  922  :  ils  suivent  en  cela  l'opinion  du  Gallia  c/tris- 
tiaiKi,  t.  VI,  col.  20,  (|iii  en  donne  également  le  texte.  Catel  {Mémoires  de  l'Iiisl.  de 
Laiifj.,  p.  77()i  prétend  que  c'est  à  la  suite  de  cette  lettre  que  fut  octroyé  le  diplôme  du 
7  juin  922.  L'IIist.  de  Lanr/.,  t.  IV,  Notes,  p.  24,  2"  col.,  conteste  ceUe  assertion  et 
fait  remarquer  avec  assez  de  justesse  que  le  diplôme  du  7  juin  922  fut  sollicité,  non 
]iar  Açambert  et  Klefons,  mais  par  Gui,  évêque  de  Ginme. 

2.  Krifoiis,  Élefons,  Arifims  sont  des  variantes  du  i)n'nom  Alfonse,  qu'on  écrit  assez 
arbitrairement  Alphonse. 

3.  Cette  épitliète  de  noitn-is  s'applique,  notamment,  aux  fidèles  qui  tenaient  du 
prince  leurs  bénéfices  et  Icuis  dignités  (Fustel  de  C-oulantres,  Les  transformations  de 
la  ro'jaiité  pendant  l'époque  carolingienne,  Paris,  1892,  in-S",  pp.  G42-643). 


ÉTUDE  SUR   LA   CONDITION   DES  JUIFS   DE   NARBONNE  237 

1"  septembre  917  ',  à  la  dédicace  de  la  cathédrale  Sainle-Eiilalie 
d'Elue,  eu  compagnie  de  Gui,  évèque  de  Girone,  Guimera,  évèque 
de  Carcassonne,  et  de  Guillaume  le  Pieux,  comte  d'Auvergne  et 
marquis  de  Gothie,  le  même  que  Guillaume,  grand  marquis,  dont 
il  est  queslion  dans  uot"'e  diplôme. 

Érifons  était  donc  encore  évoque  de  Carpenlras  on  917,  mais  il 
cessa  de  l'être  bientôt  après.  Nous  pouvons  supposer  avec  beau- 
coup de  vraisemblance  que  le  jour  où  Érifons  dnt  renoncer  à  son 
évêché  de  Garpentras,  il  reçut  en  compensation  le  temporel  de 
l'église  Saint-Quintin  de  Narbonne  -. 

Il  s'occupa  dès  lors  des  affaires  du  diocèse  de  Narbonne  :  c'est 
ainsi  que,  le  17  décembre  9:24,  il  assista  à  la  donation  consentie 
par  Odon,  vicomie  de  Narbonne,  en  favsur  de  l'abbaye  de  Monto- 
lieu^.  Il  est  probable  que  dès  qu'il  cessa  d'être  évèque  de  Gar- 
pentras pour  devenir  desservant  de  Saint-Qu'utin  de  Narbonne, 
l'évèque  Érifons  se  préoccupa  immédiatement  d'arrondir  le  tem- 
porel de  son  église,  et  c'est  sûrement,  à  cet  efîet,  qu'il  se  rendit  à 
la  cour  de  Charles  le  Simple.  Ce  voyage  doit  se  placer  après  le 
!«'■  septembre  917. 

A  côté  d'Érifons,  notre  diplôme  mentionne  Roger,  archevêque 
de  Trêves,  Guillaume,  marquis  de  Gothie,  Hervé,  archichancelier, 
et  Goslin.  notaire. 

Quelques  brèves  considérations  sur  la  biographie  de  ces  per- 
sonnages, jointes  à  celles  que  nous  venons  de  mettre  en  lumière  à 
propos  d'Érifons,  nous  permettent  d'assigner  au  quatrième  diplôme 
de  Charles  le  Simple  la  date  de  918  ou  919.  Dans  ce  diplôme,  Roger 
n'est  encore  qu'archevêfiue  de  Trêves  :  il  sera  archichancelier 
sur  la  fin  du  règne  de  Charles  le  Simple,  de  919  à  9:2:2,  notam- 

1.  Cet  acte  a  été  pulilié  dans  Marca  hispmiica,  Appendices,  ce.  839-840.  Cf.  Gallia 
chrisliana,  t.  VI,  ce.  25-26;  Hisl.  de  Lanr).,  t.  III,  p.  84.  Vénasquc  [Venasca,  Ven- 
dausca,  Vendascetisis  civilas)  était  le  siège  d'un  évèclié  à  la  fui  du  m'  siècle,  qui 
fut  réuni  à  celui  de  Carpeiitras  à  la  lin  du  V. 

2.  La  présence  de  l'éTéque  Érifons  ;ï  Narboiiiu-  ;i  côté  <le  l'archevé(iue  Agio  a  Ix-au- 
coup  intrigué  l'érudit  Calel.  Il  lui  parait,  d'abord,  étrange  ([u'Érifons  ait  été  arclie- 
vtique  do  Narbonne  :  «  Toutesfois,  voyant  que  plusieurs  ductes  personnages  ont  jugé 
(ju'il  a  esté  aicbevesque  de  Narbone,  je  l'ay  voulu  mettre  en  son  ordre.  »  Erifons  fut 
donc,  d'après  Gatel,  archevêque  de  Narbonne  «  sur  la  fin  du  règne  de  Charles  le 
Simple,  environ  l'an  neuf  cens  et  unze  ».  {Me'nioires  de  l' histoire  du  Laiiffuedoc, 
pp.  777-178.)  Baluze  place  judicieusement  Érifons  au  nombre  des  évéques  de  Caipen- 
tras  et  le  Gallia  chrisliana  se  range  à  son  avis  (t.  VI,  ce.  2o-26).  Les  auteurs  de 
VHisl.  de  Lang.,  t.  lll,  p.  84,  partagent  également  l'opinion  de  Baluze. 

3.  llisl.  de  Lanç).,  t.  V,  Preuves,  c.  l.'iO.  L'évèque  Érifons  ne  doit  pas  être  con- 
fondu avec  Alitons,  abbé  de  .Montoiieu,  qui  assista  à  un  jdaid,  tenu  à  Alzonne.  le 
16  juin  918  Jbid.,  c.  138),  et  aussi  à  la  donation  du  17  décembre  924  [Ibid.,  c.  148). 


•238  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

menl'.  Son  pnklécesseur,  rarchcvêque  Hervé,  occupa  la  mémo 
dignité  (le  OH  à918  ou  919-.  Quant  au  notaire  Goslin,  il  demeura 
à  la  chancellerie  royale  au  moins  de  9i'd  à  92^''.  Enfin,  Guillaume 
le  Pieux,  comte  d'Auvergne  et  marquis  de  Gothie,  mourut  en  918, 
ou,  au  plus  lard,  en  919  '■. 

XI.  —  L'identification  des  noms  de  lieux  contenus  dans  le 
diplôme  de  918-919  nous  le  présente  égaleiuent  sous  un  jour  très 
favorable.  Les  renseignements  topographiques  qu'il  contient  sont 
tout  îi  lait  conformes  à  la  situation  respective  des  édifices  ou  des 
quartiers  mentionnés. 

Il  a  réellement  existé  à  Narbonne  une  église  dédiée  a  saint 
Quintin  :  elle  se  trouvait  entre  la  cathédrale  Saint-Just  et  le  palais 
archiépiscopal,  tout  près  de  l'église  de  la  Madeleine,  qui  était 
situ('e  dans  le  prolongement  de  la  partie  nord  du  cloître  de  Saint- 
Just".  Il  est  encore  question  de  cette  église  le  15  juin  1160''.  Dans 
un  acte  de  1;248",  il  est  fait  allusion,  non  à  l'église,  mais  à  l'autel 
de  SaintQuintin  construit  dans  la  chapelle  archiépiscopale,  ce  qui 
nous  autoi'ise  à  supposer  que  l'église  Saint-Quintin  avait  disparu 
pour  faire  place  à  cette  dernière.  Saint-Quintin  était  bien  situé 
infra  Narbone  mur'os,  ainsi  que  le  mentionne  le  diplôme  de  918- 
919,  mais  il  était  pi'obablement  accolé  à  l'enceinte  de  la  Cité. 

Cette  église  reçoit  des  moulins  situés  sous  le  pont  ou,  plus 
exactement,  en  aval  du  pont  de  la  Cité^'*.  Ces  moulins  existaient 
déjà,  au  témoignage  dun  auteur  arabe '^  au  moment  où  les  Sarra- 
sins enti'èrent  dans  la  ville,  soit  entre  le  19  octobre  719  et  le  mois 
de  février  7-20'"'. 

Quant  aux  moulins  de  Matapezouls,  ils  se  trouvaient  également 
en  aval  du  pont  de  la  Cité,  mais  sur  la  rive  gauche  de  l'Aude,  entre 

1.  >ous  avons  iixii  cts  dates  extrêmes  d'aines  les  diplùines  souscrits  par  Roger, 
aicliicliaiicelier.  Roi.'^er  était  iiotamnieut  archioliaiiceiier  le  lo  juin  922  {Hisloriens 
lie  Fiance,  t.  IX,  ji    558,  G]. 

2.  ISous  trouvons  la  snseription  d'Hervé,  arcliichancelicr,  au  bas  d'un  acte  du 
17  juin  9H  [Ibùl.,  t.  IX,  p.  513,  G)  et  d'un  acte  du  23  novembre  918  {Ibid.,  p.  540,  A). 

3.  Ibid.,  t.  IX.  Diplômes  de  Gbarles  le  Simple,  passim. 
i.  Ilisl.  de  La7if/.,  t.  II,  Noies,  p.  loi,  2°  col. 

5.  Mouynès,  Inventaire  des  arc/uves  mimicipales  de  Narbonne,  série  AA,  p.  S5, 
note  1. 

fi.  Inventaire  des  archives  de  rarc/tevec/ié  de  Narbonne.  l.  I,  1"  264  v°. 

7.  //;/(/.,  t.  I.  f»  2SS  r". 

8.  Ce  pont  est  égalenimt  comui  sous  les  noms  île  Pont-Vleux  et  de  pont  des  Mar- 
cliauds. 

9.  llist.  de  Lan;/.,  éd.  Dumége,  t.  Il,  Additions  et  notes,  jt.  9. 
10,  Hisl,  de  Lany.,  nouv.  édit.,  t.  II,  Notes,  p.  184,  2'  col. 


ÉTUDE  SUR  LA  CONDITION   DES  JUIFS  DE  NARBONNE  239 

la  rivière  et  renceinto  de  la  Cité  qui  la  longeait'.  Ces  moulins 
existaient  encore  au  milieu  du  xiv«  siècle  :  la  seigneurie  et  la  jiiii- 
dictioii  en  étaient  disputées  entre  le  vicomte  et  Tarclievèque.  La 
sentence  arbitrale  du  '2:2  lévrier  i8o:2  les  adjugea  finalement  au 
vicomte-.  Il  était,  en  eflet,  tout  naturel  quils  fussent  placés  dans 
la  seigneurie  et  sous  la  juridiction  du  vicomte,  puisqu'ils  étaient 
plus  rapprochés  du  palais  vicomlal  que  du  palais  archiépiscopal. 
La  porte  de  Coiran,  dont  il  est  question  dans  lacté  de  918-919,  et 
qui  n'existait  plus  déjà  au  xn«  siècle,  ainsi  que  le  lait  remarquer 
dans  une  note  marginale  le  scribe  qui  a  transcrit  l'original  du 
di[)lùme,  s'élevait  sur  la  rive  gauche  de  l'Aude,  tout  près  de  la 
rivière  •*.  Le  territoire  de  Coiran  était  situé  en  dehors  de  la  porte  de 
même  nom  et  des  murailles  de  la  Cité,  à  l'ouest  de  la  ville  '. 

Le  tènement  de  Celada  se  trouvait  au  nord-ouest  de  la  ville,  au 
nord  de  l'église  Saint-Félix,  qui  se  trouvait  elle-même  au  noid  du 
bastion  auquel  elle  donna  son  nom  "Sa  peu  près  sur  l'emplacement 
de  la  gare  des  voyageurs  actuelle.  La  limite  du  territoire  concédé 
à  Saint-Quintin  partait  donc  des  bords  de  l'Aude,  de  la  porte  de 
Coiran,  et  atteignait  le  tènement  de  Celada,  puis,  de  là,  rejoignait 
la  rivière  d'Aude  au  lavoir  de  Coiran,  qui  se  trouvait  probablement 
au  gué  de  Capva  pkla,  où  s'élève  aujourd'hui  le  moulin  du  Gua. 
De  la  porte  de  Coiran  jusqu'au  lavoir  de  Coiran  la  rivière  décrivait 
une  forte  courbe,  de  sorte  (jue  l'acte  de  918-919  dit  juste  quand  il 
nous  montre  l'Aude  et  le  Montjuzaic  [Mons  judaicus)  enveloppant 
le  territoire  concédé  de  toutes  parts.  La  butte  de  Montjuzaic  s'éle- 
vait entre  la  porte  de  Coiran  et  le  tènement  de  Celada,  limitant  au 
sud-est  le  territoire  concédé,  qui  ne  constituait  pas  à  proprement 
parler  une  île  mais  une  presqu'île.  C'est  sur  cette  butte,  en  dehors 
de  l'enceinte  de  la  Cité,  que  se  trouvait  le  cimetière  juif,  à  peu 

1.  C'est  de  Matnpezouls  ijuc  provieiulrait  liiiscriplioii  la'l)i<iïi|uc  nailtoniuise  du 
tombeau  de  don  Vidal  Saloinon  Nalliau,  (jui  se  trouve  au  uuiséi;  de  Toulouse  (.Neu- 
bauer,  Rapport  sur  une  mission  dans  le  tniili  de  la  France,  dans  Archives  des 
missions  scien/ifi(jues  el  liUéruires,  3'  série,  t.I",  j>.  o'Jl),  d'après  Tournai,  Catalogue 
du  musée  de  Xarùonne,  p.  .ol).  I)umè|.'e,  inaniuebien  (jue  ees  moulins  de  Matapeznuls 
étaient  situés  bois  des  murs  (Mémoires  publiés  par  lu  Société  des  Antiquaires  de 
France,  t.  VIII,  ji.  340.  note). 

2.  Mouynès,  Annexes  de  la  série  AA,  p.  352,  2*  col. 

3.  Mouynès,  Inventaire  de  la  série  A  A,  p.  99,  1"  col.,  note  1. 

4.  Acte  du  5  décembre  1203  (Invent,  des  arch.  de  l'arcbev.  de  Narh.,  t.  I,  f<>  207  v»). 
0.  Mouynès,  Inventaire  de  la  série  A  A,  p.  31,  2*  col.,  note. 

6.  Le  cimetière  des  Juifs  est  appelé  indifféremment  cimetière  des  Juifs  ou  tout  sim- 
plement Montjuzaic  (Acte  du  22  février  I3o2,  Mouynès,  Annexes  de  la  série  AA, 
p.  347,  l"col.  et  p.  3o4,  l"=col.)  «  ...cimilerium  Judeorum  \artjone  vocatutn  Montem- 
judaicum  ».  (Bibl.  mun.de  Toulouse,  ms.  626,  loi.  oo4  r".  Acte  du  22  no\enibre  1297). 


240  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

près  sur  remplacement  qui  s'étend  maintenant  entre  le  collège 
Victor-Hugo  et  la  gare  des  marcliandises.  Il  est  curieux  de  noter 
que  les  Juifs  du  moyen  âge  établissaient  généralement  leurs  cime- 
tières sur  une  éminence  :  un  exemple  curieux  nous  est  fourni  par 
le  cimetière  des  Juifs  de  Barcelone,  établi  autrefois  sur  la  colline 
de  Montjuich,  laquelle  domine  au  sud  le  port  actuel  de  Barcelone. 
En  résumé,  bien  que  le  diplôme  de  918-919  nous  paraisse  suspect 
par  l'irrégularité  de  ses  formules  et  notamment  de  sa  date,  sa 
teneur  nous  le  présente  sous  un  jour  si  favorable  qu'il  nous  est 
impossible  de  le  tenir  pour  inautbentique.  Aussi  bien  ne  con- 
naissons-nous ce  diplôme  que  par  une  copie  du  xir  siècle  très  fau- 
tive. Le  scribe  qui  l'a  transciit  était  un  clerc  très  peu  lettré.  Nous 
relevons  sous  sa  plume  des  formes  incorrectes  '  ou  barbares  '-. 
L'ignorance  du  copiste  explique  donc  facilement  les  bizarreries  des 
formules  et  les  inexactitudes  de  la  date. 

Xn.  — Il  est  permis  de  se  demander  si  le  diplôme  de  918-919  fut 
rigoureusement  exécuté.  C'est  peu  probable.  En  ce  qui  concerne  le 
premier  lot  de  moulins  situés  en  aval  du  pont  de  la  Cité,  nous  avons 
la  preuve  formelle  que  les  Juifs  qui  en  étaient  propriétaires  refu- 
sèrent de  consentir  à  leur  spoliation  et,  finalement,  obtinrent  gain 
de  cause.  Ainsi,  avant  le  19  décembre  935  ou  9o6,  les  frères 
Samuel,  Moïse,  Isaac  et  Lévi,  fils  d'Abraham,  étaient  propriétaires 
d'un  des  moulins  situés  en  aval  du  pont.  Au  sud  de  ce  moulin  se 
trouvait  un  vivier  qui  appartenait  au  Juif  Joseph,  fils  d'Abraham 
Veneroso"^.  Entre  le  moulin  des  fils  d'Abraham  et  le  vivier  de 
Joseph  se  trouvait  un  autre  moulin  dit  Casai  dont  la  moitié  appar- 
tenait avant  955  à  André,  à  sa  femme  ïencia  et  à  leur  fils 
Guillaume,  lévite.  C'est  cette  moitié  de  moulin  avec  son  vivier,  ses 
pêcheries,  sa  tôte  de  meule  que  les  quatre  fils  d'Abraham  ache- 
tèrent, le  49  décembre  955  ou956  '',  à  la  famille  André  moyennant 
le  prix  de  90  sous  payés  comptant.  André  et  sa  femme  Tencia 
n'avaient  pas  reçu  la  moitié  de  ce  moulin  en  héritage;  ils  l'avaient 
acquis  par  achat,  ce  qui  pourrait  laisser  supposer  que  l'église  Saint- 

1.  Molendina  que  sxint  in  luco  quem  vocanl  Macta  Pedilii  similiter  ipsis  Jiuleis 
pevlineixlUma  (corr.  perlinenlia). 

2.  Alaze  au  lieu  de  Atacis,  bracmalicum  au  lieu  de  praymaUcxim. 

3.  Saiirc,  Juifs  du  Lanf]uedoc,  pièce  justincativc  ii"  1,  pp.  129-130,  d'après  Ilibl. 
uat.,  Mélanges  Golbert,  n»  414,  pièce  5,  et  collection  Doat,  t.  57,  f<"  10-H. 

4.  L'acte  de  vente  fut  dressé  la  2°  année  du  roi  Lothaire,  ce  (jui  nous  donne  l'année 
9Î35,  si  nous  comptons  les  annt'cs  du  règne  à  partir  du  10  septembre  ou  du  \1  no- 
vembre 9;)4  (Giry,  Manuel  de  diplomatique,  p.  T29)  ;  ou  l'année  9o6,  si  nous  faisons 
coïncider  complètement  la  première  année  du  règne  avec  l'année  95». 


ETUDE  SUR   LA   CONDITION  DES  JUIFS  DE  NARBONNË  241 

Quintin  avait  aliéné  bientôt  après  les  moulins  concédés  par  Charles 
le  Simple.  Mais  de  telles  aliénations  n'étaient  pas  dans  les  habi- 
tudes des  églises,  qui  répugnaient  beaucoup  à  diminuer  leurs  biens 
temporels  :  elles  pouvaient  en  aliéner  le  domaine  utile  moyennant 
une  redevance  annuelle,  mais  jamais  le  domaine  éminent.  Or, 
André,  Tencia  et  Guillaume  cèdent  leur  moitié  de  moulin  en  toute 
propriété.  Les  Juifs  acquéreurs  pourront  en  disposer  à  leur  guise, 
sans  que  personne  puisse  s'y  opposer  et  y  contredire.  Les  vendeurs, 
leurs  héritiers,  filles  ou  neveux,  leurs  parents,  ou  bien  quelque 
personne  oubliée,  interposée  et  subrogée  ne  pourront  exercer  leur 
droit  de  reprise  sur  la  chose  vendue.  Tout  usurpateur  devra  com- 
poser pour  le  double  ou  le  triple  de  sa  valeur  et  restituer  le  double 
des  améliorations  apportées  par  les  coacheteurs.  En  outre,  il  sera 
tenu  de  restituer  le  bien  usurpé. 

Vingt  ans  après,  le  26  janvier  976  ou  977',  les  mêmes  Juifs, 
Samuel,  Moïse,  Isaac  et  Lévi,  fils  d'Abraham,  vendent  à  Belshom, 
abbé  de  Saint-Paul  et  à  Guillaume,  lévite,  une  parlie  de  leur  alleu, 
à  savoir  un  moulin  en  entier  et  les  deux  tiers  d'un  autre,  avec  leurs 
dépendances,  tètes  de  meules,  pêcheries,  aqueducs,  fonds  de  terre, 
au  prix  de  130  sous  payés  comptant.  Par  cette  vente,  les  quatre 
frères  cèdent  à  labbaye  de  Saint-Paul  leur  droit  complet  de  ^vo- 
priélé  [ad proprium  perhabendum).  Ils  ne  retiennent  que  le  tiers 
du  moulin  situé  au  nord.  Il  suffit,  d'ailleurs,  de  remarquer  que  les 
acquéreurs  sont  ici  des  clercs  mainmortablespour  en  conclure  que 
les  Juifs  vendeurs  étaient  entièrement  propriétaires  des  biens 
aliénés.  Si  l'église  Saint- Quintin  avait  exercé  un  droit  éminent 
sur  les  moulins  vendus,  elle  serait  intervenue  à  ce  titre  pour 
exiger  un  droit  d'amortissement,  et  lacté  de  vente  en  aurait  fait 
mention. 

Il  est  donc  certain  que  les  moulins  situés  en  aval  du  pont  de  la 
Cité  n'ont  pas  été  elfectivoment  confisqués  sur  les  Juifs  qui  en 
étaient  propriétaires.  La  mesure  arbitraire  prise  par  Charles  le 
Simple  en  faveur  de  Saint-Quinlin  de  Narbonne  et  contre  les  Juifs 
de  cette  ville  est  restée  lettre  morte,  parce  qu'il  n'a  pu  mettre  la 
force  à  son  service.  A  cette  expropriation  illégale  les  Juifs  nar- 
bonnais  ont  opposé  leurs  titres  de  propriété  et  ils  n'ont  pas  pu  être 
dépossédés.  C'est  le  châtiment  des  mesures  arbitraires  arrachées  à 

1.  Hist.  de  Lang.,  t.  V,  Preuves,  ce.  283-284,  d'après  collectioQ  Doat,  t.  LVII,  f»  20. 
Cf.  Gallia  chrisliana,  VI,  142  et  Saige,  Juifs  du  Lunquedoc,  p.  68.  Cet  acte  de  vcnie 
fut  dressé  la  23«  année  du  règne  de  Lothaire,  c'est-à-dire  en  976  ou  977,  selon  qii>^ 
l'on  place  la  première  année  du  règne  en  934  ou  955  iGiry,  Manuel  de  diplomatique, 
p.  729).  Gross  (Gallia  judaica,  p.  404)  le  niace  en  977 

T.  LV,  .N»  110.  10 


242  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

la  faiblesse  d'un  souverain  de  ne  pouvoir  matériellement  être  mises 
à  exécution. 

A  la  fin  du  x^  siècle,  la  plus  grande  partie  des  moulins  du  pont 
de  la  Cité  était  donc  devenue  propriété  de  Téglise  de  Narbonne,  et, 
plus  particulièrement,  de  Fabbaye  de  Saint  Paul,  non  pas  à  la 
suite  d'un  acte  de  confiscation,  mais  à  la  suite  d'un  acte  de  vente. 
Voilà  pourquoi  le  roi  Louis  Vil,  une  première  fois  à  Melun, 
en  1457  ',  une  deuxième  fois  à  Sentis,  en  HGo^,  confirme,  non  pas 
à  l'église  Saint-Quintin  en  particulier,  mais  à  l'église  de  Narbonne 
en  général  la  propriété  des  moulins  et  autres  immeubles  que  le  roi 
Charles  le  Simple  a"vait  voulu  concéder  à  Saint-Quinlin. 

Malgré  toutes  ces  confirmations  royales,  les  arbitres  qui  s'occu- 
pèrent du  grand  conflit  survenu  au  milieu  du  xiv*  siècle  entre  le 
vicomte  et  l'archevêque  n'hésitèrent  pas,  le  22  février  1352,  à 
adjuger  entre  autres  choses  au  vicomte  les  fameux  moulins  de 
Matapezouls,  bien  que  les  procureurs  de  l'archevêque  préten- 
dissent que  ces  moulins  avaient  été  donnés  par  un  roi  de  France  à 
l'église  de  Narbonne^. 

Les  procureurs  faisaient  évidemment  allusion  au  diplôme  octroyé 
par  Charles  le  Simple  à  Tévêque  Erifons  et  à  l'église  Saint-Quintin. 
Les  arbitres  firent  peu  de  cas  de  ce  diplôme,  ainsi  que  de  tons  les 
autres  qui  en  portaient  confirmation.  Aussi  bien  étaient-ils  fixés 
sur  la  valeur  de  ces  actes  solennels  que  l'église  de  Narbonne  solli- 
citait à  cbaque  nouvel  avènement,  textes  de  parade,  sans  vertu 
exécutoire.  Tous  ces  diplômes  prétendaient  confirmer,  sans  tou- 
tefois viser  à  le  faire  revivre,  un  état  de  choses  qui  avait  cessé 
d'exister  :  c'étaient,  en  somme,  des  actes  platoniques  qui  n'enga- 
geaient en  rien  le  pouvoir  royal  et  qui  flattaient,  sans  les  satisfaire, 
les  prétentions  des  bénéficiers  ecclésiastiques. 

XIII.  —  Nous  avons  épuisé  la  série  des  actes  relatifs  à  la  situation 
politique  des  Juifs  de  Narbonne  sous  la  domination  carolingienne. 
Cette  péiiode  a  été  l'âge  d'or  du  judaïsme,  suivant  une  assertion 
généralement  admise  parles  historiens.  Nous  venons  d'en  vérifier 
l'exactitude  sur  une  petite  portion  du  royaume  carolingien.  Grâce 

1.  llisl.  (le  Lang.,  t.  V,  Preuves,  c.  1208  et  c.  15G5,  n°  CXXVU.  Inventaire  des 
archives  de  l'arclievèché  de  Narbonne,  t.  1,  f"  47  r».  Bibl.  mun.  de  Toulouse,  ms.  666, 
f-  408  V». 

2.  l'rivilèges  accordés  par  les  roys  de  France  à  l'église  de  Narbonne,  p.  18. 
Iijvenlairc  des  archives  de  l'arclievèché  de  Narbonne,  texte  latin  et  traduc.  fraiiçai>e, 
t.  1,  P  49  r».  Analyse  de  cet  acte  :  Ilisl.  de  Lang.,  t.  V,  Preuves,  c.  1566,  n»  CXWII, 

'■i.  Moajnùs,  .innexes  de  la  série  AA,  p.  348,  l"  col. 


ÉTUDE   SUR  LA  CONDITION   DES  JUIFS  DE   NARBONNE  843 

à  l'appui  du  pouvoir  royal,  les  Juifs  de  Narbonne  ont  réussi  à 
conserver  intact  leur  droit  de  propriété,  et  cela  malgré  toutes  les 
attaques  des  théologiens  et  des  canonistes.  Un  instant,  la  faveur 
royale  leur  a  manqué  et  ils  ont  été  sur  le  point  de  succomber, 
mais  le  roi  qui  les  abandonnait  était  un  roitelet  sans  autorité  et  ils 
sortirent  vainqueurs  de  cette  courte  épreuve. 

Dans  cette  lutte  contre  la  royauté  et  lEglise  coalisées,  les  Juifs 
de  Narbonne  furent  certainement  appuyés  par  le  bon  sens  public. 
Ils  vivaient  dans  une  atmosphère  favorable.  Narbonne  était  un 
centre  essentiellement  cosmopolite  et,   par  suite,   tolérant.   Une 
population  très  bigarrée  s'agitait  dans  son  enceinte  :  sous  la  sur- 
veillance de  fonctionnaires  francs,  vivaient,  non  pas  un  peuple- 
unique,  mais  des  fractions  de  peuples,  des  Goths,  des  Sarrasins. 
des  Italiens,  des  Grecs,  des  Syriens,  des  Juifs.  Tous  ces  éléments 
avaient  besoin  les  uns  des  autres.  Les  indigènes  gallo-romains  s'ac- 
commodaient très  bien  de  celte  diversilé  de  races  et  de  croyances, 
pourvu  qu'elle  ne  fût  pas  un  obstacle  à  la  prospérité  de  la  ville. 
Le  commerce  maritime  narbonnais  avait  besoin  des  étrangers  et 
surtout  des  Juifs.  L'accord  des  intérêts  engendrait  l'accord  des 
individus  et  des  races.  Tout  le  monde  se  préoccupait  d'éviter  un 
conflit,  puisqu'on  avait  tout  intérêt  à  maintenir  les  bonnes  rela- 
tions. La  libre  discussion  aidant  et  peut-être  aussi  le  scepticisme, 
résultat  du  contact  et  de  l'échange  d'opinions  si  diverses,  l'esprit 
de  tolérance   persista   à  Narbonne   malgré   l'intransigeance   de 
l'Église. 

Cette  dernière  réussira-t-elle  à  modifier  l'esprit  public  nar- 
bonnais et  à  lui  inspirer  la  haine  de  l'infidèle,  c'est  ce  que  nous 
verrons  dans  la  suite  de  cette  étude. 

{A  suivre.) 

Jean  Régné. 


SUR  LES  DEUX  LETTRES 

DE  L'ÉPOQUE  DU  DERNIER  EXILARQUE 


Les  deux  lettres  que  M.  Kamenetzky  a  publiées  \  d'après  les 
fragments  delà  Gueniza  conservés  à  Heidelberg.  jettent  quelques 
nouvelles  lumières  sur  les  dernières  années  de  la  période  des 
Gueonim.  L'éditeur  se  demande  si  ce  sont  des  autographes  et  laisse 
la  question  indécise.  Mais  il  me  semble  que  la  réponse  doit  être 
résolument  négative.  Car,  d'abord,  ces  deux  lettres  appartiennent  à 
deux  personnes  diiïérentes.  La  première  a  pour  auteur  un  membre 
considérable  d'une  des  deux  académies  babyloniennes  (v.  surtout 
1.  4,  20),  tandis  que  la  seconde  a  été  écrite  par  le  dernier  exilarque. 
D'autre  part,  les  deux  lettres  ne  sont  conservées  qu'en  partie  : 
dans  la  première,  il  manque  au  moins  tout  un  passage  à  la  1.  31, 
après  les  mots  n-jim  '^-n::  Vdt-;  dans  la  seconde,  le  commencement 
(1.  1-31  i  est  suivi  immédiatement  de  la  fin  1.  3:2  et  suiv.  ,  tandis 
que  le  contenu  proprement  dit  de  la  lettre  manque.  Il  est  ilonc 
vi'aisembiable  que  quelqu'un,  que  le  sujet  de  la  lettre  n'intéressait 
pas,  a  copié  seulement  le  commencement  et  la  lin  comme  modèles 
de  style.  Le  début  surtout  qui  est  écrit  en  vers  burlesques  et  qui 
olfre  une  grande  ressemblance  avec  beaucoup  de  lettres  de  cette 
époque,  se  prêtait  tout  parliculièremenl  à  cet  usage.  Aussi  le 
copiste  a-lil  laissé  de  côté  le  nom  du  destinataire,  qui  lui  était 
sans  doute  inconnu,  et  l'a  remplacé  1.  12  par  h^,  c'est-à-diie  "i 
•^z-ib^,  suivant  la  juste  bypollièse  de  31.  Kamenetzky.  Par  contre,  il 
a  conservé  le  nom  de  l'expéditeur  Hizkia,  qui  était,  en  sa  qualité 
d'exilarque,  connu  de  tous. 

1.  Revue,  LV,  18-53. 

2.  V.  U  note  de  M,  KanienetzLy,  p.  ol,  ii.  1.  n'Cn  est  un  néologisme  d'après  l'âfâ- 
méen  nn'Cn.  Ezra,  vu,  20  (cl.  vi,  II;. 


SUR  LES  DEUX  LETTRES  DE  L'ÉPOQUE  DU  DERNIER  EXILARQUE       24b 

Quant  à  la  première  lettre,  elle  parait  avoir  été  envoyée  à  Kai- 
rouan.  En  effet,  le  'n-\  b3  T'INh  c^Vïn  de  la  1.  28,  qui  est  prié  d'en 
communiquer  le  contenu  à  ses  amis,  est  nommé  à  la  ligne  i  :  TnMi'^ 
nbia  ba  na"'*::''::  riibi*.  Or,  nous  ne  connaissons  à  cette  époque  qu'un 
alloiif  (\\\  nom  de  Juda  :  Juda  b.  Joseph  de  Kairouan,  qui  corres- 
pondit activement  surtout  avec  Sclierira  et  Haï  et  dont  beaucoup 
de  consultations  qui  lui  sont  adressées  se  sont  conservées.  Voir 
Harkavy,  Stud.  u.  Mitt.,  IV,  n°'  207-208  mirr'  an  -i73T  V^''^'*  i<nb\^u5 
'nsi  N572'ipb  1PD3  qsr  ni  -mi  tv''\'2  i<-iTO  ï5"«-i  ;  ces  deux  consultations 
sont  en  arabe;  et  n"'  434-442  (datés  de  997,  cf.  p.  23o  :  "^nuj  !iri<i 
b:?3  rt'?N'rt  mb^on  nbN'::  -l'i'x  t^ST^  K:3"n  ■^it:  t3  nbs  u;n-i  nnrT« 
•jniN  larDi  irii:  nbsn  mb^'ûm  ...n-iin  -iiNT^a  -j-'r:>  T'N-'  D^XDmn 
Jm-iu"»:;  I1373  bx  û-'i^iî  r:3i73U5T  t-nN73  tih'0^  tibwX  n;uj  T«bDD  uînna)  ; 
puis  û"^«Dn  pjtinp,  éd.  Stern,  p.  106,  avec  la  date  de  1011  it  nbsï: 
11N5  "^Nn  2-172  'jNTi"'p  ITDT  cior  172  13  û"<b3'D  31  :]ibî«  r\^^^rT  'i  bi<u: 
^iDT  NDnn  iwiN  'ai  'dt  'an  qbx  n3\i:  «"'nu:  it  iiï^am  . .  .b"Ti.  Cf.  encore  le 
Ms.  Bodl.  2669,  2,  qui  contient  une  partie  d'une  lettre  adressée,  à 
N1T0  u:"'n  S]ibN  i-inn\  et?6/f/.,2680, 16,  où  on  lit  :  "^itû  na-^iass  nrî<i 
Nnb"^NU5  l"'''"'^  i^nb.Tûi  'ni  '::3  nbo  lïîiîi  rtiirr'  'an'.  Enfin,  un  index 
de  plusieurs  collections  de  consultations  de  Gueonim,  édité,  d'après 
un  manuscrit  de  la  Gueniza,  dans  /.  Q.  /?.,  XVIII,  440,  contient 
cette  suscription  :  naaib  Cjoii  aiTo  la  nnrr»  aiTj  mb^u)  :?Di<nbN  àiibi< 
b"i£T  11N3  -iNn. 

Nous  connaissons  mieux  maintenant  le  personnage  auquel  se 
rapporte  cette  lettre  et  qui  est  nommé  à  la  1.  2  :  nori  ffli<i  pnbN, 
c'est-à-dire  Elhanan  b.  Schcmaria  de  Fostàt.  Nous  savons  effecti- 
vement qu'il  portait  ce  titre  et  qu'il  a  beaucoup  voyagé-.  Notre 
lettre  nous  apprend  de  plus  qu'il  a  séjourné  également  à  Alep  et 
en  Palestine.  11  entretint  une  correspondance  active  avec  les  Gueo- 
nim babyloniens,  surtout  avec  Sclierira  et  Haï.  Le  premier  notam- 
ment est  plein  d'éloges  pour  lui^  et  lui  a  adressé  plusieurs  consul- 

1.  Ainsi  Juda  a  porté  d'abord  le  titre  de  HOn  U5N1  puis  celui  île  C)nbN,  qui  est 
réquivalent  de  nbD  ^Nl-  Or,  comme  il  n'est  pas  encore  designé  par  le  second  titre 
dans  les  consultations  Harkavy  n<"  207-208,  celles-ci  sont  d'une  époque  antérieure  à 
997  et  partant  proviennent  également  encore  de  Sclierira. 

2.  V.  Z.  /.  //.  B.,  X,  144.  Cf.  sa  signature  au  bas  d'une  lettre  à  la  communauté  de 
Malidj  en  Egypte  [J.  Q.   R.,  XIX,  729,  n"  xx)  :  bî<10-«  bD   *5U;  IlOn  CNI   pnbx 

■CNin  ain  isnbx  p  bNiia"»  br)  bï3  i-ii  n-'a  ax  n-'i^iu  p- 

3.  Cf.  /.  Q.  n.,  VI,  223  ;  1N73  "iit^by  aïonn  -iib-^ir.x  i^r^rt  pn  û:; 
Nin  iD  0372X1  ...r!aia"^a  im33730  Twî<  iii  b3  i3i2n  pnbx  m  172 
r;"«3D^  TCN72  naia  i3'^3Db  '\r\n12  «an  i;rt<  ni:iN  bai  ny  by  nr72  V\^'0^J2 
l^pTi  iy  iD  i:n  û-imaaT  ...ni:ncNin  173  mai::  m^s;::  mbi<':;  bai 
Nin  ni  b3  pnbx  1:21  ■  ■  .:^^Jz^:iy•^  o^ai  b:^  q^i^'ii  ci^ov  y-^a-"  mnaab 

'131  iri3"«n  Tjbini;.  Sur  cette  consultation  de  Sclierira,  cf.  Z.  f.  U.  B.,  l.  c. 


246  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

talions;  de  même  Haï,  qui  lui  a  envoyé  entre  autres  ses  explica- 
tions de  mois  sur  Aboda  zara^ .  Or,  comme  Elhanan  n'est  pas  Irailé 
avec  beaucoup  d'aménité  dans  noire  lettre,  il  faudrait  proljable- 
ment  voir  dans  le  gaon  nommé  1.  o,  non  pas  Haï,  comme  l'admet 
M.  Kamenelzky,  mais  Samuel  b.  Hofni.  Nous  savons  encore, 
d'autre  pari,  que  ce  gaon  était  en  relations  avec  Kairouan  et  qu'il 
s'y  est  adressé  à  l'effet  d'obtenir  des  subsides  pour  son  académie. 
Son  «  cbargé  d'affaires  »  à  Kairouan  pour  cet  objet  était  Josepb  b. 
Berechya,  qui  correspondait  également  avec  Haï  v.  la  consultation 
bien  connue  imprimée  dans  Taam  Zekénim,  54  ô,  et  Harkavy,  op. 
cit  ,  p.  76,1  ^.  Du  reste  nous  avons  aussi  des  vestiges  de  questions 
adressées  par  Elhanan  à  Samuel  b.  Hofni,  v.  /.  Q.  /?..,  /.  c,  430  : 

Étant  donné  le  caractère  fragmentaire  de  la  lettre,  il  n'est  guère 
possible  d'en  deviner  le  contenu.  En  tout  cas,  la  restitution  ^in"'3>D 
;aiTpi,  à  la  ligne  8,  me  paraît  inadmissible,  car  depuis  la  lutte  de 
Saadia  et  de  Ben  Méir  nous  ne  savons  pas  que  des  questions  de 
calendrier  aient  pu  être  l'objet  d'une  intervention  b:Dr  ^b  ■'D 
aisTnb).  n  s'agit  plutôt  du  dessein  qu'aurait  eu  Elhanan  ,qui 
avait  alors  porté  déjà  le  titre  de  *T(ot\  lUi^n)  de  se  mettre  à 
la  tête  d'une  académie  indépendante  ou  de  s'arroger  quelque 
autre  prérogative,  et  pour  lequel  il  aurait  écrit  au  tribunal  de 
l'Académie^.  Là  dessus  l'auteur  de  notre  lettre  recommande  à 
son  correspondant  de  lui  dire  (à  Elhanan'  qu'il  écrive  au  gaon 
(personnellement?)  '  et  de  l'engager  à  ne  rien  entreprendre  avant 
d'avoir  reçu  du  gaon  le  rang  de  Yl  rr^a  ax^.  Ses  actes  en  ce  sens, 

1.  v.  la  note  précédente  ;  Harkavy,  op.  cit.,  Index,  s.  v.  !T^"173W  '■)  pn'^N,  et  la 
consultation  du  ms.  Bodl.,  2682,1. 

2.  v.  mon  Schechters  Saadyana,  p.  5. 

3.  L.  3  :  nn-'TD'^n  '^y^  bm  nnn  (pnbM  natt  b"n)  n5'273  Nn  "^"d.  h  est  probable 

qu'filhanan  a  agit  au  nom  de  l'académie,  car  autrement  le  gaon  n'aurait  pas  pu 
intervenir,  les  communautés  étant  déjà  à  cette  époque  entièrement  indépendantes. 
—  Sur  n2"'T::"'rî  "i^'O  ou  NnnTTST  N3Na,  v.  Harkavy,  op.  cit.,  Index,  s.  i'.,  et 
Revîie,  LI,  55. 

4.  lyb  ■«n"'  ■'3i:  pNS  i:-iw  bN  2nD  (i.  nrc)  n'?o  -^d  ^b  v:*n.  Le  titre  de 

''33£  1TN5  au  lieu  do  apj»^  "jlN^,  qui  est  usuel,  no  se  retrouve  pas  >Tutroment,  que  je 
sache,  à  cette  époque.  L'académie  palestinienne  est  nommée  quelquefois  i2ii  r3''">3^ 
(▼.  Hevue,  XLVUI,  157;  J.  Q.  R.,  XIX,  255,  726),  mais  elle  ne  fut  fon.lée  qu'après 
1020  (v.  ibid.,  152)  et  de  plus  il  ne  peut  être  question  d'elle  ici  (v.  lignes  20-22). 

5.  C'est  sans  doute  ici  qu'il  faut  interpréter  les  mots  de  la  1.  5  :  \a^^"'  bnb  TT'MTn 
m3N  D\i:3  ISap"*  '^^N  ly  "im.—  ma»  est  ici  abrégé  de  ]^'s  n^a  ma»,  expres- 
sion qu'on  trouve  pai'  exemple  chez  Sclierira  (éd.  Neubauor,  p.  38,  1.  9  et  p.  41,  1.  8; 
cf.  Briill,  Jahrbiicher,  II,  3C,  n.  42),  de  même  que  '|"'n  rr^a  aN  est  souvent  abrégé  en 
as  (ce  qui  rend  inutile  la  correction  de  Harkavy,  Slud.  u.   Milleil.,  111,  p.  30,  qui 


SUR  LES  DEUX  LETTRES  DE  L'ÉPOQUE  DU  DERNIER  EXILARQUE       247 

c'est-à-dire  les  efforts  qu'il  a  fait  pour  s'élever  à  la  considération, 
sont  déjà  connus  à  Alep,  à  Damas,  à  Fostàt  et  en  Palestine  II  veut 
toujours  acquérir  une  autorité,  mais  celle-ci  le  fuit.  Il  prétend  à  la 
vérité  qu'il  a  déjà  donné  des  leçons  et  que  Bariioùn  y  a  assisté  \ 
mais  comment  les  habitants  des  localités  sus-nommées  peuvent-ils 
jugera  sa  valeur  une  telle  activité,  eux  qui  ne  connaissent  pas  les 
usages  de  l'Académie  et  qui  manquent  de  la  piati'iuc  nécessaire? 
Les  membres  de  l'Académie  racontent  fréquemment  que  lors- 
qu'Elhanan  était  à  Bagdad,  il  fut  visité  par  R.  Asaf -n-ri  "ww^n-. 
Elhanan  se  vanta  devant  lui  de  sa  science  talmudique  et  de  ce 
qu'il  avait  achevé  le  Talmud  en  peu  de  jours;  mais  c'était  là  une 
étude  par  bonds,  c'est  a-dire  qui  n'avait  pas  été  poursuivie  dans 
l'ordre^.  Ce  n'est  là  qu'une  partie  des  actions  peu  convenables 
d'Elhanan  ;  on  ne  doit  donc  pas  lui  permettre  de  mettre  son  projet 
à  exécution. 

En  quel  endroit  Elhanan  avait-il  conçu  ce  projet?  C'est  ce  qu'il 
est  difficile  d'établir.  Le  plus  naturel  est  de  penser  à  Kairouan. 
Nous  savons,  en  effet,  qu'il  a  séjourné  dans  cette  ville  et  peut  être 
a-t-il  été  l'élève  de  Nissim  b.  Jacob,  bien  plus  jeune  que  lui,  d'ail- 
leurs ^  Mais  comme  il  correspond  déjà  de  cette  ville  avec  Sche- 
rira"',  donc  avant  998,  il  est  assez  singulier  qu'en  iO'20  on  parle  de 
lai  avec  tant  de  dédain.  A  moins  d'admettre  que  l'auteur  de  notre 

veut  chaugcr  llwSA  p  3N  p  I-^N:;  Irt^r,  bii-\12'C  en  'iDT  ]^-,  n"'3  3N  p  'a  'n  'c). 
Elhanan  a  ol)tenu,  en  effet,  le  titre  tic  "["^n  rT'a  3N,  v.  Z.  /.  //.  />.,  /.  c.  (où  il  faut 
lire  :  t  nachdem  er  beieits  "non  ">I3î<1  gewesen  »). 

1.  L.  4  :  •i;aî<T  by  ^737  "jima  "^DI.  m.  Kamenetzky  a  tniit  ;ï  f.iit  rai.sou  «le  rap- 
procher cette  expression  «le  l'arabe  ^ON^  "^by  CjpT-  Ici,  elle  siiruilie  peut -être  de 
plus  que  Barhoùn  l'assistait  en  qualité  d'auxiliaire  occupant  le  second  rau;.'. 

2.  11  faut  ajouter  cet  Asafaux  listes  que  j'ai  dressées  'Schechlers  Siiadijana.  p.  1.3, 
n.  1;  Revue,  XLVIII,  152,  n.  3;  Z.  f.  If.  B.,  l.  c.)  des  personnaires  qui  ont  porté  le 
titre  de  '^-[Zin  TTN"). 

3.  C'est  peut-être  ainsi  qu'il  faudrait  comprendre  les  mots  obscurs  des  liijnes  24-25  : 

TOMiz  O"!")"':!  i7:"''ror!  D"'::;n73  n-53'^3'i  m>o'?rn  t':d'5  o-nr.  f<in  ■'3  ns-im. 

La  construoticin  de  la  première  phrase  n'est  pas  très  claire  et  on  pourrait  la  corriirer 
en  'n7;'';nr!  OTi:*  N"I~  "3  T^jS'?  nsn— t.  Quant  aux  mots  "l?ûT;t]  DTT5,  «  étude 
bicarrée  »,  ils  désignent  peut-être  une  étude  faite  eu  omettant  et  sautant  îles  pas- 
sages. 

4.  V.le  poème  de  Salomon  b.  Galiirol  à  Nissim  (Brody-Albrecht,  "i^Cn  "iJ'w.  J).  361  : 
1D""jn  p^V^J'r  D5  mbCT.  Ce  qui  prouve  que  Nissim  était  plus  jeune  qu'Elhanan, 
c'est  que  celui-ci  a  encore  correspondu  avec  Scherira,  tandis  que  de  Nissim  nous 
n'avons  conservé  que  des  consultations  de  Hai  (v.  Harkavy,  Slud.  u.  Mitf.,  IV,  105; 
J.  Q.  /{..  IX,  706  ;  Consultations  riTIjS  mTOn,  n»  134.  etc.V 

5.  V.  Harkavy,  op.  cit.,  p.  2  en  haut  :  irn'lTN  "l"?:  bS'J   y"Z  ■i:"'3N  ",1X5  ■^:\333 

i^n-:;  2"'T'73''5m  1ti:3d  -i"7o  13  3p:y'  -i"73  nn^wS  ^inp  nrnx  rf-r»:*-  -i"73  p 
nx  i"'?:Nn3  1Nii\-53  r^rr.-c  ran  ^niTDn  p3y3    '3*5  3':>i3    3137   "intt'pt 


248  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

lellre,  étant  son  adversaire,  ne  lui  rend  pas  justice,  ou  bien  que  la 
date  de  1332  contr.  est,  soit  inexacte,  soit  empruntée  par  le  copiste 
à  la  deuxième  lettre  ^ . 

Cette  seconde  lettre  est  bien  plus  intéressante  que  la  première, 
car  elle  nous  renseigne  avec  exactitude  sur  la  succession  des  der- 
niers exilarques.  Il  était  établi  depuis  longtemps  que  Hizkia,  le 
contemporain  et  successeur  de  Haï,  ne  pouvait  pas  être,  comme 
le  dit  Abraham  ben  David,  un  petit-fils  de  David  b.  Zaccaï^  ;  mais 
voici  que  nous  apprenons  à  connaître  exactement  sa  généalogie  : 
Hizkia  b.  David  b.  Hizkia  b.  Juda  b.  David  b.  Zaccaï.  Il  a  donc 
été  confondu  tout  simplement  avec  son  grand-père,  qui  portait  le 
même  nom  que  lui. 

La  partie  de  la  lettre,  à  partir  de  ûnbu)  n©  (1.  23  ,  offre  également 
de  l'intérêt.  Cette  formule  était  employée  par  les  Gueonim  qui, 
au  salut  qu'ils  adressaient  à  leurs  correspondants,  ajoutaient  celui 
des  autres  membres  de  l'Académie.  Elle  a  été  empruntée  aux  Gueo- 
nim par  Ben  Méir  et  par  d'autres^.  Mais  ici  nous  voyons  pour  la 
première  fois,  à  ma  connaissance,  l'exilarque  offi'ir  le  salut,  non 
seulement  en  son  nom,  mais  aussi  de  la  part  des  deux  cbefs  d'aca- 
démie et  de  leurs /Suites.  L'énumération  des  personnes  apparte- 
nant à  l'académie  a  des  parallèles  dans  d'autres  formules  finales  '; 
mais  on  trouve  ici  une  expression  qui  n'est  pas  usitée  ailleurs  :  T-irn 
"Tibam  (1.  26-27).  Quoi  qu'il  en  soit,  il  apparaît  qu'à  l'époque  de 
Hizkia  les  relations  étaient  bonnes  entre  l'exilarque  et  les  Gueonim. 
Hizkia  avait  probablement  été  lui-même  d'abord  un  membre  de 
l'académie,  ce  qui  expliquerait  aussi  qu'à  la  mort  de  Haï  il  ait  été 
élu  gaon  et  ait  ainsi  réuni  en  sa  personne  deux  dignités  qui  étaient 
généralement  hostiles  l'une  à  l'autre.  Nous  savons  d'ailleurs  que 
ce  cumul  ne  dura  pas  longtemps'^  et  qu'avec  Hizkia  disparurent  et 
l'exilarcat  et  le  gaonat. 

Varsovie.  SaMUEL   PoZNAWSKI. 

1.  Nous  avons  dùjà  vu  plus  haut,  ji.  2li,  u.  2,  quo  la  lin  «lo  la  prcuiière  lottre  ost 
fragmentaire. 

2.  Cf.  par  exemple  mon    "jlNJ   rT'iyD  3"I3  NOIT  3"1    ^IU'nivc/.ew,   1006),  ji.  1.  Du 
reste,  les   mots  d'Al)raliam  beu  David  :  liîDT  p  mi  '5U3  133  "jl  m'rS  "«TN"!   """pm 
(6d.  ISeubauer,  p.  67,  1.  11)  siffiiiliont  pout-ôtie  non  pas  «  potit-lils  »,  mais  «  desoeii 
danl  »  de  David  b.  Zaecaï. 

3.  V.  par  exemple  la  lettre  de  la  oonimunautr  du  Caire  à  Ascalon,  éditée  par  ("lold- 
zilier  (Revue,  LV,  58,  1.  i  d'en  bas). 

4.  Outre  la  lettre  de  Ben  Méir  [Revue,  \l,  262  ;  nornsteiii.  pi  5"c-!  np'r'nTû 
n''i<U,  p.  -iS),  qui  cite  également  les  D"^3aD^1  l^mnn,  voir  ./.  n.  />'.,  Wlll,  S04.  171  : 
XIX,  105,  400. 

5.  V.  Bâcher,  J.  Q.  R.,  XV,  79  et  suiv. 


LE  LIVRE  D'EZRA 
DE    SGHAHIN    SGHIRAZI 


J'ai  récemment  fixé  la  place  qui  revient  dans  l'histoire  de  la  lit- 
térature au  poète  judéo-persan  Schahin'.  Des  quatre  poèmes  que 
nous  possédons  de  lui  je  publie  ici,  pour  la  première  fois,  le  plus 
petit.  Cette  œuvre,  malgré  son  peu  d'étendue,  est  particulièrement 
propre  à  faire  connaître  les  traits  originaux  qui  caractérisent  cet 
épigone  juif  d'une  littérature  illustrée  par  Firdoùsi  et  Nizàmi.  Bien 
que  le  Livre  d'Ezra  ne  forme  qu'un  appendice  du  grand  Livre 
dArdeschir  de  Scbahin,  il  doit  cependant  être  considéré  comme 
une  épopée  distincte  et,  comme  tel,  il  commence,  en  effet,  par  deux 
chapitres  qui  introduisent  toute  épopée  persane,  depuis  le  Livre 
des  Rois  de  Firdoùsi  :  la  louange  de  Dieu  et  la  louange  du  Prophète. 
Le  poète  juif  exalte  naturellement  le  prophète  d'Israël,  Moise,  à 
l'instar  de  ses  modèles  mahométans,  qui  glorifient  le  fondateur 
de  l'Islamisme,  Mahomet.  Le  véritable  héros  de  notre  épopée  est 
Koresch  (Cyrus),  de  même  que  le  principal  personnage  du  Liv7'e 
d'Ardeschir  est  le  père  de  Koresch,  le  roi  Ardeschir,  identifié  au 
roi  Assuérus  de  la  Bible.  Ce  dernier  ouvrage  se  termine  avec  la 
mort  d'Ardeschir  ;  le  nôtre  débute  avec  l'avènement  de  Koresch  et 
s'arrête  à  la  mort  de  ce  roi.  Mais  le  règne  de  Koresch  ne  constitue 
à  proprement  parler  que  le  cadre,  dans  lequel  Schahin  a  inséré 
le  véritable  sujet  de  son  poème  narratif.  Si  les  faits  relatés  dans  le 
livre  l)ii)liqued'Esther  occupent  une  grande  place  dans  le  livre  d'Ar- 
deschir et  ont  été  très  habilement  insérés  dans  l'épopée  persane 

1.  Zuei  jiklisch-persische  Dichler.  Scliahin  und  Iinrani  :  1.  Hâlftc.  Strasbourg-, 
Triibiier  (tirage  à  part  du  30"  Jaliresbericht  der  Laudes-Rabbiiierschule  zu  Budapest). 
La  deuxième  moitié  paraîtra  cette  aaiiée. 


250  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

du  Roi,  au  point  d'en  former  une  parlie  inlégrante,  alors  que  la 
majeure  partie  de  cette  épopée  est  formée  de  narrations  non  juives, 
le  contenu  de  notre  Livre  d^Ezra,  que  Ton  pourrait  tout  aussi  bien 
appeler  Li^ré*  de  Koresch,  est  presque  entièrement  juif.  Schahin 
n'emprunte  rien  à  l'Esdras  de  la  Bible  mais  raconte  à  sa  façon, 
tout  en  puisant  certainement  les  éléments  de  son  récit  dans  une 
légende  populaire  en  cours  chez  les  Juifs  de  la  Perse,  dans  quelles 
circonstances  le  roi  Koresch  accorda  aux  Juifs  exilés  la  permission 
de  retourner  dans  leur  patrie  et  de  construire  le  second  temple  de 
Jérusalem  (chap.  vi,  vu).  D'ailleurs,  l'histoire  du  retour  même  et 
de  la  restauration  de  l'état  juif  en  Terre  sainte  n'est  rapportée  que 
succinctement  et  sert  d'introduction  à  la  seconde  partie  essentielle 
du  poème  (ch.  viii),  qui  a  donné  à  l'ensemble  le  titre  Livre  d'Ezra. 
Ce  chapitre  contient  une  légende  curieuse,  et  qu'à  ma  connais- 
sance on  ne  retrouve  nulle  part  ailleurs,  sur  le  séjour  d'Ezra  parmi 
les  descendants  de  Moïse,  dans  le  but  de  vérifier  sa  copie  de  la 
Tora.  Le  sujet  du  troisième  morceau  du  poème  (ch.  i.\)  est  tout  spé- 
cialement judéo-persan;  il  raconte,  en  effet,  le  voyage  de  Mardo- 
chée  et  d'Esther  à  Hamadan  et  leur  mort  dans  cette  ville.  Si  l'on 
considère  que  tel  pst  le  contenu  de  ses  parties  principales,  le 
Livre  d'Ezra  de  Schahin  a  toute  l'importance  d'une  source  unique 
des  légendes  en  vogue  parmi  les  Juifs  persans  de  cette  époque, 
c'est-à-dire  de  la  première  moitié  du  xiv«  siècle. 

Il  est  toutefois  impossible  de  séparer  nettement,  dans  la  forme 
actuelle  de  ces  légendes,  les  éléments  d'origine  populaire  des 
additions  du  poète.  Ainsi,  pour  ne  citer  qu'un  point,  il  serait  du 
plus  haut  intérêt  de  savoir  si  l'indication  d'un  rejeton  de  la  race 
royale  de  David,  nommé  Mattitya,  qui  joue  ici  le  rôle  de  Zoro- 
babel,  a  été  empruntée  par  Schahin  à  une  source  littéraire  anté- 
rieure ou  si  une  légende  orale  ne  la  lui  a  pas  fournie,  ou  enfin  si 
elle  n'est  pas  une  libre  invention  de  son  imagination. 

Le  manuscrit  qui  sert  de  base  à  mon  édition  est  un  iinician.  Le 
ms.  392  de  la  collection  de  M.  Elkan  N.  Adler  contient,  entre 
autres  productions  de  la  littérature  judéo-persane,  le  Livre  d'Ar- 
deschir  ainsi  que  le  Livre  d'Ezra,  dans  un  texte  des  plus  corrects 
et  que  je  publie  en  suivant  la  transcription  du  manuscrit'.  J'ai 
renoncé  à  traduire  le  livre,  et  me  suis  borné  à  donner  un  résumé 
des  chapitres,  en  faisant  ressortir  les  détails  caractéristiques   Cela 

1.  La  lettre  persane  ^  (tsch  est  transcrite  par  :»  (=  ~)  on  ij,  rarement  à;  3  =  i), 
'i=z  ^.  Quant  aux  divergences  d'orthographe,  elles  sont  relevées  queliiuefois  dans  les 
notes,  qui  contiennent  aussi  quelques  rectilications. 


LE  LIVRE   D'EZRâ  DE  SCHÂHIN  SCHIRAZI  251 

suffira  à  donner  aux  lecteurs,  auxquels  le  persan  n'est  pas  familier, 
une  connaissance  assez  précise  du  poème.  Quant  aux  spécialistes, 
ils  trouveront  l'occasion  d'apprécier  la  facture  légère  et  facile  et 
les  nombreuses  beautés  poétiques  des  vers  de  Schahin,  qui,  le  pre- 
mier, introduisit  dans  la  liltérature  néo-persane  un  esprit  et  un 
fond  juif  et  qui,  au  témoignage  d'un  savant  compétent  et  distin- 
gué, mérite  une  mention  dans  l'histoire  de  cette  littérature'.  En 
tout  cas,  une  place  d'honneur  lui  revient  dans  la  littérature  juive, 
celle  de  créateur,  pour  y  avoir  inauguré  une  branche  nouvelle'-. 


n  N  n  15 

I 

lN73n-n   □"'npi   5  17:d[i]  "ns  i^nni   *  bxn  ^n-i  cn3  -12 

'\n^v^m  -11731  l-\M2   n-'T  "in-i  linna  '^-lai  nT  'mn^i 

I 

De  l'Unité  du  Créateur. 

«  Au  nom  de  celui  qui  embrasse  les  sphères,  au  nom  du  Dieu  unique, 
«  éternel  existant  depuis  le  premier  commencement  et  miséricordieux  ». 
Les  distiques  qui  suivent  ces  premiers  vers  contiennent  un  éloge  de  la 

1.  Paul  Horn.  Deutsche  Literalurzeitung,  26  octobre  1907  (coL  2"  13). 

2.  Chaque  hémisticlie  du  mètre,  qui  est  un  dérivé  du  hazadj,  a  le  schème  suivant, 
qu'il  faut  lire  de  droite  à  gauche  : ^  \  — w  — w  |  w . 

3.  Le  titre  N"1T^  nbsw  "1D3  doit  être  lu  comme  de  l'hébreu.  Dans  le  ms.  le  3  do 
nbSTa  est  surmonté  d'un  trait,  qui  indi(iue  la  prononciation  g  (et  non  dj).  Le  titre 
est  imité  de  celui  du  livre  biblique  d'Esther. 

4.  =  'rTin. 

5.  =  n73S. 


252 


REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 


1NÏ:31D1     MHJ     -103    y73"0 

"'^i:    n-13  iS3"iD  -1UJ2  rriNi^n 
520  TN  -imsT  -inD3   -•<-iî<n-n73 

■^nO"!    ^N-lD    n-l53    IN    TwSl 

■'^n:ï3N  -iT  itt;3  iNa   nd 

moT    DnN72  iKnm   T^côn 

iNittîim  Dor:i  uavi  yaS  nd 

nn-np  T^n   mS  nam  TwN 

liîiDtt  -m  n5ND3   n-iap  tt 
"in   ^i-ipiDi   bybi   riTiTD 

3N  — n  ^x5i  "1X31    TUnïî   m 

nx"'"'::   inôwS   Vti    5-112  m 

xbin  nnn  ni  n«n    ■'ii   m 

T^oi   n-ixij:!'  bniTi   '(■^173 


'"jxnaiiîi   -.i3i:  ^;5  pxb5 
'■'n  n-,"npi  -ixd  in   -nrx      5 

Tor:   ^NSi   non    qid   1X3 
--1X33  nmiji  -in  -13N  tn 

riwN-'-i-i   3X1  r.'C-!i   mi    r:i3 
U3i;i   mn   m:33  tic53     10 

n3;xT3  iwS  y;i:£i  nmip  wNp 
■'"'NDon-i  rsNi  ni  ht'T  17 
1131    PTûbâi    Tx-n    siri    Tll 

"ixT^-is   nira   IX  n-mp  xn 

n-iiit   T'-iËx-'s  rîc:2i3  tx     15 
•jin'^s   n-,3   ixm  n-i:2p   tx 

-133X    J'Sli:    1P    1:1:     513     TX 

n:x-   r!5  •tw3  ix  n-nip   m 
TD-ixii  ncm  nÊn  mxp   ix 
3xr:i   5*211:3   1553   0"i5  ai5     20 

-1x111  -in-ro  niD  'jiToxT's 

xbyx  ^T    ixnnDx    r!b72ia   xn 

T^nx:i   •'-'.noiui    nw   iMT^n 


toute-puissance  de  Dieu,  de  sa  force  créatrice  et  de  l'inépuisable  abon- 
dance de  ses  bienfaits.  A  l'homme  il  a  donné  les  sens  et  la  raison,  «  pour 
qu'il  reconnût  sa  puissance  et  sa  providence  et  extirpât  l'incrédulité  de 
son  cœur  »  (il).  L'œil  révèle  à  l'âme  humaine  la  toute-puissance  divine, 
la  succession  du  jour  et  de  la  nuit,  de  la  tristesse  et  de  la  joie  (12-14). 
Par  la  puissance  de  Dieu,  d'une  youttc  est  formé  le  corps  de  l'homme  ; 
une  goutte  devient  le  fleuve  rapide  ;  une  goutte  produit  la  perle  précieuse 
(l;)-t6).  La  pierre  se  change  en  pierre  précieuse  qui  étincelle  avec  splen- 
deur (17).  M  11  est  le  maître  des  sept  (planètes^  des  huit  (paradis)  et  des 
quatre  (éléments)  »  (18).  Il  a  créé  les  neuf  sphères  et  les  douze  constella- 
tions (21).  Toutes  les  planètes,   «   telles  que  la  Lune,  Jupiter  et  Vénus, 


1.  =  'ixn3iD. 

2.  =  T'-lXn-l»  (marirarita) . 

3.  Par  «  huit  »  il  faut  enleudie  ou  les  huit  païailis  ^cf.  Vnllcrs,  II,  1455)  ou  h»s  huit 
sphèies  célestes  (ibid.),  mais  comme  le  v.  21  mentioiuie  oxplicitomeiit  neuf  s|>hères 
(sur  ce  nombre  des  sphères,  cf.  Maimouide,  More,  II,  4  ;  Munk,  Le  Guide,  II,  ï,2.,  il 
faut  adopter  ici  la  piemière  explication  du  nombre  «  huit  ».  Dans  sou  Livre  de  la 
Genèse,  à  propos  du  quatrième  jour  de  la  créati(ui,  Schahin  parle  aussi  des  neuf 
sphères  (niD  *^xbDX,  u,  23).  Y.  aussi  plus  bas,  ix,  13. 


LE  LIVRE   D'EZRA  DE  SCHAHIN  SCHIRAZI 


âB3 


naNra  nan   '^•'s   •'•^d   n*73N 

»  nNriTN  ïp^b^    T'-'di   nu;   n-na 

*pns:nTa  "^ii  7211:3  -iso  niiu 


-i3Nn2  ""D"  -.n   r,\  sma  tn 

pn    ni-np    no"'03   rtDia  n 


II 


n"T   •'OTTa   *p-mn   ny;   ^t 


-mxS   binpT    '-1::    Nbî<i 

^N-mT   nM5nDN   "i"::^  -i5s 

-113  -ic    lîo  NDi:3  -^eai:: 

n-nipi    333  biapi  bi^p?:' 

im^n   T'-D    N-111    3S    TS 

-0   V  ^3^~3  IN  Ta^'iT:   TwS 

rci3i   ■'-ii:«   wi;  lin   -in  it 

rÊs"»  ■»nii"iDi   rtwSM  rbin  "jiwS 
-:n3  m  n^o-i  wsba  -11:7a  -n 


-iiiNT  riion  ûn3  TNnrr:: 

■jN-lNT    5Nn    Qibs    N01» 

-11::  'nbij  TN-iD  T>ï5ni5 
mân  npy  -N-io   ^-ii72"'o 

-|NT«n3    'CMUfZy     ^313    "IN 

r5ï<n3i<  a3vS   '\n-'i2'2  -nxT: 
Y,yé  p5n  -i"«73iN  naii:  -,t 

-;3     bl     -1N33     "jlN    -13    TN     33-1 

n">:;i73    ■'n-»  ■^■«■«béa  rixa  in 

•jNiîTT  iwS   n-T   l'Ci  -n:N 

rtNPwS    nN-i   3"'''yi\a   "^lo  "i3 

1NS13  br!N3  IN  Tjyi?:  tn 


10 


Mars  et  Saturne,  Mercure  et  le  Soleil  »  (23),  exécutent  ses  ordres;  «  c'est 
par  leurs  mouvements  et  leur  course  que  le  mal  et  le  bien  se  manifes- 
tent, que  la  bonté  divine  devient  visible  »  '25'. 

II 
De  Véloge  ,de  Moïse. 

Une  foule  d'épithètes  variées  qui  toutes  glorifient  Moïse  ouvrent  ce 
chapitre  (1-4;.  Suit  un  aperçu  de  sa  vie  et  de  ses  prodiges  :  enfance  et 
jeunesse  (o-9),  fuite  de  l'Kgypte  et  séjour  chez  Schoéib  (Jéthro  (lO-M)  ; 
les  dix  plaies  (12)  ;  la  mort  de  Pharaon  dans  les  flots  de  la  mer  (13-15)  ; 


1.  =  -iNn::». 

2.  =  nn^TO  (musahhali), 

3.  L.  m  "^'na. 

4.  =  min. 

s.  =  303. 


254 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


ma  Nr>SM  '«npo  m;» 

3Nm   ■'7Û-.5  nnp  bn  tn    Tna 

nb-)    V'^T  -n   nrTDi  bî<7j   N3 

nxn  ']''3   ^^<  nîOD   T'rûa 

l^i-m  Nna  TwS  ^m  aiip   -i3 

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■^N"'D3    mm   pn   n73n-i   tn 
30  nm  in:jt  -im  ^rtmb  ".n 


20 


30 


les  tables  de  la  Loi  (16);  les  épisodes  de  la  pérégrination  dans  le  désert 
(17-20);  la  sollicitude  admirable  témoignée  au  peuple  d'Israël  dans  le 
désert  (21-27);  rapports  de  Moïse  avec  Dieu  :  «  il  n'avait  pas  besoin  d'un 
ange,  il  disait  lui-même  tous  ses  secrets  à  Dieu  (30)  ».  Le  poète  termine 
le  chapitre  par  une  bénédiction  pour  l'àme  du  Prophète. 


1.  =  -in:<d  ,nN5!5i<. 

2.  Tamlis  que  Mahomet  n'avait  des  rapports  avec  Diou  que  par  l'intermédiaire  de 
l'ange  Gabriel,  Moise  communiquait  directement  avec  le  Créateur.  V.  Ztvei  jiidisch- 
persische  Dichler,  p.  21. 

3.  =  DN-'p. 

4.  =  n::nb. 

5.  Lisez  :  ÛT- 


LE   LIVRE   U'EZRA    DE  SCHAHIN   SCHIRAZI 


255 


III 


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a-wi2  i.sTi    :-;r3   -rciT'"'D 

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do- 


is 


IH 
Koresch  monte  sur  le  trône  à  la  place  d'Ardeschir. 

Après  les  jours  de  deuil  en  l'honneur  de  son  père,  Koresch  prit  place 
sur  le  trône  de  ce  dernier  (1-4).  Les  grands  du  royaume  parurent 
devant  lui  avec  leurs  hommages  (5-7)  et  le  nouveau  roi  leur  adi'cssa  un 
discours  ,8-35).  Ce  discours,  oi^i  Koresch  déclara  que  la  justice  serait  le 


1.  =  510. 

2.  L.  nxo-iT  ['1  quib^cjaib  'i). 

3.  L.  m. 

4.  =  Dbnà- 

5.  Dans  les  vers  14-19,  Koresch,  rappelle  la  conduite  injuste  de  soo  père  Ardeschir 
envers  Zal,  père  de  Roustim.  V.  Zwei  judisch-persische  Dichler,  p.  48,62. 


âhé 


tlÈVUE  DEâ  ÉTUDES  JUîVÈâ 


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nN5  'j-'N  -i3n?:d   -^oon  D3Nt 

DTiissi  nN3np  -^-^Di  n-na  •'•'3 

qoNimbi  'mai  obioT  aniN  ■'•^d 

■^Na  baN  inï:  i^a  'naNa  nns 

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n-iTNiij   N-i  nnon'c:!  mba» 

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^n  ']■*  n3i<733   iNnas  ûbNU 

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-i',2;n3  TNm  bny3  ns  'jNnsi 


20 


30 


35 


principe  fondamental  de  son  règne,  «  les  rend  tous  joyeux  et  fait  germer 
dans  tous  les  cœurs  les  semences  de  l'équité  »  (37).  Chaque  jour,  Koresoh 
rendit  la  justice  et  devint  le  bienfaiteur  du  peuple. 


1.  =  D5VJ. 

2.  Koresch  éimnière 
l'oubli. 

3.  =  nin. 
4-  =  ^î<3î<. 


les  rois  et  les  héros  de  l'antiquité  perse  (jui  sont  tombés  dans 


LE   LIVRE   DEZRA   DE   SCIIAIILN   SCHIRAZI 


2b7 


IV 


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pN^ais   -13   •siy  -n  -13  -n 

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n^n  û-n  •'^s  n-i  r!7:rt  i^n-n; 

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n^n  -ITT  5:5   ni  nr-   ']■'   T" 


1-1-13   nxnT  nn33  -!r':5i3 
IN  T13  r:î<73  n-irî53   ns  c-iid 

■«T^l    "O^ET     wN-1     «n7:iN'     N3 
nOND    -13     aT3     QTr3    Tl")     ']"' 

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3X3  'rnnn   -nD3  DN5  -n 
N-i  -ii5  ■'in  ni7333  "Oi5   uîiS 

T'^l-l^     Û-15     ÛT3    ^5     mî<3     TN 

lîTïî'JIS    -13    qwS5  -ic    "ix-nii 

nDi5  ■'»  o-'f  ■'b-'T  T«  nr: 

n3nc5   noTo  vn3    na    ïa-n3i 

1Ï<"C53    1151     JI35     -n    TN     133 
■':-'.5    \Sn    DwN51      3D-173    N3 

nxT  -i3b  N-1  nb73i5  nnoND   tî* 


10 


i;i 


IV 
Distribution  de  dons  et  festin  du  roi  Koresch. 

Vertus  royales  du  roi  Koresch  (1-3).  Il  invite  les  héros  et  les  nohles  à 
un  festin  qu'il  donne  au  palais  royal  (4-5;.  De  belles  jeunes  filles  entou- 
rent le  trône  du  roi  et  des  groupes  de  dix  et  de  vingt  chanteuses  font 
entendre  de  la  musique  et  du  chant  (6-8  .  Le  roi  hoit  du  vin  qui  le  met 
de  belle  humeur  ^9-10;  et  ses  hôtes  ne  résistent  pas  davantage  aux.  effets 
d'un  vin  trop  abondant  (H-13).  Koresch  fait  ouvrir  alors  son  trésor  et 
distribue  des  cadeaux  précieux  et  variés  (14-17).  A  la  tombée  de  la  nuit, 


1.  =  mwN. 

2.  =  ûbrJ. 

3.  L.  "^NS. 

4.  L.  ^N3. 

T.  LV,  >»  110. 


258 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


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■'TI3    DN;t     "im    i-^TO    N3    IN 


20 


23 


30 


le  roi  et  ses  hôtes  vont  se  coucher  (18-24;.  Le  lendemain,  nouveau  festin 
aussi  somptueux  pendant  lequel  règne  une  aussi  belle  humeur  (25-33). 
Une  félicité  générale  remplissait  l'univers.  De  tous  les  pays  aftluèrent  les 
impôts.  Les  rois  reconnurent  Koresch  pour  souverain. 


1.  La  tombée  de  la  nuit  et  le  lever  du  soleil  sout  décrits  avec  les  images  familières 
à  l'épopée  persaue,  telles  que  Schaliiu  les  emploie  avec  prédilection. 

2.  =  '^^2i^. 

3.  L.  "ÎND. 

4.  =  pii-i. 
S-  =  piin. 

6.  Par  un  curieux  auaclirouisme,  le  pays  des  Francs  (53-|S)  ost  cité  jianni  ceux  qui 
envoient  le  tribut. 


LE  LIVRE  DEZRA   DE  SCIIAHIN  SCHIRAZI 


259 


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-iN-^^rin  iwsb"'  N3N  n:N-i  ^-n 

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lii  ''3  ■'NTi5  TwS  1113  nbm 

MT«^D   n-15    Tl-n     3UÎ  "^DIN 
iN-lilTID    N3   TI112    33W    Tl^D 

«N3  'mys  mDT   noî<5   13 
"iN'T«i3  n:   n':j53  T'UJ-nS 

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b"«72  m  n\:;nj  -13  na  "cvj  tx 

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■'  noa  ■'tt   «if  NTp  noï:  tn 


10 


15 


Le  roi  Korèsch  à  la  chasse. 

Après  une  réflexion  d'ordre  général  (l-li)  le  poète  raconte  que  «  Ko- 
rèsch alla  à  la  chasse,  avec  les  chevaliers  au  cœur  de  lion  et  pleins  de 
gloire  »  (7).  Avec  une  grande  suile,  Koresch  arriva,  à  dix  milles  de  Suse, 
dans  une  contrée  oii  foisonnait  du  gibier  de  toute  espèce  ;  les  captures 
furent  abondantes  (8-22),  après  dix  jours  de  chasse,  Koresch  se  rendit 


1.  Le  texte  porte,  par  erreur,  tnxT  ÏIXUÎ  (priiici'),  à  la  place  de  TîNC  (roi) 

2.  =  M-^-n. 

3.  Mot  douteux. 

4-  L.  noj. 


260 


REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 


T^uî  lia  -nsi  iTTii  PD-^-i  173 
^nn  m^'  -^n  in^^t   T'as: 

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DND  py^-i  "j^rrc:  •'niin» 
n5fc<n-iD  ûNai  mm  m^a  N3 

1-iNan-i    *pi1T3    -I3N-1    ■'TO 

nu:a  r:rr  in  iNm   mio  Na 


-;N"^D3  -INDU)  mu:  rjnsNmN 

mcttirn  n-m  in»D3  '^-nD 

1113  mai  5:b2T  iciis  na 

■>noa3  IN  a:n5    '  31t  tn 

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riNa  no  13  ']-nnD3  -nu:  m 

rSNnDN  -13   "^-13  Y'^  "12  "^^ 

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niDa  i7:rj  in  ■iî<-n723  itî-i5 

nDN5"«    -^11-10153   nn3    IN 


2n 


30 


à  Setourk,  séjour  favori  des  rois  persans  (23-25),  où  il  passa  son  temps 
à  de  joyeux  divertissements  (26-28).  «  Mardochée,  le  sage  et  intelligent 
vieillard,  lui  était  particulièrement  cher  (29).  » 


#** 


Les  chap.  iv  et  v  ont  pour  but  de  nous  montrer  le  nouveau  roi 
Koresch  dans  sa  dignité  de  souverain.  Les  descriptions  de  festins  et 
de  chasses  sont  les  éléments  inévitables  des  épopées  des  rois  perses. 
Comme  Schahin  n'a  rien  à  raconter  du  règne  de  Koresch  que  ce  qui  con- 
cerne les  Juifs,  il  croit  nécessaire  de  dépeindre,  de  faire  paraître  au 
moins  sa  magnificence  princièrc  dans  les  festins  et  à  la  chasse,  après 
nous  l'avoir  présenté  dans  le  chap.  ni  comme  le  modèle  du  roi  juste. 


1.  =  3ni:. 

2.  =  ^-nnO  (V.  25,26). 

3.  Setourk  semble  avoir  été  un  château  de  plaisance.  Le  mot  signifie  «  fort  >>. 

5.  Mardochée,  (jui  avait  été  le  vizir  d'Ardeschir,  fut  également  honoré  par  son  fils 
Koresch. 


LE  LIVRE  D'EZRA  DE  sr.HAlIIN  SCniRAZI 


?61 


VI 


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-iDND  riwS":;  naTan  nwn  -iD^ab 

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-nâi:  iNnsND  '^pî^-'n-i  n3 


"lio  Na5  pn  Q"^5r)  mip  pi: 
-!:pC5  -iN-^  T'Di  n3  -in  n3 

"iiai33  n3  -IKD3  m;3  pa 

-isnp  -inp  û-^b^  ûmp  -n 

1îv3  i^na  -i'^n'p   p-mp  us 

nNW  ^i  m3  nn:£3T   bsNS   -n 

n»     "^31     *  PNip   "'3T     -l3Cb    N3 

'-ii:dp5i3   n3  CNn   m3  in 

ni3  'iNn3  'nb7ai3  -iDob  -id 

p-i-np3  M-m   l^na  -1^33 

3V3'73    "135    T'\rD3    nSC'b 
■"NSI    n-1?5    313T   POND    13 

-iDobT  'b"'D  -iiD  n7jn  N-ini: 


10 


VI 


De  la  destruction  du  sanctuaire. 


Le  peuple  d'Israël  était  devenu  semblable  aux  incrédules,  avait  oublié 
le  Prophète  et  l'alliance  avec  Dieu  ;  aussi  le  malheur  fondit-il  sur  lui  (1-6). 
Le  roi  de  Babel,  Nabuchodonosor,  marcha  —  Dieu  lavait  voulu  ainsi  — 
avec  une  puissante  armée  contre  Israël,  (~-lS),  dévasta  le  pays,  détruisit 


1.  Israël  est  appeli;  D'^bD  Ûllp  •  le  peuple  de  Moïse  ».  Outre  Babel,  on  donne 
encore  comme  résidence  des  rois  babyloniens  Basra,  la  ville  la  plus  importante  de 
l'Irak  du  temps  du  poète. 

2.  =  -|N3J. 

3.  =  -1721:. 

4.  =  ON-p. 

5.  Le  nom  de  Nabucliodonosur  (Bouklitiiaçar^. 

6.  C'est  le  mot  hébreu  (ba-areç),  qui  rime  avec-ii:3nD2  hukiiatnat;),  dcint  le  conson- 
nant  dernier  (n)  n'est  pas  prononcé. 

1.  Des  éléphants  font  partie  de  l'armée  babylonienne;  Schahin,  d'ailleurs,  dans  ses 
deux  poèmes  sur  le  Pentateuiiue,  fait  toujours  paraître  des  élt'[diaiits  dans  les  armées 
ennemies. 

8.  L.  n'N-i. 


262 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


"m   in  n-i»   Iniit  nD-iaiK 
JNy  'nnSm  •j-'T   1ÏD73  nn 

5-1   13  i-^yb  in»  nns  l'^'nïji 

■©■^5    13    m^    l'i^'b    DTO    11N 

»"iM  ûkSUD   N3  fi-'nuî   nN-mn 

bi£î<n  rtn^a  iN-n^  nns  N3 

nN"^03  -^Nn  oïii  !-ni3  n3 

nttD    13     ÛN33    1M     n">r3    13    TM 

*in3  -113  lï^rta  "j-^tn  13  q>^3 

■^pN3    "i;NK3     nTN    13    ÛNi 
T'^IÎS    !13    ^T2   iTl-ll    -13    INT 

i:ni3  'i-'n  riD  "jiN  bi  ûiid 


"jNnsiii:  n5:K  n^-^on  -n3  ina     15 

•jN-^.-^IT   ilb73ia    Û131    13    IN   1-is 

-ni-i7û   on:   rn  cpn  tn 
5K-iNn3  N-i  ra   ïi^on  in  i-na 

N-l    1i<n35>    -l-'DN    113)    nN 

ao  liN  -i-i3  3Nn5  ïîip»     20 
-it^inïiTC  n5m   û'^oi  itt  bN» 

ïJ-'b  N3  Jibttia  1-n33  N-l  ^"^   "^i 

IN  ûNb3  -î-i  n!ii3  n'vTNnas 
b3N3  11D3  IN  i-iï)3  nasiN 

IN-'OS    -^ND    INil    n»y5    N3       25 

iiNiT^ia   "j-^rb  iiN  nu)  iNS  13 

11172    133    n3pN:^T  1-13   13    »  IN 

•''p»^  INI  ita   ^bsN  dNi 

'^ma!i3  "jiN  1T  "^briTa  1^13 

13N)a3   Û33    INnai    PD-l    IN 


VII 


^mptt!l     rT^3     IIIS     1N1N3N     J-IDlt 


1Ï5N3   rrCD    -iN3   na    ïinoivs 

1-iNia  Nb3T  ûnoi   ma 

■«1n53  N-n  t:^^  inf   ni 


1UÎN3  n^T  1N33   m33  lia 

-l-|N73a    Nb3    IN    -10    -13    pn 

■^iî<T3    N-n   i:i3  nos    np 


le  sanctuaire,  dont  il  emporta  les  trésors  comme  butin  et  emmena  les 
habitants  en  captivité  ii6-2S).  Le  tyran  cruel  fut  enlevé  par  une  fin  tra- 
gique et  il  laissa  un  mauvais  nom  (26-28).  «  Le  paradisiaque  a  dit  cette 
belle  sentence  :  «  Tu  récoltes  le  mal  du  mal  que  tu  as  semé  !  »  (29). 


VII 
Reconstruction  du  sanctuaire. 

Après  une  introduction  d'ordre  général  (1-3)  et  la  remarque  qulsraël  a 

1.  =  "jNnsio. 

2.  Je  ne  comprends  jias  ce  vers,  qui  parle  de  la  «  Tora  sublime  ». 

3.  A  rayer. 

4.  Cette  ^'pithête  de   «  paradisiaque  »  désigne   peut-être   Firdoilsi,   car  n\D!13  est 
synonyme  de  OTIID- 


LE   LIVRE   D'EZRA   DE  SCHAHIN   SCHIRAZI 


263 


113^70   %S23  10-,:  m   03 

iNnsn  bNO   i;n7:3   rtîNT^iT 
nwnn  «ba  n^  r!p5ï<T-iD 

'  n30î<  bio"i  113  no  -^an 

ni<"'D3  *naT  m::^  yxo  iin 
nn5:i2  "îNn  -nsn   -ix-'on 

Ti^îiaiû  -^13    nrîT  nn-io  "ji? 

T'îî^-ia   b-iT  -13  'n\::-'-,:N 

T^i-i^   TN-i  y:^  niort  T'   ^-i 

Ti3î<n3  nST  n-7ûi  n-iniT  lia 

-iND  -1-!  i:i72ii<   nwrî   in-j-'n 

I3mî;3  -iwSTirox  riun   '{■'i    ^i 

1N'û"'-iD  -^bi   cno   yi»572 

riDN-iDM   -13    iwX   n-^'j^in    nN"'i<-i 

113  ■';n3n   nôi   r!7jrî   :<n  13 


n?2-iD3  V'?  pis   ■''<2^'' 

';wS-i"«n    ne:»  y^D   1-11*70   lii      5 

i3n":;3  -iï<5  a-^bo  li^'^iip 

i>î:'''73  ■'SST  v«5  'n:ws5   iiN 

n»m  Ï1N5  -i-^is  na  imi« 

rî5N7jT  "iM-ii  pn  n3«i:»'«"^D 

Nnni  13  bo3T   n::3\::  Ti< 

nNT^n3  n03  •'33   "'N-its» 

nn-^i::    n-i   Q-'bD   iN7ûmp 

i-'-i"'.53    pn  ^^N-i    no   -n72-iÊ 

i-'Ci03  pn  ■^N-ii   ptn::   11     lo 

T^ïNi   ']iiz^  tjwsr   rî;:n   n-i   pn 

1-'1-^,.'\    TN-1D-.01    11-0    Nn 

i"^3N-«3  ino-^ô  bi  û«o 

-luX-^03     120    1N-I3    ™    NITr 

nin^ua    Ti<3   n\::T   'nno  tn     20 
'IN"''TJ<   l-'N   i"'i3   na   a-'.fy 
noNO  pssNi   no\r;3  1^"'^''^ 


subi  le  châtiment  do  sa  propre  faute  4-6),  le  poète  raconte  que  le  sanctuaire 
resta  détruit  pendant  soixante-dix  années.  A  la  fin  de  cette  période  vint  le 
temps  de  la  miséricorde  divine,  la  fin  des  malheurs.  Deux  prophètes,  Ezra 
et  Aggée,  exercèrent  alors  leur  ministère,  et  un  seul  prince  survivant  de  la 
maison  de  David  Mattitya  (7-1 1).  Ezra  exhorta  le  peuple  à  marcher  dans  les 
voies  de  Dieu,  pour  devenir  digne  dune  nouvelle  gloire  (12-18).  Ces  exhor- 
tations portèrent  leurs  fruits,  et  quand  Ezra  s'en  aperçut,  «  son  cœur  déchiré 
fut  de  nouveau  guéri  »  et,  plein  de  joie,  il  convoqua  une  assemblée  (19- 
22).  Il  dit  à  Aggée  et  aux  autres  chefs  du  peuple:  «  I.e  temps  du  malheur 
est  passé.  Allons  d'abord  auprès  du  roi  de  l'Iran  et  prions-le  de  nous  déli- 
vrer de  notre  situation  lamentable,  en  nous  permettant  de  nous  établir 
de  nouveau  dans  le  pays  de  Canaan  et  de  reconstruire  notre  sanctuaire 


1.  L.  -ivm  ■^0''. 

2.  Ezra  est  ddiiiié  comme  prophète,  pjirce  que  la  tratlition  riili'iiti(ic  avoc  Mala- 
chie.  Le  prophète  Zacharie  est  cité  plus  loin,  a»  v.  32. 

3.  Cet  énigmatiijuc  Mattitya  tient  ici  la  place  qu'occupe  Zorobabel  ilans  les  récits 
bibliques  (v.  l'introiluction;.!!  existe  un  Mattitya,  contemporain  d'Ezra,  et  nccupant  une 
situation  élevée  (Néhémie,  vni,  4). 

4.  =  riwS-i. 


264 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


nNTN  nno   itoa   rriNno-'N 

'isTNnb  noi  i-nai  bn  nd   on 

TiT  ^Nu:  -iN  m  T1-13  no  Nneia 

•7NU550  1N3  noin  ^n-i  nn  ni 

nNTN  iN-m-ioi  ■'^n  no 

"lN\a'''nD  bn  d-'ot  -i-^tii 

TNiDti  no  u:mrîtt  b-^  -^n  nsia 


n72nn  nN5  t«o-i2  iiïon 

t^u:no  -iî<">t  ntDiD  nan  p  no     25 

INT^N  -iN-^nnu)  '-I3  -n   Nn 

ù^^atz'j  Nil  ny  r:«n  N-nx 

n:Nio  Ntt  bxn  mii:  Nn 

TNON  m  -im  i:ioo  iNj'so 

TiT^su:  "jN-io  ■'03  -iNnôis     30 
n^-^i  n-i  na  n\OTia  ti-i  ^in 

Mi-IÔT    NOT    T^D    "an    NO 

TNnôN  -îo  u:-no  03Ni  iiio 
T10  "iJ'iT  iN"Tnn3inT  in  no 
IN-obio  nN5-iNo  -n  no  '\^^    33 
•7N1  NO  nw^-iNO  -n  m3N 
T'TNno  iNUî  nno  ns   iNo-in 
nm  ■'b'T  NO  tiNu:  no  iiu:  m 
ijrtNô  nNo  yô;o  no  ^^  m  no 
inNoo  "^73  iNu:  "lin  tn  m3     40 
ni^onôo  -^72  'T'3\o  na  lamo 
nNn  iNio  nNOT  T^-mo  iNom 
nN^  bn  muî  riN*::  mi  Nnr:? 
INO-^N  ■'in  Tino  na  omo 
TNn  -^oinTû  "TNOia  riNïJ  no     43 


(23-29).  »  Ses  paroles  furent  écoutées.  Le  lendemain,  Ezra  avec  Aggée, 
Zacharie,  ainsi  qne  le  prince  Mattitya,  accompagnés  d'autres  hommes 
nobles  et  pieux,  se  rendirent  auprès  du  roi  Koresch.  Ezra  et  ses  trois 
compagnons  ressemblaient  à  «  un  aigle  suivi  de  trois  faucons  royaux  » 
(30-34). 

Ezra,  «  semblable  à  un  noble  cyprès  »,  s'arrêta  à  la  porte  du  palais  royal 
(36).  Le  portier  lui  demanda  ce  qu'il  désirait  et  annonça  au  roi  que  quel- 
ques personnes  «dont  les  joues  resplendissent  d'un  brillant  éclat  et  dont 
la  belle  apparition  est  incomparable»  demandaient  k  être  admis  à  l'au- 
dience (40).  Koresch  ordonna  de  les  introduire  et,  leur  vue  pioduisit  un 
tel  effet  sur  lui  que  «  son  cœur  fut  saisi  de  respect»  (44).  Mardochée  ins- 


1.  =  -i"^"^Tny  (nom  arabe  d'Ezra). 

2.  Ezra  est  ajipelé  ici  le  «  Limi  de  Dieu  »,   nom  que  Schaliin  donne  ailleurs  à  Moïse. 
V.  Zirei  judisch-persisc/ie  Dichter.  p.  20. 

3.  Ceci  rappelle  l'etlet  de   l'apparition  du  jj-rand-prètre  des  Juifs  sur  Alexandre  le 
Grand, 


LE   LIVRE   [i-EZRA    HE   SCIIAIIIN   SCHIRAZl 


265 


TïT'^Kn    ND"I    3131    ^UIO    Ûlip 
'ttJ'^D    TN     DjN-|2    ND2:3    n-lN3 

tnirri  1^1:^3  -mno  iin 

■^bNT^  Nb  IND  in  bNnpN 
■^îNBn  ^m3  ^î«no  n-^-'O   Nn 

QimTD  -^^an  pn  n:'Ni:3  "it 
DTTD^n  Nb2T   ano    ûînn 


n3-iNn)3N3T  nxci  -idtûi^-'-'d 
r!N\a   N3  nsi^D  N-i   n73r:  dî<3 

NTinTa    N3   1NTN  OD  NnÊnn 

■'rtND   Di<3  rjij   N72T  nn  i3   na 

^D-'S    Tï<    Û-IN    "12   nbi  DN3    isn 

53!TnD3   ■'nia   "11122   nbnw 
■'btô   nbm    nt<273  in   tn   y»n 

■^;N"173î02    me    "^NS    "13 
m 2    N73    ^X51     DNp«l    NnN73 

D"'-n2  nxni   bir2  ns  ■jN'^îi 

D"'"n2   nDm  riNbiDi  55a   N2 

DTi">r:i   nD"iD   m2i  nnwiJ   p? 

-INO    1132    -ID    Û'^'ina    nN3    TN 


50 


55 


60. 


truisit  le  roi  du  rang  et  de  l'importance  des  députés  et  les  lui  présenta 
chacun  par  son  nom  (45-48).  Koresch  les  fit  gracieusement  asseoir  et 
ordonna  à  ceux  qui  n'appartenaient  pas  à  son  entourage  immédiat  de 
s'éloigner  (49).  Puisse  tournant  vers  le  prince  juif  Mattitya,  il  l'interrogea 
sur  ses  désirs,  qu'il  était  disposé  à  satisfaire  (50-53).  Mattitya  introduit  sa 
réponse  par  des  louanges  et  des  bénédictions  pour  le  roi  (54-58),  puis  il 
continue:  «Sache,  ô  roi,  que  le  royaume  de  Canaan  a  été,  depuis  l'époque 
de  Moïse,  fils  d'Amram,  notre  patrie  et  notre  demeure,  de  par  la  grâce  et 
la  volonté  de  Dieu.  Aussi  longtemps  que  nous  avons  pratiqué  le  droit  et 
la  justice,  que  nous  nous  sommes  montrés  obéissants  envers  Dieu,  la 
richesse,  le  diadème  et  le  trône  nous  furent  départis,  la  victoire,  la  puis- 
sance et  le  bonheur  nous  furent  accordés.  Mais,  lorsque  nous  eûmes 
abandonné  le  ciiemin  pour  devenir  idolâtres  et  semer  les  semences  de  la 
violence  et  du  mal,  nous  perdîmes  notre  considération  et,  la  tète  courbée, 
nous  tombâmes  dans  les  malheurs  de  toutes  sortes.  Par  un  tyran  cruel 
nous  perdîmes  notre  foyer,  notre  patrie.   Soixante-dix  années   se  sont 


1.  Bien  qu'Erra  fût  1«  chef  de  la  députation,  le  roi  s'adresse  à  celui,  qui  lui  avait 
été  préseiiti'  comme  étant  d'extraction  royale,  et  qui  était  considéré  comme  le  plus 
important  dos  dc^tulés. 

2.  =  2Nno. 

3.  Ici  comme  souvent  ailleurs  (v.  plus  haut,  yu,  1)  l'épithèle  U^b'D  désigne  Moïse. 


266 


REVUli   DES   ÉTUDES  JUIVES 


■^■'am   iN"i!2  liï*   "12  "i*i3N 
Dnï^'n  nïî-n72  ■'r)->  in   n2   112 

n^y»  ■'NSI   \xnm   'înd   tn 
Nm   3N   r;3   Nio3  -^N   ncia 

•jN-lNT    ÛiOl    IN-ID    UJiD    Tl 


rSND    131     D-'DD   ■'3i-^    nOI    13 

n^nôn   bND  r\:JTi;3  iiïsn 

TN3    l-iTOT    "jV^    in   a-iD3   cnND 

3i5  -^-.iiN  -13    iwsr!;3  ''7:n5 

■iii   N3  rôia   3ïîn53  laiis 

d^M  -.3  iNn  nNni?3  rti  t^HwnS 

■^3i53  ■'!-!nDN5   n^   riiin    Nn 

nN3N  nTND3  tn   r;»n  no  T* 

NTinTo   lîwS  T^r^   ^z^^  *\^» 

ûnoTT  "j-iN  n'i-'Nr'   ti-i?:n 

•jN-lNi    1103    dm3    1i;3N      72 


70 


écoulées  depuis  que  ce  royaume  a  été  détruit  par  l'iniquité.  Je  demande 
que  ta  grâce  nous  autorise  à  repeupler  ee  pays,  ô  roi  sublime.  Tu  auras 
un  nom  glorieux  dans  le  monde  grâce  aux  prières  de  la  race  de  Jacob 
(58-67).»  Le  roi  répondit:  Votre  vœu  sera  exaucé,  mais  seulement  si  aupa- 
ravant, ô  Mattitya,  tu  réalises  une  demande  qui  t'est  adressée.  «  Je  veux 
absolument  que  tu  boives  du  vin  de  la  coupe  que  ma  main  te  présentera  »* 
(70).  Mattitya  répliqua  évasivement.  Il  pria  le  roi  de  ne  pas  exiger  tout  de 
suite  l'accomplissement  de  son  désir;  il  voulait  d'abord  se  concerter  avec 
les  chefs  du  peuple  et  découvrir  «  quelle  règle  la  Loi  divine  prescrit  en 
pareil  cas  »  (70);  il  se  présenterait  de  nouveau  devant  le  roi  le  lendemain. 


i.  La  demamle  sinïuliéve  du  roi  a  pour  but,  comme  le  prouve  la  suite,  de  mettre  à 
l'épreuve  la  fidélité  du  prince  juif:  pour  accomplir  le  vœu  du  roi,  il  doit  faire  une 
chose  que  lui  interdisent  les  prescriptions  de  sa  religion.  Déjà  Daniel  et  ses  amis 
refusent  de  boire  du  vin  à  la  cour  du  roi  (Daniel,  i,  8;.  En  même  temps.  Koresch 
distingue  le  prince  juif,  en  lui  faisant  cette  demande.  Si  ce  trait  est  de  l'invention 
de  Schahin,  ce  qui  n'est  pas  inviaisemblable,  il  a  pu  lui  être  suggéré  par  un  fait 
presque  contemporain.  Argoun,  le  célèbre  prince  mongol,  grand -père  d'.\bou  Sa'id 
Baliadour,  sous  le  régne  duquel  Schahin  composa  ses  écrits,  distingua  également 
son  vizir  juif  Sa'ad  al  DauKih  en  lui  présentant  de  sa  propre  main  une  coujie  de  vin 
(v.  B.  É.  /.,  XXXV'L  252).  On  peut  aussi  rappeler  le  rôle  que  joue  l'action  de  boire  du 
vin  dans  les  descriptions  anciennes  et  modernes  de  la  vie  de  la  cour  persane  (t.  le 
livre  d'Esther).  Deux  siècles  après  Schahin,  un  autre  poète  judéo-jiersan,  Babaï  b. 
Loutf,  retrace  une  scène  à  la  cour  du  khan  de  Schiraz,  dans  laquelle  ce  souterain,  dans 
la  gaîté  du  vin,  ordonne  au  pieux  Midla  Ibn  Yamin,  le  «  chef  »  (Nasi)  des  Juifs  de 
Schiraz,  de  boire  une  coupe  de  vin  (v.  Les  Juifs  de  l'erse,  p.  59,  =  R.  È.  J.,  LU, 
240  .  —  Dans  l'aporryphe  du  III»  Ezra  fch.  m),  il  est  également  question  du  pouvoir 
du  vin  dans  la  discussion  des  trois  pages  de  Darius.  Parmi  ces  pages,  se  trouve  Zoro- 
babel  —  qui,  dans  Schahin,  est  remi)lacé  par  Mattitya  —  qui.  vainqueur  dans  la  lutte, 
est  distingué  par  le  roi  Darius  et  reçoit  la  permission  de  reconstruire  le  temple.  Ne 
serait-ce  pas,  par  hasard,  un  écho  du  \\i'  Esdras  qui  serait  parvenu  jusqu'à  Schahin? 


LE   LIVRE   DEZRA   DE   SGIIAHIN   SCHIRÂZI 


267 


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ÛNa     ^^     3N3     T'33T    ^rJlwST 


so 


80 


90 


Mattitya  consulta  alors  les  trois  prophètes  et  les  autres  chefs  éclairés. 
Ezra  résuma  la  discussion  en  prononçant  cette  sentence,  tourné  vers 
Mattitya  :  «  0  serviteur  du  Dieu  incomparable  et  éternellement  vivant, 
quelles  que  soient  les  lois  que  Dieu  ait  prescrites  à  son  peuple  concernant 
les  choses  permises  ou  défendues,  tu  dois  boire  la  coupe  de  vin,  puisque 
le  roi  équitable  le  demande  »,  atin  que  le  sanctuaire  soit  reconstruit  (78-83). 
Le  lendemain  matin,  Mattitya,  accompagné  do  Aggée,  de  Zacharie  et 
de  (juelques  autres  hommes  considérés,  se  présenta  derechef  devani  le 
roi.  Koresch  l'accueillit  gracieusement,  le  fit  asseoir  près  de  son  trône  et 
le  traita  avec  autant  de  distinction  que  s'il  eût  été  «  le  souverain  de 
Roùm,  de  l'Inde  ou  de  la  Chine  »  (9o).  Puis  il  lui  tendit  une  coupe  de  vin 


1.  L.  Nn. 

2.  L.  N3. 

3.  C'est  le  mot  hébreu  ^muttâr). 

4.  V.  86-92  :  description  de  la  tombée  de  la  nuit  et  du  lever  du  jour  ;  v.  plus  haut, 
sur  IV,  18. 

5.  L.  3NDT. 

6.  Ezra  n'est  pas  mentionné  cette  fois. 


268 


REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 


njTN3D    1-13   û-^oi  -)T  i-'nsi 
'nsNnn  non  i»™  i-ii  -13 


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l'nuîa  nN^y  n-^b:)   Dmp  int   100 

i3N"^3  -«-in  Ti:i2  n-iNo  na 


VIII 


■^01 73    "isn    *— lïicn 


iNfiaiD     -IttND    miI33   lïON 

3ibi  ûniai  t3d  ri^n  intnuj 
^^■'012  -i2:3n5in   rînôio  -nn 


mpy  bN   *'nN3;  tn3  mo 

ï:-'d  INiniN  Ti32   ri<-mn 


en  disant  :  «  Bois  afin  d'obtenir  la  réalisation  de  tes  vœux  !  »  Mattitya  prit 
la  coupe  et  la  vida.  Koresch,  alors,  accorda  aux  Juifs  l'autorisation  de 
s'établir  de  nouveau  dans  le  pays  de  Canaan,  de  reconstruire  le  sanctuaire 
et  d'y  employer  de  l'or  et  de  l'argent.  «Le  peuple  de  Moïse  »  en  fut  joyeux 
et  allégé  de  toute  peine  (100). 


VIII 

Ezra  écrit  le  nom  de  Dieu  et  se  rend  dans  la  ville  des  fils  de  Moïse. 

Ezra  retourna  avec  le  peuple  en  Canaan  et  vit  le  pays  se  repeupler  et 
les  descendants  de  Jacob  être  joyeux  et  heureux  (1-2).  Mais  il  n'avait  pas 
de  Tora,  car  Nabuchodonosor  l'avait  brûlée.  Alors  Ezra,  avec  l'aide  de 
Dieu,  mit  par  écrit,  sans  y  changer  même  une  lettre,  la  Tora,  qu'il  con- 

1.  La  maxime  géiiùralc  qui  clôt  le  chapitre  («  le  méchant  ne  reçoit  (lUP  du  mal  et 
erre  par  le  monde,  en  proie  au  tourment  »)  n'est  rattaché  que  par  un  lien  assez  lâche 
à  ce  qui  est  raconté  à  la  fin  du  chapitre.  Elle  veut  probablement  dire  qu'Israël  fui 
chassé  de  sa  patrie  à  cause  de  ses  péchés,  et  que,  par  son  retour  au  lion  rhemin,  il 
mérita  de  revenir  en  Palestine. 

2.  =  nNTb. 

3.  Selon"  IV  Kzra  (xiv,  19  et  s.),  Ezra  écriTit  une  deuxième  fois  la  Loi,  après 
qu'elle  eut  été  brûlée.  D'après  Sanhédrin,  20  A,  Ezra  était  disne  de  donner  au\ 
Israélites  la  Tora,  si  Moise  ne  l'avait  déjà  fait.  —  Le  récit  de  la  destruction  de  la  Tora 
jiar  Nabuchodonosor  semble  se  rattacher  à  I  Macchabées,  i,  36,  où  l'on  voit  les  soldats 
d'Antiochus  déchirer  et  brûler  les  rouleaux  de  la  Loi  qu'ils  trouvaient. 


LE   LIVRE   DEZRA   DE   SGUAHIN   SCHIRAZI 


209 


5^m»  ma:  iNuX  T\-\n  T" 

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10 


15 


naissait  par  cœur  (3-b;.  Lorsqu'il  remit  au  peuple  celte  loi  (juil  venait 
d'écrire,  ce  dernier  reconnut  le  prix  du  don,  mais  il  exprima  la  crainte 
qu'une  erreur  se  fût  glissée  dans  le  texte,  car  il  y  avait  soixante-dix  ans 
que  la  Tora  avait  été  brûlée,  et  depuis  il  n'y  en  avait  pas  eu  d'exemplaire. 
Et  quoique  Ezra  eût  retenu  la  Tora  dans  sa  mémoire  et  l'eût  mise  par 
écrit,  il  était  possible  qu'elle  contînt  des  divergences  du  texte  primitif 
(6-13).  Aussi  «  est-il  nécessaire  que  tu  te  rendes,  comme  une  étoile,  au 
delà  du  sable  mouvant,  dans  le  pays  de  Recliab,  auprès  des  descen- 
dants du  Lion  de  Dieu  :  de  Moïse,  fils  d'Amram.  Ils  possèdent  toute  la  Tora 
dans  un  texte  exact.  Si  tu  vas  chez  eux,  ils  te  la  montreront.  Compare 
alors  exactement  ta  copie  avec  leur  Tora,  et  vois  si  elle  concorde  avec 
elle.  Rapporte-nous  ensuite  ta  copie  afin  que  nous  en  soyons  entièrement 
satisfaits  »  (14-18  . 
Ezra   fut   très  chagriné    par    cette   demande.   Mais  il  savait  par  tra- 


1.  Singulière  conception  :  «jne  pendant  l'exiL  il  n'y  avait  pas  eu  di-  texte  de  la  Tora. 

2.  C'est  le  mot  hébreu  (=  étoile). 

3.  L.  -13. 

4.  Les  descendants  de  Moïse  demeurant  au  delà  des  «  sables  mouvants  »  c'est-à-dire 
du  fleuve  Sambatioa  (v.  Tavyouin  l's. -Jonathan  sur  Exude,  ixxiv,  18  ;  Epstein, 
Eldad  ha-Dani,  p.  lo),  dans  le  pays  de  Réchab,  qui  doit  sou  nom  aux  descendants 
de  Jonadab  b.  Réchab  (Jérémie,  xxxv;.  Chez  Pétahya  de  Ratisbonne  on  voit  (juc  les 
Réchabites  séjournent  au  delà  des  Montagnes  des  Ténèbres,  c'est-à-dire  du  Caucase. 

3.  =  iNnoio. 

6.  L'idée  que  les  descendants  de  Moïse  possèdent  le  texte  primitif  de  la  Loi  de  leur 
ancêtre  se  comprend  facilement.  Chez  Eldad  ha-Dani,  les  descendants  de  Moïse  conser- 
vent, en  hébreu,  les  traditions  qui  leur  viennent  de  Moïse  lui-même  (le  Talmud). 


270  REVUE  DES   ETUDES  JUIVES 

^niî3>-'W  "^Mai   iNnii   :>-i-i  m  1^3  ii5  nâ-n  t^-id3  nwnN 

nST'll    IN   -^ND    "ID    lia         'TDT'n    riS    NIIT    ^T^^     Ûllp    ll^* 

nN-^uiin  ';i<-io  "jiN  "13  13^5  nn        nN3  ^13  nh  bun  n72n  n-iTj» 
*n3NW  ni  msD  D-^bs  bo2  "jî^t       idnS  i-id  "^-^s  't^  [rinrr].  inti:  n3 

^«iTy  a5i  û-'ir)  l3d  tn  NbN3T  n^T  m33   ^nriDi:   '^■^     25 

12n5l33    1^-11110    J:'»^»    "jINT         13nDia3    1^-10    "1"IN    M7sn    nN    N3 

in  ■^nn':;nD   nêiît  -iid  ni  nn  ^nn^anD  n:in  1-0   N'^"'!:* 

"'H^anD  ^33  1NTÏÎ  '  nnaiî  t»  -^nœ-^nD  n3T  V^^.   riî<"iii^ 

nNDDm  nit?2  nDbi3  n-iD   pN  -ind  v^  np-^pn  -iu:3t  t^"^N3 

-IN3  i^i^    rTo:i   n3NTi-n   ni3-i3  nx^bn   a^bD  -^ss  [■»]n-it:'     30 

«';î<-ia3'  bis  Dnp  n3  msN  in3>3D3  mm  "^î^win  n?  Nnty 

dition  de  quelle  manière  il  pouvait  accomplir  ce  désir.  11  s'assit  et 
écrivit  le  grand  nom  de  Dieu,  par  le  pouvoir  duquel  il  s'envola  avec  la 
rapidité  du  vent,  jusqu'aux  sables  mouvants  et  à  l'endroit  qui  était  le  but 
de  son  voyage  (19-21).  Les  descendants  de  Moïse  lui  souhaitèrent  la  bien- 
venue, et  il  leur  lut  sa  Tora  exactement.  Souriant  avec  bienveillance,  ils 
l'assurèrent  qu'il  n'y  avait  pas  la  moindre  différence  entre  sa  copie  et 
l'exemplaire  écrit  par  Moïse.  Pleins  d'étonnement,  ils  dirent  à  Ezra  :  Tu 
es  sans  doute  un  ange  formé  de  la  lumière  divine,  pour  avoir  pu  mettre 
par  écrit  la  Tora  de  mémoire  sans  la  moindre  omission  !  (22-29).  Ezra  le 
cœur  joyeux  retourna  dans  sa   patrie  et  fut  salué  avec  entliousiasme  par 

1.  Voici  mol  pour  mol  le  premier  liémisticlie  :  «  A\nci  (|ue  cet  homme  cminent — 
Ezra  —  eut  entendu  un  secours  »  ;  c'est-à-dire  il  savait  par  tradition  quel  moyen  il 
devait  employer  pour  entreprendre  le  voyage,  qu'on  lui  deuiandait  de  faire,  en  d'autres 
termes,  l'emploi  du  nom  de  Dieu. 

2.  =  ûb3>N. 

3.  C'est  avec  l'aide  du  nom  de  Dieu  (du  Schem  ïlamephorasch)  que  David  Alrol, 
dans  la  relation  de  Benjamin  de  Tudèle  sur  ce  Pseudo-messie,  parcourt  en  un  seul 
jour  une  distance  de  vingt  et  un  jours  de  voyage.  —  Kazwini  (cité  par  Epstein,  Eldad 
ha-Dani,  p.  15)  rapporte  une  légende  qui  remonte  à  Ibn-Abhas,  suivant  laquelle  Maho- 
met aurait  visité,  à  l'aide  du  BorrAq,  les  descendants  de  Moïse.  Si  le  récit  de  Schaliin 
sur  le  voyage  d'Ezra  est  d'origine  plus  ancienne,  elle  peut  avoir  influé  sur  la  légende 
tiiusulmane. 

4.  11  n'est  pas  dit,  parce  que  cela  va  sans  dire,  (|ue  les  descendants  de  Moïse  ont 
comparé  avec  leur  exemiilaire  authentique  pendant  la  lecture  d'Ezra, 

6.  L'emploi  du  mot  nupiS  (=  rimpD)  montre  que  Schaiiin  se  figure  le  texte  de  la 
Loi  pourvu  de  points  voyelles, aussi  bien  dans  l'exemplaire  de  Moïse  ([ue  dans  celui  d'Ezra. 

7.  =  nupii.  ■ 

8.  <  La  race  d'Amram  »  désigne  le  peuple  d'Israël,  en  tant  que  peuple  de  Moïse^ 
fils  d'Anu'ami 


LE   LIVRE    D'EZHA   DE   SCHAIIIN   SCUIRAZI 


271 


iNTtî  m-!0   TO>3n   '"t^r,  n;nD-i 
■•o-in  inr\D  iT  nJ2rt  ]»'::  -in 

n3T^-3    Np3   T133    nm    TTI 

Ta^sn  m")  na   nT^np  Nn  no 


■^01»  mnpa   noaa  n^t)  in 

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n2T>n2  n:::'  ti53  ^la  t« 

■^v:;i<a  dnsuj  pn  in  rrD  iNisk 

*t:jn3   mnë  N3  n»n  n-^»^ 

nxD  -^noNiT  Tn23   nnoi5 
"015  nnna  n^id   n-n  013  »a     40 


IX 


1  N  n  t:  n    — 1  n  a  d    1  n  2 1^  1   m  n  d  t  n 


le  peuple.  Tous  étaient  remplis  de  respect  devant  Ezra.  Ils  firent  des 
œuvres  pies,  louèrent  Dieu  et  furent  à  l'abri  de  tout  malheur  (30-34).  Le 
cours  des  astres  était  favorable  au  peuple  d'Israël,  le  bien-être  et  le 
bonheur  constant  lui  échurent  en  partage  (33-36).  Le  chapitre  se  termine 
par  des  réflexions  et  des  exhortations  d'ordre  général. 

*** 

La  tendance  de  ce  récit  où  le  texte  de  la  Tora  copié  par  Ezra  apparaît 
comme  concordant  exactement  avec  l'exemplaire  écrit  par  Moïse,  réside 
sans  doute  en  ce  qu'il  infirme  la  conception  bien  connue  des  Musuhuans 
sur  la  falsification  du  texte  de  la  ïora  par  les  Juifs. 


IX 

.  Mardochéi;  et  Esthcr,  à  la  suite  d'un  songe,  vont  à  Unniadan 
et  y  meurent. 

Ainsi  Israël  était  redevenu  heureux,  observant  les  lois  de  Dieu  dans  sa 
patrie  ;  et  ceux  qui  vivaient  en  e.\il  retournaient  dans  la  Terre  sainte  (1-6). 

i.  L'  «  ami  »,  c'est  Diôu. 

2.  V.  plus  haut,  sur  i,  19. 

3.  =  nî<si^. 


2T2 


REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 


iJZMH  no  cn;n73'i  ns  an 
nsm  nr^T  2'iî3  t>-i  Dr: 

«isnÊn  -mr!  aî<[ij   '«i^pn  iyj, 

nN5  -no  "T^D  V^'i  ribn    nn 

^î<w^  a-ns  "iriT^i  n?:  m'o   ■>» 

«nn-iaïna   inab-is    127215  m 


rOwSi  "nC3  bn  ns  tn  r!72r!  ar:  n3 
';Nï5^N  ûnpT  ■'D'^  ns  ^sa  -in      5 
TNn  "jnc-^S  ÛNP73D    "jm» 

T^T    DÏ5    ■'3T-173    rtJ'pNm     'IT 
^  1Ù5n     "^-IIIT    -^Db»     VX     N2 

T^nNTii  t<n  riD  v^*   ^^   ""21^ 
irnbx   mon   mna   in   3n5     10 
';N"iNn7:N3   nn-in   im  nnoN 

ijzia  "n  ^Dn-17:  na   3î<5  tn 
3n5  m   r3   m^no  nnoN 

nSND  [1N]-13   Nn   -1N3  rittn  13N3 

nDnb-i   iTin  npô   '*rîN:2   s-in 

nWT  nyân   ntîNTi53  lîtta 

nkSr-'72   "^xsa   "jntS  "^3   lia 

n:T'o-i  -n  rta  iNiTors  m:x     20 

rtriaa  nriDO   ^nrinT  t^-iî-iid 


Mardocbée,  qui  était  resté  en  Perse,  eut  un  songe  :  ciel  et  terre  trem- 
blaient et  un  ange  apparut  du  haut  du  ciel  et  dit  à  Mardochée  :  «Il  est 
temps  que  tu  quittes  ce  monde;  ta  dernière  demeure  sera  près  du  mont 
Alwend,  dans  la  ville  de  Hamadan.  Pars  demain  pour  cet  endroit  avec 
Esther  ^7-12).  «Esther  eut  un  songe  semblable  et  le  raconta  à  Mardochée  ; 
puis  tous  deux  se  mirent  en  devoir  d'exécuter  l'ordre  reçu  en  songe 
(13-16).  Misérablement  vêtus,  ils  se  mirent  en  route.  Tous  deux  abandon- 
nèrent honneurs  et  dignités.  Arrivés  à  Ilamadan,  ils  ne  virent  personne 
qui  les  reconnût.  La  nuit  était  déjà  tombée  et  ils  entrèrent  dans  une  syna- 

i.  Le  soDge  de  Mardochée,  qui  ouvre  le  livre  d'Esther  dans  la  version  des  Septanle, 
et  dont  il  existe  des  rerensions  hébraïques  et  araniéennes  [v.  Monalschrift,  1869, 
o42-o44^.  s'ouvre  également  par  la  description  d'un  trombltMnput  de  terre. 

2.  =  -l^DN. 

3.  .\rah.  hin"). 

4.  «  Elle  lance  son  canot  sur  la  surface  de  la  nier  »,  c'est-ii-dire  elle  s'abandonne, 
Sans  résistance  à  sou  destin. 

5.  L.  -in»»?  -n. 

6.  «  Comme  le  feu  et  l'eau  »,  c'est-à-dire  brûlant  de  douleur  ^ou  d'ardeur)  et  sans 
d.dai. 

1.  L.  nn  T. 

8.  V.  plus  haut,  sur  iv.  18. 


LE   LIVRE  D'EZRâ   UE   SCHâHIN   SCHIRAZI 


273 


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'  n:nD-i  n"o:5   -^lon   nrxT   "ji; 

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d;",c  rsn   3N33  miox 
■T«o  Iî<n3  m-j   im   ij:-;  Nri.N» 

•'-lio'a    p3    TN    IID   -;3  -;o 
u:-'5   N3  ■n::-'-i2r>  nna   nDN5-'2 


■'n^Tis  r-.-n  ^a-^-ip  aim^û 
"lin  "nS  nncT   Dim  poTa  tn 

n5i<n:3    q-j-.bn  wS-m   d:-il     30 

CD  ■'3T17Û  n^n:  n.sT^n 
nnDN2  TwX3   r-:"'->n:n  ni72"iD 

nwiN  "inâ-i  b-^n-;    nîîsrr;     3.=, 
n;M72:   dd3  n:^  -im  pit 
no'«i:-'3  oi;i   -iriT  n7ûn  wi;p 
"ia;i:>:  -n  niTi   -it  in  N3 


gogue.  Aux  questions  de  radministrateur  de  la  synagogue  (Pannes)  Mar- 
dochée  répondit  qu"il  était  un  étranger  qui  s'était  égaré  en  voyageant 
dans  cette  contrée;  c'est  sa  fille  qui  l'accompagne  ;  voyageur  harassé  de 
fatigue,  il  demande  à  passer  la  nuit  dans  la  synagogue;  il  continuera  son 
voyage  le  lendemain  matin  17-29).  Le  Parnes  exauça  amicalement  cette 
prière  et  lui  désigna  une  place  dans  la  synagogue,  après  quoi  il  alla  se 
reposer  (30-31  «  Quand  Mardochée  vit  qu'il  n'y  avait  personne  dans  la 
synagogue  que  le  Tout-puissant,  l'Unique  et  le  Miséricordieux  (31),  il  dit 
en  pleurant  à  Esther  :  Le  monde  est  rassasié  de  moi  et  de  toi.  Je  partirai 
le  premier  d'ici-bas.  Le  temps  est  venu  où  je  vais  entrer  dans  le  sommeil 
éternel...  Je  suis  maintenant  sur  le  chemin  du  néant,  mon  Ame  déses- 


1.  Lu   synagogue  servait  déjà  à  l'époque   du    Talmud   d'auberge  pour   la  nuit.   v. 
j.  Merjuilla,  74  b,  b.  Pesahim,  101  a. 

2.  C'est  le  mot  bébreu   parnâs. 

3.  =  2^5. 

0.   Dans  les  vers  35-43,  le  discours  de  Mardoebéo  renferme  des  réflexions  générales 
sur  la  fiagilité  de  la  vie  humaine  et  du  monde. 

6.  =  nnnr. 

7.  L.  r!5. 

T.  LV,  X»  110.  18 


274 


REVUE  DES  études!  JUIVES 


dnNn:   dd  in   TwS   ti53   "jnsDN 
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noTwS-^D   ^3    r;:N7:TT  n:ni 


pérée  est  arrivée  jusqu'à  mes  lèvres.  La  main  de  l'échanson  me  présente 
la  disparition  de  la  vie  terrestre.  Je  m'en  vais  à  la  rencontre  de  l'échan- 
son »  (46  47).  Ainsi  parla  Mardochée  et  il  rendit  le  dernier  soupir;  «  il 
remit  sa  douce  âme  à  l'ami»  (49).  Esther  le  pleura,  telle  une  nuée  prin- 
tanière,  et  tout  en  larmes,  elle  rendit  sa  douce  âme,  tombant  à  ses  côtés, 
cyprès  d'argent.   Ainsi    moururent  Esther  et  Mardochée;  un  soleil  et  une 

1.  Dans  le  ])remier  hémistiche,  réchansoa  est  sans  doute  la  Mort;  dans  le  second, 
Dieu  (v.  Zwei  judisch-persische  Dichler). 

2.  C'est  le  nom  hébreu  du  mois  Adar. 

3.  Les  vers  53-73  contiennent  une  élégie  sur  la  fragilité  du  monde  ;  à  relever  sur- 
tout les  vers  63-67,  où  celte  fragilité  est  montrée  par  l'exemple  des  héros  de  la  Bible 
et  de  l'antiiiuité  perse  :  a  Où  sont  Adam  et  Seth,  où  Noé  et  Job,  Moise,  Abraham,  Isaac 
et  Jacob?  où  sont  Irad.j  (fils  cadet  de  Féridoun\  Kaikobad  et  Nidar  (?),  Djamschid  et 
Kaï  et  Kobad  et  Kaisar  ^l'empereur)  ?  Où  sont  Uoustem,  Zàl  et  Niram  et  S;\m,  où 
Bigoun  et  Gaw,  Tous  et  Bahràm  ?  Ils  étaient  tons  très  renommés  en  leur  temps, 
c'étaient  des  faucons  royaux,  des  héros  incomparables.  Sur  le  vent  des  plaisirs  terres- 
tres, ils  couraient  vers  la  terre  ;  maintenant  ils  dorment  tous  dans  la  poussière.  Leur 
matin  à  tous  est  devenu  le  soir  par  la  mort.  » 

4.  =  nânb. 


LE  LIVRE   D'EZRA  DE   SCHADIN   SCIIIRAZI 


275 


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UNO  mon  biN  TN  nwn  '  ra^o 

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'  :-'31i:t  n-i-np  int 


70 


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n3N-i3  bJN  Nm  -iwS'iD   ûn 

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■^bND  rrNO   ni  3  5  nt<n  t» 

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n«iN  OTN"'3   pn  nttn-i   n3 


nui  on  TN  T'"'N  n3  n3)  bij  nn 

n:N733   Dm  o-^3  no  ni  ■'ti-i 

norx  n3î«»T  no3  b::^ 

biS3pN   non  tn-id   n5  o-no 

r:i<y   non  tn'iës   m3    -i» 

DONT  ■'»  nN52  nns   ■'NnNW 

nttiN  OTN-iS  imo  nN5  lia 


lune  avaient  quitté  le  monde  (o0-52).  On  leur  éleva  un  tombeau,  qui 
devint  un  lieu  de  pèlerinage  et  un  lieu'de  pieux  recueillement  (74). 

X 

Mort  de  Koresch,  fils  d'Ardeschir. 

Après  une  brève  réflexion  qui  sert  d'introduction  (1-3)  le  poète  raconte 
que  Koresch,  après  un  règne  glorieux  (4-6),  tomba  malade  (7-9),  mourut 


1.  ==  n3ii:. 

2.  Lacune  à  la  lia  du  premier  et  au  commencement  du  deuxième  liémisliclie. 

3.  Ce  tombeau  de  Mardochée  et  d'Esther  à  Hamadau  est  déjà  meuliouné  par  Ben- 
jamiu  de  Tudèlc.  V.  fi.  É.  J.,  XXXVI,  237  et  suiv. 


276 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


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113   na2  "[NTU  -iNDT  nbisn   -n 

■'3"'21    Dï5iT    1N3TT    DOT     "12 

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'ma  ^tt  bNT  n5  -IN  np  mno 
-ins  -^73   [T]sn  ns-i5  bn  bn  -12 
n^bN3   -i-nT  iii  na  n  -^n-i     10 

n-iD   iNii-i   ';nu:-'5   -12  tn  m-i 

non  TN  u:nND  n^nô  nnân  -12 

N2-'T  non^2   N-m   n^-i  tn 

5ï<n   la-io  -12  nNp;  ']ir73    tn     13 

ijnNn2  '^■«2  '^i  nwn  ;aTNo 

n-i-^H  -iNT   ^jN-im   nm»   in 

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•jNDN  mn3a  mm   m» 

-111N2  nn7ûT   n"'n-i3  un  «73 

nD''2T  '13N732  1^:152    nst   -15 

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1M2-n  ti3  nm  rro  n3  5-:73  tx    25 

-iNn^n  no-^m  my  "^id   -12 

n-iNT   n\L5-in  'isiN  bi   D-nb 

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iNip»   m  -^0=)   NTi;i   3-12   ^2 

nobN-^b    -102    -10    rj»n    N'^3TT       30 

D-nnT  IN  bN»  n73n  no-iN» 

rn-)D2  IN  C3n  mnû  tn 

"i3T''-n5  iNs-i-'T  n73n   12  tn 

n-iNT  -in5  ïiD  -153»  bi5  -n 

no-iNT  nb^b   •^3a"n  nn  m     35 

■^3"'2   rtTIDT   -iD    'nOND    Nn 


quelques  jours  après  et  fut  enterré  dans  son  caveau  (10-16).  Au  récit  de 
la  mort  de  Korcsch,  le  poète  rattache  des  réflexions  sur  le  thème  inépui- 


1.  L.  TiTia. 

3.  L,  naia2. 


LE  LIVRE  D'EZRA   DE  SCHAHIN  SCHIRAZI 


277 


a'-îN  sm  mr»::   nnor'rx 

3N  -wir-iH   T'.io  nnoros* 

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nio  'T2^  iN^it^yT  nia  in 

nTCjjs  n.sm  bn3>  -n  mrj 

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TiDiD  -:i5t  -,n;3  -in'::i3 

iiJNps   ;n;Trp3  ûci  'nn  "j-n  r: 

Tiori  r::?  n-ia  ^rtna  -^iN-i 


ma   IN   inoa'j   ino  nx-^iin 

lia    1^3    1130    b:N    530    -13 

3î<r!  nmiM;   i30   3*0  N3 

*;î<5  tn  -iiD  ino  no  'noxo  ^n 

aî<:   13  i^ns  1^::   »au>î<n  t<3 

-iKni  nr::    i^yb  '^xn-iï 

113  i«  pisn  IN  itt-iriN  N3 

nS^ToN  "«n  -13  ni  no  n  in-ia 

ITNOÎ     IwSn^    VN    13T    *^*    N3 

-iN"i  na:  N-i  *nsni:2i  npin  ii-i 

nôfio  N72  nn3T  )iin^  na  miNn 

irND  -inn  -i^on  r:n\aa  nto 

ipon  axpw  N3D  nm   "i^n 

\:;n3  "wIôi  noiD  Nmô  in  i^nN'^ 

iron  no  iN^a  nsj»  m  Mimô 


40 


45 


XI 


"jinNïJ   T^iia    3Nno    aro   nn 


-iN^ia  no"^:  no  niio;  i^nNO 
bpsy  1173  noNiin  ns  bôMâ 


1NT  ns:  N-i  rOwS-i  n-i  v^^"*'»^ 
béi<i  ï;n37û   iNinô  13  "[li 


sable  de  l'impossibilité  d'érhapper  à. la  mort  et  de  la  fragilité  des  choses 
terrestres  (17-2G\  suivies  d'exhortations  à  une  vie  grave  (27-54;. 

XI 

Fin  (lu  livre. 

Le  dernier  chapitre  de  l'ouvrage  consiste  presque  entièrement  dans  une 
apostrophe  du  poète  ii  lui-même,  qui  jette  un  regard  sur  l'iichèvement  de 
son  travail.  Il  n'entend  pas  seulement  le  petit  Livre  d'Ezra,  mais  encore 


1.  =  "7ï<r;i^£  fDlmliliak). 

2.  =  an^n. 

3.  =  "^Nmi. 

4.  =  nonin. 


-a78 


REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


•jNUiSTn  -no  m-'D  in  in  t.n 

•T>Ti5  *  mno   N2   r!7on   n-3i<o 

nxiina  'ii-i  î-!ino'*:;:3  ■•ma 

niN-î    -noT   '^101   ûnNTa  N3 


iTnn  ^:5  i:n  ■'^d  -nsN      5 

nonrid  :;n-i5  "jï^tn  n^Ni   -in 

'jNUJD'n  bi'b  [n5]  onaT  irô 
Ti-ns  m  mp  in  mpN-^ 
-,^■^02  ™  -i3N  "N"n  "'NriDC     10 

■^ri^nr  isn  \rN272  ind   13 

TINT  -n;T  "inpi   n7:bib  id     15 

uj"':  NTii  "nia  rsj:  -n37:T 

un   iw  -in::t   nc35?   "^rr^a 

.    norikSJj'T'T  ns  VP"'   ■''"^   ■'-^'^ 

'T2iii  nD  -i^^  "ji^nî  TWN 

QN-i-^N  [ilHuSTDT  b.No  T  "in  "inn     20 

n;mD  -n^   =*  ni^nn   nim^  iiît 


le  Livre  d'Ardeschir,  dont  le  premier  est  la  fin.  Voici  les  premiers  vers  : 
0  Schahin,  prends  en  considération  le  chemin  droit;  il  n'est  pas  un  faucon 
(c'est  le  sens  du  mot  Schahin),  celui  qui  ne  sait  pas  voler.  >'e  sois  pas 
insouciant,  semblable  à  l'insensé;  il  n'est  pas  permis  qu'un  homme 
raisonnable  soit  insouciant.  Tu  es  venu  de  la  mer  de  la  raison  dans  la 
nacelle  de  rintclligence  ;  ouvre  l'œil  à  l'intelligence!  Tu  as  bu  en  grande 
quantité  les  eaux  empoisonnées  du  mal,  avant  de  rencontrer  la  perle  du 
fond  de  la  mer  !  (1-4).  Le  poète  rappelle  ensuite  les  «  longues  nuits  »  qu'il 
a  passées  assis  à  son  travail,  le  visage  tourné  vers  le  mur  »  (10),  fuyant  le 
sommeil  et  le  repos,  livré  tout  entier  aux  recherches  de  la  religion  et  de 
la  sainte  Écriture  (12).  C'est  ainsi  que  la  perle,  extraite  de  l'huitre, 
parut  au  jour  augmentée  do  toutes  sortes  de  pierres  précieuses  (13). 
Des  considérations  sur  la  IVagilité  et  les  illusions  du  monde  introduisent 
les  indications  sur  l'époque  de  la  composition  du  livi-e,  Schahin  indique 


1.  =  mni:  (nwsast). 

2.  L.  tjlStT. 

4.  L.  ni<  nb. 


LE  LIVRE  D"EZR\  DE  SCHAHIN   SCHIRAZI 


279 


û-i317:t  ûcyrj  Txano 

bijfn-j    -ir:o   n^r  'n):-':   N3 

T'UNÎT   -pm   *înJT   'J1-:   n3 

i:wS-i  QND  -m   ■2-::    "jn-Iw^; 

•i;r"wTi:i   m  nx^^T    aie  TwN* 
Tc:i3a  T3  brë    ■^■'d  -n:w^ 

.  N5NT  mp  i;ï<7:3  pdnS  -in 
n;ciDD  ■^^nDm  n^tîa  it 
"nxiiïiT   "i^ro   n-:jt   nînn 

nCrNII-i     TN     ^XCT    -3T    3-/3 


'n'wwsn;  nwSnrrcT  m^rrio 
^TNs:  "ccn  -ntt:  "t^i  iri:  wso  'nncn 

T-w-n'ifi  riwNT::  ''r-in    -î5;3 
•jin  'rtbco  ni<-n7:3  ii-na 

PD:-'23    -1317!    -,121     -I-ii3     w\3 

i;î<t:   "îN-i^i-.n-  -np   cd 

IN   T3Nr!  -)r;3T  n-^NT  13 

irrrj  "ÎT^TT   N-'m  a-,^  "^n 

l'cr.  rT;N3  n^pn  ^ntc:: 

13-1-^53    ["']n-|53    m    IN-T-D 

N:-m  1-D  IN-'^T  PTr 

-î;\rT-,D"  ■'5:  p-iT  r!7:r;  i^i^o 

iw\733   -^-ri  7-^  nrn  'j-'nwSïJ 

-li<"'C3    531     ^35     "'■'D    ■^"1-113 


30 


35 


45 


en  premier  lieu  l'année  1644  de  l'ère  des  Séleucides  (24),  puis  l'année  733 
de  l'ère  musulmane  (28)  —  c'est-à-dire  l'année  1332  de  l'ère  clirétienne  — 
comme  étant  l'année  de  l'achèvement  de  son  ouvrage. 

Dans  les  distiques  suivants,  Schahin  exprime  son  intention  de  laisser 
dorénavant  en  repos  son  goût  pour  les  créations  poétiques  et  de  se  con- 


1.  i.  r\'::nrj>-2. 

2.  L.  m-. 

3.  L.  -iwxi:. 

4.  =  li:. 

5.  C'est  le  mot  hi5I)rcii  "iTS^Ta   I  Rois.  xxu.  25). 

6.  =  •:;n3ii:. 

7.  =  niiin. 

8.  L.  PNSin. 

9.  Sur  les  vers  41-47,  v.  Zwei  judisch-persische  Dich/er,  [>.   13  et  suiv.  ;    sur  les 
vers  34-40,  ibul.,  p.  25. 


280 


REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 


•^3yi  -iN"'  5i:n  •^^1  "j-is^^rr 

•^is  1D1  i<?3  1^5  'miD   i-'n 

T^z\D'ô  -^ï^sa  "31=)  r]::ib  na 

T^-'NUî  IHNTD  m»  -n5  -1-11  i^ri 

p-lTN  ^"151  i'i»T    pNb5 
-iMr)  n-i5  n'D  û-ibr)  mi  -id 


^i:»»  "iî<Tn   N-ni  -^n'-^D  -in 

-1LS3  i^n^  13   nnoansT  iiw-'t: 

■'TNO  ntiin  cis  in   m  «■< 

■jiD  id:»  N72  Dm5  nn  tjaib  tn     30 
nouj-'n  m23  nni^  t  in  'bTb 

pn  Ti<  -^-iNsn-is   n>3m  li: 
-iN-'on  nn-n  «m  n»ni  n3 


tsr-i 


55 


sacrer  à  la  pieuse  contemplation  qui  conduit  à  l'union  avec  Dieu  (41-47). 
Précédemment  il  avait  dépeint  sous  de  sombres  couleurs  l'état  religieux 
et  moral  de  son  époque  (34-40).  Le  poème  se  termine  par  une  prière  et 
une  bénédictionpour  l'àme  de  Moïse. 

W.  Bâcher. 


1.  =  5i:D. 


NOTES  ET  MÉLANGES 


XOTES   EXÉGÉTIQIES   l-T   LEXICOGRAPHIOIK^^ 


I.    ÉZÉCHIEL,    XXIV,    lo. 

L'expression  mnirt  «  tremblements  »  ne  cadre  pas  avec  le  verbe 
lonb-"  «  ils  revêtiront  »,  et  le  copiste  paraît  avoir  été  entraîné  par 
le  verbe  Tinm,  qui  vient  tout  de  suite  après.  Nous  serions  porté 
à  corriger  rmnn  en  mmp  «  noirceur,  couleur  sombre  »,  d'après 
Isaïe,  L,  3  :  m-np  a">aa  ï)"'3bs  «  Je  revêtirai  le  ciel  de  noirceur  ». 
Les  mots  :  «  Us  se  vêtiront  de  couleur  sombre  »  répondent  bien  à 
la  pbrase  précédente  :  «  Ils  se  dépouilleront  de  leurs  vêlements 
brodés.  » 

IL  EzÉcniEL,  XXXIV,  29. 

La  phrase  ûob  tûiz  ■'PTapïTi  «  çt  j'établirai  une  plantation  pour  la 
renommée  »  est  vague  et  s'accorde  mal  avec  le  contexte.  On  pour- 
rait, il  est  vrai,  comparer  -iXDnnb  'n  ya»  «  plant  de  l'Éternel  pour 
se  glorifier  »  dans  Isaïe,  lxi,  8.  Mais  là,  c'est  Israël  qui  est  le  plant 
de  Dieu,  tandis  qu'ici  il  n'est  guère  probable  que  le  plant  désigne 
les  Israélites.  Nous  proposons  de  lire  nnb  na»  «  bàlon  de  pain  », 
locution  qui  se  retrouve  chez  notre  prophète  dans  les  ch.  iv,  v.  IG; 
V,  V.  16  ;  XIV,  V.  12,  où  il  est  dit  que  Dieu  brisera  «  le  bâton  de 
pain  »;  ici,  au  contraire.  Dieu  promet  de  le  perpétuer.  Le  verset, 
de  la  sorte,  se  continue  bien  par  la  phrase  :  «  Et  il  n'y  aura  plus 
de  gens  périssant  par  la  famine  dans  le  pays.  » 


282  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 


m.  -JN-:;. 

On  traduit  généralement  ce  mot,  qu'on  ne  rencontre  que  dans 
Ézéchiel,  par  «  mépris  »,  en  se  fondant  sur  l'araméen  ::Ti.  La  Masora 
a,  il  est  Yrai,  ponctué  û"::no  et  m::^^'::,  comme  si  ce  participe  venait 
de  aiïi  ;  mais  ::i<-:3  et  ::v::  sont  deux  racines  difTérentes  ',  et  le  sens 
de  «  mépris  »  ne  convient  à  aucun  des  passages  où  se  trouve  soit 
le  substantif  :2NC,  soit  le  participe  ::nc-  Par  exemple,  dans  le  cha- 
pitre XXVI,  V.  C),  CDîn  '^•JNO  b32  riToam  ne  peut  guère  se  traduire 
par  :  «  Tu  t'es  réjoui  dans  tout  ton  mépris  avec  âme.  »  Il  en  est  de 
même  dans  xxxvi,  5,  pour  l'expression  xf}  ::n*::3  nnb  bD  nnw^sn  et 
dans  XXVI,  13,  pour  i::d:3  ::iî"i;3  aps  iTop^-^T.  Il  semble  qu'il  faille  inter- 
préter 'iii^'à  par  «  impulsion,  élan  ».  Le  verset  xxvi,  6,  voudrait 
dire  :  «  Tu  t'es  réjoui  de  tout  l'élan  de  ton  âme.  »  Le  même  sens 
s'adapterait  aux  autres  versets. 

Le  participe  'ûix6  dans  xvi,  o7  ;  xxviii,  ^4  et  '26,  paraît  signifier 
«  attaquant  ». 

'IV.    p-ipt^  ET    «    ATTIQUE    ». 

Le  mot  p'^nN,  terme  d'architecture  qui  se  trouve  dans  Ézéchiel, 
XLi,  lo,  16;  XLii,  3,  o,  offre  une  singulière  ressemblance  avec  le 
mot  «  attlque  »,  qui  désigne  un  étage  élevé  au-dessus  d'une  cor- 
niche et  servant  parfois  à  masquer  la  toiture.  Y  a-t-il  là  une 
simple  coïncidence?  M.  Salomon  Reinach.àqui  j'ai  posé  cette  ques- 
tion, a  bien  voulu  m'informer  que  le  mot  «  altique  »  est  d'origine 
inconnue  voir  le  Dictionnaire  de  l'Académie  des  Beaux-Âi'ts  à  ce 
mot  et  qu'il  n'apparaît  qu'à  une  époque  récente.  M.  Reinach  ne 
croit  pas  impossible  que  ce  terme,  né  peut-être  en  Phénicie,  ait 
passé  en  Grèce  et  en  Italie,  et  soit  parvenu  en  France  par  l'inter- 
médiaire des  maçons  italiens.  Le  mot  «  altique  »  n'a  donc  proba- 
blement aucun  rap])ort  avec  l'Attique  et  n'a  été  rattaché  à  l'archi- 
tecture athénienne  qu'en  vertu  d'une  fausse  étymologie.  Si  le  mot 
"p^DiH  fournit  ainsi  une  origine  au  terme  employé  dans  l'architec- 
ture européenne,  il  en  reçoit  lui-même  un  peu  de  lumière,  car  il 
désignerait,  s'il  n'est  autre  chose  que  /'affi(/iic,  un  étage  construit 
au-dessus  d'une  corniche.  L'étymologie  qui  dérive  p-'PX  de  pn3 
reste  incertaine. 

1.  Eu  arabe  il  existe  une  racine  C3t<p,  mais  qui  signifie  «  sentir  mauvais  ». 


NOTES  ET  MÉLANGES  283 


V.  Psaume  xix,  o. 


On  a  depuis  longtemps  remarqué  la  contradiction  qui  existe 
entre  le  verset  4  et  le  verset  o  du  psaume  xix.  Le  psalmiste  dit 
d'abord  que  Ton  n'entend  pas  les  paroles  des  jour?  et  des  nuits, 
et  ensuite  il  dit  que  leurs  paroles  vont  à  l'extrémité  du  monde. 
Mais  le  passage  présente  encore  d'autres  difficultés.  —  Tout  d'abord 
on  ne  voit  pas  clairement  comment  les  paroles  des  jours  et  des 
nuits  s'étendent  aux  extrémités  de  la  terre.  Puis,  la  lin  du  verset  3 
«  et  il  a  mis  au  soleil  une  tente  au  milieu  d'eux  »  ne  s'accorde  pas 
avec  le  commencement  du  verset.  Enfin,  le  mot  2p_,  si  on  ne  le 
détourne  pas  de  son  sens  naturel,  n'est  pas  parallèle  à  ûrr^bw,  et, 
au  lieu  de  ban  ri:q>'2  il  faudrait  bnn  n^p  bi<  :  «  leurs  paroles  s'éten- 
dent à  l'extrémité  du  monde  ».  Toutes  les  difficultés  tiennent  au 
seul  mot  ûrT'b»,  et  c'est  pourquoi  nous  pensons  que  ce  mot  est 
altéré  et  qu'il  faut  un  terme  qui  soit  analogue  à  ip  «  ligne  ».  Ce 
terme  nous  paraît  être  û"'iw»  «  mesures  »,  qui,  dans  Job,  xxxviii,  o, 
est  parallèle  à  ip.  Au  verset  5  le  poète  se  met  à  décrire  le  ciel,  dont 
il  a  parlé  au  début.  Il  dit  que  la  ligne  du  ciel  s'étend  sur  toute  la 
terre,  et  ses  mesures  embrassent  le  monde  entier.  De  cette  façon 
il  n'y  a  pas  contradiction  entre  le  verset  4  et  le  verset  o  ;  le  mot  np 
garde  sa  signification  usuelle,  et  la  fin  du  verset  o  s'accorde  avec 
ce  qui  précède.  Au  point  de  vue  paléographique  la  corruption  de 
ari^iTCTo  en  ari""bM  n'a  rien  de  surprenant. 

VI.  Le  Psaume  xxii  serait-il  alphabétioue? 

Est-ce  par  IcfTct  du  basard  que  dans  ce  cbapitn>  le  verset  2 
commence  par  un  n,  le  verset  5  par  un  3,  le  verset  9  par  un  a? 
Nous  ne  le  croyons  pas.  En  effet,  l'acrosticbe  concorde  avec  la 
division  stropbique,  réglée  d'après  le  sens  et  le  rythme,  encore 
que  le  texte  ait  subi  maintes  altérations. 

Chaque  strophe  nous  paraît  contenir  d'abord  un  vers  de  quatre 
pieds,  puis  deux  vers  de  six  pieds  avec  césure  au  milieu,  et  un  vers 
de  six  pieds  avec  double  césure.  Nous  donnons  ici  les  strophes 
telles  que  nous  les  avons  établies,  sans  nous  dissimuler  que  les 
corrections  ont  toujours  quelque  chose  d'arbitraire. 


284  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Première  strophe  iv.  2-4). 

■"i-ibN   :  %-i5NUJ   *  ■'-im  ['r-i]  ■'nyiC73  pim 

i^-rr'ïaTi  Nbi   ï-7b"ibi  nayn-Nbi  tmr^   x'yp^ 

Deiixiè^ne  strophe  (v.  5-8l 

iï:n-t^bT  nn-jn  ^3[i]  rjb?25T  ip^^T   'T'bx 

Troisième  stropJie   v.  0-141. 

^  nnb'^S2"^[i]   -in-jbD-  'n-bN   'bbj 

^Ti:?    1"^ï»-'^:d  ï-rmnp  n'iit-'i         ■^5«73   pnnn-'^N 

Dans  la  suite  du  psaume  on  peut  retrouver  une  strophe  presque 
entière  dans  les  versets  15  et  16  : 

TiiToiTi'  bD  msnrn  tiSdos   ta-'^ûS 

«■^npbtt  pn*!tt  ■'STiJbn  '^n^  ■:5-inD    cn'^ 

_   —   —  _    _    _  i^nson    s-n): — \z^yh^ 

Pour  le  reste  il  nous  a  été  impossible  de  construire  des  strophes. 
D'ailleurs,  les  versets  23  à  31  ne  semblent  pas  avoir  de  rapport 
avec  ce  qui  précède  '' . 

Si  notre  hypothèse  est  juste,  les  versets  1-22  ne  seraient  que  les 
débris  d'un  grand  psaume  alphabétique. 

Mayer  Lambert. 

\.  Au  lieu  (lo  "^"la"!  lin  atlomlrait   un  viM-lie   siLJiiiliant    «  tu    as    iir-liL;('  ».   pcut-i'liv 

2.  Nous  proposons  Je  mettre  le  particiin:'  au  li(Mi  ilr  riniiu'ratit'. 

3.  Nous  supi)rimons  13  yen  "^3. 

4.  Le  mot  "^^JN  parait  inutile. 

5.  Lire  •'Sn. 

G.  Lire  peut-iMrc  "^'^nb^. 

7.  Voir  nulim.  l'salmcu,  dans  Kiirze)'  Unnd-Commenlùr . 


NOTES   ET   MELANGES  285 

ENCORE  liN  MOT 
SLR  LE  TEXTE   \R.\MÉEN  DL   TESTAMENT  DE  LÉVT 

RÉCEMMENT    DÉCOUVERT ' 

Parmi  les  douze  arbres  ou  arbustes  dont  le  bois,  d'après  le  Tes- 
tament de  Lévi,  est  propre  à  la  combustion  de  l'holocauste  figure, 
en  dernier  lieu,  celui  que  le  texte  araméen  édité  par  M.  Cowley 
appelle  i<npn  "^^n.  Notre  savant  confrère  déclare  le  mot  NnpT  inin- 
telligible-. De  fait,  ce  terme  n'offre,  en  apparence,  aucune  parenté 
avec  aToâXaOo;  (=  àrr-iXxOo;),  qui  lui  correspond  en  grec.  On  est 
donc  tenté  d'en  suspecter  l'authenticité. 

On  am*ait  tort  et  le  bien  fondé  de  cette  leçon  est  attesté  par  le 
Targoum  du  Pseudo-Jonathan  Genèse,  xxi,  3).  S'attachant  au  sens 
précis  de  nbiy  ■'iîy,  qui  veut  dire,  non  «  des  bois  pour  l'holo- 
causte^ »,  mais  «  des  bois  d'holocauste  »,  il  traduit  :  «  des  bois  qui 
conviennent  aux  holocaustes  o,  et  il  énumère  ceux  qui  sont  dans  ce 
cas  :  inr\byb  ]^^mi  .sbp-'nT  Nn;xm  i^rcpT  ^■«o-'p  Tû•p^.  Or,  Nn-'pn  ^oy  est 
l'équivalent  exact  de  Nnpi  "irN  ;  i^O"^])  correspond  dans  le  Targoum 
palestinien  à  n'':'^  du  Targoum  Onkelos,  et  np-'P't  n'est  que  «npn 
avec  la  maler  lecllonis  en  plus. 

Pour  î«n3î«n  et  Nbp-^n,  point  d'obscurité  :  ce  sont  le  «  figuier  »  et 
le  «  palmier-dattier  ».  Nous  avons  déjà  dit  '  que,  d'après  la  Mischna 
de  Para  (m,  di;,  le  figuier  était  parmi  les  bois  servant  à  la  combus- 
tion des  sacrifices  et  que,  d'après  la  Mischna  de  Tamid  (ii,  3  ,  la 
coutume  était  d'employer  pour. cet  usage,  entre  autres,  de  jeunes 
plants  de  figuier''.  L'auteur  du  Targoum  était  donc  autorisé  à 
désigner  spécialement  cet  arbre.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  le 
«  palmier  ».  Il  en  est  bien  question,  à  propos  de  la  combustion  de 
l'holocauste,  dans  le  Sifra  [Vayikra,  iv,  6  ,  reproduit  dans  Tamid, 
296,  mais  le  rabbin  qui  le  cite  le  déclare  impropre  à  l'usage  rituel. 
Seulement  ses  paroles  venant  tout  de  suite  après  la  mention  des 

1.  Voir  Revue,  t.  LIV,  p.  16G  et  particuliéremoiit  \\.  111. 

2.  Jew.  Quarl.  Review,  t.  XIX,  p.  580,  note  ii. 

3.  Traduction  des  Septante  et  du  Targoum  Ouivelos. 

4.  Revue,  t.  LIV,  p.  172. 

5.  Le  Pseudo-Jonathan  rorrobore  ainsi  notre  hypothèse  (p.  1"3).  —  Raschi,  Ze'jn- 
him,  38a,  reproduit  une  explication  agadique  qui  met  en  rapport  le  choix  de  cet 
arbre  pour  la  combustion  de  l'holocauste  avec  le  récit  de  la  Genèse  <|ui  fait  ceindre 
Adam  de  feuilles  de  fliruier. 


286  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

espèces  combustibles,  et  se  donnant  comme  une  addition,  notre 
Targoumiste  a  pu  facilement  s'y  tromper'.  Peu  nous  importe, 
d'ailleurs,  que  l'opinion  de  cet  auteur  soit  orthodoxe  ou  non,  ses 
termes  ne  laissent  place  à  aucun  doute. 

Reste  Nrr^pn,  dont  le  sens  n'apparaît  pas  à  première  vue.  Il  appa- 
raît si  peu,  que  le  copiste  du  ms.  de  Londres  de  notre  Targoum, 
qu'a  édité  récemment  M.  M.  Ginsburger-,  a  substitué  à  ce  mot 
ND-'n  «  d'olivier  ».  Le  malheur  est  que  la  Mischna  proscrit  expj'es- 
sément  cet  arbre  dans  des  termes  qui  écartent  la  possibilité  de 
toute  méprise^.  En  outre,  et  cette  raison  suffirait,  la  comparaison 
de  la  leçon  ordinaire  NPipi  avec  celle  du  Testament  de  Lévi  en 
assure  l'exactitude. 

M.  J.  Levy,  dans  son  Dictionnaire  des  Targoumim,  n'a  pas  été 
plus  heureux  ;  il  voit  dans  ce  mot  un  adverbe  :  «  menu,  en  petits 
morceaux  »,  comme  s'il  venait  de  pi'*.  Cette  étymologie  déses- 
pérée ne  cadre  pas  avec  le  contexte  ;  que  signifierait,  en  effet,  cette 
phrase  :  «  Il  fendit  des  bois  en  petits  morceaux  et  des  figuiers  et 
des  palmiers  qui  conviennent  aux  holocaustes  »  ?  Il  est  certain  que 
«  bois  »  doit  être  déterminé  par  des  noms  d'arbres.  Le  T  de  Nn-^pT 
est  incontestal)lement  la  préposition  «  de  ». 

Il  est  vrai  que  le  substantif  «rr^p  ou  Nnp  ne  figure  dans  aucun 
dictionnaire  sémitique  ;  M.  Immanuel  Low,  dans  son  excellent 
répertoire  des  noms  de  plantes  araméens  [Aramàische  Pfîanzenna- 
men\,  ne  le  mentionne  même  pas.  Il  faudrait  supposer,  par  consé- 
quent, que  ce  terme  se  serait  maintenu  uniquement  dans  nos  textes, 
à  propos  des  bois  propres  à  la  combustion  des  sacrifices.  Mais 
nous  n'en  sommes  pas  réduits  à  cette  extrémité  :  ce  nom  nous  a 
été  consei'vé  par  Dioscoride  fi,  12i  sous  la  forme  x-.ttw,  qui  est, 
comme  l'a  bien  vu  Gesenius  iThesaiinis,  s.  v.  mp  ,  l'araméen  de 
nnp  j^mp''  contracté  en  Nnpi.  C'est  une  variété  du  cassier,  arbuste 
à  épines,  dont  le  fruit  est  employé  en  médecine  •'.  Justement  l'àscpâ- 
XaOo;,  qui  correspond  à  xnp,  est  un  arbuste  analogue'. 

1.  Le  lecteur  s'y  tromperait  si  les  commealateurs  u'avaiLiit  pas  jugé  nécessaire  Je 
prévenir  cette  erreur. 

2.  Pseudo-Jonathan  nuch  der  Londoner  llandschrifl,  Berlin,  1903. 

3.  M.  Ginsburger  est  obligé  de  supposer  une  uiiposition  entre  l'opinion  du  Targoum 
et  celle  de  la  Mischna. 

4.  Chaldàisches  Worterbuch  ilber  die  Taryumba,  I,  p.  184. 

î).  C'est  vraisemblablement  cette  forme  qu'ont  retenue  les  Geojjonica  et  que  M.  LOw 
fait  suivre  (p.  23)  de  deux  points  d'interrogation. 

6.  C'est  parc^  que  le  fruit  était  plus  connu  que  l'auteur  de  la  version  aramécune  du 
Testament  a  jugé  nécessaire  de  dire  «  les  bois  du  cassier  ». 

1.  Voir  LOw,  p.  340. 


NOTES  ET  MÉLANGES  287 

Bien  mieux,  le  terme  liéhrou  nous  a  été  conservé  par  la  version 
éthiopienne  du  Livre  des  Jubilés,  car  c'est  rtnp  qui  se  cache  sous  la 
forme  qedar,  et  non  x'to'.ûv  ou  xsoaTîa,  comme  le  croyait  M.  Charles. 
Qu'on  remarque  que  justement  qedar  occupe  le  douzième  rang 
dans  la  liste,  comme  Nnp  dans  le  Testament  de  Lévi  '. 

La  rencontre  du  Pseudo-Jonathan  avec  le  Testament  araméen  de 
Lévi  n'offre  pas  seulement  un  intérêt  lexicographique  ;  elle  permet 
de  voir  plus  clair  dans  les  sources  du  Targoum  palestinien.  Lors- 
qu'à propos  du  sacrifice  d'Isaac,  l'auteur  mentionne  le  cassier,  on 
pourrait  croire  à  une  invention  :  on  a  vu  qu'il  en  est  tout  autre- 
ment. Comment  se  rattache-t-il  au  Testament?  Ce  n'est  probable- 
ment pas  par  l'intermédiaire  de  la  tradition  populaire:  il  serait 
bien  extraordinaire  qu'on  eût  gardé,  en  Palestine,  au  vni''  siècle 
encore,  le  souvenir  d'un  rite  antérieur  au  Talmud  et  aboli  avant 
même  la  destruction  du  Temple.  C'est  donc,  selon  toute  vraisem- 
blance, à  la  tradition  littéraire  que  le  Targoumiste  a  emprunté  ce 
détail,  c'est-à-dire  à  quelque  écrit  s'inspirant  des  ouvrages  anlé^ 
rieurs  à  l'an  70,  sinon  à  l'un  de  ces  ouvrages  mêmes,  comme  les 
Testaments  des  Patriarches,  dont  la  conservation  parmi  les  Juifs 
de  Palestine  ou  de  Syrie  est  aujourd'hui  avérée,  ou  comme  le  Livre 
des  Jubilés,  que  Saadia  possédait  encore  en  hébreu. 

C'est  pour  avoir  exploité  ce  fonds,  d'une  richesse  plus  grande 
qu'on  n'imagine  d'ordinaire,  que  le  Pseudo-Jonathan  reproduit  si 
souvent  des  opinions  antétalmudiques  ;  inutile,  par  conséquent, 
d'attribuer  une  haute  antiquité,  comme  le  fait  Geiger,  à  un  Tar- 
goum certainement  récent,  puisqu'il  n'est  qu'un  remaniement,  avec 
des  additions  de  basse  époque,  du  Targoum  Onkelos. 

Israël  Lévi. 


LES   CINQ   ÉCRITl  RKS  JAPHLTITES 

D'APIŒS  LE  MIDRASGH  HAG.\DOL 

Le  Midrasch  llar/adol  nous  a  conservé  le  curieux  texte  (pii  suit 
(sur  Genèse,  x,  3;2j  :  «  Les  descendants  de  Japhet  se  servirent  de 

1.  Nouvel  iiiilicu  alleslant  que  la  liste  des  arbres  dans  le  texte  du  Livre  des  Jubilés 
traduit  eu  élhiuiiieu  n'était  pas  rOdiijée  en  araméeu,  mais  en  hébreu.  Voir  Revue, 
t.  LIV,  p.  171  et  s. 


288  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

vingt-deux  langues  et  de  cinq  écritures  (n'^an^)  '  ;  ces   écritures 
sont  :  -^itti  ■^3T'  ■«p'-ipsT  -^Kin-n  ■'Oin-i.  >> 

De  ces  cinq  adjectifs  les  deux  derniers,  qui  correspondent  d'ail- 
leurs aux  noms  des  fils  de  Japhet  inwn  )v  (Genèse,  x,  2),  désignent 
sans  aucun  doute  les  caractères  grecs  et  ?nèdes,  encore  qu'on  ne 
sache  pas  au  juste  ce  que  vise  cette  dernière  dénomination  : 
sont-ce  les  lettres  des  monnaies  perses? 

'''P'^tip  doit  être  lu  ■'p'isp  «  cappadocien  ».  Justement  Josèphe 
[Antiquités,  I,  l^o},  écho  de  la  tradition  de  son  temps,  identifie 
avec  les  Cappadociens  ^«^73,  qui  figure  dans  le  même  verset  que 
Yavan  et  Madaï -.  Une  autre  tradition,  ancienne  également,  ratta- 
chait les  Cappadociens,  non  àMeschech,  mais  à  Gomer  -i?:5,  le  pre- 
mier dans  la  nomenclature  des  fils  de  Japhet.  C'est  cette  tradition 
qui  explique  la  traduction  de  d'^i?:^  (Ézéchiel,  xxvii,  11)  dans  le 
ïargoum  par  «  Cappadociens  ».  Le  Targoumiste  a  lu  û->ntt5  et  peut- 
être  même  D"'"i?2à  «  Gomerim  »,  comme  Théodotion  (ro[j.ao£t[jL).  On  a 
fait  remarquer,  à  ce  propos,  que  Garnir  est  le  nom  arménien  de  la 
Cappadoce  ^. 

Qu'on  ait  connu  en  Palestine  l'écriture  cappadocienne,  rien 
d'étonnant;  la  Mischna  parle  des  monnaies  de  Cappadoce  Ketou- 
bot,  xn,  11  ;  cf.  Ketoubot,  110  6);  il  y  avait  à  Sepphoris  une  com- 
munauté de  Juifs  de  ce  pays  ij.  Schebiit,  39  «  ;  la  Palestine 
comptait  même  des  rabbins  ayant  la  même  origine  (voir  Levy  et 
Neubauer)  ;  plus  anciennement  les  rapports  entre  les  Juifs  de  Cap- 
padoce et  ceux  de  la  métropole  étaient  plus  étroits  encore  Josèphe, 
Antiq.,  XVI,  6,  7  ;  Actes,  ii,  9-11 1. 

"isii"»  ne  se  laisse  pas  identifier  aussi  facilement.  Bien  entendu, 
ce  nom  n'a  rien  à  faire  avec  celui  de  la  peuplade  chanaiiéenne 
connue.  Il  est  assez  vraisemblable  qu'il  désigne  Éphèse,  ville  qui 
d'après  Talmud  palestinien  Me(/uilla,  71  b  et  le  Targoum  des  Chro- 
niques il,  I,  5  répond  à  "jv  et  dont  le  nom  est  orthographié  dans 
ces  deux  ouvrages  D'^O'^mx  et  DiD"ni!<.  Éphèse  comptait  également 
des  Juifs  (Josèphe,  Contre  Apion,  II,  A  et  l'on  sait  que  Paul  y  prê- 
cha dans  des  synagogues.  Peut-être  même  les  Juifs  de  Palestine 
avaient-ils  entendu  parler  des  fameux  'EoÉGia  ypaaaTa  «  formules 

1.  Chaque  rameau  iioacliide  dispose  de  ("iiKi  écritures,  celui  de  Sem  eu  a  uue  de  plus. 

2.  Une  traditiou  divergente  identifie  la  Cap]tadore  avec  mriDD  :  Septante,  Deutéron., 
II,  23;  Anios,  ix,  7;  Syniinaque,  Amos,  ix,  7;  Aquila  et  Tliéodotion,  Jéréni.,  xlvii,  4; 
Tariiuum  Onkelos,  Genèse,  x,  14;  Deut.,  ii,  23;  Targ.  Jonathan,  Anios,  ix,  7. 

3.  Paul  de  Lairarde,  Smend.  —  M.  Krauss  {Jeirish  Enci/clop.,  s.  v.)  écrit  ;\  propos 
de  Q-^lToa  «  ...and  the  targuni  on  Ezek.  27,  11  [identilies  itj  with  Gauiniadini,  where 
tlie  reading  W^liz  D5  serves  as  basis  ».  C'est  vrai  seulement  pour  Symmaque,  mais 
non  pour  le  Targoum,  qui  y  voit  "1735  de  la  Genèse. 


.NOTES   LT   ilELA.NGKS  2s0 

épliésiennes  »,  qu'ils  auront  pris  pour  des  «  lettres  épiiésieniies  '  ». 

Sous  des  noms  divers,  ce  sont,  au  fond,  les  mêmes  caractères 
grecs  qui  sont  visés  dans  notre  texte. 

Mais  qu'est-ce  que  ■'Kinn?  Pour  un  nom  jai)liéti<iue,  ce  vocable  a 
un  cachet  singulièrement  sémitique,  témoin  le  n.  Il  resterait  une 
énigme  s'il  ne  se  rencontrait  pas  ailleurs,  avec  une  signification 
assurée.  On  lit  dans  le  Midrasch  Ayadat  Schir  IJaschirun,  à  la  fin  : 

s'5-:;tt«  au;"3  nnTTan  2im"3  inwSi  ■i7:in-iN  Dw'î  n::T7:r:  "jidi:'?  nnwX  s-'Nba. 
«  Fuis,  mon  bien-aimé  [dit  Israël  à  Dieu,  Gant.,  vu,  14\  Quand 
[furent  prononcées  ces  paroles]?  Le  jour  oùrmoi,  Israël]  j'ai  conclu 
une  alliance  avec  Arhoumo  ou  Arhoumi)  et  où  ceux-ci  olfrirent 
deux  chevreaux,  l'un  au  noid  de  l'autel  au  nom  dArhoumo  et 
l'autre  au  sud  au  nom  de  Jérusalem.  » 

Cet  étrange  passage  est  commenté  un  peu  plus  loin  par  nne 
autre  interprétation  de  ce  mot  des  Cantiques, 

t2ri->;"'2  rpVrn:3  hz.i'O  Vît;!  îz;n:73  ■<x:->n  tx.^\h  "^-m  nna  n"t 
Nm  3-T  b"j  •j^rip-'-iD  D^03Vr«  a^T'wbn  mt<«  n;7:*CT  Nin  cn:73  Ni:-'') 
nbjT  -is-im  tnr:  'ro  vr^x  mnn-a  -13  ,sic]  pi3>2  '\^•^\Vi')2  p  ^;n 
■«'^jrN  in'rc  nr^r  rrrriN  ,rm"':tt  r-.r:-:  nir^m  yizy  û'^T'^rrm  '^'y•:^ 
T>rTw  C2'w:r!  '?3  'j"'^''^::?^  rm  £::ib':;"i-i"«  hy  5<-inop  la^cim  irn-itwS 
nniN  t^nrcp  ^w:n  "ro  iDrii  i>:r  a"'T«?:'?nr!T  — it^în  n'rri  ,r,-z^r^-2 
"'x:ni  "^Ti-  n-,3  i-i-:n    tw::   nn^x  "r:^   ,t3'rOTT'a   npV^na   nbca  nra 

■  =-^b"'w\-   -,::ii'b   iwX   ^2-.cb    Y^ 

«  Fuis,  mon  bicu-aimi'".  »  Huaiid  cela?  Au  temps  de  Menaliem  et 
Hillel.  A  la  suite  d'une  discussion,  Menahem  sortit  avei-  huit  cents 
disciples  revêtus  de  i'ip"'T»3  d'or.  Alois  vint  Hanan,  fils  de  Metron, 
qui  se  jeta  sur  Juda,  frère  de  Meuahem,  et  le  tua.  Là-dessns, 
Éléazar  avec  ses  disci[)les  le  dépecèrent  en  morceaux.  Immédiate- 
ment les  gens  de  Orhamo  mirent  le  camp  i<-inop  devant  Jérusalem 
et  souillèrei\t  toutes  les  femmes  (|ui  s'y  trouvaient.  Mais  Ëh'azar  et 
ses  disciples  taillèrent  en  pièces  tous  les  gens  du  camp.  Alors  la 
discorde  se  mit  à  Jérusalem  et  c'est  à  cette  occasion  qu'on  s'écria  : 
«  Fuis,  mon  hien-aimé,  semblable  à  un  cerf  on  à  un  chamois.  » 
Dans  une  autre  rccension  de  notre  tfxti'.  ou  lit  Orhimo,  au  lieu  de 
Ourhamo,  et  Éléazar  frappe  Elhanan. 

C'est  un  chaos  de  traditions  dilTérenles  amalgamées.  La  «  sortie  » 
de  Menahem  est  un  épisode  de  l'histoire  d'Hillel,  qui  se  lit  dans 

1.  A  m  croire  la  Jeu-.  Enci/cL,  s.  v.  Ephesus,  les  «  lellres  KpliOsietincs  »  aiiraiiMit 
été  employées  éir.ilemeiit  par  les  Juifs  et  l'on  renvoie,  à  ce  propos,  à  Low,  (iesamm. 
Sf/iriflen,  11,  80.  11  n'v  a  jias  viii  traître  mot  ilf  i  eja  iliiiis  re  travail. 

T.  LV,  N»  110.  lit 


290  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

Hàf/uifjfa,  iC)  b  et  j.  Har/uif/a,  11  cl.  Ce  Menaliem  est  confondu  avec 
un  homonyme  plus  récent,  le  zélote  Menabem,  lequel  a  un  père  et 
non  un  frère  du  nom  de  Juda  Éléazar  est  sans  contredit  le  fameux 
chef  de  révolte  de  lan  66.  Hanan  ou  Elhanan  est-il  le  même 
personnage  que  l'Ananias  de  Josèphe  Bel.  Jiid.,  II,  17i,  nous 
n'oserions  pas  l'affirmer  avec  M.  Schechter*.  En  tout  cas,  il  est 
indéniable  que  les  événements  racontés  ici  doivent  se  placer  aux 
approches  du  siège  de  Jérusalem  par  les  Romains. 

Quant  à  ces  entreprises  odieuses  de  la  soldatesque,  il  est  facile 
de  voira  quelle  confusion  elles  sont  dues.  C'est  un  emprunt  à  la 
Meguillat  Taanit,  vi  (p.  12  de  l'éd.  Neubauer)  :  ïT«n  ^'^y    n^ntoa 

Snan    iriDn    pnv    p    inTinab    nrr^n    rn»    nm    ...mbDri    pn 
!-TN»r2b  p-iaopn   N3   i^^manb  n:?oT  yarr^î^i. 

Ici,  il  est  question  de  l'époque  des  Macchabées,  mais  l'auteur  du 
commentaire  du  Cantique  s'est  trompé  sur  le  mot  "«NTai"),  qu'il  a 
traduit  par  «  les  Romains  ».  Et  c'est  précisément  ce  nom  qu'il  a 
remplacé  par  •^»w-in. 

L'écriture  '^ti^m  est  donc  tout  bonnement  celle  des  Romains, 
les  caractères  latins-.  Ce  mot,  de  même  que  celui  de  -^Taimi^-^  (c'est 
ainsi  qu'il  faut  lire  au  lieu  de  n^oimN  ou  i72n'-ni<\  est  l'orthographe 
de  Rome  employée  en  particulier  dans  la  Damascène.  C'est  ainsi 
qu'on  trouve  Corpua  Inscript.  Semitic,  pars  aram.,  n»  161  Yère 
des  Romains  rendue  ainsi  :  «"'Knn'iN  1"^37j.  Le  n  est  mis  ici  pour 
indiquer  l'esprit  rude  et  I'n  sert  de  support.  Que  si  le  n  a  été  rem- 
placé par  un  n,  la  faute  en  est  aux  copistes,  qui,  ne  comprenant 
rien  à  ce  vocable  exotique,  l'ont  rapproché  de  la  racine  nm. 

Il  ne  faudrait  pas  conclure  de  cette  circonstance  que  le  nom  de 
Rome  est  ainsi  transcrit  dans  nos  textes,  pour  les  placer  dans  la 
Damascène.  11  se  peut  que  cette  orthographe  ait  été  répandue  en 
dehors  de  cette  région.  Mais,  comme  elle  ne  se  constate  ni  en 
Palestine,  ni  en  Rabylonie,  ni  même  dans  le  Midi  de  l'Europe,  il 
est  licite  de  l'assigner  en  propre  à  la  Syrie  ou  à  l'Asie  mineure. 
Nos  textes  auraient  donc  gardé  des  traces  de  la  littérature  juive 
de  ces  parages. 

Israël  Lévi. 

\.  Af/adat/i  S/iir  Ilashirim,  p.  96. 

2.  D'ordinaire,  c'est  D'^PD  de  Genèse,  x,  4,  (Ils  de  Yavan.  qui  désigne  Rome,  et  cette 
identiliration  traditiounciie  Justifie  amplement  l'opinion  de  l'auteur  de  notre  texte, 
mais,  comme  les  quatre  autn-s  noms  i)ropres  sont  mis  on  r.ipport  avec  ceu\  du  verset  2, 
il  n'est  pas  impossible  (lue  cet  auteur  ait  vu  Rome  sous  le  nom  de  Mairog. 

'.).  M.  Scliechter(/6.)  dit  que  "mn":}*  est  peut-ùtre  la  corruption  de  N'^Saii*  ;'•')  ou 
'II'  ^7311  "^'CJSÎ*.  Il  est  très  étoiiuaut  qu'ayant  été  si  prés  de  la  vérité,  à  notre  sens,  il 
n'ait  plus  pensé  à  ce  tevte  dans  son  commentaire  du  'Midrasch  Hacadol. 


BIBLIOGRAPHIE 


Xeumark  (D.  .  Geschichte  der  jûdischen  Philosophie  des  Mittelalters, 

iiach  Problemen  dargeslcllt.  Erster  Band  :  Die  Griindiirin/.ijpiea.  i.  Burlin,  (i.  Uei- 
nier,  1907:  gr.  in -8°   de  xxiv  +  013  p. 

Écrire  une  Histoire  de  la  philosopliie  juive  tout  entière,  une  histoire 
qui,  recueillant  d'abord  les  premiers  bégaiements  d'une  pensée  encore 
peu  sûre  d'elle-même,  en  suivrait  la  destinée  et  le  développement  à  tra- 
vers les  siècles  et  en  dégagerait  l'expression  originale  au  milieu  des  élé- 
ments étrangers  qui  de  toutes  parts  sont  venus  l'envelopper,  la  fortifier 
ou  l'obscurcir,  —  voilà  l'entreprise,  considérable  avant  tout  par  la  pré- 
paration qu'elle  a  nécessitée,  qu'a  tentée  M.  Neumark.  Aussi  bien  M.  N., 
qui  s'est  déjà  fait  connaître  par  une  série  d'études  remarquables  sur  la 
philosophie  juive  '  et  qui  vient  d'être  nommé  titulaire  de  la  chaire  de 
philosophie  religieuse  à  l'Hebrew  Union  Collège  de  Cincinnati,  était-il 
particulièrement  apte  à  aborder  ce  travail  que  souhaitaient  depuis  long- 
temps tous  les  amis  de  la  science  juive. 

M.  N.  aurait  donc  déjà  mérité  notre  reconnaissance  si,  dans  cette  œuvre 
de  synthèse  qui  vient  combler  une  vraie  lacune,  il  s'était  contenté  de 
réunir  et  de  fondre  dans  un  ensemble  harmonieux  les  traits  et  les  ren- 
seignements épars  dans  les  diverses  monographies  qui  existent  actuelle- 
ment sur  le  sujet.  Mais  il  a  voulu  faire  plus  et  mieux.  Estimant  qu'un 
auteur  consciencieux  ne  pouvait  guère,  sauf  exception,  prendre  pour 
base  d'une  histoire  générale  de  la  |)liilosopliie  juive  les  études  (}ue  nous 
avons  déjà  sur  la  matière,  dont  les  unes  sont  incomplètes  et  dont  les 
autres  —  la  plupart,  selon  M.N. —  pèchent  tout  bonnement  par  l'ignorance 
du  sujet,  il  se  dit  que  tout  —  ou  presque  tout  —  était  à  refaire  et,  se 
mettant  hardiment  au  travail,  il  lut  et  approfondit  toutes  les  «pu\rcs  oîi 

1.  V.  Ilascliilouh.  juilli-t-d.;cemtMe  189'.!;  .ivrii-jiiiu  lOiU  ;  sept.  1!)0:{  ;  iiviil-juin 
1!)0  4:  l'fe. 


292  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

sont  consignées  les  idées  dont  il  avait  à  faire  l'iiistoire,  s'enquil  de  toutes 
les  sources  directes  ou  indirectes,  arabes  ou  grecques,  et  fut  ainsi  conduit, 
par  ces  recherches  personnelles,  à  des  résultats  qui  diffèrent  souvent  de 
ceux  qui  sont  généralement  reçus.  Ce  n"est  pas  seulement  telle  doc- 
trine particulière  qui  lui  apparut  sous  un  autre  jour,  telle  théorie  isolée 
qui  lui  sembla  avoir  été  mal  comprise  par  son  historien,  c'est  encore, 
c'est  surtout  la  tendance  fondamentale,  le  vrai  sens  et  la  portée  réelle  de 
la  philosophie  juive  qui  auraient  échappé  à  tous  ceux  qui  s'en  sont 
occupés  jus([u'a  maintenant. 

Et  voilà  certes  qui  parut  bien  fâcheux  à  M.  >'.  Car  «  conter  pour 
conter  semble  peu  d'affaire  »  à  M.  N.,  qui  est  philosophe  juif  autant 
qu'historien  de  la  philosophie  juive,  qui  n'est  même  ceci  que  parce  qu'il 
est  cela  et  qui  précisément  ne  cherche  dans  les  produits  de  la  pensée  de 
l'antiquité  et  du  moyen  âge  juifs,  que  des  indications,  plus,  des  éléments 
pour  construire  un  «  système  monothéiste  de  philosophie  transcendan- 
tale  »  —  au  sens  kantien  du  mot  —  et  remplir  ainsi  la  troisième  tâche 
du  Judaïsme  n)oderne.  Celui-ci  a  en  etfet,  vous  l'ignoriez  sans  doute, 
trois  devoirs  a  accomplir,  trois  devoirs  qui  fondent  proprement  sa  raison 
d'être. 

La  religion  des  Hébreux  nous  apparaissant  dès  le  début  comme  la 
lutte  de  la  raison  contre  la  mjthologie,  contre  l'irrationnel,  et  se 
formulant  dès  son  origine  en  des  principes  assez  abstraits,  est  déjà  rela- 
tivement une  philosophie.  Il  faut  donc  faire  une  exposition  historico-phi- 
losophique  des  dogmes  de  la  religion  :  et  c'est  la  première  tâche'.  La 
seconde,  qui  ne  s'impose  pas  avec  moins  de  nécessité,  c'est  de  faire  luic 
histoire  de  la  philosopliie  juive  au  moyen  âge.  -  Nous  en  examinons 
plus  loin  le  premier  tome. 

Enfin,  comme  aboutissement  et  coiu-onnement  des  efforts  précédents, 
viendra  la  troisième  entreprise  mentionnée  plus  liaut.  Il  nous  faut  donc 
«  un  système  de  philosopliie  transcendantale  fondé  sur  un  monoliiéisme 
éthique  ».  Il  nous  faut  asseoir  les  principes  fondamentaux  du  jiida'isme 
sur  la  base  de  la  science  et  de  la  philosophie  moderne.  Cela  s'impose 
d'abord  à  l'israélite  croyant  :  car  la  religion,  la  religion  juive  surtout, 
qui  a  toujours  favorisé  le  progrès  de  la  science,  ne  peut  point  se  trouver 
en  contradiction  avec  les  exigences  de  cette  dernière,  et  doit  être  en 
état  de  fournir  une  réponse  à  toutes  les  questions  que  nous  nous  posons. 
Gela  est  ensuite  nécessaire  à  tous  ceux  qui  pensent  :  car  seul,  le  mono- 
théisme éthique  pourra  assurer,  au  milieu  de  celte  débâcle  intellectuelle 
et  morale  à  laquelle  nous  nous  acheminons,  un  fondement  objectif  à 
la  connaissance,  à  la  science,  à  la  morale.  Que  l'édification  d'un  tel 
système  soit  possible,  c'est  ce  dont  nous  ne  douterons  point,  nous  affirme 
M.  N.,  quand  nous  aurons  étudié  avec  lui  tout  le  développement  de  la 
philosophie,  ou,  si  l'on  veut,  car  c'est  tout  un,  de  lu  religion  juive.  Nous 

i.  L'auteur,  ijui  est  hou  juif,  s'en  est  udiuitté  :  v.  D^np"'3>  daus  mrT^n  "illN, 
éd.  -Vcliiasaf,  Vaistivic,  l'JOG. 


DIBLIOGHÂPFIIE  293 

verrons  bien  alors  que  cette  dernière  peut  nous  fournir  tous  les  moyens 
désirables  pour  résoudre  les  différents  problèmes  (|ue  l'évolution  de  la 
science  a  mis  au  jour. 

M.  N.  donc,  enhardi  sans  doute  par  les  essais  de  Cohen,  réminent  pro- 
fesseur de  Marbourg,  voit  dans  les  prophètes  et  dans  d'autres  représen- 
tants de  la  pensée  juive  les  censeurs  de  tous  nos  grands  métaphysiciens 
modernes  et,  —  bien  que  cela  invite,  comme  on  le  pense,  à  des  contro- 
verses théologiques  déplacées  ici,  —  nous  n'y  verrions  pas  d'inconvé- 
nient, si  dans  une  certaine  mesure  cette  arrière-pensée  de  dogmatisme 
n'avait  point  influé,  fâcheusement  à  notre  avis,  sur  la  méthode  et  l'éco- 
nomie générales  de  l'ouvrage.  D'abord,  M.  M.  cherchant  des  principes, 
des  résultats,  ne  nous  expose  pas  les  différents  systèmes  et  doctrines  avec 
leur  agencement  particulier,  dans  leur  unité  plus  ou  moins  harmonieuse, 
conformément  au  dessein  d'ensemble  de  leurs  auteurs.  Il  a  adopté  cette 
méthode,  commode  à  certain  égards,  mais  artificielle,  qui  consiste  à  divi- 
ser la  matière  en  divers  problèmes  et  à  étudier  successivement  chacun 
de  ceux-ci  chez  tous  les  philosophes  qui  en  ont  traité.  Mais  cette  liste  de 
problèmes,  c'est  l'historien  qui  la  dresse,  et  elle  ne  répond  pas  toujours 
aux  idées  des  auteurs,  qui  souvent  ne  se  sont  guère  posé  les  questions 
sous  cette  forme  tranchée  et  dont  elle  dépèce  assez  arbitrairement  la 
pensée,  unissant  ce  qui  était  divisé,  et  divisant  ce  qui  était  uni.  En  outre, 
cette  façon  de  procéder  n'est  même  pas  très  commode  pour  le  lecteur, 
car  le  moyen  d'embrasser  dans  sa  vigoureuse  coordination  la  philosophie 
d'un  Maïmonide  par  exemple,  si  nous  sommes  forcés  d'en  recueillir  ça 
et  là  des  lambeaux  qu'il  nous  restera  ensuite  à  grouper  péniblement?  Et 
puis,  ce  travail  accompli,  serons-nous  certains  d'avoir  fait  tout  le  tour  de 
la  pensée  que  nous  cherchions  à  saisir?  En  aura-t-il  donné  une  analyse 
exhaustive  l'historien  qui  l'a  fait  entrer  dans  des  cases  limitées  et  rigides, 
nécessairement  impropres  à  enserrer  et  à  reproduire  la  souplesse  de 
l'esprit? 

Autre  inconvénient,  plus  grave  peut-être  que  le  premier  et  dont  nous 
voyons  la  source  dans  ce  même  souci  de  dogmatiser  :  M.  N.  considère 
Ma'imonide  comme  le  plus  gi-and  philosophe  juif  du  moyen-âge  et  des 
temps  antérieurs,  en  quoi  il  a  sans  doute  raison.  Mais  où  il  va  trop  loin, 
à  notre  sons,  c'est  quand  il  voit  en  la  doctrine  du  grand  docteur  l'abou- 
tissant logique  et  nécessaire  de  toutes  colles  qui  l'ont  précédée,  le  foyer 
unique  où  sont  venus  converger  les  rayons  partis  de  tous  les  points,  et 
qu'il  en  fait  par  suite  un  critérium  à  l'aide  duquel  il  examine  les  pro- 
ductions antérieures  et  pour  les  comprendre  et  pour  les  apprécier.  Chez 
Maïmonide,  ce  qui  était  auparavant  inachevé  et  imparfait,  <leviontachevé, 
parfait:  nous  jugerons  donc  de  l'enfant  par  l'adulte,  des  autres  théolo- 
giens par  Maïmonide.  —  Dangereux  prisme,  qui  risque  fort  de  défigurer 
l'image  des  clioses  qu'il  devra  réfléchir.  Ajoutons  pourtant  à  la  décharge 
de  M.  N.,  —  fait  que  nous  aurions  déjà  dû  noter,  —  qu'une  dos  causes 
pour  lesquelles  il  a  fait  de  Maïmonide  ce  centre  de  rayonnement,  c'est 
qu'il  s'était  proposé  décrire  d'abord  une  monograpliie  sur  cet  auteur 


294  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

et  enbuite  seulement  sa  grande  histoire  et  qu'il  ne  se  décida  à  trans- 
former immédiatement  celle-là  en  celle-ci,  que  quand  il  s'aperçut  que 
dans  aucune  des  études  existantes  il  ne  pouvait  même  puiser  avec 
confiance  les  renseignements  nécessaires  sur  les  antécédents  et  les 
sources  de  Maïmonide. 

Voilà  dabord  les  quelques  remarques  d'ordre  tout  extérieur  que  nous 
a  suggérées  la  lecture,  très  intéressante  d'ailleurs  et  très  instructive,  du 
premier  volume  de  cette  histoire  monumentale  de  la  philosophie  du 
moyen-âge,  auquel  viendront  s'ajouter  quatre  autres  volumes,  qui  trai- 
teront respectivement  les  questions  suivantes  :  le  deuxième  :  les  théories 
sur  les  attributs  de  Dieu  ;  le  troisième  :  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  ; 
les  principes  fondamentaux  dans  la  philosophie  post-maïraonidienne';  le 
quatrième  :  psychologie,  théories  de  la  connaissance  et  prophétologie; 
enfin  le  cinquième  :  l'éthique  et  les  dogmes. 

#** 

Le  tome  présent  se  divise  en  deux  parties.  Dans  la  première,  qui  forme 
près  de  la  moitié  du  volume  et  qui  sert  d'introduction  à  tout  l'ouvrage, 
l'auteur,  embrassant  dans  une  vue  générale  fortement  conçue,  la  destinée 
pleine  de  péripéties  de  la  spéculation  juive  sous  toutes  ses  formes,  phi- 
losophique, légale,  mystique,  nous  en  retrace  à  grands  traits  et  avec  un 
art  incomparable  le  développement  entier  depuis  les  prophètes  jusqu'à 
Juda  Abravanel.  Dans  la  seconde  partie  est  examinée  la  question  de 
matière  et  forme  dans  la  philosophie  juive  depuis  Israéli  jusqu'à  Maïmo- 
nide, question  qui,  constituant  le  noyau  du  problème  de  la  substance, 
embrasse,  en  les  dépassant,  les  théories  de  la  création,  des  sphères  et  l'an- 
gélologie.  On  ne  résume  pas  un  tel  ouvrage  d'un  bout  à  l'autre.  Nous 
essaierons  seulement  de  mettre  en  lumière  et  de  discuter,  s'il  y  a  lieu, 
quelques-unes  des  principales  idées  de  l'auteur,  dont  la  nouveauté  ou 
l'intérêt  méritent  de  fixer  notre  attention,  en  regrettant  de  ne  pouvoir 
montrer  ici  comment  M.  N.  sait  faire  preuve  d'autant  de  patience  et 
d'habileté  dans  la  critique  et  l'interprétation  des  textes  que  d'étendue  et 
de  pénétration  dans  ces  conceptions  d'ensemble  qui,  même  quand  on 
ne  les  juge  pas  toujours  incontestables,  ne  laissent  pas  de  nous  découvrir 
des  perspectives  toutes  nouvelles. 

Une  des  idées  maîtresses  de  M.  N.,  qui  anime  tout  l'ouvrage  et  lui 
donne  une  couleur  si  particulière,  c'est  que  la  pensée  juive,  en  ce  qu'elle 
a  d'essentiel,  reste  elle-même  à  n'importe  quelle  phase  de  sa  longue 
évolution.  La  forme  qu'elle  revêt  peut  varier  selon  les  époijues  et  les 
circonstances,  mais  le  fond  en  reste  toujours  homogène.  Ainsi  M.N.  nous 

1.  Jusqu'ici  il  n'aura  exposé  que  les  opiDions  des  philosophes  qui  vont  dlsraéli  à 
Maïmonide.  Car  pour  l'époque  postérieure,  beaucoup  de  documents  imprimés  font 
défaut,  et  l'auteur  serait  obligé  de  consulter  divers  mss.,  ce  qu'il  n'a  pas  encore  fait 
complètement  jusqu'à  présent. 


BIBLIOGRAPHIE  295 

inoiitrei"!  les  mêmes  proltlèmes  qui  piroccupaient  déjà  les  esprits  au 
temps  des  premiers  prophètes,  continuer  à  alimenter  la  spéculation 
juive,  à  travers  les  siècles,  jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge  cl  même  au  delà. 
Remontons  aussi  haut  que  les  documents  prophétiques  nous  le  per- 
mettent. 

Ine  longue  évolution  de  la  religion  des  Héhreux  aboutit  au  renouvelle- 
ment du  pacte  sinaïtique  par  Josias.  Après  une  forte  lutte  contre  la  cos- 
mogonie et  Tangélologie  des  Babyloniens,  s'établit  fermement  la  croyance 
à  un  Dieu  un.  Mais  que  faut-il  entendre,  d'après  M.  N.,  par  ce  mono- 
théisme des  vieux  prophètes?  Tout  simplement  ceci,  dont  s'accommode- 
rail  parfaitement  tel  spiritualisle  moderne,  que  l'Esprit  est  un  cl  unique 
par  essence  ;  ([ue  celle  unité  est  absolument  indivise  et  indivisible  ;  que 
cet  Esprit  est  Dieu,  et  qu'il  n'y  a  donc  d'Esprit  que  Dieu  '. 

L'angélologie,  tellement  combattue  que  son  intluence  ne  se  fait  plus 
sentir  dans  le  Deutéronome,  continue  pourtant  à  compter  des  partisans 
fervents,  comme  Ezéchiel. 

El  voilà  déjà  les  linéaments  précis  de  celle  théorie  de  l'unité  de  l'Esprit 
qui  formera  le  thème  principal  des  doctrines  de  Plotin  et  du  nt'oplato- 
nisme,  mais  aussi,  et  essentiellement,  de  colles  de  Maïmonidc  et  même 
de  Gabii'ol. 

Ezra  et  le  Grand  Synode  continuent  a  s  inspirer  des  enseignements 
«  unitaires  »  de  Jérémie,  mais  sont  cependant  forcés  de  faire  une  place 
aux  Anges,  à  l'égard  desquels  ils  pouvaient,  d'ailleurs,  se  permettre  plus 
d'indulgence,  attendu  que  l'idée  de  l'unité  de  l'Esprit  avait  pénétré  dans 
toutes  les  classes  du  peuple. 

Mais  déjà  longtemps  avant  —  quand?  l'auteur  reste  dans  le  vague,  qui 
est  comme  on  lésait  un  élément  de  la  poésie...  —  celle  doctrine  de  l'unité 
absolue  de  l'Esprit  eut  à  souft'rir  de  l'apparition,  bien  antérieurement  à 
l'influence  de  Platon,  dune  théorie  des  Idées  dont  nous  reli'ouvons  la 
trace,  comme  le  remarque...  Pliilon,  dans  les  récits  bibliques  de  la  création 
de  l'homme  à  l'image  de  Dieu  et  de  l'Archétype  céleste  du  Sanctuaire 
terrestre  dont  .Moïse  eut  la  vision. 

Cependant  la  lutte  autour  de  l'angélologie  continue  cl  se  prolongera  à 
travers  le  Talmiid  jus([u'au  moyen  âge.  Les  influences  étrangères  ne  ces- 
sent di'  s'excn-er  sur  le  .ludaisme  non  officiel;  la  théorie  des  Idées  et  l'an- 
gélologie font  des  ravages  dans  l'.Vggada  elles  livres  apocryphes,  entrent 
même  —  la  seconde  surtout  —  dans  le  Canon  lors  de  sa  clôture,  et  sont 
cause  aussi  de  l'admission  officielle  de  certains  dogmes  étrangers  au 
.Judaïsme,  comme  celui  de  la  résurrection. 

La  .Mischna,  étant  l'expression  du  Jiulaïsme  officiel,  conserve  en  les 
développant  les  doctrines  des  prophètes  et  ne  mentionne  que  discrètement 
les  dogmes  de  l'expiation  après  la  moi't,  de  la  résurrection,  et  de  la  pré- 

1.  Notons,  fil  |i;issaiil,  (iiic,  stluii  l'auteur.  cVst  ce  mi'-mi»  soiu-i  de  l'Unité  de  l'Esprit 
qui  aurait  fait  rejeter  des  documents  bibliques  fout  ce  qui  avait  trait  à  la  destinée  de 
l';\me  [=  esprit]  et  au\  espérances  escliatolouriques  qui  tenaient  pourtant  une  trrande 
place  dans  les  croyances  d'alors  ! 


296  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

existence  de  la  Toi-a.  L'angélologie,  sauf  une  exception,  en  est"  nnênie 
complètement  exclue.  Il  ne  faut  pourtant  pas  croire  que  toute  spéculation 
myslico-philosophirjiie  faisait  défaut  aux  Tannaïtes.  Beaucoup  de  faits 
font  foi  du  contraire.  Nous  lisons,  en  effet,  entre  autres,  dans  le  Talmud'. 
(jue  les  Schamniaïtes  et  les  Hillélites  dis(;utèrent  pendant  deux  ans  et 
demi  sur  cette  question  dénuée  de  tout  intérêt  halacliique  :  Eùt-il  mieux 
valu  pour  l'homme  qu'il  ne  fût  pas  né  ?  Et  plus  d'une  fois  il  est  question 
des  doctrines  ésotériques  de  «  Maassé  Bereschit  »  et  de  «  Maassé  Merkaba», 
dont  la  première,  nous  dit  l'auteur,  avec  plus  de  certitude  que  ceux  qui 
avant  lui  avaient  émis  cette  hypothèse,  équivalait  à  cette  théorie  des 
Idées  dont  nous  avons  déjà  fait  la  connaissance  et  la  seconde  à  l'angélo- 
logie et  à  la  doctrine  de  rémanation. 

Longtemps  ces  disciplines  secrètes  restèrent  séparées  l'une  de  Tautre. 
Ainsi  les  Schammaïtes  et  les  Hillélites  ne  discutèrent  que  sur  «  Beres- 
chit ^>  tandis  que  R.  Yohanan  b.  Zaccaï  et,  avec  plus  de  profondeur  que 
lui,  son  disciple  Josué  b,  Hanania,  ne  s'occupèrent  que  de  «  Merkaba  >>. 
Mais  Akiba  les  confondit.  La  distinction  entre  elles  était  pourtant  nette  : 
la  première  admettant  un  principe  matériel  coéternelàDieu  et  la  seconde 
enseignant,  sans  aucun  doute,  que  tout  ce  qui  existe  émane  d'une  source 
uni(iue  qui  est  Dieu.  Il  est  vrai  qu'on  les  faisait  servir  l'une  et  l'autre  à 
l'explication  du  problème  de  la  Substance,  dont  la  préoccupation  avait 
remplacé,  dans  les  esprits  de  l'époque,  la  vieille  croj'ance  à  la  création. 
On  s'apercevait  bien  qu'elles  battaient  en  brèche,  comme  du  temps  des 
prophètes,  l'unité  de  l'Esprit,  mais  on  se  tira  d'aff'aire,  dune  façon  très 
inconséquente,  en  élevant  Dieu  au-dessus  même  du  spirituel  ;  en  décla- 
rant que  tout  en  dehors  de  Dieu  est  créé;  en  même  temps  qu'on  conser- 
vait la  croyance  à  la  préexistence  de  la  Tora  et  les  autres  éléments  de  la 
théorie  des  Idées,  ainsi  que  la  «  Merkaba  »  avec  les  «  Hayot  »,  etc. 

Ces  traditions  ésotériques  se  transmettent  sans  doute  aux  Amoraïm 
palestiniens,  dont  les  plus  célèbres  en  la  matière  sont  lioschaya  et  Josua 
ben  Lévi,  et  sont  même  importées  en  Babylonie  par  Bal)  ;  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  —  c'est  une  idée  que  l'auteur  développe  longuement,  et  que 
nous  retrouverons  encore  plus  loin  —  que  la  Halaclia,  qui  seule  avait 
une  autorité  officiellement  reconnue,  ne  cessa  d'exercer,  à  mesure  qu'elle 
se  développait  et  par  les  qualités  d'esprit  qu'elle  nécessitait,  l'action  la 
plus  dissolvante  sur  ces  disciplines  mystiques.  C'est  ce  qui  nous  explique 
que  colles-ci,  tout  en  ne  disparaissant  pas  complètement,  soient  allées 
s'affaiblissant  à  une  époque  et  dans  des  contrées  oii  les  extravagances  du 
mysticisme  alexandrin  égaraient  tant  d'esprits.  A  la  vérité  ces  vieilles 
doctrines  de  «  Bereschit»  et  «  Merkaba  »  avaient  déjà  eu  le  temps,  elles 
aussi,  de  faire  des  victimes.  Elles  ont  été  en  effet  la  source  directe  et 
lirosquf  uni(iue  de  la  Gnose  juive,  dont  on  connaît  un  célèbre  adepte. 
Aller,  et  aussi  de  la  Gnose  chrétienne.  Celle-là  a  inspiré  celle-ci,  et  non 
inversement,  comme  on  est  tenté  de  le  croire.  Les  chrétiens  ont  été  les 

1.  Eroubiu,  13  Z», 


BIBLIOGRAPHIE  297 

disciples,  —  disciples  terribles,  des  Tannaïlos.  Inutile  de  supposer  je  ne 
sais  quelle  influence  platonicienne.  Le  christianisme,  même  dans  ce  qu'il 
semble  avoir  de  (MMilraire  au  Judaïsme,  y  était  contenu  en  puissance,  de 
temps  immémorial  ;  puisque  la  divinisation  de  Jésus  nesl  (jirune  consé- 
quence de  la  vieille  liiéorie  des  Idées  remportant  enfin  la  victoire  sur  son 
ennemie  séculaire  :  ri'nité  de  l'Esprit,  de  Dieu  ;  et  que  la  (inose  qui 
fournit  tant  de  dogmes  à  la  religion  nouvelle  n'est  (pic  l'épanouissement 
au  grand  jour  de  la  Merkaba  juive,  restée  longtemps  secrète. 

En  d'autres  termes,  à  l'époque  talmudi<iue  encore,  il  y  ,i  d'un  cùlé 
toute  sorte  de  croyances  irrationnelles  et  de  l'autre  le  Judaïsme  officiel  et 
rationnel  :  n'est-ce  pas  à  s'y  méprendre  la  vieille  lutte  dont  déjà  Jérémic 
et  Ezéchiel  furent,  entre  autres,  les  champions  ? 

Passons  au  moyen  âge  et  ici  encoi-e  nous  verrons  que  ce  sont  les 
thèmes  traditionnels  de  la  spéculation  juive  qui  font  l'objet  des  discus- 
sions philosophiques  ou  mystiques. 

Durant  les  deux  siècles  qui  suivent  la  clôture  du  Talmud,  les  deux 
courants  mystiques:  théories  des  Idées  et  de  lEmanalion,  (jui  avaient  été 
fusionnés  à  partir  de  R.  Akiba,  comme  nous  l'avons  vu,  teiulent  <à.se 
séparer  de  nouveau.  En  Palestine  on  cultive  surtout  la  «  Merkaba  » 
mélangée  çà  et  là  de  ({uelques  éléments  de  «  Béreschit  »  '.  En  Babylonie, 
au  contraire,  c'est  cette  dernière  doctrine  qui  prédomine,  comme  Valtesie 
le  Sefer  Yecira.  Cet  ouvrage,  dont  l'origine  est  si  obscure  et  la  date 
inconnue,  aurait,  en  effet,  sous  sa  forme  actuelle,  vu  le  jour  en  Baby- 
lonie, mais  le  fond  en  aurait  été  importé  dans  ce  dernier  pays  de  Pales- 
tine'. On  compre'ul  alors  que  la  langue  de  cet  écrit  porte  le  cachet 
palestinien  ;  quant  à  l'influence  gréco-arabe  qu'on  y  remarque,  elle  s'ex- 
pliquerait tout  naturellement  par  les  additions  dont  on  enrichit  la 
recension  babylonienne.  Il  est  vi-ai  qu'on  y  relève  des  éléments  d'un 
système  émaualioniste.  Mais,  outre  qu'ils  sont  peu  nomlireux,  ils  font 
manifestement  pai'lie  d'une  théorie  parallèle  et  ajoutée  à  celle  des  Idées, 
après  coup  '. 

Cette  séparation  des  deux  doctrines  va  nous  aider  à  comprendre  léclo- 
sion  de  la  véritable  philosophie  juive  du  moyen  âge  et  aussi  l'origine  de 
la  Kabbale  restée  jusqu'ici  si  mystérieuse.  En  même  temps  —  et  c'est  ici 
oii  on  l'attendait  sans  d(uite,  (jue  .M.  N.  rend  sa  thèse  particulièiement 
intéressante  —  nous  allons  voir  comment  philosophie  et  Kabbale  se 
rattachent  toutes  deux  ;i  raucicuiie  sfȎculatiou  juixe,  comment  ces  mani- 

i.  Ia's  édits:  rîT^ip  "n:^-*;:;  ci  mr^'n  =  «  Merltaba  »  ;  n73Dn  yyi^  ainsi  (|tio 
■j'ID  w73~72  et  rm2in  m"^y  '"1  coiilifiiiiciil  les  deux  tliéories,  el<".,  etc. 

2.  l'piit-ètre  ii;ir  Rai)  même,  dont  les  idées  sur  les  «dix  paroles»  llaffhif/a  12  a) 
ont  fourni  la  matlire  dévi'lupiiée  jiar  le  .S.   Vectra. 

3.  I/auteur  rend  cette  liyi)Olliése  du  parallélisme  des  deux  tliéories  très  vraisem- 
blalile.  >ous  renvoyons  au  texte  pour  jdus  de  développement,  .\joulons  seulement  rju'elle 
supprimerait  beaucoup  de  diflicultés  au  sujet  du  S.  Y. —  \  y  bien  regarder,  Franck, 
qui  d'ailleurs  a  interprété  le  .S.  )'.  dans  un  tout  autre  sens,  l'avait  déjà  émise  :  ?.  La 
Kabbale,  2'  édit.,  p.  111, 


•298  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

l'estations  intellectuelles,  complètement  nouvelles  en  apparence,  s'expli- 
quent en  grande  partie  par  la  tradition  intérieure  du  Judaïsme. 

On  est  ordinairement  d'accord  pour  dire  que  le  réveil  et  le  développe- 
ment de  la  philosophie  juive  à  partir  de  la  fin  du  ix«  siècle  sont  dus  à  ces 
facteurs  :  la  naissance  du  Caraïsme  et  le  contact  des  Juifs  avec  les  Arabes 
d'Orient,  qui  leur  enseignèrent  les  doctrines  de  Platon  et  surtout  celles 
d'Aristote,  de  l'Aristote  néoplatonicien. 

C'est  d'abord  le  Caraïsme,  dont  l'origine  remonte  plus  haut  (jue  celle 
du  Motazalisme,  qui  explique  l'amour  soudain  des  llabbanites  pour  la 
dialectique  grecque.  En  effet,  les  Caraïtes  attaquent  dans  le  Talmud, 
l'aggada  anthropomorphique  et  toute  la  littérature  mystique,  rcjeltent 
complètrment  la  «Merkaha  »  ;  adoptent  d'autant  plus  volontiers  la  tliéorie 
des  Idées,  de  «  Bereschit  »  —  se  rappeler  le  rôle  du  Logos  chez  N'abàwcndi 
—  et  pour  l'un  et  l'autre  se  servent  d'arguments  philosophiques.  Les 
Rabbanites,  pour  soutenir  la  lutte,  sont  forcés  d'en  faire  autant,  — 
d'où  la  naissance  de  la  philosophie  juive.  Ainsi  donc,  rejet  de  la  «Mer- 
kaha »  et  adoption  de  la  vieille  doctrine  de  Bereschit  :  voilà  sa  canse  pro- 
chaine et  vous  voyez  que  nous  ne  sortons  pas  des  limites  du  Judaïsme. 
Direz-vous  que  cette  cause  est  tout  extérieure,  purement  formelle  et 
que  la  matière  de  cette  philosophie,  ce  sont  toujours  les  Arabes  qui  l'ont 
fournie?  Eh  !  non,  vous  lépondra  d'abord  M.  N.,  abondant  dans  le  sens  de 
Schreiner  '  et  le  dépassant,  les  fondateurs  de  la  philosophie  juive,  Saadia 
et  Almokammeç,  Israeli  et  Abousahal,  n'ont  i-ien  pris  aux  Arabes,  sauf 
peut-être  la  méthode.  Ils  ont  puisé  aux  mêmes  sources  qu'eux,  se  sont 
mis  directement  à  l'école  d'Aristote  et  avant  eux  même  ont  pu  connaître 
la  philosophie  grecque  dans  les  centres  d'instruction  hellénique  de  la 
Syrie  ou  dans  dos  traductions  persanes.  Le  Motazalisme  n'a  donc  pas  fait 
naître  la  pliilosophie  juive  ;  il  a,  au  contraire,  puisé  une  grande  partie  de 
ses  principes  fondamentaux  dans  le  Judaïsme.  —  Mais,  en  dernière  ana- 
lyse, il  reste  la  philosophie  grecque,  qui  fait  le  fond  de  celle  des  Juifs, 
et  qui  est  apparemment  autre  chose  que  "  Merkaba  »  et  «  Bereschit  »1  A 
supposer  même,  comme  le  veut  M.  N.,  que  les  Juifs  aient  en  grande 
partie  débarrassé  Aristote  de  la  poussière  néoplatonicienne  dont  il  resta 
toujours  couvert  chez  les  Arabes,  toujours  est-il  (juc  le  Stagirite  fut  une 
connaissance  nouvel  e  pour  les  premiers  comme  pour  les  seconds.  — 
Effectivement,  c'est  un  fait  histori(iue,  et  M.  X.  est  bien  obligé  de  s'y 
résigner.  Du  moins,  nous  montrera-t-il  que  c'est  grâce  k  la  longue  éduca- 
tion des  esprits  par  la  Halacha,  qui  a  fait  rejeter  la  mysti(iue  «  Merkaba  » 
et  purifier  de  tout  élément  mythique  la  théorie  des  Idées  —  le  halachiste 
Saadia  repoussera  même  cette  dernière  —  que  les  Juifs  ont  pu  adopter  le 
plus  souvent  l'Aristotélisme,  n'accepter  qu'un  Platon  préalablement 
amendé,  et  écarter  —  cela  est  même  vrai  de  Cabirol  comme  nous  le 
verrons —  entièrement  les  doctrines  essentielles  du  néoplatonisme. 

1.  .hiliresbericht  (1er  Lehrnnslall  f'i/r  d.   Wissenscluift  d.  Jnd.:  Der  halciin  in  </. 
Jiid.  Lin.,  p.  1-4  ;  Bwrlin,  1893. 


UIULIUGKAPIIII';  299 

Accepter  presque  exclusivement  le  péripatétisnie,  c'était  contininT  sous 
une  autre  lorine  l'esprit  du  prophétisme,de  la  Halacha,  c'était  défendre  le 
Judaïsme  «  officiel  v  et  rationnel  contre  l'envahissement  d'un  Idéalisme 
irrationnel  et  mystique. 

Et  voilà  le  lien  renoué  entre  l'antiquité  et  le  moyen  âge  juifs! 

Mais  il  l'est  encore  par  une  autre  voie  :  celle  de  la  Kabbale.  On  sait  que 
le  subit  essor  de  cette  dernière  au  xm»  siècle  a  donné  beaucoup  de  tabla- 
ture aux  savants.  Certains  Texidiquent  en  faisant  de  quelques  philosophes 
antérieurs  des  Kabbalistes  avant  la  lettre,  sans  se  donner  la  peine  de 
montrer  en  détail  comment  elle  est  sortie  du  mouvement  philosophique. 
Et  puis  on  accorde  beaucoup  trop  à  l'influence  arabe.  La  vérité,  c'est  que 
la  Kabbale,  dont  la  note  spécifique  est  bien  juive,  n  toujours  formé  un 
courant  parallèle  à  celui  de  la  philosophie.  Son  fond  est  constitué  par  ces 
idées  mystiques  de  la«Merkaba»  qu'on  se  rappelle  que  nous  avons  laissée 
en  Palestine  et  qui  de  là  passa  en  Allemagne  et  dans  le  Nord  de  la 
France,  d'où  elle  fut  importée  en  Espagne.  Ce  dernier  pays  fournit  les 
éléments  purement  philosophiques,  et  ainsi  naquit  la  Kabbale.  M.  N.  mon- 
tre ici  avec  beaucoup  d'habileté  et  de  justesse  et  après  un  examen  appro" 
fondi  des  produits  classiques  de  la  K.,  que  ses  principes  fondamentaux 
sont  déjà  contenus  dans  l'ensemble  de  ces  trois  ouvrages  :  le  commen- 
taire sur  le  S.  Yecira  de  Saadia,  pour  une  petite  part  ;  le  «  Torot  Hcwné- 
fesch  »  '  où  se  trouve  déjà  esquissée  la  théorie  des  quatre  mondes  et 
même  celle  de  l'Adam  Kadmon  »  ;  enfin  et  surtout  le  commentaire  sur 
le  S.  Yecira  de  Juda  Barzilaï,  (jui  donne  franchement  le  pas  à  la  doctrine 
de  l'Emanation,  de  la  «  .Merkaba  »,  et  qui  emploie  même  pour  la  première 
fois  le  terme  de  nbnp  dans  ce  sens  particulier.  —  Chez  Ibn  Cabirol,  con- 
trairement à  ce  qu'on  admet  d'ordinaire,  ni  la  chose  ni  le  mot  ne  se 
trouvent  encore. 

Il  ne  faut  donc  pas  se  demander  d'où  vient  le  fond  métaphysique  de 
la  Kabl)ale  et  répondre,  avec  Jellinek,  de  la  Babylonie,  ou  avec  Harkavy, 
de  la  Perse,  ou  très  simplement,  presque  naïvement  avec  Graetz,  de 
la  réaction  contre  Maïmonide.  La  question  serait  mal  posée.  Il  faut  se 
demander  comment  on  est  revenu  à  la  «  Merkaba  «  ;  car  la  K.  n'est 
qu'un  retoui-  à  la  Merkaba  et  nous  venons  d'en  voir  le  développement 
ininterrompu. 

Et  voilà  comment,  par  dessus  tant  de  siècles,  Ezéchiel  et  Abraham 
Aboulatia  se  donnent  la  main!  N'est-ce  pas  la  meilleure  preuve  de  la  suite 
originale  de  la  pensée  juive? 

Telle  est  l'idée  directrice  de  l'ouvrage  de  M.  N.,  que  nous  n'avons  pu 
que  résumer  très  sèchement  et  de  façon  à  lui  enlever  toute  la  séduction 
que  l'ingéniosité  et  la  profonde  érudition  de  l'auteur  ont  su  lui  donner. 
Nous  ne  pouvons  davantage  nous  attarder  à  en  faire  la  critique  :  de 
celle-ci  les  (iuel([ues  indications  suivantes  tiendront  lieu.  L'auteur  s'ap- 
puie sur  les  hypothèses  de  la  critique  bibli(|ue,  comme   sur  des  faits 

1.  Que  l'auteur  attribue  à  Baliya,  comme  nous  le  Terrons  plus  bas. 


300  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

historiquement  incontestables  (16-23).  11  voit  trop  les  propliètes  k  tra- 
vers la  philosophie  grecque,  ce  qui  projette  naturellement  une  lumière 
ti'onipeuse  sur  les  premiers  et  l'entraîno  même,  chose  curieuse,  à  faire 
de  Texégèse  rationaliste  à  la  suite  de  Piiilon  et  de  Maïmonide  23-43). 
Il  voit  en  la  plupart  des  docteurs  du  Talmud  des  philosophes  consommés 
—  et  cela,  en  partant  d'une  interprétation  extrêmement  tendancieuse  de 
certains  textes  passablement  obscurs.  Une  assertion  dont  l'auteur  tire 
grandement  parti,  est  que  la  Halacha,  de  par  son  essence  même,  a 
dû  avoir  une  action  dissolvante  sur  la  mystique  ;  oui,  à  moins  qu'elle 
ne  mène,  par  un  effet  de  cont)'aste,  au  mysticisme,  comme  ce  fut  un 
peu  le  cas  dans  les  provinces  rhénanes,  au  xiu'^  siècle.  En  outre, 
ce  qui  touche  aux  hases  mêmes  de  la  construction  de  M.  >'.,  il  ne 
doute  pas  un  seul  instant  que  les  doctrines  «  Merkaba  »  et  «  Beres- 
chit  »,  n'équivaillent  la  première  à  la  théorie  néoplatonicienne  de 
l'Emanation  '  et  la  seconde  au  système  dualiste  des  Idées  de  Platon*  Or,  il 
nous  est  bien  difficile  de  nous  prononcer  aujourd'hui  sur  cette  question  ; 
et  déjà  au  moyen  âge  on  ne  savait  plus  ce  que  représentaient  ces  termes 
que  chaque  auteur  tirait  à  soi  (48-107).  Pour  ce  qui  est  de  l'influence 
arabe,  la  thèse  de  M.  N.  est  assez  exagérée,  au  point  qu'il  lui  arrive  à  hii- 
même  au  cours  de  l'exposition  de  rendre  d'une  main  ce  qu'il  avait  enlevé 
de  l'autre  (117-170).  Quant,  enfin,  à  ses  vues  sur  l'origine  de  la  Kabbale, 
tout  en  convenant  q'ue  l'auteur  y  répand  de  vives  clartés,  notamment  par 
le  parallèle  qu'il  institue  —  et  qui  établit  ainsi  une  chaîne  continue  — 
entre  les  passages  essentiels  des  ouvrages  kabbalistiques  et  certains 
ouvrages  antérieurs,  et  qu'il  apporte  sur  ce  sujet  des  contributions  qu'on 
peut  qualifier  de  définitives,  il  faut  dire  que  sa  démonstration  est  un 
peu  viciée  précisément  par  la  conception  (ju'il  s'est  faite  de  la  «  Merkaba  » 
(179-239). 

Venons  en  à  l'exposilion  de  la  philosophie  juive  du  moyen  âge  pro- 
prement dite,  k  l'examen  du  proldème  «  Matière  et  Forme  »,qui  en  cons- 
titue en  quelque  sorte  la  pierre  angulaire.  Dans  ce  second  livre,  les  idées 
de  M.  N.,  tout  en  restant  neuves  en  grande  partie,  présentent  certaine- 
ment un  caractère  plus  solide,  plus  scientifique,  nous  allions  dire  plus 
sérieux,  que  ce  qui  précède. 

Notons  d'abord  ceci,  qui  se  rattache  par  un  côté  aux  vues  (jue  l'auteur 
nous- a  exposées  plus  haut  :  on  s'abuse  profondément,  quand  on  voit  — 
et  nous  sommes  tous  habitués  k  le  faii-e  —  en  Maïmonide  un  disciple 
d'Ibn-Siua.  Tout  comme  ce  dernier,  Maïmonide  a  connu  .\ristote  dans  le 
texte  —  arabe  —  et  il  sécarte  très  souvent  de  l'interprétation  des  com- 
mentateurs musulmans,  y  compris  IbnSina.  Son  système  même  s'op- 
pose, dans  ses  traits  fondameutatix,  k  celui  du  philostqihe  arabe.  Et 
pour  prévenir  le  juste  étonnement  que  nous  ne  pom-rons  nous  eujpêcher 
déprouver  k  la  pensée  (ju'uiie  pareille  erreur  ait  pu  se  prculuire  et  per- 

•  1.  Déjn  Gi;it7.  (liins  GnosUzismiis  uiul  Jinientum  avait  (''iiiis  retto  opinion  ;  mais 
combien  plus  liniidenicnt  ! 


mULIOGRAPHIE  301 

sister  jusqu'à  nos  jours,  M.  N.  nous  apprend  que  c'est  Narhoni  ({ui  est 
cause  de  tout  le  mal,  que  c'est  lui,  à  ijui  la  gloire  de  Maïmonide  pesait, 
qui  a  émis  le  premier  celte  0[)inion  erronée,  (luellc  fut  ensuite  acceptée 
avi'uijlémenl  par  Munk,  qui  la  transmit  à  Graetz,  qiii  la  répandit  un  peu 
partout.  Elle  devint  ainsi  parole  d'évangile,  personne  ne  savisant  plus 
de  comparer  de  près  les  prétendues  ressemblances.  Et  M.  .\.  cite,  en  effet 
(288-9  ,  un  passage  d'Ibn-Sina  qui  dilï'cre  assez  du  passage  parallèle  et 
qu'on  a  cru  inspiré  du  premier,  du  Guide.  Et  puis  on  sent,  à  la  façon 
même  dont  M.  N.  en  parle,  qu'il  est  profondément  convaincu  du  bien 
fondé  de  son  assertion.  Malheureusement  l'auteur  ne  fournit  pas  assez  de 
preuves  pour  qu'on  se  permette  de  modifier  une  opinion  professée  par 
la  généralité  des  savants  compétents  en  la  matière.  Quant  aux  deux  ou 
trois  citations  que  l'auteur  rapporte  d'Ibn-Sina,  on  pourrait  leur  en  oppo- 
ser cent  autres  qui  témoignent  en  sens  contraire  '. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Munk  et  tous  ceux  qui  l'ont  suivi  —  et  combien 
y  a-t-il  d'historiens  de  la  philosophie  juive  qui  ne  doivent  beaucoup  à 
Munk?  —  n'ont  pas  compris  les  principes  essentiels  du  système  de  Ma'i- 
monide,  pas  plus  que  de  celui  de  Gabirol,  parce  qu'ils  n'ont  pas  bien  saisi 
la  marche  et  les  tendances  générales  de  l'ensemble  de  la  philosophie 
juive  au  moyen  âge.  C'est  donc  de  ce  côté  que  tout  était  k  recommencer. 
M.  N.  l'a  fait.  Et  voici  aussi  brièvement  que  possible  les  résultais,  pour 
le  moins  suggestifs,  ({u'il  nous  apporte. 

On  sait  qu'il  y  a  des  contradictions  très  sérieuses  clans  le  système 
d'Arislote  *,  au  sujet  du  problème  de  la  Substance,  des  raj)pi)rts  de  la 
Matière  et  de  la  Eorme,  du  vrai  objet  de  la  Définition,  etc.,  etc.  D'un 
côté,  Aristote  admet  (pie,  le  degré  de  vérité  de  la  science  se  mesurant  à 
la  réalité  de  son  objet,  il  n'y  a  de  vraie  science  que  du  général,  qui  seul 
est  stable  et  réel;  de  l'autre,  (jne,  les  Idées  étant  dans  les  choses,  il  n'y 
a  de  science  que  du  particulier.  Il  en  résulterait  alors  que  tantôt  c'est  la 
Forme,  tantôt  le  composé  de  Matière  et  de  Forme,  d'acte  et  de  puissance, 
qui  est  donné  par  Aristote  comme  étant  la  réalité  suprême.  Puis  le  |)rin- 
cipe  d'individuation  n'est  pas  le  même  ici  ([ue  là,  pas  plus  que  la  oTéf.Yioi;, 
condition  du  changement,  du  devenir,  ne  peut  s'entendi-e  partout  de  la 
même  façon  etc.  etc.  Eh  bien,  M.  N.,  érigeant  en  système  la  contradiction 
du  système,  s'efîorce  de  prouver  ({u'Aristote  a  profess(';  sur  toutes  ces 
questions  et  d'une  façon  parfaitement  consciente  deux  doctrines  opposées, 
dont  l'une  est  contenue  principalement  dans  la  Pliysiquc  et  l'autre  dans 
la  Métaphysique.  11  y  aurait  —  et  vous  allez  voir  l'importance  (jue  cela 
présente  pour  nous  —  deux  Aristote  bien  distincts  :  celui  des  sciences 
de  la  nature  et  celui  de  la  philoso|diie  [nemière. 

1.  V.  t'ii  ij:irli(MilitM' les  passages  très  (•aractiM'istiqucs  ot  très  |»i(»haiits  où  M.iïiiioiiiile 
prend  de  l'Ibii-Sina  pour  lie  l'Aristoto.  Kiitre  autres:  Guide,  i,  p.  IM-I'.i  ut  ii.  ;  301- 
302:  3io-4t);  n,  n3,  etc..  i-tr.  Munk  cite  et  compare  avi-c  sa  rouscicncc  et  sa  pn-cisiou 
habituelles  et  e!>t  loin  de  s'en  èhe  rapporté  a  .iveuijlénienl  »  u  Narlioiii,  qu'il  a  d'ailleurs 
souvent  utilisé  avee  Itonheur,  mais  non  de  la  l'ai-on  (|u'iniiii|ue  M.  N. 

±  Voir  Zeller.  Die  Philosophie  il.  G/'.,  II,  :J0S-2O  ;  3îO-3iH. 


302  REVUE   DES   ÉTUDES  JUIVES 

Celiii-lk  —  pour  ne  rapporter  que  ce  qui  nous  intéressera  dans  la 
siiite  —  admettrait  une  substance  double  dès  l'origine,  c'est  à-dire  com- 
posée de  matière  et  de  forme  inséparables  l'une  de  l'autre,  presque 
inconcevables  chacune  à  part  et  n'ayant  d'existence  réelle  qu'en  tant 
(}u'ellcs  sont  unies.  La  forme  n'est  pas  plus  principe  d'individuation  et 
de  changement  ([ue  la  matière,  et  la  question  de  savoir  si  le  plus  haut  rang 
d'existence  doit  être  attribué  à  la  première  ou  à  la  seconde  n'a  pas  de  sens 
(doctrine  du  p-eTa^y).  L'Aristote  de  la  Métaphysique,  au  contraire,  profes- 
serait que  forme  et  matière  sont  deux  principes  également  indépendants, 
mais  que  l'essence  de  la  première,  source  du  devenir,  est  supérieure  à 
celle  de  la  seconde.  Ici  la  aT£pr,rrt;  est  fondamentale,  universelle  ;  là  elle 
est  spéciale,  individuelle. 

Les  conséquences  de  cette  distinction,  on  les  voit  déjà  pour  les  difficul- 
tés soulevées;  nous  allons  maintenant  les  voir  dans  la  philosophie  juive. 

Les  philosophes  juifs  du  moyen  âge  construisent  leurs  systèmes  sur 
le  terrain  de  la  Physique  ou  de  la  Métaphysique.  De  là  deux  groupes  dis- 
tincts :  le  premier  —  groupe  Saadia,  —  prenant  pour  base  les  principes 
de  la  Physique,  comprend  Israéli,  Saadia,  Almoquammeç,  Abùsahal  et 
Bahia.  Ce  dernier,  tout  en  devant  être  compté  i)armi  les  premiers, 
marque  pourtant  la  transition  au  second  groupe,  —  groupe  Gabirol  — 
oii  entrent  :  Gabirol.  Abr.  b.  Hiyya,  Abr.  et  Moïse  Ibn  Ezra,  Hallévi,  Ibn- 
Saddik  avec  dos  hésitations  et  Ibn  Daud.  Maïmonide,  tout  en  profitant 
des  travaux  de  ses  prédécesseurs  espagnols,  se  placera  de  nouveau  sur 
le  terrain  delà  Physique,  en  repoussant  les  principes  de  la  Métaphysique 
plus  énergiquement  encore  que  le  reste  du  groupe  Saadia  dont  il  fait 
partie  '. 

Que  ce  nouvel  angle  sous  lequel  M.N.  envisage  la  philosophie  juive  lui 
ait  été  imposé  par  la  nature  des  choses,  ou  que,  l'ayant  conçu  a  priori  et 
par  désir  de  symétrie,  il  ait  cherché  ensuite  à  le  justifier,  c'est  ce  qu'on 
ne  peut  pas  toujours  dire  avec  certitude.  Le  fait  est  que,  se  plaçant  à  ce 
point  de  vue,  l'auteur  a  l'occasion  d'exprimer  des  vues  nouvelles,  d'indi- 
quer des  interprétations  originales  dont  nous  allons  relever  quelques- 
unes. 


1.  .M.  N.  a  fait  d'Aristoto,  à  ce  sujet,  mie  ctinlc  iieisoniielle.  {'ouillée  el  iiéiiétraiite. 
Il  y  a  cuiisacré  une  ceiilaiac  rie  paires,  el  on  ue  le  reirrette  jias.  Pourtant  celle  distinc- 
tion des  deu\  systèmes  ne  laisse  pas  d'èlrv,  au  denieuiant,  subjective  et  queliiue  peu 
aiiificii'lle.  Nous  ne  sachions  pas  (|u'Anslote  l'autorise  iui-niénie  quelque  part.  11  y  a, 
d'ailleurs,  comme  on  le  sait,  beaucoup  de  [ihysique  dans  la  Métaphysique  et  inverse- 
ment. En  outre,  les  pliiloso|dies  du  moyeu  ;Vi.'e  eussent  élé  bien  embarrassés  pour  faire 
ce  partage  dans  les  mauvaises  traductions  d'.\ristote,  surchargées  de  commentaires  où 
il  y  avait  lui  peu  de  tout  el  (lui  contribuaient  encore  à  dénaturer  le  sens  du  texte. 
Eidiu  —  pour  abréirer  —  au  sein  même  de  chacun  îles  groujies  on  voit,  en  effet,  des 
philosophes  «pii  ne  se  sont  pas  toujours  souciés  de  la  classilication  de  M.  N.  Ainsi: 
Saailia  lui-môme.  Hallévi,  Ibu-Daud,  el  Maïmonide  même  au  sujet  de  l'angélologie.  etc. 
Sous  ces  réserves  et  d'autres  encore  (pie  nous  exprinuTons  plus  loin,  ce  cadre  nouveau 
peut  avoir  son  intérêt  et  son  ulililé. 


BIBLIOGHAPHIE  303 

On  croit  généi-alcinoiil  '  que  Maïmonicle  enseigne  l'existence,  à  l'origine, 
d'une  v>ïi  potentielle  —  créée  il  est  vrai  par  Dieu  —  dépourvue  de  toute 
forme.  Or  cela  n'est  pas.  Aristote  lui-même  n  a  admis  cette  u).r,  que  dans 
la  Métaphysique,  et  Maimunidc  ne  s'est  pas  inspiré  de  cette  dei-nière.  Une 
des  tendances  fondamentales  de  toute  la  philosophie  de  Maïmonide, 
comme  de  celle  de  tout  le  groupe  Saadia,  et  qu'on  n'a  pas  assez  consi- 
dérée, c'est  précisément  de  détruire  toute  idée  d'un  principe  matériel 
originel.  Et  c'est  pourquoi  il  s'en  tient  à  la  Ph\si([uc  exclusivement',  oii 
pas  de  matière  sans  forme  ;  rejette  la  «  potentialité  »  substantielle  pour  ne 
conserver  que  l'accidentelle  (la  aT£pr,(Ti;  spéciale).  L'on  se  rappelle  aussi  sa 
fameuse  sortie  contre.  Aristote  [II,  22],  contre  la  Métaphysique,  qui  est 
imprégnée  de  la  théorie  des  Idées  de  Platon  que  Maïmonide  a  constam- 
ment combattue,  et  qui  était  alors  en  vogue  chez  les  .luifs  d'Espagne,  où 
régnait  le  groupe  Gabirol.  Maïmonide  professera  donc  que  Dieu  a  créé  la 
matière  en  même  temps  que  la  forme,  et  que  cette  dernière,  force 
inhérente  à  la  première,  lui  communique  son  propre  degré  d'existence 
et  est  ainsi,  non  seulement  cause  du  devenir,  mais  encore  principe  de 
l'être.  Et  c'est  sur  cette  base  ([ue  Maïmonide  édihera  son  système  de  la 
création  ex  nihilo,  etc.  ^. 

Israeli  déjà  avait  assumé  la  tâche  d'adapter  la  Physique  h  la  doctrine 
de  la  création  ex  7iihilo:  la  matière  n'émane  point  de  Dieu,  cai-  il  serait 
alors  sujet  au  changement;  Dieu  crée  le  imtolI-j  et  les  éléu)ents  etc.  Mais 
c'est  surtout  Saadia  qui  donne  de  cette  théorie  une  exposition  systéma- 
tique: Forme  et  Matièi-e  sont  inséparables;  pas  de  principe  hylique  à  côté 

i.  V.  Guide,  I,  :JOt';  II,  1S>;  20'»;  21*:  Kaufinaiiii,  Gesc/i.  d.  ALtributenlelive, 
\^.  415,  etc. 

2.  V.  ib.  et  notamment  ii,  ch.  13  eu  entier,  où  il  prend  pour  Itase  de  la  discnssion 
des  trois  théories  sur  rori^rine  du  monde  le  (XETa^û  de  la  Physique. 

1.  L'auteur  s'élève  ici  (Ii99-412>  avec  force  contre  Munk,  lequel  ne  comprenant  iias  ce 
qui  fait  le  fondement  nirme  du  système  de  Maïmonide,  aurait  interprété  la  fliéorie  de 
la  création  de  ce  dernier  dans  ce  sens  (jue  la  matière  exista  dahord,  et  que  la  forme  ne 
vint  s'y  ajouter  qu'ensuite,  etc.,  ce  qui  détruirait  simplement  la  base  de  toute  la  doctrine 
maimunidienne.  Une  polémiipie  plus  amère  encore  est  dirii.'ée  contre  Mar;;ulies,  qui, 
eontre  M.  N.,  avait  plutôt  défendu  l'mterprétation  de  Munk.  V. /{(iv's^;  Isntelilica.  190.j, 
n.  3  ;mai-juin  .  Nous  n.'  pouvons  suivre  l'auteur  jias  à  pas.  Nous  lui  ferons  seulement 
remarquer  :  i"  que  les  passatres  en  ([uestion  du  More  (I,  eh.  G!);  II,  17  vi  passiiu) 
s'expli(iurnt  jikis  naturellement  par  l'interprétalion  di'  .Munk,  si  on  l'atténue  un  peu  à 
laide  même  des  observations  de  .M.  N.  :  2»  que  les  passatres  «pie  l'auteur  rite  des 
autns  traités  de  Maïmonide  pom-  apjmyer  sa  thèse  peuvent  se  comprendre  <le  la  même 
façon.  Car  le  «  553  m")::.  T5373  "I7jin  NXT:''  n"?  »  doit  s'entendre  de  l'état  actuel 
des  choses  et  non  de  l'état  originel  ;  >  que  de  tous  les  textes  cités  par  M.  N.  il  résulte 
que  .Maïmonide  s'est  fiijuré,  à  y  bien  re.'arder,  une  réunion  de  formr  et  île  matière 
4<>(|ue  tout  en  admettant  que  Maïmonide  a  professé  le  [lexaÇû  et  rinipossibililé  pra- 
tique de  l'existence  d'une  matière  privée  de  forme,  il  faut  tenir  compte  de  cette  ten- 
dance invincible  de  l'esprit  humain  de  se  lijjurer  comme  ayant  été  à  part,  à  un  certain 
moment,  les  éléments  dont  une  chose  est  composée  :  u"  que  i)our  cela  on  n'a  même 
pas  besoin  d'admettre  plus  d'un  aete  créateur,  théorie  d'ailleurs  (pie  .^aadia  parait 
avoir  ado|itée. 


304  REVUE   DES    ÉTUDES  JUIVES 

de  Dieu  ;  Dieu  est  non  seulement  cause  du  devenir  de  la  Substance,  mais 
encore  source  de  son  être.  ADnoquamnieç  et  Abûsahal  professent  les 
mêmes  principes.  Chez  Bahia,  qui  a  subi  d'un  côté  l'influence  de  Saadia 
et  de  l'autre  celle  de  l'Encyclopédie  des  «  Frères  de  la  pureté»,  s'observe 
une  lutte  entre  la  doctrine  de  la  Physique  et  celle  de  la  Métaphysicjue, 
mais  c'est  la  première  qui  triomphe  :  tout  composé  est  créé  —  principe 
fondamental  —  et  créé  de  matière  et  de  forme  en  môme  temps,  d'où 
l'existence  de  I>ieu,  etc. 

Pour  ce  qui  est  du  problème  chronologique,  l'auteur  voit  en  Bahia  le 
contemporain  aîné  de  Gabirol.  Les  plaintes  de  Bahia  au  sujet  de  l'absence 
de  toute  philosophie  juive  en  Espagne  montrent  bien  qu'il  est  un  précur- 
seur. Son  œuvre  daterait  du  milieu  du  xie  siècle.  Les  analogies  que  pré- 
sente sa  doctrine  avec  celle  d'Al-Gazàli  '  ne  prouvent  rien  contre  cette 
thèse;-  ils  ont  pu  puiser  tous  les  deux  aux  mêmes  sources.  Kaufmann  * 
déjà  avait  démontré  que  Gabirol  s'est  inspiré  de  Bahia  et  non  inverse- 
ment. Mais  Jahuda^  ayant  soutenu  le  contraire,  l'auteur  reprend  la  dis- 
cussion a  nouveaux  frais  et  par  des  preuves  i[ui  n'ont  pas  encore  été  pro- 
duites et  qui  paraissent  inattaquables,  établit  la  solidité  de  la  thèse  qu'il 
défend.  Pourtant  il  est  sage  de  ne  pas  se  prononcer  encore  dune  façon 
définitive,  Jahuda  n'ayant  pas  encore  dit  son  dernier  mot  sur  la  question. 

Signalons  encore  l'étude  remarquablement  informée  que  ^I.  N.  consacre 
[p.  490-bOOj  à  la  question  de  la  date  et  de  la  paternité  du  '::^^r,  m-iin. 

Le  ms.  de  cet  ouvragp  indique  clairement  Bahia  comme  en  étant  l'au- 
teur, et  pas  plus  ({ue  J.  Derenbourg  ''  et  Harkavy  ■',  M.  N.  ne  met  en  doute 
la  véridicité  de  cette  indication.  Seulement  il  reprend  un  à  un  les  argu- 
ments qu'a  produits  Guttmann  ^  pour  démontrer  limpossibilité  d'atfi'ibuer 
ce  livre  à  Bahia,  les  réfute  vigoureusement,  et  donne  un  bon  nombre  de 
preuves  de  détail  qui  militent  singulièrement  en  faveur  de  sa  thèse.  Et 
l'on  sétonne,  en  effet,  après  avoir  lu  M.  N.,  qu'avec  des  raisons  comme 
celles  de  Guttmann  on  ait  pu  douter  de  ce  que  le  ms.  détermine  si  net- 
tement. 

Passons  au  groupe  Gabirol.  Il  se  distingue  du  groupe  Saadia  en  ce  qu'il 
prend  pour  base  de  sa  philosophie  ce  que  celui  là  avait  si  énei'giquement 
rejeté  :  la  doctrine  d'une  matière  originelle  potentielle.  Cette  dernière  — 
et  voici  quelque  chose  de  très  neuf  —  est  tout  d'abord  enseignée  par  le 
Fons  vit;e:  Car  Gabirol,  qui,  contrairement  à  ce  qu'on  pense  d'ordinaire', 

1.  Mort  eu  flll. 

2.  V.  Die  Theol.  d.  Buchi/a,  p.  8. 

3.  Pi'oleijomena  zu  einer  erstm«li</en  llerctKsi/aOc  des  Kilub  al-lildaja.  etc.. 
Dannstadt,  1904,  p.  îi-lO. 

4.  n.E.J.,  XXV,  p.  2i8-50. 

5.  A.kl.  à  la  trail.  hél)r.  de  Giaelz.  IV,  V,,  ol  V.  18. 

6.  Muiials.,  189",  p.   iii-îiC. 

1.  Drjà  Kaufniaim,  dans  le  rociu-il  pnslliimii'  Sludicn  llhcr  S.  tUdiind,  consacie 
tout  un  cliapitro  (le  4'i  à  dcmonlrer  rinfluonce  qu'a  l'xurcûe  le  Mekor  int  lu  pliilo- 
sophie  jiust<  rieure.  L'auteur,  (|ui  combat  K.  assez  souvent,  n'aurait  pas  di\  l'oublier. 


BIBLIOGRAPHIE  305 

a  excroc  rinfliicncc  la  plus  profonde  sur  ses  successeurs,  a  emprunté  les 
principes  fondamentaux  de  son  système,  non  point  au  ncoplalonisme, 
mais  à  la  Métaphysique  d'Aristote.  Sa  Substance  universelle,  qui  sert  de 
substratum  à  tout  ce  qui  est  en  dehors  de  Dieu,  n'est  autre  que  lay).r,bien 
connue  de  la  Métaphysique,  avec  laquelle  Gabirol  combine  —  oh  !  si 
accidentellement —  les  substances  intelligibles  suivant  la  conception  de 
Proclus.  11  nenseigne  point  lémanation  du  sein  de  Dieu,  de  la  matière, 
mais  seulement  l'émanation  de  l'esprit,  de  la  forme  qui  façonne  la  'Jlr,^ 
laquelle  est  éternelle. 

Munk,  que  tons  les  autres  historiens  ont  suivi,  a  donc  eu  tort  de  faire 
de  lui  un  néoplatonicien.  Son  erreur  provient  de  ce  qu'il  s'est  trop  fié  à 
Ibn-Falaquera.  A  ne  lire,  en  effet,  que  les  extraits  hébreux  du  Fons  vUic 
de  ce  dernier,  on  a  l'impression  d'avoir  affaire  à  im  adepte  du  néoplato- 
nisme. Mais  cette  impression,  déjà  atfailtlie  par  les  notes,  inspirées  de  la 
traducton  latine  du  Fons  vil;i',  (jue  Munk  a  ajoutées  aux  fragments 
hébraïques,  s'évanouit  complètement  si  l'on  s'en  tient  exclusivement  à 
la  version  latine.  D'ailleurs,  Munk  lui-même  avoue  '  qu'à  vrai  dire,  le 
système  de  riJmanalion  et  des  liypostases  n'est  nulle  part  exposé  formel- 
lement dans  la  «Source  de  vie».  N'est-ce  pas  là  une  bonne  preuve, que 
Gabirol  ne  l'acceptait  pas?  Et  .M.  N  soulève  plusieurs  objections  de  cette 
nature  contre  Munk, . . 

Que  vaut  cette  thèse  de  M.  N.?  Si  nous  devions  en  juger  par  ce  que 
l'auteur  en  dit  dans  le  présent  volume  de  son  ouvrage,  où  il  lui  consacre 
pourtant  bien  des  pages,  nous  déclarerions  nettement  que  c'est  un  para- 
doxe —  un  paradoxe  de  profond  savant,  donc  tant  soit  peu  vraisemblable 
—  mais  rien  de  plus.  L'opinion  de  (juiconque  a  lu  le  Fons  viUv  ne  se  modi- 
fiera en  aucune  façon,  ce  nous  semble,  devant  les  simples  affirmations, 
sans  preuves  sérieuses  ni  textes  à  l'appui,  que  nous  offre  .M.  N.  Mais  nous 
devons  lui  faire  crédit  jusqu'à  la  publication  de  son  second  volume,  où, 
traitant  du  problème  des  attributs  divins,  il  pourra  nous  donner  l'exposi- 
tion complète  du  système  de  (iabirol  comme  de  ceux  des  autres  philo- 
sophes de  ce  groupe.  Nous  sommes  vraiment  curieux  de  voir  comment 
l'auteur  s'y  prendra  pour  démontrer,  ainsi  qu'il  le  promet,  l'indépen- 
dance de  Gabirol  à  l'égard  des  doctrines  essentielles  du  néoplatonisme, 
comme  il  la  démontrée  —  et  cela  nous  nous  plaisons  à  le  reconnaître  — 
à  l'égard  des  «  ("inq  Substances  »  de  pseudo-Empédocle,  oii  Kaufmann  * 
avait  voulu  voir  une  des  sources  de  Gabirol.  Sans  doute  qu'alors  laulciir 
nous  dira  aussi  pourquoi,  selon  lui,  la  version  latine  du  Fons  vil;r, 
mérite  plus  de  créance  que  les  extraits  du  même  écrit,  colligés  par  Ibn- 
Falaquera. 

Les  autres  théologiens  de  ce  grou[ie  ont  tous  sui\i  plus  ou  moins  leur 
chef  de  file,  mais  leurs  théories  sur  la  (luestion  qui  nous  occupe  ne 
peuvent  être  séparées  du  problème  des  attributs  cl  —  fâcheuse  consé- 

1.  Mélanges,  p.  2o9-t>0. 
i.  P.  .■;2  .'tss.  .l.-s  S/H'lien. 

T.  LV,  N"  IIU.  20 


306  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

quence  de  la  méthode  dont  nous  avons  signalé  les  inconvénients  —  ne 
pourront  par  suite  être  examinées  que  dans  le  second  tome.  Notons  seule- 
ment qu'Ibn-Daud,  à  qui  l'auteur  consacre  ici  quand  même  quelques 
pages,  et  que  l'on  prend  ordinairement  pour  un  aristotélicien,  serait 
d'après  lui  beaucoup  plus  néoplatonicien  que  Gabirol,  sans  d'ailleurs 
s'écarter  pour  cela  des  principes  essentiels  de  la  doctrine  de  ce  dernier,  à 
qui  il  doit  les  irails  fondamentaux  de  son  système.  C'est  ce  que  n'ont  vu 
ni  Munk,  ni  Kaufmann,  ni  Guttmann,  qui  n'ont  pas  saisi  la  véritable 
signification  de  la  polémique  d"Ibn-Daud  contre  Gabirol,  et  cela  d'ailleurs 
parce  que  le  vrai  sens  de  la  philosophie  de  ce  dernier  leur  avait  échappé. 
Ihn-Daud  tâche  de  concilier  la  Physique  et  la  Métaphysique,  n'y  réussit 
pas  et  reste  exclusivement  sur  le  terrain  de  cette  dernière.  Ses  efforts  ne 
profiteront  qu'à  Maimonide. 

Mais  laissons  là  ces  indications  qui  peuvent  tout  au  plus  essayer  de 
démolir,  non  de  reconstruire,  et  attendons  les  développements  complé- 
mentaires que  l'auteur  nous  promet. 

La  façon  dont  M.  N.  comprend  les  théories  des  sphères  (angélologie), 
leur  signification  et  leur  portée  se  rattache,  comme  on  devait  s'y  attendre, 
aux  points  de  vue  précédemment  exposés.  Cette  partie  de  l'ouvrage  se 
recommande  par  un  grand  nombre  d'observations  parfois  profondes,  sou- 
vent ingénieuses,  toujours  curieuses  et  intéressantes.  Notons  sommaire- 
ment au  moins  quelques-uns  des  aperçus  longuement  développés  :  Saadia 
professe  que  les  anges  même,  ainsi  que  l'âme  humaine,  sont  composés  de 
forme  et  de  matière  :  1"  parce  que  c'était  là  pour  lui  le  seul  critérium  qui 
distinguât  la  créature  du  Créateur;  2^  parce  qu'il  avait  admis  le  y.^-'xlJ  et 
rejeté  dès  le  début  la  théorie  des  Idées.  Si  donc  Saadia  —  et  on  doit  y 
ajouter  Bahia  —  avait  déjà  admis  que  tout,  en  dehors  de  Dieu,  est  composé 
de  matière  et  de  forme,  on  a  tort  de  voir  en  cette  théorie  une  innovation 
de  Gabirol.  La  vraie  originalité  de  celui-ci  est  d'avoir  débarrassé  léma- 
nation  spirituelle,  qu'il  a  admise,  de  l'émanation  matérielle  qu'il  a  rejetée. 
Par  là  il  a  préparé  Maimonide  tout  comme  le  prépareront  Abr.  Ibn  Ezra, 
—  lequel  pour  la  première  fois  dansla  philosophie  juive  admet  Texistence 
d'êtres  purement  spirituels  à  côté  de  Dieu  ;  Hallévi,  Ibn-Daud,  —  sur 
lequel,  comme  l'auteur  nous  le  montrera,  l'inlluence  de  Pbilon,  par  l'in- 
termédiaire de  Nahàwendi,  s'est  fortement  exercée,  etc. 

Enfin  Maimonide,  faisant  la  synthèse  de  tous  les  essais  de  ses  prédéces- 
seurs des  deux  groupes,  résoudi'a  définitivement  ce  problème,  solution 
qui  servira  de  point  d'appui  à  tout  son  système.  Sa  théorie  des  sphères 
lui  est  personnelle  en  ce  qu'il  la  purifie  de  tout  ce  qu'elle  off'rait  chez  les 
Arabes  d'incompatible  avec  le  judaisme  ;  en  en  rejetant  —  point  extrême- 
ment important  et  que  M.  N.  établit  très  bien  contre  Munk'  —  l'énuina- 
tion  matérielle  des  sphères,  du  sein  de  Dieu,  etc.  Il  admet  l'émaniition 
spirituelle,  ce  qui  lui  permet  de  professer  que,  malgré  le  ^s^alù,  le  prin- 
cipe spirituel  peut,  à  sa  plus   haute  expression,  exister  sans  nu\lière  ; 

1*  Guide,  II,  1».  96». 


BIBLIOGRAPHIE  307 

mais  il  lu  transporte  sur  le  terrain  de  la  physique,  ce  qui  lui  permet 
d'aboutir  à  la  négation  de  tout  principe  hylique  ',  qui  est  le  but  primor- 
dial de  tout  le  groupe  qu'il  dot  et  résume  si  brillamment. 

(Ml  voit  l'idée  qui  domine  tous  ces  développements:  c'est  qu'il  y  a  un 
lien  constant  entre  les  dilïérentes  époques  de  la  philosopliie  juive  au 
moyen  âge.  On  sait  que,  sauf  de  rares  exceptions,  les  auteurs  juifs  du 
moyen  âge  n'ont  pas  lliabitude  de  citer  leurs  prédécesseurs,  même  (juand 
ils  les  combattent  ou  s'inspirent  d'eux.  C'est  pourquoi  les  iiistoriens  ont 
considéré  chaque  œuvre  comme  une  apparition  isolée,  n'ayant  ni  source 
d'inspiration  ni  influence  dans  le  cercle  du  Judaïsme'.  M.N.  réagit  contre 
cette  tendance  et  nous  montre  que  depuis  Israéli  jusqu'à  Maimonide  — 
pour  l'époque  postérieure,  cela  va  sans  dire  —  la  «  chaîne  de  la  tradition», 
ici  comme  ailleurs,  n'a  point  été  interrompue.  Malheureusement,  M.  >'. 
va  trop  loin  dans  sa  réaction  et  tombe  dans  l'excès  contraire.  11  voit  des 
influences  et  des  imitations  là  oi'i  tout  autre,  moins  ingénieux,  ne  verrait 
que  simple  coïncidence  ou  ressemblance  lointaine.  Et  puis,  il  est  trop 
enclin  à  retrouver  une  marche  ascendante,  une  progression  constante 
dans  le  développement  de  la  philosophie  juive.  Il  y  découvre  une  sorte 
d'évolution,  consciente  d'elle-même  dans  les  divers  ouvrages  qui  en 
forment  les  étapes,  et  du  but  qu'elle  veut  atteindre ^  Il  est  en  un  mol  un 
peu  trop  "causetinalier  )i. 

Mais,  malgré  tout,  la  réaction  de  M.  N.  est  bienfaisante  et  nous  auiions 
mauvaise  grâce  à  trop  nous  en  plaindre. 

Il  y  aurait  encore  beaucoup  d'autres  choses  à  relever  dans  ce  volume 
si  nourri  de  faits  et  d'idi'cs  et  dont  il  ne  serait  pas  exagéré  de  dire  qu'il 
vient  renouveler  en  grande  partie  l'étude  de  la  philosophie  juive.  Mais 
nous  devons  nous  arrêter  et  nous  borner  à  souhaiter  la  prompte  publica- 
tion de  la  suite  de  cet  ouvrage  dont  nul  ne  songera  à  contester  l'utilité  et 
la  valeur. 

M.  Vexleh. 


Jahrbuch  der  jùdisch-literarischen  Gesellschaft,  IV,    1906-5667. 

Francfurt-s.-M.,  J.  RaulTiiiann,  19<t6;  gr.  in-8»  de  344  (iiart.  allein.   +  IIS  ipart. 
hébr.i  p.  —  M.  12. 

La  <■<■  Jii(lis(;h-literarische  Gesellschaft  »,  dont  le  siège  est  à  Francfort 
et  qui  est  pour  l'élément  orthodoxe  ce  que  le  «  Vcrband  der  Vercine  fiïr 

1.  Ici,  on  voit,  comme  nous  l'avons  indiqué  i>lus  haut,  ce  qu'a  d'arlilicii'l  la  classifi- 
cation de  M.  X.  Si  celle-ci  était  conforme  à  I;i  nature  des  choses,  Maimonide  se  nion- 
trer;iit  singulièrement  incousr-iiui-ul,  ce  iiu'il  esl  inutile  di'  supposeï'  si  on  n'admet  p.is 
la  division  de  M.  N. 

2.  L'auteur  exagère  :  Kaufmann  déjà  dans  VMtribulenleltrc  avait  insista'  sur  ce  point 
dans  le  môme  sens  que  M.  >'. 

».  V.  stirtout  p.  'ia.î-tKl'». 


308  REVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

ji'id.  Gesch.  ii.  Liter.  »  de  Berlin  est  pour  les  autres  israélitcs  allemands, 
pul)lie  chaque  année,  comme  annuaire,  un  fort  volume  dont  les  travaux, 
d'ailleurs  inégaux  en  étendue  comme  en  valeur,  forment  un  ensemble 
respectable.  Les  études  originales  s'y  étendent  sur  presque  toutes  les 
branches  de  l'histoire  et  de  la  littérature  juives. 

Sauf  la  période  biblique,  naturellement.  Etant  données  les  tendances 
de  la  Société,  on  ne  doit  pas  s'attendre  à  un  travail  critique  sur   cette 
période.  La  miscelle  de  M.  A.  Marcus  s(/r  la  chyoïioloyie  Juive  (p.  331-339) 
ne  prouve  pas  le  contraire  :  pour  «  sauver  nos  saints  livres  des  assauts  de 
la  critique  »,  il  justifie  les  430  ans  du  séjour  en  Egypte   et  les  70  années 
de  l'exil  de  Babylone,  les  semaines  de  Daniel  et  la  chronologie  des  rois 
perses  dans  le  Séiler  Olam.    P.  332,  Zerahya  ha-Lévi  a  vécu  non  vers 
1100,  mais  vers  1150;  en  tout  cas  pas  «  aussitôt  après  les  Gueonim»; 
ibid.,  l'institution  du  calendrier  est  communément  attribuée  à  Hillel  II,  le 
seul  texte  est  une  assertion  de  Haï  rapportée  par  Abr.  b.  Hiyya  et  encore 
n'esl-elle  pas  aussi  explicite.  —  On  est  inquiet  aussi  en  lisant  le  titre  du 
travail  de  M.  I.  Goldhor  sur  les  limites  de  la  Palestine  à  l'ouest  du  Jour- 
dain, lors  de  l'occupation  du  pays  par  les  Juifs  revenus  de  Babylone 
(p.  169-194).  L'auteur  reprend  l'étude  des  textes  talmudiques  qui  indi- 
quent ces  frontières  (Tos.  Scheb.,  iv,  10  et  parallèles)  et  arrive  à  des  con- 
clusions différentes,  sauf  pour  le  littoral,  de  celles  de  ses  prédécesseurs. 
Ses  nouvelles  identificaj;ions  éveillent  plus  d'une  fois  la  défiance  ;  on  nous 
assure  qu'un  article  rectificatif  paraîti-a  dans  le  prochain  annuaire  ;  atten- 
dons. L'auteur,  qui  est  géomètre  à  Rosch-Pina,  prépare  une  géographie 
de  la  Palestine  pour  le  compte  de  la  Société,  —  La  Société  a  aussi  son  his- 
torien en  titre  :  M.  Isaac  Halévy,  l'auteur  des  Dorot  ha-Hischonim.  Le 
croira  qui  voudra,  c'est  à  lui  qu'est  consacrée  Fétude  de  M.  Wolf  Jawitz  : 
N'eue  jiïdische  Gescliichtsforschunr/  und  einigc  ihrer  u'ichliyslen  Hcsullate 
(p.  283-292).  «  Il  y  a  deux  méthodes  diamétralement  opposées  dans  les 
études   historiques  :  la  méthode  déductive  et  la  méthode  inductive.  » 
L'historien  déductif  se  forme  à  l'avance  un  schème,  auquel  il  adapte  les 
faits  ;  l'historien  inductif  commence  par  grouper  les  faits  sans  aucune 
tendance  préconçue  (bien  sûr?),  après    quoi   il  construit  son  système. 
Ainsi,  les  historiens  du  judaïsme  ont  étudié  jusqu'ici  la  période  talnui- 
dique  d'après  ce  qu'ils  savaient  de  l'histoire  grecque  et  romaine,   en 
sorte  qu'ils  ont  éliminé  tous  les  éléments  originaux  et  caractéristiques 
de  l'histoire  et  de   la  littérature  juives.    Halévy,  au  contraire,  «  fami- 
liarisé dès  la  prime  jeunesse  avec  l'histoire   du  judaïsme,   dont   il  a 
congénitalement  saisi  l'esprit  original  grâce  à  son  étude  approfondie  du 
Talmud,  a  réussi,  avec  une  maîtrise  géniale,  à  imprimer  à  la  matière  la 
forme,  à  lui  insuffler  l'esprit  qu'elle  recelait  naturellement  »,  J'en  suis 
lâché  pour  le  maitre  de  génie,  mais  si  Ihistoire  juive  est  comme  en 
marge  de  l'histoire  des  autres  peuples,  c'est  peut-être  tout  de  même  par 
ceux-ci  qu'il  faut  commencer.  Mais  voyons  un  peu  ({uelles  «  révélations» 
et  quelles  «  découvertes  »  la  nouvelle  méthode  nous  réserve.  On  dit  que 
la  Mischnaa  été  rédigée  par  Hahbi.  Hrreur!  Elle  existait  déjà  avant  Hillel 


BIBLIOGRAPHIE  309 

et   Schammaï;  son  premier  noyau  (nous  avons  enfin  la  <(  L'rmischna  ») 
était  clos  à  l'époque  de  la  grande  Synagogue.  Si  les  lois  de  celte  époque 
sont  seules  anonymes,  c'est  qu'avec  les  agitations  de  colle  des  Maccha- 
bées  la   mémoire  des  traditions  s'était  perdue.  Ainsi,  «  la  clôture  du 
canon  biblique  et  la  première  rédaction  de  la  Mischna  sont  des  faits  con- 
temporains ».  Halévy  a  encore  découvert:  l'activité  raitbini(iue  delà  Baby- 
lonie,  qui  a  commencé  avant  la  destruction  du  premier  temple,  un  demi- 
siècle  que  les  historiens  avaient  oublié  entre  Ral»bi  et  R.  Yohanan,  un 
quart  de  siècle  entre  la  mort  de  Rabbi  et  l'arrivée  de  Rab  k  Sora  (v.  Ep- 
stein,  dans  Rovuo,  XLIV,  4a-G2),  rétablissant  ainsi  l'unité  et  la  continuité 
dans  l'histoire   et  supprimant  les  prétendues    rivalités   entre    rabbins. 
«  En  un  mot,  les  découvertes  historiques  de  Halévy  constituent  elles- 
mêmes  un  important  événement  historique.  »  Cette  apologie  est  d'autant 
plus  louable  que  M.  Jawitz  est  lui-même  en  train  d'écrire  une  histoire 
des  Juifs  en  hébreu  ;  mais  ce  n'est  pas  une  apologie  personnelle  :  «  dans 
les  chapitres  qui  se  rapportent  à  la  composition  et  à  la  clôture  de  la 
Mischna,  je  suis  d'accord  pour  les  neuf  dixièmes  avec  Halévy  ».  A  la  bonne 
heure  !  —  Nous  retrouvons  Halévy  et  ses  découvertes  dans  le  travail  qui 
est  intitulé  :  Ilerodi'  l't  les  fins  dernières  de  sapolitiipte  p.  12o-140  ,  et  qui 
n'est  pas  de  Machiavel,  mais  de  M.  J.  Bondi.  «  Hérode  est  un  spiiynx  », 
dont  M.  Isaac  Halévy  est  l'Œdipe.  Hérode  était  l'ennemi  de  ses  sujets  ;  il 
bâtit  Césaréc  dans  le  but  de  détrôner  Jérusalem  (où  il  continua  à  résider) 
et,  pour  dissimuler  ses  intentions,  il  reconstruisit  le  Temple  en  même 
temps.  Non  content  d'être  le  tyran  de  son  peuple,  c'est  lui  qui  est  cause  de 
l'hostilité  des  païens  pour  les  communautés  de  la  Diaspora.  Telles  sont 
quel((uos-unes  des  <i  innombrables  solutions  »  que  nous  devons  à  Halévy, 
dont  M.  B.  a  bien  voulu  se  faire  l'oracle. 

Avec  le  Talmud  nous  sommes  sur  un  terrain  plus  solide.  M.  Ehrentrcu 
donne  une  série  d'explications  fort  intéressantes  et  en  grande  partie  nou- 
velles (5jorac/i/jc/ie5  u??rf5ac/(/tV/je.v  aj/s  rfpjji  Talmud,  p.  141-168):  /<>  Dans 
la  phrase   r;\mn  Nn^:J-,72  mr-^T:  ^jz  Ncon  ^b  -^nbi-i  inb  in    [Yeb., 
92  b.,  et  paraît.),  NDDn  sigiiitie  «  coquiltage  »    niais  ""mn  '.')  ;  même  sens 
pour  l'équivalent  hébreu  "û-in  dans  ^-m  ain  n-i^ym  D"'T'-:n  D"'«3  nbbic 
{B.  À'.,  9t  a;  un  coquillage  vidr!    et  aussi   dans  Job,  xli,  22.  —  2°  dans 
B.  M.,  VI,  1,  la  comparaison  avet-  le  texte  du  Yerouschalmi  montre  qu'il 
faut    supprimer    «"^nrib    et    lire    V"!-   î<""'"i3    '<  porteurs    de    litières  » 
(^ofEiofo'po?  ;  de  même  'j'^b'^bri  «  joueurs  do  flûte  »  ;  c'est  une  excellente 
correction,  mais  pourcjuoi  ne  pas  dire  ([uo  c'est  une  correction?  —  .'i'>  "^îS 
(ou  "^b  *]b:)  équivaut  dans  le  Yerouschalmi  à  rtDb  ^b  ;  c'est  aussi  la  véri- 
table explication,  déjà  dciniiée  par  Raschi,  Sabb.,  14:1  a,  de  ce   mot,  qu'il 
faut  lire  "bB  (aphérèse  du  pi-euiier  b,.  —  {<>  parmi  les  trois  persécutions 
d'.Vntiochus  Epiphane,  la  Me;inillat  Anliocltos  nomme  l'interdiction  de 
Cin  wC<~  ;  le  texte  aramécn,  édité  par  Filipowski,  a  Nnn"  :  il  s'agit  du 
bain   mensuel  dos  femmes  et   l'auteur  a  traduit  le  grec  oi  (it.vsî  ;  cette 
défense  figure  aussi,  non  seulement  dans  Meila,  17 r/,  et  dans  les  Yorerot 
du  !«'  et  du  20  samedis  de  Hanoucca,  mais  encore  dans  le  passage  obscur 


310  REVUE  DES  ETUDES  JUIVES 

de  I  Macc,  I,  îi8.  —  o"  dansBer.,  32  a,  on  lit  :ii3N  n72t<  niT:!:?  b':i  CwS.-^ï*» 
''X;"!:»";  t^niUN  :  à  quoi  bon  cette  traduction?  C'est  que  l'expression  liébraïque 
est  une  trad.  de  l'araméen,  où  «ncN  signifie  «  fièvre  »  ;  des  aramaïsmcs 
semblables  sont  yin  nï^i^T  (pour  rr3lT),  û"^"i3T,  «  béliers  »,  niN  «  soir  » 
(L'iiébreu  était  plus  vivant  à  lépoque  de  la  Miscbna  que  ne  paraît  le 
croire  M.  E.).  —  6°  dans  Yoma,  3  b  :  n"«b  tl-'b"'  ND-Ti^j  -|?2  NîN,  il  faut  lire, 
d'après  une  variante,  nob"'  et  traduire:  mais  dis-moi  d'où  tu  le  déduis  ; 
"172  est  la  forme  palestinienne  de  172 N,  conservée,  comme  il  arrive  rare- 
ment, dans  le  Babli.  —  7°  dans  M.  Sabb.,  140  b,  "«yn  désigne  le  bétail  qui  va 
paître.  M.  E.  fait  remarquer  en  post  scriptum  que  cette  explication  a 
déjà  été  proposée  par  M,  Porges,  Bévue,  XX,  307-9;  voir  aussi  les  articles 
de  M.  Simonsen,  Bcvue,  XXI,  278-9,  et  Monafsschrifi,  XLI,  585-388.  Elle 
avait  déjà  été  donnée  par  A.  Krochmal  et  O.-H.  Sciior  (Balouç,  V,  51  ;  X, 
73),  mais  repoussée  par  Luzzatto  {Correspondance,  I,  549).  —  S°  les  Piské 
Tassa fot  de  Taanit  résument  d'autres  Tossafot  que  les  nôtres;  expli- 
cation d'une  phrase  singulière  qui  s'y  trouve  ;  dans  M.  K.,  5  a,  c'est  la 
!■■«  partie  de  Ps.,  l,  23;  dans  Abat,  m,  3,  celle  de  Lam.,  ni,  28,  qui  est 
visée.  —  9°  justification  de  l'explication  de  Raschi  sur  Ber.,  8  a,  s.  i\ 
U'Oin  "«D3  im^-^D^.  —  10°  explication  de  Hagiiiga,  24  b  ;  mélange  de 
l'huile  et  du  vin  (cf.  Goldmann,  dans  Monatsschr  ,  LI,  40).  —  Dans  une 
excellente  monographie  sur  Baba  (p.  204-213),  M.  Funk,  auteur  d'un 
livre  et  de  plusieurs  articles  sur  les  Juifs  de  Babylonie,  expose  la  vie, 
Je  caractère  et  les  fonctions  de  cet  amora,  caractérise  sa  méthode 
d'enseignement  et  montre  la  part  qui  lui  revient  dans  la  rédaction  du 
Talmud.  Il  aurait  fallu  mettre  un  peu  plus  d'ordre  dans  l'exposition.  — 
M.  B.  Cohn,  C hronolofj isch-halacli isrhe  Frayen  (p.  195-203),  confronte 
quelques  éléments  du  calendrier  juif  avec  les  données  actuelles  de  l'as- 
tronomie et  se  demande  comment  on  pourrait  réformer  ce  calendrier. 

De  M.  J.  Wellesz,  qui  a  publié  dans  la  Monatssrliyift  de  1905  une 
copieuse  étude  sur  Isaac  Or  Zaroua,  nous  aurions  attendu  que,  dans  son 
travail  intitulé  Jjber  B.  Isaak  b.  Mose's  «  Or  Sarua  »  (p.  75-124),  il  fit 
connaître  au  grand  public  l'œuvre  du  rabbin  de  Vienne,  et  il  nous  a 
d'ailleurs  montré  qu'il  excellait  à  brosser  un  tableau  d'ensemble 
(p.  76-77).  11  a  préféré  —  mais  ce  n'est  pas  nous  qui  nous  en  plaindrons 
—  compléter  sa  monographie  en  passant  en  revue  Isaac  en  tant  que  déci- 
sionnairc,  les  mœurs  et  les  conceptions  qu'on  relève  dans  son  ouvrage 
(chapitre  des  plus  intéressants  pour  l'histoire  de  la  civilisation),  les  loca- 
lités qui  s'y  trouvent  mentionnées  (chapitre  important  pour  l'histoire 
rabbinique),  Isaac  et  Raschi  (variantes  dans  les  citations  de  Raschi,  no- 
tamment pour  les  leazbn  —  pourquoi  M.  W.  écrit-il  «  loazim»?).  Dans 
l'Appendice,  il  défond  contre  M.  H.  Vogelstein  les  dates  qu'il  avait  pro- 
posées pour  lacomposilion  de  YOr  Zaroua  et  réunit  quelques  données 
sur  les  descendants  de  l'auteur.  M.  W.  est  un  collectionneur  aussi  con- 
sciencieux que  le  rabbin  qu'il  étudie,  et  nous  regrettons  de  no  pouvoir  ici 
le  suivre  dans  le  détail  de  son  article  richement  documenté. 

C'est  encore  une  excellente  monographie,  mais  d'un  autre  genre,  que 


BIBLIOGRAPHIE  311 

celle  do  M.  S.  Slein  :  Zur  Geschichte  (1er  Judm  in  Schircinptrf  laul  dem 
Vofjteidorf  Goclisheim  im  XVI.  Jahrhundert  (p.  1-74).  Consacrée  à  deux 
points  connexes  d'histoire  locale,  elle  jette  de  la  lumière  sur  la  situation 
des  Juifs  dAlleraagrie  à  l'époque  de  la  Réforme.  C'est  l'histoire  des  efforts 
faits  pour  expulser  ou  plutôt  pour  ne  pas  admettre  les  Jui,fs  qui  demeu- 
raient dans  la  ville  de  Schweinfurt  avant  sa  destruction  en  1554;  les  Juifs 
s'emploient  activement  à  faire  triompher  leur  bon  droit,  à  pouvoir  rebâtir 
leurs  maisons  et  prendre  domicile  au  même  titre  que  les  autres  habi- 
tants, et  le  conseil  de  Schweinfurt  s'évertue  avec  non  moins  d'énergie  à 
faire  échouer  leurs  prétentions.  Le  Juif  Samuel,  médecin  et  commerçant 
à  la  fois,  prend  en  mains  l'atïaire,  qui  passe  par  toutes  les  instances  jusqu'à 
l'Electeur  et  à  l'Empereur.  Le  3  septembre  1553,  celui-ci  autorise  gracieu- 
sement le  Conseil  de  Schweinfurt  à  se  débarrasser  des  Juifs.  Un  des  actes 
les  plus  intéressants  est  une  lettre  de  protection  en  faveur  des  Juifs, 
document  important  pour  l'histoire  cultuelle.  D'autres  actes  se  rap- 
portent à  l'expulsion  des  Juifs  de  Gochsheim  et  à  un  procès  soutenu 
devant  la  Cour  suprême  impériale  de  Spire,  car  le  Conseil  de  Schweinfurt 
avait  été  autorisé  à  chasser  les  Juifs  non  seulement  de  celte  ville,  mais 
aussi  de  tous  les  villages  prévôtaux,  dont  Gochsheim  ;  les  débats  traînè- 
rent de  1548  à  l.*)81  ;  dans  l'intervalle  la  ville  de  Schweinfurt  avait  cédé 
ses  droits  à  l'évèque  de  Wurzbourg,qui  n'y  alla  pas  par  quatre  chemins  et 
donna  l'ordre  d'expulser  les  Juifs  dans  les  huit  jours.  Entre  autres  docu- 
ments, M.  S.  publie  deux  lettres  de  l\.  Josselmann  de  Rosheim,  qui  inter- 
vint en  faveur  des  Juifs  de  Gochsheim,  après  avoir  obtenu  une  lettre  de 
protection  pour  eux. 

Ainsi  traités,  les  Juifs  d'Allemagne  se  réfugiaient  naturellement  en 
Pologne  et  un  historien  allemand  a  pu  éci-ire  que  les  «  Juifs  du  moyen 
âge  ont  pi'oprement  transporté  la  civilisation  allemande  dans  l'est  en 
émigrant  d'Allemagne»  (A.  Hildebrand).  M.  L.  Lewin  étudie  ce  transfert 
qui  dura  plusieurs  siècles,  à  l'aide  de  matériaux  abondants,  dans  son 
travail  :  Deutsche  Einiranderungen  in  polnische  GlieUi  (p.  293-329  ;  à 
suivre).  Après  avoir  rappelé  les  origines  fabuleuses  du  judaïsme  polonais, 
il  suit  les  traces  de  la  pénétration  allemande  dans  la  langue,  les  rites  et 
les  usages,  les  noms  de  personnes  et  de  villes  ;  tout  en  se  vantant  de  leur 
origine  allemande,  les  Juifs  do  Pologne  s'estimaient  heureux  de  vivre  dans 
un  pays  tolérant.  M.  L.  montre  par  des  exemples  comment  les  Juifs  de 
quelques  villes  allemandes  émigrèrent  vers  l'est  et  il  donne  une  longue 
liste  alphabétique  des  localités  allemandes  qu'on  trouve  chez  les  Juifs 
polonais  p.  317,  ']"'b3  doit  être  transcrit  «  Rliri  »),  «  touciiant  ténidignage 
de  la  fidélité  qu'ils  gardaient  à  la  patrie  qui  les  av;iii  rejelés  de  son 
sein  ». 

L'Annuaire  ne  contient  qu'un  article  populaire  :  Bibrl  und  Menschen- 
rechie  (p.  275-282)  par  le  professeur  Lofmann.  C'est  un  extrait  d'une 
conférence  sur  «  le  judaïsme  antique  et  les  idées  modernes  »,  oïi  l'on 
montre,  oïi  l'on  affirme  plutôt,  que  les  principes  de  1789  sont  puisés  dans 
la  Bible.  —  M.  Silberbing  achève  l'étiule  d'un  ouvrage  de  mathématiques 


312  REVUE  DES   ÉTUDES  JUIVES 

écrit  en  hébreu  par  Mordechaï  Comtino  (xv'=  siècle);  M.  HausdorH" présente 
des  observations  sur  une  étude  de  M.  Lerncr  :  Jelamtlenu  Rabbenu,  parue 
dans  le  l»""  volume,  et  M.  Sulzbach  donne  quelques  additions  et  rectifica- 
tions à  sa  pulilication,  dans  le  volume  précédent,  du  Biour  ha-Guct  de 
R.  Simson  de  Chinon  ;  elles  ne  sont  pas  encore  suffisantes,  mais  nous  y 
reviendrons  une  autre  fois. 

Nous  n'avons  rien  dit  ici  de  deux  contributions  des  plus  importantes: 
l'édition  du  Commentaire  des  Juges  de  Joseph  Kara,  avec  une  étude  sur 
cet  exégète,  par  M.  S.  Eppenstein  (p.  238-268  et  part,  hébr.,  p.  1-28);  celle 
de  la  correspondance  de  Michael  et  de  Zunz,  avec  de  courtes  remarques 
par  M.  Berliner  (p.  269-274;  p.  hébr.,  p.  29-H8).  M.  Poznanski  a  examiné 
le  premier  travail  dans  la  Bévue  (LIV,  pp.  147-152)  et  nous  analyserons 
prochainement  le  second,  dont  nous  avons  reçu  un  tirage  à  part. 

Nous  ne  connaissons  pas  le  fonctionnement  de  la  «  Jiidisch-Literarische 
Gesellschaft  »,  n'ayant  reçu  de  son  rapport  annuel  que  l'annexe  scienti- 
fique due  à  M.  Bambcrger  ;  mais  cet  Annuaire  est  un  témoignage  très 
favorable  de  son  activité  et  comme,  après  tout,  elle  ne  peut  être  respon- 
sable de  la  valeur  de  tous  les  travaux  qu'on  lui  envoie,  elle  mérite  la 
sincère  reconnaissance  de  tous  les  amis  de  la  science. 

M.  Liber. 


Aron  (A.).  Das  hebràisch-altfranzdsische  Glossar  der  Leipziger  Uni- 
versitâts-Bibliothek  (Ms.  102).  Zum  ersten  Maie  ausfûhriich 
besprochen.  Erlangen,  imprimerie  Junge  et  Sohn  (Leipzig,  W.  Kaufmann], 
1907  ;  gr.  in-8»  de  53  p.  M.  3. 

Ce  consciencieux  travail  d'étudiant  eût  été  plus  satisfaisant  si  l'auteur 
avait  été  au  courant  de  la  question.  Qu'il  ignore  que  le  Glossaire  de 
Leipzig  a  été  décrit  en  1906  dans  le  Catalogue  de  Vollers  (où  il  a  pris  le 
n°  1099),  on  l'en  excusera  d'autant  plus  volontiers  qu'ill'y  a  été  très  défec- 
tueusement; qu'il  ignore  que  cette  description  a  été  excellemment  refaite 
par  M.  Porges  [Z.  /".  H.  B.,  XI  [1907],  16-18),  on  le  comprend  encore,  puis- 
que cette  notice  est  assez  récente.  Mais  qu'il  parle  des  autres  glossaires 
inédits  (p.  H,  n.  28)  et  ne  sache  pas  que  celui  de  Paris  (ou  plutôt  l'un  des 
deux)  est  publié  depuis  tantôt  trois  ans,  c'est  ce  qu'il  est  plus  difficile 
de  comprendre  et,  donc,  d'excuser.  Nous  ne  cherchons  pas  à  y\.  A.  une 
chicane  de  bibliographe  :  cette  ignorance  diminue  de  moitié  la  valeur  de 
son  travail.  Jusqu'en  1905,  on  ne  connaissait  les  glossaires  que  par  des 
descriptions  et  des  spécimens;  en  publiant  celui  de  la  Bibliothèque  .Natio- 
nale, MM.  Lambert  et  Brandin  ont  fourni  aux  savants  une  base  plus  large 
et  plus  solide,  wa  point  de  départ  et  un  terme  de  comparaison.  M.  A.  a  été 
privé  là  d'un  secours  dos  plus  précieux.  —  Il  y  a,  en  revanche,  du  superflu 
dans  son  livre:  à  quoi  bon  discuter  les  attril>utions  fantaisistes  de  je  ne 


mULIOGRAPlIlE  313 

sais  quel  liibliothéc;uro  du  xvii»  siècle  (p.  1-3'?  La  description  exlorioure 
du  manuscrit  et  l'indication  de  son  contenu  (p.  4-11)  ne  nous  apprennent 
rien  de  nouveau  après  Delitzsch  et  Forges  (à  noter  seulement  la  numéro- 
tation différente  des  Psaumes,  n.  2")),  et  il  eût  mieux  valu  que  M.  A.  nous 
expliquât  la  nature  et  la  destination  de  ces  glossaires.  Ces  œuvres,  que 
nous  étudions  scientifHiuement,  ne  sont  pas  des  œuvres  scientifiques, 
mais  des  manuels  populaires  composés  chacun  par  un  maître  d'hébreu, 
un  melammed  quelconque,  dans  un  but  pédagogique;  qu'on  songe, p. ex., 
au  Guide  du  Traducteur  du  Pentafevque  de  S.  Klein.  Ainsi  s'expliquent 
les  étourderies  et  les  négligences  dans  l'orthographe  et  dans  la  ponctua- 
tion ;  elles  ne  prouvent  pas  du  tout,  comme  le  croit  M.  A.,  que  notre  ms. 
soit  forcément  une  copie.  Ainsi  l'on  comprend  qu^^il  y  ait  eu  tant  de  glos- 
saires. Dans  une  liste  de  livres  hébreux  confisqués  au  xivï  siècle  on  en 
cite  plusieurs  v.  plus  haut,  p.  98).  Nous  en  connaissons  aujourd'hui  une 
dizaine,  chiffre  relativement  considérable,  et  aucun  ne  parait  entièrement 
semblable  à  un  autre  (voir  la  liste  dressée  par  M.  I.  Lévi,  Revue,  L,  197). 
Naturellement,  les  glossateurs  se  copiaient  plus  ou  moins  les  uns  les 
autres;  c'étaient  des  scribes  autant  que  des  auteurs  (ce  qui  répond  à 
l'objection  faite  par  M.  Poznanski  aux  éditeurs  du  Glossaire  de  Paris, 
Monalsschrift,  1906,  378). 

Mais  comment  retrouver  les  sources  de  notre  glossaire,  si  les  auteurs 
qui  y  sont  cités  occasionnellement  (Aron,  p.  11)  ne  suffisent  pas  à  nous 
renseigner  ?  Il  faudrait  examiner  si  l'auteur  ne  s'est  pas  servi,  pour  les 
gloses  françaises  aussi  bien  que  pour  les  gloses  hébraïques,  de  commen- 
taires hébreux,  lesquels  ne  seraient  pas  forcément  les  mêmes  pour  ciiaque 
livre  biblique,  ce  qui  expliquerait  les  traductions  différentes  d'un  même 
mot.  Voyez  .lob.  On  sait  que  les  gloses  hébraïques,  particulièrement  nom- 
breuses pour  ce  livre,  se  retrouvent  en  majeure  partie  dans  un  commen- 
taire français  de  Job,  qui  a  été  édité  par  Wright  en  1905  (v.  Poznanski, 
dans  Revue,  LU,  52-r)3,  08-69);  ce  commentaire  a-t-il  été  utilisé  aussi  pour 
les  leazun!  M.  Aron  nous  l'aurait  dit,  s'il  l'avait  connu.  On  a  été  jusqu'à 
identifiei'  notre  glossateur  avec  ce  commentateur  de  Job  ;  on  a  attribué 
les  deux  ouvrages  à  Berachya  ha-Nakdan  —  que  n'a-t-on  pas  attribué  à  Be- 
rachya?  M.  A.  aurait  pu  ajouter' ces  hypothèses  à  celles  qu'il  passe  en 
revue  touchant  l'auteur  du  glossaire  (p.  20-22) ,  ou  plutôt  il  aurait  pu 
nous  les  épargner  toutes,  car  elles  ne  reposent  sur  aucun  indice  sérieux. 
Tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que  l'auteur  ou  le  copiste  devait  s'appeler 
Simson,  car  ce  nom  se  présente  enjolivé  dans  le  ms.  et  une  fois  le  nom 
de  Jacob  (v.  Porges,  L  c).  Delitzsch  a  songé  à  Simson  ha-Nakdan  et  M.  A. 
réfute  ses  raisons  ;  il  eût  suffi  de  faire  remarquer  (juc  Simson  est  un  Alle- 
mand (voir  en  dernier  lieu  Freimann,  dans  Z.  f.  H.  B.,  \l,  90). 

M.  A.  essaie  de  dater  et  de  localiser  le  glossaire  en  en  étudiant  la  langue: 
morphologie  (p.  12-14)  et  formes  dialectales  (p.  14-19).  Celte  partie  de 
son  travail  est  très  instructive  et  paraît  solide.  La  langue  du  glossaire 
appartiendrait  au  troisième  tiers  du  xiii»  siècle;  «  mais,  ajoute-t-il,  comme 
notre  manuscrit  n'est  pas  l'original,  on  pourrait  placer  l'ouvrage  (juelques 


314  REVUE   DES  ÉTUDES  JUIVES 

années  pins  tôt,  vç.rs  1250».  Cette  conclusion  est  déconcertante.  Admet- 
tons que  le  manuscrit  ne  soit  qu'une  copie.  De  deux  choses  l'une  :  ou  la 
copie  a  respecté  le  texte  primitif,  et  alors  il  ne  faut  pas  avancer  celui-ci. 
mais  reculer  celle-là;  ou  elle  l'a  modifié,  et  alors  nous  n'avons  plus  aucun 
indice  pour  dater  l'original.  Quant  à  la  patrie  du  glossaire,  il  semble  que 
ce  soit«  l'est  de  la  Cliam,pagne,àpeu  près  la  Haute-Marne  ».  —  Enfin,  M.  A. 
indique  le  système  qu'il  convient  d'adopter  pour  transcrire  les  gloses  en 
caractères  français  (p.  22-31)  ;  ceux  de  Bolimer  et  de  Darme&teter  lui 
paraissent  l'un  trop  inexact,  l'autre  trop  compliqué  ;  le  sien  est  d'une 
éconon^ie  satisfaisante.  Il  l'applique  dans  le  spécimen  qu'il  publie 
(p.  33-53)  et  qui  porte  sur  les  vingt  premiers  psaumes,  ainsi  que  les  pre- 
mières et  les  dernières  lignes  du  ms.  (Gen.,  i,  1-4,  et  Esther,  vu,  8-vni,  13). 
Pourquoi  M.  A.  a-t-il  justement  choisi  les  Psaumes,  dont  les  sept  premiers 
ont  déjà  été  édités  par  Bôhmer  ?  Aux.  trois  colonnes  du  glossaire  (mot 
glosé,  glose  française,  explication  hébraïque)  il  en  ajoute  deux:  trad. 
allemande  du  mol  glosé,  transcription  de  la  glose  ;  en  note  il  justifie  ses 
transcriptions,  quand  il  y  a  lieu.  Si  l'on  compare  ce  spécimen  avec  la 
partie  correspondante  du  glossaire  de  Paris,  on  constate  que  ce  dernier  a 
401  gloses,  tandis  que  celui  de  Leipzig  en  f\  420  environ  ;  mais  les  gloses 
communes  sont  toutes  les  mêmes,  alors  même  qu'un  mot  hébreu  est  rendu 
par  denx  leazim,  et  les  petites  variantes  orthographiques  sont  de  celles 
qu'on  relève  dans  tous'les  textes  du  moyen  âge;  rarement  le  glossaire  de 
Leipzig  présente  des  formes  plus  anciennes  (à  noter  que  dans  Ps.,xviu, 43, 
il  a  lu  a"'tû2  et  traduit  en  conséquence).  Pour  les  Psaumes  au  moins,  les 
deux  glossaires  sont  donc  pour  ainsi  dire  identiques. 

M.  Liber. 


Abbott  (G.  F.).  Israël  in  Europe.  Londres,  Macmillan,  1901  ; 
in-8»  de  xix  -|-  533  p.  et  1  carte. 

Cette  volumineuse  histoire  des  Juifs  en  Europe  est  plus  qu'un  livre  de 
vulgarisation,  comme  les  Anglais  savent  en  écrire  et  en  éditer;  c'est  un 
livre  original,  si  l'on  entend  par  originalité  non  Lindépendance  dans  les 
recherches  et  la  nouveauté  dans  les  conclusions,  mais  la  finesse  des 
aperçus  et  le  piquant  des  rapprochements.  Dans  un  ouvrage  destiné  au 
grand  public,  on  passera  condamnation  sur  les  erreurs  de  détail  et  sur 
les  lacunes  ;  mais  on  aura  de  la  peine  à  n'en  pas  €riti(iucr  l'économie 
générale.  M-  A.  a]  voulu  <'  suivre  les  destinées  du  peuple  juif  depuis  le 
moment  de  son  premier'^Jcontaçt  avec  les  nations  occidentales  jusqu'au 
dernier  quart  du  xix«  siècle  »  (p.  404)  ;  les  deux  tiers  de  son  livre  sont 
consacrés  à  la  période  moderne  (à  partir  de  1492),  de  beaucoup  la  moins 
intéressante  pour  l'historien  et  en  tout  cas  la  plus  courte  ;  c'est  ce  ([u'en 
Angleterre  on  appelle  être  «  praliciue».  Même dis|>roportion,  même  manque 


BIBLIOGRAPflIE  31  b 

de  perspective  dans  le  détail. L'époque  asmonéenne  ethérodienne  est  vite 
expédiée.  Peu  de  chose  sur  les  Juifs  de  France  au  moyen  âge  ;  rien  sur 
leur  littérature.  Ceux  dWngleterre  sont  naturellemonl  mieux  traités,  cl 
nous  apprenons  ce  que  Sliakespcarc,  Byron  et  Walter  Scott  ont  pensé  du 
judaïsme.  Les  pamphletsde  Luther  remplissent  le  chapitre  sur  la  Réf(u-me, 
lequel  aurait  pu  tomber,  car  on  ne  voit  décidément  pas  ce  que  la  Réforme, 
moins  la  Renaissance,  a  fait  directement  ou  indirectement  pour  les  Juifs. 
L'aventure  de  David  Rubéni  tient  autant  de  place  que  la  première  croi- 
sade. L'histoire  de  la  civilisation  et  de  la  littérature  n'est  qu'effleurée  ; 
toute  la  littérature  est  bornée  à  Maïmonide  et  à  Juda  Hallévi.  Ce  livre,  c'est 
«  Israël  en  Europe  »  vu  du  dehors  et  incomplètement.  —  La  période  con- 
temporaine est  traitée  avec  plus  de  détails  ;  deux  chapitres  sont  consacrés 
aux  persécutions  en  Russie  et  à  l'oppression  en  Roumanie,  deux  autres  à 
l'antisémitisme  et  k  son  antidote  le  sionisme,  et  quoique  les  éléments  en 
soient  empruntés  surtout  aux  télégrammes  d'agences  et  aux  articles  de 
revues,  on  les  consultera  avec  fruit.  Tout  l'ouvrage  est  dominé  jiar  la 
préoccupation  de  poser  «  la  question  juive  »,  et  voici  la  conclusion  :  <i  Si 
le  passé  et  le  présent  sont  des  guides  pour  l'avenir,  on  peut  prédire  avec 
assurance  que  pendant  des  siècles  encore  le  monde  continuera  à  être  le 
témoin  du  spectacle  unique  et  lugubre  d'un  grand  peuple  errant  çà  et  la 
sur  les  grandes  routes  de  la  terre,  à  la  rcclicn-he  d'un  foyer.  »  Est-ce  une 
conclusion  ? 

Il  faut  souhaiter  à  M.  A.  plus  de  lecteurs  que  de  critiques.  Il  conte  avec 
adresse  et  apprécie  avec  justesse.  Tout  en  reprochant  aux  Juifs  leur  »  into- 
lérance »,  il  est  plein  de  sympathie  pour  leur  long  calvaire  et  s'elïorce 
d'expliquer  par  les  circonstances  politiques  et  les  conditions  économi- 
ques (d'où  une  foule  de  digressions)  leur  étrange  destinée.  L'auteur,  qui 
n'appartient  pas  au  judaïsme,  a  su  le  comprendre  en  général.  Aussi  son 
ouvrage  sera-t-il  utile  aux  lecteurs  pour  lesquels  il  a  sans  doute  été  écrit. 

M.  LiisER. 


ADDITIONS  ET  RECTIFICATIONS 


T.  LIV,  p.  03.  (7?.  Salomoii  b.  Adret  a-t-il  écril  un  Commenlnire  du 
Penialeuque  y).  —  Le  texte  du  Ban  cité  par  M.  Aptowitzer  lire  n°  73;  a 
déjà  été  signalé  par  Firiill,  Jahrbûcher,  IV,  à  propos  d'un  nns.  de  Munich 
{n°  66,1)  qui  est  censé  contenir  un  commentaire  du  Rascliba.  Ce  qui 
paraît  à  Briill  confirmer  cette  indication,  c'est  que  Bahia  b.  Ascher,  dans 
son  Commentaire  du  Pentateuque,  cite  R.  Salomon  b.  Adret,  son  con- 
temporain. Seulement  il  faut  remarquer  que,  tout  en  le  nommant  une 
douzaine  de  fois  (v.  B.  Bernstein,  dans  3fagazin,  XVIII,  91),  il  ne  fait 
nulle  part  allusion  à  im  commentaire  biblique  qu'il  aurait  composé.  — 
31.  Liber. 

T.  LIV,  p.  87,  n.  4,  2°.  —  Juda  b.  Salomon  Halaç  (>^bs),  originaire  de 
Castille  et  qui  émigra'à  la  fin  du  xv«  siècle  en  Afrique,  où  il  écrivit  un 
supercommentaire  sur  Raschi,  cite  dans  sa  préface,  parmi  les  ouvrages 
dont  il  s'est  servi,  les  Hiddouschê  Çarfat  et  les  Hiddousrhim  de  R. 
Ascher  :  ce  dernier  est  sûrement  notre  commentaire.  Le  texte  a  été  pu- 
blié par  Neubauer,  Bévue,  V,  48,  d'après  le  ms.  1334  de  la  Bibliothèque 
Nationale  (fo  9  a).  N.  dit  que  le  ms.  est  de  1486  ;  il  a  trouvé  cette  année 
dans  la  préface  de  l'auteur,  mais  c'est  une  date  biographique  antérieure. 
M.  Schwab,  Bévue,  XXXVII,  129,  donne  le  millésime  1440-1441,  que 
M.  Marx,  /.  Q.  B.,  XX,  260,  révoque  en  doute  avec  raison.  En  réalité,  le 
ms.  a  été  écrit  —  M.  Schwab  s'en  est  assuré  avec  moi  —  en  1491,  date 
attestée  par  un  double  chronogramme  dans  le  colophon  du  copiste  : 
^"-iHb  ...n:03n  ...nT:^''  ...nrC3,  et  il  faut  ainsi  rectifier  la  description 
de  M.  Schwab:  «  Le  volume  a  été  écrit  en  251  (1491)  par  Soliman...  ». 
Ce  supercommentaire  ne  peut  être  qu'identique  avec  celui  que  Toledano, 
Apiryon  (Jérusalem,  1905),  9  6.,  n"  145,  cite  sous  le  nom  de  "Tin'' 'n 
yxbsbN  (cf.  n»  158).  Quoi  qu'il  en  soit,  il  contient  la  plus  ancienne  men- 
tion que  j'ai  trouvée  jusqu'à  présent  du  commentaire  du  Rosch.  —  Sur  le 
nom  de  ybr  ou  V^-^/  ^O''"  Steinschneider,  dans  ,/.  Q.  B.,  XI,  125.  — 
J/.  Liber. 

T.  LIV,  p.  276.  —  Il  y  a  treize  ans,  parmi  les  thèses  soutenues  en  doc- 
torat, j'ai  émis  l'opinion  que  la  forme  arabe  du  nom  de  Jésus  est  due  à 
une  étymologic  populaire  qui  a  confondu  "'C"'  avec  yvc,  ce  qui  n'est  pas 
surprenant,  les  Juifs  désignant  le  Messie  par  les  mots  ■^»3"'  p  (Isaïe,  xi,  1) 
«  fils  de  Jessé  ».  —  Félix  Perles. 


XDDITIONS   ET   RECTIFICATIONS  317 

T.  LIV,  p.  285  et  suiv.  —  /.  —  Pour  rendre  compte  des  suffixes  en  n 
tant  en  hébreu  CpT?"!"'  /'is?:'"'^?^'.  etc.)  quen  araiiiécn  ('Tj^nT-'G')  /"2?»71), 
il  suffit  qu'ils  s'ajoutent  en  araméen  n  toutes  les  personnes  même  au  par- 
fait, par  exemple  :  ';"'=i3''^'2wN,  p^rnpc  —  rî"':"'73-'pN,  —  ^rsp-'-N,  "i-'ips 
etc.  (à  la  p.  4  de  mon  ouvrage).  C'est  la  preuve  certaine  que  in  ne  peut 
pas  être  une  terminaison  de  l'imparfait.  Si  la  troisième  personne  du  plu- 
riel 1ir,  ^nz^^  est  plus  fréquente  que  d'autres,  ce  phénomène  n'importe 
pas  à  la  question  de  la  composition  de  ces  suffixes. 

2.  —  Si  ces  suffixes  en  in  ne  s'ajoutent  pas  à  l'imparfait  avec  waw  con- 
sécutif en  hébreu,  au  jussifen  araméen  (oîi  il  ne  revient  d'ailleurs  que 
rarement),  l'explication  en  est  simple  :  c'est  qu'ici  et  là  on  choisit  les 
formes  d'imparfait  les  plus  courtes  et  semblablement  les  suffixes  les 
plus  courts. 

3.  —  La  vieille  opinion  qui  fait  venir  !~t:x,  "jN,  «  oîi  »,  de  ayna  avec 
disparition  constante  et  sans  exception  aucune,  en  hébreu  comme  en  ara- 
méen, de  y  dans  l'écriture,  ne  peut  s'appuyer  d'aucun  cas  analogue  dans 
l'une  ou  l'autre  de  ces  langues.  La  diphtongue  primitive  ay  aurait  dû  se 
conserver  quelque  part  dans  récriture  coiniiie  dans  l'hébreu  T^^).  — 
Pour  la  même  raison,  le  suffixe  araméen  an-hi  ne  peut  pas  provenir  de 
ay-\'hû  -p  hi.  D'ailleurs,  il  n'y  a  pas  en  araméen  de  suffixe  hû,  mais 
seulement  hi;  cf.  mes  remarques  dans  Z.  D.  M.  G.,  LVIII,  435.  —  Le 
syriaque  -aal^AûJ  est  composé  de  neqtul  -\-  '"ihû  (nrfN). 

-i.  —  L'hébreu  nrr:  ne  peut  pas  être  séparé  de  l'arabe  hd-dà,  araméen 
hd-de{n).  Si  le  mot  n'est  employé  en  hébreu  qu'avec  des  substantifs,  c'est 
aussi  le  cas  de  beaucoup  le  plus  fréquent  en  arabe.  Ce  phénomène  de 
syntaxe  est  indépendant  de  la  composition  du  mot. 

5.  —  Dans  nn^  doit  être  contenu,  comme  je  l'ai  prouvé  par  les  syno- 
nymes, un  élément  déterminatif  (le  démonstratif  n  .  M.  I,ambert  soutient 
à  tort  que  dans  n^'IN,  nis^n  sans  démonstratif,  il  v  a  une  détermination  ; 
ces  formes  doivent  être  rapprochées  au  contraire  de  l'arabe  )>-*?j  'jj 
«  par  eau  et  par  terre  »,  et  sont,  au  même  titre  que  ces  derniers  mots 
avec  nunation.  indéterminées.  Autrement  elles  ne  pourraient  pas  être 
suivies  d'un  génitif,  comme  dans  l^ss  nitiN,  "^snsî  tnç"»^''  l^'^aT  nirnN. 
Mais  comment  donc  expli(iuerait-on  que  nn^  soit  toujours  «  milra  », 
tandis  que  les  locatifs  sont  toujours  «  mil'èl  »,  si  ceux-ci  étaient  la  même 
chose  que  celui-là? 

6.  —  C'est  par  mégarde  (jiie  j'ai  qualifié  (p.  20)  "''pj,  "^np  de  participes 
passifs,  ainsi  ([ue  M.  i^ambert  le  fait  remarquer  avec  raison.  J'ai  donné 
l'explication  exacte  —  à  savoir  ({ue  ce  sont  des  parfaits  passifs  —  dans 
Z.  D.  M.  G.,  LIX,  163.  Ce  point  n'a  pas  d'importance  pour  la  ((ucstioB  en 
jeu.  —  /.  Barlli. 

T.  LV,  p.  54.  —  Alioi'i  Valiya  Nahraï  (ou  Ncliora'i)  b.  Nisslm  de  Fostât 
paraît  avoir  occupé  une  situatictn  dislin^uéc,  ainsi  qu'il  ressort  des  nom- 
breux documents  de  la  collection  de  la  Cueniza  conservée  à  la  Hodléienne 


318  REVUE  DES  ÉTUDES  JUIVES 

dans  lesquels  il  est  nommé  {v.  le  Catalogue  de  Neiibauer-Cowley,  II, 
Index,  col.  484,  s.  v.,  et  cf.  Z.  /'.  H.  B.,  X,  140).  Il  est  désigné  une  fois 
comme  r!2"'UJ''n  b-iia  (ms.  Bodl.,  2806,16;  2876,40).  Son  .nom  complet 
était  :  Naliraï  b.  Nissim  |^b.  Yeschoua'  ?]  b.  Joseph  {ibid.,  2807,16).  Ce  qui 
permet  de  déterminer  son  époque,  c'est  quil  est  mentionné  dans  une 
lettre  adressée  au  gaon  palestinien  Ébiatar  (ibid.,  2878,27).  Or,  on  sait 
que  celui-ci  exerça  les  fonctions  de  gaon  depuis  1084  {v.  en  dernier  lieu 
Revue,  LI,  52);  Nahraï  appartient  donc  à  la  fin  du  xi^  siècle.  Abou  Sa'd 
Nissira  b.  Nahraï,  cité  par  Goldziher,  pourrait  èlie  un  fils  de  notre  >'ahraï 
et  son  correspondant  Natau  b.  iS'ahraï  fut  également  en  correspondance 
avec  Nahraï  b.  Nissim  (Ms.  Bodl.,  2876,40  ;  2878,79.91).  —  P.  iio.  —  Abou 
Zakaria  (ou  Zalvari)  Yehouda  b.  Moïse  b.  "iN70:iO,  nommé  par  Worman, 
est  également  mentionné  dans  quelques  fragments  de  la  Gueniza  de  la 
Bodléienne  ms.  2806,15  ;  2878,133  ;  probablement  aussi  2805,20  et 
2878,36;.  On  trouve  encore  cités  :  Aboù  Ishàk  Abraham  b.  ■;iN7j:;a  (ms. 
2876,63  et  2878,  14,  et  Labràt  b.  Moïse  b.  "iNK:;»  (ms.  2834,30).  Ce  nom 
n'était  donc  pas  si  rare  parmi  les  Juifs  d'Egypte.  —  Samuel  Poznauaki. 


Le  gérant  : 

Israël  Lévi. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


REVUE 

ARTICLES  DE  FOND. 

ApTowiTZER  (V.  .  Deux  problèmes  d'histoire  littéraire 84 

Bâcher  (VV.).  Le  livre  d'Ezra  de  Schahin  Scliirazi .2i9 

Bl.vc  ^L.).  La  récitation  du  Schéma  et  de  la  Hal'lara 209 

Crémieux  (Ad.)-  Un  établissement  juif  à  Marseille  au  xviic  siècle 119 

Darmesteter  (Arsène).  Les  Gloses  françaises  deRaschi  dans  la  Bible 

{siiile) 72 

Dauriac  (Lionel).  Philon,  d'après  deux  ouvrages  récents 37 

GoLDziiiER  iL).  Mélanges  judéo-arabes 54 

Heller    Bernard;,   Le  nom  divin  de  vingt-deux  lettres  dans  la  prière 

qui  suit  la  bénédiction  sacerdotale GO 

Kamenetzkv  (A.  S.).  Deux  lettres  du  dernier  Exilarque    1020 48 

Liber  (M.).  I.  Les  manuscrits  hébreux  de  la  Bibliothèque  du  Louvre.  90 

II.  Montaigne  à  Rome 109 

Poz.NANSKi  i^Samuel).  Sur  les  deux  lettres  de  l'époque  du  dernier  E\i- 

larque * ...  ; 244 

P.sicHARi  i.Iean).  Essai  sur  le  grec  de  la  Septante 101 

RÉGNÉ  (Jean).  Étude  sur'la  condition  des  Juifs  de  Narbonno  du  v=  au 

xive  siècle 1  et  221 

NOTES  ET  ML;LAN(.ES. 

Kaminka  (A.).  Les  Psaumes  lxvmi  et  lxxxmi  à  la  lumière  des  décou- 
vertes d'Assouan 140 

Krauss  (S.).  Le  nom  de  Jésus  chez  les  Juifs 148 

Lambert  (Mayer).  Notes  exégétiques  et  lexicographiqucs 281 

Lévi  (Israël;.  I.  Encore  un  mot  sur  le  texte  araméen  du  Testament  de 

Lévi  récemment  découvert 28a 

IL  Les  cinq  écritures  japhétites  d'après  le  Midrasch  llagadol.  287 


320  REA'UE  DES   ÉTUDES   JUIVES 


BIBLIOGRAPHIE. 


Liber  (M.).   I.  Jahrbuch  dcr  jiKlisch-litcrarischen  Gesellschaft,  IV, 

1900-b667 307 

II.  Das  hebraisch-altfranzosische  Glossar  der  Leipzigcr  Univer- 
sitiits-Bihliothek   (Ms.  102).    Ziim  ersten  Maie  ausfuhrlich 

besprochen,  par  A.  Aron 'Mi 

III.  Israël  in  Europe,  par  G.  F.  Aiiiion 314 

Simon  (Léon).  Jews'  Collège  Jubilee  Volume  :  comprising  a  History 
of  the  Collège  by  the  Re\ .  Isidore  Harris,  and  Essays  by 
Teachers  and  former  Sludents  oi'  tbe  Institution lUIi 

Vexler  (M.!.  Geschichte  der  jïidischen  Philosopliie  des  Miltelalters, 
nach  Problemen  dargestellt.  Erster  Band  :  Die  Grundprin- 
zipien,  i,  par  D.  Neumark. 291 

Wellesz  (J.).   Zwei  jiidisch-persische  Dichtcr,  Schàhin  und  Imràni, 

par  W.  Bâcher 132 

Additions  et  rectifications loî)  et  316 

Table  des  matières 319 


ACTES  ET  CONFERENCES 

Assemblée  générale  du  8  février  1908 i 

Allocution  de  M.  Maycr  Lambert,  pi'ésident i 

Rapport  de  M.  Edouard  de  Goldschmidt,  trésorier vi 

Liste  des  membres  de  la  Société  des  Etudes  juives  au  31  mars  1908.  vm 


VERSAILLES.    —    LMI'RIMERIES    CERI",    59,    RUE    «Ul'LESSlS. 


ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE 


SEANCK  DU  8  FÉVRIKR  1908. 
Présidence  de  M.  Mayek  Lambert,  président. 

M.  le  Président  prononce  l'allocutiou  suivante  : 

Mesdames,  Messieurs, 

Au  moment  où  expire  le  mandat  de  votre  président,  c'est  un 
plaisir  pour  lui  de  vous  remercier  de  l'honneur  que  vous  lui  avez 
fait  en  l'appelant  pour  un  an  à  la  direction  de  votre  Société.  Je  ne 
ferai  pas  montre  de  fausse  modestie  en  vous  disant,  à  l'instar  de 
beaucoup  de  mes  prédécesseurs,  que  je  me  croyais  indigne  de  ces 
hautes  fonctions.  Tous  ceux  qui,  successivement,  ont  recueilli  vos 
suffrages  ont  eu  leurs  mérites  plus  ou  moins  éclatants,  et  les  juris- 
consultes et  les  financiers  n'ont  pas  été  moins  utiles  à  notre  Société 
que  les  historiens  ou  les  grammairiens.  Parmi  vos  présidents  les 
uns  ont  été,  en  quelque  sorte,  désignés  d'emblée  à  votre  choix,  les 
autres  ont  suivi  la  filière  hiérarchique  ;  ils  ont  été  d'abord  secré- 
taires, puis  vice-présidents.  C'est  à  cette  modeste  catégorie  que 
j'appartiens,  et  si  vous  avez  voulu  surtout  me  récompenser  de 
mon  assiduité,  je  ne  vous  en  suis  pas  moins  reconnaissant. 

D'ailleurs,  je  dois  avouer  que  j'ai  passé  avant  mon  tour.  Un  de 
nos  vice-présidents  a  refusé,  a  notre  grand  regret,  d'accepter  ce 
poste  d'honneur,  auquel  il  était  tout  naturellement  appelé  par  les 
services  qu'il  avait  rendus  à  la  Société  des  Etudes  juives.  Ses  con- 
naissances juridiques  ont  été  mises  à  contribution  en  maintes  cir- 
constances et  il  eut  fort  bien  conduit  nos  délibérations.  Lui  seul  n'a 
pas  été  de  cet  avis,  et  nous  avons  dû  nous  incliner. 

ACT.    ET   CON?.  A 


ACTES  ET  CONFERENCES 


Un  autre  de  nos  collègues  du  Conseil  aurait  dû  être  depuis  long- 
temps notre  président.  Il  en  a  été  empêché  par  son  dévouement. 
M.  Schwab  —  car  c'est  lui  le  second  coupable  que  je  vous  dénonce 

—  avait  accepté,  après  la  disparition  du  regretté  Erlanger,  de  gérer 
vos  finances,  et  le  Conseil,  pour  lui  marquer  sa  gratitude,  l'a  main- 
tenu aussi  longtemps  que  possible  comme  trésorier.  Il  a  fallu  une 
circonstance  impérieuse,  un  affaiblissement  de  la  vue  —  auquel 
une  habile  intervention  chirurgicale  a  heureusement  porté  remède 

—  pour  que  notre  collègue  fût  relevé  de  ses  fonctions.  M.  de  Gold- 
schmidt,  notre  ancien  et  excellent  président,  a  bien  voulu  rem- 
placer M.  Schwab,  et  nous  avons  enfin  pu  témoigner  à  notre  cher 
collègue  toute  notre  estime  en  le  proposant  pour  la  présidence.  Sans 
être  grand  prophète,  il  est  permis  de  prédire  que  l'unanimité  de 
vos  voix  se  portera  sur  son  nom. . .  et  ce  sera  justice  ! 

Les  fonctions  du  président  ne  sont  vraiment  pas  pénibles,  étant 
donné  qu'il  est  secondé  par  un  secrétaire  général,  qui,  connaissant 
les  rouages  de  la  Société  pour  les  avoir  vu  créer,  s'entend  fort  bien 
à  les  faire  marcher.  A  lui  incombent  les  besognes  difficiles  et  parfois 
ingrates;  c'est  lui  notamment  qui  s'occupe  de  la  publication  de 
notre  Revue,  travail  qui  se  complique  maintenant  de  l'impression 
de  l'index  des  cinquante  volumes  parus  de  1881  à  1905.  Cet  index, 
préparé  par  un  jeune  rabbin  M.  Herz,  est  une  œuvre  considérable, 
car  il  ne  s'agit  pas  seulement  de  ranger  par  ordre  alphabétique 
les  noms  des  auteurs  et  les  titres  des  articles,  mais  d'avoir  des 
rubriques  pour  toutes  les  questions  traitées  dans  la  Revue  et  pour 
tous  les  personnages  qui  y  sont  cités.  M.  Israël  Lévi,  qui  s'est 
chargé  de  le  mettre  au  point,  a  déployé  une  fois  de  plus  le  zèle,  la 
compétence  et  la  conscience  dont  il  a  fait  preuve  depuis  vingt- sept 
ans  d'abord  comme  secrétaire  adjoint  du  regretté  Isidore  Loeb, 
puis  comme  secrétaire  général.  Sans  passer  pour  un  vil  flatteur,  il 
me  sera  permis  de  dire  que  la  Société  des  Etudes  Juives  sait  ce 
qu'elle  lui  doit,  et  elle  lui  doit  beaucoup. 

Nous  avons  craint  un  instant  d'être  privé  pour  l'avenir  de  la  pré- 
cieuse activité  de  M.  Israël  Lévi  !  Les  électeurs  du  grand-rabbin 
du  Consistoire  central,  en  nommant  M.  Alfred  Lévy,  ont  écarté 
cette  éventualité.  M.  Alfred  Lévy  est  un  de  nos  membres,  qu'il  me 


ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  8  FEVRIER  1908  111 

soit  permis  de  le  féliciter  ici  eu  votre  nom  et  d'exprimer  l'espoir 
qu'étant  rapproché  du  siège  de  la  Société,  il  lui  consacrera  une  part 
plus  grande  de  son  temps  et  de  sa  science. 

Je  me  reprocherais  d'oublier  ici  les  dévoués  secrétaires  du  Con- 
seil, MM.  Julien  Weill  et  Isidore  Lévy.  Cette  année  leur  tâche  a 
été  allégée  par  la  suppression  du  rapport  sur  nos  publications.  Le 
Conseil  a  estimé  que  le  profit  que  les  auditeurs  en  tiraient  n'était  pas 
proportionné  au  labeur  que  l'auteur  de  ce  travail  devait  s'imposer. 
Certainement  beaucoup  d'entre  vous  regretteront  de  voir  dispa- 
raître une  des  traditions  de  la  Société.  Les  rapports  n'étaient  pas 
seulement,  comme  on  l'a  dit,  de  véritables  tours  de  force  consistant 
à  donner  une  unité  factice  à  une  série  d'articles  disparates  il  y  en 
a  eu  —  je  ne  parle  pas  des  miens  —  qui  étaient  de  petits  chefs 
d'œuvre  dans  leur  genre,  car  ceux  qui  les  écrivaient  trouvaient 
moyen  d'extraire  de  questions  isolées  des  idées  générales  intéres- 
santes et  de  donner  un  cadre  élégant  aux  objets  les  plus  arides.  Ils 
accomplissaient  un  ouvrage  de  marqueterie  des  plus  délicats,  ils 
fabriquaient  une  mosaïque  ingénieuse  et  fine.  Seulement,  il  faut 
bien  le  dire,  ces  rapports  destinés  au  grand  public  étaient  surtout 
appréciés  par  les  connaisseurs,  par  ceux  qui  lisent  la  Revue,  et 
ceux-là  pouvaient  le  plus  facilement  s'en  passer. 

Il  a  donc  été  décidé  que  tous  les  deux  ou  trois  ans  l'un  des  secré- 
taires donnerait  un  coup  d'oeil  d'ensemble  sur  les  progrès  de  la 
science  juive,  signalerait  les  découvertes  les  plus  importantes  dans 
ce  domaine.  Son  oeuvre  aura  donc  une  portée  plus  grande  que  les 
rapports  annuels  consacrés  uniquement  à  la  Revue.  Il  est  toutefois  à 
souhaiter  que  les  intervalles  déterminés  auxquels  les  nouveaux  rap- 
ports se  succéderont  ne  deviennent  pas  des  intervalles  indéter- 
minés ! 

Le  secrétaire  ne  vous  entretenant  plus  de  nos  publications,  vous 
me  permettrez  de  vous  en  dire  un  mot  ou  même  deux.  Les  fasci- 
cules de  la  Revue  ont  paru  à  peu  près  ù  la  date  habituelle.  Ils  con- 
tiennent des  articles  ou  des  notes  concernant  l'exégèse  biblique  et 
la  grammaire  hébraïque  ou  araméenne,  l'histoire  des  Juifs  anciens, 
on  particulier  sur  les  colonies  militaires  juives  établies  par  les 
rois  de  Perse  aux  confins  de  l'Egypte  et  de  l'Ethiopie  et  dont  l'exis- 


IV  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

tence  nous  a  été  révélée  par  les  papyrus  d'Assouan,  datant  du 
ye  siècle  avant  l'ère  vulgaire.  D'autres  études  se  rapportent  à  l'his- 
toire des  Juifs  du  moyen  âge  ou  des  temps  modernes,  d'autres 
encore  aux  commentaires  sur  la  Bible  —  je  relève  notamment  les 
gloses  françaises  de  Raschi  publiées  d'après  les  cahiers  de  feu 
Arsène  Darmesteter  —,  d'autres  aux  apocryphes  et  à  la  littéra- 
ture talmudique,  etc.  Comme  vous  le  voyez,  le  champ  de  la  science 
juive  continue  à  être  remué  dans  tous  les  sens.  Cependant,  pour 
vous  dire  la  vérité,  il  semble  que  le  zèle  de  nos  collaborateurs  se 
soit  un  peu  ralenti.  La  copie  —  appelons  les  choses  par  leur  nom  — 
est  moins  abondante  qu'autrefois.  Ce  phénomène,  qui  n'est  pas  par- 
ticulier à  la  Revue  des  Eludes  Juives,  tient  probablement  à  ce  que 
des  organes  périodiques  de  plus  en  plus  nombreux  se  partagent  les 
dissertations  savantes.  La  science  elle-même,  croyez  le  bien,  n'est 
pas  encore  épuisée.  D'autre  part,  l'élection  de  notre  cher  collègue, 
M.  Théodore  Reinach,  comme  député  de  la  Savoie  a  fait  un  peu  de 
tort  à  Flavius  Josèphe.  Les  travaux  parlementaires  laissent  moins 
de  loisirs  à  M.  Reinach  pour  s'occuper  de  la  traduction  des  œuvres 
de  cet  historien.  Il  est  à  espérer  que  cette  importante  publication 
reprendra  bientôt  son  cours  régulier.  . .  sans  nuire  aux  intérêts  de 
la  Savoie  et  de  la  France. 

Nos  conférences,  elles  aussi,  ont  été  un  peu  plus  espacées  que  de 
coutume.  Au  mois  d'avril  de  l'année  dernière  vous  avez  eu  le 
plaisir  d'entendre  M.  Levaillant  vous  exposer  magistralement  les 
origines  de  l'antisémitisme  en  France.  L'orateur  nous  a  instruits, 
émus  et  charmés.  Vous  allez  entendre  tout  à  l'heure  une  confé- 
rence sur  un  sujet  bien  différent  :  Les  Juifs  chez  les  arlisles  hol- 
landais. Après  avoir  appris  comment  les  Juifs  sont  traités  dans  la 
réalité  de  la  politique,  vous  verrez  comment  ils  sont  représentés 
dans  la  peinture  par  des  hommes  de  génie.  Après  les  leçons  de 
l'histoire  vous  serez  sans  doute  heureux  de  passer  à  l'idéalisme 
artistique. 

Mesdames,  Messieurs, 

Avant  de  terminer  cette  allocution,  il  me  reste  une  douloureuse 
obligation   à  remplir,  c'est  de  rendre   un   dernier   hommage   aux 


ASSKMBLKR  GÉNÉRALE  DU  8  FÉVRIER  1908 


membres  que  la  mort  nous  a  enlevés.  Cette  année  encore  des  vides 
bien  sensibles  se  sont  produits  dans  nos  rangs.  Nous  avons  eu 
d'abord  à  déplorer  la  perte  d'un  de  nos  fidèles  adhérents  :  M.  Las- 
suderie.  Secrétaire  de  notre  président  fondateur,  M.  le  baron 
James  de  Rothschild,  puis  de  M.  le  baron  Alphonse  de  Rothschild, 
M.  Lassuderie  avait  puisé  auprès  d'eux  pour  notre  œuvre  une  véri- 
table sympathie,  qu'il  lui  a  toujours  conservée.  La  Société  des 
Etudes  Juives  gardera  un  souvenir  de  reconnaissance  à  cet  homme 
serviable  et  bienveillant,  qui  mettait  sa  joie  à  obliger  tous  ceux  qui 
avaient  recours  à  son  intermédiaire.  M.  Hippoljte  Cerf  était  de  ces 
hommes  qui  font  honneur  à  la  soc' été  à  laquelle  ils  appartiennent. 
Sa  haute  distinction  d'esprit,  sa  droiture  parfaite,  son  activité 
féconde,  sa  bonté  charmante  lui  avaient  valu  les  respects  et  l'affec- 
tion de  tous.  Nous  adressons  à  son  fils,  M.  Louis  Cerf,  et  à  son 
gendre,  M.  Alphonse  Ochs,  nos  excellents  collègues,  qui  ont 
recueilli  ses  nobles  traditions,  l'expression  de  nos  condoléances  sin- 
cères et  émues. 

En  la  personne  de  M.  Albert  Lévj  c'est  un  des  meilleurs  qui 
nous  a  été  ravi.  M.  Albert  Lévy  était  des  nôtres  depuis  la  création 
de  la  Société,  et  pendant  de  nombreuses  années  il  avait  fait  partie 
de  notre  Conseil.  Nous  étions  fiers  de  compter  parmi  nous  ce  savant 
éminent,  cet  homme  de  bien.  Son  aff'abilité  était  proverbiale,  et 
qui  l'avait  vu  une  fois  ne  pouvait  oublier  ce  bon  sourire  dont  il 
partageait  le  secret  avec  son  ami  le  grand-rabbin  Zadoc-Kahn. 
Accueillant  pour  tout  le  monde,  il  s'intéressait  particulièrement  ù  la 
jeunesse,  aux  enfants  des  écoles  d'abord,  aux  étudiants  ensuite, 
surtout  à  ceux  qui  étaient  dénués  de  ressources.  A  combien  at-il 
donné  de  sages  conseils,  apporté  des  secours  efficaces  !  Lui  seul  le 
savait,  car  il  était  aussi  modeste  que  bon,  aussi  discret  que  chari- 
table. M 'étendre  sur  son  éloge  serait  peut-être  contrevenir  à  son 
suprême  désir.  Sa  mémoire  restera  gravée  dans  nos  c^nirs. 

L'exemple  d'une  vie  aussi  bien  remplie  que  celle  d'Albert  Lévy 
doit  être  pour  nous  tous  un  encouragement,  car  elle  nous  montre 
comment  l'amour  de  la  science  peut  être  uni  aux  sentiments  les 
plus  ardents  de  solidarité.  La  Société  des  Etudes  Juives  se  consacre 
avant  tout  à  la  recherche  de  la  vérité,  mais  la   connaissance  du 


VI  ACTES  ET  CONFÉRENCES 

passé  nous  montre  les  liens  qui  nous  rattachent  aux  générations 
précédentes  et  prépare  les  générations  de  l'avenir.  C'est  pour  ce 
double  but  que  nous  avons  besoin  de  voire  appui.  Donnez-nous 
des  adhérents,  des  lecteurs  et  des  collaborateurs.  Que  notre  Société 
voie  sans  cesse  venir  à  elle  de  nouvelles  ardeurs,  de  nouvelles 
forces!  Ainsi  elle  pourra  compter  sur  de  longues  années  de  vie  et 
de  prospérité,  et  l'arbre  planté  il  y  a  vingt-sept  ans  continuera  à 
porter  les  plus  beaux  fruits. 

M.  Edouard  de  Goldschmidt,  trésorier,  rend  compte  comme 
suit  de  la  situation  financière  : 

Nous  avons  clos  le  dernier  exercice  avec  un  excédant  de 
1.368  fr.  10  et  nous  clôturons  celui  de  1907  avec  une  disponibilité 
de  918  fr.  30,  mais  vous  vous  souvenez  que,  pour  l'exercice  1906, 
nous  avons  été  favorisés  d'un  don  exceptionnel  de  2.000  francs. 

Les  frais  de  publication  de  ÏI/ide.c^  qui  n'est  pas  rncore  achevée, 
seront  à  imputer  sur  les  exercices  à  venir. 

Notre  situation  s'établit  de  la  façon  suivante  : 

Actif. 

En  caisse  au  l^r  janvier   lOOT 1.368fr.  10  c. 

Cotisations 6 .  395         » 

Vente  par  le  libraire 1 .  710         » 

Chez  MM.  de  Rothschild 841       30 

En  caisse "77         » 

Total 10.391  fr.  40  c. 

Passif. 

Frais  d'encaissement 203  fr.  10  c. 

Secrétaires  de  la  rédaction 2.400         » 

Conférences  et  assemblée  générale 166  85 

Frais  d'envoi  de  mandats,  timbres,  ports,  etc. . . .  322  10 

Frais  d'impression  de  la  Bévue 4.217  85 

Honoraires  des  auteurs 3.081  50 

Total 10.391  fr.  40c. 


assemblée  générale  du  8  fevrier  1908               vu 

Balance. 

Doit  : 

Frais  divers 2.996  fr.  20  c. 

Publications T. 097       15 

MM.  de  Rothschild 841       30 

Caisse ....    77        » 


Total 11.011  fr.  65  c. 

Avoir  : 

Cotisations  et  ventes 7 .  646  fr.  50  c. 

Coupons  et  intérêts 3.365       15 


Total 11.011  fr.  65c. 


M.  André  Blum  fait  une  conférence  sur  les  Juifs  dans  l'art  hol- 
landais au  XV  11^  et  au  XVIII*>  siècle. 

Il  est  procédé  aux  élections  pour  le  renouvellement  partiel  du 
Conseil.  Sont  élus  :  MM.  Henri  Becker,  Edmond  Bickart-Séb, 
Edouard  de  Goldschmidt,  Lucien  Lazard,  Joseph  Lehmann, 
Isidore  Lévy,  Léon  Lévy,  Gaston  Mater  et  Moïse  Schwab. 

Est  élu  Président  de  la  Société  pour  l'année  1908  :  M.  Moïse 
Schwab. 


LISTE   DES  MEMBRES 


DE   LA 


SOCIETE   DES    ETUDES   JUIVES 

AU   31    MARS    1908. 


Membres  fondateurs  '. 

Camondo  (feu  le  comte  A.  de). 
Camondo  (feu  le  eomtç  N.  de). 

*  Gtjnzburg  (le  baron  David  de),  l'"*' ligne,  n°  4,  St-Pétersbourg, 

*  GuNZBURG  (le  baron  Horace  de),  l"""  ligne,  n°  4,  St-Pétersbourg. 
Lkvy-Crémieux  (feu  Raphaël). 

PoLiACOFF  (feu  Samuel  de). 

Rothschild  (feu  la  baronne  douairière  de). 

Rothschild  (le  baron  Henri  de),  faubourg  Saint-Honoré,  33. 

Rothschild  (feu  le  baron  James  de). 

Membres  perpétuels'. 

*  Adler  (Elkan  N.),  Copthall  avenue,  15,  Londres,  E.  G. 
Albert  (feu  K.-J.). 

Bardac  (Noël),  rue  de  Provence,  43  ^. 

BiscHOFFSHEiM  (feu  Raphaël). 

Bruhl  (feu  David). 

Cahen  d'Anvers  (feu  le  comte). 

Camondo  (le  comte  Moïse  de),  rue  Hamelin,  19. 

'  Les  Membres  fondateurs  ont  versé  un  minimum  de  1,000  francs. 

*  Les  Membres  perpétuels  ont  versé  -iOO  francs  une  fois  pour  toutes. 

*  Les  Sociétaires  dont  le  nom  n'est  pas  suivi  de  la  mention  d'une  ville  demeu- 
rent à  Paris. 


AU  31  MARS  1908  IX 


Dreyfus  (feu  Nestor). 
Friedland  (feu). 
GoLDSCHMiDT  (feu  S. -PL). 

*Harkavy  (Albert),  bibliothécaire,  Gr.  Pouohkarskaja,  47,  Saint- 
Pétersbourg. 
Hecht  (feu  Etienne). 
HiRSCH  (feu  le  baron  Lucien  de). 
Kann  (feu  Jacques-Edmond]. 
KoHX  (feu  Edouard). 
Lazard  (feu  Alexandre). 
LÉvY  (feu  Calmann). 

*  MoNTEFiORE  (Claude),  Portman  Square,  18,  Londres. 
Oppenheim  (feu  Josephi. 

Penha  (Immanuel  delà),  avenue  d'Ejlau,  15. 

Penha  (feu  M.  de  la). 

Ratisbonne  (feu  Fernand). 

Rrinach    feu  Hermann- Joseph). 

RiiiNACH  (Théodore),  député,  rue  Haraelin,  9. 

Rothschild  (feu  le  baron  Adolphe  de). 

Trotbux  (Léon),  rue  de  Mexico,  1,  le  Havre. 

Membres  souscripteurs  '. 

*Adler  (Rev.  D""  Hermann),  Chief  Rabbi,  6  Craven   Ilill,   Hydo 

Park,  Londres. 
Alliance  Israélite  universelle,  45,  rue  La  Bruyère. 

*  Allianz    (Israelitische),  Weihburggasse,    10,  Vienne,  I.,   Au- 

triche. 
*Antébi,    rabbin,    professeur    à   l'Ecole    de  l'Alliance   Israélite, 

Alexandrie,  Egypte. 
Arditi,  rabbin,  Tleracen. 

*  Bâcher  (Wilhelm),   professeur  au  Séminaire  Israélite,  Erzsebet- 

korut,  9,  Budapest. 

*  Balitzer  (S.-A.),chef  d'institution,  Delftschevaart,  32,  Rotterdam. 
Bauer  (J.),  rabbin,  Nice. 

Bechmann  (E,-G.),  68,  rue  Pierre  Charron. 

'  La  cotisation  des  Membres  souscripteurs  est  de  25  francs  par  an,  sauf  pour 
ceux  dont  le  nom  est  suivi  d'une  indication  spéciale.  L'astérisque  indique  les 
associés  étrangers. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  JUIVES 


Becker  (Henri),  docteur  es  lettres,  rue  de  la  Victoire,  47. 
BiCKART-SÉE  (Edmond),  rue  de  Monceau,  62. 

*  Bibliothèque  de    la  communauté    de  Berlin,  Oranienbur- 

gerstr.,  60-63. 

*  Bibliothèque  de  la  communauté  de  Breslau,  Wallstr.,  13. 

*  Bibliothèque  de  la  communauté  de  Kœnigsberg. 

*  Bibliothèque  de  la  communauté  Israélite  de  Vienne,  Sei- 

tenstettengasse,  4,  Vienne,  I. 
*BiBLiOTHKQUE  de  la  Société  pour  la  diffusion  des  lumières  parmi 

les  Juifs  de  Russie,  Malaja  Schitomouskaia,  20,  Kiew. 
Bloch  (Abraham),  grand  rabbin  d'Alger. 
Bloch  (Armand),  grand  rabbin  de  Belgique,  Bruxelles. 
Bloch  (Isaac),  grand  rabbin,  Nancy. 
Bloch  (Maurice),  boulevard  Bourdon,  13. 

*  Bloch  (Philippe],  rabbin,  Posen. 
Bloch  (Raoul),  II,  rue  Saint-Dominique, 
Blum  (Victor),  le  Havre. 

Bruhl  (Henri),  10,  avenue  de  Messine. 

Bruhl  (Paul),  rue  de  Ghâteaudun,  57. 

BijCHLER  (Ad.),  directeur  du  Jew. -Collège,  18,  Tavistock  Square, 

Londres. 
Cahen  (Abraham),  grand  rabbin,  rue  Vauquelin,  9. 
Cahen  (Albert),  rue  Condorcet,  53. 
Cahen  d'Anvebs  (Louis),  rue  Bassano,  2. 
Cerf  (Louis),  rue  Française,  8. 
Cerf  (Paul),  imprimeur,  rue  Duplessis,  59,  Versailles. 

*  Chwolson  (Daniel),  professeur  de  langues  orientales,  rue  Wassili 

Ostrov,  7,  ligne  12,  Saint-Pétersbourg, 
Cohen  (Joseph),  rabbin,  Sétif,  Algérie. 
Consistoire   central   des  Israélites  de  Fraî^ce,  rue  de   la 

Victoire,  44. 

*  Consistoire    Israélite    de    Belgique,  rue  du    Manège,   12, 

Bruxelles. 
Consistoire  Israélite  de  Bordeaux,  rue  Honoré-Tessier,  7,  Bor- 
deaux. 

*  Consistoire  Israélite  de  Lorraine,  Metz. 
Consistoire  Israélite  de  Marseille. 

Consistoire  Israélite  de  Paris,  rue  Saint-Georges,  17  (200  fr.). 
Daltrof,  rue  de  Cléry,  17. 


AU  31  MARS  1908  XI 


*Danon  (Abraham),  directeur  du  Séminaire  israélite.  Constanti- 
nople. 

Debré  (Simon),  rabbin,  avenue  Pliilippe-le-Boucher,  5  bis,  Neuilly- 
sur-Seine. 

Derenbourg  (Hartwig),  membre  de  Tlnstitut,  avenue  Henri- 
Martin,  30. 

Dessus-Lamare  (A.),  6,  rue  Leclerc. 

Dreyfus  (Abraham),  avenue  de  Villiers,  74. 

Dretfus  (L.-L.),  avenue  des  Champs-Elysées,  11. 

Dreyfus  (René),  31,  rue  Octave  Feuillet. 

Dreyfuss  (Jacques-H.),  grand-rabbin  de  Paris,  rue  Taitbout,  95. 

DucAS  (Ernest)  145,  avenue  Malakott". 

Ecole  Israélite,  Livourne. 

EiCHTHAL  (Eugène  d'),  boulevard  Malesherbes,  144. 

Engelmann  (Moïse),  rue  de  Cliàteaudun,  51. 

Ephrussi  (Jules),  place  des  Etats-Unis,  2. 

*Eppe.\stein  (S.),  rabbin,  Brisen,  West.-Pr.,  All'magne. 

*  KpsTEiN,  Grillparzerstr.,  11,  Vienne. 

*  Errera  (M™«  Léo),  rue  de  la  Loi,  38,  Bruxelles. 

*  Fernandez    Isaac),  à  la  Société  générale  de  l'Empire  Ottoman, 

Constantinople. 
*FiTA  (Rév.   P.  Fidel),  membre  de  l'Académie  royale  d'histoire, 
Galle  Isabella  la  Catholica,  Madrid. 

*  Gautier  (Lucien),  Grande  Boissière,  Genève. 
*Ginsburger,  rabbin,  Soidtz,  Haute- Alsace. 
GiNSBURGER  (Emest),  rabbin,  rue  Fléchier,  4. 

*  GoEJE  (J.  de),  professeur  à  l'Université,  Leyde. 
GoLDSCHMiDT  (Edouard  de),  boulevard  Haussmann,  157. 
Gommes  (Armand),  rue  Thiers,  9,  Bayonne. 
GouGUENHEiM  'Jsaïe),  boulevard  Voltaire,  137. 

*  Gratz  Collège,  1634-35  Land  Title  Building  Broad  and  Chest- 

nut  Streets,  Philadelphie. 
*Gross  (Heinrich),  rabbin,  Angsbourg. 
Gru.nebaum-Ballin  (Paul),  ])oulevard  Beauséjour,  21. 
GuBB.w  (Reuben),  avenue  du  Bois  de  Boulogne,  34. 
GuBBAY  (M'""),  boulevard  Malesherbes,  165. 
*GuDE.MANN,  grand  rabbin,  Werdethorgasse,  17,  Vienne. 

*  Guildhall  Library,  Londres. 

*GuNZBURG  (baron  Alfred  de),  Galernaia,  43,  Saint-Pétersbourg, 


Xn         LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Haguenau  (David),  rabbin,  rue  d'Hauteville,  23. 

Haguenauer  (P.)i  grand-rabbin,  Besançon. 

*Heller  (Bernard),  professeur,  II,  Ker,  realiskola,  Budapest. 

Herrmann  (Joseph),  rabbin,  Reims. 

Hertz,  rabbin,  10,  rue  Debelleyme. 

Herzoq  (Henri),  ingénieur  des  ponts  et  chaussées,  Dieppe. 

HiLDENFiNGER ( Paul),  69 bis,  TUC  Charles-Laffitte,  Neuillj-sur-Seine. 

*  IsRAELiTiscH-THEOL.  Lehranstalt,  Tempelgasse,  3,  Vienne,  II. 

*  IsTiTUTO  SUPERIORE,  sezione  di  filologia  e  filosofia,  Florence. 

*  Jewish  theological  Seminary  of  America,  531  West,  l'23  str., 

New-York. 
*Kaminka  (A.),  Weiiiburggasse,  10,  Vienne,  I. 
Kann  (M'"e),  avenue  du  Bois  de  Boulogne,  58. 
KiNSBOURG  (Paul),  rue  de  Clérj,  5. 
KoHN  (Georges),  rue  Ampère,  30. 

*  KoMiTET  Synagogi  na  Tlomackiem,  Varsovie. 
*KoKOVTSOFF  (Paul  de),  Ismailowàky  Polk,  3  rotte   11,  log.  "7, 

Saint-Pétersbourg. 

*  Krauss  (Samuel),  Tempelgasse,  3,  Vienne,  II. 

Lambert  (Mayer),   professeur  au  Séminaire  Israélite  et  à  l'Ecole 

des  Hautes-Etudes,  avenue  Trudaine,  21. 
Lazard  (Lucien),  archiviste-paléographe,  rue  Rochechouart,  49. 
Lebhar  (Samuel),  rue  de  Chartres,  13,  Alger. 
Lehmann  (Joseph;,  grand  rabbin,  directeur  du  Séminaire  Israélite, 

rue  Vauquelin,  9. 
Lehmann  (Mathias),  rue  Taitbout,  29. 
Lehmann  (Samuel),  avenue  Victor-Hugo,  49. 
LÉON  (Xavier),  rue  des  Mathurins,  39. 
LÉON  d'Isaac  Jaïs,  rue  Henri-Martin,  17,  Alger. 
LÉONINO  (baron  Emmanuel),  41,  avenue  d'Iéna. 
Léonino   baronne  David  ,  102,  avenue  MalakofF(100  fr.). 
Leven  (Emile),  rue  Brunel,  26. 

Leven  (D""  Manuel),  avenue  des  Champs-îlljsées,  26. 
I  ËVEN  (Narcisse),  rue  d'Auraale,  9. 
Leven  (Stanislas),  faubourg  Saint-Honoré,  201. 
Lévi  (Israël),  rabbin,  professeur  au  Séminaire  Israélite  et  à  l'Ecole 

des  Hautes-Etudes,  54,  rue  La  Bruyère. 
LÉVI  (Sylvain),  professeur  au   Collège  de  France,    rue  Guy  de  la 

Brosse,  9. 


AU  31  MARS  1908  XllI 

LÉvY  (Alfred),  grand  rdbbin  du  Consistoire  central  des  Israélites  de 

France,  rue  Taitbout,  58. 
*Lévy  (Charles),  Colmar. 

LÉVY  (Aron-Emmanuel),  rue  Pierre  Corneille,  61,  Lyon. 
Lévy  (Isidore),  directeur-adjoint  à  l'École  des  Hautes-Études,  4,  rue 

Focillon, 
Lévy  (Léon),  rue  Logelbach,  2. 
LÉVY  (Louis-Germain),  rabbin,  24,  rue  Copernic. 
LÉVY  (Raphaël),  rabbin,  14,  place  des  Vosges. 
Lévy  (Raphaël  Georges),  3,  rue  de  Noisiel. 

*Lévy  (Ruben),  directeur  de  l'École  de  l'Alliance  Israélite,  à  Saïda. 
Lévy-Bruhl  (Lucien),  professeur  à  la  Sorbonne,  rue  Lincoln,  7. 
Liber  (Maurice),  rabbin,  07,  rue  de  Clignancourt. 

*  Lœw  (Dr  Inimanuel),  rabbin,  Szegedin. 
*LŒ"WENSTErN,  rabbin  régional,  Mosbach. 
Mannheim  (Charles-Léon),  rue  Saint-Georges,  7. 
Lœwenstsin,  rue  de  Trévise,  47. 

Mayer  (Gaston),  avocat  à  la   Cour  de  Cassation,  avenue   Mon- 
taigne, 3. 
Meiss,  grand  rabbin,  Marseille. 
Meyersohn,  boulevard  Malesherbes,  78. 

*  MuNK  (Mayer),  professeur,  Kopernika,  Lemberg. 

Netter  (D"^  Arnold),  membre  de  l'Académie  de  médecine,  boulevard 
Saint-Germain,  104. 

*  Neumann,  grand  rabbin,  Nagy-Kanizsa,  Autriche-Hongrie. 
Neymarck  (Alfred),  rue  d'Amsterdam,  90. 

OcHS  (Alphonse),  rue  Lafayette,  26. 
OppEKHEiMER  (Joseph -Mauricô),  rue  Le  Peletier,  7. 
Ouvkrleaux  (Emile),  conservateur  honoraire  de  la  Bibliothôriue 

royale  de  Bruxelles,  rue  Cortambert,  13. 
Pereire  (Gabriel),  rue  Maubec,  38,  Bayonne. 
Pereire  (Gustave),  rue  de  la  Victoire,  69. 

*  Perles  (Félix),  rabbin,  Kœnigsberg. 

*  Philipson  (David),  rabbin,  Lincoln  Avenue,  852,  Cincinnati. 

*  Philippson,  rue  Gueynard,  42,  Bruxelles. 

*  PoLiAKOFF  (Lazare  de),  6,  grande  Brannuya,  Moscou  (100  fr.  ). 
*PoLiAKOi''F  (Michel  de),  87,  boul.  Twerikoi,  Moscou. 
*PozNANSKi  (Ad.),  rabbin,  Neubachstr.,  37,  Vienne,  IX. 

*  PozNANSKi  (S.),  rabbin,  Tlomackie,  7,  Varsovie. 


XIV        LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  JUIVES 

Propper  (S.),  rue  Pierre-Charron,  64. 

ReiiiNS  (M. -A.),  rue  de  la  Faisanderie,  40. 

Reinach  (Joseph),  député,  avenue  Van  Dyck,  6. 

Reinach  (Salomon),  membre  de  l'Institut,  rue  de  Traktir,  4. 

*RoSENTtiAL  (le  baron  de),  Heerengracht,  500,  Amsterdam. 

Rothschild  (le  baron  Edmond  de),  rue  du  Faubourg -Saint- 
Honoré,  41  (400  fr.). 

Rothschild  (le  baron  Gustave  de),  avenue  Marigny,  23  (400  fr.). 

Rothschild  (le  baron  Henri  de),  rue  du  Faubourg-St-Honoré,  33 
(400  fr.). 

Rothschild  (la  baronne  James  de),  avenue  Friedland,  42  (50  fr.), 

Rothschild  (le  baron  Edouard  de),  140,  avenue  des  Champs- 
Elysées  (400  fr.). 

*RozELAAR  (Lévi- Abraham),  Sarfatistraat,  30,  Amsterdam. 

Ruff,  rabbin,  Verdun. 

Saint-Paul  (Georges),  maître  de  requêtes  au  Conseil  d'État,  place 
des  Etats-Unis,  8. 

Sakphar  (Lucien),  31,  rue  Octave-Feuillet. 

Schuhl  (Moïse),  grarld  rabbin,  Epinal. 

Schuhl  (Moïse),  rue  Majran,  8. 

Schwab  (Moïse),  bibliothécaire  honoi^aire  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, rue  de  Provence,  29. 

Schwartz  (Isaïe),  grand  rabbin,  Rayonne. 

Schumacher,  rabbin,  Dijon. 

Sèches,  grand  rabbin.  Lille. 

Sée  (Camille),  conseiller  d'État,  avenue  des  Champs-Elysées,  65. 

Sëe,  ancien  préfet,  103,  rue  Miromesnil. 

Seelmann,  49,  rue  de  Trévise. 

*SiMONSEN,  grand  rabbin,  Copenhague. 

*SoNNENFELD  (D""),  ruc  Pasquier,  2. 

Spitzer (Arthur),  rue  Cardinet,  41  (50  fr.). 

Stern  (René),  boulevard  Malesherbes,  90. 

Straus  (Emile),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  Miromesnil,  104. 

Taub,  boulevard  de  Courcelles,  86. 

*Uri,  grand  rabbin,  rue  des  Juifs,  Strasbourg. 

Vernes  (Maurice),  directeur  à  l'École  des  Hautes-Études,  boule 
vard  Raspail,  248. 

Vidal-Naquet,  président  du  Consistoire  Israélite,  Marseille. 

Weill  (Emmanuel),  rabbin,  rue  Mayran,  6. 


AU  31  MARS  1908  XV 


Weill  (Julien),  rabbin,  Versailles. 
Weiller  (Lazare),  rue  de  la  Bienfaisance,  36. 
*  Wellesz   (Gjula),  rabbin,    Nagy-Bittse,    Trencsen,    Autriche- 
Hongrie. 
WiNTER  (David),  avenue  Velasquez,  3. 
WoLF  (J.),  rabbin,  La  Chaux-de-Fonds,  Suisse. 
Zadoc-Kahn  (D"'  Léon),  9,  rue  Arsène-Houssaye. 


MEMBRES    DU    COiNSEIL 

PENDANT    l'année    1908. 

Président  :  M.  Moïse  Schwab; 
Vice-présidents  :  MM.  Bickart-Sée  et  X...  ; 
Trésorier  :  M.  Edouard  de  Goldschmidt; 
Secrétaires  :  MM.  Isidore  Lévy  et  Julien  Weill. 

MM.  Henri  Becker,  Maurice  Bloch,  Abraham  Cahen,  Albert 
Cahen,  Hartwig-  Dehenbourg,  J.-H.  Dreyfuss,  Mayer  Lambert, 
Lucien  Lazard,  Joseph  Lehmann,  Israël  Lévi,  Sylvain  LÉvi,Léon 
LÉVY,  Gaston  Mayer,  D""  Arnold  Netter,  Salomon  Reinach, 
Théodore  Reinach,  Baron  Edouai'd  de  Rothschild,  Baron  Henri 
de  Rothschild,  Eugène  Sée,  Maurice  Vkrnes, 


Le  gérant  :  Iskael  Lévl 


VERSAILLES.    —    IMPRIMERIES   CERF,    59,    RUE   ÛUl'LESSIS. 


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